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RESPECT AUX VAINCUS!

au sujet d33

VICTOR HUGO

MM. ALFRED ROUSIOT ET EUGENE THOMAS.

BRUXELLES,
A. LÉON LÉVÈQUE ET 0°., EDITEURS,

eue notke dame aux neiges, 26.

1853.

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RESPECT AUX YAIÎ^CUS!

Cette brochure, que deux jeunes auteurs li-
vrent en ce moment au public, n\'est pas un acte
politique, comme beaucoup pourraient le croire
au premier abord; c\'est une simple réponse n\'em-
brassant qu\'un seul point, n\'analysant qu\'une
seule page que nous allons transcrire tout en-
tière afin qu\'il nous soit permis de la discuter,
ligne par ligne, mot par mot, et afin que nos
lecteurs, de quelque parti qu\'ils soient, puissent
nous comprendre et nous donner raison.

Monsieur Mayer (auteur de plusieurs ouvrages
politiques, et en dernier lieu du
Retour à VEm-
pire),
dont les idées politiques nous sont con-
nues depuis le 2 décembre, tout en donnant rai-
son au pouvoir, tout en prodiguant des éloges à
Louis-Napoléon (ce dont nous sommes loin de lui
faire un reproche, tout au contraire), s\'est trouvé
emporté dans sa fougue napoléonnienne, et n\'a pas

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craint de faire injure, nous ne disons pas aux
oj)inions de M Yictor Hugo, à
chacun selon ses
œuvres,
mais à sa vie politique et privée.

Il a insulté non seulement son honneur, mais
•encore l\'honneur de sa famille, la gloire de ses
œuvres. Il a méprisé, sali l\'homme et le poète
en même temps. Il n\'a pas respecté ce génie fé-
cond qui, à quatorze ans, quatorze ans ! âge où
l\'enfant commence à peine à comprendre la langue
de Virgile ; quatorze ans, âge où l\'enfanfc connaît
à peine les préceptes de sa langue maternelle, et
où lui, Victor Hugo, l\'homme que l\'on attaque au-
jourd\'hui, l\'homme que l\'on foule aux pieds comme
le dernier des parias, était déjà un grand poète.

Assistons au premier début de l\'enfant.

On était en pleine restauration. L\'Académie
avait donné pour sujet de son prix:
Le bonheur
que procure l\'étude dans toutes les situations de
la vie.

Sans en rien dire à personne, Victor Hugo avait
concouru ; son travail terminé, il ajouta à son nom,
son âge, quatorze ans et demi. Eh bien! chose
curieuse, ce furent ces quatorze ans qu\'accusait le
poète qui l\'empêchèrent d\'être couronné, car le
rapporteur de l\'Académie prétendit que le concur-
rent qui se donnait trois lustres à peine avait voulu
se moquer de l\'Académie.

L\'enfant avait pour dignes concurrer, 13 Saintire,
Lebrun, Casimir de Lavigne, Loyson.

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Le prix fut païtagé entre Saintine et Lebrun.
Victor Hugo n\'eut que la première mention hono-
rable, toujours en raison de ce qu\'il avait voulu se
moquer de l\'Académie.

A huit ans, ô prodige! cet enfant traduisait
Tacite, Perse, Juvénal, que les rhétoriciens con-
çoivent à peine. A cet enfant M. Eenouard écri-
vait ; François de JSTeufchateau et Campenon lui
adressaient des vers; quant à Châteaubriant, il
appelait Hugo l\'enfant sublime.

Et de cet homme l\'on peut dire aujourd\'hui,
l\'homme incomparable.

Mais comme nous ne croyons pas que M. Mayer
pousse la prétention et la haine jusqu\'à renier le
talent du grand poète, nous allons reproduire cette
page, qui nous a frappé, comme jeunes gens de
cœur d\'abord, ensuite comme amis de cette litté-
rature que M. Mayer semble tant dédaigner en-
fin comme admirateurs de ce génie, dont la vie et
la conduite nous semblent au dessus de la plume
satirique d\'un pamphlétaire.

Voici ce que dit M. Mayer dans son ouvrage
sur le
Retour de VEmpire:

(( Il y avait en Trance un homme dont le nom
était ie synonyme même du génie et de la gloire,
que la poésie et l\'éloquence avaient prédestiné à
l\'égal de Lamartine, qui avait donné une nouvelle
langue à la littérature de son pays, et conquis
une si large place dans la civilisation intellec-

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tuelle qu\'il avait pu, dans notre France de foi.
religieuse, d\'inspirations idéales et de goût épuré,
créer une école pour la réhabilitation de l\'impiété\',\'
le culte de la matière et la glorification du faux
et du laid. A seize ans cet homme était déjà
un grand poète. Les Bourbons l\'avaient enrichi,
Louis-Philippe l\'avait fait pair de France, Louis-
Napoléon faillit le faire ministre. Tout ce qui lit,
savait par cœur ses ouvrages, tout ce qui pense
était plein de sa pensée; une génération tout en-
tière d\'écrivains se faisait gloire d\'être née de
son souffle, et l\'adore encore comme un faux dieu.
Et le génie de cet homme était si grand, et la sé-
duction de ses erreurs si profonde qu\'on lui avait
pardonné des chutes à rendre tout autre nom exé-
crable, — scandales privés, ingratitudes monstru-
e^uses, vices babyloniens, orgueil d\'ange déchu,
lâchetés de ^ cœur, crimes deplume et de parole,
tout, jusqu\'à la splendeur de ses apostasies.

«Un froissement de sa vanité de tigre le jeta
dans Topposition républicaine; et comme, ainsi
qu\'il l\'a dit lui-même, c\'est démence de s\'arrê-
ter à un degré de l\'horrible, la démagogie et le
socialisme, — qui le méprisaient autant qu\'ils ont
le droit de mépriser quelque chose, — saluèrent
en lui leur Mirabeau et leur Tyrtée. Ce poète, qui
avait chanté la famille et l\'amour, ce gentilhomme
aux mœurs de Satrape, ce vicomte, ce pair de
France, dont le despotisme intérieur allait jus-

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qu\'à imposer l\'apotliéose, dont le sybaritisme avait
des délicatesses féroces, à qui le contact de la foule
«t l\'approche de la médiocrité inspiraient une ré-
pulsion nerveuse, et des dédains d\'une fabuleuse
insolence, — se fit le courtisan de la plèbe, en-
chanta, nouvel Orphée, les cavernes et les bêtes
fauves, et quand il fut, comme son
Ruy-Blas,
devenu «un gaillard populaire,« s\'en vanta, dans
les petits soupers de la Maison-d\'Or, parmi des
courtisanes. Au 2 décembre il noyait sa muse dans
la lie, rêvait pour son imagination blasée, l\'ivresse
nouvelle du sang versé, et présidait aux barricades.
Tout fut dit alors. Chassé de France, et non pro-
scrit, il alla montrer à la Belgique ce que la ré-
publique peut faire d\'un homme illustre et d\'un
génie européen. Mais depuis qu\'il a vu tant de
rois sans couronne, l\'étranger reste indifl\'érent
devant les poètes sans auréole. Le grand écrivain
ne voulut pas d\'une expiation silencieuse; il fit un
livre, comme le marquis de Sade faisait des romans;
car l\'exil pour les cœurs lâches est comme le ca-
chot pour les organisations libertines ; il déprave
et ne corrige pas. Nous avons lu ce volume, oil
ce qui n\'est pas écrit avec de la boue l\'est avec du
sang. Il mit six mois à l\'annoncer et à le faire;
car il a le travail difficile, et, s\'il est peu scrupu-
leu_x sur le choix du sujet, on sait qu\'il cisèle artis-
tement et péniblement la forme.

«Le libelle fit horreur; c\'était un chef-d\'œuvre

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d mfamie, Notre-Dame et les Feuilles d\'Automne
n avaient pas été travaillées avec plus de conscience

et d\'amour. — Six mois, comprend-on cela.? ___

Sp mois d\'études, de retouches et de caresses,
d effet^ cherchés dans la fange, d\'anathèmes en-
châssés dans le sophisme, de mensonges chaulfés
au feu du stjle, de blasphèmes taillés comme on
taille le diamant, de parjures, d\'excitations, d\'im-
piétés, d\'outrages à tout ce qu\'on révère, dans
u.n langage d\'une magnificence inouïe! Un travail
d\'athée amateur, une mosaïque de turpitudes h
faire reculer Borgia, le cjnisme servant d\'émail
à la trahison, une Justice politique dictée par
Judas et écrite par l\'Arétin.

«Oh! nous comprenons qu\'un exilé se venge
et crie. Qu\'un soudard comme Charras ou qu\'un
imbéple comme Schœlcher publient, l\'un une let-
tre d\'injures grotesques, l\'autre un volume de ni-
aiseries patibulaires: cela se conçoit, se justifie et
se méprise. Mais lui! mais ces trois cents pages
signées d\'un des plus glorieux noms de notre poé-
sie ; mais la froide et longue elucubration de ce
monument de scélératesse littéraire, de barbarie

morale et d\'impénitence communiste..... Depuis

Marat on n\'avait rien lu de pareil. Mais jamais
aussi la justice d\'en haut ne fut plus vengeresse

et la patrie plus exemplairement vengée. _La

Belgique eut dégoût d\'un tel hôte, et s\'indigna sur
son sol honnête de porter ce mauvais citoyen.

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L\'Angleterre, ce grand refuge des gloires tombées,
le repoussa par une accablante excuse de police
sanitaire, et cet homme qui, au beau temps de
sa vie, avait à la chambre des pairs et dans ses li-
vres si magnifiquement plaidé la cause des exilés :

Oh! n\'exilons personne; oi! l\'exil est impie!.....

ne trouva pour reposer sa tête et cacher sa famille
que les brumeuses solitudes de Jersey. Toilàla
justice de Dieu, voilà la leçon finale des républi-
cains, voilà les fruits et la morale de laEépublique.
Et qu\'on ne nous accuse pas d\'attaquer un proscrit
incapable de répondre; celui-là a prouvé qu\'il
n\'était pas muet. Devant le malheur, même mé-
rité, qui insulte est un misejable; mais devant
la jactance du vice qui se tait est un lâche.»

Après un tel passage, nos lecteurs compren-
dront fort bien que deux jeunes auteurs, qui sont
avant tout amis de Fart et de la vérité, prennent
la plume et répondent
à de pareilles injures. Nous
le répétons, cette brochure n\'est pas un acte politi-
que ; mais si cependant notre opinion est néces-
saire pour ce que nous avons à répondre, nous
dirons que nous n\'en avons aucune, que nous
sommes amis du beau et du grand, par consé-

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qnent admirateurs profonds du talent de M. Vic-
tor Hugo.

Nous dirons de plus que nous voulons le bien
de la Trance, que nous voulons que les affaires
soient en voie de prospérité, que l\'art et l\'indus-
trie brillent comme par le passé, dans la France,
dans l\'Europe entière...............

Nous dirons enfin que nous sommes très forts
partisans du vote universel, cela veut tout dire:
ce que non seulement nous,acceptons, mais ce que
de plus nous demandons à grands cris, c\'est ie
rétablissement de VEmpire : nous le demandons,
parcequ\'un peuple tout entier l\'a écrit sur ses ban-
nières, sur ses arcs-de-triomplie; nous le deman-
dons ^enfin parceque le commerce en dépend au-
jourd\'hui. Sans
VEmpire, la France restera indé-
cise ; car si la France est forte en ce moment, c\'est
parcequ\'elle compte sur ce changement de gouver-
nement; c\'est parcequ\'elle croit\'pouvoir échanger
cet état de transition dans lequel elle se trouve,
et dans lequel toute prospérité est impossible;
VEmpire! l\'Empire! voilà donc notre devise au-
jourd\'hui.

Mais nous voulons aussi que l\'on respecte les
convictions des hommes sincères, nous voulons
que les vrais républicains ne soient pas atta-
qués jusque dans l\'exil, jusqu\'aux rives les
plus lointaines; cette brodiure est donc une
ceuvre que tous les hommes de cœur compren-

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dront, que tous les hommes justes et profonds
salueront.

Crions: Vive Césai! d\'une commtme voix;
Le Vote Universel l\'a proclamé deux fois;
Le peuple veut pour lui la majesté du trône.
Qu\'il soit prince. Empereur, et porte la couronne.
Tous nous nous écrions... Vivat Impekatok,
Et dans un mois ou deux le redirons encor.

Mais respect aux vaincus... à tous ceux dont la vie.
S\'est toujours dévouée au bien de la patrie.
N\'insultons pas aux noms que la France aimera.
Lorsqu\'un nouveau soleil peut-être apparaîtra.
Kespectons le génie, et respectons la gloire
]3\'un homme dont le nom brillera dans l\'histoire;
Soyons de son talent profonds admirateurs;
Déplorons ses malheurs, et plaignons ses erreurs.

Mais comme nous l\'avons vu, et comme nos lec-
teurs ont pu le voir dans le passage que nous avons
cité, M. Mayer ne déplore pas les malheurs, ne
plaint pas les erreurs ni le parti de M. Victor Hugo;
il l\'injurie grossièrement, et d\'un langage si im-
propre que Molière n\'aurait pas mis ces paroles dans
la bouche d\'un portefaix ou d\'une marchande qui
a établi son quartier sous les piliers des halles.

Voyons le comm.encement :

M. Mayer avoue que le nom de Victor Hugo était
le synonyme du génie et de la gloire.

Était.... Il ne l\'est donc plus, il n\'a donc jjlus
de gloire, de génie, cet homme? il a donc emporté

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avec lui sa Marion Delorme, son Hernani et ses
lïreproductibles ballades? Ces œuvres qu\'Alexan-
dre Dumas dit éternelles n\'ont donc pas vécu au-
tant que l\'homme? elles ont donc disparu?... ou
bien peut-être les a-t-il ensevelies dans les brumeu-
ses sohtudes de Jersey, afin de s\'en faire un oreil-
ler lui qui n\'a que Jersey pour reposer sa tête et
cacher sa famille.

O maître Mayer, ta plume avait donc le frisson
lorsque tu écrivis ces paroles! Ou bien ta voix,
lorsqu\'elle veut chanter un héros, a donc besoin
pour se donner de l\'éclat d\'en déchirer un autre.

Mais poursuivons :

Créer une école pour la réhabilitation de Vimpiété,
le culte de la malêre et la glorification du faux et
du laid:

C\'est trop fort, par exemple; quelles sont donc
ces œuvres d\'impiété? Youdriez-vous parler des
pièces que le poète aurait fait et qui n\'ont point vu
le jour? Non, assurément, puisque ces œuvres
ont
été assez fortes pour créer une école.

Mais alors serait-ce Marion Delorme, Hernani-,
Ruy-Blas, Us Biirgraves, le Roi s\'amuse, Lu-
r^ecef Non, encore, puisque toutes ces pièces et
d autres ont été jouées et rejouées sur tous les
théâtres français et p:trangers, puisque l\'auteur a
été payé, décoré et porté en triomphe.

Est-ce que par hasard les sociétaires de la rue

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Eichelieu ont l\'habitude de jouer des scènes d\'im-
piété et M. le directeur de les recevoir ? Et quand
bien même encore le théâtre aurait cette habitude,
n\'avons-nous pas la censure, qui, en tout temps,
a su se montrer? n\'avons-nous pas un ministre, un
gouvernement pour empêcher que les œuvres d\'im-
piété viennent se balancer sous le lustre du théâtre;
et enfin, bien mieux que le directeur et la censure,
n\'avons-nous pas un public, un vrai public qui, à
l\'annonce d\'une pièce du grand poète, vient se
; sorter en foule aux abords du théâtre, et prouve
ùen par ses bravos que ses mains ne sont pas gan-
tées à la Jouvin?

Quant aux livres, qui peut savoir mieux que nous
ce que fait le public d\'un mauvais ouvrage; et ce-
pendant nous n\'avons pas souvenance qu\'un livre
de Victor Hugo ait jamais fait le
rossignol chez
les libraires. Si
Notre-Dame de Paris était une
œuvre d\'impiété, la popularité n\'en aurait pas fait
un événement littéraire; ou alors, et là est le mot
véritable, les théâtres, la censure, le public soutien-
nent l\'impiété, tous ont donné la main à cet homme
qui a détruit la religion et qui a voué un culte à
la matière et à glorification du faux et du laid ; la
Erance est donc corrompue, c\'est donc une nation
d\'impies, puisqu\'elle soutient et encourage l\'athéis-
me ? Pardonnez nous. Monsieur mais si vous ne

\') Ouvrage qui ne se vend

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le pensez pas; voilà ce que nos paroles veulent dire
et que nous n\'avons fait que transcrire.
Nous voyons plus loin:

On lui avait pardonné des chutes à rendre tout autre
exécrable. \'

Le nom de Victor Hugo e.xécraUe... Oh ! le mot
est bien mal choisi; vous le rectifierez, n\'est-ce pas,
Monsieur.? car cette épithète injurieuse pourrait
vous en faire renvoyer d\'autres qui ne seraient pas
à votre avantage, comme l\'a dit Horace:

Par pari refertur.

Mais poursuivons :

Scandales privés, ingratitudes monstrueuses, vices ha-
hyloniens, orgueil d\'ange déchu, lâchetés de cœur, crimes
de plume et de parole, tout jusqu\'à la splendeur de ses apo-
stasies.

Ces insultes sont si grossières, elles soulèvent
tant d\'amertume dans le cœur, que c\'est presque
avec peine que nous allons les relever. Comme a dit
M. Michel Masson dans une préface dans nous ne
savons quel roman : Aussitôt que l\'auréole se pose
sur le front d\'un grand homme, de combien devices
ne l\'accable-t-on pas chaque jour ; on ternit sa répu-
tation, et lorsqu\'enfin il est arrivé au sommet de
la renommée, le monde lui croit des vices aussi er-
ronés que sa gloire est répandue, que son génie

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est grand et puissant; M. Yictor Hugo en est un
triste exemple.

Quel est l\'homme qui, réunissant une si grande
gloire littéraire, fut autant calomnié? Si c\'est là
le prix que se paie le génie, il se paie bien cher....
Mais qu\'importe, répondons d\'abord à l\'auteur de
si ridicules accusations.

Nous concevons fort bien que les gens affaires
qui vont à la Bourse, ou bien les habitués du
boulevard de Gand, voire même l\'hôte journalier
du cabaret, puissent ajouter foi à ces odieuses in-
criminations ; mais M. Mayer, un auteur sérieux,
un homme qui écrit, et qui par conséquent doit
penser et raisonner, cela peut-il se comprendre, et
doit-on, pour faire accepter ses opinions, se servir
de telles expressions.

Oh! combien je préfère celles d\'Alexandre
Dumas :

Soupir qui va vers toi sur la brise du soir,

Fait d\'un quart de tristesse et de trois quarts d\'espoir.

O toi, grand homme, tu rends à César ce qui
est à César, tu ne crains pas de montrer ton
estime pour le pauvre exilé ; ô Alexandre Dumas,
ton nom est digne d\'être placé au même rang
que le sien; et quoique la calomnie vous ait déjà
souvent bien sali tous deux, vous avez et vous
aurez toujours pour vous les cœurs sincères et
dévoués.

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Mais revenons à notre sujet:

Vices babyloniens, dites vous. Oli! nous ne
sommes pas assez forts sur l\'histoire ancienne pour
bien connaître les vices qu\'avaient ces messieurs,
et dont M. Hugo seul a conservé la coutume; nous
aimons mieux croire que le mot vous a semblé ron-
flant, et que vous l\'avez écrit comme on écrit une
phrase qui sonne bien à l\'oreille.

Orgueil d\'ange déchu..,

O Monsieur, Victor Hugo n\'a jamais été un
ange, vous allez trop loin maintenant; nous ne sa-
vons si c\'est pour en faire sentir plus vivement la
décadence, mais nous vous répondrons : cet homme
fut un grand poète, il le fut hier comme il l\'est au-
jourd\'hui, et comme il sera demain; la postérité
gravera son nom sur ses tables d\'airain; vous le sa-
vez, Monsieur, et si vous semblez l\'ignorer vos pe-
tits neveux ne l\'ignoreront pas et pourront vous le
dire un jour.

Lâchetés de cœur.

Nous ne savons si vous devez quelque recon-
naissance, comme M. Granier de Cassagnac, à M.
Victor Hugo, et si ce libelle est le prix de ce qu\'il
a pu faire pour vous; mais n\'importe, quand il n\'en
serait pas ainsi, il est bien mal de pénétrer jusqu\'au
cœur d\'un homme, quand cet homme est un génie
et que ce génie est proscrit et malheureux. Qui vous

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donne le droit de fouiller jusqu\'au cœur de votre
semblable ? Savez-vous qu\'il n\'y a rien de plus sa-
cré que le cœur; mais peu vous importe; vous ne re-
gardez pas si la plaie est sensible, ni si votre stylet
fera jaillir le sang; vous versez toute l\'amertume de
votre fiel dans la plaie, et votre plume ose s\'en glo-
rifier.

Michel Cervantes vous a dépeint, mon cher, dans
le rôte de Don Quichotte ; vous vous occupez d\'un
homme qui ne songe guère à vous et dont le piédes-
tal est si haut, dont le front est si couronné que
votre voix ne peut parvenir jusqu\'à lui, que la
pointe de votre poignard ne peut effleurer.

Crimes de -plumes et de paroles, tout, jusqu\'à la splen-
deur de ses apostasies.

Ces crimes de plume nous les connaissons, ce
sont les œuvres qui ont donné un si grand renom
littéraire,
Cromivel, les Orientales, le Dernier
jour d\\m condamné;
ces crimes de plume ce sont
les vers qu\'il fit en 1827.

L\'ambassadeur d\'Autriche avait donnéune grande
soirée à laquelle avait été invité tout ce qu\'il y avait
d\'illustre en jPrance ; les maréchaux y allèrent, on
leur fit un afiront terrible : quand le duc de Trévise
parut, le laquais annonça M. le maréchal Mortier.

Le due de Dalmatie fut simplement annoncé sous
le nom du maréchal Soult ; M. le duc de Raguse,
sous le nom du maréchal Marmont. L\'étrangerre-

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connaissait les grades gagnés sur le champ de ba-
taille, mais il ne reconnaissait pas les titres de no-
blesse qui cependant étaient le prix de tant de
victoires.

C\'était une insulte claire, pubhque ; cependant
pas un d\'eux, dit Alexandre Dumas, n\'eut l\'idée de
souffleter l\'insulteur. Qui demanda satisfaction, qui
l\'obtint pour eux ? — Le poète, Victor Hugo, qui,
dans ses vers intitulés:
Ode à la Colonne, vengea
le nom français du mépris de l\'étranger... vengea
l\'armée entière.

Liutile de citer ces admirables pages que tout le
monde connait; qu\'on nous permette cependant
d\'en produire quelques stances.

O monument vengeur, trophee, indélébile.
Bronze qui, tournoyant sur ta base immobile,
Sembles porter au ciel ta gloire et ton néant,
Et de tout ce qu\'a fait une main colossale
Seul est resté debout, ruine triomphale
De l\'édifice des géants.

Jamais, ô monument! même ivres de leur nombre.
Les étrangers sans peur n\'ont passé sous ton ombre,
Leurs pas n\'ébranlent point ton bronze souverain.
Quand le sort une fois les poussa vers nos rives.
Ils n\'osaient étaJer leurs parades oisives
Devant les batailles d\'airain.

Mais quoi, n\'entends-je point, avec de sourds murmures
De ta base à ton front bruire les armures.
Colonne! il m\'a semblé qu\'éblouissant mes yeux
Tes bataillons cuivrés cherchaient à redescendre ;
Que tes demi-dieux, noirs d\'une héroïque cendre.
Interrompaient soudain leur marche vers les cieux.

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Leurs voix mêlaient des noms à leur vieille devise :
Tarente, Reggio, Dalmatie et Trévise ;
Et leurs aigles, sortant de leur puissant sommeil^
Suivaient d\'un bec ardent cette aigle à double tête
Dont l\'oeil, ami de l\'ombre où son essor s\'arrête.
Se baisse à leur regard, comme aux feux du soleil.

Je comprends: l\'etranger, qui nous croit sans memoire.
Veut, feuillet par feuillet, déchirer notre histoire
Ecrite avec du sang à la pointe du fer.
Ose-t-il, imprudent, heurter tant de trophées?
De ce bronze, forgé de foudres étouffées.
Chaque étincelle est un éclair.

A qui pense-t-il donc, l\'étranger qui nous brave ?
N\'avions-nous pas hier l\'Europe pour esclave?
Nous, subir de son joug l\'indigne talion!
Non, au champ du combat nous pouvons reparaître.
On nous a mutilés, mais le temps a peut-être
Fait croître l\'ongle du Lion.

Que l\'Autriche eu rampant de nœuds vons environne.
Les deux géants de Erance ont foulé sa couronne ;
L\'histoire, qui des temps ouvre le Panthéon,
Montre, empreints aux deux fronts du vautour d\'Allemagne,
La sandale de Charlemagne,
L\'éperon de Napoléon.

Quant à ces crimes de parole, où peut-il les avoir
commis? Est-ce à la chambre des pairs? Est-ce à
l\'assemblée? Nous sommes à nous demander com-
ment on a pu laisser prononcer des paroles équiva-
lant à des crimes ; comment on les a écoutées, com-
ment une partie de son auditoire les a applaudies,
comment les journaux en ont fait de compte rendu.

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O Tudieu, M. Mayer! à vous entendre parler, M.
Victor Hugo est un grand coupable, et la Erance
est une nation bien perverse pour avoir soutenu et
encouragé cet homme; vous-même vous avez lu ses
œu.vres, sans doute; vous vous y prenez unpeu tard
pour les réprimander aussi sévèrement.

Un froissement de sa vanité de tigre le jeta dam V oppo-
sition républicaine.

Victor Hugo a toujours été républicain, ses pre-
mières pièces de théâtre le disent ; les quelques
stances de vers que nous avons citeés plus haut
prouvent bien que le jeune homme était déjà libéral
dès son plus jeune âge. S\'il a chanté le roi, cela
n\'était-il pas naturel? Demandez donc une opinion
à l\'enfant de quatorze ans, et dites-lui d\'être le con-
traire de tout ce qu\'il voit, de tout ce qui l\'entoure;
du reste, Monsieur, le mot qui expliquerait son
changement d\'opinion serait bien mal choisi.

Za démagogie et le socialisme qui le méprisaient.

Nous ne nous arrêterons pas sur ce paradoxe, il
est absurde.... Sachez que Victor Hugo aurait tou-
jours honoré le drapeau sous lequel il se serait rangé;
chaque parti se serait toujours félicité de compter
dans son rang une si grande gloire et un si beau
nom.

Mais nous arrivons à un point oij, il faudrait ré-

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pondre mot pour mot, chaque mot étant une in-
sulte grossière, chaque ligne étant une lâcheté.
Oh ! depuis quand la plume, lorsqu\'elle veut flétrir
un homme, va-t-elle chercher dans les plis les plus
cachés et les plus secrets de sa vie privée?

Bout le despotisme intérieur allait jusqu\'à imposer

Vous avez donc pénétré dans le sanctuaire du
poète, vous avez donc serré la main de celui que
vous outragez à ce point, vous avez donc fait
comme Chenu, étudié en secret la vie de celui que
vous vouliez flétrir; comme ce secrétaire étudiait
les œuvres de son protecteur, vous l\'avez donc
suivi pas à pas comme une ombre que l\'on pour-
suit, vous avez donc touché le coude de ses maî-
tresses , vous l\'avez donc accompagné dans ses pe-
tits soupers de la Maison d\'Or pour venir ici si
bien nous décrire les mœurs de ce grand génie. Si
vous ne l\'avez pas suivi, si vous n\'êtes pas sûr de
ce que vous avancez, pourquoi le dites-vous, et
quelle foi devons-nous ajouter à vos paroles ?

Pauvre Victor Hugo ! tu n\'as que Jersey pour
reposer ta tête, a dit M. Mayer, et il ajoute: Voilà
la justice de Dieu.

Hommes profonds, qui mêlez sans cesse le sacré
au profane, qui transportez l\'autel jusque sur les
places publiques, adorez Dieu ; mais adorez-le age-

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nouilles devant le tabernacle, et non au milieu des
fêtes et des plaisirs, non au milieu d\'un festin de
Sardanapale.

Notre oeuvre s\'avance, notre tâche sera bientôt
terminée, car c\'est une tâche immense que celle de
relever de telles injures et de telles stupidités tou-
tes aussi cruelles que méchantes. Ce proscrit a
prouvé qu\'il savait répondre, avez-vous dit: Non,
il ne sait pas répondre quand ceux qui l\'insultent
se trouvent être des
atomes, faibles avortons, in-
dignes
de lui. Il répond à ses pareils, mais non à
ceux qui plus bas veulent s\'élever jusqu\'à lui en
l\'injuriant et le dénigrant. C\'est pourquoi deux
jeunes gens de cœur, que le souffle de la flatterie
et du mensonge n\'a pas encore corrompus, ont pris
la plu me, l\'ont prise parcequ\'ils savaient ne pas
faire d\'opposition, parcequ\'ils savaient encore pou-
voir demander que le vœu du peuple soit sanc-
tionné ; et parcequ\'ils voulaient aussi crier comme
M. Mayer:
Vivat Imperator.

Notre brochure n\'est donc différente de celle de
M. Mayer que sur ce point : Nous avons démandé
l\'Empire tout en respectant les partis vaincus,
tandis que l\'auteur du
Retour de VEmpire, a vou-
lu écraser tout ce qui semblait être une opposition ;
il a flétri un homme que la France, et particulière-
ment Besançon, s\'honorent d\'avoir vu naître, et
tout en donnant à notre œuvre le même résultat
que M. Mayer, nous avons su relever le génie, le

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respecter et le défendre contre d\'odieuses accusa-
tions.

Nous avons relevé l\'homme littéraire, nous
avons plaint l\'homme politique.
Que nos lecteurs nous jugent !

ALFRED ROUSIOT ET EUGÈNE THOMAS.

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