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LESSING

ET LA THÉOLOGIE ALLEMANDE AU XYIIP SIÈCLE.

DISSERTATION

PRESENTEE A LA FACÜLTÏÏ THEOLOGIftUE LIBRE

DU CANTON DE VAUD

POUR OBTENIR

LE GRADE DE UCENCIÉ EN TEÉDLOGIE

PAK

F. 12. DAUBAHTTOTir.

Cand. au St. Ministère.

AMSTERDAM,

D. B. CENTEN. 1878.

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LESSING

ET LA THÉOLOGIE ALLEMANDE AU XVIIP SIÈCLE.

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LESSING

ET LA THÉOLOGIE ALLEMANDE AU XVIIP SIÈCLE.

DISSERTATION

PËÉSENTÉE A LA FACüLïE THËOLOGIdUE LIBRE

DU CANTON DE VAUD

PU Uil (JUTEN IR

LE GRADE DE LICENCIÉ EN THÉOLOamp;IE

PAK

F. E. DAUB AUTÏ\'OIV.

Cand. au St. Ministère. _________________________

RIJKSUNIVERSITEIT UTRECHT

0326 1132

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P R Ë F A C E.

Les parjes suivantes sont conmerées a l\'étude de l\'oeuvre de Lessing. Non point de cette oeuvre toute-entière — car si nous nous arrêtms aux travaux littérair cm et dramatiques de ce vaste esprit, ce nesera qu\'en passant-cela ne sera que dans le but de faire ressoHir les traits marquants de cette individuality si richement douée. L\'objet de notre étude est Lessing\'pour autant qu\'il a exercé une influence sur la pensée théologique.

Ce n\'est pas que nous voijons en Lessing un théologien. L\'objet^ proprement dit de la théologie chrétienne lui est resté étranger: il n\'a rien mains été que dogmaticien, la science théologique ne lui doit le développement d\'au. cune doctrine^ positive. Elle lui doit d\'avantage: Lessing a revendiqué ses droits de science, sa liberté. Lessing est Ihomme de la méthode. II ne nous dit pas ceci est vrai, mais il nous enseigne comment il faut s\'-y-pren-dre pour^ trouver la vérité. G\'est done un réformateur de ce quon nomme le principe formel de la théologie.

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PREFACE.

Cétait dans la nécessité des chosen que la premiere activité de Lessing fut negative: il eut a détruire tout Véchafaudage que 1\'orthodoxisme scolastique avait érigé, tous les remparts élevés autour de Vancien systbme pour le maintenir intact, pour le protéger contre les attaques de la critique.

Comme la publication des Fragments de Wolfenbuttle a conduit noire critique a exposer ses vues thèologiques, le plan de notre travail est clairement indiqué. Dans un chap it re premier nous retracerons Petal du monde tkéolog ique a Vépoque de Lessing. Ensuite, la per Sonne de Lessing lui-même fixera notre attention: nous demanderons a sa correspondance ce qu\'il a été. Un troisième chapitre, consacré a I\'histoire de la publication des Fragments de Wolfenbuttle se deviser a en deux parties: la premiere sera historique, la seconde sera critique.

VI

II me serait impossible de terminer ces lignes sans y joindre Vexpression de ma sincere reconnaissance pour M.M. les professeurs- de la Faculté théologique, sous les auspices desquels fai fait mes premieres études.

D.

L E Y D E, Septembre 1878.

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TABLE DES MATIÈRES.

Pag.

PREFACE.

Chapitre Premier. Ètat de la théologie au moment de Lessing . . 1 Chapitre Dcuxième. Gottliold Ephraïm Lessing. (d\'Après sa eor-

respondanee)............................. 19

Chapitre Troisième. Fragments de Wolfenbuttle. Première Partie.

Historique............................... 48

§ 1. Contenu des Fragments de Wolfenbuttle......... 49

I 2. Lessing, Editeur des Fragments de Wolfenbuttle..... 58

§ 3. Lessing, Critique des Fragments de Wolfenbuttle .... «(j

§ 4. Les adversaires....................... YO

§ 5. La polémique........................ SO

§ U. G. E. Lessing, pendant la lutte provoquée par la publication des Fragments de Wolfenbuttle. (d\'Après sa

correspondanee)......................103

Deuxième Partie. Critique..........................

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TABLE DES M ATI ERE S.

Première Section. Lessing et Schumann................110

§ 1. L\'expérience et Thistoire...................112

§ 2. L\'histoire evangelique et la verite religieuse.......117

§ 3. Jésus de Nazareth, et Jesus Christ le Sauveur du monde. 118 § 4. La conscience chrétienne et la conscience religieuse ... 121 § 5. La conscience chrétienne et l\'histoire evangelique .... 130

Deuxièrae Section. Lessing et Goeze.................132

§ 1. Le Canon et la tradition..................133

§ 2. Le Canon et le Christianisme...............146

§ 3. Le Canon et le théologien.................152

Conclusion................................1^7

Theses..................................1^1

Avis de la Faculté de théologie....................165

Sources et ouvrages consultes.....................167

VIII

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CHAPITRE PRÉMIER.

ÉTAT DE LA THÉOLOGIE AU MOMENT DE LESSING.

Le mouvement theologique issu de la Reformation s\'était arrêté. Le souffle génereux qui avait inspire les esprits et les coeurs au seizième siècle avait été etouffe par I\'incredulite sous sa forme la plus dangereuse: j\'entends par la soolas-tique orthodoxiste. Le caraetère de la pensee ohrétienne, essentiellement progressif, avait été méconnu par I\'école conservatrice du dix-septième siècle \'). Dépourvue de l\'élément éthique, de la force vitale de l\'orthodoxie, la scolastique tom-berait a la moindre attaque et tous ses efforts pour se main-tenir n\'aboutiraient qu\'a sa bonte Lentement affaiblie, la scolastique eut une longue agonie. Elle traina une existence déplorable, bouteuse d\'être le jonet d\'un rationalisme aussi téméraire que superflciel et qui exerya dans les universités une domination, en definitive néanmoins épbémère. L\'influence scientifique des hommes de l\'extrême droite devint nulle. On put voir que le dogmatisme immobile avait eu son temps. Ses partisans le sentirent. Regrettant le seizième siècle ils

i) Jede Heterodoxie galt jetzt für Ketzerei, also für eineii den Glau-bensgrund umstürzenden Inthum. (Pelt.)

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eusaent voulu etre les Luthers du leur: chose impossible car la profondeur de la foi de Luther, son génie créateur, leur faisait defaut. Quoiqu\'ils eussent sous les yeux les riches trésors légnés par les pères la mine d\'ou ceux-ci les avaient tirés leur était fermée. La force productrice et formatrice manquait. Bntièrement préoccupés du soin de raaintenir et dedéfendre les idees transmises par le passé, les esprits ne pouvaient songer a l\'avenir.

Quand 1\'orthodoxie devient conservatrice quand-même, elle aboutit toujours a une contradiction dans les termes. Seule-ment, il faut nn certain temps avant que la contradiction apparaisse au grand jour. Dans les débuts de ce procés de dissolution, 1\'orthodoxisme se montre dur. II est jaloux de gon empire et habitué au consentement des masses. La du-reté est le yoile qui cache sa première crainte. Ses contra-dicteurs sont rares et facilement écrasés.

Le conservatisme théologique allemand traita Calixte \') et ses disciples de mal-venus, d\'hommes dangereux. Pour ne pas s\'être prosterné devant la Formule de Concorde, Calixte se vit en butte a ia fureur théologique. Son crime était d\'avoir conyu comme possible l\'union des protestants dans 1\'amour fraternel malgré les différences dogmatiques. On ne refuta pas ses arguments, on repoussa ses idéés !). On ne lui montra pas ce qu\'il y avait de superficiel et d\'in-conséquent dans le synchrétisme, on ne lui rappella pas que la pensée protestante, que la pensee chrétienne doit réaliser sa mission en se mouvant sans cesse pour enfin parvenir a connaitre Dien, comme II nous aconnus: oh non! l\'ortho-doxie régnante trouvait sans doute l\'apötre Paul lui-même

\') 1516—1650.

2) Du reste Boeker pasteur orthodoxe a Hambourg n\'avait-il pas nommé les réformés (die Calvinische) des «voleurs spirituelsquot;, des «brigandsquot; — et leur doctrine »du feu et du poisonquot;?

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troplarge; ses coryphees condamnent purement et simple-ment Calixte, et pour toute réponae a ses plaintes ils lui ferment la bonche.

Calixte tombé, Ie procés de petrification se continue au sein de 1\'orthodoxisme.

Le système mourant résiste au mouvement de la vie et de la pensee. II se cristallise de plus en plus complètement a mesure qu\'il repousse le veritable esprit du Christianisme: esprit de vie et de mouvement. Méprisée pour un moment par la science théologique officielle, la pensee vivante s\'orga-nise sans cette science, malgre elle, contre elle, pour enfin s\'établir sur son tróne: reine heureuse si elle ne méconnait pas son origine.

Calixte vaincu, la scolastique s\'afürma plus tyranniquement que jamais. Elle voulait établir définitivement ce qu\'elle appelait l\'unité, en réalité l\'uniformité ; mais le piëtisme dont Spener \') fut l\'interprète et le principal représentant et Halle le centre scientifique fut la reaction rendue nécessaire par le dogmatisme. Ce fut la vie chrétienne revendiquant ses droits contre l\'arrogance de la pensee formelle. Je n\'ai qu\'a rappeler au souvenir de mes lecteurs les cercles religieux de tout genre que créa le piétisme et 1\'opposifion haineuse que »rorthodoxiequot; nourrit contre eux. On sait qne cette protestation contre le système privé de la vie n\'avait pas la force intellectuelle de créer un système nouveau. C\'est la même une des causes de son impuissance. Mouvement essentielle-ment Isïque et pratique, il ne trouva pas de formules pour agir sur le monde pensant et dépérit en se corrompant. A cóté du formalisme de la pensee, l\'Allemagne religieuse ent bientót le formalisme de la pratique !). Aussi vit-on, après

■) 1635—1705.

-) On est en droit, de dire que le piétisme dénaturé a contribné en grande partie au succes de 1\'Autklarung que nous allons caractériser plus bas. Nicolaï, élève de 1\'orphelinat de Halle parle amèrement de la «Kopf-

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qnelque temps les orthodoxes et les piétistes, ces enaemis jurés, se tendre la main. lis fireut front d\'un commun accord contre la philosophie de Wolf et contre le rationalisme, mais dans la defense du bien commun le piëtisme n\'eut certes pas le premier róle.

Le trait marquant de l\'ortliodoxie, a l\'époque de Lessing, se trouve dans l\'importance exagérée qu\'elle attribuait au principe formel de la théologie. Au lieu de pénétrer dans l\'essence du Christianisme et de présenter la vérité éternelle a la conscience humaine qui a son contact se reconnait pé-cheresse; au lieu d\'avoir foi dans la puissance de la vérité elle-même, on mettait 1\'accent sur l\'autorité des Écritures, appuyée sur une théorie mécanique de 1\'inspiration \'). Les théologiens ne laissaient pas d\'étayer cette théorie sur tout un échafaudage de laborieuses déductions; a force d\'arguments, ils prétendaient démontrer et l\'accomplissement des prophé-ties, et la sainteté des Apotres et les miracles accomplis par le Christ et par ses Apótres et enfin au moyen de tout cela l\'infaillibilité du canon \'). Comment les laïques auraient-ils pu se débrouiller dans ce dédale ? Ils ne pouvaient se sou-mettre a la Bible que sur l\'autorité des savants. N\'oublions pas il est vrai que Calov avait tenu compte de 1\'impression immédiate produite sur la conscience du fidele par les Saints Livres — mais de ce qui en lessort il y a loin a 1\'idée d\'un

hangerei des Pietismus.quot; Les édncateurs de Halle interdirent a leurs élèves les études littéraires. En revanche Nicolaï a pu dire de cette éducation; «La religion est restée sans inilaence sur ma vie quot;

\') Dans sa polémique avec Lessing, Goeze écrivit une phrase caracté-ristique. /\'II est seulerncnt permis aux hommes intelligents et bien affer-misquot;, dit-il, »de faire des objections modestes contre la religion ehré-tienne et méme contre la Biblequot;, C\'est bien la préférer l\'écorce au fruit!

2) Sie beschaftigten sich mit dem Beweise der dogmatisehen Lehren aus der Schrift und der Vertheidigung derselben durch Hülfe der Scholastik. K. G. Bretschneider: Handb. der Dogmatik § 12. p. 68.

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Canon absolurnent infaillible — et c\'était dans la logique des choses que cette preuve «mystiquequot; fut reléguee a 1\'arrière-plan. La pensee formelle comme telle est étrangère anx mouyements de la conscience. Bientót on vit l\'ancienne école de Tubingue rejeter cette preuve comme »peu clairequot; et »peu évidentequot; — et l\'idée superfieielle, toute extérieure, que Goeze et les hommes de son bord avaient de la théopneustie sug-géra a Lessing cette question indignée: »Comment la vérité révélée n\'a-t-elle pas laissé de traces ?quot; \') L\'orthodoxisme du reste tirait hardiment les consequences de sa théorie. A en croire Groeze, sans les livres bibliques la moindre trace de ce que le Christ a fait, de ce qu\'il a dit, aurait disparu: rien ne serait resté de 1\'oeuvre rédemptrice!

Ce fut pourtant cette consequence, cette rigueur logique, qui assura a rorthodoxisme les sympathies de la fonle, qui lui permit de garder ane ferme attitude au milieu des Aufklarer portés aux compromis, et qui lui concilia même les égards de Lessing. L\'ancienne doctrine fut maintenue par ces or-thodoxes de la vieille roche, et malgré tout ce bagage dia-lectique le penple allemand religieux y resta attaché. Par amour pour le trésor on obéit a ceux qui le gardaient, quand-même ces gardiens l\'avaient inconsidérément enfoui sous la terre. Les hommes de la science se détournèrent de l\'ancien système. La pensee indépendaute poursuivit sa marche lais-sant derrière elle la doctrine pétrifiée, mais en la respec-tant. C\'est ce que Lessing dit si bien dans sa lettre du 2 Pévrier 1774, diatribe lancée contre les Aufklarer: »Du verstehst sehr unrecht mein ganzes Betragen in Ansehung der Orthodoxie. Ich sollte es der Welt misgönnen, dass man sic mehr aufzuklaren suche ? Ich sollte es nicht vom Her-zen wünschen dass ein Jeder über die Religion vernünftig denken moge? — — Nicht das unreine Wasser, welches

\') WW X; 139.

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langst nicht mehr zu branchen, will ich beybehalten wissen: ich will es nur nicht eher weggegossen wissen, als bis man weiss woher reineres zu nehmen; ich will nur nicht dass man es ohne Bedenken weggiesse und sollte man auch das Kind hernach in Mistjauche baden, ünd was ist sie anders, unsere neumodische Theologie, gegen die Orthodoxie, als Misjauche gegen unreines Wasser? Mit der Orthodoxie war man, Gott sei Dank, ziemlich zu Rande; man hatte zwischen ihr und der Philoaophie eine Scheidewand gezogen hinter welcher eine Jede ihren Weg fortgehen konnte ohne die andere zu hindern.....quot; \').

A cote de l\'orthodoxie scolastique, dont Goeze fut le principal représentant, on vit une fraction conservatrice occupée a défendre le Christianisme orthodoxe contre les attaques du naturalisme francais et du deisme anglais, tache qu\'elle n\'ac-complit que d\'une manière fort imparfaite en concédant bien des points importants a ses adversaires, en interprétant les dogmes ecclésiastiques dans un sens que ne permettait pas l\'exégèse historique, et surtout en abandonnant la defense de 1\'element spécifiquement chrétien sur le terrain philosophique.

Partni les représentants de cette tendance on compte l\'exe-gète Nösselt. II s\'occupait surtout de morale pratique. Sa »Vertheidigung der Wahrheit und Göttlichkeit der Christli-chen Religionquot; est penetree de 1\'esprit scolastique. L\'auteur s\'applique a prouver la vraisemblance, la pofssibilité et l\'uti-lité de la revelation. Nous avons la revelation dans les livres de la Bible, dont 1\'authenticité est ensuite établie. Plus tard il se sépara de l\'école traditionnelle par ses vues sur l\'expi-ation. La publication des »Pragments de Wolfenbuttlequot; lui fit de la peine sans qu\'il se sentit de force a prendre part a la lutte provoquée par eet acte de Lessing.

G. Less, professeur a Göttingue,oocupe une place remarquable

\') WW XII.- 408.

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parmi cea orthodoxes modérés, II s\'est oppose toute sa vie aux progres du rationalisme. Son ouvrage principal, intitule » Beweis der Wahrheit der Christlichen Religion** est res té inachevé. gt;Die Anferstehungsgeschichte Jesu nach den vier Evangelisten*\' est dirigée contre les Fragments de Wolfenbuttle. Less peut être considéré comme le type de sa tendance. Les gt;Moyens de Gracequot; sont pour lui les »Moyens de Vertu.quot; II considère comme constitutifs du christianisme les dogmes suivants: II y a un seul Dieu; la loi de Moïse est abolie; Jésus est le bauveur de Tunivers; Tame est immortelle. On voit ici la trilogie du déisme.

L orateur de cette fraction et qui a exercé la plus grande influence sur le public, G. J. Zollikofer, fut \'un de ces the\'o-logiens conservateurs qui ont puissamment servi la cause dn rationalisme. Sur sa pierre tumulaire on lit ces paroles;

Er lebt hier fort durch seine Lehren,

ünd lebt dort in den Geisterspbaren,

Wo Sokrates und Jesus lebt.

Comme hommage rendu au maitre par ses disciples, ces vers nous permettent en quelque mesure de juger de l\'esprit de celui-ci.

Toute cette fraction fait l*effet d\'une armee battant en retraite. Ces hommes ont abandonné le système orthodoxe, lis reconnaissent que la critique a mine\' les bases de Tédifice, que celui-ci va crouler. lis veulent cependant sauver la partie essentielle. Malheureusement c\'est ici qu\'ils s\'égarent. Au lieu de s\'attacher aux principes matériels, ils s\'en tiennent au cóte formel. Ils auraient dü choisir quelque dograe capital, l\'ana-lyser, en approfondir le sens pour en montrer la valeur reli-gieuse, éternelle et indépeudante de la formule; continuant ce travail ils auraient dü indiquer l\'intime relation existant

entre le dogme choisi et les autres dogmes____Mais l\'édu-

cation théologique que l\'orthodoxie leur avait donnée ne le

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permettait pas. Le principe formel dominant tonte leur oeuvre, ils ooncentrent toute leur attention sur le besoin de sauver l\'infaillibilité de la Bible. Ils ne se doutent pas de la distinction entre la théologie biblique et la dogmatique. La Bible est a leur yeux la seule source de la connaissauce cbrétienne. La se trouve le dépot de la révélation «nécessaire, possible et réelle.quot;

Les armes dont on se sert pour la défendre sont des rai-sonnements philosophiques empruntés a l\'arsenal de l\'adver-saire. Dans ce temps de rationalisme on se fait rationaliste presque sans s\'en douter. On se met au point de vue de l\'ad-versaire. On adopte ses premisses — sans en vouloir toutes les consequences. C\'est ce qui rend bien faible la valeur thé-ologique de cette école. Ces hommes oscillent entre les deux póles opposes, entre le libre examen — plus superficiel encore que vraiment libre, représenté par le déisme — et Ia soumission a l\'autorité extérieure. Ils ont ruiné le principe d\'auto-rité en employant le libre examen. De la leurs innombrables compromissions, leur isolement, et la durée éphémère de leur influence. Lessing a trés bien caractérisé ces sémi-rationalistes. Was thut man nun? demande-t-il. Man reisst die Scheidewand (zwischen der Orthodoxie und der Philosophic) nieder, und macht uns unter dem Vorvvande, uns zu vernünftigen Christen zu machen, zu höchst unvernünftigen Philosophen. Ich bitte dich, lieber Bruder, erkündige Dich doch nur nach diesem Punkte genauer, und siehe etwas weniger auf das, was unsere neuen Theologen verwerfen als auf das, was sie dafttr in die Stelle setzen wollen. Darin sind wir einig dass unser altes Religionssystem falsch ist: aber das möchte ich nicht mit Dir sagen dass es ein Plickwerk von Stümpern und Halbpbilosophen sey. Ich weiss kein Ding in der Welt. an welchem sich der menschliche Scharfsinn mehr gezeigt und geübt hatte, als an ihm. Plickwerk von Stümpern und Halbpbilosophen ist das Religionssystem, welches man jetzt an die Stelle des alten setzen will; und mit weit mehr Einfluss auf Vernunft und

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Philosophie als sich das alte aumasst. Und doch verdenkst Du es mir, dass ich dieses alte vertheidige? Meines Naehb\'jrs Haus drohet ihm den Einsturz. Wenn es mein Nachbai ibtra-gen will, so will ich ihm redlich helfan. Aber er will es nicht abtragen, sondem er will es mit ganzlichem Ruin meines Hauses stützen und unterbauen. Das soil er bleiben lassen, oder Ich werde mich seines einsturzenden Hauses so an-nehmen, als meines eigenen \'). Ich ziehe die alte, orthodoxe — im ürunde tolerante Theologie, der neuern im Grunde intole-ranten — vor, weil jene mit dem gesunden Menschenver-stande offenbar streitet, und diese ihn lieber bestechen möchte. Ich yertrage mich mit meinen offenbareu Feinden, umgegen meine heimlichen desto besser auf meiner Hut seyn zu können \').

Quelque respectable que fut la vie religieuse de plusieurs d\'entre ces hommes, et quelque sérieux que füt leur but, il faut reconnaitre la justesse des paroles citées. En théologie ils ont voulu concilier deux principes qui se contredisent.

Tel était 1\'état du monde théologique orthodoxe quand fatiguée de eet esclavage spirituel la pensee allemande secoua ses chaines. L\'orthodoxisme dépourvu de profondeur religieuse et morale avait cache son vide sous des formules empruntées a un passé respectable, mais qui entravaient le développement nouveau. Les formules mises de cóté, l\'absence de profondeur morale se traduisit dans nn travail intellectuel extrêmement superficiel. La conscience n\'y eut aucune part. L\'esprit alle-mand chercha son salut dans le rationalisme, enfaut d\'une philosophie absolument étrangère au génie germanique, j\'entends du déisme. L\'Allemagne scientifique pour accepter le rationalisme a dü trainer dans la bone ses plus saintes traditions.

Le déisme n\'est pas allemand. Importé de l\'Angleterre il fit cependant des progrès rapides dans les esprits du conti-

\') Lettre du 2 Février 1774. 3) Lettre du 20 Mars 1777.

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nent\'). Le premier ecrit déiste publié en AHemagae fut celui de Gebbardi, »Sur les miracles dans la Biblequot;, ouvrage super-ficiel, mais qui fit fortune grace a la disposition des esprits. Ce fut le signal. Le torrent déiste déborda sur l\'Allemagne. Baumgarten appliqua la méthode de Wolf a la théologie; J. D. Michaëlis n\'attribua qu\'une valeur tout extérieure et fbrmelle a la révélation. Ensemble ils travaillêrent en faveur des idees nouvelles, sans en prévoir toutes les conséquences. Ces hommes, ainsi que le conservateur Semler, représentent une eapèce de lamentable »Juste-Milieu.quot; Ils sont les théolo-giens de l\'Aufklarung, les précurseurs du rationalisme vulgaire.

La faveur royale assnra un succes brillant aux efforts des déistes. II fut de bon ton de faire de la théologie terre a terre et de mettre les maximes d\'une morale utilitaire et privée de toute élévation a la place de la piété altérée de l\'idéal. Une boutade, une grossièreté lancée contre le3»Chekersquot;, les gt;Fafen,quot; les »Mukersquot; contre les gt;Thiere sonder Vernunft,quot; nomspar lesquels Frédéric II désigna les théologiens de tonte tendance, ouvrit la porte royale de Potsdam au premier polisson venu \'). Mais le tyran, dégoüté bientót de la presence de Mr. de Voltaire qui s\'était engage dans une honteuse spé-culation, ent peur des traités déistes de Gebhardi. II défendit de les réimprimer \'). Ce qu\'il n\'était pas en son pouvoir de

\') La philosophie de Wolf, foncièrement anti-supranaturaliste, lui avait préparé la voie. ï/étroit successeur de Leibnitz ayant soutenu I\'impossibi-lité de 1\'intervention divine en notre monde, avait. déorété l\'autorité absolae de la raison en matière religieuse. Est vrai ce qui est évident a la raison.

a) Lessing pensant au roi railleur dit tres juste: Gott bat keinen Witz, und die Könige sollten auch keinen haben. Demi hat ein König Witz, wer stebt uns für die Gefabr, dass er deswegen einen ungereehten Aus-sprucb thut, weil er einen witzigen Einfall dabey ausbringen kannf WW. XI: 749.

\') Le fait que Frédéric II ne voulut pas de Lessing pour bibliothéoaire, qu\'il ne prit pas eonnaissance de la revolution accomplie dans le domaine

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contenir c\'etaieni les passions envieusea et la fierreuse acti-vité de la coterie berlinoise dont le libraire Nicolaï était rame et l\'interprète iufatignable \'). Elle avait a sa tête les pbilosophes rationalistes de Berlin. Ceux-ci ne brillaient gnère que par leur satisfaction d\'eux-mêmes. lis ne sortaient pas du terre a terre, mais n\'eutendaient pas non plus permettre a qui que ce soit d\'amp;utre d\'en sortir. lis s\'effo^aient de trainer dans la boue tout écrit inspire par quelque généreux élan, par quelque aspiration poétique. Lavater et Goethe, Herder et Kant, tous ces hommes qui font la gloire de 1\'Al-lemagne et de l\'humanité, ils les traitaient de rêveurs, de fous, de Jésnites. Toute vie religieuse s\'élevant au dessus de la morale des honnêtes gens fut traitée d\'aliénation mentale ou d\'hypocrisie. Ce fut l\'age d\'or dn gros bon sens appelé a détróner • le génie. Goethe dans un moment de mauvaise humeur adressa les vers suivants a Nicolaï:

Was du mit Handen nicht greifst,

Das scheint Dir Blinden ein Unding, Und betrachtest Du was,

Gleich ist das Ding auch beschmutzt.

Lessing flagella leur ridicule vanité dans sa comëdie »Der Freigeist.quot;

Quant anx Nicolaïtes ils faisaient imprimer la «Biblio-thèque allemande universelle,quot; éditée par Nicolaï, triste re-cueil des élucubrations au moyen desquelles nos profes-seurs se figuraient pouvoir offrir une pature suffisante aux esprits cultivés. Les rédacteurs étaient prolifiques. Peut-être pensaient-ils suppleer par la quantité a la qualité. L\'AUe-

des belles lettres par la //Minna von Barahelm,quot; montre bien qu\'il ue fant accepter que sous benefice d\'inventaire le titre de »penseur ptofondquot; que Mr. de Voltaire lui adjugea.

gt;) Voyez Nicolaï\'s Leben und Naehlass par Gockingk. Berlin 1820.

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magne n\'avait jamais possédé un organe littéraire anssi volu-mineux. Se considérant comme les représentants de la vraie science dans nn siècle avide d\'instruction, et ardents pour la répandre, les auteurs de la »bibliothèquequot; s\'étaient tous voués de toute leur ardeur a ce qu\'ils appelaient le sprogrès des lumières.quot; A 1\'exclusion de la speculation condamnée comme superfine, Ia »bibliotlièquequot; fut consacrée aux questions d\'utilité pratique. Est vrai ce qui est utile.

Nicolaï et ses collaborateurs cherchèrent sincèrement le bien de rhumanité. Cet esprit sérieux qui caractérisa toute l\'entre-prise — surtout dans la première période de la publication — en est l\'unique recommandation. Malheureusement ils n\'eurent de l\'humanité qu\'une idéé bien peu élevée. lis ue surent voir eu Thomme que ses besoins matériels, sa mission sociale, et quant a ses besoins religieus, ils ne surent que lui recom-mander la fréquentation du culte pour des motifs de conve-nance. A leurs yeux le développement de 1\'intelligence devait a lui seul mettre 1\'homme en état de remplir sa vocation. Les besoins supérieurs sont méconnus. Qu\'est-ce que Nicolaï comprend aux aspirations de l\'ame humaine vers l\'idéal, a la soif qui la dévore quand elle est altérée non point de la «morale des honnêtes gens,quot; mais de l\'immaculée sain-teté \')? La »bibiiothèquequot; répond. 11 est étranger a ces sphères supérieures. II n\'a que le sérieux des esprits étroits. Ce qui s\'élève au dessus de la moyenne Ini semble dangereux ou absurde. La poésie est une fièvre; a Ten croire, Goethe surtout en est gravemeut atteint. La philosophic est une démence: c\'est le rêve vaniteux de rintelligence en délire. II n\'y a rien a y gagner. Aussi la »bibliothèquequot; s\'effbrce-t-elle d\'administrer les remêdes contre toutes ces folies.

Dans la première période de sa publication, de 1765—

\') Ihm (pour Nicolaï) war alle Religion uur Bildungsmittel des Kopfs zum unversiegbaren Geschwatz, Keineswegs aber Sacbe des Herzens und des Wandels (Kchte).

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1792, ses attaques se dirigent snrtout contre 1\'orthodoxie eccle-siastique. On ne trouve rien de beau dans le système orthodoxe. Partis en guerre contre les formules vieillies et le système dépassé, les héros de l\'Aufklarung ne savent pas admirer 1\'esprit vivant qui jadis les avaient créés. lis travaillent a 1\'abolition du système ancien, mais s\'opposent en raême temps a ce que l\'esprit du christianisme s\'incarne dans une nouvelle forme adequate aux exigences du présent. C\'est qu\'ils en veulent a toute speculation, a toute philosophic. Qu\'on fasse plutót un livre riche en préceptes pratiques oü les prédicateurs senses et raisonnables comme le »Magister Sebaldus Nothankerquot; trouveront ce qu\'il faut pour vivre longtemps, pour améliorer 1\'espèce bovine \'j!

Le succès dont jouit l\'organe de Nicolaï peut se mesurer au nombre toujours croissant des collaborateurs et des volumes publiés. Les collaborateurs étaient d\'abord au nombre de quarante. En 1792 ils étaient plus de cent-trente; Mendelssohn, Abbt et raême Lessing avaient collaboré quelque temps a la gt; bibliothèquequot;. Ils durent bientót y renoncer. Leurs motifs sont faciles a découvrir. En effet dans une lettre du 25 Aoüt 1769 déja Lessing écrivit a Nicolaï: Sonst sagen Sie mir von Ihrer Berlinischen Freyheit zu denken und zo schreiben ja nichts. Sie reducirt sich einzig und allein auf die Freyheit, gegen die Keligion so viel Bottisen zu Markte zu bringen als man will. Und dieser Freyheit muss sich der rechtliche Mann nun bald zu bedienen schamen. Lassen sie es aber doch einmal einen in Berlin versuchen, über andere Dingen so frey zu schreiben, als Sonnenfels in Wien geschrie-ben bat; lassen sie es ihn versuchen dem vornehmen Hof-pöbel so die Wahrheit zn sagen, als dieser sie ihm gesagt hat; lassen sie einen in Berlin auftreten, der für die Rechte der Unterthanen, der gegen Ausaaugung und Despotismus

\') Voy. I\'ouvrage de Nicolaï, Lebcn und Meinungen des Herm Magister Sebaldus Nothanker. 1773.

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seine Stimme erheben wollte, wie es itzt sogar in Frankreich und Danemark geschieht; und Sie werden bald die Brfah-rung haben, welches Land bis auf den heutigen Tag das sklavischste Land von Europa ist. Bin jeder thut indesa gut den Ort, in welcbem er seyn muss, sich als den besten ein-zubilden; und der hingegen thut nicht gut, der ihm diese Einbildung benehmen will. Ich hatte mir also wohl auch die letzte Seite ersparen können \').

A la fin Nicolaï resta seul a la tête de l\'entreprise, et on peut dire qu\'il a dépensé a cette Revue beaucoup de papier et d\'encre mais peu de pensees fécondes \')■

Le grand defaut\' de 1\'Aufklarung est que ses représentants ne comprenaient pas le role capital du sentiment religieux dans la vie humaine. C\'est ce sentiment qui distingue es-sentiellement l\'homme des autres êtres animés et qui sol-licite son activité spirituelle en quelque direction qu\'elle se déploie. C\'est le ressort de Tame désireuse de 1\'inflni; c\'est la source de toute inspiration artistique. L\'Aufklarung ne fait pas droit aux exigences dn sentiment religieux, ce qui se traduit dans sa vulgaire morale. Le sens moral n\'est énergi-que que par le sentiment religieux : aussi la morale, comme science, a-t-elle fleari aux époques marquees par quelque réveil religieux. La morale de I\'Aufklarung pour ne pas avoir posé un bien moral éternel est vulgaire et eudémoniste avant tout. Du moment que l\'idée de 1\'infini est méconnue par la pensée théologique il s\'ensuit que la morale abontit a l\'épicuréisme. Ce n\'est pas un but eternal, un, qui preside

■) WW. XII; 233—234..

-) Nicolaï, redacteur de la »Bibliothèquequot;, n\'était plus le jeune litterateur vers lequel Lessing s\'était senti attiré dans son adolescence, lorsque ces deus. esprits ridiculisaient le pédantisme littéraire et prenaient ensemble la défense de Tidealismc original de Klopstock contre les //Dons Uuichotesquot; de l\'Aeadémie berlinoise. (Vovez Ia correspondance entre Lessing et Nicolaï).

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a 1\'ensemble de la vie; partont dans la doctrine de cette école se trouve un atomisme moral. Ce qui a chaque moment donné augmente le bien-être de l\'individu, cela est un bien moral. Parler d\'un bien moral, durable, éternel, absolu c\'est selon I\'Aufklarung oublier I\'abime qui sépare 1\'objectif du subjectif. L\'objet du reste n\'a pas de valeur en soi. Tout homme done cherche son bien-être dans chaque cas, dans chaque circonstance donnés: il a les Inmières de Tintelligence pour guide. Basedow formule lui-même cette règle: »Es giebt kein anderes Kriterium der Wahrheit fiir einen Ge-danken als dass wir ihm Beifall geben miissen, um unserer Gliickseligkeit gemiiss zu denkenquot; \'). L\'intérêt pratique decide en dernière instance. II s\'ensuit nécessairement qu\'il faut regarder comme doctrines fondamentales: »Die welche dem grossen Haufen durch Gründe der üeberzeugung ver-standlich gemacht werden könnenquot; \').

Les partisans de I\'Aufklarung avaient ouvertement rompu avec les écrits symboliques de l\'Eglise lutbérienne. lis avaient également abandonné la doctrine orthodoxe au sujet de 1\'auto-rité du canon biblique, mais sans l\'avouer. L\'interprétation, dite naturelle, rendait possible le silence qu\'on gardait sur ce point.

Nous venons d\'esquisser a grands traits la physionomie théologique de l\'époque de Lessing. C\'est une de ces époques de decadence qui succèdent anx grands mouvements quand la première force d\'impulsion s\'est épuisée. La théologie allemande nee d\'une foi vivante finit par devenir un sys-tème de sèches formules par l\'attachement obstiné a des dogmes d\'oü la vie est absente. Les théologiens orthodoxes de ce temps n\'ont pas compris qu\'aucune réforme n\'est definitive. lis ont cru l\'oeuvre achevée une fois pour toutes.

gt;) System der gesundeu Vcraunft. 1765. -) Vcrsueh einer freymüt.higen Theolog. Bogm,

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Par cela même ils stmt retombes sous le joug de la tradition. A force de s\'attacher aux puissantes individualities des temps antérieurs ils ont enchainé celles de leur époque. Leur protestantisme ne l\'est que de nom: par la méthode, et done en principe, ils sont catholiques. S ils avaient ete plus Chretiens, ils auraient été meilleurs protestants. Le chrétien est libre. II est appelé gt;a se maintenir dans la libertéquot; \'): a penser librement. La théologie protestante est libre, est indépendante, ou bien elle n\'est pas. Ajoutons aussitöt que la théologie indépendante est chrétienne ou bien qu elle cesse d\'etre la théologie; elle est une philosophic païenne de la religion. L\'erreur évidente des écoles dont nous avons indiqué les tendances se trouve en ce qu\'on a voulu sépa-rer ce qui de sa nature constitue une unité indissolable. La théologie étant une science, est libre; comme théorie du christianisme elle présuppose la foi en 1 oeuvre rédémptrice accomplie par le Christ. L\'orthodoxisme nie la liberté. II veut qu\'on fasse de la science théologique mais ne permet pas qu\'on tourne les yeux de tons les cótés, qu\'on examine l\'objet même de la science, indépendammant des anciennes conceptions que 1\'on a eues de eet objet. En un mot 1 orthodoxisme soumet le théologien a une autorite exterieure j impose a la pensée des résultats auxquels elle est tenue d\'aboutir. Qu\'en résulte-t-il? Que la pensée est condamnée a la stérilité. On a beau essayer de lui accorder la liberté dans certaines limites, on a même beau étendre les limites de plus en plus, des qu\'on en pose, la pensée n\'est plus vraiment libre, car toutes les limites sont arbitraires. La liberté de la pensée consiste a tirer toutes les conséquences sans exception renf\'ermées dans un principe. Quand lui dira-t—on: » Jusqu ici et pas plus loin? Comment s\'y prendra-t-on pour reconnaitre ses droits jusqa\'a un certain point, et les méconnaitre ensuite? Admettre une autorité extérieure e\'est condamner le théologien a un travail

\') St. Paul.

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parement formel. II peut revoir les resultats depuis long-temps acquis, apporter des modifications dans l\'argumenta-tion .... jamais le fond des ehoses lui-même ne sera examine et reconnu en soi, suivant les cas, comme vrai ou comme faux. En réalité la science indépendante n\'arrivera guère a declarer les résultats antérieurs ni absolument vrais, ni absolument faux. Elle reconnaitra bientót que sa tache con-siste a dégager de plus en plus la vérité entrevue auparavant.

La théologie n\'est déterminée, n\'est liée que par son ob-jet. En méconnaissant ce principe 1\'orthodoxisme détruit la science.

L\'»Aufkliirungquot; pêche en se préoccupant trop peu de l\'élément positif du christianisme, en voulant faire de la théologie tout en en rejetant le principe materiel. Elle eleve aux nues la liberie d\'examen. C\'est-la son mérite, sa signification historique. Son tort est d\'avoir cru que la li-berté d\'examen était la connaissance; d\'avoir pris la condition pour la chose elle-même \'). Reaction fougueuse mais superficielle contre I\'esclavage spirituel elle brise avec le passé sans satisfaire aux exigences du présent, sans pourvoir a I\'a-venir. Elle signale les erreurs du système dépassé, elle en constate I\'insufiisance mais elle ne cree rien de nouveau. Liberté! Belle devise mais dangereuse quand on entend par la autre chose que cette condition sans laquelle un principe ne sau-rait se développer selon les lois inhérentes a sa propre essence. La théologie protestante doit être libre! J\'en conviens. Mais qui dit protestant, dit chrétien. Or quel est le principe chrétien, protestant, pour la défense et au nom duquel l\'Auf-klarung revendique la liberté? C\'est en vain que nous interrogeons 1\'histoire. Je ne trouve rien de spécifiquement chrétien

\') Nicolaï\'s quot;Protestantismus war die Protestation gegen alle Wahrheit

die da Wahrlieit bleiben wollte,____Seine Denkfreiheit war die Befrei-

ung von allem Gedachten, die Ungezahmheit des leeren Denkens ohne In-halt und Theil. Fiohte.

Z

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ni de protestant dans cette parole du roi-phllosophe; gt;11 n\'y a qu\'un seul Dieu et un senl Voltaire au monde et Dieu avait besoin d\'un Voltaire pour rendre ce siècle aimable ni dans cette phrase d\'Edelmann: \'hrist a détruit le pêche, en montrant qu\' il n\'existait pas »La religion est restée sans influence sur ma vie,quot; nous dit Nicolaï J) — ce qui nous fait comprendre pourquoi les écrits innombrables de Nicolai sont restt\'s sans influence sur l\'histoire de la théologie. Bardt declare: Depuis 1779 je considérai Moïse, Jéaus Christ, de même que Confucius, Socrate, Luther, Semler et moi-même comme des instruments de la Providence, par le moyen des-quels elle fait du bien aux hommes.quot;

L\'Aufklarung en somme nquot;a pas été un mouvement théo-logique mais un mouvement philosophique qui a fait irruption sur le terrain de la théologie \'). Aussi offre-t-elle moins d in-térêt veritable au théologien que l\'ancienne école. Ce n\'est pas pour avoir ridiculisé le pédantisme des »philosophes de Berlinquot;\' que Lessing occupe une place si marquante dans l\'histoire de la pensée religieuse mais c\'est paree qu\'il a com-battu les erreurs de l\'ancienne école. L\'ancien système renfer-mait en lui un principe de vie; ce principe avait besoin d\'etre dégagé de mainte entrave: c\'est la ce que Lessing a entrepris. II a montré que pour vivre la théologie doit être indé-pendante.

\') Voyez sa confession de foi présentée au Consistoire de Neuwied. s) Dans son écrit: Ueber meine gelehrte Bildung.

3) Die -Flachheit und Inconsistenz des anf das Wolfische System folgen-den Eklektizismns und Endamonismus, verbunden mit der aus Frankreieb eingedningenen Freigeisterei, die aller Religion ermangelte, gaben der pbi-losophischen Kritik tbeils eine so sehwankende Unsicherheit, theils eine so flacbe Keckbeit, dass sie eben so wenig gesobickt war, das dogmatische und bibliscbe System zu reohtfertigen, als dasselbe aut gründlicbe Weise zu bestreiten. Bretscbneider o. c. p. 72.

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CHAPITRE DEUXIÈME.

Gotthold Epheaïm Lessing.

Quoique Lessing \') ait opéré une revolution dans le do-maine de la théologie en montrant que celle-ci, a titre de science, est indépendante, et ne saurait reconnaitre d\'autorité extérieure, ni celle des symboles, ni celle du canon, iln\'était pas théologien de profession. II n\'a jamais permis qu\'on le d(\'signa oomme théologien. II ne voulait pas être confondu avec ceux qui portaient ce nora.

Des sa jeunesse Lessing avait éprouvé une profonde aversion contre la théologie régnante. Etudiant a Leipzig, il ne snit pas les lejons de la faculté théologique dont les pédants pro-fesseurs l\'ennuyent. II s\'occupe de philologie, sous la conduite d\'Ernesti, et, sous les auspices de Christ, d\'archéologie. L\'ar-dent désir de ses parents ne se réalise pas: Lessing renonce ouvertement a la théologie et se fait inscrire comme étudiant en médecine, d\'abord a Leipzig, puis a Berlin (1746—1749). Ce n\'est pas qu\'il s\'occupe sérieusement de cette science; il se laisse accaparer par 1\'étude de Théophraste, de Plaute, de Térence et d\'Horace; »seine alte Liebluugsdichterquot; !). Iljouit

\') 22 Janv. 1729— 16 Jfév. 1781.

2) Adolf Stahr, G. E. Lessing, Sein Leben und seine Werke. 1873.

2*

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aveo délices des chefs-d\'oeuvre de l\'antiquite grecque et ro-maine et se plonge dans les livres. Lessing lui-même retrace sa carrière académique dans une lettre ecrite a sa mère en 1749; Erlauben Sie mir, dass ich nur mit wenig Zügen, ihnen meinen gantzen Lebenslauff auf Universitaten abmahlen dartf, ich bin gewiss veraichert, Sie werden alsdan n niein jeziges Verfahren gütiger beurtheilen. Ich komme jung von Schulen in der gewissen Ueberzeugung, dass mein ganzes Glück in den Büchern bestehe. Ich komme nach Leipzig, an einen Ort, wo man die ganze Welt in kleinen sehen kan. Ich lebte die ersten Monate so eingezogen, als ich in Meisen nicht gelebt hatte. Stets bey den Büchern nur mit mir selbst beschafftigt, dachte ich eben so selten an die übrigen Menschen als viel-leicht an Gott. Dieses Gestandniss kömmt mir etwas sauer an, and mein einziger Trost dabey ist, dass mich nichts schlim-mers als der Fleiss so narrisch machte. Doch es dauerte nicht lange, so gingen mir die Augen auf; Soil ich sagen zu meinem Glücke, oder zu meinem Unglücke? die künftige Zeit wird es entscheiden. Ich lernte einsehen, die Bücher würden mich wolh gelehrt, aber uimmermehr zu einem Menschen machen. Ich wagte mich von meiner Stube unter meines Gleichen.... Ich legte die ernsthafiften Bücher eine Zeitlang auf die Seite, um mich in denjenigen urazusehn die weit angenehmer, und vielleicht eben so nützlich sind. Die Comoedien kamen mir zur erst in die Hand. Es mag unglaublich vorkomraen, wem es will, mir haben sie sehr grosse Dienste gethan.... Ich lernte wahre und falsche Tugenden daraus hennen und die Laster eben so sehr wegen ihres lacherlicken als wegen ihrer Schandlichkeit Jiiehen.. . . Ich lernte mich selbst kennen, und seit der Zeit habe ich gewiss über niemanden mehr gelacht und gespottet als über micht selbst. Doch ich weiss nicht was mich damals vor eine Thorheit überfiel, dass ich auf den Entschluss kam selbst Comoedien zu machen.... Aber plözlich ward ich in meiner Bemühnngen, durch Dero Befehl nach Hause zu kommen, gestöhret.... Ich blieb ein gantzes Vier-

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teljahr in Camenz, wo ich weder müssig noch fleissig war. Gleich vou Anfange hatte ich tneiuer Unentschliessigkeit welches Studium ich wohl erwehlen wollte erwehnen sollen. Man hatte derselhen nun über Jahr und Tag nachgesehn. Und sie werden sich zu erinnern helieben, gegen was ich mich auf\' Ihr dringendes Anhalten erklarte. Ich wollte Medicinam stu-diren l). Par une lettre dcrite par Lessing, a son père, le 11 Avril 1749, nous apprenons qu\'il traduit le Catilina de Oré-billon 2). Cette traduction cependant n\'a jamais eté achevée. Le 28 Avril de la même anm\'e, il prie son père de lui en-voyer ses livres et surtdut un onvrage en manuscrit, intitule: »Wein und Liebe.quot; Es sind freye Nachahmungen des Anakre-ons, wo von ich schon einige in Meisen gemacht habe. Ich glaube nicht dass tnir sie der strengste Sittenrichter zur Last legen kan. Lessing prévoit sa carrière que son génie et ses goüts lui indiquent: Wenn man mir mit Recht den Tittel eines deutschen Molière beylegen könnte, so könte ich gewiss eines ewigen JS\'ah mens versichert seyn. Die Wahrheit zu gestehen, so habe ich zwar sehr grosse Lust ihn zu verdienen, aber sein ümfang und meine Ohnmacht sind zwey Stücke die auch die groste Lust erstücken künnen. Seneca giebt den Rath: Omnem operam impende ut te aliqua dote notahilem facias. Aber es ist sehr schwer sich in eiuer Wissenschaft notabel zu machen, worinne schon allzuviele excellirt haben. Habe ich denn also sehr übel gethan, dass ich zu meinen Jugend Arbeiten etwas gewehlt habe, worinne noch sehr wenige meiner Landsleute ihre Krafte versucht haben ? Und ware es nicht thörigt eher auf zu horen als bis man Meister-stücke von mir gelesen hat? Den Beweiss warum ein Co-moedienschreiber kein guter Christ seyn könne, kan ich nicht ergründen. Ein Comoedienschreiber ist ein Mensch der die Laster auf Hirer lacherlichen Seite schildert. Dart\' denn eiu

■) WW, XII: 4—6. WW. XII: 9—10.

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Christ über die Laster nicht lachen? Verdienen die Laster so viel Hochachtung? ünd wenn ioh ihnen nnn gar versprache eine Comoedie zu machen, die nicht nur die Herrn Theologen lesen sondern auch loben sollen ? halten Sie main Versprechen vor unmöglich ? Wie wenn ioh eine auf die Freygeister und anf die Vérachter ihres Standes machte?!)

A la fin de l\'année 1750 Lessing se trouve toujours a Berlin. II s\'occnpe d\'une traduction latine de la »Bibliothèque orientalequot; d\'Herbelot et traduit »l\'Histoire romainequot; de Rol-lin, tout en publiant ses »Oeuvres pour le theatre.quot; 11 se tient aussi au courant de la philosophic franfaise: De la Mettrie, von dem ioh Ihnen einigemal geschrieben habe, ist hier Leibmedicus des Königs. Heine Schrifft l\'homrne machine hat viel anfsehen gemacht. Edelmann ist ein Heiliger gegen ihn. Ich habe eine Schrift von ihm gelesen, welche Antise-nèque ou le souverain bie.n heisset, und die nicht mehr als zwölfmal ist gedruckt worden. Sie mogen aber von der Abscheulichkeit derseiben daraus urtheilen, dass der König selbst zehn Exemplare davon ins Peuer geworfen hat 2).

On voit que cette carrière académique n\'est pas celle d\'un futur théologien. Lessing se sent attiré par tout autre chose que par le dogme. La science théologique, du moins corame elle est cultivée de ses jours, ne l\'intéresse pas. Sa sphère est celle d\'un litterateur, ou plus exactement celle d\'un dramaturge. Les lettres que nous avons citées le montrent claire-ment. Lessing a conscience de sa vocation: la chaire d\'ou it veut prêcher eest la scène

\') WW. XII; 11—12. L\'année suivantc (1750) parut le drame: Der freygeist. Lessing flagelle 1\'; pedantisme, la sotte outrecuidanee des ,libres penseurs.quot; La .neologiequot; est exposce en toute sa faiblesse. On salt que ïheophan, un jeune ecclésiastique croyant, oeoupe en cette comédie un role noble et eleve.

8) Lettre de Lessing a son père du 2 Nov. 1750. WW. XII: 18.

3) Je me suis étonné du mécontentement qui a inspire au savant pas-

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Continuons a chercher dans la correspondance de Lessing Thistoire de sa vie intérieure et de son developpement scien-tifique. En 1753 il traduit la * Mythologiequot; de Bannier et fait des recherches sur Thistoire des Musulmans en Espagne1). II lit les publications philosophiques et même théologiques. Dans une lettre a son père de la même année il parle des »Trois lettres au publicquot; de Frederic II, du »Christliche Verweid de Bosen, et de Touvrage de Hecker, intitule ^Die Religion der Vernunftquot; a). A ce même moment il a engage une ardente

teur de Groningue, Mr. van Toorenenbergen, les paroles suivantes: {De verhouding van Lessing tot de Christelijke Kerk, p. 17). «Qu\'est ce que Lessing est devenu après son séjour aux académies de Leipzig et de Berlin? La seule vraie réponse est celle de ses parents: II n\'est rien devenu, il n\'a point eu de carrière. II avait entièrement abandonné la théologie, il n\'avait aucun goüt pour le droit et quant a la médecine il se décida bien dans la maison paternelle de s\'y destiner mais ce fut un projet: rien de plus. — La dessus il promet a sa mere de se vouer a l\'enseignenlent, mais il n\'en fait rien, car il détestait de donner «les le9ons. Etait - ce done un incapable? Qui pourrait le prétendre? Bien au contraire! C\'est paree que Lessing était capable de beaucoup qu\'il n\'a rien été. Rien, paree qui chaque carrière sociale lui semblait un esclavage. Pour ce qui nous concernenous ne trouvons pas digne d\'un grand homme de ne pas savoir réunir comme dans un seul canal les energies si diverses de sa riche intelligence, de fa-9on a les coasacrer a une vocation déterminée.quot;

II me semble que c\'est faire tort a Lessing que de parler ainsi. Suppo-sons qu\'une place comme celle qu\'il occupa plus tard a Hambourg lui eüt été offerte, ou qu\'a l\'issue de ses études on eüt réclamé dès 1\'abord ses services pour la bibliothèque de Wolfenbuttle, la plainte de Mr. v. T. ent été sans raison, grace a des circonstances indépendantes de la volonté de Lessing. Le contraire de ce que Mr. v. T. est vrai: Vest farce que Les-sing avait conscience de sa mission — et ce n\'est pas peu de chose pour un jeune homme qui vient de quitter les bancs de l\'école — qu\'il ne pou-vait pas consacrer ses forces a telle carrière déja ouverte; aucune n\'était sa carrière a lui. Voyez sa lettre a Nicolaï du 29 Nov. 1756. WW. XII: 58—61.

*) Lettre de Lessing a son père du 23 Janv. 1753. WW. XII: 22.

Lettre de Lessing a son père du 29 Mai 1753. WW. XII: 24.

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polémique avec Lange, a propos de la traduction des Odes d\'Horace. Lessing compose a 1\'usage de Lange son »Vademe-cumquot;. \') II entre en correspondance avec J. D. Miohaëlis qui prend son parti contre Lange — voyez les lettres du 10 Fe-vrier et du 16 Octobre 1754 — et lui fait parvenir la première livraison de sa iTheatralische Bibliothekquot;\'). Michaëlia avait critique »Die Judenquot; une des meilleures pieces de Lessing, »der würdige Vorbote des Nathanquot; \') dans laquelle celui-ci fait sentir ce qu\'il y a d\'indigne d\'un siècle »eclairequot; dans l\'intolérance dont les Juifs étaient encore victimes. Ce n\'est pas settlement l\'humanité, c\'est aussi l\'amitié qui a inspire ce drame a Lessing: en écrivant il ne cessait pas de penser a son noble ami juif Mendelssohn, en qui il voyait: seinen zweyten Spinoza, dem zur volligen Gleichheit mit dem ersturn, nichts, als seine Irrthümer fehlen werden.quot; Lessing écrivit en 1755, en collaboration avec Mendelssohn: vPope ein Meta-physiker!quot; 1) Dans une lettre du 11 April 1755, il demande a son père de lui envoyer un paquet de livres hollandais, qu\'il avait laissë dans la maison paternelle. Ces livres ont trait a i\'ouvrage bien connu de Jiecker n T)e hetooverde Waereldquot; \') que Lessing veut traduire de nouveau. Au mois de Mars de cette même année parut le drame Miss Sara Sampson, oeuvre dont un auteur allemand a pu dire qu\'elle est une »Markstein in der Bntwickelung nicht nur des Dichters selbst sondern unserer ganzen nationalen Literaturquot; G)

A la fin de l\'année 1755 Lessing demeure a Leipzig. Qu\'y fait-il ? Eine von meinen Hauptbeschaftigungen dit-il2), ist in Leip-

1

1) Ein Vademecum fier Sam. G. Lange. WW. Ill: 405 — fin de ce volume\'

2

) Lettre a Mendelssohn, du 8 Décembre 1765. WW. XII .* 31—34.

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zig noch bis jetzt diese gewesen, dass ich die Lustspiele des Gol-doni gelesen habe. Les écrits de Rousseau occupent le pensee de Lessing et celle de son ami juif; Ich weiss eigentlich noch nicht was Rousseau iïir einen Begriff mit dem Worte »Perfectibilitequot;

verbindet----Ich glanbe, der Schöpfer musste alles, was er er-

schuf fahig machen, vollkommener zu werden, wenu es in der Vollkommenheit, in welcher er es erschuf bleiben sollte. Der Wilde, z. E, würde, ohne die Perfectibilitafc nicht lange ein Wilder bleiben, sondern gar bald nichts bessers als irgend ein unvernünftiges Thier werden ; er erhielt also die Perfectibilitat nicht deswegen, um etwas Besseres als ein Wilder zu werden sondern deswegen um nichts geringers zu werden.

Après un voyage en Hollande nous retrouvous Lessing a Leipzig. La lettre a Nicolaï, de Novembre 1756, nons le montre fort occupé du theatre \'). Lorsqu\'il e\'crit a Mendelssohn c\'est la philosophie qui est a l\'ordre du jour. Voice une phrase a noter: Es ist mir recht sehr angenehm, dass meinFreund, der Metaphysiker, sich in einen Belesprit ausdehnt, wenn sein Freund der Belesprit sich nur ein wenig in einen Metaphysiker concentriren könnte oder wollte. Was ist zu thun ? Der Belesprit tröstet sich unterdessen mit dem Einfalle — denn mit wass kann sich ein Belesprit anders trosten, als mit Ein-fallen? — dass wenn Preunde alles unter sich gemein haben sollen, Ihr Wissen auch das meinige ist, und Sie kein Metaphysiker seyn können, ohne dass ich nicht auch einer sey s).

Lessing envisageait le dratue comme devant servir a la Morale (voyez sa lettre de 1749), il s\'attachait done a étudier les mouvements de l\'ame et leurs manifestations extérieures. C\'est ainsi qu\'il cherche a explicjuer les larmes et a décrire le procés spirituel qui les fait jaillir: Die einzigen so genannten Busthranen machen mir zu schaffen, aber ich sorge sehr, die

\') WW. XII: 47—52.

*) Lettre a Mendelssohn, du 18 Novembre 17ö6. WW. XII: 52.

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Erinnerung der Annehmlichkeit der Sünde, die manje/zt erst für strafbar zu erkennen anfiingt, hat ihreu guten Theil daranquot; \'). Quelques jours aires, le 28 Novembre, Mendelssohn reijoit de son ami une lettre que j\'ose nommer una veritable étude psychologique !) L\'observation psyohologique et la description des etats d\'ame observes deviennent toujours plus exactes, plus consciencieuses. On admire la justesse du coup-d\'oeil, la sürete de la critique qui donnent une si grande valeur scientifique a la lettre du 18 Décembre de cette même anne\'e. Lessing cherche la vérité, au risque de s\'égarer: Haben Sie wirklich so viel Lust als ich sich tiefer hinein zu wagen — deman-de-t-il a Mendelssohn — und dieses unbekannte Land zu entdecken, wenn wir uns audi hundertmahl vorher verirren sollten? Mendelssohn eut en effet une giande joie achercher la verite. Comme Nicolaï il prit une part active a cette exploration scientifique dans le domaine de la psychologie et de la dramaturgie, üne lettre de Nicolaï du 4 Mai 1757 \') formule les résultats de ces travaux. Nous les tronvons rangés sous deux chefs a. Streitige. b. Ausgemachte Pankte. Cette correspondance prélude a la v Dramaturgiequot; de Lossing et lui inspira son Emilia Galotti.

Nous ne suivons pas ici, pas a pas la vaste correspondance de Lessing dans son entier, mais nous nous bornerons a ses lettres les plus marquantes. Celles de l\'année 1757 sont en-tièrement consacrées aux questions littéraires et a l\'esthétique dramatique. La poésie dans tous ses genres sollicite l\'atten-tion de Lessing dont le jugement est toujours plein de saga-cité: Sie sagen mit Grund, écrit-il a Mendelssohn 4), dass Eoussean die Stelle ans dem 19 Psalm von ihrem Erhabnen

\') Lettre a Mendelssohn, du 18 Nov, 1756. WW. XII; 52—53. s) WW. XII: 54-58.

s) WW. XIII: 56—64.

*) Lettre dn mois de Décembre 1757. WW. XII: 102.

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herabgesetzt habe. Allein mich wundert Jass Sie nicht auch gemerkt, dass Rousseau den ganzen Verstand des heiligen Psalmendichters verfehlt hat. JVte ein Brautigam aus seiner Kammer, heisst nicht, wie ein Brautigam, der von seiner ioouche nuptialequot; aufsteht; denn wahrlioh, so ein Brautigam kann nicht sehr brillant und radieux erscheinen, wenn er anders seiner Pflicht nachgekommen ist. Sondern es heisst, ein Brautigam, der aus seiner Kammer der Braut entgegea geht; dieser ist mit der Sonne und mil detn Helden zu vergleichen,

der sich seinen Weg zu laufen freuet......

Leasing airnail a porter sa pensee sur tous les objets qui se presentaient. II s\'appelait lui-même hei-esprit. Les paroles sui-vantes écrites a Mendelssohn 1) font bien voir comment il travaillait. Sie sehen was es für eine vortrefliche Sache nur das Nichtsthun ist; man bekommt, wenn man nichts thut, hunderteriey Ideen, die man sonst schwerlich würde bekomr men haben. Auch ich z. £. habe vor lauter Mussiggang und Langerweile den Einfall bekommen, das englische Buch, welches ich ihnen schicken wollte, zu übersetzen.... Sie sollen meine Uebersetzung zugleich kritisiren, der ich ver-schiedene eigne Grillen bei zu fügen gesonnen bin, die ich unter dessen gehascht habe, vorher aber mit Ihnen überle-gen muss .... Schreiben Sie mir aber so dass ich es ver-stehe; denn von der Geometrie weiss ich jetzt weniger, als ich jemahls gewusst habe. Komme ich aber wieder nach Berlin, so sollen Sie erstaunen, wie sehr ich mich darauf legen will. Wir wollen alsdann thun, als ob gar keine schone Wissenschaften mehr in der Welt waren.... Sie kennen mich, écrit-il ailleurs J), und ich kenne mich selbst; ich muss meine erste Hitze zu nutzen suchen, wenn ich etwas zu Stande bringen will.

\') Lettre du mois de Janvier 1758. WW. XII: 106. \') Lettre a Mendelssohn du 2 Avril 1758. WW. XII: 115.

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La correspondance de ces dernières annees — dont nous n\'avons cite que les morceaux propres a faire connaitre Lessing comme penseur —- est encore importante pour nous initier a ses relations avec les esprits distingués de son temps. Les noms de Ramler, de Gleim, de von Kleist, sont indisso-lublement Hés a celui de Lessing. Celui-ci se chargea de l\'impression des » Grenadierlieder\' de Gleim. Lessing admirait plus le poëte que le patriote daus son ami. II regrette que Körner se voit contraint de dérober aux moqueries de ses compagnons d\'armes les effusions de sa poésie. Le vPhilotasquot; de Lessing est la photographie de von Kleist, dont la mort affligea profondément 1\'ame de Lessing si tendre dans ses amitiés\'). Lisez cette lettre a Gleim !) Ach, liebster Preund, es ist leider wahr. Er is todt. Wir haben ihn gehabt— Er ist bestandig, auch unter den grössten Schmerzen, gelassen und heiter gewesen. Er hat sehr verlangt seine Freunde noch zu sehen. Meine Traurigkeit über diesen Fall ist eine sehr wilde Traurigkeit.... Lessing s\'indigne contre ceux qui ex-ploitent cette mort tragique en faveur de leurs compositions littéraires: Ich weiss nicht wer, hat ein Trauerdicht auf ihn gemacht. Sie müssen nicht viel au Kleist verloren haben, die das itzt im Stande waren! Der Professor Nicolaï will seine Rede drucken lassen, und Sie ist so elend! Ich weiss gewiss, Kleist hiitte lieber eine Wunde mehr mit ins Grab genommen als sich solches Zeug nachschwatzen lassen. Hat ein Professor wohl ein llerz?

De cette même période active datent les »Literaturhriefequot; \') dans les quelles Lessing parle au public en s\'adressant a von Kleist. Elles sont toutes consacrées au mouvement poétiqne

\') ,J\'al lu hier soir le drame ,Philotasquot;.... quelle admirable piece 1quot; Lettre de Hamann a son frère. Avril 1759.

5) Celle du 6 Septembre 1759. WW. XII: 136.

3) WW. VI: 1—281.

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provoqué par les faits d\'armes de Frederic le Grand et in-troduisent dans la critique littéraire ce principe qu\'on jugera une oeuvre d\'après son ensemble, d\'après rimpression totale produite par l\'idi\'e maitresse vers la quelle doivent converger tous les détails. Die Grüte eines Werkes, dit Lessing, beruht nicht auf einzelnen Schönheiten; die einzelnen Schonheiten müssen ein schönes Ganze ausmachen, oder der Kenner kann sie nicht anders als mit einem zürnenden Miss-vergnügen lesen. Nur wenn das Ganze untadelhaft befunden wird, muss der Kunstrichter von einen nachtheiligen Zerglie-derung abstehen und das Werk so, wie der Philosoph die Welt betrachten. C\'est ce principe la qui a assnré aux Lite-raturhriefe une »jeunesse éternellequot; 1). Ce que Lessing a fait pour le genre didactique de la poésie, durant son troisième séjour a Berlin est assez connu par ses: v Abhandlungen über die Fabelquot;quot;) el par le »Philotasquot; piece aussi reniarquable par son énergique concision que par la stricte observation de 1\'unite d\'action, et qui conclut dignement la première période de l\'activité dramaturgique de Lessing s).

Si Ton demande ce que Lessing a fait pour la théologie pendant ces dernières années il nous faut répondre: il na absolument rien fait pour (die. II s\'écarté toujours plus de son domaine. Lessing est un hei-esprit, il le dit lui-même. C\'est un esprit chercheur, critique. II cherche par tout. J usqu\'ici il a exploré le champ des belles-lettres. C\'est dans ces travaux littéraires que se trouve son mérite.

Dès le mois de Novembre 1760, Lessing se trouve a Breslau en qualité de secrétaire du général von Tauentzien, Pourquoi a-t-il quitté la eapitale prussienne? Warest du nicht Berlins

1

\') Danzel.

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satl, se demande-t-il, dans nne lettre dn 6 Décembre 1760\'), et qni est adressée a Ramler, Glanbtest dn nicht, dass deine Preunde deiner satt seyn müssten? dass es bald wieder ein-mal Zeit sey, raehr anter Menschen als nnter Büchern zn leben? Dass man nicht bloss den Kopf, sondern, nach dem dreyssigsten Jahre, auch den Bentel zn füllen bedacht seyn müsse? Geduld! dieaer ist geschwinder gefüllt, als jener. II prie Ramler d\'entretenir une fréquente correspondance avec lui: An stoff Soil es uns nicht fehlen so lange nnsere Preund-schaft dauert, so lange Horaz und alte deutsche Dichter in der Welt sind. Lessing éprouva plus que jamais le besoin d\'entretenir une correspondance bien nonrrie, il regrettait dans son isolement la société de Berlin, les spirituelles conversations de jadis sur les arts et les sciences et bien des amis di\'voucs. Nein, das hatte ich mir nicht vorgestellt! aus diesem Tone klagen alle Narren. Ich batte mir es vorstellen sollen und können, dass unbedeutende Beschaftigungen mehr ermüden müssten, als das anstrengendste Studieren. ... Ach bester Preund, Ihr Lessing ist verlohren! Hundert mahl habe ich schon den Binfall gehabt, mich mit Gewalt aus dieser Verbindung zn reissen. Doch kann man einen unbesonnenen Streich mit dem andern wieder gut machen ? Aber vielleicht habe ich heute nur einen so finstern Tag, an welchem sich \'tó\'r nichts in seinem wahren Lichte zeigt. Morgen schreibe ich Ihnen vielleicht heiterer.... Du reste il ne faut pas croire que le sejour de Breslau füt aussi horrible que les lamentations de Lessing dans les premières lettres datées de cette ville poarraient le faire supposer \').

gt;) WW. XII; US—144.

2) Ce qui nous est resté de cette correspondance est peu de chose. Nous n\'avons que dk-neuf lettres de Lessing de l\'an 1760—1765. Sept en sont adressées il Ramler, trois a Mendelssohn, deux a Nicolaï, une a Heyne et six au pèfe de Lessing. Des lettres adressées amp; Lessing huit ont été con-servées: sept de Mendelssohn, une de Nicolaï.

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La lettre a Nicolaï trahit un état d\'ame différent: les traits spirituels reviennent sous la plume de Lessing quand il parle de ses livres et de sas études. La lettre est datee de Peile in Eile. Wissen Sie wo das liegt? Ich wollte dass ich es auch nicht wüsste L\'étude de Spinoza demande toute son attention. II écrit en 1763: Lassen Sie mich von Spinoza noch ein paar Worte mit Ihnen plaudern. Ich muss Ihnen gestr\'ien, dass ich mit Ihrem ersten Gesprache Seit einiger Zeit nicht mehr so recht zufrieden bin. Ich glaube Sie waren damahls als Sie es schrieben auch ein kleiner Sophist, und ich muss mich wundern dass sich noch niemand Leibnitzens gegen Sie angenommen hat!). Lessing revint plus tard a ces mêmes questions dans son étude intitulée: Ueber die Wirklich-keit der Dingen ausser Gott \') et dans cette autre intitulée: Durch Spinoza ist Leibnitz nur auf die Spur der vorherhe-stimmten Harmonie gekommen. Au point de vue du Spinozisme, on lie saurait parler d\'harmonie entre le corps et 1\'ame, dit Lessing, les deux étant identiques pour Spinoza. Lessing formule comme suit la dififérence entre Leibnitz et Spinoza: Leibnitz will durch seine Harmonie dass Rathsel der Ver-einigung zweyer so verschiedenen Wesen, als Leib und Seele, auflüsen. Spinoza hingegen sieht nichts Verschiednes, sieht also keine Vereinigung, sieht kein Rathsel, das auf zu liisen ware.

Une maladie, qui fut de courte durée affligea notre critique dans l\'année 1764: elle le conduit a reflechir sur lui-même. La lettre a Ramler du 5 Aout 1764 \') est aniinée d\'un souffle éminemment sérieux. Leasing s\'examine et songe a l\'avenir: Krank will ich wohl einmal seyn, aber sterben will ich deswegen noch nicht. Ich bin so ziemlich wieder her-

1) WW. XII: 150- -164.

2) Lettre a Mendelssohn, du 17 Avril 1763. WW. XII: 155—157.

3) WW. XI: 111—113.

WW. XII: 164—165.

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gestellt, ausser dass ioh noch mit hilufigem Schwiudel be-schwert bin. Ich hoffe, dass sich auch dieser bald verlieren soil; und alsdann werde ich wie neugeboren seyn. Alle Veranderungen unsers Temperaments, glaube ich, sind mit Handluugen unserer aminalischen Oekonomie verbunden. Die ernstliche Epoche meines Lebens nahet heran; ich beginne ein Mann zu werden, und schmeichle mir dass ich in diesem hitzigen Fieber den letzten Rest meiner jugendlichen Thor-heiten verraset habe. Glückliche Krankheit! Ihre Liebe wünscht mich gesund; aber sollten sich wohl Dichter eine athletische Gesundheit wünschen? Sollte der Phantasie, der Bmpfindung, nicht ein gewisser Grad von Unpaaslichkeit weit zutraglicher seyn ? Die Horaze und Ramler wohnen in schwachlichen Körpern. Die gesunden Theophile und Lessinge werden Spieier und Saufer. Wünschen Sie mich also gesund, liebster Frennd; aber wo inöglich, mit einera kleinen Denkzeichen gesund, mit einem kleinen Pfahl im Pleische, der den Dichter von Zeit zu Zeit den hinfalligen Menachen empfinden lasse, und ihm zu Gemüthe führe, dass nicht alle Tragici mit dem Sophokles 90 Jahr werden; aber, wenn Sie es auch würden, dass Sophokles auch an die neunzig Trauerspiele, und ich erst ein einziges gemacht! Neunzig Trauerspiele! Auf einmal überfallt mich ein Schwindel! O lassen Sie mich davon abbrechen liebster Freund!

Cette maladie arracha Leasing pour un instant a ses études. »Ich war von meiner Krankheit in einem Train zu arbeiten indem ich selten gewesen bin 1)quot;. Quellea étaient cea études de Lessing? Nous avons vu qu\'il s\'entretenait avec Mendelssohn de la philosophic de Spinoza. En même temps il se plongeait dans la patristique et rassemblait des matériaux que plas tard il utilisa dans sa lutte avec Goeze. Ce n\'est pas tout. II travaillait avec entrain a son Laokoon 2) et, ce

\') Lettre a Ramler du 20 Aoüt 1764. WW. XII: 165—167.

WW. VI: 372 — la fin de ce volume.

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qui pour Ja litteiature allemande est d\'une si haute impor-taaoe, Lessing acheva alors son drame Minna von Barrihelm. Dès ce moment la rhétorique conventionnelle fut condamnée et bannie du theatre allemand. Seutant l\'importance du but poursuivi en oette pièce, Lessing avait écrit: Wenn es nicht besser als alle meine bisherigen dramatischen Stücke wird, so bin ieh fest entschlossen mioh mit dem Theater gar nicht mehr abzugeben 1).

Après avoir passé cinq ans a Breslau, Lessing abandonna sa place lucrative pour retourner a Berlin. II y demeura de 1765—1767, années bien pénibles pour Lessing méconnu par Frederic »]e Grand,quot; par ce prince qui un jour, au commencement de son règne avait dit: Bin Mensch, der die Wahr-heit sucht und sie liebt, muss nnter aller menschlichen Ge-sellschaft werth gehalten werden i!). Mais Lessing n\'avaitpas besoin de protection pour sa gloire. Son Laokoön, publié alors, est un monument durable, car il comptera touj ours dans l\'his-toire de l\'esthétique s). II fall ut du courage a Lessing pour cette publication. Que de preventions a vaincre! Quelle lutte notre auteur ne dut-il pas entreprendre contre des idees traditionnelles et iuvétérées! Ieh verspreche meinem Laokoön wenig Leser, écrit-il a Klotü, und ich weiss es, dass er noch

weniger gültige Richter haben kanu____Schreibt man denn

nur daram — remarquons ces paroles: elles sont tout Lessing! — um immer Recht zu haben? Ich meyne mich um die Wahrheit eben so verdient gemacht zu haben, wenn ich sie verfehle, mein Fehler aber die Ursache ist, dass sie ein auderer entdeckt, als wenn ich sie selber entdecke *). Le

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\') Lettre a Kamler du 20 Aoüt 1764. WW XII: 165—167.

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succès du Laolioön a été une belle recompense du courage de Lessing: tous les hommes compétents ont accepté le ju-gement prononcé par Ad. Stahr: Lessing ist der Begründer der Deutsche Kunstaesthetik i).

Le 1 Février 1767 Lessing écrivit a Gleim: Ja, in Hamburg bin ich gewesen: und in neun bis zelin Wocben denke ich wieder hinzugehen — wahrscheinlicher Weise um auf immer da zu bleiben. Ich hoffe es soil mir nicht schwer fallen, Berlin zu vergessen. Meine Freunde daselbst werden mir immer theuer, werden immer meine Freunde bleiben. .. Wenn sie mir in Hamburg nur nichts nehmen, so geben sie mir eben so viel, als sie mir hier gegeben haben. Doch Ihnen branche ich nichts zu verhehlen. Ich habe allerdings mit dem dortigen neuen Theater, und den Entrepeneurs desselben eine Art von Abkommen getroffen, welches mir auf einige Jahre ein ruhiges und angenehmes Leben verspricht -).

Lessing avait été appelé a Hambourg, par ^influence de Johann Friedrich Loewen, pour occuper la place de dramaturge du nouveau theatre sur un salaire de huit cents thalers. Sa célèbre Dramaturgie s) est le fruit de ce long séjour a Hambourg (1767— IB Avril 1770). Lessing voue a ce moment toute son activite a Tart dramatique. Les Antiquarische Briefe dirigées contre Klotz et son école sont de l\'année 1768 4). Elles furent suivies en 1769 du morceau Wie die Alten den Tod gebildet 5).

En Septembre 1768 Lessing exprima son désir de visiter ritalie. Ich gehe küuftigen Februar von Hamburg weg. Und wohin? Geraden Weges nach Rom. Sie lachen; aber Sie köu-

\') Ad. Stahr o. c. I, p. Ü87.

\') WW. XII: 177—i79.

:i) Eamburgische Dramattircjic. WW. Vil; 1—401. lt;) WW. VIII: 1—2iU.

•) WW. VIII: 210—iC3.

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nen gewiss glauben dass es gesehieht L\'erabavras financier dans lequel se trouvait bientot le theatre hambourgeois ne lui permit cepeudant pas de rcaliser son plan. II dut renon-eer a sa place de dramaturge et fut heureux d\'etre appelu a Wolfenbuttle en qnalité de bibliothécaire. II ne se doutait pas alors qu\'il allait entrer dans la plus peuible période de sa vie. Es ist auf alle Weise meine Hcbnldigkeit, nach Braunschweig zu kommen, um dem Brbprinzen in Person fur die Gnade zu danken, die er für mich haben will2). Dass ich in Braunschweig gewesen, und was ich daselbst ausgerichtet, branche ich Dir wohl nicht noch erst zu erzahlen. Das Resultat von allem weisst Du wodurch ich freyiich für die Zukunft so ziemlich, aus aller Verlegenheit gerissen bin 3). Mais Lessing ne se defiait pas du caractère du due de Brunsvic, quoique ceux qui I\'approchaient eussent pu Teclairer a ce sujet. Ce prince avait beaucoup de pretentions mal soutenues par Ie talent. II était »courtois jusqu\'a l\'aifectationquot; 4) mais vaniteux et égoïste. Lessing s\'aperfut bientot qu\'il n\'est pas facile a un homme indépendant de caractère de rester au service d\'un prince! tine legére indisposition l\'empêche de se rendre a Wolfenbuttle au jour indiqué: le prince s\'irrite et Lessing doit lui presenter ses excuses »Bereiten Sie meine Entschul-digung bey unserm E. P. ja vor. Die schlimmen Wege, die so unvermuthet einfielen, und meiu darauf folgendes Fieber sind in der That und Wahrheit eigentlich Schuld dass ich

\') Lettre a Nicolaï du 28 Sept. 1768. WW. XII; 203—204-. Ace moment Lessing écrit a Eberl, lettre du 18 Octobre J7C8: Das r,ro und das contra iiber die Ueligion habe ich eines so satt wie das andre. Lieber schreibt vou geschnittnen Steinen ihr werdet sicberiich wenig Gutes, aber aueh wenig Böses stiften. WW. XII: 206—207.

J) Lettre a Ebert du 11 Octobre i76:J. WW. Xtl: 234.

a) Lettre a son frèrc du 4 Janvier 1770. WW. XII: 241.

4) Mirabeau.

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über die Zeit ausgebliebeuquot; Ses premières lettres datees de Wolfenbuttle trahissent la tristesse de sou ame; »Es ver-lohnt anch wold der Miihe, dass man Abscbied nimmt, weim man stirbt — oder von Braunsobweig nach Wolfenbüttel reiset \').

Arrivé a Wolfenbuttle il laissa chomer provisoirement ses grandes compositions littéraires et ne trouva pas même la loisir d\'acbever son Emilia Galolti. En revanche il eut le bonheur de trouver le célèbre traité de Bérenger de Tours, qu il livra bieutót au public. II parle de ce traité, pour la première tbis, dans une lettre a Sehmid du 23 Mai 1770 1). Le traité de ce docteur, qui en plein ouzième siècle, avait eu le courage de combattre la transsubstantiation n\'était connu de personne. Les catlioliques contemporains de Lessing en uiaient l\'existenoe. Quoique ce traité prouva clairement que Béreuger eut défeudu la théorie exposée plus tard par Luther et non point celle de Calvin et que les théologiens luthériens se rejouissent de la publication pour cette raison-même \'), l\'in-tention de Lessing ue fut pas de se mêler aux disputes théo-logiques. L\'e\'glise catholique-romaine a méconnu en Bérenger uu houirr.e sérieux: Lessing s\'effbrce de le réhabiliter. L\'église orthodoxe a coudamné 1\'hérétique: Lessing veut montrer que l\'hérétique d\'hier. aujourd\'hui est orthodoxe. On repousse un hérétique, mais en somme on peut dire dun tel homme: »il veut voir de ses propres yeuxc\'est la tout son crime B). II en résulte que ce nom iujurieux est la meilleure recom-mandation qu\'un penseur pnisse posséder aux yeux des siècles

1

) WW. XII; 2i8 - 249.

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subséquents. Bérenger a eherohé la verite, il a expoa^ ce qu\'il a cru vrai: il a droit a la reconnaissance de la posterite. Lessing s\'abstient de tout examen des idéés émises dans le traité qu\'il a exhumé: c\'est la la tache des théologiens. Oonsidérées en elles-mêmes ces idéés de Bérenger ne 1\'intéressent pas. Néanmoins il remplit son devoir de bibliothécaire en les pu-bliant. Quaud il fait parvenir un exemplaire du traité sur la Cène a Reiske il présente ses excuses a ce savant. Ni l\'auteur, ni la matière u\'intéresserout celui-ci, dit-il. Pour ce qui est du raanuscrit Lessing lui-mème ne l\'eüt pas jugé digne d\'un seul regard; mais il est rare, c\'est pour 1\'honneur de sa bi-bliotbèque qu\'il s\'eu occupe. II se fait connaitre de cette manière-la comme uu bibliothécaire qui veut rendre des services a toutes les sciences et non pas seulemeut ïi sa branche de predilection 1].

Grace aux circonstances, les théologiens orthodoxes com-blèrent Lessing d\'honneurs, mais il fait li de leurs éloges: les circonstances peuvent changer sj: on ne le louera plus, et lui, il regrettera que la recherche de la vérité l\'ait forcé de pénétrer dans les arcanes de la théologie, tandis que ses amis ont eu l\'avantage de servir les Muses 2). Les expressions méprisantes reviennent sous la plame de notre cri-

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\') Lettre a Reiske du 13 Octobre 1770. WW. XII; 260_262.

2

) Herr Moses bat mich versichert, dass wir bald einen zweyten Theil von Ihren Oden bekommea werden. Was sind Sie für ein braver Mann! Wie klein uud vcrachtiich komtue ich mir dagecen vor, der sein böser Geist mit Berengariussen, und solchen Lumpereyen in das weite Feld lockt. Lettre a. Ramler du 29 Octobre 1770. WW. XII: 266 267.

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tique toutes les fois qu\'il parle de la théologie, de ses »ab-surdikV, de son »11011—sensquot; ^). Comme sa correspondance respire la joie intérienre quand il parle de son drame Emilia Galotti, qu\'il acheva en Février 1772, après y avoir travaillé d\'une manière intermittente, pendant quatorze ans!

Tont préoccupé comme il était alors de ses grandes compositions dramatiques, et plein de mépris pour les »sottises de la théologie notre critique ne songeait guère, qu\'il serait bientót appelé a jouer un róle important dans le développe-ment de cette même science théologique. Les dernières an-nées de la vie de Lessing font voir d\'une manière bien frappante a quel point le chercheur qui aime la vérité, depend de la vérité elle-même et ne saurait determiner a sa guise le champ oü s\'exercera son labeur.

II faut s\'écrier avec un des biographes de Lessing les plus distingnés: L\'homme propose, Dieu dispose! 1) Une volonté supérieure dirige notre destinée, en se servant de mille et mille circonstances, sans que nous nous en doutions.

Arrêtons-ici dans 1\'examen de la correspondauce de Lessing. Voyons ce qu\'il était au moment oü il entrait dans cette nouvelle phase. Dire que Lessing était litterateur, est en somme ne rien dire: c\'est trop vague. La designation de poéte dramatique a besoin d\'etre expliquée. C est que Lessing n\'a jamais fait de l\'art pour Tart: je veux dire que ses drames ont toujours un but d\'enseignement; ils sont les

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schale Lob der Theologen dürt\'te verführen lassen, mich mehr mit ihren

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moyens dont il se sert ponr inculquer quelqne précepte, pour fixer 1\'attentiou sur quelque devoir, pour mettre en lumière quelque vérite. II ne choisit pas ses sujets daas sa cbambre d\'étude: Lessiug ne vit pas en premier lieu avec ses livres, ma-.s Tobjet de ses preoccupations lui est suggéré par la vue de ce qui se passé dans le monde. II est homme avaut d\'etre savant, et ne se sépare pas de la societe1). La vie ac-tuelle, avec tons ses mouvements, toute son activiti\' l\'inté-resse. II voit les faiblesses et les défauts de son temps, aussi bien qu\'il en apprécie les qualités et les forces vitales. II veut le progrès de ces dernières. Son époque est a ses yeux un moment de transition qui doit preparer l\'avenir. C\'est done en vue de l\'avenir que Lessing travaillera, c\'est I\'interet de l\'avenir qui lui inspirera de l\'entbousiasme. De la son attitude negative a l\'égard des erreurs de son époque. II essaye de délivrer celle-ci des idéés surannées, de toute mes-quine prevention. Du haut de sa chaire a lui, du tht\'atre, la voix de Lessing se fait entendre contre un siècle éclairé mais qui néanmoins continue la tradition du moyen-age, en méprisant les Juifs. Lessing écrit son drame Die Juden; Micbaëlis était en droit de présenter mainte critique au point de vue de Tart- I\'art n\'ctait pas le premier but de Lessing: le siècle de Frédóric le Grand rougit de son étroitesse: cela suflSt. fin but pratique encore avait déja inspire a Lessing ses deux autres pieces Der junge Gelehrle et Der Freygeist. Ses traits s\'étaient alors dirigés contre ceux qui brisaient gaiement avec le passé, a Tavantage pensaient-ils d\'un avenir qu\'ils s\'efiforjaient d\'inaugurer d\'une manière révolutionnaire.

Ces oeuvres, prodaits de la jeunesse de Lessing, sont comme les prophéties de toute sou oeuvre subséquente. II eberebe a débrouiller le vrai da faux, a démêler le juste

\') Voyez la lettre de Lessing a sa mère, de 1749, p. 20 de ce travail èt celle du 6 Décembre 17C0, adressée a Ramler.

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d\'avec rerronné, a dégager la verité éternelle de tout ce qui la cache a nos regards.

Pour le faire il part de ce principe que 1\'erreur absolue n\'existe pas et que notre conceptiou des choses, humaine et faillible, peut toujours être épurée. Chercber le point oü la conception juste commence a être embrouillée par une deduction illogique, a se corrompre par l\'introduction d\'une idee fausse ou étrangère a son propre objet voila la méthode de Lessing. Pour cela-même il cherche des definitions exac-tes — il s\'en arme comme d\'un flambeau pour reconnaitre le terrain et pour parvenir au coeur des questions. Le scal-pel de sa critique met a nu les cotés faibles des opinions qu\'ii examine. Chaque résultat est pour lui un point de depart pour ses recherches subséquentes, sert a assurer sa mar-che et le travail de débrouillement, d\'élimination, d\'épuration se continue. Lessing dévoile le fond même des choses, il montre avec uue grande rigueur logique ce qui en découle. C\'est-la ce qui explique comment la critique de Lessing, malgré certaines allures révolutionnaires, est au fond conservatrice dans la vraie signification de ce mot, c\'est a dire, progressive. Cette critique transforme les dehors de la chose, la forme disparait totaiement.... en somme nous voyons que cette ancienne forme n\'était qu\'un habit mal ajusté et qui cachait les contours de la verité, C\'est que Lessing ne s\'est pas arrêté aux apparences; il a pénétré jusqu\'a l\'essen-ce intime de la chose, qu\'il n\'a pas appauvrie, mais a la-quelle il a rendu justice. C\'est pour cela que Friedrich Schlegel appelle la critique de Lessing, une critique productive ^1) : elle est la logique en oeuvre. Blle ue détruit pas: elle rétablit. Lessing lui-même est critique au sens le plus élevé de ce mot: c\'est un génie critique. II appliqua cette

\') Toyez Danzel, Lebcn Lessings 254. Carl Schwarz, G. E. Lessing als Theologe dargestellt p. 1-16 de la version hollandaise.

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méthode de recherche de la vërite, a toutes les branches de l\'activite spirituelle: a l\'art plastique — preuvc en soit son Laokoön-, a la poéaie dramatique — sa Dramaturgie 1\'atteste — ne devait il pas être conduit a l\'appliquer a la science théologiqueV

Les grands hommes, les hommes de génie, font entrer les esprits dans de nonvelles voies, uiais en même temps ils subissent l\'influence de leur époque, üne individualité marquante pour exercer son ponvoir réel doit trouver un milieu favorable a son action, qu\'elle ne crée pas. Elle peut le transformer, le dominer mais elle subit nécessairement sou influence. Lessing n\'a pas échappc a cette loi générale. Les besoins de son époque l\'ont conduit. La direction que ses trayaux out prise a été déterminée par l\'esprit de son temps. Comme nous FaTOus vu ^ c\'était une époque de renovation de la vie intellectuelle. Ce mouvemeut s\'était étendu a la théologie, mais était resté ici plus super-fieiel, que partout ailleurs. Quoiqu\'ils eussent sans cesse les mots de liberie et de critique a la bouche les Anfklarer dé-trnisaient sans rebatir et pour leur résister les hommes de l\'ancienne école se refusaient a reconnaitre les points faibles de l\'édifice qu\'ils défendaieut. Ce que ceux-ci appelaient la vérité, qu\'ils s\'effoi^aient de maintenir intacte, saus en ad-mettre aucun développement, ceux-la le rejetaient en bloc, avec une precipitation inintelligente. Comment done notre critique aurait il pu rester spectateur oisif d\'une semblable lutte? L\'importance des questions religieuses ne devait-elle pas le pousser a surmonter la répugnance que les théologiens orthodoxes et rationalistes de son temps lui avaient inspirée contre toute théologie? Malgré les boutades que nous avons relevées dans sa correspondance, et qu il n\'avait lancées que sous l\'influence du triste état de la théologie d\'alors — Lessing n\'avait pas laissé de se préoccuper de la théorie de Ia reli-

l) Voy. le Chap. 1 de ce travail.

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gion. II n\'y a pas de quoi nons étonner si nous faisons attention a l\'enfance et a la jeunesse de Lessing. II avait reiju dans la maison paternelle une education religieuse. Son pèi-e, pasteur a Camenz, ecclcsiastique respectable et savant tbt\'ologien lui avait mis constamruent sons les yeux le modèle d\'nn digue serviteur de I\'Evangile, ce qui avait fait sur le jeune homme une profonde impression, quoiqu\'il n\'eüt pas réussi a lui faire smbrasser la même carrière que lui. O\'est aussi grace a son education que Lessing avait abjure des sa jeunesse le formalisme religieux. Le premier pasteur de Camenz était assez clm\'tien pour faire naitre dans I\'esprit de son enfant la conviction que la religion n\'est pas une chose que Ton doive aacepter sur Tautorite de ses parents !). L\'in-tcret que son père lui avait inspire pour de solides et indé-pendantes recherches théologiques le conduisit, a I\'age de vingt-deux ans — pendant son séjour a Wittenberg — a examiner I\'histoire de la reformation: étude d\'oü résultèrent les Reltungen Les pensees sur les Frères Moraves \') datent de ce même temps a peu-près 1): elles ne remontent pas plas haut que 1\'an 1749 et n\'ont pas ete oomposées après 1753. Ce morceau a autant d\'intérêt the\'ologique que philosophique. Voici la marche des idees: Dans les luttes spirituelles comme dans les luttes matérielles la victoire ne prouve pas que le vainqueur ait le droit de son coté. Nos théologiens ortho-doxes ont eu le dessus sur les Frères Moraves mais cela ne prouve pas cependant en faveur de leur système.

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1) Voyez pour determiner le temps de composition, l\'ouvrage du Dr. L. W. Ê. Rauwenhoff; Was lessing Spinozist? p. 11. troisième note.

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L\'homme a étr créi- pour Faction plutót que pour le rai-sonnement\'), mais sa méohanceté l\'entraine a faire ce qu\'i! ne doit pas faire, sa te\'mérite ïi, teater ce qui est en dehors de son pouvoir 1). O temps hcureux oü le plus vertueux était le plus savant, s\'e\'crie Lessing, combien courte a eté ta durée! Les disciples des Sept Sages se jetêrent bientot dans des speculations creuses qui ne pouvaient porter aucun fruit pour la vie. Socrate détourna Ia j ensée de cette mauvaise voie en invitant les hommes a faire la connaissance d\'eux-mêmes \'). Les adversaires de Socrate reconnurent en lui un prt\'dica-teur de la vérité: c\'est pourquoi ils le mirent a mort. Les disciples du martyr ne suivirent pas son exemple. Piaton se mit a rêver, Aristote a faire des syllogismes et durant des siècles ces deux hommes furent comme les tyrans (sic) qui gardèrent i\'entrée du temple de la vt\'rité, Descartes en rouvrit enfin la porte C\'est la sou mérite. Mais après lui, la foule des penseurs s\'efforce de remplir la tête, tout en laissant le coeur vide.

II en a eté de la religion comme de la philosophic. La religion d\'Adam était simple, naive*) et vivante. Ses descendants Tont compliquée: la chose essentielle se perdit dans un déluge de formes arbitraires. Tous les hommes étaient devenus infidèles a la vérité: les uns plus que les autres: les descendants d\'Abraham le moins. C\'est pourquoi Dien jugea ceux-ci dignes dune attention spéciale 2). Le formalisme et le maté-

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i

1

pas en ces paroles une reconnaissance pleine et claire du péché comme de quelque chose d\'anormal?

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) Deswegen würdigte sie Gott einer besondern Achtung. - Dans la Erziehmg des MenschengesMecIits Lessing trouve la raison d\'une révéla-

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rialisme religieux ne s\'emparèrent pas moins pour cela du peuple d\'Israël.

Qui aurait pu tirer le monde de ses ténèbres? Qui aurait pu assurer le triomphe de la véritó sur la superstition ? Aucun mortel n\'en était capable ! O tog duo /urj^avrjg : Christ vint. Qu\'on me permette, dit Lessing, de ne le considérer ici que üiinline un docteur éclairé par Dien ■.)■

»Dieu est esprit, il faut 1\'adorer en espritquot; tel était le fond de la predication de Jésus, a cause de laquelle les chefs d\'Israël le clouèrent sur le bois infame. Le premier siècle fut heureux de posséder des hommes qui donnaient gloire a Dieu par leur conduite et qui scellèrent la vérité de leur sang. Les siècles subscqueuts s\'écoulèrent au sein du travail dogmatique: les chretieus voulaient etayer la véritc divine par des demonstrations humaines et l\'évèque de Liome s\'érigea en Pape, préteudant asservir les consciences a ses décrets infaillibles. Les réformateurs inaugurèrent une ère nouvelle, mais hélas! lis ont laissé plus de savants que de pieux élèves: c\'est pourquoi de nos jours ou voit la théologie confondue avec la philosophic. On a des docteurs fern\'s a glace pour enseigner le Christianisrae, mais les vrais Chretiens sont rares, Intellectuellement nous sommes des anges,

lion spéciale faite a Israël dans 1\'état de ce peuple, inférieur a tons les autres. Commc le professeur Dr. Rauwenhoff le remarque dans son exacte et belle étude; Was Lessing Spinozist? p. M, note, 1\'idie des Gedanken aurait mieux cadré dans 1\'ensemble de la Erziehung.

\') Wer konnte die Welt aus ihrer Dunkelheit reissen? Wcr konnte iler Wahrheit den Aberglauben besiegen helfen? Kein Sterbliobcr. amp;io; ino Christus kam also. Man vergönne mir, dass icli ihn hier

nur als eineu von Gott erleuehteten Lehrer ansehen darf.... Ich lehne aber alle schreckliche Folgerungen von triir ab, welche die Boslicit davaus Ziehen könte. Cette excuse de Lessing est remarquable. Nous n\'avons aucun droit de douter de son sérieux. La dignité du Christ lui semble supérieure a celle d\'un dodetir éclairé far Dieu.

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pratiquement nous sommes des démons 1). Le comte de Zin-zendorf ne veut pas changer les dogmes de notre rglise, que veut-il done ? .. . .

Les idoes émises dans ce moreeau sont a bien des égards aux antipodes des idees de Lessing a sa pleine maturité. Nous relevons senlement ce qu\'il dit de la recherche de la vérité. Elle ne lui semble legitime que pour autant qu elle a des résultats salutaires pour la vie pratique. Nous sommes loin de la recherche de la Vérité pour la vérité, plus loin encore de cette recherche de la vente povir cette recherche-même, dans la quelle Lessing vit plus tard la mission de 1\'homme. La manière dont il parle de Platon el d\'Aristote me fait penser a Nicolaï et aux hommes de son bord. Les Chretiens sont surtont des gens vertuevx comme l\'Aufklarung en voudrait compter par centaines. Le système théologique n\'est pas seulement condamné dans le cas oü il résiste a toute evolution, mais tout travail intellectuel est jugé superflu, dan-gereux. »So bald die Kirche Friede bekam, so bald fiel sie darauf, ihre Religion auszusehmücken, ihre Lehrsatze in eine

gewisse Ordnung zu bringen----quot; Quel mal y a-t-il? N\'est

ce pas nier l\'unité de la personnalité humaine, en verta de laquelle la religion du coeur doit devenir la théologie de la tête, que de parler ainsi? Lessing lui-même n\'aurait-il pas protesté plus tard contre cette scission entre l\'homme reli-gieux et l\'homme pensant, quand, au nom de luuite-meme de l\'homme il protestait contre le dogmatisme ? Mais passons ! Nous avons vu comment Lessing s\'intéresse aux questions théologiques au moment ou on 1\'en aurait le moins soup-«jonné.

Pendant le séjour a Breslau l\'histoire de i\'eglise réclama une grande partie du temps de Lessing. O\'est alors qu\'il commen9a a s\'approprier ses vastes connaissances de patris-tique, et qu\'il composa son étude: De la propagation de la

\') Der Erkenntaiss nach sind wir Engel, und dem Leben nach Teufel.

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religion Oirétienne l). L\'exhortation qu\'il s\'adresse a lui-même, après avoir indiqué la division de son sujet est restée le programme de sa vie scientifique: »Und dieser Untersuchung, sage ich zu mir selbst untersiehe dich als ein erhlicher Mann. Sieh überall mit deinen eigenen Augen. Verunstalte nichts: beschönige nichts. Wie die Folgernngen fliessen, so lass sie fliessen. Hemme ihren Strom nicht; lenke ihn nichtquot; Nous reconnaissons a ces mots le critique indépendant, impartial, qui a mis a nu les inconsequences de I\'orthodoxisme, qui a montré aux Aufklarer combien leur jnste-mllieu était une position intenable.

La recherche: Ueher die Elpistiker \'), date probablement aussi du séjour a Breslau, ainsi qu\'une traduction inachevee du livre de ïertullien: Be praescriptionibus haereticorum \'). Nous passons sous silence quelques etudes moins impor-tantes.

Ce travail préparatoire, ainsi que sa connaiasance du Grec et son développement philosophique a permis a Lessing de jouer un róle important dans l\'histoire de la théologie.

Nous ne sanrions continue)\' cette caractéristique de Lessing sans anticiper sur l\'histoire dont il nous faut d\'abord suivre la marche. Nous posons maintenant déja cette question: est-on en droit d\'appeler Lessing théologien ? Les avis différent. Le professeur Schwarz répond affirmativement par le titre mêine de son ouvrage: G E. Lessing considéré comme théologien1). Ad. Stahr consacre le livre douzième de son excellente et populaiiv biographie a ^Lessing der Theologequot;. D\'autres se refusent a le designer ainsi. Ceux-ci en appellent a Lessing lui-même.

1

WW. XI: 81—91.

4) G. E. Lessing als Theologe dargesiellt. Ein Bedrug zur Gcschichie der Theologie im 18e Jahrhundert- Halle 1854.

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S il n y avait ioi qu\'une chicane de mots nous passeriocs la chose sous silence. Mais il y a plus qu\'une vaiue logo-machie pour quieonque reconnait la théologie comme une science ayant son objet determine. Que si Ton ne voit en la théologie que l\'agglomération des sciences philosophique, phi-lologique, historique et critique, appliquées soit a 1\'histoire de l\'église dans son ensemble, soit a telle partie détermi-nee .... alors oui, on est en droit de parler du théologien Lessing. La question change de face si Ton maintient la place determinée, indépeadante de la théologie au milieu des autres sciences avec lesquelles elle a des rapports mais ne se confond pas; si 1\'on envisage l\'objet propre de la théologie chrétienne comme étant non pas l\'homme religieux en general mais la personnalité chrétienne c\'est ii dire: la personnalite religieuse formée sous I\'influence du Christ et considérée non pas seu-lement en elle-même mais au sein de la communauté des croyants ï). Alors on n\'est pas en droit de parler de Lessing comme d\'un théologien. II faut ou bien nier Texistenee de la théologie comme discipline distincte et douner le nom de théologien au plus grand critique que l\'Allemagne a produit, ou hien il faut reudre sa dignité de science a la théologie — et exciure Lessing du rang des théologiens, comme il le fait lui-mêine, comme nous le ferons après-lui s).

Nous verrons en Lessing un grand critique, qui, entre-autres a étudié certaines questions théologiques. Dans l\'obscur dédale des discussions squlevées par la publication des Fragments de Wolfenbuttle, Lessing vienc comme penseur appor-ter de la clarté. Son oeuvre faite — il se retire.

\') Voyez: liet Ethische Beginsel der Theologie door J 11. Gunning Jr. en P. D. Chantepie tie la Samsaye Dz. Groningen F. Noordhuff. 1877.

3; Es ist irn Grimde allerdings waLi, dass es mir bcy meincn theolo-gischcn — wie Du es nennen willst — Neckcryen oder Sliiukcreycn, mehr um den gesundea Mcnsc)ienverstand als um die Theologie zu t.hun ist. Lettre de Lessing a son frèro Charles, du 20 Mars f777.

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CHAP I THE TROISIEME.

I\'llAGMDNTS DH WoLPENBUTTLJS.

PKEMIEKE PAEÏ1E.

HISTOEIQUB.

Dès 177a Lessing travaillait a nne publication, qu\'il faisait paraitre sous le titre de: »Zur Geschichte und Litteratur. Aus den Schatzen der Herzoglichen Bibliothek zu Wolfen-büttelquot;. Comme il le declare lui-même cette oeuvre litteraire ne devait en aucune mauière servir des interets de partis the-ologiques. Son but était purement et simplement scientifique L\'acoueil favorable 1\'ait a la publication du traité de Béren-lt;rer Je Tours 1) — dans lequel 1\'autorite de ce docteur vieut a Tappui de la doctrine luthérienne de la Ste Cène — encouragea le bibliothccaire du due de Brunsvic 2). Lessing rassembla ainsi la niatière de six volumes dont les deux derniers f\'urent publiés après sa mort. Cette publication contient vingt-buit

1

-) Voy. le Chap. II de ce travail, p. 3fi.

2

) Ernesti déclara que, par la publication du traité de Bérenger, Les sing avait mérité ie titre de docteur en théologie.

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morceaux, dont la plupart sont ccmsacres a des sujeta litte-raires. Quelques articles ont cependant de Tintérêt pour le théologien. Ce sont le 7« intitule: Leibnitz, von den ewigen Strofen; le 12e intitule; Des Andreas Wissowatius Einwürfe wider die Dreyeinigkeit; et le 17e intitule: Von Adam Neusern, einige autheniische Nachrichten; mais surtout les numéros 18 et 20 célèbres sous le nom de Fragments de Wolfenhuttle. Le premier se trouve dans le troisième volume publié en 1774, et a pour titre: Von Duldung der Deïsten. Aus den Papieren eines üngenannten; le second est intitule: Ein Mehreres aus den Papieren des Üngenannten et renferme cinq nouveaux fragments; il se trouve dans le quatrième volume publié en 1777. Un dernier fragment a été publié a part, en 1778 sous le titre de: Vom Zwecke Jesu und seiner Jünger. Les Fragments de Wolfenbuttle sont done au nombre de sept. Nous allons en analyser sommaireraent le contenu, puis passant rapidement sur les questions se rattaohant a l\'origine de eet écrit, nous exposerons le róle joué par Lessing en les publiant, pour arriver ensuite a la kitte qui éclata entre lui et les théologiens de son temps.

§ ^

CONTENU DES FRAGMENTS DB WoLFENBUTTLE.

a. Premier fragment, intitule: igt;Dc la tolerance des de\'istes \'). (N0. IS de: „Zur geschiohte und Litteratur).quot;

La doctrine de Christ, abstraction faite des idees juives, est

\') Von Duldung der Deïsten.

4

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l\'expression d\'une religion purement rationnelle et pratique: c\'est pourquoi tout homme rationnel se dira volontiers Chretien. Mais les apótres déja mélaient aux idees chrétiennes leurs doctrines juives : oelle du Messie; celle de 1 inspiration des livres de Moïse et bien d\'autres. C est sur cette base qu\'a ete constrnit le système catholique : système qui tue la raison en s\'imposant au nom d\'une autorité extérieure. Au temps de la reformation on n\'épura qu\'imparfaitement le système chrétien. De la le travail des théologiens contemporains, pour tacher de mettre d\'accord les dogmes et la raison: on verra néanmoins que c\'est une evolution au bout de laquelle, il ne restera du Christianisme que le nom. C\'est pourquoi les théologiens ont peur. Leur prétendu respect pour la raison n\'est pas sérieux. lis restenfc dans le juste milieu. En chaire ils réveillent 1\'inquiétude des bonnes gens et invoquent la vigilance des magistrats, traitant les gens raisonnables d\'impies, de blasphémateurs. Ces derniers sont mis en demeure de se taire et de se soumettre a un état de choses qui les scandalise. Force leur est de faire les hypocrites! Leurs enfants apprennent a l\'école une religion men-songère et l\'homme rationnel n\'ose pas ouvrir son coeur pas raême a ses meilleurs amis. De quel droit les théologiens entretiennent-ils tant de faussetés? Pourquoi enseignent-ils au peuple a confondre comme méritant la même condamna-tion les libres chercheurs et les impies? De même que les premiers chrétiens out été traités d\'athées pour ne pas croire en Junon ni en Jupiter, de même les penseurs, paree qu\'ils ne veulent pas se courber sous le joug de l\'orthodoxie sont at-teints et convaincus d\'incrédulité. Et cela se fait dans 1 église protestante ! La loi de Moïse était plus tolérante en imposant aux Israelites d\'aimer les proselytes de la porte! Les théologiens ont ils reiju de Christ tin précepte plus sévère a l\'égard des adorateurs rationnels de Dieu? II est vrai que les auteurs des évangiles mettent dans la bouche de Jesus des paroles comme celles-ci: »Celui qui n\'aura point cru, sera

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oondamnequot; \') — maïs oela veut-il dire qu\'on ne le tolerera pas dans la soeiété civile? Christ n\'a-t-il pas dit; Laissez oroitre l\'ivraie jusqu\'a la moisson \') c. ad.: »Laissez a Dieu le soin de juger les erreurs?quot; Les aputres eux-mêmes dé-signent certains païens comme étant spieuxquot; et, »craignant Dieu.quot; Il-y-a plus! Dépend-il de nous, de croire ou de ne pas croire? C\'est grace a Ia raison, par laquelle nous nous dis tingnons des animaux, que nous sommes capables de religion, comment done imposer silence a cette raison dans le do-maine religieux? L\'orthodoxie favorise la superstition et la doctrine du salut par les oeuvres.

ENCORE QUELQUE CHOSE DES DOCUMENTS DB L\'lNCONNU \').

(N0. 20 de: ffZur Geschichte und Jjit.teratiirquot;).

b. Second fragment, intitule-. De Vusage de décrier la raison en ehaire \').

Les manuels de catéchisme fourmillent d\'erreurs. Au moius si les pasteurs rectifiaient ces erreurs dans leurs sermons, en exhortant les hommes faits a se servir de leur raison, il est vrai qu\'on pourrait toujours leur reprocher un mauvais sys-tème d\'education. Pourquoi charger ia mémoire, pourquoi corrompre 1\'esprit de la jeunesse au profit d\'un système re-connu mensonger ? Mais on fait bien pire! En ehaire la raison est dépeinte comme faible, aveugle et corrompue .... et les adultes paresseux se complaisent a cette predication: ils s\'en tiennent toufe leur vie au manuel de leur jeunesse. Les

\') Ev. sel. St. Marc. XVI: 16.

2) Et. sel. St. Mat.th. XII: 30.

\') Ein Mehreres aus den Papieren des Ungenannten. \') Die Versebreiung der Vernunft von der Kanzcl.

4*

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théologiens font-ils bien d\'etouffer la raison au nom de la foi? Lear maitre Jésus ne prêoliait qu\'une religion ration-nelle et pratique. lis en appellent a St. Paul, qui pourtant a dit que c\'est I\'liomrae charnel, psychique qui ne comprend rien aux ohoses de l esprit et uon pas rhomme rationnel \'). C\'est en raisonnant queSt. Paul convainct les Corinthieus de la verite du Christianisme. Or c\'est la toute autre chose que d inoulquor aux enfants une foi avengle a la lettre de la Bible et de les pre-raunir contre 1\'emploi de la raison. Les théologiens se fondent a tort sur le récit mosaïque de la chüte: les premiers hommes sont tombés pour ne pas avoir suivi la raison qui nous apprend a dominer nos appétits. Dira-t-on qu\'il fant se rnéfier de la raison puisqu\'elle est bornée? Mais qui renonce a se servir de ses yeux paree que ceux-ci ne per?oivent pas un mou-cheron qui se trouve au haut d\'une tour, ou de ses oreillts paree que nous n\'entendons pas ce qui se dit a Rome? Du reste les théologiens dans leurs luttes les uns contre les autres ne font pas fi de la raison! »Ihr macht auch lacher-lich — conclut l\'Ineonnu — durch den Widerspruch Eures Thuns, denn Ihr schmaht und lastert dieselbe Vernunft, deren Ihr selbst zu Euren Beweisen und Widerlegungen nicht entbehren könntl Ihr verleidet Anderen den Gebrauch dessen, was Ihr selbst für Euch in jedern Augenblicke anwendet, und seit damit um kein Haar besser, wie die von Euch so verschieienen katholischen Geistlichen, die den Laien das Lesen der Bibel untersagen, weil sie dieselbe allein lesen und nach ihrem Gefallen deuten wollen!

c. Troisième fragment, inlitulé: De Vimpossibilité d\'admettre une révélation unique pour tous les hommes ).

Dans les deux fragments qui suivent 1\'auteur s\'attaque a

\') i Cot. II: 14.

-) Unmöglichkeit einer Offenbarung, die alle Menschen aut eine ge-griindete Art glauben könneu.

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l\'idée courante de Ia revelation en faveur de Inquelle les theologians déaigrent la raison.

Dieu aurait communiqué aux hommes, d\'une manière sur-naturelle, la vérité religiease: l\'humanité se perdrait sans cette revelation. Le Fragmentiste demande a qui cette revelation aurait dü être communiquée. Est-ce a chacun en particulier ? Mais en ce cas Dieu aurait mieux fait de régénérer la nature humaine, de la remettre dans son état primitif et la revelation serait superflae. Mais non ! On pretend que Dieu s\'est révélé a quelqaes personnes privilégiées seulement.

Les difficultés augmentent.

Supposons qu\'il-y-ait eu a toutes les époques des organes de la révélatiou : ceux-ci ont eu a coramuniquer a leurs pro-chains la revelation divine: ces derniers done ne possédaient pas la révélation divine mais seulement uu témoignage hn-main touchant la révélation. II y a dans ce témoignage pour le moins possibilité d\'erreur: tout dépend du témoin. L\'homme est obligé d\'examiner, d\'exercer la critique pour distinguer le vrai du faux. Cette critique est plus nécessaire encore si les révélations ne se renouvèlent pas de generation en généra-tion mais si au contraire elles n\'ont eu lieu qu\'a, quelques rares moments, séparés par de longues intervalles. La tradition se corrompt a travers les ages. — La plus grande difficulté se trouve en ce que tons les peuples se glorifient d\'avoir reiju une révélatiou. Ces révélations multiples se contredisent fréquemment: la vérité de I\'nne entraine la faus-seté de 1\'autre. Chaque peuple prétend que sa révélation a lui est la bonne et traite celle de tous les autres de mensongè-res. Tous en appellent a des visions, a des miracles.

L\'opinion qui attribue a un seul peuple la dignité de »peuple de la Révélationquot; est certes la mieux fondée — mais en même temps ce qu\'on gagne en unité et en certitude on le perd d\'une autre manière! Comment la révélation se répand-elle? Comment la vérité révélée passera-t-elle d\'un seul peuple, habitant un coin obscur de la terre aux autres nations ré-

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pandues sur la surface de notre globe? Combien d\'enfants meurent sans avoir connu la revelation, et qui comptera ces milliers d\'hommes qui ont vécu avant Christ et après lui saus avoir appris la moindre chose de cette révélation qui eat l\'unique voie du salut? Les Juifs qu\'ont-ils fait pour re-pandre la révélation ? Au lieu d\'attirer lea autres peuples vers leur religion ils ont plutot emprunté beaucoup d\'idées reli-gieuses aux peuples étrangers! Mettons enfin que les Juifs eussent voulu communiquer la révélation; les moyens leur faisaient défaut. C\'est done une absurdité que de prétendre que la Providence a voulu communiquer la vérité religieuse au moyen d\'une révélation surnaturelle. Elle ne veut qu\'une seule voie: c\'est la voie naturelle; l\'homme contemple son Dieu dans les ouvrages de la creation.

d. Qualrième fragment, iniilulé: Du passage des Israelites par la mer Rouge \').

Le récit biblique parle de six-cents mille hommes faits qui sont sortis de l\'Egypte. Avec les femmes et les enfants cela fait plus ou moins une masse de trois millions de personnes, qui devait être accompagnée d\'au moins trois-cents mille boeufs, six-cents mille moutons et cinq-mille chars de bagage. D\'après Josèphe cinq-cents mille cavaliers et deux-cents mille Egyptiens poursuivirent les Israelites. Contentons-nous de la moitié. Pour montrer l\'impossibilité du récit biblique nous nous arrêterons aux indications de temps, a ce qui est dit du nombre des hommes et du bétail, a la durée assignée au mouvement, au mauvais ohemin et a la nuit obscure.

Quant au premier point: les deux armées doivent avoir

\') Durchgang der Israëliten durchs rothe-Meer.

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franchi en trois ou qaatre heures une distance de quatre lieues allemandes. 11 n\'est pas impossible a un, bon marcheur de le faire, mais c\'est tout-a-fait impossible pour la multitude dont il est question. Mettez que les Israelites marohassent dix de front et vous aurez trois-cents mille files; mettez trois pas pour chaque file: l\'armée en son entier aurait occupé un espace de neuf-cents mille pas o. a d. qu\'ll faudrait au dernier rang neuf jours et neuf heures pour atteindre la place du premier rang.

Le lit de la mer, d\'après la description de Diodore de Sicile, est fort peu pratieable: les éceuils et les rochers y abondent.

Pensez a robscurité de la nuit; aux petits enfants; aux malades; aux aveugles; aux paralytiques et vous conviendrez que ce miracle est impossible, que le récit se contredit lui-même a tout coup.

e. Cinquième fragment, intitule: Les livres de VAncien-Testament n\'ont pas élé écrits pour révéler une religion \').

Une religion surnaturelle doit avant-tont mettre en lumi-êre l\'immortalité de IVtme. Si Moïse avait eu connaissance de cette vérité il s\'en serait servi pour faciliter sa tache a la tête du gouvernement. II y aurait trouvé des ressources pré-cieuses pour encourager Israël au moment de la conquête. L\'immortalité de Fame donne la solution du problème que posent le malheur des bons et le bonheur des méchants. Mais la Bible elle-même montre que les auteurs de l\'Ancien Testament ne savaient rien de cette consolante doctrine. Une fois

1) Bass die Bücher A. T. nicht geschriehen worden, eine Religion zu offenbaren.

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descendu au sépulcre 1\'homme n\'est plus. Voyez 2 Sam. XIV : 14; Job VII : 9, XIV : 7—16; Psaume VI : 6; Esaïe XXXVIII : 18; Ecclés. IX : 4, 5.

Quant-aux passages qui semblent militer en faveur de la foi a l\'iramortalite il faut avoir soin :

1°. de ne pas confondre les idees apostoliques avec celles de 1\'Ancien Testament;

2°. de ne pas se fier aux versions;

3quot;. de pénétrer a fond dans la signification des mots he-breux. La doctrine de l\'immortalite n\'est connue aux Israelites qu\'après l\'exil. Les Saducéens continuaient a la nier. Jésus adhérait a cette doctrine mais sa réponse aux Saducéens — Matth. XXII : 32 — montre combien il était difficile de trouver dans 1\'Ancien Testament quelque passage qui semblait la prouver. II ne parait pas que les Saducéens aient trouvé sa réplique concluante \').

f. Sixième fragment, intitule: Des récits evangéliques relatifs a la resurrection de Christ \').

l\'Ev. selon St. Matthieu seul en appelle au témoignage des gardiens. Les apótres ne le font jamais, ils s\'appuyeut sur leur propre experience; ce qui n\'avait aucune force contre les adversaires. Le récit des gardiens a été probable-ment inventé pour servir de réponse a ceux qui accusaient les disciples d\'avoir dérobé le corps de Jésus. II est pour-tant t.rès probable que les apótres ont enlevé le corps de leur Maitre et trés invraisemblable que les Juifa aieut placé des gardiens auprès du sépulcre. Comment est-il possible que

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les femmes n\'en eussent rien su? — Pour les détails les évan-gélistes se contredisent tous, — Après avoir énumeré ces con1 tradictions VInconnu s\'adresse a ses lecteurs: En presence de Dien, dis moi, mon lecteur, accepterions nous cette his-toire miraculeuse, raccepterions nous sans examen? Tousles hommes peuvent mourir: ce qu\'ils ne penvent pas c\'est se relever d\'entre les morts. — Des milliers auraient cm en Jésus s\'il s etait montré a eux — mais il ne le fit pas. Ce fait seul suffit pour rejeter le récit de la resurrection. Jamais Jésus n\'eüt abandonné a leur incrédulité tant de milliers d\'êtres humains.

g. Septihne fragment, intitulé: Du bul de Jésus et de ses disciples \').

Ce fragment publie a part fait suite au morceau precedent sur la resurrection \').

La doctrine de Jésus, qu\'on ne doit pas confondre avec celle de ses disciples \'), se résumé dans l\'exhortation suivaute: sConvertissez-vous, car le royaurue des cieux est proehe!quot; *). Jésus n\'enseignait ni mystères, hi trinité, ni expiation mais préchait la conversion. Son but du resle n\'était en aucune fajon d\'abolir le culte mosaïque et de le remplacer par de nou velles cérémonies. Comme ses contemporains Jésus en-tendait par le »royaume des Cieuxquot; un empire terrestre, et

1

Ev. sel. St. Matth. IVquot; ; 17.

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il a cru qu\'il en serait le monarque. Son plan échoua. Jésus paya sa témerite de sa vie. Ses disciples alors modifiêreut, »en peu de joursquot; (!!) leur sgt;systèmequot; et prêchèrent un Messie souffrant. Dans les évangiles, composes bien des annees après la mort de Jésus, on a arrange les faits d\'après ce nouveau système.

Après la resurrection, le retour de Jésus joue un röle important dans la predication apostolique. Comme Jésus ne revint pas du vivant de ses disciples on inventa des explications tres subtiles pour ne pas donner un démenti a ses paroles. La »seconde épitre de St. Pierrequot; est un échantillon de cette espèce d\'apologie \').

Ainsi les deux faits principaux du christianisme »liistorique\' disparaissent devant 1\'examen.

Mais quel but les apotres avaient-ils en inventant ce nouveau christianisme ? Le Fragmentiste répond; Ayant aban-donné leur métier de pêcheurs, mais se voyant de^us dans leurs espérances ils changèrent les idéés primitives pour ne pas être obligés de reprendre leur métier, car ils savaient que la carrière de isRabbiquot; était lucrative. Ils établirent le communisme et surent habilemeut utiliser les discussions des doc-teurs juifs entre-eux — comme on le voit par 1\'exemple de bt. Paul — pour se mettre a 1\'abri des poursuites. Ils frappèrent leur grand coup le jour de la Pentecóte, et le communisme leur assura un succes considérable.

§ 2.

Lessing, editeue bes feagments de Wolfbnbuttle.

Les Fragments de Wolfenbuttle font partie d\'un écrit dont le manuscrit original se trouve depuis Octobre 1814 dans la bibliothèque de Hambourg et qui porte le titre de: Apologie

■) 2 Pierre UI : 8—17.

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oder Schutzschrift für die vernünftigen Verehrev Gottes \'). C\'est le professear H. S. Reimarus de Hambourg qui en était l\'auteur 2). Lessing publia des fragments de son oeuvre sans le nommer. II ne mentionna jamais l\'anteur qu\'en Tap-pelant »T\'Inconnuquot;. Reimarus de son cóté n\'avait pas voulu livrer son ouvrage au public ne jugeant pas le moment propice \').

II avait ecrit sous I\'empire de doates multiples qui le tour-mentaient; il avait éprouvé le besoin d\'aller au fond dea questions si epineuses de la religion, qui se présentaient en foule a son esprit, et son livre avait ete le truit de son travail. Reimarus avait ete destine par ses parents a la carrière ecclésiastique, mais 1\'orthodoxie de son temps repoussait son intelligence, qu\'il ne pouvait pas non plus se résoudre a faire plier sous la discipline de Ia pedagogie d\'alors. Son esprit et son coeur se revoltaient quand ses parents et ses maitrea s\'efforyaient de lui inculquer la doctrine du catéchisme et la lui présentaient comme la religion immuable qu\'il était de son devoir d\'accepter intégralement 1). II avait besoin d\'examiner et de réfléchir. II s\'occupa avec indépendance des questions religieuses, dévora maint ouvrage de controverse et d\'apo-logie chrétiennes. Les défenaeurs de l\'ortbodoxie ne purent le convaincre ; il trouva dans la Bible trop de choses cho-quantes. Le dogme de la trinité lui paraissait contradictoire, et quoiqu\'il se consola par la pensée, que »nous ne connaissona qu\'en partiequot; il se mit a adresser ses prières au Créateur et non plus a la Sainte TrinitéNe parvenant pas a réaoudre

1

Voyez D. F. Strauss. o. c. 40—35.

5) Ich sah mich endlich genöthigt, die üreieinigkeit aus meiner Vor-stellung wegzulassen und Gott fein natürlich als meinen Schöpfer und Wohlthater zu verehren.\'\'

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ses doutes il renon^a a la théologie, choisit une autre carrière et se déoida a ohercher une forme de religion a laquelle sa raison püt adherer. II coucha par ecrit ses résultats, les revit, les remania bien des fois: enfin son ame fut contente. II aurait été heureux de communiquer son bonheur aux autres tnais il prévoyait que sa religion rationnelle serait univer-sellement repoussée et qu\'il déchainerait, contre lui, par une publication prématurée, les passions ecclésiastiques et politi-ques \'). II résolut de se taire. »Oe ne sera jamais avec mon consentementquot; dit-il »qa\'on livrera mes pensees au publicquot; 2). Le jour du triomphe de la vérité viendra: tout homme sera libre d\'adorer Dieu d\'apres sa conscience et c\'est alors qu\'on lira son ouvrage. Quelques raois avant sa mort il remit son manuscrit au professeur 0. D. Ebeling, bibliothécaire de la ville, et en envoya une copie a la bibliothèque de Göttingue.

Lorsqu\'il publia le premier fragment Lessing prétendit ig-norer qui en était l\'auteur\'). (Jette fausse pretention est plus qu\'nne slicentia litterariaquot; *): il-y-avait mensonge. L\'excuse de Lessing se trouve dans son désir d\'éviter des désagréments aux enfants de Rei mar us. Dans la première des lettres reünies sous le titre de: sgt;Anti-Goetzequot; (1778) Lessing dit: Sie irren sich sehr wenn sie glauben, dass der üngenannte ganz aus der Welt geblieben ware, wenn ich ihm nicht herein geholfen hatte. Vernehmen sie, dass das Buch ganz existi-ret, nnd bereits in mehrern Abschriften existiret 5). Dans

\') Voyez WW. X : 207.

J) Zeitsohrift für die Historische Theologie 1850. S. 623.

») WW. IX : 416.

lt;) Dr. S. Baart de la faille: //G. E. Lessing en de Wolfenbuttelsche Fragmentenquot;. Dissertation présentée a la Paculté Théologique de Leyde. 1867.

s) Lessing dit ceoi en contradiction flagrante avee la préface du 1° fragment. C\'est-ce qu\'il a senti sans le reconnaïtre ouvertement: freylich, als ich die Fraginente heraus zu geben anfieng, wusste ich, oder \'insserte noch nicht dass das Buch ganz vorhanden aey, zu mehrern Orfen vorhan-den sey. (WW. X : 198).

Voyez 1). F. Strauss, o. c. p. 12—23,

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sa »Dnpliquequot; (1778) Lessing avertit les théologiens, de ne pas mepriser l\'Inconnu. Denn man möchte sonst sich ganz laelier-lich gemacht haben wenn man endlich erfahrt, wer der ehr-liohe, unbescholtene Mann ist, über den man so ohristmilde gespöttelt; wer der ünstreitige Gelehrte ist\'). Dans le n0. 40 des »Freyw. Beitr.quot; un anonyme, parlant du bruit d\'après leqnel Reimarus aurait été l\'Inconnu, s\'indigne de cette supposition, affirmant que le caractère du défunt orieiitaliste était beaucoup trop respectable, pourqu\'il eut pu se rendre coupable d\'une telle production. II raconte que le Licenoié Wittenberg possédait des lettres de Reimarus fils, dans les-quelles celui-ci repoussait ces bruits com me des: »menson gesquot; et des »calomniesquot;1). Le 16 Mars 1778 cependant. Lessing écrit a Reimarus fils: Ich will den sehen, dem ich gesagt habe dass Ibr sel. Hr. Vater der Verfasser der Prag-mente sey! Ich habe so vielerley Vermuthungen über den wahren Verfasser anhören, so vielerley Ausfragen Jesfalls aushalten mussen: dass es zwar wohl seyn kann, dass ich unter denen, auf welche man gerathen, auch manchem Ihren Urn. Vater mit genannt habe .... Aber wer da sagt, dass Ich ihn für meinen Kopf, und nicht aus fremder Vermuthung dafflr ausgegeben habe, der sagt es wie ein Schurke. Après avoir excité la curiosité des théologieus, Lessing s\'en moque: Welche elende Neugierde, die Neugierde nach einem Namen! nach ein paar Buchstaben, die so oder so geordnet sind! Ich habe gewarnet, dem ünbekannten nicht gar zu buben-maszig zu begegnen, damit raan sich nicht allzusehr schamen müsse, wenn man endlich einmal erführe, wer er ge-wesen \'). Seuls Hamann et Herder savaient le nom de l\'Inconnu. Dans une lettre a Herder de 1770, Lessing dit encore: Ich habe wirklich das ganze M. S. nicht in Eau-

1

WW. X ; 222,

3) Neuvieme lettre: quot;Anti-üoczequot; WW. X : 215—221.

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den und habe es nur bey Leute gelesen, die eutweder viel zu eifersüohtig, oder viel zu furchtsam damit sind, als dass sie rair es anvertrauen mochten; so viel und heilig ich auch die vom letztern Schlage versichert habe dass ich alle Gei\'ahr auf mich allein nehmen wolle. En se donnant 1 air d avail\' eer coiiinu; une conjecture l\'idée que Jjorenz Schmidt \') pour-rait bien être VIwconnu, Lessing a simplement fait usage d\'une ruse pour mieux cacher son secret.

II est difficile de dire avec quelque certitude comment le manuscrit soit venu entre les mains de Lessing. Est-ce Reima-rus fits qui le lui a donné? La chose est peu probable, en tout cas nous n\'avons a ce sujet aucune indication pramp;ise !). Ou bien est-ce Eiise Reimarus qui a donné 1\'ouvrage de son père a Lessing? Par sa correspondance avec celui-ci nous savons qu\'elle s\'intéressait vivement a la polémique suscitée par la publication. Lessing lui en est reconnaissant\'). On ne saurait opposer a cette supposition la volonté de Reimarus que sa fille aurait dü respecter car Lessing a peut-être publié les fragments sans le consenlement de celle-ci. Oette manière d\'agir était assez dans ses habitudes. II a fait im-primer les »Discours Philosophiquesquot; de Mendelssohn, sans de-

i) Da, naoli der Hand und den iiussern Bescliaffonheit seiner Papiero zu urtheilen sie olmgefahr vor dreyssig Jahren gcscbrieben seyn mögen; da aus vielen Stellen eine besondere Kenntniss der Hebriiischen Spraehe erhellet, und der Verfasser durehgangig aus Wolffischen Grundsatzen philosopbirel: so haben micli alle diese Umstande zusararaen an einen Mann erinncrt, welcher um besagte Zcit, bier in Wolfenbüttel lebte, und bier, unter dem Scbutze eines einsicbtsvollen und gütigen Fürsten, die Duldung fand, welcbe ibn die wilde Orthodoxie lieber in ganz Europa nicht batte finden lassenj an Schmid, den Wertheimsehen Uebersetzer der Bibel. WW. IX: 416—«7.

!) Voyez Zeitsch. für die bist. Tbeol, 1839 IV. S. 133.

3) Ich danke Ibuen für die gütigen Wünscbe zu Fortsetzung meincr Streitigkeit. Lettre de Lessing a Elise Reimarua du 9 Aoüt 1778.

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mander l\'approbation de cette démarche a son ami »le pli:-losophequot; \').

Quoiqn\'il en soit, il n\'y a nul doute que Reimarus ne soit l\'autenr des fragments. Basedow, a qui Lessing laissa voir le manuscrit, reoonnut l\'écriture de son mattre, et s\'écria: Reimarus, Reimarus en est l auteur et personne d\'autre.quot; Lessing ne repondit rien. Pour garantir la familie Reimarus Lessing prétexta son ignorance: Es sind, aage Ich, Fragmente eines Werks: aber ich kann nicht be-stimmeu, ob eines wirklich einmal vollendet gewesenen and zerstörten, oder eines niemals zn Stande gekommenen Werks. Denn sie haben keine algemeine Aufsohrift: ihr Urheber wird nirgends angegeben; auch habe ich auf keine Weise erfahren können, wie und wenn sie in unsere Bibliothek ge-kommen 1).

Pourquoi Lessing a-t-il publié ces fragments ?

Dans 1\'introduction au fragment intitule; Von Duldung der Deïsten, il dit que la dramatique histoire d\'Adam Neuser, lui a donne l\'idée de publier ce morceau: »Sie ist es, die mich an Fragmente eines sebr merkwiirdigen Werks unter den allerneuesten Handschriften unserer Bibliothek, und beson-ders eines derselben so lebhaft erinnert, dass ich mich nicht enthalten kann, von ihnen überhaupt ein Wort hier zu sagen und dieses eine als Probe daraus mitzntheilenquot; 2j.

Cette histoire de Neuser n\'a cependant pas ete la raisou déterminante de la publication. Ce que VJnconnu écrit au sujet des » Proselytes de la Portequot; est digne de l\'attention des savants, dit Lessing, c\'est pourquoi je publie ce morceau —

1

WW. IX : 416.

2

) WW. IX : 416.

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raais il est clair que Lessing avait un autre but, qu\'il ne vou-lait pas énoncer tont de suite.

Le premier fragment fit peu de bruit; una seconde publication rendrait les esprits plus attentifs \').

En 1777, en effet, Lessing pnblia les cinq fragments sni-vants dans lesquels l\'Inconnu attaque non seulement les bases du système orthodoxe, mais aussi l\'histoire de la resurrection du Seigneur. Dans ce que Lessing ajoute aux fragments nous voyons que son intention est de provoquer une lutte théo-logique \').

Und nun genug dieser Fragmente! Wet von meinen Le-sern mir sie aber lieber ganz geschenkt hatte, der ist sicher-licb furcbtsamer, als unterrichtet. Er kann ein sebr from-mer Christ sein, aber ein sehr aufgeklarter ist er gewiss nicht. Er kann es mit seiner Religion herzlich gut meinen: uur müsste er ihr auch mehr zutrauen.

Les grands principes mis en avant par Lessing dans sa lutte avec Goeze se montrent deja:

Denn wie vieles lasst sich auf alle diese Einwürfe und Schwierigkeiten antworten! Und wenn sich auch, schlech-terdings nichts darauf antworten liess: was dann? Der ge-lehrte Theolog könnte am Ende darüber verlegen sein; aber

auch der Christ? Der gewiss nicht..... Ihm ist es doch

einmal da, das Christenthum, welches er so wahr, in wel-

chem er sich so selig fühlet.....Kurz: Der Buchstabe ist

nicht der Geist; und die Bibel ist nicht die Religion. Folg-

\') Das vierte St.ück von meinen Beitragen ist eben fertig geworden. Es ist ganz theologisch, und ich bin begierig zu vernehmen ob die Orthodoxen mit meiner oder des Ungenannten Arbeit zufriedener sein werden. Lei-tre dn 8 Jan. 1777.

!) Die Fragmente hatten die Absieht den Forschungsgeist unter den Theologen zu wecken und zu einer scharfern Kntik hinzufübren. L. Pelt. Real. Encyclopadie de Herzog VIII : 336 -340.

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6rgt;

lich siud Einwürfe gegeu den Buohstaben und gegen die Bibel, nicht eben auoh Einwürfe gegen den Geist und gegen die Religion. Denn die Bibel enthült oifenbar Mehr als zur Religion gehöriges: und es ist blosse ITypothes dass sie in diesem Mehrern gleich unfehlbar sein müsse. Auch war die Religion, elie eine Bibel war. Das Christentlium war ehe Kvan-gelisten und Apostel geschriebea batten. Es verlief eine geraume Zeit, ehe der erste von ihnen schrieb; und eine

sehr betrilchtliche, ehe der gauze Kanon zu Stande kam.....

Die Religion ist nicht wahr, weil die Evangelisten und Apostel sie lehrten; sondern sie lehrten sie weil sie wahr ist.....

Dieses also ware die allgemeine Autwort auf einen grossen Theil dieser Fragmeute, — wie gesagt, in dera sohlimmsten Palle. In dem Falle, dass der Christ, welcher zvigleich Theo-log ist, in dem Geiste seines angenommenen Systems, nichts Befriedigendes darauf zu antworten wisse. Aber ob er das weiss, woher soli er selbst die Erfahrung haben, woher sollen wir es ihm zatrauen, wenn es nicht erlaubt sein kann alle Arten von Eiuwfirfen frei und trocken herauszusagen ? Es ist falsch, dass schon alle Einwürfe gesagt sind. Noch falscher ist es, dass sie alle schon beantwortet waren. Ein grosser Theil wenigstens ist eben so elend beantwortet, als elead gemacht worden. Seichtigkeit und Spötterei der einen Seite hat mau nicht selten mit Stolz und Naseriimpfeu auf der an-dern erwiedert.... Wahrlich, er soil noch erscheinen auf beiden Seiten soil er noch erscheinen der Mann, welcher die Religion so bestreitet, und der welcher die Religion so ver-theidiget, als es die Wichtigkeit und Würde des Gegenstan-des erfordert. Mit alle den Kenutnissen, aller der Wahrheits-

liebe, alle dem Ernste!.....Wie nabe uuser Verfasser den

Ideale eines echten Bestreiters der Religion gekommen, liisst sich ans diesen Fragmenten zwar einigermaassen schliessen, aber nicht hinliinglich erkennen. Raum genug scheint er mit seinen Laufgraben eingeuommen zu haben, und mit Ernst gehet er zu Werke. Mcichte er bald einen Mann erwecken.

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der dein Ideale eines echten Vertheidigers der Keligion nuv eben so nalie kame! \')

Tout oeoi est parfaitement clair. Nous voyons que par la publication des fragments de Vlnconnu Lessing veut provoquer ce choc des opinions dont jaillit la vérité. II veut contrain-dre et les orthodoxes et les Aufkldrer a prendre conscience de leur position. II faut qu\'ils se défendent ou ali-diquent\').

§ 3.

Lessing, critique des kbaoments de Wolfeubuttle.

Quelque grande que soit l\'estime que Lessing professe pour Vlnconnu et pour son oeuvre, il fait des réserves et joint au texte des remarques critiques. Ces observations toutefois sont superficielles. II est facile de voir que Lessing a cviti; de propos délibere de dcvoiler le cote le plus vulnerable de Vlnconnu. II veut avertir que son auteur n\'est pas inattaquable et donne Ini-même le signal de l\'attaque. D\'autres le suivront. Chacun combattra a sa fa^on, et Lessing jouira du spectacle se réser-vant d\'intervenir sérieusemeut a son jour et a son heure quot;).

\') WW. X: 9—12.

2) Es lasst sich nicht bezweifeln, dass Lcssiag bei der Herausgabc seiner Fragmente keine üble Absieht gehabt habe, Seine bestimmten Er-kliirun^en darühc verdienen bei seinem geraden Character völliges Ver-tranen. Er war selbst darüber im Unklaren, in wie weit die Darstellung des Unbekannten Glauben verdicne oder nicht uud wünsehte selbst, Be-lehrnn^ darüber zu erhalten. (Dr. C. H. Gildemeister: J. G. Hamacns des Magns iin Norden, Leben und Schriften, p. 294). Voyez surtout WW. XI; 542—543.

\') Lorsqne Goeze, le plus ardent adversairc dc Lessing, prctendit que Lessing, s\'il avait pu prévoir les conséqucnces de la controverse se serait bicn

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C\'est pourquoi sa première critique ne porte pas sur les points essentiels, Lessing met en avant des arguments dont lui-même devait bien sentir les faiblesses \'). II regarde ces premiers commencements de la lutte comme une gymnastique spirituelle. Ayant par devers-soi son avis, il encourage tantót les orthodoxes, tantut les Aufkldrer contre 1\'Inconnu dont il dé-fendra la cause ensuite. Lessing joint done a sa publication des Fragments de Wolfenbuttle, des observations critiques dont voici le résumé:

a. Critique du premier fragments). Ce que 1\'Inconnu dit des prosélytes de la porte est connu, ce qn\'il en déduit, pour plaider la cause des déistes en Allemagne, est nouveau mais erroné. Supposons admis que les prosélytes füssent des déistes, Vlnconnu doit encore prouver qu\'ils jouissaient en Israël de tons les privileges que les déistes contemporains réclament pour eux-mèmes. Ces derniers veulent qu\'on les tolère sans leur imposer aucune condition. lis veulent jouir de la libertó de combattre la religion chrétienne; de se moquer du Dieu des chrétiens. C\'est un peu trop exiger, dit Lessing. Jamais on n\'aurait permis aux prosélytes en Israël d\'attaquer la religion établie 8).

Cette critique n\'est ni juste, ni sérieuse. D\'abord, Vlnconnu n\'avait point revendique pour les déistes la liberté de se moquer du Dieu des chrétiens, et pour ce qui concerue celle de

gardé de reveler //les pensées véritables desoncoeurquot; (Lessings Schwaehen 2e Stüek) ce dernier répondit: #lch habe niehts mehr gewünseht als das.quot;

* Depuis longtemps déja il s\'était demandé: //(ciuid liquidum sit in causa Christianorum.M Voyez Tétude inédite, de Ia vie de Lessing, qu\'il avait voulu diriger contre Walch, intitulée Bibliolatrie. WW. XI: 536—552.

\') II écrii a son frère Charles — lettre du 16 Mars 1778— bedenk, dass ich nicht alles was ieh yvjxyacmxuc schreibe, audi ^oy/xart/.w? schreiben würde

3) Voyez p. 49 de ce travail.

•») WW. IX: 417—42J,

5*

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oombattre la religion chrétienne, liberte que Lessing n\'auvait pas voulu admettre, nous savous trop que tel déiste accuse d\'avoir attaqué la religion chrétienne, aurait ete défendu par Lessing lui-même. Celui-ci aurait avancé que le déisme n\'at-taque pas le christianisme en lui-même, raais une certaine conception du christianisme.

b. Critique du second fragment \'). 11 semble vraimcnt (|ue dans ce morceau Lessing s\'occupe peu du fond des choses. On dirait qu\'il prend plaisir a la lutte qui se prépare et qu\'il se fait une sorte de jeu d\'offrir dans ses remarques des armes dont il espère que les oombattants s\'empareront avec empres-seinent, mais dont il se garde bien de garantir la solidité.

Volei ce qu\'il dit. C\'est la raison qui doit decider de la possibilité et de la nécessité d\'uue révélation; comme il y a plusieurs religions prétendues révélées la raison indiquera encore celle parmi toutes, dont la prétention est réellement fondée. Si dans cette religion il-y-a des choses qui dépas-sent les forces de notre intelligence, celle-cl verra dans ce fait une preuve de son caractère revélateur, car qu\'est-ce qu\'une réyélation qui ne révèle rieu ? 1)

L\'erreur de ce raisonnement est évidente: on charge iel la raison de prononcer sur des choses qui sont au-dessus de sa portée.

Lessing continue; La soumission de la raison a la révélation est done impliqure dans le principe de quicouque main-tient la réalité de cette dernlère. La nécessité de cette soumis-

1

) Ob eine OlfenbarLiug seyn kann, und seyn muss, und wclcliö von so vielen, die darauf Ausprueli macbeu es wahrscheinlich sey, kaïm nar die Vernunft entscheideu. Aber wena eine seyn kann, und cine seyn muss, nnd die rechte einmal ausfündig gemacht worden, so musses der Vernunft eher noch ein Bewds mehr fur die Wahrheit derselben, als cin Einwurt\' durwidor seyn, wenn sic Dinge darinn findet, die ihren Begriff übersteigen. WW. X: 13—17.

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sion est la consequence dn fait que la raisou est limitee, Tel est le terrain dont ne peut pas sortir quiconque admet la réalité de la revelation, car il est logiquement force de soumet-tre sa raison a celle-ci. II ne se servira pas de sa dialectique oomme peuvent le faire les apötres de la religion ration-nelle. La religion révélée et la religion rationnelle, n\'ont pas la même méthode. C\'est comme la chiromancie et la géométrie.

c. Critique du troisième fragment \'). L\'Inconnu démontre clairement Fimpossibilite d\'une revelation a laquelle tons les hommes puissent croire, dit Lessing. Dien done ne saurait rendre possible cette revelation universelle. Mais supposons qu\'une revelation soit utile et nécessaire. Dien n\'aurait-il pas pu la donner? Dieu priverait-il l\'humanité d\'un bienfaitpour le motif, que tons les membres de celle-ci ne sauraient eu profiter au même moment, dans la même mesure? Et la voie que la suprème Sagesse, la suprème Bonté a cboisie n\'a-t-elle pas été la meilleure? Qui serait capable de démontrer que la révélation, accordée a un autre peuple, dans une autre époque, au moyen d\'une autre langue, eüt éclairé un plus grand nombre d\'hommes et dans an plus court espace de temps ? Contre la these de l\'Inconnu, Lessing pose la sui-vante: le peuple juif est le seul qui se soit chargé de la mission de communiquer et de répandre sa religion. Du reste, ni Christ, ni l\'église n\'ont enseigné que la connaissance de la révélation soit nécessaire au salut, même de cenx, qui n\'ont pas pu y parvenir. Je répète ma critique déja indi-quée: l\'Inconnu confond le Christianisme lui-même avec telle ou telle conception exprimée dans tel ou tel livre sytnboli-que, quoiqu\'il faille convenir que les plus conséquents de ces derniers ue l\'aient pas été tout-a-fait et qu\'ils aient souvent repris d\'une main, ce qu\'ils avaient donné de l\'autre Jj.

1) Voy. p. 52 de ce travail.

2) WW. X: 17—21.

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d. Critique du quatriime fragment \').

Jamais, dit Lessing, le récit du passage de la mer rouge n\'a été critique aussi profondément et si exactenient que par VInconnv. Aussi 1\'orthodoxe rationnel cherchera-t-il d\'autres arguments pour défeudre sa these. Mais il ne rénssira guère. L\'orthodoxe conséquent saura mieux se maintenir. Tout est miraculeux dans ce récit, dira-t-il, surtout la rapidité de la marche des Israélites. Und wenn der Orthodox so antwortet, wie will man ihm beykommen ? Man kann die Achseln zucken über sein Antwort, so viel man will; aber stehen ranss man ihu doch lassen wo er steht. Das ist der Vortheil, den ein Mann hat, der seinen Grundsatzen treu bleibt 8). Cela est certes trés vrai; mais n\'est-ce pas réduire 1\'orthodoxie a une absurdité que de lui donner ce conseil?

e. Critique du cinquième fragment s). L\'immortalité de 1\'anie, est absolument absente de 1 Ancien Testament, a ce que dit VInconnu. Soit! Qu\'on fasse même un pas de plus, dit Lessing, qu\'on prétende que le peuple d\'Jsraël avant 1\'exil n\'ait pas eu 1\'idée nette de l\'unité de Dien. Cette supposition est en eff\'et probable. En tout cas, l\'unité de Dieu, pour la conscience israélite n\'est point l\'unité transcendentale, et xué-taphysique qui est maintenant a la base de toute théologie naturelle. L\'intelligence hnmaine (der gemeine menschliche Verstand) n\'a pas pu s\'élèver a cette hauteur-la, dans des temps si reculés et dans le sein d\'un seul peuple, si peu artiste et si peu savant que l\'était le peuple d\'lsraël, et qui, de plus, se refusait au contact avec les peuples plus cultivés. L\'idée de l\'unité de Dieu, vivante dans la conscience israélite eüt empêché l\'idolatrie, le peuple n\'eüt pas honoré les idoles du nom de dieu, n\'eüt pas nommé le vrai Dieu son Dieu, ni

\') Voyez p. 54 de ce travail. s) WW. X: 21—25. 3) Voy. p. 55 de ce travail.

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le Dieu de son pays, ni le Dieu de ses per es. Bref, le Dieu unique de l\'Ancien Testament c\'est le plus grand des dieux. Malgré tout oela, je puis justifier les voies que Dieu a suivies quot;vee son peuple. La divinité des livres de l\'Ancien Testament doit se prouver tout autrement que Ton ne s\'y prend d\'ordi-naire. Les plus profondes vérites de la religion naturelle se trouvent dans d\'autres livres religieux de l\'antiquitc, aussi bien que dans la Bible. Tels sont les saints livres des Brahma-nes. De tout temps il-y-a eu des grnies religieux qui devan-9aient leurs contemporains et dont les énoncés ctaient comme des revelations pour leurs prochains. Encore maintenant nous avons de ces génies religieux, mais qui voit en eux une intervention directe de Dieu? Ou ue saurait en démontrer l\'existence: a plus forte raison ne le peut-on pas faire pour les propliètes d\'autrefois, et de l\'autre cóté, des livres religieux peuvent venir de Dieu saus qu\'ou y trouve l\'indicatiou de l\'immortalité. Ces livres peuvent enseiguer la religion sa-lutaire {Seligmachende Religion) c\'est a dire la religion qui rend rhomme heureux, dans la sphère de son développeraeut relatif; car pourquoi cette religion qui sauve ne s\'adapterait-elle pas aux différentes phases des progrès de l\'homme ? Certes cette religion qui sauve n est pas la religion chrétienne; mais le principe sauveur est toujours le même quand même les difiërentss formes de religion en ont eu des conceptions différentes entre-elles \').

II est facile a, constater que Lessing n\'a point la sérieuse intention de réfuter VInconnu. Celui-ci attaque la doctrine orthodoxe, officielle, envisageant l\'Ancien Testament comme revelation et Lessing — niant la possibilité de démoutrer rintervention directe de Dieu — nous donne sous le nom de révélation le rc\'saltat relativement parfait de l\'activité des hommes de génie, le fruit de forces inhérentes a la race hu-

\') WW. X; 25—29.

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d. Critique du quatrième fragment

Jamais, dit Lessing, le récit du passage de la mer rouge n\'a été critique aussi profondément et si exactement que par VInconnu. Aussi 1\'orthodoxe rationnel cherchera-t-il d\'autres arguments pour défendre sa thèse. Mais il ne reussira guère. L\'orthodoxe conséquent saura mieux se maintenir. Tout est miraculeux dans ce récit, dira-t-il, surtout la rapidité de la marche des Israélites. Und weim der Orthodox so antwortet, wie will man ihm beykominen ? Man katin die Achseln zucken über sein Antwort, so viel man will; aber stehen mass man ihn doch lassen wo er steht. Das ist der Vortheil, den ein Mann hat, der seinen Grundsatzen treu bleibt s). Cela est certes trés vrai; mais n\'est-ce pas réduire l\'orthodoxie a une absurdité que de lui donner ce conseil?

e. Critique du cinquième fragment 1). L\'immortalité de 1\'iime, est absolument absente de 1 Ancien Testament, a ce qne dit VInconnu. Soit! Qu\'on fasse même un pas de plus, dit Lessing, qu\'on prétende que le peuple d\'Israël avantl\'exil n\'ait pas eu l\'idée nette de 1\'unité de Dieu. Cette supposition est en etfet probable. En tont cas, l\'unité de Dieu, pour la conscience Israelite n\'est point l\'unité transcendentale, et mé-taphysique qui est maintenant a la base de toute théologie naturelle. L\'intelligence humaine (der gemeine menschliche Verstand) n\'a pas pu s\'élèver a cette hauteur-la, dans des temps si reculés et dans le sein d\'un seul peuple, si peu artiste et si peu savant que 1\'était le peuple d\'Israël, et qui, de plus, se refusait au contact avec les peuples plus cultivés. L\'idée de l\'unité de Dieu, vivante dans la conscience Israelite eiit empêché l\'idolatrie, le peuple n\'eüt pas honoré les idoles du nom de dieu, n\'eüt pas nommé le vrai Dieu son Dieu, ni

1

) Voy. p. 55 de ce travail.

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le Dieu de son paye, ni le Dieu de ses pères. Bref, le Dieu unique de l\'Ancien Testament c\'est le plus grand des dieux. Malgre tout cela, je puis justifier les voies que Dieu a suiyies 11 vee son peuple. La divinité des livres de l\'Ancien Testament doit se prouver tout autrement que l\'ou ne s\'y prend d\'ordi-uaire. Les plus profondes vérités de la religion naturelle se trouvent dans d\'autres livres religieus de 1\'antiquité, aussi bien que dans la Bible. Tels sont les saints livres des Brahma-nes. De tout temps ii-y-a eu des gr nies religieux qui devan-yaient lenrs contemporains et dont les énonoós étaient eomme des revelations pour leurs prochains. Encore maintenant nous avons de ces génies religieux, mais qui voit en eux une intervention directe de Dieu? On ne saurait en démontrer I\'existence: a plus forte raison ne le peut-on pas faire pour les prophètes d\'autrefois, et de l\'autre cóté, des livres religieux peuvent venir de Dieu sans qu\'on y trouve l\'mdication de l immortalité. Ces livres peuvent enseigner la religion sa-lataire {Seligmachende Religion) c\'est a dire la religion qui rend l\'homme heureux, dans la sphere de son développement relatif; car pourquoi cette religion qui sauve ne s\'adapterait-elle pas aux différentes phases des progrès de l\'homme ? Certes cette religion qui sauve n\'est pas la religion chrétienne; mais le principe sauveur est toujours le même quand même les diiférentes formes de religion en out eu des conceptions différentes entre-elles \').

II est facile a constater que Lessing n\'a point la sérieuse intention de réfuter l\'Inconnu. Celui-ci attaque la doctrine orthodoxe, officielle, envisageant l\'Ancien Testament comme revelation et Lessing — niant la possibilité de démontrer l\'intervention directe de Dieu — nous donne sous Ie nom de róvi\'latiou le résultat relativement parfait de l\'activité des hommes de génie, le fruit de forces inhérentes a la race hu-

\') WW. X: 25—29.

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maiue. Toute la critique de ce fragment n\'est qu\'une occasion que Lessing utilise pour devf\'lopper sa propre tlirorie i). Voici I\'analyse de I\'ctude jointe a la critique du cinquième fragment, etude qu\'il a cuniplrtee plus tard dans son ouvrage intitule: Education du genre humain. [Die Erziehungdes Men-schengeschlechts) \'). Ce quest IVducation pour 1\'iiidividu, la ri\'vélation Test pour tonte rhumanité. Il-y-a beaucoup d\'avan-tage pour le théologien a considcrer la revelation comme une education du genre humain. Or IVducation ne donne rien a I\'homme que ce qu\'il est capable d\'acquérir de lui même: seulement elle le lui donne plus vite et plus facilement qu\'il ne pourrait de lui-même le conquérir. De même la revelation ne donne pas au genre humain ce que la raison abandonnée a elle-même n\'aurait pas pi d \'eouvrir mais elle le lui donne plus rapidemeut. Comme le pedagogue procédé lentement. pas a pas, de même Dien se révèle progressivement. La vérite. ne brille pas tout d\'abord de tout son éclat. mais les voiles qui la couvrent sont tirés les uns après les autres. Lessing pour-suit cette loi grnér le dans le développement de 1\'idee de Dieu dans 1\'Ancien Testament, dans la relation établie entre le bonheur et l\'observation de la loi, dans la doctrine de l\'immortalité de 1\'ame. Les livres de l\'Ancien Testament étaient le manuel du peuple élu. Quand celui-ci se le fut a;-similé un rueilleur pédagogue dut venir. . . . Christ parut \')•

ƒ. Critique du sixiime fragment *).

Oette critique est la plus remarquable de toutes. Lessing distingue d\'abord entre les témoins — ceux qui out vu le Seigneur ressuscité — et les évangélistes, car si quelques uns

\') Voyez F. Lichtenberger, Histoire des idees religieuses en Allemagne. Tome I, p. 90 -95.

s) WW. X : 308 - 320.

3) WW. X : 308—321, § 1—53.

4) Voy. p. 56 de co travail.

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de ceux-ci out été témoins, ils ne l\'ont pas óte de tous les faits qu\'ils rapporteut. Pour ce qui coucerne ceux des évau-gelistes qui sout censes avoir vu le Seigneur ressuscité, aucun parmi eux n\'a été témoin oculaire de toutes les apparitions. Par conséquent il-y-a deux sortes de contradictions possibles. Les contradictions entre les témoins et celles qui existent entre les historiem,

Y-a-t-il des contradictions entre les témoins oculaires? Les récits renferment-ils des contradictions des témoins oculaires entre-eux? Nous ne pouvons les constater. Ce ne sera le cas que si un évangéliste se contredit en racontant une histoire dont lui-même a été témoin — ou si plusieurs évangélistes se contredisent dans le récit d\'une histoire dont ils ont été témoins tous ensemble; je ne connais pas de telles contradictions, dit Lessing.

Y-a-t-il eu des contradictions entre les témoins: les témoins indépendamment des récits se sont-ils contredits entre-eux? En apparence? Pourquoi pas? Chaque témoin ne remarque pas dans un mêtne événement, au même moment, au même endroit les mêmes choses! L\'attention de 1\'un s\'occupe de ce que l\'autre négligé.

Y-a t il eu des contradictions réelhs ? Comment le saurions-nous? A-t-on interrogé méthodiquement tous les témoins? En tout cas le proces-verbal de eet examen fait défaut, et on a autant de droit de répondre oui, il y a eu des contradictions re\'elles que de le nier. Mais celui qui dit now, s\'ap-puye a juste-titre sur l\'existence de l\'église chrétienne.

En admettant done des contradictions entre les récits on ne saurait pourtant pas en démontrer entre les témoins \'). Lessing montre que ceux qui se scandalisent des contradictions des évangiles entre-eux raisonnent au point de vue de l\'inspiration mécanique II écrit les paroles suivantes, qui sont

\') Voycz pour les contradictions entre les évangiles: WW. X ; 46—121 el p. 81 tie ce travail.

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remarquables : Aber der Heilige Geist, sagt man, ist bey diesen Nachrichten wirksam gewesen.. . . Ganz Recht; nehmlich da-durch dass er jeden zu schreiben getrieben, wie ihm die Sache nach seinem besten wissen und Gewissen bekannt gewesen. Sollte der Heilige Geist in dem Augenblicke da sie die Feder ergriffen, lieber ihre verschiednen Vorstellungen einförmig, und eben durch diese Einformigkeit verdilchtig machen, oder sollte er zugeben, dass die Verschiedenheit beybehalten wurde. Sagt man, Verscbiedenheiten sind keine Wiederspniche ? Was sie nicht sind, das werden Sie in dem zweyten und dritten Muude. Nur ein fortdauerendes Wunder hiitte es ver-hindern künnen dass in den 30 bis 40 Jahren, ehe Evangelisten schrieben, solche Ansartungen der mündlicheu Erzahlnng von der Auferstehnng sich nicht eraugnet batten \').

Lessing a public la septièma fragment sans y ajouter d\'ob-servations critiques.

Dans la suite de la controverse Lessing distingue toujonrs nettement sa propre cause de celle de Reimarus. 11 appelle ce dernier un »naturalistaquot; !) at il mat en lumière la difference fondamentala qui axiste éntra las principes de l\'Inconnu et les siens propras. Ich habe nirgend gesagt, ccrit-il contre Goaze, dass ich die ganze Sache meines Ungenaunten, völlig so wie sie liegt, für gut und wahr halte. Ich habe das nie gesagt: vialmehr habe ich gerade das Gegentheil gesagt. Ich haba gesagt und erwiesen, dass wenn der üugenannte auoh noch in so viel einzeln Punkten Recht habe und Racht be-halta, im Ganzen dennoch daraus nicht folge, was er darans folgern zu wollen schaine 1).

La Fragmentiste est en somme un rationaliste, plus prné-trant, plus conséquent qua Nicolaï et son entourage il est vrai, mals il n\'-y-a antre-aux qu\'une difference de degré. Pour

1

) WW. X: 171. \') WW. X: 204.

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lui, comme pour les rationalistes vulgairs et pour les liomraes de 1\'école conservatrice, le Christianisme tombe en même temps que le canon infaillible. La verite, pour se maintenir a be-soin tl\'autre chose encore que de sa i\'orce intérieure, ou mieux dit, Reiraarus ne tient aucun compte de celle-ci quand il examine les idéés fondamentales de l\'ancien système. Ce trait de parente entre l\'Inconnu et les rationalistes est même si accentué que Nicolai a pensé, que Lessing voulait se consilier les faveurs de 1\'orthodoxie, en attaquant les fragments 1j.

Une autre düférence caractéristique entre l\'Inconnu et Lessing se trouve en ce que le premier assigne un róle trés grand a la fraude dans la composition des récits évangéliques 2) tandis que Lessing repousse cette explication de toute son energie et considère les contradictions des évangiles entre-eux, comme nées de la tradition orale qui est toujours favorable a la formation des légendes. A eet égard encore Reimarus est homme de son temps. Lessing prophéte de 1\'avenir.

Enfin Lessing se garde bien d\'adhérer a l\'arbitraire dog-matique avec lequel l\'Inconnu pose ses premisses. Ce dernier est complètement influence par la dogmatique du déisme. Par exemple: n est-il pas arbitraire de dire que pour être recon-nue comme religion réve ée, une religion doit enseiguer la doctrine de 1\'immortalité de Fame ?

C est paree que Lessing attaque les Aufklcirer aussi bien que les orthodoxes de son temps, que la publication de l\'ouvrage de Reimarns a occasionné une levée géuérale de boucliers. Du reste Lessing ne s\'est pas seulement contenté de contredire soit ceux, qui pour maintenir la vérité défendaient l\'autonté extérieure, avec laquelle elle tombe ou subsiste, soit ceux qui, acceptant cette même dépendance croyaient réfuter la vérité

\') Man mag es mir glauben oder nicht seine (Lessings) Absieht war der orthodoxen Parley dnrch die Herausgabc einen Dienst zu erzeiquot;en. WW. Xllh 186. Note de Nicolaï.

J) Voyez le sixième et le septième fragment.

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en detruisant Tautorité, mais il a encore pivpare la voie de l\'école nouvelle qui ne connait point d\'autorite\' que celle qui est inherente a la vérité.

8 4.

Lbs a ü vers aires.

Avant de déciire la lutte suscitée par la publication des fragments nous voulons passer en revue les combattants. Grande fut rémotion causée dans Ie monde théologique par l\'cuvrage de Reimarus. II est vrai que le morceau snr la tolerance ii l\'égard des déistes, pussa presqu\' inapenyu mais la publication qui suivit, appella sous les armes des tliéologiens de toutes les couleurs. Savants et gens sans culture lurent Ie fragment sur 1\'histoire de la resurrection. La Bibliotbèque allemande, dans son compte rendu des fragments (1779; trouve superflu de donner une analyse du sixième fragment: chacun dit-elle, le conneit. Elle prédit la lutte qui va s\'engager \'). En effet plus de cinquante (\'crits de controverse furent diri-gés contre les fragments. II va sans dire que toutes ces brochures et études n\'ont pas toutes une égale valeur. Celles qui prirent Lessing lui-même a parti oiïient le plus grand iuté-rêt: on ue le mit pas seulement dans la nécessité d\'interve-nir en faveur de l\'Inconnu, dont trés souvent on n\'avait pas compris les idees, mais encore on Ie for^a de se défendre lui-même. Lessing n\'a pas répondu a tout, et celles des attaques qu il a négligées sont tombées dans l\'oubli.

Le premier essai de réfutation fut celui de Schumann, di-

\') Bald werden die Streit- und Widerlegimgsscliriften welclie gekommen sind gegen die Fragmente eine kleine Bibliothek ausmachen. A. D. B. XX XIX: ii.

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rectenr a Hanovre. Son ecrit porta le titre de «Evidence des preuves pour la verité de la religion chrétiennequot; \'), et pro-voqua de la part de Lessing le morceau bien connu, intitulé: »Sur la demonstration d\'esprit et de puissancequot; \') et un autre intitule; ^Testament de St. Jeanquot; s). Schumann répliqua par sa »Réponse a l\'écrit de Lessing sur la démonstration d\'esprit et de puissancequot; 1).

Ress, superintendent a Wolfenbuttle dirigea contre I\'ouvrage publié par le bibliothécaire son »I listoire de la resurrection de Jesusquot; 2). La »Dupliquequot; quot;) de Lessing qui est de la mêrne an nee ne le découragea point puisqu\'il donna une «Réponse a la Duplique\'\' \').

Goeze se mit en scène pour la premiere fois par sa brochure intitulée »Réponse provisoire aux attaques directes ct indirectes de Mr. Lessing Conseiller de la Cour contre notre tres Sainte religion et son unique fondement 1\'Ecriture Saintequot; s) suivie de prés par les prémiers numcros de la série: )gt; Faiblesses de Lessingquot; 3),qui se montra cependaut trés fort dans sa »Parabole, suivie d\'une petite demande et d\'une lettreéven-

1

) Antworfc auf Lessing\'s Schreiben fiber den Beweis des Geistes und der Kraft. 1778.

2

5) Die Auferstehungs-Geschiebte J eau. 1777.

3

\') Lessing\'s Schwaohen. 1—3tes Stiiek. 1778.

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tuelle de provocationquot; ]). Parnrent ensuite les sAxiomes s\'il en existe dans ces matièresquot; a); sRéponse nécessaire a une question trés superflae de Mr. Ie premier pasteur Goezequot; ainsi que la »Suite de la rcponse nécessairequot; \')■ Les onze morceaux, intitules : »Anti-Gözequot; 1) sent dirigés contre Göze, Behn (auteur de la Defense de l\'histoire biblique) et Wittenberg (auteur de la Missive a Mr. Ie conseiller de la cour Lessing).

La mort empêcba Lessing de répondre a tous ses adver-saires. Parmi les compositions littéraires et tbéologiques, trou-vées dans ses papiers après sa mort, et publiées par son frère Cbarles on compte les études intitulées: »Bibliolatriequot; 2), »des Traditeursquot; \'), »Lettres aux tbcologiensquot; s) — écrites contre Walch pour répondre aux »Recherches sur l\'usage de l\'Bcri-ture Saintequot; 3) de celui-ci —, »Nouvelle lettre sur la démon-stration d\'esprit et de puissancequot; 4), qui est la réponse au

1

s) Anti-Goeze. D. i. Nothgedrungener Beytrage zu den i\'reywilligen Bcy-triigen des Ilm. Past. Goeze. J\'rster bis Elfter. WW. X: 166—234. 1778.

2

fi) G. E. Lessing\'s Bibliolatrie. WW. XI; 537—551.

3

^ Untersucliungen vom Gebraueb der H. Schrift u. s. w. 1779.

4

iquot;) Ueber den Beweis des Geistes und der Kraft. Ein zwe.ytcs Scbreiben an den Herrn Direktor Schumann in Hannover. WW. XI: 518—521.1778.

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dernier morceau de Schumann, sllilkijaquot;1), dirigt; contre Jerusalem auteur des »Lettres sur les écritures de Moïse et. sur Ia philosophiequot; 2). Une reponse a Touvrage de Less intitule »De la vérité de la religion Chrétienuequot; quot;). »Lettre et demandequot; 3) dirigée contre la »Réponse aux Fragments de rinconnuquot; 4) de Semler5).

La plupart de ces ouvrages posthumes sont restés inachevés et même a l\'etat fragmentaire. Nous nous abstenons de l\'énu-mération compléte de tous les noms qui ont brille plus ou moins dans la controverse pour en venir a la description de la lutte elle-même 6).

1

\') Hilkias. WW. XI: 449—454.

2

) Briefe iiber die Mosaische Schriften und Philosophic.

3

) Ein Schreiben und cine Anfrage, petit fragment qui se trouve: WW. XT: 536—537.

4

B) Beantwortung der Fragmente eines Ungenannten. 1779.

5

) Les priucipaux adversaires étaient. des théologiens orthodoxes. Semler cut peur lorsqu\'il vit ou ses propres principes devaient conduire quiconque pensait avec plus de conséquence que lui-mcmc. Son livre contredit en sommc son point de vue a lai et mérita la réponse de Lessing; Wcnn wir von Herrn Semler nicht glauben sollen, dass er im Grunde mit meinem Verfasser einerley Meynung sey, so muss er uns ohne Anstand deutlich und bestimmt sagen 1° worinn die all gem cine christliche Religion bestehc etc. Ich kaun Semler\'s Interesse — dit Lessing ailleurs — von dem mei-nigen nicht früh genug absondcrn. Deun, wcnn ich mit ihm auch jezt auf cinem Wege zu wandeln scheine, so wollen wir beydc doch gewiss nicht nach cinem ürte (Sogenannte Briefe an den Herrn Doktor Walch). WW. XI: 564.

6

) Schwarz o. c. p. 146, 147.

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§ 5.

La polémique.

La Bibliothèque allemande loua hautement Lessing de sa publication, raais n\'épargna pas a VInconnu ses amères re-proches. Elle ne relève pas seulement bien des injustices com-mises réellement par celui-ci ïi Pégard de l\'apótre Paul, mais elle se permet niéine d\'exprimer ses doutes sur son sérieux. On dirait, lisons-nous\') dans le compte-rendu de la Bibliothèque: Der ünbekannte meyne es mit dem Forschen nach der Wahrheit nicht so ehrlich, als es sonst das Ansehen hat, sondern sey sohon im Voraus wider sie eingenommen. Le ton moqueur et sarcastique de VInconnu est l\'objet d un blame sevère, fréquemment repéte. Pour ce qui concerue Lessing la Bibliothèque relève l\'inutilité de eet argument; Le Christia-li isme ayant existé sans les livres du Nouveau-Testament, sabsisterait quand-même ces livres se perdraient, argument qui ne tient pas compte de la réalité, car la tradition orale, a laquelle Lessing en appelle corromperait dans le couraut des siècles les données de l\'histoire. Elle se demande ensuite, si Lessing tout en conservant le mot de revelation, n\'en sa-crifie pas le sens, et 1\'explication dti passage de la mer rouge, proposée par Lessing, lui parait une satyre. Elle n\'en veut pas pour cela a Lessing car: difficile est satyram non scribere.

Le premier qui entra scriensetnent en lice fut le directeur Schumann de ITanovre. En Septembre 1777 parut son ouvrage, dont nous avons dé ja indiqué le titre au paragraphe précédent. Pour défendre la cause du Christianisme apostolique 1\'auteur insiste sur ce que Origène, sur les traces de l\'apótre Paul nomme: sla demonstration d\'esprit et de puissancequot; et qui se trouve dans l\'accomplissement des prophéties en la

\') A. D. B. XXXIX, p. 30—53.

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personae de Jésus, ainsi que dans les miracles acooraplis par Ie Seigneur et ses apotres. C\'est la pour Schumann la preuve essentielle de la divinité de l\'Évangile apostolique. Les premiers chrftiens, oomme les premiers heretiques, les apotres et les pères apostoliques attestent la réalité des miracles, lis en ont ete les témoins oculaires. Schumann repousse avec indignation l\'acousation de fraude portee par VJnconnu con-tre les apótres — et, quoiqu\'il confonde d\'une maniére regrettable le christianisme apostolique, avec le système luthé-rien, il a touché juste en disant: Ce sont les operations surnaturelles du Saint-Esprit dans la conscience du fidéle qui lui donnent une divine certitude de sa foi. En transpor-tant ainsi tout le poids de la discussion sur le terrain de la conscience renouvelée, Schumann entrevoit la portée ethi-que des questions soulevées. Nous reviendrons a cette idee dans notre partie critique 1). Disons encore que le livre do Schumann est écrit dans un esprit modeste et sérieux: au grand détriment de leur cause ses successeurs se distinguent en général par leur arrogance et leur ton pen charitable.

Lessing répondit a Schumann par son écrit: «Demonstration d\'esprit et de puissancequot;, dans lequel il distingne entre les propbéties dont il voit I\'accompliBsement et celles dont I\'accomplissement est attesté par des témoins oculaires. II établit la même distinction pour les miracles. Contemporain de Christ, dit Lessing, les propbéties accomplies en sa personne auraient fixé sur lui mon attention. Si je l\'avais vu faire des miracles, de vrais miracles, j\'aurais subordonné mon intelligence a la sienne. Maintenant — comme je vis aa dix-huitième siècle — cette demonstration d\'esprit et de puissance n\'en est plus une pour raoi mais devient seule-ment un témoiguage humain, au sujet de la demonstration d\'esprit et de puissance.

\') Voy. p. 112, 113 de ce travail.

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Il-y-a entre moi et le miracle un «mediumquot; qui öte au miracle toute force probante pour moi. (\'e que des historieus digues de foi me raconteut est-il pour moi aussi certaiu que ce que je veis? Ou ue peut pas démoutrer des verités Ms-toriques: celles-ci douc ue sauraieut avoir tout le poids de vérités démontrees, surtout: on ue saurait rieu prouver par leur moyen, c. a. d. que des vérités historiques (accidentelies) ue peuveut pas servir de preuve pour des verités ratiouuelles (nécessaires). Je ne uie pas que Christ ait accompli des miracles, mais je nie que le récit de ces miracles puisse me forcer de croire en la doctrine de Christ. Cette doctrine je l\'accepte pour d\'autres raisons. Car enfin, que veut dire; croire a une vérité historique? Kien d\'autre que ceci: ne pas la contredire et permettre qu un autre foude dessus une autre vérité historique. Si je crois a la réalité de la resurrection de Christ, dois-je done croire pour cela même que le Christ ressuscité soit le Fils de Dieu? Que Christ s\'est dit Fils de Dieu: je ladmets volontiers, mais o\'est faire une utjaftaais £\'? allo ytvoc; que d\'exiger de moi de modifier mes idéés sur Dieu paree que je ne puis rien dire contre la réalité de la resurrection. Dira-t-on; oui, mais e\'est le Christ ressuscité qui s\'est dit le Fils de Dien, je répondrai: le fait qu\'il l\'a dit ne constitue qu\'une vérité historique. Je ne puis pas aller plus loin. Ici se trouve le pas que je ne saurais franchir.

Schumann revint a la charge au mois de Décembre. Nous ne donnerons pas d\'analyse de son second écrit, qui a été le dernier mot de Schumann dans cette polémique et qui ne mérite pas tellement l\'attention par la critique qu\'il contient de la definition proposée par Lessing, de la foi dans une vérité historique, que par sa these, destinée a être mal-comprise par un des écrivains rationalistes de la Bibliothèque: Nous ne considérons pas les vérités du Christianisme corame des vérités rationnelles nécessaires. Elles sont quelque chose

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d\'accidentel pour la raison \'). Lessing répliqua par son dialogue, intitule; Testament de St. Jeanquot;), dans lequel il rappelle que le fruit le plus exquis du Christianisme se trouve dans 1\'amour fraternel, reoommandc par le vieillard St. Jean, aax chrétiens d\'Ephèse: Mes petits enfants aimez-vous les uns les autres. Lessing lui-même cependant est fort loin d\'obéir a cette reeommandation lorsqu\'il termine son dialogue comme suit; O, vous seul, vous êtes un vrai chrétien! Et versé dans les Ecritures.... comme le diable! \')

L\'annee suivante, 1778, Lessing publia sa »Dupliquequot; contre l\'ouvrage anonyme de Ress. L\'écrit de ce dernier ne pos-sède aucune valeur soientifique — quoique Goeze l\'ait ap pelé un sclief-d\'oeuvrequot; avant-que Lessing l\'eut anéanti — et porte au comble l\'arbitraire de 1\'harmonistique. Kess combine les données contradictoires des évangiles, en inven-tant une histoire dont Funique source est ce que les histo-riens ne disent pas. II mérite a tous égards l\'e\'crasante Duplique de Lessing. Celui-ci commence par bien dessiner les opinions en presence. ■ Mon Inconnu pretend, dit-il, que les contradictions des évangiles sant une raison de plus pour ne pas croire en la resurrection;

Moi, je réponds: La resurrection peut avoir eu lieu quand-même. les évangiles se contredisent.

UAnonyme (Ress.) dit: II faut croire en la résurrection paree que les évangiles ne se contredisent pas.

\') Wir hielten die Lekrsatze des Christenthums nicht für noUiwendigc Vemunftwahrheiten. Sie waren der Vemunft etwas Zufiilliges. Voy. notrc partie critique.

!) Möchte doch alle, welche das Evangelium Johannis trennt, das Testament Johannis wieder vcreinigen. Es ist freylich apokryphisch, dieses Testament: aber darum nicht weniger göttlich.

3) O, sie allein sind ein wahrer Christ! Und belescn iu der Schrift wie der Teufel! On regrette aussi que Lessing écrive a ee momeat a son frère Charles: Besonders freuc ich mich, dass Du das haut-comique der Polemik zu goutiren anfangst. Lettre du 25 Février 1778.

c*

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Lessing exige que la critique historique procédé pour l\'his-toire evaugelique, com me pour 1\'histoire profane. ïite-Live et Tacite racontent souvent un seul et même fait en se contredisant pour les détails. Nieni-t-on pour cela l\'évène-ment raoonté? Non certes! qu\'on fasse autant pour les cvangiles. Voici ses propres paroles: Wenn nun Livius imd Dionysius und Polybius und Tacitus so frank und edel von uns behandelt werden, dass wir sie nicht urn jede Sylbe auf die Folter spannen: warum deun nicht auch Matthaeus und Marcus? \')

Lessing met en lumière les contradictions entre;

1°. Luc. XXIII: 56 et Marc. XVI: 1.

2°. Jean XIX: 38—42 et Luc. XXIV: 50—5G, Mare. XV: 43—XVI: 1.

3°. Matthieu XXVIII: 1—8 et les paralèlles.

4°. La contradiction entre les récits au sujet des anges.

5°, Luc. XXIV: 9—11 et Jean XX: 1—3.

6quot;. Jean XX: 11—18 et Matthieu XXVIII: 8—10.

7°. Matthieu XXVIII: 9b et Luc. XXIV: 39, Jean XX: 17 et 27.

8quot;. Matthieu XXVIII: 7—10, Marc. XVI: 7 et Luc. XXIV: 49.

9°. Jean XXI: 1—23 et Matthieu XXVIII: 16—19.

10°. Les contradictions comprises dans la neuvième contradiction.

Ces contradictions, Lessing les relève non pas pour verser le mépris sur les Ecritures, mais pour dévoiler la faiblesse de l\'harmonistique. Quelque ingénieuses que soient les explications, au moyen desqnelles, (less essaye de consilier entre-eux les récits évangéliques, l\'inanité en apparait devant la critique lumineuse de Lessing. Celle-ci prouve que l\'or-thodoxisme ne prend pas I\'Ecriture au sérieux, qu\'il tqrd

\') WW. X: 52, 53.

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les annales (\'vangeliques au profit du systèuie. Le système a besoin d\'un code revêtu d\'ane autorité extérieure, qui de son cóté presuppose 1\'absolue infaillibilihé de toutes les parties du canon, qui ne tolère auonne contradiction entre-elles; exigeance aprioristique que la critique démontre illégi-time: II faut en finir, dit Lessing, on ne saurait suspendre a une toile d\'araignée l\'éternité toute-entière. Le système achète-t-il son existence au prix de la vérité; le christia-nisrue ne le peut pas. II se ruinerait en l\'esaayant car il est la vérité \').

La »Défense de 1\'histoire biblique de la resurrection de Jésus,quot; par Behn parut en cette même anuée aussi, 1778, et eut une deuxième édition. Behn s\'attache surtout a montrer que la question de la résurrection est la question vitale du Christianisme évangélique ; que les récits de ce fait ne sauraient se contredire en réalité, car les auteurs eu étaient inspirés par Dieu: assertion qui exprime Ie eercle vicieux de 1\'ortliodoxisme. L\'Tnconnu s\'il faut en croire Behn est un individu »dangereuxquot;, »méprisablequot;, et »Iiceucienx.quot;

Lessing n\'a pas répondn expressément a cette attaque. Un homme bien plus important que Behn, allait l\'occuper ; Goeze, le premier pasteur de l\'église de sainte Catherine a Hambourg.

II n\'entre pas dans notre sujet de faire la biographic de eet ecclésiastique, remarquable par ses qualités comme par ses défauts, ni de nous raêler dans la vive polémique, qui s\'est engagée au sujet de son caractère 1).

1

) Vüyez Jobanu Melebior Goeze, eine Rett.ung, von Dr. Georg Rcin-bard Rope, ordentiicbem Lebrer an der Realsebule des Jobanneums zu Hamburg (Hambourg, li60) et 1\'ebsai de refutation de eet ouvrage, intitule : Lessing und Goezc. Eine Beitrag zur Literatur und Kircbenge-scbiebte des aclitzelraten Jabrbunderts. Zugleicb als Widerlegung der

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Représentant de 1\'orthodoxie luthérienne rigide, et attaché de tout son coeur au système ancien; caractère plus opini-atre encore que ferme; esprit cultivé tnais peu penetrant Goeze le dogmaticien a eu le malheur de s\'être aventuré dans le domaine de la critique: surtout d\'y avoir eu Lessing pour adveraaire. La dialectique de Lessing embrouille le pasteur a chaque moment; aveugM par ses preventions dog-matiques, Goeze ne discerne que rarement le veritable point en litige et oppose des armes rouillees aux traits acérés de Lessing. Son orgue.il d\'éeclésiastique »orthodoxequot; lui joue de mauvais tours. II s\'imagine devoir facilement avoir raison d\'un laïque. Teute la lutte de ces deux hommes, si differents lJun de l\'autre, révèle i\'lnferiorite intellectuelle de Gofeze \') — mais on commet souvent une injustice criante en ne relevant que les erreurs, que les défauts de Goeze, en prenant la cavricature que Lessing a bien voulu faire de lui pour son portrait. Qui peut nier le sérieux de eet homme, et qui ne regrette pas que blessé par les sarcasmes de son antagoniste, il se soit oublié lui-même? Goeze est devoré de zèle pour Ia cause du Christianisme, son tort est de confon-dre celle-ci avec celle de son église, de son école, de son système, pour ne pas dire de ses opinions personnelles. Lessing a pressenti dès le commencement oü se trouvait le point vulnerable du pasteur, il en a profité pour excercer sa dialectique; 1\'histoire de cette controverse nous fera voir clairement que Lessing a voulu le triomphe de la vérité mais qu\'en même temps il a voulu faire briller son esprit. II a donné a Goeze une le5on de logique formelle a l\'occa-

Jtöpe\'schen Schrift: Jobann Melchior Goeze, Eine Rettirag.quot; Von August Boden. Leipzig und Heidelberg. G. F. Winter\'sclie Verlagshandlung. 1862.

Voyez encore sur Goeze 1\'exeellent article de Sudhoff dans l\'Encyelo-pédie de Herzog I: 220—229.

i) Voyez van Toorenenbergen. o. c. p. 68, 69.

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sion d\'une lutte, dout la gravity devait exolure toute autre intention que celle de faire triompher le vrai. De la ces malentendus, ces quiproquos au milieu desquels Groeze ue sait pas se debrouiller, et le role sacrifié dont ii se charge, sans le savoir — au grand amusement de Lessing. \') Mais nous voulons ctre d\'abord témoins de la lutte, en réservant a Qotre partie critique les jugements a porter.

Dans les »Hamb. freyw. Beitr. zu den Nachrichten aus dem Keiclie der Grelehrs.quot; de Tan 1778. 2) Goeze avait porté son attention sur les introductions et les critiques dont Lessing avait accompagné les fragments publiés. II trouvait les idees de Lessing »vaguesv, »ambiguësquot;, »chancelantesquot; ou «erronneesquot; et, malgré les bonnes relations qui avaient existé jusqu\'alors entre Lessing et lui, il ne cachait point son indignation contre l\'éditeur d\'un ouvrage qu\'il croyait devoir qualifier de »blaspliématoire.quot; Pour donner le signal d\'une attaque plus générale, Goeze fit imprimer dans un seul volume les numéros indiqués plus haut des Hamb. freyw. Beytr., six critiques du livre de Belui, de celui de Schumann, ainsi que celles de la Duplique et du Testament de St. Jean, sous le titve de Réponse provisoire etc. \') Contenue dans les premiers morceaux, la colère théologique de Goeze lui inspira ensuite bien des grossièretés, dont Lessing s\'est vengó dans la suite du combat, en lachaut la bride a sa mordante ironie. II ridiculise son adversaire au moment même oü il l\'anéautit. Goeze avait promis une refutatiou détaillée des idees de Lessing avant la fête de Paques 1778. Comme après Paques

*) Goeze est un de ees hommes qui ne semblent complets quo paree qu\'ils sont absolumeut nail\'s. Lessing se trompait: il espérait dans le comraeneemeut pouvoir s\'entendre partaiteaient avee Goeze, et le coin-plimentait mêrae pour sa consequence, mais ne tarda pas a reeocnaïtre son illusion. Julian Schmidt. Voy. Revue de Théologie et dc Philosophic de Mrs. Astic et Dandiran. Juillet 1877.

s) Nos. 55. 56. 61. 62. 63.

3) Voy. p. 77 de ee travail.

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cette refutation n\'avait pas encore paru. Lessing lan9a sa »Parabolequot; etc. dout voici 1\'analyse:

a. La parabole. Un sage roi avait fait construire un pa-lais d\'une grandeur exceptionnelle, d\'une construction extraordinaire. Elle était cependant solide cette maison royale: elle subsista durant des siècles, un pen bizarre a l\'extérieur, tandis que l\'intérieur en était bien éclaire et régulièrement bati. Quiconque se piquait d\'architecture critiqua I\'appa-rence extérieure du batiment: il-y-avait pen de fenêtres ïnais d\'autant plus de portes de différente forme et de tonte grandeur. On ne comprit pas, comment les appartements du palais étaient éclairés: quelques personues seulement savaient que le palais recevait sa lumière d\'en haut. On ne voulait pas d un si grand nombre de portes: une grande porte de chaque cóté du batiment aurait suffl, trouvait-on. Quelques persounes seulement savaient que, grace a ce nombre infini de portes et d\'entrées, quiconque avait a faire dans le palais parvenait directemeut a 1\'appartement qu\'il clierchait. Les soi-disants conuaisseurs done se disputaient entre-eux. Les plus zèK\'s combattants étaient ceux qui avaient le moins vu de l\'iutérieur. Ce qui aggravait la contestation était l\'existence de vieux plans du palais, qui provenaient disait-on de l\'architecte lui-même. Mallieureusement on ne compre-nait guère les signes dont l\'auteur de ces plans s\'était servi; on en avait perdu le secret a peu-près. Chacun d\'ex-pliquer ces signes a sa manière! Quelques personnes seulement disaient; qu\'avons-nous a faire de ces plans? 11 nous suffit de savoir par l\'expérience journalière que le palais est rempli de la sagesse la plus bienveiilante. Ces gens la avaient fort a souftrir. S\'ils approchaient une lumière de quelqu\'un des plans pour aider a mieux voir, on les accusait de vouloir mettre le feu au palais, Un beau jour, dans un temps oil les discussions s\'ótaient presqu\' appaisées, los gardes s\'écrièrent, au milieu de la nuit: Au feu! Le palais brüle! Chacun des architectes s\'éveille, mais an lieu de cher-

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cher ce qui était précieux, les gens entendns se précipitent daus la rue. (\'Imcin, son plan a la main, et saus apporter le moindve secours, se met a y montrer a ses voisins l eu-droit, oü dans son opinion, le feu se trouve. Pendant ce temps le palais aurait été consummé, s\'il avait réellement brülé .... mais les gardieus avait pris Taurore boreale pour une incendie.

b. La demande. ün pasteur et un bibliothecaire sont trèa différents. On peut les comparer a un berger et un herbo-riseur. Ce dernier s\'efforce de trouver de nouvelles plantes sans demander si telle plante trouyée est vénéneuse ou nou. Les plantes vénéneuses peuvent être utiles, en tout cas il est utile de les connaitre. Le berger au contraire ne oon-nait que les plantes de la prairie, ne s\'occupe que de celles qui sont bonnes pour ses brebis. II en est de même de nous deux, mon révérend! Je suis bibliothécaire, et je m\'efforce de trouver des livres, de les publier, sans me Remander si on les trouve utiles on non. Mais vous, vous pesez la valeur des livres d\'après les besoins de votre trou-peau. Et vous êtes digne de louange pour cela-même. Vous faites votre devoir: permettez-moi d\'aecomplir le mien. Mais — ce n\'est pas la ma demande! II est des gens dont je ne demande que ce que je suis en droit d\'exiger d\'eux. Vous avez été injuste a mon égard! Vous avez mal interprêté mes paroles. J\'ai dit; quand même on ne saurait lever toutes les objections que la raison oppose a la Bible, la religion pourtant demeure dans le coeur des chrétiens qui ont Ie sentiment in time des vérités religieuses. Vous me faites dire; On ne peut pas défendre la Bible contre les objections de la raison 1;. En tout cela je ne veux pas vous supposer

\') Ich babe gesagt, wenn man auch nicht im Stanrie seyn sollte, alle die EinwürfD zu heben, welche die Vernuntt gegen die Bibel zu machen, so geschaftig ist: so bliebe dennoch die Religion in den Herzen derjenigen Christen unverrückt nnd unverkümmert, welche ein inneres Gefühl von den wesentlichen Wahrheiten derselbeu erlangt, haben. WW. X : 1^7.

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de mauvaise intention. Vous vous êtes trop pressé. Eh bien, réparez votre tort: sinon je vous laisserai eorire — comme je vous laisse prêcher.

c. Lettre de provocation.

J\'avais pensé, Mr le pasteur, en avoir fini aveo vous. Mais je viens de lire les nos 61—63 des Preyw. Beitr. et je suis comme stupéfait. Comment c\'est le même homrae qui a écrit ces numéros et les numéros precedents? Comme vous passez du blanc au noir! La postérité dira; Goeze a-t-il été homme a faire entendre a son adversaire au même instant des compliments doucereux et des imprecations violentes? Mais que nous importe la postérité Mr. le pasteur, la postérité qui peut-être pariera tout autrement! Je pense aux contemporains et je ne veux pas que vous me decriiez devant eux, que vous leur disiez que je n\'ai pas de bonnes inten-tipns a 1\'égard de l\'église luthérienne, d\'aussi bonnes intentions que vous avez.

Vous, Mr. le pasteur, avez-vous la moindre étincelle du feu sacré de Luther? Vous qui n\'êtes pas même capable de comprendre son système? O püt-il prononcer, lui que j aime-rais avoir pour mon juge, toi, Luther! toi, qui es méconnu dans ta grandeur! C\'est toi, qui nous a délivrés du joug de la tradition, qui nous délivrera du joug de la lettre qui est encore plus difficile a porter? Qui nous apportera un chris-tianisme tel que toi, tu le prêcberais maintenant, tel que Christ lui-même le prêcherait? Qui? . . . 1)

\') Erst soli uns horen, erst soli iiber uns urtlieilen, wer horen uud ur-theilen kann und will. O dass Er es konnte, Er, den ich am liebsten zu meinem llichter haben machte i — Luther, du! — Grosser, verkannter Mann! Und von niemanden mehr verkannt, als von den kurzsichtigen Starrköpfen, die, deine Pantoffeln in der Hand, den von dir gebalmten Weg, schreyend aber gleichgiiltig daher schlendern! — Du hast uns von dem Joche der Tradition erlöset: wer erlöset uns von dem uncrtragliehern Joche des Buchstabens! Wer bringt uns endlieh ein Christenthum, wie du es itzt lehren würdest; wie es Christus selbst lehren würde! VVer.... WW. X : 130, 131.

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Monsieur le pasteur, je me ris de vos foudres. Carhomme contre homiue — je ne dis pas cause contre cause — sept Groezes ne valent pas un septième de mon Inconnu. Pour vons communiquer mon intention: Eorivez, Mr. le pasteur, et faites écrire, tant que vous ie voudrez: j\'écrirai moi aussi. Si jamais je vous donne raison, contre moi ou contre mon Inconnu, sans que vous l\'ayez réellemeut, dites que moi, je ne sais plus manier la plume.

Bnsuite, Lessing dirigea ses »Axiomesquot; contre Goeze. Celui-ci se fondant sur son interpretation des idees de Lessing émises en 1777, lors de la publication des Fragments (n0. 2—6 \') avait désigné Lessing comme un »adversaire de la religion chrétiennequot; Lessing voulaut rétablir le sens de ses affirmations antérieures reproduit ses »Axiomes\'\' mais dans un autre ordre. Son adversaire le comprendra mieux et reconnaitra avec lui, que les apologies du Christianisme exis-tantes ne sent point ce qu\'elles doivent être.

Voici les »Axiomes.quot;

1. II est manifeste qu\'il se trouve dans la Bible des matières, en outre de ce qui fait partie dn domaine de la religion.

2. C\'est une pure hypothese que d\'attribuer a ces matières une même infaillibilité qu\'au reste.

3. La lettre n\'est pas l\'esprit et la Bible n\'est pas la religion.

4. Par conséquent, ce n\'est pas encore attaquer l\'esprit et la religion que de faire des objections a la lettre et a la Bible.

5. De plus, la religion a eté, avant que la Bible fut.

6. Le Christianisme a existé avant que les évangelistes et les apotres écrivissent. II s\'est ecoule un espace de temps assez long, avant que le premier d\'eux se mit a écrire et un espace de temps tres considerable avant que le canon entier fut complet.

i) Voyez p. 64 et G5 de ce travail.

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7. Quelque importance que 1\'on veuille done attribuer a ces écrits, il est cependant impossible d\'en faire dépendre la rérité toute entière de la religion cbretienne.

8. S\'il a existé nne époque oü la religion chrétienne avait pris deja une trés grande extension, oü elle avait déja fait la conquête d\'un tres grand nombre d\'ames et oü néanmoins il n\'ayait pas encore été éerite une seule lettre des documents qui nous sont parvenus, il doit être possible aussi que tout ce que les évangélistes et les apótres ont écrit vint a se perdre et que la religion, qu\'ils ont enseignée, subsistat.

9. La religion n\'est pas vraie pour avoir ete enseignée par les évangélistes et les apótres, mais ceux-ci Tont enseignée paree qu\'elle est vraie.

10. C\'est la vérité interne de cette religion qui doit donner l\'explication des traditions qui nous sont parvenues par écrit, et toutes les traditions écrites ensemble ne peuvent conférer a la religion quelque vérité interne si elle ne la possède pas par elle-même

Après les »Axiomesquot; parurent les diatribes, intitulées »Anti-Goezequot;, onze études en tout, dans le courant de l\'année 1778.

Dans la première de ces brochures, qui a trait a un article de Goeze dans le nquot;. 71 des »Freyw. Beytrquot;, Lessiug écrit a celui-ci: Vous pouvez, tous les buit jours, couvrir ma voix en criant, mais comme auteur vous n\'aurez pas raison de moi. Pourquoi vons irriter contre moi de ce que j\'ai publié les Fragments? Sans moi, le monde les aurait également connus ; ils existent en plusieurs manuscrits. Comment ai-je done mérité un »Reichshofrathsconclusumquot; arrêté contre moi? Est-ce la agir dans I\'esprit de Luther? Si les pasteurs luthérieus se transforment en petits papes, moi je me range d\'abord du eóté du grand Pape! Lessing montre ensuite comment les mêmes idéés ont été accreditees par Goeze et condamnées par lui comme blasphématoires.

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II les a accreditees dans sa critique de l\'ouvrage de Mascho, intitule »Vertheidigung der christlichen Religionquot; — que Lessing prefers rait intituler: Vertheidigung der christlichen Religion des Herrn Mascho, — il les a condamnées dans sa polémique contre Lessing. Mascho approuvé par Goeze, avait prétendu, lui anssi, que la Bible contient la revelation mais n\'est pas identique avec elle; qu\'il faut distinguer entre la lettre et 1\'esprit de la Bible, que la religion est antérieure a la Bible. N\'est-ce pas appliquer une double mesure que de blamer Lessing d\'avoir défendu la même thèse, et faire ce qui est une abomination devant Dieu ? La théorie de 1 inspiration, comme Goeze la conyoit, conduira Mascho au naturalisme, comme elle y a conduit l\'Inconnu. Lessing n\'a pas de crainte pour lui-même: il y a des têtes mieux organisées que celle du Fragmentiste! Que Goeze prenne garde! II peut tomber, comme VInconnu, comme Mascho, dans l\'abime oü le poussent ses propres idees.

Le morceau suivant, avec l\'épigraphe tirée de Lucien ;

Bella geri placeat nullos habitura triumphos, a étó écrit sur la lecture du livre, intitulé Réponse provisoire etc., et contient d\'abord una foule de traits piqnants, d\'ingénieuses observations sur le style et sur la logique, de comparaisons entre un comédien et un pasteur, Le premier fera un sermon s\'il le veut, Ie dernier écrira une piece de theatre s\'il le peut. Lessing reproche ensuite a son adversaire de le décrier, de le de\'noncer comme dangereux, sans le réfuter par de solides arguments. Voici ses propres paroles indig-nées: Gegen einen solchen Mann ware es möglich, die geringste Achtung beyzubehalten? Gegen einen solchen Mann sollte es nicht hinwiederum erlaubt seyn, sich aller Arten von Waffen zu bedienen?

Quel est mon tort? demande Lessing dans sa troisième publication contre Goeze. On le cherche dans mes «attaques directes et indirecte» contre la religion Chrétienne.quot; C\'est

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a cause d\'elles que Goeze—tout en me plaignant et en s\'inquiê-tant de ma fëlioité ëternelle—me bannit de la maison de mon père. »Ca Monsieur Loyal porte un air bien deloyal!quot; Bt quelles sont mes attaques indireotes ? La publication des Fragments et ma defense de 1\'lnconnu dit-on. Le premier fait est notoire, mais je protesle contre la seconde accusation. J\'ai déja fait connaitre les motifs qui m\'ont guide dans la publication des Fragments. J\'ai pensé qu\'un examen atten-tif des objections contre la religion ne pouvait être que profitable a celle-ci. Et que répond Goeze: »Sans doute, sans doute! La religion, considérée comme le système des vérités revelees pour notre salut, ne peut que gagner, a être de plus en plus examinee et critiquee d\'une manière perspi-cace. Mais ce n\'est la que la religion objective. La religion subjective au contraire ne peut qu\'y perdre.quot; Qu\'est-elle cette religion subjective? »C\'est la disposition du coeur des hommes a 1\'égard de la religion, et leur foi, leur confiance en nous ses docteurs. Gliaque mot ecrit en langue allemande contre notre trés sainte religion fait courir un peril h la religion subjective.quot; Profonde distinction! s\'ecrie Lessing. En tout cas les avantages de 1\'examen se perpétuent pour l\'éternité: les consequences facheuses n\'ont qu\'une duree limitée. C\'est la masse ignorante et grossière, qui en est victime, la balie destinée ii être vanée, ceux dont ïertullien dit: Avolent quantum volenti La verité elle-même ne perd rien a I\'examen; ce même père de l\'église dit encore: ut fides, habendo tentatio-nem, haberet etiam probationem. Mais nos pasteurs en jugent autrement! Insensés! lis voudraient exclure les orages de Taction de la nature, pour un seul vaisseau qui se perd! Hypocrites! lis font semblant de se mettre en peine de ce vaisseau, quand en realité c\'est de leur pauvre jardinette a eux, qu\'ils sont en souci! Que leur importent les bienfaits dont 1\'orage est l\'instrument? Tertullien juge sévèrement de ceux qui s\'intiinident de l\'bérésie: Vane et inconsiderate

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hoc ipso scandalizantur, qnod tantum haereses valeantquot; — que dirait il done de vous, Mr. Ie pasteur?

Dans le morceau suivant, Lessing examine d\'abord ce precepte: »11 faut que les discussions theologiques se fassent en Latin.quot; II le condamne. Ce n\'est ni pratioable, ni juste, ni courageux, ni cbretien. Cast surtout ce dernier point qu\'il dóveloppe. Paree que quelques individus se scandali-sent de la libra recherche on priverait le plus grand nombre de la connaissance des résultats qu\'elle procure? Faut-il que parmi les Chretiens un petit nombre d\'esprits fermés empêche absolument les autres de se rapprocher de la lumière? Tertullien demande, comme mol je le fais: Nonne ab ipso Domino quidam discentium scandalizati diverterunt?

Goeze permet cependant qu\'on soulève certaines objections, presentees modestement contre la religion et même contre !a Bible, lisons-nous, dans la cinquième brochure contre Goeze. Seulement, il ne vent pas permettre de decrier les saints hommes de Dieu, desquels la chrétienté entière croit qu\'ils ont parlé et écrit poussés par le Saint-Esprit — de les décrier comme des »imbccilesquot; des Mnéchantsquot;, des »vo-leurs de cadavres.\' Rien de plus juste que ces paroles-la! Mais — Mr. le pasteur veut-il dire que ceux qui attaquent la Bible n\'ont pas le droit de lancer ces injures a dé faut de solides arguments? En ce cas il a raison, mais aurait mieux fait, de recommander contre eux le silence du mépris. Ou bien veut il décréter, que ces écrivains n\'ont pas le droit de toucher a des choses et a des faits, de la demonstration desquels il pourrait résulter qu\'on doit nécessaire ment flétrir les apotres de ces noms injurieux-la — en ce cas il a tort, et quiconque aime la religion chrétienne se levera contre lui. La religion chrétienne a-t-elle done des points faibles aux-quels il ne faut pas toucher? Si elle ne les a pas, pourquoi ses amis entendront-ils tonjours: On n\'ose pas dire contre clle, tout ce qu\'on peut?quot; De reste l\'lnconnu n\'a

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nnllement fait usage des expressions injurienses en question. II a dit qu\'il n\'est pas incroyable que les apötros aient eu reeours a des fraudes pieuses, tandis que Jeróme lui-même en accuse ouvertement St. Paul par ces paroles-oi: Paulus in testimoniis, quae sumit de veteri testamento, quam ai\'-tifex, quam prudens, quam dissimulator est ejus quod agit!

Nous revenons sur la publication des Fragments de Wol-fenbuttle par la lecture de la sixième lettre contre Goeie. Lessing, loin de se reprocher d\'avoir public une partie de l\'ouvrage de l\'Inconnu en appelle a Jeróme. Celui-ci a bien traduit Touvrage d\'Origène, neyi aij/orv, dont il croyait les principes hostiles a la veritable religion chrétienne. Et il-y a une distance en tra publier et traduire!

La septième brochure rappelle a Goeze que Lessing ne s\'est pas fait l\'avocat de l\'Inconnu. II distingue au contraire son point de vue a lui d\'avec le naturalisme professé par le Fragmentiste. Lessing fait voir que son adversaire ne com-prend rien a ce dont il s\' agit, qu\'il n\'est pas en ctat d\'ap-précier le róle de Lessing. Son impitoyable ironie üvre le pasteur hambourgeois aux risées du public savant. Goeze n\'y voit pas clair. De la (buitième brochure) son éternelle lamentation sur la manière dont Lessing conduit la polémi-que, 1\'objection que Lessing n\'a publié les Fragments qn\'en louant l\'Inconnu et 1\'accusation qu\'il couvre de ridicule les défenseurs de la religion chrétienne. Quant a sa manière d\'écrire: Lessing ne saurait la changer! L\'homme c\'est le style. Goeze démontre que l\' Tnconnu est indigne des louan-ges que son éditeur lui décerne; toutefois il ne lit jamais ce que Lessing écrit, mais ce qu\'il aurait voulu que Lessing écrivit.

Les derniers numcros (dix et onze) des »Anti-Goezequot; n\'ont guère d\'importance thi\'ologique. Les hypotheses mises en avant sur la paternité des Fragments, afin de contraindre Lessing a nommer VIneonnu, sont examinees. Lessing se garde bien de les rejeter ou de les approuver. La question

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s\'embrouille de plus en plus, surtout par ce fait que le li-cencié Wittenberg déclara avoir entre ses mains une lettre de Reimarus fils dans laquelle ce dernier nie absolument que son père soit l\'auteur des Fragments. Du reste l\'Inconnu passant pour un ennemi de la religion, dit Lessing, tous les théologiens seraient d\'aecord pour laisser tomber son nom dans l\'oubli — Goeze seul ferait objection. II dirait; »11 faut non seulement que l\'Inconnu soit damné daus 1\'éternii.é, mais que son nom soit iivré a 1\'ignominie encore ici dans le temps. Amen, Amen!quot; \')

Lorsque Lessing écrivait ces brochures dont nous avous donné un aperyu, d\'autres écrits virent la lumière. lis sout de peu d\'importance. Le conrecteur Belin, ayant lu la qua-trième brochure contre Goeze rappela a Lessing qu\'il était »sousrecteurquot; et non point »sous-conrecteurquot;, qu\'il aurait pu être professeur académique. Mais que nous importe sou a mour propre blessé, et quel intérêt avons-nous a l\'ouvrage de A. Wittenberg, dont l\'auteur — le code de Charles V ii la main — accusa Lessing de vouloir ébranler les fondements du saint empire romain? \')

II y a plus de profit a repreudre le fil de la polémique avec Goeze. Les deux premiers nume.os des brochures de Goeze, intitulées »Faiblesses de Lessingquot; contiennent bien des phrases comme celles-ci: »Mon cher conseiller de la cour! Dieu sait que je vous aime de tout mon coeur! Je ne me-connais pas les beaux talents dont Dien vous a doué. Je vous pardonne de tout mon coeur, mais vous tremblerez a

\') On a trouvé dans les papiers de Lessing le titre d\'une douzièmo lettre, ainsi concju: Anti-Goeze.

Nihil apparet in eo ingenuum, nihil Moderatum, nihil pudens, nihil pudicum. (Cicero)

Zwölfter.

2) Lessing du reste dirigea les „Anti-Gözequot; aussi bien contre les deux «écuyersquot; (Sehwarz) du pasteur que contre CJocze lui-mcmc.

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l\'heare de votre mort. Ne vons fermez pas le chemin de la penitence ... je suis pur de votre sang.

Le point important de cette publication se trouve en ce que (ioeze place son antagoniste devant cetie double question :

a. La religion chrétienne peut-elle exister quand-même la Bible se perdrait, aurait-elle pu exister quand-même la Bible aurait été perdue deja depuis longtemps, ou n\'avait jamais existé ?

Avant de re\'pondre a ces questions, i) faudra que Lessing réponde a celle-ci:

b. Qa\'entendez-vous par la religion chrétienne ?

Dans sa réplique wRéponse nécessaire etc.\'\', Lessing dit: Je ferai a cette question une réponse aussi claire que possible; Par religion chrétienne j\'entends les doctrines conte-nues dans les symboles des quatre premiers siècles. Je com-prends aussi parmi ces symboles celui »des Apótresquot; et celui »d\'Athanasequot; quand même ils ne sont pas de ceux dont ils portent le nom. Voila qui est positif! \')

Que maintenant Mr. le pasteur me dise a moi:

a. Pourquoi les doctrines exprimées dans ces confessions se perdraient, si la Bible venait a se perdre.

lgt;. Pourquoi elles se seraient déja perdues, si la Bible n\'éxistait plus.

c. Pourquoi nous ne pourrious pas connaitre ces doctrines si la Bible n\'avait jamais existé.

Pour ne pas prolonger la lutte, dit Lessing, j\'ajoute quel-qnes theses. Le pasteur peut les attaquer — mais d\'abord

\') Goeze avait mal posé sa question, et Lessing en proiita. Es freuet mieb dass sie die Taktik meines letzten Bogens so gut verstehen. Jell will ihm Evolutiones vormachcn, deren er sieh gewiss nicht ver-sieht. Deun da er sieh nun einmal verredet hat, und wissen will, nicht was icii von der christlichen Religion glmie, sondern was ich unter der christlichen Religion verslehe: so habe ich gewonnen. Lettre a Elise Reimarus, du 9 Aoüt 1778. WW. XII: 508, 509.

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il répondra aux questions que je vieus de lui poser. — Snit le moroeau sur la Regula Pidei. —

1. Le contenu general de ces confessions de foi porte chez les plus anciens pères le nom de regula fidei.

2. Cette regula fidei n\'a pas été tirée des écrits du Nouveau Testament.

3. Cette regula fidei a été, avant qu\'un seul livre du Nouveau Testament existat.

4. Cette regula fidei est même plus ancienne que 1\'église. Car le but en vue duquel une communauté se forme, 1\'ordre sous lequel elle se range, doit bien être antérieur a la communauté.

5. Non seulement les premiers chrétiens contemporains des apótres se sont contentés de cette regula fidei: mais encore les chrétiens qui leur ont succédé pendant toute la durée des quatre premiers siècles. Tont considérée comme parfaitement sufiisante pour la qualité de chrétien.

6. C\'est done cette regula fidei qui est le rocher sur lequel 1\'église a été fondée et non pas I\'Ecriture Sainte.

7. C\'est cette regula fidei, et non pas Pierre et ses suc-cesseurs, qui est le rocher sur lequel l\'église a été fondée.

8. Les écrits du Nouveau Testament, tels qu\'ils sont eon-tenus dans notre canon actuel, ont été inconnus aux premiers chrétiens; et le petit nombre des morceaux qu\'ils en ont a peu prés connus n\'ont jamais eu pour eux l\'autorité dont ils ont été revétus par quelques-uns d\'entre uous après l\'époque de Luther.

9. Les laïques de l\'église priruitive n\'avaient pas même le droit de lire ces morceaux; il leur fallait du moins pour cela la permission du presbytre a qui la garde en était confiée.

10. On imputait même fort a crime aux laïques de l\'église primitive de vouloir attacher plus de foi a la parole écrite dun apotre qu\'a la parole vivante de leur évêque.

11. La regula fidei a même servi de norme pour juger

7*

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les eorits des apótres. Ceux de ces écrits qui ont été choisis l\'ont été comme se trouvant plus d\'aocord que d\'autres aveo la regula fidei; et il y en a eu que leur moindre accord aveo elle a fait rejeter quoiqu\'ils eussent des apótres pour auteurs, ou qu\'ils passassent pour les avoir.

12. Jamais duraut les quatre premiers siècles on ne s\'est servi des écrits du Nouveau Testament pour démontrer la religion chrétienne, mais au plus pour la confirmer et 1\'expli-quer subsidiaireinent.

13. 11 est impossible de démontrer que les apötres et les évangélistes aient voulu, en composant leurs écrits, les faire servir de source et de preuve complètes de la religion chrétienne.

14. Bieu moins encore peut-on démontrer que le Saint-Esprit a néanmoins conduit les auteurs de fa^on a ce que tel fut le résultat quoique ce ne fut pas leur intention.

15. L\'authenticité de la regula fidei peut se démontrer plus facileraent et plus rigoureusement que celle des écrits du Nouveau Testament.

16. La divinité de la regula fidei s\'établit bien plus ri-goureusement sur son authenticité incontestablement démon-tree, que l\'inspiration des écrits du Nouveau Testament ne peut, comme on le pense maintenant, s\'appuyer de leur authenticité. Oeci, soit dit en passant, est la nouvelle tentative hasardée qui inspire au bibliothécaire son mécontente-ment a l\'égard des preuves de la vérité de la religion chrétienne récemment mises a la mode.

17. Bien plus. Les écrits des apótres n\'ont pas raême été considórés dans les quatre premiers siècles, comme le com-mentaire authentique de la regula fidei dans son ensemble.

18. C\'est précisément la le motif pour lequel l\'église primitive n\'a jamais voulu permettre aux. hérétiques d\'en appeler a l\'Écriture. C\'est le motif-même pour lequel elle ne vonlait absoluraent pas tirer de l\'Écriture des arguments contre les hérétiques.\'

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19. L\'importance des ecrits apostoliques pour appuyer le dogme reside uniqueinent en oe que ces ecrits tiennent le premier rang parmi ceux des docteurs chrétiens; et ce sont, pour autant qu\'ils se trouvent d\'accord avec la regula lidei, les plus anciens documents de cette regie sans en être la source.

20. Rien de ce qui dquot;passe le contenu de la regula fidei n\'est nécessaire pour le salut au point de vue des quatre premiers siècles; cela peut être vrai ou faux, on peut le com-prendre dans un sens ou dans uu autre

Goeze, dans sa réponse »Paiblesses de Lessing numéro troisièmequot; ne réussit pas a réfuter les theses de son adver-saire et se refusa a fournir la demonstration de celles que Lessing avait déduites de ses idees a lui sur le rapport exis-tant entre la religion chrétienne et la Bible. Car dit-il: Diese Forderung ist so ungereimt, als eine seyn kann. Ich behaupte eine Wahrheit. welche von allen vernünftigen Christen, von uilen Lehrern der christlichen Kirche, ohne ünterscheid der verschiedenen Parthejjen, in welche dieselbe getheilt ist, selbst die Socinianer nicht ausgenommen als ein, keinem Zweifel nuterworfener Grundsatz angenommen ist: dass die Bibel der einige Lelirgrund der Christlichen Religion ist, ohne welchen dieselbe nicht erwiesen, nicht fortgepflanzet werden, also nicht bestehen könne.quot;

Lessing déclara se consoler facilement du refus de Goeze. Celui qui peut donner ses preuves, ne s\'y refuse pas, dit-il dans la «Suite de la réponse nécessairequot;, raais il montrera:

a. Qu\'il n\'est pas vrai que tous les docteurs de 1\'église chrétienne, sans distinction des partis considèrent la Bible comme l\'unique fondement de la religion ohre\'tieune.

b. Que les Sociuiens auront gain de cause du moment que Ton fera de la Bible l\'unique fondement de la religion chrétienne.

\') Voy. WW. X : 3 1—243,

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a. Les doctenrs de 1\'église chrétienne oatholique subordon-nent 1\'autorité de la Bible a oelle de 1 eglise: 1 important pour eux n\'est pas ce que la Bible dit, mais oe que 1 eglise lui fait dire. Tous les catholiques orthodoxes, pour être Chretiens oroient en la Bible, ce n\'est pas pour oroire en la Bible qu\'ils sont chrétiens.

b. Quant au second point; impossible de trouver dans le Nouveau Testament la divinité de Christ, qu\' après l\'y avoir mise. O\'est pourquoi les Sociniens ont toujours voulu que la Bible soit l\'unique souroe de la religion chrétienne, comme, avant eux, les Ariens 1\'ont désiré. L\'histoire du concile de Nieée le montre bien. Au concile de Nicee rien n\'a (5té décidé sur l\'autorité de l\'Écriture. Arius et les siens ont persisté: deux Ariens seulement se sont rangés a l\'orthodoxie. L\'un d\'eux y fut conduit par la regula fidei, d\'une manière miraculeuse, l\'autre ne fut pas convaincu mais entratné. Les pères orthodoxes ne voulaient pas méme appuyer leur dogine sur l\'Éeriture, ils ne prétendaient pas que leur dograe fut contenu dans l\'Écriture mais qu\'ils l\'avaient re9u de Christ au moyen de la tradition. lis montraient seulement que TEcriture ne contredisait pas leur dogtne: l\'usage qu\'ils fai-saient de l\'Écriture est done tout autre que celui auquel on a voulu nous contraindre dans les derniers temps. Si 1\'on ne veut absolument pas tenir compte de la tradition il faut prétendre que tout homme intelligent, qui ne sait rien du Christianisme, le pourrait tirer tout entier des écrits du Nouveau Testament, ce dont je doute fort! Ce qui estdom-mage c\'est qu\'on n\'en puisse pas faire 1\'essai. On ne lit les livres du Nouveau Testament qu\' après avoir été en contact avec le Christianisme: et Tart de faire abstraction de la connaissance que l\'on possède déja du Christianisme au moment oü Ton en ouvre la source, prétendue unique, n\'a pas encore été inventé.

Lorsque Lessing eut lancé ces écrits de controverse, le gouvernement de Brunsvic intervint. La menace de Goeze

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s\'accomplit; il fut défendu a Lessing de continuer ia publication des Fragments, sous prétexte qu\'il avait attaqué la religion. La latte se terinina ainsi par l\'iatervention de l\'autorité civile. D\'autres écrits que Lessing avait composes pour les dinger contre ses adversaires durent rester en portefeuille. Nous les trouvous dans le Litterarischer Naohlass édité par K. G. Lessing dans sou iivre intitule; (i. E. Lessing, nebst seinem noch abrigen litterarisclaen Nachlasse. (1795). Parmi ces ouvrages postbuines se distingue la Bi-bliolatrie, dirigée contre Walcli, étude qui jette beaucoup de lumière sur les motifs qui ont amené uotre auteur a la publication des Fragments de Wolfenbuttle. Nous devrons par-ler d autres morceaax de cette mème date, dans notre partie critique.

Avant de passer a celle-ci nous revenons a la correspon-dance de Lessing. Elle est le miroir de son ame: impossible de porter un jugement complet et exact sur les choses sans avoir eiitendu parler Lessing a coeur ouvert.

§ 6.

(joTTHGT.D EpHRAIM LeSSING, d\'aPRKS SA COliRESI\'ONDANCE, PENDANT LA LUÏTE PROVOQUÉE PAR LA PUBLICATION DES FRAGMENTS de WoLPENBUTTLE.

Nous avons vu qu\'avant l\'explosion de la controverse Lessing se distingua nettement des tbéologiens, et que tout son développement avait été celui d\'un esprit critique, désireus de tronver la véritó sans demander d\'oü qu\'elle lui vint \'). Par la force des circonstauces Lessing fat porté vers le domaiue de la théologie. Bcoutons le lui-même.

\') Voyez; la fin du deuxième cliapitre de ce travail.

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Der beasere Theil meines Lebens ist — glücklieher oder unglüoklicher Weise? — in sine Zeit gefallen, in welcher Schriften für die Wahrheit der christlichen Religion ge-wissermassen Modeschriften waren. Nun werden Modeschrif-ten, die meisteutheils aus Naohalimuag irgend eines vortref-lichen Werks ihrer Art entstehen, das sehr viel Aufsehn macht, seinem Verfasser immer sehr ausgebreiteten Namen erwirbt .... nun werden Modeschriften, sag\' ich, eben weil es Modeschriften sind, sie mogen seyn von welchem Inhalte sie wollen, so fleissig und allgemein gelesen, dass jeder Meusch, der sich nur in etwas mit Lesen abgiebt, sich schamen mnss, sie nicht auch gelesen zu haben. Was Wunder also, dass meine Lektüre ebenfalls darauf verflel und ich gar bald nicht eher ruhen konnte, bis ich jedes nenes Produkt

in diesem Pache habhaft werden und verschlingen konnte.....

Ich suchte jede neue Schrift wider die Religion nun eben so bfcgierig auf, und scheukte ihr eben das geduldige unpar-theyische Gehör, das ich sonst nur den Schriften für die Religion schuldig zu seyn glaubte. So blieb es auch eine geraume Zeit. Ich ward von einer Seite zur andern gerisseu; keine befriedigte mich ganz. Die eine sowohl als die andere liess mich nur mit dem festen Vorsatze von sich, die Sache nicht eher abzuurtheln, quam utrinque plenius fuerit pero-ratum \').

C\'est alors, quand il est travaillé par ces doutes, que Lessing publie le premier Fragment. De son propre avis, il s\'agit de questions importantes et graves. C\'est ce qui me fait regret-ter une certaine absence de sérieux dans une phrase que je lis dans la lettre adressée a K. G. Lessing, du 11 Novembre 1774. Lessing se demande s\'il faut qu\'il s\'oecupe de nouveau du theatre — et il répond: Davor bewahre mich jader Him-mel! Lieber wollte ich mir mit den Theologen eine kleine

■) WW. XI : 542.

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Komoedie macheu, wenrs ich KomoeJie brauchte \'). La corres-pondauce de ces annees cependant parle moins souvent de la controverse qa\'ou pourrait le penser d\'abord, et quand mention en est faite c\'est ordinairement d\'un ton railleur ou méprisant. Lessing écrit a Bschenburg que cette controverse est un excellent moyen de distraction, dont il avait besoin, son ciel domestique étant voilé par la maladie, bientöt par la mort de sa femme qu\'il aimait tendrement *).

Madame Lessing mourut le 13 Janvier 1778, etle lendemain Bschenburg rejut un petit billet de Lessing, oü nous lisons: Grestern Morgen ist mir der Rest vou meiner Frau vollends aus dem Gesichte gekommen. Ein guter Vorrath von Laudanum litterarischer und theologischer Zerstreuungen wird mir einen Tag nach dem andern schon ganz leidlich über-stehen helfen 1). Lessing ne sort pas de ce ton. II vient de publier sa ïDuplikquot; contre Schumann. Celle-ci a plü a son frère Charles et qu\'est ce que Lessing répond a ce dernier?

Dass meine Duplik nach Deinem Sinne gewesen, ist mir sehr lieb. Besonders freue ich mich, dass Du das haut-comi-que der Polemik zu goutiren anfangst *).... Son but du reste n\'est pas seulement de trouver la vérité mais il veut avoir en même temps la jouissauce d\'une gvmnastique intel-lectuelle 2). Lessing veut avoir raison contre Goeze; Dazu bin ich fest entschlossen und sollte aus dem Antigoeze eine förmliche Wochenschrift werden, so langweilig und unnütze als nur jemals eine in Hamburg geschrieben und gelesen

1

) Ich danke [hnen für die Ahschrift des Goezischen Aufsatzes. Diese Materien sind jetzt wahrlicli die einzigen die mich zerstreuen können. Lettre a Bschenburg du 7 Janvier 1778. WW. XII : 499.

3) WW. XII : 500.

2

) Voyez p. 67 de ce travail, première note.

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worden Après ces paroles pen cliaritables un accent

sérieux ne laisse pas de nous faire du bien. — Lessing est tout entier en ces paroles qui exprimeut le dogme fondamen-tal de 1\'ami de la verité, qu\'il ait trouïé ou non oe grand trésor; Jeder sage was ihm Wahrheit dünkt, und die Wahr-

heit selbst sey Gott empfohlen----seulement trouvera-t-on

la vérité quand on cherche dans la direction prise par Lessing, d\'après sa lettre du 23 Juillet 1778? Du wirst sehen, écrit-il a son frère Charles a), dass ich eine Wenduug nehme, die den Herrn Hauptpastor wohl capot machen soil. Certes il ne faut par mettre toute cette amertume sur le compte de Lessing: les menees inquisitoriales que Goeze s\'était permises indigneront tout homme de bien, mais pour cela Lessing n\'était pas en droit de subordonner la recherche de la vérité a son triomphe personnel sur Goeze. Supérieur a son étroit antagoniste, il n\'aurait pas dü descendre a son niveau. En ce cas il eüt peut-être délivré le pasteur hambourgeois des idees fausses qui l\'obsédaient, et en même temps il n\'eüt pas méprisé — füt-ce seulement en paroles — car au fond les sarcasmes de Lessing ne cachent que 1\'mtérêt que son esprit trouve dans les questions agitées — une lutte, a laquelle il a consacvé les dernières années de sa vie, comme il le fait dans sa lettre a Ebert du 25 Juillet 1778 \'): Den Antigoeze bin ich eben noch in Stande Ihnen complet zu machen. Aber von dem neuen Fragmente habe ich selbst nur noch ein ein-ziges Exemplar. Hatten Sie mich im geringsten vermuthen lassen dass Ihnen an diesen Kleinigkeiten etwas gelegen ware — dass Sie auch nur begierig darnach waren, so würde ich mir ein Vergnügen draus gemacht haben, sie Ihnen jeder-zeit zu geben. . .. Die Confiscation derselben belustiget mich

\') Lettre a Reimarus iils, du 6 Avril 1778. WW. XII ; 503. ■\') WW. XII ; 506.

3) WW. XII ; 500, 507.

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herzlich. An mir soil es gewiss nicht liegen, dass die ange-fangue Thorheit nicht vollendet wird. Mag doch die eigent-liche Triebfcder davon seyn, wer da will! Lessing donne ce-pendant a entendre qu\'il aimerait mieux renoncer a ses fonctions de bibliothécaire que de renoncer a la lutte: Aller-dings könnte es wohl dahin kommen, dass ich mioh endlich gedrungen sahe, meine Abschied zu fordern, den die Herren, die mir ihn geben würden, schon zu seiner Zeit verantworten sollten. Doch was ware das auch mehr? Goeze und Compagnie sollten dabey so weinig gewinnen, dass alle und jede welche das Wasser diessen Weg ableiten wollen, ihr Unternehmen wohl bedauern sollten. Denn, im ganzen die Sache zu nehmen, stehe ich für meine Person so sicber, als ich nur stehen kann; und den Spass hoffe ich noch selbst zu erleben, dass die meisten Theologen anf meine Seite treten werden, um mit Verlust eines Pittigs noch eine Weile den Rumpf zu retten \'). A force de lutter Lessing s\'est fait sa marotte de cette controverse. Isolé, triste, ne pouvant plus se fier a person ne, Lessing n\'avait pas 1 énergie de quitter Wolfenbuttle, et cependant le séjour dans cette ville était un fardeau pour lui: Ich bin mir hier ganz allein überlassen. Ich habe keineu einzigen Preund, dem ich mich ganz anvertrauen künnte... . Sehen Öie meine gute Preundin, so ist meine wahre Lage. Haben Sie also bey so bewandten Umstandeu auch wohl Recht, dass Sie mir rathen, blos um einem elenden Peinde keine Preunde zu machen, in einem Zustande auszu-dauern der mir langst zur Last geworden? !) Dans l\'amer-tume de son ame et pour se distraire Lessing se vengera de son adversaire eu le raal-menaut: Ich will ihm Evolutiones vormachen deren er sich gewiss nicht versieht. Denn da er sicb nun einmal verredet hat, und wissen will, nicht was ich

*) Lettre a Élise Reimarus, du 2 Aoüt 1778. WW. XII : 507. -) Lettre a la meme, du 9 Aoüt 1778. WW. XII : 508.

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von der Chriatlichen Religion glaube, sondern waa ieh unter der christlichen Religion verstehe: so habe ich gewonnen \')____Un dratne dont il avuit con9U le plan, il-y-avait

bien des années et dout le contenu avait beaueoup de rapport avec la position actuelle, le servira maintenant: Ich habe vor vielen Jahren, éorit-il a son frêre Charles \'), einmal ein Schauspiel entworfen, dessen Inhalt eine Art van Analogie rait meinen gegenwartigen Streitigkeiten hat, die ich mir damals wohl nicht traumen liess. On aura beau lui défen-dre de publier les Fragments, d\'écrire contre Goeze, Lessing trouvera moyen de continuer la guerre en se servant de la scène: Ich muss versuchen, ob man mich auf meiner alten Kanzel, auf dem Theater wenigstens, noch ungestört will

predigen lassen \').

Arrêtons-nous ici. Les lettres suivantea roulent toutes sur Nathan le Sage. Est-ce que l\'attitude prise par Lessing pendant la controverse est celle d\'un Ihéologien? II est impossible de donner uue réponse affirmative: ce qui intéresse ce grand critique c\'est la raison et ses droits, et ses lois fondamentales qu\'il voit raéconnues par les théologiens. C\'est a notre partie critique de juger la portee de ces faits.

\') Ibidem.

2) Lettre du 11 Aoüt 1778. WW. XII : 509.

3) Lettre a Élise Reiraarus, du 6 Septembre 1778. WW. XII: 510.

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CHAPITRE TROISIEME.

FRAGMENTS DE WOLFENBOTTLE.

DEUXIÈME PAEÏIE.

CRITIQUE,

!

A

Les questions soulevées par la publication des Fragments de Wolfenbuttle ne sont pas toutes d\'une égale importance. En somme la lutte se concentre dans la polémiqiie soutenue par Lessing avec Schumann et dans celle qu\'il a eue avec Goeze. Le point en litige entre le bibliothécaire de Wolfenbuttle et le directeur de Hanovre peut se formuler ainsi:

Quel est le rapport entre la personnali/é chrétienne et le Christianisme historigue ?

La discussion avec Goeze agite cette autre question que voici:

Quel est le rapport entre la personnalitd chrétienne et le canon des Écritures Saintes ?

II est facile de voir que la première question va plus au fond des cboses que la deuxième. Ce qui en effet constitue la valeur du canon doit se trouver en ce que celui-ci est un des documents qui nous font connaitre le Christianisme his-torique, en sorte que ce problème n\'a de valeur que par I\'existence du premier. La première question est fondamen-

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table: elle est la mère de la suivante. II eat vrai qu\'au dix-huitième siècle l\'attention s\'est portee avant tout sur la polemique de Lessing avec Goeze, mais cela vient a 1\'appui de ce que nous avan^ons. La conscience théologiqne dut d\'abord s\'éclairer sur le problème moins f\'ondamental, pour ensuite, enrichie par le resnltat acquis passer au secoud. G\'est ce qu\'a bien senti le Dr. Schwarz quoiqu\'il n\'ait pas entièrement fait justice a cette vérite qu\'il avait entrevue. II n\'assigne pas la place centrale a la description de la lutte contre Schumann mais de celle contre Goeze.

II s\'en suit de ce que nous venons de dire que, pour juger de cette controverse théologiqne, qui — si 1\'on excepte la lutte suscitée plus tard par la Vie de Jésus de Strauss — a été la plus importante de la théologie protestante, nous devons ranger les matériaux sous les deux chefs suivants:

a. Lessing et Schumann: Rapport entre le Christianisme historique et la personnalité chrétienne.

b. Lessing et Goeze: Rapport entre les documents du Christianisme historique et la personnalité chrétienne.

A. PREMIÈRE SECTION.

LESSING ET SCHUMANN. \\

Kapport entre le Christianisme historique et la personnalité chrutiennc.

L\'intérêt de la polémique engagée a l\'occasion des Fragments de Wolfenbuttle se trouve done surtout dans Técrit de Schumann, intitule; sEvidence des preuves pour la vérité de la, religion chrétiennequot; et dans la réponse de Leasing, in-titulée: »Sur la demonstration d\'esprit et de puissancequot;. II s\'agit ici de l\'histoire évangélique dans ses rapports avee la

i) Nous nous trouvons ici, dit-il, au point central du Christianisme de Lessing, o. c. p. 178.

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personnalite chretienue. Cette dernière dépend-elle de l\'his-toire aatérieure du Christianisme ou non? La question ain-si posco semble directement résolue. La logique, au nom de 1\'enchaiiiement des causes et des effets, milite en faveur du premier cas posé. Et pourtant, quelque claire que soit la chose, Lessing a méconnu cette vérité, et a eet égard, il a été le premier qui a donné au mot de chrétien, un sens vague, sans contenu positif, ou plutót un sens variable, d\'après les temps et les individus. II a pu commettre cette erreur paree que les idéés fondamentales, je ne dis pas de 1\'orthodoxie de sou temps, ou d\'une orthodoxie quelconque, ni celles des confessions des quatre premiers siêcles, mais paree que les idéés, les vérités fondamentales de la predication de Jésus lui étaieut étrangères, et ne jouaient pas le premier role dans le dé veloppement de sa pensee. C\'est pourquoi ses efforts pour reconstruire le Christianisme ont nécessairetnent été vains puisqu\'il était privé des données de la conscience spécifi-quement chrétienne et n\'av:iit pour point de départ que celles de la conscience pure et simple. II résulte de-la que 1\'histoire du Christianisme primitif a été méconnue par lui dans son vrai caractère, qu\'il s\'est établi un divorce entre le fait et l\'idée et que la signification religieuse de 1\'apparition du Christ, signification qui en était la seule raison-d\'être a été réléguée par lui a l\'arrière-plan. Lessing a poussé l ana-lyse jusqu\'au déchirement de l\'organisme, il a absolument séparé le domaine de l\'histoire de celui de l\'éthique — ce qui est détruire le Christianisme, et a assigné a l\'histoire un róle inférieur a sa véritable importance. Nous allons exposer ces critiques dans les paragraphes suivants.

§ 1. L\'expérience et l\'histoire.

§ 2. L\'histoire évangélique et la vérité religieuse.

§ 3. Jésus de Nazareth et Jésus Christ leSauveur du monde.

§ 4. La conscience chrétienne et la conscience religieuse.

§ 5. La conscience chrétienne et l\'histoire évangélique.

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§ I-

L\'expérience et l\'histoiee.

Pour bien saisir 1\'argumentation de Lessing uous devons nous rappeler celle de Schumann \'). Fidéle a sa dévise ïJe sais en qui je croisquot; \'), il prend son point de depart dans l\'expérience intérieure du chrétien. L\'esprit de Dieu donne au chrétien la conviction intime de la vérité de sa foi, en lui faisant éprouver sa sainte influence. Schumann s\'appuye sur ces paroles apostoliques: \'H/usig yaQ nvevfian ex niUTttog eXniSa iïixaiofïvvtjs aTrexSs^o/ueamp;ct. . . . \'O Ss xaynog rov nvw/urtrog ianv ayant], /JtQa, siyrivti, fiayQoiïvfna, xQrjOTOTtjg, ayaftcoavvrj, niang, jiQUorrjg, èyHQUreia 8) — et surtout sur celles du Seigneur: \'Eav rig amp;sXy to iïfhiuce ccvrov (fel rov Tiefiifjavrog /us) rtoimv, yvcootrai tkqi rrig SiSaxrjg tiotsqov éx tov dtov t\'öriv, rj éyco dn\' êficevrov hceXco *). Ensuite il en appelle a la démonstration d\'esprit et de puissance dont parle l\'apótre Paul, au deuxième chapitre de la première lettre aux Corinthiens. \'O Xoyog fiov xai to -/.rj^vyua fj.ov ovx év neidoig aocpiag Xoyoig, iv anoSeil-ei nvev/uarog xai Svrce/uscog- \'Iva rj matig v/uoiy /urj rj év aofpiu avamp;(jajicov dXX\' cv dvva/uei gt;7gov.

Au grand détriment de sa cause, Schumann voit dans cette démonstration d\'esprit et de puissance 1\'indication des pro-phéties accomplies, et des miracles qui ont accompagné la 1\'ondation du Christianisme; il abandonne le terrain subjectif

\') Voyez notre Chap III. Première partie. § 5. a) 2 Tim. 1 : 12.

a) Ép. aux Gal. V : 6, 22.

4) Év. sel. St. Jean VII : 17,

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pour se plonger duiis l\'histoire, sans indiquer de quel droit, saus nioutrer la transition entre ces deux. C\'est pourquoi Lessing était en droit de lui reprocher une fj.sTcc(iaais etc (i/.Xo ytvog. Voioi 1\'argumentation de Lessing: Si j\'avais vécu a l\'époque de Christ, les prophéties accoiuplies en lui m\'auraient rendu attentif a sa personne. Si je lui avaia vu accomplir des miracles et si je n\'avais eu aucune raison de douter que c\'utaient de vrais miracles j\'aurais soumis toute ma raison a, la sienne. Ou bien : si maintenant les chretiens faisaient des miracles que je dusse reconnaitre comme reels je me soumettrais a cette demonstration d\'esprit et de puissance. Mais maintenant cette demonstration d\'esprit et de puissance n\'a plus ni esprit, ni puissance. Elle est descendue pour moi au niveau d\'un témoignage humain au sujet d\'esprit et de puissance. C\'est que des r.Jcits de miracles ne sont pas des miracles. Les miracles accomplis devant nus yens agissent directement sur moi, tandis que les récits des miracles doivent agir par uu «mediumquot; qui leur óte toute force probante \').

La difference que Lessing utablit entre ce que nous voyons arriver, et ce que d\'autres nous racontent comme ayant eu lieu, est-elle bien reellement aussi grande que Lessing le pretend, si grande qu\'un fait perde toute sa valeur, toute sa valeur probante pour moi, paree qu\'il y a un intermédiaire entre celai-ci et moi? Examinons bien ce qui se pmse dans les deux cas. Un miracle a lien. Une personne qui pent le constater en est témoin. Elle me raconte eet evenement miracnleux. Je sais d\'elle veut, qu\'elle peut dire la verite — ne craignons pas de nous servir des armes apologétiques qui pour être anciennes ne sont pas encore rouillées! — La con-naissance que j\'obtieus de ce miracle est-elle done speciflque • ment differente de celle que j\'aurais obtenue si j\'avais assisté en personne a raccomplissement de celui-ci? Nullement! II-

\') WW. X : 33, 34.

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y-a une difference graduelle, numérique, seulement. Le tcmoin peut se troraper, en constatant le miracle, mais moi-même je puis aussi être en errenr. Sommes-nous moins certains de ce qu\'Alexandre le Grand a existé que ne l\'était Aristote, qui a vu ce conquérant glorieux ? Pour avoir passé par l\'esprit d\'un tómoin, qui offre les plus grandes garanties possibles, tel fait perd-il pour moi toute sa certitude? II nous semble qu\'il n\'en est point ainsi. Cast pourtant bien la ce que Lessing pretend. II ne nie pas que des miracles ont eu lieu, il ne nie pas que ceux qui nous ont rapporté ces miracles étaient des tómoins iutègres, mais il nie que ce miracle pour avoir etc rapporté par des témoins quelque intègres qu\'ils soient, ait gardé sa force probante, c. a. d. que d\'après lui la possibilité d\'erreur chez les témoins óte toute valeur au fait. Soit! Mais pourquoi notre faillibilité ne le fait-elle pas?

Le récit du miracle n\'est pas le miracle lui-même, dit Lessing, et la chose est évidente.

Mais 1\'idée abstraite que le miracle fait naitre en moi n\'est pas non plus le miracle Ini-même. Entre le miracle qui s\'ac-complit, la objectivement devant moi, et moi-même, il-y-a mes sens pour intermédiaires — ils peuvent me tromper — il-y-a mon esprit qui transforme en idee Tobjet de ma perception extérieure — il peut se tromper... . malgré cela la force du miracle est assez grande pour me pousser a soumettre ma raison au thaumaturge \'), moi, je raconte le miracle a un autre — je puis me tromper — c\'est pourquoi, dit Lessing, le miracle n\'a plus aucune force probante pour eet autre \').

\') Zur Zeit des Origenes war »die Kraft wunderbare Dinge za thun, von denen nicht gewicbcu,quot; die nach Christi Vorsehrift lebten; und wenn er ungezweitelte Beijspiele hiervon hatte, so musste er notkwendig, wenn er nicht seine eigenen Sinne verleugnen wollte, jenen Beweis des Geistes und der Kraft anerkennen. WW. X ; 34.

s) Dieser Beweis des Geistes und der Kraft hat itzt weder Geist noch Kraft; sondern er ist zu menschiichen Zeugnissen von Geist en Kraft he-rabgesunken ist. Ibidem.

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Je ne vois pas pourquoi cette troisième possibilité d\'erreuv doit causer ce que les deux premières ne causent pas. C\'est au nom d\'un pur arbitraire que Lessing le décrète.

Si done le miracle qui s\'accomplit sous mes yeux me pousse a soumettre ma raison a celui qui 1\'accomplit, je dois egale-ment la lui soumettre si j\'obtiens la certitude de I\'accotnplis-sement du miracle par un témoignage incontestable.

Seulement le miracle a-t-il bien ce pouvoir?

Lessing n\'a-t-il pas commis la [isrccftaaie sig alio ysvog qu\'il reproche a Schumann V

Les miracles que Lessing a en vue sont ceux que le Christ a accomplis. Ont-ils reellement eu sur les contemporains de Jesus l\'influence indiquée par Lessing? Les mêmes sources historiques qui nous parient de ces miracles doivent nous éclairer sur ce point. Or Jésus fait dire ii Abraham: Ei Mawascog y.ui tcov nyocprjTcoy ovx dy.ovovaiv, ovSs tav rig ex vexyav dvaarp, nuaiïr^aovTai 1).

Les phariséens ne se soumettaient pas au Seigneur: ovrog ovx éxftallsi ra Saifiovta, ei jurj iv tco BeelQefiool, aQxovn Tav daiftovimv, dirent ils \').

L\'incrédulité est une raison suffisante pour que le Seigneur ne fasse pas de miracles; xcci ovx ijioitjaey éxei Svva/usig nollus Siu rtjv amanav avrcov 3). \'O Se \'Hfjoidrjg idov tov \'Irjaovv.... rjlni^e tl arj/.isiov ideiv vn avTOv ytvo/uevov. \'EnrjQcora de avrov e\'v loyoig ixavoig\' avrog Se ovSev anexQivaTO uvtm. ... 4). En un mot. Les miracles sont des signes, ils ne servent pas a nous pousser a faire abstraction de notre raison, mais a corroborer la foi deja existante. Les Juifs incrédules virent les miracles du Christ,

\') Ev. sel. St. Luc. XVI: 31.

3) Ev. sel; St. Matthieu XII: 24-.

3) Ev. sol. St. Matthieu XIII: 58.

\') Ev. sei. St. Luc. XXIII: 8, 9.

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Sis ne les uièrent pas, mais s\'endurcirent de plas en plus dans leur inorédulite, en les expliquant par l\'intervention du dcinou. L\'effet qu\'un miracle produit sur celui qui en voit raccom-plissement depend de sa propre disposition morale. Ce qui se dit du miracle doit se dire aussi du témoignage au sujet d\'un miracle, en vertu de ce que nous avons déja posé.

Des vérités historiques, accidentelies, ne penvent pas servir de preuve pour des vérités rationnelles, nécessaires, dit Lessing, et il continue: si l\'on exige de moi que je change tou-tes mes idees métaphysiques et morales, toutes mes idéés f\'on-damentales sur l\'essence de la divinité paree que je n\'ai aucun témoignage historique valable coutre la rósurrection de Christ oa fait une uevaftaaig tig mIad yet/og — sinon je ne suis ce qu\'Aristote a entendu par ces mots \'). En disant cela. Lessing a parfaitement raison. Jamais vcrité historique comme telle, ne prouvera quelque vérité rationnelle; mais ce qu\'ii affirme du témoignage historiquement certain, il doit 1\'affirmer aussi du miracle qu\'il volt s\'accomplir, celui-ci étant aussi du domaine historique. C\'est la ce que Lessing ne fait pas. II n\'a pas vu que l\'abime qui scpare la vérité historique de la vérite rationnelle en sépare aussi hien le miracle que nous voyons que celui qui nous est rapporté par des témoins dignes de foi. Dans les deux cas il-y-a une /uera/iaaig tic; d),klt;) yevog. Tout en dénotant Terreur logique commise par Schumann, Lessing ne voit par la sienne propre. La est la conséquence ou Lessing aurait dü necessairement aboutir en raisonnant comme il I\'a fait.

Mais n\'y a-t-il aucune autre voieV La distance qui sépare les deux cótés de l\'abime est-elle réellement infranchissable.

\') Mir zumuthen, weil ich der Aufcrstelnmg Christi kcin glaubwürdigcs Zeugniss entgegen setzen kann, alle meine Grundideen voii dem Wesen der Gottheit darnacli abzuandcro: wenn das nicht cine ^sra/Jaffts sij «Mo yE-jos ist; so weiss ich nicht, was Aristoteles sonst unter dieser Eenen-nung verstanden. WW. X: 37-

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n\'y a-t-il pas un point oü ils se touchent ? Je parle de I\'his-toire evangeiique et de uos idees sur Dien et sur le monde. Les faits evangeliques, les miracles du Christ, ne sont-ils pas 1\'en-veloppe, l\'expression matérielle de véritós morales et religieuses?

O\'est-ce que qous allons examiner dans le paragraphe sui-vant.

§ 2.

L\'histoike kvangélique et la vérité religieüse.

Passer de la connaissauoe que nous avons obteuue d\'un miracle par voie historique, aux idees que nous avons sur Dien, sur nous-mêmes, sur le monde, est une /.isrccfiaaie etg aü.o ytvog, dit Lessing, et si nous ne voyons dans le miracle qu\'un événement exturieur, sans aucuu rapport avec le monde moral, éternel, il a raison. Car le miracle ne dure qu\'un instant et sa valeur se perd dans le courant qui entraine toutes les ■ clioses momentanées dans l\'oubli éternel. — La question change entdèrement si le miracle est l\'expressiou d\'une vérité éternelle. II a beau passer; cette vérité demeure. Apres avoir été exprimée par le miracle elle a commencé et continue a exercer son influence sur mon esprit. Ce n\'est done pas le miracle comme tel, eet événement materiel, qui me contraiut de modifier mes idéés religieuses et morales, mais c\'est sa raison d\'etre qui le fait, raison d\'etre qui appartient au monde spirituel.

Je ne passé pas du domaine historique au domaine moral, eternel, nécessaire, mais le fait historique — soit que je Ie voie, soit que la realisation m en soit rapportée par des témoins dignes de foi et compétents — esc pour raoi le moyen par lequel j\'entre en contact avec le monde moral.

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§ 3.

Jksus de Nazareth et Jésus-Cheist ld Sauveue dtj monde.

Paisons un pas de plus! Adressons a Lessing oette question: Pourquoi le Christ a-t-il fait des miracles, pourquoi n\'a-t-il pas seulement présenté sa doctrine a ses contemporains, en laissant a la vérité éternelle de s\'imposer a leur conscience, comme telle ? Lessing répond: Les miracles ont dü rendre la foule attentive a la doctrine du Christ. Or rendre la foule attentive a quelque chose veut dire indiquer la bonne voie a l\'intelligence humaine \').

Arrêtons nous un moment! Rendue attentive a la doctrine du Christ par des miracles, cette foule n\'aurait-elle pas de-mande quel rapport existait entre ce prodige et les doctrines enseignées — nous raisonnons toujours dans l\'hypothèse indi-quée par Lessing: les miracles ont eu lieu et ont eu pour hut de rendre la foule attentive aux paroles de Jésus — n\'aurait-elle pas cherché la possibilité du miracle, sa raison d\'être, sa signification, sa nécessité ? La réponse du Seigneur: c\'est pour vous rendre attentifs a ma doctrine, aurait-elle suffi ? Oui et non! Tout depend du contenu de cette doctrine. Or pour Lessing quel est ce contenu? Après son écrit »Sur la demonstration d\'esprit et de puissancequot; vient directement ce niorceau, admirable au point de vue du style, intitule: Testament de St. Jean. Impossible de nier le rapport entre ces deux morceaux: le second doit compléter le premier. Or quel est done le resumé de la predication évangélique? Mes petits

\') Dieso Lehren selbst waren vor 18 Hundert Jahren allerdings so ueu, dein ganzen Umtange damals erkannter Wahrheiten so fremd, so unein-verleiblich waren, dass nichts geringers als Wunder und erfuUte Weissa* gungen erfordert wurden, urn erst die Menge anfmerksam darauf zu ma-clien. Die Menge aber auf etwas anfmerksam maehen, heisst, den gesnn-den Mensclienverstand auf die Spur lielffen. WW. X: 38.

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enfants, aimez-vous les uns les autres. Est-ce done la le point culminant de cette nouvelle doctrine ? Mais dans leur loi tous les Juifs avaient lu, dès leur jeunesse: »Tu aimeras ton pro-chain comme toi-memequot; Ou bien serait-ce eet autre en-seignement de Jésus — que Lessing donne en effet comme la doctrine fondamentale du Seigneur dans ses »Gedanken über die Hernhütterquot; — Dieu est Esprit, et ceux qui 1\'adorent, doivent l\'adorer en esprit et en vérité1)? La spiritualité de Dieu cependant est le f\'ond-même de la predication des prophètes \').

C\'est comme si Lessing iui-même a senti l\'objection capitale qu\'on peut proposer a son raisonnement et a toute sa manière de considérer le Christianisme. Dana les »Gedankenquot;, ouvrage de sa jeunesse, il s\'excuse de ne considcrer le Christ, que comme »un docteur éclairé par Dieuquot; et la fin du »Testament de St. Jeanquot; est connue. Quelle est done cette objection? La predication du Christ ne saurait être une raison suffisante pour les miracles: ceux-ci ne se rattachent pas d\'une manière exterieure a sa doctrine, mais ils sont dans un rapport orga-uique avec sa personne. C\'est un point de vue impossible a maintenir que celui de Lessing, qui consiste a, admettre la réalité des miracles et ïi tronver le point central de I\'oeuvre du Christ dans la predication des préeeptes de l\'humanité ou du spiritualisme religieux. II faut choisir entre ces deux alternatives : ou bien admettre la réalité des miracles qui nous sont counus par les évangiles, comme Lessing l\'admet, mais

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) Waren Christi Absichten etwas anders, als die Religion in ihrer Lau-terkeit wieder lierznstellen, und sie in diejenigen Granzen einzuscliliessen. in welchen sie desto heilsamere und allgemeinere Wirknngen hervorbringt, je enger die Granzen sind? Gott ist ein Geist, den solH ihr ira Geist an-beten. Auf was drang er mehr als hierauf? und welcher Satz ist vermü-gender alle Arten der Religion zu verbinden, als dieser? WH\'. XI: 25.

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alors aussi, avec les evangiles, les rattacher a la personne du Seigneur, qui est le graud miracle de 1\'histoire — et ne pas tolérer la contradietiou entre uos idees religieuses et ce que nous croyous historiquement vrai; ou bien il faut nier les miracles et voir dan? la reflexion philosophique l\'unique source, l\'unique norme de la vérité.

La doctrine du Christ, comrae Lessing la comprend, n\'avait pas besoin d\'etre annonci\'e; elle ctait connue. Mais autre chose était nécessaire : la force spirituelle qui nous permet de l\'accomplir et de la réaliser en notre vie. L\'intelligence ne devait pas êfcre éclairée en premier lieu, mais la conscience accusatrice avait besoin d\'etre purifice, 1 ame d être sauvee. Une force nouvelle de regeneration et de vie etait necessaire a, l\'humanité: c\'est le Christ qui les a apportées. Ce qui jette la vraie lumière sur l\'histoire évangélique n\'est pas la connaissance du niveau intellectuel des contemporains du Christ: c\'est 1\'étude approfondie de leurs besoins moraux et religieux. Gr cenx-ci se résument en deux mots: Délivrance du pêché, grace. C\'est a ces besoins que le Christ est venu satisfaire: il a répondu a ces cris de la conscience, a ces soupirs de lame vers le pardon et vers la sainteté. De beaux préceptes il en existait a foison, et de doctrines élévées il-y-avait abondance, mais tout cela restait en dehors de Thomme, lui était présenté comme un idéal, auquel il ne put cepen-dant pas parvenir. Par son oeuvre pour 1\'homme et au de-dans de l\'homme le Seigneur a rendu possible la realisation de l\'idéal en nous, de même qu\'il était réel en lui. Maint lecteur criera au mysticisme en uous lisant! Ce cri ne sanrait nous épouvanter, car s\'il y a un niauvais mysticisme, il y en a un qui est chrétien. Quiconque le rejette se trouve en face de l\'abime, qui pour Lessing séparait l\'histoire évangélique des vérités éternelles, que cette histoire revèle.

Les miracles étaient nécessaires pour rendre la foule attentive, non pas sur la doctrine, mais sur la personne du Christ, et par sa personne sur sa doctrine. Cette doctrine trouve

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son point culminant dims la personne du Seigneur, dont les miracles sont le rayonnement. Aussi le Seigneur, quaud les disciples du baptiste viennent lui demander: »es-tu celui qui doit venir, ou bien en devous nous attendre un autrequot;, répond-il, en montrant les oeuvres qu\'il fait et ajoute-t-il: heureux celui qui ne se scandalisera pas de moi 1). Les miracles serveiit a fixer l\'attention sur celui ijui est »plus qu\'un doc-teur éclairé par Dieu.quot;

§ 4.

La COnsCIENCB chiiétebnne et la conscience eehgieuse.

Pourquoi Lessing ne pouvait-il pas cousidérer ainsi les miracles? Son étude intitulée; »La religion de Christquot; 2) répond pour lui. C\'est un problème, dit-il, de savoir si Christ a eté plus qu\'un simple homme; qu\'il a ete vraiment homme, qu\'il n\'a jamais cessé de l\'être: cela est evident. II s\'en suit que la religion de Christ et la religion chrótienne sont deux choses bien distinc-tes. La religion de Christ est celle qu\'il a professee, que tout homme peut avoir en commun avec lui. La religion chrotienne est celle qui pretend que Christ ait ete plus qu\' homme, et qui fait de lui robjet de son adoration. On ne saurait concevoir que ces deux religions aienl ete unies en Christ, dans une seule et même personne. II est a peine possible que les principes et les doctrines de ces deux religions se trouvent dans un seul et même livre. On voit du moins que la religion de Christ est contenue tout autrement dans les évangiles que la religion ohrétienne: la première y est exprimée par des paroles aussi claires aussi simples que possible. La religion

\') Ev. sel. St. Matthieu XI ; 6.

Die Religion Christi WW. XI : 603—604.

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chrétienne au contraire y est conteuue d\'une manière si in-certaine, si peu distincte qu\'on trouve a peine un seul passage qui en parle et que deux hommes aient compris de la même manière.

Oonsidérons d\'abord ce morceau en lui-même. Il-y-a bien des observations a faire. II n\'y-a pas de doute possible: Lessing préfère la religion de Christ a la religion chrétienne. II pretend tirer la première des évangiles, oanoniques cela va sans dire. Cette religion de Christ — dans l\'hypothèse de Lessing — ne saurait être differente de sa prédication} a laquelle ces mêmes évangiles nous initient. II ne saurait y avoir une difference fondamentale entre la religion de l\'homme Jésus et la prédication qu\'il adresse aux antres hommes, celle-ci n\'étant que l\'expression de sa propre vie religieuse a lui. La vie qu\'il vent réveiller chez ses auditeurs est celle dont il a lui-même conscience, sinon il y aurait une diffé-rence entre la religion du Christ et celle qu\'il a répandue: consequence dont Lessing ne veut point. Si la religion du Christ peut-être directement la religion de I homme, il faut que le Christ ait fait les mêmes experiences, ait passé par les mêmes phases religieuses que celles qui attendent ses auditeurs. Jésus dira done: »Amendez-vous, et croyez a l\'évangile \'), comme moi je me suis amendé et crois a l\'évangile. Si vous ne vous amendez, comme moi je me suis amendé, vous périrez tons 2) comme moi j\'aurais peri.quot; Nous pourrions multiplier ces citations, mais notre lecteur sent déja ce que nous voulons dire. La distinction établie par Lessing entre la religion chrétienne et celle de l\'homme Christ, n\'est par indiquée dans les évangiles comme Lessing le pré-tend, ou plutót si Ton distingue entre ces deux religions il faut dire que, d\'après les évangiles, le Christ présente les

\') Ev. sel. St. Marc. I : 15. ;:) Ev. sel. St. Luc. XIII : 5.

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idees fondamentalea de la religion chrétienne comme le moyen par lequel nous pouvons parvenir a professer la religion de Christ, qui consiste dans le parfait accomplissement de la volonté de Dieu. Jésus dit de lui-même: Ma nourri-ture est de faire la volonté de celui qui m\'a envoys, et d\'aecomplir son oeuvre \'). Je ne puis rien faire de moi-même: je juge selon que j\'entends et mon jugement est juste; car je ne cherehe point ma volonté, mais je cherche la volonté du Père qui m\'a envoyé Je suis descendu

du ciel pour faire, non ma volonté, mais la volonté de celui qui m\'a envoyé.... C\'est ici la volonté de Celui qui m\'a envoyé, que quiconque contemple le Fils et croit en lui, ait la vie éternelle; et je le ressuscite au dernier jour \'). Jésus fait la volonté de son Père. Nulle part les évangiles lui font dire, qu\'il ait été infidèle a ceite loi fondamentale de sa religion; il l\'a toujours accomplie. II n\'a point eu de pasaé dans lequel il en était autrement de lui; c\'est qu\'il se sent libre de tout péché et qu\'il n\'a pas besoin du pardon 4).

Tout homme, dit Lessing, désirera professer la religion de

Christ---- mais ce qu\'il ne voit pas c\'est l\'abime que nous

sépare de Jésus. Jésus exhorte ceux qui s\'approchent de lui a faire la volonté de son Père qui est aux cieux: »Tous ceux qui me disent: Seigneur! Seigneur! n\'entreront pas tous au royaume des cieux; mais celui-la seulement qui fait la volonté de mon Père qui est dans les cieuxquot; 6). Ceux qui l\'observent, il les appellera »ses frèresquot; 6).... mais ils ne le peuvent pas: ils sont »pécheursquot; \'), ils sont »mauvaisquot; 8).

\')

Ev.

sel.

St. Jean IV : 34.

3)

Ev.

sel.

St. Jean V : 30.

3)

Ev.

sel.

St. Jean VI : 38, 40.

lt;)

Ev.

sel.

St. Jean VIII : 46a.

\')

Ev.

sel.

St. Matthieu VII ; 21.

0)

Ev.

sel.

St. Marc III -. 35.

7)

Ev.

sel.

St. Jean VIII ; 7.

e)

Ev.

sel.

St. Mattbieu VII : 11; Ev. sel. St. Luc. XI ; 13.

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124

Pour pouvoir faire la volonte du Père celeste ils doivent d\'abord se convertir \'). C\'est pour appeler les pécheurs a la conversion, que le Christ est venu au tnoude.

La distance qui le sépare lui, des pécheurs est immense, c\'est 1\'abime qu\'il-y-a entre la sainteté et le pêché.

La religion chrétienne permet le passage du péché a la sainteté: c\'est la sa raison d\'etre, sa nécessité qui est fondée dans la grace de Dieu. Lessing neglige absolument la difference fondamentale qu\'il-y-a entre la personne du Christ et la notre, difference qui est le noeud de ce drame sublime que retracent les évangiles. Christ a ete homme dit-il, véritable-ment homme: tout homme peut done avoir la même religion que lui —• mais si nous voulons rester fidèles a 1 esprit des évangiles, dont Lessing se sert comme de la source qui nous lait connaitre la »religion de Christquot;, il nous faut dire: le Christ a été 1\'homme véritable, l\'homme saint; un pécheur ne saurait, de lui-même, soutenir avec Dieu les rapports qui unissaient le Christ a son Père celeste. Le pécheur doit d\'abord se convertir, recevoir en lui-même le principe de la sainteté, se sanctifler et c\'est seulement quand la periection sera venue que la religion du Christ peut être sa religion — en attendant la religion du Chretien est la religion ohrctienne.

Après avoir méconnu ces faits la. Lessing détinit la religion chrétienne, purement et simplement, comme celle qui enseigne que Christ a été plus qu\'homme et qui fait de lui 1\'objet de son adoration. II n\'en voit pas le spourquoiquot;. Comment s\'en étouner V Le travail dogma\'tique n\'est pas nu du besoin de philosopher 2) mais il a un fondement éthique. Frappée par l\'apparition du Christ, de l\'homme saint, et convaincue de son propre péché dont le Christ 1\'avait délivrée, l\'huraanité chrétienne s\'est efforcée d\'exprimer par des formules emprun-

\') Bv. sel. St. Matth. IV = 17, XIII : 15; Ev. sel. St. Marc. I : 15. \') Voy. p. 45 de ce travail.

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tées a la philosophie, la grandeur du Christ. (J\'était sa reconnaissance qui poussait I\'eglise a élaborer dans les trois premiers siècles les dogmes christologiques. Le principe conducteur du travail était donné dans la predication de Jésus lui-même. Celui-ci se distingue de 1\'humanite pécheresse et lui a donué une religion dont lui-même il n\'avait pas besoin. La religion du Clirist n\'était en effet pas la religion chre-tienne: le Sauveur a apporte ia religion qui sauye: lui-même il u avait pas besoin du salut; aussi Lessing dit-il trèsbien: II est inconcevable que les deux religions puisseat exister en Christ, dans une seule et même personne. Cela est inconcevable, paree que c\'est une absurdité toute pure; ces deux religions sont différentes entve-elles.

C\'est ici que nous touchons a la question brülante de toute la controverse. Remarquons qu\'a force d\'avoir cherché a determiner les idees exprimées par les mots de religion du Christ et religion chrétienne, nous en sommes parvenus a y rattacher des significations tout différentes : ou mieux dit: la oü nous comptons trois notions, Lessing n\'en a que deux. Nousavous:

a. La religion du Christ,

b. La religion chrétienne,

c. Le travail dogmatique des premiers docteurs chrétieus. Lessing distingue:

а. Le religion de Christ,

б. La religion chrétienne, par laquelle, si nous voyons bien \'), il a euteudu les résultats du travail dogmatique deposes dans les évangiles: il ne pouvait pas distinguer entre ce que nous nommons la religion du Christ et la religion chrétienne, paree qu\'il n\'accordait aucune importance a 1\'idée du péché, paree qu\'il ne voyait pas en celui-ci un principe anormal, qui a totalement vicié la nature humaine. En d\'autres termes: Lessing ne raisonne pas au point de vue de la con-

\') Cettc étude de Lessing est tres courte et demanderait des dévelop-pements pour être tout-è-fait clairc.

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science chretienne, mais a celui de la conscience religieuse, ou plntot philosophique *).

C\'est la ce qui explique toute sa polémique avec Schumann, et ce qui a deteint sur son activité theologique toute-entière. Les idees fondamentales de la predication du Christ, ces deux f\'aits que 1\'homme est pécheur et que le Christ le délivre du péché par la grace de Dieu, faits autour des-quels tourne tout le Christianisme et dont l\'appréciation est la clé-d\'or pour comprendre l\'apparition du Sauveur, n\'ont jamais «té estimés par Lessing a leur juste valeur. Pour autant que nous l\'avons étudié, nous dirions que jamais 1\'existence du pêché n\'est mise en ligne de compte par Lessing. II en parle une seule fois comme nous l\'avons re-marquu 2) mais sans pénétrer dans la signification du péché, sans en montrer les consequences, sans deviner que I\'hoirime »a force de faire ce qu\'il ne doit pas fairequot; s\'est de plus en plus corrompu. Sa correspondance aussi ne touche jamais a

\') La religion de Christ, dit Lessing ailleurs, s\'est déja répandue par voie orale avant qu\'nn seul des óvangélistes éorivït. Comment done Lessing a-t-il pu distinguer dans les évangiles entre la religion de Christ, et la religion ehrétienne — en déflnissant ces expressions comme nous venons de le voir — tout en disant que la formule du baptême, eouehée par écrit dans 1\'évangile selon St. Matthieu, avait été prescrite par le Christ lui-même, et était un élément fondamental de la religion de Christ, «qui n\'a été qu\'hommefquot; C\'est ce qui me semble difficile d\'expliquer sans eonsta-ter une énorme inconsequence dans les idéés de Lessing. Dans l\'étude ou nous lisous les paroles citées — Theses aus der Kirehengesehichte § 5. WW. XI : 593 — nous trouvons encore, § 9; Si Christ a prescrit do vive voix la formule du haptême, pourquoi n\'aurait-il pas communiqué de la mème manière ce que les apötres devaient enseigner et ce que le monde devait croire de lui? Si le Christ a enaeigné la «religion de Christquot; comme Lessing 1\'a comprise, il n\'y-a-pas de place pour un enseignement spécial sur la personne du Seigneur: celui-ci s\'il n\'a été qu\'un simple homme n\'a pas en besoin de donner expressément des instructions sur ce qu\'on devait croire de lui.

-\') Voy. p. i\'i de ce travail, note 2.

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ces matières. Lessing n\'en tient aucun compte dans son dé-veloppement intérieur a lui, et ne saurait pas non plus le faire dans l\'histoire de Thumanité. II en résulte que reflechir sur le sort de l\'homme, comnie Lessing le fait tout en ou-bliant, que l\'homme ne realise plus son idee, qu\'il aurait dü réaliser, c\'est condamner 1\'esprit a ne rieu saisir du Christia-nisme. Celui-ci en effet, pretend retablir l\'homme déohu. Que si le pêche est méconnu, la raison-même du rétablissemeut du genre humain est mcconnue en même temps. Tout au plus peut-on concevoir le dijveloppement d\'un état inférieur a un état supérieur — mais cela n\'est querelatif: l\'antithèse absolue entie ce qui est et ce qui doit être, au fond n\'existe pas. Tout ce qui est, est bon; voila la grande loi que la pensee doit respecter. La pensée se soumet a, la réalité mais ne saurait protester contre elle comrae étant illégitime — et la première predication du Christ: »amendez-vousquot; semble arbitraire.

La raison comme telle \') ne voit pas la nécessité des principes du Christianisine: la conscience endormie ne la lui fait pas sentir, et si la conscience ne le fait pas, quelle autre faculté le ferait? Le Christianisme, étant dans son essence même éthique, s\'adresse a notre conscience en premier lieu. Si celle-ci n\'en a pas senti la portee, notre esprit ne se l\'appropriera jamais pour y trouver sa lumière. Dans sa réplique a Lessing, Schumann dit trés juste: »Les principes du Christianisme ne sont pas des vérités nécessaires pour la raison. C\'étaient pour elle quelque chose d\'accidentelquot; -). Ce n\'est que quand la conscience a reconnu la valeur éternelle, absolue des principes chrétiens, que la raison dis-cerne son erreur et reconnait que ce qui lui semblait accidentel, tant qu\'il était en dehors de nous, est nécessaire,

0 Nous y.\'jry/ipa;, St. Paul, -) Voy. page 81 de ce travail.

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eternel et s\'impose oomme tel a l\'esprit, paree que nous en avons fait I\'expcrience intime. Alors aussi on voit — par le fait-même de la difference absolne entre le pêché et la sainteté — que le pécheur n\'aurait jamais pu pro-duire du fond de son propre moi, eet Évangile dont il est dit i Ce sont des choses que l\'oeil n\'avait point vues, que l\'oreille n\'avait point entendues, et qui n\'étaient point venues dans l\'esprit de l\'hoinme, mais que Dieu avait pre-parées a ceux qui 1\'aiment\' l),

C\'est a dire que la véritc chrctienne ne depend pas de nous, mais qu\'elle existe par elle-meme, qu\'elle est objeotive-ment donnée, que nous ne pouvons pas la construire par les efforts de notre raisou, ou de notre imagination religieuse, mais que sa revelation doit être un fait liistorique La per-sonnalite chr,;tienne depend ainsi de l\'histoire; elle ne saurait s\'en passer. A travers les sièoles, par tous les moyens de transmission possible la vérité chrctienne parvient jusqu\'a nous. Vouloir être chrétien mais indépendammant de l\'histoire, c\'est un desir peu raisonuable, et parfaitement arbitraire. Aux yeux de Schwarz le plus grand mérite de Lessing cou-siste en ce qu\'il a voulu »aifranchir le Ohristianisme de l\'histoire, de ce qu on nomme les fondements historiques de la religion chrétienne a fin de le rendre indépendant de la critique. II veut maintenir les droits de la critique en leur entier et laisser a la foi toute sa sécurité et son repos. Le Ohristianisme rend ces deux choses possibles. . .. Lessing éprouve une aversion tout-anssi grande eontre le Ohristianisme extérieur et historique que eontre le Ohristianisme dograa-tiquequot; \').

II me semble que Schwarz, en ces paroles, a parfaitement bien jugé Lessing; mais qui ne voit pas que Lessing a créé

1) 1 Cor, K : 9\'

2) Voy, Schwarz o. c. p. 178, 179.

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I2y

un dilemme entre le Christianisme historique et le Christia-uistue intérieur, qui est peu fondé sur la nature-raême des choses ? Le Christianisme intérieur est ou bien la religion que le Christ a établie — et ce n\'est que l\'histoire qui peut nous la faire connaitre, ou bien, e est une religion que 1\'on se fait a soi-même \'). Quel droit a-t-on en ce cas de la nommer religion chrétienne, Christianisme intérieur? Qui-conque dit; »mais alora il faut être historiën avant de pou-voir être ohrétienquot;, raisonne comme un sophiste. Les peuples barbares, qui vivent daas des contrées inexplorées jusqu\'a ce jour sont paiens — ils n\'ont pas le Christianisme intérieur. Ils ne l\'inventeront pas d\'eux-méiues L\'histoire des missions en tout cas n\'a jamais pu constater que des peuples barbares, soient parvenus au Christianisme sans l\'oeuvre de la predication chrétienne. Un missiounaire s\'établit enfin pami ces sauvages: il leur annonce l\'évangile, leur fait connaitre non pas la religion de Christ en premier lieu, mais la religion chrétienne. Lors-qu\'il a réveillé leur conscience, notre missionnaire leur parle de la grace divine révélée en le Christ, il y a dix-huit siècles. Je suppose son oeuvre bénie. Le Christianisme fait des adhé-rents. Ces nouveanx convertis sont absolument incapables de faire de la critique historique: ils ne peuvent pas juger de la réalité des faits extérieurs de l\'histoire évangelique, et pourtant ils dépendent de l\'histoire. Ils ne la connaissent que par ce seul témoin, qui a servi d\'intermédiaire entre-eux et tous les autres temoins qui se sont succédés dans le cours des siècles, et dont ils avaient besoin indirectement pour ap-prendre a connaitre le Christianisme, c. a. d. que le Christianisme intérieur n esige pas la science, ne suppose pas une connaissance savante de l\'histoire, laquelle n\'est a la portee que des chrétiens instruits — mais ce qu\'il suppose en tout

\') Et. scl. St. Jean XX : 31. J) Ep, aux Eomains X : 17.

9

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ehrétieu c\'est le contact établi entre sa personne et les vcri-tes religieuses fondameutalea revelees par l\'histoire éyangéli-que, car ce sont elles qui constituent ia matière du Christia-nisme intérieur.

La personnalité cheétiisnnb et l\'histoiee évanokliquk.

Avant de passer a notre deuxième section nous poserons cette question: le theologian qui professe le Christianismc intérieur — dans le sens indiqué dans notre paragraphe précédent — quelle attitude prendra-t-il a l\'égard de l\'histoire évangólique, et tout spécialement a l égard des f\'aits surna-turels dont cette histoire abonde? Son esprit sondera les Ecritures en toute liberté, puisqu\'il sent une profonde sympathie entre 1\'évangile vivant dans son for intérieur et l\'évan-gile historique dont ces Ecritures sont les documents. Son esprit régénéré et éclairé par le Conseiller promis pour con-duire dans toute la vérité \') retronve l\'Bsprit de Dieu, qui affranchit du péché, comme le créateur de cette histoire retracée par la plume d\'hommes faillibles. Je dis d\'hommes faillibles. Ils 1\'étaient en efifet. Cette possibilité d\'erreur fonde la nécessité de la critique sacrée. Elle doit être admise par quiconque n\'ad-met pas l\'infaillibilité du Pape, et réfléchit avec tant soit pen de rigueur logique. Cette possibilité d\'erreur s\'est-elle réalisée ? Oui, dira quiconque se refuse a reconnaitre la possibilité d\'une intervention extraordinaire de Dieu: tous les miracles, considérés par les évangélistes comme réellement arrivés, n\'ont pas eu lieu, les récits doivent s\'expliquer par voie naturelle: ce sont des mythes ou des légendes. Ce jugement doit être

\') Ev. scl. SI. Jean XIV ; 26.

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prouoncé a priori par quiconque ne considère pas le pêché comme une force cosmique anormale et qui nie par suite la possibilité de 1\'iuterventiou divine. Mais celui qui admet le surnaturel ue se oroira jamais dispense d\'examiuer ïi chaque cas les questions suivautes;

a. Ce miracle a-t-il pu avoir lieu ? La réponse ne pourra être negative que dans un seul cas: si le miracle ra-conté fut en contradiction avec l\'idée d\'un Dieu saint: car alors le résultat de (\'intervention divine serait la negation do Dieu, serait une absurdity monstrneuse. Supposons qu\'un tel cas se présente; le chrétieu s\'en affligera-t-il? Non cer-tes: il se réjouira an contraire d\'avoir fait un pas en avant en dégageant d\'une erreur le tableau de l\'histoire évangéli-que, qu\'il vénère comme l\'histoire de la redemption. O\'est la le cóté religieux-philosophique de la critique sacrée. Lessing n\'a eu ici qu\'un róle négatif. II a dévoilé le cote faible de Schumann: celui-ci n\'a pas vu dans le miracle I\'expresaion historique d\'une vérité éternelle: Lessing lui montre que le miracle, tel que son adversaire le con^oit, n\'a pas de force probante, mais il ue construit lui-même rien de nouveau. II ne le pouvait pas paree qu\'il méconnaissait la distinction entre la personnalité religieuse et la personnalite\' chrétienue. II était réservé a un autre, au plus grand théo-logien des temps modernes de la relever et de régéner Ia théologie, après que Lessing en eut restauré la méthode. Si Lessing a pu dire de lui-même qu\'il travaillait a l\'entrée du sanctuaire, Sleyermacher a été le prêtre desservant l\'autel. A lous d\'apprécier le mérite relatif de chacun et de profiter avec reconnaissance des résultats de leurs travaux!

Cette première question résolue affirmativement, une seconde se présente a Ia critique:

h. »Ce fait naturel ou surnaturel qu\'il s\'agit d\'étudier a-t-il eu lieu en réalité ? C\'est la libre recherche historique qui doit faire trouver la réponse. C\'est ici le problème historique-Iitté-raire que la critique s\'etforce de résondre.

9*

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Lessing a répandu beaucoup de lumière sur oette question de métliode, il se montre ici dans toute sa grandeur.

B. DEÜXIÈME SECTION.

LESSING ET GOEZE.

Rapport cntre les documents du Christianisme historique et la personnalité chrétienne. \')

II est impossible d\'étudier 1\'oeuvre critique de Lessing sans lui payer uu tribnt d\'admiration et de reconnaissance. Quelle penetration, quelle prof\'ondeur, quelle justesse de coup-d\'oeil! Get esprit merveilleusement done, prudent et vif a la fois, disposait d\'un savoir étendu, d\'une vaste erudition, et I\'a mise au service de la recherche la plus impartiale, la plus enthousiaste de la verite. Luther nous a dclivrus du joug de la tradition, Lessing de celui de la lettre. L\'tglise de Rome avait asservi les intelligences et les consciences aux décrets d\'un concile, a la volontu d\'un eveque: la scolastique allemande les opprimait au nom des Écritures Saintes, disons mieux, au nom d\'une certaine conception de ces Ecritures qui était ra-dicalement fausse. Lessing a mis fin a eet esclavage. II a démontré que le role assigns par la scolastique a la Bible, était contraire a la nature même de ]a Bible, ótait en contradiction avec son histoire et entravait tout developpement de la théologie. II a battu en brèche !e système de I\'auto-rité extérieure au nom de lo vérité. Celle-ci brille de son propre éclat. Les rayons qu\'elle répand sont les voies lu-

\') Nous rangeous aussi sous ce titre les discussions soutenues par Lessing contre Walcli et contre Less.

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mineuses lelong desquelles nous nous avangons pour pénótrer jusqu\'a sou foyer. Nous avons le droit de suivre ses divines clartés sans nous laisser arrêter par aucun obstacle. Lessing a montré qu\'il n\'-y-a de vraie pensee que la pensee libre. Elle ne peut se laisser determiner que par l\'objet-même sur lequel elle se porte.

Nous rangerons la matière a traiter sous les chefs suiyants:

§ 1. Le Canon et la tradition.

§ 2. Le Canon et le christianisme.

§ 3. Le Canon et le théologien.

§ 1.

Le canon et la tradition.

La Formule de concorde determine comme suit le role qui appartient aux éorits bibliques: Docemus unicam regulam et normam, secundum quam omnia dogmata omnesque doctores aestimare oporteat nullam omnino aliam esse quam prophetica et apostolica scripta tum veteris tum novi testamenti.

En opposition a ce dogme, que la scolastique allemande avait maintenu — en formulant ordinairement: Docemus unicam regulam et fontem — Lessing pose les theses suivantes:

1. La religion chrétienne ne se fonde pas sur le contenu tout entier de la Bible.

2. La religion chrétienne ne se fonde pas sur la Bible seule.\')

1. La première thèse, énoncée pour la première fois par Lessingdans son introduction aux Fragments publiés en 1777 sous cette forme: »11 est manifeste que la Bible renferme

\') Voy. WW. XI: 561.

2) Voy. WW. X : 9—12 et page fi!) de ce travail.

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d\'autres cboses encoro, que oe qui se rapporte a la religionquot;, a ité dévéloppée par lui daus le premier axiome defendu oon-tre Groeze\'). Lessiug demande a oelui-oi de bien remarquer la distinction eutre le poids-brut et le poids-net, distinction que Goeze Ini-mCme avait indiqure en disant: »Si Ton distingue entre le contenu vraiment religieus de la Bible, et ce qui ne sert qu\'a I\'expliquer et qu\'a le confirmer on peut admettre la tbèse de Lessing.quot; Parlous done du poids-brut seulement, continue celui-ci. S\'il-y-avait de 1\'emballage, qui ne sert a rien, compris daus ce poids-brut? C. a. d. s\'il-y-avait dans la Bible des cboses qui ne servent ni a prouver, ni a ex-pliquer ce qui est essentiellement religieux, Goeze ne serait-il pas couvaiucu, entièrement couvaincu de la vérité expnmee dans la première tbèse? Or les Hajiemim d\'Ana, les Cretbi et les Plethi de David, le manteau que Paul avait laissé a Troas, et bien d\'autres cboses de ce genre, ne sont aucune-ment en rapport avec la religion.

Pour toute critique nous disone, avec Lessing lui-même; Cette tbèse est absolument vraie.

2. La seconde these: La religion chrétienne ne se fonde pas sur la Bible-seulequot; va nous occuper plus longtemps. Lessing la prouve par voie bistorique en démontrant:

a. Que 1\'église primitive nquot;a pas considéré la Bible comme étant l\'unique source, I\'unique regie des vérités de la foi (tbèse negative).

b. Que la regula fidei a été honorée par 1\'église primitive comme regie et source de la vérité (tbèse positive).

c. Enfin Lessiug conclut son examen eu opposant la regula fidei au canon. 11 abandonne le terrain bistorique pour se transporter sur celui de la dogmatique en disant: C\'est done cette regula fidei qui est le rocber sur lequel l\'église a été fondée et non pas l\'Ecriture (tbèse dogmatique).

\') Voy. WW. X: 13C—138.

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a. L\'eglise primitive u\'a pas considere la Bible comme etant I\'unique source, I\'unique regie des v(\'rités de la foi.

A l\'appni de cette these negative, Lessing rappelle que le premier évangile a étó écrit au plus tót, seize ans après la mort du Seigneur: il serait absurde de dire que durant ce lapse de temps on n\'a rien su de certain sur ses actes et ses discours. On se servait de 1\'oraison dominicale avant que 1\'évangile selon St. Matthieu existat; on pent en dire autant de Ia formule du baptême, usitée avant d\'etre couchée par écrit dans ce même évangile canonique\'). La tradition ecclé-siastique a été done la première source de la connaisaance de l\'histoire évangélique, et, avant I\'existence des évangiles, elle a été I\'unique source.

Quelque opinion qu\'on adopte sur la date de la composition des évangiles, il est certain que tous les évangiles n\'ont pas été connus partout aux deux premiers siècles. Lessing montre que le passage d\'Iguace d\'Antioche, sur lequel Less s\'était appuyé pour attribuer a ce père de l\'église la possession d\'uu canon reufermant nos livres cauoniques, est corrompu. II faut lire nQoacpvyav rco \'EitiazoTio) (pour ra f uayyekio)) cog Gccyxi \'Irjaov Xinorov y.ai roig nyeaftvTSQOis (pour rots djiooToXoig) (igt;g \'Anoarohoig (pour cog TiysfffiuTeyico èxy.Xrjoiccg) xat rovg Jiay.ovovg Se dyanco (pour y.ai rovg JiQorprjTcig ccyanco) cag rcQCxprjvug Xyiarov xarayyei kaVTag, y.ui. rov avrov nvsvfiarog /ueraa^ovrag, ov \'AUl oi \'AjioaroXot.... en sorte que ce passage ne prouve rien contre l\'opiniou que Lessing défend Celui-ci rappellft ensuite que les églises n\'avaient pas la collection des épitres que nous possédons. Dans sa lettre a l\'église de Corinthe, Clément de Rome ne cite que les épitres aux Corinthiens, et Polycarpe dans la lettre aux Philippiens ne fait mention que

\') Theses ans der Kirchengeschichte. WW. XI: 594—59S.

\'-) Voyez: Sngonannte Briefc an den Hernn Doktor Walcb. WW. XI: 5C7.

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de l\'épitre de Paul a oette église. Les laïques du reste ne lisaieut les livres, que leur église pouvait posséder, qu\'avec la permission spéciale du presbytre chargé de les conserver 1). Lors de la persecution de Dioolétien on chercha les saints livres nou pas auprès des laïques mais auprès des évêques et des presby-tres: ce qui ressort de ce passage de St. Pélix: ut deïficos ex-torquerent de manibus episcoporum et presbyterorum 2), et, a l\'objeotion de Walch, que o\'est la le seul passage quimeu-tionne expressément les évêques et les presbytres, Lessing répond que ni Eusèbe, ni Augustin, ne disent jamais qu\'on réclamat les codices aux laïques: ce dont il conclut que les païens savaient bien que les simples laïques ne les possé-daient pas s).

Plus sure est la refutation de 1\'idée de Goeze qu\'au second siècle drja on avait reconnu les livres du Nouveau Testament coinme 1\'unique fondement et 1\'unique colonne de notre foi. Celui-ci en avait appelé ïi Irénée 3). Non enim per alios dispositionem nostrae salutis cognovimus, quam per eos per qiws Evangelium pervenit ad nos, quod quidern tune praeco-naverunt, postea vero per Dei voluntatem in scripturis nobis tradidiirunt. fundamenturn et columnam fidei nostrae futurum. Lessing montre clairement que Goeze fait dire a Irénée des livres du Nouveau Testament, ce qu\'en réalité il dit du con-tenu de l\'évangile, d abord préché de vive voix, ensuite couché par écrit. Si le pasteur de Hambourg avait raison il faudrait lire. . .. fundamentum et columnam fidei nostrae futuris et nou pas futurum.

Irénée du reste est favorable a la thèse de Lessiug, car il dit qu\'il-y-a des peuples chrétiens qui ne connaissent absolu-

1

\') Réponse nécessaire § 9. WW. X : 242.

2

-) Des traditeurs ï 1. WW. XI: 5:11.

3

■\') Adv. Haer. Lil). III : 1.

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ment pas les livres saints: Ordinationi traditionis assentiunt multae gentes barbarorum, eorum qui in Christum creduni sine charta et atramenlo, scriptam liabentes per Spiritum in cordibus suis salutem, et Veterum ïraditionem dil\'igenter custodientes, in uuum Deum credentes... . per Christum Jesum Dei filium

Par cela-même Lessing a prouvc la première partie de sa these ne\'gative: l\'église chrétienno a existé arant que ie canon fiit arrêté, avant que les livres canoniques iassent générale-ment connus et même qu\'il y a eu des églises ohrétiennes qui ne les connaissaient absolument pas: il est done évident que pour l\'église primitive l\'Ecriture Sainte n\'a pas été l\'unique règle, l\'unique source de la foi.

Mais qu\'en a-t-il été plus tard lorsque les livres du Nouveau Testament étaient généralement connus et formaient un canon?

D\'après Lessing lui-même e\'est Tertullien qui l\'a mis sur la bonne voie pour trouver la source de la connaissance chré-tienne. Sur les passages tirés de ce père latin, porte surtout la lutte entre Lessing et Walch, après que les explications erronées. que celui-ci donne de quelques passages classiques d\'Irénée et de Clément d\'Alexandrie ont éte écartées.

Les paroles d\'Irénée:1) »Quid autem si neque Apostoli quidem scripturas reliquissent, nonne oportebat ordinem sequi Traditionisquot; avaient été traduites par Walch, comme suit: »Si les apötres n\'avalent pas laissé d\'écrits, alors seulement il fau-drait s\'eu tenir a 1\'enseignement oral.quot; On voit que pour avoir négligé la forme interrogative de la phrase — quid autem\'? — Walch se méprend totalement sur la pensee de son auteur 2). Irénée dit; La nécessité de la tradition serait surtout évidente si les apótres n\'avaient pas laissé d\'écrits, Le fait qu\'ils en

1

) Adv. Haer. 111 ; i.

2

) Voy. WW. XI : 571.

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out laissés ne prouve pas du tout qu\'aux yeux d\'lrenee la tradition était superflue. Irénée caractérise cette tradition en la nommant une regula ueritatis, on veritatis tradilio, ou encore vetus traditio. Les competentes avant d\'entrer dans I\'eglise reeevaient cette regula veritatis du presbytre, qui la récitait de vive voix, jusqu\'a ce qu\'ils la sussent par coeur, car elle n\'était pas couchée par écrit.

Pour ce qui est des passages de Clement d\'AIexandrie, Lessing montre que Walch les cite mal-a-propos, et qu\'il-y-en a qui sont favorables a sa these a lui.

1. Ce docteur present en effet 1J que les lirres apostoliques ne seront pas mis entre les mains des laïques sans distinction mais qu\'on enseignera aux enfants seulement la morale d\'après 1\'Ecriture Sainte de l\'Ancien et du Nouveau Testament. Au moment du baptême on faisait connaitre aux adultes la doctrine chrétienne, el. la Bible en son entier était réservée aux jiQogaiia ixXexra. Clement lui-même indique clairement de qui il entend parler quand il emploie cette expression, car il dit: \'Oh-/a ravva ex noXlcov, Seiy/uarog xccqiv, art\' avTCOv diegeXamp;ay rcoy dtiMV yyccrporv ó llaiiïayor/oq, TOig avTOv nayccTtderai naiaiv, Si\' coy, ax; snog trntiv, df/Sr/y ixxonrsvcii y.ay.ia, y.ui nefjiyQucptxai diiiy.iu. Mv(jicci de baat, vjioamp;tjxai tig nijoniona ty.kiy.TU Sicc-TSLVOcaai, tyytyoayarai raig ftiftXoig raig ayiaig-ai fiey, jiyeefivreyoiS\' ai de, Èuiayonotg- ai Se Staxo-voig- aXkat, x\'i(jaig- netji cov dkXog dy et\'rj ktysiy y.uujog-nokl.a Se y.ai Si\' utytyuarcoy nok/.a Ss y.ai Sia icaiia-fioXay roig e\'vrvy/avovaiv égeanv tjcpeXetodai.

2. Le second passage est tiré des Stromata \'). Clémeut

1

Paed. Lib. III. c. 12. -) Livre 5e, clmp. 12e.

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parle de ses maitres, qui ont re^u la tradition de la doctrine salutaire, de Pierre, de Jaques, de Jean, de Paul. Walohavait prétendu qu\'ii s\'agit, ici evidemment d\'écrits apostoliqnes. Lessing fait voir que Tévidence c\'est tout le contraire et que 1quot;. Clément parle de doctrines ésotériques qu\'il a revues de ses devanciers, 2°. que Clement met ses maitres sur Ie même rang que les apötres qu\'il énumère; car il dit que ce sont des enfants bfioioi a leurs pères 1).

3. Le troisième passage est une explication d\'un récit d\'Hermas. Clément y dit que la Bible peut être comprise par tous les membres de l\'église xara rrjv tuiXijv dyccyi\'coaiv a condition que la niGTig les conduise. Cette Ttiariq dit Lessing, n\'est pas la vertu de la foi, mais la foi exprimée dans la tradition orale, ce que Clément nomme y.uvcov rrjg dkrjamp;siag, dans :

4. Le quatrième passage en question. Elle doit garder le gnostique de toute erreur quand il interprets la Bible, et forme, avec le y.ccviw sxxkrjffiaffnxog, la naQaScoaig è-/.-/kr]ai-aaTiy.r].

Pour l\'explication de ces passages Lessing 1\'emporte sur ses antagonistes par son exactitude et sa précision. Mais le voici faisant le saut périlleux. Entrainé par son désir de relever la portée de la tradition eoclcsiastiqae, il va lui assi-gner une origine apostolique, même, il essaye de la rameuer a Jésus en personne. C\'est Tertullien qui m\'a convaincu 2), dit-iU que les apötres ont compose une formule dogmatique, exprimant l\'unité de leur foi et de leur enseignement, formule d\'unité qui encore maintenant devrait avoir plus d\'au-torité que leurs écrits, et dont ceux-ci ne devraient être qua les explications éventuelles. Lessing moutre d\'abord que dans

1

gt;) Voy. WW. XI : 574—578.

2

Voy. WW. XI : 581.

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le passage suivant 1) »Qui ergo putaveris, uihil nos de salute Caesarniu curare, iuspice Dei voces, literas nostras, tjuos neque ipsi supprimimus et plerique casus ad extraneos transferuutquot; les mots literas nostras ue peuveut pas être rendu? par «source de la connaissancequot; et que dans cette phrase: »Cogimur ad literarum divinarum commemorationera, si quid praesentium temporum qualitas aut praemonere cogit, aut recognoscerequot; »divina literaquot; a, ici, comme dans tout sl\'Apologètequot;, le sens de xlivres de l\'Ancien Testamentquot;, anxquels Tertullien oppose l\'écriture du Nouveau Testament, comme une snovitiola pa-ratura.quot;

Après avoir défendu sa these negative, Lessing passe a sa thèse positive.

b. La regula fldei a été regardée par 1\'église primitive comme règle et source de la vérite J).

Walch fournit a Lessing l\'occasion de développer ses idees sur le róle de la regula fidei dans l\'église primitive. Sur les traces de Basuage, il avait déclaré que la regula fldei n\'était autre chose qu\'une amplification humaine et acciden-telle de la formule du baptême instituée par le Seigneur. Le danger que les docteurs herétiques faisaient courir a la foi avait poussé les chefs de l\'t\'glise, a prémunir les nouveaux membres de la communauté chivtienue contre les heresies. Dans ce but, on ajouta a la formule du baptême des clauses dirigees contre les doctrines condamnées: le rrsultat en fut la regula fidei 2).

Lessing pretend tout le contraire: il s\'efforce de démontrer que la regula fidei remonte aux apötres, peut-être au Christ lui-même. II est facile de voir que le terrain sur leqnel Lessing se hasarde est hérissé de difficultés. Les suppositious

1

\') Apol,

2

) WW,XI : 084.

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prennent la place de renseignements certains: la certitude historique cede a chaque moment devant un ualcul de probability. Les sources font souvent défaut. Ce que les pères disent de la regula fldei est peu clair, il faut avoir recours aux conjectures pour combler les lacunes, et le résultat le plus favorable ne peut être qu\'ime probabilité: en un mot, Lessing n\'a pas fait de 1\'histoire, il n\'a pas elucidé des faits mais a aprioristiquement construit une bistoire sur des faits supposes.

Lessing, comme nous l\'avons vu, avail déja émis cette double these: la regula fidei n\'a pas ete tiree des écrits du Nouveau Testament; elle a ete avant qu\'un seul livre du Nouveau Testament existat.

La regula fidei est même plus ancienne que l\'église car le but en vue duquel une communauté se forme, l\'ordre sous lequel elle se range doit bieu être antéricur a la communauté !).

Voici maintenant comment il développe son idee et cberclie a l\'appnyer.

Christ a present a ses apötres la formule du baptême : u\'est-il done pas probable qu\' après sa resurrection il doive aussi leur avoir laissé un sommaire des doctrines qu\'ils devaient prêcher sur sa personne? Un tel sommaire dogmatique aurait été très-utile. Est-il absolument faux de prétendre qu\'on trouve avant le deuxième siècle des traces d\'une formule plus développée du baptême? Cette assertion serait-elle une pure hypothese ? Les premiers pères qui devaient s\'opposer aux doctrines hérétiques, et qui pour cela-même devaient in-sister sur une confession proprement dite, étaient Irenee et Tertullien; or ceux-la le fout. Ces mêmes pères dans les écrits desquels nous trouvons une confession développée, déclarent ; hanc regulam ab initio Evangelii decucurisse. Ils

\') WW. X : 241. v. p. 99 de ce travail.

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exigent ia soumission a oette règle de foi squam Ecclesia ab Apostolis, Apostoii a Chriato, Christus a Deo tradidit. Oui, dit Lessing, Tertullien de\'olare que St. Paul a re9u des Douze la regula fidei: c\'est en ce sens que ce docteur a compris le récit du denxièine cliapitre de la lettre aux Galates \').

Lessing dit ensuite expressément qu\'il a parlc de 1\'cglise primitive dont l\'histoire se termine par le ooncile de Nicee (325).

II se trouve ici une lacuna dans le mauuscrit. Un fragment intitule vllilairequot; -) se rattache cependant a la même polémique. St. Hilaire a recommandé la lecture du Nouveau Testament, avait dit Walch. Certes, re\'pond Lessing, mais le point en litige est celui-ci: St. Hilaire a-t-il considéré l\'Ecri-tnre Sainte comrae une source de la doctrine chrétienne officielleV II est vrai que dans son livre »de Trimtatequot; ce docteur cite souvent des passages du Nouveau Testament mais c\'est, ou bien pour montrer que les Ariens en avaient meconnu le sens, ou bien pour appuyer la doctrine catholi-que, mais il ne s\'en sert jamais comme d\'une source pour determiner celle-ci. Les Ariens, et a leur deniande, 1 em-pereur Constance voulurent expressément qu\'on décidat la lutte sur la divinité de Christ: tantum secundum ea quae scripta sunt. Hilaire consentit: Hoc qui repudiat antichris-tus est, et qui simulat anathema est, dit-il, mais il ajouta : Sed unum hoc ego per hauc dignationis tuae sinceram audien-tiam rogo, ut praesente syuodo, quae nunc de fide litigat, pauca me de scripturis evangelicis digneris audire. Ce discours d\'Hilaire s\'est perdu, mais ce qui est bien certain, dit

i) Paulus Hierosolyinam ascendit, ad cognoscendos Apostolos et coa-sultandos, ne forte in vanum cucurisset, id est, ne non secundum illos oredidisset et uon secundum illos evangelizaret. Denique ut eum auc-toribus contulit et convenit dc regula fidei. dexteras miscuere et exindc officia pracdicandi distinxcrunt. (Tertulien).

-) WW. XI : 588-- 589.

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Lessing, e est qu\'il a voulu demander a rempereur de ne pas livrer l\'Ecritnre a l\'iuterprëtation arbitraire des héréti-ques, mais de l\'expliquer d\'après la regula lidei, qui renferme le contenu de la foi, dont Hilaire declare »penes me habeo fidem, exteriore non egeo.quot; On ne saurait livrer la foi des Chretiens aux diverges interpretations de TÉoriture: la régie de foi est le port assure vers lequel tendent les Chretiens; sinter haec fidei naulragia, coelestis patrimonii jam paene profligata haereditate, tutissimnm nobis est primam et solara evangelicam fidem contessam in baptismo intelleetamque retinere. On le voit conclut Lessing; pour Hilaire la Bible n\'est pas la source de la foi; c\'est la regula fidei qui Test.

Lessing exprime enfin le résnltat final de ses recherches dans:

c. La troisième these; C\'est done la regula fidei qui est le rocher sur lequel 1 église a 6tlt;i fondee et nou pas 1\'Bcriture (these dogmatique).

Nous avons snivi pas a pas le (levelopperaent des idees de Lessing, paree que c\'est le moyen d\'en connaitre les qualitds comme les défauts. Pour les points de détails. Lessing n presque toujours raison contre Walch. II comprend d\'ordi-naire bien mieux que son adversaire, les passages des pères pris un a un, et I\'on ne saurait qu\'admirer sa vaste erudition. La présomption que ces circonstances pourraient faire naitre en sa faveur, toutes les fois qu\'il s\'agit de questions plus générales, ne serait cependant pas fondée. Lessing manque ici d\'exactitnde et de logique. Nous relevons d\'abord la relation entre la troisième these et les deux précédentes. Elle constitue une uit aft a mg sig allo ysvog, plus grossiore au moins que celle de Schumann, si vivement critiquée par Lessing. Supposous la seconde these démontrée d une ma-nière irrefutable: mettons que l\'église primitive ait consi-déré la regula fidei comme la source unique de la foi, s\'en

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suit-il qu\'elle l\'ait estimée comme »le rocher de l\'église,quot; ou seulement comrae la souvee de sa cormaissance du rochelde l\'église? Evidemment o\'est lo second des cas posés. Ou voit qu\'il-y-a ici place a une critique de Lessing, semblable a celle que Lessing a exercée sur Goeze. L\'objet de la con-naissance se distingue de sa source. Mais passons! Legrand point e\'est que Lessing quitte le domaine historique pour celui de la dogmatique, en disant: la regula fidei est le rocher sur lequel l\'église a été fondée. Que les docteuvs chrétiens 1\'aient considerée comme telle, je l\'admets volontiers — ont-ils eu raison de le faire? C\'est la teute autre chose. Lessing, en un mot, aurait du mentrer que les pères ecclesiasti-ques ne se sout pas trompés.

Veuons a la seconde thèse. Cette regula fidei qu\'est-elle? Lessing ne le dit jamais eu termes précis. Est-ce le symbole de Nicée ou seulement la regie de la foi comme nous la trouvons chez Tertullien? Quand Goeze demande a Lessing: »qu\'entendez-vous par la religion chrétiennequot; celui-ci répond: c\'est la religion contenue dans les symboles des quatre premiers siècles de l\'église chrétienne 1 . II est vrai qu\' a Walch il indique, plus exactement, la période qui s\'étend de 1\'ori-gine de l\'église jusqu\'au concile de Nicée !). Ce sont done outre les confessions indiquées, le Symbole des apötres, et le symbole d\'Athanase, qui peur Lessing sent le rocher de l\'église, pour Lessing qui préfère la »religion de Christquot;, a la »religion chrétienne, qui déclare qu\'il est douteux que le Christ ait été pins qu\'un simple homme? Lessing qui s\'écria Luther, c\'est toi qui neus as délivrés du joug de la tradition veut-il de nouveau perter ce joug? Cela nous parait sim-plement impossible. Souvenons-nous de ce que Lessing dit un jour a son frère Charles: ce qu\'il écrit yuf.tvaaTiy.oic;,

») WW. X: 240. !) WW. XI: 58(1.

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il ne Técrit pas Soy/uaTtxoyg. En opposition a Ia scolas-tique allemande, qui exige la soumission aveugle au canon, Lessing pose 1\'autorite de la tradition. Voulez-vous une autorité extérieure ? Autorité contre autorité: au fond on ne Ia discnte pas: moi je préfère l\'autorite des docteurs ecele-siastiques sous la forme de Ia regnla fldei, vous Ia préfé-rez sous la forme du canon qu\'ils ont réuni Mais de fait Lessing ne veut ni de Tune ni de I\'autre en réalité. II fait voir seulement a ceux qui oroient que la dogmatique a besoin d\'une autorité extérieure, qu\'une régie de foi quelconque ré-pondrait mieux au but que Ie canon. Tout hérétique trouve facilement un passage et plus d\'un en sa faveur, aussi bien que tout orthodoxe: les deux font servir la Bible a un but pour lequel elle n\'est pas propre.

Pour faire ressortir I\'importance de Ia tradition ecclésias-tique Lessing accumule hypothese sur hypothèse. II veut la faire remonter au Seigneur lui-même. Lessing n\'a aucune indication précise a sa disposition pour le prouver, mais il combine habilement quelques données des pères de I\'cglise pour en déduire sa these. L\'évangile selon St. Matthieu en effet, duquel Lessing tire la formule du baptême, ne nous aurait-il pas communiqué ce sommaire dogmatique, si important, dans I\'hypothêse de Lessing ? Si 1\'hypothèse de Lessing était fondée, l\'évangile aelon St. Matthieu nous aurait raconté les circonstances dans lesquelles, le moment oü le Seigneur ressuscité transmit a ses disciples le résumé dogmatique en question. Mais ui eet cvangile, ni aucun des apótres n\'en parle. Le passage de Tertullien: »Denique Paulus ut cum auctoribus contulit et convenit de regula fideiquot; etc., n\'a-t-il pas trait a ce que nous lisons Act. XV: 28, 29: »11 a semblé bon au Saint-Bsprit et a nous, de ne vous point imposer d\'autre charge que ces choses qui sont nécessaires, sa voir: que vous vous absteniez de ce qui a été sacrifié aux idoles, du sang, des choses étoutfées et do la fornicationquot;? Ou bieu, s\'il n\'en est pas ainsi, si Tertullien a vraiment entendu dire

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ce que Lessing pn\'teud quïl diae, ue uous t\'aufc-11 pas protester contra I\'liiatoire du christianisme apostoliqne, d\'après ïertul-lien? Lessing peut-il opposer un seul témoignage historique, certain a ce que Walch avauya c. a d. qu\'avant la fin du second siècle on ne trouve pas de trace d\'une regula fidei? Quelques expressions vagues d\'Irénée et de Tertullien ne sau-raient servir de preuve *) en cette matière, l\'usage que Lessing en fait ne saurait légitimer sa tractation aprioristique de l\'his-toire. Son système manque de base: aucune donnée positive ne le soutient.

Quelles étaient done les sources de la counaissance de la vérité chrétienne? C\'étaient la tradition orale en premier lieu, une assez riche littérature chrétienne ensuite, et enfin, quoique dans un cercle bien restreint, les livres qui se trou-vent maintenaut dans notre canon, üne regula fidei, norme et source de lu vérité, et regardée comme lo rocher de IVglise ue date que de l\'époque de Tertullien 2).

§ 2.

Le canon et le chkistianisme.

La reconstruction de l\'histoire, tentée par Lessing, est bien plutöt un playdoyer en faveur de la tradition, qu\'une oeuvre historique proprement-dite. On voit qu\'il s\'est laissé en-trainer par les nécessitéa de la polémique. II avait com-

i) liane regulam ab initio Bvangelii deoucurisse.

3) Malgré 1c rapport entre la théorie de Lessing et cclle de Bossut-t — {jui prétendit qu\'il fallait considérer comme d\'origine apostoliqne, tonte tradition dont on ne savait en réalité pas la source — des Catlïoliques, entre autres 3?riedr. von Sehlegel, ont vu, mais a tort, dans les idees de Lessing un //retour a la véritéquot; (catholique-romaiue). En déclarant que la regula fidei est 1c rocker sur lequel Téglise a été fondéc, et que l\'écriture ue 1\'cst pas, il déclara en même temps; Pierre et ses suecesseurs nejsont pas le rocher dc l\'église.

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pris que la scolastique lutherienne, en rejetant la tradition, avait trop rejete, et qu\'elle avait attribué a la Bible, dans l\'eglise primitive, un role, qu\'en réalité elle n\'y avait jamais joué, et qui ne lui revenait pas d\'avantage au sein de IVglise protestante, quoiqu\'en dit l\'ortliodoxie régnante. En s\'oceu-pant de la tradition, Lessing était beaucoup moins préoccupé en réalité du passé, que de defendre une thèse touoliant I\'lm-portance, qu\'a ses yeux il fallait attribuer au canon par rapport au Christiarasme actuel.

Les idees de Lessing sur ce point réclament maintenant noire attention. Pour bien juger l\'oeuvre de Lessing 11 importe avant tout de ne pas oublier oü la scolastique en était venue. Si Luther s\'était encore permis de critiquer librement les livres du canon — pensez a son jugement sur les Cbroniques, sur le Cautique des Cantiques, sur l\'épitre de Jaques, sur l\'Apocalypse — ses disciples entendaient pro-hiber tout examen vraiment sérieux et indépendant a ce sujet. La Bibliolatrie avait fait de tels progrès qu\'au beau milieu du dix-buitième siècle un docteur a pu traiter cette question: »La Bible est-elle Dien ou nou ?quot; L\'identification des intéréts du Christianisme avec ceus du canon est un des traits marquants de la scolastique allemande, comme si le Christianisme avait dü tomber pour la plus petite erreur que 1\'on aurait découverte dans un des livres canoniques *)!

Cet état de choses donné, on comprend aisément que les théologiens orthodoxes accusèrent l\'Inconnu d\'etre un adver-saire de la religion chrétienne, et que Goeze prononya le même jugement sur Lessing. Ce dernier s\'était bien gardé de contresigner toutes les critiques faites par Reimarus, mais il se refusait a ie considérer, pour les avoir émises, comme un adversaire du Christianisme, car le Christianisme et le canon sont deux choses bien distinctes. Ce n\'est pas le

\') Voy. Dr. A. Tboluck. Deutsche Zcitschrift tür clir. Wissenscliaft u. cbr. Leben, 1850. No. 16, 17, 18.

10*

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Christianisme qui depend du cauou, mais celui-ci est un produit dn premier. Par consequent ce n\'est pas encore attaquer la religion que de faire des objections ii la Bible (IV).

C\'est a tort que la soolastique voit dans la Bible le fondement de la religion chrétienne: celle-ci ayaut existé par lui-niêtne, il a sou fondement, sa raisou d\'etre en lui même, et il devient la raison d\'etre du canon du Nouveau Testament. La religion n\'est pas vraie parce que les apötres et les évangelistes l\'ont enseignée, mais ceux-ci 1\'ont enseignée parce qu\'elle est vraie \') (IX).

II est facile de voir par la réponse de Goeze a eet axiome combien les vérités élémentaires et évidentes, défendues par Lessing étaieut méconuues par l\'orthodoxisme. Cette antithése ne signifie rien, dit Goeze, car si les cvangélistes et les apótres out parló et écrit sous l\'impression du Saiut-Esprit, la religion est vraie parce que les uvaugelistes, et les apótres, ou plulöt, parce que Dieu lui-même l\'a enseignée (!)J)

Des objections contre la Bible ne sont pas des objections cuntre le Christianisme parce que la Bible n\'est qu\'un document historique de celui-ci, et ensuite parce qu\'elle renferme d\'autre chose encore que ce qui se rapporte a la religion (I) et parce que la pretention que la Bible soit infaillible en ces matières la, est une pure hypothèse (II). On frise le blasphème, dit Lessing, en prétendant que le Saint-Bsprit ait agi aussi bien dans la composition de la généalogie des descendants d\'Esaü, que dans le sermon sur la montagne prononcé par Jésus et couché par écrit dans 1 evangile selon St. Matthieu. II nous faut done distinguer entre la lettre

!) Voici cncore une fiiraOxatG sU ctXXo ysvos, échappcc a la plume de Lessing. On ne saurait dire les évangelistes et les apótres ont enseigné la religion chrétienne paree qu\'elle est vraie, mais on peut senlement eonclure du fait qu\'ils l\'ont prêehce, qu\'ils l\'ont cru vraie. Ce sont d\'autres raisous qui nous donnent la conviction que la religion chrétienne est vraie. s) WW. X : 151.

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et l\'esprit (III), comme de bons théologiens luthériens Tont fait depuis longtemps déja, entre l\'Ecriture Sainte et la Parole de Dieu. \')

En resumé: Leasing démontre dans sa polémique avec Goeze, qne les idees, representees par les expressions de religion et de Bible, de Ohristianisme et de canon du Nouveau Testament, ue sont pas identiques, que oe qui se dit de l\'un n\'est pas pour cela vrai de l\'autre.

Les Axiomes de Lessing sont irréfutables. Chaoune de ses theses a été développée par lui avec uue rigueur logique irréprochable. Les objections que notre critique oppose aux thi\'ologiens de rancienne ecole sont parfaitement fondées. En relevant l\'individualité humaine des autem-s bibliques, Lessing a maintenu la possibilité d\'erreur dans les livres saints; pour avoir montré des contradictions réelles, évideu-tes, que la plus subtile harmomstique ne saurait faire dis-paraitre, il a constate qne cette même possibilité est devenue réalité. En montrant dans la Bible l\'existence de choses qui n\'ont absolument rien a faire avec la religion, il a trouvé la preuve de sa these; Le Ohristianisme ne se fonde pas sur toute la Bible; en faisant tomber une vive lumière sur le rule de la tradition ecclésiastique, il fait voir que la Bible n\'a pas été l\'unique source de la connaissance chrétieune. Au nom de l\'histoire et par 1\'examen du caractère des livres de la Bible, il maintient que la Bible n\'a pas réellement servi, et qu\'elle ne saurait servir d\'arbitre dans les discussions dogmatiques. La loi primordiale de la logique formelle exprimée en ces mots que la cause est indépendante de l\'effet, lui apprend aisément que la vérité cbrétienne ne saurait être solidaire du canon; l\'histoire des premiers siècles conflrme cette loi générale: Lessing en conclut la possibilité pour notre époque d\'un Ohristianisme sans la Bible ....

\') Les chift\'res romains indiquentiles numuros des//Axiomesquot;. Voy. pag. 91 et, 9-2 de ce travail.

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Eh bien! tout oela est irreprochable\' et neanmoins, quand od a eutendu Lessing, ou ne se sent pas satisfait. Cest qu\'il a dit la vérité, mais nou pas toute la verite. 11 a dit ce

que la Bible n\'est pas. ce a quoi elle ne peut pas servir----

en un mot Lessing ne relève que le cöté négatif\' de la question : tout un travail reste a accoraplir: celui qui consiste a indiquer positivement les rapports entre le canon et le Cbris-tianisrae. Lessing a entièrement négligé cette oeuvre positive. Entrainé par la polémique, il s\'absorbe en cette idee: I\'exis-tsnce du canon n\'est pas inhérente a la notion même du Ohristianisme, celui-ci ayant existé pendant quelque temps, saus la collection officielle dcs documents bibliques, doit pouvoir exister encore, et continuer a exister sans celle-la. Et certes, la possibility abstraite d\'un Ohristianisme sans Bible peut se coucevoir: seulement, quel Ohristianisme serait-ce? La tradition se corrompt dans le courant des siècles. Pure, tant qu\'elle etait contrólée par les apótres eux-mêmes, elle ne tarda pas ïi se vicier. A 1\'époque de Luther elle était deveuue un joug dur ii porter. De nos jours elle legitime 1 idolatrie de l\'église romaine, prosternée devant son Pape infaillible! Le Ohristianisme, la vérité chrétienne ne depend pas de la Bible,.... mais pouvons nous nous passer de la Bible pour counaitre cette vérité chrétienne? Evidemment non!

La vérité chrétienne ne doit rien au canon, ce n\'est done pas pour les services rendus a celle-ci que le Nouveau Testament a de la valeur, ces services n\'existant pas, mais nous lui sommes trés redevables. Si je ne trouve pas dans les écrits apostoliques la quintescence de la prédication et de toute 1\'oeuvre de Jésus Ohrist oü la trouverai-je V Dans la tradition ? dans toute la tradition qui s\'étend jusqu\' a nos jours? Mais les monstruosités païennes de l\'église de Rome me repoussent!

Je remonterai done le cours des siècles .... quelle raison aurai-je de m\'arrêter avec Lessing a la regula fidei du troi-sième siècle ¥ Paree qu\'elle remonte aux apotres? 0\'est en

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vain que Lessing s\'est efibrce de reconstrnire l\'histoire de IVglise primitive, poui rétablir les droits de son rocher de Téglise; il ne trouve aucun téinoignage positif et precis en faveur de son liypothèse, et je sais d\'une certitude histo-rique aussi compléte que possible que dans les quatre premières épitres de St. Paul, je possède des documents prove-nant d un apótre. Les livres authentiques du Nouveau Testament sont une source plus sure que la tradition ecclési-astique.

Le Christianisme en soi ne depend pas de la Bible mais mon christianisme en depend bel et bien \'). Je ne dis pas d\'une conception théologique quelconque du canon mais de l\'essence éternelle du Christianisme que je trouve dans la Bible. J\'ai besoin d\'un intermédiaire entre la vérité chrétienne et ma conscience; il me faut une source pour connaitre la vérité \'): comme source je prefère tel livre du canon a la tradition, car tout livre authentique que je trouve dans le canon est une source des plus süres possibles.

Il-y-a ici évidemment place pour tout un ordre d\'idées trés importantes mais auxquelles Lessing n\'a pas touché. II aurait pu y entrer et s\'il 1\'avait fait on aurait vu, sans doute possible, qu\'il n\'était pas un ennemi de la Bible, mais qu\'il nous a délivrés du joug dont l\'orthodoxisme voulait nous charger. Oelui-ci en effet faisait de la Bible un code: mais la Bible est un mauvais code! La Bible est un livre plein de vie; reflet de la vie chrétienne, elle fait naitre en noas la vie, et la ranime par son contact toutes les fois qu\'elle s\'af-

\') Non noganda est S. S. necessitas hypothetica, ob humanac vitae bre-vitatem, hominum numerositatem et ecclesiae per totum orbem diiiusio-ucm, humanac memoriae imbecillitatcm. ... Calov, Ryst. I. p. 535.

2) Nur dann mochten Calovs Gründe fur die necess. S. S. verschwinden, wenn man die christliche Offenbarung bloss als Einführungsmittel oder Hiille der philosophischeu Religionslehre betrachtetc. Bretschncider o. n. X: 277. note.

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faiblit: la rabaisser aux fonctions d\'nn code, d\'un receuil de formules, c\'est la dénaturer, car una formule doit être définie et exacte jusqu\'a la secheresse: ce que la Bible nest pas. Elle est le receptacle d\'une vie riche et abondante. A ce tit.re-la elle est impérissable par son contenu. Ce contenu éternel, cette parole de Dieu dans la Bible, ne périra pas quand-même les cieux et la terre, et le canon aussi, passe-raient!

§ 3.

LE CANON ET LE THEOLOGIEN.

Dans le paragraphe précédent nous avons parlé de la relation existant entre le canon et le christianisme historique dont les livres canoniques sont la source principale. Déter-minous maintenant ce que, d\'après Lessing, le canon doit être pour le théologien. C\'est ici que nous retrouvons tout le mérité de ce grand penseur. I\'e même que Sleyermacher a donné une impulsion nouvelle a la théologie matérielle, Lessing l\'avait fait avant lui pour la théologie formelle. Comment construirons nous notre dogmatique ? D\'oütirerons uous les matériaux, quel critère avons nous pour reconnaitre la vérité ? Le système ancien répond a cette double question: L\'Écriture Sainte est l\'unique source, l\'unique norme de la dogmatique.

Elle est d\'abord l\'unique source, d\'après l\'école scolastique. Faisant son profit des résultats obtenus. Lessing a mis en lumière qu\'i) faut cependant distinguer entre le contenu re-ligieux de la Bible, et les choses qui sont du domaine de la vie journalière \'). Ce n\'est done pas la Bible comme telle,

\') WW. X: 1W.

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mais le contenu religieux de la Bible qui sera la source de la dogmatique. One seconde distinction importante est encore a faire! Com me la Bible renferme les documents de la religion israélite, anssi bien que des documents de la religion chrétienne, il va sans dire que la dogmatique puisera avant-tout dans ces derniers et qu\'elle ne se servira des livres de 1\'Ancien Testament, que pour autant qu\'ils renferment des elements qui par leur nature peuvent entrer dans le système chrétien. C\'est done le contenn religieux du Nouveau Testament qui est la souroe de la dogmatique chrétienne. Sup-posons qu\'il se trouve encore d\'antres documents se donnant pour source de la connaissance de la verité chrétienne — il ne serait pas permis de les rejeter a priori. On n\'a done pas le droit d\'exclure catégoriquement la tradition ecclési-astique: c. a d. que le contenu religieux des livres du Nouveau Testament est seulement une des sources, quoique ce soit la source principale de la dogmatique chrétienne.

Nous voila done devant la mine précieuse dont nous tire-rons nos trésors! Comment nous y prendrons-nous pour l\'exploiter ? La» scolastique répond : tout ce qui a trait a la religion entrera dans le système, car le contenu religieux est vrai, puisqu\'il est inspire\' par Dieu. Soit! Cette assertion n\'a rien d\'absurde mais elle demande a être prouvée. La prouvera-t-on par des dicta prohantia i Mais tout dictum probans a besoin lui aussi d\'être prouvé. Si on y renonce toute ^argumentation manque de base et est suspendue en I\'air. Si on n\'y renonce pas, il taut ou bien sacrifier la thèse fondamentale de 1\'école de l\'autorité, ou bien on aboutit a un cercle vicieux, car le raisonnement revient a dire: le canon est inspiré, car tel passage le dit, et celui-ei dit vrai paree qu\'il fait partie du canon inspiré! Wie gern wollte ich deu ewigen Zirkel vergessen, s\'écrie Lessing, nach wel-chem die Uufehlbarkeit eines Buches aus einer Stelle des nehmiichen Buches, und die Uufehlbarkeit der Stelle, aus der Uufehlbarkeit des Buches bewiesen wird.... Und die naacc

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ygacpri des Paulus! Ich brauche den Herrn Pastor nicht zu erinnern, wenn er erst über die wahre Erkiarung dieser Stelle genug thun muss; ehe er fortfahrt, sich ihrer so ge-radehiu zu bedienen. Eiue andere Construction giebt den Worten des Paulus einen so andern Sinn; und diese Construction ist eben so grammatisch mit dem Zusammenhange eben so übereinstimmend, hat eben so viele alte und neue Gottesgelehrten für sich, als die in den gemeinsten Luther-schen Dogmatiken gebilligte Construction; dass ich gar nicht einsehe warum es schlechterdings bei dieser bleiben soil? Luther selbst hat in seiner üebersetzung nicht sowohl diese, als jene befolgt. Ei hat kein xui gelesen; and schlimm genug, wenn durch diese Variante, so wie man dieses s.ai mitnimmt oder weglasst, die Hauptstelle von dem principio cognoscendi der ganzen Theologie, so ausserst schwankend wird \'). Tons les passages du reste qu\'on invoque pour prou-rer l\'inspiration des livres du Nouveau Testament ont été écrits avant que le canon fut arrêté et ne sauraient done pas s\'appliquer a celui-ci.

L\'argument de la scolastique une fois adryis, ne ferait ce-pendant pas disparaitre toutes les difficultés, car le fait que Dien a inspire les auteurs des livres canoniques implique-t-il que ceux-ci ont cessé d\'etre des hommes hornes, ayant cha-cun sou caractère particulier, individuel, en vertu duquel il concoit et exprime la vérité d\'une manière particuliere, par-tielle, c. a. d. imparfaite? Evidemment non! Si nous sommes vraiment fidèles a la dévise d\'une saine exegese, qu\'il faut interpreter uu auteur d\'après lui-même, nous ne pous-serons pas cette autre maxime »S. S. sui ipsius interpresquot; au point de faire disparaitre les différents types de doctrine qui se trouvent dans la Bible: ce qui serait un manque de respect pour les auteurs. Ce que St. Paul a saisi de la vérité

\') WW. X: 139, 140.

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révélée dans l\'apparition du Christ, n\'est pas ce que St. Ja-ques s\'en est assimilé, et le caractère doctrinal de celui-tri est li son tour différent de celui de St. Jean.

Une autre question, importante encore, se présente après celle-ci: les auteurs des livres du Nouveau Testament ont-ils cessé d\'être des hommes faillibles? II nous faut une réponse nette a cette question: oni ou non. Dit-on: oui, les auteurs des livres canoniques, inspirés par Dieu, out cessé d\'être faillibles — comme plusieurs doctenrs scolastiques Tont prétendu réellement — on contredit les auteurs bibliques eux-mêmes, et on ferme les yeux a 1\'évidence, car l\'infaillibité est absolue ou elle n\'est pas: des auteurs infaillibles ne sauraient com-mettre des fautes de style, comme celles que les livres bibliques présentent en abondance — ils ne sauraient se coutre-dire, comme c\'est souvent le cas. Dit-on.\' non, les auteurs des livres canoniques, inspirés par Dien, n\'ont pas pour cela-même cessé d\'être faillibles, il s\'ensuit que l\'autorité extérieure de la lüble fait place a un examen sérieux et impartial des Ecritures saintes, c. a. d. que la Bible est le principale source de la vérité, mais qu\'elle n\'en est pas la garantie. La vérité elle-même que nous trouvons dans la Bible fait notre seule autorité. Oe que nous avons saisi de la vérité, d\'après uotre capacité et d\'après notre état subjectif cela même est notre unique lumière.

Cette dernière assertion exprime le grand principe, pour lequel Lessing a travaillé et qui a été démontré vrai par toute l\'histoire du protestantisme. Soit Luther, soit Calvin, en ont appelé a I\'Ecritnre et a son autorité. Leurs doctrines cependant sont loin d\'être identiques. Les deux ont puisé dans la même source, tous deux ils ont reconnu l\'autorité de la Bible — d\'ou vient done la différence si considéruble, qui distingue leur oeuvre a cliacuu? C\'est Lessing qui ré-pond ; cela tient a leur individualité; ce que nous sommes, cela-même détermine ce que nous enseignons. Bntre le canon et notre système il-y-a notre individualité. On a beau

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parler de Tautorité de I\'Ecriture, on a beau dire : »S.S. sui ipsius iuterpresquot; il faut bien reconnaitre la justesse de ces paroles de Schwarz : l\'histoire de 1\'exégèse protestante a été le reflet de l\'histoire des disputes dogmatiques, et une ironie amère de la perspicuitas semet ipsam iuterpretandi facul-tas \'). Nous ne pouvous pas faire abstraction de notre individualité: elle joue le role capital dans tout notre travail dogmatique. Lui imposer silence, c\'est commettre un suicide moral, c\'est s\'opposer a la volonté de Dieu, mani-festée dans la difference des types apostoliques, maiiifestée dans les deux grandes divisions du protestantisme, l\'église luthe-riemie et l\'église réformée, manifestee dans l\'histoire de la théologie moderne, surtout a 1\'occasion de la lutte suscitée par la »Vie de Jésusquot; du Dr. David Friedrich Strauss — lutte, qui fit éclater au grand jour le pélagianisme de ce doctenr, maniiéstée aussi dans 1\'attitude de Lessing lui-même a lé-gard du Christianisme historique. Le principe formel de la dogmatique chrétienne n\'est pas 1\'autorité du canon. Au fond, il résulte du principe materiel: C\'est la foi dans le triomphe de la vérité qui s\'exprime par une recherche indé-pendante.

l) Schwarz. o. c. p. 2Ü6.

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CONCLUSION.

Pour avoir mis eu avaut cette véritc foudaiueutale, Lessing a droit ii la reconnaissancc de tout thcologieu vraiment protestant. Ce grand critique a fait acte de courage en s\'exposant au déchainement des passions theologiques, en ne se laissant pas eniouvoir par les exclamations timorées on injurieuses des rutionalistes de son temps. Sans hesitation, sans crainte, il a brisé les liens qui enchainaient la pensee, düt-il rompre pour cela lempreinte respectee du sceau de deux sièoles. II est vrai que son but n\'était pas de servir la théologie, mais de faire respecter les titres de la science en general. Or, comme science, la théologie lui doit ses hommages.

L\'objet propre de la théologie est resté étrauger a Lessing. La rédemption de l\'humanité, accomplie par la vie et la mort du Seigneur, devait lui paraitre un hors-d\'oeuvre, une phantaisie théologique, paree que la raison déterminante de l\'oeuvre du salut, paree que le péché, était méconnu par Lessing. Get auteur est foncièrement pelagian. Ce n\'est pas poussé par les besoins de sa conscience, qu\'il se tourne vers 1\'evangile \'), mais imaginant que celui-ci ne lui donnera rien qu\'il ne put acquérir par son propre développement, il le considère comme un moyen d\'éducation pour les siècles

\') Voy. Lessing und die Kirohe seiner Zeit. Ein Vortrag von ïhcodor Weber. Barmen 1871.

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ecoules \'). II examine les livres bibliques, moius pour s\'eu appropier Ie contenu, car il l\'estime en grande partie dé-passé, que par ouriosité scientifique. Au nom de la science il réclame la liberté d\'examen. Qu\'est-ce que la vérité, de-mande-t-il: et il charge la raison de donuer la réponse. Tant qu\'il sagit de critique, de la science historique, eest la la bonne voie, mais pour pénètrer jusqu\'a l\'objet de la théologie chrétienne, il est de rigueur de snivre un autre chemin. C\'est que dans ce doraaine la raison n\'a pas le premier role a remplir. Elle ne vient qu\'en seconde ligne : c\'est la conscience qui a le premier rang, paree que la religion chrétienne est ia religion éthique par excellence: elle nous conduit d\'abord a la sainteté: ensuite a la vérité !).

Nous voyons et connaissons la vérité dans la mesure de notre sanctiflcation.

Quiconque neglige cette idéé primordiale est nécessairement condamué a l\'intellectualisme théologique, et la raison dé-terminante du Ghristianisme biblique, sumaturel, lui échappe. II en résulte de la que Lessing n\'a pas été le père de la théologie moderne, qu\'il n\'a pas pu l\'être: Son oeuvre a été de régénérer la méthode.

\') Voy. p. 72 de ce travail.

\'-) Je crois qu\'il serail bon dc renoncer au titrc „d\'ortliodoxc,quot; jusqu\'a ce que nous puissions porter celui de i»sainl.quot; Prof. Dr. i). Chantepie de la Saussaye.

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T H È 8 E S.

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theses.

I.

Par la publication des Fragments de Wolfcnbuttle, Lessing a voulu provoquer nne discussion the\'ologique.

n.

Il-y-a une difference fondamentale entre les principes de Lessing et ceux de Reimarus.

III.

Au heu de^ compter Reimarus parmi les rationalistes, il

,. I.luieux \' quot;ppelei naturaliste, pour le distinguer des ra-tionahstes de son temps.

IV.

Le plus profond adversaire de Lessing a ete le directeur ocnunianu.

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V.

Dans sa réponse a Schumann, Lessing a meconnu la va-leur de la vérité historique. .

VI.

Les historicus ont été d\'une séverité exugérée et iujuste a 1\'égard de Goeze.

VIL

La raison-d\'être des miracles, indiquée par Lessing, n est pas snffisante.

VIII.

La reconstruction aprioristique de l\'histoire ecclésiastique des deux premiers siècles, teutée par Lessing, est arbitraire.

IX.

Les idees de Lessing sur la regula fidei, ne sont en réalité pas favorables aux theories catholiques-romaines.

X.

On n\'est pas en droit de mettre Lessing au nombré des théologiens.

XI.

L\'orthodoxisme est au fond un scepticisme iuconscient.

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XII.

Le doute est la condition du progrès.

XIII.

La doctrine de 1\'autorité extérieure du canon, n\'est ni protestante, ni biblique, ui chrétienne.

XIV.

L\'éthique ne depend pas de la dogmatique, mais l\'iuyerse est vrai.

XV.

L\'idéal d\'uue dogmatique est d\'etre une philosophic chrétienne.

XVI.

II est desirable que les Candidats au Saiut-Ministère, avant d\'entrer dans le pastorat, fassent d\'abord uue suffragance sous les auspices d\'un pasteur.

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AVIS.

La Faculté de tliéologie rappeUe qu\'elle n\'est pas responsable des opinions émises dans les dissertations qni lui sont presentees.

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Keal-Encyclopildie fur protestantische Theologie und Kirche, herausgegeben von Dr. Herzog.