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J rafefeéArtoJro La»fe6Pt Jams®»,

Chanoine de la C^hid^ de\ Bnremonde.

Directeur du Petit Séminaire et de l'Ecole Bourgeoise

supérieure de Bolduc, -

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prononcée ^

'SM

pendant les obsèques solennelles, Ie 13 Mai It

par

A. J. Déutz,

pvofessetlr de Poéie an Séminaire de Boldnc.

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ADt-LA-OHAPKIjlB. O. H. OBOEOI.

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OR AI SOS FÜNÈBRE

do

Cliaiioiuo ilc la (Jatliéilvalc dc Rurcmoiulo, Divoctenv tin I'd it Sémiiiaive el de l'Ecole Tionvfreoise supftvieuve de Uoldiic.

prononoen

jndant les obsèques solennelles, le 13 Mai 1868,

pnr

A. J. Deutz,

profeRseiir ilc Poe'sle mi Semlniiirc (to Rolilnc.

ï'. 'f

MTs-T.A-OlïAPTOTJ.K, O. TT. OTCOWOl.

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DiligiiS Domiimm Doum tnum ox totn

corde tno......Diligos pi'oximum tmim

sicnfc toipsutn. In his cluo))ua miindatis univorsa lox pendot.

Vous aimeroz lo Seigneur, votro Dion.

do tout voti'e ooour......Vous aimoroz

votro proohain, commo vous-mêmc. Dans oos doux commandoinnntfi est renferiTióo touto la loi.

Kï. scion SI, Mathion XXII, 117 Hl.

Messieurs!

Ravemcnt la iVagilitó (lo notrc existcncc tor-restre s'cst ])liis óloquemmont róvólóc que clans la povte do colni (lont lo souvcnii' nous rassomltlo aujourd'luii; ot tontos cos vivos images par lesquolles l'Éeriture sainto semlilo oxagóror l'ineonstanco ot la briovoté do la vio humaino, furont ici tlo la vóritó la plus saisissanto et la plus terrible.

Oui, commo la flour qui so flótrit en un instant; commo uno fuméo, qui s'élève et so dissipe dans los airs; coinine uno ombre qui passe ot qui n'ost plus; commo I'liorbo qui, tranchóo par la faux, languit et sèclio au leu du soloil; eommc los Hots qui s'écoulent: ainsi a-t-il disparu tlu milieu do nous, eolui que nous appolions notre guide, notre ami, notro père!

Oui tel qu'im voleur, tol qu'un traitre, la mort est venue pendant la unit; et cotto amo bienhourouse, on s'envolant vers les demeures éternellos, aurait pu nous jeter ces paroles d'uno eflrayante vóritó: „Si

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mane me quaesieris, non subsistam; si vous me cherchez domain, je n'existerai plus.quot; (Job 7, 21.)

Co n'ost pas cependant pour vous avertir do cotto brièveté do notro vie, que je viens vous parlor; moins encore pour rouvrir, dans vos coeurs, des plaies a peine cicatrisées. Laissons oes douleurs sans bornes a (;eux qui font dos portos irréparables. Pour nous, en qui la religion a réformé la nature, pour qui les obscurités do la raison sont dissipées par les radiouses olartés de l'Evangilo, nous savons modéror les douleurs les plus legitimes; et cetto mêmo charité qui nous ómeut a la porto do nos frères, nous excite aussi a espérer leur glorieuse immortalité. Non, ó mort! nous ne to craignons pas! Car la oii tu sombles triompber, c'est la mêmo que commence ta défaite. Tu as beau détruiro nos illusions les plus donees; tu as beau détromper tous nos rêves de bonbour et assombrir nos routes les plus riantes; tu as beau t'acbarner sur co corps dé-bile et miserable, le briser, lo réduire en poussière, le pousser jusqu'aux limites du néant; — nous por-tons dans le sein une promesse d'immortalité, et co tombeau oü tu nous précipites, est pour nous le berceau de la vie éternelle.

Quel est done notre dessein? nous avons a ró-pondre aux pieux désirs de Sa Grandeur notre bien-aimé Evêque, aux voeux ardents de nos collègues et de nos élèves, a 1'attente de co grand nombre d'amis, qui sont venus so grouper autour de ce cercueil.

Nous avons a rendre un dernier et solennel liommage a la vertu d'un vrai cbrétien et d'un saint prêtre, au mérite d'un savant instituteur et sage directeur de la jeunesse, en pronon^ant l'éloge fu-nèbre de Monsieur l'abbé Autoiiie Lambert Jansen, Chanoine de la Catbédrale de Ruremonde, Directeur

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du Petit Séminaire et de l'Écolo Bourgeoise supérieuro de llolduc.

Mais nous serions infidèle a notre ministère sacré, si, nous bornant a une sterile admiration, nous n'excitions pas a limitation des vert us dont ce digue prêtre nous a donné de si beaux exemples. Dans ce dessein, reprenons les paroles du texte sacré: „Vous aimerez le Seigneur votre Dien, de tout votre coeur. Vous aimerez votre prochain, comme vous-même. Dans ces deux commandements est renfer-mee toute la loi.quot; (Matli. 22.)

M. M. II est au fond do notre coeur une puissance mystérieuse. poussant tour-a-tour aux crimes les plus affreux on aux vertus les plus héroniues; une puissance qui, d'après l'objet vers lequel elle se porte, fait de I'homme soit le plus beau des anges, soit le dernier des démons: cette puissance, c'est 1'amour. Or, Dieu avait douó notre bien-aimé Directeur d'une force d'amour extraordinaire; inais il avait en memo temps dirigé cet amour vers le seul objet qui en soit digue. Dien et los homines: Dieu pour lui-même et les hommes pour Dieu. Oui, il avait compris, cct hommo d'élite, qu'en aimant Dieu, il serait uii vrai chrétien et un saint prêtre; il avait compris qireu aimant les hommes, pour Dieu, il serait un bon tils, uu ami fidele, uu guide éclairé de la jeunesse.

C'est ce que nous allons voir.

Le premier de tons les commandements, c'est celui de 1'amour de Dieu. Le premier, ti raison de la grandeur de son objet: ,,Je suis le Seigneur votre Dieu.quot; (Ex. 20, 2.) Le premier, paree quil est le fondement de tous les autres: „Si je u'ai pas la charité, je ne suis rien.*' (I. Cor. 13, 2.) Le premier, a cause de sa nécessité: „Si je livre mon corps aux dammes, et que je n'aie pas la charité, tout ne me

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sort de rien.quot; (I. Cor. 13, 2.) Lc premier, par son officacite; car „la charitc renfermo la plóiiitudc do hi loi.quot; (Math. '22, 40.) L'amonr do Dion s'ompare do riiomme tout entier, pour I'olever a l'égal des anges, qui se consument sans cesse dans les ardours do l'amour divin, dovant le trone du Tout-Puissant. Que dis-je? Gomrno c'est le propre de ramour, do nous unir a I'objet que nous airaons, il nous com-muniquo jo no sais quoi de surnaturel ot do divin, qui transfigure riiomme dans I'iniage la plus resplon-ilissanto do la Divinité.

Cost de la boucho d'une piouse mere, quo notro cher Directeur cutendit les premiers récits de la bonté du Dieu créateur ot sauveur; d'un Dieu devenu enfant, cl'un Dieu so mêlant, s'assimilant aux enfants des hommes et leur distribuant ses bienfaits; d'un Dieu nous destinant son trone pour sióge et sa demeuro pour notro éternel partage.

Oh! comme cette jeune unie privilégiéo devait so sentir transportóe, au merveilleux récit des bontés divines! II me semblo que Dieu lui-même se plaisait a former, dans l'écolo de son amour, eet enfant, sur lequel il avait de si bauts desseins et a qui il réser-vait de si grandes destinées. Et c'est ainsi (jue lo jeune chrétien „se fortifiait et croissait, aimé de Dieu et des hommes. Et le Seigneur était avec lui.quot; (I. Heg. 2, 2G.)

M. M., i! est un Age dans la vio, oü 1'homme, sortant de Ia naive candour do 1'enfance, se voit transporté tout-a-coup, non seulemeut dans los regions onchantées dos illusions, mais aussi dans los deserts arides dos passions et des dangers. G'est alors quo Dieu, dans sa bonté infinio, présente a l'hommc sa propre chair en nourriture célosto, ot alluuie dans sou coeur des flammos assoz vivos pour

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étoiiffcr le foyer secret de la concupisccnco qui couve daus l'homme dócliu. ileureux le jeune liomme qui, dès lors, transfornie sou coeur en uu autel oruó du lis de la pureté et do 1'iuuoceuce, et brulaut saus cesso de l'encens de la prière et de la piété! Chor Directeur! vous qui próservates votre ame de la contagion du vice, apprencz ii cetto jeunesse, qui vous fut si chère, de quelle manière vous passates les bolles années du printenips de vos jours.

Écoutez. C'est au banquet eucharistiquc, qu il entendit cetto voix intérieure: ,,Mon iils, donne-moi ton coeur (Prov. 23, 2(5), et je te montrerai toutes sortcs de biensquot; (Ex. 33, 19); c. a d., je te commu-niquerai les lumières de 1'intelligence, les consolations du coeur, toutes les douceurs de la piété. Docile a cetto voix „11 donna son coeur a Dien, dès 1'aurore de sa vie; et il pria en presence do Très-Haut.quot; (Eccl. 39, (3.) Dien lui dit encore: „da et accipequot; (Eccl. 14, 16); con-sacre-moi les premières années, et re^ois on retour une jeunesse éternelle, éclatante de beauté et d innocence, enrichie de lumières et de graces. Aussi sa piété et sou iimoccnce étaient telles, que souvent ses jeunes condisciples le voyant prosterné devant Fautel, s'écriaieut: ,,ó le saint enfant!quot; Providence divine, soyez bónie! G'est pour nous (pie vous formiez ce coeur chrétien, que vous conduisiez cette ame privi-légiée par los voies angéliques de la charité au grand jour du sacerdoce et de réducation catholnpie!

C'est pour mettre son innocence a couvert des séductions du siècle, et pour développer sa vocation au sacerdoce, qu'il entra dans „la belle retraite de lloklucquot; — commc il appelait ce séjour —; et c'est ici, au foyer du Sanctuaire et dans la contemplation des beautés de la nature dont le créateur embellit, avec profusion, cette charmante demeure, qu'il

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alimenta sans cesse son amour de Dieu. Oui, M. M. ct Cheis iLlèvcs, il s est agenouillé sur ces niêmes dalles sacrees; jeune lioninie, il a parcouru nos cor-lidois; il a bu a la coupe de la science sous ces memos portiques que vous visiter tous les jours. Mais regardez, contemplez bien cet autre Louis de Gonzague: quelle devotion dans ce temple, quelle assiduité dans les etudes, quelle deference envers ses supérieurs, quelle charité et quelle modestie dans ses rapports avec ses condisciples! Vraiment! c'était le modèle accompli d'un pieux élève et d'un grand chrétien: et e'est a l'école de 1'amour de Dieu qu'il s otait forme. Done d une menioire prodigieuse, d'uue grande lucidité d'esprit, d'une facilité pour 1'étude des langues peu commune, il possédait tout ce qu'il faut pour obtenir les succes les plus brillants; mais il savait que tout cela n'est rien, si 1'on no possède pas la divine charité. Aussi s'appliqua-t-il avec la plus grande ardeur a nourrir et i\ fortifier cette vertu, et ses condisciples so plaisaient a louer la piofonde piete, 11011 moins ([lie l'infatigable assiduité de cet autre Samuel, liien d'etonnant dès lors, qu'il fut bieutót mür pour le sacerdoce. Je le vois appro-cher, le grand jour de son ordination. L'esprit d'amour qui a forme cc coeur séraphique, va le lemplh maintenant de la plenitude des graces, dont 1 abondance débordera un jour sour nous, en Hots de lumière et de graces. Combien de fois depuis ne 1 avez-vous pas vu célébrer la sainte messe avec une ferveur qui lui arrachait des larmes, avec unc loi qui embrasait tous les coeurs! Et nous, qui I'avons suivi pendant un quart de siècle, cent fois nous avons été édifiés de ce recueillement qui ne se dementait, de cette ardeur qui ne se refroidissait jamais. C est que tous les jours, aux premières

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lueurs de l'aurore, il retrempait son fune dans la meditation, on plutót dans la contemplation do 1'im-mense charité et de l'incomparable bonté de Dien. Nourri du pain eucharistique, il se sentait assez fort pour remplir lts devoirs de la direction, devoirs importants et difticilos, plus multiples (pie les heures de la journée et ne se bornant pas au cercle étroit des membres de cette communauté. Au milieu de cette vie sacerdotale si active, si pleine et qui ent réclamé tant de relaclie, savez-vous, M. M. (juelle était la récréation de ce prêtre zélé? C'était 1'étude des Pères, la lecture des auteurs ascétiques, c'était la méditation et la prière, de manière qu'il vériiiait, au pied de la lettre, cette parole des s'1^ Écritures: ,,11 i'aut prier toujours, et ne s'eu relacher jamais.quot; (Luc. 18.) Et lorsque, après les rudes travaux d'une longue journée, les ténèbres se répandaient sur cette paisible solitude, alors ce sérapbin d'amour venait une dernière fois épanclier son Ame brülaute devant le Dieu eucbaristique. M. M., 1'eussiez-vous vu dans cette adoration du soir, entouré de cette intéressante jeunesse; l'eussiez-vous vu répandre son ame de feu au pied de Tautel! Cc n'étaient qu'aspirations, que soupirs, qu'extases en quelque sorte; et sa vue nous donnait une idéé des transports des Francois d'Assise, on des Alphonse de Liguori. Et les jeuues gens passaient et repassaient a cóté de leur père spirituel, après avoir murmuré leurs innocentes prières; et en voyant leur Supérieur plongé dans 1'adoration, tout bas ils se disaient: C'est pour nous qu'il prie; c'est pour nous obtenir la lumière dans nos études ct la victoire dans nos combats, qu'il lance les traits en-tlammés de ses aspirations vers le coeur de Dieu. Gliers élèves, vous ue vous trompiez pas! C'est que votre bien-aimé Directeur avait compris la mission

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du prêtre. G'est mie mission d'amour et partant une mission do sacrifice; mais d'un sacriflce qui commence toujours et se renouvelle sans cesse. C'est qn'il savait que ie prêtre est Ie représentant fidéle de ce divin sacrifi-cateur qui s'est livré a nous, sans reserve et sans partage. Ainsi: sauver, gagner, racheter, sanctifier les ames, par les prières et les travaux, au prix de la santé, de la vie même — voila la tache du veritable prêtre. Cette tache, cher Directeur, vous l'avez remplie!

Et si le diocèsc do Ruremonde compte tant do prêtres animés du véritable esprit sacerdotal et du dévouement le plus généreux — constatons-le, a la coiisolution du dignc cliof' de ce diocese, a la gloire de celui que nous pleurons — c'est en grande partie a 1'exemple, aux logons et aux prières de ce saint prêtre, que l'églisc ile Ruremonde est rodevable de eet inestimable bonheur. On comprend dès lors, pourquoi il fut élevé par le vénérable prélat, aux mains paternelles duquel sont remises les destinées de ce diocese, a la dignité de chanoine de la catlié-drale de Ruremonde; ou comprend, que sa place était marquée au respectable aréopage des consoil-lers les plus éclairés et les plus iatimes de son Evêquo. Et même, bien au dela des limites du pays, ■ses vertus et ses mérites lui valurent l'amitié d'bommes qui brillont aux premiers rangs de la science et do la hiérarchie catholique.

Ah! digne prêtre! Cost en vain que doréna-vant nos yeux vous chorclieront clans ce sanctuairo, oü vous montates si souvent a l'autel, pour vous immoler vous-même avec la victime sans tache! Votre parole, si persuasive et si onctuense a la fois, no résonnera plus sous ces voütes sacrées; et, quruid le soir nous viendrons baisser notre front dans la poiissicrc, au pied des s,s autels, nous n'entendrons

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plus la prière si accentuee dc votre i'oi et do votrc amour. Mais il uous semblera que, du silence de votre tombe, votre voix se mêlera encore a notrc prière. Vous avez quitté les rangs du sacerdoce; mais tant qu'ii y aura un lévitc dans ce sanctuairc, tant qu'il y aura, clans ce diocese, un prêtre formé par vos lemons, — votre pióté, votre dévouemeut, votre ardente charité surtout trouveront autant de iidèles imitateurs que de vrais admirateurs. Car j'entends une voix qui me dit: „(Jroissez, germes divius; fructifiez, comme les rosiers plantés sur le bord des courants; répandez les parfums du Liban.quot; (Eccl. 3U, 17.)

Notre bien-aimé Directeur avait compris, qu'en aimant les hommes pour Dieu, il serait uu bon tils, un ami fidéle ct un guide éclairé do la jeunesse.

M. M., il faudrait une page écrite en carac-tères d'or, pour retracer la piété filiale (|uo ce prótre d'élite avait vouée a ses parents. Quand 1'éclat du génie ou dos dignités semblent avoir donné a un fils une certaine supériorité sur les auteurs de ses jours, qu'il est beau alors de voir ce tils se dépouiller de sa considération et de sa gloire, pour rcdevenir un enfant soumis et docile en présence d'un père que Fage a courbé, devant une mere que les années ont affaiblie. Oui, j'adinire le sauveur de l'Égyptc, lorsque, sur un char de triomphe, il parcourt los rues populeuses de la cité dos Pharaons; mail il est

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bien plus grand a mes yeux, lorsque, courbó clans la poussière, il baise les pieds de son vieux père, qu'il vient d'arracher a la famine et a la mort. Salomon me parait bien plus grand, lorsqu'il quitte sou tróne pour marcher audevant de sa mère Beth-sabée et la faire asseoir a ses cotés, que lorsque la reine de Saba vient lui offrir 1'hommage d'une stérile et vaine admiration. Que dire alors d'un fils — car vous me permettrez bien, dier Directeur, de taire ici une revelation si glorieuse pour vous-même, si consolante pour l'église, si édifiante pour uos élèves et pour eet auditoire catholique — que dire alors d'un fils qui, au prix des plus rudes sacrifices, sut préserver du besoin son honorable familie, rassé-réner et prolonger les jours do ses vieux parents et leur rendre, en quelquo sorte, la vie qu'il avait regue d'cux ? Oui, M. M., pourquoi ne romprions-nous pas ouvertement avec les misérables préjugés d'un siècle qui voudrait fausser toutes nos idees de veritable noblesse, de vertu et d'honneur? Notre Directeur vécut dans une honorable, une noble, une glorieuse pauvreté, paree que soutenir ses vieux parents, adoucir leur sort, les rendre heureux, ce fut pour ce digne fils la pensee du jour et le rêve de la nuit. l'ères et mères catholiques qui m'écoutez, c'était sur le coeur de ses propres parents (pi'il allait réchauffcr son coeur, quand il voulait inspirer a ses élèves ce respect et eet amour filial que vous attendez a si juste titre de vos enfants. Quant a vous, chers élèves! qui n'avez pu voir ni admirer ce trait, peut-être le plus touchant dans le caractère de votre respectable Directeur, écoutez au moins cette parole, cpie vous avez entendue si souvent de sa bouche, et mettez-la a profit: ,,Honorez votre père et votre mère, afin que vous viviez longtemps sur la terre.quot; (Ex. 20, 12.)

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Que si sa propre vie n'a pas été longue en jours et en années, elle a été longue, très-longue en mérites ot en bonnes oeuvres.

Ai-je besoin, après cela, de vous dire, M. M., que cette ame si tendre était un ami tidèle et dés-intéressó? Ah! qui plus que nous, professeurs de Rolduc, a senti la perte que le clergé du diocese de Ruremonde vient de faire dans la personne de celni qui se disait toujours notre ami, notre frère ? 11 faut que je vous révèle, M. M., co qui passait dans l'intimité de notre vie et de nos relations.

Sachant, (jne tout est commun entre amis, tra-vaux, peines, joies, consolations, il prenait la plus vive part a tout ce qui touchait la personne, la santé, les études et les succes de ses professeurs. Leur rendre service, c'était sou bouheur; leur alléger le poids de leur charge, c'ctait sou étude; satisfaire leurs désirs, c'était sa joie. C'est ainsi que, notre ami plutót que notre chef, il savait écarter ce que la vie de communauté peut avoir de désagréable, et nous allégeait ce que 1'éducation de la jeunesse et la vie d'étude out parfois d'épuisant et d'accablant. Ah! combien de fois cette ouctueuse parole est-ello sortie de sa bouche: „Qu'il est bon, qu'il est doux, de vivre conime des frères dans runion des coeurs.quot; (Ps. 132, 1.) Et cette autre: „Aimons-nous les uns les autres, paree que la charité est de Dieu.quot; (I. Joh. 4, 7.) Et enfin: „M. M., s'il se fait quelque bien a Rolduc, si notre intéressante institution prospère, c'est a l'union l'raternelle et a l'harmonieuse concurrence de nos efforts que nous en sommes rede-vables: „car c'est la que Dieu répand ses benedictions : illic mandavit Deus benedictionem.quot; (Ps. 132, 4.)

Aussi, quand la nouvelle de sa mort est venue

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nous frappei', comme un coup do foudrc tombant d'un ciol seroin, revcnus de notro première stupour,

nous avons répandu mi torrent do larmes, nous sommes accourus pour nous grouper autour de co triste cercueil et rendre a notre bien-aimé chof, avce le tribut de nos larmes, l'hommage de notre amour, do notre veneration et de notre éternolle reconnaissance. Depuis ce jour, notre coeur saigne encore; la plaie dont nous sommes 1'rappés ne se cicatrise pas, et ce n'est que dans la sainte et mystérieuse union quo la prière établit et entretient entre los vivants et los trépassés, quo nous trouvons quolque consolation a notre juste douleur. Notre bien-aimé Evêque lui-mome pleura sur ce cercueil; et los larmes du vénéré Prélat témoignèrcnt hautement qu'il vonait de perdre non seulement un de ses prêtres les ])lus distingués, mais encore un do ses amis los plus dévoués.

M. M. quand je lis dans 1'Écriture sainte, qu'on demandera un compte très-rigoureux do ccnx qni ont cté préposés a la conduite dos hommes, et (|no de l'autro, cetto memo Écriture atteste, quo ccnx qui auront enseigné les voies do la justice aux autres, brilleront éterncliemont comme les étoilos du firmament; j'en conclus, que la fonction d'un Directeur doit être une charge difficile et péniblo, surtout lorsque des circonstances extraordinaires concouront 1'aggraver encore. Or, M. M., maintenir une maison au niveau d'uno réputation acquiso par los efforts persévérants d'un quart de siècle; conduire de front une triple institution, chacune d'un caractère différent; s'lnnnilier dans les succès, se résignor dans les revers; satisfaire a toutes les exigences, soit qu'elles viennont du dehors, soit qu'ellos se manifestent au sein memo do la grande familie; être

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partout et toujours tout a tons: voila 1c pesant far-deau impose u notre digne supérieur; fardeau ac-cablant, sous lequel des épaules humaines, ce seinblo, doivent Hóchir nécessairement. Si les siennes par-fois plièrent sous cetto lourde charge, a Dieu ne plaise que nous lui en fassions nn reproche; c'est dans eette l'aiblesse de l'homme que la puissance de Dieu se montre dans toute sa gloire et dans toute sa splendeur.

Dieu conduit diversement les hommes, tantót par la force, tantot par la faiblesse; tantót par la prospérité, tantot par 1'adversité; mais toujours il les conduit a la fin qu'il s'est proposée. Moïse et üé-déon dófendirent tons les deux lo peuple de Dieu; celui-ci ])ar les armes, celui-la par la prière; mais 1'un et 1'autre accomplirent les desseins de Dieu: i'ennemi fut mis en déroute, et Israël demcura vain-queur. Que dis-je? lo peuple choisi, malgré sou hé-roïque courage, n'était victorieux, qu'autant que Moïse élévait ses mains suppliantes vers le Seigneur. Oontemplez la cour celeste. J'y vois des legions d'anges prosternés dans la contemplation de 1'Eter nel; j'en vois d'autres qui chantent sans cesse les louanges du Très-Haut; d'autres enfin, que nous croirions doués d'une plus grande activité, sont envoyés sur la terre pour executor les ordres du Tout-Puissant. II n'en est pas autrement dans l'église de Dieu. Dans cette Jerusalem terrestre, le Seigneur suscite toiu'-a-tour, et comme il lui plait, des hommes d'action et d'initiative, aussi bien (|ue des hommes de prière et de contemplation. Or, la prière, M. M., je vous l'ai déja dit, c'était la grande arme de notre Directeur; et si paribis son courage s'èbranlait devant les difficnltés, si parfois les ressources humaines semblaient faire défaut, au milieu des complications

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inextricables, sa confiance ne faillit point et sa pieuse foi ne sc clécouragea jamais.

C'est que ce pi'être d'ólite avait la vertu première et indispensable d'itn Directeur: la charité; oui, M. M., il aima Dien, je vuns l'ai montré, et il aima ses élèves pour Dieu. Cost dans eet amour, qn'il trouva les lumières nécessaires pour la grande oeuvre de 1'éducation do la jeunesse,

„Je mo manifesterai, a celui (jui m'aimoquot; (Joh, 24, 21), dit le Seigneur. Or Jésus-Christ est lo plus parfait modèle du guide do la jeunesse; car Jésus aima les enfants, qu'H bénissait en les prenant entre ses bras. II aima les jonnes gons; les morts qu'Il ressuscita, et saint Joan se reposaut sur sa poitrine, nous en donnent la preuve.

Dans l'amour de Dieu, ce guide de la jeunesse découvrit la manière d'aimer les enfants. „Je vous donne un comniandement nouveau, celui de vous aimer los uns les autres;quot; comment? ,,sicut dilexi vos, comme je vous ai aimés, moi.quot; (Joh. 13, 34.) II les aima, a Finstar de Dieu, de cot amour géné-reux, pur et désintéressé qui, se mettant au-dossus de tontes les considerations humaines et terrestres, ne voit dans les jeunes gens quo l'image de Dien et les embrasse tous dans une même étrointe de charité chrétienne et paternelle.

Dans cot amour il puisa encore 1'efficacitó de sa charité: „n'aimons ])as le prochain en paroles seulement, mais de fait et en véritéquot;: „opere et veritatequot; (I. Joh. 3, 8). Ah! dites-moi, jeunes gens, votre Directeur ne vous a-t-il pas aimés en vérité et par les oeuvres? Quand avez-vons pleuré, qn'il n'ait séché vous kirmes? Quand avez-vous été dans la joie, qn'il ne 1'ait augmentée en la partageant avoc vous?

Encore uno fois no vous a-t-il pas aimés? mais

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pourquoi ilouc ces exhortations chaleureuses, ces encouragements si généreux, ((ue dis-je? ces cliAti-ments même, toujours temperés par l'afïection la plus paternelle ? Oui! ce n'est que par amour qu'il étoit au milieu de vous, pour vous instruire, vous édifier et achever en vous cette renaissance spirituelle, qu'il vous peignait si souvent par ces touchantes paroles: „Filioli mei, quos iterum parturio, donec Christus lormetur in vobis.quot; (Gal. 4, 19.) Tel 1c soleil, tour-a-tour distillant la j^lus féconde rosée ou inondant la creation des Hots de sa lumière, ne parcourt les espaces intinis, que pour répandre jusqu'aux plages les plus reculées de I'linivers la chaleur, la vie et la joie. C'est dans eet amour enfin, qu'il puisait cc besoin du sacrifice qui m'autorise a lui appliquer une des ])lus saintes paroles du texte sacré: „il s'est livré lui-même pour nous.quot; (Gal. 2, 20.) Oui! n'en doutez pas; ,,bon pasteur il a donné sa vie pour ses bre-bis.quot; (Joh. 10, 11.)

L'amour avait atteint son coeur, I'amour le brisa. Vous lo vites languir, chers élèves, pendant le triste hiver qui vient de s'écouler; et lorsque, a sa réapparition au milieu de nous, vous bites témoins de son bonheur, vous confutes avec nous I'espoir d'une compléte guórison: lu'lns! le ciel en avait decide autrement. Vous reutrates au sein de vos families, et quand, la veille de votre depart, il vous fit ses adieux, eussiez-vous cru ([no c'étoieut les adieux pour 1'óternité!

Père vénéré! pourquoi done deviez-vous aller mourir loin de nous, loin de vos enfants, loin do votre cher Rolduc! Ah I je crois deviner les desseins de la Providence: vous déviez nous donner, a nons et a tons vos élèves, une dernière et terrible le(;on; vous deviez attestor par votre exemple, que la mort

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peut nous trapper a toute heiire, uous f'rapjier subi-tement, nous trapper au milieu de la joie et des divertissements.

Puis, vous (leviez voir et einbrasser une dernière ibis votre ami fidéle et dévoué, et xérifier ces belles paroles du livre des rois: „dans la mort même, ils n'ont pas été séparés, in morte non sunt separati;quot; (2 Keg. 1, 23) et deviez lui offrir, eu recompense de sa géné-reuse amitié, le touchant spectacle de la mort d'un saint. Ali! digne prêtre, comme ami de notre bien-aimé Directeur et comme ancien prolesseur de llolduc, vous nous avez remplacés, aux derniers moments du saint moribond; et en vérité, llolduc était dignement represents! Pour la généreuse amitié que vous avez ténioignée a notre Directeur, pour les consolations, que vous lui avez procurées ii son heure suprème, pour la dernière parole que vous avez recueillie de sa bouche et que vous nous avez si religieusement transmise, recevez dans ce moment solennel, au nom des protesseurs et des élèves do llolduc, riionnnage de notre vive et éternelle reconnaissance.

Chretiens! soyez atteutifs a cette heure dernière! A peine a-t-il senti les atteintes de la mort, a peine a-t-il fait un dernier aveu de ses fautes, qu'il prononce ces touchantes paroles: „Mon Jésus, je Vous aime! Mou Jésus, je Vous aime!quot; Et comme si. par une intuition anticipée, le voile de réternité se soulevait pour lui et lui montrait la souveraine beauté du Dieu de son coeur, il répète toujours avec ])lus d'óffusion ; ,,Mon Jésus, je \ ous aime! Mou Jésus, je Vous aime!quot; et son ame s'exhala dans eet acte d'amour, commencé sur la terre et prolongé au ciel dans les éternels embrassements de la divinité. —

11 n'est plus, celui dont ronctueuse parole savait sibien nous faire goüter les beautés de notre saiute

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religion et les douceurs do la piete! 11 n'est plus, celui qui vous a conviés si souvent au banquet eucharistique, pour vous nourrir, pendant les dan-gereuses années de votre jeunesse, du pain des forts, du froment des élusl Et lorsque, vers la fin de ce beau mois, viendra le jour appelé depuis si long-temps de nos voeux les plus ardents, le jour de sa fête jubilaire, hélas! alors cette maison sera muette, paree que celui qui devait étre 1'objet de nos chants et de nos jubilations, n'y sera plus! Mais essuyons des larmes indignes de nous. Nous ne quitterons pas votre tombe, cher Directeur, sans y déposer la solennelle promesse de suivre toujours l'exemple de votre piété, de votre dévouement et de votre clia-rité. Nous prenons l'engageinent de ne jamais monter a l'autel, sans recommander votre ame a la miséricorde de l'Agneau sans tache; et vos élèves, dans la sincérité de leur reconnaissance, useront avec bonheur, de toutes les ressources que leur offre notre sainte religion, pour vous en appliquer les mérites.

J'aime a croire que vous n'avez plus besoin de nos prières. Que de fois, de eet endroit même, vous avez prié avec toute reffusion d'uu saint: „Divin Jésus, ne permettez ])as que votre sang précieux ait été versé inutilement pour mon ame!quot; Non, il ne sera pas perdu pour votre belle ame, ce sang divin, et au moment de votre trépas, vous aurez entendu de votre Sauveur cette consolante ])arole, que vous veniez de méditer quelques instants auparavant: „Aujourd'luii vous serez avec moi dans le paradis!'' (Luc. 23, 43.) Mais si vous n'avez plus besoin de nos prières, pour notre coeur c'est un besoin irré-sistible de vous los oft'rir; nous savons d'ailleurs, que Dieu les cbangera en benedictions sur notre cher Rolduc et sur tons ses habitants.

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Dójii, ce semble, vous nous avez donné une preuve de cette mystérieuse protection, en nous ob-tenant rhomme éminent auquel notre digne Evêque vient de coniier la direction de cette maison. Car, de même qu'Élie, en s'élevant au ciel, tit de-scendre son esjjrit sur Élisée; ainsi vous avez laissé a, votre digne successeur comine l'apanage de votre grand coeur, la foi la plus vive et la plus ardente charité. Vous l'avez allnmé panni nous, ce feu de la charité; a nous de 1'entretenir, de le tomenter, de le propager. Cette taclie, oui, nous la prenons sur nous de grand coeur! Alors notre cher Rolduc continuera d'etre, selon la promesse de Dien, la demeure de la sainte Trinité: ,,Si quis diliget me ad eum veniemxis et mansionem apud eum faciemus; nous viendrons a celui qui m'aime, et nous établi-rons notre demeure en luiquot; (II. Joh. 14, 23). Rolduc sera toujours comme un parvis de ce beau ciel, on, nous l'espérons, nous nous retrouverons un jour, pour nous réjoui^r éternellement avec vous dans 1'amour de 1'éternelle beauté. Ainsi soit-il!