CONTRE
ET
Prealem et SBrttaire I\'m CoitÈ ie portms ie rempmt Rojal de Portugal de 1832.
188 O.
BLIKMAN amp; SARTORIUS, AMSTERDAM.
I. Oct.
CONTRE
ET
Presiitüt et SecrétaitB t\'aa Coiité ie portetrs Je Fkpmt Eoyal
de Portugal de 1832.
.......... — ---------
Tmprimerie BLIKMAN amp; SAETORIUS, Amsterdam.
La cause qui fait l\'objet des ces pages, n\'agite pas seule-ment une intéressante question de droit international; elle soulève un point eminenament curieux d\'histoire contemporaine; elle met en presence la loyauté de^ transactions, avec son langage parfois brutal, et la raiseu d\'Etat, avec ses ressorts tenebreux. L\'origine dn procés n\'est pas tout a fait inconnue de nos lecteurs. A la fin du mois d\'aoüt dernier, un jugement correctionnel prononce par défaut contre MM. Battaeel et de Reilhac, condamnait le premier a quatre mois d\'emprisonnement et 3,000 francs d\'amende; le second ii 3,000 francs d\'amende, pour s\'être rendus coupa-bles d\'offence euvers le roi de Portugal.
Dans quelles circonstances le délit, si délit ii y avait, avait-il été commis?
Le comte de Reilhac et M. Baïtarel sont, l\'uu président, l\'autre secretaire d\'un comité de porteurs d\'un emprunt de 40 millions dont les titres, remontant a 1832, sont, consi-dérés par le gouvernement portugais comme dénués de valeur, sous ce prétexte: qu\'ils n\'ont pas été émis pas un souverain legitime. Vers avril 1879, ce gouvernement annon^ait I\'in-tention de coutracter un emprunt nouveau. Emoi tres vit\', parmi les possesseurs des coupons anciens. Le secrétaire du syndicat fit placarder une affiche qui, sous le titre: «Emprunt royal du Portugalquot;, contenait cet avis:
»Les porteurs des 38,750 obligations portugaises dont les «coupons et ramortissemem restent en souftrance et qui ne »se seraient pas encore fait connaitre sont invités a se faire »inscrire, avant le 15 aoüt, an secretariat de la commission «syndicale, rue Amelot 138, pour prendre part iila réunion »annuelle qui doit avoir lieu prochainement, etc.quot;
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D\'autres créanciers du Portugal adoptèrent une mesure plus radicale: ils mirent en veute publique, au rabais, leurs titres de 1832. C\'était porter uu coup funeste ïi la sous-cription projetée. Aussi était-elle raorte avant mome de naitre. Le gouvernement portugais ne renongait pas ii sou desseiu, toutefois. II se borna ïi changer de système en traitant directement avec le Coraptoir d\'escompte. On était au mois du juillet. Un placard tout pareil ïi celui d\'avril fut appose sur les murs de Paris, a un millier d\'exemplaires environ.
Ce défi au crédit d\'une nation voisine appuyée par un puissant établissement financier n\'avait pas été jeté sans de nombreuses démarches préalables de conciliation. Le Portugal, qui avait su trouver en France des actionnaires complaisants, reucontrait aussi des égards, sur cette terre classique de l\'urbanité. En sa qualité de président du comité des por-teurs francais, M. de Reilhac s\'était concerté avec ses col-lègues pour une tentative auprès du ministre plénipotentiaire du royaume portugais. M. Mendès-Léal. Aucuu résultat n\'était sorti, d\'ailleurs. de eet essai d\'entente. M. Mendès-Léal avait quitté Paris, léguant la suite des négociations a un chargé d\'affaires intérimaire, le comte de San Miguel. Le 1quot; aoüt, M. de San Miguel signifiait a M. Battarel, signataire unique de l affiche dout M. de Reilhac acceptait néanmoins la respousabilité, que par les termes »emprimt royalquot; et »en souffrancequot; accolés 1\'un ii l\'autre, le gouver-nemeut du Portugal était directement diffamé et son roi offensé. Le leudemain, M. Battarki, protestait par ministère d\'huissier.
Onze jours s\'écoulèrent. Le comte de Reilhac manifestait rintention l)ien formelle de ue pas capituler. Le 13 aoüt. la chambre syndicale des agents de change recevait une opposition en règle a [quot;admission a la cote du nouvel emprunt portugais émis par le Comptoir d\'escompte de Paris. Le 16, MM. de Reilhac et Battarel étaient assignés a comparaitre devant la lO\'quot; chambre, a la requête du gouvernement portugais, représenté par M. de San Miguel. Les paragraphes de l\'assignation qui précisent la demande méritent d\'etre reproduits :
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Aitendu quequot; Battarel a fail apposer des affiches sur les murs de Paris;
»Que ces affiches contienneut uue imputation de nature» porter atteinte a l\'honneur et ii la consideration du gouvernement portugais, puisqu\'il est dit que 38,750 obligations de l\'emprunt royal du Portugal sont restées en souffrance, mot souffranct imprimé eu gros caractères,
Que Battarel accuse aussi le gouvernement portugais de ne pas payer ses dettes;
Que, dans la signification du 2 aoüt, MM. le conite de Reilhac et Battarel out dirigé les imputations les plus outra-geantes contre le gouvernement portugais; qu\'il y est dit notamment que »cette manière de payer ses dettes est contraire a tous les principes d\'équité, de droit civil et de droit des gens,quot; . .. . V
M, l\'avocat de la République Calary occupe le siége du ministère public.
M\'1 Duuieb plaide pour la partie civile.
Les prévenus sont assistés de Mcquot; Barboux, Lachaud et H. Beckkr, avocats.
M. le comte de San Miguel et le gouvernement portugais sont représentés par M\'! Cobïot, avoué, qui depose des conclusions tendant au maintien du jugement attaqué et a son insertion dans dix journaux.
Après les questions d\'usage adressées aux prévenus, la parole est donnée a Me Baiiboux.
Mc Baiiboux, avocat de M. de Reilhac, s\'exprime en ces termes:
La poursuite dirigée contre M.M. de Reilhac et Battarel par le gouvernement portugais demeurera certaiuement l\'un des épisodes les plus curieux de la hitte soutenue depuis quarante ans par des particuliers contre un gouvernement qui se raille de leurs droits.
Tl est vrai que ces droits out déja été reconuus par le gouvernement portugais lui-tnême devant les représentants du peuple qu\'il dirige et en face de l\'Europe entière; il est vrai qu\'ils out été proclamés a la tribune d\'uue Chambre fran^aise certains et incontestables; il est vrai que sur le
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terrain juridique ces droits ont ete affirmes par des hommes tels que Vatimesuil, Odilon Barrot, Laboulaye, Dufaure, Rousse, Berryer.
Mais il est vrai anssi que, las d\'entendre une plainte importune, ce gouvernement in juste essaie auiourd\'hui de Faire condamner comme diffamateurs les créanciers dont il garde 1\'argent, et, j\'hésiterais a le dire si le Tribunal ne le savait déja, il est vrai qu\'il y a réussi.
Par défaut sans doute; et s\'il fallait un exemple de plus du peril auquel la justice est exposée quand elle se laisse entrainer par une parole isolée, vous le trouverez dans ce procés. Vous allez connaitre aujourd\'hui la vérité des faits, et quand vous les comparerez a ceux qu\'on vous a fait croire et dire, vous demeurerez profondémeut surpris. Ne croyez pas d\'ailieurs que nos clients soient effrayés d\'avoir a rendre compte de leurs écrits et de leurs actes. Depuis qu\'ils sont charges des intéréts qu\'ils représentent et qu\'ils déteudent, ils n\'ont cessé de désirer le moment oü la question sortirait enfin des images de la diplomatie, de souhaiter l\'heure oü l\'on ouvrirait devant eux cette arène judiciaire oü tout est égal, oü il n\'y a plus ni ministres ni sujets. oü l\'on appelle les choses par leur nom sans s\'embarrasser dans les notes et les protocoles. Cet instant est venu par la volonté méme de nos adversaires, et puisqu\'ils veulent une explication, nous la leur donnerons avec une entiére franchise, mais sans oublier la courtoisie dont l\'élévation de leur rang uous fait un devoir, facile d\'ailieurs a remplir.
J\'aurais peut-être avantage ii vous raconter les faits dans leur ordre strictement chronologique, parce qu\'rn effet lors-que vous conuaitriez les circonstances dans lesqaelles I\'em-prunt a été souscrit, les promesses faites par le gouvernement portugais, les efforts teutes par le gouvernement francais, l\'opinion des publicistes et des jurisconsultes, la poursuite vous paraitrait si mesquine que j\'aurais a peine besoin de la discuter.
Mais je m\'exposerais ainsi a ce que le Tribunal ne saisit pas aussitót l\'a-propos de certains détails que je dois lui donner, tandis qu\'en vous faisant connaitre d\'abord la procedure et les questions que souléve ce procés, votre convic-
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t.ion se formera d\'elle-même sur les faits et, sur les documents, a luesure qu\'ils vous seront racoutes et produits.
Le Tribunal sait déjii que les porteurs de l\'einprunt extérieur de 1832 réclament du gouvernement portugais unc satisfaction que celui-ei n\'a pas refuse u ses propres sujets. Dès 181:0, il s\'est formé parmi ces malheureux souscripteurs deux comités: un comité hollandais et un comité francais. L\'avant-dernier président du comité francais était M. Pinoudel, vice-présideut du Tribunal de la Seine; le président actuel est M. le comte de Reilhac. et M. Battarel est secrétaire de ce comité.
Les directeurs de ces comités out entrepris par les seuls moyens que laissaient a leur disposition l\'inévitable exception d\'incompétence, une lutte persévérante contre leur débiteur, et ils out réussi jusqu\'ici a faire fermer au gouvernement portugais les bourses étrangères sur lesquelles ii pouvait tenter d\'émettre de nouveaux emprunts.
Le gouvernement du Portugal, — ce point n\'est point contesté et est d\'ailleurs officiellemeut exact, — a depuis longtemps des budgets qui se soldent par des déficits. Comment y pour voir? par des emprunts a l\'intérieur? Depuis longtemps il n\'y faut plus songer: ils s\'adressent done a l\'éfranger et d\'ordinaire ïi la Bourse de Londres, car per-aonne n\'ignore l\'état de vassalité politique et commerciale du Portugal vis-a-vis de l\'Angleterre. Mais a la fin. la Bourse de Londres fut saturée de ces emprunts, et on songea naturellement a la France, qui produit a la fois les tra-vailleurs les plus économes et les plus merveilleux action-naires. En avril 1879, on paria d\'nn projet d\'empruni portugais. Les porteurs s\'émurent; le comité, pour les con-voquer, s\'adressa a la presse et fit placarder rafficbe suivante. exactement semblable a celle qui est aujourd\'hui iucriminée:
*Emprunt royal du Portugal de 40 millions de francs, divisé en 40000 obligations de 1,000 fr., émission de 1832, remboursables en trente deux aus depuis le lquot;1\' septembre 1833, émises ii la Bourse ii 700 fr. et totalement libérées. garanti par tous les revenus de l\'Etat, suivant décret royal signé k Lisbonne, le 5 octobre 1832. Les versements en retard sur ces obligations ont été l\'objet de poursuites
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judiciaires de la part du gouvernement portugais jusqu\'en 1842.quot;
Réunion des portenrs (confomémeut aux decisions prises par Fassemblee générale du 20 mai 1878) den 38,750 obligations en souffrance.
»Les porteurs des 38,750 obligations portngaises dont les coupons et ramortissement restent en souffrance et qui ue se seraient pas encore fait connaitre sont invités a nouveau a se faire inscrire avant le 15 aoüt, au secrétariat de la commission syndicale, rue Araelot 138, pour] prendre part a la réunion annuelle qui doit avoir lieu prochainement eu la salie du Vaux-Hall, rue de la Douane.
alls devront justifier de leurs titrss et autant que possible des borderaux de souscription ou d\'acbat.
»Pour les membres de la commission syndicale élus par l\'assemblée générale du 20 mai 1878,
» Baïtahei., secrétaire, »Rue Amelot, numéro 138.
»30 avril 1879.quot;
D\'autres porteurs de 1\'emprunt ont fait plus; ils out mis en vente publique des litres de Temprunt portugais de 1832 et la souscription tentée du nouvel emprunt n\'a pas réussi.
La presse portugaise, tont en gémissant de l\'attitude hostile des porteurs de l\'emprunt de 1832 reconnait que c\'était la une consequence naturelle de la conduite tenue a leur égard. Le gouvernement portugais le comprit aussi et résolut de changer, non pas de dessein, mais de système.
M. le comte de Reilhac, président du comité des porteurs francais, avait cru devoir faire avec ses collègues une démarche auprès de M. Mendès-Léal, ministre pléni-potentiaire du Portugal, et lui demauder si son gouvernement ne trouvait pas, enfin, que le moment fut venu de désintéresser les porteurs de l\'emprunt de 1832 ou du moius de chercher uu terrain sur lequel on put entrer en accommodement. M. Mendès Leal parut prêter l\'oreille aux reclamations de M. le comte de Reilhac. Une correspou-dance fut alors échangée entre ce dernier et le représentant du Portugal: elle compreud trois lettres, correspoudauce
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d\'ont-il n\'aurait jamais été parlé ici si l\'adversaire, tout d\'aboril, n\'avait cherché Ei se servir d\'uue de ces lettres, iuterceptées par le subalterne de M. Meudès Léal et a en dénaturer le sens, et le Tribunal y trouvera la preuve de ces deux choses, toute deux importantes; la première, que des négociations étaient engagées au moment oü l\'emprunt va être tenté, la seconde, que M. de Reilhac a prévenu les représentants du gouvernement portugais qu\'il ne laisserait pas, sur réchange des paroles les plus vagues, périr les intéréts dont il était chargé.
Mais le gouvernement portugais. au lieu d\'envoyer des aatorisations de traiter avec les porteurs s\'était déja haté de conclure un emprunt avec le Comptoir d\'escompte, qui prit ferme 75,100 obligations a 898 fr. qu\'il veut bien revendre au public, au prix de 465 fr., réalisant ainsi de ce seul chef une commission de 5,031,700 fr., sur 28 millions environ.
A peine M. le comte de Reilhac vit-il l\'anuouce de cet emprunt qu\'il comprit la nécessité, comme président du comité des porteurs de l\'emprunt 1832, d\'avoir avec M. Mendès Léal une explication catégorique. En effet, ou le gouvernement se décidait a faire droit enfin aux reclamations des créanciers de 1832, ou il avait la prétention de passer outre, sans tenir compte plus que par le passé de leurs légitimes revendications; c\'était done ou la paix ou la guerre, mais on ne pouvait admettre que le gouvernement eut, en optant pour la guerre, les bénéfices de la paix qu\'il avait refusée. Le comité entendait bien que si ses reclamations étaient encore repousseés, le Portugal fut maintenu dans la situation que lui avait faite le re/us de tenir ses engagements, c\'est-a-dire quil restdt d la porte du marché de Paris suivant 1\'ex-pression d\'un journal portugais.
C\'était, a-t-on dit, une menace que nous faisions; oui, saus doute, mais c\'était une menace legitime, traduite dans un style plein d\'une politesse a laquelle M. de Reilhac n\'était pas obligé.
M. le comte de Reilhac se présente done chez M. Mendès Léal, mais celui-ci avait quitté Paris, et c\'est cette absence qui motiva la correspondance dont j\'ai déja indiqué la nature et la portée.
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Tj\'eraprunt, allait se faire; il fallait agir. Deux choses étaient nécessaires dans la lut.te que les porteurs spoliés de 1832 entreprenaient a nouveau: la première, c\'était decon-voquer uue assemblee de t,ous les intéressés; la seconde, c\'était de signifier clairement au gouvernement portugais qu\'on ferait encore appel a l\'opinion publique dont il n\'avait jamais osé jusqu\'ici affronter le jugement.
üne nouvelle affiche, semblable a celle d\'avril, fut done collée sur les murs de Paris.
Elle ne porte que\' la signature de M. Battarel, mais M. le comte de Reilhac declare nettement en accepter la respon-sabilité absolue. Si M. Battarel l\'a signèe, c\'est qu\'il était le secrétaire du syndicat et que ses fonctions étaient de convoquer les créanciers.
Cette affiche a été placardée sur les murs de Paris, au nombre d\'un millier d\'exemplaires environ. Elle invitait les porteurs de l\'empruiit de 1832 a se réunir a une date in-diquée. Les commentaires sur cette affiche viendront en leur temps, mais je u\'ai pas besoin de dire que je soutiens que les rédacteurs] n\'ont pas dépassé leurs droits.
Cette affiche ne gênait guère le gouvernement portugais, car il avait dèja le contrat par lequel le Gomptoir d\'escompte lui assurait 28.890.389 fr.; mais il y avait quelqu\'un dont cette affiche gênait la spéculation: le Gomptoir d\'escompte. Aussi est-ce lui qui agit aujour-d\'hui ici sous le nom du gouvernement portugais. Eu voulez-vous la preuve V
Vous trouverez ii la page 15 du livre dans lequel M. de Reilhac a réuni non-seulement nos documents, mais encore ceux de nos adversaires (1): une traduction du Diario popular, feuille ministérielle de Lisbonne:
»Oii se plaint des benefices extraordinaires que va faire le Gomptoir d\'escompte en émettant l\'emprunt ii Paris, mais ces bénéfices sont loin d\'être liquidés. Pour se rendre compte de l\'énormité des charges qui pèsent sur lui, il suffit de considérer la terrible lutte qu\'il a ïi soutenir avec les porteurs de notre emprunt de 1832. Cette lutte coüte des dépenses effroyables et, pour l\'affronter, il fallait 1\'union
(1) Empruut royal de Portugal, Documents authentiques pour servir a la liquidation de eet emprunt Paris, 1880, Librairie Moderne, 17, boulevard Moutmartre.
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de puisantes maisons, comtne le (\'omptoir d\'eseompte et la maison Marcuard. N\'oublions pas aussi que, jusqu\'ici, nous avions été mis a la porte du marché de Paris. .
C\'est le premier aoüt que I\'afficlie est placardée. Le soir, M. Butturel recevait de M. le comte de San Miguel, chargé d\'affaires interimaire du Portugal, uue declaration par huissier, aiusi con^ue:
»L\'an 1879, le 31 juillet, a la requête de M. Ie comte San Miguel, chargé d\'affaires du Portugal en France, agissant comma répresentant et pour le compte du gouvernement portugais.
».T\'ai, huissier soussigné, dit et declare a M. Battarel, avocat, propiétaire, demeurant ii Paris, rue Atnelot. 138, que la légation du Portugal vient d\'etre informée qu\'une affiche, placardée sur les murs de Paris, fait savoir que le roi de Portugal a contracté un emprunt. en 1832. fn obligations;
»Que les porteurs de ces obligations laissées en souf-f\'rance pour le capital et les intéréts (le mot souffrance imprimé en grands caractères) sont convoqués au domicile de M. Battarel pour former un syndicat et aviser aux mesures a prendre pour le recouvrement,
»Que ce factum est une manoeuvre pouvant avoir pour consequence de porter une atteinte grave au crédit et, a la considération du gouvernement portugais en laissant supposer au public que ledit gouvernement ue remplit pas exactement les engagements par lui contractés, alors qu\'il vient d\'émettre un emprunt dont la souscription est ouverte au 2 aoüt prochaiu au Comptoir d\'eseompte de Paris.
»Avec intention, il a été dit dans rannonce: Emprunt dn roi de Portugal pour 1\'assimiler a l\'emprunt actuelle-ment en emission, et qu\'avec intention également l\'affiche est placardée en paralèlle avec l\'affiche de la souscription;
»Que c\'est un acte de mauvaise foi et de déloyauté unique... (voilii qui n\'est pas parlementaire) alors que le signataire de l\'affiche et ses adherents occultes n\'ignorent pas qu\'antérienrement a 1832, par un décret du 23 aoüt 1830, le gouvernement de la Rcgence, au nom de la reine Dona Maria II, avait formellement déclaré que les emprunts de l\'usurpateur don Miguel ne seraient pas reconnus;
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»Qu\'eu consequence, les personnes qui ont pi\'is part au coutrat de 1832 ue pouvaieut ignorer que les capitaux engages seraieut complétement perdus;
»Que sur une petition presentee au Sénat tran^ais en 1862 par les sieurs Dechambre et Buisson, se disant man-dataires d\'obligataires aux tins d\'une intervention diplomatique en leur faveur par le gouvernement francais, leur demande a été repoussée par le Sénat qvd, sur 1 avis du rapporteur, M. le président Bonjean, a passé a 1 ordre du jour, J.\'interventiou diplomatique ue pouvaut avoir lieu.
ïgt; Qu\'il importe au gouvernement portugais, qui a tou-jours refuse d\'accepter la responsabilité de 1832 de protester énergiquement, comme de fait il profeste contre eet abus grave d une publicité calomnieuse et diöamatoire, réserv-ö expi*esse étant faite de 1 exercice de tons droits et recours par toutes les voies ordiuaires et extraordinaires.
»Comte San Migoel.quot;
Cette protestation oü l\'injure n\'est pas épargnée, oü 1 on nous traite de diffamateurs est publiée, le soir même, dans un grand nombre de jouruaux de Paris.
Le lendemain, nous signifions une contre protestation qui est la seconde pièce incriminée.
»L\'an 1879, le 2 aoüt. ii la requête de M. le comte de Reilbac, de M. Arthur Battarel, agissant en leurs noms personnels comme porteurs de l\'emprunt royal de Portugal, 1832, et souscripteurs originaires, et en outre, M. do Reilbac, en sa qualité de président, et M. Battarel de secrétaire de la commissou syndicale de réclaiuatiois ciudit empiunt, régulièrement élus dans 1 assemblee génerale des poiteurs dudit emprunt tenue au Wauxball, le 20 mai 1S78. »J\'ai, Brossier, huissier soussigné, etc.,
»Déclaré a M. le comte de San Miguel, chargé d\'aflaires de Portugal en France,
„Que les requérants protestent de la manière la plus for-melle contre la signification du 31 juillet dernier;
»Qu\'en effet le gouvernenaent portugais sait bieu qu\'un emprunt a été contracté en France, en 1832, par Dom Miguel 1quot;. roi de Portugal depuis 1828 ;
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i Que eet emprunt, émis publiquement et coté a la Boui-se de Paris, s\'élevait u 40 millions de francs, divisé en 40,000 obligations de 1,000 fr., remboursable en trente-deux ans et productif d\'intérêts a raison de 5 pour cent par an payables par semestre:
Qu\'une quittance authentique, déposée aux archives dn royaume de Portugal, a été consentie par le gouvernement portugais aux banquiers francais, MM. Jauge et Ontrequin, contractauts de cet emprunt;
Qu\'eu souscrivant, les porteurs francais out entendu faire un placement sérieux de leur fortune;
»Qu\'ils n\'avaient pas, d\'ailleurs. qualité pour discuter les droits de Dom Miguel et ceux de Dona Maria, sa nièce, au tróne du Portvigal;
»Qu\'il leur a sufH de savoir, au moment oü 1\'emprunt était émis que Dom Miquel était, en fait, depnis plus de quatre ans, roi de Portugal .
»Qu\'il avait été acclamé par les Etats généraux du pays et qu\'il exeivjait. en fait, sous les attributs de la puissance royale sur tout le territoire portugais;
Qu\'eu outre il avait été reconnu par plusieurs gouverne-ments étrangers, frappait monnaie, laqnelle a encore cours aujourd\'hui, commandait les armées et pourvoyait ïi toutes les charges publiques du royaume.
Que 1,250 titres seulement ont été remboursés, conior-mément au contrat, et trois semestres acquittés, de telle sorte qu\'il reste actuellement 38,750 titres en souffrance n\'ayant re^u aucun intérêt depuis plus de quarante-ciaq ans ;
»Que pour refuser le paiemeut de cet emprnnt après la chute de Dom Miguel et I\'avenement au tróne de dona Maria, sa nièce, le gouvernement portugais a prétexté que Dom Miguel était un. usurpateur; que cette manière de payer ses dettes est contraire ii tous les principes d\'équité, du droit civil eh du droit des gens; mais, en outre, les faits suivants témoignent du peu de respect que le gouvernement portugais apporte aux ngagements solennels pris par lui,
»Qu\'eu effet, après la prise de Lisboune par Dom Pedro, frère de Dom Miguel, agissant pour le compte de sa fille Dona Maria, un décret royal fut rendu par lui, le 31 juil-
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let 1833, nommant une commission de finances pour recou-vrer le solde de l\'emprunt de 1832, et en conformite des paroles solenuelles prononcées par Dom Pedro lui-même, restituer les sommes recouvrées anx porteurs en temps con-venable; que cette commission de finances a constate I\'exi-stence de traites envoyees de Paris par les banqniers Jauge et Outrequin pour une somme de 2 millions 600,000 fr. environ, a l\'ordre de M. Couto Fernandes, caissier general du gouvernement de Dom Miguel, qui seul des fonctionnaires precedents. fnt maintenu en fonctions par Dom Pedro; son endossement étant indispensable au recouvrement des traites dont s\'agit;
»Que cependant plusieurs souscripteurs de ses traites s\'étant rei\'usés au paiement, le gouvernement de Dona Maria les fit poursuivre judiciairement de 1834 a 1842 tant aParisquii Londres, par sou agent M, Soarès, qui ne put mème obtenir coadamnation qu\'en afimuant, sous serment, que les fonds seraient répartis aux porteurs de l\'emprunt de 1832 et que les reconvrements, par lui opérés, ont figure dans les budgets portugais de 1834 a 1842;
»Que, cependant, malgré les recriminations nombreuses, desdits porteurs, malgré l\'interventioii ofïicieuse du gouvernement franvais k diverses reprises, et notamment en 1853, ii la suite de la decision dü Sénat francais en date du 29 avril 1853, le gouvernement portugais s\'est refuse a restituer les sommes recouvrées, qui n\'étaient en ses mains qu\'en dépot et qu\'il n\'avait pas craint d\'employer a ses besoins financiers;
»Qu\'en 1804, cédanf a des recriminations plus vives d\'une nouvelle commission syndicale organisée a Paris, en 1858, et dont Mc Dechambre, avoué a Paris, était président, et M. Battarel. l\'un des requérants, secrétaire, le gouvernement portugais fit faire des ouvertures cie transactions et remit un projet de traité par l\'entremise de sou ambassadeur a Paris, M. de Païva; mais. qu\'après plus d\'une année de négociations, le projet de transaction fut abandonné par suite des exigences inacceptables du gouvernement portugais; que si, en 18G6, le Sénat francais, sur le rapport de M. Bonjean. n\'a pas cru devoir faire intervenir de nouveau le gouvernement impérial, c\'est précisément paree que le Por-
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tugai a refuse de rouvrir les negociations; qu\'au surplus, les droits des porteurs de tit,res de cet emprunt sont incou-testables; qu\'ils out ete affirmes de la mauière la plus ener-gique par des hommes d\'Etat. des jurisconsultes et des publicistes des plus éminents, notamment MM. Duf\'aure, Odilon Barrot, de Vatimesnel. anciens ministres; Berryer, avocat; MM. Laboulaye. Verge, Bc/ériau, Jozou, Rousse, Barboux, Vavasseur, Block, Huard, Pouillet; et enfin par une publication spéciale sur 1\'emprunt Dom Miguel par M. Becker, avocat au barreau de Paris.
»Qu\'en presence de ses faits. qui sont constants, mes requérauts out lieu d\'etre surpris que le gouvernement por-tugais traite de factum l\'affiche apposée sur les murs de Paris par les soins de la commission syndicale desdits porteurs, alors que eette affiche n\'est que la reproduction des titres qu\'ils out en mains, qu\'ils protestent énergiquement contre l\'imputation de mauvaise foi, de déloyauté, de calomnie et de diffamation que le gouvernement portugais leur applique et qu\'ils persistent a réclamer de celui-ci, par toutes les voies et moyens eu leur pouvoir, le remboursement de ce qui leur est dü, ajoutant au surplus que le gouvernement de Doua Maria a reconnu lui-même et converti le 31 octobre 1836 tin emprunt contracté par ie rei Dom Miguel, le 12 uovembre 1831, ü l\'intérieur du royaume de Portugal.
»Et sous toutes réserves ses requérants out signé avec I\'huissierquot;.
Cette contre protestation fut égalemeut publiée dans les journaux, et le Tribunal l\'a retenue comme un écrit consti-tuant le délit d\'offence a la personne du roi de Portugal.
Onze jours s\'écoulèrent. . . Ah! c\'est que les résolutions étaient difficiles a prendre. D\'abord il ne pouvait échapper a un adversaire aussi habile et aussi rompu aux procés de presse qu\'il n\'y avait aucun délit dans ces écrits. En outre, quel danger n\'y avait-il pas a engager un débat judiciaire sur des faits que l\'intérêt le plus cher du gouvernement portugais était de laisser éteindre pen !i peu dans le silence et dans I\'nubli! Mais la speculation ne connait ni ces ménagements ni ces calculs; le souci du gain est sa seule loi, ^et quand elle commaude, il faut lui obéir.
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M. de Reilliiic, d\'ailleuris, auuoafa claireinent qu\'ou ue le ferait, pas capituler.
Le 13 aoüt, le comité des porteurs de Femprunt de 1832 faisait signifrer a la chamhre syndicale des agents de change de Paris une opposition a l\'admission a la cote du nouvel emprunt portngais euiis sur le marché par le Comptoir d\'escompte de Paris.
Le 16 aoüt, M. le comte de Reilhac et M. Battarel rece-vaient une assignation ii comparaitre le 23 devant cette chambre mé me. pour répondre du délit de diffamatiou, ou tout au moins d\'oifense envers ie gouvernement portugais.
[/assignation est donné a la requête de gouvernemeut portugais. agissant aux poursuites et diligences de M. San Miguel.
Les motifs sout a peu pres les mêmes que ceux de la protestation; j\'indique seulement les passages dans lesquels le système du demandeur est precise:
»Attendu que Battarel a fait, apposer des attlches sur les rnurs de Paris;
»Que ces affiches contienncnt une imputation de nature a porter atteinte ii l\'honneur et a la consideration du gouvernement portugais, puisqu\'il est dit que 38,753 obligations de l\'emprunt royal du Portugal sont restées en souffrance. mot souffrance imprimé en gros caractères:
»Que Battarel accuse aussi le gouvernement portugais de ue pas payer ces dettes;
»Que, dans la signification du 2 aoüt, M. le comte de Reilhac et Battaral ont dirigé les imputations les plus outra-geantes coutre le gouvernement portugais; qu\'il y est dit notamment que »cette manière de payer ses dettes est contraire a tons les principes d\'équité, de droit civil et de droit des gens.quot;
Les défendendeurs étaient assignés pour le 23 aoüt, c\'est-a dire pour une date oü l\'on savait qu\'il était impossible qu\'un pareil procés püt être l\'objet d\'uue discussion utile. Malgré cela, ou plutót ii cause de cela, le demandeur insis-tait pour obtenir un jugement, et mes clients, privés de leurs défenseurs, étaient réduits a faire défaut, C\'est dans ces circonstances que, le 31 aoüt, a été rendu le jugement dout je dois remettre le texte sous les yeux du Tribunal.
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(M\' Barhoux doune lecture du jugement. 1)
A eet,te raême audience du 30 aoüt, le Tribunal était saisi par nous d\'une demaude en ditfamatiou et injures publiques dirigée ii la fois coutre M. San Miguel et les journaux le Soir et le Messayer, fondée sur les publications de la protestation du le\'\' aoüt a laquelle on avait repondu par celle du 2 aoüt. Le Tribunal se déclara incompétent sur notre demaude, li l\'égard de M. San Miguol, et remit u un jour ultérieur la cause pendante avec les autres journaux,
On arrachait ce jugement au Tribunal en demandant une reparation. Mais, en réalité, c\'était une réclame qu\'on sollicitait de vous, et l\'usage qu\'on en a fait l\'a bien montré. Aussi nos adversaires se sont ils empresses de donner a cette décision par défaut toute la publicité possible, et rien n\'est plus curieux que la lecture de la presse officielle, tetant ce jugement comme une victoire et, oubliant, comme il est juste, de dire qu il est par défaut.
Ecoutcz le Diarin popular:
»Le ministre des finances a reyu de Paris divers télé-grammes lui faisant savoir le jugement du proces que le gouvernement avait intenté au comité des porteurs de l\'em-prunt 1832.
»Le Tribunal, dans uno sentence suffisamment développée et admirablement fondée, a condamné, etc.
Et il ajoute:
»Les coupables assistaient :i 1\'audience, défendus par le célèbre avocat Lachaud qui leur prêtaitle concours de son talent.
»Les Tribunaux francais ont fait compléte justice de ceux qui voulaient, par la diffamation, nous arracher d\'oné-reuses concessions.quot;
Et le Diario de Noticias, dit, de son cóté: »C\'est la un grand service que M. le comte de San Miguel a rendu au pays en jetant la lumière sur une question qui nous enuuie depuis plus de trente ans. La colonic portugaise de Paris est dans la joie et s\'est transportée chez M. de San Miguel pour lui oft\'rir ses remerciments.quot;
On a fait plus, le gouvernement s\'est servi de cette déci-
1) Voyez le Droit du 31 aout 1879. •
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IS
siou pour en taire uue reclame électomlo, et il s\'est pré val u du succes de l\'emprunt de 1879 »qui allait rétablir l\'équi-libre daus les finances portugaises.quot;
La procédure coutiue, examinous les questions que soulève Ie procés.
II y eu a uue, d\'abord, que vous avez tranchée par le jugement d\'incompéteuce et ((ui !ie se représente plus devant vous.
M. San Mignel avait considéré comma offensante notre contre-protestatiou du 2 aoüt; nous avions le droit de cousidérer conune injurieuse la protestation du lc\'\'a laquelle nous avions répondu le 2. En consequence, nous l\'avons assigné devant vous et, les deux instances se présentaient comme une demande principale et une demande reconvention nelle, comme les deux élénients d\'un méme procés.
Le Tribunal condamne mes clients et se déclare incompétent vis-a-vis de leur adversaire, ïi cause du caractére diplomatique dont il est revêtu.
Messieurs, je me rends bien compte de la difficulté d\'atta-quer un jugement devant la cliambre méme qui l\'a rendu; mais je vous connais assez pour étre sur que vous me lais-serez discuter la sentence aussi librement que si ello avait été vendue par d\'antres juges. Eb bien, laissez-moi vous dim que la simultauéité de ces deux jugements, l\'un se declarant compétent pour nous condamner, l\'autre incompétent pour nous rendre justice me parait le renversement absolu de tons les principes, sur lesquels repose le droit de defense.
Pour attaquer un Francais devant nn juge francais le représentant diplomatique doit sortir de son ambassade, se soumettre a la condition de tons les étrangers, c\'est pourquoi M. Dom Miguel a dü commence!\' par verser la caution judicatum solvi.
Or, ii qui ferez-vons comprendie que le juge compétent pour statuer sur la demande, ne Test plus pour statuer sur la reconvention? Alors les représentants des puissances étrangéres sont semblables a ces guerriers d\'Homère, dont la courage invincible sème partout le carnage et la terreur, mais que, dés qu\'on les serre de trop prés, une déesse com-
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ralu plaisaute couvre d\'un iiuao;e qui les rend invisibles et les
ui- dérobe aux coups qu\'on va leur porter. Cela est admirable
dans un poême épique; raais telles ne sont pas les condi-ive tions du duel judiciaire. La, tout doit être égal; si tout
n\'est pas égal. il peut y avoir des jugements, il nquot;y a plus lo de justice. Et comme on ne peut pas se défendre sans
nt porter des coups, il est clair qu\'on ne peut pas se défendre
si Ton n\'a pas le droit de toucher a son adversaire. re Ainsi vous apercevez l\'admirable question qui se serait
le offerte Fi votre jugement. Quand un représentant diploma-
Ie tique abandonne son privilége pour attaquer, peut-il s\'en
is couvrir pour se défendre? Avions-nous le droit d\'invoquer
it contre lui la menus loi qu\'il invoque contre nous?
Mais je n\'ai pas a examiner cette question, et voici pourquoi:
Nos clients, ignorants de la loi. n\'ont pas relevé appel dans les délais voulus, en sorte que le jugement par lequel le Tribunal se déclare incompétent est aujourd\'liui passé en force de cliose jugée. Condamnés a laisser de cöté l\'auteur des injures dont nous nous plaignons, nous trouverions inique de nous en prendre aux journaux qui les out reproduites.
Laissous done de cóté cette première question et examinons le jugement.
La loi dont on a fait application est celle du 17 mai 1819, art. 12 et 13.
Le Tribunal a écarté Tart. 13 par ce motif que la loi ne punit, pas la diffamation a l\'égard des gouvernements étrangers.
Cette théorie est évidemment irréprocliable, et j\'irai même jusqa\'ii dire qu\'il est impossible de comprendre la diffamation vis-a-vis d\'un gouvernement, füt-ce le gouvernement francais? La diffamation suppose la publicité donnée aux faits intimes et j)rivés dont la révélation soulève la colère, fomente la haine, sème la division dans la société, prépare les vengeances et les crimes. Uien de semblable vis-a-vis d\'un gouvernement. La tout est public et tout doit l\'être. On peut commettre des délits et des crimes par la voie de la presse contre le gouvernement. Mais ce ne seront jamais des délits de diffamation.
Mais le jugement retient l\'art. 12 qui punit 1\'offense envers
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les souverains ou chefs de gouvernement. II trouve le délit duns la phrase suivante: »Emprant eu souttrance! — Le gouvernement portugais a moutré peu de souci des engagements prls par lui. ïA peine ai-je besoin d\'effleurer ce raisonnement pour en montrer ia fragilite. •! essaieiai, au contraire, d\'etablir que 1\'affiche et la protestation ne con-tiennent que des laits absolument exacts établis par des documents historiques: qu\'ils ne contiennent ni diflamation, ui offense; que, d\'ailleurs, ils s\'adressent au gouvernement et non ii la personne du roi, ce qui rend ii la fois l\'assig-nation doanée a la requêto dn gouvernement non recevable et la demande mal fondée.
Le Tribunal a bien compris d\'ailleurs qu\'il était un peu dur de condamner ïi quatre mois de prison et 6,000 fr. d\'amende les fils de ceux qui out perdu plus de 1 million 500,000 fr. en achetant, en 1833, a la Bourse de Paris, les titres d\'un emprunt portugais. A.ussi lisons-nous:
»Attendu que Battarel et le comte de Reilhac ne devaient pas ingnorer les circonstances dans lesquelles eet emprunt a été émis en 1832, ui les reclamations, rapport, démtuches, observations et réponses dont il a été le sujet; que la publi-cité mauvaise donnée per ces deux agents aux pretendus griefs dont ils se sont faits les interprètes auprès du gouvernement portugais n avait qu un hut, celui d atteiudre pai voie de pression et d\'intimidation ce qu\'ils n\'avaient pu obtenir régulièrement.quot;
II faitdrait, en effet, que les choses fussent ainsi pour que notre coudamuatiou fut possible. C\'est dans ces circonstances qui out précédé, accompagné et suivi l\'emprunt que se trouvent les raisous de la bonne ou de la mauvaise loi; ce sont, par conséquent, ces circonstances qu il faut examiner et discuter.
S\'il me fallait exposer en détail les circonstances au milieu desquelles a été souscrit l\'emprunt de 1832, ce serait six aunées de l\'histoire contemporaine qu\'il me faudrait raconter, six aunées d\'événements que 1\'expéditiou d Espagne préparent et que la revolution de 1830 précipitent. Mais chaque chose doit avoir sa mesure; la plaidoirie ne saurait se permettre les larges développements de l\'histoire. et c\'est a peine si je
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veux présenter au Tribunal un résumé trèssuccinct et; très-bref dos événements qui se sont passés en Portugal de 1828 a 1834.
Le roi Jean VI mouta sur le tróue en 1709 et mourut en 182G. Le Brésil était alors colonie portugaise, et Jean VI y trouva un refuge, lorsqu\'eu 1807 1\'armée de Junot l\'obligea a quitter 1\'Europe. Deux ans après, l\'armée fran^aise aban-donna le Portugal, reculant devant les troupes anglaises, qui demeurèrent mattresses du pays. Cependant Jean VI ne revint en Europe qu\'en 1821, laissant le Brésil entre les mains de Don Pèdre. sou fils aiué.
II sernble qu\'une loi secrète de 1\'histoire entraine toujours les colonies ii se séparer de la métropole, lorsqu\'elles ont atteint un certain degré de civilisation et de puissance.
Dès 1817, la fièvre de l\'indépendance avait soulevé contre l\'Espagne le Paraguay, le Chili, le Pérou, la Colombie, et l\'Augleterre favorisait cette révolte, dont Simon Bolivar devait assurer le succes. En 1822, le Brésil voulut imiter ses voisins; il se souleva contre le Portugal; Don Pèdre, obligé de choisir entre l\'exil et l\'empire, se décida pour le tróne; il se init a la tête des iudépendants, battit avec eux les troupes portugaises du roi son père, et se fit proclamer empereur constitutionuel, Eu 1824, un traité ratifia cette séparation du Brésil et du Portugal, qui devint alors définifive.
Jean VI mourut deux ans après, laissant deux tils: Don Pèdre, empereur du Brésil, et Don Miguel.
Don Pedre comprit aussitót qu\'il lui était impossible de porter cette double couronne. D\'une part, la constitution du Brésil lui interdisait de s\'éloigner du pays, et, d\'un autre cóté, la perte d\'une si puissante colonie avait vivement blessé les Portugais, et Don Pèdre était, en ce moment profon-démont impopulaire. Mais alors il voulut essayer d\'assurer ii sa fllle le tróne qu\'il ne pouvait garder pour lui-même; il abdiqua douc en faveur de Dona Maria, agée de sept ans, et chargea de la régence du royaume son frère Don Miguel, avec cette condition qu\'il épouserait Dona Maria dès qu\'elle serait nubile.
Don Miguel offrait [avec son frère le contraste le plus complet. Don Pèdre était vil\', généreux, chevaleresque. Don
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Miguel fanatique, soup^oniieux et cruel. II avait ourdi coiitre la vie de sou père des complots qui avaieut été decouverts et qui avaieut oblige le triste Jeau VI ii I\'eloigner du Portugal; et quand ou souge que Don Pèdre couflait a uu pareil homme la tutelle politique de sa petite-fille, en attendant qu\'il deviut son mari, on demeure confondu de voir ii quel point les calculs de la politique peuveut altérer et détruire les sentiments les plus vifs et les plus profonds du cceur.
Don Miguel, d\'ailleurs, n\'était pas homme a tenir en reserve pour uu autre, un pouvoir dont il pouvait s\'emparer. Tout favorisait ses ambitieux desseins. Depuis I\'invasion fran^aise, la péninsule était violemment agitée par la lutte eutre l\'esprit des vieux ages et celui du moude nouveau. Dou Miguel represent,lit la monarchie théocratique et absolue. L\'expédition d\'Espagne avait rendu une grande force a ce parti en abattant le parti contraire; il n\'éprouva done aucune resistance a s\'emparer du pouvoir, et rejetaut la constitution libérale que Don Pèdre avait envoyée toute faite du Brésil, il convoqua les Cortes, qui formaient, d\'après la vieille loi du pays, la representation elective du Portugal, Trois cent treize deputes y siégèrent, et après de longues deliberations, ils votèrent, sous forme d\'une consultation longuement motivée de droit monarchique, uue resolution qui porte la date du 11 juillet 1828, et dont voici le résumé:
„Ce que tout bien cousidéré et gravement médité les trois Etats du royaume ayant trouvé que des lois trés claires et tres décisives excluaient de la couronne, avant le 10 mars 1826 D. Pedro et sès descendants, et par cela même ajjpelaieut la seconde ligne dans la personne du seigneur Don Miguel; et que tout ce qu\'on allègue et pourrait alléguer de contraire est de nulle force, ils out reconnu unanimement et out déclaré dans leurs actes spéciaux, et reconuaissent et déclarent dans eet acte général:
»Que la couronne portugaise appartient depuis le 10 mars 1826 an roi noire maitre et seigneur D. Miguel, premier du nom, et que par conséqueut on doit réputer tout se qui a étc pratiqué et décrété par le seigneur D. Pedro, dans la qualité de roi de Portugal qui ne lui appartenait
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paw, et momemeut la soi-disaut Oharte coustitutionnelle de la monarchie portugaise, datée du 29 avril de ladite anuée 1S26, et, pour que cela soit constant, on a drasse eet acte signe par toutes les personnes qui, dans ce moment, sont rasserablées en Cortes pour les trois Etats du royaume.quot;
An nombre des deputes de la noblesse figure M. le comte de San Miguel, qui est saus donte l\'un des aïeux de notre honorable adversaire.
A-t-il regné, ce roi que M. le comte de San Miguel vou-drait maintenant faire traiter comme s\'il avait ete le chef de la Commune insurrectionnelle de Paris ¥
A l\'extérieur, il a été officiellement reconnu par les Etats-Unis, l\'Espagne et le Saint-Siége, et les antres puissances n\'ont pas cessé d\'entretenir prés de lui des agents charges d\'assurer les relations internationales.
A rintérieur, les Cortes qn\'il avait reünies ont légiféré, et la collection ofïlcielle des lois eu vigueur publiée par le gouvernement portugais, en 1869, conti ent 150 lois et décrets sur tontes les branches de l\'administration qui diiteut du règne de Don Miguel,
II a contracté, a rintérieur, deux emprunts plus tard reconnus et payés par le gouvernement qui lui a succédé.
11 a battu monnaie, et l\'argent avec lequel le peuple portugais paie les impóts dont vit le gouvernement qui nous attaque, porte Teffigie et le titre de Dom Miguel lcr, roi de Portugal.
Oui, il a régné, et sou succes si rapide, sou empire si vite établi, ce peuple qui s\'iucline sans effort et saus lutte sous la main d\'un roi improvise, ces Cortes qui se réunis-sent et qui Tacclament, cette Europe qui le reconnait ou demeure silencieuse, tout cela n\'a rien qui nous puisse sur-prendre; nous avons vu des choses semblables. 11 commet-trait d\'ailleurs une grande erreur celui qui voudrait juger l\'état des esprits dans la péninsule ibérique par l\'état des esprits en France a la même époque. Chez nous, depuis la Réyolution, la masse de la nation a toujours été profondé-meut attachée ii ses conquêtes, et le norn magique de la liberie y a toujours fait battre bien des coeurs, quelquefois même uu peu trop vite. La-bas, au contraire, uue ignorance
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générale et profoiido, les restes du fanatisme ie plus étroit et le jjIus cruel, riiulolence que la douceur du climat con-seille, la pauvreté, tille de la j^firesse, qui avilit les umes, avec cela la liberté passant les monts dans les plis d\'un drapeau détesté, et ainsi les élans du patriotisme le plus pur d\'accord avec les suggestions du fanatisme et avec les con-seils de la servitude, tout cela faisait une nation absolument indifférente aux idees libérales. Aussi tandis que cliez nous il suffisaif que le roi portat la main sur la Oharte pour soulever contre lui la nation entière, la-bas, les conspirations succèdent aux conspirations, les révoltes aux révoltes, un régime absolu a uu régime liberal, tous ces changements n\'intéressaient qn\'nn petit nombre d\'liommes, dont les meilleurs encore gémissaient dans les prisons, ou battaient doukmreusement, les chemius de l\'exil. Quant k la nation, en peuple (|u\'oii gouverne et (|ui paie, il subissait tout, acceptait tout, acclamait tont, comme l\'ani-mal qui, délivré du joug, demeure courbé, l\'attendant de nouveau.
Oü douc était alors le parti pédriste? De toute la monarchie portugaise un seul point avait refusé de reconnaitre l\'autorité de Don Miguel, l\'ile de Terceira, l\'une des iles Azores. Sur eet étroit rocber de quelques lienes carrées a peine, une troupe de trois cents hommes représentait toute la puissance de Dona Maria. Louis XVflI en avait davan-tage a l\'armée de Condé! [1 est probable que ces partisans inconnus n\'auraient jamais fait courir de grands dangers a la monarchie de Dom Miguel, si des événeinents extérieurs n\'avaient tout ii coup change la face des choses et renversé le courant qui traversait la péninsule.
La revolution de 1830 avait ébranlé toutes les monarchies absolues en en renversaut une qui avait essayé de le devenir.
Lannée suivante, une autre revolution chassa du Brésil Dou Pèdre, qui revint en Europe, oü il ne porta plus désor-mais que le titre de due de Bragance. Privé de sa couronne, il voulut au moins tenter d\'en reconquérir une pour sa fille. Tl alia en Angleterre et s\'assura la neutrality bicnveillante du cabinet anglais, comme il s\'était déjii assure le bon vouloir du nouveau gouvernement francais. 11 put emprun-
ter quelque argent, euróler des soldata, aclieter quelquts vaisseaux qn\'il réunit ïi Belle-Isle.
Parti de ce port, il se rend ii l\'ile de Terceira; puis, six mois après, débarque aveo sa petite troupe devaut la ville de Porto. II est d\'abord repousse par les habitants, puis une méprise du general qui commandait dans Porto lui livre cette place sans combat. Don Pèdre y entre, s\'y installa, et aussitót assiégé par l\'armée portugaise, y résista onze mois Cquot;est au moment mème oiï ces événeménts commen^aient que le gouvernement portugais contractait lempruut extérieur qui est l\'objet de ce procés. Cependant Don Pèdre, enfermé dans Porto, allait y succomber, lorsqu\'il ent la pensée de confier sa jjetite flotte ïi un marin anglais, le capitaine Napier, qui, préludaut ii sa gloire, cberclia la flotte portugaise, la trouva dans les eaux du cap Saint-Vincent, et, sans craindre la disproportion des forces, l\'atta-qua et la captura tont entiére.
Les soucis et les craintes avaient accru la dureté naturelle de Don Miguel; plusieurs étaient tombés victimes de ses soup^ons. Des Francais mème avaient souffert, et déja l\'amiral Roussin, pour obtenir satisfaction du gouvernement portugais, avait forcé l\'entrée du Tage, canonnée les forts et menace de bombarder Lisbonne. Mal servi par des hommes auxquels il donnait chaque jour de nouvelles raisons de désirer sa chute, le roi Don Miguel quitta sa capitale au mois de juin 1833. ün mois après Villaflor débarqua avec 2,000 hommes dans les Algarves, et après avoir passé le Tage a Cacilhas, entra sans coup f\'érir dans Lisbonne, avec 1,500 hommes et 16 lanciers. Désormais les róles allaient changer, l\'insurrectiou de Porto se changeait en guerre civile. Cette guerre continua encore pendant une année dans les provinces, et seulement après la convention d\'Evora (8 mai 1834), Don Mignel abdiqua définitivement la couronne, et quitta le Portugal pour n\'y plus rentrer.
Au mois de septembre 1834,quot; D. Maria lui succédait cornnie reine de Portugal.
Examinons maintenant les éléments de l\'emprunt de 1832; je n\'invoque encore lei que des documents historiques.
Voici d\'abord la quittance authentique délivrée a Lis-
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boune par le gouveruemeut portuguis uux bauquiers souscrip teurs :
»Je declare par la présente obligation avoir re^u la somine de 40 millions selon le contrat susclit.
»Par la présente, je declare en mou uom, mes héritiers et ayaats cause, débiteurs a toutes les personnes intéressées dans le présent emprunt de la sonime portée tlans chacune des obligations, et je me reconnais dés a présent débiteur envers toutes les personnes qui, a l\'avenir, seront propriétaires d\'une ou plusieurs de ces obligations, pour le paiement du capital et des intéréts desquelles je promets que Fintérêt de eet emprunt de 40 millions de francs a raisou de 5 pour cent par an sera payé a Paris en paiements trimestériels.
»Nous promettons en outre pour nous héritiers et succes-seurs que le remboursement du capital de eet emprunt sera effectué de manière que tout ce capital sera remboursé dans le délai de trente-deux aus, a partir du 1 septembre 1832.
» Pour garantie et sécurité de I\'amortissement de eet emprunt, tant du capital que des intéréts, j\'hypothéque atous mes preneurs en mon uom royal et au nom de mes héritiers et successeurs, spécialement et exclusivement tons les produits des subsides militaires, de la dime de la ville de Lisbonne et de la ville de Porto; et dans Ie cas oü cette bypothéque ne serait pas suffisante j\'engage en général tons les revenus du royaume.
»Je déclare pour moi, mes héritiers et successeurs, que la présente obligation doit étre réputée inviolable, et sera réputéc sacrée tant en paix qu\'en guerre . . . Je m\'oblige, mes héritiers et successeurs a Paccomplissement des promesses précédentes, en foi de quoi j\'ai signé la présente obligation générale déposée aux archives ou elle sera enregistrée.
»Palais royal de de Queluü, 5 octobre 1832.
»Signé, «le Rol.»
»Contre-signé par les ministres, etc., etc.quot;
M. le comte de Reilhac, ii la suite de cette quittance au-thentique a placé dans l\'ouvrage précité le résumé des cir-constances politiques ([ue je viens de faire connaitre.
»11 importe, dit-il, de rappeler les conditions dans les-quelles se trouvait le gouvernement fonctionnant dans le
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Portugal depuis 1828, quand, vers le milieu cle I\'aunee 1832, il eatrait a Paris en pourparlers avec divers banquiers eu iiégociation d\'un empruut extérieur, signait eusuite par I\'in-termédiaire de commissaires spéciaux uu traité au nom même du Portugal, et le 5 octobre délivrait au soumissionnaire la quittance authentique que je viens de lire.
»11 y avait quatre aus et demi que la royauté de Don Miguel avait été proclamée par les Cortes de Lisboune, et, depuis lors, le gouvernemeut n\'avait pas cessé de pourvoir régulièremeut a toutes les fonctions civiles et militaires de l\'Etat. Eu matière économique notamment, il avait ample-raent pourvu au service de la cinquième caisse, ou jcaisse d\'amortissement, réglé ia circulation du papier-monnaie et pris diverses mesures fimincières.
igt;On avait liquir)é les anciens comptes. Les arriérés dus aux fournisseurs de l\'arméé avaient été consolidés ])ar la créa-tion de nouvelles rentes 5 pour cent.
»Divers empruuts intérieurs avaient été réalisés, les uns, comme ceux du 6 mai 1828, du 13 novembre 1830, pour la consolidation de la dette; les autres, des 12 juin 1828 et 12 novembre 1831, pour laire face a des besoins nouveaux.
»Alors, comme aujourd\'hai, les recettes étaient insuffisan-tes en Portugal. Le déficit existait comme il existe encore aujourd\'hui. C\'est pourquoi le 28 juin 1832, le ministre des finances demaudait une retenuc de 10 pour cent sur les intéréts de la dette publique, ceux des actions de la Banque de Lisbonne et de la Compagnie des vins du Haut Douro pendant deux sernestres. C\'est alors que le gouvernement portugais s\'adressa, selon l\'habitude qu\'il a toujours eue, ;i des banquiers étrangers, et après diverses propositions signait avec MM. Outrequin etquot; Jauge, de Paris, un traité ayant pour objet la négociation d\'un emprunt de 40 millions de francs 5 pour cent, amortissable par tirages semestriels en trente-deux ans.
sgt;Quelques semaines après il délivrait ii Lisbonne même aux soumissiomiaires la quittance ei-dessus contresignée par Ie conseil des ministres et leur remettait les obligations de l\'emprunt royal de Portugal.
»Or, c\'était pendant le cours même de ces divers pour-
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parlors que Don Pedro expulse du Brésil ranuée précédente, etait apparu pour la première Ibis sur les cótes du Portugal pour y tenter la fortunequot;.
L\'emprunt fut émis le 3 avril 1833. II fit d\'abord son apparition a la Bourse avec 1 pour cent de prime ainsi qu\'il résulte de tons les bulletins de bourse des grands jour-naux du temps on il figure a cóté de l\'emprunt grec. Cc rapprochement était-:il une prevision?
Savez-vous maintenant sur quoi se fonde M. de San Miguel pour soutenir que les souscripteurs de l\'emprunt de 1832 sont assuróment de mauvaise foiV V\'oici ses paroles: »Que leur reclamation est un acte de mauvaise foi et de déloyauté unique, alors que le signataire de Fannonce et ses adherents occultes n\'ignoreut pas qu\'antérisurement a 1832, par un décrit du 23 aoüt 1830, le gouvernement de la régence, au nom de la reine Dona Maria\'II, avait formellement declare que les empruuts de I\'usurpateur Don Miguel, ne seraieut pas remboursés,quot;
Vous chercheriez, eu vain, dans les actes officiels ou dans les archives, la trace de ce décret. Vous la chercherez, en vain, dans les bulletins de bourse du temps. Nulle part il n\'existe. II suffit de le lire pour en conuaitre la valeur.
»La régence du royaume du Portugal et des Algarves, considérant de tons les actes émanes de l\'infant D. Miguel, depuis le 25 avril 1828, sont manifestement nuls, caducs et sans effet, soit qu\'ils aient passes au nom du regent ou en celui du roi, puisque c\'est dans ce jour que Son Altesse a manifesté plus a découvert le proiet qui dans la suite s\'est développé pen a peu et a été consommé d\'usurper la couronne, laquelle appartenait, sans aucun doute, au seigneur D. Pedro IV par le droit iudiscutable d\'héritage, en vertu des lois fondamentales du royaume et de celles en usage dans toutes les monarchies, et laquelle appartient depuis, eu vertu d\'une abdication formelle ii Sa Majesté, son auguste fille Dona Maria II... Le conseil de régence voulant prévenir tons les doutes qui pourront s\'élever relativement aux operations financières et empêcher toute fraude et tromperie, declare au nom de la reine que jamais ne seront recon-nus comme obligatoires pour la couronne de Portugal les
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emprunts. paiemeut anticipés ou autres coutrats onérenx pour les finances du Portugal..
Ce décret est rendu a Augra, chei\'-lieu de l\'ile de ïer-ceira, par les quatre gentilshomraes qui commandent l\'armée de Dona Maria, forte de trois cents soldats.
Les courtisans de Louis XVIII lui comptant, en 1815, vingt-trois ans de règne, n\'étaient pas plus... que M. de San Miguel, nous parlant avec pompe d\'un décret rendu en 1830 par D. Maria.
Mais retournons maintenant au Portugal, oü l\'intérêt du récit va croitre encore.
A peine entré ii Lisbonne D. Pedro declare vouloir respecter intégralement tous les engagements contractés par le gouvernement auquel il succède, envers les étrangers. II institue une commission des finances qui ne devra pas „confondre ce qui est propriété publique avec les fonds pvenant leur source dans les emprunts contractés par le gouvernement usurpateur.
,,A l\'égard de ces fonds, dit le décret de Don Pedro, la commission sera autorisée uniquement a en opérer le recouvrement, paree qu\'il répugnerait ü ma générosité de mettre le^ quot;moindre empêchement a leur remise entre les mains de ceux auxquels ils peuvent appartenir de droit, en temps convenable...
„31 juillet 1833.
,,l)ON PKURO, Dl IC DE URAGANCEquot;.
Ainsi la commission était, chargée de recouvrer les ver-sements restant a faire sur^ l\'emprunt de 1832. C\'était, disait alors le gouvernemeut portugais, dans l\'intérêt des obligataires et pour mettre en süreté les fonds qui devaient leur revenir.
D. Pedro trouvait dans les caisses de l\'Etat de l\'argent, provenant des versementsj des souscripteurs de] 1832. C\'est ce qui résulte du rapport officiel fait aux Cortes par le nouveau ministre des finances, le 30 aoüt 1834:
.,11 me parait, dit le ministre, devoir être declare ici
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que la somme trouvée dans les caisses publiques était une somme de 334 contos 2,412 reis proveuant d\'uu emprunt contracté avec la inaison Outrequin et Jauge, dont 25 contos 65950 reis eu espèces frappées autérieurement au 24juillet 1833 et le reste en lettres de change sur Lisbonue et Londres.
,,...11 résulte que la somme encaissée par la commission des finances nominee par decret du 31 juillet 1833 et proveuant de cette transaction est de 255 contos 915,442 reisquot;.
Autrement dix deux millions et demi a trois uiillions de francs dans la caisse centrale du Trésor seulement.
Les années snivantes on constate alarubrique: »Recettes extraordinaires, emprunt Outrequin, „uu chiffre qui d\'abord ne s\'augmente guères, les souscripteurs voyant que le service de l\'emprunt était suspeidu et ne s\'expliquant pas bien comment le gouvernement portugais invoquait le benefice d\'un contract dont il répudiait les charges. Le gouverne-ment de Dona Maria s\'occupe alors activement de pour-suivre les sonscripteurs de Femprunt de 1832.
Et, a eet eff\'et, seul, parmi les fonctionnaires du gouvernement précédent, le trésorier géuéral, M. Conto Fer-nandès, avait été maintenu en fbnetions après le 31 juillet 1833, dans le but de lui faire endosser les traites que la maison Outrequin et Jauge lui avait adressées et que seul il pouvait endosser. L\'endos avait eu lieu au nom de M. Soarès, agent du nouveau gouvernement a Londres, le 7 aoüt 1833 et, le 9 noüt, M. Conto Fernandès était révoqué. En 1839, on envoie a M. Soarès Fordre de poursuivre les versements en retard sur Femprunt de 1832 et de les obtenir comme il le pourra; mais la Chambre des lords, saisie du proces, resistait ïi la demande et exigeait mie declaration, sous serment, de Femploi ultérieur des fonds. Alors, en 1840, on expédie a M. Soacrès Fordre de faire la declaration exigée par la Chambre des lords. M. Soarès prête done serment;
jQu\'il est dans les intentions de la reine et du gouvernement actuel du Portugal de mettre de cóté les Fonds qui proviendront du paiemeuts des lettres de change, et qu\'autaut que la totalité en sera réalisée et rerue par le gouvernement d\'en distribuer le montaut eutre les ayants
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droit. II dit qu\'il a reiju poui- cet emploi equitable du mi-uistre de sou gouvernement i\'ordre de poursuivre le paie-meut dos lettres de change et d\'en remettre le moutant a la commission des finances de Lisboune, oü ces fonds serout teuus ii part de tons autres fonds et revenns du royaume par la destination dusdite, parce qu\'il est a sa connaissance qu\'eu vertu du décret de D. Pedro du 31 juillet 1833, rendu au nom de Ü. Maria, les fonds ii provenir de ces traites doivent être mis si part pour être répartis en temps voulu ïi tous ceux a qui ils peuvent appartenir de droitquot;.
Vous entende/, bien cela. messieurs, et vous allez vous on souvenir.
Maintenant. franchissons quinzo années, et voyons ce qui se passo.
Les porteurs out d\'abord ajouté foi aux promesses du gouvernement t\'ortugais; ])uis, conime toute patience a des bornes, las d\'attendre, ils s\'agitent, s\'organiseut, s\'adressent au gouvernement Portugais qui, après leur avoir fait mille promesses, finit par les écouduire, a leurs gouvernements qui les écoutent, ïi l\'opinion publique qui les soutient.
Vous trouverez dans les pieces qui vous sont communi-quees le rapport fait aux Chambres fran Raises en 1853. II est trop long pour être cité en entier; je ne mettrai sous vos yeux que le passage suivant.
»(\'\'est ii coup sur ce qui ouvre uu droit certain, incontestable, aux porteurs d\'obligations de rempruut 1832. Aussi se crnrent ils fondés a adresser au gouvernement de juillet plusieurs petitions qui, cepeudant, ne furent pas aecueillies. Une dernière petition eut uu sort plus favorable: sous la Legislative, le 14 mars 1851, sur le rapport de M. de Dampierre, olie fut reuvoyée a M. le ministre des affaires étrangères, mais elle n\'a eu aucune suite.
»Aujourd\'hui, les porteurs s\'adressent a vous. lis accom-pagnent leur demande de consultations rédigées en faveur de leur cause par les iurisconsultes les plus éminents, MM. Berryer, Dufaure, 0. Barrot, de Vatimesnil. lis róclament d\'abord la reconnaissance de l\'emprunt, invoquant leur bonne foi et faisant remarquer que Don Miguel était alors defait le chef du gouvernement portugais. lis s\'appuient égale-
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meat sur le principe que les gouvernement,s qui se succèdent sont, malgré leur origine différente, solidaire de leurs devan-ciers. lis demandent tont d\'abord l\'exécution lo3rale et complete du décret de Don Pedro, du 31 juillet 1833, portaut que les valeurs provenant de eet eraprunt et trouvées dans les caisses du Trésor, it Lisbonne, seraient mises en süreté pour être restituées en temps convenable anx ayants-droit. L\'expérience des cinquaute deruières années a sufflsamment démontré qu\'il n\'y avait pas seulement justice, mais encore profit pour les nations ii tenir leurs engagements. Les Etats les plus obérés sont précisément ceux qui ont le plus d\'intérêt a asseoir leur créditquot;.
Lc rapporteurs conclut ü ce que la petition soit ren-voyée au ministère des affaires étrangères, qui accepte ce renvoi daus l\'eapoir que ses réclamations seront écoutées a Lisbonne.
Quelque temps après. la commission de reclamation des porteurs de remprunt de 1832 se réunit, et le président de cette commission déclare que le ministre des affaires étrangères, après avoir fait appeler la commission, ,,a bien voulu l\'assurer que des instructions ont été envoyées au ministre de France a Lisbonne pour réclamer au moins du gouvernement portugais l\'exécution des engagements qu\'il a lui-même contractés en promettant le rembonrsement de la partie de eet emprunt dont il a profitéquot;.
Telles sont les instructions que le ministère des affaires étrangères donnait alors ii notre représentant a Lisbonne.
Voulez-vous savoir maintenant la réponse du gouvernement portugais. N\'onbliez pas, je vous prie, la déclaration sous serment que l\'agent Soarès a dü faire devant la Ghambre des lords, n\'oubliez ancun des documents dont nous vous avons donné counaissance, et écoutez ceci;
»Quant aux valeurs trouvées dans les caisses de l\'Etat lors de l\'entrée de Don Pedro ii Lisbonne, et dont ce service avait ordonné par un décret la restitution aux porteurs, le gouvernement actuel se retranche derrière I\'inconstitution-nalité de cette mesure, qui ne pouvait être prise suivant lui sans rautorisation des Chambres. Ce décret étant nul.
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il s\'ensnivait que les existences du trésor de Don Miguel, appartenaieiu au parti vainqueur.quot;
Ainsi le décret rendu par Don Pedro en 1833 est inconstitu-tionnel, mais le décret de Terceira de 1830 est constitutionnel 9
Ainsi il est incoustitutionnel de servir un emprunt dont on recueille les benefices, mais il est constitutionnel d\'en revendiquer les benefices et d\'en repousser les charges.
Ainsi il est incoustitutionnel de promettre qu\'on rendra I\'argent a ceux qui l\'ont versé, mais il est constitutionnel de le garder après l\'avoir pris!
Ainsi il est inconstitutionnel d\'autoriser M. Soarès a prêter serment pour faire payer les souscripteurs, mais il est constitutionnel de violer le serment qu\'on a fait préter!
Et nunc reyes, intelligite, erudimini, vos qui judicatis terram !
Ah! messieurs, que u\'est-il ici pour nous entendre, ce jeune souverain dont on nous accuse d\'avoir offense la personne. Et, puisque négligeant sa prérogative constitution nelle et confondant pour un jour sa personne et sa fonction royales, il lui plait de descendre dans une arène oü nous ne I\'avons pus appelé, que ne peut-il, an milieu des respects qu\'il ne nous coüte pas d\'accorder a sa couronne, entendre les con-seils sévères que lui donne ici la plus simple et la plus vulgaire équité. Que ne puis-je lui niontrer que les plus dangereux ennemis de son honneur et de sa gloire, ce ne sont pas les infortunés qui cherclient a se défendre coutre un spoliateur injuste, mais les courtisaus avides qui lui persuadent de ne pas réparer le tort que nous a fait son prédécessenr, et ternissent par leurs noirs sophismes l\'éclat des principes éternels de la justice et de la bonne foil La bonne foi qui ne devrait pas être seulement une vertu populaire et a laquelle un roi de France malbeureux voulait résemr un asile dans le cceur des rois! La bonne foi, c\'est-ii-dire la sincérité absolue de 1\'esprit et de la parole, la volonté éclairée par la lumière inférieure de la conscience, de ne rien avoir du bien d\'autrui; la bonne foi qui peut se tromper sans cesser d\'etre la bonne foi, qui terrasse d\'un regard le sophisme insidieux et louche, qui ne craint pas plus les juges correctionnels que civils, qui osei-a dire que les por-teurs de remprunt de 1832 puissent n\'être pas de bonne foi!
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Dix ans se passent eucore; les souscripteurs attendent toujours, ils s\'adressent enfin de nouveau au Sénat. C\'était uue laute. Le gouvernement francais avait vu ses representations diplomatiques repoussées. II ne pouvait pas les reuou-veler et la petition des porteurs le mettait eu quelque sorte en demeure d\'avouer publiquement son impuissance.
M. Bonjean, chargé de rapporter la petition, n\'appela pas les intéressés devaut lui, il s\'adressa aux bureaux du ministère des affaires étrangères. On lui répondit qu\'il u\'y avait rien ii faire, et sou rapport fut rédigé tout entier pour débarrasser le gouvernement d\'uue reclamation juste, mais incommode.
»Tous les efforts de notre diplomatie out éclioué devaut l\'iuébranlable refus du cabinet de Lisbonne, fondé sur diver-ses considerations qu\'il convient de vous faire connaitre:
»En premier lieu, eu ce qui concerne la déclaratiou du 81 juillet 1833, ou a répondu, qu\'aux termes même de la charte par lui douuée au Portugal en 1826, Don Pedro u\'avait aucunement le droit de lier le trésor; que ce droit n\'appartenait qu\'aux Cortès.
»En secoud lieu, il a été répondu par le gouvernement portugais que pour ce qui concerne la questiou d\'équité, que les sourcripteurs savaieut fort bien que leurs fonds devaieut servir a payer la guerre civile et qu\'il serait étrauge que le pays qui avait tant souffert de cette guerre fut teuu de réparer !e tort auquel les souscripteurs s\'étaient volou-tairement exposés au mépris des protestations solennelles de Don Pedro contre l\'emprunt de 1832,quot;
Vous voyez que je ne me suis pas trompé eu caractéri-sant ce document avant de le citer: Puisqu\'il u\'y a rien a faire, il est inutile de renvoyer au ministre, tout le rapport tient dans ces quelques mots.
Le président de la commission des porteurs de titres, convoque alors une assemblee générale le 9 avril 1868. II informe l\'assemblée que le Sénat a passé ii 1\'ordre du jour: »11 est regrettable, dit il, que M. le rapporteur n\'ait pas cru devoir appeler prés de lui votre commission afin de s\'éclairer sur les points importants de cette affaire. Les justifications que nous lui aurions fournies auraieut pu mo-
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difier les conclusions de son rapport et uous aurions f.er-tainement détruit les quelques allegations du gouvernement portugais qui ont obtenu créance pres de lui.\'\'
Le Tribunal trouvera dans le livre de M. de Reilhac la refutation point par point des assertions du rapporteur. Je ne m\'attache ici qu\'ii une seule. i^es créanciers qui me poursuivent de leur.s clameurs sont des agioteurs qui ont acheté leurs titres ii vil prix, dit le gouveruemeut portugais. D\'abord ce ne serait pas une raison pour ne pas payer la dette qu\'ou a contractée et rendre I\'argent qu\'on a pris ; mais, en outre, il fait cjut le Tribunal sache, comme le savent si bien nos adversaires, que nos clients ont conserve les bordereaux authentiques d\'agents de change qui constituent leurs achats ii la Bourse de Paris en 1833; que le père de M. de Reilhac, pour ne parler que de lui, a englouti plus de 1,500,000 fr. dans ces achats de titres portugais!
Main tenant, parlerai-je des voyages f\'aits par M. de Reilhac a Lisbonne, des deux longs séjours qu\'il y a fait, des hommes d\'Etat qu\'il y a vus, des propositions qui lui ont ete faites.
Le Tribunal trouvera tout cela dans son livre, dans la mesure du moins ou la discretion qu\'on doit aux personnes permettait de l\'imprimer. Je me hate done, a present que le Tribunal connait les documents principaux, de vous placer en face des questions du procés.
Nos adversaires avaient relevé la diffamation et I\'offense: Le Tribunal n\'a retenu que rofFense. Nos adversaires peu-vent ne pas accepter la théorie du jugement, et d\'autre part Mt; Lachaud leur répondra. Ma discussion doit done être courte sous jieine de redites.
Je conteste d\'abord la théorie juridique du jugement par défaut. Que dit, en effet, I\'art. 12 (loi du 17 raai 1819) V
»L\'offense par l\'un des mêmes moyens envers la personne des souverains ou envers celle des chefs des gouvernements étrangers, sera punie d\'un emprisonnemeut de un mois a trois ans et d\'une amende de 100 ii 5,000 fr.quot;
Le Tribunal nous a condamnés en visant le second membre de phrase; »Les chef des gouvernements.quot; C\'est une première erreur. II est clair, en etfet, qu\'ici »chefs des gou-
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vernements designent les presidentis de Republique, vice-roia, stadhouders, etc.,quot; mais que le Portugal étant une monarchie, l\'offense était faite a un souverain s\'il y avait offense.
Quel caractère doit avoir l\'offense pour qu\'il y ait lieu l\'application de Fart. 12? II faut qu\'elle s\'adresse a la personne du souverain. Le Tribunal la trouve d\'abord dans ces mots de l\'affiche: Emprunt royal dn Portugal. II me sufïlrait de répondre que l\'afflche d\'aoüt 1879, comme toutes celles employees depuis 40 ans, est copiée sur le titre même de l\'obligation.
Mais, ajoute-t-on. vous ne vous êtes pas borné a mettre »emprunt royal, »vous ajoutez, en parlant des obligations de eet emprunt »resté en souffrance.quot; Vous avez employé de grosses lettres pour faire ressortir ces mots »en souffrance;quot; vous avez done manifesté par la l\'intentiou d\'offenser le gouvernement. Or, ajoute le jugement, »le roi étant le chef du gouvernement, vous avez offensé le roi. »Mais alors ce ne serait que comme membre du gouvernement constitu-tiounel dont il est l\'une des trois personnes, ce serait a raison de sa fonction et nou ii raison de sa personne. La personne du roi ne se confond pas avec le pouvoir exécutif du roi; la personne du roi peut être profondément respectée et les actes du pouvoir exécutif violemment discutés, et quelque républicains que nous soyons devenus, il est clair cependant que nous ne pouvons pas avoir complétement oublié ces principes élémentaires du droit monarchique constitu-tionnel.
II est vrai que l\'allégation d un fait exact peut quelque-fois constituer la diffamation, mais le jugement n\'a pas retenu la diffamation, en second lieu cela ne démontre pas que l\'offense est faite a la personne du roi. Enfin, prenez y garde, si j\'ai parlé de diffamation nous n\'aurons pas moins de droits sans doute vis-a-vis des ministres portugais que nous n\'en aurions vis-a-vis du ministre francais, et je crois avoir établi que la preuve des faits n\'était pas un embarras pour nous.
Mais nous avions offert de restituer les sommes déposées entre uos mains. Nous avions imprimé nous-mêmes la transaction proposée; en admettant que la proposition füt
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siacère, le gouvernement dcvait conimercer iiar indiqusr le chiffre des sommes toucliées par lui, ce qu\'il a toujours refuse de faire, refus qui ne permettait pas de donner suite a la transaction. II refusait enfin les intéréts de oes capitaux employés depuis plus de quaraute ans a ses besoins,
Nous vous avons offensé, dites-vous, et l\'offense est intolerable. Pourquoi avez-vous jusqu\'a présent gardé le silence? Tenez, voici ce dont les porteurs hollandais ont couvert les murs d\'Amsterdam:
UMPUONT ROYAL 5 0/n PORTUGAIS DE 1832.
Le Comité des détenteurs d\'Obligations portugaises dudit emprunt:
Considérant que le gouvernement du royaume de Portugal continue a ne pas payer sa dette,
énergiquement contre l\'émission en Hollaude du nouvel empruut annoncé 5 pour cent, aussi longtemps que le gouvernement portugais se refusera a solder ou règler les obligations contractées par lui dans le passé.
Pour le Comité; L. H. Weetjen, président, A. C. Wertheim, secrétaire:
Amsterdam, 25 juillet 1879.
Avez-vous réclamé? Non; et la Bourse d\'Amsterdam vous a été fermée.
Ce n\'est pas tout: M. de Reilhac a reproduit dans son livre des extraits de la presse portugaise bien autrement. agressifs que les nótres; avez-vous poursuivi? Non.
Pourquoi? Paree que vous ótes incliné devant la force du principe juridique, principe que Bossuet a traduit par cette maxime qui retentira dans tous les siècles com me le cri de rofFensé: »11 nquot;y a pas de droit contre le droit. »Non pas que je veuille dire que la revendicatiou d\'un droit ne puisse quelquefois se traduire par des formes excessives, ni que j\'accorde aux créanciers le droit d\'outrager leurs débiteurs.
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rien nest plus loiu dc mn pensée; mais quaud la i\'eveu-dication d un droit legitime ne dépasse i)as la mesure très-large qui doit lui être accordée, je dis qu\'il est impossible de renverser les róles et de permettre au débiteur dVtouffer la plain te du créaucier.
Nous avons dit aussi que vos procédés étaieut contraires aux principes du droit iiiteruatioual. Ecoutez eet admirable article de la Quotidi.enne du 11 juin 1834; »Les évéuements récent du Portugal ont répandu, parmi les porteurs de l\'em-prunt royal portugais, uue iuquiétude qui tend a déprécier les valeurs dont ils sont propiétaires. Nous ne prétendons ui préjuger uue question aussi délicate, ni influer sur les déterminations des capitalistes intéressés, mais nous croyons devoir rappeler la position du gouvernement qui a con-tracté, et des banquiers francais et anglais qui ont souscrit.
La guerre peut bien décider les questions politiques, elle laisse intacte les questions financières; telle est la jurisprudence actuelle de l\'Europe en raatière d\'empnmts. Napoléon, en 1815, n\'avait pu nouer avec aucune puissance des relations politiques quelconques, et cependant Louis XVIII, on rentrant en France, reconnut ses moiudres créances: cette probité a foudé le crédit et la prospérité de notre pays.
»Les banquiers do France et d\'Au gieter re n\'ont point eontracté avec un avonturier, mais avec un gouvernement établi depuis cinq ans, gouvernement de droit, selon l\'Es-pagne, les Ktats-ünis et Rome qui entretenaient des ambassadeurs auprès de lui, gouvernement de fait pour tous les autres. Quand l\'emprunt fut émis a la Bourse, Dona Maria était a Paris et D Pedro resserré dans Oporto: D. Miguel était a quelque titre que ce füt le chef du gouvernement du pays; il a done pu contracté en sou nom, et en se liant, il a lié le Portugal lui-même; ce ci est incontestable.
»Les gouvernements passent, les peuples rostent, aucune transaction financière ne serait possible, s\'il sufflsait qu\'un pays renversat son gouvernement ou en fut violemment privé, pour que ses dettes fussent tenues pour payées. Cette question interesse tous les gouvernements, tons les banquiers tous les capitalistes; les porteurs de fonds Pèdristes sont les premiers iuteressés a la reconnaissance de l\'emprunt royal;
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car eet acte de probitè politique et du haute prudence mettmit leurs creances a 1\'abri des revers de fortune qu\'il faudrait encore prévoir au sein même du triomphe le plus complet.
»La dette contractée en 1832 n\'est pas une charge considerable pour le Portugal bien administré; la repousser serait proclamer une Jianqneronte et sans excuse possible. La reconnaitre, au contraire, est un acte utile pour le gouvernement portugais.»
Nous venons d\'examiner cette question toute finaucière dans ses rapports avec les principes du crédit admis en Europe. Nous gardons de préjuger les questions politiques.
Voici raainteuant la voix des jurisconsultes;
»D. Miguel, écrivait M. Dufaure, en 1853, 1). Miguel était incontestablement leur débiteur; il Ta reconnu et pro-clamé de la manière la plus solennelle par sa quittance du 5 octobre 1832. Après sa défaite, ses biens ont été confis-qués; le soussigné ne connait pas j\'acte de confiscation ni les motifs précités, sur lesquels cette mesure extréme est fondée, mais il peut arriver que le vainqueur en tempore la rigueur, au profit des legitimes créanciers du vaincu, La convention nationale, au plus fort de ses mesures révo-lutionnaires, proclamait, par la loi du 13 nivóse, an ITI, art. 8, que les créanciers des emigres et de tout individu frappé de la confiscation de ses biens étaient declares créanciers directs de l\'Etat. Le gouvernement francais peut certai-nement, sans abandonner en rien la ligne politique qu\'il a suivie dans les affaires du Portugal, demander au profit de ses nationaux une derogation semblable au décret de confiscation contre D. Miguel.
»Sous un autre rapport, on ne comprend même pas que la reclamation des porteurs d\'obligation ne soit pas encore accueillie. Quelles sommes a-t-on recouvrées et mises en süreté, il parait que les porteurs des obligations de l\'emprunt ne le savent pas encore; mais peu importe c\'est un compte a rendre par le gouvernement qui s\'est chargé de ces re-couvrements.
»Le gouvernement francais demandera pour ses nationaux ce compte et la restitution dos sommes recouvrées; son intervention protectrice a eet égard n\'est pas facultative.
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mais obligee. En échange des sacrifices qu\'ils imposent nux citoyens, les gouvernements, ne sont pas seulement teuus de garantir leurs persou nes et leurs biens contre les dangers qu\'ils peuvent courir ii l\'intérieur, ils leur doivent, une sécurité au moius égale contre les avanies dont. ils pourraieut ètre victimes ;i l\'étranger. Ce serait une t ris te réponse que de dire: La France ne peut pas declarer la guerre au Portugal pour les porteurs de l emprunt de 1832. La guerre n\'est pas la fin nécessaire de toute récla-matiou diplomatique. 11 y a d\'ailleurs, grace au ciel, d\'autres puissances que celle de la force matérielle; la justice a aussi son autorité, et, dans les circonstauces dans lesquelles notre avis est demandé, elle nous \'parait si évidente qu\'il nous est impossible de croire qu\'elle ne soit pas entendue par le gougt;eruenient portugais.»
Berryer affirme que le Portugal est débiteur de l\'empruut tout entier, en que le gouvernement francais doit appuyer vigoureusemeut nos droits.
»... De même, dit-il, que selon les principes invariables du droit des gens, cliaque gouvernement est responsable envers les étrangers de ce que les sujets de ceux-ci éprou-vent de dommages, d\'injustices, d\'avanies, de la part de ses propres sujets, sur son territoire et dans l\'étendue de sa juridiction, cliaque nation est aussi responsable des actes extérieurs du gouvernement qu\'elle s\'est donné ou par qui elle a été dominee et régie, en qualité de puissance instituée et exer^ant la souveraiueté.»
Vous faut-il un publiciste et un professeur, voici M. Laboulaye:
»...Cest a ropinion qu\'il faut vous adresser, et non pas aux Tribunaux. La sanction, c\'est de faire exclure du marché francais tont emprunt portugais (c\'est la seule que connaissent les Anglais, mais c\'est la bonne).»
A ces noms illustres ajoutez tous ceux qui figurent dans les consultations qui font suite a la brochure de uotre confrère, M. Becker; noms plus bumbles, mais non moins sürs quand il s\'agit d\'apprécier la justice et la bonne foi d\'une reclamation. Voila nos cautions, nos garanties, nos défenseurs; je cberche oil sont les vótres. Vous n\'avez
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trouvé personnc, si petit qu\'il fut, qui osfd prendre, vis-a-vis de l\'opiiiion. la responsabilité de vous défendre. Quand nous avous imprimé ces avis vous vous êtes tus, quand nons avous affiche vous vous êtes tus, quand, cliaque annee nous avons convoqué les porteurs, vous vous êtes tus, quand le comité hollandais vous a fait exclure de la Bourse d\'Am-sterdam, vous vous êtes tus, quand vos journaux vous ont insultés chez vous, vous vous êtes tus. Peut-être auriez-vous bien fait de vous taire encore et de ne pas cherclier un débat dans lequel le plus grand sujet d\'étonnement doit être pour tous que ce soient nos clients qui aient des justifications a présenter.»
Après cette plaidoirie l\'audience est levée et la continuation des débais est renvoyée au 18 décembre,
A cette audience la parole est donnée a M. Durier au nom du gouvernement portugais.
Suivant M. Durier, les obligataires de l\'emprunt 1832 ne sont pas vis-a-vis du Portugal dans la situation normale des autres créanciers. L\'emprunt dont il s\'agit a été émis a Paris a une époque ou il était déja possible de prévoir la chute du prince au nom duquel il avait été souscrit r.innee précédente par MM. Ontrequin et Jauge. Quant aux sommes dont le gouvernement de D. Maria a profité, quoique le Portugal ne veuille pas se croire obligé a les rendre, néau-moins, obéissant a un sentiment de géiiérosité, le gouvernement de Lisbonne a toujours désiré en faire l\'objet d\'une transaction équitable avec les porteurs, Si cette transaction n\'a pas encore été réalisée, la cause en a été jusqu\'ici, l\'avidité des obligataires de 1832, lesquels ont chaque fois cherché a speculer sur cette transaction et ii la rendre impossible.
II est du reste clair, continue M. Durier, que tous ceux qui ont achefé en 1833 les titres de eet emprunt devaient savoir qu\'ils faisaient un placement aléatoire. II y a plus, il faut admettre même qu\'ils out fait acte de parti et d\'im-mixtion dans les affaires du Portugal! lis s\'effo^aient ainsi de fournir des ressources au gouvernemeift de D. Miguel Iquot;, alors que D. Pedro était déja entré dans Porto,
nt de cette fafon ils out ret,arde ie triomphe de ce dernier. 11 faut savoir que. pendant les dernières aunees que le gouvernement de D. Miguel fonctionna en Portugal, il livra le pays ïi une veritable tyrannie. II était bien naturel que nombre de Portugais appelassent, de tous leurs voeux la fin de cette domination despotique, et, D. Pedro était pour ceux-la uu libérateur!
11 n\'est pas juste de dire que les gouvernéments qui se succèdent béritent des engagements contractés par leurs prédécesseurs. Cette théorie n\'est, pas celle de MM. Berryer, de Vatimesnil et d\'autres jurisconsultes éminents, comme on a cherché a le faire entendre au Tribunal. M Durier lit alors divers passages des consultations de MM. Berryer et de Vatimesnil.
On trouve singulier que le nouveau gouvernement ait pris la suite de l\'emprunt 1832 ïi son arrivée au pouvoir, ou lui fait un crime d\'avoir intenté a Paris et a Londres des poursuites judiciaires pour s\'approprier les fonds a recou-vrer sur eet emprunt. On en vient a la declaration de M. Soarès et Ton s\'écrie tont haut: »Et nnnc erudimini, reges, intelligite .. . .quot; Mais, avanfc tout, il faut se rendre compte des circonstances dans lesquelles se sont f\'aites ces poursuites. II faut savoir que les traites en question sig-nées par ia maison Outrequin et. .Taugé étaient tirées guides banquiers étrangers a l\'emprunt 1832, qui, eux, avaient, déja bel et bien re^u les fonds de MM. Outrequin et .lauge. et par conséquent des souscripteurs. Croit-on si le gouvernement de D. Maria avait laissé eet argent entre les mains de ces banquiers, ceux-ci l\'auraient rendu aux souscrip tours? Probablement, non, et c\'est pourquoi le gouvernement portugais, dans l\'intérêt même des obligataires, a voulu mettre ces fonds en süreté. Nous avons bien fait de le faire, ajoute M. Durier, et je soutiens même que nous l\'avons fait sans que cela ait créé ii nos adversaires un titre contre nous, car notre droit absolu serait de tont ü\'arder.
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Après avoir cité et lu Ie rapport, fait au Sénat francais en 1862, par lequel le ministère des affaires étrangères déclarait qu\'il était obligé de suspendre ses reclamations diplomatiqnes a Lisbonne en faveur de ses nationaux, M.
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Durier fait ressortir que c\'est justemeut .tlors que le gouvernement. portugiiis ii\'avail plus rien a craindre de la di-plomatie frau^aise, qu\'il a voulu entrer lui-mème dans la voie (Vune transaction. Et cette transaction aurait abouti si on n\'avait pas demandé d\'abord 16 millions de francs, peut-être cependant avec la persuasion d\'en avoir moins. Mais enfin cela donna lieu a un agiotage, a une speculation dont la victime était en somme Ie gouvernement portugais, et les pourparlers ne purent encore aboutir cette fois. Alors, comnie aujourd\'lmi, et en tout temps du reste, le gouvernement portugais a vivement souhaité d\'en fiuir par un arrangement acceptable, mais jamais il n\'a rencontré chez les porteurs des dispositions conciliantes.
Passant ensuite ii la question de diffamation et d\'offense, Mc Durier declare tout d\'abord abandonner le terrain de la diffamation.
Nous nous étions trompés, dit-il, je le reconnais volontiers. il n\'y a pas ici diffamation, mais je soutiens qu\'il y a offense onvers le gouvernement portugais et que la personne du roi est atteinte comme faisant partie dn gouvernement. Les membres du syndicat de l\'emprunt de 1832 ont insultépu-bliquement le gouvernement; ils loiit accuse de ne pas payer ses dettes. C\'est une guerre déclarée et qui n\'aura pas de trève jusqu\'a ce que le Portugal ait éte mis au banc de l\'Europe. Aussi le roi est-il personnellement offensé de ces procédés. Evidemment, il n\'y a pas de regie qui établisse quand il y a on quand il n\'y a pas offense; le Tribunal a un pouvoir discrétiounaire d\'appréciation et les auteurs qui définissent 1\'offense n\'ont pu naturellement prévoir les cas multiples oü elle peut se produire.
Cependant, on trouve dans la legislation anglaise deux cas analogues a celui qui est déféré aujourd\'hui au Tribunal, et, dans ces deux cas, les prévenus ont été condamnes.
Sous la reine Anne, au commencement du dix-buitième, siècle, un écrivain anglais ayant accusé l\'empereur de Russie de maltraiter ses sujets, fut pani; plus tard, lord Gordon le fut aussi pour avoir diffamé la reine de France Marie-Antoinette. Dans le cas présent, il y a un fait similaire: le roi de Portugal est atteint. C\'est pourquoi le jugement
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par defaut rendu le 30 aoüt 1879 est assis sur les bases d\'une jurisprudence éclairée, et le Tribunal en ordonuera certainement la confirmation.
M. Laohaud réplique ensuite en ces termes;
J\'ai le projet d\'etre aussi rapide que possible; je n\'ou-blierai pas que nous sommes en réplique. A la derniêre audience il vous a ete pi\'esente, sous la forme la plus bril-lante, une exposé merveilleux de clarté de toute cette affaire par M. Barboux.
Vous n\'avez rien perdu de cette discussion qui embrassait a la fois le point de fait et le point de droit.
Je viens d\'écouter tout a I\'heure, avec I\'attention qu\'elle mérite, la plaidoirie de men adversaire, j\'ai la conviction qu\'elle n\'aura pas réussi a detruire un seul des points touchés par I\'argumentation si sure de mon confrère Barboux.
La question était de savoir si des créanciers du gouver-nements portugais qui na pas payé et qui tie veut pas payer ses dettes, ne trouvant pas en France les moyens d\'obtenir justice, l\'incompétence leur fermant toutes les voies, n\'ont pas pu en appeler a Topinion publique.
Quand je vous aurai prouvé qu\'il n\'est pas possible de trouver un délit dans les paroles qui vous sont déférées comme oifensantes; que d\'ailleurs le gouvernement de Portugal nous avait forcés, par sa protestation même, a presenter une défense publique, vous n\'éprouverez aucune hésitation a rapporter le jugement par défaut auquel nous avons fait opposition.
Le Tribunal, qui n\'était point alors composé comme Test le vótre, ne connaissait pas I\'aff.iire, il a pu croire qu\'il y avait ici de grands coupables. Personne ne lui avait dit ce qu\'était cet excellent Mr. Battarel pour lequel je me présente, ni ce qu\'était M. le comte de Reilhac. Aujour-d\'hui la lumiére se fait sur les hommes et sur les choses.
D. Miguel a-t-il gouverné le Portugal? A-t-il été, pendant plusieurs années la seule autorité reconnue dans ce pays? N\'a-t-il été seulement que le chef d\'une insurrection triomphante? (quot;est la question du rlébat; il n\'y en a pas d\'autre. Oberchons done:
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M. Barboux, qui, s\'il n\'etait pas un avocat de premier ordre, serait un grand ecrivain, vous a dit ce qd\'etait ü. Miguel. Je n\'ai pas a vous le redire.
Quand Jean VI meurt, le Portugal avait comme colonie le Brésil; la couronne revenait a 1). Pèdre, son tils aiué; mais, traitre ii la patrie, D. Pèdre, nommé par sou père gouverneur du Brésil, avait détaché cette grande colonie de la mère-patrie et s\'était fait nommer empereur.
Etonnez-vous après cela lt;jue le Portugal humilié et amoindri se soit insurgé eontre son autorité et que ses sympathies soient allées a D, Miguel? Vous dites qu\'il a manqué a sa parole quand il nquot;a pas voulu épouser sa nièce et qu\'il s\'est fait proclamer roi; mais n\'a-t-il pas convoqué les Cortes, qui restaient libres de disposer de la couronne ? Elles Tont, en 1828, proclamé roi de Portugal. Mais cela s\'est fait après coup, me direz-vous, les Cortes n\'ont eu qu\'a ratifier une proclamation déja faite, elles n\'ont disposé de la couronne qu\'api\'ès une prise de possession! Voulez-vous que nous parlions un peu liistoire de France; faut-il vous rappeler 1815? Et ce qui s\'est passé en 1830: Louis-Philippe proclamé roi des Francais, la Chambre et le Sénat disant plus tard que c\'était bieu: et plus prés de nous, le 4 Sep-tembre.
Ce que je tiens a établir, c\'est que le gouvernement de D. Miguel après avoir été, comme tant d\'autres, gouvernement de fait, a été reconuu gouvernement de droit, ayant des ambassadeurs ou des représentants commerciaux auprès de chaque puissance. La France elle-même le reconnaissait, puisqu\'elle formulait prés de lui des deraandes d\'excuses et que, sur son refus, elle envoyait pour les obtenir une escadre sous les ordres de l\'amiral Roussin qui fonja, comme vous l\'avez dit, l\'embouchure du Tage et s\'embossa devant Lis-bonne. Et pourtant inon adversaire voudrait vous faire croire que pendant six ans le Portugal est resté sans sou-verain. Selou lui, le véritable souverain était dans cette petite ile de Terceira qui compte a peine quelques milliers d\'habitants.
Vons avez dit que les emprunts de D. Miguel avaient été reconnus a l\'intérieur, qu\'il le fallait bien paree que
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c\'etaient des empruat forces. Or, ce n\'étaii vrai que pour le premier; tous les autres etaient. des emprunts absolu-ments libres.
J\'arrive ii remprunt de ]832, il a été souscrit par des bauquiers qui en ont versé le total; le Portugal a profité de Ia somme entière, réduite, je crois, ïi 30 uiillioiis, remprunt ayant été offert au-dessous du nominal. Surviennent les évènements politiques; lu revolution de 1830 qui favorise D. Pèdre daus ses tentatives pour conquérir uu uom de sa li 11e, le royaume de Portugal. D. Miguel résiste au soulè-vement provoqué contre lui; il y ent alors des choses regrettables, indignes si vous voulez, car. pas plus que M. Barboux, je ne suis pas ici pour défendre D. Miguel. Ce que je retieus, c\'est qu\'il était dépositaire de la puissance souveraine et qu\'il a sa place dans l\'histoire.
yuand il tit son emprunt, il était encore maitre de tout ie Portugal. Porto n\'était même pas prise par Don Pedro.
Ce que je constate, eest que, Don Miguel renversé, per-somie ue doutat que remprunt fait au nom d\'un gouvernement régulier, ne fut recounu en Portugal. C\'est la première fois, en etfet, qu\'il en est autrement.
Quand mon adversaire pretend quo les autorités que nous avions citées n\'admettent pas la doctrine que les gouver-nemeuts sont solidaires de leurs devanciers, je suis bieu force de lui dire qu\'il a mal lu, qu\'il s\'est arrêté la oil la demonstration était irrecusable. C\'est ainsi que M. Berryer, par-lant des emprunts intérieurs, a pu dire qu\'il n\'y avait pas toujours un lien de droit qui obligeat le gouvernement nouveau.
»........L\'intérèt bien entendu du crédit public,
des considerations équitables puisées surtout dans la durée des gonvernemeiits antérieurs peuvent determiner a main-tenir et respecter les engagements pris par eux. Tel fut l\'exemple que I\'honorable maison de Bourbon donua au monde 1814 et 1815.quot;
Mais, arrivant aux emprunts extérieurs, M. Berryer ajoute ce que vous avez omis de lire: »... Mais il en est autrement, au point de vue du droit international, quant aux engagements pris envers des sujets d\'états étrungers... Chaque
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nation est respousable des actes extérieurs du gouvernemeut qu\'elle s\'est douné ou par qui elle a été domiiïée.
Ainsi, M. Berryer dit absolument le contraire de ce que vous lui uvez fait dire.
M, de Vatimesnil, la secoude autorité que vous avez citée, affirme avec nue énergie peut-être encore plus graude ce principe de Iti solidarity des gouvernements.
»Dans l\'espèce, dit-il, il s\'agit d\'engagements a titre onéreux . Les preteurs ont fourui leur argent; cet argent a été re^u par un gouvernements depuis ren versé, mais il l\'ii été pour les affaires du pays; il doit done être rendu aux particuliers qui 1\'ont fourui.»
Seconde erreur involontaire de men contradicteur. Les deux graudes autorités que Ton a citées sont done avec moi; j\'ajoute que, dans une declaration de I). Pedro nous retrouvons ii pen prés la même affirmation.
»Le crédit public, dit-il, se rétablira par la reconnaissance de toutes les dettes de l\'Etat, soit a l\'extérieur. soit ii l\'intérieur, mesure qui, sans aucun doute, aura une grande influence snr la prospórité du Portugal en nous conciliant la consideration des étrangers.quot;
Si ce n\'était la un engagement absolu, c\'était au moins une espérauce donnée pour gagner les bonnes graces des étrangers.
Nous arrivous ïi un autre point de vne de la question; Quand D, Miguel quitta le Portugal, il y avait dans le Trésor public des traites non encore payées de l\'emprunt de 1832; cet argent était-il ii vousV S\'il n\'était pas a vons, il fal-lait rendre les traites; il n\'y a pas deux probités: celle du eharbonnier ne diffère pas de celle du souverain.
II y avait bien aussi dans le trésor 00,000 L., vous les avez prises, je n\'ai rien a dire a cela, mais les traites! J1 y avait, je le sais, une petite difficulté! vous tie pouviez les toucher qu\'autant qu\'elles seraient endossées, or elles étaient a l\'ordre du trésorier général Fernandez. Oh! celui-la vous ne le destituez pas ou du moins vous atteudez qu\'ü ait donné sa signature. Le roi nouveau, Don Pedro affirme que toutes sommes provenant de l\'emprunt seront mises a part de tous autres fonds pour être reudues ii qui de droit.
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C\'etait la, dit mon coniradicteur, employant un admirable euphéniisme, »un acte de geuérosite, »acte qui, en tout.cas, n\'a pas couté beauconp au Portugal puisqu\'il a gardé 1\'urge ut qui devait nous être rendu; il n\'y a pas a équivoquer:
»A l\'égard de ces fonds, dit le décret du 31 juillet 1833, la commission sera autorisée uniquement a en opérer le recouvrement par la raison qu\'il répugnerait a ma généro-sité de mettre le moiudre empêchement a leur remise entre les mains de ceux auxquels ils peuvent appartenir de droit en temps convenable.quot;
En temps convenable! c\'etait dit en 1834 et nous sommes en 1880! Les traites ont été toucbées et 1\'argent a ete gardé. Que voulez-vous? Le fait est brutal; ce que vous reconnaissiez ne pas vous appartenir, vous l\'avez touché et vous ne l\'avez pas rendu . . .
Trente années plus tard. vous vous êtes avisé d\'une explication ; »D. Pèdre, dites-vous alors, est allé plus loin qu\'il ne devait, la Constitution ne lui permettait pas de rendre ce qui se trouvait dans le Trésor public. Lui permettait-elle done de le garder. II fallait l\'assentiment des Cortes? Mais d\'abord il y a la une erreur évidente, les Cortès ont ratifié le décret, puisque cette somme a figure au budget sous les réserves par D. Pedro.
Ah! voyez vous, le gouvernement portugais a été, je le crains, bien naai inspiré en engageant ce procés; ne se doutait-il done pas qu\'il allait être accablé? II n\'y aurait jamais de paroles assez sévères pour uu particulier qui agirait de la sorte, écoutez plutót ce qui va suivre.
Les banquiers ne se souciaient guère de douner l\'argent des traites, ils sentaient qu\'ils pourraient sauver un débris de l\'emprunt; ils demandèreut des explications, la justice trouva qu\'elles ne seraieut pas inutiles et le gouvernement portugais envoya u Londres un agent torn spécial chargé de déclurer, sous serment, que l\'argent des traites serait réservé ii ceux a qu\'il appartenait, il jurait qu\'il était »daus les intentions de la reine et du gouvernement actuel du Portugal de mettre de coté les fonds des lettres de change pour en répartir le moutant entre les ayants droit.»
Oü les avez-vous placés ces fonds V Dans quelle caisse
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spéciale se trouve eet argent, qni ne devait jamais être con-fondu avec les revenus du royaume ?... Vous vous eu êtes servi... Vous l\'avez dépeusé; puis, uu jour, vous avez eessé de Ie faire figurer dans les budgets. Et mon honorable contradicteur s\'imagine qu\'il suffit, pour se débarrasser de nous, de dire que nous étions des souscripteurs amis des rois. Nous faisions foi au Portugal. Voila tout.
Nous verrons tout a l\'heure quelles sont les propositious qu\'avec l\'intentiou, selon moi, de ne pas les tenir, le Portugal a faites a plusieurs reprises aux porteurs de l\'emprunt. Que mon contradicteur cite, dans la pensee d\'excuser le Portugal, 1\'exemple de la banque de France a laquelle on ne veut, parait-il, rien rembourser des sommes que la Commune lui a volées. Mais d\'abord, la Commune n\'a pas été un gouvernement en France, quelle analogie entre ce ramas-ais d\'hommes qui nous ont terrorises, pillés et assassinés et ce gouvernement da Portugal qui, pendant six ans marche d\'accord avec les Cortes. Et puis cela se passe cliez nous, nous ne faisous pas tort a des étrangers.
Je me permettrai d\'ajouter quant a ce refus de payer la Banque de France que je le trouve deplorable, il y avait la une dette d\'honneur que l\'Etat ne pouvait se dispenser d\'acquitter.
Mais tout cela. ce n\'est pas le procés. La vraie question c\'est qu\'il y a quelque part de l\'argent, que eet argent est a nous, qu\'il y a un gouvernement qui ne veut pas rendre ce qu\'il a pris, eucore bien qu\'il n\'ait touché que sous conditions et sous serment.
11 y a, d\'un autre cóté, des hommes qui ont donné ces millions que vous gardez; ils veulsnt qu\'on les paie; ils foment un syndicat...
Oh! je sais que vous avez dit des choses spirituelles et pleines de malice contre les syndicats; vous avez demandé si c\'était au nom de l\'intérêt général que nous agissionsV Eh non, sans doute! Nous ne nous posons pas en héros et ue voulons pas monter au Capitole, nous ne sommes que de braves geus qui payons nos dettes et qui voulons que les autres en fasseut autant. Nous avons formé un syndicat! Voyez done le crime! Aussi ue sommes nous
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plus que de^ »spéculateurs, des tripoteurs, des agents d\'affaires, des geas de bas étage. »et eotnme vous avez, dites vous, graad peur de tous ces geus-la, vous gardez tout, par craiate, dites-vous, de ue pas payer en bonnes mains.
Mais les syndicats, c\'est la defense des faibles contre les forts. Le nótre remonte a quarante années. car tout d\'abord on espera, on attendit. On disait qu\'il fant donner le temps aux gouveruements nouveaux de s\'asseoir; ce ne fut que lorsqu\'ou constata un mauvais vouloir systématique que Ia pensee vint de former uu comité de réclamation.
Qn\'après cela. il se soit trouvé parmi ceux qai en ont fait partie des noms moins honorables que d\'autres, que conclure de la? M. Sala, qui en fut le premier président, a été un homme connu de toute la presse et dont l\'hono-rabilité est telle, que ce serait presque un outrage que de vouloir le défendre.
Et M. Pinondel? Ah! on vent bien s\'incliner devant ce nom, il a laissé dans ce Palais le souvenir d\'un homme qui n\'a jamais transigé avec son devoir. Etait-ce done une oeuvre malhonnête que celle a la tête de laquelle s\'était placé eet honorable magistrat? II laissa la présidence a un homme dont il ne faut pas parler, non par égards pour lui, mais pour Thouorable Compagnie a laquelle il a appartenu. Puis est venu M. le comte de Reii.iiac; celui ci avait bien quelques droits a la présidence du comité, son père avait jeté 1,500,000 fr. dans eet emprunt de 1832 (il a eu bien tort son pèrej. Et quand, au nom du Portugal, on ne vient pas settlement dire qu\'on ne doit rien, mais qu\'on essaie de jeter du discredit sur les syndicats et ceux qui les composent, je dis moi que c\'est assez de miner les gens et que la pudeur devrait imposer quelques réserves.
Depuis 1840, le syndicat a fait tons ses efforts pour arriver a une conciliation, il n\'a pu y parvenir.
üe son cóté, le gouvernement portugais ne pouvait faire admettre ses emprunts a la Bourse; les souscripteurs de 1S32, combattant pour obtenir la fermeture des bourses qui per-sistait a les oublier.
Nous arrivons en 1853, car on ne s\'était pas adressé. ainsi que vous l\'aviez dit, au gouvernement de Juillet. M. de
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Gasparin a dit que ce gouvernement avait éte le patron de Dona Maria; je crois néanmoins qu\'en s\'adressant a lui on arait toutes chances d\'etre bien accueilli, car il était compose d\'hommes honnêtes. et je suis de eet avis que les honnêtes gens se rencontrent partout, et qu\'il n\'en ait pas un qui ne vonlüt payer les dettes de la France.
On s\'adressa done au Senat en 1853. Vous savez ce que dit M. Louis Leboeuf, un des hommes qui ont le mieux compris les affaires. Rapporteur de la petition, il declara que le droit des porteurs de I\'emprunt de 1832 est »certain, incontestable.quot; Le Sénat renvoya au ministre des affaires étrangères. Le ministre sen occupa activement, et, dans un rapport qu\'il présente a I\'empereur, nous lisons ce que nous n\'aurions certes pas imagine:
»Quant aux valeurs trouvées dans les caisses de I\'Etat lors de l\'entrée de Doji Pedro ïi Lisbonne et dont ce prince avait ordonné, par un décret. la restitution aux ayants droit, le gouvernement actuel se retraucbe derrière l\'inconstitu-tionnalité de cette mesure, qui ne pouvait être prise, suivant
lui, sans l\'autorisation des Chambres.....quot;
Et puis, écoutez les derniers mots:
»Ce décret étant seul, il s\'ensuit que les existences du Trésor de Don Miguel appartenaient an parti vainqueur.quot;
Ceci est trop fort. Ah! que vous refusiez de payer, passe encore. Que vous disiez que cet argent a été employé pour vous combattre... Phrases que cela et phrases dont la probité ne se sert pas; que vous disiez encore que Don Pedro n\'avait pas le droit de promettre la restitution de cet argent a ceux a qui il appartenait, soit encore si vous le voulez, je vous passe tons les paradoxes, mais que vous ajoutiez que cet argent était de bonne prise, que e\'etait le droit du vainqueur de s\'emparer de ces traites qui n\'ont pu être touchées qu\'après une declaration sous serment! Ah ! vous n\'y avez pas réfléchi . .. Vous jouiez done une comédie que je ne veux pas qualifier? Lorsque vous autorisiez un agent spécial a faire un serment en Cour de chancellerie pour affirmer que »le montant des traites serait mis a part pour être restitué,quot; tout cela était done un mensonge, puisque, dites-vous, vous aviez alors la pensée de garder cet argeut,
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en vertu du droit de vainqueur!____ Mais il faut s\'arreter,
car le gouvernement portugais veut être respecté. C\'est l\'arche sainte.
Ce qui est clair c\'est que vous ne vouliez rien rendre. Vous ne vous en tenez pas la, vous avez découvert une protestation; elle est de 1830; elle émanait des fidèles de la petite ile des Azores, on dit qu\'ils n\'étaient que quatre! Cette protestation avertit que la prétendue régence ne paiera pas les emprunts dn roi régnant. Ah! le bon billet que vous avez la! quel est done le gouvernement chassé qui, Ei la frontière, ne fait pas sa petite protestation contre celui qui vient après lui! ün peu plus tard ce sera Don Miguel qui n\'aura plus ni sujets, ni autorité, il protestera, dira que c\'est I\'insurrection qui triomphe, n\'allons pas si loin. Eu France, n\'avons-nous pas vu les Bourbons protester contre la Revolution frauyaise et contre Napoleon, et a son tour Napoleon protester contre les Bourbons. Les républicains ont protesté après le 2 décembre contre rusurpation du despote, êtes-vous bien sür que l\'empire ne protestera pas contre la liépublique. Mais direz-vous que toutes ces protestations ont pour consequence que les engagements pris par tous ces gouvernements ne doivent pas êtve tenus! Nou, personne n\'oserait dire cela en France, les protestations sont la consolation de ceux qui s\'en vont.
Vous ne pouvez nier avoir trouvé dans le Trésor des sommes qui ne vous appartenaient pas; pourquoi ne les avez-vous pas payees? Ah! c\'est que, dites-vous, nousétions exposes a mal payer. — Mais, payez toujours, vous disions-nous. — Oh! non, nous preferons garder toujours. Nos budgets, d\'ailleurs, se soldent toujours en deficit — Payez, disions nous encore, et nommez des commissaires fra^ais on portugais qui procéderont ïi la repartition par voie de contribution. Vous paierez d\'abord ceux qui ont souscrit en 1832, ceux qui établissent leur créauce, puis vous exa-minerez les titres des autres; et, en payant ce capital trouvé dans les caisses de I\'Etat, 2 a 3 millions, plus les intéréts, vous déchargerez le gouvernement d\'une responsabilité bien lourde.
Ne faites done pas intervenir le roi. Si le roi le pouvait, s\'il était le maitre. il y a longtemps qu\'on ne parlerait plus
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de ce malheurenx emprunt. A sou dernier voyage a Paris un malheurenx ruiné par eet empruut se présente a lui, et le roi prit ses titres et Ie désinteressa complètement, payaut ce qu\'il ne devait pas. II douuait la un exemple que vous anriez bien fait de suivre, messieurs du gouvernement; il avait compris qu\'un roi doit porter partont la bonte et le respect.
Mquot; Lacliaud s\'explique ensuite sur le rapport de M. Bon-jean en 1862. Ce qu\'on peut dire de sou rapport c\'est qu\'il a été fait rapidement, que le rapporteur n\'avait pas tous les renseignements que vous connaissez et qui sont la lumière même. Ce rapport se résumé d\'ailleurs en un mot, c\'est »qu\'il n\'y avait plus rien ïi faire diplomatiquement.quot;
C\'est après ce rapport qu\'il y eut des eutrevues avec M. de Païva, représentant du Portugal, était-ce sérieuxV je n\'ose pas dire non et pourtant nous n\'avons même pas pu savoir quel était ce capital qui avait été mis a part, nous invo-quions les budgets. C\'était lïi ce semble uue autorité! les choses en restèreut la.
Vous avez laissé croire que M. Mendès Léal avait refusé de nous recevoir. Nou; ce qui est vrai, au contraire, c\'est qu\'en tres galant homme il nous a dit qu\'il ferait ce qu\'il pourrait. Vous avez semblé dire aussi que cette affiche si criminelle par laquelle nous avons ofiensé le roi n\'avait été placardée qu\'au mois d\'aoüt; mais elle fut aussi placardée en avril et vous ne vous en êtes pas plaint a cette date. Quoi! neus avions offensé le roi et vous ne vous êtes pas plaint! Voulez-vous que je vous en dise la raison? C\'est qu\'a cette époque vous vous étiez adressé au Crédit lyonuais; on n\'a pu s\'entendre et alors vous n\'aviez pas d\'intérêt a vous dire oifensé. Expliquez done autrement votre silence. S\'il eüt été porté réellement atteiute ïi la consideration du roi de Portugal, que ne déposiez vous la plainte comme vous l\'avez fait au mois d\'aoüt? C\'est qu\'alors votre emprunt n\'avait pas abouti.
Vous vous êtes tournés alors vers le Comptoir d\'escompte. Nous l\'apprenons et nous prévenons votre ambassadeur, nous lui répétous que nous sommes des débiteurs nullement résolus \'a faire cadeau de leur argent. Nous avions tort, parait-il; c\'était la exercer une predion. Vous alliez presque dire
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faire acte de chantage. C\'était la vérité que nous voulious mie fois de plus faire entendre, avertissant que si on ne voulait pas nous entendre, cette vérité, nous la dirions anssi au public. M. Mendès Léal n\'était pas a Paris; il était suppléé alors par M. San Miguel, qui faisait rintérim. Celui ci n\'uyaiit rien voulu entendre, nous faisons de nouveau placarder l\'afficlie au mois d\'avril. De cette affiche, mon adversaire blame tout, la publicité, les caractères typogra-phiques. II couvient de uoter que nous avions deraandé et obtenu l\'autorisation d\'afficher; sur vos démarches, elle fut depuis retirée.
Mquot; Lacliaad recherche si, dans les termes de cette affiche, il y a une confusion possible entre le gouvernement et la personne du roi. Si nous avons mis: »Emprunt royal de Portugal,quot; c\'est que les titres portaient eet intitulé. Nons disions bien: »Emprunt de 1832.quot; Mais vous supposez que le lecteur aura lu ceci et n\'aura pas lu cela.
Nous étions dans notre droit, je le maintiens, en faisant cette affiche. Si certains mots vous paraissent en caractères trop gros, c\'est sans doute paree que vous ayant trouvé sourds jusqu\'ici a nos reclamations, nous avons voulu nous adresser cette fois aux yeux.
Ah! vous faites, a votre tour, une protestation ; elle n\'était pas aimable celle-la, il faut le reconnaitre. On nous traitait de la fa^on la plus désagréable, la plus rude. Nous étions des gens qui réclamions ce que nous n\'avious pas le droit réclamer. Oette protestation, vous la publiez dans lesjour-naux le Temps, le Soir, a notre tour nous répondons en racontant les faits.
C\'est alors que nous sommes assigués a la requête, le Tribunal le remarquera, du gouvernement portugais, a cette fin de nous voir »condamner a des dommages-intérêts envers le gouvernement portugais.quot; Le jugement a commis lui-méme cette erreur après vous, d\'accorder des dommages intéréts au gouvernement portugais en reconuaissant que c\'était le roi qui était ofFensé.
Oh! c\'est la de l\'argutie, dites-vous, pardon ce n\'est pas si insignifiaut que vous le dites. L\'art. 12 de la loi du 2f5 mai 1819 veut la plainte du souverain. Or, comment puis-je
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savoir si une plainte a éte portee puisque vous n\'assiguez pas a sa requête, il u\'est done pas possible de dire que la personne du roi soit au procés, car il faut qu\'il ait manifesté sa volonté et il ne l\'a pas fait, vous ne pouvez engager la personne du roi sans son assentiment; le roi ne l\'a pas donné, et pour son honneur, j\'espère qu\'il ne le don-nera jamais.
II ne s\'agit done, comme le dit votre citation, que d\'uno offense en vers le gouvernement portugais. Nous verrons tout a l\'heure si le délit d\'offense existe envers un gouvernement.
II y a eu uu jugement par défaut, le Tribunal s\'étant trouvé dans la nécessité de juger alors que nous étions dans I\'ini-possibilité de nous défendre. C\'est cette décision que nous vous demandons de rapporter.
En fait, — j\'arriverai tout a l\'heure a la question de droit, — tout ce que nous venons de vous faire connaitre ne vous prouve-t-il pas que si le Tribunal eut connu la vérité, il eüt jugé tout autrement; mais dans 1\'ignorance ab-solue oü il était de tous les documents qui pouvait l\'éclairer, il nous aura pris pour des gens de bas étage, des tripoteurs, — c\'est ainsi qu\'on nous qualifiait, Convenez que s\'il avait su que les deux hommes qui sont devant vous tenaient de leurs pères les titres qui les constituent créauciers, que l\'achat de ces titres remonte a 1832 et qu\'ils representent plus de 1,600.000 fr., il se fut gardé de ce considérant ou il déclarait que nous étions coupables d\'avoir dit »que les faits témoignent du peu de respect que le gouvernement portugais apporte aux engagements solennels pris par lui!»
Vous trouverez avec moi, je l\'espère, qu\'on ne pouvait apporter plus de moderation a écrire la vérité.
Je n\'ai plus a rappeler que le Portugal n\'a pas tenu ses engagements, et que la plainte que nous faisions entendre était digne d\'etre accueillie.
Vous ne pourriez done plus dire que:
»La redaction, la composition et la publication des placards par Battarel, et l\'insertion requise par lui dans le Temps, ont été con^nes et effectuées dans un esprit mal-veillant et offensant pour le gouvernement portugais.»
II est bien certain que nous n\'avons pas voulu étre
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agréable, mais la vivacité de notre polémique avait-elle sa raisou d\'être?
Le jugement ajoute:
»Que Batarel et le comtc de Reilhac ne devaieut pas igtiorer les circonstauces dans lesquelles eet emprunt a été émis en 1832, ui les reclamations, démarches, rapports, observations et réponses dont il a été le sujet; que la publicité raauvaise donuée par ces deux agents aux prétendus griefs dont ils se sont faits les interprètes auprès du gouvernement portugais n\'avait qn\'un but, celui d\'atteindre par voie de pression et d\'iutimidation co qu\'ils n\'avaient pu obteuir régulièrement.»
N\'est-il pas clair que ce considérant s\'eu va a mesure que nous avai^ons dans le débat. Ce qui est vrai c\'est que le Portugal, après avoir dit: »Nous vous rendrons votre argent, lions le mettons a part, »nous répond ensuite: »Nou, nous gardons tout, c\'est le droit du vainqueur!»
Aussi les victimes de 1832, ont employé tons le moyens en leur pouvoir; ils ont eu recours, non pas a la violence, mais a un moyen qui devait faire porter sur eux les regards du gouvernement portugais. Ce n\'est pas notre faute si le gouvernement du Portugal a préféré ne rien rendre de ce qu\'il avait re^u et nouf a obligé a lui rappeler ses engagements.
Maintenant, j\'examine l\'offense, et c\'est au nom mème des principes posés par notre adversaire que je vais dé-montrer que nous sommes dans le droit, qu\'il n\'y a pas olfense.
Vous faites aujourd\'hui bon marché de la diffamation, paree que le jugement par défaut l\'a rejetée; il n\'en est pas moins vrai que lorsque vous plaidiez seul, vous la mainteniez. M. l\'avocat de la République a déclaré le premier cette vérité incontestable, qu\'il n\'y a jamais diffamation envers uu gouvernement étranger, et alors vous avez biffé ce délit.
Je vous dis, a men tour, que l\'art. 12 ne reconnait pas l\'offense envers un gouvernement etranger, vous le com-prenez bien, aussi n\'est-ce que par un ricochet que vous y arrivez. »Le gouvernement, dites-vous. c\'est le roi!»
Mais reportez-vous done a l\'art. 12! Que dil-il »L\'of-
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feuse euvers la personnc du souverain.» Qui, il ne faut attaquer ni la personae privée ui les actes polifciques du souverain; inais a l\'égard des gouvernemeuts la liberté reste compléte et peut aller jusqu\'a la liberté de la ca-lomiiie. Eu France, nous avous un délit spécial; l\'excita-tiou a la liaiue et au mépris; mais c\'est la un délit national qui ne profite qu\'aux Fran§ais. A l\'égard des gou-vernements étrangers nous pouvons abuser de la liberté; de leur cóté ils peuvent en abuser vis-a-vis de nous.
Mais, au millieu de ces abus de la liberté pouvant arri-ver a la licence, il y a uu homme qu\'il faut respecter, c\'est le chef de l\'Etat; il y a un homme qu\'on sort du gouvernement, qu\'on place ii l\'abri, celui-la on ne doit pas l\'offenser; ou, si vous l\'offensez, vous commettez un délit. Et remarquez bien que ce n\'est pas l\'outrage qui s\'adresse a la fonction, c\'est l\'individu dans sa vie privée ou sa vie publique qu\'il faut avoir cffensé.
Mais vous dites que le roi étaut partie du gouvernement, si je critique ou blame le gouvernement, j\'offense par cela méme le souverain. Mais, prenez-y bien garde, c\'est la suppression absolue de toute liberte, c\'est l\'in-violabilité de tous les gouvernemeuts que vous décrétez.
Supposez qu\'un journal écrive demain que l\'Angleterre est un gouvernement qui se livre aux spoliations et aux massacres, diriez-vous que ce journal n\'avait pas le droit de parler ainsi et qu\'il a offensé la reine paree que la reine est dans le gouvernement?
N\'aurais je pas le droit de dire de l\'Espague que c\'est un pays tombé en banqueroute et qu\'il ne faut jamais lui préter? — Ah! non, direz-vous, car le roi dira: «l\'Es-pagne, c\'est moi, je suis le roi. „11 suffit d\'énoncer ces propositions pour être dispensé de les réfuter.
Attaquer le gouvernement ce n\'est done pas attaquer le chef du gouvernement. S\'il s\'agissait du gouvernement de la Turquie et que j\'eusse dit, par exemple, que la Tur-quie manquait a ses engagements envers l\'Europe, le sultan pourrait venir dire: » la Turquie, c\'est moi, je n\'ai pas de Chambre des députés, — ou j\'en ai si peu que cela ne compte pas, — je n\'ai que des hommes qui, pla-
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ces derrière moi, m\'obeisseut toujours. » J[ais en Portugal, ce iiquot;est pas un gouvernement absolu; le roi n\'est qu\'une des parties constitutiounelles du gouvernement. Oom-ment done l\'attaquerai-je si son nom n\'est pas même pro-noncé, si sa personne n\'est pas prise a partie? J\'ai employé l\'expression »emprunt royal, »inais d\'abord tous les emprunts du Portugal sont royaux, et je ne pouvais me servir d\'un autre titre, puisqu\'encore une fois c\'était celui qui était inscrit en tête des obligations de notre emprunt.
Eh! comment done aurai-je sougé a attaquer la personne du roi Louis? Ce u\'est certes pas lui qui met obstacle a ce qu\'on nous paie, et je suis bien convaincu que personnellement il voudrait que cette affaire fut réglée depuis longtemps.
Vous me dites que le gouvernement a été très-contristé de nos publications; j\'en suis bieu persuade, ce n\'est jamais très-agrèable d\'eutendre dire qu\'on n\'a pas paye ses dettes, mais que voulez vous? II y a, vous le savez, un excellent moyen de nous faire taire... Vous uimez mieux ne pas l\'emplo er et nous faire des procés.
Quand il s\'agit de l\'art. 12 il faut toujours en reveuir a cette expression: «La personne.» C\'est-a-dire celui qui, dans le pays, a une situation au-dessus de tous les autres. La loi de 1819 permet de combattre l\'ensemble du gouvernement mais a la condition de respecter le chef du gouvernement. Si vous dites que le roi est un malhonnête homme, oh! la loi fra^aise vous punira. J\'ai plaidé, — c\'était avant la guerre, — pour le roi de Prusse, accusé par un journal fra^ais d\'avoir, en Bohème, alors qu\'il habitait le palais d\'un grand seigneur, volé des moutons qu\'il fit diriger sur son domaine de Sans-Souci. II y avait la offense directe a la personne du roi et le journal fut con-damné. L\'affiche et la contre-protestation sur lesquelles les plaignants s\'appuient pour essayer d\'obtenir une con-daumation contre nous, s\'adressaient au gouvernement, jamais au roi.
M Lachaud explique alors ce qu\'est M. Batarel, fils d\'un homme que le monde judiciaire a connu et estimé; il était syndic, et les magistrats consulaires le tenaient en
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grande consideration. II u\'est point un agent d\'affaires, il est propriétaire, et je dois avouer qu\'il a organise an autre syndicat cpie celui des victinies du Portugal, et cela lui fait grand honneur. Lors de la guerre, en 1870, le genie militaire abattait quelquefois, peut-etre plus que n\'exigeait la defense; la maison de M. Battarel, a Saint-Maudé, était tornbee sous la hache des sapeurs; il a réclamé une indemnité, et pensant que sa cause était celle de tant d\'autres, il a groupé ceux qui avaient souffert comme lui, et a eu raison, car Ie gouvernement lui a fait justice dans la mesure possible.
Dans cette aflaire aussi, il a fait acte de courage et de bonne foi. Je remercie M. le comte de Reilhac qui a loya-lement revendiqué sa part de respousabilité dans cette lutte. lis ne vent pas être traité autrement que M. Battarel. lis représentent tons deux des intéréts sérieux.
Leurs déclarations légitimement irritées n\'ont eu rien d\'excessif. Les Tribunaux leur étaient fermés, ils se sont adressés au grand tribunal do I\'opinion publique et, faut il le dire ïi mon contradicteur, ils se pourrait bien que ce procés vous format a nous payer tout ce que vous nous devez. Ce serait la un denouement obligé de cette affaire auquel tout le monde applaudirait.»
Audience du 30 Décembre 1879.
M. I\'avocat de la Republique Calary donne ses conclusions et s\'exprimes en ces termes:
Messieurs,
L\'affaire daus laquelle j\'ai I\'honneur de conclure devant vous est une des plus vastes et des plus intéressantes, eu un mot une des plus belles, qui aient jamais été déférées a la justice. Elle embrasse I\'histoire, elle nous rappelle un cles épisodes les plus dramatiques dont 1\'Europe du dix-ueu-viéme siècle ait été le théatre Sur le terrain du droit, elle souléve les questions les plus hautes et de la plus in-finie variété: ici, dans les limites du droit public francais, celle de la protection accordée, en France, a la persoune offensée des souverains étrangers; - plus loin, dans un
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ordre d\'idees différent et international, celle des voies ouvertes aux citoyens francais, pour faire valoir leurs reclamations centre un Etat étranger; — aillenrs, a un point de vue plus general et plus éleve, celle de la responsabilite, qui peut découler pour tout pays, des engagements pris par ceux qui l\'ont gouverné; — d\'autres problèmes encore, non moins delicats, et d\'une aussi saisissante gravité. Que si I\'on ajoute, a ces premiers elements de puissante attraction, le spectacle, toujours plein d\'intérêt, de simples particuliers aux prises avec un gouvernement, la durée semi séculaire de la lutte par eux soutenue et ses vicissitudes, l\'adhésion réfléchie et sans reserves qu\'ils ont re^ue d\'hommes qui sont la gloire et I\'honnenr de la France, enfin l\'éclat avec lequel leurs préteutioua ont été soutenues et combattues devant vous dans un débat mémorable, — on comprendra que je n\'ai rien exagéré en disant de la cause qui vous est soumise qu\'elle a sa place marquee parmi les plus belles.
Cette cause, messieurs, je ne saurais ici la considérer sous ces faces diverses. Elle m\'entrainerait, ainsi envisagée, a des développements dépassant les limites qui me sont naturellement imparties. Le Tribunal ne doit attendre et n\'attend de moi qu\'une chose: c\'est une opinion motivée sur la question precise qui lui est déférée, et qui, par elle-même, par son incontestable importance, suffit amplement a attirer et ïi retenir I\'attention de la justice. Cette question, réduite a ces éléments essentiels, se pose en termes simples: les prévenus, souscripteurs de l\'emprunt émis en 1832 par le roi de Portugal D. Miguel Iquot; — emprunt dont le gouvernement portugais n\'a pas exécuté et pretend u\'être pas tenu d\'exécuter les conditions, — ont declare, dans des placards, composes et affichés par leurs soins, que cet emprunt était »en souffrance.» Puis, dans une protestation, qu\'ils out publiée dans de nombreux journaux, lis exposent que le gouvernement portugais, au mépris de l\'équité et des principes du droit civil et du droit des gens, ne paye pas ses dettes et témoigue peu de respect pour les engagements soiennels pris par lui. II s\'agit de savoir si ces attaques renferment, non pas une diffaination etivers le gouvernement portugais, — la diffamation n\'étant pas prévue et
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punie en cette matière, — mais une offense enrers la personae du roi de Portugal,
C\'est le seul point que j\'aie a examiner. Je laissserai done de cote, et je ne le fais pas sans regret, les questions si intéressantes de droit public international, que soulève ou que cotoie ce grave procés. C\'est a peine, même, si je rap-pellerai, d\'un mot, les faits qui sent comme le prologue de cette étude dramatique, et que des deux cótés, avec les differences d\'appréciations, naturelles dans des récits faits a des points de vue opposes, — on vous a déja racontes en détail: tous ces événements qui se sent déroulés en Portugal, de 1826 a 1834, de la mort du roi .Jean VI a l\'avénement de Dona Maria 11, sa petite-fille, dans cette période mouvementée pendant laquelle se place le règne de ü. Miguel Iquot;, le second fils de Jean VI.
Quelle est la vérité exacte, la vérité historique, en cette matière délicate, et quel jugement convient-il de porter sur le règne de D. Miguel et sur les engagements que ce prince a pu contractei- au nom du Portugal? vous avez. messieurs, présent a 1\'esprit, le langage qui vous a été tenu des deux parts. — D. Miguel, vous a dit l\'organe de la partie civile, n\'a été qu\'un usurpateur de passage, substitué un instant au gouvernement legitime, un aventurier, dont Ie pouvoir éphémère, irrégulier, tont de fait, a disparu, saus laisser de traces légales dans le royaume, sans créer d\'obligations aux souverains légitimes du Portugal, comme s\'il n\'avait jamais existé; son gouvernement n\'a été, dans l\'histoire de ce pays, qu\'un accident, une crise, un épisode violent, comparable a la Commune insurrectionnelle de 1871 dans l\'histoire de France. — I). Miguel, a-t-on soutenu de l\'autre cóté, a été un roi véritable, qui a régné prés de six années, dont l\'arrivée au tróne en 1828 a re^u la consécration immediate et solennelle des Cortès, qui a été reconnu de droit ou de fait par la plupart des puissances, qui pendant plus de quatre ans n\'a pas rencontré a l\'intérieur une ombre de résistance dans ce peuple soumis, qui a commandé toutes les forces militaires du royaume, qui a fait rendre la justice en son nom sur tout le territoire, et qui a été, uon-seulement l\'unique autorité, mais le maitre absolu du pays:
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son regne, dont le Portugal a, depuis lors. a tous les points de vue, hors dans la question qui nous occupe, accepte les obligations et les consequences légales. pendant lequel a éte frappée une monnaie qui a cours encore aujourd\'hui dans le royaume, et qui a vu la promulgation de plus de cent lois, décrets on ordonnances, actuellement encore en viguenr et officiellement maintenus dans la »collection des lois portugaises,» reimprimee en 1869 a I\'im-primerie royale de Lisbonne, son règne n\'a aucuu rapport, méme éloigné, avec la Commune de 1871. avec ces insurrections impuissantes, limitées dans leur action, hautement et constamment répudiées par rimmense majorité de la nation et promptement réprimées. — Voila, messieurs, les deux tableaux qui vous ont éte presentes. Le Tribunal comprend que, pour des raisons diverses, et teuu a une reserve particulière en face d\'un gouvernement ami de la France, je n\'ai pas a rechercher quelle est la verite his-torique dans ces evénements anciens.
D\'ailleurs, la n\'est pas le proces. Quels que soient les evénements dont le Portugal a été le théatre de 1826 a 1834, quel que soit le jugement a porter sur le caractêre personnel de Ü. Miguel et sur son règne. quelles qu\'aient été les conditions dans lesquelles ce prince, en 1828, est monté sur le trone de Portugal au préjudice de sa nièce, quelles qu\'aient été les circonstances dans lesquelles. après une guerre civile de prés de deux années, vaiucu par son trère ainé D. Pedro, que soutenait le parti libéral por-tugais, il a dü; en 1838. quitter détinitivement ce trone, — dans tous les cas, le proces qui vous est soumis doit recevoir la même solution; que D. Miguel ait été réelle-ment le roi de Portugal, le chef incontesté du gouvernement régulier, ayant droit de parler et de contractei- au nom du pays, comme le soutieunent les prévenus, ils ne doivent pas moins être condamnés, s\'ils out offeusé la persoune du souverain actuel de ce royaume; ils doivent. au contraire, être acquittés, s\'ils u\'ont pas commis d\'offense, füt-il établi que ü. Miguel, comme on le préteud de l\'autre cóté, n\'a été qu\'un aventurier. mis par un coup de fortune en possessiou de la direction momeutanée du Portugal. Le
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débat, ainsi réduit a une question precise et actuelle, perd incontestablement une pariie de son intéret general et de sa grandeur, il descend des hauteurs historiques oü l\'avaient porté et maintenu les récits colorés, mouvementés, éloquents, que vous avez entendus et justement admires; mais, il gague en simplicité au point de vue de la solution que vous avez a donner.
C\'est aussi en peu de mots que je vous rappellerai les démarches tentées, depuis longues années, par les por-teurs de l\'emprunt de 1832. anprès du gouvernement portugais. Quelle opinion convient-il de se faire de ces porteurs, aujourd\'hui groupés autour de MM. Battarel et de Reilhac, et qui out formé un syndicat? S\'agit-il, comme on l\'a dit en leur nom, de créanciers dignes d\'intérêt, qui ne font que réclatner les épargnes dont leurs pères, souscripteurs d\'origine de l\'emprunt de D. Miguel, s\'ótaient dessaisis entre les mains dn gouvernement de Portugal, et qui invoquent un droit sacré? Ne seraient-ils, au contraire, comme on le leur a reproché, que les héritiers d\'ardents miguelistes francais qui avaient prêté leurs fonds au roi de Portugal, les sachant d\'avance perdus pour le cas oü celui-ei serait vaincu dans la lutte qui commen^ait alors pour lui, — ou meme ne seraient-ils, pour la plupart, que des spéculateurs qui auraient acheté leurs titres a vil prix et chercheraient a en tirer un profit? Ici encore, messieurs, et comme pour le jugement ïi porter sur le règne de D. Miguel, la question est d\'un intéret secondaire dans le débat actuel; et, quelle que soit la réponse ii cette question, quelle que soit la situation antérieure et générale des prévenus, ils doivent perdre ou gagner leur proces, suivant qu\'ils ont ou non réellemeut offense la personue actuelle du roi de Portugal. Je serai done bref dans l\'appréciatiou du róle qu\'ils ont joué.
Vous n\'avez pas oublié, d\'ailleurs, les développements qui vous out été présentés en leur faveur, et pour établir leur bonne foi dans cette affaire. Vous n\'avez pas oublié que le nouveau gouvernement, après avoir triomphé de I). Miguel, avait trouvé. en entrant a Lisbonne. dans le Trésor public.
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plus de 60,000 liv. st., provenant de 1\'emprunt émis en 1832 par D. Miguel, dont il s\'était emparé; que, dans ce même Trésor, il avait découvert des traites importantes émanant de divers banquiers anglais et frai^ais, qui avaient eté remises au gouvernement de D. Miguel, en paiement de I\'emprunt; que le représentant financier du gouvernement de Dona Maria, Soarós, actioiina les accepteurs de ces traites a Londres, en même temps qu\'il poursnivait les tireurs h Paris, et que, interrogé ii Londres, dans le procés auquel donna lieu le recouvrement des traites, il répondait qu\'il »etait dans les intentions de la reine et du gouvei-nement de Portugal de mettre de cote les fonds a provenir du paiement des traites et d en distribuer le montaut entre les ayants droit. »Vous n\'avez pas oublié que, d\'après le décret du 31 juillet 1833, rendu par D. Pedro, le père de Dona Maria, au moment on il entrait a Lisbonne, le vain-queur, tout en s\'attribuant le droit de rompre le contrat passé par D. Miguel, se considérait comme obligé de rendre l\'argent re^u, et affirmait »qu\'aucun empêchement ne serait mis a la remise des fonds provenant de Femprunt entre les mains de ceux auxquels ces fonds pouvaient appartenir de droit.quot;— Ces faits sont historiques; ils soiit certains. Je n\'ai rien ii reprendre ii l\'exposé qui vous en a été fait. Tont en essayant d\'en atténuer la portee, l\'organe de la partie civile n\'en a pas contesté la réalité.
quot;Vous savez ce qui a suivi, comment les recouvrements opérés sur I\'emprunt de D. Miguel, portés pendant quel-ques années, dans le budget portugais, au cbapitre des recettes extraordinaires, n\'ont pas tardé a en disparaitre pour ne plus y figurer, et comment le gouvernement de Portugal qui, après la chute de D. Miguel, avait invoqué I\'emprunt de 1832 pour encaisser les soldes non encore versés, a bientot dénié tout caractère obligatoire ii eet emprunt, et par conséquent tout droit aux porteurs des titres, lorsqu\'ils s\'est agi de restituer les sommes par lui recouvrées. Ici, encore, il s\'agit de faits historiques, et je n\'ai a émettre aucuue appréciation.
Puis sont veuues des tentatives de transaction entre les porteurs et le gouvernement portugais; pure comédie, affir-
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ment les premiers, jouee par le gouvernement de Lisbonne. a certains moments oü il songeait a émettre de nouveaux empmnts, pour empêcher des reclamations de nature a nuire a remission projetée; tentatives sérieuses, répond le Portugal, et qui n\'ont éclioué que par la mauvaise volonté et les pretentions exorbitantes des porteurs. Je continue, messieurs, a raconter, ïi ne formuler aucun jugement, ajou-tant seulement que, dans cette circonstance, la principale difficulté venait, semble-t-il, du désir des créanciers de toucher, avec leur capital, leurs intéréts, le gouvernement por-tugais ne voulant rendre que le capital et entendant conserver les intéréts produits depuis cinquante ans. Vous savez que ces tentatives de transaction n\'ont pas abouti.
Et, pendant ce temps, que de ven ait, en France, la cause des porteurs? Après avoir échoué sous la monarchie de Juillet qui protégeait avec une faveur spéciale le gouvernement de Dona Maria et en éloignait tout embarras, elle u\'obtenait pas un succes meilleur sous l\'Empire. En 1862, le Sénat, auquel les porteurs avaient adressé une pétition, passait a l\'ordre du jour, sur le rapport de M. Bonjean. II convient, toutefois, de remarquer que la question méme de leur droit n\'était pas juridiquement traitée dans le rapport, et que ce travail constatait surtout la prétention arrêtée du gouvernement portugais de ne rien devoir, ou du moius de ne rien payer, et, plus encore, la declaration du département des affaires étrangères de France qu\'aucune suite diplomatique efficace ne pouvait être donnée ii l\'affaire. D\'ailleurs, neut\' années plus tót, et devant ce méme Sénat, les porteurs avaient vu leur droit proclamé »certain, incontestable.quot; Dans le monde juridique, et jusqu\'a la dernière heure, ils ont rencontré des soutiens nombreux, parmi les publicistes et les jurisconsultes les plus recommandables et les plus estimés. Dès 1853, ils avaient, dans des consultations puis-samment motivées, re^u l\'adhésion formelle d\'esprits éminents, justement considérés dans notre pays: Odilon Barrot, Vati-mesnil. Enfin, ils avaient été approuvés, encouragés dans leurs reclamations, par deux hommes des plus cousidérables que la France eu ce siècle ait possédés, et dont le conseil et l\'appui constituaient moralement la plus imposante autorité.
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deux membres du Barreau, l\'un et l\'autre profonds juris-consultes et admirables orateurs, égalemeut versés dans les choses du droit et dans celles de la politique, dout les noms brilleut d\'un éclat incomparable au plus haut rang de eet Ordre qu\'ils ont illustré: j\'ai nommé Dui\'aure et Berryer.
Ces f\'aits rappelés, j\'arrive ïi la question mome du proces: Y a-t-il offense envers la personae du roi de Portugal? Cette question, je la résous en faveur des prévenus.
Et tout d\'abord, que l\'orgaue de la partie civile me per-mette de la rappeler que dans la discusssiou si compléte a laquelle il s\'est livré, il a involontairement prête a ses ad-versaires un système que ceux-ci ue soutenaient pas. A entendre les prévenus, vous disait-il, l\'art. 12 de la loi du 17 mai 1819, qui punit l\'offense envers la personne des souverains étrangers (empereurs, rois), ou envers celle des chefs de gouvernements étrangers (présidents de République, stathouders, ete.), ne s\'appliquerait que s\'il s\'agissait d\'une offense envers la personne privêe; or, ajoutait-il, u\'est-il pas évident que la loi a vise d\'autres offenses que celles qui sont relatives a la vie privée, a la personne même du chef de l\'Etat, abstraction faite de sou caractère public? — Oui. répondrons-nous a la partie civile, cela est évident; oui, l\'offense, l\'outrage, l\'imputation injurieuse doivent être et sont réprimés, qu\'ils s\'adresseut a la vie publique ou a la vie privée, car e\'est la dignité souveraine que le législateur a voulu preserver, qu\'il s\'agisse d\'un chef d\'Etat étranger ou du chef de l\'Etat francais. Mais, cette vérité n\'a jamais été contestée. Elle a été, au contraire, reconnue, affirmée. Assurément, vous a-t-on dit au nom de MM. Battarel et de Reilhac, l\'offense a la personne publique du chef de l\'Etat est punie, comme l\'offense a la personne privée; mais il faut tóujours l\'offense a la joersonwe, il faut que la même du chef du gouvernement ait été prise a partie. Or, ici, ce n\'est pas le roi de Portugal qui est attaqué persou-nellement: ce n\'est pas sa personne qui est mise en jeu: c\'est le gouvernement même du Portugal qui est pris ii partie.
Voila comment les prévenus out posé le question, et il n\'est que juste de reconnaitre qu\'ils ne mériteut pas le
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reproche, qui leur a été adressé, de restreindre l\'application de l\'art. 12 aux seules offenses a la vie privée. Aussi bien, je ne saurais m\'arrêter lougtemps a cette réflexiou préliminaire, car je reconnais que l\'organe de la partie civile, sen-tant bien oü se pla^ait en definitive la veritable question, l\'a abordée franchement et a essayé de vous prouver que l\'attaque offensante, diffamatoire, envers le gouvernement, pouvait légalement comprendre — et couiprenait certaine-ment dans l\'espèce, — l\'offense envers la personne publique du souverain, chef de ce gouvernement.
Qu\'ont fait, vous dit-on, MM. Battarel et de ReilhacV — Dans des placards qu\'ils ont appliqués sur les murailles, a cóté des affiches mêmes qui annon§aien.t l\'émission d\'uu nou vel eniprunt portugais, dans de petites affiches de moindre dimension qu\'ils ont fait distribuer a la main, aux portes de la Bourse, du Comptoir d\'escompte, et en d\'autres lieux. ils ont exposé, en lettres majuscules, de nature a attirer l\'ceil et l\'attention, que 1\'emprunt portugais de 1832 était »en souffrancequot;. Cet emprunt, ils l\'ont qualifié »emprunt royalquot; en grands caractères, de telle sorte que le public est immédiatement prévenu qu\'un emprunt rotjal de Portugal est en souffrance. Puis, dans la publication qu\'ils ont insérée dans les journaux, ils déclarent que le gouvernement de Portugal manque a ses engagements, ne paye pas ses dettes, foule aux pieds les principes de l\'équité et du droit. Par cette double manoeuvre, quel but ont-ils poursuivi? Ce but est simple: déconsidérer, déshonorer Ie gouvernement de Portugal. Mais, peut-on atteindre ainsi le gouvernement de Portugal sans offenser le roi qui en est le chef? Vaine-ment allèguerait-on que ce roi est uu monarqueconstitutionnel. II n\'est pas moins le chef du gouvernement. Aux yeux de 1\'étranger, lui seul représente le gouvernement portugais, et les agents diplomatiques du Portugal sont ses agents. L\'era-prunt qu\'il s\'agit d emettre, et que les prévenus cherchent a faire échouer, a été autorisé par une loi au bas de laquelle il a apposé sa signature. Dans ces conditions, l\'attaque dirigée contre le gouvernement dout il fait partie, a la téte duquel il se trouve, dont il est extérieurement la person-nalité essentielle et significative, contre ce gouvernement que
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Ton dénonce a la Prance et, a l\'Europe comme indigne de l\'estime et de la cotifiance publiques, cette attaque l\'atteint évidemmeut, lui, le roi. Et comment I\'atteindrait-elle, si ce n\'est dans sa persovne? Dans sa personne publique et royale assurément, mais enfin dans sa personne! Et cette atteinte contient une offense manifeste en vers lui, car I\'offense, en ces matières, consiste dans toute irreverence qui tend a diminuer I\'autorite morale du chef de I\'Etat, a afi\'aiblir le respect qui lui est dü; et n\'est-ce pas précisément le but qu\'ont poursuivi les prévenus? Le roi de Portugal, ajoute-t-on, est d\'autant plus offense personnellemeut, qu\'il Test même, a certains égards, en dehors de son gouvernement et de sa dignité royale. II Test dans les actes de son aïeul D. Pedro de sa mère Dona Maria, de D. Pedro II, son frère, auquel il a succédé, en un mot, dans les actes de sa familie, dont il est solidaire, et qui est representee comme manquant, depuis un demi-siècle, a tous les engagements, et foulant aux pieds la justice et le droit. — A tous les points de vue, comme souveraiu et comme homme, il est personnellement offense.
Je cherche, on le reconnaitra, a presenter la thèse de la partie civile dans tout son jour; mais mes efforts ne peuvent lui donner ce qui lui manque, et le talent avec lequel elle a ete, a cette barre, exposée, soutenue, développée par l\'or-gane du gouvernement portugais, n\'a pu faire illusion au Tribunal
üne première reflexion se présente a l\'esprit devant cette théorie. Si elle était exacte, le principe incontesté que »la discussion et la critique des actes des gouvernemeuts sont libres, »ne serait plus qu\'un vain mot. Toute attaque ardente, passionnée, injuste, contre le gouvernement, serait saus doute permise, il n\'y aurait pas de délit de diffamation gouvernementale; mais, le chef de l\'Etat faisant partie dn gouvernement, il serait toujours aisé de voir, dans cette critique, dans cette attaque, une offense envers lui, envers sa personne, et la liberté, ainsi accordée d\'une main, serait reprise de l\'autre. Sans parler des gouvernements étrangers, se passerait-il un seul jour, dans notre pays, oü de nom-breux journaux ne dussent être déférés a la justice, pour offense envers la personne di. président de la République,
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si Ton voyait cette offense daus ehacun des articles oü son gouvernement est attaqué avec violence, avec passion, parfois avec injustice, et si Ton considérait comme s\'appliquant a sa persoune toutes les epithètes offensantes, injurieuses, outra-geantes, adressées au gouvernemeiit dont il est le cbef?
Non, la vérité n\'est pas la. ün souverain, un chef d\'Etat quelconque est distinct du gouvernement dont il fait partie. Dire »le gouvernementquot; d\'un pays, c\'est dire une chose; dire »le roiquot; ou »le président de la Republiquequot; de ce pays, e est dire une autre chose. Et je crois que cette regie est vraie pour tons les gouvernements, même pour ceux oü le chef de l\'Etat joue le róle le plus personnel. On vous disait, en faveur des prévenus, que le gouvernement de la Turquie ne pouvait être confondu avec le sultan et que discuter, attaquer, d\'une fa§on passionnée, même inju-rieuse, le gouvernement turc, ce n\'était pas offeuser la personne du sultan: la reflexion est juste, et n\'en est-il pas de même de l\'empire de Russie? Le gouvernement russe, c\'est le czar, assurément, d\'abord; mais c\'est aussi, avec lui, les ministres, le conseil de l\'empire, le Séuat, quelle que soit l\'origiue de ces corps; et, s\'attaquer a eet ensemble, ce n\'est pas prendre a partie la personne du czar. Mais, il est inutile, même, d\'aller aussi loin. II s\'agit ici du Portugal. Traitons la question comme elle se présente, et restons en Portugal.
Le gouvernement portugais, messieurs, est un gouvernement constitutionnel. Sur ce point, aucuue incertitude. Le roi de Portugal exerce le pouvoir législatif, d\'accord avec les Cortès, divisées en Chambre des pairs et Chambre des députés, qui font les lois. II exerce le pouvoir exécutif par ses ministres. Les attributions, qui sont placées dans ses mains par la Charte du 23 juillet 1820 et l\'acte additionnel du 5 juillet 1852, sont cellos qui se retrouvent dans tous les gouvernements constitutionnels, celles des chefs d\'Etat con-sidérés comme médiateurs entre les divers partis de la nation. Le roi de Portugal ne peut faire aucune convention, aucun concordat, sans le conseutement des Cortès. Le droit de faire la paix et la guerre reside, en dernier ressort, dans les Cortès. C\'est avec la majorité des Chambres que le ro
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doit gouverner, et qu\'il gouverue. (.quot;est un monarque essentiellemeut constitutionuel.
Ai-je besoin d\'insister pour démoutrer que, dans ces conditions, le roi de Portngal, — et je ne parle pas encore de sa personne proprement dite, je parle de son pouvoir royal, de son action dans le gouvernement, qui sont clioses dis-tinctes de sa personne, même de sa personne publique, — ne saurait étre confondu avec le gouvernement portugais? Dans tons les pays parlemeutaires, le fond même de la doctrine constitutionnelle est la responsabilite politique des ministres et la neutralité du pouvoir souverain. Si les Chambres, pour exercer, leur droit d\'exameu et de controle, devaient s\'attaquer au chef de l\'Etat lui-même, la carrière serait ouverte aux revolutions. On a done admis, — et, encore uue fois, e\'est l\'essence et le résumé du résumé du régime parlementaire, — eutre le chef de l\'Etat et les Chambres, des intermédiaires politiques respousablos, que l\'on peut critiquer sans esprit de révolte et déplacer sans bouleversements dans l\'Etat. 0\'est ainsi qu\'on évite de faire descendre dans des luttes quotidiennes le nom et le pouvoir du chef de l\'Etat et de les exposer Ei tous les coups des partis. Aussi, dans tons les pays, réputés parlemeutaires, voyons-nous toujours les ministres, daus les débats des assemblées, comtue devaut le corps électoral, couvrir le souverain; et s\'il arrivait a, des ministres, daus un régime constitutionnel, de se couvrir au contraire du nom du souverain d\'invoquer eux-mêmes son pouvoir personnel et sou action gouvernementale, d\'essayer de le jeter dans la balance, de le compromettre publiquement en l\'exposant a une lutte et a toutes les conséquences de la défaite, ils manqueraient a leur devoir, ou ignoreraieut les premiers éléments du régime parlementaire.
Dans un système ainsi organise, messieurs, il est certain, que le chef de l\'Etat n\'est pas le gouvernement et que son pouvoir, rojal ou présidejitiel, ne saurait être confondu avec ces organes complexes dont l\'eusemble coustitue le gouvernement. La reine d\'Angleterre n\'est pas le gouvernement anglais; le roi d\'Italie et le roi des Beiges ne sont pas le gouveruemeut italien et le gouvernement beige; le président
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de la liépublique tranyaise n\'est pas Ie jfouveruemeiit francais. Mais cette verite u\'est-elle pas plus éclatante encore si, au lieu du pouvoir du souverain et de son róle gouver-nemental, il s\'agit seulement de sa personne, pubüque ou privée? 11 est manifeste que l\'attaque contre le gouvernement n\'est pas dirigée contre la personne même du chef de l\'Etat; et cette attaque contre l\'Etat, être moral, être impersonnel, ne peut être transformée en mie offense envers le souverain envisage en tant que personne. Ce point est telleraeut hors de doute que, dans les discussions passionnées des Chambres, dans les luttes électorales ardentes, au milieu des reproehes les plus violents addresses aux ministres du chef de l\'Etat, a son gouvernement, et quelquefois même, — les partis dépassant la mesure — a la manière dont le chef de l\'Etat, exerce son pouvoir et remplit son róle, la personne de celui-ci est toujours mise, d\'un commun accord, hors du débat, au-dessus du conüit, et traitée avec autant de défé-rence que si son gouvernement et tons ses actes de souverain, au lieu d\'etre énergiquement critiqués, soulevaient une approbation générale.
L\'attaque au gouvernement est done, eu résumé, essen-tiellement différente de l\'offense ii la personne du chef de l\'Etat; et c\'est ainsi que, fandis que l\'offense a la personne est toujours punie, qu\'il s\'agisse du chef de l\'Etat francais ou du chef d\'un Etat étranger, l\'attaque au gouvernement, en principe, nest pas reprimée. Pour parler un langage juridique, il n\'y a pas de délit de diffamation envers les gouvernemeuts (et encore moins, bien entendn, de délit d\'offense envers les gouvernements, mais ce point n\'a jamais été contesté par personne); et, en effet, admettre la possibilité de l\'existence de ce délit de diffamation, en semblable matière, ce serait nier absolument et rendre nul le droit si précieux, si cher a tous les esprits libéraux, de discussion et de critique des actes gouvernementaux. Ainsi, en règle générale, pas de diffamation envers les gouvernements. Quelquefois, il est vrai, lorsqu\'elle est dirigée contre le gouveruemant frangais, et qu\'elle peut, a raison de cir-constauces particulières, quittant le terrain simplemeut offen-saut ou diffamatoire, être qualiflée »excitation a la haine
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et au mépris du gouvernemeni», l\'attaque tombe sous le coup de la loi; mais cela est tout a fait exceptionnel, et, d\'ailleurs, ce délit est esseutiellement national. Dirigée contre uu gouvernemeut étrauger, l\'attaque, même violente, injuste, injurieuse, difFamatoire, outrageaute, — j\'accumule iuten-tiounellement les epithètes, — u\'est pas délictueuse. Voila les principes. Voila la loi.
Done, pour revenir a [\'affaire actuelle, MM. Battarel et de Reilhac, — en prenant a partie le gouvernement de Portugal, et lui seul, — d\'une part, n\'ont commis, n\'ont pu commettre légalemeut aucun délit envers ce gouvernement, et, de l\'autre, celui-ci étant absolement distinct de la per-sonne du roi de Portugal, n\'ont adressé a cette dernière aucune offense. Leur attaque a passé au-dessous de la per-sonue royale, et le roi ne pouvait pas plus être attaint constitutiounellement qu\'il n\'éfait réellement vise dans la pensee de ces prévenus qui n\'ont cessé de protester de leur profond respect pour lui, et qui n\'ont jamais émis un mot ou écrit une ligue qui ne fussent empreints a son égard d\'une déférence absolue.
Ce point acquis, est-il nécessaire d\'ajouter que, prises plus en détail, les critiques, adressées aux inculpés sont peu sérieuses? Assurément, on lit, sur les placards incri-minés, les mots: emprunt royal; mais, comment les prévenus pouvaient-ils qualifier 1\'emprunt de 1832? N\'est-ce pas son nom, paree que le Portugal est un royaume, de même qu\'il serait impérial, si le Portugal était uu empire? Est-ce, d\'ailleurs, une épithète inventée ponr la circonstance? Ne se trouvait-elle pas dans le modèle du titre de l\'em-prunt de 1832, que MM. Battarel et de Reilhac se sont bornés a reproduire dans leurs placards? Mais, insiste-t-on, ils ont ajouté les mots: en sonffrance! Assurément; mais, cette expression n\'est-elle pas la plus adoucie qui se puisse imagiuer? Du moment que les prévenus voulaient dire que le gouvernement portugais ne payait pas ses detfes, — et ils pou-vaient tenir ce langage, sans commettre de délit — leur était-il possible d\'exprimer cette pensée en termes plus modérés? Dans des conclusions qu\'ils ont deposées, nous lisons:
»Attendu qu\'on indique, dans ce placard, uu fait précis,
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determiue, a savoir que lo gouvernement portugais laisse eu souffrance 88,750 obliifations de remission de 1832;
»Atteudu que cette locution» obligations en soufFrance» est la seule grammaticalement exacte; que c\'est celle dont ou se sert d\'ordinaire pour qualifier une créance d\'un re-couvrement difficile ou incertain; que tel est bien le carac-tère de la créance des souscripteurs de l\'emprunt de D. Miguel, dont le reglement fait, depuis quarante aus, l\'objet, entre les intéressés et le gouvernement portugais, de pourparlers et de négociations:
»Attendu que cette locution est, en mêiue temps, la plus euphémique qu\'on puisse employer, qu\'elle n\'implique, a aucun degré, l\'idée de mépris ou d\'injure pour le débiteur, et que vainemeut on chercherait un syuonyme pour ex-primer, avec plus de convenauce et de ruodération, le fait materiel et indéniable de la cessation du paiement des coupons de l\'emprunt de D. Miguel....»
Voila comment s\'exprimeut les inculpés, dans un langage qui est celui de la raison et de la vérité. Et, si l\'on veut bien observer que ce n\'est pas spontanément qu\'ils ont eu recours au procédé qui leur a été reproché, si l\'on remarque qu\'ils u\'ont affiche ces placards que puree que le gouvernement de Portugal, qu\'ils considèrent comme leur débiteur, faisait, a ce moment-la, par des affiches, appel au crédit public, on jugera d\'un ceil favorable l\'acte incriminé. II faut reconnaitre, d\'ailleurs, que le gouvernement de Lisbonne, dans ce même ordre d\'idées, a laissé passer, saus poursuites, même sans émotion apparente, des expressions singulière-ment plus acerbcs et des appréciations d\'une sévérité moins atténuée, dans des écrits hollandais et dans la presse portu-gaise elle-méme.
Enfin, j\'ajouterai, en ce qui concerne la centre protestation de MM. Battarel et de Ileilhac, qu\'elie n\'est, elle aussi, qu\'une réponse, et que la vivacité s\'en explique, dans une certaine mesure, par les termes mêmes du document signé de M. de San Miguel et publié dans divers journaux. Assu-rément, le ton général de ce document est naturel de la part du représentant du Portugal, de la part d\'un agent diplomatique, gardien indiqué et gardien justement jaloux
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et susceptible fie consideration de sou gouvernement; mais on doit confesser qu\'il a pu émouvoir et exciter des hommes, convaincus eux aussi de leur bonne foi, convaincus de la justice d\'une cause, dans Texamen de laquelle je n\'ai pas a entrer, mais qui a (on ne saurait le conti ster en presence de faits historiques indeniablesj au moins les apparences en sa faveur, — des hommes sur la probité desquels aucun doute u\'a jamais été élevé, et qui, en somme, comme ils le diseüt eux-mêmes dans leurs conclusions, n\'ont eu qu\'un tort, c\'est de ne pas bien distinguer eutre un gouvernement de droit et un gouvernement, parait-il, seulemeat de fait, et d\'avoir prêté a un roi qui, depuis quatre ans maitre absolu du Portugal, n\'était cependant pas, assure-t-on, suf-fisamment accrédité pour recevoir 1\'argent qu\'empruntait son gouvernement, — des hommes euüu qui, n\'ignorant pas que, d\'après une jurisprudence constante que je n\'ai pas a apprécier, ils se heurteraient a une exception d\'incompé-tence en portant leurs reclamations devant les ïribunaux francais, ont pu croire qu\'il ne leur restait qu\'une voie: faire appel ii l\'opinion publique.
Voila 1\'affaire, messieurs; J\'ai examine et résolu la question au fond sans m\'arrêter a une difficulté de forme soulevée par la defense. Cependant, cette difficulté est des plus sérieuses. On vous a fait remarquer qu\'aux termes de l\'art. 3 de la loi du 26 mai 1819, dans le cas d\'offense envers la personne des souverains et chefs de gouvernements etran-gers, la poursuite ne doit avoir lieu que sur la plainte du chef d\'Etat qui se croit offense, et qu\'ici la plainte du roi de Portugal fait défaut. On a ajouté que l\'assignation qui a appelé les pré ven us devant vous est rédigée »a la requête du gouvernement portugais,quot; et qu\'elle ne fait aucune mention du roi de Portugal, a Ia requête duquel il aurait dü étre procédé; que, dans ces conditions, si le Tribunal, esti-mant qu\'il y a offense envers la personne du roi, allouait des dommages-iutéréts la somme allouée ne pourrait entrer dans la caisse du monarque offensé, mais serait versée dans celle du gouvernement portugais. On conclut en affirmant que la demande n\'est pas régulièremeut introduite.
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Jft suis disposé, je dois lo dire, a partager cefcte opinion\'. Je laisse toutefois au Tribunal le sein de rechercher si le chargé d\'affaires de Portugal, M. de San Miguel, n\'est pas, avant tout, le représentant, en France, du roi de Portugal, et s\'il n\'y a pas eu, dès lors, dans les premières lignes de l\'assignation, telle qu\'elle est rédigée, une véritable erreur matérielle, une confusion de fait, commise par inadvertauce, dont il serait rigoureux de faire peser toutes les consé-quences sur le demandeur. En entrant dans eet ordre d\'idées, le Tribunal lirait l\'assignation comme si elle contenait ces mots: »A la requête de S. M. le roi de Portugal.» Mais resterait toujours, il me setnble, la nécessité d\'une plainte portee par la personne offensée, plainte qui fait ici défaut. Le Tribunal, d\'ailleurs, n\'attend pas que j\'entre, sur ce point, dans de longs développements et dans une discussion compléte. Cette affaire, dans son ensemble, était trop considé-rable pour que le ministère public n\'en abordat pas le fond, n\'essayat pas de la discuter en elle-même; et, maintenant qu\'il a fait ce travail, qu\'il croit vons avoir démontré qu\'il n\'y a pas de délit, pourquoi s\'attarderait-il sur une question de forme, dont l\'importance, après les explications qui précédent, est évidemment secondaire? Fermons douc cette paren thèse, et ramenons notre attention sur le fond même de ce grave débat.
Vous n\'avez, messieurs j\'en suis convaincu, aucune incertitude sur la decision que vous allez rendre. Après la discussion considérable qui s\'est déroulée devant vous, et dans laquelle tous les arguments ont été présentés de part et d\'autre, la vérité s\'est fait jour, et c\'est ii un acquittement que vous serez conduits. Cet acquittement aura-t-il les conséquences que vous indiquait, en terminant, le second défenseur des prévenus? Rendra-t-il, vis-ïi-vis du Portugal, leur \'situation meilleure, et augmentera-t-il, leurs chances d\'etre reinboursés? Entrainera-t-il, au contraire, un effet oppose? Je ne le sais, et je m\'en soucie peu, II est d\'autres conséquences de cette solution qui me préoccuperaient, si elles devaient se produire, comme l\'annon^ait I\'organe de la partie civile, a la fin de sa pdaidoirie, ne serait-il pas
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a craiudre, s\'écriait-il, si les inculpes échappaieut a toute condamnatiou, que les souveraius étrangers ne ressentent quelque emotion, en se volant en France insuffisaniment protégés coatre les attaques et les offenses! — Messieurs, les souverains n\'épi\'ouveront aucun sentiment de cette nature, lis savent, tous, par une pratique de chaque jour, qu\'ils sont profondément respectés dans notre France républicaine, aussi respectés que dans leurs Etats monarcliiques. Envers eux, dans ce pays, la trêve des partis n\'est pas un vain mot, mais une éclatante réalité. La presse franfais, dans sea nuances les plus diverses, est unauime a leur accorder la deference qui leur est due. Dans les écrits les plus vifs, dans les paroles les plus ardentes, au milieu des reproches et des injustices, dont nul en France, si haut qu\'il soit, n\'est a l\'abri, pas un mot, contre les chefs des puissances qui nous entourent, Voila ce qu\'ils savent tous. Que si une offense quelconque se produisait contre la personne de l\'un d\'eux, ils savent aussi qu\'elle serait immédiatement dé-férée a la justice et sévèrement réprimée. — Comment un acquittement mérité pourniit-il causer l\'émotion qu\'on vous signale? — Eloignons ces pensees inquiètes, messieurs. Ici, aucun chef d\'Etat n\'a été attaqué, aucune offense n\'a été commise, la loi n\'a pas été violée. C\'est au nom de cette loi, égale pour tous, que je conclus au renvoi de ces hommes qui ont entouré de respect la personne du roi de Portugal, qui dans leurs attaques contre sou gouvernement ont usé de leurs droits et qui doiveut sortir de cette enceinte la tête haute, — comme ils y sont eutrés!
Jugement.
«Le Tribunal,
»Aprés en a^oir délibéré conformément a la loi;
ïAttendu que l\'opposition formée par de Reilhac et Battarel au jugement par défaut du 30 aoüt 1879 qui les condamne, de Reilhac a 3,000 fr. d\'amende et Battarel ii quatre mois de prison et 3,000 d\'amende pour offenses euvers S. M. le roi de Portugal, est régulière en la forme;
»Le Tribunal declare ledit jugement non avenu et sta-tuant a nouveau;
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sAttendu que, bieu que lïnstance engagee par M. Ie comte de San Miguel, chargé d\'affaires du Portugal, a la requête du gouvernement portugais, relève envers ce gouvernement un double délit d\'offeuse et de diffamation qui n\'est pas réprimé par la loi fran^aise, il u\'y a pas lieu de s\'arrêter a cette irrégularitè, le demandeur soutenant que cette qualification compreud implicitement celle d\'offense au rol, et les débats n\'ayant porté que sur cette dernière prevention;
»An fond,
sAtteudu que l\'offense enver§ le roi de Portugal resul-terait de deux publications, consistant l\'une en un placard imprimé, signé Battarel, que les prévenus auraient fait apposer, en aoüt 1879, dans les rues de Paris, a cote des affiches par lesquelles une souscription publique était ouverte pour un emprunt royal de Portugal et qu\'ils auraient en méme temps fait distribuer sur la voie publique; l\'autre dans la reproduction faite par plusieurs journaux d\'une notification signifiée le 2 aoüt au comte de San Miguel a la requête des prévenus;
)gt;Que, par le placard, les prévenus signalent a l\'atten-tion du public un emprunt royal portugais, émis en 1832, et dont les titres seraient en souffrance;
»Que, dans le rapprochement de ces mots imprimés en grands caractères: «Emprunt royal du ^Portugal» et «en souffrance» et dans l\'apposition du placard, a cóté des affiches appelant le public ïi donner un témoignage de con-fiance au roi de Portugal, la demande voit une offense au roi de Portugal en tant que chef d\'un gouvernement accuse de ne pas pa3\'er ses dettes;
»Que, d\'autre part, cette même offense se retrouverait dans la notification du 2 aoüt, et notamment dans ces mots;
»Que, pour refuser le paiement de eet emprunt après »la chute de Don Miguel et l\'avènement au tróne de »Dona Maria, sa nièce, le nouveau gouvernement portugais »a prétexté que Don Miguel était un usurpateur; que cette »manière de payer ses dettes est contraire ii tons les principes d\'équité, du droit civil et du droit des gens; raais qu\'en outre les faits suivants témoignent du peu de respect
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gt;que le gouvernement portugais apporte aux engagements solennels pris par lui;» et plus loin, dans cette assertion: »Le gouvernement portugais s\'est refuse a restituer les » sommes recouvrées qui n\'etaient entre ses mains qu\'en dépot, »et qu\'il n\'avait pas craint d\'employer a ses besoins financiers;
»Attendu, en droit, que l\'offense en vers les souverains étrangers, qu\'elle s\'attaque a leur car.ictère public ou a la vie privée, ne constitue un délit qu\'autant qu\'elle est di-rigée contre leur personne même, et que cette personne est directement ou indirectement mise en cause par les manifestations qu\'elle defere a la justice;
»Attendu que cette personnalité de l\'attaque ne se rencontre pas dans les incrits incrimines;
gt;Que le roi de Portugal n\'y est ni nommé, ni même désigné;
»Que les imputations qu\'ils reuferment ne s\'adressent qu\'au gouvernement portugais;
»Que vainement le plaignant cherche a faire ressortir i\'outrage a la personne du roi, de la qualification de «royal» donnée a l\'emprunt, que les prévenus disent être en souffrance, cette qualification n\'ayant pas eté choisie par eux, mais s\'étant imposée ii eux comme le titre légal de eet emprunt, et s\'expliquant d\'ailleurs par l\'usage de designer les emprunts d\'Etat sous des denominations dérivées de la forme du gouvernement;
»Qu\'il n\'y a point la d\'allusion a la personne royale;
»Que vainement aussi, le plaignant, se fondant sur les mots:quot; »chefs de gouvernements étrangers, «employés dans Tart. 12 de la loi du 17 mai 1819, parallèlemeut a l\'expres-sion de »souverain,quot; en conclut que l\'offense prévue par eet article comprend tout a la fois l\'atteinte portée ii la personne des souverains et celle dirigée contre eux en leur qualité de chefs de gouvernement, et, par suite, qu\'une allegation blessante contre leur gouvernement peut rejaillir sur eux comme une offense et tomber sous l\'application de la loi;
»Que cette interprétation est repoussée aussi bien par le texte de la loi que par les principes de droit public en vigueur dans les Etats constitutionnels et par l\'esprit général de la législation frau9aise;
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»Attendu, en effet, que la loi de 1819, en parlant des chefs de gouvernement, après avoir parlé des souverains, n\'a point eu pour but de créer une deuxième categorie d\'offense, celle qui, identifiant le souverain avec son gouvernement, ferait remonter jusqu\'a lui les critiques dont son gouvernement est l\'objet, mais s\'est uniquement proposé de protéger, ii l\'égal des souverains, en les pla9aat sur le même ligne qu\'eux, les chefs d\'Etat qui ne sont pas souverains;
»Qu\'a l\'égard des uns et des autres, le législateur exige que l\'offense, pour être punissable, soit faite a leur personne, ce qui exclut l\'hypothèse qu\'il ait entendu caractériser une double situation sous laquelle l\'offense pourrait les atteindre, et la réprimer alors même que, portant moins haut, l\'atta-que s\'arrêterait a leur gouvernement:
»Attendu, d\'autre part, que le régime constitutionnel, tel qu\'il est établi en France et même au Portugal, com-portant comme principes fondamentaux, a la fois pour le citoyen la liberté de critiquer les actes du gouvernement, et pour le souverain, l\'irresponsabilité de ces memes actes, il est constitutionnellement impossible qu\'une appreciation, quelque vive quelle soit, des faits du gouvernement, puisse etre considérée comme remontant jusqu\'au chef de l\'Etat, lorsque 1\'écrivain n\'a pas mis ce deruier personnellement en cause;
„Que l\'irresponsabilité du souverain constitue une fiction légale qui le place en dehors et au-dessus des discussions et qui fait s\'évanouir a ses pieds toutes les aprétés de la polémique dirigée contre son gouvernement;
»Qu\'aiusi entendue, cette fiction est une garantie a la fois pour la diguité du souverain et pour l\'indépendance du citoyen;
»Que, sans elle, la liberté de discuter les actes d\'un gouvernement ue serait qu\'un vain mot, puisque toute discussion de ce genre pourrait etre considérée comme une offense au chef de l\'Etat, qui a permïs et approuvé les actes critiqués;
»Qu\'il appartient done a chacun de l\'invoquer, et quelque violeut qu\'ait été sou langage, de s\'abriter derrière le
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privilège constitutionnel du souverain, pour soutenir que sa parole u\'a voulu ni pu s\'élever jusqu\'a lui;
sQu\'ii un point de vue plus genéral, et meme en regard d\'uue monarchie absolue, il ue serait pas possible, en presence des conditions de la vie nationale moderne, de soutenir que le souverain s\'identifie avec sou gouvernement ou avec les pouvoirs de l\'Etat, au point que toute attaque contre les uus puisse etre interprétée comme une offense envers l\'autre;
»Attendu, enfin, que la loi fran^aise, s\'inspirant de ces principes, a poussé jusqu\'a l\'extrême la tolerance du droit de critiquer et d\'attaquer les actes du pouvoir, et ue réprime son abus que lorsqu\'il dégénéré en excitation a la haine et au mépris du gouvernement francais;
»Qu\'en créant un délit spécial pour les entrainements de la polémique anti-gouvernementale, le législateur a, par cela même, laissé entendre qu\'en dehors de cette excitation, cette polémique demeurait entièrement libre, et ne pouvait être entravée sous prétexte d\'offeuse au chef de l\'Etat, tant qn\'elle laissait inattaquée la personne de ce dernier;
»Qu\'ii plus forte raison doit-il en être ainsi pour les attaques envers les gouvernements étrangers. attaques qui, jouissant, d\'après la loi fran^aise, d\'uue immunité absolue, ne peuvent évidemment être retenues a offense envers les souverains étrangers, lorsque ces souverains ue sont visés ni directement ni indirectement;
»Atteudu qn\'il suit de ces considérations que le délit d\'offense relevé au nom du roi de Portugal n\'existe psn légalement,
»Attendu au surplus et en fait que, y eüt-il entre un souverain el son gouvernement une solidarité assez étroite pour qu\'il püt se juger atteint par les attaques dont ce gouvernement serait l\'objet, les circonstances de la cause ne permettraient pas d\'attribuer aux imputations formulées par les prévenus le caractère d\'uue offense envers le gouvernement portugais, et moins encore envers le roi;
sQu\'il importe, a eet égard, de rappeler que l\'emprunt qui a motivé leurs publications a été contracté, en 1832. par le roi Don Miguel, alors en possession paisible du pou-
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voir quo les Cortes lui avaient dóféré en 1828, et, qu il a été publiquement emis et coté a la Bourse de Paris au mois d\'avril 1833;
»Q,ue, d\'autre part, une partie des l\'ouds proveuant de (rette operation, representee par des traites sur l\'Angleterre, est eutrée dans les caisses du gouvernement qui, après la prise de Lisbonne par Don Pedro, au mois de juillet 1833, a succédé ïi celui de Don Miguel;
»Que, pour faciliter eet encaissement, le nouveau gouvernement a, a deux reprises, en 1833 et en 1840, oflicielle-ment declare que les sommes ainsi recouvrées ou a recou-vrer sur les traites devaient être mises a part pour être reparties entre ceux ii qui elles pouvaient appartenir;
»Que cou for mé me ut a ces declarations, ces sommes iigu-rèrent aux budgets portugais, dans un cliapitre spécial des recettes extrpordinaires jusqu\'en 1841, époque oü ce cliapitre disparut et oü les ressources provenaut de remprnnt furent confondues dans la masse du budget;
»Qu\'enfln, depuis 1834, le service de l\'emprunt ii été arrêté;
»Attendu qu\'en présence de ces faits, il n\'est pas possible de prêter aux prévenus, uniquement préoccupés do la defense de leurs intéréts, cette intention de dénigrement et de mal-veillance sans laquelle il n\'est pas d\'offeuse.
»Que si le Tribunal n\'a point ii apprécier leurs pretentions, il ne peut cependaut oublier que tous les éléments du débat soulevé entre eux et le Portugal, débat considérable par les intéréts et les principes eugagés, non moins que par l\'inégalité des forces des parties, appartiennent a l\'liistoire, et que si le publiciste et riiistorien ont pu librement s\'eu inspires ponr les discuter et les apprécier, a plus forte rai-son les intéressés lèsés par ces événements étaient-ils auto-risés a les présenter a leur point de vue et a en réveiller le souvenir, dans l\'espérance d\'en faire jaillir la reconnaissance de ce qu\'ils appellent le droit;
. »Que 1\'on ne peut oublier davantage que toute justice réguliere étant fermée aux porteurs de l\'emprunt et l\'unique arbitre entre eux et le Portugal étant le Portugal lui-même, le jugement de Topinion publique était le seul auquel ils
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pusseut recourir, et qu\'il y aurait deiii de justice a leur imputer ii faute de l\'avoir provoqué;
»Que, saas doute, le mode et le momeut qu\'ils out choisi pour faire eet appel peut être blame; mais que, quelque regrettable que soit la mauifestation dans les conditions oü elle s\'est produite, elle ne perd point pour cela le caractère d\'un acte rigoureusement licite au regard de la loi pénale;
»A.ttendu, d\'ailleurs, que l\'on ne peut exiger d\'un cré-ancier d\'Etat impayé la même réserve que celle qui s\'impose entre créancier et débiteur privés, la situation d\'un Etat, comme nussi les garanties de solvabilité qu\'il peut offrir ressortant avant tout de la publicité;
»Que le gouvernement portugais, en provoquant en France une mauifestation en sa faveur, et en s\'adressant par voie de souscription pubiique au crédit francais, s\'est volontaire-ment exposé a la critique de ses actes et a la contradiction pubiique des intéréts oppossés ou se prétendant lèsés par loi;
»Que laisser entendre, dans de telles circoustances qu\'il a répudié, au regard d\'un précédent emprunt extérieur, toule solidarité avec le gouvernement qui l\'a émis, et neformuler ce reproclie que par la désignation d\'obligations eu souffrance donnée aux titres non payés, ce n\'est point excéder la vérité historique, ni le droit de protestation qui appartient aux porteurs de ces titres;
»Que si, dans l\'acte du 2 aoüt, le gouvernement portugais est plus particulièrement mis en cause, et le reproche de ne pas tenir ses engagements directement accentué, il est constant que eet acte n\'est qu\'une réponse a une declaration par huissier, signifiée le 1 aoüt a la requête de ce gouvernement et publiée le même jour dans plusieurs journaux, et que sa vivacité s\'explique et s\'excuse par le ton général de cette declaration et les accusations de manoeuvres, de déloyauté et de mauvaise foi que l\'on y rencontre a l\'adresse des pré ven us;
»Que, d\'ailleurs, les faits historiques que les prévenus se sont borués a relever dans cette deuxième publication, n\'ont dans la manière dont ils ont été présentés, ni le caractère d\'nne diffamatioa vis a vis du gouvernement portugais, ni celui d\'une offense au roi;
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»Attendu qu\'en presence cle cette solution sur le fond du débat, il est sans intérèt de rechercher si la poursuite. telle qu\'elle a été soumise au Tribunal n\'est pas, en outre, non recevable, comme n\'ayant pas été engagée a la requête menie du souverain du Portugal;
» Par ces motifs.
»Le Tribunal, sans qu\'il y ait lieu de statuer sur la fin de uon-recevoir qui vient d\'etre énoncée:
» R ÏJ N V 0 t K r, ES P R É V E N IJ S DBS KINS DR I.\' A S S I 0-N\' A T [ 0 N.