LE RETOUR DE L\'EMPIRE.
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Auteur de l\'Histoire du 2 Décemîire.
BRUXELLES,
A. LÉON LÉVÈQUE ET C.
BUE NOTIIE DAME AUX MISES, 35.
1853.
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i-
Préliminaires indispensables. — L\'Europe et la France égale-
ment inte\'i-essées à l\'Empire. — Pre\'dictions anciennes reali-
gées.\'—Souvenirs frappants du 10 mai dernier. — Rappro-
chements. — Comment Unissent les re\'puliliciiies. — Coup
d\'œil sur la presse. —- Les impérialistes du lendemain et les
plagiaires du peunle. — Qui a fait l\'Empire? — La Foi des
pavsans. — Le Voyage de l\'Empereur. — Leçons aux partis.
— Conseils à la presse. — Que va devenir le suffrage univer-
sel? — Pourquoi l\'Empire est légitime et providentiel. —
Droits et Mission du nouvel Empereur. — Sa descendance
historique. — (\'e qu\'il a fait de])uis le 2 De\'cembre. — La Fin
des partis. — République, Orle\'anisme, I^égitiinité.— La Jus-
tice de Dieu et les Enseignements de l\'histoire, — Les Ré-
publicains en Europe; les Pampliléaires de l\'exil. — Rappel
des Proscrits. — Rentre\'e dans Paris — Paris réconcilié. —
Le Discours de Bordeaux, — Ce que sera le nouvel Empire.
1® Octolbre 1853.
Aut Caîsar, aut nihil. —
Ces lignes ne sont ni une prophétie, — car on
ne prédit pas ce qui existe ; — ni une discussion,
car on ne conteste pas le jour en plein midi; — ni
Un appel à qui ou à quoi qxie ce soit, — car on n\'a
rien à demander au consentement unanime; — ni
Un plaidcj^er, — car il n\'y a pas plus d\'adversaires
à confondre que de tribunal apte à connaître de la
cause; — ni une justification enfin, — car la vé-
rité, comme Dieu, se prouve en s\'affirmant.
C\'est une action de grâces, rien de plus, rien de
nioins. De si bas qu\'elle parte, à quelque faible
écho qu\'elle arrive, qu\'elle réponde au sentiment
de tous ou qu\'elle se perde dans la tempête de
l\'acclamation universelle, qu\'importe? La plume
de l\'écrivain n\'est, aux grandes heures de l\'his-
toire, que ce qu\'était aux siècles antiques la lyre du
poëte et aux temps des croisades la parole du prê-
cheur: un instrument de l\'opinion, un reflet de la
foule, un rouage du mécanisme social, toutes cho-
ses qui n\'ont ni la volonté de l\'action, ni le choix
de l\'heure, ni la liberté de la résistance, car elles
ne savent, ne doivent et ne peuvent qu\'obéir.
Jadis, la voix de Dieu «clamait dans le désert»,
parce que ce n\'était pas encore la voix du peuple;
aujourd\'hui la voix du peuple bénit dans la foule,
parce que c\'est déjà la voix de Dieu.
Qu\'on dise donc de ces pages tout le bien ou
tout le mal qu\'on en voudra dire; nous ne les au-
rions pas plus écrites si on nous les eût demandées,
que nous ne les eussions cachées si on les eût inter-
dites, parce qu.e devant le cri de la conscience on
n\'est pas plus libre de parler que de se taîre.
Qu\'on les accuse d\'être serviles ou qu\'on les loue
d\'être franches, que le pouvoir les accueille ouïes
renie, nous nous en soucions peu. Cette plume que
nous tenons est-elle, comme penseront les niais,
une plume vendue, ou, comme notre vie l\'atteste,
une plume indépendante? Nous ne pourrions le
dire. Tout ce que nous savons, c\'est qu\'en ce mo-
ment c\'est une plume obéissante, et qu\'elle sert
un maître qui s\'appelle tout le monde.
Et non pas seulement tout le monde en Prance,
mais en Allemagne, en Angleterre, en Italie, en
Eussie, en Amérique; tout le monde; c\'est-à-dire
l\'nnivers politique, l\'univers moral, l\'univers chré-
tien. L\'irrésistible vœu, l\'ardente passion, la soif
dévorante de l\'Empire, qui tient, comme dit le
poëte latin, nos populations inhiantes et béantes,
n\'est plus à cette heure une affection particulière
à la Prance ; c\'est l\'état chronique même de l\'Eu-
rope et du monde. Il y a plus: la Erance, à tout
prendre, et nous le prouverons tout à l\'heure, n\'a
plus à désirer l\'Empire, elle l\'a, elle le possède,
elle en jouit dans toute sa plénitude, — innommée
encore et indécrétée, il est vrai, — mais réelle, pa-
tente, irrécusable, plus lumineuse que la lumière.
Entendez-la crier, de Paris à Strasbourg, de Lyon
à Marseille, de Toulon à Lille; que répète-t-elle
partout où il y a trois hommes réunis au nom de
Louis-Nepoléon, qu\'affiche-t-elle partout où il y
a une muraille, qu\'arbore-t-elle aux peupliers de
ses routes, aux clochers de ses églises, aux ban-
nières de ses communes accourues pour bénir
celui qui vient au nom du Seigneur? Est-ce:
"SoisEmpereur?» Non. C\'est ((ViverEmpereur!»
qu\'elle crie. L\'Empereur? Il existe donc, il y a
donc, là, devant ces paysans ivres de foi, au mi-
lieu de cette armée prête à sceller cette foi de son
sang, en face de ce peuple qui voit et qui affirme.
Un Empereur de Chair et d\'os à qui le pays souhaite
Clu\'il vive, qu\'il vive parce qu\'il est son Empereur,
et qui l\'est en elFet puisqu\'il vit. Vive donc l\'Em-
pereur! Ce qui n\'est pas ne vit pas, et notre cri
ne veut pas dire autre chose.
Douter de l\'Empire parmi nous, c\'est folie
(s\'il lui manque encore quelque chose, nous y re-
viendrons) ; mais constater que l\'Europe le désire
antant que nous l\'avons désiré, c\'est devoir. Le
jour où le neveu de César aura changé son nom
d\'Octave pour le nom d\'Auguste, son chapeau de
plumes pour une couronne d\'or et son altesse
pour une majesté, il aura fait autant pour ses frè-
res les souverains que pour nous-mêmes. Perpé-
tuer l\'autorité dans notre pays, c\'est la sanctifier
dans les autres. Malade encore du typiius démo-
cratique, pour parler comme les Allemands, l\'Eu-
rope a besoin de cette suprême et définitive conva-
lescence, — la stabilité en Erance. Les deux votes
du 10 décembre 1848 et du 20 Décembre 1851
ont été les étapes successives de son retour à la
paix et à l\'ordre; l\'Empire proclamé en décembre
1852 lui apparaît déjà comme la halte finale des
révolutions nées de notre exemjjle républicain.
Il y a cinq mois, nous écrivions ce qu\'on va lire,
sous le titre : VEmpire et VEurope :
«Eeparlons de l\'Empire, et pour ménager la
sensibilité de nos adversaires; ayons la charité,de
n\'en parler encore que comme d\'une hypothèse,
bien qu\'à nos yeux, comme à ceux de toute l\'Eu-
rope , jamais réalité n\'ait eu forme plus palpable,
couleur plus accusée et vitalité plus puissante.
«Ils disent donc, en termes peut-être un peu
moins exacts que les nôtres, que la proclamation
de l\'Empire aurait pour corollaire immédiat une
déclaration de guerre de toutes les puissances du
Nord à la Erance; ■— que, le principe de la légiti-
mité monarcliique devant tôt ou tard nous être
rendu par une coalition nouvelle des rois au de-
hors et des partis à l\'intérieur, l\'Empire se trouve-
rait instantanément acculé entre une invasion et
tine guerre civile, entre une Camj)agne de Erance
et une Vendée, entre Blucher et Cadondal accou-
ïus, l\'un à la tête des Prussiens et des Eusses pour
faire respecter les traités de 1815, l\'autre à la
queue des paj\'sans de la Bretagne et des bouti-
quiers de rile-de-Erance, pour rouvrir les Tuile-
ries aux deux irréconciliables dynasties, provisoi-
rement réconciliées ; -— que le socialisme alors et
la démagogie, maîtres du territoire que ne dé-
fendrait plus l\'armée, tenteraient une revanche
de 1851 qui les atués, et de 1852 qu\'on leur a tué;
_que l\'Angleterre s\'emparerait de l\'Algérie, ce
qui ne serait qu\'une représaille de l\'envahissement
de la Belgique; — que les républicains d\'Italie ne
manqueraient pas d\'égorger quelque peu nos sol-
dats restés là-bas pour défendre la catholicité dans
son chef; —que le Piémont deviendrait autrichien,
la Suisse prussienne, l\'Egypte anglaise et la Tur-
quie russe, — que S. M. M. de Chambord à Paris,
ce serait en même temps LL. MM. messieurs de
]\\:[ontemolin à Madrid et Miguel de Bragance à
Lisbonne ; — qu\'il faudrait enfin refaire la carte
d\'Europe, amoindrir nos frontières, perdre ^notre
marine, payer le sucre six francs la livre, rétablir
la conscription forcée, les garnisaires, les réqui-
sitions de lycéens, les quarante-cinq centimes
du sang et de la chair, atteler les femmes à la
charrue, et «quand la pauvre Champagne,»
comme dit le poëte de la bourgeoisie, « serait en
proie aux étrangers,» savourer cette douleur —
(Ineffable pour des gardes nationaux qui ont fait
1830 et 1848!) de revoir les habits rouges au Pa-
lais-Eoyal, et de s\'enrichir, comme en 1815, avec
l\'or des officiers cosaques!
((Etc., etc. Car ce n\'est pas là la vingtième
partie des énormités qui ont cours à l\'heure ac-
tuelle, — que nous ne discuterons pas, par res-
pect pour nos lecteurs et pour nous-mêmes, mais
tlont nous devons au moins mentionner un faible
échantillon, pour montrer à quel idéal de bêtise
peut atteindre le bourgeoisisme, quand certains
hommes qui le connaissent et le manient s\'amusent
à le griser du double vertige de la peur et de l\'es-
prit de parti. Des esprits chagrins pourraient bien
le prendre beaucoup plus au sérieux cj[ue nous, et
prétendre que ces bruits et ces craintes sont encore
plus impies que stupides, qu\'il y a dans les rangs
de ceux qui les colportent autant de mauvais
citoyens que de bavards ignorants; mais ceci est
Une appréciation individuelle, qui nous mènerait
loin et que, pour notre compte, nous n\'acceptons
pas avec cette rigueur. Nos mœurs répugnent à
ces monstruosités renouvelées des réactions san-
glantes de 93, de 1815 et de 1848 ; l\'opposition,
depuis le bienheureux jour qui lui a enlevé sa tri-
bune et sa presse, est descendue des manifestations
aux commérages, des barricades au coin du feu,
des coups de fnsil aux coups de langue; et franche-
ment, les papotages de la boutique, les conspirail-
leries de quelques salons, les médisances de l\'es-
taminet et de la rue valent-ils qu\'on les combatte
ou qu\'on les pèse?
« Ce serait misérable, et ce serait inutile. Ap-
prendre à des écoliers en cheveux gris la géogra-
phie intellectuelle, historique et morale de leur
pays nous semble aussi difficile que de convaincre
Tin oxléaiiiste systématique du néant des Chartes
bâclées, ou un républicain de la veille de la mé-
chanceté des Constitutions discutées : tous deux
en savent là-dessus autant et plus que nous-mê-
mes; mais les partis ne sont sourds que parce
qu\'ils ne veulent pas entendre. Dire aux colpor-
teurs de fausses nouvelles, aux poltrons de toutes
les nuances, aux déserteurs de tous les drapeaux,
que non seulement l\'Europe laissera faire, mais
qu\'elle sera enchantée de voir faire l\'Empire;
qu\'elle y a intérêt plus que la Prance encore peut-
être ; qu\'elle le désire aussi ardemment que nous,
qu\'elle l\'invoque, qu\'elle l\'implore; que le monde
diplomatique, si calme d\'habitude et si maître de
tout ce qui l\'entoure, est la proie, à l\'heure qu\'il
est, d\'une agitation fébrile et prophétique ; que la
société civilisée tout entière, depuis le souverain
pasteur d\'hommes jusqu\'au dernier paysan pas-
teur de brebis, depuis le prêtre jusqu\'au soldat,
depuis le penseur jusqu\'au manoeuvre, se tour-
mente et s\'inquiète du retard apporté à l\'enfante-
ment de cette dernière genèse du sufî\'rage univer-
sel; — dire cela, mais qu\'est-ce donc dire, sinon
la plus banale des vérités et la plus vulgaire des
constatations .P Quoi ! l\'Europe s\'armerait, si Napo-
léon III était proclamé empereur ? Allons donc !
Mais c\'est pour en être plus sûre, c\'est pour que
le fait soit mieux constaté pour elle que chaque
puissance d\'outre-Rliin envoie à la revue du
10 mai ses généraux, ses délégués et ses voya-
geurs! Ignorants que nous sommes de ne pas
mieux connaître, — ingrats que nous sommes de
ne pas mieux aimer notre Erance ! N\'est-elle donc
plus pour nous l\'esprit, le coeur, l\'âme de l\'Eu-
rope? Quelque impérieux que soient ses désirs,
quelque incroyable que soit sa volonté, quelque
immenses que soient ses actes, ce qu\'elle désire
l\'Europe le demande, ce qu\'elle veut l\'Europe l\'exé-
cute, ce qu\'elle accomplit l\'Europe l\'accepte à ge-
noux. Dieu seul peut dire ce qu\'il adviendra de
l\'Empire; mais au cri de: Vive l\'Empereur! poussé
de Paris, savez-vous quel cri répondra du Bos-
phore au Tage, de la Vistule à l\'Ebre, de la Ta-
mise au Tibre?
«Le cri de cent millions d\'hommes, d\'un pape,
de deux empereurs, d\'un sultan, de vingt rois, de
cent princes : « Gloire à celui qui nous a sauvés ! »
Etcenecera que justice; car ces chefs d\'empires
et de royaumes qui, après la méprisable révolution
de février, respectèrent assez la Erance pour ne
pas même élever la voix contre le honteux gouver-
nement qu\'elle s\'était donné; ces peuples qui
nous regardent et qui nous aiment, parce qu\'ils
savent que nous leur donnons tout ce qui les élève,
les instruit, les éclaire et les rend meilleurs; cette
Europe régénérée par le réveil de l\'ordre et sau-
— le-
vée par le 2 décembre, attendent de Dieu ce cou-
ronnement suprême de la seule efficace, de la
seule légitime, de la seule sainte, de la dernière
des révolutions: I\'Empire.»
ISTous avions, dans un journal, oublié comme le
passage que nous venons de transcrire, essayé de
répondre ainsi à des appréhensions aujourd\'hui
disparues. Quelques jours auparavant, à l\'appro-
che de la fameuse revue du 10 mai, où furent dis-
tribuées les aigles à l\'armée, les mêmes craintes
conçues nous avaient conseillé les phrases sui-
vantes, que nous demanderions pardon de rappe-
ler, si elles ne montraient quel chemin prodigieux
la question de l\'Empire a fait depuis le mois de
mai dernier :
«C\'est dans douze jours, le 10 mai; date, soit
dit en passant, où, aux termes de cette pauvre
Constitution de 1848, devaient expirer les pou-
voirs présidentiels de Louis-Napoleon, que l\'ar-
mée tout entière va recevoir des mains de son chef,
qui est aussi le chef de l\'Etat, les aigles qui doi-
vent symboliser son dévouement, raviver ses tra-
ditions d\'honneur et de gloire et sanctifier sa mis-
sion de vaillance et de salut public. Si ce jour, qui
doit être grand parmi les plus grands jours de
notre histoire, est salué d\'avance par bien des
espérances ardentes, il est entrevu aussi par plus
d\'une apprélaension poignante. Nous voulons, dans
notre franchise, apprécier ces aspirations et ces
craintes.
«Que dit, à l\'heure qu41 est, toute l\'Europe?
Que les acclamations de l\'armée introniseront, le
10 mai, un nouveau César; que les faisceaux et le
pavois consulaires s\'appelleront désormais sceptre
et trcne; que la couronne civique, diamantée au
21 décembre du chiffre de huit millions de suffra-
ges, va se transfigurer en diadème impérial; qu\'à
l\'appellation glorieuse : Louis-Napoléon,président
de la République française, succédera l\'exergue hé-
réditaire: /S. M. Napoléon III, empereur des
Français. Voilà ce qui se dit, et pas autre chose.
(( Rien dans cette prestigieuse hypothèse ne nous
surprend et ne nous effraie. Il y a longtemps que
nous l\'avons prédite, décrite, racontée presque
littéralement, signée de notre nom et scellée de
notre foi. Nous avons donc le droit de la discuter
et de lui donner ce qui lui manque encore, La réa-
lité de la vie.
«Si les acclamations de l\'armée demandent,
proposent et imposent l\'Empire, cela ne prou-
vera qu\'une chose, c\'est que l\'Empire est fait, il
y a longtemps déjà. S\'il se passe au Champ-
de-Mars des événements tels que Napoléon, troi-
sième du nom, n\'ait plus, en rentrant dans son
palais, qu\'à écrire à l\'archevêque de faire prépa-
rer Notre-Dame et au pape de venir l\'y sacrer,
cela ne prouvera qu\'une vérité de plus: c\'est que
l\'armée n\'a pas inventé l\'Empire. Un fait, un fait
même aussi considérable que la manifestation
d\'une armée qui s\'appelle l\'armée française, en
faveur d\'une transformation de gouvernement, un
fait, répétons-nous, n\'est pas une cause, mais une
conséquence. Nous savons que beaucoup de bons
citoyens désirent l\'Empire, que quelques-uns aussi
le redoutent; nous savons que les ennemis de l\'or-
dre et de Louis-Napoléon, — ce qui est la même
chose, — éprouvent la même crainte, ou, dans un
but impie, émettent le même vœu; mais encore
une fois, ce ne sera pas la revue du 10 mai qui
inaugurera la fin de la république. Elle la confir-
mera, voilà tout.
«Voyez plutôt. Est-ce que, de bonne foi, il y a
encore en IVance des républicains selon la Cons
titution-Marrast? Est-ce que, pour nous servir
d\'une comparaison que nous prions nos lecteurs
de nous pardonner, la transformation de la répu-
blique n\'a pas été ébauchée le matin du 2 décem-
bre, taillée en marbre le 21 du même mois, inau-
gurée et bénie le l^r janvier de cette année, ex-
posée et éternisée aux Tuileries le 29 mars?
Est-ce qu\'après ce triple baptêrûe du vote univer-
sel, des prières du culte et du serment des grands
corps de l\'État, la substitution de l\'Empire à la
république peut être désormais autre chose, nous
ne dirons pas qu\'une question de forme, mais qu\'un
simple changement de mots ? Est-ce qu\'il y a enfin
P\'ir le monde, à l\'instant oil nous écrivons, un sou-
verain plus legitime à la fois et plus puissant, un
chef d\'État plus fort de l\'afFection et de la con-
fiance de son peuple que Louis-Napoléon, de quel-
que titre qu\'on le pare ou sous quelque formule
qu\'on l\'invoque ?
« Il n\'y a que les demi-gouvernements qui s\'ac-
commodent d\'une demi-autorité ou d\'une demi-
liberté, comme il n\'y a que les natures incomplètes
qui vivent de petites émotions et de petits intérêts.
Nous n\'en sommes pas là, Dieu merci ! La liberté
politique a fait son temps chez nous; l\'autorité,
l\'autorité seule règne, gouverne, veut, délibère,
exécute et commande. Qu\'importe alors de quel
nom elle s\'appelle!
« Si la Erance a soif de l\'Empire, c\'est que l\'Em-
pire est proche. Si l\'Empire ne devait pas être, le
peuple ne l\'invoquerait pas. Eappelons-nous le
discours du 29 mars, dont le sens, la portée et le
but se résument littéralement en ceci : (( Trois fois
«j\'ai pû être Empereur et trois fois j\'ai refusé de
«l\'être; quand je voudrai l\'être, la Erance vou-
«dra que je le sois.» Pour tenir ce haut et ferme
langage, il faut avoir ce que le Prince-Président,
seul peut-être en Prance, possède à un degré si
eminent, la foi, — cette foi qui transporte les mon-
tagnes, a dit le Christ, et qui, le jour où eUe
n\'aura qu\'à souffler sur un grain de sable, s\'in-
quiétera fort peu s\'il s\'appelle république ou mo-
narchie.
«Laisons venir et allons à la revue du 10 mai,
comme nous allons à toutes les solennités où nous
convoque l\'homme providentiel que nous avons
élu. Dieu est avec lui, il n\'y a que les athées politi-
ques qui en doutent. Les peuples, a dit de Maistre,
ont toujours le gouvernement qu\'ils méritent. Si
nous ne valons que la république, gardons la ré-
publique ; mais si nous sommes dignes de l\'Em-
pire, l\'empire est fait. Laissons donc venir. »
La revue eut lieu. De quelle façon sublime elle
répondit aux appréhensions et à la mauvaise foi
des partis, c\'est ce qu\'il n\'est pas besoin de rap-
peler. Le lendemain de cette journée épique, nous
écrivions encore:
«Une vieille légende polonaise raconte que
Thaddée Kosciusko voyant un jour passer quel-
ques bataillons de l\'année russe, se tourna silen-
cieusement vers les amis qui l\'entouraient, et,
le bras tendu, le visage baigné de larmes, laissa
tomber cette parole dont Thistoire a fait une de
ses-leçons: a Finis Poloniœ. » — Voici la fin de
la Pologne.
«Cette prophétie d\'un grand homme, les répu-
blicains qui étaient hier au Champ-de-Mars, —
nous parlons des hommes de foi et de patriotisme
que compte encore ce parti, — ont pu la répéter et
l\'accentuer de larmes. Et ce que disait Kosciusko
de la Pologne, vivante encore et riche de toutes les
ressources du courage, de l\'intelligence et de la
jeunesse de ses héroïques enfants, comment les ré-
publicains ne le diraient-ils pas aujourd\'hui de leur
république, orpheline de ses pères, veuve de ses dé-
fenseurs, mourante d\'épuisement et d\'excès, aban-
donnée de tout ce qui fut son esprit et sa vie, en
face, — non pas, comme Kosciusko, de quelque
poignée d\'adversaires inintelligents, — mais d\'une
armée tout entière, rayonnante de gloire, d\'en-
thousiasme et d\'ardeur, et d\'une population per-
sonnifiée par tout ce que la Erance a d\'illustre,
de viril, de capable?
« — Donc, — et nous ne le disons qu\'après
eux, — voici la fin de la république, si par répu-
blique il faut entendre tout ce qui est la démocra-
tie au gouvernement et la liberté dans la nation.
et tout ce qui n\'est pas l\'unité dans l\'autorité, la
puissance exécutive absolue dans les mains d\'un
seul homme, le droit et la loi au sommet delà so-
ciété, l\'ordre omnipotent et la force obéissante.\' 11
n\'y a pas plus à cette heure de liberté populaire
que de démocratie souveraine; est-ce la républi-
que ? Il n\'y a j^lus qu\'une volonté, qu\'une pensée,
qu\'une action, qu\'un pouvoir, — de quelque nom
qu\'on l\'appelle,—investi de l\'autorité la plus large
dont l\'histoire fasse mention, choisi, acclamé et
sacré par huit millions de suflrages sur dix, à (jui
tout un peuple a dit: «Kègne et gouverne, pro-
ie pose et dispose, pense pour moi et fais de moi
«tout ce qu\'il te conviendra de penser et de faire;
«émanant de toi, toute pensée sera obéie, tout
((acte sera béni, toute audace sera légitime.»
Est-ce encore la république?
«Nou.s en prenons à témoin les quatre cent
mille spectateurs de la journée d\'hier. Les cris
furieux de : Vive l\'Empereur ! qu\'ils ont pu con-
stater comme nous, étaient-ils un acte de foi envers
la république de 1848, et un hommage à cette
Constitution aux termes de laquelle expiraient,
précisément à la même heure, les pouvoirs prési-
dentiels de l\'Homme à qui son peuple et son armée
faisaient une telle ovation et exprimaient un tel
amour? N\'était-ce pas plutôt parce qu\'il les avait
sauvés de la république et de tout ce que cette
république avait préparé, prédit et accumule pour
cette date néfaste d\'anarcliie, d\'attentats et d\'hor-
reurs de toute sorte, qu\'ils le saluaient, à la façon
des Romains antiques, du titre de libérateur et du
nom de César?
« Quoi ! nous sommes une république démocra-
cratique, et voilà un homme,— un simple et fragile
roseau, comme dit Pindare, — qui convoque
l\'armée de la France, le clergé de la Prance, la
magistrature, l\'administration, le sénat, la cham-
bre délibérante, toutes les aristocraties de nom, de
richesse ou de génie, la diplomatie de l\'univers,
les cliefs militaires de toutes les puissances d\'Eu-
rope, et qui les fait assister — à quoi, ô démo-
cratie?
<(A la distribution des drapeaux qu\'il livre à,
cette armée comme un gage de dévouement,
d\'obéissance, d\'honneur et de discipline, drapeaux
dont l\'inscription indiqu.e bien que c\'est lui qui
les donne, dont la hampe est surmontée de l\'em-
blème héréditaire qu\'il a restitué à la Erance, et
dont la remise a pour prélude un serment de fidé-
lité s\'exhalant de cent mille poitrines guerrières,
pour épilogue la bénédiction de Dieu descen-
dant d\'un autel à la voix d\'un archevêque et de
Imit cents prêtres. L\'Empire seul avait fait cela;
et, malgré son rayonnement de victoires, ne l\'avait
pas fait si complet et si beau. Mais l\'Empire était
l\'Empire, disent les fanatiques de l\'égalité forma-
liste, et nous sommes en république.
«Hé bien! soit; concédons le mot. Disons,
comme on le disait dans un journal, que l\'enthou-
siasme épique du Champ-de-Mars n\'était qu\'une
banalité sublime, inhérente à l\'amour de ce peu-
ple pour tout ce qui est la poudre et l\'uniforme;
que: Vive l\'Emijereur! signifiait: Vive la gloire,
vive le passé, vivent les morts! et consentons à ne
voir dans la fête des Aigles qu\'une fête, — et rien
déplus. Mais où serait encore la république! où
s\'est réfugiée son ombre, à défaut de sa réalité ? A
l\'exception de l\'exergue des monnaies, qu\'on n\'a
pas encore eu le temps de changer, quelle institu-
tion, quelle loi, quel usage, quelle formule,^quelle
pauvre étiquette en a conservé la trace? Est-elle
au Sénat ou au Corps Législatif, au Conseil d\'Etat
ou à la Cour des comptes? Est-elle à l\'Elysée, aux
Tuileries, au Champ-de-Mars? Est-elle dans la
presse, par aventure? Est-elle dans les salons,
dans l\'exil, dans le présent, dans l\'avenir ?
((Elle n\'est nulle part, ayons la franchise de le
dire, et soyons nets comme notre situation: elle
n\'est plus, elle est morte. Eespect à ceux qui
l\'ont aimée et qui la pleurent, paix aux nobles es-
prits qui caressent ce rêve, pitié pour les faibles
qu\'elle égara dans sa voie, désormais disparue!
L\'Empire, disions-nous il y a quelques jours.
l\'Empire est fait, si nous en sommes dignes: la
journée d\'hier nous a donné raison. L\'Empire
est fait.
«Soyons ce que nous sommes. Il n\'y a plus
maintenant qu\'une question de forme. Le maître
veut prendre son temps et son heure, et laisser au
Sénat qu\'il a nommé la promulgation du mot dont
il a réalisé la chose. C\'est son affaire, et non la
nôtre ; nous ne l\'en aimerons ni plus ni moins, et
comme il n\'en sera ni plus ni moins puissant, plus
tôt ou plus tard, hier ou demain, que nous im-
porte? Quand une partie est gagnée, quand on a
mis non seulement les enjeux, mais ses adversaires
eux-mêmes dans sa poche, on est bien libre de
l\'annoncer ou de se taire. Ne nous pressons donc
pas : tout foi implique et suppose toute patience ;
c\'est Dieu lui-même qui a dit cela. »
Ce qu\'un pauvre journal, mort sous cette indif-
férence publique qui est le châtiment et l\'avertis-
sement de la presse, et qui devait le tuer, lui, tout
petit et tout neuf, puisque ses confrères, grands
de taille et anciens par la date, ne traînent plus
déjà qu\'une existence languissante, à peine entre-
tenue par héroïques subtilités littéraires; ce que
prédisait ce malheureux morceau de papier se
trouve être aujourd\'hui une prophétie presque lit-
térale; la vieille presse a fini peu à peu par le
reconnaître, elle aussi, et ses écrivains de toute
sorte entonnent à présent l\'hosanna tardigrade
de l\'Empire : » Mieux vaut, disent-ils, demain
cju\'hier, et trop tard que jamais.» C\'est le torrent
qui les entraîne. Sentant qu\'ils vont disparaître
comme valeur dans le rayonnement absorbant de
la transformation nouvelle, comme existence dans
les nécessités d\'une consommation qui n\'admettra
plus de presse discutante, ils courent, sur la trace
de l\'opinion entraînée, à la quête d\'un regain de
popularité, et croient être de l\'armée active parce
qu\'ils jouent du clairon à l\'arrière-garde. Illu-
sion! L\'heure de bien des journaux a sonné, aussi
fatale, aussi impitoyable, aussi mortelle que l\'heure
qui, au 2 Décembre, entendit tinter le glas du Na-
tional et de la République. Ceux-là moururent
parce qu\'ils croyaient en quelque chose qui n\'avait
plus de vie ; ceux-ci mourront parce qu\'ils n\'ont
pas assez cru à ce qui vit maintenant.
On dit: <(Mais ils ont rendu d\'immenses ser-
<( vices au Prince et à la société ; mais ils se sont
«jetés, fortune et talent, dans le mouvement anti-
<( parlementaire ; mais ils ont aidé au coup d\'État
« libérateur qui a rendu la France à elle-même et
« Louis-Napoléon à la France. )>
_ Erreur encore. Nous voudrions savoir, d\'abord,
si, parce qu\'un journal défend ce qu\'il croit être
utile ou agréable à ses abonnes, le pouvoir est
tenu à beaucoup de reconnaissance envers une
entreprise qui n avait eu vue que son jiropre in-
térêt. Nous voudrions savoir aussi si jamais
l\'homme des huit millions de suffrages s\'est senti
assez faible pur demander l\'appui d\'un journal,
et a chargé les rédacteurs de cette feuille de ve-
nir, pour le pousser à la suprême dictature, en
aide à ce pauvre suffrage universel, qui, tout seul,
n\'eût rien pu faire pour cela, si bien que Louis-
A^poléon devrait l\'Empire au Peuple d\'abord, et
à ces messieurs ensuite.
Parlons sérieusement. Les écrivains, sous quel-
que drapeau (pi\'ils s\'impirent, ont droit, quand
leur tâche a été vaillamment remplie et leur ban-
nière noblement portée, au respect, à l\'admiration,
a la s^TOpathie du pouvoir et du pays. Mais quand
je n\'ai fait les afiaires d\'autrui que pour faire les
miennes, qu\'est-ce que je puis demander de grati-
tude à autrui.?
La presse a vécu, ayons le courage de le dire,
nous qui lui devons d\'être le très-peu que nous
sommes. Et ce ne sera pas une des moindres
attestations de la force inouïe d\'un go-uvernement
qui a pu, dans ce pays travaillé, instruit, améliore
et corrompu à la fois par trente-cinq ans de
presse libre, tuer ainsi sans violences, sans con-
fiscations, par la seule force naturelle des choses,
une institution qui s\'intitulait elle-même le qua-
trième pouvoir de l\'Etat.
Que dirait-elle, d\'ailleurs, qui pût dominer un
instant l\'intensité de l\'acclamation populaire?
Qu\'apprendrait-elle à cette nation dont les mani-
festations et le délire enthousiaste accusent la cer-
titude la plus absolue et la notion la plus infime
de l\'art de gouverner? Lui apprendra-t-elle ce
qu\'est et ce que vaut son Elu, ce qu\'il a fait ƒ t
fera pour elle, de quels abimes il l\'a sauvée,
quelles destinées il lui prépare? Est-ce que le der-
nier paysan accouru avec ses voisins et ses enfants à
la station de chemin de fer où devait passer le Prince,
a eu besoin de lire un journal pour aimer jusqu\'à
l\'idolâtrie le neveu et l\'héritier de l\'Empereur?
Est-ce que dans ces devises grossièrement peintes
sur les bannières rustiques et les chars des villages
de Lorraine et d\'Alsace, l\'éloquence du cœur^ et
le génie de la foi ne débordaient pas en poésie
bien autrement significative que la prose un peu
trop habile qu\'on essaie de remorquer à leur suite ?
«Que ton règne arrive,» disait l\'une avec une
naïveté presque impie à force de religion. « Nous
«avons forgé des armes pour l\'Enjpire,» disait
cette autre, et voilà du français, au moins. Et mille
autres, sublimes et saints témoignages de simpli-
cité, de dévouement, de fanatisme, de désintéres-
sement surtout. Hier, les mineursdeSaint-Étienne,
pauvres abandonnés de la fortune, parias résignés
de l\'industrie et du devoir, en apprenant qu\'il
allait passer dans leurs murs, ont cru voir le so-
leil briller dans la nuit jjresque éternelle de leurs
abimes, et ils lui ont écrit sur un arc de triomphe fait
avec du charbon : « Ave, Caesar imperatoe. »
Trouvez donc dans l\'histoire moderne quelque
chose de comparable.
Braves gens, rudes natures, cœurs d\'or comme
Dieu les aime, béni soit, pour le Prince et pour
Vous, celui qui vous a appris que ces trois mots
latins voulaient dire: «Salut, César empereur.»
Allez, vous êtes payés au centuple; il a pleuré en
lisant cette pieuse pensée, lui qu\'on dit impéné-
trable et impassible, et on a saisi des larmes sur
ce visage qui commande si implacablement à ses
émotions de ne pas y paraître. Vous êtes payés.
Ni les harangues officielles, ni les splendeursprm-
cières, ni les" fêtes, ni les fleurs, ni les féeries de
l\'illumination, ni les pompes de la mise en scène,
ni les flamboiements de la magnificence n\'eussent
arraché et n\'arracheront un moment de faiblesse
ou de surprise à cette âme maîtresse d\'elle-même
et de ce qui l\'entoure. Savez-vous ce qu\'il va cher-
cher d\'un bout de la Erance à l\'autre? Du bruit,
des revues à passer, des vœux à entendre, des
curiosités à satisfaire? Non. Ce qu\'il cherche, c\'^est
vous; ce qu\'il veut voir, entendre et toucher, c\'est
l\'Empire sorti des entrailles mêmes du peuple d\'où
est sortie déjà deux fois son élection miraculeuse^!
Ce qu\'il va demander à vos affections robustes et à
vos caresses fortifiantes, c\'est son dernier baptême
de sufli-age universel, c\'est l\'épreuve dernière où il
veut se retremper avant de décréter une fois pour
toutes la dictature impériale que vous lui avez si
obstinément confiée !
Vous n\'êtes pas des politiques, vous autres,
liommes de labeurs austères, de douleurs ignorées,
de sacrifices indiscontinus. Vous n\'écririez pas et
vous liriez moins encore ces savantes études où
tel homme d\'esprit et de bonne humeur s\'ingénie
à prouver que tout ce qui se fait ici-bas n\'arrive-
rait pas s\'il n\'eût conseillé quelque peu le suprême
V
arbitre de tontes choses. Yons ne soupçonnez
guère qu\'il y a des gens assez heureux et assez
forts pour persuader aux autres que la société ne
saurait vivre sans leur haute approbation. Ces
grands docteurs, sachez-le, sont capables de cher-
cher, et ils en trouveront, des raisons à votre joie
en présence du Prince, des motifs aux transports
de votre reconnaissance, des explications aux lar-
mes de vos femmes et de vos enfants, et je ne serais
pas surpris qu\'ils ne vous prouvassent que leurs
phrases imprimées n\'ont pas été sans influence sur
l\'accueil que vous avez fait au neveu de l\'empereur.
Dites-leur donc que l\'Empire, pour vous, comme
pour l\'Europe, comme pour eux-mêmes,— car lors-
qu\'ils dépouillent leur esprit, ce sont les meilleures
gens dif monde, — dites-leur que l\'Empire, c\'est
la paix, le travail, la religion, la famille, l\'honneur
de vos enfants, la joie de vos femmes, la sûreté de
votre champ, la sainteté de votre foyer, le refuge
de votre vieillesse. Dites-leur, comme l\'Empereur
à son lit de mort, que vous croyez à tout ce que
croit votre curé, et que votre curé croit à l\'Em-
pire, que son évêque proclame en attendant que le
pape vienne le consacrer. Dites-leur que l\'Empire,
cette fois, ne prendra pas vos fils à la charrue; car
la terre sacrée de la patrie ne sera pas plus enva-
hie par l\'étranger que le sol de l\'étranger par
nous. Il fera mieux, il laissera l\'homme au siUon,
l\'enfant à la mère, le fils au vieillard, et les vieil-
les haines une fois apaisées, on ne dépeuplera plus
les campagnes pour garder les villes. Dites-leur
ciue si pour d\'autres l\'Empire doit être une source
d\'honneurs, de vanités, de fortune, vous ne lui
demandez, vous, que ce que vous lui avez donné
vous-mêmes: beaucoup de foi et beaucoup d\'a-
mour. Il vous les doit, au moins; mais il vous
les garde aussi. S\'il n\'avait pas tant de foi, serait-il
aussi fort? S\'il avait moins de charité, serait-il
aussi heureux ?
L\'Empereur, son oncle, disait souvent: «Tout
«pour le peuple et rien par lui.» Les révolu-
tionnaires n\'ayant pas manqué d\'exploiter cette
parole, il serait bon de ne pas laisser croire au
peuple que l\'Empire aura quelque ckose qui
ressemble à cette abominable souveraineté de la
foule, que la démocratie de 1848 secouait au-dessus
des masses crédules comme le chiffon rouge du
picador.
Pourquoi lesjourneaux, qui se plaignent si haut
des sévérités de la législation nouvelle, n\'ou-
vrent-ils pas au Gouvernement une voie vers l\'a-
doucissement de cette législation, en lui rendant
le service d\'éclairer spontanément dans le peuple
les intelligences que le républicanisme emplit en-
core de préventions contre l\'Empire? Ce serait une
noble tâche cependant, et une réhabilitation de
la lenteur ou de la timidité qu\'on a mise à se
laisser dévancer sur cette question, si vitale pour-
tant, si actuelle et si palpable de l\'héridité im-
périale, par les conseils-généraux, par les muni-
cipalités, par les ouvriers des villes, par le soldat
des casernes, par le manœuvre des champs.
^Puisque l\'Empire est fait et n\'attend plus que le
décret qui le réglemente, pourquoi la presse, qui
doute moins que personne de sa prochaine procla-
mation, ne prendrait-elle pas les devants autre-
nient qu\'en grimpant, comme une écolière der-
rière la voiture qui a emporté le Prince à travers
les populations du Midi?— «Vous allez endosser le
manteau,-Sire, dirions-nous à sa place. Moi, je
Vais tendre votre salle du Conseil, garnir le pu-
pitre de vos ministres, noter sur vos tablettes le
programme de la séance de demain. Un Empereur,
ne fait pas la guerre, a du temps à donner à
tout. Je vais raconter à votre Conseil d\'État ce qui
se passait aux discussions du Code Napoléon ; —■
soumettre à votre archi-trésorier quelques plans
siisceptibles, sauf erreur, d\'amener le de%rève-
ment de tel impôt, l\'amélioration de tel produit,
l\'abondance dé telle denrée, l\'ouverture de telle ou
telle source de richesse nationale; — entretenir
votre grand-maître de l\'Université des réformes
successives que j\'ai rêvées pour l\'éducation mo-
rale de la jeunesse, l\'épuration de la httérature,
l\'encouragement à donner aux arts, les applica-
tions à faire de la science; — proposer à vos mi-
nistres des travaux publics et de la marine de
nouveaux plans, fussent-ils utopiques, pour l\'abais-
sement des transports par terre et par mer, la
construction de nouvelles voies de fer, l\'augmen-
tation de nos bateaux à vapeur, de nos canaux, de
nos ponts et chaussées, de nos mines et de nos
usines ; — à votre ministre du commerce indiquer
les mille et une imperfections dé notre législation
douanière (qu\'il est, certes, beaucoup plus apte à
juger que le ministre des finances, à qui l\'Empire,
je l\'espère bien, enlèvera cette partie de ses attri-
butions), les besoins de nos manufafctures, les
souffrances et les dangers qui pèsent encore sur
les ouvriers de certaines industries, la régularisa-
tion des tarifs, la jurisprudence consulaire et celle
des prudhommes, la propriété des dessins et mo-
ilèles de fabrique ; — que sais-je encore?» —Mais
c\'est à la presse à faire son choix, et nous parlons
là comme si nous étiouKS la presse elle-même.
Les grandes situations sont logiques, et on n\'est
à la hauteur des événements qu\'à la condititon.
d\'accepter tout ce qu\'ils imposent. Admettre
l\'Empire et à côté de lui une presse libre, c\'est
au-dessous de toute discussion. Ou les journaux
adhéreront purement, simplement et publique-
ment à la forme impériale héréditaire comme au
seul gouvernement légitime et possible, et renon-
ceront, non pas à toute participation, — cela ne se
suppose même pas, — mais à tout espoir d\'une
ïestauration quelconque, républicaine, légitimiste
ou orléaniste, ou ils refuseront de se soumettre à
cette profession de foi préalable. Dans le premier
cas, ils peuvent vivre sans danger, et trouver,
dans la multitude des questions dont nous venons
de toucher un mot, un aliment constant de pu-
blicité et une source incomparable de travaux;
dans le second cas, ils disparaissent, soit que le
gouvernement les exploite pour son compte après
avoir indemnisé leurs propriétaires, ingénieuse
3.
-ocr page 36-idée qu\'a eue M. de Girardin, je crois, soit qu\'un
décret les supprime une fois pour toutes-
Eeste le suffrage universel. Mais l\'Empire est
héréditaire; le suffrage universel n\'a donc plus à
nommer le chef de l\'État. Voilà sa besogne sim-
plifiée, au moins. Car croire qu\'il conservera
quelque chose d\'offensif dans les élections muni-
cipales ou législatives, c\'est prendre le Gouverne-
ment pour un de ces enfants maladroits qui se
blessent avec leurs propres jouets. A supposer
même qu\'un peu d\'opposition surgirait par ci par
là, où serait le mal encore? Les assemblées ont
quelquefois besoin de repoussoir, comme les gou-
vernements de stimulants.
Le suffrage universel, nous l\'avons dit ai^
leurs (1), et notre prédiction s\'est vérifiée, a fait
son temps et rempli sa tâche. Comme il a parlé
dans ses comices, il vient de parler sur la voie pu-
blique. De l\'état de billet écrit, il est passé à l\'état
d\'acclamation lancée, et les huit millions de bul-
letins qui ont dit au 20 décembre : Président pour
dix a?îs, ne sont plus qu\'une fraction des vingt mil-
lions de sufîrages qui, sur le pas de Louis-Na-
poléon, ont crié d\'un bout de la Erance à l\'autre :
lŒmpereur héréditaireh II n\'y a pas plus à sortir
de là qu_\'il n\'y a à chercher dans l\'histoire ou dans
(1) Histoire du 2 Bécemhre.
-ocr page 37-les besoins du pays l\'explication et les nécessités
de la transformation nouvelle. Si elle était à faire,
on comprendrait qu\'on en vantât l\'adoption ou
qu\'on en recherchât les causes finales. Mais elle
est faite; il n\'y a plus qu\'à constater et à ac-
cepter.
L\'Empire n\'est pas seulement un principe. C\'est
une conséquence. Toute sa force est là peut être.
Conséquence, bien entendu, matérielle autant que
morale.
Oui, conséquence d\'une somme incalculable de
bien fait à la France, en moins d\'une année, et qui
dépasse, et de beaucoup, tout ce qu\'ont rêvé ou
créé d\'améliorations et de progrès les meilleurs
ïêgnes de notre histoire, y compris l\'Empire lui-
même, Conséquence d\'une révolution radicale, qui
a remis le monde sur son axe, aflermi la civilisa-
tion chrétienne pour des siècles, rendu à la France
tou.tes ses supériorités, et au monde, par consé-
quent, toutes ses lumières, sauvé la propriété, ré-
généré la famille, rassuré la religion; qui a pris
du passé tout ce qu\'il avait d\'applicable, de glo-
rieux ou d\'utile, et n\'a contracté avec l\'avenir
d\'autre engagement que le bonheur et la gloire de
la France; qui a, si l\'on peut parler ainsi, réin-
venté l\'autorité, seul et suprême besoin des so-
ciétés modernes; l\'autorité qui n\'exchit pas, nous
y comptons bien, la liberté, mais l\'entend, par
exemple, autrement qu\'on ne l\'a fait jusqu\'ici;
qui a tué les partis, non pas dans le culte sainte-
ment honorable que-de nobles souvenirs laissent à
de nobles cœurs, mais dans le symbole même de
ces souvenirs dont la voix seule de la nation pou-
vait prononcer la déchéance. Révolution, ou plutôt
évolution de la société sur elle-même et vers son
Dieu; à quoi bon bégayer avec les raisonnements
d\'ici-bas l\'explication de ce qui était écrit là-haut ?
Chacune des manifestations que nous a, depuis
dix mois, envoyées la Providence, aura son histo-
rien et son commentateur. Contentons-nous de re-
connaître, par nos actions de grâces, qu\'elles
existent, et ne les mentionnons même pas dans
ces lignes qui ne veulent pas décrire, mais re-
mercier.
Nous avons dit que les grandes situations sont
logiques. Elles sont hautaines aussi, et leur voix a
dans l\'histoire une solemrùté qui fait loi quand
elles se reproduisent.
Aut Cœsar, aut nihil, écrivait Charles-Quint à ses
électeurs couronnés. «Empereur, ou rien.» Louis-
Napoléon dit de même aujourd\'hui; seulement,
pour lui, ce n\'est pas comme pour le César d\'Al-
lemagne, un désir et un commandement, mais
une certitude complète, une affirmation définitive.
Empereur, il ne peut pas «e pas l\'être; ne le
Voulût-il plus, ce qui est absurde, il le serait
toujours.
Ganganelli demandait des concessions au gé-
néral des Jésuites : «Aucune,» fut-il répondu au
Saint-Père: <( sint ut sunt, aut non sint.^) Etre tout
ce que nous sommes, ou n\'être plus. Le jésuite
avait raison ; toute grandeur diminuée n\'est plus
Une grandeur. Otez l\'Empire à Louis-Napoleon, il
n\'est plus que la risée de l\'Europe et l\'anathème
de la Erance.
L\'État, c\'est moi," disait Louis XTV. —
"j\'ordonne, ou je me tais,» a dit Napoléon. Et
bien d\'autres encore. Le ills d\'Hortense, malgré
sa douceur et sa bonté natives, n\'a pas une foi
moins robuste en sa mission que les grands
hommes des anciens jours, et son langage per-
sonnel, dans les hautes circonstances de sa vie, a
prouvé qu\'il sentait son origine et avait conscience
de sa destinée. Seulement, il est tant aimé par ce
peuple, qu\'il a gardé pour la diplomatie et qu\'il n\'a
toit entendre qu\'aux heures solennelles de la po-
litique l\'expression de sa conscience .sociale et le
langage de son caractère providentiel. Lisez ses
appels à l\'armée, ses manifestes à la nation, ses
réponses anx grands corps de l\'Etat, ses lettres
aux souverains étrangers, ses discours dans toutes
les circonstances publiques, et demandez-vous si
cet homme n\'est pa^l\'incarnation vivante de l\'au-
torité sur la terre ; — l\'héritier, non pas seulement
de Napoléon 1er pax le sang, mais de Charlemagne
par la tradition, de Philippe-Auguste par le cou-
rage, de saint Louis par la religion, de Louis XII
par la clémence, de Henri IV par l\'amour du
peuple, de Louis XIV par la grandeur, de
Louis XVI par la bonté, de Louis-Philippe par le
bon sens? Conservateur du passé autant que sauveur
du présent et préparateur de l\'avenir, il n\'est pas
de ceux qui conquièrent, mais de ceux qui fondent,
et c\'est par la surtout qu\'il est un Bonaparte, et
non pas par cette adoration pour la guerre, que
lui ont si sottement prêtée un tas de pauvres dia-
bles, qui se croient toujours en 1810, et qu\'il a
eu le bon goût de chasser de ses antichambres et
de ses écuries, — ce qiii fait qu\'ils vont criant à
l\'ingratitude, carie bonapartisme, comme la Res-
tauration, a ses ultras, et plus ridicules encore;
mais qii\'importe ? Louis-Napoléon n\'a pas fait Aus-
terlitz, le Code civil et le Concordat, mais il n\'eût
pas fait l\'expédition d\'Espagne, décrété le divorce
et emprisonné le pape. Son oncle immortel et lui
sont tout entiers dans ce simple rapprochement.
Mais ceci dépasserait les limites d\'une simple
méditation, et notre cadre est trop étroit pour un
Portrait, que d\'ailleurs nous avons ébauché il y a
ongtemps:, et que l\'histoire, nous sommes heureux
de le dire, a justifié comme une prédiction.
A quoi bon, d\'ailleurs, éclairer cette physionomie
si imperturbablement rayonnante, ou raconter
cette vie si sculpturalement historique? Ce qu\'il
est ou ce qu\'il vaut importe peu maintenant à l\'Em-
pire, puisque l\'Empire est fait et ne peut plus se-
défaire. TNTous l\'avons dit : ce qui a voulu, demandé!
et parachevé l\'Empire, c\'est le peuple, le peuple
seul, le peuple livré à Dieu et à lui-même, e1 ce
qui a inspiré le peuple, c\'est l\'amour plus que le-
calcul, la reconnaissance plus que le fanatisme;
des souvenirs, le sentiment plus que la gloire, le
cœur plus que l\'esprit. Et la raison de cet amour,
car rien n\'est plus conséquent avec soi-même
que l\'affection, — c\'est tout uniment l\'histoire de
ce qui s\'est fait depuis dix mois. Cette histoire,
nous l\'avons lue hier dans un petit livre destiné
au peuple (1), et comme elle n\'est pas longue,
nous voulons la transcrire à cette place aussi.
C\'est un bon curé de campagne qui parle à ses
paroissiens:
((Tenez, mes enfants, on n\'aime véritablement
en ce monde que ceux qui nous aiment bien ,
parce qu\'il y a toujours un peu d\'égoïsme au fond
du dévouement mâme^le plus prêt à tout les sacri-
fices. Eh bien, votre Élu et vous, je crois que vous
vouz aimez de la sorte. Est-ce que vous croyez,
par exemple, que les voyages qu\'il entreprend à
travers la Erance aient pour unique but de se faire
voir aux populations, de recevoir les compliments
des préfets et des maires, de passer des revues,
d\'être acclamé par l\'armée, et couvert de fleurs,
et porté en triomphe par les populations? Non,
certes. Ce qu\'il va chercher à Strasbourg comme
à, Marseille, à Lyon comme à Bordeaux, c\'est son
peuple, le vrai peuple qui l\'a nommé à huit mil-
lions de suffrages, et qui l\'aime, parce qu\'il sait
que tout ce qu\'il a pu faire de bien, il l\'a fait;
parce qu\'il se souvient que l\'oncle a légué au ne-
veu cette richesse de cœur et cette ardente affec-
tion pour le pauvre qui pèsent plus aux yeux de
(1) li\'Almanack populaire publié par Pillet fils.
-ocr page 43-Dieu que toutes les victoires de l\'ambition, que
toutes les conquêtes du génie.»
Et, là-dessus, notre bon curé, tirant un jour-
nal de sa poche, nous lut le récit de ce qui venait
de se passer à Saint-Etienne et à Lyon, puis,
c^uand nous fûmes remis un peu de l\'émotion qui,
malgré nous, nous avait gagnés à cette lecture,
il reprit:
({Voilà la bonne, la vraie politique, celle du
peuple, celle de l\'Evangile; car, après la parole
de Dieu pa,rdonnant aux pécheurs qui se rependent,
je connais peu de choses aussi belles que cette de-
vise tracée par les pauvres mineurs de Saint-
Etienne sur un arc de triomphe construit avec le
charbon qu\'ils extraient au péril de leurs jours :
((Salut, César, Empereur!» Empereur ou Prési-
dent, croyez bien que c\'était tout un pour eux; la
souveraine puissance, c\'est la souveraine bonté,
voyez-vous, et ils n\'employaient ainsi la plus liante
expession du pouvoir humain que pour prouver à
tous qu\'ils ne connaissaient rien de plus grand, de
plus auguste et de plus digne des appellations les
plus élevées, t|ue cette sollicitude qui le conduit au
milieu d\'eux pour s\'informer de leurs besoins,
connaître leurs misères, se mettre en contact avec
leur vie quotidienne, s\'éclairer enfin pour les con-
soler, les améliorer et les soulager un jour.. Et rap-
pelez-vous ce qu\'étaient, il y a seulement un an
ces mêmes hommes, ce qu\'étaient leurs voisins,
les ouvriers en soie de Lyon, qui, à l\'heure qu\'il
est, lui baisent les mains, le serrent à l\'étouffer,
accourent par milliers au devant de cet homme,
qui descend de cheval à leur rencontre, s\'avance
seul au milieu d\'eux et les voit tomber à genoux
devant lui, comme tombaient, il y a quarante ans,
aux genoux de son oncle, les soldats qu\'on en-
voyait pour l\'arrêter aux portes de Grenoble. Eap-
pelez-vous de quelles fièvres, de quels excès de
tout genre, de quelles calamités et de quelles
hontes le socialisme avait infecté ces populations
de travailleurs, livrées, comme des troupeaux de
bêtes immondes, à l\'ambition insensée ou au.x im-
placables passions de cinq ou six empoisonneurs
de consciences. C\'étaient des rouges, disait-on, et
avec raison peut-être; car le sang qui n\'avait
pas encore souillé leurs mains ne répugnait déjà
plus à leurs scrupules. Et au Prince lui-même,
ses amis les plus chers disaient; «N\'allez pas,
((Monseigneur, n\'allez pas à Saint-Etienne, n\'allez
«pas à Clamecy, n\'allez pas à Lyon; ce sont des
«socialistes, ce sont des assassins, ce sont des
«rouges.»
«Erreur, ou plutôt illusion. On a toute force,
quand on a toute foi, mes amis ; c\'est Dieu lui-
même qui a dit cela. Louis-Napoléon n\'a de con-
fiance en lui-même que parce qu\'il a mis toute sa
foi en Dien qui l\'a suscité. Et il est allé où on lui
disait: «N\'approchez pas.» Et il a ouvert ses
deux bras là où on lui disait : « Cuirassez votre
«poitrine.» Et il a vu ses pieds et ses mains bai-
gnés de larmes, et son apparition saluée par des
■chants d\'allégresse, là où on lui disait; «Ils vont
«vous égorger, ce sont des rouges. »
«Eaut-il que je vous dise pourquoi? Eaut-il
que je vous explique comment, dans ces localités
où, il y a deux mois à peine, la guerre civile avait
déchaîné le pillage, le meurtre, le viol et l\'incen-
die, et la politique révolutionnaire revêtu toutes
les formes du crime et de l\'avilissement humain,
il se fait aujourd\'hui que tant d\'amour éclate, que
tant de glorifications accueillent le sauveur de la
Erance, que tant de prières montent au ciel pour
lui?
«Mais, vous le savez aussi bien que moi, le
peuple a ses souvenirs comme il a ses faiblesses.
Si, dans un moment d\'égarement ou de colère,
des meneurs peuvent le pousser aux abîmes, avec
combien plus de facilité un grand homme peut,
avec un peu de bienfaits et de justice, le ramener
dans sa voie native de travail, d\'ordre et surtout
d\'affection ! Eh bien ! comptez avec moi, si vous le
pouvez, ce que, depuis la transformation accom-
plie le 2 décembre, Louis-Napoléon fait pour le
peuple, pour vous, pour nous tous.
(( H n\'a pas été seulement, comme on le disait
tout à l\'heure, un grand politique. Ne mêlons pas
les choses profanes aux choses saintes, et n\'appe-
lons pas d\'un nom vulgaire les inspirations les
plus sublimes du cœur et de l\'intelligence. Quand
il rendait au culte catholique l\'église Sainte-Ge-
neviève, dont on avait fait je ne sais quel mo-
nument révolutionnaire et païen, et prouvait en
quelque sorte qu\'il était digne de relever le temple
consacré à la Sainte qui avait sauvé Paris des bar-
bares, comme il a sauvé la France de l\'anarchie et
de-l\'athéisme; quand il supprimait les bagnes,
afin de ne pas ôtcr au repentir sa dernière
chance de salut, et leur substituait une expiration
fondée sur le travail et l\'éducation; quand il faisait
disparaître la fosse commune de nos cimetières,
afin que la famille du pauvre eût aussi sa place
pour venir pleurer et prier sur les dépouilles de
ceux qu\'elle a aimés ; quand il instituait les aumô-
niers des dernières prières, pour que l\'indigent ne
fût pas déshérité des secours suprêmes de l\'Eglise;
quand il rendait l\'enseignement religieux obliga-
toire dans les collèges et les écoles ; quand il fon-
dait des asiles pour la vieillesse; quand il appli-
quait toutes les forces et toutes les ressources de
son gouvernement à doter, à encourager et à enri-
chir ces milliers d\'institutions bienfaisantes qui ne
sont que la réglementation, par la loi humaine, de
la charité commandée et enseignée par la loi di-
-vine : — caisses de retraites, de secours, d\'épar-
gnes, de prévoyance; —• quand il ouvrait aux
vieux soldats, aux ouvriers invalides, aux orphe-
lins, aux infirmes, aux indigents de toute espèce,
des asiles qui sont des palais, et des hôpitaux qui
sont des sanctuaires, croyez-vous que la politique
ait eu beaucoup de part à ces munificences inépui-
sables? Sans doute, faire le bien est la meilleure
des politiques; mais en aimant les hommes, on
fait mieux que de les gouverner, et si la politique
seule avait part aux décisions de cette grande vo-
lonté, auriez-vous vu tant de repentirs absous, tant
de coupables pardonnes, tant de criminels amnis-
tiés par cette clémence que la politique trouve
dangereuse, mais que la religion proclame bénie et
nécessaire? «Il y a, disaient ses amis eux-mêmes,
«imprudence à mettre en liberté tant d\'ennem\'is
« de votre nom et de votre gouvernement. » C\'est
la politique qui parlait ainsi. — (c Qu\'importe,
«répondait-il,-il y a des mères qui pleurent, il
« y a des enfants et des femmes qui redemandent
«leurs pères et leurs maris.» Et les prisons se
sont ouvertes, et l\'exil a rendu ses proscrits, et
douze cents familles ont crié gloire et merci ! »
Et peu à peu le bon curé, passant en revue
tout ce qui s\'est fait depuis tantôt un an, récapi-
tula rapidement cette histoire, dont chaque page
est line amelioration et chaque date un bienfait,
et il nous faisait voir l\'agriculture encouragée, le
crédit foncier lui redonnant une vie nouvelle, les
terres incultes défrichées sous l\'œil même et avec
la participation directe du Prince, les travaux de
toute espèce redonnant la vie à des myriades d\'ou-
vriers, l\'assistance judiciaire organisée, la salu-
brité publique étudiée, régénérée; l\'alimentation
du peuple, ses logements, son hygiène devenant
l\'objet des plus chères préoccupations du gouver-
nement ; les impôts s\'adoucissant graduellement,
la réduction probable du contingent de l\'armée
rendant à l\'industrie et aux champs les bras qui
leur manquaient encore, les communications mul-
tipliées à l\'infini, le commerce ravivé, toutes les
branches de la prospérité publique s\'animant aux
mille sources de la richesse nationale fécondée et
garantie ; et à mesure qu\'il parlait, nous voyons
se peindre la conviction sur toutes les figures épa-
nouies, les yeux se moullier, les mains se serrer
de joie. Guillaume, notre adjoint, se fit l\'inter-
prète de tous.
— «Vous êtes un digne homme, monsieur le
curé, fit-il en lui frappant sur l\'épaule; foi de
Guillau.me, je ne veux pas d\'autre politique que la
vôtre, et je ne lirai plus mon journal. ))
— « Ce serait un excès, dit le curé. Lisez votre
journal, Guillaume, car vous l\'avez toujours lu
honnêtement. Il n\'y a plus de dangers, d\'ailleurs,
de ce côté-la. Louis-Napoléon, qui a amélioré tant
de choses, s\'est aussi quelque peu occupé des jour-
naux, et depuis qu\'il y a touché, ils ne font plus
de mal.»
D\'où il résulte, pour parler comme ce bon curé,
notre ami, que nous n\'avons pas à trouver d\'au-
tres raisons à l\'Empire; c\'est l\'affaire des jour-
naux et non la nôtre. C\'est à la république, main-
tenant, à chercher, s\'il lui reste assez de souffle
pour cela, ses raisons de ne plus être. Mais qu\'elle
se hâte; demain elle sera morte, après-demain dis-
parue, dans trois jours oubliée. Nous prions nos
ecteurs de croire que nous nous adressons aux
républicains honnêtes, qui ne sont pas encore con-
vertis à l\'Empire, mais qui s\'y convertiront, en
vertu de ce que nous entendions dire un jour au
plus spirituel des hommes du monde et au pre-
mier de nos administrateurs, M. Eomieu : « Il n\'y
«a de vrais bonapartistes que les bons républi-
« cains. » Quand l\'illustre directeur des Beaux-
Arts émettait cette pensée profonde, l\'excellent
5
-ocr page 50-M. Chapiiys de Montlaville n\'était pas encore pré-
fet de Toulouse, et M. d^e Cormenin, auteur de la
Constitution de 1848, n\'était pas encore entré au
Conseil d\'État pour y rédiger peut-être la Cons-
titution de l\'Empire. Mais quelle confirmation que
cet exemple, et laien d\'autres encore dont on ne-
parle pas !
Je dirais volontiers de la république ce qu\'un
ministre de Louis-Philippe disait (mais il avait
trop d\'esprit pour le penser, lui) du gouverne-
ment de la Restauration : <( qu\'il lui donnait mal
au cœur. « Qu\'inspire-t-elle, en effet, que peut-
elle inspirer autre chose aux esprits sérieux et aux
tempéraments délicats, — les seules catégories
qui comprennent des hommes politiques, — qu\'un
dégoût aussi immense qu\'indescriptible? Féroce
et sanglante en 93, lâche et malpropre en 1848
voilà les deux grands aspects de son histoire et
les deux conditions primordiales de sa vitalité.
Cimentée de chair humaine par les terroristes, ou
bâtie de boue par les barricadeurs, elle n\'a pu
s\'imposer à la France qu\'aux heures oil la France
avait perdu toute pudeur et toute force, comme
ces libertins hideux qui déshonorent les femmes à
l\'aide de breuvages. Il n\'y a pas à la discuter de
bonne foi, elle n\'en vaut ni l\'honneur, ni la peine.
Il ne faut pour la juger, ou plutôt, comme disait
Royer-Collard de Robespierre, pour l\'exécuter.
que la regarder en face, et si on a ce courage, oîi
aura bien vite celui d\'en finir avec elle. Milton l\'a
peinte sous les traits de ce Péché né de l\'accouple-
ment de Satan avec la Mort, incestueux avec sa
mère en venant au monde, et horrible à son père
lui-même. Elle est violente, elle est impie, elle est
cynique, parce qu\'elle a trois peurs qui composent
toute son organisation, peur de la justice, peur de la
vérité, peur de l\'honneur. Tout ce qui aime, tout ce
qui croit, tout ce qui respecte est sa condamnation
vivante; c\'est pourquoi elle tue les génies, persé-
cute les prêtres et proscrit les aristocraties. Son
niveau, comme ses partisans l\'appellent, fait de
l\'égalité, non pas à la manière du, Christ, en éle-
vant ce qui s\'abaisse, mais en décapitant ce qui
s\'élève. Qu\'a-t-elle produit ? Rien. Qu\'a-t-elle dé-
truit? Tout. Pas une idée, pas un grand homme,
pas une réalité palpable, pas une ombre vague n\'a
survécu à son passage, ou attesté son intelligence
chez les peuples à qui le châtiment céleste l\'a
quelquefois infligée. Elle est le choléra de l\'his-
toire, comme le pouvoir en est la salubrité. Tuer,
renverser, insulter..... et trembler, n\'est-elle pas
là tout entière. Qui oserait nous démentir, — car
nous ne parlons, bien entendu, ni des républiques
anciennes, ni de celles du moyen-âge, à qui 93 et
48 ressemblent à peu près autant que les septem-
briseurs de Danton ressemblent auxEomains de
Camille, et les montagnards de Caussidière anx
patriciens de Venise et de Plorence.
Il y a eu cependant, il y a encore des républi-
cains de théorie, de nobles âmes, de grands es-
prits que ce mot fatal n\'épouvante ni ne consterne,
d\'illustres vies que ce culte n\'a pas déshonorées,
des cœurs qui battent, non pas aux noms odieux
ou ridicules de Brutus, de Eienzi, de Saint-Just
— (de ceux-là, il n\'y en a plus en Erance), —
mais au souvenir universellement vénérable de
Caton, de Hampden, de Washington, de Franklin
et de quelques autres. Hé bien, c\'est chez ceux-là
que la république actuelle trouvera ses juges les
plus sévères, et l\'Empire ses adhérents les plus
convaincus. Quel est le républicain sincère que la
république n\'ait pas tué quand il l\'a servie, n\'ait
pas désabusé quand elle l\'a laissé vivre? Jene
parle pas de ces bandes de Girondins et de Monta-
gnards, depuis Vergniaud jusqu\'à Robespierre,
dont la mort a plutôt été une mesure d\'hygiène
appliquée à des bêtes féroces qa\'un acte politique
frappant des créatures humaines; mais Bailly,
mais Barnave, mais Güstins, mais Condorcet, mais
Chénier, c\'étaient des républicains ceux-là. Qu\'a
fait février de Lamartine et de Cavaignac? La
plume tombe des mains à l\'écrire.
Pourquoi le nom de républicain est-il l\'horreur
et l\'effroi de l\'Europe? La majesté même de l\'exil
s\'est changée pour une foule d\'hommes en abjec-
tion et en risée, quand ces hommes ont persisté à
se dire républicains. La Belgique si hospitalière,
l\'Angleterre si prompte à nous nuire et à accueillir
ce qu\'elle espère un jour lancer sur nous, la
Suisse qui se croit une ^Sparte parce qu\'elle est
mi-peuplée d\'ilotes, les États-Unis, ce pays de ré-
publicains à esclaves, proportionnent le mépris de
leur accueil au plus ou moins de démocratie dont
se parent les proscrits que leur envoie l\'Europe
amie de l\'autorité. Quand, après le coup d\'Etat de
Décembre, les nécessités de la politique firent éloi-
gner de France une foule d\'individualités illustres
à divers titres, Londres et Bruxelles distinguèrent
bien vite les monarchiqiies des démagogues.
MM. Thiers, de Rémusat et leurs amis (rentrés
aujourd\'hui) n\'ont rencontré sur leur passage
que sympathie et bienveillance; les généraux La-
moricière, Changarnier, Bedeau, — chapeau bas
quand nous prononçons ces noms que nous avons
trop attaqués quand ils signifiaient quelque chose,
pour ne pas saluer et plaindre de vaillants soldats
exilés et vaincus, — ont vu les armes étrangères
s\'incliner à leur aspect et les puissances se disputer
l\'honneur de leur donner un asile. Au contraire,
tout ce qui avait une notoriété républicaine, trouva
tout au plus la pitié qu\'on ne refuse pas aux cou-
pables ordinaires. Défiances, rebuts de toute sorte,
surveillance incessante, renvois de villes en villes,
il semblait que le sceau de leur opinion réprouvée
les eût marqués au front comme Gain, Pauvre
démocratie ! Voilà les enseignements de l\'histoire.
Voici maintenant la justice de Dieu :
Il y avait en Prance un homme dont le nom était
le synonyme même du génie et de la gloire, que la
poésie et l\'éloquence avaient prédestiné à l\'égal de
Lamartine, qui avait donné une nouvelle langue à
la littérature de son pays et conquis une si large
place dans la civilisation intellectuelle qu\'il avait
pu, dans notre Prance de foi religieuse, d\'inspira-
tions idéales et de goût épuré, créer une école pour
la réhabilitation de l\'impiété, le culte de la ma-
tière et la glorification du faux et du laid. A seize
ans, cet homme était déjà un grand poëte. Les
Bourbons l\'avaient enrichi, Louis-Philippe l\'avait
fait pair de Prance, Louis-Napoléon faiUit le faire
ministre. Tout ce qui lit savait par cœur ses ou-
vrages, tout ce qui pense était plein de sa pensée;
une génération tout entière d\'écrivains se faisait
gloire d\'être née de son soufBe et l\'adore encore
comme un faux dieu. Et le génie de cet homme
était si grand, et la séduction de ses erreurs si
profonde, qu\'on lui avait pardonné des chutes à
Tendre tout autre nom exécrable, — scandales pri-
vés, ingratitudes monstrueuses, vices babyloniens,
orgueil d\'ange déchu, lâchetés de cœur, crimes de
plume et de parole, tout, jusqu\'à la splendeur de
ses apostasies. Un froissement de sa vanité de tigre
le jeta dans l\'opposition républicaine, et comme,
ainsi qu\'il l\'a dit lui-même, c\'est démence de s\'ar-
rêter à un degré de l\'horrible, la démagogie et le
socialisme, — qui le méprisaient, autant qu\'ils ont
le droit de mépriser quelque chose, — saluèrent
en lui leur Mirabeau et leur Tyrtée. Ce poëte qui
avait chanté la famille et l\'amour, ce gentilhomme
aux mœurs de satrape, ce vicomte, ce pair de
France, dont le despotisme intérieur allait jusqu\'à
imposer l\'apothéose, dont le sybaritisme avait des
délicatesses féroces, à qui le contact de la foule et
l\'approche de la médiocrité inspiraient une répul-
sion nerveuse et des dédains d\'une fabuleuse inso-
lence, — se fit le courtisan de la plèbe, enchanta,
nouvel Orphée, les cavernes et les bêtes fauves, et
quand il fut, comme son Ruy-Blas, devenu « un
gaillard populaire» , s\'en vanta, dans les petits sou-
pers de la Maison-d\'Or, parmi des courtisanes. Au
2 décembre, il noyait sa muse dans la lie, rêvait
pour son imagination blasée l\'ivresse nouvelle du
sang versé, et présidait aux barricades. Tout fut
dit alors. Chassé de France, et non proscrit, il alla
montrer à la Belgique ce que la république peut
faire d\'un homme illustre et d\'un génie européen.
Mais depuis qu\'il a vu tant de rois sans couronne,
l\'étranger reste indifférent devant les poètes sans-
auréole. Le grand écrivain ne voulut pas d\'une ex-
piation silencieuse. Il fit un livre, comme le mar-
quis de Sade faisait des romans ; — car l\'exil pour
les cœurs Tâches est comme le cachot pour les or-
ganisations libertines; il déprave et ne corrige pas.
Nous avons lu ce volume, oix ce qui n\'est pas écrit
avec de la boue, l\'est avec du sang. Il mit six mois
à l\'annoncer et à le faire, —• car il a le travail dif-
ficile et s\'il est peu scrupuleux sur le choix du
sujet, on sait qu\'il cisèle artistement et pénible-
ment la forme.
Le libelle fit horreur ; c\'était un chef-d\'œuvre
d\'infamie; Notre-Dame et Feuilles d\'Automne
n\'avaient pas été travaillées avec plus de conscience
et d\'amour. — Six. mois, — comprend-on cela?
— six mois d\'études, de retouches et de caresses,
d\'effets cherchés dans la fange, d\'anathèmes en-
châssés dans le sophisme, de mensonges chauffés
au feu du style, de blasphèmes taillés comme on
taille le diamant, de parjures, d\'excitations, d\'im-
piétés, d\'outrages à tout ce qu\'on révère, dans un
langage d\'ane magnificence inouïe! Un travail
d\'athée-amateur, une mosaïque de turpitudes à
faire reculer Borgia, le cynisme servant d\'émail à
la trahison, une Justine politique dictée par Judas
et écrite par l\'Arétin. Oh ! nous comprenons qu\'un
exilé se venge et crie. Qu\'un soudard comme
Charras ou qu\'un imbécile comme Schœlcher pu-
blient,- l\'un une lettre d\'injures grotesques, l\'autre
un volume de niaiseries patibulaires: cela se con-
çoit, se justifie et se méprise. Mais lui ! mais ces
trois cents pages signées d\'un des plus glorieux
noms de notre poésie, mais la froide^ et longue
élucubration de ce monument de scélératesse lit-
téraire , de barbarie morale et d\'impénitence com-
muniste.... Depuis Marat on n\'avait rien lu de
pareil.
Mais jamais aussi la justice d\'en haut ne fut plus
vengeresse et la patrie plus exemplairement ven-
gée. La Belgique eut dégoût d\'un tel hôte, et s\'in-
digna sur son sol honnête de porter ce mauvais
citoyen. L\'Angleterre, ce grand refuge des gloires
tombées, le repoussa par une accablante excuse de
police sanitaire, et cet homme qui, au beau temps
de sa vie, avait à la Chambre des Pairs et dans s^s
livres si magnifiquement plaidé la cause des exilés:
Oi! n\'exilons personne, oli ! l\'esil est impie!......
ne trouva pour reposer sa tête et cacher sa famille
que les brumeuses solitudes de Jersey. Yoilà la
justice de Dieu, voilà la leçon finale des républi-
cains, voilà les fruits et la morale de la ré^mblique.
Et qu\'on ne nous accuse pas d\'attaquer un pros-
crit incapable de répondre; celui-là a prouvé qn\'il
n\'était pas muet. Devant le malheur, même mé-
rité, qui insulte est un misérable; mais devant la
jactance du vice qui se tait est un lâche.
Et c\'est parce que le malheur nous est sacré que
nous ne nous sentons pas le courage de parler des
anciens partis .monarchiques. A peine était-il-per-
mis, quand les chefs de ces partis avaint le droit
de parler et d\'écrire, de se livrer à une polémique
où pouvaient apparaître soit le souvenir der ser-
vices rendus à ce pays par le grand et bon roi
Louis-Philippe et ses admirables enfants, soit le
reflet de l\'auréole d\'infortune qui est la seule cou-
ronne de M. le comte de Chambord. Mais aujour-
d\'hui, qu\'est-ce que l\'orléanisme ou la légitimité ?
A peine un peu de cendre éteinte. Qu\'est-ce aussi
que cette abstraction hyper-idéale, se rêve qui se
prit un jour pour l\'ombre d\'un parti et qu\'on appe-
lait la fusion, espèce d\'utopie hermaphrodite ca-
ressée par trois ou quatre rêveurs plus innocents
qu\'ignorants, plus bergers que diplomates, à qui
il parut pastoral de prêcher la réconciliation entre
1814 et 1830, entre la charte octroyée et la charte
bâclée, entre la révolution et l\'hérédité, les barri-
cades et le droit divin, le tiers-parti et la féodalité,
la Sainte-Ampoule et Voltaire ? Cela n\'a pas même
vécu, et Molière avait deviné ces braves gens
quand il peignait Covielle se vantant de marier le
Grand-Turc avec la république de Venise. Paix
aux morts!
Qui sait, dailleurs, si les portes de la patrie ne
s\'ouvriront pas un jour à tous les exilés? Louis
Napoléon seul pouvait être assez fort pour effacer
cette dernière trace de nos révolutions, et de
même qu\'il a pu, sans compromettre le caractère
de ]\\|M. de Larochejaquelein et de Pastoret, faire
de l\'un un président de conseil-général, et de
l\'autre un président de comités historiques,—tous
deux en attendant mieux, — qu\'y aurait-il d\'éton-
nant à ce que M. Guizot fût un jour son ministre,
M. Berryer son garde-des-sceanx, et M. Thiers
son ambassadeur à Londres ? Ceci n\'est point un
paradoxe, mais un pressentiment.
Il n\'y a plus de partis, il n\'y a plus de drapeaux,
i! n\'y a plus d\'opposition; il y a une nation qui est
la France, un droit que s\'appelle l\'Empire, une
croyance qui a trente-cinq millions de fidèles.
L\'Empire n\'est pas même une transformation,
mais une continuation. Où il y aurait changement,
ce serait si ia république était conservée; et ce
changement, rimagination la plus audacieuse
s\'épouvanterait à le prévoir. Est-ce que depuis le
coup d\'Etat, Louis-lSTapoléon ne règne pas dans
toute l\'acception du mot? Est-ce que depuis le
coup d\'Etat quelqu\'un s\'est avisé de prendre la
Erance pour une république? — Mais il y aurait
niaiserie ou blasphème à insister là-dessus.
Si après la journée du 16 octobre, quelqu\'un
pouvant douter de l\'Empire, c\'est qu\'il n\'y aurait
plus, comme l\'a dit M. Victor Hugo lui-même,
(( de Dieu au ciel et de Erance sur la terre. )> Cet
apothéotique voyage n\'était pas; comme on l\'a dit,
la préparation du nouveau régime, mais sa pro-
mulgation. C\'était le souverain, élu, consenti, re-
connu, qui se montrait à son peuple, et ce peuple
n\'avait qu\'une parole: «Salut, César! Salut,
notre Empereur!» Il y a eu des localités où le
simple cri de (c Vive Napoléon ! » a été considéré
comme séditieux. Sur une étendue de deux mille
kilomètres, du fond de vingt millions de poitrines,
pendant trente-trois fois vingt-quatre heures, ce
Credo national n\'a cessé de monter à Dieu comme
un hymne et de s\'étendre sur le monde comme
Une bénédiction. Les pierres elles mêmes l\'eussent
crié, à défaut de voix humaines.
Et pour que tout fût miraculeux dans cette
Genèse, c\'est Paris qui a chanté le Gloria final du
cantique impérial, Paris qui a accepté avec recon-
naissance la seule révolution qu\'il n\'ait pas faite
(et qui pour cela sera la dernière) ; Paris, le grand
insurgé de 1848 et de 1830; Paris qui, disait-on,
ne voulait pas du coup d\'Etat, et qui, dira-t-on
avec plus de justice, ne veut plus que ce que veut
la France ; Paris qui, découronné par les provinces
de ses faux rayons de libéralisme, n\'en sera que
mieux la tête de la civilisation, et consacrera son
inteUigence à remercier et à instruire ces « paysans »
qui lui ont appris une vérité dont il ne se doutait
guère: qu\'il n\'y a rien de moins démocratique
que le sufirage universel, de moins républicain
que le peuple, et de plus populaire que le pouvoir.
Aussi, quelle réception et quelle fête ! Et comme
la Ville immortelle, en improvisant en trois jours
plus de merveilles que Bordeaux, Marseille, Lyon
et Toulouse n\'en avaient pu créer en un mois, en
luttant avec ses cadettes d\'allégresse, d\'amour et
d\'enthousiasme, a mantré que si Paris ne donnait
plus de leçons politiques au pouvoir, personne, en
fait de génie, de magnificence, de bon goût et de
bon cœur, ne donnait de leçons à Paris!
Vienne donc maintenant le sénatus-consulte.
-ocr page 62-Paris a sa réponse toute prête, et nous savons
comment il accomplira la dernière épreuve du
suffrage universel. Sachant que sa capitale était
friande de programmes, le futur Empereur avait
pris soin de lui envoyer de Bordeaux le programme
des nouvelles destinées de l\'Europe :
«Jamais peuple n\'a témoigné d\'une manière
plus directe, plus spontanée, plus unanime, la
volonté de s\'affranchir des préoccupations de l\'ave-
nir, en consolidant dans la même main un pouvoir
qui lui est sympathique. C\'est qu\'il connaît à cette
heure et les trompeuses espérances dont on le
berçait et les dangers dont il était menacé. 11 sait
qu\'en 1852 la société courait à sa perte, parce
que chaque parti se consolait d\'avance du nau-
frage général par l\'espoir de planter son drapeau
sur les débris qui pourraient surnager. Il me sait
gré d\'avoir sauvé le vaisseau en arborant seule-
ment le drapeau de la Erance.
«Par esprit de défiance, certaines personnes se
disent: l\'Empire, c\'est la guerre. Moi, je dis.
l\'Empire, c\'est la paix. C\'est la paix, car la Erance
la désire, et lorsque la Erance est satisfaite, le
monde est tranquille.
«La glorie se lègue bien à titre d\'héritage, mais
non la guerre. Est-ce que les princes qui s\'hono-
raient justement d\'être les petits-hls deLouisXIV,
ont recommencé ses luttes ? La guerre ne se fait
pas par plaisir ; elle se fait par nécessité, et, à ces
époques de transitions où partout à côté de tant
d\'éléments de prospérité germent tant de causes
de mort, on peu dire avec vérité: Malheur à celui
qui, le premier, donnerait en Europe le signal
d\'une coUision, dont les conséquences seraient
incalculables !
«J\'en conviens cependant, j\'ai, comme l\'Em-
pereur, bien des conquêtes à faire. Je veux, comme
lui, conquérir à la conciliation les partis dissidents
et ramener dans le courant du grand fleuve popu-
laire les dérivations hostiles qui vont se perdre sans
profit pour personne.
«Je veux conquérir à la religion, à la morale, à
l\'aisance, cette partie encore si nombreuse de la
population qui, au millieu d\'un pays de foi et de
croyance, connaît à peine les préceptes du Christ,
qui, au sein de la terre la plus fertile du monde,
peut à peine jouir de ses produits de première né-
cessité.
«Nous avons d\'immenses territoires incultes à
-ocr page 64-défriclier, des routes à ouvrir, des ports, à creuser,
des rivières à rendre navigables, des canaux à ter-
miner, notre réseau de chemins de fer à complé-
ter. Nous avons, en face de Marseille, un vaste
royaume à assimiler à la France. Nous avons tous
nos grands ports de l\'Ouest à rapprocher du con-
tinent américain par la rapidité de ces communica-
tions qui nous manquent encore. Nous avons par-
tout, enfin, des ruines à relever, de faux dieux à
abattre, des vérités à faire triompher.
«Voilà comment je comprends l\'Empire, si
l\'Empire doit se rétablir. Telles sont les conquêtes
que je médite, et vous tous qui m\'entourez, qui
voulez comme moi le bien de notre patrie, vous
êtes mes soldats!» ,
t
Les grandes pensées viennent du cœur, — a dit
Vauvenargues, comme l\'orateur latin avait dit:
«Cest le cœur qui fait l\'éloquence,» et l\'Evan-
gile: «La bouche parle de l\'abondance du cœur. »
Ce programme incomparable, otl respirent le génie
d\'un fondateur, la prévoyance d\'un sage et la
mansuétude d\'un chrétien, n\'a pas besoin de com-
mentaires. Voilà bientôt un an qu\'il était en cours
d\'exécution, et nous finissons à peine de le trans-
crire que déjà la presse de toute l\'Europe déclare
que Bordeaux, — noble et cher berceau de notre
enfance, deux fois béni par notre âge mûr! ■—
témoignera devant l\'histoire qu\'elle a, la première,
salué rEmjjire et l\'Empereur. Nous disions tout à
I heure: «Vienne le sénatus-consulte.» A quoi
non? ^Le Sénat est prêt, comme le peuple, conWe
1 armée, ^comme le clergé, comme la magistrature,
comme l\'administration, comme tout le monde. Et
1 Europe aussi est prête comme la France. On n\'at-
tend plus que le Pape, et le Pape viendra. Au mo-
ment où nous écrivons, le Moniteur annonce que
Eouis-Napoléon vient de rendre la liberté à Abd-el-
Kader; témoignage de force et de foi que lui seul
pouvait se permettre, sublime et habile réponse
aux calomnies de la presse anglaise que cette déh-
vrance d\'un souverain prisonnier accomplie par le
neveu du martyr de Sainte-Hélène.
Au sacre, maintenant! L\'héritier de César et de
sa fortune est aussi le continuateur de sa mission
et de sa gloire. Sa légitimité est la plus directe, la
Phis^ fondée, la plus authentique, la plus reconnue
de l\'univers politique; mais ne fût-elle qu\'une
Usurpation, Dieu lui-même la consacrerait encore,
parce que la France, dans la plénitude de sa li-
berté et dans l\'unanimité de ses désirs. Fa voulue,
la proclamée, l\'a reçue, l\'a bénie. C\'est le chant
de Virgile qui se réalise, avec la netteté de la
prose et la réalité du fait matériel:
Magnus ab integro soEclorum nascitnr ordo,
Jaiij redit et Virgo, redeunt Saturnia régna;
Jam nova Progenies cœlo demittitur alto.
-ocr page 66-Une nouvelle succession de siècles, l\'âge d\'or, nne
descendance marquée au sceau divin et conduite
par la Providence de la France, — le poète d\'Au-
guste pourrait chanter Louis-Napoléon.
Et si la voix perdue d\'un pauvre écrivain peut
se mêler au concert de l\'extase universelle, qu\'on
nous permette de répéter à la fin de ces pages, ce
que nous écrivions, en janvier dernier, à la fin d\'un
livre qui fut l\'humble premier chapitre de cette
épopée dont nous saluons aujourd\'hui le dénoue-
ment. Notre Histoire du Deux Décembre racontait
le Te Deum du l^r janvier à Notre-Dame et prédi-
sait le nouveau règne en ces lignes, qui prouve-
ront, du moins, que nous n\'avons pas attendu, pour
confesser l\'Empire, que l\'Empire fût consommé :
«Dieu est au bout de tout. Cette consécration
dont le calme et sténographique compte-rendu a
toute l\'éloquence de la poésie et de l\'histoire, ce
Te Deum, cette cathédrale où fut couronné l\'Em-
pereur et où vient d\'être proclamé Louis-Napoléon,
cette bénédiction du sacerdoce et de l\'autorité
éternelle succédant à l\'acclamation du peuple et
la prenant en quelque sorte dans ses mains pour
l\'ofirir à Dieu qui l\'accepte et la sanctifie; cette
nation, personnifiée dans ses illustrations de toute
sorte, venant sceller sur l\'autel, en face de toutes
les majestés du culte et dans l\'appareil le plus
solennel, le pacte d\'iiommage, de gratitude,
d\'amour et de fidélité par lequel elle s\'est libre-
ment, spontanément et unanimement identifiée h
l\'Homme qui l\'a sauvée; ces cris, cette joie, ces
espérances, cette foi universelle de huit millions
de volontés réiiéchies s\'incarnant et se concentrant
sur la tête de cet oint du peuple et de cet élu du
Seigneur; ce sacre, en un mot, — disons ce mot,
car toute la Erance le répète à cette heure,—^ n\'est
pas seulement le dénouem.ent bienheureux de nos
désastres et l\'attestation immortelle que l\'abîme
des révolutions est à jamais fermé.
_ «Il y a plus que cela dans l\'inauguration splen-
did e du nouvel ordre de choses. Il y a l\'enseigne-
ment pour tous, pour le pays qui vient de se
donner un Maître, aussi bien que pour ce Maître
revêtu du plus légitime et du plus large des pou-
voirs humains, le pouvoir conféré par le choix
universel et confirmé par l\'universelle afîection.
Jamais la Providence ne fit plus pour un peuple et
pour un homme, mais jamais elle n\'imposa plus
d obligations et ne dicta plus d\'avertissements h
tous deux, obligations inexorables qu\'il y aurait
crime et honte à ne pas remplir, avertissements
suprêmes qu\'elle ne répéterait pas une seconde
fois.
«L\'ancienne maxime constitutionnelle: «La
-ocr page 68-((liberté est le droit de faire tout ce qui ne nuit
«pas à autrui,» n\'était que l\'étroite formule de
l\'égoïsme ; à cet axiome de l\'incrédulité libérale
substituons la grande et fraternelle loi du Chris-
tianisme: «La liberté n\'est que le droit de bien
(( faire. » Que l\'utile et le juste soient seuls permis;
la perfectibilité humaine n\'a que ce point de dé-
part et cette règle. La Prance entre dans l\'ère de
l\'autorité, du respect, du travail et de l\'intelli-
gence; ce cadre auguste comporte déjà plus de
libertés que l\'état actuel des esprits n\'en peut sup-
porter encore, plus de progrès que n\'en ont jamais
rêvé l\'utopie la plus généreusement illusionnée et
l\'instinct réformateur le plus audacieux, plus de
grandeur que n\'en réalisèrent jamais les gouver-
nements les plus forts et les mieux intentionnés.
Paix aux hommes de bonne volonté, a dit l\'Evan-
gile; soyons ces hommes, et nous aurons cette
paix. Que le passé soit honoré dans ce qu\'il eut de
bon et de noble, que les regrets pour des traditions
disparues ou des symboles chers aux cœurs qui les
défendirent, ne rencontrent que sympathie et dé-
férence; mais que ce soit toujours le passé et rien
de plus.
« Les dépits ne dureront pas; les anciens partis,
qui vinrent offrir au honteux gouvernement de
février leurs services et leur épée, ne voudront pas
se déshonorer et s\'abimer dans le ridicule en bou-
dant un gouvernement issu du suffrage universel;
quant aux conspirations de salons, ce n\'est plus
qu\'une mode d\'hiver que le premier rayon de so-
leil va fondre. Les cœurs élevés, les esprits sérieux,
les consciences honnêtes verront plus haut et plus
îoin. Aimer, travailler, oublier c\'est la meilleure
des politiques, la plus sûre des doctrines et la plus
constante des opinions. A ce Peuple qui souffre, à
ce Gouvernement qui s\'efforce, à cette Société qui
aspn-e, à ce Dieu qui nous voit, offrons dans la
limite de nos moyens, mais dans la plénitude de
notre bon vouloir, les efforts de nos recherches,
l\'abnégation de notre patriotisme, les travaux de
nos pensées ou de nos mains, le sacrifice de nos
inimitiés et de nos amours-propres. Plus on fait
de bien, plus on peut et plus on veut en faire;
l\'homme individuellement peut paraître méchant,
ingrat, impitoyable; mais la Société qui n\'est, à
tout prenclre, qu\'un principe nécessaire d\'amour,
de génie et d\'indulgence, la Société est toujours
précieuse, saiute\'et chérissable.
«Le coup d\'Etat du 2 Décembre fut nécessaire,
providentiel, inévitable; bien coupables ou bien à
plaindre ceux qui n\'y verraient que le triomphe
d\'un parti ou la victoire d\'un homme ! Les secrets
de la Providence ont une tendance plus haute et
des résultats plus vastes; c\'est la foi de Louis-
Napoléon, et ce sera l\'inspiration des hommes qui
aideront ce Souverain populaire à accomplir sa
destinée, à donner au peuple ces améliorations et
ce bien-être moral et physique, indépendant de
toutes les formes gouvernementales, qui ne s\'ac-
quièrent qu\'au prix du travail, des mœurs et de
l\'éducation; à fonder une société civile simple,
forte, morale, chrétienne, où toute chose et tout
être auront leur place et leur rôle, où la force
comme la pensée, l\'industrie comme les arts, le
commerce comme la science, l\'administration
comme la loi, l\'Etat comme le citoyen, converge-
ront à ce but éternel et suprême ds toute civilisa-
tion : réconstituer l\'autorité politique sur le patron
de l\'autorité paternelle, la Société sur le modèle
de la famille, et faire du bonheur et des vertus de
chaque foyer le type unique du perfectionnement ,
général. »
Comme détail d\'événements l\'histoire ne se ré-
pète pas ; mais comme ensemble de moralité elle
se conjecture, et c\'est ce qui justifie nos pressen-
timents d\'il y a dix mois, pressentiments C|ui
n\'étaient que la traduction de l\'opinion publique.
Même analogie aujourd\'hui.
Louis-Napoléon, on peut le prédire, ne sera ni
un conquérant parce qu\'il n\'y a pas de conquêtes
à faire, ni un législateur parce que la civilisation
n\'a plus besoin de lois mais de mœurs, ni un nive-
leur parce que tout le monde est à sa place. Il sera
Un conciliateur, le plus beau rôle qu\'un grand
nomme ait à jouer ici-bas. Toutes les classes l\'ont
acclamé, parce qu\'il les a sauvées toutes; toutes
les classes l\'aimeront, parce qu\'il leur garantit à
toutes ce qu\'elles sont d\'accord à demander dé-
sormais, la paix, l\'ordre, la religion, le bien-être,
la grandeur nationale, les vertus du foyer, les
progrès de l\'intelligence, de l\'industrie et de la
fortune politique. L\'erreur universelle de ce pays,
la cause unique peut-être de ses révolutions et de
ses misères tenait à ce préjugé, aujourd\'hui dis-
paru, que les formes politiques sont absolues et
qu\'une révolution est une solution définitive. On
comprend maintenant qu\'il n\'y a d\'absolu en ce
nionde que les lois éternelles de la Société, —
lesquelles n\'ont rien de commun avec la politique,
et que les institutions ne sont que des faits, c\'est-
à-dire des accidents, modifiables par leur nature
même. En 89, l\'idée démocratique fut chose aussi
nécessaire que la dictature en 1804, que la royauté
constitutionnelle en 1830, que l\'Empire aujour-
d\'hui. Seulement aucune de ses phases successives
de l\'humanité n\'avait eu, comme l\'Empire, la
double consécration de l\'acclamation universelle
en Erance et de l\'approbation illimitée en Europe.
T^a garantie de sa durée est donc fixée pour nous.
et cette journée du 16 octobre, éclairée par un
soleil d\'Austerlitz, était bien, comme nous Pavons
dit, le prélude et l\'emblème de la prochaine jour-
née de Décembre, de ce mois napoléonien qui
verra le deuxième Sacre comme il a vu le premier,
comme il a vu Ansterlitz, le retour des cendres de
l\'Empereur, les deux élections de 1848et de 1852,
et le coup d\'Etat, cette première assise de l\'Em-
pire.
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