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de r Académie Espagnole
En marge de la
guerre civile espagnole
PARIS
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Les Amïs de l\'Espagne Nouvelle
BHH MARGE
DE LA GUERRE CIVILE ESPAGNOLE
par
de VAcadémie Espagnole
PARIS
SORLOT
MCMXXXVIII
bibliotheek der
rijksuniversiteit
UTRECHT.
Cet essai a été publié par la Revue de Paris, dans son
numéro du 15 décembre 1937. Il était précédé de cette note :
« V auteur de la remarquable étude que nous présentons est
M. G. Maraiion, de VAcadémie espagnole. Médecin, biologiste
et essayiste, le docteur Maranon a été, avec Perez de Ayala et
Ortega y Gasset, le fondateur d\'une grande association républi-
caine, dont Vactivité a commencé de s\'étendre en Espagne un
an acant la chute de la monarchie. La preuve du républicanisme
du docteur Maranon n^ étant, par conséquent, plus à faire, on
considérera sans nul doute comme particulièrement significatif
cet article, oà l\'auteur explique pourquoi les libéraux espagnols
sont pour la plupart hostiles au gouvernement de Barcelone-
Valence. »
Les Amis de l\'Espagne Nouvelle.
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-ocr page 9-Il se produit maintenant, avec la révolution et la guerre
d\'Espagne, ce qui se passe pour tous les grands événements
historiques : tant qu\'ils se déroulent — et bien longtemps
après — les jugements que l\'on porte sur eux se fondent sur
des incidents interprétés avec passion — personnelle ou de
parti — ; incidents historiquement secondaires, qui cachent,
cependant, le sens véritable des événements. Je ne prétends
pas être exempt de cette passion inévitable, et en partie étran-
gère à notre propre conscience. Mais mon effort pour aborder
le problème d\'un point de vue objectif a comme garantie le
fait que je n\'ai jamais appartenu à ce qu\'on appelle un paHi
politique. Quant à la passion personnelle, ma formation de
naturaliste m\'a habitué à observer froidement ce qui se passe
et, surtout, à reconnaître automatiquement l\'erreur. C\'est,
pour l\'homme de formation politique, une humiliation et un
suicide de proclamer qu\'il s\'est trompé. Le naturaHste, en
échange, sait que bien des choses qu\'il croyait vraies ne le
sont pas, et que pour continuer à chercher la vérité, il faut
éliminer les erreurs préalables en toute simplicité et en toute
rigueur. Cette attitude finit par se transformer en un acte
réflexe, qui s\'accomplit sans tenir compte du fait que nos
précédents amis nous accusent de trahison et que nos précé-
dents ennemis nous traitent de parvenus. Lénine, qui fut le
plus grand disciple de Machia,vel (la psychologie de Machiavel,
loin d\'être typiquernent latine, tient beaucoup de l\'orientale),
disait qu\'en politique le fait d\'être fidèle au passé suppose
souvent que l\'on trahit l\'avenir. Cette maxime, comme tant
d\'autres maximes machiavéliques, est acceptable, à condition
d\'y ajouter quelque chose qui ne comptait, ni pour Machiavel,
ni pour ses disciples, à savoir que le changement dans les
idées se justifie par une continuité dans la conduite. Dans son
sens général, ce qui caractérise la politique, qui a été, univer-
sellement et de tout temps, plus ou moins machiavélique, c\'est
qu\'elle joue et compte avec les idées, et non avec la conduite.
Pour le naturaliste, la conduite c\'est tout ; et sa conduite
s\'organise autour de son désir de vérité et de son désintéres-
sement pour tout ce qui n\'est pas cette vérité.
II
Si nous demandons à cent êtres humains d\'aujourd\'hui^^—
qu\'ils soient Espagnols ou non — les motifs de leur attitude,
favorable ou contraire à l\'un ou à l\'autre des deux partis
qui luttent en Espagne, les uns mettront en avant leur credo
démocratique, d\'autres leur traditionalisme, d\'autres leur
militarisme, ou leur antimilitarisme, leur catholicisme ou
leur irréligion — si ce n\'est un néo-catholicisme littéraire
et rouge, espèce très curieuse de l\'actuelle faune idéologique
— ou bien leur horreur pour les exécutions et les bombar-
dements aériens ou, enfin, leur sympathie ou leur antipathie
personnelle pour les chefs des partis respectifs. Peu nombreux
sont ceux qui fonderont leur position sur la véritable raison
de la lutte, celle-ci : « Je défends les rouges parce que je suis
communiste », ou « je sympathise avec les nationalistes parce
que je suis ennemi du communisme ».
Voilà le nœud du problème. C\'est là qu\'il faut localiser sa
vision et la première partie de son interprétation. On pourra
me contester l\'autorité politique — et je n\'essaierai pas de
dissuader celui-là même qui me la nierait — mais on ne peut
me refuser l\'autorité de témoin oculaire des événements
politiques qui touchèrent ma patrie pendant le dernier quart
de siècle. On ne peut me nier, non plus, celle que je mérite
pour n\'avoir jamais occupé de charge publique, pour n\'avoir
retiré que des désavantages matériels de ma constante fidélité
à ma conduite, c\'est-à-dire à ma conscience, et pour penser
que le devoir de l\'intellectuel est toujours de parler lorsqu\'on
le lui demande.
Ill
L\'Espagne vécut, à partir de la Restauration, de longues
années de paix (les guerres coloniales et celle d\'Afrique ne
sont pas des guerres nationales) et de longues années de liberté
— liberté qui paraissait alors imparfaite, mais dont ne jouit
aujourd\'hui aucun peuple de la terre. C\'est dans cette paix
que, comme dans toutes celles que connut l\'histoire, le pouvoir
public commença de s\'affaiblir. Et l\'esprit de rénovation qui
caractérise cette étape de la vie espagnole — et qui la rend
glorieuse — finit par verser, politiquement, dans une déma-
gogie qu\'aggravèrent les années d\'un bien-être subit et immé-
rité : celles de la guerre européenne et de l\'après-guerre.
Le peuple espagnol — éminemment ascétique — est, peut-
être, le plus sensible à la corruption de l\'abondance. Vers
1923, quand se fit le coup d\'État du général Primo de Rivera,
il régnait dans toutes les classes sociales le sentiment diffus
que « ça ne pouvait pas continuer ainsi » ; et c\'est à la faveur
de ce sentiment que put se réaliser et triompher la dictature.
Mais alors on ne parlait pas de communisme ou, si l\'on en
parlait, c\'était gratuitement. L\'agitation qui rendit possible
la dictature se liait à une sourde décomposition, strictement
nationale, qui affectait toute la Société, depuis ses figures les
plus éminentes jusqu\'aux plus profondes couches du peuple.
Cette décomposition, un grand politicien d\'alors, conserva-
teur en titre, mais d\'esprit très rénovateur, don Antonio
Maura, la définit et s\'efforça de la combattre comme une
« crise du civisme ». C\'est grâce à ce relâchement des ressorts
de l\'État que croissait la force révolutionnaire, localisée pen-
dant de longues années en Catalogne. Elle s\'y était convertie
en une agitation larvée, qui faisait chaque année de nom-
breuses victimes, consignées sur les statistiques avec autant
de régularité que les victimes de la typhoïde. En 1909, cet
état de choses se manifesta par ce qu\'on appelle la « semaine
tragique », avec incendies de couvents et toutes sortes de
violences accomplies dans le style révolutionnaire typique-
ment espagnol. Aujourd\'hui, après avoir vu de si grandes
horreurs, tout ce qui suscita alors tant de passions nous
paraît une plaisanterie de collégiens. La véritable gravité
de ces événements ne tenait pas aux luttes de la rue. Elle
résultait — et nous ne sûmes pas le voir alors — de ce que,
pour la première fois, le libéral espagnol — maintenant
l\'égal des libéraux européens •— protégeait, par son libéra-
lisme, une attitude profondément antilibérale ; et tout sim-
plement parce qu\'elle était teinte en rouge.
Le socialisme espagnol n\'était pas encore une force extré-
miste. La preuve en est la docilité avec laquelle, quelques
années après, il se plia à la dictature du général Primo de
Rivera, dont les seuls ennemis furent les forces bourgeoises.
Elles comprenaient non seulement celles de filiation libérale,
mais beaucoup de conservateurs de toujours, et même une
fraction de l\'armée, précisément celle qui a l\'esprit le plus
aristocratique : l\'artillerie. Et même, lorsque finit la dicta-
ture, une importante partie des chefs socialistes eût accepté
— et j\'en ai d\'irréfutables preuves — la collaboration avec
une monarchie rénovée par une nouvelle constitution.
Dans la chute même de la monarchie et l\'avènement de la
république, l\'influence visible du communisme fut très limitée ;
si l\'on se remémore la propagande, violente et très active,
qui précéda les élections d\'avril (celles qui provoquèrent le
changement de régime), c\'est à peine si l\'on y trouve des
traces de communisme. Je crois que l\'on ne prononça pas
une seule fois ce mot pendant le meeting de la plaza de
Toros, antérieur de peu de jours au vote de Madrid, et qui
orienta celui-ci du côté des gauches. Quand un des ministres du
Gouvernement monarchique lut, cette nuit-là, les discours,
il remarqua que la majorité d\'entre eux avait été plus tempérée
que tous les discours prononcés, vingt ans plus tôt, à l\'occa-
sion des événements de Barcelone, par les chefs libéraux,
gouvernementaux et monarchistes. On retrouve cette même
impression dans les Mémoires de celui qui était alors chef
de la Sûreté — le général Mola — qui devait conquérir, par
la suite, une si grande célébrité. Très conscients de la gravité
de la situation, les derniers gouvernants de la monarchie
— dont plusieurs étaient nos amis personnels — ne songeaient
pas, cependant, à s\'inquiéter de la menace communiste. En
somme, à l\'époque, elle n\'existait guère.
Cependant, la campagne des partis et de la presse de droite
annonçait une série de catastrophes si le mouvement répu-
blicain triomphait, bien que ce naouvement eût un caractère
pacifique et fût dirigé par des modérés, des libéraux, dont
beaucoup, comme M. Azana, n\'avaient même pas de tradition
républicaine. Il serait maintenant arbitraire de disserter sur
ce qui aurait pu se passer si l\'avènement de la république
n\'avait pas eu lieu — fait inévitable, à mon sens, dans de telles
circonstances. En histoire il est un exercice absolument
interdit : c\'est de chercher à savoir ce qui aurait pu arriver
si ce qui est arrivé n\'était pas arrivé. Mais, ce dont il n\'y a
pas à douter, c\'est que les prophéties des droites extrêmes
ou des monarchistes, qui s\'opposaient à la république, se
réalisèrent entièrement : désordre continuel, grèves sans
motif, incendies de couvents, persécution religieuse, exclusion
du pouvoir des libéraux qui avaient patronné le mouvement
mais qui ne se prêtèrent pas à la politique de classe, refus de
traiter avec tolérance les gens de droite qui, de bonne foi,
respectèrent le régime, sans se sentir — comme c\'est naturel —
enflammés de républicanisme extrémiste. Le libéral avait
écouté ces prophéties avec un dédain d\'homme réservé au
suicide. Ce serait aujourd\'hui manquer inutilement à une
vérité élémentaire que de le cacher. Plusieurs siècles de succès
dans le gouvernement des peuples — ce temps n\'appartient
pas encore au passé pour les démocraties anglaise et nord-
américaine, par exemple — avaient donné au libéral une
confiance excessive et parfois pétulante en sa supériorité.
Presque toutes les statues qui enseignent aux passants, dans
les rues de l\'Europe et de l\'Amérique, le culte des grands
hommes portent, inscrit sur leur socle, le nom d\'un libéral.
Cependant, quel que soit l\'avenir politique de l\'Espagne,
c\'est le réactionnaire et non le libéral qui vit juste dans cette
phase de son histoire, cela ne fait pas de doute.
Mais ces prévisions pessimistes des prophètes du droit se
fondaient encore sur l\'intervention de forces cachées, comme
la franc-maçonnerie, plus que sur l\'action communiste directe,
qui paraissait, même aux plus méfiants, théorique, ou du
moins très éloignée.
IV
La propagande russe — dont il est difficile de préciser
quand elle commença — dut s\'intensifier lors du changement
de régime, dès que l\'on eut, là-bas, la sensation de la faiblesse
qui atteignait les éléments conservateurs du nouvel État. Je
me souviens que, peu de jours avant l\'incendie des couvents,
en mai 1931, je marchais, par hasard, la nuit, derrière un
groupe de trois personnes qui parlaient librement et à voix
haute de politique. C\'étaient des communistes, et il y avait
une telle fermeté dans leur ton et dans leurs espérances de
triomphe qu\'ils m\'auraient impressionné, si la conviction
que l\'idéologie nationale — y compris la plus révolutionnaire
— était réfractaire à la tactique bolchévique n\'avait été bien
enracinée en moi. Le jour des incendies, nous pûmes voir
qu\'il en était autrement. La propagande avait été énorme,
quoique souterraine, et bien que le nombre connu des affiliés
fût encore très petit. Aux premières élections générales, il
n\'y eut qu\'un ou deux députés communistes (combien de
fois avons-nous invoqué cer argument qui nous tranquilli-
sait !). Mais, les trois cents colonnes de fumée qui, de toutes
les villes d\'Espagne, montèrent vers le ciel, le même jour et
presque à la même heure, en pleine paix, sans provocation
proportionnée à cette réponse barbare, ces forfaits accomplis
d\'après les règles d\'une technique destructive admirable et
inconnue du peuple espagnol, démontrèrent que l\'organisa-
tion étrangère existait déjà, et qu\'elle faisait avec impétuosité
ses premiers essais. Ce n\'est pas par vain souci personnel,
mais parce qu\'il convient de rappeler là vérité, que je dois
faire constater maintenant que l\'unique protestation qui se fit
entendre alors, dans le camp républicain, fut celle que je
signai avec deux autres personnes, dont les noms sont illustres.
Sans doute, il y eut des groupes et des personnalités isolées
qui adoptèrent la même attitude. Mais il n\'y eut pas de réac-
tion collective, décisive et énergique des libéraux, en face de
ces événements. Beaucoup d\'Espagnols, d\'esprit libéral, qui
avaient accordé une confiance conditionnelle à la république,
en tant que régime nouveau devant comporter des réformes
de politique générale et d\'ordre social (si nécessaires et
si inévitables qu\'elles subsistent jusque dans le programme
nationaliste), mais non en tant qu\'expression d\'un mouve-
ment de classe extrémiste, destructif et dictatorial, à la
façon russe, beaucoup de ces Espagnols, dis-je, revinrent
de ce jour, à leur camp ; et c\'est en réalité de ce jour q[ue
date la lente agonie de la république récemment née. Cette
retraite, je le répète, fut inspirée non par ce qui arriva, mais
par la déception de ne pas voir réaliser les réformes attendues.
Sans l\'appui des « ennemis de bonne volonté », la répu-
blique ne pouvait vivre. Pendant plusieurs années, les extré-
mistes se sont moqués de ceux qui soutenaient que c\'est seu-
lement en « amplifiant la base de la république », avec géné-
rosité, qu\'on pouvait la consolider. Aujourd\'hui, ces mêmes
extrémistes, pour continuer à vivre, doivent feindre, devant
le monde, un vif respect pour tout ce qu\'ils ne respectèrent
pas, y compris le catholicisme.
Le libéral espagnol joignait au défaut commun à tous les
libéraux du monde — c\'est-à-dire un daltonisme partiel,
qui lui permettait de voir seulement Fantilibéralisme noir, et
non le rouge — une vieille tradition anticléri<»ale. Ces cir-
constances particulières le rendaient capable de toutes les
concessions et de toutes les faiblesses- Le libéral anticlérical
était fréquemment, dans sa vie privée, parfaitement ortho-
doxe. J\'ai établi, une fois, une statistique des hommes qui
portaient au cou des médailles religieuses (à la faveur d\'une
consultation médicale) et j\'ai constaté qu\'ils étaient, enmajeure
partie, affiliés aux partis bourgeois de gauche. J\'ai publié ces
faits dans une revue française, et, croyant à un erratum, on
mit « droite » là où il fallait effectivement écrire « gauche ».
Mais ces mêmes sympathisants de gauche, porteurs de
médailles, auraient rougi de ne pas considérer, devant témoin,
l\'incendie des couvents comme un fait favorable à la santé
publique. C\'est une opinion injuste qui attribua à quelques
hommes, en particulier, la responsabilité de cette catastrophe
qui en annonça tant d\'autres. La responsabilité en incombe
au libéral espagnol, qui ne sut pas se rendre compte de la
gravité et de la signification des faits, qui contribua à leur
assurer l\'impunité et détruisit ainsi l\'autorité politique qui
subsistait.
A partir de cette date, le ton communiste de l\'agitation
espagnole crût et se développa avec un art suprême, et réussit
à ne se montrer ni trop fort, ni trop alarmant dans les élec-
tions et dans les autres manifestations publiques. L\'apparence
du i)ouvoir communiste était toujours inférieure à sa véritable
réalité. Cependant, à la fin, et prenant pour prétexte le
triomphe des droites aux élections, les communistes tentèrent
un coup de main révolutionnaire pour occuper le pouvoir, en
octobre 1934. On ne s\'en souvient pas à l\'étranger, où l\'on n\'a
pas de raison de connaître l\'histoire d\'Espagne en détail, même
quand elle est si récente. Mais les Espagnols, qui n\'ont pu l\'ou-
blier, rient du puritanisme subit que manifestent aujourd\'hui
ceux qui firent la révolution contre les résultats d\'une opération
aussi légale que les élections ; et ceci, parce qu\'une partie du
peuple et de l\'armée s\'est soulevée à son tour, deux ans plus
tard, à la suite de violences exercées par le nouveau pouvoir,
telles que l\'assassinat du chef de l\'opposition par trois officiers
de la gendarmerie. Les « gouvernementaux » d\'aujourd\'hui
sont les « rebelles » de 1934. Il est donc plus vrai de parler
aujourd\'hui de communistes et d\'anticommunistes, et de
laisser de côté ce mot de rebelle, qui soulève un grave pro-
blème de priorité.Le soulèvement des Asturies,en octobre 1934,
fut un essai en règle pour exécuter le plan communiste de la
conquête de l\'Espagne. Et le choix de l\'Espagne ne se fondait
pas seulement sur la facilité spécifique que créait dans ce pays,
toujours inquiet, un régime nouveau qui avait renoncé, dès
le premier moment, à toute autorité. Il ne s\'appuyait pas seu-
lement sur le cliché, vieilli et inexact, d\'une communauté de
psychologie entre le peuple espagnol et le russe. Mais aussi
sur ce fait que le triomphe du communisme en Espagne entraî-
nerait, sans aucun doute, et à très bref délai — et ceci pour
des raisons de géographie et de biologie raciale — un grand
ébranlement du fascisme européen et surtout la rapide con-
version au communisme de la plus grande partie de l\'Amérique
latine. La phase préparatoire de cette conversion — la capta-
tion du libéralisme américain — était déjà et est maintenant
plus encore, très avancée.
Le mouvement communiste des Asturies échoua par pur
miracle. Mais deux ans après, il y eut un second et formidable
essai. Que l\'Espagne rouge, qui lutte encore aujourd\'hui,
soit, dans son sens politique, totalement et absolument com-
muniste, nul de ceux qui y ont vécu seulement quelques heures,
ou qui, même de loin, ne contemplent pas le panorama espa-
gnol à travers ces mirages ingénus, mais, pour beaucoup
d\'esprits, efficaces, de la liberté, du bien public, de la démo-
cratie ou de la république constitutionnelle, ne peut le mettre
en doute. Les communistes militants, maintenant démasqués,
ne cachent naturellement plus leur dessein. Les non-commu-
nistes, attelés par la fatalité au joug de la cause rouge, parlent
encore de défendre une république démocratique, parce
qu\'ils savent la crédulité humaine infinie. Mais ceux-là même
ne cachent pas, dans le privé, qu\'ils maintiennent leur erreur
par peur ou par une sorte de mirage éthique qui leur fait
placer, avant le devoir de conscience, l\'amitié ou les com-
promis de parti, quand ce n\'est pas la peur de a disparaître ».
Le jour où j\'écris ces lignes, un homme aussi peu suspect
que M. Eden, a rendu patent devant le monde le caractère
indubitablement moscoutaire du mouvement rouge espagnol.
Personne, donc, ne mettra en doute, de bonne foi, des termes
sur lesquels repose le problème. Mon libéralisme récalcitrant
ne marchande pas son respect à ceux qui peuvent encore
appuyer sincèrement ce mouvement ou qui sympathisent sim-
plement avec lui parce qu\'ils croient précisément que le salut
de l\'Espagne et du monde entier dépend du communisme. Ce
que l\'on ne peut admettre, sans supposer la mauvaise foi ou
l\'insufïisance mentale, c\'est que cet appui et cette sympathie
se fondent sur l\'amour de la liberté, la paix sociale, la démo-
cratie, le respect de la pensée et toutes autres idées très nobles
qui n\'ont rien à voir avec l\'État bolchéviste.
Cependant, lorsque nous disions, il y a encore peu de temps,
que le nombre des communistes était petit en Espagne, nous
ne nous trompions pas. Ils étaient, et ils continuent à être
une minorité, même parmi ceux qui combattent dans les
tranchées rouges et parmi ceux qui forment son arrière-
garde. Notre erreur — comme celle des autres pays de l\'Eu-
rope occidentale et de l\'Amérique — est de juger l\'importance
sociale d\'une idée — et en l\'espèce de la comcmuniste — par
le nombre de ses affiliés. Si l\'être humain était capable de
s\'en tenir à l\'expérience historique, il lui suffirait de se rappeler
que la révolution russe triompha grâce à l\'effort d\'un groupe
presque insignifiant de bolchévistes. Mais comme la conduite
individuelle se base, en grande partie, sur l\'expérience propre,
l\'expérience historique n\'a aucune influence, et n\'en aura
probablement jamais, sur la conduite des collectivités. En
Espagne, il s\'est passé la même chose qu\'en Russie. Quelques
hommes d\'action, représentants d\'une minorité, mais bien
organisés et décidés à tout, se sont imposés à la majorité.
Les causes de cette victoire sont maintenant évidentes.
Déduction faite d\'une organisation et d\'une discipline indé-
niables, elle se base sur une tactique qui utilise sans scrupules
toutes les forces voisines et collatérales, quelles qu\'elles
soient, quitte à les rejeter dès qu\'on a remporté la victoire.
m
Pur machiavélisme. Alors que la révolution était déjà avancée,
le commimisme espagnol comprenait à peine quelques orga-
nisations, si on les compare aux organisations très nom-
breuses des socialistes, des anarchistes et des syndicalistes,
et même des républicains de gauche. Deux ou trois ministres
seulement représentaient les communistes dans les gouverne-
ments révolutionnaires — y compris dans le gouvernement
actuel — et le nombre de leurs députés était aussi, comme
nous l\'avons dit, et est toujours, réduit. Cependant, le com-
munisme n\'a pas seulement imposé son pouvoir à l\'Espagne
rouge, mais il a réduit à l\'impuissance les groupes socialistes,
dont certains aussi puissants au début du mouvement que celui
de Largo Caballero, héros de la révolution pendant de nom-
breux mois, ainsi que les masses très fournies d\'anarchistes
et de syndicalistes — maîtresses de la rue jusqu\'en avril der-
nier et pourvoyeuses du contingent le plus important de sol-
dats. L\'action chaotique de ces forces a été facilement dominée
par la sévère discipline communiste. Quand l\'occasion se
présenta, ces « amis du peuple » recoururent, sans le moindre
ménagement, à la « liquidation » des anarchistes et des syn-
dicalistes, qui sont, entre parenthèses, dans notre révolution,
l\'expression la plus authentique de la psychologie nationale.
Mais ils n\'auraient pu remporter cette extraordinaire
victoire sans un autre appui qu\'ils avaient antérieurement
exploité et habilement gagné : celui de l\'opinion libérale.
Alors que la conquête de la Russie put se réaliser par les
seuls moyens ouvriers, celle des pays occidentaux eût été
totalement impossible avec une opinion libérale contraire.
L\'opinion libérale a, dans notre monde, apposé son visa à
tous les mouvements sociaux. Elle fut le tyran de la pensée
européenne et américaine pendant le xix® siècle. Et quand
son étoile commença de faiblir, elle reprit une nouvelle impul-
sion et une nouvelle autorité avec la guerre européenne,
gagnée au nom de la démocratie, et avec l\'apogée des États-
Unis d\'Amérique, qui ressentent la ferveur démocratique
avec l\'impétuosité, tant soit peu pétulante, de la jeunesse.
C\'est pourquoi, pendant les années qui ont précédé le mou-
vement actuel, la propagande communiste se spécialisa dans
la conversion des libéraux du monde entier.
VI
Voilà, en effet, une autre clef du problènae. Si l\'on pouvait
théoriquement réduire à une seule cause le grand boulever-
sement actuel de l\'humanité, je n\'hésiterais pas à dire qu\'on
la trouve dans l\'immense erreur des libéraux du monde. Ils
représentaient, à l\'origine, le sens humaniste de la civili-
sation — le plus fécond en actions pratiques et spirituelles
— et ils sympathisent, en majorité, aujourd\'hui, avec la plus
antilibérale et la plus antihumaniste de toutes les idéologies
politiques qui aient jamais existé : l\'idéologie communiste.
Il serait très long de méditer sur les motifs de cette erreur,
sans précédent dans l\'histoire. Le libéral était, en principe,
l\'homme compréhensif, tolérant, et convaincu que le progrès
du monde ne pouvait se réaliser sans un minimum de liberté.
L\'ère du libéralisme s\'ouvre, en réalité, avec la Renaissance,
pendant laquelle l\'inspirateur de tous les politiciens et d\'une
grande partie de l\'idéologie des hommes cultivés fut Tacite,
prototype de l\'ennemi des despotes, et, en réalité, le premier
libéral, au sens moderne du mot. Plusieurs siècles de lutte
contre le despote firent naître deux erreurs dans la conscience
du libéral : l\'ennemi de la liberté, c\'est toujours le tyran
unique, le monarque ; le sentiment libéral s\'abrite dans le
peuple et s\'alimente dans le feu de la popularité. Le premier
résultat de cette erreur apparut avec la Révolution française,
préparée par les libéraux contre les despotes et en faveur du
peuple. Immédiatement surgirent le despotisme du tribunal
populaire et les dictateurs sortis de la masse —■ de Robes-
pierre à Napoléon. Et les victimes en furent, inévitablement,
les libéraux véritables ; ceux qui, pour être fidèles à leur libé-
ralisme — à leur conduite plutôt qu\'à son idéologie — se
rebellèrent contre le nouveau despotisme, furent guillotinés
ou se virent contraints de fuir.
C\'est alors que naquit aussi l\'autre espèce de libéral, le
bâtard, celui atteint du daltonisme, celui qui est incapable
de voir le despotisme quand il apparaît coloré en rouge. Ce
fut lui qui couvrit de son autorité la cruauté révolutionnaire ;
lui qui la glorifia et lui qui rendit possibles, en grande partie,
toutes les révolutions postérieures, jusqu\'à la nôtre.
Ce qui caractérise ce libéral —- le faux, qui est de beaucoup
le plus répandu — c\'est sa terreur infinie de ne pas paraître
libéral. Ces libéraux, pour la plupart, ne se préoccupent
pas de ce que signifie, au sens profond, le fait de suivre une
conduite libérale ; ils se préoccupent de passer pour libéraux.
L\'immense prestige social du libéralisme explique et disculpe
cette attitude. Le réactionnaire le plus rigoureux ne peut
réprimer un sourire de satisfaction — combien de fois l\'avons-
nous remarqué ! — quand on lui dit : « Vous, vous êtes un
libéral, au fond. » En échange, le libéral ne peut souffrir, sans
angoisse, qu\'on doute de son libéralisme. Ne pas être libéral
suppose, dans l\'idéologie courante : avoir peu d\'intelligence,
car, en effet, un grand nombre des hommes fameux par leur
travail créateur furent libéraux, ou, du moins, eurent un
esprit teinté de tolérance libérale. Cela signifie, de plus,
« être ennemi du peuple », phrase créée par la Révolution
française et qui conserve son prestige intact dans beaucoup
d\'esprits. Et cela signifie, enfin, ne pas être un homme moderne
parce que de nombreuses conquêtes de la civilisation se sont
faites sous le signe de la liberté. En tout cela, il y a une part
de vérité. Mais on ne prête pas de couleur fixe à la liberté ;
et elle n\'est pas une question d\'idées, mais de conduite. Quelle
terrible erreur que d\'en avoir fait, non seulement une poli-
tique, mais encore une politique de classe !
Le communisme a exploité avec habileté et avec une intui-
tion aiguë ces trois brèches de la vanité des libéraux, et il les
a ainsi réduits à sa merci. Il est certain que la négation de
tout libéralisme, que suppose le régime communiste, rend,
à première vue, très difficile de concilier celui-ci avec la
ferveur libérale. Mais le communiste, comme tous les grands
propagandistes, ne s\'arrête pas à ces contradictions. Il sait
que le coefficient de la crédulité collective est pratiquement
infini. Et le libéral possède, en plus de cette crédulité, une
candeur particulière quand.on lui parle au nom de ses mythes
de prédilection. Dans ce sens, le spectacle du monde actuel
est surprenant. Au moment même où l\'on extermine en Russie
par douzaines les dissidents du rigide credo gouvernemental
ou que l\'on fait disparaître à l\'étranger les chefs des grou-
pements anticommunistes, le libéral continue à croire que la
Russie est le pays du progrès moral et de la liberté, la Mecque
du libéralisme. L\'exemple de l\'Espagne porte cette erreur jus-
qu\'aux limites de l\'inconcevable. On y trouve encore (côté
rouge) des libéraux qui y déclament, avec une éloquence et
une tournure d\'esprit très libérales, contre la dictature du
camp opposé, tandis qu\'eux-mêmes, non seulement ne peuvent
exprimer librement leurs pensées, mais encore sont obligés
bien souvent de dire à la presse ce qu\'on leur ordonne. En
novembre dernier, un communiste me disait à Madrid : « Toi,
qui as toujours été libéral, tu seras avec nous » ; mais, le même
jour, le comité des ouvriers avait interdit la réédition d\'un
de mes livres, parce qu\'on pouvait lire ceci sur l\'une de ses
pages : « Moi, qui ai toujours été libéral, grâce à Dieu. »
Quand je sortis d\'Espagne en faisant remarquer que ce procédé
ne me paraissait pas très libéral, on me déclara « ennemi du
peuple », et un écrivain d\'un pays américain, communiste et
catholique, m\'appela dans un article « le nouveau Torque-
mada espagnol ».
Naturellement, il y a beaucoup de libéraux — tous ceux
que le rouge n\'aveugle pas — des républicains sincères, en
grande partie, qui se sont séparés de l\'Espagne communiste,
et précisément parce qu\'elle est communiste. Leur position
exprime la fidélité la plus stricte à leur attitude et à leur con-
duite de toujours ; ils n\'ont en rien « trahi le peuple », ainsi
que certains les en accusent. La fuite de tous ces libéraux de
l\'Espagne rouge est, dans la psychologie occidentale, un rude
coup porté au communisme, coup difficile à neutraliser par
de la contre-propagande. Aussi a-t-on tenté de les attirer par
toutes sortes de flatteries — mais sans succès. Ceux-là même
qui allèrent aux Cortès de Valence, si péniblement préparées,
étaient de retour en France quarante-huit heures après. Parmi
les jugements qu\'ils portent, dans le privé, il en est un, connu
de tous et qu\'il n\'y a pas d\'inconvénient à répéter, puisqu\'il
ne peut compromettre personne : le régime de l\'Espagne
rouge est absolument soviétique ; un homme libéral n\'a que
faire là-bas.
VII
Mais la manœuvre communiste présentait un autre grand
danger en Espagne, celui de son internationalisme. L\'Espa-
gnol, même celui dont les idées sont les plus avancées, a
toujours un lest de qualités nationales, probablement supé-
rieur à celui de presque tous les peuples d\'Europe. L\'Espagne
est certainement le pays des régionalismes ; j\'ai dit bien
souvent que le régionalisme est la manifestation la plus pure
et la plus vive de l\'âme nationale, et il suffît, pour le prouver,
de voir la rigoureuse distribution régionale qu\'établissent
spontanément les groupes d\'Espagnols émigrés en Amérique.
On y parle, là-bas, d\'Italiens, de Français, d\'Allemands ;
mais, quand il s\'agit d\'Espagnols, on parle de Castillans,
d\'Andalous, de Catalans, de Galiciens, d\'Asturiens. Le fait
de tenir compte des caractéristiques régionales m\'a toujours
paru, en Espagne, non pas un impératif politique, mais un
impératif biologique. Ceci dit, l\'erreur de beaucoup a été
d\'essayer d\'infiltrer, sous la noble réalité régionale, l\'insi-
nuation séparatiste. Le sentiment national de l\'Espagne est
fait d\'esprit régional, pure extension, à son tour, du profond
sentiment familial des Espagnols. Et non seulement il ne
l\'affaiblit pas, mais encore elle y puise sa sève et sa vigueur
Dans n\'importe quel village d\'Amérique, aussi bien qu\'à
Madrid ou Barcelone, les Espagnols se réunissent, en effet, par
provinces dans leurs centres régionaux, comme de vastes
familles qui frayent à peine avec leur entourage. Mais devant
la nation en danger — en tant que telle — tous se rassemblent>
animés d\'une même ferveur ; et peut-être le danger commun
finira-t-il par créer une sorte d\'union. Une grande part de
l\'enthousiasme de l\'Espagne nationaliste d\'aujourd\'hui est
suscitée par l\'idée de l\'unité nationale, opposée au sépara-
tisme basque, si mal interprété à l\'étranger, où l\'ambition
d\'un groupe réduit de Basques a douloureusement servi d\'ins-
trument à l\'internationalisme communiste. La Catalogne, en
échange, bien qu\'elle soit officiellement avec les rouges, eut la
sagesse de ne pas se prêter à cette manœuvre. Cette attitude
aura, évidemment, une grande répercussion à la fin de la
guerre et par la suite. A noter aussi l\'exemple de la Navarre,
pays d\'un régionalisme enraciné, et qui, cependant, a joué
le rôle primordial dans l\'actuel mouvement nationaliste.
Quand une tentative de séparatisme fut esquissée lors de la
première république d\'Espagne, par le mouvement que l\'on
appela « cantonal », l\'homme qui représentait alors le libéra-
lisme et le républicanisme espagnol, le grand orateur Castelar,
prononça un discours fameux, déclarant que, pour sauve-
garder le pays, il renoncerait au libéralisme, à la démocratie
et à la république. Il y a en Espagne beaucoup d\'hommes de
gauche qui savent par cœur ce discours — plus beau et plus
moderne que les proclamations marxistes — et qui, mainte-
nant, le récitent avec émotion.
Deux mois avant que ne se produisît la révolution espa-
gnole, j\'écrivais, dans un article que publièrent plusieurs
journaux d\'Europe et d\'Amérique, que, si le Front populaire
espagnol — alors récemment formé — ne réussissait pas à
donner à son idéologie et à son action un sens profondément
national, il provoquerait le soulèvement de l\'Espagne. Il n\'y
avait pas de mérite à faire cette prophétie, car, de toutes parts,
on percevait l\'hostilité des Espagnols devant la tactique
notoirement russe de ces agitations pré-révolutionnaires, qui
ne furent jamais sanctionnées par nos gouvernements. Le fait
le plus significatif, dans ce sens, et que personne ne commenta,
est l\'attitude de la jeunesse universitaire, qui fut la force de
choc du mouvement libéral contre la dictature et le ferment
de l\'agitation qui prépara le changement de régime. Mais,
à partir de la troisième année de la république, elle commença
à changer d\'orientation, et si rapidement qu\'aux jours des
élections du Front populaire, un professeur socialiste qui, peu
de temps avant, était l\'idole des étudiants, en était arrivé à
faire ses leçons au milieu de l\'hostilité de son auditoire. Et il
m\'avoua que la plupart de ses élèves étaient antimarxistes.
N\'importe lequel d\'entre nous — professeurs espagnols —
a pu vérifier ce même fait. Aujourd\'hui, 80 p. 100 des étudiants
luttent comme soldats volontaires dans les rangs nationalistes.
Beaucoup d\'entre eux ont été élevés dans une ambiance libé-
rale et appartenaient, au début de leurs études, aux associa-
tions libérales, et même socialistes ou communistes d\'étudiants.
Et ils sont nombreux les jeunes gens, alors presque des enfants,
que nous avons connus en prison pendant la dictature et
qui sont aujourd\'hui des héros, vivants ou morts, de la cause
antimarxiste. Ce qui les a fait changer, c\'est, sans aucun
doute, la signification anti-espagnole de la propagande du
Front populaire.
Les dirigeants communistes se rendirent rapidement compte
que c\'était là la principale force du mouvement du général
Franco. C\'est pour cela qu\'au début de la guerre leur propa-
gande tendit à exploiter le soi-disant outrage que constituait
l\'emploi en Espagne de l\'armée marocaine. Mais moi, qui
étais alors en Espagne rouge, je pus voir que cet argument,
d\'inspiration étrangère, ne faisait pas la moindre impression
sur les Espagnols. La confraternité d\'armes des Espagnols
et des Marocains est une tradition nationale. Seuls ceux qui
croient ingénument que l\'histoire commence avec eux et que
le passé ne compte pour rien, ignorent que les exploits les plus
proprement nationaux, comme les campagnes du Cid Cam-
peador et la conquête de Grenade, qui mit fin à la Recon-
quête, se firent, en partie, avec des soldats africains. Chaque
Espagnol, du côté rouge, se sentait, ethniquèment, plus proche
des Maures d\'en face que des Russes semi-asiatiques qui com-
blaient déjà son arrière-garde.
L\'argument dont on se servit ensuite est celui de l\'invasion
par les troupes étrangères. Les chefs rouges, une fois con-
vamcus de la nécessité de donner à leurs troupes un sentiment
national, voulurent transformer la guerre communiste en une
guerre de libération. Cet argument eut beaucoup plus de
succès à l\'étranger qu\'en Espagne même, comme on pouvait
s\'y attendre. En Espagne, ceux qui vivent entourés de Russes,
de Français, de Tchèques, etc... et qui savent, par expérience
propre, ce que vaut leur concours, ne sont pas profondément in-
dignés par l\'idée qu\'il y a en face d\'eux aussi des combattants
étrangers. Il n y a pas d Espagnol qui n\'ait conscience que la
guerre faite par lui n\'est pas une guerre civile, mais une lutte
internationale. Mais il n\'est venu à l\'esprit d\'aucun Espagnol
— rouge ou blanc ~ que, la guerre terminée, cette aide
pourrait se transformer en une occupation territoriale,
L\'Espagne se souvient de la guerre d\'Indépendance contre
Napoléon — guerre éminemment populaire, dont les commu-
nistes veulent ressusciter l\'esprit — guerre qui fut précisément
gagnée avec le concours d\'une formidable armée anglaise,
commandée par un des plus grands généraux du siècle. Elle
sait que. Napoléon vaincu, l\'armée amie et son général quit-
tèrent son sol sans y conserver un seul pied de terre. L\'Espa-
gnol n\'ignore pas non plus que, pendant la guerre européenne,
les Anglais et les Américains occupèrent des départements
entiers de la France et qu\'ils partirent aussi, dès qu\'ils eurent
triomphé. De part et d\'autre des tranchées espagnoles, nul ne
doute que le but que se proposent les soldats internationalistes
qui luttent avec les rouges et celui que poursuivent les Italiens
et les Allemands qui se battent à côté des soldats de Franco, ne
soit très distinct de l\'occupation territoriale. Cette occupation,
qui alarme tant les étrangers, n\'alarme pas les Espagnols.
Et l\'on peut assurer que si l\'une des diverses nations qui ont
des soldats en Espagne songeait à s\'emparer d\'un pouce du
territoire, les marxistes et les antimarxistes s\'uniraient pour
les en empêcher avec la même intrépidité qu\'ils déploient
aujourd\'hui pour lutter entre eux. 11 est un morceau de roc
espagnol que les Anglais ont occupé à une époque, déjà loin-
taine, où notre sens national était assoupi, et il n\'est pas
d\'Espagnol qui ne rêve encore chaque nuit de Gibraltar.
L\'important n\'est donc pas l\'aide momentanée, fournie par
des étrangers, en hommes et en matériel : c\'est là une question
qui peut être résolue hors d\'Espagne par quelques politiciens
intelligents et décidés à un accord. L\'important, c\'est que
des étrangers ont tenté de s\'emparer de l\'esprit national. S\'il
n\'y avait, du côté rouge, ni un seul soldat, ni un seul fusil
moscovite, ce serait la même chose : l\'Espagne rouge est spi-
rituellement communiste russe. Du côté nationaliste, quand il
y aurait des millions d\'Italiens et d\'Allemands, l\'esprit des
gens y serait — avec ses qualités et ses défauts — infiniment
espagnol, plus espagnol que jamais. Et il est inutile d\'attaquer
avec des sophismes cette vérité absolue dont dépendaient déjà,
avant la lutte, la force de l\'un des partis et la faiblesse de
l\'autre. Si la devise « Arriba Espana ! », que crient aujour-
d\'hui avec émotion beaucoup de non-fascistes de l\'Espagne
nationaliste, avait été adoptée par les gens d\'en face, le pour-
centage de leurs probabilités de triomphe eût été, de ce simple
fait, infiniment supérieur.
ET
VIII
Ce sont là les termes exacts du problème : une lutte entre
un régime antidémocratique, communiste et oriental, et un
autre régime antidémocratique, anticommuniste et européen
dont seule la réalité espagnole, toute-puissante, modèlera la
forme exacte. Comme l\'Italie et les Flandres furent, aux
XV® et XVI® siècles, le théâtre de la lutte entre les grands
pouvoirs qui allaient façonner la nouvelle Europe, les grandes
forces du monde livrent aujourd\'hui leur bataille en Espagne ;
et l\'Espagne apporte — c\'est sa glorieuse tradition — la part
la plus dure dans l\'efïort, pour la victoire dont tous profiteront.
Voilà comment la plupart des Espagnols ont pris position
devant ce problème. Et vis-à-vis d\'eux, c\'est aussi celle que
doit adopter le spectateur étranger (il est d\'ailleurs peut-être
moins « étranger » qu\'il ne se le figure), c\'est-à-dire commu-
niste ou non. La formule communiste est unique, et l\'on
essaye avec elle de conquérir le monde. La formule anticom-
muniste n\'est pas nécessairement fasciste. Anticommunistes
sont l\'Italie, et l\'Allemagne, et le Portugal, et le Japon, et,
explicitement ou implicitement, beaucoup d\'autres États
d\'Europe ou d\'Amérique. Et chacun, selon un minimum de
données communes, se gouverne à sa façon. On peut donc
choisir.
Le problème serait en somme très clair sans l\'intervention
— 32 —
perturbatrice des forces libérales, dont l\'inimense prestige
et dont l\'iramense maladresse remplissent aujourd\'hui de
confusion le théâtre politique du monde. L\'aveuglement
devant l\'antilibéralisme rouge a poussé le libéral à vendre son
âme au diable. Mais son châtiment sera proportionné à son
erreur, car le libéralisme, en tant que force politique, n\'exer-
cera peut-être pas d\'action directe pendant les années qui
vont venir. Mais il demeurera une force spirituelle car, de
quelque nom qu\'il soit revêtu, ce qu\'il représente à son origine
et dans son essence, c\'est le moteur immortel du progrès des
hommes. Et, sans doute, quelque jour, il jaillira, purifié, des
dictatures d\'aujourd\'hui.
Les libéraux espagnols savent maintenant à quoi s\'en tenir.
Ceux du reste du monde, pas encore. Je n\'écris pas pour les
convaincre. En politique, l\'unique mécanisme psychologique
du changement est la conversion, jamais la conviction ; et
l\'on doit toujours suspecter celui qui change, quand il dit
qu\'on l\'a convaincu. Les libéraux du monde entendront aussi
un jour le tonnerre et le coup de foudre ; ils tomberont de
leur cheval blanc, et, quand ils recouvreront la conscience,
ils auront appris de nouveau le chemin de la vérité.
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PARIS S. G. I. E., 71, RUE DE RENNES.
1938
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PRIX : 2 fr. 50