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DE MGR LOUIS-GASTON-ADRIEN
Prélat de la Maison du Pape Chanoine dj premier Ordre du Chapitre insigne de Saint-Denis
PRONONClk
le 11 quillet 1881
PAR
livèque d'Hcbron, vicuirc apostolique dc Gcnivc.
IMPR1MERIE DE L'(EUVRE DE SAINT-PAUL 5i, rue dc Lille, 5i
1881
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PRONONCKE PAR
le ii juillet 1881, a notre-dame de 1'aris
ülcerat Incerna ardens et luctn-i.
II étalt une lumière ardcnte et brillantc.
(Ev. Saint Jean, v, 35.)
Éminentissime Seigneur (i),
Leses tempêtes que subit TÉglise ne font que révéler sa force et accroitre sa fécondité ; les luttes lui suscitent des docteurs devant Thérésie, des apotres contre rindifférence, et des martyrs en face de la persécution. Les diverses époques de son histoire en sont le vivant témoignage; notre siècle n'est pas déshérité de cette gloire; il
(1) S. Em. le cardinal Guibert, archevèque de Paris. Etaient présents ; Mgr Becel, evèque de Vannes; Mgr Perraud, evèque d'Autun; Mgr Blanger, evèque de la Basse-Terre; Mgr de Forges, evèque de Ténarie in partibus; Mgr Moreno, de l'Ordre des Carmes, evèque de Chiapa (Mexique).
oflfre, au milieu de ses ruines, ie consolant spectacle de la vitalité catholique. Les grands ouvriers de Dieu s'y succèdent nombreux et presses; plu-sieurs déja sont au repos, d'autres sont debout sur ie champ de bataille de la vcrité et du droit dans le bon et difficile service des ames.
Au milieu de cette phalange apparait Tinfati-gable apötre que nous pleurons tous: il a répondu aux trois appels que Dieu fait a toute ame: agir, souffrir et prier. Agir sans défaillance, avec le plus pur désintéressement de tout amour-propre; souffrir avec une sérénité constante, sans se plaindre jamais ni des hommes ni des choses; prier d'une prière soutenue par Taustérité et la pratique joyeuse de la penitence, n'est-ce pas la trame continue de ses jours?
Vous vous rappelez cette physionomie ferme et douce, empreinte de vigueur et de paix, cc calme et attirant sourire dans sa resignation; a travers ses yeux éteints, on voyait une ame vivante, et cette ame voyait.
Quand, enveloppé de son long manteau romain, appuyé sur un bras ami, il traversait les rues de votre bruyante capitale, tous regardaient avec emotion cette apparition suave du recueillement, de la souffrance et de Fapostolat; un murmure bien-veillant répétait autour de lui: « G'est un saint qui passe. » Oui, c'est un saint qui a passé, comme son Maitre, en faisant le bien.
II a eu Tinsigne privilège d'être loué du haut de
la Chaire supreme: Pie IX Taimait, et Léon XIII a fait écrire de lui: « Sa mort est un vrai dé-sastre pour la société catholique et l'Église (i). » A de telles paroles et a de telles tendresses sorties des lèvres et du coeur de deux si grands Pontifes, aux royales louanges qui ont franchi la frontière de l'exil, ne suffirait-il pas d'ajouter les quelques mots d:un saint ? Le Curé d'Ars a dit de lui ; « Cet aveugle voit bien clair. »
Le suffrage populaire fait écho aux voix puis-santes de l'autorité et de la sainteté : son pauvre lit d'agonie a été un char de victoire; malgré les difficultés et les angoisses de Theure présente, la solennité funèbre est un cortege triomphal: les bannières se déploient, les foules accourent, et le cercueil est couvert de fleurs, de larmes, et entouré de la vénération universelle. Le peuple ne se trompe pas, il reconnait tót ou tard ses vrais amis : l'humble Soeur Rosalie, l'illustre Père de Ravignan et le Prélat romain obtiennent dans Paris si mobile, mais si reconnaissant, des hommages publics et spontanés qui sont les préroga-tives des Saints. Leur mort domine les orages et impose même a l'hostilité le libre passage des étendards chrétiens et de la croix rédemptrice.
Vous avez voulu qu'un enseignement vienne ciore ces fétes du deuil et de Tespérance; vous
(i) Lettre de Son Em. Mgr Macchi, maitre de chambre dc Sa Sainteté, au T. U. P. Picard, vice-president dc I'CEuvre dc Saint-Francois dc Sales.
avez demandé a Tami et au frèrc cTarmcs de vous parler de cette mémoire bénie; je le sens, je serai bien au-dessous de ce que mérite cette pure et féconde existence et de ce qu'attendent vos coeurs, Vous me le pardonnerez, et votre reconnaissance achèvera cette esquisse, imparfaite et tracée a la hate, d'une vie si pleine de mérites.
Pénétrons dans le sanctuaire intime de cette ame, cherchons la pensee inspiratrice de ses héroïques labeurs. Quel a été le ressort donnant l'impulsion a tant d'CEuvres? quelle a été la sève vivante ani-mant ce tronc puissant, ces rameaux couverts de fleurs et de fruits, offrant un abri sur a tant d'oiseaux du ciel ?
II est facile de le dire : il na pensé, aimé, agi, vécu que pour affirmer en lui, étendre autour de lui le règne adorable de notre Sauveur bien-aimé; tout en lui priait, prêchait et chantait: II faut que Jesus-Christ règne. N'est-ce pas le trait dominant qui résumé l'homme tout entier et marque de son empreinte son ame et sa vie, son ame de prêtre et sa vie d'apotre ? Flamme de l'amour divin, lumière rayonnante de l'apostolat: Ille erat lucerna ardeus et lucens; ame sacerdotale, coeur apostolique, voila ce que je tente de représenter a vos souvenirs, en recueillant quelques traits épars de ce beau modclc d'une vie de prêtre immolé et d'apotre dévoué, traits qui rappellent saint Francois d'Assise, saint Philippe de Néri, saint Vincent de Paul, saint Francois de Sales. Que ce soit la tout le fraternel
clogc que jc suis heureux de déccrner, dans cette grande basilique de Notre-Dame, en préscnce d'un Pontife a Fame sacerdotale et au coeur apostolique, devant des prélats et des prétres qui i'admirent, en présence de sa familie émue et fiére d'un saint, en presence des fils et des compagnons de ses oeuvres, a la mémoire bénie de Monseigneur Louis-Gaston-Adrien de SÉGUR, Prélat de la Maison du Pape, Chanoine de Premier Ordre du Chapitre insigne de Saint-Denis.
I
Nee semble-t-il pas que Dieu veuillc montrcr a tons une ame de prêtre a Theurc ou le sacer-doce est en butte a d'injustes préventions ct a dcs hostilités sans cause? — Tout prêtre est a la fois sacrificateur et victime. Destine a servir les hommes, il est pris parmi eux pour offrir les dons et les sacrifices ; nul ne doit s'attribuer cet honneur, il faut qu'il soit appelé de Dieu comme Aaron : il doit être arraché a la condition de ses semblables pour élever vers le ciel THostie pacificatrice et faire descendre sur les générations le pardon, la paix et Tespérance. Aussi le prêtre ne peut, comme l'homme du monde, se livrer memo aux louables inspirations de récolter le bien-être et la gloire dans ses labeurs, il ne doit creuser les sillons ou germent les élus de Dieu qu'en les arrosant du sang du Christ et des sueurs de ses souffrances personnelles.
II doit étouffer en lui la soif sans cesse renais-sante des grandeurs humaines. En ceci, Texigence
des hommes va plus loin que les préceptes divins : ils ne veulent pas même lui pardonner les influences morales dont la liberté naturelle lui donnera toujours le droit d'user pour honorer et, quand il le peut, faire triompher la vertu. On ne se contente pas de lui rappcler ironique-ment que son royaume n'est pas dc ce monde, on ne voudrait pas lui laisser sur cctte terre assez d'espace pour appuyer son pied afin de monter au ciel. Aussi tout homme qui a entendu l'appel de Dieu sait que, si un jour il gravit les degrés de l'autel, e'est pour y sacrifier deux victimes : 1'Hostie eucharistique, et le vieil homme avec ses faiblesses et ses convoitises. II ne lui est pas licite de séparer Tune de l'autre; en portant le Christ dans ses mains, il doit réaliser la parole des
disciples : Allons et mourons avec Lui (i)..... Je
veux me dissoudre, me dépouiller de moi-même avec Jesus-Christ dans un même holocauste (2). Le Pape saint Grégoire fait écho a la lecon évan-gélique; « Nous devons imiter ce que nous accom-plissons (3). »
Nul mieux que Gaston de Ségur ne pénétra d'un lumineux regard les mystères profonds dc cette mort et de cette vie sacerdotales ; nul n'eut plus de joie d'abattre cette masure croulante
(1) Eamus et moriamur cum eo. (S. Jean, xt, 16.)
(2) Desiderium habens dissolvi et esse cum Christo. (S. Paul, epitre aux Philippiens, 1, 23.)
(3) Debemus imitari quod agimus. (S. Greg., lib. Pastor, I, xi.)
du vieil homme et, sur ses ruines, d'y faire vivre et régner Ie Christ: Vhnt vero in me Christus (i)
Les souvenirs et les espérances de familie furent les prémices de ses immolations.
II apporte en naissant un nom antique qui remonte aux Croisades, vin sang de noble race dont s'honorent le Périgord et l'Aquitaine; la ma-gistrature, l'armée, la diplomatie et les lettres couvrent son berceau d'illustrations tradition-nelles (2). Son aïeule et sa mère jettent de glorieux reflets sur eet enfant predestine. La première, malgré un brillant éclat a la Cour de Russie, ne craint pas d'affronter les plus grands périls pour embrasser la foi catholique et y rester fidéle. Chaque jour elle se rendait en voiture a l'église. Un matin, sous le règne de Nicolas, se présente en grand uniforme un officier de police. « Madame la Comtesse, lui dit-il, je viens de la part du Gouverneur. Hier, un avis officieux vous a été donné. Celui que je vous apporte aujourd'hui est officiel. Son Excellence vous prie de veiller davantage sur vos faits et gestes, paree que, si vous continuiez ces manifestations catholiques, M. le Gouverneur se verrait oblige d'en écrire a TEmpereur. »
(1) S. Paul, épitre aux Galates, 11, 20.
(2) Par son père, il descendait du chancolicr d'Aguesseau, du president de Lamoignon, et du marquis de Segur, marechal de France et ministre de la guerre sous Louis XVI. Par sa mère, il était pctit-fils du comte Rostopchine, le célèbre gouverneur de Moscou en 1812.
Sans sc laisser intimidcr, elle répondit a rofïi-cicr : « Dites au Gouverneur que je vais écrire moi-méme au Souverain, et le faire aujourd'hui même. »
Laissez-moi vous citer cette page qui révèie ia virile fermeté de cette chrétienne admirable:
« Sire, le gouverneur de Moscou me menace de « prévenir Votre Majesté que je suis catholique « et que je vais tous les jours ostensiblement a « la messe a l'église catholique, en voiture, comme « j'ai l'habitude de le faire depuis que j'ai eu le « bonheur de quitter le schisme pour entrer dans « le sein de la veritable Église.
« En agissant ainsi, j'use d'un droit que me « donnent et le bon sens et la loi. Je ne fais rien « d'extraordinaire, et rien n'est plus loin de ma « pensée que de vouloir irriter qui que ce soit « par une ridicule ostentation. Je continuerai done « comme par Ie passé.
« Votre Majesté peut, si elle le veut, me faire « arréter comme coupable d'etre et de me montrer « catholique; elle peut confisquer mes biens et « me faire conduire en Sibérie ; tout m'est parfai-« tement égal. Ce qu'Elle ne pourra jamais faire, « c'est de m'empêcher de suivre ma conscience, « de me faire abandonner ma foi et de me dé-« tourner du service de mon Diku.
« Sire, prenez garde a vous! Dans quelques « années vous mourrez comme tout le monde : « vous serez jugé; et si le Souverain Maitre vous
ft trouvc, commc vous Tètes en ce moment, hors « de son Eglisc, qui est la sainte Église catholique, « apostolique, romaine, il vous condamnera ; et « votre puissance actuelle ne vous empéchera pas « d'aller en enfer.
« Que Votre Majesté y songe sérieusement, il « y va de son saiut (i). »
La lettre partit, fut remise a rempereur Nicolas, et cette intrépidité conquit la liberté de ses pratiques religieuses.
Sa fille était digne de continuer ses traditions de toi et d'énergie; elle ne pouvait rester dans les ombres du schisme, et comme sa mere elle eut la joie d'aborder au rivage de la foi catholique.
Vous ne me pardonneriez pas si je ne saluais pas cette femme qui a donné le jour au saint apotre; c'est una lecon banale de Fhistoire de 1 Eglise que les plus illustres servitcurs de l'Évan-gile ont du a leur mere leurs inspirations et leur force. Dès ses plus jeunes années, elle révéla un esprit remarquable, trés original, trés fin, trés
sérieux: coeur généreux et tendre, caractère charmant, joycux et toujours égal, avide d'études et de dévouement, elle a transmis a son fils les traits de son ame. N'a-t-il pas écrit d'elle ce gracieux portrait: « Elle avait ua si aimable sourire, ses grands yeux avaient tant d'expression et de vie; la bonté, l'esprit, la franchise éclataient si bien en elle qu'elle était sympathique a tons ceux qui Tapprochaicnt ; la familie Tappelait toujours la bonne Sophie. »
Quels souvenirs et quelle atmosphere ont enveloppé Tame de Gaston dans son enfance ! Les instincts de la race, les lecons du foyer, les gloires du passé, les parfums du présent le protègent et le faconnent a eet age oü rien n'a terni sa beauté ni brisé les élans qui portent vers Dieu. Entre lui et sa mère il y eut des relations privilégiées de piété et damour; la prétrise leur donna des ailes, la soulfrance les consacra, et la mort les a scellées du sceau d'une impérissable jeunesse. On dirait, a lire ces effusions naïves et ces gracieux épanche-ments, Thistoire de saint Francois de Sales bé-gayant a peine et s'écriant: « Que jc suis heureux ! Ic Bon Dieu ct ma mère m'ainient bien. »
Comme son modèle, notre pieux prélat mar-chera, sur les routes de sa destinée, guidé et gardé par ces deux passions de sa vie : Dieu et sa mère Tont bien aimé.
Hélas ! il dut affronter l'éducation publique ; il ne parlait jamais de ses études universitaires sans se
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plaindre dc la somnolence de son ame. Malgré eet humble aveu, nous savons qu'il traversa ces années de peril sans fléchir ni dans sa foi ni dans son coeur, qu'a vingt ans il devint a Paris ce qu'était saint Francois de Sales a Padoue. II trouva bientót la protection dans les Conférences de Saint-Vincent de Paul qui naissaient; cette (Euvre providentielle de foi et de charité dilatait ses pavilions, et la jeunesse chrétienne s'y enrólait, cherchant le secret de servir FEglise et la France en soulageant les pauvres et en se donnant elle-méme. Ges quelques étudiants qui, en i833, mirent en commun leurs convictions, leur enthousiasme, leurs modestes ressources, prouvè-rent mieux que par des discours que l'Évangile est 1'immortelle solution sociale. Pendant que les reten-tissantes utopies se croyaient triomphantes, pendant que les novateurs s'épuisaient en théories qui de-vaient changer le monde, ces jeunes hommes, sans se laisser séduire, se prirent a monter les étages oü se cachait la misère de leurs quartiers. On les vit, dans la fleur de lage, écoliers d'hier, fréquenter sans dégoüt les plus abjects réduits, et apporter aux habitants inconnus de la douleur Ia vision de la charité (i). La charité est belle en quiconque l'ac-complit; elle est belle dans l'homme mür qui re-tranche une heure a ses affaires pour la donner aux affaires de Ia souffrance; elle est belle dans la femme qui s'éloigne un moment du bonheur d'etre aimée.
(1) Lacordaire.
pour porter 1'amour a ccux qui n'en connaissent plus que le nom; die est belle dans le pauvre qui trouve encore une parole et un denier pour le pauvre; mais c'est dans le jeune homme qu'elle appa-rait tout entière, telle que Dieu la voit en lui-même au printemps de son éternité, telle que Jésus la voyait, aux jours de son pèlerinage, sur le front de saint Jean.
Gaston a bientót sa place dans les rangs de cette milice de Saint-Vincent dc Paul; il y rencontre des émules de son ardeur; leur cénacle fut une pépi-nière de saints. II me suffit de nommer Le Prévost, eet héroïque fondateur des Petits-Frères de Saint-Vincent de Paul, et le P. Olivaint, le grand apótre et le glorieux martyr. Prés dc telles ames, le jeune de Ségur s'élèvc vite aux cimes du sacrifice; rien ne Tarréte : il se dépouille de ses vêtements pour les pauvres, il multiplie ses prodigalités, son souci est dc s'imposer les plus rudes privations et de n'avoir pas meme les débris d'une elegance que réclamcnt son nom ct sa familie. Les coeurs prédestinés ont toujours euccs tendresses précoces pour les malhcu-reux. Saint Vincent de Paul, enfant, versait la fa-rine patcrnclle dans les mains du pauvre, et saint Francois de Sales y jetait joyeusement les dons de sa mère. Gaston sera leur fidele imitateur; il est bien destine a s'immoler ct a grandirsousce double patronage. Et il ne porte pas le bon de pain seulc-ment : au secours matériel, qui est un rayon de bonheur jeté dans l'abri dc la souffrance, il ajoute
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le bon de l'amour de Dieu. Jeune hommc, il sent déja la flamme de Tapostolat. C'est dans les hópi-taux qu'il exercera son action sur les dmes, et a vingt ans a peine, il brise des consciences rebelles au zèle du prêtre et au patient sourire de la Soeur de Gharité.
G'était i Thópital Necker. Un jeune poitrinaire se mourait, resistant a toutes les sollicitudes reli-gieuses. Notre apótre s'approche de lui. La mort était peinte sur le visage du pauvre malade. La face était have et d'un blanc jaunatre; son affreuse mai-greur donnait a ses yeux noirs une apparence étrange.....
Gaston s'approche de lui, il lui parle avec affection et respect, et le malade semblait lui répondre, par la dureté de son regard ; « Je n'ai que faire de vos condoléances; donnez-moi la paix! »
L'étudiant feint de ne pas comprendre ce dur lan-gage et ce silence méprisant. II multiplie ses tendres instances; mais le mutismedédaigneux répond aux effusions de son coeur. Soudain, une inspiration vient au pieux visiteur; il se rapproche vivement du malheureux, et lui dit a demi-voix : « Avez-vous fait une bonne première communion ? » Gette parole produit sur le mourant TefFet d'une commotion électrique; sa figure change d'expression, et il mur-mure plutót qu'il ne dit; « Oui, Monsieur; » et deux grosses larmes coulent sur ses joues.
Gaston saisit les mains du malade, et lui dit: « Vous éticz heureux alors, mon ami; ce bonheur
peut revenir encore; Ie bon Dieu n'a pas change! N'est-ce pas, vous voulez hien vous confesser ?
— Oui, répond Ie mourant avec force, et il s'a-vance pour embrasser son jeune apótre, qui, tout attendri, conduit cette ame aux joies de la communion et aux espérances du ciel (i).
N'y a-t-il pas dans cette scène les presages d'un apostolat qui étonnera par ses merveilles; eet étu-diant conquérant a Dieu une ame rebelle et faisant d une salie d'hópital 1c premier theatre de son action, n'est-ce pas le signe caractéristique d'une providentielle vocation ?
Kile ne se révèle pas encore; la peinture Fattire, Ton entrevoit en lui toutes les aspirations et tous les dons qui forment Fartiste. A l'école d'un grand maitre, il fait de rapides progrès; son pinceau étonne tout a la fois par la grace et la vigueur de ses créations. Paul Delaroche, heureux du talent précoce de son élève, dit au père de Gaston :
« Monsieur le Comte, quelle carrière voulez-vous done donner a votre fils?
— Maitre, répondit xM. de Ségur, il est Tainé de ma maison, j en veux faire un diplomate; c'est une carrière de familie, j'espère qu'il la suivra.
— Ah! reprit l'illustre peintre, vous avez beau faire, il sera un jour un grand artiste. »
Les succès semblent justifier ces previsions, A
(i) Voir les Instructions familtères , iie vol., p. 388.
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vingt-deux ans il obtient la médaille d'or pour le portrait de son père. Ce triomphe public n'enivre pas sa jeunesse, il ne songc qu'a offrir a sa mere cette couronne; quand, attendrie et fiere de son fils, elle Teut félicité, Gaston saisit sa médaille d'or, il va la vendre sans hésiter, et en porte joyeux le prix a ses chers pauvres des mansardes !... Comme les anges de Dieu ont dü sourire a eet acte d'une générosité héroïque, oü Ton ne sait ce qu'il faut admirer le plus, de cette humilité qui dédaigne une gloire naissante ou de cette charité qui s'oublie pour ne songer qu'aux malheureux.
Attaché au ministère des affaires étrangères, il est envoyé a l'ambassade de Rome. Dans la cité reine du monde et foyer de la foi, des sciences et des arts, tout semble répondre aux élans du chré-tien et de 1'artiste; il a la joie de servir son pays et de développer en lui les dons de la nature et de la grace (i). Mais il se sent bientót a l'étroit, même dans ces grands et lumineux horizons; Tart ne lui suffit plus, la diplomatie, même la meilleure, le laisse froid, son ame a des battements d'ailes vers le sacrifice; une voix sccrète lui parle au coeur; il entend Jesus-Christ qui lui dit; « Vicns, et suis-moi. Veni, sequere ine. » 11 y avait alors, dans une celluie du Gcsii, un humble et austère religieux, un des fils de cette Société toujours honorée de la persécution et toujours vaillante sur les champs de
(i) C'est alors qu'il fit un charmant tableau d'un patrc de Ia campagne romaine.
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bataille de TÉglise. Le P. de Villefort voyait ac-courir a lui des amcs nombreuses; parmi elles, il distingue bien vite le jeune diplomate et discerne les signes irrécusables d'une vocation au sacerdoce. Gaston ne veut pas céder a I'cnthousiasme; il ira prier a Lorette; il n est pas seul, le pieux et savant abbé de Gazalès lui sert de guide. Dans le sanc-tuaire aimé qui domine les flets de TAdriatique, la oü les generations agenouillées vénèrent le tabernacle du Dieu fait homme, Gaston s'offre en holocauste en se consacrant a jamais aux saintes energies de la chasteté. Trois siècles auparavant, un jeune seigneur, brillant élève de Padoue, dans ce même sanctuaire, fit vceu de garder la belle et blanche vertu; a travers les ages, ces deux physio-nomies apparaissent dans le même courage et dans les mêmes immolations. Les plus séduisantes perspectives humaines s'offraient a tous deux. Francois de Sales pouvait sasseoir au milieu des magistrals de son pays, le sénat de Savoie l'attendait; Gaston de Ségur voit une éclatante renommée, une glo-rieuse position qui s'offrent a lui; tous deux ne veulent suivre que le Dip:u crucifié, tous deux jettent joyeusement a ses pieds tous les succes du présent et toutes les espérances de Tavenir.
Quelle détermination soudaine et inattendue pour sa familie! Son père ne peut accepter sans peine que son fils ainé enscvelisse dans un séminaire et dans la vie obscure du prètre tout ce qu'il a révé de célé-brité et d'influencc. Sa mere est brisée; elle ne croit
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pas a réncrgique resolution dc son enfant le plus aimé; elle le supplie, elle le presse, elle le conjure de toute la force de ses larrnes et de son coeur de ne pas céder a ce qu'ellc croit un entramement irréfléchi. La nature sensible dc Gaston frémissait, et il a raconté lui-même que cc n'était qu'a genoux et a l'église qu'il avait la force dc lire les lettres maternelles.
Vousdevinezquelles poignantcs luttessc livrcrcnt dans cette ame; mais Dieu fut le vainqueur. Bientót les murs de Saint-Sulpice abriteront le pieux can« didat du sanctuaire qui ne songe plus qu'a se livrer tout entier a la formation du sens sacerdotal et a l'étude de la science sacrce. Ses maitres, commc ses condisciples, nont jamais oublié eet aimablc et austère lévite qui, par ses catéchismes ct ses ho-mélies nettes, vives et pieuses, faisait pressentir celui qui sera plus tard 1c grand serviteur de Dieu ct des ames.
II nous suffirait d'évoquer les notes tracées de sa main pour suivre cette forte élaboration de son ame, avee quelle allégressc il prend le Seigneur pour son héritage ct montc avec unc vigueur joyeuse les degrés du sanctuaire. Comme dans cette école dc la modestie, de la piété ct du savoir ecclésiastique, il s'élève vite aux sommets sanglants du Calvaire! II chatic son corps, il transforme son ame, jaloux dc porter en lui Fempreintc du divin Crucifié, pour n'être pas indigne d'élevcr plus tard, dans ses mains, la Victime sans tache, L'ceil iixé sur ce
but a atteindre, il marchc a pas de géant danscettc perfection du séminariste. Le monde ignore ces mystères de la foi. Les pouvoirs qui voudraient jeter ces neophytes du sacerdoce au sein des bruyantes et périlleuses agitations militairc.s, ne connaissent pas tout ce qu'il y a d'héroïques labeurs caches derrière ces murailles. Heures bénies et fécondes de la prière, joies austères de l'étude, caractères qui domptent les impétuosités, cceurs de vingt ans qui se brisent pour ne faire jaillir que des ten-dresses pour Dieu et les ames, beau spectacle bien digne de Dieu et des anges et que l'humilité dérobe aux regards humains! L'abbé de Ségur poursuit en lui, de retraite en retraite, le vieil homme; il veut le renverser, afin d'apporter, au jour de sa consécration, le moi vaincu; il tient a s'écrier comme saint Jean-Baptiste: « II faut qu'il croisse, et que je diminue (i)! »
Le moment solennel approche: le Pontife va étendre ses mains sur le jeune lévite qui sera pretre pour l'éternité. G'est avec une sécurité sans alarmes que l'Archidiacre répond a l'interrogation de 1'Évêque, affirmant que Gaston de Ségur est digne de l'onction et de Thonneur du sacerdoce; on peut lui appliquer le beau mot que saint Grégoire de Nazianze a dit de saint Basile: « Il était prêtre avant même que d'etre prêtre (2) », c'est-a-dire qu'il
(1) Illum oportct crescerc, mc autcm minui. (Evangile dc saint Jean, in, 3o.)
(2) Orat., xx
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en avait les vertus avant d'en avoir le degré; il était prêtre par son zèlc, par la gravité de ses moeurs, par Tinnocence de sa vie, avant que de l'étrc par son caractère (i). II ne faut pas s'étonner si, montant a l'autei pour la première fois comme sacrificateur, son attitude trahissait la foi et l'amour qui débor-daient de son ame. Sa mère, agenouillée prés de lui, eut les prémices de son sacerdoce, elle fut la première a communier de sa main. Chapelle recueillie du Séminaire Saint-Sulpice, vous fütes témoin de cette scène touchante qui rappelle saint Jean a Éphèse...
Les allégresses et les actions de graces de cette fète ne lui firent pas oublier qu'un prètre digne de ce nom, de cette institution, et selon Tordre de Jesus-Christ, doit toujours être prêt a être victime. Ce n'est pas assez pour lui d'attendre les coups de la justice divine, il les convoite, il les appelle, il conjure le Dieu-Hostie de le rendre participant de sa croix et de lui faire boire son calice. II s'adresse avec une filiale confiance a la sainte Vierge, il la supplie de lui obtenir une terrible épreuve et la grace de la supporter par amour pour son Fils, il sollicite une tribulation qui le crucifie sans enchai-nerson apostolat. Dieu I'entend, mais il n'accordera pas sans délai ce bien de la souffrance; il lui laisse reprendre ses pinceaux et tracer sur la toile ce suave et religieux tableau de l'Enfant-JÉsus, une
(i) Bossuet, oraison funèbre du P. Bourgoing.
croix sur la poitrinc, le calice et THostie planant dans un image transparent et projctant dc lumineux rayons. La crèche, la croix, le tabernacle, voila bicn toute sa vie avec son cri d'armes : « Celui qui nous a tant aimés, qui ne l'aimerait en retour (i) ? »
Malgré les tendresses qui i'attirent, il ne veut pas abriter son existence dans le foyer édifiant et aimé de la familie, ni Texposer aux perils de Tisolement. Quelques jeunes prêtres s'unissent a lui, et forment un cénacle de prières, d'étude et d'apostolat: géné-reux émules qui luttent a qui saura Ie plus aimer le Sauveur et mieux servir les ames (2).
Voila sous quels auspices il inaugure son ministère sacré, et il porte d'abord ses benedictions a une des prisons militaires de Paris. Le jeune apótre transforme bien vite ces coeurs de soldats aigris et humiliés; 011 se souvient encore des miracles de conversion chez ceux qu'il accompagne au dernier supplice. II leur consacre les heures de ses jours et les heures de ses nuits; il réussit a les faire sourire a la mort, et, sous le sifflement des balles qui trouent leurs poitrines, on les entend répéter avec amour et presque avec joie: Seigneur Jesus !
Ce fut a cette époque qu'il publia le petit volume des Réponses, si souvent réédité; pages qui ont illuminé tant d'ames, pages vives, étincelantes et
(1) Sic nos amantem, quis non redamaret?
(2) Mgr de Conny, Mgr Gay, Mgr de Girardin, M. Gibcrt, M. de Valois, M. d'Andigné; et plus tard M. Le Rebours et JVl- Taillandier.
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populaires, oü Terreur est pulvérisée, la foi défen-due par les éclairs de la vérité et de la science. Un académicien a bicn pu dire: « Ce petit livre est un des grands livres de notre siècle. »
Tout homme que Dien predestine a un fécond apostolat recoit de la Providence une triple consé-cration: le contact avec la Chaire de saint Pierre, foyer des doctrines sacrées et de la science théo-logique, 1'amitié d'ames saintes, et des épreuves qui dilatent le coeur sous les coups de la tribulation (i).
Ges graces nc manquèrent pas a notre jeune prêtre: il est soudain, malgré lui, arraché a ses obscures fonctions, et il est destiné a prendre place dans ce Conseil auguste des Auditeurs de Rote qui forment a Rome comme une couronne de la magistrature des nations catholiques.
Rome venait d'etre rendne au Pape par les glorieux services de la France qui reste toujours malgré tout le soldat du Christ, et écrit toujours par son sang ou par ses oeuvres les gestes de Dieu sur le sol du monde. Pie IX revenait de Gaete, sacré par l'exil et retrouvant sur son terri-toire reconquis Tindépendance du Vicaire de Jésus-Christ, si nécessaire a la liberté des ames. Sans doute cette terre du Principat devait retomber plus tard sous les chaines de la Révolution; mais Dieu na pas sans dessein permis une tréve de vingt ans; n'est-ce pas pour faire brillcr sur nos
(i) In tribulatione dilatasti mihi. (Ps. iv, 2.)
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mines et au milieu de nos orages l'arc-en-ciel de rimmaculée-Conception, et mettre en süreté l'arche saintc de rinfaillibilité Pontificale ?
Le jeune Auditeur de Rote arrive done a Rome. Trois hommes se rencontrèrent alors auprès du coeur magnanime du Pontife, tous trois bien dignes de le servir avec un enthousiasme filial dont ricn n'a tari le fidéle dévouement. Xavier de Mérodc, ce gentilhomme, ce chevalicr et ce prètre, si dédai-gneux de toute ambition humaine et si prodigue de sa personne pour le droit et Thonneur ; Gustave Bastide, eet aumonier militaire a la physionomie si belle, a la parole si spontanée et si ardente ; et Gaston de Ségur, brillant artiste et prètre fervent. Tous trois forment autour de Pie IX le rempart invincible d'une admiration et d'une tendresse qui ne défaillirent jamais. Tour a tour, dans les souterrains obscurs des Catacombes, au Colisée, aux Prisons-Mamertines, aux musées du Vatican, sous les voütes des basiliques, partout ils se font les pieux et savants conducteurs des soldats, des pèle-rins ; a tous ils révèlent les merveilles de la foi et des arts. C'est un apostolat qu'ils rendent fructueux et attirant a force de piété, d'étude et de courage. On Ta dit justement; « Ils ont réussi a faire aimer chaque jour davantage Ia France a Rome, Rome a la France, et ont ainsi servi TÉglise et le Pape auprès de Tunivers entier (i). » Ces interprètes
(i) Mgr Besson, eveque do Nimcs, dans I'oraison funebre dc Mgr Bastide.
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des chefs-d'oeuvre et des souvenirs chrétiens ne se bornent pas a eet enseignement plein d'éclat ; ils vont aux écoles populaires des bons Frèresdes Écoles chrétiennes, dans les hópitaux, se faire les catéchistes et les confesseurs des enfants et des soldats; les insignes de la Prélature leur servaient de passeports pour mieux atteindre les consciences.
Pie IX, le majestueux et doux Pontife, ce coeur si tendre et si ferme, se plaisait a écouter leurs effusions de foi, les récits de leurs travaux, leurs vives et spirituelles saillies ; prés de cette ame de saint, 1'Auditeur de Rote se sentait plus attaché encore a son sacerdoce et plus entrainé vers les labeurs évangéliques ; a ces hauteurs du Vatican, dans cette intimité qui sera l'honneur et l'inspi-ration de sa vie, il atteint les horizons les plus élevés de la foi et les plus ardentes Hammes de l'amour de la sainte Église !
Sous un ciel toujours pur, le coeur nc mürit pas (i).
La douleur viendra: elle va déchirer ce sol sur lequel doivent germer et grandir tant de gerbes pour le ciel. Elle arrive soudain frapper un coup terrible. II Ta appelée, il Ta réclamée a Dieu comme un trésor; la victime est préparée ; le glaive est levé, et Jesus-Christ va nous montrer son ami aux prises avec l'adversité !
Vous me laisserez, dans un récit simple et sans
(i) Lamartine,
artifices, vous raconter cct épisode si beau, si attendrissant ; contempions cet autel d'ou ne desccndra plus la victime.
Cost vers Tagc de dix-ncuf ans que Gaston de Ségur sentit pour la premiere fois une fatigue des yeux en travaillant le soir a des dessins trés soignés et trés délicats, représentant la vie de Notre-Scigneur Jesus-Christ. G'est done en servant comme artiste le divin Maitre, objet de son amour, qu'il contracta le germe de Tinfir-mité cruelle et féconde dont il ne cessa de remer-cier Dieu jusqu'a son dernier jour. Le mal reparut a la suite des études au Séminaire Saint-Sulpice; il céda de nouveau a quelques soins, a quelques semaines de repos et de voyages.
A Rome enfin, il se manifesta pour la troisiéme fois, d'une facon subite et presque foudroyante. Le iCT mai i853, un de ses yeux se voila tout a coup; il lui sembla qu'un rideau, d'abord a demi transparent, bientót opaque, s'étendait sur sa prunelle, et interceptait le jour. Dés ce moment, il ne douta pas un instant de la perte totale et prochaine de sa vue, et il reconnut dans cetto infirmité un gage de la bonté de Dieu, et de la protection de la sainte Vierge (i).
Mgr de Gonny, son intime ami, informé de Taccident, vient le voir, le jour méme, et le trouve calme jusqu'a la sérénité. Mgr de Ségur s'appliquc
(i) II disait gracieusement: « La bonne Vicrgc m'a pris un cell et l'a envoyc a ma place cn Purgatoirc. »
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a lui démontrer que la cécitc est pour lui unc grande benediction, cTabord paree que toute infir-mité est salutaire, ensuite paree qu'ellc détournait absolument de lui le fardeau de Tépiscopat, dont il avait une sainte terreur, et qu'ellc allait le ra-mener a ses chères ames, a ses chers petits ouvriers de Paris ; enfin paree que, pour un confesseur, il est trés avantageux de ne voir que les ames, tou-jours belles et aimables, quand elles avouent et pleurent leurs fautes. « Qui nous aurait entendus, disait Mgr de Conny en rappelant cette conversation, aurait cru que c'était moi qui avais perdu la vue, et Mgr de Ségur qui me consolait. »
Gaston se prépara dés lors aux conditions de la cécité: il apprit a se servir lui-méme les yeux fermés, a dire par coeur la messe de la sainte Vierge ; a part cette étude, il continua sa vie ro-maine avec une parfaite allégresse.
Un de ses grands désirs, avant de devenir tout a fait aveugle, était de revoir une fois encore tons ses fréres et sceurs. Diku lui accorda cette grace, Se rendant en France, aprés la Saint-Pierre de 1854, ^ alia passer ses vacances chez ses parents, au chateau des Nouettes, en Normandie. Le 2 septembrc au matin, il y voyait encore. Ce méme jour, son frére Anatole vint le rejoindre avec sa familie; il semble que c'était le moment attendu par la bonne Providence. Aprés le déjeuner, Mgr de Ségur se promenait et causait gaiement avec un de ses fréres, quand tout a coup il s'arréte et dit: « Je suis
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aveugle. » II 1'était en effct, subitement, compléte-ment, et pour toujours, II rentra calme dans sa chambre, recommandant a ses frères et a ses soeurs de n'en rien dire a sa mère, et sa tranquillité était telle, sa possession de lui-même si absolue, que pendant plusieurs heures, jusqu'au moment du diner, pas un geste, pas un tremblement dans sa voix, pas un changement perceptible dans son attitude ne révélèrent a la pauvre mère le coup qui avait frappé son cher fils. Ge fut seulement a table que, voyant qu'il ne pouvait pas sc servir lui-même, elle commenca a comprendre et a se troubler. Elle le regarda fixement, vit ses autres enfants qui pleu-raient, et fondit en larmes. Lui seul souriait, la fortifiait, et ne pleurait pas, Ce sourire sublime avec lequel il accueillit la cécité, il Ie garda pendant vingt-sept ans, et il le conserva jusqu'a son lit de mort.
O mon Dieu ! ne dirait-on pas que cc Calvaire c est pour lui un Thabor, oü il ne voit plus que Jesus seul ? Neminem videnint nisi solum Jesüm (i). Oui, son intelligence si belle, son coeur si pur, sa parole si chaude recevront de cette épreuve une consecration qui fera de lui une de ces supériorités sympathiques, un de ces rayonnements qui attirent; et les voiles de sa cécité ne feront que mieux appa-raitre la lumière dans les ténèbres: il est vraiment la lampe qui brille dans le sanctuaire (2),
(1) Saint Matthieu, xvn, 8.
(2) Lux in tcncbris lucet (Év. de S. Jean, 1, 5.)
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Rien nc pourra 1c decider a dcmander sa guéri-son. Ni le saint curé d'Ars, ni le vénéré M. Dupont de Tours, ni le P. Miilériot, nc l'amènent è ces désirs legitimes. II sera inflexible pour roster cloué a la croix; il répond d'une manière charmante a un de ses pieux et fidèles amis ; « Le bon Dieu ma mis en cloture; je porte ma celluie avec moi; je l'en remercie, et j'y suis heureux (i)! » Gette souffrance de son corps n'est que le prélude d'humiliations qui atteindront sa volonté et son intelligence.
A Paris, il est le prêtre aimé; sa vie est entourée de respect, les ames font cortege a sa parole et a ses bénédictions: et c'est au sein de ces triomphes apostoliques qu'il sera frappé d'un de ces coups mystérieux que la Providence réserve aux saints. II y a parfois des désaccords entre les meilleurs serviteurs de l'Église; les chefs de la milice sacrée peuvent redouter des impétuosités de soldats, des ardeurs de zèle qui semblent compromettre leur prudente stratégie dans la défense des droits; ce fut une de ces craintes qui arma l'autorité diocésaine d'une sévérité destinée amp; mettre mieux en relief la profonde humilité de notre prêtre. II fut interdit; un sceau fut placé sur les lèvres qui préchaient; les mains qui bénissaient et pardonnaient furent liées par son évêque; épreuve humiliante et crucifiante qui enchainait son zèle et jetait un nuage sur la droiture de cette ame si pure, si désintéressée. Mais,
(i) M. Le Rebours, curé de Saintc-Madcleinc.
— Si
ll l'cxemplo de saint Alphonse de Liguori, il ne se plaint pas, il n'articule aucune parole de rcprochc, et, sous le poids de cette poignante douleur, il demeure le prêtre souriant a l'immolation. Les malentendus disparaissent bientót; le Pontife, qui sera plus tard couronné de l'auréole du martyre, rend a l'innocent toute la dignité et la libre sécurité de son apostolat dans votre immense capitale.
Mais rholocauste n'est pas complet; le sacrifice doit meurtrir la fibre la plus sensible. II est jaloux de garder la pureté de la doctrine et les virginales délicatesses de lavérité catholique; cependant, dans un de ses livres oü il parle du mystère de l'Incar-nation, sa plume fléchit, et il se laisse entrainer, par les flammes de son coeur, au dela des limites, Le Saint-Siège ne peut se taire, même devant le fils le plus dévoué: il condamne son petit volume (i), l'unique atteint par le signe de Rome. Le cher et humble prélat n'hésite pas; il déchire ses pages, il les foule aux pieds, et transmet a Pie IX une soumission qui rappelle avec plus de tendresse, plus d'humilité et plus de joie encore, la magnanime victoire de Fénelon brülant son livre des Maximes des Saints l
Rien ne manque a son diadème sacerdotal: crucifixion du corps, humiliation de la volonté et de
(i) Jésus vivant eu nous, qui, avec la pleine autorisation du Souvc-rain-Pontifc Pie IX, a été remplacé dans la collection de la Piité et Ia Vie inlérieure, par Tadmirable traité intitule ; La Grace et l'Aiiwur de Jésus, 2 vol. in-18.
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rintelligence; il habite désormais les cimes élevées du Galvaire, il porte les stigmates, il a recu sur ce Sinaï nouveau les rayons lumineux de ladouleur, et il expliquera mieux, dans une parole plus vibrante de Tamour céleste, les enseignements du divin Crucifié!
Ce n'est pas assez encore; Tencens, qui tombe dans le feu, monte en nuage odoriférant vers Dieu. Sicut incensum in conspectu tuo (i). L'ame du prêtre a été jetée dans le creuset de la souffrance; sous la flamme qui la consume, elle monte en chants de joie, d'espérance et de charité. Saintes oraisons, élans passionnés, ardeurs séraphiques de sainte Thérèse et de saint Francis de Sales, naïves elusions de l'ame joyeuse de souff'rir, aspirant a mourir et a s'unir au Rédempteur, voila ce qui a fait de l'existence de ce vaincu de Dieu et de ce vainqueur de lui-même, un temple oü habite le recueillement, un autel oü l'immolation est en permanence, un tabernacle d'oü la prière s'échappe comme s'il avait fermé les yeux aux choses du temps pour iVentrevoir que les splendeurs éter-nelles. Sa chair et son cosur tres sail lent vers le Dieu vivant (2).
Ne vous étonnez pas qu'il ait voulu prolonger, après sa mort, son cantique de louange et son ho-locauste permanent. 11 destine son coeur a être placé dans le pieux sanctuaire de la Visitation, oü sou^
(1) Ps. CXI,, 2.
(2) PS. LXXXIU, I.
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vent il venait parler aux Filles de saint Francois de Sales, et oü elles croyaient entendre un écho des entretiens spiritueis de la Galerie au premier mo-nastère d'Annecy. 11 envoie 1'autel, les reliques et le tabernacle de sa chapelle dans une vallée du Jura oü souvent il a prié et prêché a Tombre des grands souvenirs de saint Claude; il les cordie au restaurateur de la prière perpétuelle (i), au prêtre savant, doux et austere qui a ressuscité les Cha-noines réguliers commc une garde d'honneur litur-gique, comme une couronne a eet antique pèle-rinage.
Tout done en lui, dans sa vie et dans sa mort, proclame Tame sacerdotale qui veut étre devant l'Eucharistie une victime d'agréable odeur {2] ; ne soyez pas surpris que les immolations du prétre préparent et fécondent les dévouements de Tapostolat.
(1) Laus perennis.
(2) S. Paul, cpitrc aux Ephésicns, v, 2.
II
1LL a la double consecration du saccrdoce et de la souffrance; le sacrificateur de Fautel est une hostie vivante. Comme le Pauvre d'Assise descendant des hautes cimes de FAlverne ou 1'Ange l'avait marqué des empreintes du Calvaire, s'en va plus fort a son apostolat, notre jeune prétre, au lieu d'etre enchainé par la cécité et rhumiliation, se relève plus vaillant encore, et désormais les flammes de son coeur jailliront plus éclatantes et plus vives. Rien ne mettra obstacle a son zèle, et nul ne méritera mieux que lui ce titre d'ouprier dc Diku inconfusible : opcrarius inconfusibilis (i) ! II se dépense sans mesure et il se dévoue sans trêve « au noble et doux service des a mes (2) ; » des Üiuvres ; de la sainte Église catholique !
Sur ces trois theatres oü se déploie son activité, il a pp a ra it comme un des serviteurs les plus
(1) Saint Paul, epitre a Timothec, 11, i5.
(2) C'ctaicnt les expressions habituelles dc Mgr de Scgur.
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puissants de notre génération. Malgré les im-mortels souvenirs dont cettc grande chaire de Notrc-Damc resplendit, j'osc le redire, Gaston de Ségur a une place privilégiée parmi les apotres de notre temps.
Jamais il ne songea a faire de la parole aposto-lique une adulation pour son siècle, ni une parure pour la vanité personnelle. Certes, il connaissait les grandeurs et les blessures de notre époque ; mais jamais il ne voulut être a son égard cour-tisan on conspirateur, C'est bien a lui que s'ap-plique l'élogc de Bossuet qu'il me sera permis de répéter: « O Dieu ^vivant et éternel, quel zèle ! quelle onction ! quelle douceur ! quelle force ! quelle simplicité et quelle éloquence ! Oh ! qu'il était éloigné de ces prédicateurs infi* dèles, qui avilissent leur dignité jusqu'a faire servir au désir de plaire le ministère d'instruire ; qui ne rougissent pas d'acheter des acclamations par des instructions, des paroles de flatterie par la parole de vérité ; des louanges, vains aliments d'un esprit léger, par la nourriture solide et substantielle que Dieu a préparée a ses enfants ! Quel désordre ! quelle indignité ! Est-ce ainsi qu'on fait parler Jésus-Christ ? Savez-vous, ó prédicateurs, que ce divin Conquérant vent régner sur les coeurs par votre parole ? Mais ces coeurs sont retranchés contre lui ; et pour les abattre a ses pieds, pour les forcer invinciblement au milieu de leurs defenses, que ne faut-il pas entre-
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prendre ? Quels obstacles nc faut-il pas surmonter ? Écoutez TApotre saint Paul : « II faut renverser « les remparts des mauvaises habitudes, il faut « détruire les conseils profonds d'une malice « invétérée, il faut abattre toutes les hauteurs « qu'un orgueil indompté et opiniatre élève contrc « la science de Dieu, il faut captiver tout enten-« dement sous Tobéissance dc la foi (i). »
« Que ferez-vous ici, faibles discoureurs ? Dé-truirez-vous ces remparts en jetant des fleurs ? Dissiperez-vous ces conseils caches en chatouillant les oreilles ? Croyez-vous que ces superbes hauteurs tombent au bruit de vos paroles mesurées ? Et pour captiver les esprits, est-ce assez de les charmer un moment par la surprise d'un plaisir qui passe ? Non, non, nc nous trompons pas; pour renverser tant de remparts et vaincre tant de résistance, et nos mouvements affectés, et nos paroles arrangées, et nos figures artificielles, sont des machines trop faibles. II faut prendre des armes plus puissantes, plus efficaces, celles qu'em-ployait si heureusement le saint prêtre dont nous parlons.
« La parole de l'Évangile sortait de sa bouche, vive, pénétrante, animée, toute pleine d'esprit et de feu. Ses sermons n'étaient pas le fruit de l'étude lente et tardive, mais d'une celeste ferveur, mais d'une prompte et soudaine illumination (2). »
(1) IIquot; Epitre aux Corinthiens, x, 4-5.
(2) Oraison funebrc du P. Bourgoing.
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Imprégné de la sève doctrinale qu'il avait puisée a Rome, nourri de cette moelle de lion, comme parlait Tantiquité, l'apótre rfavait pas de peine a répandre la lumière et Tonction de la doctrine dans les ames qui se pressaient autour de lui.
Les ames ! c était la passion de sa vie.
Jaloux de les conquérir au Sauveur, il était prodigue de ses forces et de sa vie; dédaigneux de toute gloire littéraire, il prêchait sans jamais se lasser, a temps et a contre-temps, avide surtout de saisir les auditoires les plus délaissés. Les modestes chapelles des Patronages, les pauvres sanctuaires des Cercles, les chaires les plus humbles se dispu-taient tour a tour les ardeurs de son zèle, et jamais il ne se refusait a ces obscures batailles de la parole évangélique. II était toujours pref, de son coeur sans cesse rajeuni par la prière, l'étude et la souf-france, il tirait comme d'un trésor caché les vérités antiques dans un langage nouveau et populaire, devant les brillantes assemblées aussi bien que dans les réunions les plus simples de la vie chrétienne.
Ce qui l'attirait surtout, c'était la prédication de la jeunesse: l'enfance était suspendue a ses lèvres; les jeunes hommes Técoutaicnt avec enthousiasme, et il pouvait redire, sans crainte d'etre démenti, les paroles de saint Francois de Sales ; « Croyez-moi, les Anges des petits enfants aiment d'un particulier amour ceux qui les élèvent dans la crainte de Dieu et qui font couler dans leurs ames la sainte dévotion. »
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Jamais apótre ne s'est plus multiplié dans votre capitale; nul n'a pu se soustraire a la chaleur de son apostolat (i). Les privilégiés dc son dévoue-inent étaient les pauvres les plus abandonnés, et cctte jeunesse, printemps d'un peuple, si exposée dans sa fleur au souffle de Terreur et des voluptés. Le Collége Stanislas, si fertile en hommes, fut son champ de dévouement; les sanctuaires dc la vie ecclésiastique a Séez, a Versailles, a Nantes, a Beauvais, a Mayenne, a Sainte-Anne d'Auray, a Saint-Claude et ailleurs, I'appelaient sans cesse. Les prodiges d'une prédication toujours conquérante, se renouvelaient sans se répéter jamais. Vous ne me pardonneriez pas d'oublier ce diocese de Poitiers, ce Petit-Séminaire de Montmorillon ou il revenait chaque année pour y apporter, dans un zèle que rien ne lassait, les vivantes traditions évangéliques. Sans doute, Fillustre Évéque, dont la doctrine et Tintrépidité ont fait I'Hilaire de notrc age, Tattirait par la vigueur de son génie et le charme de son amitié; sans doute, son frére de doctrine et de zèle, le savant et pieux auxiliaire (2), le réclamait par les séductions de sa foi et de sa tendresse; mais surtout il revenait sur ce vieux sol monastique, paree qu'il s'y sentait a Taise et en pleine liberté pour former au sacerdoce les fils robustes du Poitou et de la Vendée.
(1) Non est qui se abscondat a calore ejus. (Ps. xvnr, 7)
(2) Son Em. le cardinal Pie et Mgr Gay, e'vêque d'Anthédon.
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Lumière ardentc ct brillante, il éclairait et ré-chauffait les esprits ct les coeurs des clartés et des ardeurs de sa parole. L'éloquence suivait commc la servante, non recherchéc avec soin, maïs attirée par les choses mêmes. Ainsi son discours se répan-dait a la manière d'un torrent; et s'il trouvait en son chemin les flenrs de relocation, « il les entrainait plutot après lui par sa propre impétuosité, qu'il ne les cueillait avec choix pour se parer d'un tel ornement (i). »
Nous nous rappelons tons Témouvant spectacle de eet aveugle qui montait les degrés de la chaire, conduit par une main amie, et qui en face de ces assemblees d'enfants, d'ouvriers ou de grands seigneurs, apparaissait comme Moïse, Ie rayon de feu sur le front, guide des consciences et conducteur des ames; la vue de ce visage illumine des rayons intérieurs, était a elle seule une predication puissante, et les ames subissaient le prestige de la sainteté avant d'etre dominéés par Tascendant de la parole.
Les ames! voila done toute Tambition de son sacerdoce; les éclairer et les convertir était le but de ses prières, de ses mortifications et de ses fatigues. A ce cher et vaillant aveugle, plus qu'a nul autre, s'appliquent les éloges du Prophéte Isaïe: « Si tu prodigues ton ame a celui qui a faim, et si tu rem-
(i) Fertur quippc impetu suo; et clocutionis pulchritudinem, si occurrcrit, vi rerum rapit, non cura decoris assumit. (Saint Au^us-tin. De Doet. Christiana, lib. IV, n. 42.)
plis de consolation une ame affligée, ta lumière se lèvera dans les ténèbres, et tes ténèbres seront comme le plein midi (i). »
Oui, ses ténèbres étaient bien le midi des amcs, qui s'ouvraient a lui avec une filiale docilité; ce qu'il obtint de confiance et d'aflFection dépasse la mesure ordinaire des plus riches influences sacerdo-tales. Gravissez avec moi ce modeste escalier qui mène a sa celluie et a sa chapelle (2); entrez dans ce sanctuaire, témoin de tant de resurrections spiri-tuelles; voyez ces foules agenouillées, ces enfants, ces pauvres, ces ouvriers, ces étudiants, ces magis-trats, ces hommes de plume et d'épée, tous ces affamés de la lumière et du pardon qui tour a tour vont s'incliner sous sa main bénissante et puiser prés de son coeur le courage du devoir, les secrets de la vie mystique, la fidélité a TEglise et les saintes energies d'un christianisme sans peur et sans mol-lesse. Au contact intime de son ame, tous sortaient d'un cénacle; et, sur tous les chemins de l'apostolat, de la magistrature, du barreau, de l'armée, de l'industrie, du commerce et jusque des assemblees politiques, nous rencontrons les disciples de ce directeur des consciences, de ce laboureur spirituel, qui a fait croitre et fleurir tant de plantes bénies, pour Fhonneur de TÉglise et le service de la France.
(1) Cum effuderis esurienti animam tuam, et animam af tam replevcris, orietur in tenebris lux tua, et tenebrne tutc erunt sicut meridics. (Isaïe, t.vni, io.)
(2) Ruc du Rac, 39.
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Saint Alphonse dc Liguori Ta dit : « Dans la chaire on seme, au confessionnal on moissonne. » Jamais Gaston de Ségur ne fit dc la tribune sacrce un piédestal pour sa gloire ct un prétexte pour son repos; il n'en descendit jamais qu'avide de donner aux consciences la parole plus intimc et 1c Vcrbe de la réconciliation (i). Et vous, ses fils nombreux, vous vous presscz dans cettc vaste enceinte presquc trop étroite, vous êtes la et vous ny étes pas tous, car il y en a sur toutes les routes dc la France qui se rappellent avec emotion le souvenir de ccs entre-tiens confidenticls, dc ces heures si douces ou ses mains affcctueuses s'ouvraient pour vous bénir, ses lèvres aimables pour vous pardonner ct son coeur si généreux pour vous aimer.
Lorsqu'un Évêque austere, bienveillant et infa-tigablc apótre, est prédestiné dc Dieu a gouverner votre Églisc de Paris, lorsqu'il laissc le siège de saint Martin pour s'asseoir sur la chaire episcopale dc saint Denis, chaire souvent empourprée du sang dc ses Pontifes, il doit y avoir dans son ame quelques-unes des angoisses qui ont amené des larmes aux yeux du Seigneur con-templant la cité de Sion. Votre ville est en merne temps Jérusalem ct Babylone, ou le bien et Ie mal s'affirment sans peur ; les sacrifices les plus héroïques et les plus élégantes perversités s'y coudoient saus cesse ; la, le monde semble avoir
(i) Posuit in nobis Verbum reconciliationis. (Saint Paul, IPÉpitre aux Corinthiens, v, 19.)
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installé le palals de Fesprit étincelant, du bien-être lacile et des plus séduisants plaisirs. C'est bien la capitale du naturalisme oü viennent se faire consacrcr tous les succes terrestres et toutcs les gloires humaines ; c'est bien le foyer d'oü rayon-nent et se propagent ces merveilleux progrès matériels qui passionnent les peuples modernes. Comment le Pontife, chargé de ses destinées spirituelles, donnera-t-il Jésus-Christ a cette Athènes élégante, frivole et sceptique ? Dieu y a pourtant ses élus. Saint Denis ne cesse dquot;y sus-citer des bataillons d apótres, sainte Genevieve des vierges fidèles, sainte Clotilde des femmes tortes, et saint Vincent de Paul des ouvriers de la charité. Sans doute, sur tous les points, il y a des églises, berceaux de la vie surnaturelle et divine ; il y a des pasteurs dévoués et de pieux vicaires qui se consument sans trêve au ministère écrasant de ces vastes paroisses; ils multiplient, sans se décourager, les visites des malades, les catéchismes attrayants, la prédication pastorale, les cérémonies et les pompes du culte; sans doute, il y a encore ces légions religieuses, décimées par la persecution ; malgré leurs blessures, ils restent les porteurs ardents de la parole sainte ; ils la font retentir des hauteurs de Mont-martre aux plus solitaires chapelles. Malgré leurs succes, ces travailleurs du sanctuaire sont en petit nombre devant la moisson toujours blanchis-sante. Vos Archevéques ont applaudi a cette
armee de Diku, a eet apostolat laïque qui fut 1c devoir de tous les temps, mais qui s'impose plus que jamais a notre siècle et a votre pays.
Ce sera rimmortel honneur de notre époque d'avoir appelé a ce labeur catholique les chrétiens que le baptême élève a un sacerdoce et que la confirmation arme chevaliers du Christ. Saint Pierre n a-t-il pas dit a tous : « Vous êtes unc race choisie, un sacerdoce royal, unc nation sainte (1)? » Saint Cyprien définit TÉglise : « Le peuple joint au prêtre, et le troupeau a son pasteur (2). »
L abstention égoïste, la molle inertie s'abritent aisément derrière de futiles prétextes ; elles lais-sent a l'Esprit-Saint et au clergé le soin de servir rÉglise et de sauver les ames. On se plait a se décharger de ses devoirs personnels sur la tribu lévitique, comme si la vie n'était pas un combat pour tous, comme si pour tous la vérité et la liberté de TÉglise nétaient pas un patrimoine sac ré a défendre au prix de ses sueurs et de son sang. Quand le navire de Dieu est secoué par la tempète, tout Féquipage doit apporter son concours a la manoeuvre ; nul baptisé, prêtre ou laïque, na le droit de l'inaction dans Forage, espérant, comme dit un poète :
Dans un golfe du cicl aborder endormi.
(1) Ir0 Épitrc de saint Pierre, ii, q.
(2) Plebs sacerdoti adunata et pastori suo grege adherens. (Ep.Lxix.)
Les triomphes signalés de la foi, scs conquêtes sont attribués a ses plus illustres chefs ; mais ne savons-nous pas que souvent aussi les obscurs combattants ont préparé des résultats inattendus, que si le général a la couronne du vainqueur, ce sont les soldats qui ont gagné la bataille ?...
.Tajouterai avec un grand Évéque; « N'y a-t-il pas pour les laïques un profit qu'ils ont tiré des Oiuvres pour le bien de leur ame et la dignité de leur vie ? De la sont sorties de fécondes vocations sur lesquelles TÉglise et la société fondent de justes espérances ; de la sont nées encore des vertus toujours grandissantes et qui nous ont donné le spectacle d'une perfection laïque pouvant servir de modèle a notre vie sacerdotale (i). »
A rencontre de ceux qui redoutent cette action, qui s'alarment de quelques impétueuses ardeurs, de quelques témérités inévitables, notre Prélat comprenait surtout les devoirs des (Euvres, l'union des torces, la puissance de Tassociation pour Ia cause de Dieu. II savait inspirer a la jeunesse eet enthousiasme du bien qui préserve de la passion du mal; il lan^ait ses disciples dans la mêlée du dévouement ; il disciplinait toutes ces vigueurs qui protégent et étendent dans notre vie sociale 1c régne adorable du Maitre et Sauveur Jesus-Ghrist.
Ne croyez pas qu'il eüt Vhérésie de l'activité: raction n'était pas, chcz lui, une flamme dévorante
(i) (Euvres du Cardinal Pie, torn. VII, p. ii8.
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du tempérament; il n'était pas non plus de ceux qui, dans le besoin d'agir et dc réussir, n'ont nulle preoccupation de la doctrine qui guide et dos régies qui gardent; jamais il n'avait de ces retours personnels qui cherchent des institutions bruyantes devant les hommes et stériles devant Dieu. II savait que les CEuvres ne sont fructueuses qu'a la condition de rester dans les voies tracées par Tobéissance a ceux qui ont mission et lumière pour gouverner l'Église de Dieu (i).
Nul plus que lui ne fut préparé a eet apostolat difficile et nécessaire des CEuvres. Toutes allaient a lui, réclamant ses conseils, sollicitant sa direction, ct, malgré lui, il en devenait bientót Tinspirateur et le chef. C'est ici que je dois surtout emprunter les paroles de Bossuet sur saint Bernard : « Ce qui me reste a vous dire est si grand ct si admirable, que plusieurs discours ne suffiraient pas a vous le faire considérer comme il faut. Toutefois, comme je vous ai promis de vous représenter ce saint homme dans les emplois publics et apostoliques, disons-en quelque chose brièvement, de peur que notre dé-votion ne soit frustrée d'une attente si douce (2). » L'Église, dans sa vie a travers les siècles, per-pétue la maison de Béthanie, avec le triple servicc du corps, de Tame et du coeur de Jesus-Christ. Marthe dresse la table hospitalière, Lazare cherche
(1) Posuit Episcopos regere Ecclesiam Dei. (Actes des Apótrcs,
xx, 28.)
(2) Panégyrique de saint Bernard, 2« point.
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des disciples, Marie regarde, écoute et console le coeur du Maitre.
Quand on soulève la brillante surface de votre immense cité, il est facile d'apercevoir que le theatre des plaisirs est aussi Tasile de bien des souffrances. Nous devons le reconnaitre, notre époque s'est prise d'une généreuse emulation pour épier toutes les douleurs, essuyer toutes les larmes et diminuer toutes les misères. Nulle part elles ne sont plus nombreuses ni plus poignantes. Les enfants délaissés, les orphelins, les pauvres aban-donnés, les petits incurables, les Patronages vsous tous noms, les hópitaux, ont leurs Associations protectrices, qui toutes regardaient et vénéraient Mgr de Ségur comme leur guide et leur bienfai-teur. Prodigue de son argent et de lui-même, il soutenait les courages, relevait les défaillances. Pendant plus d'un quart de siècle, il leur imprima une vive impulsion, il anima d un souffle de foi et de tendresse tous ces bataillons sans cesse renou-velés du service des humbles et des malheureux. Avec quel art il a dirigé ces Associations qui versent sur les blessures le baume de la charité, dont les membres se pressent au chevet des ma-lades, sourient au petit abandonné, rompent le pain de Taflamé, donnent leur cceur aux meurtris de notre vallée de larmes!
Ce qui surtout préoccupait eet apótre, c'étaient les CEuvres qui préservent, puriiient et sanctifiont les ames; il avait sans cesse a la pensee la parole
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dc saint Vincent de Paul: « II nc suffit pas de faire du bien soi-même, il faut se créer des coope-rateurs. »
II a, plus que personne, substitué a la pusilla-nimité et a la faiblesse individuelles ces fécondes institutions qui unissent les bonnes volontés et présentent un faisceau durable sur le sol mouvant dc la démocratie. II est impossible de raconter l'histoire dc cc dévouement infatigablc qui inspirait chaquc jour Tapostolat des militaires, des ouvriers, de la jcunessc des Écoles. Les Ccrcles etaient en allégresse par sa présence; ils devenaient un foycr de lumières, d'innocentes recreations ; il formait une familie a ces isolés que les moeurs ct les lois moderncs jettent dans votre capitalc. Toutes les CEuvrcs contemporaines ont vécu de ses conseils, de son zèle et de ses courageuses initiatives. Vous ne me pardonneriez pas d'oublicr cette Union des CE up res ouvrières, ces grandes assises des études religicuses et sociales, des ateliers chrétiens, des usincs et des corporations ; chaque année, el les allaicnt s'abriter a Fombre des palais épiscopaux, clles retrouvaient, sous la présidence de notre Apótre, des ardcurs et des intimites qui fortifiaient les bonnes volontés ct centuplaient les forces. Malgré sa cécitc, son esprit est ouvert a tous les horizons; son coeur avec ses chaudcs effusions, sa parole enjouée, bienveillante et pittoresque, ani-maient les timidités et dominaient les intempé-rances ; il avait 1c don dc conduirc ces merveilleux
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Congrês qui resteront dans l'histoirc comme les aimablcs Conciles de la charité et les vivantes écoles de la defense de l'Église,
Quels services n'a-t-il pas rendus au monde catholique par cette Association de Saint-Francois de Sales, que je ne puis nommer sans une vive et pénétrante émotion! Dieu daigna nous meier a sa fondation. Nous étions a Rome; c'était au lende-main du triomphe de l'Immaculée - Conception. Pie IX venait de consacrer les Conférences de Saint-Vincent de Paul, et de leur donner des lettres d'apostolat dans l'univers entier. Alors dans un de ces entretiens oü notre ame s'épanchait avec un fidele serviteur des pauvres (i), nous parlions de la nécessité d'une Propagation de la foi d l'intérieur. Les efforts de Terreur, l'union des adversaires de TÉglise malgré leurs désaccords, leur propagande active, leur action publique et souterraine pour enlever aux pays catholiques les trésors de la foi, tout nous imposait le devoir de conjurer les périls prochains. De ce double observatoire de Rome et de Genève, nous jetions parfois un cri d'alarme et nous sollicitions une (Euvre de préservation et de conquête. Pie IX souriait a ce projet: en France, un des plus intrépides athletes de la cause de Dieu y songeait. Mon ame avait rencontré ce prêtre de grande race (2), a l'ame de flamme, au cceur che-
(1) M. Baudon, president-general des conferences de Saint-Vincent de Paul.
(2) M. l'abbe Emmanuel d'Alzon.
valeresque, aux initiatives spontanées, eet apótre qui, pour élever notre siècle dans les hauteurs surnaturclles de l'Assomption, a dépensé avec une magnanime prodigalité sa fortune, ses briilantes facultés, son repos et sa vie; tous deux, nous vinmes frapper a ia porte de la demeure monas-tique de notre cher Prélat. Le grain de sénevé apporté de la terre des martyrs et des saints fut confié a Mgr de Ségur; sous cette main, qui a cul-tivé et arrosé tant de plantes du parterre de l'Église, Tarbre de Saint-Francois de Sales a étendu ses ra-meaux. Bibliothèques, missions, écoles chrétiennes, églises pauvres, evangelisation des faubourgs, toutes les oeuvres qui aident le missionnaire et le pasteur ont trouvé leur appui et leur secours.
Nous n'avons pas tont dit encore. Étudiant Ie mouvement des esprits. Gaston de Ségur connut vite les influences de la presse; il comprit la néces-sité de former, pour la défense des droits sacrés de TÉglise, des hommes de doctrine et de talent qui pussent dire sans présomption a la sainte Épouse du Christ:
« Mère, voici ma plume; elle vaut une épc'e. »
L'Académie de Saint-Philippe de Néri, dont il fut le fondateur, iVa pas été inféconde en hommes; la presse et la littérature catholiques s'honorent de lutteurs déja célèbres qui ont fait leurs premières armes dans ce modeste cénacle de la foi et de la science. Lui-mème n'a-t-il pas été un soldat de la
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presse? II a public ces charmants opuscules, ou tour a tour la science du théologien, la foi de l'apótrc, le bon sens et 1'esprit francais jettent des clartcs redou-tables a Terreur, attirent les ames et les font monter dans les régions lumineuses et vivantes de la piété ?
N'est-ce pas un prodige que eet aveugle ait produit ces nombreuses pages, resplendissantes, popu-laires, alertes et agiles comme Tartillerie légere, lancées comme un zouave sur un champ de bataille, étincelantes comme une baïonnette, et pourtant suaves comme un parfum de l'Évangile? J'éprouve le besoin de saluer ici ce collaborateur fidéle, qui, pendant plus de vingt ans, avec une tendresse filiale et sacerdotale, a été Toeil dc ses études, la main pour écrire, 1'humble, ingénieux et perpétuel secours dans sa bibliothèque et dans sa celluie de travail (i). A travers la délicatesse des pensees, a travers les émotions de la piété, ses petits volumes offrent des mots pleins de verve qui révélent 1'ardent polémiste; il aimait la vérité, il criait au loup, pour sauver la brebis; il allait au but, sans détours, sans artifices; dans sa droiture naïve, dans la simplicité de son langage, on voyait le disciple de saint Ambroise qui a dit: « Un prétre s'expose a la colére de Dieu et au mépris des hommes, s'il ne dit pas librement ce qu'il sait étre la vérité (2). »
(1) M. l'abbd Diringer, son secrétaire.
(2) Nihil in sacerdote tam periculosum apud Deum, tam turpo apud homines quam quod sentiat non libero denuntiarc.
Intelligent des besoins de notre époque, synipa-thique aux inspirations qui cherchent a servir la Foi par les creations actuelles, il admire les prêtres et les laïques, qui, au sein de nos tumultes, vont a la presse comme jadis les moines allaient au défrichement des forêts; il évangélise ces modestes enfants, ces filles du sacrifice qui, sous la ban-nière de saint Paul, se constituent les volontaires servantes de rimprimerie et font circuler les immolations évangéliques dans cette artère puis-santé de Tapostolat de la presse.
Malgré cette vie consacrée a la conduite de toutes ces nobles entreprises, la possession de sou ame ne lui manque jamais, sa sérénité grandit, sa piété s'élève. Si Famour de la vérité et 1'amour des ames lui donnent des ailes et multiplient sa presence partout oü il y a une saintc cause a défendre, des infortunes a consoler, des consciences a ressusciter et a soutenir, il n'oublie pas le Goeur sacré de son Maitre, il revient plus recueilli et plus aimant d l'Immortel Délaissé du sa net ii ai re !
Rien dans le culte de l'amour de Jésus ne lui est étranger; il encourage une forte chrétienne, il prêche la croisade des Lampes devant le Tabernacle (i); il entraine les hommes dans les douces veilles de 1'Adoration nocturne; il con-voque de mystiques assemblees dont les noms
(i) Mile de Mauroy.
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nouveaux étonnent notrc naturalisme contemporain : le Congres Eucharistique de Lille est comme une fleur d'autel placée sur son lit d'agonie.
11 voit plus haut et plus loin encore: il a les soliicitudes maternelles pour la perpétuité et la sainteté du sacerdoce, pour ces lampes vivantes toujours allumées dans le Temple, flammes bien-faisantes dont la lumière doit éclairer les intelligences et la chaleur étendre les feux de la charité. Lucerna ardens et Ineens.
Les brülants désirs de son ame appelaient un accroissement des vocations sacerdotales; jaloux de les préparer a l'héroïsme, il était l'appui constant de tous les efforts qui tentent de relever l'éducation cléricale et de former de vrais prêtres, d'après les saintes régies du Concile de Trente; il protégeait encore ces tentatives de la vie commune dans le clergé, vie commune qui fut toujours l'abri et Técole des saints (i).
II y a des fils de son ame dans le cloitre, a l'autel, et en chaire; et, par eux, on peut dire qiril est toujours la parole vivante et le sacrifice continué.
Ne craignez pas que cette exubérance d'un dévouement sans limites aux ceuvres chrétienncs ait appauvri en lui la sève du patriotisme. Loin
(i) C'est ainsi qu'il a été I'ami ct l'appui de M. le chanoine Millot, eet admirable directeur de la Petite (Euvre des Clercs de Saint-Sulpice a Issy. — II a aide M. Lebeurier ct M. Chaumont dans leur zèle pour la vie commune du Clergé.
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de la, on peut affirmerde lui ce que Bossnet disait de Nicolas Cornet, quil n'y avait point, en France, d'ame plus francaise que la sienne. Certes, il croyait que la prospérité de la France d'tait inséparable des destinées de l'Église. II n'a jamais douté dc la vitalité de son pays, qui toujours sort plus puissant des plus dures épreuves. Sans jamais faire parade de son amour pour la France, il ne cesse de la servir du culte le plus fidéle. A l'heure douloureuse de vos malheurs publics, alors qu'un lambeau de territoire était emporté par des mains ennemies, il déploie tout ce que le zèle a de plus héroïque. Les exiles de l'Al-sace et de la Lorraine s'abritent sous son patronage; avec lui, des hommes de foi et des femmes de coeur se mettent a l'oeuvre et apportent a ces proscrits volontaires le pain du jour, la dignité du travail et presque les joies du coeur, si le coeur peut avoir quelques joies encore quand on est loin de sa patrie en deuil (i)!
II a done servi les ames ct développé les CEu v res.
Mais le trait caractéristique de sa vie est Fa-mour de la sainte Église; cc fut la marque distinctive de son existence qui restera Thonneur de sa mémoire bénie. II a aimc l'Église, il s'est
(i) Nous tenons a citer Mgr Freppel, evêque d'Angers; Mgr Le Hardy du Marais, evêque de Laval; M.Keller, M. Léon Pages, Mile Polonus, a Paris; M. Juster, a Lyon, etc.
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li pré pour el le afin de la conserver glorieuse et immaculée (i).
Toutcs les graves questions qui intéressent les privileges et les droits de l'Épousc du Christ pas-sionnaient son ame, et nul plus que lui n'a travaillé a rendre sa cause aussi populaire qu'elle est juste. Défendre sa liberté et développer sa fécondité furent toujours le but de sa parole et de ses écrits. Discernant un des premiers les conspirations ténébreuses des sociétés secretes, il poussa un cri d'alarme contre ces trames ourdies dans Tombre qui veulent avilir TÉglise et la rendre Tesclave déshonorée de FÉtat (2). Son coup de clai-ron retentit jusque dans les légions adverses, sa vie fut exposée au suprème peril. II ne m'appartient pas de dévoiler cette scène sublime oü le Prélat, avec line tranquille mansuétude, embrasse le mal-heureux qui le menacait, et désarme sa haine par les miséricordieux élans de la plus suave charité.
Sa foi virile' et éclairóe lui dénonce les perils de 1 Europe; d'un coup d'ceil ferme et profond il entrevoit, dans le travail souterrain de Tim-piété, 1 avènement d'un pouvoir justement nommc par un illustre diplomate « un pouvoir démago-gique, païen dans sa constitution et satanique dans sa grandeur (3). » — Aussi, planant au-dessus des
(1) Dilcxit Ecclesiam, et seipsum tradidit pro ca.... ut exhiberet ipse sibi gloriosam Ecclesiam, non habentem maculam, aut rugam. (S. Paul, epitrc aux Ephesiens, v, 26, 27.)
(2) Voir sa brochure intitule'e; Les Francs-Masons.
(3) Donoso Cortes. Corresp. torn. II, p. 256.
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transactions doctrinales, dominant les faits flot-tants et les succes equivoques, appuyé sur les immortels principes de l'Évangile, il proclame la nécessité sociale de la Vérité integrale: la Vérité vous rendra libres (i)! II l'affirme comme le seul obstacle a cette statolatrie qui menace de toutes ses oppressions la conscience, la familie et le sanctuaire. II s'inspire des lecons de saint Hilaire: « II vaut mieux mourir en ce monde que d'obéir aux calculs humains, de quelque puissance que ce soit, et de laisser corrompre la chaste virginité de la Doctrine (2). »
Avec quel filial enthousiasme il accueille la definition du Concile du Vatican! Jaloux des prerogatives du Vicaire de Jésus-Ghrist, il a le don incomparable de les rendre populaires ; il déve-loppe, en une langue suave, forte et lumineuse, cette nécessité d'un Confirmateur infaillible qu'a proclamée saint Francois de Sales quand il disait dans ses controverses; « L'Église ne peut pas cc toujours être ramassée en un Concile général, lt;c et les trois premières centaines d'années il ne cc s'en fit point. » II comprit Topportunité de ce grand acte, alors que les agneaux et les brebis sont a la merci des ravisseurs et des séducteurs, alors que 1 épiscopat, pour se défendre contre le
(1) Veritas liberabit vos.
(■2) Melius est mihi in hoe sreculo mori, quam alicujus potentiil dominante, castam veritatis corrunipere virginitatem. (s. Hilar. contra Constant.)
césarisme (Ten haut et le despotisme d'en bas, n'a qu'un point d'appui dans ses pacifiques et nobles résistances; c'est ie successeur de Pierre, qui a Died sur la téte, l'humanité comme cortege, les siècies comme piëdestal!
A quoi bon discuter des reproches immérités, qu'il se laissait parfois entrainer a des dévotions puériles; au contraire, il combattait les mignar-dises, le sentimentalisme, tous ces affadissements de la vigueur chrétienne! Sa foi naïve, candide, lui enseignait les trésors que le Sauveur cache aux sages et aux prudents, mais qu'il révèle aux simples et aux petits (i). Partout et toujours c'est le Christ qu'il respirait, respirate Christum, dans les ames auxquelles il le prêchait; dans son Vicaire infail-lible, chef de son Église et gardien de sa vérité; dans sa Mère, la Vierge Immaculée dont les privileges affirment la puissance rédemptrice de son Fils et notre Dieu.
La voila done cette lumière ardente et bril-lante!
Le voila ce prêtre crucifié, ce vaillant apotre des foules, eet ami des pauvres dont la vie et la parole furent pour des ames sans nombre la lumière, la paix et la céleste consolation !
La victime a célébré les béatitudes de la souf-france, I'aveugle a été le voyant du Seigneur.
(i) Revelastijca pervalis.
Comme Tobie (i), dès son enfance, il a gardé les commandements de Dieu, et jamais le murmure n'a jailli de ses lèvres ; il a chanté le Te Deum de sa cécité heureuse qu'il appelait sa sainte et sanctifiante infirmité (2)!
Pardonnez-moi de ne pas savoir finir; et pour-tant vous vous plaindrez peut-être que j'aie omis tant de particularités importantes; cette vie si abondante ct si sereine est a peine esquissée. Pour-suivez, vous dirai-je, comme saint Grégoire de Nazianze celebrant son frère Basile, eet éloge funèbre, vous qui pleurez eet ami, ce père qui s'est fait tout a vous pour vous gagner tous a Jésus-Christ (3).
II est mür pour le eiel, Dieu semble se complaire
(1) Hanc autem tentationem idco permisit Dominus evenire illi, ut posteris daretur excmplum patientiaj ejus, sicut ct sancti Job.
Nam cum ab infantia sua semper Deum timuerit, et mandata ejus castodierit, non est contristatus contra Deum, quod plaga cascitatis evenerit ei.
Sed immobilis in Dei timore permansit agens gratias Deo omnibus diebus vit® suas. (Tobie, n, 12-14.)
(2) Nous citons un fragment d'une de ses lettres du iquot; septcm-bre 1871, adresse'e aux jeunes gens de 1'Association de Saint-Thomas d'Aquin. II dit :
« Je vous demande a tous, demain 2 septembre, un bon Pater et un bel Ave Maria d'actions de graces. 11 y aura demain i7ans que Notre-Seigneur a daigné me faire un cadeau de sa vraie croix, en m enlevant la vue. C'est une grace que je ne meritais pas et dont je sens le prix chnque jour davantage. »
Voir sa lettre a Mile Cécile de F., cite'e par le Bulletin de Saint-Franfois de Sales, aoüt 1881, p. 254.
(3) Adeste jam, me circumsistitc.... encomium meum conficite... (S. Greg. Naz., orat. xliii.)
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a embellir cette ame; il lui accorde les forces et 1c temps (Tachever les dernières stations de son jubilé; il lui réserve, dans les attentions délicates de sa providence pour les saints, une faveur qui couronne d'une lumièredouce et éclatante les suprêmes efforts du prétre et de l'apótre au seuil de la mort.
C'était a la dernière messe qu'il célébra ; il était a l'autel; ses mains fléchissantes tremblaient en tenant le calice, les restes d'une voix qui s'éteint redisaient les paroles sacrées; sur les planches de sa chapelle étaient étendus, assistant au sacrifice, vingt enfants pauvres, malades, incurables. Ces jeunes meurtris se trainaient ii peine; mais leurs lèvres souriantes s'ouvraient pour recevoir des mains du sacrificateur le Crucifié, le divin Consola-teur detous les crucifiés. O mon Dieu, quel enivrant et céleste spectacle!
La liturgie est terminée; Tapotre dresse la table de modestes agapes a ces chers petits malades ; il les sert lui-même, il les réjouit de ses gracieuses saillies; vision bénie et sainte de la bonté du Maitre et de TAmi des soufFrants: Laissei venir a moi les
enfants..... les pauvres sont évangélisés..... Le mal
l'étend sur son lit d'agonie; je me trompe : e'est tout a la fois un autel ou il offre ses forces qui croulent, une chaire qui retentit encore de ses enseignements, un pavois triomphal d'oü il bénit. Les princes de TÉglise, les illustres, les obscurs s'y pressent; pour tous il a un mot, un sourire, une bénédiction.
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Le serviteur incomparable (i), le prêtre ami, ces doux dévouements qui ont enveloppe sa vie de si respectueuses tendresses, veulent écarter la foule ; mais lui, il veut rester prétre et apotrc jusqu'a la dernière heure ; il dit: Laissei-moi les bénir jusqu'a la compléte demolition.
La mort ne Tépouvante pas, il Tattend avec joie, c'est Tambassadrice de son Dieu; olie doit l'intro-duire vers cette Beauté éternelle qu'il a contemplée dans les ténèbres de sa vie, vers ce Bien suprème dont son coeur est épris depuis son enfance; il la salue comme la recut le séraphique Patriarche d'Assise dont il est le fils. Les saints évangiles sur la poitrine, son corps mortifié et souffrant, étendu sur le lit du pauvre, le crucifix dans ses mains, le visage illumine des premiers rayons de rÉternité, il meurt. Son ame s'envolant vers Jésus jette a la terre ces deux mots ; Amen, Alleluia, chants de la foi, de la courageuse resignation, des saintes voluptés de la soulfrance et des allégresses de la mort, vue sublime dc lelu qui entrevoit les clartés du ciel.
O noble ct vaillant frère, ó saint ami, Francois d'Assise et Francois de Sales vous accueiilent ; la blanche colombe de la Visitation (2), votrc scour, vous precede vers TAgneau ; vous étes paré de la beauté de son sacerdoce, vous lui portez les conquêtes de votre apostolat... Entrcz dans
(1) Mcthol, ce valet dc chambrc digne d'un tel maitrc.
(2) Voir la Vie de Sabine de Ségur, ccritc par M. 1c marquis A. de Ségur.
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la maison de votre Père, les bras chargés des gerbes semées dans les sillons de vos douleurs et récoltées dans votre travail. Ingredieris in abun-dantia sepulchnim, sicut inferlur acervus tritici in tempore suo (i).
Désormais votre moisson est a Tabri des orages, et nous qui vous pleurons, nous irons prés de votre glorieux sépulcre que garde sainte Anne, y chercher les lecons du présent et les espérances de l'avenir.
Ici, dans cette chaire de Notre-Dame, il y a plus d'un quart de siècle, 1'illustre fils de saint Dominique, le grand orateur inspiré par sa foi, criait a Dieu : « Mon Dieu, donnez-nous des saints, il y a longtemps que nous en n'avons vu ! »
Dieu a entendu la prière de Tapótre; les saints ent apparu. Quand le Sauveur fait a un peuple cette magnifique aumóne, cc peuple n'est pas a son déclin.
Sachez done dominer vos divisions, unir vos forces sur le terrain de la vérité sans capitulation, de la charité sans recherche personnelle et jalouse; dans l'intégrité de la foi et la plénitude du dévoue-ment, formez tous ces phalanges du bien que nul ne pourra vaincrc si vous êtes fidèles a la prière du Maitre : Sint unum, ut mundus credat!
Devant cette vie et devant cette mort, qui n'ou-vrirait pas son coeur a I'csperancc? Les catacombes
(i) Job, v. 26.
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ne furent pas des tombeaux, mais bicn les ber-ceaux du monde chrétien et de FEuropc civilisce. Le passage d'un saint ici-bas, sa tombe sont des foyers de vie ; a son souvenir aimé les fidèles ranimeront leur dévouement, le clergé y puiscra du courage, et ia France, les secrets de sa resurrection.
EXT RAIT DES VOLONTÉS DERNIÈRES
UK
« Ceci est rexpression •[ de mes derniers de'sirs.
« Au nom du Pkre, et du Fils, et du Saint-Esprit ; au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ.
« Je meurs, comme j'ai vccu, dans la foi de la sainte Eglise Ca-tholique, Apostolique, Romaine, et dans la soumission la plus entière au Saint-Siège Apostolique et a toutes ses decisions; dans l'atnour du Très-Saint-Sacrement de l'autel et du Sacré-Coeur de Jésus, dans un amour filial envers la sainte Vierge Marie imma-culée et la bonne Mere sainte Anne.
« Je meurs dans l'espérance des miséricordes divines et sous la protection spéciale de mes patrons bien-aimes ; saint Michel et saint Gabriel archanges, saint Pierre et saint Paul, saint Joseph et saint Jean l'Évangéliste, saint Francois d'Assise, saint P'ranjois de Sales et saint Louis.
« Je meurs dans l'espérance de retrouver dans le sein de Dieu tous ceux que j'ai aimes et qui ont bien voulu m'aimer sur la terre, en particulier ma chère mere, mon père, ma soeur Jeanne-Francoise et mon vrai Père, le grand et saint Pape Pie IX.
« Si, dans mes écrits, la moindre chose se trouvait en opposition avec 1'enseignement présent ou a venir du Saint-Siege, je le rétractc et condamnc de tout mon coeur.
« Je de'sire ctro enseveli avec I'habit du Tiers-Ordre de Saint-Fran9ois d'Assise et les pieds nus, en signe de pauvreté, avec le scapulaire bleu de rinnnaculée-Conception et celui du Sacré-Coeur, vee la soutane violette, en signe de ma dépendance du Pape et de
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l'Église romaine, en aube et en chasuble blanche, en signe de mon amour ardent envers la sainte Eucharistie et la bienheureuse Vierge, ainsi que de ma ferme foi en la resurrection a venir. Sur ma poitrine on déposera le saint Évangile, le crucifix bénit et indulgencié par Pie IX, ainsi que le saint Rosaire.
« Mon coeur sera embaumé, puis porté et depose devant le Très-Saint-Sacrement, au monastère de la Visitation, oü ma sceur Sabine a eu le bonheur de vivre et de mourir, et oü repose déja le coeur de ma mère. Je demande a nos bonnes et chères sceurs de la Visitation que mon pauvre coeur soit depose' au milieu d'elles, pour y faire 1 adoration perpétuelle devant le Très-Saint-Sacrement et par-ticiper a toutes les prieres et communions de la communautd. Sur la boite de plomb qui renfermera mon coeur, on gravera ces mots : « Jesus, mon Dieu, je vous ai me et vous adore de tout mon cccnr. ic au Trés Saint Sacrement de l'autcl. »
« Je ne veux aucune pompe ni aucune dépense inutile pour mes obseques. La oü je mourrai, je de'sire une simple messe basse, avec douze cierges autour de mon corps, six de chaque cóté et, a la tête. un treizième, ainsi qu'il est marqué au ceremonial. Avant ma deposition au cimetière, on observera la même regie, ni plus ni moins.
« Je bénis avec une tendresse toute paternelle et tres profonde tous mes enfants spirituels, ainsi que les chères communautes oü j'ai eu le bonheur d'exercer mon ministère d'une manière plus suivie, en particulier les séminaires de Poitiers, de Montmorillon. de Séez, de Sainte-Anne d'Auray, et la petite communautd des dlèves de Saint-Sulpice.
« Je bdnis une dernière fois et avec grand amour le collége Stanislas et l'Association des apprentis et jeunesgens de Saint-Thomas d'Aquin, et tout spécialement les enfants et jeunes gens que j'ai dirigds et tant aimés.
« En les quittant pour un temps, je leur exprime ii tous ce triplo voeu, dont l'observance sera leur salut et leur bonheur ; j° Con-server toute leur vie un veritable amour a l'dgard de l'autoritd du Souverain-Pontife ; 2quot; un grand amour pratique de la sainte Eucharistie et de la Communion; 3» un doux et filial amour envers la sainte Vierge, reine de puretd. Je leur demande a tous de se souvenir de leur pauvre Père, dans leurs prières et leurs communions. A ceux qui ont ou qui auront le bonheur d'etre prêtres, je demande a perpétuitd un memento, au Nabis qunque peccatoribus de la messe.
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v Je bcnis tout spdcialement tous les membres de notre familie, cjt pour toute leur vie, mes neveux et nièces ainsi que leurs enfants a venir. Je les conjure tous et toutes de ne jamais abandonner le service do Dieu, de vivre saintement et de demeurer toujours et en tout humblement soumis aux enseignements, aux directions et h la cause du Vicaire de Jésus-Christ.
« J'espère que la grace de la vocation sacerdotale et de la vocation religieuse, unc fois entree dans notre familie, ne lui sera point enleve'e, et que notre sang aura, jusqu'a la fin, l'honneur insigne et l'excellent bonheur de donner a Jésus-Christ et a son Eglise des prêtres et des religieuses.
« Je me recommande avec une grande confiance aux prières de tous les pieux fidèles, associés de saint Franjois de Sales, et les supplic, a l'occasion de mon de'part, de redoubler de zéle et de dévouement pour les inte'rèts de l'Église, la conservation de la foi et le développement de notre sainte CEuvre. Saint Francis de Sales rendra au centuple a chacun et a tous ce qu'ils pourront faire pour son CEuvre.
« Même prière h tous nos frères et soeurs du Tiers-Ordre de Saint-Franjois; qu'ils en soient tous de trés dignes membres et que tous ils s'en fassent les apótres.
« Je demande humblement pardon a Notue-Seigneur et a tous ceux que j'aurais pu mal édifier ou scandaliser dans ma vie miserable, de tout le mal que j'ai commis, de quelque manière que ce puisse ètre.
« Je remercie avec unc tendre reconnaissance tous ceux qui m'ont fait du bien, soit spirituel, soit temporel, et je recommande ma pauvre ame ii leurs prières.
« Je pardonne de toute mon ame, pour l'amour de Notre-Sei-gneur Jésus-Christ, toutes les offenses que j'ai pu recevoir en ma vie, de qui que ce soit, toutes les peines et les chagrins que Ton m'a causes, graves ou légers. J'espère que, dans sa bonté, Dieu daignera pardonner également toutes les calomnies dont j'ai pu ètre l'objet.
« En bénissant mon Dieu de ses miséricordes sans nombre, de toutes ses graces : de ma sainte vocation, de ma cécité, du bien qu'il m'a fait faire et du mal qu'il m'a fait éviter; en lui demandant pardon une dernière fois de toutes les fautes de ma vie; en bénissant tous cevlx que j'aime, et en pardonnant tout a tout le monde, je remets mon ame entre les mains de mon Sauveur; je la depose dans son Cceur adorable et adoré, et je consacre mon dernier sou-
pir cl mon éternité a la sainte Vicrge immaculée, Mère dc la gracc ct Reine du Paradis.
lt;1 Que mon cher Père saint Francois, et mon cher Patron, pro-tccteur et ami saint Francois de Sales daignent m'obtenir la grace d'une sainte mort ct me présenter eux-mcmes a Notre-Skigneuk Jésus-Christ !
(i Cc deux septembre mil huit cent quatre-vingt; vingt-sixième anniversairc du jour mille fois be'ni oü je suis devenu aveugle.
ei f I.ouis-Gaston deSÉüUR.
O PrcUu de la maison du Pape, Chanoine-Evêque de Saint-Denis.
IMP. DK I-'cEUVRE DE SAINT-PAUL. — L. PH1I.1P0NA. PARIS, 51, RUE DE I.II.I.E.