-ocr page 1-

LA RAGE

MOTENS D'EN EYlTEll LES DANGE KS

KT DK i'HKYKNIl! SA \(iATK i,\

CONFERENCE

FA1TI-: DANS TM. DJ-:.- SolRKI-S S(;i KXTl K KjIKS DK LA SolUiOXM-

1' A Jt

PAKJS

P. aSSELIX, successeuu de ÜECIIET je unk et I.AÜK

LIUUA1UK DE LA FACÜLTK DK MKUKCIN;-:

Et de la Societe centrale de medecine veterinaire

PI,ACE 1)1- L'£COLE-DE-MEDECINE

-ocr page 2-
-ocr page 3-
-ocr page 4-
-ocr page 5-

LA RAGE

3186

-ocr page 6-

Extrait do la Hevuo rles cours sciuntiürfues

. BIBLIOTHEEK UNIVERSITEIT UTRECHT

r.oRBKii,. — Typ. ft strr. di1 ( ni ri. m.s.

-ocr page 7-

C—-

LA RAGE '

MO YENS D'EN EVI TER EES DANGERS

ET DE PREVENIR SA. PROPAGATION

CONFEUEXGH

FAITE HANS l'XK HKS POIRERS SCIKXTIFIQI KS DK I.A SCIllliOWt:

M. H. BOULEY

rgt;r i. i \ st it i r

Inspecteur trenei ul des \('lei-iiinircs (E1 France-'

r \ ^

s t * •» • jr #9632;'

S #9632; •lt; . gt; .....#9632;

PARIS

P. ASSELIN, si'ccesseur de BECHET jeune et LAUE

LIBUAIRli DK LA FACL'LTK DK MKDKCLXE Et lie la Societe centrale ele medecine veterinaire I'I.ACE HE l,quot;Kf.fgt;I.K-r)F-jrtOKCI\K

I £ j

j \

-ocr page 8-
-ocr page 9-

PREFACE

La conference sur la rasfe que je crois utile de pu-blier aujourd'hui, n'a pas regu, lorsque je l'ai faite devant l'auditoire de la Sorbonne, tons les developpc-ments que je lui ai donnes en la redigeant. Le temps que je pouvais lui consacrer ne I'aurait pas permis et je crois aussi que j'aurais abuse de la bienveillance du public qui me faisait l'honneur do venir m'entendro, si j'etais entre dans tous les details que le sujet com-porte. En cette matiere comme en beaucoup d'autres, liest bun do savoir se borner. Mais je n'ai plus etc ar-

-ocr page 10-

VI PREFACE.

rete par los memos scrupules lorsqu'il s'est agi de livrer celle conference au public des lecteurs qu'on pent ne pas craindre de fatiguer, puisqu'il ne subif pas les meines obligations que celui d'un audiLoire et qu'il reste libre do ne pas vous lire; etj'aipense ne nen faire que d'ulile en achevant pour lui ce que j'avais seulcment esquisse dans la soiree de la Sorbonne. C'est principalemcnt ä la seconde partie de cello conference que j'ai donne ici de plus grands deve-loppements, parce que c'esl celle que j'avais le plus ecourlee dans la seance orale, pour m'etendre surtout sur la premiere, oü se trouvent exposes les signes ca-racteristiques de la rage, et qui, par cela meme, me paraissait etre la plus importante au point de vue du but special que je me proposais d'atteindro. Ceux de mesauditeurs qui deviendront mos lecteurs, la rotrou-veront ici, teile ä pen pres qu'ils Font entendue. J'ai tenu ä lui conserver sa forme premiere, qui explique et justilie les repetitions des memes idees, que j'ai faites Li dessein, pour mieux les faire penetrer dans l'osprit des personnes auxquelles je m'adressais.

Si la publication de cette conference donne quelques resultats utiles, je me tiendrai pour satisfait de l'avoir

-ocr page 11-

PREFACE. VTI

entrcprise et je croirai n'etre que jnsle en rapportant, pour une grande part, le bien qu'elle pourra realiser au ministre si intelligent des interets publics, sous les inspirations et par la volonte duquel les conferences de la Sorbonne ont ete instituees; j'ai nomme M. V. Duruy.

IL BOLLEY.

Avril 1871'.

-ocr page 12-
-ocr page 13-

LA RAGE

Mesdames et Messieurs,

Je ne puis me defendre d'une grande emotion, en venant m'asseoir ä cette place, dans ce celebre amphitheatre de l'an-tique Sorbonne, devant un auditoire si nombreux el si inac-coutume pour moi par sa composilion. Mais quelque chose me rassure et m'encourage : je sais d'abord que votre Sympathie m'esl acquise comme ä tous ceux qui sont dejä venus dans cette enceinte remplir Thonorable mission dont je vais essayer, pour mon compte, de m'acquitter aujourd'hui; et ce qui m'encourage, c'est la conviction profonde oü je suis que je vais faire une chose essenfiellement utile. Ne croyez pas, en effet, qu'en prenant pour thime de cette conference la rage des anirnaux, et tout particuli(irement celle du chien, qui doit le plus nous interesser en raison de sa cohabitation dans nos maisons, et de ses rapports d'etroite intimite avec nous; ne croyez pas que je me sois propose de satisfaire en vous un sentiment de curiosite banale. Si je n'avais vu devant moi que ce but a atteindre, je me serais abstenu de le pour-suivre. Mais plus hautes sont mes visecs. Lorsque mon con-irere et ami Jamin m'a fait la proposition de trailer, dans une

h. bollev. 1

-ocr page 14-

2 LA RAGE.

des conferenccä de In, Sorbonne, un sujet de ma competence, si j'ai acceple et si j'ai choisi la rage, c'ost que je savais, par mon experience personnelle, el par raille et un fails qui sont ä ma connaissance, que la meilleure mani^re de se mettre ä l'abri des alteintes de cette redoutable maladie, c'est de la connaitre, c'est de savoir comment eile se caracterise, surtout ä sa periode initiale, c'est-ä-dire ä un moment oü eile est trös-dangereuse sous ses apparences benignes, car ä cette epoque eile est dej'i susceptible de se communiquer; et cependant, si l'on nest pas prevenu, rien dans les habitudes, dans la phy-sionomie, dans les attitudes du cliien malade, ne vous met en defiance centre lui. On voit bien qu'il n'est pas ce qu'il est d'ordinaire. Mais cette manure d'ötre inhabituelle ne peut en aucune fagon faire soupgonner cette chose redoutable qu'on appelle la rage, si Ton ne connait pas la signification de ce que Ton voit.

Eh bien, c'est justement cette signification, mesdames et messieurs, que je me propose de vous donner aujourd'hui, pour vous mettre en garde contre les dangers que peuvent vous faire courir les chiens qui sont les hötesde nos demeures, nos commensaux de tous les jours, et nos suivants de toutes les heures.

J'ai la ferme conviction que, par cette initiation, je pourrai vous mettre ä meme de vous preserver vous, les völres et les autres, des atteintes de ce mal de rage dont le chien est la source presque exclusive dans notre pays.

II ue faut pour cela qu'une seule chose : savoir ä quoi Ton a affaire lorsque ce mal se manifeste par ses premiers signes. C'est ce que je vais essayer de vous apprendre; et quand bien mi}me, en detinitive, lorsque cette conference sera terminöe.

-ocr page 15-

LA RAGE. 3

je ne serais parvenu ä faire qu'un seul prosölyte dans ce ncm-breux auditoire, eh bien, j'aurais encore le droit de dire, comme l'empereur Tilus, que «je n'ai pas perdu majournöe», si toutefois ce mot a ete vraiment prouonce par ceternpereur, qui pourrait bien n'avoir pas ete aussi bonhomme que la legende l'a fait. Mais e'est affaire entre M. Beule et lui, et j'arrive ä men sujet, sans plus ample pröamhule.

Qu'est-ce que la rage? Sur ce premier point, je n'ai qu'une seule chose ä vous dire, o'est que nous n'en savons rien, absolu-ment rieu. Peut-Gtre trouverez-vous que ce n'etait pas la peine de vous deranger pour vous faire entendre cet aveu si com-pletement d'artißce; mais ce que je vous dois avant

tout, e'est la verit§. II m'eüt ete facile d'aller fouiller dans ce longamas d'öcrits entasses sur la rage, et de vous dire tout ce qui a ete röve sur la nature de cette etrange maladie ; mais nous n'avions aucun profit ä tirer, dans ce cas, du fatras des vieux livres, et j'ai mieux aime m'abstenir.

La nature de la rage est une enigme, dont le mot loujours cherche n'a jamais et6 trouve. L'Cfldipe qui doit le donner n'est pas encore venu. II est vrai qu'ici le probleme ä resou-dre est un peu plus difficile que celui dont le sphinx de Thebes proposait la solution ; mais si grandes que soient les difii-cultes, il n'y a pas ä desesperer de les voir quelque jour surmontees. Seulement, nous attendons encore, et aux jours oü nous sommes, nous ne savons rien de la nature de la rage; nous ne savons rien non plus de son siege. .Mais ce que nous savons bien, — et c'est lä pour nous un fait d'une importance principale au point de vue oü nous devons nous placer, — c'est que cette maladie, si profondement mysterieuse ä l'en-droit de sa nature et de son siege, possöde la redoutable pro-

-ocr page 16-

[[ LA RAGE.

priete de so transmottrc du chien qui en est aff'ccte ä d'autres animaux carnivores ou herbivores, et aussi ä rhomme; en im mot, la rage est une maladie contagieuse. Mais eile n'a qu'un mode unique de transmission, c'est celui que Ton ap-pclle Vinoculalion. Pour que la rage se communique, il faut qu'elle soil inoculee, c'est-ä-dire que le liquide qui en con-tient le germe soit mis en rapport par une plaie, superlicielle ou profonde, petite ou grandc, avec les vaisseaux susceptibles de rabsorber. Ce que Von a dit do la contagion de la rage par I'intermediaire de Fair, par l'haleine des malades, par leurs emanations, par le contact de la sueur dont leur peau pent etre couverte : autant d'erreurs qui n'ont jamais eu pour elles, meme une apparence de fondement, et que la crainte seule a pu inspirer.

La rage ne pent se Iransmettre que par vole d'inoculation, etle seul agent de sa transmission est la salive devenue ce que Ton appelle virulente. Le principe do la rage, ou autre-ment le virus de cette maladie {virus est un mot latin qui signifie poison), ne reside que dans la-salive. Toute autre hu-meur provenant d'un animal enrage est inofl'ensive. L'ino-culation du sang, voire meme sa transfusion, d'un animal malade a un animal sain, sonttoujours restees sans resultats.

Le germe de la rage est dans la salive et n'est [ uel a.

Tout animal aflecte de la rage, rhomme y compris, — je demande pardon de cette categorisation aux dames qui m'e-coutent, — pent trausmettre cette maladie par inoculation; en d'autres termes, la salive est virulente chez lous les sujets enrages, ä quelque esp^ce qu'ils appartiennent. Mais I'inten-site des propriety virulentes difTt're beaucoup suivant les especes. C'est dans le cliien ct le cbalj et dans les animaux de

-ocr page 17-

LA RAGE. 5

leurs genres (cam's et felis), qu'ülle est le plus developpöe; eile s'an'uiblit considerablement dans les herbivores, ä tel point mume que l'inoculation experiinentale de la salive provenant de ces animaux resle trüis-soüvent sterile, taudis que dans le plus grand nombre des cas, l'inoculation de la salive des carnivores donne des resultals positifs. L'homme, ä cet egard, participe de la nature des herbivores; sa salive est virulente, les experiences directes Tont demontre, mais ä un degr^ bien inl'erieurä celui qui caracterise les carnivores.

Mais ce n'est pas seulement parce que leur salive est moins virulente que les herbivores sent moins dangereux que les carnivores; ily a accla une autre raison : c'estqn'ils ontd'autres moeurs et d'autres instincts. Ainsi, lorsqn'un animal herbivore, obeissant aux impulsions irresistibles de l'^tat rabique, devient agressif, ce n'est pas avec ses dents que son instinct le pousse d'abord ä attaqucr, mais bien avec ses pieds, si e'est un che-val, avec ses comes frontales, s'il appartient aux espfjees bovine et ovine ou caprine; et s'il blesse en pareil cas, sa bles-sure peut etre redoulable, mais non pas au point de vue de la rage. U est vrai qu'il a ete ecrit dans quelque livre que des coups de grilles de chats enrages avaient transmis la rage ä ceu\ qui les avaient regus. Si le fait (5tait vrai, il se pourrait cxpliquer par le depot de la salive sur ces griffes devenues ainsi virulentes. Mais jamais un coup de corne de boeuf, de taureau, de belier, si furieuse soit la rage de l'animal qui le donne, ne sera susceptible de communiquer cette maladie. Ce que ,je dis la est presque naif, mais puisque I'assertion contraire a cte soutenue, il faut bien la contredire.

Si, dans les'premiers moments de leur maladie, les herbivores, en general, ne sunt pas disposes i\ mordre, parce que

-ocr page 18-

6 LA RAGE.

Taction de inordre n'est pas dans leurs instincts, cependant rimpulsion rabiquopeutles y determiner, le cheval plus que tout autre, cur, dans les conditions physiologiques, il est plus porte que les autres herbivores ä se servir de ses machoires comme d'instruments de defense.

Mais, murae lorsqu'un herbivore atteint de la rage fait usage de ses denls, sa morsure est moins dangereuse que celle du carnivore, d'abord parce que ses dents sont moins vulnerantes, en raison de la disposition de leurs tables, qui ne leur permet pas facilement de penetrer dans les chairs, surtout ä travers les vetements; et, en second lieu, parce que la salive de l'herbivore est, comme je Tai dejä dit, infiniment moins virulente que celle du carnivore.

C'est done surtout de la rage des carnivores et de celle du chien tout particulißrement que je \ais m'occuper ici. Ce que 1,1

je dirai de celle des autres animaux ne sera qu'accessoire.

DE LA RAGE DU CHIEN

1^

En gönßral, on se figure, et, dirai-je, naturellement, quo lorsqu'un chien est allecte de la rage, sa maladie se caracte-rise d'emblee par des manifestations furieuses, des transports frenetiques, — car on peut se servir de ce mot, meme en par- lt;(

lant d'une bete , qui a son esprit ä eile; — on s'imagine qu'il est devenu tout ä coup plus löroce qu'un tigre ou qu'un cha-cal, et qu'il n'obeit plus qua de cruels instincts, soudame-ment devoloppes en lui, qui le poussent irrösistiblement ä mordre et ä dechirer ceux qui I'approchent, meme les per-sonnes qui lui sont le plus chores.

-ocr page 19-

LA RAGE. 7

C'est lä une id^e müsse; mais on comprend tr^s-bien qn'ello rc'gne sur les esprits, car le mot rage, dans notre langue comrac dans toutes les autres da reste,n'e.\primc pas autre chose que les passions furieuses, la colore, la haine, la cruautc. Dans le style 61eve, comme dans le langage commun, il a la muinc signification; et meme lorsque ce mot est employe d'une ma-niöre figuree ou familiäre, il exprime toujours quclque choso d'excessif et d'oulre. Je ne saurais trop vous mettre cn garde contre cettc idee si fausse que Ton se fait de la rage du chien sur la foi meme du mot qui sort a la qualifier. Cette maladic ne secaracterise pas, dans les premiers temps de sa manifestation, par des accös de fureur et des acles de ieroei e: sou-vent meme c'est le contraire qui a lieu.

Un seul jour ne fait pas d'un niortel vertueux Un infame assassin, un läclie incestueux,

dit l'infortunö fils de Thesoe dans la tragedie de Phcdre. On peut appliquer cette pens6e au malheureux animal qui res-sent les premieres atteintes de la rage. Un seal jour ne fait pas d'un chien affectueux cet animal feroce, furieux et cruef ä l'excös que tout le monde croit. C'est par une (ransilion insensible qu'il arrive ä la periode de la frenesie rabique. Mais quand bien mume cette periode n'est pas encore declaree, il faut que l'on sache bien que, du moment que les premiers symptömes de la rage ont apparu, döja la salive du malade est devenue virulente, et que ses lechements peuvent ctrc tout anssi damjereux que ses morsures.

Penetrez-vous done bien de celte veritö, sur iaquelle j'in-si^te a dessein, car c'est un prejuge bien redoutable que celui fjni a met que la rage est necessairement et toujours uue

-ocr page 20-

8 LA RAGE.

maladie caract^risee par la l'ureur. De lous ceux: qui sont ac-crcdiles dans le inonde au sujet de cette etrange afi'ection, c'estpeut-ötre le plus fecond en desaslres, puisqu'il enlöveou eteint loute d6fiance ä l'egard du chien malade, qui ne manifeste aucune propension ä mordre. Or, vous allez le voir, la rage se montre toujours, ä sa premiöre pöriode, sous des ap-parences d'une extreme benignite; mais malgre cette appa-rence, eile n'en existe pas moins, eile ne possöde pas moins cette terrible realite qu'oa appelle la virulence.

Je vais essayer maintenant de vous la depeindre et de vous la caracteriser par ses trails los plus saillants, dans ses pe-riodes successives.

« Si les animaux n'existaient pas, a dit BufTon, la nature » de riiomme serait encore plus incomprehensible.» Gelte pens6e est juste; mais il rac semble que Ton peut dire avec une egale veritö, que la nature de rhomme, eclairee par sa conscience, dans les faits d'ordre psychologique, permet de mieux comprendre et de mieux interpreter les manifestations intellectuelles ou instinctives des animaux. Nous allons avoir roccasion de verifier tout ä Fheure l'exactitude de cette proposition, lorsque nous demanderons aux faits de la rage de rhomme l'interpretation de quelques-uns des symptömes par lesquels celle du chien se traduit.

a. Symptömes qui procedent de 1'habitude exterieure du chien enrage.

Le mot habitude est pris ici dans le sens physiologique; il exprime la maniore d'etre speciale de l'animal, son aspecl, ses caracteres exterieurs enlin.

-ocr page 21-

LA RAGE. 9

Ala pfiriode initiale de sa maladie, le chien enrage change d'humeur; il devient triste, sombre, et dirai-je volontiers, taciturne. II cherche ä s'isoler, se complait dans la solitude et dans l'obscurite, et va se cacher dans les recoins des appar-tements, sous las meubles. Mais döjfl pour lui il n'y a plus de repos;ä peine s'est-il couche, arrondi sur lui-meme, dans l'attitude habituelle du chien qui s'endort,qiie, par un acoup subit, il se redresse, s'agite, va et vient dans hi chambre, puis se remet en position pour dormir, y reste quelques minutes, en change encore et toujours ainsi. En d'autres termes, Fanimal est dans un etat conlinucl d'inquietude et d'agitation qui contraste avec ses habitudes, et doit, par cela meme, eveiller et fixer I'attention.

Mais, dans cette premiere p6riode, il ne montre aucune propension ä mordre; il est encore docile a la voix do son maitre, et va vers lui quand il s'entend appeler. Toutefois, ce n'est pas avec le meme empressement que par le passe, et surtout avec la möme expression de physionomie. Si sa queue est agitöe, elle est lente dans ses mouvements. Son regard a quelque chose d'etrange ; destituö de son animation habituelle que la voix du maitre n'a reveillee qu'un instant, il n'ex-prime plus qu'une sombre tristesse; et des que l'animal ne se sent plus sous l'excitation de cette voix, il retourne ä sa solitude et ä ce que Ton peut Men appeler ses tristes pen-s6es, car le chien pense,il a sesidees ä lui, qui, pour etre des idees de chien, n'en sont pas moins, ä son point de vue, de trös-bonnes idees, quand il se porte bion.

Ces premiers symptömes s'accusent de plus en plus; 1'agi-tation du malheureux animal va croissant; s'il est surune li-tirre, ilia disperse et I'eparpille sous le gratlement de ses

-ocr page 22-

10 LA RAGE.

pattes; dans un appartement, il retonrne et bouleverse les coussins ou les tapis sur lesquels il se couche d'ordinaire; mais nulle part il ne trouve oü se reposer et se livre ä un va-et-vient continuel,faisanlsuns cesse retentir le parquet du frap-pement de ses ongles, grattantle sol, flairant dans les coins, sous les portes, comme s'il etait sur une piste ou ä la recherche de quelque objet perdu.

11 est une particularite trt's-remarquable de cette periode initiale de l'etat rabique du chieu qu'un ceK'bre vßterinaire anglais, Youatt, a le premier signalee et bien decrite, c'est Faberration de ses sens qui lui lout voir, entendre, sentir des objets tout imaginaires; en un mot, le cbien enrage 6prouve des hallucinations. Peul-etre quelques-uns de mes auditeurs s'6tonneront-ils de me voir employer ici cette expression. Mais est-ce que le chien n'est pas un 6tre intelligent? est-ce qu'il n'a pas ses idees,comme je le disais tout 4 I'heure? est-ce qu'il n'a pas ses reves qui se traduisent pour ainsi dire pbjec-tivement ä nos sens, quand nous Tobservons pendant son som-meil, par l'agitation de sa queue, ses jappements, son siffle-ment nasal ou ses grondements sourds? 11 n'y a done rien. d'extraordinaire ä ce que, lorsqu'il se trouve sous le coup de l'excitalion nerveuse dont I'^tat rabique est la cause, son cer-veau pergoive des sensations qui sont du meme ordre que celles qui constituent les r6ves. Be fait, c'est ce qui a lieu. Quand on observe attentivement un chien enrage, sans le trou-bler et sans I'exciler par aucune manifestation qui pourrait detourner son attention, on peut deviner, d'aprös ses gestes et ses attitudes, la nature des sensations qu'il pergoit et qui le determinent. Tantöt, en effet, I'animal se tient immobile, alten tif, comme aux aguets; puis tout ä coup il se lance devant

-ocr page 23-

liA RAGE. 11

lui et mord dans l'air, ainsi qu'il le fait dans l'etat de sante, lorsqu'il vcul attraper une mouclie au vol. D'autres fois, il se pröcipile furieux et hurlant contre un mur, comma s'il avait entendu de l'autre cöte des bruits menagants. Quelle est la signification de ces mouvements qui n'ont rien de desor-donnö, qui sont au conlraire parfaitement diriges par la volonte del'animal? Les faits de la pathologie humaine nous la donnent: le chien comme le malade de notre espice eprouve des hallucinaiions; il voit des ennemis, il les entend, il les poursuit, il se jette sur ces fantomes et les mord comme s'ils etaient des r6alit6s.

Ne croyez pas cependant que lorsqu'il est ainsi determine ä se servirde ses mächoires contre des etres imaginaires et qu'il se livre ä de tels mouvements agressifs, les instincts feroces soient dejä developpösen lui. II n'en est rien : ;! cette epoque de sa maladie, le pauvre animal est encore docile et soumis; il suffit. pour le faire sortir de son 6tat de delire passager, que la voix de son maitre se fasse entendre et l'appelle : « Disperses par cette influence magique, tons les objets de sa terreur s'evanouissent, et l'animal rampe vers son maitre avec I'expression d'attachement qui lui est particuliöre » (Youatt).

Je vous ai döjä dit, mesdames et messieurs, et memo avec une certaine insistance dont je ne me fatiguerai pas, que la rage chez le chien, a. sa periode initiale, n'etait pas une maladie caracterisee par la fureur, comme on 1'admettait genera-lement; qu'au contraire eile se manifeslait avec des apparen-ces d'une extröme benignite. Je dois maintenant vous signaler une parlicularite plus grave encore : non-seulement le chien enrage n'est pas agressif, surtoul au döbut de son mal, pour les personnes auxquelles il est attache, maisilsemble aucon-

-ocr page 24-

12 I-A RAGE.

Irairc que chez lui les sentiments afTecUieux grandissent et s'exagL'rent, pour airsu dire, proportionnellemcnl a l'etat de malaise interieur qu'il öprouve. Son instinct le pousse, ä de certains moments, ü se rapprochcr de sonmaitre, commepour lui demander un soulagement a ses souflVances, et si on le laisse iaire, il temoigne volontiers sa reconnaissance, pour les soins qu'on lui donne, par ses lechemenls sur les mains on sur le visage. Ce sont Li de perfides caresses contre lesquelles je ne saurais trop vous mettre en garde, car, tout aussi süre-nient que les morsures, dies peuvent inoculer la rage si la langue, humide d'une bave deiä virulente, rappelez-vous-le. vient ä toucher des parlies dont la peau est excoriee et bles-see. La plus petite ecorchure, en pareil cas, peut etre una porte ouve.rte a la mort, et quelle mort! Que dis-je, peut-ßtre? mais eile l'a etö maintes et maintesfois; elles se comp-tentparcentaines, dans les annales de la necrologie rabique, les victimes do ces caresses empoisonnees donnees par des chiens dont on ne soupgonnait pas la redoutable maladie. Que ces terribles enseignements ne soient pas perdus ! Le danger que je signale ici est de ceux qu'on peut facilement eviter, et il doit suflire, ce me semble, d'en etre averti pour qu'on ne I'encoure pas.

Ce sentiment affectueux du chien enrage pour ses mailres est tellement puissant et tenace qu'il le domine, meme dans la periode furieuse de sa maladie, s'impose ä lui et demeure plus fort que Fimpulsion rabique, c'est-ä-dire que cet instinct feroce et tout morbide qui le determine a mordre d'une ma-nit!re que Ton peut appcler fatale; mais cctte fatalite est sur-montee par un eifert de la volonte de l'animal ou pour mieux dire par la puissance de son attachement. En cela on peut

-ocr page 25-

LA RAGE. 13

dire que lo chien participc de la nature de l'homme qui, dans les mtimes conditions maladives, a la conscience du mal qu'il peut laire et sait l'epargner aux autres.

Si le chien enrage respecte le plus souvent ses maitres et leur dpargne ses morsures, meme ä la periode la plus furieuse de sa maladie,de leur cöte ceux-ci exercent presque toujours sur lui une puissante influence, assez efücace dans un assez grand nombre de cas, pour que la rage de leur animal reste pour ainsi dire latente, et ne se manifeste pas par des accös de fureur et des envies de mordre. C'est encore la une parti-culariiebien remarquable, qui est souvent une condition de salut pour le groupe des personnes que leurs relations de voi-sinage ou d'intimite exposent ä etre les premieres atteintes par un chien malade de la rage. Taut que ses maitres agissent sur lui par leur presence et par leurs paroles qui ont, sem-- ble-t-il, quelque chose de fascinateur, ses instincts feroces sont contenus et ne font pas explosion. L'animal reste doux, meme abordable encore pour des personnes etrangöres—(ce-pendant il ne faut pas trop s'y tier);—le sentiment de la sou-mission et celui de rattachernent demeurent superieurs en lui ä ceux que l'instinct rabique fait naitre et developpe. J'ai ete, pour ma part, bien souvent temoin du fait que je Signale ici; bien des fois, par exemple, j'ai vu, dans la cour des hö-pitaux de l'ecolc d'Alfort, des chiens atteints de rage que Ton tenait simplement en laisse et non muselös et qui, grace a la presence de leurs maitres, restaient completement inoffensifs au milieu do la foule dont ils etaiententourös et ne manifes-taient leur fureur rabique qu'aprfc leur separation d'avec la personne qui les avait amenös. lis sont bien nombreux aussi les fails que j'ai recueillis ou qui sont inscrits dans les annales,

-ocr page 26-

14 LA RAGE.

de chiens malades de la rage, laisses libres dans lös mai-sons, continuant ä vi vre dans l'intimite de leurs maitres, cou-cliant dans leurs chambres et jusque surleurlitet s'abstenant de commettreaucun mefait sur eux,sur les personnes de leur famille, sur les enfants eux-memes, malgre leurs taquine-ries, et sur les gens de la domesticite; et cela,notons-le bien, pendant un, doux et trois jours et meme au doli, c'est-ä-dire pendant une periode de temps süffisante pour que la maladie arrive ä son plus haut paroxysme.

J'ajouterai maintenant que, m6me dans cette periode de paroxysme, lorsque la rage est pour ainsi dire dechainee et que l'animal qu'elle domine se livre ä tous les emportements de la fureur, eh bien, m6me encore dans ce cas, la voix du maitre, et volontiers, dirai-je, sa parole est ecoutee ; il suffit qu'elle se fasse entendre pour que l'animal rentre quelques instants dans le calme, an milieu de ses accte, qu'il essaye meme quelquesmouvements de sa queue, et qu'ä travers son ceil fauve et sombre passe comme un Eclair de ce sentiment afTectueux qui I'animait autrefois.

Cette parole amie et aimee, que le pauvre animal cnmpre-nait si bien avant qu'il füt en proie a son terrible mal, eilt-peut encore exercer sur lui assez d'empire pour le ramenor mcime lorsque, echappe a toute entrave, il erre en liberie dans les cours, dans les jardins, sur les routes, et que deja il s'est livre ä des actes de ferocite. Meme dans ces conditions, il n'est pas rare que le chien reponde encore a l'appel de son nom, lorsque c'est son maitre qui le prononce, et que, dompte et comme resigne, il aille ä lui avec soumission et se laisse remettre au cou la chaine d'attache. Heureuse circonstance, grace ä laquelle bien des malheurs peuvent ötre evites, lors-

-ocr page 27-

LA RAGE. 15

que los proprictaires des cliiens echappes en plein accös de rage savent dominer leurs propres frayeurs, et meltre ä profit cette sorte d'immunite que leur assure rattachement encore vivace de leur pauvre böte. Dire qu'en pareil cas ils ne cou-rent aucun danger persoiinel, ce serait aller au delä du vrai, car il y a des cliiens que la fureur rabique egarent au point qu'ils meconnaissent jusqu'ä leurs maitres; mais ce qui est certain, c'est que ceux-ci,dans le plus grand nombre descir-constances, ont pour eux le benefice d'une sorte de grace d'etat, et qu'en definitive, datis le danger commun, ce sont eux qui sont lemoins menaces.

Vous pouvez juger, par ces premiers traits, quelle fausse idee on se fait de la rage canine lorsqu'on s'imagine que, dös les premiers moments de sa manifestation, eile se traduit par des accös de fureur et des envies de mordre. Bien loin qu'il en soil ainsi, c'est le contraire qui est le vrai; ce ne sont pas les morsures du chien enrage qu'il faut redouter dans les premiers temps de sa nialadie,mai3 bien ses caresses, qu'on peut dire, ä la lettre, empoisonnees.

Je reviens toujours sur ces premiers caractöres de la rage canine parce que c'est leur meconnaissance, si je puis dire ainsi, qui est cause d'un grand nombre de malhenrs.Avecles idees qui eourent sur le mode d'expression de cette maladie, on a peine ä croire que cet animal, actuellement encore si doux, si docile, si soumis, si humble ä vos pieds, qui vous löche les mains et le visage et vous manifeste son attachement par tant de gestes si expressifs, porte en lui le germe de la plus terrible maladie qui soit au monde. De la vient une con-fiance et, qui pis est, une credulite dont sont trop souvent victiraes ceux qui possödent des cliiens, surtout ces cbiens

-ocr page 28-

16 LA RAGE.

intimes qui sont pour rhommcleplus sür des arnis,tantqu'ils ont leur raison, mais qui, sous l'influence de la rage, peuvent devenir et deviennent en eft'et des ennemis d'autant plusdan-gereuxqu'ilssont traitres sans le vouloir et que c'est par leurs caresses qu'ils vous tuent.

!N'est-il pas vrai, mesdames et messieurs, que ces premiers symptömes que je viens de vous depeindre sont deja bien si-gnificatifs, et ne vous semble-t-il pas que si tout le monde etait prevenu par des avertissements repetes du sens r6el qu'il faut leur atlribuer, bien des malheurs seraient evites qui ne resullent que de l'ignorance commune a cet cgard.

Mefiez-vous done, vous dirai-je, pour resumer cette premiere partie de ma dissertation, m6fiez-vous du chien qui commence ä devenir malade; tout chien malade doit etre suspect en principe.

Mefiez-vous surtout de celui qui devient triste, morose, et recherche la solitude; qui ne sait ou reposer; qui sans cesse va, vient, rode, happe dans Fair, aboie sans motif, et par uu acoup soudain, dans le calme le plus complet des choses ex-terieures; dont le regard est sombre et ne s'anime, que par eclairs, do son expression habituelle.

Mefiez-vous du chien qui cherche et fouille sans cesse else livre ä des mouvements agressifs contre des fantömes.

Mefiez-vous enfin et surtout de celui qui est devenu pour vous trop affectueux et qui semble vous implorer par ses 16-chements continuels.

Ainsi prevenus et mis sur vos gardes, vous pourrez vous te-nir ä l'abri des plus graves dangers que les chiens, appeles familiers, peuvent nous faire encourir dans nos demeures.

Je continue Texpose de mon sujet.

-ocr page 29-

LA RAGE.

b. Symplömes qui procedent de l'appareil düjestif.

De Iontes les opinions qui ont cours sur la rage du chien, l'une des plus accreditees est cclle qui admet quu cetfe mala-die se caracterise toujours par Vhorreur de l'eau, et que conse-quemment, lorsqu'un chien malade n'a pas cettc liorreur, c'est qu'il n'est pas enrage. Ces doux idees se trouvent aujour-d'hui si etroitementassocifces, que le nom du symptöme repute constant est synonyme de la maladie. On dit d'un chien enrage qu'il est hydrophobe, et Vhijdrojjhnbie c'ost la rnge, romme la rage e'est Vhydrophobie.

Voilä, mesdames et messieurs, une I'uneste erreur qu'il faut s'empresser de deraciuer, car eile a ete, elle aussi, fertile en consequences desastreuses.

11 n'est pas vrai que le chien enrage soil hydrophobe; l'eau ne lui fait pas horreur; quand on lui ofTre ä, boire, il ne re-cule pas epouvante. Loin de lä, il s'approche du vase, il lape avidement le liquide ; ille deglutit toujours dans les premieres periodes de sa maladie, el lorsque la constriction de sa gorge rend la deglutition difficile, il n'en essaye pas moitis de boire, et alors ses lapements sont d'autant plus repetes et pro-longes qu'ils demenrent plus inefficaces. Souvent meme on le voit alors, en desespoir de cause, plonger le museau tout en-tier dansle vase et mordre, pour ainsi dire, l'eau qu'il pompe inutilement et ä laquelle il ne peut faire franchir le detroit de son gosier convulsivement resserre. Le supplice qu'il ßprouve a quelque analogic avec celui de Tantale qui, devorö

par la soif, voyait fuir devant lui, au moment ou il se penchait

2

-ocr page 30-

18 la rage.

pour boire, les eaux du lleuve dans lequel il etait plonge:

Tantalus, a labris, sitietis fugientia capiat Flumina......

Je demande pardon de cette reminiscence aux dames de mon auditoire; mais n'est-elle pas naturelle, dans ce vieil amphitheatre de la Sorbonne, ou Ton parle latin depuis tant de siöcles, qu'il semble que les murs enx-memes doivent en Clre impregnes.

Je reviens ä mon sujet. Les chiens enrages ont si peu hor-rcur de l'eau, qu'on en a vn traverser des rivißres ä la nage pour aller se jeter sur des troupeaux de moutons qu'ils avaient apergus sur I'autre bord,

D'ou vient done, ä l'egard de la rage, ce prejuge de l'hydro-phobie, aujonrd'hui siprofondöment enracine dansles esprits? C'est que ce terrible symptOme etant presque constant dans la rage de l'homme, on a admis par un a priori et sans autre informe, en substituant I'analogie ä l'observation directe, que le cbien devait 6tre hydrophobe dans l'ötat rabique, puis-que l'homme I'etait.

Oui, I'liomme a presque toujours une horreur invincible de l'eau lorsqu'il est sous le coup de cette effrayante maladie, et il subit alors cette indicible torture d'etre tout a la fois devore par la soif et epouvante par la vue du liquide qui pourrait en eteindre les ardeurs. Que voila depassees et de blen loin, par une terrible realite, toutes les conceptions des poiites! Tantale, dans son fleuve, avaitau moins, pourl'apai-sement de sa soif, le benefice de l'immersion que la physio-'ogie a demontree depuis etre si cnicace, et que Jupiter ignorait sans doute ; — a son epoque la physiologic 6lait si

-ocr page 31-

LA RAG-E. '3 9

peu avancce ! — Mais sentir son gosier aride, voir devant soi le liquide, pouvoir le prendre, l'approcher de ses Itvres, et se trouver force de le repousser parce qu'il vous inspire une insurmontable horreur, peut-on rien concevoir, en fait de tortures, qui soitsuperieur a celle-d ? Et cette torture ce n'est pas,h§las! quelque chose d'imaginaire; beaucoup de -victimes deja Tont subie, et parmi elles, le nombre est grand de celles qui ont du leur malhetr aux morsures et aux caresses de chiens l'amiliers, auprös desquels elles vivaient dans une

Isecurite trompeuse, malheur qu'elles auraient evite, si, eclai-rees sur la signification des choses, elles avaient su sous quelle ;brrne le danger pouvait se presenter ä elles, et s'etaient te-nues en garde centre lui. Mefiez-vous done des chiens malades, quand bien meme ils sont avides de boire, et gardez-vous de conclure qu'ils ne sont pas enrages, lorsque vous constatez qu'ils ne sont pas hydrophobes, car l'hydrophobie, j'insiste sur ce point, n'existe chez les chiens dans aueune des periodes de leur etat rabique.securite trompeuse, malheur qu'elles auraient evite, si, eclai-rees sur la signification des choses, elles avaient su sous quelle ;brrne le danger pouvait se presenter ä elles, et s'etaient te-nues en garde centre lui. Mefiez-vous done des chiens malades, quand bien meme ils sont avides de boire, et gardez-vous de conclure qu'ils ne sont pas enrages, lorsque vous constatez qu'ils ne sont pas hydrophobes, car l'hydrophobie, j'insiste sur ce point, n'existe chez les chiens dans aueune des periodes de leur etat rabique.

Au debut de son mal, le chien enragö ne refuse par d'ordi-naii j sa nourriture et quelques-uns meme font preuve, lors-

qu'on la leur presente, d une voracity qui ne leur est pas habituelle. Mais tous ne tardent pas ä perdre complötement l'app^tit. Chose remarquable alors et tout ü fait caracteristi-

9

que ! Soit qu'il y ait chez l'animal enragö une veritable depravation de l'appetit ou, plutöt, que le symplöme que je vais signaler soit l'expression d'un besoin fatal et imperieux de

mordre auquel l'animal obeit, on le voit saisir avec ses dents, dechirer, broyer et d^glutir enfin une foule de corps etran-gers ä ralimentation.

La littere sur laquelle il repose dans les chenils, la laine

k

-ocr page 32-

20 LA RAGE.

des coussins dans les appartements, la couverture des lifs quand, chose si commune, il couche avec ses maitres; les tapis, le has des rideaux, les pantoufles, le bois, le gazon, la terre, les pierres, le verre, la fiente des chevaux, celle de Thomme, la sienne meme, tout y passe. Et a I'autopsie d'un chien enrage, on rencontre si communement dans son esto-mac un assemblage d'une ibule de corps disparates de leur nature, sur lesquels s'est exercöe Faction de ses dents, que rien que le fait de leur presence suf'fit pour etablir la trös-forte presomption de l'existence de la rage : prt5somption qui se transforme en certitude lorsque Ton est renseigne sur ce qu'a fait l'animal avant de mourir.

Cela connu, on doit se tenir fortement en garde contre un chien qui, dans les appartements, dechire avec obstination les tapis, les couvertures ou les coussins; qui ronge le bois de sa niche, mange la terre dans les jardins, devore salitiöre, etc., et tout cela, le plus souvent sans manifester aucune mechancete contre les personnes. Celles-ci ne se voyant pas attaquees restent presque toujours sans defiance, parce qu'elles ne se rendent pas compte de la signification des faits bizarres dont elles sont temoins. Et cependant, rien de plus important que ces faits, car ils sont un prelude. L'animal assouvit sa fureur rabique naissante sur des corps inanimes, mais le moment est bien proche ou I'homme lui-meme ne sera pas epargneet oü le chien en delire pourra porter ses dents, meme sur son maitre, si affectionne qu'il lui soit.

C'est une croyance assez gönöralement röpandue que le chien enrage bave abondamment, et que sa boucbe est toujours remplie d'ecume, en sorte qu'on ne se le figure pas au-trement; aussi, lorsqu'on n'observe pas ce symptOme sur un

-ocr page 33-

LA KAGE. 21

chien malade, est-on naturellement porte ä croire que ce n'est pas ä la rage qa'on a ad'aire ! Grave erreur encore quo celle-lä, et qu'il ne faul pas laisser subsister !

La secretion salivaire ne s'exagöre dans l'etat rabique que lorsque la maladie touclie ä son paroxysme, c'est-ä-dire ä sa periode de fureur ; mais avant cettc epoque, rien n'indique que la salive flue vers la bouche avec plus d'abondance que dans l'etat physiologique. Un chien peut done etre parfaite-ment enrage sans qu'il bave et sans qu'il ecume.

J'appelle maintenant voire attention sur un autre sym-ptöme, moins constan': que ceux que je viens de passer en revue, mais d'une importance trc^s-conSiderable, en raison des meprises redoufables auxquelles il peut donner lieu. Dans de certaines conditions de l'etat rabique qu'il me serait bien difficile de specifier ici, et meme ailleurs, la gueule du chien reste beante, parce que les muscles paralyses de la machoire inferieure sont impuissants ä la fencer. Dans ce cas, la membrane qui tapisse l'interieur de la bouche se s^che sous ! courant continuel de l'air auquel eile est exposöe, revßt une teinte rouge foncce et se couvre par places d'une couche bruntUre de poussiere ou de terre dessechee, qui adhöre no-tamment ä la surface superieure de la langue et sur les lövres. La physionomie que donnent ä I'animal I'ecartement force de ses machoires et lacouleur foncoe de l'interieur de la bouche., est rendue plus rernarquable encore et plus carac-terisliquepar l'expression de l'ceil qui deviant terne et s'eteint pour ainsi dire.

Dans de telles conditions, I'animal est pen dangereux par lui-mcme, car il est desarrnc, et voulut-il mordre qu'il ne le pourrail pas. Mais, rap[ elez-vous-lc bien, sa salive n'en est

-ocr page 34-

22 LA RAGE.

pas moins virulente, et si on se l'inoculepar des manoeuvres imprudentes, on pent 6tre aussi fatalement vou6 ä la rage quesil'inoculation etait faite par une morsure. Or, il y a ici im grave danger contre lequel je dois vous premunir: c'est celui de se laisser entrainer tä faire, avec les doigls, des explorations dans l'interieur de la bouche du chien malade, pour s'assurer si l'obstacle qui s'oppose au rapprochement de ses müchoires, ne serait pas un os arretö eutre les dents ou dans le pharynx. Car c'est ä cette idee que Ton se fixe naturelle-ment quand on ne connait pas la signification des choses, et si le chien est afTectionne, ou veut lui porter secours en le d^barrassant de la cause presumee de ses soufTrances. Maissa salive est virulente, je le repute ; et si Ton porte aux doigts quelque ecorchure, si Ton se blesse contre les dents, ou si encore, chose possible, par un mouvemeut convulsif I'ani-mal rapproche ses rMchoires et fait une morsure, dans toutcs ces conditions le germe du mal pout etre inocule et les plus funestes consequences sont ä craindre. L'histoire du passe fournit de terribles exemples d'inoculations faites de cette maniöre.

Mefiez-vous done toujours d'uu chien dont les machoires so maintiennent öcartees, car cet ecartement peut etre le signe de la rage, soit qu'il caracterise la variele parüculiöre que Ton appelle la rage-mue, soit qu'il ait apparu dans une des phases de la rage furieuse. D'une maniere ou d'une autre, c'est un signe redoutable, et, dans l'un et l'autre cas, on doit 6viter de se souiller les mains avec la salive qui, quelle que seit l'expression symptomatique de l'etat rabique, est toujours virulente.

Mefiez-vous aussi d un autre symptume que peut presenter

-ocr page 35-

LA RAGE. 23

le chicn enragö et qui procMe de la sensation de constriction et d'astriction qu'il eprouve ä la gorge, sous l'influence du spasme rabique et par le fait aussi de la secheresse de sabou-che : je veux parier des gestes qu'il fait, quelquefois avec ses pattes de devant, de chaque cötede ses .joues, comme pourse debarrasser d'un os qui serait arrete au fond de sa gorge ou entre ses dents. Dans ce cas encore, trompe par les apparences ou se moprenant sur leur signification, on est volontiers dispose ä venir au secours de l'animal qui indique par ses gestes le siege de sa souffrance et qui semble aussi en indi-quer la cause. Mais gardea-vous bien de vous laisser aller ä ce mouvement de charite, car ici les explorations peuvent avoir des suites d'autant plus dangereuses que le chien ctant librc de mordre, la contrariete qu'il eprouve peut le determiner ä se servir contre vous de ses muchoires.

Si je m'etais propose de vous dire tout ce que comportent rhistoire etl'etude de la rage canine, le moment serait venu de vous parier de boutons particuliers, dont on a Signale l'e-ruption sous la langue, de chaque cötö de son frein, dans la periode d'incubation de cette maladie. Mais, au point de vue oü je dois rester ici, l'bistoire de ces boutons, que Ton desi-gne sous le nom de lysses, n'a pas d'importance reelle, puis-qu'ils constituent un symptöme trop cache pour qu'il puisse servir a faire reconnaitre la maladie. Je ne fais done qu'en signaler ici l'existence possible et je continue.

Parmi les symptumes fournis par l'appareil digestif, dans la pöriode initiale de la rage, il en est un, trcss-exceptionnel, et par cela meme plus insidieux peut-etre que les autres, sur lequel je dois fixer votre attention : c'est le vomissement sanguinolent qui provient snns doute des blessures faites äla

-ocr page 36-

2.'i LA BAGE.

rnuqueuse de rcslomac par des corps dur?, ä angles acöres, que 1 animal a pu degluür. II faut se metier de ce symptörae et, tout exceptionnel qa'il soit, Tassocier dans votre esprit ;i l'idee de l'existence possible de la rage, de maniöre ;i vous tenir en garde centre I'animal qui peut le presenter. Aussi bieu, je dirai ä cette occasion quelorsqu'ils'agit des maladies internes des animaux de l espece canine, il est prudent, pour se meltre ä l'abri des menaces de la rage, de considerer en principe ces animaux comme suspects et d'user avec eux de precaution jusqu'äce que Ton sache ä quoi Ton a all'aire. J'ai. pour ma part, adopte depuis longtemps cette ligne de con-duite, et c'est ä eile que j attribne I'immunite dont j'ai joui pendant la duree de ma longue carriere clinique.

c. Symptömes qui procedent de Vexpression vocale.

L'aboiement du chien enrage est lout ä fait caracteristi-que, si caracteristique que, lorsqu'on en connait la signification, on peut, rien qu'ä I'entendre, affirmer ä coup sur l'existence d'un chien enrage lä 011 cet aboiement a retenti. lit il ne faut pas, pour arriver ä cette sürete de diagnostic, que I'oreille ait etc longtemps exercee. Celui qui a entendu une on deux fois hnrlcr le chien qui rage en demcure si for-tement impressionne quand, cela va de soi, on lui a donnele sens de ce hurlement sinistre, que le souvenir en reste grav4 dans sa memoire, et lorsqu'uue autre fois le meme bruit vient ä frapper son oreille, il ne se meprend pas sur sa signification.

Je ne reussirai pas sans doule ;i vous laire comprcndre fa-

-ocr page 37-

LA RAGE. 25

cilement par des paroles ceque c'csl que le hurlement rabi-que. Pour en donner uae idee bicn nefle, il me faudrait avoir une laculle d'imitation que je ne possMe malheureusement pas. Je dois done me borner ä vous dire que Taboiement du chien, sous le coup de la rage, est remarquablement modifie dans son timbre et dans son mode. Au lieu d'dclater avec sa sonorite normale et de consister dans une succession d'emis-sions egalcs en duree et en intensite, il est rauque, voile, plus bas de ton, et, ä un premier aboiement fait ä pleine gueule, succtide immediutement une serie de cinq, six ou liuit hurlements decroissants qui partent du fond de la gorge, et pendant remission desquels les madioires ne se rappro-chent qu'incompletement, au lieu de se fermer ä chaque coup, comme dans I'aboiement ordinaire.

Ces hurlements prolonges ont quelque chose de lugubre et de sinistre qui vous remue jusque dans Tepigastre. lors-qu'on sait ce qu'ils veulent dire, et il est probable que les presages de malheur qui, d'aprtss les traditions populaires, se rattachent aux hurlementä des chiens contre la lune, n'ont pas d'autres fondements que les souvenirs laisses dans les esprits des dusastres causes par des chiens enrages, qui avaient fait entendre, la nuit, leurs hurlements sinistres quelque temps avant de se livrer ä leurs fureurs.

La description que je viens d'essayer lout ä l'heure n'a pu vous donner, sans doute, qu'une idee bien incomplete de I'aboiement rabique ; mais I'important ici, e'est que vous de-meuriez bien convaincus que toujours la voix du chien enrage change de timbre, que toujours son aboiement s'execute sur un mode completement different du mode physiologiquo. 11 faut done se tenir en defiance quand la voix eonnue d'uu

-ocr page 38-

26 LA RAGE.

einen familier vient ä sc modifier tout ä coup et ä s'exprimer par des sons qui, n'ayant plus rien d'accoutume, doivent frapper par leur elrangete möme.

Maintenant, pour achever vos convictions, je veux vous donner la preuve, par le recit d'une anecdote authentique, de la grande valeur qa'il faut attacher ä l'aboiement modifie du chien comme signe de rage. 11 y a quelques annees, deux eleves veterinaires, rentrant a 1 ecole d'Alfort vers neufheu-res du soir, entendirent le hurlement de la rage, pousse par un chien de garde dans une maison de la rue de Charenton. lis s'empressörent de sonner a la porte de cette maison et de prevenir le proprietaire du danger qui le menagait. Celui-ci heureusement prit ravertissernent au serieux, comme il etait donne; le chien, qui etait encore ä l'attache, y fut maintenu toute la nuit, et le lendemain on le conduisit ä Alfort. Les elöves ne s'etaient pas trompes; je constatai que ce chien etait enrage. Son maitre ne pouvait pas revenir de son eton-nement; il avail peine ä croire que cet animal, si docile encore qu'il tenait en laisse, si caressant et qui lui ob^issait comme en sante, füt atteint d'une si redoutable maladie. 1.1 l'etait cependant; dös qu'on I'eut mis en cage, les symptömes de la rage se manifestörent de la maniöre la plus evidente.

On ne saurait trop louer la presence d'esprit dont ces 616-ves veterinaires ont fait preuve dans cette circonstance, car elle a prevenu de bien grands malheurs. Le chien dont ils avaient devine la rage ä son hurlement etait de haute taille, et s'il avail ete detache de sa chaine, comme on avait I'habi-tude de le faire, et qu'il se füt echappe, il aurait pu causer les accidents les plus terribles. Le salut est venu ici de ce qu'un des signes precurseurs de la rage lurieuse a pu etre

-ocr page 39-

LA RAGE. 27

reconnu ä temps. Combien cela vous prouve l'importance de les connaitre!

Tous les chiens enrages ne liurlent pas; il y en a qui sont completement muets dös le debut de leur maladie,ii laquelle on donne, ä cause de cela möme, le nom de rage-mue, ce qui veut dire rage muette. Dans cette variete de rage dont j'ai parle tout ä l'heure et dont la caracteristique essentielle, au point de vue diagnostique, est la paralysie de la mächoire inferieure qui reste ecartee de l'autre, le mutisme est la consequence de cette paralysie et peut-etre aussi de celle des or-ganes vocaux. L'animal se tait parce que remission mecani-que des sons ne lui est plus possible. Toutefois, il faut dire qu'au point de vue moral, si je puis m'exprimer ainsi, la rage-mue difföre de la rage furieuse, non-seulement parce que l'inertie de ses mächoires empeche le chien de s'en servir, mais encore par ce fait que les instincts feroces lui font de-faut et qu'il n'y a pas chez lui de tendance ä l'agression. En sorte que la rage-mue resterait toujours inoffensive, si Ton n'allait pas pour ainsi dire au-devant de ses inoculations, en cherchant dans la gueule du chien, comme je le disais tout i l'heure, Tos imaginaire qui s.'oppose au rapprochement de ses mächoires. Si la rage-mue pout ötre consideree comme benigne au point de vue symptomatique, elle ne Test pas au point de vue de la virulence. C'esta dessein que je reviens sur cette particularite, parce qu'il me semble que je ne sau-raifi trop faire pour Fincruster dans voire esprit.

-ocr page 40-

LA RAGE.

d. Sjmptömes qui procedent de la sensilrilile.

Conlrairement ä ce que l'on observe chez l'homme dans l'ctat rabiquc, la sensibilite du cliien enrage parait elre con-siderablement omoussee, et il semble avoir perdu la faculte d'exprimer dans le langage qui lui est propre les sensations qu'il eprouve. Le chien enrage est muet sous la douleur. Quelles que suient les soufi'rances qu'on lui inflige, 11 ne fait entendre ni le sifflement nasal, premiere expression de la pluinte du chien, ni le cri aigu par lequel il traduit les dou-leurs les plus vivas. Frappe, pique, blosse, brüle meme, le chien enrage reste muet; mais il n'est pas insensible. Le sentiment do la conservation existe encore chez lui; quand on a allume sous lui la litic!re desa niche, il s'echappe du foyer et se tapit dans un coin pour echapper auxatteintes de la flamme. Lorsqu'on lui presente une barre de fer rougie au feu el; que, empörte par la rage, il se jette furieux sur eile et la mord, il recule immediatement apr^s I'avoirsaisie. Le fer rouge applique sur ses pattes le fait, fuir de meme. 11 est evident que, dans ces diverses circonstances, I'animal souffre, I'expression de sa figure le dit; mais, malgre tout, il ne fait entendre ni cri, ni gemissement.

Toutefois, si la sensibilite n'est pas eteinte chez le chien enrage comme en temoignent les resultats des experiences qui viennent d'etre rapportees, elle est moindro, evidemment que dans I'etat physiologique. Quand on a iete sous lir de l'efoiipe enflammee, ce n'est pas immediatement qu'il se de-place; il y met du temps, c'esl le cas de le dire, et quand il

28

-ocr page 41-

T.A Ii AGE. 59

se decide enfin ä s'(5cliapper, dejä le feu lui a fait de profundes atteintes. Certains sujets, mais ceux-lä font exception, ne lächent pas la barre de fer rouge qu'ils ont saisie entre leurs dents.

On estautorise ä conclure de ces fails que les chiens attaints de rage ne pergoivent pas les sensations douloureuses aussi vita et au mcme degrö que dans l'etat physiologique, et c'est ce qui explique comment ils peuvent assouvir leur fureur jusque sur eux-memes. Bieu des faits. dans I'histoire de la rage des animaux, temoignent de leur insensibilite contre leurs propres alteintes. Je ne veux vous en rapporter ici qu'un seul, mais il est bien convainquant. Je fus appele, 11 y a bien longtemps de cela, presque trente ans, pour examiner, chez M. le comte Demidoff, a Paris, un chien epagneul qui portait a la base de la croupe et ä l'origine de la queue une petite plaie \ivc et saignante, qui n'avait apparu que depuis quelques heures. L'animal paraissait trtis-gai, obeissait a la voix qui l'appelait, venait ä vous docilement, en agitant la queue. Rienne me fit soupgonner le debut de la rage; aussi fus-je mis en defaut, d'autant plus facilement que, debutant alors, je ne connaissais cette maladie que dans sa periode d'exacer-bation et de fureur. Jamais, ä cette epoque, on ne la depei-gnait autrement.

Je pris la plaie pour une de ces dartres vives si communes chez le chien, et ordonnai un traitement approprie, en re-commandant toutefois, pour motif de propretö, de ne pas laisser coucher ce chien dans l'appartement et sur le lit de son maitre, comme il en avait I'habitude. On le fit coucher sur le palier de l'esealier.

Le lendemain matin, un domestique trouva, sur la premiere

-ocr page 42-

TjA rage.

marCiie, la queue de l'^pagneul tavori, completoment sepa-ree du tronc, et c'esl lui-memc qui s'etait inflige cette mutilation.

fitonnß etdegoüte d'un pareil accident, M. Demidoftquot;, saus se rendre compte de ce qui avait pu determiner son chien ä commettre ce mefait sur lui-meme, iui fit mettre un collier el ordonna ä un domestique de le conduire en laisse ä Alfort. Le chien fit, sur ses jambes, le long trajet de la rue Saint-Dominique ä l'lilcole, sans presenter aucun signe extraordinaire et sans que le domestique qui le tenait i l'extremitö de sa chainese doutät qu'il etait suivi de si prös par un chien enrage.

Arriv§ dans la cour des höpitaux, cet animal, avec sa queue tronquee et saignante, sa gueule bleuutre et son oeil egarc, avait une physionomie trop caract6rislique pour que je ne fusse pas mis sur la voie de sa maladie. 11 fut conduit pru-demmentau chenil, oü, sous Tinfluence de l'excitation des aboiements des autres chiens, un acc^s de rage furieuse ne tarda pas ä se declarer. Deux jours aprös il 6tait mort.

Vous voyez reunis dans cette observation las traits princi-paux que je vous ai dit etre ceux de la rage canine ä sa p6-riode initiale : un chien famiiier, tellement domine par le sentiment afTectueux et les influences de la maison que, bien que dejä l'envie de mordre soit developpee chez lui, il res-pecte son maitre et les gens de la domesticite, et ne porte ses atteintes que sur lui-meme, sans paraitre les sentir; qui, soumis pendant lout le trajel de Paris ä Alfort ä l'homme qui le conduit et qu'il connait, ne se laisse empörter par aucun acc^s; qui entin ne laisse eclater sa rage, avec toutes ses fu-reurs, qu'aprös sa separation d'avec son conducteur et alors

-ocr page 43-

LA RAGE. 31

qu'il est, pour ainsi dire, livrö a lui-meme et ä son dölire.

C'est lä un fait des plus curieux et des plus int(5ressants au point de vue de la demonstration que je rae suis propose de vous faire,

La conclusion ä tirer des dernieres considerations que je viens d'exposer, relatives ä la sensibilite du chien enrage, c'est qu'il y a lieu de se mefier des animaux de cette esp^ce qui ne se montrent pas sensibles ä la douleur dans la mesure qu'on sait leur etre particulicre, et qui supportent les coups sans faire entendre aucnne plainte, ni aucun cri. Lorsque, par exemple, un chicn est poursuivi dans une localite, parce qu'il est inconnu et sans maitre, s'il reste muet malgre les menaces et les coups dont on l'accable, tenez-le pour suspect.

M6fiez-vous aussi du chien qui se mord lui-meme avec persistance sur un point de son corps et ne s'arrete pas de-vant les douleurs qu'il devrait ressentir. On peut croire qu'il n'agit ainsi que parce qu'il y est determine par une de ces demangeaisons auxquelles le chien est si sujet. Sans doute que ce peut ötre lä l'unique cause de son action; mais, d'un au-re cöte, il c:sl possible que l'animal ne soit poussö ä porter ses dents sur lui-mrme que par l'instinct de mordre, dejä developpe en lui, ou peut-ßtre par la sensation que lui fait öprouver la cicatrice de la morsure rabique qu'il a subie; — etil suffit que ce symptöme puisse avoir cette signification pour qu'on sc tienne en garde centre l'animal qui le pre-sente.

J'arrive main tenant, mes'dames et messieurs, ä un Symptome bien etrangede l'ölat rabique du chien et des aulres animaux, l'hamp;mme peut-ötreexcepte, symptöme d une grande

-ocr page 44-

32 LA RAGE.

importance sous 1c rapport du diagnostic. Je veux parier de ritnpression qu'exerce sur un chien aftecte de la rage la vue d'un animal de son esp^ce. Gelte impression est tellement puissanle, eile est si efficace ä donner lieu immediatement ä la manifestation d'un accös, qu'il est \rai de dire que le chien est le reactif sür ä l'aide duquel on pent deceler la rage encore latente dans l'animal qui la couve.

Tons les jours, dans la pratique, on se sert de ce moyen pour dissiper les doutes dans les cas ou le diagnostic peut etre incertain, et il est bien rare qu'il laisse les observateurs en defaut. D{!s que le chien qu'il s'agit d'eprouver se trouve en presence d'un sujet de son espice, si ce chien est reelle-ment enrage, il prend une attitude agressive vis-ä-vis de son semblable, et s'il peut I'atteindre, il le mord avec fureur.

Chose remarquable, cette excitabilite toute speciale de l'etat rabique n'appartient pas au chien exclusivement. Tous les animaux enrages, I'homme, peut-utre, excepte, disais-je tout a I'heure, subissent la memo, impression a la vue d'un sujet de l'espöce canine; tous, en le voyant, s'excitent, s exas-pörent, entrent en fureur, s'ölancent contre lui et l'attaquent avec leurs armes naturelles : le cheval avec ses pieds et ses dents, le taureau avec ses cornes, de meme le belier. II n'y a pasjusqu au naouton qui ne depouille, sous I'empire ce la rage, sa pusillanimity naturelle et qui, loin de ressentir de l'eflroi ä la vue du chien, lui en inspire au contraire et fondant sur lui, tete baissee, ne l'oblige ä fuir devant ses atta-ques. Voila une interversion de röles bien extraordinaire, n'est-ce pas? Etil ne laut rien moins que la rage pour animer le mouton d'une pareille ardeur belliqueuse contrb son puissant maitre, le chien.

-ocr page 45-

LA RAGE. 33

Je vous demnnde la permission de vous rapporter ici deux aneedoctes cliniques qui resterout dans vos souvenirs comme des preuves demonstratives de l'excilation si energique que la presence du chien exerce sur les animaux enrages.

II ya vingt-cinq ans environ, une personne condnisit ä Alfort, dans un cabriolet de place ä deux roues, un fort joli chien de chasse qui fut place, non muscle, daus le fond de la voiture, c'est-ä-dire sous les jambes de son maiire et du cocher. Pendant tout le trnjet etmalgre l'excitation que pou-vait lui causer la presence d'une personne qui lui etait etran-gt;re, ce chien resla inoffensif. La voiture entra dans l'ecole jusqu'ä la cour des höpitaux, et lä, le proprietaire du chien le prit dans ses bras et le porta dans mon cabinet ou je me rendis. II me donna pour renseignement que, depuis deux jours, cet animal etait triste etrefusait de manger. N'etant pas alors en garde, comme je le suis aujourd'hui, contre la rage et ses modes insidieux de manifestations, je plagai ce chien sur mesgenonx pour l'examiner de plus prös. J'etais en train de soulever ses lövres, pour me rendre coinpte de la coloration de sa bouche, lorsqu'un caniche qui m'appartenait entra dans le cabinet. Dos qn'il I'apergut, le chien que j'examinais m'echappa des mains, sans essayer de me mordre, et se rua sur le caniche qui parvint ä l'eviter.Ce mouvementinattendu et tout ä fait inhabituel au caractire de cet animal, d'apr(gt;s ce que me dit son maitre, fut pour moi un trait de lumiöre. Je soupQonnai la rage. Le chien fut immediatement sequeströ et, trois jours aprte, il succombait ä cette maladie.

Dans I'autre circonstance que je vais rapporter, c'esl d'un cheval qu'ils'agit : on I'avait conduit lt;i ma consultation parce que, depuis un ou deux jours, ii avait de la peine ä degiutir

H. HOL LEV .

-ocr page 46-

3^ LA RAGE.

ics liquides. Get animal paraissait et etait, de fait, d'un nature! extremement doux. Je lui avais ouvert la bouche et saisi la langue pour en faire l'examen, lorsque le chien caniche dont 'ai parle tout ä l'heure vint ä röder autour de moi. D6s que e cheval l'apergut, il se degagea de mes mains par im mou-/ement rapide, et se jeta de cöte, les müchoires ecartees, ä la poursuite du chien qui s'empressa de fuir et ne put 6tre atteint.

Chose remarquable, ce cheval etait encore extrömement doux pour rhomme; obeissant ä la voix de son conducteur, il le suivait docilement, sans qu'il füt necessaire de le tenir par sa longe, et, apr^s son mouvement agressif contre le caniche, il resla tout ä fait inolfensif pour la foule de personnes qui l'entouraient. D'habitude, il l'etait aussi pour les chiens, mais, au recit de son conducteur, il s'etait jete, comme il ve-nait de le faire, sur tous ceux qu'il avait rencontres dans le (rajet de Vitry ä Alfort. Get homme n'avait pas attache d importance ä ce fait; aussi, n'en avait-il rien dit en me presen-tant son cheval, et il ne le relatait que parce qu'il venait de le voir se reproduire. 11 n'en fallut pas davantage pour m'eclairer. L'animal fut fixe solidement dans le pare, entre deux gros arbres, par un double licou de force, et l'on repeta plusieurs fois l'experience d'exciter ses acctgt;s par la vue d'un chien qu'on presentait devant lui. Sous rinfluence de 'jes excitations, la rage ne tarda pas ä atteindre sou plus hamp;ut paroxysme. En quelques heures, eile parcourut ses periodes. L'animal tomba dans l'epuisement et mourut peu de temps aprös son entree ä l'ecole.

Ainsi, ccla est incontestable, la presence d'un animal de l'especc canine met en jeu la susceptibilitc nerveuso des r.ni-

-ocr page 47-

LA RAGE. 35

maux enrages, les fait sorfir du calme dans lequnl ils sont encore ol les determine ä des manifestations agressives d'une intensite croissante, proportionnellement ä Untensite et au nombre des excitations produites. C'est l;i un fait d'unc teile Constance qu'on pcut le considerer comme rexpretsion d'une loi fatale dont le secret nous echappe. Cependant, cette loi comporte ou, du moins, a comporte une exception dans une circonstance trop remarquable pour que je ne la relate pas ici. Un clieval auquel le directeur de l'ecole d'All'urt, M. Ue-nault, avait inocule la rage d'un monton, contracta cette ma-ladie, qui revßtit chez lui des caractt'res d'une teile intensite, que l'animal, tournant sa fureur contre lui-meme, se dechi-rait, ä coups de dents, la peau des avant-bras. Eh bien, sur cet animal si exalte dans sa rage, la vue d'un chien ne produi-sit aucune excitation. Celui qu'on lui jeta dans sa man-geoire fut epargne ; il le repoussa du bout de sa töte, sanslui faire aucun mal; mais quand on lui presenta un mouton, il entra, i l'instant, dans un accO's de fureur terrible, il bondit sur lui, pour ainsidire, et la pauvre b6te,saisie cntre ses puis-sanles machoires, fut ä l'instant meine broyee sous ses dents.

il sembleruit, d'aprös co fait qui, malheureusement, est unique dans les annales de la science, que les animaux ino-cules de la rage, par une morsure ou de toute autre maniöre, conserveraient comme Videe de la cause de leur maludie, et seraient determinesämanifester leurfureuräla vue d'un animal appartenant ä la meme espece que celui sur lequel a ete puise le virus dont I'inoculation les a rendus malades. Mais en matiere si obscure, il est bon de ne pas longuement discourir; je me contente done de ivlater les fails et crois prudent de m'abstenir de plus ample? commentaires.

-ocr page 48-

36 LA RAGE.

Ce qui ressorl do cet expose, c'est que, ä pari l'exception que je viens de signaler, ce sont surtout les sujets de l'espece canine qui mettent en jeu l'excitabilite des animaux aueiuts de la rage. Vous devez comprendre, mesdaraes et messieurs, toute l'importance qui se raüaclie ä la connaissance de ce fait, et combien Pcnseignement qui en ressort pourrait etre utile, si les proprietaires des cliiens, eclaires sur sa signification, savaient en profiter. Tous les jours, on acquiertla preuve, en interrogeant les personnes auxquelles appartiennent les cliiens enrages, que ces animaux, avant de diriger leurs agressions conlre l'homme, se sont montres tris-excitables ä la vue d'un animal de leur esptice ; mais, malheureusement, dans la plupart des cas, cette particularite si significative n'eveille pas rattention de celui qui l'observe et ne fait naitre dans son esprit aucun soupgon, et cela, parce que vis-ä-vis des maitres el des familiers de la maison, rien ne parait encore change dans le caractere de ce chien que la vue de son semblable irrite et rend exceptionnellement hargneux et me-chanl.

Mefiez-vous done des chiens qui, contrairement a leurs habitudes el aux inspirations de leur naturel, se monlrent lout ä coup agressifs pour les animaux de leur espöce. De pareili.es manifestations sont trös-significalives, vous devez en ötre maintenant convaincus, el, si Ton sail les comprendre, on peul mettre ä l'abri les siens, les aulres et soi-meme des de-sastres que peut causer la maladie dont ces signes sont des precurseurs infaillibles.

11 ressorl de rensemble des fails que je viens de vous expo-ser, que, dans la plupart des circonslances, les chiens familiers des maisons reslent inoffensifs dans les premieres pe-

-ocr page 49-

la rage. 37

riodes de leur etat rabique, pour les personnes qui les entourent, domines, comme ils 1c sont, par leurs sentiments afTeclueux envers elles. Je suis trös-porte ä croire que ce: pauvres animaux obeissent ä l'inspiration de ces sentiments lorsque, ce qui arrive tres-souvent, ils s'echappent du domicile de leurs maitres et disparaissent. On dirait qu'ils onf comme la conscience du mal qu'ils peuvent faire et que. pour eviter d'etre nuisibles, ils fuient ceux auxquels ils sont attaches. Quoi qu'il ergt; puisse etre de cette interpretalion, toujours est-il que, tres-souvent, le chien enrage abandonne ses maitres et qu'on ne le revoit plus, soit qu'il aille mourir dans quelque endroit retire, soil, ce qui est le plus ordinaire dans les localites populeuses, que, reconnu pour ce qu'il est, aux sevices qu'il commet sur les hcmmes et sur les betes, il trouve la mort en route.

Mais, dans quelques cas, trop nombreux encore, le malheu-reux animal, aprös avoir erre un jour du deux et öchappe aux poursuites, revient, obeissant ä une attraction fatale, vers la maison de ses maitres. C'est dans ces circonslances surtout que des malbeurs sont ä craindre pour ceux-ci. Et, en effet, au retour du pauvre egare, on s'empresse vers lui; le premier mouvement auquel onobeit est de le secaurir, car, la plupart du temps, il revient dans l'ötat le plus miserable., reduit ä rien, convert de boue et de sang. Mais malbeur ä qui l'appro-cbe; i la periode oü il est de sa maladie, la propension ä mordre est devenue cbez lui imperieuse, eile domine le sentiment affectueux, si vivace qu'il puisse ctre encore, el trop souvent eile le porte ä repondre par des morsures aux caresses qu'on lui fuit, aux soins qu'on veut lui donner.'

il faut done tenir, tout au moins, pour suspeel le chien qui,

-ocr page 50-

38 T.A BAGE.

aprt^s avoir quilto le toit domestique pendant quelques jours, yrcvient, surluuls'il est daasretut de mis^re donl j'ui essaye de donner un apercu.

Je viens d'6numerer successivement les signes, les syrn-ptömes, les particulariles, qui signalent chez le chien I'etat ra-bique dans les premiers jours de sa manifestation, et j'espöre avoir fait penetrer dans vos esprits cette convietion salutaire que la rage canine n'est pas, toutd'abord, nne maladie carac-teris^epar un etatcontinuel de fureur; qu'au contraire,avant la periode furieuse, qui est la periode ultime, un assez long dclai s'ecou'le, pendant lequel I'animal resle inoffensif bien que dej;i sa maladie soit nettement declaree et facile ä recon-nailre..

Voilä la verite que j'ai eu pour but de mettre en relief dans cette conference, et je suis convaincu que si le public s'en penetrait bien, s'il savait se rendre compte des premiers symplömes de I'etat rabique, laplupartdes cbiens pourraiont etre sequestres avant qu'ilsaient eu le temps de faire des malheurs. Que sont, en efl'et, ces chiens errants qui, obeis-sant au delire de la rage, infliger.t des morsures aux ani-maux et aux hommes qu'ils rencontrent et repandent par-tout lepouvante parmi les populations ? Est-ce que la rage qui s'est emparee d'eux et qui les rend si malfaisants, ils Font contractee par un acoup subit? Non, sans aucun doute; la plupart sont des chiens de maitres, qui ont quitte leurs d3-meures sous l'impulsion dont je parlais toutä rheure,et qui, quelques jours avant de fuir, ont laisse voir ces signes non douteux de maladie que je \iens de faire connaitre.

Eh bien, supposez que ces signes, au lieu d'etre meconnus dans leur signification, comme e'est trop souvent le cas au-

-ocr page 51-

LA TUfiE. 39

jourd'hni, soienf au contrairc bien compns, el que les pro-prietaires des elnens malados s'eu inspirenl pour prendre les mesures de precaution que les circonstances commandent, la meilleure des conditions pour prevenir la propagation de la rage se trouvera ainsi realisee, car, en definitive, les agenls qui la propagent ce sont les chiens qui se sont echappes de leurs demeures, apres setre denonces malades pendant im temps süffisant pour qu'on alt pu les mettre hers d'etat de nuire, si Ton avait su i quelle maladie on avait allaire.

e. Syviptömes de la rage confirmee.

Dans tont ce qui precede, je rne suis surtout attache ä vous faire connaitre les symptömes pröcurseurs de la rage conlir-mee, c'est-ä-dire de celle qui se caracterise par des acc«is de fureur et des acles agressifs contre les animaux et contre les hommes. J'aiinsiste sur ces symptömesprecurseurs parce que, au point de vue de la preservation individuelle, ce sont eux dont la connaissance est le plus necessaire.

Maintenantje vais essayerde vous tracer ä grands trails la physionomie, les attitudes, la manure d'etre et d'agir du chien, quand sa maladie, arrivee ä sa periode furieuse, a de-veloppe en lui des instincts ferocesqui le poussent fatalement ä mordre.

La physionomie du chien en etat de rage est terriblement modiflee. Ces yeux, cesbons yeux du chien, si pleins d'amour quand il les fixe sur son mailre, d'oü se degagent incessum-ment, si Ton peut ainsi dire, des el'fluves de passion all'ec-tueuse, iis ont maintenant une expression indefinissable de tristesse sombre et de cruaute. A travers l'ouverture de leurs

-ocr page 52-

40 T.A RAGE.

pup'.lles excessivement dilatees, ils laissent öchapper par moments des lueurs comme Culgurantes, produites par le reflel do la lumiöre sur leur tapelum inlerieur, et qui leur don-nent Tapparence de deux globes de feu. Mais lorsque ces lueurs passagtres s'eteignent, ils redevienuent ternes et som-bres et si iarouches qu'on ne peut se defendre d'un sentiment d'eifroi, quand on se trouve en presence de l'animal, el alors meme qu'on est protege contre ses atteintes par la grille de sa cage. Dös qu'il vous voit, il se lance vers vous, poussant son hurlement caracteristique, et, furieux, il mord les bar-reaux qui rempechent de vous attaquer et y fait eclater ses dents. Si on lui presente une (ige de bois ou de fer, il se jette sur elle, la saisit a pleines macboires et y mord ä coups redoubles, mais sans faire entendre ni cris, ni grondements.

A cet etat d'excitation succtide bienlot une profoude lassitude; l'animal epuise se retire au fond de sa niche et y de-meure quelque temps, insensible a tout ce qu'on peut faire pour I'irriter. Puis tout ä coup il se reveille, bondit en avant et entre dans un nouvel acces.

Mais pour que ces accös se manifestent, il leur faut une cause, c'est-ä-dire une excitation.

Quand on observe un chien enrage dans une cage isolee, loin des bruits qui peuvent mettre en jeu sa susceptibilite nerveuse, lorn des excitations produites par la presence des hommes et des animaux, on ne constate pas qu'il se livre i des accös de fureur. Tantot il est agite, va et vient dans sa niche, bouleverse son lit, poursuit des fantömes, hurle contre eux; tantöt, au contraire, il est calme, immobile, somnolent, avec quelques intermittences d'agilation sur place, qui sem-blent denoncer les reves dont il estpourauivi; mais il n entra

-ocr page 53-

LA RAGE. l\\

en rage veritable, ii ne so livre ü des accös agressifs et furieux que lorsqu'il y est determine par des excitations exterieures-

La plus puissante de ces excitations est celle que lui cause la presence d'un de ses semblables. Otis qu'on le lui montre ä distance, il bondit vers lui et, mord avec violence les bar-reaux qui Fen separent; mais si on rintroduit dans sa cage, son premier mouvement n'est pas toujours de l'attaquer et de le mordre ; au contraire, la presence de la malbeureuse victime qu'on lui livre fait naitre en luicomme un sentiment affectueux et il le lui temoigne par des caresses dont la signification n'est pas douteuse. Puis, « dans un meme instant, par un effet contraire», vous voyez «ses yeux s'enflammer de t'u-reur », 11 entre en rage et se jette ä pleines dents sur sa victime. Celle-ci reagit rarement; eile ne repond d'ordinaire aux morsures qu'en poussant des cris aigus qui contrastent avec la rage silencieuse de l'agresseur, et eile s'efforce de de-rober sa tete aux attaques dirigöes surtout centre elle, en la cacbant prol'ondement sous la litiere et sous ses pattes de de-vant. Une fois passe ce premier moment de fureur, l animal enrage se livre a de nouvelles caresses, tout aussi ardentes que les premieres, mais bientOt suivies d'un nouvel aeeßs. Puis, lorsque ces faits se sont ainsi repetes plusieurs fois, le malade epuise s'affaisse, tombe dans une somnolence inquiete, et lorsqu'il a recupere quelques forces par le repos, il recommence ses attaques jusqu'a ce que la paralysie s'ensuive, ce qui ne tarde pas, car les acc^s ainsi repetes precipitent singu-liörement le cours de la maladie.

Je dois vous signaler ici cette parlicularite bien remar-quable que les cliiens paraissent avoir comme la conscience instinctive du danger qu'ils courent aux approcbes d'un ani-

-ocr page 54-

(l2 LA RAGE.

mal enrage de leur esptVe. Les plus conrageux et les plus forts font preuve, en sa presence, de lachete et de faiblesse. Au lieu d'essayer la lutte avec lui, ils tAchent d'öchapper ä ses altcintes par la fuite. S'ils sont enfermes dans une cage commune, meme les chiens de combat restent saus defense ; ils paraissent avoir le pressentiment du lerrible danger au-quel ils sont exposes, expriment leur effroi par le tremble-ment de tout leur corps, et chcrclient ä sc tapir dansun coin de la niche. 11 y a cependant quelques exieplions ä cette regle ; en voici un exemple : Je lis introduirc un jour, ä Alfort, dans la cage d'un cl. ien enrage un bull-terrier, trös-habile lutteur. Une fois enferme, la premiere impression qu'il subit fut manifestement celle de la peur, mais il la surmonta, et au lieu d'altendre l'attaque, c'est lui qui commenga la lutte; d'un bond, il se jeta sur son adversaire et le saisissant ä plei-nes dents par le derritre du cou, il le terrassa et le mit hors d'etat de lui nuire. Vingt ibis cette experience fat repetee avec les dillerents cbiens enrages qui se succedcrent aux hö-pitaux de l'Ecole et toujours le bull en sortil ä son honneur. Dans toutes ses luttes, il sut §viter les morsures et ne. con-tracta pas la rage. Mais, je le repete, ce cas est tout ä fait ex-ceptionnel. Ce qui est ordinaire, c'est que le chien enrage est, oour ses semblables, un sujet d'epouvante. La preuve en est ionnee d'une maniere bleu saisissante par ce qui se passe dans les meutes de chiens courants. Dans los conditions habituelles, ces animaux ne laissent pas d'etre un peu hargneux les unscontreles autres et meme contre l'homme, et il est prudent de ne pas so risquer dans leur chenil, sans etre arme d'un fouel qui les liennc en respect. Si deux d'entro eux vienneni ä se oreu dre de quereile, malheur a celui des deux

-ocr page 55-

LA RAGE. Zi3

adversaires qui temoigne sa faiblesse de cceur par sos oris et par scs plainles ; les aulrcs sc jettent sur lui impiloyable-ment, le pilient, pour employer l'expressioir usitee en pareil cas, et souvent meme le meltent en lambeaux. Eh bien, Aoici qui est bien remarquable ; si la lulle proeßdede l'elal rabique de Fun des deux cbiens qui sont aux prises, loulelameute sc tient u l'ecart dans un coin du cbenil el i'uirait volontiers si eile trouvait une issue ouverte; .malgre sos habitudes cruelles et ses moeurs quelque peu farouches, eile est prise tout en-tiere de lÄchete, en presence d'un danger pressenti, et le chien enrage reste seul ä piller sa victime. Si pousse par ses in-stincls- rabiques, il en choisit une autre dans lameute, l'isole-ment. se fait ä l'instant meme autour d'cux.

Ces faits sont Stranges saus doule, mais ils sont reels. J'ai 6te ä meme, pour ma part, den faire la conslatalion il y a une quinzaine d'annees au chateau de Gros-I3ois, chez le prince de Wagram, dont la meute regut la rage d'un chien errant, dans une chasse ä courre, et dul ctre tout entitire abattue.

Si le chien enrage est non pas enferme dans une cage, mais plus librc de ses allures dans une chambre oü on le tient sequestra, il la parcourt dans tous les sens, el son agitation est d'autant plus grande qu'il n'est pus habitue ä elre isole de scs mailrcs. On entend ou Ton voit son va-et-vient conlinuel; il röde, il cherche, il flaire, hurle conlre les murs, se jetle sur les fantömes qui le poursuivent, rongc lo bas des porles, les pieds des meubles, etc. Enfin, il peut arriver qu'il se fraye une issue ä travers les vitres des porles ou des fenutres. Si done on n'est separe de lui que par une separation vilree, il ne faul pas se tier a cetle barricrc Irop fragile; l'animal en-

-ocr page 56-

UU LA TUGE.

rage sera d'autant plus determine ä la franchir que lesper-sonnes qu'il voil au travers surexcitcnt en lui cc besoin comme fatal tie mordre qui le domine maintenant tout entier.

Lorsqu'un cliien enrage est parvenu ä s'echapper, il se lance devant lui, d'abord avcc une complete liberie d'allures, et s'attaque, sur sa route, ä tous les etres vivants qu'il rencontre, mais de preference aux cliicns plutöt qu'i tousles aulres, et de preference ä ceux-ci plutöt qu'ä I'liomme. En sorte que pour I'liomme qui peut etre expose ä ses coups, c'est une heureuse chance que, dans son voisinage immediat, un chien se rencontre ä propos qui lui serve de palladium.

Le chien enrage ne conserve pas longlemps une demarche libre. Epuise par les fatigues,paries accc!s de fureur auxquels il a trouve en route l'occasion de se livrer, par la faim, par la soil'et, sans aucun doule aussi, par Taction propre de sa maladie, il ne tarde pas ä faiblir sur ses membres. Mors il ralentit son allure el marclie en vacillant; sa queue pendante, sa tele inclinee vers le sol, sa gueule beanie d'oü s'echappe une langue bleuutre et souillee de poussiere, lui donnent une physionomie bien caracteristique. Dans cet etat, il est bien moins redoutable qu'au moment de ses premieres fureurs. S'il attaque encore, c'est lorsqu'il trouve sur la ligne qu'il parcourt l'occasion de satisfaire sa rage; mais il n'est plus assez excitable pour changer de direction et aller ä la rencontre d'un animal ou d'un homme qui ne se trouvent pas immediatement a la portee de sa dent. Sans doule aussi que savue obscurcie et son flair emousserempechent d'etre aussi impressionnable qu'il I'elail auparavant.

Bien lot son epuisemenl est lei qu'il est force de s'arrfiter; alors il s'accroupit dans les fosses des routes et y reste som-

-ocr page 57-

LA RAGE. amp;5

nolent pendant de longues heures. Malheur ä rirnprudent qui ne respecte pas son sommeil: l'animal, reveille de sa tor-peur, recupöre alors souvent assez de force pourlui faire une morsure. Que d'enfants ont peri pour avoir comtnis cette imprudence!

(Juaud un einen enrage meurt de sa mort, il raeurt par le double fait d'une paralysie lente et de l'asphyxie.

11 ne saurait entrer dans mes intentions de vous enumerer et encore moins de vous decrire ies alterations que Ton peut conslater dans le cadavre d'un chien morl de la rage. Aussi bieHj du reste, ce ne serait pas chose trös-utile, car il n'y a rien dans le cadavre du chien enrage, rien de connu tout au moins quant ä present, qui donne l'explication des singuliers symptömes par lesquels la maladie s'exprime. Toutefois, il est un fait sur lequel il me parait trös-imporfant de fixer une nouvelle fois votre attention, je veux parier des matures dont on peut constater la presence dans l'estomac. La rage, vous le savez, donne lieu ä une etrange depravation de l'appetit; le chien enrage deglutit une foule de corps etrangers ä l'ali-mcntation. Si done on rencontre dans l'estomac d'un animal de cette espece un melange de foin, de paille, de crins, de lambeaux d'etoffes, de cuir, de cordages, d'etoupes, d'excre-ments, de terre, de feuilles, de gazon, de pierres, de verre et de restes d'aliments, on peut affirmer, sans crainle d'erreur, que le chien est mort enrage, car e'est la rage seule qui determine un animal de cede espice ä ingurgiter les mati(!rcs si etrangement disparates dont je viens de faire l'enumera-lion. Mais il peut se faire qu'elles aient ete rejetees par le vomissement, et que Ton ne constate dans I'intestin que quel-ques parcelles de ces matie'res. Dans ce cas, la membrane

-ocr page 58-

^if) LA PAGE.

interieure de l'estomac conserve la trace de leur passage; eile est fortoment injectee de sang, au point de presenter une teinte presque noire, et la cavite qu'elle tapisse contient du sang en nature melange ä de la bile. Ce sont la des signes d'une grande importance, qui etablissent une forte presomp-tion de Tetat rabique : et cette presomption devient ä peu prös certitude lorsqu'il resulte des renseignements recueillis que l'animal, dont l'estomac a presents les caractöres dont je viens de parier, s'est livre ä des sevices sur les hommes et sur les betes.

Ici se termine ce que je me proposals de vous dire de la rage du cbien, consideree au point de vue de sa Symptomatologie, pendant et aprös la vie.

Quelques mots maintenant de celle du chat, cet autre animal qui est aussi notre commensal de tous les jours, et vit avec nous dans des rapports d'assez otroite intimite. Lui aussi peut contracter la rage, mais beureusement que c'est un fait assez rare, carle chat enrage est autrement terrible que le cliien et autrement dangereux.

De fait, lorsque le chat est enrage, sa nature de tigre se reveille. Ses grands ycux deviennent i'ulgurants et expriment une indicible lerocite; rien d'effrayant corame de le voir dans sa cage, la gueule bcante et baveuse, le dos voüte et la queue battant ses flancs; ses grilles sorties et tendues reudent sa marche difficile; elles s'accrochent au parquet et y laissent leur empreinte. (Juand on se presente devant lui, l'animal se lance vers vous d'un seul bond, aussi eleve que lui permet la hauteur de sa cage, et visant evidemmcut ä votre ugure, car c'est toujours la qu'il s'attaque de preference lorsque, libre, il bubit rimpulsion rabique et se livre aux sevices qu elle lui

-ocr page 59-

Igt;A RAGE. M

commando. Le chat enrage ne connait plus de maitres. (Jet animal, plutöt apprivoisj que profondement domestique, re-trouve lous ses instincts feroces lorsque la rage s'en est em-pare et s'y abandonne aveuglement; bien difleront en cela, comme en tant d'autres choses, du chien, qui est tout devouc-ment pour ses maitres, et trouve dans le sentiment afl'ectueux qu'il leur porte la force dc dominer, pendant longtemps, ces instincts de ferocite que Tetat rabique a developpes ialale-ment en lui; qui m^me, vous le savez, plutut que de leur obeir, fuil,quand il le peut, le toit domestique, et va assouvir aillcurs la rage qui le maitrise. Le chat aassi disparait lors-qu'il est sous le coup de la rage, par sauvagerie sans doule plulöt que par devouement, et s'en va mourir dans quelque recoin obscur des greniers ou des caves.

II est infmiment probable ou pour mieux dire certain que la rage du chat est precedee, comme celle du chien, d'un ensemble de signes precurseurs qui doivent mellre en garde centre les accidents ä \enir. Mais cette maladie est tellement rare que je ne Tai jamais observee ä sa periode initiale, dont je ne saurais vous parier consequemment avec une connais-sance complete de cause. L'analogie permel d'admettre, ce-pendant, que le chat, avant de devenir agressif par la force decisive de l'impulsion rabique, passe pur une periode de tris-tesse sombre, d'iaquietude, d'agitation, qui doit d'autant plus frapper Fattention que cet animal est, de sa nature, assez somnolent, el qu'il passe volontiers la plus grande partie de sa vie dans les douceurs d'un repos contiuu. Done il y a lieu de se müfier grandement d'un sujet de cette espece, qui, contrairement ä des habitudes que Ton peut appeler secu-laires dans nos races domestiques, devient tout ä coup inquiet,

-ocr page 60-

LA RAGE.

se iivre ä des mouvements sans causes, et exprime par ses altitudes et son Facies quelque chose d'insolitc; et 11 n'est jamais frop töt, en pareil cas, de prendre des mesures de precautions et de se rendre maitre de Tanimal par une etroite et sure sequestration.

Nous voilä arrives, mesdames et messieurs, a la fin des de-veloppements que comporte la description des symptömes caracterlstlques de la rage du chlen tout particulii!rement. Si j:ai cm devoir donner ä ces developpements une grande etendue^ c'est que, ainsl que je le dlsals dans l'encelnte de l'Academle de medoclne, 11 y a quelques annees : « Dans un grand nombre de clrconstances, le plus grand nombra peut-etre, les accidents rabiques qui vlennent trop souvent jeter dans la soclete I'lnquietude, les angoisses prolongees et les plus profonds desespjlrs, procödent surtout dc ce que les pos-sesseurs et detentenrs des chlens, dans Yinscience ou ils se trouvcnt, faute d'avoir 6te suffisamment öclalres, ne savent pas se rendre compte des premiers phenomönes par lesquels se traduit Fetat rabique du chien, etat presque toujo jrs inof-fensifau debut; profiter des avertissements que leur donnent par des signes non douteux et facllement Intelligibhs leurs malheureux anlmaux, et prendre entin ä temps les mesures ä l'alde desquelles 11 leur serait possible de preveair des desastres menagants. Vinscience, ajoutai-je en empruntant ä Montaigne cette vieille expression qui n'auralt pas du ötre rayee de notre vocabulalre, l'inscience, voilä la cause du mal, vollä ce ä quoi 11 faut remedier. »

J'y tachai, pour ma part, dfc!s cette epoque, en exposant, ccmmc je viens de le faire ici, les symptömes de la rage canine dans un rapport academiqne qui cut un grand reten-

-ocr page 61-

LA RAGE. /|9

tissement, en raison de rimportance du sujet, et qui fu[ re-produit on subslance ou par analyse dans presque tous les journaux.

J'ai des raotils de croire que cette divulgation n'a pas laisss d'etre nfile; et, pour vous en convaincre, je ne puis resister ä la satisfaction de vous faire connaitre quelques-uns des cas oü les instructions puisees dans mon rapport et repandues par les mille et uue voix de la publicite ont eu pour resultat d'epargner les plus grands malheurs k ceux qui avaient su les lire et les comprendre.

Le premier fait sur lequel j'appelle votre attention m'a ctd communique de Trebizonde ä la date du 27 octobre I8GZ1. II s'agit d'une chienne nommee Lipa, sur laquellc son maitre, alors consul de France dans cette villc, a reconnu la rage daus les circonstances emouvautes que voici :

« Avimt-hier matin, ditrauteur de la relation que j'ai sous les yeux, j'ai eu des soupgons sur Lipa cn Venlendant aboyer d'une manierc etrauge. Je Tai enfermee liar precaution, bien que rien ue me parüt altere dans ses allures habituelles... Hier, il n'y avait rien de chenge dans son ätat normal, sauf qu'elle paraissait inquiete el prcoccupee quand je la faisais sorth-.

» Je Tai de nouveau sequestree, en defendant forraollement ä mes dumestiques de la 1 lisser libre ä aueun prix. Ce matin, au point du jour, rnalgrü cette defense expresse, Tun d'eux,/wi Irouvanl une appa-rencede santc el de vivaeüe ordinaire, s'eslempresse de la lächer. Une fois libre, eile s'esl echappee par les lolls, en faisant pour cela des bonds piodigieux, dont je ne puis encore me rendre compte. et eile s'est in-Iroduite par la fenelre dans une maison asses voisinCj cü eile a mordu un pelil einen de Irois rnois qu'elle est allee trouver sur un sofa.

» Apres cela, Lipa est rentree ciiez moi pendant que j'etais encore au lit, s'est attacbee ä moi sans que je pusse tn'en debarrasser, fixant des yeux hagards et d'une expression terrible tantot sur mes mains, tautot sur mon visage, lout le raondi chez moi se sauvait^ car, il n'y avait

-ocr page 62-

LA RA (iE.

plus de doute, Lipa elait enrague. Je n'ai pas perdu mon sang-froid, et ine suis bien garde de la prendre autrement que par la douceur. Elle rn'a suivi partout, dans les chambres, dans l'escalier, sur la terrasse, dans le jardiu ; impossible de l'eloigner. A ia finj'aipu renfermer dans le jardin, mais eile a commence ü rongcr ia balustrade. Un domestiriue s'cst alors duvouu et l a ramenee dans sa chambre, qui a nne entree sur le jardin. Au beut de quelques minutes, Lipa a saute par une lu-carne etroite situce ä plus de six pieds au-dessus du sol, et eile a fait invasion dans ma chambre comuie une furieuse, guettant mes mains comma pour les happer. Cette Ibis encore je n'ai pas perdu mon sangfroid, et je Tai emmenee hors de ma chambre, toujours en lui parlant doucement. Des ce moment je n'ai pas liesite a la f.iire tuer : une premiere balle lui a traverse la poitrine sans quelle profcrdl le moindre cri. Elle s'est alors elancee dans dillerents sens : une deuxieme balle Ta renversee. On la croyait morte, mais elle s'est elancee d'un seul bond sur le premier qui l'a approchee, et il a fullu deux autres balles pour I'achever.

)i Quelque temps auparavant elle s'etait jetee sur son petit et l'avait mordu avee une fureur et un acharnement dont on ne peut se faire une idee. Presque au ineme moment elle s'etait precipitee sur le courrier de la delegation de Teheran, etluiavait arrache une partie de ses habits, mais fort heureusement sans le mordre lui-mcme.

» J'ai passe, dit l'auteur de cette relation, une heure d'angoisses inexprimables. Je ne t raignais pas pour moi, je savais que Lipa me respecterait si je ne la maltraitais pas, mais j'etais dans des transes pour les autres, la voyant mordre tout ce qui etait a sa portee : son lit, qu'elle a mis en cliarpie, la porte de sa chambre, qu'elle a crenseeavec ses dents, la terre meme du jardin; partout elle a laisse la trac^ de ses dents.

» Lipa avait ete mordue deux mois auparavant, ainsi que son petit, par une chienne qui n'avait pas d'apparence suspecte, mais que Ton avait abattue peu apres. La place de la nnorsure avait ete lavee avec de l'eau de savon, et Ton n'avait attache aucuue importance ä cet accident, car on n'avait aueun soiiplt;;oii de la rage chez la Lete qui l'avait causee. »

50

-ocr page 63-

T.A RAGE. 51

Je vous ai communique cette observation avec quelques details parce que, ä tous les points de vue, eile presente un grand interet : cette chienne qui denonce son mal par son aboiernent qui parait etrange ä son moitre ; qui se montre in-quiöte et preoccui)ee quand on la sort; que son maitre ä la prudence de sequestrer, dös les premiers signes anormaux qu'elle presente; que lesdomestiques s'empressent de lacher, malgre les ordres regas, parce qu'elle a toutes les apparences de la sante; qui, une fois libre, se sauve et va s'attaquer ä un chien dans une maison voisine ; qui rentre, apres cet acces, sous le toit domestique, fixe sur son maitre des yeux dont I expression est etrange, mais ne se montre pas agressive pour lui; qui s'attache älui et le suit partout avec obstination; qui, enfermee dans unjardin, entre enrage; qui respecte le domestique qui la ramene au milieu de cet acces; qui se pre-cipite, furieuse, chez son maitre, et cependant ne le mord pas; qui s attaque avec acharnement a son petit et ä un komme etraiiger, entrant dans la maison ; qui ne pousse pas un seul cri sous les blessures des balles, etc., etc. : voild un ensemble de symptömes quiprouve quelarage est identique avec elle-meme sur les bords de la mer Noire et sur ceux de la Seine. Mais il y a quelque chose de plus important encore dans cette observation que la fidelite avec laquelle elle est relatee, c'est le discernement dont le maitre de Lipaa fait preuve, le sang-froid qu'il a conserve vis-a-vis d'elle, la maniöre habile dont il a su la maitriser par la douceur, les mesures, enfin, qu'il a pres-crites pour Tempöcher de nuire : la sequestration d'abord, l'abatage ensuite. Eh Men, mesdaraes et messieurs, si ce maitre si intelligent de Lipa a suivi une si bonne ligne de conduite, dans la difficile occurrence oü il s'est trouve, et a

-ocr page 64-

55 LA RAGE.

prevenu ainsi des malheurs donl, ainsi quil Ii! dit lui-mt'tne, on no peut mesurer Teteiiduc, savez-vuus ä qui il le doit ^ l.ui-möme va nous l'apprendro : « Quel bonheur, s'ecrie-t-il » ä la fin de sa lettre, que le trailc de M. Bouley sur la rage » se soil trouve cliez moi, que je l aie lu et que j'en aie pro-» file! sansl'eveil que j'ai eu des le mardi, je riaurais jamais

» eu le moindre soupson. »

J'aurais mauvaise grace ä dissimuler la grande satisfaction que m'a fait eprouver cette communication du consul de Tre-bizonde, puisque celte satisfaction n est autre, aprüs tout, que

celle d'avoir ete utile.

Voici maintenant deux autres circonstances oü la divulgation des symptömes de la rage par la presse quotidienne eut celte heureuse consequence de faire sequestrer des chiens enrages ä la periode initiale de leur maladie et de prevenir ainsi les malheurs qu'ils auraient pu causer. J extrais ces deux observations d'un discours que j'ai prononce en 1864 a l'Academie de inedecine, dans la discussion a laquelle mon

rapport a donne lieu.

11 s'agit de deux chiens entres le memo jour, comme enrages, dans les höpitaux de l'ecole d Alfort, oü j elai» alors professeur.

L'un de ces chiens, un bull de forte taille, appartenait ä un marchand de vin du pays; cet animal, tres-doux de sa nature, malgre sa race et ses habitudes de combat, ne so montra nullement agrossif lorsqu'on me le presenta. 11 etait, au con-traire, extremement caressant, et ce qui me le fit suspoctor a premiere vue, ce fut, outre l'oxprcssion toute particuliöre de son regard, la tendance excessive qu'il avait ä caresser, tendance qu'il exprimait par les mouvements incessants de sa

-ocr page 65-

LA RAGE. 53

langue, lorsqu'on l'approchait. (ju'est-ce qui mit en garde le proprictaire de ce chien, enrorc inofTensif? La veillc, iL avait mordu avec une certaine persistance im sac de toile qui etait ä sa par tee. En deliorä de cela rien de parliculier pour lui.

Mais, d'upres les commnnicalions fuites ä la Iribune de rAcademie, les symptomes de la rage avaient ele divulgues par le plus grand norabre des journaux de Paris el de la province. Dans ce cas parliculier, le proprio taire de l'animal etait en garde. 11 eomprit la signification d'un fait qui, avant qu'il lut eclaire, lui eüt paru de nulle importance, et le cliien putetre enferme dans cette pöriode premiere de la maladie, oü, s'il etait olfensif, il ne l'etait que .par ses caresses et non pas par ses morsures.

L'autre chien, dontje veux vous parier, appartenait ä la categorie des familiers; e'etait un petit roquet de douze ans auquel sou maitre tenait beaueoup. La lettre d'envoi de est animal ä l'Ecole specifiail les faits suivants : « Grande agita-» tion du malade depuis huit jours; appetit nul; sentiment i) affectueux developpe ä l'exces. Pendant que son maitre man-i) geait du raisin, un grain tomba par terre, le ebien le happa i) et l'avala. La grappe lui fut jetee, il la dövora. Quand on » renferme dans une des pieces de Tappartement on l'en-» tend pousser un hurlement saccade, inhabituel, dont le » timbre difföre de l'aboiement ordinaire du sujet. »

Get animal contiuuait, du reste, ä elre doux, inollensif pour tout le monde.

Voilä bien un ensemble de symptumes qui devait eclaircr un bomme prevenu.

F/idee de rage vint efTectivement a l'esprit de la personne ä laquelle ce cliien appartenait, parce qu elle avail lu les sym-

-ocr page 66-

54 LA RAGE.

ptömes de cettc maladie dans un feuilleton de journal, qu'elle avail conserve prudemment, comme piece bonne ä consulter dans l'occasion. On voit que, pour son grand bien et celui des autres, cette personne a su mettre ä profit, I'enseigne-ment qu'on lui avail communique.

Aprös vous avoir expose, aussi fid(Mement que cela m'a ete possible, l'ensemble des caracti'res ä l'aide desquels la rage ducbienpeut etre reconnue ä toutes ses periodes, etsurtouta sa periode initiale, je crois, mesdames et messieurs, qu'il ne sera pas inutile de fixer quelques instants votre attention sur les resultats do la derniCre enquete administrative relative ;i la rage, et de vous donner ainsi un apergu sommaire des dangers que cette terrible maladie fait courir aux populations dans notre pays. Cette enquete embrasse une periode de six annees, de 1863 ä 1868. Charge par le comite consultatif d'bygii'ne publique, dont j'ai I'bonneur d'etre membra, d'en depouiller le dossier, je me suis livre ä cette t.lche, en vue justement de la conference que j'avais ä vous faire aujour-d'bui, et voici les documents pleins d'interet et encore ine-dits que je puis vous communiquer.

Je dois cependant vous declarer tout d'abord que, raalgre la bonne volonte de l'administration de l'agriculture, par les soins de laquelle cette enqußte est instituee, eile est loin d'etre aussi complete qu'elle pourrait l'etre et qu'il fauarait qu'elle le füt.

Ainsi, sur 89 departements, 81 seulement ont rcpondu ä son questionnaire.

49 departements ont envoy6 108 reponses affirmatives de la manifestation d'accidents rabiques dans leurs circonscrip-

-ocr page 67-

LA RAGE. 55

tions respectives, et 77 reponses negatives. 109 fois ils se sont abstenus de toute reponse.

32 departements ont declare, par 115 rapports, etre restes exempts de rage, et 77 fois ils se sont abstenus de toute reponse.

Enfin 8 departements se sont signales par une abstention complete.

Ces diff^rentes abstentions sont d'une grande importance, car, parmi les departements dont les rapports manquent dans une ou plusieurs annees de l'enquöte, il s'en trouve qui, de notoriete publique, sont trc!s-f§conds en accidents ra-biques, comme, par exemple, la Seine, le Rböne etSeine-ct-Oise. D'oü il resulte qu'il n'est pas possible d'arriver, je ne dirai pas a une conclusion legitime, mais meme i une simple induction tant soit peu autorisöe, relativement ä l'influence que peuvent exercer sur les manifestations de la rage, la situation geograpbique des regions oü on les Signale, et les cir-constances locales qui peuvent y dominer. 11 fautbien recon-naitre, en effet, que les renseignements recueillis par Tenqußte paraissent etre l'expression bien moins de la realite de tons les faits de rage qui ont pu se produire, que des soins que les autorites locales ont mis ä les recueillir et ä les transmettre ä l'autorite centrale.

11 n'y a done pas lieu d'altacber aux declarations fournies par I'enquete une trop grande creance, au point de vue du plus ou moins de frequence de la rage dans les departements dout dies ömanent. Toutefois, malgre ce qu elle a d'imparfait et d'insuffisant, l'enquete ne laisse pas que de fournii1 encore des resuitats pleins d'interet.

-ocr page 68-

5fi TA RAGE.

Les voici en substance :

1° Dans les Zi9 departements oü la rage a ete clcnoncee par 108 rapports, 320 personnes ont ete morduespar dos animaux enrages. Ce Chiffre est dejä formidable,mais il doit etre bien loin de la realite, puisqu'il y a des departements oü la rage est frcquente et dont les rapports manquent dans certaines des annees de l'enquOte.

Sur les 320 personnes mordues, les morsures ont donne lieu, dans 129 cas, ä de? accidents rabiques, ce qui constitue une mortalite de /i0,31 pour 100.

3° Sur les 320 personnes mordues, les morsures n'ont pas ete suiviesd'accidents rabiques dans 123 cas connus et specifies; l'innocuite constatee de ces morsures a done ete de 38 pour 100 environ.

Mais il faul considßrer qu'il y a (58 cas dont les terminai-sons ne paraissent pas avoir ete connues, puisqu'il n'en est rien dit dans les documents de l'enquöte, ce qui permet de supposer que, pour le plus grand nombre des personnes dont il s'agit dans ces GS cas, les morsures qu'elles ontsubies n'ont pas eu de resultats funestes, car une terminaison mortelle d'une morsure rabique a toujours plus de retentis-sement que nepent l'avoir un accident de cette nature, suivi d'une complete immunite.

D'oü il resulterait, qu'on pourrait considerer comme acquis ä l'immunite la plupart des cas de morsures specifies dans Fenquete, desquelles il n'est pas dit que la mort s'en est suivie.

Zi0 Sur les 320 personnes mordues, 206 appartiennent au sexe masculin et 81 au sexe feminin. Pour 33 le sexe n'est pas indique.

-ocr page 69-

LA RAGE. 57

Ce resultat est parfaitement concordant avec ceux qu'ont donnes les enquetes precedentes; toujours 1c nombre des ferames mordues est de beaucoup inferieur ä celui des hom-mes, ce qui ne peut s'expliquer e\ideinment que par les chances moindres que courent les femmes, en raison de leurs habitudes et de leurs travaux, d'etre rencontrees par des chiens enrages et de subir leurs alteintes. Peut-etre aussi que l'ampleur plus grande de leurs vötements est pour elles une condition de preservation, l'animal enrage assouvis-sant sa fureur sur ce qui se trouve immediatemeat sous sa dent.

5° Les accidents mortels ne se sont pas repartis d'une ma-niöre egale entre les deux sexes: sur les 206 personnes mordues du sexe masculin, la mortalite a ete de 100, c'esl-ä-dire d'un peu moins de lu moitie, et, sur 81 personnes du sexe feminit), eile n'a ete quo de 29, un peu plus du tiers : 48 pour 100 dans le premier cas et 30 pour 100 dans le second.

Ce privilege d'immunite relative, que les documents de l'enquOte actuelle donnent au sexe feminin, n'est probable-ment qn'un accident de slatistique, portantsurde trop petits nomhres pour qu'il soit possible d'en rien conclure.

Aussi n'y-t-il qu'ä enregisfrer ce fait sans commentaires.

6° lAlge des personnes mordues est indique dans 11!\ cas, dont la repartition par series döcimales met en relief ce fait interessant, que le plus grand nombre des accidents de mor-sures (97 sur 27Zi) correspond ä la serie de 5 ä 15 ans, c'est-a-dire ä l'age de l'imprcvoyancc, de rimprudence, de la fai-blosse, et surtout ;'i ITige des jeux et de la taquinerie. Rien des chicns, sous le coup dc la rage, epargneraient les en-

-ocr page 70-

SS LA RAGE.

fants auxquols ils sont familiers, s'ils n'^taient poussös ä bout par des harciMemenfs continuels que les enfaats repö-tent d'autant plus volontiers que, ne reconnaissant pas dans le chien avec lequel ils veulent jouer son liumeur habituelle, au moment des premitires manifestations de la rage, lis se trouvent determines par la ä Texciter davantage.

D'un autre cöte, cette si grande proportion d'enfants mordus s'explique par le nombre plus grand des chances qu'ils courent d'etre alteints par des chiens errants, dans les rues des villes oudes villages ou ces enfants se trouvent. si com-munöment reunis en groupes pour se livrer ä leurs jeux.

7° Un autre fait tri's-interessant ressort des documents de cette enquete, c'est que la serie oü lechifl'rede la mortalite est leplus faible est justement celleoüle nombre des accidents de morsures est le plus eleve ; les 97 cas de morsures constatees sur des enfants de cinq ä quinze ans n'ont ete suivis d'acci-dents mortels que 26 fois, tandis que, dans les series suivan-tes, la mortalite est de 12 sur 25, de 21 sur oZi, de 17 sur 28 ; ou, en chitl'res plus comparables, tandis que la mortalite est de 26,77 pour 100 dans la serie de cinq ä quinze ans, eile s'elöve ä 48, ä 61, ä 60 pour 100, etc., etc., dans les series suivantes.

D'oü cette conclusion, que si les enfants sont plus exposes aux morsures rabiques, il se pourrait qu'ils fussent moins predisposes ä contracter la rage, peut-ßtre par le privilege de leur insouciance naturelle et, consequemment de leur par-faite quietude morale.

8° Les morsures rabiques ont ele infligees, dans le plus grand nombre des cas, par des chiens et surtout pardes chiens males.

-ocr page 71-

la rage. 59

Sur les 320 cas de morsures, dont il est question dans l'en-quete, 28i ont ete Mtes par des clnsns mules, 26 par des chiennes, 5 par des chats ou chattes, et 5 par des loups ou louves.

Ii n'est parle, dans ces documents, d'aucune morsure faite ä l'homme par des herbivores.

9° Au point de vue des saisons, la statistique fournie par toutes les poriodes de Tenqu^te donne les resultats sui-vants

Pour les trois mois du printemps : mars, avril, mai, 89 cas; pour les trois mois de Vete: juin, juillet, acut, 7Zi cas; pour les trois mois de Yautomne : septembre, octobre, novembre, 6/i cas; et pour les trois mois d'hiver : decembre, janvier, levrier, 75 cas.

D'oü il ressort: a. Qu'il n'y a pas eu une trcs-grande difference entre les saisons sous le rapport des chiffres des cas de rage ;

b. Que la saison d'hiver est, a une unite prös, äquivalente, au point de vue du nombre des accidents rabiques, a la Saison des grandes chaleurs;

c. Que c'est au printemps que ces accidents ont ete les plus nombreux et en automne le moius ;

d. Et, en resultat dernier, que Topinionqui amnistie l'hiver ä Tendroit de la rage et incrimine Fete de preference ä toute autre saison n'est pas l'expression veritable des faits.

Ce qui conduit ä cette conclusion d'une importance supö-rieure, au point de vue de la police sanitaire et de la preservation individuelle, qu'en tout temps et dans toutos les saisons, il laut se mefier de a rage et prendre, ä l'egard du chien, des mesures de precaution identiques.

-ocr page 72-

60 LA RAGE.

II faul, toutefois, faire observer que si la statistique actuelle Iburnit des chiffres presque egaux d'accidents rabiques pour la saison des grandes chaleurs et pour cello des grands froids, il se pourrait que cette equivalence eut sa cause dans la plus grande rigueur avec laquelle les prescriptions de la police sanitaire sont observees en et(§, ä l'egard des cbiens, tandis qu'en hiver elles sont a peu pre^s lettre morte. .Mais, quoi qu'il en puisse etre de la valeur de cette interpretation, il demeure certain que la rage canine est une maladie de toutes lessaisons, et que, consequemment, il faut toujours se tenir en garde contre ses atteintes possibles.

10° A l'egard de la duree de la periode d'incubation, I'en-quete donne des resultats d'une grande importance par eux-memes et par leur concordance avec ceux que les enquetes anterieures ont deja fait connaitre.

Sur les 129 cas oii les morsures rabiques ont ete suivies d'accidents mortels, la duree de la periode d'incubation a etc constatee 106 fois, et il ressort des faits que e'est pendant les soixante premiers jours consßcutif's ä la morsure que les manifestations de la rage ont ete le plus nombreuses : 73 cas, ur les 106 oii la periode d'incubation a ete constatee.

Les 33 autres cas se dispersent sur les jours suivants: jus-qu'au deux cent quarantieme, c'est-;i-dire embrassant une periode de buit mois exactement; mais ils deviennent gra-duellement demoins enmoins nombreux,de telle sorte qu'au delä du cenlicme jour les accidents rabiques ne se comp-tent plus que par les chiffres 1 et 2. Au buitieme mois, il n'y en a plus qu'uu cas.

D'ou cette conclusion, qu'apres une morsure subie, les chances de ne pas conlracler la rage augmcntent consiilera-

-ocr page 73-

LA RAGE. fi!

blement, lorsque deux mois se sonl (k'oules sans qu ancutic manifeslation rabique se soil produite, et qu'au dela du qua-tre-vingt-dixit'me jour, la grandc somme des probabilites est en faveur de rimmunite complete.

, Sans doute que, passe cetle cpoque, les menaces de la rage n'ont pas encore cornpletement disparu, et qu il n y a pas lieu d'etre tout ;i fait rassure pour I'es personnes qui ont subi des morsures virulentes; mais les perspectives de Favenir devien-nent de moius en moins sombres, et de plus grandcs espe-rances sont permises aux victimes de ces morsures el aux personnes auxquelles elles sont chores.

Uans les enquetes anterieures, il a 6te etabli que la duree de la periode d'incubation etait d'autant plus courle que les sujets atteints par des morsures rabiques etaien' moins avan-ces en age.

Les resultats fournis par I'enqufite actuelle sont confirmatifs de ceux que les enquetes prccedentes ont deja donnes. lin comparant l'une ä l autre les series des periodes d incubation, de trois a vingt ansd'une part, et de vingt ä soixanle-douze ans de lautre, on trome, pour la premiere, une periode moyenne de Zi4 jours, et, pour la seconde, uue periodemoyenne de 75 jours, difference sensible, et qui presente im grand in-terel au point de vue du pronostic des suites possibles des morsures rabiques dans la premiere periode de la vie.

11° La duree de la maladie a ete constatee dans 90 cas, de l'examen desquels il resulte que la mort est arrivee lk fois Mansie delai des quatre premiers jours, les plus gros cbilfres de mortalile correspondant au deuxieme et au troisi^me, et que la vie ne s'est prolongee que 16 fois au dela du quatrieme jour.

-ocr page 74-

62 LA RAGE.

Cette fois, comme tonjours, Vcnquete ötablit que la mort a ele la terminaison inevitee des accidents rabiques, et que les malheureux qui en ont ete les victimes ont passe par d'epou-vantables tortures morales et physiques, qui expliquent ot justifient les terreurs que l'idee seule de la rage inspire partout aux populations dans tous les rangs de la societe.

12° Les documents de l'enquete fournissent des indications pleines d interöt sur le plus ou moins de nocuite des morsures rabiques, suivant les regions oü ellesont etc faites.

Si i'on compare entre ellcs les morsures, occupant le meme siege, dont les unes ont eu des suites mortelles, tandis que les autres sont restees inoffensives au point de vue de la rage, on trouve que, sur les 32 cas oü les blessures ont ete faites au visage, elles ont ete suivies d'accidents mortels 29 fois, et ne sont restees inoß'ensives que 3 l'ois seulement, ce qui, pour ces sortes de blessures, donne, d'apres la statislique actuelle,une mortalite de 90 pour 100, tandis que leur innocuite ne serait que de 9 environ.

Dans les 73 cas oü les blessures virulentes ont eteconstatees sur les mains, la statistique demontre qu'elles ont ete mortelles /i6 fois et qu'elles sont restees inoffensives 27 Ibis : soit une mortalite de 63pour 100 et une innocuite de36pour 100.

Pour les blessures des membres superieurs et inferienrs, comparees ä celles du visage et des mains, les rapports sont inverses : les 28 blessures rabiques constatöes aux membres superieurs, les mains exceptees, ont ete suivies d'accidents mortels 8 fois et sont restees inoffensives 20 fois ; les czlx blessures constatees aux membres inferieurs ont 616 suivies d'accidents mortels 7 fois et sont restees inoffensives 17 fois: soit

-ocr page 75-

LA RAGE. 63

une mortality do 28 ot de 29 pour 100, et une innocuite de 70 et de 71 pour 100.

Enfin, pour lesblessures du corps, generalement multiples, c'esl le cliillre de la mcrtalite qui predomine de nouveau : sur 19 blessures da corps, 12 ont ete morlelles et 7 sont res-tees iuoffensives.

Ces fails, qui sont confirmatifs de ceux que les enquötes anterieures ont deja fournis, donnent de nouveau la demonstration que les blessures rabiques faites sur des parties de-couvertes, comme le visage et les mains, ouvrent ci la contagion une voie plus sure que Celles qui ontleur siege sur les bras et sur les jambes, que, d'ordinaire, la dent de l'animal enrage ne peut atleindre qu'aprös avoir traverse un vetement qui l'essuie et la depouille de son humidite virulente.

II estvrai que les consequences des morsures faites sur le corps semblent contredire cette proposition, mais il faut faire observer ä cet egard que, generalement, ces blessures sont multiples, ce qui augmente les chances de l'inoculation ; que, parmi ces blessures, il en est qui ont leur siege sur des parties denud^es, comme le ecu et la poitrine, et qu'enfin laplupart du temps, quand un liomme est atlaque par nn animal enrage, s'il est mordu sur le corps, il Test aussi sur les mains, qui sont ses instruments naturels de defense.

13° Tin grand interet se rattache au.v renseignements que fournit l'enquete actuelle sur les moyens ä l'aide desquels il est possible de prevenir les terribles utl'ets des inoculations rabiques.

Si Ton compare entre elles, au point de vuede leurs suites, les blessures rabiques qui ont ete cauterisees et celles qui ne l ent pas äle, on cunstate une difference considerable entre

-ocr page 76-

(i/l LA RAGE.

les unes ot les aufres, ä l'egard de l'innocuite consecutive. De fail, sur 134 blcssures caulerisees, l innocuite sc mesure par 1e chifFre 02, et la mortalile par le chifFre 42 ; c'est-ä-dire par G8 pour 1O0 dans le premier cas et par 31 pour 100 dans le second.

Pour les blessures non caulerisees, le resullat est inverse et bien plus accuse. Sur 66 de res blessures, la mortalile se mesure parle chilTre 56, ou 84 pour 100, el rinuocuite par le chillre 10 seulement, ou 15 pour 100.

Maintenant, il faul faire observer, ä l'egard des blessures caulerisees, qu'il n'a pas etc possible, faule de renseignemenls suflisanls, d'etablir entre elles une distinction d'aprts le degre de la cauterisation et le moment oü eile leur a ele ap-pliquee : deux conditions desquelles dopend l'eflicacile cer-taine ou l'inaiiite compkMe de ce moyen de preservation.

Si ce deparl eütpu etre fait, il est permis d'affirmer que le chill're des blessures caulerisees restees inofl'ensives aurait grossi considerablement, car la destruction par le feu des tissus souilles et meme impregnes de salive virulente pre-vient, on peut dire ä coup sur, les accidents rabiques, lors-qu'elle est faite ä temps, c'est-ä-dire avant l'absorplion du liquide depose dans la plaie.

f. Indication des moije7is propres ä prtvenir les effets des inoculations rabiques.

Je me trouve maintenant tout naturellement conduit ä vous parier, non pas des moyens de guerir la rage, — le re-mede de cetle terrible maladie est encore, helas! le secret de i'avenir, — muis bien de ce qu'il convient de faire pour

-ocr page 77-

LA RAGE. 65

empöcher que l'inoculation d une bave virulente soit suivie de consequences funesies.

II resulte des documents dont je viens de vous presenter l'analyse, qu'en definitive, c'estla cauterisation des morsures, et surtout la cauterisation au fer rouge, faite avec le plus d'energie et dans le plus court dölai possible, apr^s l'inoculation, qui s'est monträe, cette fois-ci comme toujours, la plus fid(Me desressources prophylactiques.

Je ne saurais dire et je crois qu'il serait temeraire aujour-d'hui de vouloir indiquerdans quelles limites de temps s'ei'-fectue Tabsorption de la bave virulente mise en rapport avec une plaie, par une morsure ou autreraent : les dounees de Texperimentation ne sont pas encore süffisantes pour qu'on puisse se prononcer en cette matiöre avec une connaissance complete de cause. Mais ce que Ton peut affirmer sans crainte d'erreur e'est que, etant faite une blessure virulente, on n'a jamais recours trop töt ä la cauterisation par le fer rouge de preference ä tout autre, et qu'il vaut mieux s'en servir avec excös que d'une maniöre timoree.

Cette operation n'exige pasabsolument l'intervention d'un homme de l'art, tout au moins lorsque les plaies sont super-ficielles ou que, ayant pönetre ä une cerlaine profondeur, elles n'occupent que des regions charnues. II est facile d'im-proviser les instruments qui sont propres ä l'usage de la cauterisation : une tringle de rideau, un fer ä tuyauter, un tison-nier, une tige de fer quelconque, voire müme une lame de couteau ou les extremites des lames d'une paire de ciseaux mousses peuvent etre utilises, mais il est preferable que l'in-strument soil cylindrique ou conique, plulöt qu'aplati en lame, parce que sous los premieres de ces formes, il contieut

H. BOLLEY. -

-ocr page 78-

66 LA RAGE.

et conserve plus de chalenr. Pour s'en servir, il faut le faire chaufTer ä la temperature rouge claire, et le mettant en rapport avec la blessure, on l'y maintient applique d'une main ferme, en ayant bien soin de la brüler dans toute son €tendue et toute sa profondeur. Pour plus de sürete, la cauterisation (itant faite une premiere fois, il sera bon de re-mettre le fer au feu et de la repeter. La consideration de la douleur est ici bien secondaire ; qu'importent ces quelques soutt'rances d'un moment, si cuisantes qu'elles puissent 6tre, quand on les compare ä la grandeur du service qu'on doit en retirer. Du reste, on se fait generalement de la douleur causee par le feu un plus gros monstre que cela ne devrait etre. Cette douleur est trös-supportable, surtout lorsque les parties immedialement touchees par le caut^re sont con-verties en cbarbon. Ilparailrait meme, si je m'en rapporte au recit que m'a fait sur ce point M. Leblancpüre, veterinaire a Paris, qui pouvait en parier d'aprte son experience person-nelle, il paraitrait que la cauterisation dans le casdemorsure rabique causerait ä celui qui la subit avec connaissance de cause, je ne dirai pas tout ä fait du plaisir, mais une certaine satisfaction, resultant de ce que l'idee du bien qu'elle doit faire s'associe dans l'esprit ä la sensation douloureuse perdue.

A defaut du cauli-re, qu'il n'est pas possible d'employer dans toutes les circonstances, et immediatement, on peut ap-pliquer le feu sur les parties blessees, par l'intermediaire de la poudre de chasse. D'apres des renseignements communiques ä l'Academie imperiale de medecine par une personne, M. Manure, qui a habite, pendant quinze ans, Haiti, la rage serait une maladie frequente dans ce pays et on l'observe rait dans toutes les saisons: mais eile ne donncrait pas lieu

-ocr page 79-

LA RAGE. 67

ä des accidents proportionnels au nombre des morsures, parce que chacun sail ce qu'il doit faire pour prevenir les suites de celles-ci.

Dt^s qu'une morsure est regue on la bourre de poudre qu'on allume, et Ton determine ainsi une cauterisation trös-efficace ä laquelle on peut recourir partout extemporanöment, la poudre de chasse se trouvant presque toujours dans toutcs les poches et, ä coup sür, dans toutes les maisons. On complete Taction du feu par celle d'un vesicatoire, et les malades sont soumis ä un traitement mercuriel pousse jusqu'ä la salivation. L'auteur de cette relation pretend que, malgre la frequence des morsures rabiques ä Haiti, il n'a vu succomber ä la rage qu'une seule personne qui s'etait refusee ä recourir ä la cauterisation suivant le mode usite dans le pays. Cette pratique d'Haiti prösente l'avantage de la facility de son application immediate dans une foule de circonstances ou la cauterisation par le fer ne peut etre employee ; elle constitue done une ressource pröcieuse qu'il ötait bon de faire connai-tre et qu'il ne faut pas negliger.

Si le feu est le raeilleur des agents destructeurs des tissus sur lesquels a porte une dent virulente, cela ne veut pas dire qu'il faille l employer a Fexclusion absolue des autres agents de cauterisation, etqu'en dehors delui il n'y ait pas de salut. Le but ä atteindre est la destruction la plus rapide possible des tissus touches ou deja. impregnes par la salive rabique. Si a defaul du feu, qu'on peut ne pas trouver toujours partout et immediatement, de maniere a pouvoir Tapplique:: soit suivant le mode chirurgical, soit meme avec la poudre, on avait sous la main un agent caustique tel que I'a-cide nitrique, l acide sulfurique, I'acide chlorhydrique,

-ocr page 80-

LA RAGE.

la pierre ä cautfre, le beurre d'antimoine, le sublim6 corrosif, le nitrate d'argent, il faudrait l'employer sans dölai et avec toute l'energie que permet l'organisation des parties oü la morsure a sou siege, sauf ä recourir ullerieurement au leu, lorsque le moment de pouvoir s'en servir serait venu.

On nesaurait Irop insister sur la necessite absolue de lem-ploi energique de ces moyens preventifs, car les documents de l'enquete actuelle portent un trop grand nombre de temoi-gnages des pratiques insuffisantes auxquelles biensouventon se contente de recourir. Bien des fois, en effet, il est indique dans ces rapports qu'on n'a fait usage pour le traitement d' une morsure rabique quo de l'ammoniaque, ou de l'alcool ou du nitrate d'argent employe trop superficiellement, ou simplc-ment möme d'un vinaigre quelconque, et que, cela fait, on •Test abstenu de toute autre application locale, les moyens employes etant consideres comme suffisanls.

Dans bon nombre de cas encore, il est etabli que, faute de substances quelconques ä appliquer sur une blessure faite par un animal enrage, on s'est abstenu de toute intervention immediate avant le moment oü soil lecautere, seit les agents caustiques ontpuetre employes. Mais trop souvent, en pareil cas, un trop long dölai s'est ecoule entre le moment de la morsure et celui de l'application du traitement qui reste inefficace pour avoir ete trop tardif.

Qu'y a-t-il done ä faire en pareille circonslance, e'est-a-dire lorsqu'on est loin de tous les secours, et que Ton n'a sous la main aucun agent propre ä detruire le liquide virulent qui peut avoir 6te introdui' dans la plaie ? Dans ce cas encore, il nefaut pas rester inactif, et Ton peut, par lemploi de pia-

-ocr page 81-

LA RAGE. 69

liques speciales, parvenir soit ä empecher TaLsorption du virus, soit lout au moins ä la retarder.

Le premier de ces moyens, qui peuvent 6tre preservaleurs si Ton se bäte d'y recourir, est la succion immediate de la plaie que le blesse, dans ce cas, devrait toujours s'empresser de pratiquer lui-meme^ toutes les foisque celalui serait possible, c'est-ä-dire que la blessure aurait son siege dans unc region ä portee de sabouche. Le sang qui s'ecoule sous Taspi-ration des lövres entrainant avec lui le liquide virulent qui de,ja peut avoir penetrö dans les capillaires de la partie blessee, les chances de l'absorption de ce liquide se trouvent ainsi ou annulees ou considerablement reduites. Sans doute que Ton pent objecter ä cette pratique que l'absorption qui ne se fait pas dans la plaie, peut s'effectuer dans la bouebe, gräce äl'ex-tröme finesse de la membrane qui la tapisse, mais ce danger peut ötre evite, si aprös cliaque succion, le liquide aspire est immedialement rejete. Du reste, il ne semble pas qu'en une telle occurrence il puisse y avoir, pour le blesse, motif ä aucune hesitation ä l'egard du parti qu'il doit prendre, puisque, ä coup sür, les chances sont bien plus grandes de l'absorption d'un virus par la surface d'une plaie vive que par celle d'uae muqueuse intacte.

Mais si, dans les conditions qui viennent d'etre specifiees, les chances sont bien faibles de l'absorption par la bouche du virus rabique, je n'oserais dire, cependant, qu'elles sont tout a fait nulles. et consequemment recommander la succion comme une pratique generale dont on peut afiirmer 1'in-nocuite absolue. Je me borne done ä la signaler ici comme une ressource dont on peut toujours disposer, alors que toute autre fait actuellemcnt defaut, comme un moyen possible

-ocr page 82-

70 LA RAGE.

d'eviter aux viclimes des morsures rabiques les terribles dangers dont elles sont menacees, en laissant la responsabilite de leur devouement ä tous ceux qui, sous les inspirations de leurs passions affectueuses, croiront devoir recourir ä la pratique de la succion pour le salut de Tun des leurs.

Pour prevenir les redoutables effets des morsures rabiques on peul aussi, et il laut toujours, recourir ä l'expression des plaies, afin de les faire saigner le plus possible et d'entrainer avec le sang la salive virulente qu'elles peuvent contenir. Si en meme temps qu'on exprime les plaies, il est possible de les soumettre ä un lavage continu avec un liquide quel qu'il soit, ne füt-ce que l'urine, ilne faut pas negliger l'emploi de ce moyen qui peut 6tre tr(gt;s-efficace. L:eau de Javelle, si employee pour les usages domestiques, peut etre en pareil cas d'un trcis-utile secours.

11 sera bon aussi, en attendant qu'on puisse faire usage des agents destructeurs, feu ou caustiques, de soumettre les levres des plaies ä une pression continue et tr6s-6nergique, de ma-ni^re ä effacer le calibre de leurs petits vaisseaux et ä sus-pendre dans leurs tissus le courant sanguin, condition neces-saire de l'absorption.

Toutes les fois que la disposition de la region permettra de l'etreindre par une ligature circulaire, on ne devra pas negliger ce moyen, propre a suspendre la circulation locale, et äralentir, si ce n'est meme ä empeeber l'absorption dans les tissus blesses. Gelte ligature ne devra etre levee qu apres ['application du feu ou des caustiques sur ces tissus, et il sera meme toujours d'une bonne precaution de la maintemr jnsqu'ä ce que, par l'emploi des ventouses scarifiees multiples, on ait pu faire evacuer la plus grande quantite possible

-ocr page 83-

LA. KAGE. 71

du sang dont eile avait suspendu le cours dans les parties soumises ä son etreiate.

Tel est l'ensemble dos mesures qu'il est necessaire ou tout au moins trös-utile d'employer, pour prövenir ou diminuer les dangers que font courir les morsures virulentes aux per-sonnes qui les ont subies.

Maintenant, il existe une foule de recettes, de remödes secrets, de pratiques de difierents ordres, auxquels on a com-munement recours, dans beaucoup de pays, pour se mettre ä l'abri des menaces de la rage.

Je ne veux pas examiner ici ce que peut ötre la valeurth6-rapeutique de ces moyens, plus vantes les uns que les autres dans les localites respectives oü la tradition les a conserves. Mais je crois devoir dire que, quels qu'ils soient en definitive, il ne faut pas les proscrire, car il n'y a vraiment aucun avan-tage a le faire.

De fait, il est certain que jusqu':i präsent on n'a pas encore trouv6 le remade antirabique, c'est-a-dire I'agent qui aurait la vertu merveilleuse d'annulerlegerme de la rage, lorsqu'il est introduit dans le sang et qu'il y reste en puissance de tous ses effets. Tout ce que peut la medecine, c'est le detruire sur place, dans la blessure oü il a etc depose par la dent de l'animal enrage. Cela fait, eile ne sait plus rien de mate-riellement efficace pour conjurer le danger. Le malheureux qui se trouve en presence des menaces de la rage passe, pendant une longueperiode de jours etmöme de mois, par toutes les perplexiWis, par toutes les angoisses, par toutes les tortures morales du condamne ä mort. II a sans cesse devant les yeux comme un spectre implacable, fantöme encore aujour-d'hui, mais demain reality possible.

-ocr page 84-

72 LA RAGE.

Dans de pareillos conditions de son esprit, quel inconvenient ya-t-il äce qu'il aille chercher, n'importe oü, quelques motil's de ne pas tant desesperer, quelques moyens de retrou-ver unpeu de calme et de repos? Qui peut dire quele rasse-renement de son esprit, que sa contiance ou que sa foi ne seront pas pour lui, dans une certaine mesure, des moyens de salut? La stalistisque de l'enquete dont je -viens de vons rendre compte en demontre-t-elle pas qu'u nombre egal de sujets, enfants et adultes, exposes ä la rage par suite de mor-sures virulentes, cette maladie ait bien moins de victimes sur cEux-la que sur ceux-ci? lüt ce resultat ne donne-t-il pas ä penser que le moral pourrait bien avoir quelque influence sur le developpement de cette maladie etrange?

Pour moi, je demeure convaincu que les pratiques ou los medications, quclles qu'elles soient, qui s'adressent au moral des personnes,victimes des inoculations rabiques,peuvent 6tre d'un tres-utile secours. 11 m est arrive quelquefois de faire prendre ä des malheureux qui etaient sous le coup des ter-reurs dela rage des breuvages innocents, ä titre de speeifiques infaillibles, etle souvenir que j'ai conserve de lour immense contentement m'a toujours all'ermi dans l idee qu'en paroille matiöre il n'etait pas bon de detruire les illusions et les croyances : mieux vaudrait au contraire les faire naltre. Mais il nefaut pas que ces moyens, qui constituent co que Ton peut appeler le traitement moral de la rage, prenneat jamais le pas sur ceux dont Taction materielle est certainement effi-cace, lorsqu'onles emploie dans le temps convenablo et qu'on sait s'enservir. 11 ne faut pas surtout que jamais les premiers se substituent ä ceux-ci. La serait un grand danger contre lequcl je dois vous rncltre en Karde.

-ocr page 85-

LA RAGE. 73

Je me resume sur ce point et je dis : fitant regue quot;ne bles-sure rabique, il faut immediatement et sans perdre une minute, prcvenir l'absorplion de la have virulente par I'expres-sion de la plaie, son lavage, la succion exercee par la bouche ou par une ventouse, et le plus tot possible recourir äla cauterisation ä l'aide du feu ou des agents cbimiques. Jamais ii ne faut s'abstenir du traitement local de la blessure par les moyens energiques que j'ai presents, et c'estä ce traitement qu'il faut recourir toujours et avant tout autre. Mais cela fait, il n'y a aucun inconvenient a coup sür, il ne peut y avoir que de grands avantages a. ce que les malades aillent cbercber des ressources et des espörances partout oü ils croiront poavoir cn trouver. Quand tont ce qu'il etait materiellement possible de faire a ete fait, indication essentielle qui reste ä remplir est de rassurer le moral des Wesses, puisque tout tend ä prouver qu'ils offrent d'autant moins de prise ä la maladie que leur Systeme nerveux est moins ebranle par les terreurs de l'ave-nir. A ce dernier egard, je vous ferai observer que lastalisti-que actuelle, concordante en cela avee toutes celles qui Tout precedee, fournit des ebiffres qui, au point de vue du traitement moral de la rage, peuvent avoir une intluence salutaire, car ils temoignent qu'une blessure rabique n'est pas fatale-mentmortelle, comme beaueoup sont trop portes ä le croire ; qu'au contraire, dans plus de la moitie descas, eile ne donne lieu ä aueune consequence funeste. J'ajoute qu'a l'avenir, les ebiffres des cas d'innocuite des blessures rabiques grandiront d'autant plus que plus souvent on aura recours ä I'emploiim-mediat des moyens propres ä empeeber I'absorpticni de la bave virulente dans les plaies oü eile aura pu etre intruduite.

Prevenir cette absorption, voilä le grand but ä atleindre,

-ocr page 86-

74 LA RAGE.

car lorsque la rage est döclaree la mort est fatale, ou du moias jusqu'ä present eile l'a ete.

Aucun remade n'etant encore connu contre la rage, ie mieux qu'il y ait ä faire est de tächer de diminuer les souf-frances physiques de ceux qui en sonl atteints, et de les soustraire ä leurs tortures morales par l'cmploi continue des anestliesiques, sous toutes les formes et par toutes les voies. Puisqu'ils sont condamnes ä mourir, c'est leur rendre le plus grand des services que de leur donner tout ä la foisrincon-science de leur etat et l'insensibilite pour leurs souffrances.

II me reste maintenant, mesdames et messieurs, pour terminer cette conference, ä vous donner une id6e, d'aprös les documents de l'enquete, du nombre des animaux de l'espöce canine qui onl 6te mordus par des chiens ou des loups enrages, et, par ce nombre, des chances plus ou moins grandes que courent les populations, dans notre pays, de subir elles-memes des morsures rabiques.

Le chifl'rc des chiens mordus dont il est question dans l'enquete s'eliive ä 785. Sur ce nombre, il est constate que 527 ont 6t6 abattus.

Des 258 qui restent, on ne connait le sort que de 25 seule-ment, quiont etö sequestres et dont 13 ont contracte la rage.

Ces chißres sont bien loin de donner la mesure exaete des animaux de l'espece canine qui ont regu des morsures virulentes. Iis expriment seulement le nombre des animaux de cette espöce sur lesquels les autoritös locales ont regu etdonne des renseignements. Tels qu'ils sont, cependant, ils ont une signification qu'il est important de faire ressortir.

Etablissons ce premier fait que, sur le nombre des chiens que 1 on a constate avoir ete contamines par une morsure r^.

-ocr page 87-

LA RAGE. 75

bique, il y a prösd'un tiers, 29 pour 100, qui paraissent avoir

ßchappe aux mesures sanitaires de la sequestration ou de l'a-

*

batage, par suite de Finc urie probable, de Fignorance oudela tropgrande complaisance des autoritcscbargöesdefaire appli-quer ces mesures; par suite aussi de Tindifierence des populations menacees, qui devraient 6tre les premiöres toujours, si elles comprenaient bien leurs interöts, ä reclamer l'appli-cation de ces mesures qu'on peut dire de salut public.

Leur necessite, trop mal comprise, se trouve dömontree par les faits qui viennent d'etre rapportes. Sur les 25 chiens dont la sequestration a ete constatee et l'bistoire suivie, la moiti6 a contracte la rage. Admettons que le meme fait se soil produit dans le groupe des 233 chiens restes libres mal-gre leur contamination : 116 ont done du devenir ä leur tour les propagateurs de cette terrible maladie, et il n'y a den d'exagere a admettre que chacun d'eux a du faire dans son esp^ce une dizaine de victimes, destinees ä fournir, ellcs aussi, une nouvelle legion d'agents propagateurs; et successi-vement ainsi. En sorte que la rage de l'espöce canine s'en-tretient surtout par elle-meme et que son ebiffre va croissant, suivant une progression redoutable; tandis que si les auto-rites etaient #9632;vigilantes, si surtout les populations etaient plus soucieuses de leur propre conservation etsavaient se proteger elles-mßmes, on pourrait arriver, sans de bien grandes diffi-cultes,ä reduire ä des proportions bien minimes les desastres causes par cette maladie et les irreparables malbeurs qu'elle entraine trop souvent lorsqu'elle s'attaque ä l'homme.

Notons bien, en effet, qu'il est excessivement rare que la rage du cbien soit spontanee. Dans l'immense majorite des cas, cette maladie ne procede que de la contagion ; sur

-ocr page 88-

76 LA RAGE.

1000 chiens enrages, il y en a 999 au moins qui doivent leur mal ä I'inoculalion d'une morsure.

La contagion, voilä doncla grande cause qu'il faut eteindre ou, tout au moins, dont il faut circonscrire Taction dans les limites les plus etroites possible. 11 est evident que ce resul-tat serait atteint si toutes les fois qu'un chien enrage a passe parune localite, on connaissait exactement les animaux qu'il a mordus et que ceux-ci fussent mis hors d'etat de nuire ä leur lour, soil par une sequestration reelle, prolongee pendant huit mois au moins, soit par un abatage immediat, ce qui est, ä coup sür lamesure laplus efficace, puisque legerme du mal serait ainsi detruit avant d'avoir pu fructifier. Je ne me dissimulc pas que de nombreuses difficultes s'opposent ä ce que cesmesures, d'une necessite absolue cependant, soient appliqußes, l'une ou l'autre, avec toute la rigueur qu'il fau-drait pour qu'elles pussent produire toutes leurs consequences utiles, ä savoir l'extinction complete de la contagion ra-bique.

Dans un trös-grand nombre de cas, en effet, le chien est pour l'bomme plus qu'un animal, c'est un filre auquel on est attache par un sentiment afTectueux souvent trös-ener-gique; pour beaucoup, il est comme de la famille, il est le lavori des enfants, il rappelle un souvenir reste eher, et l'on congoit que, dans de telles conditions, il soit difficile d'obte-nir contre lui l'acquiescement de son maitre ä son arr6t de mort. Reste la sequestration ; mais ä moins qu'elle soit exe-cutec dans un etablissement special, bien des empöchements mettent obstacle ä ce qu'on y tienne la main avec toute la rigueur voulue. Dans les premiers jours, alors qu'on est encore tout plcin des terreurs de l'evenement qui vient de se

-ocr page 89-

LA KAGE. 77

produire, le chien qui a ete mordu est soumis a une surveillance sevöre; on le tient rigoureusement attache ou enferme, en se promettant bien de le laisser en quarantaine tout le temps necessaire; mais avec le temps qui s'ecoule, l'oubli vient, les craintes de l'avenir disparaissent, et un beau jour, Tanimal suspect redevient libre, juste au moment oü il peut fitre le plus redoutable, c'est-ii-dire ä l'epoque oü la periode d'incubation de la maladie dont il peut avoir regu le germe toucbant ä sa fin, l'explosion en est itnminente. Persoune ne s'inquiöte de cette liberte trop töt rcndue ä l'animal qui a pu ötre inocule ; son maitre parce qu'il ne croit plus au danger, les habitants de la localite parce qu'ils oat tout oublie, et les autorites, par ignorance de ce qui peut arriver, ou par insouciance de leur devoir, ou encore par la crainte d'etre obligees de l'accomplir; et ainsi peut se trouver realisee la condition fatale de la propagation de la rage par cet animal auquel une morsure en a transmis le germe. Rappelons-nous que sur les 25 chiens dont la sequestration est mentionnee dans I'enquete, 13 sont devenus enrages. Quel chiffrel et comme il temoigne energiquement de la nöcessite absolue de prendre contre tous les chiens mordus des mesures rigou-renses qui les mettent dans l'impuisance de nuire! Et puisque la sequestration est une mesure trop souvent infidöle, tandis que l'abatage immediat des animaux suspects est, pour les populations, une condition absolue de s§curit6, je crois qu'en pareil cas, Thumanite commande le parti qu'il faut prendre, et qu'en definitive, mieux vaut se resigner ä faire mourir les chiens que de courir la chance de faire mourir les bommes.

Du reste, sile sentiment de rhumanite ne parlait pas assez

-ocr page 90-

78 la rage.

haut pour inspirer ßt faire suivre a tout le monde la ligne de conduile que je vions d'indiquer comme la meilleure, — ce ä quoi il laut bien s'attendre aprös tout, — il y aurfüt, ce me semble, un moyen excellent de döterminer les proprie-laires des clüens suspects ä en faire le sacrifice, ce serait de faire peser sur eux la responsabilite pecuniaire des sevices et des desasfres que leurs animaux pourraient causer. Pour cela de nouvc'iles lois ne seraient pas necessaires; il suffirait d'impo-ser, par simple mesure de police, l'obligation rigoureuse your tous les proprietaires de chiens de maintenir au cou de leurs animaux un collier portant l'indication des noms et demeure de ceux auxquels ils appartiennent. Cette mesure adoptöe et rigoureusement executee, dans l'interieur des maisons comme au dehors, — car le chien et son collier devraient etre inseparables,— sinn de ces animaux venait ä causer des malheurs, les articles 1382, 1383 et 1385 du Code civil pourraient et devraient etre invoques contre son maitre, car aux lermes de ces articles : « 1° Tout fait quelconque d'un homme qui cause « ä aulrui un dommage oblige celui par le fait duquel il est » arrivö ä le reparcr.

» 2° Chacun est responsable du dommage qu'il a cause, » non-seulement par son fait, mais encore par sa negligence #9632;i et par son imprudence.

» 3° Le propriötaire d un animal, ou celui qui s'en sert, » pendant qu'il est ä son usage, est responsable du dommage » que I'animal a cause, soit que I'animal fut sous sa garde, » soit qu'il füt egare ou echappc. »

Or, la reparation, en cas de mortd'hommecausee par lamor-sure d'un cbien enrage, pouvant et devant toujours s'61ever ä des chitTres considerables, j'ai la trös-forte conviction que,

-ocr page 91-

LA RAGE. 79

dans le plus grand nombre des cas, on se resignera ä la mort dos chiens suspects, plutöt que de courir la chance redou-table des lourdes icsponsabilites que leurs sevices peuvent enlrainer.

Les articles lo82, 1383 et 1385 peuvent done et doivent de-venir les plus elticaces des moyens de preservation contre la rage canine; 11 suffit pour cela de leur faire produire leurs efiets dans toutes les circonstances oü il sera possible de faire peser sur les proprietaires des chiens enrages la responsabi-lite des sinistres causes par leurs animaux, car, en rögle generale, quelque violente amour que Ton porte ä son chien, on en porte encore une plus grande ä son argent.

Pour ma part, j'ai une bien plus grande confiance dans les menaces salutaires de ces articles que dans le musölement de tous les chiens, que tous les arrötes prefectoraux ont la pretention derendrepartoutobligatoire, et qui n'est execute nulle part d'une maniöre veritablement efficace. Onpeutmeme dire qu'au point de vue de la preservation de la rage, cette mesure est tout au moins inutile, car elle n'est jamais appliquee aux chiens qui sont susceptibles do nuire par le fait de leur etat rabique actuel. Quelques mots d'explication vont vous le prou-ver. Quels sont les chiens qui, dans les rues et sur les routes, se montrent en plein accös de rage et font des morsures aux hommes et aux betes qu'ils rencontrent? Est-ce que tout ä l'heure, ils etaient dans les conditions de la plus parfaite sante et que la rage s'est emparee d'eux soudainement et sans aueun signe premonitoire? Non, ä coup sür : je me suis dejti expliquesurce point, dans le courant de cette conference; ces chiens couvaient la rage depuis quelques jours deji chez leurs maitres, et s'ils sonl maintenant errants sur les routes.

-ocr page 92-

80 T.A RAGE.

c'est qu'ils se sont echappes de leurs demeures, obßissant ä I'instinct qui les pousse ä s'eloigner de ceux qui leur sont chers. La plupart du temps, c'est a l'insu de tout le monde qu'ils ont op6r6 leur fuite, et consequemment, c'est toujours (/mwse/esqu'ils s'echappent, car iln'est pas habituel de main-tenir la museliöre dans l'interieur des demeures. A quo! done peut 6tre utile, au point de vue de la prophylaxie de la rage, ce musölement qu'on veut rendre obligatoire pour lous les chiens, puisqu'en definitive, par la force meine des Glioses, ce sont les cliiens en plein accis de rage quise trouvent exempts, pour la plupart, de cette obligation et qu'elle n'est le plus souvent imposee qu a ceux qui sont en parfaite sant6?

Me void arrive ä la tin de cette longue conference, et Je ne crois pouvoir mieux faire, pour graver plus profond(jment dans les esprits ce qu'elle peut avoir d'utile, que de la resu-mer en quelques pages, oü je me suis surtout propose de mettre en relief ces caracltjres distinctifs de la rage canine, dont la connaissance est si importante, car, vous le savez maintenant, avant que la rage devienne furieuse, elle s'ac-cuse d'une telle manure, pendant quelques jours,'que, si Ton connaissait la signification des choses, il serait toujours possible de mettre I'animal enrage hors d'etat de nuire, soit par la sequestration, soit par un abatage immediat. Voicicer6sum(5 :

INDICATION DES CARACTERES DISTINCTIFS DE LA RAGE Dü CHIEN A SES DIFFERENTES PERIODES ET DES MOYENS PROPRES A PREVENIR SA PROPAGATION.

I. — La rage du chien ne se caracterise pas par des accös de fureur, dans les premiers jours de sa manifestation. Au

-ocr page 93-

LA RAGE. 81

contrairc, c'nst unc roaladie, tout d'abord d'apparencc benigne; mais düs ses debuts, la bave est virulente, c'est-ä-dire qu'elle renferme le germe inoculable, et 1c ebion est alors bien plus dangereux par les caresses de. sa langue qu'il ne peut l'etre par ses mo.csures, car il n'a encore aueune tendance ä mordre.

II. — Au debut de la rage, le ebien cbange d'bumeur ; il devient triste, sombre et taciturne, recherche la solitude el se retire dans les reeoins les plus obscurs. Mais 11 ne peut rester longtemps en place : il est inquiet et agite, va et vient, se couche et se relive, ride, flaire, eberebe, gratte avec ses pattes de devant. Ses mou-vements, ses attitudes et ses gestes semblent indiquer que^ parmoment,il voitdes fantömes,car il mord dansl'air, s'elance etburle comme s'il s'attaquait ä des ennemis reels.

III. — Son regard est cbange ; il exprime une tristesse sombre et quelque chose de farouche,

IV. — Mais, dans cet etat, le cblen n'est encore nullemenl agresslf pour l'bomme ; son caractöre est ce qu'il etait avant. 11 se raontre docile et sou mis pour son maitre, ä la volx du-quel 11 obeit, en donnant quelques signes de gaiete qui ra-menent un instant sa physionomie ä son expression habituelle.

V. — Au lieu de tendances agressives, ce sont souvent des tendances contraires qui se manifestent dans la premiere p6-riode de la rage. Le sentiment affectueux envers ses mailre^ el les familiers de la maison s'exag^re cbez le chien enrage, el iU'exprime par les mouvements repeles de sa langue avec laquelle il est avidc de carcsser les mains ou les visages qu'il peul utteiudre.

ij

-ocr page 94-

82 LA RAGE.

vi. — Ce sentiment tres-developpc et trös-tenace chez le chienlo domine assez pour que, dans untres-grand nombre de cas, il respecte ses maitres, möme dans le paroxysme de la rage, et pour que ceux-ci, d'autre part, conservent sur lui un tnV grand empire, rmlme lorsqne ses instincts feroces ont commence ä se manifester et qu'il s'y abandonne.

VII. — Le chien enrage n'a pas horreur de l'eau ; au con-traire, il en est avide. Tant qu'il peut boire, il satisfait sa soif toujours ardente; et quandle spasme de son gosier l'em-pöche de deglutir, il plonge le museau tout cntier dans le vase et il mord, pour ainsi dire, le liquide qu'il ne peut plus avaler.

Le chien enrage n'est done pas hijdrophobe;

VHydrophobie n'est done pas un signe de la rage du chien.

VIII. — Le chien enrage ne refuse pas sa nourriture dans la premiöre periode desa maladie ; souvent möme il la mange avec plus de voracite que d'habitude.

IX. — Lorsque le besoin de mordre, qui est un des carac-töres essentiels de la rage ä une certaine periode de son develop-pement, commence ä se manifester, l'animal le satisfait d'abord sur des corps inertes; il ronge le bois des portes et des meu-bles, deebire les etoffes, les tapis, les cbaussures, broie sous ses dents la paille, le foin, les crins, la laine, mange la terre, la fiente des animaux et la sienne meme, etc., et excumule dans son estomac des debris de tous les corps sur lesquels ses dents ont porte.

X. — L'abondance de la bave n'est pas un signe constam de la rage chez le ebien. Tantötlagueule est humide et tantöt eile est sßche. Avant la periode des acces^ la secretion de la

-ocr page 95-

LA EAGE. 83

salive est normale ; eile s'exagöre pendant cette periode et se larit a la fin de la maladie.

XI. — Le chien enrage exprime souvent la sensation dou-loureuse que lui fait eprouver le spasme de son gosier, en faisant avec ses pattes de devant, de chaque cöte des joues, les gestes propres au chien dans la gorge duquel un os est arrete.

XII. — Dans une variötö particuliöre de la rage canine que Ton appelle la rage-mue, la mcichoire inferieure paralysöe reste ecartee de la superieure et la gueule demeure beante et st'che, avec une teinte rouge brunatre de la muqueuse qui Ja lapisse.

XIII. — Dans quelques cas, le chien enrage vomit du sang qui provient, suivant toutes probabilites, des blessures de son eslomac par les corps acörös qu'il a degluiis.

XIV. — La voix du chien enrage change toujours de timbre, et toujours son aboiement s'execute suivant un mode complötement different de son mode habituel.

II est rauque, voile, et se transforme en un hurlement saccad^.

Dans la variety de rage appelee rage-mue, ce symptöme important fait defaut. La maladie regoit son nom du mutisme absolu des malades : rage-mue ou muette.

XV. — La sensibilite est tres-emoussee dans le chien enrage. Quand on le frappe, qu'on le brüle ou qu'on le blesse, ilne fait entendre ni les plaintes, ni les cris parlesquels les animaux de son espöce expriment leurs souß'rances ou meme simplement leurs craintes.

II y u des cas oü le chien enrage se fail lui-mome des blessures profondes avec ses dents et assouvit sa rage sur son

-ocr page 96-

84 LA RAGE.

propre corps, sans chercher encore ü nuire aux personnes qui lui sont l'amiliöres.

XVI. — Lc chien enragö est toujours tres-violemment im-pressionne et irrite par la vue d'un animal de son esp^ce. Dös qu'il se trouve en sa presence ou qu'il entend ses aboie-ments, sa fureur rabique se manifeste, si eile etait encore latente, se d6veloppe et s'exalte, si eile etait deji declaröe, et il se lance vers lui pour le dechirer de ses dents.

La presence du chien produit la mume impression sur les animaux des autres espöces, quand ils sont sous le coup de la rage ; en sorte qu'il est vrai de dire que le chien faif l'of'fice d'un agent reactif, ä l'aide duquel on peut presque toujours, avec una tres-grande sürete, deceler la rage encore cachöe dans un animal qui la couve.

XVII. — Le chien enragö fuit souvent le toit domestique, au moment oü, par les progrös de sa maladie, les instincts föroces se d6veloppent en lui et commencent ä le dominer ; et, apris un, deux ou trois jours de peregrinations, pendant lesquels il a cherche ä satisfaire sa rage sur tous les etres vivants qu'il a pu rencontrer, il revient souvent mourir chez gt;68 maitres.

XVIII. — Lorsque la rage est arrivee ä sa p6riode furieuse, eile se caract^rise par l'expression de ferocite qu'elle donne ä la physionomie de l'animal qui en est atteint et par des envies de mordre qu'il assouvit toutes les fois que l'occasions'en presente ; mais c'est toujours centre son semblable qu'il di-rige ses attaques, de preference a tout autre animal.

XIX. — Les fureurs rabiques se manifestent par des accös dans las intervalles desquels l'animal epuise tombo dans un

-ocr page 97-

LA RAGE. 85

6tat relalif de calme, qui peut faire illusion sur la nature de sa maladie.

XX. — Les cliiens bien portants semblenl doues de la fa-oulte de deviner l'elat rabique*d'un animal de leur esp(gt;ce et; au lieu de luiter contrc lui, ilä cherchent ä se derober ü ses atleintes par la fuite.

XXI. — Le cliien enrage libre s'attaque d'abord, avec une tr^s-grande Energie, ä tous les Otres vivants qu'il rencontre, mais toujours de preference au cliien plutöt qu'aux autres aniraaux, et de preference ä ceux-ci plutöt qu'ä rhomme Puis, lorsqu'il est epuisö par ses fureurs et par ses luttes, il marclie devant lui d'une allure vacillante, tr6s-recounaissable u sa queue pendante, ä sa töte inclinöe vers le sol, ä ses yeux tigarös et a sa gueule beante, d'oü s'ecbappe une langue bleuil-tre et souülee de poussiöre. Dans cet etat, il n'a plus de gran-des tendances agressives, mais il rnord encore tous ceux, hommes ou betes, qui se trouvent ou qui vont se mettre a la portöe de ses dents.

XXII. — Le chien enrage qui meurt de sa mort naturelle succombe ä la paralysie et a l'asphyxie.

Jusqu'au dernier moment, l'instinct de mordre le domine, et il faut le redouter meme lorsque I'^puisement semble l'avoir transforme en corps inerte.

XXIII. — Al'autopsie d'un chien enragö on rencontre, d'une maniöre presque constante, dans sonestcmac, un melange de corps disparates, tels que du foin, de la paille, des crins, de la laine, des lambeaux d'etoffes, des morceaux de cuir, des debris de cordes, des etoupes, des excrements, de la terre, des feuilles, du gazon, des pierres : toutes substances qui, par leur presence et leur assemblage, ont une grandevaleur pro-

-ocr page 98-

86 LA RAGE.

bative de Texistence de l'ötat rabique sur l'animal oü on les constate.

XXIV. — Le moyen le plus sür de prevenir les effets des inoculations rabiques est la cauterisation immediate, par le fer rouge de preference, et, ä son döfaut, par la poudre de chasse et par les agents caustiques. Plus töt cette cauterisation est laite et plus il y a ä compter sur son efficacite.

XXV. — Si la cauterisation ne peut 6tre faite immediate-ment aprös la morsure, il faul, en attendant, laver la plaie, l'exprimer trt^s-energiquement pour en faire sortir le sang, operer sur eile des succions avec les lövres, en rejetant tris-vite le liquide aspire par la bouche, comprimer tris-forte-ment ses bords et d'une maniöre continue, appliquer, si c'est possible, une ligature circulaire, pour suspendre le cours du sang.

XXVI. — Apres l'emploi de ces moyens, qu'il faut toujours appliquer les premiers, on peut avoir recours avec avantage ä Tun ou ä l'autre des difterents traitements pr6conises contre les morsures rabiques.

XXVII. — La cause principale, et Ton peut presque dire exclusive de la rage canine, etant sa transmission par des morsures de cbiens enrages, tous les cbiens mordus ou suspects de l'avoir et6 doivent etre mis bors d'etat de nuir3, seit pai une sequestration prolongee pendant buit mois au moins, soit par un abatage immediat.

XXVIH. — Les proprietaires des animaux enrages sontres-ponsables des sinistres qu'ils causent, vis-ä-vis des personnes qui en sont victimes, car aux termes des articles 1382, 1383 et 1385 du Code civil: « 1° Tout fait quelconque de l'homme

-ocr page 99-

LA RAGE. 87

» qui cause ä autrui un dommage, oblige celui par la faule » duauel il est arrive ä le reparer.

» 2° Chacun est responsable du dommage qu'il a cause, non-« seulement par son fait, mais encore par sa negligence ou par » son imprudence.

» 3° Le proprietaire d'un animal, ou celui qui s'en sert » pendant qu'il est a son usage, est responsable du dommage n que 1'animal a cause, soit que l'animal füt sous sa garde, soil » qu'il fut egare ou echappe. »

XXIX. — Tous les alliens devraient porter, au dedans comme au dehors des maisons, un collier indicateur des noms et de la demeure de leurs maitres.

Ma täche est maintenant accomplie; je vous ai dit, en com-mengant, que je l'avais entreprise parce que j'avais la conviction que je faisais une chose utile. Je la termine en con-servant cette conviction, et je ne crois pas me faire d'illusion en pensant que je vous I'ai fait partager.

-ocr page 100-

TABLE

Preface.............................................. v

Introduction. — Considerations generates sur la rage....... 1

De la rage du chien.................................• • 6

a. Symptumes qui proccdent de l'habitude exterieure du chien

enrage....................................................................°

b. Symptömes qui precedent de 1'appareil digestif.................17

c. Symptömes qui precedent de 1'expression #9632;vocale. ...... 24

d. Symptömes qui precedent de la sensibilite......................28

e. Symptömes de la rage confirmee........................................39

f. Indication des moyens propres a prevenir les effets des

inoculations rabiques.......................... 64

Resume des caracleres distinctifs dc la rage du chien ä ses diffe-renles pertodes et des moyens propres ä prevenir sa propagation .............................-............

CoBBEii.—Typ. et stör, de Crktb fil:.

-ocr page 101-
-ocr page 102-
-ocr page 103-
-ocr page 104-