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ANALYSE DU PROBLÈME
DE LA NEUTRALITÉ AU
COURS DE L'ÉVOLUTION
DU DROIT DES GENS
DOOR
W. p. J. A. VAN ROYEN
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'S-GRAVENHAGE
MARTINUS NIJHOFF
1938
BIBLIOTHEEK OER
RIJKSUNIVERSITEIT
UTRECHT,
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COURS DE LÉVOLUTION DU DROIT DES GENS
ANALYSE DU PROBLÈME
DE LA NEUTRALITÉ AU
COURS DE L'ÉVOLUTION
DU DROIT DES GENS
PROEFSCHRIFT TER VERKRIJGING VAN
DEN GRAAD VAN DOCTOR IN DE RECHTS-
GELEERDHEID AAN DE RIJKSUNIVER-
SITEIT TE UTRECHT, OP GEZAG VAN DEN
RECTOR MAGNIFICUS Dr. TH. M. VAN
LEEUWEN, HOOGLEERAAR IN DE FA-
CULTEIT DER GENEESKUNDE, VOLGENS
BESLUIT VAN DEN SENAAT DER UNIVER-
SITEIT TEGEN DE BEDENKINGEN VAN
DE FACULTEIT DER RECHTSGELEERD-
HEID TE VERDEDIGEN OP WOENSDAG
12 OCTOBER 1938 DES NAMIDDAGS TE
4 UUR
DOOR
WILLEM PAUL JOHANNES ADRIAEN VAN ROYEN
geboren te rijswijk (z.h.)
's-gravenhage
MARTINUS NIJHOFF
1938
BIBLIOTHEEK DER
RIJKSUNIVERSITEIT
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TABLE DES MATIÈRES
Introduction ....................................^
Première Partie. Développement Historique..........9
Chapitre I : La Pratique......................9
Chapitre II: La Doctrine......................31
Chapitre III: Sommaire et Critique..............53
Deuxième Partie. La Neutrahté depuis 1920..........73
Chapitre IV: L'Influence du Principe de la SoHdariténbsp;73
Chapitre V: L'Influence de l'Evolution moderne
de la Guerre......................S9
Chapitre VI: La Neutralité et la Pratique Contem-
poraine des Relations Internationalesnbsp;94
Conclusions et Propositions......................107
Abbreviations....................................^^^
11 ft
Bibliographie..................
-ocr page 12- -ocr page 13-Le droit se compose d'un ensemble de normes, reconnues et
observées par une société déterminée, qui les maintient d'une
façon plus ou moins effective et efficace, selon le degré d'organi-
sation qu'elle a atteint.
Cette reconnaissance et cette observation d'un ensemble de
normes se basent en dernier ressort sur la conviction que sa
réalisation sert ou servira le bienêtre de la communauté.
La norme couvre un intérêt quelconque, soit matériel, soit
spirituel, que cet intérêt regarde la communauté comme telle, ou
individuellement, les membres qui la composent.
À l'égard de l'intérêt, la norme possède un caractère dérivé; il
existe, entre ces deux, un lien intime. La valeur intrinsèque d'une
norme dépendra donc de la valeur attribuée à l'intérêt qu'elle
tend à défendre.
Pour fixer la valeur d'une norme il y a lieu de se poser deux
questions:
1.nbsp;Quelle est la signification de l'intérêt concret pour la com-
munauté ?
2.nbsp;Quelle est l'aptitude de la norme concrète à réaliser le but
visé, c.-à-d., servira-t-elle réellement l'intérêt qu'elle se propose
de servir?
Par la première question on se voit transporté au centre même
de la vie sociale, vie dominée par d'innombrables influences pré-
sentant des caractères fort divergents.
Quelques-unes de ces influences sont soumises au pouvoir de
l'homme, d'autres ne peuvent être dirigées par lui que dans une
certaine mesure, d'autres encore, bien qu'elles lui soient connues,
échappent à son pouvoir; enfin il en restera toujours dont il
ignore l'existence.
En outre, les aspirations humaines varient. La religion, la
morale, le sentiment de la justice, la tendance à la prospérité
Van Royen, Neutraliténbsp;'
-ocr page 14-matérielle agissent et suscitent dans le cadre de la communauté
des mouvements où, soit des groupes, soit des individus, peuvent
occuper des positions diamétralement opposées. Enfin l'élément
dynamique, qui caractérise chaque manifestation de la vie,
comporte, introduit dans l'ensemble, un processus de continuels
changements et de modifications successives.
Il est clair que les intérêts qui en dérivent varient eux-aussi,
selon le temps et selon le lieu de leur formation originaire, —
qu'ils représentent des valeurs différentes et que souvent ils
sont peu conciliables les uns avec les autres.
Déterminer parmi ces intérêts ceux qui par leur importance
méritent d'être cristallisés en normes obligatoires pour la com-
munauté entière, voilà une question d'appréciation objective.
Plus cette appréciation, c.-à-d. la compréhension de la valeur,
afférente à l'intérêt concret, dans la totalité des relations et des
possibilités de réalisation, est exacte, plus le prestige de la norme
qui en résulte est fort.
En général, une bonne organisation de la communauté peut
élucider cette compréhension, parce qu'elle est capable de mettre
en valeur des données détaillées sur les intérêts différenciés et
parce que, en délimitant l'action des pouvoirs qui jouent derrière
les intérêts, elle peut éviter que ces pouvoirs en reproduisent un
tableau mal proportionné.
La seconde question posée ci-dessus ressortit au domaine de la
législation. Elle concerne la forme, la tendance, la sphère d'action
et, le cas échéant, la protection de la norme concrète qui représen-
te l'intérêt correspondant. La création défectueuse d'une norme
peut bien lui faire manquer, aussi bien que dépasser son but. Plus
complètement ces conditions sont remplies, plus le prestige de la
norme est grand, car seule l'adaptation adéquate de la norme aux
intérêts, lui garantit un fonctionnement facile en diminuant l'ap-
plication des sanctions, nécessaires à son maintien.
Par contre, la norme défectueuse, ou liée à un intérêt fictif ou
insuffisamment justifié, ouvre la voie à la violence et à la fraude,
menant, soit à l'application excessive de la contrainte, soit à la
situation fâcheuse d'une norme devenue lettre morte. L'inter-
prétation des règles de droit et partant la modification de la
jurisprudence des tribunaux ne sont au fond que des efforts d'a-
daptation, dans certaines limites, de la norme vicieuse ou vieillie
aux besoins de la réalité. Il faut que le juge observe attentive-
ment la vie quotidienne et se garde d'une application machinale
de la loi. Néanmoins le domaine de la législation est interdit au
juge et c'est au législateur de veiller à ce que le développement
du droit marche de pair avec celui de la société, afin que le droit
soit un droit vivant.
Dans la société nationale ces conditions se réalisent au moyen
d'une organisation plus ou moins perfectionnée permettant aux
groupes et aux individus de manifester leurs intérêts suivant des
lignes préfixées, — par un pouvoir législatif souple et propre à
créer et à modifier, le cas échéant, les normes nécessaires, — par
une organisation judiciaire qui en assure l'application régulière
et, enfin, — par un pouvoir central qui en assure l'exécution. Les
Etats modernes ont généralement adhéré à ces principes, ce qui
n'empêche pas que leur élaboration varie et produise des résultats
plus ou moins efficaces selon le cas. Lorsque ces principes sont
négligés, soit à défaut de compréhension, soit en raison de
legoisme politique, les germes de l'auto-destruction qui se trou-
vent dans chaque organisme, trouvent un terrain fertile à se
développer et mettent en danger l'existence de la communauté
entière.
Comment donc la situation se présente-t-elle dans la société
internationale, composée d'Etats souverains?
Sous l'influence de facteurs géographiques, ethniques, histori-
ques, économiques etc., les Etats forment des unités plus ou
moins homogènes qui se séparent et se distinguent les unes des
autres. Or, l'Etat comme tel n'est pas un cadre rigide dans lequel
se passe une vie sociale satisfaite d'elle-même; l'Etat, lui aussi,
est une manifestation de cette vie sociale qui, par son activité
continuelle, s'efforce de réaliser les dispositions innées dans la
société. Cette auto-réalisation constituant un processus perpétuel,
ne connaît point de limites en elle-même; autrement il pourrait
arriver qu'à un moment donné ces limites fussent atteintes et
que, en conséquence, l'Etat eût achevé sa réalisation. Toutefois,
pareille situation ne saurait exister que dans l'imagination irré-
fléchie, puisque la fin de l'auto-réalisation de l'Etat coïnciderait
avec la fin de sa vie, ce qui reviendrait à dire que l'Etat ne serait
parfait qu'en ayant cessé de vivre.
Bien qu' illimitée d'après sa nature propre, l'activité de l'Etat
-ocr page 16-— c.-à-d. de la société étatique entière — subit l'influence de
facteurs qui tendent à la restreindre. In concreto l'Etat est tou-
jours une entité définie dans l'espace et dans le temps, définition
naturelle qui impose une limite absolue à son activité. En outre,
ces facteurs, ainsi que l'influence qu'ils exercent, étant variables,
il s'en suit que l'activité de l'Etat est variable eUe aussi et que,
même abstraction faite du degré relatif de cette activité, les résul-
tats en peuvent différer. Par exemple: une discorde temporaire
affaiblit la force d'un Etat (facteur intérieur) ; la concurrence
aggravée de l'étranger atteint l'industrie nationale (facteur
extérieur); la quantité des blés importés dépend de la récolte
nationale (influence variable); les dépenses militaires qui aupa-
ravant garantissaient la sécurité nationale, deviennent insuffi-
santes à cause de l'armement renforcé de l'étranger (même acti-
vité, résultat différent).
Ainsi on peut dire que l'auto-réalisation de la société étatique
est un principe qui, dans les limites de circonstances données, tend
à un maximum d'activité. En tant que l'activité de l'Etat se dirige
au delà des frontières, la possibilité d'un contact avec d'autres
Etats est née. Chaque Etat poursuit son propre but et ne recon-
naît primitivement que les intérêts découlant de son propre déve-
loppement. Il s'efforce donc d'atteindre son but d'une manière
purement égoiste en écartant les obstacles qui lui barrent le
chemin et cela par tous les moyens dont il dispose. Aussitôt que
l'obstacle se présente sous forme d'un autre Etat qui s'oppose à
l'action, parce qu'il y voit une atteinte à sa propre liberté d'agir,
il surgit un conflit. En dernier ressort la solution du confUt se
base sur la force, car la force c'est le moyen extrême en cas de
conflit international. Si la valeur de l'intérêt en jeu lui semble
surpasser ceUe des sacrifices à exposer, l'Etat a recours à la force.
Voilà l'aspect primitif de la situation. Cependant, il n'est pas
nécessaire que le contact découlant de l'activité réciproque pro-
duise toujours un conflit entre les Etats en question. Au con-
traire, toutes les fois que ces activités semblent poursuivre un
intérêt commun, il y a la possibilité de coopération. Surtout
quand le parallélisme des intérêts démontre un caractère plus ou
moins stable, ou bien une certaine fréquence, le besoin d'avoir
une règle commune se fait valoir peu à peu. Abstraction faite de
la protection qu'eUe accorde à l'intérêt visé et des conditions
favorables qu'eUe lui crée, la règle a l'avantage de répondre au
besoin humain de certitude, c.-à-d. eUe constitue un élément
connu parmi la multitude des éléments inconnus et par là une
directive pour les faits et gestes futurs.
La règle se forme au cours du temps au moyen d'une répétition
d'actes identiques, donc tacitement (coutume), ou bien elle est
constituée expressément au moyen d'un accord (traité).
Aussi longtemps que la vie des peuples sera dominée par une
lutte effrénée pour l'existence, les règles en vigueur en porteront
les marques. Les règles ne sont qu'un moyen auxihaire pour
garantir et améliorer cette existence; leur valeur dépend de
l'avantage qu'on en tire. Ce sont là, et avant tout, des règles qm
contiennent un compromis entre intérêts contraires, p.e., celles
qui terminent un conflit à l'amiable pour la seule raison que
l'emploi de la force serait peu avantageux. Il en résulte que les-
dites règles se fondent sur une base restreinte et fragile, car, en
méconnaissant la valeur d'autres facteurs, elles ne s'occupent en
principal que des buts matériels et n'obéissent qu' aux exigences
de l'intérêt propre; eUes sont égoistes et utilitaires; elles ne
méritent pas le nom de normes, de règles de droit, bien qu'eUes
puissent prendre rang dans le droit positif. La vraie règle de droit
subordonne les besoins de la vie, vus sous leurs véritables pro-
portions, aux principes généraux du droit. A ce point de vue le
compromis entre intérêts contraires ne se fait plus sentir comme
une restriction fâcheuse de l'intérêt propre, que l'on accepte
faute de mieux, mais plutôt comme le résultat d'une collaboration
fertile qu'on entreprend en vue d'un intérêt commun.
Or, c'est précisément la conscience de cet intérêt commun dont
il s'agit — intérêt pris au sens large du mot —, qui conduit les
hommes à l'idée de la solidarité et à l'acte de collaboration et qui
est la source des vraies règles de droit. Hélas, le chemin à par-
courir de l'anarchie à l'organisation est long et douloureux, il est
parsemé d'obstacles. L'auto-réalisation, la force motrice de la vie
étatique, étant de nature égoiste, s'oppose à sa restriction et elle
est peu disposée à confier le soin de la propre cause, ne fût-ce que
partieUement, à des mains étrangères. Cette opposition est forte,
parfois elle impose silence même au bon sens et alors il n'y a que
le dommage qui puisse rappeler à la sagesse. Il est à la longue
impossible de contrarier impunément la force des choses, car
l'existence d'une communauté internationale est un fait et son
organisation une nécessité pour le bien-être de l'humanité entière.
Les conséquences découlant de la méconnaissance de cette vérité
sont fatales à un tel point que les Etats tôt ou tard doivent finir
par la reconnaître. Il n'y a pas là de quoi douter de la possibilité
d'une organisation internationale — pourvu qu'on ne se l'imagine
pas sous la forme chimérique d'un super-Etat. Le monde civilisé
y est contraint à peine d'anéantissement. Il s'agit seulement de la
développer d'une manière convenable, ce qui paraît déjà être
assez difficile.
L'évolution des Etats individuels jointe à l'extension et à la
différenciation progressive des sphères d'intérêts, stimule le
développement des rapports interétatiques, produit une inter-
dépendance croissante et, en conséquence, augmente le besoin et la
possibilité d'établir des règles communes. Même le danger de con-
flits, bien qu' agrandi lui aussi, stimule la création de normes,
parce qu'on commence à reconnaître que l'emploi de la force est
un moyen qui prouve de plus en plus son incapacité de résoudre
un conflit d'une manière satisfaisante, sans parler des sacrifices
énormes qui, souvent, obligent à suivre le chemin pacifique.
En conséquence le nombre des règles augmente continuelle-
ment et, surtout de nos jours, on a pu remarquer une extension
considérable du droit des gens, du moins en ce qui concerne le
nombre de ses manifestations. Cependant, il se présente dans la
vie juridique des peuples quelques difficultés importantes,
découlant de la différence caractéristique qui existe entre les
organisations juridiques internationales et nationales — diffi-
cultés étroitement liées aux deux questions que nous venons
d'indiquer au commencement de notre introduction.
La société internationale manque d'un organe central, revêtu
d'une autorité universelle. Aussi, la création du droit a-t-elle lieu
au moyen d'une collaboration plus ou moins complète entre
sujets de droit individuels — entre Etats dans l'espèce. Il ne s'en
suit nullement que la règle ainsi constituée serait a priori d'une
qualité inférieure. En matière du droit international les règles
régionales, par exemple, seront toujours beaucoup plus nom-
breuses que les règles „mondialesquot;, il n'y a là rien d'extraordinaire.
Les besoins, les aspirations et les moyens disponibles des Etats
sont plus divergents que ceux des individus, de sorte que les Etats
ont moins d'intérêts communs à tous que les individus. Il s'agit
donc d'une différence de structure, qui se révèle dans la création
des règles de droit. Or, il va sans dire que la règle régionale
s'adapte mieux à l'intérêt régional que la règle générale, seule-
ment, il faut avoir soin de ne pas favoriser l'intérêt régional aux
dépens de l'intérêt général.
Malheureusement c'est là le danger qui menace la plupart des
règles internationales. En général ces règles ne sont pas considé-
rées d'un point de vue plus élevé et objectif. La possibilité
d'équilibrer les intérêts divers, comme le fait le législateur natio-
nal, n'existe pas dans le domaine international. En outre, l'aspect
changeant des schèmes d'intérêts nationaux exerce une influence
d'opportunisme sur les relations internationales; la valeur réci-
proque des intérêts nationaux est difficile à déterminer; le senti-
ment national tend à aiguiser les contrastes.
Dans ces conditions, une norme vicieuse ne tardera pas à
faillir au moment critique.
Faute de sanctions, le prestige des normes internationales
dépendra avant tout de leur valeur intrinsèque. Pour cela la
création d'une norme est une question déUcate à résoudre avec
une extrême prudence.
Seul le législateur prévoyant et embrassant d'une compréhen-
sion claire et pratique la situation entière, saura indiquer quelles
matières peuvent être admises à la réglementation et déterminer la
mesure de ceUe-ci. C'est lui qui pourra favoriser le développement
graduel du droit des gens, en lui donnant des règles sages et justes.
Alors seulement ce droit jouira de l'estime générale dont il a tant
besoin et sera mis à l'abri de l'influence funeste de règles boiteuses,
inventées par un égoisme aveugle, ou fabriquées à la hâte par un
idéahsme prématuré ou trop borné.
Au commencement la création des normes juridiques inter-
nationales s'accomphssait sans système, sous la seule direction de
l'opportunité. Il en résultait que la quantité, aussi bien que la
qualité et l'unité des normes laissaient beaucoup à désirer.
Les efforts faits pour améhorer cette situation fâcheuse n'ont
pratiquement commencé qu'au miheu du 19ième siècle. Ce n'est
en somme qu'après la guerre de 1914 que les efforts de construire
un véritable droit des gens se sont manifestés avec énergie. Si
loin qu'on soit encore de la perfection, on peut affirmer qu'on a
atteint des résultats qui, à l'égard du passé, caractérisent un
progrès indéniable. Les tentatives ayant pour but d'expulser de
la vie internationale l'emploi arbitraire de la force en le rempla-
çant par un système de collectivité qui garantisse la sécurité
réciproque par la solution pacifique des conflits et par l'assistance
mutuelle, ont donné naissance à un grand nombre de traités qui,
cependant, d'après leur conception et leur élaboration démontrent
des différences sensibles.
Nous nous sommes proposé d'examiner, dans l'étude suivante,
à un point de vue particulier cette évolution remarquable de
l'organisation juridique internationale. En effet, ce qui, e.a.,
frappe l'observateur attentif de la vie internationale tout spécia-
lement, c'est l'évolution qu'a subie en ces derniers temps le con-
cept de la neutralité. C'est pourquoi nous en analyserons dans les
pages suivantes la valeur juridique, la place qu'elle occupe dans
le droit positif contemporain et l'influence que, probablement,
exercera sur elle, encore à l'avenir, le développement futur du
droit des gens.
Les principes généraux que nous venons d'exposer plus haut
serviront de directives à cet examen.
DEVELOPPEMENT HISTORIQUE
CHAPITRE I
la pratique
La neutralité, loin de constituer une œuvre d'une seule pièce,
est un produit de l'histoire; elle est de structure fragile, à la per-
fection de laquelle plusieurs générations humaines ont travaillé.
Une compréhension fondée de la neutralité n'est pas possible sans
la connaissance de son développement historique. Aussi, sommes-
nous obligés de donner un aperçu des faits et des événements prin-
cipaux qui ont servi de matière première à nos conclusions.
À l'origine la neutralité est une situation de fait; elle devient
une situation de droit dès qu'elle est dominée par des règles juri-
diques. L'élément de fait qui caractérise la neutralité résulte de la
répartition du pouvoir international entre les nations développées
en Etats indépendants. Un certain degré d'équilibre politique a
la tendance de modérer l'égoisme excessif que les Etats, au début
de leur évolution, ont l'habitude de manifester les uns vis-à-vis
des autres et les contraint à observer certains égards qui prépa-
rent la reconnaissance réciproque. Ce processus est renforcé par
l'extension des relations internationales, découlant du dévelop-
pement économique qui fait apparaître les intérêts communs.
La reconnaissance réciproque d'Etats plus ou moins équi-
valents résulte, au commencement, de la conviction que l'on
protège le mieux ses propres intérêts vitaux en s'abstenant de
porter atteinte à ceux d'autrui. Ici l'équilibre de pouvoir crée une
garantie naturelle, parce qu'elle fait paraître les avantages de
l'atteinte inférieurs aux sacrifices qui sont en jeu.
À mesure que l'existence des Etats se consoUde et que le dé-
veloppement culturel s'avance, la conscience juridique se fait
valoir. L'Etat réclame le droit à une sphère de libre action,
qu'auparavant il possédait déjà de fait: la souveraineté. Or, une
telle prétention implique la reconnaissance d'un droit analogue
des autres Etats. À ce moment le droit fait son entrée; ce n'est
cependant pas une entrée triomphale.
Chaque fois qu'il y a un certain équilibre, les conditions sont
favorables à la neutralité de fait, parce que le pouvoir de l'Etat
tiers, restant neutre, contraint les beUigérants à respecter cette
attitude. Il va sans dire que pareille situation peut exister sans
normes juridiques, ce que l'histoire prouve amplement. Cepen-
dant, cet état de fait est loin d'être satisfaisant, de là les efforts de
réglementation. Parce qu'on a présenté la neutraUté comme
figure juridique, même comme principe juridique, l'histoire
devient particulièrement importante pour notre examen du
moment où l'élément juridique entre en jeu. Or, ce moment est
malaisé à fixer; le développement est irrégulier et lent. Néan-
moins, on peut en situer approximativement les premiers symp-
tômes au I7ième siècle. La neutralité telle qu'elle existe encore
de nos jours est un produit de la civilisation européenne occiden-
tale. — Qu'il y ait eu, déjà au 13ième ou au 14 ième siècle, des
traités contenant certains éléments de l'attitude neutre, ne
prouve aucunement qu'on s'occupait alors d'une conception
juridique de la neutralité comme telle. — Pendant des siècles la
neutralité n'a été qu'un simple fait se formant au gré de circon-
stances accidentelles.
Sous ce point de vue, la question de savoir si les peuples de
l'antiquité ont connu la neutraUté, paraît d'une importance
secondaire. D'ailleurs les données intéressant cette matière sont
peu nombreuses et souvent vagues. Dans un article i) bien
documenté M. S. Séfériadès, mentionne des particularités remar-
quables, mettant en relief une certaine analogie entre la neutra-
lité dans l'antiquité grecque et celle des derniers siècles de l'his-
toire moderne. Tout de même, l'influence de celle-là sur la neutra-
lité moderne est difficile, sinon impossible à définir et la continuité
du développement manque tout à fait, de sorte que l'examen
de la neutrahté antique peut être éliminé dans cette étude.
Que les Romains n'aient point connu la neutralité, que, du
moins, ils l'aient rejetée, cela semble fort probable. La citation
presque traditionneUe d'après Tite Live 2) ne justifie nullement,
1)nbsp;s. Séfériadès, „La conception de la neutraliti dans l'ancienne Grèce.quot;
2)nbsp;Tite Live: „Romanes oportet aut socios aut hostes haberequot;. Cap. XXXII.
-ocr page 23-il est vrai, une conclusion décisive sur ce sujet. Il y a, toutefois,
un argument plus concluant, savoir que l'empire romain, en raison
de sa puissance et de sa politique impérialiste,n'avait aucune raison
de tolérer la neutralité: elle devait l'estimer incompatible avec
son intérêt propre. En outre, on professait alors l'opinion qu'en
temps de guerre tout était permis, ou du moins on se comportait
comme s'il en était ainsi, — attitude qui contribuait peu au
respect des intérêts d'un faible non-belligérant.
Ce principe fleurit aussi au moyen âge, lorsque, de la dissolu-
tion du système féodal, se déchaînent les nombreuses guerres de
tous contre tous. La neutralité, l'abstention formelle en cas de
guerre, n'est que la conséquence de toutes sortes de machina-
tions politiques, qui ne visent que l'intérêt propre ou celui d'un
tiers. Souvent eUe est simplement l'objet d'un marché Enfin,
alors que du chaos, de cette lutte dominée par le droit du plus
fort, les puissants sont sortis victorieux, les perspectives pour
en venir à l'ordre et à des relations justes s'éclaircissent. Il y a
même deux facteurs qui favorisent cette possibilité :
1°. Le développement du commerce international qui, extrê-
mement sensible aux influences de la guerre à cause de sa vul-
nérabihté, exige une protection collective contre la piraterie
effrénée des Etats belligérants.
2°. L'influence indirecte du christianisme qui, en répandant la
morale religieuse, égalise le chemin qui va de l'arbitraire à la
conscience juridique, car l'Eglise s'oppose à la mentalité du
chevalier brigand qui, tout au plus, ne se soucie que des concep-
tions barbares du droit.
Nous nous empressons de constater que l'effet de cette dernière
mfluence, du moins sur la pratique, a été faible, en quoi il n'y a
rien d'étonnant si l'on note bien en quelle mesure et par quels
moyens les Etats, même encore de nos jours, poursuivent leur
intérêt propre.
Donc, la possibilité est créée, mais le développement est ex-
trêmement lent et hésitant. Les relations entre Etats puissants
se catactérisent par une rivalité excessive. Chacun ne se soucie
que de soi-même ; il s'efforce de nuire aux autres, sans s'inquiéter
du choix des moyens. Les guerres se succèdent régulièrement et
') Baudenet d'Annoux, „Le développement de la neutralité de Grotius d Vattelquot;,
nous en donne des exemples remarquables.
on peut voir les grandes puissances se combattre, soit séparées,
soit en combinaison, et cela pendant des siècles: l'histoire de
l'évolution des grandes Puissances de l'Europe occidentale pen-
dant les 16ième, 17 ième et ISième siècles en peut témoigner. La
combinaison se dresse contre celui qui menace d'acquérir une
avance sur les autres, ou bien qui se trouve dans une situation
favorable à l'agression. Dans ces conditions la neutrahté n'est
qu'un mot vide, car celui qui ne prend pas part ouvertement aux
hostilités, s'y mêle pourtant indirectement et devient ainsi un
belligérant déguisé en fournissant de l'argent et des armées à
l'une des parties belligérantes. Il joue le rôle de comphce. D'autre
part, logiquement les belligérants se préoccupent peu des intérêts
neutres. Tout cela surtout au détriment des petits Etats neutres,
car les grandes Puissances ont le pouvoir de se mettre à l'abri des
violations de la part d'un beUigérant. Aussi les grandes Puissances
neutres, capables de protéger leur intégrité territoriale et de
résister aux contraintes morales, montrent-elles peu de zèle en
faveur de la cause neutre. Les petits Etats, trop faibles pour se
défendre, sont les plus disposés à l'attitude vraiment neutre, car
en s'efforçant d'éviter Charybde ainsi que Scylla, il ne leur reste
que le recours à l'impartialité rigoureuse, ce qui d'ailleurs paraît
une chose vaine.
Pourtant ce „systèmequot;, — véritable euphémisme—, a un ten-
don d'Achille, savoir les intérêts maritimes. Le belligérant, en
s'autorisant du droit de nuire le plus possible à son adversaire,
dispose dans ce but d'un moyen particulièrement efficace en la
destruction du commerce d'outre-mer. Efficace d'abord, parce que
la flotte commerciale, répandue sur les océans, et dépourvue
d'armes, est difficile à protéger et, en conséquence, exposée à
une attaque menée de forces modestes. (L'histoire compte nom-
bre d'exemples où un seul vaisseau de guerre fit des dégâts con-
sidérables.) En second heu le butin représente souvent une valeur
importante. La tendance à l'isolation économique de l'adversaire
d'une part et le désir du gain de l'autre, mènent au développement,
désastreux pour le commerce neutre, de la course. La réaction
naturelle étant les représailles, on en finit à la course autorisée et
brevetée par les Etats. Il faut bien noter que, parfois, même les
„neutresquot;, nonobstant l'état de neutralité, n'ont pas hésité à se
servir de ce moyen.
Lorsque le développement du commerce maritime s'avance,
on commence à s'apercevoir de l'impossibilité de continuer dans
pareille voie. Abstraction faite des conséquences nuisibles qui en
découlent, sans exception, pour tous les États, il y a un certain
groupe d'Etats, savoir d'Etats maritimes, qui se voient parti-
culièrement menacés par un changement important dans le cours
des événements. C'est que la conquête de l'hégémonie maritime
par la Grande-Bretagne diminue considérablement les chances de
ces Etats dans la lutte du „catch as catch canquot;, de sorte qu'ils
manifestent une vive volonté de parvenir à une réglementation
internationale de la matière. Les petits Etats se trouvent, comme
nous l'avons déjà remarqué plus haut, dans la situation désespérée
d'être livrés à l'arbitraire des grandes nations. Sauf leurs vaines
protestations, il ne leur reste que l'opportunisme politique pour
protéger tant bien que mal leur existence. Les hasards de la
guerre les mettent sous l'influence tantôt de l'un, tantôt de l'autre
des belligérants, ce qui se résout en dommages continuels au
détriment de ces petits Etats. Quelques-uns, profitant des cir-
constances, s'aventurent aux représailles, ce qui d'ailleurs con-
tribue peu à l'amélioration des conditions.
La conséquence naturelle de la situation que nous venons
d analyser, c'est la solidarité des Etats qui, en faveur d'un déve-
loppement pacifique, adhèrent à une politique de neutralité. Aus-
sitôt que le bloc des neutres représente un pouvoir tel qu'il con-
tient une menace contre l'agresseur de la neutralité, la période de
la formation des règles juridiques concernant la neutralité s'ouvre.
A la longue cet équilibre de pouvoirs doit conduire et, en effet, a
conduit au rapprochement conscient, au compromis, à la régle-
lïientation, bref, à la création de droit, quelque défecteux que ce
droit soit et doive être. Que, dans cette réglementation réfléchie,
on se serve de plusieurs règles nées par hasard au cours de l'his-
toire, c'est logique et ne diminue aucunement l'importance du
fait qu'ici la neutralité comme telle se met pour la première fois
en avant et que, par la collaboration des Etats, elle tend à
s élever à la hauteur d'une institution juridique.
Auparavant elle n'était qu'un phénomène auquel on attachait
tout au plus quelques règles accidentelles d'un caractère borné.
Meme la dissolution du bloc des neutres en 1798 et le retour
emporaire à la situation de jadis, n'ont pu empêcher plus tard
elaboration juridique de la neutrahté.
Aussi, sommes-nous d'opinion que la première pierre a été
posée en 1780, l'année de la première „Neutralité Arméequot;. Depuis
cette année on a continué de bâtir l'édifice, sans cependant
l'achever. Les travaux ont été difficiles, ont subi de nombreuses
interruptions et de graves échecs, car souvent tout ce qu'on
venait d'édifier s'est écroulé au premier coup de vent.
En viendra-t-on jamais à l'achèvement? Nous ne pouvons y
croire. Même l'architecte le plus habile ne saurait élever une
construction solide sur des fondements mauvais. Voilà justement
le défaut du développement de la neutralité, comme nous espé-
rons le démontrer ailleurs.
Après avoir indiqué les lignes principales du développement
historique de la neutrahté, nous allons examiner les faits concrets.
La réglementation la plus ancienne qui ait exercé une in-
fluence importante est sans doute le „Consolato del Marequot;
datant probablement du 14ième siècle. Le Consolato est né de
la collaboration des Etats commerciaux méditerranéens, il se
rapporte au droit maritime entier et contient e.a. la règle impor-
tante selon laquelle la cargaison neutre à bord d'un navire ennemi,
ainsi que la cargaison ennemie à bord d'un navire neutre ne peu-
vent être déclarées de bonne prise.
Il n'y a pas lieu de s'étonner qu'on rencontre une règle pareille
en ces temps et en ces lieux, si l'on considère que le trafic commer-
cial florissant sur la Méditerranée i) réclame la protection contre
les violences de la guerre. Dans le Nord-Ouest de l'Europe, où la
période de floraison du commerce maritime ne commence que plus
tard, les belligérants ont encore plein pouvoir. Là, le belligérant
ne connaît toujours que deux directives:
1°. nuire autant que possible à l'ennemi; 2°. empêcher la perte
de ses propres relations commerciales, c.-à-d. empêcher que les
neutres s'emparent de son commerce pendant la guerre. Aussi, le
belligérant défend-il aux neutres d'exercer le commerce avec ses
ennemis et notamment le commerce colonial qu'en temps de
paix ceux-ci ont l'habitude de se réserver à eux-mêmes 2).
1)nbsp;Surtout en Italie et en Espagne; comp. le développement du droit commercial
en Italie.nbsp;, ,nbsp;^ f
2)nbsp;C'est la fameuse règle de la guerre de 1756, dont les dermers échos se sont fait
entendre dans l'article 57, alinéa 2, de la Déclaration Navale de Londres et dans
certains règlements et jugements de prises de la grande guerre.
La lutte pour les droits maritimes des neutres n'est en réalité
que la lutte contre la tyrannie du belligérant. Malgré les traités on
continue de violer la parole donnée et on retombe dans la situation
qui proclame loi suprême le droit du plus fort. Aux Mième et
ISième siècles les relations entre les belligérants et les neutres de
la mer du Nord et de la mer Baltique ont été pratiquement domi-
nées par ce seul principe i).
Quand au 16ième siècle, en ces mêmes régions, le commerce
niaritime prend un grand essor, surtout à cause du courant abon-
dant de produits qui se dirige des parties du monde nouvellement
découvertes vers l'Europe occidentale, le besoin de protection en
temps de guerre ne tarde pas à se faire sentir. L'influence de
l'Europe méridionale mène à l'acceuil du „Consolatoquot;, non général
cependant, de sorte que la situation des neutres ne s'améliore
guère. L'unité de conception manque à cause des intérêts diffé-
rents des grandes Puissances qui fixent leur attitude, chacune
pour soi, selon son propre point de vue.
La Grande-Bretagne adhère au „Consolatoquot;, la France promul-
gue les ordonnances de 1538,1543 et 1584, les Provinces Unies pro-
clament les édits de 1584 et 1599 2), plus tard ceux de 1652, 1657
et 1689 3). Mais, et tout est là, on n'observe pas, ou du moins on
n'observe qu'insuffisamment les règles fixées. La guerre de trente
ans, par exemple, donne une image assez triste de la manière
dont les intérêts neutres ont été foulés aux pieds.
La Grande-Bretagne applique le „Consolatoquot; seulement en
ce sens qu'elle capture la cargaison ennemie à bord du navire
neutre, mais elle ne pense pas à ménager les marchandises neu-
tres se trouvant sur le navire ennemi quot;). On étire à son gré la
notion de la contrebande, comme si elle n'avait pas de limites.
La proclamation du blocus fictif est un moyen en vogue pour
justifier formellement la course à outrance. La manière d'exercer
le droit de visite prend des formes vraiment insupportables. Le
manque d'unité, déjà signalé, ressort également des nombreux
traités bilatéraux relatifs à la neutraUté. Nous mentionnons:
Concernant la contrebande =) :
Comp. l'attitude de la Ligue hanséatique en temps de guerre. François II, p. 565.
) Plakkaten-, François II, p. 558.
) Descamps, p. 19.
quot;) François II, p. 557.
' François II, p. 562 c.s.
-ocr page 28-Traité anglo-espagnol (1604).
hollando-suédois (1614).
„ hollando-britannique (1625).
„ franco-hollandais (1646).
„ hollando-espagnol (1650).
hollando-britannique (1667).
Concernant le droit d'amener les prises i) :
Traité hollando-britannique (1668 et 1674).
hollando-français (1678).
„ hollando-suédois (1679).
Concernant l'assistance mutuelle en temps de guerre 2) :
Traité hollando-suédois (1695).
Concernant le droit de visite 3) ;
Traité anglo-gênois (1460).
Concernant le blocus ■») :
Edit des Provinces Unies de 1630.
Traité franco-danois (1742).
„ dano-sicilien (1748).
hollando-sicilien (1753).
hispano-autrichien (1795).
Malgré tous ces efforts la situation reste peu satisfaisante.
Le sort des neutres est toujours incertain à cause des facteurs
mentionnés. Les belligérants ne vont pas jusqu'à dénier complè-
tement le droit, au contraire, les infractions les plus brutales
aux intérêts neutres sont encore accompagnées d'une justifi-
cation quelconque de leur part. Leur appel à la nécessité, leur
recours aux interprétations les plus captieuses en témoignent.
Comment expliquer ce phénomène autrement que par le fait
qu'on se voit obligé de tenir compte, ne fiit-ce que d'une façon
purement formelle, d'une conscience juridique déjà existante ? Il y
a là un facteur important, puisque dans ces conditions, la con-
science juridique pourra commencer d'exercer son influence con-
structive, dès que les circonstances paraîtront favorables. Dans
cet ordre d'idées les grands traités de paix attirent l'attention.
Les conférences de la paix qui, de par leur caractère, offrent,
à l'époque dont nous parlons, les occasions les plus opportunes
')nbsp;François II, p. 584.
2)nbsp;François II, p. 586.
')nbsp;François II, p. 614.
lt;)nbsp;François II, p. 631.
-ocr page 29-de coUaboration internationale — condition indispensable de
tout développement du droit des gens, — mènent à la concilia-
tion partieUe des conceptions différentes sur la neutralité, pnnci-
palement à cause des concessions faites par les grandes Puis-
sances. Nous avons en vue:
la paix de Westphalie (1648),
„ „ des Pyrenées (1659),
„ „ de Nimègue (1678),
„ „ de Ryswick (1697),
„ „ d'Utrecht (1713).
Surtout la paix des Pyrenées et celle d'Utrecht sont caractéri-
sées par un point de vue plus bienveillant à l'égard des intérêts
neutres. Les Puissances continentales tombent d'accord sur cer-
tains principes, e.a. sur celui du pavillon neutre couvrant la
cargaison ennemie. La Grande-Bretagne ne veut point de cette
règle et maintient l'ancienne pratique, convenant mieux à son
intérêt propre et que, d'ailleurs, eUe peut se permettre en raison
de son pouvoir maritime toujours croissant. La controverse entre
la conception britannique et celle du continent est restée pendant
des années un obstacle infranchissable sur le chemin de l'unité
du droit. Aussi,le point cardinal de la lutte pour la neutralité, pen-
dant cette période, se trouve-t-il dans les efforts de faire chan-
ger d'opinion la Grande-Bretagne.
La conséquence logique de cette divergence des principes est
le désordre et l'incertitude, encore stimulés du fait que les si-
gnataires des traités de paix observent mal leurs engagements.
Cependant, il faut l'admettre, la situation sur terre n'est pas
aussi défavorable que celle sur mer, parce que les intérêts terres-
tres se protègent mieux que les intérêts maritimes. Qu'on^ se
garde d'aiUeurs de considérer chaque cas d'observation d'un
traité et chaque manifestation d'égard pour l'intérêt neutre
comme une victoire du droit. Au temps dont nous parlons, comme
de nos jours, cette „victoirequot; n'est très souvent que le produit
d'une constellation politique opportune, sans laquelle on ne se
serait soucié ni du droit, ni du neutre.
Or, l'arbitraire continuel, portant préjudice non seulement
aux petits Etats neutres, mais aussi aux grands, renforce un
mécontentement croissant. La collaboration des neutres est
inévitable. Lorsque, pendant la guerre d'indépendance améri-
Van Royen, Neutraliténbsp;^
caine (1775-1783), la Grande-Bretagne lèse de nouveau les droits
et les intérêts des neutres, la Russie, la Suède et le Danemark
concluent la première „Neutralité Arméequot;. La déclaration faite
par la Russie à la Grande-Bretagne, à la France et à l'Espagne
le 9 mars 1780, contient les règles dont l'observation est exigée
par les neutres:
1°. Liberté de la navigation commerciale;
2°. Le pavillon neutre couvre la cargaison, sauf la contre-
bande ;
3°. Définition stricte de la contrebande de guerre;
4°. Interdiction du blocus fictif.
En outre les trois pays s'allient aux fins d'une action collec-
tive à exercer, éventuellement à main armée, en cas d'infraction
à ces règles.
La „Neutralité Arméequot; est importante à deux égards:
1 Elle fait sortir la neutralité de son état de matière juridi-
quement indifférente, en la promouvant en institution juridique,
sur la base de principes objectifs. Bientôt ces principes sont
acceptés par d'autres Etats, savoir les Provinces Unies, la Prusse,
l'Autriche, le Portugal et les Deux Siciles, auxquels se joignent
plus tard la France, l'Espagne et les Etats-Unis.
2°. Elle ne se borne pas à fixer des normes sans plus, mais
elle s'efforce aussi de les réaliser en les sanctionnant, bien que
cette sanction ait le caractère d'un jugement en propre cause.
L'élément objectif qu'on essayait d'introduire dans la relation
neutre-belligérant est le premier pas sur le chemin du développe-
ment d'une notion juridique de la neutralité et c'est pour cela
que nous sommes d'avis que l'histoire juridique de la neutralité
commence en 1780. Cette opinion ne néglige ni l'importance des
événements historiques, — ni l'existence des théories juridiques
sur la neutralité, d'une date antérieure.
La Grande-Bretagne s'oppose aux règles de la Neutralité
Armée, car ces règles sont précisément dirigées contre elle.
Dans la guerre franco-britannique, la Russie se range du côté
de la Grande-Bretagne, de sorte que l'application des règles nou-
velles devient illusoire. Pourtant les liens sont renoués, quand,
en 1800, la Russie conclut avec la Suède, le Danemark et la
Prusse la „Seconde Neutrahté Arméequot;, fondée sur les principes
de 1780, auxquels on ajoute l'inviolabilité du convoi. La Grande-
Bretagne, ayant besoin de l'assistance russe contre la France,
s'efforce de nouveau de gagner la Russie à ce propos. Elle y
réussit en 1801 au prix de quelques concessions en matière de
neutralité. Bienque cela ne signifie pas encore un progrès direct
dans la pratique, ce fait est pourtant d'une grande importance,
car c'est la première fois que la Grande-Bretagne se voit con-
trainte de quitter son point de vue d'isolement.
Les guerres suivantes produisent une vive réaction. L'empe-
reur Napoléon I voulant briser à tout prix la résistance de la
Grande-Bretagne, se soucie peu de la neutralité et entraîne une
grande partie du continent dans ses mesures anti-britanniques.
Les décrets fameux de Berlin (21 novembre 1806), de Milan
(17 décembre 1807) et de Fontainebleau (19 octobre 1810)
paralysent le commerce continental de son adversaire. Ces décrets
démontrent clairement la gravité de la situation. Nous faisons
suivre quelques passages du décret de Berlin i) qui dans le cadre
de cette étude est instructif à plusieurs égards:
Extrait des minutes de la Secrétairerie d'Etat. Considérants
du décret:
»1°. Que l'Angleterre n'admet point le droit des gens suivi
universellement par tous les peuples policés;
»2°. Qu'elle répute ennemi tout individu appartenant à l'Etat
eimemi et fait, en conséquence, prisonniers de guerre non seule-
ment les équipages des vaisseaux de commerce et des navires
marchands, mais même les facteurs de commerce et les négo-
cians qui voyagent pour les affaires de leur négoce;
»3°. Qu'elle étend aux bâtiments et marchandises du com-
merce et aux propriétés des particuliers le droit de conquête,
qui ne peut s'appliquer qu'à ce qui appartient à l'Etat ennemi;
-.4°. Qu'elle étend aux villes et ports de commerce non for-
tifiés, aux havres et aux embouchures de rivières, le droit de
blocus, qui d'après la raison et l'usage des peuples policés, n'est
applicable qu'aux places fortes;
»5°. Qu'elle déclare bloquées les places devant lesquelles elle
n'a pas même un seul bâtiment de guerre, quoiqu'une place ne
soit bloquée que quand elle est tellement investie qu'on ne puisse
tenter de s'en approcher sans un danger imminent;
') cité d'après Bourrienne, „Mémoiresquot;, Tome septième, p. 190 e.s.
-ocr page 32-„6°. Qu'elle déclare même en état de blocus des lieux que
toutes ses forces réunies seraient incapables de bloquer, des côtes
entières et tout un empire;quot;nbsp;etc.
„Nous avons résolu d'appliquer à l'Angleterre les usages qu'elle
a consacrés dans sa législation maritimequot;....
„Nous avons, en conséquence, décrété et décrétons ce qui suit :
Art. 1er. Les Iles Britanniques sont déclarées en état de
blocus.
Art. 2. Tout commerce et toute correspondance avec les Iles
Britanniques sont interdits....
Art. 3. Tout individu de l'Angleterre, de quelque état ou
condition qu'il soit, qui sera trouvé dans les pays occupés par
nos troupes ou par celles de nos alliés sera fait prisonnier de
guerre.
Art. 4. Tout magasin, toute marchandise, toute propriété, de
quelque nature qu'elle puisse être, appartenant à un sujet de
l'Angleterre, ou provenant de ses fabriques et de ses colonies
est déclarée de bonne prise.
Art. 5. Le commerce des marchandises anglaises est défendu ;
et toute marchandise appartenant à l'Angleterre, ou provenant
de ses fabriques et de ses colonies est déclarée bonne prise.
Art. 6. Aucun bâtiment venant directement de l'Angleterre,
ou des colonies Anglaises, ou y ayant été depuis la publication
du présent décret, ne sera reçu dans aucun port,
etc.quot;
L'Angleterre se défend contre ces mesures en exerçant la
pratique traditionnelle, usant de son hégémonie maritime, nou-
vellement consolidée par les victoires d'Aboukir et de Trafalgar.
Les fléaux du blocus fictif, de la course illimitée et de l'usage
rigoureux du droit de visite, frappent avec une violence jus-
qu'alors inconnue la navigation de l'ennemi et des neutres.
Avec la réaction pacifique après les guerres napoléoniennes,
l'idée de la neutralité revit. Presque généralement on arrive à
considérer la neutralité comme ayant une importance interna-
tionale. Cependant, on n'appuie pas tant sur l'élément juridique
que sur l'élément politique de la neutralité. Aussi, on ne procède
pas immédiatement à constituer par la collaboration collective
un droit bien défini de la neutralité, mais on s'efforce de mettre
en valeur la signification politique qu'on attribue à la neutralité,
savoir le maintien de la paix, en se servant de la neutralité comme
garantie politique du statu quo territorial. La Sainte Alliance
vise à maintenir la paix en renforçant l'autorité des dynasties
régnantes i) : c'est un moyen purement politique.
On peut remarquer que dans la vie internationale l'organisation
politique précède l'organisation juridique, elle est la forme intermé-
diaire entre ceUe-ci et l'anarchie internationale. La différence ca-
ractéristique entre l'organisation politique et l'organisation juridi-
que se manifeste dans leurs fondements respectifs, celle-là se basant
sur les intérêts du groupe politique qu'elle représente, celle-ci sur
le droit. C'est ainsi que la Sainte Alliance se défend contre la
guerre en lui opposant des obstacles, e.a. par la soustraction d'un
certain pays ou de certaines régions à la violence de guerre, sous
la forme de la neutralité permanente et de la neutralisation.
Quant à la neutralité permanente, on s'est inspiré de l'exemple
de la politique helvétique. „Trois siècles d'histoirequot;, dit Schwei-
zer 2)^ ^^ont appris que, sans aucun traité, sans aucune protection
..garantie de l'extérieur un petit Etat peut maintenir en droit
..et en fait sa neutrahtéquot;. Nous remarquons aussitôt que cet
exemple ne justifie nullement une conclusion générale, car quelles
sont les petites Puissances qui occupent une position stratégique
aussi favorable au maintien de sa neutralité que la Suisse ? Dans
le cas d'une neutralité permanente, l'Etat en question s'engage
par traité à cette attitude, qui est reconnue et parfois garantie
par les autres parties contractantes. Ä proprement parler, la
neutralité permanente a un caractère semi-juridique; juridique
par la forme, elle est politique dans son objet. Ce produit de la
Sainte Alliance ressemble à l'Etat-tampon présentant de simples
aspects juridiques.
La neutralisation s'applique naturellement aux Etats qui, en
quot;lême temps, sont démilitarisés. Ceux-ci sont privés de défense
naturelle, ce qui — à l'opposé de la neutralité permanente —
signifie une restriction sérieuse des droits souverains.
Après la Sainte Alliance on continue la politique de neutrali-
sation, on s'en sert pour les petits territoires (la Savoie, le Samoa),
La pierre angulaire du système politique de Metternich.
P. Schweizer, „Geschichte der schweizerischen Neutralitätquot;, p. 74.
-ocr page 34-pour les mers (la Mer Noire), pour les rivières (le Rhin, les em-
bouchures du Danube, le Congo, le Niger), pour les canaux (le
Canal de Suez), même pour le phare du cap Spartel et pour les
ambulances. Ces derniers exemples montrent que la connexion
entre la neutralisation et la véritable notion de la neutralité est
devenue vague, peut-être réduite à l'identité du nom. Aussi, la
neutralisation d'un phare n'a-t-elle d'autre signification que de
mettre cet objet, représentant un intérêt international, à l'abri
de la guerre.
En somme on ne peut pas prétendre que la première partie
du 19ième siècle ait apporté un développement vigoureux du
droit positif de la neutralité, comparable à ce qui en a été durant
la dernière partie du même siècle.
Avant de passer à l'examen de cette période, il faut attirer
l'attention sur l'influence exercée par les Etats-Unis.
Après la séparation de la Grande-Bretagne, le renforcement de
son existence constitue le premier soin de la jeune république
américaine. À cet effet une politique pacifique, favorisant le
développement économique paisible, est indispensable. Dans les
circonstances données, les Etats-Unis réalisent ce plan en ne
s'immisçant point aux conflits européens et en veillant à ce que
ceux-ci ne portent pas atteinte à ses intérêts propres, donc une
politique rigoureusement neutre. La proclamation de la neutralité
de George Washington (1793), le „Foreign Enlistment Actquot;
(1818) et la doctrine de Monroe (1823) sont les preuves de cette
tendance, qui a eu une signification indéniable pour le dévelop-
pement de la neutralité.
Au milieu du 19ième siècle les efforts en vue de constituer
des règles générales de la neutralité reprennent. Un accord im-
portant constitue la déclaration provisoire, de la Grande-Bre-
tagne et de la France à la veille de la guerre de Crimée (30 mars
1854). Jusqu'alors la Grande-Bretagne avait persévéré autant
que possible dans sons point de vue exceptionnel en matière de
neutralité. Selon le ,,Consolatoquot; elle avait continué de déclarer
de bonne prise la cargaison ennemie à bord du navire neutre
et — ce qui était la seule concession qu'elle avait faite — de
ménager les biens neutres sur le bâtiment ennemi, tandis que la
France, depuis la paix d'Utrecht, n'avait pas cessé d'agir pré-
cisément à l'inverse. Aussi, l'entente anglo-française contre la
Russie se voit-elle dans la nécessité de résoudre cette controverse,
si elle ne veut porter de graves préjudices aux intérêts neutres
ou bien s'exposer à une discorde dangereuse et ridicule. La décla-
ration de 1854, qui en résulte, contient un compromis entre les
deux conceptions. Pendant la guerre de Crimée, les règles pro-
clamées sont assez bien observées et à la fin de la guerre elles
sont définitivement fixées dans la „Déclaration de Parisquot; (16
avril 1856) qui consacre les principes suivants:
1°. Abolition de la course;
2°. Le pavillon neutre couvre la cargaison ennemie, la contre-
bande exceptée ;
3°. La cargaison neutre sous pavillon ennemi ne sera pas
déclarée de bonne prise, la contrebande exceptée ;
4°. Abolition du blocus fictif.
Tous les États adhèrent à la Déclaration, sauf les Etats-Unis,
l'Espagne et le Mexique.
Jusqu'alors la lutte pour la neutralité avait été soutenue prin-
cipalement en faveur des droits des neutres. C'est un fait remar-
quable que la question des devoirs découlant inévitablement de
l'attitude neutre, semble être réléguée au second plan. Pourtant
ces devoirs ont toujours existé, abstraction faite de la recom-
naissance expresse du principe — car en somme il faut que la
volonté de rester neutre se manifeste dans la conduite de l'Etat.
Le respect de la neutrahté par le belligérant est inconciUable
avec une conduite purement arbitraire de la part du neutre.
Dans la pratique la question des devoirs du neutre produit moins
de frictions que celle des droits du neutre. Comment expliquer
le phénomène ? À notre avis par le fait que, les petites Puissances
ayant beaucoup plus d'intérêt à la neutrahté que les grandes,
celles-là ont mis plus de zèle à observer les devoirs que celles-ci à
quot;Ménageries droits.
À mesure que la neutralité gagne en importance pour les gran-
des Puissances, la question des devoirs du neutre se fait de plus en
plus valoir. Elle devient aiguë lors de la guerre de sécession aux
Etats-Unis (1861-1864), à cause de l'affaire „Alabamaquot;. Nous
signalons que c'est encore une grande Puissance qui est la cause
du conflit; elle néghge gravement les devoirs neutres, bien qu'elle
^ût pris sans doute des mesures énergiques contre la moindre
atteinte à ses droits.
De la fameuse affaire Alabama est né le traité de Washington
(8 mai 1871), conclu entre les Etats-Unis et la Grande-Bretagne et
qui comporte trois règles concernant la neutralité maritime.
Ensuite, les conférences de la Paix à la Haye (1899 et 1907)
réalisent une collaboration internationale sur une vaste échelle.
En faveur de la paix, elles visent la réglementation uniforme et la
codification du droit de guerre et de neutrahté en vigueur. La
conférence de 1899 se résout à reporter l'examen du droit de
neutralité à une conférence postérieure. Ladite conférence, à
laquelle participent 32 Etats, se réunit en 1907 et rédige un cer-
tain nombre de conventions, dont cinq concernent la neutralité :
No. V. „concernant les droits et les devoirs des Puissances et
„des personnes neutres en cas de guerre sur terrequot; ;
No. XI. „relative à certaines restrictions à l'exercice du droit
„de capture dans la guerre maritimequot; ;
No. XII. „relative à l'établissement d'une cour internationale
„des prisesquot;;
No. XIII. „concernant les droits et les devoirs des Puissances
„neutres en cas de guerre maritimequot; ;
No. VIII. „relative à la pose de mines sous-marines automati-
„ques de contact.quot;
En outre la Conférence adopte e.a. le vœu; „qu'en cas de guerre,
„les autorités compétentes, civiles et militaires, se fassent un devoir
„tout spécial d'assurer et de protéger le maintien des rapports paci-
„fiques et notamment des relations commerciales et industrielles
„entre les populations des Etats belligérants et les pays neutres.quot;
Cependant on manque d'unanimité. Parmi les 11 Etats votant
contre une ou plusieurs des conventions se trouvent 4 grandes Puis-
sances, savoir: la France, la Grande-Bretagne (parce que la Confé-
rence n'a pas réussi à constituer des règles pour le droit des prises), le
Japon et laRussie. L'Allemagne adhère conditionnellement,en pré-
tendant que l'abolition de la course n'a aucune valeur si les ques-
tions du blocus et de la contrebande ne sont pas définitivement
résolues.
En outre, dans certaines conditions, les règles de la Haye ne
sont pas obligatoires, même pour les Etats signataires, en consé-
quence de la clause „si omnesquot; i) insérée dans les conventions 2).
1)nbsp;Proposition de Louis Renault.
2)nbsp;Voir: Convention no. V art. 20; Convention no. XI art 9; Convention no. XIII
art. 28; Convention no. VIII art. 7.
Cette clause prescrit que les règles de la convention ne sont ap-
plicables qu'entre les Puissances contractantes, et seulement si
toutes les parties belligérantes ont adhéré à la convention.
Une situation de l'espèce ne s'est pas produite pendant la
guerre mondiale.
La clause „si omnesquot; est l'aveu officiel de la discorde au sein de
la Conférence. C'est la recherche d'un „modus vivendiquot; contentant
toutes les parties et par lequel on évite l'échec immédiat au
dépens des résultats. Moyen psychologique bien connu de nos
jours, souvent, il faut l'admettre, le seul ou le plus sage qui reste,
mais qui est toujours la preuve d'impuissance.
En 1909 dix Etats, parmi lesquels toutes les grandes Puissances
maritimes, se réunissent à Londres afin de codifier le droit des
prises. La conférence réussit à dresser la „Déclaration relative au
droit de la guerre maritimequot; de Londres du 26 février 1909, que les
Etats participants n'ont, toutefois, jamais ratifiée et qui, en
conséquence, n'est pas entrée en vigueur.
„Die Haltbarkeit aller Verträge zwischen Groszstaatenquot;, dit
Bismarck i), „ist eine bedingte sobald sie im Kampf ums Dasein
,,auf die Probe gestellt wird. Keine grosse Nation wird je zu be-
„wegen sein ihr Bestehen auf dem Altar der Vertragstreue zu
»opfern, wenn sie gezwungen ist, zwischen beiden zu wählen.quot;
Ä ce point de vue la grande guerre de 1914-1919 est la pierre de
touche par excellence pour les règles de la neutrahté. Dans les
guerres, beaucoup moins étendues, qui l'ont précédée — excepté
la guerre russo-japonaise qui se passe principalement sur terri-
toire neutre — les infractions aux droits des neutres ont été indu-
bitablement moins graves qu'auparavant. Cependant ce serait
une imprudence d'attribuer aveuglément ce fait à l'efficacité du
régime de neutralité. Qu'on examine les circonstances particu-
hères!
Qu'est-ce que la guerre mondiale nous a appris en matière de
neutrahté? Pour ceux qui y ont eu confiance, elle a apporté une
triste déception, pour nous elle a démontré une fois de plus sa
faillite inévitable comme institution juridique.
La lésion flagrante de la neutrahté belge, dès le commencement
de la guerre, est un augure peu encourageant.
') „Gedanken und Erinnerungenquot;, II, p. 249.
-ocr page 38-La proposition des Etats-Unis, visant l'application mutuelle
de la déclaration de Londres de 1909, se heurte au refus de la
Grande-Bretagne. Les Conventions des Conférences de la Haye
ne sont pas reconnues par tous les belligérants. La pratique
devient de plus en plus grave pour les neutres. Nous ne citerons
que quelques faits :
—nbsp;passage en eaux territoriales neutres par des sousmarins
belligérants i) malgré les interdictions ;
—nbsp;lésion du territoire aérien neutre par des aéronefs belligé-
rants 2) ;
—nbsp;en matière du droit de prise la Grande-Bretagne retourne
pratiquement au „Consolato del Marequot; {Order in Council du
16 février 1917) 3), de sorte que du droit de neutralité sur mer il
ne reste presque rien ;
—nbsp;règles rigoureuses pour définir la nationalité du navire et de
la cargaison {Order in Council du 29 octobre 1915)quot;);
—nbsp;extension exhorbitante de la notion de contrebande {Orders
in Council des 20 août 1914 et 16 février 1917) s) ;
—• exercice excessif du droit de visite ;
—nbsp;blocus fictif camouflé sous la forme de zones militaires („mi-
litary areasquot;, „Kriegs-undSperrgebietequot;); ce système aboutit à la
guerre sousmarine illimitée ;
—nbsp;abus du droit d'angarie.
Ensuite nous citons quelques passages de la correspondance
entre les gouvernements de la Grande-Bretagne et des Etats-
Unis, permettant de se former une idée de la sévérité du conflit et
de la situation fâcheuse qui s'ensuit pour les neutres :
1.nbsp;Concernant les mesures britanniques :
„Every effort is being made to introduce a system of rationing
„which will ensure that the neutral countries concerned only
„import such quantities of the articles specified as are normally
„imported for their own consumptionquot; s).
2.nbsp;„With regards to imports, it is believed that some of the
1)nbsp;François II, p. 504 e.s.
2)nbsp;François II, p. 539 e.s.
3)nbsp;François II, p. 560.
t) François II, p. 561.
5) François II, p. 579.
Miscellaneous 2, 1916, cd 8145, „Statement of the measures adopted to intercept
het seaborne commerce of Germanyquot;. Conclusions p. 7.
„most important, such as cotton, wool and rubber, have for
„many months been excluded form Germany. Others like fats
„and oils and dairy produce, can only be obtained there, if at all,
„at famine pricesquot; i).
3.nbsp;M. Page, Ambassadeur des Etats-Unis à Londres, à Lord
Grey:
„1 believe it has been conclusively shown that the methods
„sought to be employed by Great Britain to obtain and use
„evidence of enemy destination of cargoes bound for neutral
„ports and to impose a contraband character upon such cargoes
„are without justification; that the blockade, upon which such
„methods are partly founded, is ineffective.illegal and indefensible ;
„that the judicial procedure offered as a means of reparation for
„an international injury is inherently defective for the purpose ;
„and that in many cases jurisdiction is asserted in violation of the
„law of nationsquot; 2).
4.nbsp;Réponse de l'Ambassadeur britannique à Washington :
„The measures taken by the Allies are aimed at preventing
„commodities of any kind from reaching or leaving Germany,
„and not merely at preventing ships from reaching or leaving
„German ports. quot;3).
5.nbsp;Concernant les représailles :
„It would seem that the true view must be that each belligerent
„is entitled to insist on being allowed to meet his ennemy on
„terms of equal liberty of action. If one of them is allowed to
„make an attack upon the other regardless of neutral rights, his
»opponent must be allowed similar latitude in prosecuting the
..struggle, nor should he in that case be limited to the adoption
..of measures precisely identical with those of his opponentquot;
En juillet 1916 le président Wilson écrit :
..La question qui se pose est de savoir si nous pouvons sup-
..porter plus longtemps cette politique intolérablequot; (de la Grande-
Bretagne) et en novembre 1916 le président des Etats-Unis se
plaint encore des „conditions intolérables de la neutralitéquot; 5).
') ibidem. Results p. 7.
Miscellaneous 1916, no. 15, cd 8234, „Further correspondance between His Majes-
ty's Government and the United States Government respecting the rights of belligerentsquot;.
P- 9, par. 33.
ibidem p. 27, par. 34.
quot;) ibidem p. 28, par. 38.
') Esp. I. 1935, p. 325.
-ocr page 40-Ces exemples, auxquels on peut facilement ajouter nombre
d'autres, prouvent clairement à quelles difficultés, à quels pro-
blèmes insolubles et à quels conflits le régime de la neutralité a
pu conduire. On peut en chercher la cause dans l'attitude des
belligérants, dans celle des neutres ou dans la neutrahté elle-
même, c'est ce que nous examinerons plus tard. Pour le moment
il suffit de constater que pendant la guerre mondiale l'institution
de la neutralité n'a pas répondu à l'attente, pour ne pas dire
qu'elle a échoué.
Qu'on ne dise pas que, pourtant, plusieurs États neutres sont
restés assez bien en dehors de la grande guerre. Parfois on fait
appel à l'exemple des Pays-Bas. Encore une fois nous faisons
remarquer qu'il faut étudier les conditions particulières du pays
en question. Alors on verra que parmi les nombreux facteurs
ayant contribué au résultat qu'un Etat est resté hors de la
guerre et que ses intérêts ont été assez bien ménagés, la neutraUté,
comme institution juridique, a joué un rôle insignifiant. Prenons
l'exemple cité des Pays-Bas. Le respect de la neutralité néerlan-
daise a été fondé en grande partie sur l'intérêt propre que les
parties belligérantes avaient au maintien de cette neutralité;
même l'inexpert en matière stratégique doit reconnaître cette
vérité.
Ce fait diminue considérablement la valeur juridique attribuée
à la neutralité ! Car pour définir la valeur d'une norme, il ne suffit
pas de constater simplement que cette norme a été observée en
certains cas, mais il faut se rendre compte des circonstances dans
lesquelles le phénomène s'est manifesté. Surtout en droit inter-
national où les sanctions manquent. Or, pendant la guerre mon-
diale l'observation des règles de la neutralité s'accomplissait en
règle générale conformément à l'intérêt du belligérant et rarement
à son préjudice. Il serait erroné et injuste d'attribuer ces abus
entièrement à la mauvaise foi des belligérants. Nous admettons
qu'ils ont parfois abusé de leur supériorité, mais il n'ont jamais eu
un mépris général du droit international, ce qu'on pourrait
prétendre trop légèrement en n'examinant que leur attitude à
l'égard des règles de la neutrahté. Sinon, comment donc s'exph-
querait-il que les belligérants n'ont jamais manqué de justifier
leurs actes, même ceux que le monde entier considérait comme
de graves injustices ? En outre, il faut se rendre clairement compte
des difficultés que le régime de la neutralité a fait surgir aux
yeux des belligérants. Alors on reconnaîtra que bien des fois l'ob-
servation du droit de neutralité était diamétralement opposée à
l'intérêt de guerre du belligérant. Particulièrement les infractions
les plus graves sont nées d'un tel dilemme.
De cette brève analyse nous tirons deux conclusions: a) que
les cas dans lesquels, pendant la grande guerre, les règles du droit
de neutralité ont été observées, ne prouvent aucunement la
viabilité de ce droit; b) que les cas de non-observation, au con-
traire, mettent sérieusement en doute le bien-fondé de ce droit.
Ici nous voulons interrompre l'aperçu des faits historiques
concernant la neutralité. La période qui a suivi immédiatement
la guerre de 1914 n'indique nullement la continuité du développe-
ment d'avant guerre, il y a plutôt des symptômes d'un revire-
ment.
En dressant le bilan, on ne peut contester que, eu égard à la
pratique, la neutralité est un produit juridique médiocre. Elle
s'est introduite dans la vie internationale sous la pression des
circonstances ; on peut le prétendre avec raison : faute de mieux.
Son développement juridique a été défectueux et peu pratique
et elle a fait plus de mal que de bien au prestige du droit inter-
national.
Notre opinion est loin de constituer une appréciation extra-
ordinaire. Nous terminons ce chapitre en citant à ce sujet quel-
ques jugements de jurisconsultes du demi siècle passé.
Heffter : „... . maszlose Anmaszungen der Kriegführenden,
quot;la, man kann sagen es gibt im Felde des Völkerrechts keine
..traurigere Gestalt als die eines Neutralen den groszen Seemäch-
..ten gegenüberquot; i). (Pour nous il ne s'agit que de la situation
signalée par Heffter, non pas du fait que Heffter attribue cette
situation surtout à la conduite des belligérants).
Lorimer: „The rules of the law of nations were always gall
..and wormwood to one belligerentquot; 2).
Kleen se plaint de l'anarchie régnant en matière de neutrali-
. nous trouvons que les pactes des gouvernements con-
') A. W. Heffter, „Das Europäische Völkerrechtquot;, p. 386.
Lorimer, „The institutes of the law of nationsquot;, p. 165.
R. Kleen, „Lois et usages de la neutralitéquot;, Introduction, p. VIII.
„cernant la condition des neutres ont été dictés, non par un
„sentiment de justice et d'intérêt bien entendu en ayant con-
„science de la solidarité des peuples, mais par un intérêt égoiste
„et par une politique de circonstancesquot; i).
Descamps: „11 y a lieu de s'étonner qu'à une époque où la vie
„internationale est si intense, où la solidarité des relations
„économiques est si grande, où le commerce pacifique entre les
„nations semble pouvoir revendiquer à tant de titres de légitimes
„garanties, le droit des gens en matière de neutralité demeure sur
„nombre de points importants livré en proie au désordre, à
„l'arbitraire, à l'incertitudequot; 2).
Ottolenghi: „____ una grande incertezza non solo sulla
„determinazione del suo regime (de la neutralité), ma sulla
„definizione del suo fondamentoquot; 3).
Hammarskjold : „Nous savons que même des règles concer-
„nant la neutralité qui avant la guerre (de 1914) paraissaient
„confirmées par l'unanimité relative des docteurs et des gouver-
„nements ont été mises de côté comme inapplicables et hors de
„saisonquot; quot;).
Politis: „La conflagration de 1914 a fait éclater aux yeux de
„tous l'absurdité du système du droit absolu de guerre et de
„neutralité. Elle a établi aussi que, devant l'explosion de la force
„sur une vaste échelle, les règles de la neutralité sont pratique-
„ment dépourvues de valeurquot; s).
1)nbsp;ibidem, p. 63.
2)nbsp;Discours prononcé au Sénat belge en 1898. Voir: E. Descamps, „Le droit de la
paix et de la guerrequot;, p. 86.
3)nbsp;G. Ottolenghi, „11 rapporto di neutralitàquot;, p. 1.
-») Hj. L. Hammarskjold, „La neutralité en généralquot;, p. 56.
5) N. Politis, „La neutralité et la paixquot;, p. 22, 23.
CHAPITRE II
la doctrine
Quelle place la neutralité a-t-elle occupée dans la doctrine au
cours de l'histoire ? Quand et de quelle façon la doctrine a-t-elle
créé une conception juridique de la neutralité et comment cette
conception s'est-elle développée? C'est à l'examen de ces ques-
tions que nous allons consacrer ce chapitre.
Aussi longtemps qu'il y a eu des peuples qui se sont fait la
guerre, la faculté de s'abstenir d'une guerre qui avait éclaté
a existé. Aussi, le principe fondamental de la neutralité doit-il
être très ancien.
Longtemps cette abstention a différé de la notion postérieure
de neutralité; probablement elle était purement occasionnelle,
à en juger d'après le fait significatif qu'autrefois cette attitude
u avait pas de nom spécifique, ou que, du moins, on ne se servait
pas du mot ,,neutralitéquot; au sens moderne.
Au moyen-âge on commence à parler de ,,Stillsitzenquot;, ,,unpar-
teiisches Verhaltenquot; »), „tranquillitéquot;, „abstentionquot; 2), pour in-
diquer l'état du non-belligérant. Or, cet état ne comporte nulle-
rnent le traitement impartial des parties belligérantes; au con-
traire, souvent on s'abstient d'hostilités en vertu d'un traité,
pour donner carte blanche à la partie co-contractante, parfois
nieme on s'engage à fournir à son allié des troupes, des vaisseaux,
de l'argent, à lui accorder le passage, etc., et en même temps
à refuser cette assistance à l'ennemi futur de l'allié. De la sorte
s explique l'emploi du nom ,,amitiéquot; pour désigner la neutralité
®ur mer. 3)
Cette conception a été un grand obstacle à la réalisation pra-
« Schopfer, „Le principe juridique de la neutralitéquot;, p. 1.
I Politis, „La Neutralité et la Paix,quot; p. 15.
) PoUtis, ibidem p. 15.
-ocr page 44-tique de la stricte impartialité, exigée plus tard par la concep-
tion doctrinale. Pendant des siècles les Etats ont conservé cette
„neutralité bienveillantequot; et même la guerre mondiale de 1914
en produit encore une réminiscence dans l'attitude de la Grèce
envers les Puissances Alliées.
A cause du rapport indissoluble existant entre la guerre et la
neutralité il faut, pour bien comprendre le point de vue adopté
par la science d'une certaine époque vis-à-vis de la neutralité,
envisager la matière sous l'angle des conceptions de la guerre
qui prévalaient à la même époque.
Les grands théologiens ont considéré la guerre comme un in-
strument divin. Selon Saint Augustin i), Dieu ordonne la guerre
pour punir les méchants ou bien la permet pour éprouver la foi
des justes. La guerre ordonnée par Dieu est une guerre juste:
„Bellum autem quod gerendum Deo auctore suscipitur, recte
l'suspici, dubitare fas non est, vel ad terrendam, vel ad obteren-
„dam, vel ad subjugandam mortalium superbiam.quot; 2)
quot; Des guerres non ordonnées par Dieu, sont justes celles qui
„ulciscuntur injurias, si qua gens vel civitas, quae bello petenda
],est, vel vindicare neglexerit quod a suis improbe factum est,
„vel reddere quod per injurias ablatum est.quot; 3)
Quand la guerre est juste, le peuple faisant cette guerre en a
le droit. Et qui plus est: dans certaines hypothèses il faut même
reconnaître un devoir de faire la guerre. Cette situation peut
se présenter d'abord, lorsqu'un Etat en est obUgé en vertu de
sa parole donnée —Saint Augustin loue la fidélité de Sagonte —,
mais le devoir peut encore être impérieux s'il s'agit de combattre
l'injustice. Ainsi, il se peut que l'humanité entière se dirige contre
l'Etat-malfaiteur; c'est un devoir de flétrir l'injustice en prêtant
secours au juste contre l'injuste. „Si une telle guerre de tous
„contre un est inégale, elle est incontestablement légitime et
„justequot;, dit Kosters.
Aussi, le refus du passage inoffensif au beUigérant ayant le
droit de son côté, justifie-t-il en soi une guerre contre l'Etat
qui refuse ce passage.
1)nbsp;Jean Kosters, „Le „droit des gensquot; chez Saint Augustinquot;.
2)nbsp;Kosters, ibidem, p. 651.
3)nbsp;Kosters, ibidem, p. 656.
4)nbsp;Kosters, ibidem, p. 661.
-ocr page 45-Chaque guerre étant, selon Saint Augustin, soit juste, soit
injuste, il n'y a pas de place pour la neutrahté.
Le caractère universel qu'a su atteindre plus tard l'ËgHse
en réunissant les peuples civilisés de l'Europe dans la Chrétienté,
tend à renforcer l'idée de la collectivité résultant logiquement du
principe de l'action commune contre l'injustice. Indubitablement
le développement subséquent de la communauté chrétienne
aurait dû mener à la reconnaissance que le bien-être de la com-
niunauté surpasse celui d'un membre et que pour cela l'atteinte
portée à l'ordre et à la paix, qui sont à la base de la prospérité
commune i), justifie la défense collective. Cependant, dans la
pratique ce principe n'a pu s'effectuer, malgré le caractère uni-
versel de l'Eglise, à cause de l'affaibUssement du pouvoir de
celle-ci en raison des confHts entre les pouvoirs clérical et sécu-
lier (question de l'investiture; théorie des deux glaives, aboutis-
sant à la victoire du glaive lui-même) et des confHts internes (Ré-
formation).
Néanmoins ce facteur n'a pas échappé à l'attention des juris-
consultes, spécialement de ceux qui comprenaient que le prin-
cipe de la sohdarité représente un élément indispensable dans une
société internationale fondée sur le droit. Pour eux, l'appel à
l'intérêt commun constitue un argument précieux pour démon-
trer la nécessité d'une sohdarité internationale. Ainsi ils renfor-
cent la conception purement morale des théologiens, qui perd
une bonne part de sa force convaincante à cause de son contraste
violent avec la réahté. Pourtant cette conception ne disparaît
pas; au contraire, son influence se fait encore sentir bien long-
temps, car en somme elle touche à l'âme de la conscience juri-
dique. C'est ce qu'on peut déduire e.a. du fait qu'un auteur
comme Vattel, qui n'a apporté que fort peu d'arguments en
faveur de la solidarité internationale, en défendant la souveraine-
té absolue, ne peut s'abstenir de mentionner — sous un aspect
caricatural d'ailleurs — la question de la „iusta causaquot;.
La dogmatique des théologiens, inspirée, pour une bonne part,
des théories des philosophes de l'antiquité, à son tour influence
les idées des juristes. Bien que ceux-ci aient modifié la concep-
tion des fondements du droit, en éliminant le „ius divinumquot; du
') Voir la définition célèbre de St. Augustin sur la paix. Kosters, ibidem p. 675.
Van Royen, Neutraliténbsp;^
droit naturel, et ^'ils soient arrivés ainsi à construire un ,,ius
naturalequot; fondé sur la „recta ratioquot;, beaucoup de règles des deux
systèmes sont identiques.
Ainsi, on retrouve la distinction des guerres justes et injustes,
de la morale réligieuse des théologiens, dans la doctrine juridique
des juristes, dont plusieurs défendent ardemment le principe de
la solidarité internationale.
ViTORiA 1), un des précurseurs, édifie un système austère dans
lequel le droit est la pierre angulaire. Les membres de la commu-
nauté juridique internationale ont le devoir collectif d'agir contre
l'injustice. L'Etat ne dispose de la force que pour le maintien
du droit. Cette conception est pure et honnête, elle repousse
les buts politiques de la guerre.
SuAREZ 2) professe la même opinion en élaborant les idées de
Vitoria.
Gentilis 3) voit la guerre comme un instrument au service du
droit et exige, en conséquence, que la guerre soit juste : „Bellum
,,est publicorum armorum iusta contentioquot; et ,,Etenim bellum
„esse iustum et belli actiones iustas esse voloquot; La guerre est
juste si elle se base sur une ,,iusta causaquot; s).
Gentilis distingue trois groupes de iustae causae •. „aut enim
„divinae sunt, aut naturales, aut aliae hominumquot; en les définis-
sant de la manière suivante: „Divinae causae sunt belli faciendi,
„quasi ad Deum tamquam iubentem bellum referre possumusquot;.
(Gentilis cite la guerre des Israélites contre les Cananéens) 6) ;
„Atque hic a natura bellum dicitur, si propter id suscipitur, quod
,,a natura tribuitur at ab hominibus denegaturquot;; donc, si un
peuple fait obstacle à la libre jouissance d'un droit naturel,
(Gentilis cite l'exemple du refus de passage inoffensif, ce passage
constituant un droit naturel) ?) ; „Humanas causas dicimus alias
„omnes quum violato aliquo iure hominum ad bellum descen-
„diturquot; 8).
Grotius a développé ses idées dans son œuvre „De iure belli
') F. de Vitoria, „De Iniis et de iure belli relectionesquot;.
2)nbsp;F. Suarez, „De legibus ac Deo Legislatore.quot;
3)nbsp;Alberico Gentilis, „De iure belli libri III.quot;
■•) ibidem, Liber, l cap. II.
5) ibidem. Liber l, cap. VII.
«) ibidem. Liber l, cap. VIII.
') ibidem, Liber l, cap. XIV.
8) ibidem, Liber i, cap. XV.
-ocr page 47-ac pacisquot; et surtout dans son ouvrage „De iure praedaequot;. Lui
aussi part des principes de la guerre juste et de la solidarité:
„Omne ergo bellum iustum est, quod omnes causas iustas ba-
rbetquot; 1).
,.Quare his qui gerunt voluntarie, id bellum iustam habet
„causam, quo vitam aut res defendunt aut recuperatum eunt,
„idve quod debetur aut poenas maleficiï expetuntquot; 2).
_____iustum est bellum his, qui voluntarie gerunt, in singulos
„et in rempubhcam, qui quaeve cuiusve magistratus iniuriam
„fecerunt et in rempubhcam, quae civem inuiriae auctorem
„tuetur inque eorum omnium qui iniuriam faciunt, qua tales sunt,
»socios et subditosquot; 3).
La guerre, selon Grotius, étant l'exécution d'une sentence,
est soit juste, soit injuste et, en conséquence, „bellum in utraque
..parte justum non daturquot; 3).
La justice exige que tous se rangent aux côtés de celui qui
maintient le droit, c.-à-d. qui entreprend une guerre juste.
Comme nous l'avons déj à vu, la pratique différait de ces théories
comme la nuit du j our, tandis que la progression de l'égoisme poUti-
que, stimulé par le Machiavéhsme, s'éloignait de plus en plus de la
solidarité. En outre le manque d'une autorité revêtue du pouvoir
de statuer in concreto laquelle des parties en conflit agit de bon
droit, faisait gravement obstacle à la réahsation des principes
en question. Déjà au 14ième siècle, Pierre Dubois, conscient de ce
besoin, indiquait le Pape comme juge suprême. Pour des raisons
bien connues, cette solution dut perdre au cours de l'histoire
sa signification pratique.
Afin de ne pas se voir obligés de dénier a priori à leurs théories
toute viabilité, les auteurs font des concessions à la pratique:
1°. on adoucit la conception rigoureuse du devoir de sohda-
rité, ce qui doit mener irrévoquablement à la quasi-neutrahté ;
2°. on reconnaît qu'en certains cas, savoir s'il est impossible
ou difficile d'indiquer la partie coupable, il est question, du
moins formellement, d'un helium iustum pour les deux parties
en confht.
Ceci a abouti à des conséquences fatales et porté atteinte aux
Grotius, „De iure praedaequot;, cap. V, coucL IV.
ibidem, cap. VII, concl. VI, art I.
ibidem, cap. VII, concl. VI, art II.
racines mêmes de la théorie. Vitoria, Suarez et Grotius ont bien
reconnu les difficultés, mais une autre solution était impossible,
parce que la décision finale dépendait de l'Etat individuel et
qu'on ne disposait pas d'une sanction collective.
Quoi qu'il en soit, cela ne justifie aucunement la critique posté-
rieure d'auteurs qui méconnaissent les nobles principes fonda-
mentaux d'une théorie comme celle de Grotius et en attaquent
l'élaboration, qu'ils interprètent sans se soucier de la source
elle-même. Il y a même une confusion telle, que des adhérents
de la souveraineté absolue, théorie diamétralement opposée aux
idées de Grotius, croient y pouvoir emprunter des arguments
en faveur de leurs propres principes. C'est avec raison que Van
Vollenhoven i) s'en prend aux détracteurs de la doctrine de Gro-
tius. Il n'est pas raisonnable de condamner comme tel un système
fondé sur la justice, la bonne foi et la solidarité, pour la seule
raison qu'il n'a pu se réahser dans une société ou régnent l'arbi-
traire, la mauvaise foi et l'égoisme. Tout au plus peut-on dire
que ce système manque de valeur pratique aussi longtemps que
la société ne s'elève pas au dessus de ce niveau de développe-
ment.
La critique, par exemple, que Baudenet d'Annoux 2) se permet
encore au début de notre siècle est presqu'un anachronisme. Il
prétend que le droit de passage inoffensif, accordé par Grotius
au belligérant dans un bellum iustum, est une absurdité, car,
pour quelle raison le neutre sacrifierait-il „ses intérêts légitimesquot;
en faveur d'un tiers? 3) Cet auteur croit que Grotius a accordé
ce droit pour n'être pas accusé de formuler des principes irréah-
sables: il(G.) devait admettre qu'en fait le territoire du neutre serait
violé malgré tout. Le refus de passage en cas d'une guerre in-
juste, théoriquement correct, serait sans valeur, car ,.jamais
„un belligérant ne consent à reconnaître sa cause mauvaisequot;!
En constatant que Vattel n'accorde le droit de passage qu'ex-
ceptionnellement et en comparant Vattel et Grotius, il arrive à
la conclusion vraiment étonnante que „celui-ci (Grotius) sacri-
„fiait toujours les droits des neutres à ceux des beUigérants;
1)nbsp;c. van Vollenhoven, „Les trois degrés du droit des gensquot;.
2)nbsp;Baudenet d'Annoux, „Le développement de la neutralité de Grotius à Vattelquot;.
3)nbsp;ibidem, p. 8 e.s.
-ocr page 49-„Vattel fait le contraire et est ainsi le précurseur des idées mo-
„dernesquot; i).
Enfin il écrit encore que „Grotius accordait aux belligérants
„des droits exhorbitants, qui dans beaucoup de cas n'étaient
„que l'exercice du droit du plus fortquot; 2).
On voit facilement que Baudenet d'Annoux s'est rendu insuf-
fisamment compte des principes qui sont à la base de la théorie
de Grotius. Grotius lui-même a dit que le pays doit être ouvert
à ceux „qui transitum habent ad causas iustasquot;. Cela est du
devoir d'un „neutrequot;, car „eorum, qui a bello abstinent, offi-
„cium est nihil facere quo vaUdior fiat is, qui improbam favet
„causam, aut quo iustum bellum gerentis motus impedianturquot; 3).
Donc l'autorisation du passage est un accomplissement discret
du devoir de solidarité et non pas la conséquence d'un oppor-
tunisme équivoque auquel Baudenet réduit la théorie de Gro-
tius. Ce devoir est un devoir juridique et c'est pour cela que
„metus ab eo in quem bellum iustum movet is qui transit, ad
„negandum transitum non valetquot;. Quand bien même un neutre
risquerait d'être sacrifié, ce sacrifice serait pour Grotius la con-
séquence extrême du „fiat iustititia, pereat mundusquot;.
D'ailleurs Grotius met en garde contre la constatation préci-
pitée d'un crime international, un jugement bien fondé étant
indispensable.
Ce bref exposé — non entrepris en défense de notre célèbre
compatriote qui n'en a plus besoin de nos jours — démontre que
la iusta causa a subi pendant longtemps des critiques non mé-
ritées.
Aussi, peut-on remarquer un affaiblissement progressif de
cette théorie sous l'influence des facteurs précités.
Richard Zouche 4) écrit: „Bellum iusta contentio, quae scili-
..cet authoritate légitima, et ex iusta causa moveturquot; s). En ce
qui concerne la iusta causa il dit: „Sed sciendum est, Reges non
»solum ob iniurias in se aut subditos suos commissas poenas
..poscendi ius habere sed et ob eas, quae in quibusvis personis
') ibidem, p. 25.
ibidem, p. 75.
Grotius, „De iure belliquot;. Liber III, cap. XVII, § 73.
quot;) R. Zouche; „luris et iudicii fecialis sive iuris inter genies et quaestwnum de
eodem explicatioquot;.
ibidem. Part. I, Sect. VI.
-ocr page 50-„ius naturae, aut gentium immaniter violant; cum potestas
„puniendi non solum modo sit effectus iuris civilis sed veniat
„etiam ex iure naturaliquot; i).
On aperçoit que le devoir d'agir contre l'injustice frappant
un tiers, est réduit à un droit et à un pouvoir lesquels le prince
peut exercer à son gré. Zouche craint l'action injustifiée, l'abus de
pouvoir, car il poursuit : „huius modi vero bella quae ad poenam
„exigendam suscipiuntur, facile iniustitiae argui possunt, nisi
„scelera sunt atrocissima et manifestissimaquot; 2). Cependant il y
a là une concession (la lésion doit être „atrocissima et manifestis-
„simaquot;!) au préjudice de la justice; ce faisant Zouche s'éloigne
du point de vue sévère du droit naturel.
Pufendorf, 3) disciple de Grotius, commence par marcher
sur les traces de son prédécesseur:
„Quamquam id legi naturali maxima sit conveniens ut homi-
„nes pacem invicem agitent, ultro ea praestando quod quae
„debebant; imo pax ipsa sit status homini quatenus a brutis
„distinguitur peculiaris, aliquando tamen ipso quoque homini
„bellum sit licitum.quot;
II va de soi que Pufendorf exige une iusta causa pour justifier
la guerre. Ä ce sujet il écrit :
„Justae causae, ob quas bellum suscipi possunt, hue redeunt
„ut nos et nostra servemus ac tueamur contra iniustam aliorum
„invasionem, aut ut, quae nobis débita ab aliis exhiberi renuun-
„tur, offeramus, aut iniuriae iam illatae reparationem et cautio-
„nem in posterum obtineamusquot; Et ensuite:
„Bellum gerere potest non solum pro se, sed unus pro altero.
„Quod tamen ut recta sit requiritur in eo, pro quo bellum
„geritur, justa causa; in auxiliatore autem probabilis ratio
„(c.-à-d. une bonne raison) cuius intuitu pro isto alium hostilia
„exercere queatquot; s). L'Etat doit avoir recours aux armes, selon
Pufendorf: 1°. pour défendre ses sujets; 2°. en vertu d'un traité
pour soutenir ses alliés; 3°. pour aider ses amis, même sans traité
préalable, et enfin „utinulli alia ratio estquot;, „vel sola communis
1)nbsp;ibidem, part II, Sect. VII.
2)nbsp;ibidem, part II, Sect. III.
3)nbsp;Samuel de Pufendorf, „De officio hominis et civis juxta legem naturalemquot;. Liber
ii, Cap. XVI.
ibidem.
5) ibidem.
„cognatio sufficere potest, ut iniuste oppressum, nostrum
„auxilium implorantem, quantum commode facere possumus
„defensum eamusquot; i).Notez bien le progrès de la tendance af-
faiblissante dans cette théorie! Car en examinant la iusta causa,
Pufendorf ne s'occupe pas en premier lieu du fait de la violation
d'un droit, mais — sans doute pour des raisons pratiques — il
cherche d'abord une relation concrète (Etat-sujet; aUiance;
amitié) servant de base à l'assistance de l'Etat lésé. Il ne reconnaît
plus le devoir général et inconditionnel d'agir contre l'agresseur,
ce qui ressort du „quantum commode facere possumus' '.
Rachel 2) répartissant le droit des gens en „ius naturaequot; et
„ius arhitrariumquot;, dit en ce qui concerne la guerre: „lus naturae
„quod attinet, iUud primo exigit justitiam causae, quod inique in
„aliquo bono fueris laesus. Deinde ut illa sit satis gravis laesusquot; 3).
Et encore : „____praeter quam quod justam bello causam subesse
„etiam necessarie esse opportetquot; quot;). Du reste Rachel à ce sujet
se borne à l'indication de quelques principes déjà connus.
Textor 5), disciple de Grotius de la même école que Pufendorf,
s'efforce, lui aussi, d'adapter la iusta causa à l'application prati-
que. La guerre n'est permise qu'en cas de „iniuria atroxquot;, les
lésions d'un caractère moins grave doivent être réparées par la
voie pacifique. Cette conception ayant en vue, d'une part, la
restriction de la guerre, d'autre part, le maintien non affaibli du
droit, mène logiquement à la réclamation d'une administration
internationale de la justice, fondée sur la collaboration et la
solidarité des Etats. Pour réaUser son but, Textor se laisse toute-
fois entraîner à faire des concessions inconciliables avec le système
juridique qu'il défend et qui pour cela ont été condamnées par
Suarez. Textor admet que dans un confht armé il ne saurait être
question de helium iustum que d'un seul côté, cependant si
..propter obscuritatem rerumquot; la question de la „justa causaquot;
paraît être insoluble, il faut considérer la guerre comme formelle-
ment juste des deux côtés, c.-à-d. que les deux parties en conflit
obtiennent la qualité d'un beUigérant agissant de bon droit «). De
M ibidem.
Samuel Rachel, „De iure naturae et gentiumquot;.
idem, dissertatio altera, § XI.
ibidem, § XLI.
J. W. Textor: „Synopsis iuris gentiumquot;. Voir Cap. XVII.
Comp, l'introduction de von Bar dans l'édition de l'Institut Carnegie de 1 œuvre
de Textor.
la sorte on fournit une base juridique à l'arbitraire et on ouvre le
chemin aux principes de la souveraineté absolue. La juste cause
étant des deux côtés, l'attitude d'un tiers est indéfinie, il peut se
mêler au confht, soutenir l'une ou l'autre des parties, les droits
étant égaux, ou bien s'abstenir en faisant appel à l'obscurité de
la situation, bref, il peut agir comme bon lui semble et cela sans
risquer le moindre reproche juridiquement fondé.
Ici on entrevoit déjà la neutralité s'approcher des théories!
Bijnkershoek 1) rejette le principe de la sohdarité et le devoir
du maintien collectif delà justice en disant : „Si recte iudico, bello
„iustitia vel iniustitia nihil quicquam pertinet ad communem
„amicum; eius non est inter utrumque amicum, sibi invicem
„hostem, sedere iudicem, ex causa aequiore vel iniquiore huic
„illive plus minusve tribuere vel negarequot; 2). Il souligne l'incon-
vénient, inhérent à la théorie de Grotius, de l'absence d'un juge
international. Bijnkershoek se détourne des anciens principes et
prépare la transition à la théorie de la souveraineté des positi-
vistes. Il introduit franchement la notion du neutre impartial:
„Non hostes appello qui neutrarium partium sunt, nec ex foedere
„his illisve quicquam debent; si quid debent, foederati sunt,
„non simpliciter amici. Horum officium est omni modo carere,
„ne se bello interponantquot; 3).
En examinant les systèmes des auteurs précités on aperçoit
qu'en principe la neutralité n'y trouve pas de place. Aussi ces
auteurs n'en disent-ils pas grand' chose.
Grotius a consacré un chapitre très court aux neutres Il
remarque aussitôt „supervacuum videri posset, agere nos de his
„qui extra bellum sunt positi, quando in hos satis constat nullum
„esse ius bellicum. Sed quia occasione belli multa in eos, finitimos
„praesertim, patrari soient praetexta necessitate, repetendum
„hic breviter quod diximus alibi, necessitatem ut ius aliquod det
„in rem alienam, summane esse deberequot;: ____suit une règle
formulant ce principe. C'est la pratique seule qui fait parier ainsi
Grotius, car théoriquement il va de soi que, lorsqu'un belligérant
invoque l'aide d'un neutre en vertu de sa juste cause et que celui-
') Bijnkershoek, „Quaestiones iuris publiciquot;.
2)nbsp;ibidem, I Cap. IV.
3)nbsp;ibidem, I, Cap. II.
4)nbsp;Grotius, „De iure belliquot;. Lib. III, Chap. XVII, „de his qui in bello medii suntquot;.
-ocr page 53-ci a le devoir de la lui prêter, le belligérant doit incommoder le
neutre le moins possible.
Enfin Grotius relève le devoir des Etats qui ne participent pas
actuellement à la guerre. Ils doivent collaborer au maintien de
la justice en s'abstenant de tout acte qui fortifierait le coupable
ou nuirait à celui qui a le droit de son côté i). On voit que cette
conception de la neutralité n'a rien à voir avec celle qui prévaudra
dans les siècles postérieurs, celle-ci se basant sur l'individuel de
la souveraineté, ceUe-là sur le collectif de la solidarité.
À vrai dire, les théories de Victoria, Gentilis, Grotius c.s. ont
bien devancé leur temps, le monde n'étant pas mûr à les conce-
voir. Leur impuissance à réaliser des idées aussi nobles est pro-
fondément tragique. Les concessions qu'ils ont faites de bonne
foi ont été méconnues et on en a gravement abusé. Avec raison
Rutgers 2) constate que les partisans de la souveraineté absolue
n'avaient pas besoin de combattre la théorie de la juste guerre,
mais qu'au contraire ils s'en sont même servis aux fins qu'ils
poursuivaient.
Le dogme de la souveraineté absolue devait engendrer les
théories de la neutraUté.
Après que Zouche et Bijnkershoek eurent porté les premiers
coups à l'ancienne doctrine, celle-ci tomba assez vite en décaden-
ce. Avec indignation Van Vollenhoven s) s'est attaqué aux humi-
liations que cette doctrine a subies par suite d'interprétations
fausses, inventées pour soutenir des principes nouveaux. La
souveraineté absolue est peu conciliabe avec les fondements
d'une communauté juridique, — vérité que, en dépit de préten-
tions contraires, l'histoire a prouvée amplement. Quand chacun
peut décider pour soi ce qui est du droit, en ne reconnaissant aucune
autorité externe, quand chacun agit et réclame le droit d'agir
selon ses propres vues, les conditions pour le développement du
droit des gens sont peu encourageantes. Aussi, à l'époque en
question confond-on trop légèrement la politique avec le droit
et, en conséquence, on crée une atmosphère favorable aux auteurs
qui, pour une raison quelconque, s'efforcent de fournir un fonde-
uient de droit à tout geste de leur pays. „Allenfals aberquot;, dit
') comp. p. 37, note 3.
V. H. Rutgers, „La mise en harmonie du Pacte de la S. d. N. avec le Pacte de
Parisquot;, p. 16.
C. Van Vollenhoven, „Les trois degrés du droit des gensquot;.
-ocr page 54-Moser en se plaignant à ce sujet, „gibt es genug Staats-Rabulisten
„und Prätentionen-Macher, welche sich ein Verdienst daraus
„machen, der Sache einen Mantel des Rechtens umzuhängenquot; i).
Abstraction faite de la bonne ou de la mauvaise foi, il faut
admettre que la doctrine de la souveraineté absolue contient des
germes fort dangereux pour l'existence et l'unité du droit des
gens. Aussi, la discorde et la confusion en matière de neutrahté
ont-elles été considérables, car la souveraineté sanctionne, pour
ainsi dire, l'opinion propre de l'Etat individuel. La pratique n'a
pas tardé à en donner les preuves.
WoLFF 2) a reconnu ce danger en relevant la nécessité que les
Etats dans leur intérêt réciproque doivent s'entr'aider. L'Etat
faisant la guerre pour la juste défense de ses droits, est digne du
secours d'un tiers. Cependant, le secours ne se base pas sur un
devoir juridique, mais seulement sur un devoir moral. En outre,
Wolff admet une restriction importante, savoir que l'Etat tiers
peut librement décider de s'abstenir d'une intervention, toutes
les fois que l'observation du devoir lui ferait tort ou que la bonne
cause de la guerre lui semble douteuse. Ainsi le devoir moral
peut céder le pas à l'intérêt propre. Bien que Wolff recommande
l'intervention dans l'intérêt commun, cette théorie est répréhen-
sible à cause de son caractère ambigu et opportuniste. Elle peut
avoir des mérites comme directive de la politique extérieure,
mais dans un système juridique elle ne trouve pas sa place.
Moser a défini le principe de la souveraineté absolue comme
suit: „Die Souveraineté eines Staates besteht darin, wann
„Selbiger von keinem Anderen abhanget, sonders in seinen
„eigenen Angelegenheiten nach seinem eigenen Gutdüncken
„verfahren kannquot;. Et en tirant la conclusion logique il poursuit:
„Da nun auch der kleinste freie Staat hierin soviel Recht hat als
„die Gröszten.... sind sie deszfalls einander vollkommen
„gleichquot; 3).
Pour le développement du droit international l'interprétation
de la notion „eigene Angelegenheitenquot; est d'une importance
décisive. C'est le fameux problème de la „compétence exclusivequot;
1)nbsp;J. J. Moser, „Grundsätze des jetzt üblichen Europäischen Völkerrechts in Friedens-
zeitenquot;, Livre 12, Gap. I, § 6.
2)nbsp;Chr. Wolff, „Principes du droit de la nature et des gensquot;. Comp. Politis: „La
neutralité et la paixquot;, p. 85 et 86.
ä) Moser. „Grundsätzequot;, Livre 1, Cap. II, § 2.
-ocr page 55-d'aujourd'hui. Pourvu qu'on ne perde pas de vue que la sphère
d'action de cette compétence doit être délimitée par le droit
international, il n'est pas nécessaire, a -priori, que la reconnaissan-
ce du principe de la souveraineté fasse obstacle au développement
de ce droit. Malheureusement les théoriciens se sont engagés dans
la voie de la pratique étatique en vigueur et en quittant le prin-
cipe de la solidarité, ils ont tenu l'étrier à l'égoisme démesuré de
la politique internationale en vigueur.
Le prototype de cette catégorie d'auteurs est Vattel. Chez
Vattel l'Etat seul est compétent pour juger ce qui est de son
droit. Il n'est lié qu'en tant qu'il s'est lié lui-même. Aucun devoir
général ne lui est imposé en vertu d'une solidarité internationale.
Ainsi, il se peut qu'un confht armé entre tiers soit pour lui une
res inter alios acta qui ne le regarde qu'en tant que ses intérêts
y sont impliqués. De l'autre côté, lorsque l'affaire lui est indiffé-
rente et qu'il ne veut pas s'en mêler, l'Etat tiers devra faire preuve
de cette volonté par une attitude d'impartialité. Dans le système
de Vattel la neutralité constitue donc un élément indispensable.
Voyons ce que l'auteur en dit i) :
„Les peuples neutres, dans une guerre, sont ceux qui n'y
..prennent aucune part, demeurant amis communs des deux
..parties, et ne favorisant point les armes de l'un au préjudice de
..l'autrequot;.
..Quand il s'élève une guerre entre deux nations, toutes les
..autres, qui ne sont point liées par des Traités, sont libres de
..demeurer neutres. C'est à elles uniquement de voir si quelque
..raison les invite à prendre parti et elles ont deux choses à con-
.. sidérer:
..1°. la justice de la cause; si elle est évidente on ne doit pas
..favoriser l'injustice; il est beau au contraire de secourir l'in-
..nocence opprimée, lorsqu'on en a le pouvoir;
„2°. quand elles voient de quel côté est la justice il reste encore
..à examiner s'il est du bien de l'Etat de se mêler de cette affaire
..et s'embarquer dans la guerrequot;.
Vattel envisage le problème du point de vue de l'Etat. Il ne
Voit que l'intérêt de l'Etat, ce qui paraît clairement quand il
■vient à parler de l'avantage pohtique qu'un Etat peut tirer de la
conclusion d'un traité de neutralité.
') E. de Vattel, „Le droit des gensquot;, Livre III, chap. VII.
-ocr page 56-Par rapport à la situation réelle, le principe de l'impartialité,
ayant la tendance de mettre fin aux immixtions déguisées, si-
gnifie un progrès. Cependant, il faut le remarquer aussitôt, la
réalisation de ce principe a été bien incomplète à cause des dif-
ficultés qu'elle fait surgir. Par rapport à la doctrine antérieure,
celle de Vattel est une régression marquée, car elle permet la
justification formelle d'un acte purement arbitraire.
L'apparition de la juste cause dans cette théorie est bien
étonnante. Est-ce que l'influence du profond sentiment de la
justice, qui avait inspiré ses célèbres prédécesseurs, était plus
forte que sa raison, ou bien Vattel voulait-il rehausser l'aspect
de justice de sa doctrine? Quoi qu'il en soit, dans ce système,
la juste cause n'a aucune signification réelle et se présente comme
ornement superflu.
Il va de soi que les grandes Puissances ont fait bon accueil au
principe de la souveraineté absolue. Aussi, la neutralité réclame-
t-elle dorénavant sa place dans la doctrine juridique. D'un côté,
le point de vue belligérant s'appuie sur les droits des belligérants
et sur les devoirs correspondants des neutres, tandis que, de
l'autre côté, les neutres se battent pour leurs droits à eux et pour
les devoirs des belligérants. Enfin un troisième groupe d'auteurs
fait des efforts pour parvenir à un compromis raisonnable.
Bientôt il paraît que la figure juridique de la neutralité est bien
compliquée, tandis que les règles concrètes constituant le droit de
neutralité font surgir nombre de difficultés. A en juger d'après
les nombreuses définitions et les opinions différentes des auteurs
on était encore loin de l'unité de doctrine. Surtout le manque
d'accord sur les règles de la neutralité a augmenté la confusion
existant dans la pratique et personne ne pourra contester que
même dans le courant de la grande guerre, donc après un siècle
et demi, les résultats étaient encore décevants.
Reprenons maintenant l'aperçu des théories.
Hûbner 1) est un des premiers à chercher la juste relation
entre les droits et les devoirs des neutres ; il rompt une lance pour
les droits. Selon lui „la neutralité consiste dans une inaction
„entière relativement à la guerre et dans une impartialité exacte
„et parfaite, manifestée par les faits à l'égard des belligérants en
„tant que cette impartialité a rapport à cette guerre même et aux
I) M. Hùbner, „De la saisie des bâtiments neutresquot;.
-ocr page 57-„moyens directs et immédiats de la fairequot; i). Comme Wijnveldt 2)
l'a justement remarqué, cette conception de la neutralité est
trop passive et ne correspond pas au vrai caractère des relations
internationales.
Heffter 3), concevant la guerre comme un moyen juridique
extrême, définit la neutralité comme suit :
„Neutral (Médius in bello) ist in der weiteren Bedeutung jeder
„Staat, welcher an einem Kriege nicht als Hauptpartei Theil
„nimmtquot;. Elle se caractérise par „der Fortbestand aller Rechte
„des Friedens mit Parteilosigkeit und ohne Feindseligkeit gegen
„die Kriegführendenquot;. Seulement à force de méconnaître le fond
réel de la guerre il peut conclure: „Das Recht der Neutralität,
„jedenfalls der strengen Neutralität, versteht sich von vornherein
„bei jedem Theilnahmlosen ganz von selbstquot;. Heffter donne une
énumération des droits et des devoirs du neutre et indique les
éléments de la qualité des neutres.
Calvo 4) aussi, construit une notion négative :
„La neutralité est la non-participation à une lutte engagée
„entre deux ou plusieurs autres nationsquot;. La neutralité est „l'état
„d'une nation, qui pendant que d'autres se font la guerre, ne prend
„aucune part directe ou indirecte aux hostilitésquot;.
Pour Heilborn s) la neutralité est un lien juridique conven-
tionnel entre le neutre et les belligérants. La matière du contrat
qui est à la base des intérêts particuliers des parties, est consti-
tuée par le consentement exprès ou tacite des belligérants et des
neutres. Par cet accord les parties ont fixé in concreto leurs droits
et devoirs réciproques, mais précisément parce qu'il s'agit d'un
contrat, elles ont en principe la liberté de le résilier. En consé-
quence le neutre n'emprunte, à l'égard du belligérant, aucun titre
particulier au simple fait qu'il ne se mêle pas au conflit. „Damit
»ist dem neutralen Staate jedoch kein Anspruch gegeben, den
„nicht jeder Staat in Frieden hätte. Es handelt sich hier also
»nicht um ein besonderes Recht, sondern um ein besonderes ....
M Hübner I, p. 31.
J. Wijnveldt, „Neutralüeitsrecht te landquot;, p. 19.
A. W. Heffter, „Das Europäische Völkerrechtquot;, p. 320 et 321.
■*) Calvo, „Le droit international théorique et pratiquequot;, tome IV, p. 407, 441.
Heilborn, „Das System des Völkerrechts entwickelt aus den völkerrechtlichen Be-
mffenquot;, p. 321, 336-351.
„Verfahren. Die Anwendung desselben ist ein spezifisches Recht
„des Kriegsführendenquot;.
Cela veut dire qu'à défaut d'un contrat, le beUigérant est libre
et non pas obligé de traiter le non-belligérant en neutre. Ainsi
Heilborn arrive à la division tripartite des États en belligérants,
non-belligérants et neutres.
Dans le cadre du contrat la conception de la neutrahté de Heil-
born est négative.
Hautefeuille i) prétend que la neutrahté est une situation
de droit identique à celle de la paix. Il est d'avis que la notion
de la neutrahté ne peut se définir.
Bluntschli 2) met à côté de l'impartiahté négative, le devoir
positif du neutre de maintenir la paix sur son territoire.
Bluntschh, Fiore 3), von Liszt quot;) et Rolin s) traitent la
neutralité en variante de l'état de paix.
Pillet 6) adhère à l'opinion que les règles de la neutrahté
résultent du respect pour la liberté des États de „résoudrequot; leurs
différends à main armée.
„L'état de neutralitéquot;, dit Pillet, „n'est pas semblable à l'état
„de paix général. Pour qu'il en fût ainsi, il faudrait persuader les
„belligérants de respecter dans leur action hostile jusqu'au
„moindre intérêt qu'ils viendraient à heurter et ainsi un acte de
„guerre ne deviendrait possible qu'autant qu'il ne porterait ni
„directement ni indirectement aucun dommage à aucun neutre.
„Autant vaudrait de demander aux beUigérants de renoncer à
„la guerre elle même que d'exiger qu'ils subissent la gêne de
„semblables entravesquot;.
Outre que cette remarque infirme le point de vue de ceux qui
partent de la conception selon laquelle la neutrahté serait une
forme de l'état de paix, elle tient compte du caractère de l'acte de
guerre, ce qui est à notre avis d'une importance primordiale.
Nous reviendrons plus amplement sur ce point
1)nbsp;Hautefeuille, „Des droits et devoirs des neutresquot;, Tome I, p. 366.
2)nbsp;Bluntschli, „Das moderne Völkerrecht der zivilisierten Staaten als Rechtsbuch
dargestelltquot;. p. 403.
3)nbsp;Fiore, „Trattato di diritto internazionale pubblico.quot;
-•) Von Liszt, „Das Völkerrecht systematisch dargestelltquot;.
5) Rolin, „Le droit moderne de la guerrequot;.
«) Pillet, „Recherche sur les droits fondamentaux des Étatsquot;.
1) voir ci-après p. 60 e.s.
Lorimer 1) : „Neutrality is an abnormal relation existing be-
„tween one or more recognising states of peace and two or more
„recognising states of war, which becomes a jural relation only
„when intervention becomes impossiblequot; 2).
Comme règle principale Lorimer recommande l'intervention
— soit par des moyens pacifiques, soit par la force — en faveur
de l'intérêt commun. 3) Cependant quand la cause du confht
est obscure, ou bien en cas d'„impotence or physical inability
„to participate in warquot;, une politique de neutralité absolue
est la meilleure à suivre. Lorimer cite plusieurs règles *) qui, selon
lui, découlent logiquement de la neutralité. Il attend beaucoup
de ces règles, car, ,,they would admit of being really observed
„by neutral Powers and consequently of being justly enforced
„by belligerent Powers.quot;
En général il envisage la question du point de vue belligérant,
professant l'opinion que la base de la neutrahté est illégitime,
parce qu' elle refuse l'assistance au belligérant et que le plus
souvent elle constitue une restriction injuste des droits du beUi-
gérant.
Von Bar s) se prononce en faveur de l'intervention de la part
des Etats tiers en cas d'un conflit armé.
Holtzendorf 6) : ,,Neutralität ist: Zustand unparteiischer
..Nichtanteilnahme gegenüber einem bestehendenKriegszustandquot;.
Kleen 7) : „La neutralité est la situation juridique dans laqueUe
.,un Etat pacifique est, autant que possible, laissé en dehors des
„hostUités qui ont Ueu entre des Etats beUigérants et s'abstient
..lui-même de toute participation ou ingérence dans leur diffé-
..rend en observant vis-à-vis d'eux une stricte impartialitéquot; s).
La base de la neutralité est l'indépendance et la souveraineté,
..qui confère à chaque Etat le droit de rester autant que possible
en dehors des conflits qui surgissent entre d'autres Etatsquot;,
tandis que le but de la neutrahté est „la paix universellequot;
') Lorimer, „The institutes of the law of nationsquot;,
ibidem, p. 121.
ibidem, p. 127-128.
quot;) ibidem, p. 179-180.
Von Bar, „Observations sur la contrebandequot;.
Von Holtzendorf, „Handbuch des Völkerrechtsquot;, Tome IV, p. 605.
') R. Kleen, „Lois et usages de la neutralitéquot;.
') ibidem, p. 73.
ibidem, p. 154.
Le droit de rester neutre est „un droit incontestable et inalié-
„nablequot; de l'État indépendant, il correspond au droit du bel-
ligérant d'exiger l'impartialité rigoureuse du neutre, i).
Néanmoins il faut que la neutralité soit un instrument au
service de la justice; le cas échéant il faut même sacrifier ce droit
en prêtant assistance à la partie lésée, sans cependant que cela
soit un devoir. 2)
„Les règles de la neutralité doivent être étabhes sur les bases
„de la justice naturelle, en conciHant les intérêts des belligérants
„et des neutresquot;. En cas de conflit ceux-ci ont la priorité, la
plupart des Etats étant neutres. 3)
„La justice et l'injustice de la cause de l'une ou de l'autre
„des parties ne peut pas être alléguée comme excuse ou comme
„prétexte de la partiahté effective d'un neutre dans ses rapports
„avec les belligérants.quot; 4)
Le devoir du neutre se compose de deux éléments: s)
a.nbsp;l'impartialité, i.e. traitement équivalent des belligérants;
b.nbsp;l'abstention, i.e. non-intervention et non-participation aux
hostilités.
La théorie de Kleen est un exemple remarquable d'une con-
ception dogmatique de la neutralité qui se sert de notions d'une
valeur pratique douteuse.
Descamps «) fait remarquer que la neutrahté ne dit rien de
„la condition juridiquequot; du belligérant par rapport aux peuples
pacifiques 7). En outre „la situation de l'Etat pacifique est in-
„complète et équivoque.quot; «) Pour ces raisons Descamps veut rem-
placer la notion boiteuse et passive de la neutralité par l'institut
positif du „pacigératquot;. Selon lui, il faut considérer la neutralité
comme faisant partie du droit de la paix et non pas du droit
de la guerre. Le devoir des belligérants „de ne pas impliquer
„dans les hostilités les Etats pacifiquesquot; 9) est supérieur à celui
des neutres.
1)nbsp;ibidem, p. 75.
2)nbsp;ibidem, p. 157.
3)nbsp;ibidem, p. 192.
4)nbsp;ibidem, p. 219.
5)nbsp;ibidem, p. 212 et 222.
«) E. Descamps, „Le droit de la paix et de la guerrequot;.
7)nbsp;ibidem, p. 103.
8)nbsp;ibidem, p. 104.
9)nbsp;ibidem, p. 115.
-ocr page 61-Le „pacigératquot; c'est „le régime de paix spéciale applicable
„aux relations des Etats grevés d'une guerre particulière avec
„les Etats étrangers à cette guerre et consistant dans le respect
„réciproque par ces Etats de leur commune qualité de Puis-
„sance souveraine et pacifiquequot; i).
Le point de départ pour Descamps c'est „le principe de la
„fidélité commune à la paixquot;. La base est „la qualité de Puis-
„sance pacifique et souverainequot;, laquelle dominerait les relations
entre belligérants et neutres 2). De la sorte le centre de gravité
de la neutralité se déplace de l'intérêt du belligérant à celui du
neutre.
Ottolenghi 3) se livre à un examen profond du problème. Le
noyau de la question est pour lui „la nozione stessa dei rapporti
„che intercedono fra stati pacifici et belligeranti, in riguardo alla
„loro spéciale condizionequot; Le problème revient à l'évaluation
objective d'intérêts opposés.
Ottolenghi rejette la déduction de la neutralité d'usages de
toutes sortes, parce que beaucoup d'entre eux ont perdu leur
sens ou présentent le caractère de la négation absolue du droit
et de la justice.
La neutraUté étant le produit d'une libre résolution de l'Etat,
il convient que cet Etat se charge de certaines obligations et de
certains devoirs, car l'objet du rapport de la neutralité est indé-
pendant de la volonté de l'Etat. De même le belUgérant, ayant
reconnu volontairement la neutralité d'un Etat non-belligérant,
doit observer certains devoirs.
„La volontarietà détermina il momento soggettivo deUa neu-
„traUtà che è anche il suo vero momento giuridico poichè nella
„volontà degli stati è gia spiegata l'influenza di quelle condi-
„zioni che attengono aUe esigenze deUa convivenza internazio-
„nalequot;5). Conclusion: À côté du fondement de fait, constitué
de l'état de paix et de guerre et provenant de la structure de la
société internationale, la neutralité a un fondement juridique
contenant trois éléments:
a. la volonté de l'Etat de ne pas prendre part à la guerre;
ibidem, p. 9.
ibidem, p. 143.
G. Ottolenghi, „Jl rapporto di neutralitàquot;.
*) ibidem, p. 12.
') ibidem, p. 18.
Van Royen, Neutraliténbsp;^
-ocr page 62-b.nbsp;le rapport d'égalité juridique des Etats;
c.nbsp;l'existence juridiquement justifiée de belligérants et de non-
belligérants.
Dans le rapport juridique entre belligérants et non-belKgé-
rants, Ottolenghi distingue deux moments:
a.nbsp;le moment objectif, savoir les conditions générales, quali-
fiant un certain Etat de belligérant au milieu de la communauté
des nations;
b.nbsp;le moment subjectif, savoir la condition particulière des
Etats entre lesquels se développe ledit rapport i).
Le régime de la neutralité a la tâche de coôrdiner ces deux
moments.
L'Etat qui se déclare neutre sait ce qui est de son droit et
connaît les circonstances actuelles qui conditionneront l'exer-
cice de ses droits, spécialement par rapport ,,alle esigenze délia
„guerra in conformità aile stesse norme del diritto bellico alla
„pratica dei belligerantiquot;. Pour cette raison il faut que le neutre
se soumette ,,a tutte quelle limitazioni in forza delle quali l'azione
„dei suoi diritti o interessi divenga conciliabile con quelle dei
„belligeranti, a meno che si esponga aile conseguenze di un con-
„flitto....quot; 2).
„Lo stato belligerante ha diritto o facoltà di commettere certi
„atti in forza délia sua spéciale giurisdizionequot;. Les non-belli-
gérants cependant, s'opposeront à l'activité ilhmitée de ce droit
des belligérants. On évite les difficultés émanant de cette con-
troverse, si les non-belligérants permettent „un maggiore ambito
,,alla sovranità dei belligeranti nei limiti ammessi dalla consue-
„tudine o dalla legge bellicaquot; 3). Cet accord serait, selon Otto-
lenghi, le fondement de la neutralité.
Si l'on considère les résultats de l'analyse, la solution du pro-
blème paraît être décevante. Avec la coutume et les lois de guerre,
Ottolenghi introduit les éléments qui ont été la cause de la con-
fusion et de l'incertitude en matière de neutralité. La défectuo-
sité de ces deux éléments n'ayant pu échapper à Ottolenghi, il
doit avoir tacitement admis que la neutralité se corrigerait avec
le perfectionnement de la communauté internationale. Cette
1)nbsp;ibidem, p. 52.
2)nbsp;ibidem, p. 61.
3)nbsp;ibidem, p. 62.
-ocr page 63-supposition ne serait justifiée que si un examen préalable dé-
montrait que la cause de cette défectuosité ne se trouve pas
ailleurs.
Westlake 1) reconnaît le devoir de solidarité dans l'intérêt de
la justice. Si la cause du conflit est obscure, ou si la participation
à la guerre exige des sacrifices trop graves, l'attitude de neutra-
lité est justifiée.
Lawrence 2) : „The condition of those states which in time
„of war take no part in the contest but continue pacific inter-
„course with the belligerentsquot;.
Barclay 3) : „the law of neutrality is based on the principle
„that beUigerents having certain rights, neutrals have certain
„corresponding duties, and that, provided the fulfill of these
„duties, they are entitled to remain in all other respects immolest-
„ed by the hostilities.quot;
wijnveldt t) : „Een helder inzicht krijgt men in de zaak door
„de neutraliteit op te vatten als een eenvoudig, ondeelbaar be-
„grip, hetwelk de onzijdigheid in een oorlog, het niet deelnemen
„aan een oorlog te kennen geeft. Het neutraliteitsrecht omvat
„dan het samenstel van regelen (normen), hetwelk de verhouding
„regelt van de aan een oorlog niet deelnemende staten tot oor-
„logvoerende statenquot;.
Oppenheims): „The attitude of impartiality adopted by
„third States toward belligerents and recognised by belligerents,
„such attitude creating rights and duties between the impartial
„States and the belligerents.quot;
Fauchille «) : La neutralité „est l'existence de l'état pacifique
„impartial d'une Puissance envers chacun des belligérantsquot;.
Hammarskjöld 7) : La neutrahté „est la situation du pays
„qui reste, d'après son libre choix, en dehors d'une guerre actuel-
„lequot;. Elle est une situation de droit et de fait. La neutralité est
une „notion juridique, qui n'existe que dans l'hypothèse de cer-
„taines relations de droit entre le neutre et les belligérantsquot;.
') J. Westlake, „International Lawquot;.
Lawrence, „The principles of international lawquot;, p. 5B7.
Sir Th. Barclay, cité d'après Wijnveldt, p. 20.
J. Wijnveldt, „Neutraliteitsrecht te landquot;, p. 22.
L. Oppenheim, „International Lawquot;, tome II, p. 519.
') Fauchille, „Traité de droit international publicquot;, tome II, p. 635.
') H. Hammarskjöld, „La neutralité m généralquot;.
„L'un et les autres doivent appartenir à l'ensemble des nations
„qui participent au droit des gensquot; i).
La neutralité est une espèce de modus vivendi, un compromis.
„11 ne faut pas s'étonner si ce compromis n'est pas trop ration-
„nelquot;. „Le droit de neutralité n'est pas une branche de droit
naturel, il est de droit positifquot; 2).
Hammarskjôld se sert de la définition de Kleen en lui appli-
quant une certaine restriction 3).
Strupp 4) : „La neutralité est la situation d'un Etat qui volon-
„tairement s'abstient de prendre part à une guerre ayant éclaté
„entre deux ou plusieurs Etatsquot;.
Whitton 5) : „La neutralité consiste en cas de guerre dans la
,,complète abstention de la part des Etats hors du conflit, de tout
„acte hostile à l'égard de l'un ou l'autre des belligérants et de
„tout acte pouvant favoriser l'un ou l'autre d'entre eux dans
„leurs opérations militaires.quot;
François: „Onder onzijdigheids- of neutraliteitsrecht ver-
„staat men het samenstel van normen, regelende de betrekkin-
„gen tusschen de oorlogvoerenden en de niet aan den oorlog deel-
„nemende staten, voor zoover deze betrekkingen afwijken van
„de in vredestijd bestaandequot;
François reconnaît que les règles de neutralité ne se laissent
pas déduire d'une notion juridique préfixée '').
Bien que la série d'auteurs cités ci-dessus soit encore loin
d'être complète, nous croyons que ce choix de citations suffit
à servir de base à l'examen auquel nous allons consacrer le
chapitre suivant.
1)nbsp;ibidem, p. 58.
2)nbsp;ibidem, p. 79.
3)nbsp;ibidem, p. 78.
■•) K. Strupp, „Eléments du droit international public universel européen et améri-
cainquot;, i, p. 400; ii, p. 594.
5) J. B. Whitton, „La neutralité et la S. d. N.quot;, p. 454.
«) J. P. A. François, „Handboek van het Volkenrechtquot;, Tome ii, p. 475.
') ibidem, p. 476.
-ocr page 65-CHAPITRE III
SOMMAIRE ET CRITIQUE
En considérant les conceptions des auteurs cités dans le cha-
pitre précédent, on s'aperçoit que, si les définitions de la neutra-
lité se ressemblent beaucoup, les développements théoriques n'en
démontrent pas moins assez de divergence. La cause de cette
divergence se trouve dans le caractère foncièrement contradic-
toire des divers éléments d'appréciation en cause, lequel pro-
vient à son tour de l'axiome de la souveraineté absolue. Cet
axiome, s'adaptant aux exigences de la pratique, torpillait la
théorie de la guerre juste et le principe de la sohdarité internatio-
nale et aboutissait à justifier toute guerre. À sa quahté d'entité
souveraine, l'Etat emprunte le droit de faire la guerre sans aucune
obligation juridique d'en rendre compte à ses semblables, tandis
que ceux-ci déterminent librement et sur la même base leur atti-
tude à l'égard du conflit. L'intégrité de la souveraineté constitue
le principe fondamental. Une atteinte à cette intégrité n'est
formellement justifiable que dans le rapport de belligérant à
belligérant, le non-belligérant devant jouir intégralement de sa
souveraineté.
Dans la pratique, il s'en fallait généralement de beaucoup
qu'il en fût ainsi. La guerre ne passait pas, ni ne pouvait tou-
jours passer, sans toucher aux intérêts des non-belligérants ; et
cela d'autant moins que le maintien de la souveraineté se fondait
sur la répartition actuelle de la puissance qui, d'après la nature
des choses, était inégale. Surtout la coUision entre beUigérants
puissants et non-belligérants faibles faisait naître des situations
absolument incompatibles avec le principe de la souveraineté.
La pratique mit donc la théorie devant un conflit de droits,
savoir, entre le droit du belUgérant de faire la guerre, d'une
part, et d'autre part, celui du non-belligérant de jouir librement
de sa souveraineté. Un ordre juridique bien organisé finira par
résoudre ce conflit de droits, ou bien en assignant la priorité
à l'un des deux, soit absolument, soit relativement — c.-à-d.
sous certaines conditions bien définies, — ou bien en élaborant
un compromis. Il y a donc trois possibilités:
a.nbsp;Primauté du droit des belligérants. Cette solution trouvait
peu de défenseurs; on avait peur des conséquences pratiques.
En outre la conviction juridique se révoltait à juste titre contre
la conduite des belligérants ; la priorité de leur droit constituait
pour bien des gens, le contraire d'un progrès. Aussi, cette théorie
a-t-elle trouvé peu de partisans et même ceux-ci n'en admet-
taient pas les conséquences extrêmes, car ils cherchaient des
règles modératrices i).
b.nbsp;Primauté du droit des neutres. La primauté du droit des
non-belligérants a pour but de mettre les neutres dans une situa-
tion juridique égale à l'état de paix, ou s'en approchant le plus
possible. Ce principe répondait aux conceptions juridiques indi-
vidualistes du 19ième siècle, qui proclamaient le caractère sacré
des droits fondamentaux, devant garantir l'existence de l'indi-
vidu et par analogie celle de l'Etat. Au surplus la protection des
non-belligérants soutiendrait la cause de la paix. Enfin, puisque
cette solution tendait à restreindre la liberté d'action des belli-
gérants, il se comprend qu'elle trouvât plusieurs défenseurs 2).
c.nbsp;Le compromis. La majorité des auteurs, soit à cause des
inconvénients pratiques qu'ils attribuaient à chacune des deux
solutions précitées, soit parce qu'ils estimaient les droits des
belligérants et des neutres de même ordre, considéraient la ques-
tion comme un conflit d'intérêts qui devait se résoudre par un
compromis raisonnable. Parmi ces auteurs il y en a qui voient
la neutralité purement comme un compromis entre intérêts
opposés et qui, par conséquence, la considèrent comme une situa-
tion de fait. D'autres professent l'opinion qu'il s'agit d'une
institution juridique, comportant des devoirs et des droits cor-
respondants et réciproques, si bien que la neutrahté est une
véritable situation de droit.
Il va de soi qu'une classification rigoureuse des différentes
théories, selon les trois principes mentionnés, est impossible.
1)nbsp;Comp. Lorimer et en quelque sorte aussi Heilborn et Ottolenglii.
2)nbsp;Bluntschli, Hautefeuille, Rolin, Fiore, Descamps, von Liszt, Kleen.
-ocr page 67-Il se peut, par exemple, qu'on adhère au compromis en réser-
vant, jusqu'à un certain degré, les droits des beUigérants.
Quant aux définitions fixées par les auteurs, elles ont, nous
l'avons déjà fait remarquer, une grande ressemblance. Cela resuite
du fait, que le noyau de presque toutes ces définitions est formé
par l'état de non-participation à la guerre („impartialquot;; „non-
participationquot;; „abstentionquot;; „complète abstentionquot;; „nicht
Anteilnahmequot; ; „attitude of impartialityquot; ; „non prendere partequot; ;
„to take no partquot;, etc.).
Cette harmonie apparente n'est cependant pas encore la preuve
d'une unité réelle. Qu'est-ce que toutes ces définitions nous ap-
prennent d'autre que le sens du mot „neutralitéquot; lui-même?
Elles constatent l'existence d'une situation, elles décrivent un
fait extérieur, mais elles n'en analysent aucunement le caractère
juridique. Tout au plus représentent-elles une valeur gramma-
ticale. Cela apparaît clairement dès qu'on se demande ce qu'est
la non-participation. Cette question n'a jamais trouvé une ré-
ponse claire et exacte. Parfois on a essayé de déterminer les
fondements de cette notion, qui seraient au nombre de trois i),
savoir :
r. la défense de renforcer le pouvoir d'un belligérant;
2°. le principe de réciprocité;
3°. le principe du traitement égal des belligérants.
Ces principes ne sont, à proprement parler, que des abstrac-
tions dogmatiques, qui déplacent la difficulté, sans plus. En
mettant à l'épreuve leur valeur normatrice, ils paraissent être
aussi vagues et incertains que la notion qu'ils prétendent éclaircir.
Aussi, se comprend-il que plusieurs auteurs aient confessé
franchement leur impuissance de définir le concept de la neu-
trahté. C'est ainsi que certains d'entre eux se bornent à énumérer
les droits et les devoirs du neutre 2).
Cependant, pas plus que les définitions, une telle énumération
ne réussit à élucider le problème; en effet, abstraction faite de
la validité des normes énumérées, elle ne contient pas les élé-
ments qui préparent la synthèse juridique d'une notion claire
de la neutralité.
») Comp. J. Haase, „Wandlung des Neutralitätsbegriffesquot;, p. 22.
2) e.a. Lorimer, Haase.
Pour résumer, nous constatons que j usqu'à nos j ours, la doctrine
n'a pas réussi à élaborer une théorie qui dépouille la neutralité
de l'arbitraire, de l'incertitude et de la médiocrité qui l'ont de
tout temps caractérisée dans la pratique.
On est assez disposé à attribuer les nombreux échecs que la
neutralité a subis au cours de l'histoire, moins à sa nature même,
qu'à l'imperfection de l'organisation internationale et à la pré-
dominance de la force des belligérants puissants. Cependant,
bien que ces facteurs aient incontestablement l'un et l'autre
été à rencontre de l'autorité du droit des gens en général et du
droit de neutralité en particulier, nous n'y voyons pas les causes
fondamentales des échecs nombreux et continuels qu'a subis
cette dernière institution.
Dans notre introduction nous avons déjà fait remarquer qu'u-
ne norme juridique saine a besoin d'une base réelle. Une telle
norme doit être le produit d'un compromis bien réussi entre ce
qui est désirable et ce qui est possible, de sorte qu'elle soit dotée
d'un maximum de viabilité naturelle. Il n'y a que l'observation
nette et l'appréciation exacte de la vie réelle qui puisssent réaliser
un compromis pareil. Dans la société primitive les différentes
normes prennent naissance d'une manière relativement arbi-
traire et accidentelle, c.-à-d. qu'elles ne participent pas d'un
système prémédité. La coutume, le juge ou le législateur inter-
viennent là oii le besoin s'en fait sentir le plus fortement, donc
d'une façon purement incidente et sous le signe de l'opportu-
nité. À mesure que la société se développe et que son organisa-
tion devient plus compliqué, le souci de règles apparaît et l'élé-
ment d'opportunité diminue d'intérêt; l'interdépendance crois-
sante des différents besoins demande une réglementation plus
solide. Il faut qu'on envisage les règles en rapport avec
les répercussions réciproques de leurs effets, ce qui aboutit à
l'observation de certains principes, qui à leur tour s'amalgame-
ront en système.
Le rapport entre ces principes et la vie sociale est essentielle-
ment conjugué; d'une part, ils tirent leur origine de cette vie
même, d'autre part, ils exercent sur eUe une influence directrice,
de sorte qu'il y a entre eux une action réciproque continuelle.
Etant donné que l'ordre est le but du droit et qu'il s'oppose aux
conflits, les principes de tout système juridique devront consti-
tuer un ensemble harmonieux. Dans un système bien organisé
un conflit de principes est intolérable.
Le rapport intime qui existe entre la vie de la société et son
système juridique exige que leur développement procède en
harmonie. Naturellement le rythme de modification du système
juridique, donc de ses principes, sera beaucoup plus lent que
celui des normes concrètes. La grande difficulté consiste à re-
connaître et à réaliser le meilleur rythme. En raison de cette
difficulté le développement ne s'accompHt pas toujours d'une
façon graduelle, mais irrégulièrement, c.-a-d., avec des secousses,
qui se produisent aussitôt que les tensions provoquées par une
divergence progressive entre le droit en vigueur et les besoins
de la vie deviennent trop fortes. Souvent l'abolition ou la modi-
fication d'un principe ne s'effectue qu'à la suite d'une lutte violen-
te; souvent un fondement qui semblait solide, paraît être plus
tard une grave erreur.
Il en est ainsi particulièrement dans le domaine du droit inter-
national, qui en est encore au début de son développement. Dans
ce domaine la création du droit s'opère sans système défini ni
programme méthodiquement élaboré; au surplus ses moyens
de formation organique sont encore bien primitifs. Là surtout,
il est nécessaire d'examiner continuellement quel est l'effet d'un
principe et d'une norme juridique par rapport au développement
de la vie internationale.
Dans cet ordre d'idées, il y a lieu d'examiner quelle est la signi-
fication de la neutrahté dans les rapports internationaux con-
temporains et quelle en est sa valeur pour le développement futur
de ces rapports. Mais avant de procéder à cet examen, il se re-
commande d'abord de faire une critique des fondements de la
neutralité en général.
La neutralité comme phénomène dans la vie des Etats est
l'attitude de l'Etat indépendant qui, suivant sa libre volonté, a
décidé de ne pas prendre parti dans une guerre ayant éclaté
entre d'autres Puissances également indépendantes. À ce sujet
il ne peut y avoir aucune différence d'opinion.
Puisqu'elle présuppose la guerre, la neutralité est une situation
non originaire, mais dérivée. La neutrahté n'est pas imaginable
sans guerre, entre elles il y a un rapport indissoluble de fait et
de raison.
Aussi est-il impossible de porter un jugement bien réfléchi
sur le caractère général et, casu quo, juridique de la neutralité,
sans avoir examiné le caractère correspondant de la guerre.
Omettre un tel examen est une erreur, que l'on peut reprocher
à bien des auteurs.
Le fait juridique se distingue d'un fait ordinaire par son pou-
voir de produire des effets juridiques. Le fait juridique comme tel
emprunte cette qualité aux effets juridiques qui s'y attachent.
Or, il faut que ces effets s'emboîtent dans le système juridique
en vigueur et dans les réalités de la vie, sinon on risque de créer
une fantaisie sans valeur pratique. En matière de neutrahté
la doctrine se laissait trop facilement entraîner à se contenter
de pures abstractions qui perdaient de vue le caractère véritable
des choses réelles. Le principe de l'impartialité, par exemple,
en donne une preuve convaincante. En étudiant les différentes
théories de la neutralité on n'échappe pas à l'impression générale
qu'elles sentent un peu trop le cabinet d'étude, du moins quant
à la solution qu'elles présentent du problème difficile.
Aussi longtemps que le système juridique — si l'on peut parler
d'un système — était dominé par le principe de la souveraineté ab-
solue, il n'y avait qu'une seule limite à la liberté d'action de l'Etat
en temps de paix, savoir la souveraineté des autres Etats. Du
reste, chaque Etat se comportait comme s'il relevait de sa com-
pétence exclusive de désigner les principes juridiques qui sont
à la base du droit des gens.
Dans ledit système le maintien du droit étant abandonné à
l'Etat lui-même et celui-ci pouvant librement décider ce qui est
du droit, le recours à la force était toujours — du moins formelle-
ment — justifiable. Ainsi l'Etat, dès qu'il avait la qualité de
belligérant, était parfaitement autorisé à porter atteinte à la
souveraineté de son adversaire et de franchir une sphère d'action
qui lui était interdite en état de paix.
Il en résulte donc, que sous le régime de la souveraineté, la
guerre est un postulat juridique reconnu et généralement en
vigueur. Or, si une communauté l'adopte, il faut qu'elle en assume
les conséquences !
Cette vérité importante est loin d'avoir attiré toujours l'atten-
tion qu'elle mérite, probablement à cause du fait que le principe
de la souveraineté mettait l'idée de la communauté internationale
à l'arrière-plan. Pourtant cette méconnaissance allait à l'encontre
des faits, car en réalité la communauté internationale était un
fait, peu importe que son organisation fût primitive. Aussitôt
que les Etats entrent en communication, qu'ils déploient une
activité extérieure, la communauté est déjà née; les intérêts
communs se développent, l'interdépendance se fait valoir. La
multiplication des conflits n'est en somme autre chose que la
conséquence d'une activité croissante à l'intérieur d'une com-
munauté insuffisamment organisée. À la longue, cela doit aboutir
à la collaboration au profit de l'ordre et du bien-être commun.
Mais, il y a autre chose : au fond la reconnaissance du principe
de la souveraineté présuppose une communauté internationale:
en délimitant réciproquement la sphère d'action des membres,
cette reconnaissance constitue un acte d'organisation. Seulement
l'élaboration imparfaite de ce principe négligeait l'élément col-
lectif et se concentrait tout à fait sur l'élément individuahste.
De la sorte il était possible qu'on octroyât à l'Etat souverain
le droit de considérer comme res inter alios acta la guerre entre
tiers 1). La guerre ne le regardant nullement, cet État se tenait
en dehors du confht, restait neutre et à cette qualité de non-belh-
gérant il empruntait des titres au respect de sa souveraineté et
de ses intérêts. L'argumentation semblait assez logique et la
construction juridique assez évidente: d'une part, le droit au
respect, de l'autre, le devoir d'abstention, d'où semblait pro-
céder aussitôt l'obligation de l'impartialité.
Cependant, l'élaboration du droit de neutralité en règles con-
crètes se faisait attendre. La théorie se bornait à rédiger des
généralités délicates offrant peu de points de répère à la pratique,
tandis que celle-ci ne produsait que quelques règles historique-
ment développées, d'une valeur médiocre. Pourquoi ne réussis-
sait-on pas à trouver des critères efficaces, pourquoi les normes
se faisaient-elles attendre ? Pourquoi un compromis général des
intérêts du belligérant et du neutre — noyau du problème qu'on
se posait — ne parvenait-il pas à se formuler? Pourquoi ordinaire-
ment la pratique était-elle une violation des prétendus droits
du neutre et pourquoi le confht s'aggravait-il à chaque guerre
nouvelle? Est-ce que ces échecs seraient dus vraiment et uni-
1) Comp. Descamps, „Le droit de la paix et de la guerrequot;, p. 127.
-ocr page 72-quement à la mauvaise foi des belligérants ? Nous n'y croyons
guère.
Quel est donc le caractère de ce postulat juridique positif
qu'on appelle „la guerrequot;?
Le droit de faire la guerre est un droit fondamental de l'Etat
souverain: „Ogni stato ha tutela dei suoi interessi e arbitrio di
„recorrere alla guerra, anche senza alcuna provocazione di ostili-
„tàquot;, car la guerre est „uno stato legittimoquot; i).
Or, le but direct de la guerre est de briser, par la force, la
résistance faisant obstacle à la réahsation du but indirect (but
politique) qui est la cause du recours à la force. Il en est ainsi de
toute guerre et pour toutes les parties en confht. La violence
déclanchée ne voit que le but direct, ce qui signifie que, aussi
longtemps que ce but n'est pas encore atteint, elle tend à une
activité quantitativement et qualitativement progressive. En
sens absolu cette activité est limitée par le maximum de force que
l'Etat en question peut développer. Bien que théoriquement il
soit imaginable qu'un Etat impose certaines limites à l'emploi
de la force, en réalité cela ne peut survenir que si cet État dispose
de la supériorité vis-à-vis de son adversaire. Or, l'histoire nous
apprend qu'une telle supériorité prononcée est exceptionnelle
et qu'au contraire les forces se contrebalancent de façon à pro-
duire une lutte grave et épuisante. En général on peut observer
une augmentation progressive des efforts, même sur une échelle
telle, que de nos jours le belligérant est contraint de mobiliser
toutes les forces, militaires et économiques, dont il dispose. Une
pareille situation exige qu'on tire le plus grand profit des moyens
disponibles, c.-à-d. que l'on porte atteinte à la résistance ennemie
autant que possible, aux dépens d'un minimum d'effort et en ris-
quant le moins possible. Est-ce que l'avantage anticipé pourra
justifier les sacrifices probables, voilà la question prédominante.
On peut bien s'imaginer que deux États tombent d'accord
pour observer réciproquement et en faveur d'États tiers, cer-
taines règles et observer certaines limites en ce qui concerne l'em-
ploi de la force des armes. Cependant, cet accord est d'un carac-
tère profondément aléatoire, car son observation ne peut être
raisonnablement garantie, d'une part, parce qu'il va à l'encontre
du caractère illimité de la violence, d'autre part, à cause de l'im-
1) Ottolenghi, „11 rapporta di neutralitàquot;, p. 31.
-ocr page 73-possibilité de prévoir, même approximativement, les conditions
dans lesquelles l'accord sera observé.
Dans son analyse magistrale de la guerre, Clausewitz i) a
clairement découvert cet élément impondérable, cette tendance
à l'extrême. Selon lui, cette tendance résulte de trois groupes de
facteurs qui exercent une activité réciproque les uns sur les
autres et qui présentent dans leur action les caractéristiques d'un
cercle vicieux. Analysant l'emploi de la force, Clausewitz con-
state :
„____so musz der, welcher sich dieser Gewalt rücksichtlos
„bedient, ... ein Übergewicht bekommen, wenn der Gegner es
„nicht tut. Dadurch gibt er dem Anderen das Gesetz, und so
„steigern sich beide bis zum Äuszersten, ohne dasz es andere
„Schranken gäbe als diejenigen der innewohnenden Gegenge-
„wichtequot; 2).
„Der Krieg ist ein Akt der Gewalt, und es gibt in der Anwen-
„dung derselben keine Grenzen: so gibt jeder den Anderen das
„Gesetz, es entsteht eine Wechselwirkung, die dem Begriffe nach
„zum Äuszersten führen muszquot; 3) (premier groupe).
„Nun ist der Krieg nicht das Wirken einer lebendigen Kraft
„auf eine tote Masse, sondern----immer der Stosz zweier leben-
„diger Kräfte gegen einander____So lange ich den Gegner nicht
„niedergeworfen habe, musz ich fürchten dasz er mich nieder-
„wirft, ich bin also nicht mehr Herr meiner selbst, sondern er
„gibt mir das Gesetz, wie ich es ihm gebe. Dies ist die zweite
„Wechselwirkung, die zum zweiten Äuszersten führtquot; t) (deu-
xième groupe).
„Gesetzt wir bekämen____eine erträgliche Wahrscheinlich-
„keit für die Widerstandskraft des Gegners, so können wir da-
„nach unsere Anstrengungen abmessen, und diese entweder so
„grosz machen, dasz sie überwiegen, oder im Fall dazu unser
„Vermögen nicht hinreicht so grosz wie möghch. Aber dasselbe
„tut der Gegner: also neue gegenseitige Steigerung, die in der
„bloszen Vorstellung wieder das Bestreben zum Äuszersten haben
„muszquot; 5) (troisième groupe).
') C. von Clausewitz, „Vom Kriegequot;.
Clausewitz, „Vom Kriegequot;, p. 4.
ibidem, p. 5.
ibidem, p. 6.
ibidem, p. 6.
En réalité l'emploi de la force n'atteint pas toujours son
maximum. Il y a des facteurs — p.e. l'équilibre entre le but poli-
tique et les sacrifices qu'il mérite — qui peuvent modérer la
notion abstraite de la guerre, mais „je groszartiger und stärker
„die Motive des Krieges sind, je mehr sie das ganze Dasein der
Völker umfassen, je gewaltsamer die Spannung ist, die dem
quot;Kriege vorher geht, um so mehr wird es sich seiner abstracten
„Gestalt nähernquot; i)-
II en résulte que la restriction a priori de la violence va à
rencontre de la nature de la violence. Si une restriction pareüle
est sujet d'un accord interétatique ou d'une règle de droit inter-
national, on peut dire avec raison que c'est une spéculation dan-
gereuse. Ä la longue il est impossible de méconnaître impunément
la nature des choses; aussitôt que le conflit s'aggrave suffisam-
ment la réahté se venge, de sorte que ladite restriction perd toute
valeur sous la pression des intérêts en jeu. L'histoire mondiale
en connaît de multiples exemples. En voici un de la grande guerre.
En Usant la réponse de Lord Grey au Colonel House con-
cernant la plainte du gouvernement des Etats-Unis en matière de
mesures maritimes de la Grande-Bretagne, mesures, en effet, peu
conciUables avec les réclamations du droit de neutralité, on s'aper-
çoit que cette réponse ne constitue pas un document diplomati-
que ordinaire —c.-à-d. un document qui dissimule sous une élé-
gance facile les difficultés et qui évite de blesser les sensibiUtés —,
mais que cette réponse va droit au but dans un exposé bref,
presque brusque, des faits découlant de la dure réahté:
„Nous sommes obligésquot;, écrit Grey, „soit de maintenir nos
„différences de point de vue avec votre gouvernement, soit
',',d'abandonner définitivement et ouvertement toute tentative
l'pour arrêter les marchandises transportées en Allemagne ou
',',provenant de cet Etat par les ports neutres .... ce qui équi-
vaudrait à abdiquer toute chance d'empêcher la victoire de
l'l'AUemagne____Je suis convaincu que la véritable question
quot;,n'est pas de poursuivre des discussions juridiques sur ces diffé-
quot;,rents problèmes, mais plutôt de savoir si nous devons continuer
„à faire ce que nous faisons ou rien du toutquot;.
On ne pourra prétendre qu'U s'agit ici de mauvaise foi de la
part de l'Angleterre, ü n'y a pas moyen d'échapper au düemme
2) ibidem, p. 19.
qui est la conséquence extrême de l'emploi de la force. C'est la
nature qui pose l'alternative vaincre ou mourir. Quand la violence
a atteint de telles dimensions que le blocus affame des peuples
entiers et que la guerre sousmarine illimitée détruit aveuglément
la navigation commerciale du monde, alors le caractère artificiel
et irréel du droit de neutralité est mis au grand jour. Et voici la
quintessence du problème: la neutralité dans sa conception juri-
dique est une notion artificielle, elle est au fond tout à fait
„weltfremdquot; en voulant limiter l'activité du belligérant. Non-
obstant le fait que les Etats ont fait maintes fois appel au droit de
la neutralité, et qu'on a consacré un nombre de livres à sa défen-
se, ce droit a toujours manqué de fondement. La guerre n'est pas
un jeu, ni un sport qu'on pratique selon des règles préfixées, si
évidemment on élimine les règles stratégiques qui sont purement
techniques. Les quelques restrictions juridiques du droit de
guerre n'ont jamais constitué des restrictions essentielles; on
peut dire d'elles ce que Clausewitz a écrit il y a cent ans: „Un-
„merkliche kaum nennenswerte Beschränkungen, die sie (c.-à-d.
„la guerre) sich selbst setzt unter dem Namen völkerrechthcher
„Sitte, begleiten sie ohne ihre Kraft wesentlich zu schwächenquot; i).
II en est de même pour toute restriction de la guerre, non pas
seulement pour celles provenant du droit de guerre. Aussi, toutes
les conférences internationales qui visaient la limitation ou la
réglementation de la guerre, se sont-elles heurtées au même
obstacle, savoir le refus opiniâtre des Etats à faire une concession
qui pourrait signifier un affaiblissement unilatéral de leur force.
Dans la guerre de 1914 les belligérants ne toléraient pas des
restrictions importantes à la violence; on observait seulement les
règles qui ne constituaient pas un affaibhssement réel de sa force,
ou dont l'observation était extorquée indirectement par la menace
d'une force supérieure ou d'un danger qu'on ne voulait pas ris-
quer. Il en a toujours été ainsi et il en sera de même dans une
guerre future. Qu'on pense p.e. à la règle qui prescrit que la
guerre doit être précédée d'une déclaration de guerre. Cette règle
a été observée dans la guerre de 1914. C'est qu'elle ne constituait
pas une restriction gênante. De nos jours on peut remarquer la
tendance à se débarrasser de ce devoir (comp, les conflits sino-
japonais et italo-éthiopien). La cause s'en trouve partiellement
') Clausewitz, „Vom Kriegequot;, p. 1.
64nbsp;développement historique
dans certaines considérations juridiques et politiques, mais sur-
tout dans l'élément de surprise qui est une des exigences primor-
diales de la stratégie moderne. Inutile donc de se faire des illu-
sions; si la situation devient périlleuse on aura recours à la guerre
chimique et bactériologique, on se servira du bombardement
aérien contre la population civile et même, ci cela semble avan-
tageux, on empoisonnera l'eau potable, on tuera les prisonniers,
on violera les privilèges de la Croix Rouge et on se moquera des
droits des neutres, car la violence comme teUe ne connaît pas de
limites.nbsp;^ ,
La seconde erreur de la théorie de neutralité c est qu eUe
méconnaît la structure de la société internationale. Il faut insister
une fois de plus sur ce point important. Le fait que cette société
est primitive et mal organisée, ne justifie pas encore la défense
d'une conception qui suppose que les États vivraient absolument
indépendants, les uns à côté des autres, et que leurs relations
seraient principalement dominées par des antithèses. Indubi-
tablement on avait dû se rendre compte des intérêts communs et
de l'interdépendance croissante qui entrehent les États. Bien
qu'au commencement ces hens fussent faibles, il n'était pas
difficile à prévoir qu'à la longue ils devaient se renforcer de plus
en plus. On peut dire que de nos jours ils forment un réseau serré
autour du monde entier. Par conséquent, il est impossible que
l'intervention violente de la guerre se restreigne aux relations
des belligérants. Son influence perturbatrice se fera sentir sur
beaucoup d'autres relations internationales et souvent même on
sera impuissant à en prévoir les suites désastreuses pour le monde.
Or, l'attitude neutre, en ne se souciant que de mettre à l'abri
de la guerre les intérêts propres d'un État individuel, perd de vue
que l'atteinte faite à un intérêt commun ne regarde pas seulement
les États individuels, lésés par cette atteinte, mais surtout la
communauté comme telle de ces États. En conséquence, la guerre,
ayant éclaté entre deux membres de cette communauté, ne peut
être considérée comme une res inter alios acta par les autres
membres.
De ce point de vue, l'alternative: „devenir belligérant ou bien
s'abstenir complètement du confhtquot; paraît aussi peu nécessare,
que logique ou juste.
Quant aux doctrines, il y a d'abord celle qui considère la neu-
-ocr page 77-tralité comme un état qui en principe serait égal à l'état de paix.
Cette conception a été suffisamment réfutée par les faits. La
guerre moderne exerce une telle influence sur les relations inter-
nationales, qu'elle affecte plus ou moins tous les Etats participant
à la vie internationale et que même elle peut créer, pour beaucoup
d'entre eux, une situation bien différente de l'état de paix.
La doctrine qui défend le compromis n'a pas de base solide, elle
non plus. Un compromis présuppose la limitation d'exigences
contradictoires et se propose pour but de les concilier. Or, comme
nous l'avons démontré ci-dessus, l'activité du belligérant étant
relativement illimitée, il s'en suit que le compromis manque d'un
élément fondamental. Le compromis sera donc toujours une
solution risquée. Autant vaudrait de conclure un accord avec le
feu qui consume une maison, pour épargner les bâtiments voi-
sins.
Plusieurs auteurs ont d'ailleurs compris qu'il y a un point
faible dans cette limitation inconditionnelle de la guerre et qu'il
y aura toujours des circonstances inévitables dans lesquelles le
belligérant franchira les limites fixées.
Ensuite il se peut qu'on reconnaisse en principe la liberté
d'action du beUigérant, mais qu'on ait peur des conséquences
pratiques.
Dans les deux cas il semblait que l'introduction d'une notion
juridique nommée „nécessité de guerrequot; pouvait résoudre la
difficulté Ce „droit de la nécessitéquot; laissa au belligérant assez de
liberté! Qu'on juge: „Le droit de la nécessitéquot;, dit HautefeuiUe,
„absorbe tous les droits, dispense de tous les devoirs, c'est un
„pouvoir unique en son espècequot; gt;) et encore: „le droit de la
„nécessité c'est le pouvoir donné au beUigérant de prendre a
„l'égard de tous les peuples du monde, son ennemi excepté, toutes
„les mesures qu'il juge nécessaires ou utiles à l'attaque de son
„adversaire, c'est un pouvoir dictatorial et sans bornes sur tous
„les peuples pacifiquesquot; 2).
En effet le droit de la nécessité entraînait de graves conse-
quences, inacceptables pour les défenseurs du droit des neutres
et pour cette raison beaucoup d'entre eux le rejettent 3). On s est
Hautefeuille, „Des droits et des devoirs neutresquot;. Titre VIII, p. 52.
3) colt'e'a.quot;prquot;diL'Fodéré, „Traité de droit international public européen et
américainquot;, Tome I, p. 273.
Van Royen, Neutralité
-ocr page 78-surtout inquiété de l'application pratique de ce droit, se deman-
dant s'il est possible de trouver les normes pouvant donner à ce
but de justes directives.
En traitant du droit de la nécessité, Strupp enseigne :
„Liegt eine Staatsnotwendigkeit vor, ist insbesondere, wenn
„auch nicht die ganze Existenz, so doch ein Lebensinteresse
„eines Staates gefährdet, befindet er sich in einer Notlage, aus
„dem ihn nach menschlichem Ermessen nur die Nichtbetrachtung
„fremder Neutralität zu retten vermag, so darf er in soweit sich
„über diese hinwegsetzen als es zur Abwendung dieses Notstandes
„erforderlich istquot; i).
Ä première vue cette argumentation semble assez justifiée et
claire, mais dès qu'on se demande quels sont les critères de
„Lebensinteressequot;, „hinwegsetzenquot;, „erforderlichquot;, il n'y reste
que des points d'interrogation. Bien que la notion „menschliches
Ermessenquot; puisse avoir l'air assez rassurante, elle n'est — malgré
son efficacité en droit privé et pénal —■ dans le domaine en ques-
tion qu'une norme bien vague. Il en résulte que l'élaboration
juridique du droit de la nécessité se heurte aux mêmes difficultés
que la notion de la neutrahté elle-même. L'incertitude partout
et encore une source d'innombrables différends d'opinion 1
Pourtant, et même le défenseur le plus fervent de la neutralité ne
pourra le nier, il se peut qu'un belligérant ne puisse respecter les
droits du neutre qu'en affaiblissant sérieusement sa position à
l'égard de son adversaire, ce qui pourra menacer sa propre exis-
tence. Supposons, pour bien marquer la difficulté, que le bon
droit de ce belligérant soit indiscutable, p.e. il est victime d'une
agression atroce et non provoquée, — comment les théoriciens
qui réclament l'inviolabilité absolue de la neutrahté se tireraient-
ils du dilemme ? Eux, qui ne tolèrent même pas la moindre in-
fraction à l'existence indépendante et à la souveraineté du neutre,
à quel titre voudraient-ils sacrifier l'existence entière du belh-
gérant, agissant en vertu du même droit de souveraineté? La
contradiction est vraiment éclatante !
Ainsi, d'un côté, on ne peut rejeter le principe de la nécessité
de guerre, tandis que d'un autre côté, ce principe ne se laisse pas
Descamps, p. 135.
Bonfils, „Manuel de droit international publicquot;, p. 119.
1) Karl Strupp, „Die Neutralität Griechenlands und das Völkerrechtquot;, p. 133.
-ocr page 79-couler dans une forme juridique efficace, et ce, sans parler du
fait que pour un Etat souverain, le droit de la nécessité consti-
tuerait un élément de sa souveraineté, c.-à-d. que l'application de
ce droit rentrerait, aussi bien que celle du droit de faire la guerre,
dans la compétence exclusive de cet Etat.
En somme, la doctrine n'a pas réussi à présenter une concep-
tion claire de la neutralité; elle se distingue par une grande
divergence d'opinions, elle va souvent à l'encontre de la réalité
et elle souffre de contradictions intrinsèques.
Comment se peut-il, demandera-t-on, qu'on ait si longtemps
adhéré à cette notion malheureuse, qu'on ait toujours renouvela
les efforts pour la développer et la perfectionner ?
À notre avis c'est parce qu'on n'a pas reconnu que déjà le pomt
de départ était faux. La matière, il faut bien le dire, était très
comphquée. Dans ses grands traits l'évolution a été la smvante:
Au commencement l'anarchie dans la vie des Etats aboutissait
à l'arbitraire complet, dirigé par l'intérêt propre des Etats indi-
viduels, de sorte que les nations faibles étaient à la merci de a
violence des grandes Puissances. Surtout en temps de guerre la
situation des non-belligérants était souvent insupportable.
Dans cet état de choses la doctrine de la souveraineté absolue
apparaissait. Elle fondait l'existence de l'Etat souveram sur a
base juridique de l'indépendance et de l'égahté et adjugeait le
maintien de ses droits et la gérance de ses intérêts à la competence
exclusive de l'Etat individuel. En ne traçant qu'une limite nega-
tive et en ne se souciant pas de la réglementation des relations
positives qui constituaient la société internationale, elle procla-
mait l'intérêt propre en loi suprême et, en conséquence, elle sanc-
tionnait, pour ainsi dire, l'état qui auparavant existait de]a de
fait.nbsp;^ ,
Les Etats adhéraient de grand cœur au principe de la souve-
raineté; les grands, parce qu'il leur garantirait à l'avenir une
justification, du moins formelle, de leurs faits et gestes ; les petits,
parce qu'il leur pourrait servir de titre juridique à leurs plaintes.
Inutile de dire qu'en réalité la situation ne s'améhorait aucune-
ment et que la position des non-beUigérants restait ce qu elle était
auparavant. Pour cette raison on ne se résignait pas a cette
situation et on s'efforçait d'y mettre fin. La façon de résoudre ce
problème a subi une influence profonde du principe de la sou-
veraineté absolue. L'adoption générale de ce principe ayant mis
les théoriciens devant un fait accompli, ceux-ci étaient obligés
d'en tenir compte. Aussi, la solution du problème ne pouvait-elle
pas aller à l'encontre de ce principe. Dans les circonstances
données un pareil effort semblait déjà condamné d'avance: il
n'était pas susceptible d'application. Celle-ci, on la cherchait dans
le cadre du principe-même. Par conséquent, la tendance du pro-
blème devenait relativement restreinte, c.-à-d. la question se
réduisait à la suivante : comment et suivant quelle base la con-
dition des Etats non-belligérants peut-elle être améliorée, sans
porter atteinte au principe de la souveraineté ? Ainsi il est arrivé
qu'on s'est efforcé d'élaborer la doctrine de la neutralité sur la
base de la souveraineté. Le droit de la neutralité devait tenir au
respect de la souveraineté du non-belligérant, ce qui d'ailleurs
signifie que le régime de la neutralité était condamné à souffrir
des mêmes défauts que le régime de la souveraineté. La doctrine
de la neutralité elle non plus ne s'occupait que de l'Etat individuel.
La conception individualiste restait et avec elle la contradiction
intrinsèque d'un système qui méconnaissait l'existence d'une
société internationale. Parce qu'on voulait atteindre à tout prix
le but proposé, savoir la protection des Etats non-belligérants,
on tentait d'établir le principe juridique de la neutralité et on
traçait un plan de droits et de devoirs, dont nous avons déjà
critiqué la valeur.
En résumé nous constatons qu'il y a deux facteurs dont l'im-
portance a été, sinon négligée, du moins sous-estimée par la
doctrine, savoir:
1 le caractère absolu de la violence déclanchée par la guerre ;
2°. l'existence, dans une certaine mesure, d'une société inter-
nationale lors de la réception du principe juridique de la souverai-
neté.
Au cours de l'histoire ces deux facteurs ont encore gagné en
importance ; le premier, parce que la guerre est devenue de plus
en plus violente; le second, parce que graduellement la société
internationale s'est développée.
A notre avis les facteurs précités portent atteinte aux fonde-
ments mêmes du principe de la neutralité. Si l'on examine le
système juridique international, découlant du principe de la
souveraineté et si l'on tient compte desdits facteurs, on arrive
inévitablement à une conclusion qui est bien différente de la
conception traditionnelle de la doctrine. Dans la société des
Etats souverains la défense de son intérêt propre est abandonne
à l'Etat individuel. Afin de réaliser cette défense l'Etat dispose
de plusieurs moyens parmi lesquels le recours à la force. Celui-ci
n'est pas interdit, au contraire, il est un droit, même un droit
souverain, car ce droit est fonction intégrante de la souverameté.
À sa souveraineté un Etat emprunte ipso iure le droit de faire
la guerre et s'il est d'avis que la défense de son intérêt propre
l'exige il peut s'en servir librement. Dans la société des Etats
souver'ains, le recours à la force constitue donc formellement
un moyen judiciaire.
Une fois le principe de la souveraineté reconnu et, avec lui,
le droit de la guerre dans la société internationale, il est tout à
fait logique que les Etats membres de cette société devront
en accepter les conséquences, du moins en tant que le rejet de
ces conséquences ne va pas à l'encontre du principe et du droit
qu'ils viennent de reconnaître. Or, la guerre comme telle ne
peut être acceptée qu'intégralement, sinon il faudra la repous-
ser, media via nulla est; „un peuquot; de guerre ou la guerre „régle-
mentéequot; sont des contradictiones in terminis. Il en résulte que
les risques découlant du caractère illimité de la guerre incombent
de iure aux membres de la société dans laquelle la guerre est
en vigueur comme une institution juridique. À proprement par-
ler, cela signifie que pour l'Etat qui a pris la qualité de beUigérant,
en vertu de son droit légitime de faire la guerre, les restrictions
que la souveraineté des autres Etats impose à sa sphère d'acti-
vité en temps de paix, sont supprimées en tant que l'exige l'exer-
cice efficace de ce droit de la guerre, tandis que l'Etat non-
beUigérant ne pourra discuter à juste titre la vaUdité d'un prin-
cipe qu'il reconnaît lui-même. Tout au plus pourra-t-il critiquer
l'exercice wcoMcre^o du droit de la guerre, — p.e., U pourra pré-
tendre que la situation du beUigérant ne justifie pas les mesures
prises par celui-ci, - même serait-il possible d'imaginer un droit
à certains dédommagements en vertu de l'avantage que le belli-
gérant a eu des mesures qui ont porté préjudice au non-beUige-
rant. Cependant, jamais le non-belligérant ne pourra aUeguer,
à l'égard du beUigérant, un droit fondamental à son intégrité
complète, ce serait une méconnaissance du droit de la guerre
comme tel. Par conséquent, l'Etat qui veut garder sa qualité
de non-belligérant, court et doit savoir qu'il court des risques
dont il ne peut se plaindre à juste titre, car ces risques dérivent
inévitablement du système juridique en vigueur.
Néanmoins un Etat n'est jamais obligé d'agréer les risques
découlant d'une guerre entre des Etats tiers. Il est fondé à défen-
dre sa souveraineté et ses intérêts en se servant, lui aussi, de son
droit légitime du recours à la force, donc, en prenant lui-aussi
la qualité de belligérant et en s'opposant à main armée aux
dommages qui le menacent.
Mais alors, dira-t-on, les petites nations pacifiques seront sacri-
fiées au droit des belligérants, elles seront pratiquement dépour-
vues de protection, à cause de leur incapacité de manier le moyen
judiciaire de la violence! Bien que cela soit incontestable, cet
argument ne peut pas servir d'objection, car la position de la
nation faible est toujours défavorable: non seulement comme
non-belligérant à l'égard des belligérants plus forts, mais toutes
les fois que le maintien de ses droits dépend du moyen judiciaire
extrême, de la force. C'est là une conséquence logique d'un sy-
stème juridique qui reconnaît un moyen judiciaire dont l'effet
est directement proportionnel à la puissance actuelle de celui
qui s'en sert.
Aussi, confessons-nous l'opinion que le développement théori-
que du principe de la souveraineté et du ius belli gerendi aurait
dû aboutir à la reconnaissance de la primauté du droit des beUi-
gérants.
Dans le système en vigueur, la réclamation des non-belligérants
à l'intégrité en vertu d'un soi-disant droit de la neutralité,manque
de bien-fondé et les efforts entrepris par la doctrine à fournir
une base juridique à cette réclamation, ont échoué.
On peut regretter qu'il en soit ainsi, on peut se plaindre du
fait qu'alors on reconnaît de iure le droit du plus fort et qu'on
sanctionne l'anarchie et l'injustice. Nous sommes des premiers
à avouer qu'une situation pareille répugne au sentiment de justi-
ce, mais cela ne permet pas encore de méconnaître la réalité et
de défendre un principe purement artificiel qui va à l'encontre
des prémisses qui sont à la base du système suivant lequel ce
principe doit être introduit.
Aussi, sommes-nous d'avis que la neutrahté, conçue sous la
-ocr page 83-forme d'un principe juridique, est un concept erroné et que
l'insuccès inévitable de son application pratique a ete et restera
nuisible au prestige du droit international.
Il y a lieu de se demander cependant quelle a été la valeur de
la neutralité incidente, telle qu'elle est apparue assez fréquem-
ment dans l'histoire des derniers siècles, et quelle sera son im-
portance probable dans l'avenir.nbsp;^
Précisons d'abord la notion „neutralité incidente . Par neu-
tralité incidente nous entendons la situation de fait, creee par
la volonté d'un Etat qui vise la non-participation à une guerre
entre Etats tiers, en tant que cette situation est soumise a
certaines règles juridiques. Il s'agit donc de l'ensemble de regies
positives qui intéressent les rapports mutuels du belligérant
et du non-beUigérant en prévision de l'état de guerre. Ces regies,
nous l'avons déjà vu, étaient des produits de 1 opportunrte,
elles prenaient naissance par ordre d'urgence, pour ainsi dire.
Aussi ne constituent-elles pas un système, elles règlent a batons
rompus et les efforts à les systématiser ont échoué. Bien qu en
général l'apphcation pratique ait laissé beaucoup a desirer, on
peut tout de même indiquer des exemples où une, ou plusieurs
de ces règles ont été effectivement observées. En tant que cette
observation a contribué à adoucir actuellement la controverse
aiguë entre les intérêts des Etats beUigérants et ceux des Etats
non-belligérants, il serait injuste de vouloir lui dénier a pnon
toute importance. Cependant il faut remarquer aussitôt que la
définition concrète de cette valeur est bien difficile. On devrait
envisager la situation donnée en supposant, cetens panbus,
l'absence des règles appliquées. Etant donné que la situation des
Etats non-beUigérants était souvent déplorable, il semble a pre-
mière vue qu'U est toujours préférable d'avoir des règles impar-
faites que de n'avoir aucune règle et que déjà la moindre amelio-
ration de la situation justifie leur existence. Une argumen a lo
pareiUe ne déborde pas de force convaincante, mais il faut que
notre critique se mitigé, si nous nous rendons compte de la dit-
ficulté du problème. En fait, ce problème était, d après sa na-
ture, insoluble, étant de l'ordre de la quadrature du cercle. D un
côté, les axiomes de la souveraineté et du ^us belh gerendr a
l'intégrité desquels on ne pouvait ni ne voulait toucher, de 1 autre
côté l'état de plus en plus insupportable des non-beUigerants et
-ocr page 84-l'opposition croissante du sentiment de justice, qui tous les deux
étaient les conséquences pratiques de ces axiomes. Il s'en sui-
vait que les règles de la neutralité provenaient plutôt de la néces-
sité que de la logique.
À la condition qu'on tienne suffisamment compte de cette
dernière vérité, on ne pourra condamner l'insertion de règles
concernant l'attitude neutre dans un traité, ce qu'il faut bien
distinguer de la création d'un principe juridique de „neutralité.quot;
Si ces règles sont observées, tant mieux. Mais les parties con-
tractantes ne devront pas perdre de vue que la conclusion d'un
traité pareil contient un élément d'incertitude extraordinaire,
les circonstances lors de l'observation étant anormales et impos-
sibles à apprécier ; que souvent la non-observation paraîtra inévi-
table; que, souvent aussi, on ne pourra élever contre la non-
observation qu'une plainte purement formelle, donc faiblement
fondée; et qu'en temps de guerre un Etat sera beaucoup moins
disposé à faire des sacrifices au droit international aux dépens
de ses intérêts propres qu'en temps de paix.
On ne peut prétendre qu'on ait eu toujours clairement devant
les yeux le vrai caractère de la neutralité. La surestimation des
succès modestes des règles de la neutralité renforçait toujours
l'espérance vaine que l'élaboration de la neutralité en institution
générale de droit, —- en garantie pratique de la paix, n'était
qu'une question de temps et de bonne volonté. Un verre qui
tombe ne se casse pas toujours, mais celui qui en déduirait
qu' ,,en principequot; le verre n'est pas une matière fragile, éprouverait
de graves déceptions ! Qu'on se garde donc de voir dans les règles
de la neutralité autre chose, qu'un pansement provisoire avec
tous les défauts propres aux remèdes d'urgence.
Quant au problème de l'importance de la neutralité à l'avenir,
il est intimement Hé à celui de l'influence exercée par la tendance
d'après guerre que nous désignerons tout court par ,.renaissance
de l'idée de la solidaritéquot;. Nous traiterons de ce sujet dans la
partie suivante.
LA NEUTRALITE DEPUIS 1920
La période qui a suivi la grande guerre de 1914-1918 a produit
dans la vie internationale des tendances et des phénomènes qui,
loin de laisser intacte l'ancienne conception de la neutralité, ont
encore souligné et augmenté les graves objections qu'on peut lui
opposer.
En examinant la situation on découvre des influences qui
intéressent, non seulement l'apphcation des règles positives qui
constituent le soi-disant droit de neutrahté, mais aussi le droit
souverain de rester neutre. Ces influences dérivent d'abord^ du
principe de la sohdarité internationale qui, émané de la vie même
des peuples, se fait de plus en plus valoir dans les théories juridi-
ques, et dont la répercussion, jusqu'à un certain degré, a déjà
atteint le droit positif; ensuite de l'évolution contemporaine de la
guerre, qui ne manquera pas de rendre encore plus défavorables
les conditions dans lesquelles les règles du droit de la neutrahté
devront se réaliser.
CHAPITRE IV
l'influence du principe de la solidarité
a. La valeur du principe.
Dans la partie précédente nous avons recherché les forces
motrices qui, dans l'histoire des peuples, ont créé le besoin d'une
certaine sohdarité dans les relations internationales. Elles sont
constituées, d'une part, par l'interdépendance économique et
politique des Etats, d'autre part, par l'incapacité de la guerre à
résoudre les confUts internationaux conformément au sentiment
de justice ou d'équité, souvent même aux nécessités pratiques.
Après la guerre de 1914 les auteurs ne se sont pas lassés d'attirer
l'attention publique sur ces facteurs importants, par lesquels les
intérêts des nations s'entrelient de plus en plus. Nombreuses sont
les voix d'autorité indiscutable qui, dans les œuvres scientifiques,
aux conférences internationales, dans les journaux et dans les
périodiques, ont démontré que cette interdépendance est loin
d'être une chimère et que les dangers, provenant de sa mécon-
naissance, menacent directement le bien-être, et même l'existen-
ce, des peuples civihsés. Le règne de l'arbitraire, dirigé par l'in-
térêt propre des Etats individuels, doit aboutir à la longue à une
situation désavantageuse, sinon désastreuse, pour tous. Les
fameux principes du libéralisme individualiste du XIXième
siècle ne suffisent plus à guider les relations des peuples, car ce
n'est pas la Uberté, mais avant tout l'organisation qui manque à
la vie internationale. L'adage du „laisser fairequot; qui, autrefois,
jouissait d'une réputation de haute sagesse, se trouve de nos
jours aussi peu praticable sur le terrain de l'économie nationale
que dans le domaine des relations internationales. P.e. la théorie
du libre choc des forces qui, en garantissant le „survival of the
fittestquot;, constituerait un acheminement à l'assainissement naturel,
théorie qui par sa simplicité séduisante a exercé une influence
prépondérante surtout dans la vie économique, se prêtait peu à
diriger l'attention des hommes vers les principes de la sohdarité
et de la collaboration. Quoi qu'il en soit, le sentiment de justice a
réclamé en vain l'application de ces principes et pendant long-
temps les efforts réalisés pour les introduire dans le droit des gens
se sont heurtés à l'opiniâtreté de l'égoisme politique, malgré les
argumentations irréfutables du bon sens. Il fallut encore une
débâcle pour prouver qu'on faisait fausse route en poursuivant
la pratique traditionnelle. La réalité impitoyable de la guerre de
1914 démontre une fois de plus qu'une lutte de pareille étendue
est une catastrophe pour tous les Etats participants, que ceux-ci
en sortent vainqueurs ou vaincus. Même d'un point de vue
purement matérialiste, les avantages que les vainqueurs tirent
d'une soit-disant victoire, ne valent pas les graves sacrifices
qu'elle impose. En outre, ces avantages ont souvent un caractère
bien artificiel et, par conséquent, ne sont pas de longue durée, ce
que les événements historiques des deux décades qui ont suivi la
paix de 1919 viennent de prouver.
Aussi, les suites de la dernière guerre n'ont-elles pas manqué
de produire une vive réaction dans le monde entier. La vague de
réprobation qui s'empara de l'opinion publique, envahit tous les
pays civihsés en réclamant, au nom de la justice et de l'humamte,
la collaboration en droit et en fait des peuples et l'abolition de la
guerre. Ce mouvement a créé une atmosphère favorable a la
réahsation des projets qui, depuis longtemps, occupaient les
esprits pacifiques. Cependant, un mouvement pareil est, d'après
la nature des choses, en bonne partie idéahste, ce qui veut dire
que son enthousiasme optimiste est plus enchn à marcher droit
au but de l'idéal qu'à examiner à tête reposée la valeur réelle des
projets et la possibihté de les réahser dans l'ensemble des
relations existantes. Par conséquent, il peut arriver que l'élabo-
ration concrète d'une idée rencontre de tels obstacles pratiques
que pour le moment cette idée paraît irréalisable. Les conferences
du désarmement en fournissent un exemple évident.
D'autre part, il se peut aussi qu'on réussisse à réahser le but
proposé, mais que les résultats atteints exercent une influence
sur certains facteurs, souvent secondaires, dont on n'a pas, ou du
moins insuffisamment prévu les conséquences. Ä un certain degre
il en est ainsi du problème de la neutrahté. L'idée de la solidarité
internationale et de l'action commune contre le recours illicite
à la force doit affecter inévitablement la conception traditionneUe
de la neutrahté. Bien que dans des conférences internationales
ce problème ait été mis à l'ordre à plusieurs reprises, on n a pas
encore réussi à fixer clairement l'aspect juridique futur de la
neutrahté. Il faut remarquer aussitôt que cela peut s'exphquer
en bonne partie par le caractère expérimental propre aux efforts
faits pour l'organisation internationale.
Envisageons la question d'abord du point de vue théorique. La
neutrahté étant fonction de l'état de guerre, il est nécessaire de
rechercher les changements juridiques que celui-ci a subis, afin
de découvrir les modifications de celle-là. En tant que l'organi-
sation pohtique et juridique des nations se propose d'éhminer la
guerre de la vie internationale, la neutrahté comme telle est en
principe condamnée à disparaître. Cependant, l'abohtion de la
guerre n'est pas affaire d'un trait de plume. Elle exige, non
seulement la déclaration solennelle des Etats de s'abstenir du
recours à la force, mais, malheureusement, aussi une loi pénale
défendant un tel recours et menaçant toute violation d'une sanc-
tion sévère. Il va de soi que l'exercice effectif de cette sanction
pourra aboutir au maintien du droit à main armée. Par consé-
quent, le fait de la guerre pourra subsister, car, de même que la
défense de l'État victime qui s'oppose contre son agresseur, la
répression de celui-ci par les forces de la communauté interna-
tionale fera naître une situation qui, en fait, n'est autre chose que
la guerre. Pourtant la qualification juridique de ce phénomène a
bien changé. Le recours à la force par l'agresseur, jadis exer-
cice légitime d'un droit souverain, commence à constituer un acte
illicite, privé de toute justification juridique et mis sous peine de
sanctions internationales. Cette modification a plusieurs consé-
quences importantes.
D'abord le droit de faire la guerre cesse d'exister comme partie
intégrante, comme élément essentiel de la souveraineté. Tout au
plus il n'en reste qu'un droit de défense bien Hmité. Abstraction
faite de ce droit de défense légitime, un Etat ne peut recourir à la
force que selon les règles du droit des gens et cela jamais propria
autoritate, mais seulement par autorisation expressis verbis de
l'organe international compétent.
Quant au droit de rester neutre, déjà la qualité de membre de
la communauté internationale s'oppose fondamentalement à
toute conception juridique qui permettrait de considérer comme
res inter alios acta une guerre qui a éclaté au sein de la commu-
nauté. D'autre part, l'élaboration concrète du principe qui exige
le maintien du droit international par le moyen d'une collabora-
tion effective des Etats, doit imposer inévitablement certaines
obhgations qui, en cas d'un conflit armé, sont incompatibles avec
les principes qu'on met ordinairement à la base de la neutralité
traditionnelle. Lors même que les Etats sont libres à participer
aux sanctions internationales comme bon leur semble, de sorte
qu'un Etat, par exemple, peut se borner à apphquer certaines
sanctions économiques, cette attitude n'est pas encore compatible
avec la neutrahté. Car, du point de vue théorique, les relations
juridiques de l'Etat sanctionniste avec l'agresseur, d'une part, et
avec l'Etat lésé, d'autre part, ne sont certainement pas des rela-
tions basées sur „l'abstention rigoureuse d'immixtionquot; et sur
„la parité de traitement des parties en conflitquot;. Il y a une con-
tradiction fondamentale entre les principes de la neutralité tra-
ditionnelle et ceux d'une communauté internationale organisée.
Aussi, peut-on remarquer que les efforts entrepris pour concilier
la participation aux sanctions, en vertu de l'art. 16 du Pacte de
la S.d.N., avec l'attitude neutre, n'ont pas résolu la question
principale. Ils se bornent à élaborer un compromis en s'inspirant
de la thèse que la participation à certaines sanctions ne se heurte-
rait pas à la pratique des règles du droit positif concernant la
neutrahté. Le conflit n'en existe pas moins.
En somme le point de vue théorique n'admet pas le maintien
de la neutralité traditionnelle dans une véritable société inter-
nationale. À mesure que l'organisation de celle-ci se perfection-
nera, celle-là devra perdre de son importance et finira par dis-
paraître.
Dans la httérature moderne la conception que nous venons de
développer est assez généralement répandue. À vrai dire, elle ne
rencontre pas d'objections sérieuses; la majorité des auteurs qui
prétendent que la neutralité ne disparaîtra pas, ne conteste point
l'existence de la contradiction comme telle, mais se base sur la
conviction que la société internationale n'atteindra jamais un
degré de développement tel que la disparition de la neutrahté
serait inévitable. Cela n'empêche pas que la neutralité subira une
modification importante, ce que nous espérons examiner plus loin.
h. L'influence du principe sur la pratique.
La volonté de réaliser la sohdarité dans la vie internationale
s'est manifestée par des résolutions et des vœux acceptés lors
des différentes conférences internationales et par la conclusion de
plusieurs traités dans lesquels on peut clairement distinguer le
germe, plus ou moins développé, d'une organisation fondée sur la
collaboration des peuples.
Le Pacte de la S.d.N. commence par les mots suivants: „Les
„H.P.C., considérant que, pour développer la coopération entre
»les Nations etc.quot;.
Dans l'article 11 du même Pacte nous Usons : „que toute guerre
.,ou menace de guerre .... intéresse la Société toute entièrequot;.
La Sième Assemblée a exprimé dans sa déclaration du 24 sep-
tembre 1927: „l'Assemblée reconnaissant la solidarité qui unit
»la communauté internationale,----quot;.
À la Conférence de la Havane les républiques américames ont
considéré dans leur résolution du 18 février 1928 :
„Que las naciones americanas deberân siempre inspirarse en
la cooperaciôn solidaria para la justicia y el bien generalquot;.
quot; Ces quelques exemples, qu'on peut facilement multiplier, nous
apprennent que l'idée de la solidarité n'est pas une notion enfer-
mée dans les cabinets d'étude, mais qu'elle vit dans le monde,
nonobstant le fait que cette vie est délicate.
En effet l'organisation de la communauté internationale est
encore bien modeste et souffre de graves défauts. Les traités con-
cernant cette organisation ne visent pas le même but direct. Ils
ont été créés plus ou moins indépendamment les uns des autres,
ils manquent d'unité quant aux moyens dont ils se servent, quant
aux obligations qu'ils imposent et quant à leur sphère d'action
territoriale. Les conventions suivantes méritent d'être men-
tionnées:nbsp;j.-C-^ i.
A.nbsp;Le Pacte de la S.d.N. Il réunit un grand nombre d Etats
dispersés sur le monde entier. Malheureusement parmi les Etats
qui ne se sont pas joints à la Société ou qui s'en sont détournés
se trouvent plusieurs grandes Puissances. En outre, la S.d.N. est
entachée de défauts dangereux, en ses fondements aussi bien qu'en
sa structure, défauts qui l'ont menacée, dès sa naissance, d'une
faillite, à moins qu'on ne réussisse à en réaliser la révision.
B.nbsp;Le Pacte de Paris du 27 août 1928. Il atteint à peu près
l'universalité. Cependant, pour l'organisation internationale il est
plutôt un facteur moral qu'un élément constructif de droit
positif.nbsp;.
C.nbsp;Les Traités de Locarno, qui se distinguent par un espnt plus
pratique. Ils poursuivent un but concret et prévoient des moyens
bien définis. Leur sphère d'action se limite à l'Europe occidentale.
D.nbsp;Enfin les Etats du continent américain se sont solidarisés
dans la „Union of the Repubhcs of the American Continentquot;.
Dernièrement à la conférence pan-americaine de Buenos Ayres
de décembre 1936, les membres de l'Union ont renforcé les bases
déposées dans les traités qui devront assurer l'organisation du
développement pacifique des relations américaines, savoir les
traités de Santiago de Chile du 3 mai 1923, le Pacte de Pans, le
traité de Washington du 5 janvier 1929 et le traité de Rio de
Janeiro du 10 octobre 1933. En général on peut constater que,
d'une part, les liens sont assez faibles — ils n'imposent pas d'obh-
gations dont l'observation soit effectivement garantie par des
sanctions -, d'autre part, l'esprit de l'organisation révèle encore
trop l'influence de la politique traditionnelle tendant a 1 isolement.
Tels sont les principaux traités qui, sur une échelle plus étendue,
essayent d'introduire un commencement d'organisation dans la
communauté des peuples, en favorisant le développement paciti-
que des relations internationales par la condamnation morale ou
juridique de la guerre et qui, par conséquent, pourront affecter a
conception traditionnelle de la neutralité. Un coup d œil sur la
situation suffit pour apercevoir qu'il y a encore une grande diver-
gence entre l'organisation interétatique contemporaine et la
société internationale théorique qui fait l'objet de l'examen pré-
cédent. Pour cette raison, il faudra se demander si, dans les condi-
tions actuelles, la conclusion finale de cet examen - savoir I m-
compatibihté de la neutralité avec le principe de la sohdarite -
doit être acceptée sous certaines réserves. Quelque logique que
cette conclusion comme telle puisse paraître, il serait bien dérai-
sonnable de vouloir l'apphquer en fait dans la société existante
qui manque encore des éléments d'une véritable société mter-
nationale.
Parce que les traités mentionnés plus haut n'ont pas la meme
valeur, ni les mêmes effets, il faudra rechercher pour chacun
d'eux s'il tolère la neutralité, s'il la modifie ou bien s'il la rejette.
Ad A. Commençons par le Pacte de la S.d.N. Ä plusieurs
reprises l'opinion a été émise que l'esprit du Pacte s opposerait
au maintien de l'institution de la neutrahté dans la Ligue, par
exemple:
Dans la déclaration de Londres du 13 février 1920, il est dit que
„la notion de la neutrahté des membres de la S.d.N. n est pas
„compatible avec cet autre principe que tous les membres de la
„S.d.N. auront à agir en commun pour faire respecter les engage-
„mentsquot; i).nbsp;,,
Halvdan Koht 2) fait remarquer que la notion tradiüonnel e
de la neutrahté est devenue „absolument inconcevable dans le
cadre de la S.d.N.
William E. Rappard 3) : „When sanctions are considered ....
..then the logical contradiction becomes acute between the active
gt;) Haase, p. 44.
For. Aff. Vol. IS, p. 282.
N. C. Q. Vol. i, p. 54.
-ocr page 92-„solidarity implied in League-membership and the passive im-
„partiality heretofore imphed in traditional neutrahtyquot;.
Roger Mettetal i) : „En droit pur en effet, tout membre de
„la Ligue devra participer aux sanctions----dispositions juri-
„diquement inconcihables avec le statut de la neutrahtéquot;.
Nous ne faisons aucune objection contre ces avis, pourvu qu'on
les conçoive ainsi: le pacte de la S.d.N., en tant qu'il est l'expres-
sion du principe de la solidarité, s'oppose fondamentalement au
statut de la neutralité. Cependant, il ne faut pas perdre de vue
que la forme concrète de cette expression est encore primitive,
incomplète et défectueuse, si bien qu'elle n'exclut ni en droit, ni
en fait la neutrahté ou du moins une attitude similaire. Aussi,
l'analyse du Pacte et de la situation pohtique actuelle impose-t-
elle les constations ci-après :
a.nbsp;La S.d.N. n'est pas une organisation universelle. Par con-
séquent, les relations juridiques entre les Etats membres et les
Etats non-membres échappent en principe au régime du Pacte 2).
b.nbsp;Le Pacte n'aboht pas le droit de faire la guerre, il se propose
seulement d'en limiter l'usage en condamnant toute guerre
commencée contrairement à certains engagements insérés dans
le Pacte. L'Etat qui recourt à la guerre en négligeant ces enga-
gements est en rupture de Pacte; il commet un acte illicite et
s'expose à l'apphcation de sanctions collectives de la part de ses
co-membres. D'autre part, le Pacte reconnaît tacitement, comme
hcites, les guerres déclarées lorsque certaines conditions prescri-
tes sont préalablement remplies.
c.nbsp;Bien qu' „il appartien(ne) au Conseil d'émettre un avis sur
„le point de savoir s'il y a ou non rupture de Pactequot;, cet avis
n'est pas obligatoire pour les membres de la Société, en ce qui
concerne la désignation de l'Etat agresseur. En principe les
membres ont le droit de résoudre chacun pour soi le problème de
la culpabilité.
d.nbsp;Les devoirs de l'Etat membre qui a reconnu l'existence
d'une rupture de Pacte, sont hmités en ce qui concerne l'apph-
cation des sanctions collectives. D'après l'interprétation prédomi-
1)nbsp;Roger Mettetal, „La neutraUté et la Société des Nationsquot;, p. 79.
2)nbsp;Comp. Politis, „La neutralité et la Paix,quot; p. 121. Politis remarque que les États
non-membres ont un devoir moral de ne pas encombrer une action de la S. d. N.
En fait ce devoir pourra exercer une pression visible, mais en droit on ne pourra
jamais reprocher à un État non-membre l'observation d'une neutralité rigoureuse.
nante la participation aux sanctions militaires n'est pas obliga-
toire. Quant aux mesures économiques, chaque membre a un
devoir fondamental d'y prendre part. Néanmoins on peut remar-
quer une tendance nette qui s'oppose au caractère mconditionne
de ce devoir, ce qui, e.a., s'exprima dans une résolution de la
2ième Assemblée qui proposa d'investir le Conseil du droit de
permettre l'ajournement des mesures économiques pour une
période déterminée. Nous revenons encore à ce point.
Quant à l'espèce des mesures de pression économique, aussi
bien qu' à la date à laquelle elles s'appliqueront, le Conseil ne lait
que des recommandations, de sorte que, formellement, les Etats
sont libres de se décider sur ces points.
Conclusions:nbsp;gt; j i j
1. Concernant le droit souverain de resterneutre,c.-a-d. le droit
fondamental en vertu duquel l'Etat, ipso iure, se déclare neutre.
a. L'Etat non-membre de la S.d.N. a gardé, intégralement,
comme droit souverain, le droit d'adopter la quahté de neutre en
cas d'un conflit armé entre des Etats tiers, qu'ils soient membres
ou non de la S.d.N.nbsp;j j
h. L'EtatmembredelaS.d.N.nedisposepluslibrement dudroit
de rester neutre, car selon les cas le Pacte lui permet ou lui inter-
dit l'attitude neutre. Il est vrai que l'Etat lui-même décide, mais
il va de soi que théoriquement cette décision ne pourra mécon-
naîtra les principes du Pacte, ni les engagements d un membre
qualitate qua de la Société, si elle ne veut pas réduire le Pacte a
une non-valeur, ce qui serait une prémisse illogique.
Même en cas d'une guerre dont la S.d.N. ne s'occupe P^s. ^ est
discutable, en raison des dispositions de l'article 11, que l^tat
membre, en se proclamant neutre, agisse en vertu d un droit
souverain.nbsp;-kt , j -j. a^
Quoi qu'il en soit, pour l'Etat membre de la S.d.N. le droit de
rester neutre est tellement modifié et limité que, d'un point ae
vue théorique, il a perdu son caractère de droit souveram
2. Concernant les possibihtés juridiques de rester neutre sous
le régime du Pacte.nbsp;. . x x
Au dehors de la Ligue, le domaine de la neutrahte n a pas ete
affecté par le Pacte: comme jadis l'Etat non-membre de la S.d.r^.
a la liberté de se déclarer neutre, quand bon lui semble. ^
Mais aussi aux membres de la Ligue, le Pacte a reserve
Van Royea, NeutraUté
-ocr page 94-certain domaine, dans la pratique assez étendu, dans lequel
l'attitude neutre est restée licite. Nous nous abstiendrons ici de
rechercher les possibilités concrètes d'une telle attitude dans le
cadre du Pacte, cette recherche ayant été déjà entreprise par
plusieurs auteurs, dont les conclusions, sauf une seule — savoir
l'influence des sanctions collectives sur la neutralité —, ne révè-
lent pas de différences importantes. Il nous suffit de constater
que le Pacte n'a pas emporté la disparition intégrale de la neu-
tralité.
3. Concernant le caractère de la neutralité sous le régime du
Pacte.
À côté de l'influence restrictive que le Pacte exerce sur le
champ d'action de la neutralité, il importe de se demander si
l'attitude neutre, en tant que le Pacte la permet, a gardé son
caractère traditionnel. Cette question, qui est d'une importance
prépondérante, n'a pas toujours rencontré l'attention qu'elle
mérite; d'ailleurs les auteurs ne professent pas des opinions con-
cordantes à ce sujet, si bien qu'il semble justifié d'envisager ce
point de plus près.
Le problème est intimement lié à l'exception déjà mentionnée
plus haut. Il est intéressant surtout en rapport avec l'applica-
tion des sanctions collectives. Nous avons déjà signalé la contra-
diction fondamentale qui existe entre les principes de la neutra-
lité et ceux de la solidarité, contradiction qu'on ne pourra jamais
écarter par un compromis. Aussi, ceux qui prétendent que le
Pacte ne souffrirait pas de cette contradiction font-ils erreur.
L'analyse du Pacte démontre que les possibilités d'une soit-
disant neutralité se réduisent à deux hypothèses principales,
savoir :
I.nbsp;l'attitude en cas d'une guerre licite;
II.nbsp;l'attitude en cas de rupture de Pacte. CeUe-ci se subdi-
vise en:
a. participation aux sanctions.
h. non-participation aux sanctions.
Ad I. Attitude en cas d'une guerre licite.
S'il est question d'une guerre licite ,,les membres de la Société
„se réserventquot;, aux termes de l'art. 15, al. 7 du Pacte, „le droit
,,d'agir comme ils le jugeront nécessaire pour le maintien du droit
et de la iusticequot; et, par conséquent, ils sont complètement libres
f se dXer neut'rel Or, .1 n'y a aucune raisonnbsp;P^
que cette neutralité ait une portée et un carac ere aut^ ^
neutralité ordinaire. Donc, dans cette hypothese, le Pacte ^r
met la neutralité traditionnelle. Cela ne veutnbsp;^^
qu'on ait réussi à concilier dans le Pacte la solidarité e la neu
Llité. Au vrai, le Pacte écarte le problème, -- ^ ^
pas, car, dans le cas d'une guerre licite, la neutralité n entre ®
jeu qu'après l'expiration de la procédure prevue dans le système
du Ltl ce qui revient a dire qu'alors le Pacte abandonne
l'affaire k son développement naturel IJ. -
l'affaire est soustraite aux principes de la solidarité tds qu i s
sont incorporés dans le système du Pacte et qu en consequen-
en ce cas, la contradiction entre la solidarité e
disparaît en raison de l'absence du premier élement de 1 antithese.
En somme, la neutralité en cas d'une guerre licite:
r. ne diffère pas de la neutralité traditionnelle;
2°. ne peut pas servir d'argument à contester 1 ;-onci abd te
au sein du Pacte, des principes de la solidarité et de ceux de la
neutralité traditionnelle.
Ad II. Attitude en cas de rupture de Pacte.
L'Etat en rupture de Pacte est exposé à l'aPPl-^^
tions. Cet effet juridique de la rupture est tellemen importan
qu'il domine l'^amen des relations entre les Etats membres
de la Ligue et l'Etat en rupture de Pactenbsp;^.rnhres
Or, on a professé l'opinion que „les relations entre les men.b es
„de la S.d.N. et l'Etat en rupture de Pacte ne sont pas en prin
„cipe incompatibles avec la neutralitéquot;. Voir p.e.
qui Haase 4) se déclare d'accord à ce sujet. Le dernier
que la neutralité présuppose l'état de guerre i^negs^l
lequel se caractérise Wpar l'emploi de la force armee et 6/ par m
présence - du moins chez l'une des parties en conflit - de
y animus helium gerendi {Kriegswille). Le simple ac
va de soi qu'en cas d'une guerre licite lanbsp;fnbsp;Juridique
efforts de régler le conflit à l'amiable, mais ce devo r n a pas un
et ressemble plutôt aux „bons officesquot; traditionnelsnbsp;sanctions sont effec-
n va de L que l'examen théorique devra supposer que les san
tivement appliquées.
cité d'après Haase, p. 89.
quot;) Haase, p. 89.
ne crée pas encore l'état de guerre. Ainsi, l'acte unilatéral de
l'Etat fautif ne fait pas automatiquement surgir — selon l'inter-
prétation donnée par la 2ième Assemblée de l'article 16 al. 1 i)
— l'état de guerre pour les membres de la S.d.N. non directe-
ment impliqués dans le conflit. Donc, ceux-ci n'ont pas ipso
facto la qualité de belligérant et seraient, par conséquent, selon
Haase, dans la même position qu' avant la conclusion du Pacte,
c.-à-d. dans celle des neutres au sens ordinaire.
Cette conclusion nous semble contestable. Il est vrai que le
Pacte ne peut contraindre les membres à déclarer la guerre à
l'Etat coupable d'une rupture de Pacte, mais cela ne justifie pas la
conclusion que le Pacte reconnaîtrait en principe la neutralité.
Au contraire, en principe le Pacte ne reconnaît que la collabora-
tion des membres contre l'Etat fautif. L'attitude neutre est en
flagrante contradiction avec cette collaboration ; en se déclarant
neutre, l'Etat membre se dérobe à la réalisation du but principal
du Pacte dont il est signataire. En plusieurs matières le Pacte
permet — faute de mieux — à l'Etat membre de décider lui-
même, mais — nous le répétons — la qualité de signataire im-
pose à l'Etat le devoir de réaliser, autant que possible, dans cette
décision, l'esprit et les principes du Pacte. En principe l'attitude
d'un membre de la S.d.N. vis-à-vis de l'Etat en rupture de Pacte
doit être celui d'un membre comme tel et non pas d'un neutre,
p.a.d. d'un étranger.
Théoriquement la non-participation à l'action commune, soit
militaire, soit économique, devrait être une exception. Et même
dans cette hypothèse, l'attitude exceptionnelle n'est point, com-
me nous espérons le démontrer, identique à l'état de neutrahté
traditionnelle.
Ad lia. La neutralité et la participation aux sanctions.
La participation aux sanctions s'accorde-t-elle avec la neu-
tralité ? À fin de répondre à cette question il faudra examiner
si cette participation se heurte aux règles de l'abstention, de la
réciprocité et de la parité qui sont à la base de la neutrahté.
Le devoir d'abstention concerne la défense de renforcer l'une
des parties belligérantes au détriment de l'autre, notamment
par le renforcement direct de sa force combattive. De ce chef
1) 2ième Assemblée, Resolution 3, Actes, p. 438 e.s.
-ocr page 97-la participation aux opérations militaires -Ue^^^^^^
l'Etat fautif est sans aucun doute inconciliable av la n utralite.
La participation aux sanctions économiques fait elle aussi
surgir des difficultés. D'abord, il faut se rendre co^^^
valL prépondérante de l'arme économique dans la gue r^ m^^^
derne. Ls sanctions économiques frappent a la ba e a fo^
résistance d'un Etat. Or, le but principal denbsp;^
étant justement d'atteindre cet effet, l'Etat qm
être cLscient de collaborer à l'a«-blissement mih aire ^^^^^^
en rupture de Pacte. Pourtant, selon la -feption trad to^
cette attitude ne serait pas incompatjle avec P™^
l'abstention. Cela semble peu logique. En ^^et es -ce que^
conception sera acceptable du point de vue d^^tat expose
aux sanctions? Il serait déraisonnable de dire que le Porni^
de l'Etat exposé aux sanctions n'entre pas en jeu ca^'^^^
principes de k neutralité classique, les neutres et les
sont deux parties juridiquement équivalentes. Ceci est le fonde
ment de i réaprocUé. Aussi, ennbsp;^ ^ P^
l'Etat en rupture de Pacte pourrait-il déclarer a bon droit que
la participation à une certaine sanction, P-^quot;
pétrole, fait obstacle aux rapports de neutrahte
pliquant cette sanction. Il va de soi que dans le système du Pacte
cetl situation est absurde. Devant la loi -cietaire 1 E at^^^^^^^^
est le condamné, tandis que l'Etat -^^-tionniste ep esente
le juge et l'exécuteur du jugement; le rapport
ces deux est loin d'être un libre compromis a base d yahte.
Le principe de la parité i.ii naître une difficulté de -eme ^
Selon ce pLcipe les parties belligérantes ^^ur diquejn
équivalentes deLt l'Etat neutre et celui-ci a le
à ce que ses relations avec celles-là en donnen a P euj. ^
peut pas arbitrairement interdire à l'une ce qu i
tre; dans le système traditionnel de la neutrahte le t ans^jo^
tumierdepétL.p.e., nepourrait être refuséa un
enfaveur del'autreEtat en conflit, sans -oq-r ^es ^
iustifiées.Cependant,vuesousl'anglede a^^^
conception est également macceptable. ^nbsp;,,• nts ne
S.d.N quiparticipeauxsanctionséconomiques lesbeU^^^^^^^
sont pL des égaux: l'une des parties a viole la
l'autre la maintient. Par conséquent, le maintien du droit, c.
-ocr page 98-d. le succès des sanctions, non pas l'observation scrupuleuse de
la parité, doit servir de directive pour la conduite de l'Etat sanc-
tionniste.
Pour résumer, il paraît que le caractère des rapports juridiques
créés par la participation aux sanctions économiques, accuse
des différences fondamentales avec celui de la neutralité. À vrai
dire, cette participation crée une situation juridique intermé-
diaire entre l'état de belligérance et l'état de neutralité. Si l'on
voulait identifier ladite situation à la neutralité, on ferait violence
à la réalité, ce qui paraîtrait donner lieu à de sérieux conflits.
Dans la pratique les différends se termineraient par la force,
donc souvent au détriment des petites nations fidèles à leurs obli-
gations sociétaires. Afin de porter remède à ce mal, la deuxième
Assemblée a accepté la résolution bien connue qui permet „d'ajour-
„ner pour certains Etats, en tout ou en partie, la mise en action
„effective des sanctions économiquesquot;, dans le but „de déduire
„au minimum les pertes et les inconvénients qui peuvent résulter
„de la mise en œuvre des sanctionsquot;. Au fond, ce geste de bien-
veillance signifie une concession forcée et par là hésitante, à la
neutralité. Elle est forcée parce qu'elle affaiblit directement la
force efficace de l'action solidaire, ce qu' on n'aurait jamais
permis si la nécessité avait été moins dure. En effet, les comph-
cations pourraient mettre en danger l'existence même de la
Société entière. On a cependant hésité à faire une concession aussi
importante: la résolution prévoit seulement la possibilité d'un
,,ajournementquot; et non pas d'une dispense, bien que, la durée
de cet ajournement n'étant que vaguement définie, celui-ci puisse
avoir pratiquement la valeur d'une dispense.
Est-ce que la non-participation aux sanctions économiques
en vertu d'un ajournement revient, pour l'Etat en question, à
l'attitude de neutralité ordinaire? L'application d'une sanction
n'est pas la somme d'actes indépendants des Etats participants,
mais plutôt une action commune. Ce caractère d'activité collec-
tive implique non seulement l'accomplissement par chaque mem-
bre de la Société de son devoir direct, mais aussi la coUaboration
indirecte de tous au succès du tout. En principe l'ajournement est
une exception, un correctif. L'Etat l'ayant obtenu ne pourra
jamais y trouver le droit de considérer l'appUcation effective
des sanctions par ses co-membres comme étant une affaire qui
ne le regarde pas. Donc, si pour un Etat déterminé la collaboration
directe est suspendue, la collaboration indirecte ne l'est pas,
c.-à-d. l'Etat en question a le devoir de faciliter, ou du moins
de ne pas énerver l'action commune. Ici les mêmes difficultés
que nous avons signalées plus haut, se présentent en rapport
avec la neutrahté. Il faut cependant admettre que l'ajourne-
ment des sanctions crée une situation qui s'approche plus de la
neutralité que leur apphcation. Pratiquement le danger de
conflits sérieux diminue considérablement.
Ad Ilb. La neutralité et la non-participation aux sanctions.
Quelle est, enfin, la situation juridique de l'Etat membre de la
S.d.N. qui ne participe pas aux sanctions, en vertu de son opinion
que le Pacte n'a pas été violé? Le Pacte n'indique pas d'organe
central revêtu du pouvoir judiciaire de juger in concreto s'il y a,
ou non, rupture du Pacte. Bien que le Conseil émette un avis
en cas de rupture, la décision est réservée aux membres indivi-
dueUement. Cette décision a la valeur d'un jugement suprême
et, par conséquent, une participation aux sanctions qui ne serait
pas fondée sur la conviction de culpabihté, serait non seulement
une contradiction flagrante, mais aussi une injustice. Dans cette
hypothèse le Pacte ne s'oppose pas à la neutralité; et même nous
sommes convaincu que, dans les conditions actuelles, la meilleure
attitude en ce cas serait celle d'une neutralité rigoureuse.
Ad B. Le Pacte de Paris (dit pacte Briand-Kellogg) proclame
la renonciation à la guerre en tant qu'instrument de politique
nationale et la reconnaissance que les conflits internationaux
devront être résolus par des moyens pacifiques. La défense legi-
time est réservée, ainsi que la guerre d'exécution autorisée. Du
reste, même les guerres licites d'après le Pacte de la S.d.N., sont
iUicites d'après le Pacte de Paris. Cependant, celui-ci n'impose
pas d'obligations en vue d'une action commune, il ne prescrit
rien du tout en cas de rupture. Quant à la neutrahté, il laisse
aux Etats la liberté qu'ils possédaient déjà, ce qui d'ailleurs est
généralement reconnu.nbsp;.
Ad C. Les traités de Locarno visent un but bien plus limite.
Les signataires se garantissent mutuellement l'assistance armee
dans certaines conditions définies.
Evidemment l'attitude neutre n'est pas compatible avec 1 ac-
-ocr page 100-complissement du devoir qui oblige à prêter l'assistance armée.
Comme dans les alliances classiques, les parties ont — à certaines
conditions — abandonné le droit de rester neutre. Inutile de dire
que cette restriction ne modifie pas le caractère de la neutralité
comme telle.
Ad D. Les traités pan-américains, bien qu'ils traduisent claire-
ment l'esprit de solidarité qui anime les Etats américains, n'ont
pas encore organisé et réalisé cet esprit à un tel degré qu'il en
résulte des conséquences directes quant à la limitation de la
neutralité. Néanmoins l'histoire contemporaine de la neutrahté
en Amérique, notamment aux Etats-Unis, est bien instructive.
Nous reviendrons sur ce sujet.
En dressant le bilan de l'examen précédent concernant l'in-
fluence exercée sur la neutralité par le principe de la solidarité,
en tant que ce principe s'est concrétisé dans les traités internatio-
naux, nous constatons :
a.nbsp;Qu'il existe encore un vaste domaine dans lequel la neutra-
lité subsiste sur les bases et sous les formes traditionnelles;
b.nbsp;Que dans un domaine défini, notamment celui de la S.d.N.,
la neutralité a subi certaines modifications importantes, savoir:
1.nbsp;Pour les membres de la S.d.N., la neutralité a perdu une
bonne partie de sa qualité de droit souverain;
2.nbsp;Le fonctionnement régulier du Pacte peut produire une
situation juridique:
—nbsp;qui permet la neutralité,
—nbsp;qui exclut la neutralité,
—nbsp;qui, quoique n'étant pas identique à la neutralité, lui res-
semble. Cette dernière forme est souvent désignée par „neutra-
lité qualifiéequot;.
La matière mentionnée sous b, manque encore d'une régle-
mentation efficace. Elle souffre de contradictions intrinsèques,
elle fait surgir plusieurs questions importantes auxquelles le
droit positif ne saurait donner une réponse satisfaisante; eUe
place la science devant des problèmes extrêmement compliqués
et difficiles.
Il en résulte une confusion et une incertitude qui jettent la
confusion aussi dans la pratique et qui menacent perpétuellement
l'existence fragile de l'organisation internationale.
CHAPITRE V
l'influence de l'évolution moderne de la guerre
Le droit de neutralité se propose de concilier, au moyen d'un
compromis, les intérêts de l'Etat belligérant avec ceux de l'Etat
non-belligérant. Dans la première partie de cette étude la valeur
d'un pareil compromis et le caractère de ses deux éléments com-
posants ont été examinés.
Nous devons rappeler au lecteur la tendance de progressivité
qui caractérise l'emploi de la force. Cette tendance stimule encore
l'attitude, déjà réservée, du belligérant, toutes les fois qu'il
s'agit de faire une concession, ce qui se réflète dans le compromis
de la neutralité. Jamais belligérant n'a fait librement la momdre
concession, aux dépens de ce qu'il considérait comme étant de
ses intérêts de guerre.
Le but direct de la guerre étant de briser la résistance de 1 ad-
versaire, l'Etat belligérant tient avant tout au libre usage de
tous les moyens dont il dispose pour la poursuite efficace de ce
but. Quant à l'Etat neutre, l'histoire prouve que, abstraction
faite du maintien de l'inviolabihté de son territoire, ses princi-
paux soucis se trouvent sur le terrain économique. Pour les Etats
non-belligérants la neutrahté a servi, en bonne partie, de mesure
prophylactique qui devrait immuniser contre les maux de la
guerre leur commerce international, notamment leur commerce
d'outre-mer. Cette tendance a été renforcée par le développe-
ment de l'industrie sous le régime du libérahsme matérialiste.
À ce sujet Bonn fait remarquer fort justement:
„To the Manchester School war was the arch enemy of the
..industrial system. It should be hmited to professionals and
..must not encroach upon business. The sea should be as free m
„time of war as in time of peacequot; i).
M. j. Bonn, „How sanctions failedquot;, p. 350 e.s.
-ocr page 102-Pendant longtemps la guerre a été une affaire militaire, en ce
sens que la plupart des moyens de combattre étaient purement
militaires. Les règles de la neutralité, dont les plus nombreuses
ont pris naissance à l'époque de la guerre ,,militairequot;, en té-
moignent :
Il est défendu au neutre de renforcer le belligérant au moyen
de troupes, d'armes ou d'argent (pas d'argent, pas de suisses!).
Plus tard, l'enrôlement de troupes et l'équipement de vaisseaux
de guerre sur territoire neutre en faveur d'un belligérant sont
interdits. La contrebande ne comprend à l'origine que le matériel
de guerre.
La guerre étant un problème principalement militaire, le belli-
gérant n'éprouvait pas encore le besoin d'exiger l'extension de la
neutralité sur le terrain économique. À cette époque on ne ren-
contrait pas la réglementation de ce qu'on pourrait appeler:
la neutralité économique.
À mesure que le caractère de la guerre devient de plus en plus
violent et que les proportions de la lutte s'augmentent qualita-
tivement et quantitativement, le potentiel économique, qui nour-
rit la force militaire d'un peuple, commence à jouer un rôle de
plus en plus important. Par conséquent, l'intérêt du belligérant
à affaiblir la position économique de son adversaire, devient
manifeste. Surtout, si l'adversaire n'est pas „self supportingquot; et
s'il dépend de l'étranger, on pourra le menacer sérieusement,
en lui coupant ses ressources extérieures. On ne manque pas de
s'en apercevoir et la destruction du commerce international de
l'ennemi commence. En premier lieu le commerce d'outre-mer,
plus vulnérable, en porte la peine, non seulement au détriment
de l'Etat ennemi, mais aussi des Etats neutres. Parce que ni la
lettre, ni l'esprit du droit de neutralité ne peuvent justifier une
pareille action des belligérants, ceux-ci se procurent un semblant
de droit en abusant des règles existantes, notamment par le
recours au blocus fictif et par l'extension illimitée de la liste
de contrebande, qui n'avait jamais été fixée définitivement. Ils
invoquent la nécessité de guerre.
Au cours de l'histoire on poursuit d'un rythme progressif
le chemin dans lequel on s'est engagé. À chaque conflit armé
la situation s'aggrave.
Au début du XIXième siècle Napoléon I a fermé les ports
-ocr page 103-d'un continent entier au commerce avec la Grande-Bretagne;
de leur côté les Anglais ont pratiquement annihilé le commerce
maritime de ce continent avec le reste du monde.
Dans la grande guerre de 1914 on est allé plus lom encore.
Afin d'effectuer l'isolement absolu de l'adversaire, on a meme
procédé au contrôle des importations d'outre-mer de certams
pays neutres contigus au territoire ennemi, dans le but d em-
pêcher le transit. Les conséquences funestes de la guerre sous-
marine effrénée - réponse de l'Allemagne aux efforts des Etats
aUiés de l'isoler - sont assez connues. Pendant cette lutte mon-
diale il paraît clairement que, lorsque la guerre atteint une violen-
ce pareille, tout dans les relations économiques des neutres avec
les beUigérants devient important pour les parties en confht et
qu'alors celles-ci s'occupent beaucoup plus des affaires des neu-
tres qu'autrefois. L'exemple des objections faites par la Grande-
Bretagne au transit de sable et de gravier provenant de 1 Alle-
magne et destinés à la Belgique occupée, à travers le territoire
néerlandais, est assez instructif.nbsp;.
Quel tableau la guerre prochaine nous fera-t-elle joir. La
guerre future aura un caractère absolu {„absoluter Krieg ), c.-a-d.
qu'eUe fera appel à toutes les forces dont un peuple dispose
La nation entière participera à la lutte [„Volk in Waffen n
ne s'agit donc pas seulement des forces combattantes, ^ar^-.i^er
„Krieg der Zukunft wird ein voUständiger sein, in dem die Berul-
„soldaten und die activen Truppen nur einen Bruchtei des aut-
..gebotenen wehrhaften Volkes ausmachen werdenquot; O-
Toutes les forces économiques seront mobiHsées {„totale Mobil-
machungquot;) dans un système minutieusement prépare en temps
de paix, afin de porter au maximum le potentiel de guerre. Les
préparations ont fait naître une science nouveUe {„Wehrwirt-
schaftquot;) qui embrasse le domaine entier de l'économie nationale.
„Ich sehe in der Wehrwirtschaft ein Wollen und Streben das
..darauf hinzielt, im Kriege auf dem Gebiet der Wirtschaft und
..mit den Mitteln der Wirtschaft die Ueberlegenheit ^^er den
..Feind zu gewinnen. So wie die Strategie die mihtànsche Kraft
..zum Einsatz bringt, lenkt die Wehrwirtschaft die wirtschalt-
..lichen Kräfte____quot;2)
') Weniger, „Gedankenquot;, p. 237.nbsp;„ 547
Bentlev,„Wesen, Aufgaben und Begriffe der Wehrwntschaft , p.
-ocr page 104-La guerre prochaine sera marquée au coin du facteur écono-
mique: „Es ist sogar nicht zuviel gesagt, wenn man behauptet,
„dasz die Wehrmachtsführung im voUständigen Krieg in groszem
„Umfang ihre Entschlüsse nach wehrwirtschaftlichen Gesichts-
„punkten wird ausrichten müssenquot; i).
Qu'on se garde de considérer tout cela comme des théories
exagérées. L'histoire de la grande guerre et les événements qui
se passent autour de nous prouvent qu'un jour ces théories se
réaliseront avec une dureté inexorable. Partout on discerne la
crainte du danger mortel qui pourra émaner de la faiblesse écono-
mique. Partout on s'efforce de se mettre à l'abri de ce danger,
en s'assurant autant que possible l'indépendance économique.
Afin de pourvoir au besoin de matières premières que le sol
national ne peut produire, on amasse d'énormes stocks importés,
on mobilise la science à la recherche des succédanés, on supporte
les sacrifices financiers exigés par l'apphcation des procédés de
fabrication de produits de remplacement. Le caractère de cette
étude ne permet pas un examen approfondi de ce sujet, mais
il n'y a aucun doute que le facteur économique constitue un
point primordial — et pour plusieurs Etats inquiétant — des
préparations militaires.
„Der Krieg ist die grosze Prüfung der Völker auf ihren Wert.
„Der vollständige Krieg prüft alle Werte. Unter sie fällt auch
„die wirtschaftliche Leistungsfähigkeitquot; 2).
L'importance du facteur économique en temps de guerre sera
telle que les beUigérants déclancheront une action véhémente
et incessante, destinée à détruire la résistance économique de
l'adversaire. Les moyens dont Us disposent en vue de la réahsa-
tion de ce but, ont été considérablement renforcés par l'évolution
rapide de l'arme aérienne qui permet de menacer le territoire
ennemi sinon tout entier, du moins en grande partie.
Il est manifeste que les conséquences de cette évolution ag-
gravent encore la condition, déjà hautement défavorable, de la
neutrahté.
L'Etat neutre n'étant pas obhgé, par les règles de neutrahté
en vigueur, d'observer une soi-disant neutrahté économique, peut
contrarier l'intérêt d'un beUigérant par le seul maintien de rela-
gt;) Beutler, ibidem, p. 254.
2) Beutler, ibidem, p. 255.
-ocr page 105-tions économiques normales avec l'ennemi, sans P^^kr fe Jeffet
d'un accroissement des exportations du neutre au P^^el ad-
versaire. Même si le neutre réussissait à réahser 1 ^P^^^^mto
économique la plus stricte - supposition d ailleurs bien theo^
rique-, cette attitude pourrait encore contrarier les plans dn
beUigérant qui s'est proposé d'isoler complètement son adve quot;
saire II en résulte que, malgré lui, l'Etat neutre sera de plu
en plus impliqué dans les complications nombreuses qui résultent
de la guerre moderne.nbsp;.
Oppenheim a bien reconnu cette conséquence en faisant remar-
quer: ... .in a protracted modem war the position of neutrab
„becomes hardly more tolerable than that of belligerents wh le
„the great efforts which the belligerents wiU ^^ke to obtain it,
„may make the policy of neutraUty more difficult to fo^w .
En effet, la guerre moderne augmente encore les di«ieultes
Non seulement le droit de neutralité apparaît plus i^^let
qu'auparavant, mais encore les règles existantes sont moins
réalisables qu'eUes ne l'étaient jusqu'alors.
') Oppeaheim, „International Lawquot;, Vol. II, P- 507.
-ocr page 106-CHAPITRE VI
LA NEUTRALITÉ ET LA PRATIQUE CONTEMPORAINE DES RELATIONS
INTERNATIONALES
D'après l'analyse théorique, l'élaboration progressive du prin-
cipe de la sohdarité internationale devrait évincer peu à peu
l'institution de la neutralité. En effet, le système du Pacte de la
S.d.N. tend à restreindre le domaine de la neutrahté. Cependant,
il lui laisse encore assez de liberté. En outre, il en crée un aspect
nouveau, savoir la neutrahté „quahfiéequot;, qui, faute de réglemen-
tation, constitue une carence juridique. Il en résulte que, déjà
d'un point de vue purement théorique, le problème de la neutra-
hté est devenu encore plus comphqué et plus contradictoire qu'il
ne l'était avant la naissance de la S.d.N. Dans la pratique les
difficultés se multiphent sous l'influence de certains facteurs qui
méritent d'être examinés de plus près.
D'abord, l'organisation de la solidarité internationale sous la
forme actuelle de la S.d.N. — nous nous restreignons à la Ligue,
parce qu'elle est pour l'instant la seule institution qui puisse
exercer une influence effective sur la neutrahté — souffre de
fautes de structure, d'ailleurs bien connues, qui à tout moment,
peuvent mettre en danger la vie de cette organisation. A plusieurs
reprises, la S.d.N. a dû sauver son existence par la résignation à
un échec de son activité et chaque fois qu'elle a été mise à l'épreu-
ve, ses adhérents en ont attendu l'issue le cœur serré. Abstraction
faite de la grande liberté que la Ligue réserve aux membres in-
dividuels, les fondements du Pacte ne sont pas assez solides pour
en assurer le fonctionnement réguher. Surtout aux moments
critiques on ne peut jamais savoir ce qui arrivera. Cette incer-
titude conduit à la confusion et à la méfiance, elle favorise le
maintien de la neutrahté. En effet, si l'édifice de la Ligue s'écrou-
lait, on retournerait, faute de mieux, à l'ancien régime. Le danger
est généralement reconnu; partout les voix s'élèvent réclamant
une révision du Pacte et la réforme de la S.d.N
À côté de l'imperfection technique du Pacte. Y
beaucoupplusimportant:ilexistedesforcesconservatrices q^
sent le maintien de la neutralité. Kunz en énumere une do-ame ^
En réalité, toutes ces forces, du moins la grande
elles, ont un fond politique. Ici nous touchons au Prohlem Jon
damental de l'organisation internationale. Cette organisation
exige des Etats certains sacrifices, notamment la hmita ion de
l'intérêt propre et des moyens de poursuivre cet -teret au profit
du bien-être commun. En principe les Etats se montrent
enehns à faire ces sacrifices, car ils ont toujours vécu sous 1 im-
pitoyable régime de la lutte pour l'existence
térêt propre maxime de la pohtique extérieure. En oi^^t
est le défLseur naturel de son propre sort et par la il Im répugne
d'en confier, ne fût-ce qu'une partie minuscule, a
il se méfie, car eux aussi ne voient que leurs »t^^s pr^
Dans la politique internationale l'attitude neutre a toujours ]oue
un rôle important. La diplomatie des grandes
servie pour se garantir des avantages politiques et, pour tous le
Etats, la neutralité a été la forme conservatrice qui devait pro-
téger l'intérêt propre contre les atteintes belhgeran Le
petits Etats, qui n'avaient rien à attendre de la g- ^ ^
cramponnés à la neutralité, qui pour eux était la seule pohtique
salutL. Qu'on se garde cependant de regarder ce ecoms
souvent forcé, à la politique pacifique comme une «nonciaü^
l'égoisme national en faveur de la justice et de ^ P^i^- ^
appel aux règles „sacro-saintesquot; de la -utrahte, dans le ^
mettre à l'abri de la guerre, l'Etat neutre ne voit generaletnen
aucune objection à laisser ses ressortissants profiter autant c^u
possible de cette guerre même, souvent en abusant des besoms
économiques des belligérants.nbsp;.n-am-^ation
En bref, l'abandon de la neutrahté en faveur de 1
internationale, est une concession que les Etats ne eron^^
hésitant, car ils sacrifieront une arme, une g
même une tradition politique.nbsp;cimole
La renonciation à la neutrahté est donc plus q- « ^
abando^un système juridique défectueux, c est une des
Kunz, „Kriegsrechi und Neutmlitätsrechf, p. 311 e.s.
-ocr page 108-sous lesquelles se manifeste la lutte pour l'organisation de l'ordre
international contre la dictature de l'intérêt national. L'histoire
contemporaine des Etats-Unis fournit une preuve remarquable
de cette lutte. Son examen mérite une attention particuhère. On
y distingue nettement l'influence des deux courants opposés
qui sont la cause d'un dilemme, générateur d'une politique
ambiguë.
L'organisation internationale doit être sympathique au peuple
américain qui, favorisé par sa position géographique et économi-
que, poursuit une pohtique pacifique. D'autre part, ce besom
même de développement tranquiUe de leurs relations inter-
nationales a été la cause que les Etats-Unis ont évité autant que
possible d'être imphqués dans les confhts qui ne les regardent pas
directement. Les Américains observent une réserve nette, toutes
les fois que les événements pohtiques pourraient her leur sort à
celui d'Etats autres que ceux du continent américain. Pourtant,
c'est justement cette haison que l'organisation internationale
demande.
Bien que les Etats-Unis aient collaboré à la constitution de la
S.d.N., ils ont refusé de faire partie de celle-ci, afin de conserver
une complète liberté d'action. „The foreign policy of the U.S.
during the last fifteen years may be characterised as based upon
quot;the principle of retaining liberty of action with entire freedom
quot;,to form independent judgment upon facts and situations as they
quot;,arisequot; 1). Ils considèrent la Ligue avec bienveiUance, mais ils se
gardent de souscrire aux obligations générales qu'elle impose à
ses membres.
Il va sans dire que cette pohtique, encore stimulée par 1 in-
fluence considérable de la doctrine Monroe, a toujours été favo-
rable à l'attitude neutre. Aussi, les Etats-Unis ne se sont-ils pas
lassés de déclarer combien ils tiennent à cette institution salutaire.
„The policy of neutrality is firmly inbedded in American thought
quot;and practice. The American people are inclined to regard it as
quot;,a traditional American doctrine in the same category as the
„Monroe doctrinequot; 2).
La neutralité a rencontré en Amérique un grand nombre de
1)nbsp;Jessup, „The U.S. and the stabilization of peacequot;, p. 105.
2)nbsp;Jessup, ibidem, p. 131.
-ocr page 109-la neutralité et la pratique
John Bassett Moore, G. M. Borchard,nbsp;à la
premier surtout, juriste ^minent s oppose obs«
conception selon laquelle ^^^nbsp;, ^/^es
raître et, pour ce qui est de 1 etat actuelnbsp;neutralité
lecteurs en garde contre l'idée de considérer le droit û
comme „a thing of the pastquot; i).nbsp;personnalités
Les adversaires, comptant dans leursnbsp;B.
non moins éminentes: Fenwick,nbsp;future
Whitton, e.a., se promettent beaucoup
de l'organisation internationale que
me. Ces auteurs exigent, sinon
pohtique en faveur d'une coopérationnbsp;^ ^e cette
de l'ordre international, tout au moins lanbsp;^^
attitude et l'application des règles ^e -ut^^^^
favorable au fonctionnement efficace de 1 orgamsati
actuellement la S.d.N.nbsp;, privées
Ces dernières tendances ne sont, ^'/f
de sens pratique. D'abord la guerre de 19 4 ^ Pr^
que les Etats-Unis ne peuvent se
certaine mesure des grands évènenaents qu^^^^^^^nbsp;,nbsp;^^
Il est à remarquer que c'est l^^tement leur at
conception classique de la neutralité,nbsp;raison
merce, qui a engagé les Etats-Unis dans
James Brown Scott pouvait dire. „The J-resinbsp;^^^^
..that insistence upon so-called neutralnbsp;.quot;lak^r^^^^^^^^
„other peoples' wars, results in other peoples wars
„our warsquot; 2).nbsp;, ^^mip^î oar la S.d.N.
risque d'échouer, si les E.-Ü. persistent dans leur
ditionnelle.nbsp;,nbsp;v,,scitants dans
Pour ces raisons les E.-U. ont fait quelque^ h^
la direction d'une attitude plus '^^'^'''^^^^..énér.Ues, ni
mement qu'ils ne perdent de vue m les traditions
les intérêts vitaux du pays.nbsp;. proposa que
La ..Mac Reynolds Joint Resolution mars V J P ^^ ^^^
le Président des E.-U. „whenever he fmds that any p
Bassett Moore, „An appeal to 'f'f'-J.Jj^fb. p. 200.
Comp. : Charles Warren, „Safeguards to neutrahty , Pnbsp;^
Van Royen, Neutralité
-ocr page 110-„world conditions exist such that the shipments of arms and
„munitions of war .... may promote or encourage the employ-
„ment of force in the course of a conflict between nations, and
„after securing the cooperation of such governments as the Pre-
„sident seems necessary, he makes proclamation thereof, it shall
„be unlawful to export or sell for export .... any arms or muni-
„tions of war from any place in the U.S. to such country or
„countries as he may estimatequot;. II est à noter que la formule,
prudemment rédigée,laisse encore aux E.-U. la pleine liberté d'agir.
Le 24 mai 1933, dans un discours prononcé devant la conférence
générale du désarmement à Genève, M. Norman Davis exprime
la volonté de coopération des E.-U. en disant gt;) : „In the event
„that a decision is taken by a conference of the Powers in consul-
„tation in determining the agressor with which, on the basis of
„independent judgment, the government of the U.S.
„agrees, the government of the U.S. will undertake to refrain
„from any action and to withhold protection from its citizens if
„engaged in activities which would tend to defect the
„collective effort which the states in consultation
„might have decided upon against the agressorquot; 2).
Néanmoins le Sénat n'en voulut pas; le traitement égal des
parties en conflit l'a emporté.
Toutefois, lorsque, au cours du conflit paraguayo-bolivien, le
Paraguay fut déclaré en rupture de Pacte (16 janvier 1935) par
le Conseil de la S.d.N., le Président des Etats-Unis supprima, en
faveur de la Bolivie, l'embargo sur les armes qui, jusque là, avait
été en vigueur pour les deux parties belligérantes.
À la veille des hostilités italo-éthiopiennes fut votée la „Joint
Resolutionquot; du 24 août 1935 qui, par la signature présidentielle,
devint le „Neutrality Actquot; du 31 août. À l'occasion de la signature,
le président Roosevelt souhgna le caractère pacifique de la
politique des Etats-Unis, qui devaient s'abstenir de tout engage-
ment capable de les entraîner dans un conflit. La loi en question
en est l'expression nette. Elle cherche à acquérir la paix au prix
du sacrifice partiel du libre commerce en temps de guerre. Selon
la première section de la loi seront interdites les exportations
directes ou indirectes de certains articles — en premier lieu les
1)nbsp;Espacement de l'auteur.
2)nbsp;Jessup, ibidem, p. 128.
-ocr page 111-armes et les munitions de guerre — vers les Etats qu'une pro-
clamation présidentielle aura désignés comme Etats belligérants.
En principe les belligérants sont traités sans différence; la loi
ne s'occupe ni de l'agresseur, ni des sanctions collectives; elle vise
la neutralité rigoureuse.
La durée de la loi fut fixée prudemment à six mois. Lorsque la
controverse italo-éthiopienne s'était développée en conflit arme
les proclamations présidentielles en vertu de la loi du 31 août 1935
se succédèrent rapidement gt;); eUes fixaient l'attitude neutre des
Etats-Unis. Les dispositions de la loi s'appliquaient indistincte-
ment à l'Italie et à l'Ethiopie et ni la condamnation du premier de
ces Etats par la S.d.N., ni l'apphcation des sanctions économiques
n'ont pu modifier l'attitude des E.-U. à l'égard de l'Ethiopie Le
29 février 1936 la loi de neutrahté fut prolongée d'un an, a 1 ex-
piration duquel elle fut remplacée par la loi du 1 mars 1937, qui
ressemble beaucoup à la précédente. 2) En voici les principes :
a.nbsp;Interdiction absolue de fournir des armes et des munitions
de guerre aux Etats beUigérants.nbsp;. • 1
b.nbsp;Un certain nombre de matières premières et d'articles a
définir par une proclamation présidentieUe ad hoc, pourront
librement être exportés à destination d'Etats beUigérants, quoi-
que le transport en soit interdit aux bâtiments américains.
c.nbsp;Tous les articles et matières dont l'exportation à destmation
d'Etats beUigérants est permise, devront être payés et avoir cesse
d'être propriété américaine avant de quitter le pays (soi-disant
..cash and carry principlequot;) 3).
De cette façon les partisans de la neutralité, qui pour le moment
représentent la majorité, espèrent sauver l'ancienne pohtique.
Le droit de libre commerce est abandonné pour une bonne partie
afin d'éviter les risques de son maintien. „The new conceptwn
,.of neutrahty aimed at keeping the U.S. out of war by stressmg
..the duties rather than the rights of neutralsquot; 't).
Bien que la loi de neutralité ait l'air de méconnaître tout a lait
l'existence d'une organisation internationale, son apphcation
n'exclut pourtant pas la possibilité de tenir compte de 1 activité
de_cette organisation. Par exemple, les normes selon lesqueUes le
') le 26 septembre et le 5 octobre 1935.nbsp;. „ „ . a p q
Comp.: Frédéric R. Coudert, „La neutralité des Etats Ums P-^ f'
Comp.: D. Mitrany, „The U.S.A. Neutrality Act of May ist, 1937 , p.
Bomi, „How sanctions failedquot;, p. 358.
Président devra désigner les Etats belligérants ne sont pas fixées;
les listes des articles soumis au contrôle sont dressées par le Pré-
sident selon des indications générales. Que cela suffise pour
éviter des conflits à l'occasion de l'application des mesures col-
lectives, cela semble assez douteux. On ne pourra pas apprécier
la valeur de la loi au regard des événements de la guerre italo-
éthiopienne ; comme pierre de touche cet événement n'a pas donné
une preuve convaincante i).
Toujours est-il que les partisans de la coopération internationale
sont loin d'être contents ; ils condamnent la tendance à l'isolement
et surtout l'ambiguïté de la politique contemporaine.
La lutte acharnée entre les deux points de vue a déclanché un
véritable torrent d'écrits, d'où résulte une confusion de l'opinion
pubhque. Aussi longtemps qu'il en sera ainsi, l'attitude des E.-U.
représentera un élément d'incertitude dans la vie internationale.
Jessup caractérise la situation actuelle en disant :
„It (le gouvernement des E.-U.) will not wholly abandon its
„claims to the rights of neutrahty, although it will seek agreement
„upon these rights and their applicationquot; 2).
Clyde Eagleton, qui désapprouve fortement la législation
contemporaine sur la neutralité, termine une étude relative à ce
sujet par la conclusion suivante: „Pour tout dire, la confusion
„actuelle est indescriptible; elle ne se dissipera que lorsque le
„peuple américain aura commencé à réfléchir sérieusement sur
„le point de savoir s'il faut placer la paix au-dessus de la justice
„ou la justice au-dessus de la paixquot; 3).
Pour le moment les Etats-Unis sont encore loin de renoncer
à la neutrahté. Il en est de même pour les autres Etats du conti-
nent américain. Le traité concernant les bons offices et la média-
tion de Santiago de Chile (31 mai 1923), dont la signification fut
une fois de plus soulignée à la conférence panaméricaine de Buenos
Ayres (décembre 1936) prescrit e.a.:
„.... without affecting the universal principles of
1)nbsp;Comp. là-dessus un article de F. Coudert: „La neutralité des É.-U.quot;, p. 60e.s.
Coudert fait remarquer fort justement que la nouvelle politique devra aboutir logi-
quement à l'embargo sur tout le commerce de matières utiles à la guerre avec les
belligérants (p. 64).
2)nbsp;Jessup, „The U.S. and the stabilization of peacequot;, p. 151.
3)nbsp;C. Eagleton, „La législation sur la neutralité aux É.-U.quot; p. 472.
-ocr page 113-„neutrality foreseen and anticipated in case of international war
„outside of America,----quot;^nbsp;.
II faut mentionner le fait étonnant que le même article 2) con^
tinue: „.... and w i t h o u t a f f e c t i n g th^ duties mvdved
„by the American states that may be members of the League of
1} Nations ....quot;.nbsp;, 1
Exemple remarquable de méconnaissance du problème de la
neutralité, car ici les deux principes inconciliables bien étonnés
de se trouver ensemble, sont réunis sans aucune difficulté appa-
rente dans un document of ficiel !
Non seulement en Amérique, mais aussi en Europe, au sein
même de la Société des Nations, on rencontre cet attachemen
à la neutralité. Notamment les petites Puissances, souvent
désignées par le surnom de „neutresquot;, manifestent - nous avons
déjà vu pour queues raisons - à l'égard de la neutrahte une
affection profonde, que leur entrée dans la Ligue n a pas modere^
De nos jours, cette affection se manifeste particulièrement aux
moments de faiblesse de la Ligue et aux moments de ... - îorce,
c.-à-d. quand eUe a recours aux mesures de contrainte
Quand la Ligue est menacée^ d'une crise, la confiance, déjà
hésitante, des petits Etats fléchit devant leur Preoccup^n de
l'existence nationale, ce qui signifie leur retour a l attitude tra-
ditionnelle et éprouvée qui tend à éviter les comphcations inter-
nationales, c.-à-d. la neutralité.
Ä son tour, l'application des sanctions peut ramener les petite
Puissances à la neutralité, non pas parce
de sentiments de soUdarité, mais par crainte d etre ent
dans la guerre.
Actuellement, cette crainte est loin d'être
et c'est pour cela que les Etats, dits neutres, s abstiendront de
participer à des sanctions militaires et qu'ils s ^PPO^eront op
stinément à toute tentative de rendre cette catégorie de sanctions
^'^Dlttre'part, les Puissances neutres, bien qu' en
aient adhéré au système des sanctions économiques, 1 envisagent
avec une réserve compréhensible en raison de ses i-P^rf^n^
L'apphcation des sanctions économiques se base en pnncipe.
Espacement de l'auteur.
Art. 6.
semble se baser, sur l'égalité des participants. C'est là une erreur.
Que l'on admette que cette fiction d'égalité constitue une faute
d'élaboration technique plutôt qu'une faute fondamentale, n'em-
pêche pas que ce soit une erreur. La structure économique des
différents Etats n'est pas égale, au contraire, elle offre des diffé-
rences fondamentales et de nombreuses variations. Par consé-
quent, l'exclusion brusque d'un Etat quelconque de la circulation
économique — quelque juste que puisse paraître la mesure —
entraînera inévitablement des injustices en frappant arbitraire-
ment dans leur vie économique des nations qui, de bonne foi,
exécutent la sentence internationale. En défendant la neutrahté
helvétique, Schindler souligne qu'il ne faut pas mettre la sécurité
collective au dessus de l'existence de l'Etat individuel. Jamais la
sécurité collective ne pourrait exiger le sacrifice de l'existence
nationale i).
Au sein de la Ligue, on a reconnu les graves inconvénients
du système des sanctions dans sa forme actuelle. La 9ième réso-
lution de la deuxième Assemblée et les dispositions de l'article
11, troisième alinéa, du protocole de Genève 2) témoignent du
désir d'amenuiser les défauts. Il ne s'agit encore que de résolu-
tions et de recommandations qui, à vrai dire, ne modifient pas
la situation.
Les petites Puissances sont encore loin d'avoir abandonné
leurs affections „neutresquot;, ce que l'histoire européenne de 1920
à nos jours n'a pas manqué de prouver.
Pour des raisons compréhensibles, la Suisse a été la prémière
à défendre la cause de la neutralité, la pohtique qu'elle a suivie
pendant plus de trois siècles consécutifs. Le gouvernement helvé-
tique se vit placé devant le problème insoluble de concilier la
neutrahté avec la solidarité. Après une longue série de pourpar-
lers et de discussions on a abouti au compromis artificiel qui a
préparé l'accession de la Suisse à la S.d.N. Membre de la Ligue,
la Suisse a conservé en même temps sa neutralité permanente.
Du point de vue scientifique, la solution choisie est peu satis-
faisante et ni les exposés d'un savant éminent comme M. Max
Huber, ni les plaidoyers d'un politicien estimé comme le prési-
1)nbsp;Schindler dans „Europäische Gesprächequot;, 1935, p. 712-717.
2)nbsp;Bien que cet article vise en premier lieu l'assistance à prêter à l'État, victime
d'une agression, l'appui mutuel, prévu dans l'article, pourrait aussi bien s'appliquer
en faveur d'un État dont la vie économique est sérieusement affectée par la parti-
cipation aux sanctions.
dent M. Motta ne peuvent effacer ^^^^^^^^^
Quoiqu'il en soit Jusqu'à présent ^^ puisse a crupu«
persévéi dans son attitude traditionnelle et il -nbsp;^
l'avenir.). À l'occasion du conflit italo-ethiopien ^^^^
ment helvétique n'a point contesté que l'Itahe ^tait en rupture
de Pacte, mal il a résulté clairement du discours de quot;^a
(du 10 octobre 1935) que la Suisse ne participerait
militaires qu'en tant que cette participation ne trait pa^ -
neutralité en danger a). Au surplus, l'e-bargo sur le a rne et
les munitions proclamé par la Suisse concernait ^^^^^^^^^
thiopie que l'Italie. Toujours est-il que la Smsse P-t a bon droit
faire étlt de la neutralité permanente, qui expres s ...sa
été reconnue comme étant compatible avec le Pacte de b.
'-Récemment le point de vue helvétique relatif àlaP-^
aux sanctions a réussi lui aussi de se fairenbsp;^ ^^^^^^^^
S.d.N. En mai 1938, le Conseil a accepté le projet de resolution
^^rConseil) „prend acte, dans cesnbsp;^e
„exprimée par la Suisse invoquant - ^
„de ne plus participer en aucune maniere a la mise e
„des dispositions du Pacte relatives aux sanctions, et declare
„qu'elle ne sera pas invitée a y participernbsp;.„.gtenir
Pour les autres Etats qui, le cas échéant, voudra^nt s ^^^
de participer aux mesures collectivesnbsp;nt S^n nLr
la sLation peut devenir embarrassante.
l'existence d'un fait évident, notamment la rup ur flag ante
du Pacte, ou bien méconnaître ^^
ment souscrits. En effet, certains Etats ont du en^g ^
fht, lorsque la S.d.N., en octobre 1935, procéda al application d
sanctions économiques contre l'Itahe.
---t l'iHpp de participation aux sanctions
1)nbsp;La Suisse a toujours rejeté rigoureusement 1 idee ûej^^^ ^ j ^^^^^^ exécutrices,
militaires et elle ne permettra jamais le P^'^^fS® 'nbsp;.j j^.-j^it pas même
(Comp. son attitude dans l'aff,aire du plébiscite de Wim ,
question de sanctions).nbsp;.nbsp;, . bornée à supprimer l'excédent
2)nbsp;La participation aux sanctions ^con—
des exportations italiennes en Suisse, de sorte que
fut mis en équilibre.nbsp;•^fcu.ritv.quot; P- 53 e.s.
Comp. William Rappard,
3)nbsp;Comp. encore la déclaration du Chanceber Bauma
tique (21 mars 1938).nbsp;„
Résumé Mensuel, vol. XVIII, No. 5, p. 122.
-ocr page 116-À cette occasion l'Autriche, la Hongrie et l'Albanie, bien
qu'elles n'eussent pas contesté la décision du Conseil décrétant que
l'Italie était en rupture du Pacte, n'ont pas participé aux sanc-
tions. L'Autriche i) et la Hongrie 2) s'excusèrent en faisant appel
à la situation délicate dans laquelle le cours des événements les
avait placées. L'Albanie 3) a brusquement déclaré que la parti-
cipation aux sanctions allait à l'encontre de son alliance avec
l'Italie, motif sans aucune valeur juridique. L'Allemagne n'étant
plus membre de la Ligue à cette époque, s'en tint à la neutrahté
traditionnelle.
De même que la Suisse, les autres Etats, dits neutres, ont fait
connaître, soit directement, soit indirectement, qu'ils n'en sont
pas encore venus à considérer la politique de neutralité comme
une notion périmée. Jusqu'à un certain point, la comparaison
remarquable dont se sert W.E. Rappard par rapport à la
Suisse s'applique à eux : „For Switzerland____neutrality is the
„parachute which she will not abandon until international fly-
„ing becomes saferquot; t).
Les sentiments neutrophils des nations scandinaves sont
assez connus.
En Belgique S.M. le Roi des Belges a déclaré dans son discours
du 14 octobre 1936: „Notre politique militaire, comme notre
„politique extérieure, doit se proposer____d'écarter la guerre
„de notre territoire. La Belgique respectera ses engagements
„internationaux, mais dorénavant elle poursuivra une politique
„d'indépendancequot;. Le Roi ne se sert pas du mot neutralité, mais
l'intention n'est plus douteuse, quand S.M. poursuit: „Que ceux
„qui douteraient de la possibilité d'une pareille politique étran-
„gère considèrent l'exemple fier et décidé de la Hollande et
„de la Suissequot;.
Aux Pays-Bas, le ministre des affaires étrangères, dans une
déclaration à la Première Chambre, répète que les Pays-Bas ne
pourront jamais être obligés ni à participer aux sanctions mih-
taires, ni à tolérer le passage de troupes s). À mesure que le pres-
') Comp. la déclaration de M. Pflùgl, Journal du ibième Assemblée, no. 20,9 Octobre
1935, p. 252.
2)nbsp;Comp. la déclaration de M. de Velice, ibidem, no. 23, 12 Octobre p. 269.
3)nbsp;ibidem, no. 22, 11 Octobre, p. 259.
■gt;) William E. Rappard, „Switzerland and collective securityquot;, p. 62.
5) Déclaration du 16 mars 1937. „Handelingenquot;, Eerste Kamer der Staten Generaal
17 Maart 1937, p. 392.
tige de la S.d.N. s'affaiblit, la politique néerlandaise renforce
automatiquement son caractère d'indépendance et de neutralité
qui, dans le passé, lui a rendu de précieux services i).
Les symptômes précités démontrent que la neutralité classique
n'a pas encore disparu de la politique internationale et qu' en
pratique elle occupe toujours une place importante dans les
directives des gouvernements.
Avant de terminer ce chapitre, il faut mentionner encore une
notion, congénère à la neutrahté, qui de nos jours a attiré l'at-
tention du monde. Nous avons en vue la notion de non-mter-
vention, en rapport avec les événements qui se sont passés pen-
dant la guerre civile en Espagne. Le vif intérêt que certaines
Puissances européennes ont pris à l'issue de la lutte, a éleve ce
confht au dessus de l'importance d'une guerre civile ordinaire
La nécessité de conjurer le danger d'un confht international
exigea des mesures particuhères en raison de l'insuffisance des
règles du droit en vigueur. À cet effet on élabora un systems
de non-intervention, ayant pour but d'isoler le confht en coupant
les ressources étrangères qui pourraient fortifier la force combat-
tante des parties.nbsp;, .
Abstraction faite de la valeur pratique de ce systeme, il a
mis en rehef un nombre de problèmes théoriques, parmi lesquels
celui de la structure juridique de la non-intervention est parti-
cuhèrement intéressant. Pour les Etats en question la non-inter-
vention doit signifier l'abstention. De ce point de vue, la non-
intervention ressemble à la neutrahté. Pourtant, les deux notions
ne sont pas équivalentes; en effet les principes de parité et de
réciprocité n'entrent pas toujours en jeu. Aussi longtemps que
les insurgés n'auront pas obtenu la qualité de partie belligerante,
ils ne représentent juridiquement rien pour l'Etat tiers qui ne
les a pas encore reconnus, de sorte que la parité est elimmee et
que la réciprocité ne pourra s'effectuer qu'en rapport avec le
gouvernement légal.nbsp;.
D'autre part, il ne faut pas perdre de vue que la guerre civile
comp. aussi la déclaration du ministre à
nouveau représentant diplomatique près la cour italienne.nbsp;^ ,
mer. 2 Maart 1938, p. 402 e.s.; Tweede Kamer, 30 November 1937, p. 515 e.s.
-ocr page 118-n'est pas une guerre au sens du droit de neutralité. Toujours est-
il qu'il y a une certaine analogie, surtout parce que la non-inter-
vention pourra mettre en œuvre plusieurs règles empruntées au
droit de neutralité, notamment celles concernant l'abstention.
Quel sera le développement futur de cette matière? Pour le
moment, c'est là une question sans réponse. Le conflit actuel
n'est pas encore terminé. Quand il en sera ainsi, on pourra se
demander s'il vaut la peine d'élaborer le droit de non-interven-
tion. Généralement les guerres civiles ne sont pas aussi dange-
reuses pour la paix du monde que celle qui, de nos jours, désole
la péninsule ibérique. D'ailleurs, les problèmes qui accompagnent
la matière, sont extrêmement compliqués et souvent il sera
difficile, sinon impossible, de les prévoir, de sorte qu'une ré-
glementation ad hoc paraît mieux indiquée. Quoi qu'il en soit,
le développement de la non-intervention mérite d'être suivi
attentivement par tous ceux qui ont pris intérêt à l'histoire de
la neutralité.
CONCLUSIONS ET PROPOSITIONS
Nous avons terminé l'examen qui est le but principal de cette
étude On ne pourra pas contester que les conclusions qui cou-
ronnent ces recherches sont peu réjouissantes. La contradiction,
l'inefficacité, l'incertitude, voilà les composantes de la triste
image de la neutralité dans la vie internationale contemporaine.
La matière déborde de problèmes. Ici on veut garder la neutra-
lité là on veut se débarrasser d'elle. D'un côté la souverainete
fouie aux pieds ce que d'un autre côté elle proclame droit m-
violable.nbsp;,nbsp;,
Les opinions des auteurs ne diffèrent guere quand il s agit
de constater que la neutralité traditionneUe ne subsiste plus
intégralement. Plusieurs d'entre eux admettent que cette ms-
titution se trouve dans un état de transition qui, a la longue,
aboutira à sa disparation complète.En voici quelques exemples:
^^ppï'dans son principe, altérée sur bien des points dans
son application, la neutralité est néanmoins restée debout comme
linstitutionquot; 1). Il ajoute: „Conséquence et contrepartie de la
„guerre, la neutralité est, comme elle, frappée de condamna-
pLier pas vers l'assurance mutuelle contre la guerre doit
„être l'abandon de la neutralité ou tout au moins son adai^üon
„auxindispensablesexigencesdelacoôpérationinternationalenbsp;.nbsp;)
J. Haase:nbsp;.nbsp;,
„Die Grundlagen der Neutralität haben sich gewandelt
„Die UnvoUkommenheit der Völkerbundssatzung, . •-^at zur
„Folge, dasz es, da die Entwicklung noch zu kemem Abscmusz
„gekommen ist, einen einheitlichen, absoluten Begriff der Neu-
„tralität nicht mehr gibtquot;
1)nbsp;N. Politis, „La neutralité et la paixquot;, p. 125.
2)nbsp;ibidem, p. 179.
')nbsp;ibidem, p. 186.
4)nbsp;Haase, p. 209.
Halvdan Koht:
„All European countries have been brought into the pohtical
„unity created by the League. That means a change on the whole
„notion of neutrality ; the problem of remaining neutral has not
„only become more difficult than it was formerly, it has become
„quite differentquot; i).
J. Kunz:
„Während so der V.B.P. einerseits für die Neutralität weiten
„Raum läszt, tendiert er in den genannten Fällen nicht blosz
„auf eine Modifizierung, sondern auf eine Aufhebung der Neu-
„tralität für die Mitgliederquot; 2).
„Nach allgemeinem Völkerrecht besteht nach wie vor Neu-
„tralität und altes Neutrahtätsrecht. Der Kellogg-Pact hat daran
„gar nichts geändert. Dagegen hat der V.B.P. für die Mitglieder
„Änderungen gebracht : Fälle, in denen ein Recht auf, eine Pflicht
„zur Neutralität besteht, Fälle der Aufhebung oder Modifizie-
„rung der Neutralität. Aber auch der V.P.B, läszt für Nicht-
„Mitglieder und Mitglieder noch einen breiten Raum für Neu-
„tralität.quot; 3)
Louis le Fur:
„En définitive, il n'est pas douteux que la conception classique
„de la neutralité a subi depuis la grande guerre une profonde
„évolution; dès aujourd'hui, et en attendant l'organisation d'une
„assistance mutuelle effective qui est encore du domaine de
„l'avenir, la neutralité ancienne est déjà remplacée par la notion
„de non-belligérance, où ont disparu à la fois les deux éléments
„d'impartialité et de passivité qui formaient comme l'armature
„de l'ancienne neutralitéquot; 't).
L. Oppenheim:
,,The correct view seems to be that while in some cases, in
„particular in cases where ressort to war is not contrary to the
„covenant, the latter has not altered the law of neutrahty, it
„has without abolishing it, vitally affected it in those cases in
„which members of the League are bound to apply sanctions
„under art. 16quot; s).
1)nbsp;Koht, „Neutrality and peacequot;, p. 281.
2)nbsp;Kunz, „Kriegsrecht und Neutralitätsrech*quot;, p. 303.
3)nbsp;ibidem, p. 319.
1) Esp. I. 1935, p. 406.
5) Oppenheim, „International Lawquot; II, p. 510.
-ocr page 121-J. P. A. François:
„Het neutraliteitsrecht is (dan ook) bestemd bij de ontwikke-
„ling der volkengemeenschap zijn practische beteekenis te ver-
Jiezen. Het ware echter voorbarig te beweren, dat thans reeds
leen stadium bereikt is, waarin de onzijdigheid nog slechts
„historisch belang heeftquot; i).
II y a lieu de se demander si l'état de fait contemporam ne
pourrait être améhoré.
Le point de vue contemplatif qui se résigne à l'état actuel des
choses en attendant l'arrivée libératrice de l'organisation inter-
nationale est, nous semble-t-il, ni justifié, ni pratique. Même si
l'on admet qu'à la longue la neutrahté finira par disparaître,
il n'y a aucun doute que la durée de cette évolution est un facteur
tout à fait incertain et incalculable. Un recul temporaire de
l'organisation internationale — p.e. l'écroulement de la S.d.N.,
ce qui signifierait le retour général à la pratique traditionnelle
d'autrefois — n'est certainement pas une impossibihté. Il est
dangereux et illogique de sacrifier le présent à l'avenir incertain
en acceptant, pour une période indéfinie, la confusion actuelle,
le manque absolu de système et l'existence de règles médiocres
qui sont fort nuisibles au prestige fragile du droit mternational,
auquel l'opinion pubhque fait déjà assez de reproches injustes.
Le problème est comphqué, nous sommes loin d'en mécon-
naître les difficultés; cela ne veut pas dire qu'il n'est pas pos-
sible dans une certaine mesure, de parer au désordre régnant.
Ä cet effet nous ferons l'effort modeste de formuler quelques
directives.
CeUes-ci devront être fondées sur les faits suivants:
1.nbsp;La neutrahté classique s'est encore maintenue dans la
vie internationale.nbsp;r,. . •
2.nbsp;Plusieurs règles de la neutralité sont condamnées a fléchir
en fait devant la soi-disant nécessité de guerre; leur maintien
est généralement une question de force physique. L'évolution
de la guerre, particuhèrement de son facteur économique, a
considérablement aggravé les conditions nécessaires au fonction-
nement réguher de ces règles.
3.nbsp;Il existe une organisation internationale, actuellement la
S.d.N., qui prévoit l'éventuahté de sanctions collectives. Les
1) François, „Handboekquot; ii, p. 478.
-ocr page 122-membres de cette organisation sont compétents pour décider
eux-mêmes de la participation aux sanctions. Il s'en suit la pos-
sibilité de trois attitudes différentes, savoir:
a.nbsp;non-participation aux sanctions;
b.nbsp;participation aux sanctions économiques;
c.nbsp;participation à toutes les sanctions.
4. Les conséquences dangereuses d'une immixtion interna-
tionale dans une guerre civile pourront faire naître le besoin
de fixer la notion de non-intervention.
En premier lieu il est nécessaire de se faire une idée claire des dif-
férentes notions et d'éviter toute obscurité de terminologie. Bien
entendu, la signification du mot „neutralitéquot;, dont on se sert
déjà pour désigner une notion politique, une notion juridique
et un ensemble de normes juridiques, ne mérite pas d'être éten-
due encore plus loin. Si cette terminologie n'avait pas déjà acquis
droit de cité, il y aurait à la corriger. Nous proposons les défi-
nitions suivantes:
a.nbsp;Neutralité. Conformément au sens classique du concept, le
terme servira à qualifier :
1.nbsp;l'attitude impartiale de non-immixtion observée par un
Etat non-membre de l'organisation internationale en cas de
conflit armé international;
2.nbsp;l'attitude impartiale de non-immixtion prise par un Etat
membre de l'organisation internationale en cas de conflit armé
international, lorsque l'organisation a réservé à ses membres la
pleine liberté d'agir ou n'a pas procédé à la recommandation de
mesures collectives.
b.nbsp;Non-farticipation. C'est l'attitude d'un Etat membre de
l'organisation internationale qui s'abstient de participer aux
mesures collectives déclanchées contre la partie qui, dans un
conflit armé international, a été condamnée par l'organisation
internationale comme agresseur. Cette attitude de non-partici-
pation se distingue de la neutralité par l'exclusion de iure de
l'impartialité. De facto l'impartialité existe pour autant qu'elle
ne fait pas obstacle à l'efficacité des mesures collectives i).
c.nbsp;Participation, en deux variantes:
1) Il va de soi que l'Etat membre qui ne s'en tient pas à ces dispositions, retombe
sur l'attitude mentionnée sous a.
1.nbsp;Participation partielle. C est l'attitude de l'État, membre
de l'organisation internationale, qui, en cas d'application de me-
sures coUectives, se borne à participer à une certaine catégorie de
mesures appliquées, particulièrement aux sanctions économiques.
2.nbsp;Participation intégrale. C'est l'attitude de l'État, membre
de l'organisation internationale, qui, en cas d'application de
mesures collectives, participe à toutes les mesures proposées par
l'organisation.
d. Non-intervention. C'est l'attitude impartiale de non-immix-
tion, observée par l'État, membre ou non de l'organisation inter-
nationale, en cas de guerre civüe.
Pour établir les règles de droit, réclamées par la mise en oeuvre
concrète des notions proposées plus haut, il faudra avant tout
se rendre compte des influences extraordinaires auxquelles
sont exposées les normes juridiques qui devront se réaliser en
temps de guerre. Aussi longtemps que la guerre existera, eUe
gardera les qualités de la violence physique, tendant à l'extrême.
L'analyse que nous avons faite du caractère de la guerre a
démontré que le sort d'une règle de droit qui, par hasard, touche-
rait à ce que le belligérant considère comme étant de son intérêt
vital, est bien incertain — ou si l'on veut, bien certain —, si cette
règle' ne peut pas disposer d'une force efficace toujours prête
à en garantir le maintien. Faute d'une force permanente au ser-
vice exclusif de ce but, le maintien du droit en cas de guerre
devient une question d'opportunité, dépendant en bonne partie
de la répartition accidentelle de la puissance. Au surplus la
majorité des circonstances, des besoins et des possibihtés du
moment sont incalculables, de sorte que l'établissement préalable
d'une règle efficace devient extrêmement difficile, sinon impos-
sible En méconnaissant cette réalité on risque de créer une règle
impraticable, quelque juste et logique qu'elle puisse paraître
du point de vue théorique.
Enfin, il faut se rendre compte de l'influence croissante du
facteur 'économique qui, conditionnant l'existence des peu-
ples et dominant la guerre moderne, s'oppose de plus en plus
à la séparation nette des intérêts des États belligérants d'avec
ceux des États tiers.
Il n'y a aucune raison capable de justifier l'opinion que, dans
la guerre future, les règles de neutralité seraient plus aisément
applicables qu'elles ne le furent dans le passé. Il y a plutôt
lieu de supposer le contraire. Le droit de neutralité a besoin
d'une révision radicale. En premier lieu les règles dont l'appli-
cation effective n'est pas assurée, devront être abolies et rem-
placées par des conventions ad hoc. Prenons, par exemple, le
problème de la contrebande. À l'avenir, ce problème devra être
envisagé sous l'angle large des relations économiques en temps
de guerre. La distinction entre la contrebande absolue et la con-
trebande conditionnelle, élaborée avec soin en 1909, a complè-
tement échoué déjà en 1914 et on pourra l'oublier sans remords.
Le système des conventions ad hoc que nous proposons, vise la
réglementation des relations économiques entre les Etats beUi-
gérants et les Etats neutres selon les besoins et les possibilités du
moment. À l'initiative d'un pays neutre (ou d'un groupe de
pays neutres) ou des pays beUigérants, les représentants des
Etats en question pourront se rencontrer, afin d'examiner les
prétentions réciproques et d'organiser une réglementation tem-
poraire des relations économiques. Il se peut qu'un accord se
réahse en ce sens, par exemple, que le neutre s'engage à observer
une neutrahté économique à la base des exportations normales,
selon les chiffres officiels, ou que les beUigérants se contentent
d'un embargo réciproque sur certains articles. Quoi qu'il en soit,
la porte est ouverte à toutes sortes de possibilités que le besoin
réciproque d'une entente fera naître.
D'autre part, l'Etat neutre et l'Etat belligérant peuvent ne
pas tomber d'accord; peut-être le neutre se refusera-t-il à tolérer
la moindre restriction à l'exercice légitime de ses droits souve-
rains; peut-être le beUigérant ne voudra-t-il pas même aban-
donner la moindre possibilité de nuire à son adversaire.
Le problème est alors tout entier en fonction de la possession
de la puissance. Est-ce que le neutre aura la force de défendre
efficacement son point de vue ? Est-ce que le beUigérant pourra
risquer les conséquences d'une infraction à ce point de vue neutre ?
Voilà les questions décisives.
Le lecteur se détournera peut-être avec indignation d'une
conception pareiUe, s'exclamant qu'elle signifie la consécration
pure et simple de l'anarchie. À ce reproche nous opposerons une
observation élémentaire qui s'énonce comme suit: l'anarchie en
temps de guerre est un fait indéniable. Ce que nous faisons, ce
n'est que constater sans plus la réalité d'un fait. Le régime de la
neutralité traditionnelle n'a pas modéré l'anarchie, - au con-
traire, plusieurs de ses règles ont augmenté la confusion et muki-
plié ks conflits. À quoi bon maintenir des règles impraticables,
L détriment de l'autorité du droit des gens? Mieux vaut re-
connaître qu'on a fait fausse route et abandonner ce qui a paru
êto superflu et nuisible. Le droit international en dépouillant ces
SdSés, gagne en valeur, tandis que de fait la situation ne
devînt pas plus mauvaise qu'auparavant. Au contraire, nous
étendons plus d'effet d'une convention hoc. qm peut se
baser sur des réahtés actuelles, que d'une règle générale, purement
'^Noufslmmes loin d'être ravi de la solution que nous venons
de proposer, mais elle est préférable à celle qm méconnaît la
réalité On pourra condamner le blocus fictif, néanmoms c est
nne arme en usage. À quoi sert l'interdiction de cette arme, si
l'on n'a pas la certitude que l'on peut disposer ^^ moment mùque
de la force, nécessaire au maintien de cette interdiction ? Aussi
longtemps qu'il en est ainsi, il vaut mieux abandonner aux
c rconsta'nces la solution du problème. Si le neutre en a a p^
sance il fera connaître aux belligérants qu'il ne souffrira pas e
blocu; fictif et que ses forces navales sont prêtes à defendre le
commerce maritime; s'il manque de force, tant pis pour Im, mais
unTrègle de droit impuissante ne saurait le protéger davantage.
Le lecLr fera remarquer que cette injustice menacera perpe-
Luement l'avenir des petits Etats. Nous lui -pondo^^^^^^^
eux le passé n'a pas été différent et cela meme pendant des
rcles- Il en restera ainsi jusqu'au moment où l'organisation
effective de la force au service du droit international aura com-
mencé à se réaliser. C'est pour cela que dans les conditions actuel-
ks Ta maxime pour les Etats neutres doit être amsi conçue
SoyonT orts autant que possible, et coopérons de bonne volonté
'JtLtefforthonnête.entreprisenfaveurdel'ordreinternationalnbsp;.
La révision du droit de neutralité que nous recommandons ne
re^Lt aucunement à l'abohtion complète de toutes les regies
exTs antes. Il y a des règles utiles qui, de nos jours ne rencontrent
pas d'obstaclJs et qui, dans l'histoire, ont paru tre praticables
La défense de prêter assistance armée aux belligérants, - de
8
Van Royen, Neutralité
-ocr page 126-recruter sur territoire neutre, — d'équiper, d'armer et d'appro-
visionner des navires de guerre dans les ports neutres, par exem-
ple, sont des normes à conserver. Il y a encore nombre de règles
qui, ne touchant pas directement aux intérêts principaux, évitent
les frictions secondaires et de ce chef sont assez utiles ; par exem-
ple: les règles concernant les conditions du séjour, de l'approvi-
sionnement en vivres ou en combustibles, des réparations etc.,
des navires de guerre des Etats belligérants dans les ports neutres.
Après un examen minutieux de la valeur pratique des normes
existantes, celles-ci pourront être classées selon le domaine auquel
elles se rapportent, savoir le domaine terrestre, le domaine mari-
time et le domaine aérien. Ensuite on pourra élaborer, dans la
mesure du possible, des systèmes présentant des analogies pour
les trois domaines. Après la constitution de ces directives on
pourra apporter au régime les compléments nécessaires. Il
paraîtra que certaines matières devront et pourront être régle-
mentées, par exemple : le contrôle de l'Etat neutre sur les actes
de ses ressortissants. Le fait paradoxal que l'Etat comme tel
s'abstient de fournir des armes et des munitions aux parties
belligérantes, tandis que ses ressortissants s'empressent de tirer
d'un tel commerce autant de profit que possible, doit disparaître.
Le projet précédent, loin d'avoir la prétention de donner une
solution radicale du problème de la neutralité, se contente de
rétrécir l'abîme qui s'ouvre entre la réalité et les règles du droit
positif.
Quant à l'élaboration des autres notions dont nous avons
proposé l'introduction, eUe pourra se servir avec succès de plu-
sieurs règles propres à l'état de neutralité. Surtout l'attitude de
non-participation aux sanctions collectives et celle de non-
intervention dans une guerre civile en pourront profiter. Le
régime de la participation aux sanctions, soit partielle, soit inté-
grale, dépend en grande partie de la force qu'on peut attribuer
à la coopération internationale. Plus cette force sera estimée
efficace, mieux la constitution de règles sera basée et plus le
maintien de ces règles sera garanti. Par conséquent, le développe-
ment juridique de ces notions devra s'accomplir graduellement à
mesure que la puissance de l'organisation internationale augmen-
tera.
conclusions et propositionsnbsp;1
Pour cette raison l'élaboration des notions de participation et
de n^articipation an. sanctions collectives peut paraître nne
qLsÎion qui. ^ur le moment, est beaucoup moins urgente que
'quot;aquot; tSr^d.«. est bien iaible, . çanse des
Is lolide que ceUe qu'eUe a trouvée dans la Ligue. Une des plus
plus soiiae qnbsp;hnbsp;contemporaine est sans
fo^ qu eSe': ^té'Uue trop généralement. On a vou^
.^brasL le monde entier sans trop se soucier du carae ere des
embrasser le mnbsp;^^^^^^ ^^^
leToCet! :n LéglJ la base et on a construit, pour
^tnnbsp;buts po^iques b^nés. Par
la uison du ^ traités de paix, la constitution de 1 orga-
la liaison Qu ^nbsp;^ ^^^^ bases mdispensables.
:Xtin certain degrédesatisfactionpolitiquedes part
U y a parmi les défenseurs de la S.d.N. nombre de ^ns
r««, la s d N a dû payer ces défauts assez cher.
'oCttl^rtltldroitdeneutralitMln^
Jeux noi semble-t-il, qui puissent justifier son a.oumement.
Van Royen, Neutralité
-ocr page 128-Pour conclure cette étude, nous faisons remarquer une fois de
plus que jamais on ne devra perdre de vue que le droit de neutra-
lité, qu'il soit révisé ou non, conservera toujours son caractère
ambigu. Jamais la neutralité ne sera une institution juridique-
ment logique, ni dans le cadre de la souveraineté, ni dans celui de
la solidarité internationale. Ä mesure que celle-ci se développera,
la neutralité perdra automatiquement d'importance. Cependant,
la disparition de la neutralité — si jamais elle disparaît — sera
le fruit d'une longue évolution. Le monde civilisé ne se trouve
qu'au début de la lutte pour l'organisation internationale, dont
l'évolution s'accomplira dans la solution graduelle du problème
qui se pose perpétuellement: comment concilier la réalité et
l'idéal? C'est le compromis vivant de ce qui est désirable et de ce
qui est possible.
Quant à la neutralité, c'est un fait indéniable qu'eUe occupe
encore une place importante dans les relations internationales. Il
est aussi peu justifié de fermer les yeux devant les graves défauts
de cette institution, que de vouloir la biffer d'un trait de la vie
des peuples. Ce qui est nécessaire et possible dans les conditions
contemporaines, c'est, nous semble-t-il, une révision pratique
de la matière, révision qui ose regarder en face la réalité, — qui
allège le fardeau pesant sur l'autorité du droit des gens et qui
prépare les voies à l'évolution ultérieure de l'ordre international.
La Haye, 1938.
-ocr page 129-A T L American Journal of International Law.
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TftVT-
psSÏK:-
M
ijSdé.
-ocr page 135-STELLINGEN
Aangezien de hedendaagsche oorlogvoering een beroep doet op
de geheele weerkracht van een volk, zal de verdedigingsvoorbe-
reiding reeds in vredestijd zich daarnaar dienen te richten. Hiertoe
is noodig een wettelijke regehng, welke op den grondslag van
een algemeenen weerplicht in ruimen zin, het geheele gebied der
verdedigingsvoorbereiding bestrijkt en aan de overheid de bevoegd-
heid geeft bij het organiseeren van de nationale defensie de
medewerking van alle daarbij betrokkenen te vorderen. Artikel
187 van de Grondwet laat zulk een wet toe.
II
Artikel 189 van de Grondwet bevat een onredelijke en in
beginsel ontoelaatbare concessie aan het individu ten koste van
het staatsbest aan.nbsp;^^^
Artikel 192 van de Grondwet is op moreele en historische
gronden verwerpelijk. Het miskent de eenheid des Rijks en is
niet te vereenigen met den phcht en de waardigheid van een
koloniale mogendheid.
IV
De groeiende beteekenis van den economischen factor in den
hedendaagschen oorlog vormt een toenemend beletsel tegen het
behoud van den vrijhandel.
V
Het is niet raadzaam, zooals door sommigen wordt bepleit,
de berechting van overtredingen, begaan door mihtairen, aan den
burgerrechter over te dragen.
a -c sJ',
«
Hoewel artikel 57 van de Wet op de Krijgstucht een onont-
beerlijk correctief vormt op mogelijke dwalingen van den mihtairen
tuchtrechter, verdient, om der gevolgen wille, een soepele toepassing
van het artikel aanbeveling.
VII
Een mihtaire troep, welke in vredestijd deelneemt aan het
openbare verkeer, is een geprivilegieerd weggebruiker, onder uit-
sluitende verantwoordelijkheid van den bevelvoerenden comman-
dant Deze zal van de voorrechten gebruik maken met inachtneming
vL'de veiligheid van het verkeer, en de door de bevoegde
civiele autoriteiten ter zake gegeven aanwijzingen. Laatstbedoelde
autoriteiten zullen zich onthouden van inmenging in de tecn-
nische uitvoering van de door hen gegeven aanwijzingen.
VIII
In den modernen oorlog zal het vraagstuk van de contrabande
moeten worden beschouwd in het ruimere kader van de „econo-
mische neutrahteitquot;.
IX
Het neutrahteitsrecht behoort in dien zin te worden aangevuld,
dat onderdanen van een neutralen Staat rechtens geen handelingen
kunnen verrichten, welke in feite strijdig zijn met de neutrahteit.
X
De theoretische eisch, welke de instelling van collectieve vei-
ligheid verbindt aan geheele of gedeeltelijke ontwapening als een
conditio sine qua non, moet op practische bezwaren stranden.
i .
iV'-'T^
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