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r Lftu ftO(M?R Dêj
DIALOGUE
SUR
LE COLORIS
A PARIS,
Chez Nicolas Langlotï', rue
Saint Jacques,, à k Vi&oire.
■ """"" '                                                                   ·                                                                                                                 Il                                                           !                                                                                                                                                    , ,                                                                                                                                                                                                                    . . ■■                     .
m. dc. xcrx.
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-ocr page 2-
m$mm^$m ssssssssss
DIALOGUE
SUR
LE COLORIS.
A m ρ η 11 ε 6c Damon for-
tant il y a quelques jours de
l'Académie de Peinture, &
ne /cachant que faire pour
employer le reile cie Tapreidinée,
s'aviferent de me venir voir: Et com-
me ce font gens de mérite , qui
ayment les Arts, & qui s'y connoi£-
fent très -bien , je crû ne pou-
voir mieux reconnoître leur civilité,
qu'en leur faifant voir quelques Ta-
bleaux & quelques autres curioiîtez
que j'avois receuës de Rome le jour
précèdent. Je leur mpncray donc d'à,
bord cinq ou iîx Tableaux de medio-.
cre grandeur qu'ils trouvèrent fort à
A
-ocr page 3-
i           Dialogue
leur gré j & après avoir fait retour-
ner une grande Baccanale qu'un ha-
bile homme m'avoir copiée d'après
le Titien; Voila, s'écria brufquement
Damon, le fujet de noftre querelle ;
êc fe tournant vers Pamphile ; Hé
bien, dit-il 5 voila dequoy vous fatis^
faire, puifque vous aimez tant le beau
Coloris.
Il eil vray 3 dit Pamphile , que je
fuis fenilblement touché des beautez
que je voy dans ce Tableau , δ£ que
j'ay fort fur le cœur, que la plufpart
des Peintres ne veuillent pas feule-
ment tafcher de les découvrir pour
les mettre en pratique.
Ne fçaurois.je eftre arbitre de vo-
tre diffèrent, i nterrom pis- j e, δ£ quelle
e|l donc cette querelle?
Nous fortons de Γ Académie de
Peinture , reprit Pamphile, 6c che-
min faifant , nous nous entrete.
nions Damon &, moy des choies qui
fe font-dites dans la Conférence.
Je me doutay auiE toft., puifque
-ocr page 4-
. su RLE Coloris. y
mon Tableau du Ticien avoir donné
lieu'de réveiller la querelle, qu'on à*
voir parle du Coloris. Je les priay de
me faire parc de ce qu'ils avaient oui
dans cette Conférence,.( ce qu'ils vou-
lurent bien m'accorder) : & pour les
Y engager davantage, je les retins à
ibuper. Cependant nous achevâmes
de voir les nouveau tez qui m'étoienc
venues. A table nous ne pariâmes que
de nouvelles j Ôc nous étanc enfuite
approchczg|i feu, je les remis fur les
voyes,Tes râiiànc fouvenir de ce qu'ils
m'avoient promis. Damon dit d'a-
bord que pour me faire tout enten-
dre & me donner plus de plaifir , il
faloïc reprendre la choie dés Con
commencement 5 qu'il interroge-
roitPamphiIe, s'il le vouîoit bien, 8c
qu'il luy feroit toutes les objedions
qui luy viendroient dans I'efprit con-
tre le mérite du Colons dont on
avoic parlé à Γ Académie 5 car Pam-
phjle aymoit extrêmement cette par-
A ij
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~.tWi"-~":i-*-«------"-------------------            III                       ...                          ...
^              D-IALOGUE
tiç de la Peinture, Je leur témoigna*
que cela ferait le mieux du monde 5
Pamphile y confentit, & Damon re-
gardant Pamphile commença en cet-
te forte.
Souffrez, dit-il, avant toutes cho-
ies que je vous demande ce que vous
appeliez Coloris ?
C'eft, répondit Pamphile , une des
parties de la Peinture , par laquelle
Le Peintre fçaic imiter la couleur de
tous les objets naturels, jfcdiftribuer
aux artificiels celle qui"eu#eft h
glus avantageufe pour tromper la
ym'ê.
■ Et qu'appeliez vous, Couleur, con-
tinua Damon?
Pour vous répondre en Peintre,
dit Pamphile, & laiiTer là les difpu-
tes des Philosophes , fçavoir fi c'eft
quelque chofe de réel, ou fi c'eft feu-
lement la refra&ion de la lumière
avec la modification du corps coloré -,
jç yousdiray que h Couleur eft ce
qui rend le? objets fenfîbles à la vûg;
I
L
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SUR LE Cdt Ο RIS.             jT
Or comme les Peintres doivent cOnu
iiderer deux fortes d'objets j le natu-
rel ou celuy qui cil véritable 5 & l'ar-
tificiel ou celuy qui eit peint} ils doi-
vent au {fi confiderer deux fortes de
Couleurs , la naturelle 6c l'arti-
ficielle. La couleur naturelle eir celle
qui nous rend actuellement vifibles
tous les objets qui font dans la natu-
re · 6c l'artificielle eii une matière
dont les Peintres fe fervent pour imi-
ter ces mefmes objets * c'efr dans ce
fens-là que l'on peut appeller artifL
cielles les Couleurs qui font fur la pa-
lette du Peintre, d'autant que ce n'eu
que par l'artifice de leur mélange que
l'on peut imiter la couleur dQs ob-
jets naturels. Le Peintre doit avoir
une parfaite connoifiance de ces deux
fortes de Couleurs : de la naturelle,
afin qu'il fçache ce qu'il doit imiter $
6c
de l'artificielle , pour en faire une
compofition & une teinte capable de
reprefenter parfaitement la Couleur
A iij
-ocr page 7-
&           Dialogue
naturelle. Π faut qu'il fçach-e encore,.,
que dans la Couleur naturelle, il y a
la Couleur véritable de l'objet," la
Couleur réfléchie, & la Couleur de
la lumière -y ÔC parmy les Couleurs
artificielles il doit connoître celles
qui ont amitié enfemble ( pour ainfï
dire ) & celles qui ont antipathie ; il
en doitfçavoir les valeurs feparemenr^
& par comparaifon des unes aux au-
tres.
Mais que fert-il, reprit Damon y
de fçavoir cette amitié & cette anti-
pathie des Couleurs j pui (qu'il n'y a
qu'à imiter par le mélange des Cou^
leurs artificielles celles qui font naT
turelles à l'objet qui eft devant nos;
.yeux,
La nature, reprit Pamphile, n'eit
pas toujours bonne à imiter 5 il faut
que le Peintre la choifiilè félon les rè-
gles de fon Artj & s'il ne la trouve
pas telle qu'il la cherche > il faut qu'iî
corrige celle qui iuy eit prefente. Et
de mefrne que celuy qui dciîlne ni-
\
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sur le Col orïs, 7
mite pas tout ce qu'il voit dans un
modèle defe&ueux , Se qu'au con-
traire, il change en des proportions
de des contours avantageux les dé-
fuiits qu'il y trouve : ainiî le Peintre
ne doit pas imiter toutes les couleurs
qui fe prefentent indifféremment,
il ne doit choiiir que celles qui luy
conviennent, aufqueîies ( s'il le juge à
propos ) il en ajoute d'autres qui puifc
iènt produire un effet tel qu'il rima-
gine pour la beauté de Ton Ouvra-*
ge ι il fonge non-feulement à rendre
ies objers en particulier beaux, natu-
rels &c véritables : mais encore il 2
foin de l'union du Tout-enfemble'%
tantoft il diminue de la vivacité du
Naturel y de tantoft il enchérit fur
l'éclat ôc fur la force des couleurs
qu'il y trouve.
Je fçay bien , dit Damon , qu'on
doit corriger les défauts du Naturel 5,
mais je ne croyois pas que cela allait
jufqu'à donner plus de vivacité & plus
A iiij:
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¥ ■■■■-                     :"                                            ,
Τ              Dialogue
de force qu'il n'y en paroift forfque
le Peintre l'imite.
Mais que diriez-vous , répliqua1
Pamphile, iî Γοη vous faifôit connoî-
tre que cette force Se cette vivacité ^
dont vous parlez ^ ne font que pour
imiter plus parfaitement la Nature ?
δί que les Tableaux où cela ne fe
trouve pas font foibles. Il faut donc
pour vous fatisfaire que vous fiiïfczi
reflexion, Qu'un Tableau efhine fu-
perfîcie plate, Que les couleurs n'ont
plus leur première fraîcheur quelque
temps après qu'elles font employées,
Qu'enfin la diftance du Tableau luy
fait perdre de ion éclat & de fa for-
ce j δε quainfi il eft impoiïïble de
Jfiippléer à ces trois choies fans arti-
fice. Un habile Peintre ne doit point
eftre efclave de la Nature, il en dois
eftrc Arbitre, & judicieux imitateur t
&: pourvu qu'un Tableau faiïè Γοη ef-
fet , &l qu'il impofe agréablement
aux yeux, c'eft tout ce qu'on en peut
attendre.
-ocr page 10-
sur le Col oris. 9
Je voy bien, dit Damon, que vous
voulez que le Peintre ne laiiïè rien
échapper de tout ce qui eit de plus
avantageux dans fon Art.
Ν an fans douce , repartit Pam?-
phile, & vous fcavez bien qu\m Ta-
bleau ne peut eilre parfait , iî l'une
des parties de la Peinture y manquej
■& qu'un Peintre n'eft pas habile en
fon Art, s*il ignore quelqu'une des
parties qui le compofent. Je blâme-
ray donc également un Peintre pour
avoirnegligé le Coloris jComme pour
n'avoir pas difpofé Tes figures auiH
avantageufement qu'il le pouvoit fai-
re 3 ou poitr les avoir mal deiBnées,
Il eil certain, reprit Damon, qu'un
Ouvrage n'eft jamais parfait quand il
y manque quelque chofe ..· mais vou-
driez-vous que le Coloris fuir, une
partie auflî neceiïàire à la Peinture
que le DeiTein ?
En doutez-vous ? dit Pamphile, ne
fçavez-vous pas que vous detruiièz
le tout fi vous en retranchez mie par-
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ίο            Dialogue
tie , principalement quand elle eiî
auilî eiTentielIe à Ton tout, comme effc
celle du Coloris à l'Art de Peinture.
Je juge afllz, reprit Damon, que:
vous voulez dire que tous les objets
ne tombant fous la veuë que par la
Couleur , & n'eftant diftinguez les
uns des autres que par là, ils doivent
eftre imitez par leur Couleur auflî-
bien que par leur forme extérieure r
j'en tombe d'accord. Mais que me
répondrez vous quand je vous feray
voir des Tableaux de Polidore de
•Caravage qui parlent pour de tres-
Jbeaux Ouvrages de Peinture , quoy
qu'ils ne ibient peints que d'une me£
me Couleur de clair.obfcur?
Il eft vray, dit Pamphile , que ce
lont de très-beaux Tableaux ^ maisiî
eft vray auffi que ce ne font point de
véritables Ouvrages de Peinture , ôc
qu'ils font fort éloignez de tromper-
la veuë j car vous tombez vous- meiZ
rne d'accord que pour imiter la Na-
ture > il faut l'imiter comme elle nous
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sur le Col ο κι s. π
paroifl, Se qu'elle ne paroift à nos
yeux que fous les apparences de la
Couleur.
Mais, pourfuivit Damon , quoy
que l'Ouvrage ne foie que d'une meu
me couleur , s'il eft tellement bien
conduit de lumière & d'ombre, qu'il
femble que ce (bit un Ouvrage de
Sculpture /-qu'aurez-von s à dire ?:
Je diray pour lors que rien n*y man-
que -, répliqua Pamphile, &. quec'eit
un véritable Ouvrage de Peinture,
puis qu'il imitera par le DeiTein &;
par la Couleur l'ouvrage de Sculptu-
re que vous fuppofez. La beauté dix
Coloris ne confiite pas dans une bu
garure de couleurs différentes : mais
dans leur juile diffcribution, en forte
que tes objets qui font peints ayent
la même Couleur que les véritables ^
que la pierre peinte, par exemple £
reilemble à la pierre naturelle, que
tes carnations paroiiTent de vérita-
bles chairs : Et enfin que non feule-
ment cloaque objet particulier reprew
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ïz             Dialogue
fente parfaitement la Couleur de
ceux qu'il imite $ mais que tous en-
femble faiTent une agréable union
dans tout le Tableau·.
Puifque nous en famines fur les
ouvrages de clair-obfcur, interrom-
pit Damon5 dites-moy, ie vous prie,
îbus quelle partie de la Peinture cil
comprife l'intelligence âes lumières,
ÔC des ombres?
Sous le Coloris, répondit Pamphi-
lej puifque dans la Nature la lumiè-
re & la Coufeur font inféparables 5
que par tout où il y a de la lumière,
il y a de la Couleur 5 & par tout où
vous trouverez de la Couleur vous γ
trouverez auflî de la lumière, Ainfi le
Coloris comprend deux choies, la
couleur locale & le clair-obfcur. La
couleur locale eit celle qui eft naturel-
3e à chaque objet,& que lePeintre doit
faire valoir par la comparaifon, èc
cette indaitrie comprend encore, la
connoiiTance de h nature des cou-
leurs: c'eit-à-dire de leur union, &
de leur antipathie.
........——-------------------------------------------■■m^^teÊimtÊtÊaÊIÊIIIIÊmÊtÊÊmmm^
-ocr page 14-
s un le Coloris. 13
t Et le cîair-obfcur eft l'art de dii-
tribuer avantageufement les lumiè-
res & les ombres, non feulement fur
les objets particuliers, mais encore
fur le gênerai du Tableau. Cet artifi-
ce, qui n'a été connu que d'un petit
nombre de Peintres eft le plus puiHant
moyen de faire valoir les couleurs lo-
cales j 6c toute la compoiition d'un
Tableau.
Je lecroy comme vous, reprit Da-
mon, &c je fuis periiiadé qu'un Pein-
tre eft fort avancé dans la partie du
Coloris quand il entend bien les lu-
mières : néanmoins ce qui pourroit
faireçrqirevque cette intelligence dé-
pendrait du Deilein, c'eft qu'on ap-
pelle DeiTein un ouvrage de blanc-
&-noir,où les lumières & les ombres
ibnt obfervécs: & j'en ay vlî pluiîeurs
de la main de Rubens de cecte ma-
nière qui faifoient un effet merveil-
leux, Se qu'on ne nommoit point au-
trement.
: p'eiî auiîî de cette manière qu'ils
-ocr page 15-
ï-4          Dialogue
doivent être nommez,, dit Pamphi-
le j puifque c'eil l'uiage, & que nous
n'avons pas d'autres termes pour nous
expliquer. Mais le nom de Deiîein
qu'on leur donne n'eilpas celuy qui
convient à l'une des parties de la Pein-
ture. | Le Deiîein effc fort équivoque
δί fe prend de différentes façons,
qu'on peut réduire à trois, comme a.
fait M. Felibien dans iès Entretiens
fur les vies des Peintres. L'on appelle
DeiTein, la volonté de faire ou de
dire quelque choie, & c'eit. dans ce
ièns-là qu'on dit, Un tel eft venu à
bon ou à mauvais deiïèin. L'on ap-
pelle encore DeiTein ia penfée d'un
Tableau que le Peintre met au de-
hors fur du papier ou iûr de la toile
pour juger de l'effet de l'Ouvrage
cju'il médite j èc de cette manière l'on
peut appellerdunom dcDeiïein non
feulement un eiquiile : mais encore un
Ouvrage bien entendu de lumières
<k. d'oitibres, ou même un Tableau
bien colorié. C'eit de cette forte que
-ocr page 16-
sur le Col ο ris. if
Rubens faiibit prefque tous Tes Def.
feins, &; de h manière qu'ont été
faits ceux dont vous parlez. Enfin
i'on appelle Deilein, lesjuuresmefu-
res, les proportions ïk. les formes ex-
térieures que doivent avoir lesobje s
qui font imitez d'après laNature. Ec
c'eil de cette dernière forte que l'on
entend le Deiïein qui fait une des par-
ties de la Peinture. Ai η fi lors qu'on
ajoute aux contours les lumières & les
les ombres, on ne le peut faire fans
le blanc & le noir, qui font deux des
principales Couleurs dont le Peintre
a coutume de fe fervir , & dont
l'intelligence eil comprife fous celle
de toutes les Couleurs, laquelle n'eft
autre chofe que le Col ris.
Penfez-vous, reprit Damon, que
tout le monde veuille convenir, que
la partie de la Peinture qu'on appel-
le DeiTein, (oit feulement les propor-
tions &l les concours?
Il faut bien en convenir vrayment,
dit Pamphile,
-ocr page 17-
i€          Dialogue'
Et que diriez vous, continua Dâ-
ïïion , fi quelqu'un vous foûtenoic
que c'eit auiîî cette féconde forte de
DeiTein que vous venez de définir 5
eseft à dire la peniee d'un plus grand.
Tableau que l'on médite j foit que
cette peniee ne fuit qu'un léger
crayon, ou bien qu'on la viit expri-
mée par le clair obfciir, &. par tou-
tes les Couleurs qui doivent entrer
dans le grand Ouvrage donc elle eit
TeiTay &; le racourcy ?
Alors, répliqua Pamphile, je di-
rois que le DeiTein ne feroit plus une
âes parties de la Peinture 3 mais qu'il
en ièroit le tout: puisqu'il contien-
droit non feulement les lumières de
les ombres , mais auffi le Coloris $c,
l'Invention mefme : Et pour lors il
fauciroit toujours convenir de nou-
veaux termes , ôc demander à ce,
quelqu'un que vous fuppoiez , com-
ment il voudroit que Ton appellait
la partie du DeiTein, laquelle trouve
Iqs objets qui compofenx une Hiitoi-
re,
-ocr page 18-
suft. le Coloris. 17
re, Se comment il voudroit encore
qu'on nommait cette autre partie du
DeiTein qui difbribuê* les Couleurs,,
les Lumières Se les Ombres, Ain β
vous voyez qu'il n'importe pas de
quelle façon l'on appelle les chofes
pourvu que l'on s'en tende Se que Foû
convienne de Ieurnom-j c'eft un point,,
comme vous fçavez, dont il ne faue
jamais diiputeiv
Je croy , dit Damon,. que fans ie
mettre dans l'embarras de chercher
de nouveaux termes aufquels on au-
roit de la peine à s'accoutumer , il
vaut mieux s'en tenir à ceux dont or*
cil convenu depuis long-temps. Mais·
tandis qu'il m'en fouvient, je ne veux
pas vous IaiiTer paiTer la raifon que
vous avez donnée, pour prouver que
Fintelligence des lumières dépendoitr
du Coloris: e'eft, dites- vous·; pareeque
dans la nature Fune efl: inféparable
de Fautre, Et ne peut-on pas dire 1&
mefmc chofe du DeiTein , puifque-
fans lumière l'œil ne fçauroitvoirga^
-ocr page 19-
            D ï A Ε Ο G ϋ Ε
reiliement dans la nature,. les cony
tours ny les proportions des figu-
res.
N'avez .vous- point oiii parler,.dit
pamphile , d'un certain Sculpteur-
aveugle , qui faifoit des portraits de
cire fort reifemblans ?
Non-feulement j'en ay oui parler^
yeprit Damon,,. mais je l'ay veu à Ko*-
mev&; je me fuis entretenu plusieurs,
fois avec luy. Il effcoit de Cambaflï
<Jans la Toicanc' C'eftoit un homme
fore bien fait, de belle taille, èc qui
paroûToit âgé d'environ 50. ans j il
avoit beaucoup d'eiprit Se de boi>
fens j aymant à parler, & difant agréa*
blement les choies. Un jour entr'àu-
très l'ayant rencontré dans le Palais-
Juftinien qu'il copioit une i&itue de
Minerve,, je pris occjfion de luy de-
mander s'il ne voyoit pas un peu,
pour copier au fit juile qu'il faifoit?je
ne voy rien,, me dit-il ,.. & mes yeux
font au bout de mes doigts. Mais en-
core, luy dis je, comment eifc-il poil
-ocr page 20-
sur ε ε Cotoxrs: <τ$*
ifble que ne voyant goûte du tout -,
vous faiîîez de iï belles choies ? Je ta*
île j dit-il, mon Original} j'en exa-
mine attentivement les dimeniîons,,
les éminenees &c les cavitez } je tau
ehe de les retenir dans ma memoii
re, puis-je porte la main fur ma cire,,
&c par la comparaifon que je fais de
l'un à l'autre 3 portant èc rapportant:
ainfi pluiîeurs fois la main r je termU
ne le mieux que je puis mon Ouvrage.
En effet y il n'y a nulle apparence
qu'il euft aucun uiàge de la veuë3 pui£
que le Duc de Bracciane, pour éprou-
ver ce qui en eitoit, Juy fît faire for»
portrait dans une cave fort obfcure,,
& que ce portrait fut trouvé rres-biei*
δί très reiîembîant. Mais quoyqueï
cet Ouvrage fuft admiré de tous ceux:
qui le voyaient 3 on ne laiiïa pas d'ob-
jecter à l'ouvrier que la barbe du Duc
efEoit un grand avantage pour le fau-
re reiTembler , &; qu'il n'auroit pas-
cette mefme facilité s'illuyfaloit imi-
ter an vifage fans barbe. Hé biem^
-ocr page 21-
——»———1^—^^^^^^^«^
10          Dialogue
dit-il, qu'on m'en donne un autre. On
luy propofa de faire le portrait de
l'une des Dernoifelies delà Ducheflej.
il l'entreprit y & le fît très reiFem-
blanc J'ay encore vu de la main de
ce Sculpteur le portrait du feu Roy
d'Angleterre 3 δ£ celuy du Pape Ur-
bain VIII, tous deux copiez d'après*
le marbre très-finis ôc tres-reiîem-
Hans.
Sans aller plus loin, interrompit
Pàmphile, nous avons à Paris un por-
trait de ià main.
v » N'eft ce pas celuy de feu· M.. Hek
Îèlin, répliqua Damon.
Celuy-là mefme, reprit Pàmphile,
èi M Heiïèlin en fut fi content, &c
trouva la chofe ir merveilleufe, qu'il
pria cet illuftre aveugle de vouloir
bien fe laifler peindre pour emporter
ion portrait en France ,. Ôc pour γ
conièrver fa mémoire. J'ay; vur autre-
fois ce portrait, & je m'apperceus en
le regardant, que le Peintre luy avoic
mis im œil à chaque bout de doigt
-ocr page 22-
sur le Coloris.
pour faire voir que ceux qu'il avoir;
ailleurs, luy eitoient tout à fait inuti-
les. Enfin, vous voyez par là, conti-
nua Pampliile , qu'il î/eit pas toû-
jours neceiïàire pour juger des con-
tours que l'œil les voye, c'eit allez
que les mains puiffent les toucher;
En ef&c, il n'y a peribnne qui dans
la plus grande obfcurité, ne fente les
contours d'un homme ou d'une ira-
tuëj & ne juge des éminences & des
cavitez en y portant feulement la
main : au lieu qu'il eft impoffible de
voir aucune Coulear ny d'en juger
fans Lumière.
Il en faut tomber d'accord, reprit
Damon ,. mais vous voyez auffi par
Phiftoire de cet Aveugle que ίση Art
qui eft tout dans le DeiTein, luy avoic
donné moyen de fatisfaire ion efpritr
&c de fë confoler en quelque façon
de la perte qu'il avoit faite d'un fèns
auffi pretieux qu'eit celuy de la veuë:
& que s'il avoit efté Peintre-, il auroit
privé de cette confolation.
-ocr page 23-
ζτ            Ό ι A L ο α υ Ε
C'eil, repartit Pamphile, que
Couleur 6c la Lumière ne font l'ob-
jet que de la veuë, Se que le DeiTein
l'eft encore du toucher ,. comme je
trous i'ay déjà dit. Je vous avoue que
la pureté Ôc la delicateiîe du Deiîèin
eft un grand charme pour moy j mais
vous m'avouerez auffi que fans le Co*
loris qui eft l'autre partie eiTentieÎIe
de l'Art,, le contourne fcpuroit re-
preiencer aucun objet comme nous le
voyons dans la Nature.
Je m'eftois imaginé ,;pourfuivit Da-
mon, que le Coloris n'eitoit dans la?
Peinture qu'une partie intégrante
( comme appellent les Philofoph.es)
èi qui rend le tout plus entier & plus
parfait : de la mefme forte que l'or*
coniidere un bras ou une jambe , ow
quelqu'autre partie fans laquelle'
Fhomme ne laiiFe pas d'eftre homme
quoy qu'if foie moins entier & ■'moins·'
parfait ; & qu'ainii iànsle Coloris.uœ
Tableau ne laifïoit pasd'eftre un ou-
vrage de Peinture j mais un ouvra-
-ocr page 24-
sur. le Coloris.. a$
ge de Peintre moins parfait.
Je voy bien , dit Pamphile, que
vous n'avez jamais fait reflexion for
ce que c'en:que Peinture, &: que vous
ne fçavez pas qu'on la définit, Un
Art qui par le moyen de la forme
extérieure & des Couleurs T imite fur
une fuperficie plate
, tous les objets
qui tombent fous le fens de la veuë.
Cette définition efljufte,ce meieirp.
ble-y puis qu'elle donne une idée par-
faite de la Peinture,. &: qu'elle la du
flingue de tous les autres Arts.
Je vous avoue, dit Oamon, que je
n'y avois jamais bien peofé.
Hé bien, ίί vous y prenez garde f,
ait
Pamphile, vous verrez que le Co-
loris eft non feulement une partie eC
fenrielle de la Peinture >y mais eneofe
qu'il eft ià différence · & par confè-
quent la partie qui fait le Peintre «
de mefme que laraiibn qui eft la dif-
férence de 1 homme eft ce qui faic
l'homme.
Et que deviendra le DeiTein Reprit
Damon?
-ocr page 25-
24           D r a l ο g υ ë
Le DeiFein, répliqua PâmpÎuTe*y
rient fore bien ià place : puifque c'eil
une partie eiïentielle de la Peinture',
êc fins laquelle la Peinture ne peut
iùbiïiler non plus que le Coloris.
Enfin, vous voulez, dit Damoir,
que le ÛeiTem iort le gem-e de la
Peinture . 6c le Coloris fa diffèrent
ce?
Cela mefine, répondit Pamphilej
car le genre , comme vous fçavez ,ie
communique à plufieurs eipeces, ôc
c'eil pour cela qu'il eiî moins noble
que la différence qui eil un bien pro-
pre à ià feule efpece. Et c'eil ainii
que le degré d'animal qui eitle gen-
re de l'hcrm me, fe communique in-
différemment à f homme de à la be-
lle j, 6c que le degré de raiiônnable
qui eft la différence de l'homme., ne
fe communique qu'à l'homme feul.
A quels autres Arts , reprit Da-
mon, voulez-vous que le Deilèin ie
communique ?
A la Sculpture, repondit Pàmphi-
iev
-ocr page 26-
/
sur le Coloris. 25
le, a la Graveure 3 à rArchitedure,
&: aux autres Arts qui donnent des
mefures & des proportions.
Mais le DeiTein du Sculpteur, ré-
pliqua Damon, n'eil pas le mèirne
que celuy du Peintre 5 car l'un eil
Geometral, & l'autre Perfpectif.
Je vous répons premièrement3 dit
Pamphile, que la manière différen-
te defe communiquer, n'empefche
pas que la chofe ne fe communique.
Secondement < il eil certain que le
DeiTein du Sculpteur & celuy du
Peintre eil le meiine eflèntieliement
que l'un &c l'autre /ont fondez for des
proportions certaines,Se que ce qui
eil en Perfpe&ive fe peut mefurer
comme ce qui eil Geometrah & en-
fin, il eil confiant que ks Sculpteurs
fe fervent de Perfpedlive dans leurs
Bas-reliefs, comme les Peintres font:
dans leurs Tableaux.
JjL^nviens, dit Damon , que le
DeiTein fe communique à plufieurs
tees 4?Art;s ; ruais rie pourroit-pn
C
V..
-ocr page 27-
l6           D I AL Ο G U Ε
pas vous dire que la Couleur fe com*
lîiunique auffi de la mefme manière >
& que les Tapiffiers Ôc les Teintu-
riers s'en fervent auffi bien que les
Peintres,
Pour l'ouvrage des Tapiffiers, re.
pliqua Pamphile, je ne trouve pas
qu'il foit différent de çeluydesPein-
très j les Tapiffiers reprefentent com-
me les Peintres , les Couleurs & les>
formes qui font dans la Nature. Leurs
Couleurs font attachées aux Iairies,
& celles des peintres aux terres ou
aux minéraux qu'ils emploient; èc
cette différence de matière, comme
vous fçavez , n'efb jamais eiTëntielle.
pour l'objection des Teinturiers 5 vous
pouviez bien vous paifer de me la
faire, Ôc de mettre en compromis les
Peintres avec les Teinturiers : néan-
moins il faut vous fatisfaire. Il eft.
vray que les Teinturiers entendent
quelque chofe aux Couleurs ; mais
non pas au Coloris dont il eft icy
gaeftron. Χ*οη appelle fouyént du
-ocr page 28-
-
sur le Coloris. %j
nom de Couleur la partie de Pein-
ture qui s'appelle Coioris, l'uiage en
eil auez ordinaire, & cette équivo-
que vous a fait faire l'obje&ion des
Teinturiers >, Cependant, il y a gran-
de différence entre Couleur de Co-
| loris, de je vous ay fait voir que le
Coloris n'eftoit point, ny le blanc,
ny le noir, ny le jaune 3 η y le bleu,
ny aucune autre Couleur femblable :
mais que c'eftoit l'intelligence de ces
mefmes Couleurs dont le Peintre iè
fert pour imiter les objets naturels;
I ce que n'ont pas les Teinturiers,
Cependant, reprit Damon, vous
I m'avouerez que le DeiTein eil le fon.
I dément du Coloris, qu'il le foutient,
I que le Coloris en dépend 3 au lieu qu'il
I ne dépend pas du Coioris j puifque le
1 Deiïein peut fubfîfter fans le Coloris,
I & que le Coloris ne peut fubufter
j fans le DeiTein.
Quand tout cela feroit", dit Pam.
Jphiié, quelle confequence en vou*
driez-vous tirer ?-
Ël
-ocr page 29-
2.8             Pi A h Ο G V £
Que le Deflein , reprit Dam on,
e/l plus neceflaire, plus coniîderable
& plus noble que le Coloris.
Vous ne prenez pas garde, conti-
nua Pamphile, que tout ce que vous
croyez dire en faveur du Deiïein ne
cpnclud rien d'avantageux pour luy
au préjudice du Coloris. Au contraire,
vous hites voir par là. que le DeiTein
tout feui eit quelque chofe $im$avr
fair à l'égard de la Peinture : Car le
peffein n'eft le fondement du Cokv
ris ôc ne fubfifte avant luy que pour en
recevoir toute fa perfection $ 6c il n'eft
pas furprenant que ce qui reçoit ait
ion eitre, & fubfifte avant ce qui do t
eitre receu. Il en eil ainfi de toutes
les matières, qui doivent eftre difpo ·
jt es avant que de recevoir leur per-
fection des formes fubftantielles. Le
corps de l'homme, par exemple, doit
; eftre entièrement formé & organif£
avant que l'ame y foit receuë. Et
c'eft avec cet ordre que Dieu fit
Je premier homme ·, jil prit de la fer*
-ocr page 30-
sur t% CoLoâis. 29
te $ il en forma un corps, il y mie
coûtes les diipoiïtions neceiîaires ;
Î)uis il créa I'ame qu'il y infufa pour
e peffe&iôiiner i $c pour en faire
un homme/ Ce corps ne dépendaic
poinc de l'ame pour fnbiîfter ; puis
qu'il eftoit avarie l'ame ; Cependaiic
vous ne voudriez pas foûrenir que le
corps fuit la partie de l'homme la
plus noble ôc la plus coniïderable. La
Nature commence coûjours par les
chofes les moins parfaites &c par con-
fequent l'Art qui en eft l'imitateur-
ainfî l'on ébauche avant q.ie de fi-
nir. ;W! -
                                *
A l'égard d'eftre plus ou moins ne-
ceiïaire, je vous ay déjà dît que pour
faire un tour, les parties ibnc égale-
ment neceiîaires ; il n'y apqidtd'horri-
me iî l'ame n'eit jointe au corps -y auf.
fi n'y a-cil point de Peinture iï le
Coloris n'eft joint au DeiTem.
Je veux bien vous avouer, reprit
Damon, que le Coloris eil auir] ne-
ceilaire à la Peinture que le DeiFeia:
C iij
-ocr page 31-
30 . DlAL 0#G U Έ
mais il fautauiîî que vous m'accor-
diez que celuy-cy eft plus neceilàire
pour le Peintre.
Oiiy pour le Peintre , répondit
Pamphile, qui veut expédier quantité
d'ouvrages fans fe mettre en peine
de les achever, ny de fadsfaire plei-
< nement les yeux. Je vous avoiieray
encore qu'illuy eit plus neceilàire,
c'efl: à dire, plus utile que le Coloris>
en ce qu'il y a beaucoup plus d'occa-
. fions de s'en ièrvir que du Coloris,
C'eft un initrument dont on a beibin
en toutes rencontres dans laplufpart
desArts: Se par rapport à cette grande
utilité , je Peilimeray avec vous da,
vantage que le Coloris,,de la meime
rnaniere que j'eilimerois beaucoup
plus un gros diamant qu'une plan-
te, quoy que la moindre de toutes les
plantes foit plus noble & plus eiti-
niable en elle-mefme, quetoutesles
- pierres precieufes enfemble.
Tout le monde court à l'utile, re-
partit Damon en riant, & d'abord
-ocr page 32-
Sur le Coloris. £r
6n enviiàge les chofespar ce côté-I4.
Ne Vous étonnez donc pas fî le Def-
ièin eitant plus d'ufage &; par confe-
quent plus utile dans Je monde , on
Peitime généralement davantage»
Mais avec tout cela, je ne içaurois
m'empefcher de vous dire ingénue-
ment, que je trouve dans le beau
DeiTein une nobleiîe qui me charme.
Je fuis de bonne foy là^deiTus, die
Pamphile, & je croy que le beau
Deiîein doit charmer Un efprit bien
fait · d'autant plus qu'il cxprm;p
■une partie des mouvemens dé l'a me
qui luy tiennent lieu de Couleur, Se
luy donnent une eipece de vie tres-
agreable. Mais en tout cela, il n'y a
rien que le Sculpteur ne pui(Tefaire j
& Ces chofes confiderées par rapport
à un ouvrage de Peinture, demeure-
ront toujours imparfaites fans le fe-
cours du Coloris, lequel met le Pein-
tre au deiliis du Sculpteur , &: fait
que les objets peints reiïemblent plus
parfaitement aux véritables ?
C iiij
-ocr page 33-
ψ&             Dialogue
Vous dites, repartit Damoh, que
le beau DeiTein charme l'eiprit j &:
n'y a~t il pas plus d'avantage à char-
mer l'efprit que les yeux ? .-
Lorique le beau Deiïèin, répliqua
Pamphile, charme les yeux de Tef-
prit, ce n'cft que par ceux du corps,
pour lefquels la Peinture eft faite im-
médiatement.
Si vous aviez des Tableaux à choi-
iîr , interrompis-je, lefquels pren-
driez vous , ou ceux qui font mieux
Deffinez que Coloriez , ou ceux qui
font mieux Coloriez que Deffinez >
Vous pouvez bien croire, me ré-
pondit Pamphile, qu'après ce que j'ay
dit du Coloris à l'égard d'un ouvrage
de Peinture, je dois préférer les Ta-
bleaux où la Couleur fera mieux en-
tendue , pourveu que le Deiïèin n'y
foit point trop mal. La raiibn de
cela eft3 que le DeiTein fe trouve ail-
leurs que dans les Tableaux: il fe ren-
contre dans les Eftampes , dans les
Statues & dans les Bas-reliefs,, fans
-ocr page 34-
sur. έε Coloris, ύ
dompter qu'il fe trouve encore dans la
Mature mefme: Mais une belle intelli-
gence de Couleurs ne fè trouve que
dans un très-petit nombre de Ta-
bleaux. Ainii fuppofé que je vouluife
faire Cabinet, j'y ferois entrer de tou-
tes fortes de Tableaux où je verrais cta
la beauté dans quelque partie que ee
foit: mais je préférerais toujours ceux
du Titien aux autres, pour la raifon
que je viens- de vous dire.
Et lequel de ces deux Peintres ai-
meriez-vous mieux eftre, continuay-
je, de Raphaël ou du Titien >
Vous m'embaraiTez fort, repondie
Pamphile 5 attendez que j'y penfe un
peu.
Je ne croyois pas, repris-Je, que
vous dûiîîcz balancer de cette forte;,
après ce que je viens de vous enten-
dre dire.
J'aimerois mieux cftre Raphaël,
continua Pamphile, 5c j'eftime que
le Titien eft un plus grand Peintre,
Je vous entends bien, luy dis-je,
-ocr page 35-
54          DiAtdcuI
c'eil à-dire j que Raphaël avec la
correction de ibn Deiîein, avoit plu-
sieurs aurres talens, &c que tout cela
eniènlble vous plaiil davantage que
Je Coloris du Titien.
Je vous avoue, dit Pamphile, que
je fuis encore aiîèz irrefolu: néants
inoins la correction du Deiïèin de
Raphaël, Inélégance de iès contours,
fa manière de drapper, iesexpreffions
ii touchantes, la tacilké de Con gé-
nie, iès compoiïtions nobles s riches
&: abondantes, la grandeur, la iîm-
plicité ÔC Javray-femblance de fes at-
titudes j enfin, les grâces qu'il répan-
doit dans tous fes ouvrages,me l'ont
fait préférer au Titien,
Quoy au Titien, s'écria Damort,
le plus grand Peintre, ielon vous, qui
ait jamais eilé & qui fera peut.eftre ja-
mais.
Je vous Favoiie, dit Pamphile, mais
Raphaël , avec tous les avantages
que je viens de vous dire > a voit encore
celuy, d'eflre entré fur la fin de fa vie
-ocr page 36-
Sun l Ë Coloris.         tf
dans l'mteligencedes Lumières & des
Ombres, & d'avoir déjà fait un fi
grand progrés dans fe CoiariSj qu'il
auroit bientoit pofledé cette partie
dans fa dernière perfection. Ainfi je
me perfuade, fi j'eftois Raphaël f que
dans peu de temps je ferois encore le
Titien.
II femble, interrompis-je , que la
plufpart des Peintres ne font gueres
perfuadez; que le Coloris (bit auiïï
neceiTaire que vous le dites j» car leurs
Ouvrages ne font pas extrêmement
connoiitre que cette partie leur plai-
fe, ny qu'ils fe mettent fort en peine
de la pratiquer*
Comment voulez-vous, dit Fâni-
phile , qu'ils la pratiquent 9 puis
qu'ils ne la içavent pas ( je parle
pour la plufpart) de comment l'aime-
ront-ils , puis qu'ils ne l'ont jamais
connue?
Ileftvray, luy dis-jc, qu'ils s'at-
tachent beaucoup plus au Deiïèin.
Je le veux croire ? repartit Panv
-ocr page 37-
$6            DlAL O Ù tff
phile j mais je ne voy pas que ceiott
avec beaucoup de fûccés , puifque
j'ay mefme lieu de douter qu'ils en
fçachent toits les principes.
Comment pouvez-vous dire cela,
reprit Damon puisqu'on les voitdef-
fîner avec tant de facilité d'après le
Modèle ?
Tant de facilité qu'il vous plaira 5
dit Pamphile ,* mais je vous aiTure
que c'eil frietï tout ce qu'ils pour-
f oient faire que de rendre raiibn de
ce; qu'ils deffinent.
Mais ils font ce qu'ils voyent, dfc
Damon,
Et s'ils ne fçavent ce qu'ils voyent^
répliqua Pamphile.
Il faut bien qu'ils le fçachent vray-
ment, continua Damon, depuis le
temps qu'ils deiîînerit*
Ils ne le fçavent pas, vous dis je ,
pourfuivit Pamphile : car cettç cor*-
noiilance dépend en partie de l'Ana-
toniie, & il y en a très-peu qui là
fçachent.
-ocr page 38-
sur le Coloris.         37
I Je m'en eilonne5 repris-je, car ce-
la n'eit pas après tout ii difficile, puis
qu'il n'y a pas un petit Chirurgien
qui n'en apprenne en un mois beau-
coup plus qu'il n'en faut pour un
Peintre
Cela eil vray, dit Pamphile, &c
fans faire réflexion que par l'Anato-
mie, ils abregeroient un grand nom-
bre d'années qu'ils paiTent dans une
aveugle pratique du DeiTein, ils s'en
tiennent à une certaine routine dont
il leur eft impoffibie de rendre aucu-
ne raifon. Je tombe d'accord que pour
eilre habile Deffinareur, il faut beau-
coup de pratique : mais cette prati-
que ne fert de rien,il elle n'eit. fon-
dée fur la ipecuîation Si vous vouliez
aller à Rome , continua t il en me
regardant, vous ne vous co ρ tenteriez
pas de prendre un bon cheval, vous
voudriez encore ■ (çay.oir la diilance
des lieux Ôc tous les chemins que vous
auriez à .tenir.
·. Il eft yray? luy dis-je,.cpe fans ce*
-ocr page 39-
$f            D Ι Αχ Ο G ϋ Ε y
h , je n'y arriverais que par le
plus grand hazard du monde. Mais
•comment les Peintres n'initruifent-
ils pas jeurs tkyss de cette fcience?
poLirfùivis-je.
Il faut la bien fçavoir pour la bien
montrer, répondit Pamphile , & je
ne voudrais pas eftre garant de leur
.capacité iùr cela.
Tout au moins, repartis-je , de-
vraient-ils en coniëiller l'étude 3 δζ
faire connoiilre fa neceffité. ! ,
tes mieux fenfez, me dit-il, en u-
fent ainfi pour féconder les deiTeins
iu Roy, qui pour faire fleurir la Pein-
ture dans foia Royaume , y a çtabiy
une Académie de ce bel Art, & a
voulu que parmy les Profeileurs qu'il
y a gagez, il y en euft un fpeciale-
ment pour enfeigner l'Anatomie, ce
qui eft un avantage confiderable pour
^ les Peintres de noftre Nation: pour-
veu toutefois que ce ProfeiTeur foie
Peintre, & qu'il fçache accommoder
1 Anatopieàla Peinture;. carunghi:
-ocr page 40-
' SUR LE Go L Ο RI S.        fy
surgien iera plûcoft capable de don-
ner aux Peintres de l'averiîon pour
cette fcience, que de les en inilruire
facilement.
Il eil vray, dit Damon , que de la-
manière dont me parla dernièrement
un des plus habiles de cette Acadé-
mie , lés .choies n'ont jamais eitéplus
favorablement difpofees ten nul lieu
du monde pourfaired'excellens Pein-
tres, qu'elles le font aiijourd'huy
dans noiire France.
De forte , continua-t-il, que vous
croyez , que l'Anatomie eft un des
principes du Deiîèin, par où doivent
commencer les jeunes gens qui vont
à l'Académie.
Oiiy, fans doute, dit Pamphile,
s'ils veulent devenir habiles, & s'ils
ont d'ailleurs ce qu'il faut pour
cela.
             ν : >
Je içay bien, reprit Damon, qu'il
fauciuppoièr l'habitude dans la main,
lk la facilité d'imiter avec le crayon
fout ce qui fera devant les veux.
-ocr page 41-
J^Q             DiAL O GUE
Ceri'efl pas aiTez, ditPamphiîc,
il faut encore avoir le gouil bon,, de
fçavpir les belles proportions pour
corriger le Naturel, qui d'ordinaire
e/t raefquin 6c defeâueux.
: Je connoisdes Peintres, interrom-
pit Danton, qui delïïnent, ee me ièm-
ble, d'unegrande manière ,&; quin'e-
ftimen-t pas que l'Anatomie foit ne~
ceiîàire pour bien dclîîner.
Il eit vray, dit Pamphile, qu'elle
demande une grande diicretion qui
dépend de bien fçavoir l'office des
muicles : mais il eit vray auffî que iàns
cette ièience, ce que l'on appelle bien
jfpuvent grande manière, ne fertqu'à
éblouir ks yeux des ignorans. Ceux
dont vous parlez, ont peut-eilre eité
touchez de quelques endroits bien
reflentis , qu'ils ont remarquez dans
les Antiques, ils ont crû qu'ils ne
pouvqient mieux faire que deles bien
retenir, ils s'en fervent en toutes ren-
contres , fans fçavoir fi l'action le de—
^andç/iniîj il? exagèrent mefme>
doutant
-ocr page 42-
SUR LE CoLORrS.       4.I
d'autant plus ces endroits qu'ils
croyent par là attirer plus d'admira-
tion pour leurs ouvrages, &: plus d'e-
ftime pour eux-mefmes j &c c'eit ce
qu'ils appellent deifiner de grand
gouft & de grande manière.
Peu de gens y prennent garde a-
prés tout, reprit Damon, & cela 112
îaiiTe pas de paiïer pour eitre fort
bien.
C'eil que peu de gens s'y connoifl
ient, répliqua Pamphile 5 6c dans la
vérité 3 tel qui fe pâme d'admiration
en voyant ces belles Antiques 3 & qui
veut paiîèr pour grand ConnoiiTeiir%
effc tres-fouvent fort éloigné de /ça^
voir la raifon des beautez qu'il ad^
mire.
Mais croyez-vous, pouriuivit Da-
mon, que tous les Peintres qui anr eu
de la réputation, ayentefté iîfçavans
dans l'Anatomie >
Non pas tous, répondit Pamphi-
le, mais les plus habiles : car vous
fçavez qu'il y à des génies aiïcz heu^
D
-ocr page 43-
φ           D ί AL ÛG U Ε
reux pour apprendre toutes chofes
fans autres règles que celle de leur
bon fens, avec une certaine lumière
naturelle qui leur fait iuivre ce qui
eft bien, & fuir ce qui eft mal. Et ce-
la par des moyens qui leurs iont tou-
jours inconnus dans les commence-
mens, Se qui dans la fuite leur fer-
vent de règles qu'ils fe font établies
par leur propre expérience : mais
ço rime il eft prefque impoiîïble qu'-
ils ibient aiTurez de leur expérience,
ils ne peuvent pas non plus eftre af-
£ irez de leurs règles : au lieu que le
principe dont je vous parle , elt un
chemin infaillible pour s'acquérir
dans le DeiTein une manière très-fça-
vante & tres-iblide. Et il vous voulez
en eftre perfuader , prenez la pei-
ne de lire quelques vies des Peintres
qui vivoientdu temps de Léon X. èc
de François premier} &c vous verrez
que ceux qui avoientie plus de con-
noiflance dans le DeiIèin,fePétoienc
acquifeparie moyen dei'Ànatomie.
-ocr page 44-
SUR. LE CoLOR. IS.        43
Ah ! vous parlez d'un iîecie bien
différent du noftre, interrompit Da-
mon en ibûpirant j les Peintres de
ce temps-là travailloient à s'établir
une /blide réputation, 8c ceux d'au-
jourd'huy ne travaillent la pluiparc
que pour amaiïer de l'argent. Ce-
pendant, ils ne laiflent pas de iè croire
de fort grands peribnnages.
Et c'eft en quoy leur mal eft dew
fe/peré, repartit Pamphile, puisqu'ils
ne ièntent pas combien ils font ma-
lades. Mais que dites-vous de moy,
ajouta- t-il, de vous parler des Pein-
tres de cette forte >
Nous fçavons^ dit Damon, que
vous parlez de bonne foy , & que
vous dites ce que vous penfez. Mais
quand vous parlez d'eux de cette
manière, vous ne les y comprenez pas
tous?
Dieu m'en garde , repartit Pam-
phile 5 vous fçavez bien que nous erj
cônnoiflons de très-habiles, & d'au*
très qui s'avancent a grands pas dans
-ocr page 45-
44·           Ώ I ALOGUI ,
le chemin delà perfe&ion qu*iIs»onc
heureufement rencontré.
Mais dites-moy Je vous prie, eon-
tinuay-je, d'où vous croyez que vien-
ne l'indifférence qu'ont la piufpari:
des Peintres pour le beau Coloris ?
Cela vient à mon avis depluiîeurs
chofes 3 dit Pamphile. Je vous ay dé-
jà répondu, que ce n'eu point l'ordi-
naire d'eitimer une chofe,, ôc d'en a~
voir le cœur touché quand on ne la
connoiit pas ,&: qu'il y a peu de Pein-
tres qui connoiilcnt cette, partie de
la Peinture.
II femble, luy dis-je, a vous en-
tendre parler ,, que le Coloris foit
une choie fort difficile,.
Plus difficile que vous ne penièz.r
me dit ii^ &: tout ce quej'ay à vous
dire là-deiTus., c'eil que depuis prés
de trois cent ans que la Peinture eft
rerufcitee> à peine peut-on conter iîx
Peintres qui ayent bien Colorié, Se
l'on en conteroit pour le moins trente
qui onteilé de très-bons Deffina-
-ocr page 46-
sur ιέ Coloris. 4^
teurs. Et la raifon de cela eft, que
le DeiTein a des règles fondées fur les
proportions , fur l'Anatornie &c fiw
une expérience continuelle de la me£
me choie: au lieu que le Coloris n'a
point encore de règles bien connues,
&: que l'expérience qu'on y fait ,eftanc
quaiî toujours différente, à cauie des·
differens fujets que l'on traite, n'a ptl
encore en établir de bien precifes„
Quoy le Coloris n'a point de rè-
gles? repeit Damon,
Je ne dis pas cela,, repartit Para-
pluie j mais feulement qu'elles ne fonc
gueres connues*
Le Titien à voiïre avis , continuât
Damon,,&. les autres bons Colori-
iles ne les ont-ils pas connues œs rè-
gles ?
Je eroy , dît Pamphile , qu'ils en
ont connu la meilleure partie : mais
Giorgion, Titien., Rubens ôc Van-
deik, plus que les autres.
. Hé bien, dit Damon, ce qu'us.
jtiQus ont iaifFé font autant de Livres
-ocr page 47-
—™
4&           Dialogue
publics qui peuvent inftruire toits les
Peintres, Il n'y a qu'à bien examiner
leurs ouvrages, les copier pendant
un temps coniîderable , ÔC faire
deiTus toutes les remarques qu'on
croira neceilàires pour en tirer du
profit.
Ce n'eft pas encore aiTez , repar-
tit Pamphiie , quantité de Peintres
ont fait ce que vous dites iàns aucun
fticcés.
Dites donc, réprit Damon, corn*
ment vous vouiez que l'on s'y pren-
ne?
Je veux, ditPampfrile, que ceibic
de la façon que vous venez de
preicrire : niais outre cela , il faut
avoir l'eiprir tourné d'une manière à
profiter de tout, à ne remarquer
que ce qui eft remarquable, Se à péné-
trer les véritables cauiès des effets
qu'on admire. Vous avez fort bien
dit, que les Ouvrages de cqs grands
Hommes eftoient des Livres où les-
préceptes du Colons eftoient écrits r
-ocr page 48-
sur le Coloris. 47
mais ignorez.vous que toutes fortes
de pcrfonnes ne font pas capables
d'entendre tous les Livres & d'en pro-
fiter y principalement quand ils font
auffi. difficiles à entendre que ceux-
là ? Il y a des Peintres qui ont copié
le Titien durant beaucoup d'années v
qui l'ont examiné avec loin, & qui
ont fait deiTus toutes les réflexions
dont ils ont efté capables 5 cepen-
dant pour n'avoir pas fait celles qu'-
ils dévoient, ils ne l'ont jamais com-
pris : de c'eft pour cela que les copies
qu'ils ont faites avec tout le foin poC
fible, 8c qu'ils croyent efïre dans une
grande exactitude, font encore fort
éloignées de la conduite qui fe trouve
dans les Originaux,
LePouiîîn^ luydis-je, «*auroit~ii
point efté de ces gens-là? ( parlez-
nous franchement j J car pour avoir
autant copié, qu'il a fait, les Ouvra-
ges du Titien, ks fîens n*en tiennent
gueres.
Vous parlez-là, me répondit Pam-
-ocr page 49-
4$            Dialogue
phi le, d'un homme dont ia mémoire
fera toujours en vénération à la po-
jfterité. Il a poiTedé îj parfaitemenc
le DeiTein, il a traite fî doctement:
fcs fujets f enfin il a fceu tant d'autres
parties neceiîaires à la Peinture, qu'on
peut bien luy pardonner iî les foins
qu'il a pris à chercher le beau Colo-
ns ne luy ont pas reuiîî.
Vous tombez donc d'accord, re-
prit Damon, qu'il n'a pas compris
l'artifice qui eildans les Tableaux du-
Îitien.
Non aiTurément} dit Pamphile j Se
plus grande partie de Tes Ouvra^
ges le font aiTez connoiiire.
Il eilbien vray, qu'aprèsavoirco-
pié des Ouvrages du Titien, les Ta*
bleaux en avoient quelque chofe 5.
mais ce n'en eiloit que la fiiperiicie :~
Et sSj avoir véritablement compris-.
fes maximes r les fmefTei &: les ddi-
catefles du Titien , il en auroit pro-
fité, Se les auroit fans doute fait va-
loir ι il avoir, trop de bon £èns pour
-ocr page 50-
sur le Coloris. 49
ïi'en pas ufer de cette forte, Lemef-
me eiprit qui luy fît trouver des beau-
tez dans les Ouvrages du Titien juC.
qu'à s'attacher fortement à les co^
pier, pour en imiter le Coloris, ce
mefme efprit, bien loin de le luy fai-
re abandonner, le luy auroit fait cul-
tiver foigneuièment, s'il avoir péné-
tré dans cette partie, & iès derniers
Tableaux qui font les plus foi blés en
Couleur 5 auroient dû eilre les plus
forts.
On pourra vous dire à cela, repric
Damon, que le Pouiïîn dans Ces corn-
mencemens, file d'abord attiré par
la force que l'on voie dans hs Ta-
bleaux du Titien, qu'il ie laifla fur-:
prendre aux attraits de leur Colons,
4c que c'eit pour cette raifon qu'il fie
tousiès efforts pour iè l'acquérir: mais
que s'en étant approché de plus prés,
pour ainiî dire, èc Cqsétudes luyayanC
donné plus de lumière, il avoittrou-
vé que cette partie étoit d mgereufe,
( comme parlent quelques-uns ) Se de
-ocr page 51-
jo          Dialogue
peu dé.coniequence, & qu'aiiiii il de-
voir l'abandonner.
Je vous répondray d'abord, dit
Pamphile, que la Peincure n'eft faite
que pour furprendre les yeux, que
celle qui furprend le plus eft la meil-
leure, 6c que iî le Coloris du Titien
a iurpris ceux du Pouiîin, il en peut ,
furprendre d'autres, 6c ne fera en ce-
la que ce qu'il doit faire. Pour ce qui
eft de dire qu'il eft dangereux de bien
Colorier j un homme de bon fens ne
doit point parler de la forte j les par-
ties qui compofent un Art font éga-
lement neceiïairespour fa perfection.
La raifon que l'on donne, reprit
Damon, pour confirmer ce que je
viens de vous dire, c'eft qu'en s'àtta-
chant au Coloris, on néglige le Dek
fein, 8c que le charme de l'un fait ou-
blier la neçeffité de l'autre, u
Pour lors, répliqua Pamphile , ce
ri'eft pas la faqte du Coloris ^ mais de
l'efprit qui a trop peu d'étendue pour
faire attention à deux chofes en même
-ocr page 52-
sua le Coloris.         51
temps. Ce ne font pas de ces fortes
d'éiprits que demande la Peinture, el-
le n'admet dans Ces bonnes grâces que
ceux qui font capables d'embraiïer plu-
fieursobjets,ou qui font fi bien tournez
&; qui fçavent C\ bien fe ménager qu'ils
ne s'attachent qu'aux chofes qui doi-
vent augmenter par degrez leurs con-
noiiTances. Les nouvelles études qu'ils
entreprennent ne leur font point ou-
blier celles qu'ils ont déjà faites, au
contraire, ils fortifient les unes par les
autres 3& s'efforcent de les acquérir
toutes, comme des moyens neceiTai-
res pour arriver à leur fin. C'eil de
ce cara&ere qu'étoit Pefprit de Ra-
phaël, l'ordre & la netteté avec la-
quelle il concevoities choies, neluy
ont jamais permis de rien oublier v
il augmentent toujours fes connoiiian-
ces, ôc fortifîoit par les nouvelles lu-
mières qu'il acqueroit, celles qu'il
avoit déjà acquiiès.
Quoy, repartit Damon, ne croyez-
vous pas que le Pouffin ait eu Pef-
E ij
-ocr page 53-
..■-r-^Τ-ΤΓ. ■■;-·ρ.:^;..:.Ίτ.„,.ψ.·.·?.. ...... ,".[, ..!„....,., J.J1,,JJ ..jpi <n_WmBm|
51           Dialogue                  |
prit d'une allez grande étendue* pour j
la Peinture?
Pardonnez-moy, répondit Pfeni-
phile, & c'eft ce qui me fait croire
que les recherches qu'il a fi heureu-
fement faites, du DeiTein vde Γ Anti-
quité 6c de tant d'autres belles cho-
ies, ne luy auroient point fait oublier
3'artifice du Colons, s'il Pavoit une
fois bien eonçeu. Ainfî quoy que
pour êcre favorifé de la Peinture, il
faille avoir, comme je viens de vous
dire, Peiprit d'une grande étendue
ou l'avoir bien tourné, il ne s'enfuit
pas que tous ceux qui ont lefprit de
cette manière, reçoivent également
toutes les faveurs à la fois, dont elle
eil difpeniàtrice ; Elle en donne à ce-
îuy-cy pour le Deflein,à cet autre
pour le Coloris, tantôt pour le paï-
fage, tantôt pour les animaux, Se
tantôc enfin pour quelqu'autre talent,
foit qu'elle les verfe libéralement, ou
qu'on les ait méritées par les recher*
ches aiîîduës qu'on en aura faites.
-ocr page 54-
sur le Coloris» 5$
Mais encore, pourfuivit Damon,
d'où vient que cette connoiiTance du
Coloris, que vous dites, que la plu-
part des Peintres n'ont pas, leureft
lî difficile à acquérir ?
C'eft, répondit Pamphile, qu'ils
commencent par où il Faut finir ^ ils
fe jettent dans le Coloris avant que
d'être fumTamment fondez dans le
Deifein,& que l'ignorance de celuy-
cy les embaraiTant dans la pratique
de l'autre, fait qu'ils n'en attrapent
pas un. Ceft encore parce que les
jeunes gens ayant pris d'abord une
méchante manière, s'en font une ha-
bitude , dont, pour l'ordinaire, ils ne
Îè retirent jamais. Ils n'ont pour mo-
dèles o^ue les Ouvrages de leurs Maî-
tres ôc ceux qui ibnt publics 3 ilsefti-
ment naturellement les premiers, &
fe nourriÎïènt infenfiblement l'efprit
par la veuê* des autres. Et cela fe fait
avec d'autant plus de facilité, que ces
ouvrages font les objets qui fe prefen-
tent les premiers à leurs yeux & à leur
-ocr page 55-
14          Dialogue
efprit. C'efl: enfin cotte première li-
queur, laquelle étant mife dans un
vaiiTeau tout neuf, y communique
tellement ion odeur, que quoy qu'on
puiilè faire pour l'en ôter , elle y de-
meure très-long-temps. Ainfî Içs
Peintres qui iè font nourris l'elprit de
cette forte, ont deux jjchoiès à faire
fort difficiles j l'une de ibrtir de leur
mauvaife manière, & l'autre d'en
: prendre une bonne : Mais bien ibu-
vent leur vie fe pailè, fans qu'ils ayenc I
feulement fait la première de ces deux
choies.
D'où vient cela? luy.dis.je.
C'eifc 3 continua-t-iî, que ^'habita-
• de a paiîe jufqu'à l'organe, & que les
yeux du Peintre voyent les objets na«
turels colorez, comme ils ont accoil- j
tumé de les peindre.
Et quel moyen donc de fôrtir de
là? pourfuivis-je.
Pour moy, dit Pamphile, je croi-
roisfilippofé qu'on en eut bien envie)
qu'il faudroit changer du blanc an
-ocr page 56-
SUR. LE COLORIS.         5f
• eoir, & porter les choies dans l'autre
extrémité pendant quelque temps»
Et fi l'on faifoit bien ( pourfuivit il
d'un ton railleur ) l'on interpoferoic
l'autorité des Magiitrats, afin d'in-
: terdire pour iix ans aux Peintres , la.
Laque &cla Terre*verte.
Ce il en effet, repartit Damon,
porter les chofes dans l'extrémité. Je
„ içay bien que les grands maux de-
mandent de grands remèdes: mais
; quel moyen de fe palier d'une cou-
leur au/ΐίί neceflài're qu'eft Ja Laque?
Je ne la retranche pas pour tou-
jours j reprit Pamphiie j on y revien-
droit, comme un convalelçeht re-
. vient à la viande folide, qu'on lui a
.défendue pendant fa maladie, &
d'autant plus que cette maladie étoic
caufée de repletion.
, Je "vousentends fort bien, dit Da-
mon; mais quand on revient encon-
valefcence, fçavez-vous que l'on a
-ordinairement un trop grand appé-
tit, §t principalement ass viandes qui
Ε iiij
-ocr page 57-
5^           Dialogue
ont été défendues pendant la mala-
die* ->
Je le fçay fort bien, répliqua Pam-
phile j & e'eft pour cela que l'on or-
donne au edhvaleicent un régime de
vivre, jufques a ce que Con eitomac
foie en état de digérer toutes forces
de viandes, & d'en faire de boniâng.
C*eit pourquoy apre's le remède de
iïxans, dont je viens de vous parler,
je voudrois que les Peintres copiailenc
làns difeontinuer deux ou trois ans,
des Tableaux du Titien, & des au-
tres qui ont bien entendu Je Coloris $
& quils fïiïènt tous leurs efforts pour
en découvrir Partifîce, juiqu'à ce
qu'ils euiîentpris une bonne1 habitu-
de, de qu'ils fuflent en état de Ce fer-
vir utilement de toutes leurs Cou-
leurs.
Le régime eil merveilleux, dit Da-
mon; en Ce mettant à rire : mais je rie
tiens pas, continua, t-il, que l'exécu-
tion en ibitaifée. Les Tableaux bien
conduits de Lumières ÔC de Couleurs,
-ocr page 58-
iVK le Coloris. 57
tels que vous les demandez, ibnt ra-
res, ôc la difficulté de les avoir pour
quelque temps, eft aiïez grande.
L'amour eft ingénieux, répliqua
Pamphiie, de quand on aime bien m
Ton ne trouve rien de difficile,
Quoy vous voulez, luy dis-je, que
le Peintre traite fon Art,comme un
amant fait Îa maîtreÎTe ?
Oiiy, répondit Pamphiie, iî luy-
lïiême à ion tour en veut être careifê s
c*eft pourquov je vous difois tout à
l'heure 3 que pour obtenir les bonnes
grâces de la Peinture, lé plus feur eft
de les mériter. Il eft vray que Ton
trouve peu de beaux Tableaux à co-
pier: mais fî l'on ne peut pas avoir
toujours dos Originaux, que l'on iè
contente des belles copies j que fou
en termine feulement les bons en-
droits, & qu'on néglige y fi l'on veut s
ïe refte : que Ton voye fouvent les
Cabinets des particuliers,& celuy du
Roy, toutes les fois qu'on le pourra.
Vous abandonnez; bien vôtre àmy
-ocr page 59-
            Dialogue *■'·*
Rubens dans l'occafton, interronî»
pic Damon. Eftes-vous brouillé avec
Iuy, depuis que je vous ay oiiy tant
prifer £es Ouvrages ?
. ; Je vous en allois parler y quand
vous m'avez interrompu, dit Pam*
. phile, quoy que je n'aye rien à ajou-
ter à ce que je vous en ay dit autre-
fois. Je vous diray feulement à caufe
de ia matière que nous traitons, &:
de l'endroit où nous fommes tombez^
que le meilleur confèil que j'aurois; à
donner aux Peintres, dont nous par-
Ions ( iî j'étois capable de leur en don-
ner ) ce feroit de voir pendant un an,
tous Iqs huit jours une fois,s M galle-
rie du Luxembourg, de quit)ter cou>
tes choies, & de ne rien épargner
Î>our cela. Ce jour fèroit /ans doute
eplus utilement employé de la femai-
ne, Rubens eil ce me femble; ceiûy
de tous les Peintres j qui a rendu le
chemin qui conduit au Coloris, plus
facile de plusdébaraiférEt l'Ouvra-
ge dont je vous parle, eftla main fe-
-ocr page 60-
sur le Coloris. 59
courabie qui peut tirer le Peintre du
naufrage où il fe ferait innocemment
eneaffé.                              . ,.
Il faut joindre cela au régime, chc
Damon en fouriant. Je fçay bien,
continua-t-il, que Rubens eft un de
vos Héros de Peinture, & que vous
avez toujours eftimé l'Ouvrage qui
eft dans la galierie du Luxembourg,
comme une des plus belles chofes qui
foienc dans l'Europe, fi l'on en re-
tranchoit ( difiez-vous) en beaucoup
d'endroits le goût de Deflem dont
il n'eft pas queftion prefentement.
Mais tout le monde n'eft pas de vo-
tre eoât, & ceux qui font d'un lent*-
ment contraire, difent qu'on trouve
peu de vérité dans les Ouvrages de
Rubens, quand on les examine de
prés, que les Couleurs & les Lumiè-
res γ font exagérées,. que ce neit
qu'un fard, & qu'enfin ce n'eft point
ainfi que l*on voit ordinairement la
Nature.                                     .
Ο le beau fardr s'écria Pamphile,
^^^;
-ocr page 61-
6ο         Dialogue
de plût à Dieu, mon cher Damon^
que les Tableaux qu'on fait aujour-
d'hui fuiîènt fardez de cette forte ;
ne fçavez-vous pas que la Peinture
n'eiî: qu'un fard, qu'il erl de ion eil
fènee de tromper, èc que le plus
grand trompeur en cet Art eit le
plus grand Peintre, La Nature eil
ingrate d'elle-même, &; qui s'atta-
cheroit à la copier iîmplement com-
me elle efl: & fans artifice, feroit
toujours quelque chofe de pauvre &
d'un très.petit goût. Ce que vou*
nommez exagération dans îes Cou- I
Jeurs & dans ks Lumières, eil une
admirable induuxie, qui fait paroi-
tre les objets peints plus véritables
(s'il faut ainfî dire) que les vérita-
bles mêmes. C'eil ainiî que les Ta-
bleaux de Rubetis font plus beaux
que la Nature,. laquelle femble n'ê-
tre que la copie des Ouvrages de ce
grand Homme. Et quand les chofe»
apres être bien examinées ne fe trou-
yeroient pas juiks, comme vous le
-ocr page 62-
sur le Coloris. Ci
fuppofez, qu'importe, pourvu qu'el-
les le paroiilent^ puifque ta fin de la
Peinture n'ell: pas tant de convaincre
Pefprit que de tromper les yeux.
Cet artifice, dit Damon, me fem-
ble merveilleux dans les grands Ou-
vrages.
C'en: auffi dans ceux-là, repric
Pamphile, où l'on voit que Rubens
Ta rendu plus fenfible à ceux qui font
capables d'y faire attention de de
l'examiner: car aux perfonnes qui
ne s'y connoiiTent que peu, rien n'ell:
plus caché que cet Artifice.
Et Vandeik, interrompit Damon,
ne trouvera-1-il point icy quelque
place?
Quand je parle de Rubens, re-
prit Pamphile, j'entens, comme
vous içavez, toute ton école. Néan-
moins, vous avez raifon de vouloir
que Ton faiïe un cas particulier de
cetilluftre Difciple5 puifque s'il n'a
©as eu tant de Génie que ion Maiftre,
ny tant de talent pour les grandes
-ocr page 63-
€i          Dialogue
exécutions5 il l'a iurpaiTé en bien dei
rencontres dans certaines delicateiïès
de l'Art, & il eft confiant qu'il a fait
des carnations plus fraîches & plus
véritables que Rubens,
De forte, dit Damon, que vous
feriez fort étonné il vous voyiez un
prompt changement dans les Pein-
tres qui font dans l'habitude d'un
mauvais Coloris,
Guy certes, répondit Pamphile :
car ils prennent un chemin fort op-
pofé à ceiuy dont je viens de vous
parler : mais ce qui me iùrprend ex-
trêmement, c'eft que la plupart de
ceux qui louent &. qui admirent les
Tableaux bien Coloriez, bibn loin
de prendre la peine de vouloir les
imiter dans ce qu'ils font, veulent
qu'on donne des louanges à; leurs
Tableaux qui à l'égard de I cette
partie,, en font extrêmement éloi-
gnez, Ainiî jugez vous-même, s'il
y a lieu d'eiperer ce changement iî
prompt, lequel ne fe peut faire
-ocr page 64-
su κ le Coloris, 63
qu'en profitanc de la veuë des belles
choies.
Il ne laiiTe pas, interrompit Da-
mon ; d'y avoir dans Paris beaucoup
de beaux Tableaux.
Ce que vous dites eu: vray, re-
prit Pamphile.· mais quoique tout le
monde les regarde , tout le monde
ne les voit pas: Se ce que chacun y
voit n'en: que par rapport à ià con-
noiiïànce. Je vois par exemple que
la foule de nos Peintres admire les
Ouvrages de Piètre Teile, qui font
un cahos de bizareries, pendant
qu'ils ne connoiiTent pas feulement
le nom d'Otho Vamius, dont les Ou-
vrages méritent ailurement beau-
coup de louange. ,
Otlio Yasnius? répéta Damon.
N'eft-ce pas luy qui a fait les em-
blèmes d'Horace, celles des Amours
divin & profane, ôc la vie de faine
Thomas d'Aquin?
Liiy-même, dit Pamphile.
Jl eft vray que je n'en ay jamais
-ocr page 65-
€4           Dialogue
otiy parler à aucun Peintre, conti-
nua Damon, &: c'eft peut-être qu'il,
n'a pas fait beaucoup d'ouvrages.
C'eft pour cela, répliqua Pam-
phile 3 qu'on les doit d'autant plus
tenir chers Se les coniërver plus fou
gneufement
Mais ilfembîe, dit Damon, que
iès figures font un peu courtes.
Si cet excellent Homme, répon-
dit Pamphile, a quelquefois deffiné
ûs figures un peu courtes , il a bien
dequoy iè faire eilimer d'ailleurs. Il
avoir un Génie facile siage, modérée
&c n'empruntoit jamais rien des et na-
vres d'autruy. Il donnoit â fes Figu-
res tel caractère de paffion qu'il vou-
loir 4 £t les expreffions en font pour
la plupart, belles Se naturelles. Les
pieds &. les mains en font correcte-
ment deffinez r jes Draperies bien
jettçes, les plis beaux 6c dans la pla-
ce qu'il eft neceiTaire pour marquer
agréablement le nud, Se pour en
conferver les maiTes. Mais ce qui fo
voie
-ocr page 66-
SUR ÎE COLÔPLÏSV        6f
voit par excellence dans Tes Ouvra-
ges , c'eil une admirable intelligence
de Lumières ÔC d'Ombres fur les Fi-
gures en particulier,, δζ dans toute
rceconomie de l'ouvrage ï enfin l'on
y voit un grand art par tout, Aufli
ne vous en étonnerez-vous pas y
quand je vous diray qu'il écoit le
Maiftre de Rubens, Et avec tous ces
avantages, les Livres que vous venez
de me nommer, demeurent dans
l'oubly, ôc font comme enterrez, à
l'égard des Peintres dont nous par-
Ions, qui ne les connoiiîent pas.
II ne faut pas s'en étonner, dicDa-
mon 3 car il y en a y ce me femble f
bien peu qui ayent du goufl pour ces
fortes d'effets de Lumières. Mais
n'y a-t-il que les Livres d'Otho Vas-
nius, où l'on voye cet agréable arti*
fîce du Jour & de l'Ombre.
Pardonnez-moy , répondit Pam^
phile j tout ce qui fe voit de bien
gravé d'après les Ouvrages du Ti-
tien γ èc d'après ceux de l'école de
-ocr page 67-
66 Dialogue
Rubens, eu donne encore l'intelli-
gence.
Et qu'appeliez-vous bien graver,
reprit Damon > Eft-ce couper le cui-
vre hardiment comme Goltius , ou
poliment comme Bloëmart àc Nata-
lis?
Ce n'eft pas cela précifement, ré-
pliqua Pamplile, la première façon
que vous attribuez à Goltius n'y eft
pas mefme fort propre j puifque pour
bien graver, il ne faut pas , s'il eft
■poffîble, que le Graveur fe faiTe re~
connoiftre dans Ton Ouvrage : il doit
fïmplement faire en forte que l'Eftam-
pe gravée faiTe fe mefme effet ( à la
Couleur prés ) que le Tableau qu'on
fe propofe d'imiten
Tous ks Graveurs y dit Damon·r
ne font-ils pas cela?
Non vrayement % repartit Pam-
phiie, ôc il y en a peu qui[ le fâchent
faire > lors principalement qu'ils ont
â graver un Tableau bien Colorié ô£
bien entendu de Lumières ôc d'Om-
-ocr page 68-
sok le Coloris. 67
bres. Ils en imitent les figures comme
ίΐ elles eftoient de Sculpture, & com-
me d'une même Couleur. Cepen-
dant les oppofitions qui fe trouvent
dans les Tableaux par les difFerens
tons de Couleurs, contribuant ex-
trêmement à leur donner de là for*
ce , il n'eft pas étonnant que leurs
Eilampes paroiiTent fades, Se que
bien loin de donner de i'eftime pour
les Originaux s elles ne fervent qu'à
les déshonorer. Ce n'eft pas qu'il foit
toujours neceflaire d'imiter les corps
des Couleurs par les degrez du clair-
obicur j mais il fe trouve fouvent des
occafions où il le faut faire indifpen»
fablement. Pour les manières polies
que vous attribuez à Bloëmart &. à
Natalis, elles font fans contredit les
plus agréables, quand ieschofes 5 dont
je viens de vous parler, s'y rencon-
trent. Mais parmy toutes les Eftam-
pes où Ton voit ce bel artifice du
clair- obfcur, celles qui ont été gra-
vées d'après les œuvres de Rubens,
F ij
-ocr page 69-
68              Dialogue
me femblent d'une beauté incompÉi*
jrable.
Et moy, dit Damon, j'ay veu de
nos Peintres &: des -plus habiles, qui
ne pouvoient foufFrir ces Eitampes ^
parce que , difoient-ils r elles iên-
toientrle Flamand.
Si par fentir le Flamand ,, reprit
Pamphile, ils entendent eifcre deiiîné
d'un gouit qui fente l'air du-païs^oit-
peut leur pardonner cette délicateilê y
mais fi par fentir le Flamand, ils en>·
tend ent faire un grand erfèt, éc trom>
per les yeux par des objets qui pa-
roiiTent véritables , Se par l'artifice"
des Lumières &c des Ombres qu'ils
n'ont pas acaoxkumé de voir ailleurs y
ils
n'ont aiFurement pas raiibn. Il faur
eftimer les ehofes pour ce qu'elles vas.
lent·. II n'y a point de Tableau par-
fait, 8c les plus beaux ne font efti-
meztels, que pour eftre les moins
mal. Il eft donc ridicule de méprifer
6n Ouvrage qui n'eft défectueux que
par une ièule cfrofe, quand il eilre-
com>
_____
-ocr page 70-
sifR le Coloris. Cy
eommandable par beaucoup d'au-
tres ; Si le DeiTem n'efl pas ce qu'on
doit eftimer davantage dans les
Eftampes de Rubens, il y a aiïèxd'au-
tres parties qui les rendent coniîde-
rables,&:qui malheureufementpour >
les Peintres dont vous parlez, ne leur
font point connues , Se la manière
dont vous dites qu'ils les rejettent,
eil une grande conviclion de leur
ignorance.
Je les interrompis M-deiïus Λ pour
leur demander ce que l'Académie
avoit eonclud fur cette matière.
Rien, me répondit Pamphile , Se
je trouve qu'ils ont fait fagement. Il
ne faut pas fe preffer Îi fort de con-
clure j il eft bon de reprendre à plu^
fîeurs fois les matières qui font de
quelque confëquence : tes lumières ne
viennent pas tout d'un coup j 6i ce
que Ton a condamné dans un temps,
eft bien ibuvent approuvé dans un
autre, par des raifons plus fanes. Il
faut chercher de bonne foy la vérité,
-ocr page 71-
A
f
70          Dialogue
6c s'y rendre quand on l'a une foi?
trouvée.
Il eit vray, die Damon, que voik
la troifîéme Conférence qui iè fait
iur cette matière. Mais quand on au-
roit décidé quelque chofe, feroit-ce
un crime de revenir contre, 5c de
propofer fes raifons ?
Je ne le croy pas, dit Pàmphile.
La vérité doit eftre toujours bien re-
ceuë, 6c l'on doit fléchir le genottil
devant elle en tout temps 5c en tout
lieu. .
Damon voulut encore demander
quelque choie ; mais Pamphile le fai-
fant ibuvenir qu'il eftoit tard, luydit
que ce feroitpour une autre fois. Lâ-
deflîis après quelques civilitez de part
■&. d'autre ï ils fe retirèrent chez.eux·',
5c me laiiïerenc fort iatisfait de leur
entretien;
De rimprimerie d'Antoine Lambin\