Hist. natur.
Oct.
■■P
DE PIERRE CAMPER.
tome troisième.
-ocr page 6-RIJKSUNIVERSITEIT TE UTRECHT
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1904 8051
-ocr page 7-I 8 O 5.
QUI ONT POUR OBJET
L\'ANATOMIE COMPARlÊE.
H. J. JANSEN, RUE DES POSTES, N» . 6
PRÈS DE E\'ESTRAPADE.
ö
1\'
LEÇONS
QUI R è G N A
DANS LA PROVINCE DE GRONINGEN
EN 1769.
-ocr page 10-.a iJ
t- _
i (J X I 3 M
J-.^A i,
-ocr page 11-"Vers la fin de 1768 Fépizootie se déclara dans
la province de Groningen, particulièrement dans
îe district de la ville de ce nom, maïs surtout dans
le village de Haren; et, se propageant insensible-
ment, enleva, pour ainsi dire, toutes les bêles à
cornes du village de Helpen. Dès ce moment, tous
les habitans bien intentionnés de ces cantons,ainsi
que les magistrats de la capitale, songèrent sincè-
rement à en arrêter les progrès. Un des principaux
membres de la magistrature fît à M. Van Doeve-
ren, mon collègue, et à moi, Fhonneur de nous
consuher sur les moyens de diminuer ies ravages
de ce terrible fléau, et d\'en délivrer même entiè-
rement ce pays, s\'il étoit possible. Je crus dès-lors
qu\'il étoh demon devoir d\'employer tous mes soins
à connaître la nature de l\'épizootie, et )\'y consa-
crai en conséquence les vacances d\'hiver.
Après avoir acquis les connoissances nécessaires,
par la lecture des meilleurs auteurs qui ont écrit
sur cette matière, ainsi que par mes propres obser-
vations sur les principaux symptômes de cette ma-
ladie, et l\'ouverture d\'un grand nombre de bes-
tiaux qui en étoient morts, fen conclaal :
l\'épizootie est une maladie naturalisée dans ce pays,
qui doit continuer à y régner tantôt avec plus et
tantôt avec moins de violence; de même que nous
savons que cela a lieu aveo la petite vérole parmi
les hommes.
Ces considérations me firent croire qu\'il ne se-
roit pas inutile, de donner quelques leçons pu-
bliques sur la structure interne des bêtes à cor-
nes, et d\'y joindre l\'histoire de la maladie même,
ainsi que tout ce qui pourroit me paroître néces-
saire pour pénétrer mes élèves de l\'idée qu\'il est
du devoir d\'un médecin de veiller non-seulement
àlasanlé de ses concitoyens; mais qu\'il lui est éga-
lement imposé de donner ses soins à tous les ani-
maux utiles à la société, tels que boeufs, chevaux,
moutons, etc.
Je me flattois que mon exemple serviroit à sti-
muler les jeunes médecins, parmi lesquels il y
en avoit déjà plusieurs d\'un mérite distingué; et
que, par là, je rendrois un véritable service à ma
patrie
L\'assiduité avec laquelle les principaux habitans
de cette ville se rendoient à mes leçons sur l\'ana-
tomie, et le désir que plusieurs d\'entr\'eux témoi-
gnoient de s\'instruire de tout ce qui a quelque rap-
port à l\'épizootie, me détermina à inviter les prô-
moteurs des connoissances utiles en général, et de
r^inatomie en particulier, à se rendre à mes le-
préface. 9
çons publiques; ce que je fis par le programme
suivant : .
Q. F. F. Q. S.
Saviente cum maxime Peste Bovilla
Ut rerum Naturalium Stucliosi rationem morhi,
partesque dirissima contagione adfectas ,
melius iiielUgant,
in
VITULINO CADAVERE
Jntestina, et prasertim quœ ruminandi facul-
tatem , et artijîcium hoc morbo plane
conturhatum spectant,
etc.
Le succès passa mon attente : Famphithéâtre
d\'anatomie se trouva plein ; ce qui ne fit qu\'ac-
croître mon zèle, ne m\'étant point flatté d\'avoir
un auditoire aussi nombreux, aussi respectable. Je
donnai tous les soins que me permit le peu de
tems qui me restoit, aux leçons qu\'on va lire; qui
toutes cependant furent lues en quatre jours. J\'a-
voue que, quoiqu\'accoutumé depuis long-tems à
parler en public, je ne me suis jamais trouvé plus
fatigué, ni en même tems plus rempli de courage:
tant est puissante la présence de personnes res-
pectables par leurs taleas et par leur mérite?
On daigna me donner ensuite quelques éloges ,
et m\'inviter à faire imprimer ces leçons. Mes élè-
ves surtout, qui assistoient régulièrement à mes
démonstrations anatomiques, me le demandèrent
avec instance. Flatté de tous ces témoignages d\'ap-
probation , je commençai à concevoir moi-même
«ne idée favorable de mon travail. On sait que c\'est
l\'amour-propre qui détermine généralement nos
actions; je résolus donc enfin de publier ces qua-
tre leçons, après les avoir revues (i).
Cependant les cours continuels que j\'étois obli-
gé de tenir à l\'académie sur Fanatomie et la chi-
rurgie, pendant les mois de mars, d\'avril et même
de mai, ne me permirent pas d\'y mettre la der-
nière main.
Je n\'étois pas satisfait d\'ailleurs de ce que M. de
Buffon avoit dit des dents et des molaires du cbe-
vrotain ; je Fétois moins encore des observations de
Perrault sur les estomacs de la gazelle. Je ne pos-
sédois aucun de ces animaux dans mon. cabinet
d\'histoire naturelle. M. Van Doeveren me fit pré-
sent d\'un jeune chevrotain, et M. Van der Wal
d\'Amsterdam engagea M. Sprenkelman à me don-
ner une jeune gazelle.
J\'avois dit publiquement, en m\'en rapportantà
(i) Ces leçons ont été lues publiquement à Tamphithéâtra d\'ana-
tomie de la ville de Groningen.
p R É F A c E. 11
Perrault, « que le gazelle n\'a que deux estomacs ;
^^ et que le chevroiain a des molaires, comme étant
^^ un animal arrachant, »parce que BulFon m\'avoit
induit en erreur à cet égard.
Immédiatement après avoir lu ces leçons je son-
geai plus que jamais à faire des essais d\'inocula-
tion sur les bestiaux. Je}yensai qu\'il étoit nécessaire
de former pour cela une société, et communiquai
nion projeta quelques personnes de mes amis, qui
y donnèrent leur sanction. Je crus dès-lors devoir
publier mes idées sur cet objet, après avoir engagé
uiï)n respectable collègue M. Van Doeveren à se-
conder mes vues; ce qu\'il accepta avec empresse-
ment. Ayant fondé cette société le 16 mars 1769,
nous eûmes la satisfaction de la voir bientôt com-
posée d\'un nombre assez considérable de membres,
comme on le verra par la suhe, quand il sera ques-
tion des essais que nous avons faits.
Depuis le 28 avril jusqu\'au 2 juin je n\'avois ino-
culé dans les étables de la société que quatorze bes-
tiaux; de sorte que ces épreuves se faisoient avec
trop de lenteur.
A mon arrivée en Frise, je trouvai que la mor-
talité régnoit avec beaucoup de fureur principale-
ment du côté des bois; tandis qu\'elle avoit presque
entièrement cessé dans la province de Groningen;
de manière que je commençai à craindre que je ne
Pourfois rien faire d\'utile pour la province de
Frise , ce qui néanmoins étoit mon principal but.
Quelques personnes respectables m\'interrogèrent
sur la réussite de mes expériences; mais je n\'étois
pas encore en état alors de rien statuer de certain.
D\'ailleurs, la petitesse de notre étable et nos occu-
pations à Groningen ne nous permettoientpas d\'es-
pérer de pouvoir communiquer bientôt nos obser-
vations au public.
Je formai donc le projet d\'inoculer le plutôt pos-
sible cent veaux d\'un an dans l\'endroit où la conta-
gion régnoit actuellement. M. le médecin Munniks
s\'offrit de mettre tousses soins aux essaisqueje ju-
gerois convenables de faire, et dont il m\'avoit déjà
vu exécuter la plus grande partie. Persuadé de son
zèle et de sa laborieuse patience, par les preuves
qu\'il m\'en avoit données pendant qu\'il étoit mon élè-
ve à Groningen, j\'acceptai avec plaisir sa proposi-
tion. Je formai doncmon plan, et crus n\'a voir besoin
que de deux mille florins, que je divisai en quarante
actions de cinquante florins chacune. Je ne tardai
pas à recevoir la souscription de vingt actions;
et cette société formée pour la Frise seule fut éta-
bhe le 16 juin. Le zèle s\'accrut à tel point, qu\'en
très-peu de tems je vis non - seulement les qua-
rante actions remplies, mais il se présenta encore
vingt nouveaux souscripteurs vers le milieu de
juillet; de sorte que la société se trouva avoir trois
mille florins en caisse.
Le but principal de la société étoit de faire con-
ïioitre avec assez d\'exactitude par des essais sur un
gfand nombre de veaux d\'un an; i"^. La propor-
tion qu\'il y auroit entre les bestiaux guéris et ceux
qui viendroient à mourir; 2°. d\'examiner si les bes-
tiaux guéris, étant placés parmi ceux qui étoient
naturellement malades, ou inoculés une seconde
fois , se trouveroient de nouveau attaqués de la
maladie contagieuse ; 5°. si l\'on pourroit em-
ployer avec fruit quelques remèdes, particulière-
ment les herbes médicinales qui croissent naturel-
lement par-tout dans ce pays? Mon intention étoit
de ne pas faire de choix dans la matière varioli-
que, afin de me rapprocher le plus possible de l\'é-
pizootie naturelle.
Cependant l\'augmentation de mille florins que
venoit de recevoir notre caisse, nous procura les
moyens de donner plus de latitude à nos essais.
Je me déterminai en conséquence à inoculer des
vaches laitières et des génisses ou des vaches qui
portoient pour la première fois, ainsi que des veaux
quiruminoient déjà. Je pensai, que, par mes épreu-
ves sur les premières je travaillerois pour l\'avenir ,
et que par celles sur les veaux, je serois utile pour
le moment actuel. Je crus aussi qu\'il falloit varier
les manières d\'inoculer, afin de savoir si elles con-
venoient mieux que celles que d\'autres avoient in-
diquées. Je me déterminai également à inoculer
de nouveau des bêtes qui avoient déjà été guéries
de l\'épizootie naturelle. Tous ces essais n\'avoient
pour but que d\'acquérir des connoissances dans
l\'art de guérir le bétail.
Les soins constans que je donnai à un objet de
cette importance, la lecture répétée des principaux
écrivains qui ont traité de cette matière et dont le
nombre augmentoit chaque jour; portèrent mes
réflexions sur l\'influence que l\'épizootie a sur les
manufactures et sur la nature des ordonnances et
des réglemens du gouvernement pubhés tant en
1713 que par la suite. Autant que j\'ai pu m\'en ap-
perçevoir l\'utilité des citoyens et leur bonheur en
ont été constamment les objets; mais ils n\'ont ja-
mais été appuyés sur l\'expérience. D\'ailleurs , les
soins prévoyans qu\'on a employés à cet égard,
quoique ayant pour but le bien général, ont été
rendu infructueuxpar le caprice des habitans : aussi
faut-il convenir que la nature de ce pays ne per-
met point de se soumettre à toutes les restrictions
qu\'on vouloit imposer.
Après avoir parlé des expériences faites pour
opérer la guérison, j\'examinerai : 1°. si les peaux
des bêtes mortes de l\'épizootie peuvent réellement
communiquer la contagion , et combien de tems
agit cette vertu morbifique? 2°. Si le suif et la chair
de ces bestiaux sont contagieux , et pendant quel
espace de tems cela dure après leur mort? 5°. En-
p E. Ê p A c E. l5
fin , SI la viande salée ou fumée peut communi-
quer la maladie à ceux qui en mangent ? Je pense
que ces considérations ponrrontêtrefavorablesaux
manufactures, et à tout ce qui en dépend; et peut-
être même les magistrats de ce pajs pourront-ils
en tirer quelque avantage.
Je publierai le plutôt qu\'il me sera possible le
«■esultatde ces expériences, avec toute la franchise
qui convient; afin que les Frisons qui ont été les
seuls à les encorrager, et dont le bétail se trouve
SI cruellement attaqué de Fépizootie, puissent re^
cueiUir le fruit de leur générosité et de leur zèle
pour le bien de leurs concitoyens.
MM.deBlokVanScheltinga,Idemaetlemédeciii
Coopmans ont procuré à M. Munniks les moyens
de rnultipher ces essais, en lui faisant passer des
bestiaux pour les inoculer ; et M. G. L. Steens-
ma de Midlum s\'est joint à eux pour le même ob-
î^t; ce qui ne peut servir qu\'à encourager le zèle
quelques autres personnes à faire les mêmes
experiences, et par conséquent à leur donner un
degré de certitude qui servira à faire connoître si
A inoculation de Fépizootie doit être considérée
comme avantageuse, ou s\'il est à craindre que ses
eifets soient nuisibles.
Avant de terminer cette préface, je dois obser-
ver que ce n\'est que long-tems après avoir lu et
\'Corrige cesleçons,q^e j\'ai eu connoissance de Fad-
-ocr page 20-l6 PRÉFACE,
mirable ouvrage de M, Elko Alta, publié en 1765^
ce qui me fâche d\'autant plus, qu\'il avoit, comme
moi, conclu d\'un grand nombre d\'observations
( page /y ), que cette maladie s\'étoit naturalisée
dans ce pays, et que c\'étoit une véritable épidé-
mie. Cet estimable écrivain a pareillement prouvé
l\'utilité de l\'inoculation, qu\'il a pratiquée lui-mê-
me le premier en Fri«e. Depuis j\'ai eu la satisfac-
tion de faire sa connoissance et de tirer de gran-
des lumières des entretiens que nous avons eu en-
semble sur cet objet.
J\'offre cet ouvrage au public, non comme un
traité complet sur Fépizootie, mais comme un es-
sai sur les principales connoissances nécessaires
pour parvenir à se former une idée exacte des par-
ties de l\'animal qui sont les plus affectées par la
maladie, ainsi qu\'une histoire concise de la con-
tagion elle-même.
Le 14 août 1769.
P. CAMPER.
-ocr page 21-LEÇONS
à
^es principaux vaisseaux sanguins du cou, des
jambes de derrière et de devant des bêtes à
cornes , et de la position naturelle de leurs in-
testins dans le ventre.
eut-on être surpris, messieurs, que je vous
aie invité à venir entendre ces leçons publiques sur
a structure des parties affectées par la déplorable
maladie qui règne sur nos bêles à cornes ? tandis
que nous nous trouvons tous intéressés à leur con-
se™,on; et que d\'ailleurs, sensibles aux malheurs
e nos conchoyens, nous sommes naturellement
portes à employer tous les moyens qui peuvent
contribuer à augmenter la prospérité de l\'état,
i^es betes a cornes nous donnent non-seulement
du lait, du fromage , du beurre, de la viande ,
du suif, des peaux, du poil, des cornes, delà
colle; mais en même tems toutes sortes de légu-
mes , et surtout des grains , pour autant que leur
fumier est nécessaire à Fengrais de nos champs.
On sait d\'ailleurs que la plus grande partie du ter-
rain de la République est destinée à des pâtura-
ges , où l\'on voit avec ravissement des millions de
bestiaux , dont il n\'y en a nulle part ni d\'aussi
beaux, ni d\'aussi abondans en lait. Toutes les clas-
ses de citoyens jouissent parmi nous de cet inesti-
mable trésor; des milliers même n\'ont pas d\'autre
richesse, ni d\'autre moyen d\'exister: ceux-ci doi-
vent donc craindre de se voir réduits à la plus ex-
trême misère, si cette terrible épizootie continue
à nous enlever la plus grande partie de nos bes-
tiaux.
Il est par conséquent du devoir de tout bon ci-
toyen de chercher à trouver des moyens propres à
défendre contre la contagion des bestiaux qui con-
tribuent si puissamment, comme je l\'ai dit, à no-
tre existence et à notre bien-être. Mais ce devoir
m\'est surtout rigoureusement imposé, à cause des
sciences que je suis chargé d\'enseigner à l\'acadé-
mie, lesquelles ont une connexion plus intime que
celles de mes collègues avec le but salutaire dont
U est question.
Je ne regretterai point le tems que j\'ai déjà cm-
-ocr page 23-SUR L\'É P I Z O O T I E. 19
ployé et que je me propose de consacrer encore
à faire des recherches sur celte funeste maladie, si
par-là je parviens à seconder vos sages vues , en
Vous aidant à découvrir les causes de ce tléau. Ces
essais serviront du moins à exciter le zèle des élè-
ves en médecine, dont les efforts seront peut-être
plus heureux , en suivant la marche que je leur
^urai tracée. Cet espoir flatteur me remplit déjà
d\'avance de la plus douce satisfaction.
Mais tandis que des personnes distinguées par
leur mérhe personnel veulent bien m\'honorer en
ee moment de leur présence et encourager mes
efforts, ily en a certainement d\'autres qui, tou-
jours mécontentes de tout ce qu\'on peut entre-
prendre pour le bien général, ne manqueront pas
de dire hautement que ces essais ne sont que de
vaines et inutiles spéculations; que Fépizootie est
FefPet d\'une juste punition de Dieu ! comme si
toutes les maladies dont le ciel afflige l\'humanité
ne doivent pas être considérées comme de sembla-
bles châtimens; et contre lesquelles cependant ces
déclamateurs sont les premiers à employer les re-
mèdes connus. Et qui parmi nous seroit assez dé-
pourvu de bon sens pour ne pas croire qu\'il est
non-sèulement permis de chercher à soulager nos
maux ; mais ^^ue c\'est même un devoir que nous
impose la nature?
D\'autres prétendent que ce n\'est qu\'aux fer-
-ocr page 24-miers et aux bouviers seuls qu\'il apparlient de con-
noître par expérience ce qui peut être salutaire
aux bêtes à cornes ; tandis qu\'on sait cependant
que la plupart d\'entre eux, pour ne pas dire tous,
ne possèdent nullement les connoissances néces-
saires pour soigner ces bestiaux d\'une manière con-
venable aux intérêts des propriétaires.
Mais supposons qu\'on abandonnât aux gens de
la campagne le soin de traiter le bétail pendant
l\'épizootie; quel avantage peut-on attendre de per-
sonnes qui, malgré leur zèle et leur attention, sont
incapables d\'avoir quelque idée des causes et des
symptômes de cette maladie ?
Il n\'y a que les médecins seuls qui puissent con-
noître le siège de la maladie, sa nature et ses ca-
ractères; et parce que les efforts de plusieurs d\'en-
tre eux, tant de ce {pays qu\'étrangers, parmi les-
quels on compte quelques hommes de mérite , ont
paru jusqu\'à présent infructueuses relatÎYement à
saguérison, faudra-t-il pour cela l\'abandonner,
ainsi que la conservation des bestiaux sains , aux
découvertes fortuites d\'une tourbe ignorante? ou
bien, nous laissant aller au désespoir, resterons-
nous dans l\'inertie, sans chercher à découvrir des
moyens efficaces pour parer à l\'une et à l\'autre ?
Je sais qu\'un zèle rehgieux mal-entendu, que la
superstition, et ce qui est plus méprisable encore,
tone basse jalousie , condamneront les efforts que
sue. l\'épizootie. 21
nous pourrons faire, et qu\'on cherchera même à les
rendre infructueuses; mais je suis convaincu aussi
que , d\'un autre côté , un grand nombre de per-
sonnes bien intentionnées de cette ville et des can-
tons voisins , voudront bien écouter nos conseils
et faire les sacrifices nécessaires pour subvenir à
frais dont elles pourront non-seulement re-
cueillir elles-mêmes les fruhs, mais qui tourne-
ront pareillement à l\'avantage général du pays, si
nous parvenons un jour à trouver quelque spéci-
fique contre ce cruel fléau.
La plupart de ces antagonistes s\'écrient : Pour-
quoi donc n\'extirpez-vous pas la maladie conta-
gieuse par vos remèdes ? et d\'où vient que les sa-
vans de l\'Europe entière ne sont pas parvenus en-
core à découvrir les moyens d\'arrêter une épidé-
mie qui, dans ce siècle, a déjà enlevé tant de mil-
lions de bestiaux? Mais qui est-ce qui ne s\'apper-
çoit pas que ces objections , quelques captieuses
qu\'elles puissent paroître d\'abord , sont dépour-
vues de tout fondement?
Je vais confirmer ce que je viens d\'avancer par
une comparaison. La petite-vérole ne règne-t-elle
pas depuis plus de dix siècles dans ces contrées, et
^ J a-t-elle pas enlevé plusieurs milliers d\'indivi-
dus, avant qu\'on fut parvenu au degré de perfec-
tion avec lequel on traite et inocule aujourd\'hui
»^ette maladie? Peut-être y a-t-il à peine un siècle
qu\'on a fait des progrès réels à cet égard. Il est con-
nu que les arts et les sciences, nommément ceux
qui ont pour objet le bien de la société en géné-
ral, ont été portés à un plus haut degré de per-
fection depuis l\'institution des académies et des
sociétés savantes , et la publication d\'un grand
nombre de journaux littéraires en tout genre.
N\'est-on pas parvenu à faire, depuis trente ans,
plus de progrès dans la guérison du virus véné-
rien qu\'on ne l\'avoit fait auparavant pendant deux
siècles et demi, que cette aftreuse maladie est con-
nue dans ce pays ?
Pourquoi donc , dans le tems éclairé où nous
vivons, et tandis que tant d\'hommes instruits el
guidés par leur amour pour le bien public, s\'ap-
pliquent à la guérison de l\'épizootie, n\'espérerions-
nous pas de parvenir à trouver quelque remède ef-
ficace contre ce mal; tandis qu\'on sait que ce soin
a été abandonné jusqu\'à présent à des personnes
ignorantes qui n\'ont eu recours qu\'à des moyens
puérils et superstitieux, ou à de prétendus spécifi-
ques venus de contrées lointaines ?
Mais en supposant d\'ailleurs toutes choses égales,
personne ne pourra nier, je pense, que la connois-
sance de la disposition des parties internes des bêtes
à cornes contribue beaucoup à l\'avancement de la
science ; et personne non plus aura assez peu de
jugement pour vouloir nier que par cette connois-
sub- l\'épizootie. 23
sance on parviendra pins facilement à distinguer
et le siège et les symptômes du mal.
Voilà, messieurs, quel est l\'objet des quatre le-
çons que je me propose de vous lire sur cette im-
portante matière. Si par-là je ne parviens point à
vous faire connoître la nature de l\'épizootie, ou à
vous indiquer les moyens de la guérir; du moins
elles vous instruiront à vous former une idée de
la structure interne d\'un animal si utile à l\'iioin-
ïûe, sous tous les rapports. Elles exciteront certaine-
ment votre admiration et votre respect pour l\'Etre
Suprême qui a formé ces viscères et ces intestins
( qui d\'abord pourront vous paroître un objet dé-
goûtant ) avec un art admirable , qui prouve tout
a~la-fois et sa sagesse infinie et sa puissance sans
bornes !
Je me suis pour cet effet procuré, à mes frais,
un veau sain et bien portant, pour ne pas intro-
duire inutilement dans cette ville un animal atta-.
qué de la maladie contagieuse ; et je l\'ai fait étran-
gler, afin que les vaisseaux sanguins ou d\'autres
parties ne se trouvassent pas offensés, et fussent par
conséquent rendus inutiles à l\'objet que je me
propose.
Nous commencerons par examiner le cours des
vaisseaux sanguins , pour bien connoître les en-
<li"oits où se font les pulsations, et pouvoir juger
^leux par-là de la violence de la fièvre. J\'indique-
rai ensuite les viscères et les intestins du ventre et
leur véritable situation ; ce qui formera le sujet de
cette première leçon.
Dans la leçon suivante, je parlerai au long des
viscères du ventre, et particulièrement des quatre
estomacs , du foie , de la sécrétion du fiel, de la
rate et des intestins ; pour vous entretenir ensuite
des viscères de la poitrine, de la construction de la
gorge et de la langue.
La troivsième leçon sera consacrée entièrement
à examiner la rumination; et la quatrième et der-
jîière leçon aura pour objet l\'histoire de Fépizoo-
tie, de ses accidens et de ses symptômes, ainsi que
la meilleure manière d\'opérer sa guérison.
Je vous prie d\'encourager mon zèle et de soute-
nir mon courage dans cette pénible entreprise par
la même indulgence et la même flatteuse attention
avec lesquelles vous avez daigné m\'honorer , de-
puis cinq ans, dans les fonctions que j\'exerce ici.
p R E M 1ÈRE WÉMONSTRATION.
Voici le veau, dont le cou, la poitrine, le ventre,
les quatre extrémités et la queue sont entièrement
dépouillés de la peau , et dont tous les vaisseaux
sanguins se trouvent exposés à nos regards. La con-
noissance de ces parties nous est absolument né-
cessaire pour examiner avec fruit les pulsations ,
SUR É P I Z O O T I E. 2-5
d\'après les observations de plusieurs écrivains cé-
lèbres.
La plupart des observateurs hollandois , parmi
lesquels MM. Noseman, Tak et A. Kool se sont
principalement distingués , ont examiné le pouls
dessous la queue, près de l\'anus; les Italiens, tels
qiie Lancisius, Font examiné aux artères du cou ,
du fanton, et à ceux des aisselles. Goelicke , au
contraire, s\'est adressé pour cet effet au coeur. En
examinant ces différentes méthodes , il m\'a paru
que la toux , qui est un des symptômes de cette
maladie, ne permet souvent pas de s\'en rapporter
coeur et au cou, et que la queue de la plupart
des bêtes malades est trop mal propre pour per-
mettre d\'y faire des épreuves ; tandis que chez d\'au-
tres il est absolument impossible de trouver le
pouls dans cet endroit. Il m\'a paru qu\'il seroit plus
facile d\'appercevoir les pulsations à l\'artère de la
cuisse et à celle du bras, surtout pendant que les
animaux se tiennent tranquilles. Cependant l\'ar-
tère du bras devient bientôt inutile, lorsque l\'ani-
mal commence à tousser. Mais, quelque facile qu\'il
soit de sentir le pouls aux vaches , cela est fort
niai aisé chez les boeufs, parce qu\'étant moins ac-
coutumés a être sous la main de Fhomme, ils sont
plus farouches , surtout pour les étrangers; et il
pour ainsi dire , absolument impossible d\'eu
bout avec les jeunes veaux qui sont trop
impatiens , à moins que quelque personne qu\'ils
sont habitués à voir ne les amuse en leur grattant
le cou ou le dos , pour les faire tenir tranquilles.
Observez maintenant le cou ou fanon, et voyez
comment les deux grandes artères se trouvent pla-
cées un peu au-dessous des sterno-hyoïdiens, qui
sont fort minces et qui cèdent facilement, à coté
de la trachée-artère, dont les anneaux paroissent
un peu comprimés latéralement, afin de leur don-
ner un plus libre passage. Or, du moment qu\'on
porte les doigts sur cette partie le long de la tra-
chée-artère , le plus près possible du fanon , on ap-
perçoit distinctement le battement du pouls. Mais
du moment que l\'animal commence à tousser et à
haleter le mouvement de pulsation est interrompu
et le pouls devient indécis.
Je passe donc à l\'artère de l\'aisselle qui prend
son origine de la sous-clavière, ou plutôt, comme
les bêtes à cornes n\'ont point de clavicules , de la
branche latérale de l\'artère du cou , et se trouve
couverte par un petit muscle pectoral épais , le-
quel part du sternum et va s\'inserrer dans l\'os du
bras; ensuite, par un second muscle pectoral qui
partant du reste du sternum, et s\'inserrant dans
rhumerusetl\'ulna, forme un réseau membraneux
lequel couvre intérieurement l\'avant-bras.
Cette artère , accompagnée de sa veine , passe ,
pour ainsi dire , le long du biçeps , et s\'enfonce
SUR L\' É P I Z O O TIE. 27
dessous le rond pronateur, pour ne plus reparoî-
^fe 5 c\'est-à-dire , qu\'elle n\'approche point im-
ïïiédiatement de la peau que derrière la tête du
Radius.
Quand on porte la main par derrière , entre la
poitrine, dans l\'aisselle, on distingue aisément
l\'artère, qui se fait sentir comme une grosse corde
d\'instrument, immédiatement dessous la peau. Cet
examen devient douteux quand l\'animal tousse :
le faisant du côté gauche , on sent, en même
tems, distinctement le battement du cœur.
La cuisse , dont je vais vous indiquer les mus-
dés , a un plus grand rapport avec celui de l\'hom-
me ; ony trouve , surtout du côté intérieur, les
mêmes espèces des muscles. Ptemarquez de quelle
manière les muscles de l\'abdomen laissent, com-
me chez l\'homme, une cavité pour le passage non-
seulement du psoas et de l\'iliaque, mais aussi des
vaisseaux et des nerfs de la cuisse. Le couturier a
cependant une autre origine; il sort de l\'os pubis
et couvre Fartère ; ou bien , comme je l\'ai vu quel-
quefois, il se partage à son origine, et donne par-
la un plus libre passage aux vaisseaux en question.
L\'artère de la cuisse , provenant ainsi du bas-
ventre , passe par le canal qui se trouve entre ie
long adducteur et le vaste interne , transversale -
îuent par-dessous le couturier, lequel, à cause de
direction oblique, ne continue pas long-tems à
le couvrir; par conséquent l\'artère court immédia-
tement dessous la peau, par-dessus le grêle , ac-
compagnée de sa veine et de son nerf, le long du
tibia, vers le talon, intérieurement le long du bord
interne du tendon d\'Achille, où, s\'enfonçant plus
avant, elle échappe au tact et semble dispa-
roitre.
Quelque bien que cette artère soit donc cou-
verte par le couturier, elle se fait néanmoins sen-
tir dessous la peau, comme la corde tendue d\'un
instrument, lorsqu\'on introduit la main par der-
rière entre la pie et Faîne d\'une vache.
On peut faire cet examen par devant aussi bien
que par derrière, lorsque les bestiaux se tiennent
debout ; mais cela est impossible quand ils sont
couchés.
Il est facile maintenant de comprendre pour-
quoi MM. Nozeman, Tak et Kool ont préféré de
consuher le pouls par dessous la queue ; parce
que, de quelle manière que se tienne Fanimal de-
bout ou couché, il est toujours aisé d\'y porter la
main; la toux n\'y produit aucun effet qui puisse
empêcher l\'examen , et Fanimal ne craint point
celui qui veut le faire. Voici cette artère. Vous
voyez la manière dont elle est placée dans une es-
pèce de canal, par dessous et le long des vertèbres
de la queue, et comment elle diminue d\'épaisseur
à mesure qu\'elle s\'éloigne du bassin. Chez les bê-
Sim L\'ÉPIZOOTIE. Î29
maigres , par consequent chez toutes celles qui
attaquées de l\'épizootie , lesquelles , quoique
nourries, perdent bientôt tout leur embon-
pomt, c\'est dans cet endroit qu\'il est le plus facile
^ examiner le pouls. La répugnance ne vous arrè -
tera certainement pas dans celte opération , si l\'a-
"lour du bien public vous stimule à faire des ob-
servations de cette nature.
Après avoir indiqué les artères , nous sommes
naturellement conduits à examiner les pulsations,
quel en est le nombre dans les bestiaux qui sont
bien portans. Je les ai trouvé plusieurs fois de
suite, exactement à 60 dans une minute. Le mar-
quis de Courtivron les fixe à 38, 42, et jusqu\'à 43,
dans le même espace de tems. MM. Nozeman, Tak
et Kool, les portent, avec moi, à 60 dans une mi-
nute. Ces pulsations augmentent en quantité jus-
qu\'à 70, 75, même jusqu\'à 90, ainsi que M. En-
gelman et d\'autres l\'ont observé avec moi; mais le
pouls devient alors si foible que bien souvent on a
de la peine à le sentir.
Pour bien faire cet examen on fait tenirlamon-«
tre par une autre personne, et l\'on commence à
compter à haute voix, au moment que l\'aiguille
se trouve exactement sur une division des minutes;
ce qu\'on continue ainsi pendant quelques minutes
e suite; après quoi on divise la somme totale des
1 «Isauons par le nombre des minutes.
Mais cette expérience me semble être plutôt un
simple objet de curiosité que de nécessité , parce
qu\'il est facile de connoître l\'épizootie par plusieurs
autres symptômes ; tandis que le pouls peut être
également ou plus vif ou plus lent dans d\'autres
maladies; cependant j\'ai cru devoir vous en parler
ici, pour vous faire mieux comprendre la méthode
de quelques autres observateurs.
Maintenant je vais ouvrir en votre présence le
ventre de l\'animal, afin que vous puissiez connoî-
tre la disposition naturelle des quatre ventricules,
des intestins, du foie, de la rate et des autres par-
ties. Observez comment le grand estomac ou la
panse, figure 2 , E. F. G. B. K. , dont je parlerai
plus au long dans la suite (1), sont placés, avec le
bonnet D. E. N., entièrement dans la cavité gau-
che ; le bonnet se trouvant exactement dessous le
diaphragme dans le centre ; la panse descendant
avec ses deuxpoches G.H. vers le côté gauche jus-
qu\'à l\'os ilion. Vous voyez dans la cavité droite ,
que dans ce veau, coxnme dans tous les jeunes ani-
maux ruminans munis de quatre estomacs, la cail-
lette M. X. 0. P. est plus grande que la panse. L\'é-
(1) J\'ai cru devoir donner une représentation de ces parties,
laquelle, quoiqu\'elle ne .soit qu\'une simple esquisse , ne laissera
certainement pas de jeter une grande lumière sur cette des-
cription.
-ocr page 35-SUR L\' É P I Z O O T I E. 5l
piploon couvre en partie l\'une et l\'autre, et con-
tient les intestins grêles comme dans un sac.
L\'mtestin aveugle est, comme chez l\'homme ,
placé pour la pins grande partie dans la cavité
droite du ventre. Le foie, figure 5, A. B. C. D., se
trouve entièrement du même côté, mais placé en
l\'h^\' ^ ^^^""^~\' ce qu\'on appelle dans
oname le lobe gauche se trouve dans cet animal
^"ssi dans le côté droit, contre le diaphragme.
Vous voyez la rate, figure s, A. B. C., dans la ca-
vité gauche, immédiatement contre la panse. En-
remarquez ici comment l\'épiploon L L. M. ,
partant d\'entre les deux poches ou cornes de la
pause, s\'attache à la caillette M. O., de même que
cela a lieu dans l\'homme , par dessous et le long
de l\'estomac.
Je termine cette première leçon , dans la crainte
de n\'avoir occupé que trop long-tems déjà votre
attemion. Dans la leçon suivante je tâcherai de
vous donner une idée exacte des quatre estomacs
et des viscères qui se trouvent placés dans la poi-
trine. ^
Des
quatre estomacs en particulier, du foie ,
de la rate , etc., ainsi que des viscères de la
poitrine.
Pour vous apprendre à connoître plus facile-
ment, en moins de tems et avec plus d\'utilité, les
quatre estomacs, j\'en ai fait sécher et gonfler d\'a-
vance, tant de veau que de mouton. Pen ai fendu
et ouvert quelques-uns de ceux-ci, pour que vous
puissiez vous former une idée plus exacte de leur
admirable contexture, en les comparant avec ceux
qui viennent d\'être tirés récemment du corps de
ces animaux. Vous voyez bien que ces quatre esto-
macs sont adhérens les uns aux autres, et qu\'il y a
communication entre eux ; de manière qu\'ils of-
frent plutôt une seule poche coupée par des étran-
glemens que quatre poches séparées. Aristote (i),
ce génie merveilleux, est le premier qui ait donné
une description des viscères et des in testins des bêtes
(0 Hist. anim,, lib. II, cap. 17, edit, du VaîKi, pag. 791.
-ocr page 37-SUR L\' É P I z O O T I E. 33
® cornes et d\'autres animaux, et qui ait parlé , en
»iéme tems, de la rumination. Selon moi, Per-
rault mérite le second rang à cet égard. A la page
\' o de sa Méchanique des animaux , il a non-
seulement donné d\'excellentes figures des quatre
estomacs, mais il y a représenté aussi l\'ouverture
^^ oesophage et du feuillet d\'une manière qui ne
permet guère de faire mieux. Peyer a parlé d\'une
"lanière fort satisfaisante de ces ventricules dans
sa Merjcologia; et il n\'y a pas long-tems que l\'il-
lustre Buffon, aidé par M. Daubenton, en a pu-
le une description si parfaite et des figures si
exactement exécutées, qu\'on croiroit,,en quelque
sorte, voir la nature même. Quoique notre Blasius
se soit fait également beaucoup d\'honneur par la
description et les esquisses qu\'il a données de ces
parties, il ne peut cependant pas être comparé aux
auteurs que je viens de citer ; mais il en dit assez
pour donner une idée générale sur cette matière à
ceux qui n\'en veulent pas une connoissance bien
approfondie.
Retournons maintenant à notre objet. Aristote
a dmsé les estomacs en quatre parties distinctes et
designees par des noms particuliers.
\'^^premier estomac ou Vherbier (i ), A. B. C. D.,
^tauon de cet estomac d\'après k madère de Buffon.
3
-ocr page 38-fig. 1J pl. XXVIII, est appelé wiXià ixsydxn par ce plii-
losoplie, c\'est-à-dire, le grand estomacparce qu\'il
est réellement le plus volumineux dans les bêtes à
cornes, les moutons, les cerfs et les chevrotains ou
gazelles de Guinée, quoiqu\'il soit plus petit relati-
vement à la caillette des veaux, des agneaux et des
gazelles nouveaux-nés. Il paroît se distendre de plus
en plus du moment que l\'animal commence à ru-
miner ; tandis que la caillette conserve toujours sa
première grandeur. Les Lat ins lui ont donné le nom
dJaqualiculus, et les François l\'appellent \\&panse,
quelquefois le double, parce qu\'il est partagé en
deux sacs , et Y herbier , à cause de l\'hei^be et du
foin qu\'on y trouve quand on tue les bestiaux.
Perrault (pag. 4.32 , fig. 2 ) a mieux rendu cet
estomac que Peyer et Bulfon,
M. Daubenton ( 1 ) a constamment trouvé dans
la panse et dans le second estomac certains vers
qu\'il a fort exactement représentés, et qui ressem-
blent parfaitement aux vers que je trouve souvent
dans la panse des moutons, et dont j\'ai donné la
description dans ma dissertation sur les douves ou
fascicles hépatiques de ces animaux (2).
(1) Hist, nat. gén- et parc, du cabin, du roi,lom. IV,pag.49a,
pl. XVI, fîg. 3.
(2) Ce morceau se trouvera dans le tome IV des OEuvres d»
Camper.
SUR l\'ÉPIZOOTIE. \'55
La panse est intérieurement ta])issée de petits
jj^amelons , lesquels sont quelquefois tout-à-fait
«ncs, d\'autres fois bruns, et d\'un jaune pâle ou
"«r clair sur les plis.
nont^ , que vous voyez ici en grand
ne se trouvent que dans le premier esto-
Ift^ le confirme (pag. 469). J\'en
- rouvé beaucoup dans des veaux.
second estomac, fig. i, A. E., qui forme
e partie du premier, dont il est comme sé-
j l\'ar 1 oesophage , a plus ou moins à l\'extérieur
; orme d\'unevessie; mais l\'inlérieur esf rami de
emmenles qui forment des espèces de cel-
» ^pentagones, hexagones, etc., fig. 5 , K. L.,
du oen re desc,„elle. partent de petit!, o\'tes ver^
^«»ngles; lesquelles,ans»; bien que cellesqui for-
int les grandes cellules, sont toutes garntes de
pettts mamelons. Quand on fait sécher cet es,o-
qu\'Arillr"™,? ""
7\'\' Latins nom-
UZLT^\' " \'•"l"\'^ I\'\'™"?«- on. donné
^rppa. Buffon e, Perranl, on, for. hien reprLlé
\'que le ventricule , en se contractant, com-
primât les alimens et en formât la pelote ou boule
que Fanimal fait remonter vers sa bouche pour
ruminer.
Les libres des muscles de ces deux estomacs sont
très-fortes et si admirablement disposées autour
de ces parties qu\'il est impossible d\'en donner une
description satisfaisante. Peyer les a représentées
assez exactement.
Le troisième estomac a la forme d\'un hérisson
en défense ou replié sur lui-même , ou bien d\'un
concombre courbé , fig. i, F. L. G. , applati sur
les côtés, et placé immédiatement contre l\'épine
du dos. Aristote le nomme f^n/oç; non pas à cause
de la forme dont je viens de parler, mais parce
que ses tuniques sont intérieurement tapissées de
mamelons salUans et d\'une certaine dureté , les-
quels ressemblent assez aux piquans de Fhérisson.
Les Latins lui ont donné les noms à^omasum et
è^echinus^ quelques-uns, tels que Pline, l\'appel-
lent centipellio, à cause du grand nombre de ses
membranes. Les noms françois de cet étonnant
viscère sont feuillet, millet, mellier et pseautier,
ainsi que nous l\'apprend BuflFon ( pag. 48.5 ).
Cet estomac contient vingt-quatre grands feuil-
lets , entre chacun desquels il y en a un moyen ,
et entre chacun de ces moyens et des grands , il
s\'en trouve un petit ; par conséquent il y a en tout
quatre-vingt-seize membranes, qui toutes sont at-
tachées au côté F. L. G., fig. 1, commençant en
pointe en F., étant le plus larges en L., et se ter-
nimant de nouveau en pointe en G.
Peyer (pag. i38) met deux grandes membra-
nes de moins, par conséquent aussi deux moyen-
nes et quatre petites; il n\'en compte donc en tout
que quatre-vingt-huit. Il s\'est trompé sans doute
cela, k moins que la nature ne varie quelque-
fois à cet égard.
Toutes ces membranes sont garnies de mame-
lons, semblables aux petits piquans de Fhérisson,
mais plus distans les uns des autres. La couleur de
la membrane interne est, comme celle du premier
estomac, quelquefois brune, et d\'autres fois d\'un
jaune clair ou noirâtre.
Le feuillet que voici est d\'un bœuf sain nou-
vellement tué : il mérite d\'être observé que Fodeur
en est déjà fétide, ainsi que Fest celle des alimens
que l\'animal avoit ruminés, quoique le fiel ni du
foie ni de la vésicule du fiel n\'ait pu y pénétrer.
On voit que les alimens consistent en foin mâché
avec quelques brins de paille, et ça et là des grains
d\'orge avec lesquels l\'animal avoit été nourri, et
qu\'ils sont à peu près secs; c\'est-à-dire, que cette
matière, qui ressemble à une bouillie épaisse, se
trouve admirablement distribuée entre ces mem-
ranes. J\'avoue que je ne puis comprendre corn-
aient cette matière s\'y introduit d\'une façon si ré-
gulière, et comment elle en sort ensuite. Je vous
engage à bien observer cette circonstance, à cause
que oaus Tépizootie ces alimens sont, en général,
fort durs et comme torrifiés; de manière que tou-
tes ces membranes s\'en trouvent obstruées, et
que cela seulsuffiroit pour faire périr l\'animal sans
qu\'il fut besoin d\'aucun autre accident.
Chez les veaux que la mère allaite encore , ou
qu\'on nourrit de lait, cette compacité des alimens
n\'a pas lieu, parce que le lait ne peut se durcir à
ce point, et ne fait que passer par le feuillet pour
se rendre dans la caillette , ou il se convertit en
une matière caseuse, comme je vous le dirai dans
le moment.
Je dois vous faire remarquer ici un phénomène
singulier : quand on ouvre le feuillet d\'une bête
morte de l\'épizootie, Vepilheliuni ou membrane
interne s\'en détache totalement, et demeure adhé-
rent aux alimens, de manière qu\'on peut l\'en ar-
racher par lambeaux 5 tandis qu\'il est impossible
de séparer cet epithelium des autres membranes
dans un animal sain et nouvellement tué: d\'où l\'on
pourroit conclure que cette séparation de la pre-
mière membrane est un des symptômes de l\'éDi-
zootie, lorsqu\'on la trouve ainsi détachée des an-
tres membranes après qu\'un animal a été tué. Un
jour néanmoins que, sans y penser, j\'avois laissé
pendant vingt-quatre heures un feuillet dans cette
salle d\'anatomie, je trouvai en l\'ouvrant que cette
lïiembrane s\'en détachoit avec autant de facilité
^ue si le feuillet eut appartenu à un animal mort
de la maladie contagieuse. Cette observation me
surprit beaucoup. Dans la suite , j\'examinai un
gi\'and nombre d\'estomacs, et je trouvai constam-
®ient que cette membraney adhéroit très-fortement
dans les bestiaux nouvellement tués, et qu\'elle s\'en
détachoit toutes les fois que je laissois pendant
Vingt-quatre heures l\'estomac sans y toucher. En-
fin , un jour j\'ouvris, à deux heures après-midi, le
feuillet d\'une vache grasse au moment qu\'elle ve-
lioit d\'être tuée; mais dans un endroit seulement;
et ayant soulevé les phs ou feuillets , j\'apperçus
lue la membrane y adhéroit très-fortement. Le
lendemain à neuf heures du matin, je l\'ouvris dans
un autre endroh, et je trouvai que la membrane
commençoit déjà à s\'en détacher; le troisième
jour, également à neuf heures du matin, en ayant
enlevé d\'autres parties, toute la membrane se dé-
tacha de la même manière que chez les bestiaux
morts de l\'épizootie, non-seulement du feuillet,
mais également de la caillette.
Cette séparation de la membrane interne met un
grand obstacle au nétoyement de l\'intérieur de ces
estomacs et à leur disseccation ; car, si on attend
trop long-tems, elle se détache entièrement, aussi
Wn de la panse et du bonnet que du feuillet et
de la caillette; non-seulement chez les moulons ,
les agneaux et les veaux, mais également chez les
cerfs. Il faut par conséquent que ces préparations
se fassent immédiatement après la mort de ces
animaux.
Le canal de l\'oesophage au feuillet est fort large
et reste ouvert jusque dans la caillette ; car les
feuillets tiennent tout ouvert jusqu\'à la distance
en M.
La caillette est le quatrième estomac : Aristote
l\'appelle \'iwçpov. Je l\'ai représentée par G. H. I. fig. i.
On l\'appelle caillette parce que le lait s\'y trouve
toujours caillé, axx franche-mulle; les Latins lui
ont donné les noms à^ahomasum et àefaliscus.
Ce ventricule ressemble à l\'estomac de l\'homme.
11 est beaucoup plus grand que le feuillet et le bon-
net pris ensemble. 11 y a quatorze valvules à par-
tir du feuillet, qui se dirigent obliquement vers en
bas. Ces valvules pendent toujours flasques , et il
est difficile de les faire tenir étendues quand on
les fait sécher. Aristote les déciil d\'une manière
fort exacte, quoiqu\'il n\'en ait pas déterminé le
nombre.
Le pylore ou col de la caillette ressemble à celui
de l\'estomac de l\'homme, et se réunit au duode-
num, dans lequel le fiel est versé de la vésicule
du fiel, comme on le voit pl. XXVIII, fig. 3,0. S. M.
Les alimens ont ici une forte odeur d\'exerémens
-ocr page 45-chez les bêtes adultes; chez les veaux qu\'on nour-
rit encore avec du lait, il y a toujours une grande
masse de madère caseuse ou de lait caillé, qu\'on
ne peut en enlever en lavant la caillette. Cette ma-
tière caseuse est fort blanche, quoique le lait ait
déjà pris une légère teinte grise dans la panse par
le mélange des humeurs qui abondent dans ces
parties.
Le célèbre Van Swieten est tombé dans une
grande erreur à cet égard; car, en parlant des ai-
greurs d\'estomac des enfans, il dit (i) que le lait se
Caille dans la panse ou premier estomac des veaux
que, par le concours du fiel, cette coagulation
se trouve tellement déliée qu\'elle disparoît entiè-
rement dans le quatrième estomac de l\'animal ;
tandis que le lait caillé ne se trouve, comme je l\'ai
déjà observé, que dans la caillette ou quatrième
estomac, et qu\'il ne reçoit point de fiel que long-
tems après qu\'il en est sorti, et lorsqu\'il a passé
par le duodenum, comme cela paroît par la fig. 3.
ï. est le pylore ou Pissue de la caillette, et ï. M. la
distance de l\'insertion du conduit biliaire. 11 est
donc évident que la dissolution de cette matière
(i) Comment, in Aphr. i356 , BoERHAvn, tom. IV, pag. 683.
Coagulum lactis in primo -vitidorum ventricnlo copiosum reperi-
post bilem admistam autem sic solvitur denuo, ut in /juario
f\'orum animalium ventriculo dispareat.
caseiise se fait, non par le fiel, mais par les esprits
savoneux qui suintent en abondance des parois du
quatrième estomac.
Le foie n\'est pas grand relativement à Fanimal.
Daubenton ne Fa pas représenté; mais j\'ai cru ,
pour me rendre plus intelligible, devoir en don-
ner ici la figure et la position. On voit, fig. 3, pl.
XXVIIL qu\'il est composé de deux grands lobes C.
B, E. F.D. O. et Q., lesquels sont placés tout-à-fait
latéralement, avec C. par devant et Q. par derrière.
La veine ombilicale A. B. s\'y insère de même du
côté droit, et se trouve couverte par un lobule
B. F. C\'est entre ce lobule et le lobe postérieur Q.
qu\'est placée la vésicule du fiel P. O., dont le con-
duit 0. S. se réunit avec le canal hépatique R. S.,
pour former le conduit biliaire commun S. M. ,
lequel se décharge, comme chez Fhomme, dans le
duodenum, assez loin de la caillette en M. Le ca-
nal hépatique passe entre le lobeU.,avec la veine-
porte , dans la cavité F. E. D.
C\'est le long de ce canal cysthépatique que les
douves ou fascioles hépatiques montent jusque dans
la vésicule du fiel et dans les vaisseaux cystiques
dans toute la capacité du foie. Voici de ces douves
prises dans des moutons; car ce veau, qui n\'avoit
été nourri que de lait et qui n\'avoit pas encore pâ-
turé dans la prairie , ne pouvoit pas être attaqué,
de ces vers intestins, qui ont tous la même figure:
s u 11 l\' É p i z o o t i B. 45
je les ai représentés dans le second volume des
dissertations sur l\'agriculture nouvelle (i).
Les parois internes des conduits cysthépatiques
trouvent souvent couvertes de concrétions
pierreuses, d\'un vert obscur, et qui diffèrent peu
de la cbolélite. BufiPon les a décrites ( pag. 4g3 ),
en a , comme moi, trouvé dans les animaux les
plus sains. En voici que j\'ai conservées : vous voyez
^lu elles sont totalement creuses, fort poreuses et
friables ; ce qui prouve que le fiel a passé par ces
Ouvertures. En voici d\'autres dans lesquelles quel-
ques parties semblent être tombées et avoir occa-
sionné des obstructions plus ou moins grandes.
Cette matière est une preuve suffisante que le fiel
liépatique ne diffère pas beaucoup de celui que
contient la vésicule du fiel.
Dans plusieurs animaux, et particulièrement
dans les bètes à cornes, on trouve un pancréas sem-
blable à celui de l\'bomme. Voyez comme cette
glande est placée ici, derrière le duodenum, de-
puis S. jusqu\'en T., fig. 5 , contre le conduit bi-
liaire. Quoique je ne vous fasse pas voir le canal
qui en conduit le suc vers le duodenum, il y en a
un cependant; mais, en général, cette glande est
plus petite dans les animaux que dans l\'homme.
^ (0 erhonclelingen over dennicimen Landboiiw ,lï àtel, pag.
, et IV deel, pag. 5ao.
R. est une glande qui reçoit beaucoup de vais-
seaux lymphatiques.
E. F. D. G. H. R. est le petit epiploon , au tra-
vers duquel on apperçoit le lobule du foie V., dont
on attribue la découverte au célèbre anatomiste
Spiegelius.
Les intestins grêles passent dans le côté droit,
par dessous la caillette, vers le côté gauche, com-
me on le voit fig. 2, en Q.R. Ces intestins sont fort
longs chez les bestiaux qui ont atteint toute leur
croissance, et toujours trés-minces, comme nous
l\'apprend Daubenton, dont le plus grand mérite
consiste à mesurer : il assure qu\'ils ont cent qua-
torze pieds de long depuis la caillette jusqu\'au
caecum. Le cœcum a deux pieds et demi de lon-
gueur; et les gros intestins en ont trente-quatre;
de manière que tous les intestins, pris ensemble,
ont plus de cent cinquante pieds de longueur; la-
quelle est étonnante sans doute, et que néanmoins
les ahmens parcourent assez promptement; car si
Fon donne un purgatif on en voit souvent Felfet
trois ou quatre heures après que l\'animal Fa pris.
Les gros intestins n\'ont point de valvules qui puis-
sent retarder le passage, comme chez Fhomme et
quelques a utres animaux, particuhèrement les liè-
vres , les lapins , etc. ; aussi îa bouze des bêtes à
cornes est-elle assez molle, et même liquide quand
elles sont au vert.
Les gros intestins, qui d\'ailleurs ont assez d\'am-
pleur, se rétrécissent près du rectum, lequel est
chargé de beaucoup de rides près de l\'anus, au-
tour duquel sont placées un grand nombre de
glandes; c\'est ce qu\'il faut surtout bien remarquer,
parce que chez les bestiaux malades les excrémens
s arrêtent ici et causent, par leur corruption, nne
prompte gangrène à la membrane interne : alors
îl y a hémorragie par l\'anus , d\'où sortent aussi
quelques membranes qui se sont détachées par
sphacèle.
Je ne m\'arrêterai pas à vous faire remarquer ici
les admirables circonvolutions et la disposition
singulière des intestins; parce que je ne me suis
proposé de ne vousparler que des principales parties
de l\'animal qui se trouvent affectées par l\'épizoo-
tie. Je vais donc passer aux viscères de l\'estomac;
mais ceux-ci ne nous arrêteront pas long-tems.
Vous voyez que j\'ai enlevé ici le sternum avec
les cartilages des côtes, un peu au-dessous de la
première partie du sternum, afin de conserver in-
tacte la réunion des muscles du cou. Le poumon
est par-tout également d\'un rouge pâle tirant sur
le jaune; le cœur est un peu enflé, parce que l\'a-
nimal a souffert beaucoup par la strangulation. En
coupant un morceau des lobes du poumon , vous
voyez que le parenchyme est par-tout le même ,
et qu\'il n\'y a en aucun endroit ni bulles ni air ;
tandis que chez les bestiaux morts de la maladie
contagieuse, on trouve souvent de l\'air dans la
membrane cellulaire, et immédiatement au-dessous
de la surface des poumons : c\'est ce qu\'on nomme
emphysème. Quelquefois les poumons sont tota-
lement sphacelés, couverts de taches pourpres, et
par fois la gangrène pénètre plus avant et occa-
sionne un considérable spbacèle; de manière qu\'il
en sort un sang noir quand on y fait des incisions.
Rappelez-vous donc de cette couleur naturelle des
poumons, s\'il vous arrive de faire ouvrir des bes-
tiaux morts de l\'épizootie.
Remarquez , avec moi, ces sterno-hyoïdiens ,
qui, partant du sternum, font mouvoir l\'hyoïde.
Vous pouvez voir que le thyme ou ris n\'est pas
placé dans la poitrine, mais que la petite glan-
dule seulement se trouve exactement au-dessus
du cœur dans la cavité gauche de la pohrine ,
et cela même pas entièrement ; car elle va en
remontant des deux côtés le long de l\'apre-artère
jusque près de l\'œsophage, et se trouve recou-
verte par les sterno-hyoïdiens dont je viens de
parler, comme l\'avoit déjà remarqué dans ses ob-
servations anatomiques J. 1. Peyer, fils du célèbre
J. C. Peyer.
Ces glandes diffèrent donc considérablement de
celles de l\'homme; ce qui nous apprend que nous
n\'en connoissons pas encore le véi\'itable usage ;
SUR l\'épizootie, 47
ïûais des recherches sur cet objet se trouveroient
déplacées ici.
Je vais ouvrir maintenant la trachée-artère. Ob-
servez que sa couleur est blanche dans l\'intérieur,
et qu\'il n\'y a ni viscosité jaune, ni bave, ni taches
sanguinolentes; tan disque chez lesbêtes mortesde
l\'épizootie ces parois sont quelquefois, par spha-
cèle, d\'un rouge noir; d\'auti-es fois couvertes d\'une
sanie ichoreuse, et quelquefois aussi d\'une écume
l>lanche, depuis le larynx jusque bien avant dans
la substance des poumons, selon que la maladie a
plus ou moins affecté ces parties.
La langue mérite aussi quelques observations :
sa partie postérieure est couverte de glandules qui
ont la forme de mamelons, que des gens peu ins-
truits pourroient prendre pour des pustules ou
pour des aphtes. Daubenton en a donné une des-
cription fort exacte (1), et Collins les a passable-
ment bien représentées (2).
J\'ai trouvé souvent sur la partie postérieure de
la langue des bestiaux morts de l\'épizootie cette
bave ichoreuse dont je viens de parler à l\'occasion
de la trachée-artère : il ne m\'a jamais paru qu\'elle
eut quelque rapport avec l\'aphte qui a lieu chez
Phomme aux crises des maladies ; mais plutôt que
(0 Ibîd. , pag. 495.
(3) Tab, m, lig. 3, B. B., tom. IL
-ocr page 52-c\'est une pituite ichoreuse, laquelle est peut-être
chassée de la trachée-artère vers cet endroit, ou
qui sort des glandes mêmes de la langue.
Il est singulier que la langue soit rarement af-
fectée dans cette maladie, si ce n\'est que l\'épider-
me s\'en détache quelquefois facilement; semblable
en cela à celle des parois internes des intestins.
Il faut que je vous rappelle à cette occasion que
l\'épizootie ne doit pas être confondue avec la ma-
ladie qui attaqua avec tant de fureur les bêtes à
cornes en 1682 et 1752, laquelle consistoit en des
ampoules sur la langue , qu\'on guérissoit en les
ouvrant par le moyen d\'une espèce de grattoir.
Voilà ce que j\'avois à dire des viscères et des es-
tomacs en particulier. Maintenant il me reste à
vous parler, dans la troisième leçon, de la rumi-
nation , pour que vous puissiez vous former une
idée plus exacte des effets de l\'épizootie.
sue. l\' é P I Z O O T I e. 49
De la rumination des animaux purs et impurs,
et particulièrement des bêtes à cornes.
Comme il est, en général, fort rare qu\'on prête
Une bien grande attention à la plupart des objets
qui se présentent journellement à nos regards , il
en est de même de la rumination des bestiaux.
Quand nous voyons les bêles à cornes et les mou-
tons mâcher, étant couchés ou debout, quoiqu\'ils
aient été déjà pendant quelque tems sans paître ,
nous disons que ces animaux ruminent, parce que
nous avons appris dans notre jeunesse à nommer
ainsi cette action, sans que nous ayons songé ja-
mais à nous rendre raison de ce singulier phéno-
mène.
Ruminer ou remâcher est un mot dont l\'appli-
cation est fausse, en ce qu\'il donne à entendre que
l\'animal mâche rme seconde fois les alimens ; car
le gros bétail, les moutons, les chèvres, les cerfs,
les chameaux, etc., commencent tous par couper
III. 4
l\'herbe, le foin ou la paille, qu\'ils avalent sans îe
mâcher; c\'est-à-dire , qu\'ils ne font pas comme
les chevaux, qui mangent jour et nuit et avalent
lentement leur fourrage , parce qu\'ils le broyent
d\'abord entre leurs molaires, et le triturent ainsi
autant qu\'il est nécessaire, non-seulement pour
qu\'il se digère facilement, mais pour qu\'il passe
aussi sans difficulté par l\'oesophage.
Les Grecs, de qui nous avons emprunté la plu-
part de nos connoissances, s\'exprimoient tout-à-
fait différemment sur ce sujet; il disoient : [/.vpCxca ,
jtA?îpu»Çco,/xtjpuxtÇw, et fAupwaopai de ro ^»ipufiv, revoî-
vere, ce qui signifie reporter vers en haut, vers l\'en-
droit d\'où ils sont venus, les aiimens que l\'animal
avoit d\'abord avalés. C\'est Aristophane seul qui
fasse usage de , remando, je remâche,
qui vient de , manduco , je mâche.
Les Latins, aicsi que nous l\'apprend Festus (x),
font dériver le mot ruminare de celui de rumen,
qui ne signifie pas la panse, ainsi que quelques-uns
Font cru mal à propos, mais l\'œsophage. Rumen,
dit Festus, est pars colli, quo esca devoratur,
unde rumare dicebant, quod nunc ruminare.
« Ainsi, le rumen est cette partie du cou par le-
« quel Fanimal avale ses aiimens, etc. w Ces mots
olfrent donc moins l\'idée de remâcher que de réa-
Verij, signif. \'VOC. ruminare, iib. XVÎ, pag. 46
-ocr page 55-sub. l\'épizootie. 5l
\'teller, ou plutôt de faire remonter les alimens et
de les reporter vers la bouche.
Chez les anciens, Aristote, que Pline suit, pour
dire, littéralement dans son Histoire natu-
^\'elîe^ et Galien , sont ceux qui ont le mieux parlé
de la rumination. Chez les modernes, Peyer s\'est
distingué particulièrement sur ce sujet dans sa
^lericologia cependant Perrault l\'a surpassé en-
core en ceci dans sa Méchanique des animaux,
pag. 45o; et c\'est de lui que les auteurs du Dic-
tionnaire encyclopédique ont pris leur article :
tous cependant ont été plus attentifs à indiquer les
parties qui distinguent les animaux ruminans de
Ceux qui ne ruminent point, qu\'à expliquer le mé-
canisme même de la rumination.
Je ne vous parle point ici de Buifon , parce cjue
Vous avez pu concevoir déjà parles citations que
1 ai faites de lui dans les deux premières leçons,
toute l\'admiration que m\'ont inspiré les écrits de
Ce grand homme, et ses observations sur la rumi-
nation. Je passe à dessein sous silence le superfi-
ciel naturaliste J. T. Klein , quoiqu\'il ait fait naî-
quelques doutes (i) à Linnaeus sur ies quadru-
pèdes, et qu\'il ait fait quelques observations sur
la rumination, qui, pour la plupart, sont em-
^"-rnma dubiorum circa classes quadruped, et amphib, in
® D. Lmnaei Syst. Nat. Lipsiae 1743,
pruntées de Peyer , de Wotton et d\'Aldrovânde.
Il y a un grand nombre d\'animaux qui possè-
dent cette admirable faculté de ruminer; tels sont
le chameau de la Bactriane ou à deux bosses, au-
quel nous donnons mal à propos le nom de dro-
madaire ; la grande famille des boeufs , des buf-
fles, des bisons, les quadrupèdes à cornes, tels que
cerfs, rennes, élans, gazelles, antilopes, chèvres
et moutons, sans exception, et le chevrotain sans
cornes, etc., ruminent tous. Les lièvres, les la-
pins, les marmottes et quelques autres qui ont deux
dents par en haut et deux par en bas, sont pareil-
lement doués de cette faculté.
C\'est-à-dire, pour m\'expliquer plus clairement,
que tous ces animaux commencent par se remplir
l\'estomac; ensuite , par un mécanisme singulier,
qui dilfère cependant beaucoup du vomissement,
ils font remonter successivement une partie des
alimens dans leur bouche , les broient fort long-
o
tems entre les molaires et les avalent ensuite une
seconde fois, pour les porter dans un estomac par-
ticulier , ou bien dans une autre partie du même
estomac, lorsqu\'ils n\'en ont qu\'un seul.
Il paroît que le but du Créateur a été de four-
nir à ces animaux la facilité de rassembler prompa
^ement leurs alimens, car tous mangent beaucoup
à-la-fois , relativement à leur grandeur. Il leur
faudroit par conséquent trop de tems si ces alimens
<levoient être broyés assez menus avant que d\'être
avalés. La plupart de ces animaux, qui sont d\'un
naturel fort craintif, à cause des ennemis qu\'ils
rencontrent par-tout, n\'ont pas beaucoup de tems
à donner à leur pâture : ils coupent et avalent par
conséquent aussi vite qu\'il est possible la quantité
d\'herbes qui leur convient, vont ensuite se ca-
cher , ou se reposer, comme nos animaux domes-
tiques, et ruminent à leur aise ces alimens, qui,
dans leur estomac, ont déjà subi une petite alté-
ration ou coction.
Comme on a trouvé dans les principaux ani-
maux ruminans plus d\'un estomac, et même jus-
qu\'à quatre estomacs, on a pensé, dès les plus an-
ciens tems, que quatre estomacs étoient absolu-
ment nécessaires pour la rumination, ainsi qu\'on
le voit, entre autres, chez Galien (i), qui dit ron-
dement , qu\'on s\'exposeroit au ridicule si l\'on
<^soit prétendre que les chiens ont quatre estomacs
que les animaux ruminans n\'en ont qu\'un.
Buffon , cet admirable naturaliste , est cepen-
dant encore imbu de ce préjugé : îl prétend que les
lièvres ne ruminent point (2), et cela simplement
(\') Comment, a in lib. Hipp, de Nat. hnman. Ed. Brassavoli,
7i pag. 182. H......Sicsiquis canibus ejuatuor ventriculos
"ffirmaverit, unicum vera Tuminantibus, deridebitur.
(«) ïom, VI, pag. ,54.
-ocr page 58-parce qu\'Us n\'ont qu\'un seul estomac ; tandis que,
d\'un autre côté , il nie fortement, quoiqu\'à tort,
que le cochon des Indes Occidentales à glande mus-
qtiée sur le dos , qu\'il appelle pécari , n\'est pas
muni de quatre estomacs (i); quoique le célèbre
Tyson les ait fort bieti représentés et décrits; et,
cequiest plus surprenant encore, non-obstant que
ces quatre estomacs aient été représentés et décrits
dans son propre ouvrage par Daubenton, pl. VII,
fig. 2, tom. VI.
Je ne considère donc ses raisOnnemens que com-
me des moyens de subterfuge, sans lesquels il lui
étoit impossible de se tirer d\'affaire ; car dire que
le pécari n\'a pas quatre , mais seulement trois es-
tomacs, ne prouve rien de particulier; vu que chez
les bêtes à cornes, les moutons, les chèvres et les
cerfs , la panse ne forme qu\'un estomac avec le
bonnet , et que par conséquent ils n\'auroient ,
comme le pécari, que trois estomacs , ainsi qu\'il
le dit lui-même, tom. IV, pag. 46o : « Les deux
« estomacs ne forment qu\'un même sac; » et pag.
46i : (( Le bonnet n\'est qu\'une portion de la
(C panse. )) Et cependant il reconnoît, avec raison,
que la rumination a lieu chez ces animaux.
(i) Sus umhilîcum in dorsogerens, Aldrov., oh sus ecauda-
tus foUicutùm îti dorso ^erens ^ erissokji , crniin,^ p^ê\'
ou sus dorso cystifero cauda nulla , Lmw. , «dit. X, pag. 5o.
nature montre souvent combien peu sa puis-
sance est bornée, en variant à l\'infini le méca-
nisme des animaux , et par combien de moyens
différens elle parvient avec la même perfection à
reinplij. le même but. Les singes , par exemple ,
^emplissent, aussi promptement qu\'il leur est pos-
8il)le , non leur estomac , mais deux poches ou
abajoues qu\'ils ont de chaque côté de leurs mâ-
choires, et qu\'on peut considérer comme un pre-
mier estomac. Ensuite ils remâchent, si je puis
^ exprimer ainsi, leurs alimens à leur aise, de la
ïïieme manière que le font les bêtes à cornes. Le
liamster ordinaire (i) a de semblables parties,
qui se trouvent fort bien représentées chez Buffon,
tom. XllI, pag. 119, pL XVI, dans lesquelles cet
animal vorace fourre d\'abord le grain, qu\'il vole ,
et qu\'il cache ensuite ailleurs pour s\'en nourrir
quand la faim le commande.
Les anima ux véritablement ruminans n\'ont point
de pareilles poches pour cacher leurs alimens, mais
un double estomac, ou plutôt un estomac qui sem-
t^le partagé en deux parties. Ils ne peuvent donc
faire autre chose que remplir le premier de ces es-
tomacs, pour ensuite faire remonter par parties
vers leur bouche et ruminer les alimens qu\'ils ont
commencé par avaler.
(O Valentini, Tkeac. zooc., part. I, pag. r54, tab. S?.. Lmn.,
-ocr page 60-Ne voyons-nous pas que la sage nature a placé
dans le ventricule des crabes et des écrevisses des
molaires pour y mâcher et broyer leurs alimens
avant qu\'ils passent dans les intestins; de sorte que,
si je puis me servir de cette comparaison , la rumi-
nation se fait chez eux dans l\'estomac même.
L\'autorité de quelques membres de l\'Académie
des sciences de Paris et celle de Perrault (i) pour-
roit nous induire en erreur et nous faire croire
que les gazelles n\'ont que deux estomacs et qu\'ils
ruminent cependant ; car ils disent formellement
que la gazelle rumine quoiqu\'elle n\'ait que deux
estomacs ; et qui plus est, ils ont représenté ces
deux estomacs ; tandis que j\'ai observé le contraire
dans un jeune sujet de cette espèce, lequel ressem-
bloit parfaitement par sa figure, ses oreilles, ses
yeux el les brosses de ses jambes de devant à ceux
dont parlent les membres de l\'Académie des scien-
ces de Paris et à celui que Buffon a décrit. Ce jeune
animal avoit quatre estomacs, qui ressembloient à
ceux de nos jeunes agneaux et aux quatre esto-
macs du chevrotain. Je conserve ces estomacs rem-
plis d\'air et vernis , afin de pouvoir produire un
exemple du peu de fidélité et d\'exactitude même
des hommes les plus célèbres. La représentation et
la description des estomacs de la gazelle que Per-
(i) Ouvrages adoptés , tom. I., pag. 92. Ces estomacs sont re-
présentés ibid., pag. 84, fig. i.
ïault a données avec tant d\'emphase , ne doivent
être considérées que comme une pure fiction.
Les exemples snivans nous convaincront que les
animaux n\'ont pas besoin de quatre estomacs pour
ruminer.
Les lièvres, on le sait, ainsi que les lapins et au-
tres animaux de cette espèce, que Linnœus a rangé,
^ssez mal à propos, dans la classe des mures, n\'ont
qu\'un seul estomac,pl. XXVIII, fig, 7, A.B.; mais,
par Pinsertion singulière de l\'oesophage C. D., il
semble figuré à peu près comme s\'il y en avoit
deux B. D. et A. D. Ces animaux ruminent incon-
testablement , malgré le doute que Bulfon a voulu
faire naître à cet égard; ainsi que je le prouverai
préremptoirement dans la suite, par la position de
leurs molaires.
L\'estomac des chevaux paroît partagé en deux
parties, dont la première, lisse en dedans, s\'étend
comme le jabot d\'un oiseau ; la seconde est, com-
me celle de Phomme, inégale et garni de vaisseaux
absorbans , ainsi que Daubenton l\'a fort bien in-
diqué (1), Cependant le cheval ne rumine pas;
non parce que la nature ne lui a pas donné un plus
grand nombre d\'estomacs, mais parce que cet ani-
mal, qui n\'y est pas destiné, n\'a pas les molaires
faites ni la mâchoire inférieure articulée pour cette
(») Tom. IV, pag, Sa, pl. V, Êg. a.
-ocr page 62-opération. Il paroît donc par-là que le nombre
d\'estomacs n\'a rien de commun avec la rumi-
nation.
Les moutons , les cerfs , les gazelles et les chè-
vres n\'ont réellement que trois estomacs : la panse
et le bonnet n\'en forment qu\'un, le feuillet est le
second et la cailletîe le troisième. Ajoutez à cela
que les aiimens que l\'animal a ruminés passent im-
médiatement de l\'œsophage dans le feuillet, et de
là dans la caillette ; de manière qu\'on peut dire
que la rumination ne demande réellement que
deux estomacs.
Le cœcum est également ici de peu d\'impor-
tance, quoique Buffon veuille en faire usage (i).
Il est bien vrai que les bœufs ont le cœcum petit,
comme je l\'ai fait voir il y a quelque tems ; mais
les chiens, les renards et tout ce genre d\'animaux
ont également le cœcum petit; tandis que les hè-
vres et les lapins en ont, au contraire, un fort long
et fort gros tourné en forme de vis. Il me semble
^u\'on ne sauroit en conclure rien d\'autre si ce n\'est
que la consistance des excrémens dépend de la
grandeur et de la longueur du cœcum. Les bœufs,
chez qui cet intestin a trente-quatre pieds de long,
sans valvules, i-endent une bouse fort molle. Lés
moutons, dont le cœcum est beaucoup plus grand,
(i)Tom. VI, pag. 255.
-ocr page 63-proportion gardée, puisqu\'il a vingt pieds de long,
les cerfs chez qui cet intestin est de vingt-sept
pieds en y comprenant le boyau rectum, fait des
Crottes; ce qui prouve suffisamment qu\'il y a peu
de rapport entre cette partie et la rumination; ce
u\'est que la dernière coction qui se fait dans cet
^iitestin.
Ce seroit avec raison que vous me demanderiez
les pieds des animaux peuvent nous indiquer
s\'ils ruminent? Vous voyez que ce pied de devant
d\'un chameau est garni d\'une semelle , laquelle
couvre la plante du pied en partant de deux lar-
ges ongles, lesquels se terminent sur les doigts
de ce pied. Cette semelle diffère beaucoup du sa-
W du cheval, lequel est composé d\'une corne
ïonde; tandis que la semelle du chameau est un
luorceau de cuir mou , qui couvre la graisse car-
tilagineuse de la plante des pieds, et qui n\'est guère
plus épais que la peau ordinaire de cette partie
dans l\'homme. Cependant le chameau , dont les
pieds diffèrent tant de ceux des boeufs, des mou-
rons, des cerfs, etc., rumine; tandis que les porcs
fui, comme le renne , ont les pieds parfaitement
^^ourchus, ne ruminent pas.
Le chevrotain, le plus petit de tous les animaux
^ pieds fourchus, a, comme la gazelle, huit dents
incisives dans la mâchoire inférieure, deux dents
Canines à la mâchoire supérieure, comme les cerfs.
et quatre molaires par en haut et par en bas, com-
me tous les animaux ruminans. BuiFon nous a in-
duit en erreur en disant qu\'il a des molaires comme
les animaux carnassiers (i). La description anato-
niique qu\'il a donnée de ce singulier animal est
d\'ailleurs fort défectueuse.
Ayant eu occasion de disséquer un jeune ani-
mal de cette espèce, qui avoit été conservé long-
tems dans de l\'esprit de vin, j\'ai trouvé qu\'il avoit
ime glande avec une grande ouverture ronde sous
chaque œil ; c\'est-à-dire , à l\'endroit où l\'on sait
qu\'en ont nos cerfs et les autres animaux de cette
espèce. BulFon s\'est donc trompé en disant que
« Le chevrotain n\'a point de larmiers ou d\'enfon-
« cemens au-dessous des yeux , comme les cerfs ,
« les gazelles , etc. ; » mais cette discussion m\'é-
carteroit trop de mon sujet.
Voici un dessin des quatre estomacs du chevro-
tain , pl. XXVIII, fig. 4, ainsi que de son foie et de
sa rate. Toutes ces parties ressemblent si parfaite-
ment à celles d\'un jeune veau, qu\'on pourroit croire
que c\'est la figure réduite de celles de ces animaux ;
mais je puis vous assurer que cette représentation
est exacte et de la grandeur naturelle des viscères
du chevrotain, que je conserve dans mon cabinet
d\'histoire naturelle.
(i) Tom. XII, pag, 346.
-ocr page 65-Cet animal rumine donc, malgré le doute que
Bulfon a voulu faire naître à cet égard.
En portant un regard attentif sur ce que Moïse
dit {Levit. u , vers. et 4), on trouve que le si-
Sne caractéristique par lequel il distingue les ani-
purs et impurs ne consiste pas, et avec rai-
son , dans les quatre estomacs, mais dans la rumi-
nation lorsqu\'elle se trouve chez un animal qui a
pieds fourchus. Le chameau étoit impur, parce
qn il rumine bien, mais il n\'a point Vongle di-
"^isé , comme vous le voyez en effet par ce pied de
devant. L\'animal a deux ongles et la plante en-
tière, par conséquent ses ongles ne sont pas four-
cfjus; car, quoiqu\'ils paroissent isolés en dessus,
Cette division ne va que jusqu\'à la plante dis pied.
Ensuite (vers. 5 et 6) Moïse dit, que les lièvres
les lapins sont impurs , car ils ruminent bien,
^ais ils n\'ont point l\'ongle divisé ; c\'est-à-dire,
pomt fourchu ; mais ces animaux ont, comme les
chais et les renards, les pieds de devant divisés en
Cinq doigls, et ceux de derrière en quatre doigts.
Au premier coup - d\'oeil on pourroit croire que
les enfans d\'Israël étoient fort bornés dans les es-
pèces d\'alimens dont ils pouvoient se nourrir; tan-
dis que le contraire paroît quand on réfléchit sur
les différentes espèces d\'animaux qui tout à-la-fois
rummeni et ont les pieds fourchus. Ils forment,
comme l\'a fort bien remarqué Buffon, le plus
grand nombre sur toute la surface de la terre (i);
car, outre qu\'on en trouve beaucoup en Asie , en
Afrique et en Europe, et que ces animaux aiment
pour la plupart , comme il paroît , les climats
chauds , on rencontre dans la partie la plus sep-
tentrionale de l\'Europe même une grande quantité
de rennes et d\'élans, qui tous ont les mêmes pro-
priétés.
Comme tous les principaux animaux ruminans
n\'ont de dents incisives que dans la mâchoire in-
férieure , sans en avoir dans la supérieure , on
pourroit s\'imaginer que cette propriété est un si-
gne certain de la rumination ; tandis qu\'on est con-
vaincu du contraire par les hévres, les lapins, les-
quels ont non-seulentent deux grandes dents in-
cisives dans la mâchoire supérieure , mais même
deux autres plus petites derrière celles-ci, ainsi
que vous le voyez par les têtes décharnées de ces
animaux que voici, et que Buifon a représentées
d\'une manière fort exacte. L\'agouti, le porc-épic,
le rat et la souris n\'ont point ces dents de derrière
dans la mâchoire supérieure , et ne ruminent cer-
tainement pas; tandis que les lapina et les lièvres
ruminent incontestablement.
J\'ai dit plus haut ce que je pensois relativement
au grand but que la nature s\'est proposée dans la
(1) Tom. XII, pag. 357.
-ocr page 67-i^Umination ; savoir , qu\'elle donne aux animaux
^ui ont besoin de beaucoup dè nourriture , le
^oyen de triturer à leur aise leurs aiimens , sans
\'^tï\'e obligés de paître continuellement. Pour cette
Maison, les dents incisives de la mâchoire supé-
ï\'ieure n\'ont pas ie moindre rapport avec la rumi-
ïïation 5 elles ne servent qu\'à couper les aiimens
assez menus pour qu\'ils puissent passer facilement
par l\'oesophage.
Le bœuf, le mouton , la chèvre , le cerf et au-
^\'^es animaux semblables , ont ia langue longue ,
Couverte d\'une membrane garnie de mille petits
Crochets. Ces animaux cueillent l\'herbe, et ont as-
sez de fermeté dans le bouiTelet de ia mâclioire
Supérieure pour la casser. Les lièvres et les lapins
loupent l\'herbe. Le chameau, le cerf et le chevro-
tain ont de plus des dents canines, parce qu\'ils se
i^ourrissent d\'alimens plus grossiers, tels que bran-
ches d\'arbres, feuilles, chardons, etc., qu\'ils peu-
vent, par ce moyen, arracher facilement. Le cha-
meau a six dents canines dans la mâchoire supé-
rieure et quatre dans l\'inférieure, lesquelles, quoi-
<3Ue fort saillantes, l\'empêchent aussi peu derumi-
\'^er que les deux dents canines de la mâchoire su-
périeure du cerf et du chevrotain. Les dents de
devant ont par conséquent aussi peu de rapport
que les ongles avec la rumination.
^n doit donc chercher les véritables caractères
-ocr page 68-de la rumination dans les molaires, dans le peu de
largeur de la mâchoire inférieure et dans la place
qu\'occupe son articulation.
Voici la tête d\'un chameau et sa mâchoire in-
férieure; voici celle du veau que j\'ai disséqué dans
les précédentes leçons. Voyezla-tête décharnée du
mouton , ainsi que celles du lapin et du lièvre. Joi-
gnez-y celles du cerf, de la gazelle et du chevro-
tain 3 on s\'apperçoitfacilement que tous ont la mâ-
choire inférieure beaucoup plus étroite que celle
d\'en haut, et qu\'elle est exactement de la largeur
des mollaires du fond de la bouche, si ce n\'est
qu\'elle est peut-être un peu plus large. Observez,
je vous prie, le mouvement oblique des têtes de
Ja mâchoire inférieure dans les cavités de l\'os tem-
poral et les raies transverses que ce mouvement
oblique a imprimées dans les molaires. Peyer (pag.
i4) a, je l\'avoue , observé ces raies transverses ,
mais il a négligé , ainsi que tous les autres natu-
ralistes, de porter son attention sur la forme étroite
de la mâchoire inférieure, si indispensablement
nécessaire pour produire cet effet. Cette forme
étroite, surtout de la partie antérieure des deux
mâchoires fait que les dents canines du chameau,
du cerf et du chevrotain , n\'incommodent pas ces
animaux dans leur mastication ; et c\'est peut-être
pour cette raison seule que le chameau a le mu-
seau si pointu.
Si maintenant nous comparons cette disposition
de la mâchoire inférieure, des molaires et de l\'ai\'-
ticulalion de la mâchoire avec celle du lion , du
chat, du chien, du renard, que voici, on s\'apper-
cevra facilement que ces parties sont faites pour
que ces animaux puissent briser par un mouvement
de la mâchoire inférieure de bas en haut, et jamai?
oblique, leur proie, après qu\'ils l\'ont mis en lam-
beaux. La pointe aiguë des molaires nous prouve
évidemment que ces animaux carnassiers nebroient
ou ne mâchent point, mais qu\'ils cassent ou bri-
sent seulement leur nourriture, ainsi qu\'on pour-
l\'oit le faire avec des tenailles.
Observons maintenant ces têtes décharnées de
l\'homme et de différentes espèces de singes , et
ïious verrons que la couronne des molaires est
plate, que les mâchoires inférieure et supérieure
sont de la même largeur, et que le mouvement de
la mâchoire inférieure est si libre que l\'homme
peut, ainsi que les quadrumanes , broyer fort
ïïienus entre ses molaires les alimens dont il se
Voici maintenant le crâne d\'un babi-roussa, que
buffon ( 1 ) a représenté assez bien , si ce n\'est
qu\'il
est trop court. Remarquez-en les molaires ,
ainsi que les mâchoires, et vous ne pourrez douter
(OTom.Xn.pl. 48.
III. K
-ocr page 70-que ces animaux doivent tous être exclus de îa
classe des ruminans, malgré que Peyer ( pag. 43 )
en ait douté. Le pécari ou cochon à glande mus-
quée près de la croupe a la même espèce de molai-
res; il ne rumine par conséquent pas, quand même
il auroit six estomacs.
Les rats et les souris ont la couronne des molai-
res tuberci^îlée, et aussi large par le haut que par
le bas; ils ne peuvent donc pas ruminer.
Les porcs-épics et Fagouti (dont Linnaeus a, se-
lon moi, si mal à propos placé le dernier parmi les
rats) meuvent en mangeantla mâchoire inférieure
droit en avant ; aussi ont-ils les rainures dans les-
quelles se meuvent les têtes de la mâchoire infé-
rieure placées droit en avant; tandis que celles des
animaux ruminans sont placées obliquement ; et
leurs molaires , qui ont la même largeur par en
haut et par en bas, sont rendues fort lisses par le
frottement ; de sorte qu\'on peut se convaincre de
ce mouvement en avant par la manière dont les mo-
laires se trouvent émoussées. Il est donc impossible
que ces animaux puissent ruminer. Je conserve ,
pour cette raison, dans ma collection la tête d\'un
porc-épie, et le squelette d\'un agouti. Mes obser-
vations sur ce mouvement de la mâchoire ne sont
pas neuves; Peyrec en avoil déjà parlé pag. 176.
Les lièvres etjes lapins ont, comme je l\'ai fait
m\'iT plu§ haut 5 ce caractère remarquable , et par
seul j\'oserois affirmer que c\'est avec raison
que Moïse ies a ciassés parmi ies animaux rumi-
ï^ans. Je conviens que ie grand Patrik, en expli-
quant les versets 5 et 6 du onzième chapitre duLé-
\'\'\'itique, doute, d\'après l\'autorité de quelques écri-
vains et particulièrement de Bochart, que ces ani-
iîiaux aient cette facuhé; mais si l\'on examine bien
^es raisons sur lesquelles il se fonde, on trouvera
qu\'elles portent sur ce qu\'Aristote (1) ne range
dans la classe des ruminans que les animaux qui
ïiesont pas amphodonta, c\'est-à-dire, à doubles
dents, et sur les fausses considérations de Bartho-
lin et d\'autres, d\'un seul estomac; deux caractè-
ï\'esqui, comme je l\'ai déjà prouvé, ne contribuent
rien à la rumination.
Comme ces leçons n\'ont pour but que la rumi-
ïiation des bêtes à cornes, et son analogie avec
Celle des moutons, je dois faire observer la singu-
lière disposition de l\'oesophage, depuis son inser-
tion dans la panse jusque dans le feuillet ou oma-
sum. Buffon en a donné une excellente figure (2),
Perrault (3) une bien meilleure encore , selon
»loi. Cette partie n\'est pas moins visible dans les
lïiQutons, et a latéralement deux gros rebords, pl.
<OLib. X, cap.fio.
<2)Tom. IV, pl. ,7, fig. 2. G. D.
PI. i3 , fig, 2, pag. 45a.
XXVIII, fig. 5, D. E., avec de petites rides trans-
verses. L\'œsophage, qui y passe en B. C., est lisse
avec des raies fines, F. G., disposées en longueur,
lesquelles sont un peu éminentes. Ces rehords
C. D. B. et C. E. B. ressemblent à deux lèvres qui
peuvent se fermer l\'une sur l\'autre, et qui sépa-
rent la panse du bonnet, lorsque les alimens rumi-
nés descendent pour la seconde fois le long de l\'oe-
sophage, et sont portés dans le feuillet ou troisiè-
me estomac. Joignez à cela que les fibres rouges
des muscles de l\'œsophage, passent d\'une manière
fort visible par dessus l\'extérieur de cette partie,
et vont se rattacher au feuillet; de manière que ,
dans la seconde déglutition , ces deux ouvertures
sont comme rapprochées l\'une vers l\'autre; ce qui
fait que la cavité semble s\'élargir, et que les lè-
vres peuvent alors agir avec plus de force.
Remarquez ici, pl. XXVIII, fig. 5, comment
l\'oesophage A. B. forme un orifice G. près de la
réunion de la panse avec le bonnet, et comment
de cet orifice les lèvres C. D. B. et C. E. B. vont se
rendre à l\'orifice du feuillet F. Lorsqu\'on coupe
transversalement cette partie, comme on le voit
pl. XXVIII, fig. 6, on apperçoit distinctement les
fentes de cet orifice D. et E., lesquelles, étant fer-
mées, laissent Fouverture G. par laquelle passent
les alimens ruminés.
On m\'objectera que ce rapprochement n\'est pas
-ocr page 73-s u 11 l\' É p I z o o T I E. 69
parfait : supposons-le pour un moment. Dans ce
cas, il se pourroit que quelques parties des alimens
ï\'Uminés y passassent et se trouvassent perdues ;
e\'est-à-dire, qu\'elles tombassent de nouveau dans
panse , et qu\'il faudroit qu\'elles fussent rumi-
ï^ées une seconde fois avant qu\'elles pussent être
portées dans le feuillet. Mais cette perte seroit fort
petite, en admettant même qu\'elle eut lieu. Nous
Soyons ici l\'animal mort; il se pourroit que cette
\'^"oie fut toujours naturellement fermée chez les
®^nimaux vivans, et qu\'elle ne s\'ouvre que quand
^Is avalent de gros morceaux ou lorsqu\'ils boivent.
l\'on n\'avoit jamais vu que la bouche ouverte de
personnes mortes, faudroit-il en conclure qu\'é-
tant vivantes elles n\'avoient pas la faculté d\'y gar-
der de l\'eau en serrant légèrement les lèvres ? II
eu est de même ici : ces lèvres sont cachées pour
ïious pendant la vie de l\'animal ; nous ne con-
ïioissons donc point leur mécanisme, et nous som-
ines certainement induits en erreur par le chan-
gement que la mort y occasionne.
Rappelez-vous les valvules semi-lunaires du
coeur : se ferment - elles beaucoup mieux dans les
animaux morts que ces lèvres? Cependant n\'êtes-
^ous pas convaincus qu\'elles se rapprochent par-
faitement, et qu\'elles ne laissent aucun passage à
la plus petite goutte de sang aussi long-tems qu\'ils
respirent?
-ocr page 74-Quoiqu\'il en soit, il est certain que les alimens
que l\'animal a ruminés une fois ne passent pas d\'a-
bord dans le bonnet ou reticulum, et de là dans
le troisième estomac; mais qu\'ils vont directement
de l\'oesophage dans le feuillet ou troisième esto-
mac des bêtes à cornes et desmoutons; et j\'ai cons-
tamment trouvé des matières non-ruminées dans
la panse et dans le bonnet, c\'est-à-dire, des ali-
mens absolument de même nature.
Le grand Haller me paroît s\'écarter de la bonne
route, lorsqu\'il avance, dans son admirable Phy-
siologie (i), que les alimens ruminés doivent être
détrempés de nouveau dans la panse, et cela mê-
me jusqu\'à trois el quatre fois,avant qu\'ils passant
dans le feuillet. Il prétend aussi que l\'orifice que
je viens de vous faire voir n\'est destiné qu\'à porter
la boisson de l\'animal dans le feuillet; ce qui ne
paroît jamais à l\'ouverture des bestiaux ; car j\'ai
constamment trouvé la panse remplie d\'eau qui y
formoit une espèce de bouillie. J\'ai fait prendre à
des bestiaux une demi-heure, une heure et trois
heuresavant qu\'on les tuât, des décoctions de bois
de Fernambuc, mêlé avec du miel, de l\'huile et
du sassafras; et j\'ai toujours trouvé cette boisson
dans la panse, l\'odeur de l\'huile surtout dans le
bonnet; et il n\'y en avoit jamais dans le troisième
(i)Tom.III, pag. 2ga.
-ocr page 75-estomac ; ce qui prouvé que l\'orifice en question
laisse passer machinalement, c\'est-à-dire, comme
le demande la nature de l\'animal, dans la panse
^es matières liquides qu\'il avale. Aussi est-il cer-
tain qu\'on ne trouveroit pas de matières aussi sè-
ches dans le feuillet, si la boisson j passoit immé-
diatement. Chez les jeunes bêtes à cornes et chez
les agneaux, qui ne se nourrissent que de lait, ce
^ait tombe également dans la panse , où il subît
^ne première coction, y prend une teinte brunâ-
tï\'e, et passe dans le troisième estomac, ainsi que
dans le bonnet, sans subir d\'autre ahération; mais
il ne se trouve pas plutôt dans la caillette qu\'il se
*^oagule et forme une matière caseuse blanche.
Mais je reviens à la mastication. Les aiimens qui
ont été détrempés pendant quelque tems dans la
panse, et qui y ont subi une légère coction, sont
Reportés par pelotes vers en haut par un mouve-
ïuent particulier de la panse. Il me paroît vraisem-
blable que l\'ê ventricule se contractant, les aiimens
sont portés par cette pression dans le bonnet ; et
que lorsqu\'une portion des aiimens doit être re-
portée vers la bouche, le bonnet se comprime de
lûênre , ainsi que l\'ouverture du feuillet ; et que
c\'est de cette manière qu\'une partie des aiimens
qui se trouvoient dans le bonnet, étant retenue
par le rétrécissement près de la panse ^ elle est por-
tée par cette pression dans l\'œsophage. Cette opé-\'
ration diffère du vomissement; car on convient as-
sez généralement que les bêtes à cornes et les che-
vaux ne vomissent jamais , quoique Goelicke ait
fait vomir des vaches avec du foie d\'antimoine,
pour les guérir de l\'épizootie.
Pour ne pas être trop prohxe, je vais vous rap-
peler en peu de mots ce que ce sujet offre de plus
intéressant.
Les bêtes à cornes et autres de cette espèce com-
mencent par arracher l\'herbe, le foin ou les feuil-
les dont elles se nourrissent, et les broyent légère-
ment entre les molaires, pour que, mêlés avec la
salive, ces alimens puissent passer plus facilement
de l\'œsophage dans la panse. Ce premier estomac,
qui mérite de fixer votre attention, est placé tota-
lement dans la cavhé gauche, et le bonnet se trou-
ve vers le devant; mais l\'un et l\'autre horisontale-
ment. Le troisième estomac est placé plus haut
que le bonnet, et avec son côté convexe vers le
foie ; c\'est - à - dire, que les livrets sont disposés
plus ou moins verticalement; ensuite vient dans la
cavité droite la caillette, laquelle est reçue dans la
scissure du foie. La panse et la caillette sont recou-
vertes par l\'épiploon , immédiatement contre le
péritoine, et par conséquent contre les muscles du
ventre.
Les alimens sont d\'abord détrempés dans la
panse, tant par l\'eau que Tanimal avale et qui sé-
journe toujours dans cet estomac, que par la sa-
line et par le suc gastrique que les vaisseaux excré-
toires versent dans cet estomac. La chaleur interne,
la respiration, le mouvement alternatif des mus-
cles du ventre, Faction de ceux de Festomac, tout
cela combiné contribue à ce que les alimens ava-
lés reçoivent dans la panse une légère coction, et
sont un peu digérés.
Après quoi vient le renvoi d\'une partie de ces
alimens vers la bouche , laquelle après avoir été
broyée fort menue, et bien imprégnée de salive ,
est portée immédiatement dans le troisième esto-
mac, et partagée entre les livrets du feuillet; c\'est
a quoi les petites lames qui tapissent son orifice F.
fig- 5, pl. XXVIII, ont déjà donné lieu.
Dans le troisième estomac, îes alimens reçoi-
vent d\'autres sucs des glandes placées dans les li-
vrets, et sont comme pétris et exprimés dans cet
intestin, où elles acquièrent, en même tems, en
partie l\'odeur qui est particulière à la bouse. C\'est
également dans cet estomac que sont absorbées les
parties ies plus subtiles et les plus »utritiveè des
alimens.
La coction et la trituration s\'étant faites ici, îes
alimens passent dans la caillette ; ce qui s\'opère
d\'autant plus facilemxent que les livrets sont dis-
posés verticalement vera en haut et vers en bas, et
glissent par conséquent naturellement pfir leur
chute dans la caillette; d\'autant plus que la con-
traction du feuillet sert à accélérer beaucoup cette
évacuation.
Arrivés dans la caillette\', les alimens reçoivent
de nouveaux sucs des glandes mucilaginèuses,qui
rendent les parois internes glissantes ; ces glandes
verruformes et garnies d\'un petit orifice blanchâ-
tre sont répandues sur toute la caillette et sur tou-
tes ses membranes. Ici les alimens subissent une
quatrième coction; et c\'est dans ce ventricule que
le lait se caille chez les veaux.
Cette quatrième coction étant achevée, les ali-
mens passent lentement dans le duodenum, et re-
çoivent le fiel du foie et de la vésicule du fiel, par
le conduit biliaire, ainsi que le suc pancréatique,
pl. XXVIII, fig. 5, R. T. : c\'est ce que j\'appelle la
cinquième coction, laquelle continue à avoir lieu
jusqu\'au csccuni, dans lequel est versé le chyle
délié, qui s\'y trouve épaissi par l\'absorption con-
tinuelle des parties séreuses.
C\'est dans cet intestin que semble se faire la
sixième et dernière coction, par le concours d\'au-
tres sucs produits par les glandules. Cette matière
séjourne enfin quelque tems contre la partie ridée
du rectum, d\'où elle est chassée, quand il y en a
une certaine quantité, en bouse un peu détrem-
pée , comme de la bouillie , quand les bestiaux
soni au vert, et plus compacte quand ils se nour-
SUR L\'épizootie. 75
*"issent de foin et d\'autres aiimens secs à l\'étable.
Ce cours et cette coction admirables des aiimens
de tout ce que les animaux ruminans avalent,
ïious apprennent que les médicamens qu\'on leur
administre suivent les mêmes voies ; qu\'il n\'y a
d\'autre moyen de décharger la panse que celui de
rumination ; que par conséquent quand cette ru-
i^^ination n\'a plus lieu, par quelque cause que ce
puisse être , les aiimens se corrompent, pourris-
sent et doivent nécessairement affecter les mem-
l^i\'anes délicates qui tapissent les parties internes,
par inflammation, gangrène et spbacèle^ ainsi que
l\'ai constamment remarqué chez les bestiaux
^^orts de l\'épizootie.
Histoire , nature , symptômes et guérison de
l\'épizootie actuellement régnante,
l\'ES difficultés qu\'olFre uaturellement le sujet de
ces leçons, et la considération du peu d\'expérience
que j\'ai acquise jusqu\'à présent de cette cruelle ma-
ladie, m\'effrayent quand je songe à l\'attente qui se
peint sur le visage de mes nombreux auditeurs ! Il
m\'étoit plus facile de satisfaire votre curiosité en
disséquant et en démontrant les parties affectées
des bêtes à cornes, que de vous donner l\'histoire
exacte de l\'origine de ce fléau dévastateur. Cepen-
dant l\'indulgence que vous m\'avez si souvent té-
moignée, la bonté avec laquelle vous avez toujours
daigné apprécier mon zèle et la droiture de mes
intentions, m\'enhardissent et m\'autorisent même
à cette pénible tâche.
Dans l\'introduction de la première leçon , je
vous ai déjà fait observer combien il étoit difficile
de faire l\'histoire de l\'épizootie, parce que les an-
ciens ouvroient rarement, ou , pour mieux dire ,
Jamais les bestiaux qui en étoient morts; du moins
parlent-ils dans leurs écrits que des symptômes
externes, par conséquent de ceux-là seulement
9m, étant également communs à d\'autres mala-
dies, ne peuvent pas servir à donner une idée aussi
exacte delà nature de l\'épizootie qu\'on pourroit le
désirer.
Leur superstition et leur idolâtrie mettoient
d ailleurs de grands obstacles à la découverte des
Causes et des accidens de cette maladie, ainsi qu\'on
peut le voir principalement par les écrits de M. Por-
ctus Caton l\'Ancien, qui mourut environ cent qua-
rante-huit ans avant Jésus-Christ. Ce Romain nous
apprend, dans son admirable ouvrage sur l\'agri-
culture (i), qu\'on devoit offrir tous les ans , dans
les bois, du miel, du lard et du vin à Mars Syl-
"^anus , pour détourner la mortalité des bestiaux,
®vec la défense ridicule aux femmes et aux escla-
ves de se trouver présens à ces sortes de sacri-
fices.
Cependant que, sil\'on avoit des raisons de crain-,
dre l\'épizootie, il falloit donner aux bestiaux sains
^ne mixtion de sel,de feuilles de laurier (2), d\'oi»
(1) Gesner , Auct. de Re Rust., cap. 83 , pag. 79.
(2) Anciennement le laurier étoit rejîarclé comme un excellent
préservatif contre lea maladies contagieuses, ainsi qu\'on le voiî
«lîezHérodien, liv.I.chap.se.
gnons, de gousses d\'ail, d\'encens, de farine , de
rhne, de lambruche, de charbons ardens avec un
peu de vin ; mais pour cela il falloit, d\'après les
idées superstitieuses des anciens, que la personne
qui administroit ce remède fut non-seulement à
jeun, mais aussi qu\'elle se tint debout, de même
que le boeuf.
Si l\'animal devient malade,ajoute Caton , faites
lui manger un oeuf de poule en entier qui soit
frais, et le lendemain donnez-lui une gousse d\'ail
détrempée dans du vin. Vous voyez par-là que le
conseil qu\'on donne aujourd\'hui de se servir pour
cet objet d\'oignons et d\'oeufs frais n\'est rien moins
que nouveau,
Columelle, qui vivoit sous le règne de Claude,
environ quarante-deux ans avant l\'ère chrétienne,
fait la description d\'une maladie contagieuse qu\'il
appelle cruditas, laquelle diiféroit guère, par ses
symptômes, de l\'épizootie actuelle; voici ce qu\'il
en dit (i) : Crehri ructus , ac ventris sonitus ,
fastidia cibi, nervorum intentio , hebetes oculi,
propter quoe bos neque ruminât, neque lingua
se deterget; c\'est-à-dire : « Les yeux deviennent
« foibles, l\'animal a de tems en tems des frissons,
« les alimens lui répugnent, il lâche des vents par
(i)Lîb. VI, cap. 6, pag. SyS.
-ocr page 83-SUR L\'ÉPIZOOTIE. 79
le haut et par le bas; le bœuf ne rumine par con-
^^ sequent plus, et ne se lèche point avec sa langue. »
Il veut qu\'on ouvre la veine qui est dessous la
queue, qu\'on tire les excrémens du rectum avec la
îUain , après l\'avoir enduite de graisse , et qu\'on
donne à l\'animal du sel, du miel et des oignons ,
ainsi que des lavemens, qu\'il appelle collyria. Si
Cela ne se fait pas à tems, dit-il, le ventre se tend,
les colliques des intestins augmentent et l\'animal
gémit fortement.
Si la maladie devient contagieuse, il veut ( cap.
ÏV, pag. 577) qu\'on sépare les bestiaux malades
d\'avec ceux qui sont sains : Segregandi a sanis
^norhidi; et qu\'on doit les mettre dans des prai-
ries où il n\'y a pas d\'autres bestiaux, etc.
Végèce, qui décrit la maladie de la même ma-
nière que Columelle {ibid., lib. Ill, cap. 2, pag.
iio5), lui donne les noms de cruditas et de mal-
leus ; il indique ensuite les mêmes remèdes, par-
ticulièi^ement les œufs frais administrés tout en-
tiers avec du miel; mais il recommande surtout de
ïnêler force de sel aux ahmens : Expedit tamen
^cilem pabulis misceri. Il attribue l\'épizootie à la
hente de cochon que les bestiaux peuvent avoir
\'ïiangé; mais je pense que c\'est à tort. Son avis est
l\'eaucoup plus essentiel quand il veut qu\'on sé-
pare des autres les bestiaux qu\'on soupçonne être
attaqués de la maladie : Statim omnia anima lia .
quœ levem suspidonem habuerint, de posses-
sione tollencla.
Ainsi que lorsqu\'il conseille de faire transporter
ceux qui sont morts de l\'épizootie loin de la ferme,
et de les faire enterrer à une grande profondeur
sous terre : Mortua cadavera ultra fines villœ
projicienda sunt, et altissiine ohruenda sunt sub
terris.
Il veut surtout que, dans les épizooties, on ait le
plus grand soin de séparer les bestiaux malades de
ceux qui sont bien portant, «y?« que la négligence
du propriétaire ne soit pas attribuée à tort au
courroux de l\'Etre Suprême que le font les
insensés. 11 seroit à souhaiter qu\'on fit également
toujours usage dans ce pays de la même prudence
et de la même sagesse de raisonnement. Nos fer-
miers , quoique chrétiens , ont sur cette matière
les mêmes idées que les bouviers de l\'antiquité; ou
plutôt ils accusent l\'Etre Suprême d\'un mal qu\'ils
pourroient souvent prévenir par leurs soins.
Le vertueux et célèbre Outhof nous a donné à
la suite de sa Judicia Jehovœ Zebaoth , in-S°.,
1721, \\e Severi Sancti., idest Endeleichi Rhe-
toris J de mortibus Buom Carmen. Quoiqu\'on ait
différentes éditions séparées de ce dernier ouvrage,
je crois devoir nommer celle-ci, parce qu\'Outhof
a été fort exact à citer plusieurs épizooties qui ont
eu lieu. Ce poëte vivoit au commencement du cin-
sub- l\' é p i z o o t i b. Si
quième siècle, ou, comme d\'autres le prétendent,
a la fin du troisième siècle , notamment en Sgô.
11 fait la description d\'une épizootie qui ne dilfère
pas beaucoup de celle qui règne actuellement. Elle
étoit venue de Hongrie, de l\'Autriche et de la Dal-
ttiatie, et avoit pénétré par le Brabant dans les
Pays-Bas :
Hœc. dira lues aerpere dicitur
Pridempannonios , illyricos quoque
Et belgas graviter stravit, et impio
Cursu nos quoque nunc petit.
C\'est-à-dire, aux François, car Fauteur etoit de
FAquitaine, située dans la partie méridionale du
royaume de France. Cette maladie avoit assez d\'a-
nalogie avec celle d\'aujourd\'hui -, cependant elle
paroît avoir été bien plus terrible : Sic mors ante
luem venitj c( A peine les bestiaux étoient-ils at-
taqués de la peste, qu\'ils mouroient. » Ensuite
il dit :
Hicfontis renuens , graminis immemor
Erat succiduo buculapoplite.
Pag. 827.
Inflantur tumidis corpora ventribm
Alhent lividuUs lumina nubibus
Tenso crura rigentpede.
Pag. 855.
-ocr page 86-Ce que je traduis : (c Ici la jeune génisse refuse
« de boire, et n\'ayant pas ruminé depuis long-tems,
« elle chancelle; son ventre se tend; ses yeuxsem-
« blent couverts de membranes pourprées; ses jam-
« bes de derrière deviennent roides et immobiles. ))
Symptômes qu\'on retrouve tous dans l\'épizootie
actuelle. Le bouvier idolâtre demande à Tytire ,
qui est représenté ici comme chrétien, ce qu\'il a
fait pour conserver ses bestiaux qui étoient restés
parfaitement sains, tandis que la mortalité étoit
générale ? Celui-ci répond :
Signum quodperhihent esse crucis Dei
Magnus qui colitur solus in urbihus.
Christus perpetui gloria numinis.
Cujusfilius unie us.
Hoc signum mediis frontibus additum,
Cunctarumpecudum certa salus fuit.
Pag. 837 —
C\'est-à-dire : « Je fais le signe de la croix de Jé-
« sus-Christ, etc., sur le front de mes bestiaux; et
{( c\'est-là ce qui les a conservés, w II paxoît vrai-
semblable que la coutume qu\'on a encore dans ce
pays, mais surtout dans le Rhynland, de peindre-,
des croix blanches sur les murs des étables, est un
reste de cette ancienne superstition.
Je ne crois pas devoir m\'arrêter plus long-tems
sur cet objet J je passe donc à Ubbo Emmius , qui
nous apprend qu\'en 1272 il y eut une telle mor-
talité parmi les bêtes à cornes, qu\'il en résulta une
grande famine (1) ; cependant il ne dit rien sur la
nature de la maladie.
Outhof en rapporte encore d\'autres; mais une
des plus remarquables fut celle de 1682, pendant
qu\'il demeuroit dans cette ville. Cette contagion
prit naissance en Italie , de là passa par la Bour-
gogne , en Suisse , en Allemagne et dans le Bra-
bant. Elle dilféroit néanmoins beaucoup de celle
qui règne aujourd\'hui, et de celle de 1710, etc. ;
car les bestiaux avoient surtout un grand échauf-
fement et beaucoup de boutons sur la langue, qu\'on
perçoit avec des lancettes; comme on le fit égale
ment en 1732; ce qui les sauva.
Ensuite Outhof passe aux mortalités de 1710 et
de 1715. Celle-ci, dit-il, se déclara d\'abord en
Dalmatie, pénétra en Italie, en Autriche, courut
le long de la Bohême et de la Hongrie, et même
en Prusse , en Moscovie , en Suède et en Dane-
niarck ; et en 1714 dans plusieurs villages de la
Suisse, Perplurimos Helvatiœ pagos, pag. 762.
Il est donc faux que la Suisse n\'a pas été affligée
de cette contagion durant ce siècle. Cela paroît d\'au-
tant plus évident que, par un préj ugé, ou peut-être
par un fait véritable, ce que je ne veux pas décider,
(\') Rerum Fris. Hist., lib.\'XI, pag. 170.
-ocr page 88-on attribua cette maladie à de certaines pillules
que des hommes malfaisans (comme on le croyoit
dans le canton de Bâle ) répandoient ; ce qui fut
examiné par le collège de médecine de la ville de
Bâle. Il confirme ce fait par le Mercure d\'Europe
du mois de septembre 1714, pag. 175. De pareils
préjugés ont également subsisté ailleurs , et nous
prouvent évidemment qu\'il a régné une maladie
contagieuse parmi les bêtes à cornes à différen-
tes époques, dont on n\'a fait que mal indiquer
les causes. Agobard, évêque de Lyon, qui vécut
sous Charlemagne, c\'est-à-dire , au commence-
ment du neuvième siècle, a donné un ouvrage in-
titulé: Contra vulgi opinionem insulsam de G-ran-
dine et tonitruis, où il dit, pag. i56 (i) : (c Lors-
<{ qu\'il y eut, il y a quelques années , une morta-
« lité, des personnes prétendirent que le duc Gri-
(1) Ante hos paucos annos disseminata est quaedam stuhitia,
cum esse mortalitas boum , ut dicerent Grimaldum ducem Bene-
çentorum transmisisse homines cum pulveribus, quos spargerent
per campas et montes, prata et fontes, eo qund csser inimicissimut
Christianissimo Imperatori Carulo, et de ipso pulvere moriboves,
propter quam causam muitos eompreha sos audivimus , et vidi-
mus aliqitot occisos , plerosqne autem adfixos tabuiis iujlumen
f/rojectos atque necatos. Et quod mirutu vulde est, comprehensi
ipsi adversus se dicebant testimonium, habere se talem pulverem^
çtspargere, etc. Hoc ita ab omnibus credcbalur, ut pcene pauei
çssent quibus absurdissinmm videtur, etc.
^ îïialdus avoit envoyé certains hommes avec des
<< poudres, qu\'ils répandirent sur les champs, sur
« les montagnes , dans les prairies et dans les ri-
vières, pour faire mourir le bétail; parce que ce
« duc portoit une grande haine à sa majesté Pem-
« pereur Très-Chrétien. Qu\'il avoit non-seulement
entendu dire, mais qu\'il avoit vu qu\'on en avoit
« saisi quelques-uns, qui, après avoir été liés sur
« des planches, furent jetés dans la rivière et tués.
« Et que, ce qu\'il y avoit de plus surprenant, ils
« témoignoient contre eux-mêmes , qu\'ils possé-
doient et avoient en effet répandu de pareilles
poudres, etc. Cela étoit regardé par chacun com-
« me tellement véritable, quepersonne ne formoit
« le moindre doute à cet égard. )) Mais Agobard
regarde tout ceci comme un fait controuvé et ab-
solument impossible; ce que je n\'oserois cependant
assurer. Il me semble que rien n\'empêche de ré-
pandre l\'épizootie dans un pays, puisqu\'on sait
qu\'une seule chemise sechée d\'une personne qui
avoit eu la petite vérole en mer, long-tems avant
d\'arriver au Cap de Bonne-Espérance , répandit
Cette maladie dans toute la colonie par le blan-
chissage qu\'on en fit. Ne sait-on pas que la matière
Variolique qu\'on garde pour l\'inoculation de la pe-
tite vérole et de l\'épizootie, peut également pro-
duire un pareil effet ? Je suis loin de croire que le
fait rapporté par Agobard soit vrai j mais je n\'y
trouve pas la même absurdité que cet évêque, qui
ne connoissoit pas l\'inoculation , et ignoroit que
la matière contagieuse peut êtrepoVtée au loin sans
qu\'elle perde de sa vertu morbifique. Mais retour-
nons à notre objet. 11 paroît suffisamment démon-
tré par ce que je viens de dire, que des épizooties
ont eu lieu en différens tems, et que la Suisse mê-
me n\'en est pas restée exempte. Je sais aussi avec
certitude , que cette maladie a régné en 1768 à
House, dans le canton de Zurich, ainsi que dans
ies cantons de Zug et de Schweitz.
Mais je reviens à Outhof, parce qu\'il est le seul,
autant que je sache, qui ait bien décrit l\'épizootie
de 1714, laquelle fit de si terribles ravages dans
les Provinces-Unies.
Outhof nous apprend que la contagion se dé-
clara en 1713 dans les Pays-Bas , et qu\'en 1714
elle pénétra en Frise , où elle régna avec tant de
violence qu\'en moins d\'une année elle enleva qua-
rante mille vaches. Ensuite elle attaqua la province
de Groningen, du côté de la Frise , et à l\'est vers
FEems , et se répandit, à la fin de décembre, sur
toute FOost-Frise. 11 observe de plus que les états
de Hollande et de "West-Frise défendirent par des
placards, en 1714, de jeter aucun animal mort de
la contagion dans la mer, ni dans les lacs, ni dans
les canaux; et ordonnèrent de les enterrer à trois
pieds de profondeur sous terre. Ils défendirent éga-
ieraent de manger de la chair des bestiaux morts
de la contagion, pour que le peuple ne fut point
exposé à des maladies pestilentielles.
Cette prévoyance étoit d\'autant plus nécessaire
que ceux que le besoin portoit à se nourrir de ces
bestiaux jetoient dans l\'eau celle qu\'ils tenoient
cachée dans leurs maisons, quand elle commeu-
çoit à se corrompre, d\'où pouvoient résulter de très-
grands malheurs.
Ce seroit rendre un service essentiel que de pu-
blier, si on les possédoit, tous les placards qui ont
été promulgés, tant ici qu\'ailleurs, depuis la for-
mation de la République, relativement à l\'épizoo-
tie , que les historiens de ce pays passent généra-
lement sous silence, comme n\'ayant rien de com-
mun avec leurs discussions politiques.
, Je puis assurer du moins qu\'avant l\'année 1715
il n\'est pas fait mention dans le Grand Livre des
placards de Cau d\'aucune ordonnance sur les me-
sures à employer contre l\'épizootie; et j\'ai remar-
qué par une liste fort exacte des ordonnances pu-
bliées dans la province de Frise, touchant les bêtes
à cornes, qui m\'a été communiquée par M. le ba-
ron G. F. Thoe de Schwarîzenberg et Hohenlands-
berg, que l\'introduction des bestiaux étrangers a
été défendue pour la première fois le 27 novem-
bre 1715, jusqu\'au 5 novembre 1721, et ensuite
le 11 décembre 1744 jusqu\'au 20 janvier 1747?
d\'où il faudroit conclure que, depuis la naissance
de la République , il n\'a régné dans ce pays au-
cune maladie contagieuse parmi le bétail avant
l\'année 1713. Cet objet demande cependant des re-
cherches ultérieures.
Jusqu\'à présent je n\'ai parlé que des écrivains
qui, n\'ayant aucune connoissance de l\'anatomie
ni de la médecine, ont cependant parlé de l\'épi-
zootie. Mais combien ne pourrois-je pas citer d\'au-
teurs italiens,anglois,françois,allemands et d\'au-
tres pays qui ont traité de la contagion qui a ré-
gné dans toute l\'Europe, depuis 1710 jusqu\'en
1719? Il faut cependant que je rappelle à votre
mémoire que Ramazzini, Lancisi, Boromeo, Ma-
zim , Nigrisoli, Michelotti, Magati, Lanzonius,
G. Guerra , F. Fantasti, D. di Ferraris , L. Cas-
telli, C. F. Cogrossi, H. Corazzi, Ruini, Valisneri,
et autres , ont publié en Italie , peu de tems après
la naissance de l\'épizootie,leurs judicieuses obser-
vations sur cette maladie.
Les principaux de ces écrits , particulièrement
ceux de Ramazzini, de Lancisius et autres, ont été
traduits en allemand par Ch. Nie. de Lange, et en
1719 en hollandoispar A. Maubach. Abraham-Sal.
Van der Voort a publié aussi, en 1716, à Leide,
une lettre adressée à un ami sur l\'épizootie qui ré-
gnoit alors parmi les bêtes à cornes ; mais il m\'a
été impossible de me procurer ce morceau.
s u Pv l\' É n z o o T I E. 89
Les Anglois ont également traduit les princi-
paux écrivains italiens; mais aucun peuple ne s\'est
montré plus empressé à cet égard que les Alle-
mands. Cependant Bates avoit déjà publié,en lyié,
d\'excellentes observations sur cette maladie des
bestiaux, et en avoit même ouvert plusieurs,
comme on peut le voir dans les Transactions
phUosophicjues, ainsi que dans l\'abrégé de ces
mémoires.
Lorsqu\'en 1740 l\'épizootie se déclara de nou-
veau, toutes les nations à-la-fois paroissent s\'en
être occupées à l\'envie. Les François ont publié
plusieurs ouvrages anonymes sur cet important
objet. En 1744, on imprima à Besançon un vo-
lume intitulé: Observations sur la mala-
die contagieuse qui règne en Franche - Comté
parmi les bœufs et les vaches etc. ; à Paris pa-
rut, en 1748 , in-12 , une Dissertation sur la
maladie épidémiciue des bestiaux, etc., par Blon-
del; à Besançon , un Mémoire sur les maladies ,
etc., des bêtes à cornes^ ouvrage qui a remporté
le prix de FAcadémie de Besançon, en 1766, in-
, que je n\'ai pu me procurer jusqu\'à présent.
Le s observations du marquis de Courtivron m\'ont
fait beaucoup de plaisir; et quoiqu\'il y en ait quel-
ques-unes qui soient un peu superficielles , elles
offrent cependant bien des choses qu\'on ne trouve
pas ailleurs : elles sont insérées dans les Mémoi-
res de VAcadémie royale des sciences , 1748 ?t
1752.
M. Sauvages a de même publié, en 1746, une
dissertation sur cette matière; mais je ne l\'ai pas
lue.
Cette maladie a fixé, en 1746, à Londres l\'at-
tention de M. Broklèsby, homme d\'un grand mé-
rite, et celle de M. Cromwell Mortimer, en 1745,
dans les Philos. Transact., n®. 477, vol, XLIII,
et 1746, n°. 478 , voL XLIV; mais ces messieurs
ont traité la chose plutôt en théoriciens qu\'en pra-
ticiens : ie grand nombre de leurs occupations et
l\'immense étendue de la ville de Londres ne leur
ont pas permis de faire des expériences. L\'ouvrage
de î). P. Layard, publié en 1757, à Lon-
dres, est d\'une toute autre nature.
Les Allemands n\'ont pas mérité moins d\'éloges;
il est impossible, pour ainsi dire, de faire l\'énu-
mération des observations, des essais et des remè-
des qu\'ils ont pubfiés et proposés à ce sujet: je me
contenterai d\'en indiquer quelques-uns, en vous
conseillant, en même tems , de vous procurer la
notice très-exacte des meilleurs ouvrages qui ont
paru sur l\'épizootie , pubhée par le docteur J. G.
Krunitz(i); dans laquelle on ti\'ouve non-seule-
(i) Verzeichnîss der njornehmsten schrîften von der Rîndçieh-
Seuche, Leipsig, 1767, /«-S".
ïnent. cités les écrivains dont j\'ai déjà parlé, mais
un grand nombre d\'autres, dont je ne pourrai faire
mention que dans la suite.
En attendant, je vois reprendre îa partie histo-
rique de îa maladie , d\'après ce que A. 0. Gœ-
licke et J. O. Brucknerus en ont dit dans une dis-
sertation , De Lue Contagiosa Bovillum genus
nunc de populante ,Yxd,ïiC0Ï. adViadrum, lofeb.
lySo, et publiée de nouveau par A. Haller, dans
les Di sput. ad morhorum histor. et Curationem
facientes , tom. V, 1758. Goelicke est fort exact
dans la description du cours que l\'épizootie a tenu
depuis 1710 jusqu\'à 1717. H suit en celaKanold,
médecin de Breslau, qui a prouvé que la conta-
gion étoit d\'abord venue de laTartarie, par le Mos-
covie en Pologne ; que de là elle s\'étoit étendue
verd le Nord et vers le Sud; c\'est-à-dire: au nord
le long de îa Livonle, la Courlande, la Prusse, la
Poniéranie et le Holstein, et avoit pénétré ensuite
par les Pays-Bas ou le Brabant, en Angleterre. Au
niidi, elle avoit parcouru la Turquie, la Hongrie,
l\'Ksclavoniej la Croatie,eî de là l\'Autriche,laStyrie,
la Carinthie, la Carniole et laBavière, ainsi qu\'une
partie de Fltalie, de îa France et de l\'Espagne. En-
suite, elle étoit de nouveau rentrée en Allemagne,
où, suivant cet écrivain célèbre (pag. 7i5 ), elle
n avoit pas cessé de régner en 1730, et se faisoit
^eme sejjfjj. encore en quelques endroits.
Cependant l\'épizootie paroissoit entièrement
éteinte dans la plus grande partie de l\'Europe ,
lorsqu\'après le rude hiver de 1740, elle se déclara
de nouveau.
En 1744, la mortalité des bestiaux fut si grande
que les états-généraux crurent devoir consulter la
faculté de médecine de Leide, sur les moyens de
parer à ce terrible fléau. Les avis de la facuhé fu-
rent imprimés, en 1744, chez le libraire Lucht-
ïnans.
En 1745 , les célèbres professeurs De Haen ,
Ouwens et Van Velse donnèrent, conjointement
avec le médecin Westerhof, une dissertation fort
exacte sur Fépizootie et la maladie des bestiaux,
laquelle fut publiée à la Haie,
C\'est de cette manière que des hommes d\'un
grand mérite furent encouragés à donner leurs ob-
servations sur cette importante matière; et Fon vit
ensuite paroître celles du savant M, Engelman ,
dans la seconde partie du sixième volume et dans
le vol. VII, pag. 247, des Actes de la Société de
Harlem.
En 1755, MM, Nozeman, Kool et Tak pubhè-
rent leurs observations sur l\'inoculation de la ma-
ladie contagieuse des bêtes à cornes, lesquelles mé-
ritent la plus grande attention.
En 1758,1e savant Grashuis mit au jour un avis
fort circonstancié sur le même objet, dans le troi-
sieme volume, pag. 247, des Traités choisis pu-
bliés à Amsterdam chez Houttuyn (1).
Le jadis célèbre professeur Schwenke a fait à la
Haie des essais sur l\'inoculation des bestiaux, qu\'il
paroît avoir adressés à un ami en 1767; on les
trouve dans le Magazin de Brème (2).
Plusieurs personnes de considération, parmi les-
quelles on distingue M. Binkhorst, bourguemes-
tre de Hoorn, firent eux-mêmes des essais, ou
fournirent les fonds nécessaires à ceux qui voulu-
rent consacrer leurs talens au bien public.
La contagion ne régna pas moins en Allemagne ;
ce qui fournit au célèbre Mauchart l\'occasion d\'é-
crire, en 1745, une dissertation intitulée: De Lue
accarum Tuhingensi, qu\'on trouve aussi chez
Kaller, tom. V, n". 188.
La belle dissertation de M. A. Ens, De morho
ioum Ostervicensium pro peste non hahendo ,
Halberstad 1746, mérite également d\'être lue.
Il faut méditer aussi l\'essai qui a été publié à
Brunswick, en 1760, sans nom d\'auteur : Ver-
buch einer Erhlœrung der Hornviesuche, nebst
einige Wahrnehmungen über die Einpropfung
derselben.
Mais je vous recommande surtout l\'ouvrage que
<l) Uugezogtc VerhandeÂiugen.
Bremische Magazin zur ausbreitung der Wissenschafften^
t band , no, pyg.
-ocr page 98-le docteur Layard publia à Londres, en ijoj, m-
S". : Essay o/i the nature y causes, and cure of
the contagious distemper among the horned cat-
tle ; ou bien A Discourse on the usefulness of
inoculation of the horned cattle, to -prevent the
contagious distemper, by D. P. Layard. Philos.
Transact., vol. L, pag. 11, où l\'on trouve aussi les
essais de l\'évêque d\'Yorck et du chirurgien Bewley.
Je crains de vous ennuyer par cette longue no-
menclature d\'écrivains. Il paroît par ces différens
effo ris de tant d\'hommes de mérite, que la mala-
die a quelquefois diminué, et que, dans d\'autres
tems, elle s\'est déclarée avec une nouvelle fureur.
Et ne devons-nous pas regarder comme une
chose démontrée, que l\'épizootie, ainsi que toutes
les autres maladies épidémiques, et particulière-
ment la petite vérole, règne dans certains tems avec
violence; tandis que dans d\'autres elle paroît abso-
lument éteinte; quoique, par des observations exac-
tes, il semble qu\'on trouve cependant toujours ça
et là quelque animal qui en est entaché? Si cette
contagion n\'est pas aussi ancienne que le sont tou-
tes les autres maladies, elle est du moins connue
depuis environ deux mille ans. Elle s\'affoiblira
sans doute par des raisons naturelles, ainsi qu\'elle
se déclare de tems à autre avec plus de force. Il est
paj\' conséquent de notre devoir d\'employer tous
les moyens que l\'Etre Suprême nous a fournis pour
trouver des remèdes efficaces, de quelque espèce
qu\'ils soient, qui puissent nous tranquilliser sur le
sort de nos plus précieuses possessions.
Je passe maintenant à la description des symp-
tômes de l\'épizootie, pour que vous puissiez mieux
saisir mes idées sur les causes et la nature de cette
nraladie.
Des principaux symptômes de Vépizootie.
Il n\'y a aucun signe qui présage d\'avance l\'épi-
zootie , elle n\'avertit qu\'avec le coup et quand l\'a-
nimal est déjà malade. Alors il devient triste, re-
fuse de boire, se montre difficile sur le choix des
aiimens j ensuite il paroît plus gai par intervalles,
ïûange, boit et rumine. Cependant il devieut in-
quiet, grince des molaires, et finit par ne plus ru-
niiner, ce qui est le signe le plus certain qu\'il est
nialade; si ce n\'est chez les veaux de lait, car ceux-
ci ne ruminent pas encore, ainsi que Galien l\'avoit
déjà prouvé par une belle expérience sur des
agneaux et de jeunes chèvres.
Comme les bestiaux attaqués d\'autres maladies
île ruminent également point, ce signe devient équi-
voque ; mais les autres symptômes qui accompa-
gnent l\'épizootie, et dont je viens de parler, ainsi
que le frisson nemen t et le tremblemen t qu\'Us éprou-
l\'inquiétude qu\'ils montrent et la manière de
se tenir sur les doigts des pieds de derrière , sont
des preuves convaincantes, surtout lorsque la con-
tagion s\'est déjà déclarée dans quelque endroit du
voisinage.
Le pouls, qui bat de 60 à 70, 7.5, Bo et même
go fois par minute, annonce une forte fièvre, qui
est bientôt accompagnée d\'une prostration géné-
rale et prompte des forces de l\'animal ; car le
pouls est non-seulement vite , mais inégal, sans
être fort, ainsi qu\'on l\'observe dans les fièvres pu-
trides ; il y a même des instans où l\'on ne peut,
pour ainsi dire, l\'appercevoir nulle part.
Les oreilles et les cornes sont, pour cette rai-
son , alternativement froides 5 tantôt les cornes
seules, tantôt les oreilles seules, et tantôt les unes
et les autres tout à-la-fois.
Les selles conservent souvent leur cours pendant
les premiers jours de la maladie ; quelquefois la
bouse perd sa couleur et prend une si forte odeur
de musc que toute l\'étable en est remplie ; souvent
elle devient sèche, étant à peine lié ensemble; d\'au-
tres fois elle est molle et liquide ; ou bien l\'ani-
mal a le ventre paresseux, parce que les intestins
et les muscles de l\'abdomen n\'ont pas assez d\'ac-
tivité pour chasser les matières accumulées.
Une grande foiblesse s\'empare promptement de
l\'animal à la première fièvre qui survient : il laisse
alors pendre la tête, qui est lourde et les muscles
du cou l\'obligent de la tenir obliquement. Les oreil-
les pendent pareillement, et cela par la même rai-
son.; la queue perd aussi son naouvement ; enfin ,
1 animal cesse de mugir.
L\'animai tousse d\'abord de tems en tems, en-
suite sans interruption; plus ou moins cependant,
selon que la matière morbifique affecte les pou-
*n.ons ou les intestins.
Les yeux, que ces animaux ont naturellement
noirs et vifs, deviennent ternes et languissans, et
la paupière interne ou clignotante, laquelle n\'est
pas visible quand l\'animal se porte bien, s\'enfle et
devient proéminente , par l\'épaississement de la
membrane externe, et ressemble alors à une vessie
d un rouge pâle, qui a quelque rapport avec la ma-
ladie connue chez l\'homme sous le nom de che~
^nosis. Ça et là on apperçoit une grande tache en-
gammée; le blanc de l\'œil, qui est surtout visible
dans le petit angle, est également fort enflammé,
et l\'oeil paroît enflé et sortir de la tête. Il coule des
grands angles des yeux une matière ichoreuse; et
lorsque la maladie est parvenue à son plus haut
^egré, il en sort , chez quelques-uns de ces ani-
ïitaux, une abondance de lai-mes.
L)es pores de la partie lisse du museau coulent
de tems à autre , des milliers de gouttes qu\'on
Prendroit pour une abondante transpiration.
Les naseaux déchargent d\'abord une matièi\'e li-
quide , laquelle acquiert le troisième jour une con-
sistance visqueuse et purulente , qui coule sans
cesse le long du museau , et une matière sembla-
ble coule de la bouche. Cependant l\'animal n\'es-
suie point cette matière, comme le font les bes-
tiaux sains , qui ne cessent de lécher et de net-
toyer î%ur museau avec la langue.
Chez quelques-uns la toux augmente, la respi-
ration devient pénible, et l\'animal, abattu par la
fièvre et exténué par le défaut de nourriture, tom-
be à terre, tend la têle droit devant lui, ou se tord
le cou, et emploie différens moyens pour respirer,
en gémissant comme pourroit le faire une per-
sonne qui souffriroit de grandes douleurs. La bave
devient écumeuse , et tout annonce que les pou-
mons sont très-fortement affectés, et que l\'animal
se trouve dans le plus éminent danger. Mainte-
nant la toux semble diminuer, parce que les for-
ces manquent : voilà la raison pourquoi quelques
écrivains françois, ainsi que le grand Haller dans
Ja lettre qu\'il m\'a écrite depuis peu, ont donné à
cette maladie le tiom de pulmonie.
Chez d\'autres la matière se jette davantage sur
les intestins du ventre. La panse, ainsi que je l\'ai
déjà dit, placée dans la cavité gauChe, est
par l\'air et se distend considérablement, de sorte
que l\'animai semble prêt à crêver ; et quand on
frappe dessus avec la main elle resonne comme
«n tamboun
Quelq ues médecins prétendent avoir observé
que la peau de l\'animal semble adhérer au dos et
aux reins, pendant le fort de la maladie; c\'est ce
que je n\'ai jamais apperçu bien distinctement ; je
Crois plutôt que le gonflement considérable du
Ventre peut avoir donné lieu à cette conjecture.
Chez d\'autres la peau du dos craque quand on y
appuie le doigt ; ce qui provient peut-être de l\'air
que la corruption a introduite dessous la peau.
Le quatrième, le cinquième ou le sixième jour,
plusieurs de ces pauvres animaux commencent à
être tourmentés d\'une diarrhée considérable, de
manière que les déjections échappent avec vio-
lence du corps , comme si elles étoient chassées
d\'une seringue, et elles inondent alors toutel\'étable.
Ces excrémens répandent une odeur insupporta-
ble ; et rien ne me paroît plus funeste pour les au-
tres bestiaux que la mauvaise qualité de cet air
ïnéphétique. Quelquefois ces matières sont mêlées
de sang et d\'ichor.
D\'autres ne lâchent point leurs excrémens, qui
sont arrêtés dans le boyau rectum., lequel leur sort
du corps, reste ouvert et rend une matière icho-
reuse et sanguinolente. Chez les vaches les parties
sexuelles sont pareillement gonflées et demeurent
ouvertes; l\'animal étant si foible que les sphinc-
ters ne peuvent plus exercer leurs fonctions.
La vessie perd également, chez la plupart, son
-ocr page 104-énergie; ils lâchent alors rarement leurs urines, tant
parce que l\'eau qu\'ils boivent pendant ce tems, ou
les médicamens hquides qu\'on leur administre, res-
tent déposés dans les estomacs sans être absorbés,
que parce que l\'animal rend beaucoup d\'humeurs
par les naseaux, les yeux et la bouche.
Je n\'ai rien dit encore du lait, parce que l\'épi-
zootie attaque de la même manière les bêtes à cor-
nes des deux sexes, de quelque âge qu\'ils soient ;
je n\'en devois donc parler qu\'en dernière analyse,
parce que cela ne concerne que les vaches laitières.
Le lait diminue , s\'épaissit et se corrompt dans
les pis.
Il est, pour ainsi dire, impossible de déterminer
le tems que dure la maladie et les accidens dont
elle est accompagnée. Chez quelques individus la
corruption est si violente, si prompte, qu\'elle tue
l\'animal en vingt-quatre heures ; quelquefois ils
ne meurent que le troisième , le quatrième ou le
cinquième jour; d\'autres fois seulement le septiè-
jaie ou le onzième jour; mais ce dernier cas est fort
rare.
Ils meurent tantôt avec les jambes étendues loin
du corps , et tantôt avec les pieds retirés dessous
le corps. Pendant la maladie, ils ne sont pas tou-
jours couchés sur le même côté, quoique la panse
soit fort distendue par l\'air. J\'ai porté une grande
âtteritioïi à cet égard, et j\'ai trouvé que les bes-
tianx étoient couchés tantôt snr nn flanc et tantôt
sur l\'autre ; de manière que la panse ne paroît pas
occasionner quelque mal ici.
Chez certains le corps se couvre de taches, par-
ticulièrement près des aînés, symptôme auquel les
paysans ont donné le nom de gale {rappigheid),
et que quelques-uns regardent comme un bon pro-
nostic. J\'en ai vu mourir cependant dont le corps
étoit couvert de pareilles taches.
Je ne puis rien assurer de bien certain relative-
ment au sang: il y en a qui pensent qu\'il se coa-
gule; d\'autres qu\'il s\'atténue; mais la plupart s\'ac-
cordent à dire qu\'il ne se coagule point, mais qu\'il
devient muqueux; comme on le voit souvent chez
les personnes attaquées de fièvres putrides. Dans
les bestiaux morts j\'ai constamment trouvé le sang
atténué et jamais coagulé.
Voilà les symptômes qui sont communs aux tau-
reaux , aux génisses, aux vaches, aux boeufs et aux
Veaux de tout âge, sans distinction. On comprend
facilement que les vaches portières, toutes choses
égales d\'ailleurs , doivent souffrir davantage de
Cette terrible maladie, et cela d\'autant plus qu\'el-
les sont plus près de vêler. L\'épizootie est néan-
ïuoins quelquefois assez bénigne pour qu\'elles s\'en
tirent sans avorter ; mais cela est fort rare, et la plu-
part perdent leur fruit même dans la suite , après
qu elles sont guéries elles-mêmes de la maladie.
I>es symptômes internes de l\'épizootie.
Je ne finirois point si je voulois rapporter tout
ce qui a été observé sur les parties internes des bes-
tiaux morts de l\'épizootie par les principaux mé-
decins d\'Italie, d\'Angleterre, de France, d\'Alle-
magne et de Hollande. Il suffira de m\'arrêter ici
aux particularités qui, étant propres à la contagion
actuelle, peuvent servir à déterminer sa nature ,
et à trouver les moyens d\'y apporter remède, si ja-
mais on ést assez heureux pour parvenir à ce but.
Je ne parlerai que des symptômes que j\'ai obser-
vés moi-même dans les bestiaux que j\'ai fait ou-
vrir, à moins que ce ne soit de ceux que jecroirai
dans la suite dignes de fixer votre attention.
L\'épiploon ( pour commencer par le ventre ),
Fépiploon, dis-je, est enflammé et gangréné chez
plusieurs; de manière qu\'il est couvert ça et là de
taches rouges, pourprées el noires.
La panse l\'est également plus ou moins; quel-
(juefoiselle est extraordinairemenl gonflée par l\'air
qui s\'y trouve renfermé, et donne une idée fort
exacte de la tympanite intestinale. Lorsqu\'on y
perce un trou à travers de la peau et des muscles,
ainsi que je Fai fait à quelques-uns, l\'air en sort
avec violence et bruit. Mais je ne saurois dire, s\'il
y a jamais vérhable tympanite, c\'est-à-dire, s\'il y
a de Pair dans la cavité du ventre , entre les in-
testins dans l\'intérieur du péritoine : la putréfac-
tion des intestins est quelquefois si grande que je
ne regarde pas cela comme impossible.
Les intestins grêles , de même que les gros in-
testins, étoient quelquefois entièrement dénaturés,
pourprés et noirs : une partie plus, l\'autre moins,
suivant qu\'ils étoient alfectés du virus pestilentiel.
Chez les vieilles vaches , la rate étoit générale-
ment livide, d\'un gris cendré, chargée d\'une ma-
tière ichoreuse, et comme putrifiée dans l\'inté-
rieur par le sang vicié qui y séjournpit.
Le foie des bestiaux que j\'ai ouverts moi-même
étoit généralement gangréné chez quelques-uns ,
rempli de douves ou fascioles hépatiques qui rem-
plissoient en grand nombre les conduits biliaires.
Mais ce n\'étoit pas là la cause de leur mort. J\'ai
trouvé aussi cette année et l\'automne dernier beau-
coup de ces vers dans des bestiaux sains tués par le
boucher, ainsi que dans des moutons. Les lièvres
niêmes n\'en ont pas été exempts. Cette maladie a
été fort générale (i) pendant l\'été dernier, et em-
porte même encore actuellement un grand nom-
f»re de moutons.
(«) Dans le canal hépatique d\'un cerf dont M. de Lewo d\'A-
duard me fit présentie i3 avril, pour le disséquer, j\'ai trouvé,
quoique l\'animal fat d\'ailleurs sain, trois douves de la même forme
celles des moutons et des bêtes à cornes.
La vésicule du fiel étoit chez tous extraor-
dinairement volumineuse , et remphe d\'un fiel
fétide.
Le parenchyme du foie étoit gorgé d\'air ou af-
fecté d\'emphysème, tant ces parties se corrompent
promptement dans l\'épizootie.
Le premier estomac contenoit les alimens et la
boisson que l\'animal avoit pris avant que la vio-
lence du mal l\'eut empêché de satisfaire à son ap-
pétit , et ces alimens étoient fort corrompus ; de
manière même que j\'en trouvai l\'odeur insuppor-
table, quoique d\'ailleurs mon zèle me fasse vain-
cre assez facilement de pareils désagrémens. La
membrane intérieure éîoit comme sphacelée par
la putréfaction de ces matières, et se laissoit en-
lever par lambeaux ; ce qui n\'arrive jamais chez
les bestiaux, si ce n\'est lorsque la putréfaction qui
suit la mort en est la cause, ainsi que je l\'ai déjà
remarqué plus haut (i). 11 en est de même du bon-
net, qui ne forme, pour ainsi dire, qu\'une seule
poche avec le premier estomac ; mais il faut que
j\'observe, pour ceux qui pourroient l\'ignorer, que
cette membrane interne est dans quelques bestiaux
naturellement fort noire, ou d\'une couleur bron-
zée; et dans quelques autres d\'un jaune pâle.
omasum ou feuillet est dans tous fort con-
<i) Page 58.
-ocr page 109-tracté, enflammé à l\'extérieur et couvert de taches;
îïiais dans l\'intérieur lorsque les bestiaux mangent
^n fourrage sec, les alimens sont noirs compactes,
durcis entre les livrets; de sorte qu\'on ne sauroit
lûieux ies comparer, à cause de leur couleur et
de leur forme, qu\'à des tablettes de chocolat, sui-
vant la remarque judicieuse ne MM. De Haen,
Ouwens, Van Velsen et Westerhof, médecins à
la Haie. Lorsque, pendant l\'été, les bestiaux sont
au vert dans les prairies , les matières sont bien
îuolles quelquefois, mais elles n\'en sont pas moins
chargées d\'acrimonfc.
La membrane externe se trouvoit parfois ad-
hérente aux deux côtés de cette matière durcie ,
ayant été pareillement détachée par sphacèle.
i^ans quelques-uns les livrets mêmes étoient en-
tièrement sphacelés, durcis et transparens com-
me de la gaudruche ; dans d\'autres on apperçoit
le sang dans les vaisseaux desséchés. Mais après la
partie qui réunit l\'ouverture de la panse à la cail-
lette, et où les livrets semblent finir, il y avoit sou-
vent une matière sanguinolente,très-acre et d\'une
puanteur horrible , laquelle alloit jusque dans la
caillette.
La caillette étoit généralement vide, c\'est-à-dire,
®ans alimens, mais gonflée de vent, et quelquefois
garnie d\'une matière sanguinolente et gangre-
neuse ; d\'autres fois d\'une matière jaunâtre et fluide
fort fétide, sans aucune teinte de sang. U epithe-
lium ou membrane interne se détachoit facile-
ment, comme dans les autres estomacs, et par la
même cause.
Il y avoit souvent, mais pas toujours , dans la
cavité des intestins grêles , principalement dans
l\'ileum , un sang extravasé fétide. Dans les gros
intestins, j\'ai trouvé aussi parfois du sang extra-
vasé et caillé; et d\'autres fois des déjections jaunes
ou d\'une autre couleur, dont il seroit difficile de
donner une idée.
Le rectum étoit chez plusieurs fort enflammé
près de l\'anus, et garni d\'une matière sanguino-
lente autour des excrémens durcis,particulièrement
à la partie ridée ou plissée. C\'est-là la cause pour-
quoi chez plusieurs bestiaux le sang sort par l\'anus,
immédiatement après qu\'ils sont morts. Ce sang
avoit causé souvent une grande mortification dans
les plis du rectum. Parfois les excrémens étoient
entassés secs, comme des figues, tandis que le rec-
tum n\'étoit, pour ainsi dire, pas enflammé.
Dans les veaux de lait qui étoient morts de l\'é-
pizootie, le feuillet n\'étoit pas tendu par des ma-
tières durcies; cependant la membrane intérieure
se détachoit à peu près comme dans les vaches. Le
foie de ces veaux n\'avoit pas de douves; ce qui
étoit impossible aussi, parce qu\'ils n\'avoient pas
encore pâturé d\'hei;|je. Tout le reste se trouvoit
plus OU moins dans le même état, et la vésicule
du fiel étoit toujours fort grande.
Les reins étoient généralement d\'une couleur
pâle, quoiqu\'il parussent d\'ailleurs fort sains.
Mais la vessie étoit presque dans tous remplie
d\'urine ; cependant je l\'ai trouvée, pour ainsi dire,
vide dans un veau.
Dans les vaches portières la matrice étoit en-
flammée , tictée de taches pourprées et gangré-
neuse, comme la panse. Cependant le foetus n\'of-
froit aucun signe apparent de maladie. Les pis
étoient extrêmement enflammés , et contenoient
un lait épaissi.
Telle étoit la situation du ventre. Je vais passer
maintenant aux viscères de la poitrine , pour vous
f>firir un nouveau spectacle des alfreux ravages de
Cette maladie.
Les poumons, qui se montrent au moment qu\'on
ouvre la poitrine , et qui sont ordinairement livi-
des, un peu rougeâtres, sont dans la plupart des
l^estiaux enflammés dans un endroit ou l\'autre ,
dictés de taches pourprées, et la gangrène affecte
par fois un lobe plus que l\'autre. J\'en ai vu dont
les lobes étoient totalement sphacelés; de manière
^u\'en y faisant des incisions , on n\'appercevoit
qu\'un sang noir, sans pouvoir distinguer les cel-
lules. Dans plusieurs l\'air se trouvoit dans la mem-
brane cellulaire entre les cellules,- c\'est ce qui for-
me l\'emphysème.
La trachée-artère est intérieurement vide dans
quelques bestiaux; sa membrane est couverte de
taches rouges, pourprées et gangréneuses, ou bien
elle est entièrement gangrénée. Dans d\'autres elle
paroît couverte d\'une mince pellicule ichoreuse;
mais dans la plupart elle est entièrement remplie
d\'une écume blanche. Cette écume ne se trouve
pas dans la trachée-artère seule, mais parcourt les
poumons aussi loin qu\'on peut suivre les rameaux
des bronches. Si Fon considère cela , on ne sera
plus surpris des mugissemens plaintifs de l\'animal
souifrant. La difficulté de respirer en est cause; et
de-Ià viennent l\'inflammation et la gangrène des
poumons.
La gorge est enflammée dans tous; mais principa-
lement dans ceux qui ont la trachée-artère remphe
d\'écume. J\'entends par-là non-seulement le larynx,
mais aussi le pharynx, c\'est-à-dire, la gorge ou
le conduit vers l\'œsophage, et le larynx.
Les naseaux, la cavité du nez et la langue étoient
presque toujours sains, c\'est-à-dire, sans inflam-
mation et sans gangrène, si ce n\'est la racine de la
langue, là où elle tient au pharynx.
Jamais je n\'ai rien trouvé d\'extraordinaire à la
langue; mais bien à sa racine, et latéralement vers
le fond, un peu de matière ichoreuse tenace, que
quelques-uns ont sans doute pris pour des aphtes.
3\'ai trouvé dans plusieurs les muscles du cou
et la graisse du fanon fort enflammés, pourprés et
comme gangrénés.
Quelques-uns avoient les yeux fort enflammés.
Le cœur ne m\'a rien offert de remarquable : un
des ventricules contenoit tantôt du sang caillé ,
tantôt du sang fluide, et d\'autres fois il se trouvoit
vide.
J\'ai fait ouvrir la tête à un seul animal ; mais
cette opération est difficile, et sallit trop les par-
ties ; de sorte que cela exige un examen plus exact.
Le cerveau de l\'animal sur lequel Je fis ces obser-
vations étoit fort sain. Aussi ne m\'attendois-je à
rien de particulier à cet égard, parce que les bes-
tiaux paroissent conserver leur connoissance jus-
qu\'au dernier moment, c\'est-à-dire, qu\'ils donnent
des signes d\'amitié à ceux qui prennent soin d\'eux,
et qu\'ils font connoître leur malaise par des mu-
gissemens plaintifs plus forts quand on les caresse
dans cet état déplorable.
Plusieurs observateurs ont trouvé que le cerveau
étoit fort enflammé (i).
Dans un seul j\'ai vu les cuisses affectées violem-
ment par le mal; mais cependant tout le reste, et
iy)Derkoenigl.Grosbritt.Chiirfiirst. Braunschw. Landmrth-
^chaft Gesellschafu Nackr. IF, Samml. Zelle 1766, pag. 372.
les intestins en particulier, étoient enflammés et
sphacelés.
Tous les principaux écrivains qui ont parlé des
épizooties de 1710, 1750, 1741, 1745, etc., jus-
qu a ce jour, s\'accordent sur ce point, comme on
peut le voir chez Ramazzini, qui parle aussi de
l\'emphysème des poumons et du cerveau , des
exanthèmes et des aphtes sur la langue, de l\'épais-
sissement du sang plutôt que de sa dissolution ; de
manière que le sang couloit à peine chez quelques
bestiaux qu\'on a ouverts.
M. Bates dit qne dans quatre vaches sur seize
qu\'il a ouvertes, il a trouvé le foie noir et con-
tracté , et les glandes du mésentère fort enflées. Je
ne puis nier d\'avoir vu les glandes, particulière-
ment celles qui sont près de la caillette et du rec-
tum , fort grandes et comme enflées ; mais je pense
avoir observé la même chose dans les bestiaux
sains livrés au boucher ; elles sont moins visibles
dans les boeufs gras.
Michelotti a laissé après sa mort des observa-
tions qui s\'accordent assez avec ies miennes : il y
fait mention d un emphysème des poumons. Il as-
sure aussi avoir vu des cerveaux séreux et cor-
rompus..
Le marquis de Courtivron , Ernest Stief, Fis-
scher, Ottomarius, Goehcke, qui, selon moi, est
fort exact, et tous les médecins étrangers dont j\'ai
sur l\'épizo OJI i e. ni
consulté les ouvrages , sont d\'accord sur les prin-
cipaux symptômes caractéristiques de cette ma-
ladie.
Les médecins de la Haie , qui n\'ont pas mis
moins de soins et d\'exactitude dans leurs i-eclier-
ches , ont trouvé ces symptômes à peu près tels
que je les ai indiqués. Ils ont fait de belles expé-
riences avec le suif, et ont trouvé qu\'il jette en brû-
lant une odeur désagréable: ils ontmême jugé que
les chandelles qu\'on en feroit pourroient propager
la contagion et causer de grands ravages.
Ils parlent aussi de charbons pestilentiels dans
le foie. Les observations anatomiques qu\'ils ont
faites sur environ trente bestiaux méritent votre
attention ; et celles de M. Engelman ne sont ni
moins curieuses ni moins exactes.
Je dois seulement vous prévenir de deux cho-
ses : premièrement, de ne pas conclure trop faci-
lement qu\'il y a emphysème dans les poumons
ou dans d\'autres parties ; car il est facile de tom-
ber dans l\'erreur à cet égard , si l\'on n\'ouvre pas
les bestiaux immédiatement après leur mort;il est
d\'ailleurs difficile de s\'imaginer combien promp-
tement la corruption s\'empare de ces bestiaux. Il
ne faut pas surtout déchirer les poumons en les
coupant, car dans ce cas l\'air se glisse entre les lo-
bules , et forme emphysème où il n\'y en avoit na-
turellement point. Secondement, la corruption
dans les estomacs est si grande , m^ême chez les
bestiaux qu\'on tue à la boucherie , qu\'il ne faut
pas perdre de tems à les ouvrir , si l\'on veut en
conclure quelque chose de certain.
Il paroît démontré que, dans tous les animaux
ruminans qui ont quatre estomacs, les membranes
internes semblent s\'en détacher vingt-quatre heu-
res après leur mort. Je vous invite à suivre , si
vous en avez l\'occasion, le conseil de l\'illustre Goe-
licke (pag. 717), de faire ouvrir des bestiaux le
second, le troisième et le quatrième jour de leur
maladie, afin de suivre progressivement ce qui se
passe dans leurs intestins. On devroit aussi faire
ouvrir ceux qui ont échappé à la maladie , et cela
le plutôt possible après que leur guérison seroit
assurée. Mais de pareilles observations ne peuvent
se faire qu\'avec l\'appui du gouvernement, parce
qu\'elles sont au-dessus des facultés d\'un simple
particulier.
Des signes de guérison et de danger.
Après avoir entendu parler des symptômes de la
maladie, il est naturel que vous soyez curieux de
savoir quels sont les signes de con valescence et de
guérison? Mais j\'ai peu de chose à dire sur ce su-
jet, Les bubons et la gale que quelques-uns ont
observé, sont, selon moi, des caractères fort in-
SUR L\'ÉPIZOOTIE.
Certains. La grande quantité de naatière ichoreuse
qui coule des naseaux et des yeux , ainsi que de
selles violentes, lesquelles sont d\'ailleurs salutai-
res, trompent également et ont lieu de même chez
ceux qui meurent. Les seuls et véritables signes de
la convalescence des bestiaux, c\'est lorsqu\'ils com-
mencent à manger et à ruminer, que la toux di-
minue et que de tems en tems ils toussent avec fa-
cilité. Mais l\'envie de manger , laquelle est tou-
jours foible au commencement , peut induire en
erreur. La mort est certaine lorsque le ventre de
l\'animal enfle beaucoup ; et il en est de même lors^
que l\'écume que j\'ai trouvée dans la trachée-artère
commence à couler du nez et de la bouche. Il est
possible qu\'ils ne meurent que le onzième jour. Je
regarde la maladie comme dangereuse aussi long-
tems qu\'ils gémissent, qu\'ils laissent pendre la tête
et qu\'ils ne ruminent point.
Quand ils sont convalescens, les cornes et les
Oreilles reprennent leur chaleur naturelle, parce
que la fièvre les quitte ; et ils commencent alors
a remuer insensiblement la queue et les oreilles. •
L\'avortement ne prouve rien , parce qu\'il y a
quelques exemples que des vaches poriières ont re-
tenu leur fœtus; mais ces veaux sont susceptibles
d\'être affectés de la maladie. Cependant on remar-
que , en général, que les veaux nés de vaches gué-
ries échappent aussi à la mort, ou du moins il y a
III. 8
quelque espérance que cela peut avoir lieu.
Je ne connois d\'ailleurs aucun signe qui serve à
indiquer qu\'un animal a eu la contagioncar la
perte du toupillon de la queue n\'en est pas une
preuve certaine, quoique quelques-uns la regar-
dent comme telle. Tous les bestiaux frappés de l\'é-
pizootie, que j\'ai vu échapper à la mort, ont, un
seul excepté, conservé ce toupillon de poils ; et
d\'autres le perdent à force de marcher dessus j ce
signe, quoiqu\'il puisse d\'ailleurs être certain , est
fort trompeur chez de tels animaux. Il n\'y a donc
que la bonne foi dans le commerce qui puisse ser-
vir de garant à cet égard.
Des causes de l\'épizootie.
Je vais passer maintenant à la partie la plus dif-
ficile de nos recherches, aux causes de l\'épizootie.
Tout ce que j\'ai dit jusqu\'à présent, nous l\'avons
pu apprendre par nos propres observations, ou le
puiser dans les écrits des autres; mais qui pourra
se flatter de saisir la cause secrète de ce virus con-
tagieux , que l\'Être Suprême a voulu dérober à
notre connoissance? Je suivrai donc l\'exemple de
Çicéron , qui, devant parler des Dieux , préféra
d\'avouer son ignorance sur leur origine, et laissa
^ la postérité le soin de faire cette grande décou-
vertev
sur l\'épizootie. ii5
On regarde comme les principales causes de cette
maladie, les rudes hivers, une transpiration arrê-
tée, des vers qui pendant certains tems séjournent
dans le sang ou dans le foie, et finalement des ali-
mens corrompus, de quelque nature qu\'ils puis-
sent être: je ne parlerai ici que des causes physi-
ques ; j\'abandonne à nos théologiens celles qui
tiennent à la morale.
On a regardé les grands hivers comme cause de
la contagion, parce que ce fut en ly lo , après l\'â-
pre hiver de 1709, qu\'on observa la mortalité des
bêtes à cornes, et que celui de 1740 fut suivi de la
contagion d^ i74i, qui s\'étendit fort au loin; et,
pour ne pas parler de plusieurs autres, celle qui
régna en 1768, après l\'hiver assez rude de 1767.
Mais nous n\'avons point d\'observations assez exac-
tes sur cette maladie avant l\'année 1711, ainsi que
je l\'ai déjà dit. Il faut remarquer aussi qu\'elle
régna pour la première fois , et avec le plus de
violence, dans la partie méridionale de l\'Europe,
dans les montagnes comme dans les contrées bas-
ses et froides. Le grand hiver de 1727 n\'a pas été
suivi de contagion , de sorte qu\'il semble que le
grand froid ou la douceur de l\'hiver n\'y contri-
i^uent en rien ; ce qui paroitra d\'autant plus évi-
dent, si nous y joignons que, suivant le témoignage
irrévocable de Goelicke ( ïèïV/.^prce/ 1 ou p. 715),
la contagion n\'a pas cessé de régner en Allemagne
depuis 1717 jusqu\'en 1730, mais qu\'elle y a tou-
jours fait des ravages soit dans une partie soit dans
une autre.
D\'autres, parmi lesquels il faut compter M. En-
gelman (1), pensent qu\'on doit l\'attribuer à une
transpiration interceptée, et qu\'il faudroit couvrir
les bêtes à cornes pendant les nuits d\'automne, et
les faire coucher dans l\'étable perldant celles du
printems {ibid., pag. 5i2 et 5i3), etc. En suppo-
sant que cela fut vrai, la contagion auroit dû ré-
gner moins ou même point du tout en Gueldre ,
dans le Veluwe, dans le pays de Drenthe et ail-
leurs, où, pour conserver le fumier,,on tient les
bestiaux à l\'étable pendant la nuit, tant durant
tout l\'été même, que pendant le printems et fau^-
tomne.
Cependant, d\'après les observations que le sa-
vant et estimable M. Van Lier a bien voulu com-
muniquer à M. Van Doeveren et à moi, il est cer-
tain que cela n\'a causé aucun changement dans le
pays de Drenthe. M. Van Doeveren , frère de mon
collègue, a écrit la même chose de la Flandre hol-
landoise; et M. De Man , médecin de la ville de
Nimègue, m\'a fait l\'honneur de me marquer, à la
prière que je lui en avois faite, qu\'au pays de Clè-
ves les bêtes à cornes restent généralement à Féta-
{i)Barl, Verh,, tom. VII, pag. 297,
-ocr page 121-l^^e pendant la nuit, et que néanmoins la morta-
lité y a été considérable, ayant commencé pen-
dant l\'été de 1767 à Hoog-Elten, d\'où elle s\'est
insensiblement étendue vers le Betuwe.
Mais, en supposant que cela fut vrai, d\'où vient
donc qu\'il n\'y ait point de mortalité en Suisse ?
où, suivant M. Engelman lui-même {ibid., pag.
3i4 et 3i5), la contagion n\'est pas connue, quoi-
que le grand Haller de Berne m\'ait répondu le i4
janvier 1769 , sur quelques demandes que je lui
avois faites, (( Que les bêtes à cornes passent la
« nuit dans les pâturages tant que la saison le
permet. » .
D\'où il faut conclure que la construction d\'han-
gars dans les prairies, pour y faire retirer le bé-
tail pendant la nuit , ne seroit d\'aucune utilité.
Quelques philosophes ont attribué la cause de
l\'épizootie à des vers qui séjournent dans le sang;
tel a été le sentiment de Kircherus, de Bernardino
Bono, d\'An dry et particulièrement deyalisneri(i),
a l\'occasion de l\'épizootie de 1715. Mais toutes les
hypothèses de l\'homme n\'ont qu\'un tems: à cette
époque on attribuoit toutes les maladies à des vers,
de même que les chymistes ont tout rapporté aux
alkalis et aux acides. 11 falloit commencer par dé-
(\') Nitofia idea del malcontasioso de\'Buoi, tom, II, op. omnia.
-ocr page 122-montrer que ces vers existassent réellement dans
le sang, pour en raisonner ensuite à son aise.
Il en est de même, selon moi, de ceux qui at-
tribuent l\'épizootie aux douves du foie; tan dis qu\'on
sait que ces vers se trouvent chez tous les animaux
herbivores, et causent même leur mort, sans qu\'il
en résulte néanmoins une maladie contagieuse.
I/araignée des champs,la chancissure, quin\'est
qu\'un amas de plantes aériennes , le miélat, les
eaux stagnantes, le foin ou telautre fourrage cor-
rompu (i), ne peuvent pas non plus être considé-
rés comme des causes de la maladie ; vu qu\'ils
existent toujours, et que, dans tous les tems , la
contagion dépend d\'une atmosphère viciée, et
qu\'elle se propage insensiblement de lieu en lieu ,
sans que sa course soit hâtée ou ralentie par le
vent. Elle a eu de la peine à venir d\'Italie dans nos
(i) M. H. J. c. Berger fait voir cela fort clairement dans ses
GeJanken Tjon deT Seuche des Rundviehes, etc., I^onigl, Grosbr.
Churfursil. Landwirthschafs Gezelschajt nachrîchten , vîerte
Sammlung., pag. 38o , où il dit ; « D\'un endroit où il y avoit
« soixante-cinq vaches , on en enleva dix-sept au moment que la
« contagion se déclara , qu\'on conduisit dans une autre étable à
" deux mille pas de là. Toutes païssoient dans la même prairie , et
« avoient mangé le même fourrage. Les quarante-huit qui étoient
«restées ensemble , moururent toutes, et il n\'y eut que les dix-
■ sept conduites ailleurs qui restèrent saines; preuve évidente que
K ce n\'est pas à la nourriture qu\'on devoit attribuer cette ma-
u ladie. »
contrées, depuis 1710 jusqu\'en 1714, et depuis
1741 jusqu\'en 1744. Nous pouvons dire la même
chose de la contagion qui règne actuellement, la-
quelle se propage fort lentement dans la petite
étendue de notre pays.
Mais, en supposant que les causes dont j\'ai parlé
d\'abord eussent lieu, je demanderai si, avant l\'an-
née 1714, il n\'y avoit pas autant d\'eaux stagnantes,
de mauvais fourrages, d\'araignées des champs, de
miélat et de fascioles hépatiques, qu\'à cette épo-
que? et pourquoi la maladie n\'a été apperçue qu\'a-
près que la contagion eut pénétré jusqu\'à nous?
Enfin, à qugi faudroit-il attribuer que toutes
ces causes n\'agissent qu\'une seule fois sur les bêtes
à cornes ? tandis que l\'expérience nous prouve évi-
demment que les bestiaux qui ont eu une fois cette
maladie et qui en ont été guéris, n\'en sont jamais
attaqués de nouveau, quoique toutes les causes in-
diquées et les vices de l\'atmosphère subsistent tou-
jours, et malgré qu\'on les laisse paître au milieu
de bestiaux malades, et qu\'ils boivent dans les mê-
mes vaisseaux qu\'eux et mangent le fourrage qui
se trouve infecté de la bave de ceux qui meurent.
Qu\'est-ce donc que l\'épizootie, me demanderez-
vous? A quoi faut-il attribuer sa première origine,
et,quoiqu\'on sache qu\'elle nous est venue d\'abord
d\'Asie, et particulièrement de la Perse, de quelle
manière y a-t-elle pris naissance? Je,répondrai
comme il seroit à souhaiter que le fissent tous les
naturalistes, quejeFignore, que cela est au-dessus
de mon intelligence et de celle de tous les hommes
sans doute. Que tout ce qu\'on sait c\'est que la con-
tagion est venue d\'ailleurs par l\'air ambiant , et
qu\'elle frappe de mort notre bétail; qu\'il ne faut
donc point l\'attribuer au ciel de ce pays , ni à la
chancissure, ni au miélet, ni aux eaux stagnantes,
ni au fourrage, ni à notre manière de faire pâtu-
rer les bestiaux, ni à telle autre cause imaginaire
que ce puisse être.
On cherche à nous faire croire que les Suisses,
qui, d\'après la manière actuelle de penser, savent
tout mieux que les autres nations, ont eux seuls la
sage précaution de donner à leurs vaches, chaque
fois qu\'ils les ont trait, un peu de sel et une cer-
taine mixtion connue chez eux sous le nom de
geleck , ainsi que le font nos fermiers , dont les
vaches surpassent certainement en beauté, en abon-
dance de lait et en propreté celles de toutes les au-
tres nations; et devoient leur apprendre la ma-
nière de les tenir à l\'abri de la maladie.
J\'ai déjà fait voir que la contagion a régné en
Suisse aussi bien que dans ce pays; mais cette ques-
tion se trouve parfaitement décidée par une lettre
de M. Haller, dont voici la substance : « On donne
(( certainement ici beaucoup de sel à lécher aux
(( bêtes à cornes; mais je ne crois pas que ce soit
sue. l\'épizootie. 121
« à cela qu\'il faut attribuer leur conservation. Je
« n\'ai jamais remarqué que les médicamens y aient
« opéré beaucoup de bien. Mais nous avons grand
« soin d\'empêcher toule communication avec les
« bestiaux malades. Plus d\'une fois nous avons
« éprouvé ici ces accidens; mais alors nous avons
« tenu les étables fermées , et empêché que les
« bestiaux n\'en sortissent. Quelquefois même, pour
« prévenir cette maladie contagieuse, nous avons
« tué tout le bétail d\'un village qui s\'en trouvoit
« inleclé, et par ce moyen nous avons conservé le
« reste en santé. »
^oilà le témoignage d\'un homme instruit et de
grande réputation , et cela dans une affaire qui
concernoit son propre pays.
Aussi long-tems qu\'on ne ne pourra pas préve-
nir cette épidémie , il faudra s\'atteridre à nous
voir attaqués par ce fléau, quand même nous ha-
biterions l\'xlrabie Heureuse, que nos contrées ne
seroient arrosées que par de limpides ruisseaux ,
et que le sel marin se trouveroit mêlé naturelle-
ment parmi les herbages de nos prairies.
De la nature de l\'épizootie, et des moyens d\'en
guérir les bestiaux.
L\'épizootie est ( comme on en conviendra, je
pense, d\'après les symptômes dont j\'ai parlé et les
altérations des parties qui surviennent immédiate-
ment après la mort des bestiaux) une fièvre pu-
tride contagieuse , par laquelle le sang se trouve
Vicié, et qui cause, en même tems, une grande in-
flammation dans les viscères du ventre et de la poi-
trine, ainsi que dans la gorge, à la langue, au nez,
aux yeux et quelquefois même dans le cerveau ;
de manière cependant que la mortification a prin-
cipalement lieu dans les viscères et les insestins du
ventre et de la poitrine. Le feuillet surtout est fort
affecté , à cause de la conformation et des fonc-
tions de cette partie. Quoique la maladie présente
quelques symptômes externes qui diffèrent entre
eux, elle est toujours la même et ne varie jamais
dans ses principes, en affectant néanmoins une par-
îie de l\'animal avec plus de force que les auttes.
Elle est accompagnée d\'une telle prostration des for-
ces dans toute l\'habitude du corps et d\'un si grand
relâchement des fibres des muscles des intestins
en particulier,qu\'ils se trouvent dans une parfaite
inertie: les alimens ne sont plus portés de l\'esto-
înac vers la bouche ; de sorte que la ruminatioa
sur l\'épizootie. 125
cesse entièrement. Le feuillet n\'a point d\'évacua-
tion; ce qui fait que les alimens qui y séjournent
s\'entassent, se dessèchent et se trouvent recuits.
La vésicule du fiel ne paroît être si fortement gon-
flée, que parce que son relâchement empêche l\'é-
vacuation; tandis que la sécrétion continue tou-
jours. La vessie est dans le même cas.
L\'épizootie diffère donc de la petite vérole et de
la rougeole, et doit par conséquent être traitée
comme une fièvre putride. Ce n\'est pas non plus
une simple fièvre avec inflammation ; car, dans ce
cas , il faudroit que les caïmans fussent toujours
salutaires; tandis que l\'expérience nous apprend
que la saignée, les caïmans avec du salpêtre et au-
tres remèdes semblables n\'ont jamais été du moin-
dre secours. La saignée même , si heureusement
employée dans les maladies inflammatoires , a
pî-esque toujours été funeste dans l\'épizootie.
Ce qu\'il y a de plus singulier , c\'est que les bes-
tiaux, jeunes ou vieux, qui ont été une fois plus
ou moins affectés de cette contagion, ne s\'en trou-
vent jamais attaqués de nouveau , oU du moins
fort rarement, si l\'on peut ajouter foi aux obser-
vations du marquis de Courtivron (i).
Voici donc ies quatre principales choses qu\'il
(0 Mémoires de l\'Académie des sciences, 1748.
-ocr page 128-faut avoir en vue : Chercher à prévenir la ma-
ladie, et à diminuer ses effets; 3°. garantir les hu-
meurs.de corruption ; 5". conserver les forces des
bestiaux; enfin 4®. nétojer les intestins du mo-
ment que la maladie se déclare.
Le seul moyen de prévenir la contagion , c\'est
d\'empêcher qu\'on n\'introduise dans le pays des
bêtes qui en sont attaquées , ainsi que le foin , la
paille ou telles autres matières susceptibles de s\'im-
pregner de virus morbifique. C\'est avec la plus
grande prudence qu\'il faut traiter les peaux des
bestiaux qui sont morts de cette maladie. Les per-
sonnes qui soignent ceux qui sont malades de-
vroient être exclues des autres étables, ou du moins
n\'en approcher qu\'après avoir changé de vête-
mens; mais on devroit surtout empêcher les ani-
maux domestiques, tels que les chiens et les chats,
de se transporter d\'un endroit à l\'autre.
L\'expérience nous a malheureusement appris
depuis long-tems qu\'il est impossible d\'employer
ces précautions : nos frontières sont disposées de
manière que nous ne pouvons prévenir l\'introduc-
tion de l\'épizootie dans ces provinces, qui se trou-
vent tellement enclavées dans les pays limitrophes
que toute prévoyance à cet égard devient inutile ,
si nos voisins ne commencent d\'abord à s\'en ga-
rantir eux-mêmes. La lettre de Haller nous a prou-
vé combien il est important de tuer les bestiaux
sur l\'épizootie. 125
pestiférés du moment que la maladie commence
^ se déclarer.
Le docteur Bates conseilla, en 1714, à la ré-
gence du comté de Middlesex, de faire acheter ,
tuer et brûler sur-le-champ tous les bestiaux des
étables où la contagion pourroit se déclarer; mais
la mortahté devint bientôt si grande qu\'il n\'y .eut
pas assez de matières combustibles, pour mettre
ee conseil à exécution , de manière qu\'en septem-
We on y fut déjà contraint d\'enterrer les bestiaux.
La mortalité ne régna que trois mois dans cette
partie de l\'Angleterre; dans d\'autres elle dura trois
ans. Suivant une note du docteur Bates , il étoit
déjà moi-t alors en Hollande au-delà de trois cent
mille bêtes à cornes.
Le marquis de Courtivron pense que les peaux
des bêtes mortes de l\'épizootie ne communiquent
pas la contagion. Plusieurs hommes de mérite de
ee pays sont dans la même idée, que d\'autres re-
jettent cependant. Cette question me parut si im-
portante, surtout pour cette ville, que je deman-
dai aux magistrats la permission de faire des ex-
périences à ce sujet; ce qui non-seulement me fut
accordé; mais on m\'autorisa même à les faire aux
frais de la ville (1). En attendant on jugea à pro-
(\') J\'ai fait placer le février 1769, dans une hutte de paille ,
^ la maison de campagne de M. Warmoids, prés de Haren ? deus
pos d\'interdire absolument l\'entrée des peaux,
comme pouvant être contagieuses.
Les Etats de Frise, animés du zèle louable de
veiller au bonheur des habitans, défendirent, d\'a-
prèsl\'exemple de quelques autres provinces, Fem-
ploi du suif des bêtes mortes de la contagion ;
O \'
mais cela n\'empêcha pas qu\'on en fit clandestine-
ment usage ; et l\'expérience apprit qu\'il n\'en ré-
sultoit aucun inconvénient. Les Etats de Frise cru-
^■eaux d\'un an, près desquels on a d\'abord mis la peau d\'une vacte
morîe de l\'épizootie ; huit jours après j\'ei, ai fait mettre une autre,
^ue j\'ai même fait laver , et dont l\'eau teinte de sang a été avalée
par ces deux veaux , sans qu\'ils aient été atteints de la maladie. Le
7 avril, j\'inoculai l\'un de ces veaux avecla matière prise des na-
seaux, et l\'autre avec la chassie des yeux d\'une vache qui avoit
été guérie de la contagion ; mais ces matières ue produisirent au-
cun effet, soit qu\'elles fussent trop vieilles, ou qu\'elles n\'eussent
plus de vertu ; ces deux ^eaux ne devinrent par conséquent pas
malades; et l\'épreuve faite avec les peaux parut douteuse. Je les
inoculai de nouveau le 28 avril dans l\'étable fie noireSoriété à Gro-
ningen, sur l\'épaule et derrière la hanche, avec de la matière prise,
le 14 du même mois, du nez d\'une vache guérie ; mais il n\'en ré-
sulta également rien; sans doute à cause que cette matière étoit
gâtée et moisie, parce qu\'elle avoit été conservée humWe dans une
bouteille bouchée (.ependaut res veaux prirent enfi.j la maladie
d\'autres bestiaux inoculés qui étoient fort malades dans la même
étable; de sorte même tjue l\'un des deux mourut le 16 mai ; ce
-qui prouve qu\'ils avoient été susceptibles de prendre la contagion,
et qu\'its t\'auroiéiit prise sans doufe, s\'il etbû vrài qûeles peaux la
communiquent toujours immanquablement. Cependant ces essais
ne prouvent rien, et demandent à être répétés.
rent donc, et avec raison, devoir permettre , par
«n placard de 1745, d\'employer ce suif, afin d\'al-
léger plus ou moins par-là les pertes que faisoient
les malheureux habitans de cette province.
Ces mêmes soins paternels portèrent également
ces dignes magistrats à défendre l\'usage de la chair
des bestiaux morts de la maladie contagieuse; mais
on éluda ces sages mesures : les paysans profitèrent
de l\'avidité des citoyens nécessiteux pour en tirer
un petit bénéfice, et l\'on en consomma une assez
grande quantité, non-seulement dans ces provin-
ces, mais également en Allemagne, où l\'on témoi-
gnoit néanmoins une grande aversion pour les bes-
tiaux morts de l\'épizootie, sans qu\'il en soit ré-
suhé parmi le peuple aucune maladie qu\'on puisse
attribuer à l\'usage de cette viande pestiférée.
Mais je reviens aux meilleurs moyens de pré-
server le sang de corruption : vous savez déjà com-
bien sont mortels les effets de cette putréfaction.
Rien ne seroit donc plus à désirer que de voir les
médecins et les personnes qui aiment les expérien-
ces utiles se réunir pour trouver quelque remède
Contre ce mal.
L\'expérience nous a fait voir que c\'est le quin-
quina qui est le meilleur spécifique qu\'on puisse
employer à cet effet. Pringle, l\'honneur des niéde-
cms anglois, nous a démontré cette vérité par des
^dliers d\'expériences, que j\'ai répété moi-même
et que j\'ai trouvé parfaitement exactes. La viande,
dit Pringle, peut se conserver pendant une année
entière dans une décoction de quinquina.
On objectera sans doute que Ramazzini et d\'au-
tres ont administré sans succès le quinquina dans
l\'épizootie. Je conviens que ce remède ne chasse
pas la fièvre, et qu\'il ne produit plus d\'elfet quand
la maladie s\'est une fois déclarée ; et cela parce
que ies médicamens ne subissent plus de coction
dans l\'estomac; que par conséquent, n\'étant plus
absorbés, ils ne passent plus dans le sang.
D\'autres ont administré le salpêtre, la crème de
tartre, le camphre et mille autres remèdes sem-
blables; mais comme l\'estomac étoit sans fonction
ils devenoient tous également inutiles. En un mot,
rien n\'opère chez l\'animal attaqué de Fépizootie,
s\'il ne reste pas un peu d\'énergie , et dans ce cas
Fanimal guérit de lui-même.
Four conserver quelque espoir, il faut commen-
cer de bonne heure à préparer les humeurs, tandis
que les bestiaux sont encore sains, et lorsque la
contagion menace le pays.
Mais le quinquina est un remède trop cher, quel-
que salutaire qu\'il puisse être d\'ailleurs; c\'est pour-
quoi j\'ai fait des essais avec de l\'écorce de saule qui
a été recommandée en Angleterre comme un bon
spécifique contre la fièvre tierce, et cet arbre étant
fort commun dans notre pays; d\'ailleurs, les bêtes
SUR L\'épizootie. - ^ 129
a cornes aiment, comme par un instinct naturel,
beaucoup à manger ses feuilles et ses jeunes
pousser.
J\'ai donc, à l\'exemple de Pringle, fait faire des
décoctions d\'une mêmequantité d\'écorce de quin-
quina, d\'écorce de frêne et d\'écorce déboursant
blanc, dans lesquelles j\'ai mis le même jour (25
décembre 1765) un morceau de viande du même
veau, d\'égale grandeur et dans des vaisseaux de
même capacité. J\'ai mis également dans un pareil
bocal un morceau du même veau dans de l\'eau de
pluie bien pure. Ensuite j\'ai exposé tous ces vais-
seaux sur un tuyau de pierre du poêle de la plus
chaude serre du jardin de l\'académie, à la cha-
leur constante, jour et nuit, de 62 à 68 degrés
sur le thermomètre de Fharenheit. Le 5o décem-
bre j\'ai trouvé que ie morceau de chair placé dans
la décoction d\'écorce de frêne commençoit à s\'al
térer. La décoction d\'écorce de boursaut avoit une
odeur agréable, mais elle devenoit trouble ; et la
chair déposée dans de l\'eau de pluie avoit déjà une
assez mauvaise odeur. En un mot, le 27 janvier
1769, le morceau de veau mis dans la décoction
de quinquina n\'avoit éprouvé aucune altération ,
Bon plus que ia décoction elle-même. Celle d\'é-
corce de frêne avoit l\'odeur fétide de viande cor-
rompue; celle de boursaut commençoit à prendre
une mauvaise odeur ; et îa chair trempée dans l\'eau
~ m. 9
de pluie étoit déjà entièrement décomposée et Feau.
ellé-même aroit repris sa première limpidité et
n\'avoit plus la moindre odeur.
L\'écorcede boursaut résiste donc pendant quel-
ques semaines à la putréfaction , moins long-tems
cependant que le quinquina, et un peu plus que
le frêne. Pour rendre cette décoction de boursaut
plus efficace, j\'y ai mêlé de l\'huile de vitriol. Plu-
sieurs vaches prennent journellement de celle dé-
coction mêlée avec leur boisson ordinaire , et la
boivent sans la moindre répugnance. J\'ai goûté le
lait, la crème, le beurre et le fromage de ces va-
ches auxquels je n\'ai trouvé aucun mauvais goût ;
le laitage n\'éprouve donc aucune altération par ce
breuvage.\'Les fermiers qui avoient soin de ces va-
ches m\'ont assuré qu\'elles vêloient plus facile-
ment , et qu\'elles se rétablissoient plus vite après
avoir misbas. Je ne saurois cependant assurer quel
sera le succès de cette décoction avant que la con-
tagion ne se soit introduite dans les étables où se
trouvent les vaches à qui on en fait boire; et il faut
espérer que cela n\'aura jamais lieu.
Je ne prétends pas néanmoins qu\'on doive se
borner à ce remède seul; il y en a plusieurs au-
tres, tels que le sel, le salpêtre , le camphre , et
parmi les plantes qui croissent ici en abondance,
les fleurs de camomille , le calamus, la men-
the , etc.
J\'ai déjà observé souvent combien peu on doit
espérer des remèdes qu\'on administre quand la
maladie s\'est déclarée. On ne peut donc plus at-
tendre aucun bon effet ni du quinquina, ni de l\'é-
corce de boursaut, ni des fleurs de camomille, ni
du camphre, lorsque l\'animal a cessé de ruminer.
On doit alors avoir recours aux remèdes externes,
c\'est-à-dire, qu\'il faut, à l\'exemple de Pringle, ap-
pliquer des vésicaloiressur le dos et près des épau-
les, après en avoir rasé le poil. On en sera pleine-
ment convaincu si l\'on compare les observations
de ce célèbre médecin sur l\'utilité de ce remède
dans les fièvres putrides et bilieuses.
Que dirai-je maintenant de l\'usage de l\'eau, de
l\'étrille, de la brosse pour tenir les bestiaux propres?
Je ne pense pas que cela puisse nuire ; mais n\'a-
t-on pas vu qu\'il est mort la même énorme quan-
tité de bestiaux en Hollande el en Frise , où ils
sont bien lavés, bien étrillés et bien brossés , que
dans le Gorecht et dans le Pays de Drenthe,ou les
étables et les vaches mêmes sont de la plus grande
malpropreté? Et, ce qui mérhe encore plus d\'at-
tention , ne s\'est-il pas sauvé, proportion gardée,
autant de ces bestiaux dégoûtans par leur saleté,
que de ceux qu\'on admire en Hollande et en Frise
à cause de la blancheur et du luisant de Ifeur robe.
Pourquoi donc charger les fermiers d\'un surcroît
de travail inutile et dispendieux. Qui pourra d\'aiî-
leurs parvenir à tenir propres des vaches que leur
foiblesse rend incapables à demeurer debout, et
qui se salissent par des diarrhées continuelles?
Tous ces conseils ont, en général, été donnés par
des personnes qui considèrent la chose par simple
théorie, et qui voudroient qu\'une étable fut aussi
propre que leur cabinet. Je ne blâme cependant
pas ces soins, mais je pense qu\'ils sont de peu d\'u-
îilité.
Yoùs désirez sans doute que je vous dise aussi
mon sentiment sur les fumigations avec du vinai-
gre, du soufre, du tabac, de la poudre à canon,
du goudron, du cuir, de la corne et autres sem-
blables ingrédiens qui en bridant jettent une mau-
vaise odeur. Consuhons sur cela^ l\'expérience , et
nous trouverons que tous ces moyens ont été em-
ployés infructueusement.
Je vais maintenant satisfaire à votre impatience
de savoir quels sont les remèdes qui \' ont eu un,
heureux succès pendant tout le tems qu\'a duré la
contagion ?
J\'ai déjà remarqué en passant que les anciens,
tels que Columelle, Caton, Végèce et autres, ont
employé beaucoup de sel, des oeufs entiers , du
miel, de l\'ail, des oignons , etc. , sans parvenir à
guérir le mal. Aujourd\'hui, on parle de ces mêmes
remèdes comme de découvertes nouvelles, eto»
les administre avec aussi peu de succès qu\'an-
ciennement. /
Toutes les antidotes , tous les spécifiques si es-
timés contre la peste ont été essayés , tels que la
tliériaque, le diascordium, etc. ; et tous ces remè-
des paroissent nuisibles à cause de l\'opium qu\'on y
fait entrer,lequel, comme on sait, nuit aux fonc-
tions des intestins sur les alimens, et qui d\'ailleurs
est un obstructif. L\'opium, qui ne peut être d\'au-
cun bon effet, doit donc être considéré comme ab-
solument nuisible pour les bestiaux qui sont na-
turellement bien constitués, et desquels par con-
séquent on peut espérer la guérison.
Quelques médecins , qui attribuent toutes les
maladies à des vers, pensent que les remèdes mer-
curiels, le soufre, le tabac, sont les plus efficaces.
Je remarquerai seulement ici que ces remèdes ,
quoiqu\'ils ne soient d\'ailleurs pas mauvais, ne
peuvent pénétrer dans le sang, à moins qu\'on ne
les administre avant que la maladie se soit dé-
clarée.
J\'ai déjà dit qu\'il falloit éviter la saignée j mais
que doit-on espérer des vésicatoires qu\'on a si sou-
vent employé en vain? LHnflammation, le spba-
cèle des intestins et des poumons ne dépendent
point de la matière qui, à la crise delà maladie ,
tombe sur quelque partie et qu\'on peut en détour-
ner. Il y a une inflammation totale du sang , qui
affecte ces intestins depuis le commeaeement de la,
maladie.
Les purgatifs, de même que les vomitifs , ne
Sont absolument d\'aucun secours pendant tout le
tems qu\'il y a inertie dans les intestins.
Les lave,mens peuvent être bons pour dégager le
rectum, et pour prévenir la gangrène; ils procu-
rent même quelque soulagement à l\'animal; mais
ne contribuent en rien à la guérison. Le possesseur
perd donc, outre son bétail, tout l\'argent qu\'il em-
ploie à ces remèdes.
L\'enlèvement des excrémens du rectum avec
une main ointe de graisse que recommande M. En-
gelman , étoit déjà connu de Columelle (i), et il
n\'y a, pour ainsi dire, aucun de nos fermiers qui
l\'ignore. Mais ce remède qui, chez les bestiaux ,
fait le même effet que le lavement, ne peut avoir
lieu chez les jeunes veaux.
Les vaches portières souffrent davantage, comme
je l\'ai déjà dit, à cause qu\'elles avortent presque
toujours. II y en a qui, suivant le rapport de Gœ-
licke (2), ont employé des aborîifs; mais il ne dit
pas quel en a été le succès : je pense qu\'ils doivent
faire aussi peu d\'effet sur les animaux que sur la
femme, parce que nous ne connoissons point de
pareils remèdes dans la nature. Peut-être ne se-
roit-il pas mauvais de faire avorter les vaches , en
(1) Lib. VI, cap. 6,
{p.}Uid\', parag. ï3, pag.
sue. l\'épizootie. i35
introduisant la main dans leur corps, au moment
qu\'on appercevroit les premiers symptômes de la
maladie. On pourroit du moins en faire une fois
l\'essai. Puzos et plusieurs autres, qui ont écrit sur
l\'art d\'accoucher, en parlent avec éloge; quoique
je regarde cela comme impossible chez les femmes.
Percera-t-on, comme le propose M. Engelman,
le ventre des bestiaux pour en faire sortir le vent.(i)?
Je ne crois pas que cela puisse être d\'aucune uti-
lité, car ce symptôme est un signe de mort pro-
chaine , et une preuve que tout est corrompu et
pourri dans la panse. Si cependant on vouloit en
faire l\'essai, l\'endroit le plus convenable seroit le
flanc sauche exactement au-dessous des fausses
o
côtes; à cause de la situation de cette partie , pl.
XXVin, fîg. 2, E. F.\'G. H. K., dont je vous ai déjà
parlé.
Je conclus donc, que les bêtes à cornes de
nos provinces ne prennent pas d\'elles-mêmes l\'é-
pizootie; qu\'on ne doit pas non plus l\'attribuer à
l\'humidité, ni au froid, ni à quelque autre cause
locale ; mais qu\'elle leur \\ient d\'ailleurs par con-
tagion. 2°. Que, d\'après une expérience journa-\'
lière, nous savons que les bestiaux qui ont unç
fois été guéris de cette maladie n\'en sont jamais
plus attaqués. 3®. Que les jeunes sujets ont pour
vol. VU, pag. 333.
-ocr page 140-la plupart été gaéris dans les prairies, suivant les
observations très-exactes de M. Engelman (i), sur-
tout pendant les mois d\'août et de septembre (2).
4®. Enfin, qu\'il est plus que probable que cette ma-
ladie contagieuse deviendra endémique et cons-
tante dans ce pays ; ou, pour mieux dire, il y a
déjà long-tems qu\'elle y est naturalisée, coinme
la petite vérole et la rougeole le sont parmi les
hommes.
En considérant donc le peu de succès de tous
ces remèdes, pour éviter des dépenses inutiles, et
pour atteindre avec quelque certitude îe but qu\'on
se propose, qui est de conserver le bétail, il fau-
droit prendre le parti d\'inoculer, non des vachés
ou des boeufs , mais de jeunes veaux , parce que
ceux-ci, n\'étant pas pleines encore, on ne hasarde
que leur vie seule ; et si on parvient à les guérir ,
les pardès sexuelles n\'en souffrent pas, muis de-
viennent même plus fortes par la suite ; et cela
d\'autant plus que les fermiers attentifs ont remar-
qué que ies vaches faites , quoique guéries de la
maladie, vêlent souvent diflÊcilement. D\'aillîeurs,
un veau de laît qui a été guéri de la contagion est
celui qui rapporte le plus à son possesseur.
Mais j\'abuse de votre patience : je vais récaj)itu-
(1) Ibid\' , pag. 347. n"
(3) Ibid., pag. 348.
SUR l/ É p I z o o T I E.
1er maintenanî, en peu de mots, ce qui a été fait
de mieux dans cette partie.
Je dois pour cela vous rappeler d\'abord la re-
connoissance que MM. Nozeman , Agge Kool et
Tak ont mérité de leurs concitoyens , pour avoir
fait, à leurs propres dépends, en lySS, des essais
pour inoculer des bestiaux. Ils avoient, je l\'avoue,
devant lesyeux l\'exemple de M. Dodson en An-
gleterre; mais être les premiers à imiter cet exem-
ple pour le bien de la société, étoit déjà un grand
mérite sans doute. De dix- septbêtes à cornes qu\'ils
ont inoculées, ils n\'en ont sauvé que trois (p. 72),
dont deux, qui paroissoient convalescentes depuis
quinze jours , moururent ensuite d\'une plus vio-
lente contagion.
Le professeur Scbwencke dit, dans sa lettre dont
il a été parlé plus haut (p. gS), que de six bêtes
inoculées en 1757, à l\'âge d\'un et de deux ans, au-
cune n\'a péri dans l\'opération.
Les essais faits à Brunswick , en 1746 , eurent
un assez heureux succès : les bêtes qui subirent
heureusement l\'inoculation, ne furent plus atta-^
quées de la maladie contagieuse. Les expériences
de M. Layard , qui, sur huit bêtes inoculées , en
sauva au moins trois ^ et dont il fit assommer la
quatrième^ pour en examiner l\'état intérieur , en
1757, foriue un terme moyen entre les expériences
de MM. Nozeman, Kool et Tak, et celles du pro-
fesseur Sch-wencke. L\'évêque d\'Yorck a fait ino-
culer cinq bestiaux, dont il en conserva quatre ,
parmi lequels il y avoit deux vaches portières ,
qui cependant n\'avortèrent point (i); et le chirur-
gien Bewley en sauva trois autres qu\'il avoit ino-
culées également.
Mais les essais de M. Grashuys semblent détruire
toute espérance ; car six bêtes qui avoient été par-
faitement guéries de l\'inoculation, furent ensuite
attaquées naturellement par l\'épizootie, et il en
mourut quatre, les deux autres se rétablirent (3).
Ï1 ne perdit cependant pas l\'espoir de réussir mieux,
lorsque des expériences répétées auroient indiqué
des moyens plus efficaces.
Tout cela ne doit donc pas nous efîrayer. Lors-
qu\'au commencement de ce siècle on entreprit
d\'inoculer îa petite vérole en Angleterre, il en mou-
rut beaucoup d\'enfansj d\'autres en gardèrent pen-
dant long-tems des abcès ou d\'autres maux sem-
blables. On prenoit trop de matière variolique, et
l\'on faisoit les incisions trop profondes. Aujour-
d\'hui on sait, par des preuves incontestables, com-
bien il faut peu de matière , et combien les plaies
doivent être petites; on connoît aussi le danger
qu\'d y a de tenir les patiens trop chaudement et
(1) Philos, Tmnjacf., voL L, pag. 535.
(2) Uitgeiçgte Kerhandelingen, Illdeel, pag. aSG.
À
-ocr page 143-trop renfermés. On pent donc dire avec raison que
l\'inoculation est actuellement une garantie calcu-
lée mathématiquement contre ce terrible fléau de
l\'humanité.
S\'il est vrai, comme il faut en convenir , que ,
sur des milliers de personnes inoculées , il en meurt
encore quelques-unes, on a tout lieu de croire qu il
faut l\'attribuer à quelque cause secrète. Inoculons
donc les veaux avec peu de matière et en faisant
de légères incisions dans la peau. Que cela se fasse
au printems, pendant l\'été et en automne, prin-
cipalement sur de jeunes individus ; mais que ce
ne soit qu\'après que les estomacs auront été né-
toyés et que l\'animal aura été nourri avec des aii-
mens malactiques, et qui demandent peu de ru-
mination ; que toutes les personnes aisées de ce pays
se réunissent pour qu\'on puisse porter à la perfec-
tion cet objet intéressant, par des essais constam-
ment renouvellés ; et qu\'on se communique réci-
proquement les observations qu\'on pourra faire ;
afin de conserver autant qu\'il sera possible les bê-
tes à cornes, qui font la principale richesse de nos
provinces.
Cette planche représente principalement la
figure des parties dont il seroit difficile de se
former une idée précise si on ne les aroit pas
sous les yeux. J\'ai eu moins en vue , en les re-
présentant, d\'en figurer bien exactement la struc-
ture , que d\'indiquer avec soin les proportions
qu\'elles ont entre elles. Il falloit d\'ailleurs les ré-
duire , pour les faire tenir toutes sur une même
planche tet les exposer d\'une manière distincte aux
yeux des lecteurs. La figure 4 en est seule excep-
tée : on la voit ici dans sa grandeur naturelle,
parce qu\'elle ne pouvoit souffrir aucune réduction,
à cause de sa petitesse..
f i g u k. b 1.
Offre nne vue générale des quatre ventricules,
tels qu\'on les a trouvés disposés dans un veau de
lait.
A. est l\'œsophage. A. B. C. D. le premier esto-
mac ou la panse. C. etD. ses deux cornes ou sacs
dans chacun desquels on trouve quelquefois un
égagropile. A. E. F. le bonnet. F. L. M. G. le feuil-
let ou troisième estomac. G. H. I. la caillette , à
travers des feuillets de laquelle on apperçoit les
quatorze valvules dont il a été parlé à la page 4o.
ï. le pylore. I. K. le duodenum. H. les veines gas-
Iro-épiploïques.
FIGURE 2.
Fait voir la véritable situation de la panse et de
3a caillette dans le ventre, lorsqu\'on ouvre le veau
couché sur le dos : ces parties viennent du veau
que j\'ai disséqué publiquement.
A, B. C. la rate; D. E. N. le bonnet, et E, F. G,
H. K. la panse. L\'épiploon L L. M. vu entre les
cornes. G. H., qui prend son origine en L, forme
tine poche dans laquelle sont placés tous les in-
testins, et monte ensuite vers la caillette par O.M.,
Recevant la grande artère et la veine qu\'on nomme
gastro-épiploïques chez l\'homme, comme appar-
tenans à l\'estomac et à l\'épiploon.
M. N. F. est une forte membrane qui lie ensem-
ble le bonnet, le premier estomac et la caillette.
La caillette se retourne avec sa partie inférieure
O. P. vers en haut, et va aboutir dans le duode-
num Q. R.
U. V. W. sont trois des quatorze valvules diapha-
nes qui se trouvent dans l\'intérieur de la caillette; de
manière que, commençant du col en G., fig-1, elles
descendent obliquement vers en bas et semblent se
perdre en M. O., où sont placées les veines gastro-
épiploïques. Dans la gazelle, il y a seize ou dix-
huit de ces valvules ; mais je n\'ose pas en déter-
miner exactement le nombre, à cause de leur pe-
titesse et de leur adhésion en se desséchant. Leur
direction est parfaitement la même.
y. Z. représente une partie du diaphragme, pour
qu\'on puisse comprendre parfaitement que le pre-
mier estomac et le bonnet y sont placés contre , et
que la rate , d\'une forme applatie, s\'y trouve si-
tuée entre deux,
Nous montre le foie et la caillette poussés vers
le côté gauche dans le même veau.
A. B. la veine ombilicale, qui forme le hgament
suspensoir du foie.
m
sur l\'Épizootie. i45
B. C. D. U. S. Q. le foie, dont le lobe antérieur
B. C. D. est placé chez l\'homme dans la cavité gau-
che : ici, comme il paroît par la figure, il est placé
droit en avant et en arrière.
D. E. F. sont les portes ou éminences entre les-
quelles sont placés le Canal hépatique, la grande
Veine-porte et d\'autres parties. D. E, F. G. H. le petit
epiploon, dont la finesse permet d\'y appercevoir
à travers le globule de Spiegelius , ainsi que le
feuillet G. H. V.
0. P. la vésicule du fiel, dont le conduit 0. se
réunit au canal hépathique F., pour former le con-
duit biliaire commun S. M., qui se jette dans le
duodenum, assez loin du pylore. x
L. D. G. est une partie du bonnet. G. K. I. FI. la
Caillette. La panse n\'est pas visible ici.
G. H. V. le feuillet ou troisième estomac.
R. est une glande qui reçoit beaucoup de vais-\'
(Seaux lymphatiques, corame on en trouve sou-
vent chez Fhomme dans la capsule de Glisson,
S. S, T. le pancréas dont je n\'ai pas suivi ie ca-
riai ou conduit.
Y. Z. le diaphragme.
1. M. N. le duodenum.
-ocr page 148-Représente les quatre estoinacs du chevrotain,
dont il a été parlé à la page 60, de grandeur na-
turelle, auxquels ressemblent parfaitement ceux
de la gazelle. La délicatesse de l\'objet ne me per-
mit pas d\'exposer au jour le canal hépathique ;
l\'esprit de vin l\'avoit rendu si fragile qu\'il étoit im-
possible de le manier; et la rareté de l\'exemplaire
le rendoit trop précieux pour que je voulusse me
hasarder à le dégrader. D\'ailleurs, il forme avec
les estomacs de la gazelle, du mouion, du cerf et
du veau, que je possède tous dans ma collection, un
ensemble qui en augmente encore le prix.
h. est l\'oesophage; b. c, le bonnet; b. d.f. le
premier estomac partagé en deux cornes e. et ƒ ;
g. h. le feuillet; h. m- t. la caillette; t. i. h. le duo-
denum;/. la rate;«?, les veinesgastro-épiploïques;
e, m. t. l\'épiploon; g- s. i. h. le petit épiploon; n.
la vésicule du fiel j n. le conduit biliaire ; o. la
veine ombilicale, p. q. r. le foie; p. le lobe anté-
rieur; q. le lobe postérieur; r. un plus petit lobe
fort pointu.
FIGURE
Fait voir la véritable forme de la fente que for-
ment dans l\'intérieur de la panse les deux lèvres
pour le passage immédiat des alimens ruminés de
l\'oesophage dans le troisième estomac.
A. B. l\'œsophage ; B. D. C. une des lèvres; B. E. C.
l\'autre lèvre, allant l\'une et l\'autre jusqu\'en C.F.
l\'orifice du feuillet; en D. et E. on a représenté les
rides, ainsi qu\'en B.C., de la manière qu\'elles sont
disposées en rayons autour de l\'orifice; entre G. et
on voit les raies éminentes au bout desquelles
sont en F. de petites protubérences qui servent à
diviser plus facilement entre les feuillets de Festo-
naac les alimens ruminés quand Fanimal les avale
tout entiers; H. I. une partie du grand estomac;
H- un pli ou rebord qui forme une espèce de sépa-
ration entre Fherbier et le bonnet; K, L. le bon-
i^et et le réseau, dont je n\'offre ici qu\'une légère
esquisse, parce que mon intention n\'étoit pas de
donner une exacte représentation de ces figures
hexagones, pentagones, carrées, etc. , non plus
de la membrane interne.
lO
-ocr page 150-LEÇONS
i46
6.
FIGURE
Esquisse de la fente dans le tems qu\'elle est fer-
mée; c\'est-à-dire, pendant que se fait la dégluti-
tion des alimens ruminés. Les lèvres D. et E. se
ferment alors, et G. est l\'ouverture par laquelle
passe la partie des alimens que l\'animal vient de
ruminer. ^
FIGURE 7.
Représente l\'estomac d\'un lapin. A. est le py-
lore ou la sortie de l\'estomac ; B. le sac ; C. D.
l\'oesopliage qui semble partager l\'estomac en deux
parties. Les alimens que l\'animal vient de manger
paroissent passer de C. D. en D. B., et les alimens
ruminés en D. A.
SUR L\'épizootie. I47
AUX
leçon, page 4i, après ces mots:
dispareat.
Qu\'on consulte sur cela l\'excellent ouvrage du
célèbre abbé Spallanzani, intitulé : Expériences
sur la digestion de Vhomme et de différentes es-
pèces d\'animaux, avec des considérations par
J. Senebier, m-8\'\\, Geneve 1780, et l\'admirable
Essai sur la bile, par M. Cadet, dans les Mém,
de VAcadémie royale des sciences , année 1767.
Ï1 est probable que le lait ne se caille pas dans le
premier estomac, à cause que les humeurs en sont
de la même nature que la salive; car on sait par
les expériences de M. Senebier (i&icf.^ page io4),
que le lait, de vache mêlé avec la salive de l\'homme
ne se caille point.
leçon, page 64, après ces mots: Et dans
la place cju\'occupe Varticulation.
Lorsque je donnai celte leçon , mon cabinet
d\'histoire naturelle n\'étoit pas encore assez fourni
de têtes de chevaux et autres animaux semblables;
je tombai par-là dans une erreur grossière , que je
rougis d\'autant moins d\'avouer ici, que je me suis
fermement proposé d\'avertir mes lecteurs de tou-
tes les bevues que je puis avoir faites de tems en
tems, toutes les fois queje pourrai m\'en apperce-
voir. La science est si vaste, et noire empresse-
ment à tirer des conclusions est si difficile à mo-
riginer, surtout dans la jeunesse, qu\'on ne doit
pas en vouloir à l\'écrivain qui vient de se tromper.
Mais vouloir persister dans ses erreurs, on ne pas
s\'en avouer coupable quand on les découvre , est
certainement une fohe digne de blâme.
Je n\'avois pas encore examiné alors suffisam-
ment la tête du cheval, et comme je ne m\'étois
occupé avec soin, pour ainsi dire, que de têtes de
boeufs, de daims, de moutons, de gazelles, de
lièvres et de lapins, je fus trop empressé à en con-
clure que la forme étroite de la mâchoire infé-
rieure étoit le caractère le plus certain de la ru-
îïiination.
Comme , dans la suite , j\'ai disséqué avec une
grande attention plusieurs chevaux dans la salle
d\'anatomie de Groningen , je fus bientôt convain-
cu que, quoique ces animaux ne ruminent point,
ils ont néanmoins , comme les bœufs, les mou-
tons , les gazelles et les cerfs , la mâchoire infé-
rieure beaucoup plus étroite que la supérieure, et
que les molaires de leur mâchoire inférieure sont
beaucoup plus rapprochées que celles de la mâ-
choire supérieure; que d\'ailleurs son articulation
diffère fort peu de celle des autres animaux. Ayant
obtenu, par la suite, des tètes d\'ânes et de zèbres,
je trouvai également dans celles-ci le même rap-
port. Tout cela servit à rae faire appercevoir bien-
tôt que cette exiguité de la mâchoire inférieure est
nécessaire pour que Fanimal puisse broyer ses ali-
lïiens par un moiivement oblique de cette mâ-
choire contre la-supérieure, sans pencher trop de
côté et sans ouvrir la bouche. Il me parut alors
clairement que cette même utilité a lieu chez le
lièvre et^Ie lapin , comme chez le rhinocéros. Je
*^\'apperçiis encore, à n\'en pas douterque cette
différente grandeur des deux mâchoires ne pou voit
e^î\'e, ni chez les uns ni chez les autres, le carac-
^tii\'e de la rumination; et cela aussi peu que Fim-
l5o LEÇONS
plantation de l\'œsophage au miheu de l\'estomac.
Comme je possède actuellement les têtes de plus
de vingt espèces différentes d\'animaux ruminans,
et de plusieurs chevaux , ânes et zèbres , je me
suis pleinement convaincu que je m\'étois trompé,
et je puis assurer que cette conformation n\'a été
donnée par la nature à tous ces animaux que pour
faciliter le broyement obliquement en avant des
aiimens dont ils se nourrissent. Les molaires de la
mâchoire inférieure de l\'éléphant, de l\'hippopo-
tame et des porcs de toutes les espèces sont aussi
larges que celles de la mâchoire supérieure , et
ont la même conformation quecelles de l\'homme
et de toutes les espèces de singes.
Les animaux ruminans n\'ont point de dents in-
cisives dans la mâchoire supérieure , excepté le
dromadaire et le chameau , qui en ont deux de
chaque côté. M. Gœze , conseiller intime de la
cour de Saxe-Weymar, m\'en a convaincu par ses
excellentes observations sur l\'os intermaxillaire.
M. Merk, conseiller de guerre de Hesse-Darms-
tadt, fut le premier qui me communiqua ces ob-
servations, ainsi que celle que l\'hippopotame a
quatre dents incisives dansla mâchoire supérieure
comme je l\'ai trouvé moi-même dans la tête d\'un
jeune individu de cette espèce. Du moins doit-on
donner le nom d\'incisives à toutes les dents qui
sont implantées dans l\'os intermaxillaire; et ces
sue. l\'épizootie. i5i
dents sont fort visibles chez tous les jeunes hippo-
potames; fait dont M. Goeze m\'a donné le pre-
mier une idée exacte par la septième figure de
l\'ouvrage que j\'ai cité plus haut, et dont il a bien
voulu m\'envoyer une copie manuscrite.
J\'ai suivi dans plusieurs têtes de chevaux , de
zèbres et de vaches le changement des dents et des
molaires, et j\'ai trouvé que non-seulement toutes
les dents, mais aussi trois molaires de devant, tant
de la mâchoire inférieure que de la supérieure,tom-
bent et sont remplacées; ce que quelques auteurs
anciens, entre autres Aristote, et un grand nombre
de modernes, tels que Buffon, Daubenton, Bour-
gelat, etc., ont négligé d\'observer.
J\'ai trouvé par l\'examen de plusieurs têtes de
chevaux, ainsi que de daims, que les dents et îes
molaires de ces animaux subissent insensiblement,
ainsi que celles de l\'homme, des changemens, non-
seulement pendant leur jeunesse, mais dans un âge
fort avancé même. Les couronnes s\'usent, et îes
racines sont peu à peu poussées deliors par îe ser-
l\'ernent des alvéoles, jusqu\'à ce qu\'elles soient en-\'
tièrement usées et que les alvéoles se trouvent dé-
truhes; de sorte qu\'à ia fin elles ne peuvent plus
hroyer les alimens, et disparoissent enfin entière-
ment par le grand âge.
Comme les dents et les molaires étoient deve-
nues pour moi des objets d\'une étude particulière,
je m\'apperçus évidemment qu\'un grand nombre
d\'animaux changent bien quelques molaires, tan-
dis que quelques-unes et particuhèrement celles du
fond de la bouche, qui percent plus tard, demeu-
rent immobiles ; mais qu\'il y en a d\'autres qui
tombent sans être jamais remplacées. On ne peut
regarder ces dernières que comme surnuméraires.
Le cheval, non-seulement l\'étalon, comme le
prétend Aristote (i), mais aussi la jument , l\'âne
et le zèbre en ont très-souvent. Le rhinocéros d\'A-
sie a deux de ces dents canines surnuméraires dans
la mâchoire supérieure ; l\'éléphant en a douze pa-
reilles; le sangher d\'Ethiopie, tant ceux du Cap
de Bonne-Espérance que ceux des îles du Cap-
Verd, en ont autant.
Mais revenons à notre sujet. Je suis donc d\'opi-
nion que ce n\'est pas la situation des molaires
qu\'on doit prendre pour caractère indicatif de la
rumination, mais le double estomac, sans lequel
la rumination est impossible , que dans un sens
impropre, quand les alimens, par exemple, sont
d\'abord rassemblés dans les abajoues, comme chez
différentes espèces de singes et chez le hamster,
pour être ensuite mâchés de nouveau par l\'animal.
Tous les autres animaux qui n\'ont qu\'un seul es-
tomac ne ruminent point.
(i) Hist, anim., lib, II, cap. 3.
-ocr page 157-Que chez les anhiiaux suivans soit AB. la lar-
geur des molaires de la mâchoire supérieure , et
CD, celle des molaires de la mâchoire inférieure;
AE. la larï>eur de la couronne des molaires d\'en
O \'
haut, et CG, celle de la couronne des molaires
d\'en bas.
clieval |
buffle |
buffle |
vache |
cerf |
élan |
mont. |
gazel. |
lièvre |
d Eth. | ||||||||
44 |
4f |
\'tt | ||||||
CD.= 3 |
3-T |
3 |
\'tî |
l\'A | ||||
AE.- t |
3 |
i |
5 |
4 |
-h |
4 | ||
4" |
4 |
8 |
RAPPOE-TS.
Mâchoire |
Mâchoire | |
supérieure. |
inférieure. | |
Chez le cheval........... |
3 | |
buffle............ | ||
buffle d\'Ethiopie (1). | ||
3 | ||
4r |
3r | |
llT | ||
Tâ |
Ta* |
Différence.
iTT
l-^T
Il paroît par-là que la dilférence chez les plus
grands de ces animaux, qui n\'est pas fort consi-
dérable, n\'offre point de caractère distinctif.
(i)Buffle du Cap, voyez Buffon , tom. XI, pl. 4\'? fig- h et 5,
-ocr page 158-A r article de la mesure des mâchoires de cer^
tains animaux.
Ayant obtenii cet automne, parles soins obli-
geans de M. Sîaehiin , une tête entière d\'élan, je
lus frappé de l\'état des molaires de la mâcboire
inférieure, relativement à celles de la mâchoire
supérieure; lesquelles se trouvent les unes et les
autres garnies d\'une substance qui tient de l\'émail.
Mais cette substance qui couvre le côté extérieur
des molaires supérieures, se trouve en sens con-
traire sur ies molaires inférieures; c\'est-à-dire,qu\'il
en couvre le côté intérieur.
D\'ailleurs , la surface des molaires supérieures
va obliquement vers en haut , et celle des infé-
rieures va en descendant ; de sorte que les alimens
sont broyés fort menus par le mouvement oblique
en avant.
Peut-être Peyer (i), dont j\'ai eu si souvent oc-
casion d\'indiquer avec éloge l\'explication qu\'il a
donnée de la rumination, a-t-il v^onlu indiquer
cela pas ces mots : « Pendent la mastication , les
^^ molaires se reçoivent alternativement les nnes
les autres; exactement de la même manière que
si on inserroit les bouts des doigts retournés les
« uns dans les autres. )) La substance émaillée des
niolaires supérieures est de la même façon au côté
intérieur; de sorte qu\'elles se croisent les unes les
autres en allant en venant, comme les dents d\'une
scie.
Je lu\'apperçus, pour la première fois, de cette
disposition chez un élan, le 25 novembre 1786;
et je la trouvai de même chez le cerf, le daim, la
gazelle et le mouton, et ensuite chez le buffle d\'A-
sie , le bœuf du Cap, le bœuf d\'Europe et le dro-
madaire.
Il y a bien quelque chose de semblable dans le
cheval, le zèbre et l\'âne, mais non pas d\'une ma-
nière aussi remarquable: ces animaux ont d\'ail-
leurs les couronnes des molaires plus plates.
Plusieurs animaux, ruminans de différens pays
\'Offrent encore une autre singularité : leurs dents
(1) Pag. .174. Dentesdum masticatione eommÎLtuntur, at-
^f^rriate et excipiunt, et \'vîcunm excipiunlur, «i si ejuis diguos
d\'gitis ex adverso irilsrserat.
et molaires se couvrent d\'une croûte calcaire de
couleur d\'or, et les dents elles-mêmes sont de cette
couleur.
Je découvris ce phénomène pour la première
fois aux dents d\'un vieux dromadaire, dont je né-
toyai la tête décharnée en la faisant bouillir , en
1768. Il y a peu de tems que je reçus du pays de
Munster la mâchoire inférieure d\'une vache dont
les molaires étoient fortement dorées; et l\'on me
mandoit que tous les bestiaux qui paissoient dans
le même pâturage offroient cette singularité. Il est
vrai que Sibbald, dans son Histoire naturelle
d\'Ecosse (1), Jonhston (2) et Hasselquist parlent
d\'un semblable phénomène observé dans des mou-
tons.
Le célèbre Pennant dit que les bœufs du Blair-
d\'Athol (5) y acquièrent de pareilles dents dorées,
qu\'il attribue (4), quoiqu\'à tort, à des pyrites.
Il me paroît que cette substance calcaire qui
couvre les dents et les molaires, prend à sa super-
ficie cette couleur dorée par la cuisson. Avec le
tems cette belle couleur disparoît, ainsi que je l\'ai
(1) Liv, m, pag. 8.
(2) Ilîst. nat., pag. 44 . col. 2.
(3) N. Brittain, pag. 33, A.
(4) 11 dit la même chose dans sa Zoologie britannique, liv. I»
pag. 27.
observé à ma tête de dromadaire, quoique la subs-
tance calcaire en recouvre toujours les dents. En
attendant, il est certain que je n\'ai pas trouvé
cette douleur dorée quand j\'ai nétoyé les têtes par
putréfaction et non par cuisson.
Klein-Lankum, le aS novembre 1786.
-ocr page 162-mm
LETTRE
ADRESSÉE AUX ÉTATS-GÉNÉRAUX
DES P H O V I IV C E S - LI N I E S.
puissans sbignhurs.
Les grandes marques de constante sollicitude
et de zèle que V. H. P. ne cessent de donner aux
îiabitans de ces Provinces, pour prévenir, s\'il étoit
possible, les alFreux ravages de la maladie conta--
gieuse des bestiaux, doivent exciter tous les citoyens
à seconder ces louables efforts, dans l\'espérance de
parvenir, avec le secours du ciel, à délivrer notre
patrie de ce terrible fléau.
C\'est ce même zele qui m\'anime, H. et P, S.? à
prendre part à cette grande calamité publique, et
Hauts et
înon état et la place que j\'occupe rendent à mes
yeux ce devoir plus sacré encore. Je suis d\'ailleurs
également stimulé par le désir de transmettre avec
honneur mon nom à la postérité; ce que je ne rou-
gis pas d\'avouer ici, étant persuadé que V. H. P.
considèrent elles-mêmes cet amour de ia gloire
comme un but louable, que par conséquent elles
ne me blâmeront point de cette noble ambition.
J\'ai suivi, pendant plus de quinze mois, autant
que l\'ont permis mes autres occupations, celte ter-
rible épizootie et ses différens symptômes chez nos
bêtes à cornes ; et j\'ai été forcé d\'en tirer celle mal-
heureuse conclusion : Que tous les remèdes de la
pharmacie sont impuissans contre cette mala-
die J, parce que les intestins ont déjà cessé leurs
fonctions lorsque l\'animal donne les premiers si-
gnes de contagion.
Les prétendus remèdes, de quelque nature qu\'ils
puissent être, administrésintérieurement,demeu-
rent sans effet dfens la panse, et rien n\'est capable
de soulager l\'animal, ni d\'atténuer son sang coa-
gulé. Une saignée peut seule quelquefois faire di-
luinuer sa toux et son asthme; mais îa plupart du
tems cette ressource demeure également sans le
nroindre effet.
Nous avons pensé aussi aux remèdes diososti-
^ues, et nous avons fait à cet égard beaucoup d\'es-
sais, qui tous nous ont convaincu qu\'ils éloient de
même absolumenî infractueiix. Les bestiaux à qui
on en avoit donné pendant long-tems sont morts
comme les autres, et avec les mêmes symptômes
que ceux qui n\'en avoient pris aucun. L\'administra-
lion de ces remèdes étoit accompagnée de beau-
coup de difficultés , et demandoit plus ou moins
de dépenses; je les ai donc abandonné, et j\'ai cru
que l\'inoculation e^t -peut- être le meilleur re-^
mècle; cju\'elle rendroit la maladie moins vio-
lente, et que par conséquent elle seroit moins
dangereuse.
V. H. P. verront par la suite combien mes ef-
forts ont été heureux à cet égard. L\'inoculation
promettoit encore un autre avantage, celui de pou-
voir suivre mieux la nature de la contagion, et de
découvrir différentes circonstances qui pourroient
être avantageuses non-seulement aux propriétaires
des bestiaux, mais au gouvernement même, en lui
procurant les moyens de donner des ordres salu-
taires pour le soulagement deshab^ans à cet égard;
lesquels, malgré toule la pureté des intentions de
V. H. P. 5 pourroient être foii préjudiciables, s\'ils
n\'étoient pas appuyés sur l\'expérience que les
gens de l\'art peuvent avoir acquise par leurs re-
cherches.
Mon principal but a été de m\'insîruire avec cer-
titude si les peaux des bestiaux morts de l\'épizoo-
tie peuvent en infecter d\'autres? et si la chair, 1©
. suif et le sang sont capables de produire le même
îual? enfin, si le lait, le beurre et le fromage, etc.,
des vaches attaquées de maladies contagieuses doi-
vent être regardés comme nuisibles à l\'homme et
aux animaux qui s\'en nourrissent ?
Par exemple, par un acte du parlement d\'An-
gleterre, du 2£2 mars 1747 (1), il fut défendu de
nourrir ou d\'engraisser dans ce royaume des veaux,
des cochons, des agneaux, etc., avec le lait de
bestiaux malades. Or, si l\'on peut démontrer que
le lait des vaches attaquées de la contagion ne
cause aucun mal à d\'autres bestiaux , pas même
aux veaux, cette précaution devient inutile, ainsi
que les règlemens qui en sont la suite. V. H. P.
Verront par les expériences que nous avons faites
que le lait pris intérieurement ne peut point cau-
ser de contagion, et qu\'il ne produit même aucun
mauvais effet quand on s\'en sert pour inoculer des
Veaux. Si donc les moutons, les porcs, les chèvres
les cerfs , etc. , ne sont jamais attaqués de cette
maladie, comme nous l\'a prouvé l\'inoculation que
Uous avons toujours faite sans fruit sur ces ani-
maux , pourquoi occuper l\'attention du gouver-
iiement sur cet objet ? Si l\'on sait que la viande
f«mée ou salée des bestiaux morts de l\'épizootie
11
(\') Collection of ail the ordres of council, etc., relating to the
distempered catdc , x-jfyj.
Bi
160 LEÇONS
n\'est pas contagieuse, pourquoi multiplier par-là
inutilement les soins paternels de V. H. P.? Mais
si leur chair, leur sang, leur suif conservent, après
leur mort , la vertu morbifique , il est nécessaire
d\'y veiller et d\'employer les moyens qu\'on croit
propres à détruire cette qualité malfaisante, ou de
faire des essais pour connoître combien de tems
ils peuvent ia conserver.
Combien de précautions les Etats des provinces
respectives n\'ont-ils pas fait prendre relativement
aux peaux, à la chair, au suif et à l\'enfouissement
des bêtes mortes de la c.onîagion ? El, cependant
ces mêmes Eiaîs ont été constamment invités par
les habitans à vouloir bien, par bonté paternelle,
et pour soulager , autant qu\'il éîoit possible , les
malheurs publics , ne point mettre d\'entraves à
l\'usage des peaux et du suif de ces bestiaux.
Cependant il y en a peu parmi nous qui aient
demandé qu\'on examinât les principes sur lesquels
étoient fondés la plupart de ces ordonnances qu\'on
iavoit presque toutes adoptées d\'autres nations.
Voilà, H. et P. S., quel est ie but de nos soins eî
de nos recherches.
Il ne m\'étoit pas possible de faire seul ces essais;
^\'autant plus qu\'ils devoient être faits sur les lieuX
çù la maladie épidémique s\'étoit déjà déclarée,
Ce qui étoit souvent loin de la ville que j\'habite.
Ces raisons m\'ont engagé à choisir M. le médectP
%noldMimniks, mon élève , pour remplir ces
«oms sous ma direction; et nous prenons aujour-
«-^\'liui la liberté d\'en offrir le résultat à V. H. P.,
et de menre sous leurs yeux le détail des progrès
<îue nous avons faits, avec an exposé de ce qni
reste encore à faire, selon nous, pour parvenir à
la perfection.
Le printems dernier, nous avons eu le bonheur
de former une société en Frise, et de faire à nos
dépens et avec le secours des m.embres associés ces
essais intéressans. Cependant, comme nous n\'avons
pu outrepasser les clauses de cette association ,
nous avons été obligés de suspendre nos travaux.
Malgré cela notre zèle ne s\'est point ralenti, quoi-
Jlue contrarié par les frais que demandent de sem-
blables expériences , lesquels sont vériîablement
^rop considérables pour des particuhers, et ne peu-
vent devenir utiles que par l\'appui immédiat de
11. P. et celui des Etats de chaque province où
lis sont jugés nécessaires. L\'expérience nous a
du moins appris, que nous avons plus d\'une fois
couru le danger d\'être les victimes des écarts du
peuple, lequel , ignorant le but de nos salutaires
^î\'avaux, et se fiant à l\'indulgence de ia justice, a
^on-Wement troublénosoccupations,mais nous
^ obligé par des voies de fait d\'abandonner notre
eîablissement, de prendre la fuite avec nos bes-
et par conséquent de mettre fin à nos expé-
riences.
Nous avons Thonnenr de joindre ici un rapport
détaillé des observations que nous avons faites en
1769, sur cent douze génisses de la grietenie de
Doniawarstal en Frise.
Les résultats de ces observations sont: 1". Que
la maladie comminiquée par l\'inoculation a été
accompagnée absolument des mêmes symptômes
que ceux dont les bestiaux sont attaqués dans Fé-
pizootie naturelle ; 2°. qu\'elle se communique avec
la même facilité; 3°. que cependant elle est, en
général, plus bénigne et plus facile à guérir ; 4".
que les bestiaux guéris après avoir subi Finocula-
tion résistent parfaitement à une seconde conta-
gion, soit naturelle, soit communiquée par ino-
culation. Depuis ce tems , nous avons confirmé
tout cela par des centaines d\'observations. L\'ex-
périence nous a également appris que la couleur
du poil des bestiaux ne contribue en rien à leur
faire prendre plutôt la maladie, ou à la rendre
plus ou moins mortelle ; et que les bestiaux nés de
ceux qui ont été guéris de la contagion y sont tout
aussi exposés que les autres; car nous communi-
quâmes Fépizootie à plusieurs veaux, dont quel-
ques-uns moururent, quoique nés de vaches gué-
ries, et dont le père et la mère avoient également
échappé aux cruels effets de ce fléau.
Le résultat de nos premiers essais, quoiqu\'ils
ue furent pas également heureux so us tous les rap-
sur l\'épizootie.
ports, fut néanmoins assez satisfaisant pour nous
engager à les continuer; car sur cent douze indi-
vidus nous en conservâmes quarante-cinq par l\'ino-
Culation.
Ensuite, nous avons sauvé quarante-six sur qua-
tre-vingt-douze têtes de bétail que nous avons ino-
culées. Le troupeau consistoit en soixante-huit gé-
nisses , onze vaches lahières et treize veaux ; dont
six veaux, huit vaches et trente-deux génisses fu- .
rent heureusement guéris.
Lorsque nous comparons ces succès avec la liste
des bêtes malades, mortes et guéries en Hollande
et West-Frise, nous trouvons les bienfaits de Fino-
culation plus grands encore. En Hollande du moins
on n\'a sauvé que le quart des bestiaux attaqués de
la maladie contagieuse.
Il paroît par une liste qu\'on n\'en a sauvé qu\'un
tiers dans la Nord-Hollande ; tandis que nous en
avons conservé exactement la mohié.
Depuis nous avons inoculé à Groningen, à nos
depens et au compte de quelques autres person-
nes , des vaches laitières, des vaches portières, des
bœufs et des génisses, et nous avons trouvé que
qitand les vaches ne portoient pas depuis trop long-
tems, on en conservoit les trois quarts. Le succès
fut satisfaisant avec le petit nombre de boeufs que
nous avions. Nous aurions désiré de muhipher ces
expériences, si le prix des bestiaux qui n\'avoienl
pas encore été guéris ne fut pas monté trop haut,
a cause de l\'extrême rareté du bétail.
Quoiqu\'il en soit, nous avons maintenant ap-
pris que tous les remèdes dîasostiques sont ab-
solument inutiles; que les évacuations modérées
obtenues par du sel de mer, et des saignées répé-
tées sont extrêmement salutaires, ainsi que les ali-
mens bien choisis , tant avant qu\'après la plus
grande crise de la maladie.
Les bestiaux qui moui^oient servoient à prou-
ver que, comme nous avions nétoyé les intestins à
tems, ii y avoit peu à craindre de ce côté-là. Ce-
pendant les poumons resîoienl tro]) fortement at-
taqués, pour laisser quelque espoir que des sai-
gnées eussent peu opérer le moindre soulagement.
Nous conclûmes donc avec raison , je pense , que
la principale cause de la maladie consiste dans
une inflammation des poumons. Aussi vîmes-nous
mourir de phthisie plusieurs bêtes qui avoit déjà
recommencé à ruminer, et qui se trouvoient véri-
tablement dans un état de convalescence , ainsi
que cela a de même lieu chez ceux qui sont natu-
rellement attaqués de la contagion.
Une seule fois nous avons obtenu un veau vi-
vant après que la vache eut été guérie. Nous avons
inoculé deux fois de suite cet animai avec Ja ma-
tière morbifique d\'une vache fort malade; mais il
résista à la contagion ; preuve qu\'on doit attendre
Ce même avantage de ia maladie naturelle , ainsi
que l\'expérience nous l\'a prouvé en elFet chez quel-
ques bestiaux.
Une autre fois nous avons obtenu un veau vi-
vant d\'une vache qui étoit encore malade. Ce su-
jet , qui se trouvoit malade en naissant, mourut
avec les mêmes symptômes à peu près que tous les
autres bestiaux pestiférés.
Comme les vaches vêlent ou avortent d\'autant
plus prompt ement que le tems de mettre bas est
plus prochain, nous regardons la maladie comme
d\'autant plus dangereuse alors. Les génisses , ies
Veaux d\'un an , etc., qui sont encore au commen-
cement de leur portée, avortent plus tard, quel-
quefois même seulement un ou deux mois après.
Il paroit par-là que l\'inoculation se fait avec un
nieilleur succès sur des bestiaux âgés, principale-
ment sur les vaches qui ont vêlé, ou qui ne sont
pleines que depuis peu de tems.
Il est singulier que de quelques centaines de piè-
ces de bétail que nous sommes parvenus à sauver
par l\'inoculation, il n\'y en ait eu qu\'une seule qui
perdu le toypiilon de poils de la queue.
Les saignées répétées que nous avons employées
^bez un grand nombre de bestiaux, nous ont con-
vaincu : 1". que du moment que la maladie a pris
l\'acine , le lait se caille entièrement, sans qu\'il y
l\'esté la moindre sérosité ; que lorsque l\'animal
meurt le sang n\'est plus caillé, mais qu\'il est tota-
lement fluide ; qu\'étant tiré avant la mort, il
conserve de même sa fluidité; 4°. que le sang tiré
d\'un animal peu de tems après le rétablissement
contient des sérosités et se coagule comme dans
l\'état naturel de santé.
Comme il reste encore beaucoup de choses à
observer dans le progrès de la maladie, il seroit à
souhaiter qu\'on fit aux frais du gouvernement les
expériences suivantes :
1°. Ouvrir tout vivans des bestiaux chaque jour
après la communication de la maladie, afin qu\'on
puisse reconnoitre le moment où les parties se
trouvent le plus affectées par le progrès du virus
morbifique.
ÏP. Ouvrir les bestiaux aussitôt qu\'il y a signe
de guérison , et cela jusqu\'à ce qu\'ils aient recom-
mencé à ruminer, pour savoir de quoi dépend pro-
prement ce grand changement. Le jeune bétail se-
roit le plus propre pour cela et le moins couteux,
puisqu\'il faudroit le disséquer tout vivant.
Peut-être que, par ces moyens, on parviendroit
â trouver des remèdes propres à ré!;;blir la rumi-
nation 3 et dans ce cas il y auroit espérance de gué-
rir l\'inflammation des poumons.
La violence de la maladie communiquée par
inoculation diffère en apparence si peu de celle de
la contagion naturelle, qu\'on ne sauroit assez en
être étonné. Il est vrai que l\'inoculation est sus-
ceptible d\'amélioration, ainsi que nous l\'ont prou-
vé un grand nombre d\'expériences, que nous ne
manquerions pas de multiplier , si les dépenses
qu\'elles demandent n\'étoient pas trop considé-
rables.
Nous nous proposons de publier sous peu de
tems toutes nos observations sur cette matière avec
Un avis préliminaire ; dans l\'espérance d\'engager
par-là nos concitoyens à suivre notre exemple, en
les mettant à même de tirer avantage des lumières
que nous pouvons avoir acquises par l\'expérience>
ainsi que des erreurs même où nous pouvons être
tombés.
En octobre 1769, nous avons fait les expérien-
ces suivantes sur la nature de la contagion :
Premièrement. Nous-mêmes et les ouvriers
qui nous aidoient, avons souvent été blessés aux
lïiains et aux doigts en ouvrant el en maniant des
l^estiaux morts de l\'épizootie j par conséquent la
^natière morbifique a passé immédiatement des na-
\'^eaux, de la bouche et d\'autres parties de l\'animal
dans notre sang, sans que nous en ayons cepen-
dant éprouvé aucune suite fâcheuse , si ce n\'est
peut-être que la plaie a été un peu plus long-tems
^ guérir.
Ni le laiî, ni le beurre , ni le fromage , pas
-ocr page 174-même la chair, tant fraîche que fumée et salée
des bestiaux attaqués de la contagion , ne produi-
sent aucun mauvais effet sur ceux qui en font usage,
si ce n\'est lorsqu\'on se charge trop l\'estomac de
cette viande, ce qui est quelquefois fort dangereux
pour le peuple ; mais il en est de même de la
viande des bestiadx les plus sains.
Secondement. Comme les moutons, les chè-
vres et les cerfs sont aussi des animaux ruminans,
qu\'ils sont par conséquent peut-être également
susceptibles d\'être affectés de la contagion , nous
avons inoculé une biche en deux endroits, ime chè-
vre en six endroits, ainsi qu\'un mouton, avec le
virusmorbifîqîied\'unevachefortmalade, sansque
nous nous soyons apperçus, dans la suite, d\'aucun
symptôme de maladie, si ce n\'est d\'une petite su-
puration qui suit, en général, de pareilles opé-
rations.
Comme on prétend que les chèvres sont égale-
ment sujettes à l\'épizootie, après en avoir inutile-
ment inoculées pour leur communiquer la conta-
gion, nous les avons îah placer très-près des bes-
tiaux malades, sans qu\'il en soit résuhé le moin-
dre accident.
D\'où l\'on peut conclure, suivant nous, que les
bestiaux dont je viens de parler ne peuvent par
eux-mêpaes ni occasionner, ni propager l\'épizoo-
s it R I,\'É ï" i z o o t i E.
tie ; et qu\'on peut nourrir , sans crainte d\'aucun !
mauvais eiFet, les veaux avec le lait de vaches ma- .
ladês. Comme l\'épizootie paroît nous être venue M
principalement de Turquie, ou peut -être même i
de quelq ue contrée plus éloignée de l\'Asie, par des \'
chamaux, nous aurions voulu acheter à nos frais
un de ces animaux; mais il nous a été impossible
de nous en procurer un.
j
Troisièmement. Nous avons voulu essayer f
des naseaux avec de l\'eau que nous fîmes boire à ,
plusieurs veaux, ainsi que du sang et du lait d\'une • \'\'
\\ache fort malade. Cependant les jours auxquels
se déclare ordinairement la maladie, soit par con- ■
îagion , soit par inoculation, se passèrent, et mê-
me quelques autres encore sans qu\'on apperçut
chez ces animaux le moindre signe de maladie.
Pour nous convaincre que cela ne dépendoit point ;
d\'une constitution particulière des animaux, com- ;
me n\'étant pas disposés à recevoir la maladie, nous
les avons tous inoculés suivant la méthode ordi-
naire; et alorvS ils sont non-seulement tombés ma-
lades, mais orîî donné., comme les autres , dès le . I
cinquième jour, des signes de l\'approche de la ma-
ladie.
Nous croyons pouvoir conclure de là que les
bestiaux ne gagnent pas l\'épizootie en buvant dans
le même vase que ceux qui sont malades , ou en
avalant même leur bave, etc.; que par conséquent
ils ne gagnent pas la maladie par la matière mor-
bifique qui peut être mêlée aux alimens dont ils se
nourrissent, ainsi qu\'on l\'avoit pensé jusqu\'à pré-
sent.
QuATRiiÈMEMENT. Nous avons été insensi-
blement plus loin : nous avons exaniiné pendant
combien de tems les peaux et d\'autres parties de-
meurent contagieuses après la mort de l\'animal?
Pour cet effet, nous avons inoculé un veau avec
des languettes de la peau d\'une vache immédiate-
ment après qu\'elle fut morte de la contagion. Un
autre veau a été inoculé de la même manière qua-
rante-huit heures après la mort de la même va-
che. Un troisième veau avec des languettes de la
même peau quatre jours après la mort de la vache
en question; et enfin un quatrième veau avec six
aiguillettes de la susdite peau, ie sixième jour après
la mort de la vache.
Tous ces veaux tombèrent malades le cinquiè-
me jour après l\'inoculation , et avec une telle vio-
lence que trois en moururent, de sorte qu\'il n\'y
en eut qu\'un seul qui en réchappa. \'
Nous fûmes fâchés de devoir en conclure avec
-ocr page 177-certitude que les peaux communiquent la conta-
gion, six jours, si ce n\'est pas plus long-tems mê-
me, après la mort; que par conséquent rien n\'est
plus dangereux que d\'en agir avec aussi peu de
soin qu\'on le fait souvent avec les peaux des bêtes
mortes de la maladie contagieuse, et de les trans-
porter dans des endroits où l\'épizootie ne s\'est pas
encore déclarée.
Il faudroit encore répéter souvent ces essais, et
plamer les peaux avec de la chaux, les faire trem-
per dans de l\'eau , ou les laver avec une décoction
de tan, etc. ; et les préparer de manière que cette
qualité nuisible fut détruite, pour les faire passer
ensuite aux tanneries.
cinquiismement. Dans le même tems nous
avons inoculé quatre autres veaux , dans six en-
droits différens, avec la chair de la même vache;
savoir, le premier, le second , le quatrième et le
sixième jour après sa mort; et noUs avons trouvé
que la contagion éîoit si violente que ces quatre
Veaux ont été les victimes de cette expérience.
La chair n\'est donc pas moins contagieuse après
la mort. Il ne faut par conséquent pas la transpor-
ter dans des endroits où l\'épizootie ne règne pas.
Nous avons fait fumer quelques morceaux de cette
viande, et fait saler quelques autres, dans l\'inten-
tion de savoir combien de tems elle conserve cette
qualité morbifique; mais comme les vues de la so-
ciété se trouvoient remplies, et que îe bétail aug-
mente chaque jour de prix, nous avons été obligés
de suspendre nos observations.
Nous avons pensé qu\'il importoit au gouverne-
men-t d\'être instruit de tous ces essais et de leurs
résultats, afin de ne point gêner le commerce })ar
la défense des viandes salées et fumées , dont la
consommation est si précieuse pour la navigation,
etc., de ces provinces.
SIXIÎSMEMEST. Nous avons également ino-
culé quatre veaux avec le suif de bêles mortes
d\'épizootie, le premier, ie second, le quatrième et
îe sixième jour après leur mort : les effets de la con-
tagion ont été si violens qu\'ils se sont trouv és tous
quatre excessivement malades le sixième jour et
sont morts ensuite.
Reste à savoir maintenant combien de tems la
graisse el le suif conservent leur qualité conta-
gieuse? Il nous faut une grande quantité de l\'une
et de l\'autre pour nos vaisseaux et pour nos fabri-
ques de chandelles. Voici donc la question qu\'il
s\'agit de résoudre : Pendant combien de tems le
suif reste-t-il contagieux par l\'inoculation ou par
la vapeur des lumières placées dans une étable ;
et par quel moyen pourroit-on parvenir à lui ôter
cette mauvaise qualité?
-ocr page 179-SEPTIEMEMENT. Noiis regardions comme es-
senliel de faire des expériences avec le sang. Nous
inoculâmes par conséquent , également en six en-
droits différens, quatre veaux avec du sang de là
même vache morte de contagion , le premier , le
second, le quatrième et le sixième jour après sa
mort. Ces veaux furent tous quatre si fortement at-
taqués de la maladie qu\'ils en moururent.
Ces résultats nous prouvèrent que tous les soins
pris par le gouvernement relativement à la manière
d\'écorcher et d\'enfouir les bêtes mortes de l\'épi-
zootie , étoient à peu près inutiles, et devoient l\'ê-
tre en ellet ; puisqu\'il n\'est guère possible de les
écorcher sans les faire saigner, surtout par des
hommes aussi maladroits que ceux qu\'on emploie
Communément à de pareilles opérations.
Que sert d\'enfouir à trois pieds ou davantage
ïïiême dans la terre les restes de ces bestiaux, aussi
long-îems qu\'on ne parviendra pas à empêcher que
la contagion ne rende ces parties volatiles, et qu\'el-
les n\'aillent corrompre l\'atmosphère, en pénétrant
a travers les larges pores de la terre, ou d\'un sable
Mobile qu\'on prend à peine soin d\'entasser sur ces
débris infects?
11 seroit à souhaiter aussi qu\'on fit l\'essai avec
des bêtes mortes d\'épizootie, pour connoître pen-
dant combien de tems elles conservent sous terre
la vertu morbifique.
Nous n\'avons point employé le fumier. Il est à
croire qu\'il est très-contagieux, principalement
celui des bestiaux qui sont au fort de la maladie ,
lequel est d\'une puanteur insupportable.
Quand on examine les loix promulgées en An-
gleterre, et qu\'on les compare avec nos essais , il
paroît que la précaution de tuer les bêtes malades
à coups de fusil et de les enterrer, ou même de les
brûler, ne peut prévenir la communication de ce
fléau, et ne l\'a réellement pas prévenu , quoique
ces loix soient déjà anciennes et qu\'elles aient été
renouvellées encore en 1747.
Il est impossible également de résister à la con-
tagion lorsqu\'elle s\'est une fois déclarée; il est im-
possible , dis-je , de la vaincre. Nous avons lieu
d\'espérer que l\'inoculation sera avec le tems por-
tée à une plus grande perfection, si nous pouvons
prendre pour exemple celle qu\'on emploie pour la
petite vérole ; et elle ne pourroit manquer de faire
réellement de rapides progrès, si ce que nous avons
exposé à V. H. P. comme restant encore à faire,
s\'exécutoit par les ordres du gouvernement et sous
ses auspices.
Peut-être l\'expérience nous convaincra-t-elle
nn jour du contraire. Il se pourroit aussi que la
méthode dont nous faisons usage, ne sauve pa®
plus de bestiaux que la nature hvrée à elle-même;
et alors sans doute on l\'abandonnera facilement.
Mais il en aura toujours résulté ce grand avantage
qu\'on se sera convaincu qu\'il n\'y appoint de meil-
leur moyen , ni de plus convenable que Finocn-
lation pour bien connoître la nature de Fépizoo-
tie, et les remèdes qu\'on pourroit y apporter.
Groningen, le 16 février 1770,
I . ■!
1- i
De ses avantages et de^ précautions qu\'elle
demande.
1. L\'inoculation de la maladie contagieuse
des bêtes à cornes à été d\'abord pratiquée avec
des succès douteux en Angleterre, ensuite dans le
duché de Brunswick en 1746, en Nord-Hollande
en 1755, près de la Haie en 1767, et la même an-
née à Londres (1), jusqu\'à ce que moi-même, avec
le célèbre M. Van Doeveren à Groningen , e»
1769 (2), et M. Munniks en Frise ( où M. Aha ,
ministre du Saint-Evangile, l\'avoit déjà établie),
commençâmes à faire un grand nombre d\'observa-
(1) Voyea mes Leçons sur l\'épizootie, pag, 137^
(2) Ibidi
-ocr page 183-îionsde toutes les espèces, avec un tel succès qu\'en
général une plus considérable quantité de bétail
fut guérie et sauvée, qu\'on n\'auroit pu }e faire
dans la maladie acquise naturellement, par tous
les remèdes possibles (1).
(1) Par ]a liste des bestiaux guéris etdeceux qui sontmorts par
l\'inoculation, publiée par ordre des Erats de Hollande et de West-
Frise, et qui comprend les quatre derniers mois de l\'année J769
et les deux premiers mois de 1770 , j\'ai observé ([ue dans la Hol-
lande seule il est mort » 14,152 têtes de bétail, et qu\'il en a été
guéri 3q,ob5. Dans la Vi\'^esr-Frise, il en étoit mort 43,180, et il
en a été sauvé 21,091. D\'après les registres dressés ea 1769, par
ordre des Etals de Frise , il en est mort cette anuée-ià 5i ,023 et
17,337 ont été guéries. Le nombre des bestiaux morts a donc été
à celui des bestiaux guéris comme 208,354 à 78 2.p. La tot.iliié
des bestiaux attaqués de l\'épizootie est par conséquent de 286,fi/j\'r
dont ii s\'en est à peine sauvé les deux septièmes ; taniiis qu\'on a
conservé, au contraire, pins de la moitié des bêtes à cornes de
toutes les espacés k qui on a inoculé la contagion. Si donc on vou-
loir inoculer la maladie à tous les veaïix des vacbes guéries , et «i
sur cent on en perdoit deux , la totalité de ceux qu\'otrfrerdroit
seroit de 4,166; d\'où l\'oti peut facilement conclure\'les grands
avantages de cette inoculation , surtout si l\'on considère la valeur
ces bestiat.x. Supposons, par exemple , que le pris de chaqu«
^eau soit de 20 florins de; Hollande , ia perte totale moflteroit à
5ao florin? ; tandis que la somme de la valeur de tous ceux
lu\'on auroit guéris iroit à\'3,649 florins. Ainsi ia valeiir de
chaque veau guéri de la conragiOn acqaerroit une additfon de
^rois quarantièmes parties ti\'un florin ; ce qui est si peu de clioso
lu« cela ne mérite aucunement d\'être pris en con.sidérarion. Mais
a somme de la valeur de« bêtes à cornes perdues par la co.aiagioa
Pi\'ise naturellement, si l\'on estime seulement les vaches et les
SL8O leçons
Ces essais nous ont églement appris que jamais
aucune bête à cornes qui a une fois été guérie de
Fépizootie n\'en est attaquée de nouveau; ce que
ies expériences faites en Nord-Hollande avoient
laissé dans le douite.
Ensuite on a essayé, mais sans fruit, l\'inocula-
tion en Danemarck; jusqu\'à ce qu\'on l\'eut reprise
avec un heureux succès en Frise.
Les avantages de ce remède consistent en ce
que :
Ce sont des veaux ou des génisses d\'un prix
modique qu\'on expose au danger de la con-
tagion.
2°. Les génisses ont Fépizootie avant qu\'elles
aient reçu le taureau, par conséquent avant qu\'el-
-veaux, l\'un portant l\'autre, à 20 florins pièce, monte à 4,167,080
florins. Je dois convenir que par-là le prix des bestiaux guéris est
certainement augmenté d\'un tiers; mais ce prix baisse insensi-
fclement et revient au taux ordinaire après que la contagion a
cessé ses ravages. Je sais qu\'on a vendu pour aSo florins pièce de»
vaches laitières guéries delà contagion. Si l\'on compare à cela
l\'effet qu\'a produit le parti qu\'on avoit pris de tuer les bestiaux ma-
lades , et dont les Etats de Brabant ont rendu compte , nous ver-
rons que, pour conserver 111,960 têtes de bétail, on n\'en d tué
que 4M: que par conséquent on n\'en a perdu qu\'une deux cent
soixante-quatrième partie , ou troi» huitiènjes du cent ; qu\'ainsi la
perte a été encore beaucoup moindre ici que par l\'inoculation 1»
plus heureuse, par laquelle on perd au moins toujours un veaU
sur cenr»
les soient pleines; ce qui est un plus grand avan-
tage qu\'on ne sauroit le penser ; car , lorsque la
contagion attaque naturellement tout-à-coup un
troupeau entier, les boeufs, les veaux, les génisses
et les vaches en sont tous affectés sans distinction.
Presque toutes les vaches avortent ; de sorte que
si elles n\'en meurent point et qu\'elles se rétablis-
sent même parfaitement, leur matrice se trouve
tellement dérangée qu\'elles ne peuvent ensuite plus
retenir facilement. Elles ne sont pas non plus sitôt
en chaleur après cet accident, de sorte que le pro-
priétaire d\'une telle vache est obligé de la nourrir
pendant une année entière sans en retirer le moin-
dre avantage; et se voit enfin obligé de l\'engraisser
pour la livrer au boucher.
C\'est dans les f^ndroits où les fermiers n\'ont
d\'autre ressource pour vivre que leurs bestiaux
qu\'on a principalement besoin de cjuelque certi-
tude à cet égard ; et c\'est pour cette raison que
llnoculaîibn doit y être pratiquée de préférence,
quand même on ne parviendroit pas à sauver par
ce moyen un plus grand nombre de bestiaux qu\'on
île pourroit espérer d\'en voir rétablir par l\'épizoo-
tie naturelle. Le prix d\'un veau va rarement au
<luart de celui d\'une vaçhe ; d\'ailleurs les vaches,
étant ensuite pleines au tems convenable, vêleront
facilement, et fourniront convenablement leur
lait.
§. II. Cependant il importoit trop aux fermiers
de.ces provinces, pour qu\'ils abandonnassent sitôt
ce moyen convenable de sauver leur bétail. Ils
\' avoient remarqué, en premier lieu , que les veanx
avortés par des vaches malades n\'étoient propres
à être inoculées qu\'après qu\'ils avoient respiré
pendant quelque tems le grand air. Secondement,
que les veaux provenant de vaches qui avoient passé
heureusement par l\'épizootie éprouvoient, en gé-
néral, des crises moins violentes, et qu\'il en ré-
chappoit un plus grand nombre que de ceux qui
étoient nés d\'autres vaches.
Ils combinèrent donc ces circonstances, et
firent inoculer aussi bien les veaux provenant de
vaches qui avoient été guéries de la contagion ,
que ceux qui n\'avoient pas encore été exposés en
plein air.
D\'après ces procédés les accès de l\'épizootie fu-
rent si bénins que les fermiers doutèrent souvent
si le bétail qu\'ils avoient fait inoculer avoit été
réellement malade ou non. Moi-même, excité par
leur exemple, j\'en ai quelquefois inoculé, dans le
même tems, jusqu\'à trente et davantage; et j\'ai vu
avec plaisir que ces veaux couroient gaiement en-
semble dans l\'étable. Ceux qui étoient plus mala-
des que les autres, s\'éloignoient d\'eux, et alloient
les rejoindre aussitôt que la crise étoit passée, jus-
qu\'à ce qu\'ils eussent tous passé le tems conve-
ïiable à la maladie. De celte manière sur cent veaux
il en mouroit à peine nn seul.
Il est arrivé quelquefois cependan-t que îa ma-
ladie, quand elle étoit fort bénigne, de sorte qu\'on
en appercevoit à peine de légers symptômes, ne
parvenoit point à maturité; alors ces veaux étoient
attaqués de la contagion au moment qu\'on ne s\'y
attendoit point, quand on les faisoit paître parmi
un troupeau malade.
De là naît une incertitude également préjudi-
ciable au commerce des bestiaux guéris et à l\'in-
térêt des fermiers. La plupart ont, à cause de cela,
faitinoculeur jusqu\'à deux fois leur bétail; îa pre-
mière fois avant que les veaux eussent respiré le
grand air, et la seconde fois quand ils étoient par-
venus à l\'âge de trois ou quatre mois; non qu\'ils
s\'imaginassent que les bêtes à cornes puissent être
deux fois de suite sujettes à l\'épizootie par l\'inocu-
lation, mais pour qu\'ils pussent être certains que ces
bestiaux avoient réellement été attaqués et guéris
de cette maladie.
Ces essais multipliés et presque journaliers nous
avoient enfin démontré qu\'il n\'est pas absolument
nécessaire qu\'un veau , pour subir lieureusement
l\'épizootie , ait été exposé à l\'influence de Fair ;
ïïiais qu\'il suffit qu\'il vienne d\'une vache qui ait
eu cette maladie, et que l\'inoculation se fasse avant
H^\'il ait cinq mois. Avec ces conditions, la conta-
l84 LEÇONS
gion est non-seolement bénigne, mais elle se dé-
clare suffisamment par des symptômes extérieurs
pour que chaque fermier puisse être convaincu
qu\'elle a réellement lieu chez Fanimal. Actuelle-
ment Finoculation s\'opère en Frise et daiis la pro-
vince de Groningen sur tous les veaux avec un tel
succès, qu\'en prenant les précautions dont j\'ai
parlé, il en meurt rarement un sur cent.
IIL Je crois pouvoir conclure avec raison de
ces heureuses suites de Finoculation que , dans
tous les pays où la méthode de tuer les bestiaux
attaqués de la maladie contagieuse n\'a pas le suc-
cès qu\'on en attendoit, Finoculation de veaux nés
de vaches qui en ont été guéries, est le seul re-
mède qu\'on puisse employer pour rendre ce ter-
rible fléau au moins supportable (i).
Peut-être qu\'une meilleure disposition naturelle
du père contribueroit encore à cela, ainsi que nous
le savons déjà de la mère. Il faudroit donc avoir
(i) Il paroît évidemment, par le chap. i5 du premier livre de
Sénèque, De ira, que les anciens ont connu le moyen de préve-
nir la contagion en faisant tuer leurs bestiaux : « On écorche, dir-il,
«e les brebis malades, de peur qu\'elles n\'infectent le troupeau.»
{Morbidis pecorîbus, ne gregem polluunt, Jerrum dimittiinus. )
Ce qui n\'avoit d\'autre raison , que {a sanis inntilia sccernere ) de
mettre les bêtes saines à l\'abri de la contagion de celles qui étoient
déjà malades. Yojez 4uJlos einer Preis-Jrage , pag. 41.
soin de n\'augmenter le troupeau que par des tau-
reaux et des vaches qu\'on sauroit avoir été guéris
de l\'épizootie. Si tous les fermiers mettoient, d\'un
commun accord , ces moyens en pratique , nous
n\'aurions plus, en douze ans de tems, que des va-
ches à l\'abri de la contagion, et qui ne donneroient
que des veaux propres à être inoculés.
Mais il en résulteroit cette difficulté qu\'on ne
trouveroif plus de matière morbifique pour inocu-
ler les veaux, à moins que l\'épizootie ne continuât ^
à régner dans quelque canton voisin. 11 faudroit
donc que dans chaque pays on y destinât un nom-
bre suffisant de génisses, afin qu\'on eut constam-
ment sous la main de cette matière. Une ou deux
de ces génisses devroient êti\'e soumises, à des tems
fixes , à l\'inoculation , pour qu\'on eût toujours à
la main un nouveau germe actif II faudroit que
ces génisses fussent entretenues aux dépens de la
caisse publique ; et, comme la moitié de ces gé-
îiisses succomberoit à cette opération, l\'antre moi-
tié, qui parviendroit à vaincre la maladie , seroit
d\'une valeur bien plus considérable.
Il est maintenant évident et reconnu , soit qu\'on
ait recours au moyen de tuer les bestiaux, ou à ce-
lui de les inoculer, qu\'il est nécessaire de connoî-
tre surtout, comme remèdes diasostiques, le véri-
table tems pendant lequel le virus morbifique peut
se garder sans perdre son aclivilé. Combien de tems
aussi une bète morte de l\'épizootie conserve sa qua-
lité contagieuse, soit qu\'on l\'enfouisse sous teri-e ,
encore intacte avec sa peau , soit qu\'on la laisse
«xposée sur la terre en plein air, soit enfin qu\'on
îa plonge dans l\'eau? Combien de tems cela a lieu
avec la chair salée ou fumée? Pendant quel laps
de tems enfin le suif, la peau, les cornes, les os,
etc. , restent imprégnés de ce même germe ? Et,
pour ce qui concerne l\'inoculation, il faddroit sa-
voir pendant quel tems la matière dont on se sert
pour cette opération conserve sa vertu? Par ces
différentes expériences on parviendroit à pouvoir in -
diquer aux chefs du gouvernement et aux fermiers
les moyens d\'opérer avec certitude dans la suite ;
et par-là on ne manqueroit pas de bien mériter de
ses contemporains, ainsi que de la postérité.
examen
D\'un passage de l\'instruction de sa majesté
prussienne de i ^€5 , relcdivement à la décom-
position des peaux des bêtes à cornes.
Dans celte instruction , pag. 58, il est dit que
les bêtes à cornes qu\'on enterre revêtues de leur
peau ne sont pas encore décomposées au bout de
dix ans. Par considération pour un écrit qui avoit
paru sous le nom de sa majesté prussienne , et
faute d\'avoir fait moi-même les observations né-
cessaires , je gard^ii, dans mes leçons sur l\'épizoo-
tie , le silence sur le degré de confiance que méri-
toit cette assertion, et crus devoir attendre pour
Cela quelque circonstance convenable.
Je vais donc communiquer maintenant au pu-
blic ce que j\'ai observé îe 2Ô août 1778. Ce jour-
là je me rendis chez M. N. Fontein , riche fermier
du village de Ried, à une lieue de Franeker, pour
^tre témoin de l\'exhumatjoa de plusieurs bêles à
cornes mortes de l\'épizootie en 1769 et enterrées
les unes à côté des autres avec leur peau , à sept
pieds de profondeur sous terre. On avoit d\'abord
Couvert ces bêtes légèrement de paille et ensuite
de terre , laquelle est ici argilleuse. Après qu\'on
eut enlevé la terre avec précaution, nous trouvâ-
mes une couche de paille , laquelle ne s\'affaissa
nullement, n\'étant point du tout pourrie ; et des-
sous cette paille nous découvrhnes les squelettes
entiers de ces bestiaux, sans la moindre apparence
de peau, de chair, de nerfs ou de cartilages , ex-
cepté beaucoup de graisse ça et là, sans peau ce-
pendant, mais dure et compacte, ainsi que cela a
lieu chez tous les animaux lorsque la chair tombe
en dissolution (1).
Je soulevai avec beaucoup de précaution les cô-
tes , entre lesquelles il ne se présenta rien , si ce
n\'est du foin non décomposé, dont l\'animal avoit
rempli son estomac peu de tems avant sa mort (2).
(1) Quand on laisse pourrir quelque partie d\'un animal avec la
peau, la chair et les os, on trouve, lorsque tout est bien décom-
posé, des pelottes de graisse attachées aux os, et ça et là au ton-
neau ; cette graisse est fort dure et sèche , et se laisse broyer entre
les doigts comme de la marne tendre.
(2) Cela doit moins nous étonner aujourd\'hui, depuis que l\'in-
fatigable abbé Spallanzani a fait tant d\'observations sur le suc-
gastrique, d\'après lesquelles il paroit qufe c\'est un grand antisep-
tique , à tel point même qu\'il est parvenu, par son moyen à ren-
dre sa fraîcheur à de la viande corrompue. Consultez les consi-
Tout le reste, tant les parties tendres et carti-
lagineuses que la peau même, ainsi que ses poils,
étoient décomposés, de manière qu\'on auroit dit
que les bestiaux en avoient été dépouillés avant
que d\'être enterrés. Cet exemple nous prouve que
la prétendue observation dont il est parlé dans
l\'instruction de sa majesté prussienne, n\'a pas été
faite avec tout le soin que méritoit un objet de
cette importance. Il est évident que par-là on a
voulu favoriser les tanneries, sous le prétexte que
la contagion conservoit plus long-tems son effica-a
cité, quand on n\'avoit pas soin d\'écorcber avant
de les enterrer les bêtes mortes de l\'épizootie.
derations de M. Senebier ( page 60 ), et de l\'abbé Spallanzani lui-
même, quia constaté la vertu antiseptique de ce sac par plu-
sieurs expériences, dans son ouvrage. mt\\la\\é-. Expériences sur la
digestion de l\'homme et de différentes espèces d\'animaux, par
l\'abbé Spallanzani, avec les considérations de J- Seuebier, p. 69.
D E S
No US continuions avec le ])lus heureux succès
à inoculer les veaux dont les mères avoient été gué-
ries de l\'épizootie, lorsqu\'un accident fâcheux vint
nous décourager dans nos opérations. Depuis quel-
ques années, quoique seulement de tems à autre,
à la vérité, les veaux rétablis de l\'inoculation, et
qu\'on avoit amenés au pâturage , furent attaqués
d\'une toux, laquelle augmentoit insensiblement,
et finissoit par tuer ces animaux avec des crises
terribles; de sorte que pas un seul n\'en échappa.
La morve leur sortoit avec violence du nez; ils ces-
soient de ruminer, et dépérissoient jusqu\'à ce
qu\'ils mourussent enfin. Comme cette maladie of-
fre plusieurs symptômes qui ressemblent à ceux
de l\'inflammation des poumons, les fermiers s\'ima-
ginèrent que c\'étoit une rechûte, que par couse-
qiient l\'inoculation, dont on se promettoit tant de
bien, n\'étoit d\'aucun secours. Cet accident fit sus-
pendre le commerce des bestiaux inoculés; ce qui
causa de grandes inquiétudes aux fermiers. On per-
dit au-delà de mille têtes de bétail par cette ma-
ladie , sans qu\'on put en connoître la cause, ni
trouver de remèdes propres à la guérir.
Je me rendis pour cet effet chez un de mes voi-
sins qui, sur cinquante veaux qu\'il avoit sauvés
par l\'inoculation, venoit d\'en perdre, pendant le
mois d\'août 1778, plus de trente dans une prairie,
où il faisoit paître, en même tems, plusieurs va-
ches, génisses, chevaux, moutons, etc., qui tous
se portoient parfaitem.ent bien.
Le 2 septembre, j\'ouvris un veau mort de cette
maladie. Les intestins étoient fort sains ; le troi-
sième estomac sans la moindre inflammation; en
un mot, je ne découvris rien de particulier dans le
ventre. Je ne trouvai de même aucune inflamma-
tion dans la poitrine, que j\'ouvris ensuite avec le
plus grand soin. Il est vrai que le sang étoit ça et
là un peu caillé à la superficie ; mais cela a de
même lieu chez tous les bestiaux qui tombent sous
la main du boucher.
J\'enlevai ensuite la langue avec la trachée-ar-
tère, pour examiner toutes ies parties qui servent
à la respiration. A peine eus-je ouvert la glotte que
i y apperçus plusieurs milliers de vers. Je suivis
alors l\'âpre-arlère, et jetrouyai des myriades de
ces vers jusqu\'à son insertion dans le parenchyme
des poumons, lesquels étoient blancs et minces,
ayant un pouce et demi à deux pouces de long.
Chez un autre veau je trouvai un pelotton de
plusieurs milliers de ces vers , qui obstruoient la
trachée-artère et qui avoient étouffé l\'animai. Chez
tousles veaux morts de cette maladie, l\'âpre-ar-
tère, et par conséquent les poumons étoient rem-
plis de ces vers; mais je n\'en trouvai aucun dans
les vésicules pulmonaires. J\'examinai avec la loupe
ces vers , qui me parurent se terminer en pointe
par la tête eî par la queue. Un intestin ou canal
passoit de la tête jusqu\'à la queue , et près de ce
tuyau il y avoit plusieurs points obscurs d\'une for-
me ovale. Je tâchai de conserver ces vers de diffé-
rentes manières; mais ils moururent tous le troi-
sième jour ; cependant leur corps fourmilloit de
petits vers qui vécurent quelque tems dans le corps
de leur xnère morte depuis plus de quatre jours,et
à laquelle ils ressembloient parfaitement, si ce n\'est
qu\'on n\'appercevoit pas chez eux les petits corps
ronds près du canal intestinal. Ces vers sont donc
vivipares. Les grands avoient un seizième de pouc?-
de grosseur. J\'ai vu tirer des jeunes par une ouver-
ture de la queue; cependant la phipart sortoient
par les plaies de la mère ; car leur corps se cassoît
facilement quand ils étoient morts. J\'ai fort inuti-
lenient des reclierclies pour trouver de pareils ac-
cidens dans les ouvrages des auteurs qui ont traité
de l\'art vétérinaire , et la description de ces vers
mêmes dans ceux des naturalistes. Klein , Linnxus,
Pallas, Muller, etc., tous ceux qui ont écrit sur
les vers en parliculier, les ont confondus avec les
Vers néphrétiques {vena medinensis). On donne
le nom de dragonneau (^orc/ms) à un vers fili-
forme ; mais en le comparant avec notre vers pul-
monaire, on s\'apperçoit que ce dernier n\'étoit pas
connu. 1,1 est singulier que Gesner ait donné à un
semblable vers le nom de veau-d\'eau ( wasser-.
T^alb ), mais en disant qu\'il n\'en connoissoit pas
l\'origine. Il sa voit cependant que les veaux les ava-
lent avec l\'eau qu\'ils boivent , et cela au grand pé-
ïil de leur vie {magno etiam vitcepericulo). Klein j!
a copié littéralement ce passage. Il paroît donc que Ni
Gesner a connu des vers qui causent une maladie ;1
Je m\'imaginai d\'abord que M. Gœze (1) avoit
(O Depuis que j\'ai écrit ceci, il y a vingt ans, le célèbre M- J.
C. Gœze a parlé de ces vers dans son admirable Essai sur
^ f\'-istoîre naturelle des vers intestins des animause , in\'/^"i 782.
les appelle vers de Camper Çiùid.^ pag. 92), et en donne îa
%ui-e (pîancbe Ii, %. 7 B. ). Le grand anatomiste M. Scesnine-
lui avoit communiqué de ces vers qu\'il tenoit de moi. Swam\'
\'^erdam paroit avoir connu des vers de cette espèce. ( Btiil. nat.^
P^ofOij\' ) lis ressemblent beaueoup aux vers filiformes qu\'on re-
«larque dans ie vinaigre.
ill- i5
-ocr page 198-décrit de semblables vers; mais ayant examiné de
nouveau un vers pris dans une anguille , je trou-
rii
Ces vers ne viennent pas à la suite de l\'inoculation; car M. le
médecin F. Nicholls dit ( Phil. Transact., vol. I, pag. 49 )
les trouve dans de jeunes veaux qui n\'ont pas encore un an , et il
appelle hash la maladie qu\'ils occasionnent.
Une plus forte preuve qu\'ils ne proviennent pas de l\'inocula-
tion , résulte des observations du célèbre professeur Gadso Coop-
mans , à Franeker , qui a examiné , en 1778, un jeune taureau
qui étoit mort de ces vers . sans avoir été inoculé, ou sans avoir
été attaqué naturellement de l\'épizootie.
Avant de terminer cette note supplémentaire, je demandai à
mon métayer R. Halma , qui inocule journellement du jeune bé-
tail , si ces veaux étoient encore attaqués de la toux occasionnée
par les vers? 11 me répondoit que huit en avoient été malades cet
automne; maisque, les ayant sur-le-champ retirés du pacage et
nourris k l\'étable avec du Êoin, il en avoit conservé six; les deux
autres étoient morts.
Ces huit veaux avoient été inoculés et avoient passé heureuse-
ment par toutes les crises de l\'épizootie. C\'étoit le i5 novembre
1786 que je lui fis cette question; ce qui prouve que cette toux
duroit encore à cette époque , et qu\'on peut la prévenir ou la gué-
rir même en donnant du foin au bétail. 11 m\'assura qu\'il n\'avoir
jusqu\'alors jamais remarqué cette maladie chez d\'autres bêtes à
cornes que ceux qui avoient été guéries de l\'épizootie.
Comme je soupçonnai qu\'on trouveroit de semblables vers dans
les canaux de mes pacages, j\'ai examiné des anguilles qu\'on y avoit
pêchées, chez lesquelles je n\'ai trouvé que le taenia haeruca de
Pallas {Rostro retractili, acuelis reclinatis, muricata. Zoophjt.,
pag. 4i5), que M. Muller a de même parfaitement représenté
{Naturforsch.. tom. XII, pag- 178, pl. V), ainsi que M. le pas-
teur Gœae dans son immortel ouvrage que j\'ai cité plus haut-
Plusieurs brochets et perches en étoient également attaqués ; mai«
llsnavoieirt point de nies vers pulmonaires.
vai que sa figure et sa description (i) étoient par-
faitement exactes, mais que ces vers differoient ce-
pendant de nos vers pulmonaires.
Je ne perdis point de tems à faire connoître, par
la Gazette de Leeuvi\'^arden , une découverte aussi
importante pour ce pays; en priant les personnes
instruites de me communiquer leurs observations
sur cet objet. J\'appris qu\'une maladie semblable à
ia pulmonie attaquoit cpieîquefois les vaches et les
veaux, même ceux qui n\'avoient pas été guéris de
l\'épizootie; qu\'on lui avoit donné le nom àetoux.
Qu\'on avoit déjà trouvé des vers dans leurs pou-
mons,et que tous en étoient morts. Ce n\'est donc pas
une maladie nouvelle ; cependant mes observations
étoient neuves et le sont encore, puisqu\'on n\'a
point examiné jusqu\'à présent la cause de cette
maladie.
Il est vraisemblable que les veaux guéris de l\'é -
pizootie, dont les poumons sont encore relâchés
et foibles , avalent le principe de cette maladie
avec Feau qu\'ils boivent, et que ces vers s\'intro-
duisent par la glotte dans la trachée-artère , où
S";
Quelques instances que i\'aie faites pour qu\'on me cocinruni-
^«ât les observations qu\'on pourroit faire sur celte terrible mA-
ladie des jeunes bêtes à cornes, je n\'ai reçu depuisbuit ans aucun
renseignement sur cet objet.
Wi Beschäftigungen ^ vol. III.
-ocr page 200-ils se multiplient à l\'infini, produisant des myria-
des de petits, qui sont vivipares. Peut-être même
sont-ils féconds de plusieurs générations à la fois,
ainsi que cela a lieu chez quelques autres insectes.
11 est probable que la foiblesse des poumons em-
pêche ies veaux de tousser avec assez de force pour
rejelter ces vers hors de leur corps, comme cela a
lieu chez les vaches, les génisses et les veaux qui
n\'ont pas encore été attaqués de l\'épizootie. J\'ai
conseillé de conduire sur-le-champ à l\'étable les
veaux lourmenîés de ces vers , et de les nourrir
avec du lait, du foin, etc. Quelques-uns en sont
guéris. Comme l\'automne approchoïî, et que ce
fâcheux accident ôtoit aux fermiers le courage de
continuer l\'inoculation, j\'ai été obligé d\'attendre
k printems de celte année.
J\'ai inoculé beaucoup de veaux à mes propres
dépens, et ies ai fait conduire dans le même pa-
cage où les veaux de l\'année précédente avoient été
attaqués si violemment de la toux ; mais jusqu\'à
présent je ne me suis pas encore apperçu qu\'ils
goient attaqués de cette maladie. J\'attendrai le
I i • mois d\'août pour examiner l\'eau des canaux et
des mares de ce pacage, afin de me convaincre
s\'il contient des vers ou non.
En attendant, on m\'a assuré que cette maladie
est périodique, et qu\'elle se déclare pendant une
&mée dans tel endroit où elle n\'étoh pas encore
li."
connue et où elle n\'est plus revenue depuis. Je
pourrois donc manquer l\'occasion de faire les ob-
servations nécessaires; mais on doit me faire pas-
ser d\'autres endroits des veaux qui sont attaqués
de la toux.
Du moment que je les aurai en ma possession,
je les ferai mettre dans des huttes dressées dans
mon verger, où, par de continuelles fumigations,
ils respireront un air salubre. Je ne manquerai pas
d\'instruire notre société (i) du succès de mes ob-
servations; car ce n\'est pas ma patrie seule , mais
l\'Europe entière qui est intéressée à connoître et
à traiter cette maladie, qui, si elle n\'est pas con-
tagieuse, est du moins plus terrible que la pul-
monie, puisqu\'elle coule la vie à tous les bestiaux
qui en sont attaqués.
Je prie messieurs mes collègues de faire connoî-
tre mes observations, particulièrement en Alle-
magne, où la contagion continue à régner dans
quelques endroits ; et d\'inviter ies naturalistes non-
seulement à examiner la nature de la maladie ,
mais à chercher également les moyens les plus
convenables et les moins dispendieux de la guérir.
Il seroit intéressant de savoir si la toux occa-
sionnée par les vers pulmonaires attaque et affecte
par-tout les bestiaux de la même manière?
CO La Société des Guïiêijs de la Esîors de Berlin.
-ocr page 202-L\'esprit de bienfaisance et d\'humanité règne
aujourd\'hui si généralement, que je ne puis pen-
ser, sans en éprouver un sentiment de joie , que
certainement il n\'y a point de peuple qui, en fai-
sant abstraction de toute idée pai-ticulière d\'inté-
rêt national, ne prenne part à ce grand objet, qui
les concerne tous indistinctement.
Klein Lankum, le 6 juillet 1776. ,
-ocr page 203-Ou des tumeurs qui surviennent aux cuisses des
jeunes veaux.
o n donne en Frise le nom de hilzucht (1) à une
maladie qui attaque les jeunes veaux dans toutes
les saisons de Fannée,en hiver comme en été,tant
à l\'étable que dans les pacages : elle leur cause en
peu de jours une mort certaine, sans qu\'ils aient
donné auparavant aucun signe d\'indisposition.
Cette maladie consiste en une tumeur qui, gé-
néralement, vient aux cuisses ou aux hanches des
Veaux, et quelquefois aussi à leurs épaules.
Elle cause un très-prompt spbacèle dans tous
les muscles de la Cuisse, des épaules ou des han-
ches , et qui pénètre jusqu\'aux os. Elle est toujours
(O Le moi bilzucht signifie littéraiement maladie des adsses.
ïi est composé de bit cuisse, et muctil maladies
-ocr page 204-inguérissable, et la mort en est une suite certaine.
Une fois parvenus à l\'âge d\'un an , les veaux
n\'en sont plus attaqués; et jamais elle n\'a lieu chez
l\'homme. On pourroit peut-être la comparer au
chancre aqueux ( i ), lequel est également une par-
faite mortification, et qui n\'attaque de même que
les enfans, principalement à la bouche, à la lan-
gue , aux lèvres et aux joues; mais quelquefois ce-
pendant aux parties sexuelles, ainsi que j\'en ai vu
un exemple chez une petite fille, qui en est morte.
J\'ai bien pensé à la furie infernale, que Lin-
nseus, Solander, Pallas et le pasteur Gœze ont si
bien décrite, et qui, en Suède et en Laponie, cause
aux hommes et aux animaux des douleurs atroces
suivies d\'une mort certaine; mais ces vers ne sont
pas connus dans les Pays-Bas. Solander dit, à la
vérité, qu\'un certain médecin hollandois , appelé
Naaldwyck , a donné à cette maladie le nom de
■pivero\\im,oord^m&\\s il m\'a été impossible de rien
découvrir ni touchant ce prétendu médecin , ni
touchant la maladie dont il doit avoir parlé.
Si l\'on ne savoit pas que ces tumeurs affligent
les veaux aussi bien l\'hiver à l\'étable que pendant
(O Ulcus rîonia. Le célèbre Sauvages a donné, dans sa Nosol\'
xneûu, tom. II, parag. 6, pag. 627, le nom de necrosis infantî-
Ik à celte maladie nouvelle, oii qui du moins n\'avoit pas encore
è té décrite j usqu\'àlors.
l\'été dans la prairie, j aurois pu croire qu\'il y avoit
quelque analogie entre ces deux maladies.
J\'ai eu occasion de disséquer un veau mort de
ces tumeurs, et j\'ai trouvé que le sphacèle avoit
engorgé la cuisse et toute la hanche gauche; le reste
étoit entièrement sain, ainsi que le cœur, dont les
vaisseaux lymphatiques étoient même remplis d\'un
meilleur lymphe que je ne l\'avois jamais vu chez
aucun animal.
Cette maladie, si funeste au jeune bétail, mé-
riteroit bien sans doute qu\'on s\'en occupât avec la
plus sérieuse attention.
Parmi les maladies qui, dans quelques endroits,
attaquent plusieurs bestiaux à-la-fois et qu\'on pour-
roit regarder aussi comme une épizootie , il faut
compter celle qui règne , de tems en tems , avec
beaucoup de violence en Frise, où elle est connue
sous le nom de véniji {"tfenyn)\', à cause que les
personnes qui écorchent et dépècent les bestiaux
qui en sont morts, sont, lorsqu\'elles viennent à sc
blesser, sujettes à des inflammations qui paroissent
vénimeuses, et qui dégénèrent bientôt en gangrène
etspbacèle, de sorte qu\'elles sont quelquefois mor-
telles.
Cette maladie paroît avoir beaucoup d\'analogie
avec celle que M. J. J. Lercbe a décrite (i). U
dit (2) : (( Que les personnes qui furent si violein-
« ment attaquées de cette peste, étoient celles qu»
■ï
}
i ;
i
i, 1
(i) N. Nqrcliscke Beytreege, tom, I, part, 1 , pag. 115.
(3) Principalement à la gage ia5.
« avoient manié les bestiaux morts de cette mala-
« die. » Il paroît qu\'en Suède et en Russie on mange
la chair des bestiaux qui meurent du vénin , sans
qu\'il en résuhe le moindre mal, ainsi qu\'on le fait
également en Frise. Ce n\'est qu\'en se faisant une
plaie et en trempant les mains dans le sang , ou
quelqu\'autre matière de ces bestiaux, qu\'on a ce
danger à craindre.
En 1785, cette maladie étoit fort commune en
Frise, mais seulement néanmoins dans les terrains
bas, particulièrement dans les environs des villes
de Sneek, d\'Ylst et de Workum. En 1756, ou à
peu près vers cette année, elle régna dans les nrê-
mes endroits. Il y a une ordonnance des régens de
la ville de Workum , du 16 octobre 1660, par la-
quelle il est rigoureusement défendu d\'apporter au
marché de la chair des bestiaux morts du vénin ;
preuve certaine qu\'à cette époque les bêtes à cor-
nes mouroient de cette maladie, et qu\'on en man-
geoit la chair. ^
Symptômes de cette maladie.
I. Les bestiaux paroissent se bien, porter;
mais l\'appétit se perd , et le lait diminue chez les
Vaches laitières. La rumination devient lente,
comme dans toutes les épizooties. On apperçoit ,
entre cuir et chair, de grosses tumeurs dessous le
cou, dessous les épaules, aux aines, et dans d\'au-
tres endroits du corps, mais principalement dans
ceux quV, je viens de nommer. Ces tumeurs sèchent
souvent, et disparoissent lentement, avec une
croûte dure au milieu. D\'autres contiennent du
sang et une sérosité jaunâtre 5 mais ces tumeurs ne
sont pas un signe de guérison ni de crise; du moins
sait-on que les bestiaux meurent aussi bien avec
ces tumeurs que s\'ils n\'en avoient pas. Les fer-
miers ont ici la coutume d\'appliquer sur l\'endroit
affecté un séton qu\'ils appellent wrang, et d\'y
, fourrer une racine d\'ellebore noir, qu\'à cause de
, cela on nomme en Frise ■wrangwortel. Dodonaeus
s\'est fort étendu sur cela. Les anciens appeloient
■ * par excellence cette racine radiculay Columelle (1)
J; ■ ♦ et Végèce (2) en parlent l\'un et l\'autre.
Elle étoit fortement recommandée ancienne-
ment, comme elle Fest encore aujourd\'hui, con-
tre les maladies cutanées et contre les humeurs
acres. \'
Cette racine ne guérit point la maladie dont
nous parlons, laquelle me paroit être d\'une nature
putride, comme il résulte de l\'ouverture que j\'ai
faite d\'une vache, mais avec les plus grandes pré-
cautions possibles , pour ne point me blesser aux\'
(1) Da re Rust,, lib. VI, cap. 5, parag-
(2) Lib. I, cap. 13, parag. 2 et 5,
3.
il - ■
toains, alosi que cela arrive facilement quand on
opère avec trop de précipitation ou avec de mau-
vais instrumens.
Le 6 septembre 1780, je me rendis, accompa-
gné de MM. D. et P. Fonlein , deux fermiers in-
Teiligens, de R. Halma, mon métayer, et de moa
plus jeune (ils Adrien, à une ferme située au vil-
lage d\'Oosîhem, pour y ouvrir une vache qui éîoit
morte de celte maladie la nuit précédente. Les
yeux et la paupière interne avoient conservé leur
couleur naîurelie-5 et il ne sortoit aucune odeur de
la bouche ni des naseaux. Je ne trouvai nulle part
des tumeurs dessous la peau ; et quoique les pis ne
continssent point de lait, elles étoient cependant
saines, même intérieuremenî.
Après que j\'eus ouvert le ventre, nous trouvâ-
mes l\'épiploon fort enllamméet mêmesphacelé en
plusieurs endroits.; le ventre contenoit une séro-
sité jaunâtre, et des membranes purulentes entre
les intestins et Fépiploon, ainsi que cela a de même
lieu chez Fhomme dans les inflammations des in-
testins et de la matrice.
Les estomacs n\'étoient point affectés extérieu-
rement, mais tous les intestins grêles étoient fort
«niiammés ; les gros intestins ne Fétoient pas tant;
cependant on voyoit ça et là des charbons.
La vésicule du fiel, qui paroissoit considérable-
«ient enflée, de manière qu\'elle avoit la grosseur
d\'line vessie de boeuf, se trouvoit remplie d\'un
fiel délié, et contenoit par en haut beaucoup d\'air;
ce qui e-st une preuve de corruption.
Pour me précautionner contre la contagion, je
commençai par frotter mes mains avec de Vun-
guentum pomatum , et j\'eus même soin de les es-
suyer de tems en tems pour les en frotter de nou-
veau; précaution que je n\'ai jamais prise avec l\'é-
pizootie , quoique j\'aie ouvert plus de six cents
bestiaux morts de cette maladie.
Le foie étoit en apparence sain , quoique les
vaisseaux lymphatiques commençassent à se mon-
trer. La rate se trouvoit fort enflammée et en-
gorgée.
Les intestins contenoient beaucoup d\'air, et des
déjections jaunâtres et liquides, mais qui n\'avoient
pas de mauvaise odeur.
11 y avoit emphysème entre le péritoine et les
intestins; preuveque les humeurs étoient déjà cor\'
rompues du vivant de l\'animal.
Les spectateurs ne voulurent point me permettre
d\'ouvrir le feuillet, crainte de contagion. Il étoit
en assez bon étal ; mais la caillette paroissoit fort
gonflée.
La matrice, portant fruit, étoit aussi enflam-
mée dans quelques endroits. Le foetus étoit mort
depuis quelque tems, ainsi que cela paroissoit pa^\'
sa peau qui se laissoit facilement enlever.
Les poumons étoient fort sains; mais les glan-
dnles du cœur {glanduîa thymus) étoient très-
enflammées et engorgées.
Le cœur se trouvoit en très-bon état.
Cette opération se faisoit en plein air , par un
tems fort orageux , avec de grandes ondées de
pluie; ce qui m\'empêcha de continuer mes opéra-
tions; et je n\'ai plus trouvé depuis occasion d\'ou-
vrir d\'autre bête morte de cette maladie.
Le sang tiré des bestiaux attaqués du vénin se
coagule entièrement sans donner la moindre séro-
sité; mais aussitôt qu\'ils se guérissent il ressemble
à celui des bestiaux parfaitement sains. Cependant
le sang n\'étoit pas coagulé dans cette vache. Ce
sang caillé et les autres circonstances dont j\'ai
parlé prouvent que cette maladie est une fièvre pu-
tride ou maladie pestilentielle, qui ne diffère de
l\'épizootie qu\'en ce que les poumons, les yeux et
les naseaux ne sont point affectés; secondement,
en ce qu\'il se forme en quelques endroits des tu-
meurs dessous la peau qui ont la grosseur de la
tête d\'un enfant, et même plus gros encore, les-
quelles deviennent souvent gangréneuses ; mais
elles se guérissent cependant parfois ; et contien-
nent aussi d\'autres fois du sang et une matière
ichoreuse, et disparoissent souvent totalement.
Cette enflure de la vésicule du hel n\'est pas un
symptôme spécifique dans plusieurs iiialadies. J\'ai
toujours trouvé cette partie extraordinairement
gonflée dans l\'épizootie; mais je l\'ai observé de
même dans une maladie violente de laquelle il
mourut, à une certaine époque, un grand nom-
bre de bestiaux dans Fétable d\'un fermier du pays
de Groningen; ce qui prouve que cette grosseur
n\'est pas un signe diagnostique.
Le danger de cette maladie paroît dépendre de
la violence de la fièvre putride ; mais je n\'ai pas
pu découvrir si elle tient au tempérament de l\'ani-
nimal; et quel est le tempérament qui y est pro-
pre. J\'ignore également si elle est épidémique, ou
si elle dépend d\'une certaine température de l\'at-
mosphère, et si elle n\'attaque enfin que quelques
bestiaux.
La durée de la maladie n\'est pas la même chez
tous les bestiaux.
ïls meurent également quoiqu\'ils aient ou non
les tumeurs dont j\'ai parlé, et tous à différens jours.
Les veaux, les génisses, les vaches et les taureaux
en sont également attaqués.
Il n\'est pas décidé que les chevaux y soient su-
|els, comme on le prétend en Frise, et comme
Lerche Faasure (i). On nous dit cependant qu\'il
venoit d\'en mourir un cheval, que j\'ouvris en re-
(î)Pag. «3.
-ocr page 213-îournant chez moi; mais je n\'y trouvai rien d\'ex-
traordinaire , si ce n\'est un peu d\'inflammation
dans les entrailles, comme cela paroît avoir ordi-
nairement lieu à la mort de tous les animaux.
Toutes ies autres parties étoient dans leur état na-
turel.
II. La chair de ces bestiaux paroît aussi peu
dangereuse pour l\'homme que celle des bestiaux
morts de l\'épizootie.
Mais on dit ici qiie les vapeurs qui s\'élèvent de
celte viande quand on la fait cuire sont malfai-
santes.
Il est certain que lorsque les humeurs de ces
bestiaux viennent à se mêler immédiatement avec
notre sang, ou qu\'elles touchent simplement quel-
que plaie, même de la peau seulement, elles y
occasionnent inflammation et gangrène, laquelle
devient quelquefois si violente que les patiens en
meurent. Lercbe dit la même chose, et recom-
luande dans ce cas le quinquina; il assure même
^ue tous ceux qui en ont pris ont été sauvés (1).
M. Hylke Steenstra, fameux chirurgien A Sneek,
^\'a écrit avoir observé que le sang et la bouse
îûême des bestiaux malades ou déjà morts de cette
i4
fOPag. 135.
III.
peste, peuvent occasionner les accidens graves
dont je vais maintenant parler. On a remarqué
aussi que des tanneurs avoient pris cette maladie
en préparant leurs peaux.
g. m. La plaie ou l\'abcès est, suivant M. Steen-
stra, ordinairement couvert d\'une croûte jaunâtre,
à travers de laquelle suinte une sérosité de la mê-
me couleur. Le bord de la plaie est rouge, ensuite
elle devient bleue et plombée, et prend prompte-
ment un caractère gangréneux, s\'il y vient des
pustules chargées d\'une séroshé jaunâtre.
Dans ce cas , il y fait des scarifications , qu\'il
frotte trois fois par jour avec une once de mer-
cure dissout dans deux onces d\'esprit de nitre y
jusqu\'à ce qu\'il s\'y forme une croûte, et que la
gangrène ne s\'étend pas davantage. Ensuite , il
panse ces plaies avec de l\'onguent de basilic et du
savon noir ordinaire , ou avec une fomentation
d\'eau et de vinaigre de vin, de l\'esprit de vin cam-
phré, etc. L\'alcali caustique, proposé par le célè-
bre Mederer(i), ainsi que par Fordyce et l\'abb«^
Fontana (2) , nous apprend évidemment que 1»
pierre infernale (/apis caasiicus) est le vrai spé\'
(Ji) Syntagma de rabie canina 1783.
(2) Sur les poisons, suppl. de la seconde partie, pag. 3 s 0.
-ocr page 215-cifique contre les morsures dangereuses de la vi-
père.
Intérieurement, le même chirurgien adminis-
troit la theriaca andromachi , le rob cambuci
ana deux gros, et faisoit prendre pendant le jour
le quinquina en nature. Far ces moyens , il est
toujours parvenu, dit-il, à arrêter à tems le mal;
à l\'exception d\'une seule fois , que le patient est
mort pour s\'être présenté trop lard à lui.
IV. Je ne crois pas que personne ait jamais
écrit expressément sur cette maladie , si ce n\'est
le médecin M. Van Phelsum (i), qui parle aussi du
vénin blanc ( \'i witte fenyn), comme d\'un moin-
d.re degré de la.maladie; et dans ce cas, dit-il, les
bestiaux ne perdent que leur poil. Les moutons
îi\'en sont jamais attaqués, à ce qu\'il assure. Quoi-
que la lecture de ce traité soit un peu pénible par
sa prolixité , on en est néanmoins amplement dé-
dommagé par plusieurs choses curieuses qui s\'y
trouvent.
V. Cette maladie, observée déjà depuis si
long-tems, est néanmoins fort peu connue, et
fS
( »1 ^erhandelitig over de Qenees\' en-Natuur\'hunde, Franeker
>776. ïVS"., pag. ,63.
ron ignore encore parfaitement sa cause; car si,
comme il y en a qui le pensent, c\'est à une certaine
plante qu\'on doit l\'attribuer , elle devroit cons-
tamment revenir à de certaines époques de l\'an-
née. Il est singulier d\'ailleurs qu\'elle ne se dé-
clare jamais dans les environs de Franeker, mai»
seulement dans les cantons dont il a été parlé plus
haut. Cependant en 1783 elle en approcha de fort
près , du moins sur des pacages de la même na-
ture, c\'est-à-dire, d\'une haute terre argilieuse ,
comme elles le sont presque toutes ici.
La maladie a régné avec fureur dans les lieuX
indiques plus haut, en 1756, 07. 64, 66, et en-
suite en 1785 et 1784, mais avec moins de vio-
lence cependant. Il est singulier que Lerche dise,
qu\'elle s\'est déclarée aussi en 1756 et 1764 auX
environs de Moscou, dans la Livonie et en Fin-
lande.
Je m\'étois flatté de trouver quelque chose sur
ce sujet dans les écrivains françois , surtout dans
les Mémoires de la Société roycde des sciences
de Paris^ mais j\'ai été trompé dans mon attente;
car je doute fort que la fièvre charboneuse et le
charbon du bétail aient quelque rapport avec no-
tre peste, comme il paroît par les écrits de tous
les auteurs qui en ont parlé , tels , par exemple ?
que Garac, Lorrin, Chabert et Marillet. Aucui»
d\'entre eux n\'est clair; tous cependant indiquent
SUR L\' É P I Z O O T I E.
beaucoup de remèdes fort dispendieux; sans son-
ger qu\'il importe peu au fermier de perdre son
bétail ou d\'en dépenser la valeur en médicamens.
Le prix d\'une bête ne dépend point de l\'attache-
ment qu\'on peut avoir pour elle,mais de ce qu\'elle
peut valoir au marché.
f
Klein Lankum, le 18 novembre 1786.
-ocr page 218- -ocr page 219-m
In quo virtus est, ei nihil de\'ést ad
heate vivendum.
r fvri\' A
I
M
a messieurs
DE LA SOCIÉTÉ DES SCIENCES DE HARLEM.
-lvx essieurs
Les plus anciens peuples et les plus sages
d\'entre les Grecs ont , comme vous , jugé que
l\'éducation des enfans étoit de la plus haute
importance pour la prospérité de l\'état. Lycur-
gue y en donnant des loix aux Lacédémoniens,
n\'a rien néglige de ce qui a rapport à la pro-
création et à l\'éducation des enfans ; il a réglé,
par de sages préceptes , leur discipline et leur
(\'liseignement • leur nourriture même et leurs vê-
iejnens fixèrent son attention. Platon a de même
parlé de la manière de les nourrir. Aristote et
^halès le philosophe ont pensé que , pour être
parfaitement heureux , il ne suffit pas de possé-
der de grands biens et un esprit orné ; mais qu\'il
faut de plus un corps sain et des membres ro-
bustes.
Dans votre cjuestion sur Véducation des en-
fans , vous paroissez demander des règles pro-
pres à conserver àV homme sa santé et d le faire
parvenir d un grand âge. Cependant je n\'oserois
décider si la vieillesse doit être regardée comme
un bonheur pour l\'espèce humaine. Il est vrai,
j\'en conviens , cjue Cicéron a fait un bel éloge
de la vieillesse J mais en même tems il a prouvé
d\'une manière évidente que ce n\'est nullement
un bien que l\'homme doive désirer. Il fait voir
également par des exemples remarquables cjue
ce n\'est qu\'au riche seul que la vieillesse peut
être supportable y mais que clctns le besoin , elle
n\'est cju\'unfardeau pénible, même pour le sage.
Quoiciu\'il en soit, la vieillesse peut offrir quel-
ques jouissances à l\'homme qui a conservé l\'w
sage de tous ses sens , avec un jugement sain et
une mémoire heureuse y mais le nombre de.
vieillards qui possèdent ces rares avantages est
fort petit , et il paroit absolument impossible
que ceux qui ne mènent pas mie vie réglée et
frugale puissent les goûter. Il faut pour cela se
nourrir d\'alimens légers, faire un exercice mo"
déré, et rassembler, pour ainsi dire, dès laplu^
tendre enfance, les forces nécessaires pour ren-
dre la vieillesse douce et agréable.
Mais en voulant m\'occuper des règles que de-
mande Véducation des enfans, je me vois ar-
rêté par r incertitude de savoir à quelle classe
de citoyens il faut que je les applique? Il est
certain c^ue le pauvre ne peut en faire usage
ceux d\'une fortune médiocre et les habitans de
la campagne sont également dans l\'impuissance
d\'en tirer un grand avantage. Je ne vais donc
écrire cjue pour les gens aisés ; pensée qui est
aussi affligeante pour mon cœur , cju\'elle l\'étoit
cmciennementpour Plutarque. Il me seroit doux
de croire cpie ces leçons pussent être utiles à toutes,
les classes de citoyens. Je suis persuadé cepen-
dant qu\'elles pourroient le devenir plus ou moins
au peuple même, si les directeurs des hospices
des orphelins vouloient les y introduire sur le
même pied qu\'elles peuvent F être dans la de-
meure du riche. Il faudra donc les combiner de
manière qu\'elles conviennent également et aux
uns et aux autres.
Il est nécessaire que je commence par déter-
miner ce qu\'on entend par l\'âge de l\'enfance ^
question sur laciuelle les philosophes ne sont rien
moins que d\'accord entre eux. Pythagore, Pla-
ton, Aulu-Gelle la font aller jusqu\'à vingt ans;
tandis qu\'Hippocrate et Aristote s\'arrêtent à
sept ans. Les uhs ont pensé au physique, les au-
tres à la morale : nous adopterons le sentiment
de ces derniers, parce que les membres se déve-
loppent à mesure que Venfant croit. Cependant
un enfant nouveau-né diffère beaucoup de celui
qui est parvenu « Vâge d\'un an ou plus. Celui-
ci , muni de dents , peut déjà s\'aider lui-même^
ou demander les choses dont il a besoin; tandis
que l\'autre est obligé d\'implorer le secours de
sa mère ou de sa nourrice par ses cris et par
ses larmes; et ce n\'est que par instinct qu\'il suce
le sein qu\'on lui présente. D\'ailleurs, son corps
n\'a de, mouvement que celui que lui donnent les
genoux ou les bras de la femme aux soins de la-
quelle il est confié. Il faut par conséquent ici
une manière différente de nourrir, de vêtir, de
gouverner. Je partagerai donc cette Dissertation
sur l\'éducation physique des enfans, de façon
qu\'en traitant danst chaque chapitre particulier
de la nourriture , des vêtemens et de l\'instruc-
tion des enfans en général, je ne perde point de
-vue les différens degrés d\'âge oii ils peuvent être
parvenus.
Je commencerai par m\'occuper de ceux qui
ne sont pas encore nés , ou , pour m\'expliquer
mieux , de leurs parens ; car la santé et la vi-
gueur des enfans dépendent beaucoup , non-seu-
lement de let constitution de la mère, mais égo."
lement de celle du père. Ensuite , je traiteraù
des maladies propres aux enfans, et j\'en indi-\'
querai les remèdes. Enfin, j\'examinerai si l\'ino-
culation de la petite vérole peut être utile ou non.
à l\'espèce humaine.
Je me croirai heureux, si, par ce travail, je
puis contribuer plus ou moins au perfectionne-
ment de la race de mes concitoyens, et s\'il peut
en résulter quelque utilité pour ma patrie.
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-ocr page 227-PHYSIQUE
CHAPITRE PREMIER.
De la procréation des enfans.
Pline (i) remarque que la nature est peu ré-
■guiière dans la procréation du genre humain , de
sorte que les parens donnent rarement le jour à
des enfans qui leur ressemblent: de ceux qui sont
bien conformés il provient des enfans contrefaits
et de ceux qui sont difformes on en voit naître de
bien constitués. D\'ailleurs, îesmères engendrent des
enfans qui tantôt ressemblent à elles-mêmes, tan-
tôt au père, et qui d\'autres fois n\'ont rien qui
(i) Hht. nat., lib. VII, cap. lo.
-ocr page 228-tienne de l\'un ou de l\'autre. Hippocrate a fort bien
développé cette idée: « Il est vrai, dit-il, que des
« parens sains et robustes produisent des enfans
« foibles et délicats; mais il faut Tattribuer à ce
« que le foetus a souffert dans le sein de sa mère;
<c car, en général, l\'enfant est bien constitué ou
<c foible suivant que\'la mère Jouit d\'une bonne ou
« d\'une mauvaise constitution (i). )>
Les parens ne paroissent pas égaleinent propres
à la génération dans tous les tems. Aussi Lycur-
gue (a) vouloit-il que les hommes ne connussent
que rarement leurs femmes , pour que leur ardeur
fut d\'autant plus grande et que leurs enfans fus-
sent d\'autant plus robustes. Plutarque (3) conseil-
îoit aux parens de s\'abstenir de vin , quand ils se
se disposoient à l\'acte de la génération. Lycurgue
défendit aux femmes enceintes de boire du vin ,
ou du moins vouloit qu\'elles le détrempassent avec
beaucoup d\'eau ; il désapprouvoit aussi qu\'elles
fussent trop assises. Tels étoient les sentimens des
anciens à cet égard. Parmi les modernes, Van De-
venter (4) conseille aux hommes d\'user avec mo-
dération de thé eî de café, afin de produire des en-
fans plus vigoureux.
<i) Fœs., tora. I, pap. 334, 3o et pag. 242 , 9, de Nat. Fueri-
(a) Xenop., de iMcedaem. Rep. , pag. 676 A—B,
(5) JJe Fduçat. Hier., tom. II, pag, J.
(4) Des maladies des eî, pag- 5o.
Les anciens(i) cro joient aussi que, par les seuls
effets de Timagination de la mère, l\'enfant étoit
susceptible de recevoir la ressemblance de telle ou
telle personne au moment même de la conception;
quoiqu\'ils n\'ignorassent pas d\'ailleurs que la fé-
condation se fait à l\'insçu des parens. Les moder-
nes ont porté plus loin ce pouvoir de l\'imagina-
tion ; ils ont soutenu, avec opiniâtreté même, que
le fruit déjà conçu pouvoit être endommagé ou
modifié par l\'imagination delà mère, et cela jus-
qu\'au moment même de la naissance. Mais l\'ab-
surdité de cette idée se détruit d\'elle-même, quand
on réiléchit avec respect à la prévoyance de la Su-
prême Cause qui gouverne l\'univers, et à la cons-
tance avec laquelle elle conserve aux dilférentes
espèces d\'êtres créés le caractère distinctif qu\'elle
leur a imprimé,
L\'espèce humaine seroit, en vérité, fort à plain-
dre , si le sort des enfans pouvoit dépendre de
l\'imagination ridicule, dépravée , souvent même
effrenée du père ou de la mère.
D\'autres, pour avoir de beaux enfans, ont re-
cours, corame le dit Pline, à des remèdes extra-
"^^agans, à des conjurations magiques; tandis que
d\'autres encore consultent l\'état des astres, comme
le veut Quillet dans sa Callipédie. En un mot, ii
(0 Plirse,/Z-iW,
III. i5 i;:;
iï-
-ocr page 230-226 de l\'Éducation
n\'y a rien de si bisarre, de si absurde, qu^on n^ait
imaginé pour parvenir à ce but.
Rien ne contribue davantage, en général, à la
génération d\'un enfant sain et robuste que la vie
réglée et modérée du père, la bonne constitution
de la mère, et la manière dont elle se nourrit. Le
vin, qui est nuisible à tous les hommes sans dis-
tinction , ne peut qu\'être fort préjudiciable aux
femmes enceintes, à cause de l\'acide acre qui en
résulte.
La foiblesse de l\'estomac produit des enfans ca-
cochymes. L\'usage immodéré du thé n\'est pas si
préjudiciable par la quahté même de cette infu-
sion que par la quantité d\'eau chaude qu\'on boit;
surtout si l\'on fait en même tems un grand usage
d\'huile, de beurre ou d\'autres matières grasses. Une
vie trop sédentaire est de même nuisible à la mère
et à l\'enfant ; c\'est par cette raison que les femmes
de la campagne, accoutumées à un travail jour-
nalier, donnent le jour à des enfans sains et ro-
bustes, et sont aussi généralement plus fécondes.
Une table frugale et des mets légers conviennent
également aux enfans avant et après leur naissance;
et le lait est plus abondant chez la mère qui se
nourrit de légumes et du lait de quelque quadru-
pède , que chez celles qui se rassassient d\'alimeus
délicats et substantiels.
CHAPITRE IL
Des soins qu\'il faut prendre des nouveaux-nés.
Au moment de la naissance, on coupe le cordon
ombilical de l\'enfant à une certaine distance,da
corps; distance qui paroît assez arbitraire, pourvu
qu\'on puisse en faire la ligature pour le laisser des-
sécher. Il se détache ensuhe de lui-même de sa
gaîne ; laquelle se contracte bientôt et forme une
profonde cicatrice.
Plusieurs voyageurs assurent cependant que les
enfans des Nqgres et d\'autres peuples sauvages sont
plus sujets à des hernies que ceux des Européens
parce que les parens négligent totalement de soi-
gner le cordon ombilical. Mais de quelle utilité
peut être la ligature à la cicatrice qui reste ? Ne
pourroit-on pas se passer entièrement de cette li-
gature , si l\'on coupoit le cordon ombilical à la
longueur d\'un empan ? Ne sécheroiî-il pas non plus
beaucoup plus vîte, exposé au grand air qu\'enve-
loppé de plusieurs linges? Peut-on croire que la
22s de l\'éducation
nature soit moins prévoyante à cet égard pour
l\'homme que pour les animaux?
Ces raisons, quoique suffisantes par elles-mêmes
pour appuyer mon assertion, acquerront cepen-
dant une nouvelle force, lorsque je les aurai éclair-
cies par des exemples. J\'ai, à cet eifet, examiné le
corps de plusieurs Nègres, et dans tous, à l\'excep-
tion de celui d\'un Négrillon, j\'ai trouvé le nom-
bril parfahemeut bien conformé. Selon moi, les
défauts du nombril doivent être attribués au tra-
vail pénible et continuel auquel on condamne les
enfans des infortunés Nègres et non à la négligence
des parens.
Du moment qu\'on a soigné cette partie, on lave
les enfans. Plusieurs peuples sauvages plongent im-
médiatement après la naissance leurs enfans dans
les eaux Iroides de quelque rivière, pour les ha-
bituer par-là au froid, comme nous l\'apprend
Aristote (1). Mais les Grecs les lavaient avec de
l\'eau chaude, et cela pendant long-tems, ce qu\'Hip\'
pocrate loue beaucoup (2). Il paroît cependant
•probable qu\'unbain froid ne seroit pas moins utiK\'
aux enfans qu\'aux adultes, si l\'immersion se fai-
soit dans une chambre d\'une température conve-
nable à la saison de l\'année; car on sait que 1«
(1) De Republ. , tom. Il, pag. 447*
(a) De Victus rat., pag. 539, lo»
froid resserredes parties solides et les renforce, ce
qui a particulièrement lieu avec l\'eau dont la pe-^
sauteur spécifique semble y contribuer pour quel-
que cliose.
Il faut exarainer avec soin tous les membres et
toutes les parties du nouveau-né, afin de prévenir
que quelque défaut négligé ne rende l\'enfant foi-
ble ou impotent, ou ne soit même la cause de sa
mort prématurée. On doit surtout avoir grand soin
de la tête: on sait qu\'on y découvre souvent des
tumeurs causées par des os défectueux; mais qui
disparoissent néanmoins insensiblement, aussitôt
que le cartilage s\'ossifie. Il 7 a des crânes qu\'on a
purifiés par art. Dans ces cas^ une matière cartila-
gineuse, tapissée d\'un double périoste, remplit la
partie que le cerveau ^ qui qberclie à s\'étendre en
tous sens, pousse en debors.ï\'V\'oilà pourquoi ces tu-
meurs , parliculièrement celles des os pariétaux,
s\'appellent hernies cervicales, lesquelles ont tou-
jours un bord osseux, qu\'il est facile de sentir. Il
faut garnir ces endroits foibles de compresses et
de ligamens, auxquels le mal cède constamment.
Il y a d\'autres contusions que la nature seule
guérit.
La lèvre fendue dans lé sein de la mère ne se
rejoint jamais natuiellement, et doit être rétablie
par le secours de l\'arl; mais cela ne peut se faire
que lorsque l\'enfant a six mois : avant ce tems, la
chair est trop molasse. Ce secours est d\'autant
moins urgent, que cela n\'empêche pas l\'enfant de
prendre le sein, parce qu\'il enveloppe letetin avec
tout le palais de la bouche.
Le mal est bien plus grand lorsque le palais est
également fendu , ce qui n\'est pas rare. Dans ce
cas, il est possible de rétablir la lèvre , mais non
pas le palais. L\'enfant conserve néanmoins la vie j
mais il lui reste un écoulement d\'humeurs par le
nez et il ne parle qu\'avec beaucoup de difficulté ;
jamais du moins il ne sauroit prononcer les lettres
/t et l.
Lorsque le palais manqué entièrement, comme
on le voit à la tête d\'un nouveau-né que je conserve
dans ma collection, l\'enfant ne peut vivre long-
tems. Quelquefois onguérit parfaitement une dou-
ble fissuî-e à la lèvre, comme cela paroît par les écrits
du célèbre îa Faye (i)5 cependant il en résulte tou-
jours une difformité i^emarquable.
Il arrive qu\'au lieu de trachée-artère il n\'y a
qu\'une simple fente dans la partie étroite de la
gorge; mais cela n\'empêche pas l\'enfant de par-
ler et de déglutiner.
Ensuite , il faut visiter les parties sexuelles et
l\'anus ; la nature étant souvent défectueuse dans la
(i) Mémoires de VAcadémie royale de chirurgie, tom. I>
jpag. 6o5.
eon formation de ces parties. Dans q uelques garçons,
l\'urètre est ouvert dans la racine du gland , et
quelquefois entièrement bouché. D\'autres fois un
prépuce trop long ou trop étroit empêche l\'urine
de prendre son cours. On appelle hypospadicei
ceux qui se trouvent ^dans le premier cas, dont il
ne résulte aucun mal pour eux, car ils sont égale-
ment propres à la génération. Mais ceux dont l\'u-
rètre est bouché meurent, si l\'on n\'a pas soin d\'en
ouvrir la voie par un coup de lancette. Il se forme
de petites pierres dans les prépuces trop étroits, à
moins qu\'on ne circoncise l\'en fan tj ainsi que Lit-
tre (i) en rapporte des exemples.
Quelquefois les parties sexuelles des filles sont
entièrement fermées, ou bien il n\'y a qu\'une pe-
tite ouverture dans la membrane connue des ana-
tomistes sous le nom d\'hymen. Je suis d\'avis qu\'il
y a du danger à percer cette membrane dans la
première enfance. Cela n\'empêche pas d\'ailleurs
l\'écoulement des eaux, et on peut ouvrir cette
membrane avec plus de sûreté, lorsque les mens-
trues y causent gonflement; sinon on court risque
de blesser la vulve, ce qui est même, pour ainsi
dire , impossible d\'éviter dans la tendre enfance.
Mais quand on néglige tout-à-fait ce défaut, les
(O Histoire de VAcdàâniie royale des sciences, »706, ,par0§. »*
pag-
-ocr page 236-menstrues arrêtées occasionnent de gran(!s manx.
Lorsque Forifice est un peu plus grand, les fem-
mes peuvent concevoir, à la vérité, mais elles ne
sauroient donner le jour à leur fruit : on trouve
dans Ruisch (i) un exemple remarquable à ce
sujet.
Le scrotum tuméfié cède facilement à l\'esprit
de vin, et n\'est d\'ailleurs sujet à aucune suite dan-
gereuse.
Les hernies que les enfans apportent en nais-
sant, et dont j\'ai donné la descriplion (2), doivent
être conteuues par des bandages convenables, pour
qu\'elles ne reparoissent pas à un certain âge et ne
rendent pas l\'homme incapable de travail.
Quelquefois un pied de l\'enfant est si tortu que
l\'usage lui en devient impossible. Les Anglois ap-
pellent çe défaut cluh-foot; auquel Cheselden (5)
veut qu\'on porte remède par des ligatures. Si l\'on
n\'y donne point l\'attention convenable , l\'enfant
marche sur la cheville du pied avec les orteils
tournés en dedans ; el il paroît de cette manière
se soutenir et marcher avec assez de fermeté; tant
(0 Obs anat. chir., obf. XVII, pag. 27.
(2j Verhand, door de hollandsghe Maatsch., deel, t stuck .
pag. 3")5.
(3) Obs after oper. in Surgery of M. Le Dran, tra?isL by Ca\'
taker, pi. Vlll, pag. 45a.
il est vrai que la nature prend toujours la voie qui
convient le mieux.
Tous les enfans ont les os ties cuisses et des jam-
bes courbés en dehors , pour occuper moins de
place dans la matrice; mais ces os se redressent
deux-mêmes, sans qu\'on leur prête le moindre
secours; car notre corps n\'a besoin d\'aucune ma-
chine, ni d\'aucun remède pour croître dans une
position droite. Cependant les anciens connois-
soient déjà l\'usage d\'accoutumer, dès la naissance,
les membres à prendre une position convenable.
Aristote et Plutarque en parient; et cette méthode
est parvenue jusqu\'à nous : on sait que nos gardes
d\'enfans redressent par des bandages les jambes
des nouveaux-nés dans leurs maillots. Andry (i)
veut même qu\'on place pour cela un coussinet en
forme de coeur entre Jes pieds; pour obliger par ce
moyen les orteils à se tourner en dehors d\'une
manière élégante; ce qu\'il faut considérer plutôt
comme ridicule que comme dangereux.
Mais n\'a-t-on pas également dans tous les pays
de fausses idées de la grâce et de la beauté? il y a,
comme on sait, des peuples qui perforent leurs lè-
vres, leur nez , leurs oreilles , que dis-je , leurs
parties naturelles même, pour les orner de plu-
mes, d\'osselets, d\'anneaux d\'or. D\'autres allon-
(O Onhoped., lom. 1, pag. aSo.
-ocr page 238-gent, avec effort, leurs oreilles et leurs seins; tau-
dis que d\'autres encore serrent leurs pieds au point
de ne pouvoir plus en faire usage.
La même forme de tête ne plai* point par-tout :
certains peuples d\'Asie lui donnent une forme
oblongue; d\'autres aiment la forme carrée. Stra-
bon (i) parle des Seguins qui prenoient une peine
singulière à rendre leur tête d\'une longueur ex-
traordinaire et à donner à leur front la forme d\'un
auvent qui avançoit beaucoup au-delà de leurs
joues. Il rapporte aussi (2), d\'après le témoignage
de Daimarque et de Magatistbène, que les Pano-
niens avoient la tête en pain de sucre; il paroît
néanmoins douter beaucoup de la véracité des
écrivains à cet égard. Je pourrois cependant garan-
tir facilement leur autorité, parce que je possède
une tête décharnée qui a cinq pouces rhinlandiques
de large, sur six pouces de haut et huit de long.
La partie supérieure du crâne ressemble à la ca-
rène d\'un vaisseau ; de sorte que les impressions
des muscles temporaux ne sont qu\'à deux pouces
de distance l\'une de l\'autre. Cependant ceux qui ne
cherchent point à contrarier la nature agissent avec
le plus de sagesse.
Les Nègres n\'écrasent pas le nez de leurs en-
(1) Lib. XI.
Void.
i
fans, comme on le croit généralement ; ils l\'ont
déjà comprimé dans le sein de la mère: cette con-
formation semble dépendre du sol natal. D\'ail-
leurs, le nez ne paroît plus petit et plus plat que
parce que les deux mâchoires saillissent davantage
en avant chez les Nègres que chez les autres hom-
mes. Les habitans du nord de l\'Asie ont le visage
plat et large, et les oszygomatiquesgrands et forts.
Chez nous les têtes sont, en général, plus larges
que hautes; et cependant nos os zygomatiques sont
minces et délicats. Selon ce que j\'ai pu remarquer,
les hommes qui ont les mâchoires supérieure et
inférieure larges , sont, en général, les plus ro-
bustes.
Il ne me paroît pas invraisemblable que la dis-
position de l\'esprit et la perspicacité de l\'entende-
ment dépendent plus ou moins de la conformation
du corps. On juge généralement assez bien de l\'une
et de l\'autre par les traits du visage et particuliè-
rement par les yeux. Les anciens en ont fait une
science, afin de pouvoir mieux discerner sans
doute le naturel de leurs esclaves, Galien, en trai-
tant des sentimens de Platon et d\'Hippocrate , a
cherché à donner plus de poids à la physiogno-
uionie par l\'autorité de Chrysippe. Celui-ci pen-
sait que les homme qui ont la poitrine large sont
naturellement d\'un caractère hardi, et que ceux
^ui ont les fesses d\'un gros voîiane sont d\'un na"
turel timide. Mais cette question m\'éloigneroit trop
de mon but 5 "je reviens donc aux noUveaux-nés.
Aussitôt que les enfans ont été lavés, on les em-
maillotte, ce qui ne doit pas se faire d\'une ma-
nière trop serrée; il faut, au contraire, que ce soit
le plus lâchement possible; mais de façon néan-
moins qu\'on puisse les manier sans danger. Les
femmes hollandoises ont la coutume de les placer
pour cela dans un lange de laine qu\'elles arran-
gent fort adroitemenî autour du corps, et attachent
ensuite avec de grandes épingles. Dans l\'hospico
des Eofans-Trouvés à Paris, on enveloppe légère-
ment le corps emmailloté d\'une bande; cequi suf-
fit pour pouvoir enlever l\'enfant et le changer de
place, sans craindre de le blesser.
Selon moi, il est nécessaire de bien couvrir la
tête des enfans pour garantir l\'ouverture qu\'il y a
entre le sinciput et les pariétaux , qu\'on appelle
fontanelle, jusqu\'à ce qu\'elle soit parfaitement fer-
mée; ce qui n\'a guère lieu en Hollande avant l\'âge
de deux ans, mais toujours avant celui de quatre
ans, à moins que l\'enfant ne soit sujet à quelque
maladie; et c\'est dans les enfans les plus robustes
que cela se fait le plus promptement ; parce que
toutes les parties solides croissent plus vîtes chez
eux.
On doit traiter avec un soin extrême les enfans
en Hollande ; cependant de différentes manières
suivant la saison de Tannée et la température de
l\'atmosphère. Un air libre et pur leur est fort sa-
lutaire ; et la chambre où on élève les enfans (que
nous pouvons appeler, avec Vitruve, l\'anti-cham-
bre à coucher (^antithalamus) des père et mère)
doit être située au midi, pour qu\'elle reçoive les
rayons du soleil.
Pendant l\'hiver, il est convenable d\'emmaillo-
ter les enfans devant le feu. Je tiens les poêles
comme fort nuisibles, parce qu\'il en résulte tou-
jours un air humide et même méphytique , qu\'il
est difficile de renouveller. Je conviens qu\'on peut
s\'en servir sans danger dans d\'autres pays où l\'air
est naturellement moins humide et plus pur qu\'en
Hollande.
A l\'âge de six mois, plus ou moins, on com-
mence à les habiller; ce qui va nous occuper ac-
tuellement, comme une chose fort essentielle à
leur bien être.
Quel que soit le costume qu\'on adopte, il faut
que le ventre soit bien couvert et soutenu , parce
que les intestins sont contenus dans des parties
molles. On doit aussi gai\'nir les côtés avec des corps
à baleines, pour que les gardes d\'enfaus ou les
uourrices n\'offensent point les côtes. Mais on fait,
en général, ces corps à baleines trop longs ; el
quand même ils siéroient parfaitement bien , ils
se relèvent et compriment les aisselles au point
sss de l\'éducation
d\'empêcher la circulation du sang dans les bras ,
et de faire allonger les clavicules qui sont encore
en partie cartilagineuses.
Il seroit plus convenable de composer ces corps
de pièces d\'étoffe de laine ; mais les mèies aiment
trop à voir que leurs enfans aient une taille longue
et svelte, pour qu\'on puisse espérer qu\'elles aban-
donnent cet usage. C\'est de cette manière que les
belles formes de l\'homme se trouvent gâtées, sans
que les loix d\'un sage gouvernement puissent em-
pêcher cet abus. Je quitte donc ce sujet pour exa-
miner l\'usage des berceaux, que quelques méde-
cins condamnent comme préjudiciables aux facul-
tés intellectuelles des enfans.
Il paroît par Martial (i) que les anciens ont
connu Fusage des berceaux ; car il gourmande
Charidème , qui étoit jadis son berceur. II est mê-
me probable que ces berceaux ne dîfféroient pas
beaucoup des nôtres. Plusieurs médecines n\'approu-
vent pas Fusage de bercer les enfans, parce que les
oscillations continuelles doivent occasionner , di-
sent-ils, des vertiges. Quand à moi, je ne les crois
pas absolument nécessaires, et ne les regarde pas
non plus comme fort nuisibles ; car il est probable
que H. Grotius, Huyghens et Boerhave ont été
(!) Lit. XI, epigr, XL, pag. 160.
-ocr page 243-DES ENFANS, âog
bercés tout comme les autres enfans en général j
cependant je suis persuadé qu\'il n\'y a pas de pays
au monde qui ait produit de plus grands génies
qu\'eux.
J\'aime assez les berceaux, parce qu\'ils donnent
au corps un mouvement doux et procurent un
certain calme à l\'esprit : il ne faut donc pas les re-
jeter ; à moins qu\'on ne veuille soutenir, avec
Aristote (i), que les cris et les pleurs servent à
fortifier les enfans. Cela peut être vrai à un certain
âge, mais nullement pour les nouveaux-nés. Au
contraire , les cris continuels leur occasionnent
des hernies , qu\'on ne parvient ensuite à guérir
qu\'avec beaucoup de difficulté.
Les sièges percées sont, selon moi, très-nuisi-
bles à la santé, surtout quand on y laisse les en-
fans long-tems assis ; cependant il seroit assez dif„
ficile de se défaire de cette habitude , et cela est
même , en quelque sorte , impossible parmi la
classe peu fortunée des citoyens. Les exhalaisons
acres des excrémens et le froid de l\'air ambiant
sont préjudiables; d\'ailleurs, la continuelle pres-
sion fait sortir le rectum, qu\'on a de la peine en-
suhe à contenir dans le corps. Pline (2) conte sans
doute une fable , quand il dit qu\'on fait rentrer
(1) DeRepubL, Iib \\1I, cap. 17, pag. 448. B~ C.
(2) H in. nat., tom n. Jib, XXII, cap. j 5.
-ocr page 244-DE L\'Éducation
cet intestin aux enfans en le touchant simplement
avec des orties. Les gens aisés feront mieux de ne
pas se servir de ces chaises; il est plus convenable
de changer souvent de linge aux enfuns devant le
feu, en ayant soin que ce linge soil bien sec.
Pendant les premiers mois après la naissance ,
les enfans ont besoin de dormir beaucoup pendant
le jour; quand ils sont éveillés il faut que la nour-
rice ou la garde les tienne sur le bras ou sur le gi-
ron , et les agite doucement. On doit aussi parfois,
quand le tems est beau , les promener en plein air
dans une petite voiture : l\'air et le soleil contri-
buent puissamment à leur santé. Mais il est essentiel
de veiller que la nourrice les porte tantôt sur le
bras droit et tantôt sur le bras gauche , pour que
l\'épine du dos ne se courbe pas ; car on sait que
c\'est sur le bras gauche que les nourrices aiment
de préférence à tenir les enfans, pour avoir plus
de facilité à les aider de la main droite.
Je ne puis montrer assez mon étonnement de ce
que les nourrices, les mères mêmes, excitent leurs
ejifans à courir lorsqu\'ils peuvent à peine se tenir
sur leurs pieds? Par ces elïbrts prématurés, les fé-
murs, les tibia et les chevilles des pieds des en-
fans prennent une position vicieuse, parce qu\'i^"^
sont encore trop foibles pour soutenir le poids du
corps. Ces efforts d\'ailleurs ne les font ])ar mar-
cher plutôt ; car ii ne s\'agit pas seulement pour
cela de forces, mais d\'une expérience qui ne s\'ac-
quiert qu\'avec le tems.
11 est naturel aux enfans de commencer par se
traîner sur leurs quatre membres, comme les qua-
drupèdes , jusqu\'à ce qu\'ils s\'apperçoivent qu\'ils
ont assez de force pour soutenir le poids de leur
corps; alors ils se redressent et se liasardeai peu à
peu à marcher debout. Les habitans du Sénégal
abandonnent entièrement ce soin à la nature. Adan-
son (i) dépeint d\'une manière pittoresque îa ma-
nière dont ils se traînent d\'abord comme les sin-
ges sur leurs mains et sur leurs pieds, dans le sa-
ble. « Les enfans de l\'un et de l\'autre sexe, même
« ceux qui avoient déjà neuf ou dix ans, age au-
« quel commencent à se déclarer les signes de pu-
tt berté, étoient réellement nus. ... On sera sans
« doute également surpris d\'entendre dire que les
« enfans qui avoient à peine six mois comrnen-
(( çoient à marcher abandonnés à eux-mêmee,
« C\'étoit un plaisir de voir ces foibles créatures se
« traîner, au soleil sur le sable, à quatre pattes
« comme de petits singes. )>
Il est rare , suivant Markgraaf (2), de trouver
au Brésil des borgnes ou desboileux.il s\'en étonne
d\'autant plus (tel est l\'empire de la prévention )
(O F"oyage au Sénégal, pag. 3o.
(2) Hist, nac. ûrasil. fisonis., lib. VIII, cap. 5.
-ocr page 246-qu\'on ne s\'y sert ni de maillots ni de bandages
pour les enfans; tandis que c\'est pour cette raison
même que ce peuple est bien fait.
Il est impossible de faire comprendre à nos
compatriotes que leurs enfans marcberoieut d\'eux-
mêmes debout. Ils leur donnent donc de bonne
heure des lisières , pour les soutenir plus facile-
ment, et se font par-là illusion sur les forces pi-é-
maturées de leurs enfans.
Ces lisières, faites de ruban ou de saiigle, s\'at-
tachent à une ceinture ou au corset. Quelquefois
on se sert, à la manière angloise, d\'une pièce d\'es-
tomac de cuir de Turquie , à laquelle tiennent,
sur les épaules , des lisières du même cuir. Mais
de quelle façon qu\'on s\'y prenne, ces machines
montent du moment qu\'on y suspend l\'enfant.
Tout le poids du corps n\'est plus soutenu alors que-
par les clavicules ; ce qui les allonge davantage en
core que ne le fait même l\'usage des corps à ba-
leines dont j\'ai parlé plus haut ; et occasionne, en
même tems, une altération vicieuse dans la struc-
ture du corps; sans parler de la diminution de for-
ces qui en résulte.
II faut convenir cependant que ces lisières sont
d\'une grande utilité pour retenir avec sûreté les
enfans sur leurs chaises. En Asie et en Afrique ces
précautions sont inutiles : les nourrices et les fem-
mes chargées du soin des enfans y sont assises par
terre, et soutiennent par conséquent avec plus de
facilité leurs nourrissons lorsqu\'ils chancellent.
Les mères prudentes préviennent encore les con-
tusions que les enfans peuvent se faire à la têîe en
tombant ou en se cognant, en leur donnant des
bourrelets faits de pièces d\'étoffes de laine ou rem-
bourrés de crin de cheval brûlé. Ces bourrelets sont
fort utiles lorsqu\'ils sont épais, de manière à dé-
passer le nez et les orbites des yeux; sinon je les
regarde comme nuisibles à la forme et à la crois-
sance de la tête; et dès que l\'enfant se tient ferme
sur ses jambes cette espèce de coëffure devient ab-
solument inutile, parce que l\'eniant, par une ad-
mirable disposition de la nature , retire en tom-
bant sa tête en arrière ; desorte que c\'est plutôt le
menton ou le nez ou quelque autre parîie du vi-
sage qui se trouve blessé, comme on peut s\'en con-
vaincre par les cicatrices qu\'on voit chez les adul-
tes. 11 faut donc, à cette époque, faire quitter les
bourrekts aux enfans, pour que la transpiration
de la tête se fasse plus librement.
Les mères ont quelquefois trop soin de la che-
velure de leurs filles, et la retirent trop en arrière
par des rubans; ce qui allonge communément la
tete, et îa comprime même un peu, particulière-
ment au-dessus de la région frontale, où le crâne
est, en général, le plus élevé.
îl n\'est pas moins important que l\'épine du dos
-ocr page 248-se conserve bien droile, et il seroit à désirer qu\'on
laissât à la sage nature le soin de veiller à cet égard.
Mais, hélas ! les parens ne s\'en rapportent point à
elle , et préfèrent l\'usage des corps à baleines.
C\'est par une suite de cette erreur qu\'on voit un
si grand nombre de personnes contrefaites et dif-
formes, tant en Hollande, qu\'en Angleterre et en
France. 11 est donc nécessaire de paider ici de l\'u-
tilité et du danger des corps à baleines.
Les corps à baleines peuvent être bons , en
quelque sorte, pour donner la facilité de manier
les enfans avec moins de danger et sans offenser
leurs côtes; mais ils deviennent inutiles lorsqu\'ils
ont acquis plus de grandeur et de force : ils ne ser-
vent alors qu\'à donner quelque grâce aux vête-
mens. On pourroit permettre cet usage, s\'il ne con-
tribuoit pas à altérer la forme du corps. Mais on
comprime les côtes juslement à l\'endroit où ia na-
ture leur donne le plus de longueur et d\'ampleur;
et cela pour rendre la taiUe svelte et faire ressem-
bler des enfans de trois ans à de petites nourrices
par une poitrine potelée.
Cependant l\'enfant grandit, et l\'épine du dos,
comprimée en différens sens, prend nécessaire-
ment la forme des corps à baleines , et croit de
travers; desorte que la petite fille , pour paroître
inignone et gentille, devient bientôt bossue. C\'est
néanmoins dans les villes et surtoutparmi îes gens
aisés que cet étrauge abus a paniculièrement lieu ;
de manière que sur mille femmes à peine y en
a-t-il dix qui aient l\'épine du dos droite. De-là
résulte une grande foiblesse de constitution , une
poitrine gênée, des maladies de reins , et la diffi-
culté d\'accoucher, souvent mortelle pour la mère
par le rétrécissement du bassin. La tête, ie visage
même , se jettent très-souvent de travers ; car le
cerveau, dont le poids ne se trouve pas dans un
jusle équilibre, rend le crâne difforme. Lorsque
l\'épine du dos est fort coui\'bée , il est rare que
l\'individu atteigne un certain âge: il meurt d\'hy-
dropisie.
Je blâme d\'autant plus l\'usage des corps à ba-
leines, que je vois que les peuples qu\'un luxe dé-
pravé n\'a pas corrompu au point de s\'en servir ,
engendrent des enfans sains et bien conformés ,
o ^ ^
ainsi que je l\'ai fait remarquer plus haut par des
exemples tirés de Markgraaf et d\'Adanson. Ce-
pendant la plupart des écrivains prétendent qu\'il
faut plutôt attribuer ce bienfait de la nature,-à
Finlluence du climat; mais ils reconnoîtroient fa-
cilement leur erreur, s\'ils vouloient jeter les yeux
les hommes de notre patrie. Ce n\'est que ra-
î\'ement, et par accident qu\'ils ont le corps de tra-
ders , et alors c\'est, en général, par derrière qu\'ils
Sont bossus, parce qu\'en grimpant\'contre de.St en-
\'sroits escarpés ils sont plus sujets à tomber. Si
donc les garçons parviennent à avoir la taille
droite sans faire usage des corps à baleines, ])our-
quoi n\'en seroit-il pas de même des filles? Et d\'où
vient que les filles des personnes riches ont pour
la plupart ce défaut, si ce n\'est parce que les mè-
res ont la cruauté de les mettre à îa gêne dans leurs
habits.
11 s\'y joint encore un autre abus : pour que ies
filles paroissent avoir une grande taille , on fait
les corps à baleines plus longs qu\'il ne convient ,
et rien n\'est certainement plus dangereux. Andrv
dit, à la vérité , qu\'on doit changer souvent ces
corps, et qu\'il ne faut pas qu\'ils soient trop étroits;
mais il en recommande l\'usage pour trop de dif-
formités différentes du corps; comme si la nature
avoit besoin du secours de l\'homme.
Il faut donc rejeter le corps à baleines aussitôt
qu\'on s\'apperçoit que l\'épine du dos commence ù
s\'arquer; ce qui se remarque le mieux par la posi-
tion oblique de la tête et l\'éminence des épaules,
surtout à l\'âge de quatre ou cinq ans. 11 est urgent
alors de laisser agir la nature en liberté pour que
l\'enfant se redresse. On doit se garder surtout de
chercher à comprimer ies épaules par des banda-
ges , quand même ils seroient de laine ou de
bayette, ou à mettre un soutien sur le devant de
la gorge : tout ce qu\'on emploie, dans ce cas, com-
me remède, ne sert qu\'à empirer le mal. Je parle
îci des corps qui sont de travers (scolioses), el non
des bosses sur le dos {cyphoses). On peut remé-
dier aux uns par des remèdes externes ; il n\'y en
a point pour les autres. Si vous doutez de ce que
je dis, consultez les parens qui n\'ont épargné au- \'
cuns soins pour redresser la taille de leurs filles :
conseils, suspensoirs, colliers,plaques de fer, cor-
sets de fer, tout, vous diront-ils, tout a été mis
inutilement en usage. Contemplez ensuite leurs
filles mêmes, et leur monstrueuse conformation
vous convaincra de la vérité de ce que j\'avance. Il
\'laut cependant sacrifier un peu à la mode, en fai-
sant des corsets de quelque étoffe delaine ou de
toile. Si l\'on veut employer îa baleine, on doit veil-
ler à ce que ie corset ne soit pas trop étroit, et
plutôt trop court que ti-op long; mais il faut se
garder d\'attacher le corset sur les épaules avec des
noeuds de ruban. Je crains cependant que cette
méthode ne soit trop enracinée, pour qu\'on puisse
s\'en défaire.
Je n\'ai rien à dice sur l\'habillement, si ce n\'est
^ti\'il faut placer à nu sur le ventre une large cein-
ture de toile, surtout aux filles, parce qu\'elles ont
généralement l\'abdomen découvert.
On se sert quelquefois de bottines de cuir pour
prévenir îa foiblesse des os de la jambe et de la
cheville du pied; ce qui peut être utile si elles sont
^^ien faites. Cependant Je préférerois les sandales
avec des ligatures en échiquier. Mais il faut avant
tout examiner si la foiblesse provient du corps en
général, ou seulement des pieds, ou si elle ne doit
pas être attribuée à des souliers trop larges? On sait
qu\'Horace dit, eî avec raison : Qu\'une chaussure
trop large fait broncher (i).
Que les souliers soient donc, comme nos autres
vêtemens, faits exactement pour nos pieds; sans
quoi, non-seolement ils nous gênent, mais il en
résulte mille incommodhés.
Jamais je n\'ai pu m\'empêcher de rire en voyant
les peines singulières que se donnent les gens ri-
ches pour apprendre à leurs enfans à s\'asseoir , à
marcher, à danser avec grâce? Pour y parvenir ,
ils emploient des fauteuils garnis de cent différen-
tes machines de bois , pour forcer les orteils à se
tourner en dehors;,et sous le siège ils placent un
appui pour qu\'il ne s\'enfonce pas quand on s\'y as-
sied. Andry a donné le dessin et la description
d\'un pareil fauteuil; mais quel est l\'homme assez
peu instruit pour ignorer que l\'épine du dos des
enfans prend avec le tems ia forme d\'un S, à me-
sure que la tête et les autres membres qcx sont pla-
cés au-dessus du centre de mouvement du corns
prennent leur accroissement ? Qui ne sait pas qu\'il
(l) ......XJt, calceiis olim ,
Si Jiede major erit. subvertet.
-ocr page 253-est impossible que nous puissions nous tenir fer-
mes sur nos jambes, si nos pieds ne forment pas
un angle? ainsi que nous l\'apprennent suffisam-
ment Boreili et Desaguilliers, qui ont parlé d\'une
manière si satisfaisante des loix de la pondération
du corps humain.
De la nourriture des enfans.
IM M É D1A T E M E N T après Icur naissance , les
enfans n\'ont besoin d\'aucune nourriture, et il ne
faut leur en donner qu\'après qu\'ils ont lâché le
Ventre; car leurs intestins , surtout les gros , sont
î^e/nplis de déjections. Il vaut donc mieux qu\'ils
^estent sans manger jusqu\'à ce que les seins de la
mère soient remplis; ils tetent d\'ailleurs avec plus
d\'avidité lorsque la faim les presse. Je pour-
l\'ois entrer ici dans une longue discussion ; si je
vouioîs rappeler tous ies devoirs des mères, et ré-
pei.Pï ce au\'Avilu-Gelle nous a conservé du ])hilo-
sophe Favorin à ce siijeî ; mais il est inutile de
m étendre beaucoup sur cette matière ; la sage na-
ture, les seins gonflés par le lait, la tendresse ma-
ternelle, et généralement le peu de fortune, for-
cent les mères à nourrir elles mêmes leurs enfans.
D\'ailleurs , notre siècle n\'est pas encore assez dé-
pravé pour que ces sources précieuses soient en-
tièrement taries parle désir de conserver un peu
de beauté passagère. Le plus souvent c\'est la foi-
blesse qui empêche la mère d\'avoir du lait; quel-
quefois aussi ce sont ses excès : il faut alors avoir
recours, malgré elle, à une nourrice; princij)ale-
ment lorsque l\'enfant est d\'une constitution foi-
ble , comme cela arrive ordinairement dans ces
cas.
Cependant c\'est le lait de la mère qui convient
le mieux à l\'enfant; mais lorsqu\'il manque on doit
bien prendre une nouiTice mercenaire; et c\'est le
lait de femme qui est la meilleure nourriture. Il
convient donc de choisir une nourrice saine , qui
soit accouchée dans h même tems que la mère ,
parce que le colostre ou premier lait purge les en-
fans et chasse le meconium.
Mais les nourrices bien saines sont fort rares
dans les grandes villes; on peut même les soup-
çonner toutes d\'être attaquées de la maladie véné-
rienne qui s\'étend de jour en jour davantage. Si
l\'on prend quelque fille séduite, on fait courir à
l\'enfant de grands dangers, qui sont un peu moin-
dres, à la vérité , avec les. femmes mariées j ce-
pendant la mauvaise conduite de leurs maris ne
permet pas d\'être entièrement tranquille sur k
sort du pauvre nourrisson.
Il est nécessaire que la nourrice soit bien nour-
rie , c\'est-à-dire, qu\'elle mange des alimens légers
et succulens qui contribuent à augmenter son lait;
mais, suivant Aristote et Pline, il ne faut pas
qu\'elle boive de vin; je pense que le vinaigre est
également nuisible, ainsi que tout ce qui peut em-
pêcher la coction des alimens. On ne doit pas per-
mettre non plus qu\'elle se livre aux embrassemens
de son mari, parce que cela dissipe les sucs les plus
subtils et les plus nutritifs.
Du moment que la nourrice se trouve enceinte,
on doit sévrer l\'enfant; sans quoi il est à craindre
qu\'on ne détruise le fruit qu\'elle porte. C\'est pro-
bablement pour celte raison que Pline dit (i) que
la conception est mortelle pour les nourrices.
Il arrive assez souvent que les nourrices merce-
Raires cessent d\'avoir du lait, parce qu\'elles sont
trop bien nourries et mangent des alimens aux-
quels elles n\'étoient pas accoutumées. Cependant
les parens peu attentifs ne prévoient aucun mal,
^près qu\'ils ont recommandé d\'avoir soin des nour-
(0 Orthoped., cap. 33, pag. 46.1.
-ocr page 256-m
rices. L\'enfant reçoit alors peu de lait; mais en re-
vanche on le bourre d\'alimens qu\'un adulte au-
roit de la peine à digérer. Je passe sous silence
mille autKes abus qu\'on pourroit prévenir ou dé-
truire, si, dès îa naissance même (quand la mère
se trouve sans lait), on nourrissoit l\'enfant avec
des alimens convenables à son age, et dont je vais
maintenant parler.
Quand il est impossible de se procurer du lait
de femme, il faut prendre du lait de chèvre ou
d\'ânesse, quoique la digestion en soit moins facile
pour les enfens d\'une constitution foible. Ce lait
s\'aigrit promptement et occasionne par son acreté
des vomissernens et des convulsions , parce qu\'il
ne s\'est pas encore convenablement assimilé avec
le lait de femme, et surtout avec le corps débile
de l\'enfant. C\'est néanmoins le lait de chèvre qui
est le plus doux et le meilleur pour l\'estomac ;
quoique celui de vache soit regardé comme le plus
sain; mais, en général, le lait qu\'on peut se pro-
curer le plus commodément, et que l\'animal tire
de meilleurs alimens , me \'paroît préférable. J\'ai-
merois beaucoup qu\'on se servit de lait de chèvre,
parce qu\'on peut garder ces animaux chez soi, et
qu\'en îes nourrissant d\'herbages salutaires , on
améliore leur lait de plusieurs manières différen-
tes, au point même qu\'il devient tout à-la-fois une
nourriture saine et un remède bienfaisant. C\'est
polu" ces raisons, selon moiqu\'il mérite d\'être
préféré au lait d\'ânesse , à moins qu\'on ne puisse
nourrir ép^alement cet animal cliez soi. Mais les
hommes aiment, en générai, à croire que ce qui
coûte le plus cher doit aussi être regardé comme
le meilleur.
Le colosîre fait avec quelque espèce de lait que
ce soit, peut également être employé avec utilité :
en général même, il seroit assez nourrissant, mais
il contient trop d\'acide.
Le lait pur, je parle du lait de vache, est trop
liquide et trop venteux j c\'est pourquoi on y mêle
un peu de farine, de mie de pain ou de biscuit,
pour le réduire en bouillie.
Dans l\'hospice des En fans-Trouvés de Paris, la
bouillie se fait avec du Jait, de la farine de fro-
ment et quelques jaunes d\'œufs, qu\'on fait cuire
ensemble, et qu\'on laisse refroider ensuite pour
enlever la pelhcule qui s\'y forme, afin que la di-
gestion en soit plus facile. On fait rechauifer cette
bouillie, lorsqu\'on veut en donner de tems en tems,
mais à des intervalles fort coui-ts, aux nouveaux-
nés , jusqu\'à ce qu\'ils fassent appercevoir qu\'ils
sont sufiisammept repus. Il est nécessaire de né--
loyer souvent les vaisseaux qui servent à cet usa-
ge ; car on ne sauroit croire combien leur mal-
propreté contribue à faire abonder l\'acide du lait;
ne sais cependant si les enfans pourroient long-
-ocr page 258-254 De l\'éducation
îems user de cette nourriture sans en être incom-
modés, parce qu\'en générai on les envoie au bout
de trois ou quatre jours chez de bonnes nourrices
à la campagne.
En Hollande, les femmes font souvent bouillir
de la mie de pain dans du lait ; mais pour cela il
faut que le pain soit parfaitement bien cuit , sans
quoi cette bouillie devient si visqueuse que les en-
fans ne peuvent pas la digérer.
Nos femmes de la campagne nourrissent leurs
enfans avec du lait de beurre, du petit lait et du
lait de vache pur; ce qui sembleroit prouver que
toutes sortes d\'alimens sont bons pour les enfans,
lorsque les parens sont accoutumés à s\'en nour-
rir eux-mêmes ; et cette observation peut s\'appli-
quer , non-seulement à l\'espèce humaine, mais
également aux animaux et même aux plantes.
J\'ai fait nourrir mes propres enfans avec de la
bouillie préparée de la manière suivante, dont ils
se sont fort bien trouvés, et qui ies a rendus ro-
bustes, quoique j\'attribue d\'ailleurs leur tempé-
ralhent vigoureux à ia bonne constitution qu\'ils
ont apporté en naissant; et je puis assurer qu\'ils
ont été fort peu tourmentés par des aigreurs.
On prend du biscuit fait de farine de froment
qu\'on fait cuire avec de l\'eau de pluie dans un pot
de terre vernissé, en le remuant avec une cuiller
de bois, jusqu\'à ce que le tout soit réduit en une
bouillie épaisse, qu\'on peut garder ensuite peu-
plant un ou deux jours, si le tems n\'est pas trop
chaud. Quand on veut s\'en servir, on le remet sur
îe feu, en y ajoutant un peu de savon d\'Espagne,
dont on dissipe l\'amertume par du sucre. Versez-y
ensuite autant de lait pur de vache froid qu\'il est
nécessaire pour le délayer au point que l\'enfant
puisse l\'avaler. Il ne faut jamais faire rechaulfer
Cette bouillie une seconde fois, parce qu\'elle s\'ai-
.grit alors plus facilement dans l\'estomac des en-
fans.
Je leur ai fait administrer aussi matin et soir
yne bonne tasse de lait de chèvre, non parce que
le le crois meilleur que celui de vache , mais à
Cause de la facilité que j\'avois à me le procurer ,
\'^omme je l\'ai dit plus haut.
Du moment que l\'haleine de l\'enfant annonce
des aigreurs, il faut augmenter la dose de savon ,
ne pas craindre que la quantité de sucre que l\'on
emploie en conséquence puisse être nuisible : c\'est
excellent sel oléagineux, mais doux, propre à
Pi\'évenir la putréfaction. Geolfroi (i), qui lui at-
^^ibue de bien plus grandes vertus, dit qu\'il con-
^^^\'ibue à la coction des alimens dans l\'estomac , et
l^e, luêlé avec quelque huile, il calme les coli-
ques des enfans.
(0 Mat, med. , tQm. Il, pag, 746.
-ocr page 260-256 de l\'Éducation
L\'immortel Boerhave (i)a levé sans réplique les
doutes qu\'on pouvoit avoir sur les qualités du su-
cre. « C\'est à tort, diî-il, qu\'on prétend que le su-
u cre est nuisible à l\'homme; ce qui n\'a jamais été
« prouvé. Le sucre, ajoute-t-il, est le plus pur des
« savons, ou plutôt un sel oléagineux naturel, qui
« sert à diviser la ténacité et la viscosité des hu-
« meurs ; et, mêlé avec de l\'huile, il donne sur-
(c le-champ un bon savon. » Le sucre doit donc
avoir les mêmes vertus lorsqu\'il est mêlé avec les
alimens.
Nous avons dans ce pays la coutume de faire
boire aux enfans du lait pur ou du petit lait d\'une
bouteille d\'étain dont le bout est garni de peau de
chamois, Mais les enfans qui s\'en servent inspirent
trop d\'air. On a cherché à remédier à ce défaut,
çn y mettant un syphon ou tuyau qui descend jus-
que près du fond de la bouteille ; mais l\'enfant
doit alors employer trop de force pour en tirer la
liqueur. D\'ailleurs, ce tuyau de métal déplait aux
enfans quand la dentition commence à se faire ;
et le lait s\'aigrit promptement dans ces bouteilles.
Je pense donc qu\'il vaut mieux rendre la bouillie
assez liquide pour qu\'elle puisse servir en même
tems de boisson. Î1 faut donner souvent par jour
de cette bouiUie aux enfans, mais une seule fois
(1; Oper. chem. , proc. X.XVIII, parag. 3, pag. 63,
-ocr page 261-Suffit pendant la nuit; jusqu\'à ce qu\'ils aient deux
Qu quatre dents dans la mâchoire supérieure , et
deux ou un plus grand nombre dans l\'inférieure:
on peut alors donner aux enfans quelque autre
nourriture qui soit d\'une facile digestion.
Je défends l\'usage des vins de quelque espèce
qu\'ils soient pendant tout le tems que l\'enfant est
nourri avec du lait, quoique je sache bien qu\'Hip-
pocrate (1) ait recommandé le vin mêlé avec de
l\'eau ; car cette liqueur est nuisible par son acide.
Les vins grecs sont plus huileux, et par cette rai-
son peut-être moins préjudiciables ; mais quel ef-
fet peut produire le vin, si ce n\'est de stimuler un
peu ? Je préférerois qu\'on lavât le corps entier
avec de l\'eau de vie; ou qu\'on appliquât des fo-
mentations de vin sur le ventre, si cela étoit né-
cessaire. Les esprits volatils de la liqueur sont alors
seuls absorbés par les pores sans que les parties
grossières y pénètrent.
Lorsque l\'enfant a îe ventre paresseux, que ses
déjections jettent une odeur aigre , ou qu\'il est
sujet à de fréquens vomissemens, on doit admi-
*^istrer deux ou trois fois par jour un peu de rhu-
barbe avec des poudres absorbantes et d\'autres re-
ïiièdes un peu stimulans.
Si l\'acrimonie de l\'estomac est telle que le vi-
U) De Vict. Rat. Fcesie, sect. IV, pag. 359, 10.
III. X7
i sage, les bras ou d\'autres parties du corps éprou-
vent des convulsions, il faut alors augmenter la
dose de rhubarbe , et donner des lavemens com-
posés de corps huileux.
Le ventre est cependant quelquefois paresseux
\' par une trop grande foiblesse des intestins ; dans
ce cas il faut employer ies remèdes forlifians, sti-
mulans et chauds, ainsi que les huiles propres à
chasser les vents, mêlées avec du sucre, et autres
ingrédiens semblables. Dans toutes ces maladies
des enfans, les aigreurs jouent un terrible rôle
dans les premières voies , ainsi que le disent les
médecins, et comme Harris et Boerhave Pont évi-
demment prouvé.
Je reviens maintenant aux alimens. Vous n\'exi-
ge» certainement pas une description exacte de
toutes les maladies et de leurs remèdes; mais seu-
lement une règle propre à déterminer les alimens
qui conviennent généralement le mieux. Je vais
donc examiner si les herbes potagères, les lari- I
jieux ou les fruits forment une meilleure nourri- \'
Les herbes potagères et les légumes perdent en j
cuisant beaucoup de leur qualité savonneuse; par J
conséquent les parties hgneuses et terreuses ne 1
peuvent pas être digérées ni contribuer à la nu-
trhion. Aussi les trouve-t-on dans les déjections ■
telles qu\'on les avoit avalées. Si on les prépare avec ;
-ocr page 263-îeur suc naturel étuvés avec du beurre ou de
rbuile , comme cela se pratique chez nous, il est
impossible de les digérer à cause des corps gras
qui les enveloppent , et qui produisent beaucoup
de bile.
Les farineux sont venteux , toiirnent vers l\'a-
cide , et sont d\'ailleurs visqueux ; ils sont néan-
moins salutaires dès que l\'enfant peut faire de
l\'exercice; époque de la vie dont je parlerai dans
la suite.
Les fruits, tels que poires, pommés, noix, etc.,
sont extrêmement préjudiciables : tous ont, comme
on sait, quelque chose d\'acerbe, d\'acre et de cru,
qui les rend mal-sains, non-seulement pour les en-
fans , mais pour les adultes mêmes. Ils occasion-
nent des flatuosités eî des diarrhées, pour ne pas
parler des vers qu\'ils engendrent, à ce qu\'on
prétend.
On doit porteries mêmes soins relativement aux
Viandes, dont la digestion n\'est pas également fo-
cile. Le bouilion peut, en quelque sorte , servir
de boisson, principalement lorsque les aigreurs des
intestins ne permettent pas que l\'enfant fasse usaoe
de lait. Cependant j\'aimerois mieux, dans ce cas
faire la bouillie avec de l\'eau pure.
Le lait est la meilleure nourriture que les en-
"^ans sevrés puissent prendre le soir, quoiqu\'ils
^\'«nt déjà la faculté de triturer d\'autres alimens.
aso de l\'éducation
On peut l\'apprêter de différentes manières avec
des farineux et d\'autres substances d\'une nature
légère. Le lait de beurre est également salutaire ,
lorsqu\'il est frais et bon. 11 ne faut pas l\'adoucir
avec de ia mélasse , parce qu\'elle contient toute
l\'acrimonie de la chaux vive , sans laquelle il est
impossible de purifier le sucre.
Du lait et du pain sec sont bons pour le déjeû-
ner; le fromage est nuisible, à moins qu\'il ne soit
nouveau. On peut, au lieu de lait, donner du thé,
surtout si on le coupe avec un peu de lait et de
sucre.
Pour le dîner, on emploiera le riz, l\'orge mon-
dé , le millet, etc. Les herbes potagères sont ce
qu\'il a y de meilleur pendant l\'été; pendant l\'hi-
ver on peut les remplacer par des pois, des fè-
ves, etc.
Je suis de l\'opinion de Platon (i), que la viande
rôtie est une excellente nourriture pour les enfans
des gens riches; pourvu néanmoins qu\'ils ne s\'en
surchargent pas l\'estomac. La chair des animaux
est l\'aliment qui a le plus d\'analogie avec notre
corps; et c\'est celui qui, à volume égal, contient
le plus de parties nutrhives, La viande bouillie
n\'est pas assez succulente; celle qui a été salée oU
fumée contient trop d\'acreté , et comme elle est
(i) De Repuhl., lib. II, pag. 404.
-ocr page 265-disposée à la putréfaction, elle est fort contraire
anx enfans. En général, on devroit défendre aux
enfans de manger des viandes qu\'on préserve de
différentes manières de la putréfaction. Cependant
de toutes les viandes celle de porc et le lard sont
les plus mal-saines. Elles le sont moins cependant
quand l\'animal a été nourri de petit lait ou de lé-
gumes et autres végétaux; et ils le sont le moins
possible, lorsqu\'on ne lui a donné à manger que
des cannes à sucre dont le suc a été exprimé. Les
porcs qu\'on engraisse de celte manière ont, sui-
vant le témoignage de Geoffroy (1), la chair si
tendre et si succulente q^u\'on la préfère à\' celle
des meilleures poulardes.
Il n\'est pas si facile de juger de la salubrité de
la chair de poisson ; des hommes dont l\'autorité
est la plus respectable diffèrent singulièrement en-
tre eux sur ce point. Platon rejette absolument
cette espèce de nourriture; Montesquieu, au con-
traire, attribue à son usage la santé et la vertu pro-
lifique dont jouissent plusieurs peuples. Ce que je
puis assurer, c\'est que tous nos compatriotes qui
habitent le long de la mer du Nord, et qui se nour-
rissent de poisson, sont sains et vigoureux; que
parmi eux les adultes, aussi bien que les enfans ,
ont les dents de la plus grande blancheur; ce qui ?
(0 Mat. med,, torn. II, pag. 746.
-ocr page 266-s6a DE l\' É d u c A t I o N
selon moi, est un des principaux signes d\'une
bonne constitution. Le poisson n\'est donc pas un
manger nuisible, pourvu qu\'il ne soit pas apprêté
avec trop d\'art..
Il y a des personnes qui ne digèrent pas facile-
ment la perche 5 non parce que l\'estomac se refuse
à recevoir ce poisson, mais à cause qu\'on le mange
avec du pain de seigle noir et force beurre ; ce qui
occasionne des aigreurs. Ce poisson incommode
davantage encore lorsqu\'on boit beaucoup après
l\'avoir mangé.
Je suis d\'avis que la viande est la nourriture qui
convient le mieux aux personnes aisées. La viande
et le poisson sont trop chers pour qu\'on les donne
avec excès dans les hospices des orphelins. On nuit
de même à la santé en faisant usage de différens
plats de dessert ou de confitures, ainsi qu\'en man-
geant jusqu\'à satiété. Le changement d\'alimens
produit des indispositions; voilà pourquoi Platon
le condamne avec raison , en disant que c\'est à
cela qu\'il faut attribuer le grand nombre de ma-
ladies qui désolent les villes, et qui donnent tant
de besogne aux boutiques des pharmaciens. Senè-
que (i) pensoit que non-seulement l\'homœe se
rend replet par trop de nourriture, mais que l\'es-
prit devient lourd en même tems que le corps.
(i) De Ira, lib. ill, cap. aq.
-ocr page 267-Bacon ( i ) vent qu\'on mange des alimens secs ,
pour que le corps se développe mieux; mais j\'a-
voue que je ne saurois concevoir pourquoi il con-
seille de ne pas manger de pain ni de viande.
Le peuple ne se nourrit actuellement, dans ce
pays, que de pommes de terre , quoiqu\'il soit,
pour ainsi dire , impossible d\'imaginer une plus
mauvaise nourriture; car on sait qu\'elles sont fort
visqueuses, ne contiennent que peu de parties nu-
tritives, et produisent beaucoup de flatuosités et
d\'acides. Les personnes adultes les digèrent cepen-
danî assez bien, particulièrement les gens de peine;
mais elles sont absolument indigestes pour les en-
fans. Voilà donc ce qui occasionne ce teint pâle et
blême des enfans, des filles, des femmes et même
des hommes de la classe indigente du peuple. De-
là les obstructions du bas-ventre et les autres ac-
cidens qui résultent d\'humeurs Aasqueuses , dont
le célèbre Boerhave a si bijen parlé.
Il convient donc de régler les alimens de ma-
nière qu\'ils soient, en quelque sorte , analogues
aux occupations et aux travaux des individus , et
qu\'ils servent en même tems de remèdes aux ma-
ladies endémiques. Xénophon loue,pour cette rai-
son, les Perses, de ce qu\'ils donnoient pour prin-
<iipal mets à leurs enfans du pain , et du cresson
(») Nat. hist,, tom. III, c«nt. lY,parag. 554^ pag. yS.
-ocr page 268-alénois {nasturtium^ pour ragoût. Bacon recom-
mande également anx Anglois de manger de cette
herbe. Il n\'y a certainement pas de meilleur re-
mède contre le scorbut, dont nous sommes tous
plus ou moins attaqués, comme nos dents carriées
en sont une preuve manifeste; ainsi que contre la
putréfaction des parties fluides et solides, laquelle
corrode à tel point les parois des vaisseaux san-
guins , qu\'il en résulte quelquefois des hémorra-
gies mortelles.
Le scorbut est constamment du même carac-
tère, mais il diftere dans ses dilférens degrés ; le
vin , le vinaigre , les aromates et les végétaux
frais sont regardés comme d\'excellens antiscorbu-
tiques, bien qu\'ils contiennent, en général, un sel
alcalin ; il y a aussi la menthe, le cresson et la lai-
tue, qu\'on doit préférer à tous les autres.
En parlant du scorbut, je dois remarquer, en
passant, que les personnes dont les dents se trou-^
vent gâtées dès l\'enfance, sont rarement, pour ne
pas dire jamais, attaquées de phthysie; et que cel-
les, au contraire, qui sont atteintes de cette cruelle
maladie ont îes dents fort blanches et diaphanes.
Quoique j\'ai déjà parlé des boissons en traitant
des alimens, je crois qu\'il est nécessaire que je re-
vienne sur cet article, et que j\'indique la nature
des différentes espèces de boissons d\'une manière
plus particulière, en commençant parles proprié-
tés du vin , pour parier ensuite de celles de la
bière, du thé, du café, dont l\'usage est aujour-
d\'hui si généralement répandu sur toule la surface
du globe.
Tous les enfans que j\'ai connus aimoient le vinj
ce qui me feroit croire que cette boisson con-
vient à notre nature. Cette considération me porte
à ne pas l\'interdire aux enfans; mais je pense qu\'il
ne faut leur en donner qu\'une seule fois par jour
et cela en peùtequantité ; c\'est-à-dire, après le dî-
ner , lorsqu\'il n\'y a plus de lait dans l\'estomac.
J\'ai déjà remarqué qu\'Hippocrate permet qu\'on
mêle du vin à la boisson des enfans; mais non de
ces espèces qui font gonfler le ventre ou causent
des flatuosités. Platon, au contraire , ne veut pas
que l\'homme goûte de vin avant l\'âge de dix-huit
ans; sans tioute pour qu\'il ne se livre pas à l\'ivro-
gnerie, qui paroît avoir été un vice général de son
tems. Tous les philosophes ont recommandé le
vin, non-seulement comme un préservatif contre
le chagrin, mais aussi comme un remède salutaire.
Sénèque (i) nous apprend que Solon et Caton s\'é-
gaj^oient quelquefois avecle vin; il ajoute qu\'unbon
Verre de cette boisson procure des forces, et qu\'il
faut même de tems à autre se donner une pointe
de vin. Il recommande surtout cette liqueur comme
{i) De TranqiiîlL ajiifn,, in îiu^.
-ocr page 270-lin remède contre certaines maladies et contre la
tristesse. Platon (i), quoique sévère pour les en-
fans, permet non-seulement aux hommes quand
ils ont atteint quarante ans de boire du vin avec
modération, mais il les in vite même de s\'en réjouir
le cœur quand ils sont en compagnie.
Il faut que le vin soit toujours d\'une bonne
qualité, tel que le vin rouge ; le vin blanc est gé-
néralement si dénaturé dans notre pays, qu\'il ne
peut qu\'être nuisible au corps. Les vins d\'Espagne,
ceux de Grèce, le Canari sec, celui du Cap , sont
trop spiritueux pour qu\'on puisse en permettre
l\'usage aux eufans.
En un mot, le vin doit être administré aux en-
fans comme un remède antisceptique, stimulant
et coroborant; et c\'est pour cette même raison que
je conseille d\'assaisonner leurs alimens avec du vi^
naigre, surtout celui qui est fait avec du vin. Le
vinaigre de bière est plus foible, à la vérité , que
celui qu\'on tire des raisins, des prunes, des figues,
des groseilles , mais il est plus salutaire pour le
corps; car tous les fruits que je viens de nommer
ont quelque chose d\'acerbe, que je regarde com-
me fort mal-sain.
Ceux qui n\'ont pas les moyens de boire du vin
doivent faire usage d\'une bière légère , claire ,
il) De Legîbus, lib. I, pag. 666. B.
-ocr page 271-nouvelle et bien préparée avec du houblon. La
vieille bière est mauvaise pour le cerveau, et l\'on
sait que ceux qui font des excès avec cette bois-
son deviennent imbecilles. Il se pourroit aussi que
la bière produise le calcul, du moins sait-on que
depuis l\'usage du thé, quoique pris avec excès, le
nombre des patiens tourmentés de la pierre est
considérablement diminué. On m\'objectera peut-
être que les enfans qui n\'ont été nourris que du
lait de leur mère ont été affligés de ce mal cruel,
et que Schenkius même en a vu qui l\'ont apporté
avec eux en naissant; que si l\'on j fait bien at-
tention on trouvera que le nombre des enfans
qu\'on taille avant l\'âge de six ans est au moins le
triple de celui des adultes qu\'on soumet à cette
opération; qu\'il y en a qui l\'ont subi deux fois,
d\'autres trois fois, parce que la pierre paroît croî-
tre de nouveau dans quelques individus. En réflé-
chissant à tout cela,il faudra convenir, avec le cé-
lèbre professeur Gaubius (i), qu\'il y a une dispo-
sition intérieure du corps qui se transmet de père
en fils,
11 est probable que la grande quantité d\'eau
qu\'on boit actuellement diminue insensiblement
cette disposition du corps, et il se pourroit que
O) tnst. Pathol, , parag, 577, 578,
-ocr page 272-de l\' ê d u c a t i o n
Feau à force de bouillir se dépouille de ses parties
t erreuses ou areneuses; car il se forme au fond des
^^ases dans lesquels ou la fait cuire une incrusta-
tion fort apparente; et cela sans distinction avec
toutes sortes d\'eaux; quoiqu\'il semble cependant
que Feau de pluie est celle qui contient la moin-
dre quantité de parties terreuses. Il se pourroit que
les Suisses fussent moins sujets aux goitres depuis
qu\'ils prennent du thé, ou plutôt depuis qu\'ils font
bouillir Feau qu\'ils boivent? Le thé , on le sait,
n\'est pas un ingrédient qui possède par lui-même
quelque vertu spécifique.
Le café , quoiqu\'en disent certains écrivains,
n\'occasionne pas plus le rachetis quetoutesles au-
tres boissons chaudes qui débilitent le corps. Si le
sel qu\'il contient amollit les os hors du corps , il
ne le fait pas davantage que la graine de mou-
tarde , le vinaigre , Fesprit de salpêtre et autres
ingrédiens semblables , qui, par leur acrimonie
acide en corrodent les parties solides, sans toucher
aux oléagineuses, etc., qui sont proprement celles
qui occasionnent l\'amollissement.
Il faut remarquer, en général, au sujet du thé,
du café et d\'autres infusions de cette nature, que
c\'est plutôt la grande quantité d\'eau tiède qui est
nuisible au corps, que la vertu spécifique de ces
ingrédiens. Elle débilite Feslomac et trouble la
coction des alimens : 11 ne faut donc pas en faire
usage immédiatement après les repas, ni en boire
nne trop grande quantité (1).
Tout ce que j\'ai dit au commencement de ce
chapitre , des fruits et autres pareils aiimens,
comme nuisibles aux enfans , peut s\'apphquer
également à l\'adolescence et aux autres âges de
la vie.
(i) On trouve des recherches curieuses sur les maladies qui ré-
sultent en Hollande de l\'usage de certains aiimens et de certaine»
boissons , dans XHistoire géographique, physiqite , naturelle et
civile de la Hollande, par le Francq de Berkhey, dont j\'ai donné
«ne analyse en quatre volumes în-\\2. Voyez tome iV, page 1 et
«uiv. Note du traducteur.
De Vinstruction des enfans.
l e sentiment de la plupart des philosophes , et
d\'Aristippe en particulier, étoit (1) que les enfans
des citoyens aisés doivent apprendre tout ce qui
peut leur être utile lorsqu\'ils seront parvenus à
l\'âge de la raison; qu\'il faut par conséquent pour
leur donner des forces les entretenir dans toutes
sortes d\'exercices, et leur inspirer l\'émulation de
se distinguer dans le palestre. Cependant on ne
doit les occuper que de légers exercices jusqu\'à
l\'âge de puberté, pour que les membres puissent
se développer mieux. Cela s\'accorde avec ce qu\'en-
seigne Aristote («2), qui exhorte en même tems les
parens à ne pas trop exiger de leurs enfans; d\'au-
tant plus qu\'on n\'en avoit vu que deux ou tout au
(1) Diogen. Laërt., lib. II, pag. is6.
(2) De. Republ., lib. VUI, cap, 3 «t 4.
■■•■" f
plus trois qui avoient été vainqueurs aux jeux
olympiques , et dans Fadolescence et dans Page
viril. Il ajoute que les trop grandes fatigues du
corps nuisent à Fame, comme les trop fortes con-
tensions de l\'esprit sont préjudiciables au corps.
Tous s\'accordent , à la vérité , sur ce point,
mais nullement sur l\'âge auquel il convient de
commencer ces exercices, Platon (i) veut que ce
soit à l\'âge de six ans révolus 5 tandis qu\'Aristote
prétend qu\'ils n\'y sont propres qu\'à sept ans ;
Chrysippe, au contraire, dit que c\'est à tout âge
qu\'on peut instruire les enfans. Quintilien (2) le
loue beaucoup de ce qu\'il veut qu\'on orne de bons
principes l\'esprit des enfans dès l\'âge de trois ans.
<c Je sais, ajoute-t ii, qu\'on fera plus dans ia suiïe
« en un an que l\'on aura pu faire durant tout le
<c tems qui a précédé ( de trois à huit ans ). Après
« tout, que veut-on que fasse un enfant depuis
« qu\'il commence à parler? car enfin, il faut bien
« qu\'il s\'occupe à quelque chose. )) En un mot, il
prouve par les raisons les plus péi\'emptoires qu\'il
Ue faut laisser passer aucun tems sans instruire îes
«nfans.
Le sentiment de Bacon (5) concernant les écoles
<i) De Legibus, lib. Vil, pag. 794. C.
(a) Inst. Orat., lib. I, cap. i , p.ig. 17.
(î) ßiii. nat., lom. 111^ cent. IV, 354 > pag\' /S»
publiques est singulier; il les désapprouve, non
parce que les mœurs s\'y corrompent, mais à cause
que la santé s\'y altère faute de mouvement. Il me
paroît qu\'il faut envoyer les enfans aux écoles pu-
bliques, vu qu\'ils y deviennent plus vifs et qu\'ils
s\'y exercent davantage par la diversité des jeux.
J\'approuve aussi beaucoup tout ce que dit Quin-
tilien touchant cette importante question : « Le-
« quel vaut le mieux de faire étudier les enfans
« chez soi, ou de les envoyer aux écoles, m
Platon insistoit beaucoup qu\'on exerçât leur
corps par des jeux publics , et qu\'on égayât leur
esprit par la musique ; mais Platon étoit grand
amateur de la musique, comme cela paroît par sa
vie que nous a donné Olympodore. Aristote, au
co.ntraire , condamnoit cet art, comme inutile ,
surtout les instrumens à corde et à vent; cepen-
dant pour leur procui-er quelque récréation , il
permettoient qu\'ils apprissent à jouer du crepita-
çulum d\'Archyîas, dont il est difficile de connoî-
tre la nature. On pourroit aujourd\'hui donner aux
enfans de ces serinettes qui jouent différens airs.
Aristote exalte ensuite beaucoup la peinture et
regarde cet art comme fort utile aux enfans; mais
Platon n\'en dit pas un mot, quoiqu\'il ah vécu avec
les peintres et qu\'il ait même appris d\'eux le mé-
lange des couleurs, comme nous l\'apprend Olym-
podore. Il eat assez vraisemblable que c\'est d\'après
leur gout particulier que chacun de ces philoso-
phes aura recommandé quelqu\'un de ces arts. Ce-
pendant, à ne considérer que la santé et la lono-é-
Vité, il me semble qu\'il faudroit rejeter le chant;
parce tous ceux qui s\'y sont appliqués dès l\'en-
fance sont restés de petite taille, cacochymes et
fort mélancoliques; il en meurt même beaucoup
avant l\'âge de puberté pour s\'être trop adonnés à
cet art.
Beaucoup aussi de ceux qui sonnent de la trom-
pette ou du cor de chasse se donnent des hernies
inguérissables, et perdent leurs dents de la mâ-
choire superieure , en y portan t sans cesse l\'em-
bouchure de ces instrumens.
Selon moi, la peinture est infiniment préféra-
ble ; elle récrée non-seulement l\'esprit des enfans
et leur fait passer agréablement le tems, mais son
ntilité est réelle. Cependant c\'est le goût des en-
fans qu\'il faut particulièrement consulter, car on
Sait que ce n\'est qu\'avec les plus grandes difficultés
qu\'on les porte à s\'exercer dans un art pour lequel
ils ne se sentent point d\'aptitude.
La question s\'il faut exercer la mémoire des
enfans? me paroît d\'une bien plus grande impor-
tance, Plutarque répond affirmativement, et veut
qn\'on examine si la nature les a doués ou non
d\'une mémoire heureuse? Ouintilien observe de
plus que la mémoire peut être augmentée eî for-
18
tifiée. li est possible, sans doute, d\'exercer les en-
fans dans cet art, lorsqu\'ils s\'y portent naturelle-
ment; mais il faut bien se garder de les y forcer ,
dans la crainte d\'amortir leu.rs facultés intellec-
tuelles et de nuire à leur santé. Je préfère qu\'on
exerce leur esprit eî leur jugement plutôt que de
surcharger leur mémoire, qui ne dépend que d\'un
certain mécanisme du cerveau; tandis que le ju-
gement et l\'esprit tiennent immédiatement à l\'en-
tendement. Ce n\'est pas que je doute que la mé-
moire ne dépende aussi de notre intellect; mais je
suis persuadé qu\'on la doit, comme beaucoup
d\'autres facultés, à un cerveau bien organisé. On
ne sauroit, en attendant, s\'étonner assez de ce que
l\'homme puisse être privé totalement de mémoire,
en conservant néanmoins intègres tous ses sens et
son jugement même. Phne (1) confirme cette ob-
servation par plusieurs exemples. Il rapporte, en-
tre autres, qu\'un homme atteint d\'une pierre ou-
blia la langue qu\'il parloit ; qu\'un autre, étant
tombé d\'un toît fort haut, ne reconnut plus ni
sa mère, ni ses parens, ni ses voisins ; un troi-
sième, après avoir été attaqué d\'une maladie , ue
put se rappeler les noms de ses esclaves; enfin, le
célèbre orateur Messala alla jusqu\'à oubher son
propre nom.
(1) Lib. VII, cap. 24.
-ocr page 279-Je reviens aux études, qu\'il faot diriger de ma-
nière que l\'enfant ne s\'en dégoûte pas et ne les
abandonne pas.dans îa suite. On fera réciter aux
enfans leurs leçons h haute voix, même pendant
qu\'ils marchent ou montent le degré. L\'haleine
ainsi arrêtée, leur donne des forces, suivant Aris-
tote (1), et les augmente; du moins est-il certain
que cela sert à fortifier les poumons.
Les jeux contribuent beaucoup à donner de la
vigueur au corps et à développer les membres; ce
qui les a fait recommander par tous les anciens
philosophes. 11 y en a, dit Platon , de deux espè-
ces, la danse et le palestre (2) , qui se réduisent
aujourd\'hui à la danse seule.
Les anciens faisoient entrer dans l\'éducation des
enfans les exercices militaires, la chasse et l\'équi-
tation ; c\'est de cette manière que Diogène éleva,
par raison de santé, les enfans de Xéniades. Pla-
ton recommandoit les exercices du corps, non-
seulement aux garçons, mais également aux filles;
tant les anciens avoient pour principe d\'entretenir
la santé et d\'augmenter les forces du corps.
Je suis néanmoins d\'opinion que ce n\'est pas
avant Page de sept ans qu\'iS faut faire apprendre à
«lanser , à moins que l\'enfant ne soit d\'une consti-
(») DoHepuhl., pag. 448.
(s) De Legibus, lib. VII.
\'276 BE L\'ÉDUCATION
tution robuste -, d\'ailleurs, il ne me paroît pas qu\'il
puisse y avoir un meilleur exercice pour le corps.
Quant au cheval, il ne faudroit pas en permettre
l\'usage avant l\'âge de puberté, non plus que celui
de l\'escrime , parce que ces exercices demandent
plus de force que les enfans n\'en ont communé-
ment avant cette époque.
En général, il convient de proscrire, avec Sé-
nèque (1), tous les exercices dont les efforts qu\'ils
exigent épuisent l\'esprit et rendent par conséquent
l\'homme incapable de contention et d\'aptitude aux
belles-lettres. Comme la classe peu fortunée des
citoyens n\'a pas besoin de ces connoissances , elle
est condamnée à commencer de bonne heure de
rudes travaux.
Je pourrois terminer ici cette dissertation, si je
ne croyois pas qu\'il fut nécessaire de parler de»
défauts attachés à l\'enfance, et qu\'il est au pou-
voir des parens de corriger. Je vais donc, dans le
chapitre suivant, jeter un coup d\'oeil sur ceux que
je regarde comme les principaux.
(i)Episc. XV.
-ocr page 281-Des défauts naturels aux enfans.
Ce n\'est pas sans raison qn\'Aristote dit que la
beauté du corps est préférable aux meilleures let-
tres de recommandation. Il est donc du devoir des
parens de prévenir les défauts qui peuvent nuire à
leurs enfans et les rendre moins agréables dans la
société. Il y a quelques défauts, tels que le stra-
bisme , le bégaiement, le bredouillement, qui
s\'acquièrent par habitude; tandis que ce n\'est que
par accident qu\'un homme boîte. Il y en a d\'au-
tres qu\'on gagne par contagion , comme la gale ,
la teigne , etc. ; mais je ne m\'occuperai pas ici
de ces derniers pour ne pas trop étendre cette dis-
sertation.
Le strabisme provient ou de ce que les parens
le même défaut, ou de convulsions , ou de
quelque accident, mais le plus souvent de Fhabi-
tnde. On sait que les yeux d\'un enfant nouvelle-
ment né ne sont pas encore parfaits dans toutes
leurs parties. Petit (i), membre célèbre de l\'Aca-
démie royale des sciences de Paris, pensoit que la
vue des jeunes enfans est imparfaite à cause de l\'é-
paisseur de la cornée; et parce qu\'il n\'y a pas as-
sez d\'humeur aqueuse pour donner de la con-
vexité à cette partie de l\'œil. Mais Albinus (2),
par sa grande dexîérhé à disséquer , a découvert
que la prunelle ou l\'uvée n\'étoit pas encore ou-
verte, ce qui, pris ensemble, doit rendre la vue
fort imparfaite. Chez plusieurs enfans néanmoins
Fuvée est déjà ouverte et même plus que chez les
adultes, comme Petit l\'a observé dans huit nou-
veaux-nés. Je ne puis disconvenir que moi-même
j\'ai trouvé dans plusieurs enfans morts en naissant,
la prunelle assez ouverte , etquedans d\'autres l\'u-
vée étoit encore fermée, de la manière qu\'Albinus
l\'a remarqué.
11 est fort probable que les enfans , quoiqu\'ils
aient les yeux parfaitement bien conformés en
naissant, n\'apperçoivent point encore distincte-
ment les objets et ne peuvent tout au plus que
distinguer la lumière de l\'obscurité.
11 faut nécessairement qu\'ils apprennent à voir,
de la même manière que sont obligés de le faire
(1) 1727, pag. 346.
(2) Acad, annot., lib. I, cap. 2 , pag. 33.
-ocr page 283-îes aveugles nés à qui on abat les cataractes. Ils ne
distinguent point, sans le secours du tact, un cube
d\'avec une boule, ainsi que Molineux l\'a observé
le premier, comme Locke en est convenu, et com-
me Cheselden l\'a confirmé par plusieurs belles ex-
périences. On peut consulter R. Smith sur cette
matière, ainsi que sur les propriétés générales de
la lumière. Il faut convenir cependant que plu-
sieurs quadrupèdes et oiseaux jouissent de la fa-
culté de voir et de distinguer même parfaitement
les objets, immédiatement après qu\'ils sont nés.
Les jeunes canards, par exemple, non-seulement
nagent fort bien, mais prennent des mouches et
d\'autres insectes au moment même qu\'ils sortent
de l\'œuf. Ils jugent par conséquent de la forme et
de la distance des objets, sans avoir besoin du sens
du toucher; tandivS que dans l\'homme la vue pa-
roît conformée d\'une autre manière, et avoir be-
soin d\'être instruite par l\'expérience.
Mais revenons à notre sujet. Les enfans devien-
Uent louches lorsqu\'ils commencent à regarder les
objets evec les deux yeux: je dois donc examiner
d\'abord cruelle est la cause qui produit le stra-
bisme, pour voir ensuite quel est le remède qu\'il
convient\' d\'y apporter.
Si ce défaut est héréditaire, ou s\'il provient de
convulsions continuelles\', il résiste à tous les re-
Wiêdes; si c\'est à une mauvaise habitude qu\'il faut
l\'attribuer, il ne se guérit que difficilement, parce
qu\'il est impossible de faire comprendre aux en-
fans ce que c\'est que le strabisme, et qu\'ils igno-
rent Fincommodité qui les afflige. Aussi les parens
réussissent-ils rarement par leurs remontrances et
leurs réprimandes; car, comme les enfans ne sa-
vent pas ce qu\'on exige d\'eux , ils tirent de phis
en plus leurs yeux de travers.
Quelquefois on parvient à vaincre cette mau-
vaise habitude, en ôtant de devant les yeux des
objets qui les attirent d\'un côté, et en plaçant un
autre objet de différentes couleurs à quelque dis-
tance droit devant eux, pour qu\'ils soient obligés de
le fixer. Andry (i) conseille de prendre pour cela
une glace et de s\'y regarder souvent soi-même ;
mais ce remède convient mieux quand on est plus
âgé. Il défend absolument la lecture, disant qu\'il
n\'est pas de grande importance qu\'on sache lire
un peu plutôt ou un peu plus tard ; mais , selon
moi, ce raisonnement auroit plus de force, si c\'é-
toit par la lecture seule que les enfans se gâtent
la vue. Ils portent sans cesse les yeux sur tous ies
objets quelque petits qu\'ils puissent être , comnie
cela est naturel à la jeunesse.
On doit avoir soin de ne point donner\' aux en-
fans un maître ou des compagnons qui louchent ,
(i)To0i.II, pag. 104.
-ocr page 285-parce qu\'ils se gâtent souvent les yeux en imitant
les personnes qui ont ce défaut.
Les médecins oculistes, tel qu\'étoit le célèbre
Bartisch (i) , recommandent les coquilles de noix
psrcées d\'un petit trou, ou de petits godets de cette
forme, d\'or ou de quelqu\'autre matière , attachés
à des rubans, ou bien des masques; mais ces re-
mèdes so,nt d\'un foible secours. J\'ai fait employer
de ces coquilles de noix à deux frères qui lou-
choientparhabitude; mais cela leur fit tirer si hor-
riblement les yeux de côté, que ce n\'étoit qu\'avec
un oeil à-la-fois qu\'ils regardoient à travers le trou
delà coquille, ce qui fit augmenter sensiblement
le mal. Je crus donc qu\'il val oit mieux les aban-
donner à la nature jusqu\'à ce qu\'ils fussent plus
âgés.
Le strabisme est peu commun parmi les gens de
la campagne; ce qu\'il faut attribuer sans doute à
Ce qu\'ils en na lient rarement à leurs enfans , et
qu\'ils se fient à cet égard à la sagesse de la nature.
Les riches, au contraire, éduquent leurs enfans de
manière qu\'ils ont l\'air de personnes âgées,même
avant qu\'ils sachent voir ou parler.
Une mauvaise prononciation est, selon moi,
tien plus désagréable que le strabisme, parce que
les personnes qui bégayent jouissent peu des char-
(i) Augendienstpart. Il, cap. 2, fig. 5, 4, 5.
-ocr page 286-s82 de l\' é d it c a t i o n
mes dé îa société, qui font le plus grand bonheur
de Phorame. Il convient donc de chercher à faire
connoître la nature de ce défaut, d\'autant plus que
c\'est, en général, à lïnsouciance des parens qu\'il
faut l\'attribuer.
C\'est une règle générale et constante que les en-
fans parlent rarement d\'iuie manière distincte
avant l\'âge de deux ans ; et que ce n\'est qu\'à celui
de cinq ans qu\'ils s\'expriment avec facilité. Il faut
par conséquent beaucoup de patience pour leur ap-
prendre à lire; et l\'on doit avoir soin de pronon-
cer si distinctement chaque lettre qu\'ils puissent
en imiter aisément le son. Il ne faut pas trop les
presser sur cela , et ne jamais les gronder ; sinon
la langue s\'embarrasse et ils balbutient. Voilà d\'où
vient que certaines personnes récitent fort bien des
vers et chantent sans difficulté , tandis qu\'il leur
est impossible de parier sans bégayer horriblement.
Je conseille donc aux parens qui s\'apperçoivent
que leurs enfans ont ce défaut, de ne pas les ré :
primander du tout, et de les abandonner à eux-
mêmes, pour qu\'en imitant les autres, ils appren-
nent à parler sans j penser; ou bien il faut user
d\'une grande patience, en les stimulant par des
éloges et des présens.
Les lettres difficiles à prononcer, et les mots où
il entre beaucoup de consonnes, doivent être dé-
composés en de simples lettres ou sons.
La lettre xp, par exemple, se prononce dlffic!.-
lemeol, surtout lorsqu\'elle est précédée d\'un t,
comme dans ces mots wiUe , twist, qu\'il faut leur
apprendre par u~ille , tu-ist, etc.
La lettre h, qui est guturale, ne s\'apprend que
fort tard; et il en est de même tie la lettre L
Quelques enfans bégayent quand ils veulent
parler vite, ou lorsqu\'ils sont, en colère : il faut
donc leur apprendre à parler posément. D\'autres
n\'ont ce défaut que lorsqu\'une phrase commence
par un h ou par un q. 11 convient alors de dispo-
ser leur discours de manière qu\'il y ait en tête
quelques autres mots.
On sait que Démosthènes se défît de ce vice de
prononciation ët devint un grand orateur, en pre-
nant des cailloux dans sa bouche ; mais il avoit
déjà atteint l\'âge viril lorsqu\'il s\'exerça lui-même
à vaincre ce défaut. Je suis persuadé que beau-
coup de personnes pourroient se corriger, en em-
ployant le même remède ; car il est impossible ,
pour ainsi dire, de concevoir à quoi l\'homme peut
parvenir quand il veut employer toutes ses facul-
tés, Cependant le moyen dont se servit Démos-
thènes ne convient ni aux enfans , ni à tous les
îiommes, pas même à ceux qui ont le plus d\'esprit,
,Je doute beaucoup que ce soit jamais quelque
•défaut de conformation de la langue qui fasse bé-
gayer. J\'ai souvent entendu parler à Leyde la jeune
fille sur laquelle Trioen (i) nous a laissé des ob-
servations. Sa langue , qu\'elle portoit dans une
gaine d\'argent, lui pendoit hors de la bouche de
la longueur de quatre doigts; cependant elle ar-
ticuloit distinctement et sans bégayer.
D\'autres, dont la langue avoit été extirpée jus-
qu\'à la racine, ou qui l\'avoient perdue par la gan-
grène , ceux mêmes qui étoient nés sans langue ,
ont parfaitement parlé. Huxham, médecin célèbre
et digne de foi, a donné dans les Transactions
philosophiques àçi\'Lonàva^ (2) de 174s, l\'histoire
d\'une jeune fille qui parloit fort distinctement
quoiqu\'elle n\'eût point de langue. Drelincourt,
Tulpius et Jussieu font également mention de pa-
reils phénomènes.
Je parlerai maintenant de l\'obhquité de l\'épine
du dos, à laquelle Hippocrate a donné le nom de
scoliosis. J\'ai déjà fait mention ailleurs de plu-
sieurs circonstances relatives à la cause de ce dé-
faut , dont la répétition seroit déplacée ici ; mais
je n\'ai rien dit encore de la nature de cette ma-
ladie , ni des moyens de la guérir; je vais donc
m\'occuper de ces objets.
Dans la plupart des enfans nouveaux-nés les
vertèbres sont cartilagineuses, et ce n\'est que dans
(0 Obs. Med. Chir. , pag. 142.
(2) Voyêi Journal des Savans, novembre 176,, pag. Sg et suir,
-ocr page 289-leur centre et dans leurs apophyses qu\'elles ont
«n noyau osseux. Cet état dure assez long-tems ,
quoique les vertèbres s\'ossifient continuellement
de plus en plus; elles croissent même jusqu\'à l\'âge
de puberté, et l\'ossification n\'est parfaite qu\'à ce-
lui de vingt-cinq ans.
Ces vertèbres sont attachées les unes aux autres
par des ligamens dont la partie intérieure est fort
molle, mais en même tems fort élastique, et cela
au point même que , par sa force spécifique , elle
soulève toute l\'épine du dos avec les parties adhé-
rentes. Or , du moment que , par une mauvaise
attitude, ou par des corps à baleines trop étroits,
la colonne vertébrale s\'incline du même côté, cette
matière élastique est froissée; de sorte que le corps
Cartilagineux des vertèbres supérieures se trouve
Comprimé , et adhère , du moment que la lame
Cartilagineuse placée entre les vertèbres est dé-
truite , à la vertèbre inférieure ou à la suivante :
alors la nutrition devient nulle, les vertèbres pren-
îient une forme triangulaire, et l\'épine du dos se
Courbe de la manière que l\'a représenté Chesel-
^en (i).
Les côtes attachées forment donc une bosse du
opposé à l\'épine du dos comprimée, et un
creux du côté vers lequel les vertèbres sont incli-
ïsées. Les épaules , ne correspondant par consé-
quent plus avec les côtes protubérantes, s\'élèvent
plus qu\'il ne convient; de sorte que, d\'une petite
flexion de l\'-épine du dos , il résulte une grande
bosse. La tête, ne se trouvant plus soutenue dans
une position droite, se penche également de tra-
vers, vers le côté où est la bosse, pour que le cen-
tre de gravité soit plus facile à conserver.
Il est donc évident que ce n\'est pas la partie
saillante qu\'il faut comprimer ; mais qu\'on doit
chercher à soulever Faisselle affaisée, pour que les
lanies cartilagineuses qui sont placées entre les
vertèbres puissent reprendre leur élasticité, ou du
moins pour prévenir, si cela ne réussit pas, que
la courbure de Fépine du dos n\'augmente.
Il est également incontestable que toutes les es-
pèces de colliers formés de rubans ou de métaux ,
ne corrigent pas ce défaut ; qu\'ils forcent, au con-
traire, de plus en plus l\'épine du dos à se jeter de
côté, parce que c\'est toujours vers ce côté-là qu\'on
dirige le centre de gravité de la tête.
H paroit enfin que ce défaut ne sauroit être cor-
rigé par la suspension à l\'anneau que Nuck (i) re-
commande pour guérir ceux qui ont le cou de tra-
vers. L\'inclinaison de Fépine du dos formée par
les causes dont j\'ai fait mention, gîl dans les ver-
(0 Exper. çhir., pag. J56.
-ocr page 291-tèbres. Si donc on suspendoit l\'enfant dans l\'an-
neau en queslion, le poids des bras presseroit le
tronc vers en basset la force expansive agit le plus
sur les ligamens qui attachent la seconde vertèbre
Cervicale à la îête.
J\'ai suffisamment démontré, je pense , que les
remèdes qu\'on emploie communément empirent
le mal; je recommande donc de nouveau qu\'on
l\'abandonne à la nature; c\'est-à-dire, qu\'on re-
jette toutes espèces de corsages , de colliers , etc. ;
qu\'on ait soin enfin que les enfans ne restent pas
trop long-tems penchés d\'un même côté, et qu\'ils
ne portent ou ne soulèvent pas un poids trop lourd
avec une seule main ; car dans l\'instant l\'élasticité
des lames placées entre les vertèbres se trouve
froissée, à peu près de la manière que réiasticité
d\'une corde de métal est anéantie par un coup de
marteau. Mais en voilà assez sur les défauts qui ré-
sultent d\'une mauvaise position du corps.
J\'ai déjà observé que c\'étoit par accident que
les enfans devenoient boiteux; il convient donc de
faire quelques recherches sur ce défaut , qui est
l^ort commun dans notre patrie. Dans la ville que
j\'habite actuellement (Franeker), on compte en
tout deux mille sept cent soixante-cjuiuze habS-
parmi lesquels il y a quatre-vingt-seize boi-
teux. Si l\'on retranche donc de ce nombre cent
Quatre enfans cjui ne peuvent pas encore marcher.
il y aura deux mille six cent soixante-onze ames ,
lequel nombre, divisé de nouveau par quatre-vingt-
seize , nous donne pour résultat celui de vingt-
huit : les boiteux y sont donc aux personnes qui
n\'ont point ce défaut, commme un est à vingt-
huit.
Il est remarquable qu\'il y ait dans cette même
ville, seize hommes faits et quarante-deux fem-
mes dont le corps est de travers ; et cela au point
que, malgré les corps à baleines et tous les autres
moyens dont on se sert pour cacher ce vice de con-
formation, il n\'en est pas moins fort visible. Mais
je retourne à mon sujet.
Les enfans sont conformés de manière que le
centre de gravité se trouve au-dessus du centre de
mouvement, c\'est-à-dire, au-dessus de l\'articula-
tion des hanches. C\'est-là ce qui les rend fort su-
jets à tomber, quand ils veulent accélérer leur
course; car le centre de gravité acquiert alors une
force qui le porte à devancer le centre de mouve-
ment. Les enfans tombent par conséquent tou-
jours en avant. Je vais joindre ici une figure pro-
pre à éclaircir ce fait.
Soit A. B. la hauteur de l\'enfant; C. le centre de
gravité près du nombril; D. ie centre de mouve-
ment. Que l\'enfant courre , il est évident que la
vélocité du centre de gravité C. sera à la vélocité
de D. comme C, F. est à D. G., et que celle de la
tête sera comme A. E.. ou bien comme A. B. à
B. C., et B. C. à B. D, Du moment que le centre
de gravité et celui de mouvement viendront à se
joindre, ces forces seront réciproquement égales;
c\'est-à-dire , que C, F. sera égal à D. G.
E.
Lorsqu\'on porte Fenfant stir le bras , le centre
gravité est de la même manière au-dessus du
«centre de repos. Par exemple, soit A. B. C. D. Fen-
dant qui est porté sur le bras; B. le centre de re-
Pos; E. le centre de gravité: il est certain que lors-
que Fenfant tombe, la nourrice ne peut le retenir
que par les jambes, et qu\'il doit nécessairement,
tomber en arrière , parce qu\'il ne trouve aucun
point d\'appui de ce côté-là; ou bien il tombera de
côté. Lorsque l\'enfant commencera à tomber, la
nourrice cberchera à prévenir sa cbûte en le rete-
nant par les pieds; c\'est dans ce moment que la
vélocité et la force données au centre de gravité
E. seront cause qu\'une des hanches ou toutes les
deuxB. se trouveront offensées; ce qui arrive com-
munément avant que Fenfant puisse marcher.
Ce froissement ou contusion est cause que la tête
du fémur sort, dans la suite , totalement de son
emboîture; il y flue alors une sérosité visqueuse ,
laquelle distend peu à peu le ligament capsulaire
et le ligament plat, au point que la tête se trouve
totalement expulsée, et va se fixer dans quelque
endroit voisin. De là résulte la claudication , la-
quelle est peu sensible quand Fenfant commence
à marcher, mais elle augmente ensuite chaque jour
de plus en plus.
Les enfans chancellent aussi davantage , parce
que le centre de gravité est placé plus haut au-
dessus du centre de mouvement; par-là Temboî-
ture de la hanche , qui est encore cartilagineuse ,
s\'alonge, ou bien la tête du fémur et son cou, les-
quels sont également cartilagineux encore, se trou-
Vent comprimés ; par conséquent tous les deux
sontolfensés dans le même tems. Quelquefois cette
luxation est plus grande , d\'autres fois elle est
»loindre , suivent la cause qui l\'a produite et le
degré de forces de Fenfant.
Cette dilformitéaugmente d\'une façon efî\'rayante,
lorsque les parens veulent faire marcher trop tôt
l\'enfant ; elle empire même à tel point, par les
ïûouvemens que fait Fenfant, quand il est plus
que si Fon n\'y veille pas attentivement, l\'é-
du dos se déjette; de sorte que Fenfant, qui
ïïe faisoit que boiter, devient aussi à la fin bossu.
ags de l\'éducation
Plut au ciel que le mal ne s\'empirât pas de lui-
même ! Les os , comme je l\'ai dit, prennent de
jour en jour une pl\'us grande croissance relative-
ment au tronc 5 la jambe boiteuse moins cependant
que l\'autre, parce qu\'après le déboîtement de la
hanche, les vaisseaux sanguins et les nerfs cruraux
se trouvant trop distendus et obstrués, ne fournis-
sent pas la nourriture convenable. La jambe ai
fectée maigrit par conséquent, et devient encore
plus courte en comparaison de la jambe same.
Le corps se trouve donc soutenu inégalement 5
en un mot, le mal s\'accroît quelquefois par-là sv
considérablement, que le patient ne peut à la fin
plus marcher qu\'avec des béquilles.
Et, ce qui est véritablement affligeant, c\'est que
la claudication ne sauroit être guérie d\'aucune ma-
nière; l\'on ne sauroit y apporter d^autre remede
que celui de soutenir le corps par une botte avec
des articulations mobiles, qui monte jusque sous
l\'aisselle, afin que l\'épine du dos conserve une po-
sition droite, et que la partie déboîtée soit conve-
nablement nourrie.
Les souliers à talons hauts de bois , comme en
portent les femmes, sont nuisibles ; de même que
çeuxqu\'on rehausse avec du liège. 11 est vraïque cela
eert à masquer plus ou moins la dilformité ; mais
ôussi cela fait-il remonter la tête du fémur contre
l\'os ilion j ce qui contribue à augmenter la clawdi-
cation et le dépérissement de la jambe affectée.
Lorsque le patient est parvenu à Fâge de pu-
berté , et que la croissance est achevée, on peut
bien , pour Félégance, garnir le soulier d\'un talon
de bois ou de liège ; cela rend en même tems la
marche plus aisée; mais il faut alors abandonner
tous les autres moyens.
Je ne puis cependant m\'étonner assez du grand
nombre de boiteux qu\'on rencontre dans les villes.
Ce défaut est fort rare parmi les gens de la cam-
pagne. On diroit aussi que la claudication est hé-
réditaire dans certaines familles, chez qui elle
semble passer du père ou de la mère aux enfans.
Jamais néanmoins ce défaut n\'a rendu Faccou-
chement difficile : on diroit, au contraire , qu\'il
sert à le faciliter, parce que le bassin des femmes
boiteuses est, en général, plus large.
sg4 de e\'éducation
S\'il faut inoculer les petits enfans.
Ce seroit s\'occoper d\'un travail inutile que de
vouloir répéter tout ce qui a été dit pour et con-
tre l\'inoculation. Ce que le révérend et célèbre C.
Chais a publié sur cette matière, dans le premier
volume des Mémoires de la Société des sciences
de Harlem, doit suffire pour nous convaincre de
l\'utilité de l\'inoculation. Les objections qu\'on a
voulu faire n\'ont pas été d\'un grand poids, parce
que la contagion est une espèce d\'inoculation con-
tre laquelle il est impossible que les parens garan-
tissent leurs enfans qui fréquentent les écoles.
Tous les médecins s\'accordent , il est vrai, a
dire qu\'on doit prendre en considération l\'âge des
enfans, et que celui de six ou sept ans ea le plus
convenable pour cet elFet j mais que faudra - t-i^
faire, demanderai-je, si la contagion donne avant
«e tems la petite vérole à ceux qu\'on a voulu e»
préserver ? Reste-t-il alors assez de tems pour qne
les remèdes diasostiques diminuent la violence de
ce terrible fléau ?
Tout ce.que j\'ai pu observer touchant cette
cruelle maladie, tant acquise naturellement que
communiquée par inoculation , m\'a convaincu
que la constitution scorbutique des enfans, ainsi
que celle des adultes , en rend les accidens plus
graves. Est-il vraisemblable qu\'une simple prépa-
ration puisse remédier à cette disposition du corps?
La contagion ne nous surprend - elle pas tandis
que nous songeons à nous préparer? Cette mala-«
die est-eile également mortelle dans tous les pays,
dans toutes les villes? Ne remarque-t-on pas, ou-
tre cela, tous les ans une certaine proportion en-
tre le nombre des morts et celui des naissances?
Si de plus nous portons notre attention sur le
nombre et sur l\'âge des morts qu\'on enterre tous
îes mois à Londres, il paroît qu\'il meurt im tiers
des enfans avant qu\'ils aient atteint l\'âge de deux
ans, et nn sixième de ce qui reste avant celui de
cinq ans. En général, les enfans meiirent dans
Une telle progression , que la moitié à peu près
n\'existe plus avant le tems auquel il seroit pro-
prement convenable de les faire inocuW.
L\'inoculation ne convient donc que dans cer-
tains cas particuliers ; et, (|uoiqu\'on puisse dire ,
les accidens qui en résultent sont toujours moins
2g6 de l\'éducation des enfans.
dangereux , et la petite vérole secondaire est moins
maligne. Par conséquent, le visage n\'est pas si
maltraité, et la cécité paroît être rarement, pour
ne pas dire jamais, la suite de l\'inoculation.
Mon cœur est véritablement pénétré de dou-
leur, quand je me rappelle le nombre d\'enfans
que la petite vérole secondaire a rendus aveugles;
et la manière dont j\'ai vu ces pauvres innocens ,
qui ignoroient leur malheureux sort, rire et jouer
sur le giron de leur mère. Si, à ces infortunés, on
joint le nombre considérable de ceux qui en gar-
dent pendant toute leur vie des yeux malades et
d\'autres incommodités , ainsi que les femmes en-
ceintes que cette maladie conduit au tombeau, et
les terribles fausses couches qui en résultent, on
ne peut douter que l\'inoculation ne soit un grand
bienfait pour l\'humanité, lorsqu\'on l\'administre à
Fâge convenable.
Voilà, Messieurs, ce que j\'avois à dire sur Fé-
ducation des enfans. Comme j\'ai pensé qu\'il fal-
loit être succinct, j\'ai passé sous silence les objets
qui n\'ont pas un rapport direct au régime des en-
fans. Ils sont sujets à plusieurs autres incommodi-
tés encore, dont je n\'ai voulu ni dû vous entrete-
nir ici, parce qu\'elles ne sont pas à la portée des
parens ; d\'ailleurs, elles ne paroissent pas entrer
dans la question à laquelle je m\'étois proposé -de
répondre.
SUR LA MANIÈRE
DONT LES DIFFÉRENTES PASSIONS
SE PEIGNENT SUR LE VISAGE.
-ocr page 302-^f m" ^
\' ODRia TTÎIÎ U
!
-ocr page 303-N ous publions ici les derniers discours que feu
M. P. Camper a lus en 1774, 1778 et 1782, à l\'A-
cadémie de dessin d\'Amsterdam. Ces discours
étoient destinés à former chacun en particulier
une dissertation ; mais l\'auteur les a laissés tels
qu\'il les avoit prononcés en public.
Les deux premiers ont pour objet VExamen
des passions, a vec la manière sûre de les expri-
mer. Les connoissances profondes que M. Camper
possédoit dans l\'anatomie et dans Fart du dessin,
l\'avoient mis à même, plus que tout autre, d\'ap-
percevoir les fautes que les peintres ont commises
dans cette partie importante , et de les corriger ,
en même tems, par de nouvelles idées. Il ne nous
appartient pas de dire quel a été le succès de ce
travail; mais qu\'il nous soit permis de rappeler
les applaudissemens que lui ont mérité ces dis-
cours , et le désir qu\'ont montré les amateurs d@
500 PRÉFACE
la peinture qu\'ils fussent rendus publics par Tim-
pression. Une si flatteuse perspective a servi beau-
coup à nous encourager dans cette entreprise ;
quoique nous avouions à regret combien peu nous
sommes en état de remplir l\'attente du public à
cet égard, à cause que l\'auteur a laissé les dessins
destinés à servir à l\'intelligence du texte dans un
tel état d\'imperfection que nous avons douté long-
tems s\'il étoit convenable de les publier; ceux du
moins qui ont pour objet l\'expression des passions.
Tous les dessins que nous possédons relativement
à cette matière ne sont que de simples croquis,
pleins de feu, à îa vérité, et rendant parfaitement
l\'essentiel de ce que l\'auteur se proposoit de dé-
montrer, mais si peu arrêtés qu\'il étoit impossi-
ble de les publier dans cet état. Nous avons donc,
avec l\'aide d\'un habile graveur, fait exécuter les
planches ci-jointes aussi exactement qu\'il nous a
été possible d\'après les esquisses originales, en n\'y
faisant que les changemens indispensablement né-
cessaires. Nous ne pouvons assurer cependant d\'a-
voir pleinement satisfait par--là aux intentions de
Fauteur, et nous devons réclamer Findulffence des
lecteurs sur le peu de perfections de ces gravures.
de l\'Éditeur.
L\'objet des deux discours suivans est d\'appli-
quer à la peinlnre Y étonnante conformité cjui
existe entre la structure de l\'homme et celle des
quadrupèdes , des oiseaux et des poissonssuivi
d\'une nouvelle méthode pour apprendre à des-
siner toutes les espèces d\'animaux d\'une ma-
nière sûre et facile*
Nous avons trouvé les esquisses que l\'auteur a
laissées pour cette pièce assez bonnes pour ne de-
mander aucun changement. Quoique nous eus-
sions désiré que ces figures offrissent un contour
plus exact et des attitudes plus agréables , nous
avons cru qu\'il falloit préférer la plus scrupuleuse
exactitude à toute espèce d\'ornement; et la moin-
dre altération dans les traits auroit indispensable-
ment nuit àla vérité.
Le dernier discoursa pour o\\i]Q\\\\e Beau, phy-
sique ou la Beauté des formes.
Peut-être y aura-t-il des personnes qui , s\'étant
trouvées à la lecture de ces discours, en seront
moins satisfaites enleslisantaujourd\'huiimprimés.
Elles se rappeleront peut-être d\'avoir entendu el vu
démontrer alors par l\'auteur beaucoup de choses
dont il n\'est point fait mention ici : des notes mar-
wmm
5oa préface de l\' é d i t e u r,
ginalesdu manuscrit et le témoignage de plusieurs
témoins nous apprennent qu\'il nous manque dif-
férentes choses qui firent alors une vive et agréa-
ble impression sur l\'esprit des auditeurs; mais dont
il ne nous est rien resté ni dans les manuscrits de
l\'auteur, ni sur les tableaux à dessiner de l\'Aca-
démie. Il est heureux du moins que l\'essentiel de
ces discours nous soit parvenu dans l\'état où il se
trouve, et nous osons espérer qu\'en les offrant au
public c\'est lui faire un présent qui ne peut que
lui être agréable.
essieurs,
Dès la plus haute antiquité, la peinture a été
considérée non-seulement comme le plus agréable
et le plus utile des arts, mais sa pratique a été re-
gardée comme tellement nécessaire à tousles hom-
mes , sans distinction de rangs, que, suivant Aris-
tote, dans son essai sur les républiques, les Grecs
la faisoient enseigner à la jeunesse , afin que les
\'enfans, ceux surtout des premiers citoyens , pus-
sent porter un jugement sain et bien raisonné sur
ies productions de l\'art.
Cet illustre précepteur d\'Alexandre le Grand
ajoute, qu\'il faut aussi initier les jeunes gens dans
Cet art enchanteur pour leur donner un goût plus
sûr, afin qu\'ils puissent faire avec discernement
i\'achat des meubles destinés à orner leurs mai-
sons, et pour qu\'ils fussent bien pénétrés de la con-
noissance du vrai beau.
Ce louable exemple étoit jadis si généralement
M
suivi parmi nous, que les enfans des meilleurs ci-
toyens de toutes nos villes , furent instruits dans
ce bel art; mais aujourd\'hui nous nous plaignons,
avec raison, de sa décadence, même dans les vil-
les de Hollande où il paroissoit avoir étabh au-
trefois son siège.
Il n\'y a plus , à proprement parler , que cette
ville seule qui continue à protéger cette aimable
sœur de la poésie; et cela avec un tel succès, que
ce n\'est pas seulement la jeunesse actuelle qui nous
donne les plus grandes espérances, mais nous pos-
sédons déjà même réellement des artistes qui,
stimulés par la noble émulation de se surpasser
mutuellement, produisent des chefs-d\'oeuvre aussi
propres à orner cette capitale qu\'à étendre la re-
nommée de notre patrie.
Mais , pour ne pas trop m\'écarter de mon but,
je passerai sous silence les leçons instructives et les
discours intéressans que plusieurs membres de
l\'Académie ont prononcés dans le lieu que j\'oc-
cupe. Leur modestie ne me permet pas d\'appré-
cier, en leur présence, ces beaux discours à leur
juste valeur. Je ne parlerai donc que de ce que je
dois à ma propre expérience, par qui j\'ai appris à
connoître et le zèle soutenu des Mécène de cette
Académie, et le goût décidé pour les arts des plus
respectables citoyens de cette ville célèbre !
Combien ne furent pas flatteurs pour moi, les
-ocr page 309-A A C A D. DE DESSIN, 5o5
encouragemens que vous daignâtes me donner en
3770, en m\'engageant à faire des recherches sur
les principes fondamentaux d\'un art qui fera tou-
jours mes plus chères délices.
Ces encouragemens furent pour moi une loi im-
périeuse ; et sensible à la gloire , qu\'on voudra
bien , j\'espère, ne pas prendre pour de la vanité ,
je fus animé du désir de démontrer, en votre pré-
sence , combien la connoissance de l\'anatomie in-
flue sur la peinture.
En 1770, j\'eus le plaisir de vous faire voir avec
quelle facihté , avec quelle certitude , on pouvoit
représenter les dilférens traits caractéristiques de
la physionomie des dilférens âges et des différentes
nations. Aujourd\'hui je me propose de déuiontrer
combien il est aisé de peindre les différentes pas-
sions sur le visage de Vhomme y mais conime
cette science est plus abstruse , les principes en
sont aussi plus difficiles à saisir. Ils demandent une
connoissance plus profonde de la charpente du
corps humain , non-seulement quant aux os, mais
aussi quant aux muscles et aux nerfs; connoissance
essentiellement nécessaire si nous voulons bien ap-
pliquer les règles dont je vais vous entretenir.
Je m\'adresse donc à vous, généreux protecteurs
de cette Académie ! à vous, dignes directeurs de
Cette école illustré ! à vous, artistes célèbres, qui,
par vos productions , soutenez la gloire de cette
m. 20
HBB^BS
5o6 DISCOURS LUS
utile institution ! à vous, amateurs et protecteurs
de Fart du dessin ! je vous prie de m\'accorder vo-
tre attention et votre bienveillance. Pardonnez si
j\'ose, en présence de tant de personnes instruites
et habiles, vous proposer des règles sur un art qui,
je crains, est au-dessus de mes forces. Excusez
mon zèle, infructueux peut-être, mais lequel du
moins n\'est dicté que par le désir d\'être utile.
L\'expression fidelle des mouvemens de Famé
par l\'imitation exacte des traits du visage qui les in-
diquent, a été fort estimée dans les tems les plus
reculés. Pline fait mention d\'un certain Aristide
deThèbes, qui ie premier a représenté les passions
et les affections de Famé. Quoiqu\'on ne puisse pas
disconvenir que les bras, les jambes, l\'attitude du
corps entier, contribuent à exprimer nos passions,
il faut avouer cependant que le visage a toujours
été considéré comme le véritable siège de Fexpres-
sion des sentimens qui agitent notice ame.
Cicéron appelle le visage le langage tacite ou
muet de Famé ; et Sénèque , qui avoit acquis de
grandes connoissances des facultés intellectuelles
de Fhomme, dit, avec raison, qu\'à peine peut-il
s\'élever quelque passion violente en nous qu\'elle
ne soit sur-le-champ peinte d\'une manière visible
sur notre visage.
Mais c\'est-là tro^ généraliser les idées pour
qu\'on puisse en conclure que les anciens étoient
mam
aussi instruits que nous les sommes sur cette ma-
tière. J\'ai voulu dire seulement qu\'ils en avoient
d\'assez bonnes notions , eî qu\'ils savoient, entre
autres, que les yeux sont les véritables miroirs de
l\'ame. L\'ame, dit Pline, ce grand juge des beaux-
arts, habite dans les yeux ! Il n\'ignoroit pas non
plus que le mouvement des sourcils y joue le prin-
cipal rôle.
Je dois vous renvoyer à l\'ouvrage de Junius sur
la peinture des anciens , pour que vous puissiez
vous convaincre de la connoissance profonde qu\'ils
avoient de cette partie de l\'art. Il est malheureu-
sement vrai que nous avons perdu la plupart des
chefs-d\'œuvre de ces admirables maîtres ; mais le
Laocoon seul suffit pour nous convaincre jusqu\'à
quel degré ils avoient approfondi l\'expression des
sentimens de la douleur. Ce n\'est pas sur le visage
seul qu\'on lit les souffrances auxquelles il est en
proie: le tronc entier, les bras, les jambes, cha-
<lUe partie enfin de son corps annonce fortement
chez l ui des souffrances atroces.
L\'aménité qui caractérise la Vénus de Médicis, la
lïiajesîé de l\'Apollon Pyîhien, les dieux et les dées-
ses représentés par les anciens sur les pierres gra-
dées , les dilférens masques , les Faunes lascils et
toutes les autres productions de ce genre doivent
i^ous convaincre que Fexpression des mouvemens
de l\'ame ne fut pas la moindre partie de ia pein-
^^mmoÊBm
3o8 DISCOURS LUS
ture et de la sculpture dans laquelle excelloient les
anciens artistes.
Cependant la main de la barbarie a plongé en-
suite tous les beaux-arts dans un profond oubli,
où ils sont restés jusqu\'au quatorzième siècle: alors
les sciences recommencèrent à fleurir insensible-
ment, pour se relever, au seizième et dix-septième
siècles , avec une si grande vigueur que l\'Europe,
fatiguée, pour ainsi dire, d\'avoir produit un si
grand nombre d\'hommes illustres dans tous ies
genres, semble avoir besoin de quelques années de
repos, avant qu\'elle puisse en faire naître d\'autres
de ce mérite.
Peut-être, dira-1-on, que nous manquons de
Mécène? Cette question m\'écarteroit trop de mon
but; et ce seroit nous rendre coupables d\'ingrati-
tude que d\'oser le supposer, en voyant le zèle avec
lequel on encourage les savans et les artistes, sur-
tout dans cette ville.
Mais j\'abandonne ces réflexions , quelque flat-
teuses qu\'elles me paroissent, pour vous faire ob-
server que Paul Lomazzo, dans son excellent ou-
vrage DeW arte délia pittura, publié en i58i,
s\'est beaucoup appliqué à indiquer les altérations
que produisent les diiîérentes passions sur la phy-
sionomie de l\'homme, et les diverses attitudes et
positions qu\'elles font prendre à notre corps, et
âu;s:queiies il paroît s\'être arrêté principalement.
Il rapporte, entr\'autres, que Michelino, pein-
tre milanois , avoit représenté deux paysans et
deux paysannes riant avec tant de force et de vé-
rité qu\'on ne pouvoit les fixer sans éclater soi-
même de rire.
Léonard de Vinci s\'amusoit également, à ce
qu\'il dit lui-même, à dessiner des visages rians.
Personne n\'ignore que les carricatures étoient fort
à la mode de son tems , el furent tellement mul-
tipliées qu\'elles finirent par inspirer du dégoût.
Léonard de Vinci, qui florissoit au commence-
ment du seizième siècle , dans son immortel ou-
vrage sur la peinture, que toutes les nations, ex-
cepté la nôtre, que je sache, ont traduit avec une
sorte de respect ; Léonard de Vinci, dis-je, a traité
de toutes les impressions que les mouvemens de
l\'ame font sur les traits de la physionomie, com-
me on peut le voir aux chapitres 255 et aSy ; quoi-
qu\'il se soit, comme Lomazzo, arrêté principale-
ment aux airs de tête et aux attitudes du corps.
Tous ces hommes célèbi-es , auxquels nous de-
vons joindre, avec raison, Michel-Ange et Ra-
phaël , ont parfaitement possédé cette partie de
Part, et paroissent même s\'en être rendus ia pra-
tique familière. Jamais je n\'oublierai îe singulier
plaisir que j\'éprouvai en voyant le carton de 11a-
phaël qui représente Saint-Pierre versant des lar-
de repentir ; et qui de nous n\'admire pas
DISCODKS LUS
le groupe de marbre de Buonarotti représentant
l\'inquiète Proserpine enlevée par Pluton?
Mais personne n\'a traité cette matière avec plus
dé méthode que Charles Lebrun, au milieu du dix-
septième siècle; et l\'on peut dire à sa gloire que
tous les peuples ont. adopté, non-seulement ses
préceptes, mais ses dessins même. L\'illustre Buf-
fon est le seul, que je sache, qui ait voulu y subs-
tituer, mais sans succès, de nouveaux modèles. Je
m\'en rapporte à votre jugement, messieurs; voyez
si j\'ai tort en plaçant les dessins de Lebrun bien
au-dessus de ceux de Buffon.
L\'admirable ouvrage de Lebrun a été parfaite-
ment bien traduit en hollandois par De Kaarsgie-
ter ; et nos amateurs l\'ont reçu avec tant d\'em-
pressement que, dès l\'année 1728, il en avoit déjà
paru deux éditions dans cette langue.
Lairesse, ce sublime génie, ce peintre admira-
ble , s\'est bien apperçu sans doute qu\'il ne pouvoit
rien ajouter aux idées de Lebrun, puisqu\'il se con-
tente de donner, dans son Grand livre des pein-
tres , de justes éloges à la traduction de Kaarsgie-
ter, sans rien ajouter de plus; ce qui prouve as-
sez l\'estime qu\'il avoit pour l\'ouvrage du peintre
françois.
M. Wattelet a donné depuis plus d\'étendue aux
leçons de Lebrun ; et M. le chevalier de Jaucourt
a copié littéralement les observations de Wattelet,
â l\' a c a d. de dessin. 5l 1
lesquelles méritent certainement des éloges. Buf-
fon a paru ensuite, eî a traité cette matière en
grand maître ; mais au fond il n\'a rien dit de
nouveau.
On me demandera sans doute , et avec raison ,
pourquoi j\'ose me hasarder dans cette carrière ,
après que tant d\'hommes d\'un génie supérieur m\'y
ont devancé ? Je répondrai que je n\'ai rien de nou-
veau à produire: nous rions, nous pleurons, nous
sommes effrayés , nous nous lamentons et nous
mourons, aujourd\'hui comme dans les tems pas-
sés , avant comme après le déluge, et dans le coin
de terre que nous occupons ici comme sur tout le
reste de la surface du globe; toujours et par-tout
les passions se sont exprimées de la même manière
sur le visage des hommes; à l\'exception cependant
de ceux à qui des vues d\'intérêt ou de politique ont
appris à dissimuler au point d\'offrir un front se-
rein et des traits rians et tranquilles, tandis même
que leur ame est en proie aux accès de la colère
ou de l\'indignation; et de ceux qui ont su prendre
Un tel empire sur leurs muscles et sur leur teint,
qu\'ils ne palissent plus de colère et ne rougissent
plus de honte !
Tous les grands hommes , mes prédécesseurs ,
dont je viens de faire mention , n\'ont fait qu\'of-
frir les apparences extérieures, et ont parlé méta-
physiquemenî des opérations de l\'ame ; sans son-
ger au physique, c\'est-à-dire, aux effets naturels
que produisent extérieurement les mouvemens de
Fame. Mais il nous importe peu , selon mol, de
connoître la manière dont Famé agit et dans quelle
partie de notre corps se trouve son siège. Tout cela
est purement du ressort des métaphysiciens, qui,
avec un amas pompeux de mots vides de sens, ne
prouvent absolument rien , et sont fort éloignés
encore de pouvoir nous démontrer comment s\'opè-
rent les effets étonnans de cette substance imma-
térielle.
Pline , Léonard de Vinci et Junius , nous ont
bien fait entrevoir les principaux effets des pas-
sions; mais ils ne disent rien de la liaison qui sub-
siste entre les parties affectées ; et ils ont moins en-
core fait voir les altérations qui doivent nécessai-
rement avoir lieu au moment qu\'un certain nerf
est affecté.
C\'est avec beaucoup d\'art que Wattelet a dé-
peint les passions; mais il faut avouer que c\'est
plutôt en rhéteur que de toute autre manière.^ ;
Je me propose de faire connoître , non ce qui
se passe dans l\'ame quand les passions s\'y élèvent,
mais les effets que ces passions produisent sur le
physique de Fhomme. Ce sont~là les phénomènes
qui doivent m\'occuper, ainsi que la manière cons-
tante dont ils sont produits, surtout dans les mus-
eles du visage.
On conçoit facilement combien je dois désirer
qu\'on ait préalablement une idée exacte du sque-
lette ; secondement des principaux muscles , du
moins de ceux du visage ; et troisièmement des
nerfs , de leurs ramifications particulières et de
leurs conjugaisons réciproques.
Voilà le but que je me propose et l\'objet nou-
veau dont je veux vous entretenir dans ces deux
leçons.
Quelques exemples serviront à jeter de la lu-
mière sur cc sujet.
L\'homme livré à l\'affliction , à la tristesse, laisse
pencher sa tête , et en soutient av^ec sa main le
poids, qui n\'est plus supporté par les muscles du
cou. Or, qu\'est-ce autre chose ici qu\'une paraly-
sie qui affecte les nerfs de tous ces muscles?
L\'homme heureux, gai et riant, porte, au con-
traire, la têle haute et sa poitrine se dilate à dif-
férentes reprises; de ses mains il soutient ses Sancs;
les jambes lui manquent à la fin, et bientôt on le
Verroit tomber à terre, si cette affection duroit en-
core quelque tems.
L\'homme livré à la colère frappe des pieds et
des mains ; ses mouvemens convulsifs font îrem-
liler la terre; tandis que son visage se distord de
ûiille manières différentes et devient hideux.
Le respect et la vénération ôtenl l\'usage de !a
-ocr page 318-m
parole; un tressaillement intérieur ne permet pas
au corps d\'avancer ; les yeux, autrement animés
et pleins de feu, fixent la terre ; le coeur palpite;
et si, comme cela arrive souvent, la honte vient
à s\'y joindre, le sang teint le front, les joues et le
cou d\'un rouge animé.
Je ne finirois point si je voulois exposer les ef-
fets physiques de toutes les autres passions; il suf-
fira d\'ailleurs que j\'en tire la conclusion générale:
gue dans chaque passion il y a certains nerfs
qui sont particulièrement affectés ^ et j\'en con-
clus que le peintre doit nécessairement connoître
leur union réciproque, ou du moins, si l\'on croit
que l\'artiste ne peut pas embrasser une si vaste
étude, il faut du moins que ceux qui veulent trai-
ter ce sujet en soient parfaitement instruits , afin
de pouvoir prescrire aux peintres les préceptes gé-
néraux qu\'ils doivent suivre.
La pâleur, elfet ordinaire de la peur, de l\'ef-
froi, de la terreur, dépend , ainsi que la rougeur
de la honte , de l\'action des nerfs. La palette du
peintre lui fournit de quoi rendre ces dilférentes
teintes, qui échappent au crayoi? du dessinateur
et au ciseau du statuaire. Mais l\'orateur et le co-
médien, qui posssèdent les mêmes moyens de pré-
senter aux yeux les eifets des passions , jouissent
plus que tous les autres artistes de l\'avantage de
joindre au jeu des muscles du visage, les attitudes
du corps et les mouvemens de ses différentes
parties.
Une dissection continuelle du corps humain
m\'a mis à même de connoître quels sont les nerfs
qui, aboutissant à ces parlies agissantes , doivent
proprement être affectés ; par conséquent quels
sont les muscles qui sont nécessairement mis en.
action. Et du mouvement de ces muscles, de leur
direction et de leur insertion, il m\'est facile de dé-
terminer quels sont les traits du visage qui doivent
en être altérés, et quels mouvemens il doit en ré-
sulter dans telle ou telle partie du corps.
C\'est la démonstration de ces vérités que je me
propose dans ces leçons.
Peut-être m\'objectera-t-on qu\'en supposant
même que les anciens aient appliqué les connois-
sances qu\'ils avoient dans l\'anatomie au jeu des
muscles agités par les passions, Raphaël, Callot,
Lebrun et plusieurs autres artistes, sont néanmoins
parvenus à exprimer parfaitement les différens
mouvemens de l\'ame, sans avoir la moindre no-
tion de la structure du corps humain.
Que Hogarth, qu\'on regarde comme le plus ha-
bile peintre des passions , s\'est acquis une gloire
nnmortelle, quoiqu\'il ignorât absolument tout c©
que je regarde comme indispensable à l\'artiste qui
"^\'eut se distinguer dans cette partie de l\'art.
Que Jean Steen, si inimitable quelquefois dans
-ocr page 320-l\'expression des passions, n\'a jamais pensé à étu-
dier l\'écorché ni le véritable emploi des nerfs ,
qu\'un grand nombre d\'anatomistes connoissenl à
peine de nos jours.
Je passe ici sous silence plusieurs autres artistes,
pour qu\'on ne m\'accuse point de chercher à ter-
nir leur réputation.
Quoiqu\'il en soit, je me flatte que la manière
dont je me propose de considérer cette matière
vous sera d\'autant plus agréable qu\'elle ne s\'é-
carte point de la dignité que demande l\'étude de
la nature; qu\'elle nous aidera même à suivre ses
opérations admirables ; et fournira aux élèves et
aux artistes mêmes le moyen de faire de rapides
progrès dans cette partie intéressante de leur art.
Je me bornerai, comme je l\'ai déjà dit, à ce qui
concerne le jeu des muscles du visage.
Il est par conséquent nécessaire que je vous fasse
observer avant tout la tête décharnée de l\'hom-
me (pl. XXIX, fîg, i), qoe j\'ai représentée ici
beaucoup plus grande que nature , pour qu\'on
puisse distinguer plus facilement de loin les par-
ties qui la composent (i).
(i) Il faut que le lecteur sache que feu M. P. Camper avoit ap-
porté à cette séance toutes les figures dont il parle dans cet ou-
vrage, dessinées sur des tableaux noircis, dans des proportions
beaucoup plus grandes que nature; et qu\'il avoit de même indi-
iJ
-ocr page 321-En second lieu, je vais vous tracer les princi-
paux muscles du visage et la vraie position des
yeux, pour vous prouver que Lebrun , page ,
planche XXII, les a placés trop obliquement, ce
qui est contre la nature ; et que dans le rire, page
36, planche II, il a donné une trop grande incli-
naison au grand angle de Fœil, ainsi qu\'il l\'a fait
également dans la tristesse.
Troisièmement, je dois vous observer que tous
les plis du visage doivent nécessairement couper à
angles droits la direction ou le cours des fibres
musculaires (i).
Quatrièmement, j\'indiquerai quelques nerfs;
afin de faire mieux connoître l\'action simultanée
de plusieurs muscles dans la même passion.
Il y a long-tems qu\'on a donné le nom de
thétique à la sixième paiï-e de nerfs des anciens ,
qui est la huitième pour nous. Elle communique
par ses branches avec la gorge, avec la poitrine et
avec le ventre, d\'où elle s\'unit, par le nerf inter-
costal , avec tous les nerfs des bras et des jambes.
La quatrième paire , ouïe petit pathétique ,
produit des effets étonnans dans l\'admiration, dans
l\'amour et dans la mort.
, clans ces dessins , les défauts qu\'on peut reprocher à Lebrun
^\'ins la représentation des yeux.
(i) L\'auteur, eu exposant toutes ces choses, les a rendues pîws
*eniiibles par les dessins des parties dont il parioit.
SH
La septième paire produit le rire, la rougeur et
îa pâleur.
Enfin , je crois devoir vous indiquer aussi les
muscles des yeux, afin que vous puissiez vous for-
mer une idée exacte de leurs mouvemens , tandis
que nous vivons, lorsque nous mourons, et même
après que nous avons cessé d\'exister.
Par conséquent, il faut que je vous parle aussi
du mouvement simultané et alternatif des muscles
obliques dans l\'expression de l\'amitié ou du res-
pect. Lorsque nous cessons de vivre nos yeux se
rapprochent l\'un de l\'autre, parce qu\'alors toute
volonté cesse, et qu\'il ne reste plus de mouvement
que celui qu\'impriment les derniers efforts des es-
prits vitaux, ou la force élastique encore subsis-
tante des muscles.
Tels sont, messieurs, les objets que j\'ai cru de-
voir vous exposer dans cette première leçon, qui
ne vous présente que des matériaux préparatoires.
Je rae propose de vous en faire connoître l\'appli-
cation, et de vous prouver d\'une manière convain-
cante que les artistes, en suivant ces principes,
peuveflt exprimer à volonté et d\'une manière sûre
toutes les passions avec la plus grande énergie.
essieurs,
Lorsque je vous ai promis hier de vous faire
connoître I\'apphcation et le développement des
principes dont je vous ai entretenus, j\'ai contracté
l\'obligation de mettre sous vos yeux des dessins
qui représentent les passions.
1®. Je vais donc vous montrer d\'abord un visage
en repos (pl. XXIX, fig. 5); puis en admiration,
ensuite exprimant le mépris ( fig. 4 ) • enfin, l\'in-
dignation (fig. 5).
2°. Ensuite, revenant de nouveau au visage tran-
quille (fig, 3), je passerai à la satisfaction, à la
Joie (fig. 6); enfin, au rire aux éclats (fig. 7}.
3°. Je reviens au repos (fig. 3), pour passer à la
douleur; et ensuite au larmoyant.
Si le tems me le permet, je parlerai en pas-
M
Sao DISCOURS LUS
sant de l\'homme respectueux ; de l\'homme abattu
par la douleur (fig. 8), et de l\'homme mourant
(fig- 9)-
Vous ne serez pas moins satisfaits des change-
mens instantanés que les passions produisent sur
le visage, que le grand-duc de Toscane le fut en
voyant peindre Pierre de Cortone à Florence. Cet
artiste, s\'appercevant que le grand-duc ne se lassoit
pas d\'admirer un enfant qu\'il avoit représenté en
pleurs, lui demanda s\'il étoit curieux de voir avec
quelle facilité il pouvoit le faire rire? En effet,
à peine eut-il donné quelques coups de pinceau ,
que l\'enfant qui d\'abord pleuroit pa\'rut sourire.
Ensuite, il remit la bouche dans sa première po-
sition, et l\'enfant pleura de nouveau; ce qui causa
nne grande surprise au duc. J\'attends les mêmes
sentimens de votre part; mais je vous prie de vous
rappeler que ce n\'est pas un Pierre de Cortone que
vous allez voir dessiner, mais un simple amateur
de la peinture.
Je me mets donc à dessiner.
1®. Voici d\'abord ie visage tranquille (fig. 3).
2°. Supposons maintenant qu\'il se présente tout
à coup quelque chose de surprenant : le nerf in-
terçosfal est mis en mouvement et fait a^dr la
troisième paire denerfs, d\'oùil résulteque la pau-
pière s\'ouvre et que l\'œil demeure immobile dans
son orbite; les dents restent couvertes.
Dans le même tems le même nerf atrit sur la
huitième paire de nerfs ( fig. 4 ) ; la respbation se
trouve arrêtée; le cœur même est gêné dans son
ïnouvement, ei la boucbe s\'ouvre, parce que les
muscles qui meuvent la mâchoire sont alfectés; les
ttiains, et les doigts surtout, s\'étendent par un
elfet de la même union.
5°. Le mépris se manifeste d\'une manière diffé-
rente. Ici la cinquième paire de nerfs agit, ce qui
l^ait que les sourcils se contractent, la bouche se
terme, la lèvre inférieure (fig. 5) s\'élève au mi-
heu, et les yeux sont tirés de côté. Mais ici a par-
ticuhèrement heu ce que j\'ai dit ailleurs , que les
lUuscles abducteur et adducteur, par une suite
^^habitude, agissent simuitanément.
Cette passion devient bien plus expressive quand
je corps se détourne d\'une certaine manière de
objet; surtout lorsque dans le même tems la tête
«st tournée à droite, tandis que les yeux regardent
^ gauche.
I>ans la joie, les seules parties qui soient en
»i^ouvement soat celles qui dépendent immédia-
e^ïient de la septième paire de nerfs.
Il
1®. Voici la figure tranquille ( fig. 5).
Voici le sourire de Famitié. Mais il ne faut
pas que les coins de la bouche s\'élèvent seuls , et
jamais les sourcils ne doivent se froncer ni se rap-
procher ( fig. 6 ).
C\'est-là un point dans lequel pèchent beaucoup
de peintres de portraits françois.
Du moment que la gaieté va jusqu\'au rire,
ies yeux se fixent en avant sans avoir de point dé-
terminé où ils s\'arrêtent. Le côté extérieur du mus-
cle orbiculaire des paupières sè contracte; alors la
partie supérieure des joues se relève et les rides
paroissent.
4°. Voulez-vous avoir une physionomie volup-
tueuse, placez les yeux de coté, et fermez un peu
les paupières, comme lorsqu\'on donne des oeillades
1®. Voici de nouveau le visage en repos (fig. 5).,
Dans la profonde afiliction (fig. 8), c\'est la
cinquième paire de nerfs qui agit: les deux coins
de la bouche s\'abaissent, les dents restent couver-
tes, parce que la lèvre supérieure s\'abaisse éga-
j^ement.
Lorsque Fafîliction passe au désespoir, les yeux
se tournent vers le ciel et se placent obliquement?
front se fronce et le milieu des sourcils s\'élève.
Quand_on pleure, tous les muscles qui dé-
pendent de la cinquième paire de nerfs éprouvent
line plus forte impression encore.
4°, Lorsqu\'il s\'jmêle de la colère, les paupières
s\'ouvrent autant qu\'il est possible, les sourcils s\'a-
Wissent profondément et les dents se serrent avec
force.
î V.
Il faut considérer comme une règle générale :
qu\'au moment où l\'ame va quitter le corps,
tous les muscles du cou (%. n ) font ouvrir la
bouche; 2°. que les nerfs pathétiques rapprochent
les yeux l\'un vers l\'autre; 3°. et que tous les au-
tres muscles restent alors dans le plus parfait repos.
Ce que Lebrun appelle vénération, pl. lîl^ pag.
18, et respect, pl. IV, fig. 5, sont représentés d\'une
liianière peu conforme à la nature; en ce que les
yeux y sont relevés par les deux muscles obliques;
tandis qu\'ils doivent agir ahernativement ; c\'est-à-
dire, que les muscles obliques inférieurs et supé-
rieurs doivent agir simultanément.
t
CONCLUSION.
"^Odà, messieurs, les objets dont je m\'étois pro-
posé de vous entretenir. Vous vous attendiez peut-
être que j Vurois mis sous vos yeux toute la série
des passions,et que je vous aurois offert des exem-
ples de chacune en particulier. Mais pour cela il
m\'auroit fallu plusieurs séances, et j\'aurois dû
alors traiter cette matière plutôt en peintre qu\'en
anatomiste.
Mon seul but a été de vous inspirer autant que
possible du goût pour l\'étude de la nature , et de
vous aôrancMr en même tems de la méthode dé-
fectueuse de ne considérer les choses que d\'un seul
côté, en suivant servilement les exemples vicieux
des maîtres dont je viens de vous parler. C\'est le
seul moyen de parvenir- à la connoissance de la
vérité; une semi-preuve vaut mieux pour cela que
toutes les autorités. Nous devons, comme les an-
ciens , respecter et Socrale et Platon; mais la vé-
rité doit nous être beaucoup plus chère encore.
SUR L\'ANALOGIE QUIL Y A ENTRE LA STRUCTURE
DES OISEAUX ET DES POISSONS,
Prononcés, les i3 et i4 octobre dans la
mile de VAcadémie de dessin de la ville
d\'Amsterdam.
1. J::
-LVXES SIEURS,
Voici la troisième fois que j\'ose me présenter
devant vous dans cette salle, encouragé par votre
indulgence et excité par les applaudissemens de
plusieurs habiles artistes de cette ville.
Je vous ai entretenus, il y a quelque tems, des
Variétés qui caractérisent le visage des hommes de
divers climats et de différens ages. J\'ai indiqué à
Cette occasion une manière nouvelle et sûre de
dessiner toutes sortes de têtes avec la plus grande
exactitude. J\'ai parlé ensuite 4e la manière dont
les différentes passions se peignent sur le visage ,
et j\'en ai même donné quelques exemples (i).
;t
M
Aujourd\'hui je me propose de vous faire remar-
<luer l\'étonnante analogie qu\'il y a entre la struc-
ture du corps humain et celle des quadrupèdes ,
des oiseaux et des poissons, et de vous exposer en
IS
(0 Ce morceau paroîtra dans le volunae suiTîint.
su; S
-ocr page 332-même tems une méthode facile de les dessiner tous
avec précision.
Ne soyez point surpris, messieurs, de cette sin-
gulière idée : il n\'est nullement indigne ni de vous
ni de moi, d\'étudier les formes extérieures des
animaux, et de les peindre avec fidélité.
L\'exemple de k sage antiquité viendra à l\'appui
de cette assertion. Les Grecs, les Romains, et les
Egyptiens avant eux, étoient obligés, ainsi qu\'on
le sait, de connoître les formes extérieures de tou-
tes les espèces d\'animaux, non-seulement comme
devant servir de figures hiéroglyphiques du culte
bisarre de leurs idoles, mais aussi comme objets
inséparables de leurs sacrifices, de leurs jeux pu-
bUcs, de leurs pompes triomphales; et il leur eut
été impossible sans doute de les représenter d\\me
manière convenable, soit en peinture, soit en mar-
bre, soit en bronze, s\'ils n\'avoient commencé par
se pénétrer auparavant de cequi constitue la beauté
et la perfection des formes des animaux de toutes
les espèces.
Rien ne me paroît plus propre à prouver toute
l\'importance que les anciens attacboient à cette
partie de l\'art, que le fameux chien de bronze ,
qui, selon Pline le naturaliste (i), étoit regardé
comme une des plus grandes merveilles ; de ma-
(i) Lib. XXXIV, cap. 17.
-ocr page 333-Bière que ceux qui étoient chargés de le garder,
en répondoient sur leur vie.
Le même auteur nous apprend (i) que Myron.
avoit fait une vache de bronze d\'un travail si ad-
mirable, que non-seulement elle fut chantée par
les plus grands poêles , mais que les graveurs en
firent des copies avec le même empressement et 1«
même soin qu\'ils avoient coutume de le faire de la
Vénus et d\'autres chefs-d\'œuvre des plus célèbres
maîtres. Le comte de Caylus (s) en donne une re-
présentation d\'après une cornaline, dont il fait,
avec raison, un grand éloge.
Canachis (o) s\'étoit rendu célèbre pour avoir
représenté un cerf de bronze , qu\'il avoit exécuté
avec tant d\'art qu\'on pouvoit passer un fil dessous
ses pieds.
Tisicrates (4) s\'est immortalisé par ses lions ;
Timon (.5) par un chien; Nicias (6) par la pein-
ture de toutes sortes d\'animaux; Androcydes (7)
par sa manière admirable de représenter les pois-
sons.
(0 , cap. 19.
(2j Tom. I, pi. L, fig. 3, pag. 105.
(5) Plin., lib. XXXIV.
(4)
(5) rhd.
(6) Ih\'d.
(7) It\'id.
-ocr page 334-Il faut lÎYe les Monumenti anticTii inediti de
Winkelmann, et surtout Fintroduction de cet ou-
vrage, pour se convaincre de quel prix est encore
aux yeux des antiquaires le lion du Capitule , le
spliinxdu palais Borghèse, et d\'autres aninvaux de
la fontaine delV Aqua Felice.
Mais c\'est principalement des chevaux que les
anciens paroissent s\'être occupés. L\'histoire de Fin-
comparable Apelle eet trop connue pour qu\'il soit
besoin de la répéter ici ; et il en est de même de
son émule Lysippe. Apxèa eux, Calamis s\'est ac-
quis une telle célébrité par son talent à représen-
ter des chevaux que iîon-8Sûlement Pline (i) en a
parlé avec le plus grand éloge, mais que Cicéron
et Ovide ont immortalisé ses ouvrages par leurs
écrits. Selon Pline , personne ne pouvoit lui être
comparé pour la représentation desbiges et des qua-
driges; quoique Lysippe et son élève Eutichrates
aient mérité aussi de grands éloges à cet égard.
On peut voir dans le cabinet de Stosch quel fa-
lent Aspasius avoit dans l\'art de graver des che-
vaux ; ie beau casque de Minerve en est une preuve.
Hylus n\'a pas moins bien réussi à représenter des
taureaux; et Aulus et Lucius ont obtenu les mê-
mes éloges pour leurs chevaux. Des quadriges,
dont la forme ressemble assez à celle de nos ca-
{,)Lib. XXXIV.
-ocr page 335-a l^acad. de dessin. 53l
brioîets, sont si admirablement représentés en bas-
relief, et sur des pierres gravées, qu\'on ne peut
rien imaginer déplus parfait. On trouve assez com-
m^unément de ces chars attelés de deux et de quatre
chevaux; mais je n\'en ai jamais vu avee dix che-
vaux, quoiqu\'on sache, que Néron a commencé à
s\'en servir à la chasse. Cependant on trouve dans
Caylus (i) une cornaline représentant une entrée
triomphale, où le char est traîné par vingt che-
vaux, tous attelés de front, et d\'un si beau tra-
vail qu\'on distingue parfaitement chaque cheval.
Je ne finirois pas si je voulois citer tous les ar-
tistes qui ont acquis de la célébrité par leur talent
à rendre parfaitement les animaux. Il me paroît
plus convenable de vous renvoyer à Junius qui en
parle avec beaucoup de discernement. Vous y verrez
par vous-mêmes quel fut le nombre des peintres ,
des statuaires et des graveurs qui doivent, pour
ainsi dire, uniquement leur gloire à la perfection
avec laquelle ils ont représenté des animaux.
H
Mais il vous intéressera davantage que je vous
rappelle les noms des grands artistes qui ont illus-
tré notre patrie par leurs chefs - d\'oeuvre eî» ce
genre. Qui de nous ne seroit pas jaloux de mériter
la gloire dont jouissent Van Berchem, Wouwer-
lïian, Potter, Wenix, Adrien Van de Velde, Hon-
0) Tom. i, pl. l, fig. 3 , pag. i35.
-ocr page 336-dekoeter, et plusieurs autres maîtres de cette classe,
" notre patrie a donné le jour. On peut donc
dire sans crainte que leur talent étoit aussi admi-
rable que difficile à atteindre; et personne je pense
(excepté Crispin Van de Pas) ne s\'est occupé à
écrire sur les proportions des animaux et à fournir
par conséquent aux élèves les moyens de faire des
progrès certains dans cette partie.
Ce que Léonard de Vinci dit des chevaux n\'est
certainement pas propre à nous en donner des
idées bien justes ; Léonard ne parle qu\'avec un
enthousiasme poétique de la beauté de quelques
animaux; Charles Van der Mander s\'amuse égale-
ment à des citations de poëtes, qui ne sont guère
utiles; tandis que Lairesse passe entièrement sous
silence cet article intéressant.
Ce que je viens de dire doit vous faire paroître
mon entreprise d\'autant plus hardie ; cependant
|e me flatte que ces mêmes raisons me serviront,
au contraire, d\'excuse, et me feront obtenir votre
approbation; j\'espère même vous convaincre que
si je n\'avois pas réuni les observations anatomi-
ques, quelquefois si dégoûtantes, de différentes es-
pèces d\'animaux, aux secours du bel art de la pein-
ture, je n\'aurois jamais pu concevoir ies idées que
je vais vous présenter. Mais je me croirai bien ré-
compensé des peines qne m\'a coûté ce travail, si,
par ces deux discours, je parviens à encourager
«ies hommes plus instruits que moi à porter cette
partie de la peinture à sa perfection.
Dans le premier de ces discours, j\'exposerai les
véritables rapports qu\'offrent les quadrupèdes com-
parés entr\'eux, comme cussi les rapports qui exis-
tent entre les.quadrupèdes et les oiseaux et ies
poissons; en indiquent les particularités qu\'il im-
porte au peintre et au statuaire de saisir.
Je prie d\'observer que par Ja peinture j\'entends
parler de tous les arts qui tiennent immédiatement
au dessin.
Dans ie second discours, j\'indiquerai une mé-
thode facile et sûre de dessiner correctement tou-
tes les espèces d\'animaux, tant les quadrupèdes ,
que ies oiseaux et les poissons ; et je finirai par
Vous montrer que , nouveau Protée, on peut,
moyennant quelques traits , métamorphoser une
Vache en cheval/en un chien, en une cicogne, et
la cicogne en one carpe, ou toute autre espèce de
poisson.
Cependant ne croyez pas, qu\'à l\'exemple de
2euxis, j\'employerai un tems bien considérable à
\'iessiner les animaux qui doivent faire l\'objet de
discours. Je suivrai plutôt la méthode d\'Agathar-
^we, en faisant de légères esquisses des animaux
^ne je croirai nécessaires au développeihent de
^es idées,
Bien ne vous sera,plus facile que d\'y ajouter
f-
ÏL
ensuite les détails qui constituent la beauté et la
grâce des chefs-d\'oeuvre des maîtres dont je viens
de vous parler.
Daignez donc m\'accorder encore aujourd\'hui
cette attention et cette indulgence dont vous avez
bien voulu m\'honorer jusqu\'à présent; et ne con-
sidérez ce que je vais dire que comme des Vues
générales, qui, toutes imparfaites qu\'elles puissent
être , pourront néanmoins contribuer un jour à
parvenir à des choses plus utiles et plus impor-
tantes.
Il n\'y a personne, pour peu qu\'il ait considéré
avec quelque attention l\'art ravissant de la pein-
ture, qui puisse douter que, pour représenter les
objets que la nature ofPre à nos yeux , le peintre
ait autre chose à faire que de les dessiner et colo-
rier avec la plus scrupuleuse exactitude.
Il sera utile néanmoins, et même regardé com-
me indispensable, je pense, par tous les amateurs
éclairés, que le peintre qui veut parvenir à la per-
fection de son art ait une connoissance profonde
de tous les êtres créés, et qu\'il se pénètre du des-
sein qu\'a eu le grand et divin architecte de l\'uni-
vers dans la production de cette étonnante et pro-
digieuse diversité de formes qui nous étonne et
ïjous charme dans les quadrupèdes, dans les oi-
seaux et dans les poissons, et qui nous pénètre de
respect et d\'admiration pour sa toute-puissance.
En commençant par Fhomme , nous le consi-
dérerons comme le plus beau des quadrupèdes ;
ensuite nous descendrons par degrés aux singes,
aux chiens et aux gerboises; après quoi nous pas-
serons aux oiseaux, pour finir par les poissons.
Peut-être regarderea-vous ce discours comme
absurde; mais je Mie flatte de vous convaincre bien-
tôt que les oiseaux et les poissons doivent être pla-
cés dans k classe des quadrupèdes, aussi bien que
les chevaux et les éléphans ; quoique cependant
d\'une structure dilFérenîe, pour qu\'ils puissent
exercer facilement leurs fonctions animales dans
le médium qu\'ils sent destinés à habiter.
D\'ailleurs, chaque animal diffère des autres par
la tête, par le corps, les extrémités et îa queue, d\'a-
près le but pour lequel il a été créé par l\'Etre Su-
prême et ie lieu qu\'il doit habiter sur ce globe.
L\'huitre même, conda mnée à passer sa vie au même
endroit, présente les principes d\'organisation et de
structure du poisson, et le poisson ceux de Foi-
seau , du chien, du singe, et finalement de
l\'homme.
J\'aurois pu vous démontrer cette contaténation
des êtres par des esquisses, mais le défaut de tems
ûe me permet pas de m\'en occuper.
Je dois donc me borner à vous montrer lessque-
lettes de l\'homme, du chien, de Faigie et du pin-
gouin, pour vous faire appercevoir l\'analogie qu\'il
y a entre les parties correspondantes de ces ani-
maux. Quant à la nature des poissons, je me ré-
serve d\'en parler dans le second discours (i).
Vous voyez évidemment, par la comparaison
de ces squelettes entr\'eux, que, de tontes les créa-
tures, c\'est l\'homme qui est le plus parfait; mais ce
n\'est pas, comme a dit Platon (2), et après lui Ci-
céron (3) et Ovide, parce qu\'il marche la tête éle-
vée ; comme si c\'étoit un privilège exclusif pour
l\'espèce humaine de regarderie ciel: Gahen (4), on
le sait, avoit déjà observé judicieusement que plu-
sieurs espèces de poissons remplissent beaucoup
mieux cette fonction ; ce qui les a fait appeler en
grec ûfxi^oG-oKo-m), contemplateurs du ciel (5);
anais parce que l\'homme seul peut marcher debout
et s\'asseoir. Nous y ajouterons, qu\'il est le seul
des êtres qui puisse se coucher sur le dos ; le seul
dont le centre de gravité et de mouvement se
trouve exactement au milieu du corps, ce qui fa-
cilite, en général, tous ses mouvemens ; avantages
qui dépendent uniquement de la perfection de sa
(i) Cette démonstration s\'est faite par ie moyen du dessin et des
squelettes d\'animaux.
(a) In Timaeo, tom. III, pag. 44 et 45, edit. Serrani.
(3) De Legibus , lib. 1.9, pag. 334.
(4) De us„ part., lib. Ill, cap. 3, class, I, pag^ jl,
(5) Le hçeuf ou Je tapeçon ou rapeçon. Vovez Gronovius on
.Wiliougby.
Structure. 11 possède encore plusieurs autres privi-
lèges imporians ; mais comme ils n\'ont point de
i\'apport à mon objet je les passe sous silence,
11 n\'j a personne qui, en considérant, même su-
perficiellement , un cheval, ne soit frappé de la
beauté de son encolure. En voyant le chameau ,
c^est la longueur de son cou et la petitesse de sa
tête qui surprennent le plus ; l\'éléphant fixe prin-
cipalement notre attention par la longueur de sa
trompe ; dans la vache nous admirons la grosseur
des flancs ; dans le lévrier c\'est le svehe de son
Corps, la finesse de ses extrémités qui nous plaisent.
Cependant je vous ferai voir que la structure de
ces différentes parties est appropriée au but pour
lequel ces animaux ont été créés.
Cicéron (1) a donné une admirable description
de ces différences relatives, qui nous apprend les
grandes connoissances qu\'avoit ce philosophe des
ïi^erveilles de la nature.
1 j i\'i
Jî
î;i
« Quelques animaux, dit-il, ont les jambes as-
«sez courtes, pour qu\'ils puissent sans difficulté
« prendre leurs ahmens à terre. Ceux dont le corps
^^ est placé plus haut, tels que les oies, les grues
^^ et les chameaux, ont le cou fort long. La nature
^^^ donné une main à l\'éléphant pour saisir sa
(0 De Nat. Deorum, cap. 47.
iii.
«nourriture, que la grosseur démesurée de son
« corps lui empêcheroit d\'atteindre (i). w
Ces remarques, quoique dignes de ce grand phi-
losophe, et favorables à l\'objet dont je m\'occupe,
ne m\'ont cependant paru intelligibles qu\'après que
j\'eus perfectionné mes observatiens sur les ani-
maux , et fait ies découvertes dont je vais vous en-
tretenir.
Le grand naturaliste Ray, dans la préface qu\'il
a mise à la tête de la description des poissons de
Willougby, rapporte ce passage en d\'autres ter-
mes, et remarque avec justesse, que si les pois-
sons n\'ont pas de cou, ce n\'est point parce qu\'ils
manquent de pieds, mais à cause qu\'il leur est fa-
cile de recevoir partout leur nourriture dans les
eaux. Aristote avoit déjà fait l\'observation que les
poissons n\'ont point de cou. Les serpens n\'en ont
de même pas, et ont cela de commun avec les
poissons.
Pour ce qui est des extrémités, je remarquerai
que, par une suite de la prévoyance du Créateur?
(0 Ceci se trouve confirmé par Je morse, qui. quoique ro«"\'
de longues défenses , n\'a pas besoin de trompe , parce que nageant
dans l\'eau, il saisit facilement sa proie; ce qui nous fournit
preuve remarquable de la nécessité de la trompe dans l\'élépliant,
et de son iauiiiité dans le morse. Galien avoit déjà remarqué q«®
les animaux qui broutent par terre ont le cou aussi long que
jambes, De pare., üb. VIU, cap. i, n«. i65. B. Edic. Brass-
m
le train de devant est toujours plus bas que le train
de derrière dans les animaux de qui la hauteur des
jambes exige un long cou ; comme on le voit dans
la brebis J dans le cerf et dans le chameau , de qui
l\'épine du dos et les hanches montent obliquement
Nous devons excepter de cette règle la giraffe, la-
quelle a une destination différente à remplir.
Si nous fixons notre attention sur le ventre,
ïious trouverons que cette partie est beaucoup plus
considérable chez les animaux herbivores que chez
les carnivores , et plus grande aussi dans les ru-
iiiinans que dans ceux qui ne ruminent point. îl
est facile d\'en comprendre la raison: les bojaux,
tous lesintestins en un mot, n\'ont pas besoin d\'ê-
tre d\'un aussi grand volume pour convertir de la
chair en chair , que pour convertir de l\'herbe en
chair. Les parties nutritives de l\'herbe sont repar-
ties dans une masse considérable; tandis que cel-
les de la viande sont resserrées dans un petit vo-
lume.
La vache se remplit de suite totalement l\'esto-
^ïiac , après quoi elle rumine à son aise ; tandis
\'î\'Je le cheval mange continuellement. Il faut donc
\'i^e la vache ait le ventre plus gros que le cheval;
^ cheval plus gros que le chien , etc.
Les animaux sont aussi d\'autant plus alon-
qu\'ils ont un plus grand nombre de vertèbres
ombaires; quelques-uns, tel que Féléphant, n\'en
i
ont que trois; tandis que le cheval en a cinq , la
Tache six, le lion , le chat et le chameau sept.
4°. Les animaux herbivores, tels que Féléphant,
le cheval, le boeuf, le cerf, le chameau et toutes
les espèces ruminantes, le cochon même, ont des
sabots, soit solipèdes, soit fourchus, parce qu\'ils
doivent se tenir long-tems debout pour prendre la
quantité de nourriture qui leur est nécessaire.
Dans toutes les autres espèces d\'animaux les ex-
trémités se terminent en trois, quatre ou cinq
doigts, comme dans Fhomme; mais on n\'en trouve
jamais au-delà de cinq dans les quadrupèdes.
50. Dans les oiseaux, les ailes se terminent en
doigts ; tous ont un pouce, et la plupart deux
doigts en sus. Dans plusieurs espèces, il y a des
piquans, comme on le voit à l\'autruche, au casoar-
Plus le peintre sera instruit de la nature et de
la conformation des animaux, et mieux il réussir»
à les représenter fidellement.
Mais une simple explication verbale est loin de
pouvoir suffire à faire saisir complettement la ve"
rité de ces observations. Je réussirai mieux sans
doute à vous faire comprendre mes idées, en voo»
présentant les esquisses des animaux dont je veu^
jarler.
premier exemple.
Le cheval. Planche XXX, figure i.
1°. Soit B. C. D. E. F. le corps et les jambes du
cheval ; de manière que les jambes pour être pro-
pres à la course doivent avoir la hauteur de G. E.
2°. Tirez en dedans la ligne A. I. que décrivent
les vertèbres. Que A. Y. soit la première côte, et
A. le centre de turbination de la première vertè-
bre du cou : on sait que tous les animaux en ont
Sept.
conséquence.
Il en résulte que le cou et la tête pris ensemble
doivent être assez longs pour que l\'animal puisse
^langer à terre; c\'est-à-dire, comme A. Y. Y. Z.
Plus la tête sera petite relativement à la hau-
teur de l\'animal, plus le cou devra être long,
Comme cela a lieu dans le chameau , le mou-
ron , etc.
3°. Lorsque la tête se trouve droite, il faut que
^e cou se courbe en dehors, comme B. 0. T., ou
en dedans comme cela a lieu chez les vieux che-^
yaux; et le cou se porte plus ou moins en B. s.. T.,
proportion que la tête baisse davantage.
I
H; RI
4°. Pour que le cheval puisse porter un aussi
long cou, il faut que les ^apophyses épineuses des
vertèbres soient fort longues près du garrot, com-
me cela a lieu en elfet dans le cheval en A. B.
COROLLAIRE.
Ces apophyses doivent donc être moins longues
dans les autres animaux , et les plus petites dans
Phonime^ ^de qui la tête porte sur un pivot droit.
N. B. Le cheval a un grand muscle qui passe
par S. C. jusqu\'à R., lequel, étant réuni avec le
muscle solaire en O., est cause que cet animal
peut donner de si fortes ruades; ce qui lui est uni-
quement propre. Le boeuf n\'a pas ce muscle, aussi
cette partie est-elle très-creuse chez lui.
Il est certain que la tête du cheval dans VHip\'
piaîrique de Bourgelat est trop petite; F. S. fai-
sant les 2| de la tête, tandis que cette longueur
ne devroit être que de sf, comme Stubbs et d\'au-
tres Font dit. Dans le modèle anglois du cheval
écorché la tête est de | de la longueur de F. S. ,
par conséquent plus petite encore. Aucun de ces
chevaux ne sauroit manger, à moins qu\'ils n\'eus-
sent un très-long cou.
La hauteur B. E. = F. S. ; chez tous 5 pieds.
J\'ai trouvé, en général, que les têtes des chevaux
K L\'ACAD. DE DESSIN. 545
avoient deux pieds de long; même dans ceux de
petite race, qui, pour cette raison, ont le cou
plus court.
second exemple.
La vache. Planche XXX, figure 2.
1®. Faites d\'abord l\'esquisse du cheval.
2°. Raccourcissez les jambes de E. à e., pl. XXX,
fîg. 1, et de D. à d.
11 en résulte que le cou n\'aura plus besoin que
de la longueur de A. r. étant droit, et de celle de
A. Y. lorsque Fanimal broute.
Le cou de la vache ne doit et ne peut pas être
eourbé comme celui du cheval, mais doit monter
obliquement; de manière que , vu sa pesanteur,
d sera constamment placé plus bas que le garrot
, lequel, pour cette même raison , n\'est pas si
liant que dans le cheval. Le reste s\'explique de
^oi-même.
Ill:\'
i. ■,
DISCOURS LUS
TROISIÈME EXEMPLE.
JLe chien. Planche XXX , figure 5.
1®. Tracez de nouveau l\'esquisse du cheval et
la ligne que décrivent les vertèbres.
Diminuez le ventre de G. H., pL XXX,
fig. I, en G. Z., fig. 5, pour les raisons que j\'ai
avancées en parlant de la nourriture des animaux.
3°. Le cou peut être plus ou moins long, parce
que le chien peut manger étant couché, ou en te-
nant la tête droite.
4". Les extrémités doivent être plus minces,
pour rendre l\'animal plus léger.
L\'os de la jambe étant plus long, le pied
il. Y. devient plus court que dans le cheval.
6°. La queue lui sert quand il saute.
QUATRIÈME EXEMPLE.
he chameau. Planche XXXI, figure i.
Faites comme dans le précédent exemple, mais
alongez; les jambes, élargissez le ventre, et le cou
devra être plus long. La tête du chameau, quoi-
que aussi grande que celle du cheval, parohra plus
petite , à cause des dimensions plus grandes des
autres parties de l\'animal.
COROLLAIRE.
Le chameau doit avoir le cou coui-hé en dedans,
à cause du centre de gravité.
N. B. Dans le chameau, la brebis et le cerf, la
ligne A, T. doit monter un peu obliquement.
cinquiibme exemple.
: liii
L\'éléphant. Planche XXXI, figure 2.
Tracez de nouveau l\'esquisse du cheval, comme
dans les exemples précédens.
Placez le cou en A. T., et il faudra nécessaire-
nient un garrot élevé, proportionné au poids qu\'il
doit porter; ce qui néanmoins ne pouvoit trop s\'ac-
corder avec la conformation de l\'animal. Le cou
devoit donc être fort court, comme A. y. Mais com-
me cette conformation ne permet pas à l\'animal de
Uianger à terre, il falloit nécessairement qu\'il eut
«ne trompe. La preuve de ce que je dis sera plus
facile à saisir, si l\'on se rappelle le morse, qui n\'a
pas besoin de trompe parce qu\'il nage.
Tes vertèbres pectorales et dorsales doivent
wiaintenant former une voûte. Comme l\'éléphant
546 discours lus
n\'a que trois vertèbres lombaires, il doit nécessai-
rement paroître plus court.
CONCLUSION.
Voilà, messieurs, les objets dont je voulois vous
entretenir dans ce premier discours. Peut - être
m\'accuserez-vous de longueur; mais l\'abondance
de la matière ne m\'a pas permis d\'être plus court.
Comme le second discours, que je me propose de
faire demain, aura un rapport plus direct avec la
peinture , je me flatte qu\'il méritera davantage
votre attention.
essieurs,
J\'ai remarqué, dans mon premier discours,
qu\'excepté Crispin Van de Pas, personne jusqu\'à
présent n\'a donné des principes particuliers pour
dessiner avec précision toutes sortes d\'animaux.
J\'ajouterai que ce sont les squelettes des animaux
et de l\'homme qui seuls peuvent nous servir de
hase pour bien représenter leurs formes extérieu-
res ; mais ces squelettes sont, en général, si mal
dessinés qu\'il est im])ossible que les artistes en ti-
rent quelque utilité.
Les squelettes que Coiter a donnés sont horri-
l^lement mauvais; ceux de Meyer cependant sont;
pires encore. Il n\'y en a pas un seul dans l\'ouvrage
de BuiRbn , d\'ailleurs précieux et excellent, quels
peintre puisse consulter avec fruit ; l\'épine du dos
M
114 \'li
I!
s\'y trouvant toujours sur une ligne droite, comme
dans l\'ouvrage de Coiter. L\'humérus et le radius,
ainsi que le femur et les os delà jambe, y forment
également une ligne droite ; de sorte que les jam-
bes sont d\'une telle longueur relativement au cou
qu\'il seroit impossible qu\'aucun de ces animaux
put atteindre à la terre pour y prendre sa nourri-
ture. Mais je n\'ai plus été surpris de l\'imperfection
de ces figures, depuis que j\'ai vu les squelettes mê-
mes au cabinet du roi.
Cheselden , dans son grand et magnifique ou-
vrage sur les os, a donné un nombre considérable
de squelettes d\'animaux, qui sont traités d\'une
manière précieuse et gravés avec soin par Van der
Gucht et Schynvoet; mais d\'après des modèles dé-
fectueux. 11 y en a cependant quelques-uns de
beaux, tels que ceux du lézard , de la tortue , du
crocodile et de l\'aigle. Ceux de l\'ours, du lapin et
du eigne sont admirables. On pourroit à la rigueur
se servir du squelette de l\'autruche, mais celui du
cochon est trop mauvais. Ainsi les squelettes de
Cheselden sont, en général, les meilleurs.
Il faudroit croire que le squelette du cheval,
comme le plus beau et le plus utile des quadru-
pèdes , seroit rendu avec le plus de soin ; mais il
en est tout autrement, excepté celui que Stubbs,
ce célèbre peintre d\'animaux, a dessiné et gravé.
Les figures de Carlo Ruini, le premier de ceux
U
-ocr page 353-A l\' A C a D. de dessin. 54g
qui se sont distingués dans cette carrière, peuvent
être regardées comme assez bonnes pour ce qui
concerne la partie anatomique, mais elles ne sont
au reste d\'aucune utilité pour l\'artiste. Jugez d\'a-
près cela ce qu\'il faudra dire de celles de Saunier,
de Snape et de plusieurs autres , qui ne sont que
de mauvaises copies d\'après les figures défectueu-
ses de Carlo Ruini?
Mais ce qui doit nous étonner davantage, c\'est
que la célèbre Ecole vétérinaire de Charenton près
de Paris n\'avoit pas en 1777 un seul squelette de
cheval, pas même celui de Bourgelat, auquel je
voudrois bien donner une place dans mon cabinet.
L\'omoplate et l\'os du bras sont mal agencés dans
tous sans exception.
Le squelette de cheval donné par BulFon et la
Guerinière est encore plus défectueux.
Quant à celui de Stubbs, il est admirablement
fait et de la plus grande exactitude : toutes les par-
ties sont bien disposées, d\'une belle proportion et
supérieurement dessinées; les muscles entr\'autres
sont parfaitement exprimés; en un mot, ce sque-
lette est un véritable chef-d\'œuvre; et Stubbs mé-
ïiteroit qu\'on lui érigeât une statue pour avoir fait
ce bel ouvrage.
Si tel a été le sort du cheval, l\'animal le plus
utile à Phomme, vous pourrez facilement vous
former une idée de ce qui doit en être des sque-
lettes des autres animaux, qui n\'ont pas eu de
peintre comme Stubbs pour nous en donner les
figures.
Mais, en supposant que le peintre eut absolu-
ment besoin d\'une connoissance exacte du sque-
lette de tous les animaux , il faudroit convenir
alors que peu d\'artistes trouveroient le teins né-
cessaire pour en étudier les modèles. Nous savons
d\'ailleurs que les plus grands maîtres sont parve-
nus au plus haut degré de célébrité avant l\'âge de
trente ans. Je pense donc qu\'il n\'est pas absolu-
ment nécessaire d\'avoir une connoissance fort ap-
profondie de tous les squelettes; mais qu\'il faut
posséder seulement une idée générale de certaines
parties, surtout de celles dont jevousai démontré,
dans îe premier discours, que l\'analogie est tou-
jours constante dans tous les animaux; pour que
les artistes qui esquissent d\'après nature, puissent
dessiner les animaux avec plus de prestesse et de
précision.
C\'est de cette manière sans doute qu\'ont pro-
cédé les Paul Potier, les Van Bercbem, les Wou-
■werman et quelques autres, tels que Snyders, Cas-
tilglionei, et surtout l\'admirable P. Testa, lequel
mérite que je vous le recommande particulière-
ment , à cause de l\'exactitude et de la précision
qu\'on trouve dans ses dessins. Je ne parle pas de
Reidinger, parce que tous ses animaux , à lex-
A L\'a c a d. be dessin. 55l
ception de quelques cliiens et de quelques cerfs ,
sont de véritables caricatures qui, sans Fagréable
exécution du dessin , ne mériteroientpas qu\'on les
citât.
Cependant Van Bercliem n\'est pas correct dans
la manière de placer les différentes parties du bœuf,
de l\'âne, etc, ; il pêche surtout par la situation des
omoplates, principalement quand on les voit de
face. Les têtes de ses ânes sont généralement mau-
vaises; plusieurs de ses moutons sont incorrects ou
strapassés, quoique gravés par lui-même à l\'eau-
foiie. En général, il pêche contre le squelette.
Ses boucs sont ce qu\'il a fait de mieux , par la
grande vérité avec laquelle il les a rendus. Ceux
qui ont été gravés par de Visscher ont les mêmes
défauts; entr\'autres, il ne sont pas assez velus.
Dans la chasse au cerf gravée par Dankerts , ii
y a un beau cheval ; le cerf est trop grêle de
corps.
Adrien Van de Velde, dans son cahier de bœufs,
a rendu supérieurement bien la plupart de ces ani-
lUaux, surtout le taureau qui se tient debout et le
jeune veau qui mange, quoique ce dernier ait les
jambes un peu trop longues. Dans quelques-uns
de ces animaux les os des hanches sont beaucoup
trop alongés, particulièrement dans la vache qui
Court.
Son cheval qui mange est mauvais; la tête, qui\'
■S
\'; I
n\'a qu\'un tiers de sa hauteur, est par conséquent
trop petite ; le garrot n\'est pas assez haut ; et de
cette petitesse de la tête il résulte que le cou est
trop long. Il faudroit peut-être ne représenter ja-
mais un cheval mangeant , parce que dans cette
attitude le cou semble trop long, ce qui rend la
figure de l\'animal difforme.
Je ne dois pas oublier de dire qu\'Adrien Van
de Veldeagravé lui-même à l\'eau-forte une vache
qui broute, dont la beauté est admirable.
Paul Potter a donné un taureau gravé par lui-
même à l\'eau-forte, qui, à beaucoup près , n\'est
pas aussi beau que celui de Van de Velde. La plu-
part de ses vaches sont mal dessinées. Il a été éga-
lement embarrassé sur la situation des omoplates,
comme cela se voit surtout par ses vaches que de
Bje a gravées à l\'eau-forte.
Mais d\'où vient donc, dira-t-on peut-être, qu\'on
trouve les productions de ces grands maîtres si ad-
mirables ? Cette question est facile à résoudre-
Comme nous n\'avons pas nous-mêmes une con-
Doissarice bien exacte de la véritable conformation
des animaux, il est aisé de nous satisfaire pour peu
que Pensemble nous plaise : un faire agréable et
des touches hardies nous enchantent, et nous font
oublier en même téms et notre ignorance et les
défauts du maître.
Je passe aux productions de D. Stoop, qui jouis-
-ocr page 357-A L\' A C A D. DE DESSIN. 353
également de quelque estime parmi les ama-
teurs: tous ses chevaux sont fort mai dessinés; ils
Ont les jambes trop grosses, la tête trop petite et
l\'encolure trop ramassée.
Il n\'y a rien de prononcé dans le levrier que j\'ai
Vu de lui; et, pour tout dire en un mot, il n\'y a
ïien chez lui qui annonce quelque talent.
Que dirai-je de S. de Vlieger?Ses paysages sont
certainement pittoresques; mais ses oiseaux sont
mauvais ; ses levners ont les épaules et les jambes
strapassées ; il n\'y a aucune correction dans ses
porcs , et ses moutons ne sont pas moins défec-
tueux.
Pierre de Laer a gravé assez bien à Feau-forte
des chèvres, des chiens, des ânes, des porcs; mais
ses chevaux ont les mêmes défauts que ceux de
Stoop, et ses lapins sont mauvais.
Jean Yan den Hecke, quoique recherché des
amateurs, ne mérite pas qu\'on en parle. Ses che-
vaux , ses bœufs, ses ânes, ses chiens, en un mot,
\'^Ous ses animaux sont mal dessinés.
A. B. Flamen, quoique d\'un fort médiocre mé-
ï\'ite pour ce qui regarde les quadrupèdes, a néan-
^^oins assez bien réussi dans les poissons.
Picart le Romain a laissé un recueil de figures
lions, dont la plupart sont mal dessinées. Quel-
^yes-uns des hons que nous devons à Rembrant
de la plus grande beauté; et ceux d\'Albert
Si
Durer sont également fort beaux ; mais les têtes
en sont généralement mauvaises, à l\'exception de
celles que nous tenons de Rembrant.
Plusieurs artistes placent mal les prunelles des
animaux ; ce qui produit nn mauvais effet ; car
quoique les prunelles de plusieurs espèces d\'ani-
maux soient rondes, elles sont néanmoins placées
obliquement dans tousles herbivores et ruminans,
et perpendiculairement dans les lions , les tigres et
les chats. Les chiens ne les ont pas placé au mi-
lieu de l\'œil, mais plus près du grand angle que
du petit, etc.
Je pourrois prouver également que les dents ne
sont, en général, pas moins mal représentées.
Ph. Wouvi^erman a non-seulement mis beau^
Gou|) d\'esprit dans les figures de ses chevaux, mais
aussi beaucoup plus de vérité d\'expression qu\'au-
cun autre peintre qui me soh connu.
Je regarde comme les mieux exécutés ceux qu®
Dankerts et Jean de Visscher ont gravés.
Je ne fmirois pas, si je voulois entrer dans quel\'
que détail sur chaque peintre en particulier. 11 suf\'
fira , je pense, d\'avoir indiqué les défauts les pUi®
essentiels dans lesquels sont tombés même le®
meilleurs artistes, et qu\'on pourra éviter en sui-
vant la méthode que je vais vous exposer.
Mais avant tout il faut que je m\'arrête un luo"
ccieat à considérer ce qui a élu fuit par Yan de V^^\'
m
Planche XXXII, figure 3.
Van de Pas donne, lome V, page 6 de son ou-
vrage , une méthode facile d\'esquisser la figure du
cheval sans règle ni compas, du moins comme il
se l\'imagine.
Selon lui, il faut tracer d\'abord à vue d\'oeil seu-
lement, un carré A. B. C. D., qu\'on divisera en
neuf parties égales i. 2. 3, 4. 5. 6. 7. 8. 9. Tracer
ensuhe trois cercles, dont l\'un pour la croupe, le
second pour le ventre et le troisième pour les épau-
les et le poilrail.
Ch. Van Mander fait également mention , avec
éloge, de ces trois cercles, dans son livre de la
Pemture, chap. IX, (J, 8, page 16. Or, comme
Van Mander a publié son ouvrage en i6o3 et Van
de Pas le sien seulement en i665, il est h croire
que ce dernier n\'a fait que copier en cela le pre-
mier.
11 prend ensuite.pour l\'indication de la verge
et la section du ventre, le tiers de 4. et 5. En-
suite il ajoute un dixième carré pour le cou, et un
des côtés de ce carré pour la longueur de la tête
Voici ce que j\'ai à remarquer sur cette mé-
thode :
_ Que je ne conçois pas comment il seroit pos-
sible de s\'habituer à tracer ces carrés et ces dimen-
ilf!
sions avec justesse, sans se servir de règle ni de
compas.
2°. Il ne dit pas pourquoi les points centraux
des cercles se trouvent sur la ligne oblique F. G. ;
ni comment il faut déterminer cette ligne.
En suivant ce procédé la croupe du cheval se
trouve plus haute que le garrot; tandis, au con-
traire , que, suivant Bourgelat, tome I, page 476,
le garrot est plus haut d\'un dixième; et Stubbs est
du même sentiment. Aussi cela se trouve-t-il en
contradiction avec ce qu\'il établit lui-même dans
sa figure, page 7.
3°. Je ne conçois pas que la tête puisse avoir un
tiers de la hauteur du cheval; tandis que la hau-
teur depuis le garrot H. jusqu\'à la sole l. est de
deux têtes et demie ; ou, si on l\'aime mieux , la
tête est égale à deux cinquièmes de la longueur et
de la hauteur du cheval.
4°. Il fait le talon M. et i\'avant-main N. d\'une
hauteur égale ; tandis que la hauteur de I\'avant-
main doit être d\'une tête, et celle du talon d\'une
tête et un sixième de tête à compter du sol.
II est évident que la méthode de Van de Pas
n\'offre pas la moindre certitude de principes; sur-
tout lorsqu\'on veut donner quelque autre attitude
aux chevaux.
Les proportions que prescrit Bourgelat sont bou-
jjes, mais la tête de son cheval est trop petite.
A L\'ACAD. »E DESSIN. SSy
M. Murr vante beaucoup l\'ouvrage d\'un certain
Henri Lauten Saks (i), dont je n\'ai jamais pu me
procurer la lecture.
Planche XXXII, figure 3.
Van de Pas donne ensuite, pag. 24,
Van de Pas partage la longueur A. B. en trois
parties; un tiers pris deux fois donne la hauteur.
Un tiers pour l\'épaisseur ; tout le reste se fait
au hasard.
La tête y est comptée de même pour un tiefs ,
ce qui est assez exact. Cependant jamais une vache
ne porte sa tête à la hauteur où elle est représen-
tée ici.
Mais ce sont-là de bien foibles secours pour
réussir; vu qu\'il n\'y a rien qui serve à déterminer
la hauteur et la forme du garrot, des reins, de la
croupe et du cou.
Ensuite il donne planche XXIII:
L\' É L É P H A N T.
Après avpir tracé un carré divisé en douze car-
(0 Unterweisung der perspeciief und proportion der menschen
\'ind rosse, Francf. i564 , in-foL
rèaux, il décrit un ovale pour le tronc, sans dé-
terminer la mesure de cette partie. Toute la figure
est difforme; et il n\'a pas indiqué les dimensions
des pieds: ceux de derrière sont plus gros que ceux
de devant ; tandis que le contraire a lieu, non-seU-
lement dans l\'élé])bant et le chameau, mais aussi
dans le cheval et dans tous les autres animaux.
Le squelette que Perrault a donné de l\'éléphant
est fort défectueux et sans les moindres propor-
tions. Il faut en dire autant de celui que Buffon
a publié.
La figure de l\'éléphant, pL I, pag. i4.\'2, es! faite
d\'après la bosse , et ne me satisfait que médio-
crement.
Pose assurer que les dimensions de l\'éléphant
que j\'ai modelé sont fort exactes; mais comme cet
animal étoit fort jeune, sa lêîe se trouvoit réelle-
ment plus bas que son dos. La têle et le garrot de
l\'éléphant représenté dans l\'ouvrage de Buffon sont
plus élevés que la croupe. Me trouvant l\'élé der-
nier à Versailles, j\'y ai vu un éléphant beaucoup
plus grand que celui que j\'avois modelé. J\'en fis
sur-le-champ le dessin, parce que véritablement
satêie et son garrot étoient placés plus haut que
sa croupe; au reste , sestiimensioiTs tenoient le
miheu entre celles de l\'éléphant dont Buffon a
donné k figure, et celles de l\'éléphant quej\'avois
modelé moi-même.
mm
Van de Pas donne, pî- XXV, la jfigure du cha-
meavi. Ayant de nouveau tracé ici nn ovale poux
la partie du ventre, tout le reste est mal dessiné.
Ce qu\'il prescrit , pl. XXXI, pour dessiner les
chiens, doit absolument être rejetté; et il en est
de même de ce qu\'il dit des chats.
Pl. XLIII, il indique aussi les trois cercles
pour les cerfs, dont le premier, dit-il, doit être
plus petit que le second, et le second plus petit
que le troisième; mais sans nous dire pourquoi ni
de combien ces cercles doivent être relativement
plus petits les uns que les autres.
Comme Van de Pas est le seul maître qui ait
cherché à établir des principes sur la manière de
dessiner toutes sortes d\'animaux , et qu\'en don-
nant à ses eiforîs les éloges qu\'ils méritent, j\'ai en
même tems fjit appercevoir leur insuffisance ; il
faut que j\'indique, à mon tour , la méthode que
je crois la plus propre à dessiner avec facilité et
correction les animaux.
Règle générale pour dessiner toutes les espèces
d\'animaux.
1°. Tracez, pl. XXXîI, fîg. i, A. B. Ç., dans, la
direction plus ou moins oblique rets C, que doit
avoir cette ligne, suivant la nattii^e de l\'animal
qu\'on veut représenter; tels, par exemple, que la
brebis, le chameau, etc.
2°. Achevez l\'ovale oblique A. B. C. D.
5°. Tirez F. E. pour l\'omoplate, et C. H. pour
l\'os de la hanche , égal à deux tiers de la tête pour
le cheval, mais égal â la tête entière pour le bœuf.
Ensuite, indiquez l\'os du bras E. G., et Fos de
la cuisse I. K., de manière que le coude et le ge-
nou du cheval, du boeuf, etc. , se trouvent à la
même hauteur et sur la même ligne que le ventre,
4®. Achevez de tracer les jambes de devant et de
derrière; c\'est-à-dire, lirez les lignes K. L,, M. N.,
N. 0. o. P. pour la jambe de derrière, et G.R.,R.S.,
S, T, pour la jambe de devant.
Lorsque R. el L. sont d\'une égale longueur, le
talon M. L. s\'élève de lui-même plus haut.
Faites l\'esquisse du cou suivant que l\'exige l\'es-
pèce de l\'animal; ensuite la tête, d\'après les règles
que j\'ai établies aux pages 341 et 342.
Rappelez-vous aussi de celles dont j\'ai parlé
page oog, n°. 2 et 3. Ajoutez ensuite cequi est né-
cessaire pour la longueur des reins. Cette esquisse
pourra servir pour toutes les espèces d\'animaux-
SECONDE RÈGLE.
En couvrant les os des bras de leurs muscles
a. Q. 5 g\'f\' i G-, ƒ R., on obtient le contour de la
a i,\'acad. dk dessin.
jambe de devant; et en traçant c.6., H. c., c/.M-,
etc., on parvient à former le contour de la jambe
de derrière.
T u o I s I È M E K È G L E.
Les premières côtes sont toujours droites et re-
couvertes par l\'omoplate; celles de derrière sont
toujours placées obliquement en arrière ; dans le
cheval elles se prolongent jusque près des os des
hanches; dans k vache, la partie des reins est plus
longue ; ce qui produit la cavité triangulaire in-
diquée par E. F. G. de la fîg. a , pl. XXX.
QUATRIÈME RÎiGIiE.
Dans tous les animaux à sole ou sabot, la main
et le pied sont fort longs, comme en R. S. et M. N.,
Dans les animaux qui sautent, tels que les lions,
les chiens, les lièvres, Fos de la jambe est long et
le pied est court.
■ Application de ces règles aux oiseaux. Flanche
XXXH.fig. 4.
1°. Trace?, de nouveau un ovale , et placez le
bras en A, B., qui doit être plié quand l\'oiseau ne
biscourslus
vole point, comme en B. C. Prenez C. D. pour k
, D. F. pour le pouce, et D. E. pour les au-
tres doigts.
2°. Ensuite décrivez G. H. pour Fos de la hanche
et le coccix; I.K. donne la cuisse; K.L. Fos de
la jambe; L. M. le pied ; M. les doigts.
Tracez le cou N. Q., en observant de lui
donner la longueur qui convient au corps, et ter-
minez la tête Q. R., dont la mandibule supérieure
est très-mobile dans quelques espèces, comme,
par exemple, en R. S. dans Faigie, le perroquet et
le canard.
4\'\'. Si c\'est un oiseau dont l\'espèce est destinée
à voler, il doit avoir le sternum garni d\'une crête
saillante , laquelle sert à Fitisertion des muscles ,
de même que la fourchette N. O. L\'autruche et le
casoar n\'ont pas cette crête, qui leur est inutile,
parce qu\'iis ne volent point.
Par l\'addition des muscles, on achève de donner
la forme convenable aux cuisses, etc.; et en pla-
çant les plumes on obtient ia totalité de Fanimal.
Les pen n es primaires recouvrent lés cuisses, etc. ( i).
(i ) Belon , dans son Histoire de la nature des oiseaux, édit, de
1554, pag. 40 et 41, en comparant le squelette de l\'honania à ce-
lui des oiseaux , a démontré de la manière la plus satisfaisante la
parfaite analogie qu\'il y a entre l\'un et l\'autre, depuis la tête
jusqu\'aux pîeds. Je n\'avois pas eu 1
occasion de faire cette remar-
«pie avant le 1 y juin 1779.
Afin de porter en avaat autant que possible le ceaitre de gravité,
-ocr page 367-C O Fl O L L A. I R E.
I
De ce que j\'ai démontré que les jambes de de-
vant de tous les quadrupèdes et les aîles des oiseaux
sont conformées comme nos bras, il suit qu\'il est
ridicule, absurde même, de donner des aîles à la
figure humaine, comme on a coutume de le faire
aux anges et aux amours.
En second lieu , qu\'il ne peut y avoir des cen-
taures, parce qu\'il faudroit leur supposer six jam-
bes, deux ventres et deux poitrines, comme l a
fort bien prouvé Aristote (i), ainsi que Lucrèce.
Par ce qui me reste à dire on verra qu\'il ne peut
pas y avoir non plus de tritons ni de syrènes-
U m\', ure a e» soin cle raccourcir le dos des oîscaux, et de retran-
cher aussi entièrement Iw vertèbres lombaires; il y a même dos
espèces cjur n\'ont cp.e six véritables, et qui par conséquent n\'ont
que six côtes de chaque côté; d\'où vient qu\'ils n\'ont que le tiers
des vertèbres de I homme , à qui ia nature en a donné dix-sepi.
L\'inverse pnroît avoir lieu dans la grenouille, fig- 5 , pl. XXXII,
donc le centre de gravité devoit être porté en arrière. U falloit
donc que les vertèbres lombaires restassent ici, pour donner plus
de iorce aux muscles (les jambes de derrière. C es.t pour la même
î-aison que la nature leur a sagement refusé presque toutes les ver-
tèbres dorsales, et a placé leur cou , pour ainsi dire, directement
sur les lombes. Il ne pouvoit donc y avoir des cotes, et l\'aiiinial
Tious paroit nécessairement d\'une figure ramassés. Voyez A. J.
l^œsel. Hist. Ranar., edit. Nurenb. 1768.
(1) De incessn aninialiimi, cag, 11, pag. 742. D.
-ocr page 368-De la figure des poissons. Planche XXXI, fig. 5-
Preuve que les poissons ressemblent par leur
structure aux quadrupèdes.
1®. Tracez de nouveau le tronc B. A. C. G. Comme
les poissons n\'ont pas besoin de cou, et qu\'ils n\'en
ont en elFet presque point (excepté ceux qui respi-
rent, et qui en ont un fort court), placez la tête
D. A. B. E. immédiatement sur Fépine du dos en
A(i).
2°. Comme dans cet état le tronc ne sauroit se
mouvoir , quoiqu\'il se trouve en équilibre avec
l\'eau, il faut ici une force motrice pareille à celle
de l\'aviron d\'une chaloupe, A. II. 0,,fig. 4, ph
XXXI, à laquelle on peut comparer le poisson.
i
M
k:
l]
ï
.1
Mais comme cette force motrice doit résider dans
le poisson même, il en résulte que la queue C. H.
et les grandes arrêtes transverses sont indispensa-
blement nécessaires pour l\'insertion des muscles.
Plus la queue n. ©., fig. 4, sera longue, plus le
poisson aura d\'agilité en nageant.
(i) Dans tous les poissons la première vertèbre se trouve réunie
avec la téte par le moyen d\'un cartilage, de rr.ême que les autres
vertèbres le sont entre elles: c\'est ce que j\'ai surtout remarqué
dans !e brochet.
COROLLAIRE I.
La chaloupe aura ]e moins de mobilité, lorsque
le centre de turbination et celui de gravité seront
réunis dans un même point. Cela ne sauroit avoir
lieu dans une chaloupe, mais se trouve toujours
tel dans les poissons; aussi ont-ils la faculté de na-
ger en ligne droite, tandis que la proue de la cha-
loupe vacille sans cesse de côté et d\'autre en fai-
sant route.
Mais le poisson doit se tenir droit ; il lui faut
donc des nageoires pectorales en B. F., et des na-
geoires ventrales en G. Si Fon coupe les nageoires
B, F., comme Fa fait Artedi, le poisson ne sauroit
plus se soutenir, et tombe sur ie côté.
COROLLAIRE II.
1°. Comme les poissons sont en équilibre avec
l\'eau, et que tous nagent en avant par le moyen
de leur queue, il est évident qu\'ils sont tous pla-
cés horisontalement dans l\'eau.
2°. Le centre de turbination doit varier à rai-
son du poids de la tête du poisson ; et c\'est de là
l^e doit dépendre aussi la longueur de la queue.
5°. Comme la forme des poissons est plus sus-
ceptible de modifications que celle des quadrupè-
des, il doit nécessairement y avoir pins de varié-
tés parmi les premiers que parmi les derniers. Aussi
Linnseus(i) compte-t-il seulement deux cent douze
|l espèces de quadrupèdes; tandis qu\'il a trouvé qua-
tre cent quatre-vingt espèces de poissons.
4". Il est par conséquent impossible qu\'il y ait
des tritons, des sirènes; c\'est-à-dire, des monstres
i l marins, qui nagent en tenant le corps sur une li-
gneperpendiculaire, de manière que la queue for-
me un angle droit avec l\'épine du dos. La loi de
gravité les lorceroit à prendre une position hori-
sontale ; ce qui prouve l\'absurdité qu\'il y auroit
j de vouloir admettre l\'existence de pareils êtres.
Mais revenons aux jambes des poissons. Comme
c\'est par le moyen de leur queue que les poissons
nagent, ils n\'ont pas besoin de longues jambes, ni
de cuisses, ni de tibia, ni de pieds. Le bassin os-
seux qu\'on trouve dans tous les quadrupèdes et oi-
seaux leur est pareillement inutile.
Nous avons un exemple frappant de ce que je
viens de dire dans la métamorphose que subissent
les grenouilles. La nature leur donne une queue
pendant tout le tems qu\'elles sont privées de jam-
(i) Edit, lo, lySfî,
7\'
;
■ ; \' I\'
; :
;
a l\' a c a d. de dessin. 56?,
bes; mais du moment que celles-ci paroissent la
queue diminue, et cela progressivement jusqu\'à
ce que les jambes aient acquis la force nécessaire.
Tous les printems nous sommes à même d\'admi-
rer ce singulier phénomène, que nous négligeons
cependant, peut-être à cause de la facilité même
que nous avons de nous en occuper et de la répu-
gnance que nous inspire l\'animal qui le présente.
Métamorphoses de quadrupèdes en oi-
seaux.
premier exemple. pl. xxxiii, fig. 2.
Changer une vache en oiseau.
Dessinez le squelette de la vache, comme il a
été dit page 543.
1°. Dressez le tronc de manière que les jambes
de devant s\'élèvent de la terre en G. C.; alors le
centre de gravité n\'étant plus soutenu par les jam-
bes de devant, celles de derrière E.F. se trouvent
portées en E. ï.
2°. Le tronc G. se trouvant alors considéra-
blement élevé de terre, le cou doit, être alongé
comme en G. H., et la tête doit se jeter en ar-
rière , pour être supportée par ia hgne de propen-
sion en H. L
368 discours lus
5®. Corame les jambes de devant ne sont plus
nécessaires pour marcher, elles tiennent lieu d\'ai-
les, et répondent aux conditions dont je parle dans
la quatrième règle, page 361.
second et dernier exemple.
Changer un quadrupède en homme.
Comme un grand nombre de lignes produiroit
de la confusion, il sera convenable de commencer
par représenter un cheval posé sur ses quatre jam-
bes ; ensuite dressé sur celles de derrière, pour dé-
montrer:
Que dans cette position les hanches se rap-
prochent beaucoup.
2°. Que les jambes de devant pendent le long
du corps; qu\'elles ont par conséquent besoin d\'être
soutenues par des clavicules,
5°, Que Tes cuisses et les jambes se trouvent
maintenant former une seule ligne droite.
4°. Que la tête n\'ayant plus besoin de se trou-
ver placée au bout d\'un long cou, le garrot ne de-
mande par conséquent pas une si grande hauleur.
5®. Que le dos perd sa convexité.
6°. Que la tête, dont le cerveau et le cervelet
étoient placés, dans ie premier cas, l\'un devant
smm
Paulre, a pris maintenant une forme sphérique,
dont le centre de gravité et celui de mouvement
doivent se confondre en un seul point.
7°. Qu\'il faut nécessairement que la mâchoire
rentre en dedans ; que par conséquent le nez de-
vient proéminent.
8°. Qu\'il faut que les pieds soient rendus plus
Courts.
9°. Qu\'il faut donner cinq doigts aux pieds.
N. B. Il suit naturellement de la troisième rè-
gle que les cuisses, les mollets et les fesses doivent
être plus couverts de chair, pour qu\'ils puissent
tenir le tronc dans une position droite ; ce qu\'A-
ristote a exposé d\'une manière admirable, quand
il dit: « L\'homme seul n\'a pas de queue, mais il
« a des fesses , que la nature n\'a donné a aucun
« quadrupède. Aussi les cuisses et les jambes de
<< l\'homme sont-elles fort charnues.—^11 n\'y a pour
« cela qu\'une seule raison , c\'est le privilège dont
« l\'homme jouit seul de se tenir droit; et pour cet
effet il lui falloit des fesses plus charnues , des
^^ cuisses et des mollets (i). »
(i) Homo unus cauda vacat, nates kabet, quod nulli quadru-
P^dum datum est. Crura etiam hoinini femore snraque carnu-
^enta sunt. — Quorum causa una est omnium, quod homo solus
\'^^imalium erect us est, itaque nates carnosasfecit et femora et
III. 24
-ocr page 374-CONCLUSION.
Voilà, messieurs, ce que je m\'étois proposé de
vous démoutrer. Si je n\'ai pas réussi à fournir aux
artistes des règles pleinement convaincantes, j\'au-
rai satisfait du moins à votre curiosité, et reveille
en vous des idées plus étendues sur la marche que
la nature semble s\'être prescrite dans la création
des animaux.
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DE LA BEAUTÉ DES FORMES.
-ocr page 376-4
-ocr page 377-o u
De tous ies tems, les hommes doués d\'un juge-
ment sain et d\'un goût délicat, les vrais amateurs
et connoisseurs du bel art de la peinture ont été
convaincus qu\'î7 existe un Beau physique, c\'est-
à-dire , une Beauté des formes fondée sur des
principes immuables ^ dont tous les hommes sans
exception ont un sentiment inné. Cependant per-
sonne, que je sache, n^apts définir encore ce qui
constitue véritablement ce Beau, et Fon est moins
parvenu encore à en donner une démon stration
Satisfaisante.
Selon moi, le Beau physique n\'existe pas dans
r,
it
Jiîi\'
la nature; c\'est-à-dire, qu\'il ne se trouve dans
aucune chose créée^ ni dans l\'homme, ni dans les
animaux, ni dans les plantes ; parce qu\'il manque
partout une symétrie générale soumise à des rè-
gles certaines et constantes ; tandis qu\'on trouve
hien une harmonie parfaite, invariable dans leurs
parties intégrantes , laquelle tend uniquement à
leur utilité absolue, et qui n\'imphqueaucune idée
de beauté.
La vénérable antiquité , ses plus grands philo-
sophes, ses plus célèbres artistes, ont pensé, com-
me l\'ont fait depuis ceux de nos jours , que la
Beauté des formes dépend essentiellement d\'un
certain accord des parties comparées entre elles.
C\'est d\'après ce principe que Galien a dit(i), «Que
« le Beau ne résulte pas tant d\'une analogie con-
« venable des élémens, que du rapport des parties
a intégrantes entre elles ; » comme, par exemple,
du doigt avec la paume de la main, de la paume
avec îa main même, de la main avec le coude, du
coude avec le bras, en un mot, de toutes les par-
ties les unes avec les autres; comme on peu tie voir
dans le livre des proportions de Polyclète, appelé
Norma ou Règle. C\'est d\'après ces idées que cet
artiste fit une statue, à laquelle on donna égale-
ment le nom de Norma, à cause de la beauté de
(1) Class. I, pag. 255 à la fin H.
-ocr page 379-ses proportions. Pline(i) fait mention de cette sta-
tue comme d\'un chef - d\'oeuvre, que tous les ar-
tistes sans exception appeloient à cause de
la beauté de ses proportions.
A l\'exemple des anciens tous les peintres et sta-\'
tuaires du quinzième siècle , lorsque les beaux-
arts recommencèrent à fleurir, introduisirent de
nouveau ce prétendu mérite de la symétrie, et le
défendirent avec chaleur , comme on peut s\'en
convaincre par les écrits de Léonard de Vinci,
d\'Albert Durer, de Lomazzo, et en dernier lieu
par ceux du célèbre Mengs (2), émulateur zélé du
grand Raphaël.
l!
Mais, en admettant même leur hypothèse , il
faudroit pouvoir résoudre aussi la question -.Pour-
quoi cette symétrie, rigoureusement calculée,
devroit produire sur notre ame un ejfet qui la
déterminât à un sentiment d\'approbation, et
cela f sans exception, chez tous les hommes en
général? Seroit-il véritablement nécessaire que
nous eussions un sentiment inné du Beau phy-
sique, comme nous recevons en naissant le senti-
ment intérieur du Beau moral, de la vertu , de
l\'amour , de l\'amitié , etc. ? Non certainement !
Il
M
(i> Tom. III, lib. XXXIV, cap. 8, parag. 5. Edit. Hard.
{2) Voyezta traduction que j\'ai donné» des OEuvres de Mengs,
a vol j/i-4®. Note du traducteur.
Les différens goûts qui ont régné dans la peinture
et dans la sculpture, et cela dans tous les tems,
servent à nous prouver le contraire.
On me demandera peut-être , et avec raison ,
pourquoi on donne donc le nom de belles aux sta-
tues antiques, et cela depuis tant de siècles? D\'où
vient qu\'on ne cesse de louer un Polyclète, un Ly-
sippe, un Phidias, un Apelle? Pourquoi un Mi-
chel-Ange, un Raphaël, un Corrège, un Titien
et tant d\'autres ont acquis un nom immortel; tan-
dis que leurs Ouvrages ne peuvent être appréciés
que par ceux qui ont fait une étude particulière
de l\'art?
La nature, dira-t-on, a-t-elle formé les hom-
mes, les animaux, les plantes, de manière qu\'un
certain accord ou équilibre entre leurs parties en
constitue la beauté; ainsi que cela a lieu dans le
mouvement accéléré de la chute des corps , dans
l\'action des fluides, dans les forces centrifuges,
dans les oscillations du pendule, et dans la révo-
lution des corps célestes autour de leur centre
commun? Mais ne se pourroit-il pas que cette
beauté même ne soit que purement accidentelle,
et qu\'elle n\'est pas entrée dans le plan général de
la Suprême Cause?
Mon dessein est de vous prouver dans ce dis-
cours que l\'Etre souverainement puissant n\'a eu
d\'autres vues en formant les animaux que l\'utilité
A
relative de leurs parties intégrantes, et nullement
leur constante symétrie; saurait y avoir
par conséquent de Beau positif, invariable dans
les formes des animaux.
C\'est aux animaux seuls que je bornerai, pour
le moment , ces réflexions ; leur application aux
plantes nous meneroit trop loin; quoique cepen-
dant leurs formes offrent les mêmes rapports. C\'est
d\'après ces principes que je prouverai, d\'une ma-
nière claire et incontestable: i/". Que le Beau
qu\'on suppose exister clcms les formes de l\'hom-
me et des autres animaux, dépend uniquement
d\'une mutuelle convenance établie sur l\'auto-
rité d\'un petit nombre de personnes.
a°. Je ferai voir que lé Beau physique n\'est
qu\'un être de raison , fondé uniquement sur l\'ha-
bitude (i).
3°. Je démontrerai enfin que l\'aptitude à saisir
le Beau et à l\'apprécier, qu\'on appelle ordinaire-
ment sentiment, tact ou goût, dépend bien d\'une
certaine modification particuHère de l\'esprit de
quelques personnes, mais qu\'on ne doit cependant
l\'attribuer, en général, qu\'à l\'éducation, à l\'habi-
; \' I
(O Voilà pourquoi Edm. Burke dit avec raison dans son Traité
Beau et du Sul>lime: Since if proportion does not operate hv
" natural power attending some measures, it must tidier he a
^i^siom, or the idea of utility, th^ere is no other way.
Discoims LUS
tude de contempler journellement les meilleures
productions de l\'art, et qu\'elle est enfin en raison
des connoissances que nous avons acquises par l\'é-
tude et par l\'instruction (i).
Voilà certainement un objet bien digne, mes-
sieurs, de cette Académie; mais la manière dont
je me propose de le traiter sera peu propre peut-
être à m\'obtenir vos suffrages.
Si jamais votre indulgence m\'a été nécessaire ,
c\'est surtout dans ce moment, où, n\'ayant pas de
vérités neuves à vous exposer, comme dans mes
discours précédens, je ne puis me flatter de fixer
votre attention par quelque chose d\'extraordinaire
et de piquant. Je dois, au contraire, chercher à
détruire des préjugés établis sur l\'autorité de plu-
sieurs siècles; et, après avoir rempli cette tâche pé-
nible, il faudra que je vous force, en quelque
sorte, à m\'accorder votre approbation.
Pour rendre mes idées plus claires, il sera con-
venable que je les développe par les esquisses des
objets dont j\'ai à vous entretenir. Daignez m\'ho-
norer de votre attention ; et si je ne puis vous cap-
tiver par les charmes de mon éloquence, je tâcherai
f O Winkeimann confirme pleinement mon sentiment à cet
égard , quand il dit: « Une éducation honnête et bien raisonnée
« fait naître le sentiment du Beau et lui donne uti essor prénia-
« turé. » Von der faeJugheit der ernpjiudung des schœnen in der
kunst.
A
-ocr page 383-du moins de mériter votre indulgence par la brie-
veté de mon discours.
PREMIÈRE SECTION.
I. Dès la plus haute antiquité, le Beau a été
décrit d\'une manière si obscure, si mystérieuse
même, par les philosophes, qu\'il est absolument
impossible de les comprendre; desorte que leurs
définitions métaphysiques, vagues et ambiguës ne
servent à rien moins qu\'à nous apprendre ce qu\'ils
ont voulu désigner par ce mot.
Quoique Platon (i) dise clairement, « Que l\'es-
« sentiel est de connoître ce qui fait que les belles
« choses nous paroissent belles; » il ajoute néan-
moins immédiatement après: a Qu\'il est impossi-
« ble que les choses qui sont réellement belles ne
u nous paroissent pas telles, surtout quand elles
f( sont douées de ce qui fait qu\'elles nous parois-
« sent belles. »
Mais la grande, l\'unique question est de savoir
qu\'est-ce qui produit cet elFet? Est-ce la symétrie?
et quelle est alors cette symétrie? Est-ce quel-
qu\'autre chose? quelle est donc cette chose?
Je croyois trouver une explication plus satis-
(i) Daus son Hippias Major,, pag 394 > edit. Seirftni.
-ocr page 384-faisante dans Vitruve ; mais cet écrivain se borne
a dire : « Que la beauté positive en architecture
\' « dépend principalement de la bonne disposition
« des parties, de leur rapport entr\'elles, de leur
« convenance réciproque , et de la symétrie géné-
« raie. » Ensuite il ajoute : « Que l\'eurythmie ou
« la proportion est ce qui constitue la grâce, Tagré-
« ment dans l\'ensemble des parties d\'un édifice,
« qu\'on obtient en leur donnant une hauteur qui
<ï réponde à la largeur, et une largeur proportion-
« née à la longueur, le tout ayant sa juste me-
« sure; » c\'est-à-dire , autant que je puis"\'m\'en
faire une idée, que tout est Beau où il y a symé-
trie ou proportion (i).
Personne sans doute ne contestera cette asser-
tion ; mais il reste à savoir quelle proportion il doit
y avoir entre la longneur, la largeur et la hauteur?
d\'autant plus que les cinq ordres d\'archhecture
généralement adoptés offrent entr\'eui une grande
différence de proportions ; et, qui de plus est,
un seul et même ordre présente une disparité
très-remarquable de proportion dans les parties
correspondantes, comme on peut s\'en convaincre
par les ruines des plus beaux temples de l\'anti-
quité, tels que ceux d\'Athènes, dePaImyre, d\'Hé-
liopohs, de Poestum et de Bome,
(i) Vitruvius, De Architea., cap. 3,
-ocr page 385-a l\'acad. de dessin. 38l
Galien (i), qui aimoit beaucoup la peinture,
prétendoit qu\'on devoit trouver la Beauté dans les
hommes qui, à une belle carnation, joignoient de
belles proportions et une symétrie convenable des
membres; a car, dit-il, la Beauté consiste dans
« la régularité des parties et dans l\'agrément de la
« couleur (2), »
Ensuite, il fait un grand éloge de l\'ouvrage de
Polyclète (3) sur les proportions; et il conclut que,
suivant l\'avis des plus grands philosophes et des
plus célèbres médecins, la Beauté de la figure hu-
maine consiste dans une exacte régularité de ses
membres.
Il paroît donc évidemment par les passages que
je viens de citer de Platon, de Vitruve et de Ga-
lien , qu\'ils étoient loin de connoître ce je ne sais
quoi par le moyen duquel toutes les belles choses
sont belles (4); mais qu\'ils étoient bien plus éloi-
gnés encore de pouvoir donner sur cet objet des
règles ou des principes certains.
§, II. L\'idée où l\'on est encore aujourd\'hui que
nous avons un sentiment inné du Beau physique.
(O Meth. med., class. VII, pag. 6.
(2) Isagoge, tom. I, pag. aSS, H. ad finem.
(3), pag. 255.
(4) Cujus beneßcio omnes res pulchrae sunt pulchrae.
■1:1
1\'
\'j^l\'l \'i
nous la tenons de ces anciens philosophes. « Osez-
«vous douter encore, dit Symmaque (i), de la
« capacité des philosophes à prononcer sur le Beau ;
« tandis que les plus ignorans des hommes admi-
« rent le Jupiter Olympien de Phidias, la vache de
« Myron, et les prêtresses de Polyclète? — La pé-
«nétralion de notre jugement va bien au-delà j
« sans quoi le mérite des belles choses ne seroit
« apprécié que de peu de monde, el le sentiment
« du Beau , en général, ne s\'étendroit pas aux hom-
« mes les plus ignorans. »
Cicéron dit(2} qu\'il faut être surpris de ce que,
malgré la prodigieuse différence qu\'il y a entre un
homme instruit et un ignorant, le jugement porté
par tous varie cependant si peu en général.
Dion d\'Halicamasse veut, pour la même raison,
que la nature a doué tous les hommes sans excep-
tion de ce sentiment inné. Epitecte pousse la chose
jusqu\'au ridicule: il attribue au Beau une telle
puissance que les pierres même doivent en être af-
fectées (5).
Ce qui prouve , en attendant, que les anciens
n\'étoient pas plus que nous doués de ce sentiment
inné du Beau , c\'est l\'aventure de Polyclète qu\'iË-
(O Lib. I, ep. a3. Suivant Junius, de Pist. Veter., para^. 7.
i^)DeOrac.,l\\\\,.llI.
(3) Suivant Junius, ibid,, parag, 7,
-ocr page 387-A l\'acad. de dessin. 383
lien nous a conservée (i) : (c Ce statuaire , dit-il,
fc fit en même tems deux statues : l\'une d\'après les
« avis de la multitude, l\'autre selon les règles de
« l\'art. Il eut pour le public la complaisance de
« recevoir les conseils que lui donnoit chacun de
ceux qui entroient chez lui, changeant et refor-
« mant suivant leur goût. Enfin, il exposa ses deux
« statues: l\'une excita l\'admiration de tout le mon-
te de ; l\'autre fut un objet de risée. Alors Polyclète
« prenant la parole : La statue que vous critiquez,
o dit-il, est votre ouvrage; celle que vous admi-
se rez est le mien. »
!£ ■ I
iî
III. Mais il est tems de quitter cette digres-
sion , et de vous rappeler que les anciens n\'eurent
jamais ce sentiment inné du Beau, qu\'ils préten-
doient posséder, comme je viens de le dire. Je dois
ajouter encore qt^e toutes les nations connues de
îa terre prouvent assez par les formes bisarres
qu\'ils donnent à leur corps, qu\'elles n\'eurent ja-
mais cette idée innée du Beau.
Contemplez ces Indiens qui à force de travail
enlèvent l\'émail naturel de leurs dents d\'un blanc
de perle, pour qu\'elles prennent mieux le noir
d\'ébène qu\'ils regardent comme la plus belle des
couleurs; et qui alongent par art leurs oreilles au
{1) rariaehm., lib. XlV, cap. 8.
-ocr page 388-point de les faire toucher à leurs épaules ; tandis
qup c\'est la petitesse de cette partie de la tête qui
passe pour une beauté dans toute l\'Europe.
Il est inutile sans doute d\'arreter nos yeux sur
l\'épais et lourd Chinois et sur sa femme grêle et
maigre, qu\'il regarde cependant comme un mo-
dèle de beauté; bu sur ces femmes africaines aux
seins flasques et pendans; ou sur l\'habiîant de l\'A-
mérique, dont tout le corps est si bisarrement ta-
toué, et qui s\'imagine être d\'autant plus beau que
son ne-^, ses lèvres et ses oreilles sont percés d\'un
])lus grand nombre de trous et chargés d\'osselets
ou de pierres.
Il ne seroit pas moins déplacé de parler de la
coutume de nos jolies femmes, qui, pour aug-
menter leur beauté,se serrent avec violence le bas
du corps , de manière à prendre la forme d\'un
coin; tandis qu\'elles réunissent leurs omoplates et
compriment leurs seins l\'un contre l\'autre.
Je ne iinirois pas si, en comparant entr\'elles
toutes les nations de la terre, je voulois faire voir
combien sont ridicules, contradictoires et absur-
des les idées que chacune d\'elles se forme de la
Beauté. Il me suffit d\'avoir fait observer, que tou-
tes auroient eu le même type pour le Beau physi-
que, si en effet nous recevions en naissant le sen-
timent de ce qui le constitue, comme nous avons,
tous le sentiraem inné du Beau moral, à l\'égard
a l\'acad. de dessin. 385
duquel on n\'a jamais remarqué la moindre dilFé-
i"ence chez les nations civilisées, ni même chez les
nations sauvages et barbares: chez tous les peuples
Connus la chasteté, l\'amour, la fidélité, le cou-
rage, etc., sont également en estime et jouissent
également de la plus grande considération.
§. IV. Je dois examiner pareillement si le Beau
physique consiste dans une certaine symétrie des
parties intégrantes, ainsi que Gahen et beaucoup
d\'autres l\'ont pensé sur la foi des anciens philoso-
phes, et comme la plupart des artistes modernes
le croient encore d\'après l\'autorité de Polyclète.
Je supposerai néanmoins pour un instant que
c\'est la symétrie ou proportion qui constitue la
Beauté physique; et dans ce cas il faudra conve-
nir que si ce Beau n\'est pas partout le même , il
devroit du moins se trouver dans l\'architecture j
ce qui n\'est nullement vrai, comme je le prou-
verai incontestablement par des exemples.
1°. Commençons par le stylobate ou piédes-
taux), dont les proportions ou dimensions sont
encore indéterminées dans les cinq ordres d\'archi-
tecture. Dans l\'ordre toscan, il a la forme d\'un
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i I- :
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(i) M. Camper avoit dessiné ces différens piédestaux sur ua
\'îtleau noirci.
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35
cube, suivant Philandre (i), qui étoit disciple ^^
Serlio.
DansPordre dorique, c\'est le diamètre du carre
pris dans sa largeur (2); dans Pionique, c\'est 1»
même proportion (3); dans le corinthien, c\'est la
diagonale ajoutée à la moitié de la largeur (4) 9
dans le romain ou composite , c\'est la diagonale
et un quart de la largeur (5).
Vignole prescrit de toutes autres dimensions à
ces piédestaux : pl. I, pag. 3; savoir, le diamètre
du carré pour la hauteur du cube de l\'ordre tos-
can ; un diamètre et 4emi pour celui de l\'ordre
dorique; quelque chose de plus pour l\'ordre ioni-
que; et deux fois la base pour l\'ordre corinthien.
Dans les Ruines de Balbec, on trouve des pié-
destaux de pilastres d\'ordre corinthien (pl. V},
qui n\'ont que deux diamètres de hauteur, sur un
et un quart de large. Il y en a un autre qui forme
un cube parfait (pl. XXX, ibid,).
En un mot, on ne trouve nulle part une pro-
portion constante. Tout se réduit à de simples con-
jectures arbitraires, sans qu\'il y ait aucune pro-
(1) Vitruve, édition de Philandre, pag. 96,
(2) Ibid:^ pag. 100.
(3) Ibid., pag. 104.
(4) Ibid., pag. 107.
(5) i^ii., pag. 108.
-ocr page 391-A LACAD. DE dessin. 387
gression déterminée : et il faut en dire autant pour
ce qui est des piédestaux par rapport aux plinthes
ou socles (1).
Pour ce qui est du fust de la colonne de l\'or-
dre dorique, il paroît, d\'après Vitruve (2), que les
, Athéniens, ignorant les proportions qu\'on avoit
données aux colonnes du tems de Dorus, y ont ap-
pliqué celles de la figure humaine; c\'est-à-dire,
suivant Vitruve (5), la proportion de 1 : 6.
Vitruve (4), séduit par ce préjugé, trouve une
telle perfection dans les proportions de la figure hu-
maine qu\'il blâme comme mauvais tout édifice qui,
par la disposition de ses parties, ne ressemble pas
à un homme bien proportionné. Il compare la co-
lonne dorique à un homme , l\'ionique à une fem-
me; de manière même que, selon lui, les volutes
peuvent être regardées comme les cheveux 5 il
donne à ces colonnes la proportion de 1 : 8^. La
colonne corinthienne, qui est plus déliée, ressem-
ble, dit-il, à une jeune fille. Mais, selon moi, il
auroit mieux fait de la comparer à un jeune hom-»
ïûe, à cause des hanches moins épaisses chez ce
: 11
7
IP
(0 /bld., pag. 199.
(2) Lib. IV, cap. I.
(S) li/d..
(4) Lib. I, cap. I.
\'i\'
\'1 J I
Jf\'
dernier, et du svelte de la taille, qui ajoute tant
de grâce à la beauté des contours.
Cette comparaison, si peu conforme à la na-
ture, a été copiée littéralement par tous les archi-
tectes, et notamment par Riou (i).
Comme il n\'y a donc point de rapport entre les
proportions des hommes de différentes nations,
vivans sous differens climats, il en résulte que les
proportions données à la colonne dorique et à cel-
les des autres ordres, doivent être sujettes à de
grandes disparités, et par conséquent fort incer-
taines.
Je ne finirois point si je voulois parler de tou-
tes les variétés qu\'offrent la stature, les traits du
visage, les cheveux, la barbe des habitans des qua-
tre parties du monde.
Que signifie donc le choix des proportions pour
les colonnes dorique, ionique ou corinthienne,
quand on veut les déterminer d\'après les formes si
diversement modifiées de l\'homme ? J\'ai vu avec
plaisir que Perrault (2) confirme le sentiment que
l\'avance ici.
Je ferai voir dans la suite que les Doriens n\'ont
jamais songé à un pareil objet de comparaison ;
mais qu\'ils se sont contentés de dresser une cabane
(i) Grecian orders of architecture, ch. a , pag. i3.
(a) lbid.y parag. 7.
élevée sur des poteaux assez hauts pour qu\'ils pus-
sent s\'y tenir dessous; qu\'ensuite ils ont donné in-
sensiblement plus d\'élévation à ces poteaux, com-
pile on peut le voir par le temple de Thesée à
Athènes, et par celui de Poestum dans le royaume
de Naples.
5®. Que dirai-je de la hauteur des chapiteaux
Corinthiens, qui, de l\'aveu même de Vitruve,pré-
sentent des différences sensibles, quant à leur hau-
teur? Ceux du portique du Panthéon de Rome ,
par exemple, sont plus hautes qu\'on ne les trouve
ttulle part ailleurs (i).
!f i
f s
îîii
L\'excellent ouvrage de Riou sur les ordres de
l\'architecture grecque, sa préface surtout, méritent
qu\'on les médite, et qu\'on les compare avec les restes
des beaux monumens delà Grèce publiés par le cé-
lèbre Leroy, et avec ceux de Palmyre, de Balbec
®t d\'autres édifices tombés en ruines, que les Grecs
et les Romains avoient élevés dans l\'Asie mineure
et dans la Syrie. On sera pleinement convaincu
par-là que non-seulement dans les édifices de dif-
férens ordres, mais aussi dans ceux du même or-
dre, on trouve une grande diversité dans la dis-
tribution des parties qui composent l\'entablement,
belles que l\'architrave ou épistyle, les corniches y
ï\' \'iï
i i!
.l\'if\'^l
■i : i\' lî
»!
(0 Expl, pl. XXIIl de Perrault.
-ocr page 394-DISCOURS LUS
les frises ou zoophores, les métopes,les triglypBes,
les modillons, etc. j tant il est vrai qu\'il n\'a jamais
existé de proportions constantes et fondamentales,
même chez les nations les plus éclairées.
L\'exact et justement célèbre Desgodetz nous a
de plus démontré que Palladio et Serlio n\'ont pas
donné les mesures exactes des anciens édifices de
Rome. Chambray, dans son Parallèle de l\'archi-
tecture ancienne et moderne y s\'est également
trompé à cet égard, comme il est facile de s\'en ap-
percevoir par plusieurs passages deson ouvrage (i)-
Quant aux métopes, que Vignole, conformé-
ment aux préceptes de Vitruve, prescrit de faire
d\'un carré parfait, on sait que les anciens n\'ont
jamais observé de règle exacte à cet égard : ils les
firent plus longs ou plus courts, selon qu\'ils le ju-
gèrent convenable ; comme il est facile de s\'en
convaincre par les Ruines de Pœstum (2) j et on
en peut dire autant de toutes les autres parties de
l\'entablement.
Voulez-vous maintenant une preuve de l\'aveu-
gle préjugé avec lequel nous adoptons toutes ces
idées arbitraires? Consultez Leroy,qui dit expres-
sément que toutes les divisions des ordres d\'ar-
(1) Pl. I, et chez Riou pl. XVII et XVIII.
(a) The Ruins 0/Pœstum, by ïh. Major lyéS, tab. XII, H\'
»0, et sab. XXII, fîg. 1 et 4.
chitecture dont l\'origine remonte au tems de Pé-
ificlès, sont agréables et belles; tandis que toutes
Celles qui s\'éloignent de cette époque doivent être
Regardées comme mauvaises et même comme bi-
sarres.
Cet écrivain célèbre finit par dire, que pour par-
venir aux belles proportions des ordres d\'archi-
tecture, il faut non - seulement en faire un choix
dans les plus beaux édifices de la Grèce, de l\'Asie
Mineure, de la Syrie et de Rome; mais qu\'on doit
Consulter aussi les ouvrages de Vitruve et des
meilleurs artistes de ces derniers tems; parce que
c\'est par la comparaison de tous ces maîtres entre
eux qu\'on parvient à confirmer les principes fon-
damentaux des cinq ordres d\'architecture.
4°. Lorsqu\'on examine avec attention Porigine
d\'un édifice de l\'ordre dorique, on s\'apperçoit
bientôt que ce n\'est pas la Beauté qui en fait le
principal objet j mais que toutes les parties des tri-
glyphes, des métopes, de l\'entablement, des mo-
dillons, dépendent inàmédiatement delà position
purement arbitraire des poutres, des solives, des
^riglyphes, etc.
L\'inspection du temple de Thesée à Athènes
nous prouvera évidemment que dans les tems les
plus reculés on ne donnoit point de socle ou sou-
bassement aux colonnes î mais qu\'on se contentoit
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ri
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VI ; il
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de placer de fortes planches entre les colonnes et
la poutre transversale ou l\'architrave; lesquelles
ont donné lieu aux chapiteaux; qu\'on y a ajouté
ensuite les souhassemens ou socles ; et cela d\'a-
bord par quelque heureux accident, soit en vou-
lant alonger le tronc d\'un arbre trop court par
un morceau de bois, soit peut-être pour prévenir
la pourriture. On peut croire de même que la can-
nelure des colonnes doit son origine à l\'imitation
de l\'écorce fendue des vieux sapins qu\'on em-
ployoit aux grandsbâtimens.Vitruve nous instruit
suffisamment des défauts de l\'ordre dorique de ces
tems encore grossiers , où l\'on ne songeoit qu\'à
l\'utile et au nécessaire, et nullement à l\'agréable
et au beau(i), ainsi que Thomas Major l\'a pleine-
ment confirmé (2).
Il paroît que les Ioniens se sont rendus ce tra-
vail plus léger, en ne plaçant pas les solives des
toits d\'abord sur des chevrons, mais immédiate-
ment sur la frise; ce qui fait que les denticules se
trouvent au-dessous de la cymaise.
Au théâtre de Marcellus à Rome les denticules
se trouvent au-dessous de la cymaise dans l\'ordre
dorique (3).
(1) Liv, IV, ch. 2 , édit. de Perrault.
(2) Ibid,, pag. 20 et 21.
(3) Voyea Chambrai, pag. 17,
-ocr page 397-5". Personne n\'ignore la manière dont, suivant
Vitruve (i), Callimaque inventa ie chapiteau co-
rinthien, en voyant par hasard une corbeille qu\'on
avoit laissé couverte d\'une pierre sur le tombeau
d\'une jeune fille, et autour de laquelle s\'étoient
attachées des feuilles d\'achante. Nous n\'ignorons
pas que Vilalpande et le célèbre Pauv^^, né dans
cette ville, soutiennent que cette prétendue ori-
gine du chapiteau corinthien doit être regardée
comme une fable (2). Supposons même que cette
forme de chapiteau soit prise du temple de Salo-
mon, ou imitée des colonnes égyptiennes, il n\'en
est pas moins absurde de voir porter un toit énor-
me sur des corbeilles, ou sur deux feuilles d\'une
plante tendre et succulente, ou sur des feuUles de
laurier, sur des plumes d\'autruche, sur des bran-
ches de palmier, etc. C\'est avec raison qu\'un au-
teur anonyme (3) a réfuté Winkelmann, qui nous
présente sans cesse les ouvrages des artistes grecs
comme de vrais modèles de beauté en tout genre;
prétendant que cette admiration sans bornes tient
du déhre, et que c\'est l\'habitude seule qui nous
(1) Liv. IV, ch. I.
(2) Vilalpande, suivant Vignoie, pag. 289. —- Recherahes smr
les Egyptiens , tom. II, pag. 71.
(3) Monthly Review, append.wl. LXV, pag. 5a8 , by tîiache-
daller d\'Azera,
discours LUS
porte à cette aveugle admiration ; de même qu\'O-
vide (i) dit de l\'objet de ses amours, qui proba-
blement n\'étoit pas d\'une grande beauté :
JExîmit ipsa dies omnes e corpore mendas,
Quodque fuit vitium, desinit esse mora !
<( Tous les défauts disparoissent à la longue; et ce
« qui sembloit d\'abord rebutant devient avec le
« tems supportable, w
Pline et Vitruve trouvoient déjà de leur lems
qu\'il étoit ridicule de faire supporter des édifices
d\'un poids énorme par des figures d\'hommes, et
même par celles de femmes délicates, à Pexem-
pie des Athéniens qui faisoient ainsi soutenir les
leurs, par mépris pour les femmes de Carie. Ces
deux auteurs latins s\'accordent à dire que cette
méthode, comme acte de mépris, étoit excusable
dans les premiers tems,mais qu\'elle ne l\'étoit plus
dans celui où ils écrivoient.
Chambray (â) et Riou (3) sont ceux de nos ar-
chitectes modernes qui ont pensé de même à cet
égard. Cependant, malgré ces sages réflexions, A.
Carrache, Serlio, Michel-Ange et plusieurs autres
(1) Burmanus, tom. I, pag. 644"
(2) Parallèle, etc., pag. 56,
(5) Grecian orders , etc., ch. 2, pag. 8,
-ocr page 399-a l\'acad. de dessin.^
artistes de ces derniers siècles , ont introduit ce
mauvais goût, quelque absurde et choquant qu\'il
soit. Combien ne voit-on pas encore dans nos an-
ciennes maisons de chambranles de cheminée et de
portes faites en forme de figures d\'hommes ou de
femmes. Chambray s\'indigne particulièrement de
ce que, non contens de faire soutenir des édifices
par des esclaves, nousy employons même desfigu-
\' res destinées à inspirer du respect, telles queles
Vertus, les Muses, les Grâces, et même des Anges.
Les François ne sont pas moins tombés dans ce
vice: les édifices de Marót l\'oflFrent partout. En Al-
lemagne on trouve des balcons en pierre soutenus
de cette manière; et il n\'y a pas long-tems que le
célèbre Mengs a fait soutenir par des caryatides le
plafond du théâtre d\'Aranjuez en Espagne.
Depuis nos établissemens aux Indes, nous avons
fait supporter nos balcons par des Nègres, comme
si nous avions voulu ajouter encore cet odieux mé-
pris aux malheurs déjà trop réels de l\'esclavage
que nous faisons souffrir à ces peuples malheu-
reux !
Qu\'y a-t-il d\'ailleurs de plus affreux, de plus
révoltant, à le considérer de sens froid, que de
Voir des têtes de bronze ou de marbre séparées de
leurs troncs? Quelle image plus horrible qu\'un
buste ou terme sans bras, ou dont le bas du corps
se termine en gaine?
Peut-on imaginer quelque chose de plus con-
traire à la nature que les centaures, les minotau-
res, les sphinx, les satyres et d\'autres monstres
pareils?
On ne peut donner d\'autre raison de toutes ces
absurdités choquantes, si ce n\'est que la coutume
les a d\'abord rendues supportables, et puis agréa-
bles à nos yeux : Quodquefuit vitium, desinit esse
mora.
On ne s\'est cependant pas encore arrêté à cela.
Vitruve ( i ) s\'élève avec force contre le goiàt vi-
cieux et même absurde de son tems, de faire ser-
vir d\'ornemens aux édifices, au lieu de figures qui
existent dans ia nature, de véritables monstres,
qu\'on faisoit sortir encore du milieu des fleurs et
des guirlandes. On en trouve des exemples dans la
frise d\'un édifice de Néron publiée par Winkel-
mann (2), et dans les ruines de Palmyre. Vignole,
Serlio et Picart ont adopté ce goût bisarre et ridi-
cule, auquel on n\'a pas manqué d\'applaudir.
Si je ne me trompe, les Romains avoient déjà
adopté du tems de Vitruve le goût barroque et dé-
pravé qui a tant de rapport avec les ornemens gro-
tesques des Chinois, et que nous avons admis par-
mi nous avec un engouement sans exemple. Cet
(i) Lib. VII, cap. 5, pag. 276.
Monum. ant. ined,, xs% 3, pag o.
-ocr page 401-écrivain (i) fait la description d^un théâtre peint
par un certain Apaturius, et dont Licinius le géo-
mètre, homine d\'un goiit excellent, fit une cri-
tique si amère, qu\'Apaturius, vaincu par la honte,
s\'empressa de corriger son ouvrage. C\'est k cette
occasion que Vitruve(2)s\'écrie avec raison: « Plut
« aux Dieux immortels que Licinius revint au
« monde, pour corriger tant de folies. ))
Cependant,malgré toutes ces absurdités, on ose
soutenir encore que tous les hommes reçoivent en
naissant le sentiment du Beau physique.
■ !
t î
6". Comme il paroît que les Grecs ont emprunté
de PEgypte, non-seulement leurs dieux, mais aussi
la plupart de leurs beaux-arts, je pense que c\'est
également dans ce pays qu\'il faut chercher l\'ori-
gine de l\'architecture. En lisant les excellens voya-
ges de Pocock (5), je ne tardai pas à m\'apperce-
voir que les colonnes y sont encore, comme elles
Pétoient dans la plus haute antiquité, courtes ,
épaises et du plus mauvais style; et que ce n\'est
qu\'à Alexandrie seulement qu\'on en trouve d\'uiie
belle proportion; aussi ne sont-elles pas l\'ouvrage
des Egyptiens, mais des Romains.
\';[";: J
; ■! vM
ili:f
(I) /Â/J., pag. 243, édit. de Perrault,
(a)/^/tf., lib. VII, cap. 5.
(3) Tom. I, pag. ai6 et 217.
Les colonnes égyptiennes vraiment antiques?
que Pocock a mesurées (i), ont, y compris le so-
cle, sept diamètres de hauteur. Le fust est au cha-
piteau : : 4 : I. 11 y a tout heu de croire que les
colonnes du temple de Salomon n\'étoient pas d\'un
meilleur goût ; car on trouve dans le livre des Rois
que Hiram fit les deux colonnes de bronze appe-
lées et hohaz, hautes de dix-huit coudées
sur quatre coudées de diamètre; et le fust seul de
quatre diamètres et demi; par conséquent sembla-
bles à peu près, pour les proportions, aux colon-
nes doriques des premiers tems, telles, par exem-
ple, que celles du temple de Delos (2). Les chapi-
teaux étoient donc comme 5 : 18 : : 1 : 3|; ce qui
est singulièrement opposé aux proportions de tous
les autres ordres, même à celles de l\'ordre toscan,
le moins agréable de tous.
On trouve dans le second livre des Chroniques
les mêmes colonnes décrites comme portant trente-
cinq coudées de hauteur avec des chapiteaux de
cinq coudées ; c\'est-à-dire , que les chapiteaux
étoient comme 7 : 1; ce qui se rapportoit assez aux
colonnes de l\'ordre corinthien.
TW
Il y avoit sept listels, et les fusts étoient comme
: 7 ; d\'où je conclus, qu\'à raison de l\'idée reli-
(1) îbid., pl. LXVI et LXVII, %. 12, pag. 216-
(a) Leroy, îMd., pag. 5, pî. II. — 4 diam.
gieuse attachée au nombre sept, les mesures don-
nées dans le livre des Rois doivent mériter plus de
confiance. Les commentateurs Patrik, Polus et
Wells, qui ne possédoient pas la moindre connois-
sance de Parchitecture, j donnent ce sens, qui ne
se rapporte nullement àla description, car 18 et
18, que porte le texte sacré, font 36, et non pas
35 coudées.
Quoiqu\'il en soit, je ne crains pas de dire que
Salomon , tout grand Toi et quelque sage qu\'il
puisse avoir été , n\'avoit pas un goût plus épuré
des arts que les Egyptiens, dont il semble avoir
suivi aveuglement les principes.
Car vouloir que les Grecs aient emprunté des
Juifs la colonne corinthienne, comme le prétend
Vilalpande, c\'est le comble de l\'absurdité. Aussi
M. Wood remarque-t-il avec raison , dans sa des-
cription des antiquités de Palmyre, qu\'on ne trouve
nulle part le moindre édifice de Salomon qui puisse
Venir à l\'appui de cette assertion.
\' Ce n\'est pas sans vraisemblance que Pocock pré-
tend que les colonnes égyptiennes et leurs chapi-
teaux sont des imitations du palmier, dont on
Coupe tous les ans les branches; et que, suivant
toute apparence, les colonnes du temple de Salo-
mon étoient de cette espèce (1).
M Ibid., pag. 217.
-ocr page 404-En réunissant maintenant tout ce que j\'ai dit
des différens ordres d\'architecture des Grecs et des
Romains , et ce que j\'ai cité touchant celle des
Egyptiens, nous pourrons en conclure avec cer-
titude:
1°. Qu\'il n\'y a dans la nature aucune propor-
tion véritable ou essentielle, qui puisse avoir servi
de type à ces ordres.
2°. Que ce n\'est que l\'habitude seule qui fait
que nous trouvons beaux ces ordres et les propor-
tions qui les consdtuent.
5°. Que l\'autorité y exerce une grande in-
fluence.
4\'\'. Enfin , qu\'en fait d\'architecture , le Beau
n\'est purement qu\'un Beau de convenance , et
rien d\'autre.
D\'où il suit, qu\'en nous affranchissant des rè-
gles purement imaginaires des architectes de l\'an-
tiquité , nous pouvons subordonner ces proportions
aux convenances locales et aux circonstances du
moment.
V. Les anciens eux-mêmes, quoiqu\'ils eus-
sent approuvé et sanctionné les proportions re-
çues, y ont fait néanmoins avec jugement les chan-
gemens et les améliorations convenables, unique-
ïnent pour remédier aux défauts apparens.
Vitruve (i) observe avec raison qu\'il faut don-
ner plus de hauteur à l\'épistyle ou architrave, ou
plutôt à tout l\'entablement, à proportion de la
hauteur des colonnes, parce que sans cela cette
partie paroît trop petite.
Les anciens donnoient plus de grosseur aux deux
colonnes des angles d\'un péristyle ou portique
qu\'aux autres, parce que sans cela la lumière am-
biante les faisoit paroître plus minces que cel-
les-ci (2).
C\'est pour la même raison qu\'ils augmentèrent
la largeur de la ligne spirale de La colonne de Tra-
jan , à mesure qu\'elle s\'élevoit; comme on peut le
voir chez Barbault (5).
Vitruve dit aussi que plus les colonnes ont
d\'élévation, moins il faut les effiler par le haut (4);
et c\'est avec justesse qu\'il veut cc que le raisonne-
c( ment corrige les erreurs de la vue; » c\'est-à-dire,
qu\'on doit à cet égard observer les règles de l\'op-
tique (non de la perspective). On peut consulter
sur cela l\'excellent ouvrage de E.. Smith , dont
il y a une très-bonne traduction hollandoise par
Krighout.
(1) Ibid., pag. 98, édic. de Perrault»
(2) Ibid, , pag. 90.
(3) Monumens de Rome ancienne, pag. Sg.
(4) ibid., lib. II, cap. 2.
III- q6
-ocr page 406-4oî2 discours lus
C\'est-là ce qui détermina aussi les Corinthiens à
donner plus de hauteur à leurs colonnes ; et ce fut
pour le même motif que les statuaires grecs don-
nèrent à leurs statues non pas sept têtes de hau-
teur , mais huit têtes, et quelquefois davantage
même. Tout cela tient uniquement à ce qu\'un carré
parfait paroît toujours plus large que haut, com-
me je l\'ai démontré en 1770.
Voilà donc les principes sur lesquels est fonde
le véritable et le seul Beau physique, qui n\'est su-
jet à aucune espèce de modification.
SECONDE SECTION.
Du Beau physique dans l\'homme et dans les
animaux.
Je me flatte d\'avoir démontré sufiisamment,
dans la première partie de ce discours, qu\'on n\'a
jamais observé des proportions constantes dans les
édifices. Je vais passer maintenant à l\'examen des
formes de l\'homme et des animaux ; pour vous
prouver que jamais non plus l\'intention de la na-
ture n\'a été de donner à leurs formes une Beauté
déterminée et invariable ; mais qu\'au contraire ,
loin de se borner à une Beauté quelconque , elle
n\'a eu pour but que de les rendre propres à leur
destination; c\'est-à-dire, que leurs parties inté-
grantes sont conformées de manière à remplir avec
facilité les fonctions auxquelles elles sont des-
tinées. ^
g. I. Nous commencerons par la contemplation
de l\'homme et de ses formes extérieures.
En portant nos regards sur le nez , la bouche,
les yeux, les bras, les mains, la pohrine et les au-
tres parties , nous trouverons qu\'elles ont toutes
été placées sur la partie antérieure de son corps ,
afin qu\'il puisse s\'en servir avec plus de commo-
dité; tandis que le derrière de la fête, le dos et les
jambes ne présentent aucune eminence et ne con-
tiennent aucune partie noble.
Les parties qui contribuent à orner l\'homme ne
se trouvent donc pas placées sur le devant du corps
pour contribuer à sa beauté, mais seulement à
cause de l\'utihté qui en^résulte.
Considérons d\'abord l\'homme, et nous trouve-
rons que sa poitrine et ses épaules sont larges; tan-
dis que ses hanches sont étroites: il est d\'ailleurs
fortement musclé, et n\'a point de mamelles.
La femme a les épaules plus étroites, le haut
de la poitrine plus applati, pour mieux recevoir
ies deux seins. Ses hanches sont plus larges; la na-
ture lui a donné des mamelles; et, en général, des
formes délicates.
H:
i;
if\'"
Si Fon prétend que Fhomme est beau, il faudra,
convenir alors que la femme n\'est pas belle 5 et si,
au contraire , c\'est la femme qu\'on veut regarder
comme douée de beauté, il faut nécessairement
que Fhomme perde cet avantage. C\'étoit-là aussi
Fopinion de Burke (1).
g. II. Les seins de la femme ne sont destinés qu\'à
fournir la nourriture à Fenfant nouveau-né, et leur
beauté n\'est qu\'accidentelle, ou, pour mieux dire?
c\'est dans notre imagination seule qu\'il faut en
chercher Fexistence, L\'utihté qui résuhe pour l\'en-
fant des seins de sa mère, fait donc tout le prix de
ce prétendu ornement de la femme.
Si ce n\'est que comme simple ornement que la
nature a donné des seins à la femme, pourquoi en
a-t-elle refusé à l\'homme? Chez les anciens Grecs
c\'étoit la coutume, suivant Paul d\'Egine (2) , de
couper les mamelles aux hommes , lorsqu\'elles
prenoienttrop d\'embonpoint ; non -seulement parce
qu\'on regardoit cette superfluité de chair corame
im signe de molesse, mais aussi comme une véri-
table laideur.
(1) A philosophical Enquiry in Co the origine of our ideas of
the sublime and beautijul, pag. 177 ec 17S,
(a) Lib. iV, cap. 46.
-ocr page 409-Chezles enfans les mamelles sont également gros-
ses et potelées dans les deux sexes, parce qu\'elles
remplissent quelque fonction essentielle pendant
qu\'ils sont dans le sein de la mère, laquelle est en-
core inconnue, à la vérité, aux anatomistes. Chez
les deux sexes les mamelles sont pleines de lait au
moment de la naissance. Ensuite les glandes et le
lait disparoissent insensiblement, et il ne reste plus
que les mamelons. Mais à l\'âge de puberté , les
seins grossissent de nouveau chez les filles, pour
disparoît re une seconde fois lorsqu\'elles cessent
d\'être fécondes.
III. Les proportions des enfans diffèrent beau-
coup de celles des adultes. Chez les premiers , la
tête fait le quart de toute la hauteur de l\'individu;
ensuite elle n\'en est plus que la cinquième, la sixiè-
me, la septième partie enfin; parce que les extré-
mités inférieures prennent plus de croissance, tan-
dis que la tête reste à peu près la même pour la
grosseur, lorsque l\'homme est parvenu à l\'âge de
quatorze ans.
Chez les deux sexes, les hanches sont extraor-
dinairement étroites pendant l\'enfance.
Or, si le Beau dépendoit des proportions, et si
l\'on regardoit les enfans comme doués de Beauté, il
faudroit que les femmes adultes et les hommes
faits nous parussent laids ; ou que les enfans se
trouvassent dans ce cas, si les personnes adultes
étoient belles à nos yeux.
IV. Cependant nousreconnoissons une Beauté
particulière à chaque âge de l\'homme. Nous nous
sentons aussi inspirés d\'un sentiment de respect et
de vénération à la vue d\'un vieillard, ce qu\'il faut
attribuer sans doute à une idée morale; car un vi-
sage ridé, dégarni de ses dents, avec une barbe
grise et un crâne chauve, diffère sans cela trop de
la physionomie agréable et gaie de la jeunesse ,
pour qu\'on puisse les mettre en parallèle.
Mais cette altération des formes que l\'âge pro-
duit nécessairement, nous déplait et nous répugne
même dans une vieille femme; probablement parce
qu\'elle cesse alors de nous inspirer de l\'amour, et
qu\'elle a perdu sa fécondité , cette quahté si chère
et si précieuse aux yeux de l\'homme, et qui est le
véritable objet de sa destination dans ce monde.
Nous attribuons au vieillard aux cheveux blancs,
au front chargé de rides, des connoissances plus
profondes , plus d\'expérience , plus de sagesse ;
- voilà ce qui excite notre respect, notre admira-
tion; voilà ce que nous qualifions de Beau. Ce n\'est
donc pas aux formes extérieures qu\'il faut attri-
buer cette idée.
Jp-
v; V. Ce que nous appelons Beau dans un Nè
-ocr page 411-A L\' A C A D. D B dessin. 407
gre l\'est si peu qu\'il est exactement l\'opposé de ce
qui nous paroît tel dans un Blanc; et certainement
nous serions choqués de voir dans un Européen la
mâchoire saillante, le nez écrasé, les lèvres épais-
ses et grosses; et cela uniquement parce que nous
n\'y sommes pas accoutumés.
Ajoutez à cela la disparité des formes des diffé-
rentes nations, et vous verrez que les Esquimaux
et les habitans du pays de Tzuk au Nord, les ha-
bitans du Détroit de Magellan au Sud, les Hot-
tentots du Cap de Bonne-Espérance et les autres
peuples qui se trouvent sous Féquateur, ont tous
des traits particuliers et des formes diflPérentes.
De cette étonnante diversité , il résulte donc,
1°. qu\'il n\'existe pas de Beau physique réel ou po-
sitif dans Fhomme; aucune espèce de Beauté qui
dépende de proportions constantes des parties du
corps; mais que le Beau ne consiste que dans dés
idées que nous nous sommes formées dans l\'en-
fance, et que la main du tems rend à la fin inef-
façables.
2°. Qu\'il dépend aussi de l\'autorité de ceux que
les connoissances plus approfondies que nous leur
attribuons, nous font regarder comme plus en état
d\'en juger sainement.
5°. Enfin , de la mode ou des idées reçues chez
cha(](ue peuple.
-Li\'.
VL Je pense avoir prouvé suffisamment cette
dernière assertion , comme je crois n\'avoir rien
laissé à désirer sur la première. J\'ajouterai seule-
ment que notre amour-propre nous porte à préfé-
rer les formes qui nous ont été données par ia na-
ture, et que nous regardons comme les plus belles.
Dès la plus haute antiquité, l\'homme a attribué
sa figure à la Divinité. Les idolâtres avoient cette
coutume, que les chrétiens ont encore sur toute
la surface du globe. Mais les Egyptiens, pour satis-
faire à leur goût pour l\'allégorie , ont placé des
têtes d\'hommes sur le corps d\'un lion, d\'un tau-
reau, etc.; ou bien, par une idée contraire, la
tête d\'un taureau, d\'un chien, d\'un épervier, sur
ie corps d\'un homme.
Mais tous les peuples de la terre , en général,
sans en excepter un seul, ont représenté leurs
dieux et leurs déesses sous la figure humaine, avec
les traits caractéristiques et sous le costume de
leur pays. Un dieu chinois n\'a pas le ventre moins
épais qu\'on mandarin,avec de petits yeux en cou-
lisse et une barbe peu fournie, etc. Leurs déesses,
au contraire, sont fort sveltes et plutôt maigres,
comme leurs jeunes filles ; elles ont les ongles
d\'une longueur prodigieuse et les pieds difformes
à force d\'être petits. On trouve également dans les
idoles des Egyptiens tout ce qui caractérise ce
peuple.
De leur côté , les Européens donnent à leurs
dieux la blancheur qui leur est naturelle. Il faut
certainement chercher la cause de ces différentes
manières de représenter la Divinité dans l\'amour-
propre, qui fait que chaque peuple de la terre se
regarde comme le plus privilégié et le plus beau.
Cicéron a parfaitement rendu cette idée: «Rien
« ne paroît ])lus beau à l\'homme que la forme hu-
« maine (i). »
Il n\'est pas invraisemblable non plus, que si
l\'éléphant, le lion, le cheval, la baleine, l\'aigle,
l\'écrevisse, l\'araignée, avoient, comme l\'homme,
la lacullé de raisonner, ils donneroient chacun en
particulier a leurs dieux leur propre figure, com-
me étant la plus belle et la plus noble de toute la
création.
VIL La différence des parties relatives des
quadrupèdes, des oiseaux, des poissons eî des rep-
tiles, prouve évidemment tout ce que j\'ai dit de
l\'homme ; c\'esi-à-dire, qu\'il ne faut considérer que
la destination des parties, comme ayant été l\'uni-
que but du Créateur en formant tous, ces êtres
divers.
Dans mon dernier Discours, du 15 octobre
(1) Çuod homîni homine pulckrius videatur. De Nat. Dear.,
lib. I, cap. 27.
1778 } sjir V analogie qu\'il y a entre la structure
du corps humain et celle des quadrupèdes, des
oiseaux et des poissons , etc., j\'ai fait voir avec
la dernière évidence que la longueur des jam-
bes est proportionnée à la destination de l\'animal
à courir avec plus ou moins de vitesse; et que la
longueur du cou est également proportionnée à
celle des jambes; de manière qu\'il me sera facile
maintenant de vous prouver que les autres parties
des animaux ont pareillement les proportions con-
venables à l\'usage auquel la nature les a des-
tinées.
Le chameau, le chien, le cheval, le bœuf, l\'é-
léphant, ont chacun des proportions différentes et
distinctives, qui leur sont particulières, comme in-
dispensablement nécessaires à leur existence.
La même chose a lieu dans les oiseaux: l\'au-
truche, le casoar, la grue, la cigogne, l\'aigle, ont
le cou proportionné à la longueur de leurs jam-
bes; et leurs aîles ont également une envergure re-
lative à leur vol, et non à leur force.
Si le eigne et l\'anhinga (1) ont le cou plus long
que ne semble l\'exiger la hauteur de leurs jam-
bes, c\'est que cela leur est nécessaire pour qu\'ils
puissent saisir facilement leur proie à une grande
profondeur sous l\'eau.
(I) Buffon, Hist. nat., tom. YIÎI, pag. /j/jg , pl, XXXV.
-ocr page 415-Les martins-jîêcheurs ont la tête grosse, afin
de pouvoir saisir aisément le poisson et l\'avaler
sans difficulté; leur corps est petit, et leurs jam-
bes sont comparativement plus courtes encore ,
parce qu\'ils n\'en ont besoin que pour se eoutenir.
Les poules-d\'eau , au contraire , mais surtout le
parra variahilis (i)^ oi;!t les pieds fort grands,
afin de pouvoir marcher facilement sur les plantes
aquatiques. Leur bec est fort peth , ne leur ser-
vant qu\'à saisir les graines et les autres menus
objets dont ils se nourrissent. La nature a donné
aux péliôans un fort grand bec avec une espèce de
sac, qui leur sert à mettre le poisson qu\'ils pren-
nent. Les toucans ont un fort grand bec relative-
ment à la grandeur de leur corps; et il offre même
une grande irrégularité si on le compare avec ce-
lui des autres oiseaux.
Il n\'y a pas une moindre variété dans les c|ueues
des oiseaux: le faisan, le paon, le coq d\'Inde, le
coq domestique, l\'ara, ont la queue fort longue ;
tandis que l\'autruche, le casoar, etc. , l\'ont, au
contraire, fort petite, proportionnellement à leur
corps.
La queue du lion, du renard, de l\'écureuil, de
l\'éléphant, du rhinocéros , prouvent la même
(i)Le jacana de Buffon, Hist. nat. des oiseaux, tom. Vil.l,
pag 448, pl. XXXV.
\'d
\'f-\'i
; ri
l-ii\'l
chose, Chez les animaux qui rampent, comme le
crocodile , le lézard , la tortue , le crapaud et îa
grenouille, on ne trouve pas moins de défauts de
proportion.
Quelles variétés n\'olfrent pas les cornes et sur-
tout les dénis des quadrupèdes et des poissons?Dans
le narv^^hal, les cornes avancent en ligne droite et
horisontale; dans le morse elles sont courbées vers
en bas; dans le sanglier du Cap de Bonne-Espé-
rance elles sont tournées vers en haut. Tout cela
nous paroît d\'abord bisarre ; ensuite l\'oeil s\'y ac-
coutume, et on finit par le trouver beau ; desorte
même que nous regardons comme un défaut ré-
voltant, le manque ou le renversement de ces par-
lies, Un tatireau sans cornes, commeily en a dans
la partie septentrionale du Danemarck et de l\'An-
gleterre, nous paroît aussi étrange que le seroit un
veau avec des cornes.
mm
Les jambes hautes du chameau nous étonnent;
tandis que les formes du cheval, du bœuf, du
chien , du furet, du serpent et du lombric mê-
me , quelques belles ou singulières qu\'elles soient,
nous frappent moins par l\'habitude que nous avons
de les voir souvent. Enfin, nous sommes convain-
cus par le raisonnement, que l\'Etre Suprême n\'a
pas eu pour but, dans la création , les proportions
qu\'il a plu à notre imagination de trouver dans les
diflérenles parties des animaux; mais qu\'il a mis
A
-ocr page 417-toute leur perfection dans Futilité qui en résulte
pour l\'individu.
Chez l\'homme les yeux ont un pouce de dia-
mètre, et son visage a cinq yeux de large. Com-
parez-les avec les yeux de la souris, de l\'éléphant
ou de la baleine, et vous trouverez que le plus grand
œil n\'a pas deux pouces de diamètre. Cependant
le corps de l\'homme n\'a pas, en général, six pieds
de hauteur, tandis que celui de la baleine a cent
pieds de longueur, et même plus. L\'œil est donc
dans l\'homme = , et dans la baleine = ^^ de
sa longueur.
Les oreilles du phoque sont si petites qu\'on ne
sauroit les appercevoir; celles de la chauve-souris
appelée l\'oreillard, sont, prises chacune en parti-
culier, plus grandes que tout son corps. Or, peut-
on, d\'après ces énormes disproportions de parties
correspondantes, dire que l\'un de ces animaux est
plus beau ou plus laid qu e l\'autre ?
VIII. Veut-on savoir quel est le Beau qui
mérite réellement notre approbation ? Veut-on
être convaincu que la peinturé n\'étoit, dans son
principe, qu\'une simple mais fidelle copie des ob-
jets que la nature olfre sans cesse à nos regards?
et de quelle manière cet art a été porté esisuite à
une étonnante perfection par des hommes d\'un t^é-
Rie supérieur, en ne copiant plus servilenienlla
îiatnre, mais en l\'embellissant de beautés Idéales?
Il faut se rappeler tout ce que j\'ai dit au sujet des
embellissemens que l\'architecture est parvenue à
donner aux édifices, que l\'homme ignorant ad-
mire , sans pouvoir découvrir les moyens qu\'ont
employé les grands artistes.
Suivant Pline (i), Lysippe, contemporain d\'A-
lexandre le Grand , fut le premier qui porta son
attention sur les défauts de la nature individuelle
et donna pai-là à ses ouvrages une élégance , une
finesse qui lui étoient propres, et qu\'il a observées
jusque dans les moindres parties.
Lysippe fit aussi les têtes de ses statues plus pe-
thes que les anciens (c\'est-à-dire, de huit têtes et
plus), et les corps plus sveltes et moins charnus;
ce qui faisoit paroître ses figures plus longues. Aussi
ce statuaire, disoit-il (2), que ses prédécesseurs
avoient bien fait les hommes tels qu\'ils étoient
(quales esserit homines}, mais qu\'il les faisoit tels
qu\'ils paroissent être {sed se, quales viderentur
esse).
Cicéron, qui étoit doué d\'un jugement admira-
ble et d\'un goût exquis , nommoit cela pingere
ultra verum (outrepasser les limites du vrai dans
la peinture).
(I) Lib. XXXIV, cap. 8 in fine.
(3) Ibid,
Le svelte des Italiens, C|ui rend les figures si
agréables, et qui a été entièrement négligé par les
peintres de Técole flamande, tels que Rubens,
Rembrant, Bol, Flink et autres, est la partie que
Lysippe a découvert le premier être indispensa-
blement nécessaire; non pour rendre ses statues
en effet plus belles que la nature, mais pour les
faire paroître plus belles à nos yeux; parce que,
au moyen de cet artifice, il remédioit aux défauts
qu\'offre la nature individuelle.
On ne tarda pas à appliquer ce principe à Far-
cbitecture : les Corinthiens donnèrent, pour cette
même raison , dix diamètres de hauteur à leurs co-
lonnes; et c\'est dans cette vue aussi que les archi-
tectes grecs firent les métopes plutôt étroits que
larges, etc.
Il faut donc que l\'architecte, le statuaire , le
peintre, qui veut donner le véritable Beau physi-
que à ses ouvrages, connoisse la nature et les effets
delà lumière; il faut qu\'il sache de quelle ma-
nière nous voyons les objets; qu\'il soit instruit des
changemens qu\'éprouvent leurs formes et de la
dégradation de leurs couleurs, suivant qu\'ils sont
placés plus haut ou plus bas que l\'horison , ou à
Une distance plus ou moins grande de l\'oeil ; enfin,
îl ne doit rien ignorer de tout ce qui peut servir à
cacher les défauts apparens ou réels qui résultent
de ces différentes modifications.
Mettre en usage toutes les ressources dont je
viens de parler , de manière que ies objets qu\'on
imite produisent aux yeux des spectateurs les mê-
mes idées que la réalité même, voilà certaine-
ment ce qu\'on doit appeler rendre le véritable Beau
physique; et c\'est la seule chose qu\'on puisse exi-
ger du peintre, du statuaire et de l\'architecte.
S\'il est question du choix à faire des plus belles
formes de l\'homme, il s\'agit alors de tonte autre
chose; c\'est-à-dire, de quelque chose qui n\'est que
purement accidentelle , qui ne dépend unique-
ment que du choix arbitraire, bisarre même, des
hommes, et de la mobilité constante des modes de
chaque nation en particulier.
TROISIÈME SECTION.
I. Comme c\'est l\'autorité des grands artistes
qui détermine ce qui doit être considéré comme
Beau en architecture, il en est de même de la sculp-
ture et de ia peinture.
Au rapport de Phne(i), Phidias fit une Minerve
d\'une si rare beauté qu\'elle fut surnommée la
Belle.
J\'ai fait remarquer dans l\'introduction de ce
(i) Lib. XXXIV, cap. 8,
-ocr page 421-discours, que Polyclète avoit fait aussi une statue
qui obtint de tous les artistes le nom de norma ow.
règle.
Ces exemples nous prouvent que c\'est l\'autorité
seule d\'un petit nombre de grands artistes qui a
décidé des règles du Beau. Ceux qui les ont suc-
cédé se sont bornés à adopter servilement le même
style et les mêmes proportions.
La plupart des maîtres de l\'école flamande n\'ont
fait qu\'imiter une nature grossière et commune.
Le défaut d\'instruction et de bons modèles, joint
au manque de jugement sont cause que leurs pro-
ductions se trouvent au-dessous même des objets
q u\'ils ont pris pour modèles d\'imitation.
Aujourd\'hui nos jeunes artistes jouissent déplus
grands avantages : celte Académie leur fournit les
meilleurs modèles de l\'antiquité et de nos maîtres
modernes ; pour ne point parler des excellentes
leçons qu\'ils reçoivent des directeurs de cette école
célèbre.
§. IL Vitruve nous prouvera que, de son tems,
on avoit les mêmes idées que nous sur ce qui cons-
titue la Beauté des édifices, (c La parfaite conve-
« nance , ou plutôt la beauté d\'un édifice , exit^e
« que l\'on adopte le genre d\'ornement consacré
« par Fautoriré des tems antérieurs, qui se fonde
«principalement sur la coutume ou sur l\'usage;
iii. 27
-ocr page 422-« par exemple, les temples dédiés à Minerve , a
« Mars et à Hercule , demandent à être d\'ordre
« dorique; ceux dédiés à Junon, à Diane ou à Bac-
«chus doivent être d\'ordre ionique, et ceux de
«Vénus et de Flore requerrent l\'ordre corin-
« thien. »
On voit encore actuellement à Athènes (i) les
ruines d\'un temple dédié à Minerve d\'ordre do-
rique; un d\'ordre ionique dédié à Cérès (12); un
d\'ordre corinthien consacré à Jupiter (3) ; un autre
d\'ordre dorique consacré à Auguste; et, suivant
Desgodetz, un temple de Mars d\'ordre corinthien
à Rome; un autre dédié à Jupiter, et un à Bac-
chus d\'ordre composite : preuves certaines que les
anciens ne se sont pas toujours restreints à ces rè-
gles stériles.
Vitruve dit ailleurs que l\'architecture doit non-
seulement avoir égard aux loix de convenance ;
mais qu\'il faut qu\'il se garde aussi de ne point con-
fondre ensemble les parties de différens ordres ;
par exemple, de ne point mettre des denticules aux
corniches de l\'entablement dorique, ni de trigly-
phes aux frises de l\'ordre ionique.
Mais combien de fois nos artistes modernes ne
(1) Leroy, Monumens de la Grèce, part. ï, pag. i,
(a) Pî. V.
(5) Pl. X,.pag. JQ.
-ocr page 423-a l/ a c a d. de dessin. 4ig
se permettent-ils pas d\'enfreindre ces sages règles?
Les architectes les plus à la mode ont tous plus
ou moins secoué le joug de Fhabhude, et se sont
soustraits à l\'autorité des anciens; mais peut-on
dire qu\'ils y ont substitué quelque chose de meil-
leur et de plus raisonnable ?
Les Romains ont non-seuiement réuni souvent
dans leur ordre composite, l\'ordre ionique à l\'or-
dre corinthien ; mais ils ont aussi mêlé l\'ordre co-
rmthien avec le dorique, et même quelquefois les
trois ordres ensemble.
Ils ont placé la corniche immédiatement sur
I architrave, sans frise intermédiaire; c\'est-à-dire
qu\'ils ont omis les poutres ou le plafond. Cela
peut-il être regardé comme beau? cela convient-il
à une bonne architecture?
Quoiqu\'il en soit, il faudra convenir du moins
que le Beau physique ne doit jamais se trouver
ouvertement en opposition avec la raison.
Mille exemples me servirent à prouver qu\'on
pêche aujourd\'hui plus que jamais contre ces rè-
gles ; mais le défaut de tems ne me permet pas
d entrer pour le moment dans ces détails. Je vais
terminer ce discours par une courte récapitulation
de ce que j\'ai cherché à y démontrer.
Premièrement. Qu\'aucun philosophe, ni aucun
artiste n\'a jamais prouvé ou même enseigné , ce
qui constitue proprement le Beau physique.
%SO DISCOURS LUS
Secondement. Que nous n\'avons aucun senti-
ment inné de cette espèce de Beau , comme nous
en avons un, et cela très-distinct, du Beau moral;
que ce n\'est donc qu\'à force d\'étude que nous
parvenons à connoître ce qui est Beau dans les arts
d\'imitation.
Troisièmement. Que ce n\'est pas dans une cer-
taine proportion ou symétrie des parties que con-
siste le Beau physique, tant dans les hommes et
les animaux que dans l\'architecture.
Quatrièmement. Qu\'en donnant des formes dif-
férentes aux hommes et aux animaux, la nature
n\'a pas eu pour but de les douer d\'une certaine
Beauté; mais seulement de leur accorder ce qui
étoit le plus utile à leur destination.
Cinquièmement. Que tout ce qui a rapport au
prétendu Beau physique, n\'a pour bases qu\'une
convenance tacite, l\'habitude et l\'autorité.
Sixièmement. Enfin, je crois avoir prouvé que
le vrai, le seul Beau, tel que les plus grands maî-
tres l\'ont introduit dans l\'architecture , dans ia
peinture, dans la sculpture, ne doit être attribué
qu\'au soin qu\'ils ont eu que leurs ouvrages imi-
tassent ie plus fidèlement possible la nature , en
évitant îes défauts qui résultent nécessairement de
l\'imperfection de notre vue et de la rélVûCtion de
la lumière.
Si îa manière dont j\'ai cherché à vous exposer
dï
-ocr page 425-mes idées, et les preuves sur lesquelles j\'ai tâché
de les appuyer n\'ont pas été suffisantes pour vous
convaincre pleinement ; elles auront servi du moins
à vous faire envisager le Beau physique sous un
nouveau point de vue, et à mettre les artistes sur
la voie de découvrir de plus grandes vérités.
\'HU.
iU\'Oüi Î •• : f ■•
urr titT}-: snpi
i
HÜ
ou CRAPAUD D\'AMÉRIQUE.
-ocr page 428-« 1 T- a ^
-ocr page 429-DU PIPA,
li\'ÉTUDE de l\'histoire naturelle, outre le plaisir
qu\'elle nous procure, nous est, en même tems,
d\'une grande utilité dans la métaphysique. C\'est
par la reproduction des différens êtres qui peu-
plent la terre et par leurs modifications infinies
que nous parvenons le mieux à connoître la toute-
puissance et la grandeur de Dieu. Les corps, les.
animaux surtout, qui tombent sous nos sens, doi-
vent nous servir ici de preuves ; et c\'est par les
rapports généraux qui régnent entr\'eux que nous
pouvons nous convaincre si la Suprême Cause a
pu ou non parvenir avec la même perfection au
même but par des moyens différens.
J\'appelle ici rapports généraux les organes par
lesquels les animaux reçoivent, suivant leur degré
d\'intelligence, les idées nécessaires à leur exis-
426 de la génération
îence ; tels que ceux de la vue, de l\'ouïe, et&.
Nous ne découvrons dans ces organes qu\'une
perfection relative à la place qu\'ils occupent ; et
l\'on peut dire, en général, que la vue des insec-
tes voîans et autres est aussi parfaite que celle des
oiseaux, des quadrupèdes et de l\'homnic même;
quoique leur organe visuel diffère beaucoup de
celui des autres animaux, et que ce sont les yeux
de l\'homme qui nous paroissent les plus parfaits
dans leur espèce. On peut dire la même chose de
tous les autres organes.
H y a encore un autre rapport qui est également
pai\'fait chez tous les animaux, et qui par-là mérite
îa plus grande attention, savoir, celui de la gé-
nération; lequel, quoique infiniment varié dans
tous les animaux, parvient cependant toujours au
même but, la procréation d\'un animal qui res-
semble de la manière la plus parfaite à ses parens;
preuve la plus évidente et la plus merveilleuse que
la nature nous fournisse de la sagesse infinie et de
la toute-puissance de l\'Etre Suprême. Il y a des
animaux qui conçoivent et nourrissent leurs pe-
tits dans leurs propres entrailles ; d\'autres renfer-
ment les leurs dans des œufs, et leur donnent la
vie par l\'incubation, ou par le moyen de la cha-
leur vivifiante du soleil; ceux-ci se propagent en
se divisant; ceux-là poussent leurs petits hors de
leur corps, comme de rejetons de plantes ; enfin y
îa nature se sei\'t encore de plusieurs autres diffé-
rens moyens pour la propagation des espèces , et
îe tems me manqueroit si je voulois indiquer ici
toutes les voies admirables qu\'elle emploie pour la
conservation des êtres infiniment variés qui peu-
plent la terre.
Les plus grands hommes se sont occupés à étu-
dier cette merveilleuse reproduction des animauxj
tels, par exemple, qu\'Aristote, Harvey, Swam-
merdam, Leuwenhoek, Trembley,les deuxNeed-
ham et un grand nombre d\'autres dont les noms
passeront avec honneur à la postérité.
Quelques-uns cependant, emportés par leur ar-
deur, si ordinaire aux philosophes, n\'ont pas été
assez attentifs dans leurs observations. L\'étonne-
ment que leur a causé une découverte nouvelle ,
les a souvent induit en erreur; et, prévenus par
ce qui leur a paru s\'écarter des loix générales, ils
n\'ont pas pénétré assez avant dans les secrets de
la nature. Le crapaud d\'Amérique, dont les petits
paroissent croître sur ie dos de la mère, nous four-
nit une preuve de leur admiration irréfléchie, Iî
leur a sufii de voir son dos chargé d\'animaux vi-
vans de la même espèce, pour s\'imaginer que c\'é-
toit le dos même qui servoit de matrice à cet ani-
mal, et que c\'étoit de cette manière qu\'il engen-
droit ses petits. On a employé tous les moyens pos-
sibles pour découvrir cette étrange merveille.
Ruisch, célèbre par son zèle pour la science et pat
sa dextérité à disséquer, dit à ce sujet : « J\'ai ou-
<c vert le dos de cet animal, pour voir si ses œufs
« ne sortoient point du ventre pour paroître sur le
« dos, d\'où ils sembloient éclore; mais j\'ai trouvé
<c le contraire; du moins n\'ai-je jamais pu décou-
« vrir aucune communication entre le dos et les
« parties internes du bas-ventre. Mais la peau du
f{ dos est remplie de petites cellules, dans les-
te quelles les œufs sont renfermés; et ces cellules
« sont couvertes d\'une espèce de peau un peu dure,
«■ laquelle étant ôtée laisse voir les oeufs à décou-
« vert ( 1 ). » Livinus Vincent s\'est contenté des
observations de Ruisch. Seba, aussi peu initié dans
les merveilles de la nature que Vincent, hasarda
une idée sur la génération de ces œufs, et se mon-
tra plus étonné de la manière dont la liqueur pro-
lifique du mâle pouvoit pénétrer dans les inters-
tices de la peau épaisse du dos de la femelle, que
de l\'accroissement même des petits sur le dos (2).
ïls ignoroient les uns et les autres la manière dont ces
animaux se propagent. L\'ouvrage profondément
pensé de l\'admirable Swammerdam n\'étoit pas en-
core connu alors; et l\'on n\'a Voit aucune idée exacte
de la génération des grenouilles. Il étoit par con-
O) T/iee. anat. , tom. I, pag. 9, not. 35.
(2) Thes., tom. I, pag. lai, tsb- 77, n?. i.
sequent difficile de savoir comment on pouvoit dis-
séquer avec quelque fruit ce pipa ou pipai. L\'ani-
mal même étoit rare et d\'un grand prix; de sorte
qu\'on préféroit de le conserver pour en orner un
cabinet, plutôt que de le sacrifier à des observa-
tions anatomiques, lesquelles cependant pouvoient
seules conduire à îa connoissance de la vérité.
En 1758, je reçus en présent deux pipas ou cra-
pauds d\'Amérique, dont l\'un avoit le dos couvert
d\'œufs; chez l\'autre ces œufs étoient déjà éclos.
J\'ouvris ce dernier pour éclaircir les doutes qui me
restoient à cet égard.
Après que j\'eus ouvert le ventre et enlevé les in-
testins, je découvris une longue vessie simple de
forme ovale, et derrière cette vessie le boyau culier;
ensuite parut le vagin et la matrice avec ses deux
corn es,laquelle forme plusieurs replisassezsenlbla-
bles à ceux de nos intestins, et pend à un double pé-
ritoine le long de la hanche gauche vers en haut,
en s\'étrécissant déplus en plus; après quoi elle s\'é-
tend derrière les poumons, jusqu\'à ce qu\'elle se
lasse voir avec un grand orifice à côté du péri-
carde, derrière un pli du double péritoine. Les
ovaires, garnis de petits boutons noirs, montoient
fort hauts, et paroissoient contenir des œtifsnou-
vellement produits. Je fis un dessin de cette pré-
paration anatomique, et ne doutai plus que cette
espèce de crapauds ne se propage point de la même
manière que les grenouilles et nos crapauds ordi-
naires. Je lus ensuite avec admiration la décou-
verte faite par Swammerdam de la génération des
grenouilles (i); où je trouvai une telle analogie,
que je regardai ma première conjecture comme un
fait certain ; et cela d\'autant plus, que la fig- 5 de la
pl. XLVII deSwammerdam ressemble, pour ainsi
dire, parfaitement au crapaud d\'Amérique.
Comme je passai l\'été à la campagne, je résolus
d\'examiner le crapaud de ce pays. J\'en fis , pour
cet effet, prendre plusieurs des plus grands , que
je commençai par étouffer dans de l\'esprit de vin ,
afin de vaincre plus parfaitement toute crainte de
poison.
La vessie urinaire de nos crapauds est double
eî grande: elle ressemble d\'ailleurs assea à la ves-
sie de nos grenouilles, telle que Swammerdam l\'a
figurée (2). La matrice se partage immétliatement
en deux; et voilà la seule difference qu\'il y a avec
le pipa. Les deux cornes se ressemblent parfaite-
ment, et les orifices de ces cornes ou trompes de
Faloppe sont largement ouverts aux deux côtés du
péricarde, comme dans le pipa.
Les ovaires étoient fort grands et garnis d\'oeufs
noirs. Quelques-uns de ces œufs , moins murs ,
(0 Bibl. Nat,, pag. 796, eî principalement pag. 802.
(3) Pi. XLVII, î, 55, et % 4, î.
étoient jaunes, et d\'autres totalement blancs; mais
ceux-ci étoient plus petits.
On s\'appercevra facilement de l\'analogie qu\'il
y a entre la matrice dii pipa et celle de notre cra-
paud ordinaire , par les figures et les explications
que je donne ici de l\'une et de l\'autre.
Les crapauds et les grenouilles sont donc dans
tous les pays du même genre, et ne diffèrent que
dans les espèces. La génération s\'opère chez tous
de la même manière; c\'est-à-dire, que les œufs
quand ils sont parvenus à leur état de maturité se
détachent des ovaires et tombent au fond de la ca-
vité du ventre. Les poumons, qui s\'étendent dans
tout le ventre jusqu\'au bassin, pressent en se gon-
flant les œufs de tous côtés, et quelques-uns con-
tre ies orifices des trompes ou cornes de la ma-
trice; et comme ceux-ci ne trouvent point de ré-
sistance sur les côtés, ils s\'y glissent l\'un après l\'au-
tre jusqu\'au dernier. Les œufs paroissent, comme
dans la grenouille, se rassembler dans ces parties,
qu\'on doit regarder comme la véritable matrice ;
c\'est-à-dire, à la partie antérieure des cornes du
Vagin , jusqu\'à ce qu\'ils soient chassés en dehors
par ia pression des muscles de l\'abdomen, lorsque
la fécondation du mâle a lieu.
Chez nos crapauds, c\'est le soleil qui fait éclore
les oeufs abandonnés à eux-mêmes. Mais le dos du
pipa est fait de manière à recevoir les œufs, où
ils demeurent cachés dans de petits trous jusqu\'à
ce qu\'ils soient éclos , et que les jeunes aient la
force d\'aller chercher leur nourriture. Le pipa ne
fait donc que traîner le nid avec lui, de même que
le sarigue porte ses petits dans un sac. Si l\'on de-
mande comment les oeufs parviennent à être ainsi
disposés dans les petites interstices du dos de la
mère? je serai forcé de convenir que je l\'ignore.
Il y a lieu de croire qu\'une grande quantité s\'en
trouve perdue. Mais on pourroit faire de pareilles
questions oisives sur plusieurs autres objets : par
exemple, de quelle manière la liqueur spermati-
que s\'introduit dans les œufs des quadrupèdes ou
dans ceux des oiseaux? De quelle manière la pous-
sière fécondante des fleurs pénètre dans le creux
des pistils? Comment il se fait que le melon et le
concombresetrouventfécondés, malgré la distan-
ce qui sépare les fleurs mâles de celles qui portent
le fruit? Ce sont-là autant de mystères que la na-
ture ne dévoilera jamais à nos yeux;et la manière
incompréhensible dont s\'opèrent tous ces phé-
nomènes de k nature, ne peut que nous pénetrer
d\'admiration et de respect pour l\'Etre Suprême.
Les différentes manières dont les jeunes pipas se
montrent sur le dos de la mère, tantôt avec ia tête,
tantôt avec une jambe de devant ou une jambe de
derrière, et quelquefois tournés sans dessus des-
sous, nous prouvent claireraenî îe désordre dans
lequel ces œufs s\'introduisent dans les petits ori-
fices de la peau ; ce qui n\'a jamais lieu dans la ma-
trice des animaux qui font beaucoup de petits à-la-
fois 5 ainsi qu\'on peut s\'en convaincre le mieux
par les poissons vivipares, tels, par exemple, que
la mustella viviparaSchoeneveldi, et autres sem-
blables.
Nos tarets offrent dans leur incubation quelque
cbose qui ressemble assez à celle du pipa. La lame
intérieure du côté large ou antérieur des deux val-
ves s\'écarte plus ou moins de la seconde, suivant
le nombre des petits et leur grandeur. Les petits
tarets se trouvent là en sûreté et y grandissent jus-
qu\'à ce qu\'ils quittent leur mère, quand ils sont
en état de se procurer par eux-mêmes leur nour-
riture. Or, prétendra-t-on que ces jeunes tarets
doivent leur naissance à cette écaille stérile ? et
n\'y a-t-il pas autant de difficulté à comprendre
comment les œufs de ces molusques s\'introduisent
entre les lames en question, qu\'on en trouve à sa-
voir la manière dont les œufs du pipa peuvent se
glisser dans les petits trous du dos de la mère?
Notre propre pays nous fournit donc une mer-
veille aussi admirable que celle qui nous étonne
dans le crapaud d\'Amérique.
Je me suis occupé ensuite du sens de l\'ouïe de
nos crapauds, parce que les anciens, comme nous
l\'apprend Jiîius, cnt divisé les crapauds en deux
m. 28
i 1
m
«
iJil
espèces, en crapauds sourds et en crapauds qui
entendent (i). Ils regardoient les premiers comme
venimeux. Les grenouilles ou crapauds qm ne sont
pas sourds s\'appeloient chez eux crapauds d\'eau
ou de mare. On peut consuher Aldrovande et
Johnston sur le nom de ces animaux.
L\'organe de l\'ouïe des crapauds est, comme ce-
lui des tortues, recouverte d\'une peau épaisse et
tuherculée, et sé trouve placé en arrière au-dessous
de l\'oeil entre les muscles masseter et temporal. II
consiste en un tympan de forme ovale , avec un
simple étrier. Dans l\'intérieur de la bouche il y a
tin large orifice, de la même manière que chez la
tortue. Voyez pl. XXXiïl, fig. 7 etS.Lesyeux du
crapaud paroissent fort doux, et la vue de l\'homme
ne semble pas effaroucher cet animal ; mais il
s\'enfuit aussitôt qu\'il entend du bruit. J\'ai re-
marqué souvent, par exemple, qu\'en siftlant fo^
le crapaud se retiroit précipitamment d\'un air
effrayé.
La langue du crapaud mérite aussi quelques
observations. Elle ressemble à la langue de l\'hom-
me, mais retournée, la racine étant attachée au
bord antérieur de la mâchoire inférieure , et la
pointe , qui est isolée et libre , se reploie en de-
(i) Tetrabîbl. 4. Serm. i. Med, an. princip.,\\ïh. IL
-ocr page 439-dans vers le fond de la gueule. Elle ressemble ,
par son attache et son mouvement, parfaitement
à celle de la grenouille; mais cette dernière a la
langue fourchue, comme les lézards et les autres"
amphibies (i). Le crapaud se nourrit de toutes les
espèces d\'animaux à sang blanc , tels qu\'arai-
gnées, lombrics, etc., mais principalement de sca-
rabées. Cette nourriture donneroit lieu de croire
que le crapaud est vénimeux, ou du moins qu\'il
doit être nuisible à l\'homme. Mais j\'ai trouvé ces
mêmes insectes dans l\'estomac des grenouilles,
qu\'on mange cependant comme un ahnient sair^
et délicat.
Le foie du crapaud est fort grand; mais sa vési-
cule du liel est surtout d\'un volume considérable.
Les intestins diffèrent peu de ceux de la tortue.
En un mot, il y a , en général, une singulière^
analogie entre ces deux espèces d\'animaux.
Comme je ne me suis déjà que trop lona-ten.s
arrêté sur ce sujet, je vais terminer ma disserta-
tion , dont le principal but a été de montrer que
(0 Aristote (Hht. anim., lib. IV) a décrit cette singulière
propriété d une manière fort exacte. Les grenouilles ont la lan
§ne singulièrement conformée; car le bout, qui est libre chez les
«utresanin«ux, est immobileche^ eux. - Cependant le côté in
t esc-i.olé et se Joint à la gorge. - Pifne paroît avoir enr-
Piuute latéralement ce passage d\'Aristote, Itb, XI, para^. 65.
la génération du pipa se fait de la même ma-
nière que celle de nos crapauds et de nos gre-
nouilles, et qu\'elle n\'en diffère qu\'en ce que le
premier fait éclore ses œufs et porte ses petits sur
son dos.
Klein-Lankum , le 5 septembre 1760.
-ocr page 441-f l g- u r. b 5.
On voit ici Fadomen et les jambes de derrière
du pipa , dont la plus grande partie des petits
étoient déjà nés sur le dos, ainsi que Ruisch, Li-
vinus Vincent et Seba Font représenté. Je ne donne
pas ici la tête, les jambes de devant ni les intes-
tins, parce que mon but n\'a été que de parler des
parties de la génération. Cet animal n\'a point de
sternum, mais une grande gueule et un ample go-
sier qui aboutit à l\'orifice de l\'œsophage, comme
cela a lieu de même chez nos crapauds et grenouil-
les d\'Europe. Les poumons sont placés entièrement
dans le ventre.
1M
Il ;,J
! j\'Sl
A. D. la vessie urinaire,
B. ie boyau culier.
C. le vagin ou l\'origine de la matrice, laquelle
se termine dans les deux cornes E. G. et F. H.L,
auxquelles on pourroit donner le nom de trompes
de Faloppe.
K. Forifice par lequel les oeufs passent dans les
trompes et ensuite dans la matrice,
L, M. les ovaires qui se prolongent jusqu\'en O. N.
et sont garnis de petits boutons ou germes d\'œufs.
P. Q. les bronches formés de petits anneaux car-
tilagineux , allant vers R. et S.
T. les poumons composés de beaucoup de cel-
lules circulaires , comme dans nos grenouilles et
nos crapauds, et partagés en deux parties S. et T,
U. V. le foie gaucbe ou peut-être la rate.
W. le foie droit avec sa vessicule du fiel Y.
Z, probablement les glandes du mésentère ; ce
que je n\'ose cependant assurer. Le reste s\'explique
assez de soi-même.
La vessie urinaire et Forifice du vagin, ou la ma-
trice, se déchargent dans le boyau culier, comme
chez nos crapauds d\'Europe.
Les sept figures suivantes, savoir, 4, 5, 6, 7,
6, 9 et 10, de la même planche XXXIlï, repré-
sentent des parties des crapauds ordinaires de la
Frise et du reste de FEurope. Les figures 5,6,7
«t 8 sont dessinées d\'après une femelle de la grande
espèce, que, dans la figure 4, on voit couchée des-
sus le dos, avec le ventre ouvert, et les intestins
enlevés.
FIGURE 4.
A. B. la double vessie urinaire se réunissant
en C.
C. D. le sphincter de l\'anus.
E. le boyau culier, lié par le bout.
F. le foie droit, lequel a une vésicule du fiel, la-
quelle se trouve cachée ici derrière le lobe du
poumon.
G. H. le foie gauche ou la rate.
1. le poumon gauche affaissé, par dessus lequel
passe un grand vaisseau sanguin.
K. M. L. N. les ovaires contenant des œufs noirs,
d\'un brun clair et jaunes, lesquels se trouvent to us
renfermés dans une membrane diaphane, et con-
sistent en des tubercules qui ressemblent à celle
de la fig. o de la pl. XL VU de Swammerdam.
0. P. la trompe ou corne droite de la matrice ,
laquelle est d\'un blanc de lait, un peu gonflée et
ereuse, et qui se prolonge derrière le foie, qu\'on a
enlevé ici.
Q. R. la trompe gauche.
1. 2. 3. 4. 5. sont les cinq doigts des pieds de
derrière.
44o CE LA GÉNÉRATION
6. le sixième doigt, qui est fort petit.
1. 9. 5, 4. les quatre doigts des pieds de devant.
A. B. le boyau culier, ouvert par devant après
que Fos pubis a été enlevé.
C. D. quelques petites rides qui se prolongent
en longueur, et paroissent servir à contracter le
boyau culier, pour empêcher qu\'il ne s\'introduise
des ordures dans la rnatrice.
E. F. G. la corne gauche amputée,
H. I. K. la corne droite.
L. Forifice de la matrice.
L. D. C. paroît être le vagin, ou l\'origine de la
matrice.
I. H. C. D. E. F. la véritable matrice fort mince
et diaphane, laquelle se distend considérablement
et contient, comme chez la grenouille, les œufs
au tems du frai. Voyez Swammerdam, pl. XLVII,
fig. 5,//
A. B. Fos zygomatique et son apophyse.
C. D. les muscles masseters, entre lesquels et
l\'os zygomatique on apperçoit le tympan.
FIGURE 7.
A. B. C. le bord de la mâclioire supérieure vu
eu dedans amputé en A, C,
D, E, les narines,
F. G, les trompes d\'Eustache , lesquelles com-
muniquent avec les oreilles.
t:l
;î|
i
i^ffï
figure 8.
Représente un petit crapaud femelle vu par le
dos 5 après qu\'on a enlevé la mâchoire supérieure
et toute l\'épine du dos, ainsi que Fos sacrum.
A. la pointe de la mâchoire inférieure à laquelle
la langue se trouve attachée par sa racine. Voyez
9-
B, C. la gorge,
D, D. Ja partie osseuse amputée du haut de la
tête.
E, l\'anus ou orifice extérieur du boyau culier.
F. Forifice de Furètre dans le boyau cuher,
au-dessous des petits plis ou rides.
G. Comparez avec la fig. 5, C, D. ,
1. H, l\'os du bassin amputé.
K. M. la trompe droite de la matrice.
L. N, la trompe gauche allant le long des reins
et à côté de l\'épine du dos, par dessus les poumons.
K. L. la partie diaphane de la matrice, laquelle
-ocr page 446-HMii
étoit plus ample dans ce crapaud femelle que dans
le premier.
M. 0. N. P. les poumons remplis d\'air. Entre la
pointe de la langue et l\'ouverture de la gorge on
voit un corps saillant avec une fente; c\'esllelarynx
avec la glotte.
r I G u B. E g.
Représente la mâchoire inférieure avec la langue
vues de profil,
A. B. la langue élevée en Pair.
C. D. les muscles rétracteurs.
E. l\'apophyse amputée de la mâchoire.
E. A, F. la mâchoire inférieure.
figue-e lo.
Représente simplement la partie gauche du ven-
tre avec la jambe de devant, pour faire voir Fou-
verture de la trompe, afin qu\'on puisse ia compa-
rer avec celle de la pipa, fig. 5, K.
A. B. le foie gauche ou la rate.
C. E. D. F. le péritoine, qui couvre d\'abord le
péricarde, et forme un pli E. B.
F. E. le bout de la trompe, laquelle passe der-
rière le poumon G. F., et s\'ouvre en I. entre le
foie et le péricarde. La trompe du côté droit est
de la même longueur.
!
SUR LE CHANT OU COASSEMENT
ii\'ti
-ocr page 448- -ocr page 449-SUR LE CHANT OU COASSEMENT
UOIQUE les objets qui nous frappent, en gé-
néral, le plus dans la nature, et que nous cher-
chons avec le plus d\'avidité à connoître, sont ceux
que l^eur extrême rareté semble rendre plus pré-
cieux; il y en a cependant qui, malgré qu\'on les
ait, pour ainsi dire, continuellement sous les yeux,
ne méritent pas moins de fixer notre attention :
dans tous brille également un rayon de l\'éternelle
sagesse qui les rend dignes de nos contemplations.
C\'est par de pareilles contemplations que plu-
sieurs de nos compatriotes, tels, entr\'autres, que
Leeuwenhoek et Swammerdam, sont parvenus à
immortaliser leurs noms. D\'ailleurs, les caractè-
res des animaux sont si difficiles à saisir, qu\'on ne
sauroit trop multiplier les observations, si l\'on ne
veut pas tomber dans de grossières erreurs.
J\'ai observé souvent dans mes promenades au
printems que, dans le tems de l\'accouplement des
grenouilles, quelques-uns de ces animaux avoient
de chaque côté de la tête une grosse vessie blan-
che, tandis qu\'ils sautilloient sur l\'eau vers leurs
compagnes, en poussant des cris aigus ; ce qui du-
roit ordinairement jusqu\'à ce que quelque cause
étrangère venoit les interrompre : elles cessment
alors leurs cris, et au même moment disparois-
soient les vessies de la tête.
Depuis plusieurs années , j\'avois pris et tenu
dans les mains un grand nombre de grenouilles ,
sans que l\'idée me fut venue que ces animaux eus-
sent quelque chose de particulier pour produire
ce phénomène. U m\'arriva ce qui arrive à bien
d\'autres; c\'est-à-dire , que je me contentai d\'ad-
mirer ce singuher effet, sans avoir le courage de
chercher à en découvrir la cause.
Cependant, comme en 1760, j\'étois occupé à
étudier les crapauds de ce pays, pour les compa-
rer aux grenouilles, j\'étois intéressé à ne point me
tromper^\'dans le choix des mâles et des femelles,
par conséquent à bien connoître les caractères dis-
tinctifs que Swammerdam indique pour cela.
En contemplant la pl. XL VI de l\'ouvrage de
cet incomparable naturaliste , je crus remarquer
qu\'il y avoit une différence considérable entre la
fia. 6, où il a représenté les vessies de la grenouille,
des grenouilles. 447
et ce que je croyois avoir observé souvent dans
ces animaux vivans.
Comme je voulois connoître les causes de cette
différence , je fis prendre plusieurs grenouilles ,
pour y trouver, comme un second caractère dis-
tinctif des mâles, la grosseur du pouce pl. XXXIII,
fig. 11, de la patte de devant.
En comparant une grande grenouille avec la fig.
6, pl. XLVI, de Swammerdam, il me parut qu\'il
avoit placé la vessie gonflée exactement derrière
et près de l\'œil, sur le tympan; tandis que dans
ma grenouille cette vessie laissoit libre la fente
de la bouche, fort au-dessous de laquelle elle se
trouvoit, assez loin du tympan , comme je l\'in-
dique ici fig. 12, pl. XXXIII.
Pour procéder avec un certain ordre, j\'enlevai
la mâchoire supérieure de cette grenouille, fig. i5,
et sur-le-champ je découvris la langue fourchue
placée en dedans, que je pliai en avant telle qu\'elle
est figurée D. E. F. G.; ce qui me permit de voir
l\'ouverture de la trachée-artère A. B.
Au fond de la bouche , j\'apperçus, près de la
mâchoire inférieure, deux petites ouvertures ova~
les f. g. J\'y soufflai par le moyen d\'un tuyau de
cuivre, et aussitôt les deux vessies a, h. c. se gon-
flèrent entièrement et se prolongèrent jusque par
dessous la langue d. e.j de manière que ces vessies
»voient la forme d\'un cucurbite dont les ouver-
îures g.f. se trouvoient dans ia partie supérieure
de la gorge.
Ayant couché Fanimal sur le dos, ces vessies se
montrèrent comme je les ai représentées dans la
fig. i4, saillant par dessous en b. c. d. e., comme
cela est naturel à toute cavité membraneuse qu\'on
fait gonfler par le moyen de Fair.
Je pris ensuite une autre grenouille dont je lais-
sai la tête intacte; et, comme je connoissois mairi-
tenantla voie, je fis entrer de l\'air dans la vessie
du côté gauche seulement, après avoir auparavant
dessiné avec soin toutes les parties de la fig. ii,
afin de pouvoir indiquer, par comparaison , les
changemens qui pourroient avoir lieu.
J\'obtins , en soufllant, une vessie blanchâtre ,
diaphane et joliment tissue de veines, fig. 12, a.
h. c., qui se prolongeoit jusqu\'à l\'avant-bras , en
laissant un espace assez remarquable entre cette
partie et le tympan h. i.
Je fus convaincu par-là que la figure donnée
par Svvammerdam ne représente pas la vessie à sa
véritable place.
Enfin , ayant examiné avec attention le côté
droit de la bouche, je trouvai qu\'elle étoit con-
forme au dessin que j\'avois fait du côté gauche ;
«avoir, que la vessie distendue, fig. 3.3, a. b. c.,
se trouvoit repliée sur elle-même au-dessous du
tympan , et y formoit un ph profond en h, i, /?, ,
fig. II, lequel pli paroît alors se réunir avec la
fente de la bouche j tandis qu\'autrement cette
fente est beaucoup plus petite, comme on le voit
fig. 12, k. L
Ces vessies ont une enveloppe musciileuse, qui
sert à ies vider totalement quand l\'animal n\'y
chasse pas l\'air avec effort. On peut se former une
idée de la figure supérieure, inférieure et latérale
de cette enveloppe par les figures 12, i5 et i4;
ainsi que de son rétrécissement ou col en c. è,,
fig. i4.
\\oici donc quel est le mécanisme du chant des
grenouilles. L\'animal aspire le plus d\'air qu\'il peut
et le force à passer par la trachée-artère à la ra-
cine de la langue. Là, par la protubérance D.E.,
fig. i3, l\'air se trouve comme partagé en deux,
pour passer en quantité et force égales dans les
deux vessies a. b. c., lesquelles sont alors forte-
ment gonflées.
De ces vessies, l\'air, comprimé par leur enve-
loppe musculeuse, est renvoyé vers la bouche et
la langue, et produit de cette manière le cri aigu
qu\'on ne connoît que trop pour qu\'il soit néces-
saire de le décrire ; il seroit difficile d\'ailleurs de
le mieux rendre que l\'a fait l\'ingénieux et plai-
sant Aristophane,
Au moment que l\'aspiration se fait , ou bien
lorsque l\'animai chasse à volonté l\'air des vessies
ces vessies se replient entièrement ou en partie
««r elles-mêmes. La langue peut boucher ktéra-,
lèment les petits orifices des vessies g.j., bg- »
et les tenir pleines, tandis que l\'animal aspire un
nouvel air par ses narines.
Si les poumons de la grenouille n\'étment pas
fort grands, et ne se trouvoient pas places le long
de toute la poitrine et du ventre, cet animal ne
pourroit pas pousser des cris aussi forts et auss.
percans. Mais, par ce moyen, il presse l\'air comme
les oiseaux, non-seulement avec les côtes, mais
également avec les muscles de l\'abdomen, par la
glotte A. B., fig. i3, jusque dans les vessies, et le
fait sortir de là par la bouche.
Il paroît que Swammerdam ne s\'étoit pas pro-
posé de décrire ces vessies en particulier. H se con-
îente de dire (i) : « Qu\'on peut reconnoitre infail-
« liblement les mâles des femelles, par deux ves-
« sies qu\'ont les premiers, « ( qu\'il place immé-
diatement derrière les yeux, ph XLVI, fig. 6)
rt et qui ne se trouvent pas dans les femelles. »
Dans l\'explication des planches, il répète la même
chose, pag. 1 lo : (C Les deux vessies, nu m., dit-il,
« qu\'on voit à coté des yeux de ces grenouilles in-
« diquent que ce sont des mâles. )>
On s\'apperçoit donc facilement, tant par sa des-
; 0 Bibl. Nac,, tom. H, pag- 792-
-ocr page 455-DES GRENOUILLES,
eription que par ses figures, qu\'il a pensé que ces
vessies prenoient leur origine à l\'endroit où il les
a indiquées, et où se trouve exactement le tym-
pan de l\'oreille ; que par conséquent il a plutôt
mal vu que mal conjecturé en ceci ; ou, pour mieux
dire, qu\'il n\'a pas été attentif à considérer la chose,
comme n\'ayant pas un rapport direct avec le prin-
cipal but de ses recherches.
Mais comme l\'autorité de ce grand homme pour-
roit induire en erreur, j\'ai pensé que cette obser-
vation sur son ouvrage, ne pourroit qu\'être agréa-
ble à ses justes admirateurs.
Il paroît que Harvey a pris ces vessies pour les
vésicules du poumon qui sortent de la bouche lors-
que l\'animal respire fortement. « Les grenou-lles
« et les crapauds, dit-il, respirent plus fortement
« pendant l\'été que dans d\'autres tems, et aspirent
« alorsplus d\'air dansleurs innombrables bronches
« (ce qui occasionne cette gran de t umeur), d\'où elles
« chassent ensuite cet air quand elles coassent (i). )>
Pline cependant savoit déjà, et très-bien, que c\'est
dans la bouche et non dans la poitrine des gre-
nouilles que se fait le bruit que ces animaux font ,
entendre.
Dans ma dissertation (2) sur la génération du
[\\)De Gener. anim. Exer. III, pag 5.
(2j Verhand der Marl. Maatsch., Vldceî, i st., pag. 277.
pipa, j\'ai remarqué que la langue de cet animal
se trouve comme retournée sans devant derrière,
attachée par sa base à la partie antérieure de la
mâchoire inférieure; et que la pointe de celle des
crapauds, ainsi que les deux pointes de celles de
nos grenouilles est placée librement dans le fond
de la bouche par dessus la fente de la trachée-ar-
tère; observation qu\'Aristote avoit déjà faite.
Quoique Pline suive assez généralement dans
ses descriptions ce grand philosophe, je ne puis
me passer cependant de citer ici celle qu\'il fait si
admirablement de cette partie de la grenouille et
de la manière de chanter de cet animal : « Les gre-
« nouilles ont leur langue attachée par le bout, et
« le reste libre vers le gosier : c\'est par ce méca-
(( nisme qu\'elles forment ces sons aigus , par les-
<( quels, en certains tems, les mâles, appelés alors
V. hurleurs {otolygons), invitent les femelles à
« l\'accouplement. Pour cet effet, la grenouille mâle
« prend dans son gosier un peu d\'eau qu\'elle agite
(( en remuant la mâchoire inférieure, et en se-
« couant, en même tems, la langue; car c\'est ainsi
« que se forme le cri dont nous parlons; alors les
a environs de leur bouche sont gonflés et luisans;
« et leurs yeux, poussés en dehors par les efforts
a qu\'elles font, paroissent enflammés et ardens. \'>
Pline a fort bien connu ces vessies; mais, d\'après
ee que j\'ai dit plus haut, il ne paroît pas néces-
salre que l\'animal hume de l\'eau pour produire cet
effet.
Pline ignoroil aussi peu que Swammerdam que
ce chant et ces vessies des grenouilles ne sont pro-
pres qu\'aux mâles seuls; mais c\'est Swammerdam
qui le premier a remarqué Pépaisseur du pouce ,
fîg. 11, o., que les femelles n\'ont pas.
Aucune espèce de nos crapauds n\'a ces vessies;
aussi ces animaux sont-ils muets comme la femelle
de la grenouille. Cependant toutes les grenouilles
mâles n\'ont pas ces vessies. Chez plusieurs gre-
nouilles d\'Amérique, ces vessies sont, ou très-pe-
tites , de manière qu\'elles ne forment aucune pro-
tubérance latérale quand elles sont remplies d\'air|
ou bien elles manquent même totalement.
Comme je ne possède pas une assez grande col-
lection de ces animaux, je dois laisser à d\'autres
les observations qui restent encore à faire à cet
égard.
Klein Lankwm, le 5 juillat 3771.
-ocr page 458-figure 11.
Eait voir une grenouille vue 4u côté gauche
avec la vessie repliée sur elle-même en Je. i. A., ce
qui fait paroître la fente de la bouche i. p. plus
grande que Je. l. de la fig. is. >
h.p. la bouche.
l. la paupière inférieure, laquelle est la seule
qu\'ait cet animal : elle se meut de bas en haut.
m. n. le tympan.
o. la grosseur du pouce, laquelle est, suivani
Swammerdam, le caractère distinctif du mâle,.
i
I
figure 12.
Représente une autre grenouille vue également
du côté gauche.
a. b, c. la vessie fort transparente avec son ré-
seau de veines.
k. L la bouche.
m. le sourcil, ou plutôt la paupière.
i. h, le tympan couvert d\'une membrane.
I
FIGtTRE l5.
Représente la tête d\'une grenouille dont le crâne
et le palais sont enlevés.
A. B. la partie supérieure de la trachée-artère
avec la glotte.
C, l\'œsophage.
D. E. F. G. H. la langue retournée en avant.
J). E. élévation du dessous de la langue, laquelle
est retournée ici.
G. H. F. la fourchette de la langue.
F. et G. ses deux pointes.
a. b. c., a. b. e. les vessies gonflées d\'air.
g.f. l\'ouverture ovale dans le bas de la bouche.
a, h. c, d. e. conformation intérieure des vessies.
-ocr page 460-figure l4.
Les vessies de la même grenouille vues par des-
sous, a. h. c. d. e.
M
À
DE
Et de leurs diversités dans les différentes
espèces.
ppqi
DE
Toutes les fois que j\'ai examiné la structure
interne des animaux, j\'ai admiré Fobservation du
grand Galilée (i), que l\'on y rencontre toujours
de nouvelles merveilles î J\'en ai déjà donné plu-
sieurs preuves dans l\'exposition de la génération
des crapauds de Surinam; dans celle de l\'organe
de l\'ouïe des poissons ordinaires, des poissons car-
tilagineux et du cachalot, que j\'ai présentée en
partie à l\'Académie royale des sciences, en partie
à la Société de Harlem. Parmi les descriptions que
je n\'ai pas encore eu le tems d\'achever, aucune
ne m\'a paru plus digne d\'attention que celle des
cavités qui se trouvent dans les os des oiseaux,
principalement dans ceux qui environnent le
tronc.
(0 Syst. Cossuse. Dialog. II, pag. sio.
-ocr page 464-Les os du bras, les clavicules, les os de la poi-
trine , les vertèbres du dos, les os des îles, et dans
plusieurs les os de la cuisse, sont tout-à-fait creux,
sans moelle, et reçoivent dans leurs cavités , par
la respiration , l\'air, qui, par ce moyen , rend les
oiseaux plus légers et plus capables de s\'élever
dans l\'air.
C\'est une découverte tout-à-fait nouvelle, qui
sera d\'autant plus agréable à l\'Académie, qu\'elle
est purement physique. Je l\'ai faite au mois de fé-
vrier de l\'année passée, lorsque j\'étois occupé à
faire des recherches sur les oiseaux, pour déve-
lopper le mécanisme de la respiration qui y est
fort singulière.
Je savois, d\'après les réflexions de Galilée (i) et
de Borelli (2), que les os des oiseaux étoient creux
et minces, afin qu\'ils puissent plus facilement
voler : ces deux grands hommes ont été unique-
ment attentifs à la substance des os. Galilée sur-
tout, qui a très-évidemment prouvé, en les com-
parant avec des tuyaux de bois ou de métal, qu\'un
os de la même longueur et pesanteur étant creux,
avoit plus de force qu\'un os de la même pesan-
teur et longueur, mais plein (3) ; il a même ajouté
(1) De Meehan. Dial. II, pag. iSa.
ta) De Motii anim. Proposit, 194, pag. i56.
(5) Ibid.
-ocr page 465-cette règle admirable : Que la force des os creux
est à celle des os solides, dans ce cas, comme leurs
diamètres (i). Cette réflexion peut non-seulement
être appliquée à la structure des os en général,
mais aussi à celle des plantes, dans lesquelles nous
voyons de pareilles cavités sans moelle, mais rem-
plies d\'air.
Borelli (2) a développé, dans l\'explication du
vol des oiseaux et du mécanisme de leurs ailes, la
connoissance parfaite qu\'il avoit de la composi-
tion de leurs os (5), de la cavité de leur poitrine
et de leur bas-ventre, ainsi que de l\'air qui rem-
plit ces deux cavités.
La respiration des oiseaux est aujourd\'hui trop
connue pour avoir besoin d\'une explication parti-
culière; mais la respiration dans les os du tronc,
des aîles et des cuisses mérite un détail particu-
lier. C\'est à cette considération seule que je me
bornerai dans ce mémoire.
Je l\'ai appelée une découverte, parce que je
ne connois aucun auteur qui en ait indiqué ia
moindre chose. Il est bien vrai que M. le comte de
Marsigli (4) a su que les os du bras, dans le pé~
(1) De Mechan. Dial II, pag. iSa.
(2) Pioposit. 182, pag. 146.
(3) Proposit. J94.
(4) Daniib. Fran. My sic., tom. VI, tab. 8 , pag. iq et s^q.
-ocr page 466-lican, étoient creux et sans moelle, et très-légers;
mais il n\'a pas songé à l\'air, ni à la manière dont
l\'air devoit entrer dans cette cavité.
M. le comte de Buffon ,1e plus grand naturaliste
que nous ayons eu depuis Aristote, n\'a pas ignoré ce
que Galilée et Boreili ont communiqué à ce sujet:
il en fait usage dans son excellent discours sur la
nature des oiseaux (i); mais il n\'a pas su que les
cavités de ces os reçoivent l\'air au lieu de moelle,
et que ce fluide y entre par la respiration.
On m\'apporta, le lo février 1771, un grand ai-
gle de mer (2), tel que ceux dont on tire annuel-
lement une grande quantité aux environs de cette
ville pendant la gelée. Je disséquai les côtes, sur-
tout les crochets et leurs muscles, etc. Je préparai
un os de la cuisse, principalement pour montrer
sa cavité et les fibres qui soutiennent en dedans la
lame osseuse dans cet animal. Je croyois y trouver
de la moëlle, mais je n\'y trouvai qu\'un périoste ,
une grande veine i. k. l.j, qui le tapissoit, et les
traces de l\'air épanché, comme je l\'ai représenté
pl. XXXIV, fig. 6.
Eîonné de cette singularité, j\'allai sur-le-champ
examiner les squelettes d\'un aigle, d\'un ara et d\'un
hibou : je trouvai un très-grand trou sous le grand
i ,
(0 Pag. i6, 33, 54-
(2) L\'orfraie de Buffon, Hist. nat, des oiseaux, t.I,
-ocr page 467-fû
in AN s LES oisEXtJXV \'463
trochanter du squelette de Faigie; je n\'en apper- \'\'ir^^
çus aucun vestige dans les autres; mais je remar-
quai de très-grands trous sous les têtes des os du
bras de tous mes squelettes d\'oiseaux. J\'examinai
donc les bras dans l\'aigle avec beaucoup d\'atten-
tion; j\'ouvris cet os suivant sa longueur, je n\'j
rencontrai point de moelle, mais le périoste, com-
me dans les os de la cuisse, et une ouverture fort f
grande à la partie intérieure de la tête de l\'bume-
rus, pl. XXXIV, fig. 1, a. b. c. Voilà une analo- ;
gie. L\'air pouvoit entrer par ces trous dans les ca-
vités des os; mais je ne sa vois pas encore com- |
ment il pouvoit pénétrer jusqu\'à ces ouvertures? i
J\'avois par hasard un hibou qui étoit mort. Je fis |
un petit trou à l\'extrémité de Fos du bras, fig. 5, \'
idem^ j\'appliquai un tuyau de cuivre, et soufîlant j
je vis avec bien du plaisir que toute la pohrine et
le bas-ventre s\'enflèrent : l\'air sortoit par la tra-
chée-artère à mesure que je soufflois. Je liai donc,
pour avoir une contre épreuve, la trachée-artère
autour de mon tuyau ; et soufflant j\'eus la satis- Çj:
faction de voir sortir l\'air par le petit trou fait à i
l\'os du bras, lorsque j\'y appliquois la flamme il\'
d\'une bougie, ou quelque corps léger, ou une pe-
tite plume.
L\'os de la cuisse de ce hibou, quoique perforé,
ne transmettoit pas l\'air ; aussi n\'y avoil - il pas
d\'ouverture sous le trochanter.
É
Mi
-ocr page 468-La poitrine et le bas-ventre de l\'aigle étoient
trop blessés pour répéter ces expériences ; )\'ôtai
donc les boyaux, je soufflai par l\'os de la cuisse,
et je vis que la plèvre qui va jusque dans le bas-
ventre , formoit un conduit membraneuxj, qui,
allant le long des vaisseaux cruraux, aboutissoit à
l\'ouverture de îa cuisse d. e,f., fig. 6, et qui don-
noit passage à l\'air pour entrer librement dans la
cavité de cet os. Cela redoubla mon ardeur pour
pousser plus loin mes découvertes.
Je me fis donner des magasins à provision, un
dindon , quelques poulardes : je perforai de la mê-
me façon îes extrémités des os du bras; j\'y appli-
quai mon tuyau , et soufilant, je vis avec surprise
la poitrine et la bas-ventre s\'enfler comme dans
le hibou; les fémurs n\'admetteient pas l\'air, n\'é-
tant pas vides, mais remplis de moelle comme
dans les hibous. Dans le coq de bruj^èrc l\'expé-
rience réussit comme dans l\'aigle , car ils ont des
trous sous le trochanter, fig. 8, d. e.f.
La cigogne, dont on me montra le squelette, a
les os du bras pareillement vides et remplis d\'air,
et un trou considérable b. c., fig. 3. Elle a aussi
les cuisses vides , et un trou manifeste sous le tro-
chanter, fig. d. e.f
J\'imaginai dès-lors que je trouverois ies os du
bras vides dans la plupart des oiseaux; mais que
je ne trouverois les cuivssesperforées et perméables
BANS ï. E s O r S E A U X. 465
à Fair que dans ceux qui volent très-haut, comme
les aigles, les cigognes, et tous ceux qui ont le
corps pesant et beaucoup de muscles, etc.
Cette conjecture fut vérifiée par la dissection
d\'un moineau : ses cuisses se trouvèrent, aussi bien
que ses bras, remplies de moelle, aussi ne vole-t-il
pas haut, ni long-tems de suite. L\'allouette, par
exemple , qui remplit Fair de son chant mélo-
dieux, se soutient long-tems sur ses aîles: ses bras
sont creux, remplis d\'air, et ils ont une ouver-
ture très-considérable.
Je désirois alors ardemment d\'avoir des sque-
lettes d\'autruche, de casoar et de pingoin, pour
savoir si les os des bras étoient remplis d\'air? Je
formois déjà une conclusion négative; je priai M,
le professeur Allamand de Lejde d\'examiner le
squelette de l\'autruche; il eut la bonté de me ré-
pondre qu\'il n\'y avoit aucune ouverture sous la
tête de Fos humerus de cet oiseau. Je ne trouvai
nulle part le squelette d\'un casoar ni d\'un pin-
goin ; j\'ai reçu depuis deux pingoins du Cap de
Bonne-Espérance, dans de l\'esprit de vin; je n\'ai
pas encore eu le tems de disséquer les parties dont
il est question.
Borelh (i) a déjà fait une très-belle remarque,
que les aîles sont plus grandes à mesure que les
s : \' <li
M\' ii-
Il
(i) Proposit. 182.
III.
,■1\'
M
3o
oiseaux volent plus haut; mais la nôtre rend leur
mécanisme plus curieux et plus intéressant.
Je reviens de cette digression à l\'aigle dont
j\'examinai très-attentivement les clavicules et les
soutiens des omoplates, les omoplates mêmes, 1 os
fiternum, les côtes et les vertèbres du dos : j ai
trouvé tous ces os creux , vides , remplis d air ;
même l\'os sacrum et les os des îles.
Je fis le 24 février 177 I5 les expériences suivan-
tes sur nn hibou étouffé.
1°. Ayant ôté le grand muscle pectoral, et per-
foré l\'os du bras près de son extrémité, je soufflai
dans ce trou, et j\'apperçus sur-le-champ une grande
poche membraneuse entre les deux pectoraux, qui
alloit le long des vaisseaux et des nerfs brachiaux,
donnant un conduit membraneux vers l\'ouver-
ture qui se trouve près de la tête de cet os ; cette
poche s\'enlloit aussi lorsque je soufflois par la tra-
chée-artère.
2°. Je décharnai le soutien osseux de 1 omo-
plate , qui étoit articulé, avec le sternum ; j\'y fis
nne ouverture très-petite; j\'y soufflai, et la même
poche s\'enfla à plusieurs reprises.
50 Je perforai la lame extérieure du sternum ,
près de son union avec les soutiens ci-devant dé-
crits : l\'air passoit aussi immédiatement dans la
poitrine et dans le bas-ventre. Fresque tous les oi-
seaux ont des trous dans Fiutérieur de cet os , et
la plèvre est la continuation du périoste interne des
cellules de cet os.
4°. Je fis la même expérience sur les clavicules
et je m\'apperçus pareillement de leur communi-
cation avec la cavité de la poitrine.
5°. Je décharnai la partie postérieure de l\'os des
îles; je perforai la lame osseuse extérieure et l\'air
passa par ses cellules dans la poitrine comme si
j\'avois souftlé par la trachée-artère.
6". L\'air passoit aussi par les corps des vertè-
bres du dos, après avoir décharné leur corps, per-
foré la lame osseuse et appliqué un tuyau.
7°. Les côtes sont aussi vides, et reçoivent l\'air
par plusieurs trous qui sont visibles en dedans de
la cavité de la poitrine; aussi peut-on, par la mê-
me opération , souffler l\'air par les côtés , dans
la pohrine, comme par îes autres os ci-devant
nommés.
J\'ai répété les première, seconde, troisième,
quatrième et sixième expériences sur un aigle, le
i5 mars 1771, devant mes auditeurs, au théâtre
anatomique, avec le même succès.
8°. J\'ai perforé l\'os de la cuisse de cette orfraie ;
j\'y ai apphqué mon tuyau, et l\'air a passé facile- ^
ment dans la poitrine de cet animal. Ayant souf-
flé par la trachée-artère, l\'air a sorti par ce même
trou avec tant de violence qu\'il m\'a été facile, par
ce moyen, d\'éteindre une chandelle très-promp-
lement. :!■
il
-ocr page 472-Je ne saurois dire si la même structure a lieu
dans les autres oiseaux; cela exige un examen plus
particulier: il suffit que Faigle, dont la vélocité et
la hauteur du vol sont les plus grandes, et dont la
force, tant pour voler que pour saisir et déchirer
sa proie, doit être nécessairement plus grau de ; que
Faigle, dis-je, se rende plus léger, non-seulement
par Fair qui dilate ses poumons, sa pohrine et son
bas-ventre, mais encore par Fair qui remplit les
cavités de ses os.
Il est très-probable, par les expériences faites
sur le hibou,que la nature se sert du même méca-
nisme dans tous les oiseaux de proie.
Il est pareillement très-probable que dans Fau-
truche, le casoar et les pingoins, on ne trouvera
aucun os creux; que dans les cignes, les oies et les
canards les os du bras seuls seront vides el remplis
d\'air; et seulement en partie dans les dindons, les
poules et les perdrix; car ces derniers ont les os des
bras en partie remplis de moelle, en partie d\'air;
ou bien, pour parler plus généralement, il est ap-
parent que les os sont vides et remplis d\'air , à
proportion que les oiseaux portent le vol plus ou
moins haut.
Galilée et Borelli ont prouvé que la substance
des os dans les oiseaux étoit concave comme dans
les flûtes; mais ils ont supposé qu\'elle étoit remplie
d\'une moelle huileuse, beaucoup plus légère que
Fos, M. de Mai-sigli a observé que Fos du bras dans
le pélican étoit vide et rempli d\'air. Je me flatte
d\'avoir découvert que dans beaucoup d\'oiseaux ,
et dans les oiseaux de proie, tous les os qui peu-
vent avoir communication avecla poitrine ou l\'ab-
domen , sont remplis d\'air, et j\'ai prouvé les ou-
vertures par lesquelles l\'air entre régulièrement,
et s\'y renouvelle par la respiration.
L\'air qui entre, et qui remplit ainsi les cavités
des os, doit nécessairement devenir plus léger par
la chaleur du corps; moyennant quoi l\'animal,
devenu spécifiquement plus léger que l\'air même,
vole avec plus d\'aisance.
Cette découverte nous fiiit voir outre cela que
la moelle n\'est pas nécessaire pour la nourriture,
ni pour l\'accroissement des os, ni pour oindre les
articulations, ni pour la formation du cal: j\'ai
trouvé très-souvent l\'os du bras, dans les poules,
cassé et parfaitement guéri. J\'ajoute, pour que la
démonstration soit plus entière, la figure d\'un tel
os, fig. lo, pl. XXXIV.
L\'ossification reçoit par-là beaucoup d\'éclair-
cissemens, et paroît devoir être examinée d\'après
ce nouveau plan.
Il n\'est pourtant pas sans exemple, même dans
notre corps, de voir la substance celluleuse des os
Remplie d\'air; les apophyses mastoïdiennes reçoi-
vent l\'air par les trompes d\'JEustache.
■ f:
^■i. I
La tête de l\'hibou fournit un autre exemple
aussi curieux: l\'air entre dans le diploë du crâne
entier par les trous auditifs; caries oiseaux n\'ont,
point de trompes d\'Eustache, comme les quadru-
pèdes et les amphibies.
Ayant disséqué, le i5 décembre 1770, un des
pingoins que j\'avois reç?us du Cap de Bonne-Es-
pérance, de la seconde espèce de diomeda de Lsn-
naeus, édh. X. pag. 2i4, je trouvai ses os pleins ,
ainsi que cela devoit être d\'après l\'explication que
j\'en ai donnée.
Quelque tems après , on m\'apporta nn plon-
geon de l\'espèce que Linnseus, ïbid., pag. 222,
appelle colymbus immer, dont les ailes sont trop
petites pour qu\'il puisse voler. Dans cet oiseau
les os du bras sont pareillement remplis de moelle
et sans trous aériens. Aussi les os de ces deux es-
pèces d\'oiseaux n\'admeltent-ils pas l\'air.
Les os des cuisses de ce plongeon méritent l\'at-
tention des naturalistes, en ce qu\'ils n\'onl point de
trochanter, dont la structure avec celle desmuscles
est si admirable. Le périoste est noir dans cet oi-
seau, eî sa couleur se détache comme celle de l\'u-
vée des yeux de la plupart des animaux.
La tête de l\'éléphant fournit encore une preuve
plus frappante; mais il est tems de finir ce mé-
moire, après avoir donné une explication courte
des figures , sans lesquelles la description auroit
été moins instructive et moins claire.
PLANCH E XXXIV.
Représente la partie supérieure de Fos du
bras gauche de Forfraie : a. h. c. le trou par où
l\'air entre.
figure 2.
La partie supérieure de Fos du bras gauche de
la cigogne: a. b. c. le trou aërien.
FIGURE 3.
L\'os du bras gauche du hibôu; «. b, le trou a«-
472 DE LA STRUCT. DBS OS
rien ; p. le trou fait à la partie inférieure pour ap-
pliquer le tuyau.
L\'os du bras droit d\'un dindon : a. b. c. le trou
aérien.
L\'os du bras droit d\'une poule : a. b. c. le trou
aérien.
L\'os de la cuisse gauche de l\'orfraie: d. e.f. le
trou aérien sous le trochanter h. ; g. la tête de cet
os; i. l. /. m. les piliers pour donner de la force à
l\'os, qui sans cela seroit trop mince; i. L m. n. la
veine qui tapisse le périoste interne.
L\'os de la cuisse gauche de la cigogne : d. e.f
îe trou aérien ; h. le trochanter; g. la tête de l\'os.
f i g u b- e 8.
L\'os de la cuisse gauche du coq de bruyère ;
d. e. ƒ le trou aérien.
A
FIGURE g.
L\'os de la cuisse droite de la poule , sans trou
aërien.
FIGURE 10.
L\'os du bras droit d\'une poularde : a. h. le trou
aërien j q. r. la fracture parfaitement unie par
le cal.
E
: \'i
à!
s
ii,!-
ir::
1 : ;
\'■i.1
LETTRE
SUR L E MÊME S U J E T,
Adressée aux éditeurs d\'un journal littéraire
intitulé Hedendaagsche Vaderlandsche Letter-
oeffeningen.
474
essieurs,
M
Ift
C\'est avec plaisir que j\'ai vu dans le troisième
volume de votre journal hebdomadaire (1), la
Dissertation de M. John Hunter, sur les in-
terstices entre les muscles et les ca vités des os
des oiseaux , par lesquels Vair communique avec
leurs poumons , que vous avez traduite du LXIV®.
volume des Transactions philosophiques de Lon-
dres 5 volume qui n\'est arrivé en Hollande qu\'en
ii
tï^
<»)N?. 10, 1774, pag. 421.
-ocr page 479-automne de l\'année 1774; tandis que cette disser-
tation avoit été lue dans la Société Royale le 27
février 1774. J\'ai été, en même iems, charmé que
vous m\'ayiez rendu la justice de remarquer : « Que
a déjà le 2 mars 1771 j\'avois communiqué à la So-
« ciété Batave de Rotterdam, cette découverte, et
(( par conséquent trois ans avant que M. liunter
(c en ait parlé. ))
Cette concurrence d\'idées devoit en attendant
fixer l\'attention des savans de notre pays, et les en-
gager à comparer ma dissertation avec celle de M.
Hunter; et cela d\'autant plus que le prendex vo-
lume de la Société Batave de Rotterdam a paru
plus tard que le volume LXIV des Transactions
philosophiciues. On auroit pu donc facilement ne
point prendre en considération la date de ma dis-
sertation ; ou bien, comme cela arrive souvent, la
négliger volontairement ; ce qui auroit nuit à la
})riorilé de ma découverte.
Afin de lever tout doute à ce sujet, je vais four-
nir les preuves les plus péremptoireâ])our montrer
que j\'ai en efi\'et découvert et communiqué, trois
ans avant M. Hunter, cette singulière propriété des
oiseaux; eî je produirai, en mêuie tems, les nou-
velles observations que j\'ai faites depuis ce tems-
là, par la dissection du casoar, de l\'autruche, de
la corneille mpntelée, du hibou et d\'autres oi-
seaux.
1. {ƒ.■.
Ptavi, et non sans raison , je pense, d\'avoir fait
cette belle découverte dans les oiseaux, le 11 fé-
vrier 1771, je la communiquai sur-le-champ à plu-
sieurs de mes amis , et , entr\'autres , à M- Alla-
mand , à Leide. J\'ai conservé , pour des raisons
particulières, la réponse que ce savant me lit à ce
sujet. Je lui avois promis mes observations sur le
renne (lesquelles ont paru en 1771, en forme de
supplément à l\'édition d\'Amsterdam de l\'/^ïstoire
-nai. de M. le comte de Bulfon ); et je lui commu-
niquai, dans la même lettre, ma découverte de la
cavité des os des oiseaux. Voici la réponse qu\'il me
fit: ((Je vous remercie d\'avance de vos observa-
<c tions sur le renne que vous avez la bonté de me
(( iaire espérer, etc.—-Je n\'ai point encore eu l\'oc-
« casion de faire l\'expérience qui prouve la com-
« munication entre l\'abdomen et les gros os des oi-
« seaux; mais après ce que vous m\'en avez dit, je
« crois la chose comme si je l\'avois vue. — Je vais
« partir pour la Gueldre , où j\'aurai des oiseaux
a de diverses sortes en abondance , pour vérifier
«votre belle découverte.» Cette lettre est sans
date, mais a cependant été écrite au commence-
ment de l\'année 1771, comme il paroît par la pu-
blication de mes observations sur le renne.
J\'avois, en même tems, prié M. Allamand d\'exa-
iiiieer ie squelette de l\'autruche ; sur quoi il me
répondit, dans une autre lettre du 20 juin 1771:
« Votre découverte du passage de l\'air dans les os
« des oiseaux me paroît de plus en plus intéres-
« santé, et vous ne serez pas fâché d\'apprendre que
« votre conjecture sur les os de l\'autruche est vraie,
« au moins dans un squelette que j\'ai de cet oi-
« seau ; et je n\'ai pu découvrir aucun vestige
« de la moindre ouverture, ni dans l\'os humerus^
« ni dans celui de la cuisse. 11 en sera sans doute
« de même du casoar; ce qui paroît indiquer que
« vous avez trouvé le véritable usage de cet airpas-
« sant dans les os; puisque ces deux oiseaux, non
« plus que le pingoin, ne volent point (i). m
Cependant il se passa dix-huit mois sans que
j\'eusse quelque espérance qu\'on accorderoit bien-
tôt l\'insertion de ma découverte dans les actes de
la Société Batave de Rotterdam, à laquelle je Pa-
vois envoyée.
Cela me détermina à faire passer mon mémoire
à M. Portai à Paris; ce queje fis le 21 novembre
1772, avec quelques additions en françois, en le
priant de le faire insérer dans les mémoires de la
Société Royale des sciences, avec quelques obser-
vations anatomiques sur le fourmilier du Cap de
Bonne-Espérance, sur le pécari (Sus sp. 3 clorso
(0 On voit par ces deux lettres que déjà en 177,, M. Aliamand
connoissoit non-seulement ma découverte, mais qu\'il l\'avoit m-irne
constatée par ses propres expériences.
478 DE LA STRUCT. DES OS
cystifero , cauda nulla. Linn., gen. o5), et sur
Torgane de Fouie et les events des cachalots, etc.
M. Portai me fit l\'honneur de me répondre le 16
mars 1775, que les observations que je lui avois
fait passer avoient été trouvées d\'une si grande im-
portance par les membres de l\'Académie , qu\'ils
avoient chargé MM. Daubenton, Tenon et Portai
de faire des observations sur les oiseaux que j\'a-
vois cités; et M. Portai me marqua ensuite, en date
du 26 avril 1774, qu\'ils avoient fait ces observa-
tions, dont ils avoient été fort satisfaits, et qui
s\'étoient trouvées parfaitement conformes à ce que
j\'avois dit; de sorte que l\'Académie Royale des
sciences, à qui ils en avoient rendu compte le sS
avril de la même année, les avoit jugées dignes
d\'être insérées dans son recueil; preuve certaine
qu\'à cette époque personne n\'avoit encore eu la
moindre connoissance de cette structure singu-
lière des oiseaux.
Comme une nouvelle preuve, inutile sans doute,
que j\'ai fait beaucoup plutôt que M. Hunter cette
découverte, je vous envoie ici une dissertation la-
tine que M. LadislasCharnack, Hongrois, a lue, le
25 août 1775, dans une séance publique de l\'uni-
versité de Groningen , sur la respiration des oi-
seaux (1). M.. Charnack me rend la justice d\'avoir
(1) Sissen, medha de inspiraiione voluorum.
-ocr page 483-le premier fait la découverte de cette singulière
propriété, puisqu\'il dit : cc C\'est le célèbre Camper
« qui le premier a découvert que les oiseaux res-
« pirent aussi par les cavités des os des bras , des
« cuisses et du tronc même, etc. (1). » Si l\'on com-
pare celte dissertation avec celle que j\'ai envoyée
à la Société de Rotterdam , on verra qu\'elle s\'y
rapporte exactement. Cela n\'est pas surprenant :
M. Cbarnack a été un de mes plus assidus audi-
teurs, à qui j\'ai souvent répété mes observations
sur cet objet ; ainsi qu\'il en fait aussi expressé-
ment mention : cc Le célèbre Camper a souvent
cc fait, en présence de ses auditeurs , des expé-
« riences de cette espèce sur le bibou , sur l\'ai-
« gle, etc. (3}. ))
Ces preuves convaincantes font voir incontes-
tablement que j\'avois déjà, à cette époque, une
connoissance parfaite de l\'intromission de l\'air
dans les cavités des os des oiseaux, dont M. Joliii
Hunter n\'a parlé à la Société Royale de Londres
que le 27 février 1774, Je vais donc passer main-
tenant aux corrections que j\'ai faites depuis ce
tems à ma dissertation.
(1) Respirationem avium etiam per ossa cava humeri, femorum
et ipsius trunci exerceri, monalium primus cel. Campcrus cie-
iexic, etc.
(2) yaria hujus generis experimenla in noctua et aquila corata
uuditoribus tuis inttimit cel. Camporus, etc.
Dans la dissertation que j\'ai envoyée le 2 mars
1771 à la Société Batave , je dis expressément :
« Cependant les oiseaux n\'ont point, comme les
« quadrupèdes, des conduits qui viennent aboutir
« dans la bouche ou dans la gorge; mais il y a pro-
« bablement une ouverture dans la longueur du
©
(( conduit auditif pour amener et rafraîchir l\'air
« entre les lames osseuses de la tête. )) Je suis
d\'autant plus certain à cet égard que déjà en 1745,
lorsque j\'étois encore à l\'étude, j\'ai connu et fort
exactement dessiné l\'organe de l\'ouïe des oiseaux;
mais ce ne fut que le 12 novembre 1774 que je
découvris, pour la première fois, l\'issue des con-
duits auditifs dans la bouche d\'une autruche qui
servit à mes rechercher sur cet objet; et lorsque
je me trouvai une fois sur la route, il ne me fut
pas difficile de faire la même découverte dans le
coq, dans la cheveche, dans la corneille mantelée
et dans d\'autres oiseaux. Je m\'apperçus alors de
la cause de mon erreur. Ils n\'ont qu\'une ouver-
ture commune pour les deux trompes d\'Eustache;
et cette ouverture se trouve placée fort cachée en-
tre les deux apophyses digitiformes au-dessus de
l\'oesophage.
Du Verney, Casserius , Blasius , Valentin et
Collins même, quoique ce dernier ait bien connu
ces apophyses, qu\'il nomme processus cristati,
ne font aucune mention de celte ouverture.
Les devoirs multipliés de la place de profes-
seur que j\'occupois alors, me laissoient peu de
loisir pour lire, ou parcourir même, toutes les dis-
sertations qui nous viennent d\'Angleterre. Au-
jourd\'hui que je suis libre, je trouve que le doc-
teur Allen Monten avoit déjà décrit en 1681 ces
conduits, ainsi que leur réunion avec les cavités
entre les parois osseuses de la tête dans les oi-
seaux. On n\'a qu\'à consulter Badham ou Low-
tborp (1), lequel dit: « Il n\'y a qu\'un conduit
« creux {aquœduclus) dans la tête de tous les pi-
« seaux, exactement au milieu du palais au-des~
« sous de l\'endroit où s\'y fait l\'insertion des nari-
« nés. -— C\'est un conduit membraneux, qui va
«par derrière jusqu\'à la communication d\'une
(( oreillie à l\'autre, y Comme c\'est en 1771 que je
suis tombé dans cette erreur , il paroît que c\'est
par l\'essai suivant que j\'y ai été conduit. Ayant
fait un trou dans la lame de la tête, d\'une
chouette,je trouvai que l\'air sortoit avec une telle
violence par les ouvertures des oreilles , que j\'en
éteignis la flamme d\'une chandelle; ainsi que cela
a été confirmée par M. Charnack (2). La violence
(1) There is but one aquaeductus in the head of all the fowls
exactly in the middle of the palate, below the insertion of the
nostrils into it. — It is a membraneous tube, which reaches bak-
ward as far as the communication from ea^ to ear.
(.a) ibid., pag. i3.
xii. 5i
-ocr page 486-483 DE LA struct. des os
avec laquelle je soufflois avoit rompu le tympan y
parce queles conduits d\'Eustache sont trop étroits
pour laisser passer assez vite tout cet air.
Dans la chevêche {strix passe,rina , Linn.) que
je disséquai le 35 décembre 1774, je lis une pe-
tite ouverture en haut au-dessus des orbites des
yeux, dans la lame osseuse extérieure. Je soufflai
ensuite par le conduit d\'Eustache, et la flamme
d\'une chandelle que je tins vis-à-vis l\'ouverture
que j\'avois pratiquée, confirma la communication
et le rapport de M. Hunter (1), ainsi que la dé-
couverte que le docteur Monten avoit faite il y a
près d\'un siècle. J\'ai renouvelle depuis cette même
expérience sur des corneilles mantelées, des coqs
et d\'autres oiseaux , et toujours avec les mêmes
succès. Dans les coqs il faut faire l\'ouverture der-
rière l\'oreille.
Quant aux apophyses très-éminentes dont j\'ai
parlé dans le supplément de ma dissertation , je
dois remarquer ici en passant, que Willougby a
bien publié un dessin fort grossier de ces apophy-
ses dans son ornithologie (2), mais sans en donner
la description , quoiqu\'il ait d\'ailleurs indiqué
la situation de l\'os de la cuisse. Meyer (5) les a
(1) Ibid., pag. aïo.
(2) Fig. 63.
(3) Kur^ Forstell. allerh. ihtere, î^iui-. 1748: B. I, fig. 99« \'00-
-ocr page 487-DANS LES OISEAUX. 48
de même parfaitement bien figurées dans le plon-
geon , sans en parler dans son texte.
M. Hoffmann,fameux médecin de Batavia, au-
trefois un de mes plus zélés disciples , et à qui je dois
plusieursinorceaux précieux de ma collection, m\'a
voyé des Grandes-Indes un casoar conservé dans
de Farac, après qu\'on eut ôté les intestins. Les os
des bras sont, proportionnellement à la grosseur
de son corps, extraordinairement petits, et ne re-
çoivent absolument point d\'air, non plus que les
os des cuisses et les côtes; mais il y a de l\'air dans
les cavités entre les os des îles et Fos sacrum. Cet
oiseau ne court pas bien vite, et ses aîles sont en-
core beaucoup plus petites que celles du pingoin
du Cap de Bonne-Espérance. Chez cet oiseau l\'on-
gle du milieu des pieds n\'étoit pas le plus grand,
comme le prétend Linnaeus (i) ; mais c\'étoit Fon-
gie intérieur, lequel étoit une fois plus long que
tous les autres.
Peu de tems après que M. Pennant fut arrivé à
la fin de septembre 1774 de Hollande à Leeuwar-
den avec un éléphant, une autruche et d\'autres
animaux , l\'autruche vint à mourir, pour avoir
avalé trop de monnoie de cuivre. Fachetai cet oi-
seau mort en octobre ; mais différentes occupations
(i) Dixième édition, pag. 265.
-ocr page 488-484 de la struct, des os
me forcèrent d\'en différer la dissection jusqu\'au 6
novembre 1774.
L\'autruche est un oiseau trop connu el a été
trop bien décrh par Perrault, Vahsneri, Brown,
Ranby, Warren et Buffon , pour qu\'il soit néces-
saire que je m\'arrête ici à parler de sa forme ex-
térieure. Je remarquerai seulement que c\'est avec
étonnem^ent que j\'ai vu que Valisneri , Brown ,
Perrardt, Klein, Brisson et Linnseus n\'ont pas ob-
servé l\'ongle du petit doigt du pied , tandis qu\'il
a visiblement nn demi-pouce et même souvent
trois quarts de pouce de long. Il arrive bien quel-
quefois que la peau écailleuse couvre cet ongle ,
mais on peut cependant toujours l\'appercevoir.
Johnston, Cheselden et Meyer ont, en cou ire, re-
présenté ce doigt fort grand; peut-être par défaut
d\'attention, ou parce qu\'ils se sont imaginés que
cela devoit être ainsi.
J\'ai trouvé (et c\'est de quoi il s\'agit ici) dans
l\'autruche ce que M. John Hunter y avoit remar-
qué, savoir, qu\'il n\'entre point d\'air dans les os
des bras, mais bien dans tous les autres os, comme
chez tous les autres oiseaux; c\'est-à-dire, dans les
vertèbres, dans l\'os sternum, dans les côtes, eîc. ;
et, ce qui est ici l\'objet principal, dans les os des
cuisses. Le 11 décembre 1774, étant à préparer un
squelette de cet oiseau, je remarquai au côté an-
térieur de l\'os de la cuisse un assez grand trou aë-
rien , partagé en plusieurs petits trous entre les
condyles; de soi-te que cet os de la cuisse est non-
seulement rempli d\'air; mais il pai\'oît même vrai-
semblable que l\'air sort de nouveau entre les in-
terstices membraneux des muscles. Cependant cela
demaode de nouvelles recherches.
L\'air pénètre jusqu\'au bout du coccix, le long
des apophyses épineuses. Il remplit le grand in-
terstice de l\'os sacrum , et des os des hanches ,
dans des membranes particulières qui communi-
quent avec le ventre et avec la poitrine.
M. J. Hunier avoit donc raison, etjene suis pas
le seul qui me soit trompé. La cause de cette der-
nière erreur paroît consister en ce que ces trous ne
se trouvent pas, comme dans l\'aigle , dansla cigo-
gne, dans le coq de bruyère, etc., au côté anté-
rieur , mais tout-à-fait au côté postérieur de la
cuisse; de sorte que ce n\'est qu\'avec peine qu\'on
ies y découvre, d\'autant plus qu\'on ne les y sup-
pose point.
M. Hunter dit que l\'air pénètre aussi dans la
moelle alongée : c\'est ce que j\'ai trouvé vrai dans
line corneille mantelée; après que j\'eus coupé le
cou par le milieu, et introduit un tuyau de cuivre
entre la moelle épinière et ses membranes, j\'y fis
entrer assez facilement de l\'air, jusqu\'à ce que
j\'eus fait distendre le ventre; et Fair sortit ensuite
par un trou que je fis à Fos du bras. Je coupai la
486 DE LA STRUCT. DES OS
tête à une autre corneille mantelée, entre l\'occi-
put et l\'atlas; mais il me fut impossible d\'intro-
duire l\'air dans la moelle épinière. Il me païoît par
des expériences que j\'ai faites, tant sur des cor-
neilles mantelées que sur des ])oules, que l\'air
peut pénétrer dans les vertèbres du cou.
J\'avois déjà apperçn , mais cependant pas aussi
distinctement que je l\'aurois désiré, que la man-
dibule inférieure de l\'autruche, du héron , du bu-
tor et de la corneille étoit remplie d\'air. H paroît
que M. Hunter avoit remarqué la même chose dans
îe pélican : « La mandibule inférieure du pélican ,
« dit-il, est également fournie d\'air; mais par quel
(C moyen? c\'est ce que j\'ignore (i). »
J\'ai cherché à connoître ce moyen , et je l\'ai dé-
couvert évidemment dans l\'autruche, dans le hé-
ron et dans le butor. Il est facile de l\'appercevoir
dans la corneille mantelée. Au côté supérieur des
apophyses placées en arrière de la mandibule in-
férieure, lesquelles sont courbées en dedans, ily
a un trou rond, assez grand dans l\'autruche, pour
qu\'on puisse y introduire une plume à écrire; dans
le héron et d\'autres oiseaux ce trou étoit plus pe-
tit ; mais cependant apparent et spacieux. De ce
trou part un conduit membraneux , lequel court
(i) The lower jaw of the pelican is also furnished with air ,
but by what meansildo not know, ibid,, png. an.
«1 niontanî derrière le tympan, et va s\'attacher à
nn semblable trou un peu au-dessous du bord
d\'en haut du tambour. C\'est par ce conduit que
l\'air pénètre des cavités entre les lames osseuses
de la tête dans la mandibule inférieure; de ma-
nière que la mandibule inférieure reçoit l\'air par
les conduits d\'Eustache.
C\'est avec la corneille mantelée qu\'on peut le
mieux faire cette expérience, en pratiquant un trou
dans la partie cornée de la mandibule inférieure,
et en faisant un autre trou derrière l\'oreille ,
après qu\'on aura enlevé la peau. Qu\'on souffle
alors par un tuyau de cuivre alternativement l\'air
dans l\'un et dans l\'autre trou. Quand on tiendra la
lêîe avec un de ces trous dessous l\'eau, on en verra
sortir l\'air avec effort; et si l\'on enlève le muscle
de derrière la mandibule inférieure, on apperce-
vra fort distinctement le conduit membraneux.
La découverte de cette partie m\'appartient don^
Ma considération , comme si les trous dans les os
des oiseaux étoient particuliers à ceux qui volent
long-tems et fort haut, dont j\'ai parlé dans mon
mémoire, paroît bien, en quelque sorte, perdre
de son poids, par ce que je viens de dire mainte-
nant relativement à l\'autruche , mais elle n\'est
pas néanmoins entièrement détruite, puisqu\'on sait
que l\'autruche court avec une extrême vitesse, et
vole même le long de la terre; ce ^u\'il ne sauroit
faire, si leCréaîenr n\'avoit pas consHlérablement
diminué son poids, en lui donnant cette admira-
ble structure. Ceci deviendra plus clair encore si
l\'on se rappelle ce que le comte de Buffon dit d\'a-
près M. Martine (i), que la chaleur naturelle des
oiseaux èst bief? plus grande que celle de l\'homme,
et qu\'elle doit par conséquent rendre l\'air dans
toutes les cavités des os sensiblement plus léger
que celui de notre atmosphère. I.e casoar, dont la
course n\'est pas rapide, n\'a pas les os des cuisses
et des bras, etc., vides, ainsi que je l\'ai déjà re-
marqué.
Les bécasses, les hirondelles de mer et les moi-
neauxn\'ont pas les os des braset des cuisses vides.
Les plumes de la queue de ces oiseaux paroissent
réparer ce défaut; d\'ailleurs, ces oiseaux ne vo-
lent ni fort haut, ni fort long-tems de suite.
Par ces mêmes raisons, je ne puis me détermi-
ner à abandonner mes conjectures, pour adopter
celles de M. John Hunter: <( Que toutes ces cavités
« ne sont q ue des appendices des poumons, et qu\'on
(( ne doit les considérer que comme des réservoirs
« d\'air. »
Franelier, le i5 janvier <775.
(i) Suppl. tom. I, pag, 84, note C.
-ocr page 493-SUPPLÉMENT
Au mémoire sur la structure des os des oiseaux.
ï. Dans ma lettre aux éditeurs des Heden-
daagsche VaderlandscheLetteroeffeningen, j\'ai
déjà observé (i) qu\'il y a un grand trou aérien au
côlé postérieur de l\'os de la cuisse de l\'autruche.
Je pense que le lecteur sera charmé de trouver ici
le dessin d\'un pareil os, pris d\'up jeune autruche,
et rendu avec une grande fidelhé, quoique réduit
en petit.
La figure 11 de la planche XXXIV représente
l\'os de la jambe droite vu par devant: A. est la
tête; B. le grand trochanter; D. et C. sont îes con-
dyles qui sont réunis avec le tibia par des articu-
lations, auxquelles E. appartient aussi. Ily a quel-
que chose qui n\'est visible qu\'en partie, c\'est i\'é-
pipbyse de la partie supérieure a. h. ; de même que
C. d. e.f. g. est l\'épiphjse de la partie inférieure
de l\'os de la jambe.
On voit clairement que de ce côté-ci il n\'y a point
de trou visible; mais au côté de derrière, où A. B.
C. D. eî E. indiquent cette même partie dans la
fig. 12 de la pi. XXXIV, on apperçoit fort distinc-
tement les grands trous ncriens h. i. h. l. m. a la par-
lie supérieure, et q. à la partie inférieure, au-
dessus du cartilage C. et E. Ces trous étoient cou-
verts d\'un périoste; de manière cependant que ce-
lui-ci laissoit d\'assez grandes ouvertures pour que
l\'air put passer en quantité suffisante dans les os.
Je dois ici beaucoup de remercimens au savant
M. Bloch , médecin à Berlin , pour la réception
amicale qu\'il m\'a faite pendant mon séjour dans
oêtte ville , et pour l\'envoi qu\'il a bien voulu me
faire d\'une outarde mâle {otis, gen. gô, sp. edit.
X Linn.) A l\'os creux de la jambe de cet oiseau
il y a un trou aërien remarquable, mais exacte-
ment au-dessus du grand trochanter; il paroît donc
que la situation de ce trou varie beaucoup dans
plusieurs oiseaux, quoiqu\'il se trouve, à la vérité,
presque toujours au côté antérieur de l\'os.
I>ans ie faisan couronné des Indes ( columha ,
Linn., gen. io4, sp. 17 ), j\'ai trouvé de même l\'os
de la jambe rempli d\'air, et le trou aërien placé
sur le devant de l\'os, comme dans l\'aigle, la ci-
gogne, le coq de bruyère , etc.
Dans nne spatule (platalea gen. Bo,sp. i,
Linn.), qni avoit été disséquée l\'hiver précédent,
ies os des jambes étoient totalement remplis de
moëlle. îi étoit remarquable qu\'entre les muscles
du coccix (glutei) il y eut deux grandes poches
aériennes, qui ressembloienî à celles qui sont en-
tre ies muscles pectoraux, lesquels étoient aussi
fort considérables. L\'air pénétroit jusque danstous
les os de la poitrine et du ventre, de même que
dans les os des cuisses et de l\'os sacrum.
I
§. II. Quoique les trous par le moyen desquels
l\'air pénètre dans îa mandibule inférieure des oi-
seaux terrestres , aient été suffisamment décrits
dans ladite lettre (i), je crois qu\'il.est nécessaire
de me faire mieux comprendre à cet égara, par
les dessins de ces parties : j\'ai donc , dans la fig.
j5 de la pl. XXXIV représenté la mandibule in-
férieure d\'une autruche et dans la fig. i4 celle de
la troisième espèce de calaos {huceros, gen. 74^
Linn. ) , ainsi que celle de la quatrième espèce de
calaos, dans la fig. i5. La fig. i(> représente la
mandibule inférieure toute entière d\'une corneille
mantelée {cornix, gen. 5o, sp. 5, Linn.). Dans la
fig. 17 on voit la mandibule inférieure d\'un héron
[ardea^ gen. 84, sp. la). Toutes ces mandibules
sont de grandeur naturelle et vues par en haut.
A. et B. dans les fig. i5 eî 17, mais A. D. dans
les fig. i4, i5 et 16, sont les épiphyses intérieur\'es
des extrémités de la mandibule inférieure. C. en
est la pointe; mais comme dans les fig. i4 et i5
les mandibules des calaos ont. été tronquées, C. C.
y indiquent l\'endroit où cette amputation s\'est
faite.
r. indique dans toutes ces mandibules le trou
aërien, auquel est attaché le conduit qui vient de
l\'intérieur de l\'oreille , et qui reçoit l\'air par les
conduits d\'Eustache.
La mandibule inférieure des oiseaux aquatiques,
tels que le cigne, les canards, l\'oie, les pingoins
et autres semblables , ne reçoivent absolument
point d\'air, non plus que les autres os delà tête.
Il paroît que la nature a voulu par-là rendre leur
tête plus propre à plonger.
III. Quoique rien ne soit plus aisé à démon-
trer que la manière dont l\'air s\'introduit dans tous
ies os qui entourent la cavité de la poitrine, il me
parut cependant difficile à deviner comment l\'air
peut remplir toutes les vertèbres du cou jusqu\'à la
tête.
En disséquant, le 24 novembre de l\'année der-
nière 1780, la spatule, je découvris fort évidem-
ment un conduit d\'air qui de la cavité antérieure
de la poitrine passoit le long de toutes les vertè-
bres du cou jusqu\'à la tête. L\'oiseau étoit trop gras
pour qu\'il me fut possible de suivre ses autres con-
duits aériens.
Le 27 novembre, je fis tuer un héron , dans le-
quel je découvris trois conduits aériens, qui par-
toient du côté antérieur de la plèvi^e. Un de ces
conduits passoit par devant le long des vertèbres
du cou , comme dans la spatule, et deux latérale-
jnent entre les muscles intertransversaires, c\'est-
à-dire, qui se trouvent placés entre les apophyses
transverses des vertèbres. Chaque vertèbre prend
une branche de ces conduits et se remplit d\'air
, par ce moyen. Mais je n\'ai pas pu découvrir encore
. comment l\'air peut s\'introduire jusque dans la
dure membrane qui enveloppe la moelle alongée.
11 est probable que pour cela il faudroit faire des
injections avec du mercure, tant sur les côtés de
la poitrine que le long du cou, etc. Mais cela
demanderoit les recherches non d\'une seule per-
. sonne mais de plusieurs. En attendant que cela se
fasse, je vais, en forme de récapitulation, résumer
avec une espèce de conviction ce que j\'ai dit plus
haut.
1°. Que l\'air pénètre, dans les oiseaux, par le
nez entre les lames osseuses du front et le vomer,
comme dans l\'autruche, la corneille mantelée, le
héron et autres.semblables oiseaux.
2". Que le crâue et toute Ja mandibule infé-
TÏeure reçoivent l\'air par les trompes d\'Eustacbe.
3®. Que les vertèbres du cou reçoivent l\'air par
les trois conduits de la cavité antérieure de la poi-
trine, dont j\'ai parlé plus baut.
4". Tous les os autour de la poitrine ot du ven-
tre ont de grands trous qui aboutissent intérieu-
rement dans la plèvre, et qui admettent iacilement
l\'air aspiré par la trachée-artère.
5°. Les os des bras et les poches aériennes qui
se trouvent entre les muscles pectoraux reçoivent
l\'air immédiatement de la cavité de la poitrine par
les vaisseaux brachiaux.
6\'\\ Les os de la cuisse reçoivent l\'air, par des con-
duits membraneux, de la plèvre ou des trous aé-
riens qui vont de dessus les iirtestins jusqu\'aux os des
hanches: ceux-ci sont de même accompagnés des
vaisseaux cruraux. Ils ont quelquefois la loi me d©
grandes vessies entre les muscles coccigiennes ,
ainsi que je l\'ai observé dans la spatule.
Il se pourroit que la même chose eut lieu dans
l\'autruche et dans d\'autres oiseaux. Peut-être y
a-t-il par derrière des poches aériennes qui vont
en descendant par dessous le muscle crural. Mais
j\'avois tant à observer dans la dissection de ce grand
et rare oiseau , relativement aux yeux, aux pieds,
aux intestins, etc., qu\'il me fut impossible de tout
examiner avec le soin convenable.
7®. Les oiseaux aquatiques ne paroissent pas
avoir d\'air dans la charpente osseuse de ia îête, ni
même dans leurs autres os.
8®. Quelques oiseaux , tels que les bécasses {rus-
ticiila ou holopax J gen. 86, sp. 6) et autres sem-
blables , n\'ont absolument point d\'air dans leur
charpente osseuse , et volent cependant loin et fort
long-tems. Mais dans tous ces oiseaux les muscles
pectoraux sont assez forts pour un pareil vol, et
i\'apophjse de l\'os sternum est très-grand.
Ou voit aussi dans les chauve-souris que la na-
ture compense la grande pesanteur qui résulte de
la rnoëlle des os , en opposhion de l\'air, par la
force des muscles qui meuvent les ailes, et par la
grandeur des ailes mêmes.
§. IV. Quoiqu\'il en soit, je fus fort satisfait
lorsque j\'apperçus que les pennes primaires de l\'ai-
gle sont creuses jusqu\'au bout. J\'ai remarqué la
même chose aux pennes primaires du héron et de
la spatule; et il y a lieu de croire que cela a éga-
lement lieu dans plusieurs autres oiseaux.
Une observation qui me semble digne des natu-
ralistes, seroit de savoir comment l\'air s\'introduit
dans ces pennes, et pénètre dansles tuyaux des plu-
mes de tous les oiseaux? comment enfin il parvient
dans les piquans du porc-épic, etc. ? il est certain
qu\'il n\'y a point de conduits aériens aui v ailient
496 de la stru #t. d k s o s , etc.
de la poitrine. De quelle manière cela s\'opère-t-il
donc? Il est probable que ce sont les vaisseaux
sanguins qui j conduisent Fair; de même que nous
voyons que les plantes portent Fair dans leurs con-
duits aériens? Quoiqu\'il en soit, il paroît que la
nature a voulu nous faire un mystère de cette ad-
mirable propriété; et, malgré que le célèbre Pou-
part (1) ait fait quelques essais pour en découvrir
ie mécanisme, et que Perrault en parie (2) dans sa
description de Fautruche, tous les autres natura-
listes n\'ont pas moins gardé le silence sur ce point
important et obscur.
(i) Hist. de VAcad. royaledcssciences,aunée 1699, p- ««-B",
(3) Mém. pour servir à l\'hist, nat. des anim., part. II, pag. 273.
FIN du troisieme volume.
-ocr page 501-CONTENUES
Préface, 7
p r E M i È r K L E ç o N.
Des principaux vaisseaux sanguins du cou, des
jambes de derrière et de devant des bêtes à
cornes , et de la position naturelle de leurs in-
testins dans le ventre , 17
» SECONDE LEÇON»
Des quatre estomacs enjparticulier, du foie,
de la rate , efc^ > ainsi que des viscères de la
poitrine, 52
III. 53
-ocr page 502-De la rumination des animaux purs et impurs^
et -particulièrement des bêtes à cornes, 49
QUATRIÈME LEÇON.
Histoire, nature , symptômes et guérison de
l\'épizootie actuellement régnante , 76
Explication des planches , i4o
Supplément aux Leçons sur l\'épizootie, 147
■ \' \' \' cl l\'article de la mesure des mâchoi-
Lettre adressée aux Etats-Généraux des Pro-
vinces-Unies , i58
De l\'inoculation de l\'épizootie, de ses avanta-
ges et dès précautions qu\'elle demande, 178
Examen d\'un passage de l\'instruction de sa
majesté prussienne de relativement à la
décomposition des peaux des bêtes d cornes ^
187
Du bilzucht, ou des tumeurs qui surviennent
aux cuisses clés jeunes veaux , 199
DE L\'EDUCATION PHYSIQUE DES ENFANS.
Epitre dédicatoire à MM. les directeurs et mem-
hres delà Société des sciences de Harlem, 217
225
CHAPITRE I.
De là procréation des enfans,
C H A P î T R E 11.
Des soins qu\'il faut prendre des nouveaux-nés,
. 227
CHAPITRE IIL
De la TLourriture des enfans , 249
CHAPITREIV.
De Vinstruction des enfans, 270
CHAPITRE V.
Des défauts naturels aux enfans,
CHAPITRE VI.
S\'il faut inoculer les petits enfans .
277
294
psscours lus a l\'acad, »e dessin.
Beux discours sur la manière dont les dilFérenteS
passions se peignent sur le visage, 3o5
Premier discours ^ ibid.
Du Beau physique, ou de la Beauté <ïes formes, 571
be la génération du pipAj gu crapaud
d\'amérique, 423
observations sur le chant ou coassement
des grenouilles males, 445
de la structure des os dans les oiseaux , 457
471
Explication des planches,
Lettre sur le même sujet, adressée aux éditeurs
d\'un journal littéraire i/zfo\'^M/e Hedendaagsche
Vaderlandsche Letteroelfeningen, 474
Supplément au mémoire sur la structure des os
des oiseaux.
FIN DE LA TABLE,
-ocr page 506-Page 3o lîpie 15 «ont placés, lisez est placé.
31 4 placé«,//je« placé.
96 21 lié, li^es liée. «
166 i5 peu,/wca pu.
182 6 inoculées, lisez inoculés.
194 delà note, répondoit, lisez répondit.
264 34 j\'ai,/wez j\'aie:
279 22 evec, lisez avec.
507 iles,/weale.
iiid, 31 atrocees, liseg atroces.
35S 6 ofaservatïens, lisez observations.
38o ao et qui de plus est, lise^ et qui plus cit.
-ocr page 507- -ocr page 508-