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BRUXELLES.
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B. oct
M. FALCK a Bruxelles, 1839 ó 1842. \')
Le Roi [.ouis de Hollande, dans ses Documents Hislori-ques, parle de M. falck, alors Secrétaire-Genéral du Ministère de la Marine, eomrae d\'un jeune fonctionnaire plein d\'avenir. L\'illustre van der palm, dans 1\'opuscule qu\'il consacre a retracer I\'liistoire du reconvrement de l\'indépendance par sa patrie, en 1813, emprunte le burin de salluste pour nous dire aussi ce qu\'était M. falck; c\'est un portrait de main de maïtre, et il est difficile, en lisant le peu que trace la plume de l\'éminent orateur et écrivain, de trouver a y retrancher, je dirais presque a y ajouter. Dans une lettre que le Bquot; de stassart adres-sait, en Novembre 1829, au Prince d\'orange (plus tard guillaume II) on lit ces mots: „Les hommes d\'Elat sont rares chez nous, et, depuis le depart de M. falckquot;, (il était alors Ambassadeur ii Londres), „ la lanterne de üiogène pourrait bien se trouver en défaut.quot; Après la mort de M. falck, MM. quetelet, de reiffenderg, kesteloot, en
Belgique, M. den tex, en Hollande, donnèrent, les premiers, des notices sur lui; le dernier consacra une partie de son discours du 27 Avril 1843, dans la 3\' classe de
1) Get article a été deja public, eu 1870, par Le Conservateur, revue du droit international, de M. g. g. vreede, Professeur en Droit a TUuiversite d\'Utrecht II est retouche et 1\'on y a fait quelques légères additions.
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rinstitut des Pays-Bas, a rendre hommage au regretté sociétaire; les éloges s\'aceumulèrent. M. hora-siccama, se faisant l\'éditeur des lettres particulières de son oncle, en attendant le moment de publier les autres écrits de l\'homme d\'Etat, y a joint une notice biograplnque, qui contribue a faire connaitre dans un jour plus complet l\'homme dont la perte attriste également la politique, les lettres, les rapports sociaux et de familie. Enfin, M. thor-becke, sur la publication des lettres de M. palck, a pris la plume pour passer en revue les mérites de ce Ministre. Nous ne parierons pas d\'autres écrits oü le nom de M. falck se trouve mentionné avec éloge.
Après tant d\'écrits et de panégyriques reste-t-il oncore beaucoup a, dire de M. falck? Quelques envieux obscurs, en vieux d\'outre-tombe, diront peut-être: C\'cst assez, assez de cel homme ! Ce sont les dignes descendants de eet athénien qui votait l\'ostracismc contre auistiue, fatigué qu\'il était de l\'entendre appeler le Juste. Nous demandons grace a ces ennuyeux, s\'il en est; et qu\'il nous soit permis, a notre tour, de consigner ici quelques souvenirs que nous avons conserves des deux longues années qu\'il nous a été donné d\'etre le Secrétaire de Légaiion de M. falck a Bruxelles, lors des premières relations diplomatiques entre l\'aneien royaume des Pays-Bas et le nouveau royaume de Belgique.
II ne sera peut-être pas hors do propos de dire, en commengant, comment il s\'est fait que M. falck, Ministre de premier rang ;ï Londres (Ambassadeur), ait été ehoisi pour représenter en qualité de Ministre de second rang (Envoyé extraordinaire) la Hollande auprés de la Belgique, nouveau royaume, qu\'on pouvait ii peine classer parmi les Etats de second ordre. La chose parut impossible, lorsqu\'on l\'annouca; quelques-uns voulurent y voir un coup d\'épingle de la part du Roi guillaujie, qui condamnait
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ainsi M. fai.c.k a aller se debattre avec ceux dont il avait paru favoriser rindópendance, en tant qu\'il avait désapprouvé la politique de perseverance de son Roi.
M. FAicK se trouvait a Vienna, lorsque fut signé le traité des 24 articles entre la Hollande et la Belgique, le 19 Avril 1839. II y avait passé un hiver plein d\'agréments, après sa visite an Comte d\'estebhazv, an chateau de Csiikvar, prés de Raab, en Hongrie. La Comtesse d\'ester-iiazy, Beige et née Baronne de uoisin, était cousine ger-maine de M1quot;6, fai.ck , et M. fai.ck s\'était prêté a cette excursion surtont pour complaire a sa femme.
11 se trouvait done encore a Vienne, lorsque les 24 articles furent signés, sauf ratification. Portant un intérêt très-vif a ce qui regardait son pays, et étant en correspondance avec le Bn de zuvlen de nvevelt, son ex-collaborateur a la Conférence de Londres et chargé p. i. du Ministère des Affaires Etrangères aLaHaye, M. falok touche, dans ses lettres, le point du traité, et développe, amicalement, ses vues sur la future mission en Belgique et la direction qu\'il paraissait convenable de lui donner. M. de zuylem apprécia assez ces idéés pour soumettre la lettre au Roi C\'est de la que prit naissance la pensée d\'offrir cette mission a M. falck, et, dés son retour a La Have, le Roi lui en paria.
Une lettre a M. van lennep, son ancien et fidéle ami, a Amsterdam, et une autre au Bn mom.ehus, alors Envoyé des Pays-Bas a Vienne, nous apprennent ces défails. ^Elles disent aussi que M falck demanda la permission de réflé-chir. On l\'entoura, on lui dit d\'accepter; que c\'était rendre un service réel au pays; que persoune plus que lui n\'avait chance de réussir auprés des Beiges et de leur Oter tout soupcon relativement aux vues du Gouvernement Hollandais a leur égard; que persoune plus que lui n\'était proprc
v. Brieven van a. r. falck, le edit., p. 116 et 178.
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a les confirmer dans leur amour pour leur nouvelle indé-pendance, a leur inspirer eonfianoe dans leur neutralité, qui devait, semblait-il, otre aussi utile a la Hollande qu\'a la Belgique.
A ces considérations d\'un ordre clevc s\'en opposaient, ce-pendant, dans 1\'esprit de M. falck, d\'autres d\'un caractère moins grave, mais qu\'il ne pouvait mettre absoluraent de coté. Ces mots, dans la lettre au B° mollerus, les résu-ment: „ Ce n\'est pas assurémeiU un paste qu\'ti mou dr/e (63 ans) il eul eh: permis de briguer; mais, d\'un autre cóte, j\'uur ais cu tort, a mes propres yeux, si, pour épatfiner ii ma femme et d moi r/uelques sensations pénibles, et en me laissant exclusivement guider par de certaincs antipathies, fort naturelles du roste, j\'eusse longtemps hésitè d me conformer aux intentions du Hoi el de ses principaux Ministres.quot; On peut se demander quelles etaient ces antipathies que M. falck trouvait fort naturelles. Pour les sensations pénibles de sa femme, on peut les concevoir, en se rappelant qu\'elle avait été Dame d\'Honneur de feu la Reine, et en compre-nant qu\'elle ne pouvait revoir sans émotion ces lieux, oü elle avait passé une partie de sa jeunesse dans 1\'entourage d\'une Princesse vénérée, occupés maintenant par cenx que, dans son sentiment de femme, elle ne pouvait, au fond, s\'empêcher de regarder que comme des usurpateurs.
Bref, il aceepta, — avec uu noble dévouement — pour me servir des expressions du Bn des zuvlen, dans une lettre dont il honora, par la suite, l\'auteur de eet écrit.
Nous sommes au Chateau de Laeken, le 16 Octobre 1839, a une heure et demie après midi, lorsque M. falck s\'y trouve, pour présenter ses lettres de créance au Koi léopold. D\'après l\'usage dans les Gouvernements constitutionnels, le Comte de tiieux, Ministre des Affaires Etrangères, est présent a 1\'audience. Selon l\'usage encore, M. falck adresse une allocution au Monarque; celui-ci y répond de la ma-
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nière la plus obligeante, la plus gracicuse. Ce n\'était pas pour lui une nouvelle connaissance que celle de M. falck; ils s\'étaient connus, et, probablement, appréciés, 4 Londres. Lorsqu\'il fut question de déférer la couronne de Belgique au Prince, M. falck s\'était constamment tenu en rapport avec Son Altesse par l\'intermédiaire de Lady jersey ; les femmes jouent toujours un role dans la diplomatie. Le Roi leoi\'old fit done entendre a M. falck les paroles les plus flatteuses, entr\'autres, relativement au choix fait de sa personne, a La Haye, pour représenter la Hollande en Belgique.
Un long entretien suivit, divers sujets y furent abordés. Le Roi, comme pour lui donner un caractère de plus d\'intimité, paria allemand; bien qu\'il fut douteux, dit M. falck, dans ses dépêches a La Haye, que le Ministre des Affaires Etrangères, l;i présent, connüt assez cette langue pour saisir le sens de chaque expression et suivre le fil de chaque raisonnement. Nous ne pensons pas,cepen-dant, que le nouveau Monarque voulut, dés 1\'abord, se départir envers son Ministre de ce qui est de régie dans les Gouvernements constitutionnels.
Le Eoi aborda le théme qui, dit-on, lui était favori, de la licence, toujours plus grande, des classes infé-rieures de la société; des journalistes, utopistes et autres, qui menagaieiit de tout mettre sens dessus dessous en tont pays. II en déduisait la nécessité, pour tous les gouvernements, de s\'entendre, afin de maintenir, par des efforts communs, l\'ordre de choses existant. A son sens, il était de la derniére importance pour la Belgique et la Hollande de rester unies, au milieu du dérangement et de la perturbation que pouvait amener un pareil état de cboses. II n\'y avait pas a se faire illusion, d\'aprés le Monarque: si jamais il prenait en vie au géant du Sud (la France) d\'avaler en guise d\'un bon diner la Belgique, la Hollande ne pourrait que difficilement échapper au sort de servir de
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dessert. M. falok accueillit par mi sourire de donte cette liypothése do la conqnête do la Hollande par la France. „ Mais esl-ce bienquot;, se demandait-il, enlui-même, „legendre de LODis-pniLiPPE qui parte ainsi?quot;
Le Roi vint a comparer les Beiges et les Hollandais. Les uns étaient une nation principalement agricole et manufae-turière; les autres, une nation eornmerrantc et maritime. Les uns prodnisaient, mais ne s\'entendaient guère ;i placer leurs produits, a les exporter, a point noramé, sur les marches de l\'étranger; les Hollandais, par contre, inférieurs dans la production, ne le cédaient a aucun autre peupleon acti-vité et entente dans la repartition des marchandises sur tous les points du globe. Le Roi en concluait que ces peuples étaient faits l\'un pour 1\'autre; ce qui manquait h 1\'un, 1\'autre l\'avait; et, sous ce rapport aussi, leur intimité, ajoutait-il, ne saurait être trop grande. M. faick objecta la reputation des anciennes fabriques de Leyde, entr\'autres, qui, par I\'excellence de leurs produits, semblaient inflrmer les considérations du Roi. Je ne sache pas qu\'il ait fait, en lui-même, la remarque, que lkopoui mettait, justement ici, en avant un des arguments qui, en 1815, recommandèrent la réunion de la Belgique a la Hollande. Le Monarque beige, sans s\'en apercevoir, se trouvait plaider la cause qu\'il était appelé a combattre. \')
Mais la grande affaire des négociations, c\'est ce que 1c Monarque aborda a la fin. La commission d\'Utrecht, qui s\'était assemblée, dés le 24 Juin 1839, pour procéder au régie-ment des questions financières, s\'était trouvée arrêtée dans sa marche; les Commissaires Beiges avaient signé une protestation et s\'étaient retires. Le Roi, sans aller au fond des choses, déplora l\'idée de la Conference de Londres de tout faire régler par des commissions; de grandes lenteurs
1) La dépêche de m. falck , dans laquelle il rend compte de la remise de scs lettres do cróauce, est du 20 Octobre 1839, et est écrite en hollandais.
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devaient en ctre la conscqncncc immanquable, an sons du Monarque. II lui semblait qn\'on sc serait entendu plus vito on traitant do tout directemcnt, et on pvenant pour point do depart, ajoutait-il, eo que M. kai.ck venait de mentionner dans son discours, le franc et loyal accomplisscmcnt des différentes clauses du traité.
Ces négociations relatives aux questions financières fnrent la grande preoccupation, sinon occupation, do M. palck pendant sa mission. A son arrivéo ;ï Bruxelles, il so trouvait en face de Ia grande difficulty, que soulevait la pretention des Beiges, de faire marcher les négociations do front sur tons los points, memo sur eeux non dévolus ii la Commission d\'Utrocht. Comme nous l\'avons dit, cette Commission venait do suspendro, sous protestation do la part dos Beiges , ses travaux, par cette soule raison d\'une convention générale que les Commissairos hollandais refusaient d\'admettro.
La protestation n\'était pas l\'oeuvro des Commissairos souls; ceux-ci avaient recu do lour Gouvernement memo des ordres ii cot égard. Co Gouvernement était, a Bruxelles, représenté, vis-a-vis de M. falck, principaloment, par le Comte de Thei\'x, Ministro des Affaires Etrangères, comme nous l\'avons vu. Mais dorrièro le Comte de theux venait 7 so ranger touto une phalange d\'hommos d\'Etat, do financiers,
qui partagoaiont 1\'avis d\'une Convention générale; ot lo Roi, a en juger souloment de la facon dont il s\'exprima a 1\'audience de presentation, adoptait la memo manièro do voir, si tant est qu\'il n\'en fut pas rinspiratour.
Ce n\'était done pas lo Comte de tiieux soul qu\'il s\'agissait de ramener a des sentiments plus conciliants; c\'étaiont, dans le Cabinet, M. mothomb. Ministro des Travaux Publics, M. desmaisières. Ministro des Finances, dont lintiuonce, cependant, était moindre que celle do M. kotuomb, qui avait été dos premiers dans la révolution; c\'était M. fali.on, le Président actuel de la Chambro des Roprésentants, mais, dernicrement, Président de la partie beige de la Commis-
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sion cTUtreolit; c\'était M. de meeuws, Grouverneur de la Société Générale; d\'autres encore, dont les noms m\'cehap-pent on me sont restés incomuis.
II fallait toute 1\'habileté de M. falck , tout le poids qui s\'attachait a sa personne, pour aller ;i l\'eneontre de eette formidable légion.
Les débats commencérent avee M. de theux , qui avait la complaisance de venir trouver M. falok, souffrant de la goutte. Comme prélude de la négoeiation, M. de tiieux disait et répétait que la position des parties ne devait, en aucune manière, se trouver ni atlénuée ni aggravée, et qu\'il était aussi important que désirable que les deux Gouvernements sortissent de la négoeiation clairs el nels. M. falck était bien loin de ne pas acquiescer a ces vues et désirs de M. de theux. Mais il en fut autrement dés qu\'on en vint au point de la Convention Générale, que M. de theux continuait a mettre en avant, et que M. falck, en revanche, ne voulait aucunement admettre.
Celui-ci avait nn argument très-plausible, que M. de tiieux ne parvenait pas a ébranler. „ Commenl se déparlirquot;, disait M. falck, „de la voie que la Conférence de Londres elle-même nous a Iracce pour la conduite a bonne /in de nos Iravaux? Nous risquerionx beaucoup: car s\'il s\'élevait enlre nous de nouvelles difficidles, el (pie la IJollande se voyail obligee de réclamer encore I\'arbilrage de la Conférence, on pour rail lui objecler.quot; Vouz-avez, vous-même, abandouné le terrain sur Icquel la Conférence vous avait placée et lavoieqn\'elle vous avait tracée; vous n\'y pouvez revenir main tenant, vous en avez perdu le droit!quot; Cependant M. de tiieux tint bon jusqu\'en Janvier suivant; et M. falck, pas moins. Enfin, voyant qu\'il était impossible de faire se départir ce dernier de la those qu\'il défendait, M. de tiieux céda.
Mais tout n\'était pas dit ainsi. La Belgique continuait
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a se refuser au payeraent pur et simple des semestres de rente auquel les traités l\'obligeaient, et au payement de deux desquels elle avait déja sursis, assez arbitrairement semble-t-il. Elle prétendait ne s\'acquitter que lorsque les questions de finances auraient été réglées et qu\'elle pour-rait connattre préeisément ce qu\'elle aurait a payer de moins. Nouveaux débats. M. falck proposa, enfin, un moyen terme, qui fut aceepté. On convint que les paye-ments des semestres auraient lien, pour les semestres échus comme pour les semestres a éehoir, moyennant une retenue que Ie Gouvernement Beige ferait, équivalente a la somme probable des créanees que la Belgique aurait a faire valoir. A eette condition, et sous toutes réserves quant aux autres questions qui s\'agitaient ou s\'agitcraient entre les deux G-ouvernemeuts, la Belgique mit, en Mars 1840, a la disposition de laHollande, la somme d\'environ cinq millions de francs :). C\'était, pour la seconde fois dans ces négociations, on le voit, un service des plus grands que M. falck rendait a son pays; le trésor des Pays-Bas, il faut le redire, se trouvait embarrassé a la suite de la guerre contre les Beiges et de la politique de persévérance (quelques uns diiaient d\'opiniatreté) que guil-lau.me i avait suivie 1). En llollande, on n\'avait cependant pas songé un instant a suspendre, mêmo partiellement, le payement de la rente de la dette de 1\'Etat. 11 en résul-tait une notable aggravation des charges du trésor; mais
11 convicut peut-etre de préciser ici en quoi reposait la difference entre le Roi guillaume et M. falck , quant a la politique Ti snivre dans l\'affaire de la Belgique. Le Roi guillauml a en, jnsqn\'an dernier moment, en vue la restanration de son ponvoir. M. falck, qnoiqu\'il déplorat an fond la separation, et eriit même que, dans 1\'avenir, l\'union de la Belgique et de la Hollande serait plus que desirable, estimait que, dans l\'etat des choses en Europe, et vis-h-vis de la politique de la France el de l\'Angleterre, s\'était pure perte que d\'attendre cette restanration Varme au bras; c\'était-la son expression. C\'est dans ce sens qu\'il me iit l\'honneur de s\'ouvrir a moi a Londres, en 1832.
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it y allait dn crédit de la nation, et lo crédit est unc chose sacrée pour les Hollandais.
Sar cc, la Commission d\'Utrecht fut remise „a flolquot;, (13 Mars) selon I\'exprcssion de M. falck. Mais on ne tarda pas a s\'apercevoir qu\'ou était de nouveau dans l\'im-prissibilité d\'avancer. Ainsi que daus les autres Commissions, institnées par le traité des 24 articles, on se trou-vait cn face de points capitaux a l\'égard desquels on ne parvenait pas a s\'entendre. En Avril, le Ministère leueau avait suecédé au Ministère de tiieux ; on eut a repren-dre la négoeiation avec M. leueau. Celui-ei avait quelqne chose de plus conciliant que son prédécesseur, en appa-rcnce du moins. Le payement des rentes dues eut lieu le 1 Juillet, toujours sons les réserves convenues. Ou s\'en-tendit, ensuite, pour retirer provisoirement a la Commission d\'Utrecht le réglement des points en litige et pour ouvrir, officieusement, a Bruxelles, une négoeiation directe entre les deux Gouvernements. Ce sont les Conférences „ o/fl-ciemesquot;, auxquelles furent délégués, du coté de la Hollandc, M. le Conseiller d\'Etat bobret avec M. van mesritz, administrateur des domaines royaux, et, du cOté de la Belgique, M. M. pallox et iuijaiiuix •).
Les débats s\'engagèrent, mais sans grand succés. De notre cOté, a la Haye, on s\'était vu dans le cas de dresser une liste do questions sur lesquelles on attendait une ré-ponse. M. houret avait cru devoir so rendre a La Haye pour donner des éclaircissements et prendre des instructions. Point de nouvelles de La Haye. On était , cependant, rapproché de la date a laquelle, aux termes dn traité des 24 articles, devait se faire, de nouveau, le payement semestriel de la partie de la rente mise ii la charge de la
1) M. falck a predit la belle carrière de M. dujardin. Celui-ei n\'etait encore que Cummissaire Utrecht; il vint voir M. falck. J\'eutrais chez mon JMinistre justement an moment ou M. dujardin en sortait. nCest un hommc qui ira loin!-\' me dit-il. M. dujardin mourut Envoyé Extraordinaire.
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Belgique. M. falck craignait que la chose ne souffrit de nouvelles difficultés, si les réponses désirées n\'arri-vaient pas en temps utile. Ses dépêches font foi de la préoecupation qui 1\'assiègeait sous ce rapport. Mais M. buitreï allait revenir. Le pavement semestriel eut encore lieu, sous les mumes réserves, le 1 Janvier 1841.
Ce n\'était cependant pas encore la fin des difficultés. M. borret négocia de nouveau pendant quelques semaines; mais il se vit obligé de repartir pour La Haye, le 17 Février. II y prolongea sou séjour pendant prés d\'une demi-annéc. Dans 1\'intervalle, nouveau changement de Ministère. M. lebeau se retire, M. .nothomb esl appelé a former un Ministère mixte. M. de muele.naere y prend le portefeuille des Affaires Etrangères. L\'époque dn payement de la rente, le 1 Juillet, approchait, et on était dans l\'iguorance de ce que M. borret avait fait a La Haye. Enfin, on com-prit en Hollande qu\'il fallait agir, et M. falck fut mis a même d\'annoncer ofEciellement au Gouvernement Beige le retour incessant de M. borret, avec les instructions nécessaires pour reprendre 1\'oeuvre interrompue. Le payement eut lieu, et, 1c 8 Juillet, M. falck pouvait mauder a sou Gouvernement que les conférences offieieuses étkient reprises entre M. borket et les délégués beiges.
M. falck était aux eaux d\'Aix-la-Chapelle, lorsque un changement s\'annon(,\'a de rechef dans le Ministère Beige. Cette ibis, c\'était le Ministre des Affaires Etrangères seul qui se rctirait, il était remplacé par le Comte de briey, iusque-la Ministre des Finances. La négoeiation de M. borret était loin de se simplifier. On était venu donner contre de nouveaux obstacles. M. borret se transporta a Aix-la-Chapelle pour confèrer avec M. falck. Verslami-Aoüt, M. borret reprit le chemin de La Haye, suivi de sou collaborateur M. van mesritz. Pen après, ils revinrent a Bruxelles; les conférences reprirent; mais ce fut pour aboutir a une nouvelle suspension. Ellc eut lieu le 22 Septembre.
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C\'est la que so bornent les phases de cette négociation desquelles il m\'a été donné d\'etre, pour ainsi dire, témoin a Bruxelles. Les Conférences furent reprises peu après et se terminérent par Ie traité du 5 Novembre 1842. La Commission d\'Utrecht revint alors a son travail, qui se borna au reglement de quelques points seeondaires: archives, établissements partieuliers, cautionnements, dépots judici-aires, consignations etc. La convention, a 1\'égard de ces points, fut signce le 19 Juillet 1843, après la mort de M. falck, arrivée en Mars de la même année.
Les dépêches de M. falck, durant cette négociation, celles au moins qui y ont trait, disent tous les incidents des entretiens qu\'il a eus, succcssivement, avec M. de tiikux et M. leb e au. Intércssantes sous ce rapport pour ccux qui voudraient connaitre la négociation dans tous ses détails, elles le sont encore pour tous par les observations que M. falck fait, au hasard, sur les hommes et les choses eu Bclgique, par les traits piquants qu\'il laisse échapper. Jo ne me permettrai pas de répéter ici les épithètes par les-quelles il caractérise quelques-uns des hommes d\'Etat avec qui il est appelé a travailler. A l\'approche de la date du pavement des semestres de rente par la Belgique, on voit ses inquiétudes se manifester, et, on le voit, pour ainsi dire, gourmander le Gouvernement a La Ilaye, alin qu\'il n\'y apporte pas d\'accrocs.
Les lenteurs ne venaient pas toujours de notre cOté. M. falck, dans sa lettre a M. van leiwbp, du 17 Dé-cembre 1841, se plaint, sous ce rapport, des Ministres Beiges. L\'article, entr\'autres, regardant la levée du sé-questre des biens du Prince d\'orakge, article trés-clair et n\'offrant aucun doute, était loin de recevoir son exécution a cette date. M. falck attribuait, charitablement, ce retard a la crainte que le Ministère lebeau avait des Chambres, devant lesquelles les Ministres remettaient, autant que possible, le moment de discuter un traité onéreux, qu\'ils
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voulaient, au contraire, revendiquer la gloire d\'avoir, le plus longtemps possible, teuu en suspens. M. falck, danfe cette lettre, se plaint de la froideur et extréme raideur qu\'il rencontre chez les Ministres Beiges, toutes les fois qu\'il vient a toucher les points délicats; il se plaint de la faiblesse des ministres. „Dans toutes ces misères,quot; dit-il „les belles maximes politiques sur le rapprochement de la IJollande et de la Belgique viennent a succomher, hien qu\'ils en aient la bouclw pleine. — Après avoir si souvent réussi dans mes travauxquot;, poursuit-il, „il ni est doublcmenl pénible de finir par un mécompte. Mais je ne perds pas courafie: potius defwere quam desperare.quot; D\'autres fois, c\'étaient les changements de Ministres, et les délais qui en résultaient, qui lui causaient de l\'impatience. „ Heureux,quot; dit-il a M. van leiWep, dans sa lettre du 24 Fevrier 1841, „ heureux, si je pouvais seulement savoir, par rapport aux intéréts qui me sont con/iés, si le ministère sera encore longtemps compose des mémes personnes! quot; Enfin, le 22 Aout 1841, lors-que M. de briey prenait le Portefeuille des Affaires Etran-gères, il écrit, également d\'Aix-la-Chapelle, a M. van lennep : „En Belgique m\'attend la connaissance d\'un nouveau iMimstre des Afjaires Etrangères: le quatrième en moins de deux ans! Ilomme trés poli, sans doute, mais qui a beaucoup a apprendre, non-seulement quant aux choses mémes, mais, de plus, quant a la manière de les trailer. Est-il étonnant que nous avaneions si pen?quot; II dit, dans sa lettre du 10 Novembre de la même année: „Les fruits mnrissent, mais le temps de la récolte doit étre attendu avec patience: j\'estime qu\'il faudra encore deux annces ; et cela, si rien ne sur vient.quot;
II avait vu juste, puisque ce ne fut qu\'en 1843 que la négocation prit fin, comme nous 1\'avons dit.
Lorsque cette longue et pénible besogne toucliait ü son terme et que les pourparlers étaient transportés :i la Have, M. falck me fesait 1\'honneur d\'en parlcr dans une lettre, du 6 Novembre 1842, qu\'il m\'adressait a Berlin; „Cest
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asses voiiz direquot; m\'écrivait-il „que je suis loin d\'envier, le moins du monde, a, M. iiochussb.n le grand honneur d\'avoir inené (\'( bonne /in cello immense négoealion. Cela tui était dévohi de droit; el il n\'y a que lui, ou loul aulie homme aussi enlendu, s\'il y en a, el placé aussi pres de nolre Sou-verain (guillaume ii), qui eiil pu 1/ rcussir. La Legation ne réclame pour elle que le. mérite, purerrent négalif, d\'avoir déblayé le terrain, calmé, par ci par la, les soupcons el les dé/iances, garanti aux deux parties adverses leur bonne [oi mutuellequot;. X\'est-ee pas la beaucoup de moJestie? \')
Nons venons de voir M. falck dans les négociations, voyons le maintenaut daus ime de ces cireoustances comme il ne s\'en présente, heureusement; que rarement pour des diplomates a Fétranger. Je veux parlor de la cons])iration Orangiste, dite de van.der smissen. M. falck, lui-même, nous raconte comment il en ent le premier avis. Sa dé-pêclie du 29 Octobre 1841 commence par ces mots: „ Cel après-midi, revenanl d\'une promenade, je vis, devant l\'hótel du Ministère de l\'Intérieur, un rassernblemenl. Un parlait confusémcnt d\'une conspiration Orangiste: les deux van ueii smissen auraient élé arrétés; les Généraux le ciiarlier el van deu meeue paitageraleiil ce sort.quot; Ou coiiQoit refïct que ces rumeurs, qui avaient Wen l\'air de rcposer sur des faits, lirent sur l\'Envoyé de la Puissance de laquelle le coup devait partir, s\'il était réel. La position devenait aussi délicate que difficile; désagréable, en tous cas. M. falck avait bien, a son départ pour Bruxelles, stipulé, d\'après l\'assertión de son biographe M. siccama, qu\'il serait surtout laissé en dehors de toutes tcntadves de restauration en Belgique, de quelque cóté qu\'elles vinssent. Mais cela ne voulait pas dire qu\'elles n\'auraient pas lieu. Les Orangistes l\'avaient do tout temps inquiété. Dans ses lettres a ses amis, écrites
1) Les passages qu\'on vieut de voir, des correspondauces particulières de ^1. i\'alck, sont pris dans les lettres publiées par M. siccama, et traduits du hollauuais.
a ime époque antérienre :i celle oü nous sommes, il n\'épargne pas aux premiers les épitLètes d\'importuns, de facheux; „ces gens,quot; dit-il, „/\'/hs calholiques r/ue le Pape!quot; Divers indices, d\'ailleurs, lui avaient donné a soupgonner qu\'il se tramait quelque chose. Entr\'autres, M. box, bieu connu des gens de la revolution, lui qui avait été Thomme du Ministre van .maanen au temps oil se préparait la revolution beige, qui avait depuis, en Hollande, pris la redaction du Journal la Uuije, organe officieus du gouvernement, — M. nox était venu plusieurs fois dans ces
dernier temps en Belgique..... pour quoi ?..... pour
voir ses amis?
Dés 1\'abord, M. falck sut prendre, en cette circonstance, une attitude qui désintéressait la Légation de tout ce qui se passait. II s\'adressa aux Ministrcs Beiges eux-mèmes, etne voulut être instruit que par eux de la réalité dn complot, des détails qui le concernaient. Ces détails firent seuls l\'objet de ses dépêches au Gouvernement a La Haye; il se lavait les mains du reste, quoiqu\'il le déplorat au fond. Quelle prudence, quel tact, dans cette conduite! Elle parait la chose du monde la plus naturelle; mais combien de gens se seraient perdus, pris, pour aiusi dire, dans cette espèce d\'étau que lui fesaient les deux Cours. M. fa lok sut d\'emblée oceuper la position qui lui permettait de marcher la téte haute, la position qui le mettait en régie auprés de son Gouvernement. 11 rendait peut-être aussi par la, saus le vouloir ni le savoir, service a ceux qui, a La Haye, pouvaient avoir intérêt a connaitre l\'effet que le coup manqué, et tout ce qui s\'y rattachait, produisaient, eu Belgique, sur 1\'esprit et les dispositions des hommes en place.
Mais, enfin, de quoi s\'est-il agiV M. nothomb, au dire de xVI. falck, n\'attribuait le tout qu\'a quelques officiers peu contents, a quelques têtes chaudes parmi les radicaux; c\'était un eii|ihémisme. On avait projeté de se rendre mattre de la persoune du Hoi, de celle du Ministre de la Guerre,
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Général buzf.n, et de celles d\'une couple de ses collégues; de tout mettre ainsi sens dessus dessous, et de former ensuite un Gouvernement provisoire qui aurait a se prononcer sur Favenir du pays. D\'après M. notmomd , dans les sept excursions que M. box avait faites en Belgique depuis le commencement de Juin, il y avait semé l\'or parmi les gens de toute classe, de toute opinion politique, (.iikc.oiuk le secondait; gregoire, qui continuait k jouir, a La Maye, d\'un traitement d\'attente. C\'est, en résumé, ce que M. notiiomb disait, et ce que M. falck mandait au Ministre des Affaires Etrangéres p. i.. Baron van zuylen, a LaHaye.
M. NOTIIOMB ne savait pas tout, ou ne voulait pas tout dire. Le Gouvernement Beige avait eu vent du complot, déja vers la fin d\'Aout, par M. jottrand. Se trouvant au café des Mille Colonnes, M. jottrand fut accosté par le Général van der meere, qui, pensant le gagner, luidécou-vrit tout. C\'est, du moins, ce qui semble résulter de l\'in-struction de l\'affaire, dont le hasard a fait tomber les inter-rogatoires entre les mains du Baron gericke, Envoyé des Pays-Bas en Belgique. Deux-cent soixante-quatre témoins ont été entendus dans le premier de ces interrogatoires, quatre-cent deux dans le second. Les chefs du mouvement, je les ai nommés. Mais que de noms mis en avant pour faire croire ii un grand nombre de leurs adherents! MM.
gendeb1en, ducpetiaux, le hardy, donker, donnet,
stevens, figuraient sur laliste; le Général daine et d\'autres officiers, kessels, creiien, l\'Intendant parvs, le Colonel de Gendarmerie dupre, sent mentionnés comme ayant promis leur coopération. On nommait encore M. van der plas, rédacteur du Lynx; encore M. van laethem, chet des blessés de Septembre; encore, MM. levae, parent, malaise et le Docteur feigneaux. L\'avocat metdepenningen devait diriger le mouvement a Gand 1). La gendarmerie
On nous a fait reraarquer quelques variantes dans 1\'acte d\'accusation, quant aux noms des personnes impliquees.
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et l\'école militaire étaient gagnées. L\'aft\'aire aurait dvl éclater au milieu des fêtes de Septembre; mais le Roi de Hollande, dit par après le Général van dbb smissen a M. jottrand, avait désiré que la chose flit remise. On avait de l\'argent: des pièces de dix florins. II y avait des poudres placées dans une maison non loin de l\'étang d\'Etterbeek. On dispo-sait de quatre canons. Au milieu des fêtes de Septembre, LEcuARLiER dcvait arriver, déployant im (vieux) drapeau. On n\'avait plus attendu qu\'un ordre de La Haye pour commeucer.
C\'est au milieu de toute cette bagarre que se serait trouvé M. falck.
Passons u un autre ordre de choses.
Dés les premiers temps du séjour de M. falck aBruxel-les, plusieurs questions, touchant de prés ou de loin la Hollande, vinrent a surgir a Fbomon politique. II fut question d\'une union douanière de la Belgique avec la France; du procés, a Paris, de louis napoleon, a la suite du coup de tête de Boulogne; des affaires d\'Orient, qui ont été bien prés de dégénerer en une grande guerre Européenne ; de la guerre des Anglais eu Cbine. Toutes ces questions, a plus d\'un titre, tenaient éveillée 1\'attention de M. falck. Bruxellcs, au centre de l\'Europe, au milieu ou a proximité des Puissances dont les intéréts étaient en jeu, Brnxelles était un point oü pouvaient parvenir des informations diverses, importantes, toujours curicuses. M. falck fut dans le cas d\'en recueillir plus d\'une, qu\'il porta a la connaissance du Gouvernement a La Haye. Ses dépêches, écrites en frangais, d\'un style soutenu, contienncnt des données que l\'histoire ne manquera ])as de recueillir. Je ne puis que mcntionner celles qui ont trait a l\'alliance commerciale, qui inquiétait falmebston. M. van praet y est appelé l\'homme de conjiance du Roi. Quant au procés de louis napoleon, M. falck pouvait en causer longuement et intimement avec M. he rumigny, alors Envoyé de France
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en Belgique, et qui, Pair de France, devait se rendre, et se rendit, a Paris, pour siéger a la Chambre devant la-quelle comparaissait, comrae coupable, le futur Empereur des Francais. La question d\'Orient fut une véritable mine de matière a dèpêehes pour M. falck. Les noms de guizoï, Thiers, palmersto.x et d\'autres sommités politiques du temps, s\'y rencontrent, mêlés souvent d\'observations fines, profondes, quelquelbis légèrement railleuses, toujours intó-ressantes.
Mais la question d\'Orient excitait surtout l\'intérêt de M. falck, par les complications européennes que pouvait faire naltre une guerre de la France contre l\'Angleterre et les Puissances qui soutenaient le Sultan. L\'attitude de la Belgique dans eet imbroglio possible lui tenait a coeur. „Je suis moins tranquillequot;, écrit-il a M. van dkh oapellen ex-Gouverneur des Indes-Orientales et bomme éminent, a cette époque, dans le monde politique hollandais: Je suis moins tranquille a l\'egard de l\'aUilude qu\'on peul espèrer de la Belgique, si, dans les complications plus graves que peul faire naitre la question soi-disanl d\'Orient, mieux dile la question ewopéeime, la pression de la France devenait plus importune. La bonne volonté ne manquerait pas ici, mais la fermeté . . . Et plus loin: „11 est vraisemhable que, dans une crise, les hommes d\'ici se troiweraienC embarrasses sur les mesures a prendre dans l\'inlérel de leur sürete. Pour le moment, le langage des Ministres ne laisse rien a désirer, et je ne doute pas qu\'il ne soit sincere.quot; C\'état en Juin et le traité de Londres du 15 Juillet n\'avait pas encore été signé. Dans ces eirconstances, M. falck jugeait, sans doute, eoinme je le lui ai entendu, a La Have, exprimer a un diplomate étranger, que la Hollande serait, pour ainsi dire, placée aux premières loges, assistant a un combat de taureaux .... Réminiscence de l\'Espagne, oii il avaitété Secrétaire de Legation, du temps du Grand-Pensionnairc
5c1iim.melpe.nkinck.
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La gnen-e de Chinc me laisse un souvenir assez remar-quable, me serable t-il, de la manière dont M. palck la jugeait. Un matin, entrant dans son cabinet, je le trouvai plonge dans la lecture des journaux anglais, que son col-lègue d\'Angleterre, Sir Hamilton sevmour, lui avait pretós a parcourir. C\'était vers le temps que les Anglais proje-taient la prise de Canton. „ Qui feronl-ils la?quot;, me dit M. falck. „ C\'esl loul comme si l\'Empereur de Hussie a Sl. Pé-lersbourg apprenail qu\'une /lolle ennemie venait de bombarder mie ville siluée a I\'autre extremité de ses élals, qni dirait a la distance de Cadix. C\'est une demi-mesure, per te de temps et d\'arfient!quot; II faut avouer que 1\'oeil de faucon de M. falck (c\'est ainsi que ses amis, jouant sur son nom, aimaient a parler de sa psrspicacité), que son oeil de faucon, dis-je, avait dés lors entrevu l\'expédition des Généraux montauban et grant contre Pékin.
Et comment ue pas mentionner 1\'accueil que fit, unjour, M. falck a une de mes observations a 1\'egard de 1\'Angle-terre ? Le gouvernement de ce pays se trouvait attaque par l\'opposition a tel point qu\'il me semblait immanquable qu\'on n\'y marchat a des troubles, a une révolution. „ Les choses irnnt encore loncjtemps sur ce pied-la!quot; me dit M. falck. II voyait juste.
Et devrais-je parler de nos affaires de Hollaude? C\'était en 1840. On allait s\'occuper de la revision de la Loi Fondamentale, revision devenue nécessaire par suite de la défection de la Belgiqne. Mais d\'autres questions encore se rattachaient a cette révision. L\'opinion publique était exeitée; les esprits se montaient; il pleuvait des articles de journaux, des brochures. Je témolgnais mes inquiétudes de l\'aspect des choses: „ Telles caux. Iels poissons!quot; me dit M. falck, en hanssant quclque peu les épaules. C\'est la traduction presque littérale d\'un dicton hollandais. On dirait en frangais: on recueille ce qu\'on sème! II fesait allusion a la p(jliti((ue, outrée a ses yeux, comme a ccux de beaucoup.
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de persévérance du Roi guillaume i a, 1\'égard de la Hel-gique, mais il ne s\'en indignait pas; il la déplorait, voila tout. L\'état du pays le remplissait de tristesse, de mélau-colie; mais il respectait la royauté.
Pour tout dire, l\'idée du Koi guillaume i de s\'unir a la Coratesse d\'oultrbmomt , idéé qui, pressende, indisposait le pays\', inquiétait aussi M. falck. Cette idéé datait déja de plus d\'uu an. Au départ do M. falck de La Haye, le Roi lui avait parlé de la chose, l\'avait consulté. II l\'avait congédié par ces mots: „ Ce qui esl di/férc, n\'esl pas perdu!quot; La Comtesse, par le conseil de M. falck , était partie pour ritalie, et il se flattait que la réflexion avait modifié les idéés de son Mattre. Aussi, a Bruxelles, M. falck, lui-même, parlait-il peu de l\'affaire. Mais, lorsqu\'il vit M. de fagel, notre Ministre a Paris, mandé a La Haye par le Roi; qu\'il put pénètrer les raisons qui faisaient une néeessité au Roi de s\'expliquer et de se consulter avec son ancien et fidéle ami; qu\'il rapprochait eet incident d\'autres cireonstances, — les paroles du Roi lui revinrent a 1\'esprit: „Monsieur, surloul, devrait savoir i/ue je ne céde pas si facilemenl!quot; M. falck ne se fit plus illusion. Mais son attitude, a Bruxelles, n\'en fut pas moins pleine de convenance. Bieu que porté a rire un peu, en lui meme, comme ses notes le révélent, de ce soi-disant besoin du Roi de s\'assurer, dans ses vieux jours, la société intime d\'une femme, il ne s\'en ouvrait qu\'avec la plus grande discrétion a ceux qui l\'abordaient. \')
„ J\'abdiquerai plulólquot;! lui avait dit le Roi. D\'autres con-sidérations ont aussi, sans doute, déterminé a I\'abdication. M. falck Jugeait du tout avec calmc. „ Ou ne peut repondre derien,quot; écrivait-il, le 7 Octobre, a un de ses amis; „mais 1\'ensemble de mes impressions me conduit a penser que le
1) Ces détails sout pris aux notes de M. talck Mais neus uV avuns puisé qu\'avec la plus grande diserétiuu. Le recit de M. falck est des plus curieiix.
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pays se trom:era bien de l\'abdicaliou. I\'our les rois, co nme pour le comniun des morlels, il esl un lemps d\'arrivés el un temps de depart; a mon sens, papa guillaume est restè plutót trop longtemps au pouvoir r/uil tie le quitte trop tót. Mais il est juste de laisser chacun, la oh il s\'agil d\'abdication, a sa propre appreciation, el de. ne pas chicaner, comme oh le fait, sur le moment choisi.quot; II était done résigné a I\'abdication et a ee qui allait s\'ensuivre. II était loin de ieter la pierre au Roi, comme on ne !e fesait que trop en Hollande. Son attitude, quoique pleiue de tristesse au fond, était, vis-a-vis du public et de la Cour de Bel-gique, celle de la convenance et de la dignité. Lors de l\'inauguration de guillaume n a Amsterdam, la goutte 1\'cmpêcha de s\'y rendre. II alia faire sa cour au nouveau Roi a Maestrioht, lorsque le Souvevain y passa, allant, pour la première fois comme Grand-Due, visiter le Luxembourg.
Mais quittons la politique. Abordons la république des lettres. Ce fut, on le sait, sous Tadministration de M. falck, comme Ministre de l\'Instruction publique dans Tancien royaume, que furent foudées les trois üniversités: Lou-vain, Gand et Liège. \') Sous ses auspices, M. quetelet avait organise l\'Observatoire de Bruxelles. M. falck avait fondé encore, ou, si l\'onveut, restauré, 1\'Académie Royale des Sciences, des Lettres et des Beaux Arts en Belgique. Bien qu\'il revlnt maintenant presqu\'en étranger ii Bruxelles, le monde savant l\'entoura, et salua en lui l\'ancien protec-teur, l\'aneien eollègue. Ce furent MM. quetelet, dk reif-feniïerg, gachard, d\'autres.
M. quetelet, qui savait, m\'écrit-il, — en réponse a la lettre oü je lui demandais de vouloir bien rafraichir mes
1) Dans le bel ouvrage que, sous le titre de Lib er memorialis, U Universiié de Liége de puis sa fondation, M. alpiionse le koy, Professeur ordinaire a la faculte des Lettres, vient de publier, a l\'occasion du premier jubilé serai-séculaire de cette Universite, il est dit du Ministre falck, qu\'on l\'avait • surnommé le bon génie de guillaume i.quot; Introduction p. XXVIII. (Note de M. le Prof. vree de).
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souvenirs a l\'ógarcl de ce qui s\'était passé alors — qui savait tout le plaisir qu\'il ferait a 1\'Aeadcinic en y ramenant un membre aussi distingué et anssi généralcment aimé, insista, aux approches de la séance de Décembre (1839), pour que M. fai.ck voulut bien rentrer dans la savante assemblée et y prendre son ancienne place de membre. M. falck y consentit. Mais, pour oter toute couleur politique a la chose, il désira que son entree eüt lieu en même temps que celle de quelqu\'autre membre de 1\'Académie do carac-tére privé et que les aft\'aires politiques avait également tenu éloigné de cette assemblee. La personne cherehée se trouvait la, a point; c\'élait le Due d\'lhsel. On lui proposa de s\'y présenter avec M. falck; il accepta.
M. quetei.et les conduisit. Le Baron ue stassart occu-pait, comme Directeur, le fauteuil de la Présidence. A peine M. falck parut-il que des applaudissements cbaleureux partirent de toute part. M. de stassahï prit la parole et salua la rentrée des nouveaux venus, ajoutant les cboses les plas senties et les plus flatteuses pour M falck. J\'ignore si M. falck répondit; il doit, en tous cas, en avoir été profondément émn. Cette rentrée fit, ii cette époque, le sujet de toutes les conversations a Bruxelles.
D\'une séance a 1\'Académie a la littérature en génèral, et a la langue flamande en particulier, il n\'y a qu\'un pas. M. falck ne restait pas indifférent a ce qui avait lieu en Belgique sous ce rapport. 11 était, a part la politique, comme amoureux des langues soeurs parlées dans les Pays-Bas, et il l\'était d\'autant plus que eet objet se rattachait aux événemeuts politiques qui avaient amené le nouvel ordre de choses et a ceux qu\'on pouvait pré-voir dans l\'avenir. Dans sa lettre du 15 Juin 1840 1), il raconte a son ami M. van le\\nep, comment il s\'est trouvé chez M. de méiiode, 4 la campagne, en compagnie,
v. Brieven, etc. n0, 180.
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entr\'autres, de M. de theux ct do l\'Abbé de ram; ct comment eelui-ci avait soutenu, avee la plus grande franchise, memo avec passion, la these qnc l\'élément le pins fort, sinon 1\'uniqne, do la nationality beige était la langue. „/i/t effel, comme pour rendrequot; dit M. falck, „leconlraste avec le pélilionnemeiit, sous le Gouvernemenl pi ècédenl, plus complet, c\'esl un plaisir que de voir, dans toutes les parlies dn pays, celles même r/ui ne sont pas flamandes d\'origine, le sole rpi\'oH diiploye pour la langue /lamande.quot; M. falck ajoute que l\'Abbé de ram ne parlait pas, a cette occasion, de la religion, „ par discrélion saus dnule. \' Le parti catbo-lique, auquel le recteur de 1\'Université de Louvain se rattachait, se tenait éloigné, a cette époque, dn parti catholique en France qui, sous i.oms philippe, n\'exercait plus la prédominance qu\'il avait cru avoir conquise sons la branche atnée. On avait été catholiquc outre en Belgique par opposition au Gouvernement de guiliaume i, et, par le même motif, on avait été contraire a l\'élément flamand, aux langues flamande et hollandaise; on avait penché vers la France de charles x par le motif clérical. C\'était autre chose maintenant: le clergé avait perdu sa prépon-dérance en France, tandis que, en Belgique, la revolution de 1830 lui avait fait gagner une influence qu\'il n\'avait pas. II était done catholique autant qn\'on peut 1\'être, et favorisait le développement de l\'élément flamand, de la laugue flamande, par dessus tont.
Voila, semble-t-il, 1\'explication lt;ï donner au zéle de l\'Abbé de ram, au calme et presqn\'a 1\'approbation avec les-quels l\'écoutaient Messieurs de mérode et de ïiieux. C\'était, au premier abord, un curienx spectacle que M. falck entre ces messieurs. Mais son patriotique attachement a tout ce qui rappelait la nationalité hollando-belge, par opposition a la France, lui fesait suivre avec plaisir cctte discussion. II considérait qu\'elle portait, pour ainsi dire, ses racines jusqu\'aux couches les plus profondes de la terre
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beige et s\'en rejouissait. II ne manqua pas, do son cOté, alors, de feter ces partisans de rélément fiamand qui, de ce temps ou pen après, se trouvèrent a Bnixelles. 11 out ses diners flamands, et le Gouvernement Beige ne trouva pas a y redire. On le comprend, la chose rentrait dans sa politique.
Une anecdote se rattache a. cette histoire de la langue. C\'ètait quelque temps aprés l\'arrivée de M. falck iiBruxel-les. M. verseyden, maire ou bourgmestre do Bnixelles dn temps du roi guillau.me, donnait a diner. II y avail a table peut-être seize on dix-huit personnes, et la sociéte, choisie, se composait de convives de toute couleur politique. On en vint a parler de la langue et des mesu-res prises par le Roi guillau.me pour propager 1\'usage du hollandais. On les trouvait mal vues, rigoureuses, mal-heureuses. M. iie.mii de diiouckeiu., un des convives, et frère de M. charles de brouckere, le trop brillant orateur a la 2me Chambre des Etats-Généraux, s\'adressant courtoisement ii M. falck, lui dit: Quant a mui, j\'aurais Ivrl ilc m\'en plaindre; les mesures du roi oujllaume nic valurenl d\'éludier el d\'apprendre Ie hollandais.quot; — „ Cc n\'est pas tin grief i( mes yeuxrépliqua M. falck, avec la charmante vivacité qu\'on lui connaissait. Ce mot de yrief fut saisi au vol; un rire général le salua; on trouvait, sans doute, piquant, qu\'il s\'adressat a uu re brouckere, dont le nom rappclait l\'histoire des griefs mis en avant, en 1829, par 1\'opposition beige, et point do départ de la revolution, M. henri de brouckere passait, toutefois, pour moins anti-orangiste que son frère.
Et puisque je parle ici des saillies et de 1\'esprit de M. falck, qu\'il me soit permis de mentionner une des dépêches les plus amusantes qu\'il ait écrites. 11 était, sans donte, sérieux dans les choses sérieuses, mais, lorsque le suiet s\'y prêtait, c\'était plus fort que lui, il laissait aller sa plume, d\'oü jaillissait souvent la plus fine raillerie. Ces
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depêches, regues a La Haye, étaient commeutées par ccux qui étaient appelés a les lire, coramuniquées coniidcntielle-ment a des amis, divulguées quelqnefois par indiscrétion dans la sooiété.
C\'était, done, au temps de la rentree de M. lebeau aux aux affaires, en 1841; M. de diermcusTBiN était Euvoyé d\'Autriche. II y avait assez longtemps qu\'il se trouvait a Bruxelles, et, nommément, il y était en 1834, lorsque la populace, jioussée, croit-on, par les hommes de la revolution , se porta au pillage de quelques maisons d\'Orangistes. Ce qui avait donné lieu a ce mouvement, c\'était une sous-cription, ouverte par les partisans de la maison d\'Orange, pour racheter des chevaux qui avaient appartenu au Prince d\'orange (plus tard guillaume ii) et que le séquestre que le Gouvernement Beige avait mis sur les propriétés dn Prince, avait tirés des haras et vendus. Cette souscription ent un grand succès. Les jonrnaux présentèrent la chose comme un témoignage du désir, universel, a leur dire, en Belgique, du retour de la maison d\'okange. M. leiieau était, alors, .Ministro de la Justice. On trouva, assez géneralcment, que les exces de la populace, a Bruxelles, n\'avaient pas étc assez vigonreusement réprimés , et on alla même jusqu\'a dire qne JI. lebeau n\'avait pas été étrangcr iï cette mol-Icsse de répression. Le Comte ue dieïbichsteiiN\' avait le parler franc, la langue eflilée. 11 appartcnait, d\'ailleurs, a la haute aristocratie en Autriche, et, par cela même, regar-dait avee un souverain mépris ces hommes politiques de la Belgique, nouvellement surgis d\'une classe, a ses yeux, bien inférieure. Se rappelant ce dont il avait été témoin en 1834, il se laissa aller a dire en société, lorsqu\'il se fut agi de la rentrée, dont nous parions, de M. lebeau au Ministère: „ Tout ce que faimerais ii saroir, c\'esl, si nous aurons un ministère tie pillards simple ou s\'il y aura mixlion d\'autres clements?quot; Le propos est rapporté a M. lebeau, qui s\'en trouve piqué au vif, offensé. 11 écrit au Ministre
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dc Belgique a Vienne et fait demander le rappel du Comte. Cette démarche n\'eut pas de suite. Le Comte était trop liaut placé a Vienne pour que la plainte de M. lebeau putl\'atteindre. Tout au plus, si Ton donna l\'avis amical a M. de dietrichstein d\'etre plus prudent a l\'avenir. Mais M. falck ent lii 1\'occasion de donner un libre cours a sa plume pleine dc verve. II raconte la chose de la manière la plus fine ct la plus amusante du monde, et termine, si je me rappellc bien, par ce jeu de mots: „ Dc/nus, il esl démontra que Ie. Comte de dietbichstein aimc plus le vrai que le heau (lebeau).quot;
Et, puisqne je parle dos traits de M, falck, que j\'en cite un autre, se rattachant plus ou moins, a notre politique en Belgique. II moutait a un bal ou concert de la Cour A la porte d\'entrée des salons royaux, un des laquais, post és la, anuonge; „ M. I\'Envoy é de Sn Majesté le Rni de Hollande!quot; Autrcment dit: „de Sn Majesté le Hoi des Pai/s-Bas!quot; reprit M. falck, haussant la voix, a 1\'exemple du laquais. Tons les regards se portèrent sur M. falck, un sourire malin effleura quelques lèvres. II maintenait le titre de sou Souverain.
Encore un trait de M. falck, qui donne a connattrc combien eet homme remarquable savait user de diplomatie en tout et envers tous. Un quidam avait été a la chasse des decorations. II en avait obtenu, pour ce qu\'il avait su faire valoir comme ses mérites, de l\'Espagne, dc la Prusse. II briguait celle du Lion Néerlandais, et prétendait qu\'ellc lui tenait particulièrement a coeur. II assiégeait M. falck de ses visites, de ses sollieitations. Un jour que j\'entrais chez mon Ministre au moment oü ce eurieux personnage en sortait, je ne pus, soupgonnant ce qu\'il était venu faire, m\'erapêcher de marquer a M, falck mon admiration, dirai-je, dc la patience dont il usait onvers de parcils importuns. „Ces! le moins qu\'on puisse fairequot; me dit-il: „queames écouter!quot;
II avait pour régie, peut ctre est-ce cncore ici 1c lieu do
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le noter, de ne pas laisser de lettre, quclque futile, ridu-cule ou de.sagvéable qu\'elle fut, saus répouse. Répondre, c\'est mie des premières régies de la politesse, me disait-il. C\'est la un précepte difficile a mettre toujours en pratique. Mais la souplesse d\'esprit de M. falck lui fesait, en toute occurreuce, trouver la répouse convenable, tantót sérieuse, tantOt badine. On lit, dans les eorrespondances publiées par M. siccama, une répouse que M. falck fait, cette fois, a uu ancien ami, qui était vcnu également solliciter son intercession pour obtenir de la France la croix de la Légion d\'honueur. Cette répouse donne en plein a, connaltre le peu de prix que M. falck attachait, au fond, a ces distinctions. Pour lui-même, il ne voulut jamais que la Gr\'10 Croix de sou Gouvernement. Jesais, pertiueinment, que, lorsqu\'il fut question de lui couférer la G\'1\'1 croix de l\'ordre de Léopold, il pria le Gouvernement beige de n\'y pas peuser.
M. falck, assure-ton, refusa, a plus d\'uue reprise, le titre de Baron, que le Jlui guillaume i lui offrait. Aecoler ce titre a sou nom, ce serait se couvrir de ridicule, pen-sait-il. II estimait que ses mérites seuls, s\'il en avait, devaieut lui donner place dans l\'esprit et l\'estime de ses compatriotes, de ses contemporains. 11 ambitionnait l\'illus-tration du nom seul de falck dans l\'histoire. Etait-ce un reste de fiertc républicaine ct bourgeoise qui l\'ani-mait a sou insu? S\'il fut bon patriote, il ne fut jamais républicain, — en prenant ces deux mots, 1\'uu, éloigné de celui de palriolc dans l\'histoire de la Hollande aux derniers temps du 18 siècle, 1\'autrc, rapproché de celui de républicain daus l\'histoire de France de notre époque. Au contraire, M. falck houorait et aimait les anciens noms bistoriques; il était loin de ne pas comprcudre le prestige qu\'curent toujours, et 1\'influence qu\'exercent souvent, des noms illustres, des titres éclatants; mais les titres, il dédaiguait de s\'eu alfubler; il trouvait petit de s\'en préoc-cuper. 11 eut la satisfaction de marcher, comme simple
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M. falck ? dc pair avec les noms les plus illustres et les plus avistocratiques de l\'époque.
Mais, a en juger par tout ce que nous avons dit, M. falck eufiu, en soeiété, dans le monde, que ne devait-il pas etre? 11 répondait entièrement a l\'idée qu\'on se sera faite de lui. L\'homme affable, rhomme aimable, rhomme spiritual, rhomme d\'instruetion et de science, on rencon-trait tout cliez lui. II était abordable pour tons, et savait se raettre a la portée on a la hauteur de tons. II avait pour tous, et pour toutes, quelque chose d\'obligeant a dire. On citait de tous cótós ses bons mots, ses mots heureux, frappés toujours au coin du bon gout; il en est malheureusement beaucoup dont le souvenir m\'échappe. Partout oü il allait, et Ton comprend que ce favori de tont le monde était recherché partout, il se trouvait, comme malgré lui et a son insu, entouré de ceux et celles qui, avant tout, briguaient son entretien. C\'étaient les hommes graves; c\'étaient les femmes agées, les jeunes femmes et jusques anx demoiselles; c\'étaient les jeunes gens, qui tenaient a honneur d\'avoir été accueillis et distingués par eet homme éminent. Partout, disons-nous, cette scène, que tous contribuaient a créer, a laquelle personne ne portalt en vie, se répètait, avec les modifications sans doute que les circonstances y apportaient.
Mais c\'est chez lui que le tableau était le plus frappant. Chez lui, car il avait choisi les jeudis, en hiver, pour ouvrir ses salons a la soeiété. Ou plutót, e\'était M™ fai.ck qui prenait sur elle de faire ainsi les honneurs de la Legation. Les salons étaient petits, eu égard au nombre dc ceux qui avaient droit d\'y être invités. On dut partager le monde, et les cartes d\'invitation, les cartes de ralhome, a la mode anglaise, ne pouvaient être a la fois adres-sées a tous sans courir le risque de faire suffoquer les gens dans les appartemeuts. M. falck estimait que le maitre de la maison devait it ses botes de veiller a
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leur bien-etre aussi sous ce rapport. Néanmoins, quelques petits esprits, il faut bien le dire, se trouvèrent froissés de ne pas être compris dans toutes ou dans les premières invitations. Cela rappelle le; „ J\'en veux faire a ma Iele. II le ft, el fit bienquot; de Lafontaine.
Plus sérieux fut sans doute le mécontentement que ma-nifestérent, sous le rapport de ces invitations, tour-a-tour, les Orangistes et les gens du nouvel ordre de choses. Quelques-uns des premiers exhalaient souvent leurs plaintes de ce que M. fai.ck semblait les négliger, ne pas faire d\'eux le cas que leur fidélité a la maison royale des Pays-Bas méritait. A ces plaintes qu\'y avait-il de mieux A répondre que de montrer les hommes de la revolution mécontents, eux, de ce que M. falck ouvrait trop, disaient-il, ses salons aux Orangistes et les choyait trop? Mais, encore ici, au milieu des plaintes contraires, on ne peut s\'em-pêcher de reconnattre la mesure et le tact avec lesquels M. falck savait marcher entre les deux partis.
Entrons, maintenant, dans le cabinet, ou plutot la cham-bre de travail, de M. falck, et considérons-le un moment dans la solitude. C\'est le matin, aux heures qui précédent midi ou le suivent immédiatcment. M. falck est occupé a écrire. II fait la minute d\'unc dépêche, ou adresse quelque lettre a un ami, ou bien il écrit dans un de ces petits livres, comme il en avait toujours, en blauc, sur sa table II avait probablement pris cette coutume d\'en avoir en Angleterre. II y notait, en peu de mots, ce qui, chemin faisant, se rencontrait d\'intéressant, ce dont le souvenir lui paraissait digne d\'etre conservé, ce que le monde autour de lui offrait de piquant.
J\'ai eu la bonne fortune, par une main amie, de pouvoir prendre connaissance de ces charmants livrets. Ils sont, pour la plupart, écrits en francais. Un d\'eux renferme les notes de M. falck lors de son dernier séjour a Vienne. Rien qui vous transporte aussi bien dans la capitale de
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rAutriche, dans la société autrichienne, daus les salons dn Prince ue .mutteknich; qui vous fasse, en un mot, vivre de la vie de Vienne, de cette ville tour-a-tour sérieuse et gaie, grave et frivole.
Mais les dépêches de M. falck? Elles étaient écrites, tantot en hollandais, tantöt en francais; on a pu le com-prendre. II taisait usage du hollandais, lorsque le sujet de la dépêche était de ceux qui regardaient les affaires couran-tes, les affaires intérieures du pays; lorsqu\'elle devait, u laHaye, passer par d\'autres bureaux que ceux des Affaires Etrangères. II préférait le francais, lorsqu\'il avait a traiter un sujet auquel ce département seul était intéressé; lorsqu\'il passait en revue les nouvelles du jour, la politique générale. II écrivait des minutes et les donuait a copier; on ne peut dire des brouillons, car le tout était sans rature, et d\'une écriture claire et nette, au point de la faire par-fois préférer a celle du copiste.
J\'ai dé ja parlé de l\'humor qu\'il se plaisait quelquefois a introduire dans ses eorrespondances; je n\'ai ])as pariéde ce que ses dépêches, dans les sujets les plus ardus et les plus compliqués, offrait de facilité, de clarté, et eela en quelque langue que ce fut. 11 m\'advint, un jour, de recevoir a copier une dépêche de seize ii vingt pages in-folio de son écriture assez serrée; elle traitait de questions financières et devait accompagner M. uohret dans un de ses retours a La Haye. Eh bien! aucune rature! Je ne pus m\'empêcher d\'en témoigner mon étonnement, sinon mon admiration, a M. falck, en la lui reportant. ,,Ce n\'esl qu\'afl\'aire d\'habitudequot;, dit-il.
Je ne parlerai pas de ses lettres particuliéres, qui, sur-tout depuis la publication de M. siccama, sont entre les mains de tont le monde. Elles ne sont pas irréprochables, pour les lettres hollandaises surtout, sous le rapport de la coupure des phrases et de la pureté de la langue; mais on doit toujours se plaire i y admirer rexcelleuce et la
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tournure des idéés. Du reste, quant au hollandais, la faute n\'en est que bien partiellement :\'i M. falck. S\'il est de régie do stylo épistolairo d\'éerire comme on parle, on doit foreément, en hollandais, larder sa langue de mots batards, pris le plus souvent au frangais. Ne parlons-nous pas ainsi, en Hollande, dans notre langue de tous les jours, et ne semblerait-il pas prétentieux, ne serait il pas ridieule, de faire autrement? En francais, en anglais, e\'est différent; plus on s\'exprirae eorrectement plus on est apprécié. En Hollande, gardez-vous de parler „comme un livre!quot; C\'est ainsi que les bonnes dames hollandaises earactérisent co qui, a leurs yeux, est un travers ehez les étrangers.
Mais parions eneore de M. falck et de ses occupations. Nous le trouverons souvent parcourant des journaux, des publications nouvelles, passant en revue une collection de gravures de cboix qu\'il s\'était faite. Jamais désocuvrc, et, notez bien cela, ne se laissant jamais aller au moindro repos ou sommeil dans son fauteuil ou sur son canapé: d\'uno activité d\'esprit prodigieuse: varier ses occupations, c\'était sa maniére de se reposer. II se délectait, lorsqu\'il rece-vait une nouvelle publication, a en ouvrir les feuillets avcc le plioir. II avait, du reste, comme un instinct de ce qui pouvait se trouver de remarquable, d\'intéressant, de piquant, dans toute espèce de publication qui lui tombait entre les mains; il le remarquait oü d\'autres l\'auraient sauté. Parmi les publications du jour, les „Giiépesquot; d\'al-nionse karr fesaient ses délices. Mais, a cóté de cetto lecture légere, ne vous étonnez pas de lo trouver, un matin, avec un Pline ou un Callimaque a la main. II semble que c\'était son plaisir, parvenu maintenant aux abords de la vieillesse, d\'étudier ces auteurs latins ou grecs que les classes ne mettent ordinairement pas entre nos mains; il cliercliait ainsi a so faire une idéo propre du mouvement des esprits cbez les anciens.
II avait présents a l\'esprit ses poëtes grecs et latins,
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ses oratenrs. Souvent, cn société de savants, on l\'cnten-dait réciter, dans lalangue originale, tel passage d\'Homère ou de quelque tragique grec, tel morceau de Virgile ou d\'Horaee. II avait la plus lieureuse mémoire. II est vrai, que, sous le rapport des poëtes, il aimait a s\'entretenir de ce qu\'il savait. Malade, souffrant de la goutte, on Tenten-dait souvent redire, a haute voix, au lit, tels vers de ces favoris des Muses. Dans un martens, „Precis du dtoil des Gens moderne de I\'Europequot;, dont il s\'est servi a Londrcs, on trouve, de sa main, sur le revers blane d\'une des pages, en grec, ce prócepte d\'Epicharme:
Nijtys xai [.lénvna* (tTnijTeïv*
UQamp;ga jav ra tcov (pQBvtóv 1)
Placé entre tallevrand et palmerstox, il se donnait, a lui-même, ce memento de diplomatie, tallevramd, qui lui écrivait a Londres: „M. falck, vous n\'éles pas l\'homme de la Ilollande seule, mais celui del\'Europequot;; palmerston, Timpétueux, l\'irascible, comme je le lui ai entendu dépeindre a la Haye 1).
On s\'attendrait, d\'après cela, a ce qu\'il efit une biblio-théque volumineuse. Elle se coraposait tout au plus d\'une couple de centaines de volumes. M. faick, probablement, jugeait, avec raison, qu\'un diplomate, sujet a des déplacements, ne devait pas s\'embarrasser d\'un nombre infini de livres. Ceux qu\'il avait sous la main étaient, principalement, les livres d\'un usage journalicr pour l\'bomme politique: recueils de traité, etc. — books of reference, comme il le disait lui-même, se servant de l\'expression anglaise. II y joignait quelques auteurs favoris, en diverses langues; quelques
Veille et souvieos toi de te mefier;
C\'est la une article de sagesie.
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ouvragcs historiques, notarament ccux qui lui rappclaient la patrie ct les temps qu\'il avait vus se développer sous ses yeux. Pour ie reste et les ouvrages de recondila crudilio, ce sont les bibliothéques publiques qui y suppléaient.
Et comment en aurait-il été autrement, lui, pour qui ancune partie du champ des connaissances humaines ne restait inexplorée? Le croirait-on? Le diplomate, Thomme dn monde, s\'occupait memo de théologie! C\'est ainsi qn\'on le vit, pendant quelque temps, avoir des conférences régulières avec le rabbin so.mmeriiause.n, a Bruxel-les. Ce fut sous l\'infiuence de eet érudit israélite qu\'on le vit visiter la synagogue en cette ville. Que cherchait-il, M. falck? Ce que nons cherchons tons a connaitre, que beaucoup se perdent a poursuivre, d\'autres se flattent d\'etre parvenus 4 savoir. 11 est des hornes au-delu des-quelles l\'esprit humain ne saurait atteindre ....!
Mais, pour M. falck, on ne saurait assez parler de l\'universalitè de ses connaissances. 11 avait, jeune encore, étudié les philosophes allemands; les auteurs frangais et anglais lui étaient familiers; il avait lu les auteurs espa-gnols; 1\'italien, le suédois, le danois, ne lui étaient pas étrangers. Mais ses connaissances ne s\'arrêtaieut pas a savoir les langues; il était maitre dans les sujets oil l\'on s\'y serait le moins attendu. Un jour M. gachard, 1\'archi-viste, était la; M. falck lui parlait des Archives et des recherches qn\'il y avait a y faire, fout comme si lui-même était l\'archiviste et M. gacuard le profane interlocuteur.
11 me reste a parler de M. falck comme homme, — de sa valeur morale, de son caractére. C\'est une partie de son éloge qui ne rentre qu\'imparfaitement dans ce que le titre do eet écrit annonce; mais comment abandonner le sujet sans y ajouter le couronnement qui vient comme s\'offrir de lui-même. M. falck est un de ces hommes rares qu\'on ne pent analyser sans admirer, dont on ne peut parler qu\'en en faisant l\'éloge. On a entrevu ce qu\'il était en
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contact avee les Princes; on a compris cc qu\'il était clans les négociations; on l\'a vn dans la politique générale; nous I\'avons suivi clans ses rapports avec le monde littéraire, en société; nons avons taché de l\'épier clans son cabinet et dans ses occupations intimes. Tons reconnattront, dans ce que nous en avons narré, le cachet de rhomme supérieur. En effet, ou nous nous trompons, on, si M. falck n\'a pas joui de 1\'avantage de partager le renom et la gloire des hommes qui out ocoupé, dans les derniers temps, l\'avant-scéne du théatre politique, il aurait infailliblement pris place parmi eux, si la destinée reut mélé auxévéne-ments qui ont agité et tronblé les grands Etats dc I\'Europe. Mais cela même, comparé au nom qu\'il a laissé chez les plus autorisés a en juger, nous dit que ce n\'est pas un costume d\'emprunt dont nous avons voulu I\'affnbler en parlant de sa snpériorité, que ce n\'est que la réalité que nous avons signalée.
Et que sera-ce, si, sortant encore un peu des strides bornes de notre sujet, il nous plait de nous élever a parler de rhomme en lui-même, de l\'homme considéré sous le rapport des qualités morales, des qualités du coeur? Ici encore, nous ne saurions oü commencer. Ni capricieux, ni colère; d\'humeur égale et presque toujours gaie ; toujours abordable pour chacun; homme compatissant sans faiblesse; homme de coeur; homme de bon conseil, sccourable, généreux ; franc et lo3-al, (quoique diplomate); probe, fidéle dans les amitiés, ajonterons-nous excellent époux? Mais c\'est, en mcme temps, faire l\'éloge de M™ falck, aupres de qui il aurait été difficile de ne pas être bon.
„ C\'était done un homme saus défauls!quot; me dira-t-on. „ Quel homme est sans défaulsquot; ? répondrai-je avec le poète. Mais, chez M. falck, les défauts, s\'il y en a, ne se montrent pas. Nous avons de la peine a en signaler, dans sa vie publiqne aussi bien que dans sa vie privée. On lui a
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reproché la légèreté, la raillerie. La légèreté ! C\'est qu\'il lui était impossible de voir tout en noir, et rien qu\'en noir, dans les affaires publiques. „Tont s\'arrange de soi-même, c\'était son dire, lors qu\'on fatiguait son esprit de noires prévisions. II se moquait légèrement de ses compatriotes surtout qu\'il ne voyait que trop enclins a rembrunir plus que de raison, dans leur imagination, l\'horizon politique des évènements. Son esprit vif, mis souvent en face d\'une vérité palpable, se laissait aller a des mots spiritucls, piquants, qui tran-chaient dans Ie vif. II était peut-être quelquefois imprudent en cela; c\'étaient souvent des personnages, des princes et des rois, qui étaient mis en jeu. On assure que des propos de ee genre, peu charitablcments rapportés, lui nuirent quelque peu dans l\'esprit de ouh.laume i. Nous pardonnons volontiers ce travers è, M. falck, s\'il a existé. II ne prenait pas sa source dans le coeur, nous en sommes persuadé. \')
Parlerons-nous, enfin, du physique de M. falck? La politique n\'a-t-elle rien a y voir, et les historiens ne par-lent-ils pas de la beauté d\'Alcibiade? M. falck, a l\'époque dont il est question, avamjait déja dans sa G0ime année, comme on l\'a vu plus bant. II était d\'une stature avan-tageuse. Sa taille avait pris 1\'épaisseur que l\'age donne d\'ordinaire, mais il n\'y avait pas l\'ombre d\'obcsité en sa personne. On pouvait reconnaitre en M. falck le bcan cavalier de la jeunesse. II était bien proportionné sous tous les rapports. II avait le visage ovale, le front liaut, lenez bien formé, les lévres fines, la bouche moyenne, lemen-ton légèrement pointu. La tête était bien fournie dc cbe-veux; d\'un blond foncé, presque brun, dans le bel age, mais fortement grisonnant dans le treiziéme lustre de la vie, — tant soit peu bouclés. Point de favoris, ni mousta-
1) Tacite (Ann. V 2,) dit, en parlant de FuGus; » ... dical idem, ct Tib c-rium neer bis fa cellis inridere ioliius, quarum apud praepotenies in longum wemoriti est.quot;
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ches. Le portrait que l\'habüe kruseman , d\'Amsterdam, a point, quelque temps avaut la venue de M. fa lok 4 Bruxelles, pièce artistique, comme lui-même 1\'a qualifiée, et qu\'il a légué a Utreolit, sa ville natale, rond l\'imago que nous tachons de décrire, quoique on y décèle les traces des souffrances auxquelles M. falck était sujet. Les portraits, quelque bien qu\'ils soient faits, ne représentent 1\'homme qu\'a un moment donné; on clioisit celui qui est le plus naturel, le plus avantageux. Mais, pour M. falck , la mobilité des traits, reproduisant fortement les mouve-ments de 1\'ame et les idéés qui la traversent, cette mobilité donnait ii sa figure un jeu presque incessant; plein de charme, lorsque, inconscient, il plaisait ou voulait plaire; sévère, lorsqu\'il le fallait. L\'ari le plus parfait ne saurait rendre cela. Ses yeux, frisant le bleu, ou grands et ouverts ou dans leur état naturel, la paupière de dessus recouvrant légèrement le bord supérieur de la prunelle, venaient merveilleusement en aide a l\'expression que, selon la circonstance, prenait la figure. La paupière, qui s\'abaissait sur la prunelle dans le repos, donnait, en outre, au regard de M. falck, une expression de finesse indi-cible. Aussi mettf.rnich, Ie grand Chancelier, dit, rap-porte-t-on, de M. falck: II m\'a toujours Vair d\'avoir dans sa poche un secret don! il ne laissc voir r/u\'un pelil bout!quot; Assertion qui dit vrai aussi sous le rapport de la finesse et presque de l\'astuce qui accompagnaient M. falck, mais dont, a son honneur, il n\'a jamais fait usage que dans les buts les plus avouables. La goutte avait estropié M. falck, al\'age oü il était parvenu. Les doigts de la main droite ne tenaient plus la plume qu\'avec peine. On ne comprend pas comment M. falck parvenait a la manier, et l\'on ne ponvait, saus quelque admiration, le considérer tragant encore avec rapidité les caractéres d\'une écriture si nette. Son pied droit lui refusait aussi, par suite de la goutte, le service ordinaire. II marchait appuyé sur sa
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canne-béquille. Souvent, dans mon imagination, jolecom-parais sous ce rapport a M. de talleyband, (lont j\'avais, dans mon tout jeune age, eu l\'occasion d\'approcher en soeiétó a Londres. Mais M. falck, d\'ailleurs moins agé, couservait, même dans ses diffovmités, une grace qui les fesait presque aimer.
Je m\'arrête iel. Non que je ne puisse encore entrer dans plus de details sur eet homme plus qu\'intéressant, mais par crainte d\'excéder les hornes que je me suis prescrites dans ce travail, en n\'y voulant montrer M. falck que ce qu\'ilfut, ce qu\'il s\'est fait voir a moi, a Bruxelles. Peut-être même trouvera-t-on qu\'a eet égard, j\'ai laissé prendre a ma plume plus d\'essor qu\'il ne fallait; que eet écrit ne répond pas strictemcnt au titre de la grave publication ou accueil lui est dounc, et laquelle n\'appartieut. proprement dit, qu\'aux matières de droit international. Mais était il possible de no voir, a Bruxelles, M. falck que dans les négociations, et, tout au plus, dans ses rapports politiques avec la Cour et le monde autour de lui? C\'est ce qui m\'a entrainé a parler de sa vie privée; a donner des détails, peut-être de peu d\'importance en eux-mêmes, mais toujours de quelque inférêt a connaitre, lorsqu\'ils se rapportent a un homme aussi éminent. J\'ai voulu, en même temps, les consigner ici, pour qu\'ils ne fussent pas perdus, et que, si jamais un nouveau Plutarque se plaisait a re-tracer les particularités de la vie de M. falck, il trouvat, dans cette esquisse, de quoi compléter son oeuvre.