i>i;
i.ki^ wmm κ:γ i.ks ιέκρονναοκ.? (;fi[,ÈiiiiE.s de soin temps
ΡΛΚ M. Il EMU (iËiSAItl),
SON IVE\'H:
ki,
: ET PRÉCÉDÉE D'USE NOTICE SUR LA VIE ET LES ŒûVRES DE GÉRARD
il. ΛΙΚΠ.ΡΙΙΚ VIOM. Ι':Τ-Ι.Ε-Ι>ΙΤ(
TYPOGnAPlIIK DE AD. LAINÉ ET J. HAVAUD,
19, ΠΙΈ DES SAINTS-PÈHES ,'19.
ls(i7,
TwîîefînL _
^ 1 wjwBuwv^wTErrimwowTj
-ocr page 2-DE
PEINTRE D'HISTOIRE.
-ocr page 3-DE
AVEC LES
artistes et les personnages célèbres de son temps
PUBLIÉE
PAR M. HENRI GÉRARD,
SON NEVEÛ
ET PRÉCÉDÉE D'UNE HÛTICE SUR LA VIE ET LES ŒUVRES DE GÉRARD
PAK
M. ADOLPHE V lOLL ET-L E-Β U C
typographie de ad. lainé et j. iiayard,
19, BUE DES SAINTS-PÈRES, 19.
1867
UNIVERSITEITSBIBLIOTHEEK UTRECHT
3844 1709
-ocr page 4-En publiant aujourd'hui la correspondance du
peintre François Gérard, nous sommes plutôt animé
par le désir de rendre un hommage au caractère de ^
cet artiste éminent, que poussé par l'ambition de
faire ressortir la qualité de son talent. Mous n'igno-
rons pas que la postérité ne confirme point toujours
le jugement des contemporains tiop portés vers l'hyper-
bole dans l'éloge ou dans le blâme. H faut en appeler,
sur cette question, au grand maître de la critique,
l'avenir. Les tableaux de Gérard ont, d'ailleurs, été
exposés dans nos musées et reproduits par d'habiles
interprètes. Ses œuvres dispersées, rehgieusement
rassemblées par M. Henri Gérard, ont été présentées
au public en trois volumes in-foUo qui renferment
2 FRANÇOIS GÉRARD,
les compositions peintes, dessins, esquisses, portraits,
croquis, projets, et publiés en l'année i852 Cha-
cun peut donc apprécier et comparer. Si nous n'avons
pas donné la correspondance à la même date, c'est
que le terrain nous semblait encore bien encombré
des préjugés d'école et que nous craignions que l'é-
troit chemin tracé par la critique du temps ne permît
pas à des noms d'une époque frappée d'anathème
de prendre leur place au soleil. Le jugement du
public, dirigé de nos jours par un éclectisme plus
sage, nous permet de publier ces lettres qui pourront
offrir un parallèle intéressant à l'œuvre gravé du
peintre. Qu'il nous soit cependant permis de nous
exphquer sur un point.
Tout en récusant les contemporains de Gérard,
doit-on se soumettre aux arrêts des générations qui
•lui ont succédé? En fait d'art et de critique, l'opinion
qui nous régit marche en sens inverse de celle à laquelle
obéissaient les peintres nés dans la grande réforme de la
fin du siècle dernier. Il serait imprudent de décider
quelle serait la plus sûre des deux routes, mais il est
certain qu'elles conduisent à un but tout opposé. Au-
jourd'hui, les idées sont indulgentes sur la mission
des arts, et l'on tend à imiter ces époques où la pein-
ture était réduite à un rôle purement matériel, tandis
que les hommes élevés sous l'austère discipline de
• VigncreS et Rapilly (1837).
i f
FRANÇOIS GÉRARD. . 9
l'école révolutionnaire avaient l'ambition d'émouvoir
les âmes et de soulever les passions. Rien n'est plus
dissemblable que ces deux doctrines. Il y a tout aussi
loin de Wanloo à David, que de David à notre temps,
et je ne vois dans aucun pays, à aucune date, k des
intervalles si rapprochés, une aussi grande différence
dans la manière de comprendre et d'interpréter la
nature. A ces deux points de vue si contraires, on ne
saurait bien juger, et, pour être juste, nous devons
tenir en suspicion la dernière comme la plus ancienne
des deux critiques,
11 ne faut pas croire, toutefois, qu'aucun mouve-
ment de réaction ne se soit manifesté dans les juge-
ments que l'on a portés sur Gérard. M. Charles Lenor-
mant, dans une intéressante notice, disait en 18/47 :
« Le moment n'est pas encore venu où l'on rendra
au talent de Gérard une pleine justice. » Depuis, on
a fait un pas, et reconnu un fait important dans l'his-
toire de notre art, c'est que le talent de Gérard a
établi une transition salutaire entre le système exclusif
des successeurs de David, et la manière plus vraie,
plus réelle de notre école, une dérivation de l'abs-
traction académique \ers une interprétation plus in-
telligente des sujets modernes. Pour le reste, laissons
aller le temps : on rendra pleine justice à Gérard,
parce qu'il était un peintre ému, convaincu, sincère,
souvent d'une exquise délicatesse, quelquefois plein
de grandeur, et toujours essentiellement français.
FRANÇOIS GÉRARD. . 9
Ses défauts tenaient aux parties les moins consti-
tutives de la vraie peinture. L'idée, l'action, l'expres-
sion, la composition, le dessin, ont toujours pris, chez
lui, la première place.
Quand nous aurons écarté les influences qui aveu-
glent notre jugement, quand nous serons obligés de
mettre sérieusement les deux écoles en parallèle, c'est-
à-dire celle qui date de l'exposition où David se ré-
véla par son tableau de Socrafe, et se continue par
Gérard, Girodet, Gros, Guérin, Prudhon, Géricault,
Schnetz, Léopold Robert, Heim, Granet, Ingres en-
fin, et celle qui est née de la révolution littéraire des
dernières années de la restauration, nous pourrons
alors établir une comparaison fondée sur le sens moral
et historique de chacune d'elles. On appréciera, à
ce moment, de quel côté penchera la balance. Si
quelques défaillances se manifestent dans les œuvres
des peintres de notre temps, faut-il y voir, comme on
l'a dit, les signes d'une décadence ? C'est plutôt une
transformation qu'un affaiblissement, je le crois. Il se
passe, chez nous, quelque chose d'analogue au mou-
vement qui s'est produit à Venise au seizième siècle,
et en Hollande au dix-septième. Nous cherchons avec
ardeur ce que les maîtres de ces heureux temps ont
si bien trouvé, et nous tendons à orner notre style
de toutes les richesses de la couleur et des charmes
de l'harmonie. Ce serait un progrès dans un sens,
mais ce penchant ne nous rend-il pas inhabiles à
FRANÇOIS GÉRARD. . 9
juger des œuvres où ces qualités mêmes doivent s'ef-
facer au second rang?
11 serait inutile d'insister j nous avons pleine con-
fiance dans les arrêts de l'avenir, et nous sommes
au moins sûr qu'on sera toujours d'accord sur un
point qui ressort de la correspondance de Gérard :
le sentiment très-vif qui animait son esprit dans la
recherche du beau comme du bien. Sa vie, que nous
allons raconter, est remplie de cet ardent désir, et sa
carrière, commencée dans la pauvreté, dans la lutte,
victorieusement poursuivie dans le succès et dans la
gloire, s'est terminée par le regret de n'avoir point
réalisé le rêve et touché l'idéal.
Gérard eslné à Rome en 1770; son père, attaché
à la maison du cardinal de Bernis, était Français; sa
mère était Itahenne. Il était l'aîné de deux autres
frères, Alexandre et Henri. Ce dernier périt jeune,
loin de son pays : le premier mourut peu d'années
avant François '.
En 1782, Gérard et sa famille revinrent en France.
A dater dé cette époque, François, encore enfant, dut
commencer à envisager la vie d'une manière sérieuse.
L'état embarrassé des affaires de sa famille lui im-
' François Gérard u'a pas eu d'enfants; son frère Alexandre, père
de M. H. Gérard, avait tait partie, comme adjoint au corps du génie,
de l'expédition d'Égyptc. Après une captivité de trois années au châ-
teau des Sept-Tours, à Constantinople, il entra dans l'adminislration
des finances. A sa mort, il était directeur des contributions directes
du département de la Seine.
6 FRANÇOIS GÉRARD.
posa le devoir de tirer parti, sans retard, des dispo-
sitions dont il était doué. Un dessin qu'il avait fait à
Rome, à l'âge de douze ans, d'après le tableau de la
Peste àe Mignard, révéla sa vocation. Ses parents,
hors d'état de payer son admission dans l'atelier d'un
peintre de l'académie, le placèrent chez le statuaire
Pajou, puis chez le peintre Brénet, et enfin chez
David. Nous avons appris par une publication récente
ce qu'était l'atelier de David à cette époque
Dans l'état de l'enseignement des arts, aujourd'hui,
nous sommes obligés d'avoir recours aux souvenirs
des contemporains de Gérard, pour nous faire une idée
de la puissante action que le réformateur exerçait sur
ses élèves. L'enfant partagea bientôt l'enthousiasme
de ses condisciples, et son ardeur égala le zèle de
toute l'école. En 1789, à l'âge de dix-neuf ans, il con-
courut pour le prix de Rome et obtint le deuxième
prix. Le sujet du concours était : Joseph reconnu par \
ses frères^. L'année suivante, nouvelle tentative, mai^
cette fois le tableau resta inachevé. Le père de Gérard
mourut pendant la durée des épreuves. Le sujet indi-
qué était : Danieldéfandanl la chaste Suzanne^. Ce fut
Réattu, un peintre complètement oublié aujourd'hui,
qui eut le prix cette année-là
■ David, son école et son temps, par M. Delécluze.
2 Ce tableau est au musée d'Angers.
' Cette toile, exposée en 1793 et conservée dans la famille de Gé-
rard, est remarquablement bien peinte.
^ M. Cil. Lenormant, dans sa notice, nous donne un renseigne-
i
-ocr page 10-FRANÇOIS GÉRARD. . 9
Gérard, devenu, tout jeune encore, le tuteur de sa
famille, renonça aux concours. Il partit pour Rome,
non plus avec les illusions et les espérances du lau-
réat, mais emportant les cruelles inquiétudes que lui
donnait la santé de sa mère. Bientôt, détourné de
ses premiers desseins par des soucis d'une autre na-
ture, une fortune à sauvegarder, il fut obligé de
revenir en France avec sa famille.
Au milieu des malheurs publics et privés, Gérard
ne perd pas courage. Pendant ces mémorables années
où la lutte s'était engagée à l'intérieur comme aux
frontières, nous le voyons, de son côté, redoubler
d'efforts et dominer son art. Ce fut au prix de cruelles
angoisses. Atteint par la première réquisition de
1793, il allait partir pour l'armée, lorsque David, son
maître, intervint. Mais comment usa-t-il de son in-
fluence auprès des hommes politiques du temps? Il
fit dispenser Gérard du service en le faisant inscrire
au nombre des jurés du tribunal révolutionnaire. Le
remède, on le voit, était pire que le mal. Cependant
il fallait accepter ou risquer sa tête. Gérard accepta
donc, mais, plein d'horreur pour le rôle qu'on lui
réservait, il se décida à feindre une maladie, plutôt
ment curieux sur cet artiste, et qui peint bien l'entêtement systéma-
tique de certains élèves de David. « J'ai connu, nous dit~il, un vieux
lauréat de l'école,Réattu,qui, retiré dans son pays d'Arles depuis plus
de trente ans, me disait en 1831, sur les bords de sa tombe : Quand
je vis que Gérard s'abaissait à peindre des culottes courtes et des
souliers à boucles, je compris que l'art était perdu. »
8 FRANÇOIS GÉRARD.
que de consentir à aller siéger au prétoire de Fou-
quier-Tinville Les procès-verbaux du sanglant
tribunal constatent que Gérard n'assista qu'à deux
séances, qui furent suivies d'acquittements.
Au retour des Bourbons, quand la réputation de
Gérard était à son apogée, on ne manqua pas de
rappeler ces circonstances et de les présenter sous un
faux jour. Mais la honte fut pour les détracteurs.
Deux événements mémorables de sa vie s'accompli-
rent encore pendant la tourmente révolutionnaire : la
mort de sa mère et son mariage avec une jeune pa-
rente qui avait suivi la famille, lors de son second
retour d'Italie.
Cependant le talent de Gérard grandissait. Une es-
quisse du lo Août, très-remarquée, lui avait valu un
logement et un atelier au Louvre : il travaillait à sa
Psfchfî et acheva bientôt le Bélisaire. En 1795, le
gros de l'orage avait passé, mais les amateurs de ta-
bleaux n'avaient pas reparu. Le Bélisaire, exposé ai?^
salon de cette année-là, eut le plus grand succès, mais
ne se vendit pas. C'est alors qu'lsabey, dont la répu-
tation de peintre de miniature était déjà faite, offrit à
Gérard, son ami, cent louis de son œuvre. Le marché
Il' ;
il '.
i .
!t{ ί ·
'i;
i);
; i- ;
1 : k
' Un jour Gérard, croyant n'être vu de personne, montait l'es-
calier (du Louvre)^ ses béquilles sous le bras. Tout à coup apparaît
une femme. Gérard s'arrête effrayé. « Soyez tranquille, » lui dit-elle ,
« je ne vous trahirai pas. » Cette femme était M"' de Wailly, depuis
comtesse de Fourcroy, qui racontait souvent cette anecdote. (Ch. Le-
normant, Notice sur Gérard.)
; f
î I·
Ml
ît
ii
' \
? i
I?
In·
FRANÇOIS GÉRARD. . 9
conclu, Isabey fait emporter la toile et l'expose dans
son atelier fréquenté par de bauts personnages. L'am-
bassadeur de Hollande, M. Meyer, y voit le Bélisaire,
devient épris du tableau et en offre six mille francs.
Isabey les accepte et s'empresse de porter à Gérard
le surplus des cent louis qu'il lui avait donnés. Les
deux amis ont dû se rappeler souvent et avec émo-
tion , pendant le cours de leur brillante carrière, ce
souvenir de leur jeunesse. Cette composition du Bé-
lisaire, nous la connaissons tous par la belle gravure
de Desnoyers. Le tableau est aujourd'hui en Bavière,
dans la galerie du duc de Leucbtenberg; il avait été
racheté par le prince Eugène.
Au Bélisaire, qui avait commencé la réputation de
(Îérard, succéda la Psyché, qui le mit au premier
rang parmi les peintres. Si l'on se reporte au temps
où ce tableau a été composé, si l'on examine les
œuvres qui avaient précédemment obtenu la faveur
du public, même dans l'école de David, on compren-
dra que l'ingénieux artiste s'était proposé un problème
très-nouveau, et qu'il sut le résoudre. W voulut mériter
le succès par les moyens les plus naturels et les plus
simples, provoquer l'émotion sans employer aucun
des artifices tirés de l'action, du sujet, et conquérir
les suffrages par les seules ressources de l'exécution et
de l'expression. Cette œuvre resta pour ainsi dire isolée
au milieu de tout ce qui s'est produit à cette époque.
Ce tableau, un des plus remarquables de notre école
Κ) . FRANÇOIS GÉRARD,
moderne, nous offre un curieux document dans
l'histoire de notre art. Il est le résultat, peut-être
unique, de l'école des primitifs de ce temps, dont
Charles Nodier et M. Delécluze nous ont tracé l'es-
quisse. Tant il est vrai qu'il n'y a point de si folle
utopie qui ne porte en elle un germe de vérité qui
finit par croître et pousser une tige fleurie. C'est ce
qui explique comment la Psyché, malgré l'émotion
qu'elle causa, resta trois années dans l'atelier du
peintre sans trouver d'acquéreur. Cependant deux
des amis de Gérard, Fontaine, l'architecte, et Darcet,
le savant, l'achetèrent à frais communs, et plus tard
le général Rapp s'en rendit propriétaire au prix de
quinze mille francs. Ce charmant tableau fut acquis
par la liste civile du roi Louis XVIII, à la vente de la
galerie du général, et fut payé le double de cette
somme. 11 est aujourd'hui au Louvre, dans la salle
où l'on a réuni les chefs-d'œuvre de l'école moderne.
On le voit, dans le temps où Gérard achevait, avec
le plus d'amour, ses premiers tableaux, peut-être ses
meilleurs, il avait quelque peine à tirer parti de son
talent. C'est alors qu'il fit preuve de courage et d'es-
prit en acceptant des frères Didot la mission de com-
poser et d'exécuter les vignettes qui devaient orner
les belles éditions de Virgile et de Racine, que ces
typographes intelligents réimprimaient avec un grand
luxe. Nous avons tort de nous servir du mot vignette,
car il y a dans ces compositions matière à des ta-
TE
FRANÇOIS GÉRARD. · , H
bleaux excellents, conçus quelquefois avec grandeur.
C'est encore la nécessité qui poussa Gérard vers l'étude
d'un genre plus productif, celle du portrait. Il ne
tarda pas à y exceller.
Ses premiers portraits sont, sans contredit, les meil-
leurs. Non-seulement ils sont tous empreints d'un
profond amour de la vérité, mais on y reconnaît les
signes d'un caractère très-original et très-délicat. Tels
sont ceux de M. Àuguste et de sa famille, un célèbre
orfèvre de ce temps (1796), d'isabey et de sa fille,
donné en 1848 au musée du Louvre par M. Eugène
Isabey; de la Réveillière-Lépaux ; celui de M""' Morel
de Vindé et de sa fille, ceux de M"'Brongniart, de
M"" Barbier-Valbonne, de M"^' Récamier, de M™" Bo-
naparte, etc., etc.
La réputation de Gérard était faite; ses portraits
firent bientôt sa fortune. Dans l'espace de quinze an-
nées, de 1800 à 1815, il en acheva cinquante en
pied, et quarante en buste.
Nous ne saurions partager l'avis de M. Lenormant
quand il nous dit que le talent de Gérard a été re-
tenu sur la pente dangereuse où l'entraînaient les
primitifs, par la nécessité qui l'a contraint à peindre
le portrait. Il est possible, comme nous l'avons vu plus
haut, à propos du tableau de Psyché, que, très-jeune
encore, il ait subi l'influence de celte petite école
dont les théories étaient d'autant plus séduisantes
qu'elles qualifiaient d'entraves les plus sérieuses con-
42 FRANÇOIS GÉRARD,
ditions de la pratique ; mais Gérard avait un trop bon
tempérament, et s'était déjà rendu maître de son art
par des études trop sévères, pour se mettre à la re-
morque de quelques discoureurs, gens ingénieux et
hommes d'esprit, mais dont le moindre défaut était
l'impuissance. Une petite esquisse, mais une esquisse
très-faite, antérieure au tableau de Psyché, et qui re-
présente Marins rentrant a Rome, viendra confirmer
notre opinion C'est la nuit; la ville est éclairée par
des torches ; Marius, à la lête de sa légion plébéienne
déjà ivre de massacres, a franchi l'une des portes de ·
Rome : il s'avance, le front penché, l'œil sombre et plein
d'une ardeur de vengeance. Un groupe de sénateurs,
les mêmes qui ont proscrit Marius et proclamé Sylla,
viennent au-devant du vainqueur, et'protestent de
leur fidélité. La grandeur qui règne dans cette com-
position, son effet, la couleur sinistre du paysage, ,
font de cette simple esquisse une scène remplie d'é-
motion, conçue avec puissance el énergie ; elle met le
talent de Gérard dans une sphère très-élevée, hors des
atteintes d'un goût faux ou affecté.
Il ne faut chercher ni dans le tableau des Trois Ages
que Gérard fit en 1806, ni dans les Amours qu'il
peignit pour M"" Tallien, l'année suivante, « les pre-
miers essais de sa seconde manière. » Dans /ej Trois
« Cette esquisse appartient à M. A.-Firmin Didot. Elle a été long
temps en la possession de Girodet. Un dessin de cette composition
a été donné par M. H. Gérard au musée du Louvre, où il est exposé.
a
-ocr page 16-FRANÇOIS GÉRAUD. 13
^ges, l'exécution se modifie, il est vrai, mais, ainsi que
dans les Amours, elle s'alanguit un peu. C'est dans
le tableau de la Bataille (ΐAusterlilz que le génie du
maître se révèle par un côté tout nouveau et que
l'esprit du peintre déploie toutes ses ressources. On
avait commandé à Gérard cette grande page de notre
histoire militaire pour le plafond de la salle du conseil
d'État, aux Tuileries. Il imagina de représenter son
sujet sur une immense tapisserie roulée et que \Hi&-
toire, la Poésie, la Victoire et la Renommée auraient dé-
veloppée. Ces quatre figures, aujourd'hui détachées du
tableau, sont au musée du Louvre. Elles appartiennent,
par l'invention, le dessin, la couleur, à la grande pein-
ture française, et, parleurs qualités décoratives, elles
soutiennent la comparaison avec les Vénitiens de la
meilleure époque. Pendant la Restauration, ces allé-
gories étaient devenues veuves de leur héros ; Gérard
ne permit pas qu'elles servissent d'accompagnement
à un autre sujet, comme un cadre banal; mais, en
donnant suite à son idée, il supposa qu'après avoir
déroulé le volume des annales de l'empire, elles
étaient arrivées à la catastrophe, au delà même, au
tombeau. 11 composa pour elles son beau paysage de
\s.Sépulturede Sainte-Hélène. Ce nouveau rôle, imposé
à ces génies qui naguère célébraient une victoire,
leur imprime un caraclère de poésie profonde et de
très-grande élévation. La Bataille iVJusterlitz a été
définitivement placée à Versailles, dans la brillante
i l FRANÇOIS GÉRARD.
galerie destinée à célébrer les grandes victoires des
armées françaises. C'est la seule toile de cette partie
du musée qui ait été peinte sous l'impression directe
de l'époque où s'est passée l'action. Aussi le tableau
produit-il un effet singulier. 11 ne brille par aucun des
agréments pittoresques qui animent quelques-uns de
ses rivaux, sa couleur a beaucoup changé d'ailleurs,
et le ton local, sombre et sévère, n'attire pas le re-
gard. Mais, en surmontant l'impression du premier
moment, on sera frappé de la manière large et précise
dont le sujet a été traité. 11 était difficile de mieux
opposer le calme de la figure principale, celle de
l'Empereur, recevant au milieu de son état-major la
nouvelle de la déroute de l'armée russe, au désordre
du champ de bataille ; la joie et l'élan du messager,
à la sécurité, à la confiance du grand capitaine qui
ne voit dans cette défaite que le succès prévu de ses
combinaisons. La tête de l'Empereur, celles de quel-
ques-uns des généraux qui occupent, autour du chef,
le sommet de la composition, sont illuminées de cette
auréole de gloire qui se retrouve encore dans le tableau
de Gros, la Bataille des P/ramides. Ce sont des ex-
pressions de héros. M. Ch. Lenormant, dans son Essaie
a très-bien apprécié la Bataille d À us terlitz de Gérard,
lorsqu'il lui prête « un caractère d'apothéose »
' Nous ne pouvons mieux faire que de citer ici l'appréciation du ta-
lent de Gérard, parM. Guizot, dans son étude sur le 5aZo» de 1810, à
propos du tableau de la bataille d'Austerlitz.
« On reconnaît en lui ( M. Gérard ) un artiste qui, avant d'être
i i
FRANÇOIS GÉRARD. . 9
C'est dans ce temps que Gérard paya son tribut
au goût du public pour le poème d'Ossian. Son ca-
« peintre, est homme de sens, et qui compose son tableau avec son
«jugement avant de l'exécuter avec ses pinceaux. Quelle sagesse
« dans l'ordonnance générale et quelle adresse dans la combinaison
« des groupes, dans la pose des figures, pour conserver la clarté a»
« milieu d'une scène si vaste Les deux parties du tableau sont bien
« dans l'action , et cependant assez distinctes pour que l'intervalle
« qui les sépare repose l'œil du spectateur qui parcourt rapidement
« la toile : les devants ne sont pas encombrés, et les plans de der-
« rière, dégradés avec art, à travers les jambes des chevaux et des
« hommes, laissent à l'imagination la liberté d'étendre la scène et la
« dispensent de se voir contrainte k entasser les acteurs sur un même
« point. L'ordre agrandit l'espace, a-t-on dit avec autant de finesse
ft que de vérité : le tableau de M. Gérard en est une preuve visible :
« rien d'embarrassé , rien de confus, malgré cette prodigieuse quan-
«tité de grandes figures, de chevaux, de bagages, etc. L'artiste
« a-t-il voulu donner à un personnage quelconque un intérêt par-
« ticulier, il l'a dégagé et présenté d'une manière nette pour que
« rien ne nuise à l'effet qu'il se proposait de produire; témoin ce
« soldat renversé, presque sous le poids du cheval du général Rapp,
« cet Autrichien étendu sur un canon,et surtout ce Mameluck qui saute
« à bas de sou cheval abattu, et dont l'expression est si animée que
« l'on croit entendre une conversation entre lui et son compagnon
« expirant.
« Que dire enfin des deux figures principales, de Thcureux contraste
« qu'a établi le peintre entre l'élan de l'une et le calme de l'autre ? Le
« général Rapp arrive ; il vient annoncer à l'Empereur que la garde
« impériale russe a été repoussée : son cheval, lancé au plein galop,
« s'arrête tout à coup devant Sa Majesté : le généreux animal, blessé
« de plusieurs coups de sabre, semble partager la joie de son maître
« blessé lui-môme : celui-ci le retient, le soutient sur ses jambes de
« derrière, et, do l'air d'un guerrier trop échauffé encore pour que
« l'orgueil de la victoire ait remplacé sur son front l'ardeur qu'il por-
« tait au combat, il déclare son heureuse nouvelle à l'Empereur, tran-
« quillement assis sur un cheval immobile, et ne lui répondant que
« par un air de satisfaction calme répandu sur son visage. Que l'ima-
« gination emploie tout son pouvoir à se représenter un groupe si
« heureusement conçu, qu'elle en anime à son gré les figures, qu'elle
« leur donne l'expression la plus saisissante et la plus vraie, elle ne
16 FRANÇOIS GÉRARD.
marade Girodet, qui se piquait de puritanisme en fait
d'art, avait fait aussi ce sacrifice au goût de l'époque :
et cependant les deux tableaux de Gérard et de Giro-
det ont survécu aux héros de Macpherson. Celui de
Gérard, que nous connaissons par la gravure, est une
composition pleine de charme et d'originahté
La période impériale -se termine par \Homère ^
dont la gravure seule nous est restée. Le peintre dé-
truisit lui-même son œuvre, la jugeant au-dessous du
sujet. Cette composition a été gravée en pendant du
Bélisaire. Durant cet espace de temps, Gérard était
devenu le favori de la mode et le peintre de portraits
des grands personnages du jour. 11 faut citer, parmi
ces derniers, ceux de l'empereur Napoléon, en cos-
tume impérial ; de M"" Lœtitia, de Louis Bonaparte,
de la reine Hortense, de l'impératrice Joséphine, de
Joseph Bonaparte, de la reine de Suède, de la prin-
cesse Stéphanie de Beauharnais, de M'"" Murât, du
prince Borghèse, du prince de Talleyrand, de la com-
tesse Walewska, du maréchal Lannes, de Murât en
costume royal, de Marie-Louise, du roi de Rome, de
« surpassera pas le travail du peintre; que le jugement vienne en-
« suite en examiner les diverses parties, il reconnaîtra partout la
« trace d'une raison sûre et d'un sens exquis.......»
'Il y a plusieurs répétitions du tableau d'Ossian. L'original, qui
était destiné au roi Charles-Jean (Bernadotte), a été perdu en mer
avec le vaisseau qui le portait à Stockholm. Un second tableau du
même sujet est arrivé à sa destination. Un troisième a été peint pour
le prince Eugène, il est resté longtemps à la Malmaison. Une qua-
trième répétition est à Potsdara.
FUANœiS GÉRAHD. Π
la comtesse Zamoiska et de ses enfants, sans compter
les bustes qu'il fit pour ses amis, Ducis, Talma, Ca-
nova. M"" Mars, etc., etc. Les révolutions politiques et
les variations du goût ont dispersé ces portraits ' ;
mais un grand nombre d'esquisses, faites avant ou
d'après les originaux, ont été recueillies dans une pe-
tite salle du musée de Versailles. Si l'on sait faire
abstraction des détails d'ajustements ou de costumes,
dont la mode a, de tous les temps, embarrassé notre
jugement, il sera facile d'apprécier, dans ces ouvrages,
toutes les qualités de sentiment, de convenance, de
dignité que Gérard savait apporter dans les attitudes
et dans l'expression des personnages qu'il devait re-
présenter.
La Restauration trouva Gérard voguant en plein
courant de la faveur publique. Toute l'Europe vint
poser dans son atelier. Souverains, capitaines, diplo-
mates, tenaient à honneur de remporter leur portrait,
les uns en Russie, les autres à Vienne, ceux-ci à Lon-
dres, ceux-là à Berlin. On a dit que Gérard, au mi-
lieu de tous ces succès, regrettait souvent le petit ate-
lier du Louvre où il peignit le Bélisaire et la Psyché.
U fallait marcher cependant, en dépit du regret, des
souvenirs et des aspirations à l'indépendance.
' tin (les meilleurs, celui de l'impératrice Josépliine, assise au pied
de grands arbres, a eLlé replacé dans un des salons des Tuileries, et
celui de la reine Ilortense est aujourd'hui dans le cabinet de
l'Empereur.
18 FRANÇOIS GÉMUD.
C'est pendant le séjour des armées alliées en France
(|u'jl fît deux beaux portraits de l'empereur Alexandre,
et qu'il eut le même jour, dans son atelier, trois séan-
ces de rois. Le duc de Wellington , le prince de
Schwartzemberg, les princes Guillaume et Auguste de
Prusse, posèrent aussi dans ce même atelier. Ces travaux
excessifs, obligés, forcés, pour ainsi dire, ne l'empê-
chèrent pas de concevoir et d'exécuter aussi le plus
important de ses ouvrages. La Bataille (ΐAusterlitz
avait disparu des Tuileries. Le nouveau régime, en
effaçant Îirnage de ΐ Empereur, ne voulait pas faire
injure à son peintre; le roi Louis XVIII, pour rempla-
cer le plafond de la salle du Conseil, demanda à
Gérard Γ Entrée de Henri IV à Paris. Gérard accepta
la commande, mais en faisant ses réserves : il dépassa
les limites prescrites par la mesure du plafond, et ré-
solut de donner à ses figures un relief et des propor-
tions qui rendissent impossible le placement du nou-
veau tableau dans le même cadre. C'était beaucoup
risquer, mais le peintre avait confiaqce dans son
étoile. Il eut raison, car jamais cette étoile ne brilla
d'un plus vif éclat. Le succès couronna cet acte de
rébellion. La cour, le public, les artistes, lui rendirenfc
hommage. La presse elle-même, très-hostile au gou-
vernement et qui attendait au passage le résultat de
cette épreuve, applaudit avec enthousiasme. Il serait
superflu de décrire ce tableau, que la belle estampe
de Toschi a rendu populaire. Cette magnifique plan-
FRANÇOIS GÉRARD. . 9
elle, qui fait date pour l'histoire de l'art de la gravure,
en notre temps, fait admirablement ressortir tous les
mérites de composition et d'action dramatique pro-
digués dans le tableau de l'Entrée de Henri IF; j'irai
plus loin, elle a effacé une certaine dissonance dans
le ton et cette coloration à effets métalliques que le
peintre, dans le feu de l'exécution, avait répandues
sur la toile. Si, depuis Gérard, nous nous sommes
habitués à contenter nos yeux avant notre esprit, nous
avons, du moins, acquis plus de délicatesse dans la
perception de l'harmonie. D'un autre côté, nous
détournons aussitôt nos regards d'une image qui ne
satisfait pas complètement ce nouveau sens. Une pein-
ture destinée à représenter un grand trait d'histoire
doit-elle être considérée seulement sous cet étroit
aspect, et ne devons-nous pas nous méfier d'une im-
pression qui peut n'être que passagère, fragile et
sujette au changement du goût? Nous oublions que
Paul ^éronèse a représenté la figure du Christ au
miheu de personnages vêtus de costumes du XVI® siècle,
parce que ce peintre a su animer sa toile de toute la
fraîcheur du grand air et de tout le charme d'une
admirable couleur ; pourquoi ne serions-nous pas in-
dulgents pour Gérard qui, tout en ayant failh par le côté
où brille le Vénitien, a formulé sa pensée par l'étude .
de la vérité et le respect de la saine raison? Je
n'appuierai pas longtemps sur ce point, car cette no-
tice n'est pas un cours d'esthétique ; j'insisterai toute-
20 FIIANÇ(3IS GÉKARD.
fois sur des considérations d'un ordre moins élevé,
mais qui ont cependant leur valeur. Pour bien juger
le tableau de Henri IF, il faut encore se reporter au
temps où il a été peint, et songer à la manière dont
les artistes de cette époque interprétaient les sujets qui
n'étaient pas tirés de l'histoire grecque ou romaine,
ou de nos fastes militaires. On peut dire que Gérard,
en cette occasion, fut le premier qui sut rendre d'une
façon digne et convenable un épisode de l'histoire
moderne. S'il n'est pas arrivé de prime abord, en ce
genre, au sentiment délicat de quelques peintres mo-
dernes, ne leur a-t-il pas montré la route ? Les per-
sonnes qui ont suivi de près l'exécution du tableau
de Γ Entrée de Henri IF now?, ont expliqué comment
l'effort de l'esprit, l'obstination de la volonté, vers un ·
seul but, se sont développés au préjudice de l'unité
du ton et de l'agrément de la couleur. Le peintre
commençait à ressentir les atteintes d'un mal qui fit
le chagrin des dernières années de sa vie, un affaiblis-
sement des yeux.
Cependant le succès de l'œuvre fut complet et in-
contesté, et Gérard en reçut de tous côlés les témoi-
gnages les plus flatteurs. Le roi Louis XVIII l'honora
d'un titie qu'il n'avait pas brigué et qu'il n'accepta
qu'avec une certaine appréhension, car il le résigna
quelques années plus tard. Il fut nommé premier
peintre du roi.
Le Henri IF avait paru au salon de 1817. Deux ans
1
21
FRANÇOIS GÉRARD,
après, Gérard exposa la Corinne. Une intéressante publi-
cation, due aux pieux souvenirs de la famille de M"" Ré-
camier ', a fait connaître la liaison du prince Auguste de
Prusse avec cette séduisante personne; liaison très-
platonique, mais qui laissa dans l'âme du prince des
traces profondes. On connaît aussi l'intimité respec-
tueuse qui unissait ce personnage à M"" de Staël, et
on comprendra toute la gravité de ce sentiment,
quand on saura que ce fut lui qui commanda la Co-
rinne à Gérard et qu'il fit hommage du tableau à
M"" Récamier elle-même \ Nous n'avons rien à dire
de cette composition, après l'examen que M. Thiers
fn fit dans su critique du salon de 1819. Nous don-
nerons un fragment d'une de ses lettres à propos du
même ouvrage.
M. de Chateaubriand, de son côté, nous dira qu'il
dut le tableau de la Sainte Thérèse à la libéralité de
Gérard. Cette figure, l'une des meilleures inspirations
du peintre, date de 1823, et fut inaugurée la même
année dans la chapelle de l'établissement hospitalier
placé sous le patronage de Marie-Thérèse , retraite de
l'auteur du Génie du Christianisme.
l^e portrait du roi Louis XVlll, assis dans son ca-
binet des Tuileries, devant la table de chêne rapportée
' Souvenirs tirés des papiers de Récamier, 2 volumes, Paris,
1860.
^ Ce tableau a été légué par M""· Récamier au musée de Lyon , sa
ville natale.
FRANÇOIS GÉRARD. . 9
d'exil, a été peint à la même époque. Ici, encore,
Gérard peut être considéré comme un novateur, car
il a devancé, dans cette composition, les adeptes du
réalisme. Dans la simplicité de son ajustement, ce
portrait produit plus d'effet que bien d'autres images
de souverains, entourées de l'attirail pompeux qu'on
a coutume de leur prêter. Cette toile était placée dans
la galerie de Diane, aux Tuileries, lorsque le palais
fut envahi par le peuple, en juillet i83o. Cette ex-
pression de bonhomie dans la dignité, cet habit sim-
ple, imposèrent à la multitude, et, de tous les tableaux
qui ornaient les appartements royaux, celui-là seul
fut épargné.
En Louis XIV déciarant son petit-fils
roi (ÎEspagne. Cette composition fut soumise à une
épreuve dont le résultat paraît décisif. Elle a été placée
à Versailles, à côté des tableaux des peintres qui ont
célébré les pompes officielles du grand siècle. On peut
apprécier là un autre côté du talent de Gérard et
juger de la souplesse de son pinceau, qui savait s'iden-
tifier au caractère d'une époque et en retrouver lé
stvle. Nous trouverons encore, dans la correspon-
dance, l'opinion de M. Thiers sur ce tableau.
En 182/4, Gérard termina sa jolie composition de
Dnphnis et ChIoé\ pour le duc d'Orléans, et, l'année
suivante, Hylas et les Nymphes Evidemment il
' Au Musée du Louvre.
2 Aiipartcnant à la famille de M. l'aillct, le célèbre avocat.
-ocr page 26-FRANÇOIS GÉRARD. . 9
cherchait à renouer le lien qui le rattachait au sou-
venir de la Psyché.
La Thétis portant les armes d'Achille, inspirée par
la magnifique fresque de Raphaël, la Galatée, date
de 1827. On la connaît par la gravure de Richomme.
Elle fait partie de la collection du comte Pozzo-di-
Borgo.
Ici nous touchons à un moment critique de la vie
de Gérard, et à une époque où sa qualité de peintre
officiel dut lui peser davantage. On lui avait com-
mandé le tableau du Sacre du Roi Charles X. Son in-
telligence dut reculer devant une pareille tâche. Il n'y
avait là rien que d'artificiel et de théâtral. Son maître,
T)avid, quand il peignit un sujet du même genre, s'était
emparé d'une antithèse, l'attitude résignée du pontife
devant le geste solennel et plein d'audace d'un guer-
rier qui se fait empereur. Il avait concentré là son
idée, et en résumant ainsi son sujet" il avait fait un
chef-d'œuvre d'énergie et d'expression. Gérard n'avait
à sa disposition qu'une vaine cérémonie, point de ca-
ractères, des costumes d'opéra, le vide, le néant. Il
hésita, puis accomplit courageusement sa mission.
Mais il fit une œuvre pâle, et, ce qui dut lui coûter,
dépourvue d'intérêt. Le tableau, qui parut au Louvre
à l'époque où le gouvernement de la Restauration de-
venait de jour en jour plus impopulaire, eut peu de
succès. On y retrouve cependant des qualités de com-
position, et la spirituelle gravure qu'en a donnée
FRANÇOIS GÉRARD. . 9
M. Dien ' faitressortirrhabileté d'arrangement et l'heu-
reuse distribution desgroupes. La toile du ÔVic/'e, outra-
geusement lacérée en 183o, u été mal restaurée et plac ée
au musée de Versailles dans un endroit peu favorable.
Quelques-uns des portraits peints par Gérard pen-
dant cette dernière période ( i8i5-i83o) sont remar-
quables. Nous devons citer ceux du duc et de la
duchesse d'Orléans, celui de Adélaïde, les bustes
de M"" de Staël, de M"" de la Rochejaquelein, de ΛΓ' la
duchesse de Broglie, du duc Decazes, les portraits en
pied du général Foy, de lady Jersey, du comte Pozzo-
di-Borgo, de M"'" la comtesse Alexandre de Labordo,
de M"" Alexandre de Talleyrand, etc., etc.
La révolution de Juillet troubla la vie de Gérard
et vint ajouter de nouveaux soucis au chagrin que lui
causait l'affaiblissement de sa vue. Il vivait, de jour en
jour, plus retiré.Une circonstance le fit cependantsortir
de sa retraite : le préfet de la Seine avait nommé une
commission, composée d'artistes, chargée de désigner
un peintre pour exécuter un portrait du roi i.ouis-Phi-
lippe, destiné à figurer dans la salle du Trône, à
l'Hôtel de ville. Gérard fut nommé par un vote una-
nime. 11 se décida à reparaître au Palais-Royal. Ici se
place une anecdote qu'une mémoire sûre nous a trans-
mise, et qui peint le caractère de Gérard. On abusait
un peu, à cette époque, de la liberté qu'avait donnée
' Galeries historiques de Versailles (Gavard ).
f
F
FRANÇOIS GÉRARD. . 9
à chacun le roi-cilojan de s'affrancblr des lois de l'éti-
quette, et les salons du Palais-Royal étaient encombrés
de courtisans de toute condition qui affectaient dans
leur mise les négligences les plus démocratiques. Gé-
rard y parut en habit de l'Institut. Ce costume, qu'il
ne portait que rarement dans l'ancienne cour, fit sen-
sation et parut déplacé, mais la reine Marie-Amélie
remercia Gérard de cet acte de courtoisie.
Gérard, se sentant faiblir, avait résolu de laisser à de
plus jeunes l'exécution des peintures officielles : il
voulut cependant achever ses travaux commencés. Il
mit la dernière main aux pendentifs du Panthéon,
ébauchés depuis plusieurs années, mais qui durent
subir quelques modifications à cause de la nouvelle
destination affectée à l'édifice. Les sujets de ces pein-
tures sont des allégories représentant la Patrie, la
Gloire, la Justice, la Mort. Il fit encore pour le musée
de Versailles quatre figures emblématiques : le Cou-
rage guerrier, la Clémence, le Génie, la Constance.
Tout en vieillissant, Gérard était resté fidèle à ses
premières amours, à l'étude de l'antiquité. Il y reve-
nait chaque fois que ses travaux de commande lui
laissaient quelque loisir. Il reprit une grande toile
longtemps exposée dans son atelier et restée à l'état
d'ébauche. C'était un sujet tiré de l'Iliade : Achille,
« la vue des armes que sa mère lai apporte, quitte
son voile de deuil et appelle ses compagnons aux
armes, pour venger Patrocle. On peut voir ce ta-
FRANÇOIS GÉRARD. . 9
bleau au musée de Caen : il est resté inachevé, mais
il produit un grand effet.
Le tableau de la Peste de. Marseille, belle composi-
tion largement peinte, date de l'année i835. Gérard
en fit l'hommage à Y Intendance de la Santé de Mar-
seille. Cette toile fut placée dans la même salle que le
Saint Roch de David. Le maître et l'élève devaient se ^ ;
retrouver là face à face, représentés, l'un par une
œuvre de sa première jeunesse l'autre par un de
ses derniers tableaux. On peut même dire que ce fut
le dernier ouvrage important de Gérard; car le ta-
bleau du Christ peint pour M. de Genoude, l'année
suivante, n'est composé que d'une seule tlgure.
Trop souvent les grands artistes se voient con-
tester, à la fin de leur carrière, la réputation qu'ils
ont laborieusement conquise. Une certaine partie du
public s'empresse de constater les signes de faiblesse
qu'ils laissent entrevoir. Gérard voyait s'avancer de
jeunes générations pleines d'ardeur et d'espérance,
mais résolues à renverser ce qu'il était habitué à res-
pecter. Les mêmes passions qui agitaient la politique
dominaient les arts, et le souffle d'ingratitude qui fit
outrager plus tard le peintre des Pestiférés de Jaffa
avait aussi offensé l'auteur de la Bataille d'Ausîerlitz.
11 en souffrait, et sa santé, déjà chancelante, s'en al-
téra profondément.
' La Peste de Saint-Uoch, de David, fut achevée à Rome en 1779,
-ocr page 30-FRANÇOIS GÉRARD. . 9
mois de janvier t837, une maladie de quelques
jours éteignit cette existence déjà minée. Gérard mou-
rut un mercredi ; c'était le jour consacré à ses amis,
le jour où il recevait, dans son salon, tout ce que
Paris comptait d'hommes distingués. Quelques-uns
d'entre eux, pour qui cette visite était devenue l'habi-
tude de chaque semaine, se présentèrent à la porte de
la maison. Ils furent reçus par le vieux serviteur de
Gérard, qui leur dit : « Monsieur le baron est mort
ce matin. » Us se séparèrent navrés ; les uns perdaient
un ami sûr, les autres un guide et un soutien, et tous
comprirent qu'un ^ide se formait au milieu d'eux.
i^e salon de Gérard était, en effet, un de ceux
qu'on a cités dans un temps où il y avait encore des
salons. Il brillait, non par le luxe de l'ameublement
ou l'éclat des toilettes, mais par la réunion des diffé-
rentes conditions d'intérêt et de curiosité que la con-
versation offrait à l'esprit. Gérard, en assistant à la
déchéance de trois règnes, et en approchant de très-
près les hommes qui avaient été tour à tour dans la
faveur ou dans la disgrâce, avait fait preuve d'un tact
exquis. Sa dignité vis-à-vis des grands, son accueil
bienveillant pour tous, lui avaient conquis la sym-
pathie des hommes des opinions les plus diverses. Sur
le terrain neutre de la maison du peintre, chacun
oubliait ses griefs. Au moment de la splendeur du
salon de Gérard, pendant la Restauration, les que-
relles entre les gens de lettres, les inimitiés entre les
FRANÇOIS GÉRARD. . 9
artistes, étaient aussi animées que les luttes de la
tribune. Cela n'empêchait pas Beyie (de Stendhal) d'y
rencontrer M. Auger, de l'Académie française, Dela-
croix d'y saluer M. Ingres, comme le comte Pozzo-di-
Borgo d'y causer avec des libéraux. C'était un centre
où se discutaient les questions d'art, de sciences, de
lettres, de voyages, par l'organe des Quatremère de
Quincy, des Raoul-Rochette, des Cuvier, des Hum-
boldt, des Darcet, des Jacquemont. C'était là aussi
qu'avaient chanté Carat, M"" Grassini, M"" Vigano;
Rossini et Paër y avaient accompagné au piano La-
blache, Rubini, M™Malibran, Juliette et Judith Grisi
L'appartement de Gérard existe encore dans la
maison qii'il avait fait bâtir rue Saint-Germain-des-
Prés (aujourd'hui rue Bonaparte). Il était relative-
ment petit et composé de quatre pièces qui se commu-
niquaient. Dans le salon proprement dit, on voyait
le portrait de Ducis, par Gérard, un des excellents
qu'il ait faits ; ceux de M. de Humboldt et de M"" Mars;
plus loin, quelques tableaux ou esquisses d'Horace
Vernet, de Léopold Robert, de Gudin, de Redouté, de
Vandaël. Deux tables de jeu étaient dressées dans une
des chambres, et à minuit on servait le thé. La soirée
se prolongeait souvent au delà. Il se formait alors une
causerie plus intime et, partant, plus intéressante.
C'était l'heure où M. de Humboldt avait coutume de
' La publication récente des lettres de Mendelssolm nous apprend
qu'il fut admis aux mercredis de Gérard.
f
tÈSSSSÊ
FRANÇOIS GÉRARD. . 9
se présenter, après avoir passé eti revue quelques
autres salons de Paris. Il en rapportait les nouvelles
du jour qu'il assaisonnait de tout le sel de son esprit
mordant,
La société qui fréquentait l'hôtel de la rue Sajnt-
(iermain-des-Prés fut fidèle à Gérard pendant plus
de trente années. Il est vrai que celui-ci usa de la
même constance envers ses amis. Son séjour à Auteuil,
où il avait une maison de campagne, n'interrompit
jamais les mercredis. La famille revenait à Paris ce
jour-là.
De tous ces brillants esprits, artistes, savants, écri-
vains, orateurs, le plus grand nombre a disparu, mais
en laissant les plus beaux noms et les plus belles œu-
vres. A côté des anciens condisciples et amis de Gérard,
Isabey, Népomucène Lemercier, Ducis, Percier, Fon-
taine, Andrieux, Ginguené, Guérin, Hersent, Des-
noyers, Carie Vernet, Granet, Géricault, la nou-
velle génération avait ses représentants. Quelques-uns
parmi les plus jeunes, ont disparu comme leurs aînés :
Léopold Robert, Paul Delaroche, David d'Angers,
Ary Sclieffer, Eugène Delacroix, Jacquemont, Horace
Vernet. Ceux qui restent comme MM. Ingres, Heim
Sclinetz, Henriquel-Dupont, Patin, Mérimée, Adol-
phe Roger, Lehmann, Hittorff, A. Firmin Didot,
Barrière, François Girard, sauraient nous dire s'il
il
' lleim est mort le 10 urtobre 186o.
-ocr page 33-30 FRANÇOIS GÉllARD.
existe encore clans Paris une telle réunion, et si
l'homme distingué qui la présidait a pu être rem-
placé.
Gérard n'aimait cependant pas ce qu'on appelle le
inonde. Le plus vrai, le plus sincère de ses biographes,
une femme, une de ses élèves nous a raconté,
dans ses notes rédigées sous l'impression de pieux
souvenirs, les traits principaux du caractère de son
maître, physionomie que nous ne saurions mieux pein-
dre que par la citation de ce passage : « II avait le goiit
des habitudes simples-, à l'âge où il était le plus bril-
lant dans le monde, il y avait une certaine heure du
soir où la cérémonie lui devenait à charge, au point
de s'y dérober quelquefois plus brusquement que la
politesse ne l'aurait voulu; et cela, pour aller courir
vers Montmartre, dans un appartement où il trouvait
Percier, Fontaine et Dernier, ce dernier, ami intime
des deux autres, tous occupés à fumer et à dire des
folies d'atelier. 11 a continué à se réunir à eux jusqu'à
ce que sa mauvaise santé lui ait ôté l'envie de sortir.
Quand il quittait le monde pour revenir chez lui, il
était heureux comme un enfant, et son empressement
était si grand pour rentrer dans son fauteuil et prendre
son cigare, qu'il commençait, à la première marche,
à défaire ses premiers boutons, et qu'il arrivait en
haut souvent presque déshabillé. Quand il pouvait
1 M"' Godefroid, dont il sera bientôt ([uestion.
i
-ocr page 34-FRANÇOIS GÉRARD. . 9
manquer un tllner un peu cérémonieux, il était dans
des joies d'enfant.
« En somme, il avait un esprit d'indépendance in-
domptable; il était incapable de se contraindre et
d'attendre; passé une certaine mesure, il n'y avait
plus moyen d'y résister, quelle qu'en pût être la
conséquence.
« Lorsqu'il fit la lialaille dAasterlitz, il dut en
soumettre l'esquisse à l'Empereur; il prit jour avec
M. Fontaine et alla avec lui à Saint-Cloud; mais
l'Empereur ne put le recevoir à l'heure dite. M. Gé-
rard avait fait l'effort surnaturel de se lever, je crois,
H sept heures du matin, pour être arrivé à l'heure
convenue. Après quelques moments d'attente, fatigué,
bouillant d'impatience, prêt à échapper des mains de
M. Fontaine qui lui faisait toutes sortes de petites rai-
sons pour lui faire prendre patience, M. Fontaine
imagina de le faire coucher pour gagner du temps ;
mais, au bout de tout cela, l'Empereur n'étant pas
encore libre, M. Gérard remonta en voiture, et ce fut
partie remise.
« Il ne gouvernait pas ceux qui l'entouraient par
des paroles ou des directions calculées ; il entraînait
tout par l'ardetir de sa volonté et la conviction, pour
ainsi dire, naïve, qu'il n'en pouvait pas être autrement.
« Jl n'avait jamais que cinq francs en monnaie dans
sa poche. Ainsi, une fois, il eut l'aimable idée de
faire cadeau à sa femme d'iuie petite parure de fan-
FRANÇOIS GÉRARD. . 9
taisie; il l'apporta tout enchanté, au grand plaisir
de M"' Gérard ; puis, un mois après, il lui dit tout
sérieusement : « Ah ça ! as-tu songé à aller payer
cette parure? »
« Par suite de ces habitudes, et pour ne pas avoir
à essuyer les sages remontrances de son ministre des
finances, il lui est arrivé plusieurs fois d'emprunter
à un ami pour prêter à un autre. Et, au bout de quel-
que temps, il disait à sa femme : « Tu auras soin de
remettre à.... mille francs qu'il m'a prêtés. » H fallait
bien en passer par là, même sans sermon. Ce n'était
pas qu'il ne fût, dans toute la force du terme, le
maître à la maison, mais il aurait tout fait pour s'évi-
ter un mot ennuyeux.
<(. Il était essentiellement naturel ; et, si la société
avait modifié quelque partie de son caractère, ou plu-
tôt, si elle le modifiait dans quelques moments, le
naturel reprenait bientôt le dessus......
« 11 aimait l'ordre par instinct et par principe, et
riait de tout son cœur de la manie très-générale qu'on
a d'allier presque toujours l'idée du génie à celle du
désordre.
« Dans la position où l'avait placé son mérite et
avec son goût de convenance et d'ordre, il ne pou-
vait être indifférent à l'état de sa fortune, mais il n'a
jamais agi dans cette seule vue. Sa fortune s'est faite
par la force des choses. 11 n'a jamais su faire une
affaire, et, lorsqu'il a cédé une ou deux fois en sa vie
FRANÇOIS GÉUAHD. 33
aux sollicitations de ses amis pour en essayer par
leurs mains, il a perdu tout l'argent qu'il y avait
mis. '
« Du reste, il ne louchait jamais son argent. S'il
arrivait qu'il passât par ses mains, il le portait aussitôt
à M"" Gérard.
« Il disait toujours qu'il n'entendait pas la propriété,
et c'était vrai.
..... « C'était vraiment beau à voir pour ceux qui
avaient le bonheur d'assister à son travail. Il médi-
tait longtemps ses compositions ·, ensuite il jetait ses
idées avec abondance et rapidité ; puis il revenait à
iroid choisir et châtier sans aucune faiblesse pater-
nelle.
« 11 en était de même pour l'exécution : quand il
avait établi, avancé un morceau, il quittait le travail
et revenait quelque temps après , non étourdiment,
mais avec précaution et recueillement, pour recevoir
l'impression vive et précise de ce qu'il revoyait. Avec
sa parfaite organisation , c'était le plus sûr conseil
qu'il pùt recevoir. Cependant il n'en dédaignait au-
lun ·, mais il savait bien empêcher qu'on les donnât
hors de propos.
« Ceux qui l'ont suivi dans tous ses moments à l'ate-
her peuvent témoigner combien il était aimable, et
l'on peut dire bon camarade. Quand le travail mar-
chait bien, les chansons, les mots plaisants, les anec-
dotes, jaiUissaient à tous moments : l'atelier était un
3
-ocr page 37-i
34 FRANÇOIS GÉRARD.
vrai paradis. Je n'ai pas envie de dissimuler qu'il n'y
eût aussi des jours de tempête.
« Il avait quelquefois de profonds décourage-
ments; il en eut un tel, entre autres, pendant qu'il
foisait sa Psyché^ qu'il sortit de l'atelier en -jurant de
n'y plus rentrer, et, pour mieux tenir sa promesse, il
en jeta la clef au hasard dans la rue.
« Sa vie se partageait presque régulièrement entre
des jours de mélancolie quelquefois très-profonde, et
des jours de courage, de gaieté vive et d'une grande
activité pour le travail. Son organisation paraissait
avoir besoin de cette espèce de repos ou de relâche-
ment, en dédommagement de ce qu'il dépensait dans
les beaux jours. .
« Je l'ai vu, dans la fleur de la jeunesse, comblé
des témoignages d'estime du souverain et gâté par le
monde, je l'ai vu, dis-je, enfoncé dans un canapé, où
par parenthèse il a passé une bonne partie de sa vie,
trouvant et donnant les meilleures raisons pour se
considérer comme le plus malheureux des hommes.
Si par là-dessus il pouvait avoir une bonne nuit, il
sortait de ce nuage le plus brillant et le plus charmant
des hommes.
.....« Excepté pour les souverains de France et
leur famille, il n'est jamais sorti de chez lui pour
donner une séance. , ;
.....« Ce qui est bien regrettable, c'est la perte
entière de tout souvenir de ses conversations avec les
ν ■■!
V
i; ί
il i
M
1 lii /
îrl"
FRANÇOIS GÉRARD. . 9
personnages illustres, à l'égard desquels il se trouvait
dans une position si particulière et si favorable. »
Gérard se plaisait dans la société des femmes. Beau-
coup d'entre elles, célèbres par le talent, l'esprit, la
beauté, le rang, fréquentaient son atelier et son salon.
Klles aimaient à l'entourer d'attentions délicates et
des témoignages de leur sympathie. C'est une femme
aussi, la fille d'un habile restaurateur de tableaux,
qui lui servit de principal auxiliaire dans l'exécution
de ses plus importants travaux. Dans la grande quan-
tité de portraits que termina Gérard (quatre-vingt-
quatre en pied et plus de deux cents d'une moindre
proportion), il y en eut beaucoup d'officiels. Des répéti-
tions nombreuses, destinées aux cours étrangères, aux
ambassades, lui étaient demandées coup sur coup et
H la hâte. 11 était donc obligé, pour satisfaire à ces
commandes, de s'adjoindre des artistes intelligents,
patients et capables de se plier à ce travail ingrat et
uniforme. Il tiOuva ces qualités réunies chez made-
moiselle Godefroid, qui pendant plus de trente-cinq
années fut son aide le plus constant et le plus fidèle,
lille n'était pas seulement une artiste habile, qui s'é-
tait identifiée au talent de son maître, elle devint aussi
son amie dévouée. Sa sollicitude s'étendait sur tous
les membres de la famille de Gérard et sur tous
ses amis. Aussi les uns et les autres lui ont-ils
gardé un affectueux et reconnaissant souvenir. Cette
aimable personne est souvent citée dans la corres-
3G FUANÇûIS GIÏRAUD.
pondaiice, et iVl. de Humboldt l'appelait sa proleclrice.
Elle est morte en 1849 , douze années après Gérard^
ayant consacré l'espace de temps qu'elle lui avait sur-
vécu à mettre en ordre ses notes, ses dessins, ses cro-
quis, et à rassembler les documents qui ont servi à
M. Henri Gérard pour éditer Vœuvre de son oncle, à
M. Ch. Lenormant pour rédiger sa notice, et à nous-
mèmepour publier la correspondance'. Des différen-
tes observations que mademoiselle Godefroid a recueil-
lies sur la vie de Gérard, sur ses habitudes, sur ses pen-
chants, et des confidences qu'elle a faites à des amis
intimes, il ressort très-vivement que le brillant peintre
de portraits, qu'on appelait un peu fastueusement le
' peintre des rois et le roi des peintres, a passé la dernière
partie de sa vie à regretter la première, c'est-à-dire le
temps où, seul dans son atelier du Louvre, il se li-
vrait à ses études favorites, tirées de sujets qu'il avait
choisis, caressant une idée et lui donnant la plus belle
forme; en un mot, tout entier à lui-même.
ΐ·'
;i fi
Ceux qui ont entouré son lit de mort ont dit que
ses derniers moments furent adoucis par ces souve-
nirs. A cette heure suprême, sa mémoire ne lui re-
traça plus les circonstances de ses brillantes ovations,
alors que le préfet de la maison de l'empereur,
M. de Beausset, lui envoyait cette parole de Na-
poléon, datée d'un bivouac du fond de la Russie :
il· '
■'iV
' Nous donnons plus loin des détails plus étendus sur la vie de
M'" Godefroid.
À
*
ii:
-ocr page 40-FRANÇOIS GÉRARD. . 9
« Mandez à Gérard qu'il a fait un chef-d'œuvre^; »
non plus que la récompense du tableau de \Entrée
de Henri IV, ce double titre de baron et de pre-
mier peintre du Roi que lui donna Louis XVI 11 : il
se rappelait ses premiers succès d'exposition, quand
't son triomphe était encore mêlé de surprise, »
comme le dit très-bien un de ses biographes
Son âme, en s'échappant, se reportait vers les affec-
tions de sa jeunesse et y recherchait dans sa pureté,
dégagé de toute préoccupation mondaine, le principe
le plus cher aux grands artistes, l'union du beau et
du vrai dans les conceptions idéales.
Adolphe Viollet-le-Duc.
' A propos du portrait du Roi de Rome, envoyé à la grande armée
en 1812. — Voir la lettre de M. de Beausset.
^ M"·» Aiieelot ^Salon de Gérard).
y
·■ .!·■) (il! 1,:; y. .! ;■· 1/i ;·"; r
* ■ ' > -1
• ·"' r^K-j ·;') -i ; ■ , V\ ν·, .· Λ '■■ .
!
:( :
■ λ'' ' ·;\ί 'ib :·.;·'ι·:;;;· . ί;·^ ·>!'
■ ' , -y . ·,
■ ^ ■ - ■' ' ■ "a;. . .. ... ...
^'K.·' , ' ■■ , . , ;. V '· .
if
ΙΨ
[f
" Ί : ·■ ' ί ' : ·; ί:π 1·. w··! î -i
- . ^ ■ - ■ J' r· V v'.-·.;: λ,
■ ί-
I
!
ι
ί.
Γ,
Dans la publication des lettres suivantes (elles
ont été choisies dans un très-grand nombre),
nous avons adopté l'ordre chronologique comme
le plus propre à faire coïncider la correspondance
avec notre travail biographique.Mais, afin de con-
centrer l'intérêt par le rapprochement des dates
dans les sujets de même nature, et d'embrasser
plus étroitement les deux côtés de la vie du
peintre, nous avons divisé ^ette correspondance
en deux parties bien distinctes. La première con-
tient les lettres des artistes : elle commence en
^782 et finit en 1887 ; la seconde, qui parcourt
»
AO AVERTISSEMENT,
à peu près le même espace de temps, comprend
celles des hommes de lettres, des savants, des
administrateurs, des gens du monde. Les ré-
ponses de Gérard sont malheureusement très-
rares : nous les donnons à leur date, toutes les
fois que nous les rencontrons. Deux portraits
de Gérard, l'un dessiné par Girodet en 1789,
l'autre terminé par JVF® Godefroid en i835, ont
été placés en tête de chacune des parties de ce
recueil '.
"il'.iU"' rc
Ίί
lia
Us ont été gravés par M. F. Girard.
ί :
t
I i
y»//·, ι'^ . /ii/ti· . jr.m'··
-ocr page 45-PREMIÈRE PARTIE
ARTISTES
-ocr page 46-Paris, ce l£i août 1782.
Vous m'avez obligé beaucoup, mon cher ami, en
m'apprenant l'heureux succès de votre travail. J'en
étais inquiet, mais votre attention m'a rendu la tran-
quillité. Je vois vos premiers succès avec la joie d'un
père, et je désire vivre assez pour vous voir recueillir
le fruit de vos études et de vos heureuses disposi-
tions. Cependant, mon cher ami, ne vous laissez point
éblouir par des louanges que l'on ne vous donne que
' Peintre, élève de C. Vanloo, eut le prix de l'Académie en 1760,
fit resta longtemps en Italie, où, protégé par le duc de Parme, on
l'appela : Julien de Parme. De retour à Paris, vers 1776, il fut reçu
<i l'Académie comme agréé. Ses dessins sont plus remarquables que
ses tableaux. Quelques-uns de ceux-ci ont été gravés : les plus
importants sont un miion enlevé par l'Aurore, et la Rose défendue,
composition allégorique dans le genre de Fragonard.
Il soutint les premiers pas de Gérard, qui luttait alors contre tous
les obstacles du début de sa carrière. La paternelle sollicitude de
Julien méritait d'être mentionnée ici, au moment où Gérard, tout
jeune encore (il avait douze ans), 'commençait à entreprendre de sé-
rieux travaux.
JULIEN DE PARME.
pour vous encourager. Vous seriez perdu si vous vous
croyiez habile homme; dès ce moment vous ren-
treriez dans la classe trop nombreuse des hommes
médiocres, et vous tromperiez cruellement votre ami
Julien, qui s'est formé de vous une idée bien diffé-
rente.
Vous avez bien fait d'accepter la récompense que
l'on a donnée à votre travail. Il ne faut être ni bas
ni fier ; il faut céder poliment à ceux qui veulent bien
nous donner des marques de leur satisfaction.
Je vous attends demain. Prenez un fiacre, je le veux
absolument, parce que le temps est trop mauvais ; je
me charge des frais. Si vous voulez y joindre le petit
Henri cela me fera plaisir, mais je vous laisse sur
cela hberté entière.
Je vous embrasse de tout mon cœur, et Alphonse
me charge de vous faire ses compliments. Faites les
miens, je vous prie, à vos respectables père et mère.
Julien de Parme.
ém
f»^···.,,, in·
Paris, ce 28 septembre 1782.
Vous savez, mon cher Gérard, que je vous ai dit
cent fois que vous me feriez toujours plaisir, toutes
' Frère de Gérard. Son portrait a été fait par Gérard à deux re-
prises différentes : une première fois en 1790, une seconde en 1792,
avec son frère Alexandre. — Henri Gérard est mort fort jeune, en
1793.
u
I
JULIEN DE PARME.
les fois que vous viendriez manger ma soupe. Je ne
donne pas à dîner par vanité, mais par amitié ; ainsi
mes amis sont toujours sûrs de me faire le plus grand
plaisir, lorsqu'ils voudront bien se contenter de la
sobriété de ma table. Quoique jeune encore, je vous
mets de ce nombre, parce que je vous crois capable
d'amitié. Pour être grand artiste, il faut être sen-
sible. J'ai cru apercevoir cette qualité en vous, et c'est
surtout par là que vous m'intéressez.
Je vous le répète, mon cher Gérard, ne craignez
jamais de m'importuner; soyez, au contraire, bien
persuadé que plus vous viendrez souvent, plus vous
m'obligerez. A.dieu, je vous attends demain.
Julien de Parme.
III.
Paris, ce 10 prairial, an VI (29 mai 1798).
Je vous ai promis de vous écrire, mon cher Gé-
je remplis ma promesse. Je ne vous pardonnerai
''ien, parce que je vous estime autant que je vous
aime. Vous êtes dans cet âge heureux où toute indul-
gence serait une trahison , crime dont je ne me ren-
drai jamais coupable. Mon plus grand bonheur a été
sera toujours d'encourager le génie naissant; je l'ai
aperçu dès votre enfance, ce génie, et j'ai la douce
satisfaction de le voir presque dans sa maturité Oui,
«ion ami, vous touchez au but; peu de chemin vous
' Gérard avait alors vingt-huit ans.
-ocr page 49--i6 JULIEN DE PARME.
:
reste à faire et bienlôt vous y atteindrez. Voici main-
tenant ce qui vous reste à faire pour remplir mes es-
pérances. Je puis me tromper, mais je suis siàr de ne
vous dire que ce que je sens. Mes observations se ré-
duisent aux articles suivants : Votre caractère de
dessin est pur, d'un bon style, mais à force d'en
chercher la pureté vous tombez un peu dans le roide,
ce qui est presque inévitable. Les formes de la jeu-
nesse doivent être souples et ondoyantes, ainsi que
nous le montrent les productions de la Grèce. Il faut
que les contours soient formés par des lignes un peu
convexes et jamais par des lignes droites. Ces mêmes
contours sont aussi un peu tranchants sur le fond,
cela empêche les membres de s'arrondir et de tourner,
comme le doivent faire tous les corps ronds. Pour
produire cet effet, il faut des reflets dans les ombres
et des demi-teintes sur la partie éclairée qui s'unit
au fond. Les cheveux de vos figures tranchent un peu
trop sur ce même fond, ce qui détruit leur légèreté.
Votre coloris, en général, est un peu trop gris,
surtout dans les ombres; je vous exhorte à les ré-
chauffer un peu, par un ton plus doréLa partie
postérieure de l'Amour a absolument besoin d'une
draperie, pour adoucir les angles désagréables que
forment les deux cuisses et pour voiler certaines
parties qui n'ajoutent aucun intérêt à la belle ex-
pression que vous avez donnée à cette aimable
figure
' Il faut se rappeler que Julien de l'arme était élève de C. Vaiiloo.
2 On voit qu'il est question du tableau de l'Amour et Psyché, qui
I
I
GIRODET. 47
Pourquoi n'avez-vous pas donné des ailes de pa-
pillon à Psyché, ainsi que le dit la Fable? Croyez-
vous que le papillon que vous avez mis en l'air suffise
pour la faire connaître? Il m'a paru aussi que la tête
de cette divinité charmante n'était pas assez riche en
cheveux.
Pardon nez-moi ma franchise; elle naît de la haute
estime que vos talents m'ont inspirée. Consolez-vous,
vous êtes bien heureux d'être critiqué, c'est signe que
vos ouvrages ont de grandes beautés.
Voilà ce que pense de vos talents un homme qui
ne sait point flatter, et, pour tout dire en deux mots,
un père, un ami.
Salutate da parte mia la vostra stimatissima con-
sorte
Julien de Paume.
A Orléans, cc 21 mars 1788.
Mes affaires, mon cher ami, qui traînent toujours
en longueur malgré le désir bien vif que j'avais de les
est aujourd'hui au Louvre. 11 appartint d'abord à M. Lebrelon, se-
crétaire perpétuel de la classe des beaux-arts, à l'Institut; puis au
général Rapp : c'est à la vente des tableaux du général, en 1822,
qu'il fut acquis par le musée, il a été gravé par Godefroy, par Pra·
'^ier, et lithograpbié par Aubry-Lecomte.
' Saluez de ma part votre très-estimable femme.
^ Girodet, né à Montargis le 5 janvier 1767, élève de David. Il rem- ■
porta le prix en 1789. Le sujet était Joseph reconnu -par ses frères.
On a vu que Gérard avait remporté le deuxième grand prix. Girodet .
/i8 GIRODET.
voir finir bientôt, commencent à me retourner l'âme
à l'envers ; j'en suis réduit, par les maudites difficultés
que j'éprouve, à désespérer d'être de retour à Paris
pour le i" avril. En cas que j'aie le bonheur d'être
reçu, je te prie néanmoins de me rendre le service de
passer au blanc d'œuf simple mon esquisse et ma
figure, dans les endroits seulement qui seront suffi-
samment secs '. Je te les recommande comme les tien-
nes et te prie de les serrer chez toi après le jugement
jusqu'à mon retour. Je ne m'attendais pas à ce nou'
veau sujet de contentement, mais enfin, quand on est
destiné à boire des calices, le plus sage est de les ava-
ler sans grimaces. Dieu veuille m'en donner la force,
ainsi qu'à toi le courage dont tu auras bientôt besoin !
fit à Rome son Sommeil d'Endymion, qu'on voit placé aujourd'hui
au Louvre, et Vilippocrate refusant les présents d'Jrtaxerce. De
retour à Paris, il peignit une Danaé pour M. Gaudin, alors ministre
des finances; puis, pour le roi d'Espagne, quatre tableaux àes Sai-
sons ; puis, pour le château de la Malmaison, en 1801, Fingal et ses
descendants recevant les mânes des guerriers français. Au salon de
1806, Girodet exposa le Déluge. En 1808 parut le tableau des Funé-
railles d'Alala. Le musée de Versailles conserve son Napoléon rece-
vant les clefs de Vienne., ainsi que le tableau de la Révolte du Caire.
11 ne fréquentait pas le monde; d'un caractère ombrageux, il s'iso-
lait volontiers. Il a traduit Virgile, Lucain, Anacréon, Musée. Il
composa, en outre, un poëme en six chants : le Peintre. La riva-
lité qui s'établit entre Girodet et Gérard, au commencement de leurs
succès, les désunit. Leur correspondance, si amicale et si intime,
devient plus froide et cesse tout à fait. Girodet mourut au mois de
décembre 1824, avant la fermeture du salon où il avait exposé ses
dernières œuvres.
' Moyen employé pour vernir provisoirement une peinture qui
n'est pas complètement sèche. Il est ici question du concours prépa-
ratoire pour le prix de Rome.
À
GIRODET. 47
Adieu, mon cher ami, je vais me coucher et pour-
suivre ma route demain, à deux heures du matin.
Ainsi tu ne sauras pas où je vais; tu n'auras que faire
de m'écrire si je suis reçu, puisque cela ne servira
plus de rien. Des respects à M. David, à qui je te prie
de faire entendre la nécessité où je suis de rester,
Compliments à mes camarades, et à toi le bonsoir.
Girodet.
>3.:·
I
Châlillon, du 30 décembre 1789.
Je serais né, mon ami, sous la plus fatale de toutes
les étoiles, si le ciel ne m'avait donné ton amitié.
Conserve-la-moi, elle adoucira l'amertume que le sort
î^e prépare à jeter sur le reste de ma vie. Au mo-
ulent où je t'écris, je viens de me brouiller avec toute
"ia famille. Jeune, sans expérience, et surtout de
bonne foi, j'ai eu la simplicité de croire que des pa-
•'ents étaient des amis nés. Dupe de leurs caresses, il
fallait une épreuve pour me désabuser, et, quoique je
le sois bien véritablement, qu'ils le voient eux-mêmes,
ils ne quittent pas le masque et me témoignent autant
^'amitié qu'avant. Le temps et l'expérience, mon ami,
ilonnent la clef de bien des événemeiits et tiennent
de sagacité à l'âme droite, éloignée de penser
qu'on puisse abuser de sa confiance. Mais, mon ami,
mesure que l'on avance en âge, et que, privé des
/i8 GIRODET.
secours de père et mère , on ne rencontre plus dans
des collatéraux, au lieu de tendres parents, que des
ennemis intéressés, c'est alors que cette généreuse
confiance, caractère distinctif de la jeunesse, s'affai-
blit, s'émousse et se perd entièrement. On ne croit
plus qu'à une amitié bien éprouvée, et il est bien dur
de n'apprendre à connaître la société que pour la mé-
priser, et, par conséquent, pour la fuir. Il vaudrait
beaucoup mieux rester enfant toute la vie. On a beau
dire qu'il faut payer les gens de la même monnaie, ce
sont ceux qui le peuvent qui le disent ; mais il est des
caractères qui ne savent point se plier à des formes
qui leur sont étrangères : ils sont rares, mais ils exis-
tent, et tant pis pour eux.....J'ai, mon ami, autant
besoin de te voir que toi; tout ce que j'ai sous les
yeux me fatigue, et pas un seul objet de délassement,
excepté quand je t'écris. Je crois que si je n'avais pas
d'ami, je m'en supposerais un et j'écrirais à cet être
.imaginaire en faisant moi-même les réponses.....
G.
Cliâtillon, ce 17 janvier 1 "390.
Toujours enchaîné par des obstacles imprévus et
sans cesse renouvelés, j'ai été encore forcé de jeter l'an-
cre. De quelque nécessité qu'il soit pour moi de rester
encore, je n'y puis plus tenir et je pars d'ici le 26 du
courant, lundi, pour arriver mardi soir 26 à Paris.
I ■ ^
II, π
1
GIRODET. 47
Tu peux te fier à ma parole, ma place est retenue au
carrosse, et payée. Je n'ai point été étonné de ne rece-
voir aucune lettre de toi, d'après ce que je t'avais dit;
je n'en ai été que fâché. Ne me donne pas de tes nou-
velles si la lettre ne peut me parvenir avant le a4 du
courant. Si tu ne peux m'écrire le samedi aS avant
midi, pour que ta lettre m'arrive le dimanche 24, ne
m'écris pas. II me semble que je vous entends vous
demander de mes nouvelles, D. ^ et toi, vous regardant
de côté et vous fixant l'un après l'autre. S'il t'a de-
mandé mon adresse, c'est un piège qu'il te tendait
pour savoir si nous étions en correspondance réglée ;
je la lui ai donnée; et, s'il eût voulu m'écrire, il n'a-
'vait que faire de toi pour m'adresser ses lettres. 11 est
fourbe et fourbissirae, mais on le voit venir : dis-lui
que je t'avais promis de t'écrire, que tu vois bien que
je suis un homme sur lequel on ne peut pas comp-
ter, que je t'avais témoigné quelque amitié, mais que,
depuis que j'avais eu besoin de toi pour une commis-
sion, je n'avais pas seulement daigné t'en remercier ni
te répondre; depuis que j'avais eu le prix, je me re-
gardais comme un gros monsieur. Fais-lui beaucoup
de
plaintes de moi, mais d'un air indifférent, et finis
par lui faire beaucoup de compliments sur son talent
et surtout sur son génie. Il ne te sera pas difficile de
l'amener là, et voici, je crois, ce qu'il te répondra s'il
ne soupçonne pas le but. Il commencera par convenir
qu'il a du génie, puis il te dira que tu en as ; il te fera
' David.
-ocr page 55-GIRODET.
beaucoup de compliments; à son tour, il te donnera de
belles espérances, te dira qu'un habile homme trouve
à profiter en copiant des cruches étrusques, te dira
que je n'en veux rien croire et que je n'aime pas
\antique ^ que je suis entêté , que j'ai de l'amour-
[)ropre ; de la critique de mon talent , il passera
à celle de mon caractère; il ira plus loin, et voilà
ce que je désire. Le succès dépend plus de ton
adresse que de ce que j'ai l'air de te prescrire; il finira
par un retour complaisant sur lui-même. Fais-moi
le plaisir de faire cette petite expérience au reçu de
ma lettre ; il serait joli que le succès répondît à ce que
je prévois......
Adieu, ton sincère ami.
G.
t'n
De Rome, le 2 juin 1790.
Je ne puis comprendre, mon cher Gérard, les
motifs de ton silence : il m'est d'autant plus sensible
que je m'y attendais moins et que c'est un vrai besoin
pour mon cœur de partager les peines d'un ami. Je
comptais avoir de tes nouvelles à Bologne, à Milan,
à Florence, et j'arrive ici sans en trouver. Les inquié-
tudes dans lesquelles je t'ai laissé, et qui m'agitaient
moi-même, se sont doublement augmentées, et par
ton silence et par les bruits que j'entends courir.
GIRODET. 47
J'espérais que M. Trioson dont j'ai trouvé une
lettre en arrivant, me tranquilliserait ou me donnerait
des nouvelles quelconques. Je ne te dissimule pas
que j'ai été étonné que tu lui aies donné l'occasion do
m'écrire ce qui suit : « Je n'ai pas vu ton ami depuis
le soir de ton départ : j'en suis d'autant plus surpris
que je l'avais assuré que je verrais M. son père
avec autant de plaisir que d'intérêt; peut-être 1(î
. médecin ordinaire ou le malade n'ont-ils point voulu
de cette consultation. Quoi qu'il en soit, quand ton
ami me conduira chez M. son père, je l'examinerai
avec la plus grande attention et je jugerai de son état
de mon mieux, etc... »
Si tout n'est pas désespéré et que tu aies dans le
docteur Trioson la confiance qu'il mérite et dans mon
amitié celle qu'elle attend de toi, tu ne tarderas pas
a te déterminer.
Ah! mon ami, que je crains de recevoir de tes
lettres ! Ne les diffère pas cependant.
liomc, le 30 juin 1790.
J'ai appris ton malheur mon cher ami, peu de
Jours après la réception de tes deux lettres, qui me
' I-e docteur Trioson, protecteur et père adoptif de Girodet. Il sera
souvent question de lui dans cette cori'espondauce.
A propos de la maladie du père de Gérard.
I-a mort du père de Gérard. Un léger trait, d'après un joli
*=''"quis de Gérard, qui reproduit le profil de son père, a été très-
/i8 GIRODET.
sont parvenues en même temps. Si, comme je crois,
tu connais mon cœur, tu peux juger de la part que
j'y ai prise et du regret que j'ai eu de ne pas m'être
trouvé près de toi dans cette affligeante circonstance :
tu aurais miexix jugé que par ce que je puis te dire,
de mon sincère attachement. Toute juste que soit ta
douleur, songe, mon ami, que la cause en est dans
un événement dont personne n'est exempt et dans
l'ordre inévitable des choses. Cette considération doit
te la faire supporter avec courage et doit, en quelque
façon, en adoucissant tes regrets, t'attacher encore à
ce qui te reste. Songe à ta mère, à tes frères, à ton
talent et à tes amis. Tu es sûr au moins de l'un d'eux.
Je présume que tu as reçu la lettre que je t'ai écrite
d'ici. Le même jour, à ce que je crois, j'avais écrit à
Pajou ' : ainsi j'ai prévenu ton désir. Ce pauvre ami
a la tête bien légère ; il n'a ni force, ni raison : je vou-
drais ne pas être obligé de dire : ni confiance dans
ses amis. S'il nous eût communiqué ce qu'il faisait,
peut-être se serait-il épargné la vilaine démarche
qu'il a été obligé de faire à l'Académie. Cette nou-
velle m'a péniblement affligé, je comptais sur un
finement gravé par M. Rosotto, dans l'œuvre do fiérard. (Vignères et
Rapilly, 18o7.)
^ Pajou, élève de son père, ami et condisciple de Gérard et de
Girodet. Il était fils du sculpteur Pajou, l'auteur des statues de Bos-
suet, de Descartes et de Pascal, qui décorent la salle des séances pu-
bliques à l'Institut, et de plusieurs bustes remarquables, entre autres
celui de M"' Dubarry. Il s'agit, dans cette lettre, d'une insurrection
des élèves contre l'autorité académique, dont nous reparlerons, à
propos des lettres de Pajou le fils, ot de Darde), le sculpteur.
Γ ν
GIRODET. 47
deuxième prix pour lui. Peut-être ne l'aura-t-il jamais
de sa vie s'il continue ainsi : il faut avouer aussi que
son patriotisme, son district et son bonnet de grena-
dier lui ont fait bien du tort.
Je viens d'écrire à Gros, et je le prie aussi de me
donner des nouvelles de l'Académie. Donne-moi des
nouvelles des envois de ces Messieurs.
Et l'assemblée dont D. est président? et la révo-
lution académique, où en est-elle ' ? Observe une autre
fois de dater tes lettres et de mettre l'endroit, l'année
ou au moins le mois, si tu en oublies le quantième,
'le n'ai encore rien fait, je suis sans atelier, et je ne
sais quand l'envie de travailler me viendra : celle de
dormir me tient davantage, et celle de te voir aussi.
Home, ce 21 Juillet 1790.
\
Conte-moi, mon cher ami, conte-moi, et avec toute
I exactitude dont tu es susceptible, comment s'est
passée l'auguste et patriotique Fédération Les
détails que tu m'en donneras me feront sans doute
encore regretter davantage de ne m'y être point
tiOuvé. Ce sentiment que j'ai éprouvé bien vivement
' pavid s était déjà prononcé trcs-éncrgiquement contre l'intlucnce
j''^ncienne Académie.
'le la Fédération eut lieu, au Champ de mars, le 14 juillet
' '^· On sait (ju'elle excita en Franco nn immense enthousiasme.
'M
GIRODET.
a été partagé par tous les Français qui se trouvent
ici, et plusieurs d'entre eux disaient que, s'ils eussent
eu abbasUmza di danaro ils eussent fait le voyage
de France uniquement pour se trouver à cette superbe
fête. Quelque plaisir que tu y prennes, je désire bien
que tu ne voies pas celle qui accompagnera proba-
blement la publication de la Constitution, si le travail
de nos législateurs en recule l'époque, ainsi qu'il
paraît probable, jusqu'à l'année prochaine.
Je n'ai pas encore reçu de réponse de M. David.
D'après ce que les papiers publics disent de lui, je
n'en suis pas étonné; je pense même que, loin d'avoir
du temps de reste pour écrire il n'en a pas même
pour travailler à son tableau de la Révolution
Thévenin et Ansiaux ^ ont écrit à Mérimée ^ : d'après
leurs lettres, c'est toi qu'on attend ; d'après la tienne,
c'est Thévenin...
* Assez d'argent.
2 Girodet veut sans doute parler ici du tableau que David avait
commencé à cette époque, et que l'Assemblée constituante lui avait
commandé -Af^ Serment du Jeu de Paume, qui n'a jamais été achevé.
Une gravure à l'aqua-tinte, faite d'après l'esquisse dessinée de cette
composition, est trop répandue pour ne pas être connue de tous nos
lecteurs.
' Thévenin, élève de Vincent, eut le prix de peinture en 1791, avec
Lafittej le sujet du concours était le Départ de liégulus pour Car-
thage. On a conservé plusieurs tableaux de ce peintre, entre autres
le Passage du mont Saint-Bernard, grande composition placée au-
jourd'hui au musée de Versailles. Ansiaux, élève de Vincent.
' Mérimée, peintre,.élcvede Vincent. Auteur d'un bon ouvrage in-
titulé : de la Peinture à l'huile, et d'un joli tableau, Vlnnocence,
qui a été gravé. Secrétaire perpétuel de l'École des beaux-arts.
Père de M. Prosper Mérimée.
r,6
I : Ί ·;
^ ij '
GIRODET, 57
VII.
De Rome, le 11 αοήι 1790.
Un peu de paresse et mon habitude de dormir
autant le jour que la nuit m'ont empêché, mon ami,
de te répondre par le dernier courrier. Malgré tes
craintes, je ne pourrai jamais me persuader, si c'est
Thévenin qui vient cette année, qu'il l'aura en effet
mérité. Si j'ai le malheur que tu n'aies pas le prix, je
n'en approuve pas moins la résolution où tu es de
remettre la partie à l'année prochaine
Messieurs les pensionnaires sont prêts à faire l'ex-
position d'habitude. Le grand nez a fait un À bel mort
qui, selon le jugement de tous ceux qui l'ont vu, est
de beaucoup supérieur à tout ce qu'il a fait jusqu'à
présent. Le rond et gras Meynier ® a peint un Caton
d'Utique qui n'est pas bien sûr s'il se tuera ou non,
qu'on dit être fameusement brossé. J'ai vu un tableau
de Mérimée représentant deux chasseurs qui rencon-
trent dans un bois le squelette de Milon de Crotone,
dont le bras est resté dans l'arbre : ce tableau a de
l'expression, mais il pourrait en avoir davantage ; il
a beaucoup de finesse de ton, mais l'exécution en est
un peu petite. J'ai vu aussi une Mort de Lucrèce ou
' Voir la Notice.
' Meynier, élève de Vincent. 11 se fit connaître aux divers salons
du temps de l'Empire par un Télémaque fityant l'île de Calijpso, et
un Épaminondas. 11 peignit aussi un plafond dans la galerie des
Antiques, les Lots de Justinien données an monde. I! existe des
tableaux de lui au musée de Versailles.
le Serment de Brutus, par Desmarais qui n'est pas
à beaucoup près sans mérite ; un bas-relief de mon-
sieur Corneille, intime de M. Fab. et qui a beaucoup
de prétention au génie. La Foi, l'Espérance, la Cha-
rité, l'Amour conjugal, l'Amitié, la Religion, la Mort,
la Compassion, la Piété, se donnent rendez-vous pour
pleurer la perte d'un jeune et tendre objet digne d'un
meilleur sort et moissonné au printemps de son âge.
J'ai vu aussi un tableau de Garnier ^ : Phedre, ne
pouvant attendrir Hippoljte, veut se donner la mort;
tableau d'une harmonie vraiment suave et nature,
mais d'une grande faiblesse "ou pour mieux dire
d'une nullité complète d'expression. Je suis étonné
que, dans les détails que tu me donnes de ces
messieurs, tu ne m'aies point parlé de Le Thière
L'aurais-tu oublié, ou bien se serait-il oublié lui-
même ? Il fait cette année un grand tableau que per-
sonne n'a encore vu. Il représente un miracle opéré
par une Sainte, à ce qu'il m'a dit.
En voilà assez, je crois, sur les productions pitto-
» Desmaraisj peintre, eut le prix en 1783, — de l'Institut en 1816.
Mort en 1832.
^ Fabre, grand-prix de peinture en 1787. Sujet du concours :iVa-
buchodonosor fait tuer les enfants de Sédécias. A laissé un Phitoc-
tète dans Vile de Lemnos, musée du Louvre.
' Prix de Rome en 1788. — Mort de Tatius. — De l'Institut eu
1816. Succéda à Ménageot.
^ Le Thière, né à la Guadeloupe, en 1700, fut élève de Descamps,
professeur à l'académie de Rouen ; il remporta le prix de peinture eu
d78S. Son grand tableau de l'Exécution des fils de Junius Brutus
est au musée du Louvre. Le Thière fut nommé, en 180J, directeur de
Rome, y resta jusqu'en 181 S, fut admis à l'Institut en 1818, et mourut
en 1832.
GIRODET. 47
resques. Je vais répondre à tes questions, autant que
le peu que j'ai encore été à portée de voir me le
permettra. Je n'aurais, pas attendu tes reproches sur
mon silence, si j'eusse été plus en état de t'en parler
avec connaissance de cause. Que veux-tu qu'on
puisse avoir observé, quand on a à peine, je ne dis
pas vu, mais aperçu ? Je te l'ai déjà dit : désirer mes
amis, boire, manger et dormir, voilà, en quatre mots,
toute mon existence.
J'ai donc cru voir que l'Italie est un superbe pays,
et beaucoup plus précieux par lui-même et par ses
monuments que par ses tableaux, dont aucun, sans
exception, ne m'a fait autant d'impression que la
Galerie de Rubens. Quand je me serai donné le temps
de voir ceux de ce pays-ci, et que le pont Saint-Ange
sera un peu moins incommode à traverser, je t'en
écrirai plus en détail.
Le muséum du Pape est une collection immense
d'antiques les plus précieux et les plus beaux. Le
Colisée, le temple de la Paix et les ruines du palais
des Empereurs sont des monuments véritablement
^tupendi '.
Quant à la vie que l'on mène ici, elle commence à
devenir assez difficile pour nous. Les coups de cou-
teau, comme tu le présumes, vont toujours leur train,
^n doit rnassaler ' un homme, ces jours-ci, qui a tué
^luatre personnes au Transtevere. On ne peut plus
* Surprenants. *
^ Mazzuolare, assommer à coups de masse ; mode de supplioe en-
••"ro employé à Home à cette époque.
GIRODET.
avoir de passe-ports pour Naples dont on chasse tous
les Français, et ceux qui, chassés de Naples, viennent
à Rome sont forcés d'en sortir. Toute la ville est
remplie d'espions, et les Français doivent agir et
parler avec la plus grande circonspection. On a
arrêté ces jours derniers un abbé français accusé
d'avoir tenu des propos trop libres contre le gouver-
nement. J'ai appris par le courrier d'aujourd'hui que
l'on continuait à débiter toutes sortes de contes sur
notre conduite dans ce pays-ci et notamment sur
moi-même. On a écrit à trois de ces messieurs ' que le
bruit avait couru que nous nous étions mis en tête
d'opérer une révolution, et qu'en qualité dé chef,
j'avais été emprisonné au château Saint-Ange.
Je vais te conter la petite histoire qui a sans doute
servi de canevas au projet de révolution qu'on nous
prête bien gratuitement.
Le soir de la fête de la Saint-Pierre, j'allai avec un
architecte de ces messieurs voir la Girandola au
château Saint-Ange ; environ à une heure de nuit
nous étions à l'entrée du pont où il y avait grande
foule. Un soldat, qui faisait ranger le monde assez
brutalement, me pousse avec violence du milieu de
son fusil, quoique je fusse dans l'impossibilité de
reculer. Je répondis par un solide coup de poing
qui faillit le jeter par terre. 11 revint sur moi et
voulut me saisir au collet, mais je me débarrassai de
' De l'Académie.
' Feu d'artifice.
' Une heure après le coucher du soleil.
il
GIRODET. 47
lui. Alors il appela la troupe à son secours, et dans
l'instant je fus entouré de huit ou dix soldats, dont
l'un, quoique je ne fisse plus la moindre résistance,
me porta sa baïonnette à la figure. J'eus le bonheur
de parer le coup qui alla donner contre le mur, et
j'en fus quitte pour la peur. Cependant je restai au
milieu de ces gens qui avaient croisé et recroisé leurs
fusils autour de moi, jusqu'au moment où un sergent
vint exprès du château pour m'y conduire, et je tra-
versai le pont au milieu d'hommes et de femmes qui
me regardaient sous le chapeau. Arrivés, ces messieurs
se mirent quatre, le sabre nu d'une main et le fusil
de l'autre, à la porte d'entrée, et quatre autres armés
de même autour de moi. Pendant qu'ils me tenaient,
'Is m'empêchaient de mettre les mains dans mes
poches. Cependant je n'avais pas même un canif ni
la volonté de m'en servir. On instruisit du tout
'^I. le gouverneur. Il m'envoya un officier qui par-
lait français et auquel je contai l'aventure et à qui
JG dis mon nom et mes qualités. On me relâcha à
l'heure même et avant que M. Ménageot que mon
camarade avait été chercher, eût eu le temps de me
ti'ouver encore prisonnier; les officiers, à son arrivée,
'^li donnèrent force coups de chapeau, en disant :
' François-Guillaume Ménageot, né à Londres en 1744, fut d'abord
clève delîouclier, puis de Vien. En 1766, il remporta le prix de pein-
ture. Son tableau de Léonard de rinci expirant dans les bras de
François fit fa réputation. En 1787, il fut nommé directeur de
' Koole de Rome, où Girodet le trouva encore en 1790. Membre de
''Institut en 1809. 11 est mort en 1810. Son Léonard de Vinci est au
'«usée de Versailles.
62 GIRODET.
llliislrissinio^ c slalu suOilu l ilassalo, subito l suhilo ' /
Voilà le plus exactement du monde comment cette
aventure s'est passée, et je nç sais quelles sont les
plumes officieuses qui se sont plu à dénaturer les
faits. Dès le lendemain on disait dans tout'Rome
qu'un Français avait voulu s'emparer du château
Saint-Ange et y avait été emprisonné, mais on ne
disait pas qu'il avait été subito rilassato.
Je te remercie, mon ami, des détails que tu me
donnes de la superbe féte Mon frère a été plus
heureux que moi. Il y a été envoyé comme capitaine
de la garde nationale de Clamecy en Nivernois. Je
suis seulement fâché, et sans doute je ne suis pas le
seul, que le Roi ne se soit pas approché de l'autel pa-
triotique et qu'il n'ait prononcé son discours que de
loin, le tout de peur de se mouiller l'escarpin. Je te
prie de ne pas attendre le jugement pourm'écrire, et
surtout de m'écrire immédiatement après, si mon espé-
rance n'est pas trompée. Mande-moi ce que font ces
messieurs de l'atelier. Mes amitiés à Fajou. David a-t-il
commencé son tableau de la Révolution ? Qui a rem-
porté le prix du torse? est-ce Gérard, ou Thé venin,
ou Pajou? J'ai commencé à composer une Mort de
Pjrrhus. C'est un sujet analogue à celui du Marius,
car il fait peur par son regard seulement à des soldats
qui vont le tuer. 11 est tiré de Plutarque. J'en ferai
une esquisse peinte en manière de petit tableau. Je
' Excellence, il (Girodet) a été bien vite relâché, bien vite ! bien
vite !
2 La Fédération.
-ocr page 66-GIHODET. 63
ne la manderai à I). ' que si elle vient passablement..
Ne voulant point qu'on sache ce que je fais tant que je
ne serai pas sur de l'événement, je ne veux pas pren-
dre l'habitude de lui envoyer le croquis dans la lettre.
Ton ami,
G.
VIII.
Rome, 28 septemliie 1790.
Mon ami, plus j'étudie les individus que le hasard,
la faveur, l'opinion ou une sorte de talent ont ras-
semblés avec moi dans le fameux établissement qu'on
appelle Académie royale, de France à Rome, et moins
je sens que je regretterais d'en faire partie si l'une de
ces causes, je ne sais en vérité laquelle, ne m'y avait
planté. Si c'est un abrégé de l'école du monde, il me
semble que les leçons sont ici fort rebutantes : elles
ne changeront point mon être moral, elles n'influe-
ïOnt que sur Thabit ou l'enveloppe.
Je t'assure, mon ami, que c'est avec une joie pro-
fondément sentie que je te vois arriver, puisque tu as
renoncé aux avantages que tu pouvais raisonnable-
ment espérer avec une année de patience. Tu me pro-
cures une année de jouissance de plus que je ne
comptais depuis le jugement rendu. Parmi ces mes-
sieurs, Desmarais est le seul qui ait eu avec moi de la
franchise et des procédés ; j'ai cru devoir le payer de
David.
-ocr page 67-GIRODET. 47
la même monnaie. Je n'ai vu à peu près que lui
seul depuis que je suis ici. David vient de m'écrire : il
a fait porteur de sa lettre un homme qu'il me recom-
mande et qui vient ici pour consacrer ses loisirs aux
muses dont on m'annonce qu'il est favori. Je l'ai pré-
senté à M. Ménageot, qui l'a bien reçu selon la dignité
de son caractère.
David m'annonce ton départ malgré ses instances
pour te faire rester, pour toi, pour lui et pour l'hon-
neur de l'atelier. Ce sont ses termes. Je vois avec
plaisir qu'il te rend justice, quoiqu'un peu plus bas
il me dise que la mort de ton père a été la principale
cause que tu n'as pas fait tout ce que tu pouvais
faire. Il est, me dit-il, du Club des Jacobins, qu'il
paraît affectionner beaucoup
G.
1
Home, ce 18 avril ITJl
Je croyais, mon ami, te faire trouver une lettre
de moi à Turin ; mais, comme je sais à j)eine dans quelle
année je vis, et que j'ignore toujours les jours de la
semaine, j'ai laissé passer celui du courrier. Cepen-
' Cette lettre est adressée à M. Cèi ard, à Marseille. Gérard était
( 11 route pour se rendre à Rome.
' H y a ici une lacune de six mois dans la correspondance des deux
aniis; elle s'explique par le séjour de tiérard à Rome, pendant ce
temps. Cette dernière lettre est adressée à Lyon, après le départ de
Gérard de Rome. (Voir la Notice.)
■ ' f
i\f
GIRODET. 47
dant j'espère que tu trouveras celle-ci à Lyon. J'y
joins une lettre de Pajou qui m'a été remise par Du-
mont dans l'état où tu la vois. J'ai vu Tortoni, et j'ai
appris avec plaisir votre bon voyage jusqu'à Lorette.
Tu trouveras à ton arrivée chez Pajou la lettre que
tu dois porter à M. Trioson, que tu verras certaine-
ment avec plaisir. Tu lui diras que je me porte bien.
Ma santé est toujours la même. Je te prie de n'en rien
dire à personne absolument. J'ai écrit à David ton
départ et ce que tu lui apportais.
La cohue aristocratique ' est arrivée samedi der-
nier. Vous avez dù la rencontrer en chemin. Los
princes et les princesses ont été l'attendre hors de la
porte du Peuple. Le Bernis % le Ménageot et tous les
patriotes de cette force ont été au devant à une quin-
zaine de lieues, et ils sont rentrés comme en triomphe.
Cependant un postillon des tantes chantait machina-
lement, en faisant claquer son fouet : Ο cvux^ ave, spes
iinica : il ne savait pas dire si vrai. Elles ont été se
jeter aux genoux du Pape, qui les a relevées, comme
de raison. 11 a été les voir le lendemain et leur a en-
voyé des présents, et aujourd'hui il les communie de
' L'émigration faisait de rapides progrès. Rome était naturclle-
•"•^nt un des refuges que les mécontents ou les peureux avaient
•^■'oisl. Mesdames, tantes du Roi, parties en février, arrivèrent en
dans la ville Éternelle. Ce départ, qui précéda la fuite du Roi,
provoqua à l'Assemblée constituante une discussion qui aboutit à
loi sur la résidence des fonctionnaires publics cl sur l'émigra-
Le langage de Girodct doit être explique par la situation cri-
"lue où se trouvaient les Français, à Rome, et qui se termina^
•^Offime on le verra i)lus loin, par l'assassinat de Basseville.
Ambassadeur de France à Rome, cardinal et \)oëte.
5
-ocr page 69-GIRODET.
sa main. Tu sais que nous sommes décidément excom-
muniés, et par conséquent l'Église gallicane fait
schisme avec l'Église romaine, et certainement on va
dire ici que le premier effet de cette excommunication
est la juste punition de celui dont la mort fait main-
tenant couler les larmes de toute la France, événe-
ment qui ne doit pas en effet être regardé comme
naturel, quoique le Journal de Paris ait prononcé qu'il
n'y avait aucune trace de poison Lebrun ' te dit
bien des choses, surtout Péquignot Il m'a confié sa
position. Je ne désespère pas qu'il ne s'humanise un
peu. Nous devons dîner ensemble chez M. Giraud au
premier jour. J'ai un véritable besoin de recevoir sou-
vent de tes nouvelles; ne m'écris que deux mots, mais
écris-moi, j'en ai besoin, bien besoin. Adieu, je vous
embrasse tous.
G.
Le roi de Naples est arrivé aujourd'hui avec sa
femme.
* Girodct fait ici allusion à Mirabeau, mort à Paris, le 2 avril
1791.
2 J,-B. ïopino-Lobrun, élève de David. Λ la séance du 21 novenvbrc
1792, David lut une lettre de lui à la Convention nationale, où il dé-
nonçait tous les excès commis par le gouvernement papal contre les
artistes français résidant à Home. Auteur d'un tableau delà mort de
Caïus-Gracc/iîis. Se livra sans réserve à des intrigues politiques pen-
dant les années qui suivirent la terreur. Impliqué dans l'affaire Ce-
racchi, Arena, etc., il fut exécuté en place de Grève, le 31 janvier 1801.
' Péquignot, élève de David. Paysagiste dont Girodet estimait le
talent. Il fut le fidèle compagnon de Girodet dans sa fuite à Naples.
11 resta dans cette dernière ville, où il fit des dessins et des tableaux
qui eurent, à cette époque, un certain succès. 11 finit misérablement
enlSOG ou 1807.
66
GIRODET. 47
Χ.
De Rome, 16 mai ITOl. ji
!
11 faut, mon ami, te déshabituer d'un défaut que
je trouve plus que ridicule, c'est celui d'injurier tes
amis et de concevoir des doutes sur les choses du
monde qui doivent le moins t'en inspirer. Je ne con-
çois pas que tu accuses plutôt l'amitié que l'adminis-
tration des Postes, et que l'ami qui écrit puisse être
trouvé coupable de la négligence d'un commis qui
perd ou qui oublie les lettres. Tortoni se plaint avec
maison des sottises que tu lui écris. Depuis votre départ
il vous a écrit fort exactement. Il est comme un en-
fant; il s'ennuie à mourir, et peu s'en faut qu'il ne
plante là son ambassadeur pour aller vous rejoindre,
ce dont je le détourne tant que je peux. J'ai reçu ta
lettre de Bologne, et je n'ai point reçu celle de Loreto.
viens de t'écrire à Paris, à l'adresse de Pajou, et j'ai
inséré dans cette lettre le portrait de Tortoni que tu
oi'as demandé. Il est assez mal dessiné. Je lui ai donné
l'air vexé et ennuyé qu'il a toujours depuis que vous
^tes partis. Je joins à celle-ci un mot pour M. Trioson,
^ qui tu diras que je me porte bien, que je suis fort
occupé et que tu as vu l'esquisse àllippocrate qui
^rfuse les présents du roi de Perse, dont je dois faire
tableau pour lui. Tu lui diras que tu la trouves
très-bien composée. Péquignot va plus souvent au
1.
68 GIRODET.
café Grec ' qu'il ne vient me voir. La poste va partir.
Je n'ai rien à dire à Pajou. Adieu, je vous embrasse
tous.
G.
XI.
Rome, mai, 17'J1.
Mon ami, j'ai reçu ta lettre de Bologne, et je suis
fort content d'apprendre que vous ayez fait jusque-là
un heureux voyage. Quant à moi, je me porte mieux,
je me suis mis aux bains et au petit lait, qui me font
grand bien. Nous nous voyons, Péquignot et moi, au-
tant que deux hommes bien occupés peuvent le faire.
Ma figure ^ me donne de la tablature, elle n'est pas
encore ébauchée et je commence à être persuadé que
je suis un peu dans la crotte. Il faudra bien en passer
par s'en retirer crotté.
Une autre fois, je ne ferai pas tant le vaillant. Je te
prie aussi de n'en point parler, et de dire que tu ne
sais pas ce que je fais à ceux qui pourraient te le de-
mander. J'ai appris que notre ami Pajou avait été
reçu au prix. Cette nouvelle m'est venue par la voix
de la Renommée.
Informe-toi, je te prie, de la première occasion sùrc
pour me renvoyer mon premier volume àlUstoire
' Le café Grec, Via Condotti, à Rome, est resté le rendez-vous des
artistes, et particulièrement des Français.
^ Son Endymion.
-ocr page 72-GIROnET. 6t)
fomaine^ de Rollin, mon quatorzième volume des
Hommes illuslres de Plutarque, de Dacier; l'estampe
du Pyrrhus, deux paysages de Poussin et mes Étrus-
ques. 11 y a aussi, chez M. Trioson, un portefeuille
d'estampes à moi. Tu y prendras les meilleures et cel-
les que tu jugeras pouvoir m'étre utiles, et tu me les
enverras. — Je te prie de dire beaucoup de bien de
moi à M"' C, — Les oeuvres de Cagliostro ont été
brûlées par la main du bourreau avec les ustensiles
des francs-maçons. Lui-même a été conduit hors de
I^ome à sa prison perpétuelle, où l'on dit qu'il ne
vivra pas longtemps ; peut-être est-il déjà mort
Adieu, ton ami.
De Rome, le lî juillet 1791.
Je ne puis, mon ami, qu'être infiniment flatté des
progrès que je fais dans ton estime. Il est bien clair
qu'il est de toute impossibilité que la poste soit mal
servie. Il est bien plus probable que j'ai voulu t'en
faire accroire et que j'ai voulu accuser la négligence
des courriers pour cacher la mienne propre. Oh!
j'avoue qu'il faut être sot, comme je le suis, pour
a'voir essayé de faire amler aux gens de. semblables
ë^njons.
Cagliostro ne mourut qu'en 179S, au château de San-Lco, près
»imini, où il avait été inrarcéré.
Ayant eu à répondre à trois lettres de Pajou, je
lui ai écrit, ou du moins je crois lui avoir écrit
par le dernier courrier. Si la lettre arrive, ce sera
un goujon de moins ; si celle que je t'écris actuel-
lement ne te parvient pas ou te parvient trop tard,
alors, dans la première que je t'écrirai, suppose
qu'elle ne souffre point de délai. Cela sera véritable-
ment un bien beau goujon. Je t'engage, mon ami,
à raisonner un peu moins goujon et à ne pas pren-
dre les vrais amis pour des goujons; — c'est par
trop goujon.
J'ai écrit à Pajou quelques détails qu'il te commu-
niquera. Notre situation a été affreuse toute cette
semaine ; mais le courrier, qui pour le coup n'appor-
tait pas de goujons, nous a rassurés Mais que la
nouvelle qu'il nous apportait n'a pas fait le même
effet sur l'aristocratie! Sa Sainteté voudrait n'avoir
pas écrit de lettre au roi. Le gouverneur avait résolu
de chasser tous les pensionnaires et tous les Français
soupçonnés patriotes; il est fort inquiet. Les bourgeois
croient qu'on nous trompe et que nous avalons un
gros goujon; ils refusent de croire à la nouvelle :
Non è possibile, non è vero, ohibo^\ est le refrain de
beaucoup de personnes. Le peuple la croit davantage
1 II s'agit ici de la nouvelle que le courrier portait de l'arrestation
du Roi à Varennes. Avant cet événement, la position des Français
réputés patriotes, résidant à Rome, avait été compromise par les
menées de quelques émigrés, à propos de la fuite du Roi, et qui
croyaient à une réaction prochaine. La nouvelle du retour du Roi
dans Paris vint changer la face des choses.
^ Cela tCest pas possible, cela n'est pas vrai, allons donc!
Jfe
GIRODET. 47
et plaisante le povero Re. En général, on voit beaucoup
de figures allongées.
Quant aux choses superbes que tu attends de mon
talent ainsi que de mes lauriers qui bourgeonnent^ j'a-
voue que ma modestie n'en est point inquiétée ; mais,
comme mon mérite et ma gloire ne m'ont point em-
pêché de sentir mon peu de facilité pour peindre, j'ai
imaginé de mêler dans mes couleurs suffisamment
d'huile d'olive pour que ma grande figure qui est
peinte depuis six semaines, et la petite depuis quinze
jours I, soient aussi fraîches que si je venais de les
achever; de sorte qu'elles sont, depuis le toupet jus-
qu'aux talons, toutes deux à recommencer. De plus,
'1 n'y a absolument rien de fait dans mon fond, et je
change tous les jours. Les nouvelles inquiétantes qui
Sont venues m'ont fait laisser tout cela une douzaine
de jours; la joie de voir nos craintes dissipées a pro-
duit le même effet, et je suis bien incertain si je con-
tinuerai.
Il y a huit jours, d'ailleurs, je croyais bien te revoir
sous peu, car j'ai écrit au docteur ^ que j'étais bien
déterminé à ne point le laisser seul dans l'incertitude
des événements, et je l'eusse certainement rejoint si
les affaires eussent tourné comme je le craignais.
Fais entendre à David que ma figure m'empêche
Actuellement de m'occuper de ses dessins, mais d'ici
un mois ou cinq semaines je m'y remets et ne lâ-
cherai que quand tous seront terminés. Tu m'avais
' Les deux figures qui composent le tableau d'Endymion.
' Trioson.
-ocr page 75-72 GIRODET.
promis un croquis de sa composition du Serment du
jeu de paume. Dis-lui bien des choses de ma part, je
tâcherai de lui écrire sous peu. Vicar ' est à Florence,
voilà tout ce que j'en sais; Lebrun se Miche'langise;
il te remercie de son souvenir. Je suis charmé que tu
aies reçu le portrait de Tortoni, il est singulier que lu
ne l'aies pas reçu plus tôt. Ce n'est qu'un demi-
goujon. Quant à celui de ta jolie cousine, je le ferai
aussi avec beaucoup de plaisir. Tu aurais bien dù me
dire au moins le nom de M. son père, car elle n'est
sans doute pas connue à Rome sous le nom de cousine
de M. Gérard.
J'envoie par le même courrier une petite boîte
d'onguent à Pajou. Je vous embrasse tous. C'est de-
main grande fête mande-moi ce qui s'y sera passé.
Adieu, sois prompt et exact.
Ton ami,
G. 3.
XIII.
Paris, ce 23 Horéal, an VIII (13 mai 1800).
Bélisaire est resté bien longtemps aveugle. Je dois
donc le féliciter d'avoir recouvré la vue et de pouvoir
enfin s'assurer qu'Endymion ne pouvait être réveillé
< Vicar, fondateur du musée de Lille.
' Anniversaire de la prise de la Bastille.
' Ici se terminent les lettres écrites de Rome par Girodet. On verra
plus loin, par la lettre de M. Trioson, et par celle que Girodet
adressa, de Naples, à son protecteur, comment il fut obligé de quit-
ter cette ville.
GIRODET. 47
que par le premier baiser de l'Amour. Mais je con-
seille à cet Amour de quitter ses ailes lorsqu'il jouera
le rôle de l'Amitié.
Endymion.
XIV.
P-iris, vers 1820.
J'ai vainement espéré, mon cher Gérard, pouvoir
disposer d'un moment pour aller t'inviter moi-même
à venir jeter un coup d'œil sur le tableau qui m'a
occupé jusqu'à ce moment. J'aurais voulu laisser le
jour et l'heure à ton choix, mais le temps m'a man-
qué absolument. Je désire i)ien vivement que tu
puisses disposer d'un instant demain matin avant
l'heure où je cesse d'être libre. Si donc, sur les
onze heures ou midi, tes arrangements de la journée
te permettaient de me consacrer quelques minutes,
tu ferais un sensible plaisir à ton camarade et ami '.
Girodet-Trioson.
' Ces deux billets, datés de Paris, témoignent, l'un du goût tant
soit peu prétentieux du peintre A'Atala, l'autre de la froideur que
celui-ci commençait à mettre dans ses rapports avec son ami Gérard.
74 TRIOSON.
Au Bourgouin, prts MonUrgis, 29 pluviôse Π93.
Girodet est votre ami, et je crois avoir remarqué
que vous lui êtes véritablement attaché; vous pouvez,
si ce malheureux jeune homme existe encore, lui
rendre un grand service et peut-être lui sauver la
vie en m'aidant à lui procurer le secours dont il a
besoin.
Les deux dernières lettres que j'ai reçues de lui
m'ont jeté dans la plus grande inquiétude. Je n'en ai
pas reçu depuis celle que vous trouverez ci-jointe,
où vous verrez que son état est toujours très-grave.
Dans la précédente, il me marquait qu'ayant refusé
tout serment contraire à ce qu'il doit à son pays et
bien décidé à mourir républicain et attaché à la Répu-
blique française une et indivisible, il était souvent
visité par des officiers de police pour l'engager à
quitter l'État de Naples aussitôt qu'il serait jugé
transportable ; qu'il n'y resterait pas une heure après
que le médecin qui lui donne des soins lui dira qu'il
peut s'embarquer sans risquer de renouveler ses acci-
dents. Il m'observe qu'il est absolument sans un sol,
n'ayant plus la faculté de prendre cent cinquante
hvres dont je l'avais fait accréditer tous les mois chez
M. Meuricoffre, banquier à Naples, ledit Meuricoffre,
' Nous avons inséré celte lettre du docteur Trioson pour conduire
la relation aussi loin qu'il était possible.
TRIOSON. 75
persécuté lui-même, ayant quitté Naples et s'étant
retiré à Genève. A la réception de sa lettre, j'ai tâché
de trouver à Paris un banquier qui pût lui faire
passer par la voie de Gênes, ainsi qu'il me l'indique,
l'argent dont il a besoin, tant pour se faire soigner
que pour revenir, et je n'ai trouvé personne qui
voulût se charger de cette traite, probablement dans
la crainte de se compromettre ou qu'il fût question
de quelque émigré. Jugez, citoyen, dans quelle si-
tuation affreuse se trouve votre pauvre ami! Éloigné
de trois cents lieues de ses parents, dans un pays
dont on le presse de partir, mourant, sans ar-
gent, peut-être accablé de dettes et ne sachant où
aller.
Je vous supplie, au nom de l'amitié, de vous joindre
à moi, de venir à son secours, et d'obtenir pour
Girodet un peu d'intérêt de la part de son maître le
citoyen David, à qui il a écrit plusieurs fois et à qui
j'étais chargé de remettre une lettre qui ne m'est pas
parvenue, car il paraît que, sur quatre lettres qu'il
m'écrit, à peine en reçois-je une. 11 serait question
d'obtenir promptement une permission du Comité
de salut public ou une autorisation pour un banquier
quelconque de faire passer des fonds à Girodet par la
"Voie de Gênes, et de la manière dont il l'indique
dans la lettre ci-jointe. J'aurais bien écrit directe-
ment au citoyen David, qui doit cette protection à
Un de ses élèves qui lui est le plus attaché, mais ma
femme et moi avons l'expérience qu'il ne répond pas,
fit vous êtes plus à portée de rehausser son intérêt
76 TRIOSON.
pour votre ami et de prendre ses moments de loisir
pour lui parler d'une affaire que vous concevrez ne
devoir pas traîner. 11 y a trop longtemps que ce
malheureux souffre de maladie et de pénurie.
Je compte, citoyen, que vous m'accuserez récep-
tion de celle-ci, et que vous me direz ce que je dois
faire et quel parti vous aurez imaginé pour faire
passer promptement h Girodet les fonds dont il a un
si pressant besoin. Je partagerai toute sa reconnais-
sance.
Adieu, citoyen, je vous remercie d'avance. Agréez
le tendre souvenir de ma femme pour vous et pour
voire jeune moitié. Dites bien des choses honnêtes
pour moi au citoyen David. Je compte sur son amitié
pour Girodet.
Salut et fraternité,
Trîoson.
LETTRE DE GIRODET A M. TRIOSON
Naples, le 19 janvier 1793.
Mon ami, je ne doute point que, jusqu'au moment
où vous recevrez cette lettre, vous ne soyez dans
une grande inquiétude à mon égard. C'est pour la
faire cesser que je m'empresse de vous écrire. Je
' Nous avons jugé nécessaire pour l'intelligence de la corres-
pondance, à propos de Girodet, de donner ici cette lettre adressée de
Naples à M. Trioson. Cette lettre ne fait pas partie de la collection et
a été publiée dans la Notice de M. Couj)in.
B&
TRIOSON. 77
vis et me [)orte bien, après avoir vu la mort d'assez
près. Je suis arrivé ici absolument dénué de tout :
sans linge, sans habits, sans argent. Tous mes effets
sont restés à l'Académie, où le gouvernement a fait
apposer les scellés après y avoir provoqué le meurtre
et l'incendie. Voici en peu de mots ce qui s'est passé.
Sur le refus du pape de laisser placer à la maison
du consul de France les armes de la République, Bas-
seville, son agent à la cour de Rome, nous engagea
à partir tous pour Naples. Dix de mes camarades
partirent sur-le-champ. Ayant plus d'affaires à termi-
ner, je restai dix jours de plus; si je fusse parti, je
n'eusse couru aucun risque. Mais à cet instant
même le major de la division, Latouche, arrive à
Rome, chargé par Mackau, ministre à Naples, de faire
placer les armes*. J'avais demandé à faire celles qui
devaient servir pour l'Académie, et chacun le dési-
rait. Je crus de mon devoir de rester pour les faire;
en un jour et une nuit elles furent prêtes. J'étais
iiidé par trois de mes camarades. Nous n'étions plus
411e quatre à l'Académie, et nous avions encore le
pinceau à la main quand le peuple furieux s'y porta,
et en un instant réduisit en poudre les fenêtres, vi-
ti'es, portes, ainsi que les statues des escaliers et des
'ippartements. Ils n'avaient que vingt marches à mon-
ter pour nous assassiner ; nous les prévînmes en al-
lant au-devant d'eux. Ces misérables étaient si achar-
nés à détruire qu'ils ne nous aperçurent même pas.
Écusson peint des armes de la République française.
-ocr page 81-78 TRIOSON.
Mais des soldats, presque aussi bourreaux que les
bandits que nous avions à craindre, loin de s'opposer
à eux, nous firent descendre plus de cent marches
à grands coups de crosse de fusil jusque dans la rue,
' où nous nous trouvâmes abandonnés et sans secours
au milieu de cette populace altérée de notre sang.
Heureusement encore ces bourrades de soldats firent
croire à la populace que nous faisions partie d'elle-
même, mais quelques-uns nous reconnurent. Un de
mes camarades fut poursuivi à coups de pavé, moi à
coups de couteau. Des rues détournées et notre sang-
froid nous sauvèrent. Échappé à ce danger et croyant
les prévenir tous, j'allai me jeter dans un autre. Je
courus chez Basseville; dans ce moment même on
l'assassinait. Le major, la femme de Basseville et
Moutte le banquier se sauvent par miracle. Je me
jette dans une maison italienne à deux pas de là, et
j'y reste jusqu'à la nuit. J'ai l'audace de retourner à
l'Académie, qui était devenue le palais de Priam. On
se préparait à briser les portes à coups de hache et
à mettre le feu. Là, je fus reconnu dans la foule
par un de mes modèles. Il faillit me perdre par le
transport de joie qu'il eut de me voir sauvé. Je lui
serrai énergiquement la main pour toute réponse, et
nous nous ai rachâmes de ce lieu. Je retrouvai, après
l'avoir cherché quelque temps, un de mes camarades.
Mon bon modèle nous donna l'hospitalité chez lui,
d'où je l'envoyai plusieurs fois à l'Académie. 11 y vit
enfoncer et brûler les portes. On lui fit crier : « Vive
le pape! vive la Madone! périssent les Français! »
'1 "i
' i
I i!
TRIOSON. 79
Et il revint nous rendre fidèlement compte de tout.
Pendant ce temps-là, nous allâmes à deux pas de
chez lui, sur la Trinité-du-Mont, d'où nous enten-
dions distinctement les hurlements de ces barbares.
Nous passâmes la nuit chez ce brave homme, qui
eut pour nous les meilleurs procédés, et deux heures
avant le jour nous prîmes la fuite. 11 voulut nous
accompagner une partie du chemin; mais enfin il
fallut se séparer, et nos larmes se confondirent. Je
n'oublierai jamais les services qu'il m'a rendus.
Nous marchâmes deux jours à pied et ne trou-
vâmes sur la route que différents motifs d'inquié-
tude. A Albano, on refusa de nous louer une calèche :
nous n'en pûmes trouver qu'à Velletri, où on nous
fit bien payer la nécessité où nous étions de nous en
servir. Dans les Marais-Pontins, forcés par le temps
le plus horrible de nous réfugier dans une écurie, on
délibéra de nous massacrer pour avoir nos dépouilles.
Un de ces scélérats, moins scélérat que les autres,
fit réflexion qu'elles n'en valaient pas la peine. Ce
fut le dernier danger que nous courûmes.
Hors des États du pape, nous fûmes véritablement
traités en amis, le roi de Naples ayant donné les ordres
les plus positifs de protéger tous les Français qui se
réfugieraient dans ses États. En arrivant ici (à Na-
je descendis chez le citoyen Mackau, que j'in-
formai de ces détails et de ma position. Là, j'appris
tout ce qui s'était passé à Rome : la mort de Basse·
^ille, celle de deux Français massacrés place Colonne ;
le secrétaire de Basseville dangereusement blessé,
80 DARDEL.
ainsi qu'un domestique de l'Académie ; le feu mis au
quartier des Juifs, la maison de Torlonia et la porte
de France assaillies de pierres ·, les palais d'Espagne,
de Farnèse, de Malte et autres menacés. Torlonia est
ici ; il faut que je le voie, car je suis absolument à sec.
J'ai laissé chez moi quatre-vingts écus romains en ar-
gent, que je regarde comme perdus ainsi que tous mes
effets. Votre \dih\ea\i(\'Hippocraté) ' était heureusement
enlevé et en caisse : je vais écrire pour le faire venir®.
Paris, 12 diceiiibre 1790.
Mon ami.
Je souhaite qu'à la réception de ma lettre votre fa-
mille soit, ainsi que vous, en bonne santé. Je vous
aurais écrit plus tôt, n'était l'incertitude sur l'instant
de votre départ, car la maladie de votre père m'in-
quiétait beaucoup, non pour lui personnellement,
puisque vous me mandiez que sa maladie prenait un
bon cours, mais pour le petit Alexandre et pour ma-
1 L'Hippocrate a été donné i)ar M. Trioson à l'École de méde-
cine de Paris.
2 Aiircs son séjour à Naples, Girodet gagna la haute Italie, Flo-
rence, Venise, Gènes, où il rencontra Gros. 11 laissa celui-ci conti-
nuer ses voyages à la suite de l'armée française, et revint à Paris
à la fin de Π9ο.
3 Dardel, statuaire, ami de Gérard et de Girodet. Il est resté pres-
(lue inconnu, est mort pauvre, dans les premières années de la Res-
tauration , soutenu et assisté par Gérard.
M
-ocr page 84-DARDEL. 81
clame votre mère surtout. Mais la lettre que vous avez
écrite à Pajou m'a tranquillisé à cet égard.
Je vais vous rendre compte de notre insurrection
académique'. A peine fûtes-vous parti que MM. Va-
lette et Pajou se donnèrent un mal infini pour réunir
•es jeunes gens de l'Académie. A force de persévérance,
ils finirent par les engager à se réunir chez M, Dubois,
qui n'a cessé de montrer le plus grand zèle pour faire
réussir le projet de demander à l'Assemblée na-
tionale l'abolition de l'Académie. Après plusieurs
lectures du plan, faites chez M. Dubois, où nous nous
réunîmes jusqu'à trente, nous arrêtâmes de députer
dans plusieurs ateliers et à l'Académie Pajou, qui y
lut un extrait du plan d'organisation qu'on se propo-
sait de faire adopter aux élèves. On laissa même dans
•es ateliers un projet de cet extrait. Cette lecture fut
goûtée des jeunes gens qui promirent de se rendre à
l'archevêché, dans la salle Saint-Nicolas, lieu où on les
Engageait à se réunir. Vous jugez si cette démarche
' L'Académie royale de peinture et de sculpture était, avant la
'évolution, basée sur les réserves d'un parti pris très-exclusif. Elle
décidé que ses associés seuls auraient le droit à'exposer leurs
Ouvres. En outre, aucun artiste, hors de l'Académie royale, ne
pouvait espérer de part dans la dispensation des travaux du gouver-
nement. On ne sera donc pas surpris si, en œ temps de trouble et
d effervescence que la révolution souleva, et au milieu des espé-
'■ances qu'elle fit entrevoir, il se manifesta parmi les artistes un mou-
vement trôs-vif d'opposition. Les professeurs, les membres et les
®oréés de l'Académie étaient eux-mêmes divisés d'opinion. David, le
plus influent parmi les premiers, accueillit favorablement les di-
verses pétitions rédigées par les élèves et les appuya. En 1792, David,
devenu député à la Convention nationale, fit supprimer le directeur
^^ l'Académie, puis l'Académie elle-même.
82 DARDEL.
iBi;
Hi 1 .
m;
jeta l'alarme au milieu des aristocrates de l'Académie.
Ceux-ci eurent vent des projets de là députation et la
surveillèrent. A peine les députés furent-ils sortis des
ateliers des sieurs Vincent ' et Regnault', que le pre-
mier s'empara de la copie de l'extrait qui avait été lu
et fit avertir en hâte M, Pajou^ pour lui faire part de
l'attentat inouï des élèves. On me dépeignit comme un
homme envenimé contre l'Académie, qui joignait à
une ambition sans bornes un talent très-médiocre el
par-dessus tout une mauvaise tête. Plusieurs autres
défendirent à leurs élèves de se trouver à l'assemblée,
sous peine d'être chassés. Enfin le jour désigné pour
la réunion de l'archevêché arriva, et le sieur Théve-
nin, que Pajou avait en vain sollicité de venir chez
moi prendre connaissance du plan qu'on devait sou-
mettre aux jeunes gens; le sieur Thévenin, dis-je, soit
de son propre mouvement, soit qu'il y fût poussé par
une influence étrangère, s'y rendit, mais dans l'espé-
rance d'empêcher l'assemblée de s'organiser. M'aper-
cevant dès le premier instant de son intention, je ju-
geai que, si l'assemblée se constituait Commune des
' Vincent, professeur à l'Académie de peinture, auteur d'un beau
tableau exposé en 1779 : le Président Molé saisi par les factieux.
2 J.-B. Regnault, ne à Paris en 1754. Élève de Bardln, 11 suivit son
maître à Rome. A son retour, 11 concourut pour le grand prix et l'ob-
tint en 1776. Le sujet était Diogène et Alefcandre. Agrée de l'Aca-
démie en 1782, il fut reçu académicien l'année suivante. Son tableau
de réception fut Y Éducation d'Achille, exposé aujourd'hui au Louvre
dans la salle des Sept-Chemlnées. Membre de l'Institut en 1793, son
atelier était très-fréquenté par les élèves. Il est mort à Paris en 1829.
Il fut remplacé à l'Institut par M. Heim.
' Le père.
■"il Îï f
t
DARDEL. 83
élèves, il était à craindre que les académiciens ne par-
vinssent à engager ceux-ci à faire scission, je fis tous
mes efforts pour engager l'assemblée à se constituer
immédiatement. C'est ce qu'elle fit, malgré tous les
efforts du sieur Thévenin pour l'en empêdier.
A la séance suivante, M. Thévenin arriva avec un
très-long discours et voulut prouver aux jeunes gens
qu'ils étaient incapables de faire un plan d'organisa-
tion ; en conséquence, il les invitait à s'en rapporter
entièrement à leurs maîtres, qui savaient beaucoup
"lieux qu'eux ce qui leur était convenable. Je de-
mandai la parole pour répondre, mais on m'interrom-
pit par un bruit horrible, et il me fut impossible de
me faire entendre. Le sieur Thévenin profita du tu-
multe et disparut. Aussitôt trente-deux membres de
l'assemblée demandèrent à grands cris leur radiation
du
registre, espérant par là provoquer la dissolution
de l'assemblée, qui eût été dissoute en effet si elle ne
se fut constituée Commune des élèves. Mais l'Académie,
o'ayant pu parvenir à dissoudre l'assemblée de la
Commune des arts, n'a pas, pour cela, perdu l'espé-
i"ance de l'empêcher de finir son travail. Elle sème la
<iivision dans son sein et est même parvenue à faire
•"^jeter par une très-grande majorité tous projets d'é-
coles publiques. Beaucoup de membres delà Commune
prétendent, eu effet, que toute instruction publique
^st contraire au progrès des arts, et qu'un muséum
bien organisé doit suffire pour produire de grands ar-
tistes.
Nous n'avons cependant pas perdu l'espoir de ra-
-ocr page 87-84 DARDEL.
mener ceux-ci à des idées plus raisonnables, et nous
continuons de nous réunir pour terminer notre tra-
vail. Pajou vous donnera quelques détails à ce sujet.
II serait à souhaiter que les pensionnaires et les autres
artistes français qui sont à Rome se réunissent pour
faire une pétition dans laquelle ils demanderaient à
l'Assemblée nationale l'abolition de toute ligne de dé-
marcation entre les artistes, autre que celle du talent,
laquelle se trace bien mieux dans une exposition gé-
nérale que par des distinctions personnelles.
Je ne vous dirai rien des affaires publiques, si ce
n'est que le héros des deux mondes ' n'est plus estimé
qu'à sa juste valeur.
Je reviens à vous pour vous quereller sur vos crain-
tes et vous encourager sur le parti que vous avez pris
de surmonter tous les obstacles. J'ose vous assurer
que vous n'avez qu'à vouloir, mais vouloir fortement,
pour vous mettre, comme artiste, au niveau de la
révolution (je dis comme artiste).
Je vous engage donc à vous entretenir plus souvent
avec les anciens Romains qu'avec les modernes.
Adieu, mon ami, portez-vous bien ; embrassez mille
fois madame votre mère pour moi et pour mon épouse. |
MIVT. Valette, Gros, Jourdain et mon beau-frère me |
chargent de vous faire leurs compliments. Quand vous |
verrez Mérimée, souhaitez-lui de ma part une bonne |
santé. *
Votre ami,
Dardel.
' La Favette.
1
s
1
il ;
PAJOU. 85
Paris, 28 février 1"91.
Je suis à peine revenu de ma surprise; comment!
"ion ami, quoique tu sois artiste, tu quittes Rome^ !
Je conviens qu'il te serait difficile de vivre longtemps
éloigné de ta mère ; j'admire les sentiments qui te font
iibandonner tes plus chers intérêts pour tes parents ;
mais, pour moi, l'espoir de te revoir bientôt ne m'em-
pêche pas de regretter celui que j'avais de passer quel-
<ïue temps à Rome avec toi. Réfléchis bien, mon ami,
^ ce que tu vas faire, car, d'après ce que tu m'as dit
^e ce pays, je crois qu'on ne doit pas seulement son-
ger aux sots qui vous environnent, mais aux belles
choses dont on est entouré, et dont on jouit d'autant
ii'eux qu'on a moins de distractions. Je t'avouerai que
je nie faisais une agréable perspective de méditer avec
sur ces belles choses, mais je vois que je ne suis
P'is fait pour être heureux. Si tu ne restes pas à Rome,
^uel motif pourra alors m'engager à y aller, étant
privé de ce qui pouvait m'en faire chérir le séjour ?
CiOis-tu, d'ailleurs, que ta mère ne serait pas à Paris
suffisamment entourée d'amis qui en prendraient soin
^tte donneraient de ses nouvelles? Réfléchis bien, te
' Voir les lettres de Girodet.
' Voir la notice sur Gérard.
80 PAJOU.
dis-je, à ce que tu vas faire : notre bonheur commun
y est attaché.
Mande-moi le plus tôt possible tout ce dont tu au-
ras besoin ici, si tu ne changes pas d'avis, et dis-moi
ce à quoi je pourrai être utile à ta mère, soit pour son
logement, soit pour ton atelier. Le local auquel tu
veux mettre 3oo livres doit-il te servir de logement
et d'atelier en même temps? car je crois que l'on
pourrait avoir pour cette somme un très-bon local
pour atelier et passable comme logement. Je désire
savoir tes intentions avant de rien arrêter. Fais bien
tes réflexions, car je présume que si ta mère venait à
s'acclimater d'ici à quelque temps, tu changerais d'a-
vis, ce qui me ferait grand plaisir, espérant t'aller re-
joindre de quelque façon que les choses s'arran-
gent ici *
Adieu,
PAJOU.
Dauiy, près Sedan, le « octobre, l'an ] de la République français» (1792).
Mon ami,
Bien que tu m'aies recommandé de t'écrire souvent,
il ne m'a pas été possible de le faire depuis la let-
1 Pendant cette même année et durant le séjour de Gérard à Rome,
Pajou écrivit plusieurs autres lettres à son ami. Celle dont parle
Dardel, où il est question de querelles académiques, fut saisie par
le gouvernement romain. Pajou explique à Gérard, dans une autre
lettre eten peu de mots, les motifs du différend. C'est à peu de chose
PAJOU. 87
tre que je t'ai envoyée du camp de la Lune, car de-
puis ce temps nous n'avons cessé de camper et de
décamper; tout cela par un temps exécrable, des che-
mins affreux et des terres labourées pleines d'eau. A
Savigny, nous avons eu une alerte pendant la nuit;
nous sommes sortis à la hâte de nos tentes, et nous
avons été une bonne heure rangés en bataille, la
pluie sur le corps, attendant l'ennemi. Enfin nous
vivons su que c'était une fausse alerte causée par l'im-
prudence d'un imbécile de volontaire qui avait tiré
sur une patrouille de hussards français. Après cet ex-
ploit, nous sommes rentrés dans nos tentes, où nous
avons dormi comme on peut le faire quand on est
mouillé jusqu'aux os. On a levé le camp à cinq heu-
''es du matin, et, les chariots étant restés embourbés,
iious sommes restés trois jours sans tentes, de sorte
qu'il nous a fallu coucher en plein air. Indépendam-
ment de cela, nous étions obligés, tout le long du che-
de sauter des fossés pleins d'eau de trois pieds
de large que nous trouvions à chaque bout de champ,
près la répétition de la lettre de Dardel que nous avons publiée en
entier.
L'année suivante, Pajou, cédant au courant qui emporta une partie
la jeunesse française (déclaration de la patrie en danger), s'en-
pgea comme volontaire et partit pour l'armée de Dumouriez. Ses
lettres, écrites des camps et des places fortes occupés par son corps,
animées des meilleurs sentiments et indiquent une franchise
pleine de naïveté, mais elles se repètent presque toutes. Nous n'en
sonnons qu'une seule.
Cette lettre a été écrite pendant la grande manœuvre de l'armée
rançaise dans la forêt de l'Argonne, où Dumouriez coupa aux
^■^mées coalisées de Prusse et d'Autriche, aidées des émigrés, la route
Chàlons et de Paris.
88 PAJOU.
ce qui a beaucoup ajouté à notre fatigue, puisqu'il
fallait sauter avec le sac sur le clos et le fusil sur
l'épaule. Mais je n'ai jamais eu tant de mal que sur la
route de Savigny au village où je suis. J'y ai eu les
pieds tellement écorchés par le sable et l'eau qui en-
traient dans mes souliers, que je fus obligé de me
mettre sur un chariot où j'ai eu un grand froid. J'y ai
pris le ft-isson et la fièvre. Heureusement qu'en arri-
vant je fus logé chez de braves gens qui prirent bien
soin de moi. Actuellement cela va bien. Je ne regret-
terais pas toutes mes peines si nous pouvions venir à
bout des émigrés. Partout où j'ai passé j'ai vu des preu-
ves non équivoques de leur barbarie : des villages en-
tièrement pillés et brûlés. Je t'assure que j'aimerais
beaucoup mieux les voir en face.
Enfin, si j'ai du mal, mon amour-propre est satis-
fait si je puis être utile à quelque chose pour le salut
de ma patrie.
Donne moi des nouvelles de ta bonne mère, de
tes frères, de tout ce qui t'intéresse, sans oublier la
bonne Laville; cette pauvre fille m'a déchiré le cœur
quand je fus lui faire mes adieux. Enfin le sort en est
jeté.
Adieu, je t'embrasse de tout mon cœur et je serai
toujours ton sincère ami,
Pajou.
ι
DEVIENNE. 89
De Tirleraont, l'an I (le la RépubIique-1792, le 3 décembre.
Votre dernière lettre m'a trouvé dans la belle et
riche ville de Bruxelles, où nous avons séjourné quatre
ou cinq jours et où nous sommes entrés comme chez
nous. Notre avant-garde en avait chassé l'ennemi.
Nous sommes arrivés sur le champ de bataille comme
le combat finissait. Il n'en fut pas de même à Mons,
ou nous arrivâmes au contraire comme il commençait,
et où nous fûmes placés tout en arrivant derrière xme
de nos batteries , sur laquelle l'ennemi tirait sans
cesse. Plus de deux cents boulets nous passèrent par-
dessus la tête, et, pendant plus de quatre heures que
nous y fûmes exposés, ils ne nous tuèrent'qu'un seul
homme et n'en blessèrent que quatre. Enfin, quand
nous approchâmes de la ville, la cavalerie ennemie fit
nn mouvement pour venir sur nous, sans apercevoir
quatre pièces de canon qui étaient derrière nous, et
«lui leur firent rebrousser chemin, non sans laisser un
gfand nombre des leurs sur la place. Nos dragons
achevèrent bientôt de les mettre en fuite. Nous fûmes
ensuite nous emparer des redoutes qui dominent la
ville et que l'ennemi venait de quitter. Nous couchâ-
' Élève de David, engagé volontaire comme l'ajou. Cette lettre est
•écrite peu de temps après la bataille de Jcmmapes et l'entrée des
Français en Belgique.
yo DEVIENNE.
mes au bivouac, c'est-à-dire sur la terre, sans tentes
ni paille (ainsi que nous avons fait plus de vingt fois
depuis). Depuis notre départ deMaubeuge, nous avons
toujours vécu dans l'ignorance complète de ce qui se
passe à Paris. Arrivés à Tirlemont, j'ai vu, dans un
journal qui m'est tombé sous la main, une lettre du
Conseil exécutif au Pape au sujet des vexations qu'il
fait éprouver à nos camarades de Rome. Cette lettre
m'a donné bien de l'inquiétude pour votre ami Giro -
det. Je vous prie de me donner quelques détails sur
cette affaire ainsi que sur les affaires publiques. Don-
nez-moi le plus tôt possible de vos nouvelles ainsi
que de votre mère, de toute votre aimable famille et
de notre ami Pajou.
Je vous embrasse et finis en vous souhaitant une
santé pareille à la mienne.
Votre ami, Devienne.
Ί i
i ;
Â
Du quartier général de LuxemLoarg, le 27 frimaire an IV
(18 décembre 1795 ')■
Je suis ici, mon cher ami, depuis avant-hier; j'ai
trouvé ce pays dans la consternation; on craint à cha-
' En deux années Devienne a oublié l'orthographe, mais a con-
quis l'épaulette d'officier, et son style est devenu net et bref. Cette
lettre est écrite pendant l'hiver de 179S-96, au moment où les deux
armées du Rhin et de Sambre-et-Meuse avaient été séparées par une
habile manœuvre du général autrichien Clairfayt, et où les lignes
de Mayence et d'une partie du territoire au pied des Vosges furent
perdues. Pendant rarmistice, qui fut conclu à cette époque, De-
vienne alla Paris et revit Gérard.
- il·
i!i
DEVIENNE. 'J1
que instant d'y être bloqué ; on s'approvisionne le
plus promptement possible. On s'attend à une affaire
générale à l'armée de Sambre-et-Meuse ; fasse le ciel
que l'issue en soit telle que nous le désirons ! une nou-
velle défaite aurait les conséquences les plus funestes.
Rien n'approche de l'état de détresse où est réduite
l'armée de Sambre-et-Meuse ; officiers et soldats, tous
y sont sans souliers, sans habits ; l'armée bivouaque
absolument sur terre ; il n'existe plus de paille dans
le pays. Souvent on manque de pain.
L'armée de Rhin-et-Moselle n'est rien moins que
"lieux. Ma demi-brigade, qui est à Sarrebruck, a été
presque entièrement détruite; elle a perdu vingt-sept
officiers. Ce détail n'est pas bien consolant; cependant
'1 y a lieu de croire que les mesures prises, à ce qu'on dit,
parle Directoire mettront un terme à nos malheurs...
a nos défaites. On va faire rejoindre partout les jeunes
gens de la première réquisition. 11 sera donc impos-
sible d'obtenir mon rappel ; il me faut renoncer au
plaisir de revoir ma famille, mes amis... Je ne quitte-
''ais pas l'armée sans scrupules dans un moment où
a plus que jamais besoin de bras.
Mes respects et mille amitiés à ta famille. Ne m'ou-
blie pas auprès du citoyen David et de Pajou.
Deviennk.
Luxembourg, 2 nivôse an IV (23 dicembre 1795).
Les affaires ont bien changé de face depuis que je
ici. L'armée de Sambre-et-Meuse vient de battre
92 GUÉRIN.
l'ennemi. Je pars demain pour Landau. Je t'enverrai
); sitôt mon arrivée, les certificats de mon corps en at-
tendant celui du général. Je désirerais entrer dans l'un
des corps de chasseurs ou hussards de l'armée de
Sambre-et-Meuse. Tu pourras appuyer la demande de
l'observation suivante : c'est que, parmi les qualités,
talents et mérites du monsieur^ on doit distinguer
quelques connaissances topographiques et militaires.
Si on te dit que je ne sais pas monter achevai, réponds
qu'ils ne savent ce qu'ils disent, que j'ai acquis l'ha-
bitude du cheval depuis que je suis dans les états-
majors. Adieu, je t'embrasse.
Devienne.
I.
En noire palais Médicis, le 20 thermidor an XH (8 août ISOl).
Voilà une lettre qui doit être fièrement bien écrite,
et j'y ai mis le temps, n'est-ce pas? Elle sera cepen-
dant fort gauche et je ne sais par où commencer.
Acceptez-vous un mal d'aventure, un panaris au bout
' On remarquera que dans cette dernière lettre Devienne tutoie
Gérard. Dans l'intervalle des deux campagnes, Devienne avait re-,
joint son condisciple à Paris, où leurs liens d'amitié s'étaient res-
serrés. A ce moment nos armées, victorieuses en Italie, étaient
maîtresses de l'Allemagne jusqu'au Danube.
2 Pierre Guérin, né à Paris on 1774, élève de Regnault, remporta
le grand prix en 1797. Le sujet était Và Mort de Caton d'Utique. Il y
eut trois grands prix cette année-là. Hersent eut le second. — Son
premier envoi, le Marcus Sextxis, qu'on voit aujourd'hui au Louvre^
;î·
GUÉRIN. 93
du doigt? Allons, passez-moi le panaris, vous me
sauverez d'un grand embarras.
Ma adesso crêpa, et il en sort une matière noire
comme de l'encre, je n'exagère pas. Je profite donc
de cette ouverture, ainsi que de l'occasion de la poste,
pour vous dire que, Dieu merci, je me porte bien.
Je suis bien pressé de savoir si vous avez terminé
quelque chose pour le salon. Je tiens à la gloire
nationale et je suis plus patriote que jamais, comme
vous voyez. C'est que véritablement on ne sent bien
tout ce qu'emporte avec lui le mot patrie, que quand
on se trouve à deux ou trois cents lieues de son
clocher. Votre Pamque j'ai sur le cœur de n'avoir
point vu, doit être achevé ? Vous aurez fait sans doute
aussi quelque excellent portrait, car votre paresse
nous enrichit plus de bons ouvrages, que le travail
des autres ne saurait produire avec d'incroyables
efforts. Vous jouez avec la peinture.
Que vous êtes heureux d'avoir les bonnes grâces
de cette dame, qui fait la grimace à tant d'autres, ou,
pour mieux dire, à laquelle tant d'autres font faire
grimace!
Que diable m'a-t-on dit, que vous iriez en Russie ?
^ut un immense succès; on voulut y voir une allusion au retour des
émigrés. En 1802 il exposa son tableau de Phèdre et Hippolyte et
^'Offrande à Esculape. Au salon de 1808 parurent les Révoltés du
Caire (aujourd'hui à Versailles), et, en 1810, son Jndromaque avec
Aurore et Cépkale ; l'Énée racontant ses voyages à Didon est de
1817. En 1822, il fut nommé directeur de l'école de Rome. Membre
de^l'Institut en ISIS. Mort en 1833.
' A propos du Jugement de Péris, tableau que Gérard a détruit
avant de l'avoir achevé.
97 GUÉRIN.
Pour Dieu! 51 cette idée vous venait, n'en faites
rien. Venez plutôt en Italie : c'est la patrie des arts
et celle du génie ; c'est la vôtre. Mais, si vous aimez
le doux vivre, restez en France : ce n'est que là qu'on
peut jouir de ce plaisir qui, après tout, n'est pas
indifférent.
Heureusement, notre société est assez nombreuse
pour que le manque de société nous devienne moins
sensible. Nous nous étourdissons à force de bêtises,
et nous avons fait dans cette partie des progrès si
rapides qu'il n'est pas un membre de la table ronde
qui ne soit en état de s'escrimer contre trois ou quatre
adversaires. Nous ne voyons presque personne. Notre
société se réduit à quelques Français dont le plus
aimable est, sans contredit, M. d'Hédouville, le frère
du général. Vous voyez que nous sommes abandonnés
à nous-mêmes. Nous nous promenons dans la villa
Médicis comme des loups-garous. Je crains qu'à notre
retour on ne nous prenne pour des ours descendus
des Alpes. Vous êtes heureux de fumer votre pipe et
de vous promener en pantoufles sur votre joli pont
des Arts ^ Vous ne craignez ni le serein ni la fièvre,
et vous n'êtes point obligé de rentrer à \Ave Maria;
mais aussi les murs de Rome ne ferment pas votre
habitation, et votre œil n'embrasse pas à la fois les
sept collines et le mont trop fameux par le souvenir
de Marius. Vos marronniers pelés peuvent-ils jouter
avec les pins de la villa Borghèse, votre Meudon avec
ύ
t
il
Gérard habitait l'Institut.
-ocr page 98-GUÉRIN. 93
le Soracte, les montagnes de Tivoli, de Frascati ?
Nous avons pourtant tout cela d'un coup d'œil :
c'est une admirable contrée que l'Italie; c'est un
bien doux pays que la France!
Nous possédons Forbin depuis quelques jours, il
vient ici manger ses cent louis (c'est ce qu'il dit) :
mais ils lui profitent bien : il fait des études char-
mantes, ainsi que son ami Granet. Je crois que ce
dernier a tout Rome dans son portefeuille. Forbin
a le projet d'un voyage en Grèce. 11 n'est pas dou-
teux, s'il le fait, qu'il n'en rapporte des choses fort
intéressantes.
Quant à moi, je ne fais rien, à la lettre, k présent,
■vous parlerai-je de l'administration de l'École et de
son directeur? Allons, je ne vous en dirai rien,
cela sera plus tôt fini et vaudra mieux. Dites-moi donc
des nouvelles de notre cher Alexandre, et s'il a ajouté
une broderie de plus sur son collet. Je suis bien dans
mon tort avec lui, mais le panaris!...
Mes amitiés à nos amis, à Barbier, à Chenard, à
Isabey, à Vandaël, à Redouté.
Guérin.
Rome, le 20 thermidor an ΧΠ,
Madame Gérard me pardonnera-t-elle (malgré mon
panaris) d'être resté si longtemps sans lui écrire? Je
ί ι!
96 GUÉRIN.
crains bien que non. Je tremble, malgré une excuse
ϊ
'ι
«
ί'
?
maà
aussi valable, de ne τροηνοιτplacare il suo sdegno
ce qui serait pis encore, que mon souvenir ne soit
entièrement effacé de sa mémoire. Vous dire que je
pense souvent à vous, en ne vous écrivant jamais, vous
paraîtra sans doute assez extraordinaire. C'est cepen-
dant l'exacte vérité ; mais je suis comme ceux qui
trouvent plus facile et plus prompt d'avouer leurs
dettes que de les payer. Je redoute la longueur des
soirées que l'hiver nous prépare ; elles me font regret-
ter le coin du feu de la petite cheminée de faïence.
Les dégoûtantes banquettes des théâtres de ce pays-
ci sont bien loin de valoir la jolie loge des Bouffons.
Je ne vais point aux spectacles : ils sont d'une saleté
abominable, une odeur infecte vous y étouffe et on
en sort noir de puces. Ces messieurs me font quelque-
fois la guerre sur ma délicatesse; mais ma foi! je l'a-
voue, mon amour pour la musique ne saurait me faire
braver tout cela, et je n'aurai jamais à cet égard le
courage d'un Romain. Il n'en est pas ainsi des théâ-
tres deNaples; ils sont propres, surtout celui de Saint·
Charles. Il est vrai que je l'ai vu dans son jour de toi-
lette, à la fête du Roi. Alors il est illuminé de plus de
mille bougies, les loges décorées sont garnies de fem-
mes qui étalent tout ce qu'elles possèdent ou ont pu
emprunter de diamants, et la cour de Naples a la ré-
putation d'être une des premières en ce genre de ri-
chesses. Chaque femme avait vraiment l'air d'un lus-
ou.
Apaiscr sa colère.
-ocr page 100-GUERIN. 97
tre. Le parterre était rempli de superbes messieurs en
habits de soie brodés, la bourse, l'épée, les manchet-
tes de dentelle. Tout cela n'est peut-être pas beau,
non, c'est laid ; enfin c'est étourdissant. Seulement
nos têtes noires déparaient dans un petit coin le déco-
rum de ces messieurs et leur faisaient faire une gri-
mace épouvantable. Nous leur fîmes la grâce de n'y
pas rester longtemps. Nous partions le lendemain à la
pointe du jour pour Pœstum.
Je ne mords pas du tout à l'italien. Je ne sais quelle
diable de tête j'ai, mais il faut qu'elle soit de pierre;
je n'y puis rien faire entrer. Je n'ai d'autre espèce de
mémoire que celle du cœur, aussi tout ce qui regarde
un ami est-il logé là. C'est là que vous avez une très-
jolie petite niche. Je dis petite, parce que, soit dit en
P'issant, vous n'êtes pas grande.
11 fait bien chaud à Paris, dit-on ; je pense que l'Ita-
lie n'est pas en arrière à cet égard. Nous sortons très-
P^u, nous travaillons de même, et nous évitons par
'à le double danger de la fatigue et de la chaleur.
Vous êtes bien heureux d'avoir un joli pont des Arts
^ "Votre porte pour vous promener; j'espère bien
retrouver sur piles à mon retour, et je me fais une
Joie anticipée d'aller y donner mon sou.
Tâchez d'engager Gérard à m'écrire, je vous en
P'^ie. Je sais qu'il n'est guère moins paresseux que moi
pour cela, mais tourmentez-le, et, si vous vouliez y
joindre une jolie petite lettre de votre jolie petite
'^^'n, je serais tout à fait heureux. Adieu, très-aimable
honne dame. Je vous quitte, mais sans cesser de
7
-ocr page 101-98 DAVID.
penser à vous. Daignez me donner quelques souve
nirs et qu'ils arrivent jusqu'à Rome.
Mille amitiés,
Guérin.
"l'i
liî
Ce 15 février 1809.
Mon cher Gérard,
Que de grâces n'ai-je pas à te rendre du cadeau
rare et précieux que tu viens de me faire ! Le portrait
de Canova peint par Gérard, sais-tu bien quelle chose
curieuse est un pareil objet? Mais songe aussi au cas
que j'en fais'.
Je vais cependant m'occuper des moyens de t'en
mieux prouver ma reconnaissance, car un ouvrage
de moi ne sera qu'un faible à-compte ; mais l'amitié
n'est pas représentée avec la balance, et c'est là préci-
sément ce qui la rend divine; elle est désintéressée.
Adieu : pour la vie, ton ami. Mille et mille respects
à ta chère femme.
David.
* Ce beau portrait est aujourd'hui au musée du Louvre; il est ex-
posé dans la salle dite des Sept Cheminées. On l'a reproduit dans
l'œuvre de Gérard.
mH
;
i i
INGRES. 102
Ce 9 avril 1815.
Je n'ai jamais douté, mon cher élève, de vos sen-
timents à mon égard. Ils se sont toujours montrés
dans les occasions qui en méritaient la peine. Vous
avez dû souvent gémir des injustices exercées envers
«loi; eh bien, mon ami, que mon exemple vous
louche : vous avez du talent et beaucoup de talent ' ;
que de torts vous accumulez sur votre tête! Mais
<^'est ici le cas de dire comme dans la comédie de
Tartufe :
Nous vivons sous un prince ennemi de la fraude.
Il réparera avec le temps la calomnie que l'igno-
•■ance emploie déjà contre vous pour diviser le temps
que vous employez si bien pour la gloire de votre
pays et de mon école.
Je vous réitère mes remerciements et vous embrasse
de tout mon cœur.
Mes respects à votre chère épouse.
David.
Rome, le 2 février 1812,
Monsieur,
depuis longtemps je vous dois des remerciements
' Voir Girodet (page 51 et 52).
^ Élève de David, eut le prix à l'âge de 20 ans, en ISOi. Son ta-
-ocr page 103-dOO INGRES.
potir la bonté que vous avez eue de placer ma petite
figure; je vous en suis d'autant plus reconnaissant
que Rome offre rarement^ aux artistes l'occasion de
se défaire des ouvrages qu'elle inspire.
Je reste encore sans pouvoir me résoudre à quitter
un pays qui renferme tant de belles choses et que
l'habitude me rend de jour en jour plus cher. Ce-
pendant ce n'est point à Rome, je le sens bien, que
je peux espérer de travailler utilement à ma réputa-
tion et à ma fortune, et je commence à tourner mes
désirs et mes espérances vers Paris.
Si j'y trouve de nouvelles contrariétés, je serai
cependant heureux, monsieur, si je peux acquérir
quelques droits à votre estime et à votre bienveillance
pour m'aider à vaincre ces petits obstacles que l'on
rencontre nécessairement en entrant dans la carrière.
Je vous dirai, monsieur, que j'ai exécuté dernière-
ment deux grands tableaux : l'un est Romulus qui
triomphe des dépouillesopimes; je l'ai peint à tempera '
pour les appartements de l'impératrice au palais im-
périal de Monte-Cavallo ; l'autre est Virgile qui lit son
Enéide devant Auguste^ Octavie et Livie. J'ai fait de
celui-ci un effet de nuit ; la scène est éclairée par un
candélabre.
bleau du concours, qu'on voit exposé à l'École des Beaux-Arts, dé-
note déjà un talent de premier ordre. Il est inutile de rien ajouter
ici sur les mérites du premier peintre de ce temps. Tout le monde
connaît aujourd'hui ses œuvres. A l'époque où ces lettres sont écri-
tes, son talent était encore contesté, et Gérard fut un des premiers
qui lui rendirent la justice qu'il méritait.
• Λ la détrempe.
-ocr page 104-INGRES. 101
Ayant eu l'avantage de savoir ce que vous pensiez
de mes derniers ouvrages, j'ai essayé de mettre à pro-
fit vos bons avis, et de voir si je ne serais pas suscep-
tible d'acquérir les qualités essentielles qui m'ont
toujours manqué, et pour lesquelles je ne m'étais
point senti ni inclination ni moyens. Je me croirais
doublement heureux si j'avais réussi à faire un pas
plus, et le devoir à vous encore, car vos conseils
^t la vue de vos beaux ouvrages m'en ont toujours
plus appris que ceux des autres.
Je vous réitère, monsieur, mes remerciements, et
Vous prie d'agréer les sentiments de la plus haute
Considération pour votre personne.
Ingres.
Rome, le Π août 1818. ^
Monsieur,
Je reçois toujours l'honneur que vous me faites en
écrivant comme une grâce bien obligeante et bien
honorable à mon faible mérite. Vous êtes tellement
^u-dessus de l'oubli, que plus le temps et la distance
tiennent éloigné de vous, plus mon attachement
^ votre personne et à vos œuvres en devient plus
'^ort. Lorsqu'il m'arrivedes découragements sensibles.
Je me console en pensant à l'estime et à la protection
^ont vous ne cessez de me donner des preuves ho-
norables et fructueuses.
INGRES.
10-2
Mes sentiments vous doivent être connus ; cepen-
dant je ne pourrai jamais assez vous en exprimer
toute la sincérité. Je désespère de vous voir à Rome,
Combien j'aurais été heureux si cela eût pu arriver!
Mais vous êtes trop précieux à la France pour qu'elle
vous accorde même un petit congé. C'est plutôt moi
qui viendrais vous y trouver. L'amour de la patrie
se fait tellement sentir en moi que je me crois at-
taqué du mal du pays. La beauté de celui-ci, à qui
je paye un assez long tribut par onze années d'admi-
ration, ne m'aveugle pas au point de ne pas désirer
vivement de revoir les rivages de la France. Vous êtes
pour beaucoup, monsieur, dans le désir que j'ai dé
revenir à Paris, et la vue de vos belles productions
que j'appelle mes inclinations. Et combien de chefs-
d'œuvre n'est-il pas sorti de votre pinceau depuis
lors! Les Renommées ^ et la belle estampe à'Austerlitz,
dont vous me fîtes don d'une manière si flatteuse
^ pour moi, me donnent le plus vif désir d'en admirer
les peintures. Je vous remercie des vœux que vous
voulez bien faire pour moi; ma bonne fortune paraît
disposée à les écouter. J'ai des travaux honorables
qui, une fois faits, peuvent me rendre assez heureux
et me faire oublier que je l'ai été très-peu jusqu'ici.
Faute d'encouragements, j'ai passé plusieurs années
sans m'occuper de peinture, avec des tableaux faits,
sans pouvoir même jusqu'à ce jour leur donner issue,
' Les figures qui accompagnaient la Bataille d'Austerlitz ; elles ont
été gravées par Garnier.
INGRES. 103
et obligé, pour subsister, de dessiner des portraits au
crayon
Enfin, j'ai eu part, comme mes camarades, aux
encouragements paternels que le roi a distribués. Je
'ne plais à penser, d'après le bien que vous me vou-
lez, monsieur, que je vous dois un nouveau tribut de
remerciements en cette occasion. V^ous, que le roi a
fait, à si beaux titres, son premier peintre, vous êtes
aussi depuis longtemps le père des jeunes peintres.
Mes félicitations, monsieur, et mes vœux particuliers
sont bien peu de chose pour votre mérite ; je vous
prie d'en agréer l'hommage, tout humble qu'il soit.
Je n'ai vu la fortune et les honneurs bien placés que
chez vous, et j'en jouis comme si je les partageais.
Ingrks.
Home, le 29 décembre 1819.
Monsieur,
M. Thévenin, notre excellent ami, s'est empressé
^e me communiquer l'article que vous avez eu la
l>onté de m'adresser sur mes ouvrages ; que puis-je
^ous dire, Monsieur, sinon que jamais, de ma vie, je
ai ressenti une joie aussi vraie? Vous êtes si bon en
Cette occasion que vous êtes bien sûr vous-même' de
l'effet que vous deviez produire. C'est moi qui me
trouve véritablement heureux de pouvoir vous inspi-
rer, Monsieur, tant de bienveillance et d'estime, et je
' Ces portraits sont devenus de précieuses reliques.
-ocr page 107-«HUHiÉ
m
mmm
1
GROS.
dois croire aussi que vous êtes bien assuré de la |
confiance que j'ai en vous. Ce qui m'encourage est
de m'entendre louer par vous sur tous les points
essentiels de l'art, et dans le sens que j'ai voulu faire
mes tableaux. L'assurance que la joie me donne sera
sans danger pour moi, et ne pourra, j'espère, que
me rendre plus attentif à éviter les défauts que vous
voudrez bien me révéler lorsque j'aurai le bonheur
de vous revoir ici. C'est un beau rêve pour moi,
jusqu'à présent; hâtez-vous, Monsieur, de le réaliser. 1
Le bon M. Thévenin désire aussi bien vivement vous
revoir. Venez honorer de votre présence l'ancienne
métropole des arts : nous vous y ferons cortège.
Ingres.
I
i
I ;
' 1
rJ'
Le 12 mai 1815.
Monsieur,
Je sors de chez M. David, notre cher maître, qui a
bien voulu me rapporter les bonnes dispositions de
MM. les membres de l'Institut, à mon égard, que
* Gros, élève de David. Ne en 1771, àParis. En 1792, il concourut
pour le prix de Rome, mais il échoua, supplanté par Landon. Son
tableau des Pestiférés, la Bataille d'Ahoxikir, celles des Pyramides,
à'Eylau, suivirent et le mirent au rang des premiers peintres de
l'époque. Sous la restauration, il fit un tableau du départ de
LouisXVIIIdes Tuileries, en 181S; ce dessin est à Versailles. 11 peignit,
de plus, la coupole de l'église Sainte-Geneviève. — Il entra à l'Insti-,
tut en 1816. — La fin de la carrière de Gros a été malheureuse.
Trop sensible à d'injustes critiques, il se noya dans la Seine, le
2o juin 183S.
104
ÏHÉVENIN. 105
vous-même les aviez partagées et vous vous étiez mon-
tré là, toujours ancien camarade; c'est sous ses aus-
pices, conformément à ses désirs et aux miens, que je
saisis l'occasion de vous en remercier. Je vous pensais
si mal disposé à mon égard que j'avais i-egardé la vi-
site d'usage comme impraticable ; je désire que les
remerciements sincères réparent cette omission, et que
vous n'interprétiez point mal cette démarche aussi
conforme à mes sentiments qu'à ceux de notre cher
maître, que je quitte à l'instant.
Veuillez agréer mes civilités.
Gros.
J
De Rome, le 30 juillet 181G.
Vous trouverez sûrement, mon cher Gérard, que
j aurai été longtemps sans vous écrire, mais je voulais
Connaître assez les détails de mon administration et
surtout avoir vu les différentes productions de notre
jeunesse pour vous entretenir de tous les objets. Quoi-
que je ne sois pas encore parfaitement instruit, je ne
^eux pas retarder plus longtemps le plaisir de causer
avec vous. — Comme vous avez dû le savoir par Mé-
rimée, à qui j'ai écrit peu de jours après mon arrivée,
mon voyage a été fort agréable et sans accidents,
' Thévenin, comme on l'a déjà vu, avait été condisciple de Gérard.
tenait d'être nommé direcleur de l'école de Rome.
-ocr page 109-Ιϋϋ ÏHÉVENIN.
malgré une énorme quantité de neige que j'ai trouvée
dans le Jura et en traversant le Simplon où des chutes
d'avalanches terribles semblaient vouloir nous fermer
le chemin. Mais enfin, avec un peu de patience, tous
ces obstacles ont été surmontés, et je suis entré en
j Italie par le lac Majeur et la vallée de Domo d'Ossola,
J" lieux, je crois, les plus gracieux du monde. J'ai passé
1 à Milan, Parme et Bologne, où j'ai revu avec une sorte
' I de chagrin nos beaux tableaux du Muséum' . Ils sont
|i dans ces villes, placés provisoirement, soit dans les
églises, soit dans des salles académiques, et, quoique
chez eux, ils ont l'air d'étrangers logés en hôtel gar-
ni. J'ai revu Florence, sa belle galerie, le Fabre
dont j'ai été bien accueilli, Benvenuti, honnête et
modeste e molto mena prepatente ^ que Fabre. Je
n'ai point pris la route de Sienne que je connaissais,
j'ai passé par Perugia, j'ai côtoyé le lac de Ti asimène,
j'ai vu la magnifique cascade de Terni et suis arrivé à
Rome très bien portant. Ne sachant pas quelles étaient
les dispositions de Lethière je suis descendu chez
Damon et je l'ai fait prévenir de mon arrivée. Il est
ii sur-le-champ venu me trouver, m'a reçu avec beau-
coup de cordialité. Nous avons causé de nos amis de
Paris et nous avons remis mon entrée, à la villa Médicis,
au lendemain matin. Je m'y suis donc transporté et
' Les tableaux qui avaient été apportés d'Italie à Paris, par le gé-
néral Bonaparte, placés au Musée, puis remportés en 181 S.
^ Fahre, le peintre.
' Et beaucoup moins influent.
' Lethière avait précédé Thévenin à la direction de l'École de
Rome.
THÉVENIN. 107
j'y ai reçu les hommages de tous mes vassaux. J'ai vu
ensuite les pensionnaires qui ont eu pour moi de la
politesse et de fort bonnes manières, lesquelles, jus-
qu'à présent, ne se sont point démenties. Le palais
et les jardins sont, comme vous savez, magnifiques, et
M. Suvée ' à fort bien distribué les différentes parties
de la maison : en général tout ce qu'il a fait est bien.
Lethière a établi dans l'inlérieur un assez bon ré-
gime, à cela près d'un peu de confusion dans le
service des domestiques. J'ai trouvé l'administration
et la comptabilité parfaitement en ordre.
Je suis entré au palais le i8 mai; Lethière y est
l'esté jusqu'au i*·"· juin, où enfin il m'a remis le sceptre,
el je me suis mis à la tête des affaires, lesquelles sont
très-peu compliquées et très-faciles à conduire. Notre
iidministralion financière est très-simple. Chaque
ïiiïois je touche une somme convenue chez Torlonia';
]e prouve l'emploi de cette somme par des reçus de
toutes les dépenses et le payement des appointements,
à la fin de l'année, le ministre comble ou doit
combler le surplus de la dépense, et, comme les fonds
ttiensuels sont insuffisants, nous sommes en arrière
^^ une assez forte somme. L'augmentation que je de-
'ttande est d'autant plus nécessaire que le ministre a
''établi la cinquième année de pension Je lui ai
' Peintre, membre derancicniie Académie de pointure et directeur
l'École française à Rome, pendant le Consulat et une partie de
' Empire.
Banquier romain.
' Cette cinquième année vient d'être supprimée par le décret do
"ovembre 1863.
108 THEVENIN.
écrit relativement à ce bienfait pour nos jeunes gens,
et pour lui proposer une mesure que je vous prie
d'appuyer, car je crois que vous serez de mon avis :
c'est de laisser à chaque pensionnaire la faculté de
jouir de cette cinquième année à Paris ou ailleurs
En quittant Rome, les élèves arrivent a Paris sans
asile, sans protecteurs, presque sans relations. S'ils
y recevaient leurs appointements de deux mille qua-
tre cents francs, ils auraient au moins le temps de
s'établir et de renouer avec leurs amis leurs ancien-
nes liaisons, et pourraient, pendant cette année, mon-
trer, sans inquiétude pour leur existence, ce qu'ils
savent faire. Lorsque je suis parti de Paris, il était,
disait-on, question de ne plus envoyer ici de gra-
veurs : depuis que j'envisage la chose de près, je ne
suis point de cet avis. Notre Académie présente un
ensemble complet d'étudiants dans les beaux-arts, et
je pense qu'on ne peut en retrancher aucun mem-
bre sans déranger ce bel ensemble qui forme un éta-
blissement vraiment royal. Ce n'est pas que je n'ap-
prouve le désir que vous avez d'envoyer ici des pein-
tres de paysage ; mais, lorsque le concours pour les
graveurs ou pour les musiciens serait trop faible, ne
pourrait-on pas donner la pension vacante à un pay-
sagiste ' ?
Je voulais, en commençant cette lettre, vous parler
aussi des travaux de nos jeunes gens; mais un peu de
' Cette idée a été reprise, comme on l'a vu, par le décret de 18C3. ,
^ Ce prix, qui n'a été établi qu'en 1817, a été retranché par le dé-
cret de 1803.
Ί'}
ΐ ri
ii S
THÉVËNIN. 109
bavardage m'a entraîné trop loin, et je remets ces dé-
tails après l'exposition de la Saint-Louis, époque où
une partie des travaux annuels seront terminés.
Je ne vous parlerai pas de la vie de Rome : vous
savez qu'elle est douce, mais très-monotone ; les
conversations y sont ce qu'elles ont toujours été,
c'est-à-dire fort insipides, et, comme vous me l'avez
dit souvent, à vos agréables mercredis, la musique n'y
vaut pas, à beaucoup près, celle que l'on fait chez
nous. Mais le temps est beau, la promenade dans les
délicieuses villas qui entourent Rome est mon plus
grand plaisir.
Rappelez-moi au souvenir de nos amis, et renouve-
lez, je vous prie, à Gérard et à Godefroid %
1 assurance de ma constante amitié.
L'ami Thévenin.
' Nous avons déjà parlé de M"® Godefroid dans la notice sur Gérard.
On sait qu'elle fut l'élève de Gérard, et l'un de ses meilleurs auxi-
liaires. Mue Godefroid est trop souvent nommée dans cette correspon-
''^Wee pour que nous ne donnions pas quelques détails sur sa vie.
Elle était fdle et sœur d'artistes. Son père était peintre et très-habile
•■cstaurateur de tableaux. Il fut un des premiers qui mirent en pra-
tique l'opération du renfoilage, importée par son grand-pcrc et par
grand'mère, tous deux chargés des restaurations sous Louis XV.
était l'ami de Joseph Vernet, de David, de Vincent, de Doyen, de
^•^^ée, de Julien le sculpteur, de Fragonard père, de Moreau, de
Méhul, de Pajou le statuaire, de Brénet, le premier maître de Gé-
Son fils, le frère de M"" Godefroid, était un peintre de ta-
rent, élève de David. 11 fut le premier maître de sa sœur, et put la
mettre en état de professer le dessin chez Campan, qui dirigeait
•a maison de Saint-Germain, où étaient élevées les filles des officiers
•ie la Légion d'honneur. Elle quitta cette position en 1812, pour en-
trer dans l'atelier de Gérard. Elle avait entièrement sacrifié sa poi'-
^onnalité aux travaux d'aide que réclamaient les nombreuses com-
110 LÉOPOLU ROBERT.
Chaux-dc-FoQds, le 6 septembre 1817.
Monsieur,
Il y a bien longtemps que je me proposais de vous
exprimer par une lettre ma profonde reconnaissance
pour les bontés que, sans me connaître particulière- .
ment, vous avez eues pour moi. Vous avez peut-être
été peiné des entraves que j'éprouvai dans ces mo-
ments de changements, et la bienveillance de votre
mandes faites à son maître. Elle exposa cependant quelques portraits
composés et peints par elle seule, et qui furent remarqués : celui de
M™" Vigano la cantatrice, celui de l'improvisateur Sgricci, et ceux des
enfants du duc d'Orléans peints en pied de grandeur naturelle; ces
derniers étaient dans la galerie du Palais-Royal, et furent détruits en
1848. Il est question de ces portraits dans une des lettres du prince
(Louis-Philippe). Elle fit aussi pour notre colonie du Sénégal un ta-
bleau important représentant : Notre-Dame du Rosaire.
M"' Godefroid mourut à Auteuil, chez M. Henri Gérard, à l'âge de
72 ans, le 9 juin 1849.
<Né à la Chaux-de-Fonds (canton de Neufchâtel), en 1794, fut
d'abord élève de Girardet, graveur, puis entra dans l'atelier de David.
En 1814, il remporta le second grand prix de gravure en taille-douce.
En 181 S, le comté de Neufchâtel ayant été cédé à la Prusse,
L. Robert, considéré comme étranger, fut obligé de renoncer à con-
courir de nouveau pour le prix de gravure. Décidé dès lors à s'a-
donner complètement à la peinture, il suivit assidûment l'atelier de
David, jusqu'en 1816, époque à laquelle ce peintre fut exilé.
M. Roullet de Neufchâtel fut un des bienfaiteurs de Léopold
•iû
τ
h
LÉOPOLD ROBERT. 111
caractère vous a porté à m'aider puissamment et à
ro'accorder une protection qui aurait pu m'être utile
encore si les circonstances n'avaient été les plus
fortes.
Si les démarches que j'ai faites avant de quitter
Paris n'ont pas été heureuses, je ne puis l'attribuer
qu'aux grands événements qui ont changé la face de
l'Europe et qui étaient trop récents ; mais le calme
qui règne me fait espérer d'arriver à un plus heureux
«'ésultat.
M. de Sandos-Roullet de Neufchâtel, conseiller
d'État, est parti dernièrement pour Paris ; il souffre
de l'état d'incertitude dans lequel je me trouve et
fera tout ce qui dépendra de lui pour obtenir un
changement dans ma destinée présente. Comme il
est en relation avec MM. de Humboldt, il m'a promis
de me servir auprès d'eux, de chercher à me pro-
curer les moyens de continuer mes études en allant
passer quelques années en Italie. Rien, je crois, ne
saurait me causer un plaisir aussi vif. En effet, quelle
existence pénible n'ai-je pas en perspective si je suis
obligé de rester ici où les arts ne font, aucune espèce
de sensation !
Robert. Il lui fournit les fonds nécessaires pour entreprendre le
d'Italie, y séjourner, et s'y livrer sans préoccupation à l'étude
l^e son art, sous la condition que le jeune artiste s'acquitterait envers
quand son talent lui en fournirait les moyens. Cette transaction
Jut fidèlement observée de part et d'autre. En l'espace de dix années,
;· Robert avait rempli ses engagements par un travail assidu, et
^tait devenu, en même temps, l'un des meilleurs peintres de l'Europe,
ward, qui un des premiers l'avait deviné, ne cessa de l'aider par
conseils et de lui témoigner une vive sollicitude. Λ son arrivée à
115 LÉOPOLU ROBERT.
Qu'il est malheureux pour moi, après avoir eu le
bonheur de voir une partie des chefs-d'œuvre des
arts, de profiter des conseils des grands maîtres, d'a-
voir obtenu quelques succès, de me trouver obligé de
labourer un champ stérile ! Aussi, Monsieur, si vous
me jugez en état de profiter de l'encouragement que
je sollicite, et que vous veuillez bien joindre votre
influence à celle des personnes bien disposées en ma
faveur, je sentirai renaître ma confiance, et cette
bienveillance de la part d'un artiste aussi célèbre
vous attirera la reconnaissance éternelle de celui qui
a l'honneur de vous présenter ses respects.
Léopold Robert.
Rome, en 1818, L. Robert, accueilli par ses anciens condisciples à
l'atelier de David, MM. Schnetz et Navez, se livra sans retard à de sé-
rieuses études. Ce n'est cependant qu'au salon de 1822 qu'il commença
à recueillir le fruit de son travail. 11 y exposa quatre tableaux qui
établirent sa réputation. Deux ans après il envoya encore six de ses
compositions à Paris, et en 1827 il exposa, avec quatre autres toiles,
le Retour de la Madone de l'Jrc qui est aujourd'hui au Louvre. Mais
c'est en 1831 qu'il obtint son plus beau succès avec Γ/imree des
Moissonneurs dans les Marais-Pantins, et sept autres tableaux.
L. Robert envoya au salon de 1835 deux petites toiles, puis, en
1836, le Départ des Pêcheurs de l'Adriatique pour la pêche de long
cours et deux autres compositions.
On connaît la triste fin de L. Robert. On pourra, du reste, au
sujet de sa vie et de ses œuvres, consulter la Notice publiée par
M. Delécluze (Goupil, 1838), et le recueil de lettres publié par
M. Feuillet de Conches (1848).
Si
I
GÉRARD. H3
LETTRE DE GÉRARD A LÉOPOLD ROBERT
αό sujet d'un tableau que celui-ci lui avait envoyé.
Paris, 13 novembre 1826.
Mon cher monsieur Robert,
J'ai reçu, non par M. de Beauvoir, que je n'ai point
encore vu, mais par M. Dupré ^ le tableau que vous
avez eu la bonté de m'annoncer par votre lettre du
'4 septembre. Le choix du sujet ' m'avait causé quel-
que inquiétude qui s'est bientôt dissipée à la vue du
tableau.
Votre composition est simple, noble et touchante.
J'ai revu aVec plaisir ces costumes qui, heureusement
pour nous, n'ont point changé. Cette scène m'a paru
d'autant plus vraie qu'elle m'a rappelé en partie celle
dont j'ai été témoin dans ma jeunesse. Une fille de
campagne, qui servait chez ma mère, mourut; ses
parents vinrent pleurer sur son corps et lui rendre
'es derniers devoirs. Vous saVez, Monsieur, le cas que
je fais de votre beau talent et avec quel plaisir j'ai
vos succès si justement mérités ; si je me permets
quelques observations, comme vous avez bien voulu
^'y autoriser, je vous prie de les regarder comme
Une preuve de la haute estime que j'ai pour votre
•mérite. D'après ce dernier ouvrage, je crains franche-
ment que vous n'adoptiez une manière un peu dure,
' Second prix de peinture en 1826, et grand prix en 1827. Au-
•^^ur d'un voyage à Athènes et àConstantinoplc (Paris, 1828).
' Une mère agenouillée auprès de sa fille morte.
8
-ocr page 117-117 LÉOPOLU ROBERT.
H4
non par l'excès du fini, mais parce que les contours
semblent peints à sec. Les plis de la manche de la
mère ont quelque raideur et sa tête est peut-être
trop virile. Je suis ennemi de la beauté systématique,
mais, dans toutes les classes et à tous les âges, il y a,
surtout chez ce peuple que vous savez si bien peindre,
un genre de beauté relative que vous pouvez, mieux
que d'autres, découvrir et retracer. Enfin, permettez-
moi de vous rappeler que c'est au dessin et au carac-
tère que vous avez su donner à ce genre qu'on avait
traité trop négligemment avant vous, que vous devez la
réputation bien méritée dont vous jouissez. Quoique
je n'aie pas l'avantage de connaître autant votre per-
sonne que votre talent, je suis sûr que je ne vous
blesserai pas en vous parlant aussi sincèrement. Les
gens qui étudient de bonne foi pour approcher de la
vérité doivent toujours s'entendre.
Ce sera avec un véritable plaisir que l'on vous
verra arriver à Paris, l'automne prochain, et per-
sonne, vous devez le croire, n'en sera plus charmé
que moi.
Votre dévoué serviteur,
F. Gérard.
RÉPONSE k LA. LETTRE DE GÉRARD.
Rome, 21 décembre 1828.
Monsieur,
La lettre dont vous avez bien voulu m'honorer
Jl'i
. i.si
■iiS
LÉOPOLD ROBERT. 118
m'a procuré une de ces jouissances que l'on éprouve
rarement. La bienveillance que vous voulez bien
avoir pour moi et l'intérêt que vous montrez à mes
travaux sont deux bien puissants motifs pour m'en-
courager à chercher de tout mon pouvoir à ne pas
paraître au nouveau Salon indigne des éloges que
Vous voulez bien me donner.
Je vous remercie, Monsieur, et je reçois avec la.
plus vive reconnaissance les observations que vous
avez pris la peine de me faire sur le petit tableau
que je vous ai fait remettre. Je les aime de tous, mais
elles me sont d'autant plus précieuses de vous qu'elles
ne viennent d'un artiste le plus distingué de ce temps.
Toutefois, si votre critique a été si peu sévère, je
l'attribue à votre indulgence et à votre bonté. Je
reconnais que, dans mes derniers ouvrages, j'ai une
propension à tomber dans la sécheresse et la maigreur;
aussi chercherai-je dorénavant à me garder de cet
écueil en me rappelant toujours vos observations et
"^^os conseils.
M. Barbier', que j'ai eu le plaisir de voir.dès son
arrivée à Rome, n'a pas été longtemps avant de
n'instruire que vous auriez désiré plutôt un autre
®ujet : cette raison m'a fait écrire à mon ami de Beau-
'^oir, pour lui dire de vous prier de vouloir bien lui
«"émettre le tableau. Je le chargeais en même temps
le faire tenir à M. le baron de Fayel, ministre des
l^ays-Bas à Paris, qui en attend un de moi, de même
' Barbier-Walbonne, dont nous reparlerons à propos de ses lettres.
-ocr page 119-116 LÉOPOLD llOBEllï.
dimension. La peine que j'éprouvais de ne pas avoir
réussi à vous satisfaire a disparu en recevant la
lettre dont vous avez bien voulu m'honorer, et je
m'estime heureux qu'après avoir eu la crainte de
voir mon tableau reçu peu favorablement, vous ayez
daigné, au contraire, m'en faire des éloges.
Mon impatience de revoir Paris est grande, et ce
qui l'augmente encore est la certitude de recevoir de
vous, monsieur, un accueil bienveillant. Il me reste à
désirer d'y paraître avec quelques ouvrages qui puis-
sent, je ne dirai pas augmenter, mais me conserver
les succès que j'ai obtenus au dernier Salon J'ai
eu le plaisir de voir M. Barbier ce soir encore et un
de ses tableaux qui se dispose très-bien. Il m'avait dit
qu'il joindrait une lettre à la présente ; mais, ne le
voyant pas arriver, je suppose qu'il la remettra à un
autre courrier.
C'est en vous présentant, monsieur, les vœux que
je forme pour vous à cette époque de l'année que
j'ai l'honneur d'être avec respect votre très-humble
et très-obéissant serviteur,
Léopold Robert.
ViaFclicc, 113.
' Aux salons de 1822 et de 1824, L. Robert avait exposé dix ta-
bleaux, parmi lesquels se trouve celui de {'Improvisateur napolitain,
l'un des quatre qui devaient représenter Naples, Rome et Venise,
Ylmprovisatexir, la Madonna deW Arco, les Moissonneurs et les
Pécheurs de l'Adriatique. Cette série a été fjravée par M. Prévost.
jfj
Bi
1
m
'ϊί,'
<i
LÉOPOLD ROBERT. 120
Rome, le 4 jatiTier 1828.
Monsieur,
Si je prends la liberté de vous adresser cette lettre,
c'est parce que je me trouve obligé de rester à Rome
pour terminer quelques tableaux, que, prévoyant ne
pouvoir cette année faire le voyage que je m'étais
proposé, et ne pouvant aller vous présenter mes re-
merciements pour les bontés que vous avez eues pour
moi, et l'intérêt que vous montrez à mes ouvrages,
je viens avec confiance vous prier de me donner
encore quelques preuves de cette bienveillance qui
m'honore tant et qui m'est si précieuse.
Lorsque cette lettre vous parviendra, M. le comte
de Forbin aura reçu un de mes tableaux qui, dans le
mois de novembre, a été expédié à son adresse. Il
représente un épisode du Retour de la fête de la Ma-
donna delC Arco près de Naples. Je serais extrême-
ment flatté qu'il ne parût pas indigne de faire partie
de la belle collection moderne du Luxembourg, el,
dans celte espérance, j'ai refusé les assez belles pro-
positions que plusieurs amateurs m'ont faites ici.
^otre obligeance m'est tellement connue que je me
hasarde à vous prier de vous intéresser à mon tableau
^ui se trouve sans maître et sans aucun protecteur. Mon
^mi, M. de Beauvoir, s'est chargé de le faire vernir
' Exposé, en effet, au salon de 1827-1828, et acquis par le musée
du Luxembourg. Ce tableau se trouve aujourd'hui dans les nouvelles
salles de l'École française, au Louvre.
121 LÉOPOLU ROBERT.
■ 't''·
■118
et encadrer, et me remplace à Paris pour tout ce qui
regarde mes affaires et mes petits intérêts.
En venant vous prier de vous intéresser à moi, 1
monsieur, je ne laisserai pas échapper cette occasion j
d'attirer vos regards sur les premiers essais de mon
jeune frère ' qui est venu me trouver, il y a quel-
ques années, et qui mérite, sous tous les rapports,
la bienveillance générale.
11 a exposé un Intérieur de. la basilique de Saint-
Paul hors les murs, représentée après l'incendie qui
l'a consumée, et une Vue prise dans la basilique de
Saint-Jean de Latran.
Veuillez me pardonner, monsieur, mes prières peut-
être indiscrètes, et recevoir les vœux que je forme
pour vous à ce renouvellement d'année.
Léopold Robert.
ίί
il
Rome, le iU juillet 1828.
Monsieur,
Je cherche inutilement des expressions pour vous
•peindre ma vive reconnaissance, et mon cœur souffre
de ne pouvoir vous faire connaître que bien mal com-
bien de sentiments délicieux la lettre que vous m'avez
fait l'honneur de m'écrire m'a fait éprouver. Je n'o-
sais m'attendre à une attention aussi distinguée et à
tant de bonté et de bienveillance.
^ Aurèle Robert.
-ocr page 122-LÉOPOLD ROBERT. 119
En apprenant que mon tableau avait été acquis
par le roi, j'ai dû penser que je vous devais ce bel
encouragement; plusieurs fois, j'ai pris la plume
pour vous exprimer ma reconnaissance ; mais un mal
ittoral, dont trop souvent j'ai lieu de me plaindre,
m'empêcha de terminer ma lettre et m'obligea à faire
un voyage. J'ai été faire un séjour dans les Marais-
Pontins et dans les montagnes qui les avoisinent; j'en
suis revenu il -y a quelques jours seulement, et c'est
à mon retour à Rome que j'ai eu le plaisir de trouver
Votre si excellente lettre qui, je vous l'assure, est
l'encouragement le plus grand que j'aie encore obtenu.
Vous voulez bien me dire, monsieur, que le prix
qu'on a mis à mon tableau est trop au-dessous du mérite
que votre indulgence veut y voir ; mais ne suis-je pas
gi'andement récompensé par l'honneur d'avoir un de
mes ouvrages placé dans les galeries d'une nation
^ laquelle je voudrais appartenir? Cet avantage serait
'^appréciable à mes yeux, si je pouvais l'envisager
*^oinme une adoption.
Veuillez aussi me permettre de vous remercier pour
mon frère de ce que vous me dites d'obligeant de
tableaux. Il est glorieux d'avoir aussi une part à
^ vos éloges, et me charge de vous le témoigner en
Vous présentant ses respects. Mon bon ami Lemoyne
qui est arrivé en très-bonne santé, est enchanté de Pa-
''•s, et surtout de l'accueil qu'il a reçu de vous. Il m'a
' Sculpteur qui s'était fixé à Rome et y habite encore aujourd'hui.
" est l'auteur du Chevrier placé dans le jardin du Palais-Royal, à
l'aris.
120 LÉOPOLD ROBERT.
dit que dans quelques jours il aurait l'honneur de
vous en remercier.
Agréez, je vous prie, monsieur, l'hommage de mon
respect et de mon dévouement.
Léopold Robert.
nome, le lU juin 1S30.
Monsieur,
Je suis heureux que le départ de Schnetz m'offre '
l'occasion de vous écrire pour vous exprimer com-
bien le souvenir que vous voulez bien garder de moi
me cause de plaisir. MM. Constantin ' et Lemoyne
m'ont fait part de ce dont vous avez bien voulu les
charger pour moi. Je viens vous en remercier; je^
l'aurais fait plus tôt si je n'avais craint d'être im-'
portun.
Je termine dans ce moment un tableau qui peut
servir de pendant, comme sujet et comme grandeur,
à celui qui a été exposé au dernier Salon Plusieurs ^
personnes l'ont vu et m'en ont fait quelques éloges; ,
mais je ne m'abuse point, et je pense que, pour être
certain d'avoir réussi, il faut plus que l'assentiment
* Voir les lettres de Constantin. - ;
» 11 s'agit ici, comme chacun pourra le deviner, du tableau des i
JUoisso/meun·.
LÉOPOLD ROBERT. 121
de ses amis. Si je pouvais cependant avoir le vôtre,
j'attendrais avec assez de tranquillité le grand juge-
ment.
Mon frère, qui a fait d'assez grands progrès, aura
aussi quelque ouvrage au Salon. Il espère comme moi
profiter d'une réunion aussi intéressante et surtout
des conseils des maîtres, et, comme vous êtes à leur
tête, nous réclamerons les vôtres,
Léopold Robert.
VI.
Venise, le 31 mai 1832.
Monsieur le baron,
Hepuis mon départ de Paris, j'ai l'intention de vous
écrire pour vous remercier de votre bienveillant ac-
cueil et pour me rappeler à votre souvenir, et pour-
tant je suis arrivé à cette époque sans l'avoir fait; peut-
être parce que je n'aurais pas pu vous annoncer que
Vos excellents conseils ont été suivis de bons ré-
sultats. Pendant mon séjour en Suisse, la révolution
^lui m'y a suivi m'a empêché de m'occuper d'autres
choses : je suis ensuite parti pour Florence; ne comp-
tant y faire qu'un séjour passager, je ne m'y suis pas
installé et je n'ai rien fait. Je me rappelais votre ate-
lier et vos beaux tableaux commencés, et je me trou-
'vais si blâmable de ne pas m'occuper sérieusement et
'le ne pas suivre votre exemple, tjue je n'ai pu vous
LÉOPOLD ROBERT.
-- -~·!!'Ιί.·
122
■ï
- !'i··
|,·1
M
il
r
s i:
l'écrire. Enfin, je me suis décidé à venir ici pour y
chercher un sujet caractéristique à faire. Les premiers
temps j'ai couru, j'ai été bien indécis sur ce que je
devais entreprendre ; enfin je me suis décidé à placer
ma scène à Palestrina, où les habitants conservent
encore beaucoup d'originalité dans les costumes et
les physionomies. Je dois vous dire que cette popu-
lation est entièrement composée de pécheurs qui font
des voyages assez lointains et qui sont tous exposés
aux dangers fréquents de l'Adriatique. Ayant l'inten-
tion de faire un tableau de mœurs, j'ai pensé à ar-
ranger ma composition de manière à rendre ce qui m'a
frappé : c'est dans les préparatifs d'un départ pour la
pêche d'hiver que je crois avoir trouvé assez de maté-
riaux pour en faire une scène. Je voudrais pouvoir
vous émettre mes idées, mais je fais mes tableaux
d'une manière si singulière qu'il ne m'est possible d'en
faire de description que quand ils sont terminés, et
le mien est à peine commencé. Je ne puis faire une
ébauche arrêtée, ne pouvant conserver les mêmes mo-
tifs. La nature que je vois chaque jour, que j'observe,
me fournit des idées nouvelles, des mouvements dif-
férents ; je fais des changements à n'en plus finir, et
je ne sais comment j'arrive au terme après un em-
brouillement où quelquefois je ne me reconnais pas
moi-même '. La nature est si difficile à rendre, surtout
' L. Robert faisait de continuels changements sur ses toiles. Son
tableau des Pêcheurs, sans parler de diverses combinaisons de
détails qu'il avait subies, avait été transformé complètement. On peut
voir, dans le volume qu'a publié M. Delécluze, sur Léopold Robert,
11
-ocr page 126-LÉOPOLD ROBERT. 123
celle qui n'offre au premier aspect que l'apparence
de la misère, je dirai même de l'abrutissement; c'est
Un travail d'y trouver de la noblesse et de l'élévation,
et c'en est un autre aussi que de rendre ce qu'on a
trouvé. Le caractère conserve ici, dans beaucoup de
choses, un cachet tout à fait oriental qui vient des
rapports passés. Ils ne sont plus qu'une ombre aujour-
d'hui. Du reste, on est bien tranquille ici, et le gou-
vernement est doux ; on s'y occupe peu de politique,
ce qui est un avantage pour les artistes.— Mais par-
don, Monsieur, si je vous parle autant de moi et de ce
qui me concerne. Je devrais vous parler de mon désir
de voir les tableaux auxquels vous travaillez. Je me
l'appelle avec un sentiment d'admiration cette scène de
la peste qui me fait toujours penser que pour réussir
dans les arts il faut parler à l'âme
Veuillez, Monsieur, recevoir cette lettre comme une
marque de mes sentiments de gratitude les plus vrais
"^t l'expression du plaisir que j'éprouve de vous savoir
boime santé, ainsi que je l'ai appris par une lettre
^le j'ai reçue de Schnetz.
J'ai l'honneur d'être. Monsieur le baron, votre trés-
liumble et très-obéissant serviteur,
Léopold Robei^t.
<leiix eaux-fortes qui représentent les doux états de cette composi-
^'on. (Gravées parJoubert.)
La Peste de Marseille.
M"· MARS.
.[ϋίΐί!
'Μ7
124
•if
f
Vers 1801.
'îI'
h
.Si
i^ïM ί
Eh bien, monsieur et ami, me voilà à trente lieues de
vous. Je suis dans un enfer avec l'impossibilité de
m'en retirer avant douze jours! car je les compte,
les heures et les minutes aussi. Je fais un métier dé-
testable ici; je bâille, j'enrage, je crois que je pleu-
rerais si mes yeux ne me faisaient déjà bien mal;
ils sont d'une faiblesse extrême depuis ma douleur
de tête. Figurez-vous qu'à l'exception de deux ou
trois personnes, je suis entourée et secondée comme
je le serais au Café des Aveugles ; l'un prêche, l'autre
bégaye; celui-là va toujours sautillant; enfin je ne
reconnais la plupart des pièces que par l'affiche qui
m'en dit le titre. Ah ! je fais pénitence d'une cruelle
manière! et du reste, si nous en croyons les savants,
nous verrons bientôt la fin de notre existence. 11 me
fâcherait beaucoup de finir ici, je ne me trouve pas
assez en bonne compagnie. Nous courons le risque de
mourir d'ennui ; la pluie ne nous a pas permis de nous
promener un quart d'heure depuis dix jours. Mais,
comme il y a toujours un bon côté aux choses, le
< Lettre écrite pendant un voyage de M"® Mars. Elle se rendait à
Toulouse et aux eaux de Bagnères. Gérard, qui était fort lié avec '
Monvel, père de M"® Mars, avait, à deux reprises diiférentes, fait le
portrait de celle-ci, la première fois en 1808, la seconde en 1814·
M"» MARS. 12α
spectacle n'en est que plus suivi, et le directeur trouve
ψιβ le temps est tout à fait de saison. Je vous quitte;
il me survient un agrément. M. le préfet vient de dé-
fendre la comédie qui a eu assez de succès pour
"lettre en rumeur tous les gentilshommes provinciaux,
^e sorte qu'aujourd'hui à midi on est obligé de dé-
chirer les affiches et de changer le spectacle. Je m'en
vais donc passer une matinée au théâtre pour répéter
ee qu'on doit jouer ce soir. Ahl quel métier!
Mars.
Toulouse, vers 1807.
Cette grande peur est enfin passée ; vous ne parta-
giez pas mes craintes, et vous aviez raison. J'ai trouvé
^out le monde si bien disposé que l'on se promettait
tout simplement d'assommer le premier qui, par quel-
que facétie, troublerait le spectacle. Non-seulement
'Isétaientvenus en foule pour me bien rassurer par leur
^on accueil, mais ils ont eu l'air très-contents de moi,
leurs transports vont toujours croissant. A deux
heures, ils s'étabhssent sur une place où le soleil
^fùle ; \k, ils attendent l'heure où les bureaux ou-
^•■ent, et la salle est pleine aussitôt qu'on laisse la li-
berté d'entrer. On dit que jamais affluence n'a été si
^^ grande pour personne. Les femmes mêmes oublient
missionnaires, et elles quittent le chemin du ciel
pour reprendre celui de l'enfer. Enfin, c'est un
126 M"« MARS.
triomphe complet, et je suis à présent fort contente
d'être venue.
Comment vous portez-vous? Dites-moi si vous avez
encore cette belle santé qui nous rendait tous si heu-
reux. Rappelez-moi au souvenir de M"" Gérard et de
M"" Godefroid, et présentez-leur mes compliments et
amitiés. — Nous avons ici Garat et sa femme ; nous
avons parlé de vous ensemble.
Mars.
ifili!
I; '
lii
liP:
vous.
Mars.
A M'"^ GODEFROID,
Paris, ce mardi 29, 182 ,
Ma chère mademoiselle Godefroid , ne pouvant
avoir pour ce soir la loge qui convient à Gérard pour
qu'il n'ait aucun inconvénient de lumière, je l'ai re-
tenue dès aujourd'hui pour samedi. J'espère que ce
retard ne contrariera que moi, et cependant, grâce à
un gros, énorme rhume, ma voix est si malade que,
je suis presque consolée qu'il ne m'entende pas ce
soir, car ma flûte est très-endommagée, et je ne veux
pas du moins, si je lui fatigue les yeux, lui déchirer
les oreilles. Si mon travail de la soirée ne redouble
pas mon rhume, j'irai demain passer quelques ins-
tants avec lui et sa grande compagnie. En attendant,
chargez-vous de mille tendresses pour lui et M""' Gé-1
rard, et croyez à toute la sincérité de mon amitié pour
.pr.'
ïi'
M»" MARS, 127
A M"^ GÉRARD.
Paris, 18ίι .
Me voici de retour, ma chère madame Gérard ' ;
n'étant pas tout à fait rétablie et craignant le
Iruit de Paris, je suis à Chantilly, attendant l'ouver-
•^ure du Théâtre-Français. Je reçois ce matin une
lettre du dernier régisseur du théâtre, qui me de-
mande de la part du commissaire royal, M. Buloz,
quand je compte reparaître, et quelles sont les pièces
que je choisis afin qu'on les prépare. 11 m'avertit toute-
fois que, M. Mazères^ ayant donné le rôle de Chacun
son côté à M'" Plessis, je ne devais plus penser à
•^ette pièce. J'avoue que la manière dont j'apprenais
cette nouvelle m'a fort étonnée, et je ne croyais que
^I· Scribe capable d'un pareil procédé (entendez bien
que je ne parle ici que de la forme). Je ne puis em-
pêcher un auteur d'avoir plus de confiance dans le
•^lent d'une autre que dans le mien. Ce que j'ai peine
à concevoir, c'est que M. M... ne m'ait pas prévenue
son intention et ne m'en ait pas dit le motif. Je
' Cette lettre est adressée, après la mort de Gérard, à M'»® Gérard.
, ' M. Mazôres avait épousé la nièce de Gérard, li fit la pièce de
^'^acun de son côté en collaboration avec Picard ; en d830, la Mère
'a Fille avec M. Empis. Le Jeune Mari fut représente en 1820 :
•^•^tte jolie comédie est restée au répertoire de la Comédie-Française.
Après la révolution de 1848, qui lit perdre à M. Mazères sa position
Administrative (il éUit préfet du Cher), il travailla encore pour le
théâtre : le Collier de perles eut un grand succès au Gymnase (1831).
Macères est mort le 19 mars 18()6.
128 M'" MARS.
pense que M. Buloz lui a écrit pour lui faire cette
demande, ainsi qu'il avait déjà fait à d'autres au-
teurs, Dumas, Goubaux, par exemple, mais ceux-ci
l'ont déclinée.
Pour appuyer cette démarche et justifier cette pe-
tite trahison, il aura sans doute fait quelques men-
songes, et c'est cela simplement que je veux éclaircir.
Il aura dit que je ne voulais plus jouer mon rôle,
que lorsqu'on parlait de la pièce je refusais ; et moi
je déclare que, depuis plus de deux ans, je demande
cette pièce; qu'une fois, M. Védel ' me répondit que,
si on jouait, ce serait matière à procès; que M. M...
avait retiré tout son répertoire, et que, certes, il ne
mettrait pas Chacun de son côté. Plus tard, lorsque
ce répertoire fut rendu à la scène, je tourmentai
encore M. Védel : alors le rôle du marquis manquait
depuis le départ de David; je parlai de M. Lockroy;
mais, comme il ne plaisait pas à certains comédiens,
li;. M. Védel eut peur de se faire des ennemis, et ne lui
en parla point : chaque fois que je revenais là-dessus,
^^ il éludait la question et ne me répondait point. Il en a
, été de même du Mariane de Fimro, le rôle du comte
C/ Ο '
__manquait; du Mariage d'argent, du Jeu de VAmour^ ■■
du Manteau, à'Édouard en Ecosse, ùHHenri III, que
Védel n'a pas voulu remonter à cause des dépenses;
et, si je n'avais pas vu Dumas tous les jours, il aurait j
cru ce qu'on lui disait, que je ne voulais pas jouer
Il en a été de même de Marie, depuis le départ de |
Volnys; de ClotUde, depuis celui de Bocage; enfin,
' Alors directeur du Théillre-I^aneais.
m
fi V
ii
r·;
ρ
M'" MARS. 120
c était une ligue contre moi pour me dépouiller de
nion répertoire et m'obliger à m'en aller.
Le service que je vous demande, chère madame,
^ est d'écrire à M. M... pour savoir de lui si on. lui a
f'crit et ce qu'on lui a écrit. Je désire beaucoup qu'on
1 ait trompé, car la pensée d'un mauvais procédé de
part me serait bien pénible. Avant mon départ, et
lorsque j'étais bien malade, et cela au point de ne
pas conduire ma plume, j'avais demandé à Adèle ' de
Vous prier de prévenir M. Mazères du tour qu'on vou-
lait me jouer, puisque Coubaux m'avait prévenue pour
^on compte ; mais il paraît qu'elle m'a oubliée. Il est
Encore bon de vous dire que, peu de jours avant de
tomber malade, j'allais engager M. Mainvielle, qui
allait débuter, à jouer le rôle du général, espérant
par là faire monter la pièce, en dépit des mau-
vaises volontés ·, mais M. Perrier s'est mis en avant et
"iit qu'il allait l'apprendre. La chose en est restée
puis je suis tombée dangereusement malade. Je
SUIS mieux maintenant, mais j'ai besoin de reprendre
jles forces. Dans les Pyrénées, la saison a été affreuse;
® '5 août j'ai fait du feu et je me suis sauvée le i6,
^'"aignant que l'hiver ne me surprit là.
A^ussitôt que je serai à-Paris, j'irai vous voir, mais,
J® Vous prie, écrivez ou faites écrire de suite là-bas,
^ue je sache de qui je dois me méfier.
'^dieu, chère madame, mille amitiés bien sincères.
Mars.
' Adèle Grasset, élève de Gérard.
Ifiil
Naples, le 10 juillet 1820.
Je viens, mon cher ami, d'être témoin d'un singulier
spectacle L'entrée dans Naples d'une armée trioro- J
pliante, qui n'a pas brûlé une seule amorce ni tiré uii '
coup de fusil. La révolution qui vient d'avoir lieu a étéi
faite par la force armée, quelques fédérés des pro- >
i:
' Élève de David. Un des principaux auxiliaires de Gérard dans
l'exécution de ses grandes toiles et la reproduction des portraits.
avait une grande facilité de main. Ancien soldat des armées de la ι
République^ il avait conservé des habitudes soldatesques qui con- '
trastaient avec les manières mondaines de Gérard. M'·" Godefroicf di-
sait qu'il était à moitié peintre et à moitié hussard. Le portrait de j
M·"® Barbier-Walbonne, que Gérard peignit en 179C, est une des'
bonnes peintures de sa première manière. La fille de Barbier, qui ^
devint plus tard 51®= la baronne Darriule, figure dans un des '
Ad VEntrée de Henri If^. ;
A côté de M"® Godefroid et de Barbier, on distingue dans l'atelier ■
de Gérard, parmi les peintres qui l'aidèrent dans ses travaux, Steu- "
ben, élève de Lagrcnce et protégé de M""® de Staël; il se fit connaître3
par un Pierre le Grand sur le lac Ladoga, la Révolte des StrélU'-'/M
Rousseau et madame de Warens. la Mort de Napoléon à Sainte'^
Hélène, etc.; puis Paulin Guérin, l'auteur d'un Cain et d'un Jn- 1
çhise, longtemps exposés au Luxembourg ; un Italien, nomme
nevali, et Charles Bazin. a
' Barbier se trouvait à Naples, au milieu du mouvement de 1820,
qui mit, pendant quelques mois, le royaume des Deux-Siciles, sous
le régime constitutionnel. On sait que cette révolution finit, selon les
prévisions de Barbier, par l'occupation étrangère. Au mois de févriei'i
1821, 32,000 Autrichiens envahirent le royaume de Naples et réta-,
blirent l'autorité do Ferdinand I", avec le régime absolu.
il
130
Ι'ΐ
BAllBIER-WALBONNE.
BARBIER-WALBONNE. 131
vinces et les carbonari. Le gouvernement a été ren-
versé avec une vivacité qui a droit de surprendre. Il y
a peu de jours, les chétifs citadins tremblaient de-
vant le pouvoir; aujourd'hui, ils sont tous souve-
''ains. Ceux qui prétendent résister à l'opinion pu-
blique lorsqu'elle s'est prononcée, sont bien fous.
Heureusement, dans cette affaire, les lazzaroni n'ont
Pi'is aucune part. "Voici à peu près comme la chose
s'est passée. Le mardi 4, on a dit à Naples que cent
*^'»quante hommes du régiment de Bourbon avaient
quitté leur drapeau pour rejoindre d'autres troupes
qui en avaient fait autant. Le mercredi, les ministres
du roi ont fait partir de Naples deux régiments de la
garde royale pour arrêter et réprimer cette désertion :
toutes les troupes de la garnison royale ont été sur
pied ou consignées dans leurs quartiers. Le jeudi ma-
régiment de chasseurs à cheval avec un officier
général qui s'est mis à leur tête est parti de Naples
pour aller rejoindre les insurgés. Nous avons compris
^lors qu'il pouvait y avoir quelque chose de plus sé-
•■ieux que désertion de quelques hommes. Les deux
'égiments qui avaient été envoyés pour combattre la
'■évolte avec du canon étaient restés fort tranquilles à
quelques milles de Naples. Ce même jour, des dé-
Putés des insurgés sont venus demander au roi une
^'^usiitution comme celle des Espagnols, et la liberté
^es prisonniers politiques. Le roi fit publier et afficher
arrêté par lequel il promettait à son peuple une
^institution. 11 promit d'en fonder les bases en l'es-
de huit jours. Ce n'était pas clairement répondre
1
i
BARB1E[{-WALB0NNE.
132
i:
!
à la demande; aussi, le vendredi matin, les députés
sont revenus à la charge, peut-être avec des manières
plus pressantes. Les ministres ont pensé alors qu'il
était prudent de quitter leurs portefeuilles : le roi a
donné un ministère provisoire du goût des pétition-
naires. La fermentation du dehors faisait du progrès
en ville : on fit force patrouilles; la garde nationale
s'est armée pour maintenir l'ordre et contenir les
lazzaroni. La plus grande prudence et d'extrêmes
précautions étaient nécessaires en ce moment; aussi
la plus grande tranquillité a régné dans la ville. Le
soir, je dînais chez le duc de Berwick, et ensuite je
suis allé au théâtre Saint-Charles : il y avait peu de
monde, à la vérité. Ce soir même, à six heures, il
paraissait une affiche par laquelle le roi disait que,
vu sa mauvaise santé, il déléguait à son fds, le prince
héréditaire : le pouvoir royal, le droit de faire la
constitution, de la signer, enfin de prendre les rênes
du gouvernement jusqu'au parfait rétablissement de
sa santé. Ces concessions n'ont pas encore satisfait tout
le monde. Les constitutionnels étaient trop récalci-
trants pour s'en contenter. Ils persistèrent dans leur
première demande : leurs prières devenaient un or-
dre, d'autant plus qu'elles étaient soutenues par les
baïonnettes et le vœu de la nation. L'accouchement a
été laborieux, comme tu vois. Le roi a accordé et
signé de bonne grâce tout ce que les héros, qui la »
veille étaient des brigands, lui avaient demandé. Il iii
fut arrêté que, le dimanche à midi, l'armée, les fé-
dérés calabrais et les carbonari feraient leur entrée
BARBIER-WALBONNE. 136
dans la capitale. Ce spectacle était vraiment beau : la
l>elle rue de Tolède remplie d'une population nom-
breuse, les balcons occupés par les dames couvrant
de fleurs les troupes à leur passage, les mouchoirs
jouant aussi leur rôle. Le plaisir et le bonheur étaient
peints sur toutes les figures. Les drapeaux des troupes,
des fédérés et des carbonari étaient aux trois cou-
leurs : noir, rouge et bleu, avec les emblèmes des car-
bonari et la cocarde. Le soir, toute la population
et la cour elle-même ont porté les trois couleurs. Le
pHnce héréditaire avec sa famille et son frère le prince
Léopold ont assisté au spectacle à Saint-Charles. Ils
ont été très-bien reçus par le public. On a illuminé
partout, et la nuit a été tranquille.
Aujourd'hui lundi, tout est pour le mieux. 11 y a
beaucoup d'ordre parmi les troupes, et on a nommé
une commission, composée des principaux chefs de
' insurrection, pour prendre les mesures les plus con-
venables pour arriver au but désiré. Je fais des vœux
pour qu'ils réussissent. Le plus difficile reste à faire
actuellement : il faut reconstruire et de plus réprimer
toutes les ambitions. Je ne sais quelle influence cette
affaire aura pour le reste de l'Italie. Les Napolitains
®ont extrêmement orgueilleux de leur révolution.
Nous n'avons pas encore de nouvelles positives de
Sicile, mais je me trouve fort heureux d'en être re-
'^i^nu. Il serait possible que les étrangers fussent for-
cés pour circuler paisiblement ici d'avoir les trois cou-
'^urs à la boutonnière, comme les Napolitains.
Je voudrais bien savoir comment les Autrichiens
-ocr page 137-134 BARBIKR-WALBONNE.
vont prendre ces nouvelles : feront-ils marcher des
troupes contre Naples ? Dans ce cas il n'y aura plus
qu'à s'embarquer pour la France. Je n'ai pas une très-
grande confiance dans les Napolitains. J'espérerais
mieux des Calabrais qui sont entrés en ville diman-
che, leur carabine sur le dos et le poignard sur le
cœur. Ces diables de chapeaux pointus avaient très-
bonne mine. Je pense que dans leurs montagnes ils
doivent être redoutables, mais en ligne, non.
Je ne sais pas si je t'ai dit dans ma dernière que
Forbin était ici. Nous nous voyons presque tous les
jours ; il se porte bien, et me charge de le rappeler à
ton souvenir.
Présente, je te prie, mes respects et amitiés à ta
femme, à Mademoiselle Godefroid ; mes compliments
à Ducis.
Je l'embrasse,
Baebier-W.
Il-
r'i i
il
l'V
Si r!.
lî!
>1
îf!
te·
.· ■ ■ 5
i^ii.f
II.
Napics, le Π août 1820.
Mi ■
J'ai reçu ta seconde lettre, du juillet ; tu me dis
qne tu travailles beaucoup, mais tu ne me dis rien
du tableau que tu as fait ^ Ma fille me marque qu'il a
fait grand plaisir. Tu dois penser que je ne puis rester
indifférent à tes succès. Quant à ton voyage d'Italie,
' La Corinne.
■•li;
-ocr page 138-BARBIER-WALBONNE. 135
'1 faut tout faire pour arriver à nous rejoindre. Ce
qui me fait peine dans ta lettre, c'est le maudit mot :
j'espere. Tu dois savoir positivement si tu viendras à
Rome et quand. Ne reste pas dans cet état d'incerti-
tude qui use la vie sans profit, fais-moi un mot de
réponse et dis-moi une chose positive sur ton voyage.
Je serai à Rome du i5 au 20 septembre.
Je m'étais déjà occupé du tableau des Trois Ages
il est en très-bon état et m'a fait grand plaisir à re-
voir. Je l'ai vu de très-près; il a été descendu de sa
place à cause des réparations qu'on doit faire dans
les appartements du prince Léopold, ou autrement dit
S· A. R. le prince de Salerne, à qui il appartient. M. Le-
inasle, son peintre, et qui, en cette qualité, est chargé
du soin de sa galerie, est convenu avec moi qu'il le ferait
dévernir et revernir avant de le remettre en place. J'a-
vais vu aussi au palais du roi ton tableau de la duchesse
d'Orléans Il n'est pas penché assez en avant, et
le parquet se mire dans la toile, ce qui empêche de le
Voir. J'en ai fait l'observation à la personne chargée
des appartements, qui m'a dit ne pouvoir toucher à
^ucun tableau sans les ordres de M. Cammucini le
premier peintre du roi. Je ferai cependant une nou-
velle tentative. Peut-être, à présent que nous sommes
' Ce tableau avait été peint par Gérard, eu 1800, et acheté par la
l'eine Caroline Miirat : il est resté à Naples.
^ ^ Le portrait de la princesse Marie-Amclie de Bourbon, fille de
^'erdinand I", roi des Deux-Siciles, et de Marie-Caroline, arcliidu-
chcsse d'Autriche : femme du duc d'Orléans, depuis Louis-Philippe,
ïOi des Français.
' Cammucini habitait Itome. Nous retrouverons ce peintre.
V"
ρ;
! i;
ί,Ι'
ι i ,
îi: 1
136 BARBIEtt-WALBONNE.
dans un pays constitutionnel, la chose deviendra-t-elle
plus facile à obtenir sans avoir besoin d'en écrire à
Rome. Ce qui te surprendra, c'est que je vais un peu
dans le monde; cependant j'en use sans en abuser. Mon
goût pour la pipe est toujours le dominant.
Naples est fort tranquille. Messieurs les Constitu-
tionnels et les Carhonari ne s'endorment pas : leur af-
faire paraît marcher. La Sicile, cependant, veut se
rendre indépendante et prendre une autre direction.
Dieu sait comment tout cela finira.
La musique de Rossini fait fureur. La Donna del
Lngo et la Gazza ladra m'ont fait grand plaisir. Il
n'est pas possible d'entendre un orchestre plus' riche
et plus bruyant, à moins d'y placer une batterie de
vingt-quatre.
Je pars cette nuit pour Salerne et vais visiter cette
partie du golfe.
Adieu, mon ami, je t'embrasse de tout cœur.
Barbier-W.
η 1 ί
Mi
ii t
it
Maples, 2 octobre 182(1. f
Hier dimanche, le vieux roi Ferdinand a fait so-
lennellement l'ouverture de la Chambre des députés. I
Après son discours il a prêté serment sur l'Evan- J
gile « à la Constitution émanée et adoptée par le
royaume des Espagnes, en l'an 1812, et sanctionnée par
S. M. C., en mars de la présente année. » 11 a juré
qu'il remplirait fidèlement cette promesse. Le prési"
ii
r
I··
i;i ^
' BAKBIËH-WALBOxNNE. 137
dent lui a répondu; ensuite le général Pepe, com-
mandant provisoire des deux royaumes, s'est excusé
auprès du roi de la démarche qu'il avait faite; « les
circonstances l'avaient forcé de se mettre du côté de
l'insurrection. « Puis il s'est démis de sa charge de
capitaine général. Le roi l'a remercié du bon ordre
qu'il avait su maintenir dans tout le royaume durant le
temps de son commandement. Le prince héréditaire
a aussi remis au roi les pouvoirs qu'il avait reçus de
lui. Après quoi le cortège est retourné au palais, ac-
cueilli par quelques applaudissements. En allant, un
morne silence a régné partout. Ici, les gobe-mouches
croient que cela va aller de cire. Je ne suis pas de cet
avis, il n'est pas possible qu'il y ait là de la bonne foi.
Naples est comme toutes les grandes villes, les intérêts
y sont trop divisés. Les Autrichiens y entreront facile-
ment
Je me porte bien et suis parfaitement tranquille.
11 n'y a eu aucun désordre à Naples. Écris-moi.
Tout à toi.
Bai(bier-W.
IV.
Home, le 31 août 1821.
Enfin, mon cher ami, j'ai surmonté mon affreuse
paresse. Ma répugnance pour écrire est difficile à ex-
' Prédiction qui s'est rcalisce.
-ocr page 141-i!',·
BARBIER-WALBOiNNE.
pliquer. Elle serait impardonnable si mon cœur y
avait pris la moindre part. Il est toujours tout entier
à toi.
Je me suis renfermé, à Rome, dans un très-petit
cercle de connaissances, Granet, MM. Boguet et Chau-
vin'. Messieurs les fonclionnaires de l'Académie vi-
vent entre eux dans une douce intimité ; ils ont du
reste, pour moi, tous les égards possibles. Je ne pense
pas que l'atelier qu'on a fait pour toi^ te convienne
tel qu'il est ; il faudrait refaire les croisées pour que
le jour soit plus franc; il est trop éclairé par des re-
flets. Je pense qu'il est facile d'y remédier. J'ai fait
part de tout ceci au bon Thévenin ; il est, de sa na-
ture, un peu mollasse , mais d'un caractère égal et
sùr. Nous nous voyons deux fois par jour à table.
L'air monacal qu'on respire ici a beaucoup d'in-
fluence, je crois; le commérage des petites villes est
poussé au plus haut degré, et chacun vit ici en vrai
capucin. Granet est cause que j'ai fait connaissance
avec le père abbé de Saint-Paul.
Je suis tellement incertain sur ce que j'ai fait
1 Boguet et Chauvin, artistes de talent, tous deux peintres de pay-
sages, ont passe la plus grande partie de leur vie à Home. On voit
dans les galeries de l'Empire, à Versailles, quelques tableaux de Bo-
guet. 11 excellait surtout dans le dessin au lavis. 11 a laissé des car-
tons d'études d'après nature, en ce genre, qui sont d'une rare
beauté. Chauvin faisait des tableaux de petite dimension, des Vues,
d'une touche délicate et d'une extrême finesse.
^ Gérard avait l'intention d'aller passer quelque temps à Rome, et
le directeur de l'Académie, Thévenin, lui avait fait construire un ate-
lier dans la villa Médicis. Ce voyage, toujours ajourné, n'a jamais
eu lieu.
: ■)■
é
138
BAllBIEll-WALBûNxNE. 139
que je n'ose t'en parler. Tu en jugeras à Paris;
ton opinion fixera la mienne. Jusque-là je reste dans
une cruelle incertitude sur le sort de mon tableau.
On en a paru assez content ici, mais il faut toujours
en rabattre de ces compliments, surtout dans ce pays
où l'on vous donne de Vexcellence^ du célèbre à tout
bout de champ. C'est la monnaie courante, et il faut
la prendre pour ce qu'elle vaut. 11 serait très-désagréa-
ble pour moi de faire un plat-ventre^ d'autant mieux
qu'il m'en est poussé un qui te fera rire. Quant à moi,
il me désespère ; la table du directeur a cette propriété,
à ce qu'il parait. Celui de Tliévenin est aussi beau que
possible. Généralement, en Italie, on vit pour manger
et pour dormir.
Je dois aller passer quelques jours à Assise avec
Cranet, et de là me diriger sur Florence et Paris. J'ai
le désir de revenir à Rome, après avoir arrangé mes
affaires à Paris. Peut-être y reviendrons-nous en-
semble.
Ecris-moi poste restante à Florence; je ne quitterai
luette ville qu'après avoir reçu ta lettre.
Présente mes respects à M""' Gérard et à M"" Gode-
froid.
Ton ami pour la vie,
barûieii-w.
J'ai fait mettre pour toi la collection des tètes de
la colonne Trajane dans les caisses que l'Académie
envoie à l'Institut.
iio BARBIEU-WALBONNE.
V.
Florence, le 10 novembre 1821.
Ta lettre, mon cher ami, que j'ai trouvée à Floren ce,
m'a fait grand plaisir. J'ai été très-heureux de te
savoir bien portant et de penser que nous pourrions
voir ce beau pays ensemble. Je t'assure que ce que
j'ai éprouvé en Italie me donnera, tant que je vivrai,
le regret de ne l'avoir pas visitée dans un âge où j'aurais
pu en tirer quelque profit. Tu sais déjà que j'ai fait
la route de Rome à"Florence, par Terni et Perugia,
à pied, avec deux pensionnaires de l'Académie. J'ai
visité toutes les villes qui se trouvaient sur mon pas-
sage, avec beaucoup d'attention et d'intérêt. Je suis
sur le point, puisque ma santé me le permet, de con-
tinuer jusqu'en France'. Mais ce qui me chagrine, c'est
que cela retardera au moins d'un mois le plaisir de t'em-
brasser ; il nous faudra au moins ce temps pour ter-
miner notre voyage. Je viens de Livourne, où j'ai fait
embarquer ma malle pour Marseille: j'en suis débar-
rassé. Il est impossible de se faire une idée des tracas
des douanes; j'en suis fatigué à l'excès Je reste avec
' Le plus grand nombre des artistes français qui, à cette époque,
visitaient l'Italie, faisaient le voyage à pied de Naples à Venise. —
Plusieurs d'entre eux ont traversé les Calabres, et fait ainsi le tour
de la Sicile.
^ L'unification de l'Italie fait oublier aujourd'hui le temps où, de
la frontière de France à la porte de Rome, on était visité sept
fois.
Il
BARBIER-WALBONNE. 144
ce que j'ai sur le corps et deux chemises que je met-
trai dans un mouchoir, et lundi matin, un bâton blanc
à la main, je serai sur la route de Bologne. Je suis allé
à Pise voirie Campo-Santo,puis àLucquesetàPistoia.
•Te compte aller à Parme, à Venise, et de là à Milan et
à Gênes. Je rentrerai en France par la Corniche. 11
est trop tard pour passer le Simplon:je le regrette
fort ; mais nous y passerons ensemble; cette idée me
rend joyeux.
J'ai trouvé à Florence le bon Constantin Il est
très-bien casé ici chez un ami d'enfance. ïl a beaucoup
travaillé et m'a montré de fort bonnes copies qui sont
très-appréciées. Ilespèrealleràllomel'annéeprochaine.
Ingres et Bartolini m'ont prié de les rappeler à ton
souvenir. Ingres m'a dit t'avoir écrit. Il achève un
tableau de Louis XIIIfaisant un vœu à la Vierge. C'est
un homme .droit, d'un grand talent, et qui méri-
terait un autre sort
Ton vieil ami,
Barbier W.
J'ai dîné ces jours derniers avec M. le chevalier
Bartholdy % ministre de Prusse à Rome. Il m'a prié de
le rappeler à ton souvenir et de présenter ses respects
à Gérard.
' Voir les lettres de Constantin.
Voir la lettre de M. Ingres à la page 69, qui explique l'état de
gène où se trouvait ce grand peintre.
' I.e chevalier Bartholdy, oncle de Mendelssohn. C'est dans son pa-
lais de Rome qu'Owerbeek peignit des fresques représentant \Uis-
toire (le Joseph.
1Λ2 BARBIER-AVALBONNE.
;t-5
ί;!
'il
Londres, ce 28 mai 1822.
Mon ami, je m'y prends un peu tard pour t'écrire,
mais cela vaut mieux que de ne point le faire du tout.
Depuis que je suis débarqué ici, mon étonnement va
toujours croissant. Ce que je vois à tous les instants
me prouve que j'ai la tête trop petite pour contenir
et apprécier tant de choses diverses. 11 faudrait sé-
journer dans ce pays un peu plus longuement pour
pouvoir en raisonner. L'esprit d'ordreet de propreté qui
règne partout extérieurement est chose surprenante :
tout le monde a l'air aisé. Cependant la masse est ici plus
pauvre, parce qu'elle α plus de privations, que partout
ailleurs. Enfin si l'on en croyait ses yeux, ce pays-ci
serait le plus beau du monde. Mais, selon moi, il n'y
a pas de beau pays sans soleil, et celui-ci.en est tout à
fait privé. Son climat est effroyable.
Ce qu'il y a de particuher, c'est que la peinture des
Anglais est pleine de lumière, de force et de richesse
dans les tons. Les Italiens de nos jours ont l'air de
peindre dans les brouillards du Nord ^ et messieurs
les Anglais sous le beau ciel de l'Italie. La première
fois que j'ai été voir leur exhibition, j'ai été frappé de
la magie de leur peinture. Leurs portraits ont des
reliefs que nous sommes loin d'atteindre. H y a des
portraits de Lawrence, de Philips, etc., qui ont l'air
de faire partie du public qui les regarde. I/école
anglaise suit toujours l'école de Reynolds, mais avec
plus de mollesse. Ils marchent quelquefois de front
j/j
î
BAIIBIER-WALBONNE. 143
avec la nature, en prenant une route tout opposée
Lorsqu'on voit de près leurs tableaux, on y trouve de
l'exaltation sans vérité dans la couleur, mais l'ensemble
est toujours gracieux et aisé. Malgré tous leurs défauts,
leurs tableaux écraseraient les nôtres. Ils se soutiennent
bien dans les galeries à côté des maîtres. La peinture
de notre école paraît pédante et terne à côté de la
leur. Quant au genre élevé de \histoire, ils y sont
presque nuls. Je pense même qu'ils ne songent point
à y atteindre. Ils en sont à ne pas savoir dessiner une
roiule Ils consultent plutôt Rubens et Van-Dick que
la nature. Dans les portraits tout est sacrifié pour
la tête, et je suis forcé de trouver qu'ils ont raison.
M. Wilkie a un tableau à l'exposition, qui fait foule.
Le sujet est un homme qui lit le bulletin de la bataille
de Waterloo. Il faut que cette bataille de Waterloo
leur ait tiré une fière épine du pied, car ils en parlent
encore comme d'hier.
Je suis on ne peut plus content de mon compagnon
de voyage. Horace^ me prie de le rappeler à ton sou-
venir. Son père désire t'écrire, je pense que c'est pour
te prier de ne pas oublier Horace pour l'Institut; je
crois inutile de te le rappeler, puisque tu y avais
pensé avant lui.
Je t'embrasse. A toi pour la vie,
baiinier-vv.
' lîxcelicntc appréciation de l'École anglaise au temps où Barbier
écrivait.
® lîarbier, il faut se le rappeler, était élève de David.
' Vernet.
144 BARBIER-WALBONNE.
Mon cher Gérard, notre pauvre Barbier est sur le
flanc par suite d'une foulure qui, j'espère, ne tardera
pas à se civiliser. En attendant, il souffre et se vexe
de ne pas nous suivre dans nos visites pittoresques. Je
connais trop votre amitié pour moi et pour Horace,
pour craindre que, dans l'occasion qui se présente,
vous ne lui continuiez pas votre bienveillance. Je ne
fais pas de phrases, mais jene puism'empécher de vous
parler de toute la reconnaissance que je vous aurais si
vous faisiez pour notre jeune homme ce que vous avez
fait pour moi
Je vous embrasse. Votre ancien et fidèle ami,
Carlk Vernet.
I
I
Florence, le 27 février 1820.
Victoire! pouvons-nous dire. Monsieur: voilà le
cuivre hors des mains de Morghen, et tout s'est bien
passé. Il me fit prévenir qu'il allait tirer les épreuves :
' 11 s'agissait ici d'une vacance à l'Institut.
2 Constantin fut longtemps employé par l'administration de la ma-
nufacture de porcelaines, à Sèvres, pour la reproduction, sur plaques
émaillées, des chefs-d'œuvre des maîtres anciens. On a de lui de
belles copies d'après Raphaël, Titien, Rubens et autres peintres célè-
bres. Cette lettre a été écrite à propos de la planche des Trois Ages
qu'avait terminée Morghen. Voir la hittre de Gérard, après la der-
nière de Constantin.
CONSTANTIN. 145
j'y fus de grand matin et fus témoin du résultat, lequel,
me paraissant aussi satisfaisant que l'on peut espérer
de Morghen , me détermina à retirer le cuivre. Il ne
s y attendait pas et a paru un peu surpris ; mais, comme
je lui remis aussitôt le solde de 8000 francs, cela le
consola un peu. La gravure me parut avoir beaucoup
gagné, surtout par l'harmonie. J'ai emporté le cuivre
sans le quitter de ce moment : je l'ai montré à M. le
lïiarquis de la Maisonfort ', et il a été emballé de
suite par les hommes que Morghen a envoyés avec
moi à cet effet. M. le marquis veut bien vous l'envoyer
par un courrier extraordinaire que l'on attend d'un
instant à l'autre, en sorte qu'il ne sera point sujet à
•ître visité en route, ce qui me tranquiUise beaucoup
sur son sort \
Je me flatte que vous êtes entièrement rétabli :
Veuillez m'en donner la certitude.
A. Constantin.
(ril
ri
Florcnce, le 0 norerabre 1823.
Monsieur,
J'ai reçu avec un plaisir mêlé de tristesse la bonne
^^ttre que vous m'avez adressée, puisque j'y ai lu ce
' Chargé d'affaires de France à la cour de Toscane.
' Il est ici question de la planche que Morghen venait d'achever,
•i'après le tableau des Trois .Iges, et que le graveur ne pouvait se
décider à livrer.
10
-ocr page 149-146 CONSTANTIN.
que vous me marquez sur votre santé. Je me flatte
que la teinte du tableau est un peu forcée, et que, fût-
elle exacte, vous obtiendrez une amélioration. Si mes
vœux peuvent contribuer en quelque chose à ce
mieux, vous ne doutez point, j'espère, de leur ardeur
et de leur sincérité.
J'ai vu Tosclii Il est venu ici faire imprimer un
portrait d'Alfieri, son imprimeur étant malade. Lui-
même, deux jours après son arrivée, s'est mis au lit,
d'où, après huit ou dix jours, il n'est sorti que pour se
mettre en voiture et retourner chez lui. Nous avons
beaucoup parlé, comme vous pensez, de votre gra-
vure; il m'a chargé de-vous assurer qu'il était trop
attaché à vous, par la reconnaissance et par l'amitié,
pour négliger en rien ce travail et qu'il serait terminé
pour l'époque indiquée. Il m'a paru extrêmement
bien disposé. J'espère beaucoup qu'il a tout à fait à
cœur de vous satisfaire.
Je vous remercie mille fois de ce que vous avez
obtenu pour moi de M. Brongniart C'est une bien
grande tranquillité que vous m'avez procurée, car je
tremblais d'être rappelé sans avoir pu faire les ou-
vrages que je désire. J'ai entrepris une copie du Saint-
Jean de Raphaël; une fois cet ouvrage terminé, je me
disposerai à partir pour Rome.
• Célèbre graveur italien. Associé à l'Institut en 1832. A trts·
bien gravé Raphaël et Corrége. Sa belle planche d'après l'Entrée de
Henri IV, est une des bonnes gravures de notre siècle. (Voir les lettres
de Toschi.)
' Directeur de la manufacture de Sèvres, chimistc et minérale^
giste célèbre.
η
II
:i|
CONSTANTIN. 147
Reverdit! ' est ici; il travaille comme un diable. 11
ne s'est point encore italianisé. Ici on s'habitue vite au
dolce far nienle. Il me charge de mille bonnes choses
pour vous, ainsi que notre brave ami Ingres, qui a
été si sensible à votre souvenir. Celui-ci est un homme
auquel je suis infiniment attaché. Je vous assure qu'il
a de très-belles qualités personnelles, et que ce serait
un bienfait digne de vous, Monsieur Gérard, de lui
donner un coup d'épaule quand il sera au salon. Je
suis extrêmement affligé quand je vois qu'avec un
talent comme le sien il en est réduit à être embarrassé
de savoir comment vivre. Je vous le recommande en
grâce, et, ce que vous ferez pour lui, vous le ferez pour
moi
Adieu, Monsieur, conservez-moi toujours une
amitié qui m'a été et qui m'est si précieuse : réta-
blissez-vous, et croyez, je vous prie, à mon attache-
ment de toute la vie.
Rome, le SO avril 1830.
Monsieur,
Je ne compte point m.es lettres avec dis amis tels
que vous ; aussi vous en adressé-je une troisième, afin
' 11 sera question de Reverdiu, à propos de ses lettres.
^ Nous avons vu, par les lettres de M. Ingres, que Gérard n'avait
l'as négligé cette recommandation. Ce passage fait honneur à Cons-
148 CONSTANTIN.
que, si les deux précédentes se sont perdues, vous ne
m'accusiez point de négligence. Nous avons eu à Rome
une exposition dans laquelle ont figuré les artistes
des différentes nations qui se trouvent ici. Les Fran-
çais, sans contredit, y tenaient la première place.
Schnetz, Robert, Horace et autres y figuraient : Ho-
race par deux tableaux dont l'un représentait le Pape
porté clans Saint-Pierre ', l'autre Judith et Holo-
pherne. Le Pape a eu peu de succès. J'ai su indirec-
tement que le pape, chez qui on l'a porté, n'en a
point été émerveillé. La Judith ' a eu plus de succès
dans le monde et peut-être moins chez les artistes.
C'est toujours la peinture que vous connaissez. Ici les
productions d'Horace ne sont point accueillies comme
à Paris, et il doit trouver quelque mécompte, car je
crois que l'on reste assez froid.
Les Romains ne paraissent point s'embarrasser de
ce qui se fait à l'Académie; cependant les tableaux de
Schnetz ont eu un succès plus général. Un de ses ta-
bleaux représente des affligés de différents âges et
états, qui viennent implorer pour leur guérison la
Madone de Bon-Secours; l'autre représente une fa-
mille qui se sauve d'une inondation Ces tableaux
taiitin, qui avait su apprécier le caractère et le talent de notre grand
peintre.
» Le pape Pie VIII, porte dans Saint-Pierre sur sa sedia gesta-
toria. — Ce tai:)leau est au musée de Versailles. (Voir les lettres
d'il. Vernet.)
= Judith se préparant à trancher la tète d'Holopherne. Tableau
tendu populaire par la gravure de Jazet.
' Ces deux tableaux sont aujourd'hui au musée du Luxembourg. ■
, i'·
CONSTANTIN. 149
sont d'une expression très-forte. Robert a exposé un
tableau d'une femme pleurant sur les ruines de sa
maison détruite par un tremblement de terre, tableau
plein d'expression et d'un style trés-élevé La petite
proportion de cette toile, les qualités modestes du
talent de cet artiste qui n'a point (Teffronterie, font
qu'il n'est remarqué que parles vrais amateurs; mais
il est apprécié comme il le mérite. C'est l'artiste dont
je fais le plus de cas ici. M. Orsel ' avait aussi un bon
tableau représentant la Fille de Pharaon implorant
son père pour élever Moïse dans son palais : dessin
correct, grande exactitude dans les costumes, assez
bonne couleur, ce tableau annonce une bonne direc-
tion dans les études de ce jeune homme. Quant au
reste de l'exposition, je ne vois rien qui mérite la
peine d'être mentionné. Cammucini ^ n'avait rien en-
voyé. Pas un Romain qui ne dise : « Ah ! si Cammu-
cini y avait mis! » Ils croient qu'il a dédaigné d'y
être : lui, garde sa réputation, et fait bien.
Quant à la vie ici, elle est pleine de tranquillité, et
je m'en accommode parfaitement. Les Romains ne
' Ce tableau, exposé à Paris en 1831, faisait partie de la galerie du
Palais-Royal.
' Orsel, peintre, talent élevé, chercheur et curieux. 11 a décoré une
chapelle à Notre-Dame-de-Lorette, à Paris. Son œuvre a été publié
par M. Périn, son condisciple et ami, peintre lui-même, et qui a con-
tribué, comme Orsel, à la décoration de Notre-Dame-dc-Lorette.
' Cammucini était Romain, mais il étudia en France, sous l'inspi-
ration de l'école de David. 11 eut longtemps, en Italie, une répu-
tation de grand peintre. Directeur de l'Académie de Saint-Luc.
Premier peintre du roi de Naples. Malgré d'importants travaux, il
est aujourd'hui presque oublié. Son style était froid et théâtral.
k
-ocr page 153-150 CONSTANTIN.
s'occupent pas trop de nous : les artistes tirent chacun
de leur côté, travaillent comme il leur plaît, ouvrent
et ferment leur porte. Joignez à cela un temps magni-
fique, point de chaleurs trop fatigantes; c'est vraiment
enchanteur. Si un jour je puis vous voir jouir de ce
bonheur, le mien sera complet. Mais je crois bien que
j'irai faire la copie du Sacre avant que vous ne
veniez ; alors je vous ramènerai de force.
Rome, le 18 mai 18Î4.
Monsieur et bien bon ami.
Me voici enfin, et depuis bien peu de jours, dans la
ville éternelle. J'ai cru que les événements politiques
me retiendraient ad vitam œlernam de l'autre côté
des Alpes. J'étais à Chambéry à attendre le résultat
des affaires de Lyon avant de m'éloigner davantage.
Ce n'ek qu'après la certitude que tout était terminé
que j'ai continué ma route. Mon frère m'a accompagné
jusqu'à Gênes; j'ai séjourné quelque temps à Turin,
où des amis m'ont retenu. A Gènes, j'ai pris le bateau
à vapeur, et, par le temps le plus beau, la mer la plus
calme, la société la plus choisie, j'ai fait la traversée
jusqu'à Civita-Vecchia; de là à Rome, il faut huit
heures.
Rome me paraît plus belle encore. J'attribue cela à
. I
I^li
I
!lv;· 1
CONSTANTIN. 151
la privation où j'ai été pendant près d'un an. Les têtes
me semblent toutes superbes. Je vais tout revoir et
suis ravi plus que jamais. Joignez à cela l'envie de
travailler qui me talonne, un temps magnifique, des
amis que je retrouve avec plaisir ; vous envierez mon sort.
Tous les artistes me demandent de vos nouvelles :
fort heureusement j'en ai de bonnes à donner. Vous
m'avez écrit que vous aviez repris vos travaux : j'es-
père que vous êtes toujours dans la même disposi-
tion, et que les événements de Paris n'auront apporté
a vos projets aucun changement.
La maison Vernet s'est bien vite informée de vous,
et chacun a paru content de ce que je leur ai dit. Le
papa Carie surtout vous est extrêmement attaché :
quand je lui ai dit que vous m'aviez souvent parlé de
iui, il a été dans la joie. J'étais heureux aussi de ces
quelques moments de bonheur dont vous faisiez jouir
ce bon vieillard, moments qui sont assez rares pour
lui. Horace vient de partir pour Turin et va faire le
portrait du roi Charles-Albert.
On s'occupe beaucoup, parmi les artistes français,
du directeur qui remplacera Horace. Les uns disent
que ce sera Ingres, les autres disent Schnetz. On dit
que Ingres est dégoûté de Paris, et que sans doute il
demandera cette place et qu'il l'obtiendra. Je ne sais
s'il sera plus heureux au milieu de ces jeunes gens.
La moindre chose qu'ils feront hors des principes sé-
vères qu'il professe l'affectera beaucoup ' ·
' M. Ingres succéda en effet à Horace Vernet, comme directeur de
' Académie, à Rome.
-ocr page 155-152 CONSTANTIN.
M. Beyle ' me charge de le rappeler à votre aimable
souvenir : je crois qu'il s'ennuie un peu, car il s'est
mis à travailler. '
On a changé les tableaux du Vatican; maintenant
ils sont dans une galerie neuve, plus étroite que celle"
de Paris : le jour est en face, on les voit mal et on ne
peut les copier qu'avec la plus grande difficulté. Le
pape vient tous les jours se promener dans cette ga-
lerie; il faut tout déplacer, chevalets, tables, etc., etc.
Ayez la bonté, Monsieur et très-bon ami, de m'écrire
deux mots. Voici bien longtemps que je n'ai eu de
vos nouvelles. Mille et mille tendres choses aux bonnes
dames Gérard et Godefroid ; mes amitiés à nos bons
amis du coin du feu.
nome, le 16 juillet ISSï.
Monsieur et bien bon ami,
J'ai eu le plaisir de vous écrire peu de jours après
mon arrivée ici : j'espère que ma lettre vous sera
parvenue, car on m'a dit que vous deviez aller prendre
' Stendhal, auteur des Lettres sur l'Italie, etc., était alors consul
de France à Civlta-Veccliia. Ce poste lui permettait de séjourner à
Rome et d'y satisfaire ses goûts prononcés pour l'art italien, qu'il a
souvent apprécie avec justesse. Sa critique sur la peinture et la musi-
que est remplie d'aperçus neufs et piquants.
L·
-ocr page 156-CONSTANTIN. 153
les eaux d'Aix-la-Chapelle. Vous êtes bien inspiré
d'aller dans le Nord : j'envie votre sort; nous avons
ici des chaleurs bien fatigantes, j'en ai été incommodé
quelques jours. J'ai repris mes travaux; il faut vrai-
mont un grand courage pour ne pas rester oisif dans
ces temps-ci. C'est le plus grand plaisir qu'on puisse
éprouver. On est sensible à tout ce qui cause le moindre
mouvement. C'est un ,travail de marcher; aussi
ai-je pris le parti d'aller au Vatican en voiture, afin
dé pouvoir travailler en arrivant là, perché sur une
échelle, en face du tableau de la Transfiguration. Je
passe quelques heures chaque jour à gémir, tant à
cause de la chaleur que par la difficulté du travail,
difficulté augmentée par la manière dont les tableaux
sont placés. Du reste notre vie est aussi monotone que
possible, car nous ne pouvons plus penser aux courses
aux environs qui font tout le charme de ce pays.
Nous dînons tous les jours avec M. Beyle dans une
osteria où Métastase a mangé sa fortune. C'est l'ancien
Falcone. Ce moment est le seul agréable de la journée.
iNous le prolongeons bien souvent jusqu'à dix heures.
Nous parlons de nos amis et surtout de vous, cher
Monsieur. De là, nous allons nous asseoir dans un
café, respirer le peu d'air qu'il y ait dans les rues de
Rome, et nous rentrons. Vous voyez que je ne vous
fais pas un tableau bien séduisant de notre vie : malgré
fout ce que je vous· en dis, cependant, il reste encore
quelque chose qui plaît, qui entraîne. Chaque mo-
ment de repos, chaque fois qu'on s'assied, c'est un
plaisir; puis la chaleur, malgré l'apathie qu'elle vous
iî
i ■ '
-Ί!
154 CONSTANTIN.
donne, a quelque chose qui séduit encore. Puis, le
charme de Rome est dans cette indépendance absolue
dont on jouit. On est entièrement à son travail, on
est sûr de sa journée. Cette habitude prise, on trouve
que ce genre de vie est peut-être le préférable pour
qui n'a plus vingt-cinq ans.
Je voudrais bien, cher Monsieur, que vous fussiez
des nôtres pour venir le soir, à la fraîcheur, manger
des figues, place Navone. Voici le moment où toute
la société de Rome va s'asseoir à onze heures sur des
bancs de bois : les figues sont étalées, le rtiarchand
de vin et de jambon est là, chaque société se réjouit
au clair de la lune ; ce n'est pas sans caractère. Que
n'en étes-vous ? Je vous jure que si vous étiez ici je
ne regretterais plus rien, et que Rome serait pour
moi le séjour le plus heureux. Adieu, Monsieur et bon
ami; laissez-moi rêver que vous pouvez y venir, c'est
une consolation po'ur le plus affectionné de vos amis.
A. C.
VI.
Rome, le 11 novembre 183Zi.
On m'avait assuré que vous étiez allé faire une
course à Berlin après les eaux d'Aix-la-Chapelle; De-
laroche me l'avait dit aussi. Les Vernet me dirent que
vous étiez accompagné de David le sculpteur, en sorte
que je ne doutais nullement que ce ne fût vrai. Si
f jî
ί
k
-ocr page 158-CONSTANTIN. 158
j'avais su que ce voyage dût se borner au séjour des
eaux, je vous aurais écrit depuis longtemps pour savoir
Comment vous êtes. Les eaux vous ont-elles fait le
même bien que l'autre fois? Comment allez-vous?
Vous avez terminé les deux pendentifs : voilà de
nouvelles choses à admirer : vous serez assez bien,
j'espère, pour achever les deux autres
JNous sommes ici dans up état de sécheresse qui
afflige les gens de la campagne. Π y a dix mois qu'il
n'a plu. C'est cependant une chose bien douce que
cette continuité de beaux jours. Il est vrai que la
chaleur a été bien forte cet été, mais depuis six se-
maines nous avons une température ravissante. Que
n'êtes-vous ici ? Que de courses nous ferions ensemble !
J'ai peu profité de ces beaux jours pour la prome-
nade; j'ai été retenu par ma copie de la Transfigura-
tion. On ne peut pas être plus de douze pour tra-
vailler dans la galerie; beaucoup attendent les places;
Je suis donc obligé de me hâter.
Delaroche travaille à ses esquisses de la Madeleine
Je n'ai rien vu de ce qu'il fait. Il m'a dit avoir dîné
avec vous peu de temps avant son départ; ce fut chez
le roi. Horace veut être le i"·" janvier en voiture pour
* Les peintures du Panthéon. Ces quatre pendentifs, que Gérard ne
put complètement achever, représentent : la Justice, la Mort, la Pa-
''■«e et la Gloire. Ils ont été gravés par M. Bazin, dans l'œuvre de
Gérard.
' Paul Delaroche avait été chargé de faire des esquisses pour la
<lccoration de la voussure centrale qui domine le maitre-autel de
•'église de la Madeleine, à Paris. L'exécution de ces peintures lui fut
Retirée et fut donnée à Ziegler.
Il
' /fi
. Hi
m
il
. »
■
ί'
136 CONSTANTIN.
retourner à Paris. On nous dit qu'il a la place de
M. de Forbin j'ai peine à le croire, et j'aurais peur
pour les peintres d'histoire. Je pense aller faire une
promenade en Suisse aussitôt que j'aurai terminé ma
copie. Je n'ai cependant pas cuit le premier feu : cela
s'approche pourtant : le plus long est fait. Cornélius,
le peintre de Munich, est ici. Il fait un grand carton
pour une fresque qu'il doit peindre là-bas et qui fait
suite à d'autres peintures qu'il a exécutées dans une
église. Celle-ci représente/<?/a^'eme/z/i/er^ie/·. 11 y a là
de très-belles choses et beaucoup de talent. Ce n'est
cependant pas ce que j'attendais, d'après les estampes
que j'avais vues de lui. Il me semble que cela manque
un peu d'étude. La plus grande partie de ce carton
est faite sans nature. Les Allemands font tout de mé-
moire. Ils prétendent que la nature refroidit. Cela
peut être vrai en certaines circonstances, mais cela
exclut la variété : les réminiscences arrivent, tant
pour les caractères des têtes que pour les ajustements.
11 est difficile aussi d'être neuf dans ce sujet. On
arrive presque malgré soi à répéter les idées de Michel-
Ange, de Beato Angelico, de l'Orcagna, qui tous trois
l'ont traité de main de maître.
Me laisserez-vous longtemps sans lettre? Mille
choses tendres à M'"® Gérard.
A. C.
' Celle de directeur général des musées royaux. Cette place fut
donnée à M. de Cailloux, après la mort de M. de V'orhiu.
k
-ocr page 160-CONSTANTIN. 160
Rome, le 12 féTrier 1835.
Monsieur et très-bon ami,
J'avais écrit deux mots à M'" Godefroid, dont j'avais
appris la maladie et la convalescence, et j'avais remis
ie billet à M. Ampère; mais, comme il a eu le malheur
de se trouver sur le vaisseau à vapeur le Henri U',
qui a péri, je crains que ledit billet ne soit resté dans
les effets des voyageurs qui ont été perdus. Les pas-
sagers ont été heureux d'en être quittes pour trente-
six heures de froid et de mauvais temps passées sur
Un rocher, car on n'a pas voulu les laisser toucher le
'■'vage sans que la santé ait statué si on les mettrait
quarantaine ou si on leur donnerait libre, pratique.
Enfin ils l'ont obtenue, mais il a été impossible de
sauver le bâtiment.
M. Delaroche a épousé la semaine dernière IV^'· Ver-
net. Tout s'est fait sans éclat. Ils se sont mariés à
Saint-Louis des Français, à dix heures du soir : les
témoins seuls ont été prévenus. Tout va bien, ils pa-
i^aissent contents.
Nous nous sommes réunis avec les artistes allemands
pour donner un dîner d'adieu à M. Vernet, et en même
temps nous avons engagé M. Ingres pour sa bonne
^''rivée. Tout s'est passé avec une parfaite harmonie,
•fe vois avec bien du plaisir les différentes écoles se
^approcher et sympathiser bien plus que par le passé.
158 CONSTANTIN.
M. Cornélius, que je vois souvent et quej'aime beau-
coup, vu son honorable caractère, me parle souvent
de vous et me charge de le rappeler à votre souvenir.
11 faut que je vous dise que, le lendemain du dîner
d'adieu, le cuisinier qui s'en était chargé a été con-
damné à cent piastres d'amende que nous avons payée
entre nous. Cette amende lui a été infligée pour avoir
fait un repas gras un jour de maigre. Notez que nous
n'étions pas dans une auberge, mais dans une maison
particulière, et que du restp on fait gras dans toutes
les traitorie sans qu'il en coûte un baiocco d'amende
aux traiteurs.
Ingres est installé à l'Académie : Horace va se
mettre en route la semaine prochaine. Une indisposi-
tion du bon papa Carie a retardé le départ de la fa-
mille.
J'ai cuit en premier feu la copie de la Transfigura-
tion. Elle a parfaitement réussi. Je suis occupé à la
retouche. J'avance peu, mes yeux sont fatigués. Mon
intentidflî est de partir pour la Suisse aussitôt mon
ouvrage fini. J'irai vous voir et vous embrasser à
Paris, puis je reviendrai passer l'hiver ici, car c'est
vraiment un grand bonheur que la douceur et la
beauté de ce climat. On ne peut penser à la pluie ou
au temps gris sans frissonner. Plus j'avance en âge,
plus l'influence du climat m'est setisible.
Recevez les tendres et affectueux embrassements de
votre sincère et constant ami.
A. C.
■ ί
il îft
-ocr page 162-CONSTANTIN. 159
nome, lel" avril 1835.
Monsieur et bien bon ami,
Bien que privé de lettres de vous, je ne puis rester
plus longtemps sans vous écrire. J'ai su indirectement
de vos nouvelles et de celles de Godefroid, dont j'ai
appris avec bien du plaisir le complet rétablissement,
l^e me laissez pas plus longtemps sans m'écrire un
root. J'en ai le plus grand besoin, je vous jure, car
^ chaque instant ma pensée se reporte vers vous, et
Votre silence m'afflige infiniment. Auriez-vous quelque
chose à me reprocher? Non, me dis-je chaque jour,
roon cœur est toujours le même et ma reconnaissance
est aussi vive qu'elle a toujours été.. Je sais que, si je
jouis de quelque bonheur en ce monde, c'est à vous
que je le dois. Vous avez été pour moi un second
père et je vous ai toujours aimé comme tel. Je vou-
drais vous parler un peu de Rome, mais je reviens
toujours à ma première pensée.
Je vois assez rarement Ingres, qui, depuis son ar-
î'ivée, ne quitte pas la villa Médicis. Moi, je vais au
Vatican, et le soir, ayant besoin de reposer mes yeux,
je sors peu.
Je vois souvent un [artiste qui me paraît être un
"Vrai philosophe, c'est Cornélius. Je vais quelquefois
le voir le soir. J'assiste à son travail. Il dessine à la
'ampe. Nous parlons bien souvent de vous, car il fait
le plus grand cas de votre talent et de votre personne.
11 a presque terminé son carton du Jugement dernier.
i·^
160 CONSTANTIN.
C'est une composition très-remarquable. Il s'est beau-
coup inspiré de CEnfer du Dante. II ne pouvait puiser
à meilleure source.
Delaroche travaille comme un diable. Son mariage
ne lui fait pas perdre une heure. J'avance beaucoup
la copie de la Transfiguration, que j'aurais terminée
sans les vacances de la semaine sainte. On me dit que
cette copie est bonne; elle me paraît exacte. Mon
travail fini, j'irai passer les chaleurs en Suisse, puis je
ferai une course à Paris pour avoir le plaisir de vous
embrasser. En attendant, recevez les compliments
bien tendres que je vous adresse, ainsi qu'à ces chères
dames, et croyez-moi le plus affectionné de vos amis.
A. CoNSTANTIIf.
Un de nos amis nous écrit de Venise une terrible
nouvelle. Robert, dit-on, s'est tué. Espérons que
cette nouvelle est fausse, cependant je crains que cela
ne soit vrai
GERARD A MORCHEN t
a pbopos de la planchk des trois ages
Paris, ^ers 1819.
Monsieur le chevalier.
J'ai l'honneur de vous accuser réception de l'é-
preuve que vous m'avez annoncée, et de vous en faire
mes remerciements.
' Lcopold Robert s'était en effet coupé la gorge, le 20 mars 183S.
!. IV
; Γ'ί
î Cette gravure, uu peu molle et d'un ton faible, n'est pas à la
hauteur du tableau : elle indique un affaiblissement chez Morghen,
■ -fe/
■îî.
161
GÉRARD A MORGIIEN.
Je vois avec plaisir que l'harmonie et le clair-obscur
s'améliorent à mesure que le travail s'avance, et que
déjà, en beaucoup d'endroits, se reconnaissent les
précieuses et suaves qualités du burin de Morghen.
Quant à l'étude plus précise de la forme, je me confie
en toute assurance à vos promesses; je recommande
cependant à votre attention les jambes et les pieds du
vieillard et principalement les genoux de la jeune
femme qui me semblent encore trop ronds et trop
forts. Quant aux têtes, je pense que vous les réser-
verez pour la fin. Vous ne m'avez pas expliqué, cette
épreuve étant seule, si je dois considérer cet envoi
comme indiquant l'époque du troisième payement.
Ayez l'obligeance de me faire savoir si c'est là votre
intention. 11 ne serait pas impossible que j'eusse
^'honneur de vous voir avant l'arrivée de votre ré-
ponse à Paris : cependant je vous prie de me l'adresser
ici, et je donnerai tout aussitôt l'ordre, s'il y a lieu,
pour que ce payement soit effectué.
Je me recommande de nouveau à toute votre bien-
veillance à mon égard, pour que vous ne suspendiez
pas l'achèvement d'un travail auquel j'attache chaque
jour plus de prix.
Recevez, je vous prie, l'assurance des sentiments
avec lesquels j'ai l'honneur d'être.
Monsieur le chevalier,
Votre très-humble serviteur,
F. Gékard.
mteur de magnifiques planches gravées en taille-douce, celle, entre
'^litres, de la Cène de Milan, d'après Léonard de Vinci.
il I
I
i l
il
I li
462 ARY SCHEFFER,
I.
Paris, vers 1821.
Monsieur,
Me permettrez-vous, en me prévalant de votre an-
cienne bienveillance pour moi, de recommander à
votre intérêt M. Frédéric Hébert, fabricant de châles
de cachemire, exposant sous le n° 164? C'est dans son
établissement, qui date de 1815, qu'on a fait les pre-
miers essais des machines et des divers procédés qui
ont porté à un aussi grand point de perfectionnement
cette branche d'industrie. Recommandé par les suf-
frages de tous ceux qui s'occupent de cette fabrication,
je réclame pour lui votre appui dans la distribution
des médailles d'or, dont le jury général, je crois, est
appelé à limiter le nombre. Si je me permets de vous
parler de lui, c'est que je sais qu'avec une fortune
fort modique, il a plutôt agi comme artiste désireux
*Ary Scheffer, né à Dordrccht (Hollande), en 1794, vint à Paris
vers la fin de l'Empire, et entra dans l'atelier de Guérin. Ses com-
mencements furent difficiles. Gérard fut un des premiers à lui venir
en aide, en le présentant au duc d'Orléans (Louis-Philippe) comme
professeur de dessin de ses enfants. Ainsi que tous les grands artistes,
Scheffer s'est transformé plusieurs fois : il cherchait sans cesse, et,
jusqu'à la fin de sa vie, il α fait les plus grands efforts pour élever
son exécution à la hauteur de sa pensée. 11 n'a jamais brigué le titre
académique. 11 est mort en 1868.
m
-ocr page 166-AHY SCHEFFER. 163
de perfectionner, que comme manufacturier voulant
acquérir une grande aisance.
Des circonstances tristes et fâcheuses m'ont fait
rester chez moi depuis dix-huit mois; j'ai regretté de
ne pas pouvoir aller vous voir, et surtout d'avoir
manqué vos bons avis : j'espère que vous me les don-
nerez cette année. Vous savez que je ne garde pas
moins de reconnaissance de vos conseils, que de la
bienveillante protection que vous m'avez accordée en
1817, et à laquelle je dois d'avoir pu continuer la
peinture.
Recevez, Monsieur le baron, l'assurance de mon
respectueux dévouement.
a. scheffer.
Ml
LETTRE ADRESSÉE A M. CH. LENORMAÎST
Paris (vers ISM).
Élève de Pierre Guérin, j'exposai en 1819 un grand
•tableau représentant le Dévouement des six bourgeois
(^c- Calais. Ce tableau déplut excessivement aux aris-
fi^rques du moment, et le journal la Renommée, entre
autres, consacra trois grandes colonnes à prouver
que c'était, non-seulement l'œuvre d'un mauvais ar-
tiste, sans talent et sans savoir, mais encore l'œuvre
' Cette lettre a été imbliéc liai· M. Ch. I.eiiormant dans sa notice
"^ur Gérard.
ARY SGHEFFER.
d'un mauvais Français. J'étais très-pauvre, très-ignoré,
et je restai anéanti sous l'anathème. Je fus bien étonné
quand mon maître m'annonça que M. Gérard désirait
connaître le jeune auteur du malheureux tableau. Je
me rendis chez lui, il me reçut avec cette bienveillance
digne que vous lui avez connue. 11 loua beaucoup et
la composition du tableau et l'expression des têtes,
tout en me donnant des avis très-sévères sur l'exé-
cution et la couleur ; puis il me demanda ce que
j'allais entreprendre de nouveau. Je disais la vérité,
en lui répondant que sans ses encouragements j'allais
quitter la carrière des arts, et que j'étais trop pauvre
pour entreprendre un autre tableau, 11 m'engagea à
prendre patience et à revenir dans quelques jours.
Quand je me rendis chez lui, il me remit une lettre
de commande pour un tableau de 3,ooo francs qu'il
venait d'obtenir pour moi du préfet de la Seine : dans
ce moment, c'était presque une fortune. Plus tard il
me fit commander d'autres tableaux : enfin c'est à lui
que je dois d'avoir été choisi, en 1821, comme maître
de dessin des enfants de M. le duc d'Orléans, aujour-
d'hui roi, et notez bien que jamais dans ce temps je
n'allais chez lui que quand il me faisait appeler pour
m'annoncer ce qu'il avait inventé pour m'être utile. .
J'étais loin d'être ingrat, mais j'étais trop négligent
et de plus trop franc lorsqu'il s'agissait de peinture.
Malgré cela, M. Gérard me conserva toujours la même
bienveillance et ne cessa de me prodiguer, avec des
encouragements flatteurs, des conseils fort sévères et
les meilleurs que j'aie jamais reçus. Aujourd'hui je
TOSCHI. 165
sens mieux encore le prix de cette bienveillance que
dans le moment même.
Art Scheffer.
Parme, 25 décembre 1821.
Combien je regrette de ne pouvoir accompagner nia
lettre d'une épreuve de VHenri IVl Mais cette affaire
d'une telle importance que je ne puis rien aban-
donner au hasard : par conséquent j'ai dû faire mordre
^ diverses reprises (craignant toujours quelque tour
de cette perfide eau-forte). Cela m'a fait perdre beau-
coup de temps. Je puis cependant vous donner ma
parole d'honneur que mon travail avance réguliè-
•"enient. J'en suis à présent au coin où se trouve la
femme vêtue de noir : c'est-à-dire que cela tire à sa
Je pourrais à la rigueur vous envoyer les dernières
épreuves, mais je vous prie de patienter encore un
peu : je préfère vous envoyer le tout ensemble, car
Je me rappelle un axiome que vous m'avez fait con-
'laître et qui dit : Lorsque ton doit paraitre en public,
^^faut avoir une tenue convenable. D'après votre lettre
i4> je crois devoir comprendre que vous n'avez
' Paolo Toschi, graveur célèbre de Parme, élfcve de Bervic. Ses
'•^Wres sont en italien.
166 TOSCHl.
pas reçu ma lettre de la fin d'octobre. Je le crois
d'autant plus que dans le même moment on m'en égara
deux que j'écrivais à Milan et une à Florence. Je vous
apprendrai que S. M. notre auguste souveraine a bien
voulu me nommer directeur des galeries et écoles de
l'Académie de notre ville. Cela m'honore beaucoup,
mais ne laisse pas que de me donner beaucoup d'em-
barras, et, si je n'avais consulté que mon intérêt, je
n'aurais certainement pas accepté.
Je vous souhaite, ainsi qu'à Gérard, tout le
bonheur que vous méritez, et je vous prie de me rap-
peler au souvenir de M"' Godefroid, de M. Percier et
de M. de Souza.
Paolo Toschi.
Parme, 5 octobre 1822.
Monsieur,
Enfin, je puis vous envoyer, par la diligence, l'é-
preuve tant désirée ! Dieu veuille qu'elle vous fasse
oublier ce long retard, et que mon amour-propre ne
m'ait point trompé sur la réussite de cette difficile
entreprise '! Je suis bien impatient et bien perplexe
en attendant votre sentiment et votre jugement. Sij'a'
le bonheur d'obtenir de vous un avis favorable, mon
courage en sera augmenté, et je pourrai vous pro-
' L'épreuve de Yeav^forte de la gravure d'après le Henri If^.
-ocr page 170-TOSCHI. 167
mettre d'avoir terminé l'année prochaine. Vous trou-
verez peut-être que cette épreuve crie ^ : mais je pré-
fère ce défaut, dans une gravure non terminée, à une
harmonie faible et au-dessous du ton, maintenant sur-
tout que nous avons à notre disposition des moyens
d'atténuer ou de rehausser l'effet sur de grandes sur-
faces. Je vous envoie deux épreuves : l'une sur du
Iieau papier de Chine, l'autre sur du papier blanc,
moins beau, mais suffisant, afin que vous puissiez
«l'indiquer sur celui-ci les corrections que vous ju-
gerez nécessaires. Je vous serai obligé d'éviter avec
soin toute correction ou changement qui ne seraient
pas tout à fait indispensables, et qui pourraient m'o-
bliger à des ratures chose dangereuse dans ce genre
de gravure.
Je vous prie de présenter mes respects à M"" Gé-
rard et à Godefroid, et de me rappeler au souvenir
de M. Percier, de M"" de Bawr ^ Croyez bien que je ne
négligerai rien pour mériter l'estime et l'amitié dont
Vous avez bien voulu m'honorer.
Votre trés-dévoué serviteur,
' Cht la mia prova grida. Mot à mot : que mon épreuve crie,
c'est-à-dire détonne ou s'élève au-dessus du ton.
^ Cancellazioni.
' M»' de Bawr (voir la lettre de M'»^ de Bawr).
-ocr page 171-GÉRARD.
ι
d68
GÉRâRD A TOSCHI.
Paris, 1825.
Mon cher Monsieur Toschi,
J'ai reçu le 22 du courant votre très-belle épreuve,
et je suis convaincu plus que jamais que cet ouvrage
peut vous placer à la tête de la gravure. Raphaël et
les autres grands maîtres sont en posseission d'être
gravés depuis trois siècles, aussi toutes les estampes
qui paraissent tous les jours d'après eux sont sou-
mises à de continuelles comparaisons; mais une
planche de l'importance de celle-ci, faite d'après un
tableau moderne et avec la perfection qu'elle an-
nonce, n'a point de parallèle dans l'art, et elle doit
réunir tout l'attrait du talent à tout le charme de la
nouveauté ; le moment où elle pourra paraître sera le
plus heureux de ma vie ! Nous passerons quelques
moments ensemble et vous ne vous apercevrez pas, je
l'espère, que vous êtes loin de votre famille.
J'ai passé deux jours à examiner l'épreuve, j'ai fait
de nombreuses remarques, toutes de détail, et je me
recommande à tout l'intérêt que notre réputation doit
vous inspirer, pour avoir le courage et la patience de
faire passer sur le cuivre ces petites améliorations.
J'en ai calqué quelques-unes pour être plus clair, les J
autres sont simplement sur l'épreuve. Je confesse que |
la plus grande partie de ces légères erreurs vient j
de moi seul, aussi c'est à votre amitié autant qu'à j
Êk
-ocr page 172-GÉRARD. 169
votre talent que j'en demande la rectification : une
des plus fastidieuses sera celle du haut de la jambe
gauche du cheval du roi qu'il faudra soutenir en de-
dans et un peu aussi le dessous du poitrail (dont le
travail est si bien). Je n'ai rien fait pour la tête du
jeune homme n° 5; j'envoie une tête de la grandeur
du tableau, et celui qui a fait le dessin du Spnsimo
saura bien lui donner un peu plus de jeunesse et de
beauté. Du reste, je le répète, tout est marqué sur
l'épreuve, et ce qui n'a point une remarque est par-
fait à la lettre : il est impossible de rien dire des
teintes générales, dans ce moment-ci, mais vous con-
naissez trop bien votre art pour qu'il soit difficile de
prévoir quel parti vous saurez tirer des masses en
conservant la lumière et la couleur. Quant à la dis-
position des travaux, je n'y aperçois pas (un seul en-
droit excepté, n° ί\) le moindre contre-sens, soit pour
la forme, soit pour le mouvement ; au premier coup
d'œil j'ai été frappé de voir les tailles du côté droit un
peu plus fines que celles des figures qui sont sur le
même plan du côté opposé, mais je pense que les
Unes sont dans la demi-teinte et les autres dans le
clair. La veste du trompette est peut-être un rien
pesante, et puis je vous recommande, quand vous en
serez là, la petite tête de femme qui est au-dessous,
■Vu qu'elle doit être la signora Matteï
Adieu, mon cher Monsieur Toschi; je vous quitte
l>ien satisfait, désirant de vivre pour voir cet ouvrage
M"· Gérard.
-ocr page 173-170 GÉRARD.
terminé, et pensant comme vous qu'à la fin de l'année
prochaine vous pourrez jouir d'un grandissime suc-
ces
F. Gérard.
GÉRARD A TOSCHI
λ propos de r,t(avfire du spasimo^.
Paris, mars 1833.
Mon cher Monsieur Toschi,
J'ai reçu le 27 du mois dernier, à dix heures du
matin, par la diligence, votre admirable gravure du
Spasimo. Je l'ai fait encadrer sur-le-champ pour qu'elle
pût être placée le i" mars à l'exposition, me fondant
en cela sur le regret que vous m'exprimez dans votre
lettre du 1 ο février, de n'avoir pas songé à envoyer à
temps une épreuve pour l'exposition du Louvi^.
Vous connaissez, mon cher Monsieur Toschi, tout
ce que je pense de votre beau talent; vous savez aussi
combien j'aime votre personne, et vous ne doutez pas,
j'espère, dë l'attachement que je vous ai voué pour
la vie. Je me flatte donc que vous me permettrez de
dire ma pensée tout entière sur la gravure du Spasimo.
' Cette planche eut en effet un succès qui dure encore; nous avons
cru, la gravure de l'Entrée de Henri IF étant si connue, que les dé-
tails un peu techniques dans lesquels entre Gérard ne paraîtraient
pas trop longs.
' Le Spasimo di Sicîlia, tableau de Raphaël, aujourd'hui au
musée de Madrid.
I
il
PAUL DELAROCHE. 171
-le ne crois pas que l'on ait pu ni que l'on puisse mieux
graver, mais je crois que vous, Paul Toschi, pouviez
donner à ce bel ouvrage plus de caractère et plus de
fermeté. C'est la conviction que me donne le souvenir
de l'original et de votre beau dessin. Je sais bien le
reproche de dureté et de sécheresse que l'on fait, en
Italie, aux graveurs français. Vous savez aussi que
nous avons été du même avis sur ce sujet ainsi que
sur tous les autres points de l'art. Les Français, à leur
tour, reprochent au burin italien, en général, un peu
de mollesse et de monotonie. Vous êtes fait pour
mettre tout le monde d'accord, autant qu'il est pos-
sible, et, malgré les grands talents qui ont illustré
votre art, mon opinion bien sincère est que vous devez
les surpasser tous. L'immense entreprise que vous
m'annoncez en est la preuve.
Raphaël ne peut être qu'au paradis. Croyez qu'il
intercédera puissamment pour la conservation de
votre santé qui lui devient désormais si précieuse.
Adieu, mon cher Monsieur Toschi.
F. Gérard.
M
I ;
!
Paris, ce 12 octobre 1824.
Monsieur,
Mon père m'a fait part des choses obligeantes que
' Paul Delaroche était déjà connu alors par ses tableaux de Jeanne
d'Arc interrogée dans son cachot par le cardinal de Winchester,
172 JAMES PRADIER.
vous lui avez dites au sujet de mes tableaux; cet éloge
est d'autant plus flatteur pour moi, qu'il sort de votre
bouche. Si votre délicatesse vous fait me refuser le
plaisir de vous remercier de vive voix, elle ne peut
me priver de celui de vous donner dans ce billet les
témoignages de ma reconnaissance, ainsi que l'assu-
rance des sentiments respectueux avec lesquels je
suis, Monsieur,
Votre très-humble et très-obéissant serviteur,
Paul Delaroche.
Rome, le 30 janvier 182ti.
Monsieur,
Je n'ai jamais manqué, dans mes lettres adressées
à mon frère, de le prier de vous dire mille choses
honnêtes de ma part. Aujourd'hui, par crainte qu'il
ne mette un peu de négligence à ce que je désire ar-
demment savoir, j'ai osé prendre la liberté de vous
et de Saint Vincent de Paul prêchant devant la cour de Louis XIII,
pour les enfants trouvés. Paul nelarochc, né à Paris, le 17 juillet
1797, est mort le 4 novembre ISofi. — Il était professeur à l'École
des beaux-arts, et membre de l'Institut depuis 1832.
' Né à Genève en 1794, mort à Paris en 1832; élève de Lemot, il
remporta le prix de Rome en 1813, Il est placé au premier rang
parmi nos statuaires. — La statue de Psyché, dont il est question ici,
fut exposée en 1824. — Elle est restée longtemps au musée du Luxem-
bourg. Elle est aujourd'hui au Louvre.
ί
JAMES PRADIER.
écrire directement, espérant que vous aurez la bonté
de me le pardonner.
Le hasard m'a fait acheter une colonne antique de
marbre de Paros, trouvée à Véies, et pour m'en servir
j'ai composé une figure grande comme nature : on
pourra la nommer Psj che. C'est une jeune fille de-
l>out qui va prendre un papillon posé sur son bras
gauche. Cette figure n'est encore qu'à la gradi/ie, et
la longueur du travail de ce marbre m'empêchera de
pouvoir l'exposer au salon prochain. 11 faudrait passer
les nuits pour espérer de l'exposer dans huit jours, et
un ouvrage fait avec trop de précipitation se ressent
toujours un peu de cette manière de travailler. Je dési-
rerais donc, Monsieur, que vous eussiez la bonté de
me faire savoir si le salon sera retardé ou non. Vous
êtes le seul à qui je puisse m'adresser pour une chose
aussi importante pour moi.
Je viens de terminer en plâtre un buste du roi; je
l'ai fait couronné d'olivier. On en parait content : il
sera fait en même marbre que celui de la Psyché. J'ai
fait un Promélhce pour être exécuté en marbre, de
grandeur colossale. J'ai terminé aussi un Bacchus
enfant, et dans ce moment je suis en train de monter
^ne petite figure d'Hébé, pour un ami à Paris; je ter-
mine une autre buste en marbre pour Genève. Le
l^eau et charmant pays que celui-ci! Que ne puis-je y
passer ma vie, sous un si beau ciel et au milieu d'une
si belle nature! Je ne regrette de Paris que vos bons
Conseils, à qui je dois mon talent, car je ne reconnais
pas d'autre maître que vous. Je me fais un plaisir et
174 IlEVERDIN.
une loi de le dire à tous ceux qui me demandent de
qui je suis l'élève.
Votre très-humble serviteur,
J. Pradier.
M. Bodinier avec lequel j'ai le plaisir de m'en-
tretenir souvent de vous, me charge de vous présenter
ses respects. J'ai oublié de dire à M. Guérin que je
vous écrivais; il se porte bien et travaille peu,, car
l'Académie et le beau temps l'occupent tout le jour.
■iH;
i-'j
1
Genève, 22 avril 182ti.
Monsieur,
Vous m'excuserez, j'en suis sûr, d'avoir tardé si
longtemps à répondre à l'aimable lettre qui m'est par-
venue à Florence, mais je ne me le pardonne pas,
moi qui me suis privé du plaisir que j'aurais eu à
1 M. Bodinier s'est fait connaître par de lions tableaux dont les
sujets étaient tirés des mœurs pastorales do la campagne de Uonic.
Son tableau des Bergers à l'Ave-Maria a été très-remarqué. M. Bo-
dinier a longtemps habité Rome; il est aujourd'hui à Angers, où il
a contribué, par ses largesses, à la création d'établissements favo-
rables aux arts.
2 Dessinateur et graveur, qui a reproduit sur le cuivre des figures
de grande dimension, d'après les maîtres anciens et modernes. Ces
belles études ont longtemps servi et servent encore de modèles pour
les classes de dessin dans les écoles,
REVERÛIN. l-iô
parler avec vous des trésors que renferme cette belle
ville. Aujourd'hui que me voici de retour, je veux
vous dire que j'ai vu Toschi. Il met la dernière main
à sa gravure de VEntrée de Henri IV, et nous mettra
bientôt à même de la publier. J(f l'ai vue et admirée,
et jugez avec quel plaisir! Elle rendra dignement
votre ouvrage; ce sera, je m'y connais, la plus belle
gravure qui aura paru depuis plus d'un siècle ; beauté,
grandeur d'exécution, finesse, tout s'y trouve réuni,
'l'ai laissé l'auteur bien souffrant, il était au lit, pris
par la goutte, lorsque je passai à Parme. Je l'avais
Vu aussi à Florence, d'où il est parti malade. Ce qui
paraissait l'affecter le plus était le retard que la ma-
ladie apportait à l'achèvement de sa gravure.
J'ai été très-heureux à Florence. J'y ai trouvé l'ex-
cellent ami Constantin ' à qui j'ai de grandes obli-
gations, car avec lui tout est devenu facile. Pour
comble de bonheur, Delécluze ' y était encore lors
de mon arrivée. Un pareil cicerone était une trop
bonne fortune pour la négliger. Logés ensemble, nous
ne nous sommes quittés qu'à son départ pour Rome,
car il faut vous avouer que je n'ai j)as été plus loin.
Etant borné par le temps et ne voulant pas imiter ces
touristes qui avalent plus de poussière qu'ils ne rap-
portent de véritables souvenirs, j'ai préféré bien voir
l'iorence que beaucoup voir. J'ai donc enrayé là et
fait huit dessins, que je voudrais bien pouvoir vous
* Voit les lettres de Constantin.
^ M. Delécluze était alors en Italie, d'oii il envoyait au Jour^
'^nl des Débats ses Lettres d'un Parisien (182ί-2ϋ).
176 REVERDÎN.
soumettre, tout indignes qu'ils sont. La difficulté était
de se décider, de bien choisir parmi cette innombrable
quantité de chefs-d'œuvre. Ce qui, je l'avoue, aurait
dû l'emporter, c'étaient les admirables fresques des
Florentins du beau temps, surtout celles d'André del
Sarto, si mal connues en France Mais que peut-on
faire en deux mois? Je me suis donc décidé à choisir
dans cette collection, unique en son genre, celle des
peintres illustres peints par eux-mêmes J'ai fait la
copie des portraits de Raphaël, Léonard de Vinci, du
Titien, du Dominiquin et d'Annibal Carrache. J'ai
pensé que ce choix, bien gravé, aurait de l'intérêt et
pourrait être présenté comme l'une des parties im-
portantes de mon recueil. Le directeur de la galerie,
le sénateur Alexandre, espère que vous trouverez quel-
ques loisirs pour le mettre à même de vous placer
dans cette belle collection des peintres illustres.
Aujourd'hui me revoici dans mes montagnes, d'où
je voudrais bien pouvoir m'échapper cet été pour vous
voir et m'informer moi-même de votre santé. En at- .
tendant que j'aie ce plaisir, veuillez présenter mes
hommages à M"" Gérard, et me croire votre très-re-
connaissant serviteur. , '
Kkverdin.
' Il faut se reportev à cette époque (1824), où ces fresques n'étaient
encore appréciées que par un petit nombre d'artistes français, et
n'avaient pas servi, comme aujourd'hui, de but aux études de plu-
sieurs de nos peintres, qui en ont fait de belles copies, ou de quel-
ques-uns de nos critiques, qui en ont tiré de bons enseignements.
® La Galerie des portraits, au palais des Offices, à Florence, dans
laquelle figurent aussi des portraits de peintres modernes.
SGHNETZ. 177
Rome, 8 mai 1826.
Monsieur,
Depuis longtemps déjà je désire vous remercier des
deux aimables lettres que vous avez eu la bonté de
m'adresser, l'une par MM, Delavigne et l'autre par
M'"' la duchesse de Plaisance. Une maladie assez grave
^t des ennuis d'un autre genre m'en ont distrait jus-
qu'ici, à mon grand regret, mais une occasion se pré-
sente aujourd'hui. M. de Givré, secrétaire d'ambassade
^ la légation de Rome, part pour Paris et veut bien se
charger de mes commissions. N'en ayant pas de plus
pressée que celle de vous remercier de votre distinc-
'^'on et de me rappeler à votre souvenir, je profite de
son obligeance pour le prier de vous remettre cette
lettre.
M. de Givré s'en charge avec d'autant plus de plaisir
' Élève de David, de Rcgnault et de Gros. Son tableau de Sixte·
Quint et la Bohémienne fit sa réputation (1824). Ceux du Pri-
sonnier, de Y Inondation et du Vœu à la Madone, sont restes d'ex-
'^«llents apécimens des productions de notre école moderne. Ils sont
musée du Luxembourg. M. Sclinetz a orné de peintures déco-
•"^lives plusieurs de nos églises. Il succéda ,à Gérard en 1837 comme
■Membre de l'Institut. Nomriïc une première fois directeur de l'École
tle Uome en 1840, il y resta jusqu'en 1847. Appelé de nouveau à ce
poste en 1852, il n'a cessé ses fonctions qu'en 186(>, remplacé par
^I· Hobert-Flcury.
12
-ocr page 181-178 SCHNETZ.
qu'il a le plus grand désir de connaître un des peintres
les plus distingués de notre école, par son talent,
son esprit et l'étendue de ses connaissances. Veuillez
donc excuser cette curiosité naturelle à toute personne
qui aime les arts, et le recevoir comme un bon ami à
moi et à M, Barrière.
J'ai été bien paresseux depuis mon retour ici. J'ai
commencé un grand tableau qui n'est point encore à
moitié fait ; je l'ai souvent interrompu pour en faire
de plus petits. L'année sainte y engageait : on rencon-
trait chaque jour des groupes ou des figures de pè-
lerins qui faisaient venir l'eau à la bouche.
Depuis sa dernière maladie, M. Guérin se porte à
merveille ; aussi ne parle-t-il plus de son retour en
France, ce qui nous charme beaucoup.
Celte année n'a vu éclore ici aucun ouvrage remar-
quable, ni en peinture ni en sculpture. Il y a cepen-
dant eu deux expositions de peintres allemands et une
de français (les pensionnaires de l'Académie); parmi
ces derniers M. Blouet architecte, a fait une très-
belle restauration des thermes de Giracalla,
J'ai vu le beau portrait du roi que vous avez en-
voyé à l'ambassade. Si mes compliments peuvent vous
être agréables, je vous prie, .Monsieur, de croire à
leur sincérité. Agréez l'assurance de mes sentiments
les plus distingués.
V»· ScuxErz.
' Memlire <lc l'Institut, Tunditeur il'uti prix acadrmi'iui·.
-ocr page 182-SCHNErZ. 179
Rome, 8 avril 1830.
Monsieur,
J'ai écrit à M. Guérin pour le prier de me faire
inscrire sur la liste des candidats pour la nouvelle
place vacante à l'Institut.
Vous avez eu la bonté de manifester une opinion si
favorable à mon égard, que je ne craindrais pas de
solliciter votre appui en cette nouvelle circonstance,
s'il y avait quelque chance d'un meilleur succès; mais
en vérité. Monsieur, en ayant si peu, ce serait abuser
de votre bienveillance, et je crois devoir plutôt vous
prier de me réserver votre bonne volonté pour une
occasion plus favorable, si jamais elle se présente.
Nous avons dans ce moment-ci l'exposition des
pensionnaires de la villa Médicis. Elle se compose de
trois grands tableaux d'histoire, de deux autres plus
petits, d'un paysage et d'une copie. Parmi les trois
grands, celui qui me paraît le plus solide, est celui 'de
'-arivière représentant ini pape bénissant des pes-
'iférés : les deux autres sont aussi fort bien, surtout
Celui de IJoucJiot qui me paraît trës-brillant de lu-
' Kli-vc de (;inKlct ride (ίηιβ. Grand prix de Home m J82V. Le
dont M. SrhneU parle ici est la Pttte de Home $out le pon-
"fifal de McoUit Γ. M. l-arivii Tc i'cit fail connaître par dci Ulilctu»
'''*t<iriqnes et do» jxjrlrail» de marrchaiix. 'Muv'e de Vcr>aillci.)
' Grand pri» en 1813. Kli>c de lUchomme i t de !-«· Thii-re. Λ
l*int le» Funératllei de Marceau «1 un Dix^uU brumaire. — Il
mort jeune, le 7 février «8H.
180 CORNELIUS.
mière. Le paysage, qui est de Giroux est d'une
belle exécution; les fonds sont délicieux.
Nous avons aussi, au Capitole, une exposition gé-
nérale des peintres de différentes nations qui sont à
Rome : c'est un singulier assemblage. L'école fran-
çaise triomphe, au dire de tout le monde. Je compte
partir pour Paris d'ici à un mois; ma première visite
sei-a pour aller vous remercier des marques de bien-
veillance que vous avez bien voulu me donner.
Veuillez agréer l'assurance de mes sentiments les
plus distingués.
V®" ScHNhTZ.
Munich, 29 août 1828.
Monsieur le baron.
Je saisis l'occasion que me présente l'envoi du di-
plôme de notre Académie, pour vous exprimer les
' Grand [irix de paysage eu 182o. 11 fut un des premiers qui rame-
nèrent le paysage au genre naturel. Il sort presque complétemon'
de la convention et du composé, pour rendre avec plus de vérité
scènes de la nature. La Vallée du Grésivaudan, du musée du
Luxembourg, est un de ses bons paysages.
' Un des grands peintres de l'école allemande moderne. Ne ^
Dusseldorf en 1787, il étudia d'abord sous la direction de son pèrÇ>
artiste lui-même; puis alla à Rome où il se lia d'une étroite amiti"
avecOverbcck. lis habilaient ensemble un couvent en ruines, et s'ap'
pliqucrent à étudier les procédés de la peinture à fresque qu'"^
CORNÉLIUS. 181
sentiments de reconnaissance que j'éprouve pour les
témoignages de faveur et d'amitié que vous m'avez
fait parvenir plusieurs fois par M. Gau et par d'autres
artistes allemands. Je ne croirais pas aimer passion-
nément mon art, si je n'étais pas extrêmement sen-
sible pour l'accueil favorable que mes productions
ont trouvé devant vos yeux; je m'en félicite d'autant
plus que je crois reconnaître dans vos travaux, en gé-
néral, le même principe qui a réglé ce que j'ai essayé
en peinture. Puis, comme je me flatte d'avoir con-
tribué tant soit peu à la renaissance de la peinture
d'histoire en Allemagne, je trouve un grand encou-
ragement de poursuivre ma route dans l'approbation
d'un maître étranger, dont la gldire n'a jamais été
contestée.
Agréez, Monsieur, l'assurance de la plus haute es-
time avec laquelle j'ai l'honneur d'être.
Monsieur le baron,
Votre très-humble et très-obéissant serviteur,
P.-V. Cornélius.
transportèrent plus tard en Allemagne. Cornélius, à son retour de
•^ome, peignit à Munich et à Berlin d'immenses compositions. Son
•^^gement dernier, à l'église Saint-Louis, à Munich, est la plus im-
portante.
182 CARLE VERNET.
Paris, 182,,
Mon cher Gérard, n'attachez aucun prix à l'es-
tampe que je vous envoie. Deux épreuves encadrées
m'ont été données par Debucourt ® et par le mar-
chand, propriétaire de la planche; vous voyez que je
n'ai rien mis du mien. Ne me faites donc pas de vi-
sites pour cela, mais faites-m'en une quand j'aurai été
convenir avec vous du moment où mon tableau sera
plus complet. Vous connaissez ma manière de faire;
mon ouvrage est éclaboussé de choses faites, la plu-
part principales. Il faut que je lie tout cela, ce qui
sera fait sous peu. Je ne peux finir ce billet sans vous
' Ne à Bordeaux en 1758. Fut reçu de l'Académie en 1787, pour
son tableau du Triomphe de Paul-Émile. Il quitta ensuite le grand
genre historique pour s'adonner plus particulièrement à des études
d'un ordre nférieur, mais où il excella. Ses Batailles, et entra autres
celle de Marengo, lui attirèrent le sxicces et firent sa réputation. H
se servit avec une rare habileté de la lithographie à l'époque de sa
découverte, pour reproduire une quantité de charmantes études fa-
milières sur les courses, les relais, les voyages, les chasses. Ses ca-
ricatures, à propos des mœurs et des modes du Directoire et du com-
mencement de l'Empire, sont restées des modèles en ce genre. Carie
Ycrnet était un excellent dessinateur. Il est mort en 1830.
» Debucourt, graveur, d'un talent fin et spirituel, qui a composé
et gravé diverses scènes familières de la fin du dernier siècle. Ses
estampes, longtemps oubliées, sont aujourd'hui en vogue- Ses plan-
ches sont presque toutes gravées par le procédé dit Aqua-tinta.
ilf
Ί-
CARLE VERNET. 183
remercier du bon accueil que vous me faites ainsi
qu'à tous les miens. Croyez que votre amitié me sera
toujours précieuse : elle est encadrée dans mon cœur
et le Verre-net ' qui la couvre n'est pas casuel, vous
pouvez en être sûr. Je vous embrasse de tout mon
coeur.
Votre vieil ami,
Carle Vernet.
Parif, 182S.
Mon cher collègue,
Je m'empresse de vous faire savoir qu'Horace a
été nommé directeur de l'Académie de Rome. Votre
zèle à nous servir en cette occasion, comme vous l'avez
foit dans bien d'autres, mérite bien que je vous en
instruise promptement. Je le fais tellement à la hâte
^ue je ne puis vous parler de notre reconnaissance,
«le le ferai mieux de vive voix.
Votre bien dévoué,
Carle Vernet.
' Carie Vernet éUiit un grand faiseur de jeux de mots.
-ocr page 187-18i HENllIQUEL-DUPONT.
Paris, 27 juillet 1829.
Monsieur,
La proposition de graver votre beau tableau du
Sacre m'ayant été faite par M. de Cailleux, je ne puis
attribuer cette insigne faveur qu'à votre haute recom-
mandation, bien persuadé que le ministère ne peut
avoir d'autre volonté que votre choix. Je viens donc
vous exprimer, Monsieur, toute la gratitude que
je ressens de cette distinction qui me permettrait
d'attacher mon nom à une œuvre aussi remarquable,
et je désirerais beaucoup pouvoir vous en témoigner
de vive voix toute ma reconnaissance
"Votre très-dévoué serviteur,
H.-Dupont.
> Né en 1797, élève de Guérin et de Bervic, M. Henriquel-Dupont
est à la tôte de notre école de gravure actuelle. 11 s'est rendu célèbre
par ses belles planches au burin, d'après le Gustave PVasa d'Hersent,
le portrait de Ber^tin faîné d'après Ingres, le Strafford, VEnseve'
lîssement du Christ, et enfin VHémicycle Au palais des Beaux- Arts,
d'après P. Delaroche, etc., etc. Nommé à l'Institut en remplacement
de Richomme en 1849.
' La gravure du Sacre ne fut pas entreprise par M. Henriquel;
commencée par Prévost, l'exécution en fut interrompue par la ré-
volution de 1830. ,
.'fi
FABRE. 183
FABRE
Montpellier, le 22 janvier 1829.
Monsieur et illustre collègue,
M. Renouvier, député de l'Hérault, va partir pour
Paris; je profite de cette occasion pour vous envoyer
la notice des tableaux de notre naissant musée. Je
l'egrette bien qu'il ne se trouve pas sur la route
d'Auteuil. Je vous guetterais au passage et je serais
enchanté de vous en faire les honneurs. J'aime à croire
que plusieurs de ces tableaux, surtout parmi les an-
ciens, trouveraient grâce devant vos yeux. Je puis
du moins vous assurer que vous pouvez ajouter foi
à leur extrait de baptême. Malheureusement vous
trouverez dans cette notice de fâcheuses lacunes : sur-
tout une... Mais, hélas! il n'est pas permis à tout le
monde d'aller à Corinthe. M. Renouvier vous re-
mettra aussi la médaille que la ville de Montpellier
a fait graver pour l'ouverture de ce musée, et que
je vous prie d'agréer d'aussi bon cœur que je vous
l'offre.
J'espère que mon honorable compatriote me don-
nera dé vos nouvelles et qu'elles seront excellentes,
' Fal)re était élève de David. Il eut le prix de Rome en 1787. Il
séjourna longtemps en Italie, surtout ίι Florence. Il avait réuni une
l'eue collection de tableaux dont il fit présent à la ville de Montpellier.
Son Philoctéte dans Vile de Lemnos est au musée du Louvre. Fabre
est mort en 1837.
186 HORACE VERNET.
Je craindrais d'être indiscret en vous priant de m'en
donner vous-même. Je vous souhaite la plus parfaite
santé. Avez-vous quelque chose de mieux à désirer?
Non lo credo. In ogni caso le augura tulle le felicità
et tutte le glorie di questo mondo, corne tulle quelle
deW altro : n^a quesle ultime piii tardi que si polrà
— Veuillez bien me compter au nombre de vos amis
et de vos admirateurs. J'ai l'honneur d'être, Monsieur
et ancien camarade,
Votre très-dévoué serviteur,
F.-X. Fabre.
Rome, le 19 avril 1829.
Monsieur,
Aujourd'hui que j'ai assez fait le directeur pour
vous soumettre mes observations sur l'Académie, per-
mettez-moi de profiter de la permission que vous
m'avez donnée, et de commencer une correspon-
' « Je ne le crois pas. En tout cas je vous souhaite tout le bonheur
et toutes les gloires de ce monde, comme toutes les félicités de
l'autre, mais ces dernières, le plus tard possible. »
® On connaît trop la vie et les ouvrages du peintre le plus populaire
de notre temps, pour que nous ne nous abstenions pas de tout ren-
seignement biographique à son sujet. Horace Vernet, né le 30 juin
1789, est mort à Paris le 17 janvier 1863.
HORACE VERNIiT. 187
dance à laquelle j'attache un grand prix, puisqu'elle
doit me dédommager de la perte que je fais de n'être
plus autant à même que par le passé de recevoir vos
conseils et de profiter de vos avis. J'aurai sans doute
à mettre votre patience à l'épreuve; mais l'amitié
paternelle dont vous avez bien voulu m'honorer dans
toutes les circonstances me rassure. Je vous dema«-
derai donc de vous ouvrir mon cœur, bien persuadé
que vous m'écouterez avec cette bienveillance dont
vous m'avez donné tant de preuves, et dont je con-
serverai sans cesse la plus vive reconnaissance.
Je commencerai donc, Monsieur, par vous dire en
quel état j'ai trouvé l'établissement à la tête duquel
je me trouve. L'administration de l'Académie est
admirablement organisée sous le rapport financier et
matériel : un enfant pourrait, sans inconvénient, être
mis à la tête de la maison sans qu'il lui fût possible
de se tromper. Les choses sont tellement bien casées
qu'avec une machine à vapeur on ferait des états,
comme à Londres on fait des poulies. Il n'en est pas
de même de la direction morale : cette régularité qui
frappe toujours à la même place se trouve toute
désorientée lorsqu'elle frappe sur les faiblesses hu-
maines ; c'est ce qui est arrivé ici, où sans cesse il
faut avoir à combattre l'amour-propre, la paresse, et
des orgueils de toutes les espèces. Le caractère droit
de mon prédécesseur sa scrupuleuse délicatesse,
lui laissaient sans doute croire qu'il suffisait d'indi-
quer la route qu'il y avait à suivre. C'est là qu'il s'est
' Guérin.
191 HORACE VERNET.
trompé, c'est là qu'il me laisse une tâche difficile à
remplir. Il faut quelquefois montrer qu'on a la main
ferme, pour n'avoir plus à y revenir. Dès le premier
moment j'ai voulu en faire l'épreuve. Armé des règle-
ments , qui (entre nous soit dit) sont souvent ridi-
cules, j'ai frappé sur les gros bonnets, j'ai saisi, con-
fisqué, etc.... On a crié, puis on m'a donné raison,
à commencer par les victimes elles-mêmes. Mon âge,
ma manière de vivre en dehors, me serventbeaucoup.
11 existe entre les pensionnaires et moi un reste de
camaraderie respectueuse qui atténue les mesures de
rigueur que je puis employer, et je deviens en quelque
sorte l'avocat du directeur. Je pensais obtenir plus
par la rondeur et la franchise de mes manières d'agir,
que par la rigidité pédantesque d'un recteur de
collège. Voilà, Monsieur, comment j'ai commencé
et où j'en suis sur ce point. Je suis moins avancé
sous le rapport de la direction des études; là il faut
des connaissances spéciales. Le goût qui entrahie
chaque individu dans une route différente doit
rester libre pour laisser le génie atteindre le but vers
lequel il aspire, et malheureusement je ne vois autour
de moi qu'une vile servitude d'école, et je ne ren-
contre (chez les pensionnaires peintres surtout) que
des esclaves n'ayant apporté à Rome que les brosses
et les lunettes de leurs maîtres. C'est ici qu'il faudrait
déployer de grands moyens, et c'est ici que vous, qui
embrassez d'un seul coup d'œil la masse des clioses,
pouvez, non-seulement par amitié, mais pour l'in-
térêt général, m'aider de vos sages conseils. J'ai une
r
w ■
HORACE VERNIiT. 189
volonté inébranlable et une patience à toute épreuve,
mais je pourrais me tromper; j'ai besoin de vos avis
pour détruire toute incertitude sur les moyens de
régénérer l'école. Vous en êtes le chef. La peinture a
ses phases et brille différemment selon son siècle. Les
temps héroïques ont produit les Phidias et les Praxi-
tèle·, la chrétienté, Raphaël, Michel-Ange;... notre
République, David et son école. Aujourd'hui, c'est
autre chose. La tendance générale des esprits penche
vers un but moins spécial : chaque peintre cherche
librement à satisfaire son goût et à représenter la
nature à sa manière. Les tableaux historiques ne sont
plus seulement ceux dont les sujets sont puisés dans
l'histoire ancienne. Les grandes circonstances de
Ootre époque entrent maintenant dans leur domaine.
Je pense que l'École de Rome n'est point instituée
pour former des imitateurs purs et simples des grands
maîtres qui nous ont précédés, mais que MM. les pen-
sionnaires y sont placés pour apprendre à repré-
senter de la manière la plus noble et la plus élevée les
passions de la nature humaine, comme un écrivain
(cherche dans la lecture des bons auteurs en quels
termes il doit faire parler les héros, sans y aller
puiser ses idées, M. Larivière, étant dans sa cin-
quième année, vient de commencer son tableau. Il
a choisi un sujel du quinzième siècle. Dans mon opi-
nion, je n'ai pas cru devoir lui faire d'autre observa-
tion, sinon que l'Académie trouverait peut-être cette
nnovation mauvaise
' La Peste de Rome sous le pontificat de Nicolas V.
193 HORACE VERNET.
Voilà, Monsieur, où je voulais en venir, et le point
sur lequel je serais heureux de connaître votre pensée.
Peut-être ai-je été trop long, mais j'ai peu l'habi-
tude d'enfiler des phrases; j'aurais dù sans doute
être moins prolixe, mais qu'y voulez-vous faire?
Pardonnez-moi donc et mettez, je vous prie, de
côté l'ennui que je vous aurai causé, pour ne voir
que le besoin que j'éprouvais de recueillir vos
avis.
Voici une lettre écrite depuis longtemps; je n'avais
pas osé vous l'envoyer, tant elle est griffonnée, mais
M. Lemoyne, qui veut bien s'en charger, me rendra le
service de vous la lire si vous ne pouvez en venir à bout.
Je vous y demande de me continuer vos bontés et de
m'aider de vos lumières sur un point qui me semble
;|| assez grave. Vous m'avez tant de fois tendu la main
que j'espère que, celte fois encore, vous ne me la re-
fuserez pas. Rome retentit du bruit de vos nouveaux
μ! succès. Vous devez être blasé sur ce genre de jouis-
i i'j " sances qui me touchent sans doute plus que vous, car
j'ai le regret de ne pouvoir juger votre dernier ou-
vrage que par ouï-dire.
MM. Guérin et Thévenin sont partis, me voilà seul.
Les quatre mois que je viens de passer avec mon
prédécesseur ont encore augmenté la profonde estime
I; que j'avais pour son caractère.
i ki
Ma femme me charge de la rappeler à votre
souvenir ainsi qu'à celui de M"" Gérard. Quant à
ma fille, elle embellit tous les jours afin d'atteindre
au degré de perfection que vous avez donné à ses
'-■■yvyin:.
.-.■StSîîPfo
-ocr page 194-HORACE YERNET. lUl
traits dans le portrait que vous avez bien voulu faire
d'elle
Veuillez recevoir, Monsieur, l'assurance de mes
sentiments de reconnaissance et de bien véritable af-
iection.
H. Verhet.
Rome, décembre 1830.
Monsieur,
Depuis bien longtemps j'éprouve le besoin de vous
écrire. Vous allez me dire : Pourquoi ne l'avez-vous
pas fait? Voilà ce qui n'est pas facile de vous expli-
quer, et de détruire la fâcheuse opinion que mon si-
lence a dû vous donner de ma reconnaissance de
toutes vos bontés pour moi. Je vous dirai donc, Mon-
sieur, que, sans avoir la moindre intention de me
mettre en hostilité avec l'Académie, sur une observa-
tion très-simple, relative à l'injustice d'un rapport,
Je me suis trouvé engagé dans une querelle des plus
désagréables avec elle, ou plutôt avec M. Quatre-
mère ».
Entraîné malgré moi par la débâcle de phrases et
' Gérard avait faiten J828, d'après Louise Vcrnet, une esquisse
peinte qui a été reproduite par M. Rosotle dans l'Œuvre de Gérard.
' Quatreinère de Quincy, secrétaire perpétuel de l'Académie des
Ijcaux-arts et membre de celle des inscriptions, auteur d'un grand
nombre d'ouvrages sur les beaux-arts : Dictionnaire d'architecture,
^iistoire de Haphael et de ses ouvrages, la Fie et les Ouvrages des
Pius célèbres architectes, etc., etc. — Mort en 1849.
m HORACE VERNE Γ.
de raisonnements métaphysiques de mon antagoniste,
il m'a été impossible de crier au secours, et, lorsque
j'ai pu surmonter le danger, il n'était plus temps de
demander avis. La glace était rompue, il fallait être le
plus entété. Je me suis donc cramponné à ma cons-
cience. Au moment où je vous écris, je n'ai plus rien
à craindre de mon adversaire, grâce à la dégelée que
je lui ai envoyée. Bref, tout est fini ; il ne faut plus
penser qu'à réparer le mal. Samson, avec sa mâchoire
d'âne, a causé moins de désordre dans les rangs des
Philistins qne notre secrétaire perpétuel avec la sienne
au milieu delà nouvelle école. Je vais donc m'occuper
d'une révision des règlements qui nous dirigent ici,
afin d'en extirper ce qu'un pouvoir envieux et usurpa-
teur y a introduit. Je voudrais proposer les améliora-
tions que deux années d'exercice dans mes fonctions
de directeur ont pu me faire juger nécessaires. J'es-
père que vous me permettrez de vous consulter :
dans cette circonstance, je ne suis pas pris en traître
et je pourrai m'appuyer de vos conseils.
Les événements de Paris ont eu, comme vous le
pensez bien, leur contre coup ici. Je me suis trouvé,
pendant quelques jours, assez embarrassé.
L'ambassade nous avait soufflé dans la manche;
mais, grâce au (uel et à un peu de fermeté, tout s'est
bien terminé. La cocarde fait bon effet, et, sauf quel-
ques boudeurs qui nous arrivent de France, tout
semble repi endre sa marche ordinaire. Le Pape vient
de mourir*.
' Pie VllI. Il| n'avait régné que vingt mois.
Πΐ^
iv
HORACE VERNIiT. 193
La cérémonie du conclave, le couronnement du
nouveau pontife, nous conduiront jusqu'au Carnaval.
Vous voyez que les amusements de tous les genres
ne nous manqueront pas.
J'ai beaucoup travaillé. Une partie de mes études
et de mes tableaux est à Paris '. Peut-être aurez-vous
aperçu les uns et les autres; s'il en était ainsi, j'ose
attendre de l'intérêt que vous m'avez sans cesse té-
"loigné quelques-uns de ces bons avis dont vous vous
êtes montré si souvent libéral envers moi. Je suis
tout étourdi! tant de belles choses m'environnent!
Je voudrais tout saisir. Je suis comme un minéralo-
giste qui met toutes les pierres qu'il trouve dans son
sac, et qui, lorsque celui-ci devient trop lourd, en jette
la moitié au hasard. Si plus instruit que moi ne vient
à mon aide, je cours risque, après m'être donné bien
du mal, de n'être pas plus riche que par le passé,
^'est de vous, Monsieur, que j'attends le service au-
quel je viens de faire allusion. Un seul mot de vous
suffira pour m'indiquer la ligne que je dois suivre
niainlcnant : ce mot, je ne me risque pas à le deman-
•ier, j'ai la présomption de croire que vous le pronon-
cerez.
L'ejÎposition des envois de Rome a eu lieu. C'est
aussi sur ce point que je voudrais attirer votre atten-
tion. Comme j'ai déjà eu l'honneur de vous le dire,
J ai laissé le champ un peu plus libre sur le choix des
sujets de peinture. M. Larivière s'est chargé de l'é-
Voir les lettres de Constantin.
43
-ocr page 197-194 HORACE VERNET.
ΙΓ
preuve. Qu'en pensez-vous? Pour cette année, je
n'espère rien en ce genre. Il n'en est pas de même de
l'architecture et de la sculpture. J'attribue cette dif-
férence au mauvais mode qui dirige les travaux obli-
gatoires. La peinture n'est pas appelée à partager les
mêmes avantages que les autres arts qu'on cultive
ici. Les peintres qui viennent à Rome, loin d'envoyer
des études, devraient, ce me semble, n'en montrer
que les résultats dans des tableaux de différentes gran-
deurs et de leur choix. Les sculpteurs ne font pas au-
trement, puisque leurs envois, consistent dans des
figures et des bas-reliefs, travaux qu'ils doivent exécu-
ter toute leur vie, et dans lesquels ils peuvent montrer
et développer le génie et le talent qu'ils possèdent.
Si vous le permettez, je reviendrai dans un autre
temps sur cette idée que je tâcherai d'analyser un
peu mieux qu'aujourd'hui, ma lettre étant déjà bien
longue.
Je ne veux cependant pas la terminer sans vous re-
nouveler l'assurance de ma bien sincère et respectueuse
affection.
Votre tout dévoué,
H. Vjîrnet.
.01
GERARD A HORACE. VERNET.
Autcuilj 18S0.
Monsieur et cher confrère,
J'ai reçu par M. Letnôioe la lettre dont vous avei
! 1·
I
GÉRARD. i9û
bien voulu le charger pour moi, et je vous aurais déjà
répondu si je n'avais complé sur son prochain départ,
mais il m'a appris mercredi qu'il ne retournerait à
Rome que le mois prochain, et je ne veux pas différer
davantage.
. J'ai été très-sensible à votre bon souvenir et surtout
au témoignage de votre confiance que je crois mériter
par le sincère attachement que je vous ai porté dès
Votre première jeunesse, et qui ne s'est jamais démenti
depuis, j'ose le dire, malgré les soins charitables qu'on
a pris pour vous éloigner de moi. Quoique je ne me
flatte plus de pouvoir vous être utile désormais dans
la ligne ascendante que vous parcourez, tandis que
par mon âge et par mon caractère j'en suis une tout
opposée, cependant, je ne laisserai point, tant que
je vivrai, de répondre à votre confiance et à votre
Les contrariétés que vous éprouvez sur le moral
de votre établissement ne m'étonnent pas : votre ma-
nière de faire et de sentir ne peut guère s'arranger
de ces routines, que les règlements, d'ailleurs, sont
si propices à conserver; aussi n'est-ce pas sur cela
qu'il faut compter pour obtenir des résultats dignes
de l'Ecole et de vous, mais bien sur vos conseils et
sur votre exemple.
Toutefois, pour entrer dans vos idées, je vous sou-
mettrai deux mesures qui me paraîtraient propres à
donner à la fois plus d'importance à l'Académie de
^"rance à Rome, et plus de force aux élèves qui aspi-
l'ent à y arriver. L'une, et je crois vous en avoir parlé,
196 GÉRARD.
serait la création d'une galerie où chacun des pen-
sionnaires laisserait un morceau de peinture ou de
sculpture ; — le nom de chaque artiste et l'époque
de son séjour à Rome seraient marqués au-dessous
de chaque ouvrage. — La seconde serait de changer
la donnée du concours pour le grand prix de pein-
ture, et, au lieu des éternels tableaux de chevalet,
d'adopter des figures de grandeur naturelle, en ne
donnant, comme sujets, que deux ou trois person-
nages, au plus. — Ce n'est point avec vous qu'il est
nécessaire de développer davantage cette idée. Cepen-
dant, si elle vous parait bonne et propre, comme j'en
suis convaincu, à changer la face des choses, je vous
engage à la poursuivre. Quant à moi, je n'aurais
malheureusement que peu de crédit pour l'appuyer,
car je n'ai guère d'influence à l'Académie, où je ne
vais presque jamais. Cependant le bien peut se faire
sans moi. Il faut, avant toutes choses, que ces deux
propositions vous paraissent utiles.
Je vous remercie de ce que vous me dites d'obli-
geant sur mon tableau du Sacre, "Vous n'avez entendu
de loin que les applaudissements, mais ceux qui sont
tout près ont entendu bien des sifflets, et peut-être
même sont-ils arrivés jusqu'à vous. Mais vous n'en
serez pas plus surpris que moi : vous connaissez les
hommes et les opinions de ce pays-ci. Cet ouvrage
était un des plus difficiles que la peinture pùt entre- ·
prendre et achever, el je crois que, sous le rapport
de l'art, j'ai surmonté bien des obstacles. Du reste
ceci est déjà bien loin, et j'ai beaucoup travaillé depuis.
HORACE VERNIiT. 197
Je ne veux pas finir sans vous dire un mot du plaisir
que j'aurais à aller faire une visite dans votre beau
palais, mais je suis déjà bien vieux pour me flatter
d'un pareil bonheur.
Présentez, je vous prie, mes compliments à
M"' Vernet, et excusez la fatigue de mes yeux. Je
suis depuis longtemps dans l'impossibilité d'écrire de
longues lettres; j'ai été obligé de dicter celle-ci à notre
bonne M'" Godefroid. Mais je ne veux pas vous quitter
sans vous assurer de mon inviolable attachement.
0
3
F. Géhard.
Rome, décembre 1834.
Monsieur et ami,
Il faut de grandes circonslances pour me déter-
miner à abuser de vos moments en vous donnant
de nos nouvelles. Aujourd'hui, cependant, c'est un
devoir que je remplis et je brave toute crainte d'im-
portunité, persuadé que vous prendrez part à un
grand événement qui va avoir lieu dans la famille,
^la fille épouse Delaroche, à la fin du mois. Vous
m'avez donné tant de preuves d'intérêt que je suis
persuadé que cette nouvelle ne vous sera pas indiffé-
l'ente, non plus qu'à M"" Gérard. Pour dire toute la
vérité, je dois avouer que j'ai le cœur tout gonflé de
soupirs toutes les fois que je songe à la séparation
que ce mariage nécessite, mais qu'y faire? c'est la loi
198 HORACE VERNET.
de la nature ; et vite, pour me consoler, je me jette
dans le système des compensations et je me trouve
heureux de faire d'un ami, un fils. Ce que je perds
d'un .côté, je le reprends de l'autre. Vive M. Azaïs!
N'ai-je pas aussi à me réjouir d'avoir pour gendre
un peintre et un homme d'un mérite éprouvé ? Mon
rêve chéri se réalise aujourd'hui, et tout sentiment
d'égoïsme doit disparaître devant l'avenir heureux
que je puis prévoir pour celle que j'aime tant. Cepen-
dant, tout en faisant ces belles phrases, je sens de
l'humidité derrière mes lunettes. Pardonnez-moi, je
vous laisse voir toute ma faiblesse : vous m'avez donné
l'habitude de vous ouvrir mon cœur.
Bientôt, comme Philémon et Baucis, ma femme et
moi, nous reprendrons la route de Paris, bras dessus
bras dessous. Là, nous retrouverons des amis, et
j'espère que vous nous permettrez d'aller vous dire
de vive voix tout ce que je ne puis vous dire au-
jourd'hui.
Je ne sais plus si je quitte Rome avec regret, mais
ce que je sais bien, c'est que j'aurai du plaisir à ren-
trer dans la patrie, et surtout à quitter pour jamais
les administrations. Je ne veux plus en entendre
parler.
Mon père, ma femme et ma fille se rappellent à
votre souvenir ainsi qu'à celui de M"" Gérard, et, pour
mon compte, je vous prie d'agréer l'assurance des
sentiments respectueux de votre bien reconnaissant
serviteur,
H. Vernivt.
m
m
-ocr page 202-HORACE VERNIiT. 199
Paris, ce s dicembre 1850.
La Providence, qui se joue de notre pauvre huma-
nité, vient confondre aujourd'hui les larmes les plus
amères avec celles de la joie. Ma fille ' vient d'accou-
cher d'un garçon. Vous qui partagez, j'en suis certain,
le regret que j'éprouve de la perte que je viens de
faire vous partagerez aussi la consolation que le
sort manque rarement d'envoyer aux malheureux.
A. côté d'un bonheur qui se détruit, un autre com-
mence. Mon âme, dépossédée des joies filiales, se
consolera par la pratique des devoirs imposés à un
grand-père. Je profite de l'occasion de cet lieureux
événement pour vous remercier de la dernière marque
d'attachement que vous avez donnée à la mémoire de
mon excellent père en assistant aux derniers adieux
que ses amis lui faisaient. Croyez à la reconnaissance
de tous ses enfants, à la mienne surtout. Je n'ou-
blierai jamais que vous m'avez traité comme un fils,
et c'est avec bonheur que je vous en offre tous les
sentiments.
Je suis avec respect votre bien dévoué,
H. Vernet.
' M»· Paul Delaroche.
® Carie Vernet, père d'Horace, venait de mourir.
-ocr page 203-200 LE COMTE DE FORBIN.
Paris, 12Janvier 1825.
Monsieur le baron,
Je suis allé chez vous pour vous engager à venir,
en votre qualité de premier peintre de Sa Majesté,
m'aider à lui faire les honneurs de l'exposition. Je
crois cependant devoir encore vous en écrire officiel-
lement pour être bien certain qu'aucun malentendu
ne nous privera de votre présence dans un lieu dont
vos ouvrages sont le plus bel ornement.
Agréez, monsieur le baron, l'hommage de ma haute
considération.
Votre dévoué serviteur,
Le comte de Forbiîî.
Paris, 22 mars 1830.
Mon cher baron,
Je suis allé vous voir mercredi passé, et j'ai appris
» M. de Forbin, élève de David, né en 1779. Il consacra sa jeu-
nesse à l'élude des arts et entreprit un voyage en Orient, d'où f
rapporta de nombreux travaux en études de paysages et d'intérieur·
En 1815, il fut nommé directeur des musées royaux, puis, en 181C>
membre de l'Institut, par ordonnance du roi. Il est mort en 1841 >
après avoir rempli les fonctions difficiles de directeur des musées,
avec le zèle, l'intelligence d'un artiste et la courtoisie d'un parfait
gentilhomme. Il a exposé des tableaux à plusieurs salons et a publié
les Souvenirs de Sicile (1823), un J oyage dans le Levant (181
1818).
%
ά.·'
f·
i!
LE COMTE DE FORBIN. 201
avec peine que vous étiez souffrant; j'ai été d'autant
plus contrarié de ne pas vous rencontrer que je vou-
lais vous parler de la chance qui se présente par la
wort de Taunay ' d'ouvrir enfin laportede l'Académie
•'oyale à notre ami Granet dont c'est l'unique am-
i>ition au monde.
11 est malheureusement à Rome, d'où il ne sera de
retour qu'au mois de juin de cette année, époque de
la fin de son congé, moment qu'il a choisi pour se
fixer à jamais ici. Je ne vous parle ni de son talent,
ni de ses qualités de cœur, mais je vous demande
tout votre intérêt pour l'homme qui en est le plus
digne au monde. 11 achève à Rome sa plus impor-
tante, sa plus belle production ; je serais bien moins
inquiet si je lui savais votre appui, promettez-le-moi
si cela vous est possible ; jamais plus belle occasion ne
se présenterait pour lui, et il sera doublement heu-
reux de vous devoir la récompense de ses longs et
honorables travaux. Laissez-moi donc espérer en
notre vieille amitié, et agréez d'avance avec mes vœux
pour votre santé l'expression de mon admiration et
de mon sincère attachement.
Votre bien dévoué collègue et serviteur,
Le comte de Forbitî.
' Taunay, peintre de genre.
' Granet, né àAix en Provence, en 177o. Élève de David. De l'Ins-
titut en 1830. S'est fait connaître par des taWeaux d'intérieur, dont
les motifs étaient tirés des églises et des couvents d'Italie. Talent très-
^'f et très-original. Il figure au Louvre par un de ses meilleurs ta-
bleaux : une vue de VÈglise souterraine de Saint-François ΛΆί-
«'SM. 11 est mort en 1849.
202 GIAGOMO MEYERBEER.
Paris, 21 avril 1830,
Monsieur,
Oserais-je vous rappeler votre aimable promesse
de faire savoir à monsieur le secrétaire perpétuel de
l'Académie que je suis à Paris actuellement, pour que
la lettre de nomination ne prenne pas le chemin de
Berlin ' ? Oserais-je y ajouter la prière (un peu indis-
crète peut-être) de le stimuler à me l'écrire bientôt?
Beaucoup de personnes me parlent de ma nomination,
et il faut que je fasse semblant de l'ignorer. Je vois
tous les jours de ces messieurs auxquels je devrais des
remercîments ])our les suffrages dont ils m'ont ho-
noré, et, faute de l'annonce officielle, je suis forcé de
me taire et de paraître impoli. Cela m'embarrasse un
peu, etvous ajouteriez aux grandes obligations que je
dois à votre bonté et amitié, si vous vouliez faire hâter
l'expédition de cette lettre qui me donnera le droit
très précieux d'oser m'asseoir quelquefois à côté
d'hommes illustres tels que vous.
Agréez, Monsieur, les expressions des sentiments les
' Meyerbecr, nommé correspondant de l'Institut en 1830, ne fut
associé étranger qu'en \ 834, en remplacement du célèbre graveur
Morghen.
GIACOMO 'MËYERBER. 203
plus distingués de votre très-humble et très-dévoué
serviteur,
Giacomo Meyerbeer.
Paris, 1830.
Mon illustre protecteur,
•T'ai l'honneur de vous annoncer que la séance
pour l'élection d'un associé étranger est retardée à
mercredi prochain , à cause de la réception de
M. Thiers qui aura lieu demain. Ainsi, c'est pour mer-
credi que j'ose réclamer vos bonlés et votre éloquente
Recommandation. J'ai pu savoir (en secret) que c'est
la part de la section d'architecture que j'éprou-
"v^erai beaucoup d'opposition, parce qu'elle désire
nommer un associé de cet art. On m'a insinué qu'à
cause de cela l'appui de MM. Percier et Fontaine serait
tres-important. J'ignore; malheureusement, s'ils sont
de vos anus. Dans ce cas, je ne serais pas inquiet.
Mille pardons d'abuser ainsi de vos bontés et de votre
t>ienveillance pour moi; mais vous avez accueilli avec
tant de grâce et de bonté ma première prière, que ma
timidité s'est changée en audace.
Mkyerbeer.
-ocr page 207-ν.
îl
FONTAINE.
204
'ι
Le 12 mars 1831,
Mon ami, je suis chargé de vous dire que le roi
peut, dans cette semaine, jeudi peut-être, vous don-
ner quelques heures de séance aux Tuileries. Vous
seriez placé dans le salon qui précède celui du con-
seil, et là, pendant les moments qu'il aura de libre,
il pourra passer des heures avec vous.
Votre sincère ami,
Fontaine.
Paris, le 21 août 18S1.
Mon ami, je crois faire chose qui vous sera agréa-
' Fontaine, architecte de l'empereur Napoléon I"· et du roi Louis-
Philippe. Élève de Peyre jeune. Il concourut en 1783 pour un projet
à'wne sépulture royale. \\ eut le second prix. Ami et collaborateur
de Percier, ces deux architectes construisirent et ornèrent le grand es-
calier duLouvre, qui a été démoli il y aquelques années. C'était le meil-
leur spécimen de l'architecture de ce temps. Fontaine a été nommé
membre de l'Institut en 1811, à la place de Chalgrin. Pendant
restauration Fontaine construisit le monument expiatoire de la ruc
d'Anjou. 11 avait fait un projet très-ctudié de la réunion du Louvre
aux Tuileries. L'opposition des chambres , pendant le règne
roi i.ouis-Philippe, en empêcha l'exécution. Fontaine était com-
plètement retiré des affaires depuis la révolution de 1848 ; il a cepeO'
dant présidé jusqu'à sa fin le conséil des bAtimcnts civils. 11 es'
mort le crayon à la main, en 18S3.
ë
m
-ocr page 208-FONTAINE. 203
l^Ie, en vous prévenant de ce dont le roi m'a entre-
tenu ce matin.
11 était question du Louvre, de son achèvement, et
particulièrement de la pièce que le roi a nommée le
Sa/on Gérard. Sa Majesté, voulant que cette grande
salle, qui désormais serait éclairée par le haut, ren-
fermât, outre les deux belles compositions qui le déco-
dent, deux autres tableaux représentant des sujets éga-
lement caractéristiques de l'histoire de nos derniers
temps, nous a ordonné de supprimer de suite sur la
face du Midi et sur celle opposée la croisée du milieu,
qui laissera deux espaces à peu près pareils à ceux
que vos tableaux remplissent.
Ainsi, dit le roi, le Salon Gérard renfermera de la
^ain de cet habile artiste quatre grands sujets mémo-
rables :
1° L'Entrée de Henri IV dans Paris, 1594;
La Patrie en danger, 1798 ;
3" La Bataille d'Austerlitz, i8o5;
4° L'Hôtel de Ville, i83o.
Je ne dois rien dire des choses flatteuses qui ont
^té ajoutées à ce court programme, si ce n'est que j'en
Conserverai jusqu'au dernier moment le meilleur sou-
"^enir.
Votre ami dévoué.
Fontaine.
-ocr page 209-206 FONTAINE.
Ί
Paris, le 2 octobre ISSa.
Mon ami, je viens de passer chez vous pour pren-
dre la mesure exacte, de voire tableau de l'Hôtel de
Ville et vous prévenir que le roi a projeté de le faire
placer dans l'une des salles de l'aile du Midi, qui est
consacrée aux événements de juillet 183o.
J'avais, indépendamment de cette mission, celle de
vous demander si pour l'époque à laquelle on veut
ouvrir Versailles, c'est-à-dire pour le i" mai pro-
chain , votre tableau pourrait être fini et mis en
place
Je compte passer chez vous demain ou après-de-
main. '
Tout à vous,
Votre dévoué.
Fontaine.
Pa'is, 1834.
Mon ami, j'allais vous porter hier au soir la me-
sure des deux tableaux du Louvre, lorsque M. Va'
%
> Ce tableau représente : le duc d'Orléans acceptant, le 31 juUl^^
.1830, à l'Hôtel de Fille., la lieutenance générale qui lui est offerte
par les députés présents à Paris. Il est au musée de Versailles> dont
Ài
-ocr page 210-GÉRARD. i9û
est arrivé chez moi. — Cette mesure est de
'6 pieds de haut sur i5 de large.
Je vous assure, en toute sincérité, qu'il me serait im-
possible de faire celui représentant l'Hôtel de Ville
d'ici au i" mai; les portraits y sont nombreux, im-
porlants; et l'on sait que mille causes contribuent à
rendre ce genre de travail plus long que toul autre.
Bien que je n'aie plus grand'chose à perdre, je ne me
résoudrai jamais à strapazzare le peu d'ouvrages
que je pourrai faire encore. Je me proposais de re-
cueillir cet hiver les portraits de ceux de ces messieurs
qui doivent figurer dans cette composition, et de con-
tinuer cependant le tableau de la Pairie en danger,
que je compte avoir terminé au printemps pro-
chain.
Le roi veut que le tableau de l'Hôtel de Ville soit
placé lors de l'ouverture du Musée de Versailles. Si
quelque autre artiste, plus jeune et mieux portant que
Rioi et avec qui je pourrais m'entendre, était choisi
pour cet ouvrage, loin de m'en plaindre, je me ferais
Un devoir de le seconder de mon mieux. 11 n'y a, je
Vous le jure, mon ami, aucune arrière-pensée dans
Cette désignation. Je me suis occupé de cet ouvrage
^vec la ferme volonté de l'exécuter, et la preuve,
c est que je n'aurais plus, comme je vous le disais tout
'a création avait fait abandonner le projet de la salle Gérard au Low
^'■e. Les tableaux de l'Entrée de Henri IVci de la Bataille d'Auster-
litz ont clé transportes à Versailles.
' Alors bibliothécaire du château de Versailles. Auteur d'un itiné-
•'airo en Italie.
' Maltraiter, brusquer^
i
e:
208 GÉRARD.
à l'hevire, qu'à réunir les moyens de détail nécessaires
à son achèvement. Mais les plus indispensables ne
sont pas à ma disposition , et le tableau de Heim S
que vous avez eu la complaisance de me faire prêter
pour quelques jours, est réellement insuffisant parla
différence des poses et celle de la proportion.
Adieu, mon cher Fontaine.
Votre bien dévoué,
Gérard.
' M. Heim avait traité le même sujet. La scène se passe au Palais-
Royal.
V
■i
..i
/'/n^. I!4. ,/////·'. y.t!
I
PERSONNAGES CÉLÈBRES.
a
-ocr page 214-Le Ministre de VMéricvr, far intérim, au citoyen
Gérard, peintre.
Paris, le 10 mars 1793, l'an 11« de la République.
Je vous préviens que, conformément aux vues de
la Convention nationale pour l'encouragement des
arts, je vous accorde, en qualité de peintre, la partie
de l'entre-sol du premier étage du Louvre ci-devant
occupé par Fitz-James, que le poète Lebrun, avec qui
Vous invite à vous concerter à cet égard, ne se sera
pas réservée dans la totalité de cet entre-sol, à l'effet
par vous d'en jouir pendant la durée de votre vie ; et,
d^ns le cas où cette partie d'entre-sol deviendrait
nécessaire à l'administration, il vous serait réservé
expressément l'expectative d'occuper de droit le pre-
inier logement qui viendrait à vaquer, soit au Louvre,
®oit aux galeries.
Garat.
' Garat avait succédé à Uoland au ministère de l'intérieur.
^ La partie du Louvre convertie, avant la révolution, en logements
et en ateliers, était celle de la dolonnade, en face Saint-Gormain-
l'Auxcrrois. Au rez de-chaussée étaient les sculpteurs. Ces salles du
rez-dc-cliaussce avaient été divisées en deux parties : ce qui explique
l'entre-sol accordé ù Gérard.
il
i
M
212 GINGUEiNE.
éga.lité, liberté.
La Commission exécutoire de l'Instruction publique, au
citoyen Gérard, peintre.
Paris, le 12 germinal, an 111« de la République une et indivisible
(1" avril 1795).
La Commission, Citoyen, par son arrêté du 21 plu-
viôse, t'a compris au nombre des artistes dont elle a
cru devoir encourager ou récompenser les talents
Elle a disposé en ta faveur d'un atelier, composé de
la dernière pièce de l'appartement occupé ci-devant
par le citoyen Mallet, garde des archives.
C'est une marque de l'estime et des espérances que
tes ouvrages ont fait concevoir.
Salut et Fraternité,
Ginguené.
Le Miniatre de l'Intérieur à François-Pascal-Simon Gérard,
peintre.
Paris, le 27 nivôse, an IV« de la Rdpublitiue une et indivisible
(Π janvier 1706),
Les talents distingués que vous avez fait valoii"
1 Ginguené, littérateur, né à Rennes, chargé pendant la révolution
de plusieurs fonctions administratives. Eu 179ϋ il était directeur gé-
néral de l'instruction publique. Son principal ouvrage t&iYIlistoirs
littéraire de l'Italie, qu'il ne put achever, et que Salfi continua.
= Gérard était alors connu par ses deux concours, de bons por-
traits, son tableau de Bélisaire et \esquisse du 10 août.
GINGUENB. 213
jusqu'à présent à la gloire de l'École française, la
préférence qui vous a été donnée par les artistes, vos
pairs, pour peindre, comme monument national, la
journée mémorable du lo août, m'ont engagé à solli-
citer pour vous une exception aux lois relatives à la
i" Réquisition. J'ai donc approuvé votre demande,
^t je l'ai mise sous les yeux du Directoire exécutif
pour recevoir sa sanction définitive que je vous ferai
passer aussitôt qu'elle me sera parvenue. Cette lettre
attestera, en attendant, que c'est dans l'exercice de
^Otre art que vous devez servir la République, et elle
Sera votre sûreté.
Le Directeur général de l'Instruction publique,
Ginguené.
liberte , egaijte.
Le Ministre de l'Intérieur au citoyen Gérard, peintre.
Paris, le 22 prairial, an IV (le la République une et indivisible
(10 juin 1790).
Je vous préviens, Citoyen, que j'autorise le citoyen
^elot, marchand de couleurs, à imprimer les toiles
^es tableau et esquisse ' que vous devez exécuter
ainsi que le citoyen Vincent, comme monuments
nationaux. Je vous invite à surveiller cette opération
' 11 est sans doute ici question des esquisse et tableau du 10 aoiU
lui ne fut pas exécuté.
2U GINGUENÉ.
Sf
afin qu'elle soit faite selon vos désirs, et à vous
occuper le plus tôt possible d'ajouter par un grand
travail à la gloire et à l'estime que vous avez acquises.
Salut et Fraternité,
Benezech.
Le Directeur général de l'instruction publique,
1 !
I ι
Ginguené.
raris, 31 décembre 1815.
Mon très-célèbre et très-aimable confrère, je ne
me donne point les airs de vous offrir des étrennes.
Je ne veux que me délivrer moi-même du chagrin
que j'ai toujours eu de ne pas savoir dans votre
bibliothèque ce que j'ai publié jusqu'à présent de
VHisloire liltérnire (ΐItalie, Si l'amour que vous avez
pris pour il gran padre Jlighicri est un peu dû aux
premiers traits qui m'échappèrent à son sujet, il y a
dix ou douze ans, j'ose espérer qu'il ne sera pas éteint
par ce que vous trouverez sur lui dans le premier et
le deuxième de ces six volumes. D'autres endroits
pourront vous rappeler des souvenirs de voire card
patria, et ne pas déplaire à votre imagination poé-
tique et philosophique qui n'est si bien celle d'u»
grand peintre que parce qu'elle est celle d'un poëte
philosophe. Enfin, vous feuilleterez plus à l'aise les
annales de notre riche littérature, et j'aurai un encou-
ragement de plus dans la suite que je vais donner·
Sur ce, mon cher et aimable confrère, je vous sou-
haite bmm fine et miglior capo d'anno '.
Ginguené.
Paris, 1799.
Il n'est point juste que le citoyen Gérard fasse les
avances que pourrait coûter mon portrait. Je le prie
de recevoir comme à-compte les moyens de pourvoir
^ ses déboursés.
M"" Bonaparte désire le voir, et je crois que je l'ac-
compagnerai demain chez M. Gérard, que je prie
d'être bien persuadé de mon estime.
Le généual Moreau.
Le Ministre de l'Iniérieur au citoyen Gérard, peintre.
Paris, le 3'Jour complémentaire, an X de la République
(20 septembre 1802).
Le Premier Consul vient de m'écrire, Citoyen, pour
Vous faire connaître qu'il désire que vos ouvrages
Soient exposés au salon où il doit se rendre après-de-
main. 11 m'annonce qu'il ne veut voir que là les ta-
bleaux des artistes distingués de son siècle.
Je vous salue,
CnAPTAL.
' Bonne fin et meilleur commencement d'année.
215
|ir
GÉNÉRAL MOREAU. — CHAPTAL.
216 DE TALLEYRAND.
Paris, ce 21 février 1809.
La grâce que vous mettez, mon cher Gérard, à me
donner le portrait de Canova, me force de renoncer
aux principes que je me suis faits et ajoute à ma re-
connaissance. Vous rendez bien difficile d'aller dans
votre atelier, puisqu'on ne peut, sans danger, dire ce
qu'on y aime et ce qu'on admire.
Ciiaules-Mauriciî, priivck dk Bénévjîjvt. .
Londres, 20 décembre 1830.
Mon cher Gérard,
Je reçois dans le moment, de Brighton, une lettre
de lord Holland pour vous : je m'empresse de vous
l'envoyer. On me dit que vous auriez presque envie
de venir vous reposer quelque temps en Angleterre;,
j'en serais charmé, on vous y verrait avec le plus,
grand plaisir. Après un grand drame comme celui
dont vous venez d'être témoin, il me semble que l'on
doit aimer à venir dans un pays où, sans monotonie,
* Gérard a peint un beau portrait de M. de Tallcyrand, que Des-
noyers a gravé. Cette planche est un chef-d'œuvre de burin.
DIICIS. 217
on est sur de voir demain ce qu'on a vu aujourd'hui.
N'ayez pas peur du charbon de terre; en deux jours
on s'y accoutume, et l'on trouve qu'on est mieux
chauffé avec du charbon qu'avec du bois.
Adieu, faites que j'aie le plaisir de présenter à Lon-
dres un des plus beaux génies de notre siècle : cela
dépend de vous.
P. oK TALLSYRAND.
Valeiiçay, 1" septembre 183,. .
On me dit que vous êtes à Néris : j'en suis bien aise.
1^'abord parce que je crois que les eaux de Néris sont
spéciales pour les maux de nerfs, et ensuite parce que,
en revenant de Néris, vous passez nécessairement par
Bourges, et que de Bourges, en partant de bonne
heure, on vient aisément diner à Valençay, où je serai
l>ien heureux de vous voir. Après les eaux, il faut
quelques jours de repos, et je crois très-sain de pren-
dre ce repos-là chez quelqu'un qui vous aime depuis
vingt-cinq ans.
TAIJ.EYliAND.
!·'ΐί
;
iriii
Λ la Rousselliêre, en Sologne, ce 12 messidor an XIII, (["juillet 1805).
Je ne puis trop vous remercier, très-cher ami, très-
^ Ducis est une des plus pures et des plus nobles figures de ce
218 DUCIS.
illustre peintre, de mon portrait que vous avez voulu
faire et que vous avez si bien traité C'est notre ami
commun, mon excellent hôte de la Roussellière », qui
m'a lu, un matin, à notre première entrevue, l'article
de M""" Récamier et le mien. J'ai trouvé que le pre-
mier rendait parfaitement son charmant sujet, et qu'il
était le portrait fidèle du tableau, l'image de la grâce
et de la beauté. Quant au second, c'est le portrait sans
doute de ce que vous avez mis dans votre ouvrage, et
c'est là oia j'admire les erreurs si douces et si pardon-
nables de l'amitié.
Aussi n'ai-je pu, mon jeune et aimable ami, m'etn-
pèclier de hâter, au milieu des bois et des bruyères de
la Sologne, le remercîment qui était au fond de mon
temps de révolution où la conscience des hommes ne sut que trop
souvent obéir aux modifications des événements et de la politique;
il resta toujours fidèle à son amour pour les lettres, la poésie et l'in-
dépendance. Il vécut et mourut pauvre, mais entouré d'amis fidèles
parmi lesquels on compte des hommes de grand mérite. Il succéda à
Voltaire à l'Académie, en 1778. La première phrase de son discours
de réception (4 mars 1779) est restée célèbre .« Il est des grands
hommes, dit-il, à qui l'on succède, et que personne ne remplace. » '
S'il ne remplaça pas Voltaire, il sut au moins être plus juste que lui
envers le plus grand pocte de l'Angleterre, car il fut le premier qui
transporta les œuvres de Shakspeare sur le théâtre français. Ces
essais, qui paraissent insuffisants aujourd'hui, après les excellents
travaux qui ont été faits sur Shakspeare, furent goùiés par le public
du temps, et interprétés par le grand tragédien Talma,
Ses épîtres, ses poésies fugitives, sont empreintes de qualités douces
et de sentiments élevés.
Ducis est mort en 1816.
' Le portrait de Ducis est un des meilleurs que Gérard ait faits. U
a été gravé par Pradler, reproduit par Forsell en tête de l'édition
des œuvres de Ducis, publiée par Nepveu en 1813, et gravé de nou-
veau en 18oC par Normand.
- La Hévelliere-Lépeaux.
A
ί
DUCIS, 219
cœur, et que j'ai tâché de faire passer dans une Épî-
tfo ' qui a déjà deux cents vers. Psyché, c'est la pu-
deur, la première des grâces. Bélisaire, c'est le malheur
avec le courage pour le supporter. Ce qui vient en-
suite, c'est le moral de la peinture, tiré des tableaux
de Raphaël et de Poussin. Après, vient le tableau des
quatre personnages : le vieillard , la fille, le mari et
le petit enfant \ C'est la nature qui n'est qu'une suc-
cession et un héritage de tendresses mutuelles et de
bienfaits. Je n'ai plus qu'à me mettre aux pieds d'Os-
sian pour entendre les accents de sa lyre antique et
jouir du concert qu'il donne, aux ombres des héros et
des héroïnes, dans le paradis des nuages et des souve-
nirs. 11 est donc nécessaire, mon cher ami, que vous
me désigniez dans l'expression de cette esquisse sin-
gulière, romantique et aérienne. Il faut aussi que vous
jugiez de la manière dont j'ai rendu vos beaux ta-
bleaux dans les deux cent six vers que j'apporte avec
moi du pays de la pauvreté, de la mélancolie et du
silence. Mais, dans notre conseil, voyez si nous n'au-
l'ions pas besoin d'un tiers pour mettre en commun
nos idées. Et ce tiers, si c'est là votre avis, c'est Louis
T^emercier notre ami, dont vous connaissez le
génie, l'espoir et la noble droiture. Je souhaite que ce
soit là votre avis. Je vous remettrai une lettre de mon
cher hôte, qui est une Fie de Plutarque. Nous nous
' L'cpîtrc à Gérard a été imprimée dans l'édition Ncpvcn, p. 179,
3= vol.
' I-cs Trois-Agcs.
' Népomuccnc Lemercier. Voir à ce nom.
il
220 DUCIS.
m:
quittons tous avec bien du regret, le père, la mère,
Clémentine et Ossian. Mes respects, je vous prie, à
M"' Gérard. Je vous embrasse en Apollon et en amitié
fraternelle.
Ιί
J.-F. Ducis.
1
IJ.
A Versailles, le 27 novembre an XIV (1800),
Mon cher ami, j'ai eu le plaisir, cet été, de vous
lire mon épître de remercîment, chez vous, dans
votre atelier, devant votre chère compagne, sur votre
boîte à couleurs, et en présence de Psyché et de
l'Amour, de Bélisaire et d'Ossian, Vous m'avez peint
avec le talent d'un grand artiste et avec l'âme d'un
tendre ami. Et moi, j'ai voulu vous rendre grâces dans
toute l'effusion de mon cœur et avec la part de ta-
lent que la nature peut m'avoir donnée. C'est vrai-
ment entre nous deux le baiser fraternel de la peinture
et de la poésie. Cette épîlre est à vous^ mon cher ami,
elle vous appartient exclusivement, à vous seul; elle
ne sera ni lue publiquement, ni imprimée sans votre
permission expresse. Je ne suis point du tout curieux»
pour mon compte, de montrer, en nature, ma vieille
tête en public. Je n'ai plus rien à faire ici qu'à soigner
ma santé et qu'à m'occuper de poésie, car c'est une
ancienne maîtresse que je ne puis encore quitter. Mon
sang enflammé me fait toujours la guerre. Je le com-
bats par un régime rafraîchissant. L'âge me force a
UUGIS. UUUIO. 221
beaucoup de précautions. Vous n'êtes pas
triste nécessité, mon cher ami,
Vous à qui l'âge cncor garde un si long destin
I 11
dans cette
Vaie et me arna.
Jean-François Ducis.
A Versailles, le 29 avril 1807.
Mon cher ami, j'espère toujours que vous me ferez
l'amitié de venir^me voir dans ma retraite, et que mon
neveu, le peintre ' que vous honorez de votre amitié,
Sera votre compagnon de voyage. Peut-être auriez-
^ous apporté avec vous le portrait de votre vieil ami,
que vous avez fait avec tant de grâce pour moi, avec
tant de génie et de succès pour votre gloire; mais je
'^ous prie (et j'ai mes raisons pour cela) de garder
chez vous et dans votre cabinet mon jwrtrait. Il ne
peut être mieux que dans la maison paternelle. Je
<=omptais que notre bon ami ïalma jouerait au premier
jour ma tragédie à'Unmlet, remise au théâtre avec
"ion nouveau cinquième acte, mais sa santé s'y op-
pose et il va bientôt aller aux eaux de Spa. Lemer-
cier, notre ami, soupirait après la première représen-
tatien de cette reprise. Je ne sais comment il se porte.
Voudrcz-vous bien, mon cher ami, me donner quel-
' Georges Ducis, élève de David, s'est distingué par quelques ta-
ble
aux de genre.
-ocr page 225-DUCIS.
que connaissance sur ces deux points? Comment se
porte Lemercier? Talma, avant son départ pour les
eaux, me jouera-t-il, ne me jouera-t-il pas?
Quand vous verrez Lemercier, Talma, Ginguené,
rappelez-moi, je vous prie, à leur souvenir. Je ne
vous souhaite ni gloire ni fortune. Vous avez la pre-
mière, vous pouvez aisément vous assurer la seconde;
mais je vous souhaite du bonheur, du bonheur! Je
vais au fait. Si vous venez avec mon neveu me de-
mander un chapon et une salade, du bon vin et du
bon café, je suis capable pour. Bonjour, grand peintre,
homme d'esprit par dessus le marché.
Jean-Fjramçois Ducis.
IV.
iV ■ A Versailles, le 8 octobre 1808.
Mon cher ami, je vous écris, dans mon cabinet,
sur les bois de Satory, au milieu de vos jeunes amis
et élèves, Guérin, Franque ' et mon neveu, le peintre,
qui me firent l'amitié de manger le sobre dîner du
poète. Je suis bien aise que le salon jouisse et s'ho-
nore de vos tableaux. Moi, j'aurai aussi mon salon·
Mon recueil de poésies paraîtra à la fin du mois pro-
chain. Ce ne sera pas assurément sans avoir consulte
' Franque était un des primilifs del'ccole de David ( voir
son temps, par M. Deléduze). Il exposa en 1800 un tableau d'/Zf'
cule arrachant Alceste aux enfers,
V·'
i
i'i
'Ά
DUCIS. 223
Andrieux % qui ne badine pas, s'il vous plaît, quand
s'agit du public, du goût et de la vérité. Tout cela,
Dion ami, pourra vous être lu d'avance, en petit co-
mité, avec nos bons amis et dans un joli dîner chez
Vous, au palais des Arts. Vous saurez qu'actuellement,
à cause de l'habitude, je suis un sauvage rébarbatif
liérissé de tous ses poils. Mais nos deux sauvageries
s'entendront, s'estimeront et s'aimeront toujours. Vos
''(égards, je l'espère, continueront de tomber avec
quelque plaisir sur la figure d'un hibou tranquille qui
reviendra bien vite reprendre et garder sa place cons-
tamment auprès de vous et sous les yeux de vos amis.
Ducis.
iS
f-i!
■ lîll
II y a quinze jours que Talma et Lemercier sont
Venus me voir. Ils ont couché une nuit chez l'ermite.
I^î i
fi
V.
A Versailles, le 9 Juin 1811.
Mon cher ami, je ne pourrai jamais oublier les
'ïiarques particulières et constantes d'amitié quq vous
Qu'avez données avec tant de grâce. Vous, Andrieux
Lemercier, voilà trois hommes qui me manquent
^ans ma retraite que mille circonstances me rendent
chère.
Andrieux est venu me voir mardi dernier avec
' Voir Andrieux.
i.
'M
■Â
22-4 DUCIS.
M"' Hauguet, notre charmante et commune amie.
C'est elle qui Fa mené et ramené dans sa voiture.
Nous avons dîné tous trois fort agréablement chez
Bréville, dans le parc, vis-à-vis de beaux arbres parés
de toute leur verdure.
Je mets dans cette lettre, mon cher ami, un billet
de la banque de France de 5oo livres. Vous en rece-
vrez un autre de pareille somme, dans les huit pre-
miers jours du mois prochain, car c'est à cette époque
que je reçois un quartier de mon petit revenu.
Mon épître à Andrieux est bien finie et finie à notre
contentement réciproque. Elle paraîtra dans le second
volume de mes poésies, que je vais me hâter de faire
imprimer.
Actuellement, je songe aux vers par lesquels je dois
témoigner toute ma reconnaissance à M. Taunay, qui
a mis son talent et ses soins à mon buste ' que je vous
devrai comme je vous dois mon portrait.
Quand vous verrai-je, mon cher Gérard? — Je vous
embrasse de tout mon cœur.
Ducîs.
VI.
Versailles, le 25 août 1811.
Mon cher ami, je vous assure que ces mots de votre
lettre, /e succès passe, mon espérance, m'ont fait le·
' Ce buste, légué par Ducis à Gérard, fut donné par celui-ci à 1»
Comédie-Française. 11 a été longtemps exposé dans le foyer du théâtre.
h
DUGIS. 225
plus grand plaisir. Que de reconnaissance je dois à
^I- Pradier ' pour son courage, sa bienveillance pour
moi et son beau talent! Voulez-vous bien, mon ami,
lui en faire mes très-vifs remercîraents ? Quand je
Songe que M. Pradier a recommencé trois fois ma
gravure, je crois qu'il a dû cet étonnant courage au
chef-d'œuvre de peinture qu'il avait sous les yeux.
Vous savez, mon cher ami, que portrait, gravure et
buste en marbre, tout enfin vous appartient. Je ne
suis bien aise d'en être propriétaire que pour vous
en faire passer et assurer l'incontestable propriété.
Nous nous sommes expliqués etisemble, et c'est sur
cet article mon véritable testament et ma dernière
intention.
Bonjour, mon cher et aimable Gérard, c'est du fond
de mon cœur et avec toute son affection que je vous
embrasse.
Ducis.
A Paris, le 23 janvier 1813.
Mon cher ami, il y a plus de quatre ou cinq mois
que j'ai de vives alarmes sur ma vue. Je ne peux plus
lire même dans les livres dont le caractère est assez
* On doit à Pradier, graveur, frère du cclcl)re statuaire, outre le
portrait de Ducis, la belle planche du Virgile lisant devant Octavie
i'Étoge de Marcellus, d'après le tableau de 51. Ingres, l'Amour et
Psyché et Flore caressée par Zéphire, d'après Gérard.
Ib
-ocr page 229--226 DUGIS.
gros. Mes livres sont fermés pour moi, privation
cruelle, surtout pour un homme qui est dans sa qua-
tre-vingtième année et qui ne peut communiquer avec
les muses que par les yeux. Mon ami, je viens de m'as-
surer, et malheureusement d'une manière certaine,
que je ne puis déchiffrer mes vers sur mon manus-
crit, dont l'encre est d'une blancheur qui achève mon
infirmité : et ce qu'il y a de pis, c'est que je ne sais
pas ma Côte des deux amants par cœur Le manus-
crit, d'ailleurs, est couvert de ratures, de pièces et de
morceaux rapetassés. Je vous prie donc, mon cher
ami, de vouloir bien m'excuser, si demain je ne me
rends pas chez vous pour la lecture en question·
J'irai demain ou après, avec ma femme, chez M. le
baron de Venzel, célèbre oculiste. Mon ami, quand
vous le pourrez, venez visiter votre pauvre ami.
Je vous embrasse de toute l'affection de mon
cœur.
Ducis.
Versailles, le 31 juillet 1815.
C'est sans étonnement, mon cher ami, que j'ai ap-
pris de mon neveu, le peintre, l'offre généreuse que
vous me faites d'une somme de mille francs, dans
nos moments difficiles où les secours de l'amitié de-
* Ce morceau a été imprimé dans les otuvres de Ducisi, publiées pa·"
Nepveu en 1813 (3® volume);
J
DENON. 227
viennent quelquefois si nécessaires. 3e suis justement
dans ce cas. J'accepte donc avec le plus grand plaisir
et une vive reconnaissance une somme que vous pou-
vez me prêter et dont cette présente lettre contient
l'obligation. Je prévois que je ne serai pas longtemps
sans être en état de vous la rendre; mais je ne me gê-
nerai pas avec un ami tel que vous.
Ducis et Georges, son frère, ont dîné en famille hier
avec moi. Jugez, cher ami, combien ce pelit dîner tout
simple, mais pas mauvais, aurait augmenté notre joie,
partagé avec vous!
Je sens que mon cœur a bien des choses intimes à
^ous dire, ainsi qu'à Andrieux; c'est un bonheur que
je goûte d'avance. Acceptez-en l'assurance avec celle
de notre très-douce et très-antique amitié.
Jean-François Ducis.
''1
Berlin, 2 novembre 1806.
Voilà, mon cher Gérard, le portrait du général Rapp
^vec un petit trait relatif à sa taille. Je joins à cela un
Court procès-verbal de ce qui le regarde pour le mo-
' C'est à propos du tableau de la Bataille d'Austerlitz que cette
lettre fut adressée à Gérard. Vivant Denoii occupait alors la place de
directeur général du Musée Napoléon, de la Monnaie des mé-
'Jailles, etc. Né en 1747 à Chalon-sur-Saône, Denon fut page et geu-
t'ihomme de la chambre, à la cour de Louis XV. Il occupa ensuite
plusieurs postes diplomatiques. Denon avait fait d'heureux essais en
i
-ocr page 231-228 HUMBOLDT.
ment où vous avez à le peindre. J'ajouterai seule-
ment que ses yeux sont à fleur de tête et son teint
fort coloré, et qu'animé par le combat, il est en tout
un fort beau militaire. Son costume est un habit de
général delà garde, c'est-à-dire avec les aiguillettes;
il a de plus la plaque d'un ordre de Wurtemberg.
En tout, mettez beaucoup de magnificence dans le
costume des officiers qui entourent l'Empereur,
attendu que cela fait contraste avec la simplicité qu'il
affecte, ce qui le fait tout à coup distinguer parmi
eux. .
Mille amitiés bien sincères.
Denon.
Berlin, 12 février 1807.
J'ai su, mon digne et respectable ami, que vous
désiriez exécuter quelque tableau relatif au séjour
gravure à l'eau-forte. Son talent le sauva du danger d'être décrété
d'accusation comme émigré par la Convention, et sa qualité d'ar-
tiste fit oublier celle du diplomate et du courtisan. David, qui avait
approuvé ses mérites, lui fit confier la commission de graver les
Costumes républicains que David lui-môme avait composés et des-
sinés. Sous le Directoire, Denon fit partie de l'expédition d'Égypt·^·
Il a publié le Voyage dans la haute Egypte pendant la campagne
du général Bonaparte. Directeur général des musées depuis l'avé-
nement de Napoléon jusqu'en 181 îi. 11 mourut en 1825, membre de
l'Institut.
' Frédéric-Henri-Alexandre, baron de Ilumboldt, est né à Berlin
-ocr page 232-HUiMBOLDT. 229
de l'Empereur au palais de Sans-Souci. Je suis bien
coupable d'avoir tardé si longtemps à remplir vos
désirs et à vous envoyer l'esquisse du petit édifice
qui vous était nécessaire. Je puis vous assurer cepen-
cu 1769. Emporté par ses aptitudes, unprofond amour du travail et une
activité dévorante, il entra dans le courant rapide qui, en Allemagne
et en France, dépassa, vers le commencement du siècle, leslimites déjà
connues de la science. Apres avoir débuté par de remarquables tra-
'^'aux de géologie, de botanique, d'analomie et de chimie, il entreprit
son grand voyage d'Amérique, où il fit, après avoir enduré des fati-
gues inouïes, les plus intéressantes expériences sur la minéralogie,
la géologie, l'astronomie et la physique générale. Ce voyage dura cinq
années et donna comme résultatlemagnifique ouvrage du FojiagreaMic
régions éqiiinoxÎales du nouveau continent par A. de Ilumboldt et
^•Donpland. De 1807, époque à laquelle parurent les premières livrai-
sons de cet immense travail, jusqu'en 1827, Humboldt vécut presque
constamment à Paris, surveillant la publication de son ouvrage et
se livrant, avec ses amis Cuvier, Arago, Gay-Lussac, à de nouveaux
travaux scientifiques. En 1829, il entreprit un nouveau voyage en
Russie, en compagnie de MM. Ehrenbcrg et Rose. Le résultat de ce
voyage fut un ouvrage sur l'Asie centrale : Recherches sur les chaî-
nes de montagnes et climatologie comparée. En 1830, Ilumboldt
revint de nouveau habiter Paris, sans tout à fait abandonner Berlin.
A cette époque le roi Frédéric-Guillaume III lui confia de délicates
missions politiques qu'il sut remplir avec le plus grand tact. Après la
révolution de juillet, il fut chargé de reconnaître, au nom de la
Prusse, le nouveau roi Louis-Philippe.
Ilumboldt connaissait tout Paris et tout Paris le connaissait. Son
profond savoir s'alliait à un esprit fin et observateur. Il aimait beau-
coup Gérard, et celui-ci n'a pas cessé de l'entourer des marques du
plus profond attachement. Humboldt était un des plus assidus aux
réunions du mercredi chez Gérard. En 1848, Ilumboldt quitta la France
et se fixa définitivement à Berlin où ilvécutjusqu'à sa mort dans l'in-
timité du roi, sans avoir jamais été un courtisan. Les dernières an-
nées de sa longue et belle vie ont été consacrées à la publication du
Cosmos, essaid\inedescriplionphysiquedu monde, œuvre immense
Cl grande idée qui embrasse toute l'étendue des connaissances Jiu-
«laines. Ilumboldt est mort à Berlin, le C mai 18a9, laissant la mé-
niQire d'un des plus beaux esprits qui aient honoré le siècle.
230 HUMBOLDT.
dant que j'y ai mis plus de zèle que vous ne devez le
penser. J'avais chargé un jeune artiste de mes amis
de se rendre à Potsdam pour y faire le dessin. Il m'a
porté à la fin une esquisse que nous croyons très-
imparfaite et que je n'oserais vous offrir. Elle forme
un paysage, mais elle ne contient pas ce qui vous est
le plus nécessaire, la représentation linéaire de l'ar-
chitecture. Au milieu du chagrin que j'en ai éprouvé,
j'ai appris qu'il existe une vieille planche de M. Kruger
qui est mal gravée, mais de la plus grande exactitude.
Les plus petits détails y sont fidèlement représentés.
Je me suis procuré une épreuve de cette planche que
possède la famille de M. Kruger, et je m'empresse de
vous la faire parvenir. Je me flatte qu'elle remplira
votre but, mon respectable ami. Toutefois, si vous
désiriez autre chose, par exemple une partie de la
terrasse de Sans-Souci ou une vue sur laquelle se
trouve en même temps le fameux moulin à vent, je
vous supplie de me le marquer franchement. Vous
savez que peu de personnes en ce monde vous sont
plus vivement attachées que moi. Vous savez que la
reconnaissance que vous m'avez inspirée est propor-
tionnée à cet enthousiasme avec lequel on doit em-
brasser tout ce qui est beau, grand et simple à la
fois.
Depuis mon retour d'Italie, surtout depuis que
mon ami intime M. Gay-Lussac m'a quitté ici, j'ai
vécu dans un désert moral. Les événements qui vien-
nent d'écraser notre indépendance politique, comme
ceux qui ont préparé cette chute désastreuse et qui la
Il
HUiMBOLDT. 231
faisaient prévoir tout m'a fait regretter mes bois
de rOrénoque et la solitude d'une nature aussi majes-
tueuse que bienfaisante. Après avoir joui d'un bon-
heur constant depuis dix à douze ans, après avoir erré
dans des régions lointaines, je suis rentré pour par-
tager les malheurs de ma patrie! L'espoir de me
rapprocher de vous me console un peu. J'exécuterai
ce projet sitôt que la délicatesse et mes devoirs me
le permettront. Je sens tous les jours que l'on ne tra-
vaille bien que là où d'autres travaillent mieux autour
de vous. Aussi la publication de mes ouvrages ne
pourra se terminer que lorsque je serai moi-même à
Paris, où j'implorerai de nouveau vos conseils.
Tous les gens de goût se sont occupés ici, de loin,
de l'idée de votre tableau allégorique de la Vie hu-
maine N'en pouvant pas admirer de près la belle exé-
cution, nous nous sommes plu à en admirer la com-
position. Que ne peignez-vous la vie d'une nation
comme celle de l'individu? L'ombre de Frédéric le
Grand représenterait, caractériserait les Prussiens, et
cette ombre errant parmi des ruines offrirait un tableau
digne de votre génie ! Ayez la grâce de présenter mes
''espects à M""" Gérard, à la famille de M. Redouté 3, et
surtout à notre amii\LThibault4, dont je fais graver le
superbe dessin. Je n'écris pas aujourd'hui à ce der-
nier, parce qu'on n'a pas achevé à la Manufacture de
_ ' On sait qu'après léna et Tilsitt, la Prusse avait été occupée par
l'armée française (1806).
° Les Trois Ages.
' Le peintre de fleurs.
^ Thibault, dessinateur et professeur de perspective.
-ocr page 235-232 HUMBOLDT.
porcelaine un objet que je veux lui présenter et qui
est relatif à mon voyage. Daignez agréer les assurances
de mon attachement respectueux.
Alexandre Humboldt.
La petite gravure de M. Desnojers ' m'a fait un
plaisir bien sensible, parce qu'elle rappelle au public
les bontés dont vous m'honorez, —J'ajoute aussi une
gravure assez rare du nouveau palais de Potsdam,
qui ne parle pas pour le goût de Frédéric le Grand.
i
m
yi
^lî'
Mï
Taris, août, vers 1807.
ê
ï ψ
V
'h
Je suis chargé, mon digne ami, de la part d'une
princesse qui n'est pas belle, mais horriblement scri'
timentale, d'engager vous, M. Talma et moi-même à
dîner chez elle la semaine prochaine. J'espère que
l'abattement et la prostration de forces qui est l'effet
de la chaleur excessive donnera un air sentimental
à ceux parmi nous qui ne connaissent pas ce genre
de prose poétique de l'âme, La princesse de Ponte-
Corvo demeure à Bellevue. Elle dîne à six heures ou
six heures et demie. Elle veut que vous et AL Talma
fixiez le jour où nous puissions aller la voir dans ces
Alpes de Sèvres, Auriez-vous la bonté d'ouvrir des
négociations avec M. Talma ? Tout jour est le mien,
pourvu que ce soit vers la fin de la semaine pro-
Eau-forte du portrait de Humboldt, dessiné par Gérard en Π99.
-ocr page 236-HUiMBOLDT. 233
cliaiiie : mercredi, jeudi, samedi, pour laisser au
globe le temps de se rafraîchir ou de s'enflammer
tout simplement. Aussi dois-je protester contre ven-
dredi prochain, qui est jour d'Arcueil .levons con-
jure de ne pas refuser. La princesse est aimable et
bonne. Elle a un grand mérite pour moi, celui de
Dîe parler toujours de vous, comme si vous lui aviez
dit que vous ine vouliez un peu de bien. En ce cas
ce peu est beaucoup. Ayez la grâce de m'écrire deux
mots, lorsque M. Talma, à qui vous voudrez bien
présenter les expressions de mon tendre attachement,
vous aura répondu. Je me fais une féte de passer une
journée avec vous.
IIUMBOLDT.
A l'École polytechnique, ce vendredi.
Paris, 29 mars 1812,
Je vous ai parlé hier, mon excellent ami, de nos
Jetantes équinoxiales : c'est de nos ouvrages celui qui
offre le plus d'ensemble d'exécution. Je vous demande
la faveur d'en agréer l'hommage·, j'y tiens d'autant
plus que la plupart des détails anatomiques, comme
^"ssi plusieurs planches (p. ii8), ont été dessinés
par moi au milieu des forêts, dans des canots étroits^
dans des circonstances assez pénibles. J'espère pou-
"Voir vous offrir sous peu la grande édition de mon
' Chaptal avait une propriété à Arcueil.
-ocr page 237-234 HUMBOLDT.
Itinéraire que l'on imprime en ce moment. En m'ho-
norant de votre amilié, vous l'avez placée en celui
qui sent le plus profondément cette admirable réu-
nion du génie et de l'élévation du caractère, des dons
de l'esprit et des qualités du cœur dont la nature a
embelli votre existence.
J'ai un rhume énorme, de la toux et beaucoup
de chaleur à la tête. Mon slyle et mon écriture se
ressentent de cet état. Je viendrai pourtant dans la
journée demander de vos nouvelles.
:!,ίΤ
is
Paris, vers 1812.
J'ai les pains en mains. J'ai commencé un nouveau
portrait de mon jeune botaniste. Je suis dans les
souffrances de Xdcre et du dur. Vous, Mademoiselle
qui me traitez toujours avec tant de bonté, me per-
mettez-vous de vous demander un petit bâton de votre
sublime pierre d'Italie? Ma reconnaissance en sera éter-
nelle. De grâce, ne m'en voulez pas de vous déranger,
et agréez l'hommage de mon respectueux attachement. .
Votre élève de quarante-trois ans,
< Ce billet est adresse, ainsi que plusieurs autres, à Godefroid>
qu'Humboldt appelait, on le verra plus loin, sa bienfaitrice et à
laquelle il demandait conseil pour l'exécution de ses dessins et aqua-
relles.
P-
[iii
fi:·
HUiMBOLDT. 235
Paris, ISlIi.
J'espère, mon excellent ami, que vous rirez long-
temps de la comédie que je vous ai donnée. Le pèlerin
de Jérusalem ^ est furieux. Ce ministère manqué dont
on lui a parlé en public, cette persécution des pro-
testants, ces plaintes contre le roi Louis XVIII, ce
prince de Rohan qui, pour faire sa cour à la Prusse,
dit qu'on a forcé sa famille de se faire catholique, ce
"lînistre du roi de France qui demande une garnison
dans la capitale de son roi ; — convenez que tout cela
est délicieux. Les Grands-Ducs m'ont chargé de vous
faire mille amitiés, c'est le mot. Ils espèrent aller vous
"Voir ce soir à cinq heures.
I :
ι ■
I
Paris, 18ia.
Mon cher ami et mon maître, le roi de Prusse vous
demande la permission de poser chez vous à midi,
aujourd'hui samedi. J'espère que cela ne vous déran-
gera pas. Mille amitiés.
' Chateaubriand.
V.
239 HUMBOLDT.
Paris, I8I/1.
Nous avons passé quatre heures cruelles dans l'ern-'i
poisonnement. Le Roi a de nouveau un cruel mal de ^
dents. Ainsi, cher ami, nous n'irons pas vous troubler,
aujourd'hui. Le Roi vous en fait mille excuses. J^i
vous embrasserai ce soir.
Paris, 181il.
Le Roi est encore alité. Il est très-souffrant : per^
sonne n'a encore pu le voir. D'après cela, mon excel-
lent ami,, vous serez sans doute libre aujourd'hui;
J'écris ces lignes parce qu'il serait cruel de vous dé-
rober un moment. J'ai dit à Steuben ' ce que votis
lui permettez pour son tableau. Ce que vous faites
pour lui est fait pour moi, et cela augmentera la rccoH'
naissance que je vous dois. Mes deux moustaches
d'hier soir, à Lonnet de toile cirée, sont ivres de votre
soirée. Ils en parlent comme arrivant de quelque î'^
enchantée de l'océan Pacifique. Que Dieu nous délivre
de toute la race exotique, malgré leur bonté et leui'.i
sensibilité!
' Steuben avait fait le portrait de M. de Humboldt; il était pc^' |
connu alors. Voir la note sur Steuben, aux lettres de 15arbier-Wal'
bonne.
IIUMBOLDÏ.
IX.
Paris, 1815.
Dans un excès de zèle, je me présente de trop
bonne heure chez, vous, mon respectable ami..le laisse
ii votre porte cet admirable monument de votre amitié
pour moi : ce sera aussi un monument de ma recon-
naissance et de celle de toute ma famille. Dire que
"Vous ordonnerez ce que vous désirerez de plus de
'^os épreuves de votre planche, c'est vous engager à
disposer de votre propriété. Je m'arrête à vingt-
^rois : la vingt-quatrième vous sera présentée enca-
Je n'ai pas d'expression pour les sentiments
divers qu'inspire ce frontispice J'y crois lire les
événements extraordinaires au milieu desquels vous
^vez eu le noble courage de travailler pour un ami.
i
Paris, 1815·
Voici, mon cher et illustre ami, une réponse à
^I· Passalaqua % dont la lettre est bien vague. On
peut dire « qu'on veut acheter si l'on ne fait le
prix des choses. « Qui dédommagerait JM. Passalaqua
du voyage et du transport de tant d'objels précieux?
' Ce frontispice, dessiné par Gérard, gravé par Roger, pour le grand
°"vrage de Humboldt et IJonpland, a pour titre llumanilas, Litlerx,
'•''•"ses. (l'lin. jun., 1. YlII.)
" l'ropriétaire d'une collection d'antiquités achetée plus tard par
le roi de Prusse.
237
; 1
-ocr page 241-238 HUMBOLDT.
Mille tendres amitiés et mes hommages à l'excellente J
M"® Gérard. Vous savez que le Roi a voulu acheter
aux Gobelins votre buste de Louis XVll]? Il a dit que
c'était autant pour avoir un souvenir d'un monarque
qui lui élait cher qu'à cause du beau pinceau de
M. Gérard. Le roi de France a prévenu ce vœu et lui
en a fait cadeau. Je travaille toujours inutilement pour
M""' Jaquotol et je n'ai aucune espérance pour notre
Benvenuto Cellini de Strasbourg.
XL
ί a
Paris, 1816.
Vous avez raison de rire de ma pédanterie toute
tudesque, cher et excellent ami; mais je ne savais pas
que ma microscopique écriture pourrait avoir donne
lieu à quelque malentendu sur le jour. Me voilà bien
rassuré, non par l'aimable et spirituel secrétaire, maisj
par vous-même. J'aurai le bonheur de vous embrasserJ
demain chez vous, et puis jeudi encore chez vous, et
puis vendredi chez le Corse ' ! Caiichy ^ a propose «
hier, dans un comité secret, de purger la bibliothèque =
* M"»® Jaquotot, Jieintre sur porcelaine, a fait d'exccllcntcs copie^
d'après les maîtres ancichs, et des reproductions de quelques tableau*
tooderneS.
* Pozzo (Il IJorgo, ambassadeur de l'empereur Alexandre âuprfcs.'îj
de Louis XVm.
' Cauchy, rtiatliémitticieu. Nommé dcadémicieh officiellement sou» '
a Restauration;
V
i·.
HUiMBOLDT. 239
de l'Institut de tous les livres qui insultaient les
majestés divines et royales : il a nommé Voltaire,
Rousseau, et il s'est déchaîné surtout contre la Guerre
(les Dieux.... Amitiés.
Paris, 1817.
J'oserai vous présenter ce soir, mon respectable
ami, un général prussien, M. de Ruhl, homme aima-
ble et très-occupé des arts. Il a publié des cartes to-
pographiques, et mon frère m'ordonne tout exprès
de vous le présenter pour être auprès de vous l'or-
gane des sentiments d'admiration de M™^ de Hum-
boldt.
Vous savez que la duchesse de Berry et Castel-
Cicala ' ont dénoncé Forbin ® auprès du Roi pour
impiété et hérésie politique de son livre ; on lui a d'a-
bord voulu ordonner la suppression de ce qui reste
de l'édition; Forbin a eu hier là-dessus une confé-
rence avec M. de Blacas il paraît que pour le mo-
'^ent la faveur d'être vktiméet illustré par la persé-
cution ne l'amuse pas. Plus tard, cela sera utile au
livre.
' Castel-Cicala, ministre de Naplcs à Parisi
. - I-c comte de Forbin^ membre de l'Institut (Acad. des beaux-drts)j
•l'rccteur des musées;
^ Ancien ministre de la maison du roi> pair de France;
-ocr page 243-240 HUMBOLDT.
Paris, 1817.
Ecoutez les Ultra, le journal de l'empire d'aujour-
d'hui. Jamais succès n'a été plus complet et plus mé-
rité. M. le duc d'àngoulême a entendu avec une vive
satisfaction les éloges qu'on donnait de toutes parts
au chef-d'œuvre de l'école moderne.
La Quotidienne d'aujourd'hui (c'est sans doute
Malte-Brun que j'avais vu hier) : « Cette belle com-
« position couronne tous les grands travaux de M. Gé-
« rard qui est l'iionneur de l'école française «
Je sens que je suis né pour l'amitié, car le bonhetiV
que je sens a effacé entièrement en moi l'impression
des articles de M. H,.., qui a fait de moi (encore au-
jourd'hui) l'article le plus bienveillant, à peu près
comme il le ferait de l'ouvrage de M. B..., si ses amis>
pour se défaire de lui, le faisaient voyager.
Dans un café,.
li.
XIV.
Paris, 181.<
Lisez, mon respectable ami, jusqu'à demain soir»
les niaiseries de Lady Morgan, ce mélange d'amour
pour la liberté et de goût pour les généalogies, cet
I υ Entrée de Henri IF. .
'.f ■
itiH
ûllV
HUiMBOLDT. 241
Endjmion deΡηκΙΊΐοη, ce Guériii que s'a jeunesse em-
pêche d'avoir de la réputation, ces chefs-d'œuvre de
peinture de Denon, Gérard et Robert-Lefèvre, qui
Vont ensemble à l'immortalité, cette anatomie de la
famille de Beauvau, cette aimable délicatesse qui
apprend au public que M. de Chateaubriand a repris
sa femme par sentiment de décence, cet hôtel Pasto-
'"et, cet hôtel Denon ' !
Vous avez eu la bonté de lui montrer cet Achille,
qui est resté invisible à vos plus zélés admirateurs ;
elle l'attribue au jeune Guérin; c'est lui aussi qui
a fait le superbe et humide portrait de M""' Réca-
Mier... Elle vous fera rire quelquefois. Mille tendres
Elle est cependant quelquefois très-plaisante en par-
lant des ultra^ et de M. de Chateaubriand, et de l'Ins-
titut.
H.
XV.
Paris, 182.
Hier, chez la belle Gabrielle, à Saint-Ouen; aujour-
d'hui encore chez M"" Sontag, chez la duchesse de
I^'no; je suis incertain dubonheur de vous voir ce soir,
niademoiselle, et de m'informer chez la bonne M""' Gé-
' Humboldt se moque des erreurs du livre dans lequel lady Mor-
gan attribue à Prud'hon VEndymion deGirodet et à Guérin le por-
trait de M--^ Uecamier par Gérard.
16
lit)
'i-
i:
i'
y
m
HUiVlBOLDT.
rard de notre illustre voyageur'. Dans cette incerti-
tude, je veux commencer par payer une dette. Nous
devons pour cette quatrième planche, qui est très-
belle, 3oo à 35o francs. Je crois qu'il faut les donner
en entier. Mille tendres hommages.
Je meurs de chaleur ; hier, à l'Observatoire même,
29° Réaumur.
i
Paris, 1822.
Votre lettre pour Londres est partie. Je l'ai envoyée
avec une note très-pressante à l'ambassadeur. Disposez
toujours de moi, mon respectable ami. Je regrette
d'avoir manqué hier soir de vous voir et d'offrir mes
hommages à l'aimable M"" Gérard, ayant été retenu
très-tard chez M. de Duras, qui est malade et qui fait
partir M. de Rauzan pour Vienne. Voici l'arrange-
ment : M. de Montmorency part demain avec M. de
Rauzan (qui lui sera d'un fier appui !) poiir le congrès
de Vienne. Le ministre ne compte y rester que dix à
douze jours; puis M. de Chateaubriand, toujours for-
tifié par M. de Rauzan, assistera au congrès de Vé-
rone; on croyait cela décidé hier soir, malgré une note
contre M. de Chateaubfiand dans VÉloile... Quel tri-
potage!
- H.
' Gérard était ch Angleterre!
242
HUiMBOLDT. 243
Vérone, le 21 octobre 1822.
■T'étais environné des plus beaux rochers de la vallée
de Tienne, dans" une petite auberge de Cavallese, vis-
à-vis des granits et de la cascade du Canzacoli, lorsque
je vous écrivis pour la première fois : cela était assez
pittoresque, mais peu commode. Aujourd'hui je me
trouve dans un salon de marbre, dans une de ces mai-
sons que l'on veut bien appeler un palais, sans doute
parce qu'on s'y ennuie depuis des siècles ; et, au mi-
lieu de cette magnificence apparente, je suis forcé
d'écrire sur mes genoux. Voilà, mon cher et illustre
^ffli, ce qui doit excuser auprès de vous cet horrible
griffonnage. Je me résigne à ce que vous ne puissiez
pas déchiffrer ma lettre entière, pourvu que vous
trouviez les mots d'admiration, de dévouement et de
''econnaissance qui sont éternellement l'expression de
nies sentiments envers vous. Revenu du Tyrol {Trento,
HolzanO) vallée di Fozza) et des montagnes volcani-
ques de Padoue {rmmti Uganei iÎAhano\ j'ai appris
que le Roi, au lieu de venir par Inspruck, avait pris
'a route du Simplon. Je suis retourné à Milan pour
aller au-devant de lui; nous sommes revenus par Ber-
gamo et lirescia, et dans deuic jours nous partons pour
Venise. La vie est bien agitée, et je pourrais presque
plaindre qu'il y ait tant de princes, tant d'églises
et tant de ballets dans ce pays. Cela commence à huit
lieures du matin et cela finit à minuit, sans compter
247 HUMBOLDT.
les intercalatious d'un dîner à deux heures, d'un thé à
six heures, et d'un souper à neuf heures· Mes rap-
ports avec le Roi sont les mêmes qu'autrefois, et je ne
saurais assez me louer de toutes les marques de bien-
veillance et de prédilection qu'il me donne. Il s'est
informé avec la plus tendre sollicitude de l'état de
votre santé, de vos travaux, de vos projets d'un voyage
en Italie. Il revient souvent sur ce sujet, qu'il sait me
rappeler des souvenirs si heureux,.. Vérone n'est
guère très-amusant. La beauté de l'amphithéâtre est
un peu sévère, et ce qu'il y a de plus gai sont les
poissons pétrifiés du comte Gazola, le long cyprès du
jardin Giusti, et les ossements de l'âne sur lequel était
monté Notre-Seigneur dans son entrée à Jérusalem·
Tous les congrès se ressemblent : on dit celui-ci fini
avant qu'il ait commencé. On est tellement d'un même
avis qu'il n'y a pas lieu à discussions, et il paraît
qu'on ne fera rien ni à l'Est ni à l'Ouest. Voilà les
nouvelles du jour : j'en parle à mon aise, ne voyant
de toute la diplomatie que M"® de Liéven'. C'est là
qu'on s'assemble le soir, qu'on dit que l'on s'ennuie,
et qu'on le redit le lendemain. Je n'ai malheureuse-
ment pas eu le plaisir de trouver M. Serangeli qui
était absent de Milan; mais le Roi a été accompagné de
M. Longhi, le graveur, qui a tout à fait la tournure
d'un homme d'esprit. Il rend beaucoup de justice à
' M·"" de Liéven, l'un des oracles politiques du siècle. Élevée à
Saint-Pétersbourg, elle résida successivement à Londres, en Russie
et en France, où elle mourut à Paris en l8o7.
® Peintre, élève de David, auteur de plusieurs tableaux placés au
musée de Versailles.
HUiMBOLDT. 245
Toschi, et a marqué au roi la plus grande admiration
pour vos ouvrages. Le temps est superbe, quoique
plus froid qu'à votre villa. Les fonds sont assez gris, et
je soupire après le ciel de Naples. Nous reviendrons de
Venise ici, et nous partirons pour Rome et pour Na-
ples le 3 novembre, pour être déjà de retour ici le
15 décembre. Le congrès ne sera pas très-long, à ce
que tout le monde croit, et j'espère toujours vous
embrasser au commencement de janvier. Je n'ai pu
encore lâcher que quelques mots sur notre bon Steu-
ben à M. de Nesselrode. On ne fait qu'arriver, et tout
Je monde est distrait dans ces premiers jours. Pozzo
M. de Montmorency me chargent de mille choses
pour vous, mon cher et excellent ami. Vous ne dou-
iez pas, j'espère, des sentiments du plus tendre et du
plus respectueux dévouement que je vous porte à
'^'ous, notre maître, à l'excellente M"'® Gérard, et à
Godefroid, ma bienfaitrice. Il y a peu de jours
que j'ai encore mangé de vos biscuits et bu de votre
^'u· Ma santé est excellente, et je m'arme de patience,
^ille amitiés à ce bon Steuben.
Avez-vous les derniers vers de Monti sur ce sujet
^out à fait mythologique, l'innocence, la générosité
la vertu de M'"' de S..., qui a fait faire de petits
tableaux à M. Agricola '? Quand je suis tout seul dans
campagne, je suis ravi de votre Italie : quel déli-
cieux pays!
' Peintre d'histoire, résidait habituellement à Rome.
-ocr page 249-246 HUMBOLDT.
XVIIl.
Paris, 182..
Toujours des importunités ! Je vous demande la
grâce, mon cher et respectable ami, de vous amener
demain soir un homme aimable, qui m'a été beaU'
coup recommandé par l'ambassadeur, et qui a été,
après M. Canning, chargé d'affaires à Lisbonne. C'est
le chevalier-baronnet sir John Croft, qui parle mieux
le français que mon gothique compatriote.
H.
XIX.
Paris, 182..
Ce n'est certainement pas à moi à trouver l'heure
trop matutine Je serai à quatre heures chez M, Gé-
rard, en le remerciant de son généreux pardon qu'
vous est dû en entier. Depuis Clovis, les femmes ont
été nos anges tutélaires. Près du trône, ces anges ont
un peu changé dans ces derniers temps. Je suppli®
Godefroid d'agréer mes tendres et respectueux
hommages.
XX.
Paris, 182..
Je suis encore tout plein de la charmante féte
Matinale.
-ocr page 250-HUiMBOLDT. 247
dimanche Tout le monde parle de l'élégance, de
l'ordre et de la franche gaieté qui animaient tout. Je
suis retourné (à pied) avec le ministre, son fils, le
chevalier architecte et le général victorieux. C'était un
superbe clair de lune, et le chemin ne nous a pas paru
long : il n'était que quatre heures lorsque nous sommes
l'entrés. En vous parlant de nos aventures j'ai voulu
témoigner de ma reconnaissance. Je vais de suite
'^ous importuner de nouveau. Aurez-vous la grâce
•ie m'envoyer pour deux jours seulement les planches
de mon Àtlas pittoresque ? Mille tendres respects au
maître.
Paris, 182.
Cher ei respectable ami, ce que j'avais craint est
arrivé! Si xM. Dupin travaillait à l'Étoile, il n'aurait
Pîis autrement décrit la charmante fête que vous avez
donnée \ Quel style de Trissotin : et celui qui... et
encore celle qui.... Pas un mot pour M""' Le Picard
ΛΓ' Yalentin^! pas même pour celui qui ^wérïl la
^age de ceux qui ne sont pas mordus. J'entendais
^"en qu'on se moquait beaucoup de cet article hier
; mais ce n'est que ce matin que je vois par moi-
' A Auteuil.
' Celle dont il est question dans la leltrc prcccdcntc.
' Tante de M. Henri Lehmann, peintre d'histoire et membre de
' Institut.
-ocr page 251-248 lîUMBOLDT.
même combien il est ridicule et pédant. Qui peut être
notre ennemi? Ceux que je devine y sont loués : on
s'est peut-être loué pour se cacher! Et ce représen-
tant naturel de Florence! ! Il n'y a qu'une consolation,
c'est que cela sera utile à cet excellent M. Sgricci S
dont le talent et la délicatesse (voyez sa lettre) méri-
tent la plus haute admiration. Mais comment se re-
fuse-t-il à mettre un prix à une soirée, quand M""' Pasta,
Paer... l'ont fait? Qui peut le faire pour lui? Qui se
fierait à la discrétion et à Venthousiasme des Parisiens?
Daignez remercier cette bonne M"' Godefroid de toute
la peine que je lui ai causée. Il faut laisser la chose
là, car les personnes qui m'avaient prié de prendre
des informations diraient que je leur rapporte leur
question. Le Forbin de l'Orient est revenu. Tendres
amitiés et hommages.
J
XXII.
Pïris, 182a.
Je suis assis à votre table, mon cher et illustre
ami. Je suis de votre maison : j'étais inquiet de votre
santé; vous êtes dans les champs. Je viens de voir
Chateaubriand : voici les nouvelles sûres. Le Roi
vient d'être administré de l'Extrême-Onction, il y
une demi-heure, devant toute la cour : il n'a pu se
lever : mais il a sa tête, tandis qu'il sommeillait saiis
* Improvisateur italien. Il eut grand succès à Paris à cette époque·
-ocr page 252-HUMBOLDT, 249
cesse hier et toute la nuit. Les médecins parlent qu'il
va s'éteindre dans la journée ou cette nuit. J'ai pense
que ces nouvelles devraient vous intéresser. Mille
tendres amitiés.
Paris, 182.
Je ne puis me montrer. Je devrais vous amener
les Léopards d'Albion qui me rendent fou, qui m'em-
péchent de voir les personnes qui me sont les plus
chères, que j'admire le plus dans ce monde. C'est
a l'excellente mademoiselle Godefroid que j'ose m'a-
dresser. Je me mets à ses pieds, et je la prie en
grâce de demander à notre maître si je puis, demain
dimanche, faire le grand voyage ' avec lui. Mille
tendres respects.
Une Uoparde de plus d'arrivée : Lady Davy I !
XXIV.
Paris, 182.
Je ne saurais mieux devenir l'interprète des senti-
ments de reconnaissance de M""' la duchesse de Duras,
qu'en communiquant à notre nudtre le billet que
D'Auteiiil.
-ocr page 253-250 lîUMBOLDT.
je viens de recevoir. Le format est excellent; cepen-
dant, comme je vais mardi à Andilly avec M. Arago/
je rapporterai un feuillet. Le mot de vignette ' est
un malentendu; j'expliquerai qu'il s'agit de quelque
chose de plus parfait et qui permet plus de déve-
loppement. Ne vous donnez pas la peine de répondre
et agréez mes tendres et vieilles admirations.
' H.
XXV.
Paris, 182.. ,
Il n'y aura pas le moindre inconvénient à remettre
la visite à tel jour que notre excellent maître choisira.
La Princesse, qui a joué la comédie avec M"° Mars,
chante aujourd'hui dans un opéra qui se donne chez
elle, avec M""' Regnault, Elle finira par avaler des
sabres avec les Indiens : c'est un cours de civilisation
complet. Je supplie l'aimable secrétaire d'agréer l'ex-
pression de mon attachement respectueux.
H.
it
i
XXVJ.
Paris, 1825.
Je m'adresse à ma protectrice pour la supplier d'of-
frir en mon nom les dix exemplaires du charmant fron-
tispice à son auteur. Je suis honteux de voir que la'
■ ^
' 11 s'agit ici de la composition de Gérard pour le roman d'Ourika,
de M"® de Duras.
HUiMBOLDT. 251
douzaine ne soit pas complète, mais il a fallu prendre
des exemplaires anciennement tirés, la planche ap-
partenant à M. Spooner (un de mes tyrans-libraires),
qui se trouve actuellement à Londres. J'ose aussi
prier l'aimable M"" Godefroid de consulter notre cher
maître pour me dire quel buste de Charles X, en plâ-
tre, je dois acheter pour mon roi, qui me le demande,
plutôt comme le plus ressemblant que comme le plus
historique. Les dames de la duchesse de Berry sont
furieuses de M. Lawrence, qui n'a pas fait grâce du
fnaumis œil On trouve unanimement la tête de
notre maître bien autrement agréable. Les fureurs
«contre le Pandémonium dans lequel pleure et grelotte
M. le dauphin augmentent aussi. Vous savez que je
me nourris de tout cela. Mille tendres respects.
H.
/
I
Ίί,
XX VIL
l'aris, 1825.
ivr° de Bérenger est arrivée il y a deux jours. Dou-
loureusement affectée de la perte de son ami le gé-
néral Foy, blessée au vif de la pubhcité des souscrip-
tions % elle ne rêve que votre générosité courageuse,
Votre amabilité pour M'^ Foy', la délicatesse de vos
' Les dames de la duchesse de Berry étaient bien difficiles. Sir
Thomas Lawrence était un peintre fort habile, le portrait de Char-
les X est un de ses plus beaux ouvrages.
' Pour le monument du Pore Lachaise.
' Le portrait du général avait été offert par Gérard à Foy. —
(Voir les lettres de M"" Foy.)
252 lîUMBOLDT.
procédés. Grouchy, le général Gérard, M. de Lava-
lette, ne cessent de lui en parler. Elle n'ose encore
vous prier de lui montrer cette admirable tète ; mais '
elle voudrait vous remercier de ce que vous faites
pour illustrer un nom qui lui est si cher : elle vous
supplie de choisir un jour, mercredi ou samedi de
l'autre semaine, où vous viendriez dîner chez elle.
Elle promet de vous laisser votre liberté vers les huit
heures et demie. Ne me répondez pas, j'irai chercher
vos ordres. . ί.
Paris, 182.
Non les distractions de la société, mais la ferveur J
que je mets depuis quelque temps à terminer mes
éternels travaux me prive du bonheur de vous voir, 1
mon respectable ami, comme vous m'en aviez laissé ■ C
prendre la douce habitude. Dînez-vous à la maison ?, j
Voulez-vous que je demande à dîner à M"" Gérard,
aujourd'hui dimanche?. Voulez-vous faire avec moi
ce soir une visite de digestion chez M. de Chateau-
briand ou chez M"" de Bérenger? Un simple non me
suffît.. . . ; : ;
Brest, 16 Juillet 1825.
Ce n'est qu'un petit signe de vie et d'amitié, mon Π
-ocr page 256-HUiMBOLDT. 233
cher et illustre ami, mais je sais que ce peu de lignes
ne vous est point indifférent. Ce voyage m'a donné
plus de jouissance que je ne pouvais en espérer : ma
santé, déjà très-bonne, en aura été raffermie, car nous
îWons fait plusieurs jours achevai entre Paimpol (dont
le port est comblé de laves comme aux Canaries),
entre Mortain et les intéressantes mines de Poullaouen
et Huelgoat, qui donnent 3,ooo marcs d'argent par an,
et dans lesquelles j'ai trouvé les souvenirs de ma jeu-
nesse. Souvent nous avons fait huit à dix heures à
pied. Ce pays a une physionomie à lui : on nous a
comblés de bontés partout ; on les a portées trop loin;
à mon plus grand chagrin, les journaux de pro-
vince ont donné jusqu'à mon année de naissance
avec une désolante exactitude, ici nous avons eu force
dîners du commandant de la marine et du comte Re-
don, l'intendant, homme d'un esprit très-cultivé,
^ous avons été quatre ou cinq jours à Brest, où la
^ade est magnifique. Nous n'avons plus à voir que
^-arnac; nous partons ce matin pour Vannes et Nan-
'es; nous espérons être à Paris le aS ou αβ. Rien η a
"manqué à notre bonheur, car ce matin même je dé-
couvre dans le régiment de Hohenlohc, en garnison ici,
"otre capitaine Roche, qui est lieutenant en second ;
d chante encore Waterloo et me présente à ses cama-
•■ades comme un ami intime. Malheureusement ses
camarades m'ont pris pour M. Humblot-Conté, qui
fait des crayons! Si j'avais été malin, j'aurais fait des
ï"eproches au capitaine Roche de n'avoir pas chanté
Corinne. Adieu, mon cher et excellent ami ; mille ten-
1 :
i al
234 lîUMBOLDT.
cires respects à la bonne M"" Gérard, à ma protec-
trice Godefroid, et à toute noire famille.
XXX.
Paris, 182.,
A la vie et à la mort vous pouvez disposer de moi,
mon illustre ami. J'ai d'abord été chez le Fea, dans
son hôtel d'ambassade; je n'y ai trouvé qu'un petit se-
crétaire qui n'a jamais été à Colombia. On m'avait
dit que le général Cortez, qui, dans une guerre ci-
vile, s'est jadis iiattu contre Bolivar, et qui aujour-
d'hui est chargé par lui de faire faire des plaques de
bonnets de grenadiers, avait un drapeau : j'ai été dans
sa maison faubourg Montmartre : il est parti avec les
plaques ! Je crois que M. Arago, le dessinateur a fait,
par ordre de Fea, un triomphe de Bolivar, un chai'
écrasant l'Espagne et tous les rois sous ses roues, et
qu'il y avait un petit drapeau dans cette édifiante
composition. Mais M. A... est peu véridique et exact :
ce serait dangereux de le consulter. Il nous dirait plu®
qu'il n'en sait. Il me paraît le plus sûr et le plu»
prompt, mon cher et excellent ami, que j'écrive à Fea,
à Londres. Nous aurons bientôt une réponse. Veuille^
donc, à cet effet, sans vous nommer, avec la tournure
α on désire savoir, » dicter à M''" Godefroid toutes les
< Jacques Afago, frcrc du célèbre astronome ut iuteur de différent®
récits de voyages.
HUiMBOLDT. 235
questions de costumes et de taille qui pourraient se
présenter. Vous pourriez même demander si à Lon-
dres il n'existe pas quelque croquis de la ville de Ca-
racas. Je presserai la réponse. Je dîne malheureu-
sement lundi chez M"" de Rumford. C'est aujourd'hui,
dimanche, la fête de M""' de Duras : elle me charge de
vous le dire. Il n'y a personne d'invité, et c'est comme
^ l'ordinaire. Vous m'avez chargé de la santé de
Pozzo. Il a toujours des vapeurs. De grâce, du rose,
la bouche en cœur, les angles relevés, l'œil clignant,
le regard plus animé! Il admire, mais il craint tou-
jours d'être trop grave et immobile Vous ne m'en
voulez pas de ce clabaudage ridicule. Mille tendres
amitiés.
H.
i
lill]
XXXI.
Paris, 182..
-le commence à vous faire mille et mille excuses de
manière laconique et inconvenante par laquelle j'ai
'■^pondu ce matin à votre aimable invitation. Depuis
"mercredi, j'étais dans les douleurs de dents. Je venais
prendre ce matin, lorsque votre lettre arriva, l'hé-
'Oïque résolution. M. Miel a arraché la dent : c'est
toujours un grand bien d'avoir une de ses picces de
^oins. Certes, mon excellent ami, j'accepte votre
^onne invitation pour dimanche, « me réservant
' Λ propos (lu portrait en pied i)cint par Gérard.
-ocr page 259-256 lîUMBOLDT.
comme toujours l'indépendance du retour et le libre
refuge de la république de mes membres. » M. Miel
m'a reconnu à mes dents, et il me menace de venir,
lui. M™® Miel, un frère, trois cousines et deux tantes,
voir l'anneau de Saturne.
Le Courrier est toujours occupé de Corinne et de
j/me _ j^e roi vient d'acheter pour son cabinet la
petite copie.
Paris, 182..
J'ai fait ma cour ce matin à M"" Jaquotot. J'ai été
ravi de tout ce que j'ai vu : on ne pousse pas plus
loin la perfection de cet art... Que votre Psyché est
belle, mon cher ami, dans une matière si précieuse
qui semble ajouter à la délicatesse du pinceau ' ! Cela
gagnera encore de transparence lorsque cela sera
moins ernbu. Je désire que la draperie rouge de la
Psyché soit un peu plus éclatante de couleur, et qi'C
les prunelles de la Psyché deviennent un peu pi"®
pâles. Les contours sont chez vous moins cernés,
moins distincts, ce qui adoucit le regard. Qu'on est
heureux d'avoir un ami qui ait produit un tel ou-
vrage!
< Cette copie sur porcelaine et celle de Y Entrée de Henri If^ sont
exposées à la manufacture de Sèvres.
Λ
-ocr page 260-HUiMBOLDï.
257
Paris, 1825.
Hélas! \e. chevalier' ignore donc que, nous autres li-
béraux, nous faisons un métier d'enterrement mutuel.
Je ne puis manquer à celui de cet excellent général
Foy. Je ne reçois l'aimable billot de M"' Godefroid que
dans ce moment, et je suis au désespoir de ne pas
pouvoir profiter de cette offre obligeante.
Paris, 1825,
Une petite fièvre de rhume m'a tenu alité pendant
trois ou quatre jours et m'a privé longtemps du bon-
heur de vous voir, mon excellent ami. J'ai cependant
sur le cœur une commission de M'"® de Duras, sur la-
quelle elle revient dans plusieurs de ses lettres. Elle
'lïe charge de vous faire mille excuses de ne pas avoir
pu même vous saluer aux Tuileries. Elle a percé la
foule, et déjà vous étiez parti. Elle me charge aussi
de vous engager bien formellement de venir la voir
^hez die, rue de Farcrmes, tous les soirs, depuis neuf
heures jusqu'à onze heures. Elle n'invite jamais pour
^es petites soirées. Vous y trouverez Pozzo, rarement
ï'orbin, la duchesse de Devonsliire... Elle désire que
' Sir T. Lawrence.
17
-ocr page 261-258 HUiMBOLDT,
vous puissiez venir demain, ou samedi, ou lundi, tous
les jours de la semaine. Il lui est venu à elle et à M. de
ûuras une grande passion pour vous et le charme de
votre société. J'aurais pu leur répondre pourquoi ils
sentent si tard les effets de ce charme, mais que
gagne-t-on à des récriminations? J'aurai du plaisir
d'apprendre que vous céderez à ces instances. Mille
tendres amitiés.
XXXV.
Paris, 1826.
J'espère que notre illustre ami est en bonne santé.
Daignez dire à M""" Gérard que c'est avec la permission
du maître que M. Rugendas amènera peut-être avec
lui, ce soir mercredi, M. Huber, fils d'un grand auteur
tragique de l'Allemagne, qui lui a déjà été présenté il
y a trois ans, et qui depuis a été en Espagne, en Por-
tugal et en Angleterre. Je suis enrhumé comme un
loup. 31ille tendres hommages.
H.
XXXVÎ.
Paris, 1820.
En rentrant hier chez moi, mon excellent ami, j'ai
trouvé votre trop magnifique cadeau. J'en ai presque
été effrayé, et je n'ai accepté que la moitié. Je de-
HUiMBOLDT. 259
mande en échange une épreuve d'ami, après la lettre
Ce sera une affaire entre M'" Godefroid et moi. Je
suis chargé de mille amitiés pour vous des WoronzoAV
^t de deux humbles prières.
Le général demande s'il serait trop hardi de vous
supplier de lui accorder une copie du buste de
M"" Mars, qui ferait grand plaisir à sa femme. Il aime-
ï·»!! tout autant peut-être une petite figure entière de
cette charmante personne, avec un peu de ressem-
l^lance, de 15 à 18 pouces de haut.
La seconde prière est un rêve de Crimée. M"" de
Woronzow sait que le général ne parle à Odessa que
du désir de placer votre buste à côté du mien. Il vou-
drait un portrait de vous par Steuben, semblable à
celui que Steuben a fait de moi pour Odessa. Vous
^oyez qu'il y a de la bienveillance pour trois per-
sonnes dans cette prière : pour vous, Steuben et moi.
Vous refuserez-vous à cette prière de la comtesse?...
"•'ai vu hier M. Fagel et son frère qui vous adorent. Le
•ministre n'a pas de jour fixe, mais il vient ce soir. Mille
Amitiés.
XXXVll.
Je suis tout honteux, mon cher et illustre ami,
d'avoir tardé si longtemps k vous réitérer l'hommage
de mon admiration et de ma reconnaissance. 3 ai joui
* gravure de XEntrèe de Henri par Tosclii;
-ocr page 263-260 lîUMBOLDT.
de vos bienfaits, du nectar que clandestinement vous
avez fait placer dans ma voiture, jusque sur les bords
de la Sprée. Je n'avais pas besoin de ce souvenir
cependant; chez mon roi, chez les princes, chez
de Ilumboldt, partout votre nom et votre gloire
ont résonné à mon oreille. Je n'ai pu rien ajouter à
l'expression des sentiments d'affection et de vénéra-
tion que dans toute l'Allemagne j'ai recueillis pour
vous. Je ne vous parle pas de ma vie : vous la devinez.
Je suis le roi de Berlin à Charlottembourg, à Potsdam,
îV l'île des Paons, etc. : on n'est souvent pas deux
jours dans un même endroit. Les bontés et les atten-
tions délicates du roi pour moi vont en augmentant.
J'espère encore que cela ne changera rien dans ffla
position. Le temps m'a singulièrement favorisé :
verdure s'est conservée, les jardins sont d'une tenue
superbe, les sites d'eau sont ravissants surtout au
palais de marbre, et dans une villa que Schinkel ' ^
bâtie poxir le prince Charles, fils du roi, sur une
péninsule de la Havel. Ce que le roi fait journelle-
ment pour les arts est immense, et nulle part l'argent
n'est plus raisonnablement employé. Lorsque le roi
ou le prince royal viennent chez mon frère à
campagne, on n'invite personne que M. Rauch ® et
' Charles Schinkel, très-célèbre architecte, a construit le musée
de Berlin, des basiliques, etc.
' Chrétien Rauch, le plus fécond des sculpteurs allemands. A l'^n®
de quarante-sept ans, il avait fait soixante-dix bustes en marbrCj
dont vingt de grandeur colossale, et de nombreux monuments. L®
plus important est celui de Frédéric le Grand, à Berlin, et dont if
envoya le modèle réduit à notre exposition universelle de 1835. Ne
en 1777, membre associé de l'Institut en 1812, Rauch est mort en 1837·
HUiMBOLDT. 261
M. Schinkel...; on sait que l'on ne peut donner une
société plus agréable. Cette manière d'honorer le
talent, de le placer dans la vie privée des princes au-
dessus de toute autre affection, a quelque chose de
noble et de touchant; c'est un progrès de la civilisa-
tion humaine. Comment vous parler, à vous, d'une
exposition de peinture dans laquelle il y a un mélange
de talent et d'ennui dogmatique bien extraordinaire?
I-'École Nazaréenne (c'est ainsi qu'on appelle ici ce
style byzantino-germanique) prend le dessus, et ceux
qui travaillent dans une autre route vivent aussi de
ï'éminiscences de l'École avant Raphaël. Ce qui man-
que n'est pas la partie technique et le savoir, c'est
l'expression de la vie, la liberté dans l'emploi du
talent. Il est bien extraordinaire qu'une nation qui
se meut si librement dans la littérature se soit forgé
des chaînes par de faux systèmes dans les arts.
Begas ' a eu différentes incarnations; il est au-
jourd'hui dans un genre de sécheresse et de morgue
de couleur qui commence aussi à révolter le public.
Son portrait de Thorvaldsen est un très-bel ouvrage,
quoique peint d'après le principe « que Dieu a
<^ompté chaque cheveu sur la tête des hommes. »
C'est un Plolbein ; mais le caractère de tête du sculp-
teur d'origine irlandaise va à merveille avec cette
' Charles Begas, peintre d'histoire, a eu en Allemagne une grande
réputation. Il fréquenta deux années l'atelier de Gros. 11 est mort
ÎSîiy/année où l'on exposait à Paris son Christ prophétisant
'c ruine de Jérusalem. Π avait peint le portrait d'Alexandre de
'lurnl.oldt.
262 lîUMBOLDT.
manière de peindre. Le portrait en pied du roi, de
Begas, est de la plus vulgaire ressemblance, sans no-
blesse et sans dignité, gauchement posé.
Je suis bien audacieux de juger ainsi en écrivant
ces lignes dans le salon de M'™ de Humboldt, qui,
malgré sa profonde connaissance de la peinture an-
cienne, confond chez les artistes vivants son estime
pour les personnes et l'impression impartiale des
ouvrages. Ayant le bonheur de vivre dans votre
maison comme un membre de votre famille, de nie
nourrir de vos chefs-d'œuvre depuis dix-huit ans, je
dois sourire quand j'entends parler ici de l'École de
Begas et « de celle de Wach » Ce bon M. Wach a
fait le portrait de la princesse Frédérique d'Orange,
accompagnée d'un coussin avec un embryon de cou-
ronne, et d'un candélabre duquel sortent des fleurs
de lis, d'un paysage de Sans-Souci couleur d'épi-
nards, tandis que la princesse est blanche comme la
craie. Que ne puis-je donner le bras à ma bienfai-
trice M"° Godefroid pour m'anmser franchement ? le·
je suis forcé de me taire et d'admirer. M. Schadow ®
a fait de très-bons et beaux ouvrages, la Princesse
Alexandrine et le Prince de Liegnilz, portraits d'une
très-belle couleur. Le paysage fait des progrès : u"
très-beau paysage grec, de quatre ou cinq pieds de
long, est (le devineriez-vous?) de M. Schinkel ; il vient
de le terminer. On croirait qu'il a peint toute sa vie·
C'est un homme de beaucoup de talent. L'architec-.
* · · I
' Wach, longtemps peintre du roi de Prusse, mort à Berlin en 18^3· ,
' Directeur de l'académie de Dusseldorf. :
liii·
I ■
HUiMBOLDT. 263
ture est très-bien traitée dans ce paysage, qui est
trop riche de composition. M. Schinkel, M. Rauch et
^I· B..., à la petite voix, vous offrent conjointement
avec mon frère et le bon Valenciennes ' leurs affec-
tueux hommages. Mille tendres respects à Gérard
la bonne par excellence, à M'" Godefroid et à « tulta
la casa, y> sans oublier mon ami M. Victor ' qui m'a
si bien soigné en partant. Ma voiture n'a pas eu un
clou de dérangé. J'espère toujours vous embrasser au
commencement de décembre; je suis bien inquiet de
la santé du pauvre Steuben.
J'ai lâché quelques mots très-discrets sur la Corinne
au prince Auguste. J'avais cru ({u enfin il vous en
avait demandé une copie, mais il paraît n'en rien
savoir; j'ai glissé légèrement sur tout cela.
Comme quelques affaires pourraient m'appeler à
Londres, j'ai voulu d'abord retourner par Hambourg;
mais il est incertain si le bateau à vapeur continue
jusqu'à la fin de novembre. Mille respects de M. Valen-
ciennes. '
' Valenciennes, naturaliste, né en 1794, membre de l'Institut en
<844, a traduit les Observations de zoologie Ae Humboldt. Profes-
seur au muséum d'histoire naturelle, il a écrit VHistoby naturelle
^es poissons, commencée avec Cuvier, etc. Mort en 18C">.
' Valet de chambre de Gérard.
-ocr page 267-264 lîUMBOLDT.
Londres, 5 mai 1827.
: i:
; * .
XXXVIII.
Comment quitter ce beau pays dans lequel la bien-
veillance m'a tenu comme dans un accès perpétuel
de fièvre chaude, sans vous exprimer, mon illustre
ami, ces sentiments d'admiration et de reconnais-
sance dont mon âme à jamais est pénétrée pour vous?
L'amitié dont vous m'honorez est la gloire de ma
vie; elle est plus , elle en fait le charme, et ce charme
me suit au-delà des mers. Je ne puis vous dire l'in-
térêt que m'a inspiré le moment actuel de la poli-
tique anglaise. J'ai vécu constamment avec les hommes
les plus influents, et j'ai la certitude que le marquis
de Landsdown entrant dans le ministère (ce qui aura
lieu bientôt), et sir Francis B.... siégeant à la droite,
le parti de M. Canning le soutiendra. Ce ministre et
sa femme m'ont parlé de vous et du beau portrait
avec le plus affectueux intérêt, A Holland-House on
ne raffole que de vous. Je ne fais pas mention des
longues dissertations de sir Thomas, dont les lettres
sont aussi longues qu'illisibles. Lady Holland désire
ardemment l'objet de ses affections. Pour vous com-
promettre, mon cher ami, je dis que vous viendrez
vous-même cette année à Londres. Je m'embarque
cette nuit, et je vous écrirai de Berlin sous pc»
de jours, j'espère. Offrez, je vous en conjure, xnes
tendres respects à M""" Gérard et à M"* Godefroid nui
HUMBOLDT. 26δ
bienfaitrice et à M'" Samba mes amitiés au bon
Steuben. N'oubliez pas la personne qui vous aime et
vous admire le plus en ce monde.
II.
XXXIX.
Berlin, fijuilicl 1827.
Mon cher et illustre ami, M. Passalaqua, qui est ar-
rivé ce matin, m'a donné la triste nouvelle que vous
souffrez encore de ces enflures que les médecins ne
ïnanquent pas de nommer bienfaisantes. C'est une
consolation cependant que de voir quelqu'un qui vous
a vu. Je lui ai fait mille et mille questions sur vous...
M. Passalaqua me paraissait tout un autre homme de-
puis qu'il a pu me parler de vous tous. Voilà ce que
c'est de s'être placé à trois cents lieues de distance
pour apprendre à aimer davantage ses amis, pour
sentir tout ce que les regrets ont d'amer. Je n'ai que
le temps de vous écrire aujourd'hui ce couple de li-
gues. Je ne veux pas laisser partir M. Richter sans
■^ous parler de mon dévouement et de ma reconnais-
sance éternelle. Ce jeune homme est venu ici à cheval
sur son Saint Sébastien. Il est venu au milieu des
fêtes et des dissipations de la cour. On n'a pas tout
H fait été pour lui comme je le désirais. Les jeunes
artistes prussiens n'aiment pas trop ceux qui font des
'ucursions de dehors pour fourrager dans leurs sables.
' ΚΙόνπ de Gérard.
yi
26G HL'MBOLDT.
Il est vrai aussi que le tableau était trop faible pour
venir de si loin : on ne l'a pas acheté. Cependant
j'espère que l'excellent jeune homme aura été person-
nellement content de moi. Ma santé est excellente :
cependant, comme j'aime à me droguer, je prends les
eaux artificielles de Carlsbad et d'Eger. Je ne sais pas
si en outre je devrai accompagner le roi à Tœplitz.
Le roi m'a souvent marqué cette même admiration
affectueuse pour vos travaux dont il vous a donné des
preuves jadis. Daignez, je vous en prie, être utile (si
vous le pouvez) au porteur de ces lignes. Le jeune
Richter le mérite par sa modestie et sa position. Je
cesse, forcé de me rendre encore ce matin à Potsdam.
Agréez, cher et excellent ami, vous et tovit ce qui vous
entoure, l'hommage de mon tendre dévouement. Per-
sonne dans ce monde ne vous a jamais été attache
comme moi. Mille tendres choses à Steuben et Valen-
ciennes.
A. H.
Mon frère et M"'" de Humboldt, dont la santé est
rétablie, me prient aussi, comme M. Rauch et M. Schin-
kel, de les rappeler à votre aimable souvenir. N'ou-
bliez pas mes amis MM. Victor et Louis. Toute votre j
maison se présente sans cesse à mon imagination.
J'ai passé ma soirée hier dans un beau jardin avec
la charmante M'" Sontag. Elle vous arrivera en no- |
vembre. J'espère que M"" Alexandre est moins souf'
frante et que M. votre frère daigne se souvenir de vaoi ■. j
au milieu de ses travaux. De grâce, allez en Angle-
HUMBOLDT. 2G7
terre, cela vous fera du bien. On m'assure que je
suis très-content de ma position d'ici et que je ne
m'ennuie pas du tout.
XL.
Berlin, 29 juillet 1827.
J'use d'un droit que j'ai acquis par la tendre amitié
que je vous porte, mon illustre ami; je recommande
i votre bienveillance toute particulière un des his-
toriens les plus célèbres de l'Allemagne, M. de Rau-
"ler. Son histoire de la maison de Hohenstaufen est
un très-bel ouvrage. Il a fait comme vous, il a peint
les âges passés, et par la vivacité de son esprit il est
l>ien digne de vous entendre. Puisse-t-il vous trouver
mieux que je l'augure! Je suis toujours inquiet de ce
que j'admire et aime si tendrement. M. de Raumer
'^ous parlera du prince Auguste et surtout du prince
de Hardenberg dont il a secondé longtemps les vues
bienfaisantes, occupant auprès de lui une place émi-
nente. Mille affectueux hommages à M"'" Gérard,
Godefroid, Steuben...
A. H.
XLI.
Paris, 182..
Voici, cher et respectable ami, mon He de Cuba,
-1
; I
268 lîUMBOLDT.
dans laquelle vous trouverez un morceau poétique de
Christophe Colomb même, qui excitera toute votre,
admiration. Lisez la note p. 473. J'ose aussi vous faire <
hommage de toute la petite édition. Vous vous sou-
venez que je vous en avais arraché quelques volumes,
il y a deux ans. Le tout fait aujourd'hui douze vo-
lymes. On vous échangera les deux derniers qui ne
sont pas revenus du relieur. Pourrais-je soUiciter de-
main votre voix pour M. Girard, habile dessinateur,
élève de Monge, l'homme qui, en France, fait le plus
de perspective, et exerce à l'Ecole d'état-major le vrai
talent de l'exposer clairement à de jeunes officiers qui
ignorent presque les mathématiques? Toutes les ma-
chines gravées en perspective depuis vingt ans, à
Paris, sont de M. Girard, pour lequel je m'intéresse
vivement. Je gémis de n'avoir pas pu aller vous voir
l'autre mercredi soir. Mille tendres hommages.
l
Paris, 182.
J'ai une grâce à demander à M"" Godefroid. Je l'i
supplie de me protéger auprès de M. Gérard, notre
maître, et de négocier la permission de pouvoir aller
dîner aujourd'hui à la Villa. Cette bonne M""" Gérard
me paraît tout près de son retour, et je voudrai?
l'avoir vue encore à la campagne. Je ne demande pas
les moyens de transport, je n'exige pas le beau temps»
HUMBOLDT. 2G9
me privant des promenades avec une noble résigna-
tion; je ne demande pas M. Raoul-Rochette ou d'a-
cadémiciens des bonnes lettres, je demande M. Gérard
les personnes qui vous sont chères pour la vie
entière,
Ce pauvre Valenciennes, qui est l'homme le jjIus
endurant sur la terre, est allé chercher un misérable
nid d'abeilles. Après plusieurs courses inutiles, ce
grand M. Sosthène l'a reçu dans l'antichambre où l'on
nettoyait les bottes et avec l'aristocralie la plus dé-
daigneuse.
;
XLIll.
Paris, 1831.
I-e danger est entièrement passé ; il a été moins
grave qu'on ne pouvait l'attendre. La puissance ina-
movible (qu'on ne peut supprimer), la jeunesse, a été
ntile cette fois, Sa proclamation a prouvé qu'il tient a
elle d'être dangereuse une autre fois. Saura-t-on gou-
■^erner « après le procès ' » ? J'en doute un peu. Je
Vous remercie, mon cher et excellent ami, de votre
intérêt pour M. Roulin Sa lettre, accompagnée de la
' Ici Ilumboldt fait allusion aux émeutes qui se multiplièrent à
{'époque du procès des ministres signataires des ordonnances de
juillet 1830.
' Aujourd'hui conservateur de la Bibliothèque de l'Institut et
■ûcmbre de l'Académie des sciences.
270 HUMliOLDT.
mienne, est partie il y a une heure déjà. Je dis au gé-
néral Sébastian! que « son Excellence » (!) me laisse
emporter à Berlin, où la bienveillance du roi me ré-'
clame, le doux espoir d'avoir soulagé le sort d'un ami,'
dont j'apprécie les connaissances, la sage modération
et le noble caractère ; il connaît l'Amérique méridio-
nale comme je la connaissais jadis! Mille affectueux
hommages.
A. H.
Il paraît que les ministres sont déjà partis de Vin-
cennes et que M. Odilon Barrot sera ministre de l'in-
térieur.
XLIV.
Paris, 183).
Si je regrette qu'on me pousse à vous tourmenter,
mon cher et respeotacle ami, je me trouve flatté aussi
de l'idée que l'on a, que je puisse obtenir une grâce
auprès de vous. M. G... vient de perdre sa femme.
C'est une affreuse tragédie que cette mort. Il avait
épousé M"" P..., jadis très-riche, mais abandonnée,
de ses enfants, même persécutée par eux. 11 l'avait
épousée pour la nourrir. M"" G... est morte dans la
maison de M. Cuvier. On l'y avait fait transporter pouf
la soigner. Lorsque M"" Cuvier avait vu périr toute sa
famille par l'échafaud. M"" P... l'avait recueillie chei
elle. On a voulu, par reconnaissance, lui rendre moins
HUiMBOLDT. 271
amers les derniers moments. Voilà la cause de ce vif
intérêt. Je sais que vous estimez le vieux M. G... Vous
me direz, mon cher ami, s'il y a quelque espoir. Le
style individualisé et agréablement faux de Prud'hon
a bien autrement d'inconvénient dans l'enseignement,
que l'exécution un peu lourde de l'autre. Je suis en-
tièrement rétabli, mais je n'ai été ni chez le préfet,
ni ailleurs, souffrant encore quatre ou cinq jours de
plus. Gomme je me suis proposé d'être bien indiscret
ce matin (avec votre lever), je vous annonce une autre
indiscrétion. Je vous amènerai ce soir un de mes
^compatriotes, M. Brandes, qui a passé plusieurs an-
nées à Rome comme secrétaire d'ambassade, qui a
hien vu les artistes et les arts en Italie et récemment
^ Londres, et que M'"® de Humboldt me recommande
vivement.
Paris, 183..
Si M. Rauch ne vous a pas fait encore hommage de
^^ grande statue de bronze du bon gros roi de Ba-
^'ère, daignez, cher ami, accepter cet exemplaire de
'"a main. Le roi d'aujourd'hui, qui est bon surtout
pour les artistes a commandé chez M. Stiglmaier (le
"ïème qui a fondu le père), outre la Bavaria àe
®oixante-huit pieds, quatorze princes du moyen âge,
' Li! roi Louis.
-ocr page 275-I
272 HUMBOLDT.
en bronze doré, de douze pieds de haut, pour une salle
du château Mille tendres amitiés.
Paris, 18Î..
J'ose rappeler à mon cher et excellent ami que
c'est demain samedi à deux heures qu'il aura l'impor-,
tune visite de M™ G. Delessert et de moi. Je hasarde;
aussi de mettre à ses pieds, pour la placer dans les.
cartons, une gravure faite à Berlin du Raphaël de la.
maison Colonna qu'a acheté mon doux tyran.
N'ayant pu voir le roi hier soir, j'aurai mon au-,
dience chez lui et chez le prince royal vers midi. J'es-,
père donc toujours me trouver devant ce tableau, qui '
me chagrine tant^ au plus tard à deux heures et demie·
Mille tendres hommages.
H.
XLVII.
Taris, ISS..
Comme vos affaires et notre amitié sont ce qui m®
tient le plus à cœur, j'ai été de grand matin chez
. ' La statue de la Bavaria est placée au centre d'un vaste portiiut'
construit près de Munich. Les quatorze princes, en bronze dore, son'
dans le palais du roi.
HUMBOLUr. 273
-M. Fontaine, non pour le presser ou lui montrer de
l'inquiétude, mais sous le prétexte de le remercier des
soins qu'il a pris de moi, au milieu des gloires de
Versailles. « Le Roi a été enchanté de votre compo-
« sition, telle que Fontaine ' la lui a expliquée. Il a
« répété qu'il la ferait exécuter de suite, qu'il n'y a
« que vous qui avez de l'élévation de style (mots
" qu'il m'avait déjà dits), que cela est trop impor-
« tant pour être un plafond, que Fontaine doit aller
« aujourd'hui à Versailles pour choisir un endroit
'' bien digne de vous, où, perpendiculairement, cela
" pourra être placé comme introduction à la Féerie
" du lieu ; qu'il désire vous voir le plus tôt possible
« Fontaine espère pouvoir passer chez vous demain.
Il m'a dit tout cela devant beaucoup de monde
« que je ne connaissais pas, et il a ajouté que depuis
" deux jours le Roi a parlé de votre tableau comme
« d'une chose qui l'occupe très-agréablement. »
'le rentre chez moi, cher et illustre ami, pour écrire
^cs lignes. Je vous conjure de ne pas en parler à Fon-
taine, auquel vous direz que vous ne savez rien. J ai
lui promettre le contraire de ce que je fais.
Je regrette de ne pas vous avoir embrassé hier soir.
En sortant de chez M'"® de Lieven, j'ai été un peu
souffrant. Je sors aujourd'hui. De grâce, ne me ré-
pondez pas. Mille hommages de dévouement et d'ad-
ïiiiration.
A. H.
' l'ontainc, voir ce nom.
2
tableau n'a pas ctc exccutc.
IS
-ocr page 277-274 lîUMBOLDT.
Paris, 183..
C'est moi, mon cher et illustre ami, qui regrette
toujours bien vivement lorsque quelque accident de
société m'a fait manquer vos aimables et spirituelles
causeries du mercredi. Vous savez que « la mémoire
du cœur » se conserve chez moi plus que toute autre.
J'accepte avec une bien vive reconnaissance l'invita-
tion pour vendredi, car je me trouve engagé samedi
chez l'éternel et immuablement mobile M. de Talley-
rand. J'aurai jusque-là le bonheur de vous offrir, à
vous et à l'excellente M™® Gérard, revenus de vos
forêts vierges d'Auteuil, l'hommage de mon constant
et affectueux dévouement.
Paris, 1852.
Vous me trouvez bien ingrat de ne pas me voir
là où sont toutes mes admirations et même les pl^'®
vieilles. Nous avons eu hier soir cette funeste nou-
velle de la révolution de Varsovie, ornée de quelques
massacres dans lesquels le Grand-]3uc n'est pas com-
pris. Seize mille hommes de troupes polonaises se
donnent l'indépendance. Cet orage doit s'étendre sui"
notre Pologne où mon frère a de grands intérêts pécu-
■f
ê
I
HUiMBOLDT. 275
"iaires. Un courrier de M. Mortier, de Berlin, au gé-
néral Sébastiani a porté tout cela mercredi. Que le
Qionde va vite ! Ce que nous avons vu ne sera rien en
comparaison de ce qui se prépare dans les sociétés
humaines. Tout cela n'est pour le moins pas commode.
Mille tendres amitiés.
A. H.
Ce jeudi, à minuit.
El la douleur de perdre Goethe, l'ami de la famille!
Polsdain, 15 noTembrc 1852
Il est des moments de cette triste existence de
l'homme où la voix d'un ami fait quelque bien aux
^ties douées de tout le charme du sentiment le plus
délicat et de l'intelligence la plus puissante. Je sais
'^'enorgueillir d'une amitié qui, à travers le tiers d'un
®'ècle, a fait le bonheur de ma vie agitée, qui date,
de l'année même où celui dont nous sentons si
Profondément la perte voguait vers une contrée loin-
\ Fallait-il résister à ce climat ardent, survivre
' Lettre écrite à propos de la mort d'Alexandre Gérard, frère de
'''■•inçois Gérard.
' Alexandre Gérard fit partie de rexpéditlon d'Egypte; en revenant
t'rance il fut fait prisonnier et emmené aux Sept-Tours a Cons-
276 lîUMBOLDT.
à une dure captivité, éprouver longtemps la dou-
leur d'être séparé de vous, mon cher et illustre ami,
pour quitter cette terre avant nous, pour laisser ce
grand drame du monde politique dans les fastidieuses
uniformités d'une exposition sans dénoùment positif·'
Appartenant à votre maison, à votre famille, dévoué
à vos intérêts avec toute la ferveur d'une admiratio»
et d'une reconnaissance qui me suivront au tombeau,
je me tourmente de mille et mille anxiétés. Votre
santé, à peine un peu raffermie, se ressentira de ce
coup douloureux; un découragement prolongé i"'
terrompra de nouveau cette série de grandes concep-
tions par lesquelles vous vous mettez en contact avec
des générations futures, plus dignes (nous osons l'es-
pérer) de sentir ce qui est grand dans la pensée, élevé
dans le sentiment, poétique dans les ouvrages de
l'imagination. Que n'ai-je été auprès de vous, mou
excellent ami, non pour vous consoler (ce pouvoir
mystérieux ne vient pas du dehors), mais pour par-
.tager votre douleur, me joindre à ce cercle étroit
d'affection et de dévouement qui, dans sa noble sim'
plicité, est le reflet de votre belle âme ! Ce qui aug-
mente mes chagrins (je suis trop vieux et trop avise
pour me livrer aux utopies de la vie domestique et de
celle des peuples qui fermentent), ce qui augmente
mes chagrins, c'est cette rentrée de l'hiver déjà
presque établi ici depuis mon retour des montagnes
deTœplitz, cette privation de l'aspect d'un beau ciel»
seul calmant de la douleur des âmes élevées,
ennui monotone des petits événements politiques q"'
HUiMBOLDT. 277
peuvent en enfanter de grands. Votre frère, actif, spi-
rituel, dévoué à son travail, a négligé, je le sais, ses
propres intérêts en soignant ceux de l'État. Pendant
sa vie, on avait l'air de sentir du moins que ce n'était
pas un financier de taille vulgaire Puisse cette con-
naissance de ce qu'il valait être utile à sa charmante
famille privée de cet excellent père! Puisse-t-elle
soulager la position de la veuve et des enfants ! L'éloi-
gnement du baron Louis' me donne aussi de ce
(^ôté-là des inquiétudes, et ce que, dans les hautes
régions (dans les plus hautes), on promettra avec une
apparente ferveur, pourrait bien rester dans la couche
Vaporeuse des nuages. Lorsqu'il s'agit de votre nom,
l'intérêt a des échos du Rhin jusqu'au Tibre, et du
Tibre jusqu'à la Newa. C'est notre bon roi qui, à
table, nous a annoncé le premier celte douloureuse
nouvelle, etaved'affectueuse expression delà crainte
qu'une telle perte devait tristement interrompre les
grands travaux du Panthéon, qu'il aime comme tout
ce qui est monumental. Le prince royal, qui habite
Sans-Souci, et s'occupe dignement parce qu'il ne vit
que dans les souvenirs de l'antiquité et des arts, me
charge de vous parler « de son amitié et de sa dou-
leur. » Je ne cite ce qui vient de très-haut que parce
que chez nous les hautes régions n'excluent pas la
sincérité et une douce bienveillance. On parle ici de
"Vous comme si l'on sortait hier de votre maison. Les
' Nous avons dit qu'Alexandre Gérard était mort directeur des
contributions directes du département de la Seine.
° Ministre des finances très-dévoué an frère de Gérard.
278 lîUMBOLDT.
grandes admirations ne perdent pas leur fraîcheur, et,
quand le cœur est bon, l'expression naïve et peut-être
quelquefois inculte va franchement au but. Tout
occupé de vous, des intérêts de votre belle-sœur et
de ses enfants, de l'excellente baronne, et de M"" Gode-
froid, ma providence et la vôtre, je devrais terminer
ici. J'ajoute cependant que ma santé, au milieu d'une
vie un peu monotone, se soutient à merveille, que j'ai
le bonheur de voir que mon frère, fortifié par les
bains de mer, jouit de toute la vigueur de son talent,
au milieu d'une décrépitude apparente du corps qui
me chagrine un peu. Je dois ajouter qu'à moins qu'on
ne soit directement attaqué, aucune puissance conti-
nentale ne pense à troubler la paix ; que les mesures
hasardées dont on menace la Hollande donneront de
l'humeur sans exciter le mouvement, et que, cette
diplomatie qui est le résultat de la peur mutuelle, de
celle qu'on reçoit et de celle qu'on voudrait donner,
conduira, comme la médecine expectante, à un affai-
blissement général de la grande et pitoyable machine, j-
appelée la communauté européenne. Je me plains tout
doucement d'un retard qui n'est dû qu'à une nou-
velle inspiration de votre immuable bienveillance · ^
pour moi. Une gravure, je le sais et je l'approuve avec *
reconnaissance, va perpétuer le souvenir de votre
aimable don. Ce retard a eu un autre avantage, il
m'a empêché d'être audacieux. J'aurais pu être tente
d'exposer le tableau dans le temps de l'exposition
qui vient de finir. J'aurais voulu me parer de votre
amitié, de votre munificence, tout en oubliant que je
HUMBOLDT. 279
n'en avais pas le droit et que vous détestiez les bazars.
r>ans le nôtre, il y a eu une heureuse compensation :
des paysages admirables de Schirmer, de belles ma-
rines de Krause, qui a vu pendant deux étés se briser
les vagues contre les rochers de la Norwége, de l'en-
nuyeuse froideur dans les ouvrages de Begas et de
Wach, mais une séve de vie répandue dans les pro-
ductions les plus variées de la jeune école de Diissel-
dorf, où quatre ou cinq artistes de dix-huit à vingt-
deux ans, Edouard Bendemann, Lessing, Hubner,
Sohn et Hildebrandt ',se meuvent avec une liberté de
sentiment, un tact délicat des convenances qui éton-
nent. Je me suis toujours un peu douté de ce que,
dans les arts, l'homme peut donner à l'homme. Les
grandes inspirations viennent du cœur, s'agrandissent
par l'aspect de la nature et des chefs-d'œuvre des
siècles antérieurs. Mon système est ébranlé. M. Scha-
dow, homme habile et de beaucoup d'esprit, fait faire
tout autour de lui mieux qu'il n'a jamais produit lui-
niême, et ce qui prouve qu'il est homme supérieur,
c'est qu'il aime à en convenir lui-même et qu'il jouit
paternellement (presque comme saint Joseph) de cette
mystérieuse influence. Un groupe de Juifs captifs
dans Babylone, exprimant cette douleur qui agrandit
l'humanité, rappelait, dans de beaucoup plus grandes
dimensions, la noblesse du style des Moissonneurs de
Hobert, tout en déployant une exécution technique
d'une haute perfection. C'est l'ouvrage d'Edouard
' ne l'école de Dussoldorf, élève de Schadow.
î
i
lli
t
I ,11
1
-ocr page 283-280 lîUMBOLDT.
Beudemann âgé de vingt ans, appartenant à une
famille très-riche, et ayant peint ce beau tableau à
son retour de' Rome. Le Roi vient de lui commander
une composition biblique beaucoup plus vaste dont
il a porté l'esquisse. Ce sera un cadeau pour le prince
royal. Cette École de Dûsseldorf, pour la caractériser
davantage, n'a aucun reflet de l'aridité de l'ancienne
École allemande; elle est vraie, animée, poétique,
naïve sans niaiserie. Elle a produit quelques ouvrages
charmants : le Pécheur, d'après un poëme de Goethe;
Hylas; TJonore, qui conduiraient, avec plus de/«/Vî^)
vers votre Daphnis et Chloé. Je nomme le sommet
auquel conduit une route qui serpente longtemps-
Comme la jouissance que j'ai des productions de l'art
devient plus vive en moi avec l'âge (c'est encore un
de ces bienfaits que vous et votre maison ont ré-
pandus sur ma vie), vous pouvez rabattre un peu de
ce que renferme cette page, inspirée par des impres-
sions qui sont encore bien fraîches. La gamme n'est
peut-être pas juste, mais vous traiterez avec indul-
gence mes patriotiques faiblesses. Ce n'est pas une
maladie habituelle chez moi. Recevez, cher et illustre
ami, de ma part et de celle de mon frère, l'hommage
de notre affectueuse admiration. Donnez-en une pa^t
à l'excellente ΛΓ' Gérard, à M'" Godefroid et à Steu-
ben. Quelle audace de vous affliger de quatre pages
de mon écriture hiéroglyphique 1 Dictez, pour me
rendre heureux, quelques lignes, et ne me privez pas
' Gendre de Schadow et son élève. Ce tableau de la Douleur fM'
y«//iestau musée de Cologne.
GÉRARD. asi
m
longtemps de votre magnifique cadeau « que, vous le
saviez, je n'aime pas. »
Votre Ossian est très-avantageusement placé dans
les grands appartements du château de Potsdam, beau-
coup plus habité que le château de Berlin... N'oubliez
pas M. Victor. Daignez confier la lettre à la Légation,
rue de Lille.
GERARO A HUMBOLDT.
l'aris, ilicembre 1832.
Mon cher et illustre ami,
Ceux qui peuvent apprécier l'étendue de vos con-
naissances et de votre esprit n'admirent qu'une moitié
de vous-même. Votre cœur, votre caractère, votre
âme enfin, voilà ce que peu de personnes auront pu
bien juger, malgré l'immensité de vos relations, et ce
que j'ai eu le bonheur de voir de près, pendant les
plus belles années de ma vie. Je n'ai donc point été
surpris, mais profondément louché, du nouveau té-
ittoignage d'intérêt que vous m'avez donné.
Vous saviez ce que mon frère était pour moi, et
vous avez pu, mieux que qui que ce soit, sentir tout
ce que j'ai perdu. Ce malheur irréparable m'est ar-
rivé dans un temps où, m'étant complètement retiré
de toutes choses, je trouvais un véritable bonhetu·
i; ii ^
: il
I' I''
282 GÉRARD.
dans l'intimité de la famille. Bien qu'on puisse penser
qu'il est étrange, peut-être même affligeant, qu'une
vie entièrement consacrée à un art qui semble ne
pouvoir se passer de quelque intérêt extérieur, soit
ainsi vouée à la retraite et à l'isolement, il n'en est
pas moins vrai que depuis deux ans je goûtais une
tranquillité et un bien-être réel, et voilà que le meilleur
appui que j'eusse dans cette nouvelle existence vient
à me manquer ! Cette perte jette sur le reste de ma vie
une profonde tristesse, et si quelque distraction m'eût
été possible, la position où mon frère a laissé sa fa-
mille, ses enfants, si dignes de toute mon affection, ne
me permettrait pas de l'oublier un moment.
Plus que jamais, j'ai senti le besoin de m'éloigner,
d'aller finir mes tristes jours dans mon triste pays;
mais, d'un côté, les infirmités ne me laissent guère
la liberté de me séparer de soins qui me deviennent
de plus en plus nécessaires, et, de l'autre, le désir def
terminer quelques travaux entrepris m'arrête encore,
ici. Quant aux expositions périodiques, comme les
journaux de ce pays parleront de celle qui va avoir,
lieu, vous seriez peut-être étonné en la parcourant de ■ |
n'y point apercevoir mon nom, du moins à l'occasion
de quelque ouvrage nouveau. Je dois à l'intérêt que
vous me portez de vous dire que depuis longtemps
j'avais décidé de n'y plus prendre part si j'arrivais à
l'âge de soixante ans , des esprits bienveillants (et vous
savez qu'il n'en manque pas dans notre Babylone)
m'ayant gratifié de quelques injures qui se renouvel-
leront sans doute encore. Mais si trente-cinq ans d'ex-
111
GÉRARD. asi
périence n'ont pti m'accoutumer tout à fait à cette
urbanité, du moins elle ne saurait à présent me causer
de surprise, et elle m'a toujours semblé moins humi-
liante que les précautions qu'il fallait prendre pour
s'en préserver.
J'ai enfin commencé mes peintures de Sainte-Gene-
viève, et quoiqu'il n'y ait pas là plus de cinq mois de
travail praticable par année, je me flatte et je me suis
même engagé d'achever en i834.
Vous savez que cet édifice, d'abord destiné au culte
catholique, a été successivement changé en Panthéon,
puis rendu au clergé, pour être aujourd'hui converti
de nouveau en monument politique. Jugez comme
l'esprit, la confiance (je me garderai bien de dire l'en-
thousiasme), peuvent se fixer dans un cadre aussi mo-
bile! Ajoutez-y les inquiétudes, les tracasseries qui
i'ésultent de l'état actuel de toutes choses, et vous
serez surpris peut-être de cette espèce de patience ou
plutôt d'entêtement avec lequel je poursuis ma tâche.
Pourrai-je aller jusqu'au bout ? c'est ce que franche-
ment j'ose à peine espérer.
Que je vous félicite d'assister, avec le double intérêt
du patriotisme et du sentiment des arts, aux progrès
réels qu'ils font chez vous! Ce beau développement
de l'intelligence ne saurait être l'effet que d'un amour
véritable et d'une profonde conviction.
J'ai reçu, par les soins de M. le baron de Werther, le
petit bijou que vous avez eu la bonté de m'envoyer
au commencement de l'année. Dans ce bas-relief, la
fonte me semble arrivée au dernier degré de perfection.
. Γ :
28-4 HUMBOLDT.
Malgré l'extrême fini, elle conserve encore ce gras et
ce moelleux, qui, àmon sens, la rend préférable à toute
autre matière pour donner une juste idée du travail
de la sculpture.
Votre portrait serait depuis longtemps à Berlin si je
n'avais désiré le faire graver d'après l'original; mais
toutes les calamités qui nous ont affligés l'été dernier '
ont retardé cette entreprise, et maintenant voici le
graveur malade. Dans tous les cas, je puis vous assurer
que le tableau sera rendu à sa destination avant trois
mois.
Serait-il vrai que l'on eût l'espoir de vous voir ici
l'hiver prochain, si toutefois nous gardons encore
l'espèce d'équilibre auquel nous sommes parvenus?
Je tâcherai de vivre jusque-là afin d'avoir le bonheur
de vous embrasser.
Permettez-moi de vous prier de présenter mes res-
pects à monsieur votre frère, et veuillez ne pas m'ou-
blier auprès des personnes qui ont eu la bonté de se
souvenir de moi.
F. Gérard.
Berlin, 12]anTier 185j.
Daignez permettre, mon digne et illustre ami, que
je réclame votre bienveillance pour le porteur de
ces lignes, un jeune peintre, M. Henning, qui, dans
' Ce fut au mois de juin 1832 qu'une sanglante insurrection éclata
à Paris, à propos de lamortetdes funérailles du général Lamarque.
: S
HUiMBOLDT. 288
quelques grandes compositions bibliques, a montré du
sentiment et de la sagesse de composition. 11 n'est pas
de cette école (de Dûsseldorf) dont je vous ai parlé
avec tant d'admiration dans ma dernière lettre; ce-
pendant M. Henning, très-protégé par la princesse de
Liegnitz, épouse du roi, est sur une bonne voie et très-
recommandable par son caractère et son zèle pour le
travail. Amitié, admiration, reconnaissance.
A. H.
; 1
LU.
A Potsdam, ce 19 octobre 1833.
Pardon, mille pardons, mon cher et respectable
ami, si je m'acquitte si tard d'un devoir que m'impose
votre noble munificence. Ces lignes ne sont qu'une
faible expression de ma vive reconnaissance. C'est un
bonheur que d'être porté par vous à la postérité, et
je vis heureusement dans un pays où vos compositions,
multipliées par d'admirables gravures, sont placées
plus haut dans l'opinion publique que tout ce qu'a
produit l'art moderne. Votre magnifique portrait est
arrivé frais, sain, bien conservé, bien encadré, comme
il est sorti de votre atelier, grâce à vos soins et à votre
amitié. J'ai vu déballer le tableau le jour même que
j'étais forcé de faire cent soixante lieues pour pro-
noncer quelques inutiles discours d'apparat dans la
réunion des naturalistes nomades de Brcslau, qui n'est
pas phis spirituelle (|ue la réunion des académies sé-
28-4 HUMBOLDT.
dentaires. Je tiens peu à ces effets dramatiques, mais
je tiens beaucoup à l'idée d'une unité intellectuelle de
l'Allemagne, mise politiquement en lambeaux. On a
placé provisoirement le portrait dans un des ateliers
de restauration du Musée-Royal, où il est supérieure-
ment bien éclairé, et où il fait l'admiration des ar-
tistes et du petit nombre des élus que l'on admet dans
cet intérieur. Je n'ai d'autre moyen, cher et excellent
ami, de vous marquer ma reconnaissance que de faire
jouir les artistes et les amateurs éclairés d'un ouvrage
peint d'une manière si large et si grandiose. On ad-
mire l'éclat de lumière concentré sur la tête, la liberté
du faire réunie à l'effet le plus soigné des parties, la
beauté du dessin des yeux et surtout de la bouche,
la simplicité de la pose, l'inconcevable habileté de la
disposition du rideau, du paysage. — « C'est le grand
maître! — Voilà où l'on peut apprendre!.... » en-
tend-on répéter à chaque instant. Vous voyez que je
me vante du bon esprit de mes compatriotes. Le roi
n'avait pas été depuis quinze mois en Russie. Votre
chef-d'œuvre l'y a ramené. M. Rauch, qui ne voit que
son métier, assure que l'on ne sait faire une telle tête,
de telles mains, que lorsqu'on a commencé dans un
atelier de sculpteur; il ajoute que c'est une malice de
la nature d'avoir donné cet admirable sentiment des
formes, en ajoutant le sentiment de la richesse du
coloris. Nous avons passé tout notre été en visites de
princes. Chaque jour a eu son roi ou son empereur.
On promène des pompes à feu pour empêcher les in-
cendies, et tout cet appareil de précaution ne sert à
lliiJ
li
HUiMBOLDT. 287
rien. L'enseignement mutuel de la peur, qu'on appelle
de la politique, conservera la paix. Les armées ne
marcheront plus, et cependant chaque semestre nous
donnnera un pays de plus sans repos, témoins l'Es-
pagne et la Péninsule, où deux reines sont en pré-
sence. C'est une ennuyeuse chose qu'un monde qui
se remue froidement, sans confiance dans ses progrès,
incapable d'enthousiasme, se moquant des institutions
pour lesquelles on a combattu la veille. J'espère bien-
tôt revoir ici M. AVagen notre directeur des tableaux
du Musée, qui aura confessé la baronne Murillo et vous
aura fait rire de son admiration pour les Byzantins.
Puisse-t-il me porter de bonnes nouvelles de votre
santé et de l'excellente M"® Gérard!
Agréez, je vous supplie, l'hommage de mon inva-
riable admiration.
A. H.
Veuillez bien offrir mes respects à M"" Godefroid,
mes amitiés à Steuben. Je passe, malgré le froid, ma
vie entre Berlin et le château de Potsdam. Mon frère
est revenu mieux des eaux (de la mer), ce qui me con-
sole un peu sans me rassurer. Le roi a acheté à Rome
Un admirable et grand tableau du Titien (sa fille avec
Une corbeille de fruits sur la tête).
Il nous arrive d'Ancône un Raphaël à la détrempe
^u'onditêtre très-sûr et beau. Je crains que ce ne soit
quelque pièce d'érudition qui ne donne aucune jouis-
' Auteur de plusieurs ouvrafjcs connus et du Treasures of art
Great Britain. Londres, 18S4, 4 vol. in 8».
• ! Il
288 lîUMBOLDT.
sance, du plus jeune âge de l'artiste, auquel on vient
de trouver un second crâne, après que M. Gall avait
expliqué celui qui ne lui appartenait pas
licrliu, 2G mai 1835.
Je ne parle plus de ma douleur, mon digne et excel-
lent ami; vous avez connu d'assez près mon frère et
de Humboldt, tout ce qu'il y avait de profondeur
et de richesse de sentiment et d'intelligence dans ces
deux êtres, pour deviner combien je me trouve isolé
dans ce pays après cette double perte, dont l'une a
été, pour ainsi dire, la cause de l'autre. Votre nom a
toujours été prononcé parmi nous comme l'objet de
notre constante admiration. Chez moi la reconnais-
sance laplusvive se mêle à ce culte de famille, et j'es-
père, après une longue absence, vous en renouveler
personnellement l'hommage cet automne. Aujourd'hui
je me borne à vous demander votre protection spé-
ciale pour M. Hensel®, professeur à l'école de pein-
ture, beau-frère de Félix Mendelssohn; c'est un artiste
d'un esprit très-cultivé, qui a séjourné longtemps à
' Le prétendu crâne de Uaphaël est resté longtemps exposéconinw
relique à l'académie de Saint-Luc, à Rome. La découverte du toiH'
beau authentique du peintre d'Urbin, au Panthéon, fit rentrer 1«
ci'àne apocryphe dans le néant.
' Guillaume Ilensel, poëteet |)eintrc,né à Isebbin en Prusse, s'est
fait connaîti-e par des tableaux religieux. Exposa à Paris en ISÏii)· 1'
avait épousé une sœur de Mendelssohn.
iifi'^
HUMBOLÛT.
Home, et dont les grands tableaux historiques sont
très-remarquables par l'ordonnance et la composition.
Daignez, je vous supplie, agréer, vous et l'excellente
M"" Gérard, et mon ancienne bienfaitrice M"" Gode-
ffoid, l'hommage de mon éternel dévouement. L'aspect
du monde est moins sombre que dégoûtant, sans en-
thousiasme et sans vie.
Comme je suis de votre famiglia, je demande aussi
^ être rappelé au souvenir de M. Victor. Vous voyez
j'ai des prudences démocratiques, quoique ce
^on M. Raspail me traite parfois un peu mal dans l'es-
timable journal.
Berlin, 9 février 1837.
Gomment vous parler, Madame, de ma douleur ' !
Colle que vous éprouvez ne peut être plus accablante,
vous me permettez cette expression, car vos bontés,
depuis trente ans, m'avaient inspiré l'orgueil de me
Considérer comme un membre de votre famille. Je l'ai
dans toutes les positions d'une vie agitée, je sais
qu'il y avait d'âme et de sensibilité, d'élévation de
Sentiments, de générosité de caractère, à côté de la
puissance du génie. Après ces grandes qualités dont ses
^«ivrages portent l'empreinte, il n'est presque pas
' Λ propos de la mort récente de Gérard.
'M
■il
28<J
li'Î I
■■'1
292
-ocr page 293-28-4 HUMBOLDT.
permis de dire que c'était l'homme du siècle qui était
spiriluei jour et nuit, malade ou jouissant de la plé-
nitude de ses forces, jugeant les hommes, les choses,
les grands événements dont nous avons été les té-
moins, avec cette pénétration vive, enjouée, heureuse
dans l'expression pittoresque, qui révèle une supério-
rité de vues et d'intelligence que je n'ai jamais trouvée
ailleurs. Je perds un ami qui supportait mes faiblesses,
qui n'a jamais cessé un seul jour de me donner,
absent ou présent, les marques les plus affectueuses
de sa bienveillance. Cet attachement réciproque, l'i
circonstance la plus glorieuse de ma longue carrière,
était tellement connu, la croyance en était devenue si
populaire, que, de Pétersbourg à Naples, on s'adressail
à moi pour avoir quelques nouvelles des travaux de
M. Gérard, comme on s'adresse à un parent, à un
frère. Je ne vous parle pas. Madame, de notre famiH·^
royale, du roi, de son fils aîné : ils n'ont cessé de
déplorer cette perte immense. Pensez que la première
nouvelle de cet affreux événement, qui m'avait été
annoncé par M. Valenciennes et, le même jour, ρ»*"
la Gazette d'État de Berlin, ne précédait que de quel-
ques heures la mort de la fille aînée de mou frèrc·
Elle succomba la même nuit à un mal de poitrine qi"
n'a duré que trois mois. C'était Caroline de Humboldt,
la fille chérie de mon frère, la seule qui, non mariée,
vivait avec lui à la campagne. Comment devitiei'
qu'elle me précéderait au tombeau! La même soirée,
me vint aussi la nouvelle du décès de mon libraire,
M. Gide. Ma santé a été moins bonne qu'à l'ordinaire*
iiS'i
Ίιβ' \
II
Â
HUiMBOLDT. 291
et les consolations que je cherche dans le travail ne
me rendent pas une sérénité que vous me connaissiez.
Aussi notre ami a eu, au milieu de sa brillante car-
rière, plus de gloire que de bonheur. Je dois inclure
Une lettre d'un des plus grands admirateurs de
M. Gérard, du bibliothécaire de Berlin, M. Spizer.
II a fait insérer dans un journal un morceau sur la
personne et les ouvrages de M. Gérard, qui (je crois )
peint le mieux l'individualité de cet immortel artiste,
c'est-à-dire l'universalité sublime de son talent. Vous
devez vous faire traduire ce morceau, dont la publi-
('ation ferait plaisir à M. Spizer, si vos journaux n'é-
taient tous aux gages du romantisme et de l'esprit de
parti. Veuillez, de grâce, prier ma protectrice, M"" Go-
defroid, de me consoler par quelques lignes sur votre
santé, sur les plans de votre vie solitaire. IN'oubliez
pas que je yous suis dévoué de cœur et d'âme. N'é-
crivez pas vous-même; notre excellente amie, M"'Godc-
Wd. mettra dans sa lettre à moi un mot obligeant
pour M. Spizer.
Mille tendres choses à tous ceux qui vous entourent.
Je ne vis que dans le souvenir de votre maison qui,
gfàce à vos bontés, Madame, était devenue la mienne.
292 lîUMBOLDT.
LV.
Paris, 18Λ0.
Je ne puis m'attribuer le mérite d'une chose qui me
paraissait entièrement dans les projets et les affections
de l'excellent M. de Cailleux Il est du reste si na-
turel que mon arrivée contribue à vivifier le souvenir
du grand homme auquel nous avons voué une éter-
nelle admiration ! On ne peut me voir sans m'entendre
parler de ses immortels ouvrages, des personnes qui
lui appartiennent et qui lui restent attachées comme
vous, Mademoiselle, et comme moi. Daignez faire
agréer à M"" Gérard el à l'aimable jeune homme mes
respectueuses félicitations. C'est pour la tante et pour
la mère. Je suis au désespoir d'avoir été empêché de
jour en jour d'offrir ce tendre hommage de ma recon- '
naissance à M""" Gérard, et de renouveler à maproieC'
trice tout ce que je conserve dans mon cœur comme
reflet de ses bontés pour moi. Veuillez, Mademoi-
selle, demander à M"" Gérard de m'indiquer le jour
où je pourrai aller dîner dans sa charmante villa d'Au-
teuil, avec M. Valenciennes.
Le vieux de l'Oréncque, rue des Petits-Augustins,
hôtel de Londres.
' M. Henri Gérard venait d'être attaché à la direction des musées
royaux, où il est resté jusqu'en 1848.
t
ê
ί
HUMHOLDT. 293
Potsdam, 20 dôccmbre 18ίι8.
Monsieur,
Si je vous parle bien tard de ma douleur, elle n'en
a pas été moins vive; mais la perte que vous avez
faite tombe dans une époque où de tristes et longues
agitations populaires, calmées par intermittence, m'ont
occupé dans la proximité du pouvoir prêt à succom-
ber. Le palliatif vulgaire de l'état de siège α donné un
calme apparent, et je profite, mon cher monsieur Gé-
''ard, des premiers moments de tranquillité pour vous
donner un signe de vie, vous parler de la reconnais-
sance et de l'affection tendre et respectueuse que je con-
serve pour votre noble famille. J'ai passé des jours
l^ien lieureux dans celte famille dont j'ai pu aussi me
croire un menibre, par l'amitié dont m'a honoré votre
oncle, aussi éminent par le développement d'une haute
intelligence que par l'élévation de son caractère. Moi
qui me trouve dans ma quatre-vingtième année, j'ai le
triste avantage de survivre à tout ce qui m'a été cher,
et la mort de M"" la baronne Gérard (si bonne pour
ïiioi, pondant plus de quarante ans, jusqu'à son dé-
cès, objet du culte qu'on vouait à la mémoire d'un
grand talent) me retrace vivement les souvenirs de
tant de joies et de tant de douleurs. Ma santé s'est
merveilleusement soutenue jusqu'ici. Je n'ai pomt
' Les trois dernières lettres de Tlumlioldt sont adressées à 1\I. Henri
fîérard.
I
a.
294 lîUMBOLDT.
abandonné mes travaux littéraires, presque toujours
nocturnes : comme chez les journalistes, j'ai journel-
lement des « épreuves » à corriger... habitudes d'une
vie laborieuse, longue existence au bord d'une mer
dont j'observe les flots agités depuis 1789, et que me-
nacent toujours de nouvelles tempêtes. Daignez, je
vous supplie. Monsieur, offrir l'hommage de mes
sentiments respectueux à votre digne famille et à cette
bonne et excellente M"® Godefroid, pour laquelle je
professe une tendre amitié. Je désire bien que dans
quelques moments libres vous m'adressiez un mot
sur vous-même et sur ceux qui vous appartiennent.
On aime à renouer la vie.
A. H.
Mes respects à M. de Cailleux, s'il habite encore
votre ville impériale.
LVll.
A Sans-Souci, ce 8 novembre 1852.
Mon cher Monsieur,
Je me sens bien coupable d'avoir tardé si longtemps
à répondre à la plus aimable lettre que je vous dois,
écrite même à l'extrémité démon pays ', accompagnée
du cadeau le plus touchant, le plus fait pour me rap-
peler l'affectueuse reconnaissance que je dois à votre
noble famille. Des voyages pour accompagner ie roi,
' Λ Aix-Ia-Cliapcllc.
-ocr page 298-HUiMBOLDT. 298
le séjour et les fatigues de ce séjour avec lui àl'île de
Rugen, avaient altéré ma santé et mis un grand désordre
daus ma correspondance. Je connais trop la bienveil-
lante indulgence de votre caractère , mon cher mon-
sieur, l'amitié que vous conservez à un vieillard de
quatre-vingt-trois ans qui se vante d'appartenir à
votre maison par tous les liens du cœur et d'une im-
perturbable admiration, pour ne pas espérer que vous
accueillerez ces lignes avec bonté.
C'est un beau monument que vous élevez à notre
maître et illustre ami Ces images, si variées dans les
poses, si vives d'inspiration, offriront aux artistes des
modèles de goût et de noblesse dans l'expression des
caractères. Elles ne sont pas atteintes par les peintres
modernes. Ce qui caractérisait Gérard au plus haut
degré, c'est cette réunion si vraie de la force et de l'é-
nergie dans les grandes conceptions historiques avec
la délicatesse du sentiment révélée jusque dans les
rapports de la vie sociale. Une partie des sublimes ou-
vrages que vous vivifiez de nouveau parle burin, tient
à des illustrations don t larésurrcction, à ceque je pense,
doit agrandir l'intérêt de ce bel ouvrage. Le charmant
talent de M"" Godefroid, le style qu'elle était parvenue
à s'approprier par une longue habitude, la touche
naïve, vigoureuse, hardie, du burin et de l'eau-forte,
donnent un grand charme à ce monument artistique.
Le roi a admiré et reconnu ce qui était si forte-
ment gravé dans ses souvenirs de jeunesse. C est aussi
' Ilunilioldt parle de ViTiivrede Gérard publié de 1832 à 1837, cUu
lireinicr volume réunissant les quatre-vingt-trois portraits en pied.
F
,ίίι
296 lîUMBOLDT.
avec line grande joie que je reçois la bonne nouvelle
que vous me donnez du tombeau ' érigé à celui pour
lequel la génération la plus rapprochée de sa fin a
été si douloureusement ingrate; moi, qui me regarde
comme ayant été pendant vingt ans traité dans votre
maison comme membre de votre chère famille, je ne
puis jeter les yeux sur les gravures dont j'ai fait les
dessins, sous la direction de Godefroid et de
Sleuben, dans le superbe atelier de votre hôtel sans
me rappeler les plus douces jouissances de l'amitié et
de mutuelles affections.
Agréez, je vous prie, vous, mon cher monsieur
Henri et votre charmante épouse, l'hommage démon
respectueux et affectueux dévouement. Mes forces se
sont merveilleusement soutenues. L'aspect de cette
pauvre Allemagne est bien triste pour un homme de
ma couleur politique : je tâche de me consoler par le
travail nocturne.
M
Sans-Souci, 13 Janvier 185S.
Monsieur,
Ayant joui si longtemps du bonheur de me consi-
* Ce monument est au cimetière du Montparnasse : le médaillon
de F. Gérard et deux bas-reliefs en bronze représentant leBélisaire
et le Christ, premier et dernier ouvrage de Gérard, sont de M. Dantan
aîné.
' Cet atelier, construit derrière l'hôtel de la rue Saint-Germain des
I;
,1
η'·'
HUiMBOLDT. 297
dérer comme appartenant à votre noble et excellente
famille, persuadé que je puis compter sur votre aima-
ble indulgence, je ne vous adresse que ce peu de li-
gnes au milieu des agitations du séjour de Sans-Souci
et des éternelles visites princières! Le beau monu-
ment que vous élevez à la gloire de l'homme illustre
qui m'a honoré de son amitié ' avance heureusement.
Les gravures sont spirituelles et d'un beau caractère
dans leur sévère simplicité. Elles font bien ressortir le
charme et la variété des compositions. Je ne saurais
vous exprimer assez vivement, mon cher monsieur,
combien est vive la reconnaissance que je vous dois.
Vous avez poussé bien loin votre bienveillante amabi-
lité, en me donnant, en grand nombre, la charmante
gravure de mon portrait, que je lègue après mon pro-
chain décès (j'ai l'âge antédiluvien de quatre-vingt-
quatre ans!) à ce roi qui a conservé une si constante
admiration pour votre oncle et ses sublimes ouvrages.
Le roi sera charmé de recevoir le volume que vous lui
destinez et qui sera orné d'une image ^ chère à tous
ceux qui ont conservé le sentiment de l'élévation du
style^ de la magie d'une gracieuse composition, en
même temps aussi de la puissante énergie qui domine
dans la bataille d'Austerlitz et dans les sujets helléni-
ques. Daignez faire vos envois par la légation du roi
à Paris, et agréez, vous et la charmante M"" H. Ge-
Prés (r. Bonaparte)et dans lequel Gérard pc\s\ùtl'/ù)iréedeHenriir,
titait en effet digne du peintre et de ses illustres modèles.
' L'OEuvie de Gérard.
2 Le portrait de Gérard, gravé d'après Gros, par Vallot.
-ocr page 301-298 · LA RÉVELLIÈRE-LÉPEAUX.
rard, l'expVession de mon attachement comme d'uiifi
amitié qui date de loin.
Je puis confier ces lignes à M. Despretz de l'Ins-
titut, avec lequel j'ai travaillé de longues années au
laboratoire de l'École polytechnique, chezGay-Lussac.
Λ la Rousselière (Loiret), 12 messidor an ΧΠΙ (2 juillet 1805).
Monsieur,
Je profite du retour de notre respectable ami Ducis
vers ses foyers, pour vous témoigner toute ma re-
connaissance des nouvelles offres de service que vous
avez bien voulu me faire présenter par lui. Nous y
avons été également sensibles, ma famille et moi.
vous prie de croire que vous n'êtes point oublié dans
notre profonde solitude. Le grand poète pourra vous
dire avec quel plaisir on s'y entretient du grand
peintre. Nous sommes, au surplus, tout glorieux
' Chimiste, professeur à l'École polytechnique.
' Né en 17ΰ3, député à la Constituante, défendit les Girondins, Γι!··
l'un des membres du Directoire exécutif. 11 avait été professeur de
botanique et fit partie de l'Institut dans la classe des sciences mo-
rales et politiques. Mort en 1824. Voir dans VOEiwre de Gérard
portrait de t^a Révellière-I.épeaux, que possède le musée d'Angers.
LA UÉVELLIËRE-LÉPEAUX. 299
ce que l'un y a choisi sa retraite pour y clianter, en
vers dignes de lui et de son sujet, les chefs-d'œuvre
de l'autre ^
Ce qui nous afflige sensiblement, c'est qu'il n'ait
pas prolongé davantage les délicieux moments que
nous a procurés son séjour! Que n'avons-nous ici des
objets dignes de sa plume et de votre pinceau! Nous
ferons tous nos efforts pour appeler et retenir, à la
fois, parmi nous, deux hommes aussi distingués et
pour lesquels nous avons un attachement bien sincère.
L.-M. Rëvellière-Lépeaux.
[ϊ!1
I
A la Roussclière, le 21 janvier 1807,
Monsieur,
C'est avec les produits de votre génie que vous
prouvez à ceux que vous aimez, qu'à quelque dis-
tance qu'ils soient de vous, ils sont toujours présents
à votre souvenir. Je ne puis vous dire combien ma
femme a été sensible à la nouvelle preuve que vous
lui en avez donnée, en lui adressant la gravure de votre
tableau du Bélisaire. Ce morceau, parfaitement exé-
cuté, nous console, en quelque sorte, de n'être plus à
même de voir, en original, cette belle production dont
l'impression est, pour jamais, restée dans notre mé-
' \:éi)Ure à Gérard, par [)ucis, iinprimcc dans rédition de Nepvcii.
l'aris, 1813.
300 LA BÉVELLIÈRE-LÉPEAUX.
moire. Il nous est précieux encore sous un autre
rapport, c'est qu'il est, ainsi que votre Ossian, à côté
duquel il figure, le témoignage d'une estime à laquelle
nous attachons bien du prix. Vous êtes du nombre
de ceux desquels il est doux, pour nous, de n'être
pas oubliés dans nos déserts (de la Sologne); vous êtes
aussi, par conséquent, du nombre de ceux qu'on n'y
oublie pas.
Nous ne pouvons pas, Monsieur, vous en donner
la preuve en aussi belle et aussi précieuse monnaie
que vous le faites vous-même; mais, à défaut du fruit
du génie, nous vous prions d'accepter ce fruit du cru.
Il provient de l'étang de la Rousselière, que nous pé-
châmes hier. Fuissiez-vous, ainsi que Madame, le
manger avec un plaisir égal à celui que nous avons à
vous l'offrir, et certes, vous l'aurez trouvé bon!
Ma femme avait toujours compté vous remercier
elle-même de votre belle gravure; mais, accablée de
fatigue à raison des travaux .champêtres et domesti-
ques, elle m'a constitué son secrétaire pour vous ex-
primer toute sa gratitude, ainsi que l'assurance d'un
attachement qui est également partagé par toute la
famille et en particulier par votre dévoué concitoyen.
L.-M. Révellière-Lépeaux.
-ocr page 304-LE GÉNÉRAL HAPP. 301
DanUig, le β décembre 1810.
Le Moniteur, mon cher Gérard, fait un éloge
bien mérité de votre tableau iCÀusterUtz : le public
devait s'attendre à un essai aussi heureux, pour une
première bataille que vous nous donnez. Recevez-en
mon compliment bien sincère. Vous m'avez, dans le
t^emps, promis une copie qui doit être pour moi un
monument de famille. Je ne suis nullement inquiet du
beau modèle qui sortira de votre atelier et je suis
persuadé qu'il sera digne de vous, mais je désirerais
savoir quand je l'aurai. Dites-moi où vous en êtes et
de quelle grandeur il sera. Si vous avez besoin de fonds
d'avance, tirez sur moi sans vous gêner. Je voudrais
toujours avoir votre Psyché; ne serait-il pas possible
d'en faire l'acquisition?
Si vous trouviez quelques beaux morceaux de vos
amis dans l'exposition de cette année et qu'on voulut
bien s'en déftiire à un prix raisonnable,faites le mar-
ché pour moi.
Dites-moi franchement ce que vous pensez du ta-
bleau de Regnault {les Trois Grâces), Je m'en rappor-
terai à votre loyauté.
' On sait que ce fut Rapp qui, parmi les généraux de l'empereur,
joua le principal rôle à Austerlitz. Rapp aimait la peinture et s'était
formé une belle collection de tableaux, qui fut vendue en J822.
302 IlECAMIER.
J'attends votre réponse; j'espère vous voir dans
peu, mais en tous cas, répondez-moi.
Je suis tout à vous, Rapp.
Danlzig, le 12 juin.
Je vous transmets ci-joint, mon clier Gérard, un
bon de deux mille quatre cents francs sur M. Paira,
boulevard Montmartre n° i/|, pour le tableau que je
vous ai chargé de m'acheter.
Ecrivez-moi pour que je sache à peu près ce que je
vous devrai. Traitez-moi bien, car je suis une bonne
pratique. Je pense que vous me laisserez les Trois
JgesT^ouv deux cents louis; quant au tableau à'Jiis-·
terlitz, j'attends votre prix. Je serai toujours prêt
pour le payement. Je désirerais toujours acheter votre
Psyché^ si l'on voulait s'en défaire
Tout à vous, Rapp.
Cliaioiis-sur-Marne, 11 octobre 1811.
M*"' de Catellan qui m'a quittée depuis deux jours,
' Ce tableau fit, en effet, partie de la galerie du général.
» Cette lettre fut écrite pendant la retraite de Μ·°« Récamier i
Cliàlons-sur-Marne. On sait qu'elle s'était attiré la disgrâce du gouver-
nement impérial à cause de son voyage à Coppet, où elle était allée
voir M'"« de Staël (jui subissait la rigueur de l'exil.
' « Profondément touchée du malheur qui frappait Uécaniier>
M"^ RÉCAMIER. 303
m'a promis, Monsieur, de me donner de vos nou-
velles. Une lettre que mon père vient de me faire
passer me fait craindre que vous ne soyez toujours
souffrant. J'espère que M""' de Catellan vous verra et
me dira comment vous êtes, et j'espère que vous me
le direz vous-même. Le petit mot que vous m'avez
envoyé à Genève a été bien longtemps avant de me
parvenir, et je suis bien sûre que vous avez été occupé
de moi et attristé de tout ce qui m'est arrivé de pé-
nible. Je compte trop sur votre amitié pour ne pas
vous parler franchement relativement à cette lettre de
M. le Fort. Vous jugerez encore mieux que moi toutes
les considérations que je vais vous soumettre, et je
me confie entièrement à vous pour faire ce que vous
jugerez le plus convenable pour moi. Vous voyez par
cette lettre que le graveur veut que son ouvrage soit à
l'exposition. Il me semble que dans la circonstance
actuelle je dois éviter tout ce qui pourrait occuper de
moi sous un rapport quelconque. Il est impossible
qu'une gravure qui rappelle un de vos ouvrages ne
fixe pas l'attention, et, mon nom venant se rattacher à
cet ouvrage, ne pensez-vous pas que cela aurait des
inconvénients? Ne suis-je pas en droit de répondre à
M. le Fort, sans que vous paraissiez pour rien là-de-
dans, que les circonstances forcées qui m'éloignent
M™' de Catellan abandonnait, dans nn premier mouvement d enio^
tion, sa fille, ses lialiitudcs et la vie de Paris hors de laquelle elle ne
sut jamais vivre. » (Souvenirs et correspondance de Λ/'"" liécamier.)
Gérard a fait le portrait de de Catellan, il a été gravé dans son
œuvre;
304 M"" KHCAMIEH.
de Paris sont de nature à ce que je ne puisse consentir
à la continuation de la gravure que lorsque j'y serai
rentrée ? Si, au contraire, il y a moyen d'éviter que la
gravure soit exposée et que vous attachiez du prix à
ce qu'elle soit continuée, alors je vous demanderai,
comme nous en étions déjà convenus, que cette affaire
soit entièrement entre vous et moi, que vous disiez à
M. le Fort que c'est vous qui vous en êtes chargé;
alors, à la réception de votre lettre, je vous ferai passer
un billet de mille francs, et dans quatre mois, je vous
ferai payer les huit cents francs qui complètent la
somme. Je vous observerai encore que la figure de
ce dessin est extrêmement désagréable, qu'elle ne
rappelle en rien le tableau, et qu'il me semble qu'il y
aurait du désavantage pour vous à donner une idée
si infidèle d'un de vos ouvrages , et je crois que vous
auriez grand tort pour vous-même de la laisser graver
si la gravure devait ressembler à ce vilain dessin.
Enfin, sur tout cela, je me confie parfaitement à vous,
et il en sera décidé ce que vous voudrez. Je vous dirai
encore que, comme il serait peu raisonnable dans ma
situation de fertunede faire cette dépense, M"' deCa-
tellan veut bien m'avancer cette somme; mais il fau-
drait qu'au résultat, nous trouvassions un moyen (soit
par une souscription pour la gravure parmi les per-
sonnes que je connais, comme M. de Catellan en
avait l'idée, soit autrement, selon que nous le juge-
rons convenable"), pour moi de rentrer dans cette
somme pour la rendre à M"" de C.....J'attends votre
réponse pour écrire à M, le Fort ou pour écrire à
-ocr page 308-M™ RÉCAMIER. 303
M"" de Cateilan de vous faire passer mille francs pour
premier payement. Adieu, Monsieur, vous savez quel
triste hiver je vais passer. Je suis bien sûre que vous
penserez quelquefois k moi, et je voudrais bien que
vous me le disiez.
Récamiek.
Cliâlons, 27 mars 1812.
Je suis charmée, Monsieur, de trouver une bonne
occasion pour vous écrire. Avez-vous quelquefois
pensé à moi cet hiver? M'avez-vous plaint de le passer
si tristement ? Savez-vous qu'il y a plus de six mois
que je suis à Châlons, dont, comme vous le dites, le
nom représente l'ennui ? — Pendant ce temps-là,
qu'avez-vous fait? ou, pour parler plus convenable-
ment, de quel chef-d'œuvre vous étes-vous occupé ?
Si je me connaissais en peinture, vous ne feriez rien
sans me consulter. Mais j'avoue que je n'y entends
pas grand'chose et que c'est par vos succès que je
juge vos talents, et que je n'admirerais pas tant vos
tableaux si vous n'étiez pas parfaitement aimable et
même si vous n'aviez pas un peu d'amitié pour moi.
Que faites-vous de mon portrait ' ? C'est par pressen-
' Gérard avait fait cc portrait en 1802, au moment ou M""® Réca-
niier était dans tout l'éclat de la jeunesse et de la beauté. Elle est
assise, et bien que ses épaules, ses bras et ses pieds soient nus, il est
impossible à la critique la plus rigide d'.y rien observer qui ne soit
20
-ocr page 309-306 JI·"' IIÉCAMIER.
timent que vous lui avez donné cette expression
triste et rêveuse, qui me plaît plus qu'elle ne me res-
semble. — Avez-vousrenoncé à la gravure? J'en serais
bien aise : le dessin me faisait peur.
Vous ne savez pas que je suis presque décidée à
aller en Italie. Je vous ai entendu dire souvent que
vous vouliez faire ce voyage; si vous en aviez encore
la tentation, je pourrais bien vous revoir à Rome; après
Paris, ce serait le pays où j'aimerais le mieux vous
rencontrer.
Adieu, Monsieur, je reste encore quelques semaines
ici, et j'espère bien ne pas en partir sans avoir reçu
un souvenir de vous... Si j'étais vous, j'irais en Italie :
c'est monotone de rester toujours à Paris.
J. récamien.
} -
h
■Ί
ADgi'rvilicrs, vers 1818.
Il y a bien longtemps. Monsieur, que je ne vous
ai vu, et ce temps s'est passé d'une manière bien dif-
férente pour vous et pour moi. Vous avez été dans
les triomphes et moi dans les chagrins. J'aurais ainie
à recevoir un mot de souvenir et d'intérêt de vous.
Je serai demain au soir chez moi à Paris ; pourrai-j^
vous y voir ? M. de Montmorency désire que ce soit
tout à fait confonno aux convenances. Ce portrait a été expose et
fort admire il j a (juclques années; mis en vent(!. il a été adjugé aii
prix de Ιϋ,ΰΟΟ francs. ,
M
M™ HÉCAMIliR. 307
moi qui vous parle d'une chose à laquelle il attache
un grand prix, et je voudrais bien qu'il ne se trompât
pas en croyant que c'est un moyen de succès près de
vous. Ayez la bonté d'envoyer la réponse chez moi à
Paris demain matin, et recevez l'assurance de ma con-
stante amitié.
.1. Récamier.
IV.
Paris, vers 1816.
M. Ballanche va s'occuper du prospectus de la Fie,
de saint Vincent de Paul; il me charge ainsi que
M. de Montmorency de vous demander si vous per-
mettez qu'on annonce que les gravures se feront sous
votre direction ; ils attendent votre réponse, parce
qti'il faudrait, si la chose ne vous convient pas, cher-
cher non à vous remplacer, ce qui n'est pas possible,
mais à prendre d'autres arrangements.
Adieu, Monsieur, je suis arrivée de la campagne
samedi au soir; je vous l'ai fait dire dimanche, et j'es-
pérais vous voir.
1!
Un
Je n'ai pu me décider à voir le portrait ' dans ma
' Cehii (le M»® <le SUël.
308 M"» RÉCAMIER.
chambre pleine de monde. Je sais combien vous êtes
occupé; j'espère, pourtant, que vous me donnerez un
moment pour que je puisse vous dire mes impres-
sions, et vous parler d'une copie à laquelle j'attache
un grand prix. J'attends votre réponse, et je profiterai
avec un vif empressement du premier moment que
vous pourrez me donner.
Madame Pasquier me charge de vous demander si
elle peut voir votre ateher, et quel serait le jour et
l'heure. Veuillez, Monsieur, répondre à toutes mes
demandes et croire à ma sincère et tendre amitié.
J. R.
..ί .
Vf
\
VI.
Fragonard ' veut bien se charger de faire une copie
de mon portrait pour madame de Catellan. Ayez la
bonté de donner des ordres pour qu'il soit remis aux
porteurs qui doivent aller le chercher. Quand la copie
sera finie, j'espère que vous voudrez bien encore
donner un asile à ce pauvre portrait qui est très-mai
placé chez moi.
Adieu, Monsieur, vous avez oublié votre promesse
d'une copie du portrait de madame de Staèl ; cet
oubli me fait une vive peine. J'attachais tant de prix
à ce portrait; j'espère l'avoir cet été, mais j'aurais
' Kraçonard 2», peintre d'histoire. 11 est resté de celui-ci un plafond
au Louvre et un tableau dans la galerie des batailles, à Versailles-
DE BEAUSSET. 309
voulu qu'il fût fait sous vos yeux et le devoir à vos
soins. Recevez l'assurance de mon attachement.
■
Paris, 181..
Vous m'oubliez tout à fait, Monsieur ; j'ai pour
vous une amitié trop vraie et trop ancienne pour n'a-
voir pas le droit de m'en plaindre. Envoyez-moi de-
main mon portrait pour que j'aie quelque chose de
vous, à moins qu'il ne vous convienne de le garder
encore quelques semaines; alors je ne l'enverrai
prendre qu'à mon retour d'Angervilliers ' où je vais
dans quelques jours pour rester jusqu'à la fin de ce
mois. Vous devriez bien ne pas vous donner le tort
et ne pas me donner le regret de partir sans vous
avoir vu.
Du camp de Mozaitck, le 10 septembre 1812.
Mandez à Gérard quii a fait un clutf-dœm<re.
Voilà, mon cher Apelles, les expressions de Sa Ma-
je.sté ^ l'Empereur en contemplant les traits augustes
» Chez M"" (le Catellan.
' Prôfct du Palais, baron de l'Empire.
5 Λ propos du portrait du roi de Rome envoyé à l'Empereur, à
l'armée de Russie.
310 CHAULES-JEAN (BERNADOTTE).
du roi de Rome. Ces mots disent plus que je ne pour- .
rais vous en dire, et seront votre plus belle récom-
pense. Je suis arrivé à la tente de l'Empereur la veille
de la grande et mémorable bataille du 7 Sa Majesté
n'a pu se refuser au plaisir de faire admirer votre
portrait du plus bel enfant de l'Empire par les offi-
ciers généraux de sa cour et de son état-major. Jl a
été présenté à leur admiration pendant quelques mi- .
nutes devant la tente de Sa Majesté.
Recevez, etc.
de Bkausset.
11 est midi, le canon gronde aux avant-postes, et
probablement dans quelques jours nous serons à
Moscou dont nous ne sommes plus qu'à 20 lieues.
' A'
m
Γ'
19 mai 1812.
Monsieur Gérard, M. Signeul m'a remis votre let-
tre. Je désire que mon portrait'r reste sans autre
ornement que celui qu'ils a déjà de la touche de
votre génie. Si vous voulez en faire faire une copie
qui restera chez la reine d'Esjiagne, j'en serais charmé;
vous me feriez plaisir de me prévenir combien elle
me devra coûter. Quand elle sera terminée, je désire-
rais que vous voulussiez bien m'expédier l'original
bataille de la Moskowa.
0
-ocr page 314-• JOAGHIM LE BRETON. 311
que je destine au roi. Si je n'avais pas été privé des
biens que j'avais acquis par trente années de glorieux
services, j'aurais pu vous donner un témoignage de
mon admiration pour vos talents ; cette privation ne
m'a laissé que la fortiuie du Béarnais, mais j'espère
qu'un temps plus heureux me permettra de vous
dédommager; en attendant je ne puis vous faire
compter pour ce portrait qu'une somme de neuf mille
francs qui vous seront remis incessamment. Je re-
grette de n'avoir pas pu imiter les rois de Westphalie
et de Saxe; cela me fait sentir d'autant plus vivement
la perte des biens que l'on m'a retirés. Sur ce, je prie
Dieu, monsieur Gérard, qu'il vous ait en sa sainte et
digne garde.
Votre bien affectionné
i CIIA.RLES-JE4^.
Paris, le 7 mars 1812.
Le Secrétaire perpétuel de la Classe à monsieur Gérard, peintre.
Monsieur,
Je m'empresse de vous annoncer que la classe des
beaux-arts de l'institut impérial de France vient de
' Joacliim I,e Breton fut secrétaire perpétuel de la classe des
beaux-arts, à l'Institut, pendant une grande partie de l'Empire; il
concourut activement à la formation du muséum. Kxclu de l'institul
en 1815, il s'exila et se retira à l\io-Janoiro où il mourut en 1819.
312 BARON DE SORSUiM.
vous nommer pour remplacer monsieur Monvel
L'empressement et la conformité d'opinion que les
membres de la classe ont manifestés dans cette élec-
lion prouvent l'estime qu'ils font de votre talent et de
votre personne. Je me félicite particulièrement d'être
l'interprète de la classe dans cette circonstance, et de
trouver dans l'exercice de mes fonctions l'occasion
de satisfaire l'amitié que je vous ai vouée.
J'ai l'honneur de vous saluer,
JoACHiM Le Breton.
Cassel, le 28 féYrier 1812
Mon cher Gérard, le Roi ' me charge de vous con-
firmer qu'ayant été très-satisfait · du tableau que
M. Vernet fils a exécuté d'après ses ordres il a résolu
de lui en commander un autre pour pendant, dont le
sujet sera Χ Attaque du camp retranché devant Glatz·
J'envoie à M. Vernet une vue très-exacte de Glatz,
dessinée par Gauthier, et un croquis indiquant par-
faitement la disposition des troupes et de l'action.
S. M. vous prie encore de surveiller cet ouvrage, et
je suis persuadé d'avance qu'il ne pourra que faire
' Mole, Monvel et Grandmcnil avaient fait partie de la 8·· section
de la classe des beaux-arts, à l'Institut.
' Jérôme-Napoléon, roi de Westphalie.
5 L'entrée de Jérôme à lîreslaw.
-ocr page 316-CORVISAHT. 313
honneur à M. Vernet. J'ai été, en mon particulier,
très-satisfait de son premier tableau, et j'ai reconnu
avec plaisir combien la crainte qu'on avait eue que
ce ne fût l'ouvrage d'un écolier avait été frivole.
M. Vernet' ajoutera, je l'espère, à la réputation du
nom qu'il porte, et il ne peut suivre pour cela une
meilleure voie que de profiter des conseils de votre
amitié éclairée
Veuillez, etc.
Le secrétaire du cabinet,
Baron de Sorsum.
Rambouillet, le 21 avril 181Û.
Enfin, mon cher et ami Gérard, le plaisir l'emporte
sur la paresse, et si vous connaissiez bien la mienne,
vous jugeriez de l'étendue de celui qui me porte à
vous faire ces lignes. D'abord, et quoique j'aie appris
des nouvelles de vous et des vôtres, la civilité veut
que je m'en informe : ainsi donc, comment va ma-
dame Gérard? Elle est bien persuadée sans doute, à
présent, qu'on ne meurt pas de peur, car j'imagine
' Horace Vernet.
» Voir les lettres do Carie et de Horace Veriiot.
» Premier médccin de l'empereur.
-ocr page 317-31/i GORVISART.
qu'elle en a eu une belle, qu'en dites-vous? Je ne
crois pas qu'il en soit de même de M"' Godefroid ;
elle n'est pas si prompte à prendre de l'effroi, ce me
semble, et, soit résignation, soit philosophie, le calme,
j'en suis sûr, était au fond de son cœur, comme il
était empreint sur son visage. Que le Dieu des armées
leur soit en aide' ! Mais parlons d'autre chose.
J'imagine que vous avez vu Isabey et qu'il vous
aura raconté les excellentes et précieuses dispositions
de l'Impératrice en ma faveur; il vous aura dit que
S. M. m'autorise à faire faire son portrait, et qu'elle
désire que ce soit votre pinceau qui veuille bien
m'en retracer l'image pour la placer dans une petite
galerie dont elle favorise l'édification, qu'elle se pro-
pose d'orner et à laquelle elle m'a permis de donner
son nom. Si votre amitié pour moi vous porte à accé-
der au désir de l'Impératrice, vous mettrez le comble
,à ma satisfaction. Dites donc oui. Bien, je l'ai entendu,
et, en ce cas, il me reste une autre prière à vous
faire, et vous l'entendez d'ici. Vous savez que la ga-
lerie de Marie-Louise est en pleine activité de travaux;
vous savez aussi que je vais accompagner S. M.
dans son voyage. Ce voyage, qui doit se faire à petites
journées, sera long par conséquent : que je serais
donc aise, si, à mon retour, je pouvais retrouver sur
la toile l'impression, comme vous savez la rendre, des
traits dont je viendrais de quitter l'original, et sans
doute pour toujours! Vous m'entendez, Gérard, vous
' Lo ton de Corvisart changera dans la lettre suivante où l'on verra
que le Dieu des armées l'avait Tort maltraité.
f
J,
CORVISART. 315
doubleriez le bienfait par cet acte cl'ol)ligeance, vous
ne pouvez me faire un plus grand plaisir, je ne vous
en dis pas davantage.
Mais souvenez-vous bien, Gérard, de mon vœu :
ne flattez le portrait de l'Impératrice qu'autant, pour
ainsi dire, qu'il est impossible de s'en dispenser.
C'est elle, telle qu'elle est, telle que je l'ai toujours
vue, et que je la vois encore, dans les atours les plus
simples, et telle qu'elle doit être sous les yeux du
médecin qui a été honoré de sa confiance, que je veux
fixer dans ma retraite. C'est son air doux, modeste,
et affectueux pourtant, que je veux retrouver sans
cesse. Isabey en a un portrait qui m'appartient et qui
serait parfaitement ressemblant s'il était un peu
moins flatté, si les cheveux, que je trouve charmants,
étaient un peu plus foncés. Il vous est facile, mon
cher Gérard, de bien concevoir mon idée. Il vous est
plus facile encore de la rendre, si la chose vous
touche de la centième partie de ce qu'elle m'importe
et me charme. J'ai vu quelquefois S. M. dans une
robe de velours nacarat (ma foi ! est-ce bien comme
cela qu'on écrit ce mot?) ; elle lui allait, ce me semble,
à merveille.... Au surplus, je suis un sot de prévenir
votre goût, et je me lais, après vous avoir dit pour-
tant que je ne désire rien autant que d'être compté
au nombre de vos vrais amis, en retour de l'amitié
que je vous ai vouée.
corvisaht.
-ocr page 319-316 CORVISART.
La Garenne, de mon lit, ce 29 Juillet 1815.
Mon cher Gérard,'le simple récit de ce qui m'ac-
cable à la Garenne vous forcera à me plaindre si vous
ne pouvez me soulager.
Vous savez que depuis trois semaines au moins
(je rechercherai au besoin la date précise), cette petite
maison de cartes est occupée par un général anglais
(Vandeleur est son nom, pas trop anglais), son état-
major, des domestiques, etc. Voici la colonie qui est
établie aujourd'hui ' :
Le général, son épouse et trois enfants en bas âge
dont un à la mamelle ;
Quatre femmes dont une nourrice, une bonne, une
femme de chambre, et une autre ;
Dix domestiques mâles.
Il y a trois ou quatre personnes à dîner à peu près
tous les jours à la table du général.
Tout cela a été jusqu'à présent à ma charge; on
raconte que d'ici à quelques jours le général prendra
à son compte le cuisinier, lequel j'ai été obligé de
louer, n'en ayant pas, comme vous savez. On raconte
que le général se fournira dorénavant de vin ; jusqu'à
présent j'ai fourni vin d'ordinaire de bordeaux rouge,
' A la seconde invasion, les chefs des armées alliées s'appliquèrent
à faire peser tout le poids de l'occupation militaire principalement
sur ceux qui avaient été attachés de près ou de loin à la maison de
l'Empereur. On ne sera donc point surpris de voir la maison de cam-
|)af.'ne de Corvisart envahie par les soldats de Wellington.
.
-ocr page 320-CORVISAIIT. 317
de bordeaux blanc, et de Champagne, lesquels j'ai
achetés fort cher.
J'ai été obligé d'emprunter une couchette pour
ajouter à la maison dont vous connaissez le peu d'é-
tendue.
Il faut que je fournisse draps, linge, etc., et vous
vous doutez comme un vieux garçon tout seul en est
pourvu.
Combien de temps cette énorme masse doit-elle
peser sur moi ? Je ne le sais, mais je crains que cela
ne dure, car le général m'a fait dire aujourd'hui de
faire remettre les rideaux de la galerie et de la cham-
bre à coucher; je ne sais où ils sont.
Les aides de camp ont commencé à chasser dans le
parc, sans la légère attention de me faire demander
un agrément que je n'aurais pu refuser. N'oubliez
pas uuparai'ant un bivouac de cavalerie de six
mille hommes pendant 24 heures a fait un grand
dommage dans mon parc, et que quelques malfaiteurs
se sont introduits une nuit dans la maison, y ont fait
quelques dommages et commis quelques vols.
Voilà, mon cher Gérard, des faits vrais, racontés
sans aigreur. Vous connaissez ma vie politique, cela
n'est pas difficile, elle est nulle; vous m'avez vu m'i-
solant toujours, fuyant la cour qu'elle quelle fût; je
ne m'abaisserai pas à vous faire mon éloge, je m'en
fie à votre discernement. Si votre amitié peut quelque
chose à mon soulagement, je me regarde comme
sauvé.
ti
Mais avec quelle prudence il faut agir! Je crains
A
-ocr page 321-318 NÉPÛMUCÈNE LEMEKCiKR.
de fâcher mon général et qu'il ne fasse ou n'ordonne
des dégâts qui achèveraient de me ruiner.
Voyez, pesez, mûrissez dans votre sagesse ce qu'il y
a à faire. Comment faul-il faire? Faut-il se taire et
souffrir, ou pourrez-vous parler sans danger ? Jn ma·
nus tuas conimendo fartunutn ineam. Vous connaissez
les autoritésagissez, modérez ou gardez le silence ;
mais surtout que ma maison ne soit pas détruite.
Vous savez que, depuis l'entrée des ennemis, j'ai eu
et j'ai toujours, à Paris, officiers, soldats et chevaux.
Vous savez que j'ai éprouvé un vol domestique
considérable; vous voyez quel voile se répand sur
mon avenir.
La seule chose de tout ce que vous savez, et que
j'aime à vous répéter, c'est l'assurance de mon atta-
chement et d'une amitié dont je suis digne.
r^e vieux malheureux et souffrant
Corvjsaut.
L
■Ë
A St-Loup de Fribois, ce Π mai ISlIi.
,1'ai prié, mon cher Gérard, un de vos amis que
j'ai rencontré à l'Institut, de vous dire que je n'avais
' Corvisart comptait sur l'amitié de Ilumboldt pour Gérard,
l'oëtc dramatique, né à Paris en 1771, de l'Académie fraiigaisu
en 1810, mort en 1840. Auteur A'^gamemnon (son clief d'œuvre),
"i
il·
NKPOMUCÈNE LEMERGIER. 319
fait que passer à Paris et que je m'en retournais trop
vite dans mes champs pour qu'il me restât le temps
d'aller vous voir. Mes regrets se sont accrus en arri-
vant en Normandie ; le journal que j'y ai retrouvé
m'a appris que j'aUrais vu dans votre atelier un beau
tableau d'Homère reçu par la fille du berger Glaucus.
Votre nom inscrit chez moi, la veille de mon départ,
me fait penser que vous me croyez pour quelque
chose dans l'idée de cette composition, par le poëme,
où j'ai traité le même sujet, en y insérant un hom-
mage à votre admirable Bélisaire. Je vous rends
grâce de ce soin attentif et je reconnais votre amitié.
Retournons, retournons à notre antiquité fabuleuse,
qui nous consolera de notre laide histoire moderne.
Recevez , mon cher Gérard, l'expression des sen-
timents attachés de votre ancien confrère en Apollon.
N.-L. Lemercier.
■■4
t *
f
Paris, 182..
Je ne sais, mon aimable et cher confrère, si la peur
d'une lecture tragique vous agiterait trop pour venir
entendre les deux derniers actes des Martyrs de
Souli; mais moi je me sens assez courageux pour vous
de Pinto, de Christophe Colomb; ces deux dernières pièeeSj repré-
sentées eu 180Π et 1810, obtinrent un grand succès, niais la police
en interdit la représentation.
ί
320 LE COMTE DE NOAILLES.
y inviter; et j'ai besoin de vos impressions aussi
justes que délicates, au dénouement de mon ou-
vrage.
Nous nous rassemblons dimanche soir chez M"" la
duchesse de Broglie, qui vous désire ainsi que moi.
Votre ami,
Lksiercier .
'M
1
Paris, ce 25 novembre ISli.
Je m'empresse, ^Monsieur, de vous offrir mes re-
mercîments pour l'obligeance avec laquelle vous
avez dit à M. de Humboldt que vous étiez disposé à
me seconder dans le projet que j'ai de donner l'édi-
tion la plus belle possible du poëme épique de Ca-
moëns, qui, aussi maltraité après sa mort que de son
vivant, n'a encore eu aucune belle édition.
C'est un monument que je tiens à cœur d'ériger au
grand homme qui a le plus illustré ma patrie, et mes
désirs sont que la typographie, le dessin et la gravure
' Littérateur portugais. Ministre plénipotentiaire en France, de
1802 à 1803; en 1802 il épousa la veuve de M. de Flahaiit, qui elle-
même cultivait les lettres. —M. de Souza publia en 1817 l'édition des
Lusiades de Camoens, dont il est question ici. Gérard, en eiïct,
donna tous ses soins à Villustration de cet ouvrage, que Didot im-
prima. — Un portrait de Camoens est reproduit dans VŒurre de
Gérard.
ι '
ί
LE COMTE DE SOUZA. 321
concourent à ce que cette édition soit digne de lui,
et soit elle-même un monument de ce que lesti ois arts
peuvent faire de plus parfait de nos jours. C'est par
cette raison qu'ayant engagé M. Firmin Didot à
choisir ses plus beaux caractères et à mettre tous ses
soins à l'impression, j'ai prié M. de Ilumboldt de sa-
voir de vous si, pour l'amour de l'art et pour concourir
à la gloire d'un grand poète, vous voudriez donner
vos soins à la partie du dessin et de la gravure, sûr de
réussir dans mon entreprise si vous consentiez à y
mettre les talents supérieurs que tout le monde vous
reconnaît.
Cette entreprise, Monsieur, je n'ai pas besoin de
vous le dire, n'est point une spéculation de ma part ;
je n'ai été inspiré que par l'amour de ma patrie et par
le désir de rendre cet hommage à l'homme qui l'a tant
honorée; j'y renoncerais, plutôt que de faire une édi-
tion qui ne.fût pas considérée, sous le rapport des
trois arts, comme un chef-d'œuvre
Vous êtes plus que personne. Monsieur, capable
d'apprécier ces sentiments, et je suis convaincu que, si
vos occupations le permettent, vous voudrez associer
aussi votre nom et votre renommée à celle d'un grand
homme comme Camoêns.
Si vous me l'accordez, vous me rendrez bien heu-
reux, et j'espère que vous voudrez bien me dire le
jour où je pourrai aller vous remercier.
J'ai l'honneur d'être. Monsieur, votre très-humble
et obéissant serviteur.
l).-J.-M. de SoiZA.
21
IL
322 DE BAWR.
Paris, vers 1815.
.l'étais allée chez vous, Monsieur et cher ami, pour
vous dire que M. Goyer allait venir à trois heures
pour aller à voire atelier; mais n'en parlons plus,
nous irons demain dans la matinée à tout hasard. Je
voulais vous dire aussi que l'empereur Alexandre,
hier, au bal chez la princesse, a reconnu M"" Wa-
lewska pour avoir vu son portrait chez vous. Il a été
bien aimable pour moi, mais ce n'était pas le lieu de
lui parler de la grande affaire Le comte G... était
venu la veille chez moi, et tout paraît arrangé ; ce-
pendant je ne puis croire qu'il n'arrivera pas quel-
que anicroche. Gomme vous avez été le premier an-
neau de la chaîne qui m'a conduite là, je venais vous
en remercier de tout mon cœur. J'ai eu bien du plai-
sir en apprenant que vous faisiez le portrait du roi.
Vous n'aurez jamais tant de fortune et de gloire que
vous en méritez.
Ύ
Il
S. de Bawu.
' Femme de lettres et musicienne, très-assidue aux soirées du
mercredi. — Une jolie comédie d'elle, la Suite d'un bal masqué, est
restée au répertoire du Théâtre-Français.
" M. de liawr était Russe.
LE COMTE DECAZES. 323
I.
Paris, 21 décembre 1816.
α J'accepte avec grand plaisir la gravure, et je vous
α vous charge d'en remercier M, Gérard. Je me rap-
« pelle fort bien qu'il travaillait au tableau en même
<f temps qu'à mon portrait, et, comme il n'exposa
α au salon que ce dernier, je me souviens aussi de
a l'avoir remercié et presque grondé de m'avoir gardé
« une préférence exclusive sur Homère. L'ordon-
« nance est belle, la figure du poète est si noble, si
α expressive et si touchante à la fois, qu'en le regar-
« dant je crois entendre sortir de sa bouche ces belles
« paroles : « Les pauvres et les étrangers nous sont en-
α voyés par Jupiter. » A ce propos, vous savez (jue les
« commentateurs des anciens, et en particulier d llo-
α mère, y ont découvert des beautés dont eux-mêmes
' M. Deeazcs, alors ministre et favori de Louis XVHI, avait offert
au roi une épreuve de l'Homère de Gérard, gravée par .Massard. —
On sait que Louis XVIII se piquait de cultiver les lettres, et qu'il ne
laissait pas échapper l'occasion de niultii)lier les citations. — M. l)e-
cazes, on le sait, a tenu une place considérable dans la politique
des premières années de la Restauration : ministre de la police après
la seconde invasion, puis ministre de l'intérieur, il rétablit l'expo-
sition quinquennale de l'Industrie: la première eut lieu au Louvre
en 1819. Louis XVIII protesta contre les attaques du parti ultra, qui
obligèrent M. Decazes à se retirer, en lui conférant le titre de duc.
LE COMTE DECAZES. 324
α ne se doutaient pas Je suis tenté de faire de même
« à l'égard de M. Gérard, et de voir dans cet enfant
α d'un beau idéal, qui termine si bien le tableau,
α Apollon ou Mercure ainsi transformé pour servir de
« guide summo vatum. »
J'ai fait votre commission, Monsieur, et je ne résiste
pas au plaisir de vous transmettre la réponse que j'ai
reçue, certain que vous la recevrez avec autant de
plaisir que j'en ai à vous la communiquer et à la con-
fier à votre discrétion. Si j'ai été heureux de faire ce
sacrifice au roi, je n'ai pas renoncé à en être dédom-
magé par vous et je ne vous tiens pas quitte; j'espère
que vous ne m'en voudrez pas de mon exigence.
Agréez l'expression de mes sentiments les plus dis-
tingués.
Le Comte Dfcazes.
Paris, ce 1er août 1817.
Vous n'étiez pas au salon ' ; j'en ai bien eu du re-
gret. Vous y avez beaucoup perdu. Vous auriez en-
tendu le roi dire à Girodet : « L'histoire raconte que
' Les anciens, sans doute.
2 A propos du tableau de Entrée de Henri IF. — Gérard se déro-
bait volontiers aux ovations et aux compliments. C'est ce qui explique
son absence en cette occasion, où il savait que la dignité de fremier
peintre du roi lui serait conférée. L'érudition du roi et ses citations
auraient tout autant gêné Gérard <iu'clles llattaicnt peu Girodet.
.Nous verrons plus tard coniment Gérard résigna ce titre.
ff|
i)
/ Ί
LE COMTE DECAZES. 325
les trophées de Miltiade empêchaient Thémistocle de
dormir; nous avons eu un Marathon^ nous attendons
un Salamine, » et ajouter : « M. Gérard n'est pas là,
j'aurais vouhi avoir le plaisir de lui dire devant
Henri IV que je le nommais mon premier peintre.
M. de Pradel le lui fera savoir. » Il ne me reste qu'une
inquiétude, c'est celle que tout cela ne paraisse pas
à votre modestie aussi juste qu'au public. Cette grâce
vous touchera, mais je suis sur que vous n'en serez
pas si heureux que votre dévoué
Le Comte Decazes.
GraTe, 28 décembre 1821.
Mon cher ami, je veux que vous receviez, au com-
mencement de l'année, un souvenir de vos amis de
La Grave et l'expression de leurs vœux les plus ten-
dres pour votre bonheur. J'espère que vous pensez
quelquefois à eux et que vous ne doutez pas plus de
leur amitié, qu'eux de la vôtre. Je voudrais que vous
fussiez assez bon pour me rappeler à M. votre frère,
au souvenir de qui je mettrais beaucoup de prix,
lors même qu'il n'aurait pas pour moi le premier de
tous les titres, celui de vous appartenir.
Ma femme vous dit mille choses aimables, ainsi
que ma sœur, et Mirbel qui va se faire planteur de
vignes et fabricant d'eau-de-vie de Cognac. Je vous
• M. de Mirbel; le savant botanistCj avait été secrétaire de M. Decazes.
-ocr page 329-326 PRINCE GUILLAUME DE PRUSSE,
engage à prendre les devants et à retenir de la pre-
mière qu'il fera dans sept à huit ans, car ses vignes
ne sont pas encore plantées, ce qui ne l'empêche pas
de faire tous les calculs de la femme au pot au lait.
Comme les miennes le sont, grâce à Dieu, j'espère,
mon cher ami, que vous me permettrez de vous ins-
crire dans ma consommation de mon petit Saint-Fmi-
lion, pour une rente annuelle de cent bouteilles, que
vous recevrez dans le cours du mois prochain pour
1821 et que vous boirez à ma santé, en ne commen-
çant, toutefois, qu'après six mois de bouteille. C'est
pourquoi je vous donne rendez-vous à Auteuil,
où j'irai vous demander à dîner au retour du voyage
que je compte faire ce printemps à Glucksbourg.
Adieu, recevez de nouveau la tendre expression de
l'attachement que je vous ai voué pour la vie.
Votre ami
DECAzrs.
- 'A
Berlin, ce 20 JaiiTÎer 181G.
Je profite du départ d'un courrier, mon cher Gé-
rard, pour vous demander des nouvelles de mon por-
trait, s'il est achevé, et s'il est déjà parti pour Berlin.
Ayez la bonté de me le faire savoir, car je l'attends
avec bien de l'impatience. S'il est encore chez vous,
ayez la complaisance de dire un mot au comte de
M"" DE STAËL. 327
Goltz, ministre de mon frère, il pourra vous indiquer
mieux que personne une occasion pour me faire par-
venir ce tableau auquel j'attache un si grand prix,
l'appréciant comme peinture et comme ouvrage de
vos mains.
Votre ami
guillatisfe, prince de prusse.
Voulez-vous dîner chez moi mercredi, Monsieur,
et me donner un jour pour aller admirer vos ou-
vrages?
Mille compliments
N. DE Staël.
Ce lundi.
Je voudrais aller demain à deux heures à votre ate-
lier, qui fait l'admiration de l'Europe, Ce moment, ou
tout autre que vous m'indiquerez, vous conviendrait-
il? J'espère que vous me pardonnez mon empresse-
ment.
N. DE Staël.
(]e vendredi.
' Ces billets sont sans date. — Comme l'auteur de Corinne revint
à Paris en tSiS, et qu'après sa mort (en 1817) Gérard fit son portrait
de souvenir et d'après des indications de M™' de Uroglie, nous avons
pensé que ces deux billets doivent avoir été écrits en 1816. — L'ate -
lier de Gérard était alors fréquenté par tous les souverains de l'Eu-
rope et leurs représentanLs.
328 LA DUCHESSE DE BROGLIE.
Paris, 1817;
C'est avec la plus vive reconnaissance, Monsieur,
que je viens d'apprendre la manière dont vous avez
bien voulu accueillir notre demande Je n'ai d'es-
pérance qu'en votre talent, dans ce monde, pour re-
tracer une expression qui charmait tous ceux qui la
voyaient, mais qu'on n'a jamais pu saisir jusqu'à ce
jour. J'ai la confiance que cet ouvrage ne vous sera
pas pénible. V^ous serez animé par le souvenir du
génie sublime que votre esprit sait si bien apprécier.
Je prends la liberté de vous prier de passer chez
moi demain matin, à l'heure qui vous conviendra.
Je vous attendrai toute la matinée.
Agréez, Monsieur, mes remercîments les plus sin-
cères.
A. Staël de Drogue.
Je vous enverrai demain. Monsieur, le buste et les
' 11 s'agissait du portrait de de Staël que de Brogiie, sa
fille, avait demandé à Gérard. .M"» de Staël est représentée en buste,
bras nus; elle est coiffée d'un turban. — Ce portrait a été gravé au
burin par Laugier et reproduit dans VOEucre de Gérard, par
W. Rosutte.
LA DUCHIÎSSE DE BROGLIE. 329
deux portraits. Je n'ai pu les réunir aujourd'hui. Le
buste est fait à une époque où elle était assez forte et
plus qu'il n'est à désirer pour l'ouvrage actuel : la
physionomie n'y est pas du tout. Le général Lafayette
se flatte encore de l'espoir de vous voir à La Grange,
si vos occupations vous le permettent. 11 m'a chargé
de réitérer sa demande. J'ai pensé qu'au milieu de
tous les éloges que vous recevez, il est un souvenir
qui vous serait plus précieux que les phrases banales.
Un des derniers désirs de ma mère a été de se faire
porter au musée pour voir votre beau tableau
d'Henri IV. Je ne vous renouvelle pas l'impression
de ma reconnaissance, j'espère que vous la com-
prenez.
A. Staël de Broglie.
Vous m'avez fait un présent si précieux, Monsieur,
que j'ai cherché à vous exprimer ma reconnaissance
par une chose qui, j'en suis sûre, aura du prix à vos
yeux. Le manuscrit des Consideralions sur la Révolu-
tiun française ' est une copie, corrigée de la main
de ma mère et de mon frère Auguste; je ne m'en serais
pas séparée facilement pour toute autre personne ;
' M"' de Broglie avait rpç.n de Gérard l'homniage des portraits de
sa mère M·"' de St.aël et de son frère Auguste de Staël ; elle lui fit
présent de ce manuscrit précieux, qui est entre les mains de M. II. Gé-
rard.
330 LAFAYEÎTE.
mais il m'est doux de le sentir entre les mains de
celui qui nous a procuré le bonheur de revoir leurs
traits chéris. Je crois accomplir un devoir, et c'est
en même temps un plaisir de vous le remettre.
Agréez, je vous en prie, l'expression de tous mes
sentiments.
Staël be Broglie.
Ce 19 avril.
Ιί
IV.
Je ne puis assez vous remercier, Monsieur, des
belles étrennes que vous m'envoyez '. Ce sont les plus
précieuses que je puisse recevoir. Il est impossible de
rien voir de plus ressemblant. C'est une joie pour toute
la famille. Nous vous devons bien du plaisir après
vous avoir dû bien de la consolation. Permettez-moi de
croire que cela nous donne des droits à votre amitié.
Ce 3i décembre.
Staël de Broglie.
h ■
Je me suis présenté hier chez Monsieur Gérard pour
avoir le plaisir de le voir. On m'a dit que je risquerais
moins de le déranger en venant plus lot, et, pour
m'en assurer, je prends la liberté de lui demander
« Le portrait du fils de M"· de Staël.
-ocr page 334-LE PRINCE DE METTERNIGH. 331
s'il sort ou s'il a des rendez-vous aujourd'hui ou de-
main vers midi qui paraît être le moment le plus
commode pour lui. Le choix d'un autre jour et d'une
autre heure serait, comme de raison, à la disposition
de Monsieur Gérard. 11 faut pourtant observer que nos
séances commencent à une heure précise, et notre côté
gauche est si peu garni que l'absence d'un seul dé-
puté s'y ferait remarquer.
Je n'ai pas été surpris, mais j'ai été bien heureux
de voir que les enfants et les amis de de Staël
avaient éprouvé le même sentiment que moi pour
l'admirable portrait.
Le désir de procurer un bonheur à trois personnes
([ui me sont chères va peut-être me rendre indiscret.
Mais j'ai ici une fille, M™' de Maubourg, et deux petites-
filles qui sentiraient bien vivement la bonté qu'aurait
Monsieur Gérard, lorsqu'il voudra bien me recevoir
chez lui, de les y admettre avec moi.
Je prie Monsieur Gérard d'agréer l'expression de
mon reconnaissant et bien sincère attachement.
Lafayktte,
Florence, juillet 1817.
Je n'ai point voulu être à Florence, sans m'occuper
' Il s'agit (le la gravure de Morglicn, d'après le tableau des Trois
Ages.
332 ■ LOUIS-PHILIPPE D'ORLÉANS.
de vos intérêts, mon cher Gérard. J'ai été trouver
M. Jlorghen, et je me suis convaincu qu'il est fortement
occupé de voire ouvrage. Le fond est complètement
terminé, la figure de la jeune femme est fort avancée,
les deux autres sont ébauchées et en partie terminées.
M. Morghen promet de terminer le tout en dix-huit
ou vingt mois. Je conçois qu'il lui faille encore ce
temps. Il m'a paru attacher un véritable intérêt à ce
que vous soyez rassuré sur son compte. Je ne puis
que vous informer de ce que j'ai vu. La planche m'a
paru, du reste, parfaitement digne de son célèbre
auteur. La figure de la jeune femme est infiniment
supérieure à celle du dessin que vous lui avez envoyé,
et le tout offre cette admirable harmonie qui règne
dans toutes les gravures de Morghen.
Je suis charmé de pouvoir donner des nouvelles
consolantes. Conservez-moi votre bon souvenir, et
comptez sur la sincérité des sentiments que je vous ai
voués.
M
Μ
Metternich.
Neuilly, le l't d'octobre 1817.
Vous connaissez depuis longtemps. Monsieur, mes
regrets de ne plus voir au Palais-t\oyal les beaux
i'
LOUIS-PHILFPPE D'ORLÉANS.
333
tableaux qui l'ornaient autrefois, et mon intention
de réparer cette perte, autant que je le puis, en
formant une nouvelle galerie La dernière expo-
sition au Musée a achevé de me convaincre que
l'École française du dix-neuvième siècle pouvait ri-
valiser avec celle de l'Italie du seizième. J'ai donc
pensé qu'une réunion de tableaux de notre école
moderne pourrait remplacer avantageusement, au
Palais-Royal, celle que nous avons perdue. La for-
mation d'une galerie composée de la sorte me paraît
devoir être un encouragement utile aux arts, et je
ne désespère pas, qu'avec le temps, la galerie du
Palais-Royal ne puisse devenir un monument na-
tional , qui nous console en partie des pertes que
nous avons faites en ce genre. Je regrette que les
grandes salles que je destine à cette réunion ne
soient pas encore prêtes, et que l'état de mes finan-
ces ne me permette ni de les finir immédiatement,
ni de m'occuper dès à présent de faire faire de ces
grands tableaux où les chefs de cette école, dont
vous élos la gloire, pourraient faire briller leur ta-
lent. C'est donc à ceux qui en sont l'espoir que je
veux m'adresser aujourd'hui. Je vous ai defnandé vos
conseils à cet égard; je viens actuellement vous de-
mander votre assistance, en vous priant de vous char-
ger des arrangements dont nous sommes déjà con-
' On sait que cette nouvelle galerie, qui comptait un grand nombre
de tableaux précieux, a été détruite au mois de février 1848, lors du
sac du Palais-lloyal.
334 ■ LOUIS-PHILIPPE D'ORLÉANS.
venus ensemble '. Vous savez que mon projet est de
consacrer une somme de 24,000 francs à l'acquisition
des six tableaux, que je vous prie de demander pour
moi aux jeunes artistes dont nous avons fait ensemble
la liste que vous trouverez ci-jointe Je saisis avec
grand plaisir, Monsieur, cetle occasion de vous donner
une nouvelle marque de mon admiration pour votre
talent et de vous réitérer l'assurance de tous mes sen-
timents pour vous.
Louis-Philippe d'Okléans.
..s.4.1
λΥ γ
. * Cette lettre du secrétaire du duc d'Orléans fera voir que les
intentions du prince furent aussitôt réalisées.
Palais-Royal, 28 janvier 1818.
Monsieur,
Monseigneur m'a dit que vous désiriez qu'il fût payé un à-compte
il chacun des jeunes artistes à qui il a demandé des tableaux. Je
vous supplie donc. Monsieur, de m'envoyer une note, ou, si vous .
l'aimez mieux, un petit état en colonnes, des tableaux que vous avez
bien voulu commander pour S. Λ.; des noms des artistes, des
à-comptes à chacun, dont je proposerai immédiatement à Monsei-
gneur d'autoriser le payement.
Daignez agréer...
DE BROVAL.
' Hersent : Gustave Vasa, prenant congé de la diète de Suède..
Abel de Pujol : César allant au sénat le jour des Ides de Mars.
Couder: un Soldat expirant en apportant la nouvelle delà victoire
de Marathon.
Mauzaisse: Laurent de Médicis dans sa villa avec les honmics cé-
lèbres de son temps.
Steuben : Guillaume Tell repoussant le bateau de Gcssler dans le
lac au milieu de la tempête.
Blondel: Philippe-Auguste, avant la bataille de Houvines, déposant
sa couronne en disant que le sort des armes déciderait qui était le
plus digne de la porter.
LOUIS-PHILIPPE D'ORLÉANS. 333
Palais-Boyal, ce Tendredi matin 11 juin 1819.
Je m'aperçois que j'ai oublié de vous remettre,
hier, une note dont ma femme m'avait chargé pour
vous et qu'elle a faite elle-même relativement à des
éclaircissements que vous désiriez sur l'ouvrage du
comte Borgia; vous la trouverez ci-jointe.
J'ai eu tort de désespérer des recherches qu'on
faisait à Londres pour se procurer les numéros qui
manquaient de l'édition améliorée du cabinet anti-
quaire; car je viens d'en recevoir douze, qui, avec
ceux que vous avez déjà, complètent les trois vo-
lumes.
Veuillez donc me renvoyer ceux que vous avez,
afin que je puisse les faire relier et que j'aie le
plaisir de vous les offrir complets et en meilleur état.
C'est toujours avec plaisir que je saisis toutes les occa-
sions de vous assurer de toute mon amitié pour vous.
L.-P. D'O.
J'écris ce billet en face de la tète d'étude de ma
femme, dont je vous remercie et que je trouve admi-
rable.
Palais-Royal, ce 22 mai 1821.
Je n'ai pas manqué, (mi rentrant, de communiquer
-ocr page 339-336 ■ LOUIS-PHILIPPE D'ORLÉANS.
à ma femme le charmant projet du tableau de M"'
Godefroid ' : elle l'approuva, et même elle en est en-
chantée. Elle préfère le mouton, et que ce soit Join-
ville qui le mène, tandis que Clémentine lui donne à
boire. Il y a à Neuilly un certain Robin-Moulon qui
vient d'Abyssinie et qu'elle affectionne beaucoup, et
elle désire que Godefroid veuille bien le prendre
pour modèle. Madame Angellet conduira demain les
deux enfants chez M. Gérard à Paris à deux heures,
et alors on conviendra des séances suivantes.
Je suis charmé de trouver cette occasion de vous
renouveler moi-même l'assurance de tous mes senti-
ments pour vous.
L.-P.d'O.
f
f
IV.
Ce lundi malin 11 février 1822.
Je ne puis résister au plaisir de vous témoigner
moi-même combien nous avons tous été enchantés des
deux charmants tableaux qui nous sont arrivés hier
de chez vous. Je vous assure qu'ils ne pouvaient être
placés nulle part où on les appréciât davantage. La
tête de Joinville est surtout l'objet de l'admiration
générale, et dans le fait on ne peut rien voir de plus
parfait. C'est un chef-d'œuvre de ressemblance, d'ex-
' Portraits des enfants du duc d'Orléans. Ces tableaux furent dé-
truits en février )848.
il
ii
; i
i>
LE COMTE DE NOAILLES.
pression, de coloris et d'effet. Ma femme, qui veut
aussi vous en remercier elle-même, vous propose de
venir dîner avec nous vendredi, si toutefois vous n'a-
vez pas d'engagement pour ce jour-là. Il me tarde
bien de pouvoir profiter de l'offre que vous avez bien
voulu me faire de lancer mes enfants dans le dessin.
Il est bien précieux pour eux et pour leurs parents
d'avoir un tel surintendant, mais il nous faut un lieu-
tenant digne du chef, et c'est vous seul qui pourrez
le trouver J'attends donc avec bien de l'impatience
que vous ayez fait un choix.
Permettez-moi de vous renouveler, de tout mon
cœur, l'assurance de tous mes sentiments pour vous.
L.-P. dOrléans.
Mi
I
Moscou, 8 janvier 1818.
J'avais, depuis longtemps, monsieur, le projet de
vous donner des nouvelles du portrait du roi et de
vous parler du plaisir qu'il m'avait fait lorsque j'ai
' Gérard désigna le jeune Ary Scheffer, (μύ remplit en effet ee
poste avec honneur et succès, et qui mérita, par son talent et son
aimable caractère, toute la confiance des enfants du prince. Chargé
à son tour, après 1830, par le duc d'Orléans de désigner les artistes
destinés à concourir à la formation d'une nouvelle collection de ta-
bleaux, Λ. Scheffer s'acquitta de cette tilche avec un grand tact et nnc
sûreté d'appréciation remarquable. 11 fut un des guides de la prin-
cesse Marie d'Orléans, dans la pratique de l'art (lu'clle aimait avec
passion. '
^ Ambassadeur de France en Russie.
22
-ocr page 341-338 LE COMTE DE NOAILLES.
reçu votre lettre du ao novembre dernier. Ce portrait
est dans le meilleur état possible, bien éclairé et placé
dans un salon agréable ; il fait l'admiration de tous
ceux qui viennent chez moi, et l'Europe, au moins par
ses députés, lui a rendu plus d'un hommage.
Plusieurs artistes en ont fait des copies. Je me per-
suade, à l'effet que cet ouvrage a produit sur moi et
sur les autres, que vous lui avez donné une attention
particulière, et mon amour-propre jouit de la dis-
tinction que je crois vous devoir.
Il faut bien trouver simple sur les bords de la Neva
que l'on flatte à Paris un excellent portrait du roi de
France ; vous sentez, monsieur, qu'il ne pouvait en
être de même de vos deux portraits de l'empereur
Alexandre. Ils ont été déballés immédiatement après
leur arrivée ; placés d'abord dans un lieu peu conve-
nable, je ne les ai point perdus de vue : garnis aujour-
d'hui de leurs bordures, ils occupent un des salons
de l'Hermitage; leur conservation est parfaite. Quel-
ques personnes d'un goût faux ou d'un patriotisme
bête, ne pouvant attaquer vos deux ouvrages sous le
rapport de l'art, se sont montrées peu satisfaites de la
ressemblance ; je leur ai répondu, je l'avoue, avec
cette irritation qu'on se sent encore plus contre ceux
qui ne partagent pas nos sentiments que contre ceux
qui n'adoptent pas nos opinions; aidé des princesses
Wolkonsky, des gens de goût, de M. Barberi, nous
avons fait cesser ces bavardages. Tout le monde admire
aujourd'hui vos portraits ^ de l'empereur Alexandre;
' Gérard a fait trois portraits en piod de l'empereur Alexandre.
-ocr page 342-LE COiMTE DE NOAILLES. 339
ils sont constamment copiés par les artistes nationaux
et étrangers, et donnent aux Russes comme à moi la
satisfaction de voir enfin les traits de l'illustre souve-
rain de ces contrées transmis à la postérité d'une ma-
nière digne de lui et d'elle.
L'empereur était à Pétersbourg lors de l'arrivée de
vos ouvrages. Son opinion à leur égard ne peut avoir
varié. Si je me trouvais dans cette ville, je ne manquerais
pas de recommander M, Outkine comme l'homme le
plus en état de graver le portrait de S. M. Je rencon-
trerai peut-être ici l'occasion de le nommer, et je ne
la négligerai pas.
Vous avez bien voulu, monsieur, me montrer avant
mon départ l'esquisse de votre tableau de l'entrée de
Henri IV à Paris. Elle promettait beaucoup. J'ai su que
le grand ouvrage avait encore surpassé tout ce qu'on
attendait de vous, et c'est beaucoup dire. Recevez mon
sincère compliment de ce brillant succès et des distinc-
tions qui en ont été la suite. Je jouis comme Français
et comme ami de la gloire que je vous vois recueillir
depuis des années. J'espère être à Paris dans quelques
mois ; Henri IV et son auteur seront sûrement au
nombre de mes premières visites.
Je vous prie de recevoir les nouvelles assurances de
la parfaite considération avec laquelle j'ai l'honneur
d'être.
Votre très-humble et très-obéissant serviteur,
Le Comte de Noailles.
/•i
-ocr page 343-;uo AUGUSTE, PlUNCE DE PRUSSE.
Berlin, le 6 aïril 1819.
Désirant conserver le souvenir de de Staël par
lés arts, autant qu'il restera dans la littérature par ses
ouvrages, j'avais cru que le plus sûr moyen serait de
vous demander de faire pour moi un tableau dont le
sujet serait tiré de Corinne. L'amitié que M"" de Staël
m'a témoignée dans des temps malheureux m'engage
surtout à lui donner cette preuve de reconnaissance.
Récamier ayant bien voulu se charger de cette
commission par attachement pour M""" de Staël, parce
qu'elle attache le plus grand prix à tout ce qui peut
honorer sa mémoire, j'apprends avec le plus grand
plaisir que vous voulez bien vous charger de cet ou-
vrage et l'achever au plus tard dans quinze mois pour
le prix de dix-huit mille francs. En vous témoignant
ma reconnaissance pour cette complaisance, je sou-
mettrai à votre jugement, s'il ne serait pas avantageux
» Le prince Auguste de Prusse, cousin du roi, neveu du grand
Frédéric, fait prisonnier par les Français, le 6 octobre 1806, au
combat de Saalfeld, fut présenté à M"» de Staël au château de Coppet.
Accueilli par l'auteur de Corinne, il avait conservé de l'amitié de
de Staiil et de son séjour sur les rives du lac de Genève un doux
souvenir. C'est à Coppet qu'il rencontra M"" Hécamier dont il devint
éperdumenl épris. — C'est eu mémoire de ces deux sentiments qu'il
demandai Gérard le tatileau de Corinne.
AUGUSTE, PRINCE DE PRUSSE. 3il
de représenter Corinne sous les traits embellis de
M""' de Staël et de choisir le moment de son triomphe
au Capitole, ou celui où elle se trouve sur le cap
Misène, sans vouloir cependant en rien vous gêner
dans la composition de cet ouvrage. Je désire, mon-
sieur que ce tableau vous soitune nouvelle preuve de
la grande admiration que j'ai pour votre talent et de
la parfaite estime avec laquelle je suis, Monsieur,
Votre très-dévoué,
Auguste, prince de f^ni.vsf.
i
Berlin, le 20 février 1821.
Comme il paraît que vpus n'avez pas reçu la lettre
que j'avais chargé M"" Récamier de vous remettre, je
m'empresse de vous témoigner ma reconnaissance de
ce que vous avez bien voulu consacrer par la peinture
un des plus beaux écrits de M""" de Staël, J'ai cru ne
pouvoir faire un meilleur usage de ce tableau, que je
regarde comme un hommage rendu à la mémoire de
ι\Γ' de Staël, (ju'en le donnant à 3Γ" Récamier, son
amie la plus dévouée, que j'ai appris à connaître chez
elle H une époque de persécution et d'exil. Je regrette
beaucoup que les circonstances ne me permettent pas
de voir ce tableau si généralement admiré, et je
vous prie de le faire transporter chez M"" Récamier
' M""= llécamicr a légué cc tableau au musée de l.yon, sa ville
natale.
342 DE MIRBEL.
Je suis avec une parfaite estime et une grande ad-
miration de votre talent, Monsieur,
Votre très-dévoué,
Augustk, prince de Prusse.
■■ili
Paris, le 1 septembre 1819.
Monsieur et très-lionoré confrère,
Le ministre, à qui j'ai parlé hier soir de MM. Bervic,
Percier et Auguste Desnoyers®, paraît être disposé à
les proposer au roi pour la Légion d'honneur. Je vais
à tout risque rédiger une ordonnance, mais le disposi-
tif doit être précédé d'un considérant, et je voudrais
bien qu'il offrît en peu de mots la juste appréciation
du mérite de chacun de ces artistes. Soyez assez bon
pour me donner une note. Remarquez que si MM. Ber-
vic et Percier obtiennent la décoration, ils vous de-
vront cette faveur, car c'est en votre nom que je l'ai
demandée pour eux à Son Excellence. Vous me feriez
plaisir de m'adresser la note^ce matin, et, s'il était pos-
sible, par le retour de mon commissionnaire.
Vous vous êtes donné la peine de venir me voir et
mes cerbères ne m'ont remis votre carte que quand
' Depuis professeur de botanique au muséum d'histoire naturelle,
membre de l'Institut. M. de Mirbel était alors secrétaire de M. l)e-
cazes, ministre de l'Intérieur.'
' Bervic, graveur; Percier, architecte; Desnoyers, graveur.
-ocr page 346-LE COMTE PASTORET. 343
vous étiez parti. Rendez les vôtres plus traitables et
donnez-moi à dîner demain.
Agréez, monsieur et cher confrère, l'assurance de
mon bien absolu dévouement.
Ml reel.
Ί.
Paris, le G septembre 1819.
Le roi, sans avoir dit qu'il vous accordait un titre,
monsieur, a signé hier l'ordonnance qui vous confère
celui de baron. Vous êtes bien sûr que personne n'a
plus de joie que moi à vous l'annoncer, et je voudrais
que vous me permissiez de vous dire que je me réjouis
comme ami de ce que je vous annonce comme com-
missaire du roi.
J'espère qu'il y a longtemps que vous savez com-
bien je suis touché de votre bienveillance et combien
je mets de prix aux occasions que vous me laissez,
monsieur, de vous renouveler l'hommage de mon
bien fidèle attachement.
Le comte de Pastoret.
' Alors commissaire du roi au sceau de France.
-ocr page 347-3U BARRIÈRE,
Paris, a mai 1820.
Monsieur,
Vous pouvez apprécier, depuis ce matin, l'un des
mille inconvénients de la censure. Elle supprime deux
lignes dans l'article et le renvoie à onze du soir, au
moment où il n'y a plus que des imprimeurs au jour-
nal. Ceux-ci, de leur côté, pour n'être pas en reste,
ajoutent dans la première phrase des fautes typogra-
phiques aux suppressions de la censure, et l'article
paraît ainsi.
Vous voilà, monsieur, bien dûment déclaré coupa-
ble, par MM. les censeurs, pour avoir fait le chef-
d'œuvre de la bataille d'Austerlitz, puisqu'il n'est plus
besoin d'en parler. Qiiant à nous, qui ne sommes cou-
pables que jusqu'à un certain point, en publiant des
articles fautifs et tronqués, nous vous prierons, cette
fois, de nous juger sur l'intention.
Veuillez recevoir, monsieur, l'assurance de mon
dévouement.
F. Barrière.
' M. Barrière, aujourd'hui doyen des rédacteurs au Journal des
Débats, écrivait alors dans le Constitutionnel. H a publié les Mé-
moires de M"' Campan (1823). Tableau de genre et d'histoire (1828).
La Cour et la ville sous Louis XIV, Louis XV et Louis XVI (1829). Les
Mémoires relatifs au dix-huitième siècle (1846-49).
BOISSERÉE. 345
Stuttgart, le 17 février 1821.
Monsieur,
J'ai enfin le plaisir de remplir ma promesse et de
vous envoyer les premières épreuves des dessins li-
thographies d'après quelques tableaux de la collec-
tion que je possède conjointement avec mon frère '
et M. Bertram. Elles vous seront remises par M. le
baron de Humboldt. Nous serons heureux de con-
naître votre sincère opinion. Le recueil auquel ces
épreuves appartiendront contiendra i44 planches
choisies dans notre collection, composée de plus de
•ji3o tableaux datant des quatorzième, quinzième et
seizième siècles. Les tableaux du quatorzième siècle
proviennent tous de l'ancienne école de Cologne,
qui, dans son temps, tenait en Allemagne le rang
que l'école de Florence avait en Italie. Toutes les
productions de cette école de Cologne portent,
comme les ouvrages du même temps, en Italie, plus
ou moins l'empreinte du style byzantin. C'est dans la
composition, dans les draperies et dans les tètes du
' I.CS frèresBoisserce, de Cologne, furent les premiers à recueillir
les peintures sur bois des vieux maîtres d'Allemagne et des Pays-I?as.
La i'anieuse collection de tableaux allemands et tlaniands des i|uator-
ziénie et quinzième siècles, qu'ils avaient formée, fut exposée avec
solennité àSluttgard, sous le patronage du roi de Wurtemberg, et
achetée, en 1827, par le roi Louis de Bavière, au piix de
375,000 Uorins; elle fait aujourd'hui partie de la Pinacothèque de
Munich. Sulpice Boisserée est mort en 1854.
346 BOISSERÉE.
Christ, de la Vierge et des apôtres, que ce type se fait
le plus remarquer, tandis que l'originalité du peintre
se reconnaît dans les autres têtes, et particulièrement
dans l'exécution. Plus les tableaux sont relativement
récents, plus on y trouve des physionomies natio-
nales. On y voit grand nombre de têtes ayant cet air
qui distingue encore aujourd'hui les habitants du
Bas-Rhin, et qui frappa Pétrarque lorsqu'il visita Co-
logne. Quant à la manière de peindre, elle est très-
facile et même large. Nous avons reconnu qu'un
corps gras a servi à la liaison des couleurs, sans pou-
voir constater si l'on a employé l'huile ou le jaune
d'œuf et la cire. Les lumières sont faites à larges
coups de pinceau. C'est ainsi que les derniers peintres
de l'école de Cologne ont produit ini relief que l'on ne
retrouve guère dans les autres peintures du quator-
zième siècle. Le coloris est clair et brillant : les meil-
leurs tableaux ne manquent pas d'une certaine vi-
gueur, mais ils n'approchent jamais de celle de Jean
Van-Eick.
La seconde partie de la collection contient des ta-
bleaux de Jean Van-Eick et de son école, qui em-
brasse prescjue la totalité du quinzième siècle. Selon
nous, ce n'est pas tant par l'invention ou l'améliora-
tion de la peinture à l'huile, que Van-Eick a fait épo-
que dans l'histoire de l'art, c'est plutôt par la direc-
tion toute nouvelle que cet homme a imprimée à la
peinttire en général. Ce peintre abandonne absolu-
ment le style byzantin et les traditions suivies jus-
qu'alors, il s'applique entièrement à l'imitation de la
UOISSEIIEE. 347
nature. La troisième partie de la collection comprend
les tableaux des peintres allemands et flamands du
commencement jusqu'à la fin du seizième siècle.
Le prospectus de mon ouvrage sur la cathédrale de
Cologne doit s'imprimer incessamment. En consé-
quence je l'ai envoyé, par l'entremise de mon ami le
comt» Reinhard, ministre de France à Francfort, au
ministre de l'intérieur, accompagné d'une lettre dans
laquelle je renouvelle ma demande de souscription.
D'après ce que M. Grille m'a dit, et en considération
de ce que les cinq livraisons de mon ouvrage ne
pourront se publier qu'en cinq années, tout au plus,
j'ai exprimé le désir d'obtenir une souscription de
cinquante exemplaires. J'ose encore le recommander
à vous et à M. Qiiatremère, auquel je vous prie de
présenter mes respects.
Permettez-moi de vous parler de la gravure au
trait que vous avez bien voulu faire faire de votre
beau tableau de Corinne, pour le publier dans le
Journal (les Jrls, qui s'imprime ici. M. de Humboldt
vous présentera un numéro de ce journal avec une
gravure au trait d'un beau tableau de M. Scliik,
peintre allemand qui est mort très-jeune, il y a neuf
ans. S'il pouvait vous convenir de faire connaître vos
autres tableaux, d'une manière semblable, au public
allemand, nous vous en saurions tous le plus grand
gré.
J'ai l'honneur d'être, avec la considération la plus
parfaite, votre très-humble et très-obéissant serviteur.
SuLi'ice Boisseriîe.
-ocr page 351-348 DE SCHLEGEL.
'K.
Uf-VJ
m
Bonn, 21 septembre 1827.
Monsieur le baron,
Comptant sur votre soTivenir bienveillant, }e de-
mande la permission d'introduire auprès de vous
M. le professeur Welcker mon collègue et mon ami
intime. M. Welcker, l'un de nos savants les plus dis-
tingués dans la littérature classique, s'est adonné
particulièrement à l'étude de l'histoire des beaux-arts
dans l'antiquité : il a })ublié sur ce sujet plusieurs
écrits ingénieux et pleins de goût. Vous trouverez na-
turel, monsieur, qu'un connaisseur des chefs-d'œuvre
de l'ancienne Grèce désire connaître le |)eintre le plus
célèbre de notre temps, dont il espère pouvoir admi-
rer les ouvrages à Paris.
J'ai eu dernièrement la satisfaction de revoir à
Berlin, chez le prince Auguste de Prusse, votre portrait
de M™® Récamier, qu'on ne peut contempler sans
être ravi. J'ai bien regretté de n'y pas voir aussi votre
Corinne, tableau digne de figurer au premier rang dans
le grand Musée royal que l'on construit actuellement
à Berlin sur une place magnifique. Votre entrelien
aussi spirituel qu'instructif, dont j'ai eu le bonheur de
» Auguste de Schlegcljpoëte et. eriliquii, fut l'ami deSchiller,'le Goethe
et de M"" de Siacl.
' Très-savant aichéologue allemand, fondaleur du musf^e de
Bonn.
"^■'.fl
TFIIERS. 349
jouir, restera toujours pour moi l'un des souvenirs
les plus agréables de mou séjour à Paris.
Veuillez agréer, xMonsieur le baron, l'hommage de
mon admiration et de mes sentiments les plus em-
pressés.
V^otre très-humble et très-obéissant serviteur,
A.-W. de ScHLEGEL.
i;!
I·,?
THIERS
Paris, 1822.
Monsieur,
Veuillez bien me pardonner une nouvelle importu-
nité; c'est la belle Corinne qui en est cause, on me
presse de donner ma petite brochure'. Corinne ne
sera peut-être pas vendredi au Louvre, le roi y sera
samedi; il sera donc impossible de la dessiner avant
dimanche. Auriez-vous la bonté, si cela ne vous gêne
pas trop, de permettre à mon dessinateur de se ren-
dre demain à votre atelier, à l'heure de l'après-midi
qui vous conviendra? Pardon, monsieur, de tant de
' Salon de 1822, Paris, 1822, in-8,orné de ϋ fig. lithogr. Dans l'in-
troduction de cette brochure, une de ses prcniicres, M. Thiers retrace
avec un grand talent la marche des arts du dessin, et leur ])rogrès en
France. S'il admire la Coi-inneci la Thétis, il voit aussi l'avenir d'un
grand peintre dans le tableau de Datife et Virgile, exposé par Kugène
Delacroix, qui débutait cette année-là.
350 THIERS.
tracasseries: les pères sont importunés quand ils ont
de si beaux enfants. ,
J'ai l'honneur d'être, avec une sincère admiration j '
votre dévoué serviteur,
A. Thiers,
rue et hôtel Montesquieu.
Paris, 1822.
Monsieur,
J'ai ressenti aujourd'hui une si vive joie, que j'é-
prouve le besoin de vous en faire part. J'ai passé plu-
sieurs heures au Musée et j'ai joui profondément de
tous les hommages qu'obtenait la Corinne. Je ne jouis
jamais bien quand je suis seul ; avec mes amis, je me
livre et je n'ai jamais tant admiré qu 'aujourd'hui la
touchante improvisatrice. Je craignais, d'ailleurs, que
vos bontés ne m'eussent séduit; mais j'ai vu, à l'en-
thousiasme de tous ceux qui sont dignes d'apprécier le
beau simple et pur, que je ne m'étais point abusé
comme font tous les amants, et que Corinne était la
belle Corinne. Toute la jeunesse au cœur généreux
était devant cette belle et malheureuse femme, et l'eût
volontiers applaudie.
J'ai vu la Théiis, et j'ai bien des torts envers elle;
je l'avais si peu regardée, distrait que j'étais par la
Corinne] Mais quand j'ai vu celle-ci couronnée, j'ai
couru à la Thelis: un soleil brillant l'éclairait et fai-
sait ressortir toute la puissance d'un pinceau qui a
TFIIERS. 351
voulu devenir italien sans dépouiller aucune de ses
qualités. Cet ouvrage aura son tour, mais, en atten-
dant, permettez moi de donner le premier article à
Corinne. J'ai couru au journal, on m'a promis l'im-
pression pour demain, je vais y veiller.
J'ai l'honneur d'être, avec un entier dévouement,etc.,
A. Thiers.
Paris, 182Ii.
Monsieur,
Je n'ai pu vous exprimer, au milieu d'une conver-
sation fort interrompue, tout l'effet qu'a produit sur
moi votre tableau^ Croyez que je ne voudrais pas
vous flatter, car je m'en tiendrais à ce que je vous ai
dit de vive voix, et je n'ajouterais pas le mensonge
écrit au mensonge parlé. Mais j'ai le très-sincère
besoin de dire au vrai qu'il est vrai, et avec autant
de chaleur que je dis au faux qu'il est faux. Je n'en
puis plus des mensonges de notre école, de ces têtes
et de ces tailles à la grecque, de ces cristaux colorés
et allumés qu'on appelle de la couleur, et quand je
vois autant de justesse, de sûreté, de vérité ipie vous
en avez mis dans votre ouvrage, je ne puis m'empècher
d'applaudir très-sincèrement. Ou vos juges n'y enten-
dront rien, ou ils devront convenir que vous êtes
' Le tableau de Louis XIF déclarant son petit-fils roi d'Espagne,
Musée de Versailles. (Voirla notice.)
352 THIERS.
le peintre du XIX' siècle, c'est-à-dire que vous mettez
la réalité sur la toile, et que bien d'autres prétendus
grands maîtres n'v fourrent que des chimères qu'ils
vont puiser chez des nations que je ne connais pas,
qui ne me touchent pas, car je ne sais qui elles étaient,
comment elles étaient et comment étaient leurs jambes
ou leurs pieds. Votre tableau est noble et il est vrai. Le
sujet n'est qu'une scène de cour et d'une cour que je
n'aime pas ; mais l'action est bien rendue et les ex-
pressions sont d'une justesse et d'une dignité parfaites.
Le petit prince est admirable, et le Louis XIV a une
grandeur sentie et point exagérée du tout.. C'est bien
le Coq du poulailler, comme l'a dit, à mes côtés, mon
ami Mignet. Tous nos faiseurs, qui n'ont pas votre
puissante intelligence, auraient fait du Louis XIV un
matamore, et de nos Espaiinols et Italiens des misé-
rables à leur mettre le pied sur la téte. Vous avez
gardé la mesure, et votre cardinal italien, quoique
très-bas, ne l'est pas trop. Tous ces visages sont d'un
naturel exquis et parfaitement variés. En un mot,
tout cela est plus que vrai, c'est réel.
J'admire surtout le caractère général de vos visages;
ils sont larges el nobles, et n'ont pas Wiaiclémùjue et
le débauché de cette école Louis XV dont vous parliez,
et ne sont pas non plus des médailles de deux tnille
ans. Vos ligures du premier plan repoussent très-bien
le reste sans faire le métier de repou'^^soirs, comme ces
masses noires que nos coloristes jettent sur des masses
éclatantes de lumière. Votre demi· teinte du fond
est d'une grande transparence, l'aspect de la couleur
I
TFIIERS. 353
est doux, quoique éclatant, et je ne suis pas obligé de
m'y faire commedevanlcertainstableauxqui m'obligent
à immoler mes yeux pendant un quart d'heure avant
de les habituer à un tumulte de tons épouvantables.
Quant au style , au goût général, à l'art déployé là-
dedans, il y en a beaucoup ; tout ceci, je vous le dis
sincèrement. Les trois personnes que j'avais amenées
ont senti tout cela à leur manière; X..., qui n'entend
rien à la peinture, mais qui est l'être le plus ouvert aux
impressions justes, a ressenti cet effet qu'on éprouve
quand on entend les choses , après avoir cherché
longtemps à les entendre : la plupart des tableaux
ne lui disent rien ; mais les vôtres selon lui parlent
une langue qu'il connaît et qu'il entend. Pour moi,
j'ai assez du grec et du latin , je veux du français ;
je prédis à nos statuaires-peintres un long et immortel
ridicule. Attendez quelques années et on voudra des
genoux, des poignets noueux, des tailles larges et
courtes , tant on aura horreur de ce qu'on appelle
aujourd'hui le grand goill de dessin; on voudra des
grisailles pour échapper à ces prismes dont on est
accablé.
Je sais qu'il y a un idéal qu'il faut chercher un peu
hors de nous, mais on n'y atteint qu'avec une parfaite
et vaste intelligence, et vous l'avez fait en peignant la .
Psyché, la Corinne, le Bélisaire VHonière. Voilà de
l'idéal s'il en fut jamais, et quand de ces ouvrages on
passe à Henri IV, à Louis XIV, on sait que cet esprit
si élevé qui nous lait atteindre à l'un nous transporte
à l'autre, et qu'il n'y a pas de borne pour le talent
23
-ocr page 357-354 THIERS.
soutenu de Vintelligence. Je l'ai dit autrefois, et je
vous le répète, si le génie du XVI® siècle fut l'inspi-
ration ignorante et abandonnée^ le nôtre doit être
l'inspiration savante et contenue. Nous n'avons pas
vingt ans, mais cinquante. Il faut donc avoir notre
âge, et vous seul l'avez. Tous les autres peintres
n'ont ni la naïveté du jeune âge, car on ne se fait pas
enfant à volonté, ni la justesse, la sûreté, la beauté
qui appartiennent au talent expérimenté. On niera
presque tout dans quarante ans, excepté quelques
peintures de genre, et les artistes qui, comme vous,
sont restés dans la réalité. Prenez tout ceci comme
très sincère; certes, quand on passe trois mois sans
aller voir un homme, on n'est pas un de ses flatteurs;
mais rien n'est plus respectable à mes yeux que le
génie qui a épuisé quelques mois de vie sur une œuvre,
et il faut lui dire, sans cette perfide économie qu'on
garde ordinairement dans l'éloge, ce que ses efforts
ont mérité. Je connais toutes les douleurs du travail,
pas par moi-même, car je n'ai pas mis encore assez
de conscience dans mes oeuvres, mais par les autres,
et ces douleurs ont des droits qu'il ne faut pas frus-
trer. Ainsi, Monsieur, par un sincère amour de justice,
je vous dis en toute franchise que vous avez fait en-
core un pas et que le pas est dans la grande direction
du siècle, l'iiistoire. Il est bien entendu entre nous
que ces toiles de vingt à trente pieds, où les person-
nages sont deux fois grands comme moi, ne sont pas
pour cela de l'histoire. Vous en avez fait. Je me per-
mettrai un seul reproche. Le personnage vétu en
THIERS. 3o3
habit jaune foncé et qui est en avant du tableau,
immédiatement sur le jeune prince, relève la tète
d'une manière assez gauche et n'exprime rien de clair.
Je ne vois que là à redire. Pardon de l'observation,
mais je vous donne ce que j'ai senti, bon et mauvais ;
faites ensuite le triage.
Adieu, Monsieur, et croyez à ma bien sincère viva-
cité de sentiments. Ce ne sont pas les plus heureuses
entre les opinions que je choisis ordinairement ; je
ne me les fais pas, elles se font, et celle qui existe en
moi sur votre compte est de cette nature.
Mes hommages à ΛΓ" Gérard et à M"" Godefroid.
Votre dévoué,
A. Thiers.
Paris, 14 février 1826.
Monsieur,
Me voici encore à votre porte, pour voir Da])hnis
et Chloé. Elle n'a pas besoin de nouveaux adorateurs,
mais je suis pressé néanmoins de lui en procurer. Hier,
à table, chez M. Laffitte, il en fut parlé, et d'une ma-
nière qui aurait fait rougir la modestie de la petite
Chloé. M. Laffitte m'exprima un vif désir de la voir. Je
lui proposai d'y venir, et je viens vous demander la
permission de nous rendre chez vous, mejcredi, à
356 THIERS.
midi, ou à un autre jour et à une autre heure, si vous
le préférez. M. Laffîtte me demande vivement aussi si
vous consentiriez à lui «faire le Philopœnien; je lui ré-
pondis que le nouveau tableau du Sucre et les pen-
dentifs allaient vous occuper. Si, cependant, cette
négociation ne vous était pas désagréable, dites-le-moi,
et M. Laffîtte vous prierait de lui exécuter ce grand
sujet que vous avez si bien conçu '.
Votre dévoué,
Thiers.
V.
Paris, 12 diceinbre 1826.
Monsieur,
J'ai été bien fâché de ne pas être chez moi lorsque
votre jeune homme est venu m'apporter le bel exem-
plaire dJHenri-Quatre. En vérité, vous me gâtez, et je
ne mérite pas une si belle chose : je la reçois comme
témoignage d'une amitié qui m'honore et dont tout le
monde doit être fier. Ce matin, le Constitutionnel
vous aura porté mes pauvres phrases sur vos deux
chefs-d'œuvre : je regrette que ma plume ne sache pas
dire tout ce que je voudrais, et que le Constitutionnel
n'ait pas douze colonnes au lieu de huit, car je se-
rais bien autrement expressif et étendu. Du reste, mes-
sieurs Etienne et Jay ont mis un empressement extrême
' Gérard n'cxéciifa pu? cntte composition dont l'esquisse a été repro-
duite dans l'œuvre.
TFIIERS. 357
à insérer cet article. Si vous connaissiez comme moi
ces messieurs, la multitude d'obligations qui les en-
chaînent, l'infinie quantité d'obstacles qu'ils ont à
vaincre .pour donner une colonne à l'amitié et au
génie , vous leur sauriez quelque gré d'avoir inséré
l'article le jour même. Pour moi, je me réjouis dès
que je vois mes dispositions pour vous se propager ;
j'ai été enchanté de tout ce que j'ai vu hier.
Présentez mes hommages à M"® Gérard et croyez à
ma sincère amitié.
A. Thieiîs.
Paris, 20 août 1827
Je suis véritablement touché de votre bonté pour
moi. J'ai été, en effet, affligé par une grande perte;
M. Manuel était un ami pour moi, il m'avait conduit
par la main, introduit dans la carrière où je suis
placé, et comblé de soins. Je lui devais la plus grande
reconnaissance, et, malgré ((u'il eût cinquante ans, je
crois que notre amitié était aussi grande qu'entre
deux hommes du même Age. Je vivais presque avec lui.
J'ai assisté à sa maladie, qui a été courte, mais cruelle.
Il a souffert horriblement. Les hommages que sa mé-
moire a reçus vendredi sont une consolation pour ses
amis. Le mouvement était encore plus grand qu'au
général Foy, malgré la censure et l'obstacle des lieux.
■ Celte lettre et la suivante sont adressées à M"' Godefroid.
-ocr page 361-338 THIEHS.
Je vous remercie de vos marques d'intérêt, et je vous
prie de transmettre mes hommages à M. et M"" Gérard.
Recevez l'assurance de mon amitié respectueuse,
A. Thiers. .
Lundi, 6 aoûl 1828.
Je suis à la campagne depuis un mois et demi, et je
ne suis revenu à Paris que deux fois et pour quelques
heures seulement. Cette raison vous expliquera ma
lenteur à vous répondre et mes coupables négligences
envers M. Gérard. Je suis désespéré de penser qu'il a
pu me croire changé pour lui, et je vous suis très-re-
connaissant de m'en avoir averti. Comment pourrais-
je oublier toutes les bontés qu'il a eues pour moi de-
puis que je suis à Paris? Il est une des premières per-
sonnes que j'ai connues ici, et une de celles dont l'ac-
cueil bienveillant ont le plus contribué à me rassurer
dans un pays tout nouveau pour moi. Depuis , il n'a
pas cessé de me témoigner la même amitié, et je se-
rais ingrat si je pouvais l'oublier. IN'aurais-je pas toutes
les raisons personnelles d'être attaché à M. Gérard,
je le serais encore par goût, par admiration. Vous
savez quelles ont toujours été mes dispositions envers
lui, quel penchant j'ai toujours eu pour sa personne,
pour son esprit, qui, indépendamment de son talent,
en ferait un homme plein d'attrait pour tout le monde.
11 n'est pas à supposer que j'aie cessé tout à coup de
penser et de sentir tout cela. Je me lepioche, il est
vrai, de n'avoir pas franchi plus souvent la distance
qui me sépare de la rue Saint-Germain-des-Prés, pour
aller jouir de ces conversations qui, vous le savez, ont
toujours eu tant de charme pour moi ; mais la cam-
pagne pendant la belle saison, et, pendant l'hiver, les
dissipations du soir m'en ont empêché. Je me le re-
proche souvent, non pas seulement comme un de-
voir omis, mais comme un plaisir sottement négligé
pour d'autres qui sont loin de le valoir. Je serais dé-
sespéré de croire qu'à mes négligences se seraient
joints de faux propos pour faire penser à M. Gérard
que je suis changé. Je vous prie de l'assurer, quand
vous en trouverez l'occasion ,que tous mes sentiments
pour lui n'ont jamais changé el ne changeront jamais.
On ne renonce pas aisément à l'amitié d'un homme
comme M. Gérard, quand on a le bonheur de la pos-
séder : ne fût-ce que par vanité, on voudrait la con-
server, et je le veux pour toutes les raisons du monde.
A la reconnaissance que je vous dois déjà pour m'a-
voir averti, s'en joindra une tout aussi grande si vous
parvenez à dissiper les doutes élevés dans l'esprit de
M. Gérard. Je lui suis toujours dévoué, et il y a quel-
ques jours encore, dans un salon où l'on parlait de
son beau talent et de son rare esprit, on me rangeait
parmi l'un de ceux qu'il avait séduits.
Agréez, Mademoiselle, mes sincères hommages.
A. TniEns.
-ocr page 363-360 DUC DE DOUDEAUVILLE.
Paris, mardi 5 février 1833.
Mon cher Monsieur Gérard ,
.le vous ai fait écrire avant-hier pour vous prier de
venir dîner demain mercredi rue de Varennes au mi-
nistère des travaux publics. Je viens me prémunir au-
jourd'hui contre un refus , en vous priant de me
faire le sacrifice de vos habitudes pour une fois.
Vous serez en présence d'amis qui vous aiment beau-
coup et d'étrangers qui ont une grande curiosité de
vous voir. Si vous n'êtes pas malade, je vous prie ins-
tamment de ne pas me refuser.
Tout à vous de cœur,
A. TlIIERS.
1 ■ ■
1 i
ï
î
Paris, le 23 mai 1825.
J'ai fait des démarches auprès de M. le Maréchal
afin de pouvoir proposer au Roi de nommer mon-
sieur le baron Gérard Commandeur de la Légion
d'honneur. Le grand Chancelier y adhérant, je suis
heureux de l'annoncer au premier peintre de Sa Ma-
' Ministre de la maison du roi.
-ocr page 364-GÉRARD. 361
jesté, qui, je l'espère voudra bien coniirmer ma pro-
position.
C'est toujours avec plaisir et empressement que je
renouvelle à monsieur le baron Gérard l'assurance de
tous mes sentiments.
Le Duc de Doudeauville.
RÉPONSE DE GÉRARD AU DUC DE
DOUDEAUVILLE.
Paris, 1825.
Monseigneur,
Je ne saurais exprimer à quel point je suis recon-
naissant du nouveau témoignage de bienveillance dont
Votre Excellence m'honore, mais il existe en même
temps une secrète inquiétude que la parfaite connais-
sance de ma position n'explique que trop. Le Roi a
déjà daigné exprimer le regret que les deux années
exigées par l'ordonnance ne fussent pas encore écou-
lées : c'est un grand honneur qu'un semblable souve-
nir, et je dois m'y tenir. L'on ne peut échapper à l'en-
vie, mais il faut du moins éviter de l'irriter.
Il n'y a ni faiblesse ni fausse modestie de ma part
de souhaiter l'ajournement de cette récompense, et si
je n'ai pas pris la liberté de m'en expliquer plus clai-
rement hier, c'est que j'étais loin de penser qu'un
aussi prompt effet serait la conséquence des paroles
que Votre Excellence m'a fait l'Iion'neur de m'adresser
l'autre soir.
I ■
-ocr page 365-362 GÉRARD.
J'ose espérer qu'Elle ne trouvera aucune contradic-
tion dans mes sentiments, qui sont aussi sincères que
ma gratitude.
F. Gérard.
Paris, le 25 mai 1825,
A mon retour à Paris, je causerai avec monsieur le
baron Gérard de ce qui fait l'objet de ses scrupules; je
ne les comprends pas. M. le Maréchal Macdonald, que
j'ai consulté, apportait dans cette affaire tout l'em-
pressement possible et même un désir personnel que
partageront toutes les personnes qui aiment à hono-
rer les arts et à récompenser ceux qui en font la
gloire.
Je prie monsieur le baron Gérard de recevoir la
nouvelle assurance de mes sentiments bien sincères.
Le Duc de Doudeauville.
GERARD A M. LE DE LA ROCHEFOUCAULT.
Paris, 5 ayril 1825.
Monsieur le Vicomte,
Vous savez jusqu'où va ma circonspection sur tous
les points qui touchent à l'administration des Beaux-
Arts ; mais je pense "qu'il est permis d'exprimer un vœu,
lorsqu'il n'a pour objet que leur intérêt, et j'oserai
LE VICOMTE DE LA ROCHEFOUGAULT. 363
dire l'honneur du Gouvernement. La collection des
œuvres peintes et dessinées de Girodet, que l'on va
vendre d'ici à peu de temps, offre un ensemble si rare,
si précieux, qu'il serait à souhaiter qu'il fût possible
d'en ordonner l'acquisition. Ce serait sans doute un
monument digne de la munificence du Roi, que cette
réunion de toutes les pensées, de tous les souvenirs
des ouvrages d'un grand peintre. Si cette idée, qu'il
est naturel de concevoir à l'aspect de ces ouvrages,
rencontrait des difficultés insurmontables, j'appelle-
rais du moins toute votre attention, monsieur le Vi-
comte, sur l'indispensable nécessité d'ordonner l'ac-
quisition des morceaux capitaux de cette précieuse
collection, afin de n'en point déshériter entièrement
l'école. Je ne doute pas que M. le comte de Forbin
n'ait déjà prévenu ce vœu. Je ne prétends pas ajouter
au poids de son opinion, mais je cède au besoin de
vous confier la mienne, dans une circonstance qui
intéresse éminemment les arls.
J'ai l'honneur d'être avec la plus haute considéra-
tion...
F. Gérard.
: I·
li!
Paris, 5 février 182».
J'attendrai monsieur le baron Gérard à deux heures
■ Aide de camp du roi, chargé de la direclion des Beaux-Arts, pen-
dant une partie delà Restauration.
: (
■ 1
i
-ocr page 367-364 GERARD.
précises au ministère. Je le prie de m'apporler les deux
esquisses du Sacre, plutôt avant qu'après. Je lui avoue-
rai avec ma franchise ordinaire que je m'étonne qu'il
ne me les ait pas encore montrées.
Je lui offre mille sincères compliments.
Le V" de la Rochefoucaûlt.
RÉPONSE DE GÉRARD
... Quant aux deux esquisses dont M, le Vicomte me
fait l'honneur de me parler, je lui observerai que le
Roi m'ayant ordonné de lui soumettre quelques idées
sur le tableau du Sacre (dans le mois de décembre
dernier), je me suis empressé, dès que j'ai eu terminé
ce travail, de le mettre sous les yeux de Sa Majesté :
c'est ainsi que j'en ai usé en diverses circonstances,
Les personnes chargées de la direction des arts n'ont
eu connaissance de mes ouvrages que lorsqu'ils ont
été achevés. Je ne dérogerai pas sur ce point...
F. Gérard.
GERARD A M. H...^
1.
Paris, 182..
C'est-à-dire, Monsieur, que vous me rendez res-
' Nous possédons Irop peu de lettres de Gérard pour ne pas nous
permettre de publier celle-ci qui répnnil avec convenance, mais avec
beaucoup lie dignité, aux injonelions du Vicomte.
^ En publiant cetic lettre nous avons pensé qu'elle pourrait égale-
ment prouver rindépendaiice du caractère de Gérard.
GÉRARD. 36S
pensable du succès de votre demande, par cela seul
que je vous ai dit qu'elle me paraissait très-juste et
que je l'ai appuyée autant qu'il était en moi de le
faire : il n'y a rien à répliquer à un pareil raison-
nement.
Quant à la supposition très-graluite que vous faites,
Monsieur, que rien ne se décide sans mon avis, malgré
l'opinion de toutes les personnes qu'il vous a plu de
consulter, j'ai l'honneur de vous répéter qu'elle est
de toute fausseté, et je vous engage et vous prie
même, pour vous en mieux convaincre, de vérifier
ce fait auprès de MM. de la Rochefoucault et de Forbin.
Je n'ai jamais rien demandé, ni rien voulu être. J'ai
laissé depuis prés de deux ans une croix de com-
mandeur entre les mains du ministre de la maison du
Roi.
J'ai cherché souvent à recommander, quoique j'en
aie éprouvé tous les inconvénients, et si j'avais eu un
seul instant la folie de vouloir me mêler en aucune
manière de l'administration, votre étrange lettre
d'aujourd'hui m'en guérirait pour toujours.
J'ai l'honneur d'être. Monsieur...
F. Gérakd.
Paris, diccmbre 18.Î0.
Monsieur,
Je n'ai pas cru devoir signer l'état d'émargement
-ocr page 369-366 LA COMTESSE FOY.
de l'administration du Muséum, qui m'a été présenté
aujourd'hui.
La lettre de premier peintre du roi dont Louis XVIIl
avait bien voulu m'honorer et le traitement qu'il y
avait attaché ne me semblent guère en harmonie
avec le nouvel ordre de choses. Je n'ai aucune idée
du parti qui sera pris k cet égard, mais j'éprouverais
un véritable embarras à toucher les honoraires d'une
place qui, n'ayant nulle sorte d'attribution, est plus
que toute autre passible des réformes qui peuvent
être projetées.
Je ne crains pas que cette démarche puisse être mal
interprétée. J'ose même espérer que le roi la trou-
verait naturelle, puisque je suis assez heureux pour
que S. M. connaisse tous mes sentiments
F. Gérard.
L
Paris, 30 arril 1826.
Depuis huit jours. Monsieur, j'ai le bien vif désir
d'aller chez vous pour vous témoigner tout ce que je
vous dois de reconnaissance bien profonde et tout ce
que j'en éprouve
■ Cette lettre est adressée à radministration de la maison du Roi.
» Veuve (le l'illustre orateur qui siégea sur les bancs de l'opposition
pendant une gi ande partie de la Restauration. '
' Le portrait du général Foy est un des meilleurs que Gérard ait
peints.
367 LA COMTESSE FOY.
J'ose à peine espérer une consolation aussi douce
que celle de revoir, avec l'aspect de la vie, celui qui
est si cruellement perdu pour moi. Rendrez-vous
justice. Monsieur, aux sentiments de discrétion qui
m'ont fait différer depuis huit jours et à l'impatience
qui me fait vous demander aujourd'hui quand je
pourrai vous dire de vive voix tout ce que je sens si
bien et tout ce que ces paroles ne vous diront que si
mal?
Permettez-moi de me dire. Monsieur, avec tous les
sentiments les plus distingués, la personne la plus
obligée et la plus sincèrement reconnaissante.
La comtesse Foy.
Paris, ce 2 septembre 1828.
Monsieur,
Permettez-moi de vous offrir ce volume de Fox,
dont vous trouverez les marges couvertes de l'écriture
de mon mari J'ai dû à votre talent et à votre cœur
• Ce volume, magnifuiucmenl relié et orne de la médaille de CaimoiSj
représentant le général Foy, est annoté sur les marges de la niaiti de
celui-ci. C'est t'/Hstoire des deux derniers rois de la maison des
Stuarts, par Fox, avec un avertissement de lord Holland, son neveu.
On y trouve , à propos de Fox et de lord Ilolland, cette réflexion du
général: «Le bon lord Holland est excellent à entendre et à lire lors-
« qu'il parle de M. Fox, parce que M. Fox n'était jias seulement un per-
« sonnage public émineni, mais encore un bon liomme dans son intc-
« rieur, avec ses amis et ses parents : les appartcmenis de llolland-
« House sont tapissés des portraits de M. Fox, tout y respire le culte
« de sa mémoire. »
368 CHATEAUBRIAND.
une douce satisfaction pour le reste de ma vie, et nies
enfants vous devront de ne jamais oublier les traits '· *
de leur père. Aussi, Monsieur, j'ai moins la pensée
de m'acquitter envers vous, que l'espoir de vous avoir
offert un souvenir vivant de cette chaleur d'âme et
de ce talent qui ne sont plus, souvenir dans lequel il
me sera bien doux de vous voir confondu.
Agréez, Monsieur, avec l'expression de ma recon-
naissance celle de tous les sentiments de considération
distinguée de votre très-humble servante.
Comtesse Foy.
Paris, le 28 avril 1827.
Puisque vous voulez-bien le permettre. Monsieur,
M""' de Chateaubriand et moi nous irons lundi pro-
chain, à deux heures, admirer vos chefs-d'œuvre et
vous porter nos sincères remercîments. Les grands
talents sont charitables'. Raphaël a peint, pour de
' M. de Chateaubriand avaitdemandé à Gérard, pourla chapelle de
Y Infirmerie de Marie-Thérèse, rue d'Enfer, où M. de Chateaubriand
s'était retiré, un tableau de maître-autel. Ce tableau, que Gérard
acheva en 1828, est une de ses meilleures inspirations. C'est uneSainte-
Thérèse, à genoux, dans une altitude extatique. Le poëte témoigne
ici du désintéressement du peintre à cette occasion. Cette composition
a été gravée par M. Leroux et reproduite au trait par Ch. lîazin, dans
VŒuvre de Gérard.
CHATEAUBRIAND. 369
pauvres villages, des tableaux dont le prix tie pouvait
être payé que par la gloire.
J'ai l'honneur de vous offrir, Monsieur, avec l'hom-
mage de mon admiration , mes compliments les plus
empressés.
Chateaubriand.
Paris, 29 avril 1828.
Je serais allé hier même, Monsieur, ainsi que M'"" do
Chateaubriand, vous porler nos remercîments et vous
renouveler l'assurance de notre vive reconnaissance,
sans des affaires particulières qui nous ont retenus
dans notre solitude. La Sdinle Thérèse est plus belle
que jamais dans la sienne. La foule nous envahit, et
nous allons être obligés d'annoncer des jours fixes,
en attendant le jour solennel de l'inauguration. J'at-
tends ce jour avec impatience pour avoir l'occasion
de manifester au public ma haute admiration de
votre dernier chef-d'œuvre. Mais, comme je vous l'ai
déjà dit, je ne me repens pas trop de votre travail,
puisqu'il ajoute à votre gloire. Recevez, je vous prie,
Monsieur, un nouveau miUion de remercîments et de
compliments les plus empressés.
cliatkaubriand.
2V
-ocr page 373-370 GUIZOT.
Samedf, 31 mai 1828.
C'est enfin mardi prochain, 3 juin, qu'aura lieu.
Monsieur, l'inauguration de votre chef-d'œuvre. Ce
ne sera pas le jour de le. bien voir, au milieu de l'en-
cens, des cierges, des voiles et des cérémonies, mais
tous les jours sont bons pour l'admirer. Nous espé-
rons Monsieur, que vous pourrez venir, avec M""® Gé-
rard et M"®Godefroid, recevoir, avec nos remercîments
sincères, les éloges d'un public nombreux et choisi.
Mercredi, nous rendrons compte de la cérémonie.
Elle aura lieu mardi, à deux heures précises. C'est
M"® Récamier qui veut bien avoir la bonté de vous
porter ce billet et de plaider notre cause. M"® de Cha-
teaubriand est malade.
Agréez, Monsieur, mon admiration accoutumée et
mes compliments les plus empressés.
(^IIATEATJBRIAjVO.
Paris, 1829.
Vous êtes parfaitement aimable, Monsieur; Sai'n/e
Thérèse va prendre place chez moi en face de la
Communion de saint Jcrâme et de la Sninlc-Famille
de François 1". Si je savais une meilleure compagnie,
je la lui donnerais, car elle a droit à tout, .l'ai vive-
GUIZOT. 371
ment regretté d'être sorti hier, et, pour surcroît d'en-
nui, je me suis enrhumé ciu point c|U il fciut cjue je ne
sorte pas aujourd'hui. J'espère être bientôt quitte et
aller vous remercier de cette belle épreuve, qui repro-
duit tout ce qu'on peut reproduire du tableau. N'au-
rez-vous pas quelque chose de nouveau dans votre
atelier?
Agréez, je vous prie, Monsieur, l'assurance de ma
haute considération et de tous mes sentiments.
GuizoT.
la novembre 1830.
Vous me traitez toujours avec la même bonté,
Monsieur. J'y ai bien quelque droit, car personne
n'est plus vivement touché que moi de votre beau ta-
lent, de votre imagination, à la fois si poétique et si
sensée. Elle est tout entière dans ce que vous avez
bien voulu m'envoyer
Recevez, je vous prie, tous mes remercîments. J'irai
vous les porter un de ces jours, el vous renouveler
l'assurance de tous les sentiments de haute coiisidé-
tion que je vous ai voués.
GuizoT.
' Il s'agitici.nouslc croyons, de la gravure du 'Jmnheaude Saintc-
Hé/ène.
372 JACQUEMONT.
Paris, 13 novembre 1823.
Mon cher ami, j'ai une grâce à vous demander :
c'est de vouloir bien recevoir quelquefois le mercredi
à votre cercle un grand bambin de fils qui me tour-
mente pour vous être présenté. Je serais fort tenté de
vous dire du bien de son esprit, de ses connaissances
déjà acquises et de ses goûts studieux : pour vous pa-
raître moins ridicule, je me bornerai à vous garantir
l'honnêteté et la sûreté de son caractère.
J'ose espérer que votre ancienne amitié pour moi
vous disposera à m'accorder cette faveur : vous sen-
tirez le prix que je dois y mettre, si vous estimez
comme moi l'avantage qu'un jeune homme doit re-
tirer d'une société aussi distinguée que la vôtre.
Pardonnez, mon cher ami, à la paresse sénile qui
me porte à vous écrire plutôt qu'à aller moi-même
vous réitérer l'assurance de tous mes sentiments pour
vous et votre famille.
Jacquemont.
Père de Victor Jacquemont. (Voir la lettre suivante.)
-ocr page 376-VICTOR JAGQUEMONT. 373
I.
Paris, 1828.
Monsieur,
Voici en peu de mots mon histoire telle qu'elle est,
et telle que vous devez la dire sans détour au duc de
Wellington, puisque vous avez l'extrême bonté de
vouloir bien me recommander à lui.
Je vais, commissionné par le gouvernement fran-
çais (car le Muséum du Jardin des plantes ressort du
ministère de l'intérieur), je vais, avec le titre de na-
turaliste voyageur du Muséum royal, faire dans l'Inde
des recherches d'histoire natnrellequi m'y retiendront
plusieurs années. Mon voyage n'a aucun autre but;
c'est dans la résidence de Calcutta, et surtout dans
celle de Bombay, que je multiplierai mes obsprvations
et que je prolongerai mon séjour. Maintenant je me
rends à I.ondres pour m'y procurer des lettres de re-
commandation auprès des oificiors de la ï. II. Compa-
gnie, ou auprès des négociants anglais établis dans ces
provinces de l'Inde que je compte explorer; c'est afin
' Il fut chargé, par le Muséum d'histoire naturelle, d'explorer l'Inde
anglaise. Il visita l'Ilymalaya, le Thibet, Lahore, le Cachemire, le
Pendjab. Λ la suite de travaux pénibles et de longues fatigues, il
mourut à Bombay, à l'âge de trente-un ans (1832). Sa correspondance,
publiée en 1833, eut iin grand succès; elle est d'un vif intérêt. Son
ouvrage scientifique, 4 vol. in-i", a été imprimé aux frais du Muséum,
de 1834 à 1843,
374 VICTOR JAGQUEMONÏ.
d'y obtenir d'eux protection pour voyager librement,
et, s'il se peut, accueil et bienveillance.
Lord Wellington a servi longtemps dans l'Inde; il
doit assurément y avoir conservé des amis, des cama-
rades qui, n'ayant pas eu la même fortune que lui, y
sont demeurés et y occupent des postes élevés dans
l'ordre militaire ou civil. C'est à eux, et comme par-
ticulier, que je désirerais qu'il m'adressât ou me fît
recommander.
Vous voudrez bien, Monsieur, marquer nettement
que je m'occupe exclusivement des sciences naturelles,
et qu'un naturaliste n'est ni Français, ni Allemand, ni
Anglais, mais naturaliste seulement.
Ensuite, si vous voulez dire plus de bien de moi
que vous u'en pensez, je me garderai bien de vous
contredire, et je tâcherai seulement de vous justifier
dans l'avenir.
Prosper Mérimée dit que la suscription de votre
lettre doit être celle-ci, tout simplement : A Sa Grâce
le duc de Wellington, premier lord de la Trésorerie.
Quant à lord Landsdown, il est très-possible qu'il ait
aussi des relations dans l'Inde; ainsi, à tout hasard, et
si une seconde lettre à écrire ne vous ennuie pas trop,
je vous serais bien reconnaissant de ce second sacii-
fice de vos précieux moments. Ces nobles Anglais ont
un immense patronage, et ils conservent ainsi une
grande influence hors des affaiies publiques.
Agréez, Monsieur, l'expression bien vraie de mon
respectueux attachement.
victok .1 acqukmojvt.
-ocr page 378-VICTOR JAGQUEMONT. 375
Paris, août 1828.
Cher et excellent Monsieur, voici la note que je
viens d'écrire pour M. Bertin de Vaux. Je n'ai pu
éviter de la faire un peu longue; cela était nécessaire
pour lui faire connaître fwec candeur ma situation
Puisque vous voulez bien la lui porter vous-même,
vous lui toucherez., suivant que vous le jugerez oppor-
tun, les trois mille francs au lieu de deux mille à de-
mander à chaque ministre.
Je pars avec l'espérance du succès de cette affaire :
elle est bien importante pour moi. Eu décidant du
succès de mon voyage elle marquera peut-être tous
ceux de ma vie. Je serai heureux de vous les devoir.
Adieu, Monsieur, croyez que je réponds par bien de
la tendresse à votre paternelle amitié.
lie (le Bourbon, le 25 février 1829.
(Iher Monsieur,
Je ne veux pas commencer la dernière élape de mon
long voyage et me séparer pour deux mois encore du
' V. Jacqueraont était alors en instance pour obtenir une augmen-
tation (lu traiiement qi;e lui donnait le Muséum. (Voir ses lettres.
Paris, 1833.)
2 Cette lettre et la suivante n'ont pas été publiées dans le recueil si
-ocr page 379-37ϋ VICTOR JÂCQUEMONÏ.
reste du monde sans vous dire quel attachement et
quelle tendre reconnaissance m'ont inspirés vos bon-
tés. Je bénis souvent ces vieilles amitiés de mon père
qui se réveillent en ma faveur. C'est un doux héritage
que celui des sentiments bienveillants avec lesquels je
me suis souvent trouvé accueilli par ses vieux amis;
j'en ai joui doublement, j'en ai toujours été touché
bien profondément. Je désire que ce retour naïf ne
soit pas pour vous sans quelque douceur.
Mon voyage a failli se terminer à Bourbon par la
destruction du navire sur lequel j'étais'embarqué : il
s'est trouvé engagé dans l'ouragan qui a ravagé cette
colonie le i ο de ce mois, et qui, de soixante-sept bâti-
ments mouillés sur les rades et obligés de prendre le
large, n'en a encore, après quinze jours, laissé repa-
raître que trente-neuf. La Zélée, plus heureuse, est
rentrée au port, mais avec de très-fortes avaries. Elle
continuera néanmoins son voyage ; ce soir nous appa-
reillons pour Pondichéry. Jusque-là, je ne croyais pas
aux tempêtes, et je faisais honneur de leur invention à
l'imagination des peintres et des poètes. Le doute, dé-
sormais, ne m'est plus permis : j'en ai vu une qui n'en
doit guère à celles de lord Byron et de Vernet. Mais
ce plaisir m'a coûté mille écus : j'ai perdu presque
tout ce que j'avais à bord. C'est beaucoup trop cher.
J'ai reçu au cap de Bonne-Espérance, cher Mon-
sieur, une lettre bien aimable de M. Alexandre de
intéressant de la corrcspondnnce du jeune voyageur. Grâce aux solli-
cilalions de Gérard et de ses amis, de nouveaux subsides permirent à
Jacquemonl de continuer son voyage. (Voir sa Curre.spLindance.)
VICTOR JAGQUEMONT. 377
Humboldt pour lord William Bentinck, que M. Koreff
avait eu la bonté de m'expédier en toute diligence.
C'était la seule grande recommandation que je regret-
tasse de ne pas porter dans l'Inde. A cet égard, main-
tenant, mon équipement est des plus complets. Quant
au zèle, c'est de mon âge et de ma nature; et la santé,
qui n'est pas un mince élément de succès dans un
voyage comme celui que je dois faire, ne me manque
pas davantage. Je suis si frileux que je ne voudrais
rien retrancher des chaleurs de l'été de Bourbon. Tout
sera au mieux si la très-importante négociation où
vous avez bien voulu me servir auprès de M. Berlin
de Vaux peut tourner à bien. 11 y aurait alors l'har-
monie la plus désirable entre tous mes moyens de
succès. J'espère fermement, cher Monsieur, vous avoir
toute ma vie cette immense obligation : la reconnais-
sance me la rendra douce.
Adieu, Monsieur, soignez votre santé et ménagez vos
yeux surtout. Pardonnez ces tendres recommanda-
tions à un jeune homme qui, sans oublier combien
lui-même en aurait besoin quelquefois, s'inquiète
pour tout ce qui lui est cher.
VicTon Jacquemont.
Calcutta, le 2 septembre 1829.
Il y a vraiment longtemps, cher Monsieur, qu'une
belle dame (je n'ose le dire) m'a prié de vous gronder.
3-8 VICTOR JACQUliMONT.
C'est milady W. Bentinck. E'ie et son mari m'ont
comblé de bontés. Peu de temps après mon arrivée,
au mois de juin, j'ai eu l'honneur de passer huit
jours avec eux, en famille, à leur résidence de Bar-
rackpore. Lady Bentinck, dans notre promenade du
matin, sur son éléphant, me faisait mille questions
sur Paris; et comme elle vint à me demander si j'al-
lais chez vous quelquefois, je lui dis que j'étais le fils
d'un de vos vieux amis, et que, si vous ne m'eussiez su
amplement pourvu d'introductions près d'elle, j'aurais
pu avoir l'honneur d'être introduit par vous : et là-
dessus elle a dit que c'avait été bien mal à vous, pour
elle et pour moi, parce que vous deviez savoir qu'au-
cune recommandation près d'elle ne pouvait lui être
plus agréable que la vôtre. Je suis très-persuadé de
la sincérité de cet aimable reproche. J'ai dû parler
alors à lady Bentinck de vous, de votre santé, de vos
yeux, de vos tableaux peints depuis qu'elle a quitté
Paris ; et la petite découverte qu'elle avait faite de la
bienveillance que vous témoignez au fils par amitié
pour le père rendit plus grande encore, s11 était pos-
sible, la mesure des bontés dont elle me comblait.
Les distinctions flatteuses que j'ai reçues du gou-
verneur général m'auraient fait accueillir partout sans
le secours des recommandations nombreuses et respec-
tables que j'avais apportées pour les hommes les plus
distingués et les plus puissants de ce pays. J'ai eu le
bonheur d'entrer dans leur fantaisie, je ne sais com-
ment ; et j'ai été secondé avec la plus grande libéralité
de vues dans les études et les recherches par lesquelles
VICTOR JAGQUEMONT. 379
j'ai dû me préparer à mon aventureuse entreprise.
Leur appui, leur protection, me suivront dans mon
voyage. Ils multiplieront considérablement mes moyens
propres d'action. Mais ceux-ci, bornés encore à ce qu'ils
étaient au moment de mon départ, m'obligent à de-
meurer ici, à faire le mort jusqu'à ce que j'aie acquis
la certitude de leur augmentation.
Il est triste de rester les bras croisés devant les
chances de succès qui s'offrent à moi, mais je dois
me résigner et attendre. Jusqu'ici il n'y a aucun temps
perdu,je devais commencer par ce que je viens de faire.
Mais, si cette situation se prolongeait, il faudrait'renon-
cer à réaliser l'avenir que j'ai si heureusement préparé.
J'espère qu'après tous ces délais, la négociation où
votre amitié avait bien voulu s'employer pour moi est
à la fin terminée, et que je recevrai bientôt, avec la
nouvelle de son issue favorable, les moyens de jouer
un petit peu de gloire contre le choléra-morbus, les
dyssenteries, les fièvres de jungles, et toutes les autres
probabilités du genre ambulant dans l'Inde.
J'ai appris avec chagrin, par mon père, que vous
avez été souffrant l'hiver dernier. J'ai le bonheur de
m'être parfaitement bien porté jusqu'ici, tandis qu'au-
tour de moi tout le monde languit et que beaucoup
meurent; et, malgré les probabilités de tout à l'heure,
j'espère fermement, cher Monsieur, c|ue mon secret
fort simple, la sobriété, me permettra de voir dans
quelques années votre tableau du Sacre
' Nous avons vu plus haut que Jacquemont mourut à Bombay plus
de deux années après avoir formé c.e souhait.
L
380 BERTIN DK VAUX.
Veuillez offrir, à madame Gérard, l'hommage de
mon respect et recevoir l'expression bien vraie de ma
gratitude et de mon attachement. Je me recommande
au bon souvenir de mademoiselle Godefroid.
Victor Jacquemopît.
Paris, 13 août 1828.
«
Monsieur, ,
Je ferai tout ce (|ue j'ai promis, je ferai de mon
mieux; l'intérêt de la science, la gloire de notre pays,
les qualités personnelles du jeune voyageur, voilà bien
des motifs; il en est encore un autre, c'est de payer
dans cette occasion mon faible tribut d'admiration au
premier peintre de nos jours. C'est une goutte d'eau
dans l'océan ; là-dessus je ne m'en fais pas accroire,
mais mon humilité invoque à son aide cet ancien
proverbe : Les petits ruisseaux font les grandes ri-
vières.
Un de vos plus anciens admirateurs,
Bertin de Vaux.
' Un des fondateurs du Journal des Débats.
-ocr page 384-WELLINGTON. — ANDRIEUX. 881
A Londres, le 23 septembre 1828,
Monsieur le baron,
En fouillant mes papiers, je trouve une lettre de
M. de Jacquemont qui me prie de lui donner des let-
tres pour les grandes Indes^ qui le feraient connaître
aux autorités qui s'y trouvent, il est venu ici à un mo-
ment où j'étais beaucoup occupé au Parlement, et il
est parti sans m'en avertir. Je crains donc qu'il soit
parti sans lettres.
Je vous prie de me faire savoir s'il se trouve tou-
jours en Europe.
J'ai l'honneur d'être, monsieur le baron, votre très-
humble et très-obéissant serviteur.
Wellington.
; Paris, 0 décembre 1829.
' Mon cher et illustre confrère,
Si je me suis rappelé à votre souvenir, c'est que
vous êtes souvent présent au mien. J'aurais insisté
' Ainsi que Ducis, Andricux fut pendant toute sa vie adonné aux
lettres et resta indépendant. Né ii Strasbourg en ΠΐίΟ, il était destiné
^82 ANDRIEUX.
pour vous voir, si je n'avais craint d'interrompre les
travaux qui font la gloire de notre pays en même
temps que la vôtre. Je voulais vous remercier de m'a-
voir permis de lire chez vous ma tragédie. Cette lec-
ture m'a été utile, car je suivais avec attention l'im-
pression produite sur les auditeurs, et j'ai bien vu
que le deuxième et le troisième actes ont laissé à dési-
rer; il y avait de la langueur ; j'ai songé de suite aux
moyens d'animer ces deux actes, et je crois avoir assez
bien rencontré. Ma nouvelle marche est arrêtée, mais
il faut vérifier; le froid et le mauvais temps m'en em-
pêchent : je n'ai jamais pu faire des vers étant assis
devant une table; il faut que je marche, le mouvement
du corps se communique à l'esprit. Je crois que je
serai obligé d'attendre le printemps.
Adieu, mon cher confrère. Je suis fâché d'apprendre
que vous avez été indisposé : soignez votre santé; elle
est précieuse aux arts, à la France et à tous ceux qui,
comme moi, vous ont voué depuis bien des années un
sincère et tendre attachement. Voulez-vous bien faire
agréer à madame Gérard l'hommage de mon respect?
àkdiileux.
au barreau et à la magistrature. Il fut membre du conseil des Cinq-
Cents, puis du Triburiat. Professeur de littérature au Collège de
France, il sut conserver^ jusqu'à la fin de sa vie, la faveur de ses
jeunes auditeurs. En 1829 il fut clu secrétaire perpétuel de l'Aca-
démie française. 11 a donné au théâtre de jolies comédies, dont
quelques-unes, \'Étourdi, le Manteau, sont restées longtemps au
répertoire. Il est mort en 1833.
BÉRANGER.
Paris, 2.Ί novembre 1830.
Monsieur,
.le m'empresse de vous remercier de l'agréable sur-
prise que m'a causée le magnifique présent que. vous
voulez bien me faire. Je suis tout fier que vous ayez
bien voulu penser à moi dans la distribution des exem-
plaires de cette gravure. Je me promettais, quand ma
santé serait rétablie, de voir l'original du tableau que
vous avez si heureusement encadré dans les nobles et
admirables figures ' si dignes de leur première desti-
nation, et qui, placées comme elles le sont dans cette
gravure, font si tristement rêver à la gloire du vain-
queur d'Austerlitz. Cette gravure ne fait qu'augmen-
ter le désir que j'ai de connaître la dernière produc-
tion d'un pinceau habitué à nous enrichir de chefs-
d'œuvre.
Recevez, Monsieur, les témoignages de ma recon-
naissance et celle de l'admiration que m'ont toujours
inspirée votre génie et vos ouvrages.
BKRiVNGEU.
' Il s'agit lie la gravure du Tombeau de Saïn/e-JIélène. Le Tom-
beau de Sainte-Hélène avait été acheté par le duc d'Orléans, en 1834,
l't acquis par le musée en 18j3, à la vcnlc des tableaux de la
dueliesso d'Orléans. Il a été gravé par r.nrnier. (Voir la notice.)
38.Ί
384 DÉRANGER. — VITET.
Passy, 25 février 183S.
Monsieur,
Depuis la publication de mon dernier volume de
chansons, je me propose d'avoir l'honneur de vous le
porter. Mais la même indisposition qui m'a fait quitter
la table chez M. David le jour où j'eus le plaisir de
m'y trouver avec vous, vient encore de me reprendre
et me confine à Passy. Je prends le parti, Monsieur,
de vous envoyer mes chansons, au lieu de vous les
porter moi-même, regrettant de vous offrir si peu en
échange de la belle gravure que je vous dois, et qui
est le plus riche ornement de ma cellule.
Agréez, Monsieur, l'expression de ma considération
la plus distinguée.
Déranger.
Paris, 1830.
Je vous sais assez indulgent. Monsieur, pour accep-
ter même des bagatelles : ne me refusez donc pas
' David d'Angers, statuaire.
2 Né en 1802, de l'Académie française on 1838. M. Vitet, outre
ses travaux littéraires très-remarquables, a publié d'excellents ou-
vrages sur les arts.
LADY ROLLAND.
celle-ci, la plus légère du monde, quoique traitant
de lourds monuments. Laissez-moi la déposer chez
vous, uniquement comme un souvenir ou comme un
gage d'admiration.
J'y joins une antiquaille rajeunie par·ci par-là. Ce
sont les Barricades : jeux d'enfants auprès de celles
de nos jours! Réservez, je vous prie, une place pour
les deux assassinats qui leur font suite Quand il
plaira à mon libraire, il m'en reviendra en possession
quelques exemplaires, et je me hâterai de vous en ac-
cabler. C'est bien pour le coup que je réclame pitié
et indulgence.
Mille pardons. Monsieur, croyez à l'assurance et
agréez la vive expression de mes sentiments les plus
sincères.
L. ViTET.
385
|I1
I
Londres, 24 décembre 1830.
L'idée que je me suis formée du grand homme dans
son cabinet de travail n'était nullement défavorable,
' La Mort de Henri III, les États de BloLi.
2 Femme de lord Ilolland. Le nom de lord Ilollaiid est sympalliique
à la France, à cause de sa coiidiiite en 1814 et 1815, et de son in-i"
tance à blâmer la rigueur de la politiqui; anglaise envers Napoléon.
Le tableau, de petite dimension, dont lady Ilolland parle ici, re-
présente l'empereur debout, au milieu de son cabinet do travail, aux
Tuileries.
i!
l
■
5
f 1
iîi
22
-ocr page 389-386 Α. SAINÏ-AIGNAN.
mais votre pinceau heureux et historique a bien su la
surpasser. Bien des remercîments, mon cher monsieur
Gérard, des soins, du génie et, j'ose le dire, de l'amitié
que vous y avez mise. On nous avait fait espérer que
vous viendriez vous-même en Angleterre, où tant de
vos beaux ouvrages vous ont devancé, et où vous
trouveriez tant d'artistes, de connaisseurs et d'amis
empressés de vous donner le bien venu (sic). Personne
parmi eux n'en serait plus enchanté que lord Hol-
land (qui raffole de votre tableau), et votre sincère et
reconnaissante
E. HOLLAND.
Messieurs Goutts (les banquiers de lord Holland
Slrand^ London) ont déjà l'ordre de tenir à votre dis-
position les douze mille francs. Je vous prie d'avoir
la bonté de les avertir par une lettre où vous voulez
que cela vous soit remis.
Paris, 1831.
Monsieur Gérard sait bien que je suis et serai tou-
jours heureux de saisir une occasion de me mettre à
sa disposition.
• M. A. de Saint-Aignan joua un rôle important dans les rangs de
roppositioii libérale, pendant la restauration. — Il aimait les arts et
avait étudié la peinture dans l'atelier de David.
i·' ■
-ocr page 390-Voici ce que ma mémoire me rappelle sur les ques-
tions qu'il veut bien m'adresser :
Il était environ trois heures lorsque le roi entra à
riiôtel de ville. La toilette des députés, qui d'ordi-
naire est peu soignée, l'était ce jour-là encore moins i',
que de coutume. Peu d'entre eux étaient en norr : [
le plus grand nombre en redingote, chapeau gris, gi- J
let blanc ou nankin. \
Voilà la vérité, qui n'est pas bien pittoresque, mais
l'admirable talent de monsieur Gérard y suppléera'. [
Je le prie d'agréer l'assurance de ma vieille et cons-
tante amitié.
Auguste 8αιντ-Λ[&ναν.
A Saint-Poiiit, par Mâcon, 12 janTicr 183Î (Saûne-et-Loire).
Monsieur le baron,
Votre chef-d'œuvre porte ses fruits. Un graveur,
M. Girard, m'écrit pour me demander de l'autoriser à
le graver en l'aidant de cent souscriptions. J'y suis. S;
très-disposé, c'est un cadeau que je ferai avec con-
fiance et audace à mes amis qu'un portrait de Gé-
rard. L'œuvre acquerra tout son prix de l'artiste.
Mais dites-moi, je vous prie, si ce graveur est digne
» Il s'agit du tableau reprisenlanl lo duc d'Orléans à l'iiôlel de ville,
en 1830.
i'i
-ocr page 391-388 Α. DE LAMARTINE.
de vous et approuvé par vous. Je ne lui répondrai
qu'après avoir reçu votre réponse confidentielle, et je
la tiendrai secrète '.
Pardon de celte indiscrétion, je ne vous demande
qu'une ligne,
■ Recevez, je vous prie, avec l'hommage d'une admi-
ration profonde, et que je vous exprimerai mieux un
jour celui de mes sentiments de reconnaissance et de
ma haute considération.
Alphonse de Lamartine.
Paris, 1837.
Madame la baronne^ ,
J'étais malade au moment où vous avez perdu ce
bon et grand homme. Personne n'a autant déploré
cette perte pour la gloire de la France que moi, et
ma pensée s'est souvent reportée depuis sur vous
avec une bien vive sympathie à vos douleurs. Je
commence à peine à pouvoir monter un escalier, mais
j'essayerai, le dimanche 26, et je serai bien consolé de
* Le graveur fut, en effet, jugé digne de reproduire la portrait en ques-
tion. Laplancheaété terminée en 1834 par M.Girard, l'auteur des belles
gravures du portrait de Louis XVIll dans son cabinet, d'après Gé-
rard, de la Rebecca (ivan/wé) d'après Léon Cogniet, et des Richelieu
et Mazarin (galerie Pourtalès) d'après P. Uelaroche.
" V. les vers qui terminent le volume.
' A Gérard, à propos de la mort de Gérard.
-ocr page 392-DUC DE LUYNES.
voir qu'indépendamment de sa mémoire, il vous reste
de nouveaux gages de son immortalité.
Agréez, Madame la baronne, l'assurance de mes
respectueux sentiments.
Lamartine.
! !
Damiiierre, S Juillet 1S3Î.
Monsieur,
Je suis très-heureux de penser que l'hommage de
mon travail sur Mélaponte ait pu vous être agréable.
Si je n'étais pas depuis assez longtemps à la campagne,
j'aurais eu l'honneur de vous le porter moi-même.
Le même motif me privera quelques jours encore de
la faveur que vous voulez bien me faire ; mais, avant
trois semaines, j'espère, puisque vous le permettez,
voir les belles peintures sur lesquelles les éloges
des vrais connaisseurs s'accordent avec tant d'una-
nimité.
389
Je vous prie de croire, JMonsieur, à tout le plaisir
que me procurera cette visite à votre atelier, et d'a-
f ■
■ Savant archéologue et amateur éclairé, M. le duc de Luyncs
consacre une partie de sa grande fortune à honorer les arts et 5 en-
courager les artistes. Il est auteur de plusieurs écrits estimes sur la
numismatique. Son ouvrage sur Métaponte est rcmaïqualile. 11 est
académicien libre depuis 1830. Il a dote la Bibliothèque impéi ialedc
sa belle collection de iiiédaillcs.
390 M"·" SOPHIE DE MICHEL.
gréer en même temps l'expression de mes sentiments
les plus distingués.
Le duc DK Luynes.
, Nice maritime, il avril 183li.
Après tant d'années d'absence, de mille révolu-
tions de tous les genres, de pertes d'amis, d'illusions,
peut-être de bonheur, — l'aimable, le spirituel, le
délicieux peintre Gérard a-t-il eu le loisir de donner
un souvenir à une ancienne amie qui s'était toujours
intéressée à son bien-être, à sa gloire ? M. Théophile
Las Cases m'avait dit oui, à son retour de Paris. 11 m'a-
vait même assuré que vous m'écririez avant votre dé-
part pour les eaux : — la lettre se serait-elle perdue ?
J'aime à le croire, plutôt que de penser à votre ou-
bli ; car je ne suis plus à Livourne, mais à Nice : j'y
suis pour y passer un mois, et depuis un an me voilà
in stntu quo. La force d'inertie est grande chez moi,
comme chez bien des gens qui se plaisent dans leur
paresse. J'ai fait un voyage à Paris de quelques jours,
il V a trois ans; j'ai été chez vous trois fois; votre
portier, toujours inexorable : — Monsieur est sorli; il
est à l'Jcddémie. Je voulais voir la belle Sainte Thé-
' Dame de compagnie de la reine Caroline Murât.
-ocr page 394-M"· SOPHIE DE MICHEL. 391
rèse, vous prier de me conduire à cet hospice de
M"" de Chateaubriand, — mais le moyen de vous
trouver ? — Enfin un désappointement complet. Vous
m'auriez cependant entendue avec intérêt parler du
passé, vous donner des nouvelles de cette reine qui est
toujours belle, mille fois plus aimable, et qui n'oublie
aucun de ses amis.
Je l'avais laissée à Trieste : la voilà établie à Flo-
rence et ses quatre enfants mariés en Amérique et
en Italie.
Et vous, que faites-vous? toujours bon, spirituel,
malin, sensible, ami constant, — et toujours souf-
frant? — J'imagine que vous êtes ainsi, car nous ne
changeons pas de nature : nous gardons nos qualités,
nos défauts, et, lorsqu'on dit qu'on veut se corriger,
on se ment à soi-même. — Et votre chère femme?
toujours gaie, aimable ! Si vos yeux souffrants vous le
permettent, écrivez-moi et persuadez-moi que vous
ne m'avez pas oubliée, et que vous n'avez jamais
douté de ma vraie amitié.
Sophie de Michel.
P. S. Voyez-vous souvent mon beau frère, M. de
Mirbel ? Il est venu à Nice; j'ai eu grand plaisir à l'em-
brasser : il est toujours votre admirateur et votre ami.
Nous avons beaucoup parlé de vous. — Que pensez-
vous du talent de sa femme?
!l
!»
'i;
-ocr page 395-392 BALZAC.
Paris, 18S..
Je crois, Monsieur, vous avoir envoyé la Peau de
chagrin; mais, comme le système général de mon œu-
vre commence à se démasquer, permettez-moi de ne
pas vous donner la première assise sans la seconde :
vous me feriez grand plaisir si, pour allumer vos ci-
gares, vous mettiez les précédents volumes, intitulés
Contes philosophiques, sur votre cheminée pour les
consommer page à page.
Faites agréer mes hommages à M"" Gérard, et dites,
je vous prie, à Godefroid que j'aurai le plaisir
de prendre jour avec elle pour la palingénésie de mon
pauvre et bien-aimé père. Si j'avais su l'autre jour
que vous ne fussiez pas occupé, j'aurais dérobé avec
grand plaisir une leçon de bonne et spirituelle con-
versation, car, si je vous aime autant que qui ce soit,
je vous admire mieux que tous.
Votre dévoué serviteur,
ûe Balzac.
-ocr page 396-BALZAC. 393
II.
Paris, 8 juin 18Sa.
Monsieur,
Mon envoi n'a d'autre but que le sentiment amical qui
l'accompagne; c'étaitrexemplaire que je m'étais réservé,
mais je ne pouvais mieux placer le denier de l'auteur.
Je joins aux quatre volumes parus des Études de
mœurs ma première croûte, qui vient de paraître au-
jourd'hui-restaurée ; mais, quoi que je fasse, j'ai peur
que l'écolier ne s'y montre toujours trop. Ce sera un
honneur que d'être souffert dans votre bibliothèque.
Agréez, Monsieur, mes sentiments les plus affec-
tueusement distingués.
de Balzac.
■f
Paris, 18sa.
Monsieur,
Vous devenez trop le bienfaiteur de mon musée ;
je voudrais ôter à mon envoi la teinte de reconnais-
sance pour que mon hommage à votre talent fût plus
entier : mais ce sont de ces doubles plaisirs qu'on a la
chance de ne rencontrer qu'avec vous. Je suis devenu
prisonnier, j'ai trop d'ouvrage à faire il a fallu re-
noncer même à vos chers mercredis.
Mille gracieux compliments.
DE Balzac.
' Balzac commençait à ccttc époque les travaux considérables qui
n'ont cessé qu'avec sa vie.
394 MLZAG.
IV.
Monsieur,
J'ai vu hier un artiste dont le nom n'est pas en-
core célèbre en France, quoiqu'il ait beaucoup de
talent: c'est M. Gros-Claude de Genève. 11 désire,
avec cette ferveur qu'inspire votre talent, vous faire
voir ses tableaux qu'il expose au musée. J'ai osé faire
les honneurs de votre bienveillance, et il doit venir
vous les apporter entre midi et une heure aujour-
d'hui, car le terme de rigueur expire demain pour
l'admission; il n'y a rien autre chose à vous deman-
der que votre avis et celui de Godefroid ; il est
grand ami de Schnetz, et professe pour vous cette
admiration que nous avons tous. Je comptais vous le
présenter mercredi, s'il n'avait pas la chance plus
aimable de recevoir de vous-même ce droit de bour-
geoisie que vous rendez si précieux par cette grâce et
cet esprit que, pour mon compte, j'envie chaque fois
que j'ai le plaisir de passer une soirée près de vous.
Veuillez agréer l'hommage de ma sincère admi-
ration.
H. de Balzac.
' M. Gros-Claude s'est fait connaîlr.e à quelques-uns de nos salons,
vers le commencement du règne du roi Louis-Philippe, par des com-
positions familières. Ses Buveurs ont été gravés et ont eu un succès
populaire.
DE WXEHÉCÛUKT. 395
Vous savez, sans que je vous le dise, que j'ai l'hon- 1',
neur d'être l'un des plus déterminés bibliophiles de
la capitale (autant vous dire que je suis un fou), mais
n'importe. De cette folie, je ne m'en veux point gué- , ï'
rir, car elle consiste surtout à embellir mes livres de
tous les objets d'art qui s'y rattachent. A ce titre, je
possède et je tiens en très-haute estime tout ce qui a
été gravé d'après vos dessins, l'ar malheur, la goutte,
qui s'est acharnée depuis longtemps à mon individu, '
ne me permet pas de courir aussi fort que d'autres . I
amateurs, et il m'arrive quelquefois de soupirer long- ;
temps. Par exemple, j'ai beau me donner du mou- '
vement et mettre du monde en campagne, il m'a été
impossible de trouver les eaux-fortes sur papier de ;
Chine des deux belles vignettes gravées d'après vos |
dessins pour la Uenrinde de Didot. Pourtant je désire · i
avec toute la vivacité de la jeunesse enrichir un exem- 1
plaire de ces deux curiosités.
' Pixorécourt était iioii-sculement auteur dramatique, mais aussi j
bibliophile passionné. Tout en'occupant la scène des boulevards de- 1
puis l'année 1797 jusqu'en 183u, il forma une bibliothèque très-riche ]
de pièces dramatiques. Son recueil du théâtre révolutionnaire était
devenu célèbre. Il était directeur de la Gaîté, lorsque ce théâtre fut
incendié. Ce sinistre diminua sa fortune, au point de l'obliger à ven- ^
dre en 1839 ses livres et sa collection d'autographes. Pixeréeourt est /
mort en 1844.
I I
'Λ
tp
39G VAIOUT.
Permettez-moi donc, Monsieur, de m'adiesser à
vous. Prenez pitié de mes souffrances bibliophiliques,
et soyez assez bon pour m'indiquer les moyens d'avoir
ces deux eaux-fortes. Je vous en serai très-reconnais-
sant. Naguère j'étais directeur de l'Opéra-Comique, et
je pouvais tne rappeler à votre souvenir et vous inté-
resser à ma prière en vous offrant ma loge ; mainte-
nant je ne suis plus en contact qu'avec le théâtre de la
(Jaîté. Je serais bien heureux qu'il vous plût d'assister
en famille à l'une de ses représentations. Si vous étiez
assez obligeant pour me faire connaître le jour qui
vous conviendrait, je mettrais la meilleure loge à votre
disposition pour voir VOiseau bleu, ou tout autre spec-
tacle.
Veuillez, Monsieur, agréer mes humbles excuses et
croire aux sentiments que je professe pour votre ad-
mirable talent.
De PlXERÉCOURT.
Palais-Royal, le 29 mars 18S5.
Monsieur le baron,
Je suis tout honteux en vous écrivant si tard, mais
je voulais aller vous voir et vous dire de vive voix
que je m'associais de tout cœur à l'intérêt que vous
' M. Vafout était à cetlc époque conservateur des bibliothèques par-
ticulières du Roi, aux Tuileries, au Palais-Royal et à Neuilly.
MASSIMO D'AZEGLIO. 397
portez à M'" Sarrazin de Belmoiit'. J'ai fait tout ce
qu'il m'était possible de faire : la reine a élé bonne
comme à son ordinaire, et je ne dois pas vous cacher
que votre nom, qui a toujours été une puissance, a été
pour beaucoup dans sa décision. Je suis heureux de
trouver cette occasion nouvelle de vous exprimer des
sentiments qui ne changent jamais.
Vatout.
Paris, mars 1836.
Les bienveillantes attentions dont j'ai été comblé
chez vous, M. le baron, et l'obligeance extrême de vos
' Sarrazin de Bclmont est un de nos plus intrépides peintres
paysagistes. Λ la suite de longs et périlleux voyages, après plusieurs
séjours en Italie, aux Pyrénées, en Suisse, elle a rapporté de nombreu-
ses études faites d'après nature. Elle a longtemps habité Rome.
2 Un des hommes les plus remarquables de l'Italie nouvelle, li
suivit d'abord la carrière des armes; puis, se livrant à son penchant
pour les arts, il alla à Home étudier les maîtres et le paysage, et ac-
quit un talent distingué dans ce dernier genre. Après la mort de son
père, en 1829, et après un assez long séjour à Milan, il épousa la fille
de Manzoni. 11 s'occupa dès lors exclusivement de littérature. Son El-
lore Fieramosca (1833) eut un grand succès littéraire et politique.
Il entra franchement, quoique avec modération, dans le mouvement libé-
ral italien, et publia, à propos des événements do la haute Italie sous
Grégoire XVI, un écrit intitulé les Derniers Événements de la /io-
magne, qui eut un grand retentisseinent.
Après 1848, et quand l'Italie tout entière se souleva contre l'occu-
pation étrangère, M. d'Azeglio combattit aux premiers rangs à Vicencc
où il fut grièvement blessé. Cependant il avait prédit la malheu-
398 GÉRARD,
manières à mon égard {je dois dire au nôtre) me don-
nent lieu d'espérer qu'en retournant en Italie, je
n'emporterai pas avec moi la douloureuse idée d'être
tôt ou tard entièrement oublié de vous et de votre fa-
mille. 11 m'a même semblé voir que votre accueil
n'était pas seulement poli et obligeant, mais qu'il était
amical. — Si je ne me suis pas trompé, si vous voulez
bien me permettre dorénavant de me mettre au nom-
bre de vos voisins comme je suis depuis longtemps au
nombre des admirateurs de votre talent, vous voudrez
bien agréer la petite esquisse que je vous envoie, et que
je vous prie d'accepter, quoique avec le regret de sa-
voir qu'elle ne mérite pas de vous être présentée. En
la regardant quelquefois, souvenez-vous de la haute
estime et de la vive reconnaissance que vous ins-
pirez à votre dévoué,
Massimo d'Azeglio.
GÉRARD AU MARQUIS M. D'AZEGLIO.
Paris, 1836.
Le paysage que vous me faites l'honneur de m'ol-
frir, Monsieur le marquis, est peint avec autant de goût
que de talent, .le me hâte de constater ce fait, car
rcuse issue de la lutte et n'avait cessé de prêcher la modération et la
patience jusqu'à la bataille de Novarc. A ravénemcnt de Victor-Em-
manuel, le jeune roi nomma M. d'Azeglio président du conseil (1849).
En 1852 il fut remplacé dans ces fonctions par M. de Cavour: il est
mort en 18fi5.
CUVILLUiR-FLEURY. 399
c'est vous garantir que la politesse n'entre pour rien
dans ma \ive reconnaissance.
Je regrette de ne pouvoir mieux vous exprimer ce
que j'éprouve en ce moment qu'en vous priant d'a-
gréer l'esquisse ' qui occupait le lieu où je suis si
flatté de placer votre ouvrage. —Elle n'était pas des-
tinée à sortir de ma chambre. — Sa dimension vous
la rendra peut-être plus incommode qu'agréable,
et je vous en demande pardon : mais je cède avec em-
pressement au besoin de vous convaincre de toute ma
gratitude. Hélas ! mon âge ne me permettra point de
jouir longtemps de votre précieuse bienveillance;
croyez que cette idée me la rend encore plus chère.
Puissiez-vous me la conserver avec autant d'intérêt
que j'y attache de prix !
Agréez, Monsieur le marquis, l'assurance de ma
haute estime et de mon intime dévouement.
F. Gérard.
Collège Henri IV, 19 juillet 1837,
Madame,
Le duc d'Aumale aurait été en effet bien heureux
de visiter un des derniers travaux ^ du grand peintre,
« Celte esquisse représente im astrologue rcgariiant les nuages.
' Λ M"® Gérard.
3 Les quatre [iimilentifs du t'anthnoii.
-ocr page 403-400 Α. DE LAMARTINE.
dont on ne sent jamais si vivement la perte que lors-
qu'on se rapproche de ses œuvres; et S. A. R. me
charge de vous remercier, Madame la baronne, pour
l'empressement tout aimable que vous voulez bien
lui montrer. Mais le jeune prince est obligé d'ajourner
jusqu'à la semaine prochaine le plaisir d'en profiter.
Il est, pendant quelques jours, tellement accablé de
ses traAaux de fin d'année classique, et les composi-
tions ' se succèdent si rapprochées les unes des autres,
qu'il lui serait impossible de trouver le temps qu'il
veut consacrer à une si intéressante visite. J'aurai donc
l'honneur de prévenir Mademoiselle Godefroid quand
S. A. R. sera en mesure d'accepter votre obligeante
proposition. Agréez, je vous prie. Madame la baronne,
l'hommage de ma haute considération.
cuvillier- Fleury.
29 féTrier 1856.
Vers adressés à M. Gérard par M. de Lamartine, qui
lui envoyait Jocelyn.
Sous les traits de Psyché ' toi qui peignis une âme.
Pour créer, comme toi, j'ai fait de vains efforts,
' Le duc d'Aumalc faifail sa troisième au l'ollcge Henri IV.
^ Le tableau de l'amour et Psyché avait clé placé dans un des angles
du grand salon du Louvre, à l'époque de la mort de Gérard. Après 1848,
lors des nombreux renianienienls de tabliaux, l'École française fut
sacrifiée au iilacemcnt par ordre chronologique; une partie avait été
reléguée au fond de la grande galerie, et le reste dans les magasins.
Λ. DE LAMARTINE. iO\
Jette à Mies deux amants un éclair de ta flamme,
Et mes âmes auront un corps.
Ai.phonsk de Lamautiink.
Plus tard, on mit leschefs-d'œuvrc de l'École française moderne dans la
sallé dite des Sept-Cheminées (le salon dont parle Fontaine, page 205),
le tableau de la Psyché fut honorablement placé à hauteur d'appui,
•et eut pour pendant le portrait en pied d'Isabey et de sa (ille ; ce por-
trait avait été offert au Musée par M. Eugène Isabe.y. Après la mort
de Decamps, un de ses tableaui les moins connus fit monter en
deuxième ligne le portrait d'Isabey et, en l'honneur de la symétrie sans
doute, un tableau de Géricault vient d'être placé sous la Psyché : la
perfection du fini de la Psyché, si souvent copiée, ne peut plus être
appréciée. Malheureuse combinaison, car, en sacrifiant le chef-d'œuvre
d'un grand artiste, en s'inquiétant peu des regrets de ceux iiui portent
son nom, l'administration des Musées n'ajoute rien à la gloire de Géri-
cault : le Naufrage de la Méduse et les deux grandes figures placées
de chaque côté du tableau prouvent le grand peintre ; quant aux Che-
vaux de course, au-dessus desquels on a relégué la Psyché, ils rap-
pellent seulement un peintre de genre.
En voyant un des tableaux restaurés du grand salon, le désespoir
d'un grand peintre contribua à faire cesser, mais bien tard, le travail
des restaurations ; cet artiste éminent, que la France vient de perdre,
disait qu'il aurait voulu, pour sa plus grande gloire, avoir peint le ta-
bleau de VAmour et Psyché. Nous espérons que ce tableau, si sacrifié
aujourd'hui, retrouvera, dans la nouvelle salle projetée, la place qu'il
eût été si facile de ne pas lui retirer.
FIN.
ao
-ocr page 405-iH'. ''Λ'ΐνίν'μ:^;! iirf .,.£ ,
-■ 'iw
. -'m·'-· ' ·
• ' ' .· ' · ■ - 1 /oi· ·;·· f. -, .
, ,.· . z'-Jit.'ii'.··'·
'V· ;·ίί( ■•i··
: ΛνΓ. ί-'Ρ'-^; -
ΕΠΙ
- ^'.',Λ-ν
■1«
■ -V'ti' . ·,
- ' <
, ^
.ίί·'
Γ"·
PREMIÈRE PARTIE.
artistes. | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
|
404 TABLE ALPHABÉTIQUE.
Pradier..........................................................172
Reverdin.............................................
Robert (Léopold)................................ HO à 123
Schelfer (Ary)................................. 162 à IBS
Schnetz....................................... 177 à 180
Thévenin........................................................................................103
Toschi.......................................... 165 à 167
Vernet (Carie).....................................182 et 183
Vernet (Horace)........... ..................... 186 à 199
DEUXIÈME PARTIE.
PERSONNAGES CELEBRES.
Andrieuï..................................... ................381
Auguste de Prusse (prince de)..................340 à 342
Azeglio (comte Massimo d').......................................397
Balzac (de)................................... 392 à 394
Barrière...................................................344
Bawr (Madame de)...............................................322
Beausset (de).....................λ........................................309
Béranger....................................... 383 et 384
Bertin de Vaux................................................380
Broglie (duchesse de).......................... 328 à 330
Chateaubriand................................. 368 à 370
Corvisart........................................ 313 à 318
Cuvillier-FIeury................................................................................399
Decazes (comte)................................. 323 à 326
Denon............................................. ■ 227
Doudeauville (duc de)..................................................................300
Ducis..........................................217 à 227
Foy (Madame la comtesse)....................... 366 à 368
-ocr page 408-405 TABLE ALPHABÉTIQUE.
Garat.....................................................211
Gérard (François). Réponse au duc de Doudeauville, 361 ; au
vicomte de la Rochefoucauld, 362, 364^ 366 ; au comte d'A-
Ginguené...................................... 212 à 215
Guillaume de Prusse (prince de)......................... · 326
Guizot.......................................... 370, 371
Holland(lady)................................................................................38S
Humboldt............... · · - .................. 228 à 298
Jacquemont père..............................................372
Jacquemont (Victor).. ............................ 373 à 380
Lafayette (de)..................................................................................330
Lamartine................................. 387 à 389 et 400
La Rochefoucauld......................................................363
Le Breton..................................................................................311
Lemercier (Népomucèm )...... .................... 318 à 320
Luynes (duc de)..............................................................................389
Metternich (le prince de)............................................................331
Michel (Madame Sophie de)............... ..................390
Mirbel (de)..................................................................342
Moreau (général)......................................................215
Noailles (comte de)................. ..................................337
Orléans (Louis-Philippe d';...................... 332 à 337
Pasioret (comte de)......................... ...........343
Pixerécourt (de)........ ...... ...............................395
Rapp (le général)................................ 301 et 302
Récamicr (Madame)............................. 302 à 309
Révellière-Lépeaux............................. 290 à 300
Saint-Aignan.............................................386
Sclilegel(de)...............................................................................348
Sorsum (de)..............................................................................312
Souza (comte de)......................................................................320
Staël (Madame de)........ ................................................327
Talleyrand (de)............................... .. 216 et 217
Thiers....................................... 349 à 360
Vitet................................................................384
Wellington................................................................................381
1ΊΝ ηκ LA ΤΛΙϋ,Κ.