SUR
LE S PRIT
Ε Τ
LES BEAUX ESPRITS»
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A AMSTERDAM,
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Chçz U$ Frères Bernard.
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ESSAIS
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È'ESPRIT ET
LES BEAUX ESPRITS.,
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CHAPITRE X
Expofition de t Ouvrage.
Qtfeft-Ce que l'Èfprit, cet înftrument
univerfel, ce don précieux de là Nature , que les hommes fé donnent & fe refiiiënt avec la même facilité , qu'ils cherchent avec tant d'enipreiTement , qu'ils prennept avec tant de confiance & de hardieiTe , & dont enfin ils rie jugent le plus fou vent que fuivant leurs goûts & leurs préjugés \ Et combien y â-t'il de for- tes d'Éfpritsî Pour éviter l'erreur caas ces recherches, |
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.M)
nous n'entrerons ici dans aucune diicui-
fion Métaphyfique, ni même Phyfique j, c'eft dans d'autres Ouvrages qu'il faut les- chercher. Tout le but qu'on,fe propofe , eft de déterminer avec précifion desidées, qui n'ont point encore été fixées par au- cun Ecrivain, même par ceux qui ont crâ. peut-être avoir approfondi ce iujet. Mais l'Eiprit ne fe voit point dans foi-
même » il ne fe connok point ; caché fous un mafque, pour ainrl-dire, le moyen de: faire tomber ce mafque qui le rend invi- - jSble à fa propre vue! Pour y réiiffir, tâ-4 chons de rendre fenfible tout ce que nous, dirons fur l'Eiprit. Puifqu'il ne, peut Tè voir que dans le miroir des fens, c'eft;: par eux feuls que nous le connoîtrons %, parce qu'eux feuls peuvent nous prêter f ρ quelque forte le pinceau qui peut don= Ber un corps à cet être immatériel., Tous les hommes ont une ame, & cha-
que animal· a fon inftineT, mais fi peu, d'hommes· ont de l'efprit, que je fe- r ois prefque tenté dé croire cju'il dépend d'un méchanifme, ou d'une organifatioft fort rare. Une ame fans efprit, eft un corps fâtis
yeux. L'efprit eft à l'aroe , ce que les yeux font au corps. Les meilleurs'font ceux qui vojem le plus Ma, cjui àpperçoivenrua |
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prtts gfanet «ombre d'objets ', «rai îés'par?»
courent le plus rapidement, &.qai é$g reconnoiiTent phis exsétemeat les diffé» renées. II.en eft de même de l'Efprit. Ce- lai qid etnbraCé le plus d'idées, qui Iefc diftingue avec préciiion, qui les rajffem- bl'è, les compare, les fépare entre elles > & en voit clairement toutes les faces 8c tous les rapports?, celni4à s dis-jc , eft le plus, grand Efprir. Vous .avez béfoin d'un fujet rapproché,-
vous ne voyez pas les conféquences in- termédiaires que je fuppriroe, il vous faut du terns pour appercevoir la moitié d'un Problème qui n'eft pas fôrï eompofé , δ€ qu'un autre· découvre tout entier, Se com- me d'un coup d'çei-l-, & vous vouîes que je vous donne de Eefprit ! Donnez done auffi de bons yeux à ceux pour qui les ob- jets; font toujours trop multipliés, trop fihs-,,οΒ trop éloignés. Enfin, comme on ne peut pas ailureg
que tous les yeux voyent exactement de î« même manière, ii;eft également vrai que non -.feulement tous les Efprits font auffi difFérens que les traits des vifages, mais qu'il n'y en a peut-être pas deux qui fe reffemblent parfaitement. De-là tous tes Myopei & Presbyopei d'efprit, comme- des corps, c'eftrà-dirc, tous ces divers |
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<Îegrés dans iâ" façon de voir de l'eforft
& des yeux, que nous- allons marquer exactement, - CHAPITRE II.
DtP divers Efprits.
Ε Ε premier degré dit véritable Efprit,
eft une force de l'ame , qui ne con- fifte que dans la plus grande fagacité ou pénétration; Par élle,l'Efpfit entre promp- témenr dans tous les plis &'· replis des objets,il développe , approfondit;, épmfe ces objets, ôC' grave fortement en lui- même toutes leurs propriétés, & tons les rapports que ces propriétés- ont entre el- les , & il en trace enfin- la peinture- avec les mêmes traits qu'il a faifis. Il n'y~a qu'un petit nombre 'd'Efprbs de cette trempe , Démoflhfaes', Sophocle tShakff- pAët „ Mïïlon, Corneille , Bourdalouë, Ρ dp cal, Bofftièt, êé l'Atiteur de Rhadamifte, quel qu'il foitl La féconde Claifd desEfprits, eft celle
dont la vûë ne s'étend pas fi loin , & ne pénètre pas profondémenr les objets. Ces Efprits voyent bien les furfàces > la forme |
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6e leeorce des chofes ; ils en combinent
exactement les dimentions, & les rap- ports extérieurs. Maisils ne font pas pé- nétrés par les rayons qui forteht diifein des objets, comme par ceux qui partent du dehors; ils n'en apperçoivent que l'or-» dre j l'harmonie, les agrémens. Les pein- tures qui fe gravent dans ces Efprits, font juftes·, tout ce qu'ils ont vit, eft tracé dans chaque partie de leurs tableaux ι îout s'y trouve avec une élégante exacti- tude ; le plan eft parfait, l'ordonnance eft admirable. Pourquoil C'eft que leur foi- jbleiTe les garantit des écarts des grands génies ; efclaves nés des règles , ils font faits pour les iuivre & s'y alTérvir, com- me ont fait Cicéron, Virgile , le Tajfe, Fetielm , Euripide , Racine, Kouffèau, la Motte, ôc Fontenelh, que je mets tous dans une même ClaïTe , pour placer Vol- taire, entre la première &' la fécondé. Je ne crois pas m'être trompé dans les
mefures que j'ai prifes, mais pour rendre jrkîs fèniïbles, ces deux ordres d'Efprits différetss , il.n'y a qu'à jetter les yeux fut les Tableaux: de Michel-Ange 8c dé Ra- phaël ·, que lé deiTein en eft beau , noble, grand, naturel 1 qui pourroit refufèr à ces Peintres, lé titre de Génies; Le Titien &C les autres Coldriftès repréfçntent lai fe- «oiîde forte d'Efprits» |
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JptfV
Dans les premiers, le feu de ΐΈΓρτΐέ:
eft tin éclair:, un embrafertient -^dans les derniers , c'eft un feu d'artifice. Les pas! dé ceux-ci font compaCFés, & par malheur ceux-là ne peuvent fouffrir d'entraves, mdocilesjugum patl. L'imagination eft une autre adHon de
î'ame * qui ne doit point fe confondre avec refprir , ou le génie ( car c'eft la niême chofe. ) T/antot elle confifte dans les reiFourçes de l'efprit, dont elle fait toute la richeiTe & la fécondité ; fécondi- té en moyens, en intrigues , en contrai- res; fi frappante chez les Poètes Comiques Bfpagnols, dans les Romans, & enfin fi familière aux Peintres, dans la compofi- tion variée des fujets. Tantôt l'imagina- tion n'eft autre chofe que la divcriîté, la force, l'expreffîon des images qui fe pré- fèntent à l*efprit, & alors: elle brille St domine dans les deferiptions des Poètes.·, & principalement dans celles à*Homère & de Mîtton. Mais c'en: dans la Peinture que cette belle partie de l'âme prend le corps le plus fenfîble. Ici telle eft l'éner- gie des figures j qu'il ne leur manque, comme on dit, que la parole ; la vie pa- roîty être, & la toile refpire : Là les atti- tudes & l'action des perfonnages font re- préfentés avec force, &c. |
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C 5> >
Au refte dans l'ufage ordinaire, je Îça^r
:qu'on attribue à l'imagination ce feu ra- pide de l'efprir, qui'brûle, pour ainiî dire, les objets, par"la vivacité avec laquelle ri •les parcourt, qui raiTembleies contraftes ■8c les rend fous des figures frappantes^ mais puifque Tefprit pénètre dans la na- ture des objets, & qu'il en découvre les ■caufes & les confequenees, tandis que l'i- magination ne préfente à l'ame que la gravure de leurs parties ferifibies, il s'en- fuit clairement que Tefprit diffère de l>i- -magination.'L'expérience confirme ce que j'avance ·, je connais des gens d'efprit qui -n'ont point d'imagination ; j'en -pourrois nommer d'autres, qui avec de l'imagina- tion, ont le malheur de n'avoir point -d'efprit. L'imagination eft donc comme la fécon-
de rétine,quiporte à l'amë l'empreinte des -objets. Cette empreinteeit-elle forte, ou vivement reçue*, elle fe moule fortement -dans le cerveau de ceux à qui on parle, les idées de "i'efprit font fimpies, & pour ainfi-dire, nues; au contraire des mains de l'imagination elles femblent fortk tontes -corpOrîfiées, & comme magnifique- ment parées. Ce font, non des ien'fations •communes , mais de violentes fecouiTes <jui remuent le cœur & I'efprit, avec une M
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fbïte proportionnée à l'excellence des or-
ganes fenfitifs ; de forte que par les puif- iams efforts d'une peinture vive , l'â- me , à force de fentir, porte le fenti- ment dans les cœurs les plus durs & dans les efprits les plus ftupides. Tel eft l'empire de l'imagination, l'in-
terprète peu fidèle de l'efprit, & l'ame de l'éloquence, de la Peinture &: de la Poê'fîe. ,Elle maîtrife tellement les hom- mes , que fans fonfecours, la raiion trou- ve,à peine quelque accès dans leur efpritj &c rnalheureufeinent cette même raifort ne fçauroit trop fe défier des féduifans preftiges de l'imagination. Ils font entrer indifféremment dans l'efprit l'erreur com- me la vérité , & plus fouvent l'une que l'autre. Pourquoi faut-il que ce qui fait le luftre & la beauté de l'efprit, l'entraî- ne lui-même avec ceux qui l'écoutent» au de-là de la vérité, qui femble être le ioiiet ordinaire de l'imagination. Cela pofé , vous avez une jufte idée du
bel efprit. C'eft l'efprit,avec toutes les grâces de l'imagination , qui en eft, pour ainfi-dire, le colorifte , ou fi vous voulez c'eft l'art du Titien. Tout Poé'te, tout Peintre , qui faifiiTant par tout la Nature, ne donne pas un feul coup de pinceau dont fon fujét ne foit embelli, eft doae un bel efprit. |
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fil)
"Nous allons voir préiêntement fi tous
ceux qui paiTent;pourbeaux eiprics, font dignes de ce titre. Commençons par Mr. l'Empefé. CHAPITRE III.
.■Portraits des Beaux Efprits , & ί*. <fe
M.r. l'Empesé. MR.l'Empesé eft l'Auteur des Ëjfais de
Morale 8c de Littérature, Ouvra- ge que toutes Tes Impreffions & ies Tra- ductions en diveiTes Langues , ne me "font pas trouver beaucoup meilleur que le Traité du Vrai Mérite. Il écrit correc- tement & élégamment, mais il ne donne rien de neuf;: vil fripier des penfées •d'autrui, ce n'eft qu'un petit frifeur de -jihrafes dérobées, dont il arrange mécha- niquement tous les mots, & qu'il travail- le , pour ainiî-iiire , au petit poinr. Trop heureux s'il en réfulte une harmonie qui •flatte l'oreilie délicate de fon Héros F****. |
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Β ι
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(il)
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CHAPITRE I y.
Portrait de M. D**,
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r. D * * , n'a qu'une impétuo.
Cité d'efprit, ou plutôt d'imagina- |
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tion forte, & , pour ainfi dire-, Angloife,
qui préfenre par tout des tableaux qui fs iuccedent avec rapidité , comme dans la Lanterne Magique, mais que l'exaéte rai- fon défavouë, & qu'elle n'a jamais tracée. Son mérite confifte à tout réduire en ma- ximes , & aies prodiguer , comme des Epigrammes, dans les chofes les plus {im- pies, & qui n'ont pas befoin du ton fen- tentieux. Quelques faillies , ,un ftyle âkoufu , fans noblejfe, voilà tout ,1'efprit & les talens de cet Ecrivain. Bel efpric des Caffés & des Bureaux Littéraires, fon ton déciiif & important, lui a ouvert une infinité de grandes maifons, où il joue le premier rôle ; c'eil l'Aftruc de,î# Littérature. Sans légèreté dans fes Ecrits, comme dans les Cercles, d'un caractère brufque & dur, il a dédaigné de le polir dans le commerce des femmes dont iî avoit befoin ; de-là vient que ce manège |
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tf'efprît, qu'on appelle galanterie, lui eft
f"6ut-à-fait étranger , & d'ailleurs je crois ίοη efprir de nature à ne pouvoir pas ai- fément fe monter fut ce ton-là. Quel- ques Seigneurs, pour mortifier la vanité de certaines femmes , lui ont fourni les Mémoires de leurs bonnes fortunes ; ces Mémoires font la baze des Confinions\ qu'en confcience D * * n'a pas faites. Il n'eft que le manœuvre de cet Ouvrage. CHAPITRE. V.
Portrait de Mr. de #*·***,·
MR, de F. s ce vieux Patriarche de la
Littérature & du Pinde, a beau- coup d'efprit fans génie , beaucoup de fçavoir , fans être un fçavânt, & eft grand Auteur, fans avoir rien d'original. Il a le naemè efprit qu'il avoit dans fa jeunefle. On l'admire &: moi je le plains. Cette cùnftante égalité vient de ce que cet Ef- prir a toujours éré fans force, comme fans imagination. Il n'a pu perdre ce qu'il n'a jamais eu. La réflexion & le travail ont iiippléé à tout ce qui lui manquait. Telle a été la fource de tous les talées Β }
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'.Cm)
de est homme célèbre. En liiànt Ces Ou-
vrages , & ceux de Defpreaux, je fens toucr ce qu'ils ont coûté. .Ces-Auteurs n'avoienr pas été formés par la Nature , pour être de beaux efprits ; l'art & les fifflets ( t} les; ont élevés jufques-là. Cependant le mé- rite de Mr.de F. coniîfte à fçavoir tourner & retourner chaque phrafe, à lui donner un air qui furprenne, qui faife une fenfa- tion imprévue", & qui laiiîe enfin tou- jours quelque chofe à deviner auLeéteur,. à qui cet art affeété fait plus d'honneur que de plaifir. Imitateur de Seneque, ou plutôt de Pline le jeune, il a infeoté la plupart des efptits du mauvais goût de ces Ecrivains. Au refte nulle étendue, nulle invention dans ce génie ; trop fu- perficicl pour rieli approfondir , il ne peint jamais que la furface des objets, mais fouvent avec beaucoup d'agrémens 6c de gentilleiTe. |
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( ι ) Racine a mis l'origine des Sifflets à l'aipar
du Sieur de F> |
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Vis)·'
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CHAPITRE VI.
Portrait de ÏAlb'e des Fontaines.
L'Abbé des F. efl: un homme qu il^ ne
» faudroit peindre que la plume à la main. Parleur lourd , iniipide, fatiguant, il n'avoit ni efprit, ni grâces dans les cercles.Sa plume étoit exade & régulière; il fçavoit fa Langue en Grammairien» formé par le travail. Kiais nul fcavoir , nulle profondeur dansTefprir. La iedure avoir donné quelque goût à cet homme médiocre, la Nature lui avoit refuie, la force ou le génie.Son goût étoit aiTaifonne de quelques faillies, éclairs qui partoient de fa feule malice, & le plus fouvent de fa méchanceté. Ne pouvant rien produire par lui-même, au lieu d'encourager les talens , il cherchcit à les déconcerter, il étoit leur ennemi déclaré. Par la même raifon, fon efprit ne pouvant fe nourrir de fa propre fubftance, avoit toujours be- foin d'aiimens étrangers. Tradudeur compendiaire , critique, c'étoit là tout ce qu'il pouvoit être. Abandonné à lui- ïnême , il étoit fec, ftérile , fans inven- B4
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tion , il ne pouvoit diitiler que du venîfi
de la plume de cet ignorant Zoïle. Voyez' fa défenfe contre les Journaliftes de Tré- voux ; Qu'eft-ce autre chofe qu'une apo- logie fade, longue , ennuyeufe ? Ce Critique , ainfi que Bayle, étoit plus
pefant que léger ; mais il ne reiFembloit à cet excellent génie qu'en cefeul'.point : il" n'en avoit ni les lumières, ni la force de raifonnement, nLla jufteiîe d'efprit. Ecri- vain exact, & même élégant, mais par- tial , avide ,dévoré par l'intérêt, voila le- Dieu auquel il facrifioit tous les jours la vérité , & l'habitude de ces fortes de fa- orifices lui avoit ôté toutfcrupuie & tous, remords. Je ne peux.m'empêcher d'admi- rer en cet Ecrivain mercenaire , cette fin- guliere adreiTe de ftyle ingénieufement équivoque, & qui, comme lui-même, avoit, pour ainfi-dire, deux vifages ; de forte que tel qui étoit Approbateur & qui > fe croyoit autant de fineife & de péné- tration, qui fe défioit des rufes de fora' ancien Régent, y a été honteufement trompé, jufqu'à prendre pour éloge des critiques dures & mortifiantes, quand, on les avoit pénétrées. Tel étoit le mérite de ce petit Ariftar-
que moderne; l'épine dont il piquoit, éioit fouvenc couverte de feuilles de ro«- |
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fe, on la fentoit à peine. Tant d'arr me
fait croire que lî cet Auteur eut été def-- intéreifé, impartial, éclairé, fa critique», dont avec raifon on fait peu de cas, eut' pu plaire aux. ConnoiiTeurs , pourvut, cependant qu'il n'eut travaillé que fiur les ouvrages d'autrui : car encore une fois > un efprit auffi borné n'étoit pas. capable de rien produire dé fon propre fonds. CHAPITRE VIL
Bortrah de Mr. de M*"* *,-
MR.de M***.cft fort refpeétable-
dans la focieté , par fon caractère plein de douceur & de politeife , & pat' fa probité. Mais ilne-l'eft pas tant parmi., les beaux Efprits. Il n'eft pas fans génie ^ ϋ a de l'invention, de la tournure , il connoît le cœur humain. Mais il a le défaut de tous les génies, qui ont befoin de modèle , ou qui croyent en avoir befoin. De fon efprit & de celui de~ Mr. de F1***, il a fait une efpéce a'amal~- game, ou un compofé infupportabIe aux gens de goût. Quand il veut être firople p |
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ëfc dire de petites chofes, qu'il eit bat-
Se rempant devant Air. le Sace /veut-il· s'élever ? il eff précieux:, entortillé, néo~ logue. Ses penfées ne plaifent à quel- ques perfonnes, ( qui ne font pas faires'■ pour être plus difSriles , ) que par la torture qu'il donne â rears efprits , com- me au fien propre; En un rrroc c'eft un efprit mirïsûdier', ëngulier , obfcur , recherché, énigmatique , que je trouve fer1: heureux, s'il s'efend toujours lui- même } car pour moi j'avoue que je n'ai pas ce bonheur:, -..■■ur-êire parce que |# n'ai ■ pas -aiP-z ti'eiprtt.' î&^^V's'ex-■ ptirrié'riT effet à;;.x:u près comme la Tau- pe de Tançai. Des femmes de Province à qui je lifois.les. 64. pages.'du diicoùrs- de cet ingénieux animal, virent des la deuxième phrafe que e'éroit une critique de cet Ecrivain : » VoilA nfre taupe , di-- i^fént-elles, qui parle comme. M***. Cefà prouve qu'on ne pouvait faire
mieux fenrir le ridicule dtt ffcyle de ce bel efprit. J'ajoute qu'il eft un des pre- miers qui ayent mis fur iè Théâtre l'ef- pftt, à la place de la nature & du fenti- ment, comme nous devons le Comique larmoyant à Mrs. Deftomhes & Ta Chauf- fée , Bdifly s'eft diûingué fur les traces «te» |
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r* #*
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Αι refte c'eft encore à Mr. de F,
qu'on a l'obligation de ces Pièces d'ef- prit, & ceux à qui elles font plaiiir y, doivent le remercier de ce fingulier gen- re de fpecïacle. Parlons à l'autre nou- velle fabrique de Comédie. CHAPITRE VÎIL
portrait de Mr. de la C**.
MR.de la C* V eft un efprïr tardif
qui n'a foupçonné qu'à quarante ans, qu'il avoit quelque génie. C'eft le fils de Clio. Cette Mufe l'a tranfporté fur le Théâtre , eèil afâit rire θ£ pleurer en même tems. Efprit fage, réglé par le goût, mais fans imagination , fans force,... fans expreffion , & furtout fans préci- iîon; tout fon mérite confifte ainiî que celui de Defiouches, dans la feule inven- tion d'un nouveau genre de fpectacles, qu'on appelle le haut Comique. Le ridicule Bourgeois étoit la matière
de routes les Comédies de Molière ; le fentiment Bourgeois a été mis à fa place par ces Auteurs , dont les Pièces peuvent être regardées félon moi , comme des |
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(2^/ ,
tragédies", ou du moins des Tran-'
Comédies Bourgeoifes. C'étoit une efpéee qui manquoie au Théâtre, Si elle fait plaifir, qu'importe que les Critiques iê révolrent, parce qu'ils ne la trouvent pas dans la poétique à'Ariflote ? la re- préfentation de' ce Comique noble ôc élevé a plû'par les\contraftes , par ks iîtuatîons , par la délicateiTe des fenti- îïiens,& par une morale épurée.· Mais le jeu , ou l'action des Acteurs , en a fait fans doute· prefqjie tout le fuccès, qui etir été bien plus brillant, fi les Auteurs eurfcnr eu* pins: de force dans Tefprit. La preuve de ce que je dis ne fe fait que- trop fenm durs le Cabinet, où k lec- ture de ces ouvrages eil ii froide , fi iii- iîpide, qu'elle a bientôt laiTe l'efprit, &£ glacé la plus chaude imagination. CHAPITRE IX.
Portrait de Air·. £?**.
MR. G**. a promis beaucoup 6c *
tenu fort peu, Poëce vohiprueuxi formé dans un Cloître. Il faut que k volupté'feule l'ait infpiré. Efpric aà · |
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■h ι ή
,ψοητ exprimer, & non pour penièr^ plein'de'mollefle & de grâce , Vermrt & la Chartreufe , ont épuifé prefque toutes fes forces. "Des Myrthes,des Rofes > » des Boccages , des Bofquets , deux » Amans couchés fur un .lit de gazon, *» & quLaprès mille baifers s'endorment m au chant des Roffignois, & au doux #» murmure des eaux ; « v-oilàle feul fujer. de fes charmantes Poë'fies , les feuis objets qu'il aime à voir , qu'il veut ap- profondir. G* *. n'a voulu connoître -ies peines de l'amour, que pour en mieux chanter les plaiiïrs. Pourvu que foQ cœur foir heureux d'être féduit, qu'im- porte que fon efprit -en-foit énervé ? CHAPITRE X.
■Portrait de l'Abbé de PY *.
LE libertinage dfe l'-efprit çft l'Auteur
de tous les ouvrages de Mr. l'Abbé P**. il n'a rien ajouté i ce qu'il a reçu de la nature , & acquis dans le commerce des gens de Lettres. Fécond par néceffité, il a allongé fes ouvrages ,&/eft hâtéj, çpjmne il l'avoue lui-même, de les doii* |
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'Ut)
ner à la preiïe pour vendre de plus gros volumes , & avoir plus vîce le moyen de fournir aux befoins de la vie. Deux sParties font tout le mérite de cet Ecri- vain , l'imagination Bc la grâce de l'ex- preiîîon: imagination qui fçaic inventer des évenemens fabuleux, bien enchaînés;, mais toujours tragiques & noirs, ( & c'eft ce qui l'a fait regarder comme un des Princes de la Romande : ) expreffion fleurie, qui coule d'elle-même, & fou- lent eft le langage de l'amour le plus paffionné, que l'Auteur a connu par ex- périence, mais il en eft prefque de ce$ agréineiis, & de ces fleurs , qui ne font jettes fur aucun canevas folide , comme ,des couleurs qui ne feroient appliquées à aucun corps. L'Abbé Ρ **. femble toujours deffiner
fur des toiles d'Araignées, leur tiflu dé- licat ne fouffre aucune force de travail., aucun coup de pinceau d'une certaine hardie fie i les fils fe rompent, ou fe dé- chirent fans ceiTe. Nul raifonnement s nulle fuite exa&e dans les idées. Il faut applaudir àlamodeftie de cet Ecrivain j fans forcer fon talent, comme tant d'au- tres 3 il s'eft contenté d'être Traducteur élevant &C grand Romancier , car j« compte pour rien fon four .& contre, foa |
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'jftyle eft beaucoup plus agréable que celui
,-<lc l'Abbé, des Fontaines , parce qu'il rer- .^oit fon luftre d'une heureufe imagina- tion j mais jamais la nature n'a donné -à l'un comme à l'autre , l'art de la criti- .que , qui n'eft ni aifée ni odieufe , com- me le dit Mr. Lempefé , c'eft dommage encore une fois , que ce mauvais Prêtre s ..corrompu par l'avarice , ait faic un fî .grand abus de fes talens,. CHAPITRE XI.
.Portrait de Mr, de Çm*. le fils,
L'Abbé P**. a plus d'efprit que l'Abbé
des F0ntaines5Mr.de C***. en a beaucoup plus que l'un & l'autre. Plus libertin d'efprit Se de cœur, plus aima- ble ,-furtouc avec les Dames qu'il con-, noît en Praticien , l'ufage du monde, & pour tout dire en un mot, la connoif- fançe du cœur humain font tout le fça- voir de celui-ci. La plus belle imagina- tion , l'amour Se les gressont égayé, & embelli cette connoiiTànce. Mais en- core ici la néceffité a été ΓΑρροΙΙοή. C***. n'a confulté que le tgoût duiîé- |
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cle', c'éft-à-dire, le.goût pour lacorrup-
îion. C'ell un Ecrivain qui empoifonne les mœurs par le pinceau de la volupté. H préfente par tout le vice rafiné , 8c le vice le plus groflier adroitement dé- gaifé ,-& "fardé des couleurs les plus ai- mables & les plus féduifantes. En géné- ral le ftyle de cet Ecrivain cft charmant ·, Voltaire feul écrit mieux que lui, & les ■ Confeiuonsiî vantées ne font pas compa- rables à Tan-zai ,.& à certaines peintures -idu Sopha, & à quelques caractères des tégaremens. Cependant fes phrafes font ordinairement longues,Se défigurées par ae grandes parenthèfes , qui reviennent Souvent, &dimintxent:l'impreffion qu'on reçoit : elles imitent ces grands courans qui font entrecoupés par des efpéces de petites liles. La raifon, la force ne fe trouvent prefque nulle part. Cet efprit doit tout à l'imagination , au goût> 6f principalement au goût pour le plaifir, &: prefque rien au génie. Il eft fâcheux cependant que d'auflî beaux talens def- ' "honorent l'efprit par la frivolité de leurs objets, & ne foient pas aufli utilement appliqués , qu'ils le font dangereufc- rnent. |
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CHAPITRE
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Ml
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CHAPITRE XII,
Pwtrait de Mr. Rollln,
VOïcï an-homme adoré dans les Col-
lèges , dont il n'avoir guéres que Fefprit , c'eft Mr. Rollin. If/a été élevé au premier rang par la Sefte qu'il avoic embralfée. On a été fi furpris qu;un Au- îéur qui ne manquoit pas'de goût, fortic de la pouifiere des Ecoles , qu'on l'a regardé comme un grand Ecrivain , fans i'efprit de p£rti il n'eut paifé que pour un homme médiocre, au- fond il n'eft qu'un grand Compilateur ; plagiaire de ftyle & de choies, nulle"' de fes recherches n'a éclairci aucun point de l'antiquité. Il n'a prêté qu'une nouvelle forme , à ce que les autres avoienc eux mêmes ra- mafTé , ou puifé dans les reiFources ; en- core cette forme eft elle" vicieufe , en ce qu'elle a réuni les caractères de tous les Ecrivains. Mr.-Rollin emprunte en effet tomes forte's de il y les ·, s'il écrit d'après Tite-Live , le ftyle en eft fermé & orné, s'il-"crit d'après; Kenophon , dont les grâ- ces conûfterît dans la {implicite, il eft C
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(αί) _
rampant Se fans ame. Ici on trouve-un
lambeau d'un Ecrivain , même François s ici on en trouve un autre : ils ne font pas même cités , tout femble être forti d'une même plume , ce qui fait une bi- garrure de ftyle infupportable. Le fond de fon Hiftoire , n'eft qu'un
Sermon hiftorique, les faits y font cou- pés par de longues réflexions déplacées, comme dans l'Hiftoire de Louis XI. avec cette feule différence que Mr, D* *, penfe hardiment, & donne de la for- ce & du nerf à fes idées, & que le pieux Rollin n'a guéres que des penfées triviales. Ce qui marque le cara&ére clé cet
efprit , e eft qu'il a traité des matières , dont il n'avoit pas la première notion ; il parle de la Géométrie d'Archiméde, de Newton, de Leibnitz, de la Mufique., &c. Avec plus de lumières, il eut eu plus de modeftie, Se fans fortir de fa fphere , il eut fenti qu'il ignoroit parfaitement toutes ces chofes. Mais le comble delà vanité, c'eft qu'après Echard , Mr. R* *. ait ofé donner un Abrégé de l'Hiftoire Romaine. Auffi en étoit-il, pour ainii dire , pétri, voyant tous fes Livres fur iâ table , il me difoit un jour : » Il faut «avouer que ce font là de bellescho- » fes. « |
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CHAPITRE XIII.
Portrait de Mr. P* *.
IL" y a peu dé chofes à dire de Mr,
P* *, fans efpfït, fans goût, galant de Collège , c'eft le pédant de Roliin , somme D* *. l'a été long-rems de Boin- din. Homme fiiperficiel, il avoit befoin dit travail de Mr. de Réaumur , donc il· n'a éré qu'un' compendiaire fade & ennuyeux , par les plattes galanteries & gentilles, ferriée's dans fes Dialogues, li en eft d«s ouvrages de Roliin, comme du Speétacle de la Nature ; l'Un a fait la fortune à l'autre, Gacon à loiié Perfan , Perfan a loué Gacon, & le· Public les a îoiiés tous deux^i CHAPITRE XIV.
Portrait de Mr. ai F"* * *.'
MR.de V***. cet homme célèbre
par qUatttité de beaux ouvrages , ^ui a reçu tant d'éloges, & qui a été en C *
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butte à tant de critiques, eft un efprié
bien différent de tous ceux dont je viens de parler. Infpiré dès fa jeunefTe par le génie même de ta Poê'iîe , il .s'eft placé à l'âge de dix-huit ans , à côté des Cor- neilles & dés Racines. Dans la ftérilité qui menaçoit la Nation , il parut pour remplacer lés plus grands Poètes. Génie vraiment élevé, réglé par le gqûr le plus épuré & le plus délicat, parlant toujours ■ d'après nature & le fentiment.,.Peintre · vif & fécond » il anime tout., il donné . la vie à tout ce qu'il touche. Mais tant de. rares qualités ne pouvoient être reiinis; à celles qui ont caraétérifé les deux hom- mes immortels que je viens de nommer»,.. 11 a peu d'invention ,-fon imagination, eft bornée à des lambeaux , mais ils font, d'une fi, grande, beauté qu'ils l'ont fair- appeller le Poète des détails. Son efprit; n'a point aiTez d'étendue , pour embraifer. toute la fphere des grands objets qu'il : traite °, il,, n'en voit, ni.toutc la fuite, ni? les liens ·, fon efprit ne brille que par des éclairs - entrecoupés- de-1 ténèbres.. Avec plus de force dans l'imagination 5 il eut eu de plds grandes parlions, fans lefquelles on, n'eu jamais un grand* Eoëte.- MaiSiiî.malgré tous" ces défauts il a eu.
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îart d'enchanter l'Univers, que n'aurois*
il pas fait, s'il les eut évités ? il le pou- voit peut-être , ii plus docile aux avis" des gens févéres,it les eut écouté avec- fruit , il comme P<acine & Boileau , il·-' fe fût choifi un Patru, je veux dire un .· Juge clairvoyant , qui , ne lui- pardon- nant rien , lui eut encore moins permis de fe livrer an premier feu de fon ima- gination , que le jugement doit régler- Il le pouvoir, je le, répète , avec beau- coup moins d'amour propre, en s'efti- roant moins , ,St en .fàifànt plus de cas du Public , qui eft refpeitable , δέ n'eft jamais fi foc, que ceux qui le croyenc ■ tel, font ridicules, impernoens.<Né poue peindre la nature, pour,etr-e en- tout fon interprête , fi., fuivant tous ces confeils," il n'eut point eu la vaine ambition de la mefurer, ou de vouloir la connoître, il eur été , non Philofophè ( car il lui eft irnpoflîble de jamais lé devenir ) mais le pius grand des hommes. Voilà ce que-je penfe dû plus bel efprit qu'il y air eu en France, & , félon moi , dans aucun Pays. Qui -peut- lui être comparé en ce genre parmi les anciens & les modernes?, il les a tous furpaiTés dans fes Pièces lé- gères, comme le ftyle de Charles XII*v |
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cft îe modèle, par malheur peu fuivi, de'
tous les Hiftoriens. CHAPITRE XV.
Caraffére du faux helEÇfrit.
PArmi tous ces prétendus beaux Ef-
prits , Voltaire feul eft digne de ce titre, comme M.l'Empefé eft le dernier de tous ceux même que j'ai cru pouvoirlaiiTer dans l'oubli, auquel ils font condamnés. Il attendrit, il remue , il élevé l'ame, il prête à lanature les plus fttperbes or- riemens, il joint à la jufteife, & à desvé- rltes hardies , les grâces inexprimables de l'Albâne s enfin fes ouvrages font l'E- cole du fentiment , ôc du vrai goût. Les autres Auteurs n'ont pour la plupart qu'un efprit qui ne die rien de naturel, qui fe cachant comme derrière un ri- deau , veut fe laiiFer deviner , efpécc d'enfant, qui pour mieux fe dégnifer » afFeére un ton précieux , fingulier , néo- logue , & s'applaudit toujours pourvu qu'il finiiïè par un trait faillanr , qui fàflè une impreflioa foiidaine, & qu'il |
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répande par tout le ici de .l'épigran**·
me.
Toute ridicule & puérile qu'eft cette
forte d'efprit , dont Pline le jeune eft. le père , & dont tant de bâtards ont hé- rité , il eft l'idole du fiécle. - J'en fuis fâché pour mes contemporains, je crois que la poftédté rira bien à leurs-dépens. Tout le monde court après l'efprit, c'eft comme une maladie épidemique dont la contagion a infecté tout Paris. Si nos anciens Arlequins revenoient fur la Scè- ne, ils feroient furpris d'avoir tant d'ef- pnr. Les Médecins même en donnent à Hifocrate Se à Galien comme Toureil ( ι ) & Dernofthe'nes. Ce font ks plus zélés partifans de ces défauts ridicules êc de ce mauvais goût fi fort à la mode , «jui occupent les places Académiques , & jouiiTent des honneurs qui ne de- vroient être accordés qu'au bon goût & aux talens fupérieurs. Je veux cepen. dant que l'on puiiTe faire grâce à ces faux monnoyeurs ; mais n'y a-t-il pas trop de hardieife & d'imprudence , à payer de la même mauvaife monnoye , comme |
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( ι ) Le Boureau fera tant, difoit DeJ$reaux,
qu'il lui donnera de Teiprit. |
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fé fripon célèbre dont parle 'Madame*'
di Sevigne , jufqu'à l'Arrec qui les ab-- fôitt d'en avoir fait Γ? Ht.** Ίίί· (Si* >W* »t£Sji Κί* "βίί « ''.t.*· >*t ,V i***4 iil·· >*W·'
CHAPITRE X-VE
COnfiils fur i'Art d'écrire.
"If· Orfqu'oii veut courir la même car-
X-J rierc , & acquérir la - rêputatioa d'homme d'efprit■; & ' de bon Ecrivain , comment faut-il s'y'prendre , pour évi- ter des écueils, où tant de beaux efprits ont échoués? Voici» quelques confeils que j'ai donné à un Jeune-homme j qui avoit la fureur de faire des Livres; i'*. Comme un Marchand avant d'ou-
vrir fan màgazin , fait emblercé de Mar- chandifes , il faut qu'un Auteur faflfe une ample provifion de c&tïnouTances de route efpéce , avant'que de mettre foa efprit à l'encan des Libraires , & de s'ex- pofer au mépris du Public. 2.°. Il ne faut point écrire, fans* avoir
auparavant clairement ' conçu le fujet qu'on veut traire'r dans toute fon éten- due ·, fans·avoir bien arrangé dans fa tête le plan de tout l'ouvrage qu'on entre- prend. |
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«rend. L'ordre feul donne de la fécon«
dire·, fans l'ordre le meilleur efprit eft
fec , ftérile , il ne peut rien produire de
bon , ni de fuivi ; 'les idées font fanr
liaifon & comme découfuës. Faute de
méthode , à laquelle il faut commencer
par s'aiîlijettir , l'efprit mal réglé ne
peut faire que mille écarts qui peuvent
marquer la force du génie , mais qui,
aux yeux des ConnoiiTeurs , ne feront
jamais que d'heureux hazards , enfans
d'une imagination vive & impétueufe,
ou productions, frivoles d'une vivacité
Gafconne , qui eft aifez femblable à celle
de l'Ecureuil.
3°. Mais lorfque vous avez la quille
de vôtre vaiiTeau, lorfque vous fçavez combien de branches doivent s'élever ■du tronc de votre ouvrage , vous pou- vez produire les fleurs & les fruits, que chaque branche peut produire , & cela tantôt dans une branche , tantôt dans une autre, fuivant le caprice de votre imagination, dont le feu feul doit faire pouifer ces productions diverfes. Après quoi, c'eft au fens droit & tranquille d'élaguer ce fuperflu, & de faire tomber les fleurs inutiles , ou mal placées , com- me on fépare l'yvraie du bon grain. Ce qui donne peu· d'ouvrage au juge* |
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nient , quand toutes choies font ainâ préparées. $C bien diftnbuées. , 4°. Le. ftyle eft différent , & il doit. l'être, fuivant les divers fujets , il chan- ge & varie comme eux. Vous voulez enfeigner les principes de l'Art Mili- taire , de la Médecine ^ de rAftronomie, &c., il faut être clair , net, & précis. Le ftyle propre convient principalement aux matières abftraites , telles que la Géométrie , l'Algèbre , 8c la Métaphy- sique , il doit être feç & décharné com- me ces fciences. Ceux qui ont voulu rendre la vérité fenfible & agréable, l'ont fouvent obfcurcie , & fe font eux- mêmes rendus ridicules. Je ferois plus indulgent pour ceux qui auroient a trai- ter de la Phyfique générale , de celle des Mixtes , ou de celle du corps . hu- main , je la crois fufceptible de." quel- ques ornemens, Mais , à dire vrai, le ftyle figuré ne convient guéres qu'à ces ouvrages, où il n'eft pas néceffaire que la raifon préfide, je veux dire à ces ou- vrages d'agrémens, de goût , de fenti- ment, vraies productions de .l'imagina? tion. Toutes les fciences j tous les Arts, 1# nature entière , doivent venir à leur fecours , pour les embellir : les compa- laifons, les figures, tout l'Art enfin <Je$ |
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... <*0 . V
Rhéteurs doit orner les idées , mais il
ne doit fervir qu'à la Nature , il ne doit parer que la vérité de fes fentimens.il ne ilifEt donc pas que des figures agréables plaifent à l'efprit., qu'elles amufent, & le faiTent en quelque forte rire avec elles, il faut .qu'elles fotent vrayes,;ilfaut ne ja- mais conb parer deux chofes qui ne font pas "faites pour aller enfemble, & qu'en- fin le compas de la jufteiTe fe fa fie par- tout remarquer. L'érudition, le fçavoir, trop rares dans prefque tous les Poètes y peut être femé dans ces fortes deCompofi- rions, mais ces connoirTanees;ne brillent qu'autant qu'elles font fervies & diftri- tnées par le goût, & ce goût c'eft le fen- rimenr qui le donne, comme c'eft la lec- ture des bons Ouvrages qui développe Se perfectionne ce fentiment. Le peu que j'en ai, j'avoue que c'eft principalement à Mr. de Vol raire que je le dois, 5°. Il ne iuffit pas d'avoir peu d'efpric
pour ne point écrire , comme il ne fuffit pas pour écrire de n'en avoir que médio- crement , mais il faut en avoir jufqu'à un Certain point pour ne pas écrire, pour fe convaincre foi-même qu'on n'eft pas en érar de rien donner , fi ce n'eft du mau- vais ou du médiocre ; productions qui font à peu de chofes près les mêmes ; en D χ
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tout il faut fçavoir mefurer Tes forces;
Vous n'avez pas de génie , point d'inven- tion', votre efprit , quoique jufte, eft fans luftre & fans agrémens, foyez Tra- ducteur ou Journalifte, & ne foyez que cela.La Nature avoit dit à Mr. de la Mou te , foyez le Philofophe de la raifon & des grâces, mais ne les faites parler qu'en Profe. Les flateurs lui ont dit, point du tout, faites des Vers , vos Fables même font excellentes, Inès eft bien verfifiée , foyez enfin, puifque vous pouvez l'être , tout ce que vous voudrez. ; la Motte féduic par ce langage, n'a plus écouté la Na- ture. 6". Si vous avez beaucoup d'efprit,
vous ne pouvez réfifter à cette forte de- rnangeaifon d'écrire que produit la va- nité d'être Auteur ·, vous écrirez, c'eft-a- dire , que le Démon de la Compofition s'emparera de toutes les facultés de votre ame , fans fourfrir aucun partage , & qu'enfin vous ne ferez keureux que la plume à la main, parce que l'on ne l'eft. qu'en fatisfaifant fes paflions ·,, mais l'a- mour propre qui fait les mauvais , comme les bons Auteurs, & qui conduit princi- palement les plumes précoces , fouffre & rougir de l'exiguïté, ou de la médiocrité des talens. Ce qu'on trouvoit bon foi- |
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même à dix-huit ou vingt ans, en le de-
iefte dans un âge pins mur. Il ne faut donc pas fe preiTer de faire paroître les premiè- res productions de fon efprit, on ne les regarde dans la fuite que comme aespé- ehés de lajemefe, & le Public à qui vous avez fait acheter vos fotifes, s'en fouvient long-teros, Se ne revient prefque jamais fur votre compte. Il faut fonger que les dernières réflexions qu'on fait fur fes Ou- vrages , font toujours les plus fages, qu'ors, ne doit fe mettre fur la fellette du Public* que lorfque l'on peut foutenir les regards des gens éclairés qui viennent vous γ juger, & qu'enfin il eft très-rare qu'on foit peint favorablement dans l'imagina,- tion des Connoiffeurs, fi. l'on n'attend patiemment cette force de jugement 3C de lumières, qu'on ne peut acquérir qu'a- vec ceux qui en ont. C'eft le confeil ά'Ηο- race , qui eft malheureufement peu fuivk 7°. Voici un confeil qui eft encore. Meilleur, c'eft de ne point écrire, quel- qu'efprit 3c quelque fçavoir qu'on air* C'eft en effet une efpece de métier des- honoré par la plupart de ceux qui le font*, hommes vils & mercenaires, qui comme; parlent les Néologues , ont reçu; tout leuc eœur en efprit. D'ailleurs l'Auteur aima- ble, qui plaît en amufant, eft méprifé |
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fsff . ,
des fots, des ennuyeux & des fçavang;·
qu'on peut tout hardiment ranger dans L· même claiFe. L'homme doâe à! fon touf €ft lourd , pefant, infuppot table aux gens d'Efprit & de goût. Je le demande à ceux qui connoiiTent Jflruc.Vom remédier a tant d'inconvénient, néceflairement at- tachés à la Littérature , on a voulu conci- lier deiixchofes inconciliables, le fçayotf & l'agrément ; mais on s'eft mocque de ceux qui ont fait ces tentativesjY toute-- nues cependant de beaucoup d'efpnt ÔC de lumières. Le moyen donc d'être Au- teur , & de n'être pas fifflé I Mais les Ecrivainsife déchirent entre eux , je ne àis pas comme les Médecins & les Chi- rurgiens ( cela a toujours été & fera tou- jours,) mais comme les Médecins mê- mes ,c*eft une guerre continuelle , allu- mée par la jalouiie. Il y a à Paris un hom* me que Corneille a rendu prefqtte fou , Se dont la manie eft de foutenir que POltmrf n'a pas le fens commun , de qu'il na pas; ait un Vers quine foit pitoyable. C** .· Oit l'Empesi , ne brille que pat les obfce- nités ;- ce petit Mgrep. d'efprit repond €*'**, feroit bien d'emprunter le mê- me fécours. Comment fê garantir de tant d'écueils, lorfqu'on veut écrire > Mais· ©eux que le talent ou l'amour propre en- |
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Α$9ΐ
;Srament., peuvent-ils s'en difpenfer;! ",Νοη ·, on écrira toujours , malgré toutes les épines dont eft remplie la carrière de bel eiprit. Les Auteurs font encore fem- blables aux Médecins, ils s'embarraiTent peu d'être raillés, pourvu qu'ils foient bien payés. L'Abbé des Fontaines fçavoit «ju'il étoit ignorant , partial , irîjufte, menteur, mais quand il vovoit arriver les préfens à'Arnould, ou des Chirurgiens j il redoubloit de zèle pour le Sachet δζ pour S. Corne. CHAPITRE XVÏL
PROBLEME.
G'En eft afïez fur l'art d'écrire ,j qu'il
me foit feulement permis /avant que de finir ;cet EfTai, de propofer un. Problême qui a rapport au îujet que je ; traite. Eft-ikvrai. qu'il y a un grand nom- "bre de perfonnes qui parlent bien, & qui écrivent mal, & d'autres réciproqué-- !inent qui écrivent bien, &T,qui parlent mal ? D'abord il faut fçavoir ce qu'on en- tend par-là. Qu'eft-ce que penfer » C'eil iàifir fa véfité des idées ou tout ce qu'il |
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Î4°)
y a de vrai dans celles que ie hazard nous préfente, ( car par malheur il efi trop cer- tain que nous ne fommes pas les maîtres de nous en procurer une feule. ) Qu'eft-ce que parler, ou écrire } C'eft rendre Ces idées vrayes avec jufteiTe & clarté ; or je dis qu'un bon efprit évite Terreur, & conçoit clairement la vérité, & exprime nettement & fans obfcurité ce qu'il a fi bien conçu. Un bon efprit, .en un mot, un homme qui penfe ou fçait réfléchir, exprimera donc clairement la vérité, δέ parlera auffi bien, par rapport au fond des chofes qu'il écrira, s'il n'a pas les or- ganes embarraifées. Réciproquement un efprit qui n'eft pas aiTez clair-voyant, pour éviter les pièges de Terreur, qui efi: fans vûës,fans clarté dans la converfation, un efprit embrouillé , inconféqtient, qui croit, par exemple , comme on le foute- noit ces jours paiTés, qu'on fait la guerre .& la Médecine avec de mauvais Généraux & de mauvais Médecins, comme avec uri Sax* &c un Senac, un efprit, encore une fois j auffi faux , auffi obfçur , écrira tou- jours , félon moi, auffi mal qu'il parlera, il n'eft pas de Géomètre qui puifïe le re- dreiTer ; point d'art qui puiffe lui don- ner de la clarté : le goût pour le ftyle néo- logue & entortillé, peut feulement aug- mentée |
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(41 ;
ïjjentef la confufion de fes idées Se l'en-
torfe naturel de ion efprit. Ecoutez, je vous prie, ceux dont vous trouvez,le fty- \e. fi vicieux , & vous verrez fi leur con- verfation eft plus châtiée. M * * *. eil fin- gulier , précieux , pbfcur , en parlant comme en écrivant. Il vous dira de bou- che comme dans fes Ouvrages, » Je fuis «d'autant plus inconfolable, que je fuis » fur de me confoler .... je m'érois bien ^attendu à ne le plus voir, mais je ne me » ferois pas attendu à ne le voir plus. Fiat hix.· N'eft-ce pas encore pour la même raifon qu'un ignorant ne fera pas un bon Ouvrage , & qu'un habile homme n'écri- ra pas des chofes démenties par la Nature & par l'expérience, La liberté de la con- gélation donne, j'en conviens , plus de carrière à l'imagination ; plus abandonnée à Êlle-mêmè,elle peut jetrer plus d'éclairs, &C répandre, pour ainfi-dire , à pleines mains cette vivacité & ces faillies qu'on aime dans les Cercles. J'accorde que cet- te imagination peut ib rallentir, ou mê- me fe refroidir dans le Cabinet, par ce jugement, ou par cette attention conti- nuelle qu'on donne, la plume à la main, à chaque idée, & c'éft en ce fens, fans doute, que quelques-uns prétendent qu'on peut parler mieux, & même beaucoup mieux £
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qu'on n'écrit j mais ce mieux n'eft,1 mon
avis, que plus d'agrémens, plus de feu , Î)lus de gayeté ,fans rien ajouter à la fo-
idité, à la jufteiTe, ou au mérite abfolu de l'efprk, qui eft la raifon. On objecte- roit en vain l'exemple de pluGeurs grands hommes au-deifus de tous les autres , en écrivant, & prefque au-defTous de tous , en parlant. Mais que Corneille & la Fon- taine , ces génies inimitables n'euiTent pas le don de la parole , & ayent par confé- quent paile pour des gens fort bornés dans la converfation , il n'y a rien en cela de- fort furprenant. On peut avoir l'exercice- de la plume plus libre que celui de la pa- role ; ceux qui font naturellement férieux, triftes ou rêveurs, n'aiment point à par- ler , & en général les efprits d'une trempe diftinguée , font occupés de grands ob- jets qui leur font dédaigner là periteflè- de ceux dont parlent la plupart des hom- mes. Mr. de F**·*'* difoit un jour a M * *. » Quand j'aurois la main pleine de «vérités , je ne daignerois pas L'ouvris. »pour le genre humain » ■
Ε IN. |
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