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- r^ -

ITnbsp;s ■

JANE EYRE,

DRAME EN 4 ACTES,

précédé de ;

L'ORPHELINE,

prologue en un acte,

(Il'après Cnrrer-Bell amp; Birch-Pfeiffer.)

PAR MM, VICTOR I^EFI^VRE EX ROTER,

Représenté pour la première fois
par les artistes du théâtre royal des Galeries-Saint-Hubert,
i quot;elles, ie 29 novembre 1853.

jjer U te

PRIX :

i!'

BRUXELLES.

niPBIMEBIi: ET LITHOGUAPHIE DE P.-A. PARYS,
Rue de Laeken, 48.

-m

185S

UB-ZIUD

ODA

9757

-ocr page 2-

personnages du prologue.

MistrissSarahREED, riche veuve. Mquot;« Domingle.
John
, son fils (17 ans).nbsp;M. Georges.

Le capitaine Henry WYTFIELD,

frère de Mistriss Reed.nbsp;M. Domingue.

Le docteur BLACKHORST, direc-
teur d'un orphelinat.
nbsp;Jamet.
Jane EYRE
, orpheline âgée de

16 ans, nièce de iMislriss Reed. Jlquot;® Magnan
BESSIE,
bonne de Mislriss Reed. Mquot;quot; Desrogiies.

La scène se passe à Gateshead-Hall chez Mislriss
, ...nbsp;Reed, en IIU,

(Les indications sont prises de la.jiaile; le permier
persoMiage inscrit tient pn- scène.la gauche du specta-
teur. Les changements sont marqués par des astéris-
ques au bas des pages).

iL

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prologue

s,'oïî.i»ra quot;si-si^'E-

.cihoàu-c .e,vcseule une chambre

plan à droite, une haute fenetic a iwbçnbsp;cheminée au-

■ideau ouvert de damas vougc. ^nbsp;^l-'A'un homme dc

'dessus denbsp;»Pi^hem^'e^^

seëuc première.

le ta nais-

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^sm

â tWrir... c'est in,w l' f'® quot; ^nbsp;'^quot;''»es

les. mon bien fa il,^quot; 1quot; « ^^'^sé.....Accepte-

dresseme f^nu^^nbsp;I'amonr et ia ten-

aime un nère' i?.nbsp;comme on

t-e croisTu ;nbsp;ingrate!...

crois pas... T^onnlnbsp;P^^'

coite injure. .nbsp;Pour lui faire

Scèue II.

JAiVË. BESSIE.

ici? Tu sais be^i' 1 tw'ilf'^'V-

cette chambre.. Q c i i, if?''quot; Pfquot;^trer dans

'nbsp;vivement à rentrée de Bessie

CVsi f quot;quot;nbsp;f^^rouche.

^e la naissance de
Les autresnbsp;jT'nbsp;fêle..

Jane se souvient.

yuoi.^c est aujourd'hui...

.nbsp;JANE.

cadeaux à chacunnbsp;' quot;nbsp;faire des

^nbsp;BESSIE, avec trouble.

1er Ree'd'n'eTt gToEl'quot;''nbsp;M^s-

nité.'... P'quot;® «lepuiscinq ans... C'est une éter-
«j ,nbsp;• amèrement.

Iongtquot;eXïquc rét2leurLs?'S ^

t^'Jieuse, car mon oncle vivait,

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et je ne croyais pas que les braves gens pussent mourir
et les orphelines devenir aussi misérables que je le suis

BESSIE.

Tu avais cependant déjà perdu ton père et la mère.

JANE.

Oui, maisPaffeciion de mon oncle me f usait oublier
que je fusse seule au monde... Quand il me pressait sur
son cœur paternel, Bessie..., je n'étais plus orpheline!...
(Àcec effusion et d'un ton farouche.) Ah ! mon oncle
Reed, ne viendrasi-tu donc pas me chercher ct m arra-
cher aux méchants qui me tuent?... Mon oncle Reed,
mon oncle Reed, entends-moi! je l'en supplie!...

BESSIE, avec inquiétude.

Jane ! Jane!... voilà que lu retombes dans cette som-
bre humeur qui t'est restée à la suite de la fièvre dont
tu as é!é atteinte l'an dernier...
{Ame douceur.) Jane,
tu redeviens méchante!...

JANE, avec wn élonnemenl farouche.

De la douceur, Bessie... Pourquoi ne me maUrailes-
tu pascrmme auparavant?. . Pourquoi ne me chasses-
tu pas d'ici avec colère ? Pourquoi ne me frappes-tu
pas..... Mislriss Reed le l'a cependant bien recom-
mandé !...

BESSIE.

Pourquoi, Jane ?.... Parce que tu n'es plus un enfant
aujourd'hui.

JANE.

Oh! ce n'est pas cela qui le relient, Bessie!... c'est
que lu n'oses plus me batlie... c'est que lu songes à
celle nuit où mistriss Reeil m'enferma dans la cham-
bre mortuaire de mon oncle... celle nuit horrible où lu
crus que j'élais moi te aussi... Non, Bessie, si tu ne me
bats plus, c'est que lu as peur de me tuer . tant je suis
affaiblie et souffranle... Voilà, Bessie, pourquoi tu mé-
nages la fille maudite, comme ils m'appellent...

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BESSIE.

Tu me jujîpsmal, Jane. . je crains de te faire d(5-
Uster plus encore de mistriss que (u n'as déjà que trop
irritée... et puis, je l'avoue...,je crois devoir te ménager,
parce quetes nerfs...
{elles arrête etécoteCe) viens, Jane,
viens... si l'on te trouvait ici...

JANE, avec hauteur.

Je ne.veux pas m'en aller!...

bessie.

Jane!.,., (avec instance) sois bonne, ne me cause
pas de chagrin.

JANE, sejetanl vivement à son cou.

Oh ! Bessie! ne me gronde pas... je ne suis pas aussi
méchante qu'on le dit, mais je souffre tant!

EESSIE.

Singulière enfant!.... le voilà douce et raisonna-
ble, et....

jane.

Ce n'est pas de ma faute, Bessie ! Pourquoi ts iu par
fois SI dure pour-la pauvre orphelini; ?.... Tiens, veux-
tu q^eje l'aime bien... iaisse-moi ici... cède à ce ca-
price... je veux ;nissi avoir ma fêle de Noël... je veux
lire un peu !.... Il y a si lonslemps que mes yeux n'onl
parcouru un volume, car Gforgine m'a proscrite de
partout... Voyons, Bessie, à ton tour, sois généreuse...
laisse-moi lire, tu me reuiiras si heureuse!....

BESSIE, faiblissant.

Je voudrais bien y consentir... mais si quelqu'un t'a-
percevait...

JANE , courant vivement à la bibliothèque (*).

Personne ne m-v..rra...{Pre?ia«Y un livre) l.'hisloire
(t Angteierre!....
(Elle revient la figure rayonnante de

' Bessie, Jane.

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plaisM ) Vois-lu, Bessie, ma main ne s'est pas trompée!..
Oh M'avais bien remarqué la place...
(Elle prend tine
chaise, rrmite sur le rebord intérieur de la fenêtre,
puis elle s'assied.)
Maintenant, Bessie, |e vais me ca-
cher derrière ce rideau, et quoique nous soyons en hi-
ver, je verrai encore assez clair à travers leg vitres ....
{Elle lirele rideau ^N'est-ce pas bien ainsi, Bessie?....
ne faut-il pas que j'apprenne quelque chose... Je suis si
ignorante... ainsi !e veut ma tante Reed !....

bessie:.

Allons, soit! dans une heure je viendrai le chercher...
seulement, ne bouge pas... Pense à moi si tu ne crains
rien pour toi-même... tu connais mislriss Reed.

jane.

Sois tranquille, Bessie, je ne bougerai pas.
BESSIE, à part.

Ma foi, tant pis!... Que mistriss me gronde tant
quVlle voudra... je ne puis me décider à rsvir à
cette malheureuse le seul bonheur qu'il dépend de moi
de lui procurer...
(Elle va pour sortir par ta droite.)

Scèae III.

BESSIE, JANE, JOHN, venant par le fond. Il est vêtu,
avec élégunce
JOHN, rudement.

C'est loi, Bessie!... que faisais-lu ici?... Reste!...

BKSSIE, toute troublée.

Je n'ai pas le temps, monsieur John.

JOHN, d'un ton de commandement.

Reste, te dis-je! j'ai besoin de te parler.., IMon oncle
Wylfield,
qui vient d'arriver d'Lspagne,ft maman sont
perdus d^ns la conversation la plus ennuyeuse... C'est
assommant... Bessie!...

bessie.

Monsieur John?

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JOHN.

Conçols-tu que ma sœur Georgine se soit fâchée tout
à 1 heure parce que je la plaisantais sur sa toilette.

BESSIE.

Mais cela ne convient pas du tout, monsieur, per-
mpttez-moi de vous le dire. Miss Georgine est plus âgée
que vous, et vous lui devez le respect.

JOHN, il se jette dam le sopha, étend ses jambes et en-
fonce les mains sur ses poches.

Du respect!... à elle?... je ne dois le respect à per-
sonne .. Quand je serai majeur et possesseur de toute
ma fortune, je serai le .seul maître dans celte maison...
aussi qiiicoi que ne m'obéit pas aujourd'hui, s'en re-
pentira plus tard... Prends bonne note de cela, Bessie.

BFSSIE, d'un ton sec.

Nous avons encor e du temps devant nous, monsieur...
fanl que mislriss aura un œil ouvert, personne qu'elle
ICI ne commandera... et pour le moment, mistnss voit
encore assez des deux yeux.

JOHN, bondissant de son siège.

Tais-toi. Bessie... lu fnras bien, car je ne suis pas de

bonne humeur... (D'ttnwso/nôre.) C'est dommageque

je n aie pas rencontré Jane.

RESSiE.

Sans doute, cela est fâcheux, sinon vous auriez pu
tourmenter quelqu'un, n'esl-ee pas ? Fi ! master John,
vous devn-z rougir de parler ainsi: dernièrement en-
core, navez-vous pas battu cette pauvre Jane qui ne
vous avait ritn fail?(^
part.) Pourvu qu'il no la
découvre pas!.,.

JOHN.

Oui, j'ai battu Jane et je la battrai encore, parce que
je la déleste !... Ne m'a-t-elle pas égratigné et mordu
Jusquaiisang?

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BESSIE.

C'est vrai, mais VOUS l'aviez réduite au désespoir...
Vous la frappiez à coup de marteau, et la malheureuse
n'avait que des ongles et des dents pour se défendre.

john.

Elle ne devait pas se défendre quand je la corrigeais...
Je suis le chef de la maison, et elle n'est qu'une men-
diante.

bessie.

Vous êtes dur, John, et je prie Dieu qu'il vous fasse
changer de sentiment!...
{Elle veut s'éloigner.)

JOHN, la retenant du geste et en montrant le rideau.

Bessie, qu'est-ce qu'il y a doue là, derrière ce rideau ?...
il remue...

BESSIE, avec effroi.
Ce rideau remue?... En vérité, monsieur, vos yeux
vous trompent.

JOHN, se dirigeant vers la fenêtre1.
Crois-tu que je suis aveugle... Il y a quelqu'un là, le
dis-je !
{Il écarte le rideau et découvre Jane. Avec un
rire sardonique.)
Ah ! ah! Jane, c'est toi... Je l'avais
deviné... Que fais-tu là, vilaine?...

BEssiK, à part.
Ah ! mon Dieu ! voilà ce que je redoutais !
JANE. Elle est assise sur le. rebord de la fenêtre, les
pied.i posés sur la chaise et tenant un livre en main.
Elle tremble de tous ses membres et fixe sur John des
regards menaçants.

JOHN, reculant d'un air un peu intimidé.
Eh bien! que regardes-tu ainsi ?.,. Vas-tu me répon-
dre?... Que fais-tu là?... Viens-tu espionner les gens?..
Voyons, réponds-moià l'instant, ou je t'arrache de là.,.

' Bessie, Jane.

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JANE, d'un air farouche.
Joluilnemfiloucliepas!... Il y a un mois je te mordis...
maintenant...

lOiiN, avec un air ironique.
Maintenant... qu'oserais-tu faire?....
JANE saute à bas de la fenêtre et vient se poser

devant John d'un air résolu.
.le te tuerais!....

JOHN, reculant d'un air effrayé.
.lane, lu ne feras pas cela.

a,\NE, Âècftemenf.
Si tu ne me bals pas, non !

BESSIE, toute tremblante, prend tout doucement
Jane par la main

Viens, Jane!

JANE, enrégardanl toujours John.
Qu'il s'en aille, d'abord !

Scène 1»',

JOHN, HENRY WYTFIELD, mislriss Sarah REED,
entrant par le fond, JANE, BESSIE.

mistriss reed, une femme d'environ 40 ans, fière,
raide, sombre, revêtue d'une toilette splendiae.
Apercevant Jane.

Jane ici?.... ßmie.) Comment celte créature se
permet-elle...

JOHN, allant à sa mère,
Maman, Jane s'est cachée mystérieusement derrière
ce rideau, el quand je l'ai découverte, elle a menacé de
me tuer si je m'approchais d'elle...

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MISTRISS REED SB contraignant.

Ah IvrainieiU... on menace!,.:. UJane.jQue faisais-
tu dans cette chambre?....

JANE, du moment où misli iss Reed est entrée, a été sai-
sie d un Iremblement convuUifet est re.Hép les veu.v

baissés. Bas.nbsp;^

Je lisais, tante Reeil.

dessië.

Oui, mistriss... et je...

mistriss reed, avec un geste, à Bessic.

Sors! (Bessie se relire précipitamment parla droite;
a Jane, avec sévérité.)
Ne t'esl-i! pas interdit de mon-
ier au premier étage?

JANE, s'enhardissant.

Tanle Reed, John et Georgine m'ont pris tous mes
hvres, même ceux que je tenais de la bonté de mon on-
cle .. ils m'ont enlpvé ma seule récréation, et vous,
lanfe Reed, vous m'avez réléguée dans une mansarde
ou 11 tait froid et sombre, ot j'étais entrée ici en
l'ab-
sence de Georgine, parce que ce salon est chau(1 et ré-
jouissant.

iienry, secouant la tête, à demi voix.

Sarah! laisse celte enfant...
mistriss reed,
lançant unregard foudroyant àUenry,
puis s'adressant à Jane.

Tu pouvais me demander ^n livre eL le dispenser
ainsi d'être désobéissante!...

JANE, regardant fixement mislriss Reed.

Je ne suis pas venue seulement pour lire...
mistriss rerd,
rudement.

Et pourquoi encore ?...

JASE, dhm air triomphant.

Pour saluer mon oncle... (Elle désigne le portrait )
à 1 occasion de ranniversaire de sa naissance.

-ocr page 12-

mistriss reed, tressaillant et se mordant tes lèvres,
à part.

Vipère!...

HENRï, regardant mistriss Reed avec surprise.
Jane a raison... C'est aujourd'hui le secondjour de
Noel... Vous l'aviez donc oublié, vous autres :...

johk.

Papa est mort depuis longtemps... On ne peut pas
toujours penser à lui.

mistriss reeu, d'un ton impérieux.
Tais-toi! {A Henry.) Je comprends que Jane Eyrese
SOquot;vienne du second jour de Nn(!l...C'est à la co-.ipable
indulgence de mon défunt mari qu'elle doit l audace et
l'arrogance qui en ont fait le démon de notre famille.
{A Jane, d'un air sombre.) Ne l'ai-je pas défendu de
porter tes cheveux bouclés? Ne sais-tu pas que Geor-
gine ne peut le souffrir ? Cette coiffure ne convient
qu'aux tîlles de grande maison, qui doivent un jour
commander, et non à celles dont la destinée est de ser-
vir comme toi... Réponds, pourquoi t'es-tu coiffée
ainsi ?

JANE. passe machinalement ses mains dans les
boucles de sa chevelure et les laisse retomber len-
tement.

Cela vient comme ceia naturellement... Tante Reed,
si mes cheveux sont boudÉs, ce n'est pas de ma faute,
je vous l'assure.

uf.nry.

Elle a raison, la pauvre fille.

mistriss reed, avcc colère.
Est-il vrai que tu aies menacé John de le tuer'

JANE, avec tm calme farouche.
Oui! dans le cas oti il recommencerait à me battre
comme autrefois.

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- 15 -
mistbiss heed.

JANE, froidement.

Oui!

M.siR.ss r^-^^yy, avec une fureur croissante.

1 u ne lui demanderas pas pardon ?

jake.

ne^re'tSl^efif^ lt;loit pardonner, c'est moi! John
•eprSê t n nie Pfnbsp;mendiante? Ne me

mistriss reed, à Hem y

JOHN, tout joyeux et à pari.
Scène V.

HEINRY, mjstrfss reed.

carrière à sa rage.

avSîs réchaVffé®

SEsiëilPp:

aura bientôt unrfe ' quot;

-ocr page 14-

_ ii -
HENUV.

Vuaüon. Jesuis seunbsp;jnbsp;esl

c'est que la l^s^'O Ut celte onbsp;sauva-

fausse . el IvisU'nbsp;.st'évidernmenl le résultat d'une

c/wlatois, Saral.!

UIS1H15S IIËBI»-

a salé mesnbsp;a essayé pour la rendre

l/oublé niquot;quot;nbsp;-VaS» vain: lue est incrn-

irailable, o^»quot;^'®®®quot;,j^tVK; brave toutes mes volou-
gii3le...eUenou ié eBi^nbsp;n'est qu'à celte

tés... AUSSI fai l-il n ^ öans ma demeure...

UENKY.

pour laquelle tu n'avais de sympathie, si n,a

mémoire est üdèle. ^^^^^^^^^

Non certes! et
notre nom de
honte... Eie.e ^ j nominieusement

unnbsp;misérablenbsp;quinbsp;mourutnbsp;apinbsp;è.avonbsp;b

dépensé sa fortune.'lu ne sais pis, ut ï

enHurénbsp;denbsp;tourménlnbsp;depuisnbsp;lenbsp;soirnbsp;oùnbsp;ƒnbsp;.nbsp;^^^^^

où le faible, le trop sensible Reed j acnbsp;soi-

ouverts! Je dus supporter so,^nbsp;^^^en

-ocr page 15-

— IS —

était vidé... ie me trompais! la lie était au fond de la
coupe... Elle avait contié son enfant à mon mari! —
Reed était un homme sévère, obstiné... Je n osai lui
lui dire combien je haïssais ce petit ôlre qui possédai
toute son affection, toute sa tendresse!.. .11 idolatraiL
cette enfant.il la tenait sur ses genoux... il jouait avec
les boucles de ses cheveux et se plaisait à ecouter son
babillagf durant des ln-ures entières. 11 la préférait
même à ses propres enfants, car lorsqu'ils furent tous
les trois atleinls de la fièvre scarlatine, Reed se tint
as'.isiour et nuit auprès du lit de Jane.,. i n eu

d'yeux que pour les dangers qu'elle courait... il n eut

d'oreilles que pour ses plaintes, el il abandonna John
et Georgine à mes soins et à la destinée. Et moi, mère,
ie dus accepter tout cela en silence!... Enfin, lorsque
mon mari vint à mourir, il me fil jurer de ne jamais
abandonner sa Jane chérie, de l'élever comme un de
mes enfants!
{Avec un grincement de dents.) Lomme
un de mes enfants, la mendiante!... Henry, j'ai assez
longtemps porté ce fardeau... J'ai trop fait en faveur
de celle ingrate créature pour que ma conscience ne
soil pas tranquille... et Dieu sait que je n'ai rien à me
reprocher tout en la repoussant... Ne luiai-je pas tenu
lieu de mère pendant quatorze ans.'Nai-je pas tout
épuisé pour la rendre meilleure?... Et maintenant,
Henry, me condamnes-tu encore?...

henry.

Cette explication change un peu mes idées... Mais
quel est ton projet à l'égard de Jane ?

mistriss reed.

Je l'envoie à l'établissement de Lowood. Le direc-
teur, qui est arrivé hier, est d'accord avec moi... il
l'emmènera aujourd'hui même.

henry.

L'établissement de Lowood ? n'est-ce pas un orphe-
linat, une espèce d'école de charité dans une contrée
malsaine, à 80 milles d'ici?

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MISTRISS REED, froidement.

Un orphelinat, oui... La contrée, je ue la connais pas,
mais je sais qu'à Lowood les jeunes filles sont instruites
sévèrement, chrétiennement... qu'on es y habitue au
travail et à la soumission. Je payerai 18 livres ne r^n-
sion et je verserai cette gomme par anticipation poui
quatre années. Jane Eyrc achèvera son éducation dans
cet établissement.... En sortant
de là , elle pourra »e
chercher une place de domestique ou d institutrice,
selon qu'elle aura plus ou moins bien
employé son
temps. Je crois ainsi accomplir le devoir que la volonté
de mon époux m'a imposé.

HENRY-

Saïah, ta résolution est bien tardive, el il me semble
qu'en agishant ainsi
à l'égard de Jane, lu ne remplis
pas la promesse que lu
tis à Ion mari... Assurément il
n'a pas voulu lt;iun
sa fille «.ioplive m. rHé tuée d;.ns un
orplK'tinai.

.wlsTHiss REED, (l'tm lOH amer.

Oh! non! cevlaineuienl non!... Le premier pension-
nat do i.ondres lui eûl paru trop modeste pour Jane
Evre, et s'il avait eu le temps de lester, ill'aurail faite
plus riche que ses enfants!...
(Se tournant vivement
vers Henry.)
Au surplus, si, comme il y parait, lu n ap-
prouves pas ma conduite, il dépend de loi de te charger
de celte aimable enfant... je te l'abandonne de grand
cœur !

henrï-

ïes railleries sont amères, SarablTu sais fort bien
que tu avais peu de chose lorsque Reed fil de toi une
femme riche et considérée, et lu n'isnores pas que ma
fortune ne me permet point d'assurer 1« sort de cette
orpheline.

MISTRISS REED,/rotdemen/.

Alors laisse-moi agir... Tout le pays sait et vante ee

A

-ocr page 17-

que j'ai fait pour celte enfant étrangère, et je croi«
mérrer les éloges qu'on m'a donnés. ® ' ^
uenry.

.hl®nbsp;conscience ne te dit p^s autre

Scène Vf,

mistriss reed, henry, bessie, bucîchorst
puis Jane.
BESSIE, venant par le fond.
Mislriss Reed, master Biackhorst vous prie...

MISTRISS REED, vivemcnl.
Ah ! il vient à propos... Appelle Jane Eyre.

bessie.

l't porte et

sort par la droite après que lilackhorH est entré.)

semblable à

l habillement ecclesiastiaue. Il est âgé de W ans,
reoereneiem, les trails durs el froids
Vous avez permis, mislH.'is...
quot;quot;r«™!! quot;fnbsp;biackhorst entre, sa physio-

finiTlLt'Hlnbsp;mon re.^ppcla1.1e docteur!

il .%Znbsp;la chaise

placée a côle.) Je vous attendais av-c impatience.

blackiiorst s'assied et salue Henry.

Vous êtes trop bonne, mistriss.

hisiriss reed, avcc ém otion

Oui,je le répète, avec impatience, car je vois en vou.s

'quot; John, Reed, Jane Bessie.
Mistnss Reed, Henry.

-ocr page 18-

- 18 -

rinslrument que le Seigneur a choisi pour ramener les
âmes égarées dans le chemin du salut.

sikCRORST^d'im air humble.
Je bénirai Dieu, mistriss, .-'ai^ \ f e

la bonne voie.

mistriss reed.
.Ipvais cette triste vérité, docteur, pour vous
Jf,;°rS d?nbsp;avec- t'f (f'«J,^

■^mmmi

Ipfp'nfanU ellea été élevée comme eux... mais la se-
Tence de ma bonté est tombée sur un sol ande...
Uveemsriir hypocrite.) Cette mie n'a pas de cœur,
direstrnprXmfM

SSSEB-SSFSSs

plus sévères que les miennes.

blackborst.nbsp;_

r'Pst affreux ce que vous me dites |à misfiss

celle-ci meilleure.

mistriss reed.

-ocr page 19-

quelques jours (u entreras à l'asile de Lowood où je le
place pour quatre ans.

JANE, avec un élan de joie.

Quoi! cela esl-il bien vrai... je quitterais crtte mai-
son?.,.

MISTRISS REED, sèclicmenf.

Oui!

jame.

J'irais à l'école?...

blackhorst.

Oui, miss Jane... à une école où l'on apprend aux
mauvais cœurs à craindre et à adorer le Tout-Puis-
sanl!...

JANE, avec dignité.

Mon oncle Reed s'était déjà chargé de col enseigne-
ra(;nl, sir... Je reconnais el aime Dieu, qui, dans sa sol-
licitude pour les malheureux m'envoie loin d'ici...
(Vi-
vement.)
Je pourrai donc étudier chez vous, sir?...
Oh! merci... j'ai du goût, j'ai du zèle el je veux tout
apprendre, tout ce qui peut me rendre libre et indépen-
dante !

lii-ACKHORST, sévèrement.

En ce cas, miss, vous commencerez à apprendre l'hu-
milité, car l'humilité seule convient dans un asile d'or-
phelines comme celui de Lowood.

JANE, se redressant.

Un asile d'orphelines?... Vous m'envoyez dans un
asile d'orphelines, mistriss Reed ?

HENRY, avec attendrissement et bas.

Oui, pauvre Jane!...

JANE, levant la tête et regardant le porlraif.

Tu l'entends, mon oncle Reed?,.. Ton enfant d'adop-
tion, ta Jane bien-aimée, on la repousse delà de-

-ocr page 20-

meure! un asile d'orphelines devient son refuge!...
soit... Partout je vivrai sous Ion regard , ombre ché-
rie... je ne serai plus méchante, comme ils m'appellent
ici, car si la haine nie poursuit encore, au moins ce sera
la haine des étrangers et non de eenx qui me nomment
leur parente!,..

HENRY, «■ part.
Quelle noble fierté!...

DLACKiiORST, joignatii les jnains.
Grands dieu.x! quel langage!... quoi, en face de tes
bienfaiteurs, tu oses...

JANE, Iressaillant.
Cet homme a dit... de mes bienfaiteurs... [avec un
geste)
tu l'a.s entendu, oncle Reed!

BtACKHORST.

Horreur!... vous avez été trop indulgente, mislriss
Reed.,. vous ne m'aviez pas dit toute la vérité...
{il
lève el fait un mouvement pour sortir).
JANE, très-émue, va résoliiment barrer le passage à
Blackliorst. Son œil étincelle, .ses lèvres trem
blent, mais ses mouvements .wnl calmes.
Non, sir, mislriss Reed ne vous a pas dit toute la
vérité!... vous allez l'entendre de ma bouche... vous
allez apprendre à me connaître avant que je vous
suive, avant que je quitte cette maison pour tou-
jours !... Mislriss Reed vous a dit que je suis ingrate...
cela n'est pas vrai!... jamais mon cœur n'oublie un
bienfait... !a plus petite marque de bonté se grave
dans mon âme reconnaissante...
(Se tournant vers le
porlrait.)Tu
lésais, toi, oncle Reed!... [A Blackliorst.)
Mistress Reed vous a dit que je mens... cela n'est pas
vrai!... elle vous a dil que je suis une hypocrite, cela
n'est pas vrai!... Si je pouvais mentir, voici ce que je
dirais : J'aime mistriss Reed, elle ne m'a fait que du
bien, elle a été une mère pour la pauvre orpheline ; si

-ocr page 21-

j'étais une hypocrite, je pleurerais devaut cette femme
(elle montre mistriss Reed) et je me plaindrais d'être
chassée de sa maison... mais je ne mérite pas ce nom
que la haine inspire à 1'. pouse indigne du meilleur des
hommes, car je lui dis en face : que je la déteste de toute
les forces de mon être pour les tortures qu'elle m'a infli-
gées depuis que j'ai commencéà penser el à sentir!...

MISTRISS REED, comblée de surprise el d'effroi.

Misérable!,, commen.s oses-lu me parier ainsi eu pré-
sence de cet étranger?

JANE , douloureusement et avec des la/mes dans la
vois.

Je l'ose, mislriss Reed, je l'ose parce que je dis la vé-
rité !...Vous avez cru que j'élais faible et sans énergie...
vous vous trompiez, ma tante... La peur avait jusqu'ici
paralysé ma force; je me lasse enfin de votre cruauté et
je me relève ! Si je suis mauvaise, mistriss Reed, c'est
vous qui m'avez gâtée!... mon cœur a besoin d'affection,
votre mari m'y avait accoutumée, et un peu de cette af-
fection que vous me refusiez m'eiîl rendue bonne et dé-
vouée... pour un peu de tendresse, je vous eusse adorée
comme j'adorais mon oncle!.,, mais vous ue connaissez
pas la pillé... toute miséricorde vous est étrangère...
vous avez ulcéré mon âme, tante Reed... mais ce que
vous n'avez pu faire de moi, grâce à Dieu, c'est une par-
jure comme vous!
(Elle étend son bras vers mislriss
Reed.)

BLACKHORST el HENRY, s'élançatit vers Jane.

Malheureuse!...

MISTRISS iiEED, ne pouvant plus se contenir et avec
un geste.

Jane !...

JANE, hors d'elle.

Oui, une parjure; car à son lit de mort, vous jurâtes
à mon pauvre oncle de me traiter comme votre enfant,

-ocr page 22-

de me donner le» mûmes droits, de me vouer la même
tendresse... et vous m'avez élevée avec tiaine... Vous
m'avez bannie des chambres que vous et vos enfants
vous habitiez.. Vous m'avez refusé des instituteurs,
pour que je restasse ij^norante... Et aujourd'hui, vous
m'envoyez dans une maison d'orphelines, parce que je
suis Irop vieille pour m'instruire et trop jeune pour
suffire à mes propres besoins... C'est ainsi, tante Reed,
que vous avez accompli voire serment...
(Avec exalta-
tion el en montrant le portrait.)
Ah! si vous le retrou-
vez dans l'autre monde et qu'il vous demande : Qu'as-tu
fait (le l'enfant de la sœur? llépoudez-lui ; J'ai commis
un sacrilège... J'ai ri de la parole que je t'avais don-
née!... J'ai rendu l'orpheline méchante el je l'ai chassée
comme une voleuse el une infâme!... Répoudez-lui
cela, lanle P.eed, si vous
Voiez \... i^ép''ès une pause
pendant laquelle les autres personnages sont restés
muets de stupeur, à Blackhorst.)
Midnlenaut, sir, vous
me connaissez! Je serais morte si je n'avais pu dire une
fois au moins tout ce que j'avais renfermé dans ce cœur
brisé.. A présent, emmenez Jane Eyre, et voyez si
vous pourrez corriger en elle ce que la cruauté et la
haine ont gâté.

Elle regarde fièrement mistriss Reed et sort lentement par
la porte du milieu.—Mistriss Reed tombe eu tremblant sur le
sopha, rouge de honte et d'indignation et cache sa tête dans
ses mains. — Blackhorst et Henry s'élancent vers elle. —

Le rideau tombe.

FIN DU PROLOGUR.

-ocr page 23-

JANE EYRE,

DRAME EN 4 ACTES.

-ocr page 24-

PERSONNAGES».

Lord ROCHESTER.nbsp;M. Quélus.

Sir FRANCIS, baronet.nbsp;M. Rey.

Le c.4pitai.ne Henry WYTFIELD. AL Domingie.
Jane EYRE
, gouvernante.nbsp;Mquot;«

Mistriss Judith FAIRFAX, pa-
rente de Rochester.nbsp;Mquot;®
Irma.
Mistriss REED. Mquot;quot; Domingue.
Lady Georgine CL ARENS,
jeune

^èuve.nbsp;M'I^deCocrtais

Grace POOLE, vieille servante. Desroches.
Adèle
, enfant de 8 ans.nbsp;La petite Eugésie.

i JeRochester. f- E^'CÈNE.
PAl RICK, courrier )nbsp;M.Jules.

La scène se passe huit ans après les événements du
prologue à Thorn field-Hall, propriété de Rochesler.

-ocr page 25-

acte premier.

Le théâtre représente un salon garni de riches tentures som-
bres de mode au dix-huitième siècle et meublé dans le
style de cette époque. Au fond, trois portes, celle du milieu
forme l'entrée principale, celle de gauche mène à l'appar-
tement de Rochester, ct celle de droite à la bibliothèque. Au
premier plan à gauche une croisée ; à droite une cheminée
avec des candélabres d'argent dont les bougies sont allu-
mées, et des vases précieux; un feu très-vit brûle dans la
cheminée, à côté de laquelle se trouvent une chaise longue
et un guéridon ; à gauche un second guéridon ct deux fau-
teuils. Au fond, à gauche de la porte du milieu, une table A
Ihé toute servie.

Scène presnlère.

MISTRISS, JUDITH FAIRFAX, SAM.

SAM, qui va et vient.
Voilà ce que c'est! tout est en ordre maintenant !...
il me semble que mylord sera satisfait, si toutefois il
vient prendre le ihé dans ce salon.

JUDITH, occMpée à ranger la table à Ihé.
Pourquoi ne viendrait-il pas ?

sam.

Dame Lil est d'une humeur terrible et s'est enfermé
dans son appartement avec Grâce Poole, sans saluer
personne... pas même vous, mistriss Judith, qui éles sa
parente.

JU0ITH, s'asseyant dans le fauteuil à gauche.

N'est-il pas le maître? Son humeur ne nous regarde
jas, et vous savez bien, vous, pourquoi il a parlé d'a-
Lord à Grâce Poole.

-ocr page 26-

SAM, d'un air suffisant.

Oui, je le sais, et je crois être pour rnylord un servi-
teur fidèle et discret.

judith.

Assurément, Sam.

SAM, avec humeur.

Mais pourquoi lord Rochester tombe-t-il ainsi à l'im-
proviste au château, sans écrire un mot à personne ?

JUDITH.

N'est-ce pas son habitude depuis qu'il est revenu des
Indes... Mais qu'est-ce qui vous prend donc, Sara, pour
être si grognon aujourd'hui?

sam, grommelant.

Eh! vous le savez bieu, mistriss Fairfax! autrefois
ma femme, la bonne Léa, était tout pour vous, vous
l'aimiez, vous vous occupiez d'elle... mais depuis que
celle pâle, cette orgueilleuse miss Jane Eyre est entrée
à Thornfield-Hall, nous sommes relégués au second
plan.

JUDITH, souriant et avec une vivacité croissante.

Vous êtes de vieux fous. Léa et vous... L'arrivée de
cette jeune personne n'est-elle pas un événement heu-
reux? Ne nous a-t-elle pas débarrassés des tracas que
nous causait cette petite Adèle que mylord a ramenée
de France? En trois mois, elle a dominé ce démon,
que nul avant elle n'avait réussi à maîtriser.. Miss Jane
est aimable et complaisante.... Jamais elle ne témoigne
la moindre curiosité, et ce n'est pas peu de chose,
Sam!.... Aussi je remercie Dieu chaque jour de nous
l'avoir amenée ici, entendez-vous ?

SAM, joignant les mains.

Mon Dieu! mon Dieu! mistriss, reprenez haleine...
(D'un
air malicieux.) Seulement, je souhaite que miss
Jane plaise autant à mylord qu'elle vous a plu, sinon
Sa Seigneurie ne restera pas longtemps ici.

-ocr page 27-

JUDITH.

J'espère qu'il aura les plus grands égards pour miss
Jane, car si elle vient à nous quitter, mylord pourra
faire élever sa petite Française ofl il voudra !... je ne
recevrai certainement plus d'autre gouvernante au châ-
teau...

SAM.

C'est bien, mistriss (Avec inlenlion) Mais pardon de
la curiosité... ne savez-vons pas comment et pourquoi
lord Rochester a recueilli cette enfant... à qui elle
appartient ?...

JUDITH, sèchement.

Non!... je ne m'en suis jamais informée... (on en-
tend un coup de sonnette).

Sam, tressaillant.

Mylord a soimé!...

JUDITH, se levant '.

Un seul coup... c'est pour le valet de chambre...
(on entend un deuxième coup) non., c'est pour vous...
vite, Sam !
(Sam sort vivement par la porte à gauche.)

JUDITH, seule.

Je crois que Sam a raison.... Mylord ue sortira pro-
bablement pas ce soir de son appartement... Si pour-
tant l'idée lui en venait et qu'il voulût voir la nouvelle
gouvernante.... mon Dieu ! cl miss Jane qui n'est pas
de retour!...
(Avec agitalion.)G'esl de ma faute aussi...
je n'aurais pas dû accepter son offre de porter elle-
mêmema lettreàla poste deHay-Lane...(Se
promenant
de long en large)
Mais... qui pouvait s'attendre à ce
que mylord!...
(elle va à la fenêtre, son inquiétude
aupimen^c) Seigneur! voilà la nuit qui tombe et celle
pauvre Jane
a plus de deux heures de route à faire...
pourvu qu'il ne lui soit rien survenu.

-ocr page 28-

®cënc II.

JUDITH, JANE. Elle porte une robe noire fermée
jusqu'en haul; au eouun petit col defines dentelles
blanches el des manchettes pareilles au poignet:
coiffure simple, mais gracieuse; sa figure, quoique
pale, annonce une douce sutisfaction.

JANE, enirant par la porte du milieu.
Je vous ciierche parfoul, mistriss...

JUDITH, se retournant vivement.

Ah! c'est vous, miss Jane! Dieu soit loué!... venez
vite ! Où donc étes-vous restée si lonreteraps... j'étais
d'une inquiétude,..

JAiisE.

Vous êtes bien bonne, mistriss... A propos, votre
commissmn est faite...
(regardantautour d'elle et avec
étonnement)
mais... que signifient ces préparatifs
pourquoi ce feu pétillant, ces lumières ?

JUDITH.

Notre maitreest arrivé pendant votre absence.

JANE, avetfémotion.
Lord Rochester... vraiment?... Pourquoi ne me
disiez-vous pas ce matin?...

JUDITH.

Ce matin ?ah bien oui !... mylord est tombéici comme
une bombe,., il n'en fait jamais d'autres.

JANE.

C'est donc lejour aux événemenls.

JUDITH, avec curiosité.
Gomment ce!a ?...

JANE, souriant.
Oui... Il m'est arrivé une singulière aventure...
fccouttz. Comme J'avais fait une assez longue course
] étais un peu fatiguée... Assise sur un banc de pierre

-ocr page 29-

au haul de la roule, mes reRards se reposaient avec
bonheur sur le magnifique tableau d'hiver que présen-
lait la campagne, et je me disais qne Inrd Rochester
devait être bien riche, puisque toute la contrée que l'on
aperçoit de la hauteur lui appartient, lorsque j'enten-
dis le trot précipité d'un cheval qui remontait la côte ;
bienlôt, un monstrueux chien de
Terre-Neuve vient
tourner autour de moi et irse regarder avec ^^es yeus
terribles... Effrayée parcelle apparition, .je bondis de
mon banc ; je veux fuir... mais je n'avais pas fait deux
pas, que je me trouvai en face d'un cavalier... A ma
vue son cheval se cabre et le renverse sons lui.

JUDITH,

Grands dieux!...

jank.

.J'entends aussitôt un cri aigu, suivi d'un vigoureux
jurpment.., Puis une voix profonde, sonore, m'inter-
pelle, menaçante comme un toscin : Si vous n'êtes pas
un esprit malfaisant, et que vous n'ayez pas peur de
mon cheval, tendez-moi ia main'.... Je tremblais bien
un peu, mistriss, mais je voulus me montrer coura-
geuse, et je parvins à tirer lo cavalier de la position fâ-
cheuse où il se trouvait... A peine fut-il sur pied, que,
saisissant les brides de sa monture d'une main vigou-
reuse, il s'écria:Debout. Mesrour, debout!

JUDITH, avec aurprise.

II appelait son cheval Mesrour ?

JANE.

Oui, et Mesïour obéit, car par un violent effort el
d'un seul bond, il se trouva sur ses jambes... La pre-
mière chose que fit son dur cavalier, fut de lui admi-
nistrer un coup de cravache tellement rude, que la bêta
dressa ses deux pieds de devant... Tu mérites une cor-
rection, dit-il avecle plus grand sang-froid... Pourquoi
m'as-tu désarçonné?

-ocr page 30-

JUDITH, tremblante.

Et... qu'arriva-t-il ensuite?

jane.

Le sombre cavalier voulut se remettre en selle, mais
11 s'était foulé le pied et paraissait cruellement souffrir.
Je lui demandai alors si je ne pourrais pas l'aider...
Chose bizarre, h cette question si simple, il me lança
un regard dont le souvenir me fait encore trembler,
puis il me dit : Prôtez-moi votre épaule, faible roseau,
SI vous ne craignez pas de vous rompre sous mon
poids... .Te souris et je m'avançai... Il appuya sur mon
bras une main lourde comme le plomb, et en moins
d'une seconde il était remonté sur son cheval... Je pou-
vais raisonnablement m'attendre à ce qu'il me remer-
ciât, n'est-ce pas, mislriss?... Eh bien non!.,. Cet
étrange cavalier partit comme le vent à travers la cam-
pagne sans m'adresfer une parole...
{Gaiement.) Voihi
une singulière avpntiire, hein?

judith.

Ma pauvre Jane! Savez-vous quel était ce cavalier?
Lord Rochester lui-même!,..

JANE, effrayée.

Lord Rochesfei'... cheval!

JUDITH.

Oui... Voyez-vous... c'est là une deses excentricités...
Il laisse toujours sa voiture de voyage dans une ville
des environs, el nous ne savons jamais quand il arrive
ni d'où il vient... Pourvu que sa chute n'ait pas de sui-
tes fâcheuses... Je comprends à présent pourquoi mi-
lord s'est retiré tout de suite dans son appartement... A
coup sûr il est souffrant, mais il n'aime pas qu'on le
voie dans cet état... C'est une antre singularité de son
caractère.

JANE.

Vous ne m'avez rien dit de cela, mistriss Judith,

-ocr page 31-

lorsque je vous ai demandé comment je devais rae con-
duire à son égard...
{En souriant.) Dans tous les cas,
lord Rochester n'est guère poli.

judith.

Miss Jane, je ne vous ai jamais parlé de mylord,
parce que je n'aime pas les bavardages... Mais aujour-
d'hui. il est nécessaire que je vous fasse quelques con-
fidences... A votre tour, écoutez-moi... A la mort de
son père, lord Rochester, en sa qualité de cadet, resta
pauvre, tandis que son frère aîné se trouva à la tête
d'une fortune immense. Au bout de quelque temps,
notre maître actuel partit pour les Indes occidentales.
Là il vivait presque oublié, lorsque la mort frappa son
frère... Lord Rochester hérita de tous ses biens ct re-
vint en Europe... Comme la moitié de son existence
s't-st écoulée en pays étranger, el que la Jamaïque ne
peul être citée comme une école de civilisation, mylord
esl devenu un peu... raide... un peu... sans gêne... un
peu fantasque... enfin, du reste, parfait gentleman,
quant au cœur et aux sentiments... Seulement, il est
essentiel que je vous prévienne d'une chose...
{Regar-
dant autour d'elled'un air mystérieux.)
Vous m'avez
dit dernièrement que vous aviez entendu dans le châ-
teau un rire étrange...

JANE, tressaillant.

Oui, bien étrange!... un rire horrible, satanique, et
qui. dans le silence de la nuit, descendant du troisième
étage de la tour, venait me glacer de terreur!...

JUDITH.

Vous savez aussi qne c'est Grâce Poole, la vieille et
fidèle servante de mylord , qui rit ainsi d.-uis les accès
de son affreuse maladie...

JANE.

Oui, mistriss. Mais ne mjavez-vous pas dit que celte
pauvre femme ne pouvait jamais descendre de sa
chambre le soir?

-ocr page 32-

JUDITH.

En effet.

JANE, regardant fixement Judith.
Cependant, Je viens de la rencontrer dans l'escalier.

JUDITH, effrayée.
Quoi!... iSe remettant.) C'est juste.... elle était tout
à riieure chezlui...

JANE, très-altentive.
Chez qui ?... chez mylord ?...

jdditii, troublée.
Oui, je ne suis pas sûre..., je crois... (Lui saisissant
la main )
Ecoutez, Jane..., ne faites aucune attention
à Grâce Poole, et ne parlez jamais devant Sa Seigneurie
de ce rire effrayant... Voii;» le conseil que je voulais
vous donner...
(Avec bonté.) Ce que je vous en dis est
pour voire bien.

JAtfi.

Je vous remercie, mistriss Judith..., J'en profiterai.
Ciel! Grâce Poole...

5^eèiie Kl.

JUDITH, GRACE POOLE, JANE.

GRACE, elle entre par la porte à gauche. C'est une
femme robuste et d'un sombre aspect. Ellevorte
une robe de bure foncée ; tablier, mouchoir de cou
ct bonnet blancs; elle marche comme un automate.
Sa Seigneurie prendra le thé ici.

JUDITH, avec satisfaction.

Très-liien, Grâce..,, qui est auprès de mylord maiii-
fenant?

ghace.

Adèle et le docteur Spunley, que J-éa est allée cher-
cher... Rochester souffre.

-ocr page 33-

'^im, qui a regardé Jane d'un air significatif .
De quoi ? cela est-il grave ?

GRACE, sèchement.

JUDITH.

Oui, Grâce.

GRACE.

Mylord veut voir la nouvelle gouvernante.

JUDITH.

Tout de suiie?

GRACE.

Non.

judith.

Quand ?

GRACE.

.\u thé... (Elle va pour sortir.)

JUDITH.

C'est bien, Grâce.

««ace, «'arrêtant.
Que dites-vous?

JUDITH.

GRACE, froidement
ie
serai calme... (Elle sort par la porte du milieu.)

JScèMc SV.

JUDITH, J^NE.

^quot;Jvcinl Grâce des yeux, à part.
Cette femme fait peur...

-ocr page 34-

juBiTH, rangeant le salon.
Puisque mylord vient dans ce salon, son mal ne doit
pas être bien violent...

(On entend une voix d'enfant au dehors, j

N'est-ce pas la voix de miss Adèle que j'entends ?

JANE, étonnée.
En effet!... comment la bonne neJ'a-L-elle pas encore
conduite dans sa chambre?

JUDlTil.

Oh! quand mylord est au château, personne ne pour-
rait
la décider à se coucher... (^Dcc ei^/'oi.) Ah! mon

Dieu' ie crois qu'il s'approche... Oui, je reconnais sa
marche!... Je cours chercher le thé!,..
iBlle sort par
le milieu.)

JANE, à part.

Je ne sais pourquoi... mais je me sens toute émue !...
Ma première rencontre avec mylord a failli lui être
funeste... Et il ne s'attend certainement pas h me re-
trouver ici...

js^cëne

JîNE, ADÈLE, ROCHESTER, derrière lui SAM, puis
MisïBiss JUDITH.

ADÈLE, Rochester la tient par la main; elle est vêtue
gracieusement, mais avec simplicité; vive, gaie, ca-
ractère français ; apercevant Jane.

..y»...,nbsp;----------------y-

Hochester... voici ma bonne amie Jane...

Ah ! tiens !

ROCHESTER, c'est urt Iwmme de iQ ans, son visage an-
nonce la force, son front esl sérieux, presque
sombre, des cheveux épais et noirs, barbe noire, lé-
gèrement frisée. Il porte une pelisse en velours au-
dessus de l'habillement de l'époque. Il est coiffé d'un
petit bonnet de velours-,sa manière de parler est la-
conique, profonde, impérieuse. Son air a parfois
quelque mose de dur qui passe vite. Quand il entre,

-ocr page 35-

sa lêle est un peu inclinée, il ne voit pas Jane. (A
A aile d'un ton impératif. )

C'est hien, Adèle, c'est bien... Tout à l'heure!... [U
traverse la scène en boitant légèremen(.)[Sam !
sam, vivement.

Me voici, mylord !

ROCHESTER, désignant la chaise longue.

Avance ce siège plus près du feu!... Dans ce vieux
lud de hiboux, rien ne préserve du froid... ni les pe-
lisses, m les flammes!...
{Il se mord la lèvre el plie
involontairement ses jambes.)
Malédiction!... Sam'
ton bras!...

SAM, accourant.

Mylord!...

(Rochester s'appuie sur lui et va s'asseoir.)
ROCHESTER.

C'est bien... va-t'en !

SAM, en s'en attant, bas à Jane et avec ironie.

3faintenant, à votre tour... Je vous souhaite bonne
chance...

réflexionsnbsp;Rochester reste plongé dans ses

adèle, agenouillée devant Rochester el caressant une
de ses mains.
Est-ce que tu me boudes, Rochester ?

ROCHESTER, d'uH ton bref.

Non!

ADÈLE.

M'as-tu apporté quelque chose ?

ROCHESTER, même jeu.

Peut-être!...
Comment, peut-être?

-ocr page 36-

ROCHlSSTIiR.

Oui. . si tu l'as mérité!...

.\DÈLE, se levant avec vivacité ci frappant dans ses
mains.

Oh ! cerlaiuemf (iL je l'ai mérité !

ROCHESTER.

C'est ce que nous verrons...

ADiîLE, courant à Jane.

N'est-ce pas, miss ? (Jane lui met la main sur la
bouche et se baisse pour lui dire quelques mots à l'o-
reille. Judith entre el dépose la théière sur la table.)
ROCHESTER jette un regard oblique sur Jane, puis,
d'un ton sac à Judith.

Bonsoir, cousitie Judith !

JUDITH (').

Dieu vous bénisse, lord Rochester! {Avec inlérêt.) II
vous est arrivé un accident, mylord?

ROCHESTER.

Comme toujours... quand j'approche de ce château. .
une femme... ou plutôt une soi'cière a etirayé Mi .s-
rour!...

JANE, à part en souriant.

Une sorcière!... comme c'est aimable!

JUDITH, embarrassée el regardant Jane.

Celte personne n'avait pas l'intenlion de...

ROCHESTER.

Qu'importe !... (Il fait un mouvement el veut maîlri^
ser sa douleur)
elle n'en est pas moins cause de l'acci-
dent...
(Délournanl la conversation,) Le thé.

AuÈLE, vivement.

Attends, attends, Hochester... c'est moi que cela re-

-ocr page 37-

garde... je vais le donner l.i plus belle tasse... {Elle
court à Judith.)

JUDITIÎ.

l)u loul, Adèle,dii toul...Tii la renverserais encore...
je connais ton ctonrderip.,. (//
Jane.) Miss Jane, s'il
vous plaît ?

JANE, elle pose la tagt;ise sur une assiellc d'argcnl et V ap-
porte à Rochester sans manifester le moindre em-
barras.
Voici, mylord.

ROCHESTiîR, d'un ton bref.
Sui- la tabic! Jane dépose la lasse sur la table.
Rochester lève la téle ct la regarde.)
Eh ! de par lous
les diables ! c'est ma sorcière de la grande roule...
N'est-ce pas vous que j'ai rencontrée tantôt ?...

JANE.

Oui, niyloru... ce n'est qu'en racontant mon aven-
ture à mistriss Judith que j'ai appris à qui j'avais eu
l'honneur de parler.

FIOCHESTEH.

Comment savait-elle ?

JANK.

Le nom de voire cheval l'a niise sur la voie.

ROCHESTER.

Singulière rencontre!... Qu'alllez-vous faire par là?
JANE.

J'avais été à la poste de Hay-Lane, mylord.

ROCHESTER, la regardant fixement.
Ah çà! vous n'avez pas ensorcelé mon thé par ha-
sard, comme vous avez ensorcelé mon cheval?
JANE, d'un air modeste.
Je crois, mylord, que votre chute doit être attribuée
plutôt à Mesrour, que mon vilain aspect a effrayé, qu'à
une (»uissance occulte...

-ocr page 38-

ROCHESTER, élontié.
Ah! ah!... prenez un siège... {Jane s^assied à
gauche.) Avancez votre fauteuil plus près de moi...
'{Jane avance son fauteuil en face de Rochester.)
iiociiESTER, d'un ton bref.
A-t-on servi mademoiselle ?

JANE.

Oui, mylord... merci !

ROCHESTER, gaiement.
Vous m'examinez fort, miss... Est-ce que vous me
trouvez joli garçon ?

JANE, franchement.

Non, mylord.

ROCHESTER.

Fort bien ! vous avez certainement quelque chose de
parliculier... Vous êtes Ja nouvelle gouvernante?
JANE.

Oui, mylord.

ROCHESTER, à Judith.
Eh bien, cousine, que faites-vous là debout? As-
seyez-vous donc !

(Judith s'assied de l'autre côté de la table et se met à tricoter.)
ADÈLE.

Mais, mon cher Roche.ster, que m'as-Ut apporté?...
Voyons, dis-le-moi tout de suite.

ROCHESTER, sèchement à Jane.
Est-elle digne d'une récompense ?

JANE.

Certainement, mylord.

ROCHESTER.

Bon! {A Adèle.) Va trouver mon valet de chatpbre,
et dis-lui de te donner la petite cassette.

ADÈLE, avec transport.
Oh! merci! mille fois merci! {Rélléchissani.)Maii...

-ocr page 39-

nocHESTER, brusquement.

Mais quoi?

ADÈLE.

As-tn songé à miss Jane Eyre? As-tu quelque cadeau
pour elle aussi?

ROCHESTER, en regardant Jane d\m air méfiant.

Je n'en sais^rien.

ADÈLE.

Si lu l'as oubliée, je partagerai ce qu'il y a dans la
cassette avec elle ; n'est-ce pas, Rochester, tu le veux
bien ? U Jawc.') Et toi aussi, Jane?
cjane embrasse Adèle qui sort en courant par la porte à gauche)

j^eèue VI
JUDITH, JANE, ROCHESTER,
ROCHESTER, à Jane.

Avez-vous compté sur un présent?... Aimez-vous
les présents, miss ?

JANÉ.

(Avec la plus grande réserve et toujours calme.)
Je l'ignore, mylord... je n'ai guère l'expérience de ces
sortes de choses,., mais on s'accorde généralement a
les regarder comme agréables.

ROCHESTER. •

C'est votre manière de penser que je vous demande.

JANE.

H me faudrait quelque réflexion, mylord, pour ré
pondre à une question qui n'est pas simple.... il y a san
doute présents et présents.

ROCHESTER.

Vous êtes moins naturelle que votre élève, miss...
elle ne m'a pas vu cinq minutes qu'elle me demande
quelque chose... Il y a plus de façon dans votre ma-
nière d'agir.

-ocr page 40-

JANE.

Cost que j'ai moins de droits acquis, et aussi moins
de confiance dans l'accomplissement de mes vœux... à
quel titre ?,..

BOcuESTER, uvec impatience.
Allons donc! c'cstune fausse modestie... J'ai examiné
votre é ève, vous avez dû prendre beaucoup de peine
avec elle. En peu de temps ses progrès ont été rapides,
cl cependant, il n'y a guère d'éloffe chez cette enfant.

JANE, avec une légère incliualion.
Cet éloge, mylord , est le cadeau qui pouvait me
plaire le plus. Tout autre maintenant n'aurait que peu
de prix à mes yeux.

JUDITH, à part.

Très-bleu.

liocHESTER, il regarde Jane avec un certain intérêt,
prend sa lasse et boit.
Hum ! (toujours plus attentif)
comment vous nommez-vous ?

ROCHESTER.

JANE.

Jane Eyrc, mylord.
D'où venez-vous ?

JANE.

De l'asile de Lowood, mylord.

ROCHESTER, d'wM air de compassion.

De Lowood!... Ah!... Et combien de temps v êles-
vous restée ?

JANE.

Huit ans, mylord.

ROCHESTER.

IH

Huit ans!,.. C'est probablement le régime de cette
charmante institution qui vous a faite si pâle et si
maigre... Savez-vous, miss, que vous m'êtes apparue

Judith, Jane, Adèle, Rochester.

-ocr page 41-

— M —

sur la colline comme un spectre?... Je ne pouvais com-
prendre où vous aviez été chercher cette espèce de
visage!... Mais qu'avez-vous fait si longtemps à
Lowood ?

JANE.

J'y ai reçu l'instruction pendant quatre années, my-
lord... ensuite, comme on avait cessé de payer ma pen-
sion, je fus obligée de solliciter et j'y obtins un emploi
d'institutrice à cinq livres d'honoraires.

ROCHESTER, aven une compassion mêlée dHronie.

Hum!... et... comment vîntes-vous ici?

JANE.

Je lus dans le journal qu'on demandait une gouver-
nante à Thorntîeld-Hall... les conditions étaient avanta-
geuses... J'avais hâte de conquérir ma liberté... je me
sentais capable de remplir honorablement mes fonc-
tions, et j'envoyai mes certificats A mistriss Fairfax qui
me fit venir sur-le-champ.,.

JUDITH, avec fierté.

Et c'est la meilleure chose que j'ai faite en ma
vie.

ROCHESTER, Tudcment en regardant Jane.

Qui sait?...

JUDITH, étonnée.

Que voulez-vous dire, mylord ?

ROCHESTER, avcc un geste.

C'est bon... c'est bon... Judith... {A Jane.) Puisque
vous avez été élevée à Lowood, vous êtes donc orp le-
line?...

jase.

Je n'ai Jamais connu mes parents.

ROCHESTER.

Mais VOUS devez avoir de la famille, des frères, des
sœurs...

-ocr page 42-

MNE.

Non, mylord.

ROCHESTER, uvBc impatieuce.
Des oncles, des tantes alors...

JANE, avec émotion.
J'avais... un excellent oncle... il est mort... .le n'ai
plus personne.

ROCHESTER, insistant.
Personne?... personne!...

JANE, avec calme.
Une fois on m'a parlé d'un frère de mon père, qui
était parti pour l'Amérique...mais jene l'ai jamais vu...
Je suis doncseule au monde .. mylord.

ROCHESTER, avcc UH sourirc sarcastique.
Seule, mais non sans appui, à ce qu'il paraît.

JANE, surprise.
Je ne comprends pas, mylord...

ROCHESTER, lui mettant la main sur le front.
Je veux dire que vous avez là quelques braves trou-
pes auxiliaires... eh bien, miss...
{avec humeur) com-
ment vous appelle-t-on?

j»ne, sèchement.
Eyre... Jane Eyre, mylord.

ROCHESTER.

C'est juste... miss Jane Eyre, qu'avez-vous appris à
LoAvood?,.. touchez-vous du clavecin?

jane.

Un peu.

ROCHESTER.

Oui, c'est cela... un peu... comme toutes les éco-
lières. . Un peu... cela veut dire, pas grand'chose...

JANE, sans embarras.
Vous avez peut-être raison, mylord.

-ocr page 43-

ROCHESTER.

Les dessins qu'Adèle m'a montrés tout à l'heure,
sont-ils de vous ?

JANE.

Oui, mylord

ROCHESTER.

On les a sans doute retouchés?

JANE, vivement.

Non, vraiment !

ROCHESTER, avec ironie.

Ah! bien... de l'orgueil blessé... Avez vous d'autres
dessins?...

JANR.

Oui, mylord, mon album en contient quelques-uns.

ROCHESTER.

Allez le chercher... {Jane se lève.) c'est-à-dire [se
maUrisanl),ie vous prie d'aller le chercher... (Jane
se dirige vers le fond; la. rappelant.) Un instant...
Si votre album ne renferme que de.s copies, laissez-
le plutôt.

JANE, se retournant.

Alors je vous l'apporterai, mylord, car je puise tous
mes sujets dans ma seule imagination.(EtJe sort
par la
porte d droite.)

ROCHESTER, la suivant des yem.

Hum! la petite sotte!... elle va me faire voir de mi-
sérables barbouillages.

JUDITH, avec une humeur mal déguisée.

Je ne le crois pas, mylord. Quand Jane Eyre dit : Je
veux faire cela ! vous pouvez être sûr qu'elle te peut,
et bien encore !

ROCHESTER.

Hé! cousine, vous avez gâté cette jeune personne...

-ocr page 44-

Sa modestie pourrait bien n'être qu'apparente, car elle
a une assurance qu'on a rarement montrée devant
moi.

judith.

Je puis vous cei-lifier, mylord, ([ue vous n'en rencon-
trerez plus de pareille, si vous la renvoyez...

nocuESTEd, sèchement.
Qui vous parle-de cela, mistriss ?...(,fa?it'/'e»i:tîn(, por^
tant un album qu'elle pose devant Rochester. A .Tane. )
•Asseyez-vous ! {Ouvrant et feuilletant VaUmm.) Ce sont
des aquarelles... Vous peignez

JANE.

Oui, mylord... Je me sers toujours de crayons pour
exprimer des pensées... Mais pour donner un cor|)s
aux sentiments, j'ai recoiu's aux couleurs.

uocHF,.sTE!i, très-étonné.

Voilà de singuliers sujets, en vérité! Quelles som-
bres imaginations... quelles conceptions effrayantes î...
Une mer furieuse, des mâts brisiis, des cadavres liot-
lantsur les eaux... El pourtanl tout cela esl d'une cou-
leur... d'un mouvement!... Où prenez-vous vos mo-
dèles, miss?

jane.

Dans ma tête, mylord.
rochf;ster, la regardant fixement el avec un geste.

Dans celle iieliie tête que je vois là sur vos épaules ?

jane.

Oui, mylord.

ROCHESTER.

V trouveriez-vous encore de pareilles idées?

JANE, avec assurance.

Probablement... et, je l'espère du moins, de meil-
leures...

(Rochesler continue ù examiner l'album, ôte son bonnet et
le pose lentement sur la lable en regardant Jane à la dérobée.)

-ocr page 45-

JUDITH, à part.

Elle a gagné la partie..., il a ùté sou bonnet.

nOCHESTER.

Voilà pour une écolière des dessins fort cuiieux!...
Quant aux conceptions, elles sont vraiment d'un autre
monde...
{Levant vivement la tê/e el refermant l'al-
bum d'un ton brusque.)
Mais... ces enfantillages fini-
ront par m'endormir ou me donner le cauchemar... Il
doit être tard!...
{Ouvrant de nouveau l'album.)

JUDITH,

Neuf heures, mylord.

ROCHESTER, avec humeur.

A quoi pensez-vous donc, miss Jaue, de laisser veil-
ler Adèle aussi tard?... Voudriez-vous, par aventure,
introduire ici de nouvelles habiUuies?...
{U se lève, fait
quelques pas, s'arrête el se mord les lèvres.)
Enfer!...
mauiiitejambe!. .
{Changeant subitement de ton, à
Jane.)
Je me souviendrai longtemps de voire affreux
chapeau de castor, miss Jane... Bonne nuit!...

(11 sort par la porte à gauehc cn marchant avec effort, l'ai-
bum sous le bras. Jane s'est levée en même temps que lui, elle
l'a
observé d'un air sérieux et calme et le suit des yeux quand
il sort.)

JUDITH, avec anxiété 1.

Quelle mouche l'a piqué?... Voilà encore une fois
votre cause perdue auprès de lui.

JANE, comme involontairement.

Je ne le pense pas!

JUDITH.

Que voulez-vous dire?

JANE.

Quand il se sera accoutumé à la vilaine sorcière et à

1nbsp; Jnditb, Jane.

-ocr page 46-

son affreux chapeau de castor, je réussirai, je l'espère,
a vivre en paix avec lui. Mistriss Judith,
mon entrevue
avec mylord m'avait fait oublier la fatigue... mainte-
nant, je sens que j'ai besoin de repos...

JUDITH.

Je vous suis.., je vais donner l'ordre k Sam d'étein-
dre les lumières...
(A part.) Je crois décidément que
mylord a raison... c'est une sorcière ou une fée que cette
f il I el Jane se dirigent vers la porte du mi-
lieu; au moment
elles vont sortir, on entend un
long éclat de rire; Judith et Jane s'arrêtent effrayées.)

JANE.

Dieu ! l'horrible éclat de rire !

junrrH, à part.

Pourvu que mylord ne l'ait pas entendu !...

(On entend un second éclat de rire.)

JUDITH, prenant Jane par la main et à voix basse.

Rentrez chez vous, miss Jane... et ne vous effrayez
pas trop... je vais tâcher de calmer Grâce...

JANE.

Koune nuit, mistriss... bonne nuit.

Elles sortent par la porte du milieu. Janeprend à droite,
Judith à gauche. — La toile tombe.

FIN DU PREMIER ACTE.

-ocr page 47-

Même décoration qu'au premier acte.

Scène première.

JANE, seule. Elle est debout près de la fene'lre et re-
garde au dehors.

Comme la nature est déjà belle! comme tout renaît
aux premières brises du printemps! La violette a percé
la mousse qui la protégeait centre la neige... les oiseaux
essayent leurs douces chansons... et moi aussi, je re-
nais à la vie... Les arbres étaient dépouillés de leur
verdure, lorsque je vins ici, et je sortais d'un asile de
charité... .Aujourd'hui, le soleil sourit et je suis dans
'un château splendide,entourée de soinset de respect...
Que le Ciel soit béni !
(Elle quille la fenêtre.) Chose
étrange!... je mesens toutetran5formée...lessouvenirs
de mon enfance s'effacent lentement de mon esprit...
mon cœur est plein d'une joie inconnue, indéfinissa-
ble. . rêve parfois inquiet, mais rempli de charmes...
et que mylord semble chercher à deviner...
Pause.)
Mylord!... pourquoi, lorsqu'il partit il y a quelques
jours, ne m'a-t-il pas rendu mes dessins? Quel intérêt
ont-ils pour lui?... Je voudrais bien savoir où il est
maintenant...
(Pause.) A quoi vais-je penser?... En vé-
rité, je suis folle, et je m'occupe là de choses... après
tout, où est le mal ?... je pense à mylord comme à un
problème qu'on cherche à résoudre... Pourquoi cet
homme qui fait trembler tout ceux qui l'entourent, ne
me cause-t-il aucune peur? Pourquoi me semble t-il
que nous soyons seuls, depuis qu'il ne gronde plus?

JUDITH, dans la coulisse.

Vite, Lta, vite... qu'on fasse du feu dans toutes les
chambres d'étrangers... vous m'entendez?...

-ocr page 48-

JANE, écoulant.

Les chambres d'étrangers... que siguilie?...
f^ccne 11.

jaine, judith, patrick.

JUDITH, enlrunl d'un air affairé.

Sam! Sam! où ètes-vous donc fourré? (/I Patrick.)
Dans une heure, dites-vous, Palrick?

PATRICK.

Pas davantage assurément, mistriss... Mylord est
sur mes talons..., les autres suivent en voilure.

JUDITH.

Mais, c'est vraiment une folie que d'arriver ainsi avec
du monde sans crier gare!...
{Apercevant Jane.) Ah !
miss Jane, je vous cherchais... Allez bieu vite vous ha-
biller... vous faire belle... j'ai fait porter un carton à
votre adresse dans votre chambre...
{f'oyanl Vélonne-
menl de Jane.)
Oui!oui! c'est comme cela! pas de sur-
prise, et surtout pas de retard... il n'y a pas un instant
à perdre, mon enfani, vous entendez Dienqu'ilsarrivent
dans une heure.

JANE.

Qui doue, mistriis?... et pourquoi dois-je me faire
belle, comme vous dites?

juDiTu, lui remeltant un billet ouvert.

Lisez celle lettre, miss..., il faut quejelrouveSam...
la vieille marmotte... Holà! Sam! èies-vous devenu
sourd ?

(lille sort vivemeut par la porte à gauche.)

PATRICK.

Elle en fera une maladie, la chère femme.

JANE, lisant.

« Une heure après l'arrivée de Patrick, je serai moi-

-ocr page 49-

« même au cliâteau avec quelques hôtes... Mistriss
« Fairfax disposera des chambres pour deux dames et
« un cavalier. La robe de soie rose qui se trouve dans le
« carton que je vons envoie est pour... la gouvernante
« qui préparera le thé... Je veux qu'elle paraisse en
« toilette convenable devant mes amis.—
Rochester. »
[A part, avec un peu de dépit.) Vovez-vous cela..., la
gouvernante... il n'a pas pu écrire m'on nom !...
{A Pa-
trick.)
Ainsi, Patrick, nous allons recevoir des dames.
PATRICK, avec malice.

Oui, miss, et de belles dames encore..., c'est-à-dire
la jeune..., quant à la vieille..., enfin, c'est une ques-
tion de goût..., si ce n'était une lady, elle me plairait
médiocrement.

J.ANE.

La vieille..., oui!... mais la jeune vous piaît-elle.
Patrick ?nbsp;'

PATRICK.

Hum! Je le crois bien... et je ne suis pas seul de mon
avis.

JUDITH, rentrant'.
Voilà qui est fail!...(^ianc.) Encore ici, miss Jane!...
Vous n'êtes donc pas curieuse de voir celle jolie robe ?
JANE, froidement.

Non, mistriss... car quelle qu'elle soit, je ne la met-
trai point.

JUDITH,

Quoi ! lorsque mylord l'a fait venir expressément de
Londres. . N'esl-il pas vrai, Patrick ?

patrick.

Oui, mistriss.,. elle a élé confectionnée sur la me-
sure de la camériste de lady Clarens, qui est tout juste
de la taille de miss Jane.

' Judith, Jane, Patrick.

-ocr page 50-

- 80 -
jane.

Vraiment?... Et quelle est cette lady Clarens?

JUDITH.

C'est une jeune veuve, jolie, mais sans fortune, qui
demeure à quelques milles d'ici et dont le mari était
lié avec mylord.

jase, sèchement.

Cette visite est sans doule le prélude d'un mariage?

judith.

Oui sait?... On a vu des choses plus extraordinaires.
Patrick, descendez aux écuries
et veillez à ce que tout
soit prêt...
(Patrick sort par le milieu.) Ainsi, mip
Jane, vous êtes bien décidée ù ne pas satisfaire au désir
de mylord... Celte robe...

JANE.

Je vous le répète, mistriss... je ne la meltrai pas.

judith.

Faites comme il vous plaira... miss... Si mylord se
fâche, ne vous en prenez qu'à vous-meme... Mais te
voici déjà.

f^eène III.

JUDITH, JANE, ROCHESTER.
bochesteb,
entrant vivement par la porte du fond, en

élégant costume de cavalier, le chapeau sur la tete, la

cravache à la main.

Sam'... Patrick!... Mille tonnerres!... où sont-ils
donc?...
{Apercevant Jane el .Judith. D'nn ton plvs
doux.)
Bonsoir, miss Jane!

jank.

Bonsoir, mylord!...

ROCHESTER, « Judith..

Judith, avez-vous exécuté mes ordres ?

-ocr page 51-

JUDITH.

Oui, mylord... et j'allais voir si cela avance.

ROCHESTER.

Allez! et qu'on se dépêche!.,. [Judith sort. Jane veut
la suivre.)
Je vous fais fuir, miss Jane ?

JANE, s'arrélanl.

Du tout, mylord.... mais...

ROCHESTER.

En ce cas, restez!... Vous n'avez pas mis voire nou-
velle robe?...

.UNE.

Non, mylord... Je vous remercie de votre attention,
mais je ne puis accepter ce cadeau.

ROCHESTER.

Et pourquoi pas?

JANE.

Parce que ce vêtement n'est pas en harmonie avec
ma toilette, et qu'il est trop riche pour une fille de ma
condition...
{En souriant.) D'ailleur.quot;;, mylord, le rose
ne me convient pas... H y a des ligures qui ne suppor-
tent pas le.s couleurs éclatantes.

ROCHELTER, rudement.

Ce n'est pas cela, miss Jane!.,. Vous êtes froissée de
ce que votre toilette uniforme me déplaise.

Non, mylord.

ROCHESTER.

C'est par fierté que vous refusez ce léger présent...
Oh ! je vous connais!... Votre simplicité cache un pro-
fond orgueil... fJ/oMi)e»tenf de J««e.)Nerépliquezpas!...
Vous vous révoltez intérieurement contre mes façons
impérieuses... brutales même... je le sais...
[Se radou-
cismnf.)
Que voulez-vous, miss? je .suis plus à plaindre

-ocr page 52-

mm

que coupable,.. De malheureux événements ont influé
sur mon caractère... et... Mais qu'avez-vous à me re-
garder ainsi?... A quoi pensez-vous?...

JANE.

Je me demande, mylord, s'il y a beaucoup de maî-
tres qui se donnent la peine desavoir si leurs serviteurs
se sentent blessés ou non de leurs manières...

ROCHESTER.

Et vous vous répondez négativement... et vous êtes
étounée'de cela!... Eh bien, miss, puisque vous ne savez
pas faire de distinction entre un serviteur... et vous, je
vais changer votre étonnement en stupéfaction. Ecou-
tez. .Si j'ai galopé de façon à avoir une heure d'avance
sur les hôtes que j'attends, c'est pour vous dire que je
regrette de n'avoir pas été plus franc avec vous, dès
que ie vous ai connue, quoique cependant vous soyez
un peu cause de cette froideur par votre réserve gla-
ciale. Miss Jane, vous êtes la gouvernante d'.^dèle...
Quels liens croyez-vous qu'il existe entre cette enfant
et moi ?

JANE,

Mylord... je... je ne me s uis jamais questionnée à ce
sujet.

ROCHESTER, la regardant fixement.

Vous ne dites pas la vérité... Vous parlez trop peu
pour ne pas penser beaucoup !... Vous croyez qu'Adèle
est ma fille?..,

JANE.

Non, mylord... Mais à supposer qu'il en fût ainsi,
vous ne me devez aucun compte de cela. •

ROCHESTER.

Si, parce que vous vous êtes condamnée à vivre avec
elle dans ce sombre manoir. Miss Jane Eyre, vous avez
le droit de demander : Quel est l'enfant que j'élève ? Ce
n'est que juste. Sachez donc qu'en 1793, il y a neuf
ans à peu près, au milieu de la tourmente qui agitait la

-ocr page 53-

France, entraîné par la fougue de l'âge et par un be-
soin irrésistible d'émotions... j'ai connu à Paris une
femme que je croyais digne de mon affection, et qui ne
larda pas à me faire repentir de mon erreur. De celte
liaison Adèle m'est restée, non que je sois le moins du
monde certain, malgré les serments de sa mère, que
cette enfant ail des
droits à ma tendresse, mais parce
que j'ai eu pitié d'une frêle et innocente créature,
abandonnée par une mère sans entrailles. J'ai retiré
Adèle de la boue de Paris pour la transplanter sur le
sain el solide terreau d'un jardin anglais... Nous ver-
rons si la jeune piantey protîlera... Maintenant, miss,
voudrez-vousencore donner vos soins à la fille lrè.s-peu
légitime d'une danseuse française?... c'esl ce dont il
esl permis de douter... Un jour ou l'autre, vous vien-
drez me dire que vous avez trouvé une autre place,
que vous me priez de me pourvoir. . N'est-ce pas que
je devine juste?

JANE.

Nullement- mylord... Adèle n'esl responsable ni de
vos fautes, ni de celles de sa mère... J'avais déjà de
l'affection pour elle, mainlenanl que je la sais à vrai
dire orpheline, abandonnée par sa mère el désavouée
par vous, je la regarderai comme une sœur et je veil-
lerai sur elle de plus près...
(Avecelusion.jie\ous re-
mercie de votre franchise et de celle marque de con-
fiance, mylord!... moi aussi, je suis orpheline, et je
chérirai Adèle!... je la rendrai bonne, aimable el dé-
vouée... Le manque de tendresse seul rend lecœurd'un
enfant méchant... Je t'aimerai doublement, puisque
persoune ne l'aime et je ne la quitterai jamais...
(Elle
s'arrête et regarde Rochester avec hésitation)
à moins
que vous ne me renvoyiez vous-même, mylord.

ROCHESTER, avec feu.

Vous êtes une vaillante fille, miss Jane... el je vous
prends au mot... Vous me promette/, de ne partir d'ici
que lorsque je vous congédierai ?

-ocr page 54-

JANE.

Je vous le promels !

ROCHESTER, lui leiidatit la main.

Votre main ?

JANE, la lui donnant m souriant.

liieii volonieers, mylord !

ROCHESTER.

Tiens! voilà (|ue vous souriez... je ue croyais pas
que vous eu fussu'z capable... Souriez souvent ainsi,
miss Jane... si vous voulez m'êlre agréable
(onenlend
un bruil de voitures l'obscurité vient.)
Morbleu! les
voici déjà... Je neveux pas cependant qu'ils sachenl
que je suis arrivé avant eux
{avec humeur) nous avons
solteinent di.scouru...
{IL sonne el appelle en même
femps) Judith ! Judith!... (Judith j-.nlre par le fond)
allez au-devant de mes hôtes et conduisez-les dans ce
salon... mais pas un mot sur ma présence ici... vous
entendez ?.,.

JUDITH, s'inclinanl et avec un regard étonné.

C'est bien, mylord ! {Elle sort vivement par le fond.)

ROCHESTER, rudement à Jane.

Miss, vous recevrez mes invités et vous les retiendrez
jusqu'à ce que je revienne...
{Il se dirige evrs la porte
de droite, s'arrête, et d'un Ion plus doux)
Pardon,
miss, de ma brusquerie... je ne suis pas maître de cer-
tains mouvements... Vous voudrez bien recevoir ces
étrangers... Y consentez-vous?

JANE.

Certainement, mylord.

ROCHESTER.

Ensuite, comme le monde à la habitude de ne regar-
der qu'aux apparences, vous mettrez... la robe rose...
n'est-ce pas ?

' Rochester, Jane.

-ocr page 55-

JANE, avec fermeté.
Non,
mylord... sur ce point, je suis inébranlable...

ROCHESTER, d'un tou fâché.
Soit... je ne vous forcerai pas... à être jolie. [Il sort
vivement par la gauche )

JANE, le suivant dtc, regard.
Quel singulier homme! quel mélange de brusquerie
el de bonté... J'ai peineàrevenir de mon étonnement...
pourquoi m'a-t-il fait cette confidence à propos d'A-
dèle?... Jamais je ne l'ai vu aussi aimable... jamais...
Et comme il a pressé ma main!... De quel éclat inac-
coutumé son regard brillait en ce moment!... Pour-
quoi?...

il^cëue ïv.

Mistriss REED, FRANCIS, GEORGINE, SAM,
JUDITH, JANE.

(Sam ouvre ia porte du milieu, portant deux candélabre»
chargés de bougies allumées, qu'il place sur la table à l'avant-
•scène. Le théâtre s'éclaire immédiatement.

JUDITH, au fond.
Si vous voulez vous donner la peine d'entrer ici...
Les appartements ne sont pas encore tout à fait prêts.
MISTRISS REED. Elle entre conduite par Francis, ses che-
vetix sont devenus gris, son visage est pâle et maigre.
Elle s'assied sur le sopha à gauche. A Francis.)
Merci, sir.

j\i!iE,qui a frissonné en voyant entrer mislriss Reed, recule
pas à pas jusqu'au fond dc la scène, en portant la main
à son cœur. A jiart.
Mistriss Reed!...

GEORGINE, qui a descendit la scène, à Judilh.
Lord Rochester n'est pas ici, mistriss? Nous pensions
qu'il nous avait devancés...

jane, à part, avec un cri étouffé.
Ciel! Georgine!...

-ocr page 56-

— S6

JUDITH, embarrassée.

Mylord n'est pas encore arrivé, milady... Du reste, il
ne peut larder...

(Elle fait un geste à Sam qui sort vivement.)

FRANCIS, d'un air railleur.

Voilà qui est singulier!... nous quiller ainsi tout à
coup!... Un tel procédé m'étonne de la part de Sa Sei-
gneurie.

GEORGiNE, dédaigneusement à Francis.

Lord Rochester est un homme tro]) supérieur pour
s arrêter à des puérililés, sir Francis... Il ne vous res-
semble pas.

FRANCIS.

Je suis loin de croire que je possède les éminentes
qualités de Uochester, belle cousine.

GEORGINE,

Vous vous rendez justice, bf-au cousin... {Se jetant
dans un fauteuil à droite. A Judith.
) »Mistriss , ayez la
bonté, je vous prie, de veiller à ce que nous puissions
nous reiirer au plus tôt... Nous tombons lilléraleiuent
de fatigue.

JUDITH.

Je vais accomplir vos ordres, milady... {A Jane, en
sortant.)
Remplacez-moi auprès de ces dames.

JANEjÔaS.

Oui, mislriss...nbsp;Pas encore!... Je tremble

trop!.,.

(Judith sort par le milieu.)

Scène V.

Mislriss REED, FRANCIS, GEORGINE, JANE.

mistriss reed. Jusque là elle a regardé devant elle sans

prêter attention à ce qui se passe. Insensiblement une

certaine inquiétude la gagne. Elle pose la main sur

«W eceur comme si sa, respiration était gênée. Elle laisse

-ocr page 57-

tomber son petit manteau derrière elle et passe la main

sur son front.

Qu'il fait chaud ici!

georgime.

C'est vrai ! Mais aussi pourquoi vous vêtir comme eu
plem hiver... Le retour du printemps rend tontes ces
précautions inutiles.

mistriss reed, d'un air accablé.

C'est une réaction sans doute... J'avais froid en en-
trant dans ce salon.

georgine, ôtant son chapeau et le jetant à côté d'elle.

Vous avez raison,ma mère... cette chaleur est insup-
portable .nbsp;'

FRANCIS, à demi voix, se penchant vers Georgine.

C'est votre conscience, Georgine, qui vous tour-
mente...

GEORGINE, d'un air dédaigneux.

Ma conscience!... (Riant.) Ah! ah ! ah !

francis.

Ce rire n'est pas sincère!... Il y a quelque temps,
vous me témoigniez de la bonté... vous me donniez de
l'espoir, et maintenant que ce sombre Crésus vous a re-
marquée, vous me repoussez avec dédain... Vous n'ai-
me/ cependant pas cet homme!...

georgine,

Vous croyez ?...

FRANCIS.

J'en suis convaincu... D'ailleurs, savez-vous de quoi
I on accuse tout bas lord Rochester?

georgine.

Non, et je ne veux pas le savoir !

traucis, à pa?^t.

Et» bien, moi, je le l'apprendrai... Ce ne sera pas
vainement que je serai venu ici, je l'espère... Je saurai
oieo découvrir...

-ocr page 58-

mmgmmm

MISTRISS REED, de plus en plus soulfrante.
Mon Dieu ! que se passe-t-il donc en moi?...
GEORGINE, la reyardant avec surprise et se levant.

D'un air froid.
Quel mal éprouves-tu ?

MISTRISS REED.

Je me sens saisie de cette oppression, de cette anxiété
inexplicable qui me présage toujours un malheur!
GEORGINE, haussant les épaules.
Quelle idée!

MISTRISS HEED, SC levant.
Je te dis, Georgine, qu'il y a quelque chose d'hostile
dans l'atmosphÊre de cet appartement...

GEORGINE.

Oh! ma mère... une pareille superstition...

MISTRISS REED, avcc agitation.
Appelle quelqu'un... qu'on m'apporte des sels...

JANE, qui s'esl avancée lentement.
Voici mon flacon, mistriss !

MISTRISS REED, uvcc effroi cl reculunt.
Ciel!...

GEORGINE, qui voit l'émotion de sa mère.
Qu'y a-lil ?

MISTRISS REED, lui prenant vivement la main, el has.
Ne vois-tu pas Jane Eyre! {Mouvement de Georgine.)

JANE, h mislriss Reed.
Vous sentez-vous mieux, mistriss?

MISTRISS REED, SB maîtrisant.

Oui... oui... merci... {Elle causa avec Georgine)
FRANCIS, qui a regardé cette scène avec surprise, à Jane.
Connaissez-vous ces dames, miss?...

JANE, froidement.
Non, sir... je les vois pour la première fois !

-ocr page 59-

VRamp;îicis, à part.

Quel est ce nouveau nnyslère?... [Haut à Jane), Mais
pardon, miss, pourrai-je savoir à qui nous avons l'hon-
neur de parler?

jane.

A Jane Eyre, gouvernante de miss Adèle, sir...

GEORGINE, qui a repris son sang-froid ct d'un air

dédaigneux.

Ah!... la gouvernante!...

MISTRISS REED, à part.

Fatalité!...

jgcèue VI.

Mistriss REED, GEORGINE, ROCHESTER, FRANCIS,
JANE.

ROCHESTER.

Je vous demande bien pardon, mes chers hôtes, d'être
arrivé au château le dernier, tandis que j'aurais dû vous
précéder pour vous y recevoir... Soyez les bienvenus
el considérez ce manoir comme le vôtre.
[Tons les per-
sonnages s'inclinent.)
Mais... un nuage obscurcit votre
front, lady Georgine ?... fasse le ciel que ce ne soit pas
moi qu'il menace !

GEORGINE.

Non, niyloid... je crains seulemenl pour la réputa-
tion de l'illustre Mesrour, quand ou apprendra dans le
comté que vous êtes parti en même temps que nous de
Clarens-House, et que nos pauvres haridelles ont réussi
à dépasser le cheval le plus rapide des trois royaumes.

ROCHESTER.

N'accusez pas Mesrour, milady...

GEORGINE.

Comment... vous avouez, iord Rochester.

ROCHESTER.

J'avoue... que chemin faisant, plongé dans des rêve-

-ocr page 60-

— éc-
ries tout à fait nouvelles pour moi, j'ai involontaire-
ment forcé le noble animal à marcher au pas...

JANE, à part.

Que dit-il ?

GEORGINE, ovec coquetterie.

Est-ce une justification, mylord?

ROCHESTER.

Si vous voulez bien l'accepter, milady .

GEORGi?!E, lui tendant la main.

J'y consens.

ROCHESTER, lui baisant la main.

Vous êtes si jolie quand vous êtes bonne...

francis.

Moi, je la trouve toujours belle... Mylord, permettez-
moi de vous réitérer mes remercîments pour la gra-
cieuse invitation que vous avez bien voulu me faire.
Je connais votre domaine de réputation... ce que j'en
ai vu jusqu'à présent est superbe, et ce sera un véri-
table plaisir pour moi que de le visiter dans tous ses
détails...
{Appuyant.) Bien des surprises m'y sont ré-
servées, sans doute?...

ROCHESTER,

Sir Francis, à votre aise..., agissez comme chez
vous...; je vous l'ai déjà dit,je mets tout à votre dispo-
sition.nbsp;'

MISTRISS REED, qui a montré beaucoup d'impatience
pendant cette scène.

Pardon, mylord... {Désignant Jane.) Depuis quand
cette ]ieisonne est-elle à votre service?... Je croyais que
miss Ellen Warner était l'institutrice de votre petite
protégée ?

ROCHESTER.

iMiss Jane l'a remplacée depuis cinq mois.

GEORGIE.

Ah !... et qu'apprend-elle à cette enfant ?

-ocr page 61-

ROCHESTER uït peu surpns.

Mais... les langues... la musique... le dessin... Oh!
miss Jane n'est pas une gouvernante ordinaire... elle
peint admirablement!...

JANE, avec modestie.

Mylord!...

GEORGINE, piquée.

Je n'ai garde d'en douter, mylord, lorsque vous prô-
nez miss Jane avec tant de chaleur.

FRANCIS, à part.

Qu'est-ce qu'elles ont donc, mes cousines?...

MISTRISS REED, à June.

Mais miss... (cherchant) c'est singulier... votre nom
m'échappe... où donc avez-vous appris toutes ces
choses ?

JANE, sèchement,

A l'asile de Lowood, mistriss.

GEORGINE.

Nous avons toujours entendu dire que le pieux doc-
teur Blackhorrst enseignait avant tout, à ses élèves, la
religion et l'humilité.

JANE.

C'est ce qu'il fait, milady., Rochester.) Excusez-
moi, mylord, j'ignore le nom de milady...

ROCHESTER, se mordunt les lèvres.

Ah! j'avais oublié... Lady Clarens...

JANE.

Lady Clarens peut être persuadée que j'ai appris à
Lowood tout ce que sir Blackhorst y enseigne... et
j'aurai une reconnaissance éternelle pour ceux qui
m'ont mise à même de profiter de ses leçons.

ROCHESTER.

Vous n'êtes pas difficile, miss Jane, car ceux qui vous
ont envoyée à Lowood ne devaient guère vous aimer.

-ocr page 62-

JANE.

En effet, mylord, ils ne m'aimaient pas... mais ils
m'ont rendu service... que leur main soit bénie!...

mistriss reed, à part.

Misérable!...

georgine, détournant la conversation.

C'estégal !.ie suis étonnée que miss Jane peigne aussi
bienque vous le dites,mylord...
(Le menaçant du doigt,)
Ne sericz-vous pas un peu partial ?

rochester, sèchement.

Pourquoi le serais-je?... d'ailleurs, vous en jugerez
vous-même.
..{Il se dirige vers sa chambre.)

jane, timidement.

Oh ! mylord, je vous en prie...

rochester, « wc sévérité.

Pas d'affectation, miss Jane! [Jl sort. Janeresle silen-
cieuse au fond.)

.««cène VII.

Mistriss REED, CxEORGINE, FRANCIS, JANE, puis
ROCHESTER.

georgine, bus à mistriss Reed.

Prends garde, ma mère, Francis nous observe...
{Haut à Francis.) Que faites-vous donc là, cousin Fran-
cis? Etes-vous devenu muet? voilà tnie demi-heure que
vous n'avez desserré les dents.

francis.

Vous parlez si bien, cousine, que je me ferais scru-
pule d'interrompre.... D'ailleurs je réfléchis...

mistriss reed, surmontant son émotion.

Je ne sais pourcjuoi, Francis... mais depuis que vous
êtes entré ici, vous avez l'air tout préoccupé ..

francis.

Vous trouvez, mislriss?..

georgine.

Oh! je sais bien ce qui le tourmente.

-ocr page 63-

FRANCIS.

Vous pourriez VOUS tromper, belle cousine... Mais
pardon... nous laissons là miss Jane...

JANE.

Ne faites pas attention à moi, sir... Imitez la con-
duite de ces dames.

ROCHESTER, revenant avec l'albîim de Jane à la main

Tenez, lady Georgine... regardez ces aquarelles...
cela est assez remarquable pour une élève de Lowood !
JANE, avec un nmtvemenf involontaire
Vîylord!...

ROCHESTER, sèchement.
Eh bien, qu'y a-t-il? (Jane baisse les yeux.)
GEORGINE, avec dédain.

Si vous le permettez, mylord, je remettrai à demain
l'examen de ces petits chefs-d'œuvre... Ma mère n'est
pas bien... et moi-même j'ai besoin de repos.
ROCHESTER, fermant vivement l'nlhum et le déposant sur
la table.

Que ne le disiez-vous plus tôt ?...

MISTRISS REED.

Je suis vieille, mylord, la route a été longue, et j'ai
grand sommeil...

ROCHESTER,

Vos désirs sont des ordres...

JANE.

Pardon, miss... Mais je ne suis pour rien dans...

JASE,

Vous êtes trop bon, sir!...

FRANCIS, offrant le bras à mistrissReed.
Puis-je vous offrir mon bras ?

MISTRISS REtD.

Je suis à vous... (Reprenant son manteau, à pari.)
Elle ou moi... une de nous deux est de trop ici... (é'Wc

-ocr page 64-

va à Francis el prend son bras. Saluant ironiquement
.fane.)
Miss Jane!

jANK, s'incUnant.

Mistriss...

FRANCIS, à Rochester.

Vous reverrai-je, mylord ?...

rochester.

Sans doute, sir Francis, el pour abréger l'ennui
d'une longue soirée, on servira le punch dans votre ap-
partement... Voudrez-vous m'aceorder l'hospitalité?...

francis.

C'est un honneur dont je serai tier, mylord... {Fran-
cis et mistriss Reed sortent par le milieu.)

ROCHESTER, à Georgine, en sourianl.

Sans me prévaloir des droits de seigneur châtelain,
lady Georgine, me sera-t-il permis d'espérer?...
{Il lui
offre son bras.)

georgine, acceptant.

J'accepte... pour aujourd'hui... parce qu'il me faut
un cicérone dans ce manoir enchanté... nous verrons
demain si l'on peut vous pardonner.

rochester.

En quoi ai-je eu le malheur de vous déplaire?

GEORGINE, avec intention.

Je vous dirai cela demain.

rochester.

Miss Jane... vous pouvez vous retirer... {Il sort avec
Georgine par la porte du milieu.)

Mcène VIII.

JANE, seule.

Enfin je respire!... Oh ! j'ai cru un inomenl que ma
poitrine allait éclater!... Mislriss Reed el Georgine ici...
quelle fatalité les amène dans ce château si rarement
visité?... -qu'y viennent-elles faire?... pourquoi ont-elles

-ocr page 65-

feint de ne pas me reconnaître? Mon Dieu ! me prépa-
rez-vous de nouveaux tourments ?... J'étais trop heu-
reuse sans doute, el vous voulez encore éprouver la
pauvre orpheline... Que votre volonté soit faite !... Jane
iiyre est résignée!...
{Apercevant les dessins.) Mesdes-
sins!... ah ! vous les examinerez demain, iady Cla-
rens !... ah ! vous n'avez pas daigné y jeter un regard...
vous ne les verrez pas !
{Elle saisit vivement l'album et
» apprete à sortir au moment
Rochester et Sam ren-
trent.)

Scène IX.

JANE, ROCHESTER, SAM.
nocHESTEii, (l'un air sombre sans voir Jane.

Sam ! j'ai aperçu Grâce dans le corridor... pourquoi
n est-elle pas à son poste ? que fait-elle à pareille heure
au premier élage?... qu'on la fasse remonter!...
{Sam
sort par lapnrle du milieu. Apercevant Jane, et avec sévé- .
rUe.)
Vous ici, miss Jane?... je vous avais ordonné de
vous retirer. . pourquoi ne m'avez-vous pasohéi?
JANE, timidement.
Je n'avais |)as sommeil, mylord.

ROCHESTER.

Hum! pas sommeil... conte que cela... vousm'esoion-
nipi,-...nbsp;'

JANE, vivement, puis avec dignité.
Mylord... a-t-il d'autres ordres à me donner?

ROCHESTER, avec colère.
^on\{Janes'inclineeusilenceetvapourso7Hir;illasuil.)
f ardon, miss Jane... mais n'esl-ce pas votre aihuui «ue
je vois là sous votre bras ?

JANE, qui s'est arrêtée.
En effet, mylord.

ROCnESTKH.

El vous l'emportez?

-ocr page 66-

- 66 -
JANE.

Oui.

uociiESTER, clonné.
Pourquoi? vous ne voulez donc pîus uie le laisser?

JANE.

A vous... oui... mais à d'autres, non... .le ne tiens
nullement à ce que lady Georgine... lady Clarens, veux-
je dire, le voie.

ROCUESTER.

Cette dame ne paraît pas vous inspirer beaucoup de
sympathie...

JASE.

Je l'avoue...

ROCHESTER, ù part.
Que signifie? {Haut.) Voyons, miss Jane, reudez-moi
ces dessins... ils sont beaux et je serais... heureux de
l'entendre dire.

JANE, résistant.

Mylord...

ROCHESTER,«yec beaucoup de douceur.

Je VOUS en prie...

JANE; avec élonnemenl.
Une prière,mylord!...

(Elle lai donne vivement l'alliuni.)

UOCHESTEK.

Cela vous semb'e extraordinaire... c'est juste... J'ai
une façon de parler aux gens qui n'est pas faite pour
les captiver...

JANE.

Lady Clarens ne paraît pas être de. cet avis, mylord.

ROCHESTER, avec humeur.
Lady Clarens... lady Clarens... est une coquette qui
a beaucoup d'ambition et peu de cœur.

-ocr page 67-

jane, se trahissant.
Vous l'avez devinée !...

HOCIIESTKIS, vivement.
Corainenl le sa vez-vous?... Vous la connaissez donc?...
(Sdence de Jane.) Voyons... répondez-moi, miss ?
JANE, eherchant à réparer son étourderie.
Non, mylord, mais...

nociiestek.

Mais quoi ?

jane.

Je l'aia.ssez ol)servée... pour pouvoir i)orter cejuge-
menl sur son caractère.

hpciiesteh.

Ail!... vous croyez?... {Depuis un moment, Jane
regard« atieniivement la porte de la chambre à droite.)
Si
vous êtes aussi bonne (»liysionomistp. vous devez me
connaître à fond... quelle opinion avez-vous de moi ?
jane, regardant toujours la porte,
Mylord... cette question...

rochesteh

Mais que regardez-vous donc avec tant d'attention ?

jane, inquiète.
On dirait qu'il sort de la fumée de cette chambre..
(Elle montre à gauche.)
kochester,
uvcc vivacité.
De la fumée !... {Il se dirige vers la porte ; au même
instant on entend l'éclat de rire de la fin du jiremier act«;
avec effroi.) CM

jane, avec un cri.

La folle !...

rochester, liors de lui.

^ Qne dites-vous?... la folle... Oh! cette fumée... (i;
s'élance vers la porte, l'ouvre et la referme vivement,
après être sorti.)

-ocr page 68-

JANE, transie de peur.

Mon sang se glace dans mes veines... Ce rire hor

rible... {On entend un cri de détresse et immédiatement un
corps pesant tomber sur le parquet; l'éclat de rire retentit
une seconde fois. Jane s'est approchée de la porte.)
Un
malheur vient d'arriver dans cette chambre... J'ai en-
tendu la chute d'un corps... Mon Dieu ! serait-ce my-
lord qui...
[Elle tourne vivement la clef dans lu serrure
qui résiste.)
Oh! et celte porte qui ne s'ouvre pas. {An
moment oit elle parvient à l'ouvrir, une colonne de fumée
sort de la chambre. Jane recule, mais mettant les mains
sur sa bouche, elle entre précipitamment. Aussitôt on en-
tend le bruit d'une fenêtre qu'on brise violemment puis la
voix de Jane criant.)
Mylord!... mylord!... revenez à
vous!... Au secours! au secoure! au feu!
{Apns quel-
ques secondes, Rochester revient en scène à demi suffoqué,
l'eau ruisselle de sa figure. Il a l'air égaré et cherche à
reprendre sa respiration; il va tomber mr un siège. Pen-
dant ce temps on entend le bruit de l'eau tombant sur la
flamme.)

R0CiiESTt.iî, avec effort.

Ab! je respire!... [Il se relève et retombe accablé sur
sur son siège.)
Jane... Jane... prenez garde!... n'ap-
pelez pas !...
{Ce jeu de scène doit durer assez pour
donner le temps à Jane d'éleindre tm commencement d'in-
eendie.)

JANE, accourant à moitié aveuglée. *

Mylord... mylord... où êtes-vous ?

BOCHESTEK.

Ici, Jane.

JANE.

Dieu soit loué... VOUS respirez encore!

ROCHESTER.

Oui, mais je ne puis me mouvoir...

• Rochester, Jane.

-ocr page 69-

JANE, s'élançant vers la porte du fond.
Je vais appeler !

ROcnESTF.R, avec un geste.
Arrêtez, Jarie... arrêtez!

JANE.

Mais vous souffrez...

ROCHESTER, fjui est parvenu à se lever.
Nor}... c'est fini... merci, Jane !... Vous m'avez sauvé
la vie au péril de la vôtre! Ah ! mon Dieu! vous pâ-
lissez!...

plus

JANE.

Ne parlons pas de cela, mylord... Mais n'y a t-il
de danger?... le feu est-il bien éteint?... Je vais...

ROCHESTER,

Restez Jane... J'iraim'en assurer. {D'un air sombre.)
Surtout... ne sortez pas d'ici... Attendez-moi... je dois
vérifier quelque chose là-haut... Vous ne serez pas
longtemps à me revoir...

(Il sort par la gauche, après avoir pris un flambeau.;

JANE, seAile

J'ai froid!... j'ai peur!... i! me semble que je sors
d'un rêve affreux... Ne suis-je pas le jouet d'un songe?
(Se tâtant.) Non... je suis bien éveillée... j'ai bien ou-
vert cette porte... et dans cette chambre, j'ai bien vu
mylord étendu presque sans vie! Quel mystère!... Pour-
quoi n'a-t-il pas voulu que j'appelasse?... Pourquoi?...
Ob ! je me souviens maintenant... Ce rire infernal qui
a retenti si près de mot au moment où... oui... c'est
cela... c'est Grâce Poole... la misérable... Et mylord
qui ne revient pas !

ROCHESTER, rentrant et déposant son flambeau.

Tout est éteint... [D'un nir sombre.) C'était bien ce
que je pensais!

-ocr page 70-

JANE.

Comment dites-vous, mylord ?
ROCHESTER , mn.i répondre, reslr /en bras croisés sur lu

poitrine et regarde à terre, puis il parle ires-bas et eu

*e promenant.nbsp;^

Oui... c'était bien elle... Voilà la seconde fois qu'elle
essaye... Elle a cru que j'étais couché... sans doute...
(Haut, a Jane et d'un ton particulier) Ce rire... ce rire
bizarre, vous l'aviez eiiiondu déjà, ce me semble... Ne
m avez vous jias raconté ([u(gt;l([ue hisloire de cc genre ?

J.VNE, étonnée.

Oui, mylord... il y a ici une femme. (Iràco Poole, qui
ru de cette façon... je soupçonne...

ROCHESTER.

Oui, c'est Giâce Poole, comme vous l'avez deviné...
C est une singulière personne... Nous y repenserons.
El; attendant,inutile de parler de tout ceci. .l'explique-
rai facilement ce pelitdésa-lre
montre la chambre)
et... J aime à penser que vous n'aurez pas grand' peine
à me garder le secret.

JANE.

Je vous promets de me taire, mylord, puis([ue vous
le desirez... Mais cette femme, vous ne la punirez pas?

ROCHESTER.

Non.,, ne me demandez pas d'explications mainte-
nant. Si vous êtes remise de votre fraveur... retournez
chez vous... et lâchez de reposer.

JASI .

Bonne nuil, mylord !

ROCHESTER, s'écriaut.

Eh quoi?... Allez-vous me quitter sitôt... et de celte
manière ?...

JANE.

Vous m'avez dit que je pouvais m'éloigner.

ROCHESTER.

Mais non sans prendre congé... Sans .quelques mots

-ocr page 71-

— Ti-
de bienveillance et de bon accord... mais non avec celte
sèche et rigoureuse politesse...

JANE, iimùhmmt.

Mylord...

ROCHESTER, lu! prenant les deux mains et d'un Ion
pénétré.

Vous m'avez sauvé la vie... C'est avec bonheur que
je vous suis redevable de ce bienfait. Je ne puis rien
dire de mieux, car je n'ai encore rencontré dans ce bas
monde personne que j'eusse voulu voir mon créancier
à ce point... Mais vous, Jane, c'est différent... Une dette
envers vous n'e.st pas un fardeau.

J,\NE, embarrassée.

Mylord...

ROCHESTER.

Je savais qu'un jour ou l'autre, et d'une ou d'autre
façon, vous me rendriez quelque service éminent... J'ai
lu'cela dans vos yeux depuis longtemps... Ce n'est pas
en vain que leur expression souriante...
[hésitant{
non, ce n'est pas en vain qu'elle fit pénétrer une sensa-
tion délicieuse jusque dans les plus intimes profondeurs
de mon âme... On parle de sympathies naturelles,
Jane... on parle aussi de bons génies... Il y a quelque
chose de vrai dans presque toutes les fables... Bonne
nuit donc, chère enfant, qui m'avez sauvé...

JANE, émue.

Vous vous exagérez ce que j'ai fait pour vous, my-
lord... Je suis charmée d'être restée dans ce salon...

(Elle fait un pas vers la porte à droite.)

ROCHESTER, lui tenant toujours les mains.

Vous vous en allez donc?

JANE.

J'ai froid, mylord.

-ocr page 72-

ROCBESTER.

Froid!... Ah! oui... vos vêtements «ont humides...
Eh bien, Jane... allez vite... Soignez-vous, mon enfant.,

(II la relient toujours.)

JANB, avec effort.

Mylord... Il me semble que j'entends quelqu'un !

(Rochester lui làchc vivement les mains. Jane sort er
rant par la porte à droite. Il la suit du regard.)

JUDITH, entre par le milieu.
rocheiter.

Que me voulez-vous, Judith ?

judith.

Sir Francis vous attend mylord !

ROCHESTER, d'uti air sombre.

C'est bon! entrez là. (Il désigne sa c/ia«i6re.) Remettez
tout en ordre... Vous verrez bien... Elle est venue...
' Judith sort) faisant un geste d'intelligence.) Encore une
nuit sans sommeil... encore un masque à mettre sur
mon visage! La rage dans le coeur... le sourire aux
lèvres, soyons toujours l'heureux, le puissant Roches-
ter!...

l!

t en cou-

Le rideau tombe.

FIN DU DKUXIË.ME ACTE.

-ocr page 73-

Un salon de verdure. — Porte au fond ; portes latérales.

licène première.

Mistriss REED, GEORGINE.

mistriss reed.

Enfin! nous la verrons aujourd'hui!... ^Avec laiUe-
ne.) Lord Rochester vient d'annoncer que miss Jane
nous honorera de sa présence au déjeuner... j'ai hâte
de la voir seule.

georgine.

Que veux-tu dire à cette fille, ma mère ? Elle a vu
que nous ne voulions pas la reconnaître et nous a rendu
la monnaie de notre pièce. Laissons la gouvernante
élever miss Adèle jusqu'au jour, prochain, je l'espère,
oil j'aurai le droit de la chasser de ce château.

mistriss reed.

Georgine, tu as trop de confiance dans les forces, et
tu es trop étourdie pour voir ce qui se passe ici. Tu as
ri de mes pressentiments, lorsque le soir de noire arri-
vée, quelque chose de mystérieux m'apprit la présence
d'une ennemie... Eh bien, la crainte que je ressentais
alors n'a fait qu'augmenter... Je te dis que Jane nous
portera malheur!...

GEORGINE, avec un sourire d'incrédulité.

Comment pourrait-elle nous nuire ?

mistriss reed.

Comment?... Ecoute!... Il y a huit jours, le lende-
main de notre première rencontre, Jane devint malade
après un événement que nul n'a pu expliquer, mais où
elle doit avoir joué un rôle, s'il faut en croire Francis
qui a capté la confiance de Sam. Depuis huit jours,

-ocr page 74-

lord liochesleresf d'une froideur que Ion amour-propre
ne veut pas voir... Il a passé la moitié de ses journées
dans la chambre de Jane... bien qu'il prétende s'être
retiré dans son cabinet de travail.

GEORGINE.

Comment sai.3-lu cela?

MISTRISS REED

Sam l'a dit... Or. un maître comme Rochester, qui
s'occujui à ce point d'une simple gouvernante, doit
être mû par un sentiment plus fori que la bienveil-
lance... La chaleur avec laquelle il parle du dévoue-
ment et de la grandeur de caractère de cette fille..., la
réserve qu'il montre à ton égard...; car enfin jusqu'ici
il ne l'a rien promis, Georgine... Son air rêveur qui va
jusqu'à la mélancolie, tout cela me fait supposer... que
tu as une rivale dans cette petite misérable que la fata-
litr nous a fait retrouver sur notre chemin ..

GEORGINE, avec dédain.

Jane Eyre... ma riv,=)le... ce laideron, cette élève de
Lovs'ood, ma rivale!.,. Oh! ma mère, tu me fais in-
jure î

MISTRISS REED

J'ai de re.xpérience, ma fille, et je vois clair... je te le
répète... prenonsgarde à ,Iane Eyre...ellese souviendra
du passé, cl voudra se venger de nous... je l'engage
contre toute éventualité à ne pas désespérer ton cousin
Francis, qui, après lout, est encore relativement un
parti assez brillant.

GEORGI.N'E.

Depuis quand doutes-tu du pouvoir de Georgine?...
Lorsque je le voudrai, Rochester sera à mes pieds.

MISTRISS REED.

N'importe. Je verrai Jane aujourd'hui même... je la
sonderai, et avec l'empire que j'ai conservé sur elle, le
parviendrai bien à l'éloigner d'ici.

W

-ocr page 75-

GEORGINE.

Soit occupe-toi de Jane... moi, j'entourerai Ro
ehester de tant de séductions que, fùt-il amoureux fou
de ma chère cousine, il faudra bien qu'il m'aime!

•MISTRISS REED.

Chut.,, les voici... à notre rôle!,..

Scène II.

MiSTiiiss UKED, J.ANE, ADÈLE. ROCHESTER,
GEORGINE, puw-FRANCIS, SAM (lt; JUDITH.

Ces deux ilcrniers viennent par la porte du fond, apportanl

le déjeuner, et couvrent la fable.) *
liocHESTER, il entre par la droite en donnant le bras
à Jane qui tient A dèle à la main.
Mesdames, je vous présente miss Jane, qui est encore
un peu souffrante...

JANE, lâchant le bras de Rochester,
Merci mylord..

Elle salue mistriss Keed et Georgine.)

.MISTRISS REED.

Miss Jane peut-être fière du cas que son maître fait
d'elle... il y a peu de ffouvernantes qui soient traitées
avec autant d'égards.

ADÈLE.

C'est que miss Jane est une charmante gouvernante,
n'est-ce pas, Rochester ?

ROCHESTER. •

En effet.

GEORGINE, bas à Rochester.

J'en connais qui seraient bien heureuses de iiareilles
attentions.

ADÈLE, vivement à Georgine (').

Vous avez sans doute eu aussi une bonne miss Jane

' Rcod, .lane, Rochester, Adèle, Georgine.

-ocr page 76-

lady Georgine, puisque vous êtes si jolieetsi aimjihle?...
Est-ce que je serai un jour comme vous?

GEonciNE, écartant Adèle de la main.
Prends garde, mon enfant... lu chiffonnes ma robe...
(A Rochester.) Mais, dites-moi,cher lord... J'avais tou-
jours pensé que vous n'aimiez pas les enfants?
nocHESTER, étendant la main vers Adèle qui esl restée
toute décontenancée et qui s'approche de lui.
C'est la vérité.

GEORGINE.

Où donc avez-vous ramassé cette petite fille ?

ROcnESTER, à Adèle, avec douceur
Vas auprès de miss Jane! (Adèle s'en va en courbant
la téte, et se jette dans les bras de Jane en pleurant.)
(A Georgine.)
C'est une orpheline que j'ai recueillie...

(Il jette un regard d'intérêt sur Jane qui s'occupe tendre-
ment d'Adèle.)

JUDITH.

Le déjeuner est servi.

(Tout le monde se met à lable. Jane veut se retirer *quot;.)
ROCHESTER, lu retenant.

Où allez-vous, miss Jane?.., Ne déjeunez-vous pas
avec nous?

JANE, confuse.

Mylord...

ROCHESTER.

Faites-moi l'amitié d'accepter... Vous ferez connais-
sance avec ces dames...

GEORGINE, blessée.
C'est beaucoup d'honneur pour nous.

Mislriss Reed, Jane, Adèle, Rochester, Georgine.
Jane, Adèle, mistriss Reed,Rochester, Georgine, Francis.

-ocr page 77-

UISTRISS REED.

Nous serons très-heureuses...

lAN'E, saluant.

Vous êtes bien aimables, mesdames...

(Elle se place modestement à table.—Rochester fail face au
public. — Georgine s'est placée auprès de lai. — Sam et .Ju-
dith servent.)

FRANCIS, entrant par le fond.

Pardon... je suis en retard... C'est que j'ai voulu
monter à la lour du
^ovà... (mouvement de Rochester)
dont je ne peux me lasser d'admirer la bizarre archi-
tecture... J'étais curieux d'en voir aussi les dispositions
intérieures.
(Léger trouble de Rochester. Francis tient
les yeux fixés sur lui.]
Mais je me suis égaré dans un
dédale de corridors, et j'ai trouvé la porte de la tour si
bien close, que force m'a été de renoncer pour celte

fois à ma visite..... Alors, je suis descendu dans votre

parc,mylord... 11 esl si magnifique...

fU s'est assis à côté de mislriss Reed.)

GEORGIiNi;.

Magnifique, en effet... C'est bien la plus ravissante
promenade qu'il soit possible d'imaginer... Eu élé ce
doit être un véritable paradis... Ces arbres majestueux,
ce vasle étang et cet antique manoir aux vieilles tou-
relles, toui cela est d'un pittoresque!.,. Aussi la se-
maine que nous avons passée ici s'est-elle écoulée
cojnme un rêve.

ROCHESTER.

Je suis cbarmé, lady Georgine, que le lemiis vous
ail semblé court.

FRANCIS.

Comment donc! mais ce sont tous les jours des sur-
prises nouvelles...

MISTRISS IlERJJ.

Quel projet avez-vous formé pour aujourd'hui, my-
lord?

-ocr page 78-

ROCHESTER.

.Faurais voulu vous couduii c à la vieille abbaye,
bàlie par Henri VHI... mais j'ai malheureusement des
affair( s si [»ressantes terminer, que je me verrai forcé
de prier sir Francis de me remplacer... Il connaît le
cUemin ..

GEO RGIN E, éto urdimenl.
üh! c'est fàchî^ux!

piqué.

FRANCIS,

M(;rci, Georgine !...

^ y

.■\nSTRISS REED.

Vous êtes prompt à vous formaliser, Francis...,
Georgine n'a pas eu l'intenliiii devons blesser.

GEORGINE.

Non, certainement... mais lord liochester aurait pu
nous raconter les traditions de cette abbaye..., cela
doit être intéressant..., pour moi du moins..., car, jfi
vous l'avoue, je professe un profond respect pour cette
grande figure historique de Henri VIH...

JANE.

Vous aimez donc les tyrans, lady Clarens ?

FRANCIS.

Comment doue ! mais elle est inconsolable de ce qu'il
ait été rejoindre ses aïeux... Georgine eût été capable
de l'épouser.

GEORGINE.

C'était un galant souverain...

JANE.

Oui... mais il fit mourir toutes les femmes qu'il aima.

FRANCIS, souriant.

Qui aime bien, châtie bien!

GEORGINF-

Vous avez donc appris l'histoire, miss Jane?

-ocr page 79-

JANK.

wood'' 'quot;'•''quot;•'y--quot;quot; enseigne Iden des ciioses à l.o-

GEOUGINE, qui a fail un monvement.

II parait...

FRANCIS, m regardant Gcorgim:.

Mis.s Jane a raison de ne [.as aimer les tyrans, mâles
on femelles .\lalh.-urcuseme..t l'espèce n'en est pas
|)erdue... Il est encore des hommes (jui
se plaisent à
cEer?nbsp;pensez-vous, lord Ro-

HOCHESTER, coHinie réveillé en surmul.

Moi? voilà une singulière question, sir Francis!

francis.

Mais non... elle est toute naturelle,surtou' lors-
qu elle est adressée à un homme qui, comme vous \
beaucoup voyagé, qui a dù néces.sairement étudier
le cœur humain... à fond..., et voir des choses bien
extraordinaires.

ROCUESÏEK.

J'ai beaucoup vu, en effet, sir... ét l'expérience m'a
démontre qu'il ne faut pas juger légèrement ce oui neut
paraître étrange.nbsp;i i ^

GEORGINE, moniranl Francis.

Oh! lui!... il voit tout en noir... les idées de sir
francis sont toujours en deuil... et puis, mon cher
cousin est constamment en quête d'événements ni^r
veilleux...

FRANCIS.

Que voulez-vous, belle cousine, j'aime à découvrir
les mysières.

GEORGINE, riant.

Quels mystères espérez-vous donc découvrir ici ?

FRANCIS, légèrement.

Qui sait?... dans un vieux château...

-ocr page 80-

ROCHESTER, à pa/ /.
Ce diable d'homme a une conversation... .(tfau^j
détournant Ventretien.) Miss Jane, vous ne prenez
rien !...

JANK.

Merci, mylord, je n'ai pas encore grand appétit. .
ROCHESTER SB Uvc et vicut suf le devant de la scène
Vous êtes faible, miss... il faut vous forlifier...

MISTRISS RïED, selcvaut.
Je n'ai pas grand'faim non plus.
fiEORGiNE se lève à son tour ; le cordon de son soulier
est défait.

Tiens! le cordon de mon soulier est défait...

FRANCIS, avec un coup d'œil .sur Rochester.
Quel sera le chevalier assez heureu.x pour avoir
l'avantage de le rattacher ?

GEORGINE, qui a regardé Rochester, comme si elle
attendait une réponse. Après une pause, d'un air
piqué.

Aucun de vous, messieurs! .. (Faisant un $igneà
Adèle d'un air hautain.)
Viens ici, petite !

ADÈLE, s'avançant.
Que dois-je faire ?...

GEORGINE.

Noue ce cordon !

ADÈLE; résolûmeni.
Non, je ne veux pas !

uocHKSTER, d'uu uîr sévèrc.
Qu'est-ce que c'est ?

ADÎSLE, même jeu.
Non ! lady Georgine est belle, mais elle n'est pas
bonne !... je ne veux pas !
' Rochester, Jane, Adèle, mistriss Recil, Georgine, Froncis,

-ocr page 81-

KocHBSTER, Stupéfait et en regardant Jane,
Comment, Adèle?

MISTRISS RKED.

Est-ce la méthode d'éducation de miss Jane ?

GEORGINE, toisant Jane.

En tout cas, elle ne lui a pas appris la soumission.

ROCHESTER, d'un air à moitié fâché.

Miss Jane...

JANE, d'un air humble, à mistriss Reed.

Adèle est mon élève depuis quelques mois seulement,
el vous savez bien, mistriss, qu'une éducation négligée
ne peut souvent être corrigée qu'au bout de plusieurs
années...
(A Georgine.) Pardonnez à l'enfant et per-
mettez-moi de réparer sa faute...

(Elle pose rapidement un genou à terre et noue le cordon.
— Rochester fail un mouvement pour la retenir, puis II croise
les bras sur la poitrine ct semble souffrir de ce spectacle.)

GEORGINE, stupéfaite, laisse faire Jane.

Vous êtes trop bonne, miss !...

MISTRISS REED, à

Avec quel orgueil elle s'est humiliée.

(Jane se relève, prend la main d'Adèle, remonte ia scène
avec elle et lui parle bas. — Pendant ce qui précède, Judith
et Sam ont desservi la table et: ils sont sortis.)

GEORGINE, bas à Rochester.

Allons, maître sévère, il faul bien le reconnaître,
vous avez parfaitement dressé votre petite gouver-
nante... On aurait presque peur de vous... si l'on vous
aimait moins...

ROCHESTER, froidement.

Je VOUS remercie de l'intérêt que vous me portez.
FRANCIS,
pendant ce temps a pris un mouchoir sur le
sopha et le présente à Georgine

Votre mouchoir, belle cousine... Consentez à ce quo
je continue ici mon rôle de chevalier...

(Il Ini offre .'ion bras.)

-ocr page 82-

GEORGINE, avec hauleur.
Mon chevalier?

FRANCIS , à demi voix.
Seriez.vous toujours dans l'intention d'épouser Ro-
chester?

GEORGINE, de même.

Oui m'en empêchera ?

FRANCIS, de me'wie.

Moi, peut-être!nbsp;, , , ^

(Georgine iiausse les épaules.)

ADÈLE, qui a descendu la scène, vient se placer à ge-
noux devant Rochesler.
Pardonne-moi, Rochester... je ne le ferai plus!...

ROCHESTER, la relevant et regardant Jane.
C'est bien, Adèle! voilà un bon mouvement... auquel

miss Jane n'est pas étrangère, je pense. , , . .
^^nbsp;'nbsp;(Adèle sort par la droite.)

JANE.

J'ai voulu prouver à mistriss Reed qu'on peut beau-
coup avec de la douceur et de la persuasion.,.

GEORGiNe, à Rochester.
Vou ne pouvez, avez-vouä dit, nous accompagner
jusqu'à l'abbaye... Vous aurez du moins la bonté de

nous mettre sur la route?

ROCHESTER, passant auprès de Georgine.
Bien volontiers, milady.

MISTRISS HEED, büs à Juue.
Jane Eyre!... il faut que je vous parle.

JANE, tressaillant.

A moi, ma tante?

ROcnssTER, à pari, étonné.

Sa tante!...nbsp;, . ,

MisTHiss REED, ous u Jane.

Oui!...

-ocr page 83-

Jane, même jeu.

Je suis à vos ordres, raistriss.

MISTRISS REED.

Bien!

ROCHESTER.

Mistriss Reed, quand vous voudrez....

mistnss reed.

Excusez-moi, mylord... Cematinjene suivrai pas ma
tille dans son excursion,., je me reposerai aujourd'hui,
miss Jane voudra bien me tenir compagnie, si vous y
consentez.

ROCHESTER.

Commentdonc, mislriss...parl.)Sa iaiûe\...{Haut
el offrant son bras à Georgine.)
Milady...

(II sort par le fond avec Georgine el Francis; mislriss Reed
les suit jusqu'à la porte.)

Sicèue III.

.lANE, MISTRISS, REED.

JANE, « part.

Que me veut-elle?... qu'a-t-elJeà me dire?... il me
semble queje touche à un moment suprême.

MISTRISS REED, ùu foud, à part.

L'instant est solennel... aurai-Je encore sur elle mon
pouvoir d'autrefois?... Il s'agit du bonheur de mes en
fants... il le faut!...

JANE, se retournant.

Mistriss, je suis prête à entendre ce que vous avez à
me dire.

MKSTRISS REED.

Jane Eyre, plaçons-nous cn face l'une de l'autre sans
hypocrisie... n'essayons pas de nous tromper... le temps
n'a aucun empire sur des caractères tels que les nôtres..

-ocr page 84-

Nous nous sommes haïes, nous nous haïssons encore,
{MouvementdeJane.}Oii ! ne dissimulons pas !... ce se-
rait une indignité qui nous rendrait méprisables à nos
propres yeux.

JANE, avec calme.

Vous me haïssez, mistriss Reed... vous me haïssez,
hélas !... Cependant, vous avez tort de comparer nos
caractères... vous êtes une femme âgée... vous ne sa-
vez pas revenir d'une prévention, même lorsque vous
en reconnaissez l'injustice... mais moi, j'étais jeune et
mes sentiments ont bien changé.

MISTRISS REED.

Non, vous êtes restée la même..., ce sont toujours
fes traits qui ne furent jamais d'un enfant..., ce sont
toujours ces yeux qui me poursuivaient, moieties
miens, d'un regard haineux..., non, tu n'es pas chan-
gée, Jane, car tu souris de joie en voyant devant toi la
femme qui, d'honnête qu'elle était avant que tu n'en-
trasses dans sa maison, est devenue criminelle... Jane!
tu as chargé ma conscience d'insupportables remords!

JANE.

IMoi? mistriss Reed!...

MISTRISS REED, d'uïi uir sombic..

Oui... toi!.,, parce que je t'ai persécutée... parce que
j'ai manqué au serment que j'avais fait à mon mar..i.
parce que... mais tu vas être vengée... Jane Eyre, la ri-
che mistriss Reed, l'opulente veuve de ton oncle, est
devenue pauvre... cela te fait-il plaisir?

JANE, avec émotion.

Vous, pauvre!

MISTRISS REED.

Oui, pauvre... j'ai tout donné à John, mon bien-aimé....

-ocr page 85-

j'ai vendu Gateshead... j'ai même dépouillé sa sœur
pour lui... il a tout englouti !...

JANE, joignant les mains.

Oh ! le misérable !

MISTRISS REED , vivcmenl et avec colère.

Ne l'insulte pas!... (D'un air plus rfoM.r.) Il était
à Londres, il aimait le luxe, il me demandait de l'or, et
je n'ai pu résister à ses prières ; maintenant il ne nous
reste qu'un moyen pour nous relever... Georgine
compte sur la fortune de lofd Rochester; Jane Eyre, tu
comprends qu'il faut que tu partes!...

JANE.

Pourquoi ?

MISTRISS REED

Parce que lord Rochester t'aime !...

JANE.

Lord Rochesler m'aime.'... qui vous a dit cela ?

MISTRISS REED.

Oh! lu le suis bien, Jane!... tu voudrais me l'enten-
dre répéter pour mieux jouir de ton triomphe, el te
venger !

Me venger!... Oh ! mistriss Reed , vous me croyez
donc bien méchante !... Non, je ne sais pas si lord Ro-
chester a de l'amour pour moi... je vous le jure... mais
par reconnaissance pour mon oncie, je ferai tout ce que
vous exigerez... Hélas ! faul-il que ce soit vous qui me
chassiez d'ici après les huit années que j'ai passées à
Lowood dans la plus horrible misère?... Faut-il que vous
renvoyiez encore une fois la pauvre orpheline, sans
ressources... sans asile?... cela est dur, mislriss
Reed!

MISTRISS REED.

Sans ressources, non..', car, si tu le veux, tu seras plus
riche que nous.

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JANE.

Que voulez-vous dire?

ahstuiss ueed.

Ecoule ; piïndant que tu étais à Lowood, une lettre
arriva de Madère... elle nous apprenait que le frère de
ton père y avait amassé une sjrande fortune, et qu'il
voulait t'instituer sa légataire universelle... si tu allais
le rejoindre...

j.ane.

Grands dieux ! et pourquoi ne m'avez-vous pas pré-
venue ?

-MISTRISS REED.

Parce que je ne pouvais supporter l'idée de te voir
dans l'opulence, quand la misère fondait sur ma mai-
son... parce que je ne pouvais le pardonner les injures
sanglantes dont lu m'accablas quot;U présence de mon frère
et de Blackhorsl... parce que tu m'avais volé l'affection
de mon mari... parce que je le haïssais plus que jamais,
enfin,,. voiià pourquoi jquot;' ne It communiquai poinl
cette lettre... voilà comment de nouveaux remords
vinrent m'assaillir et me rendre plus niilheureuse
encore !,..

JAiVE.

■Je vous ai donc bien offensée, mislriss Reed?.,.

MISTRISS REED.

Tu me le demandes!...

JANE.

J'étais si jeune... je ne savais ce que je faisais, et
lgt;uis, vous étiez bien cruelle pour moi!.quot;., mais j'ai
appris à pardonner... L'étude et la religion ont ouvert
mon esprit, et je suis prête à tout oublier, si vous vou-
lez me rendre une amitié que vous n'auriez jamai.s dft
m'enlever.

MISTRISSREED.

Tu doiscoinprendre à quelles conditions, Jane Eyre
Ton départ seul...

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JANE.

Mais si mylord n'aime pas Georgine ?

MISTRISS REED, vivement.
Tu te trahis, Jane...

JANE,

Du tout, mistriss, et...

mistriss reed.
Faut-il queje te dise combien la conduite de Roches-
ter est changéeàl'égarddema fiUe depuis huit jours?...
L'as-tu ensorcelé, cet homme?...

JANE; avec fierté.

Mistriss Reed!...

(On entend crier dans la coulisse ; ma Mère ! ma mère !
Mistriss Reed court au devant de Georgine qui entre par le
fond.)

iScène IV.

JANE, GEORGINE, puis HENRY WYTFIELD, en
habit de voyage,
mistriss REED.
GEORGINE, accourant.
Ma mère... en descendant de la terrasse où lord
Rochester nous avait laissés, Francis et moi, j'ai vu
mon oncle descendre de cheval... le voici...

(Henry entre.)
MISTRISS REED, uvec slupéfacHon.
Wytfield... mon frère... Ici... que viens tu m'ap-
prendré, mon Dieu?... Henry ! Tu m'apportes la noti-
velle d'un malheur !

henry.

]lé]3iamp;\ {Apercevant Jane.) Mais... nous ne sommes
pas seuls.

JANE, lui saisissant les mains el avec effusion.
C'est Jane Eyre qui vous salue, mon cher oncle Wy t-
tield!...

henry.

Jane Eyre?... Vous, Miss?.., En effet... C'est bien

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elle... {Il M prend les mains.) Et auprès de toi. Sa-
rah!... Vous etes donc réconciliées ?

MISTRISS REED, SOUS répondre à cette question.

Tu viens de Clarens-IIouse, tu as des nouvelles de
mon (i!s...

GEORGINE.

De mon frère.

IIENHÏ.

De lui, non... Mais je ne pouvais plus te cacher ce
qui arrive... Il est peut-être encore temps de le sau-
ver...

MISTRISS REED, JANE et GEORGINE.

L sauver!,..

HBNRY,

John Reed est en fuite... il a fait une fausse lettrede
change de 1,000 livres, qu'il faut payer au plus tôt, si
nous voulons épargner à notre nom une tâche ineffa-
çable!..,

(.Mistriss Reed, qui est restée haletante pendant le récit de
Henry, tombe évanouie dans les bras de Jane qui la retient.)

GEORGINE, volant au secours de Mislriss Reed.

Ma mère !

JANE.

Mon Dieu ! mon dieu ! elle s'est évanouie.,.

(Hem-y aide Jane et Georgine il placer mistriss Reed sur le
sopha a droite.)

JANE, lui frottant les mains et le front.

Tante Reed... remettez-vous... Tante Reed écoutez-
moi...

(Georgine repousse Jane et fail respirer des sels à sa mère.)

HENRY, bas à Jane.

La malheureuse ne sait pas tout... selon toute appa-
rence... John a mis fin à ses jours...

1 Km, joignant les mains.

©ieu de miséricorde !

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UENUY, d'un air sombre.

Dieu de justice, devez vous dire, Jane... Elle est
punie de sa cruauté envers vous.
MISTRISS REED, fait un mouvement et ouvre les yeu.%\

Ah !

GEORGi.»iE, avec joie.

Elle vit...

JANE, se menant à genoux devant mislriss Red el
luiprenani les mains.

Pauvre tante !...

MISTRISS REED.

Tu me plains, Jane!... ah! tu élais meilleure que
moi... (Piewran^.) John, mon enfant chéri, qu'as-tu
fait? je t'ai trop aimé... je fus faible, et Dieu me frappe
en toi !... (Se
levant avec vivacité'^.) Henry... je lis dans
tes regards... Je sens à une douleur secrète que tu me
caches encore quelque chose... John est mort !

HENRY.

Non. Sarah!...

GEfiRGINE.

Ma mère... lu as encore une fille.

JANE, vivement.

Oui... oui... ma tante, et il faut vous conserver pour
elle... le bonheur peut encore vous sourire... S'il faut
pour cela que je parte, eh bien... je partirai...

MISTRISS REKD.

Tu partiras, dis-tu? alors une lueur d'espérance me
reste... Ecoute, .Tane... ton oncle vit encore et il t'at-
tend toujours... va le retrouver... il te fora riche... va
et pardonne à ceux que le ma'heur accable.

JANE, d'un ton solennel.

Rends le bien pour le mal, a dit le Seigneur... Tante
Reed... demain j'aurai quitté ce château... j'aurai dit
.îdieu à cette maison où j'ai passé les premiers beaux

' Henry, Reed, Jaae, Georgine.

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jours de ma vie... Maintenant, tante Reed, donnez-moi
votre bénédiction.

(Elle va pour s agenouiller.)
HENRY.
Que veut dire tout ceci?

MISTRISS RE8D, Qui U vetetiu Jane, à Henry'

Je te l'expliquerai ! (A Jane.) Jane Eyre, je ne puis
te bénir...La bénédiction d'une haine mal éteinte serait
un blasphème!... Mais lu pars pour rendre Georgine
heureuse... je ne te maudirai plus... je ferai des vœux
pour ton bonheur.c. jene puis davantage...

GEORGINE.

Ma mère...

MISTRISS REED.

Dieu seul est la justice... il décidera entre nous!
{A Georgine et à Henry.) yenez... j'ai besoin de me
remettre de l'émotion que
j'ai éprouvée... il ne faut pas
que lord Rochesler sache un mot de ce qui s'est passe

ici...

(Elle l'ait un geste d'adieu à Jane et sort, soutenue par Henry
ct Georgine.)
iSeène V.
JANE, puis ROCHESTER.
JANE, qui a regardé sortir mistriss Reed.
De la haine ! toujours delà haine !... Elle disait bien!.,
.son cœur n'a pas changé... mais Dieu a éprouvélamère
trop faible... il l'a frappée dans sa plus chère affec-
tion! .. Singulier mélange de cruauté et d'amour!
Cette femme, qui était sans entrailles pour l'orpheline,
trouvait dans son âme une tendresse avengle pour un
fils méchant et orgueilleux... cette femme, que les
prières d'un mourant ont trouvée insensible, se ruine
etruine sa fille pour un enfant qui l'a réduite au déses-
poir.
[Rochester paraît sur le seuil de la porte a droite.)
Quel changement dans nos positions! Celle qui me
maltraita, qui me chassa de sa maison, se voit obli-

-ocr page 91-

gée aujourd'hui d'implorer sa victime!... Elle me sup-
plie de partir !... Partir ?... mais elle dit que Rochester,
m'aime... Oh! non... cela n'est pas... elle se trompe...
Et quand cela serait...
{Avec feu.) Eh bien, oui!...c'est
Dieu qui m'inspire!... le sacrifice sera complet... car
je l'aime moi!... la vengeance sera noble... Elle me coû-
tera le repos, la joie de toute ma vie! mais il ne sera pas
dit que Jane Eyre aura reculé devant une bonne action!...
Je partirai.

ROCHESTER, eiïtranlpar la droite; iWavance lentement
et d'un air grave.

Non, Jane, non, tu ne partiras pas!

JANE, avec effroi.

Ciel! mylord.

ROCHESTER.

Oui, c'est moi... moi qu'un mot sorti tout â l'heure
de ta bouche à frappé d'étonnement... ce mot a éclairé
mon esprit d'une lueur soudaine... J'ai écouté... par-
donne-moi... Tout ce qui le touche de près ou de loin
m'intéresse... .l'ai compris loul de suite que la tante
dont tu m'avais caché lequot; nom, lorsque tu me racontas
tes malheurs, n'était autre que cette mistriss Reed. Je
ne puis m'expliquer encore la haine de cette femme
horrible ; mais ce que je sais, Jane, c'est que tu es la
meilleure, la plus noble des femmes, et que je t'aime!

JANE.

Mylord!...

ROCHESTER.

Jane Eyre, ce n'est plus le maître qui parle à la gou-
vernante, c'est l'amant qui s'incline devant la femme
qu'il aime et dont il est aimé. .Car, tu l'as dit, Jane, lu
m'aimes. Je bénis l'indiscrétion qui m'a foil connaître
un sentiment que tu n'eusses jamais révélé... Je dou-
tais, Jane... je n'osais croire à la voix intime qui me
disait : Tu es aimé, et c'est pour cela que j'entourai
lady Georgine d'attentions... C'était le seul moyen de
voir clair dans ton ûme.Quand j'étais galant, emprejsé
autour d'elle, je cherchais à lire dans les yeux, et

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j'y ai vu briller une secrète jalousie... L'épreuve a
réussi... je ne doute plus maintenant, et je te re-
mercie.

JANE, irés-émue.

Mylord, je mentirais si je vous cachais la joie qui rem-
plit mon cœur en ce moment... Je mentirais à Dieu qui
sait combien de fois j'ai prié pour vous pendant mes
longues heures d'insomnie... Mais vous savez, mylord,
ce que j'ai promis... Jane Eyre ne faillira pas à sa pa-
role. Mistriss Reed a eu des torts envers moi, elle est
malheureuse... J'oublie et je pars... Epousez ladyGeor-
gine... Elle vous convient mieux que moi. C'est une
femme du monde... Elle est belle, elle a de l'esprit et
de l'instruction... Georgine sera l'ornement de votre
demeure et vous devra le repos de sa mère !

ROCHESTER, uvec animation.

Et c'est pour l'être misérable et méchant qui le relé-
gua à Lowood, qui l'abreuva d'humiliations que lu
parles ainsi?... El lu crois que je le laisserai partir, el
avec loi la joie de mon foyer?... Non, Jane, ta conduite
généreuse ne fait que te grandir âmes yeux... Tu aimes
Adèle, celle orpheline aussi qui n'a que loi au monde
pour lui servir de mère... Tu l'élèveras à Ion image ..
Tu en feras une femme sage et bonne, et elle te devra
le bonheur... Tu resteras ici pour me faire oublier fout
ce que j'ai souffert... Tu feras revivre des illusions que
je croyais mortes à jamais !... Jane... Jane... quillerais-
lu sans regret ce château où tu laisserais ion premir-r,
ton unique amour?

JANE.

Mylord, ne me parlez plus comme vous venez de le
faire... je ne résisterais pas à vos douces paroles, el
j'oublierais ma promesse !

ROCHESTER.

Eh ! que m'importe ta promes-se !... Préfères-tu donc
mistriss Heed à Rochester, Jane ? Je n'ai pas toujours
été bon pour toi, je le sais; mais je luttais avec moi-

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même... Je voulais étouffer un amour naissant qui
pouvait me rendre plus malheureux encore si ton cœur
y restait sourd!... Ecoute, Jane..., tu peux repousser
mes prières, mais, je le jure, jamais laiy Georgine ne
sera ma femme!
{Transition d'un ton solennel.) Jane
Eyre, avez-vous dit vrai... m'aimez-vous?

JANE, avec résolution.

Oui!

ROCHESTER, lui donnant un baiser sur le front.

Nous sommes fiancés parle cœur !

Scène TI.

JANE. ROCHESTER, mistriss REED, entrant par le

fond, suivie de GEORGINE, HENRY, WYTFIELD,

FRANCIS et JUDITH.

MISTRISS REED, s'arrétant.

Que vols-je?

JANE, à part.

Ciel ! ma lante !

ROCHESTER, à part avec colère

Mistriss Reed!

MISTRISS REED.

Pardon, si je suis importune ; mais mon frère, sir
Wytfield, qui vient d'arriveret qui doit repartir sur-le-
champ, n'a pas voulu quitter ce château sans vous pré-
senter ses civilités.

henry.

Mylord excusera ma toilette de voyage...

rochester.

Comment donc, sir Wytfield !

mistriss reed.

Miss Jane vous faisait sans doute ses adieux, mylord?

ROCHESTER.

Que voulez-vous dire ?

-ocr page 94-

MISTRISS REED.

3Iiss Jane in'a parlé lout à l'heure de son projet de
départ... et je venais lui proposer pour compagnon de
voyage mon frère, f/ui pourra faire une partie de la
route avec elle.

HENRY.

Certainement..., je serais heureux...

JANE, embarrassée.

Vous êtes bien bon... mais...

ROCHESTER, l'inlerrompatu.

iMais, j'ai changé quelque chose à tout cela, mistriss
Reed... .Miss .lane n'a plus l'intention de partir...

GEORGINE, aver étonnemenl.

Qu'entends-je?

FRANCIS, « pan.

Qu'y a-t-il encore?

MISTRISS REED.

Cependant...

ROCHESTER.

Cependant... vous ne comprenez rien à ce qui se
passe...
VOUS vous reposiez déjà dans votre triomphe...
vous vous disiez: Jane partira, et alors... J'ai tout en-
tendu, mistriss Reed... et grâce à Dieu, vous ne réussi-
rez pas dansvosdesseins...
(PrenanUanepar lamain.)
Misstris Reed, milady Georgine Clarens, sir Francis, je
vous présente lady Rochester.

TOUS ensemble au comble de ta surprise

Lady Rochester!... .lane!...

ROCHESTER.

Oui... celle que mon cœur a choisi... Celle qui sera
ma femme!...

JUDITH, s^élancanl vers Rochester.

0 mylord... c'est Dieu qui guide votre cœur!...

(Elle saisit viveraenl les mains de Jane.)

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MISTRISS REED, avec coUre.

Mais cela n'est pas possible,.. Jane Eyre, diles uiip
cela n'est pas possible!nbsp;' '

GEORGINE, de même en désignant Jane.

Elle!... lady Rochester?...

ROCHESTER, avec forcc.

Et pourquoi pas?... Est-ce parce que votre mère l'a
martyrisée dans son enfance, parcequ'eRe la chassée de
sa maison pour l'envoyer à Lowood?... parceque votre
frère la frappait sans pitié... parce que vous l'aviez
rendue presque idiote de peur... parce que vous cn avez
fait une domesiique enfin?

MISTRISS REED, uvec rage.

Oh! la malheureuse!... elle a fout dit... elle se
venge!...

(Elle fait un moiivemeat comme poiuquot; s'élancer sur Jane
Henry la retient.)nbsp;'

JANE, se réfugiant dans les bras de Rochester.

Mylord, protégez-moi !

ROCHESTER.

Qu'avez-vous à craindre, milady ? Vous êtes ici maî-
tresse et souveraine...

(Il cherche à l'apaiser.)

MISTRISS REED. montraHt le poing à Jane.

Misérable !

HENRY, ^efforçant dc cabner mistriss Reed el l'entraînant
à l'écart.

Sarah... calme-toi...

GEORGINE, iloec fureur.

Quel outrage!... {A Fraiicis, vivement.) Francis ne
m as-tu pas dit que lu pouvais empêcher tout mariVe
«Je lord Rochester?nbsp;quot;

FRANCIS.

Oui I

-ocr page 96-

GEORGINE, de même.
Eh bien, venge Georgine..., et elle t'appartient!

FRANCIS, lui serrant la main avec joie, à part.
Maintenant, à nous deux, Rochester!... (S'atJawpanl
vers lui.) Vous voulez vous marier, lord Rochester
il faudrait d'abord que vous fussiez veuf ! ..
JANE, s'écriant.

Que signifie ?...

MISTRISS REED et HENRY.

Que dit-il?...

FRANCIS, avec force.
Je dis que lord Rochester a une femme qui vit
encore !...
{Mouvement général.)

ROCHESTER, sa figurg reste calme, ses yeux seulement
sont animés, il a passé un bras autour de la taille
de Jane.

Voilà des paroles bien hardies... Qui êtes-vous donc?

FRANCIS.

Je suis Francis Briggs, frère de l'avocat de Londres,
parent éloigné de lady Röchest«... Je viens vous
rapoeler, puisque vous paraissez l'avoir oublié, que
votre femme existe, reconnue par la loi, sinon par
vous.

ROCHESTER.

Me ferez vous l'honneur de me dire qui elle est,
comment elle se nomme, où elle réside?

FRANCIS.

Elle est la fille de Jonas Mason et d'Anloinetle,
sa femme, créole de race... elle se
noname Berlha-
Antoinette Mason..., vous vous êtes mariés
à la Ja-
maïque...
{Signe de dénégation de Rochester.) Oh! je
suis Sûr de ce que j'avance, mylord ; j'ai sur moi une
copie de votre acte dc mariage... quant à la résidence

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de lady Rochester, c'est Thornfîeld-Han, dans la tour
du Nord !

JANE el JUDITH.

Grands dieux !

ROCHESTER, qui s'cst ovancé vivement vers Francis.

Qui vous a dit cela?... qui peut prouver que lady
Rochester existe'

FRANCIS.

Son l'rère, tUchard Mason, que j'ai vu, qui le sait, et
qui viendra le certifier...

ROCHESTER, atterré.

Richard Mason!... Je suis perdu!...

GEORGINE.

Vttus avouez '

MISTRISS REED.

Quelle horreur!...

FRANCIS.

Oui, celte folle que vous tenez renfermée dans la tour;
que vous faisiez passer auprès des uns pour Grâce
Poole, qui n'est que sa gardienne; auprès des autres,
tels que Judith et Sam, pour la femme de votre frère :
cette folle, je le répète, est lady Rochester !

JANE, bas et à part.

C'esl donc pour cela qu'il ne l'a pas punie ?,..

ROCHESTER, QUI a réfléchi vn moment.

Eh bien, oui !... c'esl vrai.,., je suis marié el j'allais
épouser une autre femme !
(Montrant Francis.) Cet
homme a raison... je suis marié, marié à une fem tiC
vivante et résidant sous mon loil... Oui, celle folle fu-
rieuse esl la femme que j'épousai, il y a quinze ans,
la sœur de Richard Mason, une créole née d'une mère
abrutie par la boisson, et folle coiiirne sanicre», adoii-
née comme elle à ce goût dégradant des liqueurs
fortes.,. Ah! on se garda bien de m'avertir quand il
fut question entre nous d'un mariage.,. On .se garda

1

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bien de me dire que depuis trois générations se trans-
mettait delà mèreaux enfants cette fureur héréditaire...
.'\ussiquel Ijonheur fut le mien depuis le doux instant
où je devins l'époux de Berlha Mason... Comme on dut
envier mon sort!... (..^uec
un rire étrange.) Allons,
mes hôtes... allons!... voulez-vous être juges de celte
félicité trop longtemps cachée? Voulez-vous que je
vous présente ma femme?... Car cette folle est bien ma
femme... et voici...
(Mettant lamain sur l'épaule de
Jane qui reste anéantie.)
celle qui m'avait fail oublier
son existence!... Venez, sir Francif,.., vous comparerez
ces yeux calmes et sereins avec ces autres yeux injectés
de sang... cette figure intelligenle avec ce masque hor-
rible... celle jeune fille aimante et dévouée avec ce
spectre hideux qui n'a que des paroles de haine à la
bouche... Venez!... venez voir celle lady Rochester
que vous m'avez rendue... Allons, venez tous.,., je vous
attends!...

MISTRISS REED.

Que nous importe celle femme ?... celle pauvre créa-
ture que vous torturez sans doute? Nous parlons, lord
Rochester, parce que nous ne voulons pas rester plOs
longtemps dans ce château maudit.

GEORGIiNE.

Sachez, myloid, que je ne vous ai jamais aimé el
qu'à présent je vous méprise...
{A Francis.) Viens,
Francis, lu as ma parole!...

(Elle sort avec Francis par le fond.)

MiSTKiss REED, À Jane, avec des regards de haine.

Adieu... lady Rochester... jouis maintenant de ta
victoire, el sois heureuse avec le mari de Bertha
Mason.

(Elle sort par le fond avecHc nry.)

JANE, saugtoianl.

.\l)! mon Dieu! mon Dieu! à quelles douleurs m'a-
vez-vous réservée!...

(Judith cherche à ia consoler.)

-ocr page 99-

ROCHESTEii, avec un gesle.

Ils sont partis, ces envoyés du démon!.,, comme ils
triomphent.

JANK.

Si je pouvais mourir!

ROCHESTER, ulkint à Jane.

Jane!...

JANE, le repoimant.

Arrière!...

ROCKESTEB, s'écriant.

Vous aussi, vous repoussez l'époux de Bertha Ma-
son !

JANE, l'interrompant, avec fierlê.

Vous vouliez me tromper... mylord... Vous vous
étiez dit sans doute... Cette fille est misérable, elle est
sans parents, sans soutien... je lui parlerai d'amour...
je lui offrirai un sort qu'elle n'aurait jamais osé espé-
rer... je l'éblouirai et elle sera à moi... mais en me
faisant l'injure de croire que je pouvais être séduite
par vos richesses, vous m'avez indignement méconnue,
mylord... Je vous aimais pour vous-même... je vous
aime malheureusement encore... Cet amour que je
croyais destiné ù me faire publier les horreurs du
passé, sera désormais le désespoir de ma vie, et si je
ne vous maudis pas en quittant ce fatal château, c'est
que mon cœur ne saurait vous haïr !... Adieu, mylord,
et que Dieu ne vous punisse pas!

(Elle va pour sortir.)

JDDITU, voulant la retenir.

Oh ! miss Jane !..,

ROCHESTER.

Vous partez, Jaue... vous m'abandonnez ?

JANE, qui s'est arrêtée.

Vous-imaginez-vous que je consentirais à devenir
votre maîtresse, lord Rochester? .. Jane Eyre est pau~

-ocr page 100-

vre, mylord, mais elle ne vendra jamais son hon-
neur !

(Elle sort avec fierté. Judith la suit.)
ROCHESTER, après une pause.
L'ange est parti !... au démon maintenant !,..

(11 se précipite par la porte de droite.)
Le rideau tombe.

FIN DU TROISIÈME ACTE.

-ocr page 101-

acte îv.

La chambre de Rochesler à Ïhornfield-Hall. Porte au fond
Portes latérales. A gauche une fenêtre. Fauteuils, table et
une biliolhèqué. Dans un tiroir de la bibliothèque, dont
Rochester tient la clef sur lui ; une boîte à pistolets.

Scène première.

ROCHESTER, seul, assis à droite sur un sopha. Il a
l'air sombre et triste ; sa toilette est en désordre;
tout son extérieur annonce une longue et profonde
souffrance. Il lil.

u Le suicide est une lâcheté... « {Inlerrompant sa
lecture.)
Une lâcheté! cela vous est facile à dire, mes-
sieurs les philosophes... (
Il jette son livre el se lève.)
Quand vous avez rempli plusieurs volumes de grandes
phrases, bien sonores, mais bien vides, quand vous
avez dit à l'homme : Ta vie ne t'appartient pas, Dieu
seul en est le maître!... vous croyez avoir tout fait!...
Une lâcheté!... si vous aviez souffert comme j'ai souf-
fert depuis tant d'années; si votre sommeil avait été
sans cesse troublé par la vue d'un spectre uni fatale-
ment à votre destinée; si vous aviez senti une chaîne de
fer peser sur votre cœur... dites, messieurs..., auriez-
vous eu le courage d'écrire ces beaux préceptes de mo-
rale? (On
entend un orage au ioin.) L'orage !... oui,
la tempête groudeaudehors comme dans mon sein...la
nature a ses déchirements comme le cœur de l'homme.
[Coup de tonnerre.) La foudre!... oh! puisse-t-elle
éclater sur ce château maudit et m'écraser sous ses
ruines !... J'ai tant de fois invoqué la mort... mais elle
reste sourde à mes instances!.,. Faudra-t-il la forcer à
venir ?... Vingt fois depuis un an, l'arme fatale a Irem-

-ocr page 102-

blé dans ma main... Vingt fois une force invincible
a détourné mon bras. . Mais aujourd'hui, c'en est fait,
ma résolution est prise... dans une heure j'aurai cessé
de souffrir!...
{Il va à la table el prend convulsive-
ment un papier.)
Voicimes dernières volontés... Adèle,
qui est à Londres, partagera ma fortune avec Judith el
Jane..., si elle vit encore!... Elles me plaindront peut-
être et prieront pour moi, car elles m'ont aimé!...
Quant à lady Rochester... Lady Rochester!... à ce nom
toute mon âme se révolte... un voile de sang couvre
mes yeux... et... Mais non! qu'elle vive... je mourrai!...

(Il sonne et se promène avec agitation.)

Scène II.
iVDmi, entrant, ROCHESTER.

rochester.

Judith, veillez à cc que personne ne me dérange au-
jourd'hui... j'ai besoin d'être seul.

JUDITH.

Mais, mylord, les médecins viendront sans doute...

ROCHESTER.

Qu'ai-je à faire de ces hommes?... que peuveni-ils
contre des souiîrances morales ?... toute la science du
monde échouerait vis-à-vis du mal qui me tue?...

JUDITH.

Ce n'est pas là ce qu'ils prétendent, mylord..., ils
disent que, dans votre situation, un événement subit,
un incident inattendu, peut changer la face des choses.

ROCHESTER.

Quel événement?... Que veulent-ils dire?... L'espoir
et le I)onheur étaient rentrés dans mon cœur ulcéré...
Jane avait ranimé l'étincelle près de s'éteindre...; mais
elle a fui, l'ingrate!.,, elle m'a délaissé sans pitié!...
Judith, vous savez bien que tout espoir est perdu!...

JUDITH.

Perdu, mylord ?... mais si Jane revenait!...

-ocr page 103-

ROCHESTER, vivemeM.

Si Jane revenait?... Juditli..., vous savez quelque
chose... Jane reviendrait!.., Oh ! ne me trompez pas...
dites-moi ce que vous savez!...

JUDITH.

Je ne sais rien, mylord...; rien... de positif...; mais
un pressentiment...

ROCHESTER, ImussaM les épaules.

Un pressentiment!...

JUDITH.

Oh! mylord, ne haussez pas les épaules... nous
croyons aux pressentiments dans nos monsagnes d'E-
cosse, et rarement ils nous trompent... Mon génie bien
faisant a murmuré à mon oreille : Espère... espère
pour ton maître... Croyez-moi, mylord, ne vous décou-
ragez pas... ayez foi dans la soute-puissance de Dieu !

ROCHESTER.

Merci, Judith... je suis sensibleà votre dévouement...
mais je ne puis partager votre illusion... Jane ne re-
viendra plus... elle est trop iîère et trop vertueuse...
Jane est perdue à jamais pour Rochester !... Dieu m'a
puni d'avoir voulu iromper l'orpheline... J'ai plus
d'une fois imploré le pardon du Touf-Puissant, mais sa
colère continue à s'appesantir sur moi!...

judith. ,

Vous trouverez grâce devant lui, mylord,.. il vous
le dit par ma voix.

Sccuc III.

ROCHESTER, PATRICK, JUDITH, ?)u«s MISTRJSSREED
et HENRY WYTFIELD.

PATRICK, entrant par le fond.

Mylord, il vient d'arriver deux personnes étrangères
qui désirent vous parler.

-ocr page 104-

ROCHESTER, bfusquemenl.

Des étrangers?... qui cela peut-il être?... que ma
veulent-ils!
{Bas.) Serait-ce delà part de Jane? (Z/aM?»
Pa#mfe.)Faites entrer...(PaMci;
sort par le fond, Ju-
dith veut se retirer.)
Restez Judith... S'il est nécessaire
que vous vous éloigniez, je vous le dirai.

JUDITH.

Alors... si les médecins...

ROCHESTER, vivemeut

Non !... je ne veux plus les voir... ils m'irriten L avec
leurs exhortations... me prannent-ils pour un enfant?...
ces gens-là me font pitié !... mais... ces étrangers...
ils tardent bien...
{Mislriss Reed et Henry entrent par
le fond, Rochester les reconnaît.) Que.
vois-je? mistriss
Reed!...

MISTRISS UEED, vieilUc et amaigrie par le chagrin.

Oui, mylord !...

JUDITH, à part.

Que signifie?,..

ROCHESTER, « JudUh.

Voilà comme ton pressentiment devait se réaliser!.,.
(// mistriss Reed avec une indignation croissante.)
Mistriss Reed, venez-vous insulter à mes douleurs?.,,
venez-vous retourner le poignard dans la plaie?... que
voulez-vous, voyons?... N'est-ce pas assez d'avoir semé
le trouble dans cette maison, d'avoir provoqué la fatale
révélation d'un mystère horrible, et faut-il encore que
vous renouveliez mes souffrances par votre présence
maudite?... Mistriss Reed, vous qui n'avez jamais été
inspirée que par le génie du mal, quelles nouvelles tor-
tures venez-vous m'infliger ?

HENRY.

Pardon, mylord, la colère vous égare... mistriss
Reed n'a eu aucune intention malveillante en revenant
à Thornfield... Daignez m'écoiiter un instant. John,
le fils de ma sœur, s'est tué de ses propres mains.

'J( . :

-ocr page 105-

Georgiiiea quitté l'Angleterre en abandonnant sir Fran-
cis, qui, depuis, a péri dans un naufFrage avec Sam,
votre ancien domestique... Brisée par le chagrin, et le
cœur plein de repentir,ma pauvre sœur, avant de mou-
rir, a voulu remplir auprès dc Jane un devoir sacré
eu obtenant son pardon... en venant lui annoncer que
son oncle de Madère est mort, lui léguant toute sa for-
tune...

.'Pendant ce récit, Judith a fail des signes à Heem- pourj y

pêcher de continuer.)nbsp;u

ROCHESTER.

Vous ne savez donc pas que Jane n'est plus ici...
qu'elle a quitté ce château, il y a un an, le même jour
que vous... sans ressources, sans protection qu'elle est
peut-être morte de froid ct de faim au bord de la
route?...

mistriss reed, avec tm cri.

Jane morte!... non, cela n'est pas possible.,, Dieu ne
l'aura pas voulu!

rochester.

Vous parlez de Dieu, mistriss Reed... (Ou entend un
bruit de pas précipités et le rire strident de la folle Ro-
chester a
éco«(e) vous parlez de Dieu !... ct il permet que
ce monstre vive!... Entendez-vous ce rire dont les éclats
me brisent le cerveau... C'est le rire de lady Roches-
ter... Vous savez , mistriss... lady Rochester... ma
femme... la folle furieuse, que... (te
bruit des pas redou-
ble.)
Elle aura encore rompue ses liens... elle s'est
échappée de sa cellule !

Il sort vivement par la porte à gauche avec les signes d'une
agitation extrême,
«cène IV.

Mistriss REED, IIenrv WYTFIELD, JUDITH.

L'orage se rapproche de plus en plus.
r JUDITH, en pleurant.

Mon pauvre maîlre!... il finira par perdre la rai-
son!

-ocr page 106-

henry.

Elle vit donc lonjours celle malheureuse!,., mais,
dites-moi, mistriss .Judith, pourquoi me faisiez-vous
ces signes que je ne comprenais pas.

JUDITH.

C'était pous vous engager à!ne plus parler de Jane,.,
C'est son départ qui a causé la maladie dont mylord est
atteint.

MISTRISS REED.

Mais eile n'est pas morte, n'est-ce pas?

JUDITH.

Non... dernièrement,quand je désespérais déjàd'avoir
de ses nouvelles, un beureux'hasard m'a fait connaître
sa retraite... Je lui ai écrit... j'ai appris tous ses mal-
heurs .. elle a failli succomber a une longue el cruelle
maladie qui l'a empêchée de se rendre à Madère, auprès
de son oncle, comme vous le lui aviez dit, mistriss
Reed... Maintenant elle est à 80 milles d'ici,à Wyteross,
où elle a élé recueillie par la famille Saint-John.

MISTRISS REEU.

Saint-John! N'y a-t-il pas un p,5steur de ce nom à
Wyteross ?

JUDITH.

Oui, un jeune homme qui, touché des infortunes et
îles nobles qualités de Jane, en est devenu amoureux; il
paraît qu'il veut en f.iire sa femme et l'emmener avec
lui dans les Indes où il se rend comme missionnaire,

HENRY.

Mylord sait-ii tout cela?

JUDITH.

Miss Jane m'a toujours strictement défendu de lui
révéler lè lieu de sa résidence.

MISTRISS REED.

Lui avez-vous dit que les médecins prétendent que
lord Rochester ne peut être sauvé que par un événe-
ment extraordinaire... son retour ici, par exemple?,..

T

-ocr page 107-

judith.

Oui., et sa .iernière lettre me faisait pressentir uue
.ians peu elle n'aurait plus les craintes qu'elle
éurou
ff '-etrouver devant mylord, dont la passion

Inbsp;avait effrayée jusqu'ici... Ces derniers mots étaient
soulignés et je n'ai pu comprendre le sens mystérieux
qu ils semblent cacher.

HE.gt;BV.

nnbsp;«f-nbsp;^ po'ote du jour, nous

partirons pour Wyleross... nous userons de toute notre
influence sur elle jmur hâter son retour.

MlSmiSS RUED.

Oui, oui... c'est cela, Henry... nous irons voir Jane
Pauvre entant, me pardonnera-t-elle les tourments nuê
ma haine insensée lui a fait endurer?nbsp;'

(On eufend la voix de Roehes ter retentir au dehors ^
JUDITH, effrayée, eniraînant Henry et mistriss Reed.
Ah ! {elle désigne la porte à droite) que mylord ne
«laintenant... Dans l'étal d'agitalion où

IInbsp;est...(Z orage redouble) Entrez... entrez vite! dans un
momentjesuisà vous!

(Henry et mistriss Reed sorteiu précipiiamment par Ja norleù
droite, ct Judith par le fond.)nbsp;i •

n^cëne ST.

HOCHESTER, seul, entrant par la porte à yauche,
exaspéré.

Horreur! horreur! La folle avait rompu sa chaîne...
J ai voulu la ramener à la tour... mes effoits sont res-
tés impuissants... mieux que moi, peut-être, Grâce Pool
y parviendra. — Oh! c'est trop hideux!.., être l'époux
de ce monstre.,, être condamné à vivre toujours avec
celte furie!... Oh! non... plutôt en finir tout de suite'
{Il s'élance vers la bibliothèque, ouvre un tiroir et en
'ire un pistolet.)
Dieu me pardonnera... mes douleurs
sont au-dessus de mes forces!...
(Ilplace le pistolet sur
son front, et il va lâcher- la détente, lorsque reteMit

-ocr page 108-

un formidable coup de tonnerre. La commotion élec-
trique lui fail baisser le bras, le pistolet tombe d terre
en éclatant. Au moment de la détonation, Judith el
Jane entrent en donnant des signes d'effroi.)

scène VI.

ROCHESTER, JANE, JUDITH.

jase.

Ciel! celte arme! mylord, vous vouliez-vous tuer?...
ROCHESTE«.

Me tuer!... qui dit cela?.,, oui!... c'est possible...
mon doigt pressait la détente... lorsque... (Transiiion.)
Jane ici... n'est-ce pas un songe?... Non... c'est bien
Jane.,, ma Jane chérie... que je croyais perdue à ja-
mais,et queje retrouve au momentoùje désespérais! ..
Merci ! ange du ciel, que j'accusais d'indifférence ..
merci! laisse-moi te
voir... te regarder avec ivresse...
laisse-moi contempler ces traits adorés que je pleurais
avec tant d'amertume! laisse-moi presser ces mains si
douces!... Mon cœur est inondé d'une joie céleste...
Parle-moi... parle... que j'entende cette voie sitendre ..
i méiodieuse! Jane... Jane... que je suis heureu.x!...
sh! queje t'aime!

JANK.

Mylord, calmez-vous... retenez vos esprits... Jane
vient vous consoler... Jane vient où le malheur l'ap-
pelle... mais seulement pour accomplir un devoir d'hu-
manité... de dévouement.

juDrrn.

C'est la sœur do charité qui vient prodiguer ses soins
au malheureux qui souffre, mylord... ne voyez en Jane
qu'un instrument de la miséricorde de Dieu...

ROCHESTER.

Que voulez-vous dire?... que signifient ces froides
paroles?... Jane, vous me faites peur... Jane, ayez pitié
de moi!

-ocr page 109-

- 109 —

JANE.

Lord Rocliesler,.., toute parolu d'auiour serait
impie..., je ne m'appartiens plus... Jane Eyre est deve-
nue mistriss Saint-John, mais l'Evangile...

ROCHESTER, comme foudroyé.
Mistriss Saint-John!... Jane Eyre mariée..., Jane
Eyre à un autre! .. C^-lyec
éclat.) Malheureuse!... (//
n'élance sur Jane, celle-ci tombe à genoux.)

JUDITH, courant se placer entre Jane cl Roclmler.
Grâce, mylord! relève Jane et la place sur la
chaise à droite..)

ROCHESTER, effrayé de m propre fureur, recule, les yeux
fixés sur Jane, arrivé près de la parle et voyant Jane
il demi-évanouie; il se précipite à ses genoux, couvre
ses mains de baisers el s'écrie en pleurant.
Pardon, Jane, pardon!... je vous aimais tant..., je
ne vivais que pour vous!... oh! Jane, qu'avez-vous
fait ?
[Il éclate en sanglots. )

JANE, se levant.
Patience et resijjnation, mylord!

ROCHESTER.

Patience et résignation !... (ƒ; cache m lèle dans ses
mains et s'appuie sur la chaise que Jane vient tie quitter.
Celle-ci est debout devant la chai.ie, et Judith derrière,
près de Jane.)

JUDITH, émue de la douleur de Rochester.
Miss Jane, ayez pitié...

JANE, lui posant vivement la main sur la bouche.
Tais-toi!... lais-loi!,.. [Tableau, on enlmd grand
bruit au dehors.)

rochester, redressant la lète.

Est-ce que je deviens fou?Suis-je en proie ù un rêve
terrible ?... Ce tumulle, ces cris sont-ils une illusion
de mon cerveau malade ?,.. Ecoulez !...

-ocr page 110-

t^cëne VII.

ROCHESTER , JANE , JUDITH , .HISTRISS REED ,
HENRY WYTFIELD, PATRICK.

MISTUISS REED el HENRY, entrant par la porte à droite.

Que se passe-l-H donc ici?... Enlendez-vous, my-
lord?

JANE, apart.

Ma lanle Reed !...

ROCHESTER, dhoi air égaré.

Quoi?... que me veul-on?

PATRICK, accourant.

Mylord! mylord !... La folle dont on n'a pu parvenir
à se rendre maître, est montée sur les toits, une torche
à la main..., la tour du Nord est en feu !

ROCHESTER, revenant h lui.

La folle?... ah! oui, la folle!... Je l'attendais, ce
nom!... qu'il soit le bien-venu dans mon enfer!...
Allons, Rochester, ta noble clame est en danger, ton
épouse bieu-aimée t'appelle..., va, cours la sauver au
péril de les jours, et puisse Dieu te prendre en pitié en
l'envoyant à la mort !

JANE, s'élançant vers Rochester.

Arrêtez, mylord !

JUDITH.

Mon digne maître !...

ROCHESTER, prêt à sortir.

Reslez !... Judith, veillez au départ de tous ces
étrangers.
{Il sort vivement; Judith va à la fenêtre.)

MISTRISS REED, allant à Jane et voulant se mettre à
genoux devant elle.

Jane !

jane, la retenant.

Que faites-vous, ma tanie Reed ?

MISTRISS REED.

Avant de nous séparer, Jane, laisse-moi m'humilier

-ocr page 111-

devant toi!... laisse-moi embrasser les genoux, toi si
bonne, si vertueuse, que j'ai méconnue..., pardonne à
mon repentir !

JANE, avec effusion.

Ma tante, j'ai tout oublié !... [Mish-iss Reed se jette h
son cou.)

HENRY.

Dieu te récompense, Jane..,, il te lait riche..., ton
oncle de Madère t'a instituée sa légataire universelle.

JA.VE.

Ces biens me sont inutiles aujourd'hui..., pardez-
es..., je vous eu fais don..., mais... écoulez.. le
tumulte augmente...
(Bruit croissant an dehors- on
entend h, tocsin.)nbsp;'

JUDITH. t( ta fenêtre.

Ah! mon Dieu !...

JANE.

Qu'y a-t-il, Judith? {Elle court à la fenêtre.) Ciel'
oyez là-haut sur to toit..., mylord..., il poursuit la
loue..., oh ! 1 horrible monstre que cette femme !... il
va la saisij'.. elle fuit en brandissant sa torche incen-
diaire,.., quels sinistres ricanements !,.. Dieu! si le nied
lui manquait...
{Criant.) Ilochester..., mylord ., arrê-
tez î .. un faux pas... et il est perdu '...
(Mistriss Reed
et Judith dètournenl la tète avec effroi. Henry reste der-
rière Jane et s'efforce de l'arracher de la, fenêtre.) 0
mon Dieu! faites cesser mon supplice !... Ah! il la saisit
par la main... non... elle fuit encore... elle revient fu-
rieuse... elle lui lance sa torche à la tête... se précipite
sur lui...
(avec un cri déchirant), ah!..

(Elle tombe inanimée sur un fauteuil qui est près de J i fe
netrc. Henry s'empresse autour d'elle. Tumulte au dehors )
HENRY; avec émotion,
Jane... Jane!... Ma sœur, mistriss Judith, prenez
soin d'elle... je cours m'informer...

(Il sort précipitamment. - Mislriss Reed ct Judith accou-

-ocr page 112-

rent auprès de Jane pour la secourir, awe les maroues dr I-.
plus vive agitation.)nbsp;quot;Miques cie la

JUDITH.

Qii'est-il arrivé, mon Dieu!... je tremble de l'ap-
prendre... je pressens un nouveau malheur...

.lîISTniSS REED.

Jane, Jane, mon enfant!

Jk^v.,revenant à elle peu à peu et promenant autour d'elle
des yeux hagards.

giant... La fo.le est là... Je vois son regard infernal
Ecoutez... elle rit... elle triomphe... cVst elle quf l'aquot;

JUuriH.

•iaiie... Jane... écoutez-moi!

MISTRISS REED.
Mon Dieu ! sa raison s'en va.

JA.\'E, qui veut se lever.
Je vous dis qu'il est mort... je vous dis...

ROCHESTER, en dehors.

Patrick!... Judith!...

JANE.

C'est lui, c'est sa voix...

ROCHESTER, eu dehors.
Par ici, mes amis, par ici !

,11 entre.)

i^eènc Vlli

JUDITir, JA^I^j^IS^MED^^ROCH^ pe.-,

JANE, courant au-devant de Rochesler.
Rochester !...

ROCHESTER, repoussant Jane.
Mistriss Saint-John... encore ici... Sortez!...

mm

-ocr page 113-

JANE.

Oh! mylord!-..

ROCHESTER.

Sortez, vous dis-je... Place, place à lady Rochester!

JANE, effrayée.

Lady Uochester !

(Elle se dispose à sortir soulenue par mistriss Reed.)

ROCHESTER.

Et vous, Judith, allez... faites exécuter mes ordres...
J'attends dans cette salle...

(.Judith va pour sortir. Henry cnlrc.)

henry.

-j^adv Rochester n'est plus!...

ROCHESTER, coHslerné.

Morte!...

HENRY.

Relevée inanimée sur les dalles du perron, elle n'a
survécu que quelques instant à son horrible chute.
(Jane près de la porte à droite, revient en scène, ct conduite

par mistnss Reed, elle se laisse tomber dans un fauteuil

à droite. — Pause.)

rocukstér.

Seigneur, vous m'aviez départi la puissance, la force
la richesse, et j'ai méconnu tous ces dons de voire inef-
fable bonté; aujourd'hui votre divine colère a frappé le
superbe... v olrc mâin terrible s^appesantii sur moi Sei-
gneur... je courbe la tête, el je vous bénis!
(Allant à
Jane.)
Jane!... [Elle fait un mouvement.) Oh ! ne crai-
gnez rien, mislriss Saint-John!... la résignation et
l'humilité sont entrées dans mon cœur... Grâce à vous
j'avais entrevu un bonheur inespéré, un paradis dans
ce monde... Dieu ne l'a pas voulu... Il vous a ramenée
à moi, il m'a fait libre, quand vous ne pouviez plus
m'appartenir... Sa volonlé soit faite ..
(A Judith.) Et
toi, ma chère Judith, toi qui seule m'as aimé malgré
mes défauts, ma brutalité même... permets-moi de te

-ocr page 114-

demander une dernière preuve d'attachement. Ce do-
maine t'appartient,..
{Geste de Judith.) Oh! ne me
refuse pas, mon enfant !... Vivre dans ce château me
serait désormais impossible; ma raison ne pourrait
lutter contre te souvenir des douleurs que j'y ai endu-
rées... contre les regrets du Iwnheur que j'ai perdu !...
Je pars, je quitte l'Angleterre, et quand je ne serai
plus...

JANE, se levant en sursaut, avec effroi.
Que dites-vons, mylord?

ROCHESTER.

Oh ! rassurez-vous, je n'attenterai plus à mes jours...
j'attendrai que mon repentir ail mérité la miséricorde
céleste... el, pour ce bienheureux moment, je voulais
recommander Adèle, votre élève, à l'amitié de ma
bonne Judith... Vous aussi, je vous en prie, veillez sur
elle, Jane... laissez-moi vous appeler ainsi pour la
dernière fois... Jane, ma chère Jane, soyez heureuse!...
Adieu pour toujours!..

(11 va pour sortir et trouve mistriss Judith à gcnou.\ sur le
seuil de la porte.)
mistriss jxmvjii, joignant les mains.
Oh! mon maître chéri ! ne partez pas... et pardon-
nez à voire fidèle servante qui ue peul voir votre dou-
leur !... Elle ne veul plus vous cacher le secret qui pèse
sur son cœur'... .lane qui craignait voire amour...
Jane danssa sublime vertu, a usé d'un stratagème pour
se dévouer à vous sans danger... Jane n'estpas mariée...
Jane est libre!. .

ROCHESTER, avcc unxiété.
Libre, lil)re !... Jane... au noifi du ciel... répondez...
Judith, serait-il vrai?

(Judith se relève)
JANE, baissant les yeux.
Oui, mylord !... j'avais peur de vous... j'avais peur
de moi-même... et mistriss Saint-John sauvegardait
Jane Eyre.

-ocr page 115-

ROCHESTER, uvcc cxaltalion.

Oh! sainte fille!... Jane... ma Jane... Oh! pitié, le
bonheur va me rendre fou!...

JASE, lui mettant la main iur la bouche.

Mylord, prenez garde !... Notre bonheur en ce mo-
ment serait un sacrilège... Celle qui porta votre nom
vient à peine de paraître devant Dieu... Prions pour
son repos !

(Jane tombe à genoux en croisant les mains. Tous les assis-
tants l'imitent).

ROCHESTER.

Dieu lui pardonnera, {étendant la main sur la tête
dc Jane),
puisqu'un de ses anges prie pour elle !

(Le rideau tombe.)

FIN.

-ocr page 116-

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