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\
HISTOIRE
GENERALS
D E
PORT-ROIAL.
-ocr page 2-
3 o s-y 'Y
HISTOIRE
GENERALE
D E
FORT-ROIAL,
DEPUIS LA REFORME DE LABBAlE
jufqu'a fon entiere deftru&ion.
TOME HUITIEME,
A AMSTERDAM,
Chez JEAN VANDUREN.
ear
M. DCC. LVII.
-ocr page 3-
HISTOIRE
GENERALE
D E
PORT-ROIAL.
SECONDE PARTIE.
LIVRE NEUVIEME.
n
'Epuis 1'annee dela mort de Ma-
dame de Longueville les religieufes de
1685.
P. R. avoient defenfe de recevoir des L'Abbcfle de
novices , & elles ne ceflbient en tou- ^"J^y^
te occafion de demander leur reta-
mem de U
blifTement. Jamais la mere Angeli-maii0IU
que de Saint-Jean n'ecrivoit a M. de
Paris, quel que fut l'objet de fes lec-
tres, qu'elle ne le follicitat £ ce fu-
Tome FIJL
                      A
-ocr page 4-
2       HlSTOIRE DE PoRT-ROlAl.
l6Sjw jet. Tout lui fervoit de pretexte, &T
on peut dire qu'elle faifoit ce que
dit S. Paul: Injia opportune importu-
ne.
Cette annee, la Cour aiant fait
rendre aux religieufes, des bois qu'el-
les avoient eu defenfe de couper,
parceque le Roi vouloit y faire des
routes pour la chafTe , 1'Abbefle crut
devoir en informer M. l'Archeveque,
& lui parla a l'ordinaire du retablif-
fement de la maifon : » Le coeur des
» Rois eft en la main de Dieu, dit-
» elle , le votre , Monfeigneur , y eft
=> audi; j'efpere qu'il le portera bien-
» tot a nous retablir dans la polTef-
» fioa d'un autre (fecours ) beaucoup
« plus confiderable. Nous fommes
» filles d'Abraham, &c nous deman-
» dons part a fa fucceffion , en vou's
" fuppliant avec lui de nous donner
» des antes pour accroitre le nombre
» de celles qui loueront les miferi-
» cordes de Dieu , & qui reconnoi-
» tront devant lui avec nous l'obliga-
» tion qu'elles vous auront de leur
»» avoir procure un avantage, qui
* peut etre le moien de leur falut.
» G'eft votre interet, Monfeigneur,
« puifque cette multiplication de fer-
» vantes de Jefus - Chrift vous atti-
m rera une multiplication de gtaces
-ocr page 5-
II. P A R T I E. L'lV. IX.         5
» & de benedictions du Ciel«. M. kJ8j.
de Paris fut toujours fourd & infle-
xible a toutes ces follicitations. Les
graces & les benedictions du Ciel,
que 1'AbbelTe lui propofoit pour la
recompenfe de la grace qu'elle lui de-
mandoir, le rouchoienr peu. La de-
fenfe de recevoir des novices fubfifta
roujours, fans que jamais les religieu-
fes aienr pu en obrenir la revocation,
finon en taveur d'une feule religieufe
converfe , qui fur recue cette annee
par un cas extraordinaire, qui doit
avoir ici fa place.
Mademoifelle de Roannes fceur du n«
Due de ce nom , touchee de Dieu c^^lto-
a l'age de 17 ans, entra a P. R. l'an annes fait
i656 , prit le petit habit & fut ad- J^iJ^T
mife au noviciat , fous le nom de puis obtient
four Charlotte de laPaffion; elle&^&ft
s'y diftinguoit par fa piete &C fur- marie.
tout par ion humilite, lorfqu'un or-
dre fuperieur l'obligea de fortir de
cette fainte maifon. Mais avant que
d'en fortir, fe defiant de fa foibleile,
& voulant fe lier elle - meme, elle
fit vceu de chaftete, promit a Dieu
d'etre religieufe , & fe coupa elle-
meme les cheveux. Sa piete fe foutint
plufieurs annees, fur-rout par fes liai-
fons avec P. R, Son atrachement pour
Aij
-ocr page 6-
4 HlSTOIRE DE PORT-ROIAI.
16$} cettemaifon Iui meritaen 1661,paries
intrigues de la four Flavie, une lettre
de cacher qui l'exiloit , &que M. le
Due de Roannes fon frere fit revoquer.
Elle renouvella encore alors fon vceu,
& promit de fe faire Carmelite , par-
ceque l'etat a&uel de P. R. ne lui per-
mettoit plus de penfer a cette maifon.
Elle remta courageufement pendant
quelque-tems aux follicitations de fes
parens & de fes amis, qui lui propo-
foient des etabliflemens dans le mon-
de. Elle fut meme l'inftrument dont
Dieu fe fervit pour faire rentrer
dans fon devoir une perfonne , qui
etoit fortie du cloitre par un arret
du Parlement, qui lui permettoit de
fe marier, quoiqu'elle eut promis de
fe confacrer a Dieu. Mais , 6 foiblelfe
humaine ! Mademoifelle de Roannes
s'etant relachee peu-a-peu dans fes
exercices de piete par fa frequenta-
tion du monde, elle commenga a
avoir des doutes fur fon vceu ; elle
confulta, & Dieu permit qu'elle trou-
vat des Docteurs relaches qui deci-
derent felon fes defirs. Elle obtint
difpenfe de fon vceu, & epoufa M.
d'AiibulTon de la Feuillade. Mais
Dieu qui avoir des vues de miferi-
corde fur elle, lui fit fentir par les
-ocr page 7-
II. Parti e. Llv. IX. f
afflictions qu'il lui envoia , que le THTT"
vrai bonheur eft de le fervif. II l'af-
fligea auffi dans fon corps , & lui en- nr.
voi a une maladie qui la reduifit k DSenl'aSBige;
extremite. Elle fit fon teftament, & noitfa fa«e,
la douleur d'avoir ete infidelle a Dieu *[tichc de u
la porta a leguer a P. R. trois mill© ' ^W'
livres pour recevoir une converfe ,
qui rempliroit la place qu'elle auroit
voulu remplir elle-meme; & qui
priant continuellement pour elle , ta-
cheroit de fatisfaire, par fa penitence
& les exercices du cloitre,pour la
faute qu'elle avoit faite en violant
fon voeu. Elle fuivequit a cette ma-
ladie , mais elle fut toujours languif-
fante. II fembloit que Dieu voulut
la tenir dans un etat, ou elle ne put
en aucune forte vivre dans le monde.
Elle fouffrit de cruelles douleurs dans
fa derniere maladie avec une patien-
ce admirable, fans qu'il lui echap-
pat aucune plainte. Elle conferva tou-
jours une tendre affection pour P. R. &
difoit qu'elle auroit prefere d'etre toute
fa vie paralytique dans cette maifon
& obligee d'y, garder le lit, a tout au-
tre etat dans le monde. C'eft ce qui
lui fit defirer que fon ccejus fut porte
dans cette maifon apres fa mort. Mais
la propofition qu'elle en fit n'ai'ant
A iij
-ocr page 8-
6 HlSTOIRE DE PoRT-ROlAI,.
1(385. pas ete goutee , elle repondit avec un
grand fentiment d'humilite , qu'apres
avoir retire Jon cctur qu'elle avoit d'a-
bord donne a J. C. pour le donner a la
criature^il etoitjujle quelle n'eutplus ni
Jon cceur ni Jon corps aja dijpojition.
iv.           Elle confkma a fa mort arrivee
ilf/ fa™°un le 13 de fevrier , douze ans apres
legs pour fai- avoir fait fon teftament, le legs qu'el-
gkufe2 con- ^e avoit fait pour une fosur converfe j
verfe a p. r. marquant qu'il ne devoit point etre
confidere comme un don, mais cora-
me une fatisfa&ion pour fa faute. La
mere Angelique de Saint-Jean apprit
avec une grande confolation les cir-
conftances d'unemort, ouelle voi'oit
tant de marques de la mifericorde de
Dieu. Elle ecrivit une lettre de re-
merciment a une Dame (1) qui avoit
ete au fervice de Me. de ia Feuillade,
qui les lui avoit mandees, la priant
de faire une relation plus ample que
celle qu'elle avoit faite , & » de mar-
» quer tout ce qu'elle avoit vu des
» differentes difpofitions de cette Da-
jj me depuis qu'elle l'avoit connue
« jufqu'a fa mort : cela , dit - elle ,
» feroit a la gloire de Dieu ; &c rien
» n'eft plus utile que d'admirer fa
» conduite fur les ames predeftinees ,
(j) Madame Petit. v
-ocr page 9-
If. Part it. liv. IX. f
>> pu il fait paroitre fa bonte Be fa 1683.
j> puiffance plus que dans la crea-
» tion de tout le monde vifible.
» Quand Dieu fait paroitre en des
» occaiions femblables combien il eft
» bon, il en veut etre aime davan-
» tage «.
Apres la mort de Madame de la R»ce^;'on ^
Feuillade, le Due fon mari obtint du ufinuBai«>
Roi, par la mediation de 1'Archeve-
que de qui tout dependoit, la per-
miflion de fake executer la volonte
de fon epoufe, au fujet de la reli-
gieufe converfe, pourvii qu'il y eitt
une place vacante. La mere Abbefle
en etant informee , affembla la com-
munaute le 4 decembre , lui fit part
de cette nouvelle , & Fexhorta a prier
Dieu qu'il fit connoitre celle qu'il
avoit choifie. Le choix tomba le fix
du meme mois fur la foeur Louife-
Auguftine Barat , qui aiant deja ete
recue autrefois, n'avoit pu faire pro-
feflion a caufe de la defenfe qui etoit
furvenue. On lui donna l'habit le jour
de la Conception , 8 decembre 1 <?8 3 ,
& elle fit profeflion le 6 mai 1685.
La condition a laquelle le Roi avoit
accorde qu'on executat l'intention de
Madame de la Feuillade ne fit aucun
obftacle. La fceur Marie de S. Ignace
-ocr page 10-
$ HlSTOIRE DE PoRT-ROlAl.
I <J8 3. Poiigin religieufe converfe etoit mor-
te le 24 fevrier de cette annee, &
laifToit une place vacante , ourre qu'il
y en avoit deja une. Ainfi au lieu
d'une il s'en trpuvoit deux a remplir.
_ VI- , Le 1 du mois de mars de la meme
Mort de la          , .                      ,           v .,„         
fourcandide annee, la mort enleva alage de 76
leCetf. 3^5 Ja fojjjj. Madeleine de Sainte-
Candide le Cerf, done nous avons
parle en difFerentes occafions. Elle
etoit profelfe de MaubuifTon , & elle
accompagna la mere des Anges , lorf-
qu'elle quitta cette Abbai'e pour re-
tourner dans celle de P. R. a laquelle
la four Candide fut aflbciee. Elle s'y
fit aimer & eftimer par fes bonnes
qualites, fa regularity & (on amour
pour la verite\ En 1664 elle fut du
nombre des douze religieufes que M.
de Perefixe enleva au mois d'aout ,
& fut envoi'ee au monaftere de la
Vifitation de S. Denis, ou elle fuc-
comba: mais Dieu Iui fit la grace de
reconnoitre fa faute , & de la reparer
par une penitence qui dura le refte de
fes jours,
"j £g4> Port-Roi'al ne fit pas d'autres per-
tes cette annee 5 mais il en fit de 11
confiderables la fuivante , par la mort
de plufieurs perfonnes les plus diftin-
guees par la fcience, la piece, & la
-ocr page 11-
II. P A R T I B. ~Liv. IX.        9
fagefTe du gouvernement, que tout le 1684.
faint defert fut couvert d'un deuil
feneral. II fuffit de nommer M. de
aci & la mere Angelique de Saint-
Jean , qui furent du nombre de ceux
que la mort enleva , pour faire juger
des pertes que fitP.R.&de Fafflidfcion
qui dut en etre la fuite, puifque l'E-
criture veut que Ton s'afflige de la
mort des juftes , comme le remarque
M. Lancelot, en ecrivant a la mere
Angelique de Saint-Jean fur celle de
M. de Saci.
Ce faint Pretre , apfes l'ordre qui vir;
luifutdonne en 1679 par M. de^"^
Paris, de fortir de P. R., s'etoit retire desaci.
a Pomponne , on il vivoit en foli- tiS0ens°<ianfa
taire, emploi'ant uniquement fon terns retraite 4
a la priere, a la meditation des fain- Pomfonne*
tes Ecritures , & au fervice de fes
freres par les avis qu'il leur donnoit,
foitpar ecrit, foitde vive voix. » La.
« maniere dont ce grand homme
» vivoit a Pomponne , dit M. du.
» FoiTe (2) etoit digne des plus
.« faints miniftres de l'Eglife......
" 11 y vecut veritablement dans l'ef-
" prit & les fentimens de ces an-
" ciens folitaires , qui n'etant occu-
» pes que de Dieu 8c de ce qui re-
ftj FoflJ, p. }7o,
A v
-ocr page 12-
10 HlSTOIRE DE PoRT-ROlAI.
i 684. » gardoir fon fervice & leur faint»
j> oublioient abfolumenr routes les
« affaires du monde». II rravailloit
dans certe retraire a. fes explications
de 1'Ecriture , dontil donnoit de rems
en rems quelque volume. Pour avoir
une jufte idee de cer excellent ou-
vrage, & en connoitre rour le merire,
il faudroit favoir quel etoit l'efprit
qui conduifoit la plume de 1'auteur.
C'eft ce que M. Fontaine nous ap-
prend dans fes Memoires , oil il rap-
porre le difcours admirable que lui
tint M. de Saci fur ce fujet dans urt
enrretien qu'il eut avec lui quelques
jours avant fa morr. On y voir les
faintes difpolirions avec lefquelles il
rravailloit a cet ouvrage, & lesfen-
timens d'humilite & du tremklement
qu'il avoit continuellement pour les
chofes mimes que tout le monde admi-
roit
(3). II feroir a fouhaiter , pour
1'edification & l'inftrudion des lec-
teurs, que ce difcours flit a la tete
des explications de la Bible.
vm.
        ,} Telle etoit la vie de ce faint hom-
ftntadie. sa " me, & telles eroient les occupations
moa-
         continuelles (4) , c'eft - a - dire,
» une vie toute de foi &: un travail
i» tout de charite , quand il plut a
(j> Font. T. i.p. joj. (4) fof.itid.g, 573,,
-ocr page 13-
11. P A R T I £. LlV. IX.      I I _______
« Dieu de l'appeller tout d'un coup 1684.
>y & lui, lorfqu'on y penfoit le moins...
» Sa mort fut veritablement digne de
" fa vie.N'ai'ant ete nialade que vingt-
» quatre heures , il remplit dans ce
» petit efpace de terns tous les de-
» voirs, non-feulement d'un parfait
» Chretien qui fonge ferieufement a
» mettre comme le fceau a l'ceuvre
» de fon falut , mais encore d'un
» faint Pretre & d'un vrai imitateur
« de Jefus-Chrift. Le jour de fainte
» Genevieve il dit la Mefle dans la
» chapelle avec une piete (5) telle que
» toutes les perfonnes qui etoient pre-
« fentes crurent que, lorfqu'il difoit:
w Agnus Deij &c Domine^ nonfum di-
» gnus j il voi'oit de £es yeux celui a
» qui il parloit, fans ombre & fans
» voile «. Apres le dine il fe fit lire la
vie de la Sainte , fur laquelle il parla
fort long-tems aux perfonnes de la
maifon , qui Ten avoient prie ; & il
le fit d'une maniere II pleine de foi
& fi touchante, que Madame Hyppo-
lite (6) toute penetree de ce qu'elle
(y) Font. ibid. p. jiff.     Tourriere , ai'ant eteobli-
(<) Hippolyte Antoi-   gee defottiren i««4 , s'e-
nette Clement, apres avoir   toit retiree a Pomponne ,
fervi gratuirement pen-   ou M. d'Andilly Itti offrit
danr 15 ans le monaftere   One retraite. Hie revim
<k P. R.. en «uialii£ de   dans la fiiite a P, R. ; 9C
A Vj
-ocr page 14-
12 HlSTOIRE DE PoRT-ROlAi;
venoit d'entendre , dit a M. de La-
zanci: vous vene% d'entendre cet horn-
me-la ; cro'ie\-moi
, nous le perdrons
bientot, il ne vivra pas long
- terns.
Celle qui parloit de la forte , prophe-
tifa fans y penfer. M. de Saci tombe
malade le meme jour , fe met au lit,
demande avec empreflement les Sa-
cremens , les regoit avec vine piete
extraordinaire, donne fa benedi&ion
aux amis qui la lui demandent, &c
s'endort tranquillement dans le Sei-
gneur. Ainfi mourut M. de Saci le 4
Janvier 1684 ; ainfi pafTa-t-il de cette
vie a celui qui avoit ete l'objet de •
tous fes defirs, & qu'il avoit attendu
comme s'il eut ete vifible » 11 partit
» ainfi de ce monde (7) ,non avec le
» regret d'un homme attache a la vie
« prefente } mais avec la joie d'un
forcee d'en fortlren 1S79,    II fut prefente parM. Ra-
elle retourna a Pompon-    vechet, Dofteur de M.
lie , ou elle menoit la vie    1'Abbe de Pomponne , qui
la plus edifiante fous la    fit un ttes beau difcours,
conduite de M. de Saci.    que le Lefteur peut voit
Apres la mort de ce faint    dans le Tome 3 p. 15-1
Pretre , manquant de fe-    des Mem hiit. & chron.
cours fpirituels dans fa    M. Ravecheteft ce celebre
lerraite', ellevint en clier     Syndic de Sorbonne , qai
chet a Paris, ou elle    fut exile en 1717 al'occa-
mourut le 7 juillet i<Ts°,    fion de l'appel dcs IV E-
agee de 75 ans. Son corps    vSques, 8c mourut dans;
fin portc, comme elle    1'Abbaie des Benediitins,
J'avoitdefire, a la roaifon    de S. Melaine de Rennes..
de P. R. des Champs, i (7) foil. ibid. p. J7j.
t^ui elle lcgua ioo louts.
-ocr page 15-
II. P A R T I E. L'lV. IX. I J
« vrai chretien & d'un citoien du 1684.
» Ciel, qui fe regardoit comme etran-
» ger fur la teire «.
La nouvelle de la mort de M. de
Saci fe repandit auffi-tot, & jetta une
confternation univerfelle. » Toute la
» France le regretta (8). L'un plenroic
» un ami, l'autre un proche , beau-
« coup un pere , l'Eglife un excellent
Pretre , & toute la troupe des Bi-
deles, un Docteur edifknt.
Son corps fut tranfporte de la Pa- . &»
roifle de Pomponne le famedi 8 jan- au corpfde
vier dans celle de faint Jacques du M-deSaci *
haut Pas, pour etre enfuite conduit
a P. R., comme il Pavoit defire.
Madame la Duchefle de Lefdiguie-
res qui avoit ete fous fa conduite,
envoia deux cens perfonnes avec des
flambeaux , pour recevoir le corps de
fon faint Diredteur a l'entree de Pa^
ris , & l'accompagner jufqu'a l'Eglife
de faint Jacques (9). II y fut en de-
(?) Font. p. fjc*                » me elles I'auroientde-
(9) Vies edif. T. 4. p.    j> fire , des marques der
96 , 97. Ce fait eft neau-    » leuts refpe&s, en eiv-
Tnoins contredit par M,    35 voiant un grand nom-
Fontaine dans fes Mem.    » bre de flambeaux k lit
T. i. p. 53 , ou il die,    » pone faint Antoine...-
qu'a caufi des animofites    II ajoute , ■>■> qu'on l'a~
qui tie.toie.nt joint etein-    33 mena fourdement A
tes , » quelques Dames    » faint Jacques, fans que
» de considerations n'o-    j> perfonne en fit avert*,
» fetent lui doaner, com«
-ocr page 16-
f 4 HlSTOIRE DE PoUT-ROIAL.
1684. pot pendant quelques heures. Le brnic
s'en etant repandu, il y vint beau-
coup de monde pour fake fa priere
& rendre les derniers devoirs a un
Pretre, que fa longue prifon & fes
excellens ouvrages rendoient vene-
rable a routes fortes de perfonnes.
II y en eut meme, qui touches d'une
plus grande veneration pour fa piete,
leverent de petits morceaux de fa
bierre. » Comme Ton craignit que
» le monde ne s'amallat, & que Ton
» etoit bien aife de ne donner au-
» cune occafion a ceux qui cher-
» choient quelque pretexte de parler,
»> on crut qu'il etoit a propos de ne
» pas laifTer plus long-rems le corps
» expofe dans l'Eglife de fainr lac-
s' ques (10) «. Voila, felon M. du
Fofle, qui y etoit prefent, la raifon
pour laquelle on precipita le tranf-
port a P. R.
Le convoi partit au milieu de la
nuir , & dans la rigueur du plus rer-
(10) 11 eft die dans une    Prclat informS del'appa-
Iertrefur ce tranfporr,que   reil & du cortege de ce
M. I'Archeveque en avoit    tranfport qu'il n'avoic
accorde la permiflion &    permis que verbalement r
avoir fait I'eloge de M.    donna ordre qu'on l'ar-
de Saci , temoignant du    retat 6c que ce fut pour
regret de ce qu'il n'avoit   prevenir fondefTein qu'or*
pas eu le rems d'achever   prit le parti de le tranf-
fes explications fur l'E-   porrer prornpte.-neat a
triwre. On ajoute cpe ce   P.R.
-ocr page 17-
II. P ARTIE. LlV. IX.       1 $
rible froid. La terre etoir couverte x 684,
de neige & la trait tres obfcure. Nean-
moins le voiage fe fit aufii heureufe-
ment qu'il eut pu fe faire dans le
plus beau jour de l'annee. M. le
Cure de Pomponne & le Chapelain
accompagnoient le corps. Dans un
autre carofTe etoient M. du Fofle, M.
& Madame de Boroger , Mademoi-
felle le Maitre, & Me. de Fontper-
tuis qui avoit eu beaucoup de part
a la refolution qu'on prit de partir a
une telle heure. lis arriverent a cinq
heures du matin a P. R. , ce qui fur-
prit beaucoup , parcequ'on ne penfoit
pas qu'ils pufient arriver que le foir.
Les religieufes , qui n'etoient point
averties, aiant ete eveillees par la
fonnerie , fe rendirent au chceur dans
la furprife &c la confternation qu'on
peut fe reprefenter , pour recevoir les
precieufes depouilles de leur faint
Pafteur (u),
Le corps fut re^u a la porte par
M. Euftace & prefente par M. le
Cure de Pomponne , qui dans un pe-
tit difcours latin , fit en pen de mots
un bel eloge , tant de celui , dont il
prefentoit le corps, que du lieu qu'il
<") M. de Saci avoit et£ ordoane Pretre four
JP. R. des Champs.
-ocr page 18-
l6 HlSTOIRE DE PoRT-ROlAI,.
I(j8 , avoit choifi pour fa fepulture. Apre's
avoir dit, que M. de Saci (12), ce
grand horrime d'unc faint ete iminente ,
avoit en mourant rendu a Dieu fon
aire remplie de toutes les vertus, il
continua ainfi : » Nous apportonsici
» fon corps qu'on peut avec raifon
" appeller le temple du faint Efprit,
» a caufe des prodiges de charite &
» d'une fcience toute divine que
" Dieu a fait eclater en lui. C'eft un
« honneur qui eft du a fes faintes de~
« pouilles , d'etre placees dans un
■» lieu faint & parmi des faints : Is
nimirum honor fanciis hujufce viri reli-
quiis debetur, ut in loco fancto & apud
fanctos recondatur.
On porta le corps
dans la chapelle de la Vierge , ou il
refta en depot jufqu'a la ceremonie
de l'enterrement, qui fe fit le meme
jour apres 1'ofrice des Morts. Comme
on jugea a-propos de lui donner la
fepulture eccleiiaftique avec les habits
facerdotaux, on decloua la bierre,
& Ton fut fort furpris qu'etant mort
depuis quatre jours & tranfporte de
fi loin , il parut auffi vermeil que s'il
eut ete vivant (13) ; & que fes meiiv
(n> Magnns ille vir    omnibus pfenam.
& eximia: fan£titatis do-       (13) Du Fof. p. ;7?.,
minus de Saci, auimam   Font.T. '-• p. J}4»
Deo reddidit viuuubus
-ocr page 19-
II. Partie. Liv. IX. 17______
bres, malgre la rigueur du froid , KJ84.
etoient flexibles coinme ceux d'une
perfonne qui auroit ete animee. H
Fut porte en terre , revetu d'une cha-
fuble blanche , ai'ant dans fes mains
le calice de M. d'Alet, au milieu des
larmes &c des gemiilemens des Eccle-
fiaftiques. Les religieufes feules, quoi-
que penetrees de la plus vive dou-
leur , s'elevant 'par leur foi au-de(Tus
des fentimens de la nature, chanterent
avec une gravite qui fut ma fujet d'e-
tonnement & d'admiration. M. de
Saci fut enterre dans le bas cote du
choeur devant la chapelle de la Vier-
ge, avec une epitaphe faite par M.
Hamon.
Nous n'entreprendrons point de ., x\ xt.
raire ici 1 eloge de ce iaint Prctre , de saci.
comparable par fa fcience & fa piete
aux plus grands homines qu'ait eus
l'Eglife dans fes beaux jours. Le Lec-
teur trouvera de quoi fe former une
jufte idee de fon merite , dans les Me-
moires de M. Fontaine & de M. Lan-
celot j dans la relation de fa capti-
vite a la Baltille (14), qui , felon i'ex-
preffion de M. du Foite (15), etoit
anbaum.ee de I'odeur de fa piete 3
&c
(14) Vies edifj T. 4. (15) Mem. p. 317,318.
P- >J?> 304.
-ocr page 20-
1$ HlSTOIRE DE PoRT-ROlAl,
1 (J84. 00& il fortit, ncn comme un criminetj
a qui le Prince fait grace
, mais com-
tnz un jujle
, dent Dieu prendplaijir a.
faire eclater Vihnocence aux yeux de
fes ennemis
; dans la belle lettre que
M. de Pontchateau ecrivit a. M. de
Perefixe , pour lui demander la liber-
ie de ce faint Prifonnier (16) , dont
il dit, qu'il a cela dejingulier, quit
n'y a peut-etre perfonne en ce terns, qui
ait fait paroitre en fes livres unefcien-*
ce plus remplie de piete
_, ni une piete
plus eclairee,que lui dans les fiens
: dans
le Necrologe de P. R.; dans fon orai-
fon funebre prononcee a P. R. des
Champs le 10 Janvier 1684 (17); en-
fin dans une multitude de lettres
ecritespar desperfonnes duplusgrand
merite & de toute condition, pour
temoigner leurs regrets fur lamort de
ce faint homme.
xt.
           Parmi ces lettres , nous en rappor-
quable do M.terons lcl un^ &? Mj Arm.uld , du 2 I
ArnauH. janvier (18), qui eft bien remarqua-
ble. » 11 arriva , dit ce celebre Doc-
» teur , que le jour que je recus la
» nouvelle de la mort de M. de Saci,
» j'avois reve la nuit precedente, que
(i«)Vies6dif. P.J93-         <i8) Vies edif. T. 4,
(17) Vies fdif. p. 11 , p. 125.
49. ibid. p. 70, U fuiy.
-ocr page 21-
II. P A R T I E. L'tV. IX. 1}
» je voiois arriver fur des chariots
» deux tres grands cercueils , dans
» lefquels il y avoir deux morts en-
» fevelis. Je m'approchai pour les
» regarder j& apres avoir decouvertr
» leurs vifages, je reconnus M. de
" Saci & celui de la mere Angelique
» de Saint Jean. Comme je m'appli-
" quois a les confiderer , il me fem-
» bloit que Ie corps de M. de Saci
» etoit audi maniable & audi ver-
» meil que s'il n'eut pas etc mort. Je
» difois a quelqu'un , tin1'eft pas mort.
» Mais on me repondit : voie% fes
" yeux qui font ternis , & vous jugere%
» qu'il eft mort.
Je confiderai attenti-
« vement, & je reconnus qu'il n'y
» avoit que cette feule partie, qui
» fembloit n'etre pas vivante. J'etois
" beaucoup occupe de tout ce que je
" voiois , & il me fembloit que ceux
•> qui conduifoient les chariots me
" difoient : Nous avons amend ces
•' morts de bien loin j nous avons mar-
> chi par des chemins tres rudes &
■' fur des montagnes.
J'en avois gran-
" de companion , & je temoignois
■» combien j'y prenois de parr. Lorf-
» que je m'eveillai (je dis lorfque je
" m'eveillai, parceque j'etois verita-
» blement endorrni ),quoique je n'aie
-ocr page 22-
________ iO HlSTOIRE DE PoRT-ROlAI,.'
1684. » pas coutume de reflechir fur mes
» fonges , parceque je fais que cela
» eft inutile, je n'ai pu m'empecher
« de penfer un peu a celui~ci. II y a
» deux raifons qui m'ont empeche
» de l'oublier. L'une, parceque lea
» chofes font arrivees dans la fuite
» de la maniere dont je les avois
« vues ^ & 1'autre , e'eft qu'il m'en eft
" toujours demeure une impreffion
« forte dans l'irnagination, c'eft-a-
" dire, que mon imagination fe re-
" prefente encore vivement tout ce
» que j'ai reve j & je vois , ou plu-
« tot il me femble que je vois les vi-
» fages & tout l'attirail que j'ai vus
*-la premiere fois.
Le Le&eur fera fur cette lettre les
reflexions qu'il jugera a-propos. En
voici une autre , qui lui fera connoi-
tre le cas que M. Arnauld faifoit de
M. de Saci; elle eft datee du lende-
main de la precedente ( 2.1 Janvier).
« Le meme jour, dit-il, que je me
» donnai l'honneur de vous ecrire,
» je rectus la triftenouvellede lamort
» de M. de Saci. J'en fus perce de
» douleur ; & qnoique fa fin fi heu-
=> reufe, qui a repondu a la faintete
» de fa vie, me rut un fujet de con-
». folation, j'envifageois neanmoins
-ocr page 23-
II. Par tie. Liv. IX. 21
8c j'envifage encore avec un tres 1684.
» fenlible deplailir la grande perte
» que l'Eglife fait en la perfonne de
» cet illuftre mort. Je n'ai jamais
» connu un homme plus fage que
« lui, & qui ait fait un meilleur
»» ufage des talens que Dieu lui avoit
» donnes. Sa patience a eclate dans
» fa prifon & dans fes adverfites , 8c
» lorfque Dieu lui a rendu laliberte,
« il a enrichi l'Eglife de fes ecrits.
" Je ne doute point que Madame....
» ne foit bien touchee de la mort
« de ce grand ferviteur de Dieu, &c.
II n'y avoit qu'un moment que XIT. _
cette mort imprevue, quoique tres maiadfeTia
precieufe aux yeux du Seigneur, avoit ™c" Angel*-
enleve aux religieufes de P. R. des j'^. e '
Champs, celui qui les conduifoitau- Ses Mutes
dehors par la fagefle de fes confeils, po uns*
& en qui elles avoient depuis plu-
fieurs annees une parfaite confiance ,
& cette plaie etoit encore route ou-
verte, lorfqu'une nouvelle plus dou-
loureufe encore, parcequ'elle etoit
plus interieure , leur ravit par la
niortde la mere Angelique , cellequi
les faifoit courir dans la voie etroite
par la ferveur de fon exemple , &c
par l'efficace de fes paroles, Ces fain-
tes lilies frappees coup fur coup pac
-ocr page 24-
XX HlSTOIRE DE PoRT-Ro'lAL.
' les endroits les plus fenfibles, pou-
voient dire avec le Prophete (i^) :
Douleur fur douleur _, man ame ejl
dans I'amertume.
Depuis la mort de M. de Saci, la
mere Angelique de Saint-Jean n'eut
plus d'autre defir que de le fuivre ,
comme une brebis s'empreiTe de fui-
vre fon pafteur. On la voi'oit tres
fouvent aller fur fa tombe prier ce
cher pere de lui obtenir la grace de
fortir auffi de l'exil de cette vie. Le
Seigneur l'exauca au bout de trois
femaines. Une fceur qui etoit mala-
de (20) , & qui avoit demande a M.
de Saci qu'il lui obtmt la grace de
mourir bientot , ai'ant prie la mere
Angelique dans une vifite qu'ellelui
rendit le 24 Janvier , d'allerpour elle
fur fon tombeau & de lui expofer fes
befoins, la fainte AbbefTe lui accorda
ce qu'elle fouhaitoit. Elle alia avant
Vepres fe profterner fur le tombeau
de M. de Saci, lui parla pour la ma-
lade , & lui demanda pour elle-me-
me fa benediction. En fe relevant elle
fe fentit frappee d'une violente dou-
leur de cote, comme li on lui avoit
(19) Jerem. vn 1.18. Tronchais ,quimoimit le
(10) La focur Made- 5, feytier 1*84.
Icine de fainte Viftoire
-ocr page 25-
II. Partie. Liv. IX. 13
donne an grand coup. Apres l'Office, 1
elle fut obligee de fe mettte au lit.
Une fceur aiant voulu lui 6ter fon
voile : LaiJfe\-moi _, lui dit-elle ,(21)
le rendre a Dieu qui me Fa donne , il
y a quarantc cms a tel jour que de-
main (n). Lorfqu'on tombe dans une
grande maladie 3 comme on ne fait pas
ii on en relevera
, il faut commencer
par rendre fon voile a celui qui nous Va
donni.
Elle dit enfuite le Te Deum
tout entier. Comme elle vit la conf-
ternation ou etoient les religieufes ,
elle leur dit: je fouffrirai _, & ce ne
/era que dans le corps ; mais pour vous
vous Jbuffrire^ dans Fefprit. Cependant
ilfautfe joumettre a Dieu j fes ordres
font toujours adorables
_, quels qu'ils
puiffent etre. II faut le laiffer faire &
lui obeir: Dominus eft.
En fe mettant
au lit, elle dit : Mes enfans, n'oublions
pas de chanter le Cantique de VAgneau
& de le benirj quoi qui arrive.
Le troi-
fieme jour, la fievre ne diminuant
point, M. Hamon jugea qu'il ne fal-
loit point differer de lui adminiftrer
les Sacremens. Elle s'y difpofa avec
fa piete ordinaire , & demeura plu-
(11) Relation de la ma-    P. R. Relat. vm. T. 5.
ladie & de la mort de la   p. yjj.&fuir.
mere Angelique de Saint (11) Elle avoit reju 1«
Jean par une religieufe de    rpik le ,ij Janvier.
-ocr page 26-
24 HlSTOIRE DE PoRT-ROlAt.
X684. fieurs heures en filence dans Un grand
recueillement, ai'ant demande qu'on
ne l'interrompit point.. M. Euftace la
confeffa fur les dix heures du matin le
jeudi, quatrieme jour de la maladie j
enfuite elle fit dire les pfeaumes, In
te j Domine, fperavi
j Deus _, Deus
meus
j refpice in me j &c. Avant que
de recevoir les derniers Sacremens ,
elle voulut faire des excufes a la com-
munaute , quoique la mere du Far-
gis la priat avec larmes de ne le point
faire, & elle le fit en ces termes: Mes
3j foeurs , je vous demande tres hum-
» blement pardon des fautes que j'ai
» faites dans l'adminiftration de ma
» charge. J'ai toujours ete perfuadee
» qu'elle etoit au-deffus de mes forces,
» Sc 'fen ai extremement apprehen-
« de le poids, mais je fuis obligee
« de vous remercier en meme-tems,
» de ce que par votre docilite, vo-
» tre amitie 8c votre bonte, vous
» avez contribue a en adoucir la pe-
» fanteur. Je fais neanmoins que les
» fautes que j'y ai faites font en tres
m grand nombre j & n'ai'ant pas aflez
» de larmes pour les laver, j'efpere
» que celles que la charite vous fera
« repandre fur moi m'aideront a les
« purifier«, Elle re$ut enfuite les
« Sacremens
-ocr page 27-
II. P ARTIE. L'lV. IX.       25
Sacremens avec une prefence d'efprir
& une piete admirahles, au milieu des
Iarmes & des gemiiTemens de route
fa communaute. Lorfque le Confef-
feur forcit, elle le pria d'afTurer tons
les amis de fa parfaite reconnoif-
fance , de les fupplier de l'aider dans
leurs prieres , & d'etre perfuades que
li Dieu lui faifoit mifericorde , com-
me elle l'elperoir , elle n'oublieroit
pas ce qu'elle leur devoir devanrDieu.
Apres qu'on fur rerire , elle pria qu'on
n'mrerrompir poinr fa prierej mais
fenranr que la force de la fievre lui
6roit la liberre de penfer a ce qu'elle
fouhaitoit, elle fe fir lire le pfeaume
Benedic ■, anima mea _, Domino. Quoi-
que la violence du mal ne lui permit
pas de Her fes penfees & de faire des
reflexions, la verm avoir jerre de fi
profondes racines dans cerre ame ,
qu'elle furvivoit a routes fes autres
qualires. Quelqu'une lui aiant annon-
ce , fans y penfer, la mort d'un jeune
nomnie, qui s'etoir rerire aurrefois a
P. R. pour y fervir Dieu , & qui de-
puis quelques annees etoit renrre dans
le monde, elle s'ecria : Ah man Dieuj
que me dites-vous ? La terrible & affli-
geante nouvelle !
Comme on voulur lui
dire quelque chofe; pour empecher
Tome Fill,
                         B
-ocr page 28-
%6 HlSTOIRE DE PoRT-ROlAI.
iG$A qu'ellene s'affligeat fl vivement: c'eft
Jon ame
_, dit-efle j que je regrette. Eh
mon Dieu
_, que devient-on quand on
meurt dans cet etat
! Une religieufe ,
dont le frere avoir etc eleve a P. R. &
etoit pour lors engage dans le monde,
emploi'e a l'education d'un jeune Prin-
ce , s'etant approchee de la malade ,
elle lui dit obligeamment: En quel-
que etat de douleur que Von foit
_, il
n'y a pas mo'ien de s'empecher d'avoir
une joie fenfible , quand onpenfe a M.
votre frere. Qu'il eft heureux d'etre
dans les fentimens ou Dieu le met! II
faut le prier quilles lui conferve.
Quel-
que terns apres elle dit encore : « on
» voir afifez de perfonnes , qui aiant
» eu une bonne education , & s'etant
» apres laifle emporter par le monde,
» penfent dans la fuite a revenir a
» Dieu \ mais la plupart y contrac-
« tent de fi grandes tenebres, qu'elles
»» n'y reviennent qu'a demi & d'une
j» maniere tres imparfaite. Quand
» Dieu leur infpire de tout quitter
» & de fe feparer entierement du
»> monde & des occaiions de l'of-
« fenfer, c'eft alors qu'il y a bien
» des actions de graces a rendre a
3> Dieu pour eux, car on peut s'afTu-
»> rer que leur retour fera parfait«.
-ocr page 29-
11. Par tie. Llv. IX. 27
Le quatrieme jour de fa maladie, I(jg . "
comme elle voi'oit fa fin approcher, xm_
elle pria qu'on ne lui pariat plus d'au- ses demfcres
cune affaire , & qu'on la laiflatpen- Paroles'
fer a Dieu. » C'eft le moins qu'on
» puifTe faire , dit-elle, quandon va
» a lui , de fe defoccuper de toute
» autre chofe, 8c de fe renir toujours
» en fa prefence «. En effet, elle ne
fit plus que cela. Elle ne ceflbit de
prier , & etoit deja elevee par la foi
dans le fein de Dieu. C'eft ou elle
s'efforcoit d'attirer £es filles , en les
exhortant a la confiance. » Ai'ez fur-
tout , leur difoit-elle , une grande
confiance en Dieu: il ne vous fau-
roit rien arriver de facheux tant
que vous efpererez en lui. II n'y a
que cela a. faire : plus ce que vous
lui demandez eft neceflaire, & plus
vous devez vous affiirer qu'il vous
l'accordera 5 car le Pere celefte don-
ne toujours ce qui eft neceflaire «.
Elle avoit une extreme difficulte de
parler j & elle etoit mortifiee de ce
que cela l'empechoit de fatisfaire a ce
que la charite lui infpiroit pour les
perfonnes qu'elle alloit quitter. » Je
» ne fais, difoit-elle , d'ou vient cet-
" te impuiflance : avoir tant de cho-
» fes a dire, & ne pouvoir fe faire
Bij
-ocr page 30-
3 HlSTOIRE DE PoRT-ROlAL.
entendre. II faut fe foumettre a"
Dieu : peut-etre que j'ai trop parle
en ma vie , & qu'il m'en a ore la
liberte a. l'heure de la mort pour
en faire penitence «.
xiv.
          Au milieu des douleurs exceffives
Sabienheu-
reufe more,
qu'elle fouffroit, elle etoit toute oc-
cupee de la grandeur de Dieu , de fa
faintete, de ion eternite ; elle n'avoit
plus que cela dans l'efprit. On paifa
la mat du 18 au %<) a dire- aupres
d'elle des prieres, auxquelles elle
avoit une attention toute particulie-
re , e levant fouvent les yeux au Ciel,
Sc adorant fans cede Jefus - Chrift
crucifie. Apres Marines , la mere
Prieure fit aflembler les fceurs, & lui
demanda avec larmes fa benediction
pour toute la communaute 5 ce qu'elle
fit. Sur les quatre heures du matin,
M. Euftace entra & dit les prieres de
l'agonie. » On ne peut reprefenter
» quelle etoit la paix , la douceur, la
»» tranquillite'& la joie qui paroif-
« foient fur fon vifage, qui ne chan-
" Sea Pomt". EHe conferva la con-
noiilance , 8c donna des marques de
fa tendre piete , finon par des paro-
les , du moins par des fignes, jufqu'au
moment qu'elle quitta cette vie, le
2? Janvier entre une & deux heures
-ocr page 31-
II, P A R T 1 E. Llv. IX, 1?
apres midi, pour aller recevoir de fon 153^.
epoux.la jufte rdcompenfe de fes ver-
ms. La mere Angelique etoit agee de
59 ans : elle fut inhumee dans la gran-.
de gallerie pres la pone du cote gau-
che du choeur.
M. Arnauld etoit fi touche de la
verm de la mere Angelique de Saint-
Jean , qu'il crut devoir en ecrire quel-
que chofe pour en conferver la me-
moire. Mais n'aiant pas eu le terns
de mettre la derniere main a ce qu'il
avoir fait , il chargea M. l'Abbe da
Guet d'arranger fes remarques.Ce qu'il
fit: c'eft ce qui forme 1'eloge de la mere
Angelique de S. Jean dans le Necro-
loge(if). Cette piece fe trouve danst
le VIe. volume des Lettres de M<
l'Abbe du Guet, p. 164 ; mais le nomt
de la mere Angelique de Saint-Jean ,
& celui de Port-Roial font fuppri-
mes. Quelqu'habile que fut la main
qui a trace ce portrait, on pent dire
qu'il y manque beaucoup de chofes.
Pour pouvoir fe former une jufte idee
de cette incomparable Abbefte , tant
pour fon efprit , que pour fa piete , il
(13) L'Auteur ou l*E-    Beauvais cet eloge, qui
diteur clu Supplement au    eft certainemenr de M.
Nccrologe de P. R. at-    du Guet. Le ftyle auroic
tnbue mal a-propos a M.    du faire £virer une telle
Herman Chanoine de    meprife. Suppl. p. 558.
B iij
-ocr page 32-
JO* HlSTOIRE DE PoRT-ROlAL.
KJ84. faut joindre a la le&ure de ce bel
eloge, que nous renvoi'ons a la fin
du volume, celle des memoires ou
relations de P. R. de M. du Foflfe ,
de M. Fontaine , des lettres qui fu-
rent ecrites par difrcrentes perfonnes
fur fa bienheureufe mort (24); mais
fur-tout celle de fes propres ouvra-
ges, fpecialement la relation de fa
eaptivite , & fes lettres (25).
xv.
          Auffitot apres la mort de la mere
"La mere du a         i-           jo-         t             i
Fargis eft eke-Angelique de baint-Jean, la mere
Abbeile. prieure ecrivit pour en informer M.
de Paris, & lui demander la permif-
fion de faire l'election d'une AbbefTe:
elle recut aflez promptement r^pon-
fe, 8c en donna avis a la communaute
le jour meme de 1'enterrement ( 31
Janvier). Des le foir on comroen^a
les prieres pour l'election , qui fe fit
le deux de fevrier. La mere Prieure,
Marie-Madeleine du Fargis fut elue
pour la quatrieme fois.
xvi.         La mort enleva le jour de fon elec-
Mort deja tjon pencJanr qne les religieufes e-
TccurBergevm           * r        .         i              .. " .
& de la fa;ur toient au enceur pour dire Prime , la
Tronchai. fceur Madeleine-Monique poftulante
converfe ; & le lendemain la foeur
Victoire mourut entre fept & huit
(24) Vies edif. T. 4. f*0 Ibid. Suppl. p.
p. 415, 448.
                      48?. & fuiv.
-ocr page 33-
II. P a r. t i a. Liv. IX. $ r
du matin, enforte qu'on ne fit qu'un 1684.
convoi & qu'un en tenement pourles
deux. La fceur Madeleine de Sainte-
Monique Bergevin (z6)avoit fait voir
line perfev^rance & un attachement
pour la maifon de P. R. dont il y a
peu d'exemple. Aiant ete mife au
nombre des poftulantes, & ne pou-
vant neanmoins etre recue religieufe ,
bien loin de fe rebuter, elle fe fen-
tit un nouveau defir de finir fes jours
dans cette maifon , & elle pafTa plus
de vingt-fix ans dans cet etat d'afpi-
rante , fans rien relacher de fa pre-
miere ferveur.
La foeur Madeleine-Vidoire (Tron- ^j2£y.
chai, foeur du Secretaire de M. dene viaoite
Tiilemont) avoit fait profeffion le 13 Ttoachai.
nov. 1673 , a l'agede 16 ans. Pendant
dix annees qu'elle palTa dans le cloitre,
elle fut aflbciee aux foins que la foeur
Elifabetli de Ste-Agnes le Feron pre-
noit de rediger le NecroWe de P. R.
& de mettre en ordre les autres pa-
piers de cette Abbai'e.
M. de Luzancy, coufin de M. de xvnr:
Saci, & le compagnon de fa retrai- a' ' '/»
K, frere de la foeur Angelique de S. vie.
jean , ne leur furvecut pas long-tems,
etant mort le 1 o de fevrier. On ap-
(16) Nfool.
B iiij
-ocr page 34-
Jl HlSTOlRE DE PoRT-ROlAI.
prit cette trifle nouvelle le mcme
jour a Port - Roi'al, oil fon corps fat
apporte le lendemain , & prefente
par Moniieur le Cure de S. Lam-
bert, qui s'etant trouve a Paris pour
que'que affaire , 1'avoit affifte a la
mort.
Cethomme, dit M. Fontaine (ij),
dont la memoire eft en benediction,
ctoit fils de M. d'Andilly. Etant fort
jeune , fon inclination le portoit a ai-
mer le monde, & il avoit tout ce
qu'il falloit pour s'en faire aimer. II
aimoit a entretenir les compngnies, &
avoit au contraire un grand eloigne-
xnent de 1'etude. Ce fut ce qui porta
M. d'Andilly a le mettre Page chez
le Cardinal de Richelieu. Au bout
d'un an, Dieu qui veilloit fur fon
ame , jetta dans fon cceur les pre-
mieres etincelles dela piete. II fefer-
vit pour cela d'un entretien que ce
jeune Page eut avec la fceur Catherine
de Saint-Agnes, l'ainee de fes fceurs ,
qui etoit novice de la maifon du S-
Sacrement au commencement de fon
ctabliflement. Elle lui park avec tant
de zele & tant de force de 1'horreur
que les Chretiens doivent avoir du
peche mortel, que fes paroles le laif-
_(i7) T. i. p. 111,113", & Necr,
-ocr page 35-
II. P artie. Llv. IX. 33
1          II I I                I'll
ferent perce de la crainte, de Dieu, 16S4.
comme d'une Heche falutaire, qui
depuis ce terns l'empecha de prendre
comme auparavant du plaifir dans ce
qui fait les delices du monde.
II lui venoit fouvent des penfees
de tout quitter; & ce deflein fe re-
nouvelloit toutes les fois qu'il fe ren-
controit dans quelque occafion peril-
leufe d'offenfer Dieu. II en eut une ,
dont il fut preferve par un effet fen-
fible de la divine mifericorde. Un
des Pages , fon ami parriculier , aiant
pris querelle avec un autre , & refolu
de fe battre, I'engagea a lui fervir
de fecond. II n'eut pas la force de lui
refufer ; mais voi'ant avec horreur le
precipice 011 il alloit tomber volon-
tairement , il entra dans une peine
d'efprit qui le fit retourner a Dieu
avec tine telle ardeur , arm qu'il lui
pltit le delivrer de cette malheureufe
neceflite , qu'il parut que Dieu 1'exau-
<Ja > car la choie fe decouvrit, & le
gouverneur en empecha .i'execution.
Cet evenement lui fit former diffe-
*ens projets de retraite; il en deli-
bera avec un de fes compagnons ,
avec lequel il etoit lie d'une amitie
particuliere , & qui avoit lui-meme
celfein de quitter le monde; & ils
B v
-ocr page 36-
54 HlSTOIRE DE PORT-ROUX.
fe promirent reciproquement de fe
quitter , lorfqu'ils fortiroienr de chez
le Cardinal. Peu apres, M. de Lu-
zaney fut oblige ti'en fortir pour plu-
fieurs inois, aiin de fe faire traiter
d'une bleiTure qu'il s'etoit faite a la
the en tombant de cbeval par un
accident, ou il eft vifible que Diett
lui fauva. la vie. Cette occafion re-
nouvella encore fes defirs de tout
quitter. Mais d'un autre cote, il fe
perfuadoit qu'il ne pouvoit honete-
ment fe retirer fans avoir fait une
campagne. En confequence il retour-
na a la Cour fitot qu'il fut gueri, &
obtint une enfeigne dans la garnifon
du Havre, ou il demeura fixmois ?.
menanr une vie tres reglee. Ai'anr
trouve clans la chambre ae l'auberge
ou il logeoit, une Vie des Saints, il
fe fit une loi d'y lire tons les jours
quelques endroits, & il n'y manqua
point. Cette ledture , comme il l'a
reconnu lui - meme depuis , lui fut
tres utile, parceque les exemples qu'il
lut le confirmerent dans les fenti-
mens que Dieu lui avoir infpires,
qu'on ne peut etre entierement a. lui
qu'en renoncant a tout. Au bout de
ces fix mois ., il fut commande pour
1'armeSj 8c partit avec joie. Mais
-ocr page 37-
II. Par tie. Llv. IX. $<$
Dieu avoit des vues de paix fur lui, i
tandis qu'il en avoit de guerre. Etant
■. a Bapaume, il tomba malade d'une
fievre continue avec la petite verole ,
ce qui l'obligea de fe faire tranfporter
a Perone. La folitude ou il fe trou-
va a la vue de la mort, qui pouvoit
I etre ii proche , lui fit voir le monde
tel qu'il eft ; & il fe refolut plus que
I jamais d'executer le deftein que Dieu,
: lui avoit infpire.
II avoit 18 ans (z8) pour lors; il
prit d'abord la refolution de faire un
voiage a Saint - Ange pour mieux
penfer a l'ouvrage de fon falut. II y
edifia route la maifon par Pexem-
ple d'une piete finguliere. C'etoit dans
ce terns que la grace de Dieu fe re-
pandoit pour ouvrir a plufieurs per-
fonnes le chemin de la penitence par
la conduite de M. de S. Cyran , fous
laquelle M. de Luzancy fe mit (felon
M. Lancelot) en Pannee 164.Z (19).
Ce faint homme etoit alors prifon-
nier a Vincennes , d'ou il ecrivit deux
lettres a M. de Luzancy , qui font la
X&laXVII.Le eune Officier , apres
avoir remis entre les mains du Car-
(18!) M .Lancelot lui T. i. 358. ■Nccrol. Font.
cndoune 10.
                     X. j.p. 114.
(2-?,1 Mem. de Lancelot,
Bvj
-ocr page 38-
3<? HlSTOIRE DE PoRT-ROlAt.
1^84. dinal l'enfeigne qu'il lui avoit don-
nee , alia fe cacher dans le defert de
P. R. ou Me/Iieurs le Maitxe fes cou-
iins demeuroient depuis quelques an-
nexes , animes du meme efprit de re-
traite & de penitence. 11 embralTa
l'une & l'autre avec un zele , qui ne
cedoit en rien a celui des perfonnes
dont il vouloit fuivre l'exemple. M.
le Maitxe en informa M. de S. Cy-
ran , qui, en lui faifant reponfe , tc~
moigna qu'il etoit bien aife de voir
qu'il etoit content du nouvel Hermite,
que c'etoit une bonne ame , mais qui
avoit befoin de conduite.
M. de Luzancy fachant que le tra-
vail eft une partie de la penitence,
le joignit a la fienne, 8c l'entreprit
fans s'epargner dans les plus penibles
& les pluslaborieux , comme defcier
les bleds au terns de la moiflbn , faire
les foins , & autres chofes fembla-
bles. II prit avec M. le Maitre le foin
de faire valoir les terres , &fe char-
gea lui feul de tout le menage; ce
qu'il continua encore apres le retour
des religieufes en 1648..
La reconnoiflance de la mife'ricor-
de que Dieu lui avoit faite en lere-
tirant du monde, & la perfuaiion ou
il etoit qiul rendoit a Jefus -Chrift
-ocr page 39-
II. P A R T I E. L'lV. IX.        37
mane tout le fervice qu'il rendoit a 1684.
fes epoufes , 1'entretinrent toujours
dans les fentimens que fon humilite
lui avoit infpires, &c qu'il conferva
jufqu'a la mort. II voulut meme les
exprimer dans fon teftament avec les
termes les plus humbles, demandant
comme une grace d'etre ailocie aux
prieres de la communaute, en qualite
de frere convers , qui eft le rang 011
il s'etoit toujours regarde dans les fer-
vices qu'il avoit tache de rendre a la
maifon.
Dans fon travail comme dans fon
repos, il s'occupoit toujours de Dieu;
car la piete etoit en lui un don tout
fingulier. II aimoit 1'Office divin &
le chant de l'Eglife , & il etoit exaci.
. a
a y affifter autant qu'il lui etoit pof-
fible. On ne le pouvoit regarder a
i'Eglife fans en etre touche j rien n'e-
tant plus humble , plus religieux , que
la pofture meme exterieure en laquelle
pi s'y tenoit. II y paflbit des terns con-
nderables , & autant que fes autres oc-
cupations le lui permettoient. C'etoit
iia le lieu on il trouvoit de la confola-
tion dans fespeines, du repos & dm
iconfeil dans fes affaires. Mais ce n'e-
toit pas feulement a l'Eglife qu'il don^
hoit des marques de fa piete , elle pa-
-ocr page 40-
3 8 HlSTOIR.fi DE PoR.T-RO*lAt.
j684.. roifToit encore dans routes fes actions
les plus communes & les plus ordi-
naires. On l'a vu allanr a cheval par
les champs pour les befoins de la mai-
fon , prier fans cefTe pendant toute
la longueur du chemin.
II avoit naturellement le cceur bon
& uue tendrefTe qui lui attiroient la
confiance des autres -y de forte que Ton
ne pouvoit converfer long-tems avec
lui fans trouver du foulagement &
de la confolation a. fes peines. 11 ai-
moit les pauvres, mais il avoit une
attention particuliere a affifter les or-
plielins qui manquoient de tout fe-
eours. Corame fon humilite le por-
toit a fe cacher dans les liberalites
qu'il faifoir, il fe fervoit d'une main
etrangere pour les diftribuer fans qu'il
fut connu. 11 avoit une grande com-
panion pour les malades, & etendoir
fes foins jufqu'aux domeftiques, dont
il avoit le fecret de fe faire egale-
ment aimer & craindre. Bon envers
tout le monde , & fe faifant aimer
de tons ceux qui le connoiflbient, il
etoit tres dor a lui-mane, ne pre-
nant aucun foulagement dans fesin-
commodites, fans y crre force. Les
veilles, les jeunes lui etoient ordi-
naires.
-ocr page 41-
II. P a r. t i e. Liv. IX. iy
Les troubles l'obligerent trois fois i<j8ju
: de quitter P. R. mais fon cceur y de-
meura toujours. Ce fut en 1679 qu'il
en fortit pour la troilieme fois, & fe
retira a Pomponne avec M. de Saci.
11 y avoir pres de cinq ans qu'ils y
I vivoient enfemble lorfqu'il plut a\
i Dieu de mettre a une grande epreuve
: la vertu de Ivl.de Luzancy, en rom-
. pant une union fi etroite & fi intime
: par la morr de M. de Saci, qui fut
I enleve par une maladie de 24 heures.
I Quelque dure que cette feparation fut
a la nature , elle ne l'affoiblit nulle-
[ nient. II continua de donner de nou~
ivelles marques de fa foi & de fa conf-
tance, que Dieu tenta de nouveau
en demandant de lui un fecond fa- •
crifice, auquel il ne put furvivre , &
qui acheva de confommer celui de
j fa vie. Ce fut la mort de la mere
Angelique de Saint-Jean fa fceur. M.
; de Luzancy aiant appris fa maladie,,
I accourut a P. R. ou il arriva comme
elle alloit expirer. II ne furvecut que
i x 2 jours a cette incomparable foeur \
\
ear au retour il fe mit au lit, & mou-
I rut a Fhotel de Pomponne a Paris lei
10 fevrier 1684, ^gc de- foixante-un
t ans, dont il en avoit paffc plus de
, quarante dans la reu-aite & la peni-
-ocr page 42-
40 HlSTOIRE DE PoRT-ROIAE.
1684. fence. II fut enterre dans le bas core
de la Chapelle de S. Laurent aupres
de M. d'Andilly fon pere. II legua
par fon teftament dix mille livres a
Port-Roial.
xtx.
           Apres des pertes fi confiderables,
Abbe'd'e^u- ^- ^- en *" encore plufieurs autres ,
te Fontaine, tanc an dedans qu'au dehors. Le 29
5a vie'
         de mars il oerdit un fidele ami & im
zele defenfeur de la verite & de l'in-
nocence , par la mort de M. le Roi,
Abbe de Haute-fontaine , maifon de
l'Ordre de Citeaux , an Diocefe de
Chalons en Champagne. Guillaume
le Roi (30) lils de David le Roi, Se-
cretaire du Roi, & d'Opportune de
Choi/I, ne a Caen le 1 o Janvier 161 a,
parut porte a la piece & a 1'etat Ec-
cleiiaftique des fa plus tendre jeu-
nelle. If fut de bonne heure pourvu
d'un canonicat dans l'Eglife de Notre-
Dame de Paris.Ses inclinations etoient
faintes, & fes mceurs tres pures. II
etoit naturellement bon , doux, affa-
ble , honnete, fincere , tendre, gene-
reux pour fes amis, compatiffant pour
les pauvres. II avoit beaucoup de
gout pour la lecture & pour la re-
traite. Ce fut ce qui le porta en 1653
ou 1 (J5 4 a acheter une maifon de.
(30) Supl, au Ntct.p.47^.
-ocr page 43-
II. Par tie. Liv. IX. 41
campagne pres de P. R. , appellee I(jg .
Merentais , ou il fit tranfporter une
bonne bibliotheque (31) qu'il avoit
formee , & s'y retira pour s'appli-
quer a la le&ure de l'Ecriture , des
Peres & des Conciles. Pen apres, foil
gout pour la folitude lui fit pennu-
ter fon canon icat avec l'Abbaie de
Haute-fontaine, vendre fa maifonde
Merentais, & il-fit tranfporter fa bi-
bliotheque dans fon Abbai'e pour s'y
confiner (32). Depuis que M. le Roi
fe fut fixe dans cette retraite en 1661,
il n'en fortit qu'une feule fois pour
venir a Paris , a l'occafion d'une af-
faire de famille ties importante. Son
occupation continuelle etoit, les bon-
nes oeuvres , la priere & la lecture.
II conferoit certains jours avec les re-
ligieux, & leur faifoit des exhorta-
i tions dans l'Eglife les Dimanches &c
I Fetes. II ne perdoit pas un moment,
J regardant le terns corame la chofe la
jplus precieufe qu'il y ait, puifqu'il
I nous eft donne pour acquerir l'eter-
Irute. La partie de l'Ecriture , a la-
I...l, . *is^nWiftins de   vaux lui donna pout
l^"i          faintPienede    P«eur D. Rigobert, qui
I Jr™lons rar Marne, pof-    fe retira dans la fuite a
I ledciic cctte bibliotheque    la Trappe , oil il eft inert
<3iJ VAhbi de Clair-
-ocr page 44-
4i HlSTOIRE DE PoftT-Ro'lAt.
, quelle il prenoit plus de gout, etoit
les Epitres de S. Paul} il Ies lifoit
fans cefTe, & en etoit comme infa-
tiable. C'eft la qu'il avoit puife un
amour ardent pour Jefus-Chrift , qui
lui faifoit dire fouvent avec le grand
Apotre : Qui non amat Dominum Je-
juni Chriftum
, anathema fit : que ce-
lui qui n'aime pas Notre-Seigneur
Jefus-Chrift, foit anatheme. II avoit
un zele extraordinaire & rout de feu
pour la doctrine de la neceflite d'ai-
mer Dieu pour etre reconcilie avec
lui & etre fauve. Ah ! qu'on feroit
heureux ,
difoit-il peu de jours avant
fa mort , s'entretenant avec un ami,
Jt Von pouvoit pourrir dans un cachet,
ou mourir fur un fumier j pour avoir
la confolation de lien foutenir & de
voir hien reconnue & bien etablie la
doctrine de Vamour de Dieu ! Quel ben-
• heur pour nous 3 mon cher Monfieur,
Ji ce pouvoit etre-Va notre fort.' Nefe-
rie^-vous pas ravi qu'il vous fut com-
mun avec moi?
II n'etoit pas moins
zele pour la doctrine de S. Auguftin
fur la grace, qu'il avoit etudiee a fond.
On peut voir quels etoient fes fen-
timens fur cette importantc matiere
de la religion , dans fa Priere de la
grace ,
qu'il nommoit fa confeffion
-ocr page 45-
II. Partie. Llv. IX. 4$
de foi (33). Son attachement a cette 1684.
fainre doctrine de la grace lui donna
une 11 grande horreur du Formulaire,
qu'il ne croi'oit pas qu'on put le figner
purement & /implement, meme pour
le droit, c'eft-a-dire , fans marquer
dans quels fens les Propofirions e-
toient condamnables , tant il crai-
gnoit qu'on ne lui donnat quelqu'at-
teinte.
Le zele que M. 1'Abbe le Roi avoit
pour la doctrine de 1'Eglife fur la
grace & fur la neceflite de l'amour
de Dieu, ne pouvoit manquer de
former une etroite liaifon entre lui &
les intrepides defenfeurs de ces faintes
verites. 11 lia done avec eux , fur-tout
avec M. Arnauld , une amitie qui
ne fit qu'augmenter jufqu'a la fin de
fa vie. 11 regardoir ce celebre Doc-
teur & le refpectoit comme le plus
genereux & le plus favant defenfeur ,
que la doctrine de S. Auguftin ait eu
dans ces derniers rems. II eur 1'agre-
(5!) M. l'Abbe leRoi    M. de Palafox, enlatin,
•volt compote cette prie
     en italien, meme en an-
, *f pour fatisfaire la piete
    gloss. Bile a ete fouvent
• oe la fceur, £,„; £tojt re.
    reimprimee. Cependanc
iigieue, laquelle I'avoit
    en 1735 un Archeveque
pne d en faire une pour
    de France l"a condamnee
oemander a Dieu la grace
    comme unenouvelle pro-
dune veritable conver-
    duftion remplie d'erreurs
'ion. Cette priere a ete
    roonftrueufes.
ttaduue en Efpagaol par.
-ocr page 46-
44 HlSTOlRE DE PoRT-ROlAI.
ment de recevoir ce grand homrad
dans fa folitude , ainfl que M. Ni-
cole, M. de Pontchateau , & plufieurs
autres perfonnes celebres , unis avec
ces favans Theologiens par les liens
que la charire & Pamour de la vc-
rite forment. M. le Roi pouvoir - il
ne pas s'interefler a ce qui regardoit
les faintes religieufes de P. R., qui
etoient perfecutees pour la verice, &
fupportoient le poids du jour &dela
chaleur ? Non ians doute. II concur
pour elles une eftime parriculiere,
regardant la perfecution qu'on leur
faifoit comme la recompense de leur
piece , & le couronnement de leur in-
nocence (34). Leur etat lui paroifToit
tel, qu'un vrai cb.reti.en ne pouvoit
le regarder qu'avec des fenrimens de
joie & de defir d'avoir part au meme
bonheur. II ecrivit a ces faintes filles,
pour les feliciter de leurs foufFrances
& les fortifier (35). Il prenoit leur
defenfe & faifoit leur apologie (36).
La fincerite ne nous permet pas de
diflimuler que M. l'Abbe le Roi, par
(34) Lettre de M. Ie    ties de M. le Roi.
Roi i 10 mai iS6j.Kec.        ($6) Lettre d'un Soli-
de pieces fur le Form, de    taire a .... fir laperfi-
a7f4,p. 311.                       cution qu'on faifoit aux
Oy) Voi'ez dans le me-    religieuj'es deP.JZ. i66j.
me lecueil plufieurs let-
-ocr page 47-
II. P artie. Liv. IX. 45
I fan abus d'autant plus deplorable qu'il -" ' ■ -
I fe rencontre dans un homme de bien,
          4*
I porTeda pendant la plus grande par-
I tie de fa vie deux benefices. Sur quoi
IM. Amauld, ufant de cette liberie
I evangelique qui lui etoit fi narurel-
I le , lui ecrivit plufieurs lettres tres
I fortes; une entr'autres, dans laquelle
1l* raP.pelle M. le Roi aux regies des
I Conciles , dont il lui fait un abrege.
I Le pieux Abbe fe foumit aux falutaires
I avis de cet ami chretien, non-feule-
I merit pour ce qui regardoit la plu-
rahte des benefices, en fe demettant
I <je fon Abbaie de faint Paul de Ver-
dun • mais il prit meme la refolution
de quitter l'Abbai'e de haute-Fon-
taine, qu'il avoir fcrupule de pofTe-
der en commende. M. Arnauld, qui
lui avoir encore donne ce confeil, le
nt fouvenir dans une lettre du 3 aoiic
l6S} de cette refolution; cependant
M. l'Abbe le Roi n'executa point fon
Fojet. Mais ajoutons, que fi l'abus
^e la pluralite de benefices , qui eft
tr°p contraire aux regies de TEglife
fourqu'onpaifie le iuftifier, poiivoit
Mei?ALtfable' ]1 *'auroit 6ti dans
M. I Abbe le Roi par le bon ufage
qu il fit toujours de fes revenus. Non
content de les emploier aux foulage-
-ocr page 48-
4<J HlSTOIRE DE PoR.T-R.OlAl.
"T^gT mens des pauvres , il y fit encore fer-
vir fes propres fonds, n'aiant pas
laifle en mourant le quart de plus de
cent mille ecus de bien de patnmoine
qu'il avoit eu de fa famille. M. le
Roi mourut dans fa retraite a 1'age de
74 ans, le 15? mars 1684.
xx< _ , Le premier du mois fuivant, qui
La fueur Euf- , . J r          i • /• ■           i                       i1
•oquie. sa etoit le iamedi laint, la mort enleva
vie & fes ^ p£ge je j x ans Anne-Marie de
fainte Euftoquie (de Flefcelles de Bre-
gy), comparable par fa piete , par fes
lumieres, par l'etendue de fon.genie,
a la celebre Vierge Romaine de ce
nom, dont faint Jerome fait de fi
grands eloges dans fes lettres. Elle
avoit ete baptifee a l'age de cinq ans
(le 15 avril 163 8 ) , & elle repondit
elle-meme a celui qui la baptifoit. Sa
maraine fut Anne d'Autriche, Reine
de France , qui conferva toujours pour
elle de I'afFe&ion , malgre la preven-
tion qu'on lui infpiroit.
Outre l'avantage confiderable aux
yeux du monde , d'etre nee fille de
qualite , cette religieufe avoit regit
du ciel un efprit du premier ordre ,
Sc un courage dont il y a peu d'exem-
ples (37). Une education faite avec
loin & au milieu de la Cour, avoit
(37) Suppl. ia Necr.de P. R.
-ocr page 49-
II. Partie. Liv. IX. 47
ajoute les agremens de la politelTe a
|la folidite de fon efprit; & peu de
perfonnes de fon fexe ont fix ecrire
Ijavec autant de force 8c d'elegance.
■Genie propre aux fciences , elle avoir
■acquis par l/etude toutes les connoif-
«fances qui lui etoient necelTaires pour
fe mettre , avec le fecours de la gra-
"jce , hors d'atteinre a la feduclrion , a
laquelle l'ignorance met prefque tou-
jours hors d'etat de refifter. Heureufe
■de n'avoir emploie que pour Dieu
?|ce qu'elle ne tenoit que de lui feul,
M&c ce qu'on n'emploie ordinairement
I que pour rechercher les applaudifle-
ifrnens du monde !
Elle nous apprend dans une rela-
tion qu'elle a raite des inflructions que
la mere Angelique donnoit a fesfil-
mles
(38), qu'elle avoit eu de Paver*
a fion pour la profeffion religieufe ;
||enfuite Dieu lui en ai'ant donne le
■defir ,elle voulut s'eprouver elle-me-
jjrnej mais la mere Angelique lapre-
f,vint, & la fit entrer aunoviciat. Elle
re$ut le voile le 28 feptembre 1656
y 9),
& fit profeffion le 11 novem-
M pre de l'annee fuivante. Pendant plu-
§ <38) T. 1. Rel. XXI, p. suppl. du Necr. qui paroic
3 ^7f' ,
                              fetromper.
0?; i«f?, felon le
-ocr page 50-
48 HlSTOIRE DE PoRT-ROIAt.
X0A., iieurs amiees, elle ne fe lit remarquer
que par fon hurnilite & fon amour
pour la mortification. II n'y avoit
rien de li bas dansle monaftere qu'elle
ne fit par preference, lorfque 1'obeif-
fance l'y appliquoit. Ses grands ta-
lens furent ainli comme enfevelis juf-
qu'au terns de la perfecution, qu
fervit a decouvrir les trefors de lu-
miere , de courage & d'amour pour
la verite , que Dieu avoit mis en
elle (40).
_,,XXI-
          Pendant la perfecution de 1664,
Elle rend un                       .             f. . r         j r« r»
temoignage aucune cles reugieules de y. K. ne
& la verite. rendit un temoignage plus eclatanta
la veritej que la fceur Euftoquie , fur-
tout depuis i'enlevement des meres.
On la vit a la tete des autres foute-
nir le choc des ennemis de la verite,
confondre les Chamillard & les Bail,
renverfer les faux raifonnemens que
M. de Perefixe fe donnoit la peine
de venir debiter inutilement a leur
grille; dreffer tous les acles que la
neceffite d'une jufte defenfe les obli-
geoit d'oppofer aux vexations qu on
leur faifoit foufFrir •, animer toutes
fes fceurs par l'exemple de fermete 8C
de courage qu'elle leur donnoit,
inftruire celles qui avoient befoin
(40) Vies edif, T. 1.5,45;. Supp!. dii Necr.
d'inftru&ion
-ocr page 51-
II. Par tie. Liv. IX. 49
d'inftru&ion , foutenir les foibles, 1684.
reprimer avec cette fage retenue qui
ne s'ecarte point de l'humilire, les
entreprifes des errangeres qu'on leur
avoir donnees pour les gouverner ou
plutot pour les perfecurer ; 8c malgre
routes les perfecurions de ces aclrives
furveillantes & des fosurs infidelles,
trouver tous les jours des relTources
innocentes, pour enrrerenir au~dehors
la correfpondance neceffaire aux be-
foins de leurs affaires, & pour inftrui-
re le public de ce qu'il importoit
a leur juftification deJui faire con-
noitre.
M. de Perefixe fit tous les efforts xxn.
imaginables pour tirer de la fceur ^^"^
Euftoquie une ombre de ilgnature. ment a terns
Prieres , menaces , tendreffes, em-^f^
I portemens , exhortations, converfa- la feduire.
Itions familieres , follicitations de
pere , de mere, de parens 8c d'amis,
tour fut mis en ufage pour lui faire
I oublier fon devoir ; 8c rour ne fervit
1 qu'a faire eclater davanrage la gran-
I deur de fa foi, & la force de fon
I arrachement pour la verire. U n'eft
I pas pofuble d'entrer ici dans un detail
§ exact de routes les paroles admirables,
qui fortirent de fa bouche dans les
differentes occafions. Nous en avons
Tome PIII,
                     C
-ocr page 52-
50 HlSTOIRE DE PoRT-ROlAl.
~~i6ST. rapporte quelques traits , & nous en
rapporterons encore quelque-uns, qui
feront fuffifans pour montrer com-
ment la grace faifoit fervir alagloire
de la religion les dons que la nature
avoitprodigues a cetteexcellente fille.
M. de Paris irrite de ne pouvoir
xxin. _ rien gagner fur l'efprit de cette vierge
m. de pans chr£tienne y gc allure d'ailleurs que
vaincu prend fa famille fe contenteroit de la plain-
ly para de la jre £ s'oppofer aux violences qu'il
(aire enuver.              .          it                  ..             ^ r
pourroit exercer contre elle , ne conii-
dera plus ni fon nom, ni fa qualite
de filleule de la Reine j & il refolut
d'efTaier fi par la captivite dans une
maifon etrangere , il ne pourroit pas
triompher ennn d'une conftance, qui
le couvroit continuellement de con-
fufion. Jamais la fceur Euftoquie ne
voulut faire aucune demarche pour
prevenir ce coup , quoique fes pa-
rens & quelques-uns merae de (es
directeurs lui confeilkuTent d'ecrire
a la Reine , dont elle etoit aimee ,
pour reclamer fa protection contre les
injuftices du Prelat. Je m'efiimerai
heureufe 3
difoit-elle, d'etre facrifiie
en la maniere qu'il plaira a DieupouT
une caufe fit fainte} pourvu qu'il me
faffe la grace de conferver jufqu'a Id
mort le ddpot facrd de la virite.
D'ail-'
-ocr page 53-
1
II. Part ie. Liv. IX. 51
I Ieurs elle avoir toujours cm devoir I(jg4
Ifuir tout ce qui engage avec les gens
du monde , & fur-tout avec les grands.
Tout ce qui rapproche d'eux lui pa-
roiflbit eloigner de l'humilite chre-
tienne & religieufe. Ellecroi'oitqu'une
fille confacree a Dieu ne devoit vivre
I que pour lui, & qu'ai'ant pris un en-
Igagement folemnel de mourir au
J monde , fon unique defir devoit etre
Id'en etre oubliee & regardee comme
n'etant plus. Elle eut pendant route
ia vie pour devife : ama nefciri & pro
nihilo reputari ,
aimez a. etre incon-
nue & compree pour rien.
I J^',de Paris ne voi'ant done aucun
|oWtacle au deflTein qu'il avoit de re- xxrv
■duire cetre vierge chretienne en cap-EIIcc!i' a!fc«
|avite,alla lui-meme le z9 norttLLt^""'
bre 1664 a P. R, la fit enlever & con- fe f«
meus*
.duire aux Urfulines de faint Denis.""'"
Avant que de fe feparer de fes fceurs,
elle demanda au Prelat qui venoit de
■W figmfier fa fentence, la permif-
iion de leur dire adieu. L'aiant ob-
*enue , elle alia au chapitre , oi\ elles
eoientenfermees5fePiettaJaleurs
IZa }Qm dema«da humblement
pardon des fujets de mauvaife edifi-
Ration quelle avoit pu leurdonner:
ipuis dans un mouvement de douleur
Cij
-ocr page 54-
52 HlSTOIRE DE PoRT-ROlAt,.
& de tendretfe, elle les ftipplia de
lui permettre » de leur expofer fes
» fentimens avant que d'etre arra-
». chee d'avec elles, & de leur dire
» qu'il n'y avoit point de caufe plus
» fainte que celle pour laquelle Dieu
» leur failbit la grace de fouffrir j que
» cette grace lui paroiiToit ineftimable;
« que li jamais fes fceurs apprenoient
» qu'elle fut changee &c qu'elle eiit
» figne ( ce qu'elle efperoit avec la
» mifericorde de Dieu qui ne feroit
« point) elles fe timTent aflureesque
« ce n'etoit point par principe de
« lumiere , mais par un effet de foi- \
» blefle , d'aveuglement & d'un ter-
» rible jugement de Dieu qui auroit
» puni fes fautes paflTees en l'aban-
M donnant a elle-meme j qu'en leurl
» prefence, & en celle desMeffieursf
" (dela fuite de l'Archeveque) qui!
» etoient prefens, elle condamnoit,5
« anathematifoit & retradtoit toute v
»> fignature qu'on pourroit extorquer
» d'elle en fante ou en maladie , &'
» fur-tout a la mort; qu'elle les cotv
» juroit avec toute la tendreflTe dont
^ elle etoit capable de fe fouvenir;'
»» d'elle devant Dieu, &c de croire I
» qu'elle feroit toujours toute a elles a1
« la yie & a la mort «. Ce fut ainfii
-ocr page 55-
II. Partis. Liv. IX. JJ
quela foeurEuftoquiequittafes fcEurs. 1684.
M. 1'Archeveque ne vouiant pas xxv
que perfonne fe trouvat a fa fortie , Les feors
avoit fait enfermer les religieufes vk^nen" lui
de choeur dans le chapitre , & les dire adieu,
fours converfes dans l'avant-chceur.
Mais quelques-unes de ces dernieres
s'etant echappees vinrent l'embrafler
i dans le cloicre ; ce qui mit ce Prelat
dans une fi etrange colere, que la
four Euftoquie amire qu'elle croit
qu'un homme qui feroit une demie
neure dans une femblable colere en
perdrdit la vie. II fe mit done a crier
apres ces pauvres converfes, d'une
maniere qui faifoit trembler : Grifu>
Cnfes
, hors dela A que venex-vousfaire
lci, je vous oierai votre habit, &c.
La four Euftoquie le voi'ant dans cec
etat, fe mit agenoux , & lepria avec
grand refpeel; d'excufer ces pauvres
filles, en difant que leur affection les
faifoit agir , qu'elle etoit trop grande
pour ne pas donner des larmes dans
une telle occafion, mais que cela
ne bleOToit point le refped qu'elles
Javoient pour fa Grandeur. Cela Pap-
paua, il frappa fa poitrine , & dit,
que Bieu me punijje _, qu'il me perde
Jije ne fa:S pour lui ce que je fais. Je
protefie que c'ejlpourfa ploire & par
C iij
-ocr page 56-
54 HlSTOIRE DE PoRT-ROlAt.
1684. confcience. On voit ici a quel exc&f
un Archeveque de Paris fe porte, I
croiant agir pour la gloire de Dieu,
& par confcience.
SoKfc1 de ^a ^"CEUr Euftoquie etant arrivee a I
p. r. de la la grande porte, y trouva la fameufe I
J* £uft°-fourFlavie, a qui elle dit adieu, en I
l'afiurant qu'elle prieroit Dieu pour I
elle route fa. vie. Enfin elle fortit, &c I
monta dans un carofTe avec la four I
Melthide, pour etre conduite l'une|
& l'autre a faint Denis. La foeur Mel-1
thide etoit fort gaie &c paroifToir
pleine de courage : pour la foeur Euf-
toquie, elle etoit a la verite dans
une grande joie en coniiderant la
grandeur de la grace que Dieu lui
faifoit, mais la crainte de n'en pas
faire un bon ufage, la tenoit dans
Ie tremblement. Lorfqu'elles furent
arrivees a la porte de la ville de faint
Denis , la four Melthide demanda a
l'Ecclefiaftique qui les conduifoit,quel
etoit l'endroit ou il les menoit : PEc-
elefiaftique le leur apprit. La four
Euftoquie, qui avoit de la repugnance
pour les Urfulines , eut peur lorf-
qu'elle vit que c'etoit leur maifon
qu'on lui deftinoit, & cela l'obligea
de faire a Dieu un nouveau facrince.
La four Melthide dit a I'Ecclefiafti- j
-ocr page 57-
II. Par tie. Liv. IX. $$
que : » Je vois bien , Monfieur , que
» 'l'on me met a Ste Marie dans l'ef-
» perance que ma foeur Candide me
fagnera , mais j'en fuis incapa-
le (40*). J'ai eprouve ce que c'eft
que de trahir fa confcience «.
Cette parole efFraia la foeur Eufto-
quie , qui lui dit: vous en ites inca-
1684.
(40*) On peut regarder
certe parole de prefomp-
tion commelacaufe de la
la chute de la fceur Mel-
thije, felon cet oracle du
faint Efpii: le priucipe de
tout peche eft l'orgueil:
fnitium omnis peccacieft
fuperbia.
( Eccli. c. 10.
J«r. if.) II le fut dans
faint Pierre, qui apres
avoir dit a Jefus-Chrift:
Quandvousfcriei unfujet
de feandale pour tous les
autrcs , vous ne le fere^
jmaispour moi
, ( Math.
i«. verf. 5,.) Je renon-
ca trois fois ; & pour ci-
ter un exemple moins e-
loigne de nous, & qui
appartient a cette liiftoi-
re ' " le fut dans la Prin-
cefle Genevieve de Boat:
b™ Conde , depuis Du-
ffle de Longueville.qui
*u Ueu de reccvoir avec
numllite les avis falutai-
*es que lui donnoient les
Carmelites, lorfqu'elle fe
FfP«o!t a aflirter a un
"•' * P" obeilfance pour
Madame fa mere , leur
repondit , que fa venu
nav°u riendcraindre,&
qu'elle fi foutenoit par
elle-mime.
Paroles que
cette Princeffe vraiemenc
penitente fe reprocha fi
fouvent depuis, comme-
aiant ete la fourcc funelte
des cgaremens oii elle ne
tarda pas de tomber. Ces
examples doivent nous
apprendie & ne point met-
ric notre confiance en
nous memes, & en nos
ptopres forces qui ne font
rien , quia noftrum nihil
eft,
die fainr Cyprien.
Trembles avec ['humble
fceur Euitoquie , & Dieu
nous foutiendra. Le pre-
fomptueux s'imagine pou-
voir tout, & il ne peut
rien; il croit exceller par-
deffus tout, & il n'excelle
en rien; il promet tout
Sc ne tient rien. Il n'y a
rien qui nous foit li in-
connu que nous-rnemes;
rien que nous voi'ons
moins que notre pauvrete
& notre foiblcffe. Cro'i'ons
plutot ce que Dieu nous
ait de nous dans l'Ecritu-
re , que ce que nous fen-
tons nous memes en nous.
C iiij
-ocr page 58-
$4 HrSTOIRE DE PoRT-ROlAt.
16^84. fable I & tnoi ma pauvre fceur, j'en
fuis tres capable : tremblens , tre'm-
blons, la grace eft notre foutien ; mais
Jl nous nous en rendons indignes , que
ferons-nous , itant la foiblejfe mime ?
fur cela I'Ecclefiaftique dit a la foeur
Euftoquie ; Vous voie\ dans la figna-
ture un peche1! Tres grand s
lui dit-
elle. Mais , Madame repliqua-t-il,
quelle forte de peche? Monfieur, re-
pondit la foeur Euftoquie , faint Gre-
goire le qualifie & dit que e'eft re-
noncer a la foi & cejfer d'hre Chre-
tien
: Fidem negavit & eft infideli de-
terior
: I'Ecclefiaftique pria la four
Euftoquie de lui dire les propres pa-
roles , ce qu'elle fit. II en fut effraie,
& dit: Mais , Madame, tout le monde
feroit done damni
? la foeur Euftoquie
lui repondit : Monfieur j e'eft une
bonne maxime de nejuger perfonne &
de prendre garde a foi.
xxvn.
         Etant arrivee dans la cour des Ur-
, Son|ae^j'fixlines, elle trouva a la defcente du
A>n des ur- carofie un Ecclefiaftique qui lui fit
Amines. beaucoup de complimens, & un pa-
negyrique de la maifon; a quoi elle
repondit que Dieu etoit par-tout,
qu'ainfi elle efperoit le trouver aux
Urfulines comme & P. R., qu'on ne
cherchoit pas la beaute dans l'exil, &
-ocr page 59-
II. Partie. Liv. IX. 57
qu'un chretien pour qui le monde eft
un exil, ne fauroit craindre les incom-
modites de la prifon. Auffi-tot on
ouvrit la grande porte , & la fceur
Euftoquie s'etant mife a. genou fur
le feuil de la porte devant la Supe-
rieure , elle lui dit, qu'elle embraf-
foit avec joie la folitude oii Dieu per-
mettoit qu'on la mir, qu'elle lui
obeiroit en tout .comme a fa Supe-
rieure , tant qu'elle feroit dans fa mai-
fon , a. l'exception des chofes qui re-
gardoient les affaires prefentes de la
agnature , fur lefquelles elle pria
qu'on ne lui dit pas une fyllabe , parce-
que l'etat dans lequel elle entroit,
etoit uneceffation de toute adtion, &
abfolument paffif pour elle. La pri-
fonniere fut enfuite conduite a l'E-
gbfe, comme elle l'avoit demande ,
pour s'ofFrir a Dieu de nouveau : &
les religieufes qui l'accompagnoient,
mrent fort edifiees- de cette priere,
& fur tout de la voir a genoux devant
I »ne image de la fainte Vierge. Com-
I ine elle y demeura affez long-tems,
! elle entendit les religieufes qui fe
cliloientles unes aux autresavec eton-
nement: Elle prie la fainte Vierge !
Wn nous avoit dit que ces religieufes
P y cro'ioient pas,
Cv
-ocr page 60-
58 HiSTOIRE DE PoRT-ROlAI.
_ ,g            Le foir la mere Superieure mit
aupres de la four Euftoquie, en exe-
cution des ordres de M. de Paris ,
une religieufe nominee Elifabeth de
fainte Scholaftique , qui des ce mo-
ment jufqu'a celui 011 elle fortit de
cette prifon , ne la ouitta ni jour ni
nuit. Cette religieufe etoit pour ce
fujet difpenfee de toutes lesobfervan-
ces regulieres, & avoit fous elle une
four converfe , pour fuppleer lorfque
quelque raifon pourroit l'obliger de
quitter fon pofte, & pour apporter
a la pr ifonmere & a la geoliere tout
ce dont elles auroient befoin.
Elle gagne Comme cette gardienne etoit fort
lccirur de/j ^VOte , & que le befoin que la four
Euftoquie avoit de la pnere lui en re-
nouvelloit fans ceffe Vobligation , el-
les pafToient Tune & l'autre la plus
grande partie de la journee en prie-
res dans une grande chapelle de la
Vierge qui donnoit fur l'Eglife. Elles
y etoient ordinairement, fur-tout les
jours de fetes , depuis quatre ou cinq
heures du matin, jufqu'a neufou onze
heures, & I'apres-midi a proportion ,
faifant leurs prieres, difant leur offi-
ce , entendant des mefles. La mere
Elifabeth etoit d'abord extremement
prevenue contre la four Euftoquie-.t
-ocr page 61-
II. Parti e. Liv. IX. 59
elles furent environ trois femaines
fans fe parler, aiant peur l'une de
l'autre. Apres ce tems, la mere Elifa-
beth dir a fa prifonniere en Pembraf-
fant: en veriti 3 vous etes pounant une
bonne fille
_, je nefais ce que vous m'a-
vex fait, mais vous me gagne^ le cceur.
Elle la mit d'abord fur le chapitre des
Jefuites , dont elle lit Peloge (41)
pour Peprouver ; mais la fage reponfe
de la prifonniere la defarma. Depuis
ce jour elle s'ouvrit de plus en plus
a la foeur Euftoquie, qui de fon cote
voiant que c'etoit une ame droite &c
un efpnt folide , lui parla fort bon-
nement, & tacha doucement & par
EUe temoignoit de mrrne
avoir ete fort fcandalifec
des maximes qu'elle a-
voit entendu debiter a M*
Grimald , parcequ'il leut
difoit, » qu'il falloit s'at-
» tendre a la Providence j
» ne point amafler de
jj bien, ne poinr fe fou-
» cier que les lilies fuf-
3> fent riches ou pauvresr
» pourvu qu'elles euflent
j> bonne vocation , &c.
Elle etoit choquee de ce
qu'il ne leur parloit que
de grace; que de la ne-
ceflic£ de la grace, que
perfonne n'entendoit ce
myftere & la doctrine de
faint Auguftin,, que HeC*
fieuis de 8> R--
Cvjj
(41) Les Urfulines de
faint Denis etoient fi de-
veuees aux Jefuites, qu el-
les faifoient gloire de
s'appeller Jifmtejfes. La
fceur Euftoquie dit qu'el-
les avoienc chez elles VAl-
manach du Janfinifme fou-
dro'ie ,
comme une image
de devotion. Elles etoient
fi prevenues contre les pre-
tendus Janfeniftes & con-
tre leurdoftrine , que M.
Barbeteau, qui neanmoins
avoit ftgne , aiant parle
dans un fermonj de la via
chretienne & des obliga-
tions du Chretien , elles en
furent indignees, La'Prieu-
K vouloit qu'on lavar la;
shake,afindela purifier..
-ocr page 62-
6b HlSTOIRE DE PoRT-Roi'At.
1684. forme d'entretien de Jui infpirer les
bonnes maximes. Elle eut la confo-
lation d'y reuffir, & de la voir entrer
dans ce qu'elle lui difoit du definte-
reflement dans la reception des filles ,
de l'eloignement du monde, de la
ilmplicite dans les ornemens de l'E-
glife, de la penitence. De forte qu'elle
fit avec fa prifonniere le careme felon
1'ancien uiage de l'Eglife en ne fai-
fant qu'un repas.La mere Elifabetli
dit a la fceur Euftoquie que le Pere le
Jeune fon Directeur ( qui eroit morr
alors, & qu'elle regardoit comme un
faint) lui avoir dit pofitivement qu'el-
le feroit chargee du foin d'une reli-
gieufej & qu'il lui avoit ordonne
d'apprendre par fon exemple jufqu'a
quel point il raut preferer Dieu a tour.
Enfin cette bonne fille commencoit
fort a fe detromper ; elle aimoit &
fouhaitoit les bons livres, elle difoit
a la fceur Euftoquie qu'elle n'oublie-
f oit jamais la grace que Dieu lui avoit
faire d'etre aupres d'elle.
^XIX-
         Mais quoique la mere Elifabeth de
toquic n'en SKScholaftiqueeut concu de l'afFeclion
c«pas moins pour ja {(£Ut Euftoquie, & qu'elle fe
captive ; fes r               a J_ .                          if » /• •
occupations, detrompat de jour en jour, elle n oloit
violer les ordres qu'elle avoit recus j
ainii la prifonniere n'en etoi t pas moins
-ocr page 63-
II. P A R T I B. L'lV. IX.       Si
Captive. On avoir envo'ie aux autres re- i 684.
ligieufes leurs ecritoires & quelques
livres, mais on n'envoi'a rien a la four
Euftoquie, & cela par le confeil de la
f<xur Havie qui s'y oppofa, en difanr
qu'il falloit lui faire faire penitence
de fes ledtures & de fes griffoimeries
paftees. Cependanr .la four Scholafti-
que lui fourniflbit forr volontiers de
quoi ecrire, & la prioir metne de le
faire, mais c'etoit a condition que ce
feroit pour elle, ou du moins qu'elle
le verroit. La four Euftoquie paftbit
les Fetes a prier, & a lire dans fa Bi-
ble qu'elle avoir apportee ; les autres
purs elle travailloit a ce que fouhai-
toient les religieufes. La luperieure
avoit une frai'eur extraordinaire qu'el-
le ne dit quelques mots a fes reli-
gieufes , dont plufieurs l'aimoient &
cherchoient les occafions de lui parler.
On renouvelloit fans cefTe la defenfe
d'approcher de la prifonniere, fous
de grandes peines • deforte qn'une re-
lligieufe lui dit un jour en paflant:
■ious 7205 chapitres font pleins devous,
■g* occupe's a defendre de vous parler.
gLa Superieure ne craignoit pas moins
pour elle que pour fes filles. Nean-
moins la four Euftoquie temoigne lui
avoir obligation de ce qu'elle n'a-
-ocr page 64-
Cl HlSTOIRE DE PoRT-ROl'^t^
J684. voit pas execute a. la rigueur les fe-
conds ordres de M. de Paris. lis e-
toientli rigoureux, que la mere Supe-
rieure les aiant propofes a fes difcre-
tes, il y en eut une qui repondit;
(la fceur Euftoquie l'entendit elle-
ineme ) oh pour cela _, ma mere _, cela
eft trop cruel: il n'y a pas mo'ien de
faire cela
: on n'efi pas oblige d'obiir
dans ces fortes de chofes.
La fceur Euf-
toquie apprit depuis de la mere Prieu-
re de Paris, qu'un des points de ces
nouveaux ordres etoit de la faire
jeiiner au pain & a l'eau. Monfieur
de Perefixe vouloit voir fi ce jeune^
ou il avoit envie de re'duire la faur
Ejloquie, ne ferviroit point a la domp-
ter
(4i).
ia feUi f ^a Superieure vint trouver la fceur
toquie Utk a Euftoquie le troifieme Dimanche de
w,de path, pAvent, & la pria d'ecrire a M. de
pour lm de-         .        '         , .r,
mander la Fans, pour lui demander la commu-
permiflionde ion         r N fl £lle le fit, quoi-
»oei.         qu eile previt 1 inutilite de la de-
marche. M. Gobert , qui avoit ere
porteur de la lettre, en rendit re-
ponfe la veille de Noel fur les fept
Iieures & demie du foir : elle ne rut
(41) Ce font les propres    !a mete Prieure de Paris,
paroles de M. de Paris,    qu'iletoit allevoiraMoil.
parlant a M. l'Eveque de    torgueil avec ce prilac-
Soillbns, en prefenee de.
-ocr page 65-
II. Part ie. Liv. IX. 6t>
I que verbale r vousdire^s'il vousplan_, ~~^%Z.
I a lafctur de Sainte Eujloquie qu'elle ne
communiera jamais, fi elle ne change;
& que je ne lui re'cris point de peur
de la facher & de me facher moi-me-
me.
M. Gobert ajouta a cette repon-
I fe d'autres chofes de fa facon ; il parla
I pendant environ une heure & demie,
[ & con clut en difant, qu'enfin M. UAr-
cheveque n'en auroit pas le dementi....
La fceur Euftoquie lui repondit avec
tanrde folidite, que l'orateur decon-
certe lui repliqua pour route raifon,.
qu'il fouhaitoit qu'elle ne lilt que fon
Ave : puis il dit avec menace : le Roi
fe melera de cette affaire.
» Le Roi,
» reprit avec force la fceur Eufto-
» quie, peur nous faire couper la
» tete, puifqu'il a en main l'autorite
» & Tepee ; mais il ne peut pas don-
» ner la foi d'un fait contefte, ne-
» ceffaire pour fierier. Cela paflfe fon
» reffort & va plus loin que fa puif-
» fance. Vous pouvez temoigner,
» Monfieur, a M. l'Archeveque, que
» tout ce que je vois ne m'effraie
" point. Je trouve cette caufe fi fain-
" te , qu'elle m'a toujours paru di-
» gne de faire des martyrs. Je fuis
» mnniment indigne de cette grace »
» mais 6. Dieu vouloit fignaler ia.
-ocr page 66-
6+ HlSTOIRE DE PoRT-ROlAI.
1684. " bonte en me la faifant, je m'efti-
» merois henreufe. La perfecution
» ou nous fommes tombees, m'aug-
» mente l'amour cle ma vocation ,
» que j'aime a caufe de cela plus que
» je n'ai jamais fair".
Avant que d'apprendre le fucces
de fa lettre , la foeur Euftoquie avoit
eu le matin la vifite d'une des prin-
cipales religieufes de la communau-
te , qui lui temoigna beaucoup d'af-
fection : cecte religieufe preteadoit
que le Bon Jefus lui avoit parle en
commen^ant fon oraifon , & lui avoit
ordonne d'aller trouver la four Euf-
toquie, pour lui dire de fa part, qu'el-
le lui ouvrit fon cceur par robeiffance
a fes Superieurs , qu'il vouloit de-
meuier en elle & qu'elle feroit fon
epoufe. La foeur Euftoquie lui repon-
dit qu'elle ne croi'oit point que ce
fut pour elle que le Bon Jefus lui
avoit parle, parceque fi c'etoit pour
elle , il lui auroit ordonne a elle-
meme de l'ecouter & de lui obeir 5
mais qu'au contraire il lui difoit tous
Jes jours de n'ecouter perfonne fur ce
point. Cette religieufe avoit avec
elle une foeur tres raifonnable , qui
difoit fbuvent a la fcettr Euftoquie,
qu'elle ne vouloit point juger , que
-ocr page 67-
II. Partie. Uv* JX 6$ _____^^
tout ce qu'elle voi'oit des religieufes 1684.
de Port - Roi'al l'edifioit trop pour
croire qu'elles ne fufTent pas dans la
bonne voie ; mais qu'elle ne pouvoit
s'imaginer d'autre part que tous ceux
qui fignent, ou qui exigent la figna-
ture, ruflent trompes \ ainli, que tout
ce qu'elle pouvoit faire, c'etoit de
fufpendre fon jugement, & de dire
fonvent a Dieu : Mon Dieu _, vous con-
noiffe^ tomes chofes : vous (ave\ de
quel cote ejl la verite : faites - la triom-
pher; convertiffe^ ceux qui la combat"
tent; foutene\ ceux qui I'aiment & la
defendent
, tels qu'ils foient.
Dans la captivite ou la fosur Eufto- xxxr.,.
/ ■ / 1 •                               *                       On n'oubltff
quie etoitreduite,on mettoiten OEU-rien p0l,raf-
vre tout ce qui pouvoit l'affbiblir. LesfoiS;!it'? Sr«
»' •                   J' ■ •' o i> n-           1 Euftoquie.
tcmoignages 0 amine & d eftime, les
louanges , les menaces, rien n'etoit
oublie. Dans routes ces differentes
tentations , fon anne deffenrive etoic
ces paroles , Te oportet femper adora-
ri , Domine,
que Jeremie avoir don-
nees aux Juifs captifs a Babylone,
pour Ieur fervir de prefervatif contre
les fuperftitions des Babyloniens. Elle
les avoir toujours dans l'efprit;&fa
/miation les ku rendoienr auffi ne-
ceflaires qu'elles 1'etoient aux Juifs.
Les nouvellesaffligeantes neluiman-
-ocr page 68-
66 Histoirs t>t PoTir-AoiAi:
quoient pas. Celle de la chute d&
la fceur Gertrude & de la fceur Mel-
thide l'affligea extremement. La dou-
leur qu'elle en reilentit, la crainte
qu'elle avoit de tomber elle-meme ,
la violence qu'elle fe fit pour cacher
fes peines , afin de ne pas s'expo-
fer aux attaques de fes geolieres ,
altererent tellement fafante\ que ja-
mais elle ne ffit bien retablie. Ou-
tre Ies nouvelles vraies, on en debi-
toit beaucoup de faufles ; on alia juf-
qu'a lui dire qu'il ne reftoit plus que
neuf ou dix religieufes du monaftere
de Paris qui n'euflent point figne,
& que Ton alloit les difperfer dans
d'autres monafteres.. L'hiftoire nous
fournit plufienrs exemples de fembla-
bles llratagemes, dont fe fervoient Ies
Paienspour tromper les Chretiens. Si
les nouvelles , foit les vraies, foitles
faufles, n'arfoibliflbient point la foeur
Euftoquie, au moins lui caufoient-
elles les plus vives douleurs, & elles
etoient pour elle un nouveau fujet
de perfecutions , parcequ'on les lui
propofoitpour exemple, & on la pref-
foit d'imiter celles qui s'etoientren-
dues.
M. de Perefixe etant alle le trente
Janvier 166 c confefler la fceur Ger-
-ocr page 69-
II. P ART I E. Uv. IX. 67 ______
trade chez les Annonciades, il ren- Kjg^.
die le tnerae jour vifite a la four Euf- XXXu.
toquie. La Superieure prefente a Ten- m. de Pan's
trevue dit beaucoup de bien de fa pri- f^"^ Euf-
fonniere, ajoutanr que e'etoit un dom- toquie.
mage terrible qu'elle eut ete a P. R.
» C'eft une faveur , repondit la four
» Euftoquie , donr je rends tous les
» jours graces a Dieu. Je m'y fuis en-
» gagee dans les commencemens de
» la perfecution, je le ferois encore il
» e'etoit arecommencer «.M. de Pa-
ris ordonna de nouveau a la Supe-
rieure de ne la laifTer voir a qui que
ce fiit fans un billet de fa main, de
lui oter toute voie de communication,
& de ne dire de fes nouvelles a per-
fonne.
Vers la fin de fevrier, la Superieu- xxxirr.
..^                • 1         • r •           o         \ Fermcte de
re vint voir la pnionmere , & apres u focut j^,
1'avoir exhortee a figner , elle lui dit, toquie.
les larmes aux yeux, qu'elle s'expo-
foit a des chofes terribles, qu'elle n'o-
foit les lui dire , & qu'elle le verroic
bientot. La four Euftoquie lui deman-
da ce que e'etoit, & la Superieure lui
fit entendre qu'on lui oteroit fon ha-
bit & qu'on 1'excommunieroit. La ge-
nereufe vierge chretienne temoigna
que les menaces ne l'effraiotent pas %
parceque fi les hommes les excom-
-ocr page 70-
-------■■■■■      ■!        . I.. ■-■ —----------.-,-------------------------
6% HlSTOIRE DE PoRT-ROlAt;
munioient pour ne pas fe rendre a
une chofe qui bleflfoit leur confiden-
ce, cette humiliation lesuniroit plus
parfairementa Dieu &al'£glife, dont
elles feroient toujours des membres
veritablement vivans, tant qu'elles de-
meureroient attachees a la verite. La
Superieure pretendit que c'etoit par-
ler avec prefomption ; &c lui deman-
da li elle fe laifleroit oter fon habit,
ajourant que ce feroit n'avoir gueres
d'amour de fa vocation. » Jamais ,
» repliqua la fceur Euftoquie , je n'ai
» mis ma vocation dans mon habit,
» ni en rien d'exterieur. Notre habit
>• n'eft que la figure de J. C. dont S.
»> Paul veut que tous les Fideles foient
" revetus. Je ferois bien malheureufe
» de preferer la figure a la realite. Je
» ne crains que cle perdre l'habit in-
» terieur de la juftice & de la cha-
» rite. Plus je ferai depouillce au
« dehors de tout pour la verite, plus
»> je ferai remplie au dedans«. La
prifonniere de Jefus-Chrift repondit
de mime fur pluheurs autres mena-
ces , avec tant de fermete & de coura-
ge , que celle qui les lui faifoit en flic
etonnee, & dit en fortant a la mere
de Sainte-Scholaftique qu'il y avoir la
quelque chofe d'extraordinaire. » Car
-ocr page 71-
II. P ARTIE. L'lV. IX.       <?5)
» enfin , dit - elle , elle paroit pour 1684.
» cela, cbmme les martyrs pour la foi,
" prete a tout".
Quelques jours avant le Careme , xxxiv.
la foeur Euftoquie fe trouva dans un Jtaeures'T'
accablement d'efprit epouvantable fur
des fujets qui n'avoient riendecom-
mim avec la lignature. La violence
qu'elle fe fit pour qu'il n'en pariit rien
au-dehors , jointe a ces peines, lui
caufa un crachement de fang, dont
elle futfortincommodee.Comme elle
etoit toujours dans un ferrernent de
coeur extraordinaire , il lui prit un
defir extreme de voir quelque per-
fonne de confiance , dont elle put
prendre avis, mais aufli-tot elle penfa
qu'elle ne pouvoit voir perfonne fi
elle ne fignoir, ce qui lui fit horreur,
& elle dit en elle-meme. » Sans doute
" voila un artifice du demon qui veut
" me tromper fous ce fpecieux pre-
" texte. Quoi! nos amis font-ils plus
" puifTans que Dieu ? Ne me peut-il
M point fecourir fans eux» ? Auffi-
tot elle s'adrefla a Dieu, &c lui dit:
» Mon Dieu , quand il feroit en mon
» pouvoir ds voir tous nos amis , je
» ne le ferai pas dans la tentation
» oil je fuis «. Apres avoir forme cet-
$C refolution, elle fe xnit deux jours
-ocr page 72-
70 HlSTOIRE DE PoRT-ROlAt.
I £8"2. en prieres continuelles, & elle eprou-
va que celui qui met fa confiance en
Dieu n'eft pas confondu. Elle eflui'a
plufieurs tempetes femblables pendant
les fept mois de fa captivite j & s'en
delivra par la priere.
f xxxv.
        Apres etre fcrtie de ces combats,
Amres mi- ejje fut acCablee par d'autres peines.
nes caufeer „ r           hi-      r r i
par la chute Le rurent celles que tui caulerent les
des amis de fau(fes nouvelles de la chute des amis
de F. R. qu'on l'afluroit avoir figne.
Depuis les dernieres femaines de Ca-
reme jufqu'au mois de juin , ellen'en-
tendoit parler d'autres chofes a ces
bonnes meres, qui etoient charmees
de ces nouvelles & les lui debitoient
comme tres certaines. Elle crut ainfi
fur leur parole, que M. d'Aleth , M.
de Beauvais, avec leurs plus fermes
Ecclefiaftiques, etoient changes. Elle
en avoit le cceur perce de douleur,
fur-tout par la crainte oil elle etoit
de l'affoibliflement des autres perfon-
fonnes qu'on ne lui nommoit pas ,
mais qu'on marquoit aflez, en difant
que c'etoient ceux en qui elle avoit
plus de confiance. Elle les repafloit
tons dans fon efprit, les orfroit a
Dieu, le priant de les retirer a lui,
plutot que de permettre qu'ils trahif-
fent leur confcience. Elle eprouvoit
-ocr page 73-
II. Partie. Llv. IX. 71
ainfi la verite de ce que dit S. Au- 16%'j^
guftin j que l'ardeur de l'amitie chre-
tienne nous porte quelquefois a de-
firer ce qui eft le martyre & le fup-
plice de l'amitie, favoir la mort des
amis.
La mere de la four Euftoquie aug- xxxvi.
menta encore fespeines, en fe joignant la
caut'&lr.
a. fes perfecuteurs & a fes perfecutrices wquie u
pour la tourmenter. Etant venue p^T labour-
la voir le Dimanche de la Paffion , mewer.
elle la traita de la maniere la plus
dure , l'appellant enforcelee
3 endia-
blie
_, excommuniee \ ajouranr a cela
routes les vieilles & nouvelles calom-
nies inventees contre les amis de P. R.
Enfin apres s'etre epuifee en durete
& en invectives , pendant deux heu-
res elle changea de difcours, & em-
ploi'a pendant une heure les conjura-
tions, les prieres &les tendreiTeSj &
finit par l'eloge de M. de Perefixe:
mais la fille de Sion triompha de
tout.
Comme la fete de Paque appro- xxxvff.
choit, elle ecrivit la lettre fuivante
La focuf E.uf-
a M. de Paris , pour lui demander la M?"dep"rij,
Communion Pafchale. » Si la fete de Pout .lui de*
» Paque , difoit-elle , ne tenoit pas ™mm"nioija
» le rang qu'elle tient parmi les Fi- pafchale.
" deles, je demeurerois dans le £*-
-ocr page 74-
72 HlSTOlRE DE PORT-ROIAI.
» lence , 8c je me contenterois d'of-
» frir a Dieu le facrifice de mes lar-
« mes ; mais comme elle fait un or-
» dre a part, & que l'Eglife oblige
« tous fes enfans a prendre part a la
« joie de ce grand myftere par la
?> participation du Corps adorable
» de celui qui en eft l'unique objet, &
" les y oblige par un commandement
« qui eft indifpenfable , a moins
» qu'un empechement exterieur ne
» mette obftacle a ieur piete , j'ai
» cru, Monfeigneur, que je ne pou-
» vois refter dans le iilence fans com-
» mettre une faute considerable. Vous
" confiderant comme un des Paf-
» terns & une des colomnes de 1'E-
» glife, je ne puis croire que vous
» voululliez empecher de lui obeir,
» en m'otant le pain dont elle or-
» donne a fes enfans de fe nourrir ,
» parceque je demeure dans une dif-
» pofition dans laquelle je ne fuis
» entree que par des raifons de conf-
m cience, routes fondees fur la crain-
n te de Dieu §c l'amour de la ve-
il rite. Au moins, Monfeigneur, je
» fuis aiTuree que vous ne pourrez
» pas me refufer la permifnon de
» m'approcher du Sacrement de Pe-
« nitence, puifque tous les pecheurs
?* one
-ocr page 75-
II. Par tie. Liv. IX. 7$
«o ont droit de s'y prefenter. Je vous "T^T
» fupplie de m'accorder M. Cheron
» pour cet effet. C'eft une perfonne
" qui ne peur vous etre fufpe&e,
» puifque vous nous l'avez envoi'e
» plufieurs fois a P. R. & que M.
» Bail le donna l'an palle pour Con-
» fefTeur extraordinaire. En m'accor-
=> dant ces graces, Monfeigneur, que
" je vous demande profternee a vos
« pieds, vous m'obligerez de redou-
» bier mes vceux & mes prieres pour
» votre perfonne facree , de laquelie
» je ferai toujours avec un profond
» refped , &c.
M. de Paris ne fit point de re-
ponfe a cette lertre, quoiqu'il eut dit
qu'il la feroit, lorfqu'elle lui fut re^
mife en main par un Ecclefiaftique
des Urfulines, lequel alia trois fois
d l'Archeveche pour la demander.
Ainfi cette vierge chretienne fut pri-
vee de la Communion Pafcale, &
meme regardee comme une excom-
muniee par plufieurs des religieufes.
H y en eut une qui fe porta jufqu'a
cet exces , de lui demander le faint
jour de Paque , quand elle renonce-
roit au Diable qui la pofledoit. Le
jour de l'o&ave de cette grande fete,
elle eut encore un nouyeau fujet de.
Tome Fill.                     D
-ocr page 76-
........                                                ".....■*'*-—
74 HlSTOIRE DE PoRT-ROlAt;
,-n douleur en appreftant en meme-tenw
la makdie, la fignature & la more
de la foeur Fran^oife Claire (45), qui
eroit exilee aux Urfulines du grand
convent de Paris. Dans les dirreren-
tes penfees que cette nouvelle excita
dans fon efpric, elle ouvrit fa Bible
&. tomba fur ces paroles des Prover-
bes: Jaculum & gladius & fagitta acu-
ta 3 homo qui loquitur contra proxi-
mumfalfumtejiimonium.
Dans lacrain-
te de tomber dans un pareil malheur,
elle redoubla fes prieres, elle drefla
un a&e pour marquer fes difpolitions ,
en cas de furprife. (Cet acl:e ne fur
acheve qu'apres la caprivite de la
fceur Euftoquie).
xxxvm. Vers la fin du mois d'avril, la
ir.t't
vo
ell Went grande mere de la four Euftoquie
it -, le Pere obtinr permiflion de la voir; mais M.
u6urV. SV TArcheveque fit enforte que le Pere
Louver s'y trouvat. C'etoit un Do-
miniquain d'autant plus dangereux
fur les matieres, qu'il paroifloit plus
equitable & moins paifionne. II dif-
puta pendant quatre heures avec
elle, voulant lui perfuader qu'elle
pouvoir figner fans blefler fa conf-
cience; & non-feulement il lui ota h
(43) On a vu ailleurs ce qu'il fa enfer de
tertelignatute, T. f.p.jiy.
-ocr page 77-
*•>*..mr~ '-------------.....——'
II. Par.tie, Liv. IX. 75
m
confolation de s'entretenir avec fa 1684.
giande mere , mais meme fans un fe-
cours particulier de DieU, ij l'auroit
affoiblie ou embarraflee. Car il lui te-
moigna en meme-tems un grand eloi-
gnement des Jefuites qu'il traita de
demi-Pelagiens , &c. II parla de la
predeftination & de la grace, d'une
maniere fi forte , que les Janfeniftes
n'en auroient pas mieux parle. Le
Livre de M. de la Lane fur la grace
victorieufe lui paroifToit trop foible j
mais tous les talens , tout l'efprit &
tous les raifonnemens de ce Docleur
echouerent & fe briferent cpntre la
force qui foutenoitlaprifonniere dans
fes liens.
Le fameux M. Chamillard vint xxxrx.
auffi a fon tour augmenrer par fa Y,i!lte .^ 1f-
•r 1 r cr           ° 1 1 r r 1- r ChauulUrd.
vilite les iourrrances de la iaur hm-
toquie : il lui fit le 20 mai la leibure
de la nouvelle Bulle &c du nouveau
Mandement : tout ce qu'il en rem-
porta , avec fes difcours 8c fes raifon-
nemens , fut une declaration nette
qu'elle etoit refolue, avec la grace de
Dieu, de ne jamais figner.
Le dernier de mai, la fceur Eufto- xt.
quie re§ut une vifite plus peniblepour mJ£\m.
elle qu'aucune des precedentes. Ce toquie u
fct celledeM. fon pere, qui m&lancviem
voU-
Dij
-ocr page 78-
■jG HlSTOIRE DE PoRT-ROlAt.
la douceur & les larmes auxraifons,'
tacha de lui perfuader que M. 1'Ar-
chevequene demandoit point la crean-
ce interieure du fait; que la foi hu-
maine etoit une extravagance , dont
tout le monde etoit revenu, & que
la fignature n'etoit qu'un acquiefce-
ment de refpect. II lui dit qu'il pro-
poferoit a M. l'Archeveque une for-
mule de fignature qui etoit tres bon-
ne , favoir : Nous foujfignons le fait _,
felon Vexplication de M. l'Archeveque;
c'efl-a-dire , comme un fait non reveli
& non certain 3 & feuletnent par ac-
quiefcement de refpect.
La fceur Eufto--
quie repondit qu'il pouvoit pro-
pofer cela a M. de Paris ; qu'elle etoit
affuree qu'il ne l'approuveroit pas;
mais que d'ailleurs pour elle, elle
etoit tres eloignee de lui promettre
qu'elle la figneroit.
M. de Bregy lui aiant enfuite dit
que M. de Paris offroit de faire en
fa faveur une declaration particulie-
re, par laquelle il feroit voir qu'il
la dechargeroit entierement devant
Dieu de tout ce qu'elle feroit dans
cette affaire pour lui obeir : elle re-
pondit qu'elle avoit trop d'amide &
de tendreffe pour M. I'Archevique ,
pour ajouter au fardeau accablant d$
-ocr page 79-
II. P ARTIE, L'lV. IX.      17
V Epifcopat 3 fous lequel il lui paroijjoit
fuccomber
* une charge nouvellc, outre
qu'elle ne croioit pas que la tranfaclion
& la translation des peches fe fit ainfi.
Lorfque M. de Bregi fut forti du
parloir , la four Euftoquie craignant
que le defir de lui procurer, la liberie
ne le portat a folliciter un accom^-
modement, 8c qu'il ne fir croire a M.
1'Archeveque qu'elle etoir difpofee
a y entrer , elle ecrivit le premier
juin une lettre a ce Prelat, pour lui
temoigner que fes repugnances pour
la fignature fubfiftoient toujours, par-
ceque les difficultes qu'elle avoir fur
ce fujer n'etoient point levees. Elle
lui reprefenta d'abord que dans l'etat
de captivite ou elle etoit, elle ne pou-
voit faire une action auffi libre que
le devoit erre la fignature qu'on exi-
geoir d'elle: parceque tout a&e qui
n'eft pas libre ne peut pas etre va-
lide; que d'ailleurs elles etoient liees
f'ar les adtes & proteftations de nul-
ite de tout ce qu'elles pourroient
faire feparees les unes des autres , &
dans un etat qui ne fut pas abfolu-
ment libre. Enfuite la four Eufto-
quie expofe fes fentimens fur la nou-
velle Bulle qui lui a paru extraordi-
nairement obfcure dans ce qu'elle
P ii;
-ocr page 80-
7§ HlSTOlRE DE PoRT-ROlAl.
i <> 84. condamne, & extraordinairement for-
te & expreflive dans la difpofitioit
qu'elle exige de ceux qui la fignent.
1". Le Pape y condamnant en gene-
ral les V Propofitions comme etant
du Livre de Janfenius, & dans le fens
de cet auteur , fans expliquer quel
«ft ce fens, qu'il oblige de rejetter
en jurant & en proteftant qu'on le
condamne. i°. En confondant le fait
& le droit, de forte qu'il femble obli- J
ger 4 croire e^galement l'un 8c Pautre
de foi divine , fur fa feule parole 8c
fon aaronce" fouveraine. La fceur Euf
toquie continue & dit que le Man- I
dement de M, de Paris aplank, h h
v^rite*, les difiieulds qu'empovte avec 1
elle la chance que la eulle demands I
rfgalement pour le droit 8c le fait I
au'elle confond j au lieu que le Man-
ement les diftingue, en difant que
c'eft un fait non revele fur lequel
on ne demande qu'un acquiefcemenr.
Mais elle ajoute que ce terme d'ac-
quiefcement ,
qui peut fignifier des
chofes differentes, lui donne de grands
foupcons, a caufe des peines portees
contreceux qui refuferoient de fouf-
crire le fait, lorfqu elles font les me-
mes que celles qui font decernees
consre les Heretiques, ce qui porte
-ocr page 81-
■ II. Par.Tie. Liv. IX. yt>
a croire qu'on exige la foi divine ~i7?Z
pour ce fait qu'on avoue n'etre point
revele. La teur Euftoquie voulant
bien croire n^anmoins que M. de Pa-
ris n'exige , par le terme d'aequiefce-
ment, que la foi humaine pour le
fait, elle lui repreTente qu'elle ne
voit pas comment elle pourroit dire
fans menfonge qu'elle croit une chofe
dont elle doute tres fort, & dont elle
a de grandes raifons de dourer.
« Ainft , dit-elle , |e me range a an
» parti certain. Qui n'a point d'opi-
*  nion, n'en a point de faufle. Je de-
» mcure dans un ecu qui me parok
» extrememeut fur , puifqu'U ne s'ar-
» tache qu a Dieu qui connoit tou-
» tes chofes; qu'i la charite , qui
» oblige de juger toujonrs favorable-
» ment du prochain j a la fmcerite'
w chretienne, qui engage a. accorder
*  toujours les paroles de labouche
» aux fentimens du ceeur; & enfm
« a 1'humilite , qui prefcrit de fe
» taire fur ce que 1'on ignore. Amfi,
»
Monfeigneur, continue la fceur Euf-
» toquie, ne voi'ant pas de peril du
» cot<£ de la non-fignature , qupique
» )'y voie bien des peines attaches ;
» & voiant au contraire du cote de
*  ia fignamre, du repos, mais infe-
D iiij
-ocr page 82-
_____So HlSTOIRE DE PoRT-RoifAI."
1684. " parable dumenfonge, qui eft pour
» un Chretien un fouverain mal, je
» me range du premier cote, & je
» choifis l'arfli&ion plutot que de
» perdre l'innocence ».
rxit.         M. l'Abbe de Flefcelles etant ve-
de Fiefcdiesnu vo*r ^a fceur Euftoquie le meme
vienc voir la jour qu'elle ecrivit cette lettre, elle
q'uk! ° la bri montra , & le pria de la re-
mettre a M. fon pere pour la donner
a M. de Paris. L'Abbe la trouva trop
forte, mais la foeur Euftoquie lui re-
pondit qu'elle l'auroit faite trois fbis
plus forte, fi avant que de 1'ecrire
elle eut compris le Mandement tel
qu'elle le comprenoit par la lecture
qu'il venoit de lui en faire. M. de
Flefcelles s'effbrca enfuite de faire
entrer la fceur Euftoquie dans quel-
que accommodement \ mais tout ce
qu'il dit fut inutile, & rien ne fut
capable d'ebranler cette vierge chre-
tienne , determined a tout facrifier
plutot que de blefTer fa confcience-
xni.         Le moment de la delivrance de la
la foeur Euf fauj. Euft0quie etant arrive, M. de
a°esU1CUrfuii- Paris alia lui-meme le vendredi 3 de
»"•          juillet 166$ , avec M. l'Eveque de
Poitiers, annoncer a fa prifonniere
qu'il alloit la remetrre a P. R. avec
la mere Agnes & la fceur Angeliquo.
-ocr page 83-
II. Partie. Uv. IX. 81
Apres une longue converfation , dans I(j3^
laquelle il declaim beaucoup contre
les Janfeniftes, ( & donna matiere de
rire a M. de Poitiers , qui etoit der-
riere lui & s'en mocquoit) il dit a la
foeur Euftoquie d'aller a la ports , oil
le carofle l'attendoit, & de prendre
la foeur Gertrude qui etoit aux An-
nonciades : apres quoi il lui dit: Adieu*
ma bonne fieur: vous vo'ie\ devant vous
deux Eveques grands court i/ans 3vieux
courtifans
_, bien vos ferviteurs & ceux
de toute votrefamille.
II defendit qu'on
la laifsat retourner a fa chambre; ainfi
elle ne put dire adieu aux Urfulines
qu'a la porte , ouelles lux temoigne-
rent beaucoup d'amitie.
La foeur Euftoquie etant ainfi for- xuir.
tie des Urfulines, alia , felon 1 ordre %ntce™%Z
de M. de Paris, prendre la foeur Ger- Anne tugt-
trude aux Annonciades. Leurs obeif- me'
fances portoient qu'elles iroient aux
Filles de Sainte-Marie du faubourg; S.
J acques. Elles y arriverent fur les dix
heures du foir, aiant garde un pro-
fond filence tout le long du chemin.
Lorfqu'elles furent montees au par-
loir, la foeur Gertrude alia joindre la
mere Prieure de P. R. de Paris, qui
entretenoit les Filles de Sainte-Ma-
rie. La foeur Euftoquie ai'ant appercu
-ocr page 84-
Si HlSTOIRE DE PoRT-ROIAE.
j^g4t la foeur Anne - Eugenie de Boulogne,
fe jetta a fes pies : la foeur Anne-
Eugenie en fit autant; & ces deux
genereufes epoufes de Jefus - Chrift
en s'embraflant tendrement fe dirent
l'une a l'autre dans un faint tranfport
de joie: Quoi _, etre fidelies a Dieu &
fe revoir ! ah3 c'ejl trop de graces
j nous
ne la meritons pas.
Madame de Mot-
teville & Mademoifelle Teftu qui fe
trouverent prefentes a ce fpe&acle,
en furent edifiees & attendries: eh, qui
ne le feroit pas ? Mais les Filles de
Sainte-Marie dirent avec dedain: ho,
ajfurement c'ejl lafaur de Bregi.
xltv. sur les onze heures, M. l'Archeve-
Slle arrive              , . . v ,                >_ , .
I p. r. dcs que ecnvit a la mere Supeneure un
champs,&ybillet, par lequel il prioit la mere
ligne de ion _ .          r„ i >          i t> • i
fang un afte Pneure & la foeur de Bregi de repo-
tefiamemai- fer \e ^\ns qU'elles pourroient fans
*';.
fe mettre en peine de rien. Cela leur
fit croire que M. de Paris avoit chan-
ge de deflein , & qu'il vouloit les met-
tre dans d'autres monafteres, au lieu
-de les envoi'er dans celui de P. R. des
Champs. Mais le lendemain des les
cinq heures & demie du matin, il les
delivra lui-menie de la peine & de
1'inquietude qu'il leur avoit caufees
par fon billet, en difant a la foeur Euf-
-toquie de fe preparer a partir pour
-ocr page 85-
II. P A R. T I E. L'lV. IX. 83
P. R. des Champs fur les fix heures 1684.
& demie : efFe&ivement elle partit
ce meme jour. Quelque .terns apres
fon arrivee , elle drefla & figna de fon
fang un a,fte teftamentaire, qui eft
trap edifiant pour ne point le rnettre
fous les yeux du le&epr , quiletrou-
vera a la fm-du yqlume.
Ce fut par cetacte que la fceur
Euftoquie termina le temoignage ecla-
tant qu'elle ayqit rendu a la virite.
Elle fuppqrta enfuite ayec le tn,eme
courage que fes meres & fes {cents ,
routes les rigueurs de la captivite,
ou elle leur etoit afibciee; & elle ne
fongea plus apres la paix de lEglife,
qu'a enfevelir dans l'obfciuite des ta-
lens que la feule neceffite 1'avojt obli-
gee de me^tre au grand jour. Cjonnue
malgre elle dans le terns de 1'orage,
elle fouhaira de refter inconnue dans
le calme ; & apres avoir oblige fes
Superieurs d'^ccorder a fon humilite
ce que fes grandes quajites fernbiqienr.
exiger qu'ils lui refufaftenr, elle ne
fut occupee rout le refte de fa vie que
du fpni d'acbever de purifier par la pe-
nitence & par l'exa&e obferyatiqn 4e
fa Regie pe qui pouypit refter d'irn-
•^arfait en elte. L'arnour de la verite
etoit tenement grave dans le cceur
D vj
-ocr page 86-
84 HlSTOIRE DE PoRT-ROlAt.
1684.. de cette fainte fille, que rien n'etoi'c
capable de l'affoiblir. Nous avons vit
qu'apres la mort de Madame de Lon-
gueville la persecution recommenca.
L'annee fuivante i68a> on menaca
de demolir P. R. Voici de quelle ma-
niere la fceur Eufioquie en ecrivit a
M. le Maitre , Docleur ('44) : » Les
» enfans de Babylone ont crie , M. ,
» Exinanite _, exinanite. Le fondement
» de Dieu demeure ferme , & le tem-
» pie de fa gloire fe batit de tous les
» coups de marteau qui demoliflent
*» les maifons vifibles. Les fepara-
» tions des pierres de celle-la affer-
« miflent l'union & la proportion ft
» belle de cette celefte Jerufalem ,
» cujus participatio ejus in idipfum.
» Confions-nous done, M., en celui
« qui a vaincu le monde, lorfqu'il
» a ete crucifie & mis a n^ort par le
» monde, & ne fongeons qu'a nous
7> hater de joindre l'etendart de la
« croixj qui paroit deja , parceque
•> le Seigneur commence deja a j.uger
» le monde.
» Ce font les vues & les fentimens
*> de mon efprit, & j'ofe dire de mon
(44) Lettre d'u f fevrier   rre, mort le 13 decembre
1680. Vies faftf. T. i.p,    1688, & enterre aii pi6
564. Cette iettre eft adref-   de la ctoix du cimetiere
fie a M. Charles le Mai-   de faint Landry a Paiii. '
-ocr page 87-
II.Par.tie. Viv. IX. %i
coeur. Mais je fais 8c je fens , que 1684,
fi l'efprit eft prompt, la chair eft
infirme. Et c'eft ce qui m'oblige,
Monfieur, a vous conjurer de rout
mon coeur de prier Jefus-Chrift
qu'il me couvre de fes ailes jufqu'a
ce que l'iniquite foit paflee , & de
lui dire pour moi comme je le
ferai pour vous : Pone me juxta
te , & cujufais manus pugnet contra
me.
II faudra aj outer « en quelque
lieu que ce foit aufli-bien qu'en
quelque occafion..... Nous avons
encore ce bonheur par-deffus vous:
c'eft que nous fommes dans un
pofte fi ferme & fi neceftairement
arrete, que nous pouvons toujour?
etre prifes 8c immolees fans pou-
voir echapper. Nous fommes dans
les mains de ceux qui he nous ai-
ment pas : nous ne pouvons nous
fauver par la fuite; mais la charite
feule peut nous fauver, en nous
faifant confentir d'etre immolees
pour la verite «. II n'y a que la
grace , qui a fait les martyrs, qui puif-
fe mettre de tels fentimens dans le
cceur & de telles paroles dans la bou-
che.
La four Euftoquie avoir fait fon xtvv
Jtoviciat fous la mere Angelique de Saiw>1^
-ocr page 88-
8£ HtSTOIRE DE PoR.T-R.Oilt.
;l<j§4. Saint-Jean, qui au commencement
des troubles du Fonniilaire etoit Sou-
pri.eure Sc maitreffe des novices.
Formee par elle a la vie religieufe ,
ellelui rut toujours intiraementunie.
Elle ne lui furvecut que deux mois,
gc fut enlevee a fes fours dans un
age, qui leur donnoit lieu d'efperer,
qu'elle ne tarderoit pas a les dedom-
mager de ce qu'elles avoient perdu
par la mort de leur incomparable
Abbefle. La Providence en difpofa
autrement. La four Euftoquie etoit
un fruit mur pour le ciel. Eile recur
les derniers Sacremens des mains de
M. Treuve le } i mars, qui etoit le
Vendredi faint, & mourut laintement
le lendemain i avril.
XLVft. Le 15 du mois de mai les religieu-
Wo«deM. fes je pt R# firent encore tine nou-
cienncu'r6 de velle perte , par la mort de M- Gre-
s. Benoit, su- net ieur Superieur, qui s'etoit toujours
p. V. dese conduit avec beaucoup de fagefle &
Champs. jje prudepce, ai'ant ete veritablement
un pere plein de tendrefle & de cha-
rite pour ces vierges chretiennes per-
fecutees, auxquelles il rendit dans
toutes les occasions, tons les fervices
qui dependoient de lui. La belle let-
tre qu'il ecriyit a M. de Pari.- quel-
Iju^annees ay ant fa aaort, fa^^pav-,
-ocr page 89-
II. P A K T I E. LlV. IX. "% ______
heur a fa m<5moire (44), & feratou- 1684,
jours regardee comme une apologie
& une jufiification complette des fain-
tes filles, dont il etoit Superieur.
En tomes rencontres il prit tou-
jours leurs interets avec beaucoup^ de
zele. Souvent meme fon humilite le
porcoit a fe plaindre avec douleur,
de ne pouvoir pas tout ce qu'ilauroit
fouhaite , & de fe trouver incapable
de les fervir autant que fa qualite de
Superieur lui perfuadoit qu'il y etoit
oblige. Depuis qu'il eut quitre fa
Cure , ce qu'il fit quatre ans avant £a.
mort, il n'abandonna jamais le foin
de P. R. qu'il aima jufqu'a la fin.
Pour derniere marque ae fon attache-
fnent, il Voulut y etre enterre au
pie de la croix du cimetiere du de-
dans. Son corps fat apporte le 16 mat
& y fat enterre le 17 par fon fuc-
cefleur dans la Cure de faint Benoiu
M. Grenet legua a P. R. par fon tefta-
ment, 3000 liv. avec l'argenterie &
le linge de fa chapelle, a la condi-
tion d'une mefTe bafle par femaine. II
(44) Eltefut ecrite au   ne fut, pas pour lots en-
commencement d'une per-
   yo'iee. 11 eft meme incer-
iicution nouyelie , c'eft-
    tain fi elle le fut apres la
i-dtre , de celle qui fui-
   rnortde M. Grenet. Nous
vit la mott de Madame
    donnerons cette kttte,
is Longueville. Mais elle
    dans U }e.$«ti£»
-ocr page 90-
S3 HrsromE de PoRT-koiiAt.
avoir ete Superieur de P. R. pres Ae
iCans ,
& etoit age de 79.
< Avant la mort de ce digne Supe-
rieur , les religieufes ai'ant appris le
danger de fa maladie, elles deli bere-
renr fur le choix de fon fucceifeur , &
en firenr propofer rrois a M. I'Arche-
veqtie par M. le Due de Roannes:,
favoir M. I'Abbe' de Lamet, que M.
Grenet avoir lui-meme indique, M.
ChafTabras, & M. le Cure de faint
Louis. Le Preiat les refufa tous les
trois ; le premier , parcequ'il eroit
parent du Cardinal de Rets; le fe~
cond , parcequ'il avoit, ete Grand
vicaire du meme Cardinal j le troi-
fieme, parcequ'il 1'avoit , difoit-il
trompe, en repondant pour M. le
Moine. Les religieufes ai'ant appris ce
refus, firenr prier M. l'Archeveque,
par M. le Due de Roannes, de leur
accorder la grace d'etre leur Superieur
immediat, a qui elles auroient re-
cours dans tous leurs befoins. M. de
Paris temoigna etre forr fenfible a
cette propofition , & repondit que la
communaute lui faifoit trop d'hon-
neur, mais qu'il falloit lailfer mourir
le bon homme, & qu'alors elles avi-
feroienr a celui qu'elles voudroienc
deinander.
-ocr page 91-
II. P A R T I E. Liv. IX. 89             _
Quelques jours apres la mort de \c%^,
M. Grenet, M. de Roannes rendit XLVII.
une troifieme vifite a M. l'Archeve- m. Taconnet
que , dans laquelle il lui demanda p"^"™1
M. Taconnet Chanoine regulier de
faint Victor y pour Superieur de P. R.
des Champs. Le Prelat y confentit de
bonne grace , en difant qu'il le con-
noiffbit pour un faint homme \ mais
fi doux , qu'il ne le mettroit pas dans
tout autre monaftere que dans celui
de P. R. II ajouta que pour celui-la il
n'y avoit rien a faire. M. de Roannes
aiant repreTente qu'on ne favoit fi
, M. Taconnet voudroit accepter, l'Ar-
cheveque repondit qu'il l'y obligeroit
& que c'etoit une affaire fake. Aufli-
tot Madame de Fontpertuis envoi'a
un expres a P. R. pour apprendre cette
agreable nouvelle a la mere AbbefTe ,
qui ecrivit le meme jour ( 24 mai) a
M. l'Archeveque pour lui faire des
remercimens (46), & a M. Tacon-
net (47) , pour lui temoigner fa joie
& celle de la communaure. M.
Taconnet lit une reponfe des plus
obligeantes (48), pleine de fentimens
de foi & d'humilite. M. le Due de
(46) Voiez cette lettre,
Mem. hifi. T. i. p. 58?.
(47)  Ibid. p. {50.
(48)   Ibid. p. ;ji.
-ocr page 92-
!>d HlSTOmfi BE PoRT-iOlit.
", £g Roannes prefenta le |o de mai le
nouveau Superieur a M, de Paris qui
le recut avec de grands ternoignages
de bonte 8c d'afFe2tion. M. Taconnet
fe rendit a P. R. le 6 de juin , 8c y
officia le 8 , jour de l'o&ave dti faint
Sacrement. De retour a Paris , il ren-
dit compte a M. l'Archeveque de la
grande regularite qu'il avoir vue dans
fe monaftere, 8c M. l'Archeveque lui
repondit qu'il etoit peut-etre a-propos
de moderer i'auAerite ext^rieure.
Mrtft'E'!« M* Taconnet revint a P. R. le x$
teur has* pin flte de faint Pierre 8c Skint Paul,
SrtSx ds*i*!h * c^anta I3 grande mefTe j il adrai-
newi, niftra le foir les Sacremans si la fceur
Pran^oife de la Croix, quimourutle
I de juillet. La four Franc,oife de la.
Croix de Villume de Barmonte, ctoit
religieufe de Notre-Dame de l'Efcla-
che de l'Ordre de Citeaux. L'eiKme
qu'elle avoir congue pour PAbbai'e de
P. R., lui fit defirer d'y erre trans-
feree & ailbciee, ce qu'elle obrint des
Superieurs. Elle entra tellement dans
1'elprirde P. R., tant par fon zelepour
I'exacle obfervance de la regie, que
par l'ainour dela verite, qu'elle merita
d'etre alTociee a celles qui fouffrirent
Jes premieres pour fa defenfe. Dieu
-ocr page 93-
II. P a a. 11 Ci L'v. /JP. ?t           ._
la foutint dans fa captivite au mo- 1684,
naftere tie la Creche (49) , d'oii elle
revint triomphante pour etre reunie
avec fes meres & fes fours, qu'elle
continua d'edifier jufqu'a fa mort. II
eft dit d'elle dans le Necrologe , que
pendant plus de trente & un an qu'elle
a vecu dans ce monafleri
> elle a ton-
jours meni une vie fort exemplmre.
Les religieufes de P. R» ne joui- xnrt.
rent pas long-terns de IWanragequ el-^"^*1'
les avoient de pofleder M. Taconnet,
qui mourut le % o&obre j n'a'iant ete
que quatre mots kur Superieur, Pen-
dant ce peu de terns, il l««f avoitdon •
«4 des marques d'unt affe&i©n, qui
ent rendu \% mimeire pt&iettfe , H
dannerent un jufte fujet de regretter
dans fa perfonne la perte d'un Supe-
rieur , rempli de charit^, d'humilite,
de lumiere & de zele pour le falut
des ames j de la conduite duquel elles
auroient tire de grands avantages, s'il
eut plu a Dieu de le conferver plus
long-terns (50). Le Prieur de faint
Victor , M. Mailly , en annon^ant fa
mort aux religieufes de P. R. avec
toutes les larrnes qu'il ejl permis aux
(49) On verra ci-apres fut fa comiuite.
de quelle maniere elle y (jo) Hide.
&K
enVoiee , & quelle
-ocr page 94-
9* HlSTOIRE DE PoRT-Roi'At.'
Chretiens de verfer a lamortdesjujlesl
w leurmarqua qu'il n'etoit pas necef-
» faire , pour les engager a le regret^
»
ter, de leur dire quel etoit fon
» merite; quelechoixqu'ellesavoient
m fait de fa perfonne pour etre Supi^
" rieur de leur fainte cotnmunaute
,
» etoit une preuve de la connoifTan-
» ce qu'elles en avoient eue; & L'on
« peut mime dire} ajoutoit-il, une
» recompenfe que Dieu rendit id has a
» fa vertu. On voit par l'idee que M.
Mailly avoir des religieufes de P. R.
qu'il fe connoiffoiren merite. » Quoi-
» qu'il nous flit cher par plufieurs
» endroits, dit-il encore , le feul
» neanmoins, qui plus que tous les
» autres enfemble nous le rendoit
» recommandable , etoit en ce que
» nous le confiderions comme le lien
w qui uniffbit notre compagnie a la
» votre. Nous ferions inconfolables,
» dans la perte que nous faifons , fi
» le paflage que cet homme deDieu
« a fait de la mort a la vie , rompoit
w cette union que nous fouhaitons
» durer eternellement«. Le i 3 d'oc-
tobre on fit a P. R. potfr ce digne
Superieur un fervice auquel ofncia
M. le Prieur de faint Paul, ai'antpour
Diacre M. de la Grange Souprieur de
-ocr page 95-
--------------------------------------------------------------------------------.........."■■■ ■"'"'
II. P A R T I £. LlV. IX.      9 3
faint Victor, & M. Bocquillot pour l6g4.
Soudiacre. Celui-ci a ere dans la fuite
ConfefTeur de P. R. & s*eft rendu ce-
lebre par fes ecrits & fon zele pour
la verite. M. de la Grange fucceda
peu apres a M. Taconnet, aiant ete
nomme Superieur de P. R. le 30 oc-
tobre. II s'y rendit auffi-tot, accom-
pagne de M. Sanreuil , 8c officia le
jour<fe laToiuTaint.
Ce fur encore lui qui officia le 1 o i-
de novembre an fervice de Madame du F°^.e
la DuchelTe de Luines morte le 19
du mois precedent; & qui trois jours
apres ( 1 3 nov.) recut le corps de Ma-
dame du FolTe (Madeleine Beuzelin) j
morte a Paris le 1 o du meme mois,
Sgee de 78 ans , qui voulut etre in-
humee a P. R.
Le Le&eur a vu ailleurs de quelle
maniere cette Dame , touchee des
inftrudions de M. de S. Cyran, fe
fepara totalement du monde de con-
cert avec fon mari , pour metier une
vie toute retiree & toute chretienne,
uniquement occupee de fes devoirs,
de l'education de fes enfans, de la
pri.ere , de la leclure & des bonnes
oeuyres, Voici l'idee que la mere An-
gelique de Saint-Jean nous donne de
«■ regukrite de la maifon de Mada-»
-ocr page 96-
94 HlSTOIRE DE PoRT-ROlAI.
62* me du FofTe. C'eft dans la lettre qu'el-
le ecrivit a. Mademoifelle le Mai-
tre (51) fa coufine , au fujet du ma-
nage qu'elle alloit contradter avec
M. Thomas de Boiroger , fils de Ma-
dame du Folic : " Quelle reconnoif-
« fance ne devez-vous point a Dieu,
» dit-elle (51), de ce qu'il vous fait
» entrer dans une maifon, qui peut
» p offer pour une petite EgliJ'e & plus I
« fainte que beaucoup de couvents _, I
w parceque toutes les perfonnes qui I
» la compofent, y font eloigners des
» defordres & des maximes du mo'n-
m de, qui entrent quelquefois dans
« les cloitres! Je fouhaite, qiie puif- I
w que Dieu vous a choifie pour l'aug- I
m menter (53) vous y conferviez I
« to,ute la verm qu'il y a mife, & I
» qu'elle en foit toujours la plus ri- I
» che fuceeffion ». Telle etoit la mai- I
fon de Madame du Fofle -y une petite I
eglife, plus fainte que beaucoup de coti' I
vents. Quel eloge pour celle qui La I
(;l) Elle etoit fille de   &deM.deSaci.
M. leMaitrede S.Elme, (5;) Le manage fece- I
& non de M.de Seticourt,    libra lei; Janvier 1677, I
qui ne fut point marie.        & non 1679. M. Arnauld I
(.<,>■) Letrc dui^.jan-    en /it la ceremonie qu'il I
vier 1677, T. 4. des vies   accompagna d'un dif- I
edif. p. 457, 458 Voi'ez   cours, qu'on a inferedans
audi plufieurt autres let-   le recueil de fes lettres |
[Ki de la mete Angelique   T. ?. p. zij, & fuiv.
-ocr page 97-
II. P ARTIE. LlV. IX. J>5
conduifok , & qui en etoit l'ame ! j<s8 c,
Le Ledteur peutcependant confulter
ce qui eft die de certe vertueufe Da-
me dans le Necrologe de P. R. au
jour de fa mort ; & les Memoires
de M. du FofTe fon fils (54), qui y
fait le portrait de fa- fainte mere, &
un recit edifiant de fa maladie, de
fes difpofitions chretiennes , & dela
maniere dont elle fe prepara a la
mort.
Nous mettons a la fuite de tant de u.
Fin de I*
foeut Doro-
morrs que nous pouvons avec afTu
ranee regarder comme precieufes aux thee Per
yeux du Seigneur, celle d'une per- jj^*^ Sei
fonne dont nous n'avons pas la con-
fiance de dire la meme ehofe. Nous
parlons de la four Dorothee Perdreau,
que Dieu cita a fon tribunal au com-
mencement de l'annee dans laquelle
nous entrons. Elle JouifToit depuis
plufieurs annees du fruit de fon ufur-
pation , » mais non toutefois, dir M.
» du Fofte (55), fans plufieurs re-
» mors. On dit meme, ajoute-t-il,
»» qu'elle defira a la fin d'avoir la
»» confolation de parler a quelqu'un
» de ceux qu'elle connoiflbit de Tan-
s' cien terns , & qu'elle ne put Pot>
(H) Chap. XI. p. }8n (5 j) Mem. p. 319,
& fuiy.
-ocr page 98-
$6 HlSTOIHE BE PoRT-ROlAI."
» tenir. Ceux qui la conduifoient
» s'efFor^oient de calmer les peines
» qu'elle relTentoit ; car elle connoi-
w ibitinieux qu'eux lefcandale qu'el-
» le avoit caufe & l'indignite de fon
« entree ambitieufe dans une charge,
» dont une religieufe auffi fain te que
» la mere Angelique Arnauld s'etoit
» depouillee par humilite «. Elle
avoir encore d'autres peines qui fem-
bloient la remuer davantage , quoi-
qu'il s'agit de chofes bien moins im-
portantes pour elle. D'un cote le rem-
porel de la maifon etoit dans le plus
mauvais etat (56) j d'un autre cote ,
M. Chamillard exercoit toujours a
P. R. de Paris fon autorite avec beau-
coup de hauteur j ce qui genoit fort
la foeur Dorothee. Elle paroifToit auffi
affligee, de ce qu'il entretenoit dans
le relachement les jeunes filles qu'el-
le avoit revues. C'eft ce qu'on voit
parunelettre (57) ecriteaM. d'An-
gers vers l'an 1680 par un Benedic-
tin. » La mere Dorothee, dit l'Auteur
»» de cette lettre, foupir-e depuis long-
w tems fous le jougpefant de M. Cha-
ins) Vcucz les mem. ve p. 51S du recueil iw
fill la deftrufiionde P. R. u , imprim£ en 1740 £
p. 57« & fuiv. Mem. hift. Vtfcehti
^$7) Cette lettte ft ttOtt«
miliar^
-ocr page 99-
II. P ARTIE. L'lV. IX. 97
Milliard (58). Elle en avoit fait plu-^^T
fieurs fois des plaintes au Pere Ange
(89); mais il n'y avoit aucun egard,
& ne lui permettoit pas de parler,
pour fe titer de tutelle , & empecher
le relachement. La fceur Dorothee
deploroit l'etat prefentde fa maifon ,
bien different de celui ou elle etoic
avant la feparation. Elle faifoit en-
tendre qu'elle n'avoit jamais penfe
qu'on dut lui confier le foin de gou-
verner les autres j qu'elle ne s'en etoic
chargee que pour empecher que la.
maifon ne fut tout-a-fait diffipee &c
perdue. Elle ajoutoit fur cette fepa-
ration , que fa timidite, ou au moins
l'impuirknce de porter avec intrepi-
dite comme fes autres meres &c foeurs
la privation des facremens & les me-
naces &c les foudres de l'excommuni-
cation, l'avoit empechee de les fuivre.
11 y avoit quatre ou cinq autres rdi-
gieufes dei'ancien creme , dit la lettre,.
qui murmuroient contre le relache-
ment ihtrodu.it par M. Chamillard.
Elles en firent des condoleances par le
(58) Elle fut debar-   les IV articles du ClergS
talUe de ce DoSeur en   de France fur nos Liber«
»68i , qu'il fut exile i   tes.
Iffoudun , ou ildemeura (c9) Ce nom defigne
cinqans, pour s'ecre de-   quelque Capucin Cont'ef-
dare en Sorbonne comte   feur de la maifon^
Tome FIJI,                     E
-ocr page 100-
S>H HlSTOIRE DE PoRT-RdlAI.
canal de leur Abbeffe , a un excellent
Religieux -&c Predicateur, qui avoit
fait un fort bon fermon contre le re-
lachement. Les jeunes .relachees en
fiorterent des plamtes a M. Chamil-
ard , qui en confequence defendic
qu'on le laifsat jamais precher.
Ce Predicateur aiant parle a la fceur
Dorothee d'un Benedidtin ( c'eft ce-
lui qui a ecrit la lettre dont nous
parlons ) , elle lui ecrivit, le priant
de venir dans fon Abbaie pour le be-
foin d'une de fes filles. Le Benedic-
tin s'y rendit des les fept heures du
matin , & demanda la religieufe qui
lui avoir ete indiquee j incontinejit
l'Abbefle vint, & 1'entretinV jufqu'a
midi des fujets de plaintes qu'elle
avoit contre M. Chamillard ; « ce
« qui me convainquoit fort, dit-il,
« du pitoiable etat de ces nouvelles
3> filles relachees , & qui me faifoit
voir dvec etonnement & admiration
w les pricieux refles de L'efpritprimitif I
*> de cette maifon en ces anciennes".
Si ce religieux etoit fi etonn^ en voi'ant
ce qui n'etoit qu'une ombre de l'efprit
primitif de
P. R. qu'auroit - il dit,
s'il avoit vu la realite" dans les reli- I
gieufes de la maifori des Champs ?
Telle etoit la fmution de la fceus
-■-
-ocr page 101-
11. Partie. Liv. IX. 99
Dorothee dans la place qu'elle avoit I(jgr, "
ufurpee , jufqu'au moment qu'elle alia
paroitre devant Dieu, pour rendre
compre de fon ufurpation.. Sa more
fut precedee d'un evenement iingti-
lier , que nous rapporterons d'apres
M. du Fofle (60).
» Deux religieufes ( de P. R. de .Iir\.
n . . , o                  ice               Apparuio*
» Paris J etant devant le 5>. bacre- de la meje
" ment pendant la nuit, virent tout Ang'*iue-
» d'un coup la feue mere Angelique
» fe lever du lieu ou elle eft en-
» terree, ai'ant en main fa crofle ab-
» batiale, marcher majeftueufement
» tout le long du chceur, & aller
» s'aftgoir a la place , ou fe met l'Ab-
" befte pendant Vepres , e'eft-a-dhe ,
» a. la premiere dubas du chceur, a co-
» te droit. Etant aflife,elle appella une
» religieufe qui paroilToit au meme
» lieu , & lui donna ordre d'alier
» querir la fceur Dorothee, qui vine
» fe prefenter devant la mere Ange-
» lique , laquelle lui parla pendant
» quelque tems, fans qu'on put en-
» tendre ce qu'elle lui dit: alors tout
» difparut.
» On ne doute point qu'elle n'ait
» alors cite la fceur Dorothee devant
(So) tettre de M. du Fofle, a la'fin de fes Me- • .
ijntires.p. j 1 j, yu.
E ij             >
-ocr page 102-
103 HlSTOIRE DE PoRT-ROlAt."
I68 5. » Dieu, & c'eft la maniere dont ells'
« l'interpreta elle-meme , lorfque les
» deux religieufes qui avoient ete
» temoins de cette apparition , la lui
" aiant rapportee, elle s'ecria tout
» d'un coup dans une grande frai'eur :
" ah je mourrai bientot: 8c en effet
» elle mourut quinze jours apres , le
» 4 Janvier 1685 «. C'eft de P. R.
de Paris meme qu'on a appris ce fait
extraordinaire. Madame de Mongo-
bert, veuve de M. le Marquis de
Mongobert, qui etoit cadet de la
maifon de Joyeufe,etant un jour allee
voir Madame de la Grange religieufe
a P. R. de Paris , elle lui demanda
Xi ce qu'on difoit de l'apparition de
la mere Angelique etoit vrai , a quoi
Madame de la Grange repondit que
rien n'etoit plus vrai; puis elle ap-
pella une autre religieufe , & lui
ait: » ma fceur approchez - vous, je
r> vous prie , il n'y a point de danger
» a s'ouvrir a cette Dame, nous pou-
u vons lui parler avec coniiance».
Alors cette religieufe s'approcha , 3c
raconta ce que nous avons rapporte
de cette apparition 5 puis elle ajouta
que fi elle ofoit, elle diroit bien d'au-
tres chofes de la mere Angelique j
cjue pouj elle ^ elle aYoif une vraie
-ocr page 103-
It. Partis. Liv. IX. tor
veneration pour fa memoire , & que i<j8j.
dans toutes fes peines elle avoit
coutume de venir prier fur fon torn*
beau, lequel meme etoit en venera-
tion a la plupart des autres religieu-
fes. Ce fait attefte par des temoins
qui ne peuvent etre fufpects , renver-
fe le roman de la vie de la foeur Do*
rothee publie en 1700(61).
Les religieufes de P. R. des Champs
a'iant appris fa mort, firent auffi-toc
des prieres & un Service pour elle.
Cell ainfi qu'elles en agirfoient a l'e«.
gard de toutes les religieufes de la
maifon de Paris , qui s'etoient fepa-
rees d'elles , lorfqu'elles apprenoient
leur mort. Oubliant tous les fujets
de mecontentement & les mauvais
traitemens qu'elles en avoient rectus ,
elles ne penfoient qu'a remplir a leur ..
egard les devoirs de la charite.
Apres la mort de la foeur Doro- j.1?**,
thee , M. de Harlai Archeveque de iay fait nom-
Paris , fit nommer a fa place 1'Ab- SJ*fJ*1* A^!
belfe de la Virginite au Diocefe du befl'edeP.R.
Mans, Elifabeth-Marsuerite de Har- d*^tis-
1 ■ r r                   •-<-•!• tl * !•« i" Repugnance
lai la iceur , qui etoit _, dit M. du foi- de Madame
fe , une tres bonne religieufe & fans fmn\-^i(i
de P. R. de
(61) Si le LeSeur eft terte premier volume des Parif i Its
curieiu de conuoitre ce Mem. hiftoriq. P. i?8. motifs,
Roman , il peut tonful-
E iij
-ocr page 104-
" "
lOi HliTOIRE DE PoRT-ROlAl.
1685. ambition (61). » Ondit raeme, ajou-
» te-t-il, qu'elle eut afTez de peine
w a fe refoudre d'accepter cette Ab-
3j bai'e, par la grande idee qu'elle
« avoit concue de la faintete des re-
m ligieufes de P. R. ne diftinguant
« pas celles de Paris de celles des
» Champs ". Ce que dit M. du Foffe
eft confirme par la lettre que Mada-
me de Harlai ecrivit a l'Archeveque
fon frere fur ce fujer (63). » Je me
» jette a vos pieds, lui dit-elle , pout
» -vous fupplier tres humblemenr de
« me permettre de vous dire avec
« autant de verite que h" j'etois prete
» de paroitre devant Dieu, que je
» ne Jiiis point propre a etre Abbejffe
" deP.R......J'en ai lie les confti-
" tutions 3 & je vous avoue queje n'ai
»» pas ajfe^ de vertu pour commander
« a des Anges«. (Madame de Harlai
en parlant ainfi, ignoroit le change-
ment arrive a P. R. de Paris , depuis
que les religieufes avoient ete tranf-
portees dans la maifon des Champs).
Elle allegue enfuite plufieurs raifons
tres fortes & tres fohdes , pour enga-
ger M. de Paris a la difpenfer d'ac-
(si) Du Fofle, M£m. n , imptime en 1740?
p.476, 477.
                      p. yj»-
(&i) Rcc, de pie«es in-
-ocr page 105-
• 11. P A R T It. Ziv. IX. 10}
eepter rAbbai'e de P. R. > &nnit nean-
moins en declarant, que s'il ne veut
pas fe rendre a fa tres humble priere,
il eft maitre de fon fort, & quelle
lui obeira , quoiqu'elle fache qu'il lui
en coutera la vie, Elifabeth de Har-
lai n'eut pas la m?me fermete que fa
foeur (64) , 8c cedant aux follicitations
& aux artifices de M. de Paris , fon
frere , elle accepta l'Abbai'e de P. R.
malgre fa repugnance & les raifons
folides qu'elie avoit de la refufer &
de periifter dans fon reius. Rendons
toutefois juftice a cette Abbeffe. Elle
ccoit d'un caraclere tout-a-fait oppofe
a. celui du Prelat, fon frere. C'etoit
un cceur droit & fincere , fans malice
& fans ambition. Elle honoroit la
vraie vertu fans aucune prevention.
M. du Foffe en rapporte un trait qui
lui faithonneur, & qui juftifie. ce que
nous avan§ons toucnant fes bonnes
qualites. » On m'a auffi aflure , dit-
■»» il (65) , de fort bonne part, qu'une
(S4) M. de Paris avoit   de fon frere , & elle lu
une autre foeur appellee   dit qu'il avoit voulu la
Anne de Harlay , Abbeffe    retirer de fon Abbai'e poor
dans le Diocefe de Sens,    lamettte a P, R. de Paris,
-qui aiant vu vers i'an   mais qu'elie l'avoit refu-
1674 M. Arnauld, lui   fe , regardantcela comme
temoigna , di t la Relation   un vol fait aux religieufes
de la retraite de ce Doe-   des Champs.
teur ( p. ej), beaucoup (65) Page 476.
«e douleur de la conduite
E iiij
-ocr page 106-
■■-'BWWW'fiJS^I.!"'!
I04 HlSTOIRE M PoRT-ROlAl."
jI^Sj. " f°^e ai'ant ete faite ores de la tom-
» bede la mere Angelique Arnauld,
» comme on vinr dire a la nouvelle
» Abbe/Ie , que Ton avoir decouvert
" une partie de fori corps, qui etoit
»» en fon entier de meme qu'au rems
» qu'on 1'enterra, elle vouloir qu'on
« en fir une informarion , parlanr de
« cerre were comme d'une fainte -j
» car elle etoit, conrinue M. du Fof-
» fe,fans prevenrion & jugeoit des
?> chofes avec la fimplicitc a un creur
» droir, qui eftime & qui honore la
A vertu par - tour ou il la decouvre.
* Mais des perfonnes moins fimples
w qu'elle,Iuiimpoferentfilence «.Elle
fouverna avec beaucoup de fagefTe 8c
e. douceur la maifon de P. R. de Pa-
ris jufqu'a fa more arrivee an com-
mencement de 1695. Jainais elle ne
voulu't entrer dans les de/Teins de 1'Ar-
cheveque contre P. R. des Champs.
Cell pourquoi ce Prelat ne prit pas
beaucoup de part a ce qui la regar-
doit, & ne s'embarrafla point, tant
qu'elle vecut, de reparer la diffipa-
tion du temporel , qui s'etoit faire
fous le gouvernement de la foeur Do-
ITV. toth6e'
M.Rocquiiiot Ce fut au commencement de cette
Confdleur i mtl£Q gue M. Bocquillot , doilt nOUS
-ocr page 107-
II. Par tie. Liv. IX. 105 ______
avons dit un mot plus haut , com- 1685.
menga a exercer fon miniftere &c em-
ployer fes talens a P. R. des Champs.
Lazare Bocquillot ne a Avallon le
Jeudi faint premier avril 1649 , fe
lailTa entrainer aux attraits & a lafe-
duclion du monde jufqu'a l'age de 24
ans, que Dieu Ten detacha pour le
faire entrer dans la voie de fes com-
mandemens. II y a marche conftam-
ment depuis Fannee 1673 que la gra-
ce l'attira puififamment, jufqu'a celle
de fa mort. Erant venu a Paris en
1 £74 , il fe mit au feminaire , & y
fut fidele a rous les exercices. II entra.
dans les Ordres facres , de l'avis de
fon Directeur qu'il avoit prie d'exami-
ner fa vocation , & de le renvoier s'ii
n'etoit pas aflure qu'elle vin t de Dieu.
Ai'ant garde exadtement les interfti-
ces il fut ordonne Pretre , & promi t
» avec ^ele & de bonne foi 3 & avec con-
» noijffance de I'engagement qu'il eon-.
» tracioityd'etre
fidele a tout ce qu'exi-
» geoit un caradtere aufli eminent 8c
"
aufli faint •«. Etant revenua Paris , il
entra a Notre-Dame des Vertus , ou il
eut pour maitre dans la Congregation
de l'Oratoire le fameux Michel le Vaf-
or , devenu dans la fuite apoftat ,
& le celebre M. du Guet. » Lepre-
Ev
-ocr page 108-
Io£ HlSTOIRE DE PoRT-ROlAl,,
»- mier , difoit depuis M. Bocquillor,
» ai'ant un orgueil de demon etoit
>* plein de lui-meme & vouloit tout
» favoir; l'autre etoit la piete meme,
») & avec une fcience folide, veri-
« table & profonde , avoit encore
w une plus profonde humilite «. C'eft
fouscet habile maitre queM.Bocquil-
lot apprit a etudier , qu'il lut S. Au-
fuftin , & s'inftruifit par la le&ure
es ouvrages de ce faint Dodteur , de
la doctrine de l'Eglife fur la grace &
la predeftination , a laquelle il fut
toujours attache. En 1677M. leCom-
te de Chatellux lui procura , a fon
infu , la Cure que M. l'Eveque d'Au-
tun venoit d'eriger a Chatellux, Les
infirmites que lui caufa fon ardeur
pour l'etude & une furdite qui lui fur-
vint, l'aiant engage a quitter cette Cu-
re, il vint a Paris & alia a P.R. trouver
M. Hamon , auquel on l'avoit adrefTe.
C'ejl-la , dit l'auteur de fa vie , ou il
a forme" les liaifons particulieres qu'il
a confe, vies tome fa vie avec les faints
& favansperfonnages j que cette arche
a renfermes dans ces terns de /eduction-
M. Hamon fit obferver pendant huit
mois a* M. Bocquillot le regime de
Cornaro, apres quoi il revint a 1*
vie commune des folitaires, & il fat
-ocr page 109-
II. Part IE. Liv. IX. 107
deftine a faire le prone pour les do-
meftiques & pour les gens du de-
hors (66). On fait que PAbbai'e de
P. R. jouiflbit du droit de ParoilTe.
La permiffion lui en fut expediee le 5
Janvier 1685. M. Bocquillot etoit d'un
grand fecours pour les religieufes ,
ai'ant beaucoup de piete & de lumie-
res (67) ; mais elles n'en jouirent pas
long - terns. Quelqu'attache qu'il euc
pour cette fainte retraite, il rat obli-
ge de la quitter , ai'ant ete rappelle
par l'Eveque d'Autun , qui voulut lui
donner la Thcologale de l'Eglife d'A-
vallon. Mais Paiant remife a un au-
tre , le Prelat le nomma a. un cano-
nicat de la Collegiale de Mont-real.
Pendant le terns qu'il y fut, on le
chargea du foin de la ParoifTe & de la
predication. En 1693 , fon Eveque le
transfera a. un canonical de la Colle-
giale dAvallon , ou il eft mort en
(66)  Vie de M. Bocq.    demens de Dieu 8c de l'E-
p, ii.
                               ilife , qui paroiffoient
(67)   En 1688. M. Boc-   Iorfque D. Mabillon com-
qiiiliot commenca a pu-
   pofa fon Traite des Etudes
Mier , de l'avis de MM.
    monaftiques , 8c dont ce
Nicole 8c Hamon , qui les
    favant Benediclin confeil-
avoientvues, les home-
    la la lefture. M. de la
lies qu'il avoit prSchees &
   Trappe en faifoit beau-
P. R. aux prones qu'il
    coup de cas. On allure
y faifoit, 8c a Mont-real,
    que M. le Due de Bour-
ou il les a en partie com-
   gogne pete de Louis XV,
pofees 8c precbees. II y
    les lifoit frequemment 8c
«ia 18 far les comrri.in-
   les eftimoit beaitcoup.
E vi
-ocr page 110-
I08 HlSTOLRE BE PoRT-ROlAt",
KjSj. 1718 le % de feptembre, avec la re-
putation d'un faint & favant Pretre ,
plein de zele pour la verite (6$).
tv.
          Le 16 de mars de cette annee.on
priacefle* de ^c a P. R. un Service pour la Prin-
Cuimeuee. cefle de Guimenee , amie particulierc
& bienfahrice de ce monaflere ,
morte
le 1 5 de ce mois a Rochefort, ou elle
s'etoit retiree. Anne de Rohan avoit
ete attachee au monde jufqu'a Page de
3 o ans , que frappee de quelques pa-
roles edifiantes deM. d'Andilly, dans
line vifite qu'il lui rendit (69) , elle
commenca a ouvrir les yeux & a com-
prendre la vanite des chofes qn'elle
aimoit, & dans lefquelles elle met-
toit fon bonheur. Des lors (e'etoit en
*6$<)) elle fe mit foils la conduite
55 maniere don ton traite
y> la vetite , ne nous at™
33 tire le jufte chatiment
3> d'en etre prives. Les
33 Saints, les Savans, font
» en f'uite 8c caches. Crai-
3) gnens que d'autres ne
» deviennent au lieu de
33 nous 6c de Rome me-
33 me, le centre de la
33 verite catbolique , qui
33 s'obfeurcit dans le fein
33 meme oil elle devroit
33 briller.
(69) Lane. Mem. T. i.
p. 514. Necr. p. In.
vo'iez les lee. de la mere
Angelique, T. I. p. JJJ.
(.58) Les te'moignages
?clatans qu'il a rendus a la
verite jul'qu'a la mort ,
font ime prcuve de ce zele.
II etok meme tout difpo-
fe a fouffrir l'anatheme
injufte pour fa defenfe ;
car lorfqu'il eut reju les
derniers Sacremens , il
di: tout haut, qu'il nefe
feroitpas attendu
, vu I'e-
tat cks ckofest
que Dieu
liii eut fait tatadt graces.
On lui afou-venc ouidire
ces paroles remarquables,
qui marquem fon zele ar-
dent pour la verite: 33 nous
tkvo'tis trembler
> que la
-ocr page 111-
II. P A R. T I E. Z£v. IX. 109
deM. de S. Cyran par l'entremife nJSj*
de celui dont Dieu s'etoit fervi
pour la toucher , & fe lia tres etroi-
tement a P. R. ou elle fe retiroit tres
fouvent dans un appartement qu'elle
fit batir. Les commencemens de fa
converfion furent tels, que M. Sin-
glin, fon Confefleur, ecrivant a M.
Lancelot (70), lui matqaa. qua sJi elle
continuoit
j ce feroit le plus grand mi-
racle de la grace 3 qui eut paru dans
I'Eglife depuis long-terns.
C'eft ce qui
a donne lieu aux belles lettres que
M. de S. Cyran a ecrites fur ce fu-
jet, foit a elle-meme (71), foit a
d'autres a fa confideration. Ce fut
cette PrinceflTe qui donna occasion a
l'excellent ouvrage de la frequente
Communion (jt). La mere Angeli-
que parloit de la meme maniere que
M. Singlin de la converfion de la
Princefle Guimenee , & la regardoit
comme un miracle. » Nous, ne faa-
» rions affez remercier Dieu , dit-
» elle, (73) d'avoir fait un fi grand
» miracle dans ce miferable fiecle ^
» il femble que le Diahle a eu le
w pouvoir d'arracher l'Evangile , ou
(70)  Ibid. p. 317.           Fof. Mem. p. jz. Mem*
(71)   Let. i, 10, 5s, ou Rel. T. i., p. i}6.
fi>
109.&C
                           (7}) T. I.p. 64.let.,?ii
■>7.*). Unc» ib, p. }i8, .;■•'
-ocr page 112-
110 HlSTOIRE DE PoRT-ROIAL.
" j(jg r " du moins la pratique , de prefqite
» tous les Chretiens «. D'heure en
heure, dit-elle dans une autre let-
tre (74) , » ma joie croit, & le fenti-
»> ment des obligations que nous a-
» vons a Dieu pour fes nufericordes
» fur la PrincefTe. J'efpere qu'elle
w nous aidera a nous convertir «.
La fin ne repondit pas a de fi beaux
commencemens : la PrincefTe de Gui-
menee ne fe foutint pas, & ne con-
ferva pas fa premiere ferveur. Apres
fix ou fept ans , elle s'engagea infen-
fiblement dans le monde , avec lequel
elle crut pouvoir allier la devotion.
Mais il femble que Dieu ait voulu
lui donner dans la fuite quelque
marque de mifericorde par les cha-
grins & les afflictions qu'elle y a
efliries; & fur-tout par le fort mal-
heureux de fes enfans , dont le der-
nier , le Chevalier de Rohan , perdit
la tete fut un echaffaut, le 27 no>
vembre 1674. Apres un evenement
fi trifle , la PrincefTe de Guimenee
quitta Paris pour fe retirer a Roche-
fort , ou elle mourut le 1 3 mars 168 j,
agee de foixante-quinze ans.
tvI
           Le meme jour (13 mars } P. R
More dc m. perdit une amie dans la perfonne de
8c Madame
Irigallier.          V4) Let. f), p, i«j. yoiezibid: p, 17J, )?J.
-ocr page 113-
II. P A R T I E. LlV. IX. I I I
Jeanne Brigallier, epoufe de M. le i£8j.
Coufturier , Gentilhomme ordinaire
de Mademoifelle deMontpenfier. Le
mari de cette vertueufe Dame, qui
vivoit avec elle comme avec une
four , & imitoit fa verru , ne lui fur-
vecut que dix-huit jours , etant more
le 31 du meme mois. Enfin le digne
fils de ces vertueux parens , Pierre-
Bernard le Coufturier , fat reuni il
eux le 13 decembre de la meme an-
nee. Les cosurs de tous les troisfu-
rent portes a P. R. des Champs le
fept mai de l'annee fuivante. Leurs:
corps repofent a S. Jacques du Haut-
pas.
L'annee i£86,ne nous fournit au- \6%6 "
cun evenement confiderable , fi ce
n'eft que la morrenleva beaucoup de react &
perfonnes , tant au-dedans qu'au de- Pl R'
nors de la maifon. Du nombre des
religieufes furent : i°. (75) la four
Marguerite de Sainte- Euphrofine de
CreiT, qui mourut le 1 3 Janvier agee
de cinquante - un ans. Elle figna le
Formulaire en 1664 ; puis a'j'ant etc
reunie aux religieufes ndelles dans la
maifon de P. R. des Champs, elle re-
trafta fa fignature. z°. La four Su-
zanne Champagne , morte le feize
(7J) Necr, Sujpt. p. jcj.
-ocr page 114-
112 HlSTOIRE DE PoRT-ROlAl.
mars (76") agee de quarante-neuf ans.
Elle avoit ere elevee a P. R. des l'age
de douze ans. Dieu opera fur elle un
miracle eclatant (77) pour confoler
fes fervantes dans le tems de la per-
fection de i<f6i. 30. Le 14 feptem-
bre , fceur Anne de Sainte-Genevieve
du Boulai , religieufe de choeur. 4".
Le 17 du meme mois, fceur Jeanne de
Sainte - Aldegonde Defchamps - des-
Landes. 5*. Le meme jour (78), fceur
Anne - Catherine de Saint-Jofeph
Muiflbn, qui apies avoir ete elevee
deux fois aux premieres dignites de
fon Ordre, dans la maifon dela Con-
gregation- de Norre-Dame de Laon ,
fut alfocice a P. R. oil elle vecut 3 3
ans. <J°.Le 27 novembre, fceur Eli-
fabeth de Sainte-Ludgarde Oudierne,
converfe.
Les perfonnes du dehors , amies
de P. R., que la mort enleva , font:
1 °. M. de NeercalTel, Eveque de Caf-
torie , mort le 6 juin. II avoit une af-
fection wute partiadiere pour cette mai-
fon
(79). II y avoit fait deux viiltes ,
dit la metis, fait un difcours a la
grille. II temoigna encore fon affec-
ts) lb. p. 4«7, yg.
       eft mife' en i«8i.
•■.(77) Ilid. yoi'ezlare!. vj?) N£cr, p. 115.
I78) Nccr. oil fa more                       , ,,,
-ocr page 115-
II. P A R T I E. LlV. IX. I I J ______
tion par un prefent considerable de 1686,
Reliques.
z°.Le 6 feptembre (8o),nneDemoi-
felle de Vendome , nominee Barbe-
reau, qui avoit toujours vecu dans
une grande piece , occupee aux oeu-
vres de charite , fur-tout a l'egard des
perfonnes qui fouffroient pour la jus-
tice & la verite. L'affection qu'elle
avoit pour la fainte maifon de P. R.
hii faifoit delirer depuis long - terns
de s'y retirer. Enfin elle s'y fit ame-
ner toute languiflante d'une maladie
qu'elle fouffroit depuis deux ans. Elle
y vecut encore environ fix inois dans
des douleurs continuelles 8c tres vio-
lentes qu'elle fourfirit, non-feulement
avec une patience admirable , mais
lneme avec une' grande joie , Ies re-
gardant comme un'efret de la mife-
ricorde de Dieu fur elle, parcequ'el-
les lui procuroient d'etre plus parti-
culierement unie a la maifon de Port-
Roial & de mourir dans le lieu , 011
elle avoit tant defire de vivre. Elle
etoit agee de quarante - quatre ans.
3°. Le 14 de feptembre.(8i), Made-
nioifelle Marie-Emmanuelle Arnauld
de Pomponne , qui avoit ete elevee
a P. R. des l'age de cinq ans jufqu'a
(80) Near, p. }<4«           (81/ Nccr. p. 574.
-ocr page 116-
114 HlSTOlftE Dfi PoRT-UOlAt.
-------------■                     It        / • A L        1           *                        *
l£8<J. quinze: elle etoit agee de vingt-trois-
Son coeur fut porte a P. Ft. 4'. Le 16
du meme mois (82), M. Jean Ri-
chard , Cure de Tnel, qui legua a
P. R. une croix de vermeil , 011 il y
avoit une particitle de la vraie Croix.
50. Le premier novembre, Mademoi-
selle Gabrielle Dugue de Bagnols ,
elevee a P. R. depuis l'age de cinq
ans jufqu'a dix-huit. Elle etoit agce
de quaranre-quatre ans: fon corps rut
apporte le 4 a P. R. & enterr^ le len-
deniain avec routes les ceremonies qui
fe pratiquoienc pour les religieufes.
Elle leur avoir legne huit mille livres,
ivm,
        6°. Mais la mort qui affligea le plus
finaeM. le les religieufes de P. R. fut celle de
M. le Tourneux. Cer homme admi-
rable voulant fe fouftraire a 1'envie,
qu'il s'etoit attiree par l'eclat de^ (es
predications dans la ParoifTe deSaint
Benoit, Sc a la. perfecution qui en
fut la fuite, s'etoit retire dans fon
Prieure deVilliers. Rien n'eft plus edi-
fiant que la maniere dont il y vivoit.
Voici comme en parle M. du FolTe,
qui fut le voir pour le confulrer fur le
travail dont on voulut le charger apr&
la mort de M. de Saci, qui etoit de
i»x) Ibid. p. 381.
-ocr page 117-
II. P A R T I t. LlV. IX. 115
tontinuer celui de ce grand homme 1686.
fur l'Ecriture fainte (83).
» Nous le trouvameSjdit M. du Fof-
j.  fe (84) dans le Prieure deVilliers,
»  vivanr comme un homme qui n'au-
»  roit point eu de corps a nourrir ,
»  & comme s'il eiu voulu le faire
»>  mourir de faim. II fe levoit tous
»  les jours de grand matin : il chan-
»  toit fon Office dans fon Eglife avec
»  quelques perfonnes qui l'accompa-
»  gnoient. II rravailloit, tantoc a la-
»  bourer 8c a cultiver fon jardin , &
»  tanrot a compofer ces escellens li-
"  vres de pi^ , dont il a enrichi
»  l'Egiife, II ne mangeoit de tout le
»  jour que fur les fix heures du foir,
»  & encore des legumes, au lieu de
»  tres bons poiffons , dont on ne
»  manquoit pas dans ce lieu, ainfi
»  qu'il le fit voir par un echantillon.
»  Je fus effrai'e de voir mener une
»  telle vie a une perfonne , qui etoit
»  d'ailleurs d'une complexion affez
"  infirme , & fujette a. de tres grands
"  maux de tete. Mais que ne peut
»  point fur le cceur d'un homme for-
(85) M. du FolTeavoue   detables pour fon delfiin ,.
que pendant le peu de   & qu'il lui donna une
tems qu'il demeura avec   grande ouvetture pou*
M<. le Toutneux , il en   expliquet le texte facte.
^ctu des fecouts confi- (84) Mem.p. 581,58},.
-ocr page 118-
II<> HlSTOIRE DE PoRT-ROlAl,
t6$6, >> tifie par la grace, l'amour des biens
» celeftes".
Deux ans apres, M. du Fofle ap-
prit en arrivant a Paris (8 5) la mort
de M. le Tourneux, done tous les
gens de bien furent confternes. Mais
il Iaifla a tons fes amis , avec le re-
gret de fa perte, un exemple de pie-
te, de fageffe & de charire. Dieu lit
voir en le retirant a lui, lorfqu'il etoit
dans la force de fon age (86) , & en
etat de fervir TEglife plus que jamais,
que des gens qui perlecutoient un tel
homme , n'etoient pas dignes de le
pofleder, mais qu'ils meritoient d'e-
tre prives d'un li grand trefor ,. & de
ne pouvoir jamais entendre celui que
Ton avoit reduit au illence , lorfque
Dieu eut fait connoitre fon merite.
Ge faint homme etant venu a Paris
■■ pour parler a M. l'Archeveque au fu-i
jet de fon Annee chretienne, il fut
frappe d'un coup d'apoplexie , qui
Femporta en moins de vingt - quaere
heures le 2 8 novembre. L'Abbefle de
P. R. des Champs ai'ant apprts le
meme jour cette trifte nouvelle, l'an-
non^a a la communaute & lui parla
fur la perte que l'Eglife faifoit par
(85) Ibid. p. 591, 59*. n'avoit que 4* ans, s
($6)
M. le Tourneux mois, lorfqu'il mourut.
-ocr page 119-
II. P A R T I E. LlV. IX. 11 7
la mort d'une perfonne fi capable de i(J8<J,
la fervir. Et des le lendemain elle
depecha un expres a Madame de Font-
pertuis , pour la prier de demander
que le eceur de M. le Tourneux fut
apporte a P. R. des Champs. La let-
tre ne fut point rendue, parcequ'on
ne trouva point celle a qui elle etoit
adretfee : mais Dieu qui ne vouloit
pas que cette fainte maifon fut pri*
vee d'un fi precieux depot, infpira a
des perfonnes amies du monaftere de
faire ce que PAbbefle avoit deman*
de. Le Vicaire de S. Severin & Ma- Llx;
dame Joftet parent la refolution de m. le Tour-
faire prendre le cceur du defunt, qui neu3^?J*J*
etoit deja enfeveli 8c dans la bierre, |°"chanij>s«
pour le porter IP. R, des Champs.
Ce qui reuflit heureufement , mais
non fans qu'on s'en appercut. Com-
nie l'on commencoit a en faire du
bruit, la erainte que cela ne causat
de Peclat, fit prendre la refolution
de le tranfporter promptement. M.
le Vicaire fouhaitoit de Paccompa-
gner, mais fon Cure ne le lui per-'
mit pas. M. Arifte (87) ami de la mai-
(87) Jacques Emma-   me dans le monaftere de
fuel Arifte, Dofteut en   Liefle , fut oblige de re-
Theologie, apres avoir   noncer a la Superiorite
travailleavec lucre's a l'e-    de ce monaftere, de cher-
taMuTement de la refor-   ciicr fa fureti dans U re»
-ocr page 120-
I I 8 HlSTOIRE DE PoRT-ROlAL.
^g^ fon y fupplea. Apres l'enterrement dti
corps fait a S. Landri, il partit pour
apporter le coeur a P. R. qui fur mis
dans le petit fepulchre. A l'exhuma-
tion des corps de P. R. un pieux Ec-
clefiaftique retira ce precieux depot,
& le fauva de la profanation.
La mauvaife volonte des ennemis
de M. le Tourneux ne put etre arres-
tee par fa mort j ils extorquerent de
1'Orhcial de Paris une fentence fou-
droiante,du 10 avril 1688 , qui rut
confirmee par une ordonnance de l'Ar-
cheveque , du 3 mai, contre une tra-
duction qu'il avoir faite du Breviaire I
Romain , comme ii elle eut content! I
plufieurs herefies. Jamais ordonnance I
ne fit plus de bruir dans Paris. Mais!
il eft vrai audi, qu'on ne vit jamais I
un confentement plus general pour I
rendre juftice a l'innocence du Tra- I
ducl;eur, 8c a la bonte de la traduc- I
tion. L'Archeveque lui-meme demeu- I
ra convaincu , que la paffion des en- I
vieux &: des ennemis de M. le Tour- I
traite , k caufe des trou-   teftament. Il mourut I«  I
bles que la figuature du    li avril J694 age de 7*  I
Formulaire qu'on voulut    ans ,& fut enterte afaini  I
exigcc des religieufes y    Metry. 11 avoit travai'l'  I
excica. Il ttoit etroite-   avec M. le Tounieuxala   I
nient lie avej les rcligieu-    tradu&ion du EreYiaite   I
fes da P. K, ,.auxquellcs    Romaia«.j
4i;kgua4oo Uv. pat fon
-ocr page 121-
II. Partie. Llv. IX. 119
neux avoit eit la plus grande part i6%<s
dans cetce affaire ; & il ne put refufer
a fon Libraire la permiffion qu'il lui
demanda de vendre ce livre. C'eft
ainfi , dit M. du Forte , que Dieu
jaltlfie, quand il lui plait, » fes fer-
» viteurs pour la confufion de fes
»
ennemis ; &c quand il ne le fait
» pas, c'eft fans doute qu'il vent nous
fake connoitre que le terns de cet-
te vie.eft un tems d'obfcurite \ qu'il
referve beaucoup de chofes pour la
manifeftarion du grand jour de 1'E-
ternite; qu'en attendant cette ma-
nifeftarion , le caraclrere des juftes
eft de vivre veritablement ici-bas
d'une vie de foi j & qu'il exerce
un terrible jugement fur leurs per-
feeuteurs, lorfqu'il permet qu'ils
s'aveuglent eux-memes , en croiant
que ceux qu'ils oppriment en cette
vie , font abandonnes de Dieu,
arcequ'il ne les protege pas vifi-
lement contre les efforts de leur
" fureur , quoiqu'il les foutienne en
5) nieme-tems d'une maniere admira-
" ble, quoique invisible , par i'ono*
" don interieure de fa grace«. La
Wort de M. le Tburneux dans un
ag6 Ci p£u avance fut une veritable
fertc pour PEglife., a laquelle il pou-
-ocr page 122-
HO HlSTOIRE DE PoRT-ROlAI."
i68j, voit rendre de grands fervices.
LX           Elle perdit encore au mois de jan-
ie p. Def- vier de l'annee fuivante un des plus
mo"/- Vt zeles defenfeurs de fa doclxine fur la
«u««           grace, par la mort du Pere Defma-
res , qui a eu trop de part aux com-
bats de Meflleurs de P. R. pour ne
pas occuper une place dans leur hif-
toire. ToufTaint-Gui-Jofeph Defma-
res ne a Vire en Normandie, fur la
fin de Tan 1599, entra de bonne
heure dans la Congregation de l'Ora-
toire, ou il fut re$u par M. de Be-
rulle , qui l'aima 8c Peftima beau-
coup. Voici le portrait que nous en
fait M. du Foflfe (88). » 11 etoit petit
» & d'une tres petite mine 5 mais
» dans la chaire , il paroifToit comme I
" un de ces aneiens Prophetes, qui
» difoient la verite aux Princes &
» aux Grands avec la meme liberte
» qu'aux petits. L'eloquence paroif
>> foit lui erre naturelle , fes geftes
« & fa voix s'accordant parfaitement
» avec la force de la vente qu'il pre-
» choit. Il s'etoit nourri de bonne
» heure de la parole contenue dans
» les Livres faints, & etabli de telle
« forte dans tous les principes de la
» morale & de la theologie de faint
(88) M«n. p. ?fv                                         ,
v Auguftin*
-ocr page 123-
II. Par tie. Liv. IX. in
" Auguftin , qu'on eut cm entendre 1(jg7<
m faint Augaftin en l'entendant. Ce
» Pere de l'Eglife lui etoit devenu fi
j) familier, que c'etoit lui efFecTrive-
« ment qui parloit tous les jours par
» fa bouche , tant il etoit rempli de
» l'oncl:ion de fes ecrits admirables «.
Les predications de ce celebre ora- txr.
teur chretien eurent un fucces pro- *"%ir*r£„™
digieux. Tout Paris accouroit en foule
pour l'entendre , & plufieurs des au-
diteurs , touches des grandes verites
qu'ils avoient entendues , s'en retour-
noient frappant leur poitrine,& chan-
geoient de vie. Mais la grande repu-
tation qu'il s'acquit lui attira la ja-
loufie de certaines gens amoureux
d'eux-memes , ennemis des verites
que le Pere Defmares annon^oit. lis
declamerent contre lui en chaire. Les
Peres, Ragon , Bonnefons , Chatil-
lon , &c. ( il eft inutile d'avertir que
ces Peres etoient Jefuites) fe fignale-
rent par leurs declamations feditieu-
fes contre le Predicateur de l'Evan-
gile. Mais voi'ant que leur entreprife
lie leur attiroit que la honte & la con-
fufion, & que M. de Gondi perfua-
de de 1'innocence de celui qu'ils vou-
loient opprimer, en prenoit la de-
fenfe , ils aigrirent refprit de la Rei-
Tome Fill.                    F
-ocr page 124-
ill HlSTOIRE DE PORT-ROUZ."
' ne, & vinrent enfin a boat d'obtenit:
une lettre de cachet, qui le releguoit
a Quimpercorentin. Le Pere Defma-
res en etant averti, difparut(85>).
I687.
LXII.
En 16 5 3 , il fut envoi'e a Rome
H eft envoie pour defendre la do&rine de faint
Auguftin contre les ennemis de Jan-
fenius, qui en folhcitant la condam-
nation des V Propofitions qu'ils at-
tribuoient faulfement a l'Evequed'Y-
{ires , avoient deffein d'y envelopper
a veritable docfrine du faint Eveque
d'Hippone. Le 19 de mai , les de-
putes des Eveques defenfeurs de la
grace de Jefus - Chrilt aiant eu au-
dience pour la premiere & unique
fois , M. de la Lane parla le premier,
& apres lui le P. Defmares (90) qui
recut de grands applaudiifemens.
5» grace efrkace par elle-
3) meme, qui fait vou-
33 loir &: agir , eft necef-
i> faire pout tout bien,
(
e'eft lace que ne croient
pas les Jefuites) & que
3) toute autre grace eft
3> une grace Pelagienne.
j> On peut jtiger apres
» ceia, ajoute le Pere
33 Davrigni , (i Ton en
» impofe aux partifans de
33 Janfenius, quand on
33 leur reproche de n'ad-
33 mettre point la grace
33 fuffifante, & s'ils par-
sj lent bien fincererncat
(89) Voi'ez le detail
de ces perfeeutions dans
la feconde relation de fa
vie, T. 1. des vies edif.
p. 479 , & fuiv.
(90 > Il ne le fit, die le
Pere Davrigni par une
fade plaifanterie , qu'une
heure & demie ( Me.n.
T. i. p. i}7.) 5) grace
33 a la nuit, qui furvirjt
» fort a - propos pour
33 donuer le terns auxau-
s> diteurs de refpirer aprps
s> une (i longue audience.
35 Le but de l'Orateur e-
s) toit de moiitrer que la
-ocr page 125-
II. Par tie. Liv. IX. 113
De retour en France , il fe tint dans 1687.
I'obfcurite & la retraite jufqu'a l'an
1668 , que la paixetant rendue a l'E-
glife, il en iortit , & reparut avec
eclat dans la chaire au grand conten-
tetnent de tout Paris, qui eut beau-
coup de ioie d'entendre ce celebre
Predicateur apres vingt ans de filence.
Le P. Defmares precha de nouveau
avec tant d'eclat, qu'un celebre Poe-
te(9i) voulant donner l'idee d'un
grand Predicateur, a dit:
Defmares dans faint Roch n'auroit pas mieux
preche (91 J.
La haine & la  jaloufie s'etant re-
s' lorfqu'ils s'effbrcent de
   T. i. p. 48s.) » que le
si faire croire qu'ils ne la
    » fyfteme de la grace
« rejettent pas«. Oui,
    » fuffifante que Molina
1« Jefuites, 8c en parti-
   n fe vantoit d'avoir in-
culier le Pere Davrigni,
    » vente , Stoit un tiflii
en impofent aux precen-
   » deblafphemes &d'im-
dus Janfeniftes. Ceux-ci
   » piete, une opinion fa-
en foutenant, comme le
    » crilege Sfdignede tou-
Pere Defmates le fit de-
    » tes fortes d'anathemes.
yant le Pape , &c comme
   VoiU ce qu'avan^a & ce
l'enfeigne I'Eglife , que
   que prouva le Pere Def-
'a grace efficace par etle-
   mares j qui, quoiqu'en
mime, qui fait vouloir
   puifle dire le P. Davrigni,
v agir , eft necejfaircpour
    fut felicite de tous ceux
'out bien, Qe font pas
    qui I'avoient enteudu, 8C
oifficulte d'adme:tre une
    re^ut de grands applau-
Stace fuffifante au fens
   dilTemens. Le Pape meme
pesThomiftes : ils ne re-
   lui temoigna avoir ete
jettent que la grace Pela-
    trSs fatisfait de l'entendre.
gienne fuffifante des Mo-
       (91) Boil. Sat. X. v.
Unillea. Ce fut elle que
    110.
If P" Defarcs c°"»battit
       (9i\ Le P. Defmarei
"ans fon Difcours, en
   prechoit cependant fam
HiUflt voir ( Vies cdif.
   preparation, fans metne
F ij
-ocr page 126-
124 HlSTOIRE DE PoRT-ROlAL.
1687.
" nouvellees contre le Pere Defmares,
il fut oblige de difparoitre, & trouva
une retraite a. Liancourt chez M. le
Due de la Rochefoucault, qui avoit
tant d'eftime pour lui, qu'apres fa
more il le fit innumer dans le caveau
des Seigneurs. Le P. Defmares mou-
rut auffi faintement qu'il avoit vecu,
a l'age de quatre-vingt-fept anslei?
Janvier 1687.
Lxin.
Le 28 du meme mois , M. Pierre
Mort de m. Borel Pretre du Diocefe de Beauvais
ftfliur de°p.'mourut ^"ur ^a Paroiffe de S. Etienne,
R.           '& fon corps fut tranfporte a P. R.
dont il avoit ete Confeffeur. M. Bo-
; rel avoit paife fa jeuneffe dans une
» ferver ce bras , qui eft
33 latetieurdc touteTEu-
» rope 8c le bonheut de
33 toute la France. Mais
3» enmeme-tems qucvo-
» tre AltefTe fe fouvieiv
33 ne , que fi ellc ne rap-
3) porte pas a Dieu tous
33 fes exploits comme a
33 fa fin derniere, Dieu
33 permcttra que ce bras
33 fe feche comme celui
33 de l'Evangile tc. Enfui-
te il continua fon fermon.
Le Le&eur peut confulrer
deux relarions tres edi-
fiantes de la vie & de la
mort du Pere Defmares,
dans le Tome i des vies
edif. p. 457 , 49? , 8c le
Suppl. au Wecr.de Pf R.
ecrire fes fermons. Le
Lefteur verra avec plailir
un trait de la maniere de
precher de ce celebre Pre-
dicates. Le Prince de
Conde etant un jour venu
pout l'entendre, le Pere
Defmares , qui avoit d£ja
commend fon fetmon ,
fe tut jufqu'i ce que le
Prince fut place , tk s'a-
dreflant £ lui , il parla
ainfi : « Monfeigneur,
s> j'expiique cet endroit
55 de l'Evangile , oii il
33 eft dit que Jefus-Cbrift
» guetit une main feche.
3> Il m'eft glorieux que
a> votre AltefTe vienne
» augmenter le nombre
» ds mes Auditeurs, Je
» prie le Seigaeuc de coii-
-ocr page 127-
II. Partie. Liv. IX. tQ
grande piete, & enfuite avoitete eleve 1687.
au facerdoce felon les regies de l'Egli-
fe. Mais confiderant l'importance
des devoirs auxquels I'engageoit fon
miniftere , il fe retira en l'annee 16\G
a P. R. des Champs, (oil les religieu-
fes n'etoient pas encore revenues)
pour y vivre dans la folitude & le
filence. Apres y avoir paffe quelque
terns dans la retraite & la penitence ,
celui qui le conduifoit l'engagea au-
           ^
pres d'une perfonne de condition 8c
d'une grande piete , pour prendre foin
de Peducation de fes enrans. 11 s'en
acquitta pendant plufieurs annees a-
vec beaucoup de zele pour leur falut,
fans aucune vue d'interet ou de for-
tune.
Degage de cet emploi, il retourna
a P. R. en 1669 lorfque la paix fut
rendue a, l'Eglife , dans le deffein de
fervir les religieufes en qualite de
Chapelain. Aiant paffe quelque terns
dans le repos & l'obfcurite qu'il avoic
choifi comme la meilleure condition,
il fut fait Confeffeur de la maifon ,
& charge principalement de quelques
filles feculieres , a. l'inftru&ion & aux
befoins defquelles il fe donna tout
entier. Lorfque la perfecution fere-
nouvella contre le monaftere de P. R.
V iij
-ocr page 128-
\%6 HlSTOIRE DE PoRT-ROlAt;
des Champs, il fuc oblige _, ainfi que
tous Ies autres , d'en fortir, & fere-
tira a Paris dans une petite maifon ou
cabane, dans laquelle il logeoitfeul,
faifant lui- meme fon petit menage.
Une perfonne en qui il avoit une en-
tiere confiance, aiant appris de quelle
maniere il y vivoit, & jugeant qu'il
n'etoit pas poflible qu'il n'y fouffnt
beaucoup, fe crut obligee de contri-
buer a fa fubfiftance, &■ lui envoi'a
une petite fomme d'argenf. Mais M.
Borel la refufa, lui mandant qu'il
n'avoit befoin de rien, & que Ton
ne favoit pas quel trefor renferme la
pauvretc. Ce qu'il difoit apres l'ex-
peri en ce que fa foi & fa confiance en
Dieu lui avoient fait faire. Car aiant
d peine de quoi fubfifter, il trouvoit
neanmoins dans fa difette , en s'epar-
gnant d foi-meme tout ce qu'il pou-
voit, de quoi repandre dans le fein
des pauvres. II fe retranchoit avec
tant de feverite tout ce qui ne lui
etoitpas abfolument neceflaire, qu'a-
pres avoir fouvent fourni pendant fa
vie aux necerlites de quelques pau-
vres families, il laifla encore a fa mort
une petite fomme pour etre emploiee
en aumones felon fes intentions. Dans
fes charites, comtne dans toures fe*
-ocr page 129-
II. Par tie. Liv. IX. uy
autres a£tions,il vouloit etre mcoir 1687.
nu 5 & fa vie a ete li retiree & fi
cachee , fur-tout pendant fes dernie-
res annees , qu'il ne voi'oit perfonne,
hors les obligations de charite. Tout
ion terns etoit partage entre la pnere
& la lefture , & quelquefois le travail
de l'aiguille ; raccommodant lui-me-
me fon linge & fes habits, afin d'e-
pargner en routes chofes de quoi don-
ner aux pauvres. II mourut a l'age de
foixante-quinze ans , comme il avoit
vecu , tout occupe de Dieu. II laifTa
pat fon teftament quatre cents livres
au monaftere de P. R., ou il avoit de-
fire d'avoir fa fepulture , & ou il fut
inhume le 31 de Janvier , a cote de
l'autel de faint Laurent.
Le lendemain (premier de fevrier) La™^'du
on commenc,a a P. R. des Champs Fargis eft con-
ies Prieres de quarante heures pour <£u'eAbbel"
t'ele&ion de PAbbefle, qui fe fit le e'
jour de la Purification , en prefence
de M. de la Grange Superieur de la
maifon , & de M. Witbaut Secretaire
de 1'At'cheveque. La mere Marie-
Madeleine du Fargis fut continuee.
Le 4 du merae mois , M. de la Gran-
I
ouvrit fa vifite , qu'il n'acheva que
e ii du mois fuivant.
Dans cet intervalle, la maifon de
F iiij
-ocr page 130-
TiS HrSTOIRE DE PoRT-ROlAtr
1687. P. R. fit une des plus gran des pertes'
Lxr qu'eile pouvoit faire , par la mort de
m. Hamon M. Hamon qui lui rendoit depuis fi
P^Vsavie long-tems des fervices fi efTennels.
fesvertus. Jean Hamon Docteur en medecine
de la Faculte de Paris, ne a Cher-*
bourg en Normandie , s'etoir acquis
des fa jeuneiTe une grande reputation
dans le monde. Mais touche de I'efe
prit de Dieu , & perfuade de la va-
nite de ce qu'on appelle forrune , il
refolut d'abandonner entierement la
fienne, & de fe retirer dans quelque
iblirude. » La fermete defon efpnt,
« dit M. Fontaine (93), , fit qu'il
3> flit long-tems a fe rendre a la voix
»> de Dieu qui l'appelloit. M. du Ha-
« mel, Cure de S. Mederic, avoua
« que pendant deux ans il lui avoir
w coute bien des peines pour 1'enfan-
=» rer a Jefus-Chrift. Mais fi fa con-
» verfion fut lente , elle n'en fut que
» plus fervente, lorfqu'il eut enfin
=> refolu une bonne fois de fe facrifier
»> tout-a-fait a Dieu, &c au fervice
w de fes epoufes ".
M. de Harlai premier Prefident,
dont il avoir ete precepteur, ai'ant
appris fon defiein , & ne pouvant
foufFrir fon eloignemenr, le prefix
(?5) Him, T. i. p. 44.
-ocr page 131-
II. Partie. Liv. IX. 129
d'accepter un benefice qu'il avoit dans 1 <J8 7.
une de fes terres a la campagne , ou
il lui auroit ete libre d'etre feul &
auffi retire qu'ailleurs. Mais cette
forte de retraite ne parut pas a M.
Hamon convenir aux mouvemens de
penitence que Dieu lui infpiroit, par-
cequ'elle ne l'eloignoit pas aflez du
monde ni des pretentions qu'il pour-
roit y avoir.
II chercha done un autre confeil, lxvi.
& Dieu qui connoifloit la fincerite pn£ictls
de fon cceur , lui en fit trouver un tel
qu'il ie defiroit, en la perfonne de
M. Singlin qu'il prit pour fon Di-
re&eur, & qui le determina d entrer
dans la voie que Dieu avoit deja
commence a lui marquer. Jufques-la
il avoit hefite fur un engagement qui
lui avoit ete propofe de la part d'uii
Medecin de Paris, qui lui offroit fa
fille en mariage. Mais il rompit ge-
nereufement ces liens ou Ton vou-
loit l'engager , (Dieu fe l'etant refer-
ve pour la confolation de fes fer-
vantes, en un tems ou elles n'en pour-
roient recevoir que de lui, & vou-
lant les fecourir oar lui, encore plus
contre les foiblefles de l'ame (94) que
(94) M. Hamon a fate pour la confolation des
flufieurs liaith de pietes teligieufes de P. R. pom
F v,
-ocr page 132-
I JO WlSTOIRE DE PoR.T-R.OIAI.'
1687. contre les foibleffes du corps) j 6c a-
pres avoir forme la refolution de ne
jamais entendre a aucune propofition
de cette nature , il alia a l'age de
trente-trois ans dans la folitude de
P. R. pour y vivre cache & inconnu
au monde. Des ce moment il vendit
fon bien de patrimoine, & en dif-
tribua le prix aux pauvres fans fe
rien referver.
txvn. D'abord il s'occupa au travail de
ses occup»- \z campagne , labonrant la terre &
:ions. Sa ,          t ••            v j>                   i r
dob,.         semploiant a dautres choles peni-
bles & laborieufes. Dans la fuite du
terns il fe trouva oblige de reprendre
l'exercice de la medecine 5 mais com-
me il ne s'y rendit que dans la feule
vue du fervice qu'il pourroit rendre
aux pauvres 8c aiix religieufes de la
maifon , il avoir de la peine a fouf-
frir qu'on 1'engageat dans des vifites
de perfemnes de confideration. II eon-
tinua a P. R. l'exercice de la mede-
cine pendant trenre-cinq ans avec
des peines & des fatigues incroiables,
aiixquelles il ajouta un nouveau me-
rite par fes veilles & les autres aufte-
rites de fa vie. Nuit & four il etoit
ptet st affifter les malades ; toujours
fes foureniir dans let perfecutions, auxquelles ellif
ftitent exgof&s.
-ocr page 133-
II. P ARTIE. LlV. IX. 1JI
difpofe a en fouffrir les foiblelTes ; 1(jgy.
toujours determine a prendre confeil,
quelque habile qu'il fur } confultant
fur-tout Dieu pour lui demander fes
lumieres , lorfqu'il etoit indetermine
fur ce qu'il devoit faire. 11 joignoit
a fes foms beaucoup de prieres pour
les malades qu'il traitoit, & fouvenc
on le voioit entrer dans l'Eglife au
fortir de la chambre des malades ,
pour prier le Seigneur qu'il donnat
la benediction aux remedes qu'il avoit
ordonnes. Tous les jours il faifoita* '
5>ie, 8c fouvent a jeun, jufqu'a fept
ieues ou environ de chemin , allant
de villages en villages vifiter les pau-
vres malades , qu'il foulageoit en dif-
ferences manieres , les uns par fes
confeils, les autres en leur rendant
les fervices les plus bas , ceux - ci
par les remedes, & ceux - la par la
nourriture , dont il fe privoit lui-
meme. 11 pafTa vingt-deux ans a ne*
manger que du pain de fon , & a ne
boire que de l'eau. Ses habits , fon
exterieur , tout ne refpiroit que l'hu-
milite. II pratiquoit la mortification
en toutes chofes, » car il faut lui
» rendre ce temoignage, ditM. Fon-
» taine(9 5) qu'il etoit un excellent
(?{) Mem. Font. p. 44>
f VJ
-ocr page 134-
________ Ijl HlSTOIRE DE PoRT-ROlAE?
\68j. " medecin,maisencoremeilleur chr£-
» tien & meilleur penitent«. II ne fe
chauffoit prefque jamais; ne faifoit
point de feu dans fa chambre , meme
dans les plus grands hivers. II cou-
choit fur un ais , dormoit tres peu j
fe levoit routes les nuits pour amfter
aux Marines, qu'il fonna pendant plu-
fieurs annees que les religieufes n'a-
voient point de cloches au-dedans ;
il ne fe recouchoit point apres Ma-
tines. C'etoit le tems qu'il prenoit
ordinairement pour ecrire. En i66^y
lots
de la grande perfecution , il fut
oblige de quitter la fainte folitude
ou il croi'oit finir fes jours. On peiit
voir dans la lettre qu'il ecrivit a ce
fujet a M. de Luzanci, les fentimens
dont il fut penetre dans ce trifle mo-
ment. Cette abfence ne dura que neuf
mois, parceque le grand nombre de
malades qu'il y eut a P. R. ai'ant obli-
ge d'avoir un medecin fur les lieux,
8c M. de Perefixe ai'ant bien voulu
confentir que M. Hamon y retour-
nat, il s'y rendit aullltot, & s'aflu-
jettit a toutes les fuites de cet enga-
gement. On peut dire qu'il fe rendit
efclave , pour fervir les epoufes de
Jefus-Chrift. Pendant quatre ans il ne
fortit jamais de fa chambre que pouj
-ocr page 135-
II. P ARTIE. LlV. IX. ltf
aller a I'Eglife aux heures qui lui e- ~
toient preterites; il ne fit de voiage
a la campagne pour vifiter les mala-
des que rarement & toujours accom-
pagne d'un garde j & n'entra point
dans le monaftere fans etre accompa-
gne de la tourriere du dehors. Toute
fori occupation dans le loiiir que lui
donnoit cette captivite, etoit la priere
6c la lecture de la parole de Dieu,
qu'il meditoit jour & nuit, & ou il
puifoit la matiere de tant d'ecrits lu-
mineux & pleins d'on&ion, qu'il com-
pofa pour lors , & qui edifient aujour-
d'hui toute I'Eglife. Ai'ant vecu toute
fa vie avec la meme vigilance , que
fi chaque jour eut du etre le dernier ,
il la termina avec joie le zi fevrier,
age de foixante-neuf ans, au milieu
des prieres & des larmes de fes com-
pagnons de folitude , tout occupe dans
un profond lilence du fouvenir des
mifericordes du Seigneur, Pefprit, le
coeur & les yeux tournes vers J. C.
mediateur entre Dieu & les hommes.
II fut enterre dans le cimetiere du
dehors _, comme il l'avoit defire , 8c
I'on grava fur fa pierre fepulchra-
'e une dpitaphe faite par M. Do-
dart (96). M.Hamon avoit fait la plus
t?s) Voi'ez l'eloge de M. Hamon dans le T. M
-ocr page 136-
I 34 HlSTOIRE DE PoRT-ROlAL*
i6$j. grande partie des epitaphes qui fe
trouvent dans le Necrologe de P. R.
ce qui fait dire a M. Fontaine dans
l'eloge de cet homme admirable , que
j» ce faint folitaire a prete fa plume
» pour louer tous fes amis morts;
» & que tous fes amis morts enfem-
» ble y s'ils revenoient , auroient
sj peine a faire pour lui un eloge
" tel qu'il le merite; que fa me-
» moire vit de toute part dans les
5> belles, les fages , les juftes & veri-
» tables louanges qu'il leur a don-
» nees j & ces chefs-d'oeuvre d'efprit
» font autant de fleurs qui le ecu-
s' ronnent lui - meme & confacrent
» fes amis defunts«.
II eroit difficile , pour ne pas dire
impoffible, de remplir la place de
M. Ham on. Neanmoins les religieu-
fes de P. R. trouverent dans M. Mer-
fenne , Dodleur en medecine , une
perfonne qui leur convenoit , 8c qui
les fervit pendant quelque terns avec
beaucoup de foins & de bonte ; mais
la maladie l'aiant oblige d'aller a Pa-
ris pour chercher du foulagement, il
J mourttt le 28 de mai.
Le 19 de ce mois ,M. de la Grange
a'fant affemble la Communaute , pout
des Mem. de M. Foiu. g. j«o,8cc
-ocr page 137-
II. Pahti«. Liv. IX. rjj
terminer la vifite qu'il avoit com- "7^87!
mencee , comme nous I'avons vu, LXVIII-
le 4 fevrier precedent, fit lecture de TSmoignage
ce qu'il avoit regie & ordonne , Bc™$£"£
lui rendit ce glorieux temoignage: p. r. des
« Apres avoir tout vu , dit-il, tout ^(MaGran-
» examine & tout ecoute, & parti- ge.
» culierement toutes les religieufes,
» au nombre de foixante - une de
» chaeur & dix-huit converfes......
» Nous beniflbns Dieu de l'etat ou
» nous avons trouve cette maifon j
» etant neanmoins obliges de declarer
» que tout le bien que nous en avons
» entendu dire, n'egale point celui
» que nous avons vu de nos yeux.
» II nous a paru que cette commu-
» naute s'emploie au fervice de Dieu,
" corde maqno & animo volenti. Nous
" avons decouvert dans toutes celles
» qui la compofent un dear fincere
» d'etre fidelles a leurs devoirs , &:
» beaucoup d'union 8c de charite les
» unes envers les autres ; peu d'efti-
» me pour foi-meme, beaucoup d'a-
» mour pour la verite & de mepris
» pour la vanite , d'eloignement dil
» monde , de defintereflement pour
» les biens temporels & d'emprefle-
» ment a aflifter les pauvres. Mais ce
» qui nous a edifies davantage , a etc
-ocr page 138-
r$6 Histoire be Port*-*roiai2
» un efprit de fimplicite chretienne J
» qui nous fait fouvenir de celle dont
» parle faint Paul, & qu'il regarde
» comme les dignes fruits & les re-
» compenfes abondantes de l'aumo-
» ne«. Tel eft le temoignage que
fendit M. de la Grange aux religieu-
fes de P. R. On n'eft pas moins edi-
fie du reglement qu'il fit, a la de-
mande de toute lacommunaute, pour
interdire l'entree du monaftere aux
perfonnes feculieres , qui caufoient
une diffipation contraire a l'amour
que ces faintes filles avoient pour la
retraite (97).
Peu apres avoir perdu M. Hamon ,'
(97I Ce reglement n'eur
pas alors un entiereffet,
parceque M. de Paris, qui
l'avoit nianmoins loue
& approuv6 lui meme ,
accordoic quelquefois des
permiffions d'entrer , aux-
quelles on ne pouvoit
point s'oppofer. Mais il
I'ut ex£cuti a la rigueur
fou< la mere Racine , qui
fut elue" Abbeffe en 1190.
Cette feverite deplut a un
ami qui lui ecrivit a ce
fujet. L'Abbefle ai'ant
communique les plaintes
de cet ami aM. Eaftace,
il fit l'apologie de cette
conduitepar une excellem
te lettrecontre les entries
desKculier.es dans les mo-
nafteres. L'Auteur des
Mrmoires hiftoriques l'a
inferee dansfon troifieme
volume, p. 4<. La pre-
miere raifon que donne
M. Euflace eft celle-ci.
35 Il n'y a point de com-
33 munaute ou il n'y ait
» toujours bien des foi-
33 bletles-Les feculieres ne
3) les gueriflenc pas, elles
33 ne font que les augmen-
33 ter. Mais elles les re-
35 marquent , elles s'en
33 mal-edifient , parce-
35 qu'il leur plait de fup-
35 pofer que les religieu-
» fes en doivent etre
35 excmptes. Ainfi on fe
» blefle rmuaelkmeafc.
-ocr page 139-
II. Parti b. Jlv. IX. i 3 7
les relieieufes de P. R. des Champs t/-q*
£                                                   v            r/ 1007.
nrent encore une perte tres conlide-
rable , par la mort de M. Charles du m. cha'rle*
Chemin , qui mourut a la ferine des ja chemin;
Gt                  • t          r. /-v             . . u vie ,■ res
ranges le 6 avnl 1687. Unne iait Vertus.
rieri des premieres annees de ce fer-
viteur de Dieu, que ce qu'il en di^-
foit lui-meme dans le deflein de s'hu-
milier & de demeurer inconnu, com-
me il l'a ere jufqu'a la mort, perfonne
n'aiant fu ni fon nom ni fa qualite
de Pretre. La mort devoila ce myfte-'
rieux penitent ,
dit ingenieufement
l'auteur des Memoires hiftoriques &c
cIironologiques(5)8), & ota lajurprife
des reponfes pleines defagejfe & defim-
pliciti
j qu'il avoit fakes dans les inter-
rogatoires qu'il avoit Jubts dans les dif-
fe'rentes perfecutions } mais augmenta le
refpecl.
II etoit de Picardie , avoit etu-
die a Paris; & fon pere l'avoit en-
gage dans le facerdoce , qu'il avoit
| re$u fans connoiflance, ni reflexion
fur les engagemens de ce faint mi-
niftere. Bientot apres il fut Vicaire
dans une Paroifle du Diocefe de Beau-
yais, ou il avoit ete ordonne , & ou
d etoit aime & confidere de fon Eve-
que (Auguftin Pottier) qui fe fervoit
de fes avis & de fes confeils. Un ev&?
W) t. 5.p.«o.
-ocr page 140-
I $8 HlSTOIRE DE PoRT-ROlAt.'
16$ 7. nement extraordinaire, arrive apres
la mort d'une perfonne qu'il avoit
afliftee, fir tant d'imprellion fur lui,
qu'il alia a Paris pour confulrer quel-
qu'un fur fes difficultes. U en trouva
qui ne le fatisfirent point, parceque
lui ai'ant confeille de retourner a fes
foncTrions ordinaires , il voi'oit bien
lui-meme que cet avis n'etoit pas con-
forme a ce que Dieu demandoit de
lui. On lui donna audi quelques li-
vres , qui bien loin de le contenter,
ne rlrent que le degouter.
Enfin Dieu permit qu'un Cure de
fa connoiflance, qui avoit fait une
retraite a P. R. ou il n'y avoit point
alors de religieufes , lui piopofa d'en
faire une femblable ; il fuivit fon con-
feil, & retourna a Paris, ou il de-
meura deux mois avant que d'obte-
nir de M. Singlin qu'il voulut bien
fe charger de fa confcience. Ce fage
Diredbeur envoi'a fon penitent alors
&si de trenteans a P. R. des Champs,
ou il arriva le 29 novembre 1648,
refolu d'y finir fes jours dans la pe-
nitence & de renoncera toutes fonc-
tions du facerdoce. Ce qu'il a fidele-
ment execute. Bel exemple pour rant
de Pretres qui s'ingerent eux-memeS
dans le faint miniuere i
-ocr page 141-
II. Par tie. Liv. IX. 159
M. Charles fe chargea d'abord de
faire la cuifine des domeftiques '■, puis
on lui donna le foin d'une partie de
la ferme des Granges. Enfin ily de-
meura feul charge de tour le temporel
de la maifon pendant 17 ans. II a
rempli rous ces differens poftes avec
une exactitude , un zele , une fagefle,
& un deiinterefTement 3 qui ont peu
d'exemples , vu que dans ces tems
facheux on ne pouvoit rendre fervice
aux religieufes , fans s'expofer a de
grands perils. Mais comme il avoit
naturellement un coeur genereux &
intrepide , & qu'il n'avoit que Dieu
en vue dans tout ce qu'il faifoit pour
la maifon , il en etoit plus hardi a
tout entreprendre. II ne dormoit Is
plus fouvent que trois heures , quoi-
qu'il fut fujet a plufieurs incommodi-
tes j mais il n'y avoit aucun egard,
& rien ne l'empechoit de fe donner
tout entier aux affaires de la maifon.
II n'en avoit aucune pour lui , ai'ant
vendu apres la mort de fon pere , 8c
diftribue aux Pauvres , ou emploie 3
des ouvrages utiles au monaftere, tout
I'argent qu'il en avoit retire. Ce fut
la leule fois qu'il retourna dans fon
pais, pendant 3 8 ans & j mois que
^ura fa retraite. II prenoit un grand
-ocr page 142-
1*40 HlSTOXRE DE PoRT-ROlAt;
idSy. ^?in ^es Domeftiques, fur-tout pen-
dant leurs maladies j exact.. a leur
faire faire leur devoir, & a. les inf-
truire tant en public qu'en particulier,
il fut s'en faire egalement craindre &
aimer.
II fe plaignoit fouvent de la durete
de fon coeur ; &c il avoit tant de me-
pris de lui-meme , qu'il fe regardoit
toujours comme indigne des miferi-
cordes de Dieu. II parloit avec beau-
coup d'onc"fcion des verites de la reli-
gion , dont il etoit tres inftruit. II ai-
moit lapriere &la lecture , & donnoit
a 1'une 8c a l'aurre tout le tems qu'il
pouvoit menager. II prioit en mar-
chant j & il portoit toujours quelques
livres , pour lire dans fes momens de
loifir. II avoit de l'aptitude pour rou-
tes fortes de travaux j & il n'y en
avoit aucun, quelque bas qu'il fur,
{iour lequel il eut de la repugnance.
1 ferroit lui-meme les chevaux, &
les panfoit lorfqu'ils etoient malades.
II ibufFroit tout avec une humilite
parfaite , ne fe produifoit jamais ; il
Fui'oit au contraire tout ce qui pouvoit
le diftinguer 5 eviroit toute forte de
commerce & d'entretiens non necef-
faires, meme avec les perfonnes de
piete qui demeuroient a P. R., fe re^
-ocr page 143-
II. Par tie. Liv. IX. 141
gardant indigne de leur parler & d'en 1687.
approcher. Cette difpofition fi hum-
ble lui avoit acquis une limplicite,
qui le faifoit palfer dans l'efprit de
quelques uns pour ignorant & peu
intelligent, quoiqu'il eut & de 1'ou-
verture d'efpnt & de l'agrement dans
la converfation.
Enfin , apres avoir mene pendant
plus de 3 8 ans une vie penitente,
inconnue , laborieufe , un fermon
qu'il entendit le jour de Paque Pan
1687 , lui ai'ant donne un grand defir
de la vie bienheureufe, il demanda
a Dieu pendant la proceflion qui fe
fit apres vepres, de le retirer des mi-
feres de ce monde. Sa priere fut exaii-
cee fur le champ j car le friflbn le
prit le foir meme avant complies, oil
il ne laiffa pas de fe trouver. II fouffrit
beaucoup pendant fa maladie , &
mourut le tantieme jour, a la meme
heure qu'il avoit fait fa priere, age de
69 ans. II avoit demande a etre en-
terre aux pies de M. Hamon: mais
on l'inhuma dans l'Eglife pres de la
frille, avec une epitaphe faite par M.
)odart.
Le 31 de mai, la fceur Marie de
Sainte-Genevieve Racine, mourut a
P. R. de, s Champs j elle etoit niece de
-ocr page 144-
141 HlSTOIRE DE PoRT-ROlAt;
1687.
la mere Agnes de Sainte-Thecle Ra-
cine , & four de i'illuftre Poete de ce
nom.
J-XJ- . M. Bourgeois , Pretre du Diocefe
confcffeufded Amiens, Docleur en Theologie de
foKemiJie'la Faculte de Paris , mourut lez8ou
le 29 d'o&obre. II avoir donnea Ro-
me des marques eclatantes de fon
amour pour la verite , dans le voiage
qu'il y fit avec d'autres DocFeurs de-
putes pour la defendre. La relation
qu'il a faite de tout ce qui fe pafla
dans cette Ville au fujet de l'aftaire
du livre de la frequente Communion,
pour laquelle il y avoit ete depute ,
caradterife un efprit droit, fincere,
un cceur plein de candeur, de dou-
ceur , de modeftie , & qui ne refpire
que l'amour de la veritl, la paix 8c
la charite. Au retour de fon voiage ,
il fe retira a P. R. des Champs, ou
il avoit une liaifon particuliere avec
les perfonnes qui conduifoient ce
monaftere. II y pafla plufieurs annees
en diflferentes occafions. La paix aiant
ete donnee a l'Eglife , il alia en 1669,
fixer fa demeure dans cet heureux fe-
I'our, aufli-tot que la liberte d'y ha-
nter fut rendue aux gens de bien. Il
y exerca avec beaucoup de charite
TofEce de Confefleur des religieufes,
-ocr page 145-
II. P ARTIE. L'lV. IX. 14$
&fe chargea aufli de la conduite fpi- 1^n,
rituelle des Domeftiques. II s'en ac-
qu.itta dignement jufqu'en 1679 , que
la perfecution qui fe renouvella alors
contre P. R. Pobligea d'en fortir.
Bientot apres , il ie demit de fon
Abbaie de la Mercy-Dieu, Ordre
de Citeaux, au Diocefe de Poitiers ,
afin d'avoir plus de liberte de s'occu-
per de fon falut. Apres avoir fouffert
avec une patience admirable d'extre-
mes douleurs pendant les dernieres
annees de fa vie, il la finit a. l'age
de 8 3 ans, par une mort douce 8c
tranquille , & fut enterre dans l'Ab-
baie de la Mercy-Dieu. On fit un
fervice pour lui a P. R. le 16 de no-
vembre.
Le 16 de Decembre fuivantj la Lxxr.
foeur Aenes de la mere de Dieu de Agn«<fcla
f-,%             Q _ r                                   , , , merede Dieu
V^nouy de Peniieres, mourut agee de de chouy da
78 ans. Elle etoit une des douze > Peafcres-
que M. de Perefixe enleva le zGaout
l'an 1664. , pour les reduire en fer-
vitude dans des maifons etrangeres.
Elle fut conduite a l'hofpice de la
Creche (99) au fauxbourg faint Vic-
tor, oii la mere Therefe laregutavec
toute la charite poffible, Sc lui die
(99) C'cft aujourd'liui la communautS de faint
*MnSoisdeSaJes.
-ocr page 146-
144 HlSTOIRE DE PORT-ROIAI,.
KJ87. en 1'embralTant : Ma chere mere _, ne
vous afflige^ point 3 vous n'etes pas en
terre etrancere
_, mais vous hes partni
vos amis
(1). Quelques jours apres
etant tombee malade , elle temoigna
du defir d'avoir la fceur Francoife de
la Croix de Villume de Barmont, ou
Barmonte ; & elle lui ecrivit pour
cela. La mere Therefe s'y preta de
bonne grace j mais la fceur Francoife
craignanr de perdre fon arTociation,
8c de s'expofer a. ne rentrer jamais a
P. R. (1) refifta beaucoup , foit aux
follicitarions , foit aux menaces de
M. Chamillard , & aux ordres mane
de l'Acheveque. Neanmoins elle fe
determina enfin , par l'avis de la fceur
Euftoquie & de la fceur Francoife
Claire. La premiere lui avoir dreife
une declaration de la maniere dont
elle fortoit & des motifs qui l'y obli-
geoient, & declarant que c'etoit fans
prejudice de fon alTociation. Quelques
jours apres que la fceur Francoife fut
z la Creche _, M. Maffieres Confefleur
de la maifon , vint de la part de M-
(1) Relat.de la merede    Le&eur peut confulter le
Dieu , danslesRel.in 40.    ch. 15 ctes Conllitutions
(1) Nous avons parl£    de P. R, ou il eft pare des
ailleurs de cette religieufe    regies que Ton y fuivoit,
yrofelle de 1'AbbaVe de    & des conditions fous kf-
l'Efclache , qui avoit   -quellesonfaifoit ces alU"
fte aflotiee a P. R. te    ciations. ,
Chamillard
-ocr page 147-
II. Part ie. Llv. IX. 145
Chamillard propofer aux deux reli-
gieufes de P. R. l'indifference , leur
declarant que M. de Paris' leur accor-
deroit les facremens a cette condi-
tion. La mere Agnes lui declara net-
tement qu'elle ne figneroit jamais le
Formulaire, parcequ'elle reroit un
peche mortel en lignant. Ote\-vous
ce tiche mortel de (Levant les yeux
j
dit M. Maffieres. Monfieur } repliqua
la fceur Agnes, 6te\ m'en le Formu-
laire3 & je n'y aurai plus le pdche".
Apres quelques autres difcours, la
mere Therefe prit la parole en fa-
veur des religieufes de P. R. , &
tourna fi bien M. Maflieres , qu'il
leur permit de communier. Au mois
d'o&obre , la fceur Francoife etant
tombee malade , on envoia demander
quelque fecours a P. R., mais la fceur
Dorothee les refufa en difant, que ft
elles envoi'oient encore pour le meme
fujet, on les enverroit fi loin qu'on
n'entendroit plus parler d'elles. Les
religieufes exilees eurent dirTerens
combats a foutenir, contre M. de
faint Nicolas, & d'autres qui met-
toient leur devotion avenirtourmen-
ter ces pauvres filles. Mais Dieu les
foutint, & il y en eut meme qui
Vo'fant que ce n'etoit que par conf-
Tome VIII.
                     G
-ocr page 148-
I46 HiSTOIRE DE PoRT-ROlAt."
cience qu'elles agifToient 3 les exhor-
terentaetre fidelles. Madame dePe-
tdgny eut beaucoup de bontes pour
elles j eile temoignoit etre pleine d'ef-
time pour P. R., &: delirer que la
niaifon fe retablit pour y finir fes
jours avec fes deux filles. Un jour
elle dit agreablement a la four Agnes
de la mere de Dieu > M. de Paris m'a
dit de vousprier de figner 3 mats ecou-
te\, n'en Jakes rien t fi cela ejl contre
votre confcience.
Les deux exilees ne profirerent pas
f>endant tout le terns de leur fejour a
a Creche de la bonne volonte de la
mere Therefe. Cette bonne mere eut
d'abord un premier aflaut a effuier de
la part d'une religieufe de l'Aflomp-
rion, nominee Marie Cecile, qui
apres avoir contribue a la ruine de
fon monaftere , vouloit etre Supe-
rieure de la Creche : de conceit
avec un Jefuite , qui etoit fon frere,
& appui.ee du credit du P. Annat, elle
meditoit de faire donner une lettre
de cachet a. -la mere Therefe , qu'elle
rendit fufpecie de Janfenifme, &
qu'elle accufa de s'entendre avec le?
leligieufes exilees. M. de Paris folli-
cite par le P. Annat, avoit deja re-
foju de ft rendre le miniftre de cetr§
-ocr page 149-
II. P ARTIE. LlV. IX. 147
violence, fi M. de faint Nicolas ne 1687,
l'eut afliire que la mere Therefe etoit
une bonne fille. Cette premiere ten-
tative n'eut pas de fuite 5 & 1'intrigue
etant decouverte , on pria la difcole
de fe retirer; ce qu'elle fit 8c alia 3
Malnoue.
Mais le meme M. de faintNicolas,
qui avoit affaire M. de Paris que la
mere Therefe etoit une bonne elle ,
vint la femaine de la Paffion a la
Creche, & nomma une autre Supe-
rieure par les intrigues de quelques
religieufes , qui fe plaignoient de la
mere Therefe, difant qu'elle intro-
duifoit le Janfenifme jufques dans le
choeur. Le fondement de cette accu-
fation etoit, que la mere Therefe
avoit prie fes refpe&ablesprifonnieres
de lui apprendre le chant & les cere-
monies de leur monaftere. Sous la
nouvelle Superieure , leur fituation
fut bien differente; car elle les croioit
rcellement heretiques & hors d'etat de
falut: elle confulta meme fur ce fujet
l'un de fes principaux Directeurs,
nomme M. Imbert, qui lui repondit
en homme de bon fens , que pourvu
que Hu refte elles fuffent bonnes reli-
gieufes , 1'affaire dont il etoit queftion
lie pouvoit les perdre. Les deux exi-.
Gi]
-ocr page 150-
1^8 HlSTOIRE 0E PoRT-ROJAi.'
lees eurent une grande converfation
avec M. de faint Nicolas au fujet de
la communion Pafchale , qui leur fut
refufee. Elles effiuerent fur la fin de
mai une nouvelle attaque de la part
de M. Chamillard, qui voiant qu el-
les nevouloient pas figner la nouvelle
Bulle, dont il leur fit leclure, leur
die qu'elles devoient s'attendre a etre
excommuniees , a mourir fans facre-
mens, & que leurs corps feroient jet-
tes a. la voirie. C'etoit j lui dit la fceur
Agnes, la devotion des Pinitens de
faint Jean Climaque, ce (era la notre,
M. Chamillard reprit, & dit qu'elles
feroient bien embarrafTees a l'heure
de la mort : la fceur Francoife lui
repondit, qu'elle fouhaiteroit non-feu-
lement la mort } mats le jour dujuge-
ment
_, afin que la verite" jut connue de
tout le monde.
La fceur Agnes rapporte dans fa
relation , que quelques jours apres
que ces bonnes filles ( de la Creche )
eurent figne , un Ecclefiaftique oppo-
fe a la ngnature etant venu voir la
mere Therefe, lui dit : Save^-vous
bien ce que veulent dire les paroles du
Formulaire ? elles Jignifient 3 je me
donne au diable 3 ft les propofitions ne
font dans Janfenius.
Cette parole 4
i
-ocr page 151-
It Par tie. ilv. It* I4>"
-.r-.-..-;:.. •■■■____—J
terrible & dans la bouche d'un Ec- 1687* *
clefiaftique de grande vertu, rait cette
pauvre mere dans une angoifle extre-
me fur la fignature.
Vers le meme terns , la nouvelle
Superieure de la Creche apporta aux
deux prifonnieres une letrre , que la
mere Agnes avoit ecrite aM. de Paris,
par laquelle elle promettoit l'indiffe-
rence, & avoit en confequence ob-
tenu la communion. Elle ajouta que
la mere Prieure & la fceur Anne Eu-
genie avoient figne cette lettre , 8c
elle propofa aux prifonnieres de faire
la meme chofe pour obtenir la grace
de recevoir les facremens. Ce piege
etoit bien difficile a eviter pour des
filles captives , qui avoient une fi
gLande veneration pour la mere Agnes;
mais elles l'eviterent , & repondirent
fagement, que la mere Agnes etoit
une perfonne extremement eclairee ,
qui pouvoit avoir des lumieres 8c
ufer de termes particuliers pour les
exprimer •, mais que pour elles etant
ignorantes , tout ce qui etoit obfcur
leur faifoit peine , & que dans leur
peu d'intelligence , le meilleur etoit
de ne rien raire. Ainu* elles demeu-
retent privees des facremens. La
mere Therefe continuoit fes bontes
G iij
-ocr page 152-
--. .....              .._--------, _,......-.....---—,-__....._._
tyo- HisToiRg db Poh.t-k.oiAe;
0,
%0j. pour les prifonnieres, qui par c&
moi'en afliftoient exadtement a routes
les obfervances avec elle, jufqu'au
jour de leur fortie , qui fur le 4 de
juillet 168 $. Alois elles furenc en-
voiees a P. R. des Champs avec leurs
aurres fceurs , comme nous 1'avons
vu j &c s'y diftinguerent par leur
amour pour la verire, & la fidelite
aremplirles obligations deleuretat,
jufqu'aleur mort.
i<?88. Le z$ Janvier delannee 1688 , la
lxxii. faeur Genevieve de Sainte-Therefe
M*ier«"rGdV Duval mourut a P. R. des Champs
stc Therefe a 1'age de 65 ans. Elle etoit profeue
du monaftere des Benedi&ines de
Sainte-Anne de Magny en Norman-
die , & avoir ete transferee a Iflypres
Paris. Les gtierres civiles de 1 'annee
1649 I'ai'ant obligee d'en fortir , elle
obrint permiffion de fe retirer a P. R.
oii elle fe fir fans peine a la reforme.
Apres v avoir fuivi quelque terns les
exercices reguliers, elle rat affociee a
la communaute avec le confentement
de fes Superieurs} &y vecut pendant
39 ans avec beaucoup d'edification.
lxxJIT- Le 3 du mois de mars fuivant,
sa'rie, fcs la mort enleva M. Thibout, Pre-
yertus. tfe du Diocefe d'Evreux , ancien
Ghanoine de Saint Thomas du Lou-
-ocr page 153-
!t. £AR*tS. LiV. Tf. ftl
in A
vre (j). Des fori enfance ilfit parol- i688f
tre les moEurs d'un vieillard ; & tou-
joursl egal a. lui-meme, il marcha avec
conftance dans la voie du Seigneur ,
& conferva toute fa vie l'innocence
d'un enfant. II recut la Pretrife &
Page de i-j ans , le ij juillet 1614.
Ai'ant ete fait Chanoine de S. Tho-
mas du Louvre , il fe donna des pei-
nes infinies pour retablir le temporel
de cette Collegiale , qui etoit dans un
fi grand defordre que les prebendes
rapportoient a. peine ie ecusjilvint
about de les faire monter a 400 liv.
apres avoir retabli les batimens &
fait revenir les biens ufurpes (4). Vess
Tan 1675 ^es Jefuites fufciterent
contre lui un nomme Louis Piette ,
qui jetta un devolut fur fon Benefice,
fous pretexte qu'il n'avoit figne le
Formulaire qu'en l'expliquant. Et Ton
vit celui qui etoit le reftaurateur de
fa Collegiale fur le point d'en etre
chaffe a, l'age de 80 ans , par une ufur-
pation qui faifoit horreur a tous les
gens de bien. Mais ce venerable Vieil-
lard crut devoir en cette occafion fou-
tenir les interets de l'Eglife plutot
que les fiens propres. II parut devant
<)) N6cr, p, io«.
(4) Suppl. diltUuol. p. 451.
Giiij
-ocr page 154-
tft HrSTOIRE DE PoRT-Roi'Ar."
les Juges, & la juftice de fa. caufe
appuiee de fori merite & de fa pre-
fence, ne laifla aucun lieu aux Juges
de balancer. Le Devolutaire fuc hon-
teufement deboute de fa demande.
M. Thibout voulant enfuite faire voir
que l'avarice n'avoiteu aucune part
a ce qu'il avoit fait pour fe maintenir
en poiTeffion de fon benefice , & ai'ant
trouve dans M. Chertems toutes les
qualites qui font un bon Ecclefiafti-
que, il lui refigna fon Canonicat. II
l'avoit poffede pendant 44 ans, & en
avoit rempli tous les devoirs avec la
plus parfaite exa&itude. II ne man-
qua jamais de fe lever la nuit pour
1'ofEce de marines, & de reciter tous
les Jours, entre les heures canoniales,
le pfeautier avec TorEce des morts,
joignant a tout cela une leciure affi-
due de l'Ecriture fainte ; fcrupuleufe-
ment attache a la maniere , dont les
anciens gardoient les jeunes prefcrits
par 1'Eglife , & dont il avoit vu dans
fa jeunefle la pratique fe conferver
encore dans fa Patrie ,il pouflbit ceux
de Careme jufqu'a 1'heure de vepres.
Lorfqu'il eut refigne fon Canonicat a
M. Chertems, ne pouvant plus en
remplir les obligations, il fe retira
dans le defert de P. R., oiiil vecuc
-ocr page 155-
.......'-"
II. P A R T I E. LlV. IT. I J J
encore douze ans, toujours dans la 1688.
meme uniformity de vie, priant con-
tinuellement, afliftant exactement a
la mefiTe conventuelle ; offrant tons
les jours, tant que fes forces le lui
permirent, le facrifice adorable du
fang de Jefus-Chrift. II mourut dans
ces faints exercices le 3 de mars dans
la 92. annee de fon age, & fut inhume
dans l'Eglife de P. R. avec une epi-
taphe faite par M. Dodart.
Dieu confola cette annee les reli- j^go
gteufes de P. R. en fortant de fon lxxiv.
fecret pour renouveller en leur fa- ?'T co"lole
veur les merveules qu 11 avoir deja
operees autrefois. Ce fut fur la fceur
Gertrude du Valois, que le Tout-
puiffant opera le 6 d'aout une gueri-
fon merveilleufe , qu'elle lui deman-
doit par Pinterceflion de la mere Ma-
rie Angetique Arnauld. Nous nous
contentons de rappeller ici le fouve-
nir de cet evenement , que nous
avons rapporte ailleurs (5) en preu-
ve de la faintete de la Reformatrice
de P. R.
Nous n'avons rien a ajouter fur ixxv.
cette annee , q-ue la mort de quelques iffa:ur;Ma-
V ■ r          r        1         1                             delcine Je See
religieules , dont la plus remarqua- chtiftloe Bri-
Ue eft la celebre Madeleine de Sainte ?uet >fa
vic>
<■$) Sous l'aa 1661.
-ocr page 156-
154 HlSTOIRE DE PoRT-ROlAt;
\C%<), ~ Chriftine , diftinguee par fori efprit
& fa naifTance, mais piu encore par
fa piete & fon amour pour la veri-
te (6). Cette religieufe etoit fille de
M. Briquet Avocat general du Parle-
ment de Paris , & de Madame Bi-
gnon , fille du celebre Avocat general
de cenom. Des lage de trois ans elle
fut mife a P. R. & y profita extreme-
ment de l'excellente education qu'elle
y recut.
A i 5 ans Dieu lui infpira un ex-
treme degout de la vie du monde; &
aiant perdu vers ce meme tems une
foeur unique , qui la laiflbit heritiere
d'une fucceffion immenfe , bien loin
d'etre affoiblie , elle ne fut que plus
affermie dans le deflein de fe confa-
crer a Dieu. Elle en forma une fi forte
refolution , qu'un mois apres,lejour
de la Presentation de la Vierge , elle
fit vceu de chaftete avant que de com-
inunier. Ce voeu renfermoit trois
chofes ; la premiere , d'offrir fa chaf-
tete a Dieu; la feconde, de fe faire
religieufe fitot qu'elle en auroitl'agej
la troifieme, de ne point fortir du
monaftere ou elle etoit, fi elle n'y
(6) Relation de la vie ne Briquet, T. j. Vie*
& des vertus de la foeur edit. p.Sj, ocfuiv.
Madeleine de Ste Chrifti-
-ocr page 157-
II. Par tie. Llv. IX. 155
£toit contrainte par une autorite fu- i6%J~.
perieure. Elle finiflbit ce vceu qu'elle
avoic ecrit de fa main , par ces paro-
les remarquables : II n'y a plus de
monde pour moi. II n'y a plus pour
tnoi que Jefus-Chrifi
, & Jejits-Cbrijl
crucifix.
Depuis ce moment, elle parut ex-
tremement changee j & quoique fon,
vceu fut fecret , n'en aiamt pas meme
parle a fon ConfefTeur que quinze
jours apres, on remarquoit en elle
une piete & un recueillement, qui
furpaflbient de beaucoup fon age 6c
fes lumieres.
Aiant atteint l'age de 16 ans, elle
entra au noviciat. Ce fut alors qu'elle
eut les plus rudes combats a foutenir
contre Meffieurs fes parens, qui for-
merent a fon deffein toutes les op-
positions imaginables. Elle fut ine-
branlable 5 etant forcee par 1'autorite
des perfonnes , a. qui elle ne pouvoit
retifter felon Dieu & felon les hom-
ines , elle fortit enfin \ mais pendant
quatre mois qu elle fut dans le fiecle,
elle s'y conduifit avec tant de fagefle
& de modeftie, qu'elle-perfuada tout
le n^onde de k folidite de fa voca-
tion. Etant rentree dans le cloitre,
elle reprit aufli-tot toutes les prati-
-ocr page 158-
^^^ l$6 HlSTOmE DIE PoR.T-ioi'At."
1689, ques de la vie religieufe, fans que
Ton pur s'appercevoir que le fejour
qu'elle avoir fait dans le monde, eut
rant foit peu altere en elle le mepris
qu'elle avoit des grandeurs & des ri-
chefles de la terre, ni le defir fincere
qu'elle avoir con$u d'erre la plus pau-
vre & la plus perire dans la maifon
du Seigneur.
Elle prir l'habir le 9 fevrier if^p,
fir fon noviciar avec une telle ferveur,
qu'elle fur des-lors pour toute la mai-
fon un exemle d'humilite , de devo-
tion & de tones les vertus religieufes.
C'eft ainfi qu'en parloir la mere An-
gelique dans une Iertre du 16 avril
1659. Elle fir profeffion le 11 avril
1660 , remplie de reconnoiflance de
la grace que le Seigneur lui faifoir de
pouvoir fe confacrer a lui. Elle avoit
delire d'erre fixur converfe (7), mais
on ne le jugea pas a-propos , pour la
raifon que M. Singlin lui avoir mar-
quee dans une lettre qu'il lui ecrivit
apres qu'on Teur obligee de forrirde
P. R. (8). Pour y fuppleer, la fasur
Chriftine prariqua roure fa vie les
exercices de la religion les plus peni-
bles, les plus vils & les plus numilians
aianr toujours ete ceux , auxquels elle
(7) ibid. p. pi,                  0) Bid. p. 8<f. & fufv
-ocr page 159-
II. Par * ie. Ltv. IT. 157________
fe portoit avec plus fd'ardeur, Elle i6S^%
perfevera jufqu'a la mort dans cette
fainte difpofition, aiant toujours choi-
fi la derniere place aurant qu'il lui fur,
J poffible. Jamais el'le ne parla de ce
I qu'elle avoir quitte , ni de ce qui avoic
I ere donne au monaftere a fa confide-
I ration (9).
Si fon humilite fut grande, riert
; n'egala fon amour pour la verite.
* Elle l'aima comme le plus precieux
trefor , & elleetendit ce chafte amour
I fur routes les perfonnes qui Ten
avoient inftruite elle & fes fours , 8c
qui avoient le bonheur de foufFrir
pour fa defenfe.
Lorfque la perfecution eclata en
1664, elle fignala fon zele de telle
forte qu'elle merita elle-meme d'etre
traitee comme l'avoienr ere Ces meres
& fes fceurs. Le jour de I'enlevement
de l'AbbeflTe & des principales reli-
gieufes , l'Archevcque lui aiant te-
moigne avec une certaine affedtion,
I qu'il la traitoit favorablement en la
I laiffant dans la maifon , elle lui re-
I pbqua : Monfeigneur 3 apres que vous
1 m'ave^ otd ce que j'y avois de plus
cher , je ne puis regarder comme une
'(91 VoYej ce que rapporte & ce fujet M. dti
fofle,Mera.p.8j>.
-ocr page 160-
I58 HlSTOIRE DB PoRT-ROlAI."
j^go, faveur d'y etre laijjee avec les per*
fonnes que vousy voule^ mettre.
Apres
l'enlevement des meres, elle foutint
avec la four Euftoquie en grande par-
tie , le choc des ennemis de la verire,
& emploi'a au fervice de la commu-
naute tous les talens qu'elle avoir re-
§us de Dieu, fans den craindre de
tour ce qui pouvoir lui arriver de la
parr des hommes , parcequ'elle mer-
toir fa confiance dans la force de la
grace. » Quoi que ce foir, ecrivoir-
« elle, que Ton puifle faire, je fuis
» roure prere. J'apprehende feule-
» menrde n'erre pas fi maltraitee que
« les aurres en confiderarion de mon
« oncle, qui eft ami de M. de Pa-
» ris (10). J'avoue que j'aurois dela
douleur de porter encore en cela quel"
ques marques de la vanite du monde y
auquel Dieu m'a fait la grace de re-
noncer.
Voila des fentimens dignes
des premiers marryrs, & qui ont
du rapport a ceux du grand S. Ignace
d'Anrioche, lorfqu'on le nienoit a
Rome pour y etre expofe aux beres.
Enfin , M. fAreheveque irrite de la
fermete de cetre vierge chretienne ,
l'arracha le 20 decembre 1664, du
fanctuaire ou elle s'etoit confacree a
(10) Ibid.p, ?f.
-ocr page 161-
r-^—f.......................■>.....-■«..-I......--— — --------------------------------------
H. P A R. T I E. L'lV. IT. I 5^             __
Dieu, 8c la fit conduire au monaf- i^8o«
tere des filles de Sainte Marie de la
rue faint Antoine, ou on la tint dans
I la plus etroite captivite (i i), jufqu'au
commencement de juillet de l'annee
fuivante, qu'elle retourna avec les
autres exilees a P. R. des Champs.
Elle con tin ua toujours d'avancer de
vertu en verm. Son ardeur pour les
aufterites & la penitence lui faifoit
rechercher les travaux les plus peni-
bles , malgre la delicateue de fon
temperamment : fon amour pour la
pauvrete la rendit attentive a la pra-
tiquer en toutes chofes, & fa ten-
drefTe pour les pauvres les lui faifoit
fervir & panfer fans degout dans les
plus facheufes maladies , autant que
Pobeiflance le lui permettoit. Enfin ,
apres avoir foufFert pendant plufieurs
mois une langueur douloureufe, qu'el-
le eut foin de cacher autant qu'elle
put, & ou elle evita jufqu'au moin-
dre foulagement qu'on vouloit lui
donner, elle mourut faintement dans
une paix merveilleufe, & une entiere
connance en la mifericorde de Dieu.
II ne faut pas oublier que c'eft a
la four Briquet que nous fortunes
r(n) Voi'ez A la fin du volume la relation abre-
555 de ft captiyite.
-ocr page 162-
'. *'■«■' .III
16b HlSTOIRE DE PoRT-ROlAE.
,J68?. redevables de l'edition des lettres d£
M. de Saci. Apres la mort de ce faint
Pretre, & celle de la mere Angeli-
que , qui etoient les deux principaux
objets de fon afteclion , dans la per-
fuafion qu'elle les fuivroit bien-tot,
elle s'occupa pour fa confolation a
mettre en ordre les divers ecrits de
Tun & de l'autre, &- elle conceit le
derlein de recueillir les lettres de M.
de Saci : ai'ant eu foin de les rerirer
de ceux qui avoient les originaux,
elle les tranfcrivit, les mit en ordre,
y ajoutades titres , &enfin obtint les
approbations & permiilions necefTai-
res pour les publier.
lxxvi. La mere du Fargis regardant les
f^l™"**" maladies continuelles, dontelle etoit
«ner de fon attaquee depuis quelque terns , com-
were*Racineme une marque que le Seigneur
siielue. frappoit a laporte, & que fa mort
etoit prochaine (12), pnt la refolu-
tion au commencement de 1'annee
1690 de fe demettre de fa dignite
d'Abbeife, afin de n'etre plus occupee
que du paflage de cette vie a l'eter-
nite. Pour s'y preparer , elle voulut
vivre dans une plus grande retraite,
gc fit mettre a fa porte le 2 3 Janvier
(11) Pulfat verb,cum Uftiasejftmortemviciniin
jam per icgritudinis mo- defignat.
Greg. Mag.
-ocr page 163-
......-----------a. ■■ ..,'gT;''-'-'!''*>";'W'-li'-- "■■-'■
II. P ARTIE. LtV. IX. l€l
trn billet par leqael elle prioit k
eommunaute de vouloir bien lui ac-
corder le fecours de fes pneres, de
l'aider a s'apphquer ferieufement au
compte qu'elle devoir rendre a Dieu,
& pour cela de la laifTer plus en fo~
litude, ne venant lui parler que pour
des chofes tout-a-fait necefTaires , &c
jamais de nouvelles ni d'affaires. Elle
les fupplioic de contribuer au deiir
qu'elle avoit de ne plus s'appliquer
qu'a l'unique neceffaire , & de retran-
cher avec elles certaines paroles de
bonte que 1'amitie leur faifoit dire,
& qui pouvoient afFoiblir en elle les
fen ti mens d'humiliation & de peni-
tence , avec lefquels elle defiroit vi-
vre & mourir. Huit jours apres, elle
fit la demillion de fon Abbaie j & M.
de la Grange , Superieur de la mai-
fon , I'ai'ant recue , prefida a l'election
d'une nouvelle AbbefTe , qui fe fit le
deux fevrier. Ce fut la mere Agnes
de Sainte Thecle Racine qui fut elue.
La mere du Fargis ecrivant a M. Ar-
nauld le 3 de juin fuivant, lui parle
ainfi de la maniere dont l'cle<5tion
s'etoit faite : » Vous avez fii ce qui
» s'eft pafife a notre election , qui a
» ete fort edifiante par la douceur
» de 1'obeifTance & la docilite avec
-ocr page 164-
T$l HlSTOIRE DE PoRT-il01A£;
» laquelle toutes nos fceurs fe fonf
» portees a faire ce qu'on leur a con-
» feille\ J'efpere que cette bonne dif-
w pofition attirera la mifericorde de
» Dieu par la fuite, & que votre eha-
» rite n'abandonnera pas des ames
•» que vous voi'ez qui cherchent Dieu
» iincerement. Je penfe n'avoit pas
* befoin de vous afTiirer ici de la ores
» humble reconnoiflance que je con-
» ferverai , sll plait a Dieu , jufques
" dans l'eternite, de toutes les cha-
» rites dont je vous fuis redevable,
» & a votre fainte famille «. La me-
re du Fargis parloit dans cette lettre
de Petat ou elle etoit, 8c dont elle I
faifoit cette description : >> Je ne
» doute pas que vous n'aiez fu I'etat
» ou j'ai etc tout l'hiver , retombant
» d'un mal dans un autre, fans que
» les remedes m'aient pu foulager.
» Cela a fait croire que je n'avois
» plus gueres a vivre , & ainli ils me
» confeillerent de recevoir les der-
» niers Sacremens: ce que je fis com-
» me ils le fouhairoient. dependant
» Dieu m'a laifle encore vivre, per-
» dant peu-a-peu tout ce qui rend la
» vie agreable. J'adore de tout mon
» cceur cet ordre de la providence , I
» &jereconnois la-dedans un efTec
-ocr page 165-
II. Part IE. Liv. IX. \6$
r> de la mifericorde de Dieu, qui me i ^cjo«
» donne par-la. le moien de fatisfaire
» a tant de fames, done la vue feule
« feroit capable de m'accabler, s'il
» ne me faifoit la grace de mettre
» toute ma confiance dans les me-
» rites infinis de Jefus-Chrift. Je vous
» dirai que j'ai ete furprife de me
» ttouver fi tranquille dans les ap-
» proches de ce grand & terrible
» moment; mais j'ai attribue cetefFet
» a. la grande mifericorde de Dieu ,
» qui n'a pas voulu que je me trouvafle
» abbatue a. la vue de tant de mi-
" feres,afin que j'eulfe plus de moiens
» de les reconnoitre, & qui me don-
» ne du tems pour enobtenirmiferi-
» corde. Demandez - lui, s'il vous
" plait, qu'il me faffe cette grace,
» & que je puiife lui offrir le facri-
•■' fice de ma vie avec l'amour & la
» confiance que je dois. J'ai com-
J» mence depuis un mois a perdre la
" vue corporelle , pour me difpofer
» par cette peine a voir manifeftijji-
niam beads o cults vetitatem.
Cette digne Abbefle furvecut plus Lxxvir;
d'un an a la demillion , & vit plu- M°« de la
fieurs de fes filles terminer fainte- p*" Saiju*
ment leur carriere avant elle. Elle en
vit meme jufqu'a trois dans une feule
-ocr page 166-
t&j. HiSTOIftE DE PoRT-ROlAi;
#*"
j (Jpo. femaine, qui etoit la femaine fainte }
confommer leur facrifice. La premie-
re fut la foeur Louife de Sainte-Fare
de la Bonnerie , religieufe d'unefim-
plicite admirable & d'une innocence
de moeurs, qui faifoit dire a M. de
Sainte Marthe fon Confefleur, qu'el-
le etoit aujji innocence de tout pechi
mart el qu'un enfant d'un jour
(ij).
Cetre fainte fille mourut agee de 49
ans le ix mars 1690. Le memo jour
mourut la foeur Madeleine de Sainte-
Eulalie de Limoges, converfe; & le
lendemain la foeur Marie de Sainte-
Agathe Defleaux.
ixxvnt. La mort enleva la meme annee
U. de Pont- trois hommes celebres , precieux 8c
chateau; fa .                    .. . - , ' i _           .,,
vie, fes vei- chers aux rehgieufes de P. K. par I e-
?us'
           dification & les fecours fpirituels
qu'elles en avoient recus. Le premier
eft M. de Pontchateau, qui doit a
jufte titre avoir un rang diftingue par-
mi les faints folitaires de P. R. en
qui la force toute puifTante de la gra-
ce a triomphe le plus glorieufement
de la feduction des fens & de routes
les illufions du fiecle(i4). Mefllre
Sebaftien-Jofeph du Cambout, dit de
(15) Vies edif. T. 5, chateau dans les vies des
p. 118.
                              Saints de Bretagne, l
(14) ViedeM.dcPont- juin , p. 570.
-ocr page 167-
II. Parti e. Liv. IX. \6$
Pontchateau, ne le zo Janvier 1634
d'une famille illufhe (15), fut envoie
a Paris pour y faire fes etudes. II fit
fes humanites au college des Jefui-
tes, fa philofophie dans l'Univerfite ,
puis il s'appliqua a la theologie avec
beaucoup de fucces. Dieu le preferva
des faux principes que fon Profeffeur
Alphonfe le Moine, & fon Precep-
teur le Docleur Magnet, Moliniftes
1'un & l'autre, etoient capables de lui
infpirer, par la lecture qu'il fit de Tex-
cellent oUvrage publie par Odbave de
Bellegarde fousce titre: Sancius Au-
gujlinus per feipfum docens Catholicos
6 vincens Pelagianos. M. de Poncha-
teau egalement bien fait d'efprit 8c
de corps, plein d'enjouement, aime
& eftime de tout le monde , paroif-
foit marcher dans une carriere bien
oppofee a celle qui conduit au falut.
Mais il etoit du nombre de ceux qui
appartiennent a Jefus-Chrift 5 8c qui,
s'ils tombent, comme dit faint Au-
guftin , fe relevent par l'effet de fa
(15) M. de Pontcha-   faen 1S54, Marie Seguiet
teau eroit fils de Charles   fille ainee du Chancelier
au Cambout Marquis de    de ce nom. Il eut deux
Coiflin, & de Philippe   fceurs, qui fluent mariecs,
de Beurges , Dame de   l'une au Due d'Epernon ,
Sevry en Lorraine. Son    l'autre au Comre d'Har-
frere aJne Cefar, Colonel   court, grand Eciuer. do
funeral des SuuTes,epou-   Frame.
-ocr page 168-
166 HlSTOIRE DE PoRT-ROlAt,
* I(jo0. grace & rentrent dans la voie.
i ixxix. Comme il eut toujours le cceufi
m°m de"Cfcs droit & aima *a v"it(^> iJ chercha
Jiaifons avec deS fajeunefle la connoiflance des per-
MM. deP.R. jfonnes en qU[ il voi'oit de la piete. II
n'avoit que dix-fept ans lorfque la
providence lui procura l'avantage de
le lier avec MM. de P. R. qui lui
donnerent du gout pour la lecture
des bons livres. C'etoit toujours la que
Dieu conduifoit ceux a qui il infpi-
roit le defir de travailler a leur falut.
C'etoit toujours a ces Ananies qu'il
les adrefToit pour apprendre d'eux ce
qu'ils avoient a faire. M. de Pontcha-
teau aiant rencontre un jour chez un
excellent religieux(i 6) ou il alloit de
tems en terns, M. Rebours Tun des
Directeurs de P. R. il temoigna dans
la converfation quelque chofe du de-
iir de fe fauver , que Dieu lui met-
toit au cceur. Quelque tems apres il
ecrivit a M. de Rebours, le priant
de lui procurer le moi'en de prendre
pour fa conduite les avis de M. Sin-
glin , dont il avoit oui parler. M.
Rebours lui fit reponfe le 10 d'aofit
16 51. Apres lui avoir temoigne le de-
fit qu'il avoit de le fervir, il ne lui
(is) Ce Religieux pouvoic ctre P, Loroa CiWJji
ftejjs, <jui fut wsile,
-ocr page 169-
II. Partie. Liv. IX. %tf
diffimuloit point que M. Singlin fai- kj^q^
foit d'ordinaire de grandes difficultes
pour fe charger de perfonnes de fa
qualite 8c de fa naiflance j dans lef-
quelles j
dit-il, la grandeur fait pour
Vordinaire un fecond peche originel &
une feconde concupifcence
_, quelquefois
plus pernicieufe j & qui apporte plus
d'empechement que la premiere.
M.
Rebours accepta la qualite de me'dia-
teur
entre M. Singlin & M. de Pont*
chateau, pour procurer autant qu'il
le pourroit a celui-ci les fervices qu'il
attendoit du premier.
M. de Pontchateau recrivit peu t%xx.
apres 4 M. Rebours, & lui adreffii sj^^
une letrre poiir M. Singlin. Mais ce "sou tepoa.
pieux Ecclefiaftique difrera d'y fairefe'
feponfe, tant parcequ'une affaire de
confequence l'occupoit a&uellement,
que parcequ'il vouloit prendre du
tems pour confulter Dieu fur les avis
qu'il devoit donner a ce jeune peni~
tent. C'eft ce que manda M. Rebours
aM. de Pontchateau par une lettredu
18 aout j (f 51 , dans laquelle il lui
fit efperer une entrevue avec M. Sin-,
glin comme un moien plus commode
pour lui. M. Singlin fit reponfeaM.
de Pontchateau le 13 du meme mois r
il lui marque dans fa lettre t que <Jft?
-ocr page 170-
16S HlSTOIRE DE PoRT-ROlAt;
.1690. puis qu'il a re$u la fienne, il a ete
agite de deux craintes : » 1'une de
» s'engager temerairement a la con-
» duite d'une perfonne de qualitej
» & qui a des dignites & de grands
» biens dans I'Eglife, fachant com-
>j bien il eft difficile en ce fiecle de
m fervir utilement & felon les regies
» etroites de l'Evangile une telle per-
» fonne : 1'autre crainte etoit de re-
» fufer fon affiftance a une perfonne
» qui la demandoit d'une maniere
» n humble «. Cependant M. Sin-
glin lui temoigne, que quelque re-
f>ugnance qu'il ait a s'engager dans
a conduite des ames , il fe fent porte
d'affeclrion pour le fervir en la ma-
niere que Dieu le lui fera connoi-
tre. II lui marque qu'il eft difficile
d'appliquer les remedes convenables
fans fe communiquer , & que cela ne
peut fe faire par lettres; que quoique
M. de S. Cyran ait fervi plufieurs per-
fonnes par lettres fans les avoir vues,
il le faifoit neanmoins de telle forte
qu'il adreftbit ces perfonnes a des Di-
re&eurs pour decouvnr le fond de
leur confluence. Quant a l'amour de
la retraite & de la folitude qu'a-
voit temoigne M. de Pontchateau ,
|C3i"^in lui repond <ju'il ne douta
point
I
-ocr page 171-
II. Par tie. Liv. IX. i<5>
point que cet amour ne croiffe de 1690.
jour en jour, lorfqu'il connoitra plus
particulierement les difficultes infur-
I mon tables qu'il y a dans le monde
I au falut d'une jperfonne de fon age ,
^ de fa qualite & de fa naiflance. II
I l'exhorte a confulter beaucoup Dieu,
^ s'aflurer de fa volonre, & a com-
mencer a. fe retirer dans le fecret
de fon cabinet & de fon coeur, en lui
demandant qu'il rompe fes liens , 8c
qu'il lui facilite les voies pour le fui-
vre 8c aller a lui.
M. de Pontchateau fut tres fatis-
fait de la lettre de M. Singlin, &
penfa ferieufement a. avoir une en-
trevue avec lui. Tout occupe de cette
entrevue, 8c l'aiant fort a coeur, il
ecrivit a ce fujet a P. R. II apprehen-
doit cependant de paroitre importunj
fur quoi M. de Rebours lui ecrivit
pour lui faire connoitre qu'il ne l'e-
toit point.
Une maladie qui furvint a M. de lxxxi.
Pontchateau retarda encore ce qu'il.'' p1,'.1'
uenroit avec tant dardeur. hnhn il
eut le bonheur de parler a M. Sin-
glin , felon les moi'ens que lui indi-
qua M. de Rebours dans fa lettre du
16 novembre , ou Ton voit que M.
de Pontchateau temoignoit une gran-
Tome Fill.
                      H
-ocr page 172-
I70 HlSTOIRE DE PoRT-ROlAL.
' kj'o0 de ardeur pour lire les livres qui
" traitoient de la grace de Jefus-
» Chrift j & qu'a meiure que fori ef-
" prit fe nourriflbit des verites fain-
» tes, fon cceur concevoit a propor-
m tion de jour en jour des nammes
" toutes nouvelles pour le bien fu-
" preme, qui eft le principe & la fin
)> unique de tous les autres biens «.
M. de Pontchateau eut lieu de con-
noitre, des la premiere fois qu'il vie
M. Singlin , la verite de ce que lui
avoir dit M. de Rebours , qu'il ne
connoifloit point d'homme doue ni
d'une plus grande lumiere , ni d'une
plus grande charite.
ixxxn. M. de Pontchateau alia vers la fin
li vaaP.R
des champs.
de Tan 1651 a P. R. des Champs, pour
s'encourager a commencer une nou-
velle vie par l'exemple des pieux fi>
litaires qui y vivoient, Ce voi'age lui
fit naitre ltidee de fixer fa refidence
dans ce faint defert; mais M. Sin-
glin ne fut pas de cet avis, comme
on le voit par deux billets , l'un du
mois de fevrier , l'autre du mois de
mars 1651. » II faut avoir un peu
» de patience pour aller habiter le
» defert , lui dit M. Singlin ; quand
» le terns fera venu vous trouverez
v tout pret un logement; omnia teti%
-ocr page 173-
II. Par:tits. Liv. IX. 171
» pus habent. Et comme le terns eft
m entre les mains de Dieu, il le faut
i» beaucoup confulter , afin de ne
> faire aucune avance, ni retarder
-» quand il parlera & fe manifeftera ".
Cependant l'amour de la folitude
croifloit tellement dans M. de Ponr-
chateau, qu'il penfa a decouvrir a
Madame d'Harcourt fa fceur le deflein
qu'il avoit de fe retirer. II ecrivit i
ce fujet a M. Singlin qui le trouva
bon, & lui en fit ecrire par M. de
Rebours, qui lui marqua dans une
lettre (du premier avril 1651) la ma-
niere dont il devoit le faire. Dieu
lui donna le courage de faire part de
ce projet a la Comtefle , & de re-
pondre avec fermete aux mauvaisrai-
fonnemens que lui fit a ce fujet un
de fes parens. II vouloit des lors quit-
ter fes benefices , mais l'avis des per-
fonnes qui le conduifoient, fut qu'il
devoit attendre , remercier Dieu de
la bonne volonte qu'il lui avoit don-
nee , & remettre a fa providence de
lui ouvrir les voies pour l'execution
de fon deflein , fans rien precipiter ,
& fans fe relacher en rien.
M. de Pontchateau avoit des lors
quelque defir d'abandonner tous fes
biens, 8c de fe confacrer uniqugmenc
Hij
-ocr page 174-
T^WM
fjz HlSTOrRE BE JPoRT-ROlAt
a la vie penitente. Mais M. Singlin
16<)o.
txxxiir. voi'ant qu'il confervoir toujours des
11 ecoujc la llz[{ons avec cJes perfonnes du monde.
voix de 1 en- -                    . , C          r              r
chautfur, & crut devoir eprouver ii cette ferveur
de Rom°!afie ne ^ei'olt point paflagere. Peu de terns
apres il icoura la voix de l'enchan-
teur, qui lui parla par la bouche de
fon do&eur qui pour difliper fon
projet de reforme l'engagea a faire le
voiage de Rome., lis partirenr enfem-
bleau.mois d'o&obre, &s'arreterer)t
a Lyon chez le Cardinal Alfonfe ,
firere du Cardinal de Richelieu &:
parent de M- de Pontchateau. Celui-
ci fut un pen touche de ce que le
Prelat pres d'expirer , lui dit, qu'il
avoir beaucoup de regret d'avoir quit-
te fon etat de Chartreux , &: qu'il
auroit bien m'teux aimd mourir f)om
Alfonfe que Cardinal de Lyon
(i 7). M.
de Rebours ecrivit a l'occafion de cet-
te mort une lettre a M. de Pontcha-
teau datee du 7 avril 1^55 , dans la-
en a occafionne plufieurs
ajirres, qui en font une
iuire. Ce Cardinal vou-
lut etre enterre dans un
hopital qu'il avoir biiti,
avec cetre epitaphe qu'il
avoir lui-meme drejlce :
Pauper naius fum , pait-
pertatem vovi, inter pau-
peres fepeliri voto.
Gall.
Cluift, lioy.T, 4. p. jyf,
{17) Ce Cardinal mou-
tutle2 5 mars i5f;-AinT
ii l'Aureur ou l'Editeur
du Necrologe de P. R.
s'eft rromp£ en placant le
voiage de M. de Ponr-
chateau a Rome en I'au
JC57 , puifqu'i! le .ft
j'annee de la niorr du Car-
dinal arrivee en rtfj').
Cetre premiere mepriie
-ocr page 175-
II. Pak*ii; Liv. IX< iff
quelle il lui marque que » Dieu a
'> leve par cet accident inopine l'em-
» pechement le plus grand & le plus
" funefte qui pouvoit s'oppofer a fon
» falut , & dans lequel fes proclies
» l'avoient engage , ou par une faulTe
» piete, ou darts k vue toute cri-
» minelle de l'interet de leur mai-
" fon«. M. de Pontchateau n'a ja-
mais perdu de vue cette reflexion ,
qui lu-i a fouvent fait dire depuis :
Dieu a tui deux kvmmes pour mefau-
ver(t8),.
Tous les amis de M. de Pontcha-
teau furent tres affliges de ce voi'age,
oil il couroit de ii grands rifques pour
fon innocence. Ce n'etoit point fans
fujet / car il contracta toutes les ha-
bitudes qu'un homme bien fait, d'ef-
prit & de naiffance pouvoit contrac-
ted II fentit neanmoins bientot par
le vuide de fon efprit, & par les agi-
tations & les inquietudes de fa conf-
cience, qu'il ne trouvoit pas dans
cette forte de vie ce qu'il cherchoit,
qu'il avoit abandonne la verite
pour courir apres la vanite du men-
fonge. Dieu pourfuivit ce fugitif pen-
(18) Le Cardinal de truer. lis etoient oncles
Richelieu, & le Cardinal de M. de Pontchateau.
Alphonfe ftere du pre-
Hiii
-ocr page 176-
174 HlSTOrRE DE PoRT-ROlAL.
1690. ^antn egarement, & le rappella
fans eefTe a lui-meme par les repro-
ches interieurs qu'il lui faifoit, juf-
qu'a ce qu'il fut revenu a la lumiere. i
II y eut une bonne religieufe, qui fe
fit une devotion particuliere de prier I
pour fon retour, afin de reparer par
cet acte de charite envers lui, les fan-
tes de reflentiment qu'elle croioit a-
voir commifes autrefois contre lei
Cardinal de Richelieu, qui avoit per-1
fecute fa mere (19).
txxxiv. M. de Pontchateau apres avoir de-
11 fe remet meur^ quelque tems a Rome , paffa
fous la con-         * 11                     1           • i               /• i
duire de m. en AHemagne, dont ll traveria plu-
smgiin , i fiems provinces , puis revint en Fran-
qiif ll ecr.'t.                1 .              > Jf
Kfponfe de ce , & prit alors la reloiution de ie
m. singim. remettre fous ]a conduite de M. Sin-
flin, 8c lui ecrivit une lettre tres
umble. Ce pieux Ecclefiaftique lui fit
lareponfefuivante (zo). » Monfieur ,
« vous pouvez avec toute liberte
» nous voir, quand il vous plaira ,
» n'ai'ant pas moins d'afFedtion que
« j'en ai jamais eu de vous feryir.
» J'ai bien eu de la douleur de vous
« durant un fi long filence , & vous
» voiant dans un tel age & dans une
» condition fi perilleufe , n'etant con-
■» duit& foutenu de perfonne amni-
on Necf. p. zjif.
        (to) Rec. ibid. p. 416.
-ocr page 177-
II. Par tie. Liv. IX. 175
■ lieu d'occafions dangereufes. Mais j690.
>  je n'ai jamais eu He refroidifle-
>   ment pour votre fervice. Je vous
>   ai laifle entre les mains de Dieu ,
>   qui eft tout puifTant pour fauver
>   les hommes dans toutes fortes d'e-
>   tat; quoique les uns foient plus
» dangereux que les autres , & que
>   Dieu veut fouvent que nous rom-
>  pions avec le monde , quand nous
>  ne pouvons pas nous bien defen-
>   dre de fa corruption , & que nous
>  n'avons pas a(Tez de force pour re-
>   lifter a toutes fes attaques.
" II n'y a que Dieu feul qui fache ,
' ce que je voudrois faire pour vo-
» tre delivrance. 11 eft vrai epe juf-
' qu'a prefent Dieu n'a pas donne
>   benediclrion au fervice que nous
» avons voulu vous rendre , peut-etre
{•our nous etre engages trop faci-
ement, ou pour avoir ufe de trop
" de condefcendance , avant d'avoir
" ete confirmes en votre perfonne ,
" que nous ne faurions etre trop re-
' tenus a nous engager en la conduite
' des perfonnes de votre qualite ,
' Ecclefiaftiques & Beneficiers j &
' que Pindulgence avec la quelle nous
' tachons de les guerir ne reuffit pas
* toujours. Cela ne diminue nean-
Hiiij
-ocr page 178-
.....--------- ---
l-[6 HlSTOIRE DE PORT-ROIAL.
i6<)Q. " moins en rien le defir que j'ai de
» vous fervir de la maniere que Dieu
» le fera connoifre , m'y fentant etroi-
« tement oblige par beaucoup de
« raifons, particulierementpar lepre-
» mier engagement que j'ai eu avec
*> vous , qui me fait vous fuivre par-
» tout, & prendre part a tous les
m maux & a tous les bieus qui peu-
» vent vous arriver.
» Je plains bien Mefdames vos
« fours , d'autant plus que je crains
m qu'elles n'ufent pas bien des dif-
" graces qui leur arrivent felon le
" monde j ce qui les rend double-
« ment miferables & dignes de com-
» palfion. Je prie Norre - Seigneur
w qu'il leur fafte la grace ,. comme a
» vous , de regarder la main de Dieu
» fur elles, & d'ecouter le Seigneur
« qui leur enfeigne a meprifer le
» monde, & a n'aimer que ce qui
» eft immuable & eternel. C'eft le
» fouhait de votre tres humble fer-
» viteur , A. S.
Depuis ce terns M. de Pontcha-
teau eprouva bien des agitations, &
eut bien des combats & foutenir pour
vaincre tous les obftacles qui s'op-
{>ofoient a fon falut. On voit par une
ertre que M. Singlin lui ecrivit le
-ocr page 179-
II. Par tie. Liv. IX. 177
deux juin \654 , ce que la grace lui
faifoit deja faire, & ce qu'elle com-
men^oit a lui mettre au coeur pour
l'avenir (zi). » II eft vrai, Monfieur,
» lui dit-il, que vous avez fujet de
» deplorer votre etat , n'ai'ant pas
>> perfevere dans ce que vous avez
» commence. La crainte que vous ne
" retombafliez dans vos dereglemens
» paffes , m'avoir empeche de con-
» fentir a, votre long vo'iage , qui
» vous expofoit a beaucoup de ten-
» tations, tk je vois par mafheur que
» ma crainte n'a pas ete mal fondee.
» II faut pourtant bien fe donnerde
» garde de tomber dans aucune de-
" fiance de la mifericorde de Dieu ,
» car ce feroit le plus grand de tous
»» les crimes. Mais il faut effaier do
» jetter de meilleurs fondemeas de
» penitence la feconde fois que la
» premiere , & fe mieux difpofer a
» ce que vous defirez de faire, par
» la retraite , rhumilite interieure &
" exterieure , la mortification de vos
» fens, l'exercice des bonnes ceuvresv
" Vous ne devez pas croire que
» votre falut foit attache a la re~
» traite de P. R. que vous defirez.
.« L'entree ne vous en eft pas fee-
H v
-ocr page 180-
178 HlSTOIRE DE PoRT-ROlAi;
» mee , mais les chofes ont leur terns.
» Vous avez deja beaucoup fait de
» voiis eloigner du monde & des
» converfations mondaines. C'eft un
« acheminement pour aller plus a-
m vant......Ne voi'ez perfonne qui
» vous puifTe nuire. Faites quelques
» pelerinages a pied a quelqu'Eglife
» de Saint, ou vous avez plus de
j> devotion. Preparez votre cceur a
» fuivre Dieu ou il vous appellera,
» & a faire, foufFrir & quitter tou-
ft tes chofes pour lui. Efperez que ce
« qui vous eft arrive, vous fervira
» a vous plus affermir dans fa voie,
» a vous plus defier de vous-meme,
» & a plus hair la frequentation du
» monde. Voila cequeje vous puis
» dire prefentement j je vous aurai
» prefent devant Dieu, & lui deman-
« derai les lumieres pour vous fer-
» vir, &c. «.
Les annees fuivantes M. de Pont-
thateau parut aller a Dieu de tout
fon cceur. Cependant il falloit qu'il
eat encore quelqu'attache fecrete ,
qui caufa une rechute. 11 alloit de'
terns en tems faire des retraites a Port-
Roial (n) -y 8c il fembloit a chaque
fois que c'etoit avec une nouvelle
(n) Du Foffc , p. i Ji. Font. T. 1. p. j4y,.
.
-ocr page 181-
II. Partie. Liv. IX. 179
ardeur. II y etoit lorfqu'on ordonna 1690.
en 16 5 6 aux folitaires d'en fortir (23).
II aidoit dans ce tems-la M. Arnauld
dans fes ouvrages , & ecrivoit fous
lui. Les miracles de la Sainte Epine
de P. R. lui donnerent de l'occupa-
tion en 1656 & 1657 , car en le char-
gea d'en drefTer les relations , ce qui
le fit appeller , le Greffier de la Sainte
Epine
(24).
Cependant il lui prit fantaiile de u^&fvlmt,
retourner a Rome. II partit au mois chateau tral-
d'avril 1 (J 5 8 , & revint a Paris aaS."6'
mois de feptembre de 1'annee fui-
vante (15). M. de PontcMteau traina
puis quelque terns par une
faints Epine de lacouronne
ae notre Seigneur.
M.
de Pontchateau continua
en 1 Sf7fon travail; mais
Ton zele pour les oeuvres
de Dieu fe rallentit en
meme-tems que fon a-
mour pour la retraite. Ec
etant parti pour Rome en
iS?8 , quclqu'autre con-
tinua fon recueil. La mere
Angelique ecrivant a la
Reine mere le 4 mars
is«p,luidit dans fa let-
tre, qu'//y en a plusde So
( miracles) d'icrits & de
bun averis.
(1;) M. de Ponrcha-
reau qui a fait une}rela-
tion de ce voi'age , en a-
voit noue la partie avec
de jeunes Ahbes , dans tun
Hvj
(ij) M. deP. C. adref-
fe un journal de ce qui fe
pada a la vifite du Lieu-
tenant civil & des Com-
miHaires.
(14) On voir par M.
Fontaine, T. i. p. 559 ,
& par plufieurs lettres
de Mademoifelle Perrier ,
que M. de Pontchateau
prenoit fain de recueillir
exaftement les merveilles t
pour en donner les rela-
tions au Public.
On a lieu
de croire qu'il eft auteur
«n partie avec M. Pafcal,
d'un excellent ccrit de 30
pages in-40 qui partit au
mois de novembre 165s ,
fous ce titre : Rhonje d
un icritpublii aufujet des
miracles qu'il a plu a
Dieu defaire d P. R. de-
-ocr page 182-
l8o HrSTOIRE DE PoRT-ROlAt.
i6$o. enfuite quelque - terns fes chaines,
jufqu'a. ce qii'enfin docile a. la voix
de Dieu , qui l'appelloit fans ce(Te a
la penitence, il refolut de s'adreffer
aux perfonnes qui lui avoient mon-
rre la voie qui conduit au falut, &
qu'il avoit abandonnee pour la fe~
conde fois. Quoique MM, de P. R.
euflent bien de la charite , cependaut
comme ils avoient connu fon inconf-
tance, ils eurent alTez de peine de le
recevoir parmi eux. Ce fut fur la fin
de l'annee 166a , apres fon retour
de Bretagne , ou il avoit fait un voi'a-
ge qui dura un an , & d'ou il rappor-
ta une fievre quarte qu'il garda plu-
fieurs annees. II y eut encore des vicif-
iitudes dans ce penitent (z6), M. Sin-
glin lui ecrivant le vingt - deux mai
\G6\ , lui marquoit qu'il avoit beau-
coup de peines de le voir encore en-
gage dans les liens du monde , &c qu'il
etoit neceifaire de les rompre ; qu'en
confequence il ne croioit pas devoir
lui permettre le vo'i'age aux Eaux de
Bourbon , dont il lui avoit ecrit qu'il
vuigeqii'ilavoicfait l'an-   de femarier avec une De-
net' picccdente en. Bre-
    moifelle qui frequentoit
ragne. Il rapporta de
    la Ducheife d'Epernon fa
.Kome une dignite; le Pa-
    fosur , lotfqu'une mort
pe Alexandre VII l'ai'ant
    fubiteenlevacette Demoi.-
fais Prctonotaire.
              fclle.
, (1.0.) U tut Cut lc joint
-ocr page 183-
II. P A R T I E. LiV. IX. I 8 i
avoit befoin, parceque cela le jetteroit
dans de nouveaux precipices. II ajou-
toit que la fante de fort ame lui devoit
etre plus chere que celle du corps,
a laquelle on pouvoit remedier
d'une autre fagon. Enfin il lui difoit
que ce qui devoit l'occuper alors,
c'etoit de s'eloigner le plus qu'il pour-
roit des gens du monde , & de fe.
mettre dans la compagnie de quelque
homine de bien.
M. Singlin toujours inquiet, com-
me on le voit par pluiieurs de £es let-
tres , au fujet de M. de Pontchateau ,,
& j'ugeant que la retraite lui etoit
necelfaire, le prelTa beaucoup d'en-
trer dans quelque communaute pour
y vivre le plus religieufement qu'il
pourroit 8c en penitent. II etoit d'a-
vis qu'il quittat Paris & fe retirat
a la campagne , pour evitex les vifi-
tes non-feulement des gens du mon-
de , mais mane des amis qui en fai-
fant profeflion de piete , font gens de
nouvelles , & dont les entretiens rou-
lent fur routes fortes de matieres , 8c
fur les affaires du monde comme fur
toutes autres : " ce. qui , difoit M.
" Singlin , ne fait que nuire a une
" perlonne qui a befoin de peniten-
« ce^ de retraite 8c de filence, pour
-ocr page 184-
I 82 HlSTOIRE DE PORT-ROIAI.'
1690. " ne vaquer qu'aux affaires de fort
« falut, renouveller tout de bon fa
» vie, & faire de dignes fruits de
" penitence «.
Cependant la grace de Dieu agifToic
ta grace con- ^ur ^e cceur de M. de Pon tcMteau j il
tinue d'agir penfoit, comme on le voit par une
deM. v^c'. lettre de M. Singlin du 28 mai 1661 ,
Mauvais £ fe defaire de fes domeftiques & du
eftets d'un n ^ r               11                           ■
voiage deBre-reite de les meubles, pour quitter en-
tagne.
          tierement le monde. Neanmoins il
ne le fit pas encore, Au commence-
ment de 166 j, il fit, avec Fagrement
de M. Singlin, un voi'age en Breta-
gne pour fes affaires , fur-tout pour
prendre quelqu'arrangement au fujet
de fes benefices j mais il lui donna un
homme de bien pour lui tenir com-
pagnie (27). Ce voi'age fut une occa-
fion a M. de Pontchateau de fe de-
ranger un peu, &c de reprendre quel-
que chofe de l'amour du monde. M.
Singlin en fur fenfiblement afflige &
fe repentit d'avoir confenti au voi'a-
ge -y il lui ecrivit a ce fujet le 18 mai
(17) -Cet homme de    tion du monde. La lettre
bien etoit M. le Maitre
   de M. Singlin du 18 mar
Docteur de Sorbonne', qui
    i««j , relative aux mau-
voiant que le voi'age etoit
   vais effets qu'avoit pro-
trop long.revint a Paris,
    duits ce voi'age dans M.
M. de P. C. n'aiant plus
    de P. C. autorife a le pla-
ce guide aupres de lui,
    cerencette annee.*
k. Iaiifo alier a la dirtipa-
-i
-ocr page 185-
II. Par tie. Liv. IX. ig^______„
i 66} , & lui temoigna dans fa lettre: x $qQ,
que le meilleur pour lui feroit de
quitter entierement le monde, 8c de
s'enfermer dans un monaftere, Vous
avez befoin, lui dit-il, de quelque
chofe qui vous lie 8c vous fou-
tienne, pour vous munir contre
votre propre fbiblefTe 8c l'inconf-
tance de l'efprit humain. Vous de-
vez vous adonner a la priere 8c aux
lectures qui on t rapport i votre etat,
comme de quelques Traires de la
penitence 8c de quelques vies de
faints penitens; aller vifiter quel-
qu'Eglife retiree, pour vous eloi-
gner des compagnies & vifites inu-
tiles; regler votre tems & vos exer-
cices, enforte que vous foiez tres
fidele a les obferver, & a ne vous
en difpenfer point fans une veri-
table neceflite ; a faire toute chofe
par aflujettirTement, qui eft le vrai
elprit du Chriftianifme (28) «.
M. Singlin jugeant done que M. ixxxvnv
de Pontchateau avoit befoin de quel- jUge' qi"6 u
que chofe qui liat & fixat fon inconf- ***}& •§
tance , nt ce qu ll put pour 1 enga- m. de p. c.
ser a fe faire Benedi&in , 011 du moins poatfnnfoix
S 1                  i              1              r            incoiulance,
a demeurer dans quelque maiion re-
ligieufe en qualite de peniionnaire \
(tS; Rec p. 4ja>
-ocr page 186-
184 HlSTOIRE DE PORT-ROJAI.'
mais il objedroit par rapport au pre-
mier article, qu'on l'obligeroit peut-
etre a figner le Formulaite j & fur le
fecond, il faifoit beaucoup de diffi-
.cultes. Cependant M. Singlin ne cef-
foit de lui reprefenter que la vie qu'il
menoit n'etoit pas agreable a Dieu j
parceque, quoiqu'elle ne fiit point
criminelle , elle etoit languijfante &
tiede.
II l'exhortoit fans celTe afe fou-
venir de cette parole qu'il recitoit
tous les jours: Hodie fi vocetn ejus au-
dieritis
, nolite obdurare corda veflra j
& arevenir ,'ad primam charitatem.
»
Nos oeuvres , lui difoit-il, n'etant
» point faites dans la plenitude de
» la charite, quoiqiie bonnes a l'ex-
» terieur , nous font porter le nom
,»; de vivans aux yeux des homines,
» lorfque nous formnes morts aux
» yeux de Dieu, fi nous n'en faifons
» penitence". Dans unelettre du 1 $
fevrier 1664, ^ ^IU tcmoigne le defir
qu'il a qu'il trouve bientot une re-
traite : » car , dit ce pieux Ecclefiaf-
« tique, je crairis toujours beaucoup
» pour vous que le tems ne fe. con-
» fomme inutilement , & que fpa-
;< tium panitent'w
ne vous manque-
w Je prie Dieu qu'il vous le donne,
» & que fans delai vous Temploiez
-ocr page 187-
II. P A R. TI E. L'lVt IX. I 85
» tour de bona reparer le pafTe, & \6yo,
»
a vous bien etablir pour l'avenir
» en un genre de vie qui vous con-
» duife a la vie bieuheureufe ».
Dix jours apres (le z5 ftvrier) M. ™ve^
Singlin ecrivir a M. de Pontchateau de m. singUa
une lettre admirable, dans laquelle kH,de p,c*
il repond aux difficultes qu'il avoir
d'enrrer dans un monaftere. » Ce que
vous pourriez remarquer , lui dir-
il, qui ne feroir pas dans votre
approbation en un monaftere, ne
devroit pas vous empecher d'em-
braffer tour ce que vous y rrouve-
riez de bien qui vous feroir pro-
porrionne : Omnia probate _, quod
bonum ejl tenete.
II ne faur pas s'i~
maginer aucun bien , oil il n'y ait
rien a redire ; il fuffir de ne prendre
aucune parr a ce qui pourroir etre
mal, & d'ufer bien de rout ce qiu
vous pourroit convenir.
» Je remarque avec douleurquela
connoiflance de beaucoup de ve-
rires ( qui fonr rres uriles a ceux qui
en ufenr bien) ne ferr a beaucoup de
perfonnes, ranr filles qu'hommes,
qua les eloigner de la vie religieufej
qui leur eft neceflaire pour leur fa-
lut, roure aurre leur eranr rres pe~
f* rilleufe. Et Ton ne s'appercpit pas
-ocr page 188-
l8<> HlSTOIRE DE PoRT-ROlAI.
»   que l'amour propre & l'amour de
»  fa liberte fe couvrent fouvent du
»  pretexte du mal que Ton connoit
«  dans la profeflion que Ton a befoin
»   d'embrafler , & que cette fcience
»  nous enfle 8c nous aveugle dans
»  ce qui nous eft neceffaire. Que fi
«  Ton avoit bien du zele pour la pe-
»  nitence , pour l'aflujettiflement 8c
»  pour la vie religieufe , on verroir
y  les difficultes bien applanies , &
»  on marcheroit avec confiance a
»  proportion qu'on auroit de fimpli-
»   cite, fuivant cette parole du Saint
»  Efprit : Qui ambulat fimpliciter 3
»  ambulat confidenter.
" La vie que vous me propofez,
»  & a quoi vous avez plus d'inclina-
»  tion , ne me revient point en tout
"  pour vous, non plus que pour beau-
"   coup d'autres. Car fans confiderer
«  la difficulte qu'il y a a trouver un
"  lieu , des perfonnes qui vousfoient
■»  convenables, & une qui conduife
"   & qui prenne foin du tout, ce gen •
»   re de vie n'eft point ftable. II ne
»  s'y trouve point d'exercices qui
»  conviennenr a la penitence; on y
»  vit dans l'indepenaance les uns des
»  autres , fe contentant d'une defe-
»  rence de civilite 8c d'honetete. Per-
-ocr page 189-
II. Par tie. Liv. IX. 187
» fonne ne prenant point d'autorite "TtfooT*
" fur nous, on y parle & Ton s'en-
» tretient de fcience , & on n'a pref-
" que point d'autre exercice que les
» livres. Tout cela ne convrent point
" a un penitent , & a ceux meme
» qui n'ont pas un befoin particulier
» de la penitence. L'efprit de piece ,
» de fimplicite 8c d'humilite fe ral-
» lentit, & quelquefois meme s'e-
» teint entierement. Pour embrafler
" cette vie fans peril, il faut pou-
" voir fe foutenir foi - meme , etre
» appelle a l'etude & a fervir les au-
» tres du fruit de fes etudes. Autre-
» ment on y languit, etant prive des
» exercices qui fe trouvent en reli-
" gion, & qui foutiennent les foi-
» bles & fortifient les forts , com-
» me 1'Office divin en commun qui
» occupe une partie de la journee ,
» le travail des mains , ou les autres
» obfervanees qui tiennent lieu de
» travail, & par-defTus tout l'obeif-
" fance. Ethorsles chofes,a quoil'on
» ne pourroit fe rendre fans offenfer
» Dieu (ce que Ton exige tres rare-
» ment), on peut fe fandifier en fe
" foumettant a ce que Ton exige de
M nous , quoique ab initio nonfuitjic.
» Je ne fais comment je me fuis
-ocr page 190-
I 88 HlSTOIRE DE PoRT-ROlAl.
i6ciq. " laifTe aller dans unfi long difcotirs.
» L'affection que j'ai pour votre faint
» m'a conduit a decouvrir mes pen-
« fees fur les divers etats que vous
» pouvez embrafier, afin dene vous
» y tromper pas dans le choix que
» vous en pourriez faire} fuivant cet-
» te parole : Eft via qua videtur ho-
» mini recta 3 &c.«. En fin , M. Sin-
glin apres avoir propofe une entre-
vue a M. de Pontchateau , termine
ainfi fajettre: « Je prie Dieu qu'il
» vous donne un faint zele pour la
» penitence , fuivant ce que Jefus-
» Chrift fait dire a un Eveque qui
» etoit, non tombe dans des crimes,
» mais dechu de fa premiere ferveur
» & charite : amulare & age pceniten-
» dam.
Vous voi'ez que le zele pre-
» cede la penitence } & fans lui on
» ne fauroit bien expier fes peches
» par une penitence falutaire «•
Ixxxix. M. Singlin eut la confolation de
m. <ie Pont- vo£r avant fa mort fes vceux exauees,
nonce cntie- par un changement parfait dans M.
mondL SU de Pontchateau;. 8c il tut 1'inftrument
dont Dieu fe fervit pour le fixer &
1'attacher d'une maniere inebranlable
a fon fervice. Voici comment la chofe
arriva, ainfi que M. de Pontchateau
la raconta lui - meme, peu avant. fa
-ocr page 191-
II. Partie. L'iv. IX. i%<)
mortaMademoifellePerrier. Unjour \^a0%
qu'il alia voir M. Singlin , ce pieux
£cclellaftiquelui ai'ant beaucoup parle
fur les tentations continuelles qu'il
eprouvoit dans le monde, & les in-
certitudes oii il etoit, lui dit: Vous
ne voule\-donc pas quitter la vie que
vous mene^ ?
M. de Pontchateau ai'ant
repondu qu'il le vouloit bien, mais
qu'il ne le pouvoit pas, ne dites point
que vous ne lepouve^pas,
repritM.
Singlin, mais dites que vous ne le
voule^pas.
M. de Pontchateau s'etant
retire enfuite chez lui au cloitre de
Notre - Dame , fit reflexion fur ces
paroles de M. Singlin : dites que vous
ne le voule^ pas.
Et il fe difoit en Iui-
meme : M. Singlin a raifon _, c'ejl que
je ne le veux pas.
II n'eut point d'au-
tres penfees toute lanuit, ne dormit
gueres, fe leva a quatre heures du
matin , prit fa refolution , ecrivit
quelques lettres, & fe retira dans un
lieu inconnu a fa famille. Depuis
ce terns il ne vit plus fes parens.
Lorfqu'on lui parloit dans la fuite
deux , & des dignites qu'ils a-
voient, il repondoit: Putredini dixi,
pater meus es j mater mea & foror mea
vermibus
: J'ai dit a la pou/Iiere, vous
tres mon pere: j'ai dit aux vers, voa?
-ocr page 192-
190 HlSTOIRE DE PoRT-ROlAt.
"r/jgo ^tes ma mere & ma foeur. » C'eft fou-
» vent , difoit-il encore , un grand
« deshonneur devant Dieu d'etre ne
»> de quelque condition felon le mon-
» de ; parceque d'autant pins qu'on
» a des parens eleves- dans fa fa^
» mille , on peut compter dans fa
w famille un plus grand nombre de
" reprouves «.
xc.
           Ce fur alors ( en 1664.) qu'il quitta
Wn^«tte f" ^es benefices, il remit en regie PAb-
bai'e de la Vieuville , & auroit dif-
pofe auffi canoniquement de l'Abbai'e
de S. Gildas desBois, & de cellede
Generton , s'il en avoit eu la liberte.
Celui en faveur duquel il fe demit
de l'Abbaie de la Vieuville , ne l'ac-
cepta qu'a condition qu'il y auroit une
pennon de deux mille livres pour M.
de Pontchateau , mais jamais il n'en
voulut rien toucher.
S'etant ainfi decharge d'un fardeau
Ses diffSren- qui Ta fait gemir pendant route fa
tes dcmeures. v^e £m i£ <i£faut; Je vocation dans
fon entree & fur Tabus qu'il avoit fait
des biens ecclefiaftiques , il abandon-
na fonpatrimoine a fa famille , & ti-
nt, feulement de M. fon frere la fom-
me de vingt mille livres qu'il placa
fur l'lfle de Noord-Strandt.
Apres s'etre ainfi depouille de tout,il
-ocr page 193-
II. P A R. T I E. L'lV. IX. I^I
fe retirapres de PEftrapade, oiiil oc- kJcjq.
cupa fous le nom de M. Monfrein une
petite chambre tout feul. MIIe Perrier
I'yetantallce voir,&lui ai'antdemande
comment il fepouvoit pafTer de valet,
il lui repondit en riant: Quel tnalvous
ai-je fait pour me fouhaiter unvalet..
II
fit enfuite un voi'age de charite en PIfle
de Noord - llrandt (29) fur laquelle
quelques - uns de ks amis avoient
f>lace des fonds. II pafla par la Hol-
ande , 8c revinr par PAllemagne &
la Lorraine. II a fait une relation de
ce voi'age. Peu apres fon retour a Pa-
ris , il alia demeurer a i'extremite du
faubourg S. Antoine avec M. de Sain-
te Marthe &M. de Saint Gillesd'Af-
fon. La M. de Pontchateau fe mit
tout de bon a eflaier fes forces pour le
genre de vie penitente qu'il comp-
toit mener le refte de fes jours. Lui
& fes compagnons travailloient en-
femble dans leur retraite , & vivoient
comme despauvres, a la refervequ'ils
(19) L'Ifle de Noord-    de Meflieurs de P. R. d'y
llrandi en Dannemarck,    placer del'argent. Les Je-
ai'antete inondee au com-    i'uites firent fur cela des
mcncement du dernier    glofes JlIeurfacon,Scvou-
fiecle, on la delfecha.    lurentfaire croire que les
3-es perfonnesqui travail-    JanfeniftessvoientaeiTein
lerent aux nouveaux eta-    de s'etablir dans le Nord.
bliflemens, firent des em-    Mem. hift. U dogm. du
prunts, &c ce fut ce qui    P. Dayrigni Jefuite. T.
donna occafion £ plufieurs    ;.p, i^j.&fuiy.
-ocr page 194-
IJ2 HlSTOIPvE BE PoRT-Ro'lA£.'
1-6^)0, ne mangeoient point de chair. Ott
1'obligea cependant quelquefois de
quitter fa folitude pour faire des vo'i'a-
ges utiles a l'Eglife. 11 alia en 166j
faire imprimer a Amfterdam par El-
zevir , au nom de Gafpard Migeot,
le nouveauTeftament deMons. Mais
a peine avoit-il fini les affaires done
il etoit charge , qu'il rentroit dans la
retraite avec une nouvelle ferveur. II
y compofa les deux premiers volu-
mes de la Morale vratijue des Jefui-
tes.
M. de Pontchateau demeura trois
ans dans cette retraite avec M. de
Sainte-Marthe & M. de Saint-Gilles.
Plufieurs perfonnes fe ioignirent a eux
en differens terns, entr'autres M. Va-
ret & M. de Boifbuiflon. M. de S.
Gilles y mourut le trente decembre
\66%. Les vifites qu'un grand nora-
bre d'amis leur rendirent pendant fa
maladie , firent trop connoitre leur
maifon , enforte qu'ils furent bientot
obliges de la quitter. « Son ami, dit
» le Necrologe, mourut de la mort
■» des Saints , & d'une maniere qui
» les obligea lui (M. de Pontcha-
» teau) & cet Ecclefiaftique ( M. de
w Sainte-Marthe ) a quitter la place,
>f pour les louanges que le Vicaire
-ocr page 195-
II. Partie. Lly. IX. 191;
v
de la ParoifTe ne pur s'empecher de 1690,
« donner au defunt, apres avoir ap-
» pris le derail de fa vie qu'il lui fit
» pendant fa maladie«. Lemeriree-
toit alors refpedre dans certe Paroifle.
Peu de rems apres, Port - Roi'al M- de v'OM.
ai'ant commence arelTentir (en 1669) chateau v*
les efFers de la paix rendue a l'Eglife , p. r. c des
M. de Ponrchateau vola comme une champs, ses
11 1          it'         1 e                      occupations.
colombe dans ie lieu de ion repos,
qui etoit depuis long- terns 1'objet de
fes defirs. II fe placa dans la ferine
des Granges , fous le nom, 1'habit &
la figure d'un jardinier. II portoit
alors le nom de M. Mercier. II y fou-
tenoit les travaux par la priere , par
le filence , par des jeunes 8c des auf-
terites extraordinaires. On le voi'oit
porter la hotte pleine de fruits & de.
legumes ; il travailloit couvert d'un
cilice, &: ceint d'une chaine de fer ,
ne vivoit que de pain bis 8c de ra-
cines, ne buvoit que de l'eau, ne cou-
choit que fur la paille, 8c le plus fou-
vent fur une claie qu'il jettoit fur la
terre. Dans les commencemens, lorf-
qu'il etoit revenu des champs, ou il
avoir fait la moiflbnavec les pai'fans,
il changeoit de linge parcequ'il etoit
tout en eau. Mais s'appercevant que
ces pai'fans n'en changeoient point ,
Tome FIU.
                     I
-ocr page 196-
J94 HlSTOIRE DE PoRT-ROlAl.
kS^o. il leur demanda comment ils Eufoient:
Celui qui nous mouille, nous feche, re->
pondirent-ils parlant du foleil. De-
puis ce tems-la il fit comme eux, 8c
ie priva de ce foulagement.
xcnr.
         II y avoit huit ans que M. de Pont-
il /an un chateau demeuroit a P. R. lorfqu'en
voiage a Ro-                    . ,, . , , „                     \ i,         >
me pour m. 1677 M. d Aletn 1 engagea a alier 3
££*,&£ R°me Pour k fevke de l'Eglife. II
religieufes de partit au mois d'aout charge des me-
v' K"
          moires de ce Prelat fur les affaires
de la Regale , & fur les infra&ions
faites a la paix de Clement IX ,
qu'il devoit prefenter au Pape Inno-
cent XI (30). En 1675) il fit encore
un voiage a Rome, & porta au Pape
une lettre des religieufes de P. R.,
par laquelle elles rendoient compte ^
Sa Saintete de ce qui s'etoit paffe a
leur egard ( depuis la mort de Mada-
me de Longueville).M, de Pontcha-
teau ne fe fit point connoitre dans
ces deux voiages pour ce qu'il etoit
par fa naiffance; mais il s'y fit con-
noitre , aimer 8c eftimer, 8c relpec-
ter pour fes grandes qualites. La per-
fection qui s'etoit renouvellee contre
P. R. ne lui permettant pas de re-
yenir dans cette heureufe demeure ,
(jo) Voi'ez la yje dp Hi d'Alet, i pittie, liv^
J. chap, j.
-ocr page 197-
II. P A R T I E. LlV. IX. I £ $
il penfa a fe retirer dans une autre 1(j90> *
folitude. II arriva vers la mi-odtobre
1680 aBruxelles, aupres de M. Ar-
nauld, que la fureur de fes ennemis
avoit oblige de s'exiler lui-meme ; il
l'accompagna en Hollande, ou il vit
M. l'Eveque de Caftorie, dont il etoit
conn'u & eftime . puis il revint en
France au mois de mai i6%i. L'agi-
tation que caufoient a M. de Pont-
chateau les affaires dont il etoit char-
ge , le faifoient foupirer apres la re-
traite, comme on le voit par la let-
tre 199 de M. Arnauld qui tache de
le confoler.
M. de Pontchateau fe retira enfui- Retrajtc' de
te en Champagne aupres de M. le **•de p-c- *
Roi Abbe de Hautefontaine, qui avoit tva '
fait venir des religieux d'Orval
dans fon Abbaie pour etablir la re-
forme. Cet Abbe etant mort au mois
de mars 1684, M. de Pontchateau
refta encore a Hautefontaine jufqu'a
l'annee fuivante qu'il en fortit, re-
tourna a Bruxelles pour voir M. Ar-
nauld , & en partit le premier fe-
vrier 1685 pour aller s'enfermer a
Orval , Abbaie tres auftere dans le
Luxembourg. II y fut conduit par M.
Erneft-Ruth d'Ans _, 8c arriva le 1 o de
fe'vrier. II ne s'y fit connoitre qu'a.
-ocr page 198-
1C)6 HlSTOIRE DE PoRT-ROlAt.
j<jcjo. l'Abbe, D. Charles Bentzeradt , qui
avoit nouvellenient etabli la refor-
medans cette maifon. Lorfque l'Abbe
connut le grand merite du faint pe-
nitent quupoiTedoit, il crut devoir
prendre fes avis fur plufieurs chofes.
11 lui envoioit meme quelquefois fes
religieux , quand ils avoient quel-
ques peines, en leur difant: alle\ par-
Isr a noire jardinier,
& ils en reve-
noient toujours contens. M. de Pont-
chateau avoit un grand delir d'etre
re§u , & d'y prendre Phabit; mais
l'Abbe fachant qu'il avoit une efpece
d'engagement a P. R. des Champs,
lui ait abfolument qu'il ne croioit
pas que ce fiit la volonte de Dieu
qu'il abandonnat cette maifon, pour
prendre 1'habit de l'Ordre dans celle,
4'Orval. M. de PontcMteau etoit af-
flige de ne pouvoir executer fon def-r
fgin , & s'en plaignoit a un de fes,
confidens , difant ; ne ferai-jc done
jamais religieux ?
II demeura a Orval
environ cinq ans, plus inconnu qu'a
P. R., & ajouta a fes premieres aufte-
rites un fdence plus rigoureux & une
plus grande retraite. Il y pqrtoit le
nom de M. de Fleury, il demeuroic
comme un Hermite au milieu des jar-
dins. Quelquefois, avec lapermiffion.
-ocr page 199-
■• II. Partie. Uv. IX. 197
del'Abbe, ilfe renroit avec un petit
nombre de religieux dans un endroit
impraticable de la foret ( nortmie
Conques), pour s'y livrer davantage a
la penitence.
Nous avons un memoire' fur la md-
niere dont M. de Pontchateau s'ejl corn-
pone1 dans VAbbdie d'Orval
_, eerie
par un religieux de cette maifon
(31),
qui contient les details les plus edi~
fians de la vie de ce faint folitai-
re. II fut pendant tout fon fejour
l'exemple de la communaute par fa
regularite, fon exactitude a 1'OfEce,
fon amour pour le travail, la retraite,
le filence, la mortification , mais fur-
tout par fa profonde humilite. L'ef-
prit de penitence, dont il etoit am-
ine , he lui laifibit jamais perdre de
vue fes infidelites a la grace. Le fou-
venir continuel qu'il en avoit 1'an-
neantiflbit devant Dieu ; &: le fenti-
ment de fon indignite etoit tel, qu'il
n'ofoit approcher du fan&uaire, au
bas duquel etoit une lampe, pour
prendre de la lumiere apres Marines
ou apres Complies. Lorfqu'on lui
difoit qu'il communioit trop rare-
(31) Supi&ment da Nkrologede P. R. p. ,0^,
-ocr page 200-
I98 HlSTOIRE DE PoRT-ROIAt.
merit (31), il repondoit que , felon
les canons il n'auroit du ne plus ja-
mais communier
: ou bien que la gran-
deur de ce Sacrement, avec la vue de
fes miferes 3 lui permettok a peine d'en
approcher.
» II en parloit avec une
» foi fi vive , qu'on eut dit qu'il le
33 vo'ioit des yeux du corps (3 3). Le
» refpe£t qu'il lui portoit etoit Ci
» grand , que lorfqu'il en approchoit,
« il falloit qu'il rejettat les refle-
» xions fur foi-meme , & ne pensat
" qu'aux bontes 8c mifericordes de
» Dieu.
" Enfin on peut dire (ce font les
paroles de l'auteur du memoire) qu'on
» a remarque en M. de Pontchateau
» un fi grand fond des regies 8c
■»
des maximes de l'Ecriture fainte
» 8c des Peres , qu'on pourroit di-
n re de lui dans toute fa conduite ,
■» ce que difoit autrefois le Prieur de
s> Notre-Dame d'Yorck a fon Abbe ,
» des premiers Religieux Cifterciens
» nouvellement etablis en Angleter-
» re (34) « : que I'on vo'ioit delatefde
telle forte FEvangile en lui, que s'il
(jz) Il fe confefloit       (u) Suppl. Necr. p.
toutes les trois femaines ,    U{»
& communioitde terns ea       U4) ibid* p% u8*
ie:ns.                                                                          ' ,»
-ocr page 201-
II. Par.tie. Lly. IX. 199
eft permis de le dire a'mfi j il eft plus 1690.,
utile d'imiter cet illuftre penitent que
de lire VEvangile.
Apres cinq ans de fejour a Orval, cxv.
M. de Pontchateau fut appelle a Pa- PIaI^vitm4
ris pour quelques affaires de charite.
On voit qu'il avoit un prefTentiment
de fa more, par le billet qu'il laiffa
avec cette infeription : Je j'upplie tres
humblement le T. R. P. Abbi de garder
ce paquet , & de Vouvrir fi je meurs
hors d'ici 3 & non
autrement.il n'avbit
jamais agi de la forte pour tous les
voiages qu'il avoit ete oblige de faire
auparavant. Le paquet aiant ete ou-
vert apres fa mort, on y trouva un
billet date du 16 decembre 1689,
dans lequel on lifoit ce qui fuit :
» Je fuis a la veille d'un voiage de
» Paris, & peut-etre en ferai-je un
» autre, e'eft-a-dire , celui de Peter-
s' nite , avant demain matin que je
» dois partir. De quelque maniere
» qu'il plaife a Dieu de difpofer de
» moi , mon tres reverend & tres
» honore Pere, il eft a propos que
» je faffe comme ii le dernier devoit
» etre. Ainu" je laiffe ce petit roe-
s' moire, que j'ofe vous prier de faire
» executer.... Je prie Dieu d'etre
» lui-meme votre recompenfe, de la
I iiij
-ocr page 202-
2O0 HlSTOIRE DE PoRT-ROlAI.
1690. " charite que vous m'avez temoignee
» depuis que j'ai eu 1'honneur de de-
» meurer chez vous. Je vous fupplie
« de trouver bon que je temoigne
» auffi a nos peres &z nos freres, que
» je fuis touche d'une vraie recon-
v noiflance envers tous. J'efpere de
» votre charite 8c de la leur des prie-
» res, car j'en aurai afTurement un
» tres grand befbin «.
Xcvi. M. de Pontchateau etant parti d'Or-
issUdie?'"6 va^ *e 27 decembre , arriva a Paris
au commencement de 1690. II y tomba
malade le Careme; mais fitot que la
fievre l'eut quitte, il reprit fes grands
jeunes, qui le redui/irent dans une
.difpofition prochaine a l'inflamma-
tion de poitrine. La fluxion s'y jetra
le 10 juin & termina fon exil le hui-
tieme jour de fa maladie. Quinze
jours avant de tomber malade, etant
a genoux a Notre - Dame devant la
baluftrade de la chapelle de la Vierge,
il fentit quelqu'un fe mettre a cote
de lui, & s'etant retire pour faire de
la place, il appercut un jeune hom-
me, en qui if crut voir un peu d'air
de fa famille ( c'etoit l'Abbe de Coif-
lin fon petit neveu , qui eft mort
JEveque de Mets) ; cela l'emut un
peu, & s'etant tourne davantage il
-ocr page 203-
II. Par tie. Liv. IX. 201
vit tin laquais qui avoit la livree de kJjo.
fa famille. Alors ne pouvant plus y
tenir , il fe retira pour eviter route
tentation , & alia entendre la Merle
a tine autre chapelle. Car il avoit re-
folu de neplus voir fes parens: & il
difoit foUvent : ma famille m'a fait
une fois manquer a Dieu 3je dois eviter
de la voir.
Trois jours avant fa maladie, etant
alle rendre vifite a Mademoifelle
Marguerite Perrier , il lui temoigna
avoir un grand defir de bien mou-"
rir. Sur quoi elle lui dit : Monjieur y
il faut etre bien hardi pour fouhaiter
de mourir. M. de Pontchateau lui re-
pondit : il faut hre bien plus hardi
pour fouhaiter de vivre. La maladie
le prit cbez M. Nicole } apres un en-
tretien de deux heures , comme oh le
voit par une lettre ($6) de cet Au-
teur fi celebre , qui parle ainfi. >> J'ai
» eu le bonheur de le voir dans fa
» maladie ■, & meme d'aflifter au fa-
" crifice de fa more, 8c j'avoue qu'elle
« a ete telle que je la defirerois. pour
» moi-meme , fans eclat, fans fpec-
w tacle , dans uhe parfaite paix, un
» recueillement entier, & une ap-
» plication a Dieu non interrompuej
(}«) C'eft la huitictne dans l'edition de Paris.
I V
-ocr page 204-
iOi. HlSTOIRE DE PoRT'-R.OIAt.
itfoo. " en un mot, comme la.fuite d'une-
» vie , qui tendant toute a la mort,
» n'avoit pas befoin d'etre marquee
m par des circonftances particulieres ,
>j mais de continuer dans le meme
» etat. Je 1'ai toujours regarde com-
« me une des perfonnes du rhonde,
« qui s'eft donnee le plus fincerement
» a Dieu; qui a ete poftede plus plei-
» nement du defir de fon falut, &
« en qui on n'a jamais apper^u, de-
« puis qu'il s'eft donne a Dieu tout
» de bon , aucune penfee vers le
» monde, ni aucun ebranlement fur
»> le choix qu'il avoit fait; mais un
» progres coxitinuel dans cette aver-
« fion pour la vanite, que Dieu lui
» avoit fait la grace de meprifer «.
M. de Pontcnateau etoit loge chez
M. Boue, Marguillier de S. Gervais,
grand homme de bien (37) , dans la
rue S. Antoine, vis-a-vis la vieille
rue du Temple , oii il avoit une cham-
bre au troifieme etage. C'etoit-la qu'il
menoit fa vie ordinaire, inconnu a
(?7> M. Boue avoit   s'etant mariee fut mere
quitce, apres la mort de   de la petite fille guerie
fa femme, qui £toit trss    miraculeufement a la
vcrtueufe , tout negoce &    mort de M. de Ponrcha-
tout embarras , pour ne    teau. M. Boue eft mort
penfer qu'a fervir Dieu.   age deS4ans, le ji aout
II avoit du vivant de fa    1698-, il eft enterteafaiuc
fenm; une fervante , qui    Geryais,
-ocr page 205-
II. Par tie. Llv. IX. 205
tout le monde, vetu comme leplus 1690.,
Ample bourgeois; ne mangeant qu'une
fois le jour ; prenant tout au plus le
foir une pomme & un verre d'eau,
ou un bifcuit de deux liards; affiftant
a tous les Offices de la Paroifle avec
une piete exemplaire, & tout le re-
cueillement qu'on peut s'imaginer.
La violence de la maladie l'ai'ant x'vn.
contraint de fe mettre au lit, il de- deM" ^J^
manda les Sacremens, qu'il recut fans vient pour ie
etre connu d'aucun Pretre de la Pa- Je^>M fa
roifTe , ni meme de M. le Cure. II re- sa mort.
cut l'Extreme - on&ion le 24 juin au
matin. M. le Due de Coiflin fon ne-
veu l'ai'ant appris , fe deguifa le len-
demain , & alia demander au Porte-
Dieu de Saint Gervais ou demeuroic
rhomme qu'il avoir adminiftre la
veille. Lorfqu'il le fut, il alia chez
M. Boue, lui dit qu'il etoit le Due
de Coiflin, qu'il favoit que fon oncle
etoit chez lui, & qu'il le prioit de
lui permettre de le voir. M. Boue
lui repondit qu'il n'ofoit le faire (38);
mais qu'il alloit faire defcendre l'un
des Medecins qui etoient aupres de
(38) Ce recit tire d'urj    toit pas M. Boue qui a-
petit memoire de Made-    voir averti les parens <le
moifelle Pernor, qui a-   M. de Pontchateau , com-
voit 6te teraoin de tout   me il eft dit dansle Ne-
tcci, fait v oir que ce a'e-    crologe.
I Vj
-ocr page 206-
________ 2-04 HlSTOUE DE PoRT-ROlAt;
1690. lui. M. Dodart etant defcendu, dit £
M. le Due de Coiflin qu'il n'ignoroit
pas la peine que M. fori oncle avoit
de voir fes parens , mais qu'il alloir
faire encore une tentative. M. de
Pontchateau pria qu'on le laifsat mou-
rir tranquillemenr. » II voulut mou-
» rir , ditM. duFofTe (59) , dans cet
" efprit de pauvrete & d'abaiflement,
" ou la grace l'avoit fait entrer. Ii
» apprehendoit que la vue feule des
» Grands du monde ne fit fur lui
» quelqu'impreffion facheufe dans un
» terns ou il etoit fur le point de
» tout oublier & de tout quitter, 8c
« ou il devoit s'appliquer principa-
» lement a rendre a Dieu de tres
w humbles actions de graces de Pa-
s' voir arrache a routes les vaines
» grandeurs du fiecle. Craignant pour
w foi d'autant plus qu'il fe voi'oit a
» la fin de fa carriere , il jugea de-
W voir prendre le plus sur parti «•.
La veille de fa nprt, Madame de
Fontpertuisiit entrer dans fa chambre
a dix heures du foir Madame de Coif-
lin & une autre Dame. Elles fe mi-
rent a genoux aux pieds de fon lit y
& le virent par la fente du rideau „
mais il ne les voi'oit pas. II avoit les
(2^) Mem. p. j^v
-ocr page 207-
II. P A RITE. L'lV. IX. 10$
yeux attaches au Ciel j la joie dont ""x
ion coeur etoit rempli paroiflbit fur
fon vifage, & il mourut ainfi le 27
juin age de cinquante-fix ans & quel-
ques mois, dans la confiance oc la
tranquillite que Dieu donne a un
penitent, que la grace a fait fi long-
rems travailler a fe nourrir de la ve-
rite dans tous les exercices d'unepiete
folide. Madame de Coiflin & l'autre
Dame ne fortirent de fa chambre
qu'apres cinq heures du matin, lorf-
qu'il fut expire.
M. du FoiTe rapporte ce fait avec
des circonftances un peu diiferentes.
» Cependant^dit-il, lorfqu'il tomba
» dans l'agonie , on ne crut pas de-
» voir renifer au Due & a la Du-
» clieffe de Coiflin d'entrer dans fa
» chambre fans etre connus. Us fe
» tinrent aux pieds de fon lit ou ils
" prierent pendant quelque-tems , 8c
*» d'ou ils le confidererent tout a loi-
» fir , non fans verfer beaucoup de
" larmes, par la douleur qu'ils ref-
» fentoient de voir en un tel etat
" celui qu'ils avoient aime tendre-
M ment, & de nVvoir pu jouir de
w cette confolarion quits avoient
» tant fouhaite, de pouvoir au moins
*> lui parler «..
-ocr page 208-
2.66 HlSTOIRE D£ PoRT-ROlAL.'
1690. Auffi-tot il ferepanditun bruit dans
xcviii. Paris , qu'il etoit mort un Saint fur la
Miracle ope- Paroilfe de S. Gervais,ce qui fit amalTer
tea amort. en un moment un fi grand nombre de
peuple que le pafTage n'etoit plus li-
bre dans le quartier. On .fut oblige
de mettre des gens aux portes que
Ton vouloit forcer; on ne laifToiten-
trer que fix perfonnes a la fois , qui
lui baifoient les pieds , & lui fai-
foient toucher leurs maux. De ce nom-.
bre fut une jeune fille de huit ans ,
qui futguerie , en touchant fes pieds,
d'un mal d'ecrouelles qu'elle avoit au
cou. Ce miracle fit beaucoup d'eclat
dans Paris , parceque la fille etant en-
core entre les mains des Medecins &
des Chirurgiens , ils reconnurentpar
des atteftations en forme (40) qu'ils
donnerent, que cette gucrlfonfubite ne
pouvoit etre naturelle dans I'etat oil le
mal etoiu
C'eft ainfi que » Dieu , qui
»> fe plait a honorer fes ferviteurs ■, 8c
» a relever d'autant plus leur gloire
» devant leshommes,qu'ils ont eu plus
» de foin eux-memes de fe cacher a
« leurs yeux,fitconnoit re auffitotapres
(40) Cette guerifon mi-    chateau. Il en fut drefle
raculeufe fut atteftie par
    u n acre par devant No-
Si. Dodart, Monfieur
    taire. Voiez les pieces,
Save ,8c M. Hequet, qui
    T. 3. Mem. hift. p. 107,
ajoient traite M. de Pont-
   6c Aiiy,
-ocr page 209-
II. Par tie. Liv. IX. 207
*> la mort de M. de Pontchateau , i6yQK
» combien fon humilite , fa charite&
» fa penitence lui avoient ere agrea-
« bles «. M. du FofTe qui parle de la
forte (41) arriva a la maifon de cet
Elu , que la verite venoit de deli-
vrer , au moment qu'elle etoit entou-
ree d'une multitude de perfonnes, que
le bruit de cette merveille avoit atti-
rees. » Etje fus, dit-il, temoin de
» la foi de ces bonnes gens , qui le-
» voient le plomb qui n'etoit pas en-
»> core acheve de fouder, afin de
» pouvoir au moins toucher ce corps,
» qui avoit ete le temple du Saint-
» Efprit.
» Qu'il eft vrai, mon Dieu (42) ,
» que vous etes admirable dans vos
» faints; que vous prenez plaifir a
» confondre , par ces precieufes de-
» pouilles de vos humbles ferviteurs,
» rout le fafte & route la vanite des
» grands du monde! Car autant qu'on
» a ordinairement d'horreur de ces
» Grands, apres qu'ils font morrs ,
» eux qui n*ont fonge pendant qu'ils
« vivoient, qu'a fe procurer de la
» gloire parmi les hommes , Sc qu'a
» prendre rous les foins poffibles de
» delicater leur chair, & de la faire
(41) FoiT. mem.p. 3^5. (41) /Wp. $?6.
-ocr page 210-
ao8 HrsTOrnE de Por~-ko'iai.
1690. " vivre dans les delices j autant vous
» infpirez de refpect & de venera-
» tion pour les membres morts de
» ceux , qui fe font appliques a cru-
» drier leur chair , pour vorre amour.
XCix.        On avoit trouve une chaine de fer
4a Cp"upi"' aut°ur des reins de ce faint Penitent,
qui le revere & un billet par lequel il declaroit
JtaLmC U" clu'iI vouloit «re porte i l'Eglife de
la ParoilTe , comme un pauvre par le
convoi de la charite, & de la au rno-
naftere de P. R. des Champs. Lorf-
qu'on fit le convoi , auquel le Due S>C
la DuchefTe de Coiflin affifterent tou-|
ches & penetres de cette mort, la
devotion du Peuple augments encore.
Toutesces bonnes gens accouroient
en foule a l'Eglife faint Gervais, 5c
difoient tout haut que e'etoit un Saint*
Mais lorfqu'il fallut fortir le corps
de l'Eglife , & le mettre dans un ea-
rofle , pour le tranfporter a P. R. des
Champs , la foule etoit ll extraordi-
naire & remprelTeroent a toucher fon
cercueil, ft grand, qu'on eut beau^
coup de peine a en venir a bout. Les
deux Meflieuts du Fofle etoient tout
en nage au fortir de cette fon&ion „
par laquelle its foutenoieno la foule
8c rendoient les derniers devoirs a
leur iaint ami. JLe Cure de faint Ger*
-ocr page 211-
.....-.,~.~,- - —-■;■—>
II. Part ie. Liv. IX. 209
vais ne confentit qu'a regret que fa 1(jo0,
Paroifle fur privee de ces precieufes
depouilles. Cette ParoifTe a eu de nos
jours , fous le digne neveu & fuc-
ceffeur de ce pieux Cure , l'avantage
de pofleder celles d'un faint & refpedta-
ble Prelat (43), qui n'a pas moins edi-
fie l'Eglife par fa retraite & fa peni-
tence queM. de Pontchateau.
Ce rat le 18 de juin que le corps c.
de M. de Pontchateau, apres avoir£gf££
ere mis en depot a, faint Gervais, fut des champs.
porte a. P. R. des Champs, 011 il avoit vicaire'de s.
defire d'etre enterre, ami quele lieu Gervais, en
oil 11 avoit rorme les premiers del- „ips je m„
feins de penitence, fut auffi celui de de p. c.
fon repos. Pluiieurs perfonnes l'ac-
compagnerentdans ce tranfport, avec
des carofles j entr'autres Madame de
Fontpertuis, Mademoifelle Perrier,
&c. Le corps fut prefente par M.
Brouft Vicaire de faint Gervais , qui
parla en ces termes : » Nous vous pre-
" fentons , Meffieurs , le corps de
" defunt Meffire Sebaftien-Jofeph du
» Cambout de Pontchateau, auquel
» nous avons eu le bonheur d'admi-
» niftrer les facremens , dont l'Eglife
m confole & fortifie les mourans. II
" les a recus avec toute la devotion
(45) M. de Segut Jvec^ue de Saint-Papoul,
-ocr page 212-
110 HlSTOIRE DE P0RT-RdlA£.
» & la piete , dont peuvent etre ca-
» pables les plus grands Saints. Sa
» perfonne pour lors nous etoit in-
w connue ; & vousn'ignorez pasqu'il
» y avoir deja long-tems qu'il etoit
» cache aux yeux du monde , avec
» lequel il avoit fait divorce 3 &
>> ferme toutes les avenues aux attraits
» qui ont coutume de corrompre le
» creur humain , fe depouillant tout
w d'un coup de fes grands biens, pour
» mener une vie pauvre , fui'ant les
« honneurs, que fon illuftre naiffance
» liii donnoit , & que les grandes
» qualites dont Dieu l'avoit doue,
» lui faifoient juftement meriter. II
« s'etoit auffi non-feulement voulu
» priver de tous les plaifirs de la vie,
» meme des plus innocens; mais il
« s'etoit condamne pour le refte de
» fes jours a. une mortification & une
» penitence aufli rude que celle que
» nous lifons des anciens Anachore-
» tes. Ne vous attendez pas que je
m defcende dans le particulier d'une
» maniere de vie li extraordinaire ; il
» n'y a perfonne qui en foit mieux
» informe que ceux de cette maifon.
» Mais je ne puis me difpenfer de
» vous dire, que le delfein qu'il a
w eu de defirer que fon corps fut mis
-ocr page 213-
II, Partie. Liv. IX. nit
» en depot en cette Eglife, pour y 1690.
» attendre la refurrection generate ,
» 9a ete que fe fouvenant que Dieu
» lui avoit infpire cette vie penitente
» par les bons exemples des faintes
» religieufes de ce monaftere , il
» etoit perfuade qu'apres fa mort il
» pouvoit efperer un grand fecoursde
» leurs prieres , pour fatisfaire a. ce
» qu'il pourroit etre redevable a la
»-• juftice de Dieu. Car e'eft l'ordinai-
» re des perfonnes les plus pieufes,
" de s'eftimer les plus grands de tous
" les pecheurs. Je ne puis m'emp,e-
» cher de croire que ces vertueufes
» religieufes de leur part le confide-
« reront comme un puiflant inter-
« celTeur aupres de Dieu , pour leur
» obtenir cet aimable don de perfe-
» verance dans leurs continuelles
» aufterites, & une protecTrion par-
" ticuliere, dont elles ont un tres'
" grand befoin. Aufli je crois qu'elles
" recevront ce depot comme un riche
" prcfent qu'il leur a fait. Pour moi, je
» vous amire que j'ai re^u avec un
» fingulier plaifir Thonneur d'etre
» depute de M. le Pafteur de l'Eglife
" de Saint Gervais de Paris, pour
ft en venir faire les complimens«.
La verite fe fait plus femur dans
-ocr page 214-
2.12 HiSTOIRE DE PoRT-RO'lAt.
1690. ce compliment, que 1'eloquence.
CIi           Le corps de M. cle Pontchateau fat
son corps enterre vis-a-vis la grille da chcenr
Magny.Saeade P. R. Lorfqu'on detruifit cette
fainte maifon en 171 o , il fut exhu-
me , & porte dans 1'Eglife de Magny
avec cefui de M. le Chevalier de
Coiflin fan neveu , qui etant mart le
1 3 fevrier 1 699, avoir, fouhaite qu'on
renterrat aupres de fon faint oncle.
Au commencement de juillet, la Du-
chefle d'Efpernon, fceur de M. de
Pontchateau, fit faire pour fon ref-
pecftable frere, dans lAbbai'e du
Val-de-grace ou elle vivoit retiree ,
un fervice folemnel, auquel affifte-
rentM. l'Evequed'Orleans, Meffieurs
dArmagnac & de Coiflin leurs ne-
veux , & plufieurs perfonnes de dif-
tinclion & de merite.
„ £"' „, Parmi ces perfonnes fe trouva M.
chanoine de Jriermant, (Jtianoine de iieauvais ,
Beauvais.
a celebre par les talens (44) qu'il avoit
vie, fes ta-
lens, fes ver-re^us de la nature, mais plus encore
xas.
(44) M. Hermant ap-    gnant, catechifant, pre-
prit le latin & le grec    chant, & compofant a'e^c-
avec une facilite metveil-    cellens ouvrages. A 1'age
leufe , dans un age au-    de z; ans, il travailloit
quel les jeunes gens fa-    avec le Prefidem le Jay,
vent a peine lire 8c &rire.    & plufieurs autres favans
Il cultiva fes grands ta-    & la Bible Polyglotce, qui
lens, 8c les confacra i    paruten J 645.
l'utilite de 1'Eglife; enfei-   ;;
-ocr page 215-
II. Partie. Liv. IX. 11$
1m le bon ufage qu'il en a flut avec
e fecours de la grace , par fesecrits ,
par fon zele pour la verite , par les
perfecutions qu'il a eflui'ees tant dela
part des Jefuites {45}, que de fon
Chaoitre (46). Ce pieux & favant
Ecclefiaftique , fe regardant proche
de fa fin, etoit venu a Paris a i'occa-
fion d'une affaire de fon Chapitre ,
dans le deffein de dire le dernier adieu
(45). Les Jefuites aVant
prelente une requete au
Roi en 164; , pour etre
Jncorpores en l'Univeifi-
te de Paris, M Hermant
tutchoili pour la defendre,
& compofa cette annee
piudeurs pfeces, qui lui
acquirent une grande re-
putation. M. le Camus,
Eveque du Bellay alia le
trouver pour l'en felici-
ty >& lui die en l'em-
braffanr qu'il „ benitfbit
55 Dle"> de ce qu'il lui
" ,avoit donne dans fon
» age Ci peu avance, non-
» feulement tant d'efprit
» & de fcience, mais
» aflejidectEur&defpr-
2> ce pour ne pas crain-
3> are la haine & la ven-
J) geance d'une auffi ter-
» rible Societe que celle
» contre laquelle il 3-
» yoit ectit. N'avoir
point d'ambition & crain-
die Dieu, eft le fecret
pour ne poi^t craindre
toit le cas ou fe trouvoit
M. Hermant, qui fuiant
les dignites 8c les benefi-
ces , bien loin de les re-
chercher , ne donnoit pa?
lieu aux Jefuites d'exercer
le plus grand credit ^u'ils
aient.
("46) En iS5j,M. Hej>
mant fut prive de l'affif*-
tance au chaaur 8c des
revenus de foil benefice ,
a caufe de fon opposition
a la fignature pure 5c Am-
ple du Formulaire , 3c de
fon attacliement a M. de
Buzenval fon Eveque. Le
zele fanatique du Chapi-
tre de Beauvais alia juf-
qu'a lui refufer les facre->
mens dans une grande
maladie dont il fut atta-
que. Le faint Eveque a:-
courut amli-tet , fuivi
des Ecclefiaftiques qui e-
toient demeures fideles &
la verite 8c a leur devoir,
& les lui adminiftra lui«
meme.
-ocr page 216-
114 HlSTOIRE DE PoRT-ROlAt.
a fes amis , du nombre defquels etoic
M. de Pontchateau. II arriva trop
tard pour avoir la confolation de le
voir & de recevoir fes derniers fou-
pirs ; mais il eut celle de le fuivre
de pies, & d'etre bientot reuni avec
lui dans le fein d'Abraham, erant
mort d'une mort fubite , mais non
imprevue , le 11 du mois de juillet
dans la 74 annee de fon age. Son corps
fut porte a Beauvais, & enterre dans
une des chapelles de la Cathedrale
ou il avoit coutume de dire la Mefle.
La nouvelle de cette mort affligea
beaucouplesreligieufes de P. R. avec
lefquelles ce pieux Eccleiiaftique avoit
d'etroites liaifons. Dans toutes les
occafions il leur avoit d.onne des mar-
ques de fon attachement & avoit pris
part aleurs peines(47).Il faifoit quel-
(47) Onvoitquel hck    fuiv. La reponfe que lui
l'attachement de M. Her-    fit cette fainte Abbefle ,
mam polities religieufes    ibid. p. ijj, fait voir la
de P. R. Sc la part qu'il    haute idee qu'elle avoit
prenoit a ce qui Jes regar-    de M. Hermant. Patmi
doit, par plulieuvs let-    les lettres de M. Arnauld ,
tres publiees en diffcrens    il y en a plufieurs qui lui
recueils. Apres la mort de    font adteflees; d'autres ,
la fainte Reformarrice de    dans lefquelles ce celebre
P. R. il en ecrivir une a la    Docleur parle de lui dans
mere Agues, Mem. T. i.    les tetmes les plus avan-
xi 11 Rel. p. 171. Apres    tageux. Dans la 107 du
celle de M. de Saci, il    T. 2. p. zjj , ou il fait la
£ccivit de meme a la mere    defcription de l'etat du
Angelique de Saint-Jean.    Diocefe de Beauvais, &
yies6dif.T.4.p. n8,&    l'eloge des Chanoines fi*
-ocr page 217-
II. P A R T 11. L'lV. IX. il 5
Juefois des retraires aflez longues i £<?<?,
ans cetre fainte folirude. La Provi-
dence voulut meme qu'il allar dans
ce dernier voi'age les vifirer pour join-
dre fes vceux & (es prieres a celles de
la communaure. If y avoir dir la
grand'Mefle le Dimanche 9 de ce
mois, &c en eroirparri le io, veille
defa morr (48).
Le 10 du mois d'ocT:obre de la cnr.
meme annee , la morr enleva un Sei- j^a^^
gneur, qui ayoir eu aurrefois d'erroi^
res liaifons avec P. R., mais a qui
Dieu ne fir pas la grace de marcher
conftammenr dans la fainre carriere
011 il eroir entre. Louis - Charles
d'Alberr Due de Luines , s'etanr mis
fous la conduire de M. Singlin vers
l'an 1650 , fir des progres dans la
verru, qui eroient pour la mere An-
gelique un fujet d'eronnement: e'efi
une merveille 3
difoir-elle ecrivanr a
la Reine de Pologne (49), que Jon
avancement dans La verm chretienne.
Dans une aurre lerrre a la meme Prin-
cefle (50) j elle lui marque , que M.
deles, it y tnaun d'eux,    maniere tris folide & tret
dic-il, p. ij8, parlant de   pieufe.
M. Hermanr, qui eft un (48) Nccr.
des plus favans hommes (49) Let. 534. T. I. p.
de c'Eglife , & des plus    547.
(apajiles 4'hrirt "-'un$ ij°J L«. 344,p. j«f. I
-ocr page 218-
II6 HlSTOIRE DE PoRT-ROlAt.
& Madame de Luines s'avancent tous
les jours dans la vertu chriticnne.
Elle
en parle de meme dans une infinite
d'autres lettres. Le gout que M. de
Luines avoit pris pour la piete & la
folitude , le porta a faire batir un cha-
teau aupres de P. R. pour s'y retirer.
Avanc l'execution de ce deflein j il
perdit fa digne epoufe , & en atten-
dant que le chateau , qu'il fiiifoit ba-
tir , Hit logeable, il vivoit avec les
tiermhes
(51), c'eft-a-dire avec les
Solitaires de P. R. » II eft avec les
» Hertnites, dit la mere Angelique
» a la Reine de Pologne......II a
w choifi fa fepulture dans notre Eglife
» des Champs , oii il pafle une gran-
ts de partie du jour affiftant a tout
» notre office , & le refte du tems a
» une etude pieufe. II edifie toute la
» maifon par fon humilite & par fa.
» devotion «, Ce fut M. le Due de
Luines, qui fit rebatir , comme on
l'a vu , les dortoirs de P. R. des
Champs & rehaufTer l'Eglife. Son zele
etoit fi grand, qu'il ecrivoit a. la mere
Angelique (52); » qu'il s'eftimeroit
» heureux, ii au lieu de prendre le
(; 1) Let. 577. T. 1. p. (ji) Let. 411. T. 1. p.
I?. Ibid. Let, 431, p. Sp,
$w, &fuiv.
«foin
-ocr page 219-
II. P ARTIE. LlV. IX. 217
»> foin qu'il prenoit defaire faire ces igqo,
» ouvrages, il pouvoit etre charpen-
« tier & Macon pour les faire de fes
» propres mains. Nous pourrions ci-
ter une infinite de traits de la mere
Angelique qui marquent la haute ef-
time qu'elle avoit de ce Due. II pa-
rolt j
dit-elle (53) , en toutes rencon-
tres j que cet homme a lafoi
, & vraie-
ment quand Dieu la donne veritable-
ment, nul evenement ne trouble le cceur
oil il habite par cette vertu.
Dans une
autre (54) : jeloue Dieu de tout mon
cceur de la fame de M. de Luines
, &
je le prie de la lui donnerparfaite pen-
dant plufieurs annees pour fa gloire.
Nous avons vu ailleurs tout ce que
fit M. le Due de Luines (55) pen-
dant les guerres civiles , & les fervi-
ces qu'il rendit tant aux Religieufes
qu'aux Hermites du faint defert. Pour
ce qui eft de fes pieufes occupations
dans fa retraite , on fait qu'il s'y ap-
pliquoit beaucoup a la lecture des Pe-
res , & a extraire de leurs ouvrages
& a traduire les plus beaux endroits ,
qui ont ete publies fous le titre de
Recueils de pajjages des Peres par le
(53) Let. 447. T. 3.p. (55) VoYezFont. T. z.
13;.
                                 p. 8. & fuiv. Du Foul, p.
(H)Let.44?- P- »34- P- IJ4-
Tome Kilt                  K
-ocr page 220-
II 8 HlSTOIRE DE PoRT-ROlAZ.
1690. four de Laval. De fl beaux commen-
cemens, foutenus pendant plufieurs
annees, n'eurent pas une auffi belle
fin. M. de Luines eut le malheur de
regarder en arriere \ il fe degouta de
la retraite , rendic Vaumurier aux
religieufes de P. R., & epoufa une de
fes proches parentes, apres la mort
<le laquelle il fe maria en troifieme
noces. II ne rompit cependant pas
tout commerce avec P. R. , comme
on le voit par la lettre qu'il ecrivit le
5 Janvier 1684 (56) alamereAnge-
lique fur la mort de M. de Saci. Quelle
douleur auroit eue la Reformatrice de
P. R. qui avoit prie Dieu de donner
a M. de Luines une fame parfaite
pendant plufieurs annees pour fa glo'i-
re j
fi elle avoit vu ce changement!
Que les jugemens de Dieu font in-
comprehenfibles!
Nous avons vu la PrincefTe de
Guimenee entrer dans la voie etroite
avec une fi grande ferveur, que la
mere Angelique & M. Singlin regar^
doient fa converfion comme le plus
grand miracle que Dieu eut operedans
I'Eglife depuis plufieurs fiecles.
Apres,
y avoir marche pendant fept ans,
elle fe lafTe, & veut allier le monde
($«) Vies $dif, T, 4. p. 8*.
-ocr page 221-
II. P A R T I E. Liv. IX. 11 ?
avec la devotion. M. leDucdeLui- 1690.
nes embraffe la penitence, fe retire
dans la folitude , fait des progres dans
la vertu, dont la mere Angelique eft
etonnee , & vit avec les iblitaires de
P. R. avec une humilite & une devo-
tion toute extraordinaire
(57) \ apres
cela il s'arrete & retourne en arriere.
Au contraire M. de Pontchateau,
apres plufieurs combats _, plufieurs re~
chutes & bien des demarches
_, oppo-
fe'es les unes aux autres 3 dont les unes
le portent au monde } les autres le ra-
menent a Dieu
, s'affermit pour tou-
jours dans la voie du falut
(58), Sc
termine faintement fa carriere. Que
celui qui eft foible, ne defefpere
point j 8c que celui qui emit etre fer-
me j
quelque progres qu'il ait fait
dans la vertu , prenne bien garde ane
pas tomber : Itaque qui fe exiffimat
flare, vide at ne cadat
(59). La defiance
de foi-meme eft le fondement de la
force chretienne. On previent bien
des chutes, quand on le tient a terre
par humilite.
Quelle matiere de reflexion fur la
conduite de Dieu dans les differens
evenemens que nous venons de rap-
(57) Let. 431, T. it (58) Fofle, p. 133.
P- no.
                                      (;p)I. Cor c. X. v.ri,..
Kij
-ocr page 222-
HO HlSTOIRE DE PoRT-ROlAI.'
porter! M. de Pontchateau en fair
une qui convient parfaitement ano-
tre fujet. " Les arbres , clit-il (60),
3> qui ont des feuilles fans fruit, me
» font grand peur • mais ces perfon-
» nes tombees par terre , qui reflem-
3j bloient dans le commencement a
v celles qui font demeurees fur les
« arbres, donnent encore plus de
« fraieur. Mais , mon cher frere, pre-
w nez-y garde, & vous verrez qu'il
=> y en a encore fur l'arbre , qui grof-
« firont pendant quelque terns, Sc
=>
tomberont enfuite avant de par-
» venir en la maturtte , qui peut
» marquer la perfeverance finale. II
« y a de ces fruits , qui tombent tou-
« jours jufqu'a ce qu'on cueille ceux
j> qui font meurs. Ce qui eft plus fur-
« prenant , eft d'en voir 011 vous
« n'appercevez aucune tache au-de-
j> hors, tantle venin eftau-dedans:
■» quand il l'a devore, il fe repand
=> au-dehors. C'eft la ce qui me fait
» trembler, & plut a Dieu que ce
» fut plus fouvent & plus ferieufe^
« ment!
Quoique M. de Luines, dans les
jours de fa ferveur & de fa retraite,
{so) Mem, fur lg manier?» &£. Suppl. fm Ne'er.
-ocr page 223-
II. PARflE. L'lV. IX. Ill
eut choifi fa fepulture dans le lieu
faint, ou repofoit fa premiere epou-
fe, nous ne voi'ons point que ce Sei-
gneur ait ete inhume a P. R.
1690.
Dans le meme tems, les religieu-
CIV
fes apprirent la nouvelle d'ttnemort, JJ* J^/co"
qui quoiquebien confolante aux yeux feileut dei».
de la foi leur caufa une vive douleur. R>
Ce fut celle de M. de Sainte-Marthe,
arrivee le 11 du mois d'octobre a 11
heures du foir a. Courbeville ou il
s'etoit retire en 1679. II etoit, dit M.
du FoiTe ((Jo*), de la famille'de Sainte-
Marthe il connue en France (61).
(fio*) Mem. p. ;yi.
(Si) Il eft etfeftivement
peu de families audi con-
nue s en France,
du moins
parmi les Savans, que
celle de M. de Sainte-
Marthe. Sans parler des
gtandes alliances de cette
niaifon , elle a donne au
Poitou & a la France ,
pendant ttois (iecles <, un
li grand nombre de Sa-
vans , que l'Auteur de la
Bibliotheque hiflorique &
critique du Poitou , avoue
que cette Famille feule
eut pufournir la matiere a
un jujle volume.
Aufli
fait-elle la plus grande
partie ducinquieme volu-
me de fa bibliotheque,
ou tous les Savans du
nom de Sainte Marthe ,
deguis le xvi fiede juf-
qu'ii prefent, fe trouvent
reunis fous un feul point
de vue . Le meme Biblio-
graphe remarque que M,
IiTali ( c'eft le celebte M.
IlTali, fi etroitement lie
avec Meflleurs de P. R«
mort en 1707 age de 87
ans ) dans ['approbation
qu'il donna aux plai-
doi'ers de Melfieurs de
Corberon & Abel de Ste.
Marthe, fouhaite qu*il
fe trouve dans la republic
que des lettres quelque
perfonne alfey ^elee
, pour
rajfembler Us lloges de
tous Us Sainte-Marthe
,
qui fe font dijlingues par
leurs talens. (
Bibl hift.
du Poitou, par M Dreux
du Radier, Avocat au
Parlement ,-T. j, p, 81,
K iij
-ocr page 224-
Ill HlSTOTRE DE PORT-ROIAC.
j6po.        " Claude de Sainte-Marthe, dont
»  nous parlous ici, etoit le troifieme
»  fils de Francois de Sainte-Marthe,
«  Chevalier, Seigneur de Chamdoi-
»  feau en Poitou, Avocat au Con-
"  feil, (61) , & de Dame Marie Fru-
«  bert. II vint au monde le 8 juin
»   1620 a Paris, ou il fit fes etudes 8c
»  fa Philofophie.
PiJVd'e m.     Lorfqu'il les eut achevees , pour
sainte Mar- mettre fon innocence a couvert des
jeuneff" n P'eges <]ue *es plaifirs & les honneurs
rcfufe un be- lui pouvoient tendre , il fe retira a
IvfrV r lie Chamdoifeau , ou il vecut dans la
iohtude & la penitence, ne penlant
qu a faire un faint ufage de fon terns
pour l'eternite. » Tout occupe d«
» neceffaire, il n'eut pour objet dans
» fes etudes , que l'Ecriture, les Pe-
" res & Phiftore de l'Eglife. Rien de
m prophane, rien d'eloigne de la pu-
« rete chretienne ne l'occupa dans fa
j> retraite. II entra enfuite dans.une
communaute d'Ecclefiaftiques , ou il
fe prepara au facerdoce qu'il recut.
Quelque tems apres, il refufa la Tre-
forerie de la Sainte-Chapelle de Pa-
ris , dont le Roi Louis XIII lui avoit
accorde la nomination (63). La con-
(si) /bid. p. 394.           Sainte-Marthe. Vies edif.
,(«j) Idie de M. de T..i.p. 4j.
-ocr page 225-
II. P ARTIE. LlV. IX. 11}
hoiifance qu'il fit de M. Singlin , i^o.
Confefieur des religieufes de P. R.,
lui procura I'occauon de fatisfaire fon
gout pour la folitude en fe rctirant
dans la maifon des Champs. II etoit
a-peine dans ce defert, qu'on le char-
gea de la Cure de Mondeville au
Diocefe de Sens , qui dependoit de
P. R. vacante par la mort du Cure
& du Vicaire (64). M. de Sainte-
Marthe , qui avoit refufe un benefice
confiderable, accepta cette Cure fi-
tuee dans un lieu mine par la guerre,
d'un revenu au-de(Tous du mediocre.
II la trouva toute defolee, les habi-
tans manquant de pain , & la plupart
malades. II les foulagea felon fon
pouvoir & les inftruifit avec foin;
mais etant tombe lui-meme dange-
reufement malade, & fe croi'ant in-
capable de gouverner cette Cure , il
revint a P. R. oil il travailla avec M.
Arnauld.
Ce Docteur ai'ant ete oblige en cvr- ,„
, , 1 r                      -k t r- i-                    Services qu 11
1656 de le retirer, M. Singlin enga- rend aux kU-
gea M. de Sainte-Marthe a fe char- gieufes.
ger de la conduite des religieufes j
ce qu'il fit jufqu'a l'an 1661 que la
(64) Le Vicaire aTant re de Paris, le Cure en
etc cue d'un coup de mouf- mourut defraieut.Def. des
"juerdansla feconde guer- relig. p. 14.
K iiij
-ocr page 226-
114 HlSTOIRE DE PoRT-ROlAE.
perfecution Ten fit fortir malgrelui.
» M. de Sainte-Marthe ((J 5) etoit un
» liomme tres favant, tres humble &
" tres penitent. II s'etoit donne a la
» maifon de P. R. dans la feule vue
» de Dieu , honorant la piete fi fo-
" lide en fes filles, & leur rendant
« fans aucune crainte tous les fervi-
" ces dont il etoit capable". Pen-
dant les epreuves auxquelles ces vier-
ges chretiennes furent expofees, il
leur ecrivit des lettres admirables,
remplies d'inftructions les plus foli-
des & les plus pathetiques , pour les
raffurer contre les menaces qu'on leur
faifoit (66). Le lecteur peut lire ces
(SjJFoiT. Mem. p. 351.
(66) Vo'iez Lettre de
M. de Sainte-Marthe aux
rcligieufes de P. R.T.
1.
des Vies ejif. p. 51 , &
fuiv. ibid. p. yf. Lettre
du meme mix mimes
II
leur parle dans celte-ci des
croix be des afflictions
auxquelles font exp.ofes
ceux qui but le bonheur
de defendre la verite.
33 Vous favez , leur dit-
33 il ( p. 63 ) , mes cheres
33 fecurs, que la maifon
33 d'un Chretien eft le
3> del, & que le lieu de
3> fon repos e'eft Dieu
35 meme, Quand vous
33 n'aurez point de mai-
3> fon fur la tetre , vous
3> en fetez plus ferabla-
33 bles k Jefus-Chrift ,
3> qui n'avoit pas un feul
3> lieu pour fe repofer cc.
Il leur dit a ce fujet, ce
que difoit autrefois faint
Hilaire a des Catholiques,
qui, dans un tems 011 les
A riens s'etoient rendus
maitres des Eglifes, e-
toient tentes d'aller a ces
memes Eglifes , oii les
heretiques taifoient le fer-
vice. Mes freres , que
les murailles & les bat't-
mens ne vous trompent
point. Oefl Id oii l'ante~
chrifl doit un jour etablir
fon trone. Mais pour
moi les forets , les pri-
fins , les cachots font des
Eglifes. C'eft Id ou les
faints fe font ftmtt'fies j
-ocr page 227-
II. Partie. Liv. IX. 125
differences letcres qu'on a recueillies kJoo.
a la fuite de fa vie, depuis la page 51
da premier volume des vies edifiantes,
jufqu'a la page 94. II compofa auffi
pluiieurs petits ecrits pour les forti-
fier dans l'etat d'epreuve ou Dieu a-
voit permis qu'elles fufTent redui-
tes (67). II fit plus : il prit leur de-
fence ,& fit leur apologie (68); 8c
s'engagea meme a des conferences
avec M. Chamiliard , qu'il confondit
par la force de fes raifons en pre-
sence de perfonnes ties capables d'en
& oil nous trouverons Je-    dutlion d'un pajjage de
fus-Chrifl, qui n'eft ja-   /hint Bernard, fur I'o-
mais plus proche de nous    beijfance. ibid. 114. Pe~
que lorfqut nous fommes    tit tcrit fur la privation
attaches a la croix avec    de la communion, ibid*
lui. Voiez encore , Lettre    T. 4. Lectre , p. 347. Sur
du meme aux mimes , p.    le bonheur de ceux qui font
*>4 , ibid. p. 71. Que le    reduits par la persecution
plus grand bonheur d'un    d un etat d'inaftion dans
chretien confijie a etre    les chofes exterieures.
engage'a beaucoup foujfrir    ibid. p. 348. II n'y a
pour Jefus-Chrifi, ibid,    que les pauvres qui foiene
p. 87.                                    dignes de la croix, ibid*
(67) Vies edit". T. 1.     Comparaifon des Pajleurs
p. 95. Petit traitede M.    qui perficutcm avec He-
de Sainte-Marthe fur les    rode : ce qu'il faut fairs
excommunications injuf    lorfqu'il y en a qui nous;
tes, tire des Peres, ibid,    pcrfecutent.
p. 101. Petit ecritde M. (s8) La Preface & le
de Sainte-Marthe: llvaut    premier Chapitre de l'a-
mieux tomber erare les    pologic » de P. R. des
mains des hommes qu'entre champs la defenfe der
celles du\ Dieu vivent. V.K. & de leurs Direc-
ibid. p. 109. Soie-f d'ac- terns, font de M. de Sains-
cord- avec votre adverfai- te*.Marthe..
rt. ibid p. ii>». Tr-a.-
-ocr page 228-
Il6 HlSTOIRE DE PoRT-ROlAI.
1690. |uger (<S^9). Enfin, non content deles
inftruire & de les fortifier par feslet-
tres & fes ecrits ; dans le tems qu'el-
Ies etoient gardees fi etroitement dans
leui maifon des Champs , qu'elles ne
pouvoient avoir la confolation de
voir qui que ce fut, M. de Sainte-
Marthe avoit la charite
(70) de partir
au foir de Paris 3 ou de la maifon oil
il demeuroit pres de Gif3 & defe trou-
ver a certaine heure dans un endroit
marque affe\ eloigne des gardes
: il mon-
toit fur un arbre ajje^ pres du mur 3
au pied duquel etoient les religieufes
,
a qui il faifoit un petit difeours pour
les confoler & les fortifier. Cetoit pen-
dant I'hiver.
cvn.
         Les raifons qUi avoient eloigne M.
Com bcville > de Sainte-Marthe de P. R. aiant ceile
&mott. par ia pajx ren^ue ^ l'Eglife, il y re-
vint en 1669 , & y reprit fes fonc-
tions qu'il continua jufqu'au mois
de mai 1679 , que de nouveaux or-
dres l'obligerent de. fe retirer. II
choifit pour le lieu de fa retraite ,
Courbeville fur la ParoifTe d'Orfai,
ou il paflfa pres d'onze ans dans un
oubli general des chofes du monde ,
partageant fon tems entre l'oraifon3
(£9) duFoffi, p. ?fx.
(70) Vies edif. T. I. p. 387.
-ocr page 229-
II. Par tie. Liv. IX. ny
fes livres & le foin des pauvres. Enfin i^a0,
apres s'etre prepare a 1'eternite par
des jours pleins de bonnes aeuvres,
il mourut entre les bras de M. Bur-
lugai, Theologal de Sens (71),a l'a-
e de foixante-dix ans quaere mois ,
e mercredi 11 octobre 1690. Leven-
dredi fuivant fon corps fut porte a
P. R. des Champs j le famedi lorfqu'on
fit l'inhumation, il fut trouve fans
aucune corruption. Les religieufes de-
firant d'avoir ce precieux trefor dans
l'interieur de leur maifon , l'y firent
enterrer , avec l'agrement de M. la
Grange leur Superieur, qui n'y trouva
aucune difficulte (71).
Ces vers font graves au bas d'une
eftampe qui le reprefente.
Plein d'une ardeur apoftolique ,
A la verite feule il confacra fes jours ,
II la fit eclater par fes pieux difcours
Et par une vie angelique (73).
La mere du Fargis, que nous avons
(71) Voiez la lettre    de M. de Saime-Marthe
qu'il a ecrite fut lescir-   du cote des pies, lecceut
conftances de la mort de   de M. de Pontchateau.
M. de Sainte-Marthe. (73) Bibl. hift. du Pot-
Suppl. du Necr. p. 133.       tou, T.(.p. 394. & fuiv.
(71) Ce fut a cette oc-   Voiez le Necr. de P. £U
cafion qu'on enteria pres    11 ofiobre.
Kvj
-ocr page 230-
Zl8 HlSTOIRE DE PoRT-RdlAt
"' igoi. vu au commencement de l'annee
cvih ! ^90 fe demertre de la dignite d'Ab-
Mott de la befTe pour fe preparer a la mort,
mere u Far- ^^ j^ mjferes Jg cette y^e £ p^ter_
nite bienheureufe le trois de juin ,
jour de la Pentecote 1691. Elleetoit
dans la foixante-treizieme annee de
fon age , la cinquante - unieme de fa
profeffion. Pendant tout le tems qu'elle
rut fucceflivement Prieure & AbbeiTe,
elle ne prit de fa dignite que les
charges & les peines qui y etoient at-
tachees. Aflidue au chceur tant de
nuit que de jour , outre l'Office ca-
nonial elle donnoit encore beaucoup
de tems a, la priere particuliere qu'elle
iaifoit toujours a genoux, & dans un
fi grand recueillement qu'elle paroif-
foit immobile. Ses inftrudfcions etoient
fol.ides , remplies de l'Ecriture & des
Peres. Zelee pour la pauvrete , elle
I'obfervoit en tout. Eloignee de tout
interet dans la reception des filles ,
elle montra toujours un defintereiTe-
ment que rien ne fut capable d'ebran-
ler. Autant elle avoir edifie fes fceurs
par fa regularite, lorfque la fante lui
permettoit de fuivre les exercices ,
autant elle les edifia jufqu'au dernier
moment par la patience avec laquelle
-ocr page 231-
II. Parti e. Llv. IX. ii<j
elle fouffrit les longues epreuves que idq\
Dieu lui envoi'a, & les vives douleurs
qui precederent fa more Ces Epreu-
ves durerent plus de 4 ans, fans que
jamais on l'ait entendue fe plaindre ,
ni remarque aucun afroiblirTement
dans l'acceptation volontaire de cet
etat, qui fut fuivi de la privation de
Ja vue un an avant fa mort. On voit
quelles etoient les faintes difpofitions
de cette vierge chetienne par une let-
tre qu'elle ecrivit a M. Arnauld quel-
que tems auparavant qu'elle eiit en-
tierement perdu la vue.
Le 12 feptembre & le 9 novembre cix.
de la meme annee, la mort enleva ^S^Ja^*
encore deux excellentes religieufes j
la premiere etoit la foeur Marguerite-
Angelique du Saint - Efprit Girouft
des Tournelles , agee de quatre-vingts
ans , qui s'etoit diftinguee par ion
zele pour la verite pendant la perfe-
cution : la feconde la fceur Sufanne-
Therefe de Saint-Auguftin de la Pail-
leterie, religieufe de l'Abbaie d'An-
eci pres Sezanne , agee de quarante-
fix ans , & aflociee depuis dix-fept
a la maifon de P. R. dans laquelle
elle avoit ete elevee jufqu'a. 1'age de
feize.
Le rappel de M. de Pompoune,
-ocr page 232-
i3<3 HlSTOIRE DE PoRT-ROlAt.
I6?lt que Louis XIV mit en place cetta
annee, apres la mort de M. de Lou-
vois arrivee le 16 juillet; l'accueil
que ce grand Roi fit a ce Miniftre
fidele (74) fembloit devoir donner
efperance de quelque changement
dans les affaires de P. R. &c fur- tout
de M. Arnauld, oncle de ce Minif-
tre fi glorieufement retabli. Un eve-
nement fingulier arrive dans le me-
me terns: un calomniateur convaincu
& puni du dernier fupplice(75) pour
avoir faufTement accufe plufieurs Cha-
noines d'une confpiration contre 1'E-
tat, dans laqujslle il avoit enveloppe
M. Arnauld & quelques autres per-
fonnes amies de P. R. : un tel eve-
nement, dis-je auroit bien du faire
ouvrir les yeux fur tant de calomnies
qu'on avoit repandues jufqu'alors , 8c
qu'on repandoit encore contre cette
fainte maifon , & contre les folitai-
res qui avoient habite ce defert. Mais
rien n'etoit capable de difliper les pre-
ventions.
Port - Roi'al reftoit done toujours
(74) Quelques tems   de vous y voir.
apres fon tappel, le Roi       (7;) Roul-Foi, fut exe-
lui mettant la main fut   cute en place de GreVe le
1'epaule , lui dit: Je ne    jifeptembte 1S91. Voi'ez
faisfi vous avti autant de   fon hiftoife a la tin du vo-
joie d'etre rentri dans    Jume,
mon Confe'U que j'en at
-ocr page 233-
II. P A R T I E. LlV. IX. X}1
dansPoppreffion , & on perfiftoitconf- Ig„1> '"
tamment dans le deflein de le de- cx
truire. En vain les religieufes prefen- Les reiigieu-
terent en 1691 une requete a M. de^t faempTr;
Paris pour obtenir leur retablifTe- miffion de re-
ment, artendu cjue la defenfe qui yi™s. m. de
leur avoir ere faite en 1679 de rece-p«is ft joins
voir des novices ne devoir plus fub- f^ demsIV'
fifter. Cerre defenfe porroir qu'il fal-
len reduire le monaflere au nombre de
cinquante.
Or le monaftere eroit non-
feulement reduir a ce nombre, mais
les religieufes etoienr meme alors
moins de cinquante. Le Prelat fe joua
de la demande & l'eluda, en difant
que les fours converfes etoient com-
prifes en ce nombre, & qu'on leur
accorderoit ce qu'elles demandoient s
lorfque le nombre des religieufes,
tant de chceur que converfes ieroir re- .»
duit a. cinquante. La fuite fera voir
l'illufion de certe reponfe , & larefo-
lution irrevocablement prife de ren-
verfer ce fanctuaire : le nombre des
religieufes diminuoit chaque jour , &
la defenfe de recevoir des novices fub-
fiftoit toujours.
La mort en enleva eucore quatre cxi.
cette annee. i°. Le 4 de Janvier, la™"^^
four Marguerite de Sainte - Thecle gieufe*.
Jofle. z°. Le 17 du meme mois,la
-ocr page 234-
2}2 HlSTOIRE DE PoRT-ROlAt*
1691, four Jeanne de Sainte Pelagie Veil-
lard converfe , age-e de foixante-neuf
ans, fille refpedable par fa fldelite a
remplir fes devoirs, fa regularity &
fa profonde humilite. $°. La four
Marie-Madeleine de Sainte -Agathe
Chouarr de Buzenval, qui niourur le
24 avril agee de cinquante-fept ans,
done elle en avoir paife trente-fepc
dans la pratique exacte des obfervan-
ces religieufes dans la maifon de P. R.
011 elle avoir eu le bonheur d'etre ele-
vee des Page de neuf ans, & dont elle
fur cherie &c eftimee pour £es excel-
lentes qualites , fa regularite & fon
attachement inviolable a la verite.
4C. Enfin la four Louife de Sainte -
Madeleine Boyau de Vitri, profefle
de chcEiir, rnorte le premier feptem-
bre agee de rrente-neuf ans.
cxir.
         La four Marg. de Ste -Thecle JofTe
lafecurjoffe. nee a. Paris avoit quitteavec regret la
Sa vocaiion „ , rr 1 r                   Ml
a Tetat reii- JJuchefiedeLonguevHieau commence-
gieux dans la ment Je 1'annee 164.6 , pour accompa-
R.
             gne'r la Pnncelte Marie de uonzagues
qui alia epoufer le Roi de Pologne.
MademoifelleJolfe neconnoiifoit alors
• ni la mere Angelique ,ni P. R. (j6) j
(yS) Vo'fcz l'liilfeire on firm ,8c qu'ell'e aadrdTes
la relation que la fecur a M. de Saci, dans le Cc-
Jo& a foite de fa veta- cend tome des ¥ies- edit.
-ocr page 235-
II. Partie. Liv. IX. 25j
mais les eloges continuels quelaReine 1691,
de Pologne faifoit de cette illuftre
reformatrice , en prefence mane des
Jefuites j les lettres merveilleufes &
tomes animees d'hum'dite & de gene-
rojite que la mere Angelique e'crivoit
fouvent a la Reine 3 lefquelles
Made-
moifelle JofTe lifoitfoigneufement ,fans
qu'il lui en echappat une ; tout cela
,
dit la fceur Jofie, me donnoit une ve-
neration fi grande pour tile, queje com*
mtncai a ne plus rien defirer que de
pouvoir mourir fous fa conduke
(77).
Dans cette penfee elle pria M. de
Fleuri d'ecrire en fa faveur a la mere
Angelique.
M. de Fleuri etoit un Do&eur de E^exJ"; ^
Sorbonne que la Reine de Pologne
chee d'un fer-
avoit mene avec elle de France, pour ™on .de_ vy
r r\- rt.        if                      r ' Fleufl' & fe
etre ion Directeur. 11 avoir approuve met fous f*
l'ouvrage de Janfenius & celui de la conduite«
frequente Communion, 8c il etoit fort
lie avec P. R. Parmi les lettres de la
mere Angelique il y en a plufieurs qui
lui font adreffees. Dieu fe fervit de
ce pieux Ecclefiaftique pour toucher
Mademoifelle JoiTe, par un fermon
qu'il fit le quatrieme Dimanche de
P- 45* > 473 » outre cette    ou Relations, T, ;. p.
relation ecrice en i«6f ,     i«5 , c'eft laxxxvn Rel.
»1 y en a encore une plus (77) Mem. ou Rel, p,
courte dans les Memoires    itfs.
-ocr page 236-
i34 HlSTOlUE DE PoRT-ROlAl.
l'Avent devant la Reine, fur la necef-
jite de faire penitence. Je fits fi ren-
verfee 3
dit la fceur Joffe , parlant de
1'effet que fit fur elle ce fermon , que
je crois qu'il je pajfa en moi quelque
chofe de pared a ce quife lit de faint
Paul au moment de fa conversion
(78).
Elle fut tout ce jour & toute la nuit
dans l'agitation, ne fachant que faire.
Enfin elle prit la refolution de s'ad-
drefter aM.de Fleuri, malgre la re-
pugnance qu'elle y avoir, parcequ'il
avoir, dit - elle , la mine J'evere, 8c
qu'elle le redoutoit terriblemem. Elle
lui remit tous les romans qu'elle li-
foit, & il lui donna leslettresde M.
de S. Cyran, qu'elle trouva admirahles.
Elle fe mit des lors fous la conduite
de M. Fleuri , & commence fon re-
nouvellement en Careme. Elle fit pen-
dant ce tems tout ce que Dieu lui
fuggera , n'ai'anr d'autre vue que d'ob-
tenir mifericorde. » II eft cerrain ,
» dit-elle (79), qu'il m'avoit touches
» d'une maniere extraordinaire , me
» donnanr des fentimens de peni-
» tence, qui me faifoient tout em-
» braffer avec ardeur , & n'avoir e-
» gard ni a mes forces ni a ma fame,
(78J Vies cdif. p. 457, (7?) Ibid. p. 4*0.
-ocr page 237-
II. Part ie. Liv. IX. 15$
» ni meme aux difcours qu'on faifoit, 1 694,
» parcequ'un changement fi grand ne
» pouvoit pas fe cacher; mes actions
» & mes habits, qui etoient fort dif-
» ferens de ce qu'ils avoient ete, Ie
» faifant aflez connoitre «. Elle con-
tinua deux ans dans cette ferveur :
mais le Demon , qui ne peut fouffrir
qu'on fe retire defes griffes
,-lui tendit
des pieges, dans lefquels il auroit
reuffi a la faire tomber, fi Dieu n'a-
voit eu
fur elle des penfees de miferi-
corde infinie.
Apres le depart de Ma-
dame des EfTarts , qui revint en Fran-
ce , Mademoifelle JofTe fe rendit plus
aflldue aupres de la Reine , & ce fut
ce qui lui procura l'occafion d'enten-
dre faire l'eloge de la mere Angeli-
que , & de lire les lettres qu'elle ecri-
voit a cette PrincefTe. Cette lecture
lui infpira le defir de la retraite. Le
Demon traverfa ce deffein par un
parti que la Reine lui propofa avec
une perfonne qu'elle affedtidnnoit
beaucoup. Mais le mariage fut rompu
par la volonte^ de Dieu qui vouloit
fon falut. Cinq ou fix ans fe paffe-
rent depuis,pendant lefquels elle pen-
foit toujours a la retraite , priant con-
tinuellement Dieu qu'il lui en mon-
trat les moiens, mais fans en voir
-ocr page 238-
i 36 HtSTOIRE DE PoRT-ROlAt.
1691. aucun. Malgre tout cela elle avo-*f
quelque attache fecrete qui la retiroit
infenfiblement de la voie de Dieu,
quoique tout le monde fut edifie de
fa conduite. » Mais Dieu, dit-elle,
» me condamnoit, lorfque les crea-
» tures me donnoient des louanges.
» C'eft ici oii Dieu m'attendoit: car
» comire j'etois pres de tomber dans
» un precipice fans fond , il lui plut
" m'ouvrir les yeux d'une maniere
» admirable , & a laquelle je ne puis
» penfer fans trembler". Elle revint
dela comme d'un profond fommeil;
& penetree de reconnoiffance envers
Dieu qui l'avoit regardee le premier
des yeux de fa mifericorde, elle fe
rappella ces paroles de l'Evangile:
Que (1 ton ceil te fcandalife, arraches-
le.
Elle fit demander a la Reine la
permiffion de fe retirer.
cxiv.
          Avant ce terns Mademoifelle JofTe
de'ia petmif- avoit fait demander par M. de Fleuri a
fion de quit- la mere An^elique le fecours de fes
ter la Cour .             t                   A          i-           1         1 '
de poiogne, pneres. La mere Angehque dans la re-
& ne l'ob- ponfe qu'elle fit a M. de Fleuri, le pria
tientp*. d'a{rurer cette Demoifelle qu'elle fe-
roit vrier Dieu pour elle
(80). Made-
moifelle JofTe ecrivit aula" elle-meme
a la mere Angelique, pour lui temoi-
C80) Let. joi du ijnov.i^ji, T. 1. p. ii$,
-ocr page 239-
II. P A R T I E. L'lV. IX. 2 j 7
gner le defir qu'elie avoit de fe re- I(j92 ™"
tirer a P. R. (81). Tout etant difpofe
il ne s'aguToit plus que de demander
la permiflion de fe retirer. Mais le
Rox & la Reine s'y oppoferent, ce
qui affiigea beaucoup Mademoifelle
Jofle, qui etant perfuadee que Dieu
demandoit cela d'elle , ne dejirokplus
que de jdrtir de la Cour pour venir
faire penitence en ce faint lieu j pour
lequel elle avoit une ejlime & une ve-
neration tres particulieres, fur-tout pour
la mere Angelique.
Neanmoins elle
refta , faifant reflexion que la mere
Angelique n'approuveroit pas qu'elie
fe leparat de la Reine nialgre elle.
Mademoifelle JolTe eut lieu de fe
convaincre par la lettre que lui ecri-
vit la mere Angelique (82) , qu'elie
etoit parfaitement entree dans fes
vues.
La guerre des Suedois etant fur- cxv.
venue (83) , elle vit le renverfement t^f^l
epouvantahle
de ce Roiaume , la Reine font les sue-
& route la Cour obligee d'en fortir, ^™Jml°l
Angelique la
(*ij La teponfe de la
   a'autres,                          foutient pat
mere Angelique eft "la (81) Let. 708. du 11 fes leitres,
Let.«8i T. i. p. 5(1. Elle
    mai 1*55 , T. 2 so?-
Patle dans plufeurs de fes (8 j) Les Suedois entre-
lerres, & la Reine tie Po-
   rent en Pologne au mois
logne 8c a M. de Fleury,
    de juillet ifijf, & rava-
ge Mademoifelle JolTe ,
    gerent ce Roiaume pea-.
3 qui elle en ccnvit
   danc deux ans,
-ocr page 240-
1^8 HlSTOIRE DE PoRT-ROlAL.
'\^qi, de crainte de tomber entrer les mains
de l'ennemi. Mademoifelle Jofle qui
etoit a la fuite de la Reine partagea
tous les dangers auxquels elle fur plu-
fieurs fois expofee. La vue de rous ces
jiiaux , qui j dir-elle , etoient verita-
blement des plus terribles dans tomes
leurs circonflances,
lui faifoit regret-
ter de n'etre pas parrie. La mere An-
gelique la fourenoir par les fages avis
qu'elle lui donnoir dans fes lettres ,
&c l'exhortoit a fervir la Reine avec
plus d'affe&ion , parcequ'arae Reine af-
fiigee ejl fans comparaifon plus digne
d'etre honoree 3 que lorfqu'elle ejl dans
la prof e1 rite & environnee de Ja gran-
deur
_, Dieu etant vres de ceux qui font
dans la douleir.
Enfin les affaires pa-
roiflant en meilleur etat, Mademoi-
felle JoiTe apres avoir confulte la me-
re Angelique , qui confulta elle-me-
me M.Singlin, fit voeu d'etre religieu-
fe arm de fe lier davantage , & fe mit
fous la protection de la Sainte Vierge
la fuppliant de lui obtenir defonFils
la grace de ne point patter l'annee fans
cxvi. trouver moien de rout quitter.
Elle obuent „         , r c                 xr                  ,
de la Reine la ^es dears rurent enhn exauces:
permiffionde ]yf Fleury aiant demande a la Reine
cout pour pour elle la permiffion d'executer le
*tr|^eI*eu* deffein que Dieu lui avoit infpire
-ocr page 241-
II. Partie. Liv. IX. 159
d'aller mourir a P. R. en qualire de
religieufe, fi on ne Ten jugeoit pas
indigne , Sa Majefte y confentit. Elle
ne laifTa cependant pas de lui repre-
fenter beaucoup de chofes capables
de l'ebranler, la longueur &c les pe-
rils du voiage , l'aufterire de la Re-
fle, &c. Mademoifelle Jo(Te repon-
ir qu'elle efperoit que Dieu la con-
duiroit, puilque c'etoit lui qui la
cherchoit ; & qu'elle croi'oit que les
maux qu'elle avoir foufferts depuis
deux ans _, eroienr plus penibles que
ceax qu'elle auroic a fouffrir en reli-
gion ; que la charite qui regnoit en
ce lieu adouciffoit ceux-ci, & qu'eu-
fin on ne lui feroir pas faire ce qui
pafTeroir fes forces. Mademoifelle
Joife manda tout ce qui s'etoit pafTe
a la mere Angelique , qui lui en te-
moigna fa joie par une lerrre, ou elle
lui marquoir fur-rout de ne rien de-
mander a. la Reine, patceqa'une reli*
gieufe de P. R. ne devoit rien dejirer
que Dieu; & que fi elle avoit une
bonne volonti elle Jew it ajfie\ riche.
Mademoifelle JofTe rrouva cela ad-
mirable , & en concur encore un plus
grand dejir de voir cette chere mere
avant que de mourir. »
Quoiqu'on
» parlat beaucoup en ce terns de la
-ocr page 242-
240 HlSTOIRE DE PORT-ROIAI.
1691, " deftru&ion de la maifon , dit-elle ,'
» 8c de la reduire dans l'etat oii je
» la vois a prefent (84) , tout cela
" ne m'epouvanta point : au contrai-
ls re , ajoute-t-elle, j'avois une gran-
» de douleur de n'y pas etre ann de
» fouffrir avec tant de faintes perfon-
« nes. Ce qui me faifoit dire , que fl
" l'on m'auuroit de vivre encore cin-
« quante ans , a condition de de-
» meurer en Pologne, ou bien de
»» .n'avoir plus que fix mois & d'etre
» a P. R., j'aurois fans doute choifi
» le dernier (85).
cxvn.         Le 17 avril i<?<8 , Mademoifelle
Son voiage               ,/            .         ) ',                        .
«)e Pologne Jolie aiant pns conge de la Kerne
sonJumg": & defesamis, partit de Pologne par
dangers qu'el- terre avec Madame Davifon , pour
*cou"- venir en France par le defir de finir
fes jours a P. R. (86). On ne peut
voir fans etonnement & fans admi-
ration un tel courage. Cette gene-
reufe fille ne fit jamais de voiage avec
plus de fatisfaction 3
quoiqu'elle ait
eiiuie des fatigues extraordinaires,
aiant fait un tiers du chemin a. pied j
& qu'elle ait fouvent couru rif-
que d'etre egorgee en pafTant a tra-
vers des foldats & des forets remplies
(84)  En i««f.               4«7,4«8- ,'..'
(85) Vies edif. T. i.p. {$6) Ibid,f>. 470,471.
-ocr page 243-
'"W~"
II. P ARTIE. L'lV. IX. I4I
de voleurs, & meme dans des atiber- 1691.
ges. Les traits de la providence qui
veilloit a fa confervation, augmen-
toient fa foi d'une maniere inexprimc-
ble.
II eft certain , dit-elle , que quand
j'aurcis vu Jefus-Chrijl des yeux du
corps , je n'auroispas marchi avec plus
de confiance. Lorfque je voids quelque
peril j je recourois a la priere, comme
ton feroit a des armes pour fe defen-
dre contre I'ennemi; & cela m'a tou-
jours merveilleufement reuffi.
Elle avoit
un fi grand empreflementpourferen-
dre a P. R., qu'elle pafla toutes les
villes les plus considerables fans y rieit
voir des raretes qui y etoient, ne
penfant qu'a avancer. La Princefle de
Boeme , belle-freur de la Princefle
Palatine , lui ai'ant demande avec
beaucoup de bonte un jour de fejour ,
elle ne put fe refoudre a le lui accor-
der.
Enlin apres un long , penible & CCXVII?\
,                    i                           •P ' X                           Son arrive.:
dangereux voiage de fix cents lieues , a Paris, fon
dans lequel Dieu qui la conduifoit la "^"e^fat
delivra de plufieurs perils, elle arriva reUgieufe.
a Paris le mardi 29 mai 1657. Le
lendemain elle alia a Notre - Dame
pour remercier Dieu, & le mcme
jour a P. R. ou M. de Sainte-Beuve
la tonduifit. Etant entree dans 1'Eglife
Tome Fill.
                        L
-ocr page 244-
14* HlSTOIRE HE PoRT-ROlAL.
iGyx, elle fe profterna devant l'autel en s'of-
frant a Dieu en facrifice , puis elle
monta au parloir , ou elle eut pour la
premiere rois la confolation de voir
cette chere mere qui l'attiroit de n"
loin. » Eh bien! ma fille , lui die la
■» mere Angelique , vous avez bien
a> fait du chemin •, mais voiez-vous ,
» un voiage de fix cents lieues eft peu
» de chofe , fi on ne renonce a. foi-
» meme. C'eft pour cela que vous
s> etes venue ici, &c c'eft aulli a quoi
» vous devez travailler toute votre
?> vie (87)". Mademoifelle JofTen'en-
tra que le lendemain 31 mai dans la
maifon , parceque Mademoifelle fa
four qu'elle n'avoit pas vue depuis
douze ans , temoigna du defir de la
pofleder quelques momens. Elle ne
re§ut 1'habit de novice que le 3' Jan-
vier 165 8 , a Page de trente-trois ans,
& fit profeffion le 15 Janvier 1659.
Peu apres on la mit aupres de la mere
Angelique pour lui tenir compagnie
& I'aider dans fes infirmites ; ce qui
lui procura Pavantage de voir de plus
pres & de remarquer les grandes ver-
tus de la celebre & fainte Reforma-
trice de P. R. Dieu lui fit la grace
d'en profiter.
{87) Mem. Rel, 37, T. 3. p. 17*.
-ocr page 245-
II. Parti e. Liv. IX. 245
Dans le terns de la perfecution elle 1691.
temoigna un zele admirable pour la cxix.
verite. Ce fut elle qui voi'ant M. de ,Sa
,ferm"S
n • r 1 , 111                     danslaperie-
Fans elcortc de plus de deux cents CUtion.
hommes, pour enlever les douze pre-
mieres vicfimes, dit ces paroles : Ah !
rna mere
, quecela eft beau! none hu-
miliation eft a Jon comble. L'admira-
ble chofe pour moi
: cela me fortifie
plus que tout ce quon me pourroit dire.
Elle fit voir dans la fuite par fa con-
duite, que Pamour de la verite, des
fouffrances & des humiliations etoit
profondement grave dans fon cceur.
Quelqu'humble & quelque perfuadee
qu'elle fut de fa foibleAe, ni les fouf-
frances , ni les menaces de Pexcom-
munication ne 1'epouvanterent, dans
la confiance qu'elle avoit que Dieu
qui avoit tant fait pour elle, feroit fa
force & lui donneroit la perfeveran-
ce. La Reine de Pologne lui offrit
une place dans fon monaftere de la
Vifitation, mais elle etoit prete a tout;
& au milieu de la tempete , elle fen-
toit de la confolation 8c une joie fen-
fible de la grace que Dieu lui faifoit
de fouffrir quelque chofe pour lui etre
fidelle , efperant que fi on l'accabloit
elle &c fes fceurs dans ce monde ,
Dieu les delivreroit plus heureufe-
Lij
-ocr page 246-
2.44 HlSTOIRE DE PORT-ROlAL.
I(j          merit en l'autre (88). Elle eut la fa-
tisfa6tion de voir le calme retabli;
& elle conrirma d'edifier fes fceurs
jufqu'a fa mort arrivee le 4 Janvier
1691.
cxx           Le 8 du mois de juin de cette an-
MottdeM. nee P. R. perdit un Prelat, qui lui
que'd'Angers] etoit bien cher , dans la perfonne
&3 vie
venus.
fts de M. Henri Arnauld Eveque d'An-
gers (89).
Pendant plus de quarante ans d'e-
pifcopat il avoit gouverne fon Eglife
avec une vigilance & une affiduite
qui n'ont malheureufemeut que peu
d'imitateurs. Rien n'eft aufll plus rare
que fa residence continuelle & perfe-
verante dans fon Diocefe , n'en for-
tant jamais pour quelqu'afraire que
ce fut, &c quelqu'inftance qui lui en
fiit faite par fes proches & fes amis
dans les occasions memes les plus im-
portantes. II fe croi'oit tellement at-
tache an fervice des ames que Dieu
lui avoit confieesj& il etoit fi perluade
de l'obligation de remplir journelle-
ment les devoirs de fa charge _, qu'il
faifoit tout ceder a cette obligation.
II ne fe difpenfoit d'aucune fondbion ,
(88) Rel. i«-4", Rec. cette hiftoire , J>. ip8,
jfle
pieces, lettres.
                ijy,
(S?) Vp'ies T. 4, jj?
-ocr page 247-
II. Pa urn?. Llv. IX. 245
& ne cefla meme d'officier que cinq
ans avant fa mort, parcequ'il avoir
perdu la vue. Ses veilles etoienr ex-
cellives, s'etanr reduit a ne dormir
que quatre heures. Son amour pour
lespauvres le rendoit acceffible a tous.
II avoir la tendrefle & l'affe&ion d'uft
vrai pafteur & d'un verirable pere
pour les religieufes de fon Diocefe ,
qui prefque routes avoienr recu le
voile de fa main , & dont il eroir le
DirecTreur. II faifoir lui-meme les vifi-
tes de leurs monafteres \ & s'y ren-
doir dans rous leurs befoins, auffitor
quil apprenoir qu'ilpouvoit erreutile
a quelqu'une. 11 les foutenoit dans
leurs peines, les inftruifoit dans leurs
doutes, &c les confoloit dans leurs
maladies. Bel exemple pour ces per-
fecuteurs de vierges chretiennes , qui
ne vont dans leurs monafteres que
pour y porter 1'allarme, & dont le
nom feul y jette 1'efFroi & le rrouble.
M. d'Angers etoit fort lie , comme
on peut fe l'imaginer, au monaftere
de P. R. ou il avoir eu fa mere , fix
fours, cinq nieces & plufieurs autres
parenres j mais ce n'etoient point les
liens du fang qui l'y attachoient. L'a-
mour de la verite & la grace de
Jefus - Chrift avoient forme une liai-
-ocr page 248-
l^ HlSTOIRE DE PORT-ROIAI.
fon plus pure & plus parfaite entre
ces epoufes de Jefus-Cnrift & ce di-
gne miniftre, entre ces faintes filles
8c ce faint Eveque. II avoit beaucoup
travaille etant a Rome en 1647, pour
obtenir d'Innocent X la Bulle pour
l'lnftitut du S. Sacrement; deux ans
apresil fe fit facrer, le 29 juin dans
l'Eglife de P. R. II fe declara haute-
ment pour ces vierges injuftement
perfecutees, & prit leur defenfe, fans
craindre de fe commettre avec les
Puiffances. II les portoit tonjours dans;
fon cceur, & s'en fouvenoit tous les
jours au faint autel, n'y montant ja-
mais qu'il n'y portat tous les noms de
chacune pour les y oflxir. II ne con-
fentit a la paix de l'Eglife, qu'a con-
dition que les religieufes de P. R. y
feroient comprifes. Ses vertus propres
& particulieres etoient la douceur &:
la patience: jamais il ne fit paroitre>
d'aigreur a 1'egard de perfonne. Bien
loin d'avoir aucun reflentiment con-
tre ceux qui lui avoient rendu de
mauvais fervices, il ne cherchoit qu'a
leur en rendre de bons. II avoit pour
cela une lifte de leurs noms afin de
s'en fouvenir dans les occasions qui
fe prefenteroient de leur faire du
bien. Enforte que c'etoit un fentiment
. commun dans Angers , comme dit
-ocr page 249-
II. Par tie. Llv. IX. 247
M. du Eode , qu'"d fuffifoit d'avoir i6yi.
ojf'enfe M* VEveque
_, pour etre affure
d'en etre recompenji.
II etoit en fi
grande veneration dans tout le pais,
qu'on ne parloit que de la faintete
& du merite de ce faint prelat; &c
lorfque les gens du pais rencontroient
quelques voiageurs qui alloient a An-
gers , auffi-tot ils leur parloient de
la faintete de leur Eveque. C'eft ce
que nous apprenons deM. duFofle ,
qui le favoit par experience, aiant
fait an voiage a Angers, pour avoir
la confolation de voir ce refpectable
Prelat. » Les peuples, dit-il (90) , le
» regardoient communement comme
» un Saint, &c l'appelloient ainfi,non-
» feulement dans Angers, mais dans
« tous les environs. Etje me fouviens
y qu'aplus de dix lieues, lorfqu'on fa-
» voit que nous allions a. Angers , on
» nous parloit aufli-t6t de l'Eveque,
» comme d'un grand ferviteur de
» Dieu, &c d'un Prelat vraiement
» faint. Aufli dans la Ville la plupart
» des moribonds ne pouvoient fe re-
» foudre de faire le dernier facriflce,
" qu'ils ne renflfent envoie prier de
» venir les voir & de leur dormer
v fa benediction qu'ils recevoient
l?o) Foff. Meni, 1. 5. e. 14, p. 414-..,
L iiij
-ocr page 250-
14^ HlSTOIRE DE PoRT-ROlAt;
x6yt. " avec une piete extraordinaire , en-
s' forte qu'on en vit mane de gueris
» d'une maniere furprenante par un
» efFet de cette benedi&ion epifco-
" pale. II etoit fans cede par-tout. II
« etoit comme le foleil de fon Dio-
» cefe. II fe montroit egalement a
» tout le monde fans diftinition, pour
» l'eclairer par fa lumiere & l'ecnauf-
» fer par fa charite.....II ne fortit
» jamais de fon Diocefe pour venir
» a Paris pendant 40 ans qu'il fut
» Eveque j &c il ne parut jamais a la
» Cour , que lorfque la Cour meme
» vint dans fon Diocefe. Le Prelat
» vifitoit tres regulierement les pail-
s' vres de l'Hopital tous les Diman-
i> dies apres Vepres. II donnoit la
« Confirmation a ceux qui ne l'a-
» voient pas recue, & qu'on avoit
« foin d'y preparer auparavant «. Ce
faint Prelat mourut comme il avoic
vecu, dans la paix , la tranquillite
& une entiere confiance en Dieu,
plein de jours & de bonnes oeuvres
dans la quatre-vingt-quinzieme an-
nee de fon age, la quarante-deuxieme
de fon epifcopat. II fut enterre dans
fon Eglife(9i).
- (91) Voi'ez l'eloge fu- t'AbbS Pelletier , frerede
nebre dece Prelat par M. fon fucceffeiir. II fcttou-
-ocr page 251-
II. P A R t i e. Liv. IX. 145) .
La mort de Mademoifelle de Ver- i<$9i.
tus, arriveele 21 novembre de la me- CX,XI-
,       , en-                   -l             Fin de Ma-
ine annee, n anligea pas moins les re- m0ifeiie de
ligieufes de P. R. que la precedente. vertus.
» Catherine Franc_oife de Bretagne de
» Vertus (s>z), fille de Claude, Baron
» d'Avaucour , Comte de Vertus ,
» premier Baron de Bretagne, pafla
m fa plus grande jeunelTe , pratiquant
» par piete la regie de faint Benoit
51 dans un monaftere. Elle en fut tiree
» par les flatteries de la Cour, ou elle
» prit trop de part aux intrigues 8c
" aux plaifirs qu'elle defapprouvoit:
» mais Dieu la fit enfin reflbuvenir
» de fes premiers fentimens , & elle
» lui rendit fon cceur «. Nous ne
ne parlerons point ici de fes liaifons
intimes avec Madame la DuchefTe de
Longueville & avec MM. de P. R. ,
furtout avec M. Singlin 8c M. de Sa-
cy, qui furent fucceflivement fes con-
ducleurs dans la voie du falut. Le
Lecteur en eft inftruit par ce que nous
avonsdit ailleurs. Son application aux
befoins de 1'Eglife de Jefus-Chrift la
rendit digne de contribuer a la paix
de fes enfans. On fait combien elle
ve a la fin des ivtetrtes Bifli en 1711.
theotogiques contre un (91) Necr. p. 438. Son
Mandement de M. de ep«.
Lv
-ocr page 252-
250 HlSTOIRE DE PoRT-ROlAI.
eut de part a celle connue fous le
nom de Paix de Clement IX. Je lui ai
toujoursattribue,
ditM. Fontaine (9 3),,
la paix de I'Eglije } quifut la delivran-
ce de celui qu'elle aimoit
_, & quifembht
n'avoir etefaite que pour lui rendre M.
de Saci
, puifque quinze jours apres,
» toutes les brouilleries recommence-
*> rent j & apres ce coup tout miracu-
o) leux, elle ne penfa plus , comme
« Judith , qu'a s'aller renfermer avec
» fes bonnes filles « ; c'eft-a-dire dans
le defert de P. R., pour fe preparer
a la mort. » Elle fut les quinze der-
01 nieres annees dans une perpetuelle
» inrirmite, qu'elle fupporta avec une
» patience qui edifioir tous ceux qui
» la voyoient (94). Elle avoit d'abord
« fait a Dieu un facrifice de fon ef-
» prit, en fe reduifant au filence dans
» la folitude , elle qui au milieu du
»* monde fe diftiuguoit dans la con-
» verfation avec les plus beaux efprits.
» Elle lui facrifia enfuite peu-a-peu
« fon corps par fes continuelles ma-
» ladies, qui la reduifirent enfin a ne
» pouvoir plus fe lever, ni faire le,
» moindre mouvement, fans tomber
(.9 j) Let. a la fcEur Eli- (94) FofT. Mem. p. 43 V%
fabech: le Felon ; Vies 451,433..
6dif. T. 4. p. 358,
-ocr page 253-
II. Partie. Liv. IX. 251
» dans des foibleffes & dans des etouf-
■» feinens qui fernbloient devoir a tout
» moment la faire expirer. Cependant
« elle s'occupoit toujours a quelqu'ou-
« vrage autant que fon infirmite Ie
» pouvoit permettre. Elle travailloit,
» elle prioit, elle lifoit. Sachant faire
» de fon lit fon oratoire & fon labo-
» ratoire , elle trouvoit dans un fi pe-
.» tit efpace ce contentement que Ton
» ne petit goiifer que dans un parfair
» acquiefcementala volonte deDieu.
» Sa charite pour les pauvres etoit un
» trefor inepuifable 011 ils trouvoient
» du foulagement dans tons leurs be-
» foins 5 fon neceffaire etant pris fur
» fa penfion , tout le refte etoit em-
» ploye pour les nourrir, pour les ve-
» tir , pour les affifter dans leurs ma-
» ladies. Quoiqu'elle eut un genie
» fuperieur a fon fexe, & un efprit
.» tres capable de gouvernemenc & de
» la conduite des plus grandes affai-
» res, comme elle en donna fouvent
» des preuves lorfqu'elle vivoit en-
» gagee dans le grand monde, elle
*» flit vivre i P. R. fi refTerree , que
» toute fa confolation etoit de ne fe
» meler d'aucune affaire que de celle
» qui regardoit fon falut. On ne laif-
j* foit pas neanmoins de la confuLter
-ocr page 254-
2Ji HlSTOIRE DE PoRT-Ro'lAtJ
1 » fouvent, comme une perfonne don't
« on favoit que le confeil etoit fur,
» Elle difoit fon fentiment fans ja-
3> mais flatter fes meilleurs amis ,
33 ayant furtout une grande fincerite
3> pour partage : aufli elle etoit ref-
33 pedfcee de tous ceux qui la connoif-
33 foient. Les perfonnes memes qui la
»3 craignoient en quelque forte, p&
33 laifloient pas de l'eftimer, on ait
33 moins d'ufer a fon egard de toutes
33 les mefures poffibles de civilite &
33 d'honnetete. C'eft ainfi que l'Ar-
33 cheveque de Paris, predecefleur de
33 celui-ci, voulut toujours au milieu
>3 de tous les bouleverfemens qui arri-
33 verent a, cette Abbaie, qu'elle fiit
33 perfuadee qu'il avoit pour elle tou-
33 te l'eftime & toute la confideration
33 due a fon merite. Enfin , apres que-
33 bien des annees fe furent paflees
33 dans des apprehenfions continuel-
33 les de la mort, qui fembloit etre
33 toujours prefente , le tems arriva
33 ou Dieu voulut en la delivrant de
33 toute crainte, la mettre pour tou-
33 jours en furete dans fes tabernacles
33 eternels. La piete admirable qui ac-
33 compagna fa mort,fut la i ecompenfe
..3 de la vie fainte qu'elle mena fi long-
« tems dans la retraite. En mourant,
-ocr page 255-
II. P ARTIE. L'lV. IX. Z 0
>» ellelaiflalamaifon qu'elle quittoit, i(jo
» dans une fenfible douleur de perdre
» en elle un fi bon confeil & un
» exemple de verm fi admirable «.
M. Fontaine j ecrivanta une religieu-
fe de P. R. apres la mort de cette he-
roine du Chrifiianifme
(95) & de ce
prodige de verms >
lui parle ainfi (96):
elle etoit digne de vivre & de mourir
entre vos bras ; & ily avoit pen d'au-
tres mains quifujfent dignes d'elle. Tout
me manque quandje parle d'elle
j il n'y
a que mes yeux qui viennent aufecours..
» Que de perfonnes, die encore M.
» Fontaine dans une autre lettre (97%
» l'auront recue dans Pautre monde,,
» & qu'elle n'y aura pas ete incon-
» nue ? Tous les amis & toutes les
» amies de la verite , dont elle a ete
" une fi grande protecTxice, n'auront
■' pas manque de la feconder dans ce
» paflage. II faut benir Dieu d'avoir
» fi faintement accompli fori ouvrage
" en elle, & le prier de couronner
» maintenant fes dons.
Mademoifelle de Vertus etoit agee
de 75 ans. Son cceur fut porte a l'Ab-
bai'e de Malnoue , comme elle l'avoit
ordonne par fon teftament pour fa-
fS?) Necr.                     3,38.
l?6) Vies cdif. T. 4. p. (.97) /bid., p. 5 37.
-ocr page 256-
2J4 HrSTOIRE DE PoRT-ROlAt.
tisfaire le defir de fa fceur qui en etoic
Abbelfe, & prefente par M. Sanfon ,
Chapelain, qui fit un tres beau dif-
eours (98).Son corps , enterre a P. R.,
fut tranfporte a la meme Abbai'e de
Malnoue, lors de Pexhumation , par
les loins de fa refpedtable fceur (99).
La famine dont la France fut affli-
I6?£.
cxxn.
Beau trait de &PQ
en
i<?9 3 , donna occafion a. la
l'Abbeffe & mere Agnes de fainte Thecle Racine,
*" deep8RU~ 1U* zvolz && continuee Abbelfe par
une feconde election le 2 fevrier de
cette annee, & a fa communaute , de
tant de tendreffe pour fes
religieufes,que lorfqu'elleg
etoient malades, qu'il
y avoir quelque danger,
ellene les quittoit n: jour
ni nuit , afin qu'il ne
leur manquat rien pout
les fecours temporels &c
fpirituels. V~oie^ le Gall.
Chrift.
T. 7 p. 5.94 j59T-
L'Abbai'e de Malnoue,
Tune des plus tegulieres
& des plus edifianres qui
fur dans I'Eglifevient d'e-
tre detruite de nos jours.
Mademoifelle de Vertus
avoit encore une autre
foeur, Abbefle de Ni-
doifeau , fur la mort de
laqtielle la mere Angeli-
que de Saint-Jean fir le 11
Janvier 1S84-, un excel-
lent difcours qui fe trouve:
dans le T. 3. des Vies edi£.-
E- 40 >,¥6-
fjSl VoTczce difcours,
T. 3. des M£m. liift. p.
i-4r.
(Q9) Marie Claire de
Btetagne, Abbeffe de Mai
noue , foeur de Mademoi-
felle de Vertus, mourur le
31 de mars 1711 a l'age
de 83 ans, en aiant pafle
6 3 ans dans les exerciccs
de laviereligieufe, fousla
regie de faint Benoit EUe
voulut etre enterree avec
le fymbole de faint Atha-
nafe be 1'atte dc fa pro-
reffion. Cette Abbcife e-
toit une vtaie religieufe ,
remplie de I'efprit de fori
£tat, pleine de charite ,.
pauvie. ,, deiintereilee ,
humble, prechamd'exem-
jle , s'emploiant aux rra-
vaux les plus bas, commc
de porter du bois, laver
la. v,aiffelk. Elle avoie
-ocr page 257-
II. Par tie. Liv. IX. z$$
flgnaler leur charite , & de faire voir L693.,
que le meme efprit qui avoit anime
la fainte Reformatrice deP. R. (i) , y
regnoit encore. Les Benedictines An-
gloifes de Paris y qui etoient reduites
a la plus grande mifere, jufqu'a man-
quer de pain, fe rappellant dans cette
extremite la charite de P. R., j eurent
recours , & ecrivirent a lAbbelTe lui
expofant la trifte fituation oii elles fe
trouvoient. LAbbelTe aflembla aulli-
tot la communaute pour lui faire part
de la lettre ; & comme la maifon man-
quoit d'argent, il fut refolu de ven-
dre un tres beau calice de vermeil do-
re , & d'en porter le prix aux Bene-
dictines Angloifes (z). Madame Mars,
qui fe trouvoit alors a P. R., fut priee
de fe charger de cette comrniflion ; &:
etant partie a l'inftant, elle trouva a
(i) 33 Nous favons, dit    33 s'etoient defaites de
» M. Lancelot dans fes    3) toute leur argenterie,
33 Memoires , T. z. p.    33 aiant vendu jufqu'aux-
« it j , que M. de Sainr    33 chandeliers & aux lam-
3) Cyran a fouvent loue la  . 33 pes d'argent pour don,
33 vertu de la grande mere    33 ner aux pauvres ;. fur
33 Angelique, qui ne fe    33 quoi on pent voir ce
33 refervoit rien , & qui    33 qu'il leur ecrivit dans.
33 a rompit quelquefois    33 la lettre 111: «. LeLec-
33 jufqu'aux nappes de    teur a vu dans cette hif-
33<l'autelpour convertir a    toiie beaucoup d'autres
33 Vufape des pauvres..   traits de la genereufe cha-
y> Nous favons audi qu'il    rite de la mere Angelique
53. a loue autrefois le faint    & des religieufes de P. R...
» ruonaftere de P. R. de (ir) Vies edif. X. 1. g,
» ce que les religieufes.    3>e-
-ocr page 258-
i5<5 HlSTOIRE DE PoRT-ROIAI."
l'entree de Paris un Ecclefiaftiqu^e J
qui ayant appris a. quoi etoit deftine
le prix de ce calice , voulut le payer
au-defliis de fa vaieur. Auffi-tot Ma-
dame Mars alia porter cet argent a. la
Superieure des Benedi&ines , qui lui
dit en lerecevant: onnepent etre plus
obligees que nousle fommes anosfaurs
de P. R.; jamaisfecours n'ejl venuplus
a propos. II n'y a pas un morceau de
pain dans notre rnaifon , & perfonne n»
nous en veut preter. Acluellement tome
notre communaute ejlprojlernee auxpies
de Jefiis-Chrifi } le vrai pain de vie 3
pour lui demander le pam materiel dont
nous avons befo'm.
L'Auteur des Me-
nioires hiftoriques remarque judicieu-
fement ( 3) qu'il etoit referve dans ce
liecle , a de faintes filles que Ton atta-
quoit continuellement dans leur foi ,
de depouiller les autels & de vendre
les vafes facres pour nourrir les tem-
ples vivans du faint Efprit, lorfqu'el-
les etoient elles-memes fans argent.
Ajoutons que, comme leur foi etoit
celle des Peres, leur conduite etoit
auffi la meme que celle de ces grands
nommes qui remplis de l'efprit de Je-
fus-Chrift, brifoient jufqu'aux vafes
facres pour foulager fes membres. »■ Et
45) T. j.p.iu-
-ocr page 259-
II. Partie. Liv. 2X 157
» vraiment, dit faint Ambroife , ces \6y$,
» vafes-la font precieux qui rachetent
» les ames de la mort. C'eft alors que
» je reconnois le vafe du fang du Set-
» gneur , lorfque j'y vois doublement
" la redemption , & que le calice ra-
» chete de l'ennemi ceux que le fang
» arachetes du peche (4). Les reli-
gieufes de P. R. , inftruites a I'ecole
des Peres, faifoient de ces faintes ma-
ximes, comme Ton voit, la regie de
leur conduite.
Elles perdirent cette annee deux cxxni.
de leurs fceurs, profefles de chceur , jeux t°[jgif,
qui les avoient edifiees l'une & l'au- f«.
tre par leur regularite & le zele
qu'elles avoient eu pour la verite.
L'une etoit la fceur Marie de fain-
te Benedicle Foucher , qui mou-
rut le 11 Novembre, 8c l'autre, la
foeur Denife de fainte Anne Coflarc
de Flan, morte le x6 Decembre, agee
de 75 ans. Celle-ci fitparoitreun cou-
rage & une modeftie admirables en
refiflant aux ordres injuries de M. de
Perefixe qui, irrite de fa fermete , la
chargea d'outrages , & la traita de
(4) Veri ilia funtvafa    que viderit redemptionem
pretiofa , qua redimunt    ut calix ab hojte redimat m
anitnas d morte.... Tunc    quos fanguis a peccato re-
v&s dominici fanguinis    demit. Ambt. oflfic. 1. i»
agnofcitur , cum in utra-    c. 18.
-ocr page 260-
158 HlSTOIRE DE PoRT-ROlAl."
1693. Pojfedee du demon. P. R. perdit enco-
re par la mort de M. Gallois, Norai-
re a Paris, arrivee le 17 Decembre,
un ami fidele , recommandable par fa
probite , fa piete , fon favoir, fon
amour pour la verite 8c la juftice. Ce
fut lui qui re^ut en 16 5 6 la protefta-
tion de M. Arnauld, ce que plufieurs
autres Notaires avoient rerufe de faire.
Fin du neuvieme Liyre.
..
-ocr page 261-
LIVRE DIX1EME.
I i E Lecteur a vu les differentes per- j £94.
fecutions que ce celebre Dodteur a i.
erTuiees de la part des Jefuites , au fu- Al^uid! M"
jet de fon excellent ouvrage de la Fre-
quente Communion ; de la part de la
Sorbonne , au fujet de fa belle Lettre
a un Due & Pair j & enfin de la part
des uns & des autres , au fujet du
Livre de Janfenius. II a vu enfuite
M. Arnauld fortir tout glorieux de
fa retraite , paroitre triomphant de-
vant le plus grand des Rois & en r&-
cevoir des louanges. Apres cela „ il a.
vu I'envie fe renouveller contre ce
grand homme, 8c le forcer de fortir
du fein de fa patrie , pour aller cfier-
eher dans une terre etrangere un afyle
contre les defTeins de fes cruels en-
nemis. Ce fut en 1679 que M. Ar-
nauld quitta la France. Mais recon-
noiflons que ce fut par un efFet vifi-
ble de la providence qu'il la. quitta
pour fe retirer dans un pais , 011 jouif-
fant d'une entiere liberte & d'un plus
grand loifir , il a compofe pour la de-
renfe de 1'Eglife & de la verite urt
grand nombre d'ecrits, qui n'auroient
-ocr page 262-
160 HlSTOIRE DE PoRT-ROlAt.
jamais vu le jour , fi fes ennemis l'a-
voient laifle vivre en paix dans le fein
de fa patrie au milieu de fes amis.
Cert, ainfi que Dieu a fait fervir la
mauvaife volonre des ennemis de M.
Arnauld a 1'execution de fes deffeins.
Combien d'excellens ouvrages forri-
rent de la feconde plume de ce favanc
liomme pendant les quinze dernieres
annees de fa vie qu'il pafla dans la re-
traite , n'aiant ceiTe d'ecrire qu'en
ceffant de vivre. Semblable a. Caleb ,
qui a Page de quarre-vingts ans etoit
auffi fort &c auffi vigoureux lorfqu'il
entra dans la Terre promife (i) que
lorfque 40 ans auparavant Moi'fe l'a-
voit envoie avec Jofue pour la re-
connoitre , M. Arnauld avoir, lorf-
qu'il mourut, autant de force d'efprit
pour ecrire & pour combattre les en-
nemis de la grace de Jefus-Chrift &c
les profanateurs des chofes faintes ,
que lorfqu'il commenca a les atta-
quer. En un mot , lorfque M. Ar-
nauld entra dans le fein de la veri-
te , il jouiflToit des memes avantages
que lorfque Dieu l'avoit appelle a la
clefendre cinquante ans auparavanr.
Nous n'entrerons point ici dans le
(1) Judic. c. 14.
-ocr page 263-
II. Parti e. Liv. X. 161
detail des travaux de cet Iiomme in- "
comparable j des combats qu'il a li-
vres aux ennemis de l'Eglife , tarit
du dedans que du dehors; des vic-
toires qu'il a remportees fur eux; ni
de fes ecrits fans nombre. Ce cele-
bre Docleur rempli de l'efprit de tous
les Peres, avoit recu de Dieu l'eten-
due de genie & la force du raifonne-
ment des Auguftins pour la defenfe
de la foi, pour etablir les dogmes, &
demeler les artifices des Heretiques;
la vivacite & le fel des Jeromes pour
les couvrir d'une confufion falutaire
devant les homines, la douceur & la
modeftie des Athanafes & des Gre-
goires pour les gagner \ l'eloquence
des Banles , des Ambroifes & des
Chryfoftomes pour les perfuader.
C'eft dans fes admirables ecrits
qu'on reconnoit fon vafte genie, fa
profonde erudition , fa tendre piete,
fon grand amour pour l'Eglife , fon
attachement, fon refpe£fc & fa fide-
lite inviolable pour les Puiffances -y
en un mot, toutes les grandes qua-
Htes de cet homme extraordinaiie ,
qui etoit grand des l'enfance , ma-
gnus vir 4b infantia
(i) \ de cet im-
(i) Hier. Ep. Sj. vet. edit.p. i8f.
1694.
-ocr page 264-
2<jl HlSTOJRE DE PoRT-ROlAt.
mortel genie, qui a excelle dans tou-
i65>4- tes ies fciences (?).
O prodige de nos jours , pouvons-
VraJp^trait n°us ^re avec M. Fontaine (4), » qui
de m. Ar- „ vous admirera autant que vous avez
dTJuiude1* » merite de l'etre ! On s'eft emprefle
perfonne & „ de graver votre image fur le mar-
iKh% Seats. m bre & fur je bronze.....Les piu_
m mes favantes fe font emploiees a
»j vous louer, mais vous paroitrez
« toujours plus grand dans vos ou-
33 vrages que dans tous les eloges que
» Ton peut faire de vous. Rien ne
3> vous fera mieux connoitre que vos
S3 prop res ecrits. C'eft-la que vous
33 avez vous-meme parfaitement gra-
33 ve votre image, & que vous avez
33 reprefente comme dans un miroir
>3 vivant vos admirables qualites. On
»3 faura en vous lifant, quel a ete
33 votre amour &c votre zele pour la
S3 verite catholique , pour la vraie
33 fcience de la religion , pour la doc-
33 trine & la tradition des Peres ,
33 pour la correction des abus 8c pour
33 la difcipline de TEglife; & on verra
33 reluire dans vos ecrits les merveil-
(;) Hift. de Script, cam , arithmeticam......
Icclef. in Orig. Illud dc Grammaticam & Rhetori-
immortali ejus ingenio,    cam , omniumque Philo-
non tacens quod dialeUi-   fophorum feUas didicit.
cam quoque & geomecri-
(4) Font. T. 1. p. 41^
-ocr page 265-
II. Par tie. Llv. X. 16}
» leux dons de la grace, qui vous ifyju
» onr rendu un des plus grands or-
» nemens de l'Eglife Gallicane. Vo-
» tre memoire fera toujours tres heu-
» reufe, tres fainte & tres venerable
» dans l'Eglife , qui a eu la confola-
» tion dans fa vieillefle, ou Dieu vous
» a fait naitre , de voir comme raf-
« femble & reuni en vous l'efprit 8c
» la luniiere des anciens Do&eurs ,
» afin que vous fufliez expofe com-
» me un grand fpedtacle aux fiecles
" a venir , & que la folidite de votre
»> doctrine , la faintete de vos fenti-
» mens , l'humilite de votre cceur,
« l'ardeur de votre piete & la dif-
» cretion de votre zele ferviifent dans
» ce dernier age a efFacer les faux
» luftres des fauffes vertus, des fauf-
» fes devotions, des faufTes pruden-
» ces , des faux zeles, des faulfes lu-
" mieres & des faulfes doctrines, qui
" fe formerent dans la corruption
» des derniers terns , foit par l'igno-
» ranee aveugle & prefomptueufe des
» Heretiques , foit par le refroidiffe-
» ment de la charite des enfans & des
" miniftres de l'Eglife Catholique.
» On admirera la fcience auffi bien
" que la faintete que vous avez re-
» cue de Dieu dans les rochers de
-ocr page 266-
i^4 HlSTOIRE DE PoRT-ROlAL.
I £04. " votre folitude, qui vous ont rendu
« comme un treTor vivant de toute
» la fcience Eccleilaftique j comme
» un horame de' Dieu j comme un
jj Theologien doht le jugement etoit
» plus exact que celui d'aucun des
" autres Theologiens de votre terns,
»
& comme un pieux & favant Ecri-
" vain , par la bouche duquel la ve-
« rite meme fembloit rendre fes ora-
=» cles ". Rien de plus jufte que cet
eloge de M. Arnauld. C'eft le portrait
naturel de ce grand homme , & la ve-
ritable idee qu'on doit avoir de fa
perfonne & de fes ecrits.
111.
           Quoique M. Arnauld menat une
il fe prepare V[Q extremement retiree depuis fa for-
tie de trance , & ii remplie pour
Dieu ,qu'elle etoit une excellente pre-
paration a la mort; neanmoins les
quatre dernieres annees de fa vie fu-
rent encore pour lui le tems d'une
retraite plus rigoureufe , n'aiant pas
mis le pied hors de fa petite maifon
pendant ces quatre ans. Dans les der-
niers mois il apprit par cceur les
pfeaumes, afin d'y avoir recours dans
le befoin, pour s'occuper de Dieu &c
fe mettre en etat de le louer & de
s'entretenir avec lui, en cas que fa
vue vint a. s'eteindre comme il en etoit
menace.                            Heureux
-ocr page 267-
II. P ARTIE. L'lV. X. i(?5
Heureux le ferviteur que le Sei- xg^^,
gnear rrouve agiflant ainfi , lorfqu'il IV
vient a lui & qu'il frappe a la porte. sa derniere
Qiiand il feroit mort fubitement dans ™'fie- Sa
de pareilles difpoutions, il n'auroit
point ete furpris. Le premier jour
d'aout, auquel l'Eglife celebre la fete
de faint Pierre aux liens, & celle des
Macchabes, aveclefquelsil a eu tant
de conformite par fon zele intrepide
pour la loi de Dieu, par fon courage
invincible a rendre temoignage a la
verite , par fes travaux immenfes pour
la defendre, il fe fentit atraquc d'une
fluxion qui ne l'empecha pas de faire
ce qu'il faifoit chaque jour & de dire
la MefTe. II continua de meme le
lundi & le mardi , & il orTrit le faint
facrifice pour la derniere fois le jour
de faintEtienne Pape & Martyr. Mais
il ne laiffa pas de reciter fon Breviaire
tous les jours fuivans jufqu'a celui de
fa mort, a peu pres aux heures mar-
quees. ( Car il fuivoit le plus exacle-
ment qu'il pouvoit l'efprit de l'Eglife
dans la recitation de 1'OfEce; fur-tout
ces deux chofes, l'une en difanttou-
tes les Heures feparement, l'autre en
difant chaque partie del'Ofrtce a l'heu-
re qui lui etoit propre , regardant
chaque heure de I'Office comme un
Tome VIII.                     M
-ocr page 268-
166 HlSTOIRE DE PoRT-ROlAL.
j 604, rems de benediction). II enrendit en-
core la MelTe le famedi, & fe fit lire
l'Epitre du Dimanche fuivant, avec
l'explication de l'Epitre par M. le
Tourneux. Sur les fept heures du foir
il recut la derniere abfolution de fori
ConfefTeur, l'Extreme-Onction 8c le
Saint Viatique avec fa devotion or-
dinaire. Sa voix s'etant eteinte , il
entra dans Pagonie qui fut fi douce
&c fi tranquille, qu'a peine les affiftans
s'en apperc_urent. Un leger foupir fit
connoitre qu'il s'endormoit au Sei-
gneur , plus femblable a un enfant
qui s'endort dans le fein de fa mere
qu'aunpccheur qui foufFre la peine du
Eeche. Ainfi fut rappelle de fon dou-
le exil a minuit & un quart le 8 aout
1 694, pour aller habiter le pais de la
juftice, de la paix & de la verite , cet-
te grande ame qui les avoit aimees
plus que toutes les grandeurs de la
terre , & qui avoit combattu pour
elles jufqu'au dernier foupir.
             %
v_            » Voila,dit le Pere Quefnel ecri-
Lettte du „ vant au P. du Breuil fur cette bien-
fu" ia mott " heureufe mort (5) , comme a ache-
dc m. At- „ ye fa courfe de quatre-vingts-deux
>» ans fix mois un jour , celui que
j) Dieu avoit donne a fon Eglife par
, (5.) Nectp. 317.
-ocr page 269-
II. Par tie. Liv. X. 167
» vine iihguliere mifericorde , pout 1 694.
» concribuer plus que perfonne a re-
" tablir les mceurs chretiennes par un
» plus faint ufage de deux Sacremens,
» d'oii depend la fanifcification des
» pecheurs j a relever l'honneur & la
» puiltance de Jefus-Chrift; a com-
» battre les ennemis de 1'Eglife & de
» la Sainte Euchariftie 5 a donner des
» coups mortels a la morale relachee ;
» a. defendre l'innocence & la juftice;
» Sc a. s'oppofer comme un mur d'ai-
» rain a tous les efforts de Pennemi
» du falut. II a tout facnfie pour erre
» fidele a une vocation fi iainte ; 5c
" cinquante annees de perfecutions _,
» de calomnies &c de toutes fortes
>> de traverfes, ne lui ontrien coutc
» pourremplir fon miniftere, & pour
» fuivre celui a qui il faifoit profef-
» fion d'etre attache : Mihi autem ad-
» herere Deo bonum eft. C'etoit la
» devife qu'avoit prife M. Arnauld.
» Toute fa vie & fa conduite nous
» difent aflez qu'il ne connoiflbit
» point d'autre bien, que celui de
» s'attacher a'Dieu & de tout facri-
» fier pour le fuivre «.
Le lendemain de fa mort on ouvrit vr.
fon corps pour en tirer le creur , qui jj"^."
devoit etre porte a P. R. comme il
M ij
-ocr page 270-
X6S HlSTOIRE DE PoRT-ROlAI..
l'avoit ordonne par fon teftament.
Comme le Cure de fainte Gudule de
Bruxelles , fauxbourg de Loo, Pa-
roifTe de la maifon quliabitoit M. Ar-
nauld , etoit abfent ainfi que fon Vi-
caire , on prit des mefures pour l'in-
humation du corps avec M. le Cure
de fainte Catherine de la meme Vil-
le (6). Ce Cure etant venu la nuit du
lundi avec fon domeftique, enleva le
corps qui etoit dans un cercueil de
bois , le fit tranfporter dans fon cabi-
net , le mit dans un cercueil de plomb,
&c le fit defcendre dans un petit ca-
veau defTous le fandfcuaire de fon Egli-
fe, qui etoit alors depavee , de forte
que le lendemain on n'apper^ut au-
cune trace de ce qui s'etoit fait. C'eft
ce qui a donne lieu de faire a M.
Arnauld une application de ce que
l'Ecriture dit de Moife, favoir que
jufqu'aujourd'hui les hommes ne con-
noiiTent point fon tombeau (7): Non
cognovit homo fepulchrum ejus ufque in
prufentem diem \
& de dire qu'un An-
ge vifible de l'Eglife prit le foin de h
fepulture, ai'ant enleve fon corps &
1'ai'ant cache dans la terre des Saints,
pour le derober aux mativais defTeins
(«) M. VandenneiTe, mortle \6 janvjer »7j^»
(7) Deut.j<j.
-ocr page 271-
II. P A ft T t E. LlV. X. 1&9
de l'ennemi, comme faint Michelle 1694.
fit a l'egard de Moi'fe (8).
Lorfque la nouvelle de la mort de vn.
M. Arnauld devint publiqiie , il eft r0Ur«cntic
incroiable combien de bouches & de <*" louanges
plumes firent fon eloge. Toute l'Eu- nauia. Eloge
rope retentit des louanges qu'on don- n"''1 reiolt
r- 1                          \ b * . t          a Rome.
noit de tomes parts a ce grand nom-
ine , qui en fut comble fur-tout dans
la Capitale du monde chretien. C'eft
ce que nous apprenons par une lettre
datee de Rome du 30 aout 1694. II
y eft dit que perfonne ne recut jamais^
tant d'eloges , ni ne fut fi univerfelh-
ment regrette1 apresfa mort par les hon-
netes gens que cet illuflre difunt.
A-
peine la nouvelle de fa mort fut ve-
nue a Rome , qu'on n'entendit par-
tout que des panegyriques de ce grand
perfonnage ; » les uns louant la pro-
» fondeur de fa fcience & l'etendue
» de fon erudition , qui n'avoit ja-
» mais rien eu de femblable ; d'au-
» tres admirant encore davantage les
" bonnes qualites de fon ccEur, que
» celles de fon efprit & de fa memoi-
(S) Voi'ez dans les Mem.    celebre dans toute l'Eu-
Mit. T. 5. p. 175, le cet-    rope: Corpus fapientijff
tificat, ou extrait mot-   mi & tota Europa ceU'
tuaire de M. Arnauld, qui    berrimi viri Domini Aa*.
eft qualify de ties fage   tonii Arnaldi, &c,
Doaeut de Sorbonne, '&
M iij
-ocr page 272-
270 HlSTOIRE DE PoRT-ROlAI.
165)4. " fe , afTurant qu"il n'y avoit jamais
« eu d'homme plus doux (9), plus
»j modefte, plus defintereile, plus
» fimple & eloigne du deguifement
» & de l'hypocriiie j & tous genera-
>» lement convenant qu'aucun n'avoit
" tant aime la verite, ne l'avoit fi
« bien connue & mieux defendue ,
" ni plus fouffert pour elle.
« Le Cardinal Cafanate dit tout
» haut en plein Confiftoire , qu'on
« canonifoitdes Saints, qui n'avoient
" pas rendu tant de fervices a. l'Egli-
" fe , ni vecu daus une plus grande
» innocence de mceurs que M. Ar-
?> nauld.
Le Cardinal d'Aguirre ne crai-
gnit point de le mettre au-derFus de
tous les Prelats de ce tems-ci, & de
l'egaler aux plus faints Pretres de
1'anriquite , difant que M. Arnauld
faifoit autant d'honneur a la Ville
de Paris fa patrie & a la France, que
faint Clement dAlexandrie & Ori-
fene en avoient fait a, l'Egypte ; faint
erome, a la Dalmatie; Claudien
(9) Le P. DavrigniJe-    Jurieu, en quaSifiant cet
fuite , Mem. T. 3. p. 41S,    hcretiqiie i'Ecrivain ci-
combat cet article del'6-    Ubre. C'eft comme li un
ioge de M. Arnauld, & a    Socinien s'appuioit du te-
aflezpeu de pudeur pour   moignage de quelqu'Arien
s'appui'er de 1'aiicoritc de    contie faint Achanafc.
-ocr page 273-
II. Parti e. Liv. X. 27I
Mamert, a Vienne ; faint Felix , a 1694.
Nole y faint Jean dit leVieillard, ou
k Pretre j a Ephefe. Ce meme Cardi-
nal afTura qu'il oecupoit dans lefacre
College tine place qu'Innocent XI
fon bienfaiteur avoit d'abord defti-
nee a M. Arnauld, & qu'il auroit
mieux remplie que lui.
Un des plus celebres ProfefTeurs
en Theologie & en Eloquence (10),
qui devoit faire une harangue larine
a laquelle toute la Ville droit invi-
tee , aiant appris cette mort la veille
qu'il devoit faire fon difcours , il le
fit tout entier a la gloire de cet illuf-
tre defunt. L'Orareur laid abfolu-r
ment le fujet qu'il avoit entrepris
de traiter pour ne parler que de la
grande perte que l'Eglife venoit de
faire danslaperfonnede M. Arnauld
qu'il mit au-deflus de tous les Ecri-
vains , non-feulement de ce fiecle,
mais meme des aneiens les plus polis
& les plus favans. « Dieu, dit-il,
» 1'avoit oppofe comme un boule-
» vart contre les hcretiques , les cor- v
" rupteurs de la morale chretienne
» & les fabricateurs bizares des nou-
» veaux fyftemes de Theologie.
(10) le P. Campion Clerc Miiieur.
M iiij
-ocr page 274-
L-JI HlSTOIRE DE PoRT-ROlAL.
1694. Un tel eloge de M. Arnauld ne
vnr peut pas etre du gout des Jefuites &
caiomnies doit un peu les embarraffer. Le Pere*
vrignfcoawjDavrigni n'ofant s'infcrire en faux
M. Amauld. contre , ni le combattre de front, s y
prend d'une autre fa^on. A l'occafion
d'une note marginale de cette lettre
de Rome, ou il eft dit, quil n'y a
que les Protejlans & les Jefuites qui
n'en conviennent pas,
(du merite &
des verms de M. Arnauld) : a Dieu
neplaife, dit l'Ecrivain de la Socie-
te j prenant un ton devot pour coit-
vrir fon noir defTein de calomnier &
d'outrager M. Arnauld j a Dieu ne
flaife
(11) que nous cherchions a de-
crier les morts & que nous penjions a
troubler leurs cendres -y puijfe-t-il avoir
plus d'egard a leurs intentions qu'a
leurs ceuvres. Mais comme la chariti
nous interdit les jugemens temeraires
_,
quin'ont d'autre fondement quelapaf-
Jlon ou la malignite naturelle 3 aujji ne.
nous oblige-t-elle pas d nous houcher
les yeux & a nous aveugler jufqu'au
point de voir & d'honorer des vertus}
ou il n'en paroit pas la moindre trace.
Apres cela , le Jefuite en fureur fe
dechalnant contre celui, dont il vienc
de dire qu'il ne vouloit pas troubler les
(11) Davr.M&n. chr. T. 3. p. 4H-
-ocr page 275-
II. Part ie. Liy. X. 273______
cendres ni le dicrier_, le reprefente com- 1£94.
me un homme retranche de l'Eglife par
fon n'opiniatrete a defendre Ferreur.
Ce n'efi point precifement L'erreur, dit-
il, (iz) , qui nous retranche de fon
corps, c'ejl I'opiniatrete
_, mais malheu~
reufement il n'y a point eu d'homtne
plus opiniatre ni plus attachi a fon
fens que M. Arnauld. Les Constitutions
des Popes
, les decifions du corps des
Eveques
_, le jugement des Univerfitis 3
tout cela n'a pas ete capable de I'ebran-
ler.
C'eft ainfi que les Jefuites, a
l'exemple des Manicheens, comme
faint Auguftin le reprochoit a ces he-
retiques , chargent leurs adverfaires,
& en particulier M. Arnauld, des
crimes dont ils font eux-memes cou-
pables. Eft-il de corps, eft-il d'he-
retiques , contre lefquels les fou-
dres de l'Eglife aient ete plus fou-
vent lancees que contre la Societe des
Jefuites? En eft-il contre lefquels
il j ait eu tant de Conftitutions
des Papes , tant de decifions , tant
de jugemens des Univerfites ? Tout
cela a-t-il ete capable de les ebran-
ler ?
Les Jefuites fe jouent des
foudres & des anathemes dont l'E-
glife ne cefTe de frapper leurs er-
(11) Ibid. p. 41J.
M v
-ocr page 276-
174 HlSTOIRE DE POR.T-R.OlAt.
J4. reurs depuis qu'ils exiftent j 8c lis
continuent de les enfeigner. C'eft la
le crime de la Societe ; c'eft celui dont
le P. Davrigni accufe M. Arnauld.
Dites-nous done , infenjes & avert-
gles que vous ites
( c'eft au Pere Da-
vrigni 8c a toute fa Compagnie dont
il eft Porgane , que noas adreflbns
ces paroles de Notre-Seigneur aux
Pharifiens , (* ) fluid & ccsci ) : Quel-
les font les Confiitutions des Popes
& les decifions du corps des Pajleurs,
auxquels M. Arnauld a refifte opi-
niatrement ? Eft-ce parcequ'il a te-
moigne du doute fur un faitdouteux,
8c qu'il n'a pas cru que PEglife fiit
infaillible dans la decifion d'un fait
non revele ? Mais c'eft la la creance
de PEglife, atteftee par les plus favans
Jefuites memes, tels que Bellarmin,
Sirmond, Petau , & confirmee par
dix-neuf Evcques de France. II ned
bien mal aux Jefuites d'accufer quel-
qu'un de refifter aux Conftitutions des
Papes, eux qui depuis 200 ans fe
jouent & font meme gloire de fe jouer
des decifions fans nombre , qui frap-
pent letirs erreurs d'anathemes (**).
(*J Math. 13. 17.           a un Religieux, qui oc-
• {**)Un Jefuite (quieft   cupe une place diftinguee
aujourd'hui hois de la   dans fon corps, lui die
Socie te ) parlanr un jour   que les Janfcriiftes n'y'en-
-ocr page 277-
II. Par tie. Liv. X. 275
Combien de jugemens des Papes re- kJoa,
cus par toute l'Eglife fans aucune re-
clamation ; combien de cenfures d'una
multitude d'Eveques; combien de
jugemens des Univerfites contre les
infames Cafuiftes de la Societe, 8c
contre les maximes horribles qu'ils
ont enfeignees, & que les Jefuitesne
eeffeiit d'enfeigner en refiftant opi-
niarrement a T'autorite legitime qui
les a profcrite !
Quels font les articles ejjentiels fur
lefquels M. Arnauld a eu le malheur
de s'ecaner de la foi
? Eft-ce parcequ'ii
a fait revivre par le livre de la fre~
quente Communion ,
les verites les plus
cures , les regies les plus faintes de
la morale chrecienne; qu'il a mis
dans un grand jour les difpofitions
neceifaires que Ton doit apporter aux
Sacremens de Penitence & de l'Eu-
chariftie , de l'ufage defquels depend
le falut de la plupart des chretiens ?
Mais fi c'eft la le crime de M. Ar-
nauld , c'eft celui de plus de rrenre
Prelats recommandables par leur
fcience & leur piece, & dont quel-
tendoient rierr, en s'ele-    foudres lancees que con*
vane contre !a Bulle •,    tt'eux, fnais jamais pei>
qu'ils devroient faire com-    fonne ne s'en eft tnieux
me les Jcfuites j car dic-il,    joue.
jamais U a'y a. eu taw de
M vrj;
-ocr page 278-
Xj6 HlSTOIRE DE PoRT-ROlAt."
1694. ques-uns fontmortsen odeur defain-
tete. C'eft celui de plus de vingt Doc-
teurs, qui ont approuve cet Ouvra-
ge. C'eft celui de Rome , du Pape 8c
des Cardinaux qui n'y ont rien trouve
de reprehenlible. Eft-ce parcequ'il a
defendu avec vigueur dans fon Apo-
logie des faints Peres
, les verites de
la grace & de la predeftination contre
les nouveaux difciples de Pelage ?
Dites nous , infenfes & aveugles j
quels font les jugemens des Univerji-
th
qui n'ont pas ete capables d'ebran-
ler M. Arnauld. Eft-ce parcequ'il a
ete cenfure par quelques Docieurs,
pour avoir parle comme faint Chry-
foftome & faint Auguftin ? Si c'eft la
fon crime & la preuve de fon opi-
niatrete, c'eft le crime de deux grands
Dodeurs de PEglife , c'eft celui de
la plus faine partie de la Faculte de
Theologie j c'eft celui de l'Archeve-
que de Paris , de plufieurs autres Pre-
lats du nombre defquels etoit le faint
Eveque de Chalons fur Marne, M-.
Vialart, & d'un grand nombre de
Dofteurs qui ont ete exclus de Sor-
bonne comme M. Arnauld.
Quels font done les articles ejfen-
tiels y
fur lefquels M. Arnauld a eu
lemalheurde s'ecarter'i
Eft-ce parce-
-ocr page 279-
II. P A R T I E. LlV. X. tff
qu'il a attaque avec tant de force & '
renverfe avec tant de fucces les er-
reurs des Calviniftes & les impietes
de leur morale ? Eft-ce parcequ'il a
refute les calomnies & les erreurs du
Docleur Mallet, qui avoit attaque
la traduction du nouveau Teftament
de Mons ? Eft ce parcequ'il a decou-
vert & denonce a l'Eglife l'herefie du
peche Philofophique enfeignee par
plufieurs Profeffeurs de la SocieLe ?
Voila fans doute aux yeux des Jefui-
tes le grand crime de M. Arnauld.
Voila ce qui leur fait dire que leur
pretendue charite ne les oblige fas a
fe toucher les yeux
, & a s'aveugler
jufqu'au point de voir & d'honorer des
vertus ok il n'en paroit pas la moin-
dre trace auxyeux des Jefuites }
quoi-
que tous les gens de biens y voient
les vertus les plus grandes & les plus
heroi'ques.
Infenfes & aveugtes que vous etes x
vous convenez que la charite1 vous in-
terdit les jugemens temiraires qui n'ont
di autre fondement que la pajjion & la
malignite1 naturelle
; & apres cela vous
etes affez injufte , aftez pafllonne pour
fugerqtfif n'y a aucune trace devertu
dans un homme, auquel les Papes ,
les Cardinaux, les Eveques, les Sa-
-ocr page 280-
IjS HlSTOIRE DE PoRT-ROlAX,
vans, les Princes (i 3), les Docteurs
ont donne a l'envi ties marques de
leur eftime & de leur amitie , qu'ils
ont comble^ d'^loges & confulte com-
me un oracle. Telle eft la charite
d'un Jefuite. Elle voir le vice oii il
n'ell pas ; & elle ne voitpas la tnoik-
dre trace de verms
, on rout eft vertu.
Eft-ce la la charite de PEvangile ?
Eft-ce celle que preche faint Paul, qui
ne croit pas le mal, non cogitat ma-
lum ?
non fans doute ; mais c'eft celle
duP. Davrigni.
Ouvrez lesyeux , infenfes & aveu-
gles, & vous verrez les preuves de ce
que j'avance , dans les approbations
de vingt-fept Evcqnes & de vingt
Docteurs, qui font a la tete de la
perpetuite de la foi ; & dans les let-
ties de M. Arnauld. II y auroit,
comme l'a deja remarque PAuteur de
Phiftoire abregee de la vie de ce grand
33 tete, dans un age oil
33 il devroit rccevoir dans
a) le fein de fa pattic ,
33 au milieu de fes pro ■
33 ches & de fes amis, le
j> fruit de fes grands na-
33 Vaux «. Ceil ce que
M. Favoriti , confident
d'lnnoceht XI , ecrivit a
M. Arnauld lui-memc dc
lapattde fa.SaiatetS..
(ii) >; 11 faudroit etre
n infen'ible , difoic Jac-
» ques II Roi d'Angle-
j> terre, pour n'etre pas
33 roucbe jufqu'aux !ar
y, nies en volant un hora-
jj rile (1 cheir A 1'Eglife
33 pour foil eloquence ,
» pour foil erudition &
i> pour fa pi6te , dC'chire
35 par la calomnie &c lie
» fivdir ou regofef f*
-ocr page 281-
II. P ARTIE. LlV. X. 279
homme , de quoi faire un Concile 165)4..
de plus de cent Eveques , de deux
cent Dodteurs , de plufieurs Cardi-
naux, a la tete defquels on pourroit
mettre cinq ou fix Papes, fi 1'on vou-
loit reunir enfemble ceux- qui en di£-
rerentes rencontres , ont temoigne
etre fatisfaits de la dodtrine de M.
Arnauld, & lui ont donne leur ap-
probation en le comblant d'cloges.
On voit en particulier l'ertime que
faifoit de lui le Pape Innocent XI dans
la lettre qu'il lui fit ecfire par le Car-
dinal Cibo fon neveu, avec cctte
adrefTe : Perillujlri & admodum re-
verendo Antonio Arnaldo Doctor! Sor-
bonico
: du tres tllujlre & tris vene-
rable Antoine Arnauld Docteur de
Sorbonne
Ce tncme Pape avoit def-
fein cle faire M. Arnauld Cardinal.
Cell lui qui avoit donne la permif-
fion a ce Dodteur perfecute, pendant
tout le tems de fa vie cachee, de
dire la Meile dans fa chambre. Ce-
pendant, fi Ton en croit le P. Da-
vrigni , il faudroit fe boucher les
yeux & s'aveugler }
pour voir la mom-
dre trace de vertus
dans ce grand
homme. Etrange aveuglement ! ErF-
il ailleurs que dans la Societe.
Parmi le grand nombre d'epita.-
-ocr page 282-
l8o HlSTOIRE DE PoRT-ROlAt.'
1694. phes faites en l'honneur de M. Ar-
ix. nauld, nous nous contenterons de
Epitaphe'de rapp0rter la fuivante , qui eft duce-
' lebre Boileau Defpreaux (14).
Au pied de cet Autel, de ftruclure groffiere
Git fans pompe, enferme dansune vile bierre,
Le plus favant mortel, qui ait jamais ecrit ,
Arnauld , qui fur la grace inftruit par Jefus-
Chrift,
Combattant pour l'Eglife , a dans l'Eglife
meme
SoufFert plus d'un outrage , 8c plus d'un ana-
theme.
Plein du feu qu'en fon coeur foufla l'efprk
divin,
II terraffa Pelage , il foudro'fa Calvin,
De tous les fauxDocteurs confondit la morale.
Pour tout fruit de fon fcele, on l'a vu rebute",
En cent lieux opprtme par la noire cabale j
Il fut errant, banni, trahi, perfecute ;
Et meme apres fa mort, leur fureur mal
eteinte
—N'auroit jamais laifle fes cendres en repos ,
Si Dieu luimeme ici de fon ouaille fainte
A ces loups devorans n'avoit cache les os^
M. Arnauld a laifTe deux teftamens.
Dans le premier , qui eft un tefta-
ment fpirituel, il repand fon coeut
devant Dieu, & rend comme . un
(i4> On fait combien    dont H a patle dans ccs
Me celebre Poete etoic lie    termts, qui font autant
avec Meflieurs de P. R.    d'honneut au Poete lui-
fur tout avecM. Arnauld   nicme qu'a M. ArnauU.
, Arnauld, le grand Arnauld , fit ir.on apologies
-ocr page 283-
II. Partie. Liv. X. 281 ________
compte a la divine Majefte de fes kJ^.
fentimens, de fes ecrits, de fes dif-
pofitions & des motifs qu'il a eus,
foit dans les principales a&ions de fa
vie , foit dans fes ecrits. Dans le fe-
cond, il difpofe dupeude bien qu'il
avoit. II y conftitueMadame de Font-
pertuis fon executrice teftamentaire
& fa legataire univerfelle , apres la
levee des legs particuliers fairs en fa-
veur de dirTerenres perfonnes. II le-
gue45o liv.de pennon & fes meubles
a M. Guelphe (15), qui depuis en-
viron 20 ans lui fervoit de Secretaire.
ainfi , adreflant la parole
a Meflieurs de Notre-
Eame : J'aime mieux
plaire a Dieu quaux hom-
» mcs. Quoiqueplufleurs
» de vous , Meflieurs ,
33 m'aient temoigne de
33 1'amitie , &c qu'ils
33 m'aient amjre qu'ils
» me la continueroienc
3) toujours, fi je fignois;
33 qu on me gratifieroit
33 au premier benefice va-
33 cant dans votre Eglife,
33 qu'il n'y auroit que
33 moi prefentement 3
33 quionpoutroir le don-
as ner, que jc perdrois ma
33 fortune (i je ne le fai-
33 fois; neanmoins tou-
33 tesces belles chofes U,
» par la mifericorde de
33 Dieu , ne m'ont point
33 affbibli 6c n'ont pu me
» faire changer de- r6fo-
(if) Francois ( ou plu-
tot Leonard ) Guelphe ,
ne a Beauvais, fut dans
fa jeunefle Enfant de
choeur a Notre - Dame
de Paris; ce qui lui pro-
cura une place au College
de Fortet pour y faire fes
etudes. M. de Perefixe
ai'ant publie en \66\ un
Mandement pour faire
figner le Formulaire, dont
on etendit la fignature
jufqu'aux enfans, le jeune
Guelphe le refufa conf-
tamment, & fut meme
maltraite pour ce fujet
par le Principal du Colle-
ge nomme Turpin. Le jeu-
ne homme alors age de 15
ou 1* ans fit une relation
de ces mauvais traite-
mens, qui eft pleine de
bon fens , de modeftie &
de religion, II la termina
-ocr page 284-
l8i HlSTOIRE DE PoRT-ROlAl,
165)4. Les autres legs connftent en livres &
tableaux , qu'il donne a M, Erneffc
Ruth-d'Ans (16) , a Madame la Mar-
quife de Rouci fa ce-efme , aa fils
aine de M. du Fofle de Borrogei". II
y> Iution. Car je me per-
33 fuade qu'il ne faut
33 qu'une bonne aftion
j> dans la vie , pour erre
3) fouvent la canfe & le
33 principe de notre fa-
33 lut; & que fi Dieu -ne
3> fait la grace d'aban-
3) donner une bourfe lie
3) le peu que je puis pof-
n feder au monde , plu-
3) tor que de rien faiie
33 contre fts commsnde-
» mens, cela fervira- a
3a me purifier devantDieu
3> de routes mes fames;
3> & que-fi-faiere oppri-
33 me" par les injures &
3) les violences d'tm Pre-
33 tte, en confervant pour
33 lui le refpeft que je
3> dois a fon miniftereic
» une fincere dileflion,
33 fans troubler la chaii-
j3 te pour toutes les in-
33 jures qu'il m'a fakes,
33 elles contribueront
33 beaucoup a mon fahit
33 & a mon repos eternel.
. Le jeune Guelpbe obli-
ge de fortir du College
de Fortet, fut place au-
pres de MM. Arnauld &
Nicole qui etoienr alors
chczMadame de ILongua-
Ti'le* Son emploi aupres
de ces deux grands hom-
ines fut de tranferire leuis
ouvrsger. \\ accempa-
gna dans la fuite M. Ar-
nauld dans fes differentes
letraircs , & ne le quitta
puint, iinon qu'il revint
en France en i«S? pour
folliciter un proces.. Il
penfa y erre arrete mal-
grc la parole que M. de
Harhi lui avoir donnee
qu'il y feroit en furete.
Mais on fait que ce Prelat
etoit efclave de toute au-
tre chofe que de fa paro-
le. M. Guelpbe a'iant e-
chapp* aux Exempts, alia
rejoiudre M. Arnauld, &
nerevinten France qu'a-
pres la mort de ce grand
homme, pour accompa-
gner M. Ruth-d'Ans, qui.
appottoit fon cccur & P.R.
des_ Champs. Il refta a
Paris > 011 il demeura in-
connu , fous le nom de
M. Franijois. Il y eft more
age deyo ans le 17 juillec
171a, dans la cour ex-
terieure des Becedicrines
de la Ville-l'Eveque. Sort
corps repofe dans leut
Eglife. Hift. de la dern.
perfec. T. t. p. 5*9.
(is) Chanoine de Ste>
Guiulle de Bruxclles,
mort le '14 fevrier 1718 ,
apres une perfection dc
plusde jo ans.
-ocr page 285-
II. P A R T I E. LlV. X. lS$
marque dans fon teftament, qu'il veut i 694.
etre enterre a P. R., s'il meurt dans
le Roiaume 5 & s'il meurt en pais
etranger, il veut que fon cceur foit
apporte dans ce faint monaftere. Sa
volonte fut executee.
Le caeur de M. Arnauld fut appor- x.
re a P. R. le mardi 9 de novembre f^"/
par M. Erneft , qui eroir accompagne R.
de M. des Efforts & de M. Guelphe,
les compagnons de la retraite de cet
illuftre exile , & de Madame de
Fontpertuis executrice teftamentaire.
M. Erneft fir en prefenrant le cceur ,
devant les religieufes, qui toutes
avoient un cierge a la main, un dif-
cours auquel M. Euftace repondit
(17), apres quoi on pafla le cceur par
la grille. Le lendemain M. Erneft fit
la ceremonie de Penterrement. Ce
precieux cceur fut depofe devant l'au-
ti\ des Saintes Reliques, au bas de
celui de M. Singlin, vis-a-vis le corps
de M.de Saci. On mit danslafuiteune
pierre fepulcrale fur laquelle etoient
graves les beaux vers que Santeuil
avoir fairs fur ce fujet. Mais ces vers
occafionnerenr une fcene facheufe
pour le Poere, dans le detail de la-
(17) Votes ces deux Difcours, T. j.desM^nv
-ocr page 286-
284 HlSTOIRE DE PoRf-RdlAL.'
1694. <lue^e nous ne pouvons pas entrer.
Nous dirons feulement que les Jefui-
tes, qui , fi on les en croit, ne cher~
cheat pas a decrier les nwrts
, & ne
penfent pas a troubler leurs cendres 3
pourfuivirent jufques dans le tombeaa
le grand homme qu'ils n'avoient cerTe
de perfecuter pendant toute fa vie,
& ne pouvant fouffrir ce bel eloge ,
ils exciterent une violence tempete
contre l'Auteur. Le lache Santeuil,
effraie de Forage , eut la foiblerTe de
chanter la palinodie , & fe couvrit
d'opprobre, en defavonant des vers
qui lui faifoient honneur , & dont il
etoit reellement Auteur. II eut ce-
pendant dans la fuite du regret de fa
lachete.
xi.
           La mort de M. Arnauld avoit etc
s*f' Ffeydcaru' ptecedee de qnelques jours de celle
verms.' d'un grand ferviteur de Dieu , dont
la vie n'avoit pas moins ete eprou-
vee que la fienne ; & qui s'eft rendu
recommandable par fon zele pour la
verite , fes travaux vraiement apofto-
liques , & fon attachement a la fainte
maifon de P. R. Nous parlons de M«
Mathieu Feydeau, Dodeur de Sor-
bonne, ne a Paris l'an 1616 d'une fa-
mille illaftre dans l'Eglife & dans la
Robe. 11 avoit re§u un talent parti-
-ocr page 287-
II. Partie. Liy. X. 2S5
ciilier pour inftruire & conduire les j 7T7
ames a Dieu. II le fie valoir en dif-
ferens endroits, ou la providence Tap-
pella au miniftere : 1 °. a Sens, ou M.
Octave de Bellegarde Ie fit venir en
164 5 pour faire des conferences aux
Ordinans pendant leur retraite de
quinze jours-. 20. A Belleville pres de
Paris, ou fa reputation attira bien-
totaupres delui plufieurs Ecclefiafti-
ques , avec lefquels il vecut en com-
mun; & ou M. du Hamel Cure de S.
Merri, & M. Gillot, Docleur de Sor-
bonne lui envoi'oient des etudians en
Philofophie & en Theologie pour
prendre fes avis & faire des retraites
fouslui(18).3p. AParisdans laParoif-
fede S.Merri, oii il futchargedu cathe-
chifme fonde par le President Henne-
quin, &le fit avec un applaudifiement
&c un concours de monde extraordi-
naire. 40. A Melun , ou il fe chargea
de la dire&ion des Urfulines. C'eftici
que commencerent les epreuves de M.
Feydeau , quirecutaumois de juillet
16j 7 une lettre de cachet qui l'exi-
(18) Ce fut pour ces    des Conciles & des faints
jeunes gens que M. Fey-    Peres. Cec ouvrage con-
deau compofa fes Midi-    tribua bcaucoup i lacon-
tations fur Us principals    ver/ion du grand Prince.
obligations du chretien ,    de Conri.
tirfesde I'Ecriture fainte
-ocr page 288-
lS<J HlSTQIRE DE PoRT-ROlAI.
loit a Cahors. ( L'annee precedents
il avoir ete exclus de Sorbonne, pour
le refus d'adherer a l'injufte condam-
nation de M. Arnauld). 50. Dans le
Diocefe d'Aleth, ou il remplit la
Theologale de S. Pol de Fenouille-
des depuis le Z4 decembre 166$ juf-
2u'a la fin de l'an i<J68.- <J°.Dansle
Hocefe de Chalons-fur-Marne , ou
il gouverna avec des peines incroia-
bles & des vexations fans nombre la
Cure de Virri - le - Francois depuis
166<) jufqu'en 1676, que n'etant point
foutenu par fon Eveque, comme il
l'auroir fouhaite , il quitta au grand
regret de tous les gens de bien. 7°.
Dans le Diocefe de Beauvais, 011 M.
de Buzenval lui donna l'an 1677 la
Theologale de fon Eglife , qu'il rem-
plit a peine un an , ai'ant recu une
lettre de cachet, qui l'exiloit a Bour-
ges. Cinq ans apres il fut transfere
par une nouvelle lettre de cachet a
Annonay , petite ville du Vivares ,
011 il fe fit tellement aimer & confi-
derer , que les nouveaux convertis ,
qui demeuroient interieurement at-
taches a leurs erreurs , deputerent en
Cour pour ofFrir de batir & de doter
une Eglife, & de fe r^unir fincerement
a l'Eglife catholique} fi on leur vou-
-ocr page 289-
- IL Par tie. Liv. X. zBj
loit donner M. Feydeau pour Cure ; i gy^,
propofition qui ne fut point acceptee.
Mais ce refpe&able Pretre demeura
dans cette terre etrangere jufqu'au
24 juillet 1694 j <Iue Dxeu le delivra
de fon double exil par une more aufll
fainte que 1'avoit ete fa vie. Voici de
quelle maniere en parle M. Flambart,
ecrivant a un ami (19). » Mon tres
» cher Monfieur & pere, e'eft un or-
» phelin qui fe jetre entre vos bras,
» vous conjurant de lui fervir de
» pere. II perdit le fien il y a aujour-
» d'hui liuit jours. II eft mort com-
» me il a vecu dans une paix fi gran-
» de, qu'il fembloit qu'il allat en-
s' rrer en paradis,ou qu'il voi'oit les
» Cieux ouverts. Ilyavoit les yeux
» prefque toujours fixes. II n'a point
» manque de dire fon Office jufqu'au
" jour qu'il eft mort, quoiqu'il eut
» une fievre continue & une cruelle
" diarree pendant fix jours; il n'en a
» ete que deux Sc demi au lit. ...,
» Je ne doute point qu'il ne foit dans
» le roi'aume des Cieux , car ilafait
» ce qu'il a enfeigne aux autres. II a
" vecu dans la penitence.....II a
» cherche a fe mortifier en routes
" chofes jufqu'a la derniere maladie »
U?) Letc. du 31 ju.il, Viesedif. T. i.p. 148.
-ocr page 290-
2.88 HlSTOIRE DE PoRT-ROlAt.
» qu'il fe privoit de tout ce qu'il
» pouvoit. II me rebuta une fois que
» je lui donnois un peu de reftau-
» rant, & il me dit: Cela s'accom-
» mode-t-il avec la penitence ? Et crai-
» gnant d'etre trop a l'aife dans fon lit,
» il fe levoit malgre nous , & fe te-
» noit aflls fur le bois du lit, les pieds
» nus a terre. S'il n'avoit apprehende
» le murmure, il fe feroit etendu
» fur le plancher pour y mourir. II
» a recu les Sacremens avec tant de
>> piete & d'humilite , qu'il a tire les
s> larmes des affiftans.
» Avant que de recevoir le Saint
» Viatique, il fit fa profeflion de foi,
» & declara en particulier que fur la
» matiere de la grace il n'avoit fui-
" vi que les decifions de l'Eglife 8c
»
les fentimens des Peres, fur-tout
» de faint Auguftin «. II fut enteric
dans l'Eglife des Celeftins de Colom-
bieres. » Ces bons Religieux qui l'ai-
» merent durant fa vie, dit la lettre,
» l'aimerentjufqu'alamort, &voulu-
» rent avoir fon corps , quoiqu'il eiit
>j choifi fa fepulture dans la Paroif-
» fe«. Ilyeut deux fort beaux dif-
cours , l'un fait par le Cure , en pre-
fentantle corps fe z 5 juilletjl'autre par
le Souprieur des Celeftins en le rece-
yant,                                       Au
-ocr page 291-
II. Par tie. Liv. X. %%9
Au mois d'o&obre de cette annee, j £*,
M. de la Gran
■»
e Superieur de P. R. xn.
aiant ete nomme Ala Cure de Vil- ^Zlf '
Hers-le Bel, la communaute fe trou- pour lcchoi*
va dans l'embarras pour le choix d'un ^"^ Supc"
fucceflfeur. L'Abbeffe en ecrivit a M.
l'Archeveque , qui temoigna a M.
l'Hermite,Tun des Eccleiiaftiques de
P. R. porteur de la lettre, qu'il etoit
difpofe d'accorder la pcrfonne qu'on
propoferoit. En confequence les reli-
gieufes delibererent fur ce fujer, &:
lui propoferent le 3 novembre M. du
Tronchet Chanoine de la Sainte-Cha-
pelle, qu'elles ne connoifloient point,
mais dont on leur avoit dit beaucoup
de bien. M. de Harlai, ne le con-
noiflant point non plus ,■ chargea M.
l'Hermite de dire qu'il s'informeroit'
du fujet qu'on propofoit, & feroit
reponfe. La reponfe ne venant point,
M. Racine neveu de I'Abbefle alia
trouver le Prelat a Verfailles, & man-
da le u novembre a. fa tante , que
l'Archeveque lui avoit dit qu'il falloit
voir fi M. du Tronchet leur conve-
noit y qu'il lui avoit fait entendre qu'il
en avoit parle au Roi j qu'il s'etoit
fort etendu fur les louanges des reli-
gieufes , temoignant qu'on ne pou-
voit pas etre plus fatisfait de leur
Tome Fill.
                     N
-ocr page 292-
190 HlSTOIRE DE P0R.T-R.01AI.
i694. conduite qu'il l'etoit, & qu'il en avoit
meme plufieurs fois afliire S. M. M.
Racine ajoutoit, qu'il avoit fait fbn
poffible pour tirer une reponfe pofirive
du Prelat j mais qu'il avoit perfifte a
Iui dire que rien ne preflbit, & que
la chofe meritoit un peu de reflexion.
Enfin il finifToit fa lettre en difant,
qu'il ne lui avoit j7a.ru tn lui auatne
mauvaife intention.
Quelques jours apres , M. l'Abbe
Dongois, Chanoine de la Sainte Cha-
pelle, etant alle voir M. l'Archeve-
que , celui-ci lui demanda confidem-
ment ce qu'il penfoit de M. du Tron-
chet fon confrere. M. Dongois lui
en ai'ant dit beaucoup de bien , le Pre-
lat lui raconta le deflein qu'avoie'nt
les religieufes de P. R. de le choifir
pour leur Superieur , 8c lui dit qu'il
n'avoit aucun eloignement pour cela,
quoiqu'il n'ignorat pas que M. du
Tronchet hoiz etroitement lie avec
M. de Tillemont. M. Dongois repon-
dit qu'il ne pouvoit choifir un nieil-
leur fujet, mais qu'il doutoit que M.
du Tronchet l'acceptatj fur quoi le
Prelat dit qu'il etoit difpofe a accor-
der tel autre que les religieufes de-
manderoient, pourvii que ce ne fiit
ms un homme de cabale & d'intri-
-ocr page 293-
II. P A R T I E. 1.1V. X. 29I
gue. M. l'Archeveque permit a M. l g0 ~ x
Dongois de faire part a Monileur Ra-
cine ae la conversation qu'il avoir eue
avec lui. Ce qu'il fit, & M. Racine
en informa l'Abbefle par une lettre
du 29 novembre, dans laquelle il lui
marquoit que M. du Tronchet etoit
refolu de ne point accepter. En con-
fcquence il lui en nommoit plufieurs
autres, parmi lefquels elles pouvoient
choifir j favoir M. de la Barde , Ar-
chidiacre de Paris; M. le Cure de S.
Severin , M. le Cure de S. Merri, ce-
lui de S. Laurent. M. Racine offroit
d'en parler a M. l'Archeveque , lorf-
qu'il fauroit les intentions de la com-
munaute.
L'Abbefle ai'ant appris la refolutian Jem.
de M. duTroncher, refolut de deman- f r??T
der, avec l'avis de la communaute , dcntM deia
M. de la Barde , & I fon refus , M. ^J.01*
Carron Cure de S. Pierre aux Bceufsjr
M. Racine propofa le premier a lAr-
cheveque qui applaudit au choix , &
dit qu'il le prieroir, & meme qu'il
l'obligeroit djaccepter. M. Racine
ai'ant ajoute qu'il avoit auffi ordre de
prefenter M. le Carron , le Prelattc-
moigna qu'il lui etoit agreable. L'Ab-
befle etant informee de cette negocia-
tion,ecrivitaM.deParis,pourleremer-
Nij
-ocr page 294-
Z()l HlSTOIRE DE PoRT-ROlAt.'
cier de ce qu'il Ieur avoit accorde
M. de la Barde pour Superieur , 8c
elle le prioit de vouloir bien em-
ployer fon autorire pour l'engager a
accepter. Elle ecrivit auffi le meme
jour a M. de la Barde , le priant au
nom de la communaute de ne point
refufer a cette petite portion du trou-
f>eau de Jefus-Chrift la charite qu'elle
ui demandoit avec route l'inftance
poffible(2o).
Le refte de l'annee & les deux pre-
miers mois de la fuivante fe paffe-
rent fans recevoir de reponfe , ni de
M. de la Barde, ni de M. l'Archeve-
que. Le premier , fans refufer abfo-
luinent , fe contenta d'alleguer aux
perfonnes qui lui en parlerent dela
part des religieafes, ion age 8c fes
infirmites , & de remettre la decifion
a une entrevue avec M. l'Archeve-
que : 8c celui - ci de fon cote fe rer
tranchoir a dire , qu'il falloit qu'il
vit M. de la Barde, pour pouvoir
fio) M. de la Grange   mees fur fon compre j 8c
louedansunelettre al'Ab-    Madame de Roucy mau-
belTe de P, R. le choix   da * la fccur de Ste The-
3u'elles avoient fair de M.    refe , qu'elle [avoit ct'orh
e la Barde , qu'il dit   ginal que M. de la Barde
etreunhomme d'un rare   au ellesavoientchoifipour
merite. Cependanr il pa-   Superieur, etoit tres op-
roir que les religieufes de   poje a tout ce qui avoit
P. R, Stoient jnaljnfoi-   rapportd Uitr wfon.
-ocr page 295-
tl pAft.Tt«. Liv. % ±9}
decider. Ef faute de cette entrevue,
tout refta indecis, corame s'il leur eut
fallu faire deux ou trois cents lieues
pour fe joindre 8c s'entretenir.
Les religieufes demeurerent dans
cet etat, fans favoir de nouvelles ,
jufqu'au neuvieme de mars , que M.
le Noir leur manda ce qui s'etoit pafle
a Verfailles entre M. l'Archeveque &c
M.
Racine. Le Prelat dit a M. Ra-
cine que M. de la Barde refufoit j
a quoi M. Racine repondit qu'il lui
avoit propofe M. Carron Cure de S.
Pierre aux Bceufs, & qu'il 1'avoit eu
pour agreable. Mais l'Archeveque
changea de langage; puis il lui dit
de s'adrefler au Roi pour lui deman-
der un Superieur ; M. Racine fit fen-
tir au Prelat qu'il ne lui convenoit
pas de faire cette demande, & que
s'il la faifoit, il s'expoferoit a la rail-
lerie du Roi, qui lui demanderoit,
depuis quand il etoit devenu Direcleur
des religieufes.
Lorfque M. Racine
parla a M. l'Archeveque, il y avoit
plufieurs perfonnes dans la chambre,
entr'autres M. de SoifTons , qui ai'ant
vii M. Racine parler avec chaleur,
lui en demanda le fujet. M. Racine
le lui ai'ant dit, l'Eveque de SoifTons
repliqua en ces termes, d'autanr plus
-ocr page 296-
194 HlSTOlRI DE PoRT-ROlAt.
I ga e, remarquables, que l'evenement les ju£-
tifia ; aie^patience, lui dit-il, tie vous
prejfe\ point
; «e voie^-vous pas bien la
more peinte fur/on vifage
? Les reli-
gieufes fuivirent ce confeil & demeu-
rerent tranquilles.
xiv.
          La mort de M. de Paris fuivit de
i$&£ Ar'-P"? cette efpece de prediction ; ce
cheveque de Prelat ai'ant ete frappe le 6 aout
Paw,
          (&91 d'une apoplexie foudroi'ante ,
qui i'emporta fans qu'on put lui don-
ner aucun fecours, ni pour le corps
ni pour l'ame. Car il mourut fans
connoiflance , fans Pretre , fans
Sacremens , fans aucune affiftance
que de fes gens , de Madame de
Lefdiguieres &c de Madame fa nie-
ce.
Une fi trifle fin donna matiere a
beaucoup de difcours 6c de reflexions.
II y en eut qui remarquant que la
mort.du Prelat etoit arrivee le meme
jour (6 aout) que la mere Angelique
etoit morte en \66i , dirent que cette
fainte Abbefle l'avoit cite au tribu-
nal de Dieu au moment qu'il s'etoit
propofe de renverfer la maifon ou
elle avoit etabli la reforme. Ce qui
.eft certain , e'eft que la deftrucTrion
de P. R. des Champs etoit arretee ,
comme on le verra , & les mefures
-ocr page 297-
II. Part ie. Liv. X. 295
prifes pour 1'execution , lorfque la j^,
mort enleva M. de Harlai. On voir,
dans quelques Ecrits , qu'il ne fe
trouva perfonne parmi les Eveques
qui voulut faire une Oraifon funebre
pour lui (n). M. de Noyon, a qui
on le propofa , eluda la propofition.
Un autre repondit fechement que
deux chofes Ven etrtpechoient ,favie&
fa mart.
Les Cures de Paris eurent
defenfe non-feulement de lui faire
une Oraifon funebre , mais meme un
Service.
C'eft ce que nous apprenons par
une lettre de Madame la Marquife
de Rouci a la four Marie-Angelique
de Sainte-TIierefe , du 24 aout , oil
elle lui marque que MM. les Cures
(ill Dans les Memoi-    Trevoux, feptembrei?~j*»
res pour fervit a l'hiftoi-    page 1185.
Xe de Madame deMain- Heft vtaiqu'on lit, dans
te»on , i! eft dit que mil    le Proces verbal de l'Af-
Orateur facri ne fe char-    femblee du Clerge de 1695,
gea de I'Oraifon funebre    page 8 , que l'Oraifon fu-
deM.de Harlai. Le Jour-    nebre fut prononcee aux
nalifte de Trevoux s'inf-    Auguftins , au Service que
crit en faux contre ce fait,    fit faire l'Aflemblce. On
& s'appuie fur les pieces    trouve la meme chofe
verbaux du Clerge , dans    dans le nova Gallia Chrif-
lefquels on lit, dit-il,    liana, Tome 7, p. 187.
3> que l'Eveque de Vabres    Le refus que quelques Pre-
33 pronon^a l'eloge fune-    lats firent de fe eharget Jfc
33 bre de l'Archeveque en    ce Difcours, eft, fans dou-
33 prcfence de l'Aflemblee    te , ce qui a fait dire , que
33 meme du Cletgc de    mil Orateur facri ne fe
33 France le 1$ feptem-    chargea de l'Oraifon fu~
53 bre i«5j «. Journ. de    nebre de M. de Harlai,
N iiij
-ocr page 298-
X<)6 HlSTOIRE DE PoRT-ROlAI.
~ de Paris aiant refolu de faire tous
enfemble un Service pourM. l'Arche-
veque dans l'Eglife de Saint Paul,
avoient prie M. de Blampignon de
fe charger d'y faire I'Oraifon fune-
bre du Prelat \ mais que ce Cute ne
voulant pas accepter fans favoir la
volonte du Roi , etoit alle a Verfail-
les, 8c que le Roi lui avoit fait dire
par le Pere de la Chaife (21) , qu'il
ne falloit point faire ce Service, ni
d'Oraifon funebre. La lettre ajoute ;
» que M. de Bontems qui le rencon-
m tra, avoit dit a M. de Blampignon,
m que l'Archeveque etoit mort bien
» a propos pour empecher la ruine
w de la maifon de P. R. des Champs,
» parcequ'il avoit ete refolu de teu-
*» nir les deux maifons en une 5 8c
« qu'il n'y auroit eu que celle de Pa-
" ris qui eut fubfifte j & que toutes
" les religieufes de la maifon des
» Champs auroient ete difperfees en
" diflerens monafteres , auxquels on
" auroit donne de tres modiques pen-
" fions; que cela etoit fi bien arrete
» & refolu, qu'on alloit travailler
" inceffamment a enleve r toutes les
(ti) C'eft ainfi que les delicto tombeau , aban-
Jefuites , qui pourfui- donnent leurs amis au/fi
vent lews enncmis jufqu'au :6c qu'ils y font.
-ocr page 299-
II. Partie. Llv. X. 197
» religieufes «. line falloitpas3 conti- 1695.
nue Madame de Roucy , que ce mift-
table homme mouriit plus tard'pour
empecher fon detejlable dejfein. Vo'ie^
par-la le foin que Dieu prend de vous
proteger. Cela merite de grandes actions
de graces.
Les religieufes de P. R. de Paris
travailloient de leur cote k la mine
de P. R. des Champs. L'etat deplo-
rable de leur maifon par la diffipa-
tion des biens, depuis l'adminiftra-
tion de la fceur Dorothee , fur la-
quelle la maledi&ion de Dieu avoic
paru vifiblement, portoit ces fillesa*
remuer fans cefTe & a faire des efforts *
pour depouiller leurs fours. Voici ce
que nous en apprenons par une let-
tre de M. du Tronchai Secretaire de
Monfieur de Tillemont, du premier
fevrier mil fix cent quatre - vingt-
quinze, a la mere de Sainte - Thecle
Racine.
                                                 xv_
» En allant voir ma four a P. R. Mauvais
» de Paris, dit-il, le jour de l'Epi-r^gkufes4*
» phanie , je trouvai qu'on venoitp-R- de Pa;
» d'enterrer l'Abbeffe (13)'. Je re-«n'es c°s"e'
»
commandai x. ma four d'obferver p- R- **
c ir"             o                  Champs.-
« tout ce qui le pafleroit,'. & tout ce
(13) ta-mere Elifabeth Marguerite de Hatila,,
inone.Ie.41 Janvier !<*<>$,*
Kir
-ocr page 300-
Zp8 HlSTOIRE DE PORT-ROlAt;
» qui fe diroit, qui pourroir vous:.
» regarder, & de me le mander. Elle.
» m'ecrivit il y a huit qu dix jours ,
3) que la communaute de P. R. de
« Paris remuoit & parloit plus que
» jamais de demander aux Puiflan-
« ces que vous leur cedaffiez encore.
» de votre bien -y de quoi la feue Ab-
« befTe ne. s'etoit point voulu meler,.
» parceque , comme on me l'a dit ,.
» elle n'avoit pas vu M. de Paris dif-
« pofe a recevoir cette proposition.
" & aagir en confequence fa-4% Elles.
5> ont, continue. M. duTronchai,.
" pour Abbefle la niece (15) de. la
« defunte, dont je ne fais point ce
3> qu'on peut efperer ni eraindre. Ce
« qui eft certain j c'eft que la maifon
» eft ruinee & ne fubfifte que par les
» penfionnaires, qui ruinentde fond
m en comble le fpirituel, en differ
" rant un peu la mine entiere du
» temporel. Les raifons fur lefquelles
» elles fondent leurs pretentions,.
(14) M. de Harlai a-    i6«9, lorfqu'iine mott
voit change de difpofi-   fubite rompit tous fts
tion. depuis, puifqu'il e-   defleins.
toit fur le point de ruiner
        (15) Marie Anne de
ift rnaifon. des Champs,   Harlai, qui etoit Prieuro>
foit, en: difperfani routes   de Saint-Auhin pixs,de.
les. religie.ufes,. foit en    Gournay, & que l'Arche-
revenant contre le par-   veque fon oncle avoit fails
wge- des, Jjiens. fajt, en   aconmer,
-ocr page 301-
M.......:"
II. Partie. L'iv. X. 19 9
» font , comme ma fceur me le mar- 16y
»
que, que la part du bien qu'elles
» ont eue n'etoit pas fi bien emplacee
» que la votre,d'un revenu ni fi Son ni
» ft durable j qu'elles n'avoient pref-
» que que des maifons , qui font d'un
» grand entretien & d'un petit reve-
» nu , qui diminue encore tous les-
» jours j qu'enfin votre communaute
" eft beaucoup diminuee, qu'il n'y a
« plus que peu de religieufes dans
" votre maifon , & que pour elles ,
» elles font en grand n ombre prefen-
" tement. De femblables raifons ne
■» feront jamais recues par qui que ce
» foit qui ait encore de l'equite j &
» eependant je connois des perfon-.
" nes de consideration, qui croient
» que ces religieufes feront revues a
" un nouveau partage. Je ne puis me
" le perfuader , & je prie Dieu que
». je ne fois pas trompe «.
Tout paroiftbit annoncer la ruine
de P. R. des Champs : ce n'etoit pas
un myftere; le bruit en etoit public,
on en eut encore de nouvelles preuves
apres la mort de eelui, qui devoit
employer toute fon autorite 8c tout
fon credit pour l'executipn de ce fu-
nefte deftein. Mais le moment de cet
horrible fcandale n'etoit point encore
-ocr page 302-
_________ 3 00 HlSTOIRE DE PoRT-ROlAt.
i<jpj, arrive: ce fut, qui I'aufoit cm ! fous
le fuccefleur de M. de Harlai que
Dieu permit qu'il arrivar. Mais ne
prevenons pas les temps; 8c detour-
nons plutot nos yeux d'un fi trifle ob-
jet.
xvi.
         M. deNoaillesEvequedeChalons--
j«'fuccede 'i fur-Marne, fut choifi par leRoi, le
M. de Har- 1Q d'aout, pour fucceder a M. de.
Harlai. Tout le monde applaudit a ce
choix, 8c concur les plus flatteufes
efperances, fur-tout les petfonnes bien
intentionnees pour P. K, des Champs.
Madame de Rouci ecrivant a la fceur
Marie de S£e Therefe , lui en parloit
ainfi : » Dieu merci , nous avons un
« digne Archeveque, 8c on a tout lieu
* d'efperer qu'il fe conduira en vrai
» Pafteur«.Les religieufes de P.R. des
Champs fe nouriflbient encore plus
qu'aucunes autres de l'efperance de
mener une vie tranquille, 8c de fervir
Dieu dans la paix fous le fage gouver-
nement du nouvel Archeveque. M.
Racine lui rendit vifite &c lui prefenta
. les refpects de route la communaute.
Le meme jour 30 aout, il ecrivit la
lettre fuivante a fa refpedtable tanre,
pour liii en rendre compte.
» J'ai eu l'honneur de voir, ma
» tr.es, chere tante, M. r Archeveque
-ocr page 303-
II. Parti e. Liv. X. ;o i
» de Paris, & de I'afliirer de vos tres 169 5.
» humbles refpe&s & de ceux de vo- xvn.
c T 1 • • J ■        *                  Letrre cle M-
» tre maiion. Je lui ai cut meme rou- Racine i
» tes les actions de graces que vous PAbbdfe de
» aviez rendues a Lheu , pour avoir K,
" donne a fort Eglife un Prelat felon
» fon cceur. II a recu tout cela avet
» une bonte extraordinaire. II m'a
» charge d'affurer votre maifon qu'il
» l'eftimoit tres parti culierement, me*
w repetant plufieurs fois qu'il efpe-
» roit vous en donner des marques.
» dans tout ce qui dependroit de lui.,
» Enfuite je lui ai rendu compte de
" toutes les demarches que vous aviez
» faites aupres de fon predeceffeur
four obtenir de lui un Superieur.
e ne lui ai rien cache de tous les
» entretiens que j'avois eus avec lui
» fur ce fujet, & du defTein que vous
» aviez eu enfin de lui demander
» M. le Cure de S. Severin. II me dit
» que le choix etoit tres bon , & que
» c'etoit un ties vertueux Ecclefiaf-
» tique. Je lui ai demande la-defliis
» fon confeil, fur la conduite que
» vous aviez a tenir en cette occa-
» lion ,: & lui ai dit que comme vous
" aviez une extreme confiance en fa
« juftice & en fa bonte, vous pen-
»* fiez: ne: devoir rien faire, fans fon
-ocr page 304-
jfoi Histoire'be Port-roiae*.
J 69 5. » avis j que d'ailleurs n'etant pas tout>
» a-fait preifces d'avoir un Supe-
» rieur, vous aimeriez bien autant
» attendre qu'il efit fes Bulles , s'il
n le jugeoit a propos , arm de vous
» adrerTer a lui-meme. II m'a repon-
» du en fouriant, qu'il eroioit en
« effet que vous feriez bien de ne
» vous point prefer , & de demeurer
» comme vous etiez , en attendant
» qu'il put lui - meme fuppleer aux
j> befoins de votre maifon. Je lui te-
» moignai l'apprehenfion oii vous
» etiez, que des perfonnes feculieres
n ne prilTent ce tems-ci pour obtenir
a des permiflions d'entrer chez vous.
» II loua extremement votre fagefle
w dans, cette occafion, & m'afliira
« qu'il feconderoit de tout fon pou-
•» voir votre zele pour la regularite,
» laquelle ne s'accordoit pas avec ces
» fortes de viiites. Je lui demandai
« s'il ne trouveroit pas bon, au cas
» qu'on importunac Meflieurs les
« Grands-Vicaires pour de fembla^
» bles permiflions , que vous vous
* » fervifliez de fon nom, & que vous.
» fifliez entendre a ees Meflieurs,
» que ce n'etoit point fon intention
» qu'on en donnat a perfonne. II re-
* pandit , qu'il vouloit ties biem
-ocr page 305-
II. P A R T I E. L'lV. X.       JOJ
que vous fiffiez connoitre fes fen- KS5-.5,
» timens la-defiTus, fi vous jugiez
» qu'il en fut befoin. Je lui dis enfin
» que vous aviez deflein de lui en-
» voi'er M. Euftace votre Confeffeur.
» II me dit que cela etoit inutile -%
» qu'il etoit perfuade de tout ce que
» je lui avois dit de votre part : if
» ajouta encore une fois en me quit-
s' tant, que votre maifon feroit con-
» tente de lui. Je crois en effet, ma
» tres chere tante , que vous avez
» tout lieu d'etre en repos. Je fais
» meme par des perfonnes qui con—
» noiflent a fond fes fentimens, qu'il
»» eft tres refolu de vous rendre jufti-
»- ce j mais ces perfonnes vous con-
» feillent de le laiffer faire , & de*
» ne point temoigner au public urtc
•• joie &: un empreiTement, qui ne:
» ferviroient qu'a le mettre hors d'e-
» tat d'executer fes bonnes inten-
» tions. Je fais qu'il n'eft pas befoin
» de vous donner de tels avis, 8c
»
qu'on pent sven repofer fur votre
» extreme moderation. Mais on craint
» avec raifon l'indifcrete joie de quel-
» ques-uns de vos amis & de vos
» amies , a qui on ne peut trop re-'
-" commander degarder un profond
«• filence fur tomes vds affaires, &e,T
-ocr page 306-
J04 HlSTOTRE DE PoRT-ROlAL.
169 $• Quoique M. Racine eut rendu vi-
xviii. fite a M. de Noailles de la part de
«eligieufts de l'Abbefle & de la communaute de
s.R.iM.dep. R- ^es Champs , elles crurent
neanmoins devoir lui rendre leurs de-
voirs par elles-memes, en lui ecri-
vant la lettre fuivante, qui lui fut
remife le 10 de feptembre par M.
l'Hermite. » La bonte avec laquelle
» M. Racine nous a appris que Votre
» Grandeur a regu fes aflurances
» qu'il vous a donnees de nos tres
5> profonds refpecTrs, nous oblige,
» pour n'en etre pas ingrates , de vous
» temoigner notre tres humble re-
» connoiflance , aulli-bien que la joie
» extreme, ou nous fommesd'avoir
" pour Superieur & pour Pere, un
" Prelat de votre piete , de votre lu-
» miere & de votre equite. Nous en
» rendons tous les jours de conri-
« nuelles adtions de graces a Dieu ,
» qui a accorde a nos vceux & a nos
» larmes cette confolation , dont vous
» favez , Monfeigneur , qu'il y a
» long-tems que nous avons befoin.
» Et nous n'avons autre defir que de
■»■ nous rendre dignes des avantages
» que nous avons tout fujet d'en ef-
» perer par notre entiere obeiflance
■m & degebdance de, Y, G. , pat la
-ocr page 307-
II. Par.tie. Liv. X. $05
» fincerite, la confiance & le ref- 1695.
» peel: , avec lefquels nous agirons
» avec vous , Monfeigneur, & par
« les prieres continuelles que nous
« ferons pour votre confervation , &c
» pour attirer fur votre perfonne fa-
» cree & fur votre miniftere , les
» graces & les benedictions du ciel.
» Ce font les voeux de vos tres
» humbles & tres obeiftantes filles &
» fervantes, l'Abbeffe , Prieure, &
» Religieufes de P. R. des Champs.
M. de Noailles repondit tres obli- Rl?^JVede
geamment par une lettre datee deM. deNoaii-
Chalons du 21 feptembre. » Ma re-
« verende Mere 8c mes tres honorees
» Sceurs x M. Racine a pu non-feule-
». ment vous aflurer du plaifir, avec
" lequel j'ai recu vos complimens ,
» mais auffi de la difpoiltion 011 je
» fuis de traiter votre monaftere avec
" toute l'eftime & la diftincTdon qu'il
». merite. Je ne perdrai point d'oc-
» cafion de vous en donner des preu-
» ves effectives 5 je vous demandeen
» recompenfe le fecours de vos prie-
* res -y vous favez combien elles me
» font neceilaires, par l'importance
» & la faintete du miniftere dont je
»* vais etre charge. Mais vous ne
" connoiftez point ma foiblefle per-
-ocr page 308-
$06 HlSTOIRE DE PoRT-ROlAl.
" 169c, » fonnelle , qui augrhente mes ba-
» foins. Offrez-les done, je vous
» conjure, fouvent aNotre-Seigneur ;
» & loi'ez perfuadees que ]e fuis avec
» beaucoup de conflderation & de
» fincerite , &c.
Lorfque M. de Noailles eut pris
pofleflion de fon Archeveche, l'Ab-
befle de P. R. ecrivit le 21 novembre
la lettre fuivante au nom de la com-
munaute.
xx.
            Gloire a Jefus au S. Sacrement.
J-CtTVC uCS
xcliglcu'cs £ » Monfeigneur, nous n'avons pas
M.deNoaii-,, fa j premieres a afliirer V.G.
les fur fa pti-                           r .
fe de poflef*»   de la parraite ioumiilton dans la-
»  quelle nous efperons que Dieu nous
»  fera la grace de vivre toujours fous
»   l'autorite dont il a plu a Jefus-
»  Chrift de revetir votre perfonne fa-
"  cree pour le gouvernement de l'E-
»  glife. Mais nous pouvons bien vous
«  aflurer, Monfeigneur , que nous
-v>   n'avons pas ete les dernieres a te~ ■
"  mojgner a Dieunotre reconnoiflan-
»   ce pour la grace qu'il nous a fake
»  de nous mettre entre les mains d'un
»  Pafleur qu'il a choifi felon fon coeur
»   & qu'il a rempli de fon efprit.
«  Nous aurions eu quelque crainte
»  que notre empreflement ne vous
»  eut ete importun , fi nous euflions
-ocr page 309-
II. P ARTIE. L'lV. X. JO?
» pris la liberte de vous aborder &c j
» de vous rendrenos devoirs dans un
» tems, 011 vous etiez environne de
" tant de grand monde, & occupe de
" tant d'affaires importantes. Mais
» comme Dieu regarde plus le don
" du coeur que celui des mains , nous
» n'avons point doute que vous ne
" vous contentaffiez davantage du
" facrifice interieur de louange &c
»
d'action de graces que nous lui
» avons. offert pour votre prife de
» pofTeflion , avec celui de nos cceurs
» & de nos volontes que nous lui
" prefenterons tous les jours de notre
" vie dans I'obeifTance que nous
" rendrons avec le fecours de fa mi-
» fericorde a votre autorite ; que de
» tousles temoignages & de toutes les
» alTurances que nous vous pour-
» rions donner des fentimens ou
» Dieu nous a mifes. Perfonne n'eft
» mieux inftruit de nos veritables
» difpofitions ^ que M. Euftace notre
» ConfeiTeur, qui nous connoit de-
" puis long-tems j & nous 1'avons
" charge , Monfeigneur, de prendre
« la liberte de vous en aller infor-
»» mer , au meme tems qu'il va rece-
" voir la million qu'il plaira a V. G.
*»■ de lui donner pour notre conduits*
-ocr page 310-
JO? HlStOIRE DE Poft.T-R.01At,
1695. » Nous nous jettons routes a vos pies,
« Monfeigneur, pour vous fupplier
» tres humblement de nous donner
» votre benediction Paftorale, en
» attendant les graces du ciel que
» nous efperons par votre miniftere
» facre, lorfqu'il plaira au Seigneur
» de vous infpirer le mouvement, 8c
» de vous donner le terns de vifiter
» un troupeau , qui ne defire rien
jj tanr que d'etre parfaitement con-
» nu de fon Pafteur, & d'entendre
» fa voix pour la fuivre avec toute
» la fidelite qui lui fera poffible. Et
» pour mon particulier, je ferai tou-
" te ma vie avec un tres profond ref-
Xxt. " Pe<^-»Monfeigneur, de V. G. &c,
m. Nicole •, Pendant que les religieufes de P. R.
ftX^ft' des ChamPs "oient dans la joie de
»alcns. voir fur le Siege de Paris un Prelat
fur la fagelTe duquel elles fondoient
de grandes efperances , elles eurent
la douleur de perdre un de leurs meil-
leurs amis 8c
de leurs plus genereux
defenfeurs ,
par la mort du celebre M.
Nicole fiS)", qui avoit partage avec
le grand Arnauld la gloire de tant de
combats & de tant de vi&oires rem-
portees fur les difciples de Calvin 8c
de Pelage , 8c qui a rendu a l'Eglife
(16) Voicz le Nect. de P. R.. p. 4!f > 4is
-ocr page 311-
II. Par tie. Liv. X. $09
des fervices fi importans par tantde nj„,"
folides ecrits. Ce favant homme etoit
          *
ne aChartres le 19 o&obre KJ25 ,de
Jean Nicole Avocat au Parlement de
Paris , Chambrier de la Chambre Ec-
clefiaftique de Chartres, & deLouife
Coufteau (27). II apporra en naiflant
de fi grandes difpofitions pour les
fciences, tant de penetration d'efprir,
& une memoire fi heureufe , qu'a
l%e de 14 ans il avoit acheve le
coups ordinaire des humanites > & lu
tous les livres grecs & latin , qui
etoient en bon nombredans labiblio-
theque de fon Pere. En lifant ces Au-
teurs ■, Dieu lui fit la grace de detef-
ter des fon bas age tout ce qu'il y
reconnut de contraire a la faintete du
Chriftianifme. Ainfi la Providence
qui le deftinoit a eclairer & edifier
l'Eglife, voulut qu'il s'enrichit des
depouilles des Egyptiens fans en pren-
dre les vices,
II vint a Paris en 1642 , pour etu- xxii.
dierla Pnilofophie &la Theoloeie; S?-,fa?dc£.<fc
il.r                  \ r a         ,.         ;o ) Pnilofophie
" y rut re$u Maitre es Arts le 23 & de tWo-
judlet 1644. Son genie naturellementl08ieiPatis-
profond & porte a la reflexion s'ac-
comniodoit beaucoup des etudes ou
tjt(tll YOI'ez Ia vie de fes outrages , p»r M«
M- Nifok & 1'hittojrc dc 1'AbW Soujcc en >7fi.
-ocr page 312-
3IO HlSTOIRE DE PoRT-Ro'lAt.
ifo*m le raifonnement a plus de part que?
Pimagination. Ce fut vers Tan 1645
que M. Nicole commenca a connoi-
tre P. R. ou il avoit deux tantes,
dont Tune etoit la fainte mere des
Anges Suireau. II fe lia bientot avec
les favans & pieux Solitaires de ce
defert, & devint leur ami & l'objet
de leur eftime.
xxm. En 164 5 & 1646 il etudia en Sor-
11 audie u bonne fous M. le Moine & M. de
JaM°l«e«itsSainte-Beuve , & continua fon cours
4* s. Augur- fous M, ie Maltre , Do&eur de la
Thomas, il Maifon de Navarre. Pendant ce terns
litjaufenius. [[ s'appliqua a l'hebreu & au grec.
Mais comme cette etude affoibliflbit
fa vue, il la quitta pour fe livrer
entierement a celle de la Theologie,
qu'il etudia principalement dans les
ecrits de faint Auguftin & de faint
Thomas, dont il s'eft toujours dit
depuis le fidele difciple. II etoit
charme de la folidite de la doctrine de
ce faint Dodeur &; de l'enchaine-
jment- admirable de fes principes.
Cell pourquoi il prit parti contre le
Do&eur le Moine , embrafTant les
fentimens de M. de Sainte-Beuve,
qui le dirigeoit dans fes etudes. Il
avoit deja tout lu les ecrits de faint
Auguftin fur la grace , & lifoit ac-
-ocr page 313-
m
II. P A R T I E. L'lV. X.       $ 11
tuellement Janfenius , confrontant Tt '
exactement tous res paffages de faint
Auguftin, de faint Thomas & des
autres Peres. II les trouva tous fans
exception conformes au fens 8c a la
iettre des originaux. Les marges de
Pexemplaire de Janfenius , dont il fe
fervit, font chargees de notes qui
font la preuve de la folidire de fon
efprit tk de Ja grande application
avec laquelle il avoit lu cet ouvra-
ge. Ajoutons qu'elles font egalement
la preuve de Pinnocence de Janfenius.
Parmi tous cenx qui ont foufcrit a la
condamnation de ce Prelat ii celebre,
en eft-il un feul qui ait lu fon ou-
vrage avec une femblable applica-
tion? En eft-il un feul, dont le te-,
moignage puifle ctre mis en parallele
avec celui de M. Nicole ?
M. Nicole, apres avoir fini fes ,?XI/."
' r . .               . . Il cnfeigne
trois annees , ioutint la tentative le les humaai-
17 juin 1649 , qu'il dedia par d#&-£,Xto
rence pour M. fon pere a 1 Eveque rfe p. r. ; il
deChames (PEfcot) Pedant. qa'il £ «£*g
etudioit en Theologie, ildonnoit une de m sm-
partie de fon terns aux petites ecoles |m. Amauld
de P. R. etablies parM. de S. Cyran , pour la de-
qui fe tenoient d'abord dans une mai- ^"^
p ion de M. Lambert, beaufrere de M.
HameUn iituee au cubde-fac de la
-ocr page 314-
JIZ HlSTOIRE BE PoRT-ROlAt.
rue d'Enfer, M. Nicole fut un des
firemiers maitres de ces celebres eco-
es, & y enfeignoit les Humanitee
avec M. Lancelot (18). Ce furcroit
d'occupation ne l'empecha pas de fe
preparer a la Licence. Mais les dis-
putes qui furvinrent au fujet du Li-
vre de Janfenius, le determinerent
a y renoncer. II fit plus , il fe mit
fous la conduite de M. Singlin , & fe
retira a P. R. ou il embrafla la peni-
tence 8c le genre de vie des Solitai-
res. Dieu qui vouloit faire de lui un
zele defenfeur de fon Eglife, l'envoi'a
paffer quelques annees dans cette
divine folitude , pour y puifer dans la
lecture des livres faints & des Peres,
la fcience qui lui etoit neceflaire,
pour s'y affermir dans la piete qui
doit etre inseparable de la fcience,
& s'y preparer aux combats qu'il de-
voit foutenir pour la defenfe de la
verite. Ce fut la que le grand Ar-
nauld , dont la plume , quelque fecon-
de qu'elle fut , ne pouvoit fuflfire feule
a tous les ecrits que la neceffite ou
(18) M. Claude Lan-   aas , a QuintperlS ou il
celot religieux Benedic-   etoit exile. Vqi'ez ce que
tin de l'Abbai'e de Saint   nous en avons dit,T. %.
Cyran, eft raort la meme    p. 444. it. du Foil. Mem.
annee que M. Nicole le   p. 90,91. it. Font. Mem.
jj avtil 16?5 age de 7?    X. U p. 487, 489-          f
l'utilitc
-ocr page 315-
II. Partie. Liv. X. 31^
l'utilite demandoit dc lui, alia Tan"~x"^c,
1 <J 5 4 trouver cet homme fi proprea
lui preter le collet dans fes glorieux
travaux. Ces deux grands genies fe
communiquerent leur lumiere , 8c
fe lierent tellement pour la com-
position des ecrits , que Monfieur Ar-
nauld n'en fit aucun dans la grande
affaire de 165 5, auquel l'autre n'eut
part. M. Nicole quitta raeme P. R.
fur la fin de cette annee (165 5) pour
etre plus a portee de fecourir M. Ar-
nauld. Quoique d'une fante ttes de-
licate & fujet a plufieurs infirmites ,
il eut prefque toujours la plume en
main, foit pour combattre Ies enne-
mis de la verite, foit pour defendre
l'innocence , foit pour inftruire les
fideles par des ecrits excellens qui ont
rendu Ion nom immortel.
Quelle vafte matiere, s'il nous etoit
permis d'entrer ici dans le detail des
productions d'une fi feconde plume!
mais il faut fe renfermer dans les juf-
tes bornes que nous prefcrit la na-
ture de notre ouvrage.
L'amour que M. Nicole avoir pour
la folitude , le ramena l'an 167 2 dans
le defertdeP. R. ou il eut laconfola-
tion de trouver Meffieurs Arnauld, de
Sanite-Marthe3de Saci, & M. Hamon,
Tome Fill                   O
-ocr page 316-
JI4 HlSTOIRE DE PoRT-ROlAI..
169<>. dont il refpectoit beaucoup les lu-
mieres & la faintete. II recherchoit
par preference la converfarion de ce
faint honime , & convenoit qu'il com-
pofoit plus facilement fur la morale
lorfqu'il s'etoit entretenu avec lui.
xxv.
         M. Nicole n'etoit que Clerc ton-
vovLe^Ai"" ^ur^ ? & comme on le pfeflbit de re-.
pouL- conful- cevoir les ordres facres ,ilfit un voi'a-
tyc4ee.faiWge a Met Tan 1676 pour confulter le
faint Eveque qui etoit fon confeil. La
decifion fut que M. Nicole devoit
regarder le refus que TEveque de
Cnartres faifoit d'y donner fon con-
fentement , comme un trait de la Pro-
vidence , qui en permettant cet obfta-
cle , fembloit lui dire qu'il devoit
s'arreter dans le rang oii il fe trouvoit
place. M. Nicole fut charme de la
decifion. II re^ut la benediction da
faint Eveque, & alia enfuite a Gre-
noble , ou il fut bien recu par M. le
Cardinal le Camus , qui l'accompa-
gna lui-meme a la grande Chartreufe.
II vifita avec beaucoup de devotion la
grotte de faint Bruno.
L'annee fuivante, M. Nicole ai'ant
prete fa plume a Meffieurs d'Arras 8c
de S. Pons, qui vouloient ecrire a
Innocent XI fur le relachement des
Cafuiftes, cela attira un grand orage
-ocr page 317-
II. P A R T I E. LlV. X. J I 5
fur l'Auteur de la letrre & fur M. Ar- i6iX'.
nauld. L'un & Fautre fachant a quels
homines ils avoient a faire, prirent le
parti de fe retirer. M. Nicole alia
d'abord dans fa patrie, & de la a
Troyes , ou il eut la fatisfa&ion de
voir que fa longue perfeverance avoit
triomphe des obftacles formes con ore
rerabliffeinent qu'il vouloit faire de
petites ecoles de filles. Dieu repandit
fa benediction fur cet etabliiiement
qui a fait beaucoup de fruits depuis
ce tems jufqu'a 1'an 1750, que M.
Poncet de la Riviere l'a detruit (19)'
Apres la mort de Madame de Lon- xxvi.
gueville en 1 679 , M. Nicole voi'antI[ reftft d'ac-
Forage fondre fur P. R. fortit de M^fmuid
France, & alia a Bruxelles , ou M. Ar- dans fa «-
ii-i                      1            c          \ tralte. Sa let-
nauld vint le trouver le neur ou le tre ^ M. da
dix de juillet, & lui propofa depaffer H*rlM> <)««
enfemble en Hollande pour fe fouf- chagrin.
traire a. la perfecution. Mais il n'ac-
cepta pas cette offre,parceque fa fante
ne le lui permettoit pas , &il prit la
refolution de revenir a Paris. Mais
fachant que M. de Harlai etoit pre-
venu contre lui , il lui ecrivit une
lettre qui eut de facheufes fuites.
LArcheveque la fit beaucoup valoir ,
(ij) Voi'ez les Nolly. Ecclcf.
Oij
-ocr page 318-
3 I (J HlSTOIRE DE PoRT-ROlAt.
comme fi c'eiit ete un a&e de repen-
tir de la part de l'auteur. Les enne-
mis publierent que M. Nicole avoit
fait abjuration de l'herefie & retradc
tous fes ecrits. Mais ce qui l'affligea
le plus, ce fut d'apprendte que des
perfonnes qui ne lui etoient pas op-
pofees , pretendoient que par fa lettre
a M. de Harlai il avoit demande par-
don de celle qu'il avoit faite pour les
deux Eveques, & de tous fes ecrits ;
qu'il avoit abandonne la caufe des
religieufesde P. R. &c. II fut fenuble*
ment touche de ces accufations con-
tre lefquelles il s'infcrivit en faux,
les traitant de calomnies , &c temoi^-
gnant qu'il etoit toujours plein de
refpecl: & de veneration pour les re-
ligieufes de P. R. II etoit pour lors
retire dans l'Abbai'e d'Orval, ou il
fut accable d'une multitude de letr-
tres qui l'empecherent de dormir pen-
dant quinze jours. Les remedes &
l'opium meme ne purent lui rendre
le fommeil. II fit dans ce terns un
ecrit en forme d'apologie ou il repoiv
doit a. toutes les raifons alleguees con-
tre lui. Son deflein n'eroit point de
Je publier pour fa juftification, mais
uniquement pour fe procurer du fom-
meil f en quoi il reuffit. C'eft ce qu'il
-ocr page 319-
II. Partie. L'iv. X. 317 ______
manda a Un ami qui avoir ete al- 1695.
larme de cet e^crit par la crainre
de quelque divifion. Monileuf Ni-
cole lui ecrivir que fon intention
etoir de fe procurer du fommeil j &
ajoutoir agreablement que c'efi une
intention jort legitime que de vouloir
dormir.
Enfin M. Nicole revint a Paris le xxvil.
40 de mai 1683 , en verm d'une per- ftrenaunaVec
miffion de M. l'Archeveque , que M. m. Amauld
Roberr Chanoine de Paris avoir ob- UI *8UCC'
tenue du Prelat a force de follicita-
tions , & qu'il avoir fignee le 17 de
ce mois. Vers l'an 1690 , il s'eleva
enrre M. Arnauld & M. Nicole une
difpute fur la grace generate. Ce dif-r
ferend eft bien«propre a convaincre
tour liomme railonnable , que la ve-
rire feule & l'interet de l'Eglife a-
voient uni Meffieurs de P. R., &en
particulier M. Arnauld & M. Nicole
dans les points eflentiels de la doc-
trine de la grace qu'ils onr foutenue
Tun & l'aurre avec tant de lumiere
& de folidite (30).
Depuis long - tems M. Nicole me-
noit une vie fort languifTante : le 11
(30) Vo'i'ez dans la vie l'origine decette difpute,
de M. Nicole , feconde 8c en quoi coniiftoit la
panic, ch. xix p. i?j , fyftcrac de M. Nicole,
O iij
-ocr page 320-
3 Tt 8 HlSTOIRE DE PoRT-ROlAT..
1695. novembre il fut attaque d'une efpece
Xsa^nI'' d'apoplexie , qui ne lui ota ni la pre-
majadie, fa fence d'efprit ni 1'ufage de la parole.
mon-
         Le malade fut promptement fecouru;
mais l'heure etoit venue , oil ce fervi-
teur de Dieu devoit recevoir la recom-
penfe de fes travaux. II demanda &c
recur le meine jour les Sacremens de
l'Eglife avec toute la foi & route la
ferveur qu'il avoit fait paroitre pen-
danr fa vie. II conferva la liberte de
l'efprit & de la parole pendant tout
le terns de fa maladie qui fut de fix
jours , & donna des marques de la
piete la plus tendre jufqu'au dernier
foupir. Ce fut le 1 <S novembre 169 5 ,
Une heure apres midi, que M. Ni-
cole mourut age de foixante-dix ans.
Son corps fut expofe dans la cour des
f eligieufes de la Creche oil il logeoit,
avec toute la decoration qui conve-
noit a fon merite & a fa reputation ,
& enfuite inhume d S. Medard au
bas de la grande porte du chccur. II
avoit charge de vive voix fon Exe-
cuteur teftamentaire de porter fon
cceur a P. R. des Champs pour y etre
reuni a celui de M. Arnauld. Ce qui
ne fut point execute , parceque la per-
fonne fut avertie trop tard. M. Ni-
cole avoit legue par fon teftament
-ocr page 321-
Hi Par.tie. Liv. Jt. $19
cinq cents livres aux religieufes , les
priant de fe fouvenir de lui dans leurs
prieres : j'y ai , dir41, une confiance
paniculiere par I'eflime de la piitifolide
que j'ai toujours.reconnue dans ces re-
ligieufes.
Depuis long-tems ces" faintes filles
etoient fans Superieur, quoiqu'elles
euflfent fait plufieurs demarches fous
M. de Harlai & fous M. de Noailles
pour en avoir uiv.elles penferent des le
commencement de l'annee 1696 a re-
nouveller leurs demandes. Comme
l'election de 1'AbbelTe devoir fe faire
au mois de fevrier, & qu'elles avoient
jette les yeux fur M. de la Roynette,
l'homme de confiance de M. l'Arche-
veque, elles crurent, de l'avis de leurs
anus , qu'elles feroient bien de prier
le Prelat d'envoi'er ce Grand-Vicaire
pour prefider a l'election , parceque
ce feroit une occafion pour elles de
le voir, & d'avoir au moins par elles-
memes quelque connoiffance de fa
perfonne , avant que de fe determiner.
M. Racine en fit la propofition a M.
de Paris, qui la re^ut fort bien , &
parla d'une maniere tres avantageufe
du Grand - Vicaire , qui avoir beau-
coup fervi le Diocefe de Chalons (31).
(;') M. Simon de la Roynetre , Pretre , Dofteuc
O iiij
-ocr page 322-
J10 HlSTOIRE DE PoRT-ROlAl..
1696. W a^a enfuite voir M. de la Roynette j
avec lequel il eut 1111 long entretien,
dont il fut tres fatisfait. II en rendit
compte a l'Abbefle fa tante par une
letrre du 3 o Janvier, ou il lui marqua
qu'il avoir vu M. de la Roynetre, qui
eroir une de fes plus anciennes con-
noiffances, qu'il lui avoir parli avec
un grand, fentiment d'ejlime & de ve-
neration de la maifon & pour toutes
les perfonnes dont la mimoire y ejl
chere. J'ai tout lieu de croire,
ajoutoir
M. Racine , que vous fere\ auffi/atis-
faite de lui} qu'il efpere etre edifie1 de
toute la communauti.
xxix.
         M. de la Roynette alia done a P. R.
fcE^teniu- fe 4 fevrier, accompagne de M. de
«inepourAb- Vaux & de Madame de Fontpertuis ,
w-fc
          & affifta le lendemain a l'eleftion j il
y parla fort bien, 8c afTez long-tems
quoiqu'il fut incommode. La mere
Agnes de Sainte - Thecle Racine fut
continuee par les vocales qui fe trou^
voient alors reduites a une quaran-
taine. Quelques jours apres, elle ecri-
vit a M. Racine fon neveu, que toute
la communaute 6k; elle avoient ete il
fatisfaites & edifiees de M. le Grand-
en Theologie de la Facul- Haute-fontaine , avoit ete
te d« Paris, de la maifon douze ans Cure de Joinr
8c fociete de Sorbonne , ville , & enfuite Grand
Abbe de Notre-Dame de Vicaire de Chalons,
-ocr page 323-
II. Partie. Liv. X. 311
Vicaire ,qu'elles ne croi'oient pas pou- 16<)6.
voir faire 1111 meilleur choix que ce-
lui de fa perfonne, pour leur Supe-
rieur : c'eft pourquoi elle le fupplioit
cle le demander a M. de Paris au nom
de la communaute. M. Racine ne
man qua point de s'acquitter de fa
con-.miffion, etant alle trouver M. de
Paris, qui lui demanda auffi-tot fi les
religieufes etoient auffi fatisfaites du
Grand-Vicaire , qu'il l'etoit d'elles.
II fut aife a M. Racine de repondre
a cette queftion , & pour montrer
combien les religieufes etoient fatis-
faites , il prefenta a M. de Noailles
la lettre qu'il avoit recue a ce fujet,
par laquelle toute la communaute le
demandoit pour Superieur. Mais le
Prelat ne donna aucune reponfe po-
fitive fur la demande des religieufes.
M. Racine rendit compte a fa tante
de ce qui s'etoit palfe entre lui 8c
M. l'Archeveque par une lettre du
14 fevrier. Quelques jours apres y il
rendit vifite a M. de la Roynette,
& ecrivit le 19 fevrier a. FAbbeife ,
" que tout ce qu'il pouvoit lui en
» dire > etoit qu'il faifoit beaucoup
" de voeux pour le retabliifement de
» la maifon , qu'il croi'oit meme que
» le bien de l'Eglife voudroit qu'oa
-ocr page 324-
$%t HlSTOIRE DE PoRT-ROlAt.
lCj6. " y put elever la jeunefTe comme on
» faifoit autrefois j & qu'il deplo-
» roit la maniere peu chretienne dont
*> elle etoit elevee dans la pluparc
» des maifons religieufes«. M. Ra-
cine ajoutoit que le Grand-Vicaire „
» avec cela ne laiflblt pas d'etre fen-
» fible a cette terreur univerfelle, qui
» avoit frappe tous les efprits & qui
" leur faifoit craindre de pafTer pour
» etre favorable a une maifon qui
» avoit des ennemis fi puiflans«. M,
Racine tacha de le raflurer, en lui di-
fant: » qu'on#pourroit prendre des
" biais , qui le mettroient a couvert
» de tout foup$on «.
xxx.
          Vers la fin du mois de fevrier , M.
m. de la Racine fit prefenter a M. de Paris
gtoeur de par la DuchefTe de Noailles beile-
vh
R* des foeur du Prelat, un memoire dans le-
quel il lui marquoit que » les reli-
« gieufes de P. R. perfeveroient a de-
» mander M. de la Roynette pour
« Superieur ; ou du moins qu'il lui
» ordonnat d!en faire les fonctions ,
» fans en avoir le titre, fi Ton ju-
" geoit que ce titre put lui faire tort
*• dans l'efprit des perfonnes preve-
» nuescontre la maifon^qu'il fuffifoit
» que M. Roynette fut charge de
a prendre cannoifTance des befoins
-ocr page 325-
II. Part ie. Liv.'X. 31}
» & de l'etat de la maifon , pour 1696
» en rendre compte a M. de Paris,
» qui feroit connoitre fes volorttes
» par fon canal j qu'on ne pretendoit
» point expofer la fante de M. Ie
« Grand - Vicaire, en 1'obligeant a
" faire de frequens voi'ages a P. R. j
» que ce feroit aflez qu'il en fit un
" prefentement pour prendre une
" exacte conrioiflance de la maifon ;
» enfuite de quoi il pourroit , s'il
» vouloit, n'y point aller qu'a la pre-
« miere election , c'eft-a-dire , appa-
« remment dans trois ans \ ii cepen-
" dant on pouvoit fuppofer que cette
" pauvre communaute , qui n'etoit
»> plus a proprement parler qu'une
» infirmerie , dureroit encore trois
" annees". Voila ce que contenoit
le memoire que M. Racine fit pre-
fenter a M. de Paris. Le Prelat en
confequence prefla M. Roynette d'ac-
cepter la charge de Superieur de P. R.
Le Grand-Vicaire apres avoir fait
des difEcultes , & s'etre excuie fur
fon p.eu de fante & fes infirmites,
voiant que M. 1'Archeveque n'avoir
point d'egard a fes raifons , fe rendit
& accepta. M. Racine infotma la
mere Abbefle de tout ce detail par
une lettre du 3 mars j dans laquelle
O vj
-ocr page 326-
314 HlSTOIRE DE PoRT-ROi'aL.
1696. il marquoit qu'il lui revenoit de to»_
tes parts, que M. Roynette etoit tre
/age j tres doux
_, & tout ptein dejuf-
tice & de probite.
xxxt.
         Le nouveau Superieur commenca
a v. r cLs la vmte a P. K. des Champs le 21
champ, par mai accompagne de M. Nicolas Euf-
netie..
          race & de M. Cjuillaume Marigmer,
& la termina le 15 du meme mois
par une carte de viiite , dans laquelle
il declare qu'il a » entendu en par-
» ticulier les religieufes au nombre
» de quarante de chceur &c de qua*-
» torze converfes j qu'il les a trou-
jtf vees routes dans une parfaite union
» entr'elles , dans une application
» louable a remplir leurs devoirs ,
» & -dans tous les fentimens & les
» difpofitions que Ton peut defirer
» dans les meilleures religieufes. Ce
" que nous crowns, dit-il, etre obli-
« ges de declarer } pour aider a detrom-
*> per des efprits mat' tnformes de leur
» conduite & prevenus contr'elles.
" Mais parceque nous devons bien
» plus travailler a les rendre tou-
» jours plus agreables a Dieu par la
« perfection a. laquelle nous devons
» les porter, fans nous inettre. tant
5 en peine, ii elles ont 1'approbation
*! des hommes, nous, croions cure de.
-ocr page 327-
II. Partie. Liv. X. 51 j-
» notre devoir, en leur cachant leurs 1696.
» propres merites a elles-memes, de
w leur propofer celui qu'elles peuvent
» acquerir par une nouvelle exa6ti-
»> tude a tous leurs devoirs «. Pour y
contribuer, ce Superieur fir quelques
reglemens , qui font rapportes dans
le proces-verbal de la vifite..... Ces
reglemens portent que les religieufes.
aflifteront regulierement a I'Ofnce di-
vin j qu'elles garderont religieufes
ment le lilence; qu'elles s'abftiendront
d'ecrire des lettres fans une veritable
neceffite oil utilite, fuivant l'avis de
faint Bernard, qui enfeigne que le
filence fe rompt en ecrivant des lectres
de mime quyen parlant:
qu'elles n'i-
ront an parloir qu'avec une affiftan-
te j qu'elles ne deiireront point en
rnaladie trop de remedes, ni avec
crop d'emprefTement. Ces reglemens
n'etoient point fairs pour corrigen
des abus , qui ne regnoient point a
P. R. , mais pour les prevenir , &
pour cacher aux religieufes leurs prc~
pres mirkes.
Ces faintes filles refpiroientun pen
fous le gouvernement d'un tel Supe-
rieur, & d'un Archeveque qui pa-
roifloir difpofe en leur faveur , quoi-
qu'il fut d'aillenrs prevenu contre le
-ocr page 328-
J iG HlSTOIRE DE PoRT-ROlAL.
*~\6q6. phantome du Janfenifme , comme il
le lit voir cette annee (31). Toute
leur peine etoit d'etre fous le poids
de la difgrace du Roi, & de voir
leur communaute deperir chaque jour
par la mort de quelques-unes de leurs
fours, qu'elles n'avoient point la li-
berte de remplacer , ai'am defenfe de
recevoir des novices,
xxxii.' Elles en perdirent trois cette an-
rGcm°Meithi- nee; la four Madeleine de Sainte-
dsdasoin. Melthide-Thomas du FofTe , profefTe
de chceur, qui mourut le %j oclobre
dans
fa foixante-huitieme annee. Elle
fut eprouvee , avant que de mourir ,
par une maladie qui lui fit perdre
l'ufage de toifs fes membres, enforte
qu'elle ne pouvoit fe rendre le moin-
dre fervice(3 3). » Elle porta jufqu'a
» la fin cet etat fi humiliant & fi pe-
» nible avec une egalite d'efprit &
» meme une joie 3 qui fortant du
» fond de fon cceur , fe repandoit
» viiiblement au-dehors &paroiiToit
» fur fon vifage. La conftance tou-
» jours uniforme qu'elle temoigna
(;i) M. de Noailtes    & la feconde aetabiir la
donna le 10 aout 1695    doftrine de faint Auguftin
cette fameufc Inltruilion    fur la grace 8c fur l'a-
paicorale , divifce en deux    mour de Dieu.
parties; dont la premiere (3) Du Foff. Mem. p-
eft deltince a realifer le    473, 47^
fhantome dujanfenifme,
-ocr page 329-
II. P ARTIE. L'lV. X.       327
» dans tout le cours de cette longue 169&,
» maladie , repara bien aux yeux de
» fes fceurs les foibleffes qui avoient
» patn dans fa fignature & fes re-
» tra&ations (34). Elle fit voir plus
" que jamais la verite dont on avoit
« ete convaincu , que ce qui parut
» alors de foiblefle en elle , fut plu-
" tot l'effet d'une confcience timo-
» ree , que de la mauvaife difpofi-
" tion d'un ccenr affoibli par quel-
« que fecrete paflion «. Les deux au-
tres religieufes qui moururent cette
mane annee, etoient, la fccur Marie
de Sainte - Leocade converfe, morte
le 11 novembre j & la fceur Genevie-
ve de Sainte-Dorothee Lombert, pro-
fefife de choeur, morte le 11 du me-
me mois a Page de cinquante - neuf
ans, dont elle en avoit paife cinquan-
te-trois a P. R. aiant eu le bonheur
d'y etre elevee des l'age de fix ans.
Les religieufes de P. R. perdirent xxxim
/ J                         v 1 Mort de Mi
encore cette annee deux amis de la Dom3t & &.
verite & de leur maifon xpar la mort **. deRom-
nes.
(34) Elle avoit figne 8c    de,ib. p, i<?4. Relation
retratte deux fois. Voiez    de et qui eft arrive a la
dans les Vies edif. Tome   fceur Melthide, it, Jte~
2. page i(o, la Rela-    cueil depieces,, a Utrecht-
tion touzhant lafpeur Ma-    1740%
delaine de fainte Melthi—  . '
-ocr page 330-
Jl8 HrSTOlRE DE PoRT-ROTAt.
i6y6. de M. Domat (35) arrivee le 14 ds
mars 5 & par celle de M. Amis Gouf-
fier Due de Roannes, more le 4 octo-
bre. Ce que nous avons dit ailleurs de
1'un & de l'autre (36) pourroit nous
difpenfer d'en parler ici. Neanmoins
nous rapporterons encore quelques
traits du premier, trop edifians pour
n'en pas conferver la memoire a la
poftecite. Un Jefuite nomine du H&-
mel a'fant eu la hardielTe de prccher
rinfaillibilite du Pape dans l'Eglife
de Clermont en i^7j,M. Domat,
anime du mane zele qu'Eufebe de
Dorilee , s'eleva avee vigueur contre
une opinion ii dangereufe & fi op-
pofee aux faintes maximesde l'Eglife
Gallicane, & pourfuivit le Predica-
teur par les procedures juridiques.
Pendant tout le cours de fa vie , cet
horame plein de foi fit voir une fuite
de ces adtions chretiennes, qui n'ont
pour motif que la charite qui fait (3 7)
(5j.)M.Domat, Avocat   die de M. de Roannes,
du Koi' au Prefidial de   T. ;. de cette hiftoire, p.
Cletmont en Auvetgne ,   4515,457. Voiez ibid, p~
roounrt plein de bonnes   458, 459, ce qui eft dit etc
ccttvres, age de 70 ans,    M. Domat.
a Patis Cut la Paroifi'e de (57) Traits Edifians de
faint Benoit , Sc fut en-    la vie de M. Domat.
terre dans lecimetiere.       Supp!. du-Neci. p. 461.-
ll<) Voi'ez ce qui eft.
-ocr page 331-
II. Parties Lip. X. 529
tes vrais enfans de Dieu. Quoique kJjxJ.
ne avec peu de bien & charge d'une
nombreufe famille, il avoit pour ma-
xime de remettre les droits diis a fon
miniftere a tous ceux qu'il foupcon-
noit etre dans le befoin. II refufa une
donation confiderable qu'un ami lui
vouloit faire ; Sc quand on lui repre-
fentoit qu'avec une telle conduite il
ne laifleroit pas de quoi vivre a fes
enfans, il repondoit: Si c'eft la volon-
te de Dieu , je ne dois pas m'y oppo-
fer.
II fir encore quelque chofe de plus
fecroique. Dans les premieres annees
de fon etabliHement, il avoit eu part
a- la fucceffion d'un Chanoine , oncle
de fon epoufe ; il en eut dans la fnite
du fcrupule; & ai'ant fait le calcul- de
ee qu'il pouvoit y avoir dans cette
fucceffion de biens ecclefiaftiques, il
en remit la valeur aux pauvres, crai-
gnant que cette portion qui ne pou-
voit paroitre que mal-acquife a. un
liomme inftruit des loix de la reli-
gion , n'attirat la malediction de Dieut
fur lui & fur fes enfans. Quelle lecon!
Touche des befoins des pauvres, com-
me des fiens propres, il les affiftoit
felon fes facultes , fe chargeoit de rou-
tes leurs affaires , les follicitoit, les
accommodoit. Toujours occupe du
-ocr page 332-
3 JO HlSTOIRE DE PoRT-ROlAt.
1696.     travail en efprit de penitence , il ne
fe pretoit a aucun amufement ^ & lorf-
qu'on le preflbit de prendre quelque
repos : iravadlons s difoit - il , nous
nous revoferons en paradis.
M. Domat couronna tant de belle's
qualites & tant de vertus par la pa-
tience avec laquelle il fupporta pen-
dant plufieurs annees les incommodi-
tes de la pierre, caufees par fa trop
grande affiduite au travail. Regardant
les douleurs qti'il fouffroit, comme
un moi'en dont Dieu fe fervoit pour
le purifier , il les recut avec recon-
noiilance , & merita de mourir dans
cette paix chrecienne, qui eft le fruit
^_______de la bonne confcieace.
1697.          Vers la fin de 1696, ou au commen-
xxxiv. cement de l'annee fuivante r les reli-
tentatheV<dcs gieufes de P. R. de Paris qui avoienc
teiigieuresde elles - memes pris routes les mefures
P.R. dc Pa- .          -it         r                    1 /•'
lis contre imagmables pour mettre la lepatation
p. r. dcs des deux mailonshors d'atteinte, firent
champs.                              .                                                  ,
tine tentative pour revemr contre le
partage des biens. On a deja parle
des funeftes defleins que M. de Har-
lai avoit formes contre Port-roi'al des
Champs en faveur de fa niece Ab-
belTe de la maifon de Paris. On a auffi
vu de quelle maniere la Providence
tenverfa tous fes projets, en faifant
-ocr page 333-
II. P A R T I E. LlV. X. }}t
difparoitre ce Prelat » 3 ou 4 jours 1697.
» avant celui auquel il devoit ac-
» complir les fouhaits de fa chere
» niece, & Ton trouva apres fa mort
tout le projet parmi fes papiers (38)".
La niece deconcertee , & jugeantbien
que M. de Noailles n'entreroit pas
dans {es vues , abandonna les vaftes
projets de fon oncle , qui vouloit
detruire entierement la maifon des
Champs, & fe contenta de faire fes
efforts pour kri enlever une partie de
fes biens. » Elle fit reprefenter achoi-
» tement au Roi , dit M. du Fof-
» fe (39), que le revenu de P. R.
>> des Champs & beaucoup plus
» confiderable que celui de la mai-
" fon de P. R. de Paris ; qu'ainfi l'une
» etoit fort a fon aife tandis que l'au-
« tre fouffroit 5 8c qu'il y avoit une
» efpece d'injuftice, que celles qui
» avoient toujours ete foumifes fuf-
w fent (i mal partagees, pendant que
» les autres avoient tout le bien de
» leui cote «. On ajoutoit que le nom-
bre des religieufes de P. R.des Champs
etoit tres petit, & qu'elles n'avoient
pas befoin d'un fi gros bien. » Un
» homme puiflTant a la Cour (40) ,
C;8) Du Fofl". Mem. p. (39) Mem. p. 477.
47?.
                                     (40) M. de Poiuchar-
-ocr page 334-
3^i HlSTOlRE DE PoRT-ROlAl.
~'i6<?-r. "   1uiprenoita cceur lesinterets d'une
»  religieufe de la maifon de Paris,
«   & qui etoit follicite fortement par
»  elle, etoit bien aife , a fa confide-
»  ration , de fervir cette Abbai'e , &
»  s'emploioit de tout fon pouvoir
»   pout lui procurer ce qu'elle ambi-
»   tionnoit......On ne peut trop
»  plaindre les meilleurs Princes d'e-
>>   tre expofes malgre eux a tant de
»  furpriles de la mauvaife volonte ,
»   & j'ofe le dire , de l'jnfidelite des
«   perfonnes qui les approchent *.
xxxv.          Les religieufes de Port - roi'al des
fe/de'p? °r' Champs inronnees de ce qui fe paf-
des clumps foit firent drefTer & prefenter au Roi
dreflenr une                    a^          ^ . 11               e •         s c
requcte au une requete , ou eiies expoioient a ba
Roi pour kur Majelti de quelle maniere le parage
des biens s etoit fait en 1669 , & com-
bien il avoit ete avantageux aux re^
ligieufes de Paris, qui par cette rat-
ion & par la crainte que celles de la
maifon des Champs ne vouluiTent
quelques jours revenir contre un par-
tage dans lequel elles etoicnt lezees,
avoient fait mettre cette claufe dans
la tranfaction, que par le mo'ien du
, prefent partage les biens & revenusdes
deuxAbbaies demeureroient entierement
fepares , fans que I'une put jamah re~
train Secretaire d'Etat, filsduChaucelier.
-ocr page 335-
II. P A R T I E. Liv. X.      3 3J
venir en compte avec Vautre. » L'af-
» faire fut portee au Confeil du Roi,
« die M. du ForTe (41) , & il inter-
» vint un arret qui nommoit des
» CoinmuTaires pour aller faire la
» vifue de l'etat du revenu des deux
« Abbaies, du nombre des religieu-
» fes , & de l'adminiftration du bien
» qu'elles poiledoient «. Les deux
CommiiTaires furent choifis par M. de
Noailles, dont le choix fut genera-
lement applaudi. L'un eroic M. Roy-
necce Superieur de Port - Roi'al des
Champs; & l'autre le Pere de Loo,
Prieur de PAbbaie de S. Germain des
Pres (41). Le proces verbal de ces
Commiffaires fait peu d'honneur aux
religieufes de P. R. de Paris, & en
fait beaucoup a celles des Champs.
», Ces deux CommiiTaires, dit M. du
» Fofle (43) , firent leur vifite dans
» la maifon des Champs. On leur fit
» voir les cornpres du revenu & de
» la depenfe , qu'ils avouerent avoir
» trouves d'une exactitude , d'une
" nettete & d'une beaute charmame.
(41) Ibid, p. 4-7S.              Lefleur curieux en.trou-
(4*-) Le proces verbal    vera le derail '!ans les Me-
de la maifon de Paris fut    moires hilloricjues, T. j.
Jain le e mars; &c celui    p. 143, & fuiv.
de la maifon des Champs (43)' Ibid3p.t\So,
JeiS da mem; ruois. ie
-ocr page 336-
3 34 HlSTOIRE DE PORT-ROIAI.
» Mais fur-tout ils ne pouvoient fe
» laflfer d'admirer comment avec un
w revenu mediocre elles trouvoient
» le moien de nourrir & d'entrete-
» nir une communaute de quarante
» religieufes profeffes de choeur, fans
» les converfes, & de faire encore
» une fi grande quantite d'aumones,
» revetant un fi grand nombre de
» pauvres, afliftant beaucoup de fa-
» milles accablees de miferes , don-
» nant du potage tous les jours a ceux
» qui fe prefentoient, envoiant des
» remedes a une infinite de pauvres
» malades. Ils firent de meme con-
s' jointement la viiite de la maifon
» de Paris, dont les comptes leur fi-
w rent voir qu'il y avoit un revenu
» confiderable , 8c qu'il dependoit
» de Tceconomie de le bien admi-
» niftrer & d'en bien ufer. LeRoi fur-
» pris de la fauffete de tout ce qu'on
» lui avoit dit touchant le revenu
» & le nombre des religieufes de
» P. R. des Champs, ne voulut point
» entendre patler davantage de cette
» affaire ; ce qui mortina. pour le
» moins autant les ennemis de cette
» fainte maifon qui s'etoient deja
» vantes de lui avoir coupe une par-
» tie de fes Yiyres, que l'Abbefle de
-ocr page 337-
II. Partie. Liv. X. 335
» P. R. de Paris qui fe tenoit afTu- 1697,
» tee , fur la parole de ceux qui ont
» aujourd'hui rant de credit , de
» groffir confiderablement le revenu
» de fa maifon. Auffi leur Avocat,
» a qui une perfonne de qualite de-
» mandoit ce que c'etoit que l'affaire
» qu'il y avoit entre ces deux mai-
=■> fons , repondit que c'etoient les
» vierges folles qui n'diant plus d'huile
dans leurs lampes en demandoient
" aux/ageSj qui les envoicient en ache-
» ter«. C'eft ainfi que l'equite triom-
I
e lorfqu'on veut bien fe donner
peine d'examiner les chofes , &
d'ouvrir les yeux pour les yoirtelles
qu'elles font.
Les ennemis de P. R. voi'ant qu'ils xxxvi.
avoient manque leur coup , les accu- N°l>velIes
r                      view ri           • accufations
ierent aupres de J>. M. vers le mois centre les re-
d'aoutd'ayoirre^udes novices conrfe !'g,^ufes
la defenfe qui leur avoit ete faite d'en
recevoir ; & ajouterenr a cette accti-
fation les anciennes calomnies fur la
dodtrine. Ces faintes filles calomniees
s'adreflerent a M. de Noailles, le fup-
pliant de faire examiner leur condiii-
te, & de fe donner la peine de faite
lui - merne la vifite de leur maifon.
» Cette vifite, difoient-elles, fervira
» k conftater la faufTete des calom-
-ocr page 338-
336 HlSTOIRE DE PORT-ROIAL
1697. " nies dont on nous charge , ainfi
» qu'il arriva ibus feu M. de Gondi,
m lorfqu'on commenca a nous noir-
» cir & a. nous calomnier«.
xxxvh. II y alien de croire que cefutce
JeNoaiUes a (\vl'1 occafiorma la vifite que M. de
r. k. des Noailles fit a P. R. des Champs le zo
amps' o£tobre de cette annee, dont M. du
Fofle parle en ces termes (44). " II s'y
m eft done tranfporte. II y eft entre la
y> lampe ardente en une main , & la
« balance de la juftice dans 1'autre ,
h pour tout voir & pour tout pefer
» au poids du San£tuaire. II a parte
» a routes les fceurs, il les a inter-
» rogees fur leur creance & fur leur
« conduite j & apres avoir cherche
» inutilement tout le mal cju'on leur
m impute , fans y trouver autre chofe
sj qu'une admirable charite , qu'un
m attachement inviolable a tous leurs
» devoirs , une parfaite foumiffion
» pour tout ce qui regarde la foi de
.. » 1'Eglife, une refignation etonnante
« a toutes les croix qu'il plair a Dieu
» de leur envoier , une humilite tres
» profonde , une ftmplicite accompa-
» gnee d'une fagefle vraiement chre-
« tienne, il s'eft cru oblige de ren-
w dre au Roi un temoignage authen-
(44) Mem. p. 48 j.
» tique
...
-ocr page 339-
II. Par tie. Liv. X. 3 37
ft tique de ce que lui-meme avoit vu 1697. "
» de fes propres yeux & entendu de
» fes oreilles dans cette maifon, qu'on
» reprefente aSaMajefte depuis tanr
« d'annees fous l'image affreufe d'une
« retraite de gens egalement revol-
« tes contre l'Eglife & contre FEtat «.
M. du Foffe rapporte encore (45) xxxvrrr.
_ > £                   •                               «. \ 11               Autre vil?te
qu arm que nen ne manquat a 1 exac- faite a ,,. x-
titude de la connoiffance qu'on pre- p»r d« con-
tendoir avoir d'une maifon fi fort de- trawUaai*
criee par fesennemis , M. de Noailles tes.
non content de l'avoir vifitee par
lui-meme & par fes Grands-Vicaires,
voulut que les ConfefTeurs extraor-
dinaires , nullement fufpects de lui.
etre favorables, achevafTent en quel-
que forte cette vifite 8c cet examen
n important pour le repos de ces pau-
vres filles, qui ne defiroient que la
liberte de fervir Dieu dans la paix
du Saint Efprit. » Ces ConferTeurs y
» arriverent juftement dans le tems
» de l'adoration duS. Sacrement (46);
» & etant entres clans l'Eglife, ils fu-
» rent bien aifes d'obferver la ma-
» niere dont cette ceremonie fe fai-
» foit. Ils virent tous les domeftiques
" au - dehors & les religieufes au-
» dedans fe profterner avec une de-
(41) Ibid.                      (4«J Ibid. p. 484,
Tome Fill.                      P
-ocr page 340-
j}8 HlSTOIRE DE PoRT-ROUt.
J(jo7> " votion tres fervente & une fainte
» frai'eur devant le Corps adorable
» de Jefus-Chriit, dans le moment
« que le Celebrant donnoit la bene-
» diclion, & qu'il chantoit d'un ton
" majeftueux ces paroles ; Benedicat
j' nos Deus 3 benedicat nos Deus, &
»> metuant eum omnes fines terra «.
Ces Meffieurs furent it frappes de
ce qui fe prefenta ainfi tout d'un coup
a leurs yeux & a leurs oreilles, fans
qu'ils puilent foupconner qu'il y eut
rien en cela de recherche & d'aftecte,
qu'ils ne purent s'empecher de fe dire
au fortir meme de l'Eglife : Eft -il
pojjible qu'on ait accuje de nepas croi-
re au Saint Sacrement de I'autel 3 cette
maifon ok tout refpire tant au-dehors
qu'au-dedans une fi profonde venera-
tion pour cet augufte myfiere
j que ja-
mais peut-hre il ne s'efi vu en aucun
lieu rien qui foit capable de frapper
plus fortement les plus impies
?
xxxix. Les ConfefTeurs , apres s'etre ac-
At:eftation qUitt^s de ]a foncTdon pour laquelle
autncntique X .                 .                  ,., *                 *
de l'innocen- on les avoit envoies , retournerent
Ce des reh- ^ paris > non-feulement fi contents ,
|,.             mais fi combles & fi charmes de ce
qu'ils ayoient yu & entendu, qu'ils
en parloient a tons leurs amis. » Voila
» done, conclud M. du Fofie (47) }
ttfj /lid. |>. 4»j.
-ocr page 341-
II. P a r t 11. Liv. X. 539
» ce que, felon la parole de Jefus- iCqj.
» Chrift, on peut regarder comme
» une atreflation authentique de Pin-
» nocence des religieufes de P. R.
» des Champs, puifqu'elle eft fondee
» non feulement fur trois temoins ,
» qui fuffifoient au terns de la loi
» pour rendre un fait avere ; mais
» ce qui eft bien plus confiderable,
» fur le remoignage irreprochable de
» trois vifites dont j'ai parle. Ainfi
» quand on veut encore appeller de
» tels temoignages , & ajouter foi
» preferablement a de vaines preten-
» tions & a des bruits vagues, qui
» n'ont pour tout fondement que la
» paflion , c'eft qn'on aime a fe trom-
» per ; c'eft qu'on trouve quelque
» iecret interet a ne pas dementir des
» calomnies appui'ees d'un puiffant
» credit 5 c'eft que Ton n'eft gueres
» touche de l'amour de la juftice;
» c'eft qu'on n'aime pas allurement
» fon prochain comme foi - mane ,
» puifqu'on feroit plus fenfible a ces
» calomnies, qui nous toucheroienc
» perfonnellement j c'eft enfin qu'on
» ne craint point de violer dans fes
» jugemens les regies les plus invio-
" lables de l'equite, & de fe rendre
» coupable deyant Dieu d'une ti-
Pij
-ocr page 342-
54° HlSTOIRE DE PoRT-ROlAt.
7169-7. " tA&citi criminelle en condamnant fi
»
legerement ceux qu'il juftifie d'une
" maniere fi aurhentique «.
" L'on me pardonnera fi je repete
» fi fouvent les memes chofes, con-
» tinue M. du Fofle (48) j mais c'eft
» qu'il eft difficile d'avoir ete depuis
» plus de cinquante ans temoin de
» tous ces evenemens , & de n'en
" pas attefter la verite , lorfqu'on la
» voit obfcurcie par cent impoftures.
« Les Apotres difoienc autrefois qu'ils
» ne pouvoient pas ne point dire ce
" qu'ils avoient vu &c entendu , pour
« attefter l'innocence de Jefus-Chrift
» que ces memes Juifs avoient era-
» cifie, & pour etablir la verite de
» fa Refurrection. Et j'ofe bien de-
r> clarer aufli, que jenepuis pas ne
» point dire ce que j'ai vu &c en-
» tendu , pour faire connoitre a tout
« le monde, autant que j'en fnis ca-
« pable , l'innocence de ces faintes
» epoufes, qui femblabies a des co-
*• lombes ne peuvent fe defendreque
» par leurs fecrets gemiflemens de-
» vant leur epoux. On a bien put
» remarquer par la lecture de ces
» Memoires ( c'eft toujours M. du
v FoflTe qui parle) , que j'ai ete in.-
Lg) Ibid. p. 4S6.
-ocr page 343-
II. Par tie. Liv. X. $±i
it {enablement engage a parler d'el- 1697.
les par la liaifon fi etroite qu'il a
» plu a Dieu de me procurer des
« mon enfance avec cette fainte mai-
t> fori (49) , ou j'ai commence a le
" connoitre & a le iervir y ou j'ai vu
» devant mes yeux mille exemples
» d'une vertu admirable, qui m'ont
« fait fucer, pour ainfi dire, avec
5' le lait, la piete & la crainte du Sei-
» gneur ; ou deux de mes fceurs ont
» eu le bonheur de vivre & de mbu-
» rir bonnes religieufes (50); ou une
>t autre a appris a fe fandifxer dans
» le monde j oil un de mes freres,
» qui etoit mon aine, s'eft tenu heu-
» reux de mourir auffi dans le fer-
» vice de charite qu'il rendoit (51)
» comme beaucoup d'autres a ces
» faintes j & ou ma mere a voulu
(49! M. du Foffe fut    Thecle, morte le i juillet
eleve a P. R. aux Granges,    i««i , j» avec une piece
ctes l'age de 10 ans. Ce    » admirable, s'offrant £
fut M. fon pere qui IV    3> Dieu comme une vic-
conduifit en 164;. Depuis    i> time pour routes les
ce terns il fut toujours en    j> fceurs qu'elle Iaiffbit ac-
liaifon avec Meflieurs de    » cablees d'affliftion 8c
P- R, 6c fouvent le com-    » menacees tous les jours
pagnon de leur retraite 8c    « de nouveaux malheuts.
de leurs travaux , comme    Viesedif. T. 2. p. ito.
on l'a vu dans ceue hif- (51) II fe meloit du
toire.                                     temporel. 11 mouruc A
(?o) La foeur de fainte    P. R. le zi avril 1651 , a
Melthide, morte en 1696,    l'age de 21 ans.
& la foeur Anne de fainte
P iij
-ocr page 344-
$4* HlSTOIRE DE PoRT-ROiAt.
etre enterree , regardant cette foli-
tude comme un lieu d'une bene-
diction route particuliere. Com-
ment done pourrois-je , tenant a
cette maifon par tant de liens
dont Dieu feul a ete 1'auteur, n'y
pas penfer tres fouvent, n'en pas
parler , ne pas dire ce que j'en
connois avec certitude comme te-
rn oin oculaire, & qui peut fer-
vir a la juftifier & a detruire par
l'evidence de la verite ce que l'i-
gnorance ou la malice publie de
contraire ? Je crois etre d'autant
plus oblige de m'etendre fur ce
fujet dans mes Memoires , qu'etant
attaque d'une paralyfie qui me re-
duit au filence depuis un an &
demi, je ne puis deformais rendre
de vive voix le temoignage que
je dois a l'innocence & a la fain-
tete de tant de ferviteurs & de fer-
vantes de Dieu , que cette maifon
a renfermes & renferme encore
aujourd'hui. Outre cela je fuis tres
perfuade que rien ne peut etre plus
agreable a Dieu dans S'etat de fouf-
france ou il m'a reVluit, que de re-
paffer ainfi dans mon efprit toutes
fes mifericordes, pour les faire con-
*> noitre a fes ferviteurs} & que rien
-ocr page 345-
II. Partie. LiVi X. $4$
» auffi ne m'eft plus avantageux a. 1697.
» moi - meme , que d'y penfer tres
" fouvent pour lui en rendre de con-
» tinuelles actions de graces".'
Un fi beau temoignage rendu pair
tin temoin oculaire en faveur de P. R.
tie deplaira pas fans doute , & ne pa-
roitra pas deplace dans l'hiftoire de
cette fainte maifon. D'ailleurs il fert
a faire connoitre celui qui le rend -r
& qui, a titre d'eleve de P. R., doit
lui-meme avoir place dans cette hif-
toire.
Qaoique les trois vilites faites fuc-
ceffivement a P.R. desChamps par des
Grands-Vicaires deM. l'Archevtque , .
fiar M. de Noailles lui-meme , & par
es Confeffeurs extraordinaires , fuf-
fent une declaration authentique de
l'innocence des religieufes de P.R.
felon la judicieufe remarque de M.
du Folle, ces faintes filles demeure-
rent toujours dans l'oppreflion \ & la
defenfe de recevoir des novices fub-
fifta(5i).
Le 10 de Janvier de Panned 1698 ,
(fz) M. du Folle, en   de M. de Noailles fut fai-
parlant de ces vilites rap-   te, comme nous l'avons
porte la troifieme irame-   matque au mois d'ofto-
diatement apres la fecon-   bre 1697, 6c celle des
de, comme fi elles a-   confelTeurs en l'annee
Voient ete faites dans la    i6j8.
JBenie annee. Mais celle
-ocr page 346-
J44 HlSTOIRE DE PoRT-ROlAt.
\6$$. la mort enleva a l'age de foixante
xl. deux ans & quaranre jours un des
mom , * res .hommes les plus celebres de fon fie-
hearetifcsdif- cle par la fcience & la modeftie. Nous
FenfaDce.fon par Ions de M. le Nain de Tillemont
education. ]J avantageufement connu dans la re-
publique des lettresj donr le public ,
pour me fervir des expreflions de M.
du Fofle, ne put apprendre la mart
fans verfer des larnies fur la perte aue
faifoit UEglife d'un fifaint Pritre.
M.
Sebaftien le Nain, fiis de M. le Nain
ancien Maitre des Requetes, fi dif-
tingue entre les premiers Magiftrats
par fon grand merite, & de Dame
Marie le Ragois, vint au monde le
30 novembre 1637 (53)- * Dieu qui
» Tavoit deftine pour etre un jour un
» de fes miniftres, l'y prepara des fon
« enfance en lui procuranr une fainte
m education". (54). II apporta en
nauTant des inclinations routes por-
tees au bien , & qui annoncoient ce
qu'il feroit un jour. » Jamais on ne
« vit dans un enfant (55) plus de fou-
« miffion, de docilite , de fagefle,
» de douceur & d'humilite « (56).
II joignoit a une grande innocence
(j?) Viede M. de Til- (jf) Necr. p. 18.
Jemont,p. i.
                        (f«) Font. T. i. page
(54) Du Fon". Mem. p. jStf.
fOl.
-ocr page 347-
II. Partie. Liv. X. J45
tine gravite & une fageiTe qui eton- 1698.-
noient, & beaucoup de difpofitions'
pour les fciences. Doit - on etre fur-
pns apres cela, qu'un tel fujet, eleve
dans les celebres ecoles de P. R. &
forme aux fciences & a la piete par les
Lancelot, les Nicoles, les Vallon de
Beaupuis & les Saci , c'eft-a-dire , par
les plus grands Maitres qu'il y eut au
monde ; doit-on , dic-je , etre furpris
que fous de tels maitres, avec de tel-
les difpofitions , M. de Tillemont ait
fait dans la piete & les fciences ces
progres , qui l'ont rendu des fa jeu-
nelTe un fujet d'admiration ? M. fori
pere, qui avoit beaucoup de piete ,
comme on peut en juger par fon tefta-
ment fpirituel, le mit a P. R. a l'age
de dix ans l'an 1647. M. Fontai-
ne (57), qui l'y avoit vu, &quiavoit
en quelque part a fon education , en
parle en ces termes : » Lorfqu'il
» croifToit en age fous nos yeux 8c
" notre conduite, il apprenoit les
» langues, qui lui donnoient alors de
» 1'eloignement pour les jeux inno-
» cens. Pendant que les autres enfans,
» qui etoient avec lui, donnoient
» quelque relache a leurs efprits aux
» heures deftinees a cela , & fe don-
(57) Font. T, 2.. p. j««.
Pv '
-ocr page 348-
345" HlSTOIRE DE PoRT-AOlAt;
noient rout entiers a leurs petits
divertiflfemens, il s'enfermoit lui
feul dans la chambre. Voi'ant I'Hif-
toire & la Geographie, il reduifoit
par alphabets tous les noms mar-
ques dans une Carte , & jettoit des
l'age de neuf a dix ans les fonde-
mens de cette fcience hiftorique,
on il a fait voir fon extreme pene-
tration , & fon incroi'able exacli-
tude.
Comme on ne fuivoit point dans
les ecoles de P. R. la methode des
Colleges, on lui apprit les regies de
l'eloquence dans la lecture de Quin-
tilien , de Ciceron & des' auttes Qra-
teurs. II apprit de meme la Logique
dans Xxn de renfer, que M. Nicole,
auteur de ce livre, lui expliqua pen-
dant environ deux mois,une heure feu-
iement par jour.Lale&ure deBaronius,
a laquelle il s'appliqua des fes pre-
mieres annees, lui donnoit occafion
de faire mi'.le queftions a M. Nico-
le , qui en etoit quelquefois embar-
rafTe; ce qui lui faifoit dire agrea-
blement, » qu'il ne voi'oit point alors
>' approcher M. de Tillemont fans
w trembler, dans la crainte de n'a-
» voir pas de quoi le fatisfa're furle
» champ (58) «. A la lecture de Ba-
(j3) ViedeM. deTUl.f.},
1698.
xu:
Ses etudes.
-ocr page 349-
II. P A r t i e. Liv. X. 3 47
ronius, il joignit celle de laTheolo- 1698.
gie d'Eftius; puis il pafTa a celle de
1'Ecriture & des Peres; & comment^
des lors a jetter les fondemens de l'ex-
cellent ouvrage , dont il a depuis .
enrichi l'Eglile.
» Le choix qu'il fit de l'etude , fut _ xlii.
•» pour lui, non un ecueil & une jj.|"e cn°'£
» occafion de fe perdre par la vani-cueii,eftpouc
. - , \                          1            - L          M. de Tille-
» te (59), mais unazile centre beau-montimaZi.
» coup de perils prefqu'inevitables a k centre les
»> la jeunelfe. Elle fervit a affermirpa's"
'j de plus en plus dans fon coeur la
» crainte de Dieu par la connoifTan-
« ce qu'elle lui donna de l'eiprit &c
» de la conduite des Saints , qu'il
» avoit particulierement en vue dans
» fes lectures. II eut un g^nie tout
» fingulier pour l'etude de 1'hiftoire ,
» & ai'ant pris le defTein tout jeune
» de travailler a celle de l'Eglife, il
a y rapportoit tout ce qu'il lifoit.
» Inexactitude d'une critique tresju-
» dicieufe qui lui etoit comme na-
w turelle , la juftefle d'un difcerne-
» ment tres fin; la fidelite d'une me-
» moire a laquelle rien n'echappoit,
» une incroiable facilite pour le tra-
» vail, un ftyle noble & ferre , &c
" par deflus tout un amour ardent
{$?) FoiT. MeiJJ. p. 501.
P Vj
-ocr page 350-
$48 HlSTOlRE DE PoRT-ROlAL,"
1698. " pour la verite , le rendirent tres
xim. " capable de ce qu'il avoit entrepris.
Qualir.es du Telles etoient les qualites de l'ef-
prit dans M. de Tillemont; mais il
etoit incomparablement plus recom-
mandable encore par celles ducceur,
par une profonde humilitc, par une
modeftie fans exemple, par fon amour
pour la rerraite & le fdence, par fon
grand eloignement de routes contef-
tations , par fa tendre piete , fonim-
menfe charite pour les Pauvres , ajou-
tons & par fon inviolable attache-
ment a la maifon de P. R. Si la nature
de notre ouvrage nous permettoit de
nous etendre fur un fujet fi vafte j
aurant qu'il le merite, combien d'ac-
tions edifiantes & de vertus heroi-
ques ne mettrions-nous pas fous les
yeux du Le£teur?
xuv.
         M. de Tillemont etant alle a Beau-
II va a Beau- ■ \ i,a          i                          't:£
vais & fon vais a ' age de 2 3 ans , il y rut recu
hmmiite eft par M. de Buzenval, avec des mar-
i'accueil que ques extraordinaires d'eftime. Mais il
im fair le en fut fi allarme , qu'il ecrivit a. M.
ae oaci, pour Im marquer le peril ou
il fe trouvoit a caufe de la confidera-
tion que Ton avoit pour lui , & le
defTein oii il etoit d'aller dans une
retraite plus fure.
M. de Saci l'ai'ant raflfure, il refta
-ocr page 351-
II. Par tie. Liv. X. 349
a Beauvais , 011 le faint Eveque le 1(j9gf
determina a recevoir la tonfure; &
dit apres l'y avoir determine, qu'il
n'avoit point eu de plus grande con-
folation dans le monde que de pou^
voir efperer de 1'avoir pour fuccefleur.
11 pafTa trois ou quatre ans au Semi-
naire, enfuite cinq ou fix chez M.
Hermant; & apres environ dix ans
de fejour , il quitta ce pais, parceque
M. de Beauvais avoit trop de confi-
deration pour lui. De retour a Paris,
il denleura deux ans avec M. du FofTe,
fon intime ami • apres quoi il fe re-
tira a la campagne dans la ParoifTe de
faint Lambert, pour vivre dans une
plus grande folitude.
En 1672 , M. de Saci lui fit rece- xtv.
voir le Sous-diaconat aux quatte-tems 0JaKiS°"^
de feptembre , puis le Diaconat aux quelle piece
quatre-tems de 1'Avcnt de l'annee ftaieu^ue
fuivante. " M. de Saci, dit-il ecri-
» vant fur ce fujet a D. le Nain fon
» frere, ne fe contente pas d'avoir
» voulu que je prifle l'annee paflee
» le Sous-diaconat, il m'oblige en-
» core; de recevoir le Diaconat a ces
» quatre-tems prochains. Je vous
» afiiire, mon tres cher frere, que .
" c'eft avec beaucoup de confufion 8c
w de crainte que je me refous a lui
-ocr page 352-
350 HlSTOIRE DE PoRT-ROlAL.
K>5?8^ » obeir j car je me fens fort eloigne
des difpofitions que je vois meme
etre neceflaires pour entrer dans ce
miniftere ; & fur-rout je fuis con-
traint d'avouer que j'ai fait fort peu
de profit des graces que j'ai du re-
ceveir de Forcae & des fondtions
> du Sous-diaconat, &c. «. M. de
Saci, qui deftinoit M. de Tillemont
pour etre fon fuccefifeur dans la con-
duire des ames dont il etoit charge ,
lui fit recevoir la Pretrife aux quarre-
tems du Careme de 1'an 16j6. » Ja-
» mais il ne parur ii humble , que
» lorfqu'il fut eleve a la Pretrife (60),
» parcequ'il ne comprit jamais
» mieux la neceffite de s'aneanrir a
» l'exemple du premier de tous les
« Pafteurs. On peut dire que fon
^ humilite fe faifoit fentir a. tous ceux
3> qui 1'approchoient.
xlvi.         Peu apres avoir re$u la pretrife ,
v. R^puis \ ^- de Tillemont, pour profiter des
Tillemont ; avis de M. de Saci, & fe fanctifier
uJforrmeCe'aupresde lui dans la rerraire , fe re-
iaborieufe. tira a P. R. dans un petit corps de logis
qu'il fit batir dans la cour. Mais a-
peine y avoit-il deux ans qu'il yde->
meuroit, queM.de Paris i'enfitfor-
tir avec les autres Ecclefiaftiqiies au
(tfo) Du Foil", p. joj. font.p. jstf.
-ocr page 353-
II. P A R T I E. L'lV. X. 35I ______
mois de mai 1679. Alors il fe retira 1698.
aTillemont, ou il paffa le refte de
fa vie dans le filence & dans la re-
traite. II en fit fes chaftes delices, &
s'y fan&ifia par une vie pure , fimple,
laborieufe , penitente , reglee & uni-
forme , premier & ordinaire caraclre-
re de la vie des Saints, felon la remar-
que de M. Baillet. II portoit l'exac-
titude anx regies qu'on lui avoit pret-
erites (61), ou que lui-meme s'etoit
faites jufques dans les chofes les plus
indifferentes. Sa raifon etoit que la
vie d'un chretien doit etre reglee;
que l'efprit de l'homme naturellement
inconftant doit etre arrete par une
fuite d'actions fixes , afin que fa-
chant ce qu'il a a faire , il ne foit pas
empofte par fa propre legerete. II
fe levoit regulierement aquatre heu-
res & demie dans le cours de 1'annee,
& aquatre pendant le Careme. Tout
fon terns etoit parfaitement rempli
& partage entrela priere & l'etude.
II etoit exa£b a dire chaque office a
l'heure marquee ; & quelqu'attache
qu'il fut a fon travail, il le quittoit
(«i) Dans le voi'age   meil, foit pour les prie-
meme qu'il avoit cou-    res , foit pour la lecture
tume de faire tousles an*,    de l'ecriture, foit pour
il fuivoit le meme genre    la recitation de l'office.
.■de vie 3 foit pour le foni-    Vie de M. Till. p. t*j.
-ocr page 354-
3 51 HlSTOIRE D£ PoRT-ROlAl.
"j^og, lorfque cette heure l'appelloir. Il
affiftoit r^gulierement, les Fetes &Di-
manches a la MelTe de ParoilTe , quoi-
qu'eloigne de plus d'un quart de heue.
II y difoit la MelTe avant la grande,
a laqaelle il fervoit ordinairement c!e
Diacre. Dans les grandes Fetes, il
etoit prefque toujours a l'Eglife de-
puis quatre heures du matin jufqu'a
cinq heures du foir. II fe trouvoit a
toutes les ceremonies. On l'a vu
quelquefois aller avec la proceffion
de Montreuil fa ParoifTe a l'Eglife de
fainte Genevieve de Paris. Lorfqu'il
devoit dire la MelTe , il s'y difpofoit
quelquefois par de petitsecrits de pie-
te qu'il faifoit, pourfe remplir 1'eiprit
de bonnes penfees. Avant que de la
dire, il fe difpenfoit autant qu'illui
etoit poffible de parler a qui que ce
fut, arm d'y ctre plus recueilli.
xlvii. ^ Tout brulant d'arnour & de zele
Jant iefisdptus Pour *a beaute de la maifon du Sei-
petites cho- gnettr, il prenoit garde jufqu'aux
moindres chofes qui y avoient rap-
port \ & etoit exad: a la moindre ru-
brique, par cetefprit de religion qui
donne du prix aux plus petites cho-
fes. Nous devons beaucoup a Dieu _,
difoit-il, & nOus fommes dans Vim-
jpuijfan.ce de le fatisfaire, il faut au
-ocr page 355-
II. Partie. Liv. X. 3 5?
-1—......-......' m
molns lui tirnoigner que nous dejire- KJ58.
rions lepouvoir, & lefaire voir dans tout
ce que nous pouvons. C'eft deladifpofi-
don du cceur
_, difoit-il encore, que de-
pend tout le make des actions exterieu-
res de pieti. & de religion
j mais le
cceur bien difpofe _, loin de les negliger
s'y pone avec ardeur, lorfque Dieu
lui en prefente les occasions.
Sa vene-
ration ponr les Saints le faifoit quel-
quefois fortir de fa retraite pour aller
en pelerinage dans les endroits ou
Ton conferve ieurs reliques. Tous les
ans il alloit \ pied a faint Denis dans
I'o&ave de la fete du Saint, a fainte
Genevieve, &c.
Son affiduite a la priere lui ren- xivm.
doit cette pratique familiere. Elle/j^^^"
etoit fon unique reftource, & il y avoit
recours dans tout ce qu'il faifoit 8c
tout ce qui lui arrivoit. » On a fi peu
» recours a la priere , difoit-il, qu'il
" ne faut pas s'etonner qu'on reuf-
" fifle fouvent rres mal dans les meil-
            ,,
» leures entreprifes. L'homme n'im-
» plorant pas le fecours de Dieiij
» merite d'en etre abandonne, afin
» que fon experience lui apprenne
» combien fa prudence eft vaine , fi
" Dieu ne repand fa benediction «.
On ne pouvoit le voir prier fans ert
-ocr page 356-
3 54 HlSTOIRE DE PoRT-ROlAi,
1698. etre touche. Son recueillement en inf-
piroit aux autres. Sa pofture meme
marqudit fenfiblement fa difpofition
interieure ; foit qu'il fut a genoux ,
foit qu'il futdebout, il paroiflbit tou-
jours humilie devant Dieu. II avoit
tine attention continuelle a lui, le
priant dans tout ce qu'il avoit a faire
& l'ccoutant dans tout ce qui lui arri-
voit. II fe plaignoit de ce qu'on n'&-
coutoit pas la voix de Dieu qui par-
loit dans diffcrens evenemens.
xiix. Quelqu'eclaire qu'il fut, il conful-
son deludetoit les perfonnes les plus capables &
connci:re la,         , l           1 1 •           * 1           1
•voiomt de les plus gens cie bien pour leur deman-
Dieu pour la der leur avis. Son unique but dans
fes deliberations etoit de connoitre
ce que Dieu demandoit de lui, fans
fe mettre en peine du fucces : " Dieu ,
i> difoit-il (6i) , demande quelque-
» fois de nous certaines chofes, qu'il
» ne veut pas neanmoins faire reuf-
» fir ) notre devoir eft de lui obeir ,
» & de lui abandonner le fucces de
» notre obeiflance. Trop de mira-
« cles ont accompagne la predication
>■> que faint Bernard fit de la Croi-
» fade, pour douter que ce ne fut
» par fon ordre & par fa volonte ; &
» les mauvais fucces de cette expedi-
(Si) Vie de M. Till. p. }7-
-ocr page 357-
II, P A R T I E. LtV. X. $ 5 5
»• tion doivent nous apprendre a ne 1698.
» point condamner les gens de bien
» donr quelques demarches ont eu de
" mauvaifes fuites ». C'eft ici une
inftrudtion pour ces politiques & ces
fages du fiecle , qui au lieu d'envi-
fager Dieu dans tous les evenemens,
en j agent par les lucces , & blament
ou condamnent felon qu'ils font bons,
ou mauvais , & ont la ternerite de
cenfurerlaconduite des Saints memes,
& en particulier celle de faint Ber-
nard juiHfiee par rant de miracles.
Le jufte , dont nous parlons, vi- t.
vant de la foi ,- avoit des idees bien lit£ fa^ul
differentes de ces faux fages ; auflilesevenmens^
re •■ ■ 1                             j>                    r • Sa confiance
jouilioit-il toujours d une parraite en Djeu.
tranquillite dans tous les evenemens.
» C'eft 1'avantage des vrais chreriens,
» difoir-il, d'etre exempts d'inquie-
» tudes. N'aimant que Dieu , qui ne
» fe trouve point dans le trouble,
" mais dans le repos de Tame , on a
» la confolation d'etre affure qu'il
» n'arrive rien, ni a. nous, ni aux
» autres, que par l'ordre de celui
" que nous aimons , & qu'ainfi rien
» ne nous peut nuire. Sa confiance en -.->
Dieu etoit admirable. » Faut-il,difoit<
» il, que des perfonnes qui cherchent
» Dieu foient attachees aux hommes?
-ocr page 358-
55<^ HflSTOIRE DE PoRT-ROlAtr
1608. » Sont-ce les hommes qui nous fau»
» vent ? aions de la foi, & nous ail-
s' rons tout. II faut mettre en lui uni-
» quement toute notre eonfiance ,
» nous fervir avec action de graces
» du fecours qu'il nous donne par les
" hommes, mais ne les regarder qu'en
» lui & dans Ion ordre.
ii-
           Nous ne finirions point, fi nous
& m. ae"ii- volitions entrer dans un detail exact
icmom. de la vie & des vertas de ce faint
Jiomme , & parler de fon zele pour le
falut defes freres, da foin qn'ii pre-
noit d'inftruire fes domeftiques, ce
qu'il regarda des fa jennefle comme
un de fes principanx devoirs; de
FoncTrion avec iaquelle il parloit de
Dieu ; de fa modeftie & de fa rere-
iiue lorfqu'il s'agilfoit de decider;
des faintes difpontions , avec lefquel-
les il travailloit; de la delicaterfe de
fa confcience, qui lui faifoit craindre
qu'il n'y eut trop de plaifir pour lui
dans la vie laborieufe qu'il menoit
& dans un travail auffi penible que
le lien ; de fon detachement & de fa
generofite, abandonnant a diverfea
perfonnes differentes parties de fon
ouvrage ; comme la vie de faint
Augultin aux Benedi&ins de la Con-
gregation de faint Maur ; celles de
-ocr page 359-
II, Par tie. Liv. X. 357
feint Athanafe, de faint JBafile, de j<jo8.
faint Gregoire de Nazianze , de faint
Chryfoftome a M. Hermant, &c. 5 de
fon averfion pour les louanges , qui
lui faifoit exiger de ceux a qui il
abandonnoit fon travail . qu'ils ne le
feroient point connoitre. M. le Nain
fon pere ai'ant voulu lui faire lire le
journal des Savans, qui parloit ayan •
tageufement de fon premier volume
ainfi que de l'Auteur, M. Tillemont
le pria de i'en difpenfer, lui difant
» qu'il n'avoit pas befoin de nourrir
» fon orgueil de l'opinion trop avan-
» tageule qu'on pouvoit avoir de
» lui (6$).
>-• II travailloit pour l'edification LF-
» de l'Eglife, dit M. du FofTe (£4), Sc kquei'u
"
non pour fa propre reputation, yailloit
» S'appliquant a ion travail comme
» a I'ceuvre de Dieu meme, il ta-
» choit de n'y rien meler de l'efprit de
M l'homme. II etoit vraieinent favant
" de la fcience des Saints , qui leur
" apprend a connoitre la grandeur
" de Dieu , le neant de l'homme &
(63) Vie de M. Till. p.    dans la reponfe qu'il fit
$*■ Ontrouvera dans fa    a M. Charlet Chanoi-
Jie despreuves dc fa pro-    ne de Grancey , qui lui
Jonde huinilite dans les    avoir donne de grandes
litres qni y font rappor-    louanges fut fon ouvrage.
W 1 & .en partieuiier 1<H) foff. Mem. p. 504,
-ocr page 360-
358 HlSTOIRE DE PoRT-Ro'lAL.
le peu d'eftime qu'il doit faire de
toutes les fciences, qui ne contri-
buent point a le faire croitre dans
la charite. Ainfl an lieu que la
fcience enfle, felon faint Paul, celle
de cet humble Pretre fembloit au
contraire lui fervir de contrepoids
eontre l'enflure de la vanite , puif-
qu'en le tenant dans une conti-
nuelle crainte , elle le rendoit plus
attentif & plus vigilant , plus de-
fiant de lui-meme , plus referve a
dire fes fentimens, plus circonfpe£b
a ne parler mal de perfonne j en-
forte qu'on remarquoit en lui com-
me le caradtere d'une circoncifion
gcnirale
_, qui lui faifoit retrancher
de fes paroles, de fes actions, de
fes regards j & meme de fes mou-
vemens, tout ce qui ne repondoit
fias parfaitement a la laintete de
'etat, ou l'ordre de Dieu l'avoit
engage.
» Un telhomme , pour nous fervir
encore des expreffions de M.du Fof-
fe (<J 5) , a juger des chofes felon
la foiblefTe de nos lumieres &c par
rapport a nos interets, fembloit de-
voir vivre plus d'un fiecle; puif-
qu'en fournilTant cette carriere il
(6^) Ibid. p. 504. ^Jecr. p. iq.
i<J<>8.
tm.
Sa derniere
roaladie ; fa
piort.
-ocr page 361-
II. Partie. Liv. X. 359
» auroit pu avancer beaueoup le 1698.
» grand ouvrage qui devoit etre G.
"
avantageux a I'Eglife. Mais Dieu,
» dont les jugemens font bien difFe-
» reus de ceux des homines , a eu
» moins d'egard a fon travail qui de-
v meuroit imparfait, qu'a 1'ouvrage
» de fa grace , qui l'avoit fair arri-
» ver lui-mcme a la plenitude de l'a-
» ge , felon lequel Jefus-Chrift de-
» voit etre forme en lui. C'etoit un
» fruit mur qu'il a cueilli pour le
» nsettre en surete dans fes taberna-
» cles eternels «. La derniere mala-
die de ce faint homme, caufee par fa
penitence , fes jeunes &c fon travail,
ne changea prefque rien aux exercices
ordinaires qu'il s'etoit prefcrits , &
fervit a faire encore connoitre davan-
tage fa vertu & Pabondance de la
grace qu'il avoit re$ue de Dieu. II
recur les Sacremens de I'Eglife avec
une piete exemplaire des mains de
Monneur le Cure de Saint Andre , &
il eut la confolation de rendre le der-
nier foupir entre celles de M. Wal-
lon de Beaupuis qui etoit venu de
Beauvais a Paris pour Paflifter dans
ce dernier moment. Cette bienheureu-
fe mort arriva fur les huit heures du.
Matin le vendredi 10 Janvier 1698,
-ocr page 362-
3^0 HlSTOIRE DE PoRT-ROLAX.
iGyS,         Son corps fut depofe a la ParoiiTe ,
L1V. d'oii il fut ttanfporte le lendemain a
son corps eft p. R. des Champs , ou il avoit de-
pone a P. R.             \i            /•           n                 \ a
Won fes de-man(ie par Ion teitament a etre enter-
fus-
            re (66). Sa demande eft: exprimee en
ces termes remarquables: « Les re-
w verendes meres de Port-Roial des
m Champs m'aiant accorde l'honneur
» de me recevoir comme Clerc de
» leur Eglife , j'efpere qu'elles ne
« me refuferont pas la fepulture &
« les prieres ardentes qu'elles ont
» coutume de faire pour ceux que
» Dieu a unis avec eiles. II y a long-
» tems que j'ai inclination que mon
»» corps foit mis aupres de celui de M.
» de Bernieres,avec qui Dieu m'avoit
» uni en me tirant de la maifon de
» mon pere pour me donner une
« education , dont je le benis de tout
» mon cceur, & j'efpere de fa mife-
« ricorde que je l'en benirai dans
» route l'eternite. Je foumets nean-
» moins cette difpoiition au juge-
" ment des reverendes meres de
« Port - Roial «. La place qu'il fe
deftinoit pour fa fepulture etoit a la
porte de l'Eglife -, mais les religieufes
qui etoient bien aifes d'avoir ce pre-
cieux depot au-dedans de leur cloture,
'■(£«) Vie de M. Till. p. 141.
profitant
-ocr page 363-
II. Part ie. Liv. X. 561
profttant de la claufe par laquelle il i^ag,
foumettoit cette difpojition a leur ju-
gftnent (67)
firent faire la fofle au bas
cote gauche de leur chceur devant la
grille de la Chapelle de la Sainte
Vierge.(<J8). Ce fut-U qu'il fut in-
hume le quatrieme jour apres fori de-
ces. Ce jour - la meme , chofe furpre-
nante! ion corps que Ton avoit ti-
re du cercueil pour le decouvrir fe-
lon l'ufage d'enterrer les Pretres, »
» parut plus, beau qu'il ne l'etoit
» le premier jour ; fa bouche qui
» s'etoit ouverte d'abord , s'etant re-
" fermee d'elle-memej la couleur,
» de fort vifage & le vermilion de
» fes joues que la mort avoit fait
» difparoitre , etant revenus dans leur
» naturel -y &c fon corps etant toujours
» demeure flexible & capable depren-
» dre telle fituation qu'on vouloit
» lui donner , fans aucune odeur de
» mort, ni aucune atteinte de corru-
w prion ".
» Si j'avois, dit M. Fontaine (69},
(57) II paroit pat M.    qu'dles fouhaitoient de
Fontaine (Mem. T. x,    t'enterrer au-dedans.
p. 57;. ) t;ue les religieu■
         (68) En 1710 , H
fes s'adrederentau pete de    fuc ttansfete le 25 de-
M>deTillemontpout fai-    ce.nbre dans l'Eglife de
re ce changemenc, 8c qu'il    S. Andre des Aics.
leur donna la psrmijjion {^) T. t. <<>?•
Tome Fill.                   Q
-ocr page 364-
$6l HlSTOIRE DE PoRT-ROlAt.
1608. » une priere a faire a. Dieu pour fon
» Eglife , qui eft l'objet de mes pen-
» fees & de mes fouhaits fur la terre ,
» quele meilleure demande pourrois-
»j je faire , que de lui donner des
« Pretres femblables a celui dont
m nous parlons , & de lui donner en
w meme - tems des jours plus tran-
» quiles , afin que dans fa paix elle
5) put faire jouir en repos fes enfans
» des confeils & des lumieres de ces
» hommes pacifiques«.
tv.
         M. le Nain fuivit de pres ce digne
More deM. gis qUj5 feion l'or(lre de la nature ,
auroit du lui iurvivre. » Ce venera-
» ble vieillard, qu'on peut regarder,
it dit M. Fontaine (70) comme uiv
» veritable Patriarche par ce grand
» nombre de perfonnes faintes qui
«> rempliifoient fa famille « , fut ac-
cable de telle forte d'un coup fi peu
attendu & fi contraire a l'ordre de la
nature , qu'il y fuccomba & mouruc
le 9 fevrier a I'age de quatre-vingts-
neuf ans. Pour connoitre quelle etoit
la piete de ce refpe&able Magiftrat,
il fuffit de mettre fous les yeux du
Le'cteur le petit ecrit qu'il avoit con-
tinuellement en vue, & ou il mar-
que de quel ceil il regardoit la mort,
l7o)fbid)p.(7t,
-ocr page 365-
II. P ARTIE. LlV. X. 3<fj
« J'adore, 6 mon Dieu, votre Etre i 69%.
» eternel \ je remets entre vos mains
v celui que vous m'avez donne pour
» etre detruit quand il vous plaira
» par la mort que j'accepte avec fou-
« miffion en union de celle de J.
jj C., en efprit de penitence j & dans
» cette vue je m'en rejouis, & j'efpere
« que l'acceptation que j'en fais, atti-
» rera fur moi votre mifericorde pour
« me faire arriver heureufement a ce
»j redoutable jour. Je defire , moa
» Dieu, par ma mort vous faire un
j» facrifice' de moi-meme pour rendre
» hommage a la grandeur de votre
» Etre par l'aneantiflement du mien.
» Je defire que ma mort foit un fa-
» crifice d'expiation qui vous agree,
j) 6 mon Dieu , pour fatisfaire a vo-
» tre juftice pour tant d'offenfes que
» j'ai commifes j & dans cette vue
» j'accepte tout ce que la mort a de
« plus affreux aux fens & a la na-
»> ture.
" Je confens, 6 mon Dieu, a la
» feparation de mon ame d'avec mon
» corps, en punition de ce que par
« mon peche je me fuis fepare de
» vous. J'accepte la privation de I'u-
*» fage de mes fens en fatisfadioa
Q H
-ocr page 366-
J<?4 HlSTOIRE DE PoRT-ROi'AL.
» des peches que j'ai commis par eux.
» J'accepte, 6 mon Dieu, que jefoss
» foule aux pieds 8c cache en terre
w pour punir mon orgueil, qui m'a
■» fair chercher a paroitre aux yeux
» des creatures. J'accepte qu'elies
» m'oublient 8c ne fe fouviennent
» plus de moi , en punition du plai-
n fir que j'ai eu d'etre aime d'elles.
» J'accepte la folitude & l'horrreur
» du tombeau , pour reparer mes dif-
» fipations & mes amufemens. J'ac-
sj cepte enfin la reduction de mon
>.< corps en poudre & en cendre, &
» qu'il foit la pature des vers, en
» punition de l'amour defordonne
" que j'ai eu pour mon corps. O pou-
» dre , 6 cendre , 6 vers , je vous re-
s' c,ois , je vous cheris, 8c vous re-
•» garde comme les inftrumens de la
» juftice de mon Dieu pour punir
» l'orgueil qui m'a rendu rebelle a
» fes ordres. Vengez fes interets}
» reparez les injures que je lui ai
« faites 'y detruifez ce corps de pe-
at che, cet ennemi de Dieu, ces mera-
» bres «i'iniquites, & faites tribrn-
w pher la puifTance du Createur fur
» U foiblefTe de fon indigne crea-
i> wre. Je m'y ("gurnets 5 6 mon Dieu,
-ocr page 367-
11. P A R T I E. LlV. X.       3 (J 5
'» & au jugement que vous ferez 1698.
» demon ame au moment de ma
" mort (71) «.
M. du Foflej qui par la mort de tvi.
M. de Tillemont avoit eu la douleur iu m
p^R. *
de perdre fon plus ancien & plus inti- Beau temoi-
1            i-i              ■ 1 j- 1 £nage qu "■
me ami _, avec lequel u avoit etudie fencf j rinno-
etant tout jeune (72) dans les ecolesce. dcs,Kp~
de P. R. ne lui furvecut pas un an, |',eu es
etant mort le 4 de novembre de la
meme annee, age de foixante - cinq
ans. Son corps fut enterre a Saint
Etienne du Mont. Son cceur fut porte
a 1'Abbaie de P. R. des Champs., pour
laquelle il conferva tant qu'il vecut
une eftime (inguliere, un attache-
ment inviolable , & une reconnoif-
fance parfaite. C'eft dans cette vue
qu'il ecrivit fur la fin de fes jours des
Memoires tres intereflans pcur fervir
a I'hifioire de P. R. » Je fens au
» moins , dit-il en les finiflfant (73) >
" une confolation toute particuliere
» d'avoir eu le terns avant ma mort
» de rendre ce tcmoignage public a
» la piete eminente de tant de per-
» fonnes, que j'ai eu le bonheur tout
» fingulier de connoitre des mon en-
» fance, 8c de qui je tiens a gloire
(71) Font. Mem. T. i. (71) Fo(T. p; jon.                       vi.:,
P- 573 > 574-                          (73) Ihid- V- ?o7.
Q "j
-ocr page 368-
$66 HtSTOIRE DE PORT-HOI At.1
» d'avoir appris tous les grands prin-
m cipes du Chriftianifme...... Que
» je ferois heureux , dit notre pieux
» Aureur, fi je pouvois me promet-
» tre un fucces auffi avantageux de
» mes Memoires, & fi par la force
» de la verite que je reprefente en
» mille chofes qui font de ma con-
» noifTance , j'avois le bonheur de
" detromper bien des gens qu'une
» mauvaife prevention a feduits......
» (Ja he. pour ma confolation par-
« ticuliere que je me fuis appliqu^ a
« cet ouvrage. J'ai fonge a repafler
*> dans mon efprit les mifericordes
*   du Seigneur a mon egard , done
» j'ai un grand befoin pour me fou-
3> tenir contre la crainte que me cau-
3> fent mes peches, par la vue de rant
j> de marques fingulieres que Dieu.
3> m'a donnees de fa bonte. Mais
3> comme ce premier defTein s'eft trou-
» ve tellement joint avec celui de la
« juftificarion des perfonnes que j'ai
n eu le bonheur de connoitre des
*  mon enfance, & en qui j'ai tou-
» jours admire un amour tres fingu-
« lierpour l'accronTemenrde la gloi-
»> re de Dieu , de Jefus-Chrift & de
» fon Eglife , je me fuis vu engage
« neceflairement a parler d'elles ea
-ocr page 369-
II. Partis. Liv. X. $67
a parlant de moi. II y a cinquante- i(jy%.
»
quatre ans que je les connois. C'efl
» dans la maifon de P. R. que j'ai
» appris les premiers elemens de la
» vie chretienne. On n'a pu fe ca-
» cher de moi: j'ai tout vu, j'ai tout
« entendu ; s'il y a du mal, j'en dois
» mieux etre informe que perfonne J
» & fi je fuis oblige de dire la veri-
» te , c'eft principalement lorfqu'e-
» rant dans la foixante - cinqmeme
« annee de mon age & dans une pe-
s' rilleufe infirmite , je fens appro-
» cher une heure fi redoutable , ou
■» tout fera decouvert a la lumiere
» du grand jour de l'eternite......
» Denrant done qu'on regarde ces
» Memoires comme uu temoignage
» que je rends a la verite & a l'in-
» nocence, je me nomme expres , &
» je pretens par-la leur donner une
» autorite fans laquelle on pourroit
» les rejetter«.
» Grand Dieu, qui connoiflez Ie
» fond des cceurs, s'ecrie notre pieux
» Auteur , vous favez que je n'ai
" jamais ete attache a ceux de qui
» j'ai parle dans ces Memoires, qu'au-
» tant que je les ai vus eux-memes
if attaches inviolablement a votre loi
* & foumis imcerement a l'autorite
Q iiij
-ocr page 370-
3<JS HlSTOIRE DE PoRT-Ho'lAl?
> de votre Eglife. Vous favez , mos
Dieu, que c'eft vous qui par un
» exces de votre bonce & par un
evenement qui tienr du mira-
cle (74) , avez d'abord fait con-
noitre tant de grands hommes 8c
de faintes vierges a mon pere , afin
que j'eufle moi-meme dans la fuite
le bonheur de leur connoilTance «.
Le Le&eur fenfe & judicieux fent de
quel poids eft un tel temoignage pour
la juftification des religieufes & de
Meffieurs de P. R. II a en meme-
tems la fatisfacTrion, en lifant cette
hiftoire, d'avoir une entiere certir
.tude fur la verite des faits que nous
y avancons j en voi'anr qu'ils font
puifes dans des. fources fi pures, &
<[iie nous av'ons pour garans, des me-
moires, dont les Auteurs ont tout vu
Sc tout entendu.
Tel eft en particu-
lier Pierre - Thomas du Fofle. Ne a
Rouen le 6 avril 1634, il eut non-
feulerrient l'avantage d'etre eleve a
P. R. des l'age de neuf ou dix ans ,
mais encore d'y faire de longs fejours,
apres fon education ; d'etre le com-
pagnon de M. le Maitre (75), & de
(74) Vo'icz cet eVene-    Maitre ai'aat obtena du
merit, T. i, de cette hif-   Cardinal Mazarin la.per-
toire, p. 194.                     million de retourner'aP,
-. (75) In i«j7, M. le   R. aYec.«nami,il clioUk
169 8.
-ocr page 371-
II. P ARTIE. LlV. X. ;<$9
M. de Saci , & d'avoir part a leurs 1698.
travaux. II conferva toujours une union
inviolable
(76) avec MM. de P. R.
au milieu des plus grands troubles qu'ex-
citoient contr'eux leurs ennemis.
II mit
meme fa. plus grande gloire a porter
une partie de I'opprobre du fiecle avec
eux.
Aux approches de la mort cette
union inviolable qu'il avoir eue avec
Port-Roial, etoit pour lui un motif
de confiance , & lui donnoit lieu d'ef-
perer que leur grande charite couvri-
roit le grand nombre de fes fautes
aux yeux de la juftice divine. Enfin
lorfque Dieu l'appella a lui, apres
avoir palle route fa vie dans la re-
traite & la priere , dans l'etude de la.
verite & la pratique de la charite,
M. du Fofle. Les deux So-    un ami & un pere. Ce
litaires revirent enfemble    fin par fon confeil qu'il
la traduction de S. Jean    apprit l'efpagnol,& ira-
Climaqiie i'aite par M.    duilit la vie de D. Barthe-
H'Andilly , & fefervirent    lemi cies Martyrs. Enfin ,
<lu Commentaire d'Elie    apres la mort de M. de
de Crete. lis travaiUetent    Saci , M. du FoiTefut jir-
auffi a preparer les mate-    g£ capable de continuer
riaux pour le grand ou-    fes explications de l'E-
vrage de la vie des Saints,    criture fainte t & on le
M. du Foffe recueillit en-    chargea de cet ouvrage ,
core les Memoires de M.    auquel il travailla jufqu'i
de Pontis, qui etoit alors    fa dernieremaladie.Vo'i'ea
retire a P. R. M. le Mai-    les Memoires de M. du
tre etant mort le 4 no      FoiTe, 6c fa vie qui eft & la
vembre i«;8 , M. du    rite.
Foffe retrouva dans la (j6) Ibid. p. 513,.
petfonne de M. d« Saci
Q v
-ocr page 372-
?7° HlSTOIRE DE PoRT-ROlAt;
1698. il voulut que fon coeur fat porte r
comme nous l'avons dit, a P. R. des
Champs, d'ou il n'etoit jamais forti.
On l'inhuma dans le bas cote gauche
du chcEur.
I(<oo, Le 5 fevrier de l'annee 1699, les
lvii. religieufes de P. R. des Champs fi-
Bouiard^re rent ^ans aucun obftacle l'ele&ion de
Abbefle. leur AbbefTe. Le choix tomba fur la
four Elifabeth de Sainte-Anne Bou-
lard de Ninvillier , qui depuis neuf
ans remplilToit dignement la place de
Prieure. Elle etoit nee au mois d'a-
vril 162.8 , & avoit quitte les amu-
femens du monde, a l'age de vingt-
trois ans , pour fe confacrer a Dieu
dans le monaftere de P. R. (77). Elle
y recjit l'habic de novice en 1651 ,
& fit profefllon le vingt - neuf de-
cembre 1651 (78). Onremarqua tou-
jours en elle une fincere & profonde
humilite, & l'exa&itude la plus exem-
plaire a routes les pratiques de la vie
(77) It eft dit dans le    monde. qui lui avoient
Uecrologe ,qa'elley hoit    plu dans fa jeunefle : A
entree des I'dge de fept    nugacitatibus feculi, qua
ans , aiant ainfi quitte le    adolefientul* arriferant r
j$ monde avant que de le    donante Chrifioconverfa*
E i tonnoitre. Ce fait n'eft    Elle ne le quitta done pas-
'.ji.1- ' jointexaft, &H eftcon-    a l'age de fept ans, avant
credit dans l'epitaphe me*-    que de le connoltre.
roe de cette AbbefTe , ou        (78) Vies 6dif. J. 1, jr.
il eft matque , qu'elle re-    jifi „. &c»
nocca. aux amufimens du
-ocr page 373-
n. pa*l t ie. Liv. x. 571______
teligieufe. L'amour de la priere, de la 1699.
mortification & du fdence , la refi-
gnation Sc la confiance en Dieu, la
foi & le courage etoient admirables en
elle. Apres avoir paflTe fucceffivement
par la purpart des charges de la mai-
fon, aianr ete elevee a la premiere
dignite , elle tint toujours une con-
duite fi humble qu'il fut aife de juger
qu'elle defiroit bien fincerement de
n'occuper que la derniere place. M.
de Noailles qui connoiiToit fes difpo-
fitions, lui ecrivit pour la confoter.
» Je ne doute pas , ma chere fille ,
» lui dit-il, etant perfuade comme
» je le fuis , de votre zele & de votre
" piete , que vous ne foiez effraiee 8c
"
affligee du fardeau dont la Provi-
» dence vous charge. Votre douleur
» m'edifie, & me fait en meme-tems
" efperer que Dieu vous donnera
» toute la force neceflfaire pour le
» porter dignement & utilement pour
» fa gloire. Je Ten prie de tout mon
» cceur , & vous y aiderai de ma
» parr avec plailir en tout ce qui de-
" pendra de moi. Que j'aie toujours
" part yje vous en conjure j dans les
" prieres de votre communaute & dans
» lesvotres
(79). Lesefperances deM,
{4?) Let. du 16 fey.
-ocr page 374-
37i Histoike DE PonT-ROiAt;
i^c,5. de Noailles ne furent point vainest
Elle porta dignement & utilement
pour la gloire de Dieu pendant fix
ans le fardeau, dont on 1'avoit char-
gee , travaillant a procurer l'avance-
cement de fes nlles par des prieres
continuelles , & parl'exemple qu'elle
leur donna de routes- les vertus reli-
gieufes, fans jamais fe relacher en
rien de la regie malgrefon grand age
&c fes infirmites. Le terns de fon gou-
vernement aiant concouru avec le
commencement de la dexniere perfe-
cution , nous la verrons pleine de foi
& tranquilleau milieu des plus gran-
des afflictions , infpirer a fes filles les
faintes difpofitions que Dieu avoit
tnifes en elles, & leur donner i'exem.-
ple du courage avec lequel on doit
defendre la verite. Nous la verrons ,
dis-je, aller au combat avec la rneme
ardeur que Ton voit quelquefois dans
ces vieux foldats qui ne refpirent que
la guerre, quoiqu'ils y aient beaucoup
fouffert.
ivm.
         Peu apres 1'eledion de la mere
Mort du Boular<l ( on tranfporta a P. R. des
comfn',edont Champs le corps de M. Charles Cefar
'ortiTe t- du Cambout de Coiflin , Chevalier
po"
          ' de Malthe non profes, morr le 1 i
fevriet 16?p. » Apre? avoir donnides
-ocr page 375-
II. Part ie. Liv. X. ,37$_______
»> marques eclatantes de fa valeut i^aa,
» tant fur mer que fur terre (80), il
» fe degouta du monde; & touche
» de la vie exemplaire & penitente
« de M. de Pontchateau fon oncle,
" qui s'etoit fancHfie dans le defert
» de P. R., il fe livra a tons les exer-
» cices de la piete chretienne. L'atta-
chement qu'il avoit pour cet illuftre
penitent, & l'afFection qu'il portoit
a la maifon de P. R. lui fit ordonner
qu'il y feroit inhume aupres de fon
faint oncle (81). Pour faire ce tranf-
port , il fallut l'agrement de Louis
XIV.
Les preventions de ce Prince con- „ ,1IX'. *
r_                                :                             Prevention*
tre I-'. K. croillant toujours par les du Roi cou-
foins du Pere ConfefTeur , ellestte p'R*
etoient fi grandes, que Madame la
Comtelle de Grammont, qui etoit de
tous les voi'ages que la Cour faifoit
a Marly, fut exclue de celui du 19
juin, parcequ'elle avoit pafle quelques
jours a P. R. dans 1'oclrave du faint
Sacremerft. Madame de Maintenorr
en aiant parle au Roi , comme pour
s'informer ll c'etoit par inadvertence
qu'il n'eut pas marque cette Dame »
<8o.) Necr. p. 80.           de M. de Pontchateau &
(81) Il fut exhume en Magni ou il regofe.
1711, & porte ayec celui
-ocr page 376-
J74 HtSTOIRE BE PoRT-ROlAt;
il reportdit: Marly & Port^Roial nt
s'accordent pas enfemble.
Madame de
Grammont croi'ant devoir fe juftifier,
ecrivit en ces termes d Sa Majefte.
» Elevee a P. R. (81) , ce que fai de
» fentimens de piete m'a ete infpire
» par les grands exemples de peni-
» tence que j'y ai vus , & par les
» inftrudfcions chretiennes que j'y ai
» re$ues. Le defir de ranimer ces fen-
» rimens me porte a. y aller de terns
» en terns & a y faire quelques jours
» de iretraite. Je n'aurois pas prevu
» que ceux que j'y ai pafles en cette
« derniere rencontre, fufTent capa-
>> bles de m'attirer cette difgrace «.
Cette lettre ne fit aucun effet fur
Tefprit du Prince, non plus qu'une
autre tentative de la meme Dame ,
qui voulut au mois d'aout fuivant lui
parler des obligations qu'elle avoit
a Port-Roial, & du definterefTement
(81) Elle etoir fille de
Mylord Hamilton , qui fe
tefugia en France en 1647.
Ce Mylord etant depouil-
le de fes biens , trouva a
P. R. un afyle pour fon
fpoufe 8c fes deux filles.
En iS'ielles furent obli-
gees d'en foitir t;ar ordre
in Roi, cotrtme les autres
penfionnaires. L'aince des
«ieux DeniQifelks, done
il s'agit, epoufa le Comte
de Grammont. Cette Da-
me profita de la bonne e-
ducation qu'elle avoir re-
c,ue a P. R.., &nerougic
point meme de paffer pour
amie de cette maifon , 8c
de temoigner les obliga-
tions qu'elle lui avoit.
Elle eft morte le } juirt
ryoS , & repofe a faint
Germain l'AuxeiroU,
-ocr page 377-
II. Par.tie. Liv. X. J7j
des religieufes. Je vols bien , dit le vSyy.
Roi en 1'interrompant, que vous vou-
le^ me parler en faveur de cette mal-
fon
j mals j'ai mes raljbns pour aglr a
I'egard de ce monajlere comme je fais.
Le 21 d'avril de cette annee, les tx.
religieufes de P. R. perditent un ami £™J*Mi
zele , par la mort de M. Jean Racine,
qui mourut age de 5 9 ans , & fut en-
terre a P. R. aux pies de M. Hamon,
comme il l'avoit ordonne par fon
teftament. » Je defire, dit-il, dans
ce teftament fait le ro odtobre de
I'annee precedente, » qu'apres ma
» mort, mon corps foit porte a P.R.
» des Champs , & qu'il foit inhume"
" dans le cimetiere aux pies de la
w folTe de M. Hamon (83). Je fupplie
» tres humblement la mere AbbefTe
» 8c les Religieufes de vouloir bien
» m'accorder cet honneur, quoique*
" je m'en reconnoifTe ties indigne, 8c
» par les fcandales de ma vie paftee
» & par le peu d'ufage que j'ai fait
» de l'excellente education que j'ai
             ,
» re^ue autrefois dans cette maifon,
« 8c des grands exemples de piete 8c
»
de penitence que j'y ai vus , & done
(?3) Lors de rexhuma- faint Etienne du Mont, St
tfon des corps, celui de enterri aupres de M»-PaSr
**♦ Racine, m jortfc a cair
-ocr page 378-
37<£ HlSTOIRE DE PoRT-R01At7
r
1699. " Je nal "e qu'un fterile admira-
» teur. Mais plus j'ai offenfe Dieu ,
» plus j'ai beloin des prieres d'une
» fi fainte communaute , pour attirer
« fa mifericorde fur moi. Je prie
» *&uffi la mere Abbeffe & les Reli-
» gieufes d'accepter une fomme de
" 800 liv. Fait a Paris dans mon ca-
« binet le 10 octobre 1698 (84).
Nous avons deja parle ailleurs de ce
celebre Poete , plus eftimable par fa
penitence & par les vifs regrets qu'il
a eus de fes poefies prophanes , que
par la grande reputation qu'il s'eft
acquife par fes ouvrages. Son attache-
ment inviolable &c perfeverant a la
fainte maifon de P. R. depuis fa re-
conciliation , le zele qu'il a eu pour
la fervir , le beau morceau d'hiftoire
qu'il en a donne , & qui fera regret-
ter que la fuite n'ait pas ete donnee
au Public, feront toujours honneur
a fa memoire.
W*
          Dans le meme mois que M. Ra-
uiigieufes. cine mourut, la mort enleva deux
religieufes de chceur a P. R. des
Champs, la fceur Helene de fainte
Demetriade, qui mourut le 19 avril
. jour de Pique , dans la 57 annee de
(84) VoVez les Mem. it. les Mem. hift. T.. J,
fur la vie de_M, Ratine p. 170. Necr. p. iS6>
-ocr page 379-
II. Par.tie. Liv. X. 377
fon age (85); & la foeur Brigide de I700r
fainte Maure Pichard , morte a Page
de 49 ans le 16. La premiere etoit
fille de M. Pierre Benoife Confeiller
du Roi en fori Confeil, grand ami de
ce monajlere
(8<J), mort age de 8i
ans le 11 du meme mois & de la me-
me annee j & de Catherine de Ri-
couard, morte le 17 du mois de mai
fuivant. Les coeurs de l'un & de Pau-
tre furent portes a P. R. & enterres
dans le cimetiere des religieufes , au-
pres du corps de la foeur Helene de
fainte Demetriade leur fille.
II reftoit encore en 1700 a P. R. ixn
des Champs une religieufe de la fa- r^Angst^ue
mille de la fainte Reformatrice de &* «in»
cette Abbaie , la foeur Marie Angeli-
3ue de Sainte-Therefe, fille de M.
Andilly. Mademoifelle de Luzanci
(c'eft le nom que la fceur Marie An-
gelique portoit dans le monde ) tou-
chee d'une grace puifTante a Page de
x 1 ans, renonca au fiecle pour fe
retirer a P. R. oii elle prit Phabit le
13 decembre 16 51 & fit profeifion le
zi novembre 1654 (87). Commeelle
n'avoit point les talens neceflaires pour
(8;) Suppl. du Necr.p. (87) Mem. T.jioirt.
i«8.
                                  5. ix. Rel.p. ;88.&W%
(8f>) Voi'ez le.Necr. . Suppl. Necr. p. t^8.
-ocr page 380-
$f% HlSTOIRE M PoRT-Rdl'lt;
1700. l'ififtru&ion & le gouvernement, oil
lui donna le foin de fervir la mere
Agnes dans fes irtfirmites ^ & on lui
fit apprendre la chirurgie dans la-
quelle elle fe rendit fort habile. Elle
accompagna fa refpectable tante dans
fa captivite l'an 16G\ -y M. de Pere-
fixe ai'ant eu afTez d'humanite pour ne
pas priver la mere Agues d'un fecours.
qui lui etoit fi necefTaite. La foeur
Marie Angelique fouffrit beaucoup
dans cet etat, tant de la part de fes
geolieres, que par des peines d'efprit.
ckUviii E°fin > quoiqu'elle eut dans facap-
' tivite un grand avantage,que n'avoient
pas fes fcEiirs exilees, qui etoit non-
feulement de n'etre point feule, mais
meme d'etre avec une veritable mere,
pour laquelle elle avoit plus d'eftime,
de connance & de veneration que
pour qui que ce fut au monde fans
exception , elle eut le malheur de fe
lailler feduire & de figner. » Rien
» ne fait mieux voir, comme elle le
remarque elle - meme dans fa rela-
tion (88) , » qu'il n'y a que Dieu
m feul qui foutienne, 8c que les crea-
» tures, quelque faintes qu'elles puif-
» fent etre , ne nous fauroient empe-
» cher de perir 5 elles ne peuyent
(8S) Hift. de la perfec. Relat. N. x.vu
-ocr page 381-
II. P A R. T I1. LlV. X. |7f
w nous dormer ce qui nous manque, "TToo
» ni nous delivrer des rentations.
» C'eft pourquoi, dit-elle, mon ex-
» perience m'a fait voir, que nous de-
» vons mettre notre confiance en
» Dieu feul, & liti demander incef-
» famment fa fainte grace , fans la-
« quelle nous ne pouvons nous fou-
» tenir , quelqu'appui exteiieur que
» nous aions ; au lieu qu'avec la me-
« me grace, nous pouvons cout, quel-
» que delaiflees que nous foi'ons ,
» comme il eft arrive a plufieurs de
» nos foeurs qui ont ete captives 8c
» abandonnees de tout fecours & de
» toute confolation.
Pendant plus d'un mois elle e'prou- txtv.
va des peines d'efprit extremes , & d^''Jtc"
elle fe trouvoit dans des doures &c
des obfcurites ft efFroiables , qu'elle
etoit quelquefois dans le doure /I
elle croioit en Dieu , ou fi elle n'y
croioit pas -y il lui fembloit qu'elle
n'avoit point de foi, & qu'elle dou-
toit s'il y avoit une eternite. L'ac-
cablement de fon efprit etoit fi
grand qu'elle ne pouvoit quafi prier
Dieu, qu'en difant t Mon Dieu _, aie%
pitie de moi; vous connoiffe^ mon etai*
eclaire^ mes tenebres. Si je fuis dans
& ban chemin 3 faites-moi la grace d'yi
-ocr page 382-
J So HlSTOIRE DE PoRT-RO'iAl*
marcher ^ fi je n'y fids pas , faites-U
mol connoltre.
Telle eft la peinture
que fait la foeur Marie-Angelique de
Sainte-Therefe de fa fituation. Nous
ne parlons point des mauvais traite-
mens qu'elle eflui'oit de la part de fes
geolieres j le Lecteur peut fe les re-
prefenter aifement. Dans cet etat,
elle paffoit les jours & les nuits en
larmes. La mere Superieure & la fceur
de Chandenier augmentoient encore
fans cefle fes peines par les chofes
aftligeantes qu'elles lui difoient , ne
manquant pas fur-tout, lorfque quel-
ques - unes des prifonnieres avoient
figne , de lui apprendre ces trifles
nouvelles.Ces chutes 1'afFoiblifloient:
outre cela , elle avoit beaucoup de
travail, ce qui accabla fi fort fon
corps & fon efprit, qu'elle commen-
ce a croire qu'elle ne pourroit pas
porter un etat fi penible & fi vio-
lent, & auquel elle ne vo'ioit point
de fin. Toutes les penfces qui favo-
rifoient la tentation lui venoient en
foule. Ce qui faifoit plus d'impref-
fion fur elle t c'eft qu'elle favoit que
M. Singlin avoit ete d'avis qu'elles
fignaffent par obeifTance , & que M.
de S. Cyran (de Barcos) avoit fait
iigner fes religieux. Elle penfoit que
-ocr page 383-
II. Par tie. Liv. X. 381
des perfonnes fi eclairees n'auroient x 70C
pas confeille d'offenfer Dieu. (Ceci
doit apprendre a. ceux qui ont de la
himiere & de la reputation , combien
ils doivent etre circonfpedts & re-
ferves dans leurs avis & leurs deci-
iions , afin de n'en point donner qui
puifTent etre prejudiciables aux per-
fonnes qui ont confiance en eux).
Mais la plus grande inquietude de lxv.
la four Marie-Angelique etoit de ne f, p'L"^Men(t
pouvoir fe confeuer; elle fe feroitdenepouvoir
contentee de le faire une fois feule- fe contcl1"*
ment, parcequ'elle fe rappella le fou-
venir de quelques fautes, qui lui fai-
foient craindre que fes autres confef-
fions n'euflent ete nulles , de forte
qu'elle n'ofoit efperer fon falut fans
cela; ce qui la reduifit dans une an-
goiffe inimaginable.
Cependant d'un autre cote, la si-
gnature du Formulaire lui faifoit une
terrible peur.
Au milieu de tant de
peines, on ufoit encore d'un ftrata-
geme pour les augmenter. Une des
geolieres lui difoit confidemment &
en amie
de penfer a elle, qu'on pour-
roit bien fetter d'aupres de la mere
Agnes, ce qui fit un etrange renver-
fement dans fon efprk.
Faut-il s'ctonner qu'on ait arrache
-ocr page 384-
j8l HlSTOIRE DE PoR.T-R.OlAI,.
'1700. ^a fignature a une prifonniere acca-
1XVI bice de rant d affliction ? Encore de
Moiens quelle maniere lui fut-elle arrachee ?
Soil? po™r M. ^e ^a"S ^tant vellU a ^U" neures
la feduire. du matin la furveille de la Touflainr,
a l'occafion d'une lettre que la mere
Agnes lui avoir ecrire, aianr dir qu'il
ne demandoit qu'une Jbumijjion, -juun
acquiefcement
, la foeur Marie-Ange-
lique qui etoit route rroublee , lui
repondir, a fori grand malheur j Mon-
feigneur
, ne nous demande^-vous que
cela
? C'en fur aflez, cerre parole la
fit romber dans le filer. M. de Paris
l'affura qu'il ne demandoir que cela.
Depuis ce momenr on fur roujours
apres elle fans relache. Le combar ou
etoir certe pauvre fille, ne fe peut
comprendre.
Elle fut malade tout le
jour. Des le foir l'Abbe Boffuer (89)
vint de la part de l'Archeveque &
lui promir de s'emploi'er aupres de Sa
Grandeur afin qu'il lui levar la peine
qu'elle avoir de figner purement &
{implement. Elle pafla toute la nuit
«n pleurs & en prieres. Le lende-
main des le marin , M. de Perefixe ,
* (89) On eft affltee de    l'Eg'ife : s'il ne s'eroit
trouver ici M. Boffuet ,    diftingue que par de fem-
qui s'eft rendu fi celebre   blables traits , jamais il
depuis par fes aimirables   n'eut ere appelle le grand
ouvrages contre les cor-    BofTusI.
tupteurs de lado£tri;ie de
-ocr page 385-
II. P A R. T I E. L'lV. X. $ 8 }
<jui ne vouloit point perdre fa proie, ijqq.
vint avec M. l'Abbe BofTuet pour s'en
faifir. L'autorite de M. Singlin fut
citee par l'Abbe fur le temoignage de
M. de Sainte - Beuve ; l'Archeveque
appui'ant, dit: Oui M. Singlin vouloit
que vous Jignaffie^.
» Oui , Monfei-
gneur, reprit la foeur Marie-Ange-
lique ; mais c'etoit en mettant au-
dejfus de notre nom
une declara-
tion , que comme nous etions igno-
rantes de routes ces matieres, nous
ne le faifions que pour obeir a nos
Superieurs«. L'Archeveque dit qu'il
ne demandoit rien davantage , & lut
la declaration qu'il avoit donnee a
la fasur Helene; il en donna une a
la foeur Marie - Angelique , qui lui
declara qu'elle ne vouloit paint con-
damner M. d'Ypres. Vous ne le con*-
damnere^ pas aujffi,
lui dit M. de
Perefixe. Apres quelques autres dif-
cours , il promit d'envoier M. Che-
ron a la prifonniere qui l'avoit de-
mande , & permit qu'elle commit-
niat le jour de la Fete , fi elle don-
noit fa parole a M. Cheron. Ce Con-
feffeur vint le meme jour a quatre
heures du foir. La foeur Marie - An-
gelique le vit, lui temoigna Feftime
qu'elle avoit pour lui , lui declara
-ocr page 386-
3 84 HlSTOIRE t>E PoRT-ROlAT..
1700. qu'il devoir avanr roures chofes met-
rre pour fondemenr qu'elle vouloit
fe fauver j qu'elle preferoir fon falur a.
rour; qu'elle aimeroir beaucoup mieux
demeurer roure fa vie dans la capri-
vire oii elle eroir, & dans les peines
d'efprir qu'elle fouftroir qui eroienr
pour elle pires que la morr , que de
faire la moindre chofe qui pur ofTen-
fer Dieu. Elle le pria enfuire de lui
donner un confeil rel qu'il voudroit
qu'on le lui donnar , s'll eroir a fa
place. M. Chefon ecoura rour , te-
moigna beaucoup de companion a la
prifonniere fur fon erar, enrra dans
fes difficulres , les rrouva raifonna-
bles, convinr qu'elle avoir raifon de
refufer la fignarure. Puis il ajoura que
la declararion de Monfieur de Paris
changeoir Paffaire , & enfin decida
qu'elle ne feroir ni p£che morrel,
ni peche veniel, de figner. Le len-
demain jour de la ToulTainr, il re-
vinr a fepr hemes du marin, lui
dir qu'il avoir vu M. de Paris, lequel
lui avoir explique ce qu'il enrendoir
ipaxacquiefcement, que ce n'itok qu'une
foumifjion de refpeci
-, que de plus ,
elle eroir publique; que les Jefuires
eroienr fach.es conrre M. de Paris de
ce qu'il l'avoit donnee , que quel-
ques-uns
-ocr page 387-
II. Partus, Liv. XS 385
ques-uns memes en avoient fait des 1700,
plaintes. Enfin M. Cheron donna une
explication fi favorable a ce terme ,
& temoigna d'ailleurs tant d'eftime
de P. R. qu'il perfuada a la fceur
Marie-Angelique qu'elle pouvoit fi-
gner.
Pour remedier a la peine qu'elle
avoit de faire cette demarche fepa-
rement de la communaute , & a la
crainte de fcandalifer ceux qui pour-
roient croire qu'elle avoit change de
fentiment , il lui propofa de faire
un a&e qui previendroit fa fignatu-
re, lequel feroit voir qu'elle ne la
donnoit que par foumijjion de refpect
& non point par creance.
Elle fit I'acte
& le remit a M. Cheron , qui lui dit
que quand il n'y auroit que fes pei-
nes d'efprit, il ne feroit point de
difficultes de penfer qu'elle ne put
& ne dut figner , parcequ'elle ne
pouvoit en cet etat faire ion falut.
II l'aflura encore ,foi de Pretre } que
la fignature n'etoit ni pechd mortel ,
ni pechi viniel3 ni imperfection. II lui
parla auffi du defTein qu'on avoit eu
de la feparer de la mere Agnes. Cet
entretien , qui dura plus de deux
heures, fe termina fans rien conclu-
de. Quelque terns apres,M, de Paris
Tome FIJI.                        R
-ocr page 388-
J 8 G HlSTOIRE DE PoRT-ROlAl.
IT" vint accompagne de M. Chamillartl
pour faire une nouvelle tentative , $c
s'en retourna fans avoir rien gagne.
Le Prelat envoia le lendemain M.
Cheron, qui decida , comme il avoit
deja fait, qu'elle devoit figner. II lui
cita I'exemple de M. le Cure deTriel,
qui avoit figne purement & fimple-
ment fans revoquer fes acles pre-
cedens, & dont Meflieurs de P. R.
avoient eux - memes juftifie la con-
duite } il lui dit que c'etoit la merrie
chofe pour elles, qu'elles avoient fait
des a&es qui etoient publics, qu'el-
les ne devoient jamais revoquer. Cet
exemple frappa beaucoup la fceur
Marie - Angelique. Apres dine elle
eut la vifite de M. l'Abbe BoflTuet,
qui pendant trois heures lui debita
beaucoup de raifons pour lui perfua-
der la neceffite d'obeir j mais elle fen-
toit toujours une grande repugnance
a faire ce qu'on exigeoit d'elle. Elle
auroit toujours voulu differer, mais la
Superieure envoioit continuellement
a 1'Archevechepourfupplier le Prelat
de venir. II vint aufli-tot que M.
Cheron lui eut parle. La fceur de
Chandenier a'iant annonce fon arri-
vee a. la fceur Marie-Angelique, elle
is fenrit fi faifie & G. confternee que
-ocr page 389-
II. Partie. Liv- X. 387
jamais elle n'avoit eprouve une pa- "1700,
reille peine : » Je n'en puis plus, dic-
» elle, voiez-vous, ma four, fi Ton
» favoit l'etat oil Ton nous reduit,
« on en auroit pitie. Si Ton me don-
« noit le choix en me difant: Voila
" I'Archsveque d'un coti pour vous
» faire figner } & le boureau de taw-
» tre pour vous couper la the,
j'irois
» au dernier avec joie, dans 1 efpeV
» rauce que Dieu qui voir la trainee
» que j'ai de loftenfer, me feroit
» mifericorde «. La four Marie-An-
gelique etoit au jardin, lorfqu'on lui
annonca que le Prelat la demandoit.
Elle crut qu'elle alloit s'evanouir , &
quelle n'auroit pas la force d'en re-
venir. Etant allee dans fa chambre ,
elle fe mit a genoux devant la mere
Agnes, fondanr en larmes : il eft cer-
tain , dit-elle, que fi Dieu lui avoir
infpire ( a la mere Agnes) de me dire
le moindre mot, j'aurois tout-a-fait
rompu l'engagement ou j'etois avec
M.. FArcheveque.
On eft dans 1'etonnement, il faut lxvii.
l'avouer , du filence de la mere Agnes, j£ mcfe.^*
ans une occalion ouelle pouvoitpar agir fa niece
une feule parole empecher la chute faus lui
d',re
,,          . r . . , r;                            une parole.
d une niece qui iui etoith cnere. ^niel cequ'ondoir,
pouvoit etre le motif de cette fainte ^n'kiite.' U
R ij
-ocr page 390-
■$88 HlSTOIRE DE PoRT-ROlAI."
- n                 ____
1700. fille , fi pleine de tendreffe, de cha-
rite , de zele & de lumiere ? En a t-
elle manque dans une occafion fi im-
portance ? Sans ofer la condamner, ni
pretendre la juftifierj nous'rappor-
terons feulement Phumble confellion
qu'elle fait elle - meme de la faute
qu'elle fe reprocha depuis d'avoir com-
mife en ne tendant point les mains
a la fceur Marie-Angelique pour l'em-
pecher de tomber. » Je me crois obli-
« gee, dit-elle en finiffant cette pe-
») tite relation , de temoigner l'ap-
» prehenfion qui me demeure, que
w peut-etre quelqu'un ne foit encore
» fcandalife , en apprenant tant par
» ce que je dis, que par la relation
» de ma fosur Angeiique-Therefe ,
■» de quelle forte j'ai agi envers elle
» au uijet de la fignature. Ceux qui
» regardent ma conduite comme un
u obfcurciftement & une privation
m de lumiere, ou Dieu m'a laiifee
» tomber pour m'humilier , & me
« faire reflentir de plus en plus que
m nous n'avons point en nous-memes
» l'efprit de force & de confeil, s'il
» ne nous eft donne d'en-haut, ceux-
t. la, dis-je, en porteront le meme
» jugement que moi , & m'aideront
» de leurs prieres pour m'obtenir
-ocr page 391-
ft PARf IE. L'lV. X,       389 ______
'•»  de la divine mifericorde le pardon 1700.
»  de cette faute <, qui me rend en
»  quelque forte refponfable de celle
»  oii je laiffai tomber cette ame,
»  dont il m'avoit fi particulierement
»  chargee, puifque je ne tentai pas
w  tous les efforts que j'aurois pu faire
»  pour la foutenir, dans la creance
»  que j'eus qu'ils feroient inutiles 5
»  8c que quand meme elle auroic
»  rompu l'engagement oii elle etoit
»  deja lorfqu'elle me demanda con-
v  feil , elle ne pouvoit pas refifter
»  long - terns dans la difpofition oil
»  elle etoit, fans s'affoiblir une autre
»  fois} & comme elle le faifoit aflez
»  entendre par l'apprehenfion qu'elle
»: me temoigna dans le meme - tems
»  que M. l'Acheveque ne retirat fa
«  declaration , & qu'elle n'eut plus
»  eu apres , ce remede qu'elle croioic
»  capable de guerir la plaie que Ton
»  fait a la verite & a. la juftice en fi-
"  gnant le Formulaire. Je me laifTai
»  iutprendre auffi-bien qu'elle, a cette
»  erreur , depuis qu'elle fe cro'ioit a
"  couvert par cette declaration 5c
»  par les proteftations claires & in-
"  telligibles qu'elle faifoit a M. l'Ar-
»  cheveque de fes fentimens; cela
>>  pourroit en effet fuffire pour une
R iij
-ocr page 392-
35)0 , HiSTOIRE DE PoRT-ROlAi;
1700. » perfonne qui n'avoit pas plus de
» lumieres , & qui avoit encore
» moins de force pour porter ie
» poids de l'affliction & des peines
» d'un etat tel que celui ounous
» etions reduites.
» Mais s'il fe trouvoit des perfon-
» nes, qui voulufTent prendre exem-
» pie fur ma conduite & entendre
« de la juftifier pciur s'autorifer dans.
» quelque fentiment pareil, jede -
» clare qu'elles He pourroient faire
« une plus grande injuftice que d'ap-
» prouver ce que je condamne de rout
» mon cceur, & que je fouhaite d'ef-
» facer devant Dieu & les amis de
» Dieu , comme une tache qui a fait
» ton a la dignite de la caufe pour
» laquelle nous fouffrons , & qui me
« donnera fujet de dire avec confu-
" fion toute ma vie , au regard de ce
" confeil que je donnai avec fi peii
« de difcernement, & de l'indiffe-
» rence que je promis , fans pre-
ss voir l'abus qu'on en feroit: Unum
locutusjum quod utinam non dixijfemj
.
          & alteram quibus ultra non addam.
FtoteiUtions Pour r.evenir a la fceur Marie An-
de la Afceuer. gelique , elle fe rendit au parloir,
liquTdefafa-ouelle declara a. M. de Paris qu'elle
,e Thetefe-a- <Jemeureroit touiours unie afes iceitrs,
ant que de                                  >
gner.
-ocr page 393-
II. P A R T I E. Ixv. X. 391
les portant tomes dans fori cceur ; '1700.'
elle pria le Prelat de lui promertre
qu'on ne lui demanderoit rien contre
les perfonnes qui les avoient condui-
tes , &c qui ne leur avoient rien enfei-
gne qu'a vivre felon les maximes de
l'Evangile & a pratiquer leur regie j
elle nomma les vivans & les morts ,
ajoutant qu'elle mourroit plutotque
rien figner contre M. Arnauld. Sur
quoi le Prelat dit: " Je vous reponds
" qu'on ne vous fera jamais rien fi-
» gner contre Monfieur votre oncle ;
je I'eftime j c'ejl le plus grand homme
& plus favant que nous a'ions
: il lui
promit qu'on ne lui feroit plus rien
figner, en prefence de la Superieure
& de la fcevu de Chandennier, qu'elle
prit a temoin de certe promerTecom-
me de tout ce qu'elle avoit dit. Puis
elle ajouta , que » comme elle n'a-
» voit point de connoiflfance de ce
» fait, elle n'avoit point auffi de
» creance \ qu'elle laiffoit la chofe
» comme elle etoit, fans croire qu'el-
«. le fut ou qu'elle ne fut pas -y qu'elle
» ne vouloit point condamner M.
» d'Ypres; qu'elle l'eftimoit , le re-
» veroit & y avoit devotion comme
» a un faint j qu'elle ne vouloit point
•»■ condamner la verite & la grace de
R iiij
-ocr page 394-
_______ 3 91 HlSTOIRE DE PoRT-ROlAi;
J 700. " Jefus-Chrift , que faint Auguftin
" avoit defendue , &c. « Apres tous
ces preliminaires 8c toutes ces decla-
rations , qui tres certainement dimi-
nuent beaucoup la faute de la foeur
Marie Angelique, pour ne pas dire
qu'elles aneantiflent toutes les conse-
quences qu'on auroit pu tirer de fa
demarche , le Mandement fut pafle,
avec la plume 8c l'encre , ce qui lui
fit une nouvelle fraieur. Elle declara
encore qu'elle ne donnoit fa Jlgnature
que cotnme une marque defoumijjion de
re/peci-y
elle vouloit memc le mettre au-
defTus de fon nom; mais le Prelat ne le
lui permit pas, difant qu'ill'entendoit
bien, & qu'il n'etoit pas neceflaire
qu'elle l'ecrivit. Elle nepouvoit en-
core fe refoudre a prendre la plume 3
& elle avoit la main comme morte.
»
Dans cette angoifle, elle s'adrefTa
»» a Dieu, & lui fit une priere tout
» haut, en le prenant pour temoin ,
3» qu'elle ne fe rendoit a cette figna-
" ture que par Jbumijfion de refpecl....
o>
qu'elle ne vouloit point condamner
« M. d'Ypres, ni fe feparer de la
» verite ni de l'union qu'elle avoit
» avec la communaute, &: qu'elle
» aimeroit mieux mourir que d'of-
« fenfer Dieu, 8cde rien faire con-
-ocr page 395-
II. P ar t ie. Llv. X 395
*»» tre la grace de Jefus-Chrift «. M.
de Paris lui dit, que tout ce qu'il
lui demandoit , etoit une JoumiJJion
refpeclueuje a une decifion que le Pape
afaite d'une doctrine, que s'il a mat
juge
,i c'eft pour lid , ( & pour ceux
qui fe foumettent a fa mauvaife de-
cifion).
Apres cela, la fceur Marie Ange-
lique , croi'ant avoir fatisfait a fa
conference 3 & que cela valoit bien une
rejlriclion 3 puifqu'elle avoit diclari
tomes fes intentions devant fon Arche-
veque ,
figna 5 & en aehevant de
figner , elle dit encore , qu'elle alloit
ajouter deux lettres , pour faire fou-
venir Monfeigneur,
qu'elle n'avoit don-
ne qii une fbumiffion de refpecl. Le
Prelat, apres l'avoir complimentee ,
lui dit d'un ton qui la fit trembler :
" Je [vous defends, ma fille , par
» route la puiffance que j'ai fur vous,
» en qualite de votre Archeveque,
» d'avoir jamais de la peine de ce
.» que vous venez de faire, je ne
» veux point avoir de filles fcrupu-
» leufes «. Voila un commandement
d'une nouvelle efpece -y mais qui pafle
tellement les bornes de la puiflance
epifc pale j qu'il n'eftni en leur pou-
yoir de le faire , ni au pouvoir ds
-ocr page 396-
_________394 HlSTOIRE DE PoH.T-R.01Ai;
" 1700. ceux 5 a qui il eft fait de l'executerV
C'eft-la ce qu'on peut veritablement
appeller un commandement impof-
de^rifi S^mh Malgre la defenfe du Prelat, la
re.
             foeur Marie Angelique ne tarda pas a
avoir de la peine de ce qu'elle venoit
de faite } & ai'ant entendu des dif-
cours que l'on commence des-lors a
tenir en fa prefence , elle dit en pleu-
rant amerement : Jefuis lien malheu-
reuje d'avoir Jigne puifqu'on me parte
deja de la forte.
M. de Paris lui re-
pondit don cement , ne vous fache\
pas j ce n'ejlque par rencontre
ce qu'on
en a dit. Apres quoi il lui defendit
d'etre trifle, & la recommanda a la.
foeur de Chandennier (90), en lui
difant , diver tiffe\-la bien _, qu'elle fe
tienne en repos. Ces paroles percerent
le cceur
a la foeur Marie Angelique y
qui, au lieu de penfer a fe divertir y
alia fe profterner devant le S. Sacre-
ment, 011 elle dit le Miferere, & ex-
pofa a Dieu la mifere qu'elle reflen-
toit. S'etant relevee , elle pria la Su-
perieure de ne point chanter d?actions
(90) Cette foeur, a fes    maifon , elfe repondit
preventions pres , etoit    qu'elle ne comptoit fa no-
une bonne religieufe , &    blefle que du jour ds &
forr humble. Un jour    ptofeffioa.
qu'on lui parloit de fa
-ocr page 397-
II. P A R T IE. Liv. X. 39$ _______
de graces; car je vous affure , dit-elle, 1700.
qu'il n'y a pas de quoi. La four de
Chandennier voulant executer l'ordre
de M. de Paris, dit a la Superieure ,
il faudra que nos fieurs viennent lui
chanter la mufique. La mufiquel
reprit
la four Marie Angelique, je fuis bien
en train de mufique.
Voila de quelle maniere fe pafTa cetce txx.
trifte fcene , qui fat pour la four Ma- no5t nn^lTn
rie Angelique la fource d'une affliction qu'on lui a
inconcevahle. Elle ne fit que pleurer aite*
tout le refte du jour, ne put fouper ;
& la nuit elle fe trouva dans un trou-
ble & une douleur fi vive , qu'elle ne
craint point de dire qu'elle foujfrit
dans fan efprit des peines plus grandes
qu'on ne peut les fouffrir fur la roue.
Elle vit clairement tout ce qu'elle
n'avoit jamais vu. II lui fembloit
qu'on lui eut ote un bandeau de deflfus
les yeux. La declaration lui parut un
vrai piege. L' acquiefcement, a la con-
damnation lui faifoit une fraieur hor-
rible.
Elle fe reprochoit Je fcandale
qu'elle avoit donne aux amis de la
verite & a fes cheres fours. Elle pleu-
toitfans relache & dans une dmenume
incro'iable
, enforte; qu'elle „-avoit le
vifage tout contrefait.a force de pleurer.
Sa main j
qui avoit figne , lui faifoit
-ocr page 398-
________J9<> HlSTOIRI DE PoRT-ROlAt,
1700. horreur, elle ne pouvoit la regarder &
la cachoit tout naturellement.
itat affreux Dans cet etat, elle demanda M.
oil elk fe Cherort, a qui elle fe confefTa s'ac-
vueUde fa ct cufant d'avoir figne , parceque cela
gnatme. avoit fcandalife fes fours. II la con-
fola. La Superieure Taiant preflee de
communier , elle ne put s'y refoudre;
mais M. Cheron l'y obligea , & la
mere Agnes le voulut auffi. Elle le fit
acres avoir pafTe toute la nuit en
pleurs, demandant inftamment a Dieu
de lui procurer un moien de fortk
del'etat ou elle etoit. Le jour de la
Presentation de la fainte Vierge , qui
etoit celui de fa profeifion, elle ne
communia point, & elle entendit la
Mefle dans des peines fi terribles
qu'elle tomba en roiblefle.
La four Marie Angelique va juf-
qu'a dire qu'elle croit qu'elle feferoit
difefperie ,
fans la mere Agnes; & ce-
pendant, apres avoir trace Vintage de
I'itat ou cette malheureufe Jignature
jette les ames 3
elle ajoute encore;
» que tout ce qu'elle en a dit, n'eft
m nen en comparaifon des peines
« qu'elle a fouffertes avant que de la
« faire & apres I'avoir fake , & qu'el-
v le ne peut meme confier au papier
»> tout ce qui s'eft pafle dans, fon efprit.
-ocr page 399-
II. Par tie. Lb. X." J97
Quoique la fceur Marie Angelique 1700.
eut figne , elle n'en fut pas plus libre,
ni moins refferree , on lui refufa me-
me M. Cheron, ce qui l'engagea a
demander le Pere de Sainte-Marthe
de l'Oratoire , done elle dit beaucoup
de bien, & done elle fur forr fatisfai-
te, a l'exceprion de £es fenrimens fur
la fignature. Ce Pere voi'ant la peine
qu'avoit la foEiir Marie Angelique de
recevoir les Sacremens , randis que fa
refpectable tante en etoit privee, crut
qu'il falloir la mettre a S. Thomas du
Louvre avec la fceur Marie Claire, &
fit pour le lui perfuader , tous fes ef-
forts qui furent inutiles. On la me-
naca de la feparer decette chere tante,
ce qui lui fut tres fenfible, mais ces
menaces n'eurent pas de fuites 5 an
contraire , on mit avec elles la fceur
Marie Claire (91) pour foulager la
fceur Marie Angelique , qui etoit tres
incommodee d'une fievre quarte &
d'une loupe. Car elle avoit totalement
perdu la iante depuis fa fignature , &
n'etoit plus en etat de rendre a la me-
re Agnes les fervices qu'elle lui ren-
doit aupatavant.
Si Dieu permit que la fceur Marie ixxir;
Angelique tombat, il lui fit la grace fcfiiK^****
{?i) Le j deinats i««j.
-ocr page 400-
______?pS Histoirj m Pon.T-R.oiAt*
1700; de fe relever & de reparer fa faute.
Elle en concut dans le moment meme
une fi vive douleuc, qu'elle auroit
des-lors retra&e fa fignature fi la mere
Agnes ne Ten avoit empechce. Elle
{>erfevera toujours dans ce deflein , &
'executa auffi-tot qu'il lui fut poffi-
ble. Etant encore captive dans le mo-
naftere des religieufes de Sainte-Ma-
rie, elle dreffa une retractation le 7
fevrier 166 5. Elle refufaau mois de
mai de figner la nouvelle Bulle , dont
M. Chamillard vint lui faire ledure :
avant que de fortir de fa prifon elle
demanda pardon de la faute qu'elle
avoit faite. Enfin , lorfqu'elle fut reu-
nie avec fes fasurs dans la maifon de
P. R. des Champs , elle en demanda
encore pardon & penitence au chapi-
tre en prefence de la communaute,
& fit une nouvelle retractation datee
du 20 aoutfete de faintBernard (91).
Elle ne ceflfa le refte de fes jours de
pleurer fa faute & de s'en humilier.
txxtn. La fceur Marie Angelique fut ex-
$arao"' tremement fenfible a la mort de M.
de Saci & a celle de la mere Angeli-
que de S. Jean , en qui elle perdoit
un pere & une mere, mais elle fe
(91) Voiez ces deux tetta&ationi & la fuitedefa
(elation,
                       f
-ocr page 401-
IL Partis. Llv. X. $99
fottmit a la volonte de Dieu. Peu de 170a,
tems avant fa mort, Dieu pour la:
detacher de tout, iui enleva M. de
Pomponne fori frere (93) , qu'elleai-
moit tendrement. Enfin _, apres avoir
edifie fes foeurs pendant toute fa vie,
par fon exa&itude a remplir tous fes
devoirs, & par fa patience dans fa
derniere maladie qui fut tres tongue,
elle fut reunie le 8 Janvier 1700 a
tant de faints & faintes de fa famille ,
qui l'avoient precedee dans le fejour
des bienheureux.
Le ipdu mois de mai fuivant, la ^XI^rB
mere Agnes de Sainte-T'hecle Racine Apes de ste
termina fa carnere a Page de foixante „e cs!^ Rv*""
& treize ans. Eile etoit fille de Jean fes vettus,
Racine, Controleur du Grenier a fel
de la Ferte-Milon , & de Marie des
Moulins. Nee le 30 acnit 1627, elle
fut mife a l'age de neuf ans en 1636
dans le monaftere de P. R. pour y
etre elevee dans la piete. Dans fon
enfance elle re^ut fouvent la benedic-
tion de M. PAbbe de Saint- Cyran,
qui fit plulieurs fois fur fon front le
figne de la Croix, a quoi elle attri-
bua dans la fuite les graces que Dieu
■ (9;} Simon Arnautd de 27 feptembre iS??aged^
Pomponne , mourut i Si ans.
fontainebleau le 16 ou
-ocr page 402-
"400 HlSTOIRE DE Poft.T-R6?At.'
1700. ^u* nt (94)' A- ^ge de vingt ans elle
demanda 1'habit de la religion, qu'on
lui donna le 21 Janvier 164.7 , &c elle
fit profefllon le 16 Janvier de l'annee
fuivante.
Depuis ce moment elle marcha
conftamment dans la voie etroite, &
fut l'exemple de la communaute, quoi-
qu'elle cachat autant qu'elle pouvoit,
fes verms fous l'apparence d'une gran-
de fimplicire. Dieu lui fit la grace de
voir en i66x (95) fa mere mourir
tres pieufement a P. R. de Paris , ou
elle s'etoit retiree depuis 4 ans, 8c
avoir rendu pendant ce tems tous les
fervices dont elle etoit capable. En
1664, lors de l'enlevement de douze
religieufes fait par M. de Perefixe le
16 aout, elle temoigna une fermete
admirable (96). Elle demeura tou-
jours invioiablement attachee a la
verite. Le 31 mai 1687 , elle eut la
confolarion
de voir mourir dans de
grands fentimens de piete fa niece,
qui avoit fair profefllon neuf ans au-
paravant , le 22 juillet.
Apres avoir pafle fucceffivement
par differentes places d'Infirmiere,
(94)  Vies edif. T. x. p. (96) Voie* ce qu'elle
J47-
                                 diticette oecafi«n>T.4»
(95) Necr. naout, p. p. 44J.
- ■•■' V
-ocr page 403-
II. P A R T 11. L'lV. X. 401
(?e Celleriere, & avoir occupe celle 1700.
de Prieure pendant fix ans , elle fut
elue Abbefle en 1690 5 ce qui fut
pour ©He le fujet d'une extreme fur-
prife , fon humilite lui faifant croire
qu'on ne pouvoit point penfer a elle
pour cette place , & elle repandit
beaucoup de larmes. Sa conduite pen-
dant les 9 ans qu'elle la remplit (97)
fut toujours aufli fainte que pleine de
douceur en vers fes filles , a qui elle
ne cefla de donner des exemples ad-
mirables de piete, de modeftie , de
fagefle & d'exactitude aux exercices
reguliers jufqu'au jour de fa mort.
Elle fut enterree dans le bas cote
gauche du chceur. Le jour de fon en-
terrement, une foeur converfe , nom-
inee fceur Marie de Sainte - Maxime
Triquot , qui lui etoit etroitement
attachee , demanda a Dieu de la re-
tirer de cette vie. Elle fut exaucee :
car elle tomba malade le meme jour ,
& mourut le 19 du meme mois.
Parmi plufieurs autres pertes que lxxv.
les religieufes firent cette ann^e , la R?yZ«£
plus confiderable fut celle de M. perieur de p.
Roynette leur Superieur. C'etoit un
nomme de bien , qui rempli de cha-
ts?) Le N6ctoIoge lui donne douze ans ; c'efl
Bnemeprift,
-ocr page 404-
40i HlSTOIRE DE PoRT-Roi'At."
"'i-roo rite & de tendreffe pour ces faintes
filles , leur faifoit non - feulement
tout le bien qu'il pouvoit, mais ge-
mifloit meme de ne pas faire tout
celui qu'il vouloit. La mere Abbeffe
ecrivant a un ami fur cette perte &
telle de la mere Racine , qui l'avoit
precedee de quelques jours, lui parle
ainfi : " Dieu nous avoit donne ces
» biens, il nous les a 6tes j que fon
» faint Nom foit beni. 11 faut que
» la foi nous eleve au-defTus de nos
" afflictions , en confiderant le bon-
» heur des perfonnes qui nous ont '
» quittees «. C'eft par de tels motifs,
fi remplis de foi, qu'on fe confoloit
a P. R. dans tous les evenemens de la
vie les plus facheux. On y fentoit
ces pertes } mais on favoit que les
Saints ne font ici quen depot. II efl
jufte que celui qui les a faits pour lui)
en devienne le maltre 3 & qu'il enfajfe
fon roiaume dans leCiel
(98).
lxxvi. Apres la rhort de M. Roynette,
fcStaSb*«riv& le xi mai, les religieufes de
p. r. des P. R. choilirent pour Superieur M.
chamPs- Gilbert que M. de Noailles avoit
deja choifi lui - meme pour remplir
la fonction de Grand-Vicaire. II pa-
roit que ce choix fut fait de concert.
(98) icttte de cont'obtiou du P. Qucfuel,
-ocr page 405-
II. Par tie. Liv. X. 40}
Je ne vois perfonne qui vous convienne
mieux pour Superieur que M. Gilbert
,
die cette Eminence (99) dans une let-
tre du 12 feptembre aux religieufes,
M. de Noailles ajoute qu'on tache
toujours d'echauffer le Roi centre el-
ks
j qu'il s'etoit plaint a lui qu'elles
avoient recu depuis peu fix nouvel-
les filles (1). » Je l'ai afllire, dit-il,
" qu'il n'en etoit rien , ne doutant
» point de voire obeifiance pourSa
» Majefte & pour votre Archeve-
» que «. Le Prelat finit en fe recom-
mandant a leurs prieres , dans lef-
quelles il temoigne avoir une grande
confiance. Souvene^-vous en , dit-il ,je
vous en conjure devant JDieu 3 & cro'ie^-
tnoi en lui tout a vous bienfincerement.
Les religieufes ne manquerent point
de faire a cette lettre une reponfe,
volonte , pour les aider
& leur tenir lieu de no-
vices. Ces filles s'appel-
loient Sceurs du voile
blanc.
M. de Harlai lui
meme avoir permis aux
religieufes d'en prendre-
M. de Roynette les avoit
allurees i la derniere e-
lefiion, que le Roi ne leut
defendoit pas de prendre
des filles pour les fervir,
& meme qu'on n'en fixoit
pas le nombre. Cependant
il n'y en avoit qvte fix.
(99) M. de Noailles a-
voit et£ nomme Cardinal
an mois de juin de cette
annee.
(1) Cette falomnie i-
<°it fans doute fondee fur
R que les religieufes, dont
le nombre diminuoit cha-
ste jour , ar'ant befoin de
fecours pour chanter 1'of-
fa & coatinuer jour &
nuit I'afliftance devant
^ S. Sacrement , furent
■jMiglti de prendre des
WU-s de piete 8c de bonne
-ocr page 406-
404 HlSTOIRE DE PoRT-ROlAt.'
"'j           dans laquelle apres s'etre juftifiees fur
,vn l'accufation d'avoir recu fix filles,
Lettte des elles remercient ainfi le Prelat , du
religieufes i Superieur qu'il leur a donne. » Nous
les.oii elles •> remercions , dilent - elles, Votre
fr„iu"^eiu " Eminence de nous avoir donne M.
dune ac-u-                                           , ,
fation for » Gilbert pour Superieur 5 c eft une
3bL C°ntre » marque de votre bonte & de vo-
» tre cnarite pour notre pauvre pe-
» tit troupeau afflige. Nous n'avons
» que Dieu & Votre Eminence pour
» nous foutenir dans nos tribula-
» tions , dont la plus grande & celle
» qui nous eft la plus fenfible , eft
» de nous voir dans la difgrace du
» Roi fans l'avoir meritee. Mais
» enfin , nous fommes refolues de
» foufFrir en filence , jufqu'a ce qu'il
» plaife au Seigneur de faire connoi-
w tre au Roi notre innocence &c no-,
_____» tre droiture de coeur «.
1701. Les premieres annees de la fupe-
ixxviii. riorite de M. Gilbert fe paflerenr
quclques reii-comme les precedentes , c'eft-a-dire,
gieufes. fans evenemens bien confiderables &
fans perfecution ouverte. Mais la
communaute diminuoit toujours &
s'eteignoit peu- a -peu , ne trouvant
f>as en France les reflources que les
fraeUites trouverent autrefois enEgyp-
te pour empecher la ruine de leur
-ocr page 407-
II. P A R. T I E. LlV. X. 40 5
nation. On ne recevoit plus de fujets, 1701.
& chaque annee Dieu retiroit a Jui
quelques-unes de ces fainte's filles. Il
en delivra trois cette annee : 1 °. la
four Marguerite de Sainte-Julie Ha-
melin , religieufe de chaeur, qui mou-
rut le 11 juin agee de foixante-quatre
ans, & fut regrettee de toutes fes
fours , dont elle s'etoit toujours fait
aimer & eftimer par fes excellentes
qualites 8c fa grande piete. i°. La
four Louife de Sainte-Julienne Ro-
bert , profelTe de choeur depuis cin-
quante-trois ans , morte le 6 feptem-
bre agee de foixante - quatorze ans.
Elle etoit Tune des cinq filles de M.
Robert Confeiller au Parlement, qui
fluent religieufes a P. R. 3 °. La fceuc
Scholaftique de Sainte-Barbe Genits,
converfe, morte le 17 feptembre agee
de foixante-dix-huit ans.
Nous ne pouvons nous difpenfer ixxrx.
de joindre a ces religieufes une Da-JJ^'^
me refpe£table , qui merite d'avoir de Belifi.
rang parmi elles, non-feulement par
fon attachement a P. R. dont elle n'a
laifle pafier aucune occafion de don-
ner des marques ainfi que de fa libe-
ralite, mais encore par le defir qu'elle
eut d'y etre religieufe , defir auquel
on s'oppofa, a caufe des grands biens
-ocr page 408-
4D(S HlSTOIRE DE PoRT-ROlAL.
1701.
qu'elle faifoit aux pauvres & aux a£- I
fliges , dont elle etoit regardee com-
rae la mere. Cette Dame etoit Mc.
Catherine Angran femme de M. de
Belifi Cpnfeiller du Grand Confeil ,
veuve depuis cinquante ans , qui mou-
lut le 14 mai de cette annee agee de
de quatre-vingts ans, pleine de jours
& de bonnes ceuvres. Son coeur fut
porte a P. R. des Champs, comme
elle l'avoit demande par fon tefta-
ment, & enterre avec une epitaphe
que les religieufes , auxquelles elle
legua deux mille liv., lui firent dref-
fer en reconnoijfance de fes bienfaits
& de fon affection
(i).
lxxx.
        Nous ne devons pas non plus ou-
MacUm" de-^er ^a reverende mere Anne-Vic-
Moagtat Ab- toire de Clermont Monglat, eleve
fcl&deGif. de p R ^ qui obUg6e en l66j dg
fortir de cette fainte maifon, ou elle
etoit novice, fe retira dans le monaf-
tere de Gif, ou elle fit profeffion , &
fut dans la fuite AbbefTe. Apres y
avoir etabli la reforme , & gouverne
la maifon avec beaucoup de fageflfe
pendant quelques annees , elle fe de-
mit de fon Abbai'e quinze ans avant
fa mort, & mourut faintement le 30
■feptembre iyoial'age de cinquante-
neuf ans.
(1) Necr. p. iij.
-ocr page 409-
II. Partie, Liv. X. 407
Au commencement de l'annee fui- l-jox.
vante la mort enleva deux religieu- lxxxi.
fes de chceur , qui furent inhumees f^01^'*
enfemble j la fceur Antoinette Azelle nette Azeiie,
le Couturier, qui mourut le 2 jan- ^.^lucT"
vier (3); & la fceur Elifabeth-Made-
leinede S. Luc Midorgemorte le 3 du
mememois a Page de foixante - dix-
fept ans. Elle etoit dans la maifon
depuis foixante - dix ans , & en avoir
cinquante-neuf de profeffion. Pendant
tout ce tems elle avoit toujours edi-
fie fes fceurs, & elle les edifia encore
plus a la mort, etant » allee a Dieu
» avec une paix , une douceur & une
» foumiffion admirable a fa volonre «.
Nousavonsvu en 1697 les religieu- lxxxti.
fes de P. R. de Paris revenir contre Nouveile
1                      j 1 •          r ■               ,, tentative dec
le partage des biens rait en 1669 , reiigieufes de
quoique ce partage leur rut tres favo- Pfris .„Fouc
- Li o        '11           rr          11          *          depouiller
lable, cc qu elles euiient elles-memes ceiies des
pris toutes les mefures pour le ren- ^mP-
dre irrevocable. Le mauvais fucces
qu'elles eurent alors ne les empecha
pas de faire en 1701 une nouveile
* tentative pour depouiller les reiigieu-
fes de P. R. des Champs de Teurs
biens. Le Roi ai'ant donne le 8 juil-
let de cette annee une Declaration >
par laquelle il etoit permis aux Ec-:
(3) Suppl. i Jaiiv.
-ocr page 410-
408 HlSTOIRE DI PoRT-ROlAL."
clefiaftiques & aux Religieux de ren-
trer dans leurs biens alienes en
pai'ant le huitieme denier de Pacquifi-
tion , elles regarderent cette Decla-
ration comme un moi'en propre a les
faire arriver au but que leur cupidite
leur propofoit depuis long-terns. En I
confequence PAbbefTe de P. R. de Pa-
ris & fes religieufes furent des pre-
mieres a prefenter au Bureau des alie-
nations une declaration de tous les
biens de P. R. des Champs , dans lef-
quels elles pretendoient rentrer. Apres
avoir prefente des le 29 d'aout cette
declaration, qui n'eft qu'un tiflu de !
faufifetes & de calomnies, elles de- :
manderent & obtinrent fur requete, le I
vingt - trois novembre , une commif- j
flon du Grand Confeil, & firent af- j
figner le 9 decembre les religieufes
des Champs pour les obliger a leur
remettre entre les mains tous les li-
tres , papiers, biens , & a fe conten-
ter d'une pennon v*iagere de 200 liv.
pour chacune d'elles. Quel nom me-
rite une telle demarche ? Elle panic j
fi injufte & h mal-fondee aux Juges,
qu'ils rendirent le xi fevrier 1705
un arret, par lequel les religieufes
<le Paris furent deboutees de leur de-
uiande Sc condamnies aux frais.
Dans
-ocr page 411-
II. P A R. T IE. LlV. X. 40$)
Dans le terns que cette affaire etoit I702> '
pendante au Grand Confeil, M. le lxxxiii.
Cardinal alia faire une vifite a P. R. MBo" ™ot df
, „.                    ,.        r .                M. le Card.
des Champs & y dit un rort bon mot, de Noaiics.
an fujet du procede des religieufes de
Paris. Celles des Champs l'ai'ant prie
de leur accorder fa protection & de
leur faire rendre juftice ; Son Emi-
nence , qui avoit etc informee que
quelques jours auparavant lAbbeife
de P. R. de Paris avoit donne un bal
a fon parloir , leur fit cette reponfe:
// n'ejl pas jufie que P. R. de Paris
donne le bal 3 & que P. R. des Champs
paie les violons
(4).
M. le Cardinal blamoit la condui- ulx,XvV'i
te des religieufes de P. R. de Pans , & les temoi^ne
s'en etoit explique aim Chanoine de fa £> f%£
Cathedrale (5),quile manda a la mere teger letreii-
Abbeffe de la maifon des Champs |^sc^
dontil etoit ami. Ce Chanoine mar-t ucs de
quoit dans fa lettre , que M. le Cardi- Paris'
nal lui avoit » paru fort etonne de
» l'entreprife hardie de lAbbeffede
» P. R. de Paris; qu'il condamnoit
» hautement cette tentative, l'efti-
» mant aujji injufte qu'infolente.... Si
" la procedure s'engage, continue
» la lettre , il m'a afTure qu'il ne vous
(4) Rcc. de pieces de (5) L'Abbe Mengui, let.
'740 in-n p 534.
             du 11 decembre 1701.
Tome Fill.                    S
-ocr page 412-
410 HlSTOIRE DE PORT-ROIAI.
» abandonneroit pas , qu'il feroir
» parler a vos Juges , & qu'il vous
» jufiifieroit bien du reproche qu'cn
» vous a fait de rebellion & de re'vol-
» te (6), en temoignant qu'il eft con-
3> tent de votte conduite depuis fepc
» ans d'epifcopat.....Si au lieu de
» fuivre la procedure judiciaire , on
» prenoit la voie de l'autorite , plus
» propre a accabler ceux qu'on veut
» perdre , vous trouveriez en M. le
» Cardinal, dit la lettre , un pro-
w tecleur _, bien perfuade de la jufiice
» de votre caufe «. Telles etoient alors
les difpofitions de M. de Noailles a
l'egard de P. R. des Champs. Heu-
reux s'il eut perfevere ! 8c n au lieu
d'abandonner ces faintes filles lorf-
cui'on prit quelques annees apres la
voie de l'autorite plus propre a accabler
ceux que Von veut perdre ,
il s'etoit de-
clare leur protecleur.
Il femble qu'alors les religieufes de
P. R. des Champs n'avoient rien a
craindre des entreprifes de leurs par-
ties , tantque l'affaire feroit examinee
en Juftice reglee & porteeaux Tribu-
naux ordinaires , &c qu'elles ne de-
(6) r.es religieufes des tion des teligicjjfes OS
£liamff etoient naiteesdc Pads.
        , '
rebtttes 4ans la dedaia-
-ocr page 413-
II. P A R. T I E. LlV. X.      411
voient redouter que Ies artifices ca-
ches de leurs ennemis & la voie de
l'autorite. Ce furent en efFet ces arti-
fices caches , joints au credit & a la
faveur , qui les firent fuccomber dans
la fuite , & qui procurerent a leurs
injuftes parties ce qu'elles defiroient
depuis II long-tems.
Nous approchons infenfiblement
de cette funefte epoque. Ce feroit
meme ici le lieu de parler d'un eve-
nement qui fut pour les ennemis de
P. R. une occalion d'executer leur
deflein j c'eft-a-dire , du fameux Cas
de confcience , qui quoique figne en
1701, nefut rendu public qu'en 1702.
H fut, dis-je, une occalion aux enne-
mis de P. R. des Champs , puifqu'il
occafionna la fameufe Bulle V~ineams
qui leur a fervi de pretexte be de moi'en
pour renverfer ce faint monaftere.
Mais nous refervons a en parler dans
la troifieme Partie de cette Hiftoire ,
avant que d'entrer dans le detail de
la derniere perfecution, afin de ne
point feparer 1'efFet de fa caufe. II ne
nous refte jufqu'a cette derniere par-
tie de notre ouvrage aucun evene-
nient b;en confiderable a rapporter ,
Wais feulement a parler deauelques
perfonnes, foit religieufes, loit amis
Sij
-ocr page 414-
411 HlSTOIRE PE PoRT-ROlAt.
lyox. de P. R. que la rnort enleva danscet
intervalle, c'eft-a-dire, dans lestrois
annees qui ont precede la derniere
perfecution.
-------■— Du nombre de ceux qui mouru-
lxxxv. rent en l7°3 5 fut Paul le Pelletier,
m. desTou- Seigneur des Touches, grand ami &
infigne bienfaiteur (5) de P. R. 1'un
des compagnons de M. le Maitre dans
fa premiere retraite a Paris , lorfqu'il
eut renonce au monde , & des pre-
miers difciples de M. de S. Cyran.
Ce fut M. Gilbert Regent de Pliilo-
fophie de M. des Touches , qui lui
procura la connoifTance de ce celebre
Abbe. Comme Dieu commencoit dqa
ji regarder M. des Touches, " il n'eut
» pas de peine (6) , dit M. Lance- I
« lot, a entrer dans toutes les lu- j
« mieres du Chriftianifme & du Sa-
« cerdoce que ce grand ferviteur de
" Diea lui deeouvrit j & il y a per-
»> fevere depuis avec une modeftie &
» une fidelite qui a trompe ceux de i
o) fes amis qui Paimoient felon Is
•» monde; comme elle a ete la joie
?> & l'edification de ceux qui l'ai-
(5) Outre plufieurs dons   des filles gratuitement.
faits en dirHrentes occa- (s) Lane. T. i. ip»*
{Ions ,i' d^Bna 80000 liv.    p. }}«.
jioui recevoir a perpctijite
^
-ocr page 415-
II. Partii, Liv. X. 413
« moient felon Dieu \ reconnoifiant
» d'autant plus la grace que Dieu lui
» avoit faite , qu'etant, comme il le
" difoit lui-meme , fort jeune, inde-
» pendant & dans la jouiiTance paifl-
» ble d'un bien considerable, il lui
» etoit fi aife de fe laiiTer aller a la
» corruption. M. de S. Cyran letint
» Iong-tems aupres de lui , & l'ho-
" nora d'une amitie tres particulierg.
» II lui a ecrit de fort belles lettres,
" dont quelques - unes font impri-
" mees « (7). Depuis la prifon de M.
de Saint-Cyran , il ecrivit fous lui 3
apres M. Lancelot, la continuation
des Penfees fur la pauvrete & fur la
mort. Ce refpedable Abbe etant mort,
M. des Touches s'attacha a M. de
Barcos , fon neveu & fon fuccefTeut
dans l'Abbai'e de Saint - Cyran. II
l'accompagna avec M. Guillebert 8c
quelques autres, lorfqu'il alia dans
cette Abbai'e en 1650, & il y pafla
plufieurs annees avec lui dans une
entiere feparation du monde & de
fes parens. Apres la mort de M. de
Barcos & le renverfement de la re-
forme qu'il avoit etablie dans l'Ab-
bai'e de Saint-Cyran, M. des Tou^
(7) Lesji &(3 de la perfonne de condition de
premiere edition, a une fes amis.
S iii
-ocr page 416-
4*4 HlSTOIRE DE PoR.T-R.01 At?
ches revint a Paris , ou il vecut, corfti
me il avoit toujours fait, dans une
retraite rigoureufe, & une prierepref-
que continuelle jufqu'a fa mort arri-
vee le 22 juin 1703. Ce digne dif-
ciple de M. de Saint-Cyran mourut
age de quatre - vingt-un ans, & fut
enterre a Saint Magloire. II avoit bien
profite des lemons d'un fi habile mai-
tre, fur-tout en ce qui regarde la pau-
vrete , n'aiant ete occupe toute fa vie
qu'a s'appauvrir en faifant un bon
ufage de fon bien, en le repandant
avec abondance dans le fein du pau-
vre , en le faifant fervir a, de bonnes
ceuvres , dans lefquelles il emploi'a
deux millions. Les religieufes de P. R.
des Champs furent tres fenlibles a la
mort de M. des Touches, qui en tou-
te occafion avoit donne a la commu-
naute des timoignages d'une Jincere af-
fection & d'un parfait devouement
(8).
En 1704 , P. R. des Champs
perdit deux converfes ; la fceur
Catherine de Sainte - Fabronie des
Cofteaux , qui mourut le 5 Janvier ,
agee de foixante - quinze ans j & la
fceur Anne de Sainte - Urfule Furet
morte le 24 mars, agee de foixanter
feize ans.
(8) Ifka. P. Z47,
-ocr page 417-
II. P A R TIE. LlV. X*        41 5
L'anne fuivante, la mort enleva a.
l'age de 78 ans, le iz avril, M.
         ''
Simon Akakia du Pleffis, ancien foli- Mort de m,
taire de P. R., a. qui fon zele pour s\mon Aka-
le fervice des religieufes avoit merite
autrefois l'honneur de fouffrir pour
elles (9). Deux religieufes de chceur,
tres vertueufes 1'une &c l'autre , mou-
rurent cette annee ; la foeur Sufanne
de Sainte Julienne Oilier , & la four
Marie-Gabrielle de Sainte-Catherine
Houel. Celle-ci avoit d'abord ete
transferee du monaftere de Magni en
Normandie , d'ou elle etoit profeffe ,
dans celui d'lfTy pres Paris ", etant en-
fuite fortie de cette maifon en 1649
a caufe de la guerre , elle fe retira a
P. R. 011 elle rut afTociee le 1 3 juin
16 51. Elle en prit tout Pefprit, & y
fmifa la connoiflance & l'amour de
a verite, a laquelle elle rendit un
temoignage eclatant pendant la per-
fection (10). Elle mourut le %6 fep-
tembre agee de foixante-dix-fept ans.
La four Sufanne Oilier avoit ete ™^";
re$ue a l'age de vingt ans a. P. R., oilier.
ou la Providence lui fit trouver un
•file pour vivre & fe fandtifier. Ma-
(9l En i««4 Ufutmis gatoire , hift. des perfec,
si la Baftille.                      T. I. p. no. -
lio) Voiei fon imerro-
c ''•.
S mj
-ocr page 418-
41 6 HlsTOIRE DE PoRT-ROlAL.
dame fa mere, qui quoique de con-
dition etoit pauvre, ai'ant quitte Riom
jfa patrie pour venir a Paris , l'amena
avec une autre Demoifelle fa cadet-
te. M. TAbbe de Bourzeis , frere de
Madame Oilier , la retira avec fes
deux Lilies, & les logea fort a Petroit
dans une chambre de l'Hotel de Lian-
court (n). Cet Abbe qui etoit alors
fort lie avec Mellieurs de P. R. ai'ant
un jourtemoigne a Monfieur Arnauld
1'embarras oil il fe trouvoit avec fes
deux nieces , n'aiantpas de bien pour
leur procurer un erahliflfement, M.
Singlin qui etoit prefent, lui dit que
£ elles etoient appellees a la vie re-
ligieufe, il n'auroit qu'a les envoi'er
a P. R., & que leur pauvrete n'em-
pecheroit pas qu'on ne les y recut
avec plaiiir , fi on remarquoit en el-
les une bonne vocation. L'ainee qui
etoit fort belle prit ce parti (n) , &c
alia a P. R. ou elle commenca fon
(n) Relat. de la fceur   apres , M. Chevalier Fer-
Ollier , vies 6dif. T. 2.    mier general etant venu
p. 4S«<                             le trouver pour lui de-
(ii) La caderte ne fui-    mander quetque remife
vitpoint rexemple de fa   d'une taxe de iyooooliv.
fceur, & refta fur les bras   & laquelle il avoir etcim-
de fon onde, qui pria M.   pofe , M. Colbert lui dit:
Colbert de la marier A   3> Je veux vous marier a
quelque Financier, Le   » une Demoifelle de con-
Miniftre lui promit d'y   j> ditioil , vertueufe &
peitfer 3c tint parole. Peu   » Men faite, 8c au m.o>««
-ocr page 419-
II. P ARTIE. LlV. X.        417
noviciat le premier avril 1655, &
fit profeffion le 11 juin 1656 (1 3). En
1664 elle refufa conftamment de fi-
gner le Formulaire , & demeufa tou-
jours attachee a la verite. Elle mou-
rut le 29 juillet 1705 , agee de 72.
ans » dont elle en a pafie , dit le Ne-
» crologe (14), les deux derniers dans
» de ce manage vous e-
» viterez la taxe «. Le
Fermiet general accepts
I'oifre , epoufa la Demoi-
felb , retitala mere chez
Ini, & laiffa k fa femme
en mourant ijooooo liv.
Cette Dame donna £
P- R. un contratdequatre
oil cinq cens livres de
rente pour fa fceur qui
avoit ete recue graruite-
ment. Etant un jour alle
voir cette fccur , qui etoit
facriltine, elle lui deman-
ds II fa facriftie n'avoit
liefoin de rien; la religieu-
fe apres avoir refufe fes
offres , preilee par les
inftances de fa fccur , lui
dit qu'on n'avoit point de
baSin ni d'aiguiere d'ar-
gent pour Tervir a la Mefl"e
aux Eveques. La Dame
ne manqua pas d'y pout-
votr; aiant fait faire un
petit baffin & une pitite
aiguiere de vermeil,le tout
liien cizele 8c d'iin beau
travail , qu'elle envoi'a
^ P. R. dans une boite
cachetee. L'AbbelTe a'ia
»u.Veit la boite fans
voir ce que c'etok , fit
venir la fccur Suzanne, lui
en demanda Implication,
&: lui dit : Quoi ! ma
fceur
, contre la defenfe de
nos Conftitutions , vous
avey demandd quelquei
chofe a Madame votre
fceur ! cela efl tres mal ,
cela ne coucherapas ici.
EfFeclivement > le tout fuc
renvoie, 8c la fceur Su-
zanne fut reprimandee en
Cbapitre. Madame Per-
rier, de qui nous tenons
tous ces "fairs , les avoic
apprisde Madame Cheva-
lier elle-meme , dans une-
vifite quelle lui renditr
quelques jours apres.
Comme Madame Perrier
admiroit le travail de ce
petit baffin 8c de cette pe-
tite aiguiete qu'elle ap-
petcjut fur la table de Ma-
dame Chevalier : voild ,
lui dit la Dame, qui a.
bien fait repandre des lar~
mes a ma pauvre fceur:
Puis elle. lui conta I'hif-
toire.
(1.5.) Ibid. p. 4,$.
(14) Near, p. iSb.
S V
-ocr page 420-
418 Histoire de PgRt-roiae.'
» une maladie qu'elle a foufFerte avee
» une patience admirable. C'etoic
» une religieufe d'une grande edifi-
3> cation, fort appliquee a l'oraifon ,
sj a la ledture , au filence, a la retrai-
» te , & d'une vie ores occupee ". Le
Necrologe nous apprend qu'on avoit
queljues petits ouvrages maniifcrits de
fa faeon fur des matieresdeplete.
ixxxvin. Port-R.oi.al s'eteignoit ainfi peu-a-
verfelip"r!! Peu Par 'es retranchemens qui s'y
faifoient cheque annee, Mais en 1706,
ce fut un deuil & une confternation
generale dans le faint defert , par la
mort de leur digne Abbeffe , de la
mere Prieure, & de quatre des plus
anciennes religieufes (15). Ces per-
tes furent d'autant plus fenfibies a
celles qui reftoient, qu'outre le vuide
qu'elles faifoient dans une maifon oil
il n'etoit pas permis de recevoir des
fujets, cela arrivoit dans des circonf-
tances ou les meres & les fceurs que
la mort enlevoit, leur etoient le plus
neceffaires pour les foutenir dans la
perfecutton qu'on venoit de leur de-
clarer. >Mais ces faintes filles avoient
acheve leur courfe ; elles avoient bien
combattu, aiant eiTme le feu de deux
(15) Noiw parleions plus au long de ces faintes
filles.
-ocr page 421-
II. Par tie. Lh>. X. 419
perfecutions dans lefquelles elles a- ,70(j'
voient conferve la foi : il ne leur
reftoit qu'a attendre la couronne qui
leur etoit refervee , & que le jufte
Juge ne leur donna qu'apres avoir
foutenu le premier choc de la der-
niere perfecution , & avoir , en ren-
dant encore un glorieux temoignage
a la verite, donne a leurs fceurs l'e-
xemple du courage avec lequel des
vierges chretiennes doivent combat-
tre dc foutenir les interets de Dieu.
C'eft de ces combats dont nous allons
parler dans la derniere Partie.
Fin du dixieme Livre j & de la
feconde Partie,
k        ?V[
-ocr page 422-
ADDITION
S U R M. D E. SACI..
Relation de sa captivite.
JLjA detention de M. de Saci a la Baftille
pendant plus de deux ans, etant un des eve-
uemens les plus remarquables de la vie de ce
faint Pretre , 8c qui a le plus fait eclater fa
verm, il eft n^ceflaire d'entrer fur cet evene-
tnent dans un detail qu'il n'a pas ete polfible
de faire dans le corps de l'hiftoire. Rien n'eft
f lus propre a edifierle Le<5fceur &c a lui dormer
line jufte idee de M. de Saci (i).
55 une imag; de 1'enfer,
33 8c rien n'eft plus horri-
3j ble qu'un lieu ou pref-
33 que tous les Officiers ,
33 depuis le Gouverneur
J3 jufqu'au Porte-clefs ,
33 8c ou tous les Prifon-
33 niers avec toute la gar-
33 nifon n'ont pis une
33 once de cliarite. Ceux
33 qui ontdequoi,boiventy
33 rument & jouenr:les
33 autres qui n'ont rien.
33 tempetent & crient :.
33 d'autres qui font en-
33 fermes fe confolenten
33 jettant des hurlemens,
33 qui fonc qu'au moins
33 on les entend ft on ne
>3 les voit pas. Rien n'eft
33 plus pitoiable que ces
33 pauvres Cadets , qui
33 menoient promenerM.
l'Abbe ( de Saci) l'epee au
n cote. L'humeur de gaf
(1) M. Fontaine , alors
nomme M. Defloges,a fait
deux relations de la prifon
de M. de Saci. La premie-
re fe trouve dans le qua-
trieme Tome des vies
edif. p. if9—521. Lafe-
conde dans fes Memoires,
T. 1. p. 304. & fuiv. il
y a des differences dans le
xecit des faits, mais qui
n'alterent pas le fond. Il
y a dans l'une & dans
I'autre des recits de faits
& d'evenemens concer-
nant la Baftille , les Ofli-
ciers 8c les Prifonniers ,
auxquels nous ne nous
arrfeterons pas : nous rap-
potterons feulement ici
une defcription abregee
que fait M. Fontaine de
la Baftille pour en donner
une idee. ( premiere Rel.
g.. 177}. » Cert, tlit-il,
-ocr page 423-
Addition fur M. de Saci. 411
Ce faint Pretre avoit ete oblige, des l'aa.
1fd 1 , que commcnca la grande perfe«utioa
contre P. R., de quitter le faint defert, & de.
fe tenir cache pour fe fouftraire a la fureur
des perfecuteurs , qui n'etoient pas moins.
animes contre les Dire&eurs & les Solitaires,
que contre les religieufes. II continuoit nean-
lnoins du fond de fa retraite a rendre aux ames
tous les fervices , qui dependoient de fon mL-
niftere ; & apres Iamort de M. Singlin arrives
en 1664, il fe trouva charge de toutes les
perfonnes que ce fage Diretteur conduifoit ,
en particulier de Madame la DucheiTe de
Longueville, & de Mademoiselle de Vertus»
" II n'avoit aucune rnollefle en parlant a ces-:
" Dames,dit M. Fontaine (i),mais fans man-
" quer d'honnetete ni de douceur.il ne laifleit
» pas de leur reprefenter avec force tous leurs-
» devoirs. Il avoit faitun abrege des arvis ge-
» neraux qu'il jugeoit a propos de leur don-
" ner, dont il pria M. Fontaine de fairc une
» copie. Il leur marquoit d'une maniere.
» vive l'obligation ou elles etoient, quoique
» vivant dans le monde,de tendre a la perfec-
» tion. II leur difoit qu'elles ne pouvoient
== perfeverer dans la vie , oii elles Etoient
» entrees, qu'en y avancant toujours, qu'au-
*> trement on reculoit en arriere : ce qui fair
» foit qu'on en voioit fi peu de ceux qui
" avoient commence de fe convertir a Dieu,
*> qui continuallent de marcher dans la bon-
11 con, le titre de gentil-   de Saci prifonnier dans ce
« homme,d£rangent bien
   lieu, fe rappelloit l'etar
» ccs petitsefprits«. Mais
   des religieufes de P.R.cap-
tion n'eft plus plaifant ,
   tives dansdes monafteres
que ce Porte-clef,' qui fert
   Strangers, 8c fe trouvoit.
les enfermes comme etoit
   encore mieux traite qu'elr
M. l'Abbe. Il eft faoul des.
  les ne l'avoient ere.
fixheutes du matin; M.
      (z; TAi. p- }Pt*-
-ocr page 424-
412               Addition".
n ne voie.... qu'on devoit craindre de s'aban-
» donner , fans s'en appercevoir, a la mol-
n lefle d'une vie feculiere, & de finir par la
33 chair apres avoir commence' par l'efprit;
33 qu'il ne fuffifoit pas d'avoir pafTe du vice
»j a la vertu, qu'il falloit encore pafler d'une
» bonne vie a une meilleure ; que Saint Paul
» etonnoit tout le monde en craignant d'etre
33 reprouve apres avoir rant preche l'Evan-
3j gile «.
?es vifites L'afFaire principale de M. de Saci etoit
| l'Hdtel dei'Hfitel de LongueviUe. II s'en etoit charged
longuevi e. ayec pcme ^ & ^^ bcaucoup ,je 1(SpUgnance
a fe deguifer comme avoit rait M. Singlin.
Neanmoins voiant que la charite demandoit
cela de lui, il y confentit. Ainfi aux jours
deftines a ces vifites , on lui envoioit de l'Ho-
tel un carofle, qui fans venir jufqu'au logis
l'attendoit a une certaine diftance, & le foir
le defcendoit au meme endroit. Outre ces
vifites, il avoit des rendez-vous pour le me-
me fujet. Cela demandoit beaucoup de pre-
caution , & il falloit fouvent changer de de-
meure. Apres bien des changemens de logis,
il en prit un au bout de la grande rue du Faux-
bourg Saint Antoine, dans un pais perdu,
mi il efpdroit pouvoir demeurer long-tems
inconnu (*) 33 Mais y a-t-il aucune fagefle,ni
» aucune prudence humaine, qui puiffent te-
=3 nir contre les defleins de Dieu , 8c refifter a
33 des ordres dternels pourempecher qu'ils ne
» s'executent ? M. de Saci n'ignoroit pas que
tout etoit declare contre lui, que les Com-
miflaires dtoient en campagne , les Archers
en guete, & les Efpions a la decouverte. Mais
cela n'arretoit point fon zele;il fuivoit I'ardeur
de fa charite, refolu de facrifier a Dieu & a8
(*) lb. p. 304,
-ocr page 425-
fur M. de Sac't.            "41 $
bien de fes freres fon repos & fa liberte'.
» Apres cela, pout parler avec le fidele com-
3i pagnon de M. de Saci, le temoin de fes
» dilpofitions , ne doit-on pas regarder la
33 prifon plutot comme une recompenfe que
33 comme une peine? Et n'avoit-il pas aflez
33 fait pout la met iter (j);
Enfin le moment auquel ce Jufte devoit
etie livrd entte les mains des medians, etant E
arrive, M. de Saci fut arrete dans la me de
Saint Antoine le 14 (4) de mai 1666 , le me-
me jour qu'avoit ete pris M. de S. Cyran qu'il
regardoit comme fon pete & fon maitte. II
y avoit meme deja quinze jouts qu'il etoir.
attete fans le favoit. Un Efpion le fuivoit
pat tout; s'il enttoit dans un carofle, TEfpion
montoit derriere ; s'il paflbit la riviere dans
un bateau , l'efpion y ^toit avec lui. L'efpe-
rance de faire une plus grande capture fit dif-
feier l'expedition. Mais comme l'efpion per-
doit letems, & ne faifbit aucune nouvelle de-
couverte, on fe lafla d'attendre , &on refolut
de fe faifir de celui qu'on gardoit a vue. M. dc
Saci etant fotti ce jour-la a fix heures du ma-
tin pour aller a l'Hotel de Longueville, ten-
contra pres del'Abbaie de Saint Antoine, le
carofTe de M. le Lieutenant civil plein dc
Commiffaires, qui alloient pour le prendre.
II n'y fit pas d'attention, & continua fa rou-
te avec M. Fontaine. M. le Lieutenant ci-
vil , ne voulant point faire d'exlat dans le
Fauxbourg , de peur que fi on en etoit aver-
ti, on n'eut le terns de detourner les papiers
(;) Font. Tb. p. ;o«       puifque M. Fontaine la
(4) Dans la premiere   tappelle Iui-meme en dif-
Rel. il ell dit que ce fut   ferens endroits, 8c cel£-
le i} , & cette date pa-   broit le '5 mai, comme
loit devoit etre priferee,   l'anniyerfaire de fa prut.
-ocr page 426-
ifM                 Addition
qu'il e(peroit trouver au logis, les laifla paf-
fer, 5c detacha deux Commiflaires &: deux
Archers pour les fuivre pas a pas. En paflant
le long de la Baftille, M> Fontaine addrefla
ces paroles a M. de Saci (*).
» En verite, on ne penfe pas aftez a ceux
*> qui font enfermes en ce lieu. On s'accou-
» tume a leurs maux , on s'y endurcit. On n'a
ij point cette compafTIon , dont parle Saint
y Paul, qui fait qu'on eft audi fenfiblement
»> touche de la captivite des autres, que fi Ton
*> etoit cap&if foi-meme cc. ( M. Fontaine
vouloit parler de Savreux l'lmprimeur, qui
etoit a la Baftille). A Tinftant, il entendit
une voix, qui difoit derriere eux , c'efl ajfe^r
c'efl iffe^, Mejfieurs.
M. de Saci & M. Fon-
taine s'etant retournes virent un Commif-
faire (5), quileur dit : Meflieurs ,j'ai ordre
du Roi de vous arreter.
II fit enfuite monter
les-ti?ux Prifonniers dans un caroffe , Si les
mena chez le Commiffaire Vendome , pres
Saint Paul.
Onfefaiflt M. de Saci, peu en peine dans cette oc-
:s Papiers ca(Ion <Je
ce qui le regardoit perfonnelle-
' ' e ment, n'etoit inquiet que des lettres de cons-
cience qu'il avoir fur lui. Il les tira de fa
poche le plus fecretement qu'il put, & les
coula dans fon haut-de-chaufe ( 6 )'. Mais
comme tous fes mouvemens etoient exami-
nes, les Cornmiflaires s'en appercurent, &l'a
premiere chofe qu'ils ffrent , fiit de lui
denouet les cordons de fes calecoris, pour
faire tomber par le bas les papiers qu'il avoit
tache de fauver. Apres s'en etre divertis, its
les portetent en triomphe au Lieutenant ci-
vil , qui eut la temeritg de les lire , d'en faire
(*) lb. p. 308..                («)SeconcfeRel. p. 3 Wa-
if) Meinier,.                Premiere R.el. p. 165,.
-ocr page 427-
fur M, de Saci.           \x $
iJe fades & infipides railleries, &. de publier
que M. de Saci donnoit des abfolutions par
lettres.
Apres la prife de ces papiers , on fit monter
M. de Saci dans une chambre haute avec un
Archer pour le garder. Comme depuis plus
de deux ans , il s'attendoit tous les jours a
la Baltille , il portoit toujours les Epitres de
Saint Paul avec lui, & difoit fouvent. » Qu'on
*> faffe de moi tout ce cju'on voudra {7) j
=• pourvu que j'aie mon Saint Paul avec
» moi, je ne crains lien cc. Malheureufe-
ment il ne 1'avoit point pris ce jour-la, &
ce fut fa plus grande peine. On laifla M.
Fontaine en bas dans la falle. lis rcfterenc
l'un & l'autre chez le Commiffaire Vendo-
me depuis les fept heures du matin jufqu'a,
midi, que M. le Lieutenant civil envoi'a un
carofle avec deux CommnTaires & deux Ar-
chers , pour les amenera leur logis, oil ils
trouverent une multitude de , gens armes.
Des la veille M. Molodin colonel Suifle,
dont la maifon joignoit celle de nos Soli-
taires, avoit eu ordre d'aflembler chez lui
pendant la nuit toute fa Compagnie, pour
cxecuter les ordres que le Lieutenant civil
lui donneroit. On avoit auffi place une cen-
           ,
taine d'Archers au Trone. Pendant que M. „„„ r;'J^Z
1        .                      ...         1 1 J           nant civil lc
le Saci & M. Fontaine etoient chez le Com- renc[ maitre
oiiflaire pres Saint Paul, le Magiftrat avoit de la maifon
fait agir fes troupes. Une partie fut envoiee de
M> «•*■Sa-*
Pour inveftir la maifon de M. Petit , quicl*
leur echappa. Cette maifon etoit le rendez-
vous, oil M. de Saci recevoit tous fes amis.
On y trouva l'dpoufe de M. Petit, qui fe fit
admirer par la fagefTe de fes re"ponfes, 8c une;
(7) Seconde Rel. p. m,
f«ipjc« Rel. j>. 1S7..
-ocr page 428-
4i<?                 Addition
bonne femme nommee la Picarde , qu'ott
queftionna beaucoup , fans pouvoir rien ti-
ter d'elle (8). L'autre partie des Smiles S£
Archers fit le (lege du logis des Solitaires;
les Suiffes l'efcaladerent & y entrerent par
la fenetre du cabinet de M. du Fofle, qui
s'etant eveille au bruit fut fort furem dc
voir fon cabinet rempli de Suiffes lepee a la
main , qui fe rendirent bientot maitres de
tous les appartemens , afin qu'on ne detour-
nat aucuns papiers. L'un d'eux defcendit en
bas,pour ouvrir la porte au Lieutenant ci-
vil , qui entra en triomphe accompagnd du
Colonel Suiffe, comme un conquerant dans
une Place prife d'affaut. Le Magiftrat s adret-
fa a M. du Foffe,' qu'il queftionna pendant
trois heures : il intetrogea enfuite M. de Bo-
roger (on cadet, & M. de Longueil jeune
Gentilhomme. Nous ne patlerons point de
l'eclat que cette fcene fit dans le quamei,
& des bruits qui s'y repandirent fur ce qui
pouvoit y avoir donne occafion. Venons a
M. de Saci , que le Lieutenant civil avolt
envoie chercher, comme nous l'avons du,
apres routes ces expeditions : ce digne Mi-
niftre du Seigneur aiant un courage iet-
me & aflure, tout captif qu'il etoit, foutint
l'honneur du facerdoce dans l'inrerrogatoire
qu'il fubit (9).
                                         ,
Termete de Le Lieutenant tira un papier de la pocne
**• de Sau & lui dit, qu'il y avoit deux chefs pour lel-
£S«h quels il <Wt venu chezlui l'un qu'il yavo't
civil,
           une Tmprimene dans fon logis; 1 autre qu
s'y tenoit des affemblees qui fentoient la ca-
bale. M. de Saci qui confervoit route fa pie'
(8 ) Premiere Relat. (9 ) Premiere Re'1"'
p. 166.                                p. 1«8.
Seconde Rel. p. 311. Seconde Rel. p- S*6"
J
-ocr page 429-
fur M. de Saci.              327
fence d'efprit repondit, que pout ce qui re-
ardoit le premier chef , les perquifitions que
on avoit faites depuis les caves jufqu'an
grenier le difpenfoit de rien dire; puifquc
s'il y avoit eu une Imprimerie , on n'auroit
point manque de la trouver : que pour ce
qui etoit des affemblees & des cabales, it
droit fi peu vrai qu'il s'en fit chez lui, que
fes amis meme ignoroient le lieu ou il de-
meuroit. Ces reponfes etoient fans replique.
C'eft pourquoi le Lieutenant civil n'infifta
point & pafla aux papiers. II y avoit plufieurs
lettres, dont l'inlcription etoit les unes a
M. de Gournai, d'autres a M. deLeau, d'au-
tres a M. de Saci. Qui eft M. de Gournai ,
dit le MagiftratJ C'eft moi, repondit M. de
Saci. Et M. de Lean? Cell moi : & M. de
Saci
, c'eft encore moi. Ccla fent bien la ca-
tale
, dit le Lieutenant: Monfieur, repondic
M. de Saci , I'etat ou vous me voie^ juftifie
affe^ toutes les precautions que j'ai pu pren-
dre , & me fait voir que je n'en ai point pris
d'ajfe^ fures
: le Lieutenant fit plufieurs au-
tres queftions, pour favoir les noms des per-
fonnes a qui s'adreffoient ces Lettres. Mais
M. de Saci ne fatisfit point fa curiofite, & le
pria de fe fouvenir qu'iHtoit confefTeur, &
qu'il devoit un fecret inviolable a ceux qui
lui confident celui de leur confcience.
Le Lieutenant alia enfuite diner chez le
Colonel SuifTe, qui s'etoit empare' de la mai-
fon de M. de Saci; puis il revint & fit fubir
l'interrogatoire a M. Defloges.
La maifon de M. de Saci demeura en cet
etat pendant quinze jours. On eut fujet de
benir Dieu d'avoir elude la diligence prodi-
digieufe des Commiflaires en cette rencontre,
& d'avoir fauve de leurs mains les papiers de.
-ocr page 430-
4r8                Addition
tout le logis , qui etoient ks plus impofi
tans (10). Heriflant , en voiant ks Sullies
entrer l'un apres l'autte dans la maifon , eut
l'adrefle de mettre a l'ecart un gros paques
de papiers tres confiderables qui euiknt cau-
fe des peines mortelks fi on ks eut vus. Le
merae Hinffant rcndit encore d'autres bons
offices a M. de Saci dans la prifon ou ll le
renferma avec lui;&ou M. de Saci lui appnt
M.dc sacil'oithographe par regie,
fubit un fe- Le lendemain le Lieutenant revmt. Les
cond mterro- preflantes follicitations que des perfonnes de
fcMoire. conCderation lui avoient faites dans cet inter-
valle enfaveurde M. de Saci,lui apprirentqui
il etoir,& lui firent changer de ton danscette
feconde feance. II lui fit meme des excutes ,
& fe plaignit de ce qu'il ne s'etoit pas mieux
fait connoitre. Toutefois le Lieutenant con-
tinua d'executet fa commiiTion avec aflez de
rigueur, a'iant, comme park M. Fontaine,
un defir fecret, quoique neanrooins allei vi-
fible de ttouvet par-tout plus de mal qu il
n'y en avoir (n) Ceft ce qui fait encore
dire au meme Auteur , que pendant ks quin-
ze jours qu'ils palkrent dans 1'attente da
moment fatal de faire le voiage de la Baftil-
ie, ils vlrent bien des pauvretis dans ce Ma-
pftrat, & dans les robes no'ues
( des Com-
miflaires ) qui etoient faches de ne pas trou>
ver de crimes dans ceux dont ils s'etoient
xendus maitres avec tant d'eclat. » Les Gens
„ d'epee &: ks Gardes eutent plus d'huma-
» nite «. Bien loin d'obferver routes les de-
marches & toutes les paroles de leurs pri-
(10) Premiere   Relat. p. 311- H en donne d«
s I74.                            pteuves dans fon proces-
Ib. p. 109.                    verbal. Premiere Relat.
In) Seconde   Relat. p. 181.
-ocr page 431-
fur M. de Sad.            419
fontiiers, ils craignoient de s'approcher trop
pres d'eux , leur laiifoient une certaine li-
berte , & leur permettoient de manger en-
femble. M. de Saci eut meme la confolation
de recevoir un billet de la fceur Angelique
de Saint Jean, qui quoique penetree jufqu'au
fond du coeur de 1'etat oii elle voioit foil
cher & refpectable parent , s'eleva nean-
moins par la force de fa foi au-deilus des
lentimens de la nature, & lui ecri"vit avec una
vigueur extraordinaire fur le bonheur & la
uecefTite des fouffiances.
M. de Saci » a fouvent dit (11), qu'apres
« la lecture de ce billet, il foupiroit apres la
« prifon avec la meme ardeur que les autres
" tachent de la fuir , & que jamais fon ef-
'= prit ne fut fi refolu & (i determine a em-
" brafler avec une effufion de joie tout ce
» qui lui arriveroit (13) ". M. de Saci re^ut
encore le premier d'oftobre fuivant une let-
tre admirable de la mere Angelique, que M.
Fontaine rapporte dans fa premiere Relation.
T. 4. des vies edif. p. 193.
L'interrogatoire de M. de Saci aiant etc
envo'ie en Cour , on avoua d'un commun
confentement, que celui qui avoit repondu
de la forte , avoit beaucoup d'efprit & dc
fagefle , & qu'il avoit fu compaffer toutes
fes paroles felon les regies de la prudence
bumaine & divine.
En confequence les amis leur mandoient
que la Cour etoit convaincue de leur inno-
cence , & qu'ils n'avoient rien a craindre.
Mais le (*) Confeffeur du Roi ne penfoit pas
de meme. » Cet homme , dit M. Fontaine ,
(11) Premiere Rel. p. iSi.
(13) Seconde Rel. p. 314,
(*; J-e Fere Annjt.
-ocr page 432-
43 o               "Addition
»3 au defefpoir de ce qu'on differoit a fatif-
» faire fa haine implacable, a'la fe jctter
•• aux pieds du Roi, non pour lui demandet
» la delivrance de M. de Saci, mais pour lui
*> reprefenter, que fi on laiiToit aller ce Pri-
»j fonnier , tout ce qu'on avoit fait julques-
» la avec tant de travail depuis vingt ans
m etoit inutile «. La remontrance du Pere
confefleur eut fon efFet , 8c les prifonniers
ne tardetent pas a devenir les viftimes de ce
confeil fanguinaire. lis virent peu apres ar-
river trois caroffes garnis d'Archers & de
Commiffaires , qui firent monter M. de Saci
feul dans un; les autres deux a deux , puis
les conduifirent a la Baftille. lis furent pre-
fentes au Gouverneur , homme brutal & fe-
roce, qui les re^ut alTis dans fon fauteuil,
fans meme daigner lever fon chapeau , & eut
encore la durete de leur dire (14) que » fi Ton
» avoit fait dans les herefies des fiecles paf-
w fes, ce que le Roi faifoit alors, on en au-
» roit ete bien mieux". On les conduifit
enfuite chacun dans une chambre & une tour
feparee. M. de Saci fut mis dans celle qu'a-
voiroccup£ M. Pouquet, & y fut traite com-
meily avoit fujet de l'attendre d'un homme
auifi prevenu contre les gens dc bien & audi
dur par caractere que l'etoit le Gouverneur.
Une multitude de perfonnes de diftin&ion
s'emprefferent de lui rendre vifire pour ap-
prendre des nouvelles de ce refpeftable Pri-
fonnier, & pour le prier avec inftance d'a-
doucit fa prifon autant qu'il lui feroit poffi-
ble; mais cela ne produilit aucun efFet. Au-
contraire le concours des perfonnes , qui s'in-
(14) Seconde Relat. ce fut un jeune Gafcon
p. 51S. II eft dtt dans la qui lint ce difcours doat
■emiere R,cl. p. i8j, que il n/ecoit que I'dcho*
-ocr page 433-
fur M. de Saci.               431
terefloient a M. de Saci, lui faifant craindre
qu'on ne trouvat mo'ien d'avoir quelque com-
munication avec lui, ii fit faire une efpece
de. barricade pour empecher qu'on n'appro-
chat de fa chambre , & coupa pour cela unc
partie de la galerie qui fervoit de promenade.
Tout ce que demandoit M. de Saci, lui e'toit
refufe. II ne lui fut pas permis pendant tout
le terns qu'il fut a la Baftille de dire la Mef-
fe, ni meme de communier.
Le faint Prifonnier fe foumettoit avec une Riffgnation
reuVnation admirable a toutes ces privations, . ?*' ff,*~
. o
                         .                   r              > ci. Ses laintej
& ces rerus : la maxime etoit, » qua raut ^ifpofltions.
m favoir fe pafler de ce qu'on trouve de plus
» confolant dans la vie; qu'on doit fe fou-
» venir de l'etat ou etoient autrefois les pie-
s' miers Chretiens, lorfqu'ils fe contentoient
» d'a/Tifter & de participer a 1'Autel en ef-
» piit, ne le pouvant faire autrement; que
» c'etoit-la une des plus grandes parties de la
m penitence; & que puiique Dieu l'y enga-
m geoit, il falloit s'y foumettre & fatisfaire
» ainii pour fes peches , fi on ne l'avoit pas
» encore fait; qu'il valloit mieux facrifier
" fes defirs & foi-meme, que le Corps de
p> Jefus-Chrift, & fe mortifier que de dire
» la Mefle : que les homines le traitoient
« comrae ils vouloient fans favoir ce qu'ils
» faifoient, mais que Dieu favoit bien ce
» qu'il faifoit par eux ". M. de Saci etoit
tellement perfuade de ces verites , qu'il fe
fit un combat en lui, comme il le dit depuis
a M. Fontaine (M) > lorfqu'il demanda la
permiffion de dire la MefTe ; les f ntimens
tie penitence le portant d'un cote a s'en a >fte-
nir; & craignant de l'autre que s'il ne le
(Jjj Seconds Rclat. p. 318.
-ocr page 434-
43 i              Addition
demandoit pas , on ne crut qu'il etoit infen-
fible a cette privation, 8c qu'il avoit peu dc
religion.
Avec de telles difpofitions , on fouffre faci-
lement toutes les epreuves & les privations,
quelques penibles qu'elles paroiflent a la na-
ture : mais d'aillcurs la prifon meme n* avoit
par elle meme rien de bien fenfible pour une
perfonne telle que M. de Saci, dont la vie
avoit ete une prifon continuelle par la re-
paration des hommes & la retraite ouil avoit
vecu , 8c qui, comme le dit agreablement M.
Fontaine, avoit twite fa vie eludii la Bajlil-
le
(16). Audi n'auroit-il pas fait la moindre
demarche pour en fortir : « fi le Roi , di-
3> foit-il fouvent a M. Fontaine , faifoit dire
» a quelqu'un qu'il le veut a un tel endroit,
»» avec quel honneur cet homme s'y tien-
»> droit-il ? Dieu lui-memc me marque qu'il
» me veut ici, ne fuis-je pas trop heureux
. _ .. »» d'y etre ?
nierslommu" Les Trifonniers eurent la liberie' de le con-
nient le jour feff" & de communier lejourde la Pente-
de la Peute-c6te (i7), & re^urent une grande confola-
cote.
           tion je ia part ,je TAumonier de la Baftille :
( ce n'etoit point alorsun Jefuite ). Un Art'
ge ne nous auroit pas plus confole,
dit M.
Fontaine (it),
il nous exhorta , dit-il,» ane
x nous pas abattre , 8c a ne point regarder la
» prifon comme une chofe nouvelle aux
*> chrdtiens ; que l'Eglife y etoit accoutumee
» des fa naiffance ; qu'elle etoit prefque tou-
» te fortie des prifons ; qu'il ne doutoit point
(is) Seconde Relat.    a MM. du Fofle 8c i M.
p. 355.                             Longueil.
(17) On n'accorda pas (iS) Premiere Relat.
a M. de Saci la meme fa-   p. 100—101.
reur qu'a M. Fontaine,
que
-ocr page 435-
fur M. de Saci.            43 j
a que nous nc pardonnaflions de bon cceur
>' a ceux qui y avoient part, puifqu'en pen-
» fant nous avoir procure du mal, ils ne
■» nous avoient procure que de veritables
» biens; que ce qui etoit honteux felon leS
« homines, e'toit glorieux felon Dieu ; 8c
» que la foi faifoit trouver de la joie, oil la
" nature ne trouvoit que de L'amertumc ;
» qu'il nous plaignoit d'etre ainfi fepares de
» nos occupations ordinaires & de n'avoir
» ni plume ni encre pour travaillerj mais
" que ce n'etoit pas un mal d'avoir quelque
» terns dans la vie pour ne penfer qu'a foi-
« meme ; & qu'apres avoir tant travaille
" pour le bien & l'edification des autres , il
» cfoit bon de faire quelque fufpenfion , afin
" d'attirer en nous une plus grande abon-
» dance de l'efprit de Dieu 8c de rendre ainfi
» nos travaux plus utiles.
La feule inquietude & la feule peine qu'eut MeJIieurs
ce faint Prifonnier , etoit par rapport aux du Folic font
compagnons de fa prifon , dont il defiroit mis en liber-
plus la deiivrance que peut-etre ne la deli- cS*
roient-ils eux-memes. M. le Cliancelicr le
Tellier la procura a Meflieurs du FoiTe en
confideration de M. du Fofle leur pere , Mai-
cre des Comptes a Rouen, chex qui il avoir
loge, lorfquc la Cour y etoit, & pour le-
luel il avoit concu beaucoup d'eftime 8c
d'affedtion. Ainfi Meffieurs du Fofle fortirent
apres environ un mois de prifon, avec M.
QeLongueil (19); ce qui caufa une grande
, (19) M, de Longueil ,    re de Rouvifle faparoille.
''toic fi!s de M. Deilandes    Ce Gentilhomme avoic
Gentilhomme du pais de    trois fils, auxquels il don-
Caux, que Die u avoit   na une education chre-
•puche par les inftruc-    tienne , & unt fille qui
"ons de M. Guilbert Cu-   fut religieufe a P. R, des
Tome FIJI.                      T
-ocr page 436-
4?4               Addition
joie a M. de Saci. Les Prifonniets delivre's
atlerent rend re viftte au Lieutenant civil d'Au-
bray, qui mourut peu apres du poifon que
lui avoit donne la fameufe BrinviUier fa fille,
& fe rctirerent a Rouen , puis dans leur ter-
re du Fofl6.
11 reftoit encore M. Fontaine, qui ne fou-
p'uoit qu'apres le bonheur d'etre reuni avec
M. de Saci, ne connoiffant d'autre Hbertd
que d'etre avec lui: tout me [era une prifon
fans M. de Saci
, difoit-il, & avec lui je
feral Hire par-tout.
M. de Saci defiroit auffi
cette reunion , Se la fit folliciter par les ?.mis,
mais on ne daigna pas les ecouter. On levint
Champs. Des trois fils ,   liberte , il aima mieux fe
i'un apres avoir ete quel-   re irer dans une maifon
ques annees Secretaire de   du meme Fauxbourg , oil
M. I Eveque de loutnai,    Meflieuts de Sainte-M.it-
fut pouvvu par ce frelat   the , de Saint Gilks, Lan-
d'un Canonicat de la Ca-   ceiot 6c un autre vivoient
thedrale. Le fecond,qui   dans une gvande rettaite,
avoit fait beaucoup de   que de retourner dans ft
progtes dans les Belles-   patrie.Ai'aruprisgoutpour
Letties, fut place auptes   la vie dela Trappe dans
du tils de M. le Due d'En-    un vo'tage qu'il ht a ceite
guyen. Enfin letroifieme,    Abba'ie avec M. de Sainte
M.de Longueil aiantdef-    Marthe , il s'eprouva an
fcin de fetvir Dieu, mais    retour pendant dix-fcp£
ne fe fentant point appel-   ou dix-huitmois, & alia
16, ni a 1'etat cccleliafii-    s'y confacter a Dieu fo"s
que , ni a la vie rel'gieufe,   le nom de frete Benoit, &
otitic de fe confactet au   fe livra a la pcniiencei
fetvice de P. R. Il y paffa   quoique le Seigneur l"1
quelques am ees, jufqu'a   cut fait la grace de con-
ce qu'un ordte de M. de   fetvet rimioience de to1
Paris Ten fit fotttr. Alois   bapteme. Il y eft niort
il fe retita a> pres de M.    dans la pratique la pl"s
de Saci, au fauxboutgde    exacte de toutes les <»'
Same Antoine , ou il fut   feivances regulieres, to'
arrSte comme on l'a vu    tout de l'obeiffance. Vie5
& conduic a la Baftille.    edif. T. 4. p. 104, l0i>
Lotfqu'il cut tecoime la   tos.
-ocr page 437-
fur M. de Saci.            455
a la charge , mais toujours inutilement: On
repondit, que c'etoit une chofc inouie que
des perfonnes mifes en prifon pour une meme
affaire fuflent ainfi r^unies enfemble.
Enfin dans le terns qu'on ddfefperoit de ., _
cette reunion , les arms aiant meme ceiie de ne eftreuni A
faire des pourfuites pour l'obtenir, M. BarailM. de Saci
Major de la Baftille , homme dun vrai me- Par lcs bons
rite, qui avoir concu une erande eftime de °*ce? . ? M*
M. de Saci, & ne cnerchoit qua lobhger, ,ie la Baftille;
remit 1'afFaire en mouvement; & comme il ou de Made-
favoit patfaitement bien conduire les affaires moifelle de
de la Cour , il donna de fi bonnes inftrudions Yam>'fe,on
1            '              ,.,               ■ •^ ,-                    11              la premiere
a un homme qu if envoia a Fontainebleau , ^e|. „. n4.
qu'elles eurent l'effet qu'on defiroit. Ainfi & de M le
M. Fontaine eut enfin la fatisfa£tion qu'il Teliier. Ibid.
fouhaitoit avec tant d'ardeur. II avoit ete P'110*
faign£, & dinoit lorfqu'on vint lui apporter
cette agreable nouvelle. II en demeura com-
me pame , & un moment apres, l'efprit & la
parole lui etant revenus, il dit a celui qui la
iui avoit annoncee, Monfieur, aujourd'hui
vous me rende{ la vie.
II quitta en meme-tems fon diner , & alia
a laChambre de M. de Saci, qui fut furpris
agreablement, Sc courut a lui pour l'embraf-
fer. L'Offlcier fut temoin de cette entrevue
& de la joie reciproque des deux Prifoniers.
On les prefTa de diner, apres quoi s'etant le-
Ves de table ils fe jetterent par terre, & fi-
rent de longues prieres, pour temoigner a
Dieu leut profonde reconnoiffance. Ce jour
heureux , qui etoit le 13 du mois d'aout, &
& l'heure a laquelle fe fit cette union tant
defirce (10) , furent toujours memorables de-
do) M. Fontaine par- de cette reunion , s'ex-
Uat de la joie qu'il eut prime ainfi : Depuisqutje
Tij
-ocr page 438-
ppp, -..........-
43(3             . Addition
puis aux faints Prifonniers, qui chaque mois
en renouvelloient la memoire , en recitant
quelques Pfeaumes que M. de Saci avoit
choifis , corame il avoit auffi fait pour le jour
& l'heure qu'ils avoient etc pris. Celuidela
reunion fut celebte pendant huit jours , M.
de Saci n'aiant voulu etre occupe pendant
tout ce terns , que de la grace que Dieu leur
avoit faite, quoiqu'il eut de grands deffeins
dans l'eiprit; mais il favoit qu'il devoit s'y
difpofcr faintement , 8c que pour cela il ne
falloit pas fe prefler mais offnr long-tems fes
travaux a Dieu.
M. de Saci ^es grands deffeins de M. de Saci, dont
feu la ttaduc-veut parler M. Fontaine, ctoient fans doute
tion le la Bi- la refolution oil il etoit de travailler a la tra-
We pendant duftion del'ancien Teftament. C'eft ici qu'on
*a P" °'V ne fauroit trop admirer les reflbrts fecrets
de la Providence, pour executer fes defleins:
celui qui permit que Jofeph fut vendu S& en-
voie en Egypte , pour procurer le pain tem-
porel a fon pere & a fes freres , permet
qu'un faint Pretre foit enferme dans une
etroite prifon , pour procurer le pain fpiti-
tuel aux vrais enfans de I'Eglife. Lorfque
M. de Saci fut arrete le 15 de mai, il venoit
dc mettre la derniere main a la traduction
du nouveau Teftament qui parut Tannee fui-
vante a Mons , 8c il en avoit la Preface dans
fapoclie lorfqu'il fut ptis, II avoit deflein de
fuis reunl avec man cher    ( dit-il dans une autre
pere elle ( ma joie ) eft    lettie a M. Hamon. Vies
devenue telle que je ne la    edif. T. .4. p. 183.) w*
comprens pas moi-meme.    ou ne feroit-on pas hl&
Je ne favois pas qu'on jut    reux d'etre avec lui i
Ji heureux enprifon. Que    quand ce feroit dans k
Von eft. heureux d'etre en   fond its fades i
prifon avec un ttl homme,                                      i
-ocr page 439-
fur M. de $aci.             4}f
traduire l'ancien Teftament, & reunifibit en
fa perfonne toates les qualites necefTaires
pour reuffir dans une entrcprifc fi louable ,
& qui devoit etre tres avanrageufe a l'Eglife.
Mais fes grandes occupations ne ltii en laif-
foient pas le loifir. Alors Dieu , qui fait fc
fervir des medians pour executer fes volon-
tes , permet que ce faint Pretre foit enferme
dans une prifon, oii il a non-feulement tout
le loifir que demandoit un fi grand travail,
mais oii il rrouve encore tous les fecours ne-
cefTaires. On lui fournit des livres , on lui
donne meme un Copifte dans la perfonne de
M. Fontaine. Enfin , comme fi l'Etre fouve-
rain eut voulu faire connoitre d'une manie-
re fenfible , qu'en reglant lui-meme tous ces
evenemens , il n'avoit permis que M. de
Saci tombat entre les mains des medians &
qu'il ftit enferme dans une Stroke prifon ,
que pour y traduire les livres faints, il le
di'livra auditot que la traduction fut ache-
vee. Dans le moment qu'il finiflbit , il re-
volt une Lettre de cachet qui lui permet de
fortir de la Baftille, comme y a'iant fait tout
ce qu'il y devoit faire. Qui n'admirera des
"aits fi frapans de la Providence ? Qui ne
leconnoitra cet ceil qui voit tout, & cet-
te main puiflante qui dirige toutes chofes ?
Mais quelle eftime de cette traduction des
ptacles du Saint Efprit ne doivent pas nous
Hilpiter tant de circonftances, qui portent
" vifiblement la marque du doigt de Dieu
& releveiat le merite de l'ouvrage ? Les
Saints Peres ont remarque , que parmi les
Epitres de Saint Paul, celles qu'il a ecrites
dans les chaines, ont je ne fais quoi de plus
touchant que les autrcs. Peut-on douter, du
m°5us n'y a-til pas lieu de croire , que Dieu
T iij
-ocr page 440-
4J?               Addition.
re>and une b^nediftion particuliere fur cette
traduction des Livres Saints en vue de la
prifon & des faintes difpofitions de l'Auteur >
D-ailleurs quels foins n'a-t-il pas pns pour
Ja rendre exafte > II y travailloit fans relacne
ne perdant pas un feul moment, & n'mtcr-
rompant fon travail que par de Kequentes
prieres, pour attirer les lumieres de lElpnt
Saint, dont il traduifoit les oracles. A-peine
prenoit-il un moment de ddlaflement dans la
iournee. S'il profltoit de la Hberte qui lui tut
accordee d'aller prendre l'air fur la terrafle
apres fon dine' , il s'enfermoit prefqu'auflt-
tot dans un cabinet qui hok au haut, pour
s'y appliquer plus librement a Dieu pendant
le terns que les autres emplo'ioient a la pro-
menade.
                                                    .
Durete du Nous ne rapporterons pas ici tonsi les
Gouverneur: mauVais traitemens que M. de Saci eiluia
vifite qu'il dans ra jfon ,je ia part du Gouverneur ,
£ddito£ <*<»» nous avons deja parle , ni des piegcs
«u«loitk«.qu'il lui tendit (i.),enenvoiant des Emil-
ftires qui tenoient en fa prefence des dii-
cours deTavantageux fur le Roi, pour le {aire
tomber dans le filet; mais M. de Saci etoit
trop fage , & avoit trop de refped pour Ion
Souverain, pour jamais s'en 6carter.ce
Gouverneur rendokque'.quefois vifite aaUiM
Prifonnier, 8c lui tenoit des difcouts fa aeU-
etiables , que c'etoit pour lui une peniten<je
cfetre oblige de les entendre. Un jour M. de
Saci, apres avoir eiTui'6 une convention de
cet homme , qui lui avoit dit, qu :/ empoi-
fonneroitfon pen Ji U Roi U lucomm**-
doit
(it), tint ce difcours a Monfieur Fon-
taine , qui en avoit hi tdmoin : » eh bien ,
(n) Seconde Relat. p. $4«>
(ii)lb. p. 345-
-ocr page 441-
fur M. de Sad             439
» Monfieur , en quelles mains fommes-
« nous ici ! je vois bien qu'il faut tou-
» jours fc tenir pret a tout. Tout cela n ett
» rien. Prifon , mott, emprifonnement, ar-
„ rive tout ce qui pourra. II faut fervir Dieu
3, aux depens de fa vie , comme j'ai tache de
» le faire un peu aux depens de ma liberie.
» On eft heureux , quand on eft dans 1 enga-
» eement de faire ce qu'on recommande aux
* Chretiens , c'eft-a-dire , d'avoir toujours
» la mort devant les yeux. On doit bemr
» Dieu , lorfqu'il nous met dans un etat de
» fouffrance le long du jour &c de la mm. Ces
« difcours & ces entreciens , qui ne font pas
*> fort agr£ables , doivent entrer dans notre
» penitence. Car e'en eft une , & je crois
» que Dieu me l'impofe , pour me purifier
» dans l'ame , qui eft tout ce que jelui ai
» demande" dans le commencement de ma
» prifon. II faut s'humilier, fouffnr 8c de-
» pendre de Dieu. Voili les trois regies en ce
» lieu qu'il faut tacher de garder avee joie
» & tranquillite au fonds de l'ame... J ai de
» la joie d'etre quelqnefois reveille par de
« femblablesentretiens, & par les traieurs
» qui m'arrivent de terns en terns. Notre reii-
» gioneftune religion de pratique Kdexer-
» cice de vertu , & non d'une contemplation
» oifive des verites divines qu'elle contient:
« veritatem facientes , dit Saint Paul. Lm-
» firmite' que nous portons , & le peche dont
» nous famines environnes ont beloin de
» ces lecons.
                                    . r -
Le terns de la prifon de M de Saci fe paf- M.teVcn -
foit dans un faint travail X la pnere, dans ™r
une prande uniformitd de vie & une paix , rairable $M,
qui lui faifoient dire fouvent que c etoient Ae palis fi,t
les plus douces annces de fa vie. Mais les U prifon d<=
T iUj
                M.dei.u.
-ocr page 442-
44°                Addition
amis de ce refpectable Prifonnier nc paf~
foient pas fi tranquillement lc terns oil ils
etoienc piives du bonheur dc le voir St de
profiter de fes inftructions. Ils le regardoienc
comme leur pere , & ne pouvoient s'accoutu-
mer a ne plus voir celui qui etoir leur confa-
lation. Tous les Meflleurs de Porr-Roial des
Champs s'offroienc a Dieu pour leur cher
Pafteur , & ils euffent de bon cceur don-
ne leur vie pour abreger fa captivite.
Les religieufes de P. R. imitant I'exemple
des Pideles de l'Eglife naiflante , qui pendant
que Saint Pierre etoit en prifon , faifoient
des prieres continuelles, ne ceffoient de prier
pour lui : nous perfeverons dans des prieres
continuelles ,
lui marquoit la mere Angelique
de Saint Jean, 6" I'on recite alternativement
le Pfeautier , depuis que nous en avons eu
lapremiere nouvelle.
M. de PontchateaUjiion content de prier Sc
de gemir, eut le courage d'ecrire unelonguc
& excellence lettre a M. l'Archeveque de
Paris, pour lui dcmander la liberie de M. de
Saci dont il fait unbel elo2;e. )= Permettez-
■*> moi, Monfeigneur, dit-il,de commencer ce
33 difcours, en vous reprefentant l'extreme
x> tort que vous vous faitcs a vous-meme,
m en tenant dans la Baftille un Eccleflaftique
» audi confiderable que M. le Maitre. II
m a.cela de fingulier , qu'il n'y a peut-etre
m perfonne en ce terns qui ait fait paroitte
33 dans fes Livtes une f;ience plus remplic
33 de piece , ni line piete plus eclairee que
3) la fienne. II n'a jamais travaille qu'a des
3> ouvrages , qui etant eloignes de toute
33 conceftacion one edifie touce l'Eglife...Je
33 m'etois coujours perfuade que Tinnocence
m de fes menus & celle qui paroic dans tous
-ocr page 443-
fur M- de Sac'i.             44 1
» fes Merits , le mettroient a couvert de la
" haine du monde, Sc qu'on ne voudroic
" pas perfecuter une perfonne qui n'a ja-
» mats donne le moindre pretexte de fe
" plaindre de lui. Et en effet je crois faci-
» lement ce que Ton dit , qu'on ne 1'auroit
" jamais arrete fi on l'avoit conmi. Dans
=3 un autre terns, une perfonne de fa capa-
» cite 8c de fa piete n'auroit pu etre con-
s' nue fans etre forceedefortir defafolitude.
" On auroit fait violence a fa modeftie ,
» &c on lui auroit donne un rang dans l'E-
» gHfe, qu'il merite d'autant plus qu'il a
" toujours ete ties eloigne de le deiiter. Mais
" Dieu a d'autres recompenfes ?. donner a
» fes ferviteurs. II les met a l'epreuve , per-
» fecliionne la charite par la patience , Sc
» les maux qu'il leur envoie deviennent pour
*> enx de grands biens. Ceft une grace fm-
» guliere a un homme de bien de foufFrir;
" mais e'eft une grande marque de la colere
» de Dieu, que l'Eglife foit profanee par
*> les dereglemens , par l'ambition , par
» l'avarice d'une infinite d'Eccldfiaftiques,
" en memc-tems que les prifons, qui n'ont
» ete faites que pour les criminels , font
« fan£Hfiees par la prefence des ferviteurs
« de Dieu, & fervent a les fanftifier ettx-me-
» mes. Je vous avoue, Monfeigneur,continue
» M. de Pontchateau en donnant une bon-
» ne leijon a Monfeigncur , que je ne puis
" penfer a M. le M ait re fans vous detnander
» en meme-rems dans mon efprit raifon de
» votre conduite. Par quel principe de Theo-
» logie , par quelle regie du monde , par
» quelles nouvelles lumieres tenezvous de-
» puis fi long-tems en prifon cct Ecclefiaf-
» tique j dont 1'innocence eft fi connuc 3
Tv •
-ocr page 444-
442.                    Addition
33 fans merae lui permettre de dire la MefTe,
» ni de communier ? Comment ofez-vous
33 exercer une telle rigueur contre lui, fans
33 aucun jugement precedent; Et qu'eft-ce que
33 faire une injuftice , fi-non de faire fouftrir,
33 ceux que nous haiflbns par voie de fait,
33 fans avoir aucun foin ni de la juftice de
33 leur caufe, ni de notre reputation ni de
33 noure conscience I Une affaire de cette
33 importance fe peut-elle parter dans Paris,
33 fans que vous y preniez garde ? Et pou-
33 vez-vous ne point faire attention fur un
33 exces qui paroit fi etrange ? L'on ne de-
33 fire point que vous faffiez de faveur a. M.
33 le Maitre.... mais on defireroit feulcmenc
33 de vous, que vous euffiez autant de bont£
3> Sc de douceur pour lui, que vous en avez
33 pour les plus grands criminels. II n'y a
33 point de fi miferable Pretre , que vous ne
33 renvoiez a fon benefice apres trois mois
33 d'une retraite__ beaucoup moins dure que
» n'eft celle de la Baftille. Je le dis avec con-
's fufion, traitez un des plus faints Pretres
33 de votre Diocefe comme vous traitez les
, 33 plus deregles, & on vous aura obligation.
Condition Queues amis aiant demands a ce faint
M. de Saci Prifbnnier , s'il ne voudroit pas bien , pour
four obtenir fottir de la Baftille, promettre qu'il n'ecri-
fa liberie, roit jamais aux religieufes de P. R., il eut
horreur de cette propofition , & dit qu'il ne
pourroit faire cette promeffe fans etre impie
& fans s'accufer d'avoir mal fait en le fai-
fant auparavant , Sc qu'il croiroit faire un
crime de ne pas r^pondre aux lettres qu'il
recevroit d'elles. II e'erivit fur ce fujet une
belle lettre a M. d'Alet (xj), 8c en recuc
(ij) Vo'iez cette lettre, T. 4. des vies edif. p. %\f>
-ocr page 445-
fur M. de Sac't.               44 £
line de ce faint Prelat (14). par laquelle il
approuvoit les difpofitions Sc les raifons da
Prifonnier de Jefus-Chrift. ]e fujs tout-a-
fait entre dans votre fentiment,
dit-il, tou-
chant la propofition qu'on vous afaite. Je
trouve tres folides Us raifons quhvous ontpor-
ti a la rejetter... L'on petit faire des avances
pour fe tirer de Vopprejjion , de meme qu'il eft
permis , felon VEvangile de fair pour eviter
la perfecution : ntais ilfaut bien prendre gar-
de dans ces occafions de ne rien faire qui blef-
fe la fideUte que nous devons a Dieu , & qui
rious fajfe perdre le merite qu'ily a de fouf-
frtr pour la juflice
La lettre du faint Eveque
eft datee du premier fevriet 1667.
Malgte tous les foins que prenoit le Gou- lettre He
verneur pour empecher les communications, M. Fontaine
les Prifonniers trouvoient moien d'ecrire &£M. Hamon.
de recevoir des lettres. Lorfqu'on lui deman-
doit ( a ce Gouverneur ) dit Monfieur Fon-
taine (i5)» fi nous n'avions point de nou-
vclles , il difoit qu'il faifoit le diable pour
empecher que nous n'en eujjions &pour nous
couper toutes les voies, mars qu'avec tout
tela il ne pouvoit tout-a-fait les empecher
,
6" que lorfque nous itions fur les terrajfes ,
il venoit toujours quelque pigeon qui nous en
apportoit. C'etoit a M. de Paris lui-meme
que le Gouverneur parloit de la forte. » Ces
" pauvres gens me font pitie , dit encore
» M. Fontaine dans une autre lettre de la
" Baftille (16); & bien loin de leur infulter
*> fur les voies que Dieu nous ouvre d'eluder
» leurs mauvais defirs, j'adtnire la bonte' de.
» Dieu fur nous qui fait comme des mira-
(14) lb. p. 148.
UO lb. p. 194.
(is) lb. p. 504.
Tvj
-ocr page 446-
444                 Addition
=3 cles par la liberte de la communication ,
» lorfque les efprits des pinflans paroifToienc
m fi animes pout l'empecher. 11 faut bien
33 qu'il voie qu'elle m'cft nexefTairc , car
m Dieu nc fait rien inutilement. Ainfi tandis
que le Gouvetneut faifoit le dia.hU pour
couper les votes
, Dieu faifoit comme des
miracles pout entretcnir la communica-
tion des Prifonniers avec leurs amis.
Confolation C'etoit pout M. de Saci une grande con-
•",, . j fol^011 dc recevoir de tems en terns des
d;s lettres de nouvelles des amis & des lettres fut-tout de
M. Hamon. M. Hatnon : je voudrois, dit M. Fontaine
ecrivant a M. Hamon , que vous fujfie^ ti-
moin de la confolation que recoit M. I'Abbe
lorfqu'il vient quelqu'une de vos lettres. II
fait un ,
ah ! bon , avec une exclamation fi
forte que je cours auffuot a lui pour favoir
ce que ce peut etre.
Sentiment Les lettres de M. Hamon a M. Defloges
<)e M. de Sa- donnoient fouvent occafion a celui-ci & a
ci fur M. Ha-M_ ^ §acj ^ s'entretenir <je cet homme
admirable, qui avoit encore plus de foin
des ames que du corps , & d'admirer enfem-
ble la providence de Dieu dans la conduite
qu'il tenoit a l'egard des religieufes de P. R.
en leur procurant un Medecin qui les forti-
fioit par fes inftructions & par les excellens
ouvrages qu'il compofoit pour les foutenir,
L'humilite de Monfieur de Saci lui faifoit
meme croire que M. Hamon ne faifoit pas
moins de bien a ces faintes filles, qu'il leur
en faifoit autrefois lui-meme lorfqu'il etoit
leur Pafteur.
Vie de M. Nous voi'ons par plufieurs lettres de M-
de Saci a la Fontaine a M. Hamon, dcrites de la Baftille
B . meme, le genre de vie que menoit M. de Saci
avec les compagnons de fes. liens Meffieurs
-ocr page 447-
fur M. de Sacl              445
Deflogcs & HeriiTant: 53 il n'y a rien de nou-
» veau j di:-il (17), dans notre petit Trium-
» virat. La vie de U Baftille eft la vie du
« moiide la plus uniforme. Qui en voit un
« jour voit toute i'ann^e. Nous y jouiifons
33 d'une paix profonde , que nous compre-
» nons de plus en plus etre le fouverain bien
« de la vie. Nous avons 1c bonhcur de trou-
« ver aux portes de Paris , la tranquillite
« d'un profond defert....On vicnt a des heu-
» res alTez reglees nous apporter a manger
*> a midi & au loir; & apres qu'on nous a
» promcnes fur un bout de terraffe , on
» vienc refermer les portes & nous rendre
» a notre cliere folitude. Je f appelle chert
» folitude, parceque nous la benillons de jour
» en jour, ou plutot parceque nousybcni/Tbns
" Dieu,qui nous y fait fentir fes graces & gou-
» ter combien fa mifericorde eft douce. II tc-
» moigne fi vihblcment nous y prendre en fa
*> protection, &nous y couvrir de fes aSles
» faintes , qu'il me femble qu'apres ces preu-
» ves fi fenfibles de fa bonte , on n'attend
« plus rien que la mort, & qu'on ne veur.
« plus vivre que pourlui ofHir de continuel-
» les actions de graces. Je voudrois que
» vous fuffiez preTent quelquefois a t'inno-
» cence de nos petits concerts. II ne fe parte
» gueres de jours , que nous ne chantions
" quclquc Pfeaume ou quelque Cantique ,
" & nous nous exhortons continuellemenc
» l'un l'autre a nous rejouir en Dieu.
» C'eft une chofe admirable que de voir
» la vie de M. l'Abbe. C'eft une priere con-
» tinuelle, qui n'a rien de fee , &: qui fait
» fortir autant de larmes de fes yeux, qu'elle
» poulfe de foupirs de fon creur. Nous paf-
a> fons le terns de nos cntretiens a faire de
(17) lb. p. 504.
-ocr page 448-
446                 Addition
» petites commemorations de nos amis.
33 Chacun vient a Ton tour fur le tapis; &c
33 t'tant obliges par notre crat de mouriraux
=> chofes prefemes, nous faifons ainfi revi-
" vre ks tems partes, &c.
« Je n'avois garde ! die encore M. Fontai-
'i ne dans une autre lettre fans date & fans
si adreffe , dont on ne nous a donne qu'im
m fragment (i8) de m'avifer de vous r-avler
" de M. l'Abbe , car it n'y a rien de plus
53 uniforme que fon etat ; & fi vous avez
» jamais fu comment il pafloit une journee,
3> vous favez comment il paife toute fa vie.
« File eft toute dans la priere & la lecture,
» il paiTe de l'une a l'autre depuis le corn-
's menccment du jour jufqu'a la fin, fans que
» dans cet exercice tout interieur, il y ait
" rien de rnort & de languiffant. Ses yeux
" font devenus , depuis qu'il eft ici , deux
33 fources d'eaux qui ne tariffent point. Il
=3 accompagne cela de la folitude que vous
>3 pouvez vous imaginer, & cette folitude
33 d'un profond filence , qui fait que , quoi-
33 que nous fo'ions tout le jour enfemble ,
33 nous nous parlons neanmoins tres peu;
33 non par un autre efprit que par un amour
n du (ilence que nous eprouvons etre ex-
33 tremement neceffaire dans la folitude ,
3 pour en bien gouter la paix 8c n'en pas per-
33 dre le fruit. Toute la matinee depuis qua-
ji tre ou cinq heures jufqu'a midi, nous ne
=3 difons pas trois mots : apres midi nous
33 nous entretenons avec joie & plaifir de
33 tous nos amis. Nous finiffons notre petite
*> conference par quelqu'endroit de l'Ecri-
»j ture qui nous occupe une demie heure,
33 & enfuite nous rentrons dans notre pro-
(18) lb. p. iij.
-ocr page 449-
fur M. dt Saci.            447
» fond filcnce jufqu'au foir, qu'en fortant
33 de table nous difons encore queique cho-
» fe jufqu'a Complies. Heriflant eft dans
33 ranrichambre dans un audi profond filen-
» ce que nous, & s'occupe avec plaifir a fa
» mignature, & ainfi nous pafl'ons les jours
" tous trois fans chagrin, fans ennuis, fans
33 mauvaife humeur, dans une union par-
33 faire , en beniifant Dieu tous les jours....
33 Quand je vous parlerois jufqu'au jour du
» jugcment je ne pourrois vous faire mieux
33 connoitre notre etat & notre maniere de
33 vivre, 011, s'il plait a Dieu,vous alkz Wen-
s' tot entrer, & od vous tronverez que Dieu
33 cache de grands trefois pour ceux qui veu-
'3 lent erre bons chretiens, Sec.
Le Gouverneur de la Baftille etant venu On refute
voir M. de Saci le jour de Paque de fan1* "T11"1;"
1^(37, le Prifonnier lui demanda li fa defen- iM.de
fe qu'il avoit de le laiffer communier ex- saci & a M.
cluoit audi la fete de Paque qui eft d'obli- Defloges.
gation; & fi cela compienoit auffi M. Def-
loges qui n'etoit que Laic. Le Gouverneur
repondit qu'il avoit une deTenfc verbale &
par ecrit en general , il ajouta qu'il iroit
voir M. le Tellier, lequel le renvois a M.
de Paris. On ignore qu'elle fut la repon-
fe du Prelat; mais ni M. de Saci, ni M. Def ■
loges ne communierent. M. Defloges en eut
de la peine & la temoigna a M. Hamon ,
qui lui ecrivit une lettre des plus edifian-
tes (19). Queique terns apres, M. Defloges
repondant a Monfieur Hamon , lui temoigna
TefFet que fa lettre avoit produit en lui: la
meditation de ce que vous me dites ,
ce font,
fes paroles, a ete ma plus grande confola-
(i j) Voi'ez cette lettre, T. i.. des vies edif. p* iss„
-ocr page 450-
448                Addition,
tion dans Ces faintes fetes dePdque (;0\ On
voit par cette lettre que les Prifonnicrs ne
s'ennu'ioient point dans leur captivite : nous
penjons fi peu a nous ennvier
, dit M. Def-
loges, que notre terns fe paffe id avec la mi-
me rapidite qu'il nous paroiffbit lorfque nous
itlons libres. Volla bientot I'annie finie
, 6"
ce terns nous paroit fi court, que nous croions
n avoir encore etc qu'une heure a la Baflille,
& que nous fotnmes refolus de ne compter
aVavenir nos annees que cotnme des heures.
jiinfi au bout de dix ans croiant n'y avoir
ete que dix heures
, cen'eflpas un fort grand
mal que d'etre dix heures en prifon.
II n'eft
pas ordinaire d'entendre un Prifonnier parler
de la forte.
Belle re- M. Defloges a'fant un jour demande a M.
-ponfe dc M. ,}e sacj g j"e trouvant par hazard dans la
.de Sao a line -r
                   1                   i- 1              i- 1
demande iai-P on toutes 'es commodltes pout dire la
le par M. MefTe, il ne proSteroit pas de I'occafion pour
Befloges. lefaire, n'y aiant aucune loi qui l'en empe-
chat, 1'Archeveque meme ne 1'aiant point
interdit; le faint Prifonnier lui repondit,
» qu'il etoit vrai qu'il ne vo'ioit aucune re-
» gle qui put empecher cela (31), & qu'il
m n'auroit garde de condamner une perfonne
m qui en uferoit de la forte; mais que pour
=3 lui il ne voudroit pas le faire ; qu'il faut
» refpefter la puiflance de Dieu dans les or-
Da dies meme injuftes des Superieurs , & que
33 c'etoit le fuivre de demcurer dans cet etat
» humble; qu'il falloit bicn prendre garde de
33 ne pas fortir,de foi-meme,de l'etat oil Dieu
m nous met, & que fi des hommes metrent
33 d'autres hommes en penitence , Dieu pou-
(;o) lb. p. l«8.
, (31) lb. p. 2.71,
-ocr page 451-
fur M. de Saci.            449
» voit bicn audi les y mettre; qu'il etoit
*> bon que les foibles viflent qu'on peut fe
» pafler de la communion quand Dieu y en-
» gage fi vifiblcment, & qu'il s ne cruflent
" pas que tout fetoit perdu lorfque !a vio-
sj lence des hommes les condamneroit'a ce
» mal,en voiant qu'il feroit tel que les plus
3= forts mcmes ne poutroient l'endurer 8c
» chercheroicnt des artifices pour s'y main-
» tenir.; que c'eroit trop donner aux hom-
» mes que de croire que leurs loix injuftes
» puiflent nous ravir notre joie & notre
» paix , & qu'il ne doutoit pas qu'en de-
« meurant humblement dans cet ordre ,
« Dieu ne fuopleat par lui-meme a ce qui
» manquoit de la participation exterieure
k de l'Autel,
Lejour de laPentecotedel'annee 1667 (ji)> m.
le Gouverneur de la Baftille s'etant avife1 de eft
demanderde fon chef a M. de Paris la com- d'une
munionpour M. de Saci , le Prelat lui die °^
qu'il le vouloit voir. Le Gouverneur en in-
forma le Prifonnier, qui eitt quelqu'inquieru-
de au fujet de cette vifite ; car cette peine fe
reduifoit a ceci : ft je parle doucement comme
je my fens pone,
difoit-il, on fera courlr le
bruit que je vais figner dans trois jours : ft je
parle fortcment, on dira que je fas opinidtre
& un rebelh, & que tous les Janfenijles fe
reffemblent. Un pauvre Prifonnier ne fe peut
juftifier. On a vu cela dans la mere Agnes ,
qui aiant parte avec fa douceur ordinaire ,
donna lieu a cette fraieur , qui tint fi long-
terns le monde en fufpens , quelle avoit fignL
M. de Saci fe prepara par la priere a cette
vifite qu'il redoutoit fort & qu'il defiroit ar-
I'.cmmcnt que Dieu detournat. Ses vceux fu~
(}*) Premiere Relat. p. z8?}
6cc.
-ocr page 452-
45°               Addition.
rent exauces , la vifite n'eut pas hea.
1! tcc^Ha M. de Saci en eut une autre qui Iui fut
vifite de Me. pius Wable. Ce fut celle de Me. de Pom-
de Pompon-ponn(.5 ^ avok ^ follicWe (33) pat M.
Lavocat , Maitre dcs Requetes frere de cette
Dame, & obtenue, mais avec des condi-
tions ties dures. M. de Pomponne fubit les
conditions par le confeil de fes amis , &
vint voir M- de Saci le jour de l'anniver-
verfaire de la reunion de Monfieur Fon-
taine avec ce faint Prifonnier ()4), a laquelle
rile avoit eu beaucoup de part. » Cette
" vifite fi long-tems attendue, fi long-terns
" briguee, fe termina en fort peu de tems
»> & le reduifit prefque a rien, laiflant plus
« de douleur de toutes les circonftances qui
» 1'accompagnoient, que de confolation de
" voir des perfonnes fi intimes & a qui Ton
» a tant d'obligation «. M. de Bezemaux ,
( c'eft le nom du Gouverneur de la Baftille )
n'ai'ant pas iti preTent a cette vifite, fe fit
informer exa&emcnt de tout par I'Officier
qui lui en drefTa on m^moire par ^crit, &
lui dit que I'Archeveque ewageoit de cette
vi/ire.
Le Memoire fut envoi'e en Cour.
Dansle recueil de lettres de M. Fontaine
qui font a la fuite de fa premiere Relation
de la prifon de M. de Saci, on trouve plu-
fieurs chofes concernant ce faint Pretre;on
y voit les bons offices qu'il rendoit, & les
aumones qu'il faifoit a plufieurs matheureux
qui ^toient entierement abandonnds dans cet-
te trifle demeure. Ce qui fait dire a. M. Fon-
taine, qii'il fant que les hommes n'aient plus
le c<zur d'hommes , pour traiter d'autres ham-
(jj) lb. p. 187.
(34) lb. p. ijS , &c.
-ocr page 453-
fur M. de Saci.            4 51
mes avtc une telle rigueur(a). Ces pauvres
gens etoient dansle dernier abandonnement,
paflbient tout I'hyver dans une chambre
feuls , fans habits, fans feu.
A l'entre'ede I'hyver, M. de Saci avoit uri
foin prodigieux de faire acheter du linge &
des habits, & de leur faire diftribuer quel-
ques voies de bois. » Je vous affaire, dit M.
m Fontaine parlant a M. Hamon , qu'il n'y a
» point de charite^ plus n^cefTaire , parceque
» les autres prifons font vifitdes de bien du
» monde , il n'y a que la Baftille oii les
■>■> pauvres miferables ge'mifTent fans efperan-
» ce de la moindre confolation.
Telle eft la vie que mena M. de Saci pen-
dant pres de deux ans & demi de prifon,
tout occupd de la priere, de la lecture , d'un
faint travail, & des crnvres de charite. ?> II
* eMifioit tons les Prifonniers & les Officiers
» par l'cxemple de fa rare pie'te', & par une
» egalird d'efprit & de vie, que Ton admi-
» roit plutot qu'on ne pouvoit la comprcn-
« dre(j6 ;il y vivoit dans la vue continue'ie
» de la mife'rieorde que Dieu repandoit fur
» lui, en purifiant par eette longue prifon
" les taches dont les plus juftes fe reconnoif-
» fent coupables en fa preTence. II y vivoic
» fans inquietude , dtant adltfe" plus queja-
» mais qu'il e'toit alors dans l'ordre de Dieu.
» Enfin toute la Baftille etoit embaumee de
« l'odeur de fa pidtc. II ne fongeoit lui-me-
« me qu'a faire un tres faint ufage de fa
»> prifon , tant pour foi que pour l'Eglife,
m au fervice dc laquelle il travailloit, en
» traduifant acluellement (37) rEcriture-
{;?) Ib. p. {it.
(j6) Fof. Mem. p. ;:«, 517.
(j7) Il finiflbit U veifion dc l'ancicn TefUmene.
-ocr page 454-
451              Addition , &c.
»' fainte , lotfqu'cm lui vint apporrer l'or-
33 dre de foil elargiflement. Ce furent Mef-
» fieurs de Pomponne & l'Abbe Arnauld fes
*> coufuis germains , qui fe chargerent de lui
» annoncer cette nouvelle. Mais ils ne vou-
» lurent pas la lui annoncer tout d'un coup,
j' etam bien aifes de fe dormer le p!ai(ir de
m voir de nouveau le calme dont il jouifloit
» au milieu de fes liens. Ils ne lui firent
« done rien paroltre de la joie qu'ils reffen-
« toient d'etre allures de fa liberte ; & lui
" de foil cote ne leur temoignant nonplus
*> aucun empreifement pour apprendre d'eux
» I'etat des affaires , il fe mit a leur parler
?> de toute autre chofe , de meme que s'il
» eut re<ju dans fa maifon une vifite ordi-
» naire de quelqn'un de fes amis. Quoique
w ce qn'il leur difoit leur parut tres edifiant,
» ils fe lafTerent neanmoins bientot d'un fi
» grand calme ; & ne pouvant retenir leur
*> joie plus Iong-tems , ils s'en ouvrirent a
« lui tout d'un coup , en lui difant qu'ils
» etoient venus cette fois , non pour l'en-
33 tendre parler des chofes de Dreu , mais
»' pour lui annoncer de la part du Roi
3) fa liberte. La maniere dont il re^ut
33 cette nouvelle , toujours egal a lui-me-
3? me, & toujoursegalement attentif ice-
»3 lui qu'il envifageoit principalement dans
33 tous les ordres des hommes, les charmi
33 & les etonna en memc-tems. Ce fut ainfi
33 que M. de Sici fonit de la Baftiilc ,
non comme un criminel a qui le Prince fail
grace, mais comme un jujle
, dont Dieu
prend plaifir
i faire eclaier I'innocence aun
yeux de fes enfans.
-ocr page 455-
■»
<m
E L O G E
DE LA MERE ANGELIQUE
de S. Jean Arnauld.
Par M. I'Abbe Duguet j fur les Me-
moires de M. Arnauld le Docleur
,
qui le pria de dreffer cet Eloge (i).
JLjA reverende mere Angeliquc de Saint
Jean Atnauld, feconde fille de M. Arnauld
d'Andilly, eut le bonheur d'entrer a P. R.
des l'age de fix ans; elle y fut formce a la
piete par les foins de la mere Marie-Ange-
lique &. de la mere Agnes fes illultres Tan-
tes. Comme elle te'uniftbit en fa perfonne
leurs qualites naturelles , elle rcuniflbit audi
leurs vertus ; 8c ces deux ames fi edairees
voi'oient en elle de fi grands talens 8c une'
grace fi eminente, que des les premieres an-
neei de fa profeffion elles la jugcoient digne
de remplir leur place, & s'eftimoient heu-
reufes de ce que le bien qu'elles avoient ta-
che d'etablir feroit un jour dignement main--
tenu par fon zele & par fon exemple.
Quoiqu'elle eut quitte le monde avant
que de le connoitre , elle comprit neanmoins
parfaitement 3
par la lumicre que Dieu lui
donna & par la trifle experience des autres,
de quels perils elle avoir e^e preferve'e; & la
reconnoiuance qu'elle en eut, augments juf-
"u'a fa mort. Elle crut que Dieu lui avoit
pardonnd toutes les fautes qu'il l'avoic cm-
li) Mem. ou Relat. T. 3. p.. 574'                  >
-ocr page 456-
454                  t.ioge
pechee de commettre , Sc elle fut auffi hum-
ble que fi elle les avoit commifes en efFet.
Elle eftima infiniment le bonheur de pou-
voir etre toute a Dieu & de n'avoir point
k occur partage. Cette parole que Saint Au-
guftin dit aux vierges, qu'il ne leur eft pas
permis d'aimer Jefus-Chrift avec mefure,
puifque leur efprit eft libre de tout autre
foin, & que leur ccrur eft delivre de la dure
neceflite d'aimer autre chofe que lui , la
tranfportoit d'une fainte joie. Mais cette
joie etoit melee d'une vive crainte de ne pas
rcmplir tous les devoirs d'un ctat fi eleve;
& dans les inftruftions qu'elle donnoit aux
Novices, dont elle a eu la conduice pen-
dant vingt annecs, elle leur reprefentoit
fouvent que tout doit etre digne de Dieu
dans une Vierge qui lui eft confacree ; qu'il
arrive quelquefois qu'apres avoir renonci
a des attachemens legitimes, on en fubfti-
tue d'inutilcs & de dangereux ; qu'on s'ai-
me avec autant de peril qu'il y en auroit a
aimer le monde : qu'il faut eteindre toutes
les paHions , de peur qu'elles ne revivent j
toutes; que les diftractions des autres font
des infidelites dans une vierge : que e'eft |
inutilement qu'on fe detache de bien des
chofes , fi Ton ne met Jefus-Chrift a leur
place; & qu'en un mot, il n'y a que la cha-
rite qui foit la virginite du coeur , felon
Saint Auguftin, & que le trone de la charit£
doit etre 1'humilitd.
Elle ne mettoit point de bornes a fes obli-
gations , parcequ'elle n'en mettoit point a la
mifericotde de Dieu. Comme elle ^toit per-
fuadee que le moindre bien lui etoit iropof-
fible fans fa grace, elle croioit au contraire
que tout lui feroit facile avec fort fecourSi
-ocr page 457-
de la mere Angelique. 455
Elk tiouvoit un vrai orgueil a fe croire ca-
pable de peu , parceque cette confiance eft
humaine; & une fauile humilite a fe croire
incapable d'une plus grande perfection, par-
ceque cette defiance eft injurieufe a Jefus-
Chriit. Elle etoit convaincue que c'etoit la
timidite &c le manque de foi qui lanitoient les
graces !|l reiTerrant trop le cceur, & qu'au-
lieu dune vie languifTante & foible , on fe-
roit des prodiges, ft 1'on ofoit tout efperer
d'un Dieu qui fait tout avec une egale faci-
Ike. Enfin elle avoit pout maxime que les
devoirs exterieurs ont des bornes , mais que
les vertus interieures n'en ont point, & que
notre juftice confifte a foupirer de ce qu'elle
elt ici toujours imparfaite.
On auroit dit neanmoins qu'elle eut pone
le meme jugement des exercices de la peni-
tence , tant fes auflerites etoient grandes ,
malgrc la foibleife de fou corps Sc malgre fon
innocence. Mais elle vouloit fe rendre tout-
a-fait independante des fens, en les accou-
tumant a le priver de tout. Elle diloit que
les Saints faifoient peu d'etat de la viigini-
te, fi elle n'etoit .accompagnee de la mor-
tification & des larmes : que le facrifice eft
imparfait, fi la penitence n'immole le corps
en mime-terns que la cliarite doit facrifier
le coeur; & que le moindre plaifir qui n'eft
pas necefTaire, peut ternir l'eclac de la pure-
te. Mais elle eftimoic pea une mortifica-
tion exterieure qui laifle l'ame impunie , &
qui venge fur le corps qui eft moins coupa-
ble, des fautes qu'on aime encore & qu'on
entretierit.
Elle n'etoit ni occupee , ni remplic de fes
penitences. Ses aufterites fuivoient comme
natmellemenc l'inclination qu'elle avoit a.
-ocr page 458-
4 5 6               Eloge
fouffrir, fans l'amufer & fans la diftrairej
& clle eut cru retomber dans ce qu'elle vou-
loit eviter , fi pour reduire Ion corps en fer-
vitude , elle eut perdu la liberte de l'efprit.
Son courage etoit toujours au-defTus de ce
qu'elle faifoit. Ainfi elle dtoit toujours fer-
vente & toujours humble parcequ'elle fe
croi'oit toujours au-deflus de Ion devoir.
Mais fon amour pour la verite etoit fa
grande vertu. Elle la regardoit comme lc
precieux depot de l'Eglife , & comme le trc-
for particulier de chaque ridele. Elle avoit
un profond refpect pour toutes les perfon-
lies qui etoient afTez heureufes pour la defen-
drc. Elle eut voulu leur en temoigner fa re-
connoiffance par toutes fortes de voies; &
fa plus fenfible confolation etoit de leur
en pouvoir donner par fes lettres oii par d'au
ties fecours.
Elle airnoit fa famille , & elle honoroit
P. R. principalement a caufe que la verite'
y etoit connue, & qu'on y avoit eu le bon-
heur de fouffiir quclque cnofe pour fes in-
terets. Le terns de fon exil & de fa dure
captivite lui parut toujours le plus precieux
de fa vie, & elle gemiflbit quand l'impa-
tience & les plaintes des perfonnes attachees
a la verite' deshonoroient leurs fouffrances.
Elle vouloit au moins qu'on les endurat
dans l'hurnilitd & le fdence , fi on n'avoit
pas aflez d'amout pour en rendre graces :
qu'on ne prevint point la juftice de Dieu en
fe hatant de fe la faire a foi-meme; & qu'on
ptit garde a ne pas devenir plus coupable
par Forgueil & le rndpris de ceux qui n'ai'
moient pas la verite , qu'ils ne l'etoient
eux-memes par leur aveuglcmeat ou leur in-
juftice.
Sa
-ocr page 459-
de la mere Angeliqiie. 45?
Sa tranquillite au milieu des paflions 111-
juftes des hommes , venoit de fa lumierc
qui lui decouvroit que Dieu prefide a tout ,
& qu'il accomplit fes deffeins par les volon-
tes mc:ne de ceux qui ofent les combattrc.
» II y a un ordre admirable , difoit-elle ,
» dans ce qui ne nous paroit qu'une confu-
« fion & qu'un defordre ; & il faut attendre
» que tout l'ouvrage foit fini, pour en voir
>' les proportions & les beautes. II ell aifa
» de remarquer la main de Dieu dans ce que
» les hommes font de bien , mais la foi con-
'•- iiftc a adorer fa fagefle & fa borne dans
» la permillion qu'il donne aux injuries de
;» faire le mal ; 8c c'eft meme , continuoit-
» elle, un effet de fa mifericorde fur nous,
3j de nous avoir appris par nos afflictions
» a devenir fenfibles aux affli&jons de l'E-
" glife.
Elle l'aimoit d'une maniere fi forte & (i
tendre, que tout ce qu'on peut avoir d'at-
tachement pour une mere n'etoit qu'une foi-
ble image de fon amour pour 1'Eglife. Elle
etoit penetree de fes maux , & ne pouvoic
etre confolee que par fes fucces. Elle crai-
gnoit pour tous fes perils, elle prjoit pour
tous fes befoins , & elle demandoit fouvenc
a fa communaute qu'elle unit fes gcmifle-
tnens aux fiens. Son extreme fenfibilite en
ce point repondoit a fon indifference pour
tout le refte ; & elle regardoit le pen de
fentiment qu'on a des maux de 1'Eglife ,
quand on les connojt, comme une marque
qu'on n'aime pas afTez Jefus-Chrift dont elle
eft le corps.
Le refpecT: qu'elle avoit pour elle , lui en
infpiroit pour tous les ufages anciens & pour
jpette pure & fainte difcipliue dont fes enfans
Tome nil               x
-ocr page 460-
458                  Eloge
ne font plus gueres capables. Elle tachotc
d'en retablir tout ce qui etoit en fon pou-
voir; 8c ce fut-elle qui commew;a a porter
le grand jeune du careme, apres en avoir
obtenu la permiflion de la mere Agn£s, &
qui fervit d'exemple a fes autres foeurs. C'eft
a elle aufli qu'elles doivent la liberie qu'on
leur a laiffee , de reciter tout le Pfeautier
chaque femaine, quoiqu'elles fuiviffent dans
le refte de l'office les ceremonies de l'Eglife
de Paris. Elle ne put diflimuler fa joie , d'a-
■voir retabli cette ancienne obfer^ance de fa
regie : mais cette joie venoit audi d'une au-
tre fource.
Car elle avoir un amour tout particulier
four lesPfeaumes, & Dieu lui en avoit donne
vine intelligence accompagn^e d'un fentiment
de pidte fi vif 8c (i tendre , qu'elle admiroit
qu'on put etre fans ardeur en les pronon^ant.
Elle y avoit appris quel £toit le fond de fa
mifere, combienfesbefoins etoient preflans,
combien tous les appuis humains font inu-
tiles, 8c combien la mifericorde de Dieu eft
grande fur les humbles 8c fur les pauvres.
Jille gemiflbit avec le Prophete, ellelouoit
le Seigneur avec lui, 8c elle fe trouvoit heu-
reufe de pouvoir offrir a Dieu des prieres
dont il etoit lui-meme l'auteur.
La lumiere qu'il lui avoit donnee pour en-
tendre les autres Livres de l'Ecriture etoit ex-
traordinaire ; 8c c'£toit une rdcompenfe de
fon amour 8c de fon humiHte\ Car elle etoit
entree dans la verite' par la charite , Sc elle
etoit du nombre de ces petits a qui tous les
mylietes font ouverts. C'ccoic aufli un erret
de fa meditation continuelle fur la loi de
Dieu, dont elle faifoit fes chaftes dc'liees.
Car elle fe nouriffoit ay&c avidite1 de fes ft."
_.'
-ocr page 461-
de la mere Angel'.ique. 459
roles , qui nouriffent la foi & 1'efperance
d'une ame fidele. EUc y cherchok fa ronfo-
larion dans toutes fes peines , & elle y trou-
voit toujours de quoi affermir fa patience, 8c
dc quoi faire croitre fon amour. Elle s'etoit
rendue eomme propres & natmelles les ex-
pieilions de l'Ecriture , & fes difcoars avoienc
quelqae chofe de fa force & de fon onction
divine.
Elle patloit ordinairement fans avoir eu
le loifir de s*y preparer , mais e'etok tou-
jours d'une maniere qui enlevoit 8c attendrif-
foit tout le monde. La grandeur des chofes
qu'elle difoit , etoit foutenue par une elo-
quence majeftueufe , mais naturelle ; & dont
tons les mouvemens etoient touchans , par-
cequ'ils Etoient finceres. Elle expliquoit les
plus fublimes Veritas avec une facilke qui
leur confervoit toute leur dignice , en les
abbaiflant jufqu'aux plus foibles & aux plus
Simples; & eomme tout ce qu'elle difoit
«oit grand & folide , plus elle fe rendok
intelligible , & plus elle etoit admiree.
Mais c'etoit-la ce qui faifoit fa douleur.
Car elle eut voulu difparoitre aux yeux , &
s'efFacer dans l'efprit de tout le monde, arm
lue Dieu feul Fuc refpedte dans ce qu'elle
difoit de fa part & non pas elle, & que tou-
ts l'attention de fes filles fe portant aux ve-
tites, elles n^gligeafTent le canal par lequel
£Hes fe repandoient. La grace que Dieu avoir
attachee a fes difcours, fe faifoit encore
Plus fentir dans fes cntretiens particuliers
ayec des perfonnes dont elle connoiUoit la
piete , mais qui avoient befoin d'etre foute-
nues. Car apres l'avoir entendue, on etoit
"ifpofe' a tout, & Ton trouvok tout facile.
Sa foi en infpiroit aux autres; & fon ardeur
Vij
-ocr page 462-
460                   Eloge
toujours vive & toujours brulante , fc Com-
muniquoit fi fenfiblement, qu'on auroit tou-
jours fenti de la confolation dans Con de-
voir , C\ Ton avoit eu fouvent celle de I'en-
tretenir.
Ellc avoit line idee de la grandeur
de la faintetd de Dieu , qui la tenoit I
toujours abbaiflee en fa prefence. Elle troti-
vok par-tout des fujets de louer & d'ad-
mirer fa fageffe. Tout lui dtoitune occafion
de le benir & de lui rcndte graces; & elk 1
difoit fouvent qu'on peut le reconnoitre a
tout quand on eft bien attentif. Mais c'etoitl
principalemefit dans les chofes qui avoient
rapport a fa gloite 8c a la religion , qu'ellcl
n'en vo'ioit point d'indifferentes ni de peti-l
tes. La Majefte de Dicu ennobliflbit tout, &|
lors meme qu'elle ne s'appliquoit qu'a ren-l
dre fes refpe&s aux reliques defes ferviteurs,!
en les mettant dans des lieux decens,ellej
avoit peine qu'on la vint diftraire pour aii'j
cune affaire.
Par un effet tout contraire de fa lumiere, I
elle ne vo'ioit rien de grand dans les digni-j
tes & les emplois du fiecle, que le dange'l
qui en eft infeparable. Elle trembla pout
M. de Pomponne fon frere lorfqu'il fut eV
ve a la charge de Secretaire d'Etat 5 8c ell'
fentit de la joie , lorfqu'elle le vit en furete
par fa difgrace. Elle n'etoit occupee que de
cette terrible diftinftion que Dicu mettB
entre fes enfans Sc fes ennemis, & elle corof;
toit comme n'etaiu deja plus tout ce q111
n'etoit point dternel.
Sa piete etoit folide , egale, conftante >
foutenue par la lumiere de fa foi &c no»
par un fentiment paflager : jamais abbat*
fat les corure-tems, jamais diflipee j>ar uR«
-ocr page 463-
de la mere Angelique.
4<3l
vaine joie , independante des divers etats ^
& fe foumettant a tous les evenemens. Elle
etoit eloignee de la fuperftition , parcequ'el-
le etoit eclairee ; & de cette orgueilleufe
indocilite qu'on appelle injuftement force
d'efprit y
parcequ'elle etoit humble. La
voie commune de la foi etoit l'unique qu'el-
lc aimat, & qui lui parut fans danger; &C
rile penfoit que pour fe dillinguer utilement,
il ne falloit fe diftinguer que par une hum-
ble fimplicite (i).
Le grand objet de fa pietd etoit Jefus-
Chrift. II en etoit le fondement, il en etoit
la fin. La charite infinie par laquelle il s'eft
fait homme , la ravifToit & la faifoit fondre
en actions de graces. Le terns deftine par
l'Eglife a l'attendre 6c a fe preparer a fa naif-
fance , avoit pour elle quelque chofe de plus
(ij On alien de croire    va un jour que la mere
i}ue Dieu donnoit a la    Angelique eut celui du
ftere Angelique de Saint    jeune Due de Chartres
Jean des lumieres ex-   Philippe d'Orleans, (de-,
ttaordinaires , quoique    puis Regent du Roiaume )
fes humbles filles n'en   leqtlcl avoit pour lors un
lient rien laifle par ecrit.    an. Au bout du mois elle
Car pluileurs perfonnes    pria qu'on lui lailfat le
dignes de foi, qui en ont    meme billet. Cela parut
Me bien informees , rap-    (i remarquable , qu'on la
Portent a ce fujet divers   preffa de dire, fi Dieu ne
fairs affez particulicrs. En    lui avoit rien fait connot-
Voici un qui peut fervir    treau l'ujctdece Prince,
d'exemple.                         A quoi elle repondit en-
C'ctoit a P. R. la cou-   fin qu'elle avoit conniz
tutne de donner chaque    qu'il fauveroit l'Eglife de
mois des billets ou etoient   Fiance. Ce qui a rapport
les noms des pe
fonnesde la Famille roi'ale
& des amis de la maifon,
pour lefquels chaque re-
lig'eufe prioir pendant le
Alois, felon le billet qui
lui etoit echu. 11 atti
a
: qu 1
a la mort de Louis XIV ,
8c qui donna occafion a
l'appeldela Bulle Unige-
niius , lequel a conferve
le temoignage de la veri-
te dans l'Eglife.
V iij
-ocr page 464-
4^*                 Eloge
faint & de plus touchant que tous les autres;
& c'dtoit parcequ'il avoit un plus grand rap-
port a la difpofition continuelle de defir &
d'attente ou elk etoit a l'egard dc, fon Epoux.
Cette vie dans toute fa longueur ne lui
paroiffoit qu'nne feule nuit, ou une veille
de quclqu.es heures. Elle parloit de l'autte
cornme fi elle y eur dqa touche ; & elle
regardoit les ccmmencemens dechaquema-
ladie cornme des nouvelles de fa liberie ,
croiant aa contraire dans la convalf Ccence
tjc'on la renvo'ioit dans une trifte prifon,
apre1-, lui avoir montre de loin un pais de
lumicre Sc de delices. Son cfperance n'etoit
pas n<*anraoiijs fans fra'ieur. Elle craignoit
les jugemens de Dieu , pareeqn'elle en con-
noifloir la faintete. Elle favoit qn'il exa-
mine avec jaloufie les plus fecrets defirs de
fes epoufes ; & elle etoit fi intimidie pat
cette penfee qui ne la quittoit point , qu'el-
le paroiffoit a bien des gens trop ferkule &
trop femee.
Mais les perfonnes qui ont eu pan a fa
corflaDce & a fon amitie , favent jufqu'oii
alloit fa tendreffe & fa reconnoiflance , 8J
avec quelle bonti elle partageoit avec elks
leurs afflictions 8c leurs inquietudes. II eft
vrai qu'elle retranchoit de l'amitie' tout ce
qui €toit inutile pour le falur, & qu'elle ne
pouvoit fouffrir que fes fours 8c fes amis s'at-
tachaffent trop a elle, ni qu'elles lui don-
naffent dans leur cceur une place qu'elle
vouloit conferver a Jefus-Chrift. Mais e'e-
toit-la une preuve de fa juftice , 8c un effa
de cette fin cere humilite que Dieu lui avoit
donnee pout tervir de contrepoids aux qua-
litds eclatantes dont il l'avoit revetue.
Elle avoit pout bien ecrire & pour bien
-ocr page 465-
dela mere Angelique. 46$
parler une facilite inimitable. Les arts lui
eWent comme naturels , tant elle y avoit
d'adrefle & de difpofition. Son difcernement
& le gout qu'elle avoit des bonnes cho-
fes etoient exquis. Elle favoit ce qu'il y a
de plus important & de plus utile dans la
fcience ecclefiaftique , & elle n'avoit mis des
bornes a l'acquifuion des autres fciences que
par modeftie.
Cependant l'humilite aneantifloit tout cela
a fes yeux , & ne lui en montroit que le pe-
ril. Elle di£oit fouvent, fans penfer qu'on lui
en dut faire l'application, qu'elle ne trou-
voit dans les qualites ^clatantes qu'un fujet
d'humiliation, parcequ'elles portent naturel-
lement a l'orgueil qui eft le plus humiliant
de tous les vices, & qui doit faire plus de
home a des miferables 8c a des pauvres tels
que nous fommes : qu'il eft vrai qu'on peur,
faire avec la grace un faint ufage de ces ta-
lens exterieurs , mais que cette grace eft
fort rare, au lieu que Tabus en eft ordinaire :
que c'eft une tentation continuelle dans un
etat de continuelle foibleffe, & qu'on doit
s'eftimer malheureux , d'etre expofe par le
peu qu'on a , a perdue tout, en perdant ce-
lui qui ne fauve que les humbles. Si elle eut
it£ capable de jaloufre, elle n'en eut etetou-
chee qu"a 1'egard de ces pcrfonnes qui font
riches au-dedans, fans avoir d'autres quali-
tes extcrieures que Vobeiflance 8c la docilite.
Elle aimoit U fort la fmiplicite £c les ta-
lens mediocres, qu'elle n'examinoit dans les
Poftulantes & les Novices que la vocation Sc
la piete\ Tout le merite dependoit de-la 5 &
elle etoit peut-etre en ce point feduite par
fon humilite qui la rendoit trop indulgente.
Elle difoit fouvent que le prix de routes cho-
V iiij
-ocr page 466-
464                 Eloge
fes venant uniquement de l'efprit de Dieu &
de fa grace , c'eft une fort mauvaife regie
que d'en juger ovi par la perfe&ion exterieu-
ie,.ou par la facilite avec laquelle on les
fait : qu'on doit rougir de la complaifance
qu'on y prend , & qu'il n'y aura que les
aftions des humbles qui ne feront point con-
fum<5es par le feu qui aneantira toutes les
autres. Auffi elle avoit pour maxime de ne
jamais rien dire a fon avantage 8c de donner
peu de louanges aux autres de peur de s'en
attirer. II etoit difficile neanmoins qu'elle put
les eViter. Mais elle favoit on les intetrom-
pre avec adrerte, ou les faire ccfTer avec tou->
te l'autorite d'une humilite offenfee.
On pcut juger fur ces difpofitions avec
quelle douleur elle fe voioit elevee a la pre-
miere place de fa Communaute. Mais comme
cette douleur decouvtoit favertu, elle s'efFor-
<c,oit de la diffimuler de peur qu'elle ne lui
fit honneur; 8c elle fe contentoit d'en par-
ler a Dieu Sc a quelques amies , ne voulant
pas d'ailleurs que fon affliction en put don-
ner a fes filles.
Sa charite pour elles etoit tendre , mais
ferme & eclaiiee. Elle fe panchoit vers les
foibles, mais pour les foutenir, non pas pour
s'affoiblir avec elles. Sa compaffion pour les
malades etoit extreme, & cependant elle les
prioit de fe fouvenir qu'elles ctoient peni-
tentes dans tous les etats : qu'elles devoient
ufer des remedes par refpeft pour les def-
feins deDieu fur leur vie ou leur more
qui etoient inconnus , mais fans y mettre
leur confiance , & fans avoir d'empreffement
pour la fantd ; & qu'elles feroient fort a
plaindre (i elles lailTbient affoiblir leur pitte
par une epreuve qui devoir la rendre plus
pure.
-ocr page 467-
de la mere Angetique. 465
Sa crainte que le relachement ne s'eta-
blit peu-a-peu etoit concinuelle. " Tout
33 eft important, difoit-elle , dans une fain-
» te maifon. Lcs petites chofes confervent
» les grandes, & e'eft la fidelite a la lettre
« qui empeche que l'efprit ne s'eteigne &C
»> ne fe retire ". Port-Ro'ial l'a perdue trop-
tot pour fes interets , & avant qu'elle eut
acheve la demiete annee de fon fecond
Triennal.
RELATION
abregU
De la captivite de la mere Angelique
de Saint Jean.
V_jEtte fainte fille fut enlevee le 16 aouc
1^64, de la maniere dont on l'a rapportd
ailleurs (1) , pour etre mife en captivite chcz
les Annonciades du quartier Saint Antoine.
La foi de cette vierge chretienne etoit tel-
lement fuperieure aux fentimens de la natu-
re, que dans une fi cruellc feparation, elle
ne fentoit pas meme ce qui fe paiToit.
Lorfqu'elle fut montee dans le caroffe avec f. e,, jCm"
trois autres religieules, elle garda un pro- jatjon de la
fond filence (z); » remplle d'admiration de la conduite de
» conduite de Dieu fut elles, de les avoir Dieu fur les
» rendues dignes de fouffrir un tel oppro- rehftieiiies de
» bre &; un fi extraordinaire traitement pour
(1) Hilt. T. 4. p. 441 & fuiv.
(i) Relat. iu-ii- p. 8.
Vv
-ocr page 468-
j^6<S           Relation abregie
33 fa ve'rite , elle tie put faire autre chofc
as tout du long du chemin, que de lui chan-
k ter dans fon coeur des cantiques & des
*> hymnes , entre autres celle de la Dedica-
33 ce , Urbs jerufalem , s'imaginant qu'elles
» etoient des pierres vivantes que Ton tranf-
33 portoit pour les aller pofer dans l'edificc
33 fpirituel de cette ville fainte, ou elle ef-
33 peroir fe nouver rdunie avec toutes les
33 perfoanes qu'elle venoit de quitter«. Ce
fut dans ces ientimens que la mere Angeli-
que fe vit conduire dans un monaftere etran-
ger, pour y etre reduite en captivite.
Son entree Le carofle etant arrive, elk embrafla ten-
ciad Annon" drement fes cheres compagnes , & defcendit
pour entrer dans fa prifon. M. l'Abbe Four-
cault , qui l'avoit accompagnee par ordre
de M. de Perefixe, dir a la Superieure des
Annonciades , en lui prefentant la prifonnie-
re & Ion obedience : ma mere , je vous amene
une fainte , cardans Port-Ro'ialil n'y a que
des faintes
; maisje fais aujji que vous etes
toutes des faintes.
En entrant la mere Ange-
lique fe mit a genoux devant la Superieure,
I'amuant qu'elle etoit dans le deffein de lui
rendre toute forte d'obeiflance & de fou-
mirtion , & qu'elle entroit prevenue d'efUme
pour la maifon. On la mena d'abord a la
Chapelle de Ylmmaculee Conception, de-la
au jardin , oii on lui parla de l'afFaire de
P. R-; jufques-la la mere Angelique avoit te-
nu ferme , & foutenu tous les aflauts fans
vetfer une larme ; mais obligee , pour repon-
dre, de faire reflexion fur les pei fonnes qu'elle
On la con- venoit de petdre , elle ne put s'empecher
emit a la i.           > i                                        '                     *
ehambre. ° en rePandre quelques unes.
Combat de la torfque la Chambre que Ton preparoit a
grace & de la la Captiye fut prete , c'eft-a-dire, un gale-
natureenelle.
-ocr page 469-
de la mere Angelique.         467
Us fipare de tout, on l'y conduifit & on Iui
donna une fceur Converfe pour avoir foin
d'elle. Auditor qu'elle fut feule , elle fe
profterna devant Dieu pour le remercier de
la grace qu'il lui faifoit. La nuir etant ve-
nue , & ai'ant fait toutes fes prieres, elle
penfa a prendre du repos. » Alors elle fen-
m tit comme fi fon efprit eut ete fufpendu
» jufques-la & que tout d'un coup il fut
n tombe de fort haut & que fon coeur eut
m ete tout froifTe de fa chute. En un mo-
33 ment elle fe fentit accablee & dechiree
33 de tous cotes de toutes les fcparations
qu'elle venoit de faire «. Quelqu'effort
qu'elle fit, il fallut pour foulager fa dou-
leur, donner cours a fes larmes , & elle
en repandit beaucoup , dans cette nuit , Pag. u.
33 oii elle fut continuellement dans le com-
33 bat de la grace & de la nature, fans avoir
S3 d'autres arrnes pour fe defendre que le
33 bouclier de la verite' , qui repoulToit tou-
53 tes les tendreffes de la nature par la per-
is fuafion qu'elle lui donnoit du bonheur que
33 Dieu avoit attache a ces fouffiances & de
33 l'avantage qu'il y avoit a tout perdre pour
33 acheter le Roiaume de Dieu & entrer ea
33 partage de la croix & de la gloiie de Je-
33 fus-Cnrift «. Ce fut par des vues fi chre-
tiennes que la mere Angelique fe foutint dans
fa captivity. Mais ce qu'on peut regarder
comme un moien dont Dieu fe fervit pour
empecher qu'elle ne fuccombat, ce fut l'at-
tention qu'elle eut des le commencement
de ne point reflechir volontairement fur au- p# ..
cunes de fes peines.
33 Car jefentois bien, dit-elle, que e'e- Moi«nsdont
33 toit rout ce que je pouvois faire que de P'f" ,f r "c
33 les foufmr en regardant 1 ordre de Dxeu tenjt <j;,m q,
V vj               captivitc.
-ocr page 470-
Relation abreeee
4<J8
33 & les confolations de la foi; mais que (i
oj au lieu de cela je commencois a regarder
*> l'afflittion en elle-meme accompagnee dc
=■> toutes fes circonftances , ce feroit un poids
53 qui m'accableroit ; & il me fembloit que
33 je portois toujours mon ame dans mes
=3 mains comme une Gouvernante porte en-
33 tre fes bras un enfant que Ton fevre ,
33 qu'elle pfomene & qu'elle divertit tant
33 qu'elle peut , pour l'empecher de fe fouve-
33 nir de fa nourrice , dont elle le detourne
as toutes les fois qu'elle la rencontre , de
33 peur que fa vue ne renouvelle fes Iarmes.
33 Port-Roial afflige etoit comme ma nour-
33 rice, je vcnois d'etre fevree de tout ce
33 que j'aimois fous ce nom avec le plus de
33 tendrefTc ; mon ame ne pouvoit porter
33 cette feparation qu'avec une douleur cx-
33 treme , & ma foi etoit tout occupee a la
33 detourner , fans ceiler de refleclnr fur
33 cet objet. Je ne pouvois pas empecher
33 qu'a toute heure il ne fe prefentat devant
M mes yeux ; mais auffitot je les levois vers
33 Dieu, pour ne voir qu'en lui ce que je
33 n'aimois que pour lui. Dans ce combat
33 je confervois la paix , & il y avoit dcs
33 momens oii j'etois meme capable de joie.
Lie eft en- £e ne fut qUe \e troifieme jour apres fon
fermee fous . , r .' ,            j> «             i V v i
imic nmrft arnyee , lavoir le zo d aout que la fohtude
Sa joie. Pre- de la mere Angehque rut changee en une
ventiim des prifon, c'eft-a-dire, qu'elle fut enfermee a
Annonciadcs. cjef } fol]S trojs portes , „ <Jont j'eus p0ur
33 lors, dit-elle, une joie fenfible ; & il me
m fembla que j'acquerois ce jour-la une fort
» grande dignite, entrant en partage des
33 biens de Saint Jean , dont il etoit ce
33 jour - la la decolation ". Ce meme jout
la Prifonniete, qui avoit era que fes Geo-
-ocr page 471-
de la mere Angelique. %&$
licres n'avoierit point de prevention contre
Port-Roi'al, fut defabufce en apprenarit dans
l'entretien qu'elle eut avec une religieufe qui
vint fur le loir la cirer de fa prifon , pour ia
mener promener, qu'elles avoient pour Di-
recTxurs ordinaires les Jefuites, entre amies
le Pcie Nouet. Je ne faurois dire quelle im-
         ' '*
prejfion cela me fit tout d'un coup, dit-elle,
fen tremblai depuis les pieds jufqu'd la tete ,
autant de furprife que de crainte... m'etant ap-
percue tout d'un coup que f hois comme une
brebis au milieu des loups.
Elle benit Diea
depuis d'avoir appris cela de bonne heme,
parcequ'elle prit plus garde a elle & com-
mcnca a agir avec plus de circonfpe&ion.
Elle fentit audi davanrage Ton exil & fa
prifon , 8t ne trouva fa confolation que
dans le facrifice de fes larmes. Elle ecrivit
avec un craion ces paroles au bas d'un Cru-
cifix : pofuifti lacrymas meas in confpeflu
tuo acceptabile facrificium tuum.
Malgte la
peine que la mere Angelique de Saint Jean
reffentoit de la feparation de tant de pcrfon^
nes qui lui etoient fi cheres , & dont le fort*
Venir fe prefentoit a fon efprit, elle confer-
Voit une veritable joie du coiur , qui ne fe'
niloit point avec fes amerlumes pour les
o-doucir , mais qu'elle fentoit qui dominoit
"u-deffus de fon affliction pour empecher
lu'elle ne troublat fa confiance & fafoi, &
lu'elle ne lui oldt 1'eftime de fon bonheur, .
dont elle demeuroit toute perfuadee
, enforte
lu'elle riauroit pasvoulu pour quoi que cefut
"u monde n'avoir pas eu cette occafion de
fouffrir pour la verite, ni former le moindre
defir d'etre dilivree finon par elle.
La Prifonniere ne vo'ioit prefque perfonne fJjfiJe™
'« quatre premiers mois, & nc repondoit
-ocr page 472-
,70            Relation abregee
que out St nan, lor&u'on lui p.rloit, en for-
chanter quelques parties£*£*££.
Prieure,la Soupneure tc *"?* ^Uc vit;
zau etoientles fculcs rehgieufes 9^vl<>
une mere d'Ormeflon , am etoit fa coufoe
obtint la permiffion de laW £" «
trois fois, mais avec une cornpagne gi_
ccqu'on ne fe fioit pas a elle. E«««0»o
vent neuf ou dix iours fans voir ame vivan
P. ic, %«. te que la Converfe qui la le^oit.
L <c* , i bout de huit iours ele ecrivu£ *
la Voir , fc^ux Sacremens, & s'i entendoit quellee
"fufe demeurat feparee. Trois ,ours apres; le 11
d'approchet
                     perfonne apporter (a reponle w
des Sacre- 1ft Vint en pci.            rr             entretien ,
mens.          s'en retourna apres on long
fans avoir rien accorde , K lans iiw»
porter que la honte d'une defaite; pleme «
en ere,Voiquil rut feconde par Madame de
Rantxau , qui a la vente etoit bien pen rnf
StaS « matieres, ft. navou queUn-
faillibilite duPape pour P^clPf * ^T"
beiffance aveugle pour regie. CetteJDMK,
apres le depart de l'Archeveque , voulut re
conduire la mere Angehque * <2ȣn > *
Vattaqua affez vivement La Prifounieren
voiant ni utilite ni plain.r a s'engager A£
une difpute avec une perfonne quii M: cM
choit point la verite, fe tenant adiM&qu £
la favoit , la fupplia de la *~f«g£
Dieu Sc d'epargner une perforine affligee
Comme la Dame cont.nuoit toujour* ,^
mereAngdique fe mn a genoux pourprie
-ocr page 473-
de la mere Angelique. 471
en attendant qu'on eut apporte" la clef de fa
prifon. La demarche edinante que fit des lc
loir meme la mere Angelique en lui ecrivant
un billet pour lui demander pardon de Te-
motion qu'elle avoit fait paroitre , toucha
apparemment cette Dame , qui non-feule-
ment fit elle-meme le lendemain quelque
forte d'excufe a la Prifonniere de ce qui avoit
pu lui faire de la peine dans cet entretien,
mais fut dans la Ante beaucoup plus mo- „, 3"> 3*
deree.                                                             & 4°-
Deux jours avant la vifite de M. de Paris,
Dieu avoit mis la mere Angelique de Saint jb'A-"^ &L
Jean dans une autre forte d'afHiction toute ja prjf0nnie:
differente de la premiere & fi grande qu'elle te.
avoit abforbe1 toutes fes autres peines. Elle
avoit pafR les huit ou dix premiers jours
dans l'affliclion fenfible de fa reparation d'a-
vec fes fceurs , mais cette affliction n'etbic
que dans les fens; & dans le fond de l'ame,
elle vo'ioit rous les avantages de cette epreu-
ve. Elle fentoit deux perfonnes en elle , dont
l'une avoit aflez de force pour porter l'autre
dans fa foiblefle, & elle fe r^jouiffoit dans
l'efprit de ce qui 1'affligeoit dans les fens.
La mere Angelique reconnut depuis le dan-
ger qui accompagnoit set etat , dans le-
quel elle eut hi au hazard de ne pas fe
foutenir long-tems fi elle eut ete pouflee
plus loin ; & raconte ainfi de quelle maniere
Dieu Ten tira.
=> M'etant done couchee une fois, je ne lumiertf
* penfai pas fitot a m'endormir, que Dieu que Dieu lui
*> me reveilla par un ra'ion de fa luraiere qui «onne f
r                                             i 1         • » ion etat.
» rrappa mon coeur , pour me decouvnr a
35 moi-meme des chofes qui ne m'avoient
» paru rien , 8c qui dans ce moment me pa-
*■ rurent fi grandes & fi impottantes qu'elks
-ocr page 474-
47 i'          Relation abregrU
jo renvef Cerent tout-a-fait rria difpofition 8£
n me mirent 11 bas devant Dieu , qu'aulieu.
n que je penfois auparavant qu'il nous avoit
w nop elevees de nous donner part a. la per-
5s fecution de la verice 5c de la juftice, je
55 me trouvois dans un fi profond rabaifle-
55 ment & fi faifie de crainte, que je n'o-
55 fois prefqu'elever mes yeux vers lui 8s
a; que je vo'iois toutes mes fouffrances fort
55 au-deflous de celles qu'il avoit eu droit
53 de m'infliger, s'il eut voulu me traiter
»5 avec juftice. J'avois dans l'efprit que )'6-
S5 prouvois Ce qui eft dit dans le Pfeaume :
53 ils moment jufqu'au del 6* ils defcendent
m jufqu'aux abimes, & ce qui efl enfuite :
53 anima eorum in malis tabefcebat. Car ve-
55 ritablement je deflechois dans l'accable-
55 ment de tant de peines i celles que je fouf-
55 frois de mem erat extericur n'etant nulle-
55 ment diminuees, quoiquc les peines inte-
55 rieures les furpaflaffent, mais en les aug-
33 mentant. Cat il n'y a rien de pareil a fe
55 trouver dans cet accablem€nt d'efpiit, fans
53 pouvoir efperer le moindre fecours & la
53 moindre confolation de qui que ce foit,
33 quand cela dureroit jufqu'a la mort, cat
33 je ne favois pa* fi j'y vertois d'autre fin,
»5 & on ne fauroit s'imagirier ce que e'eft
53 que cette angoiffe & cet abattement fi
53 on n'y a parte. Il me fembloit que fi f eufle
*> eu feulement la moindre perfonne de con-
»5 noiflance, quand je n'aurois fait que me
55 recommander a fes prieres , ce m'auroit
53 ^te un foulagement de favcir quelle eut
33 compati a ma mifere & qu'elle m'eut ai- |
» dea obtenir la mifericorde de Dieu. Mais
» de ne voir que des perfonnes infenfibles
» qui ne chercheroient que l'occafion d'aug? I
-ocr page 475-
"3c la mere Angelique. 47 f
& lnenter votre trouble fi elks en pouvoient
» avoir la connoiiTance , a caufe de quoi il
« faut avoir an foin continuel de ne le pas
33 faire paroitre , c'eft une gene inexplicable
»' quand on eft dans cet etat.
La peine de la fainte Prifonniere fut fi Itnpreflioii
grande cette premiere nuit, qu'elle en cut la f^ ("°1^
fievre aflez forte , & elle £toit aufii lafle & d'efprit.
afFoiblie le lendemain que fi elle eut eu une
grande maladie. Elle demeura environ fix
femaines dans cette affliction d'efprit , qui
confiftoit en ce qu'il lui fembloit que Dieti
la chatioit dans fa colere. Ce qui toutefois
ne lui otoit pas la confiance, qu'il ne fe fou-
vint audi de fa mifciicorde , dontelle voi'oit
des marques dans la proportion qui lui pa-
roifl'oit etre entre fes peines & fes peches.
Mais elle fe fentoit dans une fi grande con-
fufion , qu'elle n'ofoit meme s'arreter a re-
garder les fujets qu'elle avoir d'efperer en fa*
bonte. Auffitot qu'elle penfoit ouvrir les
yeux , elle les rabaiflbit de honte , & ne
cherchoit qu'a fe cacher devant lui. » Rien
» ne reduit, dit-elle , dans une fi' grande
» pauvrete que cet etat. Les hommes en
=> croiant nous tout oter, ne touchent point
» a notre trefor , quand Dieu laifle dans
» notre cceur le fentiment de fa grace. Mais
» pour lui, il n'a qu'a detourner fon vifa-
» ge , & nous ne trouvons rien entre nos
» mains de toutes les richeffes que nous
» nous etions perfuadees qu'on ne pouvoit
35 nous ravir.
Elle avoit envifage cent fois depuis 10 annees f"e apper-
l'cxil & la feparation ou ellefe trouvoitalors, £01t 1as/01*
k elle s etoit promts qu en quelqu etat qu on (,on ouvroic
lamit,elle pourroit efperer <le trouverdans laleehemini u-
pfiere & dans. I3 parole de Dieu les Confola-ne<,angereufe
tenucion.
-ocr page 476-
^74           Relation abregee
tions & la patience qui pourroient foutenir
fon efperance. Maisalors elk cherclioitinu-
tilemenc la force & la lumiere qu'elle avoit
trouvee tant de fois dans les paroles de l'E-
crituie-fainte, qui lui avoient para capables
d'adoucir les peines de la plus dure capti-
vite\ Elle relifoit ces endroits des Propbetes
& des Hiftoires faintes , qu'elle avoit mis
comme en referve dans fon efprit pour s'en
nourrir dans ce tems-la. Mais Dieu avoit ote
la force du pain -, & il lui fembloit qu'elle
n'y trouvoit plus que des fujets d'augmen-
ter fa confufion intdrieure , a caufe que pat-
tout Dieu fait voit que fes cbatimens font
des peines de nos pdcncs. EUe s'appercevoic
bien qu'encore que cet etat lui flit bon ,
parceqn'il l'humilioit fans la troublet ,
n'a'iant au fond du cceur aucune inquietude,
8c confentant a la conduite de Dieu & a la
lumiere de fa vdrite quoiqa'elle la condam-
nat; neanmoins il lui paioiffoit facile que
cela ouvrit le chemin a une tentation dange-
reufe , fi par-la elle entroit dans une crainte
exceflive , qui pouvoit la jetter dans l'abbat-
tement •, de forte qu'elle avoit prefque reduit
toutes fes prieresa cclle d'Rftner qu'elle icxi-
vit dans fa douleur derriere fori diurnal :
Deusfortis fuper omnes, exaudi vocem eorum,
qui nullam aliam jpem habent^ & erue me
i
timore meo.
Elle trouvoit quelque confolation dans ces
paroles parcequ'elles exprimoient affezbien
l'etat oil elle fe trouvoit au-dedans &. au-de-
hors. Elle y ajoutoit la ptiere de Sara, tien
ne lui donnant tant de confiance que ces pa-
roles : in tempore tribulationis peccata dimit'
tis its qui invocant le.
Cette efperance , que
Dieu agrdeioit ce qu'elle fouffroit pout 1»
-ocr page 477-
__ ,,
de la mere Angelique.         jli$
remiflion de fes peches, eroit fa plu« douce
penfee. C'eft pouiquoi etle ne pouvoi; for-
mer aucun defir de fa delivrancc , ni d'au-
cun changemenr dans fes peines, parccqu'il
lui fembloir que Tinjufticc de certe perfecu.
tion de la part des hommes, ikoit tout ce
qui lui reftoit de bien pour acquiter fes det-
tes ;. & elle s'appliquoit ce qui eft dit dins
le PC. Verba iniquorvm preva'uerunt fupcr
nos} & iniquitatibus nofiris propitiaberis.
Un jour que fes peines redoublercnt dans Ses peinef
la crainte qu'elle avoit d'avoir manque a la Sl^e°'fnt'
cnarite dans quelqu occanon eloignee qui donne a la
lui revint a l'efprit , & qu'en meme-tems conduite de
elle penfa comment elle pourroit faire pour 'a grace.
fupporter fes peines fi elles lui revencient
fouvent, ne fachant fi de fa vie elle pour-
roit avoir occaiTon de fe confeffcr ou de par-
ler a quelque perfomie de coufiance , elle
s'appercut que cette vue pouvoit la mener
bien loin & J'arFoibli^elledemruralong-tems
profternee devant Dieu , fon feul refuge; 8C
lui aiant fair la grace de reveiller fa foi ,
qui commer^oit a jetter la vue fur des ap-
puis humains, il lui donna le mouvement
de s'abandonner a la conduite de fa grace ,
fans vouloir plus fe mettre en peine d'elle-
ffieme, & de lui offrir tout ce qu'elle avoit
fouffert, 8c ce qui lui reftoit a foufriir pour
acquit ter fes dettes.
Apres cela elle fe trouva plus tranquille 8c tlkTettan-
plus depouillee que jamais, & cette inquie-1ul^ife"
tude touchant la confeflion ne lui revint plus.
C'etoit la feule qui lui fut entree dans le
coeur; mais elle en avoit d'autres de toute ef-
pece qui environnoient fon efprit. Toutefois
ce n'etoit fouvent que des images vagues,
qui ne fe formoient pas diftinclement, 8c
-ocr page 478-
?47<»             Relation abregie
lorfqu'elle envifageoit les chofes folidement
& felon les priticipes , ces fantomes fe dilTi-
poient comme une fumee. Elle en faifoit
elle-meme la comparaifon avec ces fra'ieurs
qui frappent l'imaglnation quand on va la
uuit dans des lieux cm l'on a peur. ?> II ar-
»j rive quelqucfois qu'une ombre patoit une
33 perfonne ; mais quand on a affez de force
m pour furmontei fa peur & pour s'approcher
« de ce que Ton croit voir , on reconnolr
3j que ce n'eft rien du tout; au lieu que (1
» Ton ne s'en etoit point eclairci on demeu-
» reroit dans la fra'ieur & dans le trouble.
,
               Les idees epouvantablesde l'etat ouetoient
lequrioDl r4* Suites les religieufes de P. R. , fans y avoir
duifott
Ie5 te. de reflburce , lui apprirent, dit-elle , ce que
ligieufcs de c'etoit que le defefpoir ; parcequ'elle entre-
V.K.capable vo;0it affez clairement par oil Ton y va ,'
uiefefpoir?<luoitluert.Pa,: 'a §race de Dic« ces penfees
lui paruflcnt fort eloignees de fon coeur, &c
que ce ne fut qu'une tentation ettangere qui
detncuroit au-dehors fans la troubler au-de-
dans. Mais elles lui faifoient imaginer , que
c'etoit les penfees tenebreufes , dont Dieu
patla a Job , & qu'il lui faifoit la grace de
les lui faire voir , afin qu'elle en cut horreur,
plutot que d'y entrer fans les difcerner , com-
me on fait , lorfqu'on fe laifle vaincre a ces
troubles & a. ce decouragement , en cher-
cbant du foulagement, parcequ'on ne peut
plus foufFrir. La priete Sc l'aveu de fes mife-
res devant Dieu , dont elle adoroit la juftice,
etoient toutes fes armcs.
Dieulul'di- *^el1 ^u' decouvrit cette tentation le jour
rouvte uie des Saints Anges 3 d'oftobve , en meditant
dangereufe ces paroles , ne forte offendas ad lapidem pe~
temation. dcm mum. Elle penfa » que Jcfus - Cluift
» etoit lui-mcme cette pieire 3 auffi-bien
-ocr page 479-
de la mere Angelique. 477
33 qu'il eft lc chemin par 011 nous marchons:
*> qu'il y en a qui fe fcandalifent de la feve-
m rite de fa loi, & qui fe lafl'cnt de fouffrir
=' pout la veiite dans les occafions 011 il les
" engage, $c que ce font ceux-la qui tom-
33 bent & fe brifent contre la picrre. Mais il
33 y en a d'autres, qui voulant bien fouffrir,
« prennent neanmoins de leurs foufFrances
53 une occafion de craindre que cette con-
sj duite fi rude de Dieu fur eux ne foit
sj une marque de fa colere , qu'ils one
33 bicn merited , & qui enfuite de cette
33 difpofition qui paroic humble , en ont
» moins de confiance de s'approcher de
3> J. C. comme fi elles fe fentoient rcpouf-
33 fees de lui a caufe de leur indignite. Cc
j) font ceux la qui blelfent leurs pieds a la
33 pierre , leur affection & leur charite deve-
33 nant d'autant plus languiflantes, qu'elles
33 ne s'enflamment plus par la confiddration
33 de celle que Dieu a pour eux; & cettc ten-
33 tation allant a attaquer la foi aulli-bien
33 que la charite & Tefperance, parcequ'elle
33 etablit un principe contraire aux maximes
33 de I'Evangile , en prenant les afflictions Sc
3> les maux temporels pour une marque de la
is colere de Dieu , au lieu que felon toute
33 l'Ecriture elles font les gages les plus affu-
33 r^s de fon amour.
33 Cette penfec que Dieu donna a la mere
33 Angelique, fut pour elle le commence-
» merit d'un jour nouveau , qui des cette
33 heure-ladifllpapeu-a-peu fes obfeurites &
33 fes peines. Elle l't'erivit promptement plus
33 au long qu'elle ne l'a mit dans fa relation,
3> pour y avoir recours au befoin. ( Les Gar-
=3 des du Roi, en vifitant fes liardes lui eu^
« leveretiE dans la fuite ce papier),
-ocr page 480-
478          Relation abregee
On voit par ce detail , les ^preuves ter-
ribles par lefquelles Dieu fait paffer fes
dlus , 5c les arrnes dont le Demon fe fert
pour les faire tomber. Les relations de
celles qui fuccomberent dans leur captivite,
nous apprennent que le tentateur les renver-
fa par les moiens que la mere Angelique ex-
pole ici avec tant de lumiere.
Revenons a l'hiftoire de la fainte Prifon-
niere. La nuit 6tant paflce , elle commenqa
m a difcerner la beaut6 de la juftice dans
3j les peines , dont Dieu puniffoit, acequ'el-
33 le dit, fes infidelites , & la fageffe de fa
33 conduite dans les moiens dont il fe fer-
35 voit pour nous faire entrer comme par
n neceffite dans les devoirs de notre voca-
33 tion , que nous n'avlons jamais bien com-
as pris , quelque foin qu'on eut pris de nous
33 inftruire" ;parcequt'la jcience de la croix
ne s'apprend qu'aux pieds de la croix , qui
eft la chaire ok Jefus-Chrijl I'enfeigne a ceux
qui veulent bien I'y fuivre & s'y attacher
■ avec lul.
Dans la premiere quarantaine , la mere
Angelique fe tenoit le plus qu'elle pouvoit
dans le filence. Madame de Rantxau tachoit
au contraire de la faire parler. Un jour qu'el-
le la pria de lui conter toute rhiftoire de
Port-Ro'ialj la Prifonniere pour s'en defaire
lui dit, attendee ma mere qu'elle foil achevee,
car nous voila au plus beau ; & quand on en
aura vu la fin , ilfera terns defaire I'hif-
toire.
On lui an- Pendant tout le tems de fa captivity, la
nonce la fi- mere Angelique ne put favoir aucune nou-
quclque reli- ve^e ' n' ^e cc 1U* ^ Pan~01t <^ans ^e m°naf-
gieu?*. tere dont on l'avoit arrachee, ni de fa fa-
-ocr page 481-
de la mere Angelique. 479
mille (5) , ni de fcs foeurs difperfees, fi cc
n'eft lorfque quekjues-unes etoient tombees,
car alors on avoit grand foiu de l'informer
de leur fignKture , & de les lui annoncer
comme de bor.nes nouvelles. Madame de
Rantzau accompagnoit ces nouvelles, de
predications , qui degeneroient en conr.ro-
verfc , mais fans aucun fucces. Cell; ce qui
arriva vers la Saint Denis , que la mere
Prieure & Madame de Rantzau vinrent lui
annoncer avec un air de triomphe , que quel-
ques-unes des religieufes avoient figne- Lorf-
qu'elles fe furent retirees , la Prifonniere ac-
cablee de douleur Sc de crainte fe jetta de-
vant Dieu, pleurant pour celles qui etoient
tomWes, & tremblant pour les autres 8c
pour elle-meme. Comme elle n'avoit que
Dieu pour refuge & fa parole pour confola-
tion , elle pric fa Bible , l'ouvrit, & jetta les
yeux fur ces paroles du fecond Chapitre de
rEcclefiaftique qui fe preTenterent : malheur
a ceux qui manquent de cceur , qui nefefient
point a Dieu , & que Dieu pour cette raifon
ne protege point. Malheur a ceux qui one
perdu la patience , qui ont quitte les voies
droites
, & qui fe Jont detoumis dans des
(5) Pendant une capti-   d'autres luidiflemqu'elle
vite de dix mois , elle   fe portoit bien , quand
u'eut d'autre nouvelle de    on la cachoit a tout le
fofamille, que par deux    monde. les deux billets
fillets que M. d'Andilly    furent monttes , & elle
ecriyit a la Superieure ,    eut h liberte d'ecrire les
la fupplunt deles mon-   trois lignes , mais riende
'rer a la mere Ang Iique,   plus. Et meme elle fut
8i de lui permettre de lui    obligee de reformer le
ectire trois lignes de 'a   premier parcequ'elle y
■lain , pour l'aflurer elle-   avoit mis un mot pour
meme comment elle fe   M. d'Angers & pour M.
porto't , parcequ'il ne   de Luzanci fon frcre.
Pourroit fe concenter que
-ocr page 482-
TJf"
£480           Relation abregit
routes igarees, Et que feront-ils lorfque Dieu-
commencera a examiner toutes chofes ?
Ces
paroles frapperetu la mere Angelique de
Saint Jean d'etonnement 8c de ftaieur pout
celles a qui elles etoient adreffees, 8c en
.meme-tems elles la fortifierent en lui ap-
prenant le rcmeds pour fe preferver d'un
ii grand malheur , qui confifte a fe confier
en Dieu, 8c a ne point s'ennu'ier de foufrrir.
Elle trouva encore dans la le&ure de ce qui
precede , des reponfes a toutes fes peines ,
^>lus folides qu'elle n'en eut reiju de la per-
ionne en qui elle auroit eu le plus de con-
fiance. Ainu elle ne s'abbatit point.
Depuis la vvfite de M. l'Archeveque $c le
tefus qu'il avoit fait a la Prifonniere de
-communier , elle demeura dans le filence
jufqu'au 18 oftobre, qu'elle lui tcrivitpour
lui deraander la permiffion d'approcher des
Sacremens a la fete de laTouffaint. Le Pre-
lat, fans faire de reponfe pat ecrit, lui fit
dire pat la mere Superieure , qu'il ne po«-
vo'u en conscience lui permettre la commu-
nion, fi elle ne changeoit.
Hie ap- La veille de la Saint Martin, elle eut la
jptend la chu-douleur d'apprendte la chute de fes deux
tede fes deux foeurs. La mere Prieure qui lui annonqaune
iccurs.
         nouvelle fi accablante ( fans cependant lui
infulter, car elle avoit p'uie de fa peine, &
etoit bonne) luidit ce qui s'etoit pafTe enrre
la mere Agnes & la fceur Angelique-Therefe ••
fur quoi elle demanda a la Prifonniere fi elle
rietoit pas bi.en furprije que la mere Agnes
eut laiffe la fceur Angelique-Therefe dans
la liberte de figner , fuppofe' que lafignatur'
fut un fi. grand mat ,
qu'elles le ternoi-
gnqaent (4). La mete Angelique lepondit que
-ocr page 483-
de la mere Angeliqne. 481
53 dans la conjondure ou etoient leurs affai-
" res, la mere avoit pii croire etre obligee
« d'en ufer ainfi , fur-tout parceque quand
» les perfonnes en font a demander les avis
« par "forme, leur refolution eft deja prife ,
« & que les confeils qu'on leur donneroit,
« nefirviroient pas a les foutenir, mais a
« ofFenfer M. l'Archeveque.
La mere Prieure aiant encore demande a la
Prifonniere , Ji elle n'eroit done pas etrange-
ment etonnee de ce changement, ™
elle repon-
» dit qu'elle en etoit etrangement touchie,
» mais medlocrement etonnee, 8c qu'eprou-
" vant a quelles extremites on les reduifoit,
" il n'y avoit pas grand fujet de s'etonner
» qu'il s'en trouvat qui s'affoiblifTent; qu'il
» n'en avoit pas tantfallu a Saint Pierre pour
» lui faire renoncer Jefus-Chrift, & que les
" voies dont on fe fervoit pour les contrain-
" dre a obeir contre leur con fcience feroient
« audi propres a faire renoncer la foi qu'a
» perfuader de figner.
Elle apprit auffi bientot la fignature de la
firur Candide , qui prejfoit lui dit-on , de re-
venir a P. R. , ou elle promettoit qu'elle Us
gagnero'u toutes.
Mais le contraire aniva ,
puifque les exces de celles qui avoient fi-
gne furent fon inftru&ion & lui firent quit-
ter mi parti dont elle reconnut l'iniquite 8c
la tyrannic » Que de gerbes de confolation
» & de joies faintes Dieu nous preparoit,
>J s'ecrie la mere Angelique , pendant que
» nous femions des larmes dans une terre
» feche , deferte & fans chemin ! & qui au-
* roit jamais pu croire que nous les duflions
» moifTonner dans l'annee meme !
                    J?'e qu'elle
Cependant elle commencoit a chanter ", r",\ ,c,n
tont-a-tait les jultificanons de Dieu dans le Co>iiuite ce
Tome rill.                      X          Dieu.
-ocr page 484-
48i           Relation abregie
lieu de fon peierinage , & fa conduite lui
patoifloit fi julte , fi fainte & fi pleine de mi-
fericorde , quelle fe trouvoit fouvent dans
des fentimens de joie tons differens de ceux
qu'on eprouve dans les choles 011 les fens ont
quelque part , £i fi purs qu'ils fe peuvent
meler avec les plus grandes afflictions, fans
qu'elles en puiflent alterer la douceur.
Ce fut vers le meme terns que la mere
Prieure la pria de ne pas venir au choeur
pendant quelqucs jours , & lui dit qu'on la
mencroit entendre la Meffe a un Oratoire de
l'lnfirmerie , qui repondou fur l'Autel: (. on
lie lui en dit point la raifon , mais elle ap-
prit apres fa fortie que c'etoic a caufe qu'une
Dame nommee Houdin , bienfaitrice de la
maifon , parentc de la mere Genevieve de
l'lncarnation , etoit entree dans la maifon
pour quelques jours, Sc avoit un grand de-
lir devoir ia Prifonniere ).
Elle alia done entendre la Meffe tous les
jours en cette Chapelle. » II n'y a point de
*> lieu au monde , dit-elle , oti j'aie eu tant
« de devotion. Elle eft derriere l'Autel, Sc
s^ on entend diftinctement toutes les paroles
*> du Pretre ; au lieu que dans le choeur , on
x> etoit quelquefois al'Evangile.de la MefTe,
w que je ne favois fi elle etoit commenced ,
53 quand ce font des Prettes qui parlent bas.
Cet Oratoire etoit pauvre , fans ornement
qu'un grand tableau de fepulture mal fait,
iur un Autcl mal omi : cela excitoit la piete
de la captive, qui fe regardoit commc cn-
fevelie dans le meme tombeau , ne trouvant
point de plus grande confolation que de fe
voir veritablement par fon etat au rang de
ceux a qui Saint Paul dit, qu'ils font morts
Sc que leur vie eft cachee avec Jefus-Chrift
-ocr page 485-
de la mere Angetique. 485
en Dieu. ■>■> Je vo'iois , dit-elle, des mer-
33 veillcs dans cettc condition , & il me fou-
3> viendra toute ma vie de la conciliation
« que j'y ai goutee «. La devotion de la
mere Angdlique pour cette Chapelle dimi-
nua, depuis qu'a la place d'un Pretre de
Saint Paul qui difoit fort bien la Mcffe ,
on fit revenir un Chapelain , qui la difoit
avec une precipitation epouvantabie.
A l'approche de l'Avent, pendant lequel . Elle fait de
le rameux Pere Nouet devoit prccher aux E„i,fe olj elle
Annonciades , la mere Angelique pria la chante pref-
mere Superieure de la difpenfer d'affifter an <)»<: touil'ot-
Scrmon 5 & afin que cela ne parut point af- hce-
fecte , elle ofFrit de continuer a ne plus aller
au chccur. La propofnion fut acceptee; &
pendant tout l'Avent, la Prifonniere ne fortic
de fa prifon que pour aller avant le jour
entendre la Merle dans la Chapelle de l'infir-
merie, conduite par fa Geoliere. Mais elle
fit de cette prifon une Eglife oil elle chan-
toit prefque rout l'ofrice aux heures ordinai-
res , les jours de Fetes. Elle chantoit de me-
me ce que le chceur chante aux grandes
Meffes, lorfqu'elle le favoit, & au moins le
Kyrie , Gloria in excel/is, Credo, Sanilus ,
Agnus Dei ,
fuivant en efprit tout ce que
le Pretre dit dans le facrifice. Le tems qu'el-
le donnoit a entendre la Meffe de cette for-
te alloit au moins a une heure & demie ;
ainfi toute fa matinee fe trouvoit auffi rem-
plie que fi elle eut etc dans fon monaftere.
Les Dimanches elle faifoit la proceflion &
1'afperfion, jettant de 1'eau-benite par-tout
pour chaffer routes les malices fpirituelles j
fur fon lit pour chaffer 1'efprit de pareffe j
fur la table ou elle mangeoit, contre la deli-
cateffe; dans la ruelle quilui fervoit d'O-
Xi;
-ocr page 486-
4S4             Relation abregie
ratoire , pour en eloigner la diftra&ion ; a
l'endroit od elle travailloir, pour la garantir
de la curioiit£ Sc de 1'attache a fon ouvrage;
mais fur-tout a la porte de fa chambre, de
peur que l'efprit de fedu&ion n'y entrat avec
celles qui tachoient de l'y amener.
Sa joie en Les grandes Fetes , elle fe Ievoit lorfqu'el-
oicu la" nuit 'e Pouvoit s'eveiller , quelquefois des mi-
dans tine pri- nuit > & chantoit tout ce qu'elle pouvoit
ion.
               chanter de Matines. « Pour ce qui eft de'
33 cela, dit-elle , je voudrois qu'on eut vu
33 combien cela eft beau & devot , de fe
3> trouver ainfi feule au milieu de la nuit
3j a benir Dieu dans une prifon en chantant
33 les louanges fans pouvoir etre entendue
33 que de lui, & fans entendre quoi que ce
33 foit qu'un profond filence au milieu de
33 cette grande ville.... cela a quelque chofe
» de plus beau & de plus raviflant qu'on
33 ne peut dire.
tanamouc Quoiqu'on ne refusat pas a la mere Ange-
r-om 1.1 pau- ]jque |es cnofes <]ont: ene avoit befoin ,
qu on la prevint meme & qu on la pnat de
demander ce qu'elle voudroit, elle manquoic
neanmoins fouvent de bien des chofes, par-
cequ'elle croioit qu'il lui etoit utile de s'en-
richir des trefors de la pauvrete , 33 dont je
33 n'avois jamais eu la clef', dit-elle, que
33 depuis que j'etois-la , la cliarite de P. R.
33 allant nop au-devant des befoins pour
33 donner lieu d'eprouver l'avantage qu'il y
33 a a pouvoir fe pafler de beaucoup de cho-
33 fes, qu'on ne s'apper^oit etre fuperflues
33 que quand on a fait l'experience qu'elles
33 ne font pas neceffaires , puifqu'on s'en
33 paffe bien lorfqu'on ne les a pas & quand
33 on n'ofe les demander.
Au milieu de tous fes maux, elle difccr-
-ocr page 487-
de la mere Jngelique. 48 f
noit tous ces biens & ces avantages; & quand Aflions de
Dieu l'appliuuoit quelquefois a confiderer le gracesquello
. , rt, U ,1 ',,
                  ■ r r fend a Dieu
bonhcur de Ion etat, elle ne pouvoit le la- en congjj.
tisfaire dans les aftions de graces qu'elle rant le bon-
fe trouvoit obligee de lui rendre. » Car, heur de fon
» dit-elle , laiffant a patt la nature qui ne *»t.
33 comprend rien dans les chofes de Dieu ,
33 la foi me faifoit voir toutes fortes de
33 biens fepares de toutes fortes de maux,
33 dans cette condition ou ll m'avoit re-
33 duite«. Cette fainte fille admiroit la pro-
vidence de Dieu fur fon ame, de l'avoir mife
dans un <Stat ou tout lui etoit favorable pour
faire penitence, puifque tout contribuoit a
1'humilier, a la feparer des creatures, a l'e-
xercer dans la pauvret^ & la penitence, &c
cela fans etre expofee a prefque aucune ten-
tation que celles qui font inKparables de
none infirmite.
Ce que lui difoient fes Geolieres pour Ellefe Au-
la feduire ne fervoit qu'a l'affermir dans tifa da»s l*»"
1.
             1 < i ■ t n •• 1 e li ir mour de la
1 amour de la vente , en voiant la roibleiie v»tjtj ar la
des raifons qu'on lui oppofoit. La conduite foiblerte des
de I'Archeveque a fon egard , qui pendant ralfonsqu'oa
dix mois la lailTa auffi abandonnee de tout y °PP°ie-
fecours pour fon ame que fi elle eut ete en
Turquie , difTipoit l'illufion qu'on peut fe
faire en s'imaginant que ceux qui font reve-
tus d'une autorite route fainte , n'en ufent
qu'avec juftice & charite. Elle mettoit me-
me la durete avec laquelle on la traitoit, au
rang des graces que Dieu lui faifoit :
ainfi il
lui fembloit qu'elle n'avoit rien a faire qu'a
confentir a tout ce que Dieu faifoit pour
elle, en lui difant avec la Cananeenne, etiam
Domine.
Elle avoir ecrit en gros carafteres
& mis au bas de fon Crucifix ces deux mots ,
parcequ'en les difant ou les regardant feule-
X iij
-ocr page 488-
486           Relation abregie
nient avec le confentement du cceur , il
lui fembloit qu'elle adoroit Dieu dans tout
ce qu'il eft, dans tout ce qu'il veut & dans
toutce qu'il fait & fera dans l/£ternit£. Elle
fe trouvoit fi heureufe qu'elle n'avoit d'au-
tre defir, finon que Dieu ne l'abandonnat
point. Quelquefois meme elle ne pouvoit
s'empecher de timoigner les avantages de
fon etat.
Rcprenons la fuite des exercices de cette
fainte Captive. Nous avons vu comment
les matinees etoient remplies les Fetes & Di-
manches, en forte qu'il ne lui reftoit point
de tems apres fcs prieres & fes lectures. Les
apres dines , eile lifoit dans les fermons de
S. Bernard , dont elk faifoit quelques petits
extraits. Elle eciivoit audi quelque chofe de
ce que Dieu lui iufpiroit fur des verites qui
la touchoient ou fur des textes de l'Ecritu-
re , fur quoi elle eut quelques deffeins. Mais
elle y renonca par la crainte d'etre furptife >
& que ce qu'elle auroit ccrit ne tombat en
des mains ennemies.
Pratiques de Comme elle ne faifoit point d'exercice,
pict^dela ste lle s'ami;cttit a fe promener le foir dans fa
chambre, en recitant, pendant trois quarts
d'heures que duroit fa promenade, des Li-
tanies qu'elle s'etoit faites de toutes les foeurs
des deux maifons de Port- Ro'tal, des Novi-
ces , des Poftulantes , des amis & amies , See.
& elle les offroit tous a Dieu Tun apres 1'autre,
en difant a chaque perfonne miferere ejus ;
elle ajoutoit a la fin d'autres prieres, comme
des Pfeaumes.
Elle s'etoit prefcrit d'autres petits exerci-
ces , pour s'aider de tout , & fur-tout de l'in-
terceffion des Saints, dans un tems ou elle
ctok piiYde de l'afliftance des homroes. Ella
-ocr page 489-
de la mere Angelique. 487
prenoit tous les mois pour fon protectant
fpeciai un des faints Martyrs qui fe rencon-
ttoit le tSde chaque mois. Ce jour etoit
remarquable pour elk , parceque c'etoit de-
la qu'elle datoit fa captivite\ Elle a toujours,
dit-on, chante le Te Deumen action de gra-
ces. Le mardi qui etoit le jour de l'enle-
vement, elle difoit I'antienne Benediltio&
claritas
, & cela auffi bien dans fa plus gran-
de affli&'ion , que depuis que Dieu l'eut con-
folee, car dans tous les tems elle regarda tou-
jours cette affliction commeunegrande mifd-
ricoide de Dieu.Toutes fes inquietudes ne ve-
noient que de l'apprehenfion de n'etre pas
digne d'en bien ufer, & de ne point perfeve-
ter jufqu'a la fin. C'eft ce qui lai infpiroit
une devotion patticuliere a adorer le dernier
foupir de Jefus-Chiift fur la croix; parce-
qu'il lui fembloit que c'etoit par ce dernier
moment de fa vie qu'il nous a patticuliere-
ment merite la grace de la perfeverance, &
qu'elle favoit & fentoit que notre foiblefle
eft fi grande qu'il n'y a pas un moment ou
nous ne puifflons perir.
Avant toutes les heures de l'Office , elle
faifoit une invocation de la Sainte Trinitd,
qu'elle avoit dreflee fur des expreflions ti-
rees de S. Paul (4).
Enfuite elle invoquoit la Sainte Vierge,'
les Saints Anges , faint Pierre & faint Paul,
&c. Elles attribue a leurs prieres Sc a celles
des amis, la grace que Dieu lui a faite de ne
la point abandonnet a fa propre fragility.
Une de fes craintes etoit que les amis ne
priaflent pas aflez pour elle , fous le pre-
texte qu'ils la croioient plus inftruite que
quelques autres.
(4) Page xij.
X iii/
-ocr page 490-
488             Relation abregie
Voila quelles etoient les devotions cx-
traordinaires de cette fainte fille, qui dans
fa captivite a eprouve que Dieu n'a point
attache fa grace aux mutailles des Temples;
car elle fe trouvoit fouvent plus recueillie
en chantant dans la ruelle de fon lit, qu'elle
nel'etoit quelquefois dans le chceur de P. R.
Sa petite Eglife fut audi confacree par des
reliques des Martyrs, qui y repoferent plu-
fieurs femaines , Madame Rantzau les lui
aiant confiees, en la priant de garnir une
chafle qu'elle deftinoit a les renfermer. Ce
qui donna un jour occafion a la mere Ange-
lique de dire a cette Dame, qu'elle lui faifoit
cette grace , parcequ'elle favoit que les prifons
font les temples des Martyrs , puifque ce
font eux qui les ont les premiers confacre'es,
a caufe dequoi elle ne jugeoit pas leurs reli-
ques indignement placees dans fa chambre.
M. de Paris Le refus que M. de Perefixe avoir fait
I"! r,cfufe les avant la
e de la Touffaint a cette vier-
EUe^Iui'ec'rit^2 cm'etienne d'approcher des Sacremens,
le j de mars. *ut perfeverant. A Noel elle fe contenta d'e-
crire un billet a la mere Superieure , ou elle
marquoit les raifons , qui l'empechoient
d'importuner le Prelat. La Superieure repon-
dit a ce billet par un autre ecrit avec la
durete & Tamertume qu'un faux zele eft ca-
pable d'iufpirer. La Gaprive adora la con-
duite de Dieu fur elle , fachant que J. C.
n'eft pas attache a un feul mo'ien pour coni-
muniquer fa grace,& que ceux qui participent
davantage a fon aneantiffement & a fon hu-
miliation peuvent fe confoler d'avoir plus
de part au myftere de cette fete. Elle demeu-
ra dans le filence jufqu'au 5 de mars, qu'en
difant fon office le jeudi de la feconde fe-
maine de caieme, elle crut devoir prendre
-ocr page 491-
de la mere Angelique. 489
fujet de l'Evangile du pauvre Lazare, pout
dtmander des miettes a un riche qui ne les
refufoit pas aux chiens & les otoit aux en-
fans de Dieu La mere Angelique faifoit voir
clairement dans cette lettre, qu'elle n'ctoit
pas coupable de defobeiflance ; puis elle ajou-
toit : pour moi je fuis perfuadeet quoi qu'il ar-
rive , que c'efl un moindre malheur d'etre
mime redulte a fouffrir que Von nous refufe
les miettes qui tombent fous la table de Jefus-
Chrifl, que de s'expofer en I'offenfant a ne
pouvoir obtenir dans toute Veternite tine gou-
te d'eau pour adoucir le feu de notre fupplice.
Quelques jours apres , une des meres lui ap- On Im com-
portade la rait de Mad. de Rantzauqui etoit ^unique un
it        l / ■ r i • •      i*       r       cent fur 1 o-
malade , un ecnt, ians lui nen dire, nnon b^iffance
que cette Dame la prioic de le lire. C'etoit reponfe.
un recueil de quelques paflages de l'Ecriture
& des Peres fur i'obeiflance due aux juge-
mens de l'Eglife 8c des Superieurs, dont on
faifoit ['application a raffaire de P. R. La
mere Angelique ecrivit a ce fujet une excel-
lente lettre, ou elle declaroit a Madame de
Rantzau , que c'etoit fe donner une peine
inutile de prouver qu'on doit obeiflance Sc
foumiffion aux Miniftres de Jefus-Chrift&
de l'Eglife , puifqu'il fufEfoit d'etre chretien-
ne & religieufe , comme elle l'etoit,pour
etre difpofee a donner fon fang pour cette
verite , comme pour tous les autres points
de la creance de l'Eglife. Elle difcute en-
fuite les textes du recueil, & fait voir que
tous font faurTement appliques a l'affaire
de P. R. Cette lettre, que la mere Angeli-
que a inferee dans la relation de fa capti-
vity , ne fut point envoice a Madame de
Rantzau; parceque cette Dame etant venue
voir la Prifonniere , celle-ci fe contents de
Xv
-ocr page 492-
4S>o            Relation abregee
iui dire de vive voix ce qu'elle penfoitde fort
ecrit , fans vouloir lui dormer fa lettre.
A l'egard de celle qu'elle avoit dcrite a M-
l'Archeveque pour lui demander la permif-
fion de communier a Paque, elle rut fans
efFet. Rien ne pouvoit etre plus fenfible a
une ame d fainte, qu'une telle privation,.
Mais elle eprouva en cette occafion, com-
me en plufieurs autres pendant fa captivite ,
33 qu'il eft prefque toujours vrai , ainfi.
33 qu'elle le dit, qu'orc fouffre davantage par
33 I'apprehenjion anticipee des chofes avant
33 qu'elles arrivent , que des chofes memes
33 lorfqu'elles font prefentes , & qu'il n'y a
33 point d'avis plus important & plus utile
33 dans ces occafions que celui de l'Evangile,
33 de ne point penfer au lendemain «. Long
terns avant les fetes de Noel 8c de Paque, elle
n'ofoit penfer qu'elle paflerok ces fetes fe-
paree de la communion , fans fentir une
emotion 8c un attendriflement fur elle-meme
qui lui faifoit redouter ce tems-la , non-feu-
lement par ladouleur d'etre privee d'une fi
grande grace, mais encore par une certaine
crainte Tiumaine de fe voir expofee aux yeux
de toute la maifon , comme une miferable.
que Dieu rejette & que FEglife abandonne..
Mais Dieu l'a toujours tellement afliftee dans,
ces rencontres, qu'elle temoigne ne pas fa-
voir fi jamais elle a paffe ces fetes avec plus
de confolation r felon 1'efprit. Revenons fur
Ille affifto <>. nos s_ -fsjous avonsvii que la mere Ange-
P. Nonet Ji- »lclllc 'ut pnee dene point venir au cnoeur
fuite, & i cc- pendant quelque terns. Elle y revint a Noel,
lui Ai'un au- s'y croiant obligee pour ne pas paroitre s'ex-
tre Jefmte,& communier elle-meme.
Knee C°d'im La cn"nte de caufer du fcandale , fi apres
iroi&me Je- avoir affifte a Yepres eile fortoic du cWur ,
fuitc
-ocr page 493-
de la mere Angelique.         491
pour ne point entendre ie Sermon , la deter-
mina a y rcfter le jour de l'Epiphanie que 1c
Predicateut finiflbit fa ftation. Ainfi elle en-
tendit pout la premiere &-dernicre fois le fa-
meux Pere Nouet: « fort fermon , dit-elle ,'
» fiut tout de I'amour de Dieu & affe%_ pathe-
jj tique «. Elle affifta encore a deux auttes
fermons , dont le premier preche par un Je-
fuite venu du Canada fut fort utile pour elle.
» Car il ne fut que de la neceffite & des
» avantages de la fouffrance , qu'clle eft la
3) marque des Elus, & que la perlecution eft
» la recompenfe de la jultice.
Le fecond fut une conference fur la re-
novation des vceux , que les Annonciades
font le jour de l'Annonciation. Le Predica-
tes etoit un vieux Jefuite des plus anciens
de fa Compagnie , nomme le Peredu Breuil ,
qui parloit encore fan vieux gaulois, mats
qui dans le fond fit un difcours tout-a-fait
fiolide, & qui fuppofoit les bonnes maximes
de la grace.
La mere Angelique dit qu'ellc
eut une fiatisfattion particuliere de voir la
grace viBorieufie dans la bouche de fes enne-
mis , quand mime ce ban homme ne le feroit pas
perfonnellement ; car toujours ,
dir-elle , il
■ en parte I'habit.
Apres la ceremonie , la Su-
perieure parlant a la mere Angelique de ce
vieux Jefuite , lui dit qu'il etoit confefleur
des Jefuites , ce qui lui donna grande com-
panion ,
de ce bon homme , qui prenoit fur
fa confidence les peches de ious les autres defia
maifion.
Depuis fon arrivee aux Annonciades , la 0n m j,
Prifonniere avoit toujours dte enfermee jour tient phis en-
&. nuit fous trots pones; maisune religieufe fermec foas
de cheeur qu'on fubftitua a une Converfeclets*
qui etoit fa premiere Gcoliere lui Liiffa ua
X vj
-ocr page 494-
45>*              Relation abregee
peu plus de liberte , ne fermant pas fi exadle-
ment fes pones. La mere Arigelique a'iant
offert enfuite a la fuperieure d'en agir a fori
dgard comme on en agit a i'egard des pri-
fonniers de guerre qu'on laifTe aller fur leur
parole , avec promeiTe de fa part, qu'elle
ne parleroit a perfonne, & qu'elle ne forti-
roit pas plus de fa chambre que lorfqu'on l'y
tenoit enfetmee , on cefla de fermer les por-
tes , & quelques jours apres on lui laiffa la
liberte de fortir feule aux conditions qu'elle
avoir propofees. Ce fut au commencement
de fevrier qu'on lui donna cette efpece d'e-
largifTement.
°" !l" *P" Elle apprit dans le meme mois la chute
t"de la four ^e 'a '"oeLir Gertrude , qui l'eronna & l'af-
GenruJe , & fligea beaucoup , mais fans l'ebranler. Col-
on lui dit que les qui lui annoncoient cette trifte nou-
la mere A- veue ? iuj alant fait entendre, pour achever
pofle'a fllde Taccabler, que la mere Agnes etoit prete
gner. Sa dou- ^e figner & qu'elle avoit demande a parler
leur.
            a quelqu'un , elle demeura dans le moment
comme une perfonne ajfommee. >= Je n'ai de
m ma vie lien fenti de pareil , dit-elle, &
53 je crus que j'en mourrois. Je ne pouvois
=3 plus refpirer & mon pouls droit tout ren-
*> verfe de l'agitation d'efprit epouvantable
=3 ou je fus plufieurs heures. Car ce ne fut
33 pas feulement l'apprdhenfion d'un fi grand
33 malheur qui me troubla ; mais ce fut des
» penfees fi accablantes fur la conduite ter-
=3 rible de Dieu , s'il le permettoit, que j'ap-
33 prehendois le naufrage de ma foi, tant
33 cette tempete l'avoit agitee «.
La chute de la mere Agnes, fi elle etoit
arrivee , & le fcandale qu'elle eut caufe lui
paroifToient une chofe fi contraire a routes les
ptomeiles de Dieu & la jettoknt dans un
-ocr page 495-
nripgKr- "
de la mere Angelique. 49 £
It terrible effroi, qu'elle ne cro'ioit plus rien
voir fur quoi affefmir fa confcience pour ef-
perer en Dieu , s'il abandonnoit une telle
ame. Elles fe perdoit dans les terribles vues
qui lui venoient la-deflus; & fi Dieu, a qui
elle fe tenoit attachee, ne l'eut lui-meme
tenue par la main , elle alloit fe no'ier com-
me S Pierre par I'hefitation de fa foi. Elle
demeura long-tems profternee devant Dieu ,
refiftant tant qu'elle pouvoit a ces reflexions
qui I'accabloienc. Mais l'orage etoit nop
grand, Sc elle ne pouvoit venir a bout d'arrc-
ter l'ancre ferme de fon efperance. Enfin
apres bien du tems, bien des larmes & des
cris , plutot que des prieres , tout en un mo-
ment Dieu tendit le calme a fon efprit par
un mouvement vif qu'il lui donna de s'ap-
puier fur la verite de fes promefles par une
foi aveugle qui ne cherche pas des preuves
& des experiences , parcequ'elle doit avoir
un fondement plus immobile qui n'eft autre
que la parole de Dieu-meme.
Vers le meme-tems elle apprit que les foeurs
de Bregis & Briquet avoient et£ enlevees
& exilees ; elle benit Dieu avec une extre-
me reconnoiflance de la grace finguliere qu'il
faifoit de fi bonne heure a ces deux jcunes
fceurs , grace qu'il n'accorde meme que ra~
rement a ceux qui fe font confommes dans
fon fervice pendant plufieurs annees. Cette
joie qu'eut la mere Angelique en cette occa-
iion fut bientot fuivie d'une vive douleur,
lorfqu'elle apprit apres Paque la maladie Sc
la fignature de la fceur Fran^oife Claire,
dont on lui annon^a la mort le lendemain.
Dans ces circonftances , la reffource de la
fainte Prifonniere etoit de recourir a fon
refuge ordinaire } la priere & la parole, de
-ocr page 496-
494             Relation abregee
Dicu. Elle le fit dans celle-ci, & ouvrant fit
Bible, ces paroles fe prefenterent a fes yeux :
Prov. 5. jaculum & gladius & fagitta. acuta homo
qui loquitur contra proximum fuum falfum
teflimonium.
Ce qu'il y a de remarquable, la
meme chofe arriv'a a la fceur Euftoquie exi-
Ice a Saint Denis, qui aiant ouvert fa Bible
dans la meme circonftance tira le mime
Ver/et.
Elle fait l'e- La mere Angclique s'etant trouvee fort
xamen fince- mal avant le careme , elle crut devoir met-
re du fond tic par ecrit fes fentimens pour prevcnir en
defoncocur. cas de mottle fcandale qu'on pourroit pren-
dre de l'etat dans lequel on l'auroit laiffee
mourir. Cet ecrit fe trouve dans la relation
de fa captivite fous ce title : examen Jincere
du fond de mon cceur aufujet de la fignature :
c'eft une apologie fans repliqie , dans la-
quelle elle fait voir, de la maniere la plus
convainquante , qu'elle n'eft point coupa-
ble de defobeiiTance en refufant la fignature.
II paroit par l'examen qu'elle fait dans cet
ecrit dufond de fon coetir , que la faute pour
laquelle on la prive des Sacrcmens eft vrai-
ment le piche imaginaire.
Vers la fete de Paque les bonnes meres
commencerent a exhorter leur Prifonniere a
ne point la laifler pafier comme les autres,
fans communier ; & comme la Superieurc la
prerTbit, elle repondit que , *> regardant la
» fignature comme un peche mortel, on de-
al voir bien juger qu'elle auroit plus d'e'loi-
*> gnement de le commetre a la fete de Pa-
ss que qu'en un autre terns, & qu'elle ne
» voudroit pas repandre !e fang de Jefus-
» Chiift avec fes bourreaux pour manger
35 fon corps avec les Pideles.
Les religieafes voiaat l'jatiepidi^ de cetse
-ocr page 497-
de la mere AngeUque.         49 f
victge chrdtienne , effa'icrent de 1'ebranler _ . . „_,.
par la crainte des nouveaux maux dont 11s nonce une
lui firent entendre qu'elle etoit menacee. Ces bulle qui de_
nouveaux maux etoient une Bulle qu'cn at- voitl'excom-
tendoit, par laquelle elle devoit etre excom- n)"111"- s*
muniee, a quoi la Sup£rieure ajouta qu'elle IC?0
ne pourroit plus la garder dans fa maifon , &
qu'elle prieroit M. l'Archeveque dc !a reti-
ter : la Prifonniere repondit avec fermete ,
qu'elle 53 etoit a Dieu , qu'il feroit d'elle
« tout ce qui lui plairoit, & qu'elle crai-
« gnoit plus de fe feparer de lui en l'offen-
=' fant , que d'etre excommuniee pour lui
» avoir ete fiddle- «. Ces reponfes & beau-
coup d'autres qu'elle faifoit dans 1'occafioii,
Ies raifons folides qu'elle donnoit defa con-
duite , deconcertoient fouvent les meres
geolieres. On peut meme dire que quclque-
i'ois elles faifoient fur leurs efprks dcs im-
preffions femblables a celles que firent autre-
fois les paroles de S. Paul fur le Roi Agrip-
pa , mais c'etoit la femence qui tombe fa-;
le grand chemin, oii les oifeaux du Ciel la
mangent: les Jefuites qui conduifoient cetre
maifon, venant auflitot, empechoient les ef-
fets qu'eflent pu produire les paroles de vie
qui fortoient de la bouche de cette vierge
chretienne. D'un autre cote, M. de Rantzau-
ne contribuoit pas peu a entretenir ces re-
ligieufes dans leurs prejuges. Cette Dame
livroit fouvent dcs attaques a la Prifonniere.
3> Une fois en parlant de ces menaces d'ex-
» communication , elle difoit que c'etoit
» une chofe horrible d'etre excommuniee
» du Pape. La mere Angelique repon-
dit gravement . » qu'il n'y avoit qu'une
» confolation , qui eft qu'il arrive quelque-
» fois que les lucceffeuis de S. Piene irni-
-ocr page 498-
49^           Eolation abregee
" tent un peu fa promptitude a tirer I'epe'e,
» & qu'ils frapenr trop-tot comme lui, fans
n attendre la permifllon de Jefus-Chrift ;
» mais qu'alors Jefus-Chrift gudiit, comme
» en ce tems-la , l'oreille qu'ils ont coupee ,
" & augmente interieurement la foi &. la
" charite a ceux qu'on a fepaves fous pretex-
33 te de defobeiffance «. Elle ajouta ■» quelle
» efperoit qu'il leuren arriveroit ainfi, fi on
" les excommunioit injuftement.
La nouvellede la Bulle ne lafurprit point,
car elle croi'oit encore pis des affaires & s'i-
maginoit qu'on mettoit tout a feu & a fang.
Lorfqu'elle entendit a la MefTe du Dimanche
dans foctave de 1'Afceufion ces paroles de
l'Evangile , abfque fynagogis facient vos ,
elle dit en elle-meme , ajfurement on public
la Bulle aujourd'hui,
ce qui fe trouva vrai.
En voi'ant depuis le Mandement , elle eut
une grande confolation de penfer que Jefus-
Chrift avoit regarde les religteufes de P. R.
en difant : ut cum venerit hora eorum} remi-
nifcamini quia ego dixi vobis,
Ce Mandement fut apporte deux jours
apres par le fameux M. Chamillard, dont la
Prifonniere n'avoit point oui parler depuis foil
enlevement. Le Porteur voulut la haranguer
& lui debiter fes raifons ordinaires , mais il
perdit fes peines. Apres cette vifite , la mere
Angelique , que ces bonnes Meres avoient
engagee a leur faire des cuvrages en cire ,
leur temoigna qu'elle defiroit n'emploier
plus le tems que Ton lui laiffoit encore a
vivre , qu'a la priere. C'eft ce qu'elle fit depuis
la publication de la Bulle , ne cefTant de de-
mander a Dieu qu'il lui fit la grace de la
fortifier , afin qu'elle fut digne de le fui-
vre par-tout oil il lui plairoit de la conduire.
-ocr page 499-
.......
de la mere Angeliqiie.         497
Elle&oit peifuadee qu'elle mourroit dans (on
exil, & n'envifageoit que cela , afin de n'e-
tre furprife de rien.
C'eft pourquoi elle' fut extremement fur- Admlrablel
prife, lorfque Madame de Rantzau alia le^^,.
i juillet lui annoncer que M. 1'Abbe de la jcs die ap-
Mothe etoit venu de la part de M. l'Arche- piend fa de-
veque, pour favoir d'elle C\ elle feroit bien livtance.
aife d'aller trouver la mere Agnes a fainte
Marie, & que peut-etre de-la on la meneroit
a P. R. des Champs. Elle aflifta ce rneme
jour a un fermon , dans lequel le Predica-
tes parla de la fin & de l'utilite des vifites
chretiennes. Cette rencontre avec le cbange-
ment d'etat dans lequel elle alloit entrer, fit
une forte impreffion dans fon efprit fur l'a-
vantage de la retraite d'oii elle alloit fortir
& fur les tentations inevitables qui accom-
pagnent la converfation extdrieure avec les
creatures. Elle fe fentit tout-a-fait indiffe-
rente a ne point defirer ce changement, mais
a ddpendre abfolument du choix qu'il plai-
roit a Dieu de faire pour elle. Elle fut fi oc-
cupee de cela devant lui , qu'elle n'ecouta
plus le refte du fermon ; & dans ce fendment,
dit-elle, je n'aurois pu dire ni oui ni non ,
Ji on m'eut demande ce que je dejirois ou de-
demeurer ou de fortir.
Ce qui lui infpiroit ce
fentiment, c'eft que fa folimde I'aiant accou-
tumie a ne plus fe regarder que toute feule
dans le monde avec Dieufeul, it ne fe pre-
fenloit que cela d'abord a fon efprit.
Nous
laiffons au Ledeur a faire fes reflexions fur
des difpofitions fi parfaites, Sc fur le deta-
chement & le renoncement a foi-meme dans
un degre auffi eminent & aufli furprenant.
Car quel eft homme, qui fut indifferent a
fortir de prifon pour fe riunir avec ce qu'il
-ocr page 500-
49 8            Relation abregee
a de plus cher au monde} je me donnai dortc
a lui,
( a Dieu ) continue cette admirable
vierge chrctienne , dans line entiere indiffe-
rence ,
ce me fembloit, & je le priaimeme
avec les paroles de S. Andre , qu'il ne permit
point qu'on me detachat de fa croix ,parceque
fen avois connu lavertu & l'utilite,& qu'tn
quelqu'etat qu'il lui pint de me mettre , je de-
Jirois d'y demeurer attachee avec lui & y mou-
rir comme lui ;
Elle a regarde depuis ces fen-
timens comme les vaux df fon cozuryqueje
me fuis obligee ,
dit-elle , de rendre a Dieu,
quoique je ne les ale pas prononces de mes
levres. Et je veux bien en les ecrivanl avoir
des temoins que je fuis engagee a fouffrir tout
te qu'il luiplaira ,
& in carcerem & in mor-
<:crrimenstem ire > avec Je/us-ChriJl.
d-s
Annon- Les Annonciades etant aiTurees qu'elles fe-
o.ides pourroient bientoc dechargees de leur prifonnie-
. I,r'fon_ re , lui temoignerent avec plus de liberte
route l'affeiEtion qu'elles n'avoient ofe lui
faire paroitre , pendant que l'obeiffance
les en<2;ageoit a lui tenir lieu de geolieres. La
Superieure en lui parlant de fa fortie, eut
plus d'une fois les larmes aux yeux, & lui
dit que fi elle eut figne , elle ne favoit fi elle
auroit jamais pu fe rcfoudre a fa fortie. La
Prifonniere repondit aux marques d'amitie
qu'on lui donnoit, 33 ne temoignant aucun
*> empreffement pour fa delivrance , parce-
ls qu'elle ne failoit en cela que fuivre la
m difpofition oii Dieu la mettoit , qui la
33 rendoit indifferente aux chofes & aux
33 circonftances, pour ne point vouloir ea
*> quoi que ce foit prevenir fon ordre par fes
m defirs.
Madame de Rantzau , qui a l'exception
de rankle de la fignature 3 en ayoit ties
-ocr page 501-
de la mere Angelique.         499
.bien agi avec elle, lui donna toutes fortes
de marques d'affection. La mere Souprieure
ne lui temoigna pas moins d'amitie , & l'af-
fura qu'elle n'avoit point eu d'autre peine
que d'avoir ete contrainte d'en agir a foil
egard, comme on les y avoit obligees. La
mere Angelique de fon cote fit une recapitu-
lation de tous les bienfaits qu'elle avoit re-
$us d'elles, pour leur faire voir qu'elle en
avoit de la reconnoiffance. Elle n'oublia pas
les inftances qu'elles lui avoient faites dans
une occafion,de prendre leur habit pour affifter
a la veture d'une fille. , ou le Pere Senaulc
devbit precher. Elle rappella les foins qu'elles
avoient eus de fa fante , en lui faifant un
ordinaire a part,les jours qu'elles ne man-
geoient pas maigre. Elle leur dit qu'elle
etoit honteufe de ce qu'elles l'avoient trop
bien traitee pour une prifonniere , Taians
mife au rang de leurs fours, jufqu'a vouloir
lui donner part a leurs fetes les jours qu'on
traitoit la Communaute. La mere Angelique
ajouce que cela lui avoit donne tant de fcru-
pule , par la crainte d'avoir part a la fimo-
nie , parcequ'elle croioit que ces feftins
etoient du marche , qu'elle avoit effaie tous
les mo'iens de ne point manger de ce qu'on
lui donnoit ces jours-la. Mais la crainte de
les fcandalifer lui fit prendre un milieu , qui
fut de ne manger que de ce qui etoit com-
mun , 8c de lailfer l'extraordinaire , comme
les pates, bifcuits, &c.
Ce fut dans cette occafion que la mere
Angelique apprit de quelle maniere les An-
nonciades, preflees parM. de Paris, avoient
confesvti par la crainte de fe brouiller avec
Jui, .a la recevoir dans leur maifon , contre
\me maxime de leur regie , qui defend de le-
-ocr page 502-
506             Relation abregee
cevoir aucune religieufe etrangere; & a la-
quelle elles etoient fi ^troitement attachees ,
que pendant la guerre de Paris elles s'etoient
mifes mal avec des perfonnes de cqnfidera-
tion & de leurs amies, pour n'avoir pas vou-
lu recevoir des religieufes eirangeres proches
parentes de quelques-unes de leurs fxurs. Ce-
la donna occafion a la mere Angelique de
faire une fage reflexion fur les efFets du faux
zele qui s'autorife de la regie , en refufant
d'affilter de pauvres religieufes, donr le falut
depend peut etre de rencontrer un afile pour
fe fauver des perils du monde ; & qui pafle
par-deflus la regie lorfqu'il s'agit de recevoir
une religieufe innocente pour la tenir en cap-
tivitd & prendre ainfi part a l'opprerTiori
d'une Communaue perfecutde , en fe rendant
minifhe de l'iniuftice qu'on fait a des reli-
gieufes innocentes : c'eft ainfi qu'on fe dif-
penfe dela regie pour faire du mal, & on
ne croit pas qu'il foit permis de s'en difpen-
fer pour faire du bien.
Apres avoir fait fes remercimens, la mere
Angelique demanda comme une grace de
voir la Communaute pour fe recommander
a fes prieres, & la permiffion d'embraffer la
foeur Marie-Cherubine Chapelain, qui avoit
une tante & deux foeurs religieufes a P. R.
ou elles etoient mortes,. & oii elle avoit etc1
elle-meme penfionaire. La Souprieure, a qui
la Prifonnierc avoit fait txtte demande , per-
mit de folliciter le lendemain ces permif-
jfions , mais des ce jour meme, z juillet, a
neuf heures du foir on la vint prendre pour
la conduire aux Saintes Maries du Faux-
bourg S. Jacques, d'oii elle fut transferee a
P. R. des Champs, comme nous l'avons rap-
port^ ailleurs (j).
($) T. 5. p. }87&fuiv.
-ocr page 503-
i*y~ - -
de la mere Angelique.         501
De toutes les relations des religieufes de
I\ R. , qui ont ete captives, la plus detaillee
& la plus importante eft celle dont nous ve-
nons de parler. II feroit bien a fouhaiter
qu'elle eut £te & quelle fut encore entre les
mains de tant de vierges chretiennes , qui
ont ete &c qui peuvent etre encore reduites
en fervitude : elles yauroient appris & y ap-
prendioient que la terre de captivite n'eft
pas comme on le croit, un pais qui devore
fes habitans, mais que le fond en eft tres
fertile quoiqu'il ne foit pas arrofe par les
fleuves de la terre comme l'Egypte , parce-
que la pluie volontaite que Dicu y fait torn-
ber quand il lui plait, y produit des fruits
plus doux que Ton n'en recueille par-tout ail-
leurs. En puifant dans cette relation des lu-
roieres pour fe foutenir dans un dtat qui paroit
li terrible a la nature , les religieufes capti-
ves auroient appris quelles font les confola-
tions que Dieu repand dans le cceur des per-
fonnes qu'il y appelle ; & que les larmes
qu'on y verfe font remplies de confolation
& d'un plaifir faint 8c plus grand que toutes
les joies du monde. Une vierge chretienne,
reduite en fervitude comme la mere Angeli-
que, a caufe dejfon amour pour la verite', ad-
mirant la conduite &c la mifericorde de Dieu
fur elle, regardant Jelus-Chrift comme fon
Paftcur aufli applique a elle que li ellc etoit
la brebis de la parabole de Nathan, fe perd
dans l'admiration de fes graces , & fe fortifie
de plus en plus dans l'amour de la verite' ,
pour laqueile Dieu lui fait la grace de fouffrir.
-ocr page 504-
tit tit mil iwiniw^
A C T E
TESTAMENTAIRE
De la faur Anne - Marie de Sainte
Eufioquie de
FlefceU.es de Bregy.
J5 J E fouffignee , quoique depuis mon re-
jj tour en cette maifon de Port-Roial des
33 Champs, je me fois jointe & unie a tous
*> les adtes , appels, proteftations & autres,
m que nos fours qui etoicnt a P. R. de Paris
» ont faits depuis mon enlevement dudk
» monaftere le 19 novembre 1664, & par
33 confequent a celui de moit qu'elles fi-
33 rent le 7 juin 1665, neanmoins je crois
33 devoir renouveller & confirmer fade que
3; j'avois commence a drerter aux Urfulines
33 de Saint Denis , & que je n'avois pu ache-
» ver a caufe de l'extreme captivite ou j'y
33 etois reduite, afin que (i j'etois afTez mal-
33 heureufe , ( ce que je prie Dieu de ne pas
33 perrnettre ) pout me rendre a quelque fouf-
» ciiption contre Janfenius, ou contre les
3j perfonnes qui nous ont toujours condui-
33 tes , toutes les perfonnes equitables me
33 rendent cette juftice de croire, que cette
33 fignature ne feroit qu'une chofe involon-
3> taire, extorquee par force ou par adreffe,
» un effet funefte de la mifere humaine, ou
33 enfin un abandonnement terrible de Dieu ,
»-'qui auroit peut-etre puni en moi par un
33 jugemenr qui me remplitde frai'eur, quel-
33 que paffion fecrete, & quelque cupidite in.-
»3 jufte, par un jugement ti«. jufte.
» Je declare done en la prefence de Dieu ,
-ocr page 505-
Acle Tejlatnentaire.          505
» & avec la meme fincerite que je le von-
33 drois faire , fi j'etois prete de paroltre de-
33 vant fon tribunal fi redoutable , & de tom-
33 bet eritre les mains de ce Dieu vivant,
33 que je n'ai vefufe la fignature , & ne pei-
33 fifte dans le refus , que par le feul engage-
33 ment de ma confcience, fans confidera-
33 tion humaine , fans prevention d'efprit,
33 fans attachement a mes propres lumieres :
33 que plus je confidere cctte affaire, plus je
33 vois clairement que je n'y puis pren-
33 dre part, fans violer la verite & la chn-
« rite ; ce qui n'eft pas un moindre cri-
33 me, felon S. Auguftin , que de violer
33 la faintete de Dieu meme : que le but de
33 la fignature dans l'efprit des ennemis de
33 la veritable grace de J. C. eft impie ,
33 puifqu'il tend a la miner-: que fon exac-
33 tion eft contre l'ordre & la difcipline dc
33 toute PEglife : que cette fignature contient
33 la fauffete , la calomnie , l'impofture , le
3> menfonge , le jugement temeraire , le faux
33 ferment , & l'injuftice la plus malicieufe :
33 qu'elle ne peut avoir d'autre fuite que
13 l'dtabliffement d'un grand nombre d'er-
33 reurs, & fur-tout l'herefie de I'infailUbi-
»3 liti : & qu'ainfi , dire que Dieu peut nous
33 infpirer de la faire, c'eft dire que Dieu
>3 peut etre oppofe a lui-meme, & qu'il peut
33 nous porter au violement de fes Comman-
33 demens les plus inviolables; & dont en
3> effet il ne peut difpenfer, felon un Pete ,
33 qu'en ceffant d'etre jufte , d'etre bon &
33 enfin d'etre Dieu. Je fuis done tres per-
33 fuadce que la fignature ne fe peut faire
33 par principe de lumiere & de verite, mais
33 bien par un effet de cct enchantement
53 dont l'amour des chofes de la terre & la
-ocr page 506-
504          Acte tejlamentaire
'■> crainte des hommes eft la caufe, & qui
» obfcurcit dans nos ames la connoiffancc
*> 8c l'amour da veritable bien. Soit que
" je confulte les lumieres de la foi & de I'E-
» vangile, ou que je confidere la conduite
" des hommes dans cette affaire, je trouve
« que ce jour & cette nuit m'etabliffent
n fortcment dans cette divine fcience,qu'il eft
» uniquement bon de s'attacher a Dieu ,
» qui eft la verite , & d'aimer aufll parfaite-
» ment & purement la juftice, que de hair
11 parfaitement l'iniquite. Je reconnois avec
» adions de graces, que c'eft Dieu par fa
» pure mifericorde qui m'a donne ces fen-
5 timens, que c'eft a fa feule proteftion que
3 je dois attribuer le defir de lui etre fidelle
>   & la confervation de ce defir dans un etat
5 ou tout confpiroit a me le faire perdre. Et
>  j'efpere que comme c'eft fa grace qui nous
■> a delivrecs & qui nous delivre, ce fera
>  elle auffi , qui accomplira cet ouvrage, en
>  rendant notre delivrance parfaite , enforte
. que jamais l'injuftice ne nous domine , &
>  que le pied des fuperbes ne nous ebranle
1 jamais, & ne faffe jamais fortir les notres
■  d'une voie auffi fainte que celle oti il nous
- amifes, qui devroit etre le fujet de notre
■  joie & de notre allegreffe toutes les fois
que nous y penfons. C'eft ce que je fupplie
de tout mon cceur tous ceux qui verront
cette prefente declaration , de lui deman-
der pour moi , afin que je puiffe etre de
ces ames dont le Prophete Ifa'ie a dit :
ceux qui fe confient au Seigneur , change-
ront de force, ils prendront des ailes com-
me l'aigle , ils courront & ne fe lafferont
point. lis mnrcheront & ne tomberont
point dans la defaillance, paiceque c'eft
-ocr page 507-
de la fieur Eufl.oqu.ie.          5 o J
» le Seigneur qui donne de la force aux per-
33 fonnes foibles & fatiguees , & qui augmen-
=> te le courage & la generofite de celles qui
33 ne le font point, c'eft-a-dire, qui demcurent
m toujours dans lefentiment de leur bafTefTe
» & de leur neant. Je les conjure de tenir
33 pour nul tout ce que je pourrois faire de
» contraire aux fentimens que je leur expofe
» dans une declaration que je veux Sc en-
33 tends qui foit regardce comme une dernie-
» re votonte , 8c de ne l'attribuer qu'a la foi-
y> blefle & a l'accablement, ou 1'afHiaion ,
» la maladie, & les importunites d'une infi-
« nite de perfonnes peuvent reduire. Je con-
33 damne & retra&e par precaution tout cc
« qu'on pourroit me faire faire dans un e^at
» qui ne fut pas abfolument libre; & je pro*
» tefte a toutes les perfonnes qui auroient
» travaille par elles-memes, ou par d'autres,
» a m'arfoiblir & a m'engager a cette injufte
33 lignature,que j'appelle d'elle au tribunal de
» Jefus-Chrift , dont elles veulent etonffer
35 l'efprit en moi ; que je prens fon fang ado-
33 table pour temoin contre eux, puifqu'au
» lieu de le vouloir boire avec moi, en par-
» ticipant au calice de fes fouffrances, elles
33 travaillent a le repandre & a en faire per-
33 dre le fruit a mon ame. Je prie Dieu
33 qu'il ne permette pas que ce malheur ar-
33 rive a qui que ce foit, mais que plutot
33 par la vertu de ce fang prdcieux que je
» prens pour temoin & pour avocat , il
33 rende dignes d'etre exerces avec nous tous
33_peux qui nous exercent & de laver leurs
33 ames dans le fang de l'Agneau. Et pouc
»3 temoigner la fincerite de cetre declara-
33 tion, & que je m'eftimerois heureufe de
* donner ma vie pour la Y^i'ite , comme
Tome Fill.                   Y
-ocr page 508-
506* Acte tejlamentaire j &c.
55 Jefus-Chrift memc a livre la fienne pout
33 lui rendre temoignage , je figne le prefent
33 Acte teftanacntaire de mon fang , & je
33 fouhaiterois de le faire pafier par devant
35 Notaite, fi l'etrange captivite, oii nous
35 fommes ne nous en otoit le mo'ien. Fait
as & figne dans notre Cellule du monaftere
35 de Port-Ro'ial des Champs ce 18 juillet
si 166 j , fceur Anne-Marie de SteEuftoquie.
RELATION
A B R E G fi E
De la captivite de la fceur Madeleine
de Sainte Chrijline Briquet.
ta fain- I jA fceur Briquet fut enlevee par M. l'Ar-
Btimiet eft cheveque Ic ijdecembre 1664, comme nous
kTteiTgfeufts1'^0118 raPPor^ aiIleuts W ' & conduit£
dc sainte Ma. Parn Aumonier chez les religieufes de
tie.
             Sainte Marie , pres la porte Saint Antoine.
Cette vertueufe fille, fe vo'iant arrachee du
lieu oil elle s'eioit confacree a Dieu , eut le
cceur ddchire en autant de parties qu'il y avoit
de perfonnes dans la communaute dont on
la f^paroit; mais d'un autre cote elle etoic
ravie d'admiration de la grace que Dieu lui
faifoit de fouffrir pour fa verite. Etant arri-
vee dans le lieu de fon exil elle appercut dans
la chambre du Tour une image de la paffion
de Notre-Seigneur, devant laquelle elle fe
mit a genoux , reconnoiflant qu'il n'y avoit
14) T. j. p. !8?,
-ocr page 509-
Relat. abreg. de lafceur Briquet. 507
plus pour elle que Jefus & Jejus crucifiL
L'apprehenfion qu'elle avoit toujours eue d'e-
tre relegude dans une maifon de cet ordre ,
a caufe des liaifons de ces religieufes avec
les Jefuites, lui fit juger qu'elle auroit bien
des mortifications a efluier ; c'eft pourquoi.
elle s'offrit a Dieu , refolue de tout fouffrir ,
fans jamais rien temoigner de ce qui lui fe-
roit de la peine. Elle fe mit fous la protection
de la mere Angelique, la priant de lui faire
reflentir les effets de fa charite', & prit la re-
folution d'obferver tout ce qu'elle favoit
que cette Sainte Abbeffe auroit pratique fi
elle fe fut trouvee reduite dans le meme
etat.
Auffitot qu'elle fut entrde dans la maifon, son entree
fe mettant a genoux devant la Superieure , daus la mai-
elle lui dit qu'elle venoit dans fa maifon par fo11-
l'ordre de M. I'Archeveque , qu'elle s'efti-
meroit heureufe d'y vivre dans la folitude
fans prendre part a rien , uniquement occu-
pee a prier Dieu &c a faire penitence. Elle
lui promit de lui rendre une entiere obcif-
fance en tout ce qu'elle pourroit defirer d'cl-
le , qui ne feroit pas contraire a ce qu'elle
devoit a Dieu. La Superieure la recut ailez
froidement, & lui repondit que e'etoit un
grand point de dire qu'elle venoit pour obeir,
& ajouta qu'elle prioit Dieu qu'il lui en fit
la grace.
On la mena enfuite a la Chapelle de Saint
Iran^ois; apres quoi la mere de Ponthar- fon
"iQ ce
train vint la prendre pour la couduire dans
fa prifon. Elle commenca par vifiter fon
fac, oil elle trouva les ConfeJJlons de Saint
Auguftin ,
avec I'Imitation , la Vie de la.
Vierge, & le Cceurnouveau :
la Geoliere lui
dit 5 cm'on venoit Qt qu'il faudroit faire de
Yij
-ocr page 510-
Jo8             Relation abregee
ces Livres , » parceque M.l 'Abbe de Blam-
=■> pignon leur Superieur, avoit abfolument
33 defendu qu'elles en luffent aucun traduic
=» ou compofe par les Janfeniftesct. La Pri-
fonniere aiant repondti , qu'elle n'avoit point
de Livres que M. l'Archeveque leur Supe-
l'ieur ne leur eut pcrmis de lire , elle fut fa-
tisfaite , & lui apporta le lendemain les Li-
vres du P. Saint Jure & du P. Hayneuve.
L'apres dine la Superieure vint la voir,
lui parla aflez froidement, & d'une maniere
qui fit voir a la fceur Briquet qu'on lui avoit
donne des inftruclions fur fon compte. Elle
lui dit qu'elle avoit refuie d'abord de la re-
cevoir, aufli bien que pas une de fes fcc-urs,
jrcais que M. de Paris Ten avoit prefTee ; elle
ajouta qu'elle penfoit que la fceur Briquet
aiant a fortir de fa maifon, elle n'etoit pas
fachee d'etre dans la fienne plutot que dans
une autre.
La Prifonniere repondit fort /implement que
non ,
» parce qu'en y venant, elle accora-
« pliflbit la volonte de Dieu , & non la fien-
» ne , & qu'elle ne fe regardoit plus que
« comme une per forme qui eft en Purgatoire ,
33 qui n'a plus d'autre foin que celui de fa-
« tisfaire a Dieu pour fes peches, & qu'elle
33 feroit auili contente pour ce fujet d'al'er
33' en Canada ou dans un cachot fi on vouloit
3> l'y mettre cc. Le lendemain la Superieure
vint encore la voir, lui parla avec bonte, 8c
lui dit de 1'envoi'er chercher lorfqu'elle le ju-
geroit a propos, pour la rejouir, parccqu'elle
ne doutoit point que dans 1'etat ou elle e^oir,
elle n'eut fouvent de mauvaifes heures a puf-
fer.
La Prifonniere apres l'avoir remerciee ,
lui dit qu'elle n'aprehendoit point d'avoir de
mauvaifes heures,
puifqu'elle ne pouvoit re-
-ocr page 511-
-
de tafcmr Briquet.           Jo«f
garder comme telles , les heures que Dieu
lui donnoit pour accomplir fa volonte, 3C
qu'elle ne cherchoit point d'autre confola-
tion que celle qu'elle trouvoit au pied de fon
Crucifix.
Trois jours apres, la Prifonniere fe$ut la Vifite de
vifite de Madame Bignoa , qui lui fir offre Madams Bi"
de fervice. La feule chofe que fa foeur Briquet g
lui temoigna defirer, fut d'avoir la liberti* de
paffer tous les jours une demie heure de tems
devant le Saint Sacrement; ce que cette Da-
me lui obtint, non fans difficulte , & a con-
dition que ce feroit le matin enfuite de la
Meile. Madame Bignon pria la Sup^rieurC
de ne lui point parler de fignature ; elle ne lui
en parla point les trois premieres femaines;
mais elle lui fit des calefies exceffives, qui
lui etoient plus penibles que tout ce qu'elle
eut pu lui dire. La fceur Doublet, qu'on avoit
aflociee a la mere de Pontchartrain , en qua-
lite de Geoliere, faifoit la meme chofe.
La Supeiieure avoit trop de penchant a taSupMeu-
parler de fignature , pour pouvoir garder Je 'U1 Prgchc
long-terns le filence fur ce fujet. Le bref ar- u (lSnamre*
rive a Paris le 7 ou 3 de Janvier , dont elle
fut auffitot informed par M. d'Evreux & par
les Jefuites , lui en fournit une occafion a.
laquelle il ne lui fut pas pofilble de fe refu-
fer. Elle le fit done , mais avec fi peu de
fucces , qu'elle finit par prier la Prifonniere
de confultcr quelque perfonne habile qui fut
neutre & definterefTee. Ule ofFrit meme d'ert
envoier chercher a cent lieues de Paris , &C
de faire les frais, fi elle n'en trouvoit pas d af-
fez habile dans la capitale. La Prifonniere
qui n'avoit pas befoin de confulter pour fa-
voir fi elle offenferoit Dieu en fignant un fait
qu'elle ne croioit pas , la remercia de ces
Yiij
-ocr page 512-
510            Relation ahregee
offies obligeans, qu'elle n'accepta point. De-
puis ce tems la Superieure jugeanc que la par-
tie n'^toit point egale, elle cefla de parler
direftement de fignature du formulaire , &c
fe renferma dans des difcours generaux fur
I'obeifFance , citant des pafTages de l'Ecriture
& de S. Francois de Sales, qui contenoient
des verites, dont la foeur Briquet etoit bien
inftruite & bien perfuadee; mais qui ne prou-
voient point,
dit-elle , qu'il y eut du mal a
douter d'unfait contefti , ni qu'on futobligi
d'obeir aux hommes plutot qu'd Dieu.
Quelquefois la Superieure , reprenant cou-
rage apres avoir recu des lecons des Je-
fuites , venoit les repeter a la Prifonniere ,
qui y repondoit foit par fon filence iaeme,
foit par la fagefie de fes difcours. La mere
Chevalier, que Ton fubftitua a la mere de
Pontchartrain en qualite de Geoliere (7), fie
audi des exhortations a la foeur Briquet fur
la fignature , dont elle nous donne une idee
affez jufte , en difant que la fignature eft urt
fujet qui fait quafi extravaguer les fages qui
la veulent perfuader
, comme il femble qu'il
fait au contraire parler raifonnablement les
plus Jimplts & les plus ignor antes a qui Dieu
fait la grace de la refufer.
Deux fois le jour ,
la mere Chevalier (8) faifoit une forte d'ex-
hortations fur un fujet qui fait extravaguer
(7) La mere de Pont-   lui apprendre des nouvel-
chartrain flit nommee Su-   les de la mere Agnes, &c.
pericure des filles de la (8) La mere Chevalier
Madeleine fur la fin du   changea beaucoup de fen-
mois de juivier 1665 :    timent au fujet des reli-
e'etoit une bonne reli-   gieufes de Port-Roi'al, &
gieufe , qui avoit eu d'af-    t£moigna depuis a la foeur
fez bonnes maniercs pour   Briquet plus de bonti
la Prifonniere, & qui lui    qu'elle n'en auroit jamais
donnoit la fatisfaaion de   ejperi.
-ocr page 513-
de tafceur Briquet           JIT
fit fdges mimes ; & lorfqu'elle n'en avoit pas
le loifir , la focut Marie-Angelique y fup-
pleoic. Celle-ci n'ofoit neanmoins lui par-
ler beaucoup de fignature , Sc fe contentoit
de lui temoigner un ardent defir de la voir
foumife (9). Un jour la mere Chevalier s'e-
chauffant plus qu'a l'ordinaire , elle dit a fa
Prifonniere , qu'elle « ne pouvoit s'empecher
» de croire qu'elle etoit poffedee & enfor-
» celee , puifqu'il etoit impoffible qu'elle put
» fans une caufe furnaturelle , petfeverer
" dans un etat, ou elle n'etoit confolee ni
» foutenue de qui que ce foit, furtout £tant
» jeune.
Oui , fans doute il dtoit impoffible que
la foeur Chriftine put perleverer dans un tel
£tat fans une caufe jurnaturelle. Mais la
caufe furnaturelle qui la confoloit & la fou-
tenoit dans une fi grande epreuve , etoit la
force de la grace. Si la mere Chevalier avoit
eu autant de bonne foi que les Enchanteurs
de Pharaon , elle auroit dit le doigt de Dieu
eft lei.
Cette bonne mere s'emporta encore
une autrefois contre la Prifonniere parce-
qu'elle rejetta la propofition qu'elle lui fit
de confulter un certain Pare Damafcene ,
dont elle lui fit un grand eloge. Rien cepen-
daiit n'etoit plus fage que la conduite de la
foeur Madeleine-Chriftine , rien de plus con-
forme a ce que S. Paul & apr«:s lui les Pe-
res de l'Eglife enfeignent, favoir que lorf-
qu'on eft inftruit & perfuade de la verite ,
il ne faut plus rien ecouter , & etre pret de
dire anatheme a quiconque nous enfeigne-
(9) La four Doublet ree dans fa maifon, quoi-
etoit une religieufe ties qu'aflez jeune.
k ifetvenu:, & fort confide-                                     ,
Yiiij
-ocr page 514-
511          Relation abregie
roit quelque chofe de contrairc a ce que
nous avons appris. La chute de celles des
religieufcs de P. R. qui tomberent, ne
vint que de ce qu'clles ne fuivirent pas cctte
maxime , dont on ne peut s'ecarter fans s'ex-
pofer au naufrage.
La fceur Chriftine , qui avoit refufe de
confulter fur un fujet fur lequel elle n'avoit
aucune difficulte , accepta neanmoins Toffre
qu'on lui fit d'affitter aux conferences que les
Jefuites venoiem faire aux religieufcs; tou-
tefois elle n'y a/fifta point, foit qu'on flit
content de fa docilite , foit pour d'autres rai-
fons. Ce fut un gain pour elle. Pour faire ju-
ger de ces conferences , elle rapporte fur la
parole de trois religieufes ce qu'un Jefuite
oebita un jour dans une de ces confe-
rences , pour leur faire voir jufqu'oii va la
condefcendance des Peres de la Societe a l'e-
gard des p^cheurs (10). Perfonne ne les ac-
<ufe d'en manquer. v
(10) Ce Jeruite ( qui   qu'il lui promettoit de ne
Vraifynblablement eft ce-
   lui point parler de confef-
lui a qui l'avants:re eft ar-
    fion , mais qu'il croi'oit
rivee ) leur raconra qu'un
    qu'il vouloit bien faira
jeune homme de condi-
    des aftes de foi, de edi-
tion , apres avoir parte
    trition & autres neceflai-
fa vie dans le libertinage ,
    res pour bien mourir.Le
etant tombe malade a
   malade y confen.it ,& le
1'extremite , ne vouloit
   Jefuite les lui fit faire.
po nt entendre patler de
    Puis il lui ilemanda , s'il
confertion ,8c vouloit ce-
   vouloit bien faire un
pendant bien recevoir les
   cchange avec lui de Fes
autres Sacremens. Un Je-
   bonnes cruvres, &c de lui
fuite aYant ete appelle ,
    donner fes pecbes. Le
aulfiiot qu'il 1'appcrcut,
    malade aecepta I'otfre. T e
il s'ecria qu'il n'avoit que
   Jefuite ceda routes fes
faire d'approcher , qu'il
    bonnes ceuvres, prit tous
ne vouloit point fe ion-
   les peches fur fon comp-
ferter. Le Jefuire lui dit
   te , donna l'abfolution
it n'avoir point peur ,
    & fe retira. Puis il reyiRt
-ocr page 515-
de la faur Briquet.           51 3
Vers la mi-careme la fceur Chriftine eut
la confolation d'apprendre des nouvelles de
M. de Sevigne , qui lui euvo'ia 1'excellent
ouvrage intitule , la rtligieufe parfaite £•
imparfaite. Mais le Livre tie lui fut remis
qu'apres la decifion de M. de Paris , qui de-
clara que c'etoit lui-meme qui avoit permis
qu'on le lui donnat, Sc qu'il l'avoit approu-
ve. La Superieure en le lui remettant malgre
elle, dcclama beaucoup conue le Livre 8c
contre la mere Agnes qui l'avoit compofe.
Sur la fin d'i careme la Superieure raiou-
vella fes careil'es Sc fes exhortations, fe per-
fuadant que la Prifonniere figneroit pour ob-
tenir la communion ; & fut ce qu'elle luidit
qu'elle confentiroit de voir M. Cheron, ou.
M. de SainteBeuve, ou memeun desGrands-
Vicaires, elle ecrivit a M. de Paris , & lui
donna quelqu'cfperance qu'elle fe rendroit.
Le Prelat fiatte de cette efpc ranee repondic
a Theure meme , marquant qu'il feroh ac-
count promptement pour [avoir ce que la chere
four Briquet dafiroit, s'il n avoit ete arreii
par un fort gros rkiime.
Ne pouvant done
account, il envo'ra un Grand-Vicaire, qui
vo'rant que la fceur Briquet n'ecoutoit ni fes
faux railonnemens , ni fes ptojets d'accom-
modement, s'en retourna en difant qu'il l'a-
voit trouvee plus opinidtre que jamais, Quel-
tc die au malade que ne    peine, apres quoi le Je-
fachant pas quels etoient    fuite lui adminiftra le
les peches dom il s'etoit   Viatique , & il mourut
charge, ilne pourroits'en   peu apres. Il app.ivut la
confefler , que cependant    nuit au Jefuite 8c le re-
il avoit dctTcin dele fai-    merciade 1echange , qui
re ne voulant pa&fe dam-   lui avoit valu lc Paradis
Ber. Le malade ne les re-    au lieu de l'enfet qu'il
tardant plus comme les    avoit merite.
ens , les lui racowa fans
Yv
-ocr page 516-
5 14          Relation aire gee
que douleur qu'eut la fceur Chriftine de fe
voir privce des Sacremens , elle etoit dans
une grande tranquillite. Elle effuia diverfes
attaques de la part de la mere Chevalier &
de la Superieure. Celle-ci fur-tout lui parla
avec beaucoup de durete ; & en lui faifant
entendre qu'elle la regardoit comme une
impie , lui dit que fa tendreffe & fa compaf-
fion pour elle etoit entieremznt changees en in-
dignation ,
& que toute la communaute etoit
dans les memes fentimens. Elle ajouta beau-
coup d'autres duretes encore plus gtandes,
jufqu'a lui dire, qu'elle s'etonnoit comment
la terre pouvoit encore la porter, comment les
foudres ne tomboient point du ciel pour la re-
duire en cendre , qu'elle etoit pire qu'une
Athee , &c.
» que leur defobeirTance etoit
» un li grand fcandale qu'il ne pouvoit etre
*> expic que par la deftructron de leur rno-
n nairere , qu'elle louoit Dieu de ce qu'elle
» arriveroit bientot , puifqu'au moins ce
» fcandale feroit en quelque forte repare
35 lorfque Port-Roi'al feroit aboli ". C'eft
ainfi qu'etoient traitees les religieufes de
P. R. , c'eft-a-dire , les plus faintes filles
qu'il y eut dans l'Eglife , fans autre crime,
que la charite & la deiicatefle de leur conf-
cience, & un attachement inviolable a la
fincerite chr&ienne , qui ne leur permettoit
pas d'ailurer avec ferment un fait dontelles
doutoient & qui etoit abfolument inutile a
leur falut. M. de Saci, comparant le traite-
ment qui leur avoit ete fait par des religieu-
fes , avec celui qu'il eptouvoit lui-meme
a la Baftille de la part de gens de fac &
de corde,
avouoit que Dieu le traitoit bien
doucement (n). Ce qui fait dire a M. Fon-
(i i) » M. l'Abbc, (dit » M. Fontaine parlant de
-ocr page 517-
de lafaur Briquet.          525
tsinc (it) , que 53 la comparaifon des reli-
5= gieufes avec les geoliers de la Baftille,
»= feroit un outrage infupportable, (i l'expe-
« rience n'avoit faic voir que Tun eft un bien
33 preferable a l'autre,& que rinhumanite des
» filles, & des fillcs confacrees a Dieu , a
5j furpafTe route la brutalite des homines &.
33 des hommes fans pietd, aux portes d'une
» prifon j qui ne font partages qu'entre
« deux paffions,qui rempliflent toute leur vie,
33 une avarice bafle Sc une grands ivro-
=3 gnerie.
Ce fuc le jeudi de la femaine de Paque ,
que la Superieure rraita la fceur Briquet de la
maniere dont nous l'avons rapporte. La Pri-
fonniere poffedant fon ame en paix, ecouta
tout avec tranquillite , & fe contenta de dire
modeftement qu'elle n'entreprendroit pas de
juftifier fon innocence, & qu'aiant fujet de
croire que Dieu vouloit l'numilier , il lui
fuffifoit qu'il vk le fond de fon cceur 8c qu'il
fiit temoin de fes fentimens. Ce qui deplut
encore a la Superieure.
Le famedi de Paque la fceur Chriftine ap- Bonnes 8c
t>rit par le canal de la fceur Ifabelle-Aenes , la mauvaifes
c
          i           rv                 J        ' * r■ r         nouvellcs
f ermete que Dieu avoit donnee a les fceurs qu-eiie a„.
prend.
» M. de Saci) fe voi'ant    33 devotion a toutmen-
33 avec ces ames btutales    ■» ter bien ponftuelle-
33 comnaroit ces gens de    31 ment de pauvres filles,
33 fac 8c dc corde avec    3) il avouoit que Dieu le
33 ces Cervantes fioftcieu-    33 traitoit bien doucement
33 fes , qu'on donnoit    33 de le mettre parmi ces
33 aux pauvres religieufes    33 ivrognes , 8c il trou-
33 de Port-Roi'al , lorf-    33 voir beaucoup plus
33 qu'elles etoient prifon-    33 d'humanite parmi ces
33 nieres dans des monaf-    33 dcrniers , que parmi
33 teres ', 6c ' lorfqu'il   33 ces religieut'cs fi cruel-
33 voi'oit d'un cote des    33 lement obeiirantes.Vies
33 filles de piete , qui   3) edifi. T. 4. p. 177.
j> mettoient toute lent <n) lb. p. 178.
Y vj
-ocr page 518-
516*           Relation alregee
de Port-Roial, pour rejetter tout ce qu'bri
leur propofoit de contraire a la verite & a
la fincerite chretienne. Cettenouvelle la con-
fola beaucoup. Mais elle fut fort affligee
d'apprendre en meme-tems rextremite ou
etoit rednire la foeur Francoife Claire. Elle
eut enfuite la vifite de la foeur de Meau-
peou, qui avoit obtenu pour une fois feu-
Iement la permiffion de la voir: ( cette bonne
religieufe qui avoit ete envoiee a P. R. avec
la mere Eugenie en qualite de Geoliere, avoit
quitte cette fonftion fi indigne d'une vierge
chretienne pour retourner dans fa maifon ).
Dans l'entretien qu'elle eut avec la fceur
Chtiftine, elle lui temoigna.avoir beaucoup
d'citune 8c d'affedtion pour les religieufes qui
n'avoient point figne, & tres peu pour les
Jigneufes , de la conduite defquelles elle
M.Bignon na-V01t uit ete edifiee.
I'exhorteala Quelques femaines apres Paque , la foeur
fignaiure. Chriftine eut la vifite de M. Bignon l'Avocac
general , qui a la follicitation de laSuperieu-
re , l'exhorta a figner. Le Magiftrat emploi'a
pour Vy engager , l'exemple de la foeur Fran-
coife Claire : il l'afTura que M. d'Alet avoir
ccrit a M. de Saint Nicolas qu'il etoit pret
de rccevoir le nouveau formulaire. Sur quoi
la Prieure qui etoit prefente , appuiant 8c
encherilTant fur toutce que difoit le Magif-
trat en faveur de la signature, ajouta qu'elle
favoit de bonne part que M. d'Angers avoit
tenu le meme langage que M. d'Alet. Ces
nouvelles affligeoient la foeur Chriftine, quoi
qu'elle n'y ajoutat pas foi, & lui caufoient
beaucoup d'inquietudes. Un jour la fceur
Angelique, qui de deux heures en deux heu-
res avoit coutume de venir a fa chambre ,
meme a, des hemes indues, pour favoir ce
-ocr page 519-
di tafaur Briquet.            fttf
. %u*elle Faifoit, y etant entree avec une promp-
titude extraordinaire ,
elle lui die en riant ,
qu'elle venoit lui apprendre une bonne nou-
velle, favoir que M. d'Alet avcit figne. Celte
faujfete,
dit-elle, me penetra de douleur , &
me fit repandre beaucoup de larmes devant
Dieu , dont lui jeul jut le tcmoin.
Environ trois femaines apres Paque,elle
fut agreablement furprife du changement de
fentiment & de difpofition qu'elle trouva
dans la mere Chevalier, qui relevoit d'une
maladie confiderable. Cette religieufe ne lui
temoignoit plus que de L'eftime pour Port-
RoVal Sc pour tout ce qui s'y pratiquoit; elle
la prioit de confiderer que quand la fignatu-
ie auroit ete un mal, ce qu'elle ne croi'oic
pas, il auroit mieux vallu y confentir qua
d'expofer un monaftere fi bien regie a etre
ruine", puifque de deux maux il faut choifir
le moindre. La focur Briquet crut que ce
changement etoit Tcffet des entvetiens de la
mere de Meaupeou , qui avoit ete. a P. R.
avec la mere Chevalier; mais en meme-tems
elle le regarda comrae un mo'ien dont le De-
mon vouloit fe fervir pour lui livrer une
nouvelk attaque , & dont Dieu la delivra
par fa mifericorde. Elle penfa que l'intenrion.
de la mere Chevalier etoit de l'engager a lui
decouvrir les fujets de peine & d'afflidion
qu'elle pouvoit avoir, mais e'eft ce que la
Prifonniere n'eut garde de faire. la mere
Chevalier continua neanmoins toujours de
temoigner de la bonte a la foeur Chriftine y
& de tacher de lui procurer quelque confo-
lation ; elle alia meme trouver la Supericure
& la pria d'ecrire a M. de Paris pour qu'il
accordat a la Prifonniere la peimiflion da
communier. Cette demarche attira a la fecur
-ocr page 520-
"518           Relation ahregie
Chriftine de nouvcaux outrages de la part
de la Superieure ; qui alia la trouver 8c lui
dit quelle e>oit furprife qu'elle eut penfe a
faire cette demande dans l'etat oiielleetoit,
apres avoir commit tant de peches mortels ;
{
elle en comptoit quatre) ; puis elle deman-
da a la Prifonnicre ,fur quoi une petite fille de
vingt arts qui fe mile de faire la loi aux Pa-
pes & aux Eveques ,fe pouvoit appu'ier pour
avoir la conjcience en repos
, &c. La foeur
Chriftine s'appuioit fur le meme principe que
t'aveugle a qui les Pharifiens, dont la mere
Superieure repetoit apeu-pres les raifonne-
mens, vouloient perfuader que Jefus-Chrift
n'etoit pas le Meflie.
Le lendemain la mere Chevalier vint voir
la Prifonniere & lui temoigna etre affligee
de ce que la Superieure n'avok point voulu
tkrire aM- de Paris; elle la foilicita de le
faire elle-meme, ce que la fccur Chriftine
refufa. Depuis ce terns les vifrtes de la mere
Chevalier furcnt rares Sc courtes. A'iant ete
clue Superieure de Saumur , elle alia huit
jours avant fon depart faire fes adieux a la
fcEur Chriftine , qui lui temoigna qu'elle
etoit heureufe d'etre fous la conduite d'un
aurfi faint Prelat que M. d'Angers , .& elle
n'eut pas de peine a la faire entrer dans fes
lentimens.
Le 31 de mai la Supericure vint dormer
avis a fa Prifonniere de la publication de la
Bulk, & voulut lui faire peur de l'excommu-
nication ; mais cette vkrge chretienne lui
repondit avec fcrmete , qu'etant innocente
elle n'avbit pas lieu de craindre que ks hom-
mes puffent la feparer de Jefus-Chrift, ni
lui faire perdre l'union fpirituelle qu'elle
conferyeroic toujoars avec toas fes metnbres.
-ocr page 521-
de la four Briquet.          51J?
La Superieure voiant fa fermete , la conjura
d'ecrire a fes parens avant qu'on fulminar.
l'cxcommunication, pour les prier de lui
cherclier quelqu'autre maifon , parcequ'elle
ne pouvoit fe refoudre a fouffnr dans la fien-
ne une heretique & line excommuniie.
Le 17 mai M. Chamillard vint fignifier
la Constitution & le Mandemeut de M. de
Paris a la fceur Chriftine, qui eut befoin de
patience pour cffui'er pendant deux hemes de
la part du Theologien de M. de Perefixe £c
de la mere Superieure tous les raifonnemens
faux & aflaifones d'un zele airier , que Ton
peut emplo'ier pour la defenfe d'une mau-
vaife caufe. Mais on lui fit furtout les re-
proches les plus vifs fur des billets intercep-
ts (13). La Superieure en aiant tire un de
fes heures, le lui montra en difant qu'elle
en avoit tant ecrit qu'il y en avoit des li-
belles entiers.
( II nJy en eut que fix de di-
couverts ). Une des chofes que la Superieu-
d'aucre le mSmc fecret,
& ainfi la four Chriftine
& les l'eligieufes de P. R.
entretenoient des rela-
tions. Le fecret fut de-
couvert, & on furprit (ix
billets, que M. de Paris
envoia a la mere Supe-
rieure , lapriantde voir
les libelles dc la fceur Bri-
quet
f & de prendre garde
quelle avoit d faire a une
creature plus fine qu'elle.
Apres avoir decouvett le
fecret de la fceur Chrifti-
ne , on voulut s'en fervit
pour lui tendre unpiege,
mais elle s'en appercut 6t
l'evita,
(M) La fceur Chriftine
avoit emploi'e un artifice
innocent pour entretenit
des relations avec fes
fours. Ce qui reutfit pen-
dant un terns affcz confr-
derable. Elle demandoit
des cai'ers manufcrits des
conftitutions de P. R. ou
au:res pajiers , & elle
ecrivoitce qu'elle jugeoit
a-propos entre les ligues ,
avec une efpece d'encre
qu'elle appelle invifible ,
c'eft-a-dire, qui ne pa-
roilloit point, mais qu'on
avoit le fecret de faire re-
parortre pour lire t'ecritu-
«. Ou avoit de part &
-ocr page 522-
1510             Relation ah regie
re defapprouvoit Ic plus etoit le ftyle pen re~
ligieux
(14) , a ce qu'elle pretendoit. M. Cha-
millard fe rnettant de la panic fit un crime
a la four Chriftine de ce qu'elle avoit la
vanite de citer du latin (ij). Quel crime I
(14) Quoiqu'il n'y eut    la Supetictire changeant
rien que d'innocent dans    de ton parla da Formu-
ces billets, taut pour le    lake & traita la Prifon-
fond que pour It ftile , la    niere avec une durete
fceur Chriftine a nran-    qu'on a peine a croire .-
moins la delieateile de    elle lui die que fes crimes
confeience dans fa rela-    etoient ft furprenans quel*
tioa de s'accufcr d'avoir    le ne pouvoitpas compren~
eu tort d'en ufer de la ma-    dre comment 11 ctoii pojfi-
niere doat elle l'a fait.,    ble qu'elle fermdt les yeux,
s'ttant divertie a rappor-    &c- qu'elle s'itonnon que
ter Us chafes qu'on lui    I'enfer ne s'ouvrit pas pour
avolt dues avec un flile    I'englourir ; qu'elle holt
qui n etoit pas a}fe\ fe-    opiniitre &fuperbe comme
rieux , nl conforme a I'e-    Lucifer ; que fan orgueil
tat ou Dleu. la mettolt :     &fon opiniatrete igalant
& elle lui rend graces ,     celles des Diables , la rtn-
de ce que n aiantpas re-    doient plus criminelle*
connu cette faute par elle-    qu'eux , parcequ'elle etoit
mime , & n'en pouvant    plusvolontairea&c.1'oa%
etre avertie par d'autres ,    ces ttai'.emens combloienc
il avoit permls qu'elle en    de joie la Ptifonniere loin
fit reprife par des perfon-    de l'affliger.
nes qui nela d'.voientpas        (15) On avoir refute a
ipargncr , & qu'ainfi il    la fceur Chriftine lelivre
avoit pris foin lui-meme    de Saint Jean Climaque ,
de la corriger. lit fceur    que la fceur Ifahel!c-A-
Chriftine fit encore plus,    gnes lui avoit envoi's (par-
comme elle s'etoit expri-    cequ'il etoit traduit par
mee d'une maniere affez    M. d'Andilly ): fur quoi
naive fur le compte de la    la fceur Chriftine mar-
Superieure dans quelques-    quoit dans un billet a la
uns de ces billets, elle la    fceur Ifabelle , que puif-
fit prier de venir dans fa    que Dieu avoir permis
chambre , ou elle lui en    qu'on lui refufat la con-
fit fes excufes avec beau-    folation qu'elle avoit vou-
coupd'humilite. La chofe    lii lui donner , elle en
fe paffa ttjs bicn de part    avoit une plus folide a
& d'autre, mais auflitot    la plase , qui £toit «il4
-ocr page 523-
de la faurBriquet.            jit
api'es que ce Doc~teur eut declame une de-
mie heure , la Superieure rcvint a la charge
fur les billets , accufant la fceur Chriftine
comme fi elle avoit commis un grand pe-
cne , en tachant dans la captivite ou elle
etoit reduite de fe procurer par un moi'en in-
nocent des nouvelles de fes meres & de fes
fours. Saint Corneille Pape & S. Cyprien fe
rendoient-ils coupables en s'ecrivant du lieu
de leur exil, pour fe confoler & fe foutenir
mutuellement? Les Martyrs & les Confelfeurs
etoient-ils criminels d'avoir des relations
avec leurs parens & leu'-s amis, en trompant
la vigilance de leurs Geohers ?
M. Chamiliard voi'ant la fermete de cette
vierge chretienne cut aflez peu de pudeur
pour dire qu'il avoi" vu des heretiques a
Geneve, doiu I'opiniatrete n'egaloit point
la fienne ; a quoi la Superieure ajouta qu'elle
empiroit tous les jour* ; &• que quoi qu'elle
fut bien cntetie lorfqu'elle forth de PortRoiaL
J ,, ■                          J *                 J ■/■ j                      > n
ce n etoit run en ccmparaijon de ce qu cue
etoit alon. M. Chamiliard , apres avoir fait
leclure de la Bulle & du Mandement, &
propofe {'indifference a la Prifonniere , s'en
retourna fans avoir rien obtenu.
ToLites les artaques qu'on livroit a la fceur
Briquet ne faifoient que l'affermir , & tous
les outrages dont on chargeoit cette epoufe
de Jefus Chrift , Ja combloient de joie de ce
qu'elle avoit part aux opprobres de Ion di-
vin Epoux. Ce font les difpofitions, ou nous
apprenons d'clle mime , que Dieu la met-
d'en etre privee pour ac-    lard 8c la Superieure des
cornplir la- volonre de    filles de Saiute Marie ,
Dku , qui iedit defidera-    un des crimes de la fceiu;
biiiacjus inmanu hoflili.    Chriftijie.
.Yoila fetou M. ClianjU-
-ocr page 524-
511            Relation ahregie
toit, Apres avoir rapporte 3 fans faire art-
cune plainte , k traitement indigne qu'elle
eflui'a de la part de la Superieure dans k mo-
ment mcme qu'elle venoit de lui faire une
humble fatisfaftion au fujet des billets , elle
ajoute : elle me la'tjfa comblie de joie de ce
que j'eto'is fi heureufe que de voir accomplir
en moi la promeffe que Jefus-Chrifl afaite a
fes Difciples de leur donner part a fes op-
probies. D epuis ce jour ,
dit-elle encore , je
me trouvai plus fatisfaite que je n'avois en-
core etc, & je ne penfe pas avoir eu en toute
ma vie de meilleur terns que celui des fix der-
nieres jemaines
, que j'ai paffies dans cette
maifon.
De tels fendmens nous rappelknt
ccs beaux jours de l'Eglife , oii Ton voioit
lcs Martyrs temoigner leur joie de fouffrir
pout Jefus-Chrift. Car on voit dans cette
vierge chretienne les memes difpofitions, les
memes fentimens , la meme joie , & la me-
me tranquillity que nous admirons dans les
Martyrs. Sa joie interieure n'etoit pas meme
troublee par la crainte que quelques-unes de
fes fceurs ne tombaflent, parcequ'elk etoit
alfuiee que pcrfonne ne peut arracher des
mains de Jefus-Chrift les ames que fon Pere
lui a donnees. Ainfi elle n'etoit occupee
qu'a adorer les ordres de la providence de
Dieu, &a lui rendre des aftions de graces
de ce qu'il la faifoit jouir d'une fi heureufe
folitude ; folitude qui lui etoit d'autant plus
chere , que lesraifons pour lefquelks onTy
retenoit , lui faifoient trouver des avanta-
ges que les anciens Solitaires n'ont jamais
eus dans la leur. De plus elk avoit encore
la confolation de n'y etre point entree par
fon propre choix , mais par celui de Dieu;
& I'accompliffement de fa volonte, dit-elle,
-ocr page 525-
de la faur Briquet.           523
efl un charme, qui rend agriables Us plus
grandes afflictions.
Dans cet itsx, elle n'attendoit plus que de
nouvelles croix, fans neanmoins fe mettre
en peine dc les prevoir. Mais elle fut agrea-
blement furprife , lorfque la mere de Mau-
peou luidit le z8 Juin de la pan de la Su-
perieure, que la mere Agnes avoir obrenu
de M. de Paris la permiflion de retourner
a Port-Ro'ial des Champs , & qu'il la lui ac-
corderoir a ellc-meme , fi elle vouloir lui
ecrire. Cetre nouvelle lui caufa beaucoup dc
joie , mais •> la crainte qu'elle eut pour elle-
» meme de defcendre de la croix & de faire
» plutor fa volonre que celle de Dieu , fi
» elle demandoit a fortir du lieu oii il ra-
ja voir mife , fans qu'il lui donnat des preu-
n ves plus certaines de ce qu'il vouloit qu'el-
x> le fir, fut caufe qu'elle demeura quelque
» terns fans rdpondre : ce qui furprit la mere
» de Maupeou «. Ainfi elle demanda liuit
jours pour prier Dieu de lui faire connoitre
fa volonre avant que de prendre aucune re-
folntion fur cela. Quatre jours apres , elle fe
detcrmina a ecrire fur un billet de la mere
Agnes que Madame du Plefiis lui fit voir,
& fur ce que lui dit cette Dame dans la
vifite qu'elle lui rendit. Elle ecrivit la lettre
le jour de la Vifiration, &: le meme jour
elle eut fon effet. Car a dix heures du foir
la Supcrieure recut un ordre, envoia cher-
clier la Prifonnicre , l'embralTa tendrement
en lui difant qu'il y avoit un caroffe qui
l'attendoit a la porte pour la mener a Sainte
Marie du Fauxbourg Saint Jacques paflfer la
nuit avec la mere Agnes. Elle fut tranfportee
de joie en apprenant cette nouvelle , remer-
cia la Superieure des bontes qu'elle avosc
-ocr page 526-
"J 14             Relation ahregee
cues pour elle , alia a fa chambre prendre Cod.
breviaire & fes livres , puis a la porte ou elle
trouvalecaroffe qui l'attendoit & dans leca-
roffela perfonne qui lui etoit la plus chere an
monde, & qui,comme elle le <Jir,lul etoit tout
apres Dieu.
Nous avons rapporte aiileurscc
qui fepalTa entre ces deux faintes filles, &
leur reunion a Port-Roi'al des Champs (i 6).
On peut remarquer, que de toutes les re-
ligieufes exilees , la fceur Chriftine fut celle
fur l'efpiit de laquelle l'etat penible d'une
dure captivite fit le moins d'impreffion, ou
plutot fur laquelle il n'en fir aucune. Le« plus
ft. mes ne furent pas exemptes de troubles 8c
d'inquictude ; & fi elles ne furent point af-
foiblics , elles eprouverent au moins quelques
peines d'efprir. Mais la foeur Chriftine feu-
le, quoique la plus jeune , non-feulemens
ne fit aucune chute & ne reffentit point d'af-
foiblilTement , mais elle n'eptouva pas la
moindre dimculte. Elle vit toujouis la co-
lomne de feu. La veiite fut toujours claire
pour elle , fans aucun nuage & fans obfeur-
ciffement. Elle ne fut cependant point me-
nagce , comme on l'a vii, Sc on la tinr dans
la plus etroite captivite , jufqu'a refufer aus
deux Demoifelles de Nemours de la voir ,
quoiqu'elles temoignafTcnt en avoir une ex-
treme envie. On le refufa audi a Mademoi-
felle d'Aumale , & a Madame de Vendome.
Celle-ci l'a'iant un jour appercue dans la
Chapelle, appella la mere de Pontchartrain &
lui dit : je voudrois bien voir la bonne mere
de Port-Ro'ial.
La mere de Pontchartrain
repondit, » que M. de Paris avoit defen-
se duqu'on la laiffat voir a perfonne. Quoi}
(i«) T. f. p. 388.
-ocr page 527-
de lafoiur Briquet.            525
53 repartit Madame de Vendome , efl ce qu'il
33 y auroit du danger que je lui diffe feule-
33 meat ban jour ? Madame , repliqua la
is mere de Pontthartrain , c'efi un ordre
33 qu'il ne depend pas de nous de changer.
33 // nous efl difendu de la laifjer parler a
33 qui que ce foit. Bon jour done , s'ecria
33 la Princeffe , an moins prie^ Dieu pour
33 moi , puifque je ne faurois vous parler.
33 Madame , repondit la mere , elle n'y man-
quera pas. Ma bonne mere , repartit la
w Princeue , je vous ai bien recommandie
33 aux prieres des meres Capucines , elles
33 prient Dieu pour vous & pour les bonnes
33 meres de votre maifon , afin que Dieu
33 vous infpire ce qu'il demande de vous.
33 Madame, repliqua la mere, votre Alteffe
as lui fait beaucoup de faveur : elle en efl
S3 infiniment redevable. Ma bonne mere, in-
33 (ifta la PrincefTe , vous ne m'oubliere^
33 done pas ? Madame , elle n'a garde de !e
33 faire. Ma bonne mere, je ne manque point
33 de prier Dieu tous les jours pour vous.
33 Madame , ce lui eft un grand avantage
33 d'avoir part aux prieres de votre Altefle 5
33 elle lui efl fort obligee. Ma bonne mere ,
33 je vous prie de prier Dieu pour man fils
33 de Beaufort , qui doit bientot partir pour
33 I'armee. Madame , elle le fera de tout fon
33 cceur. Pendant tout ce dialogue la fceur.
33 Chrifline etoit deborrt, eloignee de trois
33 ou quatre pas de Madame de Vendome ;
33 & a chaque'reponfe que mon truchement
33 faifoit pour moi , dit-elle , je faifois unt
33 profonde inclination , pour temoigner que
S3 fi j'etois muette , je n etois pas four de,
I I N.
-ocr page 528-
«w
MJWf^m
• eg«f
TABLE
ALPHABETIQUE
Des principales Matieres conrenues
dans ce Volume.
XiKakia ( Simon ) foli-
taire de Port-Roial. Sa
mort ,415.
Angran ( Catherine ) ,
veuve Beliii , amie de
P. R. Sa mort, 40J.
Arifte ( Jacques Emma-
nuel ), ami de P. R. Sa
mort, 117 : note.
Arnauld (Angelique de
Saint Jean ) , Religieufe
de P. R. : fa derniere ma-
Iadie , fes faintes difpofi-
tions, 11, &c. fes der-
nieres paroles, 17 : fa
mort, 18 : fon eloge par
M. Duguet , 453. Abre-
ge de la relation de fa
captivitc, 45J-
Arnauld (Antoine)Doc.
teur de Sorbonne, fa fin ,
2C9. fon eloge, fon vtai
portrait, 159 , &c. 11 fe
prepare a la mort , 164.
fa derniere maladie , fa
mort, iCj. Lettre du P.
Quefnel fur fa mort, zS6.
Inhumation de fon corps,
167. Toute 1'Europe te-
tentit de fes louanges ,
Rome meme , 169 , &c.
Refutation des calomnies
du P. Davrigni Jefuite
coutre M Arnauld, 171,
&c. fon Epitaphe , fes
Teltamens, 1S0. fon cccur
eft pottc a P. R. 183.
Arnauld ( Henri) Eve-
que d'Angers , fa vie,
fes vertus, fa mort, 144,
&c.
Arnauld (Marie-Ange-
lique de Sainte Therefe),
Religieufe de P. R., idee
de fa vie , 377. fa capti-
vire , 378. fes peines d'ef-
prit, 379, &c. moi'ens
emploi'es pour la feduire ,
3iz , &c. la mere Agnes
la laiiFe a fon propre con-
feil, ce qu'on doit penfer
de cette couduite, 387,
8cc. Proteftation qu'elle
fait avant que de figner
le Formulaire , 390 1 &c*
ellele figne, jJJ-.gemit
-ocr page 529-
TABLE DES
de fa fignaeure, 394. re-
connoie I'illufion qu'on
lui a faitL-, j 9 5. fe ttouve
dans un etat afFreux ,
39S. repare fa fame, 397.
fa more, 198.
Arnauld ( Marie Em-
manuelle J de Pomponne,
eleve de P. R., fa more,
Arnauld de Pompon-
ne , Miniftre d'Etat, eft
rappelle a la Cour ,119.
Arnauld de Luzanci,
folitaire de P. R. fa con-
vection ,31, &c. fe re-
tire a P. R., fes fainres
occupations, 36, &c. fes
bonnes qualites , 38. fa
more, 39.
B
JjAgnols ( Gabriel Du-
gue de) eleve de P. R.,
ia mort ,114.
Barbereau ( Mademoi-
felle ) amie de P. R. fa
morr, n;.
Barmonte ( Francoifc
de la Croix de Villume
de) Religieufe a P. R. fa
mort , $0.
Benoife ( Helene de Ste
Demetriade ) Religieufe
de P. R., fa mote, 37s.
Bergevin ( Madeleine
de Sainte Monique ) Re-
ligieufe de P. R. 7 fa
more, 30. fon attache-
ment pour P. R. 31.
Bocquillot ( Lazare )
Confefieur de P. R., fa
vie, fa mort, 104 , 8cc.
Bonnetie ( Louife de
Sainte Fare de la 1 Reli-
gieufe de PoitRoial, fa
MATIERES. J17
mort, 164.
Borel ( Pierre} Con-
fefleur de P. R. Abrege
de fa vie , fa mort, 114 ,
&c.
Boulard I Elifabeth de
Sainte Anne ) de Ninvil-
lier , elue AbbefTe de
P. R., fa vertu , 370.
Bourgeois, Docieur en
Theologie, Confeffeurde
P. R. , Sa vie, fes ver-
tus, fa mort , 141.
Bregy ( Anne-Marie de
Sainte Euftoquic de Flef-
celles de ) Religieufe de
P. R., fa vie &c fes ver-
tus , 46. rend temoignage
;i la verite , 48 , reiiile
courageufemenc a tous
Ies efforts qu'on fait pout
la feduire , 49. eft enle-
vee, 50. fon adieu a fes
fceuts. , fi , &c. fa
fortie de P. R. 54. fon
entree aux Urfulines de
Saint Denis, 5 6. gagne le
cceut de fa Geoliere, c8.
fes occupations chez les
Urfulines , So. eerie a M.
de Paris, pour lui deman-
det la communion a
Noel, 6i. on n'oublie
tien pour l'afroiblir, fir.
recoit la vifite de l'Ar-
cheveque , fa fermete ,
67. fes peines interieures
& autres, «j, 70. eft vi-
ficee &c tourmentee par fa
mere ,71. demande la
communion pafchale, 71.
vifite de fa grand-mere,
du Pere Louver Jacobin,
du fieur Chamillard , de
M. de Bregy fon Pere ,
74 , Sec. de l'Abbe de
Flefcelles fon frcre , 80.
-ocr page 530-
BLE
P. R., fa mort, 11, no-
te 6.
Coiflin, (Charles Cefar
du Cambout de ) fa con-
verfion, fon attachement
a P. R., fa mort, 371.
CoiTart ( Denife de Ste
Anne ) de Flan , Relig.
de P. R., fon courage ,
fa niodeftic , fa mort,
157.
Couturier, ( Anroinet-
te Azelle le ) Religieufe
de P, R. , fa mort, 407,
Creil ( Marguerite de
Ste Euphtoiine de ) Relig.
de P. R., fa mort ,111.
D
D Efmares, ( ToufTaint-
Gui-Jofeph ) fes talens,
110.  fucces de fes Predi-
cations , 111. envo'ie i
Rome pour defendre la
doctrine de Saint Auguf-
tin, 12.1. fes perfecutions,
111,   114. fa mort, 11.4.
Domat, Avocat du Roi
au Prclidial de Clermont,
ami de P. R. , foil zele
pour la verite , Ces vertus
8c bonnes ceuvres , fa
mort, 317,318, 319.
Duval, ( Genevieve de
SteTherefe) Religieufe £
P.R. , fa mort, 150.
F
JT Argis, ( Marie-Made-
leine du) eftelue Abbelle,
30. eft continues, 117.
fe demet de fa dignite,
fe prepare a la mort,
160. fa mort, 118.
Feideau (Matihieu) f»
"vie j J
Ji3                 T A
fort des Urfulines, 80.
fon enttevue avcc la fceur
Anne Eugenie, 81. arri-
ve a P. K. des Champs
Sc y figne de foil fang ml
Acre teftamentaire , 85.
fon Afte tellamentaire ,
joi. fa mort, 8r.
Brigallier ( Anne ) epou-
fe de M. le Couturier ,
amie de P. R. , fa mart,
1 io.
Briquet ( Madeleine de
Sainte Chriftine, ) Relig.
de P. R. , (a vie , fes
vertus , fa mort, 1 j 5 ,
&c. Relation abregee de
fa captivite , jo6.
Buzenval, (Marie-Ma-
deleine de Sainte Agathe
Chouart de ) Religieufe
de P. R. , fa yerru, fa
mort, 131.
C
V^Erf, ( Candide le )
Profcfle de Maubuiiron ,
Religieufe a P. R. , fa
mort, 8.
Champagne (Sufanne)
Religieufe.de P. R. , fa
mort, in.
Chemin, ( Charles du )
Solitaire de P. R., fa vie,
fes vertus, fa mort, 137 ,
&c.
Chouy , Agnes de la
Mere-Dieu de ) de Penfie-
res, Relig. de P. R., fa
captivite al hoTpice de la
Creche , follicitations
inutiles ou'on lui fait pour
la faire uglier, fa mort,
143, &c.
Clement < Hyppolirc-
AlKoineite) Touiriere de
-ocr page 531-
M A T I E R E S.
S*-9
Tie , fes vertus, famort, verlion , 128. fe retire
184, &c.
Foile, (Madame Tho-
mas du ) fa verm , fa
more, 93.
Foflc, ( Pierre-Thomas
du) temoignage qu'il rend
a P. R ,fa mort,.;Sf >&<:•
Foile , ( Madeleine de
Sainte Melthide-Thomas
du ) Religieufe de P. R.;
caufe de fa chute , la pre-
emption , 55. fort de
captivite , 54. figne & fe
retracte plulieurs fois ,
51s. fa mort, 517.
P. R. , 119. fes occu-
pations faintes, fa mort,
ijo , &c.
Harlai , (M. de ) Ar-
cheveque de Paris , fair
nommer une de fes fecurs
Abbefle de P. R. de Pa-
ris, 101. famort, 294,
195.
Harlai , ( Elifabeth-
Marguerite de ) AbbeiTe
P. R. de Paris , peine
qu'elle a pour accepter
cette dignite , fa bonne
conduite dans ce monaf-
tere , fa mort, 101 , ice.
Hermant , Chanoine
de Beauvais, fes talens ,
fes vertus , fon attache-
ment a P. R. , fes perfc-
cutions , fa mort, 211 ,
£cc.
I
JOfie, (Ma rguente de
Sainte Thecle ) eft touchce
de Dieu , fa vocation a.
l'etat rcligieux , 151 ,
233, £cc. demaiide a la
it eine de Pologne de fe
retiter de la Cour , 8c
ne l'obtient pas , 136.
eft temoin ties ravages de;
Suedois en Pologne, 137..
obtient de fe retiter pour
venir a P. R. , 138. fon
courage , danger qu'elle,
court dans fon voi'age »
240. fe fait religieufe i
P. R. 141. fa fermete dans
la pcrfecution , 243. fa
mort, 244.
L
1 ,Uines, ( Louis-Char-
les d'Albert Due de > fa
z
VJllbert, Grand-Vicai-
re de Paris , eft choifi
pour Superieur de P. R.,
401.
Girouft , ( Angcliqus
du Saint Efprit) des Tour-
nelles, Relig. dc P. R. ,
fa mort, 229.
Grange, Souprieur de
Saint Victor, eft Superieur
de P. R. , 93. ouvre fa
villte, 117. la termine ,
temoignage qu'il rend
aux Religieufes ,15;.
Grenet, Cure de Saint
Benoit, Superieur dc P.
R. , fon zele pour fcrvir
les Relig. fa mort, 86.
Guelphes , f Leonard )
fa vie , fa vertu folide,
fa mort, 181. note.
H
jLJAmelin, ( Margue-
rite de Sainte Julie; fa
mort, 40t.
Hamon, (Jean) fa con-
Tome Fill.
-ocr page 532-
B L E
pour confulter M. PaviV
Ion fur la reception des
Ordres facres , 314. re«
fufe d'accompaguer M.
Arnauld Jans fa retraite ;
fa lettre a M. de Ilarlai
qui lui caufe 'uchagrin,
31 j. fon differend avec
M. Arnauld fur la grace ,
317. fa dermere maladie,
fa mort, 31S.
Noailles (Antoine) Ar-
chevecj. de Paris, fuccede
a M. de Harlai, efperan-
ces qu'on fonde fur lui ,
300. reponfe obligeanta
qu'il fait a tine lettre des
religieufes de P. R. fur
fon elevation au Siege de
Paris , 30?. fait vifite a
P. R. , 3 ',6. bon mot de
ce Prelat a l'occafion des
religieufes de P. R. des
Champs &c d'- celies de
Paris, 409. il temoigne
de la difpoiition a prote-
ger P. R. des Champs
contre P. R. de Paris,
409.
O
V_7Llier , ( Sufanne )
Religieufe de P. R. , fori
hiitoire , fa mort, 415 »
&c.
P
J. Erdreau, ( Dorotbee )
Abbef. intrufe de P.R. de
Paris,'fafin,fcsremots,9f,
&c. virion qui annoncc
fa mort prochaine, , 99.
feryice fait pour ellc k
P. R. des Champs, tor.
Pichard ( Brigide de
Sainte Maure ; Religieufe
de P. R. , fa mort, 377,
,y,                TA
pietc , & fes progres dans
la vertu , fe laffe dans
la voie du falut, fa raort,
215 , &c.
M
M Arthe , ( Claude de
Sainte ) fa naiflance, re
piuation de fa familie ,
in. fa piete des la jcu-
neffe,fe HeavecP.R. ill.
s'y retire, fervices qu'il
rendaux religieufes, 113,
&c. fa retraite a Courbe-
ville , fa morr , ixf>.
Midorge , Elifabeth-
Madeleine de Saint Luc )
fa vertu , fa mort, 407.
M< nglat , Anne-Vic-
toire de Clermont) eleve
de P. R. , ell Abbeffe de
Gif, fe demet de fon Ab-
bai'e, famott, 406.
N
JN Ain , ( M. le ) fa
pieteJ fa mort , 361.
Neecarfelle , ( M. de )
Eveque de Caftorie, fon
affection pour P. R., fa
mort, in.
Nicole , ( M. ) fes pre-
mieres etudes, fes talens,
308.  fes etudes de Philo-
fophie & de Theologie,
309.  i! puife la Theologie
dans Saint Auguftin &
Saint Thomas, 310. en-
feigne les humanitcs dans
les petiies Ecoles de P.
R. , fe met fous la con-
duce de M. Singlin, fe
joint a M. Arnauld pour
defcndre la verite, 311.
fait un voiage a Alet
-ocr page 533-
I E R E S. ;;i
menr de leur maifon , 1.
rccoivent une fceur Con-
verfe , comment, 7 font
faire un fervice pour la
fceur Doroihee Perdreau ,
101. Perte qu'ellcs font
par la mort de difte-
rentes perfonnes , 111 ,
&c. demandent le coeur
de M. le Tourneux ,117.
temoignage qui leur eft
rendu par M. de la Gran-
ge , 135. Dieu les confo-
le pardesprodiges , 153.
demandent la peimiflion
de recevoir des Novices;
font refufecs, 131. trait
de leur chaite dans un
terns de famine , 154.
leurs demarches pout
avoir un Superieur , 189-
di mandent M. de la Bar-
de , z9i. tout parott an-
noncer leur ruine , 19?-
ecrivent a M de Noailles
fur fon elevation fur le
Siege de Paris , 304 re-
ponfe obligeante qu'elles
en recoivent , 305. leur
lettre au meme fur la pii-
fe de polfeHion, 30S. de-
mandent M. de la Roi-
nette pour Superieur, 319.
lobtiennent, 3iz. resol-
vent la vifite du nouveau
Superieur, 314. ptefen-
tent Requete au Roi pouc
fe defendre tontre leuts
fceurs de Patis, 331. ac-
cufations intentees centre
elles d'avoir re9U des
Novices con re l'ordre du
Roi , 33.5 resolvent la
vifite de M. de Noailles,
33«. celle des Confef-
feurs extraordinaires,; 37.
atteftation autiientique de
Zij
D E S MAT
Poirchaceau ( Sebaftien-
Jofeph du Cambout de )
fa naiflance , fes etudes,
1*4, i«? , eft touclie de
Dieu , commencement de
fcs liaifons avec hW. de
de P. R., i» 6. cciit a M.
Singiin pour fe mettre
fous fa conduite , 167.
a mi entretien avec lui ,
169. vaa P. R. 170 ecou
te la voix de l'Enchanteut
& fait le voi'age de Rome,
171 , fe lie de nouveau
avec M. Singiin , avis
qu'il en recoir, 174. com-
bats qu'il eprouve, 176.
ttame fes chaines, 179.
la grace continue d'agir
fur fon coeur ; mauvais
effet d'un voi'age de Bre-
ragne , i8z. nouveaux
avis qu'il report de M.
Singiin, 185 ,8cc. renon-
ce entierement au mon-
de , i§8. quitte fes bene-
fices ; fes dirferentes de-
meures , 190 , tec. va
demeurer a P. R. des
Champs , fes occupations,
19;. fait un voi'age a Ro-
me p<-ur M. dV-let, &
on autre pour P. R. 194.
fa rettaite, & fa vie a
Orval ,197. &c- revient
a Pans , 199. fa dernie-
re maladie , zoo, fa mort,
103. miracle opere a fa
morr,' zo6. concours du
peuple qui le revere com-
me un faint , 108. fon
corps eft povte a P. R.
des Champs, 109. tranf-
fetea Magni , in
Port - Roi'al ( les reli-
eieures de . des Champs,
foUicitcnt le letabliffe-
._v:W
-ocr page 534-
B L E
vertus , fa mort, ; 93.
&c.
Racine , ( Marie de
Sainte Genevieve ) fa
mort , 14'.
Richard, ( Jean ) Cure
de Triel, ami de P. R., fa
mort , 114.
Roannes ( Artus Gouf-
fiet Due de ) fa mort,
3l8.
Roannes ( Chatlotte )
Gouffier dejfait voeu d'etre
religieufe, fe marie au
Due de la Feuillade, }.
aflfligee de Dieu , recon-
noit fa faute 8c tache de
la reparer , 5. fa morr,
fait un legs pour faire une
religieufe Converfe a P.
R., 6.
Robert, ( Louife de Ste
Julienne )'a mort, 407.
Rohan , ( Anne de ) Prin-
ceffe de Guimenee , fom-
maire de fa vie , fa mort,
10S , &c.
Roi , (Guillaume le )
Abbe de Hauce-Fontaine ,
ami de P. R., fa vie, fa
mott, 40 , &c.
Roynette , ( M. de !a )
Grand.Vicaire de Paris ,
eft demande a M. de
Noailles pour Superieut
de P. R. , 315. aflifte a
une ele&ion de l'Abbeflc,
320. eft nomme Supe-
rieur , 311. faitfavirite
en cette qualite , temoi-
gnage qu'il rend des te-
ligieufes, 314. fa mort,
401.
S
OAci, (Ifaac le MaJtre
de) fa rctraice a Portf-,
>■).                      T A
leur innocence, 558. pre-
vention de Louis XIV
contre elles , 373. elles
font accufees d'avoir recti
des Novices contre la
defenfe qui leur avoit ete
faite, fe junirient , 40;,
404. bon mot de M. de
Noailles a leur occalion ,
489. Pertes qu'elles font
pat la mort de plufieurs
petfonnes , 414 , 8cc.
Deuil univerfel parmi el-
les par la mort de leurs
ptincipales meres , 419.
Port-Roi'al ( les re!i-
gieufes de ) de Paris , tra-
vaillent a la mine de P.
R.. des Champs, 197. re-
nouvellent leur tentative
contre leurs foeurs des
Champs, 330. renouvel-
lent leurs pouifuites pour
les depouiller de leurs
biens, 407, 8cc.
R
J^. Acine , ( Jean ) fa-
meux Poete , mouve-
lnent qu'il fe donne pour
obtenir de M. de Harlay
un Superieut pour P. R.
des Champs, 189, 191,
293. complimente M. de
Noailles fur foil eleva-
tion fur le Siege de Pa-
ris au nora des Religieu-
fes de Port-Roial, 300,
&c. obtient de Monfieur
de Noailles un Superieut
pour P. R., ,19, 3zi,
&c. fa mort, 37f.
Racine ( Agnes de Sain-
teThecle) eft elue Abbef-
fe de P. R. i«i. eftcon-
tinuee, 315. ft vie, fes
-ocr page 535-
D E S MAT
ponne, fes occupations,
5, fa derniere maladie ,
fa molt, 10 , &c. trans-
port de fon corps a P. R.
15. fon eloge, 17. lettie
remarquable de M. Ar-
nauld fur fa mort , 18.
relation de fa captivite,
410.
T
J. Aconet , 'Chanoine
regulier de Saint Victor,
eft Superieur de P. R.,
89. fa mort, fon eloge,
«it.
Thibouft , Chanoine
de Saint Thomas du Lou-
vre , fa vie , fes vettus,
fa mort, 150 , &c.
Tillemont, ( Sebaftien
le Nain de ) fes heureu-
fes difpohtions des l'eu-
fance , fon education ,
344.    fes etudes , 34S.
l'e:nde eft pour lui un
afile conrre lcs perils ,
347. fes qualites du cccur,
345.   il va a Beauvais ,
3 48. il y recoit les ordres
facres, 349. fe retire a
P. R., puis a Tillemont,
fa vie reglee , 5c labo-
rieufe , 350. fa fidelirc a
Dieu , dans les plus peti-
tes chofes, 3yi. fon afli-
duire a la priere , 353.
fon de!k de coimoitre la
volonte de Dieu pour la
fuivre , fa tranquillity
dans tous les evenemens,
I E R E S. 533
fa confiance en Dieu ,
355. fes vertus, 356. ef-
prir dans lequel il rravail-
loit, 3 57. fa derniere ma-
ladie , fa more ,358. fon
corps eft pone a P. R.
360.
Touches (Paul le Pelle-
tierdes) fa vie, fa more,
4iz.
Tourneux , confefleur
de Pott - Roi'al, fa ma-
niere de vivre dans le
Prieure de Villiers , 114.
fa mort, r 16. fon cccur
tranfporte a P. R. des
Champs 117. fes enne-
mis le pourluivent apris
fa mort , 118.
Tronchai ( Madeleine-
Victoire ) Religieufe de
P. R. , fa mort, 30 , 31.
V
V Alois , ( Gertrude
du ) Religieufe de P. R.
guerifon operee fur elle
par rintercefiion de la
mere Angelique Arnauld,
Vertus , ( Catherine-
Francoife de Breragne de )
fommaire de fa vie , fa
mort, 149 , &c. fon cceur
eft tranfporte a l'Abbaie
de Malcoue, ijj.
Vertus, ( Marie-Claire
de Breragne ) Abbefle de
Malnoue , fa piete , fa
mort, xj4. note jy.
fin de la Table des Matieres.