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MR P. E. J. BOMLI

L\'AFFAIRE DE

MOSSOUL

AMSTERDAM

H. J. PARIS

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BJBLIOTHEEK DER
HIJKSUNIVERSITBIT
UTRECHT.

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L\'AFFAIRE DE MOSSOUL

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UNIVERSITEITSBIBLIOTHEEK UTRECHT

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L\'AFFAIRE DE MOSSOUL

PROEFSCHRIFT TER VERKRIJGING VAN DEN GRAAD
VAN DOCTOR IN DE RECHTSGELEERDHEID AAN
DE RIJKSUNIVERSITEIT TE UTRECHT, OP GEZAG
VAN DEN RECTOR MAGNIFICUS DR. H. TH. OBBINK.
HOOGLEERAAR IN DE FACULTEIT DER GODGE-
LEERDHEID, VOLGENS BESLUIT VAN DEN SENAAT
DER UNIVERSITEIT. TEGEN DE BEDENKINGEN VAN
DE FACULTEIT DER RECHTSGELEERDHEID TE
VERDEDIGEN OP DONDERDAG 25 APRIL 1929, DES
NAMIDDAGS TE 4 URE

DOOR

Mr PIETER ELIAS JOHANNES BOMLI

geboren te leiden

ci3li0theek der

rijksuniversitejt

UTREQibiJ^

H. J. PARIS
AMSTERDAM—MCMXXIX

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AAN DE NAGEDACHTENIS
VAN MIJN VADER

AAN MIJN MOEDER

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VILAYET DE MOSSOUL

CETTE CARTE A ÉTÉ COMPOSÉE À L\'AIDE DE CELLES QUI SONT
JOINTES AU RAPPORT DE LA COMMISSION DE LA SOCIÉTÉ
DES NATIONS

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TABLE DES MATIÈRES

Introduction................................j

Chap. I — Aperçu historique........................8

Chap. II — Aperçu des questions juridiques..........22

Chap, III — Consultation de la Cour permanente de

Justice internationale............................27

A - Conditions de la requête et de l\'acceptation de l\'avis , . .nbsp;27

1°, Conditions de la requête pour avis consultatif............27

2°. Conditions de l\'acceptation de l\'avis consultatif..........52

B - L\'avis relatif au différend carélien comme précédent . .nbsp;57

1quot;. Analyse de cet avis................................57

2°. La Cour et les questions de fait........................60

3°. Liberté pour la Cour de refuser un avis..................62

4°. Parallèle entre les deux requêtes........................65

Chap. IV. — Caractère juridique et conditions de va-
lidité de la décision du Conseil....................69

- A - Caractère juridique de la décision..................69

1°. Portée de l\'article 3, § 2, du Traité de Lausanne..........75

a)nbsp;Interprétation des termes..........................76

b)nbsp;Travaux préparatoires............................9O

c)nbsp;Evénements postérieurs au traité....................114

2\'. Possibilité de charger un organe international de fonctions

qui lui sont étrangères......................j 22

B. - Conditions de validité de la décision........I47

Chap. V — Nature du litige et base de la décision ...nbsp;162

A - Nature du litige................

B - Base de la décision..............................jçq

1°. Décision sur la base du droit......................203

2°. Décision d\'après des considérations non-juridiques . . .nbsp;206

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Chap. VI — Effets juridiques de la décision......213

Annexe I......................246

Annexe II......................247

Annexe III......................249

Annexe IV......................250

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INTRODUCTION

Celui qui, arrivé à Bagdad, la vieille cité des Califes, poursuit
son voyage vers le nord le long du Tigre, atteindra la ville de Mos-
soul, quand il aura franchi une distance de 450 km. environ. Cette
ville, située aux bords du Tigre, au milieu d\'une plaine argileuse,
fertile et cultivée, compte 100.000 habitants et est le centre du
vilayet de Mossoul. Ce vilayet, qui est une province de l\'ancien
Empire ottoman, placée sous l\'autorité d\'un Gouverneur général,
nommé „vaHquot;, fait, à l\'heure actuelle, partie du Royaume de l\'Irak,
qui comprend les territoires de la Mésopotamie. Sa superficie est
de 88.000 km^. environ ; il compte une population de plus de
800.000 habitants. Mossoul est la seule ville d\'importance du vilayet ;
elle est beaucoup plus grande que les autres villes, dont la prin-
cipale, Kerkouk, atteint à peine 20.000 habitants. Toutes les autres
villes ne sont que des marchés locaux.

Le vilayet de Mossoul fait partie d\'une région de transition entre
plaine et montagne. Des plaines du Tigre surgissent insensiblement
les montagnes. On trouve à l\'ouest la steppe arabe, qui est plate et
sèche; à l\'est les montagnes kurdes, qui sont plus arrosées et à
végétation plus riche. C\'est ainsi que le territoire de Mossoul est la
transition de ces deux formes géologiques. La plaine s\'étend de
l\'ouest jusqu\'à la ligne Zakho-Dohouk-Akra-Arbil-Kerkouk-Taouk-
Ipfri. La région des avant-monts se trouve du côté est de cette
ligne. Les villes de Rizan, Rovandouz, Koi-Sandjak, Rania, Sou-
leimanié sont déjà situées au milieu des montagnes qui s\'élèvent
jusqu\'à 2000—2500 mètres d\'altitude.

Toutes les eaux des montagnes et du haut pays du nord s\'écou-
lent par le Tigre. Les affluents de ce fleuve — le Khabour, le Grand
Zab, le Petit Zab — ont creusé des Uts profonds et rocheux, dans
lesquels les eaux descendent à grande vitesse, roulant des débris
et des blocs de grandes dimensions. Les vallées et les sommets des
montagnes sont boisés. La plaine est peu pourvue de végétation

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et les pâturages du pays plat ne sont utilisables, au nord comme au
sud, que pendant quelques mois de l\'année. La steppe et les ter-
rains fertiles y alternent.

Au centre du vilayet qui forme une unité et qui est encadré par
des frontières natureUes, on trouve la ville de Mossoul, ville d\'un
caractère incontestablement arabe. „C\'est la ville centrale, car
„toutes les routes de Zakho, d\'Amadia, de Dohouk, d\'Akra, d\'Ar-
„bU, de Rovandouz et de toutes les régions qui en dépendent y
„convergent. Mossoul est une ville de marché, très fréquentée à
..cause de la plaine fertile qui l\'entoure, soit locale soit de transit.
..assise au croisement de grandes routes terrestres, de la voie flu-
„viale du Tigre et des pistes du désert. La ville partage avec Bagdad
.,1e privilège d\'être l\'entrepôt général du pays. L\'influence écono-
..mique de Mossoul, incontestée dans le nord, diminue d\'importance
„au profit de Bagdad à mesure qu\'on s\'avance vers le sud.quot;

Quant à la population du vilayet, la majorité en est indubitable-
ment kurde: cinq huitièmes environ, soit à peu près 500.000 âmes.
C\'est donc l\'élément le plus important par son nombre. Ces Kurdes
ne sont ni Turcs ni Arabes; ils parlent une langue aryenne. Ils
forment la partie prédominante de la population des territoires
situés au nord-est de la hgne du Tigre jusqu\'à son confluent avec le
Petit Zab et puis la route principale qui va de Kerkouk à Kifri.
Après les Kurdes suivent, cités par ordre d\'importance numérique,
les Arabes, les Chrétiens, les Turcs, les Yézidis et les Israélites. Du
côté ouest de la ligne se trouvent les territoires où l\'élément arabe
prédomine. On y compte 167.000 Arabes. Les Chrétiens, au nombre
de 61.000, sont disséminés et habitent les régions au nord de la
ville de Mossoul. En outre le vilayet est habité par 38.000 Turcs qui
appartiennent à la même race que ceux de la République turque.
Ils prédominent seulement à Arbil. à Kerkouk et près de Kifri.
Puis il y a les Yézidis. au nombre de 26.000 âmes. On les trouve
sur les montagnes du Sindjar. situées sur la frontière entre la Syrie
et le vilayet de Mossoul et puis au nord de la ville de Mossoul. Ils
ne sont pas musulmans, ils sont apparentés aux Kurdes et parient
la langue kurde, mais ils constituent par leur religion et leur isole-
ment un peuple bien distinct. Le dernier élément de la population
est formé par les Israélites, au nombre de 12.000 âmes.
.,Ce sont seuls les Kurdes et les Arabes qui habitent en masse

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„compacte de grands territoires. La ligne de séparation de ces ra-
zees suit, comme nous l\'avons déjà dit plus haut, le Tigre jusqu\'à
„son confluent avec le Petit Zab et puis, au sud de ce fleuve, elle
„suit la route principale qui va de Kerkouk à Kifri. Tous les au-
„tres éléments de la population vivent disséminés. Le long de la
„^and\'route de Mossoul vers le sud et vers Bagdad qui longe
le
„Tigre et traverse les plaines fertiles, on coudoie un mélange de
„populations.quot;

„La culture dans le sud de la plaine se fait surtout à l\'aide de
quot; \'quot;^^gation qui dans le nord n\'est pas nécessaire. Les méthodes
»et les instruments de travail, la charrue surtout, sont très primi-
„tils. On se contente de gratter la surface du sol. Mais cette méthode
..est plus raisonnée qu\'on ne serait tenté de le penser; elle provient
..de ce que le sous-sol gypsifère et salifère est très proche de la
„surface. Dans la plaine également les indigènes se sont groupés,
..soucieux avant tout d\'assurer leur sécurité. On aperçoit dans les
..plaines, particulièrement dans celle d\'Arbil, de nombreux „telsquot;,
..sortes de monticules parfois naturels, formés par quelques roches
..résistantes, par le redressement d\'une couche plus dure; parfois
„entièrement ou partiellement artificiels, sur lesquels la population,
..depuis les temps préhistoriques, édifie ses habitations. Les Divans —
..châteaux des chefs - sont au sommet de ces monticules, les-
..que s sont entourés des maisons de leurs sujets, étayées sur les
..pentes ou en contrebas. Quand on suit la grand\'route qui va de
„Mossoul vers le sud, on remarque que les villages s\'écartent pour la
..P upart de cette route, les paysans et les tribus voulant éviter les
„requisitions et le pillage par des troupes.quot;

h\'^bftélfnbsp;quot;quot;nbsp;curieux de races. Les villes

\'ties sonrsituXrrquot;?nbsp;--idéra.

„bles. sont situées dans la partie méridionale du vilayet de Mos-

.,soul c est-a-dire, vers l\'Irak, tandis que Mossoul, ville arabe est
..située au centre de la partie septentrionale. Cette ville n\'est réliée
„aux autres pays arabes de population sédentaire que par un terri-
„toire en grande majorité kurde et par une route jalonnée de villes
„turco-kurdes.quot;

Considéré à un point de vue économique, „le vilayet de Mossoul
..est essentiellement un pays d\'agriculture et d\'élevage de petit
..Detail; il deviendra peut-être un pays industriel lorsqu\'une ex-

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„ploration méthodique aura révélé la valeur de son sous-sol, no-
„tamment en pétrole.quot;

„Dans la partie montagneuse, particuhèrement du nord et du
„nord-est, boisée par endroits, les habitants, relativement peu
„nombreux, se livrent surtout à des cultures vivrières pour leurs
„besoins locaux; les transports de ces régions éloignées devant
„s\'efïectuer par caravanes de mulets et d\'ânes, il n\'est guère fait
„de commerce éloigné qu\'avec les produits dont la valeur in-
„trinsèque est capable de supporter les frais relativement élevés
„des caravanes, c\'est-à-dire: le tabac, les noix de galle, les étoffes
„de mohair, la laine, les raisins, les peaux de martre; ces régions
„montagneuses conduisent également aux rivières flottables les
„bois de construction et de chauffage dont la plaine est dépourvue.
„Ces régions constituent les habitats d\'été de tribus pastorales no-
„mades kurdes qui, en hiver, ramènent leurs troupeaux dans la
„plaine; il y existe également des populations kurdes, chrétiennes,
„Israélites et yézidis sédentaires.quot;

Entre la région montagneuse et le désert s\'étend un pays très
fertile, à population relativement dense, arrosé par le Tigre et ses
affluents. Ce fleuve, et certains de ses affluents, tels que le Grand et
le Petit Zab, navigables ou flottables par keleks (radeaux) pendant
leur traversée du vilayet de Mossoul, constituent le moyen naturel
d\'écoulement des produits relativement pauvres, tels que le blé
et l\'orge, qui forment la base des cultures des habitants.

Le liva ^ de Mossoul, qui comprend le pays situé à l\'ouest du Grand
Zab et du Tigre, est borné au sud-ouest et à l\'ouest par la zone dé-
sertique. „Une route, longue de 800 kilomètres, partant de Damas
„et d\'Alep et conduisant à Mossoul, relie le pays à la Méditerranée.
„Les communications avec Bagdad et le Golfe persique se font ac-
„tuellement par route (rive droite du Tigre), à travers une région en
„partie désertique, jusqu\'à Sherghat, tête de ligne du chemin de
„fer du Golfe persique; ces communications se font aussi par la
„route commerciale et mihtaire qui, par Arbil et Altyn-Koepru, re-
„joint aux environs de Kerkouk une ligne de chemin de fer venant du
„Golfe persique par Bagdad et Kifri.quot;

» Liva: subdivision d\'un vilayet, district gouverné par un „moutessarifquot;.
Le vilayet de Mossoul se compose des livas de Mossoul, d\'Arbil, de Kerkouk
et de Souleimanié.

-ocr page 17-

„Le chef-lieu économique du liva est la ville de Mossoul; c\'est vers
„cette ville que convergent toutes les voies de communication et
„qu\'arrivent nécessairement tous les produits de la région. C\'est à
„Mossoul que, au moyen de keleks (radeaux), sont transportés par
„le Khabour et le Tigre le blé, l\'orge, les bois de construction et
„de chauffage, originaires des districts voisins de ces rivières; les pro-
„duits plus périssables, tels que la laine, les étoffes de mohair, les
„noix de galle, les raisins, le tabac, etc., sont transportés à Mossoul
„au moyen de caravanes de mulets et d\'ânes, qui s\'en retournent
„ensuite, chargés de produits manufacturés européens ou indiens et
„de denrées telles que le café et le sucre; ces caravanes ramènent
„également à leurs lieux de départ le sel recueilli dans le désert.
„Les troupeaux de brebis sont conduits, par étapes, de l\'intérieur
„vers Mossoul où les marchands et courtiers de Syrie viennent les
»acheter. Les autres régions du secteur, non reliées à Mossoul par la
„rivière, Sindjar, Amadia, Dohouk, Akra, etc., commercent égale-
„ment exclusivement avec Mossoul. les transports s\'effectuant par
„caravanes; on commence à utiliser l\'automobile.quot;

„Quant aux lignes de communications commerciales terrestres
„entre Mossoul et le Golfe persique, qu\'elles empruntent la voie du
„désert ou la voie de Kerkouk-Kifri, elles passent nécessairement
„par Bagdad. La voie du désert sera abandonnée lorsque sera ache-
„vée la ligne de chemin de fer de Bassorah et de Bagdad à Kerkouk,
„actuellement en construction, et que l\'on projette dc prolonger jus-
„qua Mossoul; cette voie ferrée, dont la tête de ligne a atteint
„actuellement les environs de Kerkouk, desservira une région riche
„en produits agricoles et traversera la zone réputée pétrolifère. Au
„point de vue de l\'exportation des produits de la terre, et surtout
„des produits d une valeur relativement peu élevée, le Tigre est un
„facteur économique d\'importance primordiale. Ce fleuve constitue
„de temps immémorial, le moyen d\'écoulement le plus économique
„et le plus sûr,quot;nbsp;^

Le liva d\'Arbil est le pays compris entre le Grand Zab et le Petit
Zab. Ce secteur possède deux centres économiques: Arbil et Altyn-
Koepru. „Les produits du nord, de l\'est et du centre de ce liva sont
„amenés à Arbil par caravanes, tandis qu\'Altyn-Koepru recueille
„les produits des régions riveraines du Petit Zab, plus spécialement
„ceux du kaza de Koi-Sandjak.quot;

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„Ce liva produit surtout des céréales, du tabac, des raisins,.des
„noix de galle, des moutons, de la laine, des peaux de martre, des
..bois de construction et du bois de chauffage. Les produits agricoles
„sont envoyés tantôt à Mossoul. tantôt à Bagdad, suivant les be-
,.soins et les prix de ces deux marchés.quot;

Les livas de Kerkouk et de Souleimanié. qui comprennent tout le
territoire situé au sud du Petit Zab. possèdent trois centres écono-
miques: Kerkouk, Kifri et Souleimanié. „La première de ces villes
„ne fait que très peu de commerce avec Mossoul et sa majeure par-
„tie avec Bagdad; la deuxième et la troisième n\'ont des relations
„économiques qu\'avec Bagdad. Souleimanié fait également quelques
„transactions, peu importantes, avec la Perse.quot;

Question pétrolifère.

Le vilayet de Mossoul emprunte, au fond, sa grande valeur au
fait qu\'il y a tout lieu de croire que ses terrains sont pétrolifères.
Nous en dirons quelques mots.

Turkish Petroleum Companyquot;, composée actuellement de
,.1\'.,Anglo Persian Oil Companyquot;, du groupe „Royal Dutchquot;, du
„groupe français et du groupe américain, a repris avec le Gouver-
„nement de l\'Irak les négociations qu\'elle avait entreprises avant la
„guerre avec le Gouvernement ottoman. Ces négociations ont abou-
,.ti à l\'octroi d\'une concession couvrant le Royaume de l\'Irak (à
l\'exception du territoire de Basrah); la société concessionnaire
„aura le droit de choisir 192 milles carrés, répartis en 24 parcelles
„rectangulaires de 8 milles carrés chacune.quot;

„Dans le territoire de Mossoul, les principales possibilités de
..découvertes intéressantes quant au pétrole se trouvent sur trois
„grandes bandes parallèles, qui se dirigent du nord-ouest vers le
„sud-est. La bande la plus méridionale passe par Mendali (en terri-
„toire de l\'Irak) et suit la direction du Djebel Hamrin; la bande
„médiane passe aux environs de Kifri et de Touz-Khurmatu; la
„bande septentrionale passe par Kerkouk et Mossoul. Au nord de
„cette dernière bande, vers Al-Kosh et Zakho, les roches gypsifères
„qui apparaissent en surface du sol semblent donner également des
„possibilités de découvertes pétrolifères

■ Les bandes pétrolifères sont indiquées sur la carte ci-jointe.

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»C\'est probablement aux environs de Kifri, de Touz-Khurmatu et
..de Kerkouk que les chances sont les plus grandes de faire des décou-
..vertes intéressantes; le chemin de fer actueUement en construction.
..de Bagdad à Mossoul, passe par ces trois localités. Le raU dont la
..pose se fait du sud vers le nord, a déjà atteint la ville de Kerkouk.quot;

,.I1 est certain que si le pays se révèle comme intéressant au point
..de vue pétrolifère, ses conditions économiques seront totalement
„bouleversées. La mise en valeur des puits, leur exploitation, exi-
..geront une main-d\'œuvre considérable pour laquelle les cultures
,.\\avnères devront être fortement développées; il est probable que
..les céréales et le petit bétail pourront alors être consommés sur
„place et que les cultivateurs et les bergers entreront dans une
„ère de prospérité inconnue par eux jusqu\'alors.quot; i

Cette courte description du vilayet de Mossoul met le lecteur
a meme de se former une idée générale du territoire qui a déchaîné
une lutte politique acharnée entre la Grande-Bretagne et la Tur-
quie. Aux bords de l\'Euphrate et du Tigre un nouvel Etat s\'était
lormé pendant la guerre mondiale de 1914 à 1918, sous l\'égide des
puissances alliées. Etat qui, peu après, est devenu le Royaume
e Irak. Cet Etat fut une des conséquences du démembrement
de la partie arabe de l\'Empire ottoman. La Grande-Bretagne a ac-
cepte le mandat de l\'Irak, lui conféré par la Société des Nations.

H A-f^^^ ^^nbsp;mandataire que la Grande-Bretagne, lors

au différend de Mossoul, a défendu les intérêts de l\'Irak, quand
1 s agissait de la fixation de la frontière septentrionale de l\'Irak et
qu on avait à résoudre la question de savoir si la frontière septen-
rionale ou la frontière méridionale du vilayet de Mossoul serait la
irontière entre la Turquie et l\'Irak. Cette difficulté à résoudre reve-
nait a la solution d\'une autre question, savoir si le vilayet de Mos-
soul ferait partie de la Turquie ou de l\'Irak.

Ce htige international qui avait pour enjeu la souveraineté du
terntoire de Mossoul, présente bien des aspects, intéressants à un
P
^ de vue juridique. Nous les discuterons aux chapitres suivants.

données, qui sont presque toutes des citations, sont tirées du
pport de la Commission d\'enquête, instituée par le Conseil de la Société des

rnbsp;^^^ P^\'quot; Secrétariat de la Société. (Document

400. M. 147. 1925. VII).

-ocr page 20-

Chapitre I
APERÇU HISTORIQUE

Nous allons résumer dans un ordre chronologique les faits qui
dominent la période où le différend de Mossoul est né. Cette mé-
thode de remémorer les données historiques n\'est pas fort in-
téressant pour le lecteur, mais elle a l\'avantage d\'ajouter à la
concision et de faciliter la recherche d\'un fait déterminé. Afin de
permettre une orientation facile, nous avons divisé la matière en
quatre parties qui ont — il est vrai — des rapports réciproques,
mais qui peuvent être traitées séparément. C\'est ainsi qu\'on évité
que des faits qui n\'ont aucun rapport entre eux, ne soient mention-
nés l\'un immédiatement après l\'autre. Cela rendrait impossible au
lecteur de se représenter clairement la marche des affaires.

Nous avons divisé pour cette raison les faits historiques en quatre
parties intitulées: A. Faits politiques; B. Révolte arabe; C. Evé-
nements survenus à l\'Irak; et D. Liquidation du différend de Mos-
soul. Le développement de la révolte arabe n\'est esquissé qu\'en tant
que l\'Irak est en cause. Nous avons passé sous silence les événements
survenus au Liban, en Transjordanie, en Palestine, au Hedjaz, le mou-
vement wahabite, l\'histoire du Sionisme tendant à l\'occupation de la
Palestine, et en outre les efforts des Arabes tendant à former un Etat
arabe indépendant, efforts fréquents déjà beaucoup avant 1916.

En composant cet aperçu historique, nous avons utilisé prin-
cipalement l\'ouvrage remarquable de M. Eugène Jung sur
La ré-
volte arabe
et ensuite The new world, par M. J. Bowman. L\'ouvra-
ge de M. H-W-V-Temperiey, intitulé:
A history of the peace con-
ference of Paris
(tome VI), nous a fourni des données précieuses à
ce sujet. Nous avons consulté également le rapport présenté au
Conseil de la Société des Nations par la Commission, instituée par
lui et ayant pour tâche de fournir tous les renseignements de na-
ture à rendre possible la décision du différend de Mossoul.

-ocr page 21-

A - Faits politiques

29 octobre 1914. La Grande-Bretagne déclare la guerre à la Tur-
quie.

26 avril 1915. Conclusion du Traité de Londres par la France, la
Grande-Bretagne, la Russie et l\'Italie, où il est dit que. générale-
ment parlant, la France, la Grande-Bretagne et la Russie recon-
naissent que. en cas de division totale ou partielle de la Turquie
asiatique, il convient que l\'Italie obtienne une partie équitable
de la région méditerranéenne adjacente à la province d\'Adalia.

16 mai 1916. L\'accord Sykes — Picot est conclu entre la Grande-
Bretagne et la France. Cet accord envisage de donner à la France
des droits permanents en Syrie et de délimiter les sphères d\'in-
fluence britannique et française en Arménie. Mésopotamie et
Syne. L\'accord détermine les frontières des territoires en Arabie
qui seront occupés par la France et la Grande-Bretagne et leurs
sphères d\'influence respectives. La ville de Mossoul et la plus
grande partie du vilayet sont assignées à la France,
avnl 1917. Conclusion de l\'accord de Saint-Jean de Maurienne,
concernant les demandes italiennes quant à la Turquie asiatique,
par la France, la Grande-Bretagne et l\'Italie,
octobre 1918. Le Traité d\'armistice de Moudros est conclu en-

^^tre les Alliés et la Turquie.

avnl 1920. Il est convenu, e. a., à la Conférence de San Remo,
les Principales Puissances alliées, que le territoire de l\'Irak
^era confié, jusqu\'au moment où il sera capable de se conduire
ui^meme. à un mandataire, en conformité de l\'article 22, alinéa
. du Pacte. La Grande-Bretagne reçoit le mandat de l\'Irak, v
inclus Mossoul.

24 avril 1920. Eu égard au fait que le vilayet de Mossoul fera partie
ae 1 Irak (mandat britannique), la France et la Grande-Bretagne,
a la Conférence de San Remo, concluent un accord pour le pétrole,
qui est une modification de l\'accord Bérenger-Long du 18 avril
1919 que la France n\'a pas accepté. D\'après ce nouvel accord, la
t^rance obtiendra e. a. 25 pour cent de la production de la Tur-
kish Petroleum Company.

0 août 1920. Le Traité de paix entre les Puissances alliées et la
iurquie est signé à Sèvres. La frontière septentrionale du vila-

-ocr page 22-

yet de Mossoul est déterminée comme la frontière entre la Tur-
quie et l\'Irak, sauf la modification que la frontière passera au sud
d\'Amadia. Le vilayet de Mossoul est donc joint à l\'Irak.

23nbsp;décembre 1920. Conclusion d\'un accord anglo-français concer-
nant le tracé de la frontière entre la Syrie et la Mésopotamie.
Le vilayet de Mossoul fait partie de la Mésopotamie, dont la
Grande-Bretagne est le mandataire.

20 octobre 1921. L\'accord d\'Angora est signé par la Turquie et la
France. D\'après l\'article 1er, l\'état de guerre expire à la date
de la signature de l\'accord. L\'article 3 stipule que les troupes
turques et françaises observeront une ligne tracée à l\'article 8.

10nbsp;octobre 1922. Un Traité d\'alliance est signé par la Grande-
Bretagne et l\'Irak.

11nbsp;octobre 1922. Traité d\'armistice de Moudania. Les forces turques
entrèrent, pendant la guerre avec la Grèce dans l\'Asie mineure,
dans la zone neutrale et marchèrent vers les troupes britanniques
se trouvant à Chanak. Les trois généraux alliés à Constantinople,
le général kémaliste Ismet Pacha et le général grec Mazarakis
concluent, le 11 octobre 1922, à Moudania, un traité d\'armistice.

20 novembre 1922. Ouverture de la Conférencfe de Lausanne entre
les Puissances alliées et la Turquie.

30 avril 1923. Signature d\'un Protocole tendant à la modification
du Traité d\'alliance conclu entre la Grande-Bretagne et l\'Irak.

4 février—23 avril 1923. Interruption des négociations de Lau-
sanne.

24nbsp;juillet 1923. Le Traité de Lausanne est signé par les Puissances
alliées et la Turquie.

19 mai—5 juin 1924. Conférence de Constantinople sur l\'affaire
de Mossoul, tenue par la Grande-Bretagne et la Turquie.

27 septembre 1924. Le Conseil de la Société des Nations prend
une résolution déclarant que les engagements cfue la Grande-
Bretagne a assumés envers l\'Irak et envers le Conseil, sont pro-
pres à donner effet aux dispositions de l\'article 22 du Pacte.

16 décembre 1925. Le Conseil de la Société des Nations adjuge le
vilayet de Mossoul à l\'Irak.

13 janvier 1926. Un nouveau Traité d\'alliance est signé à Bagdad
par la Grande-Bretagne et l\'Irak.

11 mars 1926. Le Conseil de la Société des Nations approuve ce

-ocr page 23-

nouveau Traité et vote une résolution par laquelle sa décision
clu 16 décembre 1925 est déclarée définitive.

]um 1926. Un Traité concernant le vilayet de Mossoul est signé à

Angora par la Grande-Bretagne et l\'Irak, d\'une part, et la Tur-
qme. d\'autre part.

B - Révolté arabe

Arabes se révoltent contre les Turcs. Le grand
^nerit de La Mecque, Hussein, se met à la tête du mouvement de
maependance, avec ses fils Abdullah et Fayçal. Il se forme une
armee de quelques miniers de soldats de toutes les régions occu-
pées par les Turcs.

16nbsp;^ïédine, La Mecque, Taïf sont attaqués.

]u n 1916. Djeddah se rend aux insurgés.
8 juillet 1916. La Mecque capitule.

septembre 1916. Taïf se rend aux Arabes. Ensuite Yambo et

touréequot; \'nbsp;garnison de 3000 hommes est en-

septembre 1916. Un accord est conclu entre la Grande-Bretagne

le grand Chérif de La Mecque. Le Gouvernement britannique

inHquot;^^^^^quot;^ ^ formation d\'un Etat arabe complètement
naependant dans ses affaires intérieures et extérieures et ayant

- ITlnbsp;^nbsp;à l\'ouest, la mer Rouge,

es rentières d\'Egypte et la Méditerranée; au nord, les vilayets

rC t fnbsp;l\'embouchure de l\'Euphrate et du

ye (article 1er de l\'accord). Selon l\'article 3, la Grande-Bre-
lagne occupera le port de Bassorah, jusqu\'à ce que le Gouverne-

ent arabe ait achevé son organisation intérieure,
novembre 1916. Le grand Chérif Hussein est proclamé roi des
rabes. Son autorité est reconnue par tous les pays arabes. Un des
orateurs disait, à l\'installation solennelle: „Les Syriens et les
^icsopotamiens se considèrent comme très heureux de recon-
naître pour leur roi, en leur nom et au nom de leurs frères dans
ieurs pays respectifs, S. M. Husseinquot;.

^^ novembre 1916. L\'indépendance de la Mésopotamie est reconnue
garantie à Bassorah par la Grande-Bretagne par la bouche de
Percy Cox, délégué de la Grande-Bretagne

-ocr page 24-

fin décembre 1916. Le roi Hussein est reconnu par les Alliés.

31 janvier 1917. Les Arabes occupent El Wagh, sur la mer Rouge.

1917. Pendant l\'année 1917, Syriens, Mésopotamiens, Palesti-
niens désertent de plus en plus les armées turques et se joignent à
l\'armée arabe du roi Hussein.

8 décembre 1917. Chute de Jérusalem.

18 septembre 1918. Commencement d\'une nouvelle offensive des
forces alliées.

30 septembre 1918. Les Arabes, avec l\'émir Fayçal, en coopération
avec les Alliés, occupent Damas. L\'administration de cette ville
est confiée à un général arabe.

octobre 1918. Un communiqué officiel annonce que les AUiés ont
décidé de reconnaître formellement comme partie belligérante
les forces arabes qui combattent en Palestine. (Cela ne con-
cerne pas les Arabes du Hedjaz, qui ont déjà été reconnus comme
Etat indépendant en 1916).

7nbsp;novembre 1918. Déclaration des Gouvernements français et
britannique où il est dit que leur but dans l\'Orient est l\'établis-
sement de gouvernements et d\'administrations nationaux em-
pruntant leur autorité à l\'initiative et au libre choix des popula-
tions indigènes et de reconnaître ces gouvernements aussitôt
qu\'ils seront effectivement étabhs.

2 juillet 1919. Le Congrès général syrien est tenu à Damas. Son
programme (dit programme de Damas) contient e.a. la complète
indépendance pohtique de la Syrie sous une monarchie consti-
tutionnelle et l\'indépendance complète pour la Mésopotamie.

novembre 1919. Le général Gouraud est nommé Haut Commissaire
français en Syrie: excitation en Syrie.

Le Congrès arabe-syrien de Detroit (Etats-Unis) adopte le
programme du Congrès arabe de Damas. Le Comité Al-Ahd ré-
clame l\'indépendance de l\'Irak et l\'institution immédiate d\'un
gouvernement national à cause de l\'appui prêté par les Arabes
pendant la campagne britannique en Mésopotamie.

23 novembre 1919. Le Congrès général syrien de Damas émet com-
me son opinion que la nation arabe est en état de défense légitime.

8nbsp;décembre 1919. Premiers désordres en Syrie; ensuite la guerre
des guérillas des Arabes contre les troupes françaises.

10 mars 1920. Le Congrès national syrien de Damas déclare la

-ocr page 25-

Syrie indépendante et proclame l\'émir Fayçal roi de Syrie, c\'est-
a-dire, de Syrie et de Palestine réunies.

Le Congrès mésopotamien, également de Damas, proclame roi
de 1 Irak mdépendant Abdullah, frère de Fayçal.

mars l^Q. Des irrégularités se passent à l\'Irak. Des Arabes atta-
quent les Anglais.

20 avril 1920. La Conférence de San Remo partage les pays arabes
entre la France et la Grande-Bretagne. Protestations de la part
e la byrie. Le Gouvernement syrien refuse de reconnaître le

25 i IW^ . oVquot;quot;nbsp;mandats des Puissances alliées.

]uiaet 1920. Les forces françaises occupent Damas et Alep. Le
roi Fayçal part de Damas et quitte la Syrie,
août 920. Troubles graves à l\'Irak.

juilet 1921. Afin de calmer l\'excitation à l\'Irak, l\'émir Fayçal
st proclamé, avec la coopération de la Grande-Bretagne, roi
ae 1 Irak. Son frère Abdullah devient roi de la Transjordanie.

c - evenements survenus a l\'Irak

22nbsp;novembre 1914. La ville de Bassorah ou Basrah est occupée par
es contingents anglais. Commencement de la campagne en Mé-
sopotamie.

ri\'\'\'quot;\'\'quot;quot;nbsp;britanniques marchent

cavnl • rnbsp;appuyées par d\'innombrables troupes de

Shnm ^ quot;quot;nbsp;Montefics, les Shebaa, les

d\'Ibn Esséoud. On avait promis à ces
rnous
1 indépendance de la Mésopotamie.

im novembre 1915. Certaines paroles des généraux anglais, au
jet ae cette indépendance, amènent les Arabes à abandonner
anglaise à Ctésiphon.

août 1916. Une armée britannique est forcée de se rendre aux
iurcs a Kut-el-Amra.

23nbsp;novembre 1916. La Grande-Bretagne reconnaît et garantit à
assorah, par la bouche de Sir Percy Cox, délégué de la Grande-

wetagne, 1 indépendance de la Mésopotamie

11 mnbsp;L\'offensive britannique à l\'Irak est reprise.

eénX\'ni Qnbsp;P-\'quot;\'quot;nbsp;anglaises sous le

general Sir Stanley Maude. Le Gouvernement britannique promet

-ocr page 26-

— d\'après Reuter — l\'établissement en Asie d\'un Etat renfer-
mant ... l\'Arabie, la Syrie, la Mésopotamie.

mars 1917. Le général Maude invite les Arabes de réaliser, en col-
laboration avec les représentants politiques de la Grande-
Bretagne, les aspirations de leur race; il dit venir en libérateur et
non en conquérant.

30 octobre 1918. Le Traité d\'armistice de Moudros est conclu entre
les Puissances alliées et la Turquie. L\'article 7 de ce Traité auto-
rise les Alliés à occuper tout point stratégique, en cas de menace
de leur sécurité. D\'après l\'article 16, alinéa 1er, les garnisons
turques en Mésopotamie seront remises au commandant des Al-
liés le plus proche.

8 novembre 1918. Les forces britanniques occupent la ville de
Mossoul ; l\'évacuation de la ville par les Turcs est exigée en ver-
tu de l\'article 7 du Traité d\'armistice. Peu à peu les Anglais ré-
duisent tout le vilayet à la domination britannique.

10nbsp;mars 1920. Le Congrès mésopotamien de Damas proclame Ab-
dullah roi de l\'Irak indépendant.

mars 1920. Désordres à l\'Irak: des Arabes attaquent les Anglais.

août 1920. Graves agitations à l\'Irak,

Inbsp;octobre 1920. Sir Percy Cox, Haut Commissaire britannique
pour la Mésopotamie, arrive à Bassorah.

11nbsp;octobre 1920. Arrivée à Bagdad.

16—17 octobre 1920. Visite à Mossoul.

13 novembre 1920. Première réunion officielle du Conseil d\'Etat
de l\'Irak constitué, sur l\'initiative du Haut Commissaire britan-
nique, comme gouvernement national provisoire.

IInbsp;juillet 1921. Le Conseil d\'Etat vote à l\'unanimité une résolu-
tion, reconnaissant l\'émir Fayçal, fils de Hussein, roi du Hedjaz,
comme roi de l\'Irak, à condition que son gouvernement soit un
gouvernement constitutionnel, représentatif et démocratique,
soumis aux lois de l\'Etat.

19 août 1921.\'Les résultats d\'un référendum sont connus: 96%
des électeurs se déclarent en faveur de Fayçal.

23 août 1921. Pubhcation officielle de la reconnaissance, faite par
le Gouvernement britannique, de Fayçal comme roi de l\'Irak.

10 octobre 1922. Un Traité d\'alhance est signé entre la Grande-
Bretagne et l\'Irak. La Grande-Bretagne s\'engage à fournir à

-ocr page 27-

1 Etat de 1 Irak les conseUs et l\'assistance dont ce dernier pour-

\'nbsp;^^ l\'I-k convient

te^oT r^fnbsp;^^ Grande-Bretagne transmis par l\'in-

te^ediaire du Haut Commissaire britannique à l\'Irak (article

Protocole tendant à la modification

Ce Prnff 1 .nbsp;P^\' ^^ Grande-Bretagne et l\'Irak.

U Protocole stipule que le Traité prendra fin. lorsque l\'Irak dé-
pendra membre de la Société des Nations et en tout cas dans un
aeia, qui n excedera pas quatre ans à dater de la ratification de
^a paix avec la Turquie.

cZn ri L^.G^^^d^-Bretagne et l\'Irak concluent, en exé-
na ^K . d\'alliance, un Accord concernant les fonction-

Sr \\nbsp;^nbsp;quot;quot;nbsp;quot;^^«taire. un Accord ju-

aiciaire et un Accord financier.

quot;coni?nbsp;^ Traité d\'alliance à

corn ^^^^^nbsp;Grande-Bretagne et l\'Irak. Un des arguments

aucune Lnm rnbsp;? ^^ Grande-Bretagne ne donne

TurqX \'nbsp;^^^^ P^^ ^^dé à la

\'Var rÀJsethunbsp;^^ Grande-Bretagne est approuvé

vo énbsp;^fnbsp;quot;^^^bres de l\'Assemblée qui ont

-au Présit^^^^^^^^^^^nbsp;t pétition

sion du SfAssemblée par laquelle ils insistent sur la révi-

considérés cl \'\'\'\' \'nbsp;^^ ^^^nbsp;seront

pas. dans leur nu\' T!nbsp;l\'Angleterre ne protège

soui.quot; \'nbsp;l^s droits de l\'Irak sur le vilayet de Mos-

27 septembre 1994 t ^ -,nbsp;, ,

les termes du Tr;^^ rTnbsp;\'

et l\'Irak mm S \'nbsp;Grande-Bretagne

nement brif7 ^^^nbsp;engagements pris par le Gouver-

tions denbsp;^nbsp;^^^Posi-

16 dé Knbsp;au Pacte.

vilayeTde Mnf ■nbsp;adjuge le

Grande Br fquot;nbsp;^^Sné à Bagdad par la

d\'allltf ^^^^^^^^^ ?nbsp;^ ^^ P-l-gation du Traité

ance conclu le ]0 octobre 1922. ainsi que des Accords

-ocr page 28-

du 25 mars 1924, pendant une période de 25 années, à compter du
16 décembre 1925, à moins que l\'Irak, avant l\'expiration de cette
période, ne soit devenu membre de la Société des Nations. Ce
Traité est accepté par la Chambre des députés et le Sénat de l\'Irak
et approuvé par le Parlement britannique.

11 mars 1926. Le Conseil de la Société des Nations approuve ce
nouveau Traité comme propre à donner effet aux dispositions de
l\'article 22 du Pacte et déclare que sa décision du 16 décembre
1925 est devenue définitive.

5 juin 1926. Un Traité concernant la fixation de la frontière entre
la Turquie et
l\'Irak est signé à Angora par la Grande-Bretagne
et l\'Irak, d\'une part, et la Turquie, d\'autre part. (Voir page 20).

D - Liquidation du differend de Mossoul

10 août 1920. Le Traité de paix à conclure entre les Puissances
alliées et la Turquie est signé à Sèvres. La frontière septentrionale
du vilayet de Mossoul est désignée comme étant la frontière entre
la Turquie et l\'Irak, avec cette modification que la frontière pas-
sera ausudd\'Amadia. Le vilayet de Mossoul, sauf la région d\'Ama-
dia, est donc assigné à l\'Irak. Ce Traité n\'est pas ratifié. Les événe-
ments survenus en Turquie (la fondation de la république) et les
succès militaires obtenus par les Turcs dans la guerre de 1922 avec
la Grèce nécessitent de nouvelles négociations.

20 novembre 1922. Ouverture de la Conférence de Lausanne entre
les Puissances alliées et la Turquie.

23 janvier 1923. La commission des questions territoriales et mi-
litaires s\'occupe de la frontière entre la Turquie et l\'Irak. Lord
Curzon, premier délégué britannique, propose de faire décider du
tracé de la frontière par le Conseil de la Société des Nations.
Ismet
Pacha, délégué turc, rejette cette proposition.

25 janvier 1923. Lord Curzon attire, en vertu de l\'article 11 du
Pacte, l\'attention du Conseil de la Société des Nations sur la
question de la frontière.

29nbsp;janvier 1923. Les Puissances alliées communiquent un projet
de traité de paix à la délégation turque.

30nbsp;janvier 1923. Le Conseil s\'occupe de la question. Lord Balfour,
représentant britannique, donne un exposé de l\'affaire.

-ocr page 29-

___aperçu historiquenbsp;17

31 janvier 1923. Lord Curzon déclare à Lausanne que le différend

a été soumis à l\'examen et à la décision du Conseil de la Société
des Nations.

4 févner 1923. La délégation turque propose d\'exclure du pro-
gramme de la Conférence la question de Mossoul. afin qu\'elle
puisse être réglée d\'un commun accord entre la Grande-Bretagne
et la Turquie dans le délai d\'une année.

Lord Curzon se déclare disposé à suspendre pour la durée d\'une

année l\'effet de l\'appel qu\'il a adressé au Conseil de la Société

des Nations, et à tenter de régler l\'affaire à l\'amiable avec la
Turquie.

Un accord sur l\'ensemble des propositions alliées ne pouvant
se réaliser et Lord Curzon étant obligé de partir pour Londres.

Conference de Lausanne est interrompue. Fin de la première
partie de la Conférence.

8 mars 1923. Lettre d\'Ismet Pacha transmettant les modifica-
tions proposées par le Gouvernement turc au projet de traité,
remis le 29 janvier à la délégation turque.

3 avnl 1923. Ouverture de la seconde partie de la Conférence de
Lausanne.

24 avnl-26 juin 1923. Séances privées et pourparlers particuliers

entre les délégations britannique et turque sur la rédaction de

article 3, paragraphe 2. du Traité, ayant trait à la frontière entre
la Turquie et l\'Irak.

Jum 1923. Un accord est réalisé à ce sujet entre les deux délé-
gations.

11 jmllet 1923. La Grande-Bretagne et la Turquie conviennent
que le délai de neuf mois réservé aux négociations turco-britan-
mques prévues au premier alinéa de l\'article 3. paragraphe 2.

u Traité de Lausanne, commencera à courir dès l\'accomplisse-
ment des opérations d\'évacuation des territoires turcs occupés
par les Alliés.

24 juillet^ 1923. Signature du Traité de Lausanne et du Protocole
relatif à l\'évacuation des territoires turcs occupés par les forces
bntanniques. françaises et italiennes.

4 octobre 1923. L\'évacuation des territoires turcs est achevée,
octobre 1923. Ouverture des négociations entre la Grande-Bre-
tagne et la Turquie.

-ocr page 30-

19nbsp;mai-5 juin 1924. Conférence de Constantinople sur la question
de Mossoul; cette conférence n\'a pas abouti à un accord.

5nbsp;juiUet 1924. Expiration du délai de neuf mois prévu à l\'alméa
1er de l\'article 3, paragraphe 2, du Traité de Lausanne.

6nbsp;août 1924. Le Gouvernement britannique prie, en vertu de l\'ar-
ticle 3, paragraphe 2, du Traité de Lausanne, le Conseil de la
Société des Nations de s\'occuper de la question de la frontière
de l\'Irak.

30 août 1924. Le Conseil traite dans sa session de Genève la priere
anglaise et invite le Gouvernement turc à se faire représenter
aux délibérations sur l\'affaire de Mossoul.
20—25 septembre 1924. Le traitement du différend est poursuivi.
30 septembre 1924. Le Conseil décide d\'instituer une commission
spéciale de trois membres ayant pour tâche d\'apporter au Conseil
tous les
renseignements et toutes les suggestions propres à lui
permettre de prendre une décision.
27 octobre 1924. Lors de sa session de Bruxelles, le Conseil est
saisi de la question de savoir quelle est la ligne frontière du statu
quo que les parties se sont engagées, par l\'article 3 du Traité de
Lausanne, à observer jusqu\'à ce que la décision définitive sur le

tracé de la frontière soit prise.
29 octobre 1924. Le Conseil trace une ligne frontière provisoire
entre les territoires occupés et administrés par les deux Gouver-
nements intéressés; cette ligne est dite „hgne de Bruxellesquot;. Le
vilayet de Mossoul sera administré provisoirement par l\'Irak.
31 octobre 1924. Le Président du Conseil annonce que la Com-
mission d\'enquête sera formée par MM. Teleki, de Wirsen et
PauUs.

13 novembre 1924. La Commission se réunit à Genève et prend
connaissance des documents. Ensuite elle se rend à Londres et
à Angora.

16 janvier 1925. Elle arrive à Bagdad, afin de s\'enquénr sur place.
27 janvier 1925. Elle atteint la ville de Mossoul et commence ses

investigations sur le territoire contesté.
20 avril 1925. La Commission se réunit à Genève pour rédiger son
rapport. Sa conclusion est conçue dans les termes suivants: Des
arguments importants, particulièrement d\'ordre économique
et géographique, ainsi que les tendances — avec certaines réser-

-ocr page 31-

ves — de la majorité des populations du territoire pris dans son
ensemble, plaident en faveur du rattachement à l\'Irak de tout
le territoire au sud de la ligne conventionnelle de Bruxelles. La
Commission soumet cet avis à deux conditions: 1°. L\'Irak res-
tera sous le mandat effectif de la Société des Nations pendant une
période de vingt-cinq ans environ; 2°. Il devra être tenu compte
des vœux émis par les Kurdes, qui demandent que des fonction-
naires de race kurde soient désignés pour l\'administration de leur
pays, pour l\'exercice de la justice et pour l\'instruction dans les
écoles, et que la langue kurde soit la langue officielle de tous ces
services.

16 juillet 1925. Le rapport est déposé au Secrétariat de la Société
des Nations.

3 septembre 1925. Il est débattu lors de la séance du Conseil,
septembre 1925. Le Conseil vote une résolution tendant à de-
mander l\'avis consultatif de la Cour permanente de Justice in-
ternationale sur la nature de la décision à prendre par lui en ver-
tu de l\'article 3, paragraphé 2, du Traité de Lausanne et sur le
point de savoir si cette décision sera prise à l\'unanimité ou à la
majorité des voix et si les représentants des parties intéressées
prendront part au vote.

24 septembre 1925. Les représentants de chacune des deux parties
se plaignent que l\'autre partie n\'observe pas rigoureusement la
ligne de Bruxelles. Le Conseil décide d\'envoyer une Commission
ayant pour seule tâche de s\'occuper des incidents dans la zone
frontière.

septembre 1925. Le Conseil charge de cette mission le général
Laidoner.

22 octobre 1925. Ouverture d\'une session extraordinaire de la
Cour permanente de Justice internationale.

21 novembre 1925. La Cour émet son avis consultatif sur les ques-
tions présentées à elle. Elle est d\'avis:

que la décision à prendre par le Conseil sera obligatoire pour
les parties et constituera la détermination définitive de la fron-
tière entre la Turquie et l\'Irak;

que la décision devra être prise à l\'unanimité des voix, les re-
présentants des parties prenant part au vote, mais leurs voix ne
comptant pas dans le calcul de l\'unanimité.

-ocr page 32-

20nbsp;APERÇU historique

8 décembre 1925. Le Conseil adopte l\'avis consultatif de la Cour.

16 décembre 1925. Le Conseil, se fondant sur les travaux de la
Commission d\'enquête, détermine la ligne frontière entre la Tur-
quie et l\'Irak et désigne comme telle la ligne provisoire arretee
par lui le 29 octobre 1924 à BruxeUes, de sorte que le vilayet de
Mossoul est adjugé à l\'Irak. Cette décision est soumise à la condi-
tion que le Gouvernement britannique soumettra au Conseil un
nouveau traité avec l\'Irak qui assurera la continuation, pendant
vingt-cinq ans. du régime de mandat, sous réserve de l\'adniis-
sion, avant l\'expiration de cette période, de l\'Irak dans la So-
ciété des Nations. En outre le Gouvernement bntanmque en
tant que Puissance mandataire, est invité à soumettre au Con-
seiï les mesures administratives qui seront arrêtées pour accorder
aux populations kurdes des garanties d\'administration locale
Finalement le Conseil invite le Gouvernement bntanmque à
s\'inspirer aussi fidèlement que possible des suggestions de la
Commission d\'enquête en ce qui concerne les mesures propres a
assurer l\'apaisement, à protéger également tous les elements de
la population, et en ce qui concerne les mesures commerciales
visées dans l^s
recommandations spéciales du rapport de cette

Commission.nbsp;, ^ -

13 ianvier 1926. Un nouveau Traité entre la Grande-Bretagne et
l\'Irak est signé à Bagdad, tendant à la continuation du Traité
d\'alliance du 10 octobre 1922, ainsi que des divers Accords,
pendant une période de vingt-cinq ans à compter du 16 décembre
1925 à moins que l\'Irak, avant l\'expiration de cette pénode, ne
soit devenu membre de la Société des Nations. Ce Traité est ap-
prouvé par la Chambre des députés et le Sénat de l\'Irak et ensuite

par le Parlement britannique.
11 mars 1926. Le Conseil prend une résolution déclarant que sa

décision du 16 décembre 1925 est devenue défimtiye.
5 iuin 1926. Un Traité entre la
Grande-Bretagne et 1 Irak, dune
part, et la Turquie, d\'autre part, est signé à Angora. Ayant en
vue les dispositions du Traité de Lausanne du 24 juillet ^23 con-
cernant le règlement de la frontière entre la Turquie et
1 Irak, les
parties contractantes conviennent que cette frontière est fixee
définitivement, sauf une légère modification, en conformité de la
ligne dite de Bruxelles. Le vilayet de Mossoul est donc rattache

-ocr page 33-

définitivement au Royaume de l\'Irak (article 1er). D\'après
l\'article 14, le Gouvernement de l\'Irak paiera au Gouvernement
turc pendant une période de vingt-cinq ans 10 pour cent sur tou-
tes les redevances qui lui reviendront de la Turkish Petroleum
Company et de toutes les autres compagnies ou personnes qui
pourront exploiter le pétrole en vertu des dispositions de la con-
cession de la Turkish Petroleum Company. Selon une note addi-
tionnelle du 5 juin 1926 le Gouvernement turc pourra deman-
der la capitalisation de sa quote-part des redevances des conces-
sions. Le montant de ce capital est fixé à 500.000 livres Sterling.

-ocr page 34-

Chapitre II

APERÇU DES QUESTIONS JURIDIQUES

Nous nous proposons d\'énumérer d\'abord dans un court aperçu
les questions juridiques qui se présentent en grand nombre a
celui qui examine le litige de Mossoul. Ces questions résultent d une
part L caractère même du litige, d\'autre part de la procedure à
iaquelle le différend a été soumis pendant la penode de 1918 a 1926.

Quand on étudie à fond le différend né entre a Grande-Breta-
gne (en quaUté de mandataire du royaume de 1 Irak) et la Tur-
kic
et qui avait pour enjeu le vilayet de Mossoul, la première
question qu\'on se pose, est celle de savoir quelle était la nature de
ce différend. Etait-ce un litige d\'ordre juridique ou plutôt un dif-
Lend
politique, et en quoi consiste la différence entre ces deux?
L\'usage fréquent qu\'on fait de ces termes n\'empeche pas que les

opinions sur leur signification sont divisées.

L\'intérêt de la solution de cette question n était pas illusoire,
Duisqu\'elle devait avoir une influence prépondérante sur le mode
L règlement du litige. En effet, avant qu\'on soit en mesure de
décider quelles considérations serviront de base à la decision d un
conflit il faudra déterminer quelle est la nature du Utige lui-même.

Or k l\'on arrive à l\'opinion que le Utige était d\'ordre juridique,
il s\'ensuit tout naturellement que la controverse devait être videe
sur la base du droit et que seules des considérations d ordre juri-
dique permettaient d\'arriver à une décision en faveur de lune ou
de l\'autre des parties. Dans cet ordre d\'idées, il faut examiner
laquelle des parties était souveraine du territoire de Mossoul. Afm
de pouvoir résoudre cette question, on doit s\'enquerir si les évé-
nements survenus à l\'Irak pendant et après la guerre
mondia e.
ont été en mesure de priver la Turquie de la souyerainete du ter-
ritoire contesté. Il faut considérer d\'une part, si la séparation des
Arabes de l\'Empire ottoman les a libérés de la souveramete turque,

-ocr page 35-

supposé que le vilayet de Mossoul ait été entraîné par la révolte
arabe. Nous devons nous demander d\'autre part, si on pouvait
faire valoir l\'occupation militaire, la conquête dudit vilayet par
les forces britanniques et arabes pour un titre à la souveraineté de
l\'Irak. Quand on considère la décision du différend de Mossoul à
ce point de vue-là, toutes les considérations tendant à la reconnais-
sance de la souveraineté de l\'une ou de l\'autre partie, sont d\'ordre
purement juridique.

Si, par contre, le différend doit être censé avoir été une question
d\'opportunité politique, les arguments de nature juridique indiqués
ci-dessus ont pu être laissés de côté pour sa solution. Dans ce cas,
le conflict ne devait pas être vidé sur la base du droit, mais il fal-
lait décider à laquelle des deux parties le vilayet de Mossoul serait
assigné pour faire partie, à l\'avenir, de son territoire. En résolvant
cette question, le droit ne pouvait pas être pris comme guide. Il
y avait, au contraire, des considérations autres que celles du droit
qu\'il fallait prendre comme point de départ. Il fallait rechercher
SI le territoire contesté forme plutôt un tout avec le territoire de
1 une ou de l\'autre partie. Afin de pouvoir en juger, il fallait s\'en-
quérir, entre autres, de l\'état de la population et s\'informer si, en
matière de race, de religion et de langue, elle a des rapports avec la
population de l\'une ou de l\'autre des Etats Utigants (argument
ethnographique). Puis il fallait considérer si l\'activité économique
du territoire contesté serait favorisée par l\'adjudication à la Turquie
ou a l\'Irak et si, éventuellement, l\'une ou l\'autre ressent, pour le
développement économique de son pays, un vif besoin de pouvoir
exercer sa souveraineté sur le territoire en litige. En outre, des
considérations d\'ordre stratégique aussi peuvent emporter la balan-
ce, si une certaine frontière est un empêchement naturel en vue
d invasions ennemies. Ce sont de pareilles considérations qui
devaient être la base de la décision, si le litige était considéré comme
étant une question d\'opportunité pohtique.

Nous discuterons ou effleurerons toutes ces questions au chapi-
tre V.

Une autre question est celle de savoir quelle était la nature de
la décision à rendre par le Conseil de la Société des Nations. Comme
On le sait, le htige de Mossoul fut soumis au Conseil en vertu de
1 article 3, paragraphe 2, du Traite de Lausanne, par lequel les

-ocr page 36-

parties s\'étaient engagées à „porter le litige devant le Conseil de la
Société des Nationsquot;, au cas où elles ne réussiraient pas
a le regler
à l\'amiable. Qu\'est-ce qu\'eUes ont voulu exprimer par ces termes?
Quelle serait la nature de la décision
à rendre par le Conseil en
vertu de cette stipulation? Ont-eUes désiré une sentence arbitrale,
une
recommandation conformément à l\'article 15 du Pacte de la
Société ou une simple médiation? Il est clair que les effets juridi-
ques de ces trois espèces de décisions émanant éventuellement du
Conseil diffèrent sensiblement entre eux. Une seconde question,
qui présente un lien étroit avec celle
à laqueUe nous venons de
toucher, est ceUe de savoir quelles étaient les conditions d\'une
décision valable du Conseil. L\'unanimité absolue était-elle requise,
ou pouvait-on se contenter de l\'unanimité restreinte visée a 1 ar-
ticle 15 alinéa 6, du Pacte? Ou bien est-ce qu\'une décision prise
à la simple majorité des voix suffisait? C\'est sur ces deux questions
que le Conseil lui-même
a demandé l\'avis consultatif de la Cour
permanente de Justice internationale, de sorte que rien ne s\'op-
pose
à ce que nous discutions cet avis en résolvant lesdites ques-
tions. La discussion de ces points remphra le chapitre IV.

Puis il s\'est présenté quelques questions de procédure soulevees
par la résolution du Conseil de demander l\'avis consultatif de la
Cour permanente de Justice internationale sur les points que nous
venons d\'indiquer, et lesquelles nous débattrons au chapitre III.

Voilà d\'abord le point de savoir si une résolution du Conseil
tendant à la demande d\'un
avis consultatif doit être votée à l\'una-
nimité absolue, à l\'unanimité restreinte visée à l\'article 15, alinéa 6,
du Pacte (donc sans compter les voix émises par les représentants
des parties), ou bien à la simple majorité des voix.

En second lieu, il y a quelque intérêt à se demander si le Conseil,
en usant du droit conféré à lui par l\'article 14 du Pacte, doit se
borner à consulter la Cour sur des questions de droit. Si l\'on com-
pare. à ce point de vue. l\'avis relatif à la solution du différend sur
Mossoul avec celui relatif au différend
russo-finlandais concernant
la Carélie orientale, on constate qu\'ils ont tous deux trait à 1 in-
terprétation d\'un traité, et que. dans les deux cas. la connaissance
des négociations orales qui avaient eu heu entre les parties, était
d\'une grande importance pour cette interprétation. La Cour ayant
émis dans son avis carélien. l\'opinion que la recherche de ces

-ocr page 37-

négociations est une question de fait, et ayant exprimé le désir que
de telles questions de fait ne lui soient pas soumises pour avis
consultatif, n\'y avait-il pas lieu pour elle, par ce motif, de s\'abste-
nir également d\'émettre un avis dans l\'affaire de Mossoul, comme
elle l\'avait fait dans celle de la Carélie orientale? Il y a d\'autant
plus lieu de se poser cette question, parce que les circonstances
accompagnant la requête pour avis consultatif concernant le litige
de Mossoul, ressemblaient, sous d\'autres rapports encore, à celles
qui avaient fourni à la Cour le motif de refuser un avis dans l\'affaire
de la Carélie orientale. La Cour a-t-elle le droit de prononcer un tel
refus, ou est-elle obligée de recevoir favorablement toute demande
faite par le Conseil et tendant à obtenir un avis consultatif?

Le dernier point qui s\'impose par rapport au renvoi de certai-
nes questions à la Cour permanente, est celui de savoir de quelle
façon, une fois l\'avis consultatif émis par la Cour, le Conseil doit
se résoudre à accepter cet avis. Cela aussi peut se faire, soit à l\'un-
animité absolue des voix, soit à l\'unanimité restreinte prévue à l\'ar-
^^cle 15, alinéa 6, du Pacte, soit à la simple majorité des voix,
-■^ous avons donc à rechercher laquelle de ces trois espèces devote
6st la bonne.

Enfin, c\'est l\'effet juridique de la décision rendue par le Conseil,
qui sera le sujet du chapitre VI. Vu que cette décision est revêtue,
e 1 opinion de la Cour et du Conseil lui-même tout au moins, de
orce obligatoire pour les parties en litige, elle est sur le même plan
qu une sentence arbitrale, quant à ses effets juridiques. Une pareille
.sentence pourra constater tout simplement quelle est la situation
juridique et résoudre la question de savoir laquelle des deux par-
^s est, d\'après le droit international, souveraine du territoire
contesté. On parle alors d\'une sentence „déclarative de souveraine-
^ • Mais la décision pourra avoir aussi un effet tout autre: elle
pourra ne pas déclarer ce qui est de droit, mais faire naître une
nouvelle situation juridique, en adjugeant le territoire contesté à
une des parties en litige. Cette sentence est dite: „attributive de
Souverainetéquot;. Alors la question s\'impose de savoir si le seul effet
r b^quot;nbsp;^^^ créer pour la partie qui est mise dans son tort,

^ Obligation juridique de transférer la souveraineté du territoire à
^^^autre partie, ou si cette sentence fait déjà passer de plein droit

souveraineté à la partie, nouvelle maîtresse du territoire, en

-ocr page 38-

d\'autres termes, si eUe a eUe-même l\'effet translatif. Un problème
analogue se présente relativement à l\'effet
juridique d un traxte
de ceiion. Est-ce que la partie à laqueUe un territoire est cede,
en devient souveraine par le seul effet de la mise - vigueur^
Iraité de cession; en d\'autres termes, ce traité a
-t-il l\'effet translatif ?
Ou bien est-ce que l\'Etat cédant doit encore transférer par certaines
formaUtés de ..traditionquot; la souveraineté du territoire cede a l autre
partie contractante? Tous ces points seront discutés au dernier
chapitre du présent ouvrage.

-ocr page 39-

Chapitre III

CONSULTATION DE LA COUR PERMANENTE
DE JUSTICE INTERNATIONALE

^ - Conditions de la requete et de l\'acceptation de l\'avis

1 • Conditions de la requête pour avis consultatif.

Comme nous l\'avons fait observer au chapitre précédent, la
première question de procédure, soulevée par la résolution du
onseil de demander un avis consultatif à la Cour permanente de
Justice internationale, en vertu de l\'article 14 du Pacte, est celle de
savoir si pareille résolution, selon les règles du Pacte, requiert l\'una-
uunité, ou bien si le Conseil peut se contenter d\'une simple ma-
jorité des voix, et ensuite ce qu\'on doit comprendre par cette
unanimité, au cas où elle est nécessaire. Or. le Conseil — la pratique
a prouvé — aura besoin de l\'avis de la Cour, quand il s\'agit de
questions juridiques provoquées par le traitement d\'un différend,
porte devant lui par une des parties, notamment en vertu de 1\' ar-
-^^ce 15 du Pacte, ou que les deux parties, d\'un commun accord.

ont soumis. Dans un cas pareil, il y aura lieu d\'appliquer l\'ali-
uea 5 de l\'article 4 du Pacte, ainsi conçu: „Tout Membre de la
ocieté qui n\'est pas représenté au Conseil est invité à y envoyer
Siéger un Représentant lorsqu\'une question qui l\'intéresse parti-
culièrement est portée devant le Conseil.quot; On augmentera donc
e nombre des membres du Conseil en y ajoutant des représen-
^nts des Etats intéressés, Membres de la Société des Nations, s\'ils
y sont pas encore représentés, afin de leur permettre de défendre
ans son sein leurs intérêts particuhers. Le Pacte tient compte de
^ur présence en stipulant, à l\'alinéa 6 de l\'article 15. que, si le
^onseiI dresse un rapport sur le différend, la voix des représentants
es parties ne comptera pas dans le calcul de l\'unanimité. C\'est

-ocr page 40-

ainsi qu\'on réussit à prévenir que les deux parties intéressées, ou
seulement l\'une d\'entre elles, dispose d\'un droit de veto, qui leur
permettrait d\'empêcher que le Conseil ne vote un rapport compor-
tant les effets juridiques d\'un rapport unanime, et qui leur serait
désagréable.

Le Pacte connaît donc deux espèces d\'unanimité: tout d\'abord
l\'unanimité absolue, visée dans l\'article 5, alinéa premier, du Pacte,
et ensuite l\'unanimité quahfiée, restreinte, de l\'article 15, alinéa 6,
oil l\'on ne compte pas la voix des parties, quand il s\'agit du calcul
de l\'unanimité. ^

Si donc le Conseil, en traitant un litige, désire demander l\'avis
de la Cour, la question se pose de savoir si une résolution à cet effet
doit être prise à l\'unanimité absolue, à l\'unanimité qualifiée, ou
à une simple majorité des voix. La même difficulté se présente,
quand la Cour a porté son avis et que cet avis est mis à l\'ordre du jour
de la séance du Conseil. De quelle façon le Conseil doit-il se décider
à accepter ou à rejeter l\'avis reçu? Ici encore ces trois éventualités
se présentent.

L\'importance de la question qui s\'occupe de la façon dont le
Conseil doit se décider à demander 1\' avis de la Cour, réside dans
le fait suivant. Si le Conseil est en droit, par une résolution votée
à la majorité des voix, ou à l\'unanimité restreinte de l\'article 15,
ahnéa 6, du Pacte, de demander l\'avis de la Cour, les parties peu-
vent être forcées de lui fournir les données dont elle a besoin pour
émettre son avis, peut-être même après avoir refusé de soumettre
leur différend à la juridiction de la Cour, afin d\'obtenir une déci-
sion obligatoire de leur différend.

L\'importance de la solution de la deuxième question, à savoir
de quelle façon le Conseil doit se décider à adopter ou à rejeter
l\'avis de la Cour, est manifeste. Supposé que le Conseil soit en droit
d\'adopter l\'avis à l\'unanimité restreinte ou à la simple majorité
des voix, les parties en litige seront liées contre leur gré par la réso-
lution du Conseil tendant à l\'adoption de l\'avis.

L\'article 5 du Pacte qui règle la façon dont l\'Assemblée et le
Conseil prennent des résolutions, est important pour la solution

« Nous laissons de côté la pseudo-unanimité visée par le dernier alinéa de
l\'article 15, vu que cet alinéa contient, pour l\'Assemblée, une stipulation
de la même nature que celle du sixième alinéa, pour le Conseil.

-ocr page 41-

des questions posées. La règle générale est que l\'unanimité est re-

pa L; rnbsp;^nbsp;P^^ dispositions

fT quot;quot;nbsp;^^ P^^te fait partiel.

Ln mte le second alinéa de l\'article 5 stipule qu\'on résoudra à la

majorité des voix toutes questions de procédure qui se poseront

R^irTquot;\' l\'Assemblée ou du Conseil, y compris la dési-
gnation de commissions, chargées d\'enquêter sur des points parti-

Aucune lumière n\'est apportée à cet effet, ni par l\'article 14 du
lenbsp;consultatifs dans sa dernière phrase, ni par

de 1 rnbsp;\'nbsp;l\'activité consultative

la tour et ne s\'occupe que de sa fonction purement judiciaire
e solution n\'est pas plus fournie par le „Règlement intérieurquot;
^onseil; quant à ce point, l\'article 8 est une répétition au pied
la lettre de l\'article 5 du Pacte.

Or, la recherche d\'un avis consultatif est-elle une des questions
procedure, dont parle le second ahnéa de l\'article 5 du Pacte?
testnLinbsp;affirmativement, il est incon-

des vobcquot;^quot;nbsp;^^nbsp;Pquot;se à la majorité

ceUeTquot;^ \'\'\'\'nbsp;P^^quot;quot;nbsp;d®« questions qui, comme

Prêtnbsp;l\'interprétation d\'une clause de traité, l\'inter-

Pounnbsp;P^^ suffisantes

cetti I \'\'nbsp;à faire une recherche sur la façon dont

\'des nnbsp;quot;quot; quot; découvrira peut-être la volonté

quesffn \'nbsp;^«^tractantes. et. en même temps, une réponse à la

dnJTr\'\':!\'\'nbsp;droit de prendre pour la tra-

clarf^^ Intention des parties, exprimée avec trop peu de

reJrHnbsp;des questions qui

hisw l^^Pli^^ation du Pacte, on se heurte, en l\'interprétant
quot;nquemenf, à l\'inconvénient que nous ignorons encore trop

I Q^nbsp;—--

clus a^\'nbsp;^^^ Puissances alliées et associées ont con-

avec l\'Aiinbsp;Puissances centrales, savoir: le Traité de Versailles

^euillv \'nbsp;Saint-Germain-en-Laye avec TAutriche. celui de

Sèvr^I;;quot;;\' r\'nbsp;^^ et celui

a été remn, înbsp;\' ^nbsp;^nbsp;ratifié.

Pacte ^nbsp;Lausanne, qui ne renferme cependant pas le

-ocr page 42-

de la genèse du Pacte i. Une des sources qui peuvent apporter
ici un peu de lumière sont les
Protocoles de la Conférence des Prélimi-
naires de Paix,
qui rendent le cours des débats de quelques séances
plénières des représentants des Puissances alliées qui dressaient
les projets des traités de paix

On nomma, dans la deuxième séance plénière, celle du 25 jan-
vier 1919, une „Commission pour la Société des Nationsquot;, dont
M. Wilson accepta la présidence 3. Dans les dix séances que la
Commission tint, depuis son institution jusqu\'au 14 février 1919,
et sur lesquelles il ne parut que des communiqués brefs et incom-
plets, elle composa un projet de Pacte, qui fut lu par M. Wilson
dans la troisième séance plénière du 14 février 1919. Ce fut dans
la cinquième séance plénière, du 28 avril 1919, que M. Wilson
s\'étendait sur les modifications apportées dans le projet et qui
étaient la conséquence de la critique faite entretemps sur ce pro-
jet.

Dans le projet mis sur le tapis le 14 février 1919, l\'article 5
était veuf de l\'alinéa premier actuel. M. Wilson motiva l\'adjonc-
tion de cet alinéa en disant, le 28 avril suivant „Le premier para-
graphe de l\'article 5 est nouveau: il exprime nettement la néces-
sité de l\'unanimité pour les décisions à prendre, ce qu\'on avait
considéré comme allant de soiquot;. Un peu plus tard « il ajouta que
le traité dont le Pacte ferait partie, impose certaines obligations
au Conseil, que celui-ci, en exécutant ces obligations, peut prendre
des décisions à la majorité des voix, et qu\'il était nécessaire pour
cela de mettre le Pacte en rapport avec les autres parties du traité,
en ajoutant à l\'article le premier alinéa actuel.

Ces données ne nous rendent pas plus facile la réponse aux
questions posées. Tout ce qui est clair, c\'est que, dans les séan-

\' Nous ne perdons point de vue que nous connaissons tous les projets parti-
culiers ayant fourni des matières pour le projet du Pacte, qui faisait un sujet
de débats à la Conférence de paix de Paris (1919—1920). Cependant nous
pensons au fait que nos connaissances de ces débats sont très incomplètes.
» Recueil des actes de la Conférence {Conférence de la Paix igig—1920), Partie
III, Protocoles des cinq séances plénières publiques de la Conférence.
\' Voir pour la genèse\'du Pacte: C. A. Kluyver, Documents on the League of
Nations,
Leyde 1920. — D. Hunter Miller, The drafting of the Covenant.

*nbsp;Voyez le Protocole no. 5, page 115.

•nbsp;Voyez le Protocole no. 5, page 116.

-ocr page 43-

»embres Luf d„n?gt;nbsp;coUaboration de tous les

\'»t t -

\'e ®ronnbsp;«»nent une con«-

«-IW o„s ne luZr/nbsp;taditionnal. que les rt-

ies Etanbsp;rnbsp;^ ■■»--■quot;■té des

voix de tous

On nenbsp;\'\'quot;quot;\'^\'P® ^^ de souveraineté

\'quot;«onnbsp;•quot;H-

»»tour de lanbsp;f «nbsp;quot;nbsp;quot;

lt;=orlt;3enbsp;\'^on^rence, quand cette résolution ne s\'ac-

«i-angeme^rjnbsp;\'lt;= cas d\'un

d\'on pareil?- quot;nbsp;P\'^rticipants de la conférence. Lté

\'-«oV VuSmnbsp;i propos de la coopé-

EtaTs C n quot;quot; \'fnbsp;^eux ou

quot;«n; dans fd/nbsp;P\'quot;\'nbsp;™ d\'un but com-

cf e coopération revêt un caractère plus

quot; don ?nbsp;organes. ^

■quot;«we ceMe 1 rnbsp;• Pquot;quot;quot; ™ P^quot; décision. Quand

\'•^quot;fait a^éfe quot; quot;quot;quot; quot;quot;nbsp;P quot;tique

■comporte desnbsp;comme elle

■iquot;« et des p^rS^tquot;quot;\' ■ quot; \'quot;quot;P\'quot;\'quot;quot;

quot;P^ l\'unanimité exigée empêche qu\'une
«t Znbsp;g-nde minorité, minorité

Il est à Z-, î quot;l™\'nbsp;composent cette minorité.

^ \'«^nint iCct™^nbsp;P^ote, en

et de l\'A^mWée quot; «\'PO^ \'es travaux du Con-
®quot;scitede„r=„l .nbsp;dangers; car c\'est

ainsi au\'on

grandes difficultés à la prise d\'une décision. L\'application

-ocr page 44-

Stricte du principe de l\'unanimité a grand\'chance d\'exercer une
influence néfaste sur l\'activité de ces organes; et ce danger est
d\'autant plus grand, à des époques où l\'on doit souhaiter une
activité plus grande de la Société des Nations et où cette plus
grande activité est même nécessaire pour le maintien de la paix
mondiale M. Fleïcher voit le principe de l\'unanhnité d\'un mauvais
œil, témoin ces paroles: „Imposer à un corps social la règle des
décisions unanimes dans un milieu où prédominent la diversité
et les antagonismes des intérêts, c\'est vouer ce corps à l\'inactivité
sûre et certaine

Cet auteur a beau broyer de noir, en voyant si sombre l\'avenir
de la Société des Nations, ses paroles reposent sans doute sur un
fond de vérité. Un seul Etat ne peut-il pas paralyser l\'action d\'un
organe, si une certaine décision ne cadre pas avec ses intérêts, et
qu\'il ne soit pas disposé à les subordonner à ceux de toute la com-
munauté ?

Cependant il ne faut pas perdre de vue que, le plus souvent,
un appel fait au bon sens des intéressés, aura une influence sa-
lutaire. Personne ne veut, à moins qu\'il ne s\'agisse d\'intérêts de la
dernière importance, porter la responsabilité de l\'enraiement de
l\'appareil de la Société des Nations, quand l\'intérêt de l\'ensemble
pousse à l\'action. Sir John Fischer Williams écrit le passage suivant
dans un article intéressant, intitulé:
The League of Nations and
Uîianimity „Thus when a spirit of loyalty and cooperation pre-
vails, the rule of unanimity tends in practice to mean that decisions,
except in certain special occasions where strong poUtical motives

1 Nous songeons particulièrement ici à une action du Conseil en suite des
articles 15 ou 17 du Pacte. Le sixième alinéa de l\'article 15 élimine — il
est vrai — les voix des parties, mais cela n\'empêche pas qu\'un autre membre
du Conseil peut prévenir un rapport unanime, dans le sens de l\'alinéa 6. Il
suffit pour cela que ledit membre veuille laisser la main libre à celle des par-
ties en litige qui est friande d\'une guerre. Après l\'expiration d\'un délai de
trois mois, à partir de l\'émission du rapport, les parties recouvrent leur en-
tière liberté d\'action (article 12, alinéa premier, du Pacte). Voilà précisément
la lacune du Pacte que le Protocole de Genève a voulu combler et que la Con-
férence de Locarno a effectivement comblée, d\'une façon différente, dans un
pacte régiorial.

» A. A. Fleïcher, Le Pacte de la Société des Nations, Paris 1922, page 71.
» Dans:
The American Journal of International Law, 1925, page 475.

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are at work, go through even against the wishes of smaU minori-
ties. \'

Mais la grande difficulté fondamentale que comporte l\'exigence
ae 1 unanimité se fait particulièrement sentir dans les cas „where
strong poUtical motives are at workquot;, les cas où les intérêts de la
communauté ne doivent pas être déposés entre les mains d\'un seul
^tat. Précisément, quand de forts mobiles politiques sont en jeu.
on est en droit d\'attendre de la Société des Nations une activité
emcace qui rétablit le repos. La Société ne remplirait pas sa mission,
1 eUe était incapable, par quelque raison que ce fût, d\'exercer les
lonctions pour lesquelles eUe a été créée.

On aurait pu souhaiter — en partant de ce point de vue — que
e Pacte eût attribué aux organes de la Société la compétence de
prendre, à la majorité des voix, des décisions qui hassent tous les
^^embres. Ainsi une minorité eût pu être subordonnée à la volonté
e a majorité. Mais le règlement en vigueur démontre clairement
que les membres de la Société n\'ont rien perdu, à cet égard, de la
te i^^c^^f ^^ souveraineté en souscrivant aux principes du Pac-
ququot; rnbsp;prendre, à la majorité des voix, des décisions

qui liassent tous les membres, on aurait affaire à un „gouvernement
^^Per-étatiquequot; 2, ce qui serait en contradiction avec l\'idée de la
tact^^r\'quot;^^^nbsp;L\'exigence de l\'unanimité laisse donc in-

et^l\'Anbsp;traditionnelle du droit international, mais le Conseil

.nbsp;restent par cela justement en principe et sauf ex-

P ions particulières de simples conférences diplomatiques, où
chaque Etat dispose du droit de veto.

et s^^t^ ^^ ^^nbsp;l\'unanimité découle de la souveraineté

nié • ^^ protection, la conséquence logique — chose de la der-

dan^nbsp;~nbsp;^^^^^nbsp;^tre appliquée que

s es cas qui sont dans un rapport étroit avec la souveraineté.

trav^T^\'^^^^^\' ^^ national, quelle est la méthode de
cla^^ ^ ^^ organe quelconque, on trouvera toujours, d\'abord une
prend \'nbsp;^\'^î^® ^^ l\'article 5 du Pacte, stipulant la façon de

décisions, et ensuite une règle exigeant qu\'un certain

t qquot;nbsp;^^ Société des Nations, Paris 1920, pages 6 et 7.

page ^^nbsp;Nations et sa liaison avec le traité de paix, Paris 1919,

-ocr page 46-

nombre de membres soit présent à la séance, afin de rendre possi-
bles les débats et la prise de résolutions.

Or, une règle exigeant un quorum manque du tout au tout dans
le Pacte, et le „Règlement intérieurquot; de l\'Assemblée ne contient
rien à ce sujet. Par contre, l\'article 6 du „Règlement intérieurquot; du
Conseil stipule que la séance ne sera déclarée ouverte que si la ma-
jorité des représentants des Membres seront présents, et qu\'elle
sera déclarée levée ou suspendue quand le nombre de ces représen-
tants sera inférieur à cette majorité.

Selon le Règlement de l\'Assemblée, les représentants qui s\'abs-
tiennent de voter sont considérés comme non-présents (article 19,
alinéa 5) ; un pareil arrangement manque au Règlement du Conseil.

Cette matière a donc été insuffisamment réglementée. On s\'at-
tendrait, d\'une part, à une clause supplémentaire de l\'article 6 du
Règlement du Conseil, qui prescrit un quorum; cette clause devrait
stipuler que ceux qui ne votent pas, seront censés être absents ^
On aurait dû fixer, d\'autre part, un quorum pour les séances de
l\'Assemblée.

L\'Assemblée elle-même a senti aussi le besoin d\'une disposition
pareille. Pendant la deuxième Assemblée, Sir James Allen, repré-
sentant de la Nouvelle-Zélande, fixait quot; l\'attention sur l\'absence
d\'une telle disposition en disant qu\'il lui semblait: „qu\'il y a quelque
danger d\'un vote de surprise.quot; Cela l\'induisait à demander entre
autres la „fixation d\'un quorum pour les réunions de l\'Assemblée
et de ses commissions.quot; M. Henri A. Rolin (rapporteur) compre-
nait également qu\'il était important au possible de fixer un quo-
rum, témoin ses paroles ^ : „Nous acceptons des recommandations
et des vœux qui ont parfois une grande importance politique, à la
simple majorité. Il est bon, effectivement, qu\'un quorum soit re-
quis pour l\'adoption de pareilles résolutions.quot;

L\'article 5 du Pacte porte donc la prescription générale que les

gt; Malgré le manque d\'une disposition utile à cet effet, on considère, dans
les séances du Conseil; comme absents les représentants qui ne votent pas.
Voir W. Schücking und H. Wehberg,
Die Satzung des Völkerbundes, 2e édi-
tion, Berhn 1924, page 334.

\' Deuxième Assemblée, Procès-verbaux des séances plénières, page 728.
» loc. cit., page 731.

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décisions du Conseil et de l\'Assemblée doivent être prises à l\'una-

nimite.

Dès la première réunion de l\'Assemblée, on s\'attendait, à ce
4 11 paraît, qu\'une application stricte de ce mode de vote pro-
c^uirait des difficultés. Du fait que l\'article 5 ne parle que de ..déci-
jns . on déduisit que cette règle est inapplicable à toutes les ex-
P essions de la volonté de l\'Assemblée qui ne sont pas formulées de
denbsp;imposent des obligations aux Etats, membres

ja bocieté des Nations. On les nomme „vœuxquot;, „invitationsquot;,

sembi™\'^quot;\'^\'\'^\'®quot;quot;\'quot; ^^^ conséquence immédiate en est que l\'As-
vcp - \' ?quot; donnant aux expressions de sa volonté la forme d\'un
\'\' u . d\'une „invitationquot; ou d\'une „recommandationquot;, et en ne
1 enant pas ainsi une ..décisionquot;, prise dans son sens restreint,
rem
1nbsp;parlant, nier ^ la règle de l\'unanimité et la

quot;quot;nbsp;^ ^^ majorité Cela est. bien entendu.

Passible seulement, toutes les fois que les cas ne sont pas en jeu

impose à l\'Assemblée une mission déterminée qu\'elle
façon prescrite

pcher Williams. The League of Nations and Unanimity, dans The
On ne rnbsp;^f International Law, 1925. page 480.

«clenbsp;quot;nbsp;peut le faire aussi, par rapport à l\'ar-

^ Procédr TTnbsp;membres de la Société

résoudre \\ 7 \'quot;^^\'sion de traités devenus inapplicables. Peut-elle aussi se
moule\'cl\'nbsp;^^^ ^ cette invitation, en la fondant dans

«imité estnbsp;L\'invitation, môme si l\'Assemblée s\'y résout à l\'una-

Pourqûoi ,nbsp;obligatoire pour les Etats à qui elle est adressée,

^»nime son ^^ majorité de l\'Assemblée ne pourrait-elle pas prononcer
^\'quot;^it être n,nbsp;certain traité soit revisé? L\'unique obstacle pour-

tionquot; ad^^quot;^nbsp;morale d\'un vœu est inférieure à celle d\'une ..invitu-

\' C\'ei\'a ^ unanimement, en vertu de l\'article 19, aux Etats intéressés,
propositinbsp;première Assemblée. le Président, craignant qu\'une

les renré°quot;\'nbsp;^ prendre une ..décisionquot;, n\'obtînt pas la voix de tous

\'a forme^quot;^quot;^^\'nbsp;......^^ suggère donc à l\'Assemblée, d\'en modifier

^ien se r nnbsp;émet le vœu....quot; Si l\'Assemblée voulait

aurait à V ^ suggestion, l\'unanimité ne serait plus nécessaire; elle
quise.quot;nbsp;uniquement sur un vœu pour lequel la majorité seule est re-

535.nbsp;Assemblée, Procès-verbaux des séances plénières, pages 529

^OT les articles 1er. alinéa 2; 4. alinéa 2bis; 15. alinéa 10; 26. alinéa 1er.

-ocr page 48-

Le Conseil ne semble pas trouver d\'obstacles dans l\'exigence
de l\'unanimité pour développer son activité. Les membres y sont
peu nombreux, comparés à ceux de l\'Assemblée; l\'échange des opi-
nions peut être plus actif, ce qui peut mener à concilier les différen-
tes opinions; on peut arriver à l\'unanimité, sans qu\'un vote formel
soit tenu.

Sauf cette exception, née dans la pratique, à la règle générale de
l\'article 5 du Pacte, „toutes questions de procédurequot; peuvent être
résolues à la majorité des voix, en vertu de l\'article 5, aUnéa 2. En
général, rien ne s\'y oppose ; même celui-là des Etats n\'y trouvera pas
d\'inconvénient, qui a le plus de souci de sa souveraineté et qui
décline scrupuleusement tout ce qui pourrait y porter atteinte,
quelque légèrement que ce soit. Les questions de procédure n\'au-
ront jamais trait aux droits qui découlent de la souveraineté des
Etats, mais elles se rapporteront seulement au mode de travail de
l\'organe qui devra décider de la question. Mais l\'Etat souverain se
réservera le droit de juger, indépendamment de n\'importe quoi,
si une question quelconque menace sa souveraineté; en d\'autres
termes, les opinions d\'autrui le laisseront indifférent, toutes les fois
qu\'il devra décider s\'il s\'agit, oui ou non, d\'une question de procé-
dure.

La théorie a beau séparer nettement les questions de fond et les
questions de procédure, la pratique nous fait voir que le doute surgit
souvent, quand il s\'agit de définir le caractère d\'une question. Or,
quand les débats de l\'Assemblée ou du Conseil n\'ont pas pour résul-
tat que la minorité se laisse convaincre par les arguments de la ma-
jorité, une décision devra être prise, d\'une façon ou d\'une autre,
au sujet de la question préalable de savoir si le point contesté se
range parmi les questions de fond ou les questions de procédure.
Comment cette question doit-elle être résolue, à la majorité des
voix, à l\'unanimité absolue ou à l\'unanimité restreinte?

Lors de la première Assemblée, un débat s\'engagea là-dessus.
Le représentant austraUen, M. Miller, disait que le Pacte ne sti-
pule pas quelle est l\'autorité qui doit décider si une question est
de procédure, oui ou non. Voilà pourquoi il demandait qu\'on dé-
signât une autorité, la Cour permanente par exemple, à qui on pût
s\'en appeler, en cas de doute, quelle est la bonne interprétation du

-ocr page 49-

acte; cette autorité pourrait alors déclarer si une question quelcon-
que est une question de procédure ou si elle ne l\'est pas. ^ M. Schan-
représentant de l\'Italie, ne pouvait s\'allier du tout à cette opi-
on il opinait que l\'Assemblée a pleine souveraineté pour décider
^ une question est de procédure ou nonquot;; ensuite il posait la ques-
ae savoir si l\'Assemblée doit prendre une décision là-dessus à
nammite, comme il est prescrit pour les questions de fond, ou
mêm Jnbsp;des voix peut suffire, comme si la question elle-

ba rnbsp;question de procédure. En récoltant l\'appro-

de 1 Assemblée il disait, en réponse à la question posée par
s adt^î^\'nbsp;décision portant sur la question de savoir s\'il

dure quot;quot;nbsp;procédure ou non, ne concerne pas la procé-

^o^d; par conséquent, le cas doit être tranché à

ne^Lrnbsp;^^ supposer que M. Schanzer, en disant cela,

quelnnnbsp;^^ ^^ r^Po^se laissait subsister

comnlè!nbsp;^^ ^^ l\'unanimité. Sa réponse n\'est pas

du Conbsp;de l\'Assemblée que pour celles

dédaitJT^nbsp;quelque explication ultérieure n\'aurait pas été à

savoir^quot;^\'nbsp;est requise pour résoudre la question de
quest,certaine question est une question de fond ou une

l\'articlpquot;^nbsp;procédure, a-t-on affaire alors à l\'unanimité absolue de

qui np . \'nbsp;! premier, du Pacte, ou à l\'unanimité restreinte.

Mm e u P^^nbsp;des voix des parties?

Vorfrainbsp;\' ^ ^^ „Ueber die

^ndnbsp;Verfahrens vorliegt, hat der Rat selbst,

Sir T Lnbsp;Stimmeneinheit, zu entscheiden.quot;

dit Tfnbsp;^\'\'quot;iams est partisan de la même opinion; il

ticularnbsp;Assembly has to decide whether any par-
lée requr!?procedure, unanimity appears to

nimit^ . \'nbsp;encore, aucune définition plus explicite de I\'una-

qu onnbsp;a en —

vue.

I pnbsp;~—--—______

\' ^quot;^\'Zfèllnbsp;P\'ocès-verbaux des séances plénières, page 424.

\' Schück quot;^\'quot;nbsp;««^««cquot; plénières, page 426

page 337nbsp;Wehberg, Die Satzung des Völkerbundes, 2e édition

\'\'quot;^\'^tionTLl ^oof\'nbsp;dans The American Journal of In-

^uw, 1^25, page 486.

-ocr page 50-

Si l\'on ne pose pas cette question dans le Conseil à propos d une
procédure basée sur les articles 15 ou 17 du Pacte, il faut, sans
aucun doute, l
\'unanimité absolue des membres presents C est là
une conséquence de la règle, que les décisions sont prises à 1 unani-
mité tant qu\'il n\'est pas acquis qu\'on ait affaire à un cas d exception,
où une majorité puisse décider, et dont on doive constater la pre-
sence d\'après la règle générale.

Si l\'on admet que, pour la solution de cette question préalable,
l\'unanimité absolue soit exigée, aussi en cas d\'action du Conseil
pour vider un différend, on doit convenir que chacune des parties
en litige entrera ainsi en possession d\'un droit de veto, qm Im per-
mettra de transformer formellement toute question en une ques-
tion de fond.nbsp;. ,nbsp;-i j
Il n\'en est pas moins vrai que, en ce cas aussi, le Consed devra

résoudre à l\'unanimité absolue le point: Question de procedure
ou non? Le principe du Pacte ne laisse pas d\'être celui de 1 unanimité
absolue; il devra être appliqué, tant que cette application n est pas
contraire à d\'autres idées directrices du Pacte. En outre, 1 exception
de l\'article 15 alinéa 6, se restreint à un seul cas déterminé, savoir
le vote du rapport que le Conseil publiera; les dispositions d\'ex-
ception ne se prêtent pas. selon la doctrine en vigueur, à une m-

terprétation extensive.nbsp;, ^ „

Ensuite on minerait le système de l\'article 4. ahnea 5, par 1 ap-
plication de la règle de l\'unanimité restreinte. Cette clause a pour
but de faire participer les parties au traitement de leur différend.
Cette participation a de la valeur, au seul cas où elle est appuyee
par le droit d\'émettre une voix qui fasse incliner la balance. Autre-
ment le Pacte aurait pu se contenter d\'imposer au Conseil l\'obliga-
tion d\'entendre les parties pendant le traitement du différend.
Une interprétation qui ne reconnaît aux parties que le droit de
participer aux délibérations du Conseil, méconnaît l intention de
l\'article 4. alinéa 5: garantir aux parties de prendre une part eih-
cace à la procédurp, jusqu\'à ce que le but de la procédure rende né-
cessaire que leur influence soit éliminée.

Nous revenons maintenant sur la question posée au début: Le
. La décision devra être prise, dans l\'Assemblée aussi, à l\'unanimité absolue.

-ocr page 51-

Conseil, doit-il prendre la résolution de demander l\'avis de la Cour
a unanimité absolue, à l\'unanimité restreinte, ou est- ce qu\'une ma-
jorité de voix suffit? La majorité des voix suffira, quand on ad-
mettra comme avéré que la demande d\'un avis est une question de
procedure, visée au deuxième alinéa de l\'article 5 du Pacte. En même

emps disparaîtrait la deuxième alternative: unanimité absolue ou
restreinte.

Ce qui, à plusieurs occasions, a été remarqué au cours des délibé-
rations du Conseil, n\'est pas dénué d\'intérêt.
^^Quand le Conseil fut appelé, en 1923, à traiter le différend sur-
nu entre la Hongrie et la Roumanie, au sujet de l\'expropriation,
par le Gouvernement roumain, des immeubles sis en Roumanie
^^ appartenant aux optants hongrois, M. Adatci (Japon) essaya
lenbsp;Gouvernements roumain et hongrois de soumettre

^erend à la sagacité de la Cour permanente de Justice intema-
onale. Après le refus des parties de s\'y résoudre, M. Adatci pro-
ou^ri?^^ Conseil demanderait l\'avis de la Cour sur la légalité
accnbsp;d® la Roumanie. Le représentant hongrois

ànbsp;proposition » et opina que le Conseil pourrait prendre

décision à cet effet, attendu que la demande d\'un
ne ^ ^^f question de procédure. Le représentant de la Roumanie

s\'iKnbsp;à cette proposition. En conséquence le Conseil

aostint de solliciter l\'avis de la Cour.

GrècT^ ^^nbsp;quot;quot; différend s\'alluma entre l\'Italie et la

le 27 \' ^^nbsp;l\'attentat, fait sur la mission militaire italienne.

lequerrT^ ^^^^ Janina (sur le territoire grec), motif pour
le Conbsp;^^ croyait autorisée à occuper l\'île de Corfou. Quand

Propoquot;^^^ s\'occupait de cette affaire. Lord Cecil (Grande-Bretagne)
ce lif^^ demanderait l\'avis de la Cour sur cinq questions que
des oWnbsp;naître. M. Salandra, le représentant italien, présenta

questi^^^^^^*^^\'nbsp;résolut à l\'unanimité de soumettre ces

sion dequot;^\' ol^l^^nir un avis, non à la Cour, mais à une commis-
délibérnbsp;Ce qui est curieux, c\'est que, au cours des

rations, Lord Cecil appuyât par deux fois sur ceci qu\'une dé-

en date du 23 avril 1923 (Journal

• juin 1923, page 608).

-ocr page 52-

cision unanime est nécessaire pour la demande d\'un avis consul-
tatif ^

Quand le Conseil s\'occupait, en 1925, du litige de Mossoul, le
Comité du Conseil proposa de requérir l\'avis de la Cour sur la ques-
tion de savoir quelle est la nature de la décision à prendre par le
Conseil, en vertu de l\'article 3, paragraphe 2, du Traité de Lausanne.
Les
procès-verbaux ^ de la réunion du 19 septembre 1925 ne font
pas ressortir clairement si l\'on a voté et, si oui, comment a voté le
représentant turc.

Celui-ci manifesta comme son opinion ^ que „le Gouvernement
turc ne voit dans la présente occasion aucune nécessité de déférer
quoi que ce soit à la Cour permanente de Justice de la Haye.quot; En-
suite on mentionne * que, malgré cette objection de la Turquie, „le
Conseil adopte les conclusions du Comitéquot; (tendant à la demande
de l\'avis). Il n\'est pas clair qu\'on ait voté réellement, ni que la Tur-
quie ait refusé catégoriquement de collaborer à la demande de
l\'avis.

Une impression beaucoup plus forte est faite par les paroles du
représentant turc, dans la séance du 8 décembre 1925, quand on
mettait sur le tapis l\'avis rendu par la Cour. Munir bey parla en
ces termes ® : „L\'avis consultatif ne fut pas demandé en vertu d\'un
vote adopté à l\'unanimité. Le représentant turc qui, dans la question

\' Pendant la réunion du Conseil, en date du 27 septembre 1923 (Journal
Officiel,
novembre 1923, page 1345), Lord Cecil disait: „11 est évident que,
dans la situation actuelle, le Conseil ne pourra aboutir à une décision unanime
(celle de demander l\'avis de la Cour), et si nous ne voulons lever la séance sans
aboutir à une décision quelconque, nous devons trouver une décision qui

peut être acceptée par nous tous.....Je suis tout disposé en vue d\'arriver

à l\'unanimité et d\'aboutir à une décision----quot;

Dans la réunion du 28 septembre 1923 {Journal Officiel, novembre 1923, page

1350) il répéta ce qui précède, en disant: „----Etant donnée, cependant,

l\'impossibilité d\'obtenir au Conseil l\'unanimité sur ce point (la demande

pour avis sur ces questions à la Cour), il se plaît à espérer que M. Branting----

sera d\'accord pour agir au mieux des intérêts de la Société des Nations,
en se ralliant à l\'avis de ses collègues en vue d\'arriver à une conclusion una-
nime.quot;

•nbsp;Journal Officiel, octobre 1925, pages 1377—1382.
» loc. cit., page 1381.

•nbsp;loc. cit., page 1382.

•nbsp;Journal Officiel, février 1926, page 122.

-ocr page 53-

de Mossoul, a les mêmes droits que tout autre membre du Conseil, a
te contre.quot; Il est curieux qu\'aucun des membres du Conseil n\'ait
xe 1 attention, au cours subséquent de la séance, sur cette déclara-
on laite de la part de la Turquie, déclaration qui ne laisse point
de la Courquot;^^ ^^ question de savoir si la Turquie a désiré un avis

av?nbsp;données que la Turquie doit être censée

le r ^^ ^^^ ^^ demande pour avis. Elle pense évidemment que
^^onseil doit s\'y décider à l\'unanimité absolue. Le Conseil résolut
demander un avis consultatif, malgré le refus de la Turquie et.

italo-grec^quot;^quot;^\'nbsp;^nbsp;^^^^^ P^usé dans le caé

avo\'^ permanente de Justice internationale semble, elle aussi,
der Pnbsp;point de savoir si le Conseil peut seulement deman-

^ avis de la Cour, si les parties y prêtent leur appui. La Cour re-

articT^\'in^quot;^nbsp;^^nbsp;\' ^ propos des

land ^^ \' ^ ^^nbsp;paix de Dorpat. conclu entre la Fin-

Point d^ ^^ Russie: ,.I1 y a eu des divergences d\'opinions sur le
qu\'ennbsp;^^ questions pour avis consultatif, pour autant

deux ^^ ^^nbsp;à des points de fait actuellement en litige entre

mentnbsp;.devraient être soumises à la Cour sans le consente-

fondi ^^ P^f^ies. Il n\'est pas besoin, dans le cas actuel, d\'appro-
question^nbsp;^^nbsp;donnait donc pas une réponse à la

CaSiquot;^nbsp;\'nbsp;donné sur le litige concernant la

vis —^nbsp;parce que quelques commentateurs se sont ser-

sés d ^^^^^ de touche — des principes que la Cour a dépo-

carélienne. pour juger de l\'avis
^nant de la Cour à propos du litige de Mossoul.

tembnbsp;occupe a été débattue également en sep-

la Co\'^^ ^^^ ^^^ ^^ Conférence des Etats signataires du Statut de
Con permanente de Justice internationale, convoquée par le
les rJ ^^nbsp;Nations. Cette Conférence avait à discuter

ons d T^^ formulées par le Sénat des Etats-Unis comme conditi-
au Statut de la Cour. La seconde partie de la

; ^quot;^^cations de la Cour, Série B, no. 5. page 27.
voir page 65.

-ocr page 54-

cinquième réserve stipulait que „la Cour ne pourra, sans le consen-
tement des Etats-Unis, donner suite à aucune demande d\'avis con-
sultatif au sujet d\'un différend ou d\'une question à laquelle les
Etats-Unis sont ou déclarent être intéressés.quot; En formulant cette
réserve, les Etats-Unis sont partis de la présomption qu\'une décision
unanime est requise pour la demande d\'un avis consultatif.

M. Fromageot fit remarquer à la Conférence qu\'il était d\'impor-
tance de savoir „dans quelle condition la résolution du Conseil
de renvoyer une question, pour avis consultatif, à la Cour de La
Haye doit être prisequot; Les opinions des membres de la Conférence
étant divisées sur la solution de cette question, elle a opiné, dans
l\'Acte final, que „il y a lieu de garantir aux Etats-Unis une situation
d\'égalité ; ainsi, dans tous les cas où un Etat représenté au Conseil
ou à l\'Assemblée aurait le droit, par son opposition au sein de ces
organes, d\'empêcher l\'adoption d\'une proposition tendant à pro-
voquer l\'avis consultatif de la Cour, les Etats-Unis jouiraient d\'un
droit équivalentquot;

Lors de sa session en septembre 1928, l\'Assemblée a exprimé
le vœu que „le Conseil veuille bien mettre à l\'étude, dès que les
circonstances le permettront, la question de savoir si le Conseil ou
l\'Assemblée peuvent demander, à la simple majorité, un avis con-
sultatif au sens de l\'article 14 du Pacte de la Société des Nations.quot;

Quand on passe en revue la littérature touchant la question de
savoir de quelle façon le Conseil doit arriver à la décision de prendre
l\'avis de la Cour, la conclusion se fait qu\'il y a un certain rapport
entre la réponse donnée à cette question et la valeur qu\'on recon-
naît à un avis de la Cour. Plus on est enclin à mettre sur le même plan
un avis et une sentence formelle de la Cour, plus on voudra donner
une voix décisive aux parties dont le Conseil traite le litige.

Les opinions sont divisées sur la différence entre un avis et une
sentence. Non pour ce qui est du caractère formel des deux. On est
d\'accord que
formellement l\'avis n\'a pas force obligatoire, pas plus

\' Actes de la Conférence des Etats signataires du Protocole de signature du
Statut de la Cour permanente de Justice internationale tenue à Genève du ler
au 23 septembre ig26,
page 21.

« l. c., page 78. — Entre-temps l\'attitude des Etats-Unis a subi un change-
ment favorable à leur adhésion au Statut de la Cour.

-ocr page 55-

envers le Conseil qu\'envers les parties sur le litige desquelles la
^our a été entendue. Cela est indubitable. Le Conseil a toute liberté
accepter ou de rejeter l\'avis, puisqu\'aucune disposition du Pacte
e lui impose l\'obligation de faire sienne la conclusion de la Cour.
^ meme liberté est réservée aux parties Non seulement la pro-
ure pour avis ne connaît pas de parties, dans le sens technique

la , :nbsp;^quot;néa 4. du Pacte, où „les Membres de

^ ociete s\'engagent à exécuter de bonne foi les sentences renduesquot;,

^contient pas d\'obligation pareille par rapport aux avis ».
^^ a chose est tout autre, considérée à un point de vue
matériel.
^ est mdéniable qu\'un avis porté par la Cour suprême du monde
cell^^d^^^quot;1^^ autorité morale autorité qui n\'est pas inférieure à
la ç ^^^ sentence rendue pour vider un litige; aussi, parce que

questions soumises, fonctionne comme
à la j^.\'^^c^^ire. Elle applique les règles qui servent de boussole
de sj^nbsp;contentieuse et qui sont déposées dans l\'article 38

tenc^^nbsp;L\'avis sera revêtu de la même autorité qu\'une sen-

Pafnbsp;Conseil a agréé jusqu\'ici les avis de la Cour, et il n\'est

com ^^^ ^^^^ s\'écarte de cette habitude. Quand le Conseil,

en vunbsp;purement politique qu\'il est, soumet à la Cour,

se à ^ ^^nbsp;de droit qui vont l\'occuper, il s\'adres-

ratioquot;quot;^ ^quot;torité des plus compétentes; il manquerait de considé-

les COnbsp;^^nbsp;mondiale, s\'il déposait à côté de lui

s\'exnri\'m mquot;quot;quot;nbsp;^^^nbsp;^^^ l\'Assemblée) - comme

y ime M. de Bustamante » — „would not be in a very good po-

\' K. Strnbsp;~nbsp;--------

page 33Question cariliennc et le droit des gens. Hclsingfors 1924,

jours nnnbsp;demandé à la Cour par la Société est juridiquement tou-

« G.Sal . ^nbsp;intéressés, une res inter alios.quot;

Paris 192^7 \'\'nbsp;^quot;\'\'^^P^^^^nce de la Cour permanente de Justice internationale,

quot;tellement\'nbsp;rapport de la procédure pour avis intervient for-

^ens technbsp;la Cour: les Etats ne sont pas parties — au

doit pasnbsp;la Cour. Une divergence de la pratique à ce sujet ne

\' A. pnbsp;perdre de vue le point essentiel de droit.quot;

Page 69nbsp;^ l\'ermanent Court of International Justice. Londres 1925.

Perma7ient Court of International Justice and the
\' A Snbsp;Participation. Cambridge 1925. page 157.

• ae Jiustamante. The World Court. New-York 1925. page 264

-ocr page 56-

sition before the world, if they paid no attention to an advisory
opinion after obtaining it.quot;

Les avis fourniront, comme les sentences, des matières pour le
développement du droit international puisqu\'elles font partie
d\'une jurisprudence constante, qui est un facteur si puissant dans
la formation du droit international. Cela est garanti par la façon
dont la Cour arrive à son opinion en déployant son activité con-
sultative.

Il ne faut pas perdre de vue cependant, que l\'opinion de la Cour,
malgré sa valeur intrinsèque juridique, est un avis seulement,
qui est dépourvu d\'effets juridiques, aussi longtemps qu\'il n\'est
pas agréé par le Conseil. Il y a un précipice profond entre un avis
consultatif et une sentence. Rien n\'empêche que des questions sur
lesquelles la Cour a donné un avis à la prière du Conseil, ne lui
soient soumises de nouveau, mais maintenant en vertu de la vo-
lonté des parties qui désirent une décision obhgatoire.

Le Conseil est en droit de prendre un avis d\'experts, quand un
différend lui est soumis en vertu de l\'article 15 du Pacte. Le choix
des experts n\'est pas soumis à des conditions. Plus d\'une fois, le
Conseil en a désigné pour lui fournir des renseignements à propos
de questions spéciales. Notamment le Conseil nomma une commis-
sion, à seule fin de se faire fournir tous les renseignements utiles
à la décision du litige de Mossoul. Toutes sortes d\'experts peuvent
être appelés à renseigner le Conseil : des militaires pour les questions
militaires, des économistes pour les questions d\'économie, etc.

S\'il y a nécessité d\'avoir un avis juridique sur des questions
de droit, le Conseil peut nommer une commission de jurisconsul-
tes; c\'est ainsi que le htige survenu, en 1923, entre la Grèce et
l\'Italie à propos de l\'occupation de l\'île de Corfou, donna lieu à la
nomination d\'une commission pareille, pour qu\'elle résolût cinq
questions de droit, ayant surgi en suite de ce différend. Mais au
lieu de faire appel à des jurisconsultes de hasard, parfois sous
l\'influence directé des parties intéressées, le Conseil peut s\'adres-
ser à la Cour permanente de Justice internationale. S\'il fait cela,
le Conseil peut être sûr de s\'adresser à un groupe de jurisconsultes,

-ocr page 57-

—reconnue. Mais au fond

clusiLs d\'\'\' \'\'\'\'\'\'nbsp;P^^ Cour et les cou-

sions d une commission ad hoc de jurisconsultes ^

témorces \'naro?-nbsp;i ^nbsp;^^^

tribunal n Ffnbsp;proceedings before the most Lgust

equivX\'to irM^^^^ atnbsp;any rate when they are substantially

^\'nnot prop^^^^^^^^^^nbsp;^^e parties to the dispute.

^«vestigSnbsp;^^^ deliberations of a committee of

regard t^r \' .nbsp;^^^en does, having

^^ 01 the matter m issue between the partiesquot; \'

respect\'^ \'\' commentateur, quant à notre

repose su^nn \'nbsp;«P^^ion

Nielle entrenbsp;quot;^^^«sance de la différence juridique essen-

^navisdel. rnbsp;dite et un avis consultatif.

en substnn.nbsp;^ quot;quot;quot;nbsp;et ne tmnche pas

^e M. Me m\'quot;\'nbsp;^ caractère. Si l\'opinion^

\'•trancherait\'\' ,nbsp;eommission de jurisconsultes

t^eson aW ^^^nbsp;^^^ige. si le Conseil la chargeait d\'émet-

^^^éera aL ^nbsp;^ \' ^oute probabiUté.

quot;^entdurrr \'nbsp;^^P^^ts. Mais il ne s\'agit vrai-

^^^-d iff rtî^\'r. quot; ^^^ ---un

^•^^tance a H\' K? • ^ ^^nbsp;^^nbsp;^\'quot;quot;e autre

A l\'ann ,nbsp;\'^quot;tence obligatoire pour elles.

^^^ParoCulVquot;nbsp;quot;quot;quot;quot;nbsp;attention» sur

l\'introduction du plaidoyer de M. de La-

^quot;quot;\'^^nluZlnbsp;Of the Permanent Court of

P\'-^ge 75.nbsp;Book of International Law, 1925,

f/t;\'P^^^on from the

) loco citnbsp;\' P^SC 10.

\' La ^ \' P^^Sre 12.

^\'««^rend^sVr\'hS\'J\'\'quot;quot;nbsp;5. touchant le

lisons

cité, note 1 à la page 12.

-ocr page 58-

pradelle devant la Cour, lors du traitement de la demande pour
avis de la part du Conseil, touchant le différend survenu entre
la France et la Grande-Bretagne, à propos des décrets de nationa-
lité promulgués en Tunisie et au Maroc En lisant ce discours
il faudra cependant bien se rendre compte qu\'il ne s\'applique pas
à la procédure de l\'avis en général, mais que ces paroles sont seule-
ment justes, eu égard aux circonstances particulières qui accom-
pagnent la demande pour avis en question.

Ces circonstances sont les suivantes. Le 4 octobre 1922, le Con-
seil vota une résolution qui soumettait à la Cour la question de
savoir si le différend portait sur une question que le droit inter-
national laisse à la compétence exclusive des Etats (article 15,
ahnéa 8, du Pacte). Dans la même résolution, le Conseil prenait
note de l\'arrangement fait entre les deux Gouvernements, dans le
but de soumettre le fond du différend à l\'arbitrage ou au jugement
de la Cour, si la conclusion de la Cour était que le point en litige
n\'est pas une cause de „domestic jurisdictionquot;, dans le sens de
l\'article 15, alinéa 8.

Les deux parties déclaraient donc par anticipation qu\'elles se
rangeraient à l\'avis de la Cour porté sur la question préalable.
La demande pour avis camouflait donc un procès contentieux.
Inutile d\'argumenter qu\'un avis ayant obtenu de cette façon
force obligatoire pour les parties, dépasse son véritable caractère
et possède des qualités, étrangères à tout autre avis normal Si
M. de Lapradelle veut parler ici d\'arbitrage, on peut s\'y résigner,
à condition que l\'on tienne compte du fait que l\'arbitrage et cette
spéciale procédure pour avis n\'ont de commun que ceci, qu\' ils
aboutissent tous deux à une sentence faisant autorité.

La liquidation de ce différend est un exemple instructif du pro-

\' Publications de la Cour, Série B, no. 4.

\' M. A. de Lapradelle (Publications de la Cour, Série C, no. 2, pages 52 et 53)
disait: „En réalité, cette procédure d\'avis au Conseil, c\'est une véritable pro-
cédure d\'arbitrage. La politique a ses subtilités, le droit a ses détours, la
langue a des trouvailles d\'expression, mais lorsque nous sommes ici, ici, en
apparence, pour vous donner de simples indications qui vous permettront de
répondre à la demande pour avis du Conseil, nous sommes en présence d\'un
véritable arbitrage.quot;

• John Bassett Moore, The Permanent Court of International Justice, dans
International Conciliation, 1924, page 105.

-ocr page 59-

à cette\'^\'quot; par l\'organisation d\'une communauté d\'Etats. Grâce

™ peuvent «

Wq^ d unenbsp;Permanente, avec les dif-

fiquement Fnnbsp;quot;^quot;«quot;\'e^ ^ quot;der paci-

-^eurr quot; conLcnbsp;^ sa juste

doute I Lnbsp;croissante en sa juridiction ajoutera sans

flits. \'nbsp;Etats de lui soumettre leurs c^

e^^renTrr™ a quot; u\'quot;,nbsp;\'\'--ê-ce qui

que -nbsp;consultatif et une sentence de la Cour, paL

de cettenbsp;\'1, \'lt;=\'=\'eur à la page 42 - la compréhen-

\'a cTur doit rnbsp;Vnbsp;\'nbsp;l\'avis

•quot;\'en si uni ï I! a l\'unammité absolue ou restreinte, ou
a une majonté des voix peut suffire.

\'^quot;\'■P ildessuÎ \'\'\'\'nbsp;commentateurs divergent beau-

\'ateurquot;aUnbsp;« quot;lt;= ^-^^out pas. Ce commen-

ol 2 \'quot;quot;quot;quot;■«quot;er, dans un article traitant Tl,e advisory opini-

- t quot;rrTquot;\'nbsp;M«- quW „e

■i-eleConlT/ T ? rquot;\'nbsp;quot;quot; permettent

^■quot;\'it ZTL quot; n fnbsp;Cour touchant un

cet e oit.nbsp;™nbsp;quot;quot;se ». On peut déduire

\'^\'quot;fait suffire

que la majorité simple ne

^«^a C^ur\'e^\'\'nbsp;^^^nbsp;^^^ sentences

voit pas de différence essentielle entre un avis

Pnbsp;^^nbsp;Internationale, 1924, page 187

Salviouquot;?;?\' P^\'^^^nent Court of InUrnational Justice, 1925, page 155
P^ge 53. \'nbsp;de la Cour permanente de Justice inUmatio^iale,

I^^lt;=rnational Conciliation, no. 214 (novembre)

auLt^r.t\'\'nbsp;(New-York Times du 31 janvier 1926)

«Pinion\'.nbsp;M\'VTquot;\'nbsp;^^ Co-t Tan

\\ par M. Me. Nair, ouvr, cit. page 3).

-ocr page 60-

de la Cour et le rapport d\'une commission d\'experts. Ce commenta-
teur est d\'opinion que la demande d\'un avis se range indubitable-
ment parmi les questions de procédure et que le Conseil, malgré
l\'opposition peut-être de quelques membres à cette démarche,
est en droit de se résoudre, à la simple majorité des voix, à la de-
mande de l\'avis ^

MM. Schûcking et Wehberg émettent, sans aucune argumenta-
tion, leur opinion que la règle de l\'unanimité n\'est pas applicable
à une résolution, tendant à la demande d\'un avis consultatif; ils
concluent que la majorité des voix peut donc suffire

M. Fachiri pense ® que le Conseil ne peut pas demander l\'avis
de la Cour sur un différend, sans que les parties y aient consenti.
Voici son argumentation. En vertu de l\'article 4, alinéa 5, du Pacte,
chacune des parties en litige, en tant qu\'elles n\'y sont pas représen-
tées. obtient un siège dans le Conseil, pour participer au traite-
ment de leur différend; selon l\'article 5, alinéa 1er, toutes les dé-
cisions, excepté quand le Pacte donne une prescription spéciale,
doivent être prises à l\'unanimité; l\'article 14 ne stipule pas que
la décision, tendant à la prise d\'un avis de la Cour sur un diffé-
rend. puisse être votée autrement qu\'à l\'unanimité. La conclusion
de cet auteur est que l\'unanimité absolue est requise, quand il
s\'agit de renvoyer un confUt à la Cour pour avis consultatif.

Tout cela ne nous informe pas quelle devra être la ligne de con-
duite à suivre pour demander un avis sur une question de procé-
dure, suscitée au cours d\'une procédure contentieuse. On se de-
mande également si le Conseil doit voter la prise d\'un avis à l\'u-
nanimité absolue ou à la majorité, toutes les fois qu\'il ne s\'occupe
pas d\'un htige, en vertu de l\'article 15 du Pacte.

Si M.Fachiri est arrivé à la susdite conclusion, en se basant sur
le fait que l\'article 14 du Pacte ne contient
pas de disposition qui
permette de s\'écarter de la règle de l\'unanimité, il perd de vue que le

\' P. J. Baker dans A History of the Peace conference of Paris, publiée par H.
W. V. Temperley, Londres 1924, tome VI ,page 497.

P. J. Baker, The obligatory jurisdiction of the Permanent Court of International
Justice,
dans The British Year Book of International Law. 1925, page 75.
» W. Schûcking und H. Wehberg,
Die Satzung des Völkerbundes, deuxième
édition, page 335.

» A. P. Fachiri, The Permanent Court of International Justice, 1925, page 163.

-ocr page 61-

^nbsp;de résoudre, à la simple

quot;îajonte, des points spéciaux.

nafA^r-^nbsp;^^nbsp;I^^titute of Intematio-

unnbsp;^^^^tion de savoir si le Conseil peut requérir

nquot;a LTnbsp;consentement des parties en litige,

Prer.7\'! fquot;quot;nbsp;et théorique, mais que

j^precedents show that the practical answer is more likely to be

the nL .nbsp;^^ of procedure, and in

turenbsp;« quot; ^^^nbsp;^^^ Court is of such a na-

j ^/o affect the substance of the case.quot;

comnllf^quot;quot;^^^ ^^ pratique donne d\'après M. Mantoux n\'est pas

demLn lt;=ependant. Sur des questions de fond, l\'avis ne peut être

que V,nbsp;l\'assentiment des parties en litige; autant dire

quandnbsp;nécessaire. Cette nécessité manque.

comm 1 ^ ^^ demander un avis sur une question de procédure.

donc P^^que nous l\'apprend, selon M.Mantoux. Quelle sera

présentnbsp;^ègle le vote du Conseil? Deux possibilités se

passe é iquot;nbsp;restreinte et la majorité des voix. On

tion te^Hnbsp;question de savoir si une résolu-

^oix ouquot; ^ requérir un avis, se contente d\'une majorité des

fonctinr,\'\' quot;^quot;^quot;\'quot;^ité s\'impose, dans tous les cas où le Conseil ne
^ctionne pas d\'après l\'article 15 du Pacte.

dut au T \' M.Mc.Nair consacre à notre sujet, il con-
nianderV^nbsp;^^nbsp;^ ^\'quot;quot;animité absolue, à de-

Pas lenbsp;^^nbsp;^quot;and l\'avis, dans l\'essence, ne vide

«ementnbsp;s\'occupe seulement de la procédure. Le raison-

nant L\'^quot;^ aboutir cet auteur à ladite conclusion, est le sui-
de la c ^quot;^^quot;quot;^^rit est décisif, que le Conseil a toujours agréé l\'avis
quand r r^^nbsp;P^quot; probable qu\'on s\'écarte de cette habitude.

en considération; le traitement devant la Cour

(ianvTeM^®quot;!\'quot;\'^^ °fnbsp;Insiitute of International Affairs, tome V. no 1

\' Arnold D mnbsp;P^quot;quot; «\'quot;Îquot;\'- page 5).

^^\'-»lanent rnbsp;request for an advisory opinion from the

\'quot;quot;^^mationni^r\'\'^nbsp;Justice, dans The British Year Book of
Voir auss?A

quot;^^Slement^ar^\'nbsp;^^ ^^^^ du Conseil de la Société des Nations dans le
et 157 ^ différends internationaux, La Haye. 1928. pages 156

-ocr page 62-

est essentiellement une procédure plaidée par les parties en litige;
c\'est donc l\'avis consultatif qui, au fond, tranche le différend, eu
égard à la certitude que le Conseil l\'agréera; toute réserve faite,
quand il s\'agit d\'une simple question de procédure. Le Statut
n\'attribuant pas à la Cour une juridiction obligatoire, notre com-
mentateur ne saurait admettre qu\'elle s\'y soit faufilée, sous forme
d\'une compétence du Conseil de demander un avis consultatif.
Donné le principe qu\'aucun Etat ne peut être forcé de soumettre à
l\'arbitrage ses conflits avec d\'autres Etats S la conclusion de notre
auteur est 2 que „the Council must be absolutely unanimous in
requesting the Court for an advisory opinion, except when the
opinion is not substantially equivalent to deciding the dispute bet-
ween the parties, but merely relates to the procedure or method
to be adopted by the Council in settling the dispute.quot;

Cette conclusion laisse quelque peu dans le doute l\'opinion de
notre commentateur sur la façon dont le Conseil doit se résoudre
à demander un avis au sujet d\'une question de procédure. Il pense
que l\'unanimité absolue est requise, excepté quand il s\'agit d\'une
pareille question. Mais il ne dit pas expressément comment il faut
se décider à demander un avis s\'y rapportant. Un choix doit être
fait entre l\'unanimité restreinte et la majorité des voix. On ne dit
pas plus expressément de quelle façon la prise de l\'avis doit être
votée, au cas où le Conseil ne s\'occupe pas de la liquidation d\'un
confht sur la base de l\'article 15 du Pacte.

Les arguments qui escortent l\'opinion de M.Mc. Nair, peuvent
nous suggérer qu\'il croit la règle d\'exception, prescrivant une dé-
cision à la simple majorité, applicable à la demande de l\'avis de la
Cour sur une question de procédure. L\'auteur est loin de désirer
que la Cour soit mise sur le même plan avec une commission d\'en-
quête, telle que la vise l\'article 5, alinéa 2, du Pacte ^ mais cela

» Publications de la Cour, Série B, no. 5 (au sujet de la Carélie orientale),
page 27.

•nbsp;ouvr. cit., page 13.

•nbsp;La quatrième édition de: Oppenheim, International Law (1926) est due aux
soins de M. Me. Nair. L\'éditeur traite brièvement la question aux pages 54
et 55 du second volume, et mentionne la conclusion où il est arrivé dans
The British Year Book of International Law.

•nbsp;ouvr. cit., page 10: „Legal proceedings before the most august tribunal in the
world cannot be likened to the deliberations of a committee of investigation.quot;

-ocr page 63-

DE JUSTICE INTERXNATIONALE
^ue c\'est à la .ir.^/nbsp;M.Mc.Nair est donc probablement

- J:nbsp;——

«vtgfoTtSp- clairement

\' \'\'Wre, que 1\'auf.nrnbsp;- Passages, mis en rapport l\'un avec

«\'^quot;\'en deTp^rHe quot;nbsp;quot;Pinion que le consln-

quot; PoselaquSfof quot;nbsp;quot;ndispensable à la demande d\'un avTs

quot;^^«nt la Cou s-frnbsp;quot;quot; à comparaître

«\'reprécisee?cZ • Knbsp;..La réponse doit

\'■^•«rcice Ts^ teJnbsp;\' ™nbsp;devant la Cour dan

»quot;ce à IWnbsp;î\'\'\'™ quot;C doit

exercer aucune influ-

P\'quot;\' de partît •nbsp;d\'émettre l\'avisquot;, vu que il n\'v a

■\'»quot;«Kte. rquot;quot;nbsp;du mVquot; Danf la

quot;quot;C. à bon drou oX t infc \'nbsp;^our, lis

quot;quot; obstacle à l\'émis ,ot dnbsp;comme

\'\'«cutant la ^nbsp;ZV quot;quot;quot;nbsp;quot;pinion

opi„i„„ r ce™ ^^nbsp;™ apparemment

pas de .7. \'nbsp;quot; procédure pour

avis ne con-

interviemTltr„!nbsp;quot; \' P^^Mure pour

^ notre ivnbsp;»t\'a Courquot; ^

pas porréXt\'\',^^^^^^^^^nbsp;M- SalvioH ne

de la Cour n? quot; un?nbsp;fquot;\' P\'\'\'^quot;^^ P™^ demander

^quot;^«\'on de Cl.\'nbsp;procc\'dure, ni sur une

embrassent des opmions très divergentes.

Tout

doivent é^ra Jrinbsp;8^quot;cnUement par-

^VS-ri^^ïI!:^!!!^^nbsp;sentence de la

page 91.

-ocr page 64-

Cour, tout cela va nous permettre d\'exposer en peu de mots quelle doit
être, à notre avis, la réponse à donner à la question qui nous occupe.

Comme nous en avons fait l\'observation \\ „la règle de l\'unanimité
a pour caractéristique d\'être une règle protectrice de la souveraineté
des Etats. Il en résulte logiquement qu\'elle ne trouve son applica-
tion que dans les cas où la souveraineté des Etats est en jeuquot; 2. En-
suite nous avons exposé les raisons de notre opinion qu\'un avis de
la Cour ne décide pas un litige et, par conséquent, laisse les droits
des parries parfaitement intacts 3. Si donc le Conseil résout de de-
mander un avis, cette résolution ne peut jamais être identifiée à
une atteinte à la souveraineté des parties, atteinte qui dans le
système du Pacte nécessiterait, à juste titre, leur collaboration.

C\'est pourquoi nous croyons qu\'il n\'y a pas de quoi, comme le
font M. Me. Nair et — de l\'avis de M. Mantoux — la pratique, faire
une différence entre la demande de l\'avis de la Cour sur une ques-
tion de procédure et celle touchant le sujet même du différend.

Notre conclusion est donc que la demande d\'un avis de la Cour,
sans égard pour le sujet de la demande, est une question de pro-
cédure dans le sens de l\'article 5, ahnéa 2, du Pacte et que, pour
cela, une décision du Conseil à cet effet peut être prise à la simple
majorité des voix

C\'est donc à bon droit que le Conseil, en traitant l\'affaire de
Mossoul, a décidé, malgré l\'opposition faite par la Turquie de
solliciter l\'avis de la Cour sur la question de savoir quelle était la
nature de la décision qu\'il devrait prendre en vertu de l\'article
3, paragraphe 2, du Traité de Lausanne, même si cette demande
de l\'avis n\'a pas eu trait à une question de procédure.

2°. Conditions de l\'acceptation de l\'avis consultatif.
Le deuxième point à débattre® est la question de savoir quelle
est la façon dont le Conseil doit prendre sa résolution à voter l\'avis
porté par la Cour. Les mêmes alternatives se présentent : une déci-

\' Voir les pages 31—33.

\' Deuxième Assemblée, Rapport de la deuxième Sous-commission de la première
Commission, Procès-verbaux de la première Commission,
pages 177—178.
\' Voir les pages 42—47.

* Pourquoi cette opinion „offends one\'s League-sensequot;, comme dit M. Me.
Nair (ouvr. cit. page 11), nous est peu clair.
\' Voir page 40—41. • Voir page 28.

-ocr page 65-

sion prise à l\'unanimité absolue, à l\'unanimité restreinte ou à la
majorité des voix

Cette question a été débattue dans la réunion du Conseil, au mois
de décembre 1925, quand venait sur le tapis l\'avis de la Cour concer-
nant l\'affaire de Mossoul.

Le Conseil, par sa résolution du 19 septembre 1925, avait soumis
a la Cour deux questions sur l\'interprétation de l\'article 3, para-
graphe 2, du Traité de Lausanne. La Cour résolut ces questions
dans son avis consultatif du 21 novembre 1925 1

Quand le Conseil débattait cet avis dans sa réunion du 8 dé-
cembre 1925, chacun des trois modes selon lesquels on peut arri-
ver au vote de l\'avis, trouvaient un défenseur

Munir bey, le représentant turc, fixait l\'attention du Conseil sur
le fait, que l\'avis de la Cour ne pourrait être voté que par une ré-
solution prise à l\'unanimité absolue, y compris les voix des repré-
sentants de la Grande-Bretagne et de la Turquie.

Le rapporteur, M. Undén, ne partageait point l\'opinion du re-
présentant de la Turquie et pensait qu\'une résolution prise à l\'una-
nimité restreinte pourrait suffire; les voix des parties intéressées ne
compteraient donc pas.

Selon le président, M. Scialoja, on pourrait apphquer la règle de
article 5, alinéa 2, du Pacte, qui stipule que les questions de pro-
cedure sont susceptibles d\'être résolues à la majorité. La décision, à
prendre ici par le Conseil, concernait, disait-il, une question de pro-
cédure, attendu que rien, dans l\'avis de la Cour, „ne touche di-
rectement le fond du problèmequot;; il ne s\'agissait que de questions de
compétence, que le Conseil a traitées souvent comme des questions
de procédure.

M. Undén motiva son opinion que l\'unanimité restreinte suffisait
pour le vote de l\'avis, en disant qu\'une décision touchant le vote
on le rejet de l\'avis devait être prise selon la méthode qui réglerait
la décision, par le Conseil, du litige lui-même: le sort du vilayet
de Mossoul

Voir aussi A. H. Philipse, ouvr. cit., page 159.
Publications de la Cour, Série B, no. 12.
Journal Officiel, février 1926, pages 127 et 128.

En effet l\'avis consultatif concl-iait à ce que le Conseil était en droit de vider
e fond du différend à l\'unanimité restreinte. Voir à ce sujet ci-après, p. 147 ss.

-ocr page 66-

Cependant, le représentant turc ne souscrivit pas à cette argumen-
tation et donna comme son opinion que le raisonnement de M. Undén
partait de la fausse supposition que l\'avis de la Cour avait déjà été
accepté.

A notre sens, l\'objection de la Turquie était parfaitement fondée.
La décision du fond du litige était en jeu; il fallait résoudre la ques-
tion de savoir si une décision de ce fond devait être prise à l\'una-
nimité soit absolue, soit restreinte, ou à la majorité simple des voix.
Alors seulement que l\'avis de la Cour serait accepté, il
serait, con-
stant que le Conseil pourrait décider du litige à l\'unanimité res-
treinte. Si l\'opinion de M. Undén était qu\'on pourrait voter d\'ac-
cepter l\'avis à l\'unanimité restreinte de l\'article 15, alinéa 6, du
Pacte, puisque cette question secondaire devait être traitée comme
le litige lui-même, on pourrait parler d\'une anticipation de la déci-
sion que le Conseil avait à prendre à ce moment-là; sa conception
reposait donc sur une
petitio principii.

En fin de compte, le président opina qu\'on pourrait observer en
ce cas la règle de l\'article 15, alinéa 6, du Pacte: décision à l\'unani-
mité des voix, sous cette réserve que, dans le calcul de cette una-
nimité, le vote des représentants des parties intéressées ne compte-
terait pas. Quand le président procéda au vote nominal, l\'avis de
la Cour fut accepté à l\'unanimité dans le sens indiqué, le représen-
tant de la Turquie votant contre.

Vu que l\'avis de la Cour n\'aura tout son effet qu\'après avoir été
accepté par le Conseil, il importe de savoir la manière dont il ré-
soudra de l\'accepter. Pour peu qu\'il ait été demandé sur une question
se présentant lors du traitement d\'un conflit entre deux Etats, le
Conseil pourrait, contre la volonté des parties en litige, rendre l\'avis
obligatoire pour elles aussi, si la majorité ou l\'unanimité restreinte
sufifisait.

Comme le vote de l\'avis peut avoir pour conséquence d\'imposer
des obligations aux Etats ou de léser leurs droits, il est important
de distinguer un avis donné sur une question de procédure et un
avis qui concerne une question de fond. Le principe de l\'article
5, alinéa 1er, du Pacte nous y force, puisqu\'il découle de la souve-
raineté des Etats et qu\'il sert à la protéger

gt; Voir les pages 31—33.

-ocr page 67-

Si le Conseil n\'est pas d\'accord sur la question de savoir si l\'avis
porté se rapporte à une question de procédure, oui ou non, il la
résoudra à l\'unanimité absolue, même au cas où la Cour aurait
porté son avis sur une question de droit, ayant surgi lors d\'une
action du Conseil, en vertu de l\'article 15 du Pacte. Nous avons
développé plus haut les arguments de cette opinion
^ Si l\'avis se rapporte à la solution d\'une question de droit qui ne
s\'est
pas présentée lors de la liquidation d\'un différend sur la base
de l\'article 15, la règle générale de l\'unanimité formulée à l\'article
5, et qui régit l\'action de la Société des Nations, nous fait conclure
que le vote d\'un avis concernant une question de fond requiert
l\'unanimité absolue. La majorité des voix est suffisante, pour qu\'on
agrée l\'avis, si celui-ci concerne une question de procédure.
^ Le Conseil devra suivre la même méthode quant à l\'adoption de
l\'avis, toutes les fois que la question de droit, soumise à la Cour,
s\'est présentée à un moment où le Conseil s\'occupait d\'un litige di-
visant deux Etats. Quand il s\'agit d\'une simple question de procé-
dure, la majorité suffit. On ne saurait se passer de l\'unanimité
absolue, pour accepter un avis donné sur une question de fond;
l\'unanimité restreinte est insuffisante alors parce que la prescrip-
tion spéciale de l\'article 15, ahnéa 6, du Pacte n\'a été déclarée ap-
phcable qu\'au vote du rapport que le Conseil publiera; et aussi
parce que le système préconisé par l\'article 4, ahnéa 5, du Pacte,
défend que l\'avis soit voté en ne tenant pas compte des parties ».

La décision du Conseil, tendant à accepter l\'avis porté par la
Cour dans l\'affaire de Mossoul, fut prise à l\'unanimité restreinte
de l\'article 15, alinéa 6, du Pacte. Si nous considérons ce fait à la
lumière de la conclusion à laquelle nous venons d\'aboutir, il est
clair que, dans aucun cas, on n\'aurait dû prendre une résolution à
l\'unanimité restreinte, d\'après la règle de l\'article 15, alinéa 6. La
question, résolue par l\'avis, concernait-elle une question de procé-
dure, une résolution à la majorité eût été suffisante. Si la question

\' Voir les pages 36—38.

\' Dans le cas où l\'acceptation de l\'avis consultatif de la Cour reviendrait au
vote du rapport définitif du Conseil, il faut admettre que l\'unanimité abso-
lue doit céder le pas à l\'unanimité restreinte visée à l\'alinéa 6 de l\'article 15. C\'est
l\'T. disposition d\'exception qui s\'applique alors.
\' Voir la page 38.

-ocr page 68-

ne concernait pas la procédure, l\'avis eût dû être voté à l\'unani-
mité absolue.

La dernière question à résoudre consiste donc à savoir si les points
que le Conseil avait soumis à la Cour, étaient, oui ou non, des ques-
tions de procédure.

M. Me. Nair ^ est d\'avis que ces questions ont trait à „a purely
procedural matterquot; et Michel de la Grotte est de la même opi-
nion. Ces deux écrivains considèrent cette réponse à la question
posée comme allant de soi et nul exposé de leurs motifs ne leur
semble nécessaire. Si nous examinons lesquelles des questions qui
peuvent se présenter au corns d\'un procès international concernent
la procédure, ce sont sans doute les suivantes: la fixation de la
date et de l\'heure d\'une séance; l\'organisation de la procédure
écrite; puis les questions de savoir si un débat oral aura lieu; la-
quelle des parties prononcera son plaidoyer la première; si une
audition de témoins se fera ou non. Nous considérons comme ques-
tions de procédure toute question ayant trait à la façon dont le
juge se procure les données de fait et de droit dont il a besoin
pour se former une opinion sur le point en litige.

Or, les questions que le Conseil posait à la Cour sont les sui-
vantes: Quelle est la nature de la décision à prendre par le Conseil
en vertu de l\'article 3, paragraphe 2, du Traité de Lausanne (sen-
tence arbitrale, recommandation ou simple médiation)? Puis:
La décision doit-elle être prise à l\'unanimité ou peut-elle être prise
à la majorité? Les représentants des parties intéressées peuvent-ils
prendre part au vote?

Le fait que le Conseil a posé ces questions, nous démontre qu\'il
ignorait quel était le rôle que les parties lui avaient imposé, de sorte
qu\'il devait se décider sur ces questions préalables avant de pou-
voir juger du fond du différend.

Les questions posées se rapportent-elles simplement à la procé-
dure? Elles ne concernent aucunement la méthode que suivra le
juge pour se former une opinion sur le différend; ce sont au con-
traire des questions dont la solution intéresse au plus haut point les
parties. Quelle question, à côté de la solution finale à donner au

\' loc. cit., page 12.nbsp;\'

\' Michel de la Grotte, La Cour permanente de Justice internationale en J925,
dans la Revue de droit international et de législation comparée, 1926, page 336.

-ocr page 69-

fond de leur litige, est capable de les intéresser plus que celle qui
tend à définir le rôle qu\'elles ont voulu imposer au Conseil? Dési-
rent-elles une décision qui les lie, ou bien une autre qu\'elles puissent
accepter ou rejeter selon que cette décision est conforme ou non à
leur point de vue ? Si les parties lui demandent une décision qui les
lie, elles ont déposé le sort de tout le vilayet de Mossoul dans les
mains du Conseil.

En résolvant une telle question, le Conseil ne peut éliminer l\'in-
fluence des parties, en nommant la question tout simplement une
question de procédure. Par conséquent, nous sommes d\'avis que la
question qui nous occupe est essentiellement une question de fond.

Il résulte de ce point de vue que le Conseil aurait dû accepter
l\'avis de la Cour à l\'unanimité absolue; c\'est à tort que cette décision
a été prise à l\'unanimité restreinte, en éliminant les voix des par-
ties en litige.

^ - L\'AVIS RELATIF AU DIFFÉREND CARÉLIEN COMME PRÉCÉDENT

1°. Analyse de cet avis.

Comme nous l\'avons remarqué deux écrivains ont envisagé
la question de savoir si le fait que la Cour a émis un avis dans
l\'affaire de Mossoul, est conforme à son refus d\'émettre un avis
à l\'occasion de la demande pour avis, faite par le Conseil relative-
ment au différend de la Carélie orientale.

La première thèse sur laquelle se basait la Cour dans son avis
caréhen, était qu\'en donnant un avis consultatif sur un htige exis-
tant entre deux Etats, elle trancherait ce différend en substance
La Russie ayant maintes fois refusé l\'intervention, soit de la Société
des Nations, soit de la Cour, cette thèse devait nécessairement mener
la Cour à la conclusion qu\'il lui était impossible d\'émettre un avis,
étant donné que nul Etat ne peut être obligé de soumettre sans son
consentement ses différends avec d\'autres Etats à l\'arbitrage ou à
une autre procédure qui mette une fin pacifique à des conflits in-
ternationaux.

La deuxième thèse sur laquelle la Cour fondait son refus, consis-
\' Voir page 4L Cmp. aussi ci-après, page 65.

\' Les motifs qui nous ont amené à ne pouvoir souscrire à cette thèse de la
^ur, nous les avons exposés plus haut. (Voir pages 42—47).

-ocr page 70-

tait à dire que la question posée était dans l\'essence une question de
fait. Pour que la Cour résolût cette question, il serait nécessaire
d\'entendre des témoins, ce qui était impossible à cause du refus de
la Russie de prendre part à la procédure. Pour cette raison, la Cour
se croyait incapable de se procurer les données de fait indispensables
pour prononcer son avis.

Ce dernier motif doit être considéré comme étant absolument
secondaire L\'audition de témoins sera sans doute nécessaire pour
que la Cour puisse reconstruire les négociations de vive voix qui
se sont faites entre la Russie et la Finlande et qui sont capables de
faire naître la lumière sur les intentions des parties. On ne peut pas
nier que le refus de la Russie de fournir à la Cour des éclaircisse-
ments, rendait extrêmement difficile un examen de la genèse des
clauses du traité de Dorpat, relatives au différend de la Carélie
orientale. Mais la Cour doit avoir éprouvé les mêmes difficultés, en
étudiant l\'histoire de l\'article 3, paragraphe 2, du traité de Lausan-
ne; pourtant ces difficultés n\'ont évidemment pas été considérées
comme produisant des obstacles insurmontables à une réponse aux
questions posées. Du moins, la Cour n\'en dit mot. Seulement l\'avis
fait, à plusieurs reprises, mention de négociations orales ^ entre
les principaux délégués à la Conférence; mais les documents offi-
ciels ne donnent aucune information à ce sujet

Dans sa réponse négative donnée à la demande du Conseil d\'émet-
tre un avis consultatif relativement au différend de la Carélie orien-
tale, la Cour dit ^ que „dans le cas actuel, il n\'est pas besoin d\'appro-
„fondir le point de savoir si des questions pour avis consultatif,
„pour autant qu\'elles se réfèrent à des points de fait actuellement
„en litige entre deux nations, devraient être soumises à la Cour
„sans le consentement des parties.quot; Plus tard ® la Cour considère

\' Cf. J. H. W. Verzijl, Die Rechtsprechung des Ständigen internationalen Ge-
richtshofes ig22 bis Mai 1926
dans Zeitschrift für Völkerrecht, 1926, note
deuxième de la page 537.

» „un échange de vues privéquot; (page 10); „une réunion privée entre les prin-
cipaux délégués à la Conférencequot; (page 12); „la séance privéequot; (page 13);
„au cours de séances privées et de pourparlers particuliersquot; (page 14).
\' Il semble en effet que la Cour ait eu à son usage strictement personnel des
documents sur les pourparlers particuliers qu\'on ne veut pas encore publier.
* Voir page 27 de l\'avis no. 5.
\' loc. cit., page 28.

-ocr page 71-

que, la Russie n\'ayant jamais donné son consentement à la Société
des Nations de prendre connaissance du litige qui la sépare de la
Finlande, la Cour se voit dans l\'impossibilité d\'exprimer un avis
sur ce différend.

Le Gouvernement finlandais est d\'opinion que ces deux passages
ne s\'accordent pas l\'un avec l\'autre. Il prétend que la Cour a net-
tement résolu la question qu\'elle a dit vouloir laisser indécise.
Du fait que la Russie ne veut pas admettre l\'intervention de la
Société des Nations, la Cour déduit l\'impossibilité d\'émettre un
avis. Ainsi, comme le dit la Finlande, la Cour a décidé qu\'elle ne
pourrait exprimer une opinion relative à un litige, si les parties
intéressées n\'ont pas donné leur consentement ^

Il n\'est pas dépourvu d\'intérêt d\'examiner la question de savoir,
si cette opinion de la Finlande est fondée, étant donné le fait que
la Cour, nonobstant le refus de la Turquie, a émis un avis dans
l\'affaire de Mossoul.

Il nous semble qu\'il n\'y a pas de motifs pour accuser la Cour
d\'inconséquence; aussi partageons-nous l\'interprétation que M.
Salvioli donne à l\'avis consultatif. Cet auteur est d\'avis ^ que la
Cour a suivi le raisonnement suivant : Vu le refus réitéré de la Russie
de soumettre à la Société des Nations le litige qui la divise avec la
Finlande, l\'article 17 du Pacte n\'était pas applicable; par consé-
quent, c\'est à tort que le Conseil a pris connaissance du litige, de
Sorte que la demande pour avis est dénuée de base légitime. De
cette thèse résultait pour la Cour la nécessité de s\'abstenir de donner
un avis consultatif. Ainsi, si la Cour ne s\'est pas vue capable d\'é-
mettre un avis consultatif, ce n\'est pas parce que la Russie n\'avait
pas donné son consentement à cet effet ; la vraie raison en est que,
de l\'opinion de la Cour, le Conseil n\'était pas quaUfié pour soumettre
le litige à un examen, attendu que le consentement de la Russie à
cet égard est une condition indispensable pour l\'applicabilité de
l\'article 17 du Pacte

\' Mémorandum finlandais dans le Journal Officiel, novembre 1923, page 1498.
\' G. Salvioli,
La jurisprudence de la Cour Permanente de Justice Internatio-
nale,
page 91.

* En interprétant l\'avis consultatif no. 5 de cette façon, la décision de la
Cour contenant le refus de donner un avis consultatif est conforme au pas-
sage de l\'avis no.
4, qui dit: „Les titres et arguments invoqués par les Gou-

-ocr page 72-

^_consultation de la cour permanente

Deux questions se posent. Est-ce qu\'en eiïet la Cour est com-
pétente pour juger, si le Conseil fait un usage convenable de ses
attributions, au cas où il requiert l\'avis de la Cour ? Et puis : le Conseil
a-t-il, dans ce cas, donné une fausse application à l\'article 17 du
Pacte? Nous pouvons laisser de côté la deuxième question- elle
excede le cadre du présent ouvrage, parce que le différend de Mos-
soul a été porté devant le Conseil, conformément à l\'article 3 du
Traité de Lausanne et non pas par suite d\'une requête unilatérale
d\'un Membre de la Société des Nations, selon l\'article 17 du Pacte.
Nous reviendrons à la première question dans un autre ordre d\'idées.

2°. La Cour et les questions de fait.

En donnant son avis relatif à la question carélienne, la Cour
a fait la remarque que, faute de données, un texte est fort difficile à
interpréter. Elle y a ajouté l\'observation i qu\'elle „ne saurait aller
„jusqu\'à dire qu\'en règle générale une requête pour avis consul-
„tatif ne puisse impliquer une vérification de faits, mais que, dans
„des circonstances ordinaires, il serait certainement utile que les
„faits sur lesquels l\'avis de la Cour est demandé fussent constants.quot;

Evidemment la Cour aimerait que sa fonction consultative se
développe de façon qu\'on lui soumette exclusivement des questions
d\'un caractère strictement juridique; strictement en ce sens qu\'elle

„vernements intéressés ne peuvent élargir ni les termes de la requête adres-
„sée à la Cour par le Conseil, ni la compétence que le Conseil a conférée à la
„Cour par sa résolutionquot; (page 26). Dans le mémorandum que le Gouverne-

quot;quot;nbsp;^ff\'quot;\'^\' novembre 1923 page

1499), 1 observation est faite que la Cour elle-même dans l\'avis concérLnt
les décrets de nationalité promulgués en Tunisie et au Maroc, a émis l\'opinion
que „c\'est le Conseil qui, par sa résolution, confère à la Cour la compétencequot;
La Fmlande considère le fait que la Cour s\'est abstenue de donner un avis
a cause de l\'attitude de l\'une des parties, en contradiction avec ce principe vu
la résolution du Conseil qui a conféré à la Cour la compétence d\'émettre une
opinion. Si on conçoit par contre le refus de la Cour de manière qu\'elle juge
SI 1 initiative du Conseil est conforme aux règles du droit international et si
par conséquent, c\'est à bon droit que cet organe a demandé un avis consul-
tatif, cette interprétation permet que le Conseil, par sa résolution qui tend à
requénr l\'avis, rende la Cour compétente pour prononcer une opinion avec
cette réserve cependant que la Cour elle-même juge si cette compétence a
été conferée conformément aux normes du droit des gens.
\' Avis consultatif no. 5, page 28.

-ocr page 73-

aura seulement à se rendre compte des effets juridiques qui émanent
de certains faits constants. Une simple vérification de faits sans plus
ne semble pas, de l\'avis de la Cour, faire parde de ses fonctions judi-
ciaires proprement dites. Nous pouvons partager ce point de vue en
vertu de considérations tant théoriques que pratiques.

Cependant on ne saurait prétendre avec raison que, généralement
pariant, une vérification de faits n\'entre pas dans les attributions
du juge. Quand un htige lui est soumis afin d\'être décidé, il faudra
d\'abord s\'enquérir des faits sur lesquels les parties fondent leurs
prétentions. S\'étant informé comment les événements se sont pas-
ses, il peut procéder à leur appréciation juridique. Par conséquent,
une enquête historique n\'excède pas la fonction judiciaire; la véri-
fication des faits doit être effectuée pour que le juge puisse arriver
au but final; c\'est sa tâche de décider laquelle des parties a déduit
des événements une conséquence juridique vraie.

Quant à la compétence du Conseil de recueillir l\'avis de la Cour,
le Pacte n\'y met pas de termes; et quant aux attributions de la Cour,
son Statut ne parle point du tout de ses fonctions consultatives.
Néanmoins on peut admettre qu\'une vérification de faits comme
telle n\'est pas dans la tâche de la Cour. C\'est une fonction que les
conventions de la Haye de 1899 et de 1907 ^ pour le règlement pa-
cifique des conflits internationaux ont assignée aux commissions
d enquête. La Cour étant exclusivement une Cour de justice, une
telle fonction n\'est pas dans ses attributions.

Ce n\'est pas seulement à un point de vue théorique que nous
pouvons partager l\'opinion de la Cour, mais des considérations d\'or-
dre pratique nous mènent à la même conclusion. En procédure con-
tentieuse, les parties prendront une part active à la procédure et
fourniront à la Cour les matériaux dont elle a besoin pour l\'argumen-
tation de sa sentence. Mais les circonstances changent du tout au
tout, quand la Cour émet des avis. Alors elle ne voit pas devant
elle de parties qui l\'assistent à la reconstruction des faits Comme

V. les articles 9—15 de la convention de 1899 et les articles 9—37 de celle
de 1907.

Nous ne perdons pas de vue que les parties voudront souvent donner des
renseignements à la Cour, si le Conseil lui demande un avis consultatif sur des
questions qui ont surgi pendant la discu-ssion d
\'un différend. Mais l\'assistance
^es parties n\'est pas indispensable. Même si elles ne prennent pas part à la

-ocr page 74-

cela, elle se trouve en présence de difficultés d\'ordre pratique en
conséquence desquelles, dans ce cas spécial, une vérification de
faits n\'entre pas dans le cadre de ses fonctions. C\'est pour ces motifs
que la Cour est d\'avis que „le soin de déterminer les faits ne de-
„vrait pas être laissé à la Cour elle-même.quot;

3°. Liberté pour la Cour de refuser un avis.

Il est fort curieux que la Cour, dans son avis relatif à la question
carélienne, n\'ait pas examiné du tout si elle est libre de refuser un
avis consultatif, demandé par le Conseil ou par l\'Assemblée. Il
est probable cependant que cette question a été discutée en chambre
du conseil et que M. de Bustamante ^ n\'a pu partager l\'opinion de
la majorité de la Cour, vu qu\'il est partisan de l\'opinion que la
Cour, dans n\'importe quelle circonstance, est autorisée à s\'abste-
nir de donner son avis au Conseil 2.

La difficulté, dit-on, réside dans le fait que les textes français
et anglais de l\'article 14 du Pacte ne sont pas identiques. Le pre-
mier dit: „Elle (la Cour) donnera aussi des avis consultatifsquot;, tandis
que le dernier est moins impératif, en stipulant que „the Court may
also give an advisory opinionquot;. Les deux textes faisant également
foi selon l\'article 440 du Traité de Versailles, on ne saurait déduire
avec certitude de l\'article 14 du Pacte que la Cour, dans toutes les
circonstances, est obligée d\'émettre un avis, alors que le Conseil
l\'a requis

procédure pour avis, la Cour doit l\'émettre. Cela s\'applique aussi, il est vrai,
d\'après l\'article 53 du Statut de la Cour, à la procédure contentieuse, mais un
pareil cas n\'est pas fort probable, puisqu\'une telle procédure ne peut être
entamée sans le consentement préalable des parties intéressées. Surtout si
l\'on admet avec nous que le Conseil pourra invoquer l\'avis de la Cour sans le
consentement des parties, la possibilité n\'est certes pas exclue qu\'une d\'entre
elles ne contribue pas à l\'examen de la Cour. Le différend de Mossoul, à un
certain degré, en forme un exemple.

\' MM. Weiss, Nyholm, de Bustamante et Altamira, juges, forment la mino-
rité de la Cour qui ne pouvait se rallier à l\'avis de la majorité (page 29 de l\'avis
consultatif no. 5).

\' Voir: A. S. de Bustamante, The World Court, 1925, page 278.
• CL pour l\'interprétation de l\'article 14:

J. Bassett Moore, Mémoire présenté à la Cour, Publications de la Cour, Série D,
no. 2, page 384.

A. S. de Bustamante, The World Court, 1925, pages 253 et 265—266.

-ocr page 75-

Nous croyons qu\'il est d\'un intérêt capital que le Statut de la
Cour n\'ait pas été créé sous forme d\'une résolution de l\'Assemblée ;
la Cour a été mise au monde par une convention spéciale, le Proto-
cole de Signature, Ce Protocole contient la déclaration des Mem-
bres, de la Société des Nations qu\'ils reconnaissent le Statut de la
Cour Permanente de Justice Internationale, joint audit Protocole.
Puis les Etats signataires s\'engagent à le ratifier. En plus, le Proto-
cole dit qu\'il „restera ouvert à la signature des Etats visés à l\'Annexe
du Pacte.quot; Le Protocole a obtenu de cette façon tous les traits ca-
ractéristiques d\'une convention spéciale qui n\'a pas de connexité
directe avec le Pacte. Même sans être Membres de la Société des
Nations, les Etats peuvent accéder au Protocole, pourvu qu\'ils
Soient nommés dans l\'Annexe du Pacte.

Il y a sans contredit im lien entre la Cour et la Société des Na-
tions; cela se manifeste p. ex. par le fait que l\'Assemblée et le Con-
seil élisent les juges de la Cour (articles 4—13 du Statut) et que les
frais de la Cour sont à la charge de la Société des Nations (article
33), Rien n\'empêche toutefois que deux Etats, étrangers à la Société,
ou un Etat Membre et un Etat non-Membre, ne soumettent, eux
aussi, leurs différends à la Cour. Le Statut stipule que le Conseil
règle les conditions à imposer aux Etats qui ne sont pas Membres
de la Société des Nations et que l\'Annexe du Pacte ne mentionne
pas, pour qu\'ils puissent soumettre leurs différends à la Cour;
la Cour elle-même fixera le montant que l\'Etat non-Membre de la
Société, contribuera aux frais de la Cour, s\'il est partie en cause
(
^icle 35, paragraphes 2 et 3, du Statut),_

J. H. W. Verzijl, Die Rechtsprechung des Ständigen internationalen Gerichts-
hofes ig22 bis Mai 1926
dans Zeitschrift für Völkerrecht, 1926, page 538.
G. Salvioli, La jurisprudence de la Cour permanente de Justice internationale,
page 91.

Strupp, dans Wörterbuch des Völkerrechts und der Diplomatie, 1924, tome

page 620.

P. Fachiri, The Permanent Court of International Justice, 1925, page 69.
^lanley O. Hudson,
The Permanent Court of International Justice and the
Question of American Participation,
page 153 et suivantes.
Manley O. Hudson, The advisory Opinions of the Permanent Court of Inter-
national Justice,
dans International Conciliation, novembre 1925, page 330.
Cf. aussi la préparation du Règlement de
la Cour dans les Actes et documents
relatifs à l\'organisation de la Cour, Publications de la Cour, Série D,
no. 2,
page 161,

-ocr page 76-

Le Statut étant une convention tout à fait indépendante, qui
définit l\'action de la Cour et à laquelle celle-ci emprunte ses attri-
butions, l\'article 14 du Pacte ne peut s\'interpréter qu\'en ce sens
qu\'il autorise le Conseil et l\'Assemblée à requérir l\'avis de la Cour;
il est impossible d\'en déduire l\'obligation de la Cour de donner l\'avis
demandé dans toutes les circonstances K Si l\'on admet que son
activité consultative soit comprise dans les termes de l\'article 36
du Statut, ainsi conçus: „tous les cas spécialement prévus dans les
traités et conventions en vigueurquot;, on retombe sur la difficulté
qui résulte du manque de clarté de l\'article 14 du Pacte. Mais, vu
que le Statut tout entier semble ignorer les avis consultatifs et
s\'occupe seulement de la fonction judiciaire, proprement dite, de
la Cour, on peut difficilement admettre que l\'article 14 du Pacte
soit entré furtivement dans le Statut, comme un des „cas spéciale-
ment prévus.quot; Mieux vaudra s\'expliquer d\'une autre façon la
différence, dans l\'article 36 du Statut, entre „toutes affaires que
les parties lui soumettrontquot; et „tous les cas spécialement prévus
dans les traités et conventions en vigueur.quot; Il faudra songer ici
à la différence faite par Lammasch ^ entre l\'arbitrage isolé et l\'ar-
bitrage institutionnel.

MM. Salvioli et Verzijl » sont d\'avis que la Cour est compétente
pour juger si le Conseil fonctionne conformément aux règles du
droit international, au cas où il implique la Cour dans son activité
en lui demandant un avis consultatif. On pourrait objecter contre
cette opinion que le Statut n\'impose pas à la Cour la tâche de
veiller à une interprétation et une apphcation exactes du Pacte et
d\'empêcher que le Conseil n\'empiète sur les normes générales du
droit des gens en exerçant ses pouvoirs.

\' J. Bassett Moore, International Law and Some current Illusions, 1924,
page 114, émet une autre opinion.

La mention de l\'article 14 du Pacte dans le titre et dans l\'article 1er du Sta-
tut a pour seul but de démontrer que le Conseil a accompli la tâche que lui
impose l\'article 14 du Pacte.

Cf. J. Bassett Moore, Mémoire dans les Publications de la Cour. Série D, no. 2,
page 385, et Quincy Wright,
The Mosul Dispute, dans The American Journal
of International Law,
1926, note 28 à la page 459.

» H. Lammasch, Die Lehre von der Schiedsgerichtsbarkeit in ihrem ganzen Um-
Jange,
1913, p. 55.
V. la note 3 aux pages 62 et 63.

-ocr page 77-

D\'un autre côté — et cette considération doit passer avant — la
fonction consultative est une compétence étrangère au caractère
d\'un organe judiciaire, tel que la Cour K La Cour remplira-t-elle
sa haute mission, on ne peut s\'attendre le moins du monde qu\'une
Cour de Justice prête son concours à une procédure qui est en
contradiction avec les principes du droit international.

4°. Parallèle entre les deux requêtes.

Il y a deux auteurs qui se sont occupés de la question de savoir
SI les principes qui ont guidé la Cour en donnant son avis carélien,
ne sont pas applicables à la requête pour avis concernant le dif-
férend de Mossoul. Ils aboutissent à une conclusion différente.

M.Ténékidès est d\'avis ^ que, si l\'on croit avec la Cour que
son avis consultatif même vide un différend, il est incompréhen-
sible qu\'elle ait pu passer outre au refus de la Turquie de concourir
à. la demande pour avoir un avis consultatif de la Cour. On argu-
mente, il est vrai, que la Turquie en signant l\'article 3 du Traité
de Lausanne a accepté la compétence du Conseil, et que le fait qu\'el-
le a agréé cette compétence, implique comme suite logique qu\'elle
peut être censée avoir accepté aussi la compétence de la Cour, au cas
où le Conseil jugerait utile de demander son avis. Mais cette conclu-
sion, dit-il, est seulement acceptable pour celui qui voit dans les
avis de la Cour de simples moyens d\'information, dénués de tous
les traits qui caractérisent une sentence arbitrale. Si, au contraire, on
considère de pareils avis comme ayant une valeur beaucoup plus
grande que celle d\'une opinion d\'experts juridiques qui ne he ni le
Conseil ni les parties en htige, la Cour ne peut accéder à une re-
quête du Conseil que dans le cas où lesdites parties ont donné leur
consentement, ce qui est une condition indispensable. Ce consen-
tement ne saurait être déduit d\'une clause de traité de la nature
de l\'article 3 du traité de Lausanne, ayant pour seule fin de sou-

\' J- Bassett Moore, Mémoire dans les Publications de la Cour, Série D, no.
2. page 384.

J- Morellet, L\'organisation de la Cour Permanente de Justice Internationale,
page 128.

\' C. G. Ténékidès, La compétence de la Cour permanente de Justice internatio-
nale en matière de procédure consultative,
dans la Revue générale de droit in-
ternational public,
1926, pages 125 et 126.

-ocr page 78-

mettre le litige à une autre juridiction que celle de la Cour.

Michel de la Grotte \\ au contraire, émet l\'opinion que les argu-
ments qui ont empêché la Cour d\'exprhner son avis sur le différend
relatif à la Carélie orientale, ne sont pas applicables au litige de
Mossoul. Il résume l\'argument principal de la Cour dans l\'affaire
caréhenne en ces termes: La question soumise à la Cour pour avoir
son avis était précisément le point en htige entre les parties. La
procédure consultative devant être considérée comme une procé-
dure arbitrale
sm generis 2, la Cour n\'est pas compétente pour
prononcer son opinion, si les deux parties n\'ont pas fait connaître
leur désir à ce sujet. Etant donné le refus de la Russie, la Cour
n\'était pas compétente d\'émettre son avis. Et même si l\'on n\'admet
pas que la procédure consultative ait des traits de ressemblance
avec l\'arbitrage, il n\'appartenait pourtant pas au Conseil de pro-
voquer un avis consultatif, „devant obligatoirement être rendu
publicquot;.

Par contre, les questions que, dans l\'affaire de Mossoul, le Con-
seil a présentées à la Cour, sont, selon M. de la Grotte, de simples
questions de procédure de sorte que le refus de la Turquie d\'in-
voquer l\'avis de la Cour n\'est d\'aucune importance. En second lieu,
la procédure traitée devant le Conseil avait été régulière, les deux
parties ayant été représentées devant lui. C\'est de cette façon que
M. de la Grotte conclut que la Cour était compétente d\'émettre un
avis sur les questions qui avaient surgi relativement au différend
de Mossoul, quand bien même on considérerait la compétence con-
sultative de la Cour à la lueur des principes qui ont induit la Cour
à déclarer son impossibilité d\'émettre son avis consultatif dans la
question carélienne.

Si nous avons raison d\'interpréter le raisonnement qui a amené
la Cour au refus de donner un avis consultatif concernant l\'affaire
de la Caréhe orientale, dans ce sens, qu\'elle se croit autorisée à

\' Michel de la Grotte, La Cour permanente de Justice internationale en 1925,
dans la Revue de droit international et de législation comparée, 1926, pages
335 et 336.

» ouvrage cité, page 334: „La procédure consultative est devenue une procé-
dure arbitrale spéciale, caractérisée surtout par le rôle du Conseil comme ré-
dacteur d\'office d\'une espèce de quasi-compromis.quot;
* Voir pages 56 et 57.

-ocr page 79-

__ _de justice internationalenbsp;67

juger si le Conseil s\'est occupé à bon droit d\'un différend quelcon-
que, l\'opinion de M.Ténékidès est fausse que la Cour aurait dû
s\'abstenir d\'exprimer un avis dans le litige de Mossoul comme dans
celui de la Carélie, vu le refus de la Turquie de concourir à la de-
mande de l\'avis. Certes, la Turquie a refusé de requérir l\'avis con-
sultatif et elle n\'a, pas plus que la Russie, comparu devant la Cour
pour expliquer oralement son point de vue. Mais c\'est à cela seu-
lement que ce borne l\'analogie entre le différend concernant la
Carélie orientale et celui relatif à Mossoul; à d\'autres points de
vue, la différence est évidente.

En effet, le différend carélien fut mis à l\'ordre du jour du Conseil
en vertu d\'une demande de la Finlande, conformément à l\'article 17
du Pacte. Par contre, le Conseil prenait connaissance du différend
de Mossoul en suite de l\'article 3, paragraphe 2, du Traité de Lau-
sanne; ce Traité soumet le htige au Conseil, si les parties n\'ont pu
aboutir à une solution à l\'amiable. Voilà une différence essentielle;
au premier cas une demande unilatérale d\'après l\'article 17 qui
mettait le Conseil en action; dans l\'autre cas, une clause de traité
en vertu de laquelle les parties avaient prié de concert le Conseil
de s\'occuper de leur différend.

La deuxième différence entre les deux cas est celle-ci: Au sujet
du différend relarif à la Caréhe orientale, c\'était sur le fond du Htige
qui divisait les parties, que l\'avis de la Cour était demandé; tandis
que, relativement au différend de Mossoul, c\'est une question pré-
alable qui était l\'objet de la requête; dans ce dernier cas donc le
Conseil n\'avait pas requis l\'avis sur la décision que les parties at-
tendaient de sa part.

En dernier lieu M, Salvioli ^ fixe notre attention sur le fait que
le refus donné de la part de la Turquie était moins absolu que
celui de la Russie. Il est certain que la Turquie a fait parvenir à la
Cour des documents complets, afin de faire connaître son point
de vue. En outre, elle a répondu aux questions que la Cour lui
9-vait posées, mais elle l\'a fait uniquement par déférence et par es-
time pour la Cour, toute réserve faite à l\'égard de l\'effet de l\'avis
consultatif. Dans l\'essence, la Turquie s\'est opposée à la requête de

G. Salvioli, La jurisprudence de la Cour permanente de Justice internationale,
la deuxième note à la page 96.

-ocr page 80-

l\'avis; il n\'importe absolmnent pas que cette opposition fût plus ou
moins absolue: c\'était un refus.

Comme nous l\'avons vu i, quelques auteurs admettent que
l\'avis de la Cour doit être demandé en vertu d\'une résolution du
Conseil, prise à l\'unanimité; quand même on serait partisan de cet-
te dernière opinion, on pourrait, dans ce cas spécial, passer outre
au refus de la Turquie, vu qu\'elle doit être censée avoir consenti à
toutes les mesures que le Conseil jugerait utiles pour l\'instruction
de l\'affaire, le Conseil prenant connaissance du différend, en vertu
de la volonté formelle des deux parties en litige.

Bien que ce soit pour d\'autres motifs, nous pouvons nous rallier
à la conclusion de Michel de la Grotte, que c\'est à bon droit que
la Cour a fait connaître son opinion sur les questions que le Conseil
lui avait soumises, nonobstant le refus de la Turquie de concourir
à la demande de l\'avis consultatif. Les principes qui ont amené la
Cour à s\'abstenir d\'exprimer un avis dans l\'affaire carélienne, ne
sont pas applicables aux circonstances où le Conseil a requis l\'avis
concernant le différend de Mossoul.

Voir page 47 et suivantes.

-ocr page 81-

Chapitre IV

CARACTÈRE JURIDIQUE ET CONDITIONS DE
VALIDITÉ DE LA DÉCISION DU CONSEIL

A - Caractère juridique de la décision

Lorsqu\'il apparut que le Traité de Sèvres qui mettrait fin à
la guerre entre la Turquie et les Puissances Alliées et qui fut signé
le 10 août 1920, était inacceptable pour la Turquie et, par consé-
quent, ne fut pas ratifié, on ouvrit le 20 novembre 1922 à Lausanne
de nouvelles négociations qui avaient pour suite que, le 24 juillet
1923, un autre Traité de paix fut signé; ce Traité de paix-là est
entré en vigueur le 6 août 1924.

La section de ce Traité consacrée aux „Clauses territorialesquot;
contient l\'article 3 ainsi conçu:

„De la mer Méditerranée à la frontière de Perse, la frontière de
la Turquie est fixée comme il suit:

1°. Avec la Syrie:

La frontière définie dans l\'article 8 de l\'Accord franco-turc du 20
octobre 1921.

2°. Avec l\'Irak:

La frontière entre la Turquie et l\'Irak sera déterminée à l\'amiable
entre la Turquie et la Grande-Bretagne dans un délai de neuf mois.

A défaut d\'accord entre les deux Gouvernements dans le délai prévu,
le litige sera porté devant le Conseil de la Société des Nations.

Les Gouvernements turc et britannique s\'engagent réciproquement
à ce que, en attendant la décision à prendre au sujet de la frontière, il ne
sera procédé à aucun mouvement militaire ou autre, de nature à apporter
un changement quelconque dans l\'état actuel des territoires dont le sort
définitif dépendra de cette décision.quot;

^ Pendant la Conférence de Lausanne il avait été impossible de
s accorder pour la détermination de la frontière septentrionale du
royaume d\'Irak, dont la Grande-Bretagne est le mandataire. On

-ocr page 82-

finit par décider que cette question serait exclue de l\'ordre du jour de
la Conférence, afin d\'être réglée d\'un commun accord par les parties
intéressées, à savoir la Turquie et la Grande-Bretagne. Il semble
tout de même que, dès ce moment-là, on prévît la possibilité qu\'un
accord fût irréalisable: l\'article 3 qui renvoie la fixation de la
frontière aux négociations directes entre les parties, stipule aussi
que le litige „sera porté devant le Conseil de la Société des Nationsquot;,
si, dans un délai de neuf mois, elles ne sont parvenues à un accord.
Par le troisième alinéa de l\'article 3, paragraphe 2, les parties
s\'engagent à maintenir dans le territoire contesté le
statu quo en
attendant la décision à prendre sur le sort définitif de ce territoire.

Par le protocole relatif à l\'évacuation du territoire turc, signé à
Lausanne le 24 juillet 1923, les Gouvernements turc et britannique
étaient convenus que les négociations prévues à l\'article 3, para-
graphe 2, du Traité, commenceraient aussitôt que l\'évacuation
des territoires turcs aurait pris fin (ce fut le 4 octobre 1923) et
que la période de neuf mois commencerait à courir à partir de la
date où lesdites négociations s\'ouvriraient. Le 5 octobre 1923 l\'ou-
verture des pourparlers a eu lieu et du 19 mai au 5 juin 1924 la
Grande-Bretagne et la Turquie ont tenu, à Constantinople, une
conférence qui n\'aboutissait pas au but visé; les parties ne pou-
vaient s\'entendre sur le tracé de la frontière entre la Turquie et
l\'Irak. Par conséquent, le deuxième alinéa de l\'article 3, paragraphe
2, du Traité de Lausanne devenait applicable: le Conseil de la
Société des Nations tâcherait de parvenir au but que les parties
s\'étaient posé, notamment, la détermination de la frontière, but
qu\'elles n\'avaient pu atteindre elles-mêmes.

Par une lettre du 6 août 1924 le Gouvernement britannique
priait le Secrétaire général de la Société des Nations d\'inscrire à
l\'ordre du jour de la prochaine session du Conseil la question
suivante : „Frontière de l\'Irak : Article 3 (2) du Traité signé à Lausanne
le 24 juillet 1923quot; i.

Pendant sa trentième session tenue à Genève du 29 août au 3
octobre 1924, le Conseil s\'occupa du différend pour la première fois.
Le 25 septembre de la même année déjà il était clair qu\'il y avait
une grande différence entre la manière de voir de la Grande-Bre-

\' Journal Officiel, octobre 1924, page 1465.

-ocr page 83-

tagne quant à l\'article 3, paragraphe 2, du Traité et l\'interpréta-
tion que le Gouvernement turc donnait à cette clause M. Bran-
ting, rapporteur, fit envisager aux représentants des parties la
question de savoir quel serait le rôle du Conseil en vertu de l\'ar-
ticle 3, paragraphe 2. Le représentant britannique répondit que
.,1e Gouvernement britannique considérait le Traité comme plaçant
le Conseil dans une situation d\'arbitre dont la sentence finale doit
être acceptée d\'avance par les deux Parties.quot; Il ajouta que „le
Gouvernement britannique se considérerait lié par la décision du
Conseil.quot; Tout autre fut la réponse du représentant turc. Celui-
ci disait que „le Gouvernement turc reconnaissait au Conseil la
plénitude des attributions que lui confère l\'article 15 du Pacte
des Nationsquot; 2.

Dans la séance du Conseil en date du 19 septembre 1925 (une
année plus tard environ), le Comité du Conseil chargé de l\'étude
de la question et se composant des représentants de la Suède, de
l
\'Espagne et de l\'Uruguay, proposa au Conseil de demander l\'avis
consultatif de la Cour Permanente de Justice Internationale sur
les questions préliminaires suivantes:

„ 1. Quelle est la nature de la décision à prendre par le Conseil en vertu
de l\'article 3, paragraphe 2, du Traité de Lausanne (sentence arbitrale,
recommandation ou simple médiation) ?

2. La décision doit-elle être prise à l\'unanimité ou peut-elle être prise
à la majorité?

Les représentants des Parties intéressées peuvent-ils prendre part au
vote?quot;

Le Conseil a adopté la proposition du Comité.

Dans les mois d\'octobre et de novembre de l\'année 1925 la Cour

\' Journal Officiel, octobre 1924, pages 1337—1339.

\' Il semble pourtant que ces mots ne soient pas une interprétation exacte de
l\'opinion du Gouvernement turc, quant à la signification de l\'article en
^luestion. Le Gouvernement turc était d\'avis qu\'en vertu de cet article le
Conseil ne pouvait déterminer la frontière d\'une façon obligatoire et défini-
tive, sans le consentement des parties. Abstraction faite de l\'article 3, la Tur-
quie serait disposée à accepter que le Conseil remplît les fonctions que
lui attribue l\'article 15 du Pacte de la Société des Nations. (Voir page 78).
Quoi qu\'il en soit, il est sûr que le Gouvernement turc, contrairement à celui
la Grande-Bretagne, n\'expliquait pas l\'article 3, paragraphe 2, de telle
façon qu\'il revêt le Conseil de pouvoirs arbitraux.

-ocr page 84-

a examiné en session extraordinaire les questions posées; le 21 no-
vembre 1925 elle a émis son avis consultatif. Le Gouvernement
britannique avait fait usage de l\'occasion, à lui offerte, de fournir à
la Cour des informations de nature à éclaircir les questions. Il a
fait parvenir à la Cour un Mémoire exposant son point de vue et
a fait commenter oralement ses vues pendant l\'audience de la
Cour.

Par contre, le Gouvernement turc n\'a pas prêté assistance à la
Cour; il lui a seulement fourni certains documents et a répondu à
certaines questions que la Cour a cru nécessaire de lui poser. Dans
un télégramme ^ au Greffier de la Cour, le Ministre des Affaires Etran-
gères de la Turquie a fait connaître qu\'il n\'y avait aucune raison
pour le Gouvernement turc de se faire représenter devant la Cour,
non seulement parce que le point de vue de son Gouvernement
avait déjà été exposé clairement dans les séances du Conseil, mais
surtout parce qu\'il était d\'avis que les questions soumises à la
Cour „présentent un caractère nettement politique et ne peuvent
donner matière à une interprétation juridique.quot;

Si le Ministre turc, en employant le mot „politiquequot;, a voulu
dire que les questions présentées à la Cour portent un caractère
non juridique, nous ne pouvons être de son avis. ^ Les questions
posées concernent la nature de la tâche que l\'article 3, paragra-
phe 2, du Traité de Lausanne impose au Conseil; elles ont trait à
l\'interprétation d\'un traité. Quels différends se prêtent mieux
à une solution juridique que ceux qui touchent l\'interprétation
d\'un traité? Les Etats, en concluant des traités d\'arbitrage, ont
toujours été d\'avis que, de préférence, c\'étaient les différends qui
avaient surgi sur l\'interprétation et l\'application d\'un traité qui
étaient susceptibles d\'être soumis à une solution arbitrale. Dans
l\'article 38 de la Convention de 1907 pour le règlement pacifique
des conflits internationaux, les Etats reconnaissent l\'arbitrage
comme le moyen le plus efficace pour la solution de différends d\'or-
dre juridique et en premier lieu de différends concernant l\'inter-
prétation et l\'application de conventions internationales. Et qu\'est-

■ Avis consultatif no. 12, page 8.

\' Il sort du cadre de ce chapitre de discuter la classification des différends
internationaux. Dans le chapitre suivant nous serons à même de faire quel-
ques remarques là-dessus.

-ocr page 85-

ce que l\'arbitrage, sinon „le règlement de litiges entre les Etats
sur la base du respect du droitquot; (article 37 de la Convention de
1907)? De même, le Statut de la Cour Permanente de Justice In-
ternationale dit dans son article 36, alinéa 2, que les Etats peu-
vent reconnaître comme obligatoire la juridiction de la Cour sur
des différends d\'ordre juridique; comme différends d\'ordre juridi-
que l\'article nomme en premier lieu ceux ayant pour objet l\'inter-
prétation d\'un traité. Une clause analogue est contenue dans
le Pacte de la Société des Nations ; elle dit, dans le deuxième alinéa
de l\'article 13, que les différends relatifs à l\'interprétation d\'un
traité sont généralement susceptibles d\'une solution arbitrale ou
judiciaire.

Nous sommes d\'avis par conséquent que les questions, soumises
par le Conseil à la Cour, présentent un absolu caractère juridique.

Malgré le nombre restreint d\'éclaircissements que la Cour a ob-
tenus de la part de la Turquie, elle a émis son avis consultatif ^ au
Conseil, le
21 novembre 1925; le Conseil l\'a adopté dans sa séance
du
8 décembre 1925 2.

Précisément dans ce cas-ci, où, notamment de la part de la Tur-
quie, on s\'est appuyé avec tant d\'instance sur la genèse de l\'article,
il y a tout lieu d\'envisager quelle méthode doit être suivie pour
l\'interprétation des clauses de traité.
Il fait fixer d\'abord le prin-
cipe qui doit être le fil conducteur quant aux contrats conclus entre
des personnes privées, aussi bien que pour les conventions conclues
entre les
Etats, à savoir que, avant tout, c\'est dans les termes du
traité mêmes qu\'il faut tâcher de trouver la pensée à attacher à
une clause quelconque du traité.
Seulement, quand il apparaîtrait
que ces termes sont susceptibles de plus d\'une interprétation,
il
est permis de s\'enquérir de l\'intention qu\'avaient les parties au
moment oii elles ont exprimé par écrit leur volonté.
L\'examen du
texte de la clause du traité en question est donc d\'un intérêt pré-

\' Le Second, le troisième et le quatrième rapport annuel de la Cour Permanen-
te de Justice Internationale
{Publications de la Cour, Série E, Nos. 2, 3 et 4)
contiennent une liste complète de la littérature concernant cet avis con-
sultatif; cette liste a été préparée par M. J.-Douma, bibliothécaire-adjoint
du Palais de la Paix de la Haye.
\' Journal Officiel, février 1926, page 128.

-ocr page 86-

dominant ; au seul cas où il n\'amènerait pas à un résultat satisfai-
sant, il y a lieu de rechercher dans l\'histoire les faits capables de
jeter la lumière sur l\'intention des parties mal définie par le trai-
té ^

L\'influence des événements postérieurs à la conclusion du Traité
de Lausanne est peu importante pour l\'interprétation de l\'article
3. Le Conseil, en rédigeant les questions qu\'il a présentées à la Cour,
s\'est basé sur les termes de cet article 2. C\'est avec raison que la
Cour a laissé passer inaperçu tout ce que, de la part des parties,
pendant le traitement du différend par le Conseil, on pourrait pren-
dre pour de nouveaux engagements assumés par elles ultérieure-
ment en dehors de l\'article 3 du Traité; on ne saurait attribuer de
valeur aux opinions énoncées devant le Conseil qu\'en tant qu\'elles
ont l\'intention d\'éclaircir les visées des parties en rédigeant l\'arti-
cle 3 dans ses termes actuels

La Cour aussi a déposé ces principes d\'interprétation dans son
avis consultatif, mais elle ne les a pas apphqués conséquemment.
Elle dit être en mesure de déduire des termes de l\'article 3, d\'une
manière suffisamment claire quelle est la nature de la décision
à prendre par le Conseil; elle ajoute que, vu cette conclusion, „la
question ne se pose pas de savoir si on arriverait aux mêmes con-
clusionsquot; que celles qui découlent du texte de l\'article, „en se fon-
dant sur des considérations tirées des travaux préparatoires du
Traité de Lausanne.quot; Néanmoins la Cour a examiné l\'historique de
l\'article.

Aussi M. Verzijl ^ reproche-t-il — à bon droit — à la Cour d\'avoir
fait un travail superflu et illogique en s\'occupant des travaux pré-
paratoires de l\'article. Le seul motif que la Cour ait pu avoir pour
entreprendre cet examen, est sans doute le fait que le Gouvernement
turc s\'est appuyé sur ces travaux préparatoires pour y emprunter

\' Avis consultatif no. 12, pages 19 et 22. Voir aussi le Mémoire du Gouverne-
ment britannique et le plaidoyer de Sir Douglas Hogg
[Publications de la
Cour. Série C.
no. 10, page 200 et page 20 et suivantes).
\' Comp, toutefois la note 2 à la page 75.
\' Avis de la Cour, page 24.

•nbsp;Avis de la Cour, page 22.

•nbsp;Dans son étude sur Die Rechtsprechung des Ständigen Internationalen Ge-
richtshofes ig22 bis Mai 1926
dans la Zeitschrift für Völkerrecht, 1926, page 539.

-ocr page 87-

des considérations en faveur de son point de vue. On peut considé-
rer par conséquent les dissertations de la Cour sur les négociations
de la Conférence de Lausanne comme destinées spécialement à la
Turquie; la Cour a voulu convaincre le Gouvernement turc que
toutes les considérations qu\'il avait puisées dans l\'histoire, corrobo-
raient la conclusion que la Cour a tirée des termes de l\'article 3. Elle
a voulu atteindre par cela que la critique turque éventuelle serait
d avance déjà réduite au silence; l\'autorité de l\'avis y gagnerait.

L\'examen de la genèse de la clause de l\'article 3 ne pouvait
avoir d\'autre effet. Supposé que la Cour eût tiré de cette genèse
une conclusion contraire à celle qui résulte des termes de l\'article,
quelle en aurait été la suite? Sans doute elle aurait dû s\'en tenir
seulement au sens qu\'elle croyait pouvoir tirer de la teneur de
l article i. Quant à cela, le travail de la Cour a été superflu, indu-
bitablement. Si les parties, dans le traité qu\'elles ont conclu, ont ex-
primé formellement leur volonté, elles doivent être censées avoir
renoncé à toutes leurs intentions exprimées pendant la préparation
du traité, en tant que ces intentions ne sont pas conformes au sens
qui ressort clairement du texte définitif. C\'est la rédaction finale,
la manifestation nette de la volonté des parties contractantes, qui
1 emporte sur les faits historiques.

1°. Portée de l\'article 3, § 2, du Traité de Lausanne.

La première question que le Conseil a posée à la Cour, est ainsi
conçue :

»Quelle est la nature de la décision à prendre par le Conseil
en vertu de l\'article 3, paragraphe 2, du Traité de Lausanne
(sentence arbitrale, recommandation ou simple médiation) ?quot; 2

Elle imphque le point contesté de savoir quel est le sens de la
clause connue de l\'article 3 du Traité de Lausanne: „le litige sera
porté devant le Conseil de la Société des Nations.quot; En premier
lieu, nous allons rechercher dans les termes mêmes de l\'article ce

G. Salvioli, La jurisprudence de la Cour Permanente de Justice Internatio-
nale,
Paris, 1927, page 62.

Nous faisons remarquer que le Conseil, en rédigeant cette question, a em-
prunté les mots „décision à prendrequot; au dernier alinéa de l\'article 3, § 2,
quot;^^is qu\'il y a ajouté les mots „par le Conseilquot;. Cette insertion arbitraire
^^nticipe sur la solution de la question.

-ocr page 88-

que les parties veulent exprimer par ces termes. Au cas où ce
texte ne fournirait peut-être pas assez de données pour approfondir
l\'intention que les parties contractantes ont déposée dans cet article,
nous examinerons s\'il y a d\'autres éléments, en dehors des termes
du traité, de nature à jeter de la lumière sur la volonté des Etats
intéressés.

a) Interprétation des termes.

Voyons d\'abord quelle est la signification que les parties dédui-
sent de la teneur de l\'article ^

Le point de vue britannique — comme nous l\'avons vu _ a

toujours été que le Conseil agirait en qualité d\'arbitre dont la
décision vide définitivement et obhgatoirement le litige 2. Le
Gouvernement britannique a défendu cette thèse dans le Mémoire
qu\'il a présenté à la Cour et dans le plaidoyer que son représentant
a prononcé devant elle. L\'argumentation qui conduit à cette ma-
nière de voir est la suivante. ®

Le point de départ est ce principe : il faut qu\'un Etat ait des fron-
tières fixes et constantes. C\'est l\'article 3 du Traité de Lausanne qui
vise à donner à la Turquie de telles frontières. Cet article commence
par dire que la frontière de la Turquie est
fixée comme il suit: celle
avec la Syrie sera la frontière
définie par l\'Accord franco-turc, tan-
dis que celle avec l\'Irak sera
déterminée à l\'amiable entre la Turquie
et la Grande-Bretagne. Quelle est donc l\'intention de l\'article 3?
Le tracé définitif de la frontière de la Turquie. La frontière avec
l\'Irak fait partie de la frontière à déterminer; elle était contestée au
moment de la signature du Traité de Lausanne. Ce Traité pourvoit
par conséquent aussi à la fixation définitive de cette partie de la
frontière. Le mot „décisionquot; du troisième alinéa de l\'article 3, pa-
ragraphe 2, ne peut, pour cette raison, signifier que: „décision dé-
finitive et obligatoire.quot; La tendance de l\'article est celle-ci: on peut
aboutir à la solution conduisant à la détermination finale de la

\' Voir page 69.

\' Voir le discours de Lord Parmoor dans la séance du Conseil en date du 25
septembre 1924
(Journal Officiel, octobre 1924, pages 1337—1339) et celui
de M. Amery dans la séance du 19 septembre 1925
(Journal Officiel, octobre
1925, page 1377 et suivantes).

\' Publications de la Cour, Série C, no. 10, page 201 et page 23 et suivantes.

-ocr page 89-

frontière de deux façons, savoir: les parties intéressées parviennent
à un accord à l\'amiable, ou bien elles feront appel au Conseil, en cas
d\'échec des pourparlers directs. Si cet appel éventuel au Conseil
a l\'effet désiré (notamment la fixation définitive de la frontière),
la décision du Conseil ne peut avoir un autre caractère que celui
d\'une décision arbitrale, obligatoire pour les parties en litige et
vidant à jamais le différend. Si l\'on n\'attribue pas de force obli-
gatoire à la „décision à prendrequot; et qu\'on admette que le Conseil
ne peut faire autre chose que recommander une solution du diffé-
rend qui entre en vigueur par le seul consentement des parties, on
risque que le tracé provisoire et incertain de la frontière entre la
Turquie et l\'Irak soit perpétué. En outre, le troisième alinéa de l\'ar-
ticle 3, paragraphe 2, stipule que le
statu quo sera maintenu dans
le territoire contesté, „dont le sort définitif dépendra de cette dé-
cision.quot; Ces termes sont incompréhensibles, si la „décisionquot; n\'a
pas de force obligatoire pour les parties, et que celles-ci soient libres
de l\'adopter ou de la rejeter.

L\'interprétation indiquée ci-dessus et qui veut que l\'article 3,
en effet, conduise à la détermination définitive de la frontière,
est appuyée par l\'article 16 du Traité; il y est dit que la Turquie
..renonce à tous droits sur les territoires situés au delà des frontières
prévues par le présent Traité.quot; Cet article démontre également que
le Traité pourvoit à la fixation définitive des frontières turques.

Toutes ces considérations ont amené le Gouvernement britanni-
que
à la conviction que, par l\'article 3, paragraphe 2, les parties ont
Voulu exprimer que le Conseil était obligé de donner une décision
définitive et obligatoire du différend.

Le point de vue turc est tout autre. Dès la séance du Conseil en
date du 25 septembre 1924, le représentant turc a dit que son Gou-
\'vernement ne pouvait reconnaître au Conseil d\'attributions arbi-
trales. Les considérations que la Turquie a citées en faveur de cette
Opinion furent toujours, pour la plupart, d\'ordre historique et
tirées des travaux préparatoires du Traité de Lausanne. Le Gouver-
nement turc a cru ne pas pouvoir faire usage de l\'occasion, à lui
offerte, de fournir des éclaircissements à la Cour; par conséquent,
on ne trouve dans les documents de la Cour relatifs à son avis
consultatif nulle argumentation en faveur de la manière de voir
du Gouvernement turc.

-ocr page 90-

Dans sa séance du 19 septembre 1925, le Comité du Conseil pro-
posa à ce dernier de demander l\'avis consultatif de la Cour sur la
nature de sa décision à prendre. Dans un long discours Tevfik
Kouschdy bey, le représentant turc, exposa l\'opinion de son Gou-
vernement sur ce point et aboutit à la conclusion que les deux
parties étaient finalement tombées d\'accord „pour avoir recours
aux bons offices du Conseil et non à une décision prise par lui, en
dehors d\'ellesquot; ^

Lorsque l\'avis consultatif de la Cour fut mis à l\'ordre du jour du
Conseil et que celui-ci eut à se décider s\'il adopterait ou rejetterait
l\'avis. Munir bey, le représentant de la Turquie, a défendu l\'opi-
nion turque dans la séance du Conseil du 8 décembre 1925. Selon
cette opinion les parties visaient, par l\'article 3, „un essai supplé-
mentaire d\'arrangementquot;, lorsqu\'elles convenaient de porter le
htige devant le Conseil de la Société des Nations. Le but qu\'elles
avaient devant les yeux était absolument le même qu\'ont deux
Etats, membres de la Société des Nations, au cas où ils conviendraient
de soumettre au Conseil un différend qui aurait surgi entre eux
et qu\'ils ne veulent pas soumettre à l\'arbitrage Afin de pré-
venir tout malentendu, il est juste d\'ajouter ce que Munir bey a
voulu exprimer par ces paroles. Le Gouvernement turc maintenait
son point de vue que,
en vertu de l\'article 3, paragraphe 2, du Traité
de Lausanne,
le Conseil ne pourrait rendre une décision obligatoire
sans le consentement des parties; cependant, ce Gouvernement
était disposé à assumer un engagement en dehors de cet article,
à savoir, de recourir à l\'action médiatrice et conciliatrice du Conseil
telle qu\'elle découle de l\'article 15 du Pacte®.

Pour l\'interprétation de l\'article 3 le porte-parole turc faisait
appel à la genèse de l\'article. Il alléguait en outre que c\'est le se-
cond ahnéa de l\'article 3, paragraphe 2, qui parle du Conseil et que,
si la tâche lui était imposée de donner une décision obligatoire
pour les parties, cela eût dû être mentionné dans cet alinéa. Il
n\'est pas permis de déduire de la nécessité que les frontières d\'un
Etat soient fixes, que les parties aient revêtu le Conseil du rôle
d\'arbitre. L\'argument tiré du dernier alinéa dans lequel les parties

\' Journal Officiel, octobre 1925, page 1377 et suivantes.
« Journal Officiel, février 1926, page 122.
gt; Journal Officiel, février 1926, pages 125 et 126.

-ocr page 91-

s\'obligent à maintenir le statu quo jusqu\'à ce qu\'on ait décidé du
sort définitif du territoire contesté, est censé être inefficace; on
parviendra à un accord pour le tracé de la frontière par la déci-
sion d\'un arbitre, aussi bien que par une décision des parties elles-
mêmes, ou du Conseil prise avec le consentement des parties.

Comment les parties se figuraient-elles, selon le représentant turc,
le rôle du Conseil? Un différend peut être vidé de trois manières;
d\'abord par une solution directe entre les parties en litige, ensuite
par une solution qui se réalise avec l\'aide bienveillante d\'un tiers
(médiation) et, enfin, par une solution effectuée par un tiers à qui
les parties ont conféré un pouvoir décisif. L\'article 3, paragraphe 2,
du Traité de Lausanne pourvoit aux deux premiers moyens de
Solution. D\'abord les parties feront de leur mieux pour arriver à
un accord et, le cas échéant, elles useront de l\'intervention d\'un
tiers ayant pour tâche de composer les parties à l\'amiable. Ce sont
ces deux manières-là de régler le litige que les Etats visaient, non pas
la dernière, l\'intervention décisive d\'un tiers, ce qui serait, en sub-
stance, l\'arbitrage. Il ne se peut que les parties aient désiré une
décision arbitrale, puisque le différend qui les divise, ne se prête
pas à l\'arbitrage, tandis que, en outre, le Conseil est un corps qui
u\'est pas qualifié pour la fonction d\'arbitre.

On trouve une critique sévère du point de vue britannique dans
la Consultation préparée par M. Gilbert Gidel, sur l\'invitation du
Gouvernement turc ^

Ayant critiqué la manière de voir du Gouvernement britanni-
que, M. Gidel expose quel est, de son avis, le sens de l\'article 3,
paragraphe 2, du Traité de Lausanne Lorsqu\'il fut évident que
les parties ne réussiraient pas à s\'accorder à Lausanne, elles remi-
rent à plus tard le règlement du différend. L\'article 3 détermine la
façon dont le litige sera vidé, en instituant la procédure suivante :
d\'abord des négociations directes entre les parties; si elles ne mè-
nent pas à une entente, le Conseil de la Société des Nations s\'en-
tremettra. Les attributions que le Conseil possède en vertu du Pac-
te de la Société des Nations ne sont pas celles de l\'arbitre. Pour-

Gilbert Gidel, Consultation sur l\'article j, paragraphe 2, du Traité de Lau-
sanne concernant la frontière entre la Turquie et l\'Irak,
Paris, 1925, page 5
et suivantes.

Voir sa Consultation, page 8 et suivantes.

-ocr page 92-

quoi fallait-il que la Turquie s\'engageât à porter le différend devant
le Conseil? N\'étant pas membre de la Société, elle ne serait pas tenue
à accepter une invitation que le Conseil lui adresserait, conformé-
ment à l\'article 17 du Pacte. Supposé que la Grande-Bretagne eût
prié le Conseil de s\'occuper du litige, sans qu\'une clause de la nature
de l\'alinéa 2 de l\'article 3, paragraphe 2, du Traité fût insérée
dans le Traité, il aurait été fort bien possible que la Turquie eût
refusé de soumettre, de sa part aussi, le litige au Conseil. Afin d\'évi-
ter ce risque, l\'article 3 stipule que la Turquie consentira que le liti-
ge „soit porté devant le Conseil,quot; Par conséquent, les parties ont
voulu dire par l\'alinéa 2 que le Conseil — le cas échéant — s\'occu-
perait du différend conformément aux termes de l\'article 17 du
Pacte. Elles n\'ont pas voulu attribuer au Conseil de pouvoirs spé-
ciaux, notamment ceux qui reviennent à l\'arbitre, mais elles ont voulu
assurer au Conseil l\'exercice de ses prérogatives, dans les conditions
visées par le Pacte de la Société des Nations i.

En faveur de son point de vue, M.Gidel allègue ce fait que le
Traité de Lausanne confie maintes fois au Conseil des attributions
d\'une nature autre que celles qui émanent du Pacte. Chaque fois que
le Traité fait cela, le caractère de l\'intervention du Conseil est défini et
ses attributions sont clairement précisées. Dans l\'article 3 pourtant
il n\'est pas fait mention que la tâche du Conseil soit d\'un caractère
spécial; l\'on peut en déduire que les parties ont eu devant les yeux
le Conseil tel qu\'il fonctionne selon ses prérogatives normales.

M.Gidel fmit par attirer notre attention sur les difficultés que le
Conseil rencontrerait, s\'il se décidait à exercer la fonction d\'arbitre.
Le différend dont il s\'agit n\'est pas de ceux qui se prêtent parti-
culièrement à l\'arbitrage: les différends qui concernent la déter-
mination d\'une frontière ne sont pas nommés, par l\'article 13 du
Pacte, parmi ceux qui sont „susceptibles d\'une solution arbitrale
ou judiciairequot;. L\'article 36 du Statut de la Cour Permanente de
Justice Internationale — peut-on ajouter — ne les nomme pas non

\' Nous soulignons que cette interprétation de l\'article 3 n\'est pas celle qui
a été émise par le Gouvernement turc; quoique celui-ci ait prié M. Gidel
de s\'occuper de l\'interprétation de l\'article 3 et ait fait distribuer sa „Con-
sultationquot;, il ne partage pas l\'opinion de M. Gidel, mais est d\'avis que la
déclaration de volonté du Conseil n\'aura pas d\'effet juridique avant que les
parties ne l\'aient acceptée. (Voir page 78.)

-ocr page 93-

plus comme des différends en vue desquels les Etats peuvent re-
connaître la juridiction de la Cour comme obligatoire. Le Conseil,
se trouvant en présence d\'un compromis incomplet, aurait à se de-
mander en premier lieu quelle serait la base de la décision arbitrale
à. rendre. Statuera-t-il sur la base du droit strict ou bien les parties
ont-elles eu l\'intention de lui accorder des pouvoirs d\'amiable com-
position? Bref, M. Gidel se déclare incapable de trancher la ques-
tion de savoir comment le Conseil pourra s\'acquitter de la tâche de
résoudre le litige en donnant une décision arbitrale.

Nous pouvons être bref en parlant de l\'opinion que la Cour a
déposée dans son avis consultatif. Elle est partisan de la thèse
britannique. Les considérations qui l\'ont amenée à conclure que
l\'article 3 du Traité de Lausanne charge le Conseil de vider le dif-
férend par une décision définitive et obligatoire, sont les mêmes que
celles que le Gouvernement britannique avait exposées dans son
Mémoire adressé à la Cour; elles se trouvent aussi dans le plaidoyer
prononcé par Sir Douglas Hogg.

La Cour a eu pour point de départ ^ l\'intention des parties
d\'établir, par l\'article 3 du Traité, un tracé définitif de la frontière.
On peut déduire cette intention des termes employés dans l\'article
(fixer, déterminer, définir). Si, en effet, l\'article 3 conduit à une
détermination définitive de la ligne frontière dans toute son éten-
due, la tâche du Conseil consiste nécessairement à rendre une dé-
cision obligatoire. Cette conclusion est confirmée par le dernier
ahnéa de l\'article 3 ; le sort définitif des territoires en htige dépendra
de la décision nommée dans cet ahnéa. Cette décision peut donc être
seulement „une décision qui détermine la frontière entre la Turquie
et l\'Irak d\'une façon définitive et qui lie les deux Etatsquot; L\'article
16 du Traité de Lausanne corrobore cette manière de voir en par-
lant de „frontières prévues par le présent Traité.quot; Ici encore est
exprimé le désir des parties que les frontières de la Turquie soient
déterminées définitivement par l\'application du Traité.

Les difficultés qui surgissent quand on tâche de résoudre la
question de savoir si c\'est le point de vue de la Cour ou bien celui

\' Voir page 19 et suivantes de l\'avis consultatif no. 12.
\' Page 21 de l\'avis.

-ocr page 94-

de la Turquie qui est fondé, augmentent lorsqu\'on tient compte
du fait qu\'il n\'y a pas d\'unanimité parmi les auteurs qui prennent
pour tâche d\'interpréter l\'avis de la Cour. M. Le Fur fait mention
d\'une divergence d\'opinions sur ce point \\

D\'après certains auteurs, la Cour joint les pouvoirs du média-
teur à ceux de l\'arbitre; le Conseil est libre de donner n\'importe
quelle solution du différend, pourvu que cette solution soit équi-
table et juste; mais elle n\'a pas besoin d\'être acceptée par les
parties, une fois la décision rendue; elle leur est imposée en vertu
de leur volonté commune de revêtir le Conseil de la faculté de don-
ner une solution obligatoire.

D\'après les autres, l\'intervention du Conseil se divise en deux
étapes; il agit d\'abord en qualité de médiateur: il propose aux Etats
Utigants une solution équitable et essaie de composer leurs vues con-
tradictoires en les amenant à des concessions réciproques; les pro-
positions transactionnelles qu\'il fait n\'ont que le caractère d\'un
bon conseil et ont besoin d\'être acceptées par les parties, avant
qu\'elles puissent avoir une force obligatoire. Si le Conseil n\'abou-
tit pas de cette façon à un accord des parties à l\'amiable, la nature
de son intervention — et c\'est là la deuxième étape de son action —
change tout à fait. Il est alors pourvu des attributions de l\'arbitre,
qui tranche le litige définitivement et obligatoirement: il met fin
au différend par une décision „rendue conformément au droitquot; 2.

» L. Le Fur, L\'Affaire de Mossoul, dans la Revue générale de droit interna-
tional public,
1926, page 88 et suivantes, surtout page 93.
» C\'est ce que dit M. Le Fur dans l\'ouvrage cité, à la page 93. On a besoin
ici d\'une note explicative, afin de prévenir tout malentendu. Il nous semble
que M. Le Fur n\'emploie pas le terme „droitquot; dans sa signification usuelle.
A la page 92 de son article, l\'auteur établit une comparaison entre les occu-
pations du médiateur et celles de l\'arbitre. Il décrit la tâche de l\'arbitre com-
me suit: Si le juge ou arbitre se trouve en présence d\'une règle de droit po-
sitif, provenant d\'un traité ou de la coutume internationale reconnue par
les Etats en litige comme étant du droit, il est obligé de mettre cette règle
à la base de sa décision. „N\'existe-t-il ni texte ni coutume reconnue, le juge
recouvre sa liberté; il statue toujours en droits, — en droit naturel ou ration-
nel puisqu\'il n\'existe pas de droit positif par hypothèse; c\'est-à-dire qu\'il
prend la décision commandée par ce sentiment du juste qui est naturel
et comme instinctif chez l\'homme et qui constitue chez lui une sorte de
sens spirituel.quot; Nous sommes d\'avis que cette large manière de concevoir
l\'idée de „statuer en droitsquot; excède la notion usuelle. Nous dtoyons que.

-ocr page 95-

L\'opinion de la seconde série d\'auteurs nous semble être exacte,
toute réserve faite pourtant quant à la base de la décision. Nous
croyons pouvoir interpréter l\'avis de la Cour de la façon suivante:
La décision du Conseil ne sera pas une recommandation proprement
dite, en vertu de l\'article 15 du Pacte, mais une sentence arbitrale,
en tant qu\'elle lie les parties et termine définitivement le litige.
Mais, de l\'avis de la Cour, le Conseil a une vocation de plus: „Les
parties n\'ont sans doute pas perdu de vue l\'action médiatrice et
conciliatrice qui est une partie essentielle des attributions du Con-
seil. Si cette action échoue, le Conseil use de son pouvoir de dé-
cisionquot;

En d\'autres termes, le Conseil commencera par fonctionner
comme médiateur et, si son action comme tel n\'aboutit pas à une
entente des parties, il fera usage du pouvoir qu\'il a pour trancher
le différend. Quant à la décision, on peut dire que, à un point de
formel, les parties ont conféré au Conseil la compétence qui lui

quand les parties prient l\'arbitre de donner une décision basée sur le droit,
elles ne veulent pas dire du tout par cela que l\'arbitre soit Ubre de partir
du „droit naturel ou rationnelquot;, s\'il ne réussit pas à trouver une règle de
droit positif qui lui serve de guide en réglant le différend. Si une telle règle
fait défaut, il préférera ne pas prononcer un jugement.
A en juger d\'après son avis consultatif concernant le différend de Mossoul
la Cour ne partage pas l\'opinion de M. Le Fur sur la base de la sentence
arbitrale. Elle dit à la page 26 que par l\'article 3, paragraphe 2, du Traité
de Lausanne les parties n\'ont pas envisagé le règlement du litige sur la base
du respect du droit. Les considérations dont ce règlement dépendra ne seront
pas d\'ordre juridique. Le Conseil doit chercher par conséquent la solution du
différend en dehors du droit. Dans l\'ordre d\'idées de M. Le Fur, cela veut
dire que le Conseil non seulement ne pourra pas juger selon le droit positif
(traité ou coutume), mais qu\'il devra même mettre de côté toute considéra-
tion émanant du „sentiment du juste qui est naturel et comme instinctif
chez l\'homme.quot; En interprétant l\'opinion de la Cour de cette façon-là, nous
ne sommes pas capable de comprendre quelle sera la base de la décision du
Conseil. A notre sens, le Conseil devra chercher une solution juste et équi-
table, sans s\'inquiéter de considérations empruntées au droit strict. Notam-
ment, il n\'aura pas à rechercher à laquelle des deux parties appartient, selon
le droit positif, la souveraineté du territoire contesté ; il devra plutôt s\'inspi-
rer des principes d\'opportunité qui font équitable et juste que le territoire
soit attribué à l\'une ou à l\'autre des parties, ou qu\'il soit partagé entre
elles. Dans ce dernier cas le Conseil, de l\'avis de la Cour, ne jugera point
en droit.

\' Page 28 de l\'avis.

-ocr page 96-

est attribuée par le Pacte, mais les effets matériels sont tout autres
que ceux d\'une recommandation en vertu de l\'article 15 du Pacte.
Les parties contractantes ont ajouté à la recommandation un élé-
ment étranger au Pacte, élément qui rend les effets juridiques plus
efficaces que ceux qui sont définis par le Pacte. La défense faite
par le Pacte aux parties de faire la guerre contre celle des deux qui
se conformera à la recommandation du Conseil, est remplacée par
l\'obligation des parties de considérer l\'expression de sa volonté
comme obligatoire et décisive, en d\'autres termes, c\'est par elle
que le différend sera vidé.

C\'est dans le sens que nous venons d\'indiquer que nous com-
prenons l\'avis de la Cour: Le Conseil fonctionnera d\'abord comme
médiateur et ensuite, le cas échéant, comme arbitre. Lui-même a
interprété l\'avis de la même façon. Dans la séance du Conseil en
date du 8 décembre 1925, M. Undén, rapporteur, a dit dans sa dé-
claration que le Conseil ne doit exercer son pouvoir de prendre une
décision que lorsque son action conciliatrice aura échoué.

Après ces remarques préalables, nous allons nous occuper de
la manière de voir de la Cour concernant la nature de la décision
à prendre par le Conseil. L\'interprétation donnée par la Cour de
l\'article 3, paragraphe 2, du Traité de Lausanne a soulevé de
vives critiques

Après tout, la Cour n\'a soutenu sa conclusion que d\'un seul
argument: la nature des frontières exige qu\'elles soient une dé-
hmitation précise. Elle déduit de ce principe que la clause de
traité ayant pour but de fixer une frontière, doit être interpré-
tée „de telle sorte que, par son application intégrale, une fron-
tière précise, complète et définitive soit obtenuequot; 2. Cela est sans
doute un argument d\'une grande importance, mais il y a lieu de

1 Voir l\'étude de M. J - H-W-Verzijl sur la jurisprudence de la Cour dans
Zeitschrift für Völkerrecht, 1926, page 539; \'Ü.Vf .\'Briggs, L\'avis consultatif
de la Cour Permanente de Justice Internationale dans l\'affaire de Mossoul,
dans la Revue de droit international et de législation comparée, 1927, page
626. Voir aussi une critique dans la
Rivista di diritto internazionale, 1926,
page 497, et la
Consultation de M. Gilbert Gidel (page 5 et suivantes) qui
combat la thèse britannique que la Cour, quant à la première question tout
au moins, a fait sienne.
\' Page 20 de l\'avis de la Cour.

-ocr page 97-

se demander si la Cour, par cette interprétation, n\'a pas attribué
a la clause un sens qui excède sa signification objective. Une déci-
sion obligatoire n\'est pas le seul moyen de satisfaire le désir des par-
ties, moyen que la Cour déduit de l\'article 3 ; elles trouvent néces-
saire de résoudre le point controversé par le moyen de la procédure
décrite dans cet article. On peut parvenir au même but soit par des
négociations directes entre les Etats intéressés, soit par les propo-
sitions d\'un médiateur, que les parties rendent obligatoires par leur
consentement.

Il serait mal à propos d\'opposer à ce qui précède que ces deux
moyens propres à parvenir à une solution du différend n\'amène-
ront pas nécessairement à une décision obligatoire. Certes, la
possibilité n\'est pas exclue que les pourparlers n\'aient pas pour
effet une entente à l\'amiable, ou bien que l\'accord des parties
reste une illusion, par suite de leur refus d\'accepter la solution
proposée par le Conseil. Dans ces cas, la procédure suivie ne con-
duirait pas au but visé, savoir: exclure la possibilité que le diffé-
rend restât indécis plus longtemps encore.

Le même danger existe, toutefois, quand on applique l\'inter-
prétation donnée par la Cour. Arrivée à la conclusion que les parties
attendaient de la part du Conseil une décision arbitrale dans
l\'acception large du mot, la Cour répondait, à la deuxième ques-
tion que le Conseil lui avait soumise, qu\'il convenait que la déci-
sion du différend fût prise à l\'unanimité, les voix des représentants
des parties ne comptant pas dans le calcul de cette unanimité.
Que le Conseil ne fût pas en mesure d\'arriver à une décision obliga-
toire pour les Etats litigants, serait imputable à la règle de l\'una-
nimité restreinte, applicable selon l\'avis de la Cour. La possibilité
n\'est pas exclue que l\'unanimité des voix soit irréalisable

La Cour était partie du principe que les parties, coûte que coûte,
Voulaient terminer leur différend. Pourquoi la Cour n\'a-t-elle pas
déduit de ce principe que le Conseil était libre de prendre une dé-
cision à la majorité des voix? Dans ce cas elle fût restée fidèle à son
point de vue: le Traité contient le désir des parties d\'aboutir à tout
prix à la détermination de la frontière. La Cour a appliqué ce prin-

^ Munir bey dans la séance du Conseil du 8 décembre 1925 {Journal Officiel,
février 1926. page 126).

-ocr page 98-

cipe, il est vrai, en résolvant la question principale (arbitrage ou
médiation), mais elle y est devenue infidèle en résolvant la question
secondaire, savoir, si la décision serait prise à l\'unanimité ou à la
majorité des voix. Ainsi la fixation définitive de la frontière dépen-
dait du problème: le Conseil arrivera-t-il à une résolution prise à
l\'unanimité? Si la Cour avait voulu écarter la possibilité que la
procédure de l\'article 3 du Traité de Lausanne n\'amenât pas le
règlement définitif du différend, l\'application conséquente de son
point de départ aurait dû l\'amener à cette conclusion : une décision
du Conseil prise à la majorité des voix sera obligatoire pour les
parties.

En résolvant au contraire la deuxième question, savoir si une
décision requérait l\'unanimité des voix ou la simple majorité,
la Cour est partie d\'un autre point de départ, notamment le prin-
cipe que les parties, en rédigeant l\'article 3, paragraphe 2, du Traité
de Lausanne, avaient eu devant les yeux le Conseil de la Société
des Nations „tel qu\'il est organisé et tel qu\'il fonctionne conformé-
ment au Pactequot; Pourquoi les parties ont-elles fait appel au Conseil
fonctionnant suivant la procédure normale, lorsqu\'il s\'agissait de
la manière dont le Conseil arriverait à une résolution? Mais pour-
quoi ont-elles perdu de vue ce principe, quand elles envisageaient
les effets juridiques de cette résolution du Conseil? Une application
conséquente du principe, point de départ pour la solution de la deu-
xième question, aurait dû amener la Cour à une tout autre conclu-
sion que celle à laqueUe elle est arrivée, si ce principe avait été la
base de la solution de la première question, concernant la nature
de la décision du Conseil.

Un autre inconvénient de l\'argumentation de la Cour est qu\'elle
considère les termes du deuxième aUnéa de l\'article 3, paragraphe 2,
en rapport avec ceux du troisième alinéa. Il est parlé dans ce dernier
alinéa de „la décision à prendre au sujet de la frontièrequot;, sans que
l\'action du Conseil y soit nommée. De même que le Conseil dans
sa requête pour avis consultatif, la Cour interprète ces mots comme
s\'il y avait: „la décision à prendre par le Conseil.quot; Mais le troisième
alinéa ne dit pas formellement que c\'est du Conseil que cette déci-
sion doive émaner, La tendance de cet alinéa se comprend facile-

\' Page 29 de l\'avis.

-ocr page 99-

ment aussi quand on ne lie pas l\'intervention du Conseil à la déci-
sion à prendre au sujet de la frontière. Il a pour seul but de mainte-
nir le repos dans la zone frontière; nulle des deux parties n\'appor-
tera un changement dans le
statu quo et toutes deux s\'engagent à
s\'abstenir de mouvements militaires capables de troubler l\'état provi-
soire des territoires limitrophes. On observera cet engagement jusqu\'à
ce qu\'une décision soit prise sur le sort définitif de ces territoires.

Par conséquent, le contenu du dernier alinéa est parfaitement
clair aussi quand on suppose que la décision visée soit prise par les
parties à l\'amiable et ne soit pas due à l\'intervention décisive d\'un
tiers. En outre, le deuxième alinéa, la seule clause qui parle du Con-
seil, ne définit pas la nature de son action. Il y est dit seulement que
..le litige sera porté devant le Conseil.quot; Il y a lieu de remarquer
que les mots „porter devant le Conseilquot; sont exactement les mêmes
termes que ceux qu\'on trouve dans le premier ahnéa de l\'article 15
du Pacte, article qui a trait à l\'action du Conseil en matière de diffé-
rends internationaux ayant des effets juridiques précisés claire-
ment par cet article.

Si les parties avaient voulu faire ressortir qu\'elles attendaient de
la part du Conseil une sentence obligatoire, elles auraient pu facile-
ment atteindre ce but, soit en stipulant dans le deuxième ahnéa de
l\'article 3, paragraphe 2, que, à la différence de l\'article 15 du Pacte,
le litige serait définitivement vidé par le Conseil, soit en parlant
dans le troisième ahnéa de „la décision à prendre par le Conseilquot;.

On a dit ^ qu\'il serait juste et raisonnable envers la Turquie
d\'interpréter l\'article 3 du Traité de Lausanne de façon qu\'il exige
une solution décisive et obligatoire du différend. En vertu de l\'ahnéa
3 du deuxième paragraphe de cet article concernant le maintien du
statu quo, la Grande-Bretagne qui était en possession du territoire
contesté, pouvait maintenir sa domination jusqu\'à ce qu\'une dé-
cision définitive fût prise sur le sort du territoire en litige. Supposé
que les parties n\'eussent visé que l\'action médiatrice du Conseil, la
Grande-Bretagne aurait pu s\'opposer à toute proposition de conci-
hation faite par le Conseil, et garder le territoire sans être menacée
d\'une décision qui pût l\'obliger à restituer le territoire à la Turquie.

^ M. de la Grotte, La Cour Permanente de Justice Internationale en 1925,
dans la Revue de droit international et de législation comparée, 1926, page 340.

-ocr page 100-

Par conséquent, la solution obligatoire du Conseil serait pour la
Turquie la seule possibilité d\'obtenir un changement du
statu quo
garanti par le Traité de Lausanne.

Mais, d\'un autre côté, il ne faut pas oubHer que, de toute vrai-
semblance, ce n\'est pas un pur hasard que la Turquie ait refusé ob-
stinément de soumettre le différend à la décision obligatoire du
Conseil. Elle s\'en défiait sans doute et redoutait l\'influence de la
Grande-Bretagne, dans un corps diplomatique où cet Etat occupe
un siège permanent. C\'est pour cette raison que la Turquie craignait
que la décision du Conseil ne se fît pas à son avantage. Si elle avait
de bonnes raisons pour attendre une décision qui lui fût défavorable,
on comprend qu\'elle ait persisté dans son refus de mettre aux mains
du Conseil le sort du vilayet de Mossoul. Le mieux était d\'éviter
une décision défavorable et obhgatoire et de laisser indécis le sort
futur de Mossoul. C\'est ainsi qu\'il lui serait possible d\'entamer de
nouvelles négociations avec la Grande-Bretagne, lesquelles amè-
neraient peut-être la restitution du territoire contesté.

On peut se demander d\'ailleurs si la Turquie aurait eu à se plain-
dre moins, si le Conseil avait donné une recommandation en vertu
de l\'article 15 du Pacte S au lieu d\'une décision obligatoire. Si,
en effet, la crainte de la Turquie était fondée que l\'issue de l\'inter-
vention du Conseil ne lui fût défavorable, elle était en droit de se
douter que non seulement la décision arbitrale, mais la recomman-
dation aussi serait à son désavantage. Quel serait, selon l\'article 15
du Pacte, l\'effet juridique d\'une recommandation désavantageuse
pour elle? Nul autre que l\'obligation de ne pas recourir à la guerre
contre la Grande-Bretagne, dans le cas où celle-ci se conforme-
rait aux conclusions du rapport, si ce rapport fût voté à l\'una-
nimité par les Membres du Conseil, abstraction faite des voix des
représentants des parties en litige. Mais étant donné que la Grande-
Bretagne était en possession du territoire contesté et qu\'elle se con-
formerait tout naturellement aux conclusions du rapport supposées
favorables à son point de vue, il s\'ensuit que la Turquie n\'eût pu
faire autre chose que d\'accepter comme la solution juridique défini-
tive la situation de fait, c\'est-à-dire, de renoncer à jamais au vilayet

\' C\'est — comme nous l\'avons vu — l\'interprétation que M. Gidel donne à
l\'article 3 (voir page 79).

-ocr page 101-

de Mossoul. Dans le cas où la Turquie ne se conformerait pas aux
conclusions du rapport unanime émis par le Conseil, elle serait me-
nacée d\'une guerre de la part de la Grande-Bretagne. — Si le rapport
du Conseil n\'était pas adopté à l\'unanimité, les deux Etats recouvre-
raient toute leur liberté d\'action; la Grande-Bretagne resterait
possesseur du territoire et la Turquie pourrait lui faire la guerre, si
elle le jugeait „nécessaire pour le maintien du droit et de la jus-
ticequot; (article 15, alinéa 7 du Pacte).

Conune on le voit, ça devait être bien égal à la Turquie, que le
Conseil vidât le différend obligatoirement et définitivement, ou
bien que son action se bornât à une recommandation émise confor-
mément à l\'article 15 du Pacte.

Quoi qu\'il en soit, il est fort difficile, sur la base du texte de l\'ar-
ticle 3, de faire un choix entre le point de vue de la Turquie celui
de M. Gidel quot; et celui de la Cour.

Ce qu\'il y a d\'attrayant dans la manière de voir de la Cour, c\'est
qu\'elle amène le différend à une solution définitive, en attribuant au
Conseil la faculté de prononcer une décision qui lie les parties. En
effet, la première phrase de l\'article 3 du Traité appuie cette inter-
prétation. C\'est à bon droit qu\'on s\'attend à y trouver de quelle
façon la frontière de la Turquie sera déterminée. Les mots: „La fron-
tière est fixée comme il suit,quot; justifient cette attente. En tant que
l\'article 3 ne trace pas la hgne qui sera la frontière future, il déter-
mine la procédure par laquelle cette ligne sera fixée.

En outre, l\'interprétation dormée par la Cour à l\'article 3 tient
compte des différents alinéas dans leur rapport réciproque. Contrai-
rement au point de vue de la Turquie, elle ne considère pas sé-
parément le deuxième et le troisième alinéa du paragraphe 2°, mais
cherche la tendance de l\'un et de l\'autre en mettant un rapport lo-
gique entre eux. Voilà un avantage de la manière de voir de la
Cour: celui qui s\'occupe d\'interpréter un article de traité ne con-
sidérera pas chaque clause en elle-même, mais „doit tenir compte
de la loi dans son ensemble.quot;

^ Voir page 78.
\' Voir page 79.

\' G. Salvioli, La jurisprudence de la Cour Permanente de Justice Internationale,
Paris, 1927, la deuxième note de la page 59. Cet auteur partage l\'interpréta-
tion donnée par la Cour.

-ocr page 102-

Quand on considère qu\'en vertu de la première phrase de l\'ar-
ticle 3 on est en droit de s\'attendre à trouver de quelle façon la
frontière de la Turquie sera déterminée, que le deuxième alinéa
du paragraphe 2° admet l\'entremise du Conseil et que le troisième
alinéa mentionne une décision dont le sort du territoire contesté
dépendra, la conclusion se fait toute seule qu\'il faut lire ces deux
dernières clauses l\'une en rapport avec l\'autre et les expliquer ainsi
qu\'elles envisagent la détermination définitive de la ligne frontière,
faute d\'un accord à l\'amiable, par la décision obligatoire du Conseil.

Il y a pourtant, comme nous l\'avons déjà expliqué, de graves
inconvénients à opposer à l\'interprétation que la Cour a donnée
aux termes de l\'article 3, paragraphe 2, du Traité. Laquelle des
opinions est préférable, celle de la Cour ou celle de la Turquie?
Ou bien la manière de voir de M.Gidel, qui pense que l\'article 15
du Pacte est applicable, l\'emportera-t-elle ? Il faut avouer qu\'il nous
est impossible de choisir entre ces trois opinions car il nous
semble que nulle de ces trois interprétations n\'est contradictoire à
la teneur de l\'article.

Comme nous nous trouvons en présence d\'une clause de traité
susceptible, de notre avis, de plus d\'une interprétation et, par
conséquent, peu claire, il y a heu de rechercher, dans les travaux
préparatoires du Traité de Lausanne, quelle a été l\'intention des
parties, lorsqu\'elles ont signé le Traité où la clause actuelle a été
inserée.

b) Travaux préparatoires

La Conférence de Lausanne s\'ouvrait le 20 novembre 1922. Une
des questions à résoudre fut celle qui concernait la frontière sep-
tentrionale de l\'Irak, en d\'autres termes, la question de savoir si
le vilayet de Mossoul, qui se trouvait en ce temps-là sous la domi-
nation effective de la Grande-Bretagne, serait restitué à la Turquie,
ou si ce territoire ferait définitivement partie du Royaume d\'Irak,
Etat récemment né et placé sous le mandat de la Grande-Bretagne,
ou bien si les deux Etats intéressés le partageraient entre eux.

Lord Curzon, premier délégué britannique de la Conférence,

1 Dans le même sens parle M. de la Grotte, dans La Cour Permanente de
Justice Internationale en iç2s,
dans la Revue de droit international et de légis-
lation comparée,
1926, page 340.

-ocr page 103-

déclarait, lors de la séance plénière de la Commission des questions
territoriales et militaires en date du 23 janvier 1923, qu\'il y aurait
à fixer „la frontière entre la Syrie et l\'Irak, d\'une part, et la Turquie,
d\'autre part.quot; ^ Ce point fut mis à l\'ordre du jour de la Commission
en vertu du fait qu\'un échange de vues privé entre Lord Curzon et
Ismet Pacha, président de la délégation turque, ayant eu lieu tant
oralement que par écrit, n\'avait pas eu de résultats Dans la même
séance de la Commission du 23 janvier 1923 Ismet Pacha et Lord
Curzon exposèrent le point de vue de leurs Gouvernements res-
pectifs, quant au sort futur du vilayet de Mossoul. Un accord
étant irréalisable. Lord Curzon proposa „le renvoi de l\'affaire,
pour enquête et décision, à un organe indépendantquot; et déclara
que le Gouvernement britannique s\'inclinerait devant la sentence.
Il estima que cet organe serait la Société des Nations, étant „le
tribunal le plus impartial et le plus autorisé qui puisse procéder à
un tel examen.quot;

Dans l\'après-midi du même jour (le 23 janvier 1923) Ismet Pacha
répondit à la proposition britannique en disant qu\' „il ne serait
pas juste de soumettre à l\'arbitrage de la Société des Nations une
question territoriale d\'une importance telle que celle de Mossoul.quot;
Il ajouta à ces paroles que „la délégation du Gouvernement de la

^ Nous citons de l\'ouvrage intitulé : Conférence de Lausanne sur les affaires du
Proche-Orient {iç22—1923). Recueil des Actes de la Conférence.
(Paris, Impri-
merie Nationale, 1923). Voir pour le texte anglais:
Turkey No. i {1923).
Lausanne Conference on Near Eastern Affairs, 1922—1923, Records of Pro-
ceedings and Draft Terms of Peace.
(His Majesty\'s Stationery Office, Londres,
1923, Cmd. 1814). Cette publication est connue sous le nom de „Livre bleuquot;.
Le Gouvernement turc a publié en 1925 un „Livre rougequot; intitulé
La ques-
tion de Mossoul de la signature du Traité d\'armistice de Moudros {30 octobre
1918) au ler mars 1925.quot;
Les comptes-rendus des séances privées tenues par
les chefs des délégations ne sont pas accessibles au public.
Vu que le Recueil des actes de la Conférence est assez difficile à consulter et
que des extraits de ces actes ont été insérés dans les
Documents relatifs à l\'avis
consultatif no. 12 {Publications de la Cour, Série C,
no. 10), nous nous propo-
sons de renvoyer le lecteur non seulement au
Recueil des actes de la Confé-
rence,
mais aussi auxdits Documents. Ce sont ces documents-là que nous
avons en vue en renvoyant aux
Documents de la Cour.
* Voir pour la séance du 23 janvier 1923, le Recueil des actes de la Conférence,
première série, tome I, pages 279—305 {Documents de la Cour, pages 139
— 148).

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Grande Assemblée ne saurait faire dépendre d\'un arbitrage- le
sort d\'une grande contrée telle que le vilayet de Mossoulquot;.

Lord Curzon répondit immédiatement à ce refus turc d\'accepter
sa proposition et décrivit la manière dont la Société des Nations
eût traité l\'affaire, si la Turquie avait pu se rallier à sa proposition,
soulignant que, pendant toute la procédure devant le Conseil, la
Turquie aurait été traitée sur un pied de parfaite égalité avec la
Grande-Bretagne. Dans son exposé il y a un passage qui a été
mterprété d\'une façon différente par les deux parties. Nous y
reviendrons plus tard i. Au cas où la délégation turque persis-
terait dans son refus. Lord Curzon — comme il disait — serait
obligé, au nom de son Gouvernement, „d\'agir de façon indépen-
dante.quot; Il voulait ainsi attirer l\'attention du Conseil, conformé-
ment à l\'article 11 du Pacte, sur le fait qu\'une situation était née,
de nature à troubler la paix internationale.

Ismet Pacha répéta qu\'il „ne pouvait se raUier à la propo-
sition de remettre à l\'arbitrage la solution de l\'affaire de Mossoul.quot;
Puis, Lord Curzon déclara qu\'il allait entreprendre sans délai
l\'action qu\'il avait indiquée précédemment.

Deux jours plus tard — le 25 janvier 1923 — Lord Curzon ex-
pédia une lettre au Secrétaire général de la Société des Nations
dans laquelle il faisait usage du droit conféré, par l\'article 11 du Pacte
à tout Membre de la Société d\'appeler l\'attention du Conseil sur
une situation internationale, de nature à menacer de troubler la
paix. Il pria le Secrétaire général d\'inscrire à l\'ordre du jour du
Conseil la question de la frontière entre la Turquie et l\'Irak 2.

Le Conseil s\'occupa del\'affaire lors de sa séance du 30 janvier 1923,
pendant laquelle Lord Balfour, le représentant britannique, fit une
déclaration 3, concernant la proposition de Lord Curzon rejetée à
Lausanne par les représentants de la Turquie. Cette proposition
avait pour but de demander à la Société des Nations d\'employer
ses bons offices pour une détermination de la frontière de l\'Irak.
Lord Balfour disait regretter que cette proposition eût été rejetée
et il exprimait l\'espoir que les délégués turcs l\'accepteraient ulté-
rieurement, lorsqu\'elle serait „formellement et définitivement pré-

\' Voir ci-après page 96.
» Journal Officiel,tmaxs 1923, page 249.
• Journal Officiel, mars 1923, pages 201 et 202.

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sentée à la Conférence de Lausanne.quot; Si un deuxième refus présen-
tait un danger pour la paix mondiale, le Gouvernement britannique
demanderait l\'entremise du Conseil ; alors l\'article 17 du Pacte „serait
certainement un des articles invoqués au cas où se produirait l\'éven-
tualité envisagée.quot;

Dans la séance de la Commission des questions territoriales et
militaires de la Conférence de Lausanne en date du 31 janvier
1923, Lord Curzon se contenta de faire connaître que „le règlement
du différend avait été soumis par le Gouvernement britannique à
l\'examen et à la décision du Conseil de la Société des Nationsquot;

Le 29 janvier 1923 les Puissances alliées avaient fait parvenir à
la délégation turque un projet de traité dont l\'article 3 stipulait
que la frontière entre la Turquie et l\'Irak serait une ligne à déter-
miner par le Conseil de la Société des Nations. Ce projet fut mis
à l\'ordre du jour de la séance de la Commission du 31 janvier 1923.
La délégation turque demanda lors de cette séance, un délai de
huit jours, afin de pouvoir examiner le projet et formuler ses ob-
servations détaillées. Lord Curzon déclara qu\'il resterait à Lausanne
jusqu\'au 4 février, ne pouvant retarder son départ plus longtemps.
Dans ces conditions l\'expiration du délai accordé à la délégation
turque fut fixée au 4 février.

A la date convenue, la délégation turque fit parvenir aux prési-
dents des délégations britannique, française et italienne un exposé
de ses conclusions relatives au projet de traité. Quant à la question
de Mossoul elle proposa, afin d\'empêcher que cette question ne
mît un obstacle à la conclusion de la paix, de l\'exclure du pro-
gramme de la Conférence et de la faire résoudre à l\'amiable entre
la Turquie et la Grande-Bretagne

Lors de la séance privée du 4 février. Lord Curzon répondait
à cette proposition de la Turquie qu\'il lui était impossible de mo-
difier le texte du projet de traité relatif à Mossoul, vu que la Société
des Nations avait pris connaissance de l\'affaire. Néanmoins, le

^ Recueil des actes de la Conférence, première série, tome I, page 336 [Docu-
ments de la Cour,
page 149).

\' Recueil des actes de la Conférence, première série, tome I, pages 344—346
[Documents de la Cour, pages 149—152).

® Recueil des actes de la Conférence, première série, tome IV, page 15 [Docu-
*nents de la Cour,
page 153).

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premier délégué britannique se déclara disposé à suspendre pour la
durée de douze mois l\'effet de l\'appel qu\'il avait fait à la Société.
Le règlement du différend pourrait s\'effectuer dans ce cas par la
voie d\'un accord entre les parties intéressées. „Si, cependant, les
deux Gouvernements n\'aboutissaient pas à une entente directe, il
serait fait recours à l\'intervention de la Société de la manière pri
mitivement proposéequot;

L\'avis consultatif de la Cour nous informe ^ qu\'Ismet Pacha
a déclaré „accepter les propositions de Lord Curzon concernant
Mossoul,quot; Ces propositions sont formulées dans un projet de décla-
ration dans lequel le Gouvernement britannique fait preuve de
son intention de prier le Conseil de la Société des Nations de ne
pas procéder à la détermination de la frontière, avant l\'expiration
d\'un délai de douze mois à compter de la mise en vigueur du Traité
de Lausanne. Mais le Gouvernement britannique n\'est prêt à sus-
pendre l\'appel qu\'il avait fait au Conseil, que si les deux Etats in-
téressés s\'engagent à maintenir, pendant une année, l\'état actuel des
territoires en question

Le 4 février 1923, on n\'avait pu aboutir à un accord sur les pro-
positions des Puissances alliées contenues dans le projet de traité;
la Conférence de Lausanne fut interrompue.

Lorsque, le 23 avril de la même année, la Conférence fut continuée,
on reprit les pourparlers sur la base d\'une lettre d\'Ismet Pacha
en date du 8 mars et adressée aux Puissances aUiées il y donnait
un exposé des contre-propositions turques et y avait inséré les modi-
fications que la Turquie désirait dans le projet de traité de paix
que les Puissances alliées lui avaient soumis le 29 janvier 1923.
Cette lettre répétait la proposition que la Turquie avait déjà faite
immédiatement avant la rupture des négociations, et qui tendait
à éhminer de l\'ordre du jour de la Conférence la question de Mos-
soul, afin qu\'elle fût réglée à l\'amiable entre la Grande-Bretagne et
la Turquie. En outre, Ismet Pacha déclara que „les questions ter-

■ Page 13 de l\'avis de la Cour.
\' Page 13 de l\'avis.

•nbsp;Recueil des actes de la Conférence, première série, tome IV, page 21 (Docu-
ments de la Cour,
page 154).

•nbsp;Recueil des actes de la Conférence, première série, tome IV, page 26 et sui-
vantes
(Documents de la Cour, pages 155—157).

-ocr page 107-

ntoriales étaient réglées conformément aux propositions des Puis-
sances alliées.quot; Malgré cette déclaration d\'Ismet Pacha, l\'article
3gt; tel qu\'il avait été proposé par les Puissances alhées, avait subi une
modification rédactionnelle d\'une grande importance: la Turquie
désirait cet article formuler ainsi que, faute d\'un accord à l\'amiable,
..le litige serait porté devant le Conseil de la Société des Nations.quot;
Nous reviendrons plus tard sur cette modification

Le 24 avril, le lendemain de la reprise des négociations, Sir Horace
Rumbold, dans la séance du premier comité, déclara que le Gouver-
nement britannique était disposé à accepter l\'amendement fait
à l\'article 3 et proposé par la délégation turque, à deux conditions,
primo que, dans cet amendement, il serait introduit une clause sti-
pulant que le statu quo serait observé dans le territoire contesté,
pendant la période réservée aux tentatives de règlement à l\'amiable,
secundo que l\'orateur serait libre de discuter avec Ismet Pacha la
durée du délai destiné aux négociations directes des parties

Dès ce moment, la question de la rédaction de l\'article 3 du Traité
n\'est plus discutée par le Comité. Elle serait réglée dans des séan-
ces privées et dans des négociations particulières entre les délégués
de la Turquie et de la Grande-Bretagne. Celui qui s\'attendrait à un
exposé minutieux des débats aurait tort; les procès-verbaux des
séances du premier Comité ne font mention que du fait que Sir
Horace Rumbold informe le Comité de temps à autre que les
négociations engagées au sujet de l\'article 3 ne sont pas encore ter-
minées.

Enfin, le 26 juin 1923, dans la séance du Comité, Sir Horace Rum-
bold est en mesure de déclarer ® que les délégations britannique
et turque sont tombées d\'accord pour proposer au Comité de ré-
diger le paragraphe 2 de l\'article 3 dans les termes qu\'on retrouve
dans le Traité de Lausanne, sauf quelques modifications peu im-
portantes.

Quelques jours plus tard, le 11 juillet, les deux délégations con-
viennent que la période de neuf mois destinée aux négociations

\' Voir ci-après page 108.

*nbsp;Recueil des actes de la Conférence, deuxième série, tome I, page 7 {Documents

la Cour, page 159).

*nbsp;Recueil des actes de la Conférence, deuxième série, tome I, page 147 {Docu-
ments de la Cour,
page 162).

-ocr page 108-

entre la Grande-Bretagne et la Turquie ne s\'ouvrira pas à la date
de la mise en vigueur du Traité, mais à celle de l\'accomplissement
de l\'évacuation des territoires turcs

Le Traité de Lausanne fut signé le 24 juillet 1923

Voilà l\'historique des événements survenus à Lausanne. Voyons
maintenant s\'il y a moyen de déduire des négociations quelle a
été l\'intention des parties, quand elles se décidaient à „porter le
litige devant le Conseilquot;, si un accord à l\'amiable paraissait irréaU-
sable 2.

Il y a trois points qui attirent notre attention.

1) Discours prononcé par Lord Curzon, le 23 janvier 1923.
La T urquie en a toujours spécialement appelé à une certaine
partie du discours prononcé par Lord Curzon à Lausanne dans la
séance du 23 janvier 1923, lors de sa proposition de soumettre
l\'affaire de la frontière entre la Turquie et l\'Irak à la Société des
Nations pour enquête et décision. Lord Curzon appuyait sur ceci
que la Turquie, si elle acceptait sa proposition, „serait invitée à
envoyer un représentant pour siéger, en quaUté de membre, à toutes
les séances où le Conseil examinerait les questions affectant spécia-
lement ses intérêts.quot; Ensuite il parla comme suit:

„Le Conseil aura à décider quelle méthode il conviendra d\'adop-
ter pour examiner le différend. Il pourra demander à la Turquie et à
la Grande-Bretagne de lui communiquer leurs vues respectives; il
pourra décider d\'envoyer une commission pour s\'enquérir sur place
des vues des Kurdes, des Turcs, des Arabes et des chrétiens; il

\' Recueil des actes de la Conférence, deuxième série, tome I, page 449 [Docu-
ments de la Cour,
page 165). Voir aussi le Protocole relatif à l\'évacuation des
territoires turcs
(sous le no. VII) dans le Recueil des actes, deuxième série, tome
II,
page 131 [Documents de la Cour, page 234).

\' Voir aussi : G. Gidel, Consultation sur l\'article 3, paragraphe 2, du Traité de
Lausanne concernant la frontière entre la Turquie et l\'Irak,
Paris 1925, page
17 et suivantes;

G. Salvioli, La jurisprudence de la Cour Permanente de Justice Internationale,
Paris, 1927, page 59, deuxième note, et page 61.

J. H. W. Verzijl, Die Rechtsprechung des Ständigen Internationalen Gerichts-
hofes ig22 bis Mâi 1926,
dans Zeitschrift für Völkerrecht, 1926, page 541 et
suivantes.

-ocr page 109-

pourra faire une enquête en Europe, ou il pourra charger un seul
arbitre de régler la question. Je ne sais pas ce qu\'il fera; mais je sais
que la délégation turque sera traitée exactement sur le même pied
que la délégation anglaise et que, lorsque les deux causes auront
été exposées, il sera procédé à l\'examen le plus impartial possible.
D\'autre part, l\'article 5 du Pacte dispose que la décision du Conseil,
dans lequel le Gouvernement turc sera représenté, doit être prise
a l\'unanimité; ainsi,
aucune décision ne pourra être prise sans son
consentementquot;

La Turquie déduit du passage cité ® du discours de Lord Cur-
zon que, dès le début des négociations, la Grande-Bretagne n\'a ja-
mais eu l\'intention de faire soumettre le différend à l\'arbitrage du
Conseil dans le sens strict du mot. Lord Curzon proposait — dit

\' Recueil des actes de la Conférence, première série, tome I, page 303 {Docu-
ments de la Cour,
pages 144 et 145).

\' Il est fort curieux que la plupart des auteurs soient devenus victimes d\'une
erreur inexplicable, concernant les paroles de Lord Curzon que nous venons
de citer. MM. Le Fur (dans son article sur
L\'Affaire de Mossoul, dans la
Revue Générale de droit international public, 1926, note 11 de la page 89),
Salvioli (dans son ouvrage cité, page 59, deuxième note, et page 61) et
Whitton
{Chronique des faits internationaux dans la Revue générale de droit
international public,
1925, page 412) combattent tous la conclusion que le
Gouvernement turc a tirée du discours de Lord Curzon; ces auteurs sont
d\'avis que le porte-parole britannique s\'est rendu coupable d\'une erreur, en
interprétant le Pacte. Le premier délégué de la Grande-Bretagne aurait
déduit — selon leur opinion — de l\'article 15 du Pacte que la décision du
Conseil doit être prise à l\'unanimité absolue et que, par conséquent, le con-
sentement de la Turquie est indispensable pour porter une décision obliga-
toire. Certes, si Lord Curzon avait déduit cette conclusion de l\'article 15 du
Pacte, il se fût trompé, car cet article dit (alinéa 6) que, dans le calcul de
l\'unanimité, les voix des parties en litige ne comptent pas. Il est digne de
remarque, cependant, que Lord Curzon n\'ait pas parlé de l\'article 15, mais
qu\'il ait fait appel à l\'article 5 du Pacte, en disant que le Conseil aurait à
prendre une décision à l\'unanimité de tous les Membres du Conseil, y compris
la Turquie.

Il est incompréhensible que cette traduction inexacte du discours de Lord
Curzon ait pu s\'intruser dans la littérature. Le
Recueil des actes de la Confé-
rence de Lausanne {première série, tome I,
page 303) fait parler Lord Curzon
de l\'article 5 du Pacte; de même le
Livre bleu anglais. Le Mémoire soumis par
le Gouvernement britannique à la Cour
{Documents de la Cour, page 209)
et le discours prononcé par Sir Douglas Hogg devant elle
{Documents de
ia Cour,
page 35) mentionnent aussi que Lord Curzon a parlé de l\'article 5.

-ocr page 110-

la Turquie — que le Conseil serait libre de donner une décision obli-
gatoire, mais que la Turquie aurait voix au chapitre et qu\'elle émet-
trait même, le cas échéant, une voix décisive. Ainsi faisant, la dé-
cision du Conseil serait dépourvue du caractère arbitral proprement
dit ; son action serait réduite à celle du médiateur qui propose aux
parties une solution de leur différend, et sa déclaration de volonté
ne serait obligatoire pour les parties que si elles l\'avaient formelle-
ment acceptée.

L\'interprétation que le Gouvernement britannique donne au dis-
cours de Lord Curzon est tout autre. Son point de vue a été exposé
dans le Mémoire qu\'il a présenté à la Cour, ainsi que dans le dis-
cours où son représentant l\'a commenté dans les audiences de la
Cour . Selon l\'opinion de la Grande-Bretagne, ce n\'est pas une
décision du fond du différend que Lord Curzon a visée en disant
qu\'„ aucune décision ne pourrait être prise sans le consentement de
la Turquiequot;, mais ce qu\'il a visé réellement, c\'est une décision de la
question préalable, savoir quelle serait la méthode pour examiner
le litige. Quant à cette méthode, il énumère différentes alternatives,
notamment : un exposé par la Turquie et par la Grande-Bretagne de
leurs points de vue respectifs sur le fond du différend ; l\'envoi d\'une
commission pour s\'enquérir sur place; une enquête en Europe; la
nomination d\'un seul arbitre chargé du règlement de l\'affaire. En
tout cas, nulle décision ne serait prise sur la méthode du règlement
en question, si la Turquie n\'avait pas émis une voix favorable à la
méthode proposée.

L\'appel du Gouvernement turc au discours de Lord Curzon pour
démontrer qu\'une décision du fond du différend pourrait être prise
au seul cas où la Turquie émettrait une voix favorable, est, de l\'avis
du Gouvernement britannique, dénué de fond. Lord Curzon n\'a
jamais eu l\'intention de dire cela. Cette évidence saute aux yeux,
quand on songe qu\'une des méthodes d\'examen que cet orateur
avait énumérées, était: la nomination d\'un seul arbitre chargé du
règlement du différend. La sentence d\'un arbitre n\'aurait pas be-
soin sans doute, pour être valable, du consentement de la Grande-
Bretagne et de la Turquie. Lord Curzon a voulu dire que, si l\'on
avait décidé, avec le consentement de la Turquie, de quelle manière

» Documents de la Cour, page 211 et pages 35 et 36.

-ocr page 111-

la question serait examinée, cet examen et l\'arrangement de l\'af-
faire se continueraient, sans que les parties fussent en mesure d\'exer-
cer une influence décisive sur l\'issue de la procédure. Le passage con-
troversé du discours de Lord Curzon n\'a trait qu\'à la décision d\'une
question préalable et non pas de la question de fond.

De notre avis, on se trouve ici en présence d\'une interprétation
subtile qui n\'est pas en conformité de l\'impression que fait, sur le
lecteur exempt de préjugés, le passage en question du discours.
Nous sommes loin de vouloir nier que les paroles de Lord Curzon
n aient pu avoir le sens que le Gouvernement britannique y attache ;
mais nous ne croyons pas vraisemblable qu\'il ait eu cette intention.
En tout cas elle ne s\'impose pas. D\'ailleurs, le Gouvernement
britannique lui-même concède dans son
Mémoire que le discours de
son représentant à Lausanne ait pu être peu clair i. Tout en suppo-
sant, en effet, que Lord Curzon, en prononçant son discours, ait
eu l\'intention que son Gouvernement lui prête, on n\'est pas libre
de reprocher à la délégation turque d\'avoir interprété d\'une façon
détournée le discours de Lord Curzon. Pour démontrer que l\'opi-
nion turque est toute naturelle et découle des faits, nous allons con-
sidérer avec largeur le passage controversé du discours.

Quelle a été la marche logique des négociations, le 23 janvier
1923? Dans la séance du Comité des questions territoriales et
niilitaires qui avait été ouverte à 11 heures. Lord Curzon propose
de soumettre le différend, pour enquête et décision, à la Société
des Nations. Ismet Pacha, qui n\'avait pas encore pris connais-
sance de cette proposition, ne veut pas répondre immédiatement,
niais désire s\'entendre d\'abord avec les autres membres de la délé-
gation turque, tout en se déclarant disposé à faire connaître dans
l\'après-midi l\'opinion de sa délégation sur la proposition britannique.
La séance est ajournée et on poursuit les débats à 6 heures de
l\'après-midi.

Ismet Pacha avait compris la proposition de Lord Curzon en ce
sens que le litige serait soumis à l\'arbitrage de la Société des Na-
tions. Comme la Turquie ne voulait pas laisser à un autre de décider
du tracé de la frontière, Ismet Pacha déclara que la délégation
turque n\'était pas disposée à faire dépendre le sort de Mossoul d\'une

\' Documents de la Cour, page 211.

-ocr page 112-

décision arbitrale. Par conséquent, la proposition britannique fut
rejetée. Lord Curzon répondit immédiatement à ce refus. Il disait
que la Grande-Bretagne avait proposé que la question serait ren-
voyée à l\'examen et à la décision de la Société des Nations, et il
poursuivit en ajoutant: „Ismet Pacha vient de rejeter l\'arbitrage
en général et c\'est pourquoi je présume qu\'il rejette l\'arbitrage de
la Société des Nations. Je vais maintenant lui dire ce qu\'il a préci-
sément repousséquot;

Qu\'est-ce que Lord Curzon va dire? Il va expliquer la différence
entre l\'arbitrage et la proposition qu\'il a faite, à savoir, le renvoi de
la question à la Société des Nations. Quand deux Etats soumettent
leur différend à un arbitre, dans l\'intention que cet arbitre émettra
une décision obligatoire pour eux, ils renoncent à toute influence
sur la solution du différend. Ils ne savent pas quelle sera sa décision
et attendent son jugement en bonne confiance. Il va de soi que
c\'est ainsi qu\'Ismet Pacha avait compris la proposition de la Grande-
Bretagne, tendant à renvoyer l\'affaire de Mossoul pour enquête
et décision à la Société des Nations. Mais, ne désirant pas une déci-
sion du sort de Mossoul par voie d\'arbitrage, il refusait de soumettre
le différend à la Société des Nations. Ismet Pacha ayant donné son
refus. Lord Curzon se met en devoir d\'exposer ce que la délégation
turque a repoussé. Ce n\'est pas l\'arbitrage proprement dit qu\'elle
a repoussé, mais elle a repoussé autre chose : si la Turquie avait ac-
cepté la proposition britannique, elle obtiendrait un siège tempo-
raire au Conseil; elle y siégerait en qualité de Membre et, en vertu
de l\'article 5 du Pacte, „aucune décision ne pourrait être prise sans
son consentement,quot; en d\'autres termes, une décision du sort du
vilayet contesté ne serait prise que si la Turquie avait accepté la
solution proposée.

Voilà la signification à attacher aux paroles de Lord Curzon et
découlant des discours prononcés; les orateurs ont voulu souligner
la différence qui existe entre l\'arbitrage proprement dit et la procé-
dure à conduire devant la Société des Nations telle que Lord Curzon
l\'avait devant les yeux.

Lors de la Conférence, on a déduit des paroles de Lord Curzon
qu\'il parlait de la décision à pr
endre sur le fond du litige, quand il

» Recueil des actes de la Conférence, première série, tome I, pages 302—303
{Documents de la Cour, page 144).

-ocr page 113-

disait qu\'aucune décision ne pourrait être prise sans le consente-
ment de la Turquie. M. le Baron Hayashi, délégué du Japon,
faisait observer, d\'après le Livre bleu anglais^, ce qui suit: „The
proposai outlined in Lord Curzon\'s speeches was that an absolutely
impartial body should be asked to pronounce the decision on the
problem under discussion. Baron Hayashi invited special attention
to Lord Curzon\'s statement that the decision of the Council of the
League of Nations would have to be unanimous.quot; Quel était donc
„the problem under discussionquot;? Nul autre que la question de sa-
voir si le vilayet de Mossoul serait restitué à la Turquie ou si l\'on
en ferait une partie définitive du Royaume d\'Irak. Pour la décision
de cette question „the Council of the League of Nations would have
to be unanimous.quot;

C\'est ainsi que M. le Baron Hayashi a interprété le discours de
Lord Curzon. Son commentaire ne laisse rien à désirer quant à
la clarté. Si, en effet. Lord Curzon n\'avait pas eu l\'intention de
dire ce que M. Hayashi, quelques moments plus tard, croyait
devoir répéter en d\'autres termes, il aurait été du devoir du délégué
britannique de dissiper la fausse impression produite par son
discours, afin d\'éviter tout malentendu. Lord Curzon n\'a pas
fait cela; au contraire, à la fin de la séance, il rappelait même les
paroles prononcées, entre autres, par le chef de la délégation japo-
naise. On a donc pleinement raison de déduire de ce fait que Lord
Curzon jugeait le commentaire fait par M. le Baron Hayashi en
conformité de sa proposition.

Notre conclusion sur la tendance de la proposition britannique
est corroborée par le discours déjà cité de Lord Curzon où il
disait „que la délégation turque serait traitée exactement sur le
même pied que la délégation anglaise.quot; Selon la manière de voir
du Gouvernement britannique, cette égalité ne se rapporterait
qu\'à la décision de la question de savoir quelle méthode d\'examen
serait suivie pour le règlement de l\'affaire. Si ce point de vue était
juste, il n\'y aurait pas de motif pour qualifier la proposition de Lord
Curzon comme „raisonnable et modérée,quot; ainsi que l\'a fait Lord
Balfour dans la séance du Conseil

\' Page 403 du Livre bleu {Documents de la Cour, page 146).
\' Voir page 96.

\' en date du 30 janvier 1923 {Journal Officiel, mars 1923, pages 201—202).

-ocr page 114-

Supposé que la thèse britannique soit correcte, le traitement
sur un pied de parfaite égalité serait limité à la décision d\'une ques-
tion préalable de procédure et prendrait fin, une fois cette décision
prise. Est-ce qu\'on peut parler en bonne justice d\'égalité absolue,
voyant que la Grande-Bretagne, pendant toute la durée de la liqui-
dation du différend, y compris la décision du fond du litige, dispose-
rait d\'une voix qui, en vertu de l\'article 5 du Pacte, peut être déci-
sive, tandis qu\'on borne la collaboration de la Turquie, n\'étant que
membre
ad hoc du Conseil, à une question préalable de procédure
et qu\'on ne requiert son consentement que pour la solution de cette
dernière question qui est d\'ordre secondaire?

Quelle sera donc notre conclusion sur le sens du discours de
Lord Curzon? De notre avis, le délégué britannique a voulu dire
que la procédure à laquelle il proposait de soumettre la question
de Mossoul, ne serait pas l\'arbitrage dans le sens propre du mot,
mais qu\'elle serait une procédure aboutissant à une décision de la
Société des Nations qui ne serait obligatoire que lorsque la Turquie
et la Grande-Bretagne l\'auraient acceptée. Par conséquent. Lord
Curzon n\'a pas proposé de faire régler le différend par voie d\'arbi-
trage, mais de le soumettre à la médiation de la Société des Nations.

Un argument tout trouvé à opposer à notre manière de voir
serait qu\'elle n\'est pas conforme à d\'autres expressions dont Lord
Curzon s\'est servi le 23 janvier 1923 en faisant sa proposition.
Dans la première partie de la séance de cette journée, il a essayé
d\'amener la délégation turque à soumettre l\'affaire, „pour enquête
et décision, à un organe indépendant.quot; ^ Pendant la séance de l\'a-
près-midi il disait que les délégués turcs avaient refusé de renvoyer
le différend „à l\'examen et à la décision de la Société des Nationsquot;
Notre interprétation du discours de Lord Curzon semble être affaiblie
par l\'emploi, dans son discours, du terme: décision. Le mot „déci-
sionquot; signifie, dans son sens général, une solution définitive et obli-
gatoire pour les parties en litige, ce qui n\'est pas compatible avec

\' Recueil des actes de la Conférence, première série, tome I, page 296. Le
Livre bleu anglais mentionne que Lord Curzon a dit : „to refer this matter to
indépendant enquiry and
decisionquot; {Documents de la Cour, page 140).
• Recueil des actes de la Conférence, première série, tome I, page 302. Livre bleu
anglais: „for examination and decisionquot; {Documents de la Cour, page 144).

-ocr page 115-

le caractère que revêtirait l\'action de la Société des Nations, si
cette action était une simple médiation.

On peut se demander si Lord Curzon, en faisant usage du mot
.•décisionquot;, visait une solution obligatoire. Il semble que ce dé-
légué britannique n\'emploie pas ce terme dans son sens technique.
Pendant la séance du Comité des questions territoriales et mih-
taires, en date du 31 janvier 1923, Lord Curzon fit connaître que,
le 25 janvier 1923, en vertu de l\'article 11 du Pacte, il avait attiré
l\'attention de la Société des Nations sur l\'affaire de Mossoul. Il
disait que „le règlement de ce différend avait été soumis à l\'examen
et à la décision du Conseil de la Société des Nations.quot; ^ Lord
Curzon employait donc le mot „décisionquot; en rapport avec l\'ar-
ticle 11 du Pacte, quoiqu\'il sût sans doute très bien que, par l\'ap-
plication de cet article, un différend ne peut être vidé et qu\'une
action de la Société, conformément à l\'article 11, ne mènera jamais
à une décision définitive et obligatoire. N\'est-il pas vraisemblable
que Lord Curzon, le 23 janvier 1923, date de sa proposition, a employé
le mot „décisionquot; sans envisager une solution obligatoire? N\'est-il
pas admissible qu\'en ce moment aussi il s\'avisât d\'une déclaration
de volonté d\'un tiers, dépourvue de force obligatoire pour les parties
intéressées ?

Nous sommes presque sûr que la réponse à ces questions doit
être affirmative; cette opinion devient plus fondée quand nous
voyons de quelle façon Lord Balfour a commenté, dans la séance
du Conseil du 30 janvier 1923, la proposition faite par Lord Curzon
à Lausanne, lorsque le Conseil s\'occupait de la lettre de Lord
Curzon, ayant pour but d\'appeler l\'attention du Conseil sur le
différend de Mossoul Dans son commentaire. Lord Balfour s\'ex-
primait dans les termes suivants „Lord Curzon a proposé à
Lausanne que l\'on demande à la Société des Nations d\'employer
ses bons offices pour une détermination de la frontièrequot; entre
la Turquie et l\'Irak. Il est suffissamment clair que „les bons officesquot;
de la Société des Nations n\'aboutiront jamais à une décision obli-

\' Recueil des actes de la Conférence, première série, tome I, page 336. [Docu-
ments de la Cour,
page 149). Le Livre bleu anglais dit:...... to the enquiry

and decision of the Council of the League of Nations.quot;
\' Journal Officiel, mars 1923, page 249.
\' Journal Officiel, mars 1923, page 201.

-ocr page 116-

gatnirr, tant (|uc Im {mrtics n\'aurunt pa» accepté non coniwil.

dincouni oti lxgt;nl Balfour a réexprimé la propotition de I^rd
Cur«on, une wmainc aprèt qu\'elle avait lt;îté faite à I^usanne,
jlilt;montrp incontentablcmcnt que le Gouvernement britannique,
Ir 23 janvier 1923, n\'a eu aucunement l\'intention de provoquer
que la Société de» Nation« lt;lonnAt une décision ayant le caractère
d\'une nentence arbitrale et liant la Turquie, auft»i sans qu\'elle l\'eût
acceptée formellement.

1^29 janvier 1923 les Puissances alliées ont soumis à la délégation
turque un projet de traité de paix. L\'article 3de ce projet stipulait que
la frontière entre la Turquie et l\'Irak serait »une ligne à déterminer
en conformité de la décision qui sera rendue à ce sujet par le Con-
seil de la Société de» Nations.quot; \' Nous de\\\'ons considérer cette
clause amp; la lumière des ni\'gociations précédentes du 23 janvier 1923.
Comme nous ra\\\'ons vu, Ixjrd Curzon proposait de faire déterminer
la ligne frontière par la Société des Nations, en tenant compte de
ce que la Turquie obtiendrait un siège dans le Conseil et disposerait
d\'une voix, de sorte que toute (Vcision, en vertu de l\'article 5, pre-
mier alinéa, du Pacte, serait soumise à »on consentement. Cela est
à délt;!uirc du discours de Lord Cunton que nous \\TnonB d\'aiwlyser.

C\'est de la même manière que notu interprétons la rédaction
de l\'article 3, tel qu\'il a\\\'ait été proposé. Nous ne saurioru le com-
prendre d\'une autre fa^on. Il nous semble inadmissible que la
(irandr.Bretagne ait voulu dire que le Conseil rendrait une déd-
siïin, sans que la Turquie cnvoyM un représentant, disposant d\'une
voix comptant dans le calcul de l\'unanimité, pour siéger au Conseil.
Cela re\\\'imdniit à la soumimon du différend à l\'arbitrage, le r^lr-
ment dr l\'affaire par un tiers. C\'est ce que la Turquie a refusé caté-
goriqurment le 23 janvirr 1923, lorsqu\'lsmrt Pacha disait que la
di\'l/gBtion turque „ne saurait faire di^pendre d\'un artritrage le sort
d\'une gramlr contrée tcllr que le vilayet de Moasoal.quot; »
Iji Turquie
n\'a t«ss wntirmrnt rejeté l\'idée de l\'athitrage proprement dit. mats
auk-4 U {gt;rTgt;position de soumettre l\'affaire de M
o«nou1 à une prao^gt;

-ocr page 117-

dure devant le Conseil de la Société, où clic duposcrait d\'une voix
d^isivc. Pour cette raÏMn il est invraisemblable au plus haut degré
lt;ÎUc la Grande-Bretagne t ût inséré dans le projet de traité une clause
*yant une tendance plus large que la proposition qu\'elle avait
faite le 23 janvier 1923, d\'autant plus que cette proposition, d\'une
tendance moins large, n\'avait pas été favorablement accueilltc
par la Turquie.

notre avis il est certain que, en effet, la Grande-Bretagne

*nbsp;envisagé par l\'article 3 du projet une réitération de la proposition
faite par Lord Curzon le 23 janvier. Notre opinion est appuyée par
te discours que Lord Balfour a prononcé pendant la séance du Con-

en date du 30 janvier 1923. Il disait, comme nous l\'avons
•léjà vu », que la Turquie avait refusé d\'accepter les bons offices
la Société des Nations pour la solution du différend, mais que
proposition serait renouvelée et qu\'elle ..serait formellement
définitivement présentée à la Conférence de Lausanne.quot; •
C\'est en insérant l\'article 3 dans son projet de traité, que la Grande-
Bretagne a formellement et définitivement répété sa proposition.

Notre ooTKlusion est donc que les termes de l\'article 3 du projet
de traité ainsi conçu: ^une ligne à déterminer en conformité de la
décision qui sera rendue par le Conseil de la Société des Nationsquot;,
•®nt à interpréter comme il suit:

I^a Turquie qui n\'est pas membre de la Société aura un siège
•u Conseil et prendra part au vote, comme si elle était membre
du Conseil, lorsque cet organe de la Société s\'occupera de l\'affaire
de lfotMgt;uI.
Ijc Conseil décide sur le tracé de U frontière con-
\'onnément à l\'article 5, premier alinéa, du Pacte, c\'est-4-dire:
\'\'nnanimité absolue des voix «t requise.

I-a Cour aussi a prété «on attention au discours de Ixm! Cumm.
elle c»t d\'avis que. pour des raisons différente«, ce disooors
«\'»t pas de nature à servir à l\'interprétation de l\'anicle 3. pa-
\'»«Taphr 2, •

Kn premier lieti. elle estime qi»e. si le passage contesté du dis-
de Lord Curron avait U signification que lui prête le Goo-

-ocr page 118-

vernement turc, son refus d\'accepter la proposition britannique
s\'expliquerait difficilement. La Turquie pourtant avait de bonnes
raisons pour rejeter cette proposition. Dans la séance du Con-
seil en date du 8 décembre 1925, Munir bey a motivé ce refus en
disant 1 1°, que la Turquie préférait régler la question pendant
la Conférence de Lausanne même; 2°. qu\'elle désirait faire accep-
ter par la Grande-Bretagne qu\'une décision sur le sort de Mossoul
serait prise conformément à l\'issue d\'un plébiscite à organiser
dans le vilayet contesté. Voilà les motifs pour lesquels la délé-
gation turque n\'était pas disposée à accepter la médiation de la
Société des Nations. Voyant plus tard que les Puissances alliées
n\'étaient pas enclines à aller au devant de ses vœux, elle a fini
par proposer l\'exclusion de la question du programme de la Con-
férence.

La Cour fait observer en second lieu que Lord Curzon a for-
mulé une proposition que la Turquie a rejetée. Par suite de ce
rejet, tous les engagements que la Grande-Bretagne avait assumés
par cette proposition ont perdu leur vigueur.

Cependant il y a lieu de faire remarquer que la Grande-Bretagne
elle-même ne considérait pas comme dénués de valeur les détails
de sa proposition. Lorsque, le 29 janvier 1923, les Puissances
alliées eurent présenté un projet de traité de paix à la délégation
turque, celle-ci proposa quelques jours plus tard, — c\'était le
4
février — de ne plus discuter la question de Mossoul à Lausanne,
mais de la faire régler à l\'amiable par la Turquie et la Grande-
Bretagne. Lord Curzon, lors de la séance privée du 4 février, déclara \'
qu\'il était disposé à suspendre pour la durée de douze mois l\'effet de
l\'appel qu\'il avait fait à la Société des Nations, à condition qu\'il,, se-
rait fait recours à l\'intervention de la Société de
la manière primitive-
ment proposéequot;,
si les négociations entre les deux Gouvernements
intéressés ne pouvaient aboutir à un accord.

Quelle est cette manière primitivement proposée, dont parlait
Lord Curzon? C\'est sans doute le recours à la Société des Na-
tions, visé dans son discours du 23 janvier 1923 et dans le projet

-ocr page 119-

de traité présenté à la délégation turque le 29 janvier suivant.
Il est clair que Lord Curzon lui-même ne considérait pas comme
ayant perdu leur valeur les propositions qu\'il avait faites le 23
janvier, et qui avaient été formulées avec concision dans l\'ar-
ticle 3 du projet de traité. Le refus de la délégation turque de
les accepter n\'a aucunement influé, selon Lord Curzon, sur les
propositions britanniques tendant à soumettre le différend aux
bons offices de la Société des Nations.

Le troisième inconvénient qu\'a la Cour de faire servir le discours
de Lord Curzon à l\'interprétation de l\'article 3, est que cet article
n existait pas encore, pas même sous forme de projet, au moment
ce discours était prononcé. Il est incontestable que l\'article
n existait pas encore le 23 janvier 1923; le projet de traité ne fut
soumis à la délégation turque que le 29 janvier. Mais il ne faut
pas perdre de vue que ce projet était l\'expression concrète de
toutes les questions qu\'on avait discutées auparavant à la Confé-
rence et sur lesquelles on avait, oui ou non, pu aboutir à un accord,
Comme nous l\'avons déjà démontré la proposition faite oralement
par Lord Curzon le 23 janvier passa dans le projet de traité. Que ce
projet fût le résultat des négociations précédentes, est prouvé par
le discours par lequel Lord Curzon a répondu à la prière d\'Ismet
Pacha. prière tendant à lui accorder un délai de huit jours pour
étudier le projet. Lord Curzon parlait en ces termes „Je ne crois
pas que le Traité contienne autant de nouveautés qu\'il (Ismet Pa-
^ha) le prétend; il n\'y
a que très peu de clauses qui peuvent lui
causer quelque surprise.quot; Il est clair qu\'il y
a un lien entre le projet
les négociations. Il importe peu que la Turquie, le 23 janvier
1^23, eût rejeté la proposition de Lord Curzon. Car, la Grande-
Bretagne pouvait tenir beaucoup à ce que, coûte que coûte, la mé-
diation éventuelle de la Société des Nations fût insérée dans le
traité et en outre, Lord Balfour avait dit dans la séance du Con-
seil en date du 30 janvier 1923 que la proposition de Lord Curzon
Serait faite de nouveau, et cette fois-ci „formellement et définitive-
mentquot;.

On ne prétendra pas non plus avec raison que, par suite de

-ocr page 120-

l\'interruption de la Conférence de Lausanne, le 4 février 1923,
la continuité entre la première partie des négociations et la
seconde
partie, qui fut ouverte le 23 avril 1923, ait été rompue. Cette
seconde partie n\'avait pas pour objet de nouvelles négociations déta-
chées du passé, mais elles forment avec la première partie de la
Conférence un tout indissoluble. Si la Conférence a été suspendue,
ce n\'est pas qu\'il fût impossible d\'arriver à un accord sur toutes
les questions qui restaient à résoudre. Ce sont les occupations de
Lord Curzon qui l\'appelaient à Londres — comme il le disait le
31 janvier — et qui le forçaient à partir de Lausanne le 4 février
suivant au plus tard, qui ont causé la suspension des négociations

Lorsque la deuxième période fut ouverte, la Conférence trouva
devant elle une lettre d\'Ismet Pacha relatant les modifications
que le Gouvernement turc désirait voir apporter dans le projet
de traité. ^ Ce sont les contre-propositions turques, qui ont été
examinées par la Conférence.

Comme une contre-proposition présuppose l\'existence d\'une
proposition, nous sommes d\'avis qu\'il y a un lien qui relie la pro-
position de Lord Curzon à la seconde partie des négociations
de Lausanne. Nous croyons fermement qu\'il est permis de tenir
compte de ce qui s\'est passé à Lausanne le 23 janvier pour l\'inter-
prétation de l\'article 3 du Traité de Lausanne dans sa rédaction finale.

2) Les contre-propositions turques

Après tout ce qui a été mentionné plus haut, nous pouvons
être bref en discutant le deuxième point des travaux préparatoires,
important pour l\'interprétation de l\'article 3, paragraphe 2.

Nous allons fixer maintenant l\'attention du lecteur sur la sub-
stitution de la rédaction turque de cet article à la rédaction bri-
tannique.

Le projet des Puissances alliées contenait un article — c\'était
l\'article 3 — dont le deuxième paragraphe était ainsi conçu: ®

-ocr page 121-

„2°. Avec l\'Irak:

„A partir du point où finit sur le Tigre la frontière visée à l\'alinéa
1° du présent article:

„Une ligne à déterminer en conformité de la décision qui sera rendue
à ce sujet par le Conseil de la Société des Nations.quot;

Mais l\'article 3, deuxième paragraphe, tel qu\'il était inséré dans
les contre-propositions turques était conçu en ces termes: ^

„2°. Avec l\'Irak:

„La frontière entre la Turquie et l\'Irak sera déterminée à l\'amiable
entre la Turquie et la Grande-Bretagne dans un délai de douze mois à
partir de la mise en vigueur du présent Traité.

„A défaut d\'accord, le litige sera porté devant le Conseil de la Société
des Nations.quot;

Comme nous l\'avons déjà dit la Grande-Bretagne se figurait
lt;lue le Conseil déciderait sur le tracé de la frontière par une réso-
lution prise à l\'unanimité des voix; la Grande-Bretagne aussi
l^ien que la Turquie disposeraient d\'un siège et d\'une voix; lem
quot;Voix compterait dans le calcul de l\'unanimité.

Au début des pourparlers la délégation turque avait refusé
d\'accepter cette proposition, d\'abord parce que, comme Munir
l^ey a dit dans la séance du Conseil en date du 8 décembre 1925
elle préférait régler la question à la Conférence de Lausanne et
ensuite parce qu\'elle désirait faire décider du sort de Mossoul par
la voie d\'un plébiscite. Lorsqu\'il fut évident que ses vœux étaient
irréahsables, la délégation turque proposa, le 4 février 1923, de lais-
ser de côté l\'affaire de Mossoul et de la faire régler à l\'amiable par
la Grande-Bretagne et la Turquie. Lord Curzon s\'unit à cette pro-
Position, à condition que le litige serait vidé de la façon proposée
à l\'origine faute d\'une entente résultant de négociations directes.
Ismet Pacha a évidemment accepté cette condition; la question de
Mossoul ne fut plus l\'objet des discussions de la Conférence.

Selon les contre-propositions que, le 8 mars 1923, la Turquie

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avait fait connaître, l\'article 3 du projet des Puissances alliées avait
subi un amendement. Elle proposait de „porter le litige devant
le Conseil de la Société des Nationsquot;, en cas d\'échec des
pourparlers
à entamer entre les parties intéressées. Quelle est la signification
de ces mots, envisagés à la lumière des événements qui s\'étaient
passés à la veille de
l\'interruption de la Conférence? Ils peuvent
signifier ceci seulement que la Turquie a accepté finalement la pro-
position britannique de soumettre le htige au Conseil, pour qu\'il
fût traité dans les conditions stipulées par Lord Curzon le 23 janvier
et déposées dans le projet de traité du 29 janvier. Pendant le mois
écoulé, depuis la rupture des négociations, la Turquie avait eu
l\'occasion de réfléchir à tête reposée sur tout ce qui s\'était passé
à la Conférence. Il lui a semblé sans doute que la proposition bri-
tannique n\'était pas aussi condamnable qu\'elle l\'avait cru au
début. La Turquie a cédé devant l\'instance exercée sur elle de la
part de la Grande-Bretagne: elle a fini par donner son adhésion
à un recours éventuel fait à la Société des Nations, certes aussi
par suite de la considération qu\'elle serait traitée sur le même pied
que la Grande-Bretagne et qu\'elle disposerait d\'une voix, tout com-
me un Membre, quand le Conseil prendrait une décision sur l\'avenir
de Mossoul.

Il est inadmissible qu\'on ait voulu dire par l\'amendement de
l\'article 3, désiré par la Turquie, que les parties prieraient le Con-
seil de rendre une décision arbitrale, dans ce sens que la Turquie
ne concourrait pas à la décision. Non seulement Ismet Pacha
avait déclaré dans la matinée du 23 janvier ne pas vouloir sou-
mettre l\'affaire de Mossoul à l\'arbitrage, mais la Grande-Bretagne
elle-même n\'avait pas visé par l\'article 3, dans la forme qu\'elle
avait projetée, une décision arbitrale dans le sens propre du terme
Quel aurait donc pu être le motif de la Turquie de proposer un
amendement visant une procédure contre laquelle elle avait pré-
senté des objections insurmontables et que. en outre, la Grande-
Bretagne n\'avait jamais demandée?

La Turquie finissait donc par accepter la proposition britanni-
que. Seulement, elle désirait voir apporter un amendement dans
la teneur de l\'article, afin d\'exclure formellement la possibihté

-ocr page 123-

que le Conseil prît une décision sans la collaboration des parties.
I^ans la rédaction britannique originale, il est parlé du Conseil
de la Société des Nations. En lisant l\'article, on songe au Conseil
dans sa formation normale, c\'est-à-dire, tel que cet organe est con-
stitué en vertu du Pacte. La rédaction du projet britannique n\'exclut
aucunement que le Conseil soit libre de tracer une ligne frontière
sans le consentement de la Turquie. Afin de prévenir tout malen-
tendu ultérieur, la Turquie préférait sa rédaction, parce qu\'il n\'y
^tait pas question d\'une ligne à déterminer en conformité de la
décision du Conseil. C\'est pour ce motif que la contre-proposition
turque, se conformant absolument à la rédaction du Pacte lui-même,
disait que „le litige serait porté devant le Conseilquot;. En biffant le
^ot „décisionquot;, la Turquie a voulu souligner qu\'il serait question
d une solution obligatoire dans le seul cas où les parties l\'auraient

acceptée.

L\'amendement turc ne voulait pas être, à ce que nous croy-
ons — une modification fondamentale, mais rien qu\'un change-
ment rédactionnel, afin que l\'article fût plus en conformité de l\'in-
tention des parties.

C\'est pourquoi il est hors de saison de reprocher à Ismet Pacha
une inconséquence, comme le font certains auteurs. Le délégué
turc avait écrit, dans sa lettre du 8 mars, que dans les contre-
Propositions turques, „les questions territoriales étaient réglées con-
formément aux propositions des Puissances alhées.quot; ^ Relative-
ment à l\'amendement de l\'article 3, ce n\'était qu\'un éclaircissement
du texte britannique, excluant toute interprétation qui tendît à
Une décision obhgatoire en dehors de la Turquie. Ce dernier Etat a
accepté en fin de compte de soumettre le différend, si l\'occasion
s en présentait, aux bons offices du Conseil de la Société des Na-
tions. Le sens de l\'amendement proposé par la Turquie était iden-
tique à celui que comportait la proposition britannique originale.

3) La connexité entre le deuxième et le troisième alinéa de
l\'article 3, § 2

Le troisième point auquel nous nous proposons de fixer l\'atten-
tion du lecteur est que, vu la marche des négociations, il est inex-

-ocr page 124-

act d\'interpréter le deuxième alinéa avec l\'aide du troisième ali-
néa du paragraphe 2° de l\'article 3.

Nous avons mentionné quelle était la teneur du projet britan-
nique et celle de la contre-proposition turque ^ Aucun des deux
projets ne contient le troisième alinéa, qui ne se trouve que dans la
rédaction finale de l\'article 2. De quelle façon ce troisième alinéa
est-il entré dans l\'article 3?

Lorsque, le 4 février. Lord Curzon consentit que la question de
Mossoul ne fût plus discutée par la Conférence de Lausanne, il
posa deux conditions;
la première (dont nous avons déjà parlé®)
était que, si les négociations directes n\'aboutissaient pas à une
entente, il serait fait recours à la Société des Nations de la
manière
proposée auparavant par lui; la seconde était que, pendant la
période réservée aux tentatives d\'un règlement du différend à
l\'amiable, le
statu quo dans les territoires contestés serait maintenu.

A la reprise des pourparlers de Lausanne, Sir Horace Rumbold
déclara le 24 avril, que la délégation britannique était dispo-
sée à accepter l\'amendement turc ® fait au projet de l\'article 3,
à condition que, par cet article, les deux parties
s\'engageraient
réciproquement à observer le statu quo, pendant la période réservée
à la tentative d\'un arrangement à l\'amiable. Ismet Pacha estimait
qu\' „il va de soi que, puisque la question reste en suspens, rien n\'est
changé au
statu quo.quot;

Vu que les deux parties étaient tombées d\'accord pour main-
tenir le
statu quo dans le territoire contesté, une clause ayant cette
tendance fut insérée dans le Traité. Voilà l\'histoire du troisième
alinéa du paragraphe 2. Les parties n\'ont eu nulle part devant les
yeux une décision obligatoire du Conseil, en parlant, dans le troi-
sième alinéa, d\'une „décision à prendrequot;. Tout ce qu\'elles vou-
laient fixer dans le Traité, c\'était qu\'elles étaient convenues de ne
pas modifier l\'état provisoire de la frontière et de maintenir le
statu quo. Cette obligation aurait sa vigueur, jusqu\'à ce qu\'une

-ocr page 125-

décision fût prise du sort définitif de Mossoul; les parties laissaient
de côté si cette décision serait due à un accord à l\'amiable, ou bien
SI elle émanerait de l\'entremise du Conseil, ou d\'un tribunal arbitral
auquel les parties pourraient se décider plus tard à soumettre
la question.

Par conséquent, il s\'ensuit incontestablement des travaux pré-
paratoires du Traité qu\'il n\'existe aucun lien entre le deuxième
alinéa contenant l\'appel au Conseil, et le troisième alinéa stipu-
lant que le
statu quo sera observé. Aussi est-il inexact, à un point
de vue historique, de se servir du troisième alinéa pour interpréter
le deuxième ; à en juger d\'après la genèse, les deux alinéas sont à
considérer comme étant sans rapport réciproque, ayant un but
tout à fait différent.

Après avoir analysé (sub 1) le discours de Lord Curzon du 23
janvier 1923, considéré (sub 2) le projet de traité des Puissances
alliées par rapport aux contre-propositions de la délégation turque
et recherché (sub 3) la genèse du troisième alinéa de l\'article 3,
paragraphe 2, du Traité de Lausanne, nous sommes en mesure de
formuler en deux mots notre conclusion, relativement à la signi-
fication de la clause en discussion. L\'issue de notre examen des tra-
vaux préparatoires de Lausanne n\'est aucunement douteuse.
Nous croyons pouvoir déduire avec une certitude complète de
l\'historique de l\'article 3 que, pendant tout le cours de la Conférence
de Lausanne, les parties, en ouvrant la possibilité d\'avoir recours
au Conseil, ont eu sans cesse devant les yeux que celui-ci ne serait
pas compétent pour rendre une décision obligatoire, si cette dé-
cision n\'était pas prise à l\'unanimité absolue des voix, y compris
Celles des représentants de la Turquie et de la Grande-Bretagne.
En d\'autres termes, les parties, en se décidant à „porter le litige
devant le Conseilquot;, faute d\'un accord à l\'amiable, ont voulu sou-
nîettre l\'affaire aux bons offices et à la médiation du Conseil.

Le doute, existant sur le sens de la clause et qui subsiste après
l\'étude qu\'on a faite de ses termes, se dissipe pour celui qui soumet
à un examen minutieux les travaux préparatoires de l\'article. A cette
conclusion seules des données supplémentaires fournies éventuelle-
nient par la publication des pourparlers privés, toujours tenus secrets,
entre les deux délégations intéressées, pourraient porter atteinte.

-ocr page 126-

c) Evénements postérieurs au traité.

Nous pourrions terminer, après tout ce qui a été précédemment
exposé, mais, pour avoir un tout, nous allons examiner les événe-
ments écoulés après le 24 juillet 1923 — date de la signature du
Traité de Lausanne —, afin de rechercher si, pendant la liquida-
tion du différend, les parties ont fait surgir des facteurs, de nature
à éclaircir la portée de l\'article 3, paragraphe 2, du Traité. D\'ail-
leurs, les faits postérieurs à la conclusion du Traité ne sont pas
d\'une grande importance. En résolvant le problème de Mossoul, le
Conseil a uniquement tenu compte de l\'article 3. En formulant les
questions qu\'il allait poser à la Cour, le Conseil est parti de cet
article, sans se soucier d\'engagements que les parties ont pu prendre,
une fois le Traité signé, et de nature à modifier les obligations conte-
nues dans l\'article 3. Il semble par conséquent que le Conseil
soit d\'avis que les engagements que les parties peuvent avoir
assumés après ne sont pas capables d\'affaiblir ceux qui découlent de
l\'article 3 du Traité de Lausanne.

Les deux phases successives du traitement du différend sont la
Conférence de Constantinople et l\'examen de l\'affaire par le Conseil
de la Société des Nations.

1) La Conférence de Constantinople du 19 mai au 5 juin 1924.

Comme on le sait, les négociations entre la Grande-Bretagne et
la Turquie prévues par l\'article 3, paragraphe 2, du Traité de Lau-
sanne, s\'ouvraient le 5 octobre 1923: ces négociations ont été
poursuivies au cours de la Conférence de Constantinople, pendant
laquelle les parties n\'ont pas réussi à parvenir à un accord.

Il est dit ^ dans le Mémoire britannique et le discours de Sir
Douglas Hogg prononcé devant la Cour que, pendant la Conférence
de Constantinople, le délégué turc, Fethy bey, a interprété lui-même
l\'article 3 de telle façon que les parties voulaient „soumettre le
litige à l\'arbitrage de la Société des Nationsquot;. Fethy bey a dit
— il est vrai — que la Turquie avait accepté un pareil engagement
et Sir Percy Cox a fait remarquer que Lord Curzon avait recom-
mandé, pendant la Conférence de Lausanne, „de référer sans retard
la question à l\'arbitrage de la Société des Nationsquot;. ^ Mais il nous

» Documents de la Cour, page 216 et pages 41 et 42.
• Documents de la Cour, pages 172 et 174.

-ocr page 127-

semble probable que Fethy bey n\'a pas employé le mot „arbitragequot;
dans son sens technique, pas plus que nous croyons cela par rap-
port à Sir Percy Cox, quand il parlait de la proposition de Lord
Curzon. Cette proposition ne vise pas l\'arbitrage dans le sens pure-
ment juridique — cela est hors de doute et nous croyons l\'avoir
clairement démontré —, en tant que ce mot exprime la décision
d\'un tiers, jugeant indépendamment des parties. Il est hors de
cause que, pendant les négociations sur l\'affaire de Mossoul, on a
parlé sans cesse d\'arbitrage, sans penser à l\'arbitrage proprement
dit, Ismet Pacha, premier délégué turc à la Conférence de Lausanne,
a d\'abord refusé de soumettre le différend à l\'arbitrage, dans le
Sens technique du mot. Il a répété ce refus en se servant de nouveau
de ce même terme, lorsque Lord Curzon avait expliqué ce qu\'il
comprenait par 1\' „arbitragequot; de la Société des Nations. Lord
Curzon aussi a fait usage du terme „arbitragequot;, ayant en vue une
procédure se terminant par une décision obligatoire dépendant du
consentement des parties

Aussi ne voulons-nous pas attacher une importance excessive
aux énoncés cités des représentants turc et britannique et pronon-
cés à la Conférence de Constantinople. Nous croyons que pendant
cette Conférence les parties, tout en se servant du terme: arbitrage,
ont eu devant les yeux la même procédure que celle sur la nature
de laquelle les parties avaient fini par s\'entendre à Lausanne.

2) Traitement du différend par le Conseil de la Société des
Nations.

Les juillet 1924, le délai destiné à un arrangement à l\'amiable
entre la Grande-Bretagne et la Turquie expirait; l\'affaire de Mos-
soul devait donc être portée devant le Conseil de la Société des
Nations. La Conférence de Constantinople étant close, sans qu\'on
eût atteint un accord, le Gouvernement britannique adressa le
6 août 1924 au Conseil la prière de s\'occuper de la question de la
frontière de l\'Irak, en vertu de l\'article 3, paragraphe 2, du Traité
de Lausanne 2.

\' Recueil des actes de la Conférence, première série, tome I, pages 300, 302/303
et 305
(Documents de la Cour, pages 143, 144 et 148).
• Journal Officiel, octobre 1924, page 1465.

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Le 19 septembre 1925 M. Undén, rapporteur, proposa ^ de deman-
der l\'avis consultatif de la Cour de la Haye sur la signification dudit
article 3. Relativement à la première question, qui vise la nature de
la décision à prendre par le Conseil, le représentant de la Grande-
Bretagne fit observer qu\'„il avait pensé que cette question avait
déjà été réglée très nettement lors de la réunion du Conseil, en sep-
tembre dernier.quot; En disant cela, il avait devant les yeux la réso-
lution du Conseil du 30 septembre 1924, où il est dit que les repré-
sentants des deux parties „se sont engagés à l\'avance à accepter
la décision du Conseil sur la question qui lui est soumisequot; 2, et par
laquelle le Conseil a décidé d\'instituer une commission d\'enquête
pour lui fournir tous les renseignements, propres à lui permettre
de prendre une décision sur l\'affaire de Mossoul.

M. Gidel est d\'avis ^ que l\'engagement pris par Fethy bey n\'a
aucunement trait à la décision du fond de la question, mais que
le représentant turc s\'est engagé seulement à approuver la dé-
cision relative à la méthode d\'enquête. Les représentants des parties
avaient déclaré se conformer à la décision du Conseil concernant
l\'institution de la Commission, ce qui entraînait pour eux l\'obh-
gation de supporter les dépenses de la Commission.

Nous laissons de côté la question de savoir de quelle nature
sont les engagements que les parties ont pris le 30 septembre
1924. La conclusion qu\'elles ont voulu s\'obliger à accepter d\'avance
la décision du Conseil sur le fond du litige, semble quelque peu
prématurée.

Cela est clair, quand on voit de quelle façon le Conseil a pris la
résolution d\'instituer une commission d\'enquête. Le Président du
Conseil demanda aux représentants des parties s\'ils acceptaient
cette résolution. Lord Parmoor ainsi que Fethy bey donnèrent une
réponse affirmative^. La même chose eut Heu le 29 octobre 1924,
lorsque le Conseil se décida à tracer une hgne frontière provisoire
dans la région contestée ^ Les représentants de la Grande-Bretagne
et de la Turquie ont donné l\'assurance que leurs Gouvernements

^ Journal Officiel, octobre 1925, page 1377 et suivantes.
\' Journal Officiel, octobre 1924, pages 1358—1360.
» Voir sa
Consultation, page 25 et suivantes.
* Journal Officiel, octobre 1924, pages 1358—1360.
» Journal Officiel, novembre 1924, pages 1659—1662.

-ocr page 129-

respectifs exécuteraient rigoureusement la décision du Conseil.
En outre on a inséré dans cette résolution que „les représentants
des deux Gouvernements intéressés ont déclaré que ceux-ci étaient
prêts à accepter la décision du Conseil.quot;

Si, en effet, les parties s\'étaient engagées, par l\'article 3 du Traité
de Lausanne, à accepter la décision du Conseil sur le fond du litige,
d aurait été inutile que, chaque fois qu\'une décision préparatoire
était prise (institution d\'une commission d\'enquête, détermination
d\'une frontière provisoire), elles déclarassent accepter cette décision.
En ce cas, la décision du Conseil serait donc parfaite, juridiquement
parlant, aussitôt qu\'elle avait été prise ; les parties seraient obligées
de l\'exécuter, sans qu\'une acceptation formelle de leur part fût
requise.

Quoi qu\'il en soit, il semble que le Conseil lui-même n\'ait pas été
pleinement convaincu d\'être libre de vider le différend en dehors
des parties. Le Conseil n\'était pas sûr que les parties eussent vrai-
ment l\'intention de lui demander une décision obligatoire, au mo-
ment oil il se décidait à instituer une commission d\'enquête. Si-
non, il n\'aurait pas été nécessaire de présenter à la Cour la ques-
tion de savoir quelle serait la nature de la décision à prendre par le
Conseil en vertu de l\'article 3 du Traité de Lausanne.

Supposé que Fethy bey eût eu l\'intention de reconnaître au Con-
seil le pouvoir de rendre une décision arbitrale, il est vraisemblable
que ce représentant turc aurait excédé son mandat. Du moins, la
déclaration de Munir bey faite dans la séance du Conseil en date du
septembre 1925 nous le ferait croire. Il disait que „la Grande As-
semblée Nationale de Turquie n\'est liée par aucun engagement en
dehors des actes qu\'elle a ratifiés ; et les déclarations et les engage-
ments pris par le Gouvernement de nature à modifier ou à dépasser
les stipulations contenues dans les actes ratifiés par elle ne sauraient
l\'engager qu\'après qu\'elle les aurait approuvésquot;

Dans ces conditions, le Conseil se décida dans sa séance du 19 sep-
tembre 1925 à demander l\'avis consultatif de la Cour de la Haye,
sur la nature de la décision à prendre par lui en vertu du Traité de

Lausanne.

Le 8 décembre de la même année l\'avis consultatif de la Cour fut
\' Journal Officiel, octobre 1925, page 1377 et suivantes.

-ocr page 130-

mis à l\'ordre du jour du Conseil; il incomba à celui-ci de décider s\'il
voulait faire sienne l\'opinion émise par la Cour. Munir bey, le repré-
sentant turc, a prononcé dans cette séance un discours où il di-
sait ^ : „Tout en maintenant son point de vue relatif à la décision
devant être prise avec le consentement des parties en cause, le
Gouvernement turc pourrait accepter que le Conseil remplisse le
rôle de médiateur et de conciliateur.quot; Auparavant il avait dit
comprendre par „le rôle de médiateur et de conciliateurquot; l\'action
du Conseil conformément à l\'article 15 du Pacte

La Turquie était donc d\'avis qu\'en vertu de l\'article 3, paragra-
phe 2, du Traité de Lausanne le Conseil ne pourrait rendre une
décision obhgatoire sans le consentement des parties; mais elle
se déclarait disposée à soumettre, en dehors des engagements de
l\'article 3, le différend au Conseil, conformément à la procédure
définie par l\'article 15 du Pacte et aboutissant aux effets juridiques
prévus par cet article.

Les événements écoulés après la signature du Traité de Lau-
sanne ne sont pas en mesure de modifier notre opinion sur le sens
de l\'article 3 et sur la nature du rôle à jouer par le Conseil de la
Société des Nations pour le règlement du litige de Mossoul.

Nous sommes d\'avis qu\'en signant le Traité de Lausanne, les
parties ont envisagé l\'action du Conseil comme suit : Elles désirent
une solution définitive du litige aux conditions suivantes: la Tur-
quie enverra un représentant à Genève pour siéger, en quahté de
Membre, pendant toutes les séances du Conseil où celui-ci s\'occupera
du différend; une décision ne sera obligatoire que si elle est prise à
l\'unanimité de tous les Membres du Conseil, y compris la Grande-
Bretagne et la Turquie. En d\'autres termes, l\'action du Conseil,
considérée au point de vue des parties, se borne à la médiation,
la collaboration des parties à la décision étant indispensable à
sa force obligatoire.

Pour terminer, nous faisons la remarque que, bien que le défaut
de données officielles ne nous permette pas de nous en former une
idée tout à fait exacte, la façon dont l\'article 3, paragraphe 2,

gt; Journal Officiel, février 1926, page 126.
» Journal Officiel, février 1926, page 125.

-ocr page 131-

du Traité de Lausanne est parvenu à sa rédaction finale, n\'est
pas recommandable; elle ne nous encourage pas à conseiller aux
Etats de suivre l\'exemple donné par la
Conférence de Lausanne.
Lorsqu\'il fut clair qu\'à la Conférence même un accord sur le sort de
Mossoul était irréalisable, on confia aux deux
Etats intéressés le
soin de s\'entendre sur la procédure à laquelle l\'affaire serait soumise.
La rédaction de l\'article 3, paragraphe 2, ne fut donc pas discutée
par tous
les Etats qui auraient à signer et à ratifier le Traité, mais
seulement par deux d\'entre eux, à savoir
la Grande-Bretagne et la
Turquie.
On est toujours privé d\'informations officielles et publi-
ques sur
le cours exact des négociations échangées entre ces deux
Puissances ; tout s\'est passé dans les réunions privées des deux délé-
gations.

Aussi la clause de l\'article 3, paragraphe 2, n\'a-t-elle pas de con-
nexité avec les autres dispositions du Traité de Lausanne. Il est
malaisé pour cette raison de tirer comme MM. Gidel et Whitton ^
des arguments des autres articles du Traité, afin d\'interpréter l\'ar-
ticle 3. Du fait que certains articles reconnaissent au Conseil des
attributions spéciales, disant expressément que ses décisions seront
prises à la majorité des voix, on ne doit pas déduire que l\'article
3 ait l\'intention que le Conseil fonctionne en conformité des règles
du Pacte, cet article ne contenant pas d\'exception formelle, comme
les autres articles qui traitent du Conseil. On ne saurait pas non
plus faire servir, à interpréter le présent article, la considération
que les parties ont eu devant les yeux le fonctionnement du Conseil,
précisément comme il est prévu par les autres clauses du Traité.
C\'est que le deuxième paragraphe de l\'article 3 manque de toute
connexité avec les autres articles, vu qu\'il a été arrêté en dehors de
la Conférence.

Pourquoi les parties ont-elles fini par choisir une rédaction telle-
ment vague qu\'elle se prête à trois interprétations
? Si elles désiraient
réellement une décision obligatoire, elles auraient pu rédiger un
compromis présentant moins de points obscurs que le texte choisi.
Elles auraient bien pu se douter que la rédaction de l\'article donne-
rait Ueu à mainte question, insoluble pour celui qui part des termes

* Voir la Consultation de M. Gidel, page 13. J. B. Whitton, Chronique des
faits internationaux,
dans la Revue générale de droit international public,
1925, page 416.

-ocr page 132-

de l\'article, comme par exemple celle de savoir quelles considérations
seraient la base de la décision du Conseil, des considérations d\'ordre
juridique seulement, ou bien aussi ou même exclusivement celles
d\'ordre non-juridique. De notre avis, on doit faire valoir, contre
l\'opinion que les Etats ont visé une décision prise en dehors d\'elles,
le fait que tous les points qu\'un compromis règle normalement, sont
restés indécis. Les Etats, en effet, n\'ont pas l\'habitude de soumettre,
enfermes aussi concis, leurs différends à un tiers, pour les faire vider
obligatoirement.

En préférant la rédaction actuelle du deuxième paragraphe de
l\'article 3, les Etats contractants ont placé le Conseil devant un
problème si épineux qu\'il pourrait se croire justifié à refuser à
jamais d\'assumer une fonction excédant ses attributions normales.
Les Etats ne rendent pas service à la Société des Nations en char-
geant d\'une façon tellement équivoque le Conseil du règlement
de leurs différends.

Quoi qu\'il en soit, la Grande-Bretagne et la Turquie auraient
facilité énormément l\'accomplissement de la tâche imposée au Con-
seil, s\'ils avaient exprimé clairement ce qu\'ils désiraient. Particu-
lièrement dans ce cas-ci, où ils le chargeaient d\'une tâche foncière-
ment différente de ses occupations normales, ils auraient dû défi-
nir clairement quelle serait la nature de son entremise. En premier
lieu, on aurait pu s\'attendre à une indication précise des effets juri-
diques de la décision invoquée; ensuite, au règlement de toutes
les questions de procédure sur lesquelles les Etats intéressés pou-
vaient prévoir de grandes
difiacultés. Cela aurait été utile, puisqu\'ils
avaient affaire à un corps d\'une compétence et d\'une organisation
particuHères; les choses auraient donc marché plus convenablement,
si les parties avaient exprimé formellement leur désir que la procédu-
re du Pacte s\'appliquât, oui ou non, au règlement de leur différend.

Ensuite on doit se demander si la Grande-Bretagne et la Turquie
ont bien fait de mêler le Conseil à leur affaire. Ce corps a-t-il qua-
lité pour vider un différend par une décision obligatoire, supposé
qu\'elles aient visé, en effet, par l\'article 3 du Traité de Lausanne,
une sentence arbitrale? Il se peut très bien qu\'un corps internatio-
nal se charge d\'une tâche d\'une autre nature que la sienne; nous
pensons cependant que les Etats ne doivent faire qu\'un usage rare
de la complaisance du Conseil d\'aller au devant de leurs vœux pour

-ocr page 133-

assumer une fonction étrangère à sa mission particulière. Le Con-
seil n\'est pas le corps le plus approprié à la fonction arbitrale ^
Nous concédons que le Pacte ne défende pas au Conseil de remplir
des occupations sortant de ses attributions usuelles, mais cela n\'em-
pêche pas que le Pacte lui-même fait une distinction fondamentale
entre les attributions du Conseil et le règlement arbitral ou judici-
aire de litiges internationaux. L\'article 12 du Pacte dit que les
différends seront soumis soit à la procédure de l\'arbitrage ou à un
règlement judiciaire, soit à l\'examen du Conseil conformément à

Inbsp;article 15 du Pacte. Le Pacte lui-même distingue une décision ar-
bitrale ou judiciaire d\'une recommandation du Conseil. En disant
expressément qu\'un différend sera soumis à un règlement obli-
gatoire ou au Conseil, le Pacte démontre clairement qu\'il ne tient
pas le Conseil qualifié pour rendre des décisions pourvues d\'effets
juridiques, propres aux sentences arbitrales.

Aussi nous pensons que l\'action du Conseil dans l\'affaire de
Mossoul a démontré que les Etats ne doivent pas trop vite se dé-
cider à charger le Conseil d\'une fonction qui n\'est pas dans ses attri-
butions usuelles. N\'en veulent-ils pas moins s\'y résoudre, ils fe-
ront bien d\'insérer dans leur traité une définition claire de la na-
ture de son entremise et des conséquences juridiques qui en dé-
couleront; en plus, ils ne doivent pas omettre de régler toute
question de procédure importante pour la liquidation du différend.

IInbsp;ne faut pas qu\'ils se contentent de la déclaration aussi concise
qu\'équivoque que „le litige sera porté devant le Conseil de la Société
des Nations,quot; notamment dans un cas comme le cas actuel, où
l\'influence prépondérante de l\'une des parties pouvait faire prévoir
une pression politique énorme au détriment de l\'autre, étrangère à
la Société des Nations.

Le Conseil servira ses intérêts personnels en n\'acceptant pas,
sans plus, toute tâche que les Etats veulent lui imposer. Il est désira-
ble au plus haut point qu\'il se rende un compte exact de la fonction
réservée à lui, pour voir si elle rentre dans le domaine de ses attri-
butions et s\'il est le corps le plus approprié pour s\'acquitter de
cette fonction. En outre, il aura à se demander — et ce n\'est pas la

\' W. Schûcking und H. Wehberg, Die Satzung des Völkerbundes, Berlin
^924. page 321.

-ocr page 134-

question la moins importante des trois — s\'il ne se présente pas
des circonstances particulières qui rendent hors de propos l\'accom-
plissement de la tâche dont les Etats désirent le charger.

La considération qu\'on porte à la Société des Nations et au
Conseil lui-même y gagnera, si celui-ci s\'abstient de s\'immiscer
dans des affaires déhcates, qui présentent tant de difficultés qu\'elles
sont à peine solubles. Ce n\'est pas que le Conseil doive céder aux
difficultés. Loin de là. Il ne remplirait pas sa mission, s\'il laissait
subsister les différends qui sont un danger pour la paix mondiale,
et qu\'il ne fît pas tout son possible pour les résoudre. Mais il se doit
à lui-même d\'exiger des Etats qu\'on lui épargne la solution d\'énig-
mes qui paralysent son action. Pour peu qu\'ils veuillent faire usage
de son entremise, ils doivent lui soumettre des difficultés qui ne
soient pas enveloppées dans un fouillis de questions préalables de
procédure, permettant à peine que le jour se fasse sur la question
de fond.

2°. Possibilité de charger un organe international de fonctions
qui lui sont étrangères

Comme nous l\'avons vu dans les pages précédentes, la Cour,
dans son avis consultatif, est parvenue à la conclusion que la
Grande-Bretagne et la Turquie, par l\'article 3 du Traité de Lau-
sanne, avaient visé une décision obligatoire du différend de Mossoul.
La résolution du Conseil sera de la même nature que la sentence
d\'un arbitre appelé à rendre une décision que, d\'avance, les par-
ties ont déclaré accepter. La manière de voir de la Cour que les
parties en litige ont assigné au Conseil la quahté d\'arbitre, contrai-
rement à ses attributions normales, fut adoptée par le Conseil
dans sa séance du 8 décembre 1925. Il était sûr ainsi que le Conseil
allait déterminer définitivement et obligatoirement ^ la hgne

\' C\'est-à-dire, d\'après l\'avis de la Cour et d\'après l\'opinion du Conseil
lui-même. Du reste, on doit se demander si la décision du Conseil par la-
quelle celui-ci se reconnaissait des fonctions arbitrales, est obligatoire
pour les parties. Le fait que l\'arbitre a la compétence de statuer sur l\'étendue
de sa propre compétence (Kompetenzkompetenz), présuppose que sa qualité
d\'arbitre ne soit pas contestée. Le Conseil n\'était pas en mesure de décider
obligatoirement de la nature de sa mission et l\'avis consultatif n\'était obli-
gatoire non plus. La détermination finale de l\'effet juridique de la décision
■du Conseil est réservée au seul droit international.

-ocr page 135-

frontière entre la Turquie et l\'Irak, et qu\'il allait décider par consé-
quent du sort du vilayet de Mossoul.

Ces événements provoquent la question de savoir si les par-
ties contractantes sont libres d\'imposer à un organe internatio-
nal, comme le Conseil, une tâche que le Pacte ne cite pas parmi
ses fonctions normales. Dans l\'affaire de Mossoul les parties ont
de l\'avis de la Cour — confié au Conseil la mission de rendre
une décision arbitrale, tandis qu\'une résolution prise par le Conseil
en vertu de l\'article 15 du Pacte engendre des effets juridiques
tout autres que ceux qui naissent d\'une sentence arbitrale.

S\'il faut admettre que les Etats soient autorisés à donner à un
corps international un autre caractère que le sien propre, une
nouvelle question se pose, celle de savoir si ce corps est compé-
tent et, éventuellement, obligé d\'accepter une charge qui modifie
son caractère. Ou bien faut-il lui assigner le droit de refuser à exercer
Une fonction étrangère au statut organique, qui l\'a procréé? Il
peut se présenter des circonstances qui rendent désirable, voire
nieme nécessaire que le cOrps rejette une fonction quelconque lui im-
posée par les Etats et ne rentrant pas dans ses attributions normales.

La première question, celle de savoir si les parties contractantes
sont libres de modifier la nature d\'un organe international par une
niission sortant du cadre de son action ordinaire, a été résolue affir-
mativement par la Cour, dans son avis consultatif relatif au diffé-
rend de Mossoul. Rien n\'empêche — dit-elle ^ — que les Etats
prêtent au Conseil des attributions plus étendues que celles qui
découlent de l\'article 15 du Pacte; ils sont libres de l\'autoriser à
prendre une décision, vidant le litige définitivement et obligatoire
pour eux, en vertu d\'un engagement antérieur; ainsi faisant, ils
modifient la compétence primitive du Conseil de formuler une
recommandation dépourvue de force obligatoire pour les parties.

Il va de soi que les questions posées plus haut aient besoin d\'une
solution au seul cas où le traité qui a créé l\'organe et qui définit ses
attributions, ne déclare pas expressément que les Etats soient
libres de lui commettre également d\'autres fonctions que celles
qui sont énumérées dans son statut organique.

\' Avis consultatif no. 12, page 27.
\' Même les Etats qui ne l\'ont pas créél

-ocr page 136-

Nous avons donc à rechercher si les Etats sont capables de
modifier les règles régissant l\'action d\'un corps international
et si cet organe est obligé ou s\'il lui est permis d\'accepter de nou-
velles prérogatives, même si le traité n\'a pas prononcé expres-
sément qu\'une pareille modification soit permise. Ces questions
n\'ont besoin d\'une solution que s\'il s\'agit d\'un organe qui doive
la vie à un traité plurilatéral. Si deux Etats ont créé une cour d\'ar-
bitrage plus ou moins permanente, nul ne leur déniera le droit de
modifier par un traité ultérieur la sphère d\'action de cette cour
ou de changer ses règles de procédure.

La chose prend une autre tournure, quand il s\'agit d\'un organe
né d\'un traité plurilatéral. Ainsi le Conseil de la Société des Nations
et la Cour permanente de Justice internationale sont des corps
qui ne bornent pas leur activité à deux Etats; ce sont au contraire
des organes dont la tâche, définie dans leur statut, exerce une in-
fluence presque mondiale. Leur tâche est exactement définie; les
effets juridiques de leurs actes et de leurs dires sont minutieusement
fixés; leurs occupations sont réglées par une procédure qui garantit
que les choses marcheront convenablement. Peut-on assigner aux
Etats le droit de prêter à ces corps d\'autres attributions que leurs
attributions normales, de reconnaître à leurs manifestations d\'au-
tres effets juridiques et de modifier les règles régissant la procédure?

Ce problème se présente sous divers aspects.

D\'abord il faut considérer s\'il est d\'importance pour la solution
de la question posée que les Etats qui imposent au Conseil des obli-
gations, sont les mêmes qui l\'ont créé. Il ne faut pas oublier que le
Pacte constitue le chapitre premier des traités de paix de Ver-
sailles, de Saint-Germain-en-Laye, de Neuilly-sur-Seine et de
Trianon et que ces traités tiennent déjà compte du Conseil en lui
faisant jouer un rôle dans leur exécution. Dans ce cas il nous semble
presque impossible de nier que le Conseil soit obligé à accepter la
mission que ces traités lui imposent, vu qu\'il a été créé par ces traités
mêmes.

Puis on doit se demander si la solution sera autre si les Etats
qui revêtent le Conseil de fonctions extraordinaires, sont Membres
de la Société,, oui ou non. Il se peut que le Conseil soit plus encUn
à accepter une pareille fonction de la part des Etats Membres
que de la part des Etats non-Membres de la Société.

-ocr page 137-

Ensuite, est-ce qu\'il est décisif que la mission lui a été commise
par un traité conclu avant ou après la naissance de la Société des

Nations?

Est-il d\'importance si cette tâche a été insérée dans un traité
préparé par la Société elle-même, comme par exemple le Statut
de la Cour, ou dans un traité qui n\'a pas de connexité avec l\'œuvre
de Genève?

Pour finir, nous faisons remarquer qu\'il se peut que le Conseil
ait accepté déjà de principe une pareille mission. Est-ce que, dans
ce cas, il est obligé à l\'accomplir dans toutes les circonstances, ou
est-il libre de juger si l\'accomplissement dans un cas spécial est
hcite et opportun?

La question de savoir si le Conseil est obligé d\'accepter une pa-
iquot;eille tâche, a été débattue, lorsqu\'il s\'occupait du différend sur-
Venu entre la Roumanie et la Hongrie, relativement à l\'expropria-
tion des biens immeubles des optants hongrois.

Le Gouvernement roumain avait procédé à l\'expropriation des
terres situées sur le territoire roumain, afin de réahser une réforme
agraire. Avec d\'autres terres, les biens des optants hongrois avaient
été soumis à l\'expropriation; c\'étaient ceux des Hongrois qui se-
raient devenus des ressortissants roumains, par suite du Traité
de Trianon, s\'ils n\'avaient opté pour la Hongrie. Ils n\'ont pas ac-
quiescé à cette expropriation, étant d\'avis que l\'article 250 du Traité
de Trianon leur garantissait la possession ininterrompue de leurs
biens situés en Roumanie, en stipulant que les biens des ressortis-
sants hongrois situés sur le territoire de l\'ancienne monarchie austro-
hongroise ne seraient pas sujets à saisie ou à liquidation. Comme
leurs protestations n\'avaient aucun effet, ils citèrent le Gouveme-
n^ent roumain devant le tribunal arbitral mixte roumano-hongrois
de Paris, le priant de déclarer que l\'expropriation des biens hongrois
était contraire à l\'article 250 du Traité de Trianon et de condamner
l
\'Etat roumain à la restitution des terres. Le tribunal s\'étant
déclaré compétent de prendre connaissance de cette réclamation,
le Gouvernement roumain fit savoir que son arbitre ne siégerait
plus, lorsque le tribunal s\'occuperait des réclamations des res-
sortissants hongrois. Par suite du fait que le Gouvernement rou-
main retirait son arbitre du tribunal, celui-ci n\'était pas en mesure

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de remplir sa charge. Ensuite le Gouvernement hongrois adressa,,
par une lettre du 21 mai 1927, au Conseil la prière de procéder, en
vertu de l\'article 239 du Traité de Trianon, à la désignation de deux
arbitres suppléants.

L\'article 239 stipule qu\'entre chacune des Puissances alliées
ou associées d\'une part et la Hongrie d\'autre part un tribunal
arbitral mixte sera constitué. Les membres de ce tribunal seront,
si possible, nommés par les Etats intéressés. Chacun des Gouver-
nements désignera un des membres; le président sera choisi d\'un
commun accord. Faute d\'un accord, le Conseil de la Société des
Nations choisira le président et deux personnes propres à le rem-
placer. Le dernier alinéa de l\'article stipule que, si un Gouvernement,
en cas de vacance, ne désigne pas dans un mois un membre du tri-
bunal, l\'autre Etat intéressé choisira comme tel une des deux per-
sonnes assignées par le Conseil comme suppléants du président.

Le Gouvernement hongrois, priant le Conseil de désigner deux
juges suppléants, invoqua cet article, afin de pouvoir choisir l\'un
des deux comme remplaçant du membre roumain.

Dans la séance du Conseil du 17 septembre 1927 une discussion
s\'engagea sur la question de savoir si le Conseil était obligé, oui
ou non, d\'accepter la mission de procéder, en vertu de l\'article
239 du Traité de Trianon, à la désignation de juges suppléants.

Le représentant hongrois pensait ^ que ce n\'était pas une prière
que son Gouvernement avait adressée au Conseil; que ce n\'était pas
une faveur qu\'il demandait; mais le Conseil se trouvait, selon lui,
en face d\'„une obligation péremptoire, imposée par le Traitéquot;.
Le représentant de la Roumanie professait une opinion diamé-
tralement opposée à celle de son adversaire. De son avis l\'article
239 ne créait pas une obligation pour le Conseil, puisque ses attri-
butions sont fixées par le Pacte et que le Traité de Trianon, sauf
sa première partie, n\'a pas de connexité avec le Pacte. Il ajoutait
que le Traité de Trianon n\'a pas qualité pour imposer des devoirs
aux Etats qui n\'ont pas été signataires du Traité et dont les repré-
sentants siègent au Conseil en quahté de membre. C\'est pour ces
raisons qu\'il pensait que ce n\'est qu\'une simple prière que le Traité

\' Journal Officiel, octobre 1927, page 1384.
« Journal Officiel, octobre 1927, page 1392.

-ocr page 139-

de paix peut adresser aux Etats Membres du Conseil. Par consé-
quent le Conseil est libre d\'accéder à la demande ou de la rejeter, en.
rapport avec les circonstances accessoires de chaque cas.

Sir Austen Chamberlain inchnait à l\'opinion du représentant
roumain ; il disait ^ ne pouvoir admettre que le soin de nommer
des juges suppléants soit „une obligation sans conditionquot; que.
le Conseil aura à accomplir „sans jugement ni appréciationquot;, ^

Voilà donc l\'opinion des partisans des deux points de vue opposés.
Le Gouvernement hongrois pense qu\'il appartient aux Etats si-
gnataires du Traité de Trianon d\'imposer au Conseil une tâche autre
que son action normale définie par le Pacte; en même temps, de
son avis, le Conseil est obligé de se charger de cette tâche. Le Gou-
vernement roumain, par contre, croit les Etats libres de réserver,
dans leurs traités, au Conseil des occupations qui ne rentrent pas
dans ses attributions normales, mais il admet que le Conseil, avant
d\'accepter la mission que les Etats veulent lui confier, est autorisé
^ juger s\'il est opportun d\'accomphr cette mission.

M. Prudhomme se trouve du côté de l\'opinion roumaine. ® Il
pense qu\'il résulte des termes de l\'article 239 que le Conseil, con-
cernant la désignation des juges suppléants, a „un droit et un

pouvoir d\'appréciationquot;. Cet article dit, en effet: „Ces personnes----

seront choisies.quot; Notre auteur déduit de ces mots que le Conseil
^ a pas le devoir d\'assigner des juges suppléants, mais que „les
traités de paix ont remis l\'organisation des tribunaux arbitraux
mixtes aux mains du Conseil de la Société des Nations ; c\'est à cet
Organe qu\'il appartient d\'en assurer l\'existence. De ce principe dé-
coulent alors le droit et le devoir, pour le Conseil de la Société des.
Nations, de résoudre les difficultés auxquelles peut donner lieu
la composition et le fonctionnement du tribunal arbitral mixtequot;.

nous semble que notre auteur est d\'avis que le Conseil n\'est pas.
forcé de procéder, aussitôt qu\'on l\'en prie, à la désignation des juges

^ Journal Officiel, octobre 1927, page 1396.

Probablement l\'orateur, en disant cela, a eu devant les yeux l\'article 11 du
Pacte et s\'est demandé, si le Conseil devra procéder à la nomination des juges,,
\'ïiême si la paix est compromise par son intervention.

A. Prudhomme, Rôle et pouvoir du Conseil de la Société des Nations dans le
\'différend quant à la réforme agraire roumaine et aux ressortissants hongrois^
^ns le Journal du droit international (Clunet), 1927, page 861.

-ocr page 140-

suppléants, mais qu\'il lui est permis, s\'il le croit préférable, de ré-
soudre les difficultés d\'une façon autre qu\'en choisissant des juges et
d\'assurer ainsi le fonctionnement normal du tribunal. Le Conseil
aura rempli son devoir s\'il persuade le Gouvernement roumain de
faire assister de nouveau son arbitre aux séances du tribunal
arbitral; celui-ci reprendra ses débats et le Conseil aura atteint le
même résultat que s\'il avait nommé des juges suppléants.

Il est curieux que M. Dupuis déduise de l\'article 239 une conclu-
sion toute contraire à la signification que M. Prudhomme prête
à cet article. Ce dernier auteur pense que les mots: „seront choi-
siesquot; n\'expriment pas l\'obligation rigoureuse de procéder à la dé-
signation des suppléants, tandis que M. Dupuis partage l\'opinion ^
que ces termes ne signifient pas „pourront être choisiesquot;. En argu-
mentant sa manière de voir, il fait remarquer l\'évidence qu\'il s\'agit
d\'un devoir, quand on tient compte de l\'article 239; article, sti-
pulant que les juges suppléants seront désignés par le Conseil et,
avant l\'institution du Conseil, par M. Gustave Ador, „s\'il y consentquot;.
Cette adjonction, faite par les Etats à l\'article, est superflue, de
l\'avis de M. Dupuis, attendu que, même si elle faisait défaut, M.
Ador ne serait pas obligé de faire la volonté des Etats, exprimée
sous forme de prière ou d\'ordre. Les auteurs du Traité n\'avaient
donc pas qualité de le charger d\'une mission qu\'il serait obligé
d\'accomplir. En se servant d\'autres termes, selon qu\'ils pensaient
à M. Ador ou au Conseil, les Etats ont exprimé catégoriquement —
de l\'avis de M. Dupuis — qu\'ils ne voulaient pas laisser le Conseil
libre de procéder, oui ou non, à la nomination des suppléants, in-
dépendamment de l\'opportunité ou de l\'inopportunité des circon-
■stances.

Nous admettons avec M. Dupuis que les mots „seront choisiesquot;
ne signifient pas „pourront être choisiesquot;. Ce doit avoir été l\'in-
tention des Etats qui ont attribué au Conseil la fonction de choisir
les suppléants, qu\'il procédât effectivement à leur désignation, si
on l\'en priait.

Le second argument allégué par M. Dupuis est que l\'article 239
du Traité de Trianon est en conformité des principes de l\'organi-

\' Ch. Dupuis, Le différend roumano-hongrois au Conseil de la Société des Na-
tions en septembre
J927, dans la Revue de droit international, 1927, no. 4, page
908.

-ocr page 141-

sation judiciaire dans les pays civilisés. Si la nomination des magis-
trats est déposée entre les mains du ministre de la justice, il ne lui
appartient pas de juger s\'il procédera, oui ou non, à la nomination,
m d\'assujettir une nomination à des conditions. Ainsi le Conseil
est obligé également de désigner des juges suppléants, lorsqu\'une
vacance le nécessite. Il nous semble quand même que M. Dupuis
prd de vue que le Conseil, dans son essence, n\'est pas comparable
a un ministre de la justice ou à une autre autorité nationale. La Con-
stitution ou une autre loi pourra imposer à un fonctionnaire l\'ac-
complissement d\'une tâche quelconque. C\'est dans cette loi que
celui-ci devra rechercher quel est son devoir et quelle mission les
autorités supérieures lui ont réservée. Ainsi le Conseil trouve
ses attributions et ses obligations dans le seul Pacte de la Société
des Nations, expression de la volonté collective des Etats qui ont
procréé cet organe. Généralement parlant, c\'est le Pacte qui sert
de base à son action ; les Etats sont en droit d\'exiger qu\'il accomplisse
|a tâche déterminée par le Pacte, et nulle autre. M. Titulesco disait
a bon droit dans la séance du Conseil du 19 septembre 1927 que
..les caractères du Conseil ont été fixés par le Pactequot;. Mais la chose
prend une autre tournure quand on a égard au fait que le Pacte
constitue le chapitre premier du traité de Trianon, de sorte que
les créateurs du Conseil sont les mêmes Etats qui ont conclu ce
traité. Le Pacte faisant partie intégrante de ce traité, le Conseil
est obhgé, à notre avis, d\'accepter toute tâche que le traité de
trianon lui impose.

Ensuite M. Dupuis déduit de l\'article 5 du Pacte ^ que les sti-
pulations des traités de paix relatives aux attributions du Conseil
^ut la même valeur qu\'eUes auraient, si elles étaient insérées dans le
I^acte lui-même. Le Pacte met sur le même plan les devoirs imposés
au Conseil par les Traités de paix et ceux qu\'il contient lui-même,
en stipulant dans son article 5 que „sauf disposition expressément
contraire du présent Pacte ou des clauses du présent Traité les
décisions du Conseil sont prises à l\'unanimitéquot;.

Certes, le Pacte tient compte du fait que les Traités de paix
allouent au Conseil certaines fonctions, en disant que le Conseil

\' Article cité, page 938.

C\'est-à-dire, les Traités de Versailles, de Saint-Germain-en-Laye, de Neuil-
ly-sur-Seine et de Trianon.

-ocr page 142-

est libre de s\'écarter de la règle générale exigeant l\'unanimité,
dans tous les cas où cette liberté lui est attribuée formellement.
Mais l\'article ne dit pas que le Conseil soit obligé d\'exercer les fonc-
tions que ces Traités lui accordent. Ce n\'est pas de l\'article 5 qu\'on
peut déduire une pareille obligation du Conseil. La considération que
le Conseil a été créé par le traité de Trianon, est à cet égard décisif.

La question se pose donc ainsi. Supposé que le Conseil soit libre
d\'accepter ou de ne pas accepter une mission qui ne lui est pas con-
fiée par le Pacte, il est obligé d\'exercer la fonction prévue, aussitôt
qu\'il l\'a acceptée. Cette acceptation a été faite dans le cas présent,
parce que, déjà auparavant, il a procédé à la nomination de juges
suppléants dans d\'autres T. A. M., ce qui équivaut à une accep-
tation tacite.

Lors du traitement du différend concernant les biens des optants
hongrois situés en Roumanie, nous avons vu ces deux opinions
contraires s\'opposer l\'une à l\'autre dans toute leur acuité. Mais
à d\'autres occasions aussi la question s\'est posée de savoir jusqu\'à
quel point le Conseil serait obligé de se charger d\'une tâche, diffé-
rente de ses attributions normales émanant du Pacte, et que les
Ktats peuvent lui imposer. Bien des traités, aussi bien ceux qui
ont mis fin à la guerre mondiale, que d\'autres traités, font appel
au Conseil pour avoir l\'assistance d\'un tiers impartial qui aiderait
À l\'exicution des traités. Il est inutile d\'énumérer ces traités. L\'ou-
vrage de MM. Schiicking et Wchberg contient une liste de tous les
cas où les Ktats contractants ont invoqué le concours du Coavil.
Q\\ic CCS r.is soie nt nombreux, ressort du fait que cette l»te se com-
jxjsr d\'une liuitainr de pages d\'une impression scm\'e. \' Toutes ces
fonctions attriburlt;-s au Conseil vont de nature fort difft\'rente;
elle» coiirernriit. jWHir ci!rr qurk)ues exrmplrs, le gouvrnjrmrni
de U Villr hlire dr Dant/tg, le relHmKnt dr l\'Autnchr rt dr U
Ilon^rw. Ir C^mvil fnnclxHinr ttifiuiH- protrtlmr dr^ mitH*rit«^ dr
UnKUr, ïir t.»ir rf »Jr trllKKgt;U. qiKlqurflt;gt;l% il 4 r*rTrr (ii|Kt|(gt;U\\
d\'atlnlfr, Ir» l\'Ut» lui imiftwui U rwmunatKm d\'4rbitrr% rl ik*
nKtnllfr» dr rfKnmiMktrm» («lUIV on k voit,
cr MHtt loiilr» ijr*

wnbsp;Ilnbsp;ƒgt;»#nbsp;Àttnbsp;IWfIm.

-ocr page 143-

fonctions qui ne rentrent pas dans le domaine de ses attributions
normales définies par le Pacte.

Une des occupations des plus importantes imposées au Conseil
^t à l\'Assemblée en dehors du Pacte est celle qui est insérée dans
\'cs articles
4—13 du Statut de la Cour permanente de Justice in-
ternationale. Ces articles chargent les organes de la Société des
Nations d\'élire les membres de la Cour et déterminent par des
règles détaillées la manière dont cette élection se fera. L\'Assemblée
^t le Conseil n\'ont jamais hésité à procéder à la nomination des
Jnges de la Cour et il n\'est pas vraisemblable qu\'ils refusent jamais
de les élire. Les membres de la Société des Nations, en procréant la
Cour et en ratifiant son Statut, ont assumé les obligations que ce
Statut contient; la collaboration de l\'Assemblée et du Conseil à
1 élection des juges dc la Cour en fait partie. En outre, la Cour a été
créée par la Société des Nations en vertu de l\'article
14 du Pacte et
d une résolution de l\'Assemblée. Société elle-même a chargé ses
organes de l\'élection des juges.

Voyons maintenant comment le Conseil s\'est conduit quand les
l\'-tals lui ont adressé à plusieurs reprises la prière de s\'imposer une
^âche étrangère au Pacte.

\'-e 12 mars 1920 Lord Curzon, au nom du Conseil des Ambassa-
\'leurs, priait le Conseil de la Société des Nations de faire connaître
* il serait disposé à garantir certaines clauses du Traité dc Paix,
^ors en préparation, avec la Turquie; ces clauses se rapportaient
^ protection des minorités dc langue, de race et dc religion en
Turquie. Conseil a envisagé cette prière à la lumière des nor-
quot;»es suivantes: une pareille garantie rentre-t-elle dans le cadre dc
attributions? Et puis: y a-t-il des diffiaiitt\'-s. oui ou non. toit
^ wn |xgt;iiii de v\\i€ k\'gal, »oil i un point de xnie gc\'m\'ral, qui s\'oppo-
4 une telle garantie?
Ijc ( «nscil était dc l\'avi» unanime que la
F*^tection des miiKgt;riti4i fait jurtir tir m mi»Mon, de nofte qii\'m
î*^*»!* il te déclara divpiiV it aocnrtihr Unbsp;favmahlrmrnt.

Ot t\'en ttWrv« {u« nvMn» m ri\'jxmfcr «kfinitivr ju*c)u\'amp; ce lt;pic Ir»
*h» Irait^ dr l\'ai* i onKhirr avec la Tuftjme f«*rtit fi*rr»
Ww rtiUrtt«»ti «kfuiitivr \'

V«, »•I5«\'*« «W M k lUniMnbsp;«k\'t-5441 k r««M«lmlt;t«

^nbsp;Ilnbsp;(ilitéuJ.nbsp;p^

-ocr page 144-

Le Conseil ne se croyait donc pas obligé d\'acquiescer au pied levé
à cette prière, mais il recherchait si la garantie était acceptable. Ayant
considéré que la protection des minorités rentre dans ses attributions
et qu\'il n\'y avait pas d\'autres obstacles à l\'assentiment de la demande,
il se déclara disposé en principe à accepter l\'obligation sollicitée.

Le Conseil est parti du même point de vue, lorsqu\'il fut appelé
à la nomination de deux membres de la commission mixte prévue
à l\'article 8 de la convention du 27 novembre 1919, conclue entre
la Grèce et la Bulgarie. Avant que le Conseil procédât à la nomina-
tion, M. Léon Bourgeois, rapporteur, attirait son attention sur
la portée du rôle que les parties lui avaient confié. Le rapporteur
remémorait que le Conseil avait accepté auparavant, par une réso-
lution du 13 février 1920, de donner sa garantie aux clauses, con-
cernant la protection des minorités et insérées dans le Traité du
21 juin 1919, conclu entre les Grandes Puissances et la Pologne.
Le Conseil reconnaissait donc que la protection des minorités est
„une des tâches qui incombent régulièrement à la Société des Na-
tionsquot;. Le Traité conclu entre la Bulgarie et la Grèce est une des
formes de la protection des minorités, attendu que ce Traité a pour
but de faciliter et de faire surveiller l\'échange des minorités ré-
ciproques dans les régions limitrophes. C\'est pour cela que M. Bour-
geois conseillait au Conseil d\'accepter la tâche à lui imposée par le
Traité, et de procéder à la nomination des membres de la commission,
sans que, pourtant, le Conseil assumât la responsabilité quant à la
façon dont ces membres exerceraient leurs fonctions ^

Le Conseil a aussi prêté son concours à la fixation de la frontière
entre la Pologne et l\'Allemagne dans la Haute-Silésie. Par sa ré-
solution du 12 août 1921 le Conseil suprême priait le Conseil de la
Société de donner son avis sur le tracé futur de la frontière. Le
Président du Conseil de la Société informa, par sa lettre du 19 août
1921, le Président du Conseil suprême qu\'il avait „la ferme convic-
tion que le Conseil de la Société des Nations serait disposé à accepter
la tâche que le Conseil suprême des Alliés l\'invitait à assumerquot;. En
vérité, le 29 août 1921, le Conseil de la Société résolut d\'accepter
l\'invitation du Conseil suprême

^ Rapport présenté par M. Léon Bourgeois et adopté par le Conseil le 20 sep-
tembre 1920
{Journal Officiel, octobre 1920, pages 411—412).
\' Journal Officiel, novembre 1921, pages 982 et 983,

-ocr page 145-

Dans un rapport que M. Ishii, rapporteur, a présenté sur cette
affaire i, il communique que M.Briand, président du Conseil su-
preme, l\'a informé que chacun des Gouvernements représentés
dans le Conseil suprême s\'était engagé à accepter la solution que le
Conseil de la Société recommanderait. M.Ishii ajouta qu\'il pensait
que „dans ces conditions, le Conseil a non seulement le droit, mais le
devoir d\'assumer le rôle qui lui est proposé dans l\'esprit du Pactequot;.

Le Conseil de la Société est donc convaincu qu\'une acceptation
ormelle de la tâche proposée par le Conseil suprême est indispen-
sable. L\'opinion de M.Ishii que le Conseil serait obligé d\'émettre
la recommandation désirée, parce que le Conseil suprême s\'était
engagé à l\'adopter, est quelque peu en contradiction avec le point
de vue du Conseil de la Société. Comment le Conseil suprême pour-
ra-t-il forcer le Conseil de la Société à recommander la solution
dune affaire, en s\'engageant à adopter la recommandation, si le
Conseil de la Société est libre d\'accepter ou de rejeter cette mission?
Dans cet ordre d\'idées, il faudrait admettre aussi que le Conseil
Soit obligé de désigner les membres d\'une commission, si les Etats
qui prient le Conseil de s\'en occuper, ont accepté d\'avance les
personnes que le Conseil désignera. Dans ce cas aussi il est sûr que
la nomination aura pour effet l\'institution de la commission et pour
conséquence juridique l\'obligation des parties contractantes de
reconnaître, comme membres de la commission, les personnes dési-
gnées par le Conseil. Ces conditions sont exactement les mêmes que
celles de la recommandation faite par le Conseil et par laqueUe, en
substance, U fixait, sous la réserve d\'une décision formelle du Conseil
Suprême, la frontière entre l\'Allemagne et la Pologne; et cela par
Suite de l\'engagement pris par le Conseil suprême d\'accepter la
solution qui serait recommandée par le Conseil de la Société. Cet
^ugagement n\'est donc pas en mesure de porter atteinte au droit
éventuel du Conseil de refuser une tâche étrangère à ses attributions

normales.

La question qui nous occupe se présentait aussi lors du traite-
nient du désaccord survenu entre l\'Autriche et la Hongrie, relati-
vement à la frontière entre ces deux Etats, dans les territoires de
Pamhagen, Leka et Pinka. L\' Autriche, par le Protocole de Venise

\' Journal Officiel, décembre 1921, page 1221.

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du 13 octobre 1921, s\'était engagée à accepter la décision qui serait
recommandée par le Conseil de la Société des Nations; la Hongrie
avait assumé plus tard un pareil engagement. Le différend fut
donc soumis à l\'arbitrage du Conseil; c\'est dire que les parties
priaient le Conseil de rendre une décision dont la nature était autre
et d\'une tendance plus large que celle des décisions du Conseil rendues
en vertu du Pacte de la Société.

Dans le mémorandum que le Secrétaire général de la Société
des Nations soumettait au Conseil dans la séance du 13 septembre
1922, il disait ^ que le rôle confié par les parties au Conseil, a été
défini sans que le Conseil ait été consulté. C\'est pourquoi le Secré-
taire général pensait que le Conseil, avant de s\'occuper de la délimi-
tation de la frontière, devait se décider „s\'il acceptait d\'être saisi de
la demande qui lui était adresséequot;.

Le Secrétaire général posait la même question dans son mémoran-
dum présenté le 31 janvier 1923, relativement à la prière adressée
au Conseil, de délimiter la frontière entre la Tchécoslovaquie et la
Hongrie. Le Président soumettait dans cette séance, aux représen-
tants des parties la question de savoir quelle serait la nature de la dé-
cision du Conseil, médiation, recommandation ou arbitrage. Ils répon-
dirent que c\'était une décision arbitrale que leurs Gouvernements
respectifs désiraient de la part du Conseil. Eu égard à ce caractère
de la décision, le Secrétaire général écrivait ^ au Conseil „qu\'il
lui appartenait, avant de délibérer sur le fond même de la question
portée devant lui, de faire connaître s\'il acceptait d\'en être saisi
selon la demande qui lui avait été adresséequot;.

Le même ordre de choses se présentait quand le Conseil avait
à décider si la Société des Nations assumerait la garantie que l\'ar-
ticle 44 du Traité de Lausanne lui impose. Cet article dit que les
stipulations des articles 37 à 43, affectant les ressortissants non
musulmans de la Turquie, seront placées sous la garantie de la
Société des Nations. M. de Mello-Franco faisait remarquer dans son
rapport * que cette clause contraignait la Société à se prononcer
si elle était disposée à s\'engager à cette garantie.

\' Journal Officiel,nbsp;novembre 1922, page 1332.

\' Journal Officiel,nbsp;mars 1923, page 209.

\' Journal Officiel,nbsp;mars 1923, page 283.
\' Journal Officiel, octobre 1924, page 1344.

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La Convention relative à la non-fortification et à la neutralisa-
tion des îles d\'Aland, signée à Genève, le 20 octobre 1921, vise
a garantir que ces îles ne deviendront jamais une cause de danger au
point de vue militaire. Elle stipule dans l\'article 7 que le Conseil de
la Société des Nations décidera, éventuellement, „des mesures à
prendre soit pour assurer le maintien des dispositions de cette
convention, soit pour en réprimer la violation.quot; Les Parties con-
tractantes imposent donc au Conseil une certaine mission étrangère
au Pacte. On doit se demander si le Conseil est obligé d\'accepter
une pareille mission. MM. Anzilotti et Kaeckenbeeck pensent ^
qu\' „une telle disposition ne peut évidemment lier le Conseil que
si le Conseil l\'accepte, et une question se pose alors dont la réponse
est quelque peu douteuse, savoir si le Conseil peut, par sa propre
décision et en dehors des dispositions du Pacte, s\'obliger vala-
blement à accepter une méthode d\'invitation, sinon contraire au
Pacte. du moins non prévue par lui.quot; Ils ajoutent meme que,
..en tout cas, théoriquement du moins, il faut admettre qu\'une nou-
velle décision du Conseil pourrait à tout moment renverser la

première.quot;

Quoi qu\'il en soit de cette dernière thèse, les auteurs reconnais-
sent la Hberté de la Cour d\'accepter ou de rejeter une pareille mis-
sion qui n\'est pas parmi ses fonctions énumérées par le Pacte, Le
Conseil a jugé que la tâche imposée à lui, est en conformité de la
nature de ses attributions normales qui découlent du Pacte, et,
par sa résolution du 11 janvier 1922 2, il l\'a acceptée. „Considérant
que les obligations prévues à l\'article 7 sont entièrement conformes
à l\'esprit du Pacte et à ses fins, le Conseil de la Société des Nations
décide, sous réserve de la ratification de la convention par les
Puissances signataires, d\'accepter les obligations prévues audit
article 7, en vue du maintien de la paix et de la justice.quot;

Les cas mentionnés plus haut se sont présentés à notre atten-
tion, quand nous nous sommes enquis de la pratique du Conseil.
11 est fort bien possible qu\'il y en ait encore d\'autres, mais il nous

\' Voir leur Memorandum présenté à la Conférence relative à la non-fortifi-
cation et à la neutralisation des îles d\'Aland
(Actes de la Conférence, page 51
et suivantes).

\' Journal Officiel, 1922, page 125.

-ocr page 148-

semble qu\'on peut se contenter des exemples cités, vu qu\'il en ressort
clairement que, dès la première année où le Conseil a commencé à
déployer son activité, il a toujours suivi la même règle de conduite
à l\'égard des obligations que les Etats lui imposaient, quand même
elles étaient d\'une autre nature que celles qui sont énumérées par
le Pacte. Quand il s\'agissait de fonctions étrangères au Pacte, le
Conseil s\'est toujours posé la question préalable de savoir s\'il ac-
cepterait une tâche qui ne rentrait pas dans ses attributions propre-
ment dites. S\'il n\'y avait pas d\'obstacles à l\'accomplissement de la
mission demandée, le Conseil mettait ses efforts au service des
Etats qui avaient fait appel à lui. Tout en jugeant si assumer la
tâche en question était chose désirable, il se demandait — cela est
formulé de la façon la plus claire dans les rapports de M. le Baron
Gaiffier d\'Hestroy et de M. Léon Bourgeois ^ — si la fonction dont
les Etats le priaient de se charger, rentrait dans le cadre de ses
attributions normales définies par le Pacte; il s\'enquérait ensuite
s\'il n\'y avait pas de circonstances d\'un caractère juridique ou gé-
néral qui nécessitaient le refus de la prière. Le fait que le Conseil
se croit obligé d\'accepter formellement une mission étrangère au
Pacte, mène à la conclusion qu\'il se croit libre de refuser la tâche
qu\'on veut lui imposer.

Le second corps international qui est inhérent à la société mo-
derne des Etats, est la Cour permanente de Justice internationale,
étabUe à la Haye. Cette Cour possède dans son Statut, qui est un
traité indépendant, un ensemble de règles qui déterminent sa con-
stitution, ses attributions et sa procédure. Les articles 4 à 13 or-
donnent l\'élection des juges. L\'article 36 détermine la compétence
de la Cour; les règles qu\'elle appliquera en exerçant sa fonction,
sont établies par l\'article 38. Le chapitre III contient les règles de
procédure. Nous nous trouvons donc en face d\'un corps composé
de magistrats non dépendant des parties, et appelé à vider con-
formément aux règles du droit ^ les différends que les Etats lui
soumettront. Elle est prête à fonctionner, aussitôt que les parties

» Voir les notes des pages 131 et 132.

» Nous laissons de côté, pour le moment, le dernier alinéa de l\'article 38,
stipulant que la Cour est compétente pour statuer
ex aequo et bono, si les
parties sont d\'accord. (Voir ci-après pages 145—146).

-ocr page 149-

se sont décidées à soumettre leur différend à sa juridiction. C\'est le
seul point sur lequel une entente des parties soit requise et même
ceci n\'est pas nécessaire dans le cas oti les deux parties ont signé
la clause facultative de l\'article 36 du Statut. Contrairement au
cas où elles désirent une solution du différend par voie d\'arbitrage,
un accord sur la personne de l\'arbitre n\'est pas nécessaire; elles
u ont pas besoin non plus d\'un petit code de procédure à présen-
ter à l\'arbitre ^ et il est inutile qu\'elles lui soumettent des règles
e droit comme base de sa sentence:
jus curia novit.
Comme nous venons de le remarquer, la Cour est un corps
ayant une fonction clairement définie. Les Etats sont-ils libres
de lui imposer des occupations contraires à sa nature déterminée
par le Statut?

A ce point de vue le Pacte de la Société des Nations a indiqué
Ja route aux Etats en stipulant dans son article 14 que la Cour
\'.donnera des avis consultatifs sur tout différend ou tout point
dont la saisira le Conseil ou l\'Assemblée.quot; Auparavant déjà nous
avons eu l\'occasion de dire quelques mots sur la tendance de cet
article ce qui nous dispense d\'une nouvelle dissertation. Nous
sommes arrivé à la conclusion que la phrase de l\'article 14 que nous
gênons de citer, ne doit pas être censée faire partie du Statut de
la Cour.

C\'est pourquoi nous nous posons la question de savoir si la
Cour se croit obligée d\'émettre un avis consultatif, lorsque le Con-
seil ou l\'Assemblée l\'en sollicitent. La Cour n\'a pas laissé longtemps
e monde dans le doute, quant à son opinion sur ce point. Lorsque
e Conseil demanda l\'avis de la Cour pour la cinquième fois — il
s agissait du différend survenu entre la Finlande et la Russie, à
propos de la Carélie orientale —, elle a fait connaître au Conseil
son refus d\'exprimer un avis Quatre juges n\'ont pas, il est vrai,
pu partager cette opinion, mais la majorité de la Cour s\'est déclarée
indépendante des organes de la Société des Nations. EUe a reven-
diqué la liberté de juger s\'il y a des circonstances qui rendent iUi-

Si les Etats soumettent un différend à la Cour permanente d\'arbitrage, la
nvention de 1907 pour le règlement pacifique des conflits internationaux
fournit des règles de procédure complètes.

, yo^r page 62.

■^vis consultatif no. 5, donné le 23 juillet 1923, pages 28 et 29.

-ocr page 150-

cite ou inopportun de satisfaire à une requête d\'émettre un avis.

L\'attitude prise par la Cour dans l\'affaire carélienne a trouvé un
assentiment presque général. Cet assentiment découle sans doute
du fait qu\'on désapprouve la compétence consultative que le Pacte
attribue à la Cour. Et à bon droit; un organe de la société interna-
tionale, comme la Cour, ne doit pas avoir pour tâche de donner
des avis au Conseil et à l\'Assemblée, qui ont le droit de les écarter,
si cela leur paraît utile. La fonction purement consultative n\'est
pas compatible avec la haute vocation de la Cour; n\'est-elle pas
appelée à vider les différends survenus entre les Etats? Son auto-
rité se compromet, si l\'organe de la Société qui a demandé l\'avis,
se croit libre, peut-être pour des considérations politiques, de ne
pas se soucier de l\'avis donné par la Cour

L\'affaire de la Carélie orientale n\'est pas le seul cas où la Cour
ait considéré si elle accepterait une mission qui ne rentre pas dans
le domaine proprement dit de ses attributions, telles que le Statut
les définit. Coïncidemment avec le Traité de Paix de Lausanne,
qui terminait l\'état de guerre existant entre les Puissances alliées
et la Turquie, Ismet Pacha signait, le 24 juillet 1923, une décla-
ration concernant l\'administration judiciaire de la Turquie
Par cette déclaration le Gouvernement turc s\'engageait à prendre
à son service, comme fonctionnaires turcs, pour une période de
cinq ans tout au moins, des conseillers légistes européens; il se pro-
posait de choisir ces fonctionnaires dans une liste dressée par la
Cour permanente de Justice internationale, parmi les jurisconsultes
ressortissants des pays restés neutres pendant la guerre de 1914 à
1918.

La prière de dresser cette liste contenue dans la déclaration
mentionnée, fut portée à la connaissance du Président de la Cour
le 25 octobre 1923. Il est vrai que la Cour n\'était pas saisie d\'une
prière émanant de plusieurs Etats, mais elle lui était adressée de
l\'aveu et du consentement des Puissances signataires du Traité
de Lausanne. C\'est pour cette raison qu\'on est en
droit de considérer
cette prière unilatérale de la Turquie comme provenant de toutes
ces Puissances.

\' N. Politis, La justice internationale, Paris 1924, page 172.

A. S. de Bustamante, The World Court, New-York 1925, pages 265 et 266.

• Publications de la Cour, Série E, no. 1, [Rapport annuel) page 149.

-ocr page 151-

Dans sa séance du 12 novembre 1923 la Cour fit de la requête
que la Turquie lui avait adressée, l\'objet de ses débats et arrêta
d accepter la tâche que lui confiait la déclaration du Gouveme-
nient turc faite à Lausanne, „quoique cette tâche ne rentre pas
strictement parlant dans les devoirs de la Cour.quot; La Cour ne se
tenait donc pas pour obligée d\'accomplir la tâche que la déclara-
tion du Gouvernement turc lui imposait, mais elle débattait d\'abord
a question de savoir si elle ferait bien d\'assumer la mission

On connaît aussi des cas où il s\'agit de personnes privées qui se sont adres-
®ces à la Cour pour leur faire désigner un arbitre. Ces cas sortent, il est vrai,
e notre cadre, puisque la mission sollicitée n\'émane pas des Etats; cependant
^-s cas sont si curieux qu\'on nous permettra de les discuter.

® premier rapport annuel de la Cour {Publications de la Cour, Série E, no. 1,
P?-ges 152 et 153) nous informe qu\'un contrat, passé entre la maison hollan-
aise N.V. Anton Jürgens Vereenigde Fabrieken à Nimégue et des industriels
américains, stipule que des différends éventuels surgissant entre les parties,
Seront soumis à l\'arbitrage. Chacune des parties choisira un arbitre et le tiers
arbitre sera nommé par les deux autres. Au cas où ceux-ci n\'aboutiront pas à
accord sur la personne du sur-arbitre, chacune des parties intéressées
®era libre de s\'adresser à la Cour de la Haye „qui sera chargée de nommer le
ers arbitrequot;; la Cour „pourra également nommerquot; des arbitres, afin de
jempUr des places vacantes.

es parties avisèrent le Greffier de la Cour de l\'existence de cette clause du
contrat et lui demandèrent si la Cour, selon lui, accepterait la charge projetée.

e Greffier répondit qu\'à son sens la Cour ne prêterait pas assistance, attendu
4ue „cette collaboration ne rentre pas dans le domaine naturel de ses tra-
vauxquot;; il exprimait comme son opinion que probablement le Président de
a Cour se déclarerait disposé à nommer le tiers arbitre, si une prière lui était
^dressée à cet effet.

^ne autre occasion, effectivement, le Président se déclara prêt à désigner
arbitre.
{Second rapport annuel de la Cour, page 98). Un contrat passé entre
eux sociétés industrielles stipule que tous les litiges futurs seront soumis à
tribunal arbitral composé de trois arbitres, dont le tiers sera nommé par
es deux autres, choisis par les parties. Faute d\'un accord entre ces deux
arbitres, M. Max Huber, à ce moment-là Président de la Cour, désignerait le
^r-arbitre. Celui-ci se déclara réellement disposé à se charger de cette tâche.

ans le troisième rapport annuel de la Cour, on peut lire (à la page 230)
^^ elle partage l\'opinion du Greffier: la nomination des arbitres n\'est pas
ans ses attributions normales. Par conséquent, elle n\'accepte pas cette
ehe. Lorsque la société anonyme Anton Jürgens Vereenigde Fabrieken à
linègue priait la Cour de se charger de la désignation d\'un arbitre, celle-ci
ecida le 23 juin 1923 „qu\'elle ne pouvait, en tant que Cour, accepter cette
ehe . En même temps elle autorisa le Greffier à communiquer à la requé-

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Nous tirons de ces données, qui concernent la pratique de la
Cour, la même conclusion où l\'examen des agissements du Conseil
nous avait amené. Les Etats sont libres de confier aux organes
de la société internationale une mission qui excède le domaine
de leurs attributions, comme elles sont fixées par le statut créa-
teur. Mais le Conseil ainsi que la Cour ne se considèrent pas comme
obligés d\'accepter toute tâche qui leur est imposée; ils se réservent
la liberté de se demander si cette tâche est conforme à la nature
de leurs attributions normales. S\'il faut résoudre négativement cette
question, la Cour, comme le Conseil, se croit obligée de décevoir les
Etats qui ont fait appel à sa collaboration.

Les auteurs qui se sont occupés de la question débattue, sont
tous d\'avis que les Etats sont libres d\'étendre la compétence des
organes de la société internationale en dehors des limites que leur
statut organique a tracées. M. Makowski seul pense ^ que le Con-
seil doit se borner en fonctionnant à la tâche lui imposée par son
acte de fondation, vu que „le Pacte ne prévoit pas que le Conseil
de la Société puisse jamais agir en qualité de tribunal d\'arbitrage
ou de Cour internationale.quot; MM. Schiicking et Wehberg allèguent
contre cette opinion ^ que le Pacte n\'interdit pas au Conseil de
fonctionner en qualité d\'arbitre.

La Cour de Justice est également d\'avis que le fait que le Pacte
rattache aux décisions du Conseil certains effets juridiques d\'une
nature autre que ceux qui proviennent d\'une sentence arbitrale,
n\'empêche pas que le Conseil, par suite d\'un commun accord des
parties, soit „appelé à résoudre définitivement et obligatoirement
un différend quelconquequot; Peu après, la Cour dit qu\'il est fort bien
possible que „les Parties acceptent des obhgations et confèrent au
Conseil des pouvoirs plus étendus que ceux qui résulteraient de la
lettre de l\'article 15 du Pacte.quot;

rante que, à son sens, le Président serait probablement disposé à nommer l\'ar-
bitre, quand on l\'en prierait.

^ J. Makowski, La situation juridique du territoire de la Ville libre de Dantzig,
dans la Revue générale de droit international public, 1923, page 186.
\' W. Schiicking und H. Wehberg,
Die Satzung des Völkerbundes, Berlin
1924, page 321.

\' Avis consultatif no. 12, page 27.

-ocr page 153-

M. Whitton se demande ^ si la Cour n\'a pas voulu dire par ces
niots que le Conseil a le devoir d\'accepter des attributions, étran-
gères au Pacte, que les Etats conviendraient de lui reconnaître.
Ce serait sans doute regrettable; mais nous ne croyons pas que la
Cour ait eu l\'intention d\'exprimer cela. La Cour aurait bien fait

dit M. Whitton — d\'accentuer qu\'une pareille mission porte un
caractère purement facultatif et que le Conseil est libre de l\'accepter
ou de la refuser. Mais, d\'autre part, il ne faut pas oublier qu\'une
telle considération, dans le cas dont elle s\'occupait, était loin d\'ap-
Partenir à la Cour. Le Conseil lui avait présenté la question de sa-
voir quel est le sens de l\'article 3, paragraphe 2, du Traité de Lau-
sanne et quel serait l\'effet juridique de la décision à prendre par le
Conseil, le différend ayant été porté devant lui. En examinant
1 article, la Cour est arrivée à la conclusion que les parties avaient
envisagé une sentence arbitrale. Cette conclusion donnait lieu à
Une seule question, savoir si les Etats sont en droit de demander
une telle décision au Conseil. Pour peu que la réponse eût été né-
gative, ç\'aurait été un argument contre l\'interprétation de l\'article
^ qui vise, selon la Cour, une sentence arbitrale; car, si les Etats
ne sont pas à même de demander au Conseil une décision de cette
nature, il est invraisemblable qu\'ils aient eu l\'intention de faire
cela.

La Cour pouvait laisser indiscutée la question de savoir com-
nient le Conseil devrait se conduire envers une clause de trai-
té, lui imposant une tâche inaccoutumée. Aussi nous ne croyons
pas que la Cour ait voulu dire que le Conseil a le devoir d\'accom-
Plir une mission qui excède le cadre de ses attributions contenues
dans le Pacte; et cela, avant tout, parce que la Cour elle-même se
^roit autorisée à refuser une fonction qui n\'est pas de sa compé-
tence proprement dite C\'est ce que la Cour a fait, lorsque le Con-
seil lui demandait un avis consultatif concernant le différend de
la Caréhe orientale.

Si nous avons une notion juste de la manière de voir de MM.
Le Fur et Salvioli, il nous semble que ces deux auteurs adhèrent

J- B. Whitton, Chronique des faits internationaux, dans la Revue générale

droit international public, 1925, pages 420 et 421.

La compétence consultative n\'est citée que dans le Pacte et ne provient
pas du Statut de la Cour.

-ocr page 154-

à l\'opinion que les Etats ne sont pas seulement libres de confier
au Conseil une mission autre que celle dont le Pacte le charge,
mais encore que le Conseil est obligé d\'accepter cette tâche et de
l\'accomphr.

M. Le Fur dit ^ que l\'organisation de la Société des Nations ne
repose pas sur le principe de la séparation des pouvoirs; pour lui
il est de la plus haute importance que le Pacte vise avant tout „de
multiplier les chances d\'arriver à une solution pacifique des con-
flitsquot; De l\'avis de cet auteur, le Conseil a donc le devoir d\'accep-
ter une mission qui tende à maintenir la paix. A un point de vue
pratique, cette manière de voir a pour conséquence que le Conseil
doit assumer toute tâche qu\'on lui impose, aussi, par exemple, la
nomination d\'arbitres, quoiqu\'une charge de cette nature ne con-
cerne pas précisément la solution pacifique des différends interna-
tionaux. Mais, d\'autre part, on ne saurait nier que le règlement des
conflits ne soit facihté au plus haut point, si les Etats ont à leur
disposition un tribunal auquel ils peuvent soumettre leurs diffé-
rends. C\'est pour cette raison que le Conseil doit se sentir obligé
de nommer des arbitres toutes les fois qu\'on l\'en prie.

M. Salvioli part du principe » que le droit international range une
place importante à „l\'autonomie des volontés des Partiesquot; et que
les règles du Pacte ont, pour la majeure partie, „le caractère de
règles supplétives ou dispositives.quot; En d\'autres termes, les Etats
sont autorisés à écarter ces règles d\'un commun accord, pour le
cas spécial qui les concerne eux-mêmes, et à les remplacer par
d\'autres. M. Salvioli pense donc que les Etats sont libres d\'étendre
la compétence du Conseil en dehors des limites que le Pacte a tracées.

Si le point de départ de M. Salvioh, que les règles du Pacte
concernant la compétence du Conseil sont des règles dispositives,
est exact, il en découle que les clauses de l\'accord par lequel les
parties contractantes étendent les attributions du Conseil, ont
pour celui-ci la même valeur que si ces clauses avaient été insérées

» L. Le Fur, L\'Affaire de Mossoul, dans la Revue générale de droit international
public,
1926, la deuxième note de la page 84.

\' En effet, l\'article 3, alinéa 3, et l\'article 4, alinéa 4, donnent une indication
à ce sujet. lt;

• G. Salvioli, La jurisprudence de la Cour permanente de Justice internationale,
Paris, 1927, pages 56, 58 et 59.

-ocr page 155-

dans le Pacte lui-même. Autrement dit, le Conseil a le devoir d\'ac-
cepter toute tâche que les Etats désirent lui soumettre.

M. Moore déduit ^ de l\'article 36 du Statut de la Cour perma-
nente de Justice internationale que la Cour peut être invitée à
assumer une fonction autre que celle qui est renfermée dans le
* acte. L\'article 36 stipule que la compétence de la Cour s\'étend
\'.a tous les cas spécialement prévus dans les traités et conventions
en vigueur.quot; M. Moore interprète ces termes de telle façon que la
Cour est autorisée à fonctionner comme tribunal d\'arbitrage,
par exemple, et pourra donc accepter une autre tâche que sa fonc-
tion purement judiciaire. Si une prière à cet effet est adressée à
la Cour, elle doit décider — dit M. Moore — d\'après le dernier
alinéa de l\'article 36, si elle est compétente d\'accepter l\'invitation.

Il est assez facile de tirer la conclusion où notre examen nous
conduit. Au cours de notre étude sur la conduite que tenait le Con-
seil en recevant une demande de la part des Etats pour accompUr
nne tâche qui, strictement parlant, n\'était pas la sienne, nous
avons vu que le Conseil ne se décidait à accepter cette tâche qu\'après
avoir considéré s\'il ferait bien de l\'accepter. Il ne se croit donc aucu-
nement obligé d\'acquiescer sans plus à toute demande; il se pose
d abord la question préalable de savoir s\'il y a des termes pour ac-
cepter la fonction qu\'on désire lui imposer. Nous avons vu égale-
ment que la Cour agit de la même façon. Son refus de donner un
avis consultatif sur l\'affaire carélienne et son attitude prise au su-
jet de la prière du Gouvernement turc de dresser une hste de juris-
consultes, démontrent clairement qu\'elle se croit autorisée à dé-
cliner une mission qui excède sa fonction judiciaire proprement
dite.

Quant au Conseil, il pèse le pom: et le contre pour déterminer

la tâche imposée „rentre dans le cadre de ses attributionsquot; H
faut interpréter ce principe ainsi: le Conseil examine si le carac-
tère de la fonction à assumer est en rapport avec la nature géné-
rale de ses attributions. Si cet examen mène à un résultat satisfai-

J- Bassett Moore, Aide-mémoire sur la question des avis consultatifs, pré-
senté à la Cour le 18 février 1922,
Publications de la Cour, Série D, no. 2, page
385.

\' Voir pages 131—132.

-ocr page 156-

sant, le Conseil est enclin — à ce qu\'il semble — à accepter la mis-
sion à lui confiée. Comme nous l\'avons déjà dit, M. Le Fur pense
que la tâche du Conseil embrasse toutes les occupations qui peuvent
aider à atteindre la fin que le Pacte se propose, savoir: „de multi-
plier les chances d\'arriver à une solution pacifique des confUts.quot;
A notre avis, cette définition est trop large, parce qu\'elle comporte
que presque toutes les fonctions dont les Etats chargent le Con-
seil, convergent au but nommé et que, par conséquent, à un point
de vue pratique, le Conseil serait obligé d\'accueillir favorablement
toute demande envoyée par les Etats.

Le Conseil lui-même n\'a pas une conception étroite de ses attri-
butions. Qu\'il fasse rentrer dans sa tâche la protection des mmori-
tés, ressort des cas discutés plus haut. Voyant qu\'il accepte même
la mission de nommer les membres d\'une commission chargée de
la surveillance de l\'émigration réciproque des minorités, habitant
les territoires limitrophes de la Grèce et de la Bulgarie, on doit
concéder qu\'il n\'interprète pas dans un sens étroit l\'idée de pro-
tection des minorités, en considérant que le traité concernant l\'émi-
gration de ces populations est une forme de cette protection

Le Conseil a accepté aussi quelquefois de fonctionner en qua-
lité d\'arbitre, en vidant définitivement un différend de fronti-
ères. Nous croyons pourtant que pour une telle fonction le Con\'^eil
n\'est pas le corps le plus quahfié; son caractère purement poUtique
empêche qu\'il ne rende une décision basée exclusivement sur les
intérêts du territoire en htige et des deux Etats intéressés. Il n\'est
pas exclu que le Conseil court le risque de se laisser guider, en ren-
dant une sentence, par des considérations ayant seulement un rap-
port éloigné avec ces intérêts. Les difficultés provenant de sa na-
ture politique se feraient valoir à un plus haut degré encore, si les
Etats priaient le Conseil de régler un différend sur des bases autres
que ceUes d\'ordre pohtique, en d\'autres termes, de fonctionner en
quahté d\'arbitre de droit. Une teUe fonction serait entièrement en
contradiction avec la nature du Conseil; aussi refuserait-il sans con-
teste de l\'accepter.

Il n\'est pas difficile de désigner des limites aux occupations de la
Cour permanente de Justice internationale. Sa nature purement

1 Voir page 132.

-ocr page 157-

judiciaire les fixe à elle seule. La Cour ne doit s\'occuper que du droit
jntemational, qui sera, généralement parlant, la base de ses sen-
tences. Quoique nous ne puissions applaudir à la résolution des
uteurs du Pacte d\'insérer dans l\'article 14 la compétence consul-
tative de la Cour, cette compétence est soutenable, quand il s\'agit
questions d\'ordre purement juridique, sur lesquelles le Conseil
^u 1 Assemblée sollicitent l\'avis de la Cour. Mais c\'est à cela qu\'il
^aut se borner. La Cour elle-même ne semble pas être disposée à don-
er une application large à sa compétence consultative et ne se sent
pas appelée à émettre un avis sur d\'autres questions que celles qui
sont de nature juridique. Cela découle de son avis concernant la Ca-
® je orientale, où la Cour fait remarquer qu\'elle ne veut pas dire
^u une requête pour avis ne doive pas comporter une vérification
c faits, mais qu\'il serait désirable que les faits sur lesquels l\'avis

demandé soient présentés à la Cour comme constants ^
La Cour désire donc — et à bon droit, dirions-nous — borner ses
Occupations à un examen de ce qui est de droit. Par conséquent,
peut être persuadé que. si les Etats l\'en priaient, elle refuse-
rait sans doute de fonctionner comme commission d\'enquête et
c inerait l\'invitation d\'accomplir une mission que les conventions
et de 1907 ont définie toutes deux dans l\'article 9.
^ Le caractère purement judiciaire de la Cour comporte aussi qu\'une
^onipétence comme celle du dernier alinéa de l\'article 38 n\'est pas à
^ place dans le Statut. Cette clause déclare la Cour compétente
P°ur „statuer
ex aequo et bonoquot;, si les parties l\'en prient. L\'antithèse
^aite par l\'article 38 entre cette faculté de la Cour et son devoir
iquot;nial de rendre ses sentences sur la base du droit, rend probable
l^e, par igg décisions
ex aequo et hono, il n\'est visé autre chose que
^®ntence médiatrice de l\'amiable compositeur, qui ne juge pas
après des règles positives du droit, mais qui. ménageant les sus-
ceptibilités des parties, rend une décision les satisfaisant toutes
ux. Cette tâche, on aurait dû l\'épargner à la Cour; ses attribu-
ns auraient dû se borner à celles du juge impartial, qui a les yeux
f^^!^ le droit, base de sa décision 2. Si l\'article 38 n\'avait pas con-
__^_^pressément à la Cour la faculté de rendre une décision
ex

, ^vis consultatif no. 5, page 28.

Int ^nbsp;grondslag der beslissingen van het Permanente Hof van

ernationale Justitie, dans Themis, 1921, page 348.

-ocr page 158-

aequo et bono, elle devrait refuser catégoriquement d\'accomplir une
tâche, tellement en contradiction avec la fonction pour laquelle
elle a été créée

Comme nous l\'avons vu, la vie internationale accepte la com-
pétence des Etats d\'imposer à un corps international une tâche
qui est d\'une nature autre que ses fonctions normales; d\'autre part,
ce corps est censé autorisé à décliner une pareille tâche. La na-
ture de ses attributions proprement dites sera la pierre de touche de
l\'invitation. Quant à la Cour, l\'appUcation de ce principe n
\'éprouve
pas de difficultés, vu que son caractère est étroitement défini. H
en est tout autre du Conseil, dont les attributions sont déterminées
d\'une façon plus vague que celles de la Cour, par l\'article 4, ahnéa
4, du Pacte. Cette disposition ne fournit pas une idée assez nette
de sa compétence pour être prise comme base, quand il faut juger
si une mission quelconque rentre dans le domaine de ses attribu-
tions. Si nous sommes disposé à concéder à M. Le Fur que le droit
des gens ne connaît pas le principe de la séparation des pouvoirs, il
n\'en est pas moins vrai que le développement harmonieux des diffé-
rentes institutions internationales sera favorisé, pour peu que cha-
cune d\'entre elles ait son domaine propre.

Il est mauvais pour cette raison que la Cour permanente de
Justice internationale ait la faculté de statuer
ex aequo et bono.
Est-il sûr que la vie internationale saura toujours faire une dis-
tinction entre les sentences qui reposent sur le droit
international
positif, et celles rendues en dehors du droit, quand les Etats auront
fait usage du dernier alinéa de l\'article 38 du Statut, interprété
comme nous l\'avons fait ci-dessus? Et la haute mission de la Cour
ne sera-t-elle pas compromise par pareille activité non
strictement
judiciaire? Nous croyons de même incorrect que la Cour agisse en
commission d\'enquête, qu\'elle assume les attributions du média-
teur ou qu\'elle prête aux Etats ses bons offices.

» Il convient, toutefois, de faire remarquer que la clause finale de l\'article
38 du Statut est interprétée par les auteurs et par les juges de la Cour eux-
mêmes dans des sens fort différents et même contradictoires. Voir
à ce sujet,
entre autres, J. H. W. Verzijl, Die Rechtsprechung des Ständigen Internatio-
nalen Gerichtshofes 1922 bis Mai 1926 dans Zeitschrift für Völkerrecht, XlH.
pages 498—502.

-ocr page 159-

Le Conseil ne doit se charger ni de la tâche de l\'arbitre, en vi-
dant obligatoirement des différends, ni de celle de l\'„arbiter jurisquot;.
toutes les fois qu\'il s\'immisce dans des différends, il doit agir en
conformité de l\'article 15 du Pacte, son action est circonscrite,
«ue la Société des Nations assume la garantie des stipulations des
raités concernant les minorités de langue, de race et de religion!
Que le Conseil nomme des arbitres et des membres de commissions!

lors il pénétrera dans un terrain que le droit international n\'a pas
encore adjugé à un autre corps. Mais il serait à désapprouver que
es corps internationaux acceptassent des fonctions par l\'accom-
Pnssement desquelles ils empiétassent sur le domaine d\'autres or-
pnes, plus appropriés à l\'exercice de ces fonctions. Et surtout, que
c Conseil ne s\'ingère pas dans l\'activité régulière et indépendante
es tribunaux arbitraux existants, ainsi qu\'il a tâché de le faire
propos de la
sentenCe du Tribunal Arbitral Mixte roumano-hon-
grois, prononçant sa compétence de connaître des réclamations
es optants hongrois en matière agraire.

Au cas où ils seront saisis d\'une demande d\'assumer une tâche
rangère à leur statut, les corps internationaux, comme la Cour
et le Conseil, feront bien de ne pas examiner seulement la question
e savoir si cette tâche est conforme à la nature de leurs attri-
ntions normales; ils agiront encore sagement en examinant si,
en acquiesçant à une demande, ils prendront sur eux une tâche qui,
après son caractère, pourrait mieux être confiée à un autre or-
gane. S\'il leur paraît qu\'il existe un corps mieux approprié à l\'ac-
complissement de la tâche, ils ne doivent pas se charger d\'une mis-
sion pareille, mais adresser les Etats soUiciteurs à ce corps plus
qualifié qu\'eux-mêmes.

B - CONDITIONS DE VALIDITÉ DE LA DÉCISION

La deuxième question que le Conseil, par sa résolution du 19sep-
embre 1925, a posée à la Cour est ainsi conçue :

»2. La décision doit-elle être prise à l\'unanimité ou peut-elle
être prise à la majorité?

Journal Officiel, octobre 1925, page 1377 et suivantes. Voir aussi page 71.

-ocr page 160-

Les représentants des Parties intéressées peuvent-ils prendre
part au vote?quot;

Cette question était le complément obligé de la première, qui
se rapportait à la nature de la décision à prendre par le Conseil. Le
Conseil sachant une fois quel serait l\'effet juridique de sa résolution,
la question de savoir de quelle façon on prendrait cette résolution,
restait à résoudre. En d\'autres termes, une décision, pour être vala-
ble, requiert-elle l\'unanimité absolue, ou peut-on se contenter de
l\'unanimité visée dans l\'article 15, alinéa 6, du Pacte, ou est-ce
qu\'une décision prise à la simple majorité des voix suffit pour pro-
duire l\'effet juridique désiré?

La réponse que nous donnons à la deuxième question découle de
notre manière de voir relative à la première. Dans la partie précé-
dente de ce chapitre, nous avons exposé notre opinion que l\'article 3,
paragraphe 2, du Traité de Lausanne vise la médiation du Conseil.
Cependant, ce terme est peut-être moins juste. Nous ne nous en
sommes pas moins servi, de temps à autre, afin de souligner que la
décision du Conseil ne lie pas les parties en litige sans qu\'elles l\'aient
acceptée. Il est plus exact de donner une autre définition de l\'action
du Conseil; cependant, elle équivaut, en substance, à celle que nous
venons de donner. La voici : les parties ont voulu exprimer par l\'ar-
ticle 3 qu\'elles désiraient une solution définitive du différend,
moyennant une décision obligatoire du Conseil, mais cette décision
ne pouvait valablement être prise qu\'à l\'unanimité, conformément
à l\'article 5 du Pacte.

En donnant une réponse à la première question que le Conseil
a soumise à la Cour, nous avons résolu en même temps la deuxième,
et de la façon suivante: la décision sera prise à l\'unanimité des voix,
y compris celles des représentants des parties intéressées. Au cas où
ils ne votent pas pour la proposition soumise au Conseil, celui-ci se
trouvera dans l\'impossibilité de prendre une décision.

Voyons maintenant quelle est la réponse que la Grande-Bretagne
a donnée à la deuxième question. Le Mémoire du Gouvernement
britannique et le discours que celui-ci a fait prononcer, révèlent
son point de vue i). Le point de départ de l\'argumentation britanni-
que est la pratique arbitrale. Comme le Conseil n\'agit pas conformé-

\' Documents de la Cour, Série C, no. 10, pages 220—225 et pages 43—52.

-ocr page 161-

quot;^ent aux dispositions du Pacte, mais en vertu d\'un traité spécial,
ni la règle de l\'unanimité, contenue dans l\'article 5, ni celle relative
a l
\'unanimité restreinte et formulée à l\'article 15, alinéa 6, du Pacte,
quot;est applicable.

La règle de l\'unanimité est inhérente à l\'action d\'un corps revêtu
^^ un caractère diplomatique, mais le Conseil, agissant en vertu de
article 3 du Traité de Lausanne, n\'est pas un corps diplomatique,
quot;^ais un tribunal arbitral. A cause de cela, le Conseil et son activité
en même temps ont pris une nature tout autre que celle que le Pacte
eur attribue. Par conséquent, les articles 5 et 15 sont désormais hors
e cause et ne s\'appliquent plus à sa fonction; ils sont remplacés par
la règle qui régit l\'activité des tribunaux arbitraux, à savoir celle
es décisions prises à la majorité des voix. Le Conseil va donc rendre
Une décision à la simple majorité des voix. Voilà la réponse britanni-
que donnée à la première partie de la deuxième question.

I^our ce qui est de la seconde partie de cette question, le Gouver-
uement britannique dit que l\'intention des parties était qu\'elles fus-
sent toutes deux traitées sur le même pied. Ce principe a pour con-
equence que les deux parties auront le droit de prendre part au
^ote, ou qu\'aucune d\'elles n\'émettra sa voix. Le Gouvernement bri-
tannique fait un choix entre ces deux solutions possibles en se basant
^ur la règle que nul ne peut être juge dans sa propre cause. En
autres termes, ni la Grande-Bretagne ni la Turquie ne prendront
part au vote.

La Cour fût-elle d\'avis que les règles du Pacte s\'appliquant tout
e même au vote, le Gouvernement britannique conclut — c\'est
Sa conclusion subsidiaire — que l\'article 15, ahnéa 6, est apphcable.
La Cour n\'a pu souscrire à la thèse britannique principale i).
oncernant la première partie de la seconde question, elle pense
que l\'article 3 du Traité de Lausanne fait appel au Conseil „tel qu\'il
est organisé et tel qu\'il fonctionne conformément au Pactequot;. Dans
ee corps composé des représentants de ses Membres, les Etats, la
^egle de l\'unanimité est naturelle. Pour avoir leur maximum d\'au-
torité, il faut que les décisions de ce corps soient prises à l\'unani-
l^ité. Ce n\'est pas seulement le caractère du Conseil comme corps
iplomatique qui rend nécessaire l\'application de la règle de l\'una-

\' Avis consultatif no. 12, pages 29—32.

-ocr page 162-

nimité, mais d\'autres considérations mènent à la même conclusion.
Le Pacte de la Société des Nations, statut organique du Conseil, lui
impose la règle de l\'unanimité et ne permet que certaines exceptions.
Comme le Traité de Lausanne ne stipule pas expressément qu\'une
décision prise à la majorité des voix est possible, l\'application de la
règle de l\'unanimité est nécessaire. Ensuite la Cour fait remarquer
qu\'elle ne veut pas tirer d\'arguments de la théorie et de la pratique
de l\'arbitrage au sens restreint du mot, comme le fait le Gouverne-
ment britannique. Les arguments basés sur l\'arbitrage proprement
dit se rapportent seulement aux arbitres nommés
ad hoc et ne con-
stituant pas un corps permanent qui ait ses propres règles de
procédure. Comme les parties n\'ont pas exprimé leur volonté con-
traire, la règle normale de l\'unanimité prévue par le Pacte, s\'ap-
plique à la décision que le Conseil prendra en vertu de l\'article
3 du Traité de Lausanne.

A la deuxième partie de la question qui nous occupe, celle de
savoir si les parties intéressées prendront part au vote, la Cour
répond que c\'est l\'article 15 du Pacte qui doit être appliqué. Cet
article vise spécialement le cas où le Conseil est saisi d\'un différend.
En outre, la Cour partage le point de vue britannique que nul ne
peut être juge dans sa propre cause. Si l\'on admet que les parties
émettent une voix comptant dans le calcul de l\'unanimité, on leur
donne un droit de veto, ce qui ne serait pas compatible avec l\'in-
terprétation que la Cour donne à l\'article 3 du Traité. Ces considé-
rations n\'empêchent pas que les représentants des parties prendront
part au vote, attendu qu\'ils feront partie du Conseil.

En résumé, de l\'avis de la Cour, la décision du Conseil devra être
prise à l\'unanimité des voix; les représentants des parties prendront
part au vote, mais leurs voix ne compteront pas dans le calcul de
l\'unanimité.

Dans l\'ordre d\'idées de M. Gidel, qui est d\'avis qu\'en signant
l\'article 3 du Traité de Lausanne les parties ont voulu recourir
au Conseil dans les conditions prévues par l\'article 17 du Pacte,
il va de soi que la réponse à la deuxième question posée à la Cour,
doive être donnée sur la base de l\'article 15

Par rapport à la deuxième question, il est intéressant d\'étudier
\' Voir sa Consultation, page 30.

-ocr page 163-

deux autres différends dont le Conseil s\'est occupé en qualité d\'ar-
itre, tout comme du différend de Mossoul. Dans ces cas aussi,
jj était chargé de la détermination d\'une ligne frontière. On a voté
une façon autre que celle qui est recommandée par la Cour.
Le premier cas était la détermination de la frontière entre l\'Au-
Wche et la Hongrie. L\'Autriche s\'était engagée, par le Protocole de
Venise, signé le 13 octobre 1921, à accepter telle solution du diffé-
rend qui serait recommandée par le Conseil de la Société des Nations,
concernant le tracé de la frontière dans le Burgenland. Le Gouver-
nement hongrois avait déclaré,par sa lettre du 13 avril 1922, qu\'il
esirait voir prononcer au Conseil une sentence arbitrale contenant
a fixation de la frontière. Comme on le voit, le Conseil était appelé
a déterminer la frontière entre les deux Etats d\'une manière défini-
tive et obligatoire.

Dans le mémorandum soumis par le Secrétaire général de la So-
ciété des Nations au Conseil, le 13 septembre 1922, il est dit ^ que
gt;.l
Autriche ne doit pas prendre part au vote, tout en étant repré-
sentée aux délibérations du Conseil en vertu de l\'article 4 du Pactequot;,
qui assigne à chaque Membre de la Société dont les intérêts sont en
jeu, le droit de faire siéger un représentant au Conseil. L\'Autriche
avait déclaré renouveler l\'engagement pris par le Protocole de Veni-
se, à condition que la décision du Conseil, au sujet du tracé de la
routière, fût prise à l\'unanimité. Le Secrétaire général, dans son
mémorandum mentionné plus haut, fait remarquer que, bien enten-
du, la décision sera prise à l\'unanimité, vu que l\'article 5 du Pacte
définit que, comme règle générale, les décisions du Conseil et de
1
Assemblée requièrent l\'unanimité.

Les représentants des parties assistaient à la séance du Conseil
du 13 septembre 1922, pour fournir des renseignements et faire con-
naître le point de vue de leurs Gouvernements respectifs. C\'est dans
cette séance même que le Conseil décida d\'ajourner sa sentence
Quelques jours plus tard, le 19 septembre 1922, les représentants de
1
Autriche et de la Hongrie ayant pris place à la table du Conseil,
Hijmans, rapporteur, donna lecture de la décision du Conseil,
laquelle fixait la frontière entre ces deux Etats Cette séance avait

Journal Officiel, novembre 1922, page 1332.
^ Journal Officiel, novembre 1922, page 1184.
\' Journal Officiel, novembre 1922, page 1196.

-ocr page 164-

pour but d\'informer officiellement les représentants des parties de
la sentence arbitrale du Conseil, rendue dans une séance précédente
et privée; les représentants des parties, pas même celui de l\'Autriche,
n\'avaient pris part aux délibérations ni au vote.

Comme on le voit, la décision a été prise en dehors des parties.
Leur collaboration s\'est bornée à l\'action de l\'avocat qui défend la
cause de son client en fournissant tous les renseignements capables
de démontrer au juge la justesse du point de vue défendu par lui.

Le second exemple de la fonction arbitrale exercée par le Conseil
est la déhmitation de la frontière entre la Tchécoslovaquie et la
Hongrie. C\'est dans sa séance du 31 janvier 1923 que le Conseil
s\'est occupé de cette affaire Le Président du Conseil demanda aux
représentants des parties quelle serait la nature de l\'action du Con-
seil, c\'est-à-dire, si cette action serait une médiation, une recom-
mandation ou bien un arbitrage. Les représentants répondirent que
leurs Gouvernements respectifs demandaient l\'arbitrage de la So-
ciété des Nations.

Lors de la séance privée du 23 avril 1923 le Conseil prit une réso-
lution au sujet de la délimitation de la frontière et décida de la com-
muniquer aux représentants des parties au cours d\'une séance pu-
blique Ces représentants n\'avaient pas assisté à la séance privée
et n\'avaient, par conséquent, pris part ni aux délibérations ni au
vote. Le même jour, en séance publique et en présence des repré-
sentants des parties, il fut donné lecture de la décision du Conseil
prise dans sa séance précédente

Quelle est la conclusion à tirer de ces précédents? Il semble
que, dans l\'un et l\'autre cas, sans que le Conseil fît voter les repré-
sentants des parties, la décision du différend ait été prise à l\'unani-
mité des voix, comme le veut l\'article 5 du Pacte. Cela est en con-
formité du point de vue de la Cour; eUe pense que les règles de
procédure d\'un corps permanent, comme le Conseil, doivent s\'ap-
phquer aussi, quand bien même son action est d\'une autre nature
que ses attributions normales ; à moins que les parties n\'aient exprimé
une volonté contraire.

Il est curieux que le Conseil, en s\'occupant des deux litiges dont

» Journal Officiel, mars 1923, page 209.
\' Journal Officiel, juin 1923, page 599.
• Journal Officiel, juin 1923, page 601.

-ocr page 165-

nous venons de parler, n\'ait pas appliqué toutes les prescriptions du
l^acte. Pourquoi a-t-il appliqué l\'article 5 du Pacte, mais non pas
1 article 4, alinéa 5, qui assigne à un Membre de la Société, non-
membre du Conseil, un siège dans ce dernier corps, lorsque ses inté-
rêts sont en jeu ? En vertu de cet article, la Tchécoslovaquie, membre
Originaire de la Société des Nations, et la Hongrie, devenue membre
en 1922, avaient droit à un siège au Conseil, et de même l\'Autriche,
niembre depuis 1920; pour ce qui est de l\'Autriche, le Secrétaire
général avait dit que, tout en étant représentée au Conseil, elle ne
pouvait prendre part au vote. Dans les séances où le Conseil a discuté
les deux questions et pris une décision là-dessus, les représentants
des parties n\'ont pris part ni aux délibérations ni au vote.

Il est vraisemblable que cette abstention est due à la considéra-
tion que nul ne sera juge dans sa propre cause. Mais on doit se de-
niander si cette considération est en conformité de la tendance de
l\'article 4, alinéa 5.

Cet article dit que „tout Membre de la Société qui n\'est pas
représenté au Conseil est invité à y envoyer siéger un Représentant
lorsqu\'une question qui l\'intéresse particulièrement est portée
devant le Conseilquot;. Quelles sont les attributions du représentant
que le membre de la Société envoie au Conseil? Est-ce que ses droits
se bornent à prendre part aux discussions, ou sera-t-il autorisé à
éniettre comme les autres une voix qui compte, éventuellement
dans le calcul de l\'unanimité absolue, exigée par l\'article 5, ahnéa
1er, pour qu\'une décision soit valable? La rédaction anglaise du
cmquième alinéa de l\'article 4 est plus claire que la rédaction fran-
çaise, parce qu\'elle dit que le représentant siégera „as a memberquot;;
ces mots ne se trouvent pas dans le texte français. Selon le texte
anglais, le représentant de l\'Etat non-Membre du Conseil n\'est
pas seulement autorisé à assister aux séances de ce corps, mais il
prendra encore part à ses délibérations; il aura tous les droits qui
reviennent à un Membre, notamment le droit d\'émettre une voix
faisant éventuellement autorité dans le cas de nécessité d\'unanimité
absolue. Malgré le fait que les mots „as a memberquot; font défaut dans
le texte français, nous croyons que cette rédaction est susceptible
de la même interprétation que la rédaction anglaise Il est indis-

\' Voir: O. Hoyer, Le Pacte de la Société des Nations, Paris, 1926, page 80;

Lammasch, Völkermord oder Völkerhund?, La Haye, 1920, page 110; Sir

-ocr page 166-

pensable que la tendance du texte français soit la même que celle du
texte anglais, et pour la raison suivante. Si le sens des deux versions
différait, il aurait suffi que le Pacte imposât au Conseil l\'obligation
d\'entendre, avant qu\'il prît une décision, le représentant de l\'Etat
non-membre du Conseil sur les affaires qui touchent particuhère-
ment ses intérêts. Ce serait-là la tendance de l\'article 4, si l\'on
permettait au représentant de l\'Etat en question de prendre part
aux discussions, tout en lui refusant le droit d\'émettre une voix ef-
fective; voix qui, dans les cas où l\'unanimité absolue est requise, le
mettrait à même de prévenir une décision qu\'il croirait être en con-
tradiction avec les intérêts de son Etat

Nous pensons qu\'il est clair que l\'article 4 vise d\'assigner à l\'Etat,
Membre de la Société, mais non représenté au Conseil, le droit de
faire assister aux séances du Conseil un représentant revêtu de tous
les droits qui sont le partage des membres proprement dits, et, par
conséquent, du droit d\'émettre un veto, toutes les fois que l\'una-
nimité absolue est requise.

Dans cet ordre d\'idées une autre question se pose. La Turquie
avait-elle droit à un siège au Conseil, lorsque celui-ci s\'occupait de
l\'affaire de Mossoul? La solution de cette question est importante,

Frederick Pollock, The League of Nations, Londres, 1922, page 108; W.
Schiicking und H. Wehberg,
Die Satzung des Völkerbundes, Berlin, 1924,
pages 326 et 328. De l\'avis de Chr. Meurer
[Die Grundlagen des Versailler
Friedens und der Völkerbund,
Würzburg, 1920, pages 108—109) le représen-
tant de l\'Etat membre de la Société et siégeant au Conseil en vertu de l\'ar-
ticle 4, alinéa 5, est privé du droit de suffrage.

» Le commentaire officiel britannique du Pacte {The Covenant of the League
of Nations with a commentary thereon,
Londres, 1919, page 14) interprète l\'ar-
ticle 4, alinéa 5, en disant qu\'il a en vue de protéger „the interests of the
small Powersquot;, en leur assignant le droit de veto, lorsque leurs intérêts par-
ticuliers sont en jeu. Le commentaire susdit exprime l\'espoir qu\'ils ne fe-
ront usage de ce droit que „in extremely vital mattersquot;.
On a parlé de l\'article 4 pendant la session de l\'Assemblée en 1921. M.
Branting (Suède) s\'est plaint de ce qu\'un membre de la Société avait fait
siéger un représentant au Conseil, sans que ce représentant fût en mesure de
prendre part aux délibérations décisives; il se trouvait „dans une situation
fort analogue à celle des représentants des parties devant un tribunal, ce qui,
au jugement du Gouvernement suédois, n\'est prévu par aucune disposition
du Pactequot;
{Séances plénières de l\'Assemblée 1921, page 59. Voir aussi page
193).

-ocr page 167-

SI 1 on admet que les règles de procédure du Pacte dominent l\'action
arbitrale du Conseil. C\'est M. Gidel surtout qui doit s\'être posé
cette question. Il pense que l\'article 3 du Traité de Lausanne vise la
procédure de l\'article 17 du Pacte. Le Conseil aurait donc à exercer
les attributions que le Pacte lui confère et cela en conformité des
règles de procédure prescrites par le Pacte. Voilà pourquoi il importe
de rechercher si le Pacte assigne à la Turquie un siège au Conseil,
quand celui-ci traite une question d\'un intérêt particulier pour elle.

Nous pensons que, si l\'on se tient strictement aux termes du
^acte, la Turquie n\'aurait pu faire valoir aucun droit
à envoyer sié-
ger un représentant au
Conseil. L\'article 17 stipule quels articles du
Pacte s\'appliquent au cas où
l\'Etat étranger à la Société accepte l\'in-
vitation de se soumettre aux obligations imposées aux membres de
la Société ; mais entre ces dispositions l\'article
4 ne figure pas. L\'a-
Vant-demier alinéa de cet article, qui a trait
à la question qui nous
Occupe, parle de „tout
Membre de la Société qui n\'est pas représenté
au Conseilquot;.
Car le droit de participer aux délibérations du Conseil et
d émettre une voix est réservé aux Membres de la Société. La Tur-
quie, n\'étant pas Membre, n\'est donc pas autorisée à invoquer l\'ar-
ticle
4, pour obtenir un siège au Conseil, lors des séances consacrées
a des questions en rapport avec ses intérêts.

Cependant, le Pacte renferme une autre disposition, qui semble
permettre au Conseil de faire siéger dans son sein des représentants
d
Etats étrangers à la Société, au cas où il croirait utile qu\'ils prissent
part aux délibérations. En vertu de l\'article 17, alinéa premier, le
Conseil invite l\'Etat non-Membre de la Société, affligé d\'un diffé-
rend, à se soumettre aux obligations qui s\'imposent aux Membres
de la Société. L\'article ajoute que le Conseil lui adressera cette invi-
tation „aux conditions estimées justes par le Conseilquot;. Il va de soi
que ces termes permettent au Conseil de formuler les conditions de
telle manière que les difficultés que pourra soulever l\'Etat non-
membre contre l\'immixtion du Conseil dans ses affaires, se dissipent.
Cela découlera surtout et tout naturellement de la certitude donnée
à l\'Etat invité qu\'il sera traité sur le même pied que le Membre de la
Société avec qui il est en litige. Autrement dit, la première condi-
tion que le Conseil „estimera justequot; sera l\'assurance donnée à
1
Etat non-Membre de la Société qu\'il aura le droit d\'envoyer un
représentant à Genève siéger au Conseil en quahté de Membre

-ocr page 168-

ad hoc. Mais il ne faut pas perdre de vue que l\'admission, à la
table du Conseil, de l\'Etat non-Membre de la Société dépend de la
bienveillance de ce corps, et que cet Etat ne peut faire valoir de
droit à son admission au Conseil, comme le peut faire un Etat
Membre de la Société.

C\'est ainsi que le Conseil, en vertu de la compétence lui conférée
par l\'article 17, alinéa premier, du Pacte, a décidé, lors de sa séance
du 30 août 1924, d\'adresser un télégramme au Gouvernement turc,
par lequel celui-ci était invité „à se faire représenter sur un pied
d\'égalité aux délibérationsquot; du Conseil sur la question de Mossoul

Notre opinion sur la situation de l\'Etat non-Membre de la Société
est en conformité de la pratique du Conseil. Lorsque celui-ci fut
saisi du différend entre la Finlande et la Suède concernant les îles
d\'Aland, M. Balfour, dans la séance du 11 juillet 1920, a fait une
déclaration au nom du Conseil, où il disait ce qui suit ^ ; La Suède,
Membre de la Société, mais en ce temps-là non Membre du Conseil,
y a été représentée; son représentant y a siégé en qualité de membre;
le Conseil avait décidé que la Finlande, qui n\'était pas encore Membre
de la Société, serait invitée à assister aux délibérations du Conseil,
au même titre que la Suède. Lord Balfour soulignait donc que la
Finlande n\'était pas Membre de la Société, mais que, tout de même,
le Conseil s\'était décidé à admettre le représentant de cet Etat à
ses délibérations sur le même pied que le représentant suédois.

Lorsque le Conseil traitait le différend survenu entre l\'Autriche
et la Hongrie, au sujet de la frontière entre ces deux Etats dans le
Burgenland, le Secrétaire général soumit, le 13 septembre 1922, au
Conseil un mémorandum, où il disait ^ que l\'article 4 du Pacte
ne s\'appliquait pas à la Hongrie, attendu que cet Etat n\'était
pas Membre de la Société. Il pensait que le Conseil voudrait tout
de même admettre le représentant de la Hongrie à ses délibérations
„sur un pied d\'égalité avec celui de l\'Autrichequot;. En effet, les repré-
sentants des deux parties ont assisté à la séance du Conseil, afin
d\'exposer leurs points de vue respectifs.

Le Conseil se fait donc guider par des considérations d\'équité,
qui ont pour conséquence que l\'Etat non-Membre de la Société

gt; Journal Officiel, octobre 1924, pages 1291—1292.
• Journal Officiel, juillet—août 1920, page 247.
» Journal Officiel, novembre 1922, page 1332.

-ocr page 169-

est traité de la même manière que l\'Etat Membre, quoique l\'article

du Pacte ne s\'applique pas aux Etats non-Membres K

Lord Balfour s\'exprimait dans le même sens, lors de la séance du
Conseil du 30 janvier 1923 en exposant quelle ligne de conduite
son Gouvernement se proposait de suivre, si les négociations de
Lausanne n\'aboutissaient pas à une entente entre la Grande-Bre-
tagne et la Turquie sur l\'affaire de Mossoul. Dans ce cas la Grande-
Bretagne se verrait obligée de faire appel à la Société des Nations
et l\'article 17 serait sans doute un des articles invoqués. Lord Bal-
tour disait être convaincu que les termes de l\'article 17: „aux con-
ditions estimées justes par le Conseilquot; seraient interprétés comme
signifiant: „sur un pied d\'égalité absoluequot;. Afin d\'assurer à la Tur-
quie un traitement sur le même pied que les membres du Conseil
et afin de la convaincre qu\'„elle serait accueillie comme un membre
de la Sociétéquot;, Lord Balfour n\'invoque pas l\'article 4, avant-dernier
alinéa, du Pacte, mais il fait appel au sentiment d\'équité du Con-
seil, sachant que l\'article 4 parle seulement des membres de la

Société.

En résolvant la deuxième partie de la seconde question, à savoir si
les parties en litige prendront part au vote, la Cour est partie des
alinéas 6 et 7 de l\'article 15 du Pacte

Il nous semble qu\'une application conséquente du principe
qui régit la réponse donnée par la Cour à la première partie de la
Seconde question, aurait dû amener une autre solution que celle
On la Cour est arrivée. Elle a posé en principe que les parties, en
signant l\'article 3 du Traité de Lausanne, ont eu devant les yeux
le Conseil „tel qu\'il est organisé et tel qu\'il fonctionne conformé-
rnent au Pactequot; Ce principe avait pour conséquence que l\'article
^ était apphcable: la décision ne serait donc pas prise à la majorité
des voix, mais à l\'unanimité. Cependant la Cour craignait que l\'ap-
Plication de cette règle n\'empêchât la solution définitive et obliga-

O- Hoyer, Le Pacte de la Société des Nations. Paris 1926, page 321. W.
Schûcking und H. Wehberg,
Die Satzung des Völkerbundes. Berlin 1924, page
642.

\' Journal Officiel, mars 1923, pages 201—202.
° Avis consultatif no. 12, page 32.
\' Avis consultatif no. 12, page 29.

-ocr page 170-

toire du litige que les parties demandaient par l\'article 3 du Traité
de Lausanne. Vu qu\'un représentant de la Turquie et de la Grande-
Bretagne assistaient incessamment aux séances du Conseil et que
celui de la Turquie était traité comme si elle était membre, la solu-
tion définitive serait fort difficile à atteindre, s\'il fallait que l\'une
et l\'autre partie émissent une voix favorable à la décision. En ad-
mettant que l\'article 5 du Pacte s\'applique à la décision, on
concède
aux parties un droit de veto.

C\'est pour ce motif que la Cour a utilisé l\'occasion, à lui offerte
par le Pacte, d\'éviter cet obstacle. L\'article 15 du Pacte, qui a
trait aux différends internationaux, connaît aussi une décision
prise à l\'unanimité. Cette unanimité a comme caractéristique
qu\'on ne tient pas compte des voix émises par les représentants
des parties. C\'est ce qu\'il fallait à la Cour. Elle interprétait l\'article
3 du Traité de Lausanne en donnant une application analogue à la
disposition d\'exception de l\'article 15, alinéa 6, du Pacte. C\'est
ainsi que la voix des parties était éliminée, et il était probable que
le Conseil aboutirait à une décision prise à l\'unanimité restreinte.

Mais, en appliquant la disposition d\'exception de l\'article 15,
alinéa 6, du Pacte qui concerne une résolution du Conseil ayant des
effets juridiques exactement définis par le Pacte, la Cour a fait pas-
ser cette règle avant un autre principe du Pacte; ce principe, d\'une
tendance générale, est la règle de l\'article 5.

La Cour a écarté cette règle générale, afin d\'être à même d\'appli-
quer par analogie la disposition d\'exception contenue dans l\'article
15, alinéa 6, du Pacte. De notre avis, il est douteux qu\'il soit permis,
quand on se base sur le Pacte, de partir d\'une règle s
\'appliquant
à un cas spécial où la procédure comporte des effets juridiques nette-
ment définis. Si on admet que les parties ont eu devant les yeux le
Conseil tel qu\'il fonctionne d\'après les règles du Pacte, il faut ap-
pliquer les dispositions générales et normales et pas les dispositions
d\'exception. Nous pensons que la Cour aurait été fidèle à son princi-
pe que les parties visaient „le Conseil tel qu\'il est organisé et tel qu\'il
fonctionne conformément au Pactequot; si elle avait accepté la con-
clusion qu\'une décision obligatoire requiert l\'unanimité absolue des
voix, y compris celles des parties. L\'inconvénient que cette solution

\' Voir page 29 de l\'avis consultatif.

-ocr page 171-

de la question assigne aux parties un droit de veto, est une consé-
quence logique du point de départ: le Pacte ne reconnaît-il pas à
chaque Etat un droit de veto? droit qui découle de l\'article 5, en
connexité, quant aux Etats non-Membres du Conseil, avec l\'article
alinéa 5, du Pacte.

La Cour, en résolvant la seconde question, n\'aurait-elle pas
mieux fait de partir d\'un autre principe que l\'organisation et
le fonctionnement normals du Conseil? Le principe qu\'elle a pris
pour base en résolvant la première question, relative à la nature de
la décision à prendre par le Conseil, a été que les parties désiraient
une décision obHgatoire, vu que l\'article 3 du Traité de Lausanne
vise la détermination définitive de la frontière. Si la Cour était
partie de ce même principe en résolvant la seconde question, sa
réponse aurait été que le Conseil était en droit de prendre une dé-
cision à la majorité simple des voix. Car la solution donnée par la
Cour ne permettait pas au Conseil de procéder, dans toutes les
conditions, à la fixation définitive de la frontière en Htige. Quand
bien même les voix des parties ne compteraient pas dans le calcul
de l\'unanimité, un ou plusieurs des membres du Conseil pourraient
ue pas consentir à la solution proposée et, ainsi faisant, faire échouer
la détermination définitive de la frontière. Pour cette raison, la
réponse que le Gouvernement britannique a donnée à la seconde
question, est plus efficace ^ : les représentants des parties ne pren-
nent pas part au vote et la décision se prend à la majorité des voix.

La difficulté qui surgit, quand on résout la deuxième question,
réside dans le seul fait qu\'on prétend appliquer aux attributions
que les Etats reconnaissent au Conseil en dehors du Pacte, des règles
de procédure qui se rapportent à ses attributions normales. Or,
cette application nous semble être erronée. A notre avis, les solu-
tions doivent être les suivantes.

Si deux Etats non membres du Conseil, prient ce corps de rendre
nne décision arbitrale, la solution se fait toute seule : aucune des deux
parties ne prendra part au vote. C\'est ainsi que le Conseil a agi
dans les cas précédemment énoncés où il était appelé à des fonc-
tions arbitrales. Si l\'on veut admettre les parties aux déHbérations
du Conseil, il ne faut pas aller ju
squ\'à les faire voter. C est qu on a

\' Voir pages 148—149.
\' Voir pages 150—151.

-ocr page 172-

affaire à une procédure sortant du cadre du Pacte et à laquelle les
prescriptions du Pacte ne doivent pas être appliquées.

Si deux Etats Membres du Conseil lui imposent la mission arbi-
trale, il faudra choisir également entre l\'unanimité absolue, qui com-
promet la prise de la décision, l\'unanimité restreinte, qui, formelle-
ment, ne s\'applique qu\'à une procédure nettement définie, et la
majorité des voix. Pour nous, le choix n\'est pas difficile: nous ne
comprenons pas pour quelle raison la décision arbitrale devra être
prise à l\'unanimité ^ En appelant le Conseil à une fonction autre
que sa fonction normale, les parties modifient en même temps sa
nature. De corps diplomatique, le Conseil devient tribunal arbitral,
et cela avec tous les traits distinctifs que comporte cette nature
arbitrale. Si deux Etats montrent l\'intention de faire vider défini-
tivement un différend, ils doivent donc être censés acquiescer à
une décision prise à la majorité des voix, précisément parce que
l\'application de la règle de l\'unanimité compromettrait la décision.

Enfin, on doit se demander de quelle façon le Conseil doit prendre
une décision, lorsqu\'un Etat qui est Membre du Conseil, est partie
dans un différend avec un Etat non Membre du Conseil, et que
les Etats litigants soumettent ce différend au Conseil pour que celui-
ci rende une décision arbitrale. MM. Schiicking et Wehberg pensent \'
que dans ce cas l\'Etat Membre du Conseil n\'est pas autorisé à pren-
dre part au vote, pas davantage, bien entendu, que l\'Etat qui,
pour des motifs d\'équité, est admis aux séances du Conseil. Il serait
absurde de faire voter les représentants des parties dans le cas d\'une
sentence arbitrale. D\'autre part la question se pose si l\'on est auto-
risé à priver un Membre du Conseil du droit d\'émettre sa voix,
droit accordé par la prescription formelle de l\'article 5 du Pacte
exigeant l\'unanimité ; ou plutôt, si l\'on peut dispenser ce Membre,
étant présent au Conseil, de l\'obligation de prendre part au vote.

Comme on le voit, l\'application rigoureuse du principe, exprimé
par l\'article 5 du Pacte, fait naître de grandes difficultés. On désire
appliquer cet article à la procédure arbitrale, mais on recule devant
le fait qu\'alors les deux parties doivent collaborer à la décision et
que, par conséquent, déjà une d\'entre elles peut déjouer une déci-

» W. Schiicking und H. Wehberg, Die Satzung des Völkerbundes, Berlin, 1924,
pages 321 et 326.
quot; Ouvrage cité, page 321.

-ocr page 173-

sion unanime. Ne serait-il pas préférable de passer sous silence
telles règles du Pacte qui ne sont pas écrites en vue d\'attributions
extraordinaires — les décisions arbitrales, entre autres — et qui se
rapportent à la tâche imposée au Conseil par le Pacte lui-même et
en vue de laquelle elles ont leur seule raison d\'être ? Nous pensons
qu\'on peut se sentir satisfait, en voyant le Conseil prendre des ré-
solutions, telles que des décisions arbitrales, par la simple majorité
des voix i.

C\'est là, à notre sens, une solution raisonnable et appropriée
à tous les cas où les Etats imposent au Conseil une tâche d\'une
autre nature que celles qui lui sont imposées par le Pacte. Si les par-
ties désirent que la décision soit prise d\'une autre manière, soit à
l\'unanimité, soit à une majorité quahfiée, il est nécessaire qu\'elles
expriment clairement et expressément leur désir dans leur traité.
Si elles négligent de faire cela, l\'interprète a toute liberté de donner
à une question comme celle qui nous occupe, une solution en confor-
mité de la nature de la mission que les Etats ont confiée au Conseil;
il serait peu désirable que l\'interprète essaie de sangler dans l\'étroite
enveloppe du Pacte une compétence qui n\'est pas propre au Conseil.

\' Il nous semble à peu près superflu de faire remarquer que nous ne résol-
vons de la manière qu\'on a vue, la deuxième question, qu\'en nous mettant
au point de vue de la Cour, qui est d\'avis que la genèse de l\'article 3, para-
graphe 2, du Traité de Lausanne est sans aucune importance pour l\'inter-
prétation de cette clause.

-ocr page 174-

Chapitre V

NATURE DU LITIGE ET BASE DE LA DECISION

A - nature du litige

Lorsque le Conseil de la Société des Nations fut appelé à régler
le différend de Mossoul, qui a failli déchaîner une guerre entre la
Grande-Bretagne et la Turquie, une des questions de la plus haute
importance que ce corps avait à résoudre, était celle de savoir de
quelle façon il devait chercher la solution du litige. Le rôle d\'arbitre
dont, d\'après la Cour, les parties avaient revêtu le Conseil, justifiait
cette question. Prendrait-il comme règle de conduite, en rendant
une décision obligatoire, les règles du droit international positif,
ou bien se ferait-il guider par des considérations d\'une autre nature
et qui n\'appartiennent pas ou pas encore au droit strict? Dans le
dernier cas il allait baser sa sentence sur des considérations em-
pruntées à l\'origine ethnique de la population du territoire en litige,
à leurs désirs, aux avantages économiques de l\'adjudication à l\'une
ou à l\'autre des parties, aux considérations d\'ordre géographique,
d\'ordre militaire; toutes considérations qui, à l\'heure actuelle, ne
font pas partie du droit international en vigueur.

La question visée ci-dessus était étroitement Uée à une autre con-
cernant le point de savoir quelle était la nature du différend.
Etait-il d\'ordre juridique ou d\'ordre pohtique? Le caractère compU-
qué de l\'affaire de Mossoul nous oblige à l\'examen des différentes
qualifications connues des confhts internationaux, notamment
à celui de la question de savoir quelle est la différence entre un htige
d\'ordre juridique et un htige politique ^nbsp;^^^^

1 Th. Willing Balch, Différends juridiques et politiques dans les rapports des
nations,
dans la Revue générale de droit international public 1914, p. 181 etss.
J H W. Verzijl,
La classification des différends internationaux et la nature du

-ocr page 175-

Les auteurs qui se sont occupés de ce sujet n\'emploient pas les
niêmes termes en parlant des différentes qualifications des conflits
internationaux. Le terme: différend d\'ordre juridique est en usage
chez tous, mais on trouve des termes différents pour d\'autres caté-
gories de litiges. A côté des différends d\'ordre juridique, ceux-ci
parlent de différends d\'ordre non-juridique, ceux-là de différends
politiques, ou bien de conflits d\'intérêts. Avant de rechercher quelle
est, à leur avis, la différence entre les conflits d\'ordre juridique et
les autres conflits internationaux, on doit d\'abord se mettre au
courant de l\'intention qu\'ils ont en employant un des termes cités.
Bien que tous les commentateurs fassent usage du terme : différend
d\'ordre juridique, le sens qu\'ils prêtent à cette expression, n\'est pas
toujours le même. Du reste, ils sont presque tous d\'accord qu\'il
n\'existe pas une différence bien nette entre les litiges d\'ordre juri-
dique et les autres différends internationaux.

Maint auteur, en définissant le concept de différend d\'ordre juri-
dique, prend comme point de départ la notion de l\'arbitrage; en
d\'autres termes, il met en rapport la classification des litiges et leur
règlement. C\'est ainsi que Westlake dit „legal questions are suit-
able for arbitration; pohtical questions are in general not soquot;.
M. Marshall Brown suit le même raisonnement en exprimant
cette pensée ^ que „le problème de la classification des différends
internationaux forme le fondement de l\'arbitrage international.quot;
Dans cet ordre d\'idées, le terme „différend d\'ordre juridiquequot;
équivaut à „différend arbitrablequot;, le terme „différend politiquequot; à
..différend non arbitrablequot;.

D\'autres auteurs appliquent aussi des idées tirées de l\'arbitrage
international lorsque, en définissant une catégorie de litiges, ils se
réfèrent à la réserve usuelle insérée dans les traités généraux d\'arbi-
trage, et qui exclut de ce mode de règlement les différends qui tou-
chent à l\'honneur national ou aux intérêts vitaux des parties. Ces

litige anglo-turc relatif au vilayet de Mossoul, dans la Revue de droit internatio-
i^al et de législation comparée,
1925, page 732.

Gabriele Salvioli, Controversia giuridica e controversia politica in diritto inter-
nazionale,
dans Studi di diritto puhblico e corporative, anno I, no. 6.
Jean Hostie,
Différends justiciables et non justiciables, dans la Revue de droit
international et de législation comparée,
1928, p. 264 et ss., 568 et ss.
^ J. Westlake,
International Law, Cambridge 1910, Part I, page 357.
\' Ph. Marshall Brown,
La conciliation internationale, Paris 1925, page 32.

-ocr page 176-

auteurs cherchent donc la différence entre les litiges d\'ordre juridi-
que et les litiges politiques dans la tendance des Etats de soustraire
à l\'arbitrage le règlement de certains différends. M. Balch consi-
dère 1 comme „cas juridiquesquot; les différends „qui ne menacent pas
l\'indépendance ou aucun intérêt vital de l\'une quelconque des
puissancesquot;. Fauchille part du même principe et définit la caté-
gorie des différends internationaux d\'ordre poUtique en disant 2,
qu\'elle comprend tous les différends „qui mettent en cause l\'indé-
pendance, les intérêts vitaux ou l\'honneur national des Etats
en htige.quot; Vu que Fauchille ne connaît que les litiges politiques et
ceux qui sont d\'ordre juridique, on peut déduire de sa définition
des différends politiques, qu\'il entend par différend d\'ordre juridique
tout différend qui ne met pas en cause l\'indépendance, l\'honneur
national et les intérêts vitaux des parties. Cette conclusion paraît
être en conformité de l\'opinion de Fauchille, attendu que cet auteur
est d\'avis 3 que „pour les litiges d\'ordre juridique, l\'arbitrage est
possiblequot;. Cependant, cette manière de voir qui emprunte la base
de la classification des différends internationaux aux traités d\'ar-
bitrage, se heurte au fait que dans la plupart de ces traités la ré-
serve relative aux différends touchant l\'honneur national ou les
intérêts vitaux, est jointe à une clause qui soumet à l\'arbitrage
obhgatoire les seuls différends d\'ordre juridique ^ Il s\'ensuit qu\'il
y a aussi des différends d\'ordre juridique qui mettent en jeu les
intérêts vitaux des Etats, et que, par conséquent, les notions de
„différends d\'ordre juridiquequot; et de „différends qui
sont susceptibles
d\'une sol
ution arbitralequot; ne coïncident pas selon l\'opinion générale ^

gt; Th. Willing Balch, article cité, page 181.

» Paul Fauchille, Traité de droit international public, tome premier, troisième
partie, Paris 1926, page 645.
» Ouvr. cit., page 544.

« Voir par exemple, le Traité d\'arbitrage du 6 avril 1904 conclu entre les
Pays-Bas et la France dont l\'article I stipule que „les différends d\'ordre juri-
dique ou relatifs à l\'interprétation des traités existant entre les deux Parties
contractantes, seront soumis à la Cour permanente d\'arbitrage, à la condi-
tion toutefois, qu\'ils ne mettent en cause ni les intérêts vitaux, m 1 indé-
pendance ou l\'honneur des deux Etats contractants ....quot; (De Martens.
Nouveau Recueil Général, deuxième série, tome XXXIV, page 305).
\' E Giraud,
De- la valeur et des rapports des notions de droit et de pohtique
dans Vordre international,
dans la Revue générale de droit international pubhc,
1922, page 502.

-ocr page 177-

Il nous semble qu\'on fait fausse route lorsque, en recherchant
une classification dogmatique des conflits internationaux, notam-
ment, une définition des différends d\'ordre juridique, on part du
point de vue, que cette classification sert de base aux traités gé-
néraux d\'arbitrage. On part d\'un ordre d\'idées tout autre que
celui de la distinction des htiges, en admettant que les Etats,
déclarant l\'arbitrage obligatoire pour une certaine catégorie de
différends, visent une définition des différends d\'ordre juridique.
Il se peut très bien que deux Etats, confiants dans l\'effet salutaire
de l\'arbitrage international, lui attribuent un rôle important dans
le règlement de leurs différends en lui soumettant des litiges d\'ordre
juridique que d\'autres Etats, voyant d\'un œil moins bienveillant
cette institution, n\'osent confier, à nulle condition, à une décision
d\'arbitres. On a raison de dire que les différends d\'ordre juridique
sont généralement arbitrables, mais il n\'en est pas moins vrai qu\'il
y en a même parmi eux qui peuvent ne pas l\'être. D\'autre part, deux
Etats qui concluent un traité rendant l\'arbitrage obhgatoire entre
eux, peuvent déclarer ce mode de règlement applicable même à
des htiges, autres que les différends d\'ordre juridique; c\'est ainsi,
par exemple, que le traité du 12 février 1904, conclu entre les
Pays-Bas et le Danemark, stipule dans son article premier, que
..tous les différends et tous les litigesquot; seront soumis à l\'arbi-
trage.

Il paraît donc être dénué de justesse de chercher une classification
qui embrasse tout le domaine des controverses internationales, en
partant des traités qui déclarent certains différends arbitrables.
Le point de savoir si une certaine catégorie de litiges est arbitrable,
dépend en premier lieu de l\'opinion subjective des parties contrac-
tantes. Cette opinion individuelle des Etats ne doit nullement
influer sur un classement objectif des htiges, à savoir, en différends
d\'ordre juridique et autres. Or, comme le dit M. Hedges „There
is a certain psychological factor which must not be ignored, because
even a legal dispute is not truly justiciable unless the mental
attitude of states is such as to make it so.quot;

* De Martens, Nouveau Recueil Général, deuxième série, tome XXXIV, page
303.

\' R. Y. Hedges, The juridical basis of arbitration, dans The British Year Book
of International Law,
1926, page 119.

-ocr page 178-

M. Verzijl considère ^ de ce même point de vue le traité d\'arbi-
trage signé par les Etats-Unis d\'Amérique et la Grande-Bretagne,
le 3 août 1911, où il était stipulé que seraient soumis à l\'arbitrage

„ail differences____which are justiciable in their nature by reason

of being susceptible of decision by application of the principles
of law or equityquot;. M. Verzijl se demande si les auteurs de ce traité,
en parlant des différends susceptibles d\'être décidés par l\'apphca-
tion des principes du droit ou de l\'équité, ont eu l\'intention de donner
une nouvelle défmition des différends d\'ordre juridique, ou bien
s\'ils n\'ont voulu qu\'indiquer l\'espèce de htiges qu\'ils considéraient
comme susceptibles d\'une décision arbitrale. C\'est à bon droit que
l\'auteur cité hésite à tirer de ce traité une conclusion quant à la
question de savoir quels différends sont d\'ordre juridique. Il nous
semble même fort invraisemblable que la Grande-Bretagne et les
Etats-Unis aient prétendu donner une nouvelle paraphrase objective
et dogmatique du concept du litige d\'ordre juridique ; ils n\'ont même
pas visé une définition des litiges qui, à leur avis, sont à considérer
comme tels. Ils ont seulement voulu déclarer quels différends ils
jugent, dans leurs rapports réciproques, susceptibles de la décision
obligatoire d\'un tiers. Ils ont fait preuve de la confiance que l\'arbi-
trage
international leur inspire; sa sphère d\'action n\'est pas bornée
aux différends d\'ordre juridique, mais s\'étend à tous les htiges qui
peuvent être résolus par l\'application des principes du droit ou
de l\'équité. Pour cette raison il serait faux d\'admettre que tous les
conflits que ces deux Etats déclarent arbitrables, soient à con-
sidérer comme des différends d\'ordre juridique.

En tâchant de donner une paraphrase des différends d\'ordre ju-
ridique, qui soit exacte à un point de vue dogmatique, il faut donc
laisser de côté les définitions données par les traités d\'arbitrage,
ainsi que par les auteurs qui partent d\'idées, empruntées à la prati-
que des Etats en matière d\'arbitrage.

En effet, cette pratique amène maint auteur à déclarer qu\'il
est impossible de faire une distinction nette entre les différends
d\'ordre juridique et les différends politiques. Ils voient que, géné-
ralement pariant, les Etats sont disposés à soumettre à l\'arbitrage
les litiges d\'ordre juridique qui les divisent, mais que les traités

1

Voir page 739 de l\'article cité dans la première note de la page 162.

-ocr page 179-

généraux d\'arbitrage soustraient, à l\'obligation de soumettre cette
catégorie de litiges à la décision d\'un tiers, ceux d\'entre eux qui
mettent en cause les intérêts vitaux et l\'honneur national. Ils re-
marquent également que, lorsqu\'un conflit, évidemment de nature
juridique, est né sans qu\'il existe entre les Etats litigants un traité
d\'arbitrage „institutionnelquot;, il n\'est pas rare que les Etats refu-
sent de le faire vider par des arbitres ; et cela à cause du fait que le
litige présente, à leur avis, un caractère politique. ^

Ces phénomènes de la vie internationale font prendre le change
aux auteurs. Croyant que les différends d\'ordre juridique sont par
leur nature arbitrables, mais voyant que, maintes fois, les Etats
se refusent quand même à soumettre un pareil différend à l\'arbi-
trage, ils concluent qu\'il n\'y a pas de norme permettant de juger si
un litige quelconque rentre, oui ou non, dans la catégorie des diffé-
rends d\'ordre juridique, et que, par conséquent, il n\'existe de règle
générale qui permette de distinguer les litiges d\'ordre juridique des
conflits politiques D\'autres commentateurs réussissent, il est vrai,
à faire une distinction doctrinale bien nette entre les différends
d\'ordre juridique et ceux qui sont d\'ordre pohtique, mais il leur
semble que cette distinction n\'a qu\'une valeur académique et est
dénuée de toute utilité pratique, parce que c\'est la conception sub-
jective des parties qui, en fin de compte, caractérise un litige comme
différend d\'ordre juridique ou d\'ordre politique

On peut se demander pourtant s\'il est exact de distinguer, dans
une classification des conflits internationaux, les différends d\'ordre

\' Ph. Marshall Brown, La conciliation internationale, Paris 1925, page 32, dit
à juste titre, qu\'il est impossible de faire „une classification spécifique et
compréhensive, sans réserve d\'aucune sorte, de questions qui peuvent être
évoquées devant une juridiction internationalequot;.

*nbsp;Voir, par exemple:

O. Hoyer, Le Pacte de la Société des Nations, Paris 1926, page 264.
H. Lammasch,
Die Lehre von der Schiedsgerichtsbarkeit in ihrem ganzen
Umfange,
dans Handbuch des Völkerrechts (Stier-Somlo), tome III, troisième
partie, Berlin 1913, page 105.
E. Ullmann,
Völkerrecht, Freiburg 1898, page 295.

\' J. de Louter, Het stellig Volkenrecht, La Haye 1910, tome II, page 96.
L. Oppenheim,
International Law, Londres 1926, tome II, pages 3—4.
A. Sottile,
La limite de la compétence du Conseil de la Société des Nations

•nbsp;• •., dans la Revue de droit international, de sciences diplomatiques, politiques
et sociales
(Sottile), 1927, page 290.

-ocr page 180-

juridique d\'avec les différends politiques. Car en se servant du terme :
juridique, à côté du mot: politique, on court risque de distinguer
deux idées qui ne s\'excluent pas. Il nous semble préférable, pour
cela, d\'opposer aux litiges d\'ordre juridique les litiges d\'ordre non-
juridique

Quels différends sont d\'ordre juridique? En résolvant cette ques-
tion, on peut concevoir une définition qui détermine leurs traits
distinctifs, ou bien donner une énumération de tous les litiges,
compris dans cette catégorie.

La Convention de 1899 pour le règlement pacifique des conflits
internationaux nomme, dans l\'article 16, la catégorie des différends
d\'ordre juridique et cite, en premier lieu, comme appartenant
à cette catégorie, les différends concernant l\'interprétation et
l\'application des traités. L\'article 38 de la Convention de 1907
parle dans le même sens. Evidemment, les Etats sont d\'avis que les
litiges naissant de traités sont les différends d\'ordre juridique
par excellence. Souvent aussi les traités d\'arbitrage parlent de
différends d\'ordre juridique, sans préciser ce qu\'il faut entendre
par ce terme ; il est peu clair ainsi quels conflits ils croient appartenir
à cette catégorie. Du moment qu\'un conflit est né, on pourra juger
seulement s\'il est, oui ou non, d\'ordre juridique. Une pareille rédac-
tion est sans doute peu satisfaisante dans un traité, puisqu\'elle
laisse de l\'espace aux opinions les plus divergentes, de façon que
les Etats contractants ne savent pas quels engagements ils assu-
ment.

L\'énumération de tous les différends qui doivent être considérés
comme étant d\'ordre juridique, est une méthode employée par
l\'article 36, deuxième alinéa, du Statut de la Cour permanente de
Justice internationale. Cette énumération est elle-même empruntée
à l\'article 13, alinéa 2, du Pacte de la Société des Nations.

Si l\'on veut tirer de cette énumération des différends d\'ordre
juridique une qualité caractéristique commune à eux tous, il semble
qu\'il soit question d\'un litige d\'ordre juridique, lorsque les Etats
sont divisés sur le point de savoir quelle est la solution donnée
par le droit international à une certaine question. Voici, de notre
avis, où réside la différence entre les litiges d\'ordre juridique et

» Comme le fait J. H. W. Verzijl, article cité, pages 732 et 733.

-ocr page 181-

ceux d\'ordre non-juridique: les différends de la première catégorie
sont ceux qui divisent les Etats sur un point de droit international,,
tandis que ceux de la seconde catégorie n\'ont pas trait à une telle
question.

Jusqu\'à ce point, les commentateurs sont unanimes, sous la ré-
serve que la façon dont ils expriment cette idée diffère. Néanmoins,
il apparaît que la définition que nous venons de donner, donne lieu
à des vues diverses, lorsqu\'il s\'agit de décider si un conflit quelcon-
que rentre dans la catégorie des différends d\'ordre juridique, ou
bien dans celle des différends d\'ordre non-juridique. Cette différence
de vue est causée par le fait que les commentateurs n\'ont pas la
même opinion sur le concept du droit.

Tout dépend ici du point de départ. Les partisans de l\'école dite
positiviste, dans sa nuance la plus rigoureuse, ne reconnaissant
comme étant du droit que les normes établies par la coutume et
celles découlant des traités, réduiront dans des limites fort restrein-
tes les différends d\'ordre juridique. La notion du droit est déjà plus,
large pour ceux qui admettent qu\'on peut déduire du droit positif,
tel qu\'il provient des traités et de la coutume, des principes géné-
raux qui en sont la base commune: ce sont ces principes généraux
qu\'ils appliqueront aux cas où l\'on ne peut pas distinguer nette-
ment — il est vrai — de règles positives appropriées au différend
déterminé, mais qui sont à la portée d\'un principe général à déduire
du droit positif. L\'application analogue des normes du droit positif
mène alors à la constatation de règles de conduite obligatoires pour
les Etats, là où le partisan rigoureux de l\'école dite positiviste est
d\'avis que le domaine du droit est déjà abandonné depuis longtemps.
Enfin, la doctrine du droit naturel croit discerner du droit encore
là où elle emprunte des normes aux principes suprêmes du droit et
de l\'équité ; vu que ces principes s\'appliquent à presque tous les actes
des Etats, il n\'y a guère de différends internationaux qui ne doivent
être qualifiés comme différends d\'ordre juridique

Abstraction faite de cette dernière doctrine qui, considérée à la.
lumière de la pratique internationale, n\'est pas soutenable,
on re-
connaît l\'existence de deux groupes de différends internationaux,
Savoir, les différends d\'ordre juridique et les différends d\'ordre non-

\' J. H. W. Verzijl, arh\'cle cité, pages 734 et 735.

-ocr page 182-

juridique. Les premiers sont ceux où est en cause une règle de droit,
donc la question de savoir quelle est la solution que le droit inter-
national donne à une certaine question qui divise les parties.

On a beau être d\'accord, en substance, sur la nature du différend
d\'ordre juridique, la paraphrase paraît prêter à des difficultés. M.
Descamps, en parlant de la signification des mots „questions d\'ordre
juridiquequot; insérés dans l\'article 16 de la Convention de 1899 pour le
règlement pacifique des conflits internationaux, dit que ces questions-
là sont „les différends dans lesquels les prétentions contradictoires
des parties peuvent être formulées juridiquement.quot; Cette définition
des différends d\'ordre juridique est jugée pourtant moins juste,
attendu qu\'il est fort bien possible de comprendre sous une formule
juridique un litige qui ne concerne pas la question de savoir si le
droit positif oblige un Etat à faire ou à ne pas faire un certain acte.
Ce n\'est pas la formule juridique qui revêt le différend du caractère
juridique C\'est pour cette raison que Lammasch qualifie comme
différend d\'ordre juridique un litige où la demande peut être
fondée juridiquement.

Mais cette définition non plus ne peut trouver grâce aux yeux
de M. Mulder, qui est d\'avis ^ que, si l\'on entend par différend
d\'ordre juridique un litige dans lequel la demande peut être fon-
dée juridiquement, il s\'ensuivrait qu\'un différend politique ® est
un différend dans lequel la demande doit être rejetée comme étant
mal fondée, — en d\'autres termes, qu\'il pourrait seulement être
question d\'un différend d\'ordre juridique dans les cas où il faut don-
ner raison à la partie demanderesse, question qui est encore incertaine
au moment où l\'arbitrage va commencer. Nous préférons pourtant,
avec M. Verzijl, interpréter la paraphrase de M. Descamps, comme
elle a été amendée par Lammasch, de telle façon qu\'on se trouve
«n présence d\'un différend d\'ordre juridique, quand il est possible

\' H. Lammasch, Die Lehre von der Schiedsgerichtsbarkeit in ihrem ganzen
Umfange,
Berlin 1913, pages 63 et 64.
J. H. W. Verzijl,
article cité, page 737.

quot; A. Mulder, L\'arbitrage international et les différends politiques, dans la
Revue de droit international, de sciences diplomatiques, politiques et sociales
\'Sottile), 1925, page 84.

\' Notre auteur déclare entendre par différends politiques les différends d\'or-
dre non-juridique (note 5 de la page 84).

-ocr page 183-

lt;J alléguer, en faveur du point de vue de chacune des parties, des
arguments tirés du droit international.

Nous parlons donc d\'un différend d\'ordre juridique, quand le
droit positif fournit des règles applicables au litige, en d\'autres
fermes, quand celui-ci peut être vidé sur la base du droit interna-
tional, Il existe donc une norme objective qui est la pierre de touche
pour juger de la nature d\'un différend. Certes, les Etats litigants ont
toute liberté de fixer le caractère d\'un conflit par la manière dont ils
formulent le point en litige. Lorsqu\'un différend concerne la sou-
veraineté d\'un territoire, il est décisif pour la nature du litige que
la question qui divise les Etats, soit ainsi conçue: „à qui de nous
deux revient de droit la souveraineté du territoire ?quot;, ou que le point
en htige soit ainsi formulé: „à qui de nous deux convient-il d\'ad-
juger le territoire?quot; Au premier cas, on a affaire à un différend d\'or-
dre incontestablement juridique, à savoir, auquel des deux Etats
appartient à un moment donné, d\'après le droit international, la
souveraineté du territoire contesté. Par contre, le droit positif,
dans son évolution actuelle, ne fournit pas de règles pour la solution
du différend selon la seconde formule; par conséquent, dans ce cas,
le litige est d\'ordre non-juridique. Quand il est avéré, bel et bien,
quel est le point en litige entre les parties, on est à même de fixer
à un point de vue objectif la nature du différend.

M. Castberg i critique la définition des différends d\'ordre juridi-
que donnée par Lammasch et cherche le critérium de la nature
d\'un htige „dans la manière dont les parties elles-mêmes ont posé
les questions qui font l\'objet du différendquot;. Si elles désirent une dis-
cussion sur le terrain du droit positif, le litige est d\'ordre juridique,
Par conséquent, la nature du conflit dépend de la formule dont les
parties le revêtent. Mais, par cela, la distinction entre les différends
d\'ordre juridique et les différends d\'ordre non-juridique ne devient
pas, de notre avis, une notion purement subjective

\' F. Castberg, La compétence des tribunaux internationaux, dans la Revue
droit international et de législation comparée,
1925, pages 158—161.
M. Verzijl fait remarquer, dans son article cité (page 738), que maint traité
\'arbitrage démontre que la distinction entre ces deux catégories de diffé-
rends internationaux est censée se prêter à un jugement objectif. Souvent
les Etats conviennent que, s\'ils ne sont pas d\'accord sur la nature du diffé-
\'quot;end, le tribunal arbitral décidera de la question de savoir si un certain litige

-ocr page 184-

Il nous semble pourtant qu\'il n\'y a pas une différence fondamen-
tale entre la manière de voir de Lammasch et celle de M. Castberg.
Si les deux parties désirent une discussion sur le point de savoir
à quel résultat, dans un cas déterminé, l\'application des règles du
droit positif conduit (la formule de M. Castberg), on se trouve en
présence d\'un différend qui peut être vidé par l\'application de ces
normes; alors les deux thèses contradictoires soutenues par les par-
ties peuvent être fondées juridiquement, c\'est-à-dire, chacune des
parties peut alléguer en faveur de son opinion des arguments basés
sur le droit et qui, au premier abord, semblent être raisonnables.
Quand Lammasch s\'exprime en ces termes qu\'un différend peut
être fondé juridiquement, cela veut dire que le droit international
renferme des règles qui permettent de vider le différend. Il est vrai
que la définition du point litigieux dépend des parties en litige, mais,
une fois cette formule ayant été donnée par elles, on est en mesure
de juger objectivement si le litige est d\'ordre juridique ou d\'ordre
non-juridique.

Les différends d\'ordre juridique sont donc, de notre avis, ceux
qui permettent d\'alléguer, en faveur de la manière de voir de cha-
cune des parties, des arguments tirés du droit international et qui
semblent plaider, à première vue, pour la justesse de chacune des
opinions contradictoires. Ayant donné cette définition des diffé-
rends d\'ordre juridique, nous avons déterminé en même temps quels
litiges sont d\'ordre non-juridique.

Passant maintenant aux différends d\'ordre pohtique, il nous faut
poser d\'abord en principe qu\'il existe une grande différence de vue
sur le sens de ce terme.

Tout d\'abord il y a des commentateurs qui sont d\'avis que les
différends pohtiques sont ceux qui ne sont pas d\'ordre juridique;
en d\'autres termes, les différends d\'ordre politique sont les diffé-
rends d\'ordre non-juridique. Ceux qui adhèrent à cette opinion,
divisent tous les litiges internationaux en deux groupes: les dif-
férends d\'ordre juridique, dont nous avons parlé plus haut, et les
différends politiques. Les premiers sont les litiges qui peuvent

appartient aux différends d\'ordre juridique. Il doit donc exister un critérium
objectif qui permet de discerner la nature d\'un différend.

-ocr page 185-

être vidés par l\'application des règles du droit, et les différends
politiques sont ceux qui ne peuvent l\'être.

Comme représentant de cette manière de voir nous citons M. Si-
bert qui admet ^ que dans les conflits politiques „aucune règle de
droit, ayant le caractère de la généralité et de l\'obligation, ne per-
met de leur donner une solutionquot;. M. Giraud se range à la même
opinion en disant ^ que „la distinction des litiges d\'ordre politique et
d\'ordre juridique est appelée à disparaître avec les progrès du droitquot;.
Il en est ainsi sans doute; à mesure que le droit international se
développe et que les lacunes de ce droit sont comblées, les litiges
qu\'on qualifie comme politiques ou non-juridiques, disparaîtront.

D\'autres commentateurs se rallient jusqu\'à un certain point à la
manière de voir que nous venons de discuter. Ils admettent égale-
ment qu\'il y a deux espèces de litiges internationaux, les différends
d\'ordre juridique et les différends d\'ordre politique, mais, à l\'opposé
des partisans de la première façon de voir, ils ne font pas une dis-
tinction fondamentale entre les deux espèces de litiges. Ces commen-
tateurs parlent seulement de différends d\'ordre juridique, quand
ceux-ci ne sont pas nés d\'une excitation politique, ou ne donnent
pas lieu à des rapports politiques tendus entre les parties en litige.
Les différends d\'ordre politique sont donc les différends dans les-
quels, de l\'avis des Etats intéressés, les intérêts vitaux, l\'indépen-
dance ou l\'honneur national sont en jeu, même si le fond du litige
se prête fort bien à une décision juridique.

Comme nous l\'avons déjà dit, nous admettons que les différends
internationaux sont assez nettement distingués pour juger si un
différend revêt un caractère juridique, ou s\'il est de nature non-
juridique. Mais pour nous le concept de „différend pohtiquequot; ne
regarde nullement l\'antithèse entre ces deux espèces de htiges. En
parlant de différends pohtiques, on part, en effet, d\'un ordre d\'idées
tout autre que lorsqu\'on se demande si le droit international fournit
des règles appropriées à la décision d\'un différend. A la question

\' M. Sibert, La sécurité internationale et les moyens proposés pour l\'assurer
de igig à 1925,
dans la Revue générale de droit international public, 1925,
page 219.

\' E. Giraud, De la valeur et des rapports des notions de droit et de politique
dans l\'ordre international,
dans la Revue générale de droit international public,
1922, page 506.

-ocr page 186-

de savoir si un litige est d\'ordre politique ou non, est étroitement
liée une autre question, savoir si le litige est susceptible d\'un règle-
ment arbitral ou judiciaire, — susceptible dans ce sens que les
Etats litigants sont enclins à le soumettre à l\'arbitrage ou à une
juridiction internationale. C\'est en connexité avec l\'idée de l\'arbi-
trage international (conçu dans un sens ample) que nous interprétons
le terme : différend d\'ordre politique. Par cette notion nous enten-
dons les conflits qui ne se prêtent pas à un règlement arbitral ou
judiciaire, parce qu\'ils excitent les passions politiques nationales,
et que les Etats croient que leur honneur national ou leurs intérêts
vitaux sont mis en cause.

En résolvant la question de savoir si un certain différend est
d\'ordre politique, oui ou non, il faut donc laisser de côté celle de
savoir si le litige peut être vidé par l\'application d\'une règle de droit.
La distinction entre les différends d\'ordre juridique et les différends
d\'ordre non-juridique n\'a aucun rapport direct avec celle qui existe
entre les litiges politiques et les litiges non-politiques. Un conflit
peut donc fort bien rentrer dans la catégorie des différends d\'ordre
juridique et avoir en même temps un caractère politique, La nature
politique d\'un litige, même d\'ordre juridique, comporte que les par-
ties le croient peu propre à une solution arbitrale. M. Hedges ex-
prime en d\'autres termes la même idée, en disant^: „Although
every legal dispute is
potentially susceptible of solution by arbitra-
tion, yet it is not
actually susceptible unless the parties are willing
to treat it in that way.quot; En thèse générale, les Etats ne seront dis-
posés à faire vider leurs différends par la voie de l\'arbitrage, que
lorsqu\'ils n\'ont pas trait à leurs intérêts vitaux ou à leur honneur
national

Ce sont les parties elles-mêmes qui, par leur conception d\'un litige,
lui donnent le caractère d\'un différend politique. Tant que les pas-
sions nationales ne se sont pas emparées du conflit et ne défendent

^ R. Y. Hedges, The juridical basis of arbitration, dans The British Year Book
of International Law,
1926, page 119.

\' D\'ailleurs, il n\'est pas sans intérêt de faire observer que la plupart des
traités d\'arbitrage contemporains ne contiennent plus la réserve, jadis usuelle,
relative à l\'honneur national et aux intérêts vitaux, de sorte que l\'importance
de la distinction entre les différends politiques et les différends non-politi-
ques pour l\'arbitrage institutionnel a fortement diminué.

-ocr page 187-

pas aux Gouvernements de capituler en consentant à un arrange-
ment à l\'amiable ; tant que ces Gouvernements ne trouvent pas que
les intérêts vitaux de leurs Etats soient en jeu, tout litige se range
dans les différends d\'ordre non-politique. Mais aussitôt que le con-
flit prend un caractère politique, il se soustrait par là à une décision
arbitrale et va appartenir à la catégorie des différends qui sont
presque insolubles et qui produisent les dangers les plus imminents
pour la bonne entente entre les Etats i. Néanmoins ces litiges se
prêtent fort bien à un règlement arbitral, pourvu que les Etats se
décident assez vite à une solution pacifique, avant que — comme
le dit Mérignhac ^ — „les passions surexcitées rendent impossible
toute solution amiablequot;.

Les Etats eux-mêmes caractérisent donc le différend comme étant
d\'ordre politique, en l\'admettant comme dangereux pour leurs in-
térêts vitaux ou leur honneur national. Une conséquence logique
de cette vue est qu\'eux seuls ont à décider si un pareil différend se
présente; cela est de la dernière importance, quand il s\'agit d\'un
litige tombant sous un traité général d\'arbitrage qui soustrait à
l\'arbitrage obligatoire les différends compromettant l\'honneur na-
tional ou les intérêts vitaux. Ainsi l\'article premier du traité conclu
le 29 juillet 1899 entre la Russie et le Danemark stipule ^ que les
parties contractantes soumettront à la Cour permanente d\'arbitrage
tous les différends „qui viendraient à s\'élever entre Elles, pour autant
qu\'ils ne touchent ni à l\'indépendance, ni aux intérêts vitaux, ni à
l\'exercice de la souveraineté des pays respectifsquot;. L\'article 2 ajoute
que „chaque partie juge de la question de savoir si le différend
qui se sera produit met en cause son indépendance, ses intérêts
vitaux ou l\'exercice de sa souveraineté et, par conséquent, est
de nature à être compris parmi ceux qui sont exceptés de l\'arbitrage
obligatoirequot;. Grâce à cette clause du traité, chacune des parties juge
d\'une façon souveraine si
un différend est de nature pohtique. et,

* C\'est aussi pourquoi deux différends internationaux présentant exactement
le même caractère essentiel peuvent, l\'un, se prêter fort bien à une solution
arbitrale, l\'autre, s\'y soustraire absolument, selon les parties en cause et
selon les contrecoups qu\'ils ont eus sur l\'opinion publique dans les pays
intéressés.

\' A. Mérignhac, L\'arbitrage international, Paris 1895, page 191.

\' De Martens, Nouveau Recueil Général, deuxième série, tome XXXIV, page

299.

-ocr page 188-

en cas d\'affirmative, elle le soustrait à l\'arbitrage obligatoire en
■exprimant sa conviction que le conflit touche à ses intérêts vitaux ».

On constate pourtant que l\'arbitrage international fait des pro-
grès réels, en voyant de quelle façon cette matière est réglementée
par un traité général d\'arbitrage d\'une date récente. Par l\'article 2
du traité du 3 décembre 1921. conclu entre la Suisse et l\'Allemagne ^
les parties s\'obligent à soumettre à l\'arbitrage leurs différends
d\'ordre juridique (ici sont énumérés, avec quelques modifications
légères, les mêmes différends qu\'on trouve dans l\'article 36, alinéa
2,du Statut de la Cour permanente de Justice internationale). Si
l\'une des parties — dit l\'article 4 — prétend qu\'un différend né
entre elles met en cause son indépendance, l\'intégrité de son terri-
toire ou d\'autres intérêts vitaux, le litige est soumis à une commis-
sion de conciliation, pourvu que l\'autre partie reconnaisse le bien
fondé de cette prétention. Au cas que, au contraire, l\'autre partie
ne la reconnaisse pas comme juste, le tribunal arbitral jugera du
bien fondé de l\'exception.

On voit à quel point l\'influence du caractère déclaré politique
d\'un différend sur son aptitude d\'être l\'objet d\'un règlement arbi-
tral, est bornée. Au premier cas cité les parties décident elles-mêmes
la question de savoir si un certain litige touche à leurs intérêts vi-
taux; par suite de cette liberté, l\'arbitrage obligatoire peut devenir
lettre morte. Par le second traité que nous venons de discuter, la
solution du point de savoir si le litige revêt, oui ou non, un caractère
politique, est confiée à un tiers impartial, au tribunal arbitral lui-
même

\' L\'article 53 (sous 1) de la Convention de 1907 pour le règlement pacifique
des conflits internationaux a sanctionné ce point de vue, en stipulant que
„le recours à la Cour permanente d\'arbitrage (pour faire établir par elle le
t:ompromis) n\'a pas lieu si l\'autre Partie déclare qu\'à son avis le différend
n\'appartient pas à la catégorie des différends à soumettre à un arbitrage obli-
gatoire, à moins que le Traité d\'arbitrage ne confère au Tribunal arbitral le
pouvoir de décider cette question préalablequot;.

\' Recueil des Traités (Société des Nations), vol. XII (1922), page 272.
» Du reste, il y a des traités de dates plus anciennes qui contiennent déjà
cette même stipulation. Voir par exemple l\'article 1er du traité italo-péru-
vien du 18 avril 1905, selon lequel „Soltanto le question! che riguardino l\'in-
dipendenza o l\'onore nazionale sono sottratte al giudizio arbitrale. Tutta-
via quando sorga dubbio su questo punto, lo si risolverà parimenti col

-ocr page 189-

___nature du litige et base de la decision 177

Il semble aussi que la réserve usuelle concernant l\'honneur na-
tional, les mtérêts vitaux, l\'intégrité du territoire et l\'indépendance
commence à tomber en désuétude. Elle a la tendance d\'être rempla-
cée par la clause du huitième alinéa de l\'article 15 du Pacte ^ que
nous discuterons ci-après.

, Le fait que le terme „différend pohtiquequot; s\'emploie sans que la
signification en soit généralement arrêtée, peut susciter des diffi-
cultés. Lorsque le Conseil de la Société des Nations recherchait
avis consultatif de la Cour permanente de Justice internationale
sur la portée de l\'article 3, paragraphe 2, du Traité de Lausanne, la
lt;-our invitait le Gouvernement turc e.a. à lui fournir tous les ren-
seignements capables d\'éclaircir les questions soumises à elle. Ce
^gouvernement fit savoir au Greffier de la Cour 2 que les questions
au sujet desquelles l\'avis de la Cour était demandé „présentaient
un caractère nettement politique et ne pouvaient donner matière
a une interprétation juridiquequot;.

Qu\' est-ce que le Gouvernement turc voulait dire en qualifiant
les questions présentées à la Cour, comme étant d\'ordre pohtique?
S il identifie les questions pohtiques avec celles d\'ordre non-juri-
aique, il a voulu dire que les questions à résoudre par la Cour,
ne pouvaient l\'être par l\'apphcation des règles de droit. Cette
opinion serait sans aucun doute erronée. S\'il y a un différend d\'ordre
juridique par excellence, c\'est un différend sur l\'apphcation et l\'in-
terprétation d\'un traité. Et. qu\'est-ce que les questions posées à la
^our concernaient, sinon l\'interprétation d\'un traité, savoir, le sens
ae l\'article 3, paragraphe 2, du Traité de Lausanne?

Attendu que cette manière de voir n\'admet pas la contestation,
Il nous semble invraisemblable que le Gouvernement turc, en se
servant du mot: pohtique, ait pensé aux questions d\'ordre non-juri-
dique. S\'il en est ainsi, nous entrevoyons seulement cette possibihté
Gouvernement avait devant les yeux, non pas la distinction

Çi^izio arbitralequot;. (De Martens, Nouveau Recueil Général, 2ième série
■^XXIV, page 320 et ss.).

\' Voir, par exemple, l\'article premier du traité du 16 avril 1926 conclu entre
Autriche et la Pologne (De Martens,
Nouveau Recueil Général, troisième
« ne, tome XVII, page 44) et l\'article 13 du traité du 29 décembre 1926
onclu entre l\'Allemagne et l\'Italie
(Reichsgesetzblait 1927, partie II no 31
page 461).

\' Avis consultatif no. 12, page 8.

-ocr page 190-

entre les questions d\'ordre juridique et celles d\'ordre non-juridique,
mais le classement en questions politiques et questions non-politi-
ques. En d\'autres termes, les questions soumises à la Cour étaient
considérées comme étant d\'ordre politique dans ce sens, que la
Turquie ne pouvait pas tolérer qu\'un tiers les résolût. Cela veut
dire — de l\'opinion du Gouvernement turc — qu\'elles mettaient
en cause l\'honneur national, l\'intégrité du territoire et les intérêts
vitaux de la Turquie. Par conséquent, elle n\'était pas disposée à
collaborer à l\'examen judiciaire de la portée exacte de l\'article 3,
§ 2, du traité de Lausanne, puisque ses intérêts prétendus la forçaient
à ne vouloir céder en rien et à ne vouloir coopérer à la hquidation
ultérieure de l\'affaire que si l\'autre partie intéressée reconnaissait
d\'avance son opinion sur le rôle du Conseil comme la seule juste,
toute abstraction faite pourtant de sa valeur juridique.

Vu dans ce jour, le mot: politique, en connexité avec les ques-
tions découlant du Traité de Lausanne, a un sens raisonnable, em-
ployé qu\'il est par le Gouvernement turc. On ne saurait nier que
des intérêts de conséquence étaient en jeu pour la Turquie. Il s\'a-
gissait du sort du vilayet de Mossoul, qui faisait partie de la
RépubUque ottomane. L\'intégrité de son territoire était compromi-
se, l\'importance du vilayet de Mossoul justifiait sans doute un ap-
pel aux intérêts vitaux, et l\'honneur national a également jeté son
poids dans la balance. Quoi qu\'il en soit, l\'opinion du Gouvernement
turc, que les questions présentées à la Cour revêtaient „un caractère
nettement politiquequot;, se justifie au seul cas où on l\'interprète de
façon que les intérêts qui étaient en jeu pour la Turquie, ne lui
permettaient pas de s\'inchner devant une solution relative au véri-
table rôle du Conseil, autre que la sienne, supposé même que cette
solution fût fondée en droit.

En résumant ce qui précède, il nous semble qu\'il y a à faire deux
classifications des différends internationaux. La première est celle
qui les divise en différends d\'ordre juridique et ceux d\'ordre non-
juridique. Les différends d\'ordre juridique sont ceux où chacune
des parties peut alléguer, en faveur de son point de vue, des argu-
ments de nature juridique et, à première vue, raisonnables; ce sont
les litiges qui se prêtent à une solution juridique. Les différends
d\'ordre non-juridique sont tous les autres différends internationaux.

-ocr page 191-

La seconde classification distingue les différends politiques d\'avec
les différends non-politiques. Par différends politiques, il faut
entendre ceux qui mettent en cause l\'honneur national ou les
intérêts vitaux des parties. Pour les différends non-politiques,
il n\'en est pas ainsi. Ce sont ces derniers conflits internationaux qui
sont éminemment susceptibles d\'un règlement pacifique, par la voie
de l\'arbitrage. L\'antithèse entre: conflits juridiques et non-juridi-
ques, et celle entre: confUts non-politiques et politiques, ne se cou-
vrent pas.

Avant d\'appliquer ces conclusions au litige au sujet de Mossoul,
afin de rechercher si ce conflit était d\'ordre juridique ou non-juridi-
que et de nature politique ou non-politique, nous allons nous occuper
encore du point de savoir si le Pacte de la Société des Nations ren-
ferme une classification des litiges internationaux et, en cas d\'affir-
mative, quelle est cette classification.

Le Pacte de la Société des Nations qui, d\'après ce qui résulte
de son préambule, veut tâcher, avant tout, de garantir aux Nations
la paix et la sûreté, contient certaines obligations des parties
contractantes à l\'égard de différends qui pourraient surgir entre
elles. Par l\'article 12, les Membres de la Société conviennent que, s\'il
s\'élève entre eux un différend susceptible d\'entraîner une rupture,
ils le soumettront soit à la procédure de l\'arbitrage ou à un règle-
ment judiciaire, soit à l\'examen du Conseil. S\'ils sont d\'avis que le
différend est susceptible d\'une solution arbitrale ou judiciaire, ils
le soumettront, d\'après l\'article 13, soit à l\'arbitrage, soit à un
règlement judiciaire. Le second alinéa de cet article stipule quels
différends sont, de l\'opinion des membres de la Société, générale-
ment susceptibles d\'une pareille solution. Au cas où ils ne désirent
pas que leur différend soit vidé de telle façon, ils sont tenus à le
soumettre à l\'examen du Conseil de la Société. Par conséquent, le
Pacte connaît une procédure pour chaque htige, qui aboutit soit à
une décision obligatoire sous la forme d\'une sentence arbitrale ou
judiciaire, soit à une recommandation du Conseil ou, éventuelle-
ment, de l\'Assemblée. Nous n\'insistons pas sur la différence qui exis-
te entre les effets juridiques provenant de chacune de ces procé-
dures, vu que ce sujet sort de notre cadre.

Quand nous avons dit tout à l\'heure que le Pacte réserve une

-ocr page 192-

procédure à tout différend, il nous faudra ajouter toutefois que le
Pacte lui-même renferme une exception à cette règle générale; c\'est
celle de l\'article 15, alinéa 8. Si l\'une des parties en litige prétend
que „le différend porte sur une question que le droit international
laisse à la compétence exclusive de cette partiequot; et que le Conseil
reconnaisse le bien fondé de cette opinion, „il le constatera dans un
rapport, mais sans recommander aucune solutionquot;, c\'est-à-dire:
il s\'abstiendra du traitement du litige, tel qu\'il est prescrit aux ali-
néas précédents de l\'article 15. Le Pacte ne connaît donc pas la
réserve usuelle des traités généraux d\'arbitrage, qui concerne l\'hon-
neur national et les intérêts vitaux; au lieu de cette clause, il en
contient une autre qui soustrait à la procédure devant le Conseil les
différends ayant pour sujet une question que le droit international
laisse à la compétence exclusive d\'une des parties.

Voilà le système renfermé dans le Pacte, par rapport aux litiges
internationaux. Quand les parties ne désirent pas soumettre un dif-
férend à la procédure arbitrale ou judiciaire, aboutissant à une dé-
cision obligatoire, le Conseil l\'examinera et émettra un rapport, à
moins que l\'une des parties ne prétende, à bon droit, que le confht
porte sur une question que le droit international laisse à sa compé-
tence exclusive.

La Commission consultative néerlandaise instituée pour les ques-
tions relatives au droit des gens a fait, dans un rapport en date
du 10 janvier 1925 et présenté au Ministre des Affaires étrangères,
à propos de ce système, des observations sur la classification des
différends internationaux. Elle a résolu la question de savoir si le
classement usuel a trouvé sa place dans le Pacte. La Commission
pense ^ qu\'il est fort difficile de maintenir la classification des con-
flits internationaux en conflits d\'intérêts ^ et htiges d\'ordre juridi-
que. Tout confht d\'intérêts qu\'on essaie de poser comme exemple,
paraît rentrer, selon elle, dans une des catégories de différends
d\'ordre juridique énumérées dans l\'article 36 du Statut de la Cour
permanente de Justice internationale. De l\'avis de la Commission,
il n\'y a qu\'une seule catégorie de htiges n\'étant pas d\'ordre juridique,
à savoir ceux qui sont visés à l\'article 15, ahnéa 8, du Pacte, c\'est-à-

» Voir Handelingen van de Staten-Generaal iq24—J925 [Eerste Kamer),
page 457.

\' Evidemment, ce terme équivaut au terme conflits politiques.

-ocr page 193-

__ nature du litige et base de la decision 181

dire, les différends portant sur une question laissée par le droit
international à la compétence exclusive de l\'une des deux parties
itigantes. La Commission exprime donc comme son opinion que le

acte ne connaît, et qu\'il n\'existe, que deux espèces de litiges, savoir,
es différends d\'ordre juridique et ceux qui rentrent dans la caté-
gorie visée à l\'article 15, alinéa 8.

M. Mulder est partisan de cette même opinion. Il classe les con-
ints en deux espèces, celle des différends d\'ordre juridique et
celle des différends politiques; il entend, par ces dernières contesta-
tions, les litiges d\'ordre non-juridique et il pense que c\'est à ces
quot;tiges qu\'a trait l\'article 15, alinéa 8, du Pacte, sans les nommer
^-psis verbis

Cette manière de voir de la Commission néerlandaise et de M. Mul-
der admet donc que les litiges de l\'article 15, alinéa 8, du Pacte
Sont les différends politiques, — politiques dans ce sens qu\'ils
Sont d\'ordre non-juridique. S\'il n\'y a pas de règles de droit applica-
bles à un différend, ce dernier se range au nombre des litiges dont la
matière est laissée à la compétence exclusive d\'une des parties liti-
gantes; et, inversement, si des règles de droit existent, le différend
est d\'ordre juridique et la matière en litige n\'est pas laissée à la
compétence exclusive d\'une des parties. Par conséquent, un conflit
Se range soit parmi les différends d\'ordre juridique, soit parmi ceux
qui sont visés à l\'article 15, alinéa 8, du Pacte.
_ M. Verzijl soumet cette opinion à une critique sévère ^ et la croit
incompatible avec la base fondamentale du Pacte en matière de con-
flits internationaux. De son avis, le Pacte fait une distinction nette
entre les différends d\'ordre juridique qui, d\'après l\'article 13, seront
Soumis, en principe, à un règlement arbitral ou judiciaire, et les
différends d\'ordre non-juridique qui, conformément à l\'article 15,
Seront portés devant le Conseil. Les conflits visés à l\'article 15,
alinéa 8, et dont le sujet est, d\'après le droit international, de la
compétence exclusive d\'une des parties, ne peuvent appartenir qu\'à
Cette dernière catégorie de contestations. Au cas que — dit M.
J^erzijl — les mots „à leur avisquot; et „généralementquot; fussent biffés

A. Mulder, L\'arbitrage international et les différends politiques, dans la
evue de droit international, de sciences diplomatiques, politiques et sociales
(Sottile), 1925. note 5 de la page 84 et page 85.
J- H. w. Verzijl, ouvr. cit., page 748.

-ocr page 194-

de l\'article 13 et que l\'arbitrage obligatoire fût introduit pour tousles
différends d\'ordre juridique, la procédure devant le Conseil, suivant
l\'article 15, ne s\'appliquerait plus, dans l\'ordre d\'idées de la Com-
mission néerlandaise, à aucun litige. Car, les seuls conflits qui reste-
raient et qui ne devraient pas être soumis à l\'arbitrage, seraient
les conflits d\'intérêts, d\'ordre non-juridique, censés identiques à
ceux de l\'article 15, alinéa 8, et ce sont précisément les différends,
soustraits à l\'examen du Conseil.

Les termes de l\'article 15, alinéa 8, si simples en apparence, em-
brassent une catégorie de contestations dont la nature est fort dif-
ficile à définir par une paraphrase qui rende possible de juger si
l\'on a affaire, oui ou non, à un litige dont le fond est laissé à la com-
pétence exclusive d\'une des parties. La question de savoir si un dif-
férend rentre dans cette catégorie, doit être résolue pour chaque cas
séparément ^ Tantôt une même question sera laissée à la compé-
tence exclusive d\'une des parties, tantôt elle tombera sous le coup
du droit international. Cela dépendra de l\'état du développement
des rapports existant entre les Etats en litige. Lorsqu\'une certaine
question est laissée par le droit international commun à la compé-
tence exclusive des Etats, il se peut fort bien qu\'un Etat quelconque
renonce à cette prérogative en impliquant cette matière dans les
engagements contractuels qui le hent à un autre Etat; le sujet est
alors soumis aux règles du droit international et la compétence
exclusive de l\'Etat en question est restreinte.

Quoique le traitement des minorités de langue, de race ou de
religion appartienne toujours en principe aux questions que l\'Etat
dont ces minorités habitent le territoire, est en droit de régler d\'une
façon souveraine, cette hberté est bornée pour tous les Etats qui,
par les traités qu\'ils ont conclus, ont assumé certaines obligations
à l\'égard du traitement de ces minorités. Pour ces Etats, la matière
est sortie de la compétence exclusive pour entrer dans le domaine

des affaires réglées par le droit international._

\' J. Paulus, Les „affaires domestiquesquot; de l\'article 15, alinéa 8, du Pacte de la
Société des Nations,
dans la Revue de droit international, de sciences diplomati-
ques, politiques et sociales
(Sottile), 1924, page 137. Dans un autre sens: F.
Castberg,
La compétence de la Société des Nations concernant U règlement des
différends internationaux,
dans la Revue de droit international et de législation
comparée,
1922, page 196. Voir aussi A. van Deth, Etude sur l\'interprétation
du paragraphe 8 de l\'article 15 du Pacte de la Société des Nations,
1928.

-ocr page 195-

La Cour permanente de Justice internationale, elle aussi, a expri-
mé cette opinion dans son avis consultatif, émis
à propos du diffé-
rend, ayant surgi entre la France et la Grande-Bretagne et relatif
aux décrets de nationalité, promulgués en Tunisie et au Maroc. Elle
pensait que la matière de la nationalité est laissée, en principe,
à la
compétence exclusive de chaque Etat, mais qu\'un Etat peut li-
miter sa liberté par des engagements contractés avec d\'autres
Etats

Le point de savoir si une certaine matière se range, oui ou non,
parmi les affaires, laissées
à la compétence exclusive d\'un Etat, est
une question éminemment juridique. Sa solution exige d\'abord
l\'examen du droit coutumier. Si celui-ci reconnaît le droit des
Etats de réglementer souverainement cette matière, il faut s\'infor-
mer si peut-être par un traité conclu entre les parties htigantes,
l\'Etat en question a renoncé
à son droit souverain, ou s\'il l\'a restreint
de quelque façon que ce soit. Puisque l\'examen de la nature exclu-
sive de la compétence d\'un Etat exige une connaissance approfondie
du droit international, les auteurs du Pacte et du Statut de la Cour
permanente de Justice internationale auraient bien fait d\'im-
poser
à la Cour la tâche de prononcer un jugement sur la justesse
d\'une exception de compétence exclusive, soulevée par un des
Etats en litige Le Conseil,
à cause de son caractère pohtique, n\'est
pas l\'autorité appropriée
à résoudre cette question.

Avant de faire quelques observations sur la doctrine qui ne
connaît, dans le cadre du Pacte et en dehors de ce cadre, que les
différends d\'ordre juridique et ceux qui rentrent dans la catégorie
des litiges visés
à l\'article 15, alinéa 8, il nous faut aborder l\'écono-
mie du Pacte pour le règlement des conflits internationaux. Nous
regrettons de ne pouvoir partager la manière de voir de M. Verzijl,
qui est d\'opinion que le Pacte, en s\'occupant de l\'arrangement des
confhts internationaux, fait une distinction entre les différends
d\'ordre juridique et ceux d\'ordre non-juridique Il nous semble,
au contraire, que le classement des confhts internationaux en diffé-
rends politiques et différends
non-pohtiques se trouve à la base du

^ Avis consultatif no. 4, page 24.

quot; Comme l\'a fait, en ce qui concerne les procédures d\'arbitrage projetées,
l\'article 5 du Protocole de Genève de 1924.
quot; Voir page 181.

-ocr page 196-

Pacte. Nous mettons deux choses en rapport : le fait que le Pacte
ne prescrit pas la solution obligatoire arbitrale ou judiciaire deS
litiges et celui que, également, on cherche en vain la clause usuelle
inhérente à la plupart des traités d\'arbitrage et qui soustrait à un
règlement arbitral les différends touchant à l\'honneur national
et aux intérêts vitaux. Pourquoi n\'a-t-on pas inséré dans le Pacte
cette solution obhgatoire? Pour la raison qu\'on aurait trouvé
nécessaire sans doute de priver cette obhgation de toute sa valeur
en incorporant en même temps dans le Pacte la fameuse clause des
intérêts vitaux. Quelle était la conception en vigueur de l\'idée d\'ar-
bitrage obhgatoire au moment de la composition du Pacte? Les
Etats étaient disposés à soumettre à l\'arbitrage leurs différends
d\'ordre juridique, en tant que ceux-ci ne regardaient pas leurs
intérêts vitaux.

C\'est ce principe-là qui se trouve à la base du Pacte. D\'après l\'ar-
ticle 13, les membres de la Société soumettront à une solution arbi-
trale ou judiciaire les Htiges qui „à leur avisquot; sont susceptibles
d\'une pareille procédure. Le deuxième alinéa de cet article énumère
les différends qui, „généralementquot;, se prêtent à un règlement ar-
bitral ou judiciaire. A quoi
pense-t-on en Usant les mots „à leur
avisquot; et „généralementquot;? A rien d\'autre qu\'à la réserve faite pour
les intérêts vitaux et l\'honneur national, réserve qui, par cette voie,
est entrée dans le Pacte sans être exprimée en toutes lettres. Si la
procédure de l\'article 15 fut créée, c\'était pour les conflits visés par
cette réserve, abstraction faite de leur nature juridique ou non-
juridique, confUts dont le droit international d\'avant-guerre ne
savait se dépêtrer et qui sont les plus dangereux pour le maintien de
la paix. L\'article 15 a donc en vue l\'examen des différends non-
arbitrables i, même s\'ils sont parmi la catégorie des Htiges que l\'ar-
ticle 13 déclare généralement susceptibles d\'une solution arbitrale
ou judiciaire.

C\'est pour ce motif que nous sommes d\'avis que ce n\'est pas la
distinction entre les différends d\'ordre juridique et d\'ordre non-
juridique qui se trouve à la base des di
fférentes procédures du Pacte. ^

I J. Paulus, loc. cit., (voir page 182, note première), page 125.
» Nous ne prétendons pas que le Pacte ignore la distinction entre les diffé-
rends juridiques et les différends non-juridiques. L\'article 13, dont la teneur
a été insérée dans l\'article 36 du Statut de la Cour, est tout à fait clair. Mais-

-ocr page 197-

Il nous semble que le Pacte indique une proce\'dure pour les conflits
susceptibles aux yeux des Etats d\'un règlement obligatoire et qu\'il
en renferme une autre pour les litiges qu\'ils ne désirent pas sou-
mettre à un pareil règlement. Il y a donc une procédure pour les
différends non-politiques d\'une part, et il y en a une pour les diffé-
rends politiques, d\'autre part. En d\'autres termes, le mot „suscep-
tiblequot; se trouvant dans l\'article 13, alinéas 1er et 2, ne se rapporte
donc pas à la possibilité ou l\'impossibilité d\'un règlement du litige
par l\'application des règles du droit, mais à la mentalité des parties
en litige qui désirent ou ne désirent pas — cela dépend des circon-
stances politiques — confier à des arbitres la solution du différend.

Comment envisager l\'opinion citée plus haut ^ et professée par
la Commission consultative néerlandaise et par M. Mulder? Cette
manière de voir admet que le Pacte ne connaît que deux espèces
de différends, notamment, les différends d\'ordre juridique et ceux
portant sur une question que le droit international laisse à la
compétence exclusive de l\'une des parties. En d\'autres termes, un
litige qui ne peut être vidé par l\'application des règles du droit, a,
selon cette thèse, trait à une matière appartenant à la compétence
exclusive des Etats. Cette opinion semble dénier l\'existence de ques-
tions que le droit international, dans son développement actuel,
n\'a pas encore résolues et partir d\'une conception du droit qui s\'as-
simile presque à celle de l\'école du droit naturel. Si cette inter-
prétation de leur thèse n\'est pas correcte, il ne reste que cet autre
dilemme que les adhérents de cette opinion pensent que toutes les
questions insolubles d\'après les règles du droit international posi-
tif, sont laissées à la compétence souveraine des Etats.

Cette manière de voir n\'est pas la nôtre. Ici nous nous rangeons
de nouveau à l\'avis de M. Verzijl, d\'après lequel une division de
l\'ensemble des confhts internationaux en trois groupes semble
être plus conforme à la réalité: tout d\'abord les différends d\'ordre
juridique, ce sont les différends qui peuvent être vidés par l\'appli-
cation des règles du droit; puis les litiges ayant surgi dans un do-
maine international où le droit n\'a pas encore pénétré, là donc où on

il nous semble que, en vue du traitement des litiges internationaux (arbitrage
et justice à l\'opposé de l\'examen du Conseil), le Pacte part de la distinction
entre les différends politiques et non-politiques.
\' Voir page 180.

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trouve les lacunes du droit des gens; et pour finir, les différends sur
des questions que le droit international laisse à la compétence sou-
veraine des Etats Les lacunes se présentent déjà au partisan
endurci de la doctrine dite positiviste là où le jurisconsulte, adhérent
d\'une conception moins rigoureuse, discerne encore des règles de
droit, moyennant l\'analogie et la déduction scientifiques.

Il est peu juste de faire entrer tous les cas où le droit international
ne prescrit pas aux Etats une règle de conduite, dans la catégorie
des matières laissées à leur compétence exclusive Le silence ob-
servé par le droit n\'imphque pas qu\'il laisse une question quelconque
à cette compétence. On est même en droit de dire que, lorsqu\'il
s\'agit de la compétence exclusive, il existe aussi une règle de droit
disant formellement que les Etats sont souverains quant au point
en question. Une lacune du droit international est un vide, la moin-
dre règle manque; au contraire, quand il est question de la compé-
tence exclusive, nous trouvons une règle prescrivant que les Etats
peuvent agir en souverains. La première chose est une idée néga-
tive; la seconde, une idée positive. C\'est pour cette raison qu\'il nous
semble que la Cour permanente de Justice internationale s\'est
exprimée peu heureusement dans son avis consultatif sur le dif-
férend
anglo-français par rapport aux décrets de nationalité, pro-
mulgués en Tunisie et au Maroc, quand elle disait en parlant du
domaine exclusif des Etats, que „les mots „compétence exclusivequot;
semblent envisager certaines matières qui ne sont pas réglées par
le droit internationalquot;. Ces mots font l\'impression que la Cour

\' Dans l\'économie du Pacte, les différends de la première catégorie, ceux
d\'ordre juridique, seront soumis à un règlement arbitral ou judiciaire, à
moins qu\'ils ne soient de nature politique. Si cette éventualité se présente, les
parties les porteront devant le Conseil. Les litiges de la seconde catégorie,
qui sont les différends non-juridiques, peuvent être soumis également à la
décision obligatoire d\'un tiers, si les parties ont le droit de présenter aux
arbitres et à la Cour des règles que ceux-ci appliqueront, ou si elles désirent
une décision
ex aequo et bono. S\'ils revêtent le caractère politique, ces litiges
doivent être portés devant le Conseil. Les différends de la troisième caté-
gorie sont soustraits à la procédure de l\'article 15 du Pacte.
» Le différend relatif à Mossoul présente précisément l\'exemple d\'un diffé-
rend qui n\'est ni juridique, ni parmi ceux qui portent sur une question
que le droit international laisse à la compétence exclusive de l\'une des Par-
ties. Voir ci-après.

= Avis consultatif no. 4, pages 23—24.

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a. voulu dire que, quand il s\'agit de la compétence exclusive, on
se trouve en présence d\'une lacune du droit international. Au cas
qu\'on veuille appliquer l\'article 15, alinéa 8, il ne suffit pas de dire
que le droit des gens ne fournit pas de règles obligatoires permet-
tant la solution d\'une question, mais il faut démontrer que le
droit renferme une règle déclarant la souveraineté des Etats
inviolable à l\'égard d\'une certaine matière.

C\'est pour tous ces motifs que nous sommes d\'avis que le point
de vue de la Commission néerlandaise et de M. Mulder n\'est pas sou-
tenable Nous pensons que l\'économie du Pacte ne donne pas lieu
à apporter des modifications aux classements usuels des litiges in-
ternationaux. En prescrivant les procédures auxquelles ces litiges
Seront soumis, le Pacte a pris comme point de départ la classifica-
tion, base de la pratique arbitrale d\'avant-guerre, notamment, la
distinction entre les conflits politiques et les conflits non-politi-
ques

Pour résumer, nous divisons les conflits internationaux en dif-
férends d\'ordre juridique et d\'ordre non-juridique, d\'une part,
et en différends politiques et non-politiques, d\'autre part.

Les différends d\'ordre juridique sont ceux où chacune des parties
en litige allègue des arguments, tirés du droit international,
afin de démontrer quelle est la solution que le droit des gens donne
à une certaine question. Tous les autres confhts sont des différends
d\'ordre non-juridique.

Par confhts non-politiques, nous entendons les conflits que les
Etats croient susceptibles d\'une décision obligatoire rendue par un
tiers, en d\'autres termes, les confhts qui ne touchent pas à l\'honneur

\' Quant à cette conclusion, nous nous rangeons, par conséquent, à l\'avis
de M. Verzijl.

\' Il va sans dire que cette distinction n\'est pas la même que celle que nous
venons de faire, notamment, la distinction entre les différends d\'ordre juri-
dique, les différends surgissant sur le terrain où le droit n\'a pas encore pé-
nétré, et les différends ayant pour objet une question que le droit internatio-
nal laisse
à la compétence exclusive des Etats. La distinction entre les litiges
politiques et non-politiques considère les litiges par rapport
à leur apti-
tude
à être réglés par une décision obligatoire. L\'autre distinction a en vue
leur relation avec le droit international. Ce sont deux notions qui ne se
couvrent pas.

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national, aux intérêts vitaux ou à l\'indépendance d\'un des Etats
litigants. Les différends politiques sont ceux qui ne rentrent pas
dans cette catégorie.

Or, pour revenir maintenant, après notre digression, à notre point
de départ, quelle était la nature du litige né entre la Grande-Bretagne
(en qualité de mandataire de l\'Irak) et la Turquie, et concernant le
vilayet de Mossoul?

La Grande-Bretagne et la Turquie étaient divisées sur la fron-
tière entre la Turquie et l\'Irak. L\'article 3 du Traité de Lausanne
est peu disert en définissant l\'objet du litige. Il stipule que la fron-
tière entre la Turquie et l\'Irak sera déterminée à l\'amiable par la
Grande-Bretagne et la Turquie et que, faute d\'un accord, le litige
sera porté devant le Conseil de la Société des Nations. En effet, les
termes de l\'article sont trop incomplets pour ne pas susciter maint
point de controverse, dont la solution est importante. Nous pen-
sons tout d\'abord aux questions discutées au chapitre précédent,
savoir, quelle était la nature du rôle du Conseil — fonction arbi-
trale, médiation ou recommandation conformément à l\'article 15
du Pacte? — et de quelle façon la décision serait prise par le Con-
seil — à l\'unanimité absolue, à l\'unanimité restreinte ou à la simple
majorité? —. Mais ensuite l\'article soulevait la question de savoir
quelle était la nature du fond du différend. Etait-il de nature
politique ou non-politique? Et puis, était-il d\'ordre juridique ou
d\'ordre non-juridique? La formule de l\'article 3 prête ici à l\'équi-
voque.

Le litige était sans aucun doute d\'ordre politique. Les deux
parties litigantes étaient d\'avis que leur honneur national et leurs
intérêts vitaux — ou ceux de l\'Irak — étaient compromis par le
conflit. Cela a été manifesté maintes fois par l\'opinion publique et
les déclarations des Gouvernements respectifs des Etats intéressés,
pendant la liquidation du différend.

Il est plus difficile de se former une idée sur la nature juridique
ou non-juridique du conflit. Les termes de l\'article 3 du Traité de
Lausanne laissent ce point tout à fait dans l\'incertitude et ni l\'opi-
nion qui voit la contestation comme étant d\'ordre juridique, ni
celle qui la considère comme étant d\'ordre non-juridique, ne sont
contraires à ces termes. Néanmoins, ces deux manières de voir

-ocr page 201-

mènent à des résultats diamétralement opposés, quant à la base
de la décision.

Considéré comme différend d\'ordre juridique, le conflit devait
être vidé sur la base du droit, et toutes les considérations citées
en faveur de la décision à prendre, devaient être empruntées au
droit international. La question de droit à résoudre était alors
celle-ci: à qui des deux parties, à l\'Irak ou à la Turquie, appar-
tenait de droit la souveraineté du vilayet de Mossoul? Le Conseil
devrait se rendre compte des événements passés à l\'Irak. Il
devrait se demander d\'abord à quel point l\'Irak a pris part à la
révolte arabe; ensuite si une pareille révolte était à même d\'ef-
fectuer la libération de l\'ancien Empire ottoman ; puis si, éventuelle-
ment, cette libération de l\'autorité turque s\'est étendue aussi sur
fe vilayet de Mossoul, c\'est-à-dire, si ce territoire avait été entraîné
dans la guerre de l\'indépendance. Coïncidemment, le Conseil devrait
considérer quelles ont été les conséquences juridiques de l\'inter-
\'vention britannique à l\'Irak pendant la guerre mondiale et de
l\'occupation du vilayet de Mossoul, laquelle s\'est faite partielle-
ment après la conclusion de l\'armistice de Moudros du 30 octobre
\'918. En deux mots, le Conseil devait résoudre le point de savoir
SI la souveraineté turque sur le vilayet de Mossoul était restée intacte
en dépit de tous les changements de fait. Voilà des questions, toutes
d\'ordre purement juridique, qui s\'imposent, quand on considère
le conflit comme étant de nature juridique.

La chose change tout à fait d\'aspect lorsqu\'on voit le différend
comme étant d\'ordre non-juridique et qu\'on est d\'avis que le Traité
de Lausanne a chargé le Conseil de la solution du point de savoir
si le vilayet de Mossoul devrait faire partie, à l\'avenir, de l\'Irak
ou de la Turquie. Dans ce cas, l\'arbitre devrait motiver sa décision
par de tout autres considérations. Il écarterait tout argument
d\'ordre juridique et chercherait la solution du conflit à l\'aide de
principes qui ne font pas ou ne font pas encore partie du droit
mternational. Il examinerait l\'état ethnographique de la population
du vilayet contesté et se demanderait si, pour la race, la religion
et la langue, elle fait plutôt partie de la Turquie que de l\'Irak.
Peut-être aussi le Conseil tiendrait-il compte des vœux de la po-
pulation pour l\'adjudication du territoire à l\'une ou à l\'autre des
parties. En outre il rechercherait si, à un point de vue économique.

-ocr page 202-

le vilayet a des relations étroites soit avec la Turquie soit avec l\'Irak ;
s\'il y a des frontières naturelles qui formeraient une ligne-frontière
appropriée; si peut-être des considérations de nature stratégique
plaident en faveur de l\'adjudication à l\'une ou à l\'autre partie.
Enfin sa décision serait influée par les garanties offertes par les
deux Etats à la population du territoire, garanties données en faveur
d\'un développement économique, d\'un traitement équitable des
minorités, des soins de son développement moral et intellectuel,
de la stabilité et la sûreté intérieures, en un mot, toutes les condi-
tions qui garantissent un gouvernement équitable.

On a beau admettre qu\'il n\'existe que les différends d\'ordre juri-
dique et les litiges dont la matière est laissée à la compétence ex-
clusive de l\'une des parties, mais on ne saurait nier qu\'il est impos-
sible de faire rentrer dans la catégorie des différends d\'ordre juri-
dique un conflit à vider d\'après des considérations d\'ordre ethno-
graphique, économique, stratégique et autres, — considérations
qui ne font aucunement partie du droit des gens positif contem-
porain, quoiqu\'elles méritent peut-être d\'y appartenir un jour.

Quoi qu\'il en soit, le compromis contenu dans l\'article 3 du
Traité de Lausanne ne précise pas la nature du différend. La façon
dont les parties ont formulé l\'objet du conflit, permet de le considé-
rer comme étant d\'ordre juridique et également comme étant d\'or-
dre non-juridique. Par conséquent, le compromis ne résout pas non
plus la question de savoir quelle est la nature des considérations
— d\'ordre juridique ou d\'ordre non-juridique — qui se trouveront
à la base de la décision à rendre par le Conseil en qualité d\'arbitre.

B - BASE DE LA DECISION

Puisque l\'article 3, paragraphe 2, du Traité de Lausanne, ne
résout pas la question de savoir si le Conseil, en fixant la ligne fron-
tière entre la Turquie et l\'Irak, doit partir de considérations tirées
du droit positif ou d\'autres considérations qui lui sont étrangères,
il faudra chercher ailleurs la résolution de ce point qui est de la
dernière importance. Le Conseil rendrait une décision, obligatoire
pour les parties, du sort futur du vilayet de Mossoul; il assumerait
donc la qualité d\'arbitre. Quelle est la conséquence de cette qualité
quant à la base de la décision ? En d\'autres termes, de quelles con-

-ocr page 203-

sidérations l\'arbitre doit-il partir, quand le compromis ne lui pres-
crit rien à ce sujet? Est-ce qu\'il rendra une décision d\'après le droit
positif, ou plutôt sur la base de l\'équité, de considérations d\'oppor-
tunité politique, etc. ?

Les auteurs ne sont pas même d\'accord sur la nature de l\'arbi-
trage international. Les uns entendent par là un règlement des
différends entre Etats d\'après les règles du droit des gens. Suivant
Cette opinion, l\'arbitre international remplit la même fonction que
le juge national; faute d\'une justice internationale organisée, il
est chargé de l\'application des règles du droit positif. D\'autres
pensent que l\'arbitrage a pour but de mettre fin tant bien que
ï^al aux litiges internationaux. Point n\'est besoin que l\'arbitre
se soucie des règles du droit, applicables à un conflit, mais il a pour
tâche de chercher une solution acceptable pour les deux parties,
t)\'autres encore admettent que l\'arbitrage se prête aussi bien à
l\'un qu\'à l\'autre mode de règlement; de leur avis, l\'arbitrage veut
^der, en substance, les différends par l\'application des règles du
droit, mais une décision qui a le caractère d\'un arrangement, n\'est
aucunement contraire à sa nature.

Nous citons comme représentants de la première opinion MM. De
Lapradelle et Politis, qui défmissent l\'arbitrage comme étant „le
mode de solution des conflits internationaux par l\'apphcation de la
règle du droit. Véritable institution judiciaire entre Etats, l\'arbi-
trage est un instrument juridique de paix et de progrès, puisqu\'il
donne une sanction effective au droit actuel et que, par l\'établisse-
ment d\'une jurisprudence, il contribue à la formation du droit
del avenirquot; D\'après M. Pohl, l\'arbitrage a pour seul but d\'aboutir
à un arrangement: „Der Schiedsrichter will den Streit erledigen,
die Parteien beruhigen durch seinen Spruch, der den Frieden sichert..
Er entscheidet die Sache nicht juristisch, sondern er schafft sie ex
aequo et bono aus der Welt.quot; ^ La troisième manière de voir consi-

^ A. de Lapradelle et N. Politis, Recueil des arbitrages internationaux, tome
premier, Paris 1905, page XX. Dans le même sens, Paul Fauchille,
Traité
de droit international public,
tome premier, troisième partie, Paris 1926,
P^ge 534: „L\'arbitrage international est un procédé qui consiste à confier
à un tiers la solution par application du droit de querelles entre deux ou
plusieurs Etats.quot;

* H. Pohl, Deutsche Prisengerichtsbarkeit, Tübingen 1911, page 208. G. Re-
gelsperger,
L\'affaire du Costa Rica Packet et la sentence arbitrale de M. damp;

-ocr page 204-

dère l\'arbitrage non seulement comme le règlement juridique des
conflits,quot;mais encore comme approprié à des sentences basées sur
l\'équité; elle est partagée par Lammasch qui s\'exprime ainsi:
„Zum Wesen des internationalen Schiedsgerichtes gehört es auch
ebenso wenig, dasz es nach Billigkeit (im Gegensatz zu Rechts-
normen) entscheide, als dasz es etwa
nur nach Rechtsgrundsätzen
seinen Spruch fällen dürfte. Das eine wie das andere ist im inter-
nationalen Verkehre möglich,quot; » L\'opinion de M. von Liszt va de
compagnie, jusqu\'à un certain point, avec celle de M. Lammasch,
M. von Liszt pense que „der Schiedsspruch sich unterscheidet
von dem richterlichen Urteil nicht durch seinen Inhalt, sondern
durch seine Grundlage. Wie dieses entscheidet er den Rechts-
streit nach Rechtssätzen, nicht nach Billigkeit ; soweit dem Schieds-
richter nicht etwa, über seine eigentliche Funktion hinaus, die
freie Schlichtung eines Interessenkonfliktes (als amiable composi-
teur) übertragen ist.quot; ^ M. von Liszt, lui aussi, envisage la possibiHté
que l\'arbitre rende une décision en qualité d\'amiable compositeur,
décision donc, non fondée en droit, mais il croit que cette tâche
excède la fonction arbitrale proprement dite. ^ M, Lammasch, au
contraire, admet qu\'une décision
ex aequo et bono ne s\'écarte pas
de la nature propre de l\'arbitrage.

Laquelle de ces trois opinions est en conformité des phénomènes
qu\'on remarque en considérant la pratique arbitrale?

Les traités qui déclarent l\'arbitrage obligatoire pour deux Etats,

Martens, [Revue générale de droit international public, 1897, page 745): „En
soumettant leur différend à un arbitrage, les parties ont fait en quelque
sorte un pas l\'une vers l\'autre et consenti par avance à une sorte de trans-
action. Elles ont dans une certaine mesure renoncé l\'une et l\'autre à se pré-
valoir du strictum jus pour s\'en remettre à la décision, toute d\'équité, d\'un
tiers.quot;

\' H. Lammasch, Die Lehre von der Schiedsgerichtsbarkeit in ihrem ganzen
Umfange,
Berlin 1913, page 9. Voir aussi J. H. W. Verzijl, De grondslag der
beslissingen van het Permanente Hof van Internationale Justitie,
dans Themis,
1921, page 337.

* Fr. von Liszt, Das Völkerrecht, systematisch dargestellt, Berlin 1918, lie
édition, page 265.

\' La douzième édition (Berlin 1925) publiée par M. Fleischmann, est modifiée
à ce point. Il est dit à la page 421 que l\'arbitre intervient quelquefois comme
amiable compositeur, mais on a biffé les mots: „über seine eigentliche Funk-
tion hinaus.quot;

-ocr page 205-

imposent, en règle générale, au tribunal arbitral l\'obligation de
rendre une décision sur la base du droit; il est ajouté souvent que
les parties se réservent le droit de prescrire aux arbitres, dans le
compromis sur le différend à régler, des règles spéciales en confor-
mité desquelles ils rendront leur sentence; en outre il est stipulé
que les parties peuvent octroyer aux arbitres la faculté de donner
Une décision
ex aequo et hono, c\'est-à-dire, qu\'ils ne tiendront pas
compte du droit, mais qu\'ils chercheront une solution concihatrice.
C\'est ainsi que l\'article VIII du Traité du 23 juillet 1898, conclu
entre l\'Italie et l\'Argentine, dit que „le tribunal devra décider
suivant les principes du droit international, à moins que le compro-
mis n\'impose l\'application de règles spéciales ou n\'autorise les ar-
bitres à décider comme amiables compositeursquot;

Les traités d\'arbitrage de date récente sont souvent une image
fidèle du Statut de la Cour permanente de Justice internationale.
Les parties contractantes déclarent soumettre à l\'arbitrage les
différends énumérés au second alinéa de l\'article 36. Nous citons
comme exemples les traités d\'arbitrage conclus par l\'Allemagne
avec la Suisse ® et avec le Danemark et où il est dit que le tri-
bunal arbitral appliquera les règles de droit, visées à l\'article 38
du Statut de la Cour. En outre, ces traités ne laissent pas non
plus de déclarer que, si les parties sont d\'accord, le tribunal arbitral
sera autorisé à „seine Entscheidung, anstatt sie auf Rechtsgrund-
sätze zu stützen, nach billigem Ermessen zu treffenquot;.

II ressort clairement de ces exemples, tirés de l\'arbitrage insti-
tutionnel, qu\'une décision rendue sur la base du droit, aussi bien

\' De Martens, Nouveau Recueil Général, deuxième série, tome XXVI, page
228.

Voir aussi l\'article 10 des traités généraux d\'arbitrage conclus entre:
l\'Argentine et le Paraguay, du 6 novembre 1899 (De Martens, l. c., deuxième
série, tome XXXI, page 18);

l\'Argentine et l\'Uruguay, du 8 juin 1899 (De Martens, I.e., deuxième série,
tome XXX,
page 339) ;

la Bolivie et le Pérou, du 21 novembre 1901 (De Martens, I.e., troisième
série, tome III, page 47).

\' Voir l\'article 5 de ce traité, en date du 3 décembre 1921 {Recueil des traités
àe la Société des Nations,
vol. XII, 1922, page 274).

\' Voir l\'article 4 du traité du 2 juin 1926 (De Martens, Nouveau Recueil
(Général,
troisième série, tome XVII, page 61).

-ocr page 206-

qu\'une solution équitable, est compatible avec l\'idée de l\'arbitrage.
Ceux qui pensent que l\'arbitrage n\'est pas le règlement des diffé-
rends par l\'application des règles du droit, mais une composition
équitable des parties pourvue de force obligatoire, paraissent avoir
tort.

Passons maintenant aux traités d\'arbitrage isolé, les compromis
par lesquels les Etats, sans en être obligés par un traité antérieur,
soumettent aux arbitres un différend né entre eux.

La pratique de l\'arbitrage nous démontre que les Etats se ser-
vent de cette institution pour avoir leurs différends décidés sur la
base du droit aussi bien que
„ex aequo et bonoquot;, quoique les cas où
les parties désirent une sentence juridique soient beaucoup plus
nombreux que ceux où ils visent une décision équitable.

Comme spécimen des cas où une solution juridique était deman-
dée aux arbitres, nous citons le compromis, conclu entre la France
et le Mexique le 9 mars 1839, qui chargeait l\'arbitre de décider

„si les navires mexicains et leurs cargaisons, ----- doivent être

considérés comme légalement acquis aux capteursquot; ^ Ainsi il est dit
également dans le préambule du traité conclu entre les Etats-Unis
d\'Amérique et les Pays-Bas, le 23 janvier 1925 et relatif à leur
différend sur la souveraineté de l\'île de Palmas (ou Miangas), que
les parties sont désireuses de terminer le différend en conformité
des principes du droit international et des dispositions contrac-
tuelles s\'apphquant au litige De même la Colombie et les Etats-
Unis d\'Amérique exprimaient leur désir d\'avoir une décision rendue
par l\'application du droit, en stipulant dans l\'article II de leur com-
promis du 17 août 1874 que les arbitres rendraient une sentence
„according to pubhc law and the treatiesquot;

II est question aussi d\'une décision juridique, quand les arbitres
sont chargés de l\'interprétation d\'un traité, p. e. quand il leur
échoit de résoudre quel est le tracé d\'une frontière définie par un
traité \\ Quelquefois les parties imposent au tribunal arbitral des

1 De Lapradelle et Politis, Recueil des arbitrages internationaux, tome pre-
mier, Paris 1905, page 554.

i» De Martens, Nouveau Recueil Général, troisième série, tome XIV, page 124.
» H. La Fontaine,
Pasicrisie internationale, Bern 1902, page 209.
« Voir la convention conclue entre l\'Argentine et le Chili le 17 avril 1896,
où il est dit que l\'arbitre est chargé „de aplicar estrictamente las disposicio-

-ocr page 207-

règles de droit sur lesquelles il échafaudera sa décision. Cela a été
fait dans le traité de Washington de 1871, traité par lequel la Grande-
Bretagne et les Etats-Unis d\'Amérique convenaient de faire vider
le différend de l\'Alabama conformément à trois règles concernant
les obligations d\'un Etat neutre en cas de guerre maritime. Le
Vénézuéla et la Grande-Bretagne ont fait la même chose quand,
par leur compromis de 1897, ils firent trancher le litige, existant
sur les frontières entre le Vénézuéla et la Guyane britannique,
d\'après la règle de la prescription acquisitive de cinquante ans

De même, les Etats désirent une solution sur la base du droit
quand ils chargent l\'arbitre de prononcer un jugement d\'après „les
principes généraux du droit des gensquot;

Dans une série de compromis conclus par le Chili avec d\'autres
Puissances, afin de soumettre à une décision arbitrale les indemnités
réclamées par des étrangers à cause des dommages causés par la
guerre civile au Chili, le tribunal arbitral a été chargé de rendre
une décision basée sur „los principios del derecho intemacional y
las prâcticas y jurisprudencia establecidas por los tribunales anâlo-
gos modernos de mayor autoridad y prestigioquot;. ^

quot;es del tratado----quot; (La Fontaine, le., page 543). Voir aussi l\'article III du

compromis conclu par la Grande-Bretagne et les Etats-Unis d\'Amérique
24 janvier 1903 et concernant la frontière de l\'Alaska.
{Treaties etc. be-
tween the United States of America and other powers,
compiled by William
M. Malloy, Washington 1910, vol. I, page 787.)

Voir le traité conclu entre la France et le Vénézuéla le 24 février 1891
(La Fontaine,
l.c. page 344) et celui entre la Grande-Bretagne et les Pays-
Bas du 16 mai 1895 (La Fontaine,
l.c. page 510).

quot; Chili-France, 2 novembre 1882 (La Fontaine, l.c. page 234); Chili-Italie, 7
décembre 1882 (La Fontaine,
l.c. page 237); Chili-Grande-Bretagne,\' 4
janvier 1883 (La Fontaine,
l.c. page 242); Chili-Allemagne, 23 août 1884
(La Fontaine,
l.c. page 275); Chili-Grande-Bretagne, 26 septembre 1893
(La Fontaine,
l.c. page 452).

Les conventions analogues conclues par le Mexique avec les Etats-Unis
(le 10 septembre 1923). la France (le 25 septembre 1924), l\'Allemagne (le
16 mars 1925), l\'Espagne (le 25 novembre 1925) et la Grande-Bretagne (le
19 novembre 1926), soumettent à l\'arbitrage les réclamations d\'indemnités
présentées par les ressortissants de ces Etats pour cause de pertes et dommages
Subis pendant les guerres civiles au Mexique dans la période de 1910 à 1920.
Il est curieux de voir que ces conventions imposent aux commissions mixtes
\'^ne tâche différente de celle prévue dans les conventions conclues par le
Chili. Nous citons comme exemple l\'article II de la convention franco-mexi-

-ocr page 208-

11nbsp;n\'est pas rare qu\'on trouve des traités d\'après lesquels l\'ar-
bitre décidera „according to justicequot; S „according to justice and
equityquot; ^ „according to public law, justice and equityquot; 3, „accord-
ing to the principles of justice and equity, the principles of inter-
national law and treaty stipulationsquot; S „according to conscience,
and principles of justice and equityquot;

Le terme „équitéquot;, employé en parlant du droit international
et de ses principes généraux, exprime sans doute que l\'arbitre est
obligé de rendre une décision sur la base du droit positif, mais que,
faute d\'une règle de droit apphcable au différend, il doit partir
des principes dominant le droit, afin de trouver ainsi une règle
équitable et proche, autant que possible, du droit positif

Nous avons démontré que de nombreux compromis chargent
l\'arbitre de rendre une décision par l\'application des règles du droit
international. On trouve également des compromis d\'après lesquels
l\'arbitre décidera suivant l\'équité,
ex aequo et bono

Les Etats visent une décision de la même nature, lorsqu\'ils
confient le règlement de leur différend à un „ârbitro arbitrador
y amigable componedorquot; ». Quelquefois la nature concihatoire de

caine d\'après lequel la Commission a „à examiner avec soin et à juger avec
impartialité, d\'après les principes de l\'équité, toutes les réclamations présen-
tées, attendu que le Mexique a la volonté de réparer gracieusement les dom-
mages subis, et non de voir sa responsabilité établie conformément aux
principes généraux du droit international.quot;

1 Etats-Unis d\'Amérique-Vénézuéla, 25 avril 1866 (La Fontaine, I.e. page 57).
gt; Grande-Bretagne-Nicaragua, 28 janvier 1860 (La Fontaine, I.e. page 55).
f Etats-Unis d\'Amérique-France, 15 janvier 1880 (De Martens,
Nouveau
Recueil Général,
deuxième série, tome VI, page 494).

*nbsp;Etats-Unis d\'Amérique-Pérou, 12 janvier 1863 (La Fontaine, I.e. page 43).
» Grande-Bretagne-Mexique, 26 juin 1866 (La Fontaine, I.e. page 68).

•nbsp;H. Lammasch, Die Rechtskraft internationaler Schiedssprüche, Christiania
1913, pages 49 et 50. Fr. Castberg,
La compétence des tribunaux internationaux,
dans la Revue de droit international et de législation comparée, 1925, page 170.
Comme il ressort de son article dans la
Revue générale de droit international pu-
blic
(1910, page 114) sur L\'arbitrage de içoç entre la Bolivie et le Pérou, M. A.
Weiss est d\'avis que „l\'arbitre joue le rôle d\'amiable compositeurquot;, quand
le compromis lui permet de statuer suivant la justice et l\'équité.

\' Voir le traité conclu entre le Chili et les Etats-Unis d\'Amérique le 10
décembre 1858 (La Fontaine,
le. page 35) et celui du Brésil et de l\'ItaUe du

12nbsp;février 1896 (La Fontaine, I.e., page 519).

8 Voir le compromis conclu entre le Chili et le Pérou le 27 septembre 1871
(La Fontaine, I.e., page 157).

-ocr page 209-

la sentence est soulignée, notamment, quand l\'arbitre a pour
tâche de décider „como arbitre arbitrador y amigable componedor
con plenos poderes, procediendo
ex aequo et bonoquot; Le compro-
mis, conclu entre l\'Equateur et l\'Itahe en date du 28 mars 1898,
défend même formellement aux arbitres de tenir compte du droit.
Ils sont nommés comme „arbitres arbitradores, amigables com-
ponedoresquot;. L\'article 2 du compromis ajoute qu\'ils décideront „con-
forme a las reglas de equidad y conveniencia pûblica, sin suje-
tarse a leyes ni procedimientos judicialesquot;. Dans tous ces cas, où
l\'arbitre fonctionne comme amiable compositeur, son activité
est matériellement la même que celle du médiateur, mais, formel-
lement, elle en diffère en tant que la décision de l\'arbitre est obli-
gatoire pour les parties, tandis que celle du médiateur ne revêt
que le caractère d\'un conseil

Il paraît donc que l\'arbitrage se prête aussi bien à la solution
d\'un différend par l\'application des règles du droit, qu\'à une décision
médiatrice où l\'arbitre part de l\'équité.

Pour la solution de la question qui nous occupe, celle de savoir
si, en cas de silence du compromis, l\'arbitre doit rendre une dé-
cision sur la base du droit positif, ou si c\'est l\'équité qui sera sa
conductrice, il est important de rechercher de quelle façon les ar-
bitres eux-mêmes ont interprété leur mission, quand le compromis
leur laissait le choix entre une décision d\'après le droit ou une dé-
cision d\'après l\'équité, ou quand le compromis observait un silence
profond sur la base de la décision.

Lorsque la Grande-Bretagne et le Portugal, par leur traité du
13 janvier 1869, nommaient le président des Etats-Unis d\'Amérique
arbitre de leur différend sur l\'île de Bulama située sur la côte

^ Chili-Etats-Unis d\'Amérique, 6 décembre 1873 (La Fontaine, I.e., pages
221—222). Cette même disposition se trouve dans un compromis conclu entre
le Chili et la France le 3 juillet 1897.

° Par un traité du 1er août 1887, le Pérou et l\'Equateur soumirent des diffé-
rends de frontières à l\'arbitrage du Roi d\'Espagne, qui déciderait „como
ârbitro de derechoquot;. Le 15 décembre 1894, la Colombie accéda à ce traité.
Les trois Etats modifièrent alors la tâche de l\'arbitre en stipulant qu\'il
tiendrait compte „no sôlo a los titulos y argumentos de derecho, sino tam-
bien a las conveniencias de las partes contratantes, conciliândolas de modo
que la linea de frontera esté fundada en el derecho y en la equidadquot;.
(La Fontaine,
l.c. pages 323—324).

-ocr page 210-

occidentale de l\'Afrique, ils convenaient par l\'article premier
que la décision terminerait le litige „whether it be wholly in favour
of the claim of either party, or in the nature of an
equitable so-
lution.quot;
L\'arbitre n\'usait pas, dans sa sentence du 21 avril 1870,
de la faculté de rendre une „equitable solutionquot;, parce qu\'il déci-
dait que „the daims of the Government of His Most Faithful
Majesty the King of Portugal are proved and establishedquot; La
même disposition du compromis précédent se trouve dans le traité
du 25 septembre 1872, conclu également entre la Grande-Bretagne
et le Portugal, traité, qui soumettait à l\'arbitrage du président
de la République française le différend touchant la souveraineté
de certains territoires et îlots situés dans la baie de Delagoa. Ce
compromis, lui aussi, autorisait l\'arbitre à donner „an equitable
solutionquot;, mais celui-ci décida que les prétentions du Gouverne-
ment portugais étaient „dûment prouvées et établiesquot; Dans ces
deux cas, ce ne fut pas une solution médiatrice que l\'arbitre ren-
dait, mais il préférait donner une décision d\'après le droit.

Quelquefois aussi les arbitres reçoivent un mandat pour rendre
une sentence fondée en droit, mais en même temps ils sont autorisés
à donner une solution
ex aequo et bono, dans le cas où une décision
juridique paraîtrait irréalisable.

La Bolivie et le Pérou soumettaient, par le traité du 30 décembre
1902, une contestation de frontières à la décision du Gouverne-
ment de la République argentine, „en calidad de ârbitro, juez de
derechoquot;. Si les documents ne déterminent la frontière assez
clairement, „el ârbitro resolverâ la cuestiôn equitativamente,
aproximândose en lo posible, al significado de aquéllas y al espi-
ritu que las hubiese informadoquot;

Par le traité du 14 septembre 1881, la Colombie et le Vénézuéla
nommaient le Roi d\'Espagne arbitre, „juez de derechoquot;, et le char-
geaient du règlement d\'un différend de frontières. Ils étendaient
sa compétence en convenant, par r„Acta-declaraciônquot; de Paris du
15 février 1886, qu\'il fixerait la ligne frontière en conformité,

1 La Fontaine, I.e., page 82.
» La Fontaine, I.e., pages 83—84.
» La Fontaine, I.e., pages 171—172.

« De Martens, Nouveau Recueil Général, troisième série, tome III, pages
50 et 51.

-ocr page 211-

autant que possible, des documents existants, si ceux-ci, à l\'égard
d\'un point quelconque, ne fournissaient pas toute la clarté dési-
rée 1.

Pour terminer, nous renvoyons le lecteur à l\'attitude prise par
le Czar de Russie, qui refusait d\'accepter la fonction d\'arbitre
chargé de vider le différend né entre la France et les Pays-Bas sur
les frontières des Guyanes française et hollandaise à moins qu\'il
n\'obtînt le pouvoir subsidiaire de donner „une solution intermé-
diairequot;. Cette compétence lui fut accordée par le traité additionnel
du 28 avril 1889. Pourtant l\'arbitre n\'a pas usé de ce pouvoir et
a rendu une décision motivée par des considérations d\'ordre juridi-
que

Dans tous ces cas, les arbitres ont préféré, à moins qu\'une der-
nière nécessité ne les y forçât, une décision basée sur le droit à
une solution conciliatrice.

L\'étude de la pratique arbitrale nous apprend que, quand le
compromis ne prescrivait pas aux arbitres quelle serait la base
de la décision à rendre, ils se croyaient obligés à mettre exclusive-
ment à la base de leur sentence les règles du droit. Dans certains
cas, ils se sont demandé s\'ils videraient le différend par l\'apphca-
tion des règles du droit ou
ex aequo et bono, et alors ils sont arrivés
à la conclusion qu\'il était de leur tâche de rendre une décision d\'après
les règles du droit positif.

L\'Italie et la Suisse soumettaient, par le traité du 31 décembre
1873, à un tribunal arbitral le différend concernant la souveraineté
sur l\'Alpe de Cravairola. Le surarbitre M. G- P. Marsh vidait le litige
par sa sentence du 23 septembre 1874, Comme les arbitres et les
agents nommés par chacune des parties, avaient considéré la
question de la souveraineté aussi bien à un point de vue juridique
que d\'après des „considerazioni di mera convenienzaquot;, le surarbitre
devait décider si sa sentence serait soutenue exclusivement par des
arguments tirés du droit international, ou s\'il serait libre de tenir
compte aussi de considérations d\'ordre non-juridique. Il conclut
d\'être obhgé à „risolvere la questione secondo i principî dello stretto

\' La Fontaine, I.e., pages 512—513.
\' Le compromis était du 29 novembre 1888.
\' La Fontaine, I.e., pages 328 et 329.

-ocr page 212-

dirittoquot;, attendu que le compromis ne renfermait pas une prescrip-
tion spéciale à ce sujet

Cette opinion est aussi celle de M. le Baron de Lambermont qui
décidait ^ par sa sentence du 17 août 1889 le litige anglo-allemand
sur les prétentions contradictoires de la Compagnie allemande de
Witu et de la Compagnie impériale anglaise de l\'Afrique orientale.
Ce différend avait trait à l\'affermage des douanes et à l\'administra-
tion de l\'île de Lamu, située sur la côte orientale de l\'Afrique.
L\'arbitre, dans la lettre par laquelle il faisait parvenir sa sentence
aux ministres allemand et britannique, disait : „Arbitre et non mé-
diateur, je n\'avais à dire que le droit et ne pouvais entrer dans le
domaine des transactionsquot;

La France et le Brésil nommaient, par le traité du 10 avril
1897, le Conseil fédéral suisse arbitre de leur différend concer-
nant la frontière entre le Brésil et la Guyane française. Dans l\'ar-
ticle I, alinéa 3, de ce compromis, il est dit que „l\'arbitre résoudra
définitivement les prétentions des deux parties en adoptant, dans
sa sentence, une des deux rivières réclamées comme limite, ou,
s\'il le juge bon, quelqu\'une des rivières comprises entre ellesquot;.
D\'après l\'opinion française, l\'arbitre pourrait „soit dire le droit
tel qu\'il lui paraît découler des textes,soit arbitrer
ex aequo et bono
telle décision transactionnelle qui lui semblerait justifiéequot;. Le Brésil,
au contraire, opinait que les parties avaient eu recours „non pas à
un médiateur, mais à un véritable arbitre appelé seulement à dire
le droitquot;. L\'arbitre finit par rejeter l\'opinion française et était d\'avis
que, avant tout, il était obligé de vider le différend par l\'appli-
cation des règles du droit

Tous ces cas décrits précédemment démontrent clairement que
l\'opinion de Lammasch est juste quand il dit: „Sind dem Schieds-
richter keine besonderen Grundsätze der Entscheidung vorge-
zeichnet, so hat er zunächst zweifellos nach Völkerrecht zu ent-
scheidenquot;

» La Fontaine, I.e., page 201 et suivantes.
® La Fontaine, I.e., page 335 et suivantes.

\' De Martens, Nouveau Recueil Général, deuxième série, tome XXII, page 109.

♦nbsp;La Fontaine, I.e., page 564 et suivantes.

•nbsp;H. Lammasch, Die Rechtskraft internationaler Schiedssprüche, Christiania
1913, page 41. La manière de voir de O. Nippold
{Die Fortbildung des Verfah-

-ocr page 213-

Pour résumer ce qui précède, il faut dire que nous sommes
davis qu\'il ressort de la pratique arbitrale que l\'arbitrage est,
avant tout, le règlement de différends internationaux par l\'ap-
Plication des règles du droit, quoiqu\'une décision
ex aequo et bono
ne soit pas contraire à sa nature proprement dite. C\'est ainsi que
les arbitres eux-mêmes entendent, eux aussi, leur mission; quand
les parties négligent de leur prescrire si la sentence se fondera sur
le droit positif ou sur des considérations d\'équité ou d\'opportunité,
ils se croient obligés, en rendant leur décision, de s\'inspirer du droit
international

Quelle est maintenant la solution de la question posée au début,
savoir quelle devait être la base de la décision, à rendre par le
Conseil de la Société des Nations, du différend de Mossoul, le droit
ou l\'équité? Considérée rien qu\'à la lumière de la pratique arbitrale
du dernier siècle, la nature arbitrale de la fonction du Conseil
nous conduirait tout naturellement à la conclusion que la solution
du litige devait être cherchée à l\'aide des règles du droit. Le compro-
mis qu\'est l\'article 3, paragraphe 2, du traité de Lausanne, ne dic-
tant pas à l\'arbitre quelles considérations seraient la base de sa
sentence, la doctrine générale de l\'arbitrage eût pu combler la
lacune, en lui prescrivant d\'appliquer les règles du droit internatio-
nal.

Néanmoins le Conseil est parti d\'un point de vue tout autre
6t a rendu, sur l\'avis de la Commission d\'enquête, instituée par
lui, une décision motivée par des considérations d\'ordre économi-
que, géographique, ethnographique et autres. Cette façon d\'agir
du Conseil ne découle pourtant pas d\'une appréciation, différente
de la nôtre, de la pratique arbitrale. Il a laissé de côté les considé-
rations d\'ordre juridique, sur l\'instigation de la Cour permanente
de Justice internationale qui pense » que les parties intéressées

yens in völkerrechtlichen Streitigkeiten, Leipzig 1907, pages 191 —192) paraît
être contraire aux faits de la vie internationale. Cet auteur dit que les parties
sont libres de prescrire dans le compromis que l\'arbitre rende une sentence
^\'après le droit strict ou d\'après l\'équité: „Unterlassen sie es, eine Verein-
barung darüber zu treffen, so liegt nicht der mindeste Grund vor, weshalb
^ie Billigkeit im völkerrechtlichen Schiedsverfahren neben dem strengen
Recht nicht als Entscheidungsnorm sollte gelten können.quot;
\' Avis consultatif no. 12, page 26.

-ocr page 214-

elles-mêmes — la Grande-Bretagne et la Turquie — ne visaient
pas une décision sur la base du droit. Elle déduisait cette intention
du fait que les parties, lors des négociations de Lausanne et de
Constantinople, ainsi que du traitement du différend par le Con-
seil, ont toujours, en soutenant leurs prétentions contradictoires,
fait appel à des considérations qui, pour la majorité, n\'étaient pas
d\'ordre juridique.

Cela est indubitablement exact. Du fait que les parties litigantes
ont allégué d\'autres arguments que ceux qui sont d\'ordre juri-
dique, on est en droit de déduire qu\'elles avaient l\'intention que
le litige fût vidé
ex aequo et bono. Considéré dans ce jour, l\'article 3,
paragraphe 2, du traité de Lausanne doit être interprété de telle
façon que les parties désirent une décision
ex aequo et bono.

Il n\'y a pas d\'inconvénients à compléter de cette façon le com-
promis, défectueux sous plus d\'un rapport, — d\'autant moins
qu\'il y a d\'autres arguments qui plaident pour la même opinion.
Le différend de Mossoul est un des problèmes nés à la suite de
la guerre mondiale qui, tant en Europe qu\'en dehors, a opéré des
changements subversifs dans les rapports politiques, aussi en
matière territoriale. Puisque le sort du vilayet de Mossoul, de
compagnie avec tous les autres problèmes territoriaux, aurait dû
être réglé dans un des traités de paix, il n\'y a pas de motif pour vider
d\'après les règles du droit le différend de Mossoul, comme il se
présentait plus tard au Conseil; or, de tels confhts ne se prêtent
pas à un règlement d\'après le droit strict, attendu que les confé-
rences de paix, en réglant les rapports territoriaux futurs, ne se
soucient pas non plus de considérations d\'ordre juridique.

C\'est pour cela que le Conseil, à bon droit, a déduit, de la nature
non-juridique des arguments allégués par les parties de part et
d\'autre, leur intention que le litige fût vidé à l\'aide de considéra-
tions d\'ordre non-juridique. En d\'autres termes, elles désiraient
une décision
ex aequo et bono, de sorte que le Conseil devait re-
chercher à qui des deux parties il convenait d\'adjuger le vilayet
contesté.

Nous sommes arrivé, à la fin de la partie précédente de ce chapitre,
à la conclusion que la teneur de l\'article 3, paragraphe 2, du traité
de Lausanne, permet de considérer le différend de Mossoul aussi
bien comme étant d\'ordre juridique que comme étant d\'ordre non-

-ocr page 215-

____nature du litige et base de la decision 203

juridique. Maintenant nous sommes capable de conclure, en nous
basant sur les observations précédentes, que les parties entendaient
le litige comme étant d\'ordre non-juridique.

— Décision sur la base du droit

Celui qui s\'occupe de la décision du litige de Mossoul sur la
base du droit, a pour tâche de rechercher laquelle des parties intéres-
sées, de l\'Irak ou de la Turquie, est, d\'après le droit international.
Souveraine du vilayet contesté. Nous ne discuterons cette question
que brièvement, puisque le différend a été vidé par le Conseil de la
Socie\'té des Nations sur des bases autres que celle du droit. Néan-
moins il faudra consacrer quelques mots à cette question, pour que
notre exposé soit complet. Nous nous proposons de citer avec con-
cision les arguments allégués par le Gouvernement britannique
pour soutenir sa thèse que l\'Irak est souverain du vilayet de Mos-
soul. Nous ajouterons ensuite quelles considérations la Turquie
a appele\'es à son secours pour combattre la thèse britannique.

En premier lieu, le Gouvernement britannique, agissant en
faveur de l\'Irak, a allégué plus d\'une fois que la Grande-Bretagne a
assumé un triple engagement, notamment, envers le peuple arabe,
envers le roi de l\'Irak et envers la Société des Nations. Cet argu-
ment peut se résumer comme suit. La Grande-Bretagne, pendant
la guerre mondiale, s\'est arrangée avec les Arabes, en leur garantis-
sant qu\'ils ne rentreraient plus sous la domination turque. Puis, le
Gouvernement britannique a accepté, en avril 1920, pendant la
Conférence de San-Remo, le mandat de l\'Irak, sous le contrôle
de la Société des Nations. En 1921, la Société des Nations n\'ayant
pas encore approuvé les termes du mandat définitif, a invité la
Grande-Brètagne à continuer de diriger l\'administration de l\'Irak
dans l\'esprit inspiré par le projet de mandat qui avait été élaboré,
en attendant l\'approbation définitive du Conseil. Plus tard, en
octobre 1922, la Grande-Bretagne a conclu un traité avec le royau-
me de l\'Irak, par lequel (article VIII) les parties contractantes
s\'engageaient à ce qu\'„aucune partie du territoire de l\'Irak ne
pourrait être cédée ou prise à bail, ou placée d\'une façon quelconque
Sous le contrôle d\'une Puissance étrangèrequot;. Ce traité a été approuvé
par le Conseil de la Société des Nations le 27 septembre 1924. Par
conséquent, la Grande-Bretagne est liée par un triple engagement

-ocr page 216-

et manquerait de parole, si elle contribuait à ce que le vilayet de
Mossoul fût détaché du territoire sous mandat et rendu à la Tur-
quie.

On a allégué, à juste titre, de la part de la Turquie contre cette
argumentation ^ que ce triple engagement assumé par la Grande-
Bretagne vis-à-vis du peuple arabe, du royaume de l\'Irak et de la
Société des Nations et fait à l\'insu du Gouvernement turc, ne peut
constituer aucun titre opposable à la Turquie pour prétendre que
les droits de la Turquie sur le territoire en question sont éteints,
étant donné que la Turquie ne s\'est désistée par aucun acte inter-
national de ses droits sur le vilayet. Ce serait disposer du bien
d\'autrui en faveur d\'une tierce personne, sans le consentement du
propriétaire légitime. Quant à l\'engagement pris par la Grande-
Bretagne vis-à-vis de la Société des Nations, les représentants
turcs ont fait observer que ce n\'est pas elle qui a déterminé les
limites des territoires sous mandat. C\'est la Grande-Bretagne
elle-même qui a fixé de sa propre initiative l\'étendue de la région, en
tant qu\'il s\'agit de l\'extension de l\'Irak vers le Nord. Cette exten-
sion est un acte unilatéral fait sans le consentement de la Turquie
et, par conséquent, dépourvu de toute valeur au point de vue du
droit.

Un autre argument cité par la Grande-Bretagne en faveur de
la souveraineté de l\'Irak sur le vilayet de Mossoul est le suivant.
La Turquie a renoncé à ses droits sur le vilayet contesté parce
qu\'elle a affirmé, à plusieurs reprises, sa volonté de renoncer aux
territoires purement arabes. En outre, le Gouvernement turc,
en signant le traité de Sèvres, a consenti à l\'adjonction du vilayet
de Mossoul au royaume de l\'Irak. Le Gouvernement turc, lui, a
allégué contre ces arguments que le vilayet de Mossoul est, en ce
qui concerne la grande majorité de la population, un pays kurde
et non arabe. En outre, le Gouvernement turc a toujours soutenu
que le vilayet fait partie intégrante de la Turquie. Ensuite la
renonciation de la souveraineté faite dans le traité de Sèvres par
l\'ancien Empire ottoman a été désavoué à temps par la nouvelle
République turque d\'Angora.

L\'argument suivant, mis en avant par la Grande-Bretagne, est

1 Fethi Bey dans la séance du Conseil du 25 septembre 1924.

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celui du droit du vainqueur, du droit de conquête, né par suite de
I occupation du territoire de Mossoul par les forces britanniques et
irakiennes. Le Gouvernement britannique constate que les Puis-
sances alliées ont gagné la guerre et chassé les Turcs de la Méso-
potamie et il pense que c\'est une prétention étonnante de la part
d\'une Puissance vaincue que de vouloir dicter la manière dont les
vainqueurs doivent disposer du territoire conquis. A ces argu-
ments le Gouvernement turc répond que le droit de conquête ne
peut plus être reconnu dans notre siècle et qu\'en outre, ce droit ne
s\'applique pas au vilayet de Mossoul. Car, ce territoire a été occupé
après la mise en vigueur de l\'armistice. Au moment de l\'entrée
en vigueur du traité d\'armistice, les forces britanniques et arabes
se trouvaient au sud de la ville de Mossoul et n\'avaient occupé
que la partie méridionale du vilayet de ce nom. Elles ont exigé
ensuite l\'évacuation, par les Turcs, de la ville et de la partie septen-
trionale du vilayet, en vertu de l\'article 16 du traité d\'armistice
de Moudros du 30 octobre 1918, qui les autorisait à occuper les
points stratégiques, en dehors des lignes d\'armistice, au cas où se
produirait une situation menaçant la sécurité des alliés. Ce fut en
vertu de cette stipulation que les forces alliées s\'emparèrent de tout
le vilayet de Mossoul.

Un autre argument qu\'on pourrait citer en faveur de la souverai-
neté irakienne sur le vilayet de Mossoul est que la révolte arabe
libérait les pays arabes de la domination turque. Cette guerre d\'in-
dépendance peut avoir mis fin à la souveraineté turque, si la popu-
lation du vilayet a pris part au mouvement. Mais, d\'autre part, il
semble qu\'on doit opposer à cette considération que la révolte
arabe ne s\'est pas étendue sur le territoire contesté, puisque ce ter-
ritoire est resté, jusqu\'après l\'armistice, sous la domination effec-
tive des forces turques.

S\'il nous est permis, après ce court résumé, de tirer une conclu-
sion, il nous semble, après tout, qu\'aucun des arguments allégués
par le Gouvernement britannique n\'était solide et que, par consé-
quent, la Turquie a conservé la souveraineté sur le vilayet de Mos-
soul, aussi longtemps qu\'elle n\'a pas renoncé à ses droits. L\'expul-
sion des forces militaires et de l\'administration turques et leur
remplacement par les autorités irakiennes n\'ont pas été en mesure
de procurer à l\'Irak la souveraineté du vilayet de Mossoul.

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2° — Décision d\'après des considérations non-juridiques

Comme on le sait, le Conseil de la Socie\'té des Nations, appelé
au règlement du différend de Mossoul en vertu de l\'article 3, para-
graphe 2, du traité de Lausanne, a décidé, par sa résolution du 30
septembre 1924, d\'instituer une commission spéciale se composant
de trois membres et ayant pour tâche de fournir au Conseil tous les
renseignements et toutes les suggestions de nature à lui permettre
de prendre une décision. Cette Commission était composée de M. le
comte Teleki, ancien premier ministre de Hongrie, de M. af Wirsén,
ministre plénipotentiaire de Suède, et de M. le colonel Paulis, Belge.
Elle se rendait, après avoir visité les Gouvernements intéressés à
Londres et à Angora, à Bagdad et ensuite à la ville de Mossoul.
A Bagdad déjà elle avait commencé à poursuivre le but de son voya-
ge : acquérir sur les lieux toutes les données dont elle pourrait avoir
besoin en émettant au Conseil un avis bien documenté. Ayant
pris la ville de Mossoul comme point de départ, elle visitait les villes
et les contrées environnantes et faisait des excursions à travers le
territoire, afin de s\'enquérir de son état. Elle séjourna au vilayet
de Mossoul du 27 janvier jusqu\'à la fin de mars 1925. Ayant terminé
son enquête, elle quitta Mossoul et se retrouva à Genève le 20
avril suivant pour entreprendre la rédaction de son rapport, qui
a été déposé au Secrétariat de la Société des Nations le 16 juillet
1925 ^

Quand nous nous proposons d\'esquisser en deux mots de quelle
façon un différend comme celui de Mossoul doit être vidé à l\'aide
d\'autres considérations que celles du droit, le plus sage parti sera
de prendre le rapport de la Commission d\'enquête comme fil con-
ducteur. C\'est un ouvrage qui est digne d\'une grande louange; il
montre clairement que les travaux de la Commission ont été on ne
peut plus sérieux, qu\'elle a examiné à fond les questions qui se
présentaient par rapport à la décision du sort du vilayet de Mossoul
et qui sont traitées par elle. La manière dont cette Commission
s\'est acquittée de sa tâche, et le rapport qu\'elle a émis, peuvent
être représentés comme des exemples à toute commission qui, à
l\'avenir, pourrait être appelée à une enquête de la même
nature.

\' Document C. 400.M. 147.1925.VII.

-ocr page 219-

nature du litige et base de la decision 207

La Commission a examiné à des points de vue différents la
question de savoir si le vilayet de Mossoul devait être adjugé à
Irak ou à la Turquie. Elle a recherché quel tracé de la frontière
était préférable à un point de vue ethnographique, géographique,
historique, économique, stratégique et politique. Son rapport
montre clairement quelles difficultés se présentent à un examen
comme celui de la Commission et en outre, qu\'il est des plus diffi-
ciles d\'arriver à une décision sur le choix de la frontière. Supposé
qu une certaine frontière soit fort recommandable à un point de
^e économique, elle peut être inadmissible à un point de vue
ethnographique, attendu qu\'une grande partie de la population
serait séparée de ses compagnons de race, de religion et de langue;
il se peut aussi que des considérations d\'ordre stratégique plaident
en faveur d\'une autre frontière, tandis que prévenir les vœux de
la population équivaudrait à la désignation d\'une autre frontière
encore. Laquelle de toutes ces considérations doit l\'emporter sur
les autres? Comme on le voit, les difficultés sont considérables
et il faudrait souvent la sagesse de Salomon pour amener un pareil
problème à une solution qui provoquerait l\'espérance qu\'elle sa-
tisfera à l\'avenir.

Nous verrons, à l\'aide du rapport de la Commission d\'enquête,
quelles lignes frontières sont recommandables, selon qu\'on part
du point de vue soit économique, soit ethnographique, soit politique,
etc. Nous reproduirons avec concision les conclusions de la Com-
mission et renvoyons le lecteur intéressé à l\'ouvrage de la Commis-
sion; ouvrage si richement documenté que toute tentative, faite de
notre part, à donner un aperçu tant soit peu complet de ce rapport,
serait peu satisfaisante. Pour les noms des villes, rivières, etc.,
nommés ci-dessous, nous renvoyons le lecteur à l\'introduction et à
la carte y jointe.

Conclusions géographiques

- T o p o g r a p h i e des frontières
La frontière revendiquée par le Gouvernement britannique
(une ligne au nord de la frontière septentrionale du vilayet) est une
très bonne frontière.

Vers le sud, chacune des chaînes de montagnes qui se succèdent
peut servir de ligne de délimitation. La ligne conventionnelle de

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Bruxelles ^ se prête aussi bien à un tracé que la frontière proposée
par le Gouvernement britannique; la chaîne au sud de Zakho-
Amadia-Neri présente les mêmes avantages; chacune des crêtes
successives peut, à la rigueur, servir de frontière. La dernière chaîne
utilisable est celle des avant-monts qui s\'étendent de l\'ouest à l\'est,
laissant Dohouk au nord, Al-Kosh et Akra au sud; cette ligne pré-
sente toutefois l\'inconvénient de couper un grand nombre de
voies
de communication et de séparer le pays des avant-monts de celui
de la plaine.

La frontière revendiquée par le Gouvernement turc (la fron-
tière méridionale du vilayet à peu près) est bonne dans sa partie
ouest, qui traverse le désert; elle est moins bonne dans sa partie
est. La frontière du désert peut être tracée suivant n\'importe quelle
ligne traversant la steppe, jusqu\'à 50 kilomètres environ au sud
de Mossoul, où commencent les cultures entourant la ville.

A l\'intérieur du pays, les trois grands fleuves. Tigre, Grand Zab
et Petit Zab, pourraient servir de démarcation géographique.

/^-Géographie régionale

Le territoire contesté est une région de transition à un double
titre: passages, d\'une part, entre les montagnes kurdes et les plaines
arabes, d\'autre part, entre la zone occidentale (Syrie et Arménie)
et la zone sud-orientale (Irak, Louristan). Sa partie septentrionale,
dont Mossoul est le centre, s\'apparente aux régions de Nisibin,
Mardine, Diarbekir, Ourfa, tandis que le sud se rattache plutôt
à l\'Irak et au Louristan de Perse; la ligne de partage entre ces deux
régions se trouve entre Kerkouk et Arbil, la ligne du Petit Zab est
probablement la mieux indiquée.

Conclusions ethniques

Le pays est habité par des Kurdes, des Arabes, des Chrétiens,
des Turcs, des Yézidis et des Israéhtes, désignés par ordre d\'impor-
tance numérique.

» C\'est la ligne frontière provisoire arrêtée par le Conseil de la Société des
Nations le 29 octobre 1924, que la Grande-Bretagne et la Turquie sont
convenues d\'observer en attendant la décision définitive du tracé de la
frontière. Cette ligne laisse à l\'Irak l\'administration provisoire du vilayet
et est à peu près identique à la frontière septentrionale de ce territoire.

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Les Kurdes forment la majorité de la population. Seuls, les Kur-
des et les Arabes habitent de grands territoires en masses com-
pactes; ce n\'est qu\'entre ces deux éléments de la population qu\'il
serait possible de trouver ou de déterminer une ligne de démar-
cation des races. Cette ligne suivrait le cours du Tigre jusqu\'à son
confluent avec le Petit Zab — séparant Mossoul de son hinterland
fertile et à population dense — et se prolongerait au sud du Petit
Zab par la route principale Kerkouk-Kifri. La Commission a con-
staté qu\'une pareille ligne frontière n\'est pas recommandable, par
suite d\'inconvénients d\'ordre économique et d\'ordre social.

Les frontières revendiquées par la Turquie et par l\'Irak ne con-
stituent pas des lignes de démarcation entre les races. Les villes
habitées par des Turcs sont situées dans la partie méridionale du
territoire contesté, c\'est-à-dire vers l\'Irak, tandis que Mossoul,
ville arabe, est située au centre de la partie septentrionale. Les
Chrétiens sont disséminés, mais se trouvent en grande majorité
au nord de Mossoul. Le mélange des races dans le territoire contesté
est trop prononcé pour qu\'il soit possible de tenir compte des élé-
ments d\'ordre purement ethnique pour la détermination de la
frontière.

Conclusions historiques

S\'il est incontestable que le pays en litige fut pendant des siècles
sous l\'autorité turque, cette autorité s\'exerça longtemps par l\'in-
termédiaire des pachas de Bagdad. Le territoire contesté ayant,
au cours des siècles, suivi le même sort et ayant eu une histoire
souvent commune avec Bagdad, l\'argument historique pencherait
plutôt vers une solution qui ne diviserait pas l\'unité historique de
ce pays, si l\'on ne se rappelait que Mardine, Djézireh et Diarbekir,
actuellement en territoire turc, ont également une histoire com-
mune avec Bagdad. On peut admettre qu\'une hgne frontière, tracée
n\'importe où, aura toujours pour conséquence de trancher les liens
historiques.

Conclusions économiques

Les considérations d\'ordre économique plaident en faveur du
rattachement du territoire contesté à l\'Irak, les parties montagneu-
ses au nord de la ligne conventionnelle de Bruxelles pouvant en

14

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être séparées sans le moindre inconvénient. Si d\'autres raisons
que les raisons économiques invitent à partager le territoire con-
testé, plusieurs solutions, moins bonnes toutefois, au point de vue
économique, que l\'unité du territoire, pourraient être acceptables.

1nbsp;- Les kazas ^ de Zakho, Amadia, et peut-être aussi Dohouk,
pourraient être séparés de Mossoul; ces territoires se trouveraient
dans une situation analogue à celle de Djézireh qui, jadis, était
également dans l\'hinterland de Mossoul.

2nbsp;- On pourrait considérer aussi une frontière au nord du Petit
Zab, laissant les nahiés ^ de Koï, Taq-Taq et Rania à l\'Irak, se
prolongeant à l\'ouest par une ligne tracée à environ 50 kilomètres
au sud de Mossoul et passant ensuite au sud des villages et des terres
labourées du Sindjar. Mossoul, grande ville, entrepôt général des
produits de la région septentrionale, est, en effet, plus indépendant
de Bagdad que les parties sud du territoire dont l\'entrepôt géné-
ral se trouve être la ville de Bagdad elle-même.

Conclusions stratégiques

La frontière proposée par le Gouvernement britannique est une
excellente frontière stratégique. La ligne conventionnelle de Bru-
xelles présente des avantages à peu près identiques. Toutes les
lignes frontières tracées suivant les crêtes de montagnes parallèles,
telles qu\'elles sont indiquées dans la partie géographique, peuvent
aussi être considérées comme des frontières stratégiques; leurs
qualités respectives diminuent toutefois à mesure qu\'on s\'avance
vers le sud. La frontière proposée par le Gouvernement turc est
bonne dans sa partie ouest, où elle traverse le désert, et mauvaise
dans sa partie est. Les rivières du pays ne formant pas des obstacles
sérieux, toutes les frontières tracées suivant leurs cours, donc nor-
malement aux chaînes de montagnes, constitueraient des frontières
stratégiques médiocres.

Conclusions politiques

La Commission estime que le vilayet de Mossoul ne doit être

» Kaza: territoire soumis à l\'autorité d\'un cadi (juge); par suite, district
administratif ou commune.

\' Nahié: sous-district gouverné par un „moudirquot;; plusieurs nahiés consti-
tuent un kaza.

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adjugé au Royaume de l\'Irak que dans le seul cas où celui-ci reste
placé sous le mandat de la Société des Nations pendant une pé-
riode de vingt-cinq ans environ, pour que le pays puisse se dévelop-
per et prospérer. Les vœux de la population, si l\'on considère le
vilayet de Mossoul dans son ensemble, penchent, il est vrai, plutôt
en faveur de l\'Irak qu\'en faveur de la Turquie. Mais l\'attitude de la
majorité de ces populations fut dictée par le souci de s\'assurer un
appui effectif provenant du mandat, et aussi par des considérations
économiques, plutôt que par un sentiment de sohdarité avec le
Royaume arabe; si ces deux facteurs n\'avaient pas agi, il est probable
que la majorité de la population eût préféré le retour à la Turquie
plutôt que le rattachement à l\'Irak.

Conclusions finales

En se tenant exclusivement sur le terrain de l\'intérêt des po-
pulations en cause, la Commission estime qu\'il y a un certain avan-
tage pour ces populations, à ce que le terrain contesté ne soit pas
divisé.

Partant de cette considération et ayant donné une valeur rela-
tive à chacune de ses constatations de fait, la Commission estime
que des arguments importants, particulièrement d\'ordre écono-
mique et géographique, ainsi que les tendances — avec toutes les
réserves formulées — de la majorité des populations du territoire
pris dans son ensemble, plaident en faveur du rattachement à
l\'Irak de tout le territoire au sud de la ligne conventionnelle de Bru-
xelles, en tant que seront rempUes les conditions suivantes: 1°. Le
pays restera sous le mandat effectif de la Société des Nations pen-
dant une période que l\'on peut évaluer à vingt-cinq années; 2°. Il
devra être tenu compte des vœux émis par les Kurdes, qui deman-
dent que des fonctionnaires de race kurde soient désignés pour l\'ad-
ministration de leur pays, pour l\'exercice de la justice et pour
l\'instruction dans les écoles, et que la langue kurde soit la langue
officielle de tous ces services.

Sur la base du rapport résumé ci-dessus, le Conseil, en vertu
de l\'article 3, paragraphe 2, du traité de Lausanne \\ a, en effet,

^ Voir annexe I.

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décidé, à l\'unanimité restreinte visée plus haut, en conformité
des conclusions finales, formulées par la Commission d\'enquête
(décision du 16 décembre 1925^).

Après que la Grande-Bretagne eut conclu une convention addi-
tionnelle avec l\'Irak pour prolonger le terme du mandat, le Conseil
a définitivement adjugé le territoire contesté au Royaume de l\'Irak
(décision du 11 mars 1926 2), adjudication qui a fini par être insérée
dans un traité anglo-irako-turc en date du 5 juin 1926

1 Voir annexe IIJ
\' Voir annexe III.
\' Voir annexe IV.

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Chapitre VI
EFFETS JURIDIQUES DE LA DECISION

Quand on admet — comme Ta fait la Cour permanente de
Justice internationale — que le Conseil de la Société des Nations,
en rendant une décision sur le tracé de la frontière entre la Tur-
quie et l\'Irak, a agi en qualité d\'arbitre et qu\'il a rendu, par con-
séquent, une sentence obligatoire pour les parties en litige, on
doit se demander quels ont été les effets juridiques de cette sen-
tence.

Malheureusement, la façon dont le Conseil a formulé sa décision,
n\'en facilite pas la détermination.

La résolution du 16 décembre 1925 est ainsi conçue „La fron-
tière entre la Turquie et l\'Irak sera fixée comme suit____quot; La te-
neur de cette décision, qui ne contient, dans sa clause initiale, que
la description de la Ugne-frontière, ne révèle pas la nature de la sen-
tence de l\'arbitre.

En effet, trois possibilités se présentaient. Il se pouvait en pre-
mier heu que le Conseil se crût obligé de ne donner rien qu\'une
décision sur la base du droit international; dans ce cas, il n\'avait
qu\'à rechercher le point de savoir quelle était, selon ledit droit, la
ligne frontière, à la fin de la grande guerre, entre le territoire turc
et celui du nouveau royaume arabe de l\'Irak, dont la Turquie ne
voulait plus contester en elle-même l\'indépendance. En second lieu,
il était possible que le Conseil se considérât comme autorisé à faire
absolument abstraction de la situation juridique, pour se borner à
se demander quelle devait être, à l\'avenir, cette ligne frontière.
Et en dernier lieu, le Conseil pouvait être d\'avis que, tout en
étant qualifié pour disposer du territoire du vilayet comme il le
jugerait bon, il ne devait pas pourtant laisser dans l\'ombre la si-

\' Journal Officiel, février 1926, pages 191—192. Voir ci-après Annexe ii.

-ocr page 226-

tuation de droit, telle qu\'elle était devenue à la suite de la révolte
arabe.

Comme nous l\'avons exposé ci-dessus, le Conseil a puisé les mo-
tifs de sa décision relative à la frontière future uniquement dans
des considérations d\'opportunité, d\'ordre ethnique, géographique,
économique, militaire, etc., sans même se prononcer sur la situation
juridique existante au moment de sa décision.

Si le Conseil eût adopté la première ou la dernière méthode, il
n\'aurait pu s\'abstenir de statuer sur ladite situation juridique; dans
ces cas, sa décision eût été purement déclarative ou eût, au moins,
contenu une clause déclarative de droit. Maintenant qu\'il ne s\'est
pas du tout prononcé au sujet de la situation juridique, on ne sau-
rait déduire de sa décision s\'il la considère comme impliquant une
simple constatation, ou plutôt une modification de cette situation.

En effet, si une sentence arbitrale relative au tracé d\'une fron-
tière est rendue sur la base du droit des gens, coutumier ou écrit,
elle délimite les deux sphères de souveraineté respectives, en con-
statant leurs frontières existantes, c\'est-à-dire, elle contient une
déclaration de ce qui est de droit. Dans le cas où la situation de
fait n\'est pas en conformité de la situation de droit, telle qu\'elle
est constatée par la sentence, celui des deux Etats qui, contraire-
ment au droit, est en possession d\'une partie du territoire de l\'au-
tre Etat, sera obligé de retirer ses troupes et ses autorités jusqu\'à
la frontière fixée par l\'arbitre. Si on procède à cette évacuation, elle
ne peut en aucun cas être considérée comme transfert de souverai-
neté.

Si, au contraire, l\'arbitre, en dehors des règles du droit positif,
attribue à l\'une des deux parties un certain territoire pour des rai-
sons d\'opportunité politique ou pour d\'autres raisons semblables,
la question se pose de savoir quel est, dans un cas pareil, l\'effet
juridique de la sentence. Cette sentence opère-t-elle par elle-même,
soit l\'adjudication finale de la souveraineté (dans les cas où le ter-
ritoire contesté ne peut être censé avoir antérieurement relevé
d\'aucun des deux Etats: différends polono-lithuanien relatif à Wil-
na, letto-esthonien relatif à Walk, etc.), soit le transfert de la sou-
veraineté (dans les cas où le territoire va changer de maître : zones
plébiscitaires du Slesvig, territoire de Memel, etc.), — en d\'autres
termes: la partie, à laquelle le territoire a été assigné, devient-

-ocr page 227-

elle souveraine par le seul effet de la décision? Ou est-ce que cette
sentence crée seulement pour les parties litigantes l\'obligation juri-
dique de s\'y conformer et de l\'entériner dans une convention ou par
une translation ultérieures, c\'est-à-dire, dans le second groupe de
cas, l\'obligation juridique de transférer à la partie triomphante la
souveraineté du territoire, pas encore définitivement perdue par le
seul effet de la sentence ^ ?

^ Cette question et de même celle de savoir à quel moment la souveraineté
passe de l\'Etat cédant à l\'Etat cessionnaire en cas de cession d\'un terri-
toire, ne sont pas des questions académiques, mais des points d\'un grand
intérêt pratique.

La transmission de la souveraineté d\'un territoire d\'un Etat à un autre
a des conséquences importantes sous plus d\'un rapport, en premier lieu
pour les habitants. Ceux-ci acquièrent une nationalité nouvelle; pour eux
il est important de savoir à quel moment cela se passe. La validité des
mariages conclus dans la période de transition, est compromise, quand un
territoire faisant partie d\'un Etat adhérent aux conventions de droit inter-
national privé de La Haye, passe à un Etat qui n\'y a pas adhéré. Jusqu\'à
quel jour les habitants du territoire cédé, séjournant à l\'étranger, pourront-
ils faire appel aux services des agents diplomatiques ou consulaires de
l\'Etat cédant? Jusqu\'à quelle date les sentences prononcées par les organes
judiciaires de l\'Etat cédant seront-elles exécutoires dans le territoire cédé
et à quelle date les sentences rendues par les tribunaux de l\'Etat cession-
naire deviendront-elles exécutoires dans le territoire en question?
Les Etats tiers, eux aussi, sont intéressés à savou- quand le transfert de
la souveraineté est parfait. Jusqu\'à quel moment les traités qu\'ils ont con-
clus avec l\'Etat cédant, s\'appliqueront-ils au territoire cédé et depuis quel
moment les traités, conclus par eux avec l\'Etat cessionnaire, s\'étendront-
ils à ce territoire? Depuis quelle date l\'Etat cessionnaire est compétent
pour transférer à son tour le territoire à un Etat tiers? La question est
aussi importante pour l\'application du droit des prises, par exemple, pour
juger du caractère ennemi des marchandises transportées par mer, de la
destination hostile éventuelle de la contrebande, etc.

Pour finir, nous faisons remarquer que, en cas de guerre, le moment de
la mutation de la souveraineté est décisif pour la solution du point de
savoir si le territoire cédé est „region of warquot; ou non. Si une guerre éclate
entre l\'Etat cédant et l\'Etat cessionnaire, cette solution n\'est pas douteuse :
le territoire cédé peut être fait „theatre of warquot;. Mais en cas de guerre p. ex.
entre l\'Etat cédant et un Etat tiers la solution n\'est pas aussi simple. Si
la souveraineté passe par le seul effet de l\'échange des ratifications du
traité ou de la décision de l\'arbitre, le territoire en question est neutre et
des actes de guerre faits sur ce territoire constitueraient la violation de
la neutralité de l\'Etat cessionnaire. Si, au contraire, la souveraineté ne

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L\'opinion qu\'on partage par rapport à la nature même de la sou-
veraineté et au rôle du territoire comme élément de l\'Etat, est d\'un
intérêt particulier pour la solution de ces questions.

Certains jurisconsultes sont d\'avis que les relations entre l\'Etat
et son territoire sont d\'une nature analogue à celles qui existent,
d\'après le droit civil, entre le propriétaire et la chose. L\'Etat possède
donc des droits — d\'ailleurs relevant du droit public — dont le
territoire est l\'objet, — droits que l\'Etat peut faire valoir contre
tout autre Etat. L\'Etat a, par conséquent, un droit réel et absolu
sur son territoire, il existe un rapport de droit entre l\'Etat et son
territoire

D\'autres jurisconsultes professent une opinion fondamentalement
différente de celle que nous venons d\'exposer. Ils désapprouvent
entièrement la manière de voir d\'après laquelle l\'Etat a des droits
sur son territoire et considèrent le territoire uniquement comme élé-
ment de l\'Etat. Le territoire est l\'Etat lui-même dans sa délimita-
tion territoriale

L\'antithèse entre ces deux manières de voir se manifeste claire-
ment quand on demande comment il faut comprendre la cession de
territoire.

Ceux qui admettent que la souveraineté est un droit réel de l\'Etat
ayant pour objet le territoire, répondront que l\'Etat cédant trans-
fère à l\'Etat cessionnaire ses droits sur le territoire en question.
La cession internationale de territoire doit être mise sur le même
plan que le transfert du droit de propriété entre deux personnes
privées. L\'Etat cessionnaire est l\'acquéreur des droits de l\'Etat
cédant, bien que naturellement ces droits présentent les caractères
de droits pubhcs (Hoheitsrechte)

passe que par la prise de possession, le territoire est ouvert aux actes de
guerre tant que cette prise de possession n\'a pas eu lieu.
1 Karl Heimburger,
Der Erwerb der Gebietshoheit, première partie, Karls-
ruhe 1888, pages 26 et 27.

» C. V. Fricker, Vom Staatsgebiet dans Gebiet und Gebietshoheit, Tübingen
1901, pages 112 et 113.

G. Jelhnek, Allgemeine Staatslehre, Berlin 1914, pages 402 et 403.
\' Paul Heilborn,
Das System des Völkerrechts entwickelt aus den völker-
rechtlichen Begriffen,
Berlin 1896, pages 12 et 36.
Karl Heimburger,
loc. cit., page 110.
E. von Ulimann,
Völkerrecht, Tübingen 1908, page 317.

-ocr page 229-

L\'opinion des jurisconsultes qui considèrent le territoire non pas
comme objet d\'un droit réel de l\'Etat, mais comme un de ses élé-
ments, est diamétralement différente. Ils rejettent l\'idée de la trans-
lation de droits, puisque l\'Etat n\'en a pas sur le territoire. De leur
avis, on ne transfère ni n\'accepte aucun droit par le traité de cession,
niais l\'Etat cédant s\'oblige à se modifier en retirant ses organes et
en cessant de faire valoir son autorité dans une certaine partie de
son territoire. Dans cet ordre d\'idées il n\'est pas question de la
translation de droits, mais la souveraineté de l\'un des Etats se retire
et celle de l\'autre Etat s\'étend sur le vacuum juridique ainsi créé ».

Les auteurs qui sont d\'avis que l\'Etat a un droit réel sur son
territoire, ne sont pas unanimes quant aux effets juridiques d\'un
traité de cession. Certains d\'entre eux pensent que l\'Etat cession-
naire acquiert la souveraineté du territoire cédé par l\'échange des
ratifications, donc par le seul effet de l\'entrée en vigueur du traité,
qui opère sans plus le transfert de la souveraineté. D\'autres auteurs
de ce groupe estiment que le traité ne crée en faveur de l\'Etat ces-
sionnaire que le droit d\'exiger le transfert du territoire par l\'Etat
cédant, l\'Etat cessionnaire n\'en devenant souverain et la cession
n\'étant parfaite qu\'au moment où cet Etat acquiert l\'autorité de
fait du territoire cédé.

Quand on fait abstraction de leur manière de voir fondamentale-
ment différente sur le rôle du territoire dans l\'idée de l\'Etat, ces
derniers auteurs, partisans de la thèse qui admet la nécessité
d\'une prise de possession effective comme condition nécessaire de la
transition de la souveraineté territoriale, sont de la même opinion
que la catégorie des auteurs qui interprètent la cession comme le
déplacement de la frontière entre les deux sphères de souveraineté
respectives. Ces deux catégories de jurisconsultes exigent que la
souveraineté territoriale se manifeste par l\'exercice efficace du
pouvoir. En résolvant la question de savoir quels sont les effets
juridiques du traité de cession, il faut donc opposer ces deux grou-
pes à celui dont les partisans admettent que l\'Etat cessionnaire

\' Voir aussi sur cette controverse doctrinale: Diena, Diritto internazionale

I (pubblico), page 189 et ss.

C. V. Fricker, ouvr. cit., pages 91 et 92.

J. Hatschek, Das Völkerrecht als System rechtlich bedeutsamer Staatsakte,
Leipzig 1923, pages 171 et 172.

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peut déjà avoir acquis la souveraineté territoriale avant que ses or-
ganes aient effectivement occupé le territoire cédé.

Bien que, dans le cas de Mossoul, il ne s\'agisse pas d\'une cession
de territoire dans le sens usuel du mot, il n\'est pourtant pas dé-
pourvu d\'intérêt d\'approfondir ici un peu plus la question de
savoir quels sont les effets juridiques d\'une cession de territoire.

Car, quand on se pose la question parallèle de savoir quels sont
les effets juridiques d\'une sentence arbitrale en matière de souve-
raineté territoriale contestée, on aperçoit bientôt qu\'il existe cer-
taine affinité entre les deux hypothèses, notamment lorsqu\'on
examine les cas d\'arbitrage territoriaux basés, non sur des consi-
dérations d\'ordre strictement juridique, mais sur des considéra-
tions d\'ordre économique, mihtaire, ethnique etc. Dans ces cas
aussi, il y a différentes réponses possibles.

D\'abord, la sentence peut avoir l\'effet directement attributif,
c\'est-à-dire, l\'Etat auquel le territoire est adjugé, en acquiert
la souveraineté, aussitôt que la sentence a été prononcée. Si le
territoire a relevé antérieurement de l\'autre des Etats en litige,
la sentence a l\'effet directement translatif; l\'arbitre modifie par
le seul effet de sa sentence, la situation territoriale juridique
existante et la remplace par une autre. Dans cet ordre d\'idées, la
sentence arbitrale contient une adjudication de territoire, titre
moderne d\'acquisition de souveraineté territoriale. Les évacua-
tions et les occupations éventuelles de territoires ne peuvent
être interprétées comme transfert de souveraineté. Elles ont pour
seul but de faire acquérir au souverain nouveau le pouvoir qu\'il
a déjà selon le droit, — en d\'autres termes, d\'adapter la situa-
tion de fait à la situation juridique nouvellement créée.

Si la sentence ne peut pas être censée avoir cet effet immédiat,
elle crée en tout cas une obligation d\'adapter à son dispositif la
situation existante. Cela peut se faire, ou bien au moyen d\'une
convention, soit de délimitation définitive (en cas d\'Etats nouveaux
limitrophes), soit de cession, suivie, ou non, d\'occupation effective,
ou bien, sans l\'intervention d\'une convention, au moyen d\'une
prise de possession effective du territoire adjugé.

Le point de savoir lequel de ces différents faits juridiques: le
prononcé de la sentence, le traité destiné à en assurer l\'exécution,
ou l\'évacuation, respectivement la prise de possession effective du

-ocr page 231-

____effets juridiques de la decisionnbsp;219

territoire, fait passer la souveraineté territoriale, dépend des
mêmes conceptions doctrinales que nous avons signalées ci-dessus.

Vu que, par conséquent, les opinions divergentes sur les effets
juridiques d\'un traité de cession jouent un rôle important dans
la matière qui nous occupe, nous nous proposons de rechercher
d\'abord quels effets la pratique internationale reconnaît à un
pareil traité. Il y a un motif de plus pour entreprendre cet examen,
savoir que non seulement des jurisconsultes, mais encore quelques
traités internationaux reconnaissent à la sentence arbitrale en
matière de souveraineté territoriale le même effet qu\'à un traité
de cession.

Calvo 1 pense que „la décision des arbitres a pour les parties les
effets d\'une transaction régulièrequot; et „qu\'elles sont tenues d\'exé-
cuter la sentence comme elles feraient d\'un traité par lequel elles
régleraient leurs droits respectifs.quot;

Rivier 2 est d\'avis que, au cas où les parties confient à l\'arbitre
la mission d\'adjuger un territoire à l\'une ou à l\'autre d\'entre
elles, il n\'est pas question d\'une adjudication proprement dite,
mais d\'„une renonciation conventionnelle et éventuelle de la
part de chacun des Etats qui sont parties au compromisquot;. Le traité,
par lequel les parties conviennent qu\'un arbitre mettra fin à leur
différend, doit être considéré, selon lui, comme une renonciation
éventuelle, faite par chacune des parties, de ses droits prétendus
sur le territoire contesté, sous une certaine condition, à savoir
que la sentence de l\'arbitre soit favorable à son adversaire ^

Quelques traités d\'arbitrage aussi mettent la décision de l\'arbitre
sur le même plan qu\'un traité de cession. Le Honduras a conclu
des traités d\'arbitrage avec le Nicaragua, * le Salvador ^ et le

\' C. Calvo, Dictionnaire de droit international public et privé, Paris 1885
tome I, page 55.

\' A. Rivier, Principes du droit des gens, Paris 1896, tome I, pages 174 et

175.

\' C\'est dans ce même ordre d\'idées que le traité de Versailles a réglé les
questions de la Haute-Silésie (article 88, in fine), du Slesvig (article 110
alinéa 3) et du territoire du Bassin de la Sarre (§ 35, sub
a) et 6), de l\'An-
nexe à la section IV de la Partie III, après l\'article 50).
\' Honduras-Nicaragua, 7 octobre 1894 (H. La Fontaine,
Pasicrisie inter-
nationale,
Bern 1902, page 480).

» Honduras-Salvador, 19 janvier 1895 (La Fontaine, loco cit.. page 505).

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Guatemala où se trouve une stipulation ainsi conçue : „El laudo
arbitral, cualquiera que sea, se tendrâ como tratado perfecto,
obligatorio y perpetuo entre las Altas Partes Contratantes y no
se admitirâ contra él recurso alguno.quot;

Comme nous l\'avons déjà dit plus haut, les opinions des juris-
consultes sont divisées quant au point de savoir à quel moment
la souveraineté du territoire cédé est acquise par l\'Etat cessionnaire.
Quelques-uns pensent que la souveraineté est transférée au moment
où le traité de cession entre en vigueur, ce traité créant — si l\'on
veut — un droit absolu et réel, opposable à tout autre Etat. D\'autres
auteurs affirment que le traité de cession ne transfère pas, par
lui-même, la souveraineté, mais qu\'il ne fait naître qu\'une obliga-
tion, un droit personnel, en vertu duquel l\'Etat cessionnaire est
en droit d\'exiger que l\'Etat cédant le mette en possession du ter-
ritoire cédé et fasse passer ainsi la souveraineté territoriale. Dans
cet ordre d\'idées, la cession n\'est complète et la souveraineté
territoriale ne se transmet qu\'à l\'instant où les autorités de l\'Etat
cédant sont remplacées par celles de l\'Etat cessionnaire.

L\'argumentation alléguée par les jurisconsultes en faveur de l\'une
et de l\'autre thèse, est souvent succincte. Maint auteur se contente
même de déclarer sans plus qu\'il est partisan d\'une doctrine ou de
l\'autre, sans tâcher de convaincre le lecteur, par des motifs sé-
rieux, de la justesse de son opinion.

Certains auteurs résolvent la question qui nous occupe, par ana-
logie du droit civil. Ils recherchent quelles règles dominent le trans-
fert du droit de propriété. Si ce droit passe du cédant au cession-
naire par l\'échange des consentements respectifs, cette règle doit
s\'appliquer aussi, selon eux, au transfert de la souveraineté entre
Etats. Si la cession est réglée par la règle du droit romain, stipulant
que le consentement des deux parties ne suffit pas à transférer le
droit de propriété, il doit en être de même pour la cession de souve-
raineté, et il s\'ensuit que la cession n\'est parfaite que lorsque
le territoire cédé a été occupé par le cessionnaire.

Même sans parler de la différence qui existe, à cet égard, dans
les différents systèmes nationaux de droit civil, il nous semble
que cet ordre d\'idées mettant les principes du droit civil et ceux

\' Honduras-Guatémala, 1 mars 1895 (La Fontaine, loco cit., page 508).

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du droit des gens sur le même plan, offre de trop graves inconvé-
nients. Généralement parlant, il n\'est pas permis d\'appliquer aux
relations entre Etats les principes du droit civil réglant les rap-
ports entre les personnes privées. En effet, les Etats sont des sujets
de droits et d\'obligations d\'une nature tout autre que les person-
nes privées. De même il existe une différence fondamentale entre
le droit de propriété du droit civil et la souveraineté exercée par
l\'Etat.

Oppenheim » est partisan de la doctrine qui admet que la cession
est parfaite après l\'échange des ratifications. „The validity of the
cession does not depend upon tradition, the cession being completed
by ratification of the treaty of cession.quot; Schoenborn ^ pense égale-
ment qu\'il est inexact de croire que ce n\'est que la prise de posses-
sion qui opère le transfert de la souveraineté; à son avis, l\'accord
des volontés est décisif

La plupart des jurisconsultes adhère à la théorie qui considère
la prise de possession comme la condition
sine qua non de la tra-
dition de la souveraineté.

Bluntschli 1 exige, pour que la cession de territoire soit valable,
une prise de possession de la part de l\'Etat acquéreur. De Louter ®
pense que le traité de cession n\'est que le titre attendant l\'exé-
cution effective pour atteindre son but; la tradition et l\'acceptation
du pouvoir effectif rendent la cession parfaite. Nys ® est de la
même opinion que Rivier ^ qui opine que „le traité de cession
ne donne à l\'acquéreur qu\'un droit personnel contre le cédant.

1nbsp;nbsp;M. Bluntschli, Le droit international codifié, Paris 1881, article 286.

\' J. de Louter, Het stellig Volkenrecht, La Haye 1910, tome I, page 367.

•nbsp;E. Nys, L\'acquisition du territoire et le droit international, dans la Revue
de droit international et de législation comparée,
1904, page 378.

\' A. Rivier, Principes du droit des gens, Paris 1896, tome I, page 202.

-ocr page 234-

La tradition lui donne la possession et le droit de souverainetéquot; ^

L\'examen du point de savoir si le droit des gens contient une
règle précise concernant certaines relations internationales, doit,
en thèse générale, partir de la conduite des Etats eux-mêmes,
dans laquelle se réflète leur conviction juridique commune. Il
n\'en est pas autrement pour la matière qui nous occupe : „la coutume
internationale comme preuve d\'une pratique générale acceptée
comme étant le droitquot; (article 38, sub 2, du Statut de la Cour
permanente de Justice internationale) est la source d\'où provient
le droit des gens positif, tant que les Etats n\'ont pas fixé de règles
de droit par leurs traités.

Or, quand on examine les traités de cession conclus dans le der-
nier siècle, il paraît que la pratique internationale ne préfère pas
l\'une des deux doctrines à l\'autre. Il y a des cas importants où
les Etats contractants convenaient par le traité de cession que
la souveraineté serait transmise par l\'échange des ratifications,
sans que l\'Etat acquéreur fût mis en possession du territoire cédé.
Par contre il y en a d\'autres qui stipulent que la souveraineté
ne sera acquise qu\'après la transmission du territoire.

Les Etats-Unis d\'Amérique ont conclu deux traités d\'après
lesquels la souveraineté serait transférée par le seul effet de la
mise en vigueur du traité de cession.

La Russie a cédé, par le traité du 30 mars 1867, signé à Washing-
ton, l\'Alaska aux Etats-Unis. L\'article 4 de ce traité ^ stipule que
les deux parties désigneront un agent pour la translation formelle
du territoire, mais „the cession, with the right of immediate pos-
session, is nevertheless to be deemed complete and absolute on
the exchange of ratifications, without waiting for such formal
delivery.quot;

On trouve cette même stipulation dans le traité conclu par les
Etats-Unis avec le Danemark le 4 août 1916, par lequel ce der-
nier cédait aux premiers les Antilles danoises. D\'après l\'article 4

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de ce traité ^ aussi la cession avec le droit de possession immé-
diate sera parfaite par l\'échange des ratifications, sans que la déli-
vrance formelle soit requise.

Il en est exactement de même, pour citer un troisième exemple,
du traité russo-japonais d\'échange, en date du 25 avril/7 mai
1875, et concernant les îles Kouriles et l\'île de Sakhaline; d\'après
l\'article 3 „la remise réciproque des territoires désignés dans les
deux articles précédents aura heu immédiatement après l\'échange
des ratifications du présent traité et lesdits territoires passeront
à leurs possesseurs, avec les revenus, à dater du jour de la prise
de possession; mais la cession réciproque avec le droit de pos-
session immédiate doit, toutefois, être considérée complète et abso-
lue à dater du jour de l\'échange des ratificationsquot; 2.

Le traité de paix entre l\'Espagne et les Etats-Unis, conclu
à Paris le 10 décembre 1898, sans le dire en termes exprès, part
du même point de vue, puisqu\'il mentionne constamment comme
le moment décisif „the time of the exchange of ratifications of
this Treatyquot; 3.

Le traité de cession conclu par la Suède et la France le 10 août
1877, au contraire, se range à l\'opinion d\'après laquelle la cession
n\'est complète que lorsque l\'acquéreur a occupé le territoire cédé.
La Suède rétrocède, par l\'article 1er du traité S l\'île Saint-Barthé-
lemy à la France; l\'île est pourtant cédée sous la réserve formelle
que sa population consentira à la cession. D\'après la doctrine qui
se contente, pour le transfert de la souveraineté, de l\'entrée en
vigueur du traité de cession, la France acquerrait la souveraineté
de l\'île au moment où les résultats de la consultation populaire au-
raient été déterminés officiellement, supposé tout au moins que ces
résultats fussent favorables à la France. Dans ce cas la condition
de la cession serait remplie.

Il semble pourtant que les parties contractantes n\'ont pas
voulu que la souveraineté passât par le seul effet du traité de ces-

-ocr page 236-

sion. Cela ressort du protocole du 31 octobre 1877 ^ qui fait une
partie intégrante du traité. Ce protocole contient un article (1)
stipulant que la nationalité française sera acquise par les sujets
suédois de plein droit à dater du jour de la prise de possession par
l\'autorité française. Cet article est assez clair: ce n\'est qu\'au jour
où le pouvoir effectif de l\'île sera transmis à la France, que les
habitants suédois acquerront la nationalité française. Il est permis
de déduire de ce fait que, à ce même jour, la souveraineté de l\'île
passera à la France. Si la France avait acquis la souveraineté
avant la prise de possession de l\'île et immédiatement après la
fixation des résultats du plébiscite, c\'est à ce moment-là que
les sujets suédois auraient acquis la nationalité française. Vu que
cette nationalité ne leur est assignée qu\'à partir du jour de la prise
de possession, il nous semble que c\'est à ce jour-là seulement que
la France est redevenue souveraine de l\'île Saint-Barthélemy.

Une pareille conclusion peut être tirée de deux autres traités.

Par un traité en date du 30 avril 1803 la France cédait la Loui-
siane aux Etats-Unis d\'Amérique. Les parties considéraient dans
l\'article 1er du
Traité ^ que, par le traité de St. Ildephonse du
1er octobre 1800, l\'Espagne avait cédé ce territoire à la France;
en plus, l\'article stipule que „le premier consul de la République
française fait aux Etats-Unis cession dudit territoire.quot; L\'ar-
ticle IV du traité conclu entre la France et les Etats-Unis est d\'in-
térêt pour la question qui nous occupe. Cet article est ainsi conçu :
„11 sera envoyé de la part du Gouvernement français un commis-
saire à la Louisiane, à l\'effet de faire tous les actes nécessaires,
tant pour recevoir des officiers de Sa Majesté Catholique lesdits
pays, contrées et dépendances au nom de la République française,
si la chose n\'est pas encore faite, que pour les transmettre, audit
nom, aux commissaires ou agents des Etats-Unis.quot;

La France enverra donc en Louisiane un agent ayant pour tâche
d\'accepter des mains des officiers espagnols le pouvoir effectif du
territoire, en tant que cela ne s\'est pas encore fait, et de trans-
férer ensuite ce pouvoir à l\'agent des Etats-Unis. On pourrait ad-
mettre que les parties étaient d\'avis que le traité hispano-fran-
çais de 1800 avait déjà fait passer la souveraineté de la Louisiane

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___effets juridiques de la decisionnbsp;225

à la France, attendu que celle-ci, par le traité nouveau de 1803,
la cédait de nouveau aux Etats-Unis, bien qu\'eUe n\'y exerçât pas
encore partout le pouvoir effectif. Autrement, la France n\'aurait
pu conclure ce traité avec les Etats-Unis, ne pouvant naturellement
céder à un Etat tiers un territoire dont elle n\'avait pas encore
acquis elle-même la souveraineté territoriale.

Il nous semble pourtant qu\'une autre interprétation de cette
clause de traité est plus juste. De notre avis, ce traité part précisé-
ment du point de vue qu\'une prise de possession du territoire doit
compléter le traité de cession, pour que la souveraineté en passe
à l\'acquéreur. L\'article IV suppose que la France n\'avait pas encore
pris possession de toute la Louisiane au moment où elle concluait le
traité de cession avec les Etats-Unis. Selon la doctrine qui admet
que la souveraineté ne passe que par l\'occupation, la
France n\'était
pas encore souveraine des parties de la Louisiane restées en posses-
sion des autorités espagnoles. Cela n\'empêchait pourtant pas la
France de conclure un traité pour céder aux Etats-Unis toute la
Louisiane. Quels sont, dans cet ordre d\'idées, la portée et l\'effet
juridique du traité de cession? L\'Etat cédant s\'oblige de transmet-
tre à son cocontractant la possession du territoire et de lui faire ac-
quérir, par cela, la souveraineté. La France était en état de prendre
et de remplir un pareil engagement. Grâce au traité conclu par elle
avec l\'Espagne en 1800, la France était en mesure de transférer aux
Etats-Unis la souveraineté de toute la Louisiane, pourvu qu\'elle-
même eût soin d\'acquérir cette souveraineté. Cela s\'est fait. En tant
que la France n\'avait pas encore pris possession de certaines parties
de la Louisiane („si la chose n\'est pas encore faitequot;), son représen-
tant en Louisiane a reçu le pouvoir des officiers espagnols. Après
cela, rien ne manquait à la souveraineté française et rien n\'em-
pêchait plus l\'exécution du traité conclu avec les Etats-Unis. Les
autorités françaises ayant occupé toute la Louisiane, la France pou-
vait à son tour transmettre ce pays aux autorités américaines et,
par cela, en transférer aux Etats-Unis la souveraineté.

Après tout, il nous semble que le traité de 1803 s\'explique le
mieux par la théorie qui fait passer la souveraineté du territoire
cédé à l\'acquéreur par la prise de possession

^ Cette cession de la Louisiane a donné matière à un jugement de prise con-
cernant la „Famaquot; et rendu par Sir W. Scott. Celui-ci discute le point de

15

-ocr page 238-

Le second cas que nous mentionnons, est celui de la cession de la
Lombardie. Ce territoire fut cédé par l\'Autriche à la France et
ensuite par la France à la Sardaigne. Ces événements se sont passés
en 1859.

Schoenborn mentionne » que la France transférait la Lombardie
à la Sardaigne sans avoir d\'avance pris possession de toute la Lom-
bardie. De Louter 2 est du même avis. Ce jurisconsulte émet l\'opi-
nion que le traité de cession n\'est que le titre pour le transfert du
territoire. A son avis, ce principe n\'est pas réfuté par le fait que de
temps à autre le cessionnaire transfère le territoire cédé à un tiers
Etat, avant qu\'il en ait pris possession lui-même. Comme exemple
il cite la cession de la Lombardie par la France à la Sardaigne.

Nous mettons pourtant en doute que, comme l\'admettent les
deux jurisconsultes cités, ces cessions puissent plaider en faveur
de la doctrine qui se contente d\'un traité de cession pour le transfert

de la souveraineté.

Par les préliminaires de paix ^ convenus, le 11 juillet 1859, entre
l\'Autriche et la France à Villafranca „l\'Empereur d\'Autriche cède
à l\'Empereur des Français ses droits sur la Lombardie. L\'Empereur
des Français remettra les territoires cédés au Roi de Sardaignequot;.
L\'article 4 du traité de paix * de Zurich du 10 novembre 1859 con-
tient la cession définitive: „Sa Majesté l\'Empereur d\'Autriche re-
nonce, en faveur de Sa Majesté l\'Empereur des Français, à ses droits
et titres sur la Lombardie.quot;

Ce jour même un traité ^ fut conclu à Zurich, par lequel la France

savoir si le traité de cession fait passer lui-même la souveraineté. Pour que
la cession soit parfaite, le juge exige qu\'il y ait le
jus in re et le /ms in rem.
Il met sur le même plan l\'occupation d\'un territoire récemment découvert
et la cession. Ensuite il pense que, en cas de cession, le changement de sou-
veraineté doit se manifester par des actes publics, de sorte que „until pos-
session was actually taken, the inhabitants of New Orleans continued under
the former sovereignty of Spain.quot; (Voir K. Strupp,
Wörterbuch des Völ-
kerrechts und der Diplomatie,
tome I, page 300).

» W. Schoenborn, Staatensukzessionen, dans Handbuch des Völkerrechts de
F. Stier-Somlo, tome II, deuxième partie, Berlin 1913, la troisième note
de la page 18.

» J. de Louter, Het stellig Volkenrecht, La Haye 1910, tome I, page 367.
» De Martens,
Nouveau Recueil Général, tome XVI, partie II. page 516.
* loc. cit., page 518.
\' loc. cit., pages 525 et 526.

-ocr page 239-

cédait la Lombardie à la Sardaigne. Quand on lit attentivement la
clause de traité contenant cette seconde cession, le doute surgit, si
on est libre d\'en conclure que la France a cédé à la Sardaigne la sou-
veraineté de la Lombardie. L\'article 1 du traité de cession est ainsi
conçu: „Sa Majesté l\'Empereur des Français transfère à Sa Majesté
le Roi de Sardaigne les droits et titres qui lui sont acquis par l\'ar-
ticle 4 du traitéquot;, par lequel l\'Autriche renonçait à la Lombardie
en faveur de la France.

Cet article dit seulement que la France transfère à la Sardaigne
les droits qu\'elle a acquis en vertu du traité conclu par elle avec
l\'Autriche. De notre avis, cela ne comporte pas nécessairement la
conclusion que la France transférait la souveraineté delà Lombardie,
sans en avoir pris possession antérieurement. Si cette conclusion
était la seule possible, la souveraineté eût été transférée avant que
l\'Etat cédant exerçât lui-même le pouvoir effectif dans le territoire
cédé par lui. Mais, puisque l\'article 1 dit seulement que la France
transfère „les droits et titresquot; qu\'elle peut faire valoir sur la Lom-
bardie, cette conclusion n\'est pas la seule possible.

Rien n\'empêche d\'interpréter ce second traité de cession dans le
sens que le traité primitif devait être suivi d\'une prise de possession
pour faire passer la souveraineté. Quels étaient les droits acquis
par la France en vertu du traité conclu avec l\'Autriche ? Rien que le
titre autorisant la France à exiger d\'être mise en possession de la
Lombardie. Ce titre créait une obligation, un droit relatif, opposable
seulement à l\'Autriche, qui était obligée d\'évacuer la Lombardie.
C\'est ce droit que, du consentement de l\'Autriche, la France a trans-
mis à la Sardaigne; elle ne cédait pas la souveraineté même, mais
seulement le droit personnel qu\'elle pouvait faire valoir contre
l\'Autriche. Quel était donc le droit que la Sardaigne pouvait fonder
sur le traité ? Pas la souveraineté de la Lombardie, mais seulement
le même droit qu\'avait la France, dont elle était le successeur. EUe
était donc autorisée à exiger que l\'Autriche transmît la Lombardie
à elle et non à la France.

Quand on comprend ainsi ce traité, la France n\'a pas transféré
à la Sardaigne la souveraineté de la Lombardie, sans avoir occupé
ce territoire.

Comme exemples de cessions de date plus récente, nous citons
d\'abord celle du Slesvig septentrional. En vertu de l\'article 110,

-ocr page 240-

alinéa 3, du traité de Versailles, l\'Allemagne a renoncé en faveur
des Principales Puissances alliées et associées à la partie du Slesvig
située au nord d\'une ligne frontière à déterminer par lesdites Puis-
sances. Le second alinéa de l\'article 110 autorise le Danemark à oc-
cuper le territoire situé au nord de cette frontière, aussitôt qu\'elle
sera fixée. La détermination de la frontière a été notifiée au Dane-
mark le 15 juin 1920. En exécutant l\'alinéa 3 de l\'article 110 du traité
de Versailles, les Principales Puissances alliées ont conclu avec le
Danemark, le 5 juillet 1920, un traité, par lequel elles lui transfé-
raient tout droit de souveraineté qu\'elles tenaient de l\'article 110,
alinéa 3, du traité de Versailles, sur la partie du Slesvig située au
nord de la ligne frontière. Ce transfert est censé avoir eu lieu le 15
juin 1920, jour oîi la fixation de la frontière a été notifiée à l\'Alle-
magne et au Danemark

A quelle date le Danemark a-t-il acquis la souveraineté du Sles-
vig septentrional? Si ce territoire a été occupé par les Danois le I5
juin 1920, immédiatement après la notification de la fixation de la
frontière, conformément au second alinéa de l\'article 110 du traité
de Versailles, c\'est à cette date que la souveraineté a été acquise
par le Danemark, grâce à l\'effet rétroactif du traité de cession con-
clu avec les Principales Puissances alliées; car, c\'est à ce jour-là que
le Danemark a acquis simultanément le titre et le pouvoir effectif.
Si, au contraire, le Danemark a occupé le Slesvig après le 15 juin
1920, la question est à résoudre de savoir si avant la date de l\'oc-
cupation danoise le Danemark devait être considéré comme en étant
déjà le souverain, ou si ce sont les Principales Puissances alliées et
associées qui devaient encore être qualifiées comme souveraines.

Le second cas du temps moderne est aussi tiré du traité de Versail-
les. L\'Allemagne a renoncé, par les articles 99 et 100 de ce traité,
à tous ses droits et titres sur le territoire de Memel et sur la ville de
Dantzig, en faveur des Principales Puissances alliées et associées. Il
semble qu\'on ait admis que cette cession a effectué par elle-même
le transfert de la souveraineté. Car, le 9 janvier 1920, les Principales
Puissances alliées ont conclu avec l\'Allemagne un accord ^ concer-
nant le transfert des territoires de Memel et de Dantzig, où il est

\' De Martens. Nouveau Recueil Général, troisième série, tome XIV, page
881.

» De Martens, Nouveau Recueil Général, troisième série, tome XVI. page 368.

-ocr page 241-

dit que „la souveraineté étant transférée ipso facto aux Principales
Puissances alliées et associées par la mise en vigueur du traité, la

remise des territoires sera effectuée----quot; En d\'autres termes, par

le seul effet de l\'entrée en vigueur du traité de Versailles et sans
avoir pris possession des territoires cédés, les Puissances alliées
en ont acquis la souveraineté. ^

Ces exemples, tirés de la pratique internationale, sont, que nous
sachions, les seuls qui traduisent l\'intention des parties quant à
l\'effet du traité de cession. On n\'est pas autorisé, par conséquent, à
conclure que le droit international coutumier contient à cet égard
une règle générale et obligatoire pour les membres de la commu-
nauté internationale. Les traités de cession, envisagés comme ma-
nifestations d\'une conviction juridique internationale, ne stipulent
pas expressément, en règle générale, s\'ils ont, oui ou non, l\'effet
translatif de souveraineté.

Vu qu\'il en est ainsi, il faut arriver à une conclusion par une
autre voie, notamment par des considérations dogmatiques. Quand
les parties contractantes ont passé ce point sous silence, il incombe
à la science du droit international de déterminer l\'effet juridique
du traité de cession et de chercher, par la voie du raisonnement, une
solution en conformité des principes généraux du droit des gens.

Tant la doctrine qui reconnaît au traité de cession la force trans-
lative que celle qui exige une prise de possession pour l\'acquisition
de la souveraineté, a des inconvénients. Il est fort difficile de se
faire convaincre de la justesse de l\'une ou l\'autre de ces doctrines,
d\'autant plus que les partisans de chacune des deux théories font
appel au même argument. Ortolan d\'après qui le traité de cession
fait passer la souveraineté, pense qu\'il s\'ensuit de „la nature des
chosesquot; que son opinion est exacte. Rivier au contraire, opine
qu\'„en vertu de la force même des chosesquot; la prise de possession est
requise pour le transfert de la souveraineté.

Et il n\'en est pas autrement de l\'appel que certains auteurs font

\' Paul Fauchille, Traité de droit international public, tome 1er, deuxième
partie, Paris 1925, page 782.

quot; E. Ortolan, Des moyens d\'acquérir le domaine international ou propriété
d\'état entre les nations, d\'après le droit des gens public,
Paris 1851, page 74.
\' A. Rivier,
Principes du droit des gens, Paris 1896, tome I, page 202.

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à la façon dont le droit civil règle le transfert du droit de propriété.
Costes » et Ortolan, partisans de la théorie selon laquelle l\'accord
des consentements fait passer la souveraineté, invoquent, en faveur
de leur thèse, le fait que le Code civil reconnaît au contrat la force
translative: le droit de propriété passe à l\'acquéreur par le seul
effet du contrat (de vente, etc.), sans qu\'une tradition soit requise.
Mais naturellement cet argument est peu convaincant pour le
lecteur qui n\'est pas français. Le droit civil des Pays-Bas p. ex.,
ainsi que celui de bien d\'autres pays, s\'inspire précisément du prin-
cipe opposé : le contrat ne crée qu\'une obligation et doit être suivi
d\'une tradition; il n\'opère donc pas par lui-même le transfert du
droit de propriété.

Rivier pense évidemment que, de ces deux doctrines opposées,
c\'est la dernière, c\'est-à-dire celle qui exige une prise de possession,
qui doit prévaloir, pour la raison qu\'elle est „conforme à la règle
du droit romain, droit commun des nations européennes.quot; Ce juris-
consulte est d\'avis que „la règle :
per possessionem dominium quaeritur
s\'applique à l\'acquisition de la souveraineté comme à celle de la
propriété.quot;

Si même le droit civil mûri diffère selon le temps et le lieu quant
à l\'effet juridique des contrats entre particuliers ayant pour but
le transfert du droit de propriété, on ne doit pas s\'étonner que le
droit international moderne n\'ait pas encore réussi à fixer des règles
générales et obligatoires sur l\'effet juridique du traité de cession.

Costes et Ortolan, que nous avons cités plus haut, font remarquer
qu\'il ne faut pas confondre le droit et son exercice. Il se peut qu\'on
ait un droit, sans être, pour le moment, à même de l\'exercer. Il n\'y
a donc pas d\'inconvénient que la théorie à laquelle ils déclarent ad-
hérer considère l\'Etat cessionnaire déjà comme souverain du terri-
toire cédé avant qu\'il en ait pris possession. Certes, ce cas n\'est pas
le seul où l\'Etat auquel appartient la souveraineté territoriale ne
soit pas en mesure d\'exécuter des actes de souveraineté dans le
territoire soumis à son autorité. Quand, en temps de guerre, une
partie du territoire national est occupée par les forces d\'un Etat en-
nemi, le Gouvernement de l\'Etat envahi ne peut y faire valoir son
autorité; néanmoins, ce dernier Etat en conserve sans contredit la

\' M. Costes, Des cessions de territoires, Paris-Toulouse 1914, page 53.

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souveraineté territoriale. Et l\'Allemagne n\'a pas perdu la souve-
raineté du territoire du Bassin de la Sarre par le fait que le gouver-
nement de ce territoire a été confié pour une période de quinze ans
à la Société des Nations en qualité de fideicommissaire, ainsi que
le prouvent péremptoirement l\'article 49 et § 35, sub
a), de l\'Annexe
après l\'article 50 du traité de Versailles.

En faveur de la doctrine opposée, qui exige l\'occupation du terri-
toire pour que la cession soit parfaite et que la souveraineté terri-
toriale se transmette, on invoque souvent l\'argument qu\'exacte-
ment le même principe s\'applique à un autre mode d\'acquisition de
souveraineté, savoir l\'occupation de
terra nullius. Il ne suffit pas
que l\'Etat qui désire acquérir la souveraineté d\'un pareil territoire,
proclame son intention d\'étendre sa souveraineté ou qu\'il effectue
un acte symbolique en y arborant un drapeau. Il faut en outre qu\'il
occupe le territoire effectivement

Cependant, cette argumentation nous semble manquer de toute
force probante, puisqu\'elle perd de vue la différence fondamentale
qui existe entre l\'occupation d\'un territoire sans souverain et la
cession, La nature de l\'occupation d\'une
terra nullius comporte
qu\'une simple déclaration d\'un Etat ne suffit pas à lui en faire
acquérir la souveraineté territoriale. En effet, dans ces cas-là on a
affaire à des territoires qui se prêtent à être occupés par chaque mem-
bre de la communauté internationale. Ce fait justifie que le droit des
gens exige une prise de possession effective. S\'il n\'en était pas
ainsi, il se pourrait qu\'un territoire „occupéquot; par un certain Etat
au moyen d\'une simple proclamation, fût plus tard occupé effec-
tivement par un autre Etat. C\'est donc en faveur de la stabihté
des situations et des relations internationales que le droit des gens
s\'est depuis longtemps inspiré du principe que, pour être valable,
une occupation de territoire sans maître doit être accompagnée de
l\'établissement d\'une autorité suffisante dans le territoire occupé.
Or, cette considération ne vaut pas à l\'égard de la cession. Il y a
toujours un Etat qui exerce la souveraineté dans le territoire cédé.

^ L\'article 35 de l\'Acte général de la Conférence de Berlin du 26 février
1885 (De Martens,
Nouveau Recueil Général, deuxième série, tome X, page
426) stipule que les puissances assureront, dans les territoires occupés par
elles, l\'existence d\'une autorité suffisante, pour que des occupations nou-
velles sur les côtes du continent africain soient considérées comme effectives.

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Le traité de cession concerne exclusivement les parties contractan-
tes, de sorte que les droits d\'autres Etats ne peuvent être compro-
mis, Dans ces conditions il n\'y a pas d\'inconvénient à ce que la
souveraineté passe à l\'Etat cessionnaire au moment oii l\'accord
des consentements se manifeste définitivement par l\'échange des
ratifications.

En outre, c\'est un avantage de grande importance pratique que la
doctrine qui n\'exige pas de prise de possession pour le transfert
de la souveraineté, rend très facile la détermination du moment
de ce transfert la souveraineté passe au moment de l\'entrée en
vigueur du traité de cession, savoir au jour de l\'échange des ratifi-
cations, à moins qu\'une autre date ne soit expressément convenue.
Cette question est fort difficile à résoudre, quand on part de l\'autre
théorie. Le plus souvent, surtout si le territoire cédé est vaste, il
sera impossible de fixer un seul jour où, dans tout le territoirequot;, le
pouvoir est transmis aux autorités de l\'Etat cessionnaire. La dé-
mission des anciennes et l\'entrée en fonction des nouvelles autorités
exigera généralement quelque laps de temps et ne se fera pas dans
un seul jour: l\'évacuation et l\'occupation se feront par zones. A
quel instant la souveraineté du territoire passe-t-elle à l\'Etat ces-
sionnaire? La solution conséquente serait celle qui fait passer la
souveraineté de chaque zone du territoire à la date où elle est oc-
cupée par le nouveau souverain. Mais cette solution est inapplica-
ble au point de vue pratique, vu qu\'elle donne lieu à maint incon-
vénient.

Aussi longtemps que les autorités en fonction n\'ont pas été rem-
placées par les organes de l\'Etat acquéreur, elles resteront en fonc-
tion, malgré le fait que — selon la théorie qui se contente de l\'ac-
cord des volontés — la souveraineté s\'est transmise à l\'Etat ac-
quéreur. Elles continueront à exercer des actes de souveraineté,
cependant non plus au nom de l\'Etat cédant, mais au nom de l\'Etat
cessionnaire. Quelle législation apphqueront-elles, celle en vigueur
avant l\'échange des ratifications du traité de cession, ou celle en
vigueur dans le territoire de l\'Etat cessionnaire? La règle que le
droit en vigueur continue à s\'appliquer jusqu\'à ce qu\'il ait été
remplacé expressément, donne la solution de cette question.

1 A. Cosson, Les cessions de territoire, Nancy 1900, pages 62 et 63.

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Faut-il admettre que la population du territoire cédé acquiert la
nouvelle nationalité par le seul effet de la mise en vigueur du traité
de cession? Quand on résout cette question affirmativement, la
population du territoire cédé vit — ne fût-ce que temporairement —
sous une législation qui peut ne pas être en harmonie avec la natio-
nalité nouvellement acquise. D\'après quelle loi faut-il juger la capa-
cité et le statut personnel d\'un habitant du territoire cédé ; d\'après
son ancienne loi nationale restant en vigueur ou d\'après la législa-
tion de l\'Etat cessionnaire ? On pourrait admettre — et c\'est peut-
être la solution la plus logique — que la population acquiert la
nouvelle nationalité à l\'instant où l\'Etat cessionnaire déclare sa lé-
gislation apphcable à son acquisition territoriale.

Quand on pense que c\'est le traité de cession qui fait passer la
souveraineté, il y a encore une autre question à résoudre, savoir, à
laquelle des deux parties revient le produit des impôts perçus pen-
dant la période qui s\'écoule entre la mise en viglieur du traité de
cession et la prise de possession. Il s\'ensuit de la pratique d\'après
laquelle la législation existante dans le territoire cédé reste provi-
soirement en vigueur, que les impôts continuent à être perçus con-
formément aux lois fiscales de l\'Etat cédant. A laquelle des deux
parties est-ce que le produit de ces impôts reviendra? A l\'Etat ces-
sionnaire ou à celui qui fait les frais de l\'administration?

Les dissertations précédentes sont parties de la supposition qu\'il
s\'agit d\'un territoire qui, au moment de l\'entrée en vigueur du traité
de cession, n\'est pas occupé par le cessionnaire. A quel moment
passe la souveraineté d\'un territoire qui,
p. ex. par suite d\'occu-
pation en temps de guerre, est déjà en possession de l\'Etat cession-
naire? Dans ce cas, les solutions données selon les deux théories,
sont identiques. L\'une d\'entre elles se contente de la mise en vigueur
du traité de cession pour la mutation de la souveraineté. L\'autre
exigeant au surplus une prise de possession, voit cette condition
réalisée au moment de la mise en vigueur du traité : le cessionnaire
exerce déjà le pouvoir effectif dans le territoire cédé.

A tout prendre, nous préférons la théorie d\'après laquelle la sou-
veraineté passe par le seul effet de la mise en vigueur du traité de
cession. Il nous semble qu\'il n\'y a pas d\'arguments décisifs plaidant
en faveur de la doctrine qui exige la prise de possession effective
du territoire cédé, avant que le cessionnaire n\'en obtienne la sou-

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veraineté. Exiger la prise de possession équivaut, à notre avis, à
appliquer au droit international le principe de la tradition, — prin-
cipe de droit civil, dont la valeur intrinsèque n\'est pas admise par
toutes les législations modernes, et dont, en outre, l\'applicabilité
aux rapports internationaux n\'est pas du tout évidente ».

Revenons maintenant à notre point de départ, notamment, l\'effet
juridique de la décision arbitrale en matière de souveraineté territo-
riale.

Comme nous l\'avons fait observer ci-dessus une pareille déci-
sion est soit déclarative soit attributive. En d\'autres termes, elle
peut ou bien déclarer laquelle des deux parties est, d\'après le droit
international, souveraine du territoire contesté ® et reconnaître,
par conséquent, un droit préexistant, ou bien adjuger le territoire
à l\'une des parties en litige, abstraction faite de considérations em-
pruntées au droit international positif. Dans le dernier cas, le terri-
toire contesté peut ou bien avoir relevé de l\'autre partie (cas de
Mossoul, de la Haute-Silésie, du Burgenland, etc.), — hypothèse
dans laquelle la sentence arbitrale comporte une modification de la
situation juridique, ou bien être un débris sans maître provenant du
démembrement total d\'un Etat existant (casdeWilna, de Walk, etc.).

Les sentences déclaratives de souveraineté se présentent le plus
souvent et les exemples à citer sont nombreux. Nous nous bornons
à citer le différend concernant l\'île de Pahnas (ou de Miangas)
survenu entre les Etats-Unis et les Pays-Bas. Le compromis d\'ar-
bitrage du 23 janvier 1925, y relatif démontre clairement que la

gt; Paul Fauchille, Traité de droit international public, tome 1er, deuxième
partie, Paris 1925, pages 781 et 782.

K. Strupp, Wörterbuch des Völkerrechts und der Diplomatie, 1924, tome I,
page 300.

* Voir pages 214/215.

» Seule, une sentence rendue sur la base du droit international positif est
déclarative de souveraineté. Aussi, ne saurions-nous partager l\'opinion
de Paul Fauchille que „l\'arbitre rend un jugement déclaratif quand il déter-
mine la frontière entre deux Etats et ainsi leur reconnaît ou leur enlève
une certaine portion de territoirequot;.
[Traité de droit international public,
tome 1er, troisième partie, 1926, page 554).

« De Martens, Nouveau Recueil Général, troisième série, tome XIV, pages
124—126.

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décision de l\'arbitre serait déclarative de souveraineté, c\'est-à-dire,
qu\'il aurait exclusivement pour tâche de décider si l\'île de Palmas
fait partie du territoire des Etats-Unis ou de celui des Pays-Bas.
Il est dit expressément que cette question doit être résolue en con-
formité des principes du droit international et des dispositions de
traité applicables. La sentence arbitrale est donc purement et
simplement la déclaration de ce qui est de droit; elle constate la-
quelle des parties est souveraine du territoire litigieux.

Supposons maintenant que la situation de fait ne soit pas en
conformité de celle de droit, telle qu\'elle a été proclamée par l\'ar-
bitre, et que la partie, mise dans son tort, soit en possession du
territoire en question. Alors, les évacuations, d\'une part, et les occu-
pations, d\'autre part, qui auront lieu en vertu de la sentence, ne
doivent pas être interprétées comme transfert de souveraineté,
puisque la partie qui se retire, ne peut pas transférer la souve-
raineté d\'un territoire dont l\'autre partie, d\'après la sentence ar-
bitrale, est souveraine.

Quand même l\'Etat qui est déclaré souverain du territoire con-
testé, ne le possède pas, il en est pourtant souverain. L\'autre partie
qui, éventuellement, refuse de se retirer du territoire, le possède
illégitimement. Quand bien même on admettrait que l\'Etat est
seulement souverain du territoire où il exerce le pouvoir effectif,
il ne serait pas permis de reconnaître comme légitime une situa-
tion de fait qui ne se fonde pas sur le droit et qui est même con-
traire au droit. C\'est ce qu\'on ferait en considérant comme souve-
rain l\'Etat qui est en possession du territoire, en contradiction
avec une décision arbitrale basée sur des considérations juridiques.

Si, par exemple, les Etats-Unis ne contestaient pas la validité
de la sentence arbitrale reconnaissant, sur la base de considéra-
tions d\'ordre juridique, la souveraineté mexicaine sur le territoire
de Chamizal, leur refus de laisser ce territoire au Mexique serait
sans doute un acte illicite. Et un tel refus d\'exécuter la décision
arbitrale ne serait en aucun cas en mesure de porter atteinte à la
souveraineté mexicaine, reconnue par l\'arbitre ^

Une seconde catégorie de sentences arbitrales est la suivante.

\' Compromis du 24 juin 1910 (De Martens, Nouveau Recueil Général, troi-
sième série, tome IV, page 719). Sentence arbitrale du 15 juin 1911 (De
Martens,
ibid., troisième série, tome VI, page 66).

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Il se peut que l\'arbitre ait pour mission de rendre une décision basée
sur le droit, mais qu\'il paraisse se trouver dans l
\'impossibilité
de prononcer un jugement de cette nature, à cause de l\'obscurité
ou du caractère erroné des documents existants, p. ex., parce que
les rivières formant les frontières, paraissent suivre un cours autre
que celui décrit par le traité, ou ne pas exister du tout. Maintes fois
l\'arbitre est autorisé à rendre, dans un pareil cas, une décision
ex aequo et hono, c\'est-à-dire, en conformité, autant que possible,
de l\'intention probable des parties, comme elle ressort du traité
obscur ou erroné

Un exemple intéressant de cette nature est le différend survenu
entre la France et le Brésil et concernant les frontières entre le
Brésil et la Guyane française. L\'arbitre était libre d\'adopter, le
cas échéant, une „solution intermédiairequot; et a usé de cette fa-
culté 2. Quelle suite a été donnée à la sentence rendue par lui?
„11 n\'a pas été procédé à une remise par les autorités françaises aux
autorités brésiliennes du territoire devenu brésihen par l\'effet
de la sentence arbitrale du 1er décembre 1900. Le Gouvernement
brésihen a pris officiellement possession de ce territoire et celui-ci
a été rattaché à l\'Etat de Para par décision du 21 janvier 1901quot;.3

Cette conduite du Brésil, cette prise de possession unilatérale,
ce rattachement du territoire à l\'Etat de Para sont parfaitement
corrects, si l\'on admet qu\'une sentence, comme celle dont il s\'agit,
est parmi les décisions arbitrales qui vident un différend sur la base
du droit. Dans cet ordre d\'idées, elle est déclarative de souverai-
neté. En faveur de cette manière de voir plaide le motif que l\'ar-
bitre recherche quelle a été l\'intention des parties et qu\'il s\'occupe,
par conséquent, de l\'interprétation d\'un traité. Si l\'on parle, au
contraire, d\'un „territoire devenu brésilien par l\'effet de la sentence
arbitralequot;, on suggère l\'idée que la sentence n\'était pas une déci-
sion juridique, déclarative de souveraineté. Car les mots „territoire
devenu brésihenquot; présupposent une modification de la situation

» Voir, p. ex., VActa-declaraciôn du 15 février 1886 conclue par la Colombie
et le Vénézuéla et la sentence arbitrale du 16 mars 1891 (La Fontaine,
Pasicnsie internationale, pages 513 et 515).
\' La Fontaine,
loco cit., pages 564 et 578.

» Ces informations sont dues à la bienveillance gracieuse de M.-H. de Mar-
cilly, ancien ministre de France à La Haye.

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juridique effectuée par la sentence arbitrale. Cela n\'est pas en con-
formité de la nature déclarative d\'un jugement basé sur le droit.

Le troisième groupe de décisions internationales est celui qui
comprend les adjudications territoriales en dehors de toute considé-
ration tirée du droit des gens, notamment celles qui tendent à faire
passer à l\'Etat B un territoire qui était antérieurement soumis à la
souveraineté de l\'Etat A, comme c\'est le cas de Mossoul. La ques-
tion se pose de savoir quel est l\'effet juridique d\'une pareille sentence.
Quelle est la modification de la situation juridique qui s\'en ensuit?
Qu\'est-ce qu\'elle adjuge à la partie victorieuse? Le droit d\'exiger
le transfert de la souveraineté ou la souveraineté elle-même? Si
l\'on conteste que la sentence arbitrale elle-même effectue ce trans-
fert, la partie victorieuse ne peut qu\'exiger que l\'autre partie lui
transfère la souveraineté du territoire en question. Si, au contraire,
la sentence elle-même fait passer la souveraineté, elle a l\'effet trans-
latif.

Cette espèce de sentences peut se présenter dans des conditions
différentes. Il se peut que le territoire soit encore
res nullius, comme
p. ex. le Spitzberg, qui, d\'après la décision de la Conférence de
1914, deviendrait en quelque sorte
res communis des Etats inté-
ressés, mais que la convention de Paris du 9 février 1920 ^ a dé-
finitivement adjugé à la Norvège. L\'article 1er de cette conven-
tion dit que „les Hautes Parties Contractantes sont d\'accord pour
reconnaître la pleine et entière souveraineté de la Norvège sur
l\'Archipel du Spitzberg.quot; Cette adjudication a été faite par une
convention internationale, mais aussi p.ex. une décision de la
Conférence des Ambassadeurs aurait pu assigner cet archipel à
la Norvège.

De pareilles adjudications de territoire se présenteront notamment
dans des cas où, par suite du démembrement d\'un Etat, de nouveaux
Etats surgissent sur son territoire et où ceux-ci sont divisés sur le
tracé de leurs frontières. Si un arbitre accepte la tâche de vider un
pareil différend, son jugement ne sera pas déclaratif de souveraineté,
mais il attribuera à chacune des parties litigantes des droits terri-

\' Cette convention a été conclue par les Etats-Unis, la Grande-Bretagne,
le Danemark, la France, l\'Italie, le Japon, la Norvège, les Pays-Bas et la
Suède
{Recueil des Traités de la Société des Nations, 1920, tome 2, page 10).

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toriaux s\'étendant jusqu\'à la frontière déterminée par lui. La fixa-
tion de la frontière comporte l\'adjudication de territoire.

Une pareille adjudication aurait été la décision du Président
Wilson, qui avait reçu, par l\'article 89 du traité de Sèvres, la mis-
sion de fixer certaines parties de la frontière entre la Turquie et
l\'Arménie.

L\'histoire de l\'Albanie présente également des exemples de
décisions d\'un tiers sur le tracé de frontières et, par cela, sur le sort
futur de certains territoires. Par l\'article 3 du traité de paix de
Londres en date du 17/30 mai 1913, qui a mis fin à la première
guerre balkanique de 1912, la Turquie et les autres belligérants
remettaient aux grandes Puissances „le soin de régler la délimita-
tion des frontières de l\'Albaniequot; ». La Conférence des Ambassa-
deurs, siégeant à Londres, a fixé, en vertu de cette disposition, ces
frontières et a indiqué, par cela, le territoire qui serait soumis à
la souveraineté albanaise. La création de cette principauté, trans-
formée plus tard en république, ensuite en royaume, a donné
lieu à l\'adjudication par la Conférence des Ambassadeurs à l\'Albanie,
en 1913, de la ville de Scutari et, le 6 décembre 1922, du monastère
de Saint-Naoum

Le même traité de Londres du 17/30 mai 1913 (article 5) a confié
aux grandes Puissances „le soin de statuer sur le sort de toutes les
îles ottomanes de la mer Egée.quot; La Conférence des Ambassadeurs
a décidé que la Grèce „conserverait la possession définitive des îles
de la mer Egée (à l\'exception des îles d\'Imbros et de Tenedos)
qu\'elle occupe actuellementquot; Cette décision a été confirmée par
l\'article 15 du traité de paix gréco-turc du 1er/14 novembre 1913,
par l\'article 84, alinéa 3, du traité de Sèvres de 1920 et par l\'article
12 du traité de Lausanne de 1923.

Il n\'est pas douteux quel était l\'effet juridique de cette décision
de la Conférence des Ambassadeurs. Elle a modifié la situation ju-
ridique en faveur de la Grèce, en lui attribuant, soit le droit d\'exiger

1 De Martens, Nouveau Recueil Général, 3e série, tome VIII, pages 16—18.
\' „.... la Conférence a décidé d\'attribuer le monastère de Saint-Naoum
à l\'Albaniequot;.
(Documents de la Cour permanente de Justice internationale.
Série C,
no. 5 ii, page 268).

\' Note relative aux îles de la mer Egée remise à la Porte le 14 février 1914
(Archives diplomatiques, quatrième série, tome 130, janvier 1914, page 239).

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que la souveraineté des îles lui fût transférée par la Turqxiie, soit
la souveraineté elle-même. Les événements postérieurs prou-
vent que l\'effet de la décision en question n\'a pas consisté à créer
seulement l\'obligation pour la Turquie de transférer à la Grèce
la souveraineté des îles, mais qu\'elle constitue le titre même de la
nouvelle souveraineté grecque. Car dans le cas contraire, un traité
de cession eût été requis pour exécuter la sentence et effectuer le
transfert de la souveraineté. Vu qu\'un pareil traité n\'a pas été conclu,
il Va de soi que la décision a été considérée comme étant translative
de souveraineté, en d\'autres termes, qu\'elle a attribué par elle-
même à la Grèce la souveraineté des îles en question.

L\'histoire contemporaine nous offre plusieurs exemples d\'adju-
dications de territoire par des organes internationaux.

Le différend de Teschen, Spisz et Orava, survenu entre la Pologne
et la Tchécoslovaquie, fut vidé par une décision de la Conférence
des Ambassadeurs, rendue le 28 juillet 1920. Les parties litigantes
ayant déclaré accepter d\'avance la décision à rendre par les grandes
Puissances, la Conférence des Ambassadeurs a fixé définitivement
la frontière contestée ^ Vu que la résolution de ladite Conférence
s\'est basée sur des considérations d\'opportunité et que, en outre,
il s\'agissait, dans l\'espèce, de deux Etats nouveaux, il n\'est pas
douteux que la décision était attributive, et non simplement
déclarative de souveraineté. Or, quel a été l\'effet de cette décision:
n\'a-t-elle créé que l\'obligation des Etats htigants de délimiter
leurs souverainetés respectives conformément au dispositif de la
décision, par un nouvel acte juridique bilatéral, ou a-t-elle opéré
par elle-même et définitivement cette délimitation? Dans le traité
conclu le 10 août 1920, à Sèvres, par les Principales Puissances
alliées et associées et la Pologne, la Tchécoslovaquie et d\'autres
Etats il est dit que „les Hautes Parties Contractantes recon-
naissent la souveraineté de la Pologne sur les territoires ----

situés au nord de la ligne frontière ci-après.quot; La frontière fixée
par la Conférence des Ambassadeurs est citée comme faisant partie
de cette hgne frontière. Quoique ce traité n\'ait pas été ratifié, il
nous semble pourtant qu\'il jette de la lumière sur l\'idée des Etats

^ De Martens, Nouveau Recueil Général, 3e série, tome XV, page 100.
quot; Documents de la Cour permanente de Justice internationale. Série C no. 4,
page 147.

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contractants sur l\'effet de la décision de la Conférence des Am-
bassadeurs. Ils reconnaissent simplement la souveraineté de la
Pologne, c\'est-à-dire, ils reconnaissent une souveraineté déjà exis-
tante en vertu d\'un titre international valable et antérieur. Ce titre
ne peut être que la décision obligatoire de la Conférence des Ambas-
sadeurs qui vise à la partie de la frontière aux environs de Teschen.
La question que nous venons de poser doit donc être résolue dans
ce sens que la décision des Ambassadeurs doit être considérée comme
ayant opéré par elle-même la délimitation juridique définitive des
souverainetés respectives.

Plus tard, le 15 mars 1923, la même Conférence des Ambassa-
deurs a déterminé, en vertu de l\'article 87, alinéa 3, du traité de
Versailles, les frontières de la Pologne qui n\'avaient pas été fixées
par ledit traité. Les Ambassadeurs ont „décidé de reconnaître à la
Pologne, qui accepte, tous droits de souveraineté sur les territoires
compris entre les frontières ci-dessus définies et les autres frontières
du territoire polonaisquot; Autant que cette décision prétend fixer
souverainement la frontière russo-polonaise, elle manque évidem-
ment de toute base juridique, n\'en déplaise l\'article 87 cité, étant
donné que la Russie n\'a pas été partie au traité de Versailles.
Pour ce qui est de cette partie de la frontière de la Pologne, la dé-
cision se borne, d\'ailleurs, judicieusement à reproduire le tracé
fixé par les parties intéressées elles-mêmes, dans le traité russo-
polonais de Riga. Quant aux autres parties de la frontière polonaise
pas encore déterminées antérieurement, la décision citée a, par
elle-même, fait naître pour la Pologne des droits de souveraineté ^
et est donc attributive de souveraineté.

Ensuite il faut mentionner que le Conseil de la Société des Na-
tions a vidé par une décision obligatoire le différend de frontière,
survenu entre la Hongrie et la Tchécoslovaquie ». De même il a
fixé la frontière entre l\'Autrir^he et la Hongrie^. Dans aucun de

» Recueil des traités de la Société des Nations, tome 15 (1923), pages 260
et 262.

*nbsp;Il en est ainsi notamment de la Galicie orientale (voir article 91 du traité
de paix de St. Germain).

» Résolution en date du 23 avril 1923 [Journal Officiel, juin 1923, page 601).

*nbsp;Résolution en date du 19 septembre 1922 (Journal Officiel, novembre
1922, pages 1196 et 1338).

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ces deux cas, il n\'y a eu d\'actes d\'exécution des décisions, hors de
la démarcation des frontières sur le terrain. Les parties intéressées
n\'ont pas conclu de traités tendant au transfert de la souverai-
neté, de sorte qu\'on est autorisé à conclure qu\'elles ont interprété
les décisions du Conseil comme attribuant
i-pso facto aux Etats
respectifs la souveraineté sur les territoires situés de leur côté de
la frontière.

La détermination de la frontière entre l\'Esthonie et la Lettonie
est un exemple intéressant d\'ime sentence arbitrale fixant la fron-
tière entre deux Etats, nés de l\'écroulement de l\'Empire russe, et,
par conséquent, pas davantage basée sur des considérations d\'ordre
juridique. Par le traité d\'arbitrage ^ du 22 mars 1920, les parties
litigantes sont convenues qu\'une commission mixte déterminerait
la ligne frontière. La décision, rendue par le sur-arbitre, le colonel
Tallent, ne leur plut pourtant pas, car, le 19 octobre 1920 elles
convinrent de reconnaître provisoirement la frontière fixée par le
colonel Tallent, „sans résoudre définitivement la question de la
détermination d\'une frontière permanente.quot; Le traité du 1er
novembre 1923 ® détermina cette frontière permanente, les parties
„désirant établir la frontière définitive entre les deux Etats, tant
dans le rayon visé par la décision du colonel Tallent, que dans les
parties qui n\'ont fait jusqu\'ici l\'objet d\'aucun accord spécial.quot;

Quel a été l\'effet de la sentence du colonel Tallent ? On peut pré-
tendre que sa valeur a été extrêmement limitée, puisque les parties
intéressées ne l\'ont pas acceptée comme vidant, une fois pour toutes,
leur différend. S\'il est vrai qu\'elle n\'a pas comporté la frontière dé-
finitive, les parties l\'ont reconnue tout de même comme fixant
la frontière provisoire. En faisant cela, elles ont eu sans doute l\'in-
tention de déclarer que, toutes deux, elles désiraient une fron-
tière autre que celle tracée par le sur-arbitre, mais que, un accord
n\'ayant pas encore été réahsé à cet effet, il fallait accepter ce
tracé jusqu\'à ce qu\'une nouvelle frontière pût être déterminée
d\'un commun accord. Pour juger donc de la nationalité des
nouveau-nés, des conditions de validité des mariages conclus sur
le territoire qui, peut-être, à l\'avenir, aurait un autre souverain,

^ De Martens, N. R. G., 3e série, tome XIV, page 93.
\' De Martens.
N. R. G., 3e série, tome XV, page 686.
» De Martens,
N. R. G., 3e série, tome XVII, page 829.

-ocr page 254-

etc., il fallait tenir compte de la frontière provisoire et la con-
sidérer comme définitive jusqu\'à son remplacement par une autre.
Il est impossible que les parties aient eu l\'intention que, la fron-
tière définitive étant une fois déterminée, cette détermination aurait
l\'effet rétroactif jusqu\'au moment de la fixation de la frontière
provisoire. Les innombrables difficultés pratiques qui s\'ensuivraient,
nous font penser que les parties n\'ont pas visé à la rétroactivité.

Si ce point de vue est correct, il nous semble que la sentence du
colonel Tallent a opéré elle-même la délimitation des souverainetés
respectives, parce qu\'aucun traité n\'a été conclu entre les parties,
la „reconnaissancequot; de la frontière tracée par le sur-arbitre ne con-
stituant pas, à notre avis, un titre de souveraineté indépendante.

La Lettonie et la Lithuanie ont, elles aussi, conclu, le 28 septembre
1920, un traité » pour régler leurs contestations territoriales par la
voie d\'arbitrage. La sentence du président du tribunal arbitral a
atteint le but visé, les parties ayant déclaré, dans leur traité ^ du
14 mai 1921, que „la frontière letto-litbuanienne,^ établie par le
jugement du Professeur Simpson, président du tribunal arbitral,
est tracée sur le terrain entre la Lettonie et la Lithuanie par une
commission mixte.quot; Dans ce cas non plus, les parties n\'ont conclu
de traité pour renoncer réciproquement à toute prétention à la
souveraineté du territoire situé au delà de la ligne frontière, de sorte
qu\'il faut conclure que déjà la sentence arbitrale a délimité les deux
sphères de souveraineté respectives et adjugé définitivement la
souveraineté de la portion de territoire revenant à chacune des
parties.

Il ne nous reste à discuter que l\'adjudication du territoire de
Memel à la Lithuanie. D\'après l\'article 99 du traité.de Versailles,
l\'Allemagne a renoncé à ce territoire en faveur des Principales Puis-
sances alliées et associées. La Conférence des Ambassadeurs a assi-
gné, le 16 février 1923, ce territoire à la Lithuanie, en adoptant une
décision ^ où il est dit que les Principales Puissances alliées et
associées „décident de transférer à la Lithuanie la souveraineté
sur le territoire de Memel dans les conditionsquot; y énoncées. La sixiè-

\' De Martens, N. R. G., 3e série, tome XIV, page 96.
» Recueil des traités de la Société des Nations, tome 17 (1923), page 222.
\' Revue générale de droit international public, 1923, tome XXX, page 154,
note 1.

-ocr page 255-

me condition est ainsi conçue: „Dès l\'acceptation par la Lithuanie
de la souveraineté sur le territoire de Memel dans les conditions
ci-dessus énoncées, conclusion avec la Lithuanie d\'une convention
en conformité de la présente décision.quot;

Cette décision a été acceptée par la Lithuanie le 13 mars 1923.
»De\'sireuses de donner effet à la décisionquot; de la Conférence des Am-
bassadeurs, les Principales Puissances alliées et associées ont conclu
avec la Lithuanie une convention en date du 8 mai 1924, par la-
quelle elles déclarent transférer à la Lithuanie tous les droits et
titres qu\'elles tiennent de l\'Allemagne. En outre, on a réglé dans cette
convention tous les points compris dans les conditions du transfert
de la souveraineté.

On n\'a pas donné à cette attribution la forme d\'une adjudication
formelle, mais on a préféré un traité de transfert, précédé d\'une
décision de la Conférence des Ambassadeurs. Ce traité, il est vrai,
semble être superflu, puisque l\'accord entre les Etats cédants et
l\'Etat cessionnaire a été effectué au moment où la Lithuanie a
accepté l\'offre des Etats représentés à la Conférence des Ambassa-
deurs, de lui transférer la souveraineté. Nous pensons pourtant
que la résolution des Ambassadeurs n\'a été qu\'une décision pré-
paratoire. La sixième condition, citée plus haut, et le préambule
du traité du 8 mai 1924, disant que les Parties contractantes
sont désireuses de donner effet à la décision de la Conférence
des Ambassadeurs, nous font croire cela. Les parties étant une fois
d\'accord de principe, en vertu de l\'acceptation par la Lithuanie,
pouvaient s\'entendre sur les détails des réglementations et arriver
ainsi au transfert définitif du territoire de Memel.

Ayant fini cet examen de la pratique internationale quant à
l\'effet juridique des décisions arbitrales en matière de différends
territoriaux, rendues sur la base de considérations autres que celles
tirées du droit international positif, nous avons à formuler notre
conclusion.

Il nous semble qu\'une pareille sentence a l\'effet constitutif, fixant
ou modifiant définitivement et
ipso facto la situation juridique,
et qu\'elle est, par conséquent, soit attributive, soit translative de

\' De Martens, N. R. G., 3e série, tome XV, page 106.

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souveraineté, c\'est-à-dire, qu\'elle fait acquérir la souveraineté à
l\'Etat auquel le territoire est assigné, sans qu\'aucun acte juridique
ultérieur de la part des Etats intéressés soit requis.

De notre avis, l\'adjudication de territoire est un nouveau mode
d\'acquisition de souveraineté territoriale, à côté de l\'occupation, de
la cession, de l\'annexion, etc. ^

Si nous considérons maintenant, à la lueur de la conclusion précé-
dente, la question posée au commencement du présent chapitre, de
savoir quel a été l\'effet juridique de la décision rendue par le Conseil
de la Société des Nations dans l\'affaire de Mossoul, nous répétons
que ce htige est un exemple typique d\'un différend territorial, vidé
sur la base de considérations non-juridiques. Le Conseil n\'a pas re-
cherché laquelle des parties litigantes était, d\'après le droit inter-
national positif, souveraine du vilayet contesté, mais il s\'est demandé
à laquelle il convenait d\'adjuger le territoire. Il n\'aurait pas été
un illogisme, si le Conseil avait accepté comme correct le point
de vue juridique de la Turquie, en admettant que, d\'après le droit
des gens, le vilayet de Mossoul faisait toujours partie intégrante
de la Turquie, mais que, sur la base de considérations non-juridiques,
il eût attribué quand même le vilayet à l\'Irak. Dans un pareil cas,
la sentence aurait été tant déclarative qu\'attributive de souveraine-
té, mais dans des sens opposés.

En réahté, le Conseil s\'est abstenu de se prononcer sur la question
juridique: il n\'a rien „déclaréquot;, il a seulement „attribuéquot;. Il s\'est
donc borné à adjuger à l\'Irak la souveraineté du vilayet de Mossoul,
sans se prononcer pour ou contre l\'une des thèses juridiques opposées.

Cette décision d\'adjudication a enlevé à la Turquie la souveraineté
territoriale du vilayet et en a définitivement revêtu le royaume de
l\'Irak, sans qu\'un traité de cession, à conclure entre la Turquie et
l\'Irak, ait été nécessaire pour effectuer le transfert formel de la sou-
veraineté 2. C\'est la décision elle-même qui l\'a transférée à l\'Irak
ipso facto.

1 W. Schätzet, Völkerbund und Gebietserwerb, BerUn 1919, page 7.
K. Strupp,
Wörterbuch des Völkerrechts und der Diplomatie, 1924, tome I,
pages 6 et 7.

» Dans l\'espèce, la question controversée de la nécessité d\'une prise de
possession effective, comme condition
sine qua non de transmission de la

-ocr page 257-

Il ne faut pas alléguer contre cette conclusion qu\'elle n\'est pas
en conformité des événements qui se sont passés après la décision
du Conseil. Comme nous l\'avons fait observer plus haut, la procédure
a laquelle le différend a été soumis n\'est pas un exemple recomman-
dable du règlement pacifique d\'un litige international. Dès le début,
la Turquie s\'est opposée à l\'opinion que les parties, en rédigeant
l\'article 3, paragraphe 2, du Traité de Lausanne, auraient envisagé
Une décision du Conseil obligatoire pour les parties sans leur assen-
timent. Lorsque tout de même le Conseil, se basant sur l\'avis con-
sultatif de la Cour permanente de Justice internationale, a cru
pouvoir rendre une pareille décision, la Turquie s\'est refusée d\'abord
à s\'y conformer, mais elle a fini par céder en acceptant, avec une
modification peu importante, la frontière déterminée par le Conseil,
dans un traité qu\'elle a conclu, le 5 juin 1926, avec la Grande-Bre-
tagne et l\'Irak Dans les conditions particulières de ce différend
le traité final avait donc une importance toute spéciale.

En formulant dans les pages précédentes notre conclusion que l\'ad-
judication du vilayet de Mossoul à l\'Irak, prononcée par le Conseil,
a effectué
if so facto le transfert de la souveraineté de la Turquie à
l\'Irak, nous sommes parti de la supposition que, en effet, les parties,
par l\'article 3 du Traité de Lausanne, ont visé à une sentence du
Conseil, obligatoire pour les parties sans leur assentiment. Il ne
nous reste qu\'à ajouter que, si cette supposition n\'est pas conforme
à la vérité juridique, comme nous le croyons en effet, la décision
du Conseil, envisagée comme décision obligatoire, est nulle et non
avenue, de sorte que la question de savoir quel a été son effet juri-
dique, ne se pose pas. Dans ce cas, la souveraineté territoriale pré-
sente de l\'Irak sur le vilayet de Mossoul repose uniquement sur le
traité de cession du 5 juin 1926.

souveraineté territoriale, ne se posait pas, étant donné que la Turquie
n\'était plus en possession du territoire en litige.
\' Treaty Series 1927, no. 18. Voir Annexe IV ci-après.

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Annexe I

ARTICLE 3 DU TRAITE DE LAUSANNE

De la mer Méditerranée à la frontière de Perse, la frontière de la
Turquie est fixée comme il suit:

1°. Avec la Syrie:

La frontière définie dans l\'article 8 de l\'Accord franco-turc du
20 octobre 1921.

2°. Avec l\'Irak:

La frontière entre la Turquie et l\'Irak sera déterminée à l\'amiable
entre la Turquie et la Grande-Bretagne dans un délai de neuf
mois.

A défaut d\'accord entre les deux Gouvernements dans le délai
prévu, le litige sera porté devant le Conseil de la Société des Nations.

Les Gouvernements turc et britannique s\'engagent réciproque-
ment à ce que, en attendant la décision à prendre au sujet de la
frontière, il ne sera procédé à aucun mouvement militaire ou autre,
de nature à apporter un changement quelconque dans l\'état actuel
des territoires dont le sort définitif dépendra de cette décision.

-ocr page 259-

Annexe II

FIXATION DE LA FRONTIÈRE ENTRE LA TURQUIE ET

L\'IRAK

Décision du Conseil de la Société des Nations en date du 16 décembre

1925^

Le Conseil,

Vu les articles 3 et 16 du Traité de paix signé à Lausanne le 24
juillet 1923;

Vu les conclusions du rapport de la Commission d\'enquête;
Adoptant les motifs et les propositions soutenus dans le rapport
du Comité du Conseil,
Décide :

1°. La frontière entre la Turquie et l\'Irak sera fixée comme suit:
„Du confluent du fleuve Tigre et de la rivière Khabur, la
ligne médiane ou le thalweg de la rivière Hazil, jusqu\'à un
point situé à trois kilomètres en amont du confluent de la
rivière passant par Sirnez. De ce point, une ligne droite vers
l\'est____etc.quot; 2

2°. Le Gouvernement britannique est invité à soumettre au Con-
seil un nouveau traité avec l\'Irak qui assurera la continuation pen-
dant vingt-cinq ans du régime de mandat défini par le Traité d\'al-
hance entre la
Grande-Bretagne et l\'Irak, et par l\'Acte d\'engage-
ment du Gouvernement britannique approuvé par le Conseil en
date du 27 septembre 1924, sous réserve de l\'admission, avant l\'ex-
piration de cette période, de l\'Irak dans la Société des Nations, con-
formément à l\'article 1er du Pacte.

Aussitôt que, dans un délai de six mois à compter de ce jour, l\'exé-
cution de cette stipulation aura été portée à la connaissance du Con-

\' Journal Officiel, février 1926, pages 191—192.

\' Cette frontière est identique à la ligne dite de Bruxelles (voir annexe IV).

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seil, celui-ci constatera que la présente décision est devenue défi-
nitive et avisera aux mesures propres à assurer la délimitation sur
le terrain de la ligne-frontière.

3°. [concerne les mesures administratives à arrêter pour accorder
aux populations kurdes des garanties d\'administration locale).

4°. [concerne les mesures propres à assurer l\'apaisement, à protéger
également tous les éléments de la population du vilayet et les mesures
commerciales).

-ocr page 261-

Annexe III

ENTREE EN VIGUEUR DE LA DECISION DU CONSEIL DU
16 DECEMBRE 1925

Résolution du Conseil en date du 11 mars 1926^

Le Conseil,

Vu le paragraphe 2 de sa résolution, en date du 16 décembre 1925,
ainsi conçu :

„2°. (Voir annexe II).

Ayant pris connaissance du nouveau Traité entre la Grande-Bre-
tagne et l\'Irak, signé à Bagdad le 13 janvier 1926, et approuvé par
la Chambre des Communes britannique ainsi que par la Chambre des
députés et le Sénat de l\'Irak;

Estime que ce Traité, porté à sa connaissance dans les délais
prévus par sa résolution, assure la continuation, pendant vingt-cinq
ans, du régime de mandat dans les conditions par lui indiquées, et
constate, en conséquence, que sa décision du 16 décembre 1925 est
devenue définitive.

^ Journal Officiel, avril 1926, pages 502—503.

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Annexe IV

TRAITE DE DELIMITATION ET DE BON VOISINAGE
ENTRE LA TURQUIE ET L\'IRAK

signé à Angora le 5 juin 1926 et conclu par la Grande-Bretagne,
l\'Irak et la Turquie »

Sa Majesté le Roi du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d\'Ir-
lande et des territoires britanniques au delà des Mers, Empereur
des Indes,

et Sa Majesté le Roi de l\'Irak, d\'une part,
et Son Excellence le Président de la République Turque, d\'autre
part;

Ayant en vue les dispositions du Traité signé à Lausanne le 24
juillet 1923 concernant le règlement de la frontière entre la Tur-
quie et l\'Irak;

Reconnaissant l\'Irak comme un Etat indépendant et les relations
spéciales découlant des traités conclus entre lui et la Grande-Breta-
gne le 10 octobre 1922 et le 13 janvier 1926;

Désireux d\'éviter tout incident dans la zone frontière susceptible
de troubler l\'harmonie et la bonne entente entre eux;

Ont décidé de conclure un Traité à cet effet et ont désigné pour
leurs plénipotentiaires, savoir:

Lesquels, après avoir communiqué leurs pleins pouvoirs, reconnus
en bonne et due forme, ont convenu les dispositions suivantes:

Chapitre I.

Frontière entre la Turquie et l\'Irak.

Article 1er.

La ligne frontière entre la Turquie et l\'Irak est fixée définitive-

1 L\'échange des ratifications a eu lieu à Angora, le 18 juillet 1926.
De Martens,
Nouveau Recueil Général, 3e série, tome XVIII, page 332.

-ocr page 263-

ment suivant le tracé adopté par le Conseil de la Société des Nations
dans sa séance du 29 octobre 1924 et indiqué ci-dessous:

{Description de la ligne de Bruxelles)

Toutefois, la ligne ci-dessus est modifiée au sud d\'Alamun et
Ashuta de manière à comprendre dans le territoire turc la partie de
la route qui relie ces deux endroits et qui traverse le territoire ira-
kien.

Article 2.

Sous réserve du dernier alinéa de l\'Article premier la ligne fron-
tière décrite au susdit Article constitue la frontière entre la Turquie
et l\'Irak;....

Article 3.

{concerne la délimitation de la frontière sur le terrain).

Article 4.

{concerne „la nationalité des habitants des territoires cédésquot;).

Article 5.

Chacune des Hautes Parties Contractantes accepte comme dé-
fmitive et inviolable la ligne-frontière fixée par l\'Article premier, et
s\'engage à s\'abstenir de toute tentative de la modifier.

Chapitre II.

Bon voisitiage.

Articles 6—13.

Chapitre III.

Dispositions générales.

Article 14.

Dans le but d\'élargir le champ d\'intérêts communs entre les deux
pays, le Gouvernement de l\'Irak paiera au Gouvernement Turc

-ocr page 264-

252nbsp;ANNEXE IV

pendant une période de vingt-cinq ans à partir de l\'entrée en vigueur
du présent Traité, 10 pour cent sur toutes redevances qui lui re-
viendront :

a)nbsp;de la Turkish Petroleum Company en vertu de l\'Article 10 de
sa concession du 14 mars 1925;

b)nbsp;des compagnies ou personnes qui pourront exploiter le pétrole
en vertu des termes de l\'Article 6 de la concession susindiquée;

c)nbsp;des compagnies subsidiaires qui pourraient être constituées
en vertu des termes de l\'Article 33 de la concession susindiquée.

Article 15.

{Conclusion future d\'un traité d\'extradition).

Article 16.

{Amnistie accordée par l\'Irak).

Article 17.

{Entrée en vigueur du traité et dénonciation du chapitre II).

Article 18.

{Ratification).

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STELLINGEN

I

Artikel 250 van het verdrag van Trianon verbiedt niet aan
Roemenië onroerende goederen van Hongaarsche optanten te
onteigenen ten behoeve van een agrarische hervorming.

II

In artikel 15, lid 7, van het Pact van den Volkenbond dient
men onder de woorden: „Membres de la Sociétéquot; te verstaan:
„Parties au différendquot;.

III

Ten onrechte verlangt artikel 1, lid 2, van het Pact van den
Volkenbond naast zekere vereischten, waaraan een candidaat-lid
moet voldoen, nog een besluit van de Assemblee tot toelating als lid.

IV

Het feit, dat de wet uitdrukkelijk zegt, dat een bepaalde hande-
hng niet verboden is, heeft niet ten gevolge, dat die handeling
niet onrechtmatig in den zin van artikel 1401 van het Burgerlijk
Wetboek kan zijn.

De verhouding tusschen de overheid, die een concessie ver-
leent, en den concessionnaris is van privaatrechtelijken en niet
van publiekrechtelijken aard.

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Een waterschap met een ingeland is bestaanbaar.

VII

De praktijk, die de goedkeuring van verdragen door de Staten-
-Generaal laat verleenen bij de wet. is niet in overeenstemming
met artikel 58. hd 2. van de Grondwet.

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