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NOTICE NÉCROLOGiaiE

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L'ABBÉ LEON BELLANGER

DOCIEL 1\ ÈS-LETTRES PROFESSEUR D'HISTOIRE A L'UNIVERSITÉ CATHOLIQUK bgt;ANGP:RS

LUE APRÈS SON SERVICE FUNÈBRE AU PALAIS DE L'UNIVERSITÈ

LE 15 MARS 1879

H. PASQUIER

Ghaaoine honoraiie, docleur ès-lel tres Protesseur de lillérature grecque i l'öuiversilé Calliolique d'Angers

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EXTRA1T ,DE LA REVUE DE L'ANJOU

ANGERS

GERMAIN ET G. GRASSIN, IMPRIMKURS-LIURAIHES. Rue Saint-Laud.

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NOTICE NÉCROLOGIQUE

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L'ABBÉ LÊON BELLANGER

DOCTEUR KS-LETTRE8 rnoFESSEun d'htstoihe \ l'université catholiqui: d'angehs

LUE APRÈS SON SERVICE FUNÈBRE AU PALAIS DE L'UNIVERSITÉ

LK 15 MARS ISiO

PAR

H. PASQUIER

Chanoine honoraire, doclcur os-lcllres Profcsscur do litléralurc grecque a rUniversilé Calhollquc d'Angers

EXTRAIT DE LA REVUE DE L'ANJOU

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ANGERS

GERMAIN KT G. GRASSIX, IMPRIMEURS-LIBRAIRES. Rue Saint-Laud.

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NOTICE NÉCROLOGIQUE

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M. L'ABBÉ LÉON BELLANGER

Doctour ès-lcttros,

l'i'ofesseur d'hisloire a l Université calliolique d'Angers.

lue après son service funèbre au palais de l'université

LE 15 MARS 1819.

Messeigneurs (1), Messieurs,

Réunis dans la chambre de notre cher collègue avant sa sepulture, vous avez remarqué que lout étail encore disposé dans un ordre admirable par un homme qui, semblait-il, n'avait quitté l'étude que pour quelques instants. La mort qui s'étend peu a pen jusque sur los choses, pour eflacer los marques sensibles de riiomme sur la terre, n'avait rien change a l'aspect extérieur de ce qui avait appartenu a M. l'abbé Bellanger: des livres ouverts et ordonnés pour le travail, des feuillcsrécomment enrichies des notes de l'écrivain, partout les traces du professeur qui a pour-suivi son labeur jusqu'a l'heure mêmc oü Dieu l'a appelé a lui. C'est dans cette chambre modeste, ornée sculcment de livres, que se sont écoulés les jours les mellleurs et les plus féconds de notre ami, dans le recueillement austère de Tétude, dans les saintes douceurs de la prière el dans les nobles élans d'aiïection pour tout cc qui touchalt a la gloire de l'Eglise ou a l'honneur de notre Université.

Platon reconnaissait que les ames modestes sont souvent plus dignes de l'histolre que les grands personnages; lorsque ces ames sont ornées des vertus divines du christianisme elles mérilent encore davantage notre étude et notre admiration. 11 est done

1) Monseigneur Sauvó ct Monseigneur Maricourt.

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juste que la vie de M. 1'abbó Bellanger ait une place dans I'liis-toire de notre Universitó. Car, si les anciens Romains meltaient les statues de Icurs parents autour de leur raaison pour I'ensei-gnement de la familie, il est bon pour nous de conserver I'image gracieuse de celui qui a etc choisi parDieu comme nos prémices.

M. Léon Bellanger est né a Angers en 1847. Très-vite les aimables'qualités do son cccur développées par les soins pieux d'un père et d'unc mère cbrétiens et les brillantes facultés de son intelligence le firent remarquer ct aimer des frcrcs de la doctrine chrétienne, qui furent ses premiers instituteurs. Pour donner carrière a ses talents el snrtout a ses merveilleuses aptitudes au dessin on rèva pour lui l'Ecole des Arts. Mais la Providence avait d'autres vues. Admirable dans ses voios pour conduire par la cbarité des grandes ames la vocation de ses prêtres nés au sein des families du peuple chrétien, elle seraa sur le chemin de l'écolier les protecteurs les plus dévoués et les plus affectueux. De dix a treize ans élève de la do Saint-

Maurice il avail par les charmes de son esprit ouvert el jusque par les accents de sa voix angélique gagné l'affeclion des cba-noines el des prêtres de Ia paroisse. Plus tard il aimail a rappeler les gais souvenirs de ce beau lomps, oü iibre de soucis, il s'en allail en chantant par les mes les bymnes sacrées, préparées pour le lutrin. Dieu qui dispose avec suavilé les hommes a alleindre leur fin, mei au cocur des enfants qu'il s'est choisis pour son sacerdoce ces doux altraits des cérémonies ct de la pompe des églises.

Souvent l'ame de récolicr avait soupiré après les saiules fonc-lions du sacerdoce. Mais comment oblenir le bonheur d'apprendrc le latin? — L'enfance a de nobles hardiesses, paree que dans le bien elle ne connail ni los limidités de la fausse honle, ni la réserve caiculée de ramour-propre. Probablcment instruil d'avance par quelquc misère soulagóe ou par quelque affliction consolée, Técolicr se rend scnl au secretarial de 1'Evéché pour exposer scs désirs el les faire goüter de quelque prolecleur puissant. Un prêlre donl la douceur allirail lout d'abord el donl les verlus el la haute distinction captivaienl ceux qui faisaient

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appel a son minislére, M. Grollcau, depuis óvê(iue d'Evreux, accueillit avcc bienveillance I'enfant do choeur et écoula sa requêle. II 1c confla aux soins dóvouós do M. Ménard, directeur do ia mailrise. Ge prêtre qui deraeura toujours pour iui un pro-tecleur et uu ami, lui apprit les premiers elements tlu latin ct après quelques mois le conduisit en sixicmo au petit séminaire Mongazon. L'onfant pleura do joie. Lo collége lui paraissait étre lo vestibule du temple, objet de ses roves ot de ses plus ardents dósirs. Aussi il aima lo collóge, cominc on sait aimer a quinzo ans, quand on se voit entouré des saintes tendrosses do maitres dóvouós, dos donees attentions do l'amitié, quand on sent son intelligence s'ouvrir aux beautós du monde intollectuel ct son ame ontièro s'ópanouir cotnme une Hour au printomps. Dans un cours riche on belles intelligences il so lit constannnent remar-quor aux premiers rangs, malgró los fróquents assauts do la maladie, qui dos la cinquiéme attaqua sa faible organisation.

Force d'interrompro ses classes, il fut placó choz un notaire : sa plumo ótait si rapide ct si élégante, sa main si souple, toujours son humeur si gaio et sou esprit si vit' qu'il ne tarda pas h se faire dos amis et dos protecteurs parmi les clercs de l'étude. Mals si l'oiseau qui est fait pour la liberie des champs soul'fre et languit dans la captivitó, Tame du collógien, toulo pleine des dósirs du sacerdoce, ne put se faire a ses nouvelles occupations et renoncer a ses premiers dósirs. Aprós quelques mois d'exil il rontra a Mongazon, qu'il aima d'aulantplus qu'il a valt plus souffert do Tóloi-gnemenl. Co fat pour lui pendant cinq ans et sa maison patornello ct 1c sanctuaire de sa piétó. Quels nobles efforts dans rómula-tion! Quel charmant enthousiasme dans le succes I Quel épanouis-semont de son ame toulo entière! II entrait plus profondóment qu'aucun de ses camarades dans les sentiments communs de la familie et il les chantait avec eet entrain poétique dont on garde encore le souvenir.

O Seigneur ! dont la main paternelle ct puissante

Met un arbre géant prés de I'humble arbrisseau ;

Qui donnés a l'agiieau sa parure innocente,

Et conserves au lys Tonde du pur ruissoau ;

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Diou qui dans les forèls mels Tonibrage et la mousse.

Afin qu'au ravisseur l'oiseau cachc son nid ;

Qui paries aux pelils de la voix la plus douce,

El dont rhumble esl loujours béni;

O Dieu qui pour noire laiblesse,

As fail celle sainle maison ;

Qui gardes a noire lendresse,

Un bon père, ton meilleur don,

Laisse (oujours a la jeunesse,

Dn abri comme Mongazon.

II portalt dans Taniilie une facilitó admirable a rcvciir les sentiments de ses amis. 11 jouissait do leurs succes et souffrait autant qu'eux de leurs échecs. Plus lard quand ses amis seront élèves de Saint-Aubin ou professeurs dans les différents colléges du diocese, ils devront, pour satisfairo son coeur, faire diligence et lui annoncer promptement leurs succes et leurs échecs ou ceux mêmes de leurs élèves. Alors quelle joie! ou quelle tris-tesse ! Vous l'auriez cru lui-même ou le vainqueur ou la viclime du sort. Celle habitude du coeur de parlager les sentiments des autres dans le chagrin ou dans la joie est peut-être la marque la plus süre des belles ames, paree qu'elle rend sensible au dehors la sainle fraternité des chrétiens, nés a la même vie, nourris du même Dieu et soutenus par le méme esprit pour l'accomplisse-ment de 1'oeuvre de Jésus-Christ.

L'ame de M. Bellanger, sensible comme les cordes d'une lyre, chanlait loutes les joies pures du collégien. Tantót c'élaient les suaves emotions d'une première communion :

En cello fèle oü pleurèrent nos incros,

Oü d'aulrcs mères onl pleuré,

Mère enlends, pour nos plus jeunes frères,

Ce que nos cocurs onl désiré.

De ce beau jour vous qui goülez les charmes

Aimez a vous les rappeler El que vos yeux n'aienl jamais d'aulrcs larmes Que les doux pleurs qu'ii fit couler.

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Tantót c'ótait la visite de I'cveque ii son petit séminaire :

Je sais bols plus gal que cliarmille Et plus doux nid que nid d'oiseau Ce nid charmant c'est la familie Oü tout est riaut ou tout est beau,

üiseaux des bois chantez celui que sur la terre Teute voix célèbre et bénit.

Oiseaux d'Urbain chantez voire bon père Vous chantercz si bicn quand vous serez au nid.

Une autre fois c'était la benediction de l'abbó de Bello-Fon-taine, qui venait recevoir Ia crosse el la mitre au milieu de scs jeunes fróres de Mongazon. Tanlót il célébrait I'allegresse plus tapageuse de la fête des rois. Notre écolier alors se transformait en trouvère du moyen age el chantail en langue du xiii0 siècle la complainte de Roland, comte d'Angers.

Ne verrai plus devant mon cur d'ivoire,

Villes s'ouvrir, ne portes de castels;

Plus n'ouirai, peuple devant ma gloire S'esbahissant, ne lais de nienestrels ;

Ne ponrrai plus metier a la vicloire Preux paladins, mesprisant les dangers ;

Plus ne verrai genles rives de Loire,

Ne tours de mon castel d'Angiers.

Tantót il montait sa lyre au ton de l'épopée pour célébrer les jeux de ses camarades. On se souvient encore a Mongazon du long poéme épique dans lequel nolre rhétoricien chanta en vers fort applaudis les evolutions savantes d'un lournoi aux échasses el la bravoure dos combattants, encourages par une brillante assistance d'ofQciers el de parents.

Quelquefois sa muse devenait moraliste; elle prêchail la charité, réclaraait 1'aumóne pour le pauvre ou donnait des lemons d'amitié. Avanl de quitter le collége il célébrait les devoirs de la fidélité et de l'honneur, en laissant exhaler de son ame ses sentiments de lendresse filiale et pour i'Eglise et pour l'abri de sa jeunesse.

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Dieu le vcul! c'est notre devise ;

Point de laches a ce blason!

Dieu le veul! amour a 1'Eglise !

Ilonte, lionte a la lrahi?on !

En nous voyant lutter qu'on dise !

Ce sont les lils de Mongazon !

Quand une ame est ainsi ouverte a tous les généreux sentiments, a toutes les saintes passions de la vertu et do l'honneur, elle a de grandos affinités avec la vie du prêtre telle que l'a congue et voulue Notre Seigneur. A son regard sc découvrentles beautés plus qu'humaines de ce ministère dont la fin est l'extension du royaume de Dieu sur la terre et elle entend les douces harmonies d'un monde divin.

M. Bellanger en entrant au séminaire, revêtit la robe du prêtre plutót avec la joie d'une ame qui se prépare a des fètes célestes, qu'avec la tristesse d'un cceur qui dit adieu au monde en le regrettant. Ce noviciat du sacerdoce sc résuma pour lui en quelques mois, tant sa santé était délicate. Mais aux ames droites et simples la beauté de la vertu, les charmes de la vie donnée a Dieu se font sentir dés le premier jour. Aussi M. Tabbó Bellanger aima d'une afiection pieuse le séminaire, son esprit do régula-rité, le dévouement austère et aimable tout a la fois des prétres qui dirigent nos premiers pas dans le sanctuaire. Les ordinations étaient pour lui de grandes fétes. Sa devotion pleine de suave abandon s'exhalait en cantiques a la Sainte Yiergo, a qui il avail confié sa vie cléricale. Mais ce fut pui tout a sa prêtrise que son coeur se dilata et que sa prière se changeant en hymne devint l'expression commune des sentiments qu'éprouvaicnt ses con-fréres devant les grandeurs divines du sacerdoce chrétien ;

Sur ces chrétiens courbés ma main n'a qu'a s'étemlre.

Soudain obéissant votre esprit va descendre

Et pour les consoler et pour les soulenir.

Moi dont 1'ame fléchit comme un roseau trop frêle Je serai le soutien do quiconque chaucelle!

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Moi! guide du péclieur ainsi que du parfait!

Et comme si j'élais uu angc a la main pure,

Je dois lavcr la tache et panser la'blessure !

Seigneur, Seigneur, qu'avez-vous fait!

En cliantant ainsi les grandeurs du sacerdoce, il n'exprimait qu'un cóté de son ame, ses altraits pour les beautés divines du christianismo et les cliarmantes douceurs de sa piété. Mais les ames douces ne sont pas les inoins fortos; habituées a burner cotilre elles-mêmes leurs efforts, elles dérobent aux yeux du monde les véritables efl'ets de la vertu, qui ne consisle pastanta s'agiter et a dépenser ses forces en oeuvres d'éclat, qu'a tourner toujours sa volonté vers le bien quelque modeste qu'il soit. M. l'abbé Bellanger était de ces ames douces. Mais si au milieu de sa vie calme s'offrait Toccasion d'uno activité plus grande, d'une noble action pour le procbain, il sc lancait dansun dévoue-ment sans calcul avec cette humeur gaie et eet entrain que ses amis lui ont toujours connus. Pendant les nombreuses et trop longues vacances que lui faisail la maladie, le jeune séminariste s'établit infirmier pres des soldats malades qu'avait recueillis Saint-Martin-la-Forêt. Consoler les uns, veiller les autres, égayer celui-ci par ses chants, faire réciter unc prière a celui-la, a tous servir de secrétaire pour los lettres de la familie; telle était roccupation de notre infirmier, Aussi quelle alïectueuse reconnaissance dans les lettres que lui écrivaient ses malades de retour dans leur pays I — Le jeune séminariste était bien fait pour comprendre le dévouement du soldat; car malgré les faiblesses de son corps débile, qui trabissait souvent son courage, il ressen-tait vivement tousles sentiments du patriotisme humilié et indigné de l'invasion. Son cceur francais sonnait la revanche.

C'ótait hier... partout des bandes cperdues Dans los mornes cites erraient a plciues rues,

lis fuyaient demi-morts de froid, de peur, de faim.

Tous los cecurs sanglotaicut de douleur el de rage El lous se renvoyaient cc siuislrc presage :

Hier ils étaient la ; uous les aurons demaiii.

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O F rancc sur les bancs rócolier se rappelle Que Dieu qui l'a créée et si noble et si belle,

Ta faile pour régner et non pas pour servir !

Non, il n'oubliera pas qu'au retour de la guerre Les braves onl pleuró de rage. France espère !

Les enfanls des vaincus savent se souvenir.

La France ct l'Eglise, Diou cl la Palrie, M. l'abbé Bollangea embrassait ces salutes causes dans ses affections plus grandes que ses forces. — A la fleur de 1'age se voir condamne au repos quand on sent au dedans de soi-même tant de grands élans, tant de nobles aspirations! Quel sacrifice ! La santé de M. Bellanger se refuse au ministère ecclésiastique, quo fera-t-il? Les nobles passions rendent ingénieux et la Providence a des voies cacbées pour vonir en aide a cetix qui chercbent les moyens do se dévouer, Notre grand óvêque, qui préparait déja la resurrection de notre Université, fondait prés du toil bospitalier de Mongazon 1'école Saint-Anbin, qui devait être la première pierre de ce grand edifice. M. Bellanger entra tout d'abord dans la pensée de Monseigneur ; il vil s'ouvrir devant lui lout un borizon inallendu. Ge fut alors (permetlcz-moi ce souvenir) (pie je rencontrai pour la première fois cejeuneprêlreaugracieux sourire, a 1'oeil loujours si limpide. Son front largo et ouvert exprimail une douco séré-nité, qui se coramuniquait a toulc sa personne. 11 n'étail pas jusqu'a sa demarche, toujours lente etun peu abandonnée, qui ne reflétal quelque chose do son arae ; Failure originale et sans contrainte d'une pensée qui courait doucement sur les mille objets riants que lui fournissait son imagination. 11 était avec ses beaux roves do vingl-qualre ans, quand il n'étail pas occupé par les devoirs do l'amitié. Jo Fentends encore dans cello première entrevuo; «Dieu m'a refusé les forces du soldal militant, eb bien! » si Fon vont, j'ornerai la robe de notre sainle mère FKglise ! » C'était du reste une de ses pensees favorites: « Les prélres du » ministère, disait-il une autre fois, balissent les mut s de Féglise, » nous, nous en ferons les sculptures et les belles peintures. » Entré le premier ii 1'école Sainl-Aubin, M. Bellanger mit la joie

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et la vie dans cello petite communautc de jeunes ahbés qui, sous la haute protection de leur éveque, travaillaient de loin, sans le savolr, a la résurreclion de notre chére Universlté. Nous étions dans l'ère pénlble des fondatlons et cependant nous étions lieu-reux. Aussi nous n'oublierons pas de longtemps les travaux, les premières luttes et jusqu'aux poétiques rigueurs de cello première année de notre ècole. M. Bellanger, qui s'allacha vito a la vie d'étude do Sainl-Aubin, devait suivre les diverses phases de noire fortune el parlager nos nombreuscs étapes jusqu'au Bout-du-Monde, oü la générosité, amio des Lettres, fixa sur le roe nos destinées errantes. A chacune do ses étapes M. Bellanger se créait do nouvelles amities qui s'ajoulant aux anciennes agran-dissaient le cercle de sa reputation naissanle. Recu licencié en Sorbonne avec distinction, il nous revint avec le témoignage flatteur de l'un de ses juges, M. Patin, qui avail goüté son talent el 1'avait publiquement félicité. Ce succès lui inspira encore une nouvelle ardeur. II entreprit les travaux du doclorat. Compulser les manuscrits, transcrire les textes, suivre d'un ceil vigilant tout ce qui se publiait sur son sujet, rêver a la rime et a ceux qui en onl exallé les beautés ou attaqué les rigueurs — ce fut pendant deux ans l'occupation de ses loisirs.

Son activité étail si grande qu'aux travaux du doctoral il joignail les fonctions du professeur. Ce fut 'i la pelile enfance qu il consacra ses premiers soins: professeur de francais a rExternat Sainl-Maurille, il montra loutes les richesses de sou coeur el tous les attrails de sa nature pour les charmantes naïvetés des enfants. Tout lui plaisail en eet age et les joies sans mesure pour une caresse, et les profondes tristesses pour le blame le plus léger, el les peurs salutaires dc la punition. II composait lui-même ses dictées de quelque conté fantastique ou de quelque fabliau du moyen age dont la morale se tournait en le^on pour son auditoire.

Do Saint-Maurille M. Bellanger nous suivit a rinstilution Saint-Joseph, oü il donna aux élèves en licence les conseils éclairès de son expérience et ces aimables encouragements que de prés ou de loin il continua de leur prodiguer jusqu'a ses derniers

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jours. Du resle, il ne s'éloigna de nous que pendant deux ans, parce qu'on fit appel a sou dévouement pour les débuts d'une grande oeuvre, du collége Saint-Louis de Saumur. Nommé préfet des études et professeur, il so dépensa avec mie ardeur qui faisait I'admiration de ses confrères et gagnait le coeur de ses éléves. Classes do latin, classes de matliématiques, lecons do dessin : rien ne manqua a son zèle. 11 semblait se dólasser en variant ses travaux et en mettant en oeuvre les merveilleux talents dont üieu l'avait doué.

Les fonclions du professeur, quelque nombreuses et quelque absorbantes qu'elles fussent, 110 l avaicnt pas détourné de son but; il poursuivait son doctoral. On vit rarement thèses prépa-rées et plus vite et au milieu d'occupations plas nombreuses. Aussi quelle joic quand il obtint le diplume tant désiré ! II était beau dans son triomphe, qui ompruntait aux sentiments surna-turols qui l'avaient préparé un attrait tout spécial.

Eu effet, ses tliéses admirées de ses juges et appréciées des connaissours n'étaient pour lui qu'unmoyen de rendrca la cause de Dicu et des ames des services plus grands. Notre Université fleurissait depuis deux ans. Monseigneur attacha le jeune docteur a la Faculté des Lettres et le nomina a la chairo d'llistoire.

C'est lo propre des grandes oeuvres, surtout de celles qui viennent de Dicu, do grandir lours ouvriers, do les faire parti-cipor dans une cerlaine mesure a leur gloire et ;gt; leur immorta-lité. Si lo prêtre recoit quelque chose de Ia dignitó divine do l'Eglise dont il est le ministro, lo professeur de l'Université Catholique revêt aussi quelque choso do la noblesse et de la grandeur de l'oeuvre a laquello il s'ost dévoué. II participe a Ia vie du corps dont il est membre, et a la puissance féconde do I'Egliso dont il accomplit les desseins et realise les divines espó-rances. — Aussi ce n'est passans une légitime fiorté que M. I'abbó Bellanger se vit professeur do notre Université.

Malgro son gout pour la littératuro il ne se trouva pas dépaysé dans I'liistoire; il avait même par la süreté do sou coup d'oeil, par son heureuse mémoire et son admirable patience, des aptitudes spécialcs pour les recherches historiques. Puls I'his-

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toire du moyen age, tlonl il avail pour ainsi dire fait sa province, lui présentait ie tableau favori de son imagination : il aimait eet age oü tous les senlimonts semblent avoir gardé leur fraicheur naïve, oü les hommes ent avec la foi les élans sans calcul et les cliarmantcs audaces de l'enfance. Avec quelle joic ct quel pieux enthousiasme il parlait des étudiants de cel age de foi, de leurs moeurs, de l'organisation de leurs universités, des pèlerinages t de leurs saintes assembles, du rang des pauvres et des petits dans cette société dont Ie christianisme ótail la base. — On le suivait avec unc joycuse curiositó dans ses excursions a travers ce monde du passé dont la poésie l'enchantait. — A un attrait naturel se joignaient dos motifs puisésdans sa foi peur le pousser et le maintenir dans scs patientes recherches. II sentait qu'au milieu des attaques d'une fausse scieuce qui se dit historique, l'Eglise devait être défendue dans ses institutions par 1'étude approfondie des grandos ccuvres qu'elle a suscitées ou eutrete-nues au moyen age. Comme Ozanam, il avail souci de montrer les divines beautés de l'Eglise sa mère répandues sur les hommes et sur les choses d'un autre age, qui avaient vécu de sa vie, qui avaient grandi sous sa protection, II porlait dans scs travaux le saint enthousiasme de sa piélé, qui s'alimentait dans ses études elles-mêmes. Facilement il se joignait en esprit et en imagination au pèlerinage qu'il étudiait elil faisaitses stations aux sanctuaires célèhres en compagnie des pèlerins du treiziéme siècle. G'élait méme une dc ses devotions aimées pendant les derniers mois de sa maladie. S il nous avail étó donné d'ouvrir sou ame, nous y aurions vu vivant et agissant le monde pieux du moyen age; nous y aurions entendu des cauliques — tout chanlait en l'ame de notreami — nous y aurions surlout entendu les saintes priéres du peuple chrétien, agenouillé a quelque sanctuaire.

M. l'abbé Bellanger cul toujours raraour le plus tendre pour le peuple et pour 1'expression naïve de ses sentiments. II entrait dans ses joies pleines d'abandon, dans la poésie dc ses idéés et de sonlangage imagé, dans lasimplicilécharmante doses moeurs quand elles n'ont point élé viciées par quelque souflle empesté de doctrine mauvaise.

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Une dc ses poésies los plus cliarmanles chanlait le faubourg oü il était né.

Je parle du vieux temps, clu temps dc ma jcunessc;

Quand, au faubourg, la foi lenait lieu de noblesse ;

Quand le i'oi du foyer, Dieu, n'était pas banni;

Quand nul, petit ni grand, n'oubliait. Ta prière ;

Et que l'on s'endormait embrassé par sa mere,

A l'ombre du rameau bénit.

Messieurs les Etudiants,

Qui aurait su peindre dans la variété admirable de ses traits el dans la belle harmonie de ses qnalités naturelles et chré-tiennes l'ame de notre ami, vous aurait offert un modèle alta-chant des verlas du jeune homme, de celles qui en le rendant agréable aux yeux dc Dieu enloiirenl son nom de l'estime des hommes et des douceurs de 1'amitié. — Bossuet a dit que la bonté élait la qualité qui nous rapprochait le plus de Dieu. I\l. Bellanger avail les délicatesses de cello verlu : dés son collége il avail pris dans une retraite la résolulion de ne jamais parler mal de son prochain. II semble avoir élé fidéle a son beau dessein; il paraissail mal a l'aise quand la charité était blessée. Lui qui avail dc généreuses indignations conlre le vice, il ne se laissait jamais aller au murmure contre les personnes. S'il s'était réjoui de ses succés beaucoup plus a causc de I'lionneur qui en rejaillissait sur l'Eglise el sur rUniversité que pour la gloire personnelle qu'il en recueillail, il eül soufferl de faire rejaillir sur ces grandes causes quelque chose du mépris ou de l'avcr-sion qui s'allachenl aux médisants ou aux égoïstes.

Jusque dans ses amiliés les plus inlimes il porlail celle sainle préoccupation du bien cl co désir d'altacher les Ames a Dieu et a l'Eglise: il avail souci de faire aimer le prétre pour conduire ses amis a Dieu. Quand l'amilié se puise a cello source, je ne sais rien de plus fort pour conduire au bien el relenir dans Ia vertu.

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M. Bellanger avail lout eni'anl goülé cl appréció la force et les charmes de la bonté :

Ma mère!... est-il une ame aussi belle, aussi bonne, Qui puisse (ant aimer el saclie moins baïr !

Elle aime lout le monde et ne blesse personne;

Volontiers clie soullVe et ne fait point souffrir.

Quand le coeur, a l'exemple de Notre Seigneur, s'en va lout d'abord vers les aulres, les amis se roncontrent vile. M. Bellanger comptail des amis parloul oü il élail passé, paree quo son premier mouvement leporlait a se dévouer. En mourant s'il avail eu un regret, c'eüt ótó, disail-il, de ne pouvoir plus aider ses ólóves a gagner lenrs diplómes.

Mais M. Bellanger n'eut pas do regrets. Sonmis avec abandon a la volonté de Dien, il accueillit la mort avec un sourire, paree que son intelligence, qui iravail ricn perdu do sa lucidité, voyait se lever derrière les ombres de la vie la belle lumière de l'éler-nilé. La benediction que lui apporta Monseigneur a la veille de son voyage pour Rome, lui fill lout spécialement cbère; il était heureux d'etre béni aux portos de la mort par l'Evêque qui avail créé toules les grandes ocuvres auxquelles il avail dévoué sa vie.

Consolanl sa familie, souriant a ses amis, envoyant a ceux qui l'avaienl élevé ou protégé l'expression de sa reconnaissance, il s'est endormi doucement dans le Seigneur en récitant une prière el en laissant a ceux qui I'assislaient la douce impression de 1'une de ses poesies : les Angcs cnvolcs :

Moi qui les ai pleurés! Quand j'aurai sur la terre,

Chancelé bien-tles fuis, en colic route austere,

Et bien des fois gémi de douleur et d'effroi;

Quand sonncra pour moi 1'licure oü lu nous rappelles, O mon maitre, ö men juge, aurai-je encore mes ailes, Mes deux ailes d'enfant pour m'envoler vers loi!

Ecolu Saint-Aiibi)i, IS incirs 1S70.

II. Pasquier,

Clianoinc lionoraiiv , doctcur ès Iellregt;.

I'l ofesscur ilo lilliirature grcc(|ue a rrniversiló Calliülifjiie d'Anyeri.

Angers, imp. t'ifrmain et 0. Grassin. — 53l-7y.

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