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COURS
D E
PEINTURE
PAR.
PRINCIPES/
CO M P 0 S E'
Par Mr DE PILES.
A PARTS,
Chez J a c qjj es Estienne, rue
S. Jacques, au Coin de la rue de la
Parcheminerie , � la Vertu.
M. DCCV III.
'AVEC APROBATION ET PRirJLEGE,
KUNSTHtSTORiSCH INSTiTUUT f
DER RIJKSUNIVERSIIEIT U. :ECHT )
-ocr page 2-
Mi�UUUmmm
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SSS��SS��4W8S�8���S
ORDRE DES TRAITES
contenus dans ce Volume.
TjlDE'E de la Peinture, Pag. i7
Le V'ray dans la Peinture, 2.9.
Cis^/V <i'#«tf Zettre de Monfieur Dt&':
Guet fur le Trait� du Vray dam
la Peinture
,:
                         44.
L* Invention,                              49.
I?Ecole d'Ath�nes ^                   J$,
La Difpofition 3                          514.
Le Deffein ,                              1 26;
Les Draperies y                       196*
,Z* Pa�fage,                             200,.
■2/W Portraitsl<                        260.
-�e Coloris,                              302.'
��«■ Clair-obfcure]                     361.
L'Ordre pour l'Etude ]~             3 S y.
Dijfertation o� l'on examine fi la,
■Po�fie eft pr�f�rable � la Pein-
***                                       J&*
KUNSTHISTQRISCH INSTiTUUT
DER RUKSUNIVBRSITEIT UTRECHT
-ocr page 3-
JDefcriptions de deux Ouvrages d&
Sculpture, faits par MonJieurZum-
bo Gentilhomme Sicilien
, 47 3.
La Balance des Peintres, 4890-
I
\
I
I
COURS
-ocr page 4-
COURS
DE PEINTURE
PAR PRINCIPES.
Z'IDE'E DE LA PEINTVRE.,
pour fervir de Pr�face � ce Livre,
E r s o n n � ne remporte
le prix de la courfe, qu'il
ne voie le but o� il doit
arriver 5 et 4'on ne peut
acqu�rir parfaitement la connoif-
fance d'aucun Art., ni d'aucune
Science,, fans en avoir la v�ritable
■id�e. Cette id�e efl notre but^ 8c
�c'eft. elle qui dirige celui qui court,.
<&� qui le fait arriver s�rement � la
m.®, de fa carri�re , je veux dire, �
A
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%             Cours de Peinture
la poffefuon de la Science qu'il re-
Mais quoique toutes les �hofes
renferment en elles & faffent pa-
ro�tre la plus grande partie de leur
v�ritable id�e , il ne s'enfuit pas
de-l� qu'elle foit toujours connue
� ne pouvoir s'y tromper, & que
l'on n'en con�oive fouvent de faui-
fes au lieu de celle qui eft la v�-
ritable & la plus parfaite. La Pein-
ture a fes id�es comme les autres
Arts : la difficult� eft donc de d�-
m�ler quelle eft la v�ritable. Mais
avant que d'entrer dans cette dif-
cuflion , H me paroit neceffaire
d'expofer ici, que dans la Peinture
jl y a deux fortes d'id�es > l'id�e
g�n�rale qui convient � tous Jes;
hommes, & l'id�e particuli�re qui
convient au Peintre feulement.
Le moyen le plus s�r pour con-
no�tre infailliblement la v�ritable
id�e des choies, c'eft de la tirer
du fond de leur effence & de leur
d�finition ; parce que la d�finition
-ocr page 6-
far Principes.              ■$
n'a �t� invent�e que pour emp�-
cher l'�quivoque des id�es , pour
�carter les fauftes, & pourinftruire
notre efprit de la v�ritable fin, &
des principaux effets de chaque
chofe.
Il s'enfuit de - l� , que plus une
id�e nous conduit directement ■■:&
rapidement � la fin que l'eftence
d'o� elle coule nous indique, plus
nous devons �tre aff�tez qu'elle eft
la v�ritable.
L'eftence & la d�finition de la
Peinture, eft l'imitation des objets
vifibles par le moyen de la forme
& des couleurs. Il faut donc con-
clure , que plus la Peinture imite
fortement & fid�lement la nature,
plus elle nous conduit rapidement
& directement vers fa fin , qui eft
de f�du�re nos yeux 3 <k plus elle
"nous donne en cela des marques de
-fa v�ritable id�e.
Cette id�e g�n�rale frappe &
attire tout le inonde , les ignorans,
lesamateur^ de Peinture , les con-
Aij
-ocr page 7-
■m              Cours de Peinture
jnoiiTeurs , ' & les Peintres m�mes.
■Elle ne permet � perfonne de pal-
fer indiff�remment pa-r un lieu o�
fera quelque Tableau qui porte ce
xaradere , &as �tre comme fur-
pris , fans s'arr�ter & fans jouir
-quelque tems du plaifir de fa lur-
prife. La v�ritable Peinture elt
donc celle qui.rious appelle ( pour
ainfi dire) en nous (urprenant : &
ce n'eft que par lafcrxe de l'effet
ou'elle produit, que nous ne pou-
vons nous emp�cher d'en appro-
cher , comme fi elle avoir quelque
chofe� nous dire. Et quand nous
Yommes aupr�s d'elle , nous trou-
vons que non-feulement elle nous
diver�t parle :b eau-choix, & par
la nouveaut� des chofes qu'elle
jious prefente, par l'hiftoire, & par
la fable donc :c�lc rafra�chit notre
"m�moire , par les inventions in-
crenieufes, & par les all�gories dont
Sous nous foiions un plaifir,de trou-
ver le fens , ou d'en critiquer l'o.->-
fcurit� ; mais .encore #ar l'imita-
-ocr page 8-
far Jrrimifes.'              f
tion vraie & fid�le qui nous a at-
tirez d'abord", qui nous inflruit
dans le d�tail des parties de la
Peinture, & qui, f�lon ;AHftote,-'
nous divertit, quelque horribles que
foientles objets de la nature qu'el-
le reprefente.--
II y a une f�conde id�e, qufefl,
comme nous avons dit , particu-
li�re aux Peintres, & dont ils do�-;
vent avoir une habitude confom--
m�e. Cette id�e regarde eh'd�tail
toute la th�orie de la Peinture, &'
elle doit leur �tre famili�re, de telle
forte qu'il femble qu'ils n'ayent be-
foin d'aucune reflexion pour l'ex�-
cution de leurs penf�es.
C'eft ainf� qu'apr�s l'�tude exac-
te du Deflein, apr�s la recherche
d'un f�avant Coloris , & de'-toute
les choies qui d�pendent de ces
deux parties-3 ils doivent toujours
avoir prefentes les id�es particu-
li�res qui r�pondent aux diverfes
parties de leur Art.
De.tout ce que je viens de di-
Aiij
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           Cours de Peinture
re , je conclus que la v�ritable
Peinture doit appeller fon Speda-
teur par la force & par la grande
v�rit� de fon imitation ; & que le
Spedateur furpris doit aller � elle
comme pour entrer en converfa-
t�on avec les figures qu'elle repr�-
sente; En,effet quand elle porte le
caradere du.Vrai, elle femble ne
nous avoir attirez que pour nous
divertir, & pour nous inftruire.
Cependant les id�es de la Pein-
ture, en g�nerai , font auffi diverf�s
que les mani�res des diff�rentes
�coles diff�rent entr'elles. Ce n'eft
pas que les Peintres manquent des
id�es particuli�res qu'ils doivent
avoir ; mais l'ufage qu'ils en font
n'�tant pas toujours fort juite
l'habitude qu'ils prennent de cet
uf�ge, l'attache qu'ils ont pour une
partie plut�t que pour une autre
& l'affection qu'ils confervent pour
la mani�re des Ma�tres qu'ils ont
imit�s., les jette dans l� pr�dilec-
tion de quelque partie favorite ,
-ocr page 10-
far Principes.              7
au lieu qu'ils font dans'■ l'�troite
obligation de les poffeder toutes,
pour contribuer � l'id�e g�n�rale
dont nous avons parl�. Gar la plu-
part des Peintres fefoi�t toujours
partag�s f�lon leurs diff�rentes in-
clinations 3 les uns pour -Rapha�l,
les autres pour JV�ichelange , les
autres pour les Caraches, les au-
tres pour leurs Difciples 5 quelques-
uns ont pr�f�r� le Deff�in � tout,
d'autres l'abondance des penf�es,
d'autres les gr�ces , d'autres l'ex-
preffion des paffions de l'ame : d'au-
tres enfin fe font abandonnez � l'em-
portement de leur g�nie , fans l'a-
voir allez cultiv� par l'�tude �� par
les reflexions.
Que ferons-nous donc de toutes
ces id�es vagues &: incertaines ? Il
eft fans doute dangereux de les re-
jetter : mais le parti qu'il faut pren-
dre, c'eft de s'attacher pr�f�rable-
ment au Vrai, que nous avons fup-
ppf� dans l'id�e g�n�rale. Il faut
que tous �es objets peints paroiflent
-ocr page 11-
g           Cours de Peinture
Trais 3 avant que de paro�tre d'une -
certaine fa�on 5 parce que le Vrai'
dans la Peinture eft la baze de tou-
tes les autres parties, qui rel�vent'
l'excellence» de cet Art , comme
les fciences de les vertus rel�vent
l'excellence de l'homme qui en efb
le fondement. Ainfl l'on doit tou-
jours fuppofer l'un & l'autre dans-
leur perfection, quand on parle des<
belles parties dont ils font fufeep-
tjbles, & qui ne peuvent faire un-
bon effet, que.lors qu'elles y font»
intimement attach�es. Le Specta-
teur n'eft pas oblig� d'aller cher-
cher du Vrai dans un ouvrage de:.
Peinture : mais le Vrai dans la Pein-
ture doit par fon effet appeller les>
Sp�culateurs^
C'efl inutilement que l'on con^
lerveroit dans un Palais magnifi-
que les chofes du monde les plus
rares, fi l'on- avoit obmis d'y faire
des portes, ou fi l'entr�e n'en �toio
proportionn�e � la beaut� de l'�-
difice , pour faire na�tre aux per--
-ocr page 12-
far Principes.               9
fennes l'envie d'y entrer & d'y fa i
tisfaire leur curiof�t�. Tous les ob-
jets vif�bles Centrent dans l'efprir:
que par les organes des yeux, com-
me les fons dans la mufique n'en-
trent dans l'efprit que par les oreil-
les, Les oreilles-& les yeux font les
portes par lefquelles entrent nos
jugemens fur les concerts de mu-
fique & fur les ouvrages de Pein-
ture, Le premier foin du Peintre
auffi-bi�n que d� Muficien , doic
donc �tre de rendre l'entr�e de ces
portes libre &t agr�able par la for-
ce de leur harmonie, l'un dans le
Coloris accompagn� de fon Clair-
obfcur', �c l'autre dans fes accords.
Les chofes �tant ainfi, &. le Spec-
tateur �tant attir� par la force de
Pouvrage, fes yeux y d�couvrent les
beaut�s particuli�res: qui font ca-
pables d'inftruire &?de divertir; Le
curieux y trouve ce qui eft propor-
tionn� � fon go�t, de le Peintre y
obferve les diverfes parties de fon
Art, pour profiter dubon, & rejetter
I
-ocr page 13-
i o          Cours de Teinture
le mauvais qui peut s'y rencontrer»
Tout n'en: : pas �gal dans un ou-
vrage de Peinture. Il y aura tel
Tableau, qui avec plusieurs d�fauts
� le confiderer dans le d�tail ne
lail��ra pas d'arr�ter les yeux de
ceux qui pafl�nt devant, parce que
le Peintre y aura fait un excellent
ufage de fes couleurs & de fon Clair-
obfcur.
Rernbrant, par exemple, fe di-
vertit un jour � faire le portrait de
i�, fervante, pour l'expofer � une
fen�tre & tromper les yeux des
paflans, Cela lui r�i�ffit y car on
ne s'apper��t que quelques jours
apr�s de la tromperie. Ce n'�toit,
comme,on peut bien fe l'imagi-
ner de Rernbrant , ni la beaut�
du defTein , ni la noblefl� des
expreffions qui avoient produit cet
effet.
^ Etant en Hollande j'eus la cu_
r�of�t� de voir ce portrait que je
trouvai d'un beau pinceau & d'une
grande foxce 5 je l'achetai , &
-ocr page 14-
far Principes.              i i
il tient aujourd'hui une place con-
sid�rable dans mon cabinet.
D'autres Peintres au contraire
ont fait voir par leurs ouvrages
quantit� de perfections dans les d�-
verfes parties de leur Art, lefquels
n'ont pas �t� afl�z heureux pour
s'attirer d'abord des regards favo^.
r�bles, je dis .aflez heureux , parce
que s'ils l'ont fait quelquefois , c'a
�t� par une difpof�tion d'objets que
le hazard avoit plac�s, & qui dans
le lieu qu'ils occupoient, exigeoient
un Clair-obfcur avantageux, qu'on
ne pouvoir leur refufer , & auquel
la icience du Peintre avoit tr�s-
peu de part 5 attendu que s'il l'a-
voit fait par fcience, il l'auroit pra-
tiqu� dans tous fes Tableaux.
Ainf� rien n'eft plus ordinaire
que de voir des Tableaux orner
des appartemens par la richefTe feu-
lement de leurs bordures, pendant
que l'infipidit� & la froideur de la
Peinture qu'elles renferment, laif-
fent paffer tranquillement les per-
-ocr page 15-
i 2           Cours de Peinture
fonnes uns les attirer par aucune
intelligence de ce Vrai qui nous ap-
pelle.
Pour rendre l� chofe plus -f�hCu
ble, je dois me fervir de l'exem-
ple des plus habiles Peintres qui
n'ont pas n�anmoins pof��d� dans
un degr� -ruffifant la partie qui d'a-
bord Frappe les yeux par une imu
tat�on tr�s-fid�le, & par- un Vrai
dont l'art nous f�duife, s'il eft poil
i�ble, en fe mettant au deflus m�-
me de la nature. Mais parmi les
exemples que l'on peut citer , je
n'en puis apporter de plus remar-
quable que celui de Rapha�l � eau-
fe de fa grande r�putation, & par-
ce qu'il eft- certain , que de tous
es Peintres il n'y en a aucun qui
ait eu tant de parties, ni qui les
ait pofl�d�es dans un fi haut de^
gr� de perfection.
C'eft un fait qui pafle pour con-i
fiant-, que de l'aveu de plulieurs
personnes , on a vu. >fouvent des
gens d'efprit chercher Rapha�l au
-ocr page 16-
par Principes.             1.3l
milieu-de Rapha�l m�me, c'eft-�-
dire , au milieades Sales du Va-
tican , o� font les plus belles cho-
fes de ce Peintre 5 & demander en ■
m�me-tems � ceux qui les cohi
duifoient ^ qu'ils leur fifl�nt voir
des ouvrages de Rapha�l, fans qu'ils
. donnafTent aucune^ marque qu'ils
en fufTent frapp�s du premier coup
d'ceil, comme ils f� F�toient ima-
ginez fur le bruit de, la r�putation
de Rapha�l. L*id�e qu'ils avoient
con�ue des Peintures de ce grand
g�nie ne fe trouvoit pas remplie }
parce qu'ils la mefuroient � celle
que naturellement sn> doit avoir
d'une Peinture parfaite. Ils ne pou-
voient s'imaginer que l'imitation de
la Nature ne fe fit pas fentir dans
toute fa vigueur &, dans toute la
perfe&ion, � la vue des-ouvrages
d'un Peintre li merveilleux. Ce qui
fait bien voir que fans l'intelligen-
ce du Cla�r-ob�cur , & de tout ce
qui d�pend du Coloris, les autres
parties- de- la Peinture perdent
-ocr page 17-
14          Cours de Peinture "
beaucoup de leur m�rite, au point
m�me de perfedion que Rapha�l
hs a port�es.
Je puis donner ici un exem-
ple affez r�cent du peu d'effet que
produifent d'abord les Ouvrages de
Rapha�l.* Cet exemple me vient
d'un de mes amis , dont l'efprit &
le g�nie font connus de tout le
monde. Il porte fon eftime pour
ce fameux Peintre jufqu'� l'adm�-
ration y & il a cela de commun
avec tous les gens d'efprit. Il y a
quelque tems que fe trouvant �
Rome, il t�moigna une grande im-
patience de voir les Ouvrages de
Rapha�l. Ceux que l'on admire le
plus, ce font les frefques qu'il a
peintes dans les Sales du Vatican.
On y mena le curieux dont je
parle, & paffant indiff�remment
� travers les Sales , il ne s'aperce-
voit pas qu'il avoit devant les yeux
ce qu'il cherchoit avec tant d'em-
preffement. Celui qui le conduifoit
l'arr�ta tout � coup, & lui ditrO�.
* Moniteur de Valincoart;
-ocr page 18-
par Principes.            i j.a
allez-vous fi vite , ,Monfieur ? voil�
ee que .vous cherchez, &■ vous n'y
prenez pas garde. Notre curieux
n'e�t pas plut�t apper�� les beau-
t�s que Ton bon eipr�t lui d�cou-
vroit alors, qu'il prit la refolution
d'y retourner plufieurs autres fois
pour fatisfaire pleinement fa cu-
riofit� , & pour fe former le go�t,
fur ce qui "le. piquoit davantage.
Qu'e�t-ce �t� fi s'en retournant
charm� � la vue de tant de bel-
les ehofes , Rapha�l l'avoit d'a-
bord appelle lui-m�me par l'efFec
des couleurs propres � chaque ob-
jet , foutenu�s d'un excellent Clair-
obfcur ?
Le Gentilhomme dont je viens
de parler, s'�toit imagin� qu'il fe-
rait extr�mement furpris � la vue
des Peintures d'une fi grande r�pu-
tation. Il ne le fut point, �c comme
iln'�toit pas Peintre, il fe contenta
d'examiner & de bien loiier les airs
de t�tes , les exprel��ons , la no-
Meffe des. attitudes, & les gr�ces
-ocr page 19-
�h 6'"'         Cours de Peinture
qui accompagnoient les chofes qui
etojignt le-plus de la port�e de fa
connoifiance ; du- refte il eut peu
de curiofk� de s'arr�ter aux autres
parties qui regardent, l'�tude des
Peintres feulement.
Ce que je viens 'de raporcer, ef&
un fait qui-fe renouvelle fouvent y
non feulement parmi les curieux
ignorans, mais � l'�gard m�me des
Peintres de profeffion qui n'ont en-
core rien vu des Ouvrages de Ra->
pha�l.
Ce.n'eft pas que l'on ne voie quel-
ques Tableaux de Rapha�l bien
colori�s»; mais l'on ne doit pas ju-
ger fur le tr�s.petit nombre qu'il
en � fait de cette forte : c'eft fur
Je g�nerai de fes-Ouvrages & de
ceux de tous le autres Peintres y
qu'on doit d�cider du degr� de leur
capacit�.
Quelques-uns obje&ent que cette
grande �c parfaite imitation n'eft.
pas de l'efTence de la Peinture, Se
que li cela �toit, on en verroit des
-ocr page 20-
far Principes.            vjr
effets dans la plupart des Tableaux;
Qu'un Tableau qui appelle, ne m-
plit pas toujours: l'id�e de .celui"qui
va le trouver, & qu'il n'eft pas ne-
ceffaire que les figures qui conipo-
fent un Tableau., paroiiTent vouloir*
entrer en converfatioir avec ceiv»
qui le regardent -, ptiifqu'�n eft biert
pr�venu que ce. n'eft que del� Pein-
ture. .
Il eft. vrai que le nombre dea
Tableaux qui appellent le Spe&a-
teur, n'eft pas fort grand j mais ce
n'eft pas la faute derla Peinture,
dont l'eflence eft de furprendre les '
yeux &de les tromper v s'il eft pof~
l�ble 3 il en- faut feulement imputer
la faute �. la n�gligence du Peintre ,
ou plut�t � fon.elprit., ..qui n'eft pas
affez �lev� ni afl�z inftruit des prin-
cipes neceffaires pour forcer , s'il
faut ainfi dire, les paflans de regar-
der fes Tableaux, d'y faire atten-
tion;
Il faut beaucoup- plus de Genre
pour faire mx bon ufage.des lumie.
-ocr page 21-
� §           Cours de Peinture
xes & des ombres, de l'harmonie
des couleurs & de leur jufteiTe pour
chaque objet particulier, que pour
defliner correctement une figure.
Le Deflein qui demande tant de
t�ms pour le bien f�avoir , ne con-
lifte prefque que dans une habitude
de mefures & de contours que l'on
r�p�te fouvent : mais le Clair-obfcur
& l'harmonie des couleurs font un
raifonnement continuel, qui exerce
l� g�nie , d'une mani�re aul�i dif-
f�rente que les Tableaux font com-
pof�s diff�remment. Un g�nie mo-
d�r� arrive necefTairement � la cor-
rection du Deffein pat fa perfeve-
rance dans le travail, 6c le Glair-
obfcur demande outre les': r�gles
une mefure de g�nie , qui doit �tre l
allez grande , pour fe partager Se
pour le r�pandre ( s'il faut ainfi par-
ler ) dans toutes les autres parties
de la Peinture.
Chacun f�ait que bien que les
Ouvrages du Titien �c de tous les �
Peintres defonEcole, n'ayant pref.
-ocr page 22-
far Principes.             i y
que point d'autre m�rite que celui
du Clair-obfcur. & du Coloris, ils
ne laifTent pas d'�tre payei d'un
grand prix, d'�tre tr�s recherchez,,
& de foutenir dans les cabinets des
curieux le m�rite des Tableaux de
la premi�re claf��..
Quand je parle ici du Def�ein,
j'entens feulement cette partie ma-
t�rielle ., qui par des mefures juftes
forme tous les objets r�guli�rement : :
car je n'ignore pas que dans le Del-
fein outre la r�gularit� des mefures,
il y a un efprk capable d'affaifon-
ner toutes fortes de formes par le
go�t & par l'�l�gance.
Cependant il eft aif� de voir
que ce qui a le plus de part � l'effet
qui appelle le Spectateur , c'eft le
Coloris compof� de toutes fes par-
ties qui font le Clair-obfcur, l'har-
monie des couleurs , &: ces m�mes
couleurs que nous appelions Loca-
les , lors qu'elles imitent fidelle---
ment chacune en particulier la cou-
leur- des objets naturels que le-
-ocr page 23-
>o           Cours de Peinture
Peintre- veut reprefenter. Mais cefa �
ff'emp�che pas que les autres par-^
ties nefoientneceflairespour l'effet?
de toute la machine, & qu'elles ne
fe pr�tent un mutuel fecours, les
unes pous former, les autres pour
orner les objets peints , pour leur-
donner du go�t & de.la gi'ace, pour
inftruire les amateurs de Peinture
d'une mani�re, �c les Peintres d'une
autre5 enfin rxour plaire � tout le
monde.
Ain fi l'obligation de la Peinture �
�tant d'appeller & de plaire : quand:
elle=a attir� fon Spedateur, ce dei
voir ne ia difpenfe pas de l'entre-
tenir des diff�rentes beaut�s qu'elle
renferme.
Il me refte prefentement � pla-'
cer'les parties de la Peinture dans
un ordre naturel, qui confirme le
Ledeur dans l'id�e que je-viens de
t�cher d'�tablir dans ion efprit.
Et comme cette id�e n'eft fond�e
que fur le Vrai , c'eft par le
Trait� du Vrai,dans la Peinture
-ocr page 24-
■ par 'Principes.             355
.,que je <iois entamer l'ordre que je
donnerai aux autres Trait�s qui
fuivront celuLci. J'y fuis d'autant
plus oblig� que ce Trait�, du Vrai^
��c celui de l'id�e de la Peinture
-que je viens d'expofer, ojit une il
-grande relation entr'eux , que c'eft
prefque la m�me xhofe. .Car tou-
-tes les parties de la Peinture ne
.valent qu'autant qu'elles portent
Je caract�re de,ce vrai.
Apr�s lld�e qu'on vient d'�ta.-
�blir de laPeinture,.&3.pr�sle Trai-
.t� du Vrai , il,ne reliera ;plus qu'�
j-alTenibler les -autres parties.de cet
Art. Et fuppofe.que les fondemens
-en fuffentbienTolides, ce.feroit le
.feul moyen de fajre un tour qui
Soit � couvert del� fauiTe, cri tique,
�t de l'infulte de ceux1 qui ne ionjt
,pas inftruits ,d.es v�ritables prin-
cipes.
Je vais t�cher dnen �tablir qui
.puifl�nt lervir de pierres f�lid�s,,,
pour b�tir un rempart.& .�lever ua
�Palaisi la Peinture, o� .les grajads
-ocr page 25-
ri          Cours de Peinture
Peintres, les v�ritables curieux,
les amateurs de la Peinture, & les
gens de bon go�t puiflentfe retirer
;en s�ret�.
■L'Invention donnera la penf�e
de l'�difice, elle en choifira la fci-
tuation pittorefque, bizarre � la v�-
rit� , & quelquefois fauvage ; mais
agr�able au dernier point. Elle or-
donnera des matereaux , qui doi-
vent entrer dans la ftru&ure de ce
iPalais. Et la Difpof�tion diftribuera
les appartemens pour les rendre
Tufceptibles de toutes les folides
beaut�s, & de tous les agr�mens
qu'on voudra leur donner.
Apr�s l'Invention & la Difpofi-
-tion , le DerTein & le Coloris fuivis
de toutes les parties qui en d�pen-
dent , fe prefentent pour l'ex�cu-
tion de ce b�timent. Le Coloris
prendra le foin de vifiter toutes
chofes , & de leur diftribuer une
partie de fes dons, chacune f�lon
Tes befoins .& fes convenances. Il
ordonnera conjointement avec le
-ocr page 26-
par Principes.            2 3
Defle�n du choix des meubles, qui
doivent orner l'�difice. -Le DeiTein
aura feul par pr�f�rence l'inten-
dance de TArchitecture , & le Co-
loris le choix des Tableaux. Mais
tous deux travailleront de concert,
� mettre la derni�re main � l'ou-
vrage , &� n'y laifler rien a defirer.
Le fi te de ce Palais pour �tre
.convenable� la Peinture, doit �tre
..vari� de divers objets que la natu-
re produit de fon bon gr�, fans art
,& fans culture. Les rochers , les
torrens , les montagnes , les ruif-
feaux , les for�ts., les ciels, & les
campagnes avec des accidens ex-
traordinaires , fans fortir n�an-
,moins du vraifemblab�e, font les
chofes les plus convenables � la fci-
■tuation ce cet �difice �,.& le Trait�
.du Pa�fage que je donnerai enfuite,
pariera du d�tail de ces differens
-objets.
Parmi les h�bitans de ce Palais,
■3a Peinture y recevra la Po�fie avec
h, diftincHon qu'elle merise. Elles
-ocr page 27-
:�. �.           Cours de Peinture
.y vivront enfemble comme deux
bonnes f�urs, qui doivent s'aimer
fans jaloui�e, &c qui n'ont rien � �e
difputer.-. Et c'eft par le parall�le
de ces deux Arts que j-e finirai l'or-
dre que j'ai cr� devoir �tablir dans
ce fift�me de Peinture que je me
fuis propol� de donner, au Public.
Quelques perfonnes d'eiprit ont
trouv� � redire que je me ferviife s
comme je fais, du d�faut de Ra-
pha�l , pour confirmer mon fend-
irent .fur l'id�e de la Peinture , lui
qui ne doit �tre.cit� ( difent ils )
que comme un mod�le de toute
perfedion., ,v� la r�putation g�n�-
rale qu'il s'efl �tablie dans le mon-'
:de. Ils avouent bien que j'ai rai-
fon dans le fond : mais que je de
vois me fervir d'un autre exemple,
.& avoir cette complaifance avec
les gens d'efprit pour Rapha�l.
Ils ajoutent que les curieux font
d�j� pr�venus contre moi, fur ce
qu'ils fe font imaginez que je pr�-
terais JR.ubens � Rapha�l, & .que
l'exemple
-ocr page 28-
far Principes.           15*j
l'exemple dont je me fervo�s pour
confirmer mon opinion les revolte-
roit enti�rement au lieu de les ra-
mener, & donneroit dans leur ef-
prit une furieufe atteinte � la con-
noiiTance que l'on croit que]'ai dans
la Peinture.
Je n'ai autre chofe � r�pondra �
cet avis , linon qu'� l'�gard de Ra-
pha�l , je ne me fuis lervi de fan
exemple., c'eft-�-dire, du fait qui
arrive fouvent � la vue de fes Ou-
vrages , que parce qu'il pofiedoit
avec plus d'excellence toutes les
parties de fon Art qu'aucun autre
Peintre 5 que je tirerois plus d'a-
vantage & que j'�tablirois pkis fu-
rement mon fentiment fur l'id�e
de la Peinture, G. je l'oppofois �
toutes les perfections de Rapha�l.
Ce n'efi: donc pas m�prifer Ra-
pha�l que de le choifir pour exem-
ple , parce qu'il a plus de parties
qu'un autre Peintre, 8c que par-l�
il fait fentir combien toutes fes
B
-ocr page 29-
,.,2»�           Cours de Peinture
belles parties perdent de n'�tre
point accompagn�es d'un Coloris
qui appell�t le Curieux pour les
admirer.
je n'�cris , m pour ceux qui font
tout-�-fait favans en Peinture , ni
pour ceux qui font tout-�-fait igno-
rans.: j'�cris pour ceux qui font n�s
avec de l'inclination pour ce bel
Art , & qui l'auront cultiv� au-
moins dans la converfation des
habiles connoiiTeurs & des favans
Peintres. J'�cris, en.un mot, pou-r
les jeunes Elev�s qui auront fuivi la
bonne voie , &; pour tous ceux qui
ayant quelque teinture du DefTein
&du^Coioris, & qui ayant examin�
fans pr�vention les -beaux .Ouvra-
ges , ont afifez de docilit� pour re-
cevoir les v�rit�s qu'on poura leur
infirmer.
Les Peintres demi -favans qui fe
font enp-ae�s dans un mauvais che_
min ,&. la plupart des Savans dans
les Lettres , veulent ordinairement
-ocr page 30-
far Principes,
fouten�r de faui�es id�es qu'ils ont
form�es d'abord j & fans conno�tre,
ni DelTein, ni Coloris, ni Rapha�l,
ni Rubens, parlent de ces deux
Peintres fur une ancienne "tradition
qui bien que beaucoup diminu�e
par les bonnes r�flexions , a enco-
re laifle des racines dans Pefprk de
plufieurs.
Pour moi , je puis dire qu'ayant
Yii dans mes voyages avec grande
attention les plus belles Peintures
de l'Europe, je les ai �tudi�es avec
amour,, 8c avec la culture dont j'ai
exerc� le peu de g�nie que la naii-
fan ce m'a donn�. J'aime tout ce
qui eft bon dans les Ouvrages des
grands Ma�tres ians d�ftin&ion des
noms, & fans aucune complaifance.
J'aime la diverf�t� des Ecoles c�l�-
bres 5 j'aime Rapha�l, j'aime le Ti-
tien , �c j'aime Rubens : je fais tout
mon poffibl� pour p�n�trer les ra-
res qualit�s de ces grands Peintres :
smais quelques perfections 'qu'ils
Bij
-ocr page 31-
2.-8            "Cours de Peinture
ayent, j'aime encore mieux la v�-
rit�. G'eft elle qu'on doit avoir uni-
quement en vue , fur-tout quand on
�crit pour lePublic ; c'eft un refped
qu'on lui doit &; dont j'ai cru ne
pouvoir me difpenfer.
-ocr page 32-
far Prit�cifts.            � �y
^pqpqpqpqp3P9P3W9W*^?
�> V FRAI
dans la Peinture^,
L'Homme tout menteur qu'il
eft ne hait rien tant que le
menfonge, �cle moyen le plus puif-
fant pour attirer fa confiance , c'eft
la fincerit�. Ain fi il eft inutile de
faire ici l'�loge du Vrai, il n'y a p�ri
fonne qui ne l'aime. & qui n'en fenl
te les beaut�s. Rien n'eft bon, rien,
ne p Ia�t fans le Vrai ; c'eft la raifon,
c'eft-l'�quit�, c'eft l� bon fens & la
bafe de toutes les perfections, c'eft
le but des Sciences ; &tous les Arts
qui ont pour objet l'Imitation ne
s'exercent que pour inftruire Se pour
divertir les hommes par une fidell�
r�prefentation de la Nati�rer C'eft
a]uf� que ceux qui recherchent les
Sciences, ou qui s'exercent dans les
■^rts ne iauroient fe dire heureux G.
apr�s tous leurs foins ils n'ont trou-
A'-iij.-
-ocr page 33-
3 o         Cours de Peinture
v� ce Vrai qu'ils regardent comme ;
larecompenfe.de leurs veilles.
Outre ce Vrai g�n�ral qui "doit
fe trouver par tout, il y a un Vrai
dans chacun des beaux Arts, Se dans
chaque Science en particulier. Mon
derTe�n eft de d�couvrir ici ce que
c'eil que le Vrai dans la Peinture Se
de quelle confequence il eft au Pein-
tre de le bien exprimer.
Mais avant que d'entrer en ma-'
tiere, il eft bon de favoir en pafTant
que dans l'Imitation en fait de Pein-
ture , il y a � obferver que bien que
l'objet naturel foit vrai & que l'objet
qui eft dans le Tableau ne foit que
feint, celui-ci n�anmoins eft appel-
l� Vrai quand il imite parfaitement
le caract�re de fon mod�le. C'efc
donc ce Vrai en Peinture que je
tacherai de d�couvrir pour en faire
voir le prix Se la n�ceffit�.
Je trouve trois fortes de Vrai
dans la Peinture.
Le Vrai Simple ,
Le Vrai Id�al,
-ocr page 34-
par Principes,            31
It le Vrai Compof�, ou le Vrai
Parfait,
Le Vrai Simple que j'appelle le
premier Vrai, eft une imitation fim-
pie & fidelle des mouvemens ex-
preffifs de la Nature, & des objets
tels que le Peintre les a cho�l�s pour
mod�le, & qu'ils fe prefentent d'a-
bord � nos yeux, en forte que les
Carnations paroiffent de v�ritables
Chairs, & les Draperies de v�rita-
bles �toffes f�lon leur dlverfk� , &
que chaque objet en d�tail conferve
le v�ritable caract�re de fa nature 5
que par l'intelligence du clair-obfcur
& de l'union des couleurs, les objets
qui font peints paroiffent de relief,
& le tout enfemble harmonieux.
Ce Vrai Simple trouve dans tou_.
tes fortes de naturels les moyens
de conduire le Peintre � fa fin, qui
eft une fenfible '& vive imitation
de la Nature, en forte que les fi-
gures femblent, pour ainfi dire ,.
pouvoir fe d�tacher du Tableau,
pour entrer en converiation avec
B mj
-ocr page 35-
3 2           Cours de- Peinture
ceux qui les regardent.
Dans l'id�e de ce Vrai Simple.,
je fais abftraclion des beaut�s qui
peuvent orner ce premier Vrai, de
que le g�nie ou les r�gles de l'Art
pouroient y joindre pour en faire
un tout-parfait.
Le Vrai Id�al eft un ciioix de
diverfes perfections qui ne fe trou-
vent jamais dans un-feul mod�le -,
niais qui fe tirent de pluf�eurs & or-
dinairement de � l'Antique.
Ce Vrai Id�al comprend l'abon-
dance des penfees, la richefle des
inventions, la convenance des at-
titude.st l'�l�gance des contours ,.
le choix des belles expreffions , le
beau jet des draperies, enfin tout-
ce qui peut fans alt�rer les premier
Vrai le rendre plus piquant & plus
convenable. Mais toutes ces per-
feclions ne pouvant fubf�iler que
dans l'id�e par raport � la Peintu-
re , ont befoin d'un fujet l�gitime^
qui les conferve et qui les faite pa-
ro�tre.avec avantage 5 & ce. fujet;
-ocr page 36-
far Principes.             35
l�gitime eft le Vrai Simple : de m�-
me que les vertus morales ne font
que dans l'id�e fielles n'ont un fujet
l�gitime , c'eft-�-dire , un fujet
bien difpof� pour les recevoir & les
faire fubfifter , fans quoi elles ne
feroient que de fauffesapparences.
& des fant�mes de vertu.
Le Vrai Simple fubfifte par lui-
m�me , c'eft l'afTaifonnement des
perfections qui l'accompagnent -r
c'eft lui qui les fait go�ter & qui les
anime : 6c s'il ne conduit pas lui feu 1
� l'imitation d'une Nature parfaite
( ce qui d�pend du choix que le
Peintre fait de fon Mod�le ) il con-
duit du moins � Pimitation de la
Nature qui eft en g�n�ral la fin du
Peintre. Il eft confiant que le Vrai
Id�al tout feul men� par une voie
tr�s - agr�able j mais par laquelle
l� Peintre ne pouvant arriver � la
fin de; fon ^ Art eft contraint de
demeurer en chemin , & l'unique
fecours qu'il doir attendre pour
^'aider � remplir fa carri�re doit ve-
B-v-
-ocr page 37-
34         Cours de Peinture
nir du Vrai Simple. Il paro�t donc
que ces deux Vrais, le Vrai Simple
Se le Vrai Id�al font une compof�
parfait, dans lequel ils fe pr�tent
un mutuel fecours, avec cette par-
ticularit� , que le premier Vrai per-
ce &. ;fe fait fentir au travers de
toutes les perfedions qui lui font.
jointes.
L� troifi�me Vrai qui eft compo-
f� du Vrai Simple & du Vrai Id�al
fait par cette jondion le dernier
ach�vement de l'Art, & la parfaite
imitation de la belle Nature. Cell
ce beau Vraifemblable qui paro�t
fou vent plus vrai que la v�rit�-m�-
me:, parce que dans cette jondion
le premier Vrai faifit le Spedateur,
fauve plufieurs n�gligences, & fe
fuit fentir le premier fans qu'on y
penfe.
Ce troil��me Vrai, eft un but o�.
perfonne n'a encore frapp� j on
peut dire feulement que ceux qui
en ont le plus approch� font les plus'
habiles. Le Vrai Simple & le Vrai
-ocr page 38-
par Principes.             35
Id�al ont �t� partag�s f�lon le g�-
nie &� l'�ducation des Peintres qui
les ont poffed�s. Georgion, Titien,
Pordenon, le vieux Palme, les Baf-
fans, & toute l'Ecole V�nitienne
n'ont point eu d'autre m�rite que
d'avoir pofled� le premier Vrai. Et
L�onard de Vinci , Rapha�l, Ju-
les Romain, P�lidore de Carava~
ge , le Pouffin , & quelques autres
de l'Ecole Romaine , ont �tabli leur
plus grande r�putation par le Vrai
�deal ; mais fur-tout Rapha�l, qui
outre les beaut�s du Vrai Id�al a
poffed� une partie eonf�derable du
Vrai Simple ,& par ce moyen a plus
approch� du Vrai parfait qu'aucun
de fa Nation.' En effet il p�r��t que
pour imiter la Nature dans fa vari�-
t� 3 il fe fervoit pour' l'ordinaire
d'autant de naturels d�fferens qu'il
avoit de diff�rentes figures � repre-
fenter ; & s'il y �jo�toic quelque
chofe du f�en, c'�toit pour rendre
^es traits plus r�guliers1, & plus ex-
pteffifs 5 ea confervant toujours le
B:v]
-ocr page 39-
3           Cours de peinture
Vrai & le caraclere f�ngul��r de fon-
modele. Quoiqu'il" n'ait pas enti�-
rement connu le Vrai Simple dans-
les autres parties de le Peinture , i�
avoit cependant un tel go�t pour
le Vrai en g�n�ral que dans la plu-
part des parties du corps qu'il def-
ilnoit d'apr�s Nature , il les expri-
moit fur fon papier comme elles-
�fo�ent eirec1:ivement,pour avoir des.
t�moins de la v�rit� toute fimp�e,
& pour la joindre � l'id�e qu'il s'�-
mit
faite de la beaut� de l'Antique :
conduite admirable qu'aucun au-
tre Peintre n'a tenue auff� heureufe-
ment que Rapha�l depuis le r�ta-
bliflement de la Peinture.
Comme le Vrai Parfait eft un>
conipof� du Vrai Simple & du Vrai
Id�al, on peut dire que les Peintres
font-habiles f�lon le degr� auquel
ils poffedent l�s parties du premier
& du f�cond Vrai, & f�lon l'heureu-
i� facilit� qu'ils ont acquife d'en fai-
re un bon compof�.
Apr�s avo2-r �tabli le Vrai de la:
-ocr page 40-
par Principes. '            xt:
Feinture , il eft bon. d'examiner fi*
les Peintres qui ont exag�r� les con-
tours de leurs figures pour paro�trc
f�vans , n'ont point abandonn� le'
Vrai en fortant des bornes de la Sim-
plicit� r�guli�re.
Comme les» Peintres appellent;
du nom de charge & de charg�.
tout ce qui eft outr�, Si. que tout ce
qui eft outr� eft hors de la Vraifem--
blance 5 il eft certain que tout ce �
qu'on appelle charg� eft hors du
Vrai que nous venons d'�tablir. Ce�
pendant il y a.des contours char-
g�s qui plaifent, parce qu'ils font
�loign�s de la. baft�fTe du naturel
ordinaire, �c qu'ils portent avec eux.
un air de libert� & une certaine id�e,
de grand go�t, qui irapofe � la plu-
part des Peintres, lefquels appellent
du nom de grande mani�re ces for-
tes d'exag�rations. .
Mais ceux qui ont une v�ritable *
id�e de Ja correftion , de !a {impli-
cite r�guli�re, &.dei'�l�gance de
l� Nature , traiteront de fupexflot
-ocr page 41-
3 8 '         Cours de Peinture
ces charges qui al tir�rent -'toujours'
la v�rit�. On ne peut n�anmoins
s'emp�cher de louer dans quelques
grands Ouvrages les chofes char-
g�es , quand une raifonnable dif-
tance d'o� on les voit les adoucit
� nos yeux , ou qu'elles font em-
ploy�es avec une difcretion qui
rend plus fenfible le cara&ere de
la v�rit�.
Il y a eu des Peintres qui bien
loin de rechercher une jufte mo-
d�ration dans leur deflein , ont af-
fect� d'en rendre les contours �c
Jes mufcles prononc�s au-de-l�
d'une jufteiTe que demande leur
Art, & cela dans la vue de paf��r
pour habiles dans l'Anatomie, 6c
dans un go�t de DefTein qui attir�t
Feftime de la Pofterit� : mais ce mo-
tif auffi-bien que leurs tableaux ont
un certain air de p�danterie bien
plus capable de diminuer la beaut� '
des Ouvrages , que d'augmenter la
r�putation des Peintres qui les ont
faits.
-ocr page 42-
far ■■Principes, .              $$�■■
�left'Vrai que le Peintre eft obli-
g� de favoir l'Anatomie, �c les exa-
g�rations piquantes qui en d�ri-
vent , parce que l'Anatomie eft le
fondement du Deffein & que les
exag�rations peuvent conduire � la.
perfedion ceux qui favent en pren-
dre & en laifler autant qu'il en faut 5
pour accorder la jufteffe & la f�m-
plicit� du Deffein avec le bon go�t.
Ces exag�rations font- fuportables
& fouvent agr�ables dans les Def-
feins qui ne font que les penf�es des
Tableaux ■■ & le Peintre favant
s'en peut fervir utilement lorfqu'ii
commence Se qu'il �bauche fon
Ouvrage : mais il doit les retran-
cher quand il veut que fon Tableau
paroi�e. dans fa perfedion, com-
me un Architede retranche & re-
jette le ceintre qui lui a fervi � b�-
tir fa vo�te.
Enfin les-Statues Antiques qui
©■nt paif� dans tous les tems pour la
r�gie de la beaut�, n'ont rien de
charg�, ni rien d'afFed�, non plus
-ocr page 43-
^�■"'          Cours de Peinture
que les Ouvrages de ceux qui'les"
ont toujours fuivies, comme Ra-
pha�l , le Pouffin, le Dominiquain y
& quelques autres,
Non-feulement toute afFe&atiorf
d�pla�t, mais la Nature eft encore
obfcurcie par le nuage «de la mau-
vaife habitude que les Peintres ap^
pellent Mani�re.
Pour, bien entendre ce principe,'
il eft bon de favoir qu'il y a deux-
fortes de Peintres. Quelques-uns!,
qui font en petit nombre peignent
f�lon les principes de leur Art, 6c
font des Ouvrages o�. le Vrai fe
rend aflez fenfible pour arr�ter le
Spectateur 6c lui faire plaiflr. D'au-
tres peignent feulement de prati-^
que par une habitude exp�ditive
qu'ils ont contract�e d'eux-m�mes
ians raiibnner, ou qu'ils ont appri-
fe de leurs Ma�tres fans r�fl�chir.
Ils- font quelquefois bien par ha-
zard ou par reminifeence, & tou-
jours m�diocrement quand ils tra-
vaillent de leur propre fond. Com-
-ocr page 44-
far Principes:            4*'
me ils ne fe fervent que rarement;
du Naturel ,,ou qu'ils ler�duifent �-
l�ur habitude , ils: n'expriment ja-
mais ce Vrai, ni ce Vraifemblable
qui eftY l'unique objet du v�ritable
Peintre, Scia fin de la Peinture.
Au refte, de< tous les beaux Arts,
celui o�. le Vrai fe doit trouver le
plus feniiblement efl fans doute la
Peinture. Les autres Arts ne font'
que r�veiller l'id�e des chofes ab-
sentes , au lieu que. la Peinture les?
fuppl�e enti�rement,. & les rend
prefentes par fon eflence qui ne;
confifte pas feulement � plaire avftc.
yeux , mais � les tromper.
Apelles faifoit l�s portraits fi vrais
& fi refTemblans dans l'air, 8c dans
le d�tail du vifage, qu'un certain
faifeur d'iiorofcopes difoit en les>
voyant tout ce qui �toit du temp�-
rament de- la perfonne peinte, &c>
les chofes qui d�voient lui arriver v.
Appelles, a-vo�t. donc plus, de foin,
d'obferver le Vrai dans fes portraits,...
que. de les embellir en les alt�rant,:..
-ocr page 45-
4'i          Cours de Peinture.
En effet le Vrai a tant de char-
mes en cette occafi�n, qu'on le doit
toujours pr�f�rer au fecours d'une
beaut� �trang�re. Car fans le Vrai
les portraits ne peuvent conferver
qu'une id�e vagu� & confufe de
nos amis, ■& non pas un v�ritable
cara&ere de leur perfonne.
Que conclure de tout ce raifon-
nement ? Sinon qu'il y a dans la
Peinture un premier Vrai, un Vrai �
effentiel qui conduit plus directe-
ment le Peintre � fa fui, un Vrai
anim� qui non feulement fublifte
Se* vit par lui-m�me , ma�s encore
qui donne la vie � toutes les per-
fections dont il eft fufceptible , &
dont on veut le rev�tir , & que ces
perfections ne font que de f�con-
des v�rit�s qui toutes feules n'ont
aucun mouvement 5 mais qui � la
v�rit� font honneur au premier
Vrai lorfqu3elles lui font attach�es.
Et ce premier Vrai de la Peinture
eft, comme nous avons die, une imi-
tation fimple & ridelle des motu
-ocr page 46-
fr�r Principes,            43:=
Yemens expreffifs de la Nature, 2c.
des objets tels qu'ils le prefentent
d'abord � nos yeux avec, leur va-
ri�t� &. leur cara&ere.
Il paro�t donc que tout Peintre
qui non feulement n�gligera ce pre-
mier Vrai, mais qui n'aura pas un>:
grand foin de le bien connoitre Se.
de l'acqu�rir avant toutes chofes ,
ne b�tira que fur le fable , & ne.
pafiera jamais pour un v�ritable
Imitateur de la Nature^ & que tou-
te la perfection de la Peinture con-
frfte dans-les trois fortes de Vrai que
mdus: venons d'�tablir.
-ocr page 47-
4k/          Cours de Peinture
mmmmmmnw
COPIE D'VNE LETTRE
de Monj�euf du Guet} �\ une Dame
de qualit� qui lui avoit envoy� le
'
Traite ci-devant', & qui lui en-
dveit demande fa fenf��.*
Le neuvi�me M�rs'1704..
�E Trait� du Vrai dans la Pein-
ture, Madame^ m'a plus in_
ftruit 6c m'a donn� un plus folide
plaifir que les d�fcburs-dont vous
lavez que j'ai �t� fi content. Il
m'a paru n'�tre pas-feulement un-
abr�g� des r�gles, mais en d�cou-
vrir le fondement & le but ; &c j'y
ai appris avec beaucoup de fatisfa-
Jtion le fecret de concilier deux cho-
f�s qui me fembloientoppof�es, d'i-
miter la naturel denefe pas bor-
ner � l'imiter 5 d'ajouter � les beau-
t�s pour les atteindre, & de la cor-
riger pour la bien faire fentir.
Le Vrai Simple fournit lemouve-
a^ent &la vie. L'Id�al lui choi-f�e
-ocr page 48-
far Principes.            ^
-avecart toutce qui peut l'embellir
fdL'le rendre touchant ; 6c il ne le
choif�t pas hors du VraiSimple qui
elt pauvre dans certaines parties,
mais riche dans fon tou�.
Si le f�cond Vrai ne fuppafe pa$
le premier 3 s'il l'�touff� & l'emp�-
che de fe faire plus fentir que tout
ce que le f�cond lui ajoute;, l'Art
s'�loigne de la Nature,.ilfe montre
au lieu d'elle , il en occupe la place
au lieu.de la reprefenter,;il trom-
pe l'attente du -Spe&ateur ,,& non
les yeux , il l'avertit du'.pi�ge & ne
fait pas le lui pr�parer.
Si au contraire le premier Vrai
qui a toute la v�rit� du mouvement
,& de la vie , mais qui n'a pas tou-
jours l.a noblei�e , l'exactitude , ,�c
I�s gr�ces qui fe trouvent .ailleurs ,
demeure fans le fecours d'un f�cond
Vrai toujours grand et parfait, il
ne pla�t qu'autant qu'il eft agr�a-
ble & fini :.,& le Tableau perd tout
»ce qui a manqu� � fon mod�le.
.L'ufage donc de ce f�cond Vrai
f3-                                            ........ <■�.'�
-ocr page 49-
/$&           Cours de Pe:?!ture
eonf�fte � fuppl�er dans chaque fa-
jet ce qu'il ri'avoit pas h mais qu'il
pouvoir av��r-,& que la Nature avoir
r�pandu dans quelques autres, &; de
r�unir ��njfi ce qu'elle divife prefque
toujours.
Ce f�cond Vrai, � parler dans la
rigueur , eft prefque auffi r�el que
le premier ; car il n'invente rien,
mais il choifit par tout. Il �tudie
^tout ce qui peut plaire , " inftruire.,,
animer. Rien ne lui �chappe, lors
m�me qu'il paro�t �chapp� au ha-
zard. Il arr�te par le Deffein ce qui
-ce fe montre qu'une fois $ �c il s*en-
richit de mille beaut�s diff�rentes,
pour �tre toujours r�gulier , �c ne
jamais retomber dans les redites.
G'eft pour cette raifon , ce me
semble .> que l'union de ces deux
Vrais a un effet fi furprenant : car
alors c'eft une imitation parfaite de
ce qu'il y a dans la Nature de plus
ipirituel, de plus touchant, &c de
«plus parfait.
Tout eft alors Vrai (emblable
-ocr page 50-
far -Principes.            .^rj
.©arcecme tout eft Vrai; mais tout
. efl mrprenant, parce que tout eft ra-
re. Tout fait imprel�ion, parce que
l'on a. .obfery.� tout ce qui eft capa-
ble d'en faire : mais rien ne paro�t
affect�, parce qu'on a choil� le na-
turel en clioififlant le .merveilleux
;■,& le parfait.
C'eit s'�carter de ces r�gies &
, de la fin de la Peinture, que de vou-
loir faire remarquer, une beaut� au
pr�judice d'une autre , ou que de
vouloir �tre eitim� par une partie
-de non par le tout. Le DefTein , la
coiinoiilance de l'Anatom�e , lede~
iir m�me de plaire & d'�tre aprou-
,v�,doivent c�der � la v�rit�. Il faut
.que la Peinture enlev� le Spectateur
dans les premiers momens, & qu'on
;ne revienne au Peintre que par l'ad-
miration de fon Ouvrage.
Monf�eur de Piles a tr�s "heureu-
sement marqu� le caract�re du Ti-
tien par le Vrai Simple dans fa plus
grande force, & celui de Rapha�l
i'anpblijTement du Simple .uni
-ocr page 51-
/j�%           Cours de Peinture
� Pldeal : Se je ne fai fi l'on pouv��t
�tablir une mani�re plus fpirituelle
& plus univerfelle pour juger du
m�rite des plus grands -Peintres ,
qu'en allant au-de-l� de leurs ef-
forts & de leurs fucc�s ,&: marquant
pour terme l'union des deux Vrais
qu'ils ont d� chercher , &: qu'ils
n'ont pu atteindre.
Je ne fai , Madame , pourquoi
j'en dis tant, mais vous verrez par-
l� combien je fuis plein de ce que
je viens de lire , & quelle eftime je
fais des chofes que je ne puis m'em-
p�cher de vous rapporter lors m�me
�que je cemprens que je les g�-
te 6clesafFoiblis. Je fuis, Madame,
avec tout le refpect poffible,
Wetre ire s,humble
,& tr�s-ob�iffant
Serviteur^ ***�
-ocr page 52-
: par ^Principe s a � 45
d e r�N v e i�rj'o &
POur garder quelque ordre �h
parlant-des parties de la Pein-
ture , on peut la confiderer de deux
fa�ons , ou dans un jeune homme
qui -l'�tudi� , ou dans mn Peintre
confomm� qui la pratique. Si on
la regarde de la mani�re dont elle
s'apprend , on doit commencer par
s'entretenir du Deflein , puis du
Coloris, &C finir par la Compof�=-
tion : parce qu'il eft inutile d'imagi-
ner ce qu'on voudroit imiter , fi on
ne le fait pas imiter,^ que la repr�-
sentation des objets ne f�peu� faire
que par le DefTein '& par le Colo-
ris. Mais-� regarder cet Art dans
fa perfe&ion & dans l'ordre dont
il s'ex�cute, fuppof� de plus dans
le Peintre une habitude confcm-
e �cs parties de fon Art, pour
C
1
-ocr page 53-
-5-0           C�iirs �e Peinture
l'exercer avec facilit� , la premi�-
re partie qui fe pr�fente � nou,s
eft l'Invention. "Car pour repr�fen-
ter des objets, il faut fa voir quels
objets on veut repr�fenter. G'elt
rde cette ^derni�re forte que j'en-
vifage ici la Peinture , dans la vue
d'en .donner une id�e plus pro-
portion�e au govk du grand nom-
bre.
Plufleurs Auteurs en parlant de
Peinture, fe font fervis du mot d'In-
.vention , pour exprimer des cho-
ies .diff�rentes. Quelques-uns s'en
font fait une telle id�e , qu'ils ont
cr� qu'elle renfermoit toute la
compofition .d'un Tableau. D'au-
tres fe font imagin�s que d'elle d�-
pendoit la f�condit� du G�nie , la
nouveaut� des penf�es 5 la mani�re
de les tourner , -.& de traiter un
m�me fujet de diff�rentes fa�ons.
Mais quoique ces chofes foient ex-
xellentes , pour foutenir l'Inven-
tion , pour l'orner, pour lui donne*
de la,chaleur ^ & pour la .rendre
-ocr page 54-
far Principes.            y*
vive "8e piquante , elles n'en font
n�anmoins, ni le fondement, ni l'efl
fence. Un Peintre qui r�saora point
toutes ces chofes, peut fatisfaire a
cette partie, par la juftefTe de fes
penf�es ., par la prudence de icti
choix, & par la folidic� de fon ju-
gement.
L'Invention n'�tant qu'une par-
tie de la compofition , elle n'en
peut pas donner une id�e complet-
te. Car la conipofition comprend
�'■& l'Invention, �e la Difpof�tion 5
autre chofe eft d'inventer les ob-
jets, autre chofe de les bien pla-
cer. Je ne m'arr�terai point ici �
r�futer les. autres id�es que l'on a
eues fur l'Invention, 8e j'eipere vous
:1a d�finir d'une mani�re f� vraie &
f� fenf�ble , que je ne pr�fume pas
qu'il y ait l�-def�us aucune diverf�-
�� de fentimens.
Il me par oit donc que f Inven-
tion .eft un choix des objets qui
doivent entrer dans la compofition
du jfujet que le Peintre veut traiter.
Cij
-ocr page 55-
ff %           Cours de Peinture
Je dis que c'eft un choix, parce
:que les jobjets ne doivent point
�tre introduits dans le Tableau in-
, confid�r�ment, & fans contribuer �
Texpref�on.&:au cara&ere du fujet.
Je dis encore que .ces objets doi-
vent entrer dans la compofition
du Tableau ,,& non pas la faire toute
enti�re, afin de ne point confon-
dre l'invention avec la -Difpofition,
Se de la�i��r � celle - ci toute la li-
bert� de ia fonction, qui confifte
� placer ces m�mes objets avanta-
geufement.
LesJ?o�tes auffi bien que les Ora-
teurs ont plufieurs ftyles pour s'ex-
primer ,felo� le fujet qu'ils ont en-
trepris de traiter -, &. deM� d�pend
le .choix des paroles , de l'har-
monie 3 s& du .pour des penf�es. Il
en eft de m�me '.dans la Peinture :
.quand le Peintre s'eft d�termin� �
quelque fujet,il eft oblig� d'.y pro-
portionner le choix.d.e les figures,
,$i de .tout,ce qui les accompagne;i
,& les Peinties .comme les Poctef
-ocr page 56-
par Principes,           . '
oritleur flyle �lev�' pour les c&ofes
�lev�es , familier pour celle� qui
font ordinaires, paftoral pour les"
champ�tres, 8e ainfi du relte. Quoi-
que tous- ces ftyles differens con-
vienne �-toutes les parties de la
Peinture-, ils font n�anmoins plus
particuli�rement du reflbrt de l'in-
vention. Mais cette mati�re eftd'u-'
rre aflez grande �tendue , pour
faire le fujet d'un Trait� particu-
lier.
L'Invention par rapport � l�"
Peinture fe peut confidererd'e trois
mani�res ': elle �ff, ou Hiftorique
fimplement, ou. All�gorique,, ou
MyfKquc;           , .
Les Peintres fe fervent ave c rau
fon du mot d'Hiftoire , pour figni-
fier le genre de Peinture le- plus
confiderable , &c qui confifte � met-
tre plufieurs figures enfembie^ &
l'on dit : Ce Peintre fait l'Hiftoire 5
cet autre fait des Animaux , celui-
ci du Pa�fage; celui-l� des Fleurs,
^aini� du reile. Mais il y a de la
O�j v * \
-ocr page 57-
j4'         Cours de Teinture
diff�rence entre la d�vifion d�s gen-
res de Peinture. & la divil�on de
l'Invention. Je me fers ici du mot
d'Hiftoire dans un Yens plus �ten-
du : j'y comprend tout ce qui peut
fixer l'id�e du Peintre, ou inftruire
le -Spectateur , 6c je dis que l'Inven-
tion amplement Hiftorique eft un
choix d'objets , qui Amplement-
prar eux-m�mes r�prefentent le
ftfjet.
Cette forte d'Invention ne re-
garde pas feulement toutes les Hi-
�oires vraies �cfabuleufes, telles
qu'elles font �crites dans les Au-
teurs , ou qu'elles font �tablies par
la Tradition : mais elle comprend
encore les portraits des perfonnes,
la r�prefentation des pa�s, des ani-
maux, & de toutes les produdions
de l'Art & de la Nature. Car pour
faire un Tableau , ce n'eft point
allez que le Peintre ait fes couleurs
& fes pinceaux tout pr�ts y il faut,
comme nous avons d�j� dit, qu'a-
vant de peindre, il ait refolu ce
-ocr page 58-
far Principes,             ff
du'il veut peindre, ne fut-ce qu'une-
neur , qu'un fruit, qu'une5 plante ,
ou qu'un infecte. Car outre que le-"-1
Peintre peut borner f�i� id�e � leur
feule repr�sentation, elles font ca-
pables fouverit de nous inftruire.
Elles orit leurs vertus <k leurs pro-'
priet�s. Ceux qui en ont �crit, �c
qui ont accompagn�.leur Ouvrage'"
de figures d�monftratives y l'ont
nomm� du nom d'Hiftoire \ &: l'on-
dit l'Hiftoire4�S Plantes, l'Hiftoire
des Animaux , comme on ditl'Hi»"
ftoire■■ d'Alexandre.- Ce n'eftr pas
que l'Invention Amplement Hifto-
rique n'ait; fes degr�s , &■ qu'elle
ne foit plus ou moins eftimable v-
f�lon la quantit� des cliofes qu'elle
contient, & la qualit� du choix ��
du g�nie.
L'invention all�gorique eft un
choix d'objets qui ��rvent � r�pre-
fenter dans un Tableau, ou en tout,
ou en partie , autre chofe que ce
qu'ils font en effet. Tel eft par
exemple ■■> le Tableau d'Apelle qurj
lllj
-ocr page 59-
5 6           Cours de Peinture
r�prefente la Calomnie duquel Lu-
cien fait la defcription. Telle ef� :
la Peinture morale d'Hercules en-
tre Venus &: Minerve , o� ces Di-
vinit�s Payennes ne font introdui-
tes que pour nous marquer l'attrait
de la Vertu. Telle eft celle de i'E-
colQ-d'Ath�nes o� plufieurs figures .
de tcms , de pa�s , 8c de condu
tions diff�rentes concourent,a re-
prefenter la Phiiofophie. Les trois
autres Tableaux qui font au Vati-
can dans la m�me chambre , font
trait�s dans le m�me genre d'Al-
l�gorie. Et-fi l'on veut faire atten-
tion � ce qui s'eft pafle dans l'an-
cien Teft�ment, on trouvera que
les faits qui y font raport�s, ne font
pas tellement d'Hiftoire Simple ,
qu'ils ne foient auffi * All�goriques,
parce qu'ils font des Symboles de
ce qui devoit arriver dans la nou-
velle Loi. Voila des exemples de
iujets qui font All�goriques en tout
ce qu'ils contiennent.
* I, .Cm, io. 6.
-ocr page 60-
far Principes.'            5 gjp*
Les Ouvrages donc les objets
n� font All�goriques qu'en partie^
attirent plus facilement- & plus
agr�ablement notre attention, patf.
ce que le Spe&ateur qui> eft aid�
par le m�lange des figures pure-
ment Hiftoriques,dem�le avec plai-i
fit les All�gories qui les aecom-i
pagnent. Nous en avons un exerm
pie autentique dans les bas-reliefs
de la Colonne Antonine\ o� le �
Sculpteur ayant a exprimer une
pluie que la legipn Chr�tienne
avoit obtenue par fes pri�res * , m-2
troduit parmi ces Soldats un Ju->
piter pluvieux, la barbe �c les clie-^
veux inond�s de l'eau qui em couJ
l� avec abondance, Jupiter n'effe
pas r�preient� l� comme un E)ieit
qui fafle partie de l'Hiftoire � mais a
* Ce fait arriva fous le R�gne de Marc~:
Aurele , qui �rigea cette Colonne
, o� il fit re-
pr�senter en bas relief les Guerres qt^it eut con-~
ire les Allemans & contre les Sarmates
, & qui
$ar. ��conn�iffance fit mettre'fur cette m�me'co-
lonne , la Statue �'Antonin qui t'avait adopt� a si
l'Eingtre.
Cv-
-ocr page 61-
5 8            Cours de Peinture
comme un Symbole qui ��gn�f�� l�
pluie parmi les Payens. Les anciens
Auteurs en parlant des Ouvrages
de Peinture de leur tems ,nous rap-
portent quantit� d'exemples, d'Al-
l�gories > & depuis le renouvelle-
ment de la Peinture, les Peintres
en ont fait un ufageallez fr�quent :
6  i� quelques- uns en ont abuf� s
c'eft que ne f�chant pas que l'Al-
l�gorie eft une efpece de langage
qui doit �tre commun entre..plu-
sieurs perfonnes, & qui eft fond� fur
un ufage re�u, &. fur l'intelligence
des livres de Medailles,ils ont mieux
aim�, plut�t que de les conful-
ter , imaginer une All�gorie parti-
culi�re, qui bien qu'ingenieufe n'a
pu �tre entendue que d'eux-m�mes.
L'Invention Myftique , regarde
notre Religion : elle a pour but de
nous inftruire de quelque Myftere
fond� dans l'Ecriture , lequel nous:
eft repr�fent� par plufieurs objets
qui concourent.� nous enfeigner
une v�rit�,
-ocr page 62-
fer Principe s: \            j^-'5
,Nos Myfteres & les points de
foi que l'Eglife nous propefe, nous
en fournhTent quantit� d'exemples.
Le deuxi�me Concile de Nic�e
ayant laifT� la libert� d'expofer aux
�yeux des Fid�les le Myftere-de la
Trinit� r les Peintres repr�fente-nt
le P�re fous lafigure d'un V�n�ra-
ble Vieillard -, le Fils dans fon hu-
manit� ^ tel qu'il a paru�fes Difci-
<ples apr�s fa Refiirredion j_& le S»
Lfprit fous l'apparence d'une Co-
lombe: L� Jugement Univerfel, le -
Triomphe de l'Eglife ^ ceux de la
Loi, de la Foi, & de l'�uchariftie
font encore de cette Nature. Parmi
la quantit� d'exemples que les ha-
biles Peintres nous ont laiff�s 5 j'en,
rapporterai un tr�s-ing�nieux , dont
te conferve ch�rement l'efqui�e co-
lori�, il repr�fente le Myftere- de ■'
l'Incarnation,
Si l'Auteur du Tableau avo�t
voulu peindre l'Annonciation ' Hi-
ftoriquement, il fe feroit contente
4e faire voir la. Vierge dans une ::
-ocr page 63-
� o          Cours de Peinture
Simple chambre , fans autre com-
pagnie que celle de l'Ange : mais
ayant refolu de traiter ce Sujet en
Myftere,il a plac� la fainte Vierge
fur une efpece d� tr�ne, o� �tant
� genoux, elle re�oit humblement,
mais avec dignit� , Tambaflade de
l'Ange, pendant que Dieu le P�re
qui avoit trait� avec fon Fils du
prix de la R�demption des hom-
mes , a/fifte, pour ainfi dire, � l'ex�-
cution du- Contrat. Il eft affis ma-
|eftueufement , appu�� fur le glo-
be du monde, entourr� de la Cour
Celefte, &; ayant � fa droite l� Ju-
stification &. la Paix qu'il �toit con-
venu de-donner � toute la terre. Il
envoie fon faint Efprit , pour op�-
rer ce grand Myftere. Cet Efpric
Saint eft entour� d\m cercle d'An-
ges qui fe tiennent par la main,Se
qui jerejouifTent de ce que lespla>
ces des mauvais Anges alloient �tre .
remplies par les hommes. Plu-
sieurs-Anges qui terminent cette
partie celefte de Tableau , tien<
-ocr page 64-
■par Principes. \            6H '■
aetit dans leurs mains difrerens- at-
tributs que l'Eglife applique� la Ste.
Vierge , Se* qui- font voir que cet-
te Cr�ature �toit la plus digne de
la gr�ce dont elle �toit combl�e.
Tout ce grand Spe&acle compofe
la partie* fiiperieure du Tableau. En
bas font les Patriarches qui ont fou-
hait� la, venue du Meffie , les. Pro-
ph�tes qui Pont pr�dite, les Sibylles
qui en ontparl�, & de petits G�nies
qui concilient les PafTages des Sibyl-
les avec ceux des Proph�tes. C'eft
ainf� que - ce,- Tableau repr�fente
Myftiquement la v�rit� _8fc la gran-x
deur de'foh Sujet. '
Voil� les trois mani�res dont on
peut concevoir l'Invention : c'eft-�-
dire l'Invention f�mplement Hifto^
rique , l'Invention All�gorique , ��
rinvention Myftique. Voyons ce
que ces trois fortes d'Inventions ont
de commun-entr?elles, �cpuis nous
parlerons des-qualit�s que chacune
exige en.' particulier.
Le.Peintre qui a du g�nie trou*..
-ocr page 65-
6 �          Cours de Peinture
v� dans toutes les parties "de fon"'
Art une ample mati�re de le faire
p�ro�tre : mais celle qui lui fournit
plus d'occafions de faire voir ce -
qu'il a d'efpr�t, d'imagination } &
de prudence, eft fans doute l'Inven-
tion. C'eft par elle que la Peintu-
r� marche de pas �gal avec la Po�-
i�e , & c'eft elle principalement qui
attire l'eftinie des perfonnes les plus
eftimables, je veux dire des gens
d'efpr�t, qui noncontens de la feu-
le imitation des objets , veulent
que le choix en foit juftepourl'ex- ■
prefl�on du fujet,
Mais ce m�me gehie veut �tre
cultiv� par l�s connoiflances qui
ont relation � la Peinture -, parce
que quelque brillante que foit no-
tre imagination , elle ne peut pro-
duire que les chofes dont notre ef-
prit s'eft. rempli, & notre m�moire
ne nous rapporte que les id�es de ce
que nous lavons ,'&: de ce que nous *
avons vu, C'eft f�lon cette mefure
-ocr page 66-
fdr Frinvipes.              65
que l�s talens des particuliers de-
meurent dans la baflefl� des objets
communs, ou s'�l�vent au fublime, ,
par la recherche de ceux qui font
extraordinaires. C'eft par-l� que
certains Peintres qui ,ont cultiv�
leur efprit ont heureufement fup- -
pl�� au g�nie qui leur manquoit
d'ailleurs ., & que s'�levant avec leur
fujet, leur fujet. s'�l�ve & s'agran-
dit avec eux.: Sans les connoiffances
n�celfaires f on fait beaucoup de
fautes 5 avec elles, tout fe prefente
& fe range en fon ordre infenfible-
ment.
Il eft bon n�anmoins que les jeu-
n�s gens apr�s �tre fortis des �tu-
des eflentielles� leur Art, & avant
de donner des preuves ferieufes &■.
publiques de leur capacit�, exer-
cent leur o-enie fur toutes fortes de
�ujets : &. comme un ~vm nouveau
qui exhale violemment fes fum�es
pour rendre avec le tems fa liqueur :
plus agr�able 3 ils s'abandonnent �
l'ixhrjretuofit� de leur imagination. 2
-ocr page 67-
4           Cours d� Peint are '
&que laiflant �vaporer Tes pr�rhfdi'
xqs faillies 3 ils �purent apr�s queU
que tems- les images de leurs pen- -
f�es.
Mais qu'ils ne fe fient pas tant � la
bont� de leur eiprit , qu'ils con-
fult�nt leurs amis �clair�s , afin de :
d�couvrir l'efpece, & la mefure de
leur talent. Qu'ils fe regardent com-
me une plante qui veut �tre culti-
v�e dans un terrein plut�t que dan3
un autre, pour porter ion fruit dans
fa faifon,-
De cette mani�re f� �e choix d�
fujet d�pend du Peintre, il doit pr�-
f�rer celui qui efl proportionn� �
l'�tendue & � la nature de fon gei
nie , & qui foit capable de lui four-
nir mati�re de l'exercer dans la par- -
tie qu'il pofTede avec plus d'avan-'-
tage. M faut que pour donner del� "
chaleur � fon imagination , il tourJ ■-
ne fes id�es de diff�rentes fa�ons-
il faut'qu'il life phtfieurs fois fort
fujet avec application- afin que l'L
mage>'en forme-vivement dans foia>>
-ocr page 68-
far Principe'Si            &'p
ciprit,& que f�lon la grandeur, de
la mati�re., il le .lame emporter
jufqu'� l'enthoul�afme , qui eft le
propre d'un grand Peintre. & d'un
grand :Pa�te;
Comme, le P eintre ne peut re-
pr�fenter dans un m�me Tableau
que ce qui fe. voit, d'un-coup d'oeil
dans la Nature, il ne peut par cohj
fequent nous y expofer ce qui s'eft
pafle dans des tems differens : Et if
quelques Peintres- ont pris la liber-
t� de faire le contraire , ils en font
inexcufables, � moins qu'ils n'y
ayent �t� contraints par ceux qui
les ont employ�s ou qu'ils n?ayent
eu dans la penf�e de compofer un
fujet Myft�r�eux ou All�gorique 3
_ comme eu .le Tableau de FEcole
d'Ath�nes.-.
Mais quand le Peintre a une fois
bien choifi fon fujet, il eft tr�s �
propos qu'il, y* fafTe entrer les cir-
conftances qui peuvent fervir � for,
tifier lecara&ere de ce ni �me fujet', ,
&>.�:� le .faire . conno�tre > -pourvu *
-ocr page 69-
6' 6          Cours de Peinture
qu'elles n'y foient pas eh af�ezgrancP
nombre pour laffer notre attention :
mais plut�t que le choix en foit aC
fez judicieux pour exercer agr�a-
blement notre efpritV Et ces cir~
confiances regardent , le lieu , le-
tems, & les perfonnes. �
Ainf� il eft encore fort a propos ''-
que le Peintre en inftfuifant fon
Spectateur, le divertif�� par la varie- -
t�. Elle f� trouve dans les fex�s, dans
les �ges, dans les'pa�s, dans les con-
ditions, dans les attitudes , dans les
expreffions , dans la bizarerie des
animaux ; dans les �toffes, < dans les "■
arbres , dans les �difices, &; dans
tout ce qui peut exercer 1'efprit, 8c
orner convenablement la feene d'un ]
Tableau. Je ne voudrois n�anmoins
approuver cette abondance d'ob-
jets , & cette vari�t� fi agr�able
d'elle-m�me , qu'autant qu'elle fe-
rait convenable au fujet,& qu'elle
y auroit du moins une relation in-
Ifcru&ive,
Gar comme il y a des fujets qui
-ocr page 70-
far Principes,             G'y
ne* refpirent que la joie ou la tran-
quilit� , il y en a d'autres qui font"
lugubres ou qui doivent �tre repre-
fent�s dans une agitation tumu�-
tueufe. Il y en a qui demandent de
la gravit�, de la dignit� , du ref-
ped, du fflence', &c quelquefois de
la folitude , lefquels ne peuvent
fouffrir que peu de figures � com-
me il s'en trouve qui en font fcfcep-
tibles d'un grand nombre, &d'une.
variet� d'objets telle que la pruden-
ce du Peintre y voudra introduire :■-
car il faut que tout fe rapporte au
H�ros du fujet,& conferve une unit�
bien li�e & bien entendue..
Ce font-l� les chofes qui con-
viennent en g�n�ral � ces trois for-
tes d'Inventions � il nous refte � voir
ce qui eft propre � chacune.
Entre les qualit�s que peut avoir
l'Invention fimplement Hiftorique,
j?en remarque trois, k Fid�lit�,
la Nettet�, & le bon Choix, j'ai ob-
serv� � ailleurs que la. fid�lit� de.'
l'Hiftoire n'�xoit pas deTejlTen.ee. de.
-ocr page 71-
�'S          (fours d� Peinture
la Peinture 5 mais une convenante-
indifpenfable � cet'Art.'Et quoique
l� Peintre ne foit Hiftorien que par
accident, c'eft'toujours une grande
faute que de fortir mal de ce que
l'on entreprend, j'eiitens par la fi-
d�lit� de THiftoire, l'�troite imi-
tation * des" chofes ' vraies ou fabu-
leufes telles qu'elles nous font con-
nues' par les Auteurs, ou par la Tra-
dition. Il eft fans doute que cette
Imitation 'donne d'autant plus de -
force � l'Invention , & relev� d'au-
tant plus' le prix du Tableau, qu'el- ■
le conferve de fid�lit�.
Mais ftle Peintre a l'induftrie de
m�ler dans fon fujet quelque mar- �
que d'�rudition qui r�veille l'at-
tention du Speclateur fans d�trui-
re la v�rit� deJ'Hiftoire , s'il peut
introduire quelque trait de Pocfie
dans les faits Hiftoriques qui pour- ■
ront le f�uffri� \eniin mot, s'il trai-
t� fes fujets f�lon la licence mod�-
r�e qui eft permife aux Peintres &:
aux Po �tes , il rendra (es Inven^. -
-ocr page 72-
fdr Principes.            -6**
: tions �lev�es ,&: s'attirera une gran-
de diftin&iom"'La.Fid�lit� eft donc
ila premi�re qualit� de i'Hiftoire.
La f�conde eft la. Nettet� , en
forte que le Spectateur .fuffifam-
;ment inftruit dans. PHiftoire rd�ve-
lope facilement celle que le .Pein-
tre aura voulu.r�prefenter. D'o� il
s'enfuit qu'il faut .pt.tr l'�quivoque
par quelque marque qui ioit pro-
; pre au iujet v& qui. d�termine l'eu
prit en fa faveur. Je parle des iiijets
qui ne font pas fort ordinaires j car
pour ceux qui font connus ,du Pu-
blic, & qui ont �t� plufieurs fois r�-
p�t�s , ils n'ont pas befoin de cette
pr�caution.
Que fi le fujet .n'eft point afTez,
connu , ou qu'on ne puifTe xaifon-
nablement y introduire quelque
objet quile d�clare , le Peintre ne
doit point h��ter d'y mettre une
infeription. Entre plufieurs exem-
ples que les Anciens Se les Moder-
-nes nous en fourni(Tent, j'en choi-
.�irai feulement d,eux qui font t-rjes
-ocr page 73-
�"jo           Cours de Peinture
.connus, l'un eft de Rapha�l, & Pau-
tre d'Annibai Carache. Celui-ci
ayant peint dans la 'Galierie Far-
:nefe le moment ou Ancliife cher-
che donner des marques de fon
amour � la D�efle'Venus., & vou-
lant emp�cher qu'on ne pr�t A ri-
dule pour Adonis, s'eft ingenieufe-
. ment iervi du mot de Virgile, *
. Genus unde Latinum,, qu'il a �crit
au delTous du lit dans l'�pailTeurde
Teflrade. Et Rapha�l dans fon Par-
nail'e o� il a plac� Sapho parmi les
rPoctes,, a �crit le nom de cette fa-
-vante fille, de peur qu'on ne la con-
fond�t avec les Mufes.
La troifi�me qualit� de l'Hift�i-
*ce confifte dans le choix du Sujet,
Iuppofe que le Peintre en foit le
ana�tre : parce qu'un fujet remarqua-
ble fourn�t plus d'occafions d'en-
richir la fcene Se d'attirer l'atten-
:tion. Mais fi le Peintre fe trouve
^engag� dans un petit fujct, il faut
'* Ce mot veut.dire : Cefl �'oh vient �origmt
�ts Latins.
-ocr page 74-
■par'Principes.            -7.1
■�qu'il t�che,de le rendre grand par
la mani�re .extraordinaire. dont il
le traitera.
L'Invention All�gorique exige
^pareillement trois qualit�s. La pre-
mi�re .eft d'�tre intelligible. C'eft
un auffi grand d�faut de tenir �ong-
tems l'attention en fufpend par des
Symboles nouvellement invent�s ,
comme c'eft une perfection que de
l'entretenir quelques niomens par
d�s-figures All�goriques connue:,,
re�ues , & employ�es ingenieufe-
ment. L'obicurit� rebute l'efprit, &
4a nettet� le fait jouir agr�ablement
;de fa d�couverte.
La f�conde qualit� de l'All�gorie,
.eft d'�tre autorif�e. Ripa en a �crit
un Volume expr�s qui eft entre
-les mains des Peintres : mais ce qui
� eft de meilleur dans cet Auteur., eft
ce qu'il a extrait des M�dailles An-
tiques : ainfi l'autorit� la mieux rer
r��e pour les All�gories, eft celle de
l'Antiquit�,parce qu'elle eft incoi�-
-�eftable.
-ocr page 75-
«**&           Cours de Peinture
La troifi�me qualit� de l'All�go-
rie , eft d'�tre n�ceflaire-, car tant
, que l'Hiftoire fe peut �claircir par
des objets /impies, qui lui apartien-
nent,: il eft inutile de chercher des
�ecours/�trangers qui l'ornent bien
moins qu'ils ne l'embar�iTent.
A l'�gard de l'Invention Myfti-
que , comme elle eft enti�rement
confacr�e � notre Religion, il faut
; qu'elle foit pure , & fans m�lange
d'objets tir�s de laFab�e. Elle doit
� �tre fond�e fur l'Ecriture , ou fur
THiftoire Ecclef�aftique. Nous en
..avons-une foairce tr�s vive dans les
iParaboles dont jefus-Chrift s'eft fer-
vi, & da-nsl'Apocalypfe dont nous
devons refpe�ter * l'obfcurit� fans
; �tre oblig�s de l'imiter. .Le Saint
E�prit qui fouffle o� il veut fe fait
entendre quand il lui pla�t : mais
:1e Peintre qui ne.peut,, ni p�n�trer, '
ni changer l'efprit de fon Spe&a-
iteur,, doit toujours faire fes efforts
j�oux fe rendre intelligible.
* Skut nmbtx eju$ ira & lumen ejus.
Comme
-ocr page 76-
far Principes.            73
- Comme rien n'eft plus faint, plus
grand, ni plus durable que les Myf.
�teres de notre Religion, ils ne peu-
vent �tre trait�s d'un fl y le trop ma-
jeftueux. Tout ce qui pla�t ne pla�t
pas toujours, &: les plus grands plai-
firs finiflent ordinairement par le d�-
go�t 3 mais celui que donne l'id�e
de la grandeur & de la magnificen-
ce ne finit jamais.
Au relie de quelque mani�re que
l'Invention foit remplie , il faut
qu'elle paroiffe l'effet d'un G�nie fa-
cile, plut�t que d'une p�nible r�-
flexion 3 8� s'il y a des talens pour
la facilit� , il y en a aul�i pour cou-
vrir la peine ; les uns �c les autres
ont leur m�rite �c leurs partifans.
Heureux celui qui a re�u, de la
Nature un g�nie capable de cou-
rir la vafte carri�re de la partie
dont je viens de parler, 6c de bien
clioifir fes objets pour rendre fon
fujet intelligible, pour l'enrichir, &
pour inftruire fon «Spectateur. Mais
plus heureux encore le Peintre, qui
D
-ocr page 77-
74         Cours de Peinture
apr�s avoir connu tout ce qui con-
tribue � une belle Invention , fe
conno�t beaucoup plus foi- m�me ?
.& qui fait la jufte valeur de fes pro-
pres forces : car la gloire d'un Pein-
tre ne confifte pas tant � entrepren-
dre de grandes chofes . qu'� bien
fortir de celles qu'il aura entreprifes.
-ocr page 78-
far Principes,
DESCRIPTION DE L'ECOLE
D'ATHENES,
Pour fervir d'exemple au Trait� de
l'Invention
Tableau de Rapha�l.
CE Tableau qui porte le nom de
l'Ecole d'Ath�nes a �t� diverfe-
ment con�u, par ceux qui en ont
fait la Defcription -, Se il eft allez
extraordinaire que Vafari entr'au-
tres, qui vivo�t du tems de Rapha�l,
fe foit fi fort m�pris dans l'expli-
cation qu'il en a publi�e, qu'il ait
n�glig� de puifer a la fource m�me
-les instructions dont il avoit befoin
pour parler d'un Ouvrage qui fai_
�oit tant de bruit dans toute l'Italie.
Cet Auteur qui en a �crit le pre-
mier , dit que c'eft l'accord de la
Philofophie & de l'Aftrologie avec
la Th�ologie. Cependant on ne
voit aucune marque de Th�ologie
dans la composition, de ce Tableau.
Dij
(
-ocr page 79-
»? <?           Cours de Peinture
Les Graveurs qui l'ont donnp
au Public, y ont mis mal � propos
une Inlcription tir�e des A�tes de
faint Paul, pour nous induire � croi-
re que cet Apatre apr�s avoir ren-
contr� un Autel o� �to�t �crit, au
,Dieu inconnu, JgnotoDeo3 fe pre-
fente ici devant les Juges de l'A-
reopage pour leur donner la con-
noiflance du Dieu qu!ils ignoroient,
& pour les �initruire de la R�fur-
reclion des Morts dont les Epicu-
riens �c.lesSto�ciens difputoient en-
tr'eux.
Auguftin V�nitien s'eft encore
iplus lourdement tromp� , lorfque
dans l'Eftampe de cinq ou fix figu-
res qu'il a grav�e , lefquelles font �
main droite du Tableau, il a fup-
pof� que le Philofophe qui �crit
�toit laint Marc , �z que le jeune
iiornme qui a un genouil en terre
�toit l'Ange Gabriel qui tient une
table o�. ce Graveur a mis la Sa^
lutation Ang�lique , Ave , Maria
& le refte.
»
-ocr page 80-
par Principes'.            77
H eft inutile d'emplo�er ici beau*
coup de tems � r�futer ces erreurs
�galement groffieres, je1 me con-
tenterai feulement de raporter les
quatre Figures du plat-fond qui r�-
pondent aux quatre fujets qui fon�
peints dans la Chambre o� eft ce
Tableau, & qui les de lignent incon-
testablement.
La premi�re reprefente la Theo-s
logie avec ces mots, Scientia Divi-
narum Rerum.
La f�conde, la Philofbphie avec
ces mots. Caufarum cognitio.
La troifi�me, la jurisprudence
avec ces mots, Jus fuum unicuique
tribuens*
La quatri�me, la Po�fie avec ces
mots, Isfum�ne ajflatur.
La figure qui reprefente la Phi-
lofophie eft au deftiis du Tableau
dont nous parlons, appelle commu-
Kemment l'Ecole d'Ath�nes 5 ainf�
l'on ne peut mettre en doute que
cette Peinture ne reprefente la Phi-
-ofophje, comme on le verra plus
D iij
-ocr page 81-
7 8           Cours de Peinture
clairement par le d�tail que j'en
vais faire.
La fcene du Tableau eft un �di-
fice d'une magnifique Architedure
eompof�e d'Arcades & dePilaftres,
�c difpof�e d'une mani�re � rendre
fa perfpedive fuyante 3 fon enfonce-
ment avantageux, & � donner une
grande id�e du fujet. Ce lieu eft
rempli de Philofophes, de Math�-
maticiens , & d'autres perfonnes
attach�es aux Sciences -y & comme
ce n'eft que par la fucceiTion des
tems que la Philofophie eft parve-
nue dans le degr� de perfedion o�
nous la voyons, Rapha�l qui vouloit
repr�fenter cette fcience par l'af-
fembl�e des Philofophes , n'a pu le
faire en joignant ceux d'un �iecle
feulement. Ce n'eft point une Am-
ple Hiftoire que le Peintre a vou-
lu repr�fenter, c'eft une all�gorie
o� la diverfit� des tems 6c des pa�s
n'emp�che point l'unit� du fujet.
Le Peintre en a uf� ainfi dans les.
trois autres Tableaux de la. m�me
/
-ocr page 82-
par Principes.            79"
chambre o� il a. peint la Th�olo-
gie , la Jurisprudence-, �c la Po�fie,
L'on voit dans le premier les dif-
ferens P�res de l'�glife $ dans le f�-
cond les Jurifconfultes 3 Si: dans le
troifi�me , les Po�tes de tous les
tems.
L'id�e que donne la difpofition
de toutes les figures de ce Tableau,
�c la nature de leurs diverfes occu-
pations , font croire facilement que
leurs entretiens ne peuvent �tre
qu'entre des gens remplis de plu-
f�eurs connoiflances, comme font
les Philofophes. On y reconno�t
m�me Pythagore, Socrate, Platon ,
Ariftote avec leurs Difciples , �c
l'on y voit parmi les Philofophes
des gens occup�s des Sciences Ma-
th�matiques. �
Sur le milieu du plan d'en-haut
font les deux plus fameux Philofo-
phes de l'Antiquit�, Platon &; A-
r�ftote. Le premier tient fous le
bras gauche un livre > fur lequel eft
�crit ce mot Italien , Timeo , titre
D iiij
-��
-ocr page 83-
8o          Cours de Peinture
que porte le plus beau Dialogue de
Platon 5 & comme cet �crit traite
myftiquement des cliofes naturelles
par raport aux Divines, ce Philo-
sophe a le bras droit lev� , & mon-
tre le Ciel comme la caufe fupr�me
de toutes cliofes.
A la gauche de Platon, eft fon
D�fciple Ariitote, qui tient un livre
appuie contre fa cuifTe, fur lequel
©n lit ce mot, Eticba, c'eft-�-clire
la fcience des m�urs 5 parce que ce
Philofophe s'y efb principalement
attach� 5 & le, bras qu'il a �tendu
eft une a�tion de pacificateur & de
mod�rateur des parlions, ce qui con-
vient parfaitement � la morale.
De c�t� & d'autre de ces deux
grands Philofophes, font leurs Dif-
ciples de tous �ges, dont les figu-
res font groupp�es ingenieufement
bc difpof�es de mani�re � faire pa-
ro�tre avanta�eufement les deux
principales, �c qui font les H�ros du
Tableau. Et bien que les attitudes
de ces Difciples foient diff�rentes,.
-ocr page 84-
far Principes,             8 r
elles montrent toutes une grande
attention aux paroles de leurs Ma�-
tres.
Derri�re les Auditeurs de Pla-
ton , eft Socrate tourn� du c�t�
d'Alcibiade qui eft vis-�-vis de ce
Philofophe. L'un & l'autre font
vus de profil. Socrate fe reconno�t
� fa t�te-chauve &: � fon nez ca-
mus. Alcibiade eft un beau jeune
homme en habit de guerrier , les
cheveux blons flottant fur fes �pau-
les , & fon armure bord�e d'un or-
nement d'or , une main fur le c�t�
& l'autre fur fon �p�e ;.Philofophe
&. Guerrier tout enfemble , il fe
montre attentif au difcours de So-
crate, lequel accompagne fes paro-
les d'une adion tr�s-expreffive. 11
avance les deux mains, & prenant
de la droite le bout du premier
doigt de la gauche , fait concevoir
parfaitement qu'il explique & qu'il
veut faire entendre clairement fa
penf�e, pendant que tous fes Dif-
ciples ont attention � ce qu'il dit.
Dv
-ocr page 85-
b'z          Cours de Peinture
A c�t� d'Alcibiade eft Antiffenc-
le Corroyeur en qui Socrate trouva
tant de difpofition � laPhilofophie,
qu'il lui en enfeigna les principes, &.
que cet Artifan quitta fon m�tier
pourfe rendre lui-m�me un c�l�bre.
ProfefTeur en Morale dont il a �crit
3 3. Dialogues. C'eft lui qui eft le
chef des Philofophes Ciniques. Le
Peintre pour varier fes figures & leur
donner du mouvement, feint que
derri�re Alcibiade , un homme fe
tourne ■& �tend la main pour appel-
ler � la mani�re Italienne , & pour
h�ter un Serviteur qui apporte un
livre &un grand rouleau de papiers
qu'on appelloit anciennement un
volume j �c dern�re ce Serviteur on
voit le vifage d'un autre qui la main
au bonnet femble r�pondre avec ref-
pe& � celui qui l'appelle.
Parmi les Difciples d'Ariftote ,
Rapha�l a pareillement rendu fen-
f�ble l'attention qu'ils ont aux paro-
les de leur ma�tre II y en a un en-
tr'autres qui ayant compris les D�-
-ocr page 86-
■par Principes-            b.
monftrat�ons d'Archimede, monte
de l'Ecole des Math�matiques ,
f�lon la coutume des Grecs � cel-
le de la Philofophie , & s'informant
� une perfonne qu'il rencontre ou
Ton enfeigne cette fcience , elle lut
montre Ariftote & Platon.
Aupr�s de cette figure , eit un
kune homme ftudieux , lequel ap-
puy� contre la bafe d'un pilaft^^
Lnbes l'une�ur l'autre la t�te in-
clin�e fur fon papier, �crit ce qu il
vient d'apprendre, pendant quun
Vieillard fur la m�me baie, le men-
ton appuie fur fa main, regarde en
repos�e que le jeune homme vient
d'�crire.                        .
* Entre les figures qui terminent
ce c�t� du Tableau, eft D�mo-
crite qui envelop� dans Ion man-
teau le conduit dans cette affem-
bl�e '� l'aide de fon b�ton a la ma-
ni�re des aveugles: car fur la nu
de de finit» bon. & mal. hv. XXIX. �d�mi
I. v. ��. XXXIX. Aul. Gell. i« c. XVII. ex La-
Dvj
-ocr page 87-
$4           Cours de Peinture
de fa vie il s'aveugla volontaire-
ment pour �tre moins diftrait dans1
fes r�flexions philofophiques. Le
Peintre a pu le reprefenter dans ce
grand �ge,pour nous apprendre que
l'homme doit travailler jufqu'au
tombeau � s'inftruire &: � fe def-
abufer.
Dans le grouppe du c�t� droit
fur la premi�re ligne , il eft aif� de
d�m�ler Pythagore af�is, qui �crit
les principes de fa Phiiofophie ti-
r�e des proportions harmoniques de
la Mufique. A c�t� de ce Philofo-
pheeft un jeune homme tenant une
table o� font marqu�s les accords
& les confonnances du chant en Ca^
ra&eres Grecs > qui fe lifent ainfi. :
Hiafente , Diapafon , Diateffaron ,
termes aflez connus des habiles Mu-
siciens. On dit m�me que ce Philo^
fophe eft: auteur de la d�monftration
de ces confonnances dont Platon
fon Difciple forma les accords &
les proportions harmoniques de
l'ame.
-ocr page 88-
far Principes,.             8 f
Pythagore eftaffis 6c vu de profil
tenant un livre fur fa cuifl�. Il pa-
ro�t appliqu� � faire voir le rapport
des nombres de la Mufique , avec
la fcience des chofes naturelles. Aiu
pr�s de Pythagore font fes Difciples
Empedocle , Epicarme , Archite j
i/undefquels affis � c�t� de fon Mau
tre , 6c qui a la t�te chauve , �crie
fur fon genouil, 6c qui tenant d'une
main fon encrier 6c de l'autre fa plu-
me fufpendue , ouvrant les yeux &
ferrant les l�vres, montre par cet-
te a&ion combien il eft occup� �
ne rien laiffer perdre des �crits de
Pythagore.
Derri�re ce Philofophe , un au-
tre Difeiple la main fur la poitrine,
s'avance pour regarder dans le Li-
vre 5 c'efl celui qui a un bonnet fur
fa t�te, le menton raf� , les mouf-
tacbes de la barbe pendantes, &
uneagraffe � fon manteau ; 6c tout
cet ajuftement n'a point d'autre fin
wraiferablablement que la diverl�-
t� que Rapha�l a toujours, recher-
-ocr page 89-
�6          Cours de Peinture
cli�e dans ks Ouvrages. Sur le der-
nere de ce grouppe on remarque le
v�fage 6c la main d'un autre Philo-
fophe , lequel un peu inclin� , ou-
vre les deux premiers doitgs de la
main en a�ion de compter � la
mani�re Italienne , & femble par
l� expliquer le Diapaion , qui eft
une double confonnance d�crite par
par Pythagore.
Dans le coin du Tableau , il y a
un homme ras , tenant un livre iur
le pied-d'eftal d'une Colonne, dans
lequel il paro�t �crire avec appli-
cation. On croit que cette figure eft
le portrait de quelque Officier de
la maifon du Pape , parce qu'il a
une Couronne de ch�ne qui eft le
Corps de la devife du Pape Jule 11.
� qui Rapha�l d�dia cet Ouvrage,
comme � fon bienfaiteur , & com-
me � celui qui avoit ramen� le Si�-
cle d'or en Italie pour les beaux.
Arts.
Tout aupr�s & � l'extr�mit� du
Tableau , on. voit un Vieillard qui
-ocr page 90-
far Principes..             2j
tient un enfant -. celui-ci d'une ma-
ni�re conforme � fon �ge, porte la
main au livre de celui qui �crit. Il
femble que le Vieillard n'a men�
cet enfant qu'� defTeih de d�cou-
vrir s'il a de l'inclination pour les
Sciences 3 t�moignant par l� qu'ori
ne fauroit trop t�t fonder & culti-
ver le talent que l'on a re�u de la
Nature.
A c�t� de cegrouppe de figures
on voit un jeune homme d'une air
noble , envelopp� d'un manteau
blanc a frange d'or , la main fur la
poitrine : on croit que c'eft Fran-
�ois Marie de la Rovere neveu du
Pape , & que ce jeune homme eft
reprefent� fur cette Sc�ne � caufe
de l'amour qu'il avoit pour les beaux:
Arts.
Un peu plus avant quePythagore ,
un autre de fes Difciples, un pied
fur une pierre, levant le genouil,.
&. fo�tenant un livre d'une main ,
paro�t copier de l'autre quelques
endroits remarquables qu'il veut
-ocr page 91-
tiT          Ce un de Peinture
concilier avec les fentimens de fon
Ma�tre. Cet homme pourroit bien
�tre Terpandre ou Nicomaque, ou
quelqu'autreDifciple de Pythagorer
qui croyoit que le mouvement des
�toiles �toit fond� �ur des raifons- »
rnuficales.
Plus avant l'on voit un Philo-
sophe feul, lequel appuy� lecoude
fur une bafe de marbre, la plume
�" la main, regarde fixement � ter-
re, &; femble �tre attach� � refoudre
quelque grande difficult�. H eft
v�tu d'une faie groff�ere avec des
bas n�gligemment renverf�s , &
fait juger par cet ajufternent Chi-
pie que. les Philofophes donnent
tr�s-peu d'attention � l'ornement
de leur corps , & qu'ils mettent
tout leur plaifir dans les r�flexions
& dans la culture de leur efprit.
On voit fur la f�conde marche
Diogene � part � demi-nud , fon
manteau rejette en arri�re, & au-
pr�s de lui fa taffe qui eft fon Sym-
bole. Il paro�t dans une attitude de
-ocr page 92-
far Principes.               &$>%
ncgl�gence, Se convenable � un Ci-
nique , qui tout abforb� dans la
Morale m�prife l� fafte & les gran-
deurs de la terr�.
Du c�t� gauche; fe voient plu-
fieurs Math�maticiens , dont la
Science qui confifte dans ce qui efl
fenfible , ne laiffe pas d'avoir rela-
tion � la Philofophie qui regarde-
les chofes intellectueiles.
La premi�re de ces figures efl'
Archimede fous le.Portrait de l'Ar-
chitecte Bramante , qui le corps
courb� Se le bras �tendu en bas,
mefure avec le compas la figureexa-
gone faite de deux triangles �qui-
Tateraux , & femble en faire la d�-
monftration � fes Dilciples. Il a au-
tour de lui quatre Difciples bien-
faits , qui dans des actions diff�ren-
tes font paroitre , ou l'ardeur d'a-
prendre , ou le plaifir. qu'ils ont de*
concevoir. Le Peintre les a repreten-
t�s jeunes, parce qu'il falloit avoir
apris les Math�matiques avant que
de pafTer � l'�tude de la Philofo-
-ocr page 93-
5?6           Cours de Peinture
phie. Le premier de ces DiTciples a*
an genouileri terre ,1e. corps pli�, h
main fur la cuii��&; les doitgs �car-
t�s , eft attentif � la figure d�mon-
ftrative. Le f�cond qui eft derri�re
lui debout, la main fur l'�paule de
fon compagnon , avance la t�te ,
�c regarde avidement le mouve-
ment du compas. Les deux autres
font � c�t� �'-�tchimede , de Ce font
avanc�s � port�e de voir commo-
d�ment. Le premier un genouil en
terre fe retourne, & montre la fi-
gure � celui qui eft derri�re lui, &
qui fe penchant en avant, les bras
plies &-iufjL>endus , fait voir ion ad--
miration, &le plail�rqu'il a de s'i'n-
flruire. Vafari veut que celui-ci foit
le Portrait de Fr�d�ric IL Duc de
Mantoue, qui pour, lors le trouvoit
� Rome.
Derri�re Arcliimede font deux
Philofophes , dont l'un tient le
Globe celefte, &; l'autre le Globe
terrefle. Le premier par la mani�-
re dont il eft v�tu,paro�t avoir quel-
-ocr page 94-
par Principes.            91 ■
que rapport aux Chald�ens, Auteurs
de l'Aftronomie, �c l'autre que l'on
ne voit que par derri�re, mais qui
a la Couronne Royale fur la t�te,,,
fait pr�lumer qu'il eft Zoroaftre
Roi de' la Badriane , lequel fut
grand Aftronome tk. grand Philofo-
phe. Ces deux Sages s'entretiennent
avec deux jeunes hommes qui font
au coin du Tableau, dont l'un eft
le Portrait de Rapha�l auteur de
cette Peinture.
Voil� la mani�re favante, fubli-
me &: judicieufe dont Rapha�l a
choili les fujets pour produire une
des plus belles Inventions qui ayenr
jamais paru en ce genre. Mais non
content d'expofer (on fujet par les
diff�rentes perfonnes qui le compo-
fent, il a voulu encore que les Sta-
tues &, les bas-reliefs, qui font des
ornemens de fon Architedure ,
contribuaffent en m�me-tems � la
richeffe &� l'expref�ion de fa penf�e.
Car les deux Statues qui paroif-
fent de l'un & de l'autre, c�t� du
-ocr page 95-
«fi Cours de Peinture
Tableau, font celles d'Apollon m
de Minerve 5 Divinit�s qui pr��i-
dent aux Arts & aux Sciences. Et
dans le bas relief qui eft au deflbus
de la figure d'Apollon, eft reprefen-
t�e la iource des pai��ons l'Irafcible
& le Concupifcible j l'Irafcible
par un Furieux qui outrage impi-
toyablement ceux- qui ie trouvent
� fa rencontre $ & le Concupifci-
ble par un Triton qui embrai�e une
Nymphe dans l'�l�ment qui a don-
n� la naif�ance �- Venus. Et comme
Je vice ne ie dompteque par laVertu-
qui lui eft contraire, le Peintre a
reprefent� au-deifous de la figure
de Minerve dans un autre bas relief,
la Vertu �lev�e fur des nu�es ,,
ayant une main fur la poitrine o�.
refide la Valeur ,&c de l'autre mon-
trant aux mortels par le Sceptre
qu'elle tient, le pouvoir de ion Em-
pire. Aupr�s de la Vertu, eft la figu-
re du Lion dans le Zodiaque j cet
Animal �tant le fymbole de la For-
ce, laquelle en Morale ne fe peuc,
-ocr page 96-
far Principes            ,9$
acqu�rir que par les .bonnes,habi-
tudes. ,
C'efl ainf� que Rapha�l par la
beaut� de fon g�nie, par la fineffe
de fes penf�es, & par la folidit� de
fon efprit, a mis devant nos yeux
4e fujet all�gorique de la :Phi|ofo=
|)hie.
!
-ocr page 97-
Cours de Peinture
:$4
X>� Z^ DISPOSITION".
DAns la divifion que j'ai faite
de la Peinture, j'ai dit que la
compofition qui en eft la premi�re
partie, contenoit deux chofes, l'In-
vention Si. la Difpof�tion.En traitant
de l'Invention, j'ai fait voir qu'elle
confiftoit�trouverles objets conve-
nables au fujet que lePeintre veut re-
pr�fenter. Mais quelque avantageux
que foit le fujet, quelque ingenieu-
Je que foit l'Invention , quelque ri-
delle que foit l'imitation des objets
que le Peintre a choifis, s'ils ne font
bien diftribu�s, la composition ne
fatisfera jamais pleinement le Spec-
tateur dei�ntereiT�, .& n'aura jamais
une approbation g�n�rale. L'ceco-
nomie&lebon ordre eft ce qui fait
tout valoir, ce qui dans les beaux
Arts attire notre attention, .& ce.
-ocr page 98-
far Principes.            ,f),<:
, qui tient notre efprit .attach� jui-
qu'� ce qu'il foit r�mpli descho-
,-fes qui peuvent dans un Ouviage��
l'ini�ruire , .& lui plaire en ro�me-
tems. Et c'eft cette Oeconomie que
j'appelle proprement Difpofition.
Dans cette id�e , la Difpofition
contient fix parties.
i. La Diftnbution des Objets �a
g�nerai.
2.'Les Grouppes.
3.  Le choix des Attitudes.
4.  Le contrafte.
5.  Le jet des Draperies.
6.  Et l'effet du Tout-enfemble 5
, o� par qccafion il eft par l� de l'Har-
monie & de l'Enthouf�afme.
J'examinerai toutes ces parties
dans leur rang le plus fuccinclemenf
,& le plus nettement qu'il me fera,
.pqffiblc.
-ocr page 99-
$6          Cours de Peinture
De la diftribution des Objets en
g�nerai.
Comme les differens fujets que
ie Peintre peut traiter font innom-
brables , il n'eft pas poffible de les^
rapporter 'tous ici 5 bien moins en-
core d'en faire voir en d�tail la
idifpof�tion. Mais le bon fens , �c
la qualit� de la mati�re doivent
d�terminer le Peintre � donner
aux objets qu'il aura choifis les pla-
ces qui leur conviennent pour rem-
plir les devoirs d'une bonne corn-
pofition.
Da-ns la composition d'un Ta-
bleau , le Peintre doit faire en forte,
autant qu'il lui fera poffible, que le
Spe&a-teur foit frapp� d'abord du
caract�re du fujet, & que du moins
apr�s quelques momens de r�fle-
xion , il en ait la principale intel-
ligence. Le Peintre peut faciliter
xette intelligence en pla�ant le
H�ros du Tableau & les principa-
lesi�gures dans les endroits les plus
,apparcns,
-ocr page 100-
■fat TriTicip'es.              f^f
spparens , fans affectation n�an-
moins-mais f�lon que le fujet, S�
la vraifemblance ie requereront.
Car l'�conomie d�pend de la qua-
lit� du fujet , qui eft tant�t pateti-
queSc tant�t enjou� ,-tant�t h�ro�-
que & tant�t populaire, tant�t ten-
dre & tant�t terrible , &'. enfin qui
demande plus ou moins de-mouve-
ment , f�lon qu'il eft plus ou moins
vif ou tranquille. Mais fi le fujet
infpire au Peintre une bonne cecono-
mie dans la diftriburion des objets,
la bonne diftribut�on de fon c�t�
fert merveille�feroent � exprimer le
fujet. Elle donne de la force ■& de
la gr�ce aux chofes qui font inven-
t�es 3 elle tire les figures de la con-
fufion, & fait que ce que l'on repr�-
sente eft plus net, plus fenfible &
plus capable d'appeller, & d'arr�ter
fon Spectateur.
Cette diftribut�on des objets en
g�n�ral regarde les Grouppes & les
Grouppes refultent.dela liaifon des
objets. Or cette.liaifon fe doit con-
E
-ocr page 101-
,�)S           -Cours de Peinture
iiderer de deux mani�res : ou , par
rapport au.Deflein feulement , op
par rapport au Clair-obfcur. L'une
& l'autre mani�re concourent � em-
p�cher la diffipation des yeux, §�
� les fixer agr�ablement.
La liai Ton des objets par rapport
feulement au Deffein, .& fans avoir
�gard au Clair-obfcur , regarde
principalement les figures humai-
nes, dont les a&ions, les conver-
sations & les affinit�s exigent fou-
vent qu'elles foient proches les unes
des autres. Mais quoique cela ne
fe trouve pas toujours fi jufte en-
tre plufieurs perfonnes qui fe ren-
contrent enfemble, il fuffit que la
chofe foit poflible , �c qu'il y ait
aflez de figures dans la compof�-
,tion d'un Tableau , pour donner oc-
cafion au Peintre de prendre fes
avantages , & de faire plaifir aux
yeux en pratiquant cette liaifon , .
iorfqu'il la jugera agr�able & vrai-
femblable.
II. eft impoffib.le de defcendre
-ocr page 102-
par Principe!.            '-yy
i dans un d�tail qui falTe voir la ma-
ni�re dont il faut traiter ces fortes
de Grouppes en particulier , on s'en
doit repofer fur le g�nie & far les r�-
flexions du Peintre. Cependantpour
en prendre une id�e jufte,& s'en for-
mer un bon go�t, on pourra confu�-
ter les beaux endroits des grands
Ma�tres en cette partie, :& entr'au-
tres de Rapha�l, de Jules Romain,
6c de Polidore. Ils ont fouvent joint
plusieurs figures d'une mani�re, o�.
l'on voit tout l'efprit, & tout l'agr�-
ment que l'on peut def�rer en ce gen-
re de Grouppes. Mais avant que d'e-
xaminer les endroits que ces excel-
�ens hommes ont lail�e pour exem-
ples, il efl bon d'�tre averti que les
liaifons dont nous avons parl�,tirent
leurs meilleurs principes du choix
des Attitudes & du Contrafte.
Du choix des Attitudes.
La partie de la Peinture qui eft
comprife fous le mot d'Attitude,
qui renferme tous les mou.vemens
Eij
-ocr page 103-
iqo . Cours de Peinture
.du corps humain, & qui demainie
une connoiff�nce exacte de la Pon-
d�ration , doit �tre examin�e � fond
dans un Trait� particulier qui a re-
lation � celui du-Deflein. Et com-
me elle eft auffi du reffort de 1a
difpofition par rapport � la forte de
Grouppedont nous parions, je dirai
feulement en cette occafton que
quelque Attitude que l'on donne
aux figures pour quelque forte de
fujet que ce puiffe �tre , il faut
qu'elle ■ rafle-voir de belles parties
autant que la nature du fujet peut
le fouffirir. Il-faut de plus, qu'elle
ait unk-tour, qui fans fortir de la
-vraifemlslance, ni du caract�re de
-la perfonne , jette de l'agr�ment
dans l'a&iqn.
JEn effet ,iln'y a rien dans l'imi-
tation o� l'on ne puiffe faire entrer
de -la gr�ce , .ou par le choix , ou
par la mani�re d'imiter. Il y a de la
gr�ce dans l'expref�ion des vices \
.comme dans celle des vertus. Les
actions ext�rieures d'un Soldat., ont
-ocr page 104-
far Principes'.          i o "
leurs gr�ces particuli�res qui coa-
viendroient mal � une femme, coms
me les actions d'une femme ont des
gr�ces qui conviendroient mal � irt�
Soldat. En un mot la connoii�ance
du caract�re qui eft attach� � cha-
que objet, & qui regarde principa-
lement les fexes, les �ges, & les
conditions , eft" le fondement dur
bon choix, 6c la four ce o� l'on puife
les gr�ces convenables � chaque fi-
gure. Il eft donc aif� devoir que le
choix des belles Attitudes fait la;
plus grande partie des beaut�s du
Grouppe. Voyons maintenant de
qu'elle mani�re le Contrafte ycon-»
tribue.
Du Contraji�,
Comme dans les Grouppes on ha
doit jamais repeter les Attitudes
d'une m�me vue, & que la Nature
r�pand une partie de fes gr�ces daus
la diverf�t�, on ne fauroit les mieux
chercher que dans la vari�t� Se dans
f'bppofition des mouvemens.
-ocr page 105-
lot         Cours de Teinture
Le mot de Contrafte n'�nVuf�t�
dans notre langue que parmi les
Peintres qui l'ont pris des Italiens.
11 lignifie une oppo/�tion qui fe. ren-
contre entre les objets par rapport
aux lignes qui les forment en tout,,
ou en partie. Il renferme non feu-
lement les differens mouvemens des
ligures, mais les diff�rentes situa-
tions des membres , & de tous les
autres objets qui fe touvent enfem-
b�e, en forte que cela paroiffe fans
affectation, & feulement pour don-
ner plus d'�nergie � I'expreffion du
fujet. Or le Peintre qui difpofe Ces
objets � fon avantage, emploie le
Contraire non feulement dans les
figures, mais encore dans les cho-
ies inanim�es, pour leur tenir lieu
d'ame , &; de mouvement. On peut
donc d�finir le Contraire. Vne op-
foftion des lignes qui forment les ob-
jets
, far laquelle ils fe font valoir l'un
l'autre.
Cette oppofkion bien entendue
donne de la vie aux objets, attire
-ocr page 106-
. par Principes.         ibj-
l'attention , & augmente le gr�ce
qui eft fi neceffaire dans les Group-
pes , dans ceux au moins qui re-
gardent le DefTein Se la liaifondes-'
Attitudes.
Nous avons dit que la premi�re
forte de Grouppes qui confifte dans
le DefTein,reg�rdoit principalement
les figures humaines. Mais les
Grouppes qui ont rapport au Clair-
o'bfcur re�oivent toutes fortes d'ob-
jets de quelque Nature qu'ils puif-
fent" �tre; Ils demandent une con-
.noiflance d�s lumi�res & des om-
bres non feulement pour chaque ob-
jet particulier ^ mais ils exigent en-
core une intelligence des effets que
ces ombres & ces lumi�res font capa-
bles de caufer dans leur affemblage,
& c'eft ce qu'on appelle propre-
ment l'artifice du Clair-oblcur dont
j'ai trait� avec toute l'exaditude
qui m'a �t� poffible en parlant du
Coloris.
Comme la principale beaut� des
Draperies confifte dans une conve-
E iiij
-ocr page 107-
i Q4         Cours de Peinture
Bable diftnbution des plis, & qu'el-
les font d'un fr�quent ufage pour
la compof�tion des Grouppes, on ne
peut s'emp�cher de regarder cette
mati�re comme d�pendante en par-
tie de la difpofttion.
Des Draperies &c.
Le Trait� que j'ai fait des Dra-i
peries doit �tre ici inf�r�. Je, p�lie
au Tout en femble.
Du Tout enfemhle.
La derni�re chofe qui d�pend de
ladifpof�tion eft le Tout enfemble.
Le Tout enfemble eft un refuir
.tac des parties qui compofent le
Tableau , enforte, n�anmoins que
ce Tout qui eft une liaifon de plu-
iieurs objets ne foit point comme
un nombre compof� de plufiears
unit�s ind�pendantes & �gales en,
rr'elles , mais qu'il relfemble � u�i
Tout politique , o� les grands ont
befoin. des petits, comme les perles
-ocr page 108-
par Principes.           105
ehtbefoin des grands. Tous les o.b-
jets qui entrent dans le Tableau ,
toutes les- lignes &, toutes les cou-
leurs , toutes les lumi�res & toutes
les ombres ne font grandes ou pe-
tites , fortes ou foibles que- pac
comparaifon. Mais quelle que (bit
�a qualit� de toutes ces chofes, &
quelque foit l'�tat o�. elles fe trou-
vent , elles' ont une relation dans
leur afTemblage,dont aucune en par-
ticulier ne peut fe pr�valoir. Cat
l'effet qui en-refaite confifte dans
une fubordmation g�n�rale o�. les.
bruns font valoir les clairs ■ rcomm'e
les clairs font valoir les brunis , &
o�. le m�rite de chaque chofe n'eft
fond� que fur une mutuelle d�pen->
dance. Ainfi pour d�finir le Tout'
enfemble, on peut dire que c'eft.
une fubordination g�n�rale des -objets
les uns aux autres ', qui les fait con-
courir tous enfemble � n'en faire-
qu'un.
Or cette fubordination qui fait
concourir les objets � n'en faire»
E � -
-ocr page 109-
i g b        Cours de Peinture
qu'un, eft fond�e fur deux chofes,
fur la fatisfadion des yeux , & fur
l'effet que produit la vif�on. C'eft
ce que je vais expliquer.
Les yeux ont cela de commun
avec les autres organes des fens ,
qu'ils ne veulent point �tre inter-
rompus dans leurs fondions , &l il
faut convenir que pluf�eurs per-
fonnes qui parleroient dans un m�-
me lieu, en m�me tems & de m�-
me ton, feroient de la peine aux
Auditeurs qui ne fauroienc auquel
entendre. Semblable chofe arrive
dans un Tableau , o� pluf�eurs ob-
jets f�par�s, peints de m�me force,
& �clair�s de pareille lumi�re, par-
tageroient & inquieteroient la vue ,
laquelle , �tant attir�e de differens
c�t�s feroit en peine fur lequel fe
porter, ou qui voulant les embraf-
i�r tous d'un m�me coup d'�il t
ne pourroit les voir qu'imparfaite-
ment.
Pour �viter donc la diffipation
des yeux, il faut les fixer agr�able-
-ocr page 110-
far Principes, ' ■ .107 "
nient par des liaifons de lumi�res ce
d'ombre , par des unions de cou-
leurs , &c par des oppofitions d'une
�tendue fuffifante, pour foutenir les
Grouppes, & leur fervir de repos.
Mais fi le Tableau contient plufieurs
Grouppes, ilfavit qu'il y en ait un
qui domine fur les autres en for-
ce &; en couleur \ Se que d'ailleurs
les objets f�par�s s'unifient � leur
fond pour ne faire qu'une maf�� ,
laquelle ferve de repos aux prin-
cipaux objets. La fatisfa&ion des
yeux eft donc l'un des fondemens
de l'unit� d'objet dans les Ta-
bleaux.
L'autre fondement de cette me-
me unit� , c'eft l'effet que produit
la vifion &. la mani�re dont elle le
fait. L'�il a la libert� de voir par-
faitement tous les objets qui l'en-
vironnent , en fe fixant fucceffive-
ment fur chacun d'eux j mais quand.
�l eft une fois fix� , de tous les ob-
jets il n'y a que celui qui fe trouve
au centre de la vifion , lequel foie
E-vj-'-
-ocr page 111-
l o 8 ' Cours de Peinture
vu clairement & diftinctement : les
autres n'�tant vils que par des
rayons obliques , s'obfcurciflent Se
fe confondent � mefure qu'ils s'�.
loignent du rayon dired. C'eft un
fait que nous v�rifions � tous les in-
ftans que nous portons nos yeux far
quelque objet..
Je fuppofe , par exemple , que
mon �il A. fe porte fur l'objet B;
par la ligne directe A. B. Il eft cer-
tain que II je ne remue pas mon �il,
& qu'en m�me tems.je veuille ob*
ferver les autres, objets qui ne font
vus que par les lignes obliques �
droit & � gauche, je trouverai que
bien qu'ils foient tous fur une m�-
me ligne circulaire � la m�me dii^
tance de mon �il, ils s'effacent &:
diminuent de force & de couleur �
mefure qu'ils s'�cartent-de la ligne
directe, qui eft le centre de la vifion.
D'o� il s'enfuit que la vifion eft
«nepreuve de l'unit� d'objet, dans
la Nature.-
Or � la Nature qui eft fage., .��
-ocr page 112-
page 108
D eniaiistmtion
d Vint/ d objet
^
.
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^''
^�«3^
-ocr page 113-
par Principes           r.o^
qui en pourvoyant � nos befoins les
accompagne de plaifirs, r�duit ain»
il fous un m�me coup d'�il plu-
fieurs objets, pour n'en faire qu'un ,
elle donne en cela un avis au Pein-
tre afin qu'il en profite f�lon que
fon Art & la qualit� de fon fujet le
pourront permettre. Il me parok
que cette obfervation n'eu: pas in-
digne de la r�flexion du Peintre,
s'il veut travailler pour la fatisfa-
etion des yeux � Texemple de la
Nature dont il eft imitateur.
Je rapporterai.encore ici Pexpe-
rience du Miroir convexe, lequel
ench�rit fur la Nature pour l'unit�
d'objet dans la vif�on. Tous les ob-
jets qui s'y voient font un coup d'�il
& un Tout enfemble plus agr�a-
ble que ne feroient les m�mes ob-
jets dans un miroir ordinaire, ��
j'ofe dire dans la Nature m�me;
( Je fuppofe le Miroir convexe d'une
naei�ire raifohnable , �c non pas de
ceux qui pour �tre partie d'unepe-t
-ocr page 114-
� t � Ccvrs de Peinture
rffce circonf�rence corrompent trop
la forme des objets. ) Je dirai en
p�flant que ces fortes de Miroirs
qui font devenus afTez rares pour-
voient �tre utilement confult�s pour
les objets particuliers, comme pour
le g�n�ral du Tout enfemble.
Apr�s tout, c'eft au Peintre � fe
c�nfulter foi-m�me fur le travail
qu'il entreprend. Car fi fon Ou-
vrage eft grand , il peut le c�mpo-
fer de plufieurs Grouppes qui apr�s
le premier coup d'�il feroient ca-
pables de fixer les yeux du Speda-
teur , par le mo�en des repos bien
m�nag�s, &de devenir � leur tour
un centre de vifion. Ainfi le Pein-
tre judicieux doit faire en forte
qu'apr�s le premier coup d'�il, de
quelque �tendue que foit fon Ou-
vrage , les yeux en puiflent jouir
fUcceffivement.
Il refte encore � parler d'un ef-
fet merveilleux du Tout enfem-
kle, c'eft de mettre tous les objets
-ocr page 115-
f�r Principes,          11i --
en harmonie. Car l'harmonie quel-
que part qu'elle fe rencontre, vient
de l'arrangement & du bon ordre.
Il y a de Pharmonie dans la Mo-
rale comme dans la Phyfique■$ dans
l� conduite de la vie des hommes,
comme dans le corps des hom-
mes m�mes. Il y en a enfin dans
tout ce qui eftcompof� de parties,
qui bien que diff�rentes entr'elles
s'accordent n�anmoins � faire un
feul Tout, ou particulier, ou g�n�-
ral. Or comme on doit luppofer
que cet ordre fe trouve dans toutes
les parties de la Peinture fepare-
ment , on doit conclure qu'elles
ont leur harmonie particuli�re.
Mais ce n'eft point affez que ces
parties ayent leur arangement &
leur juftefle en particulier , il faut
encore que dans un Tableau elles
s'accordent toutes enfemble , �c
qu'elles ne fai�ent qu'un Tout har-
monieux 3 de m�me qu'il ne fuffit
pas pour un concert de Mufique
que chaque partie fe fafTe enten-
-ocr page 116-
� i %         Cvwrs de Peinture
dre avec juftefle , & demeure dans
l'arragement particulier de fes no-
tes , il faut encore qu'elles con-
viennent d'une harmonie qui les
r�flemble, & qui de plufieurs Tous
particuliers n'en faiTe qu'un g�n�a
rai. C'eft-'ce que fait la. Peinture
par la fubordinat-ion des objets ,
des Grouppes, des couleurs, & des
lumi�res dans le g�n�ral du Ta*
bleau.
Il y a dans la Peinture differens
genres d'harmonie. Il y en a de
douce&de mod�r�e, comme l'ont
ordinairement pratiqu� le Correge
U le Guide. Il y en a de, forte &
d'�lev�e, comme celle du Giorgion^
du Titien �c du Caravage : &'il y
en peut avoir en differens degr�s, '
f�lon.la fuppontion des lieux , des
rems, de la lumi�re & des heures
du jour. La lumi�re haute dans un
lieu enferm� produit des ombres
fortes ,,& celle, qui eft en pleine
campagne demande des couleurs
vagues &. des ombres douces. Enfin
-ocr page 117-
far Principes:          i -; 3
l'excellent Peintre fait l'ufage qu'il
doit faire non feulement des fai-
sons , mais des tems3 Se des acci-
dens qui fe rencontrent dans le
ciel & fur la terre , pour en faire,
comme nous avons dit, un Tout
harmonieux.
Voil� l'id�e que je me fuis for^.
m�e de ce qu'on appelle en Peinture
Tout enfemble. j'ai t�ch� de la fai-
re concevoir comme une machine
dont les roues fe pr�tent un mu-
tuel fecours, comme un corps dont
les membres d�pendent l'un de
l'autre , & enfin comme une ceco-
nomie harmonieuf� qui arr�te le
Spectateur , qui l'entretient, Se qui
le convie � jouir des beaut�s par^
ticulieres qui fe trouvent dans le
Tableau.
Si l'on veut faire un peu de r�-
fl�xion-fur tout ce que je viens de
dire touchant la rdifpof�tion , on
trouvera que cette partie qui en.
contient beaucoup d'autres, euVd'tu.
�e extr�me confequence j puifqu'el»
-ocr page 118-
114 Cours de Peinture
le fait valoir tout ce que l'inven-
tion lui a fourni, &: tout ce qui
eft de plus propre � faire -impref-
fton fur les yeux & fur l'efpritdu
Speclateur.
Les habiles Peintres peuvent con-
na�tre par leur propre exp�rience,
que pour bien r�uffir dans cette par-
tie i� fpirituelle , il faut s'�lever au
defliis du commun , &- fe transpor-
ter, pour ainf� dire, hors de foi m�-
me : ce qui m'a donn� occafion de
dire ici quelque choie de l'Enthou-
ikfme , &■ du Sublime,
De l'Enthoufiafme.
L'Enthouftafme eft un tranfport'
de l'elprit qui fait penfer les cho-
f�s d'une mani�re fubl�me, fupre-
nante, & vraifemblable.
Or comme celui qui confidere un
Ouvrage fuit le degr� d'�l�vation
qu'il y trouve , le tranfport d'efprit
qui eft dans l'Enthouf�afme eft com-
mun au Peintre & au Speclateur ;
avec cette diff�rence n�anmoins,
-ocr page 119-
far Principes. i t f
que bien que le Peintre ait travail-
l� � pluf�eurs reprifes pour�chauf«
fer fon imagination, �& pour mon-
ter fon Ouvrage au degr� que de-
mande rEnthoufiafmejle Spe&ateur
au contraire fans entrer dans aucun
d�tail fe lailfe enlever tout � coup ,
& comme malgr� lui , au degr�
d'Enthoufiaf me o� le Peintre l'a at-
tir�.
Quoique le Vrai plaife toujours,
parce qu'il eft la bafe.�c le fonde-
ment de toutes les perfe&ions , il
ne la�ife pas d'�tre fouvent infipide
quand il eft tout feul ^ mais quand
il eft joint � l'Enthouf�afme, il tranf-
porte l'efprit dans une admiration
m�l�e d'�tonnement 5 il le ravit
avec violence fans lui donner le
tems de retourner fur lui-m�me.
J'ai fait entrer le Sublime dans
la d�finition de l'Enthouf�afme, par-
ce que le Sublime eft un effet & une
production de l'Enthouf�afme. L'En-
thouf�afme contient leSublime com-
me le tronc, d'un arbre contient fes,.
-ocr page 120-
i r '� Cours de Peinture
branches qu'il r�pand de diff�rera
c�t�s j ou plut�t l'Enthoufiafme eff
un foleil dont la chaleur & les in-
fluences font na�tre les hautes pen-
f�es, �c les conduifent dans un �tat
de maturit� que nous appelions Su-s
blime. Mais comme PEnthoufiafme
& le Sublime tendent tous deux �
�lever notre .efpric , on peut dire
qu'ils font d'une m�me nature. La
diff�rence n�anmoins qui me parole
entre l'un & l'autre, c'eft que l'En-
thoul�afme eft une fureur de veine
qui porte notre ame^ encore plus
haut que le Sublime, dont il eft la
four�e, �c qui a fon principal effet
dans la penf�e & dans le Tout en-
fembled� l'ouvrage 3 auiieu-qiie le
Sublime fe fait fent�r �galement
dans le g�n�ral, & dans le d�tail de
tontes les parties. L'Enthoufiafme
a encore cela que l'effet en efl: plus
prompt, & que celui du Sublime de-
mande au moins quelques momens
de r�flexion pour �tre vu dans tou-
te fa force.
-ocr page 121-
.far Principes.          « x-x.ft
■-'L'Enthoui�afme nous enlev� fans
que nous le fendons, &c nous trans-
porte, pour aini� dire, comme d'un
pays dans an autre fans nous en
appercevoir que.par lepla�l�r qu'il
nous caufe.. Il me paro�t, en un mot,
que l'Enthouflaime nous iaif�t, ■ �c
que nous faillirons le Sublime. Ceft
donc.� cette.�l�vation iurprenan-
;te, mais jufte , mais raifonnable
que le Peintre doit porter fo'n Ou-
vrage auffi bien que le Po�te ; s'ils
veulent arriver l'un ■& l'autre � cet
extraordinaire Vraifemblable qui
remue le c�ur ,&: qui fait le plus
grand m�rite de la Peinture ,& de
la Po�fie.
Quelques efprits de feu ont pris
l'emportement de leur imagination
pour le vrai Enthoufiafme, quoique
dans le fond Pabondance.&'Ja vi-
vacit� de leurs productions ne fuf-
fentque des fonges,de malade. Il
eft vrai qu'il y a des,fonges bizar-
res qui ave-c un peu de mod�ration
..feraient capables de mettre h.
-ocr page 122-
; � i S        Cours de Peinture
coup d'efprit dans la compof�t�on
d'un Tableau * & de r�veiller agr�a-
blement l'attention -, & les ridions
des Po�tes, comme dit Plutarque,
ne font autre chofe que des fonges
d'un homme qui veille. Mais on
peut dire auffi qu'il y a des produc-
tions qui font des fonges de fi�vre
chaude, lefquelles n'ont aucune liai-
ion, &: dont il faut �viter la dan-
.gereufe extravagance.
Il efl: certain que ceux qui ont un
;gsnie de feu entrent facilement
dansd'Enthoufiafme , parce que leur
imagination efl prefque toujours a-
git�e -, mais ceux qui br�lent d'un
feu doux , qui n'ont qu'une m�dio-
cre vivacit�,jointe � un bon juge-
ment, peuvent s'ini�nuer dans l'�n-
htoufiafme par degr�s , & le rendre
m�me plus r�gl� par la folidit� de
leur efprit. S'ils n'entrent pas fi fa-
cilement , ni fi promptement dans
cette fureur Pittc
           , pour ain-
�;fi parler, ils ne laiflent pas de s'en
|a||
                                         e que
-ocr page 123-
par '-Principes. ,ii-$
leurs r�flexions leur font tout voir
.■& tout fentir,.&: que non feule-
ment il y a plusieurs degr�s d'En-
; thoufiafme ,.mais encore plusieurs
moyens d'y arriver. Si ces derniers
ont � traiter un fuj et �crit, il faut
qu'ils le lifent plusieurs fois avec
application 3 (Si s'il| n'eft pas �crit,
il eft � propos que le Peintre choi-
f�fie entre les qualit�s de fon fujet,
celles qui font les plus capables de
lui fournir des circonstances qui
mettent fon efpnt en mouvement,,
Car par ce moyen ayant �chauff�
fon imagination par l'�l�vation de
fes penf�es, il arrivera enfin jufqu'�
i'Enthoufiafme, & jettera de l'admi-
ration dans l'efprit de fes Specta-
teurs.
Pour difpofer l'efprit � l'Enthou»
f�afme g�n�ralement parlant ,rien
n'cfl meilleur que la vue des Ou-
vrages des grands Ma�tres, & la lec-
ture des bons Auteurs Hiftoriens
ou Po�tes , � caufe de l'�l�vation
de leurs penf�es t de la nobleiTe
-ocr page 124-
?f 20        Cours de Peinture
.de leurs expreffions, & du pouvoir
que les exemples ont fur l'efpritdes
hommes.
* Longin qui a trait� du Sublime,
veut que ceux qui ont a �crire
quelque chofe qui. exige du grand
& du ■ merveilleux , regardent les
grands Auteurs comme un flambeau
. qui les �claire, & qu'ils fe deman-
dent � eux-m�mes , comment eft-ce
qu'Hom�re auroit dit cela? Qu'au-
roient fait Platon , ;Demofthene &
Thucidide ? Le Peintre peut en fem-
blable occafionfe demander � lui-
m�me , comment eft-ce que Ra-
pha�l, le Titien, & le Correge au-
roient penf�, auro�ent deffin� , au-
raient colorie , & peint ce que j'en-
treprens de reprefenter ? Ou bien,
comme dit le m�me Longin, l'on
peut s'imaginer un tribunal des plus
grands Ma�tres , devant lequel le
Peintre auroit � rendre compte de
fon Ouvrage. -Quelle ardeur ne fen-
tiroit-�l pas � la feule imagination.
>* CL t*.
-ocr page 125-
■par Principes.         ��'�
de voir tant d'excellens hommes ,
qui font les objets de fori admira-
tion , &: qui doivent �tre fes juges ?
Ces mo�ens font utiles � -tous les
Peintres, car ils enflammeront ceux
font n�s avec un puii��nt g�nie |
& ceux -que,la Nature 'n'a 'pas i�
bien
trait�s en reffenriront au niofns
quelque chaleur qui fe r�pandra fur
Jeu;s Ouvrages,
J'ai t�ch� .de .faire voir dans
mon Trait� de rin,yen.doi> de-quel-
le mani�re il falloir choif�r les ob-
jets convenables au fuj-et que le
Peintre avoit� repr�senter; Je viens
de parler dans la Difpofition de
l'ordre que ces m�mes objets d�-
voient tenir pour compofer un Tout
a vec avantage ; & c'elt ainfi 'que
par la liaifon de ces deux parties,
^'Invention & la Difpofition , j'ai
fait tous mes efforts pour donner
«ne id�e la plus jufte qu'il m'a �t�
.poff�ble, de cette grande partie de
-a peinture qu'on appelle Compo-
l�tion.
-ocr page 126-
Ij2.2          Cours de -Peinture
REPONSES 4 QVELQVES
ObjetJions.
ENtre les objections qu'on pour-
roit me faire, j'en trouve deux
auf quelles il elt bon de r�pondre.
L'une eft contre l'unit� d'objet, &
l'autre contre l'Enthoufiafme.
On peut dire contre le premier,
que la d�monftration que l'on a fai-
xe de la vifion pour �tablir l'unit�
d'objet, la d�truit enti�rement^ par
la raifon qu'il n'eft pas necelfaire
de d�terminer l'�il, puifqu'en quel-
que endroit du Tableau qu'il fe por-
te, il fe d�terminera naturellement
lui-m�me, & fera l'unit� d'objet,
fans qu'il fait autrement befoin
d'avoir recours aux principes de
J'Art.                      r ^
A cette objedion l'on r�pond-
deux chofes. La premi�re , qu'il
n'eft pas � propos de laiifer � l'�il
-ocr page 127-
far Principes.          115
la libert� de vaquer avec incertitu-
de , parce que s'arr�tant au hazard
fur l'un des c�t�s du Tableau , il
agiroit contre l'intention du Pein-
tre, qui auroit plac� , f�lon la vrai-
semblance la plus approuv�e , fes
objets les plus effentiels dans le
milieu, & ceux qui ne i�roient qu'ac-
cei�cii-es dans les c�t�s : car il ar-
rive fouvent que de cet ordre d�-
pend toute l'intelligence de /a pen-
f�e. D'o� il s'enfuit qu'il faut fixer
l'�il ,-& que le Peintre doit le d�-
terminera l'endroit de fon Tableau
qu'il jugera � propos pour l'effet de
fon Ouvrage.
La f�conde chofe que l'on r�-
pond , c'eft que dans les fens tous
les objets qui regardent les plaiiirs,
;ne demandent pas feulement les
agr�mens qu'ils ont re�us de la Na-
ture ; ils exigent encore les fecours
que l'Art eft capable de leur don-
ner pour rendre leurs effets plus
ienfibles.
Par la f�conde objedion, l'on
Fij
-ocr page 128-
a 1.4 Cours de Peinture
p�mrroit me dire que PEnthoufiaf-
me emporte fouv�nt trop loin cer-
tains G�nies , �■-& pafTe par deflus
beaucoup de fautes fans les apper-
.cevoir. A quoi il feroit aif� de r�-
pondre que cet emportement n'eft
plus le v�ritable Entnouf�afme-,puif-
. qu'il pafTe les bornes de la jufteiTe,
&: de la vraifemblance que nous lui
avons donn�es.
j'avoue qu'il paroit qu'un des ef-
-fets de l'Enthoufiafme eft de cacher
fouvent quelque d�faut � la faveur
du tranfport commun qu'il nous
caufe 3 ce qui n'eft pas un grand
malheur..Car en effet l'Enthouf�af.
meavec quelques d�fauts, fera tou-
jours.pr�f�r� � une m�diocrit� cor-
recte 3 parce qu'il ravit l'ame, fans
lui donner le tems de rien exami-
ner, & de refl�chir fur le d�tail de
chaque choie. Miiis ,� proprement
parler, cet-effet n'eft pas tant de
l'Enthoufiafme que de notre efprit.,
qui s'en la�fTant p�n�trer , pafTe
quelquefois au del� des born-es de
la vraJfemblance.
-ocr page 129-
far Principes]          rz'f'
Si on vouloir encore m'ob'jec�er
que tout ce que je- dis de l'Enthou-
iiafme peut �tre attribu� au Subli-
��ie5 je repondrois que cela d�pend
de Tid�e que chacun attache � ces
deux mots, � quoi je f�rois toujours
difpof� � m'accommoder, nonob-
ftant la diff�rence que j'en ai expli-
qu�e dans le corps de ce Difcours.'
#Sp
-ocr page 130-
il�        Cours de Peinture
DV DESSEIN.
LE mot de Deflein par rapport
� la Peinture, Te prend de trois
mani�res : ou il repr�sente la penf�e
de tout l'Ouvrage avec les lumi�res
&, les ombres , & quelquefois avec
les couleurs m�mes, 6c pour lors il
n'eft pas regard� comme une des
parties de la Peinture , mais com-
me l'id�e du Tableau que le Peintre.
m�dite : ou il reprefente quelque,
partie de figure humaine, ou quel-
que animal, ou quelque draperie,
le tout d'apr�s le naturel , pour
�tre peint dans quelque endroit du
Tableau , bc pour fervir au Peintre
comme d'un t�moin de la v�rit�, �c
cela s'appelle une �tude ; ou bien
ileftpris pour la circonfcription des
objets, pour les mefures�c les pro-
portions des formes ext�rieures -y Se
c'eft dans ce fens qu'il eft; une des.
parties del� Peinture,
-ocr page 131-
far Principes.          �i"f
Si le DefTein eft , comme il cil-
vrai , la circonfcription des formes
ext�rieures, s'il les r�duit dans les
mefures &. dans les proportions qui
leur conviennent, il eft vrai de dire:
aufli que c'eft une eipece de cr�a-
tion, qui commence � tirer comme
du n�ant, les productions vifibles
de la Nature , qui font l'objet du
Peintre.
Quand nous avons parl� de l'In-
vention , nous avons dit que cette
partie dans l'ordre de l'ex�cution
�toit la premi�re. Il n'en eft pas de
m�me dans l'ordre des �tudes, o�.
le defTein doit s'apprendre avant
toute chofe.
Il eft la clef des beaux Arts v c'eft
lui qui donne entr�e aux autres par-
ties de la Peinture y c'eft l'organe
des nos penf�es,. l'inftrument de
nos d�monftrations, �c la lumi�re
de notre entendement. C'eft donc
par lui que les jeunes Etudians doi-
vent non-feulement commencer ,
mais c'eft de lui qu'ils doivent conv
-ocr page 132-
128         Cours de Peinture
trader une forte habitude , pour-
acqu�rir avec plus de facilit� la con-
noif��nce des autres parties dont il
cil le. fondement.
Le DeiTein �tant donc le fonde-
ment de la Peinture , on ne fauroit
prendre trop d� foin pour le-ren-
dre folide, & pour fo�tenir un �di-
fice compof� d'autant de parties
qu'eft celui de la Peincure. A�nll je
t�cherai d'en parler avec tout l'or-
dre que demande.une,connoifTance
fineceflaire.-
Je regarde dans le Derfein plu-
sieurs parties d'une extr�me necef-
i�t� � quiconque veut devenir habi-
le , dont voici les principales. La
Correction, le bon Go�t, l'Elegan-
ce, le Caract�re, la Diverf�t�, PEx*
prei�ion �c la Perfpe&ive.
De la Corre�tion>
Correction eft un terme dont les
Peintres fe fervent ordinairement
pour- exprimer l'�tat d'une Defl�ia
-ocr page 133-
far Principes.           i zy
qui eft exempt de fautes dans les
mefures. Cette Corre&ion d�pend
de la jufteffe des Proportions, & de
la connoiflance de l'Anatomie.
Il y a une proportion g�n�rale
fond�e fur les mefures les plus con-
venables pour faire une belle figure.
On peut confulter &: examiner ceux
qui ont �crit des Proportions, 8c qui
ont donn� des mefures g�n�rales
pour les figures humaines, iuppof�
qu'ils ayent eux-m�mes confuit� �
fond & la Nature & la Sculpture
des Anciens.
Mais comme dans chaque efpece
que la Nature produit, elle n'eft pas
d�termin�e � une feule forte d'ob-
jet, & que fa diverfit� fait une de
fes plus grandes beaut�s �, il y a auf-
i� des Porportions particuli�res, qui
regardent principalement les fexes,
les �ges, & les conditions, & qui
dans ces m�mes �tats trouvent en-
core une infinie vari�t�. Pour ce qui
eft des Proportions particuli�res ,.
^Natureen fournit autant qu'il y
-ocr page 134-
130 Cours de Peinture
a d'hommes fur la terre, mais pour-
rendre ces Proportions juftes &c a-
greables, il n'y a que l'Antique dont
la fource eft dans la Nature , qui
tmifle fervir d'exemple , & former
une folide id�e de la belle diverfit�.
Plusieurs habiles Peintres ont me-
fur� les figures Antiques dans tou-
tes leurs parties, &c ont communi-
qu� � leurs El�ves les �tudes qu'ils
en ont faites. Mais fi ces d�monf-
trations n'ont pas �t� rendues, ni
affez publiques , ni allez exa&es,
nous avons en France en notre pof-
feffion un nombre plus que. furfilant
de belles Statues Antiques, ou Ori-
ginales , ou moul�es fur les Origi-
naux , d'o� un chacun peut tirer
les lumi�res 6c les d�tails neceflai-
res pour (on inftruch'on.
Ce qui eft.de certain , c'eft qu'il
eft impoffible de fe pr�valoir des
mefures des figures Antiques, fans
les avoir �tudi�es exa&ement, fans
les avoir deffih�es avec attention ,
& fans les avoir donn�es en garde �
-ocr page 135-
par Principes.           i "3 1
� fa m�moire apr�s quelque tems
d'une parcique opini�tr�e. Vafari
fait dire � Michelange que le Cam-
pas doit �tre dans les yeux^& non pas
dans les mains.
Ce beau mot" a �t�
bien re�u de tous les Peintres : Mais -
Michelange n'a pu. le dire, & les
autres n'ont p�t lui donner cours ,,
qu'en fuppofant une habitude des ■
plus belles Proportions.
Comme c'eft de l'Antique- que
l'on doit non-feulement tirer ce
qu'il y a de meilleur pour les Pro-
portions, mais qu'il contient enco-
re plufieurs chofes qui conduifent
au fublime &. � la perfection , il eft
necerfaire de s'en faire \ autant qu'il
eft poffible\ une id�e nette , q�ifo�t
fo�tenue de la raifon. Nous consi-
d�rerons donc l'Antique dans fon
origine , dans fa beaut�, pi dans fon -
utilit�.
De l'Antique.
Quoique le mot: VAntique pris
dans la force de fon origine, f�gni-
Fvj
-ocr page 136-
� 3 2         Cours de Peinture
fie tout ce qui eft ancien , on ne le
prendra ici que pour les Ouvrages
de Sculpture qui ont �t� faits dans
le fiecle des grands Hommes, qui
�toit celui du grand Alexandre, o�
les Siences &. les beaux Arts �toient
dans leur perfe&ion. Ainfi je croi
devoir �pargner � mon Ledeur l'en-
nui que je lui donnerois , il je vou-
lois rapporter ici les noms des pre-
miers Sculpteurs, qui par une lon-
gue fuite d'ann�es ont pris la Sculp-
ture dans fon berceau, pour la con-
duire jufqu'� l'�ge o� elle d�voie
arriver � cette perfection qui m�ri-
te , pour ainfi dire , le nom d'Anti-
que que nous lui attribuons aujour-
d'hui.
       
Les louanges que l'on donna pour
lors aux exceilens Ouvrages, aug-
menta le nombre des bons Sculp-
teurs j �c la quantit� de Statues que
l'on �rigeoit aux gens qui fe faifoient
diftinguer par leur m�rite , aufRbien
que les Idoles dont on ornoit les
Temples, donnoient de plustn plus
-ocr page 137-
par Principes.          13"
��tatiere aux grands G�nies de s'e-
xercer , & de perfe&ioner leurs Ou-
vrages � l'envie les vins des autres.
Ce fut en ce tems-la que Policle-
t� l'un des plus grands Sculpteurs -
del� Gr�ce, s'avifa de faire une
Statue qui eut toutes les proportions
qui conviennent � ttn homme par-
faitement bien- form�. Il f� fervit
pour cela de plufieurs mod�les na-
turels , & apr�s-avoir r�duit fon Ou-
vrage dans la derni�re perfe&ion,
il fut examin� par les habiles gens
avec tant d'exactitude , �c admir�
avec tant d'�loges", que cette Statue
fut d'un commun confentement ap-
pell�e la R.egle , & fut fuivie en g�,
n�ral par tous ceux qui cherchoient
aie rendre habiles. Il eft aflez vrai-
femblable que cette exp�rience
ayant r�uffi pour un fexe, on en f�t
autant pour un autre, & qu'on la
pouffa m�me � la diverfit� des �ges �
&ides conditions.
Il me paro�t que c'cft � cePolicle-
te:que l'on peut raifoanablemeii-
-ocr page 138-
x *3 4. ' Cours de Peinture
xer l'origine des merveilleux Ouvra-
ges que nous appelions Antiques y
puifqu'on les avoit d�j� port�s au
degr� de perfection o� nous les
voyons. Les Sculpturs de ces tems- ^
la continu�rent de donner des mar-
ques de leur habilet� jufqu'au r�gne
de l'Empereur Galien, environ l'an
360. que les Gots ravag�rent la
Gr�ce fans connoiflance, & fans au-
cun refpecl pour les belles chofes.
Mais puifque. nous regardons les-
proportions de l'Antique comme les
mod�les de la perfe&ion , il eft de-
l'ordre naturel de parler ici de fa-
beaut�.
De la bes.ut� de l'Antique.
Quelques-uns ont d�t que la beau-
t� du corps humain confiftoir. dans
un juft� accord des membres entr'-
eux par rapport � un Tout parfait $
d'autres la mettent dans un bon
temp�rament*, dans une vigoureufe ■
i�nte, o� le mouvement &. la pure-
-ocr page 139-
f-ar Principes. .        ■i^'J"
t� du f�ng r�pandent fur la peau des <
couleurs �galement vives & fra�-
ches. Mais la commune opinion
n'admet aucune d�finition du Beau,
Le Beau, dit-on-, n'eft rien de r�el,
chacun en juge f�lon fon go�t, en
un mot,.que le Beau n'�ft autre
chofe que ce qui pla�t..
Quoi qu'ilen foit, peu de fenti�
mens ont �t� partag�s fur la beau-
t� de l'Antique. Les gens d'efprit
qui aiment les beaux Arts ont efti-
m� dans tous les tems ces merveil-
leux Ouvrages, c'eft-�-dire, non
feulement aujourd'hui qu'ils font ra-
res , mais dans les tems que touc
�toit plein de Statues , &. qu'elles
�toient dans la Gr�ce �c dans Ro-
me, comme un autre peuple. Nous
voyons dans les anciens Auteurs
quantit� de partages, o� pour louer
les beaut�s vivantes, on les compa-
rait aux Statues. Les Sculpteurs, dit
Maxime de Tyr, par un admirable
artifice choififsent de plufieurs corps les
farties qui leurfcmblent les plus belles
3
-ocr page 140-
� 3 6 Cours de Peinture' '
& ne font de cette diverfit� qu'une fe'u'i
I� Statue. Mais ce m�lange eft fait avec
tant de prudence &fi � propos, qu'ils
femblent n'avoir eu pour mod�le qu'une
feule & parfaite Beaut�. Et ne vous
imagine^ pas
, pourfuic le m�me Au-
teur , de pouvoir jamais trouver une
beaut� naturelle
, qui le difpute aux
Statues
5 l'Art a toujours quelque cho.
fe d�plus parfait que la Mature. Ovii
de dans le � i. de Tes M�tamorpho-
fes, o� il fait la Defcription de CyU
l�re , le plus beau des Centaures,
dit, qu'il avoit une fi grande vivacit�
dans le vifage
, que le col, les �paules ,
les mains , & i'ef�omac en �taient fi
beaux
, qu'on pouvait ajj�rer qu'en tout
ce qu'il avoit de l'homme
, c'�tait la m�±
me beaut� que l'on remarque dans les
Statues les'plusparfaites.
Et Pliiloftra-
te parlant d'Euphorbe , dit que f�,
beaut� avoit gagn� le c�ur des Grecs
5
& qu'il �toit fi approchant de la beau~
t� d'une Statue qu'on l'aurait fris pour
Apollon.
Et plus bas parlant de la
beaut� de Neoptoleme, 6c de la reL
-ocr page 141-
par Principes.-          r3 T
femblance qu'il avoic avec Ton p�re
Achille , il die ■'-, .Qu'en beaut� fin p�-
re avait autantd'avantage fur lui, que
les Statues en ont fur les beaux homme s.
Ce n'etoit pas feulement chez les
Grecs que l'on �rigeoit de Statues
aux gens dem�rite,&- qu'on-s'en fai-
foit des Idoles ; le Peuple Romain
fe fervoit des m�mes moyens pour
recompenfer l�s grandes actions, Se
pour honorer, leurs Dieux. Les Ro-
mains dans la conqu�te de la Gr�ce
en enlev�rent ' non-feulement les
plus belles Statues 5 mais enemme,
nerent les meilleurs Ouvriers qui en
�nffcruifirent d'autres, �c qui ont laif-
f� � la Pofterit� des marques �ter-
nelles de leur favoir, comme nous
le voyons par tant d'admirables Sta-
tues , par tant de Buftes, par tant
de Vafes, Se tant de Bas-reliefs, Se
par ces belles Colonnes Trajane Se
Antoniane. Ce font toutes ces Anti-
quit�s que l'on doit regarder com-
me les v�ritables fources o� il faut
que les Pein';res.Se les Sculptures ail-,
-ocr page 142-
r5§         Cours de Peinture
lentpuifer eux m�mes, pourrepanl
dre une beaut� folide>fur ce que leur
g�nie pourra d'ailleurs leur infpirer.
Les Auteurs Modernes ont fuivi
ces m�mes fentimens fur la beaut�
de l'Antique. Je rapporterai feule-
ment celui de Scaliger. Le moyen ,.
dit-il, que nous puifions rien voir qui
approche de la perfeBion des belles Sta-
tues
, puifqu'il efi permis � l'Art de
ehoifir,. de retrancher
, d'ajouter y�e
diriger, & qu'au contraire la Nature
s'eft toujours alt�r�e depuis la cr�ation
du premier homme
, en qui Dieu joiyniP
la beaut� de la forme � celle de l'in-
nocence,
-ocr page 143-
par Principes.           i 59-'
Traduction litt�rale E*Rubenio..
du Latin de Rubens.
De l'Imitation desSta- De ^"at�Me Stattl
rum.
tues Antiques*
IT        1 r» �        A Liis uriliff�ma.,-
LyadesPem-   J\a��s damnofa.
tr�s a qui 1 1-  ufqUe ad extermi-
mitation des Sta-  nium Artis. Gonclu-
tues Antiques eft  do tamen ad'fum--
tr�s- utile , & �   mum ejus perfe&io-
d'autres dange-   nem efl� neceflariam
r r > \ 1     earum intelligen-
reuie lulqua la ■ . .&,... .
. _ >n. *■ ,        tiam , �mo imbibi--
deltrudion de      tionem:fedjudicios�
leur Art. Je con-
   applicandum earum
due n�anmoins
    ufum&omnino ci-
que pour la der-
   tra faxum. Nam plu-
niere perfection
    resimperiti& etiam
de la Peinture, il   Periti non diJing�t
n , rr .. /.      materiam a forma ,
eft neceiTaire d a-   Faxum figura ^
voir l'inteUigen-   neceffitatem mar-
ce des Antiques ,  moris ab aitiScio.
voire m�me d'en �tre p�n�tr�; mais
qu'il eft n�ccft�ire. auffi que l'ufage
-ocr page 144-
!i4-o          Cours de Peintur�
en foit judicieux ,..& qu'il ne fente
Ja pierre en fa�on quelconque. Car
l'on voit des Peintres ignorans, &;
m�me des S�vans qui ne faventpas
diftinguer la mati�re d'avec la for-
me , la figura d'avec la pierre, ni la
-l��ceflit�; o� eft le Sculpteur de fe
f�rvir du marbre d'avec l'artifice
dont i� s'emploie.
TJna autem maxi- fl eft cMlftanc.
maeitbtatuarum op-
          . r            .
rimas utiliffimas uc que lesStatuestes
plus belles font
tr�s-utiles, com-
me les mauvaifes
font inutiles �c
m�me dangereu-
fes : Il y a de
viles �butiles efle,vel
etiam damnofas :
Nam Tyrones ex iis
nefcio quid cmdi ,
termin�t! & diificilis
moleftaque Anatd-
mix dum trahunt vi-
dencurProf�cere,f�d  jeunes ,. Peintres
inopprobrium Na-   qui s'Imaginent
turas, dumprocarne   �tre bien avari-
marmor coloribus     ces, quand ils ont
tantumreprzfewant.  t{r(L de ces figures
Muha funt enim no-   � �Q r °- iQ .
, � � .         je ne lai quoi de
tanda �mo &c vitan-   K , * . ,
da etiam in opti-   dur, de termine,
mis accidentia ci-   de difficile & de -
�raculpam-Artincis   ce qui eft plus �* -
-ocr page 145-
far Principes.            a^�
�pineux dans l'A- pra;cipu� differentia.
.natomie : mais umbrarum , cum ca-
tous ces foins io Pelh; ' ,�arcla"
, , , -         so iua diaphanitate
vont a la honte ^ uka lenia^ u
delaNature,pmf- pjtja -m 5tacujs n;_
qu'au lieu d'imi- gredinis & umbrae
ter la chair , ilsne quae fua den�tate fa-
repref entent que .xumduplicatinexo»
du marbre teint «bilnerobviuni.Ad-
i ». /-
                de aaaidam macca-
de diveries cou- ' , ,            '
. -                               turas ad omnes mo-
kUrs. -Car il V tus variabiles & faci-
,a plufieurs accl -litate.peilis aut di-
. dens � remar- mi�fasaut contractas
,qi:ervouplut�t� � Scatuariis vulgp
�viter dans les evitatas>optimis ta-
Statues m�me les TOaliW*nd° ad-
, , ;,         , r miHas, Picturas cer-
plus belles, -ief- t6fbdcum modera_
.quels ne viennent   tipne neceflarias.Lu-
point de la faute
   mineetiam ab omn�
de l'Ouvrier. Ils
   humanitate alienifl�-
confiftent princi-
   m.^ diff�rant lapidep
palement.dans h
   Me�°*e r& afPsra-
diff�rence Aes
   ^ce ftpecflcws.ina-
, A
            gis �levante ac par
ombres ;vu que
   eft,aut faltemoculqs
la chair, la peau,
   fafcina-nce.\
les cartilla-ges.,-par leur.qualit� dig-
-ocr page 146-
erjpz         "Cours de Peinture
phaneadoucif�ent, pour aini� dire.,
la duret� des contours, &c font �vi-
-:ter beaucoup d'�cueils qui fe trou-
vent dans les Statues, � caufe de leur
., ombre noire qui par fon obfcurit�
fait paro�tre la pierre, quoique tr�s-
opaque , encore plus dure & plus
.opaque qu'elleri'eit en effet.Ajoutez
a cela qu'il y a dans le naturel cer-
tains endroits qui changent f�lon
les divers mouvemens, & quia cau-
fe de la foupleffe ds la peau font
quelquefois,, tant�t unis & tendus,,
&. tant�t plies &; ramaff�s, que les
Sculpteurs pour l'ordinaire ont pris
loin d'�viter ; mais que les plus lia-
�b�les n'ont pas n�glig�s,&;qui font
.abfolumentneceflaires dans la Pein-
ture, pourvu qu'on enufe avec mo-
d�ration. Non feulement les ombres
-des Statues, mais encore leurs lu-
mi�res font tout � fait diff�rentes de
celles du naturel'; d'autant que l'�-
clat de la pierre 6c l'�pret� des jours
�dont elle eft frapp�e �l�ve la fuper-
fcieplus qu'il ne faut, ou du moins
-ocr page 147-
far Principes,             «43
-font paro�tre aux yeux des dhoi�s
qui ne doivent point �tre.
Celui qui par � ■ , ...
�ine mure difcre- . ~,;p -1 >
. r        r � 1 *i difcretione-lepera-
:tion iaura faire le verit, statuas comi-
difcernement de ,nns ampleftetur ;
toutes ces chofes, nain quid in hoc er-
ne peut cqnfide- roneo fsculo d�ge-
ler avec trop d'at- neres .poflumus ,
mention les Sta- W» y°�is Geniu*
,                  . nos humi detinet ab
tues Antiques, ni heroico illo immi
les �tudier trop  nutos �ngenio judi-
loigneufement :   cio : feu Pattum ne-
puifque dans les  -bu]� fufci fumus fuae
�fiecles erron�s o�  voluntate Deum ad
nous vivons,.noas   pejora lapf� .poft-
r r ,, .    quam lapu non re-
lommes rorteloi-    x � ■ r ,
, .               mitumuraut vetera-
gnes de rien pro- fcente mundo inde-
Alire de fembla- boliti irrecuperablM
ble , foit que la damno,feuetiamcl)«=
bafTeffe de notre je&um naturali an-
cenie nous tien- xiw'Korigini Per-
S rempans & ne ^ionique .propius
■*■                   orrerebatultrocom-
nous permette -paftum quod nunc
pa.5 d'aller jufqu> feculorum f�nefcGtfc
-ocr page 148-
14-4 ' Cours de Peinture
c��m defedu ab ac-   o� les Anciens
, cidentibus , comip-   font arriv�s par
tum nihil f��r'etinmt   jeur jU�rement &
delabente in pluia   par leur eforit ve-
perkctione iucce -   r. , , L ,
dentibas. vitiis : Ut  noblement h e-
etiam.Stature homi-  ro�que j ou bien
'num «jultomm fen-   que nous lovons
;cenciisprobaturpau-   envelopp�s des
iattm decrefeencis   m�mes t�n�bres
quippeprofamfacri-  Q^ nQS p�res
due de Heirolim , Gi-
~ , ' ont v�cu : ou que
gue xvo multa qui- D*eu permette
djm fabulofaaliqua qu'ayant n�glig�
tamen vera narrant de nous retirer
. fine dubio.               d'une erreur dans
laquelle nous �tions tomb�s, nous
allions de mal en pire : foit encore
que par un dommage irr�parable il
�rriveque nos efprits s'affoibliirent&
fc Tentent de la vieillefle du-monde.:
foit enfin que les corps humains
ayant �t� dans les f�ecles pail�s-plus
pr�s de leur origine & de leur perfe-
�lion v fe foient trouv�s des mod�les
parfaits & ayent fourni naturelle-
-ocr page 149-
far Principes.          54.5
ment toutes les beaut�s que nous
�le reconnoiflbns plus aujourd'hui
dans la Nature. La perfection qui
�to�t une , s'eil poflible partag�e
de afFoiblie par les vices qui lui ont
fucced� ini�nfiblement 5 de forte
que cette corruption feroit venue �
tel point, qu'il femble que les corps
ne foient plus les m�mes, ainf� qu'on
pourro�t le conjecturer par les �crits
que nous ont lail�e plufieurs Au-
teurs tant facr�s que profanes, lef-
quels nous ont parl� de la ftature
ancienne des hommes en la perfon-
ne des H�ros , des Geans, & des
Cyclopes 5 & fi en cela ils nous ont
cont� beaucoup de fables, ils nous
;ont dit fans doute quelques v�rit�s.
La principale Caufa prscipuaqu�
raifon pourquoi noftri *vi horaines
les corps hu- diff�rant. ab_ Anci-
rj
               emis eftignavia&in-
mains de notre ?xercicat&um vivendi
tems font difte- genus. qUippeefl�-,
rens de ceux de bibere nulla exerci-
fantiquit� , c'eft tandi corporis cura.
-ocr page 150-
T a & Cours de Peinture
Igitur prominet de- la p�ref�e ,. l'oin-
pceffumventrisjonus vet�,�de peu d'e~
femper affidua reple- xercjce qUe l'on
tumingluvie crura fa;t . car la plu,
SconfcS! Pf» des homme,
tr�antiquit�somnes 11 exercent leur
quotidie in palaeftris corps qu'a boire
Se gymnafiis exerce- & � faire bonne
bantur violenter, ut cnere. Ne vous�-
rer� dicam.nim^ ad tonnex ^oac pas
fudorem, ad laffitu-
             ^ f�&
d nem extremam ul-                     
que VideMercuria- fe fur graille , on
lem de Arte Gym- a un ventre gros
naftica , quam va- & charg� , des
rialaborum g�nera, jambes molles 5c
quam difficiha , enerv�es, & des
quamrobuftahabue-
                . fe fe_
tut tantoper�,venter m�mes leur oih-
reftringebatur abdev vet�. Aulieu que
mine in carnem mi- dans l'Antiquit�
grante. Et quidquid jes nommes s'e-
in cor pore homano xer�oienttous les
excitando paffivcfc J dans ks A.
habent : nam bra- iw l
               ..
chia,erura,cervix, cademies& lieux
-ocr page 151-
par Principes.           147
publics deftin�s fcapuli &: omniaquas
aux exercices du agunt alliante na-
ce n &r
        f tura iuccum ca-
r . P » � P - lore attra&um fub-
foient m�me fou- miniftrante in im_
vent ces exer-  menfum augentur &
cices jufqu'� des  crefcunt-,utvidemus
fueurs & des laf-  terga Getulorum ,
fitudes extr�mes,  brachia Gladiato -
Voyez dans le IL rum 'fura Saltfn"
; , , .
        tium & totum fere
yre qu a �crit             s Remi
Mercunalis tou -                                 *
chant l'Art Gyrrmaft�que, en com-
bien de fa�ons diff�rentes ils tra-
vailloient leurs corps,& quelle force
il falloit avoir pour cela. Dans le
v�rit� rien n'�toit meilleur poua
faire fondre les parties trop molles
�c trop grades d'oifivet� que ces
fortes d'exercices : la panfe te reti-
roit, & tous les endroits qui �toient
agit�s fe changeoient en chair &
fortif�oient les mufcles : car les bras ,
les jambes, le cou Jes �paules, &
tout ce qui travaille �tant aid� de
la Nature qui attire par la chaleur
un fuc dont elle les nourrit, pren-'
G il
-ocr page 152-
�4-8 Cours de Peinture
nent de la force, cro�flent & s'aug-
mentent extr�mement, ainfi que
nous le voyons au dos des Getes 5
aux bras des Gladiateurs, aux jam-
bes des Danfeurs, & prefque � tout
le corps des Rameurs.
Rubens, dans un Manufcr�t La-
tin qui eft entre mes mains, en par-
le de cette forte. Jai rapport� fes
propres paroles pour autorifer la
fid�lit� de la Traduction. De Imita-
tione jiatuarum, Jlliis titiliffima &c.
Enfin la louange des gens d'ef-
prit, les t�moignages des Auteurs �
&c l'eftime univerfelle des fieclesles
plus �clair�s : toutes ces chofes ,
dis-je, qui font les plus forts pr�-
jug�s en faveur de l'Antique, ne
fervent pourtant qu'� confirmer
cette unique raifon de fa beaut� ,
favoir s que l'Antique n'eft beau
que parce qu'il eft fond� fur l'imi-
tatrbn de la belle Nature dans la
c onvenance de chaque objet qu'on
a voulu reprefenter. Un Dieu , un
H�ros , &. un Homme ordinaire:
-ocr page 153-
far Principes.          ^49
©fit des e�ra&eres difFerens que l'on;
remarque dans les plus belles «Sta-
tues antiques. Coi�)me,par exemple 5
dans l'Apollon , la Divinit� ; dans
l'Hercule la force extraordinaire *
& dans l'Antinous la beaut� hu-
maine.
Le Go�t de l'Antique, me dira-
t-on, quiparo�t fond� fur le com-
mun contentement des gens d'ef-
prit, a pourtant vari� du tems des
Gots.
Mal* &&� peut r�pondre que la
mani�re gottique elt venue" dans un:
tems o� la guerre ayant fait p�rir
les beaux Arts , les Ouvriers n'eu-
rent point d'autre objet pour les re-
nouveller que l'imitation de la Na-
ture telle qu'elle fe prefentoit par
tazard ; & que pour les ornemens »
leur imagination s'exer�oit plut�t
dans les chofes difficiles, qu'ils
croyoient leur devoir acqu�rir de
la r�putation , que dans le bon go�t
qu'ils ne connoi��bient pas.
Ce n'efl donc point pour avoir
G iij
-ocr page 154-
i f © Cours de peinture
rejette l'Antique que les Gots s'en
font �cart�s, c'en: pour ne l'avoir
pas connu. Tous les Arts ont com-
menc� par imiter la Nature , & ils
ne fe font perfectionn�s que par le
bon choix. Ce bon choix qui fe
trouve dans l'Antique , a �t� fait par
des hommes d'un bon efprit, qui
cherchoient la gloire par la fcience,
& qui ont examin� pour arriver �
leur fin , les mod�les les plus par-
faits , dans une pa�s o� les hommes
naiffent naturellement beaux , &
dans un tems fertile en grands g�-
nies , o� les beaux Arts �toient af-
fiduement �tudi�s , approfondis
dans leur fource } & pouffes dans
une perfe&ion qui eft encore au
jourd'hui l'objet de notre �tonne-
ment.
Que pourroit-on faire davanta-
ge pour donner � la Pofterit� une
grande id�e de l'Antique, une id�e
prife non d'un pratique infipide ,
ou d'une mani�re exag�r�e que les
Difciples prennent des Ma�tres ,
-ocr page 155-
far Principes.           i 5 i
d'un efprit born� 8c d'une capacit�
m�diocre : mais d'une id�e qui n'a
point d'autre fource que la Nature
dans laquelle le Vrai paro�t dans
toute fa puret�, dans toute fon �l�-
gance , dans toutes fes gr�ces , &
dans toute fa force , fans jamais for-
tir de fa fimplicit�. Voil� l'int�r�t
qu'ont tous ceux qui deffinent, de
regarder le nud de l'Antique com-
me la Nature �pur�e, & comme la
r�gie la plus affur�e de la perfec-
tion.
Mais comme il efr. inutile de vou-
loir profiter de la vue des belles
chofes fans les bien concevoir , il
eft impoffible de p�n�trer la beaut�
de l'Antique, non plus que le Vrai
de la Nature , fans le fecours de
TAnatomie. On peut bien en voyant
& deflinant l'Antique acqu�rir une
eertaine grandeur de DefTein, &; fe
faire en gros une pratique qui tend
au bon go�t & � la delicatefle : mais
ces avantages , s'ils font fans con-
noii��nce & fans principes, n'iront
-ocr page 156-
i f �         Cours de Peinture
qu'� �blouir le Spectateur par urt
dehors fp�cieux , & par des remi-
nifcences mal plac�es. Et tel qui s'ex-
taf�e � la vue de ces beaux Ouvra-
ges de l'Antiquit�, eft encore fort
�loign� de favoir la v�ritable four-
ee des beaut�s qu'il admire, � moins
qu'il ne f�che cette partie fonda-
mentale du DefTein , je veux dire,
de l'Anatomie.
J'ai donc � faire voir que l'A-
natomie eft le v�ritable fondement
du DeiTein, & que cette fcience f�rt
� d�couvrir les beaut�s de l'Anti-
que. Je ferai voir en m�me tems que
la connoil��nce qui en eft necenai-
re au Peintre & au Sculpteur, eft
tr�s facile � acqu�rir, Si que la n�-
gligence que l'on a eue pour l'ap-
prendre, ne vient que de ce qu'on
l'a regard�e comme un chemin qui
conduifoit dans une fecherefl� de
DefTein , & dans une mani�re trop
reiTentie. Mais ceux qui voudront y
faire un peu,de r�flexion, conno�-
tront au contraire qu'elle eft la ba~
-ocr page 157-
far Principes:          r 5 f
fe folide de la v�rit� & de la cor-
rection des contours, bien loin d'en
corrompre la puret� & d'alt�rer
les mufcles dans leurs liaifon^,
J'ai �crit autrefois fous un nom-
emprunt� * un abr�g� d'Anatomie
accommod� aux Arts de Peinture
&; de Sculpture, dans lequel les d�-
ni onftrations font fort fenfibles , &
j'en dirai encore ici quelque chofe
pour en faciliter d'autant plus l'in-
telligence , que ceux qui en ont be-
fbin croient qu'elle eft. fort dif-
ficile.
De l'Anatomic
L'Anatomie eft une connoi���n-
ce des parties du corps humain y
mais celle dont les Peintres ont
befoin, ne regarde � la rigueur que
les os ,: & les principaux mufcles
qui les couvrent ; 6c la d�monftra-
t��rtde ces deux chofes fe peut faire
avec facilit�. La Nature nous �
donn� des os pour la folidic� de
* Abr�g� d'/Snatomie par Tortebat.
6�
-ocr page 158-
154         Cours de Peinture
notre corps, 6c pour la fermet� de
chaque membre. Elle y a attach�
des mufcles comme des agens ex-
teneurs qui tirent les os du c�t�
que la volont� le commande. Les
os d�terminent les mefures des lon-
gueurs , & les mufcles celles des lar-
geurs , ou du moins c'eft de l'office
des mufcles que d�pendent lafor-
me & la. juftefle des contours.
Il eft d'une neceffit� indifpenfa-
ble de bien conno�tre la forme &
la jonction des os % d'autant qu'ils
alt�rent fouvent les mefures dans
le mouvement, comme il eil necef-
laire de bien favoir la fkuation �c
l'office des mufcles 5 puifqu'en cela
confifte la v�rit� la plus fenf�ble clu
Deflein
Les os font immobiles d'eux m�-
mes &; en font �branl�s que par
les mufcles. Les mufcles ont leurs
origines & leurs infertions j ils tien-
nent par leur origine � un os qu'ils
n'ont j'amais intention d'�mouvoir ,
& ils tiennent par leur infertion �
-ocr page 159-
far Principes.          i 5 f
un autre os qu'ils tirent, quand, �i*
veulent, du c�t� de leur origine.
Il n^y a point de mufcle qui n'ait
fon oppof� : quand l'un agit, il faut
que l'autre ob�if�e , femblables en
cela aux f�aux du puits dont l'un
defcent quand l'autre monte. Ce-
lui qui agit s'enfle & fe reflerre du
c�t� de fon origine, &: celui qui
ob�it s'�tend & fe rel�che.
Les plus gros os & qui font les
plus difficiles � s'�branler ,font cou-
verts des plus gros mufcles, lefquels
font fouvent aid�s dans leurs fonc-
tions par d'autres qui d�termin�s
� faire le m�me office, augmentent
la force du mouvement, & rendent
la partie plus fenfible.
Plufieurs Peintres en pronon�ant
fortement les mufcles ont voulu
s'�tablir une r�putation defavans
dans l'Anatomie , ou du moins ont
voulu faire voir qu'ils la poi�edoient.
Mais ils ont montr� par l� m�me
qu'ils la favoient mal , puifqu'it
paroit qu'ils ont ignor� qu'il y eus
-ocr page 160-
i 5 6         Cours de Peinture
une peau qui enveloppe les mufcles,;
& qui les fait voir plus tendres &C:
pfus coulans, ce qui fait une par.
de du corps humain , & par confe-
quent del'Anatomie. Les corps des
femmes & des petits enfans qui ont
tous leurs mufcles , auffi bien que
les Atletes, nous prouvent affez cet-
te v�rit�.
Les Auteurs des figures Antiques
n'ont point abuf� de la connoifl�n-
ce profonde qu'ils avoient de cette
partie , en faifant paro�tre les muf-
cles au del� d'une prudente neceC
fit� ; !k. la jufterT� qu'ils ont confer-
v�e en cela marque bien l'attention
qu'ils croyoient qu'on y devoir, don-
ner. En effet , le moyen- de juger
de la v�rit�, ou de la fauffet� d'un
contour, fi l'on ne conno�t certai-
nement � quel point le mufcle qui
le forme doit �tre enfl� ou rel�ch�
f�lon la deftination de fon office, Se
le degr� de fon action. Nous voyons
r b                                        j '�
louvent, comme nous avons d�j�
dit, que faute de cette connoiflan.
-ocr page 161-
far Principes.           T5T
ce, tel qui admire une Statue An-
tique n'en fait pas d'autre raifon que
parce qu'elle eft Antique.
Et fi vous lui demandez raifon
d'un contour de quelque figure m�-
me qu'il aura faite, il vous r�pondra,
qu'il l'a vue ainfi fur la Nature : &
e'eft ce qui arrive parmi les jeunes
gens &,parmi ceux dontlafcience ne
confifte que dans la feule pratique.
Il arrive fouvent que l'on voit
dans le nud des figures Antiques
& dans la Nature m�me , certaines
�minences dont on ne peut favoic
la raifon, fi on ne fait l'inf�rer del�/
fituation & de l'office du mufcle
qui les caufe. Mais ceux qui pofl
fedent l'Anatomie voient tout en:
ne voyant qu'une partie, Se favent
conduire des yeux ce que la peau
& la graifTe paroiffent leur d�ro-
ber, & ce qui eft cach� � ceux qui;
ignorent cette fc��nce.
Je ne m'expliquerai point ici da*
vantage 5 il fuffit que j'en aie affez;
dit pour perfuader qu'il eft impoi-
-ocr page 162-
158        Cours de Peinture
f�ble d'�tre v�ritablement habile
dans le Deflein,fans une connoiffaa-
ce claire & nette de l'Anatomie %
telle qu'elle convient aux Arts de
Peinture &c de Sculpture. Je reviens
feulement � dire que rien n'eft plus
aif� que de l'acqu�rir dans le degr�
que nous fuppofons : contre l'ima-
gination de ceux qui aiment mieux
s'en faire un monftre, que de don-
ner quelque attention � cette par-
tie f� neceffaire. Pour les demonftra-
tions je renvois mon Lecteur � l'A-
br�g� d'Anatomie que j'en ai fait^�c
qui a �t� imprim�, comme j'ai dit >
tous le nom de Tortebat.
Du Go�t du Deffein.
Le go�t eft une id�e qui fuit l'in-
clination naturelle du Peintre ,, ou
qu'il s'eft form�e par l'�ducation.
Chaque Ecole a fon goAt de Def-
fein, & depuis le r�tabliffement des
beaux Arts celle de Rome a �t�
toujours eftim.ee la meilleure, par-
-ocr page 163-
' par Principes.           159
ce qu'elle s'eft form�e fur l'Antique;
l'Antique eft donc ce qu'il y a de
meilleur pour le go�t du DefTein ,
ainfi que j'ai t�ch� ci-deflus d'en
donner des preuves.
De l'El�gance.
L'El�gance en g�nerai eft une
mani�re de dire ou de faire les
chofes avec choix y avec politefle ,
& avec agr�ment -f avec choix , en
fe mettant audeflus de ce que la
Nature & les Peintres font ordi-
nairement 5 avec politefTe, en don-
nant un tour � la chofe , lequel
frappe les gens d'un efprit d�licat}
& avec agr�ment en r�pandant en
g�nerai un affaifonnement qui foit
au go�t & � la port�e de tout le
v monde.
L'El�gance n'eft pas toujours
fond�e fur la correction , comme
elle le paro�t dans l'Antique & dans
Rapha�l. Elle fe fait louvent fentir
dans des ouvrages peu ch�ti�s &
-ocr page 164-
r6o        Cours de Peinture
n�glig�s d'ailleurs, comme dans le
Ccrrege, o� malgr� les fautes con-
tre la juftefle du Deflein, l'El�gan-
ce fe fait admirer dans le go�t du
Deffein m�me, dans le tour que ce
Peintre donne aux actions, en un,
mot � le Correge fort rarement de
l'El�gance.
Mais l'El�gance qui eft foutenue
de la corsedion du DelTein , �re
nous prefentant uneimage de ia per-
fection , remplit toute notre atten-
te y attache notre attention, & �le-
v� notre efprit apr�s l'avoir frapp�
d'un agr�able �tonnement. On peut
encore d�finir l'elegance du Deffeii�
de cette forte.
C'eft une mani�re d'�tre qui em-
feelit les objets, ou dans la forme*
©u dans la couleur , ou dans tous les
deux, fans en d�truire le Vrai.
Celle qui regarde le Deffein fe
trouve dans l'Antique pr�ferable-
ment � tous les grands Peintres qui
li'onr imit� ,. parmi lefquels le con-
-ocr page 165-
far Principes           t�t
fentement univerfel met Rapha�l
au def�us des autres
Des Caract�res.
Ce n'efV pas la corre&ion feule
qui donne l'ame aux objets peints,/
c'eft la mani�re dont ils font deffL
n�s. Chaque efpece d'objet deman-
de une marque diff�rente de diftin-
dion , la Pierre, les Eaux , les Ar-
bres , le Poil, la Plume ; & enfin-
tous les Animaux demandent des
touches diff�rentes pour exprimer
l'efprit de leur cara�tere : le nud
m�me des figures humaines a Ces
marques de diftin&ion. Les uns pour
imiter la chair donnent aux con-
tours une inflexion qui porte cet
efprit : les autres pour imiter l'An-
tique confervent dans leurs cou-
tours la r�gularit� des Statues 3 de-
peur de rien perdre de leur beaut�.
On voit m�me dans les Deffeins^
des grands Ma�tres , que pour ex-
primer les parlions de l'ame , ils
s'�toient familiarif�s certains trairs
-ocr page 166-
I 6 2         Cours de Peinture
qui montrent plus vivement encore
que leur Peinture l'expreffion de leur
id�e.
Le mot d'Expreffion fe confond
ordinairement en parlant de Pein-
ture avec celui de Pafl�on. Ils dif-
f�rent n�anmoins en ce que , Ex-
preffion effc un terme g�nerai qui
��gnifle la reprefentatioa d'un objet
f�lon le caracWe de fa Nature, & f�-
lon le tour que le Peintre a deffein
de lui donner pour la' convenance
de ion ouvrage. Et la Pafl�on en
Peinture , eft un mouvement du
corps accompagn� de certains traits
fur le vifage, qui marquent une agi-
tation de l'ame. Ainf� toute pafl�on
eft une expreffion : mais toute ex-
preffion n'eft pas une paffion- D'o�
l'on doit conclure qu'il n'y a point
d'objet dans un tableau qui n'ait fon
expreffion.
� Ce feroit ici le lieu de parler des
pai��ons de l'ame : mais j'ai trouv�
qu'il �toit impoffible d'en donner
des d�monflrations particuli�res qui
-ocr page 167-
far Principes.            163
puflent �tre d'une grande utilit� �
l'Art 11 m'a fembl� au contraire ,
que fi elles �toient fix�es par de cer-
tains traits qui obligeaient les Pein-
tres � les'fuivre necefTairement com-
me des r�gles eflentielles, ce feroit
�ter � la Peinture cette excellente
vari�t� d'expreffion , qui n'a point
d'autre principe que la diverfit� des
imaginations dont le nombre eft in-
fini , Se les productions auffi nouvel-,
les que les penf�es des hommes iont
diff�rentes. Une m�me paffion peut
�tre exprim�e de plufieurs fa�ons
toutes belles, &. qui feront plus ou
moins de plaiiir � voir f�lon le plus
ou le moins d'efprit des Peintres qui
les ont exprim�es,, 8t des fpecta-
teurs qui les fentent.
Il y a dans les paillons deux for-
tres de mouvemens -, les uns font
vifs & violens, les autres font doux
& mod�r�s. Quint�lien appelle les
premiers patetiques , &. les autres
moraux. Les patetiques coraraan-
-ocr page 168-
� 64        Cours de Peinture
dent , les moraux persuadent ; tes
tins portent �e trouble et remuent
puif�amment les c�urs, les autres
infmuent le calme dans l'efprit 5 6c
tous ont befoin de beaucoup d'Arc
pour �tre bien exprim�s.
Le patetique eft fond� fur les
paffions les plus violentes , fur la
Haine ,. fur la Col�re, fur l'Envie ,
iur la Piti�. Le Moral infpirela dou-
ceur , la Tendref��, l'Humanit�.Le
premier r�gne dans les combats &
dans les a&ions impr�vues &: mo-
mentan�es 5 le dernier dans les con-
ventions. L'un & l'autre deman-
dent les bienf�ances & les conve-
nances des figures que l'on intro-
duit fur la fcene.
Le Brun a fait un Trait� des Paf-
fions dont il a tir� la plupart des
d�finitions de ce qu'en a �crit Def-
cartes. Mais tout ce qu'en a dit ce
Philofophe ne regarde que les mou-
vemens du c�ur , & les Peintres
n'ontbefoin que de ce quiparok fur
-ocr page 169-
far Principes,.          i 6 5
�e v�fage. Or quand les mouvemens
du c�ur produiro�ent les paffions
f�lon les d�finitions qu'on en don-
ne , ii efl difficile de favoir com-
ment ces mouvemens forment les
traits du vifagequi lesrepref�ntent
� nos yeux.
De plus, les d�finitions de Def-
cartes ne :font pas toujours mefu-
r�es � la capacit� des Peintres qui
ne font pas tous Philofophes, quoi-
que d'ailleurs ils aient Bon efpnt&
;bon fens. Il fuffit qu^ils f�chent que
les paffions font des mouvemens de
notre arne qui fe laifTe emporter i
certains fentimens � la vue de quel-
que objet, fans attendre Fordre, gc
le jugement de la raifon. jLe Pein-
tre doit envifkger cet o.bjet avec at-
tention, le repr�senter prefent quoL
qu'abfent, &: f� d�manaer � foi-m �-
111e ce qu'il ferait naturellement
rs'�l ctoit furpris de la m�me paf.
l�on. Il faut m�me faire davanta^
ge ; il faut prendre la place de lf
-ocr page 170-
16 6 Cours de Peinture
perfonne paffionn�e, s'�chauffer l'i-
magination , ou la mod�rer f�lon
le degr� de vivacit� > ou de douceur
qu'exige la paffion, apr�s y �Cre bien
entr� &. l'avoir bien fentie : le mi-
roir eft: pour cela d'un grand fecours,
auffi bien qu'une perfonne qui �tant
inftruite de la chofe voudra bien fer-
vir de mod�le.
Mais ce n'eft point aflez que le
Peinte fente les paffions de l'ame,
il faut qu'il les fane fentir aux au-
tres 5 & qu'entre plufieurs caract�-
res dont une paffion peut s'exprimer,
il choififle ceux qu'il croira les plus
propres � toucher fur-tout les gens
d'efprit, ce qui ne fe peut faire �
mon avis , que par un fens exquis ,
& par un jugement folide. Quand
on a une fois attrap� le go�t du fpe-
clateur , rien ne l'interefle davan-
tage en faveur du Peintre.
Pour les d�monftrations que le
Brun en a donn�es, elles font tr�s-
favantes 8c tr�s - belles, mais elles
-ocr page 171-
par Principes.          i6j
font g�n�rales -y & quoiqu'elles puif-
f�nt �tre utiles � la plupart des Pein-
tres, on peut n�anmoins fur le m�-
me fujet , faire de belles expref-
fions tout-�-fait diff�rentes de cel-
les de le Brun , quoique ce Peintre
y ait tr�s-bien r�uffi.
Les expref��ons g�n�rales font
donc excellentes , parce que c'efl
d'elles que fortent les expref��ons
particuli�res, comme les branches
de l'arbre fortent de leur tronc.
Mais je voudrois que chaque Pein-
tres s'en f�t une �tude , en remar-
quant , le crayon � la main , les traits
qui les d�f�gnent -, & qu'il fe ferv�t
pour cela de l'Antique, & de la Na-
ture , afin de fe faire ainf� une id�e
g�n�rale des principales pallions f�-
lon fon g�nie ; car nous penfons tous
diff�remment , & nous imaginons
tous f�lon la Nature de notre tem-
p�rament.
Quoique les parlions de l'ame fe
fa0�nt reconno�tre plus fenfible-
-ocr page 172-
g 6 S , Cours de Peinture
ment dans les traits du vifage qu'ail-
leurs , elles demandent fouvent d'�-
tre accompagn�es des autres par-
ties du corps. Car dans les fujets qui
demandent l'expreffion de quelque
partie eflent�elle, fi vous ne touchez
le Spectateur que foiblement, vous
luiinfpirez une ti�deur qui le rebute-.
au lieu que fi. vous le touchez
i)ien , vous lui donnez un plaif�r
infiii�.
La t�te eft donc la partie du
�orps qui contribue toute feule
plus que toutes les autres enfem-
jble � l'expreffion des paf�ions. Les
autres parties f�parement ne peu-
vent exprimer que de certaines paf-
lions 3 mais la t�te les exprime
toutes. Il y en a n�anmoins qui
lui font plus particuli�res : comme
l'humilit� , qu'elle exprime lorf-
qu'elle eft baill�e 5 l'arrogance ,
quand elle eft �lev�e 5 la Langueur
quand elle panche & qu'elle fe laide
aller fur l'�paule j l'opini�tret� ,
avec
-ocr page 173-
far Principes. i�y
avec une certaine humeur rev�che
& barbare, quand elle eit droite ,
fixe 6c arr�t�e entre les deux �pau-
les 3 de d'autres dont on con�oit
mieux les marques qu'on ne les peut
dire, comme la pudeur, l'admira-
tion , l'indignation & le doute.
C'eft par la t�te que nous faifons
mieux voir nos Suppplications, nos
menaces , notre douceur , notre
fiert� , notre amour, notre haine,
notre joie , notre triftefTe , notre
humilit� : Enfin c'eft affez de voir le
vif�ge pour entendre � demi mot $
Ja rougeur 6c la p�leur nous par-
lent , auf�i-bien que le m�lange des
deux.
Les parties du vifage contribuent
toutes � mettre au dehors les fenti-
mens du c�ur 5 mais fur-tout les
yeux , qui font, comme, dit Cice-
ron , deux fen�tres par o� l'amc
fe.fait voir : Les pallions qu'ils ex-
priment le plus particuli�rement
font , le plaifir, la langueur , le
d-�dain , la feverit� r la douceur ,
H
-ocr page 174-
170        Cours de Peinture
l'admiratiou & la col�re : la joie
�cla triftefle pourro�ent encore �tre
de ce nombre fi elles ne partoient
plus particuli�rement des iburcils
&l de la bouche : �c quoique ces
deux derni�res parties s'accordent
davantage pour exprimer ces deux
f«allions, n�anmoins fi vous favez
es joindre avec le langage des
yeux, vous aurez une harmonie mei%
veilleufe pour toutes l�s pallions de
l'ame.
Le nez n'a point de paflion qui
lui foit particuli�re , il ne fait que
pr�ter fon fecours aux autres par-
ties du corps par un �levement de
narines, qui eft autant marqu� dans
la joie que dans la triiteffe. Il fem-
ble n�anmoins que le m�pris luifaC
fe lever le bout & �largir les nari-,
n�s en tirant en haut la l�vre de dek
fus � l'endroit qui approche des
coins de la bouche. Les Anciens
ont fait du nez le li�ge de la mo-
querie. Eum fubdoLe irrifioni die<t~
vcruntfot
Pline. Us y ontaufl� log�
-ocr page 175-
far Principes.          j-jx
le col�re : on voit dans Perfe , Dif-
ce : fed ira eadat nafo
, ruqofaque
farina.
Pour moi, je croirois volon-
tiers que le nez eft le fiege de la co-
l�re dans les animaux plut�t que
dans les hommes , & qu'il ne fied
bien qu'au dieu Pan , qui tient beau-
coup de la b�te, de renfrogner fou
nez dans la col�re , ainfi que les
autres animaux,�c que Philoflratc
nous le reprefente, lorfque les Nim_
plies qui l'avoient li� , lui failoient
mille infultes.
Le mouvement �es l�vres doit
�tre m�diocre dans le difcours, par-
ce qu'on parle plut�t de la langue
que des l�vres : 8c l� vous faites la
bouche fort ouverte , il faut que
ce foit pour exprimer une violente
paffion.
Pour ce qui eit des mains, elles
ob�ifTent � la t�te, elles lui fervent
en quelque mani�re d'armes & de
fecours ^fans elles l'a&ioneit foible
�c comme � demi-morte : leurs meu-
vemens , qui font prefque infinis
H ij
-ocr page 176-
� 7 4         Cours de Peinture
font des expreffions fans nombre,
N'eft-ce pas par elles que nous de^
i�rons, que nous efperons, que nous
promettons, que nous appelions,
que nous renvoyons ? Elles font en-
core les inflrumens de nos menaces ,
de nos fuppli�ations, de l'horreur
que nous t�moignons pour les cho-
fes, ou de la louange que nous leur
donnons. Par elles nous approuyonSj
nous refufons , nous craignons >
nous interrogeons, nous montrons
notre joie &; notre triftefTe , nos
doutes, nos regrets, nos douleurs
& nos admirations ; Enfin l'on peut
dire , puifqu'elles font la langue des
muets, qu'elles ne contribuent pas
peu � parler un langage commun �
toutes les Nations de la terre , qui
eft celui de la Peinture.
De dire comme il faut que ces
parties foient difpof�es pour expri-
mer les diff�rentes pallions , c'eft
ce qui eft impoflible, & dont on ne
peut donner de r�gles bien pr�cifes
tant � caufe que le travail en ferait
-ocr page 177-
par Principes.            i-ff
infini , que parce que chacun en
doit ufer f�lon fon g�nie, & feioi�
l'�tude qu'il en a d� faire. Souve--
nez-vous feulement de prendre gar-
de que les actions de vos figures
ioient toutes naturelles ; Il me fem-
ble
, (dit Quintilien, parlant des paf-
fions ) que cette partie fi belle & fi
grande n'efi pas inacceff�ble
, & qu'il
y a un chemin qui y conduit ajfez^fa-
cilement
j c'efi de confiderer la ^Nature
& de limiter
r car les Sp�culateurs font
fatisfaits
,- lorfque dans les chofes
artificielles ils rcconnoijfent la Natu-
re telle qu'ils ont accoutume de la
voir ? En effet il efi indubitable que
les mouvemens de l'�me , qui font etu~-
di�s par Art
, ne font jamais fi na-
turels que ceux qui fe voient dans la
chaleur d'une v�ritable pajjion.
Ces mouvemens s'exprimeront bien
mieux & feront bien plus naturels,
fi l'on entre dans les m�mes f�nti-
mens , & que l'on s'imagine �tre
dans le m�me �tat que ceux que
l'on veut reprefenter. Car la 2�a-
Hiij
-ocr page 178-
1^4 Cours de Peinture
turc
( dit Horace ) difpofe notre int�-
rieur a toutes fortes de fortunes
j tan-
tbt elle nous rend contens
, tant�t elle
nous foujfe dans la col�re
, ($* tant�t
«lie nous accable tellement de trifteffe
,
qu'elle nous abat enti�rement, & nous
met dans des inqui�tudes mortelles
:
fuis elle foufie audehors les mouvemens
du c�ur far la langue
, qui efi fon in-
terpr�te.
Qu'au lieu de la langue le
Peintre dif�, far les aflions qui font
fesinterfretes. Le moyen
( dit Quinti-
lien ) de donner une couleur � uns cho-
fe fi vous n'avez^pas cette couleur. Il
faut que nous foyons touch�s les fre.
mi ers d'une faffion avant que d'ef*
fayer d'en toucher les autres. Et com-
ment faire
( ajoute-t-il ) fourfefen-
tir �mu
, vu que les f offrons ne font
pas en notre fuifiance : en voici le
moyen
, fi je ne me tromfe. Il faut fe
former des vifions & des images des
cho [es abfente s > comme fi effectivement
elles �toient devant nos yeux
, & celui
qui concevra le plus fortement ces ima-
ges
, fourra ex frimer les pajfions avec
-ocr page 179-
far Principes.          I 7 5
fins d'avantage & de facilite. Mais
il faut prendre garde, comme nous
avons d�j� dit, que dans ces ima-
ges les mouvemens foient naturels $
car il y en a qui s'imaginent avoir
donn� bien de la vie � leurs figures,
quand ils leur ont fait faire des
a&ions violentes & exag�r�es, que
l'on peut appeller des contorfions
du corps, plut�t que des parlions de
l'aine ; 8c qui fe donnent ainfi fou-
vent bien de la peine pour trouver
quelque forte paffion, o� il n'en faut
qu'une fort l�g�re.
Joignez � tout ce que j'ai dit des
pariions , qu'il faut extr�mement
avoir �gard � la qualit� des per-
fonnes paffionn�es : La joie d'un
Roi ne doit pas �tre comme celle
d'un Valet, & la fiert� d'un Soldat
ne doit pas reflembler � celle d'un
Capitaine : c'en: dans ces diff�ren-
ces que confifte le vrai difcernement
des parlions.
Tout le monde fait que l'imita-
tion des objets vifibles de laNatu-
-ocr page 180-
3 7^         Cours de Peinture
re, conf�fte dans le Defl�in & dans
le Coloris. Je viens d'expofer ce que
je con�ois du premier en parlant de
la correction du DefTein , fond�e
fur les beaut�s de la Nature & de
l'Antique, & fur l'utilit� de l'Ana-
tomie. J'ai dit quelque chofe du
go�t , "de la diverfit� , de l'�l�-
gance, du cara&ere, &des expref-
fiqns des paffions, f�lon le rapport
que toutes chofes ont avec le De�
fein. Il ne me refte maintenant qu'�
traiter du Colons, pour joindre ce
que j'en dirai � ce que j'en ai �crit
autrefois. Au refte fi en parlant du
Deflein j'ai omis quelque chofe
qui ait relation � cette partie, c'eft
parce que d'autres perfonnes que
moi en ont �crit avec fucc�s , &
qu'il feroit ennuyeux de rebattre
une mati�re, fans pouvoir la mieux.
clair cir.
-ocr page 181-
far Principes.          i 77
#m *** *m ■?*? ; «&3: «** -� **s **3' **�* «#» e» **a
Xto Draperies.
LA diverfit� des climats , icf
changement des faifons&i leur
�nconftance ont mis les hommes
dans la neceffit� d'avoir des v�te-
mens : cette neceflit� s'eft accom-
mod�e aux r�gles de la bienf�ance v
& la bienf�ance a donn� lieu aux
divers ornemens que les peuples ont
invent�s pour enrichir leurs habits
f�lon le go�t des diff�rentes Na-
tions , 6c f�lon la mode des divers
tems. Mais comme on a �tendu l'u-
fage des �toffes � beaucoup d'au-
tres chofes qu'aux v�temens , les
Peintres les ont toutes comprifes
fous le mot de Draperie � & pour
faire entendre qu'un Peintre pof-
fedoit l'Art de bien diftribuer les
plis, ils ont dit qu'il favoit bien
jjetter une draperie» Ce terme des
-ocr page 182-
17 S         Cours de Peinture
jetterune draperie paro�t d'autant
plus julle, que la difpof�tion des plis
doit plut�t para�tre l'effet d'un pur
hazard que d'un loigneux arange-
ment.
Il y a donc une intelligence dans
l'ajuftement des draperies , & nous
allons voir en quoi elle confifte, &
de quelle confequence elle eft dans
la Peinture.
L'Art de draper fe remarque
principalement en trois choies.- i °.
dans l'ordre des plis $ i°. dans la
diverfe nature des �toffes j 3 °. dans
la vari�t� des couleurs de ces m�-
mes �toffes.
De l'ordre des Plis.
Comme il ne faut pas que l'�il
foit jamais en doute de fon objet,
le premier effet des Draperies , eft
de faire conno�tre ce qu'elles cou-
vrent , & principalement le nud
des figures 5 enforte que le cara&e-
�'c ext�rieur des perfonnes , & la
-ocr page 183-
far Principes.          i y 9
juftefle des proportions s'y rencon-
trent, du moins en gros , & autant
que la vraifemblance jointe � l'Art
ie pourra permettre.
Ainfi � l'exemple des plus grands
Ma�tres , le Peintre doit avant de
difpofer Tes Draperies , deffiner le
nud de fes figures , pour former
des plis fans �quivoque, & pour con-
duire fi adroitement les yeux , que
le Spedateur s'imagine voir ce que
le Peintre lui couvre par le jet de fes
Draperies.
Qu'il prenne garde auffi que la
Draperie ne foit pas trop adh�ren-
te aux parties du corps : mais qu'el-
le flotte/pour ainfi dire , alentour,
qu'elle les carefle, que les figures y
loi�nt � leur aife, & qu'elles y paroif-
fent libres dans leurs mouvemens.
Que les Draperies qui couvrent
des membres expof�s � une grande
lumi�re, ne foient pas ombr�es de
telle force, qu'elles femblent entrer
dedans h & que ces m�mes mem-
H vj
-ocr page 184-
i 8 o         Cours de Peinture
bres ne foient pas traverf�s par des*
plis trop refTentis, lefquels par leur
ombre trop obfcure paro�troient les
rompre : mais qu'en confervant un
petit nombre de plis , le Peintre
leur d-�ftribue d�licatement le degr�
de lumi�re qui convient � la malle,
dont ils font partie.
Les plis doivent �tre grands 6c
en petit nombre , autant qu'il fera
poffible : cette maxime �tant une
des chofes qui contribue davantage
� ce qu'on appelle grande mani�re j
parce que les grands plis partagent
moins la vue , 6c que leur riche
�(implicite eft plus fufceptible de
grandes lumi�res. J'en excepte n�an-
moins les v�temens dont le cara-
dere eft d'avoir beaucoup de plis,
comme il arrive fouvent dans les
habits de femmes , ainfi que l'An-
tique nous en fournit beaucoup
d'exemples. Alors le Peintre peut
droitement groupper les plis, �c les.
aranger �-c�t� des membres qui ert
-ocr page 185-
par Principes. 18'r
recevront beaucoup plus d'appa-
rence & plus d'agr�ment.
. Le contraire qui eft fi n�cei�aire.
dans le mouvement des figures, ne
l'eft pas moins dans l'ordre des plis s
car le contrafte en interrompant les
lignes qui tendroient trop d'un m�-
me c�t� , introduit dans les dra-
peries , comme, dans les figures une
forte de contradidion, qui femble.
les animer. La raifon en eft que 1er
contrafte eft une efpece de guerre ,
qui met les parties oppof�es en mou-
vement. Ainfl dans les endroits o�.
le Peintre le jugera � propos , les
�)lis doivent fe contrarier non feu-
ement entr'�ux : mais ils doivent
fur tout contrafter les membres des
figures rlorfque ces plis font grands
& qu'ils font partie d'une ample:
Draperie. Car pour l�s Draperies
de deffbus qui embraf�ent plus,
�troitement le nud , elles le con-
trarient bien moins qu'elles ne lut
ob�iflent.
Quelque vie que le contrafte don-
-ocr page 186-
i 8 x        Cours de Teinture
ne aux Draperies , quelque n�-
ceflaire qu'il foit pour leur agr�-
ment, il demande au Peintre beau-
coup de prudence & de pr�caution.
Car dans les figures qui font de-
bout , il y a beaucoup de rencon-
tres o� difficilement le contrarie
peut fe pratiquer fans fortir de la
Vraifemblance , & dans ces occa-
sions le Peintre , qui Tait profiter de
tout, fe fauve par d'autres principes.
Les plis doivent �tre grands f�-
lon la qualit� & la quantit� des
Draperies : mais quand la qualit�
des �toffes l�g�res contraint � bif-
fer plufieurs plis, il faut lesgroup-
per de mani�re que le Clairobfcur
n'en puiffe fouffrir.
Les plis des Draperies bien en-
tendus donnent beaucoup de vie �
l'a�Hon de quelque Nature qu'elle
puiffe �tre 5 parce que le mouvement
des plis fuppofe du mouvement au
membre qui agit, qui les entra�ne
comme malgr� eux, &qui les rend
plus ou moins agit�s f�lon la violen-
-ocr page 187-
far Principes*         183
ce ou la douceur de fon a&ion.
Une difcrete r�p�tition de plis en
forme circulaire, eft d'un grand fe-
cours pour l'effet des racourcis.
Il eft bon quelquefois de tirer
des plis en certains endroits &; d'en
introduire en d'autres,de forme con-
venable � l'intention du Peintre, ou
pour �tendre la lumi�re , ou pour
remplir des vuides qui fe trouvent
en quelques attitudes, ou pour ac-
compagner les figures, ou pour leur
fervir d'un fond doux , ou pour em-
p�cher que leur tournans ne fbif-
i�nt, & ne tombent dans une trop
grande crudit�.
La richeffe'des Draperies &. des
ornemens qui font defl�s, fait une
partie de leur beaut� , quand le
Peintre en fait faire un bon ufage :
Mais ces ornemens ne conviennent
gueres aux divinit�s , ils font tou-
jours au defTous de la dignit� Se
de l'�tat desfigu res c�leftes : lesDra-
per�es qui leur font propres doi-
vent �tre riches plut�t par la gran-
-ocr page 188-
�-8'4 Cours de Peinture
deur&ia. nobleffe des plis, que par
1a qualit� des �toffes.
Les plis faits de pratique &: fans
voir le naturel, ne font ordinaire-
ment bons que. pour un Deffein.
Mais le Peintre qui veut tendre � la1
perfection doit toujours confulter
les �toffes naturelles : parce que le
vrai forme les plis, & fait para�tre
les lumi�res f�lon la Nature des
�toffes. Je ne veux pourtant pas>
bl�mer ceux qui ont une fi.grande-
pratique du naturel,. que-les plis Sc-
ies caract�res des �toffes diff�ren-
tes leur relient fuffifamment dans la
m�moire pour en exprimexune gran-
ae partie.
Pour bien imiter le vrai, il effc
n�ceffaire de jetter les draperies ,
o-u fur un manequin de la grandeur
du naturel , ou fur le naturel m�-
me. M'ais il faut extr�mement pren-
dre garde que la draperie ne con-
ferve rien de l'immobilit� qu'elle.»",
fur le manequin»
-ocr page 189-
far Principes.           i � f
II y a des Peintres qui fe fervent;
de petits manequins qu'ils drapent
d'�toffes l�g�res , ou de papier
mouill� : mais il eftaif� de juger que
ce moyen qui peut aider les Pein-
tres confomm�s , & qui eft excel-
lent pour mettre toute une Hifto�-
re enfemble , ne peut fervir pour
bien terminer les draperies en par-
ticulier. La raifon en eft , que dans-
les petits manequins les �toffes ne
pouvant avoir le m�me poids que
dans la grandeur du naturel , ne
peuvent par confequent rendre les.
plis dans leur v�ritable forme.
La grande l�g�ret� & le grand
mouvement des draperies, ne con-
vient qu'aux figures qui font dans
une grande agitation , ou qui font
expof�es au vent ; mais quand on
les fuppofe dans un lieu renferm�,
& fans action violente , le parti
que le Peintre peut prendre,. eft de
faire fes draperies amples , & de*
leur donner par le contrafte & par
-ocr page 190-
t��         Cours de Peinture
la chute de leurs plis, une difpofi-
tion qui aie de la gr�ce & de la
majeft�.
C'eft un grand d�faut que de
donner trop d'�toffe aux v�temens
ils doivent convenir aux figures,&
c'eft une erreur de croire , comme
ont fait quelques-uns, que plus les
draperies font amples , plus elles
portent avec elles de grandeur &
de majeft�. La profufion des �tof-
fes �te aux figures la libert� du
mouvement , & les embarrafle en-
core plus qu'elle ne Iqs rend maje-
ftueufes. Voil� ce me femble , les
principales obfervations qui regar-
dent la premi�re propofition, qui
eft l'ordre des plis. Pafibns mainte-
nant � la f�conde , je veux dire �
la diverfe nature des �toffes.
De la diverfe nature'de s Etoffes.
Parmi tant de chofes diff�rentes
qui plaifent dans la composition
-ocr page 191-
far Principes.           187
d'un Tableau, la vari�t� des dra-
peries n'eft pas c� qui contribue le
moins � cet agr�ment. L'ordre &
le contrarie des plis en fait une par-
tie : mais ce n'eft pas affez que les
�toffes foient jett�es diverfement,
il faut encore qu'elles foient entr'el-
les d'une nature diff�rente, autant
que le fujet le pourra fouffrir. La
laine, le lin , le coton, & la foie
employ�s de mille mani�res par les
ouvriers,donnentauPeintre une am-
ple mati�re d'exercer fon choix.
C'eft un puifl�nt moyen pour intro-
duire dans fes ouvrages une diverfit�
d'autant plus n�ceffaire qu'elle fait,
�viter une ennuyeuie r�p�tition de
plis d'une m�me nature , fur-tout
dans les Tableaux de pluf�eurs fi-
gures. Il y a des �toffes qui font
des plis caff�s , d'autres �toffes en
font de moelleux : il y a encore
des �toffes dont la fuperficie eft
mate , d'autres dont elle eft lui
fante : les ut es font fines &. tranf.
-ocr page 192-
fsS Cours de Teinture
parentes , les autres plus fermes &
jplus folides. Touet cette vari�t� ou
fepar�e dans diverfes figures,ou pra-
tiqu�e dans une feule f�lon les fu-
jets, fait toujours une fersfation tr�s-
agr�able.
L'ufage ordinaire d'une m�me
qualit� d'�toffe dans les figures d'un
m�me Tableau , efl: un d�faut oit
font tomb�s la plupart des Peintres
de l'Ecole Romaine , & o� tom-
bent tous ceux qui peignent de pra-
tique , ou qui reduifent l'imitatiort
du naturel � l'habitude qu'ils ont
contract�e.
Le Peintre ing�nieux fera donc
fon poffible pour trouver occafioi�
d'introduire dans fes draperies en
general, cette heureufe diverfit�
dont je viens de parler ; mais qu'il
fe fouvienne fur-tout qu'elle eft in-
difpenfable en particulier dans la
diff�rence des �ges , des l�xes, �C
des conditions.
Les anciens Sculpteurs ont �t�
-ocr page 193-
par Principes.           itj
fort entendus dans le jet de leurs
draperies : mais comme la -mati�re
qu'ils ont employ�e eft d'une m�-
me couleur , & qu'aini� les grands
plis qui re�oivent de grandes lumi�-
res auraient fouvent fait des �qui-
voques avec les parties nues , ou
du moins auraient partag� la vue
du Spe&ateur, ils ont pris le parti
d'attirer les yeux fur le nud de leurs
figures , u'ayant^ en ce cas la rien
de meilleur � faire pour l'avantage
de leur Art. Ils fe font fervis pour
cela de linges mouill�s ou d'�toffes
l�g�res dont ils ont plus ordinaire-
ment drapp� leurs Statues. Mais il
faut avouer que le rem�de qu'ils -
ont apport� � cet inconv�nient par
le bon ordre de leurs plis eft tr�s-
ingenieux , &c donne , tel qu'il eft
beaucoup de lumi�res � ceux qui
en favent p�n�trer l'intelligence.
Je pourrais citer pluf�eurs exemples
de l'Antiquit� fur ce fujet, & je
pie contenterai de rapporter celuf
-ocr page 194-
yjo Cours de Peinture
du bas relief, lequel eft connu fous
le nom desDanfeufes. Les draperies
qui couvrent le nud de ces figures
en le marquant agr�ablement, {q
terminent du c�t� de la partie pof.
terieure du corps en quantit� de
plis femblables, & dont la r�p�ti-
tion paro�troit un d�faut � qui ne
refl�chiroit pas fur la fineiTe �c fur
l'excellence de l'ouvrage. Car fi l'on
tait attention que le but du Scul-
pteur a �t� de reprefenter avec �l�-
gance le nud de l'es figures, on trou-
vera que bien loin que ces r�p�ti-
tions foient un d�faut en Sculptu-
re j c'efl: au contraire un moyen
de trouver une efpece d'ombre en
jhachure que le Sculpteur a m�na-
g�e avec adref�e pour faire paro�-
tre le nud avec avantage, &. pour
fervir � l'�il comme de repos. C'eft
ainfi que les anciens Sculpteurs ont
Invent� , avec beaucoup d'efprit &
de g�nie , plufieurs moyens de re-
parer les inconveniens qui venaient
-ocr page 195-
far Principes.           i 9 \
du c�t� de leur mati�re, foitpour
la grandeur des plis 3 foit pour la
vari�t� des �toffes 5 ayant iatisfait
d'ailleurs g�n�ralement pariant, �
tout ce qu'on y peut fouhaiter pour
la pcrfedion.
Mais les Peintres qui ont la IL
bert� de fe fervir de toutes fortes
d'�toffes , & qui fa vent faire un bon.
ufage des couleurs & des lumi�res,
pour imiter le Vrai , feroient tr�s
mal de fuivre les Sculpteurs dans
le grand nombre, & dans la. repe,
tition de leurs plis, comme les ScuL
pteurs feroient bl�mables s'ils imi,
toient les Peintres dans l'�tendue
de leurs draperies.il ne me refte plus
qu'� dire un mot de l'effet des cou*
leurs qui fe trouvent dans la varie-
t� des �toffes, afin d'examiner m*
troifi�me proportion,
-ocr page 196-
� 9 s, �eurs de Peinture
X)g la vdriet� des Couleurs dans les
Etoffes.
Comme l'ordre , le contrarie, &
la diverfe nature des plis & des �tof-
fes font toute l'�l�gance des drape-
ries , la diverfit� des couleurs de ces
m�mes �toffes contribue extr�me-
ment � l'harmonie duTout enfemble
dans les fujets hiftoriques. Le Pein-
tre qui eft prefque toujours le ma�tre
de les fuppofer comme il lui pla�t,
doit faire une �tude particuli�re de
la valeur des couleurs enti�res , de
l'effet qu'elles produifent les unes
aupr�s des autres, &. de leur rupture
harmonieufe. Mais ce n'eft point ici
le lieu d'examiner ces trois chofes,el-
les appartiennent au colons, & loril
*que je parlerai de cette partie,je ferai
mon poffible pour les �elaircir.
Je me contenterai de dire main-
tenant que le Peintre doit confide-
cer que les couleurs des draperies
hxi donnent un moyen de pratiquer
avec
-ocr page 197-
far Principes.           �95
avec adref�e l'intelligence du Clair-
obfcur. Le Titien a mis en ufage
cet artifice dans la plupart de fes
Tableaux, en Te fervant de la liber*.
t� qu'il avoit de donner � fes dra-
peries la couleur qui lui fembloit la
plus convenable, ou pour fervir de
fond , ou pour «tendre la lumi�re,
ou pour caraderifer les objets par la
comparaison.
Apr�s tout l'intelligence des drape-
ries ne peut pas �tre tellement fix�e,
que le g�nie du Peintre ne puii�e.
hazarder des plis extraordinaires
qui pourraient avoir leur m�rite. Il
n'y a point d'effets dans la Nature
o� le hazard fafle avoir plus de va-
ri�t� que dans le jet des draperies,
Et quoique l'Art trouve ordinaire-
ment � reformer quelque cliofe dans
la difpof�tion de celles qui fe prefen-
tent d'elles-m�mes : ce m�me La-
zard forme quelquefois des plis d'u-
ne beaut� & d'une convenance que
les r�gles n'auraient jamais pu pra*
duire. En un mot l'Art ne peut pas
I
-ocr page 198-
i<>4        Cours de Peinture
tout pr�voir , il s'�tend fort peu au
del� des chofes g�n�rales, & laiffe
aux gens de bon go�t le foin de fai-
re le relie. C'eft au Peintre � bien
choifir les bons effets que le natu-
rel lui prefente, & � s'en fervir d'une
mani�re qui mette dans l'ouvrage
le caract�re d'une heureufe facilit�.
Entre les Peintres qui ont le mieux
entendu les draperies , Rapha�l
pour l'ordre des plis peut �tre con-
fider�, f�lon mon fentiment, com-
me le plus fur mod�le, fans pr�ten-
dre n�anmoins rien �ter du m�rite
de ceux qui ne s'�tant point tout �
fait �loign�s des principes de Ra-
pha�l , ont pris avec fucc�s plus de
libert� dans le caract�re de leurs
plis, & ont fait voir en cela m�me
de la grandeur & de la v�rit�. L'E-
cole de Vernie 6c celle de Flandre
ont excell� pour la diff�rence des
�toffes : Et Paul Veronefe pour l'har-
monie dans la vari�t� des couleurs
eft une fource d'exemples inepul-
labk.
-ocr page 199-
■par Principes           j 9 3;
je paiTe fous f�lence beaucoup d'au-
:. tr�s grands Ma�tres qui bien enten-
du l'artifice des draperies. Quand
on voudra fe donner la peine de les
examiner , on conno�tra que dans
l'ajuftement des plis il y a un ordre
-& un choix avantageux ; que la di-
verfe nature des �toffes efl une eC
pece de richef�e dans l'ouvrage, la-
quelle Soutient une Vraifemblance
n�cef��ire 5 &c que la vari�t� des cou-
leurs dans les draperies ,peut contri-
buer extr�mement � l'effet du Clair-
obicur , de � l'harmonie du Tout-
enfemble. En un mot on compren-
dra par les ouvrages de ces excel-
lens Ma�tres, bien mieux que par
mon difeours , en quoi confifte l'in-
telligence des draperies,& de quel-
le confequence elle efl dans la Pein-
ture.
�«
-ocr page 200-
� 9 G Cours de Peinture
m&mmm && mxmm
D E S DRAPERIES
en abr�g�.
LE mot de Draperie en Peintu-
re , s'entend de toute forte d'�-
toffe , (oit que les hommes s'en ha-
billent, foit qu'on veuille l'employer
� quelqu'autre ufage. Mais l'id�e la
plus ordinaire que l'on s'en fait, re-
garde l'�toffe qui fert aux v�temens
des hommes, La Peinture en a fait
im Art qui coniifte en trois chofes.
�. Dans l'ordre des plis.
2.   Dans la diverfe nature des
�toffes.
3.  Dans la vari�t� de leurs cou,.
XeXirs.
�. L'ordre des F lis.
per�iner le nud avant que de
draper.
Que la draperie ne foit point ad-
l^erente aux parties;mais qu'elle flot-
-ocr page 201-
fat Principef.          %$*?�
te , pour ainfi dire , � l'entour &
qu'elle les carefle.
Ne point rompre l�s membres
par des plis ombr�s trop fortement.
Les plis grands Se en petit norru
bre autant que la nature de l'�toffe
le peut fouffrir.
Que les plis fe contraftent l'un'
l'autre , & qu'ils contraftent les
membres.
Les plis donnent en pluf�eurs ren-
contres de la vie � l'acTion des fi-
gures.
Remplir les trop grands vuides
par des plis� propos,& bien adapt�s.
Les plis de pratique ne convien-
nent qu'aux Peintres confomm�s
dans l'Art ^ mais la perfection de-
mande toujours que l'on confulte la
Nature.
Les draperies des petits mane-
quins ne font pas inutiles - mais el-
les font fauffes.
Les draperies agit�es ne convien-
nent que dans les lieux qu'on fup-
pofe � d�couvert, ou dans les grands
mouvemens.
                      Iiij
-ocr page 202-
19 &         Cours de Teinture
La trop grande quantit� d'etof-,
fe dans uni v�tement , embarafle la
figure.
Le hazard fert quelquefois beau-
coup dans le jet des draperies, &
donne des beaut�s que l'Art ne
pr�voit pas.
Les anciens Sculpteurs ont don-
ne beaucoup de lumi�res aux Pein-
tre dans le jet des draperies ; mais
l'ufage que les uns & les autres en.
font eft n�anmoins tr�s diff�rent..
II. La diverfe nature des Etoffes,
Donne une diverfit� de plis.
Rejouir la vue.
Doit �tre pratiqu�e dans le gena-
ral du Tableau,quand il y a plui�eurs
figures, & dans la particulier quand
il n'y en a qu'une $ mais cette diverfi-
t� doit �tre indifpenfab.lement ob-
ferv�e dans la diff�rence des �ges .
des fexes, & des conditions.
Les Peintres Romains & ceux
qui peignent de pratique , tombent
-ocr page 203-
far Principes.          199
ordinairement dans la r�p�tition des
m�mes �toffes.
III. La vari�t� des couleurs dans les
Etoffes,
Sert � l'harmonie du Tableau.-
A cara&erifer les objets.
Et a pratiquer le Clair- obfcur.
Rapha�l eft le meilleur mod�le
pour l'ordre des plis.
L'Ecole de Venife & celle de
Flandre pour la diverfe nature des
�toffes.
Et Paul Veronefe pour la vari�t�
harmonieufe de leurs couleurs.
-ocr page 204-
■aO� Cours de Peinture
^qp^pqpqpqp3P9P3W*3�?
x> t; paysage.
LE Pa�fage eft un genre de Pein-
ture qui r�prefente les campa-
gnes & tous les objets qui s'y ren-
contrent. Entre tous les plaifirs que
les difFerens talens de la Pein-
ture procurent � ceux qui les exer-
cent, celui de faire du.Pa�fage me
paro�t le plus fenf�ble , & le plus
;> commode ; car dans la grande va «�
riet� dont il eil fufceptible, le Pein-
tre a plus d'occafions que dans tous
les autres genres de cet Art, de fe
contenter dans le choix des objets ^
la fo�itude des rochers , la fra�,
cheur des for�ts , la limpidit� des
eaux, leur murmure apparent, l'�-
tendue des Plaines �c des Lointains,
le m�lange des Arbres, la fermet�
du Gazon, & les Sites tels que le
Pa�fagiile les veut reprefenter dans
-ocr page 205-
■par Principes'.            2.01
Fes Tableaux, font que tant�t il y
chafle , que tant�t il y prend le
frais, qu'il s'y promen� , qu'il s'y
repofe , ou qu'il y r�ve agr�able-
ment. Enfin il eft le Ma�tre de dif-
pofer de tout ce qui fe voit fur la
terre,. fur les eaux ,-& dans les airs :
parce que de toutes les productions
de l'Art & de la Nature , il n'y en
a aucune qui ne puifTe entrer dans
la composition de fes Tableaux.
Ainfi la Peinture , qui eft une efpe-
ce de cr�ation , l'eu: encore plus
particuli�rement � l'�gard du Pa�-
fage.
Parmi tant de ftyles difFerens que
les Pa�fagiftes ont pratiqu�s dans
l'�xecution de leurs Tableaux , j'en
distinguerai feulement deux dont
les autres ne font qu'un m�lange ,
le ftyle H�ro�que, & le ftyle Pafto-
ral ou Champ�tre.
Le ftyle H�ro�que eft une compo-
lition d'objets qui dans leur genre
tirent de l'Art &: de la Nature tout
ee que 1 un & l'autre peuvent pro-
-ocr page 206-
2 o 2, Cours de Peinture
duire de grand & d'extraordinaire..
Les f�tes en font tout agr�ables &
tout furprenans : les fabriques n'y
font que temples , que pyramides,
que fepultures antiques, qu'autels
confacr�s aux divinit�s , que mai-
fons de plaif�nce d'une r�guli�re
architecture 5 & fi la Nature n'y eft
pas exprim�e comme le hazard nous
la fait voir tous les jours , elle y
eft du moins reprefent�e comme on
s'imagine qu'elle devroit �tre. Ce
ftyle eft une agr�able illufion , &
une efpece d'enchantement quand
il part d'un beau g�nie &: d'un bon
e/prit, comme �toit celui du Pouf-
fin : lui qui s'y eft fi bien exprim�.
Mais ceux qui voudront fuivre ce
genre de Peinture , & qui n'auront
pas le talent de fo�tenir le fubli-
mequ'il demande , courent fouvent
le rifque de tomber dans le pu�rile.
Le ftyle champ�tre eft une re-
prefentation des Pa�s qui paroifient
bien moins cultiv�s qu'abandonn�s
� la bizarerie de la feule Nature.
-ocr page 207-
■par Principes.          z q 3
Elle s'y fait voir toute fimple , fans
fard , & fans artifice $ mais avec
tous les ornemens dont elle fait
bien mieux fe parer , l'orfqu'on la
iaif�e dans fa libert� , que quand
l'Art lui fait violence.
Dans ce ftyle les f�tes fouffrent
toutes fortes de vari�t�s : ils y font
quelquefois affez �tendus , pour y
attirer les troupeaux des Bergers ,
& quelquefois aflez fauvages, pour
fervir de retraite aux Solitaires , &c
de furet� aux animaux fauvages.
Il arrive rarement que le Pein-
tre ait l'efprit d'une affez grande
�tendue pour embraffer toutes les
parties de la Peinture. Il y en a or-
dinairement quelqu'une qui attire
notre pr�dilection , & qui occupe
tellement notre efprit, qu'elle nous
fait oublier les foins que nous de-
vrions donner aux autres parties 5 6z
nous voyons prefque toujours que
ceux dont l'inclination les porte
vers le ftyle H�ro�que , croient
avoir tout fait quand ils ont intro-
Ivj
-ocr page 208-
2C>4          Cours de Peinture
-duic dans la composition de leur Ta-
bleau, des objets nobles &. capables
d'�lever l'imagination , fans fe met-
tre autrement en peine de l'intelli-
gence &c de l'effet d'un bon colo-
ris. Ceux au contraire qui font dans
le ftyle Paftoral, s'attachent forte-
ment � la couleur pour repr�fenter
plus vivement la v�rit�. L'un &: l'au-
tre ftyle ont leurs fe&ateurs & leurs
partifans. Ceux qui fuivent le ft.yle
H�ro�que ,fuppl�ent par leur ima-
gination � ce qui y manque de v�-
rit� , &; n'y fouhaitent rien davan-
tage.
Ainf� pour contrebalancer l'�l�-
vation des Pa�fages H�ro�ques, je
croirois qu'il feroit � propos de jet-
ter dans les Pa�fages champ�tres ,
non feulement un grand caract�re
de v�rit� , mais encore quelque ef-
fet de la Nature piquant, extraor-
dinaire & vraifemblable , comme a
toujours fait le Titien.
Il y a une infinit� de Pa�figes o�
L'H�ro�que 6c le Champ�tre font
-ocr page 209-
far Principes.          iof
h-eureufement joints enfemble ,. &
l'on en pourra reconno�tre le plus
& le moins par la defcription que
je viens de faire de ces deux mani�-
res de s'exprimer dans le Pa'ifage.
Les chofes qui font particuli�res
au Pa'ifage, & fur lefquelles on peut
r�fl�chir j font, � mon avis , 'es Si-
tes ,, les Aceidens , le Ciel &: les
Nuages , les Lointains et les Mon^-
tagnes, le Gazon , les Roches, les
Terreins, les Terraffes , les Fabri-
ques , les Eaux, le devant du Ta-
bleau , les Plantes , les Figures, de
les Arbres. J'ai fait fur toutes ces
chofes quelques r�flexions que le
Lecteur trouvera bon que je lui e&
pofe.»
Des Sites,
Le mot de Site fignifie la vue,
la fituation, & l'affiette d'une Corn-
tr�e. Il vient de l'Italien Sito, &; nos
Peintres l'ont fait palTer en France}!
ou- parce qu'ils s'y �toient acco�tu*.
-ocr page 210-
'i o 6 Cours de Peinture
mes en Italie , ou parce qu'ils l'ont
trouv�, comme il me femble fort
expreffif.
Les f�tes doivent �tre bien li�s
& bien d�brouill�s par leur forme,
en forte que le Spectateur puiflfe ju-
ger facilement qu'il n'y a rien qui
emp�che la liaifon d'un Terrein �
un aure , quoiqu'il n'en voie qu'u-
ne partie.
Il y a des f�tes de plufieurs for-
tes , &c le Peintre les repr�fente in-
diff�remment f�lon les Pa�s qu'il
fuppof� , ouverts ou ferr�s , mon-
tueux , aquatiques , cultiv�s & ha-
bit�s , incultes 6c folitaires, ou enfin
vari�s par un m�lange prudent d'u-
ne partie de ces chofes. Mais fi le
Peintre eft oblig� d'imiter,par exem-
ple , la Nature d'un Pa�s plat &: uni-
forme , il doit le rendre agr�able
par la difpofition d'un bon Clair-
obfcur 5 Se chercher de l'avantage
dans la diftribution des couleurs
qui peuvent plaire,. &.qui peuvent
-ocr page 211-
par Principes..          ±®y
fe rencontrer d'un terrein plat � un
autre.
Il effc certain cependant que les f�-
tes extraordinaires plaifent &: qu'ils
r�jouifTent l'imagination par la nou-
veaut� & par la beaut� de leurs for-
mes , quand m�me la couleur loca-
le �t l'ex�cution en feroient m�dio-
cres ; parce qu'au pis aller , on
regarde ces fortes de Tableaux
comme des Ouvrages, qui ne font
point achev�s ; & qui peuvent rece-
voir leur perfection de la main d'un
Peintre intelligent dans le coloris.
Mais les f�tes & les objets communs
demandent pour plaire des couleurs
& une ex�cution parfaite. Claude le
Lorrain n'a repar� que par l� l'in-
f�pidit� & le choix m�diocre de la.
plupart de fes f�tes. Mais de quel-
que mani�re que foit un f�te, l'un des
plus puifl�ns moyens de le faire va-
loir, & m�me de le multiplier Se de
le varier, fans changer fa forme ,,
c'�ft la fuppofition fage & ing�niai--
fe des accidens..
-ocr page 212-
208         Cours de-Peinture'
J�es Accidens.
L'Accident en Peinture eft uns
interruption qui fe fait de la lumi�-
re du foleil par l'interpofition de3
nuages 5 en forte qu'il y ait des en*
droits �clair�s fur la terre, et d'au-
tres ombr�s , qui f�lon le mouve-
ment des nuages fefuccedentles uns
aux autres,Sc font des effets merveil-
leux, &des changemens deClair ob*.
fcur , qui femblent produire autant
de nouveaux f�tes. L'exemple s'en
voit journellement fur la Nature -,
& comme cette nouveaut� de f�tes
n'eft fond�e que fur la forme des
nuages & fur leur mouvement, le-
quel eft fort inconftant&fort in�gal,
il s'enfuit del� que les accidens font
arbitraires,^ que le Peintre qui a du
g�nie en peut difpofer � fon avanta-
ge lorfqu'il juge � propos de s'en
fervir $ car abfolument parlant il n'y
eft point oblig� ,.8c il y- a eu d'ha-
biles Pa�fagiftes qui neles ont jamais
-ocr page 213-
far Principes.           z o $
mis en ufage , ou par timidit� o�
par habitude , comme Claude le
Lorrain & quelques autres.
Du Ciel & des Nuages.
Le Ciel, en termes de Peinture,eft
cette partie �ther�e que nous voyons
au-deffus de nous, mais c'eft encore
plus particuli�rement la r�gion de
l'air que nous refpirons, &; celle o�
fe forment les nu�es & les orages.
Sa couleur eft un bleu qui devient
plus clair � mefure qu'il approche
de la terre, � caufe de l'interpofition
des vapeurs qui font entre nous &
l'orizon, lefquelles �tant p�n�tr�es
de la lumierejla communiquent aux
objets plus ou moins f�lon qu'ils en
font plus pr�s, ou plus �loign�s.
Il y a ieulement � obferver que
cette lumi�re �tant jaune ou rou-
ge�tre fur le foir lorfque foleil fe
couche , ces m�mes objets partici-
pent non feulement de la lumi�re s.
-ocr page 214-
i i o Cours de Peinture
mais aufl� de la couleur. Ainf� la lu-
mi�re jaune venant � fe m�ler avec
le bleu dont le ciel eft naturellement
color� , elle l'alt�re & lui donne un
�il plus ou moins verd�tre f�lon que
le jaune de la lumi�re eft plus ou
moins charg�.
Cette obfervation eft g�n�rale
fk. infaillible 5 mais il y en a une in-
finit� de particuli�res qui doivent
le faire le pinceau � la main fur le
naturel, lorfque l'o'ccaf�on s'en pre-
fente. Car il y a des effets tr�s-beaux
&: tr�s-Singuliers qu'il eft difficile de
faire concevoir par des raifons Phy-
siques. Qui dira, par exemple, pour-
quoi il fe voit des nuages dont la
partie �clair�e eft d'un beau rouge,
pendant que la fource-de la.lumi�re
dont ils font frapp�s eft d'un jaune
tr�s, vif & tr�s-diftingu� ? Qui ren-
dra raifon des differens rouges qui
fe voient fur des nu�es diff�rentes
dans le moment que ces differens
rouges ne re�oivent la lumi�re que
-ocr page 215-
far Principes..          % r :r;
d'un m�me endroit ? Car les cou-
leurs & les effets furprenans dont je
f>arle, ne paroiffent avoir aucune re-
ation avec l'arc-en-ciel dont les
Philofophes pr�tendent donner de
folides raifons.
Tous ces effets extraordinaires fe
voient le foir fur le d�clin du jour
quand le tems femble vouloir chan-
ger , ou qu'un grand orage fe pr�pa-
re , ou quand il eft pafl� , Se qu'il
nous laifTe voir for les fins dequo�
attirer notre attention.
Le cara&ere des nuages eft d'�tre
l�gers & a�riens dans la forme et
dans la couleur ; & quoique le nom-
bre des formes en foit infini , il eft
tr�s � propos de les �tudier, &: d'en
faire choix d'apr�s Nature, quand
un bon moment nous enprelente de
beaux. Si on veut les reprefenter
minces , il faut les peindre en les
confondant l�g�rement avec leur
fond fur-tout aux extr�mit�s , ou
comme s'ils �toient tranfparens : Et
-ocr page 216-
i�i         Cours de Peinture
d l'on veut qu'ils foient �pais, il faut
que les reflets y foient m�nag�s, de
mani�re que fans perdre leur l�g�-
ret� , ils paroiffent tourner & fe lier 5
s'il eft befoin, avec d'autres nuages
qui leur feroient voif�ns. Les petits
nuages font fouvent une petite ma-
ni�re �� rarement un bon effet, �,
moins qu'�tant pr�s les uns des au-
tres, ils ne paroiffent tous enfemble
rie faire qu'un feul objet.
Enfin le caract�re du ciel eft d'�tre
lumineux, &. comme il eft m�me la
fource de la lumi�re , tout ce qui eft
fur la terre lui doit c�der en clart� }
s'il y a pourtant quelque chofe qui
puiffe approcher de fa lumi�re, ce
font les eaux &c les corps polis qui
font capables de recevoir des reflets
lumineux.
Mais le Peintre ne doit pas en fai-
sant le ciel lumineux, le rendre tou-
jours brillant par tout, il doit an
contraire m�nager fi bien la lumi�-
re,, que la plus grande ne foit qu'� un
-ocr page 217-
par Principes.           a 15
feul endroit $ & pour la rendre plus
fenf�ble, il faut qu'il ait foin autanj:
qu'il le pourra de l'oppoler � quel-
que objet terreftre qui la rendra
beaucoup plus vive par fa couleur
un peu obfcure, comme � un arbre,
� une tour, ou � quelque fabrique
un peu �lev�e.
Cette lumi�re principale peut en-
core �tre rendue fenf�ble par une
certaine difpofkion de nuages, par
le moyen d'une lumi�re fuppof�e,
ou qui peut �tre renferm�e ing�-
nieufement entre des nu�es, dont la
douce obfcurit� ferpit infenf�ble-
ment r�pandue & m�nag�e de c�t�
&L d'autre. Nous en avons quantit�
.d'exemples dans les Peintres Fla-
mans qui ont le mieux entendu le
Pa�f�ge, comme Paul Bril, Breugle,
Saveri. Les eftampes m�mes que les
Sadelers ^ Merian ont grav�es ,
nous donnent une id�e fort nette de
ces fortes de lumi�res, &. r�veillent
fnerveilleufement le g�nie de ceu$
-ocr page 218-
a 14          Cours de Peinture
qui ont des principes du Clair-
obfcur.
Des Lointains & des Montagnes.
Les Lointains ont une grande rela-
tion avec le ciel -y c'eft lui qui en d�-
termine la force ou la foiblefle : ils
font plus obfcurs quand il eft plus
charg�, ԣ plus �clair�s quand il eft
plus ferain : ils confondent quelque-
fois enfemble leurs formes & leurs
lumi�res , & il y a des tems & des
Pais ou les nuages parlent entre les
montagnes dont le fommet s'�l�ve,
& fe fait voir au de nus d'eux. Les
montagnes fort hautes Se couvertes
de neiges font propres � faire na�tre
dans les lointans des effets extraor-
dinaires qui font avantageux au
Peintre, Se agr�ables auSpe�tateur.
La forme des lointains eft arbi-
traire , il faut feulement qu'elle s'ac-
corde auTout-enfemble duTableau
St � la nature du Pais que l'on re-
-ocr page 219-
far Principes,           21 g
f>refente. Ils font d'ordinaire bleus
a caufe.de l'interpo/ition de l'air qui
eit entre nous & ces lointains 3 mais
ils quittent cette couleur peu � peu
� mefure qu'ils s'approchent de
nous, & prennent celle qui eft na^-
turelle aux objets.
Dans la d�gradation des monta*
gnes, il fautobferver .une l�aifon iru
ienfible, par des tournansque les re-
flets rendentvraifemblables,.&. �vi-
ter entr'autres chofes dans les ex-
tr�mit�s une certaine duret� qui les
fait para�tre tranch�es , comme fi
files ayo�ent �t� coup�es aux ci-
feaux �c appliqu�es fur la toile.
Il faut encore obferver que l'air
qui eftau pied des montagnes �tant
cliarg�devapeurs,eftparconfequent
plus fufceptible de lumi�re que la
cime. �11 ce cas la , je fuppoie que
la fource de la lumi�re fok dans une
�l�vation raifonnable , 6c qu'elle
�claire les montages �galement, ou
que les nuages leur d�robent la lu*.
-ocr page 220-
s 16         Cours de Peinture
«it�re du foleil. Mais 11 Ton fuppo-
le la lumi�re fort bafle , & qu'elle
frappe les montagnes, alors la cime
en fera vivement �clair�e auffi bien
que tout ce qui recevra le m�me
degr� de lumi�re.
Quoique les formes diminuent de
grandeur, & que les couleurs per-
dent de leur force depuis le premier
plan du Tableau jufqu'aux loin-
tains les plus �loign�s, �c que cette
�-nfenfible diminution fe voye tou-
jours dans la Nature, & fe pratique
d'ordinaire, elle n'exclue pas pour-
tant l'ufage des accidens dont nous
avons parl� -, �c ces accidens peu-
vent beaucoup contribuer au mer-
veilleux d'un Pa�fage , quand le
Peintre a l'occafion de s'en fervir
bien � propos , & qu'il a une id�e
jufte du bon effet qu'il en attend
4ans fon ouvrage.
I3#
-ocr page 221-
fdr Principes.           tij
Du Ga%on,
J'appelle Gazon, le verd dont les
Iherbes colorent la terre. Il y en a
de beaucoup de mani�res difr�ren-
tes,& leur diverfit� vient non feule-
ment de la nature des Plantes qui
ont la plupart leur verd particu-
lier 3 mais encore du changement
des faifons & de la couleur des ter-
res , lorfque les herbes y font
�lair-fem�es. Cette vari�t� donne
iieu au Peintre de faire un choix,
ou d'a�fembler iur une m�me �ten-
due de terrein plufieurs verds en-
trem�l�s & ind�cis ,qui font fou-
vent tr�s - avantageux � ceux qui
favent en profiter -y parce que cet-
te diverfit� de verds qui fe trouve
tr�s-fouvent dans la nature, donne
un cara&ere de v�rit� aux endroits
o� l'on a su les employer � propos.
Il y en a un merveilleux exemple
dans le Pa�fage de la vue de Ma-
tines de Rubens»
&
-ocr page 222-
�l8 Cours de Peinture
Des Roches,
Quoique les Roches foient de
toutes fortes de formes , & qu'el-
les participent de toutes fortes de
couleurs, elles ont pourtant dans
leur diverfit� certains cara&eres
qui ne peuvent bien s'exprimer
qu'apr�s les avoir examin�es fur
le naturel. Il y en a qui font par
bans 6c par lits feuillet�s , d'au-
tres par gros blocs faillans ou ren-
trans, d'autres par grands quar-
tiers contig�s , d'autres enfin font
d'une mafl� �norme , 5c de la fi-
gure d'une feule pierre , ou parce
que c'eft fa propre nature , com-
me le grais , ou parce que les in-
jures des faifons pendant plufieurs
fiecles ont effac� les marques dont
je viens de parler. Mais de quel,
que forme que foient les roches.
elles ont d'ordinaire certaines in-
terruptions de fentes, de caffures,
de trous, de brouflailles, de mouf-
-ocr page 223-
far Principes.         11 9
Tes , & de taches -que le tems y a
imprim�es: de forte que toutes ces
chofes bien m�nag�es, donnent in-
failliblement une id�e de la v�-
rit�.
Les roches font d'elles-m�mes
m�lancoliques & propres aux foli-
rudes � elles infpirent un air frais
quand elles font accompagn�es
d'arbnfleaux : mais elles font d'un
agr�ment infini, lorique par Je
moyen des eaux qui en fartent, ou
qui les lavent , elles acqui�rent
une ame qui les fait en quelque
forte devenir fociables.
Des Terreins.
Terrein en terme de Peinture
$eft un efpace de terre diftingu� d'un
.autre, & fur lequel il n'y a ni bois
fort �lev�s, ni montagnes fort ap-
parentes. Les terrel n s contribuent
plus que toute autre chofe � la d�-
gradation & � l'enfoncement du
Pa�fage : parce qu'ils fe chafTent
-ocr page 224-
% % © Cours de Peinture
l'un l'autre , .ou par leurs formes^
,ou par le Glair obfcur , ou par la
jdiverfit� des couleurs, ou enfin par
une liaifon infenfible qui conduit
d'un cerrein � un autre.
La multiplication des ter-reins
eft fouvent oppof�e � la grandeur
de mani�re fans la d�truire abfo-
iument : car outre que cette multi-
plication fert � voir faire une gran-
de �tendue de Pa�s, elle eft fufcep-
tible d'accidens , qui �tant bien
entendus, font un tr�s-bon effet.
Il y a une d�licateffe «� obferver
dans les terreins, qui eft que pour
les bien caraclerifer , il faut �viter
que les arbres qui y feront plac�s
n'ayent les m�mes verds de les m�-
mes couleurs que leurs terreins ,
fans tomber n�anmoins dans des
diff�rences trop fenf�bles.
Des Terrajfes.
Terrafle en Peinture eft un elpav
ce 4e terre ou touc-�-fait d�nu�
-ocr page 225-
■par Principes.          �r. i
�� peu charg� d'herbes , comme'
font les grands chemins & les lieux
fouvent fr�quent�s. On n'emploie
gueres les terrafles que for le de-
vant du Tableau o� elles doivent1
�tre fpacieufes �c bien ouvertes 3
accompagn�es fi l'on veut de queL
que verdure qui s'y trouve comme
par accident , auffi-bier� que queL
ques pierres qui �tant plac�es avec
prudence, rendent la terrafle plus
vraii�mblable.
Des Fabriques.
On appelle Fabrique, en terme
de Peinture, les b�timens en g�-
nerai que le Peintre reprefente :
mais plus particuli�rement ceux
qui ont quelque r�gularit� d'Ar-
chite�fcure , ou du moins qui font
plus apparens. Ainf� ce terme con-
vient bien moins aux maifons de
Pa�fans & aux chaumi�res des
Bergers, lefquelles on introduit
dans le go�t champ�tre, qu'aux
Kiij
-ocr page 226-
x 2 Cours de Peinture.
b�t�mens r�guliers & fp�cieux que
l'on fait toujours entrer dans le
go�t h�ro�que.
Les Fabriques en g�n�ral font
d'un grand ornement dans le Pa�-
fage , quand m�me elles feroient
gothiques, ou qu'elles paro�troient
inhabit�es & � moiti� ruin�es : el-
les �l�vent la penf�e par l'ufage
auquel on s'imagine qu'elles ont
�t� deftin�es, comme nous voyons
ces anciennes tours qui femblent
avoir fervi d'habitation aux F�es,
&c qui font devenues la retraite
des Bergers, &c des hibous.
Le Pouffin a peint dans fes ou-
vrages des fabriques Romaines d'u-
ne grande �l�gance, &; Bourdon
des fabriques gothiques qui toutes
gothiques qu'elles font, ne laiffent
pas de jetter un air fublime dans
les Pa�fages. Le petit Bernard en
a invent� dans fon Hiftoire fainre
d'un go�t Babylonien , pour ainfi
dire , qui ont beaucoup de grar-
deur & de magnificence ; quoique
-ocr page 227-
far Principes.          x t %
le go�t en foit extraordinaire, je
ne voudrois pas tout �-fait les es*
jetter, elles �l�vent l'imagination ,,
&: je luis perfuad� qu'elles pour-
roient r�ul�ir dans leftyle H�ro�-
que parmi les d�mi-loins, h l'on.
en favoit faire un bon ufage.
Des Eaux.-
Le Pa�fage doit' une grande par-
tie de foname � l'eau que le Pein-
tre y introduit. On l'y voit de dif-
f�rentes fa�ons, elle y eft tant�t
impetueule, lorfqu'un orage la fait
d�border , lorfqu'� la chute des
rochers elle rejaillit & remonte
contre elle-m�me ; ou lorlqu'ayant
�t� prefF�e par quelque corps
�tranger , elle s'en �chappe , & fe
divife en une infinit� d'ondes ar-
gentines , qui par l'apparence de
leur mouvement & de leur mute-
mure, f�dui��nt agr�ablement nos
yeux �t nos oreilles. Tant�t tran-
quille elle ferpente dans un litia-
K iiij
-ocr page 228-
124 Court de Peinture
bloneux } tant�t comme priv�e
de mouvement, elle nous fert d'un
miroir fid�le pour multiplier tous
les objets qui lui font oppof�s,
&. qui en cet �tat de repos lui don-
nent encore plus vie que lorfqu'el-
le eft dans fa plus grande agitation.
Voyez les ouvrages de Bourdon
du moins en eftampes , c'eft un
de ceux qui a donn� plus d'ame
aux eaux, & qui les a trait�es avec
plus de g�nie.
L'eau ne convient pas � toute
forte de �ze -, mais pour la rendre
v�ritable , les Peintres qui en in-
troduisent dans leurs Tableaux y
doivent �tre parfaitement inftruits
de la juftefle des r�flexions aqua-
tiques. Car ce n'eft que par les r�-
flexions que l'eau en Peinture nous
paro�t de v�ritable eau , &, par la
pratique feule d�nu�e de juftefle ,
l'ouvrage eft priv� de la perfection
de fon effet, & nos yeux ne jouif-
fent pas de la moiti� du plaifvr
qu'ils devroient avoir. Cette negi�-
-ocr page 229-
par Principes,           z 2 y
gence feroit d'autant moins par-
donnable au Peintre, qu'il eftfort
aif� de fe faire une habitude \ de
la r�gle de ces r�flexions.
Il faut obierver n�anmoins que
l'eau qui eft un miroir ne repre-
fente fid�lement les objets qui lut
font oppof�s qu'autant qu'elle eft
tranquille : car fi elle eft dans quel-
que mouvement par fon cours na-
turel , ou par i'impullion du vent 9
fa furperficie qui en devient in�ga-
le , re�oit fur fes ondulations des 1
jours Se des ombres qui le m�lant:
avec l'apparence des objets, enaL
tere la forme 6c la couleur.
Du devant du Tableau..
Comme le devant du Tableatc
eft l'introducteur des yeux, on ne
f�uroit apporter trop de pr�cau-
tion pour faire en forte qu'ils foienc
bien re�us,tant�t par l'ouverture
d'une belle terrafle dont le def-
f�la, �i. le travail, (oient �galement
-ocr page 230-
2 16 Cours de Peinture
recherch�s , tant�t par des plan-
tes deplufieurs fortes bien cara&e-
rif�es,&; quelquefois accompagn�es
de leurs fleurs, tant�t par des fi-
gures d'un go�t piquant, & tant�t
par des objets peu communs ca-
pables d'attirer notre admiration
par leur nouveaut�, ou par quel-
que autre, chofe qui falTe plail�r �
la vue, & qui fe trouve plac� com-
me par hazard*.
Enfin le Peintre ne f�uroit trop
* �tudier les objets qui font fur les
premi�res lignes du Tableau , ils
attirent les yeux du fpe&ateur , ils
impriment le premier cara&ere de
v�rit� , & contribuent extr�me-
ment �. faire jouer l'artifice du Ta-
bleau, & � pr�venir l'eftime que
.nousdevonsavoir de tout l'ouvrage.
Je f�i qu'il y a de tr�s-beaux Pa�-
hges dont les devans qui paroif-
fent bien choifis, & qui donnent
une grande id�e , font pourtant
d'un travail tr�s-l�ger. J'avoue m�-
me qu'on doit pardonner cette le-
-ocr page 231-
far Principes.           % %-j
^eret� quand elle eft fpirituelle ,
qu'elle r�pond � la qualit� du ter-
rein , & qu'elle m�ne l'imagina-
tion � un eara&ere de v�rit�. Mais
on ne peut disconvenir auffi que
l'effet n'en foit rare , Se qu'il ne foie
� craindre que cette ex�cution l�-
g�re ne donne quelque id�e de
pauvret� ou d'une trop grande n�-
gligence. Je voudrois donc que de
quelque mani�re que les devansdu
Tableau foient difpof�s, on fe f�t
une loi indifpenfable de les termi-
ner par un travail exad 6c bien en-
tendu.
Des Plantes,
On ne peint pas toujours des
plantes fur les premi�res lignes du
Tableau , parce qu'il y a differens
moyens de rendre agr�ables les de-
yans du Pa�fage, comme nous le
venons de dire. Mais lorfqu'or� a
r�folu d'y en introduire , je vou-
drois qu'on les peign�t d'apr�s Na-
ture avec quelque exactitude , ou
du>moins que parmi celles que l'om
-ocr page 232-
i % & C<?jw <&■ Peinture
peint de pratique, il y en e�t quel-
ques-unes de plus termin�es, donc
on conn�t l'efpece par la diff�ren-
ce du deffein &c de la couleur ^ afin
que par une fuppof�tion vraifem-
blable elles communiquaflent aux
autres un caract�re de v�rit�. Ce
qui fe dit ici pour les plantes, fe
peut dire pour les branches des ar-
bres , 6c pour leur �corce.
Des Figures:
Le Peintre en compofant fon
Pa�fage peut avoir dans la penf�e
d'y imprimer un caradere confor-
me au fui et qu'il pourroit avoir
choifi, & que fes figures doivent re-
prefenter. Il fe peut faire auffi ( &
c'eft ce qui arrive ordinairement )
qu'il ne fonge � fes figures qu'apr�s
que fon Pa�fage eft tout-�-fait ter-
min� : &■ la v�rit� eft que dans la
plupart des Pa�&ges y les figures
font plut�t faites pour les acconu
pagner, que pour leur convenir.
Je fai qu'il y a des Pa�fages dont
-ocr page 233-
far Principes.          u:f
les f�tes &: les difpofitions ne de-
mandent que de Amples figures paf.
l'ageres-, & que plusieurs bons ma�-
tres ont introduites dans leurs Ta-
bleaux chacun d'ans ion fty le, com-
me a fait Pouffin dans fon H�ro�-
que , & Fouquier dans fen Cham-
p�tre avec toute la vraifemblanee
& la gr�ce poifible. Je fa� auffi qu'il
y a des figures de repos qui paroif-
fent int�rieurement occup�es $ �c
l'on ne peut trouver � redire � ces
deux fa�ons de traiter les figures,
parce qu'elles agiffent �galement
quoique diff�remment. L'inaction*
eft plut�t ce que l'on pourroit bl�^-
mer dans les figures :'� car par cet
�tat qui leur �te toute liaifon avec
le Pa�fage, elles y paro�troient tou-
jours poftiches , mais ians vouloir
�ter l�-deft�s la libert� du Peintre^
je fuis perfuad� que le meilleur
moyen de faire valoir les figures 3
eft de les accorder tellement ai*
caraclere du Pa�fage , qu'il femble
que le Pa�fage n'ait �t� fait-cpa
-ocr page 234-
230 Cours de Peinture
pour les figures. Je voudrois qu'el-
les ne fuflent ni infipides, ni indif-
f�rentes -y mais qu'elles reprefen-
tafTent quelque p�tit fujet pour r�-
veiller l'attention du fpe&ateur,
ou du moins pour donner un nom:
au Tableau,& le diftinguer d'en,
tre les autres parmi les curieux.
Il faut extr�mement prendre
garde � proportionner la grandeur
des figures � celle des arbres & des
autres objets qui entrent dans le
Pa�fage; fi on les fait trop grandes ,
on rend le Pa�fage de petite ma-
ni�re , f� au contraire on les fait
trop petites, on leur donne un air
de Pigm�es qui en d�truit la va-
leur , & le Pa�fage en devient �nor-
me. Au refte il y a bien plus d'in-
conv�nient en faifant les figures
trop grandes, qu'en les faifant trop
petites^ celles-ci donnent du moins
un air de grandeur � tout le refte.
Mais comme les figures font d'or-
dinaire petites dans les Pa'ifages ,.
H faut que le Peintre ait foin de
-ocr page 235-
far Principe?,.         % 3 v
les toucher d'efprit, & de les ac-
compagner par endroits de cou-
leurs vives mais convenables pour
attirer la vue, fans fortir d'un dif-
cret m�nagement pour la vraifem-
blance , et pour l'union des cou-
leurs.
Que le Peintre fe fouvienne enfin
qu'entre les parties qui donnent
P�me au Pa�fage, les figures tien-
nent le premier rang, Se que pour
cette-raifon il eft fort � propos d'en
femer aux endroits o� elles con-
viendront.
Des jirbres.
Il m'a toujours paru que l'un des
plus grands ornemens du Pa�fage,
confiftoit dans la beaut� de fes ar-
bres , � caufe de la vari�t� de leurs
efpeces v de la fra�cheur qui paro�t
les accompagner, et fur-tout de leur
l�g�ret� qui nous induit � croire
qu'�tant expof�s � l'agitation de
Pair , ils font toujours en mouve-
ment.
Quoique la d�v�xf�t� p laite dans;
-ocr page 236-
131 Cours de Peinture
tous les objets qui compofent \m
Pa�fage, c'eft principalement dans
les arbres qu'elle fait voir fon plus
grand agr�ment. Elle s'y fait re-
marquer dans l'efpece & dans ia
forme. L'efpece des arbres deman-
de une �tude & une attention par-
ticuli�re du Peintre pour les faire
distinguer les uns des autres dans
fon ouvrage. Il faut que du premier
coup d'�il on voye que c'eft un
ch�ne , un orme, un lapin, un ci-
comore, un peuplier, un. Saule, un
pin, & les autres arbres qui par uns
couleur ou une touche Sp�cifique,,
peuvent �tre reconnus pour une ef.
pece particuli�re. Cette �tude eft
d'une trop grande recherche pour
l'exiger dans toute fon �tendue y
& peu de Peintres l'ont m�me faite
avec l'exaditude raifonnable que
demande leur Art. Mais il eft conC
sant que ceux qui approcheront le
plus de cette perfection , jetteront
dans leur ouvrage un agr�ment in-
fini , &; s'attireront une grande dit-,
lindiom
-ocr page 237-
far Principes. . � 3 5:
Outre la vari�t� qui fe trouve
dans chaque efpece d'arbre, il y &
dans tous les arbres une vari�t� g�-
n�rale. Elle fefait remarquer dans
les diff�rentes mani�res dont leurs
branches font diipoiees par un jeu
de la Nature,laquelle fe pla�t � ren-
dre les uns plus v'goureux &: plus
touffus,Se les autres plus fecs,& plus
d�garnis 5 les uns plus verds 6c les
autres plus roux ou plus jaun�-
tres.
La perfection fero�t de joindre
dans la pratique ces deux vari�t�s
eniemble -, mais 11 le Peintre ne re-
prel�nte que m�diocrement celle
qui regarde l'�lpece des arbres r
qu'il ait du moins un grand foin de
varier les formes et la couleur de
ceux qu'il veut reprefenter : car la.
r�p�tition des m�mes touches dans
un m�me Pa�Tage,caufe une efpece
d'ennui pour les yeux , comme la*
monotonie dans un d�fcours pour
les. oreilles,
f
-ocr page 238-
i 3 4 Cours de Peinture
La vari�t� des formes efl m�me
i� grande,que le Peintre feroit inex*
cufable de ne la pas mettre en ufa-
ge dans l'occafion, principalement
lorfqu'il s'apper�oit qu'if a befoin
de reveiller l'attention du fpecta-
teur. Car parmi les arbres en g�n�-
ral , la Nature nous en fait voir de
jeunes, de vieux , d'ouverts, de fer-
r�s Y de pointus 5 d'autres � claire-
voie , � tiges couch�es &: �tendues r
d'autres qui font l'arc en montant,
�c d'autres en defcendant, & enfin
d'une infinit� de fa�ons qu'il enY
plusaif� d'Imaginer que d'�crire.
On trouvera , par exemple, que
le caract�re des jeunes arbres elt
d'avoir les branches longues, me-
nues y & en petit nombre , mais
bien garnies, les touffes bien refen-
dues, �c les feuilles vigoureufes &
bien form�es.
Que les vieux au contraire ont
les branches courtes, grof��s, ra-
maiT�es, & en grand nombre } les
-ocr page 239-
far Principes..          13 f
iouffes �moui�ees, & les feuilles
in�gales & peu form�es. Il en eifc
ainfi des autres choies qu'un peu
d'obfervation & de g�nie feront
parfaitement'tonno�tre.
Dans la vari�t� des formes de
laquelle je viens de parler, il doit
y avoir une diftribution de bran-
ches qui ait un jufte rapport & une
liaifon vraifemblable avec les
touffes, en forte qu'elles fe pr�tent
un mutuel fecours pour donner �
l'arbre une l�g�ret� �c une v�rit�
fenfible.
Mais de quelque mani�re que l'or*
tourne & que l'on faiTe voir les
branches des arbres, 6c de quelque
nature qu'ils foient, que l'on fe fou-
vienne toujours que la touche en
doit �tre vive & legere,fi l'on veut
leur donner tout l'efprit que de-
mande leur caract�re.
Les arbres font encore diff�rent
par leur �corce. Elle eft ordinaire-
ment grife ; mais ce gris, qui dans
an air groi��cr � dans les lieux bas Se
-ocr page 240-
3 S Cours d� Peinture
mar�cageux devient noir�tre , ��
fait voir au- contraire plus clair
dans un air fubtil ; &: il arrive fou-
vent que dans les lieux fecs l'�-
eorce le rev�t d'une* mouffe l�g�-
re & adh�rente qui fa fait paroi-
tre tout � fait jaune. Ainn* pour ren^
dre l'�corce d'un arbre feniible,
le Peintre peut la fuppofer claire
fur un fond obfcur , & obfcure fur
un fond clair.
L'obfervation des �corces diff�-
rentes m�rite une attention parti-
culi�re ; ceux qui voudront y faire
r�flexion, trouveront que la varie-
t� des �corces des bois durs confif-
te en g�n�ral dans les fentes que
le tems y a miles comme une ei-
pece de broderie, & qu'� mefure
qu'ils vieilliffent les crevaffes des
�corces deviennent plus profon-
des. Le refte d�pend des accidens
qui naiflent de rhumidite , ou de
la fecherel�e, par des moufles ver-
tes,. & par des taches blanches de
in�gales..
-ocr page 241-
par Principes.          z 3 y
�/�corce des bois blancs donnera
au Peintre plus de mati�re � s'e-
xercer , s'il -veut prendre le plaifir
d'en examiner la diversit� qu'il ne
doit pas n�gliger dans fes �tudes.
Cette r�flexion m'oblige de dire
ici quelque chofe de l'�tude duPa�-
fage , & je le ferai f�lon que je le
con�ois, fans vouloir afTujettir perr
fonne � fuivre mon fendaient.
De l'Etude du P a� Cage.
L'Etude du Pa�fage fe peut con-
iiderer de deux fa�ons. La premi�-
re eft pour ceux qui commencent 6c
qui n'ont jamais pratiqu� ce genre
de Peinture 5 & l'autre regarde les
Peintres qui en ont d�j� quelque
habitude.
Ceux qui n'ont jamais fait de
Pa�fages & qui veulent s'y exercer,
trouveront dans la pratique que
3eur plus grande peine fera d�pein-
dre des arbres -, & il me paro�t auC
que non feulement dans la pra�i*
-ocr page 242-
-a 3 8 Cours de Peintme
�que, mais encore dans la Sp�cula-
tion, les arbres font la plus diffici-
le partie du Pa�fage, comme ils en
font le plus grand ornement.
Cependant il n'eft ici queftion
pour ceux qui commencent,que de
leur donner une id�e des arbres en
g�n�ral, ■& de leur procurer une
habitude de les bien toucher.
Quoiqu'il parohTe inutile de leur
^'aire remarquer les effets ordinai-
res qui arrivent dans les plantes &
�dans les arbres, parce qu'il n'y a
tprefque perfonne qui ne s'en ap-
per�oive ; il y a pourtant des choies
qui bien qu'on ne les ignore pas,
m�ritent n�anmoins quelque r�fle-
xion. L'on fait, par exemple, que
tout arbre cherche l'air , comme
la principale caufe de fa vie & de
fes productions, les uns plus, les
autres moins : ,8c c'eft pour cela
que dans leur accroiiTemene , fi
vous en exceptez le cypr�s �c quel-
ques arbres de cette nature, ils s'�-
cartent l'an de l'autre , & de tous
-ocr page 243-
far Principes.          239
corps �trangers autant -qu'ils le
peuvent, leurs branches & leurs
feuilles font la m�me chofe. Ainfi
pour leur donner cette l�g�ret� ��
.cet air d�gag� qui eft leur principal
caract�re, il faut avoir foin dans la
diltribution des branches, des touf-
fes, & des feuilles,qu'elles fe fuyent
l'une l'autre, qu'elles rirent toutes
■de differens c�t�s, & qu'elles foient
bien r�fendues 5 & que ces chofes
fe fafi�nt fans affe&er aucunarran-
gement, mais feulement comme fi
le hazard avoit pris plaifir de f�-
conder la Nature dans la bizarre-
rie de fa. diverfit�.
Mais de dire de quelle mani�re
cette diftribution de tiges, de touf-
fes , �c de feuilles fe doit faire, il
eir. inutile � mon avis d'en rappor-
ter ici le d�tail qui ne pourroig�tre
qu'une demonft ration copi�e d'a-
pr�s les grands Ma�tres 5 leurs ou-
vrages & un peu d'attention fur les
effets de la Nature, en feront plus
comprendre que tous les difcours
-ocr page 244-
2.40 Cours de Peinture
que j'en pourrois faire. J'entens
par les grands Ma�tres, ceux prin-
cipalement qui ont donn� des es-
tampes au Public : ainfi ceux qui
«commencent � peindre Je Pa�fage,
apprendront d'abord plus en r�fle-
chifTant fur ces eftampes «5c en les
�copiant 5 qu'ils ne feroient d'apr�s
les Tableaux.
Parmi une aflfez grande quantit�
de ces grands Ma�tres de toutes les
ge�les , je prefererois les eftam-
pes en bois du Titien, o� les ar-
fores font bien form�s, «Se celles que
Corneille Cort & Auguftin Cara-
che ont grav�es : «5c je r�p�te pour
,ceux qui commencent , qu'ils ne
��uroient mieux faire que de
.contracter avant toutes chofes une
habitude d'imiter la touche de ces
grands Ma�tres ^ <5c en les imitant,
de r�fl�chir fur la perfpective des
branches & des feuilles , 3c de
prendre garde de quelle mani�re
glles paroilfent lorsqu'elles mon-
tent 3c qu'elles font vues par def-
-ocr page 245-
far Principes.         i^t
fous , lorfqu'elles defcend�nt �c
qu'elles font vues par de/lus, lorf.
qu'elles fe prefentent de front �c
qu'elles ne iont vues que par la
pointe, lorfqu'elles fe jettent de
c�te ;�& enfin aux difrerens afpeds
dont la Nature les prefente i�ns
Sortir de fon caract�re.
Et apr�s avoir beaucoup �tudi�
& copi� � la plume ou au crayon
le Titien ■& les Caraches , leurs
Eilampes premi�rement, puis leurs
Defieins, fi l'on en peut avoir, il
faut t�cher d'imiter avec le pin-
ceau les touches que ces grands
Hommes ont Je plus nettement Sp�-
cifi�es. Mais comme les Tableaux
duTitien & ceux desCaraches font
fort rares , on peut leur en fub-
ilituer d'autres qui ont eu un bon
caract�re dans leur touche, parmi
Jefquels on peut fuivre Fouquier ,
comme un tr�s- excellent-.-..mo-
d�le : Paul Bril, Breugle , & Bour-
don font encore tr�s.bons , leur
touche eft nette, vive, & l�g�re.
-ocr page 246-
.2.4 Cours de Peinture
Mais apr�s avoir bien pbferv�
la. Nature des arbres & la mani�re
dont les feuilles s'�cartent & fe
rangent ,& dont les branches font
refendues , il faut s'en faire une
vive id�e afin d'en conferver par-
tout l'efprit, foit en les rendant
fenf�bles & diftin&es fur les devans
du Tableau, foit en les confondant
� mefure quJelles feront �loign�es.
Enfin apr�s avoir contract� de
cette forte quelque habitude d'a-
pr�s les bonnes mani�res, on pour-
ra �tudier d'apr�s Nature en la
choififlant & en la rectifiant fur
J'id�e que ces grands Ma�tres en
ont eue. Pour la perfection, il faut
l'attendre d'une bonne pratique, gc
de la perfeverance dans le travail.
Voil�, ce me femble, ce qui regar-
de ceux qui ayant inclination de
faire du Pa'�fage, cherchent les
inoyens de bien commencer.
A l'�gard de ceux qui ont d�j�
.quelque habitude dans ce genre de
Peinture, il eft bon qu'ils amaflenc
-ocr page 247-
far Principes.         t43
des mat�riaux, & qu'ils faflent des
�tudes des objets au moins qu'ils
ont fouvent occafion de reprefen-
ter.
Xes Peintres appellent ordinai-
rement du nom d'�tude les parties
qu'ils def��nent ou qu'ils peignent
ieparement d'apr�s Nature , lef-
quelles doivent entrer dans la corn-
pofkion de leur Tableau , de quel-
que Nature qu'elles puii�ent �tre j
figures ., t�tes , pieds, mains, dra-
peries, animaux , montagnes , ar-
bres , plantes , rieurs, fruits , �c
tout ce qui peut les af�urer dans
�'imitat�on de la Nature. Us appel-
lent , dis-je, du nom d'�tude tou~
Tes ces parties deii�ndes , foit qu'ils
s'en inftruifent en les deffinant, foit
qu'ils ne fe fervent de ce moyen
que pour s'affurer de la vei-it�, &
pour perfectionner leur ouvrage.
Quoi qu'il en foit, ce nom convient
-d'autant mieux � l5ui�o;e des Pein-
tres , que dans ladiverfit� de laNa-
�ure , ils d�couvrent toujours des
L ij
-ocr page 248-
2.44 Cottrs de Peinture
�hofes nouvelles , & fe fortifient
dans celles qui �toient d�j� de leur
connoifTance.
Comme il n'eft queftion que de
l'�tude des objets qui fe trouvent
� la campagne, je voudrois que le
Pa�fagifte m�t un tel ordre dans
celles qu'il doit faire , que les DeC
feins dont il auroit befoin pour la
reprefentation de quelque objet ,
fe trouvaient promtement fous fa
main. Je fouhaiterois, par exem-
ple, qu'il copi�t d'apr�s Naturel
fur plufieurs papiers les effets dif-
f�r�es que l'on remarque aux ar-
bres en g�n�ral, & qu'il f�t la m�-
me choie fur les diff�rentes efpe-
�es des arbres en particulier, com-
me dans la tige3 dans la feuille &;
dans la couleur. Je voudrois m�me
qu'il en i\t autant pour quelques
plantes dont la diverfit� eft d'un
grand ornement pour les terralfes
emi iont fur les devans.
Je voudrois encore qu'il �tudi�t
de '% m�me mani�re les effets �\n
-ocr page 249-
far Principes: , �4/
yel dans les diff�rentes heures dit
jour, dans les diff�rentes fa�'fons >
dans les diff�rentes difpofitions des
nuages, dans un t�tas ferain & dans
celui des tonnerres & des orages
J en dis autant pour les lointains
pour les divers caracferes des
roches, des eaux , & des princi-
paux objets 'qui entrent dans h
�Hallage.
Apr�s ces �tudes fepar�es que le
Paifagifte a d� faire dans l'occa-
lion, je lui demanderois de ramaf
ier enfemble celles qui regardent
les m�mes mati�res, & d'en faire
comme un livre � afin qu'�tant
amn rang�es, il puufe les trouver
Plus promptement, & s'en aider
clans le befoin.
. les �tudes des Pa�/agiftes confi�
tent donc dans les recherches des
beaux effets de la Nature , def
quels il peut avoir befoin dans la
compofition de fes Tableaux , ou
«ans l'ex�cution de quelque par-'
«e, foit pour la forme , foit pour,
Liij
-ocr page 250-
2,46 Cours de Peinture
la couleur. Mais la queftion eft de
bien choifir ces beaux effets de la.
Nature. Il faut pour cela �tre n�
avec un bon efprit, un bon go�t, &
un beau g-enie, & avoir cultiv� ce
g�nie par les obfervations que l'on
aura faites fur les ouvrages des meil-
leurs Ma�tres , & avoir examin�
comment ils ont eux-m�mes choifi.
�a Nature, &. comment en la recti-
fiant f�lon leur Art, ils en ont con-
l�rv� le cara&ere. Avec ces avan-
tages que donne la naiffance ., Se
que l'Art perfectionne, le Peintre
ne peut manquer de faire de bons
choix 5 & f�chant ainfi d�m�ler le
bon d'avec le mauvais , il tirera
beaucoup d'utilit� des chofes m�-
me les plus communes.
Pour faire ces fortes d'�tudes,
plufieurs Peintres fe font fervis de
divers moyens, & j'ai cru qu'il ne
feroit pas hors de propos de rap-
porter ici ceux que j'ai vu prati-
quer , & dont j'ai moi-m�me quel-
que exp�rience.
-ocr page 251-
far Principes           %/�-j
Ceft don^ d'apr�s Nature & en
pleine campagne que quel ques-un*
ont deffin� &' fini exactement les
morceaux qu'ils ont choif�s, faris y
ajouter de couleurs. D'autres ont
peint avec des couleurs � huile fur
du papier fort , & de demi - tein-
te , & ont trouv� cette mani�re
commode en ce que les couleurs
venant � s'emboire, donnent la fa-
cilit� de mettre couleur fur cou-
leur , quoique diff�rence l'une de
l'autre. Ils portent � cet effet une
bo�te plate qui contient commo-
d�ment leur palette , leurs pin-
ceaux , de l'huile & des couleurs.
Cette mani�re qui demande � la
v�rit� quelque attirail , eft fans
doute la meilleure pour tirer de la
Nature plus de d�tails , & avec
plus d'exactitude, fur-tout, fi apr�s
que l'ouvrage eft fec & verni , on
vouloit retourner fur les lieux pour
retoucher les chofes principales &
les finir d'apr�s Nature. D'autres
ont feulement trac� les contours
L iiij
-ocr page 252-
2.4,8 Co�ts de Peinture
des objets, & les ont lav�s de cou-
leurs approchantes de celles de la
Nature , mais l�g�rement,, & feu-
lement pour foulager leur m�moi-
re. D'autres ont obferv� atten-
tivement les morceaux qu'ils vou-
loient retenir � & fe font conten-
t�s de \es confier � leur m�moire
qui dans te befoin les leur rappor-
toit fid�lement. D'autres fe fonc
fervis de paflels 6c de lavis ensem-
ble. D'autres plus curieux & plus
patiens en ont fait � plufieurs fois
dans les endroits o� ils pouvaient
aller facilement, 6c dont les f�tes
�toient de leur go�t. La premi�re
fois ils ne faifoient autre chofe que
de bien choifir leurs morceaux , 6c
d'en deffiner le trait correctement 5
6c les autres jours qu'ils y retour-
noient , c'�toit pour en remar-
quer les couleurs qui font voir au-
tant de diverfit�, qu'il y a de chan-
gement dans les lumi�res acciden-
relies.
Tous ces moyens font fort bons^
-ocr page 253-
far Principes.           249
&- chacun s'en doit fervir f�lon ce
qui lui convient, & f�lon l'activit�
de fon temp�rament. Mais ces ma-
ni�res d'�tudier demandent une
pr�paration de la part du Peintre :
il lui faut des couleurs, des pin-
ceaux , d^s paftels, 8c du loifir. Ce-
pendant il arrive des momens o�
la Nature fait voir des beaut�s ex-
traordinaires ,, mais pal�ageres &
inutiles pour le Peintre qui n'auroit
pas tout le tems d'imiter ce qu'il
voit avec admiration. Voici donc
ce que je croi de plus exp�dient
pour profiter de ces occafions mo-
mentan�es-.
Je fuppofe , comme cela doit"-
�tre, que le Peintre a toujours fur
foi un cahier de papier 8c du crayon
de mine. Cela �tant, il doit deffi-
11er promptement 6c l�g�rement
ce qu'il voit d'extraordinaire , �c
pour en retenir les couleurs il doit
marquer les principaux endroits-
par des caract�res qui feront ex-
pliqu�s au bas du papier, 8c dont il
Lv
-ocr page 254-
2 j o Cours de Peinture
fufl�ra qu'il ait l'intelligence. Un-
nuage , par exemple , fera mar-
qu� A j un autre nuage B ; une
lumi�re C ; une montagne D 3
une terraffe E 5 &: ainf� du refte.
L'on ajoutera � chaque lettre qui
fera r�p�t�e au bas du papier, telle
chofe eft color�e de telle ou telle
couleur : ou bien, pour abr�ger ,
on mettra feulement, bleu, rouge,
violet , eris , ou m�me d'autres
marques plus abr�g�es 3 Se connues
feulement par celui qui s'en voudra
fervir.
Mais il faut obferver dans cette
mani�re d'�tudier, qu'elle deman-
de un promt ufage de la palette &�
des pinceaux d�s qu'on le pourra 5
autrement la plupart des chofes
que l'on auroit marqu�es �cha-
peroient en peu de jours de la m�-
moire. Et l'utilit� en eft l� grande ,
que non-feulement fans ce moyen ,
le Peintre perd une. infinit� de
beaut�s. paliageres : mais encore
que; les autres moyens dont nous
-ocr page 255-
par Principe^.         zyi
venons de parler , peuvent fe per-
fectionner par fon fecours 5 c'efl: �
dire , en le fervant de marques <k
de cara&eres.
Si l'on demande quel tems en:
le plus avantageux pour faire les
�tudes dont nous venons de par-
ler, je r�pondrai que le Pa�fagiffce
doit �tudier la Nature en tout
tems ; parce qu'il eft oblig� de la:
repr�senter en toutes les faifons ,.,
que n�anmoins l'Automne eft la
plus propre � donner au Peintre
une recoke abondante des beaux
effets de la Nature 5 la douceur de
cette faifon , la beaut� du Ciel,
la richefle de la terre , & la va-
ri�t� d'objets,font de puiifans mo-
tifs pour exciter le Peintre � faire
des recherches qui cultivent fon
g�nie, �c qui perfectionnent fon;
Art.
Mais comme on ne peut pas
tout voir, ni tout obferver , il eft
tr�s-louable de fe fervir des �tu-
des d'autrui ,.& de les regarder^
L vj
-ocr page 256-
x 5 ■� ■ Ctf<w de Peinture
comme Ci on les avoyc faites foi-
m�me. Rapha�l envoya de jeunes
gens en Gr�ce pour deffiner des
chofes donc il croyoit tirer de l'u-
tilit� , & dont il s'eft effectivement
fervi comme fi lui-m�me les avoit
deffin�es fur les lieux. Bien loin
que Ton puifle, fur cette pr�caution
rien reprocher � Rapha�l, on doit
en cela lui favoir gr� du chemin
qu'il a montr� aux autres , pour
chercher toutes fortes de moyens
de s'avancer dans leur profel�ion.
AinfilePa�fagiftepeut fefervir des
ouvrages d� tous ceux qui ont ex-
cell� dans quelque partie, afin
qu'il s'en faite une bonne mani�re
� la fa�on des abeilles qui tirent
« des meilleures fleurs ce qui fait le
meilleur miel.
Obfervations g�nerait s fur le-
Pa�fage.
Comme les r�gles g�n�rales de
la Peinture font les fondemens de^
-ocr page 257-
far Principes:          tff
tous les genres de cet Art, on y
renvoie celui qui veut faire du
Pa�fage 3 ou plut�t Ton fuppofe
qu'il en efl inflruit. On fera feu-
lement ici quelques obl�rvations
g�n�rales qui regardent ce genre
de Peinture.
i. Le Pa�fage fuppofe l'habitu-
de des principales r�gles de la per-
ipective, pour ne fe point �loigner
du vraifemblable.
2. Plus les feuilles des arbres
font pr�s de la terre,plus elles font:
grandes & vertes ; parce qu'elles
font plus � port�e de recevoir abon,
damment la f�ve qui les nourrit.
Et les branches d'en haut com-
mencent les premi�res � prendre
le roux ou le jaune qui les colore
dans l'arri�re faifom Il n'en eft
pas de m�me des plantes dont les
tiges fe renouvellent tous les ans y
& dont les feuilles fe. fuivent avec
un intervalle de teins aflez con-
sid�rable : de forte que la Nature
�tant occup�e � en produire- de.
-ocr page 258-
» 54' Cours de Peinture
nouvelles pour garnir la tige � me:
fure qu'elle s'�l�ve , abandonne
peu � peu celles qui font en bas,
parce, qu'ayant accompli les pre-
mi�res leur tems &: leur office ,
elles p�ri�Tent les premi�res. C'en:
un effet, qui eft plus fenfible en
quelques plantes, & moins en d'au-
tres.
3. Le deffous de toutes les feuil-
les eft d'un verd plus clair que le
deffus, & tire prefque toujours fur
l'argentin. Ainfi les feuilles qui font
agit�es d'un grand vent doivent
�tre distingu�es des autres par cet.
te couleur. Mais fi on les voit par-
deffous, lorfqu'elles font p�n�tr�es
de la lumi�re du Soleil, leur tranC
parent paro�t d'un verd fi beau &
fi vif, que l'on juge facilement que
de tous les autres verds , il n'y en
a point qui en approche.
4 Entre les chofes qui donnent
de l'ame au Pa�lage, il y en a cinq
qui font elTbntielles , les figures ,
les animaux , les eaux, les arbres
-ocr page 259-
#»>"Principes..         2Tr,
^res du vent ,& la l�g�ret� du
gnceau. On pourroit y ap�ter les.
Wes a quand le Peintre a occa-
"on d en faire paro�tre.
5- Quand une couleur r�gne
ge , comme
un m�me verd au Printems , ou
comme un m�me roux dans l'Au-
tomne die donne au Tableau un
air de Camayeu ou d'un ouvrage
qui n eft pas achev�. J'ai va plt
fours Pai�ages de Bourdon , aux-
quels jpour avoir employ� partout
un m�me %le de grain , il �toic
beaucQup de leur beaut�, quoique
d ailleurs les f�tes & les eaux en fifl
lent plaifir � voir. Je laifTe au Pein-
tre ing�nieux le foin de reparer, &
comme on dit", deracheter la cou-
leur ingrate des Hiver & des Prin-
tems par des figures, par des «aux,.
«par des fabriques : car pour les
Sujets d'Et� & -d'Automne, ils font
iuiceptibles d'une grande diverfit�.
6. Le.Titien &l� Carache font
les mod�les les plus capables dltt-J
-ocr page 260-
2rj-<r cours de Peinture
fpirer le bon go�t, & de mettre fe
Peintre dans la bonne voie , pour
la forme & pourla couleur. Il faut
faire tous fes efforts pour bien com-
prendre les principes que ces
grands Hommes nous ont laiff�s
dans leurs ouvrages,&. s'en remplir
l'imagination, fi l'on veut s'avan-
cer de plus en plus, &; tendre � la
perfection que le Peintre doit cou*.
iours avoir en vue.
t
7. Les Pa�fages de ces deux Pein-
tres , le Titien �c le Carache , en-
feignent beaucoup de chofes dont
le difcours ne fauroit donner des
id�es bien precifes, ni des principes
g�n�raux. Le moyen , par exemp-
le , de d�terminer les mefures de
arbre en g�nerai, comme on d�-
termineroit les mefures du corps
humain. L'arbre n'a point de pro-
portions arr�t�es, une grande par-
tie de fa beaut� conf�fte dans le
eontrafte de fes branches, dans la
diftribution in�gale de fes tourFes,&
enfin dans une certaine bizarrerie
-ocr page 261-
■par Principes,          i j 7
dont �a Nature fe jone, & dont le
Peintre eft un bon arbitre^quand il
a bien go�t� les ouvrages des deux
Peintres que je viens de nommer.
Il faut n�anmoins dire � la louan-
ge du Titien, que le chemin qu'il a
fray� eft le plus fur de beaucoup ,
en ce qu'il a fuivr exactement la
Nature dans fa diverf�t�, avec un
go�t exquis, un coloris pr�cieux ,
& une imitation tr�s-fid�le ; &: le
Carache, quoique tr�s-habile, &
les autres bons Peintres -, n'ont pas
�t� exemts de mani�re dans l'ex�-
cution de leurs Pa�fages,.
8. Une des plus grandes perfec-
tions du Pa�fage dans cette gran-
de vari�t� qu'il reprefente, eft l'i-
mitarion fid�le de chaque caract�-
re en particulier 3 comme fon plus
grand d�faut eft une pratique fau-
vage qui tombe dans ce qu'on ap-
pelle routine.
9. Parmi les chofes que l'on peint
de pratiquejl eft fort � propos d'eu
m�ler quelques-unes faites d'apr�i
-ocr page 262-
2, f$ Cours de Peinture
Nature : cela induit le Spedateur'
� croire que le refte a �t� pareille-
ment fait d'apr�s Nature;
10. Comme il y a des ftyles de
penfer, il y en a auffi d'ex�cuter.
J'en ai parl� de deux pour la pen-
f�e, le ftyle h�ro�que , & le ftyle
champ�tre 3 8c j'en trouve pareil
nombre pour l'ex�cution , le ftyle
ferme , & le ftyle poli. Ces deux
derniers ne regardent que la main
& la fa�on plus ou moins fpirituei-
le de conduire le pinceau. Le ftyle
ferme donne del� vie � l'ouvrage,
& faitexcufer les mauvais choix,&
le ftyle poli finit �c polit toutes cho-
ies , il ne lairTe rien � faire � l'ima-
gination du Spectateur, laquelle fe
fait un plail�r de trouver & d'ache-
ver des chofes qu'elle attribue au
Peintre,quoiqu'elles viennent v�ri-
tablement d'elle. Le ftyle poli tom-
be dans le mou &: dans le fade, s'il
n'eft fo�tenu d'un beau fite : mais
la jonction de ces deux caraderes
rend l'ouvrage tr�s-curieux,,
-ocr page 263-
far Principes.         s f$?
ri. Apr�s avoir fait paffer com-
me en revue les principales parties
qui compofent le Pa�fage , apr�s
avoir parl� des �tudes que l'on y.
pourroit faire , �c apr�s avoir fait
quelques obfervations g�n�rales
qui regardent ce genre de Peintu-
re, je ne doute pas que plusieurs
perfonnes ne fo�haitent encore ,
pour rendre cet ouvrage moins, d�-
fectueux , quelque choie touchant:
la pratique & l'emploi des cou-
leurs. Mais comme chacun a fa pra-
tique particuli�re, &; que l'emploi
des couleurs comprend une partie
des fecrets de l'Art, il faut atten-
dre ce d�tail de l'amiti� & de la.
converfation des Peintres les plus
�clair�s, & joindre leurs avis avec:
fa propre exp�rience.
-ocr page 264-
a <y� Cours de Peinture
Sur la mani�re de faire les
Portraits.
S
I la Peinture eft une imitation
de la Nature, elle l'eft double-,
ment � l'�gard du portrait qui ne
reprefente pas feulement ut�.hom-
me en g�n�ral : mais un-tel homme
en particulier qui foi� diftingu� de
tous les autres ; & de m�me que la
premi�re perfe&ion d'un Portrait
eft une extr�mererT�mb�ance, ain-
i� le plus grand de fes d�fauts eft
de reifembler � une personne pour
laquelle il n'a pas �t� fait,n'y ayant
pas deux perfonnes dans le monde
qui l� reflemblent. Mais avant que
d'entrer dans le d�tail des chofes
qui donnent la connonTance de
cette imitation particuli�re , il eft
bon de faire pafler ici en revue
quelques proportions g�n�rales
qui doivent pr�parer l'efprit are-
-ocr page 265-
far Principes.        z(,i
cevoir ce que je dirai dans la fui~
te,& fupl�er � ce que je ne dirai pasj
car autrement il faudroit un trop'
long difcours.

L'imitation eft l'efl�nce de la
Peinture, & le b�n choix eft � cette
eflence ce que les vertus font �
l'homme , il en relev� le prix.
C'eft pour cela que le Peintre a
grand int�r�t de ne choif�r que des
t�tes avantageufes ou de bons mo-
mens, & des fituations qui fup_
pl�ent au d�faut d'un beau naturel
Jl
Il y a des vues du naturel plus
ou moins avantageufes, tout dev
pend de le bien tourner , & de le
prendre dans un bon moment.
III.
Il n'y a pas une perfonne dans �e
monde qui n'ait un cara�ere parti-
culier de corps 8c de yifage.
IV.
La Nature i�mple & na�ve con.
iden� mjeux � l'imitation , .elle eft
-ocr page 266-
_rl>2. Vours de Teinture
d'un meilleur choix que celle qui
eft ajuft�e & que l'on a voulu em-
cbelir par un trop grand artifice.
V.
C'en: une violence qu'on fait �
la Nature que de la trop parer,
;Sc l'action qui en eft �nfeparable
ne peut �tre libre dans les ajufte-
mens qui portent avec eux de la
contrainte. En un mot la Nature
par�e en eft: moins Nature , pour
ainfi dire.
VI
Il y a des moyens plus avantageux
les uns que les autres pour arriver
� une m�me fin.
VIL
Il ne faut pas feulement imiter
ce que 1 on voit ^ mais ce que l'on
peut voir d'avantageux � l'Art.
VIII.
La comparaifon fait valoir les
chofes , U ce n'eft que par elle
��cju'on en peut bien juger.
IX.
Les yeux des Peintres s'accou-
-ocr page 267-
fdr Principes.           2:6|
tument a��ement aux teintes dont
ils fe fervent.pour lsordinaire,& � la
mani�re qu'ils ont apprife de leurs
Ma�tres j de forte qu'apr�s cette
habitude ils voient la Nature, non
pas comme elle eft en effet, mais
comme ils, ont accoutum� de la
peindre & de la colorier.
X.
Il eft tr�s-difficile qu'un Tableau
dont les figures feront de la gran-
deur du naturel, faffe fon effet de
pr�s comme de loin. Un Tableau
lavant ne plaira aux ignorans que
dans fa diftance, mais les connoiC
feurs en admireront l'artifice de
pr�s, Se l'effet de loin.
XI.
L'intelligence donne du plaii�r
,& de la facilit� dans le travail 5 le
voyageur qui fait bien fon cheaiin
arrive plus furement & plus vite ,
que celui qui cherche & qui ta-
tonne.
XII.
U eft bon , avant de s'engager
-ocr page 268-
2.^4 Cours de Peititure
dans un ouvrage, de le m�diter 5c
d'en faire un efquiffe colori� pour
fon repos, & pour le foulagement
de fa m�moire.
On ne fauroir. trop r�fl�chir fur
ces proportions, & il eft n�ceiTaire
de s'en former une telle habitude
qu'elles fe prefentent d'elles m�-
mes � l'efprit, fans �tre oblig� lors
du travail, de les rappeller dans fa
m�moire quand on travaillera.
Quatre rhofes font n�ceflaires
pour rendre un Portrait parfait,
l'air , le coloris, l'attitude 8t les
ajuftemens. .
L'air comprend les traits du vi-
fage, la co�ffure, & la taille,.
Les traits du vifage confident
dans �a juftefTe du defle�n, & dans
l'accord des parties , lefquelles
toutes enfemble doivent reprefen-
ter la phyf�onomie des personnes
que l'on peint, en forte que le Por-
trait de leurs corps foit encore ce-
lui de leurs efpr�ts.
La juftefTe du def�ein qui �ft re-
quiie
-ocr page 269-
par Prirxipes. z� $
<qu�fe dans les Portraits, n'efl pas
tant; ce qui donne l'ame & le v�ri-
table air, que cet accord des par-
ties dans le moment qui marque
i'efprit &c le temp�rament de la
pe-rfbnne. L'on voit beaucoup de
Portraits correctement d�f�mes qui
ont un air froid, h nguif�ant .& �b�-
t� ; & d'autres au contraire qui n'�-
tant pas dans une fi grande juftef-
fe de Deffein, ne kiflent pas de
nous frapper d'abord du caract�re
de la perfonne pour laquelle ils ont
�t� faits.
Peu de Peintres ont pris garde �
bien accorder les parties enfemble :
tant�t ils ont fait une bouche rian-
te, &-des yeux trilles -, 5c tant�t
des yeux gais, & des joues rel�-
ch�es ; &c c'efl ce qui met dans
leur ouvrage un air faux &. con-
traire aux effets de la Nature.
Il faut donc prendre garde qu'au
m�me tems que le mod�le fe don-
Be un air riant, Jes yeux fe ferrent,
les coins de la bouche s'�levenc
M
-ocr page 270-
z6 6 Cours de Peinture
avec
les narines, les joues r�mois
tent, .& les fourcils s'�loignent l'un
<le l'autre : mais fi le mod�le fe don-
ne un air trille , toutes ces parties
font un effet contraire.
Les fourcils �lev�s font un air
grave & noble j mais �tonn�, s'ils
font en arc.
Parmi toutes les parties du vifa-
ge celle qui contribue davantage
a la reflemblance, c'eft le nez , Se
il eft d'une extr�me confequence
de le bien placer, Se de le bien def-
finer.
Quoique les cheveux femblent
faire partie des ajuftemens , qui
peuvent �tre tant�t d'une fa�on &
tant�t d'une autre , fans que l'air
du vifage en foit alt�r� $ cependant
il eft fi confiant que la mani�re
dont on a accoutum� de fe coef-
fer , fert � la reflemblance . que
Ton a fou vent hefit� de reconno�-
cre les hommes parmi lefquels on
�toit tous les jours , quand il?
�voienr, mis une perruque un peu
-ocr page 271-
par Principes.           z$j
diff�rente de celle qu'ils avoienc
auparavant. A�nfi il faut , autant
qu'on le peut , prendre l'air des
co effares pour accompagner & fai-
re valoir celui des vifages, � moins
qu'on n'ait des raifons pour en ufer
autrement.
Pour ce qui eft de la taille, il eft
v�ritable qu'elle contribue � la
reflemblance , que l'on reconno�t
tr�s-fouvent les perfonnes (ans voir
leur vif�ge. Ceft pourquoi le meil-
leur eft dedeffiner la taille d'apr�s
les perfonnes m�mes dont on fait
le Portrait, & dans l'attitude qu'on
les veut mettre 5 c'eft ainfi qu'en
ufoit Vandeik.il eft d'une extr�me
coniequence d'avertir ici le Pein-
tre que les perfonnes dont on fait
le Portrait,�tant ordinairement afl
ftfes en paroifl�nt d'une taille moins
d�gag�e , parce que les �paules
dans cet �tat remontent plus
haut qu'elles ne doivent �tre na-
turellement. Ainti pour defliner
ia taille avec avantage , il eft �
Mij
-ocr page 272-
2..6" 8         Cours de Peinture
propos de faire tenir un moment
ion ^mod�le debout., tourn� dans
■l'attitude qu'on lui veut donner,
& l'obferver en cet �tat. Il fe pre-
fente ici une difficult� � refoudre ;
&: c'eft ce que nous allons exa-
miner.
S'il eft a propos de corriger l:$
d�fauts du Naturel dans les
Portraits,
L'effentiel des Portraits �tant la
rei�emblance , il paro�t qu'il faut
imiter les d�fauts comme les beau-
t�s , puifque l'imitation en fera
plus complette -, on auroit m�me
de la peine � prouver le contraire
� une peribnne qui voudroit s'opi-
ni�trer dans cette th�fe : mais les
Dames & les Cavaliers ne s'accom-
modent point des Peintres qui
font dans ces fent�mens , &: qui
les pratiquent, j'ai vu des Dames
qui m'ont dit nettement qu'elles
n'eftimoient pas les Peintres qw
I
             «                                                                                 I
-ocr page 273-
far Principes.           i 6 y
faifoient f� fort relTembler, & qu'el-
les aimeroient mieux qu'on leur
donn�t beaucoup moins de rei-
fembl�nce , & plus de beaut�. Il
eft certain qu'on-leur doitla-def-
fus quelque complaifance , &c je:
ne doute point qu'on ne les puifle'
faire refTembler fans leur d�plaire :
car la rei�emblance efTentielle eft
un jufte rapport des parties pein-
tes avec celles du naturel, en forte
que l'on connoif�e , fans hefiter ,
l'air du vifage , & le temp�ra-
ment de la perfonne donr on voit le
Portrait.
Cela pof� , je dis que tous les
d�fauts fans lefquels on conno�t'
l'air & le temp�rament des per-
sonnes , doivent �tre corrig�s &
omis dans lesPortraits des femmes,
& des jeunes hommes f un; nez un
peu de travers peut �tre redref�e,
une gorge trop feche, des �paules
trop hautes, peuvent �tre accom-
mod�es au bon air que l'on de-
mande fans paffer d'une extr�mi-
Miij.
-ocr page 274-
1Cours de Peinture
t� � l'autre, & tout cela avec beau-
coup de difcretion , parce qu'en
voulant trop corriger le naturel �
on tombe dans le d�faut de don-
ner un air g�nerai � tous les Por-
traits que Ton fait � de m�me qu'en
s'attachant trop fcrupuleufement
aux d�fauts & aux minuties, onfe
mec en grand danger de tomber
dans le bas, & le mefquin.
Mais pour les Heros,& pour ceux
qui tiennent quelque rang dans le
mande, ou qui fe font aiftinguer
parleurs dignit�s, par leurs vertus,
ou par leurs grandes qualit�s, on ne
fauroit apporter trop d'exactitude
dans l'imitation de leur vifage, foit
que les parties s'y rencontrent bel-
les , ou bien qu'elles y foient d�fe-
ctueufes 5 car ces fortes de Portraits
font des marques autentiques qui
doivent �tre confacr�es � la pofte-
rit� 3 �c dans cette vue tout eft
pr�cieux dans les Portraits, fi tout
y eft fid�le. Mais de quelque ma-
ni�re qu'agifTe le Peintre , qu'il
-ocr page 275-
far Principes.          i"j\
n'oublie jamais le bon air , ni la
bonne gr�ce , & qull y a dans Je
naturel des momens avantageux.
\ I Coloris.
Le Coloris dans les Portraits eft
tin �panchefnent de la Nature, le-
quel fait conno�tre le v�ritable
temp�rament des perfonnes : &
ce temp�rament �tant une choie
eifentielle � la refl�mblance , il
doit �tre reprefent� avec la m�me
jufteffe que le Deflein. Cette par-
tie eft d'autant plus eftimable qu'el-
le eft rare & difficile. On a vu une
infinit� de Peintres qui ont fait r�f.
fembler par les traits & par les con-
tours : mais le nombre de ceux qui
ont reprefent� par la couleur le
v�ritable temp�rament des per-
fonnes , eft affur�ment tr�s-petit.
Deux chofesfontn�ceft�ires dans
le coloris , la juftefte des teintes ,
& l'art de les faire valoir ; le pre-
mier s'acquiert par la pratique
M iiij
-ocr page 276-
i "ji Cours de Peinture
en examinant & en comparant les
couleurs que l'on voit fur le natu-
rel , avec celles dont on veut les
imiter ; & l'art de faire valoir les
teintes conf�fte � favoir ce qu'u-
ne couleur vaut aupr�s d'une au-
tre , &. � r�parer ce que la dif-
tance & le tems diminuent de l'�-
clat & de la fra�cheur des cou-
leurs.
Un Peintre qui ne fait que ce
qu'il voit , n'arrivera jamais � une
parfaite imitation : car fi fon ou-
vrage lui fetnble bon de pr�s, �c
fur fon chevalet , de loin il d�-
plaira aux autres &c fouvent � lui-
m�me : une teinte qui de prespa-
ro�t fepar�e& d'une certaine cou-
leur , paro�tra d'une autre couleur
dans fa diftance , &: fe confondra
dans la mafTe dont elle fait partie.
Si vous voulez donc que votre ou-
vrage falfe un bon effet du lieu
d'o� il doit �tre vu, il faut que les
couleurs & les lumi�res en foient un
peu exag�r�es 3 mais favamment <5c
-ocr page 277-
par Principes.         Z73
avec une grande difcretion. Voyez
la mani�re dont Titien, Ruben's,.
Vandeik, & Rembrant en cnt uf� :
car leur artifice eft merveilleux.
Il y a ordinairement dans le teint
trois momens � obferver ; le pre-
mier , quand le mod�le nouvel-
lement arriv� fe met en place , Se
pour lors il eft plus anim� &: plus
color� qu'� fon ordinaire , & cela
fe remarque dans la premi�re heu-
re ; le f�cond, quand le mod�le
�tant repof� fe fait voir tel qu'il
eft ordinairement, & cela fe trouve
dans la f�conde heure 5 & le troi-
si�me lorfque le mod�le las d'�tre
dans la m�me attitude , change
la couleur ordinaire en celle que
l'ennu� a coutume de r�pandre fur
le vif�ge. A�nfi ileft tr�s-�_propos
de s'en tenir au teint ordinaire des
perfonnes , & de l'accompagner
de quelque bon moment qu'on ne
puift� bl�mer d'exag�ration. Il eft
bon auili pour diffiper , ou pr�ve-
nir l'ennui , de permettre aux per-
Mv
-ocr page 278-
174 Cours de Peinture
fonnes que l'on peint, de fe lever
pour faire quelques tours de cham-
bre , &: reprendre de nouveaux
e/prits.
Dans les Draperies toutes for-
tes de couleurs indiff�remment ne
conviennent pas � toutes fortes de
perfonnes. Dans les Portraits
d'homme , il fuffit de chercher
beaucoup de v�rit� & beaucoup
de force $ mais aux Portraits de
femmes, il faut encore de l'agr�-
ment , de faire paro�tre dans un-
beau jour ce qu'elles ont de beau-
t� , & temp�rer par quelque indu-
ftrie ce qu'elles ont de d�fauts.
C'e/t pour cela qu'aupr�s d'une
tejnt blanc , vif 3 & �clatant , il
faut bien fe garder de mettre d'un:
beau jaune qui le feroit paro�tre
de pl�tre > mais plut�t des couleurs
qui donnent dans le verd ,.ou dans
le bleu, ou dans le gris, ou dans
quelques autres femblables cou*
leurs qui par leur oppofition cort-.
tribuent � faire paro�tre plus de.
!
-ocr page 279-
far Principes*        i-ff
chair ces fortes de teins, que l'on
trouve ordinairement aux blondes,
Vandeik s'eft fouvent fervi dans fes
fonds de rideaux feuille-morte ;
mais la couleur en eft douce &
brune.
Les femmes brunes au contrai-
re qui ont dans leur teint afTez de
jaune pour foutenir le cara&erede
chair, pourront fort bien �tre ha-
bill�es de quelques draperies qui
donnent dans le jaune , afin que
leur teint femble en avoir moins, &
en paro�cre plus frais ^ & aupr�s de&
carnations qui font tr�s-vives &
hautes en couleur r le linge y fait �
merveille.
Pour les fonds, il y a deux cho-
fes�confiderer, le ton, & la cou-
leur. On doit raifonner de la cou-
leur du fond, comme on raifonne
de celles des habits � l'�gard del�
t�te. Le ton du fonds doit �tre
toujours diff�rent de la maffe qu'il
Soutient, & dont il eft le fond , en
forte que les objets qui feront deC
-ocr page 280-
17 6 Cours de Peinture
lus ne parouTent point tranfparens $
mais folides & de relief. Ce qui d�-
termine le ton du fond eft ordinai-
rement leton descheveux,&quand
ils font ch�tins-clairs on eft fouvent
fort embarrafle � moins qu'on ne fe
i�rve du fecours d'un rideau ou de;
quelque accident de Clair-obfcur
que l'on fuppofe derri�re, ou que
ce fond ne fok un ciel.
Il faut encore obferver que lorf-
cju'on fait des fonds unis, c'eft-�-
dire , lorfqu'il n'y a ni rideau ni
Pa�fage, ni autre ouvrage femblar
ble j mais feulement une efpece de
muraille , il doit y avoir plusieurs
couleurs qui faflent comme des ta-
ches prefque imperceptibles. La
raifon en eft, qu'outre que la Na*-
ture eft toujours de cette forte, l'u-
nion du Tableau en eft beaucoup
plus grande.
III. L'Attitude.
L'Attitude doit �tre convenable
� l'�ge , � la qualit� des perfonnes
& � leur temp�rament. Aux nom*
-ocr page 281-
far Principes,.         zyy
mes & aux femmes �g�es elle doft:
�tre pof�e, majeit-ueui� & quelque-
fois f�ere 5 & aux femmes en g�n�-
ral il faut qu'elle foit d'une l�mpli-
cit� noble, &. d'un enjouement mo-
defte : car la modeftie doit �tre le.
caract�re des femmes. C'eft un at-
trait mille fois plus puilfant que la
coqueterie -, &c dans la v�rit� il n'y:
a gueres de, coquettes qui voulut
fent le paro�tre dans leur portrait»
Il y a de.deux fortes d'attitudes,
l'une de mouvement, &; l'autre de.
repos. Les attitudes de repos peu-
vent convenir � tout le monde, de
celles qui font en mouvement ne:
font propres qu'aux jeunes perfon-
nes, &: font tr�s-difficiles � ex�cu-
ter j parce qu'une grande partie des
draperies &; des cheveux doit �tre
agit�e par l'air, le mouvement ne fe
faifant jamais mieux voir en peintu-
re, que par ces fortes d'agitations,
tes attitudes qui font en repos, ne:
doivent pas tellement y paro�tre
qu'elles femblent reprefenter une,:
-ocr page 282-
x y8" Cours de Peinture
perfonne oifive, & qui fe tient ex-
pr�s pour fervir de mod�le.Et quoi-
qu'on reprefente une perfonne ar-
r�t�e , l'on peut, fi on le juge � pro-
pos, lui donner une draperie volan-
te,pourv� que la fcene n'en foit pas
dans une chambre ou dans quelque
lieu ferm�.
Il eft fur-tout n�ceflaire que les-
f�gures qui ne font point occup�es ,
femblent vouloir f�tisfaire le defir
de ceux qui ont la curiofit� de les
voir ; �c qu'ainfi elles fe montrent
dans l'�&ion la plus convenable �
leur temp�rament &: � leur �tat ,,
comme fi elles vouloient inftruire
le fpe&ateur de ce qu'elles font en
effet j & comme la plupart du mon-
def� pique de franchife, d'honn�-
tet� & de grandeur d'ame., il faut:
fuir dans les attitudes toutes fortes
d'affe&ations , que tout y foit aif�
& naturel, & que l'on y fafTe entrer
plus ou moins de fiert� vde noblef-
f� Se demajeft�,f�lon que lesper-
fcnnes auront plus ou moins ce ca-
-ocr page 283-
far Principes.. . 27^?
rac�ere,& qu'elles feront plus ou*
moins �lev�es en dignit�. Enfin ih
faut que dans ces fortes d'attitudes
les Portraits f�mblent nous parler
d'eux m�mes, & nous dire, par
exemple : Tien, r�garde-moi, je
fuis ce Roi invincible environn� de
majeft� :Je fuis ce valeureux Capi-
taine qui porte la terreur par tout �.
ou bien qui ai fait voir par ma bon-
ne conduire tant de glorieux fuc-
c�s : Je fuis ce grand Miniftre qui
ai connu tous les rei�brts de la poli-
tique : Je fuis ce Magiftrat d'une fa.
geife&dtme int�grit� eonfomm�e:
Je fuis cet homme de lettre tout ab-
forb� dans les fciences : je fuis cet
homme fage & tranquile que l'a-
mour.de. laPhilofophiea mis audel-
fus des defirs &: de l'ambition : Je.
fuis ce Pr�lat pieux, docte, vigilant;:
Je fuis ce protedeur des beauxArtsr;
cet amateur de la vertu : Je .fuis cec:
artifan fameux , cet unique dansi
maprofeffion, &c. Et pour les fem-
mes : Je fuis cette fage PrinceUe
-ocr page 284-
�8a        Cours de Peinture
dont le grand air inipire du refpecl
Bc de la confiance : Je fuis cette Da-
me fiere dont les mani�res grandes
attirent de l'eftime, Ste. Je fuis cet;
te Dame vertueufe, douce , mode-
lie , &c. Je fuis cette Dame enjou�e'
qui n'aime que les ris, la joie , �cc.
ainfl du relie. Enfin les attitudes
font le langage des Portraits , &:'
l'habile Peintre n'y doit pas-faire
une m�diocre attention.
Mais les excellentes attitudes"
font, � mon avis, celles qui font ju-
ger au fpeclateur que les perfonnes
qui font peintes fur la toile , fe;
trouvent fans affectation dans un
moment favorable � fe faire voir
avantageufement. Il y a feulement
une chofe� obferver pour les Por-
traits de femmes en quelque attitu-
de qu'on les puilfe mettre , e'efl de
les difpofer 8c de les tourner d'une
mani�re que dans leur vifage il y ait
peu d'ombre , 6c d'examiner foi-
gneufement i� le mod�le eft plus ou'
moins beau dans les ris que dansle-
-ocr page 285-
far Principes.          z8*J
f�rfeux , & en tirer Ton avantage.
Venons aux ajuftemens.
IV. Les A'pif�emens.
Sous le mot d'Ajuftemens,je com-
prens les draperies qui habillent les
perfonnes peintes , &; la mani�re
dont elles font accommod�es
Il faut que chacun Toit v�tu f�lon-
fa qualit�, & il n'y a que les ajuf-
temens qui puiflent faire en Pein-
ture la diftincUon des gens : mais
en confervant le caradere de cette-
qualit� , il faut que les draperies
foient bien choi��es <k bien jett�es.
Les habits fort riches convien-
nent rarement aux hommes, &. la
grande chamarure eftaudeffous de
leur gravit�. Les femmes doivent
�tre par�es n�gligemment fans
perdre leur dignit� & leur noblefTe:
&: quand les hommes & les femmes
voudront �tre autrement, le parti
que le Peintre doit prendre , eft de-
ie faire un plaifr de l'imitation.
Les �toffes de diff�rentes natures.
-ocr page 286-
i�i Cours de Peinture
donnent � l'ouvrage un caract�re'
de veric� que les draperies imagi-
naires d�truifent.
On habille aujourd'hui la plu-
part desPortrairs d'une mani�re afl
fez bizarre $ fa voir fi elle eft � pro-
pos , c'eft: une queftion qu'il faut
examiner.
Ceux qui font pour ces fortes
d'habits difent que les modes �tant
en France fort fujettes � changer v
on trouve les Portraits ridicules fix
ans apr�s qu'ils ont �t� faits : que
ces ajuftemens qui font du caprice
du Peintre durent toujours : que les
habits des femmes ont des manches
ridicules qui leur tiennent les bras
ferr�s d'une mani�re fort contrain-
te^ peu favorable � la Nature & �
la Peinture ;& qu'enfin i'ufage qui
s'eft introduit peu-�-peu d'habiller
ainfi les Portraits; doit �tre fuivi en
cela comme en autre chofe.
D'autres au contraire fo�tien-
nent que les modes font eflentie�-
les aux Portraits,& qu'elles contrL
-ocr page 287-
far Principes.-         285
buent non-feulement au Portraic
de- la perfonne, ma�s qu'elles fone
encore celui du tems 3 que les Por-
traits fa�fant partie de l'hiftoire ,
doivent �tre fid�les en toutes cho-
i'es j & cela,difent-ils,eft f� vrai que
nous ferions bien f�ch�s aujour-
d'hui de voir dans les m�dailles ,:
dans les bas-reliefs &: dans les au-
tres ouvrages antiques,les Romains
v�tus d'autres habits que de ceux
qu'ils portoient, & nous trouve-
rions ridicules qu'ils fufTent habil-
l�s dans leurs Portraits � la Grec-
que comme nous le fommes fou-
vent dans les n�tres � la Romaine 5.
ou ce feroit tout au moins une er-
reur dans laquelle ils nous auroient
mis. Pour ce qui eft de la mode
qu'on trouve ridicule f�x ans apr�s
qu'elle eft paff�e, ils y r�pondent 3
�c
difent que ce n'eft pas la faute de
la mode , puifqu'elle a �t� une fois
trouv�e belle , mais bien de l'ef-
prit qui ne juge pas des choies par
rapport au tems o� elles �toient >;,
-ocr page 288-
$ 84 Cours de Peinture
mais par rapport au prefent. Ils
ajoutent que cette aver�ion feroit �
la v�rit� pardonnable pour des ha-
bits qu'on verroit � quelqu'un dans
Je commerce du monde 5 ma�s que
dans la Peinture c'eft une foiblefTe
que les yeux du corps ont commu-
niqu�e ci ceux- de Peiprit, & que ce
doit �tre-plut�t un divertiirement
utile, & une in/lruclion piai/�nte
de voir qu'en tel tems on portoir.
des colets mont�s,^ dans un autre
des frai les, des chaperons, des ai-
lerons aux manches, des toques ,
des cheveux courts, des pourpoints
taillad�s, des colets de point cou-
p� ou � languette, Se plu/leurs au-
tres modes qui nous font conno�tre
le tems auquel vivoient lesperfon-
nes , comme les perfonnes nous
font conno�tre le tems des modes.
Ils rapportent encore l'autorit�
des anciens Peintres qui ont eu de
la r�putation, comme Titien , Ra-
pha�l, Paul Veronefe, Tintoret,
les Caxaches, Vandeik , & enfihs
-ocr page 289-
. far Principes.         �#<
Cous ceux qui ont peine des Por-
traits avant ce nouvel ufage que les
femmes ont introduit en France
depuis vingt ou trente ans.
Pour d�terminer quelque cho/�
entre ces deux partis , ce qui me
iemble de v�ritable, eil que la dif-
ficult� de tirer des habits � la mo-
de quelque chofe .d'avantageux
pour la Peinture eft bien plus gran-
de, que d'habiller agr�ablement
des Portraits quand on a la liber-
t� d'y employer ce que l'on juge
� propos 5 & je croixois au/�� qu'on
pourroit mettre en uf�ge tant�t les
habits � la modp pour les Portraits
de famille, Se tant�t des habits de
quelque vertu , de quelque attri-
but, ou de quelque divinit� payen-
ne. Difons maintenant quelque
chofe touchant la pratique.
La Pratique.
Je fuis perfuad� que chaque per-
sonne en particulier ayant un eiprit
diff�rent, envifage les fins qu'il f�
propofe par des vues diff�rentes}
-ocr page 290-
2.86 Cours de Peinture
& qu'on peut arriver au bien par
divers moyens 3 & je fuis d'avis que
chacun fuive en cela la pente de
fon genie,& le chemin qu'il trouve-
ra le plus court & le plus commo-
de-, a�nf� je ne dirai rien l�-dei��is
de particulier , j'expoferai feule-
ment en g�n�ral qu'il elt bon de
travailler � un Portrait trois diff�-
rentes fois , �baucher, peindre, 6c
retoucher. A l'�bauche, il faut ex-
tr�mement prendre garde avant
de rien faire , quel afpect fera le
plus avantageux au Portrait, expo-
fer le mod�le en diff�rentes vues
ficela fe peut, � moins qu'on n'ait
un deffein arr�t� qu'on veuille ex�-
cuter -, de lorfqu'on fe fera d�ter-
min� , il efl d'une confequence ex-
tr�me de bien mettre les parties en
place en les comparant toujours
l'une avec l'autre, parce que le
Portrait non-feulement en rejTem-
ble mieux quand il eft bien deffin�,
ma�s qu'il eft f�cheux de chan-
ger les parties la f�conde fois que
-ocr page 291-
par Principes.          z$y
f on travaille, o� l'on ne devroit
jfonger qu'� peindre, je veux dire,
qu'� placer, & � unir fes couleurs.
L'exp�rience fait conno�tre qu'il
eft � propos d'�baucher clair � eau-
fe de l'avantage des glacis & du
tranfparent des couleurs, fur-tout
dans les ombres h & lorfque toutes
les parties feront bien enfemble�f
qu'elles feront toutes emp�t�es, il
faudra les adoucir .& les confions
dre avec diferetion fans �ter l'air ?
afin qu'en fin�fl�nt on ait le plaifir
4e former � mefure que l'on tra-
vaillera. Ou fi cette mani�re de
confondre les parties ne pla�t pas
aux g�nies de feu, qu'ils le conten-
tent de marquer l�g�rement ces
m�mes parties,& feulement autant,
qu'il eft n�cel�aire pour donner
- IJair.
Il eft bon � l'�bauche d'un Porv
trait de mettre fur le front plut�t
moins que plus de cheveux , afin
d'avoir la libert� quand on les finit
de les placer o� lfon veut , & df
-ocr page 292-
% S % Cours de Peinture
les peindre avec toute la tendrefle
& toute la d�licatefl� poffible :
«jue fi au contraire vous �bauchez
fur le front quelque touffe de che-
veux qui vous paro�tra de bon go�t,
& fort avantageufe pour votre ou-
vrage, vous ferez embarraif� lorC
qu'il faudra la finir, & que vous ne
trouverez plus le naturel dans la
m�medifpof�tion,pr�cifernent que
vous les voulez peindre. Cette ob-
fei vation n'eft pas pour ceux qui au-
roient une fcience & une exp�rien-
ce confomm�e, qui ont le naturel
dans la t�te, & qui le font ob�ir �
leur Id�e comme il leur pla�t.
La f�conde fois que l'on travail-
le doitfervir � mettre bien les cou-
leurs dans leur place, & � les pein-
dre de la mani�re la plus conve-
nable au mod�le que l'on imite ,&
� l'effet que l'on fe propofe. Mais
avant de commencer d'emp�ter, je
voudrois que l'on examin�t de
nouveau fi les parties font bien en
leur pUce, & que l'on donn�t par-
ci
-ocr page 293-
far Principes.         .\%y
.cl, par-l� les coups qui contribuent
le plus � la reffemblance, afin qu'�-
tant allure de cette rei�emblance
J'en travaill�t avec plus de repos
.& de plaifir.
Suppof� que l'on entende ce que
l'on fait, & que le Portrait foit defl
■�n� jufte , -il .faut autant qu'on le
peut travailler vite, le mod�le s'en
accommode mieux, & l'ouvrage en
a plus d'efp rit &.plus de vie : mais
cette promptitude eft le fruit de
notre exp�rience, .& l'on ne f�urok
faire vite qu'apr�s avoir foigneufe-'
ment �tudi� ,& m�dit� lescliofes
durant beaucoup de tems, & eilay�
entre plusieurs moyens celui qui
conduit le plus dire&ementaubien:
car pour trouver un chemin fa-
cile^ que l'on doive tenir fouvents
il eft permis d'�tre long-tems � le
chercher.
Avant que de retoucher un Por-
trait , il eft � propos que les che-
veux en foienttermin�s,afin qu'en
douchant les carnations vous
N
-ocr page 294-
i^o Cours de Peinture
puiffiez juger de l'effet de toute la
«�te.
Comme il arrive fouvent que la
f�conde fois que l'on travaille � un
Portrait on ne peut y faire tout ce
que l'on voudroit : la troifi�me fert
� y fuppl�er �c � donner l'efpric,
la phyfionomie & le cara&ere. Si
l'on veut faire un Portrait au pre-
mier coup, il faut peindre en met-
tant toujours des couleurs & jamais
en adouciffant ni en frottant , &
faire en forte qu'il y ait peu d'hui-
le dans les couleurs ; & fi l'on y
vouloit m�ler en peignant un peu
de vernis avec la pointe du pin-
ceau , cela donneroit un moyen fat-
ale de mettre couleurs fur couleurs,
&. de les m�ler en peignant fans les
(emporter.
L'ufage 8c la v4e des bons Ta-
bleaux apprennent plus de chofes
qu'on n'en fauroit dire : ce qui
convient � l'efprit �c au t�mp cra-
ment d'une perfonne, ne cony' ent
p.as toujours � une autre $ 3c pref-
-ocr page 295-
fdr Principes          29 r
que tous les Peintres ont tenu dif-
ferens chemins, quoique leurs prin-
cipes ayent �t� fouvent les m�mes.
Le fameux Jabac, homme con-
fia de tout ce qu'il y a d'amateurs
des beaux Arts, qui �toit des amis
de Vandeik , & qui lui a fait faire
�trois fois fon Portrait, m'a cont�
qu'un jour parlant � ce Peintre d\g
peu de tems qu'il employoit � faire
les Portraits, il lui r�pondit qu'au
commencement il avoit beaucoup
travaill� &c pein� fes ouvrages pour
�. r�putation , & pour apprendre
� les faire vite dans un tems o�.
il travailloic pour f� cuifine. Voici
quelle conduite il m'a dit que Van-
deik teno�t ordinairement. Ce
Peintre donnoit jour & heure aux
perfonnes qu'il devoit peindre , &
ne travailloit jamais plus d'une
heure par fois � chaque Portrait,
foit � �baucher, foit � finir j & fon
horloge l'avertiffant de l'heure, il
fe levoit Se faifoic la r�v�rence �
la perfonne, comme pour lui dire
-ocr page 296-
■�^.-z Cours de "Peinture
que c'en �toit allez pour ce jour-la9
&; convenoit avec elle d'un autre
jour 6c d'une autre heure : apr�s
quoi ion Valet de chambre lui ve-
noit nettoyer (es pinceaux , §c lui
appr�ter une autre palette pendant
qu'il recevoir une autre perlonne ,
� qui il avoir donn� heure. 11 tra-
yaillok ainf� � pluiieurs Portraits
en un m�me jour d'une y tr�fle ex-
traordinaire.
Apr�s avoir l�g�rement �bauch�
un Portrait , il faiiok mettre la
�perlonne dans l'attitude qu'il avoit
auparavant m�dit�e,8c avec du pa-
pier gris & des crayons blancs &
noirs,il demnait en un quart d'heu-
re �a. taille & Tes habits qu'il difpo.-
foit d'une mani�re p-rande, &. d'un
go�t exquis. Il donnoit enluite ce
rlefTein � d'habiles gens qu'il avoit
chez lui, pour le peindre d'apr�s
jes habits m�mes que les perfonnes
avoient envoy�s expr�s � la pri�re
de Vandeik. Ses Elev�s ayant fait
d'apr�s Nature pequ'ils pouy oient
-ocr page 297-
fdr Pftnrtfes. ■          i $ j
aux draperies, il repaf�bit l�g�re-
ment deffus , &cy mettoit en tr�s-
peu de rems , par Ton intelligence y
l'art & la, v�rit� csue nous v ad-
mirons.
Pour ce qui eft des mains, il
�.voit chez lui des perfonnes � i�s
gages de l'un &c de l'autre fexe qui
lui fervoient de mod�le.
Je cite cette conduite de Van-
deikplut�t pour fatisfaire la curio-
ftt� du Lecleur, que pour la lui
propofer � fuivre : qu'il en prenne
ce qu'il en trouvera de bon, & qui
fera f�lon ion g�nie, & qu'il l�iife.
l� le reft� Pour mei, hors ce tra-
vail d'une heure feulement, tout
m'en plairoic , une heure eft bien
peu.
Je dirai ici en paifant' que rien
n'eft. f� rare que de belles mains ,
tant pour le delfein que pour la
couleur ; ainf� il eft bon de m�na-
ger quand on le peut, l'amiti� de
quelque femme qui fefafle un plai-
�r de fervir de mod�le. Le moyea
Niij "
-ocr page 298-
^94 Cours de Peinture
de les avoir eft d'en bien louer la
beaut� 5 &. cependant fi vous trou-
vez occafion de copier des mains
d'apr�s Vandeik, ne la manquez
pas. Itles a faites d'une d�licatefle
furprenante oc d'tine couleur admi-
rable.
Pour copier avec profit les ma-
ni�res qui ont approch� le plus pr�s
de la Nature, comme font celles
de Titien 8c de Vandeik, il faut en
copiant s'imaginer que leurs Ta-
bleaux font la Nature 5 les regar-
der d'un peu de loin dans cette in-
tention , Se dire en foi-m�me : De
quelle couleur, & de quelle teinte
me fervirois-je pour un tel en-
droit , puis s'approcher du Ta-
bleau , & voir fi. on auroit bien ou
mal rencontr� , �C fe faire enfuite
comme une loi des chofes que nous
aurions d�couvertes, Se que nous ne
pratiquions auparavant qu'avec in-
certitude.
Mais je reviens au Portrait, Se je
croi qu'il eft � propos avant que de:
-ocr page 299-
far Principe!         icjf
mettre les couleurs ,d'obferver les
premiers momens qui font d'ord�
naire tes plus agr�ables & les plus
avantageux , & de les donner en
garde � fa m�moire pour s'en fer.*
vir fur la fin du travail j parce que
le mod�le las d'avoir �t� long-
tems dans la m�me place a �puL
f� les efprits qui fo�tenoient ait
commencement l'agr�ment des
parties, & qui portoient au teint un)
��ng plus vif, &c une couleur plus
fra�che. Enfin il faut joindre � la
v�rit� la pof��biiit� vraifemblable
& avantageufe, laquelle bien loin
d'�ter la reflem'blance lui doit fer-
vir d'ornement. Dans cette vue il
eft � propos de commencer par ob-
server le fond du teint, ce qu'il eft
dans les clairs, & ce qu'il eft dans
les ombres -, les ombres �tant bel-
les � proportion des clairs : il faut'
dis-je, obferver fi le teint eft tr�s-
vif, s'il y a du jaune, & o� il efV
plac� 5 parce qu'ordinairement fur
la fin du travail l'ennui r�pand un
-ocr page 300-
"t 96 Cours de Pe�nfitr�
jaune par tout, qui vous fait ou-
blier ce qui en �toit color�, & ce
qui ne l'�toit pas, � moins que vous;
ne l'ayez bien obferv� auparavant..
C'en; pour cela que d�s que vous
commencerez � travailler pour la
f�conde fois, il faut promptemenc
mettre des couleurs par-ci par-l�,
telles que vous les voyez dans ces
premiers momens qui font toujours
les plus beaux.
Le plus fur moyen pour j%er
des couleurs, c'eft la comparaifon 5
&pour juger du teint , rien n'eft
meilleur que de le comparer avec
du linge qui en fera voif�n, ou que
l'on mettra aupr�s du naturels'il en
eft befoin .� ce qui foit dit feulement
pour ceux qui n'ont que- peu de
pratique du naturel.
Enfin votre Portrait �tant dans
l'�tat que vous �tes capable de la
mettre par le jugement que vous
aurez fait du naturel, & par l'imi-
tation qui s'en voit fur votre toile^
il vousrefte encore une chofe � fai--
-ocr page 301-
far Principes,         z 9 f
re, e'eft de mettre le Portrait au-
pr�s du mod�le , afin que dans une
diftance raifonnable vous puiffiez
juger d�finitivement par la corn-
paraifon que vous en devez faire
s'il ne manque rien pour l'enti�re
perfection de votre ourage.
X*a Politique,
Mais ce n'eft point affez de pren-
dre toutes les pr�cautions qui font
r�uffir un Portrait &; qui 1-e ren-
dent bon , il faut encore prendre
celles qui le font croire tel. En
France quelque merveilleux que
foit un Portrait ,. s'il n'a effuy� la
critique des femmes, & s'il n'a leur
approbation,il eft de rebut 8c de-
meure dans l'oubli $ parce que la
complaifance qu'on a pour elles ,-.
fait repeter comme un �cho,le juge-
ment qu'elles en auront fait. En
France les Dames font les maitref.
fes ,. elles y d�cident fouveraine-
ment , &;les bagatelles qui fonr-
-ocr page 302-
z �> 8 Cours de Peinture
de leur go�t, d�tru�fenr les gran-
des mani�res. Elles feroient capa-
bles de pervertir Titien & Van-
deik, s'ils �toient encore au mon-
de, �c qu'ils fulTent contraints de
travailler pour elles. Ainl� pour
�viter les chagrins qui viennent de
ces fortes de jugemens inconfide-
r�s, il eit bon de mettre en ufage
quelque forte de politique f�lon les
gens Se les occasions.
Il ne faut jamais faire voir fon
�bauche f� ce n'effc aux Peintres de
fes amis porlr en apprendre leur
fentiment. Il eft m�me fort � pro-
pos de ne faire voir aucun ouvra-
ge fini que dans f� bordure., & apr�s.
avoir �t� verni.
Il ne faut pas non plus en pre-
fence du mod�le demander le fen-
timent des gens qui ne s'y connoif-
fent pas : parce que regardant
le mod�le d'une vue & le voyant
d'une autre dans le Tableau, ils
feront d'avis que l'on racommode
les parties que leur imagination
-ocr page 303-
far Principes'.         �$*f)
leur repr�sente d�fe&ueuf�s. Vous
aurez beau vous efforcer de leur
faire conno�tre vos raifons, com-
me on n'aime pas ordinairement �
fe d�dire & � faire croire par-l�
qu'on eft capable de fe tromper ,..
vous ne les aurez jamais favorables
C'eft pourquoi le meilleur eft de
ne leur point donner occafion de
d�cider , ou s'ils vous pr�viennent
par leur fentiment, fervez-vous de
quelque artifice pour �luder un
long, ennuyeux, &; inutile raifon--
nement. Faites-leur croire , par
exemple , ou que l'ouvrage n'eft
pas achev� , ou qu'ils ont quelque
raifon �c que vous y allez retou-
cher, ou quelqurautre chofe fem-
blable qui ait la vertu de les faire
taire promptement. Vousfavez ce
que Vafari dit de Michel-Ange en
pareille rencontre. Le Pape ayant
�t� dans l'Attelierde Michel-An-
ge pour voir une Figure de Marbre
qu'il lui avoit fait faire, Si ne s'y
connoifl�nt pas autrement ,,de-
-ocr page 304-
3>oo Cours de Peinture
manda tout bas � fon Ma�tre de-
Chambre ce qu'il lui en.fembloit >
lequel ayant r�pondu que le nez
�toit trop gros , f�t dire auffi-t�t
au Pape tout haut,Sc comme de lu'f-
m�me,que le nez �toit trop gros.
Michel-Ange , qui s'�toit apper-
�u de l'affaire , dit au Pontife
qu'il avoit raifon , &C qu'il alloit
le racommoder en fa prefence : Et
ayant pris un marteau d'une main
& un cifeau avec de la poudre de
marbre de l'autre, il femit �levanc
fon ouvrage en a&ion de travail-
ler , & apr�s avoir coign� en l'air
fur fon cifeau, &c laifle tomber �
mefure la poudre qu'il avoit amaf-
f�e, il fe retourna, Se dit au Pape :
Adejfi Santiff�mo Padre che gliene
fare ? O Signor Michel-Angelo
,
( s'�cria le Pape) gl� avete dato la
■vita.
Apelles ne demandoit point
d'avis, il fe tenoit, dit Pline, der-
ri�re fa toile j & pour avoir trouv�:
celui d'un Cordonnier raifonna-
bte,; U avoir corrig� led�faut de ■la-
-ocr page 305-
far Principes;         30fi
couroye , ce miferable Artifan en
devint fi fuperbe qu'il fe mit � rail-
ler le Peintre d'une cuiffe. qu'il na
trouvoit pas � fon gr� : ce qui ob-
ligea Apelles de lui dire, d'un ton
m�prifant , que le jugement du
Cordonnier ne paffoit pas la fon-
dale. Ainfi quand m�me ceux
qui fe m�lent de juger vous parle-
roient jufte fur le d�faut de quel-
ques parties,, il bon d'en profiter
adroitement fans trop les �couter^
ni leur biffer croire qu'ils ayenc
raifon 5 car ils abuferoient de vo-i
tre docilit� , oc les louanges que
vous donneriez � leurs bons avis,
vous en attireroient de mauvais �s
de t�m�raires.
Il faut en ceci beaucoup d'Aru
&: d'honn�tet� de la part du Pehu
tr�, lequel doit faire grande diftin-
clion des perfonnes qui lui parlent,,
& qui lui difent leurs fentimensfurr
(qs ouyrages.
-ocr page 306-
3or. Cours de Peinture
*#» ■«* t*ft *** «*» �4W : «» <*» hj» «» rt» *S»
#####&#:* #:#???!???#### '
BV C O L ORTS.
J'Ai fait imprimer autrefois un
dialogue lur le Coloris, o� j'ai
t�ch� de faire voir fes pr�rogati-
ves , & le rang qu'il devoit tenir
parmi les autres parties de la Pein-
ture. Mais comme les Trait�s qui
regardent cet Art, & que je dor>-
ne prefentement au Public , font
�crits par principes, j'ai cru que je
devois r�duire dans la m�me for-
me celui du coloris ; afin que cette
partie fln�cefl�ire � toutes les au-
tres, s'accorde � faire un tout avec
elles , & que le Lecteur en juge
avec plus de facilit�.
Plufieurs en parlant dePeinture,,
fe fervent indiff�remment des mots
de Couleur , & de Colons r pour
ne fignifier qu'une m�me chofe j
& quoique pour l'ordinaire, ils ne'
-ocr page 307-
far Principes.-. 305^
Ia�fTenrpas de fe faire entendre, j�
eft bon n�anmoins de tirer ces deux;
termes de la confufton , & d'ex-
pliquer ce que l'on doit entendre
par l'un 8c par l'autre.
� �,a Couleur eft ce qui rend les
objets feni�bles � la vue.
Et le Coloris eft une des parties
eiTentielks del� Peinture , par la
quelle le Peintre fait imiter les ap-
parences des couleurs de tous les
objets naturels , &: diftribuer aux
objets artificiels la couleur qui leur
eft la plus avantageufe pour trom-
per la vue.
Cette partie comprend l� con-
noifTance des couleurs particuli�-
res , la f�mpathie �c l'antipathie
qui fe trouvent entr'elles , la ma-
ni�re de les employer, & l'intelli-
gence du Clair-obfcur.
Et comme il me paro�t que cet-
te m�mepartie.n'a �t�-que tr�s-peu ■:
ou point du tout connue d'un;
grand nombre des plus habiles
Peintres des deux derniers ficel�s, L
-ocr page 308-
3 04' Cours de Peinture
je crois �tre oblig� d'en donner
autant que je le puis la v�ritable'
id�e pour en fo�tenir le m�rite.
* Il y en a encore qui confondent
l� couleur fimple avec la couleur
locale ,. quoiqu'il y ait entr'elles
une grande diff�rence: car la cou-
leur f�mple cft celle qui toute feu-
le ne reprefente aucun objet com-
me le blanc pur , c'eft-�-dire, fans
m�lange 5 le.noir pur- , le jaune
pur , le rouge pur , le bleu , le
verd & les autres couleurs dont le
Peintre charge d'abord fa palette.,
& qui lui fervent enfuite � faire les
m�langes dont il a befoin pour ar-
river � une fid�le.imitation;
Et la couleur locale eft celle qui
f»ar rapport au lieu qu'elle, occu-
pe , & par le. fecours de quelque
autre couleur reprefente un objet
i�ngulier - comme une.carnation ,
un linge ,.une �toffe, ou quelque
objet diftingu� des autres: Elle eil
appell�e locale ; parce que le lieu
qu'elle occupe l'exige telle.-, pour
-ocr page 309-
par Principes.         3 o f
Jonner un plus grand caract�re de
v�rit� aux autres couleurs qui letue
font voifines. Ceci foit dit par oc-
cafion de la couleur fimple & de
la couleur locale, je reprens le fiL
de ma mati�re, &. je dis que ,
Le Peintre doit confiderer que
comme il y a deux fortes d'objets i
le naturel ou celui qui eft vrai, &
l'artificiel ou celui qui eft peint y
il v aaullideux fortes de couleurs,.
la naturelle & l'artificielle. La cou-
leur naturelle eft celle qui nous
rend actuellement vifib�es tous les
objets qui font dans la Nature j fk.
l'artificielle eft un m�lange judi-
cieux que les Peintres compofenc
des couleurs fimples qui font fur
leur palette , pour imiter la cou-
leur des objets naturels..
Le Peintre doit donc avoir une
parfaite connoifTance de. ces deux
fortes de couleurs , de la naturel-
le , afin qu'il f�che ce qu'il doit imi-
ter, j &: de l'artificielle, pour en fai,
te une composition &: une teinte.
-ocr page 310-
3?o6 Cours de Peinture
capable de reprefenter parfaite--
ment la couleur naturelle,
Il faut qu'il facile encore que la-
couleur naturelle comprend trois
fortes de couleurs, i. la couleur
vraie de l'objet 5 x°. la couleur
r�fl�chie 5 3 *'. la couleur de la lu-
mi�re. Et quant aux couleurs arti-
ficielles il en doit conno�tre la va-
leur , la force, & la douceur f�pa-
r�ment �c par compar�ifon , afin
d'exag�rer par les unes, Si d'affoi-
�klir par les autres, quand la com-
pofkion du fuiet le demande de
cette forte.
C'eft pourquoi il faut faire r�-
flexion qu'un Tableau eft une fu-
perficie plate , que les couleurs
n'ont plus leur premi�re fra�cheur
quelque rems apr�s qu'elles font
employ�es 5 qu'enfin la diftance
du Tableau lui'fait perdre de fon
�clat & de fa vigueur $ qu'ainfi il
eft impof��bledeluppl�er � ces trois
chofes, fans l'artifice que la fcien-
ce du coloris enfeigne 5 & qui eft
�0a principal objet..
-ocr page 311-
fat Principes.         3 c 7'
Un habile Peintre ne doit point
�tre efclave de la Nature -y il eh*
doit �tre arbitre & judicieux imi-
tateur : �c pourvu qu'un Tableau-
fafle fon effet, de qu'il impofe a-
gr�ablement aux yeux 5 c'�ft tout
ce qu'on en peut attendre � cet
�gard, & c'�ft ce que le Peintre ne
fauroit faire , s'il n�glige le colo-
ris. Et comme il eft certain qu'un
tout ne peut �tre parfait s'il lut'
manque quelque partie , &: qu'un
Peintre n'eft pas habile en fon Art,
s'il ignore quelqu'une des parties
qui le compofent, je bl�merai �ga-
lement unPeintre pour avoir n�gli-
g� le coloris , comme poun n'avoir
pas difpof� fes figures auffi avanta-
geufement qu'il lepouvoit faire ,
ou pour les avoir mal deffin�es.
Cependant il n'y a point dans la
Peinture de partie o� la Nature
foit toujours bonne � imiter telle
que le hazard la prefente. Cette
aia�trefl� des Arts nous conduit tiu
-ocr page 312-
f o 8- Cours' de Peinture
f
ement par le plus beau chemin ,
elle
nous emp�che feulement de
nous �garer. Il faut que le Peintre
la choiih�� f�lon les r�gies de fon
Art ; & s'il ne la trouve pas telle
qu'il la cherche, il doit corriger
celle qui lui eft prefent�e.Et de m�-
me que celui qui def�ine n'imite pas
tout ce qu'il voit dans un mod�le
d�fectueux , & qu'au contraire il
change en des proportions- conve-
nables les d�fauts qu'il y trouve-5
de la m�me mani�re ,. le Peintre
ne doit pas imiter toutes les cou-
leurs qui s'offrent indiff�remment
� fes yeux , il ne doit choif�r que
celles qui lui conviennent : & s'il
Je juge � propos , il y en ajoute
d'autres qui puiffent produire un
effet tel qu'il l'imagine pour la
beaut� de fon ouvrage. Il fonge
non-feulement � rendre fes objets
chacun en particulier, beaux, na-
turels ,, & vrais : mais- encore il a
fbin. de L'union du tout enfembler
-ocr page 313-
far Principe!.          y®f
tant�t il diminue del� vivacit� du
naturel ; <k tant�t il ench�rit fur
l'�clat ,& fur la force des couleurs
qu'il y trouve ,_afin d'exprimer plus
vivement & plus v�ritablement le
caract�re de fon .objet fans l'al-
t�rer. Il n'y a que les grands Pein-
tres, & en tr�s-petit nombre , qui
ayent p�n�tr� dans l'intelligence
de cet artifice. Ainfijbjen loin que
cette favante exag�ration �nerve
la fid�lit� de l'imitation, au con-
traire elle feft au Peintre pour jet-
ter plus de v�rit� en ce qu'il imi-
te d'a.pr�s Nature.»
je prie le Lecteur en pafTant,
que dans cedjfcours �n parlant g�-
n�ralement de la Peinture, du Def-
iein ou du Coloris, j.l les fuppofe
joujovir� dans toute leur perfection,,
Ceux qui t�chent de donner a.tr
ieinte au coloris, djfent qu'on ne
peut s'emp�cher d'accoder au De.�
iein une correction dans les proT
portions 9 une �l�gance dans les
-ocr page 314-
3 � o "Cqws de Peinture
-contours , & une d�licateil� dans
les expreff�ons ; �c que l'Ecole Ro-
maine, qui �toit celle de Rapha�l,
a toujours recherch� ces trois cho-
ies avec avidit� , comme les pre-
mi�res & les plus parfaites inten-
tions de la Nature ; ne .fa�fanr
d'ailleurs qu'un cas m�diocre du
coloris; Qu'ainfi le Peintre nefau-
ro�t mieux faire, que de regarder
je DefTein, comme fon objet effen-
ariel, 8de coloris comme un accef-
foire.
je r�pons premi�rement, que les
�premi�res intentions de la Nature
ne font pas moins dans le coloris
-que dans le DefTein, & que du re-
lie il eft vrai que les trois qualit�s
«|iie Ton vient d'attribuer au Def-
iein, en rel�vent l'excellence ; ma�s
il eft vrai auffi que lePeintre a com-
menc� d'�tudier en Peinture par
les acqu�rir } & il faut fuppofer
qu'il les pofl�de dans la plus grande
perfection qu'il eft poflible. Mais
-ocr page 315-
par Principes* 3 y �
ce ne font point ces qualit�s qui
constituent le Peintre ce qu'il eft.
plies le commencent en attendant
leur perfection du coloris par rap-
port au tout qu'ils doivent corn-
pofer enfemble.
Dieu en cr�ant les corps a fourr
m une ample mati�re aux Cr�atu,.
tes de le louer, & de le reconno�-
tre pour leur Auteur : mais en les
rendant color�s & ylfibles , il a
donn� lieu aux Peintres de l'imi,-
ter dans �. Toutepuii�ance , &C
fde tirer comme du n�ant une f�-
conde Nature qui n'avoit l'�tre
que dans leur id�e. En effet, tout
feroit confondu fur la Terre, &
les corps 11e feroient fenf�bles que
par le toucher , f� la diverf�t� des
couleurs ne les a-voit distingu�s les
uns des autres.
Le Peintre qui eft un parfait imi,
�eteur de la Nature , pourvu de
^'habitude d'un excellent Deil�in,
comme nous le fuppofons , doit
$lonc �onfrderer la couleur comme
-ocr page 316-
5 -2. Cours ae Peinture
ion objet principal , puifqu'�l ne
regarde cette m�me Nature que
comme imitable > qu'elle ne lui e�t
imitable, que parce qu'elle eft vi-
fible , & qu'elle n'eft vifibl'e que
parce qu'elle eft color�e.
l\ me femble donc qu'on peut re-
garder le coloris comme la cliffe-
rence de la Peinture .-,*§� le Del��in ,
comme fon genre. De la m�me fa-
�on que la raifon eft la diff�rence
de l'homme, parce qu'elle le con-
ftitue dans fon �tre , qu'elle le diC
tingue d'avec les autres animaux .4
& qu'elle le met au deflus d'eux.
Carp�ifque les id�es des chofes
ne doivent ferv-ir qu'� nous les ti-
rer du cahos & de la confufion ,
il eft n�ceflaire de les concevoir
par ce qu'elles ont de particulier
Si. qui ne convient � aucune au-
tre chofe. De concevoir le Peintre
par fes inventions , c'eft n'en faire
qu'un avec les Po�tes : de le con-
cevoir par la perfpedive , comme
ont �crit quelques-uns. c'eft ne le
-ocr page 317-
far Principe$\          313
«pas dift�nguer d'avec le Math�ma-
ticien 5 par les proportions & les
mefures des corps, c'efl le confon-
dre avec le Sculpteur & le G�o-
m�tre. Ainfi quoique l'id�e parfai-
te du Peintre dcpende du Dcf�ein
& du coloris tout enfemble, il faut
;fe la former fp�cialement par le co-
loris 5 d'autant que par cette diff�-
rence qui le rend un parfait imita-
teur de la Nature , on le d�m�le
d'entre ceux qui n'ont que le Def-
f�in pour objet, 8c dont l'Art ne
peut arriver � cette parfaite imita-
tion o� conduit la Peinture, 8c l'on
ne peut concevoir qu'un Peintre.
Parmi les Arts qui ont le De�Tein
commun avec la Peinture, on peut
nommer la Sculpture , l'Architec-
ture , 8c la Gravure ;'& voici com-
me elles fe d�finiflent.
La Peinture eft unArt,qui fur une
fuperf�cie plate imite tous les ob-
jets vi/�bles. Il y en a de pluf�eurs
fortes, on la divife ordinairement
en
O
-ocr page 318-
$i^ Cours de Peinture
C H Mofa�que.
� Fraiique ,
I � D�trempe,,
fe�nture «( a Huile,
Iau Paftel,
en Miniature,
^. de en Email.
La Sculpture efl un Art, qui par
le moyen du DefTein &c de la ma-
ti�re fol�de, imite les objets palpa-
bles de la Nature. On divife cet
Art ordinairement en
c, ,         c de Ronde-boffe,
Sculpture^ de gas_relie�
L'ArcMte&ure efl un Art, qui
par le Deflein & par des propor-
tions convenables , imite &: eon«
ftruk toutes fortes d'�difices.On di-
vife cet Art ordinairement en
Archkedure^^f
-ocr page 319-
far Principes-»        3 15
La Gravure eft un Art, qui par
le moyen du Defl�in & de J'inc�-
�m fur les mati�res dures , imite
.les lumi�res & les ombres des ob-
j ?ts vifibles. On divife cet Art or-
dinairement en
en Bois ,
, au Burin ,
a 1 hau-forte ,
&: � la mani�re Noire.
La mani�re Noire invent�e de-
puis peu , eft ainfi appell�e $ par-
ce qu'au lieu de pr�parer la plan-
che en la polif��nt , on la pr�pa-
re par une gravure fine , croi/ee
dans tous les f�ns & uniforme, qui
l'occupe enti�rement, en forte que
fi on l'imprimoit apr�s fa pr�para-
tion , on en tireroit une empreinte
tr�s-forte , & �galement noire par
tout.
La gravure noire eft donc celle
qui au lieu de Burin ,pour former
les traits & les ombresjlefert de bru-
Oij
-ocr page 320-
3 r 6 Cours de Peinture
riifloir pour tirer les objets de
l'dbfcur�t� en leur diftribuant peu-
�-peu les lumi�res qui leur convien-
nent.
On laiife la libert�d'attnbuer�
la Sculpture ou � la Gravure le tra-
vail qui eft fur les pierres fines ;
n�anmoins on les appelle ordinai-
rement , pierres grav�es. Ce qui
me paro�t de plus vraifemblable ,
c'eft que les Auteurs de ces fortes
d'ouvrages �toient Sculpteurs %
Graveurs tout enfemble.
Sans fe donner la peine de d�-
finir toutes ces diyifions, il eftaif�
de voir que le DefTein qui eft leur
genre , c'eft �-dire , qui eft com-
mun entr'elles, eft d�termin� par
une diff�rence particuli�re qui con-
ftitue chaque Art dans fon efTence.
La fin du Peintre Se du Sculp-
teur eft bien l'imitation 3 mais ils y
arrivent par d�fFerentes voies , le
Sculpteur par une mati�re iolide
en imitant la quantit� r�elle des
objets 5 Se le Peintre en imitant
-ocr page 321-
far Principes.         317
avec des couleurs la quantit� & li
qualit� apparente de tout ce qui eft
vil�ble : en forte qu'il eft oblig�
non-leulement de plaire aux ye:tx ,
mais encore de les tromper en tout
ce qu'il reprefente.
On obje&e ordinairement � ce-
la, que le Dei�ein eft le fondement
du coloris, qu'il le foutient, que le
coloris en d�pend, & qu'il ne d�-
pend en rien du coloris : puifque
le Dei�ein peut fubfifter fans le co-
loris , 8c que le coloris ne peutfub-
ftfter fans le Dei�ein , & par con-
fequent que le Deffein, eft plus n�-
ceil�ire , plus noble , �c enfin plus
conf�derable que le coloris.
Mais il eft aif� de faire voir que
cette objection ne conclut rien d'a-
vantageux pour le Deffein au pr�-
judice du coloris : au contraire on
fait avoir par l� que le Deffein tout
f�ul, comme on le fuppofe , n'eft
le fondement du coloris, & ne fub-
lifte avant lui que pour e.i recevoir
fa perfeclionpar rapport � la Pein-
Oiij
<
-ocr page 322-
3 �8 Cowrs de Peinture
ture, & il n'eftpas furprenant que
ce qui re�oit ait fon �tre & fubij-
fte avant ce qui doit �tre re�u.
Il en eft ainh* de toutes les ma-
ti�res qui doivent �tre difpof�es
avant que de recevoir leur perfe-
ction des formes fubftantielles. Le
corps del'homme,parexemple,doit
�tre enti�rement form� 6c organif�
avant que l'ame y fait re�ue, & c'eft
avec cet ordre que Dieu fit le pre-
mier homme.Il prit de la terre, il y
mit toutes les difpofitionsn�ceffai-
res.- puis il cr�a l'ame qu'il y infufa
pour le perfectionner 6c pour en fai-
re un homme. Ce corps ne d�pen-
doit point de l'ame pour fubf�fter,
puifqu'il �toit avant l'ame : cepen-
dant il n'y a perfonnes qui voul�t
foutenir que le corps f�t la partie
de l'homme la plus noble 5c la plus
confiderable 5 la Nature commen-
ce toujours par les chofes les moins
parfaites, �. l'Art qui en eft l'imi-
tateur fuit la m�me r�gle.. D'abord
le Peintre �bauche fon fujet par le
-ocr page 323-
far Principes,          $ i f
moyen du �efTeii�, 8c le finit en-
fuite par le coloris qui endettant le
vrai fur les objets deifin�s, y jette-
en m�me tems la perfection dont
la Peinture eft: capable-..
A l'�gard d'�tre plus ou moins
neceilaire pour faire un tout, les
parties efTentiell�s font �galement
n�cef���res , il n'y a point d'homme
fi l'aine n'efr. jointe"au corps, aui��
n'y a-t-il point de Peinture f� le co-
loris n'eft joint au Deflein.
Mais f� Ton regarde le DefTein
feparement &: comme un infini-
ment dont on a befoin en toutes
rencontres dans la plupart des Arts,
on pourroit par l'utilit� qui en re-
vient l'eftimer davantage que le co-
loris 5 de l� m�me mani�re que
l'on eftimeroit un gros diamant
beaucoup plus qu'une plante, quoi-
que la moindre de toutes les plan-
tes foit plus noble & plus eftima-
ble en elle-m�me, que toutes les
pierres pr�cieufes enfemble.
Comme tout le monde court �
-ocr page 324-
3 2 o Cours dep-eintftre
l'utile, & que l'on envifage les cho-
ies
de ce c�t�.la , il ne faut pas
s'�tonner fi le Deflein �tant plus
d'ufage,8c par confequent plus utile
dans le monde par les demonftra-
tions dont on fe fert dans les Ma-
th�matiques , & par les Defl�ins ,
qui quoique l�gers font conno�tre
les penf�es des ouvrages que l'on
propofe,, on l'eftime. davantage.
Mais enrejettant le coloris,il
n'y a rien dans le Deflein que le
Sculpteur ne puifle faire ; �c ces
choies confider�es par rapport �
un ouvrage de Peinture, demeure,,
ront toujours imparfaites fans le fer-
cours du colons , lequel met le
Peintre audeflus du Sculpteur,6c
fait que les objets peints avec in-
telligence,reflemblent plus parfair
tement aux v�ritables.
On ne peut s'emp�cher n�an-
moins d'accorder au Deflein par,-
fait , tel que nous le fuppofons, 6c
que nous le voyons dans l'antique,
pluf�eurs marques d'�l�vation qui
-ocr page 325-
par Principes.         321
©nt partag� les curieux fur le choix
des Tableaux dont ils ont compo-
f� leur Cabinet. En effet f�lon les
fujets&les figures que les anciens
Sculpteurs ont voulu repr�fenter,
on remarque- dans les Sculpteurs
antiques du terrible ou du gra-
cieux , du fimpleou de l'id�al d'un
grand cara&ere $ mais toujours du
fublime, & de la vraifemblance.
Toutes ces qualit�s jettent les es-
prits dans un grand doute fur la
pr�f�rence que l'on doit donner
aux Tableaux qui font ou mieux
deffin�s que colori�s.,ou mieux co-
lori�s que deffin�s. Cependant ce
que nous avons dit du coloris �
l'�gard d'un ouvrage de Peinture,
ne permet pas que nous pr�f�rions
les Tableaux mieux deffin�s que
colori�s, pourvu que dans ceux-ci
le Deflein n'y foit point trop mal.
La raifon de cela eft que le Def-
fein fe trouve ailleurs que dans les
Tableaux. ^ il fe rencontre dans les1
bonnes Eftampes , dsns les Sta-
Ov
-ocr page 326-
3 2i Coups de Peinture
tues , & dans les bas-reliefs. Maf�
une belle intelligence de couleurs
ne fe trouve que dans un tr�s-petit,
nombre de Tableaux.
A.inf�fuppof� que je voulufFe fai-
re un Cabinet, j'y ferois entrer tou-
tes fortes de Tableaux o�. je verrois
de la beaut� dans quelque partie
que ce foit : mais jeprefererois ceux
du Titien aux autres, par la raiion
queje viens de dire, &c le prix dont
les curieux payent les ouvrages de
ce Peintre favori fe tout-�^fait mon
f�ntiment. Il eft vrai que quelques-
uns fe fondent fur l'eftime que l'on a
{>our les DefTeins en g�nerai, &, fur
e grand nombre de perfonnes qui
ayant regard� leDefTein par rap-
port � fon utilit�, en ont pris quel-
que habitude manuelle & beau-
coup d'amour : ainf� pour fortir de
cette difficult�, ilfaut favoir ce que
l'on entend parle mot de DefTein.
Par rapport � la Peinture,le mot
de DefTein n'a que deux fignifica-
tions.Premi�rement,l'on appelle
-ocr page 327-
par Principes'.         3 2 3
Deffein la penf�e d'un Tableau la-
quelle le Peintre met fur du papier
ou fur de la toile , pour juger de
l'ouvrage qu'il m�dite ; & de cet-
te mani�re l'on peut appeller du
nom de Deffein non-feulement un
efqui�Te, mais encore un ouvrage
bien entendu de lumi�res 8c d'om-
bres ,, ou m�me un petit Tableau
bien colori�. C'eft de cette forte
que Rubens faifoit prefque tous fes*
Deffeins J & que la plupart de ceux
du Titien qui font prefque tous �
la plume ont �t� ex�cut�s. z°.
L'on appelle Deffein les juftes me-
sures y les porportions Se l�s con-
tours que l'on peut dire imaginai-
res des objets vifibles, qui n'ayant
point de confiftence- que l'extr�-
mit� m�me des corps, ref�dent v�-
ritablement �c r�ellement dans l'�fi-
prit :■& f� les Peintres les ont ren-
dus fenf�bles de n�ceffit� indifpen-
f�blepar des lignes qui en font la
circonfcription, c'eft pour en ren-
dre la demonftration fenf�ble �
Ovj
-ocr page 328-
314 Cours de Peinture
leurs Elev�s, & afin de pratiquer1
pour eux-m�mes une mani�re com-
mode qui les fafle arriver facile-
ment � une extr�me correction.
Cependant il elt vrai de dire que
ces lignes n'ont point d'autre ufa-r
ge que celui du ceintre dont fe fert
l'Architecte quand il veut faire
une Arcade : ies pierres �tant po,
f�es fur fon ceintre, Scfon Arcade
�tant conftruite,il rejette ce ceintre
qui ne doit plus paro�tre non plus-
que les lignes dont le Peintre s'eft
fervi pour former fa figure., & c'eft
de cette derni�re'forte que l'on
doit concevoir le Deffein qui fait
une des parties efTentielles de la
Peinture, Mais lorfqu'on ajoute
aux contours les lumi�res & les
ombres, on ne le peut faire fans le
fecours du blanc & du noir, qui
font deux des principales couleurs
dont le Peintre a coutume de (q
fervir , & dont l'intelligence eft
comprife fous celle du coloris.
J'ai vu n�anmoins plui�eurs Pela*
-ocr page 329-
far Principes.           325"
tre qui n'ont jamais voulu conve-
nir que la partie de la Peinture
qu'on appelle Deflein ,.contienne
feulement les proportions & les
contours des objets vifibles : mais
ils difent que cette partie eft enco-
re cette f�conde forte de Deflein
que je viens de d�finir ,.c'eft-� di-
re, la penf�e d'un grand Tableau
que l'on m�dite , foit que cette
penf�e ne f�t qu'un l�ger crayon ,
ou bien qu'on la v�t exprim�e par
le clair-obfcuri&: par toutes les cou-
leurs qui doivent entrer dans le
grand ouvrage dont ce DeiTein eft
l'effai & le racourc�.
J'ai cru que la meilleure r�pon*
fe que l'on pouvoir faire � ceux
qui �toient dans cette opinion r
�toit de leur dire, que pour lors le
Deflein ne fer oit plus une des par-
ties de la Peinture : mais qu'il en
f�ro�t le tout,puifqu'il contiendroit
non-feulement les lumi�res &: les
ombres, mais aufl� le coloris, & Vin-
wntion m�me : & pour lors ilfau-
-ocr page 330-
3 2 G Cours d<r Peinture
droit toujours convenir de nou-
veaux termes, & demander � ceux
qui font de l'opinion que je viens
de rapporter , comme ils vou-,
droient que l'on appell�t la partie
du Deifein laquelle trouve lesob-
jets qui compofent une Hiftoire ;,
& comment ils voudroient encore
qu'on nomm�t cette autre partie'
du-Deflein qui diftribue les cou-
leurs r les lumi�res & les ombres.
Ainfi, fans entrer ici dans une plus
grande explication , il eft aif� de
voir qu'il n'importe pas de quelle
fa�on l'on.appelle les chofes, pour-
vaque l'on s'entende , & que l'on
convienne de leur nom.
Il eft donc certain que fans fe met-
tre dans l'embarras d� chercher "
de nouveaux termes aufquels on
�uroit de la peine � s'accoutumer,
il vaut mieux s'en tenir � ceux dont
on eft convenu depuis long-tems.-
Cependant il n'eft pas raifonna-
ble de parler ici fous fiience les .pr�-
rogatives du DeiTein dont lesprin-
-ocr page 331-
par Principes,..         3 'rj:
cipales font : iQ. Qu'il fert � fai-
re beaucoup de chofes utiles tour
feul, avant la jonction du coloris».
Ce qui fait qu'une infinit� de per-
sonnes fe contentent d'avoir quel-
que habitude du DefTein fans fe
ibucier du coloris. 2°. Qu'i 1 don-
ne un go�t pour la connoiflance
des Arts, & pour en faire juger du
moins jufqu'� un certain point. Ce:
qui oblige de regarder cette partie
comme n�cefTaire � l'�ducation des.
jeunes Gentilshommes � qui on
donne ordinairement des Ma�tres
� def�iner , comme on en donne
pour �crire. 30. Que cette partie,
qui en contient pluf�eurs autres
conf�derables 3 comme la colinoif-
fance des mufcles ext�rieurs ,, l�.
perfpective, la po.fition des attitu-
des, les expreffions des parlions de
l?ame,pourroit �tre par cons�quent '
conf�d�r�e comme un tout r plu-
t�t que c®mme une partie f�par��.
On ne peut nier que toutes ces
pr�rogatives neio�ent v�ritables &:
-ocr page 332-
3*i S Cours de Peinture
d'un grand ufao-e : niais nous r<*-
gardons ici le Deflein par rapport
� l'Art de la Peinture , & comme
tel , toutes les parties qu'il corn
tient ont befoin du coloris pour fai-
re un Tableau parfait dont il s'a-
git prefentement. C'eft pourquoi
nous ne regardons, pas. ici le Def-
fein avec toutes les parties qu'il
renferme, ni comme une partie
fepar�e, ni comme un tout accom-
�>li, mais comme le fondement 6c
� commencement de la Peinture.
Nous avons dit cLdelfus, que
le clair-obfcur qui n'effc autre cho-
fe que l'intelligence des lumi�res
8c des ombres �toit compris dans
l� coloris 5 6c cependant pluf�eurs
Peintres n'en veulent pas conve-
nir : car ils difent, que la raifon
qu'on en donne efb,, que dans la
Nature la lumi�re & le clair-ob-
fcur font inf�parables l'un de l'au-
tre. Ils ajoutent qu'on peut dire la
m�me choie du Deflein -, parce que
fans lumi�re l'�il nefauroit apper-
-ocr page 333-
par Principes.          3-2.9
eevoir ni connoitre dans la Natu-
re les contours & les proportions
des Figures. A quoi l'on peut r�-
pondre , que les mains peuvent
taire en cela l'office de. yeux, &
qu'en touchant un corps iblide el-
les jugent fi ce corps eft rond ou
carr�, & s'il a. quelqu'autre for-
me , telle qu'elle puiffe �tre ; donc
H s'enfuit que fans la lumi�re l'on
peut conno�tre dans la Nature les
contours & les proportions des EL
gures.
A propos de cette queftion, je
rapporterai ici l'Hiftoire affez r�-
cente d'un Sculpteur aveugle , qui
faifoit des Portraits de cire fort
refTemblans. Il vivoit dans le der-
nier fiecle.-. Et voici ce que m'en
a. racont� un homme digne de foi
qui l'a connu en Italie, 8c qui a �t�
t�moin de tout ce que vous allez
entendre.
L'Aveugle, me dit-il, dont vous
allez favoir l'Hiftoire , �toit de
Camhafli dans la Tofcane , ho.m~
-ocr page 334-
$$� Cours de Peinture
me fort bien fait, & qui paroii�bk
�g� d'environ cinquante ans. Il
avoit beaucoup d'efprit &. de bon
iens , aimant � parler ? & difant
agr�ablement les chofes. Un jour
entr'autres l'ayant rencontr� dans
le Palais Juftinien o� il copioit une
Statue de Minerve ,., je pris occa-
sion de lui demander s'il ne voyoit
pas un peu' pour copier auffi jufte
qu'il faifoit. Je ne vois rien , me
dit-il , &; mais yeux font au bout
de mes doigts. Mais encore,, lui dis-
je r comment eft-il poffible que ne
voyant go�te vous faffiez de il bel-
l�s chofes ? Je t�te, dit-il, mon ori-
ginal , j'en examine les dimensions,
les �minences 6c les cavit�s, je t�-
che de les retenir dans ma m�moi-
re , puis je porte-ma main fur ma
cire, &c par la comparaifon que je
fais de l'un &c de l'autre , portant
& rapportant ainf� plufieurs fois la
main, je termine le mieux que je
puis mon ouvrage.
En effet il n'y a aucune apparen-
-ocr page 335-
■par Principes          3'3".�?
ce qu'il eut le moindre ufage del�
vue ; puifque le Duc de Braciasc
pour �prouver ce qui en �toit r fe�
nt faire fonPortrait dans une CaVe.
fort obfcure, & que ce Portrait fut
trouv� tr�s-reflemblant.Mais quoi-
que cet ouvrage f�t admir� de tous
eeux quilevoyoient,onnelaifla pas
d'objecter au Sculpteur que la bar-
be du Duc �toit un grand avanta-
ge pour le faire refTembler , & qu'il
n'auroit pas cette m�me facilit�
s'il lui falloit imiter un vifage fans
barbe. H� bien, dit.il, qu'on m'en
donne un autre. On lui propofa de
faire le Portrait de l'une des De-
moifelles de la DucherTe. Il l'en-
treprit , & le fit tr�s-reffemblant.
j'ai encore vu de la main de cet
illuitre Aveugle, le Portrait du feu
Roi d'Angleterre Charles Premier,
& celui du Pape Urbain VIII. tous
deux copi�s d'apr�s le marbre tr�s-
finis & tr�s-refl�mblans. Ce qui lui
faifoit de la pc�ie , ainfi qu'il IV-
vouoit , �toit de reprefenter les.
-ocr page 336-
j'3'■# Cours de Peinture
eheveux o� il ne trouvoit pas afTez
de r�fiftance.
Mais fans aller plus loin , nous
avons,� Paris un Portrait de fa
main , Se c'eft celui de feu Mon-
f�eur HerTelin, Maitre de la Cham-
bre aux Deniers, lequel en fut fi
content , &■■ trouva l'ouvrage fi
merveilleux , qu'il pria l'Auteur de
vouloir bien fe laii�er peindre pour
emporter fon Portrait en France,
& pour y conferver fa m�moire.
La curiofit� que me donna le r�-
cit de cette Hiftoire, ne me permit
pas de diff�rer plus long-tems �
voir ce Portrair : & apr�s en avoir
obferv� d'abord la phyfionomie, je
m'apper�us que le Peintre lui avoit
mis un �il � chaque bout de doigt
pour faire voir que ceux qu'il avoit
ailleurs lui �toient tout-�-fait in*,
utiles.
J'ai rapport� cette Hiftoire d'au-
tant plus volontiers que je l'ai trou-
v�e digne de la curiofit� du Lec-
teur. } &; propre � d�montrer la-prc-
-ocr page 337-
■par Principes.         335
position dont il s'agiiloic ; /avoir
qu.e l'intelligence du -clair-obfcur
etoic renferm�e dans le coloris.
Il n'y a perfonne en effet qui
dans la plus grande obfcurir� ne
{ente les contours d'un homme,
ou d'une Statue , ,& ne juge^des
�minences & des cavit�s ext�rieu-
res en y portant feulement la ma�na
au lieu qu'il effc impoffible devoir
aucune couleur, ni d'en juger fans
lumi�res.
On voit par l'Hifloire de cet
Aveugle, que fon Art qui �toit tout
dans le DeiTein,liu avoit donn� oc-
caf�on de fatisfaire fon efprit , &;
de fe confoleren quelque fa�on de
la. perte qu'il avoit faite d'un fens
a-uji pr�cieux qu'eft celui de la vues
§t que s'il avoit �t�-Peintre,il auroit
�t� priv� de cette confolation: & la
rai�bn en eft^que la couleur & les
lumi�res ne iont l'objet que de la
vue, & que le Deffein, comme jg
�gi dit, l'eft encore du toucher.
-ocr page 338-
�334 'Cours de Teinture
J'aurois pvi rapporter encore �c�
l'exemple de plus fra�che date du
.feu fleur Buret, l'un des plus habi-
tes Sculpteurs de l'Acad�mie : car
f�lon le t�moignage de quelques
perfonnes dignes de foi, il devint
Aveugle � l'�ge d'environ vingt-
cinq. ans.,par une petite V�role qui
lui ayant �t� enti�rement la vue ,
ne put lui �ter le plaifir de fe con-
foler en lui laiffant la facult� de
travailler, comme avoir fait l'A-
veugle de Cambaffi.
Ce ferait ici le lieu ou le Trai-
t� du -Cla�r-obfcur devroit �tre
plac� -comme partie efTentielle du
coloris .5 mais ce Trait� �tant de
quelque �tendue, on a jug� � pro-
pos de le mettre � la fin du Trai-
t� du Coloris , & d'y renvoyer le
Le6\eur,afin de lui laitier prendre
uneid�e plus difKn&e de cette in-
telligence des lumi�res & des om-
bres.
L'accord des couleurs & leur op-
-ocr page 339-
far Principes.          3 3 j
ipof�tion ne font pas moins n�cel-
iaires dans le coloris., que .l'union
0t la .aromatique dans la Musi-
que.
Cet accord Se cette opposition
des couleurs viennent de deux cau-
ses , de leur qualit� fenfible Sk. ori-
ginaire, .& de leur m�lange. Leurs
qualit�s fenf�bles proc�dent de
la participation qu'elles ont avec
l'air , & avec la -terre. Celles qui
�font a�riennes ont entf'elles une l�-
g�ret� qui les rend aniies comme
le blanc, le beau jaune, le bleu 9
la laque, le verd , & autres fera-
blables couleurs dont on en fait
tme infinit� qui peuvent toujours
�tre en fimpathie.
Et celles qui font terrefires ont
au contraire une pefanteur qui par
Je m�lange abforbatla douceur ��
la l�g�ret� des a�riennes.
Il eli difficile de trouver la v�-
ritable raifon Phyfique , pourquoi
une couleur e& a�rienne ou rerreC
�re. Il ei} pourtant a�f� 4e �onclu-
-ocr page 340-
336        Cours de Peinture
re que les couleurs lumineufes font
douces &c a�riennes , &. qu'en les
m�lant enfemble elles s'accordent
entr'elles �. mais il eft confiant aufli
que certaines couleurs belles, dou-
ces & lumineufes, bien loin de s'ac-
corder ,fe d�truifent parle m�lan-
ge tel eft le bel outremer accom-
pagn� de blanc, avec le beau jau-
ne &. le beau vermillon. Et quoi-
que ces couleurs feules aupr�s'l'une
de l'autre foient d'un grand �clat,
elles font lorfqu'elles font m�l�es,
une couleur de terre la plus vilaine
du monde.
Del� on peut tirer cette confe-
quence , qu'une des plus grandes
preuves de la iimpathie �c de l'an-
tipathie qui eft entre les couleurs
plac�es l'une aupr�s de l'autre, le
tire de la troilftme couleur qui re-
faite du m�lange des deux qui l'ont
�ompof�e � car ft cette troifi�me
couleur �ompof�e marque par l�'
falet� la deftruftion des deux qui la
convpoienT,'dl faut inf�rer que ces
-ocr page 341-
par Principes.         285
deux couleurs font antipathiques ;
fi au contraire leur m�lange fait
une teinte douce 6c agr�able, qui
tienne de leur premi�re qualit�,
c'eft une marque infaillible de leur
harmonie.
Le corps des couleurs eft encore
un autre principe pour juger de
leur deftru&ion par le m�lange.
Car il y a des couleurs qui ont tant
de corps, qu'elles ne peuvent fouf.
frir aucune autre couleur, fans la
d�pouiller prefqu'entierement de
Ces qualit�s naturelles : telles font
l'occre de Rut, la terre-d'ombre,
l'indigo , & d'autres � proportion.
Mais quand l'Art & la raifon n'e-
x�geroienr pas les accords de cou-
leurs, la Nature nous les montre,
& y oblige prefque toujours ceux
m�mes qui ne la copient que fer-
vilement. Car foit que l'on confi-
dere la lumi�re ou directe fur les
jours, ou reflchie dans les ombres,
elle ne peutfe communiquer qu'en
communiquant fa couleur qui efl
P
-ocr page 342-
3 3 8        Cours de Peinture
tant�t d'une fa�on �c tant�t d'une
autre. Nous en avons l'exp�rien-
ce dans la lumi�re du Soleil, qui
eft � midi bien diff�rente en quali-
t� de ce qu'elle eft le foir ou le ma-
tin -, �c la lune a tout de m�me une
couleur particuli�re, auff�-bien que
la lueur du feu ,ou celle d'un flam-
beau.
Avant que de quitter cet arti-
cle qui regarde l'harmonie dans le
coloris, je dirai que les glacis font
un tr�s-puiffant moyen pour arri-
ver � cette fuavit� de couleurs fi.
n�ceiTaire pour l'expref��on duV rai.
Peu de gens les entendent : parce-
que l'on n'en acqui�re ordinaire-
ment la connoiflance, que par une
longue exp�rience accompagn�e
d'un bon jugement. Trop heureux
celui qui en voyant les ouvrages
des grands Ma�tres, a les talens de
p�n�tration � cet �gard.
Je dirai encore pour �nliruire les
amateurs de Peinture quitn?ont
�oint de pratique en cet Ar , que
-ocr page 343-
far Principes.           339
les glacis fe font avec des couleurs
tranfparentes ou diaphanes, & qui
par confequent ont peu de corps,
lefquellesfepaffent en frottant l�-
g�rement avec une broife fur un
ouvrage peint de couleurs plus
claires que celles qu'on fait palTer
par-def��s, pour leur donner une
f uavit� qui les mette en harmonie
avec d'autres qui leur font voifines.
Apr�s avoir parl� de l'union des
couleurs , il eft bon de dire deux
mots de leur opposition. Les cou-
leurs font oppof�es entr'elles, ou
dans leur qualit� naturelle^ com-
me telle couleur Amplement ; ou
en lumi�re �c ombre , comme fai-
faut partie du Cla�r_obfcur.
L'oppof�tion dans la qualit� des
couleurs s'appelle antipathie. Elle
eft entre des couleurs qui voulant
dominer l'une fur l'autre, fe detrui-
fent par leur m�lange , comme
l'outremer & le vermillon 3 &. la
contrari�t� qui eft dans le Clair-
obfcurn'eft qu'une flmple oppo�-
-ocr page 344-
34-o Cours de Peinture
tion de la lumi�re � l'ombre ians
aucune deftru&ion.
Car encore qu'il n'y ait rien,
par exemple > qui paroifle plus op-
pof� que le blanc &; le noir, dont
l'un reprefente la lumi�re, & l'au-
tre la privation de la lumi�re, ils
confervent cependant dans leur
m�lange une efpece d'amiti� qui
n'eft fufceptible d'aucune deftruc,
tion. Le blanc Se le noir �nfemble
font un gris doux qui tient de l'une
�c de l'autre couleur -,&c ce qui pa-
ra�tra comme noir par oppofition
au blanc tout pur, �emblera coni-
meblanc, fi ortie met aupr�s d'un
grand noir.
L'on doit raifonner de la m�me
mani�re � l'�gard de toutes les au-
tres couleurs, o� le plus ou le moins
de lumi�re ne change rien � leur
qualit�.
Il eft confiant que cette union 6�
cette oppofition fe trouvent entre
certaines couleurs : mais la difficuL
t� d'en bien expliquer la c.aufe,fait
-ocr page 345-
far Principes.         341
que je renvoie le Peintre ftudieux
� Tes propres exp�riences,^ aux fo-
iides r�flexions qu'il doit faire fur
les ouvrages les plus beaux en ce
genre, �c qui font tr�s-rares, par-
ce que les Tableaux harmonieux
font en petit nombre : car depuis
pr�s de 300 ans que la Peinture
eft refTufcit�e , � peine peut-on
compter fix Peintres qui ayent bien
colori� 5 au lieu que l'on en comp-
tera pour le moins 3 o. qui ont �t�
tr�s-bons Deflinateurs. Et la raifon
de cela eft que le DelTein a des r�-
gles fond�es fur des proportions,
fur l'Anatomie 6c fur une exp�rien-
ce continuelle de la m�me chofe;
au lieu que le coloris n'a point en-
core de r�gles bien connues, & que
l'exp�rience qu'on y fait �tant pref
que toujours diff�rente � caufedes
differens fujets que l'on traite , n'a
pu encore en �tablir de bien pre-
eifes. Ainf� je fuis perfuad� que le
Titien a tir� plus de fecours de fa-
longue & fttidieufe exp�rience avec
-ocr page 346-
342- Cwr* de Pein mre
la grande folldit� de Ton jugement' ,
que d'aucune r�gle d�monftrauve
qu'il e�t �tablie dans fon efpnt,
pour lui fervir de fondement. Je ne
diraipas la m�me chofe deRubensj
celui-ci c�dera toujours au Titien
pour les couleurs locales:mais pour
les principes de l'harmonie , �leo
avoit trouv� de folides qui le fai-
fo�ent op�rer infailliblement pour
l'effet & pour l'accord du Tout-en-
iemble.                                     .
Suppof� ce que je viens de dire
de Titien & de Rubens, ceux qui
veulent devenir habiles dans le co-
loris , ne fauroient mieux faire que
de regarder les Tableaux de ces
deux grands Ma�tres, comme au-
tant de livres publics capables de
les inftruire. Il n'y a qu'� bien exa-
miner leurs ouvrages , les copier
pendant quelque tems pour les bien
comprendre, & faire deflus toutes
les remarques qu'on croira necei-
faires pour s'en faire des principes.
Mais il eft vrai auf�i que toutes
-ocr page 347-
,far Principes.        345
fortes de perfonnes ne font pas ca-
pables d'entendre tous les livres Se
d'en profiter, il faut pour cela avoir
l'efprit tourn� d'une mani�re � ne
remarquer que ce qui eft remarqua-
ble^ � p�n�trer les v�ritables eau-
{es des effets que l'on admire dans
les beaux ouvrages.
Il y a des Peintres qui ont copi�
leT�tien durant beaucoup detems,
qui l'ont examin� avec �oin,& qui
ont fait deflus toutes les reflexions
dont ils ont �t� capables : mais qui
pour n'avoir pas fait celles qu'ils
d�voient, ne l'ont jamais compris.
Et c'eft pour cela que les copies
qu'ils ont faites avec tout le loin
poffible, & qu'ils croyoient dans
une grande exactitude,font encore
fort �loign�es de la conduite qui fe
trouve dans les originaux. Quel-
ques-uns des plus lia biles & tr�s-ca-
pables de folides r�flexions les font
copier, pour jouir de la vue de ces
belles chofes,& pour en profiter, &
cela eft tr�s-louable -.mais s'ils vou-
P iiij
-ocr page 348-
344 Cours de Peinture
loient fe donner la peine d'en co-
pier eux-m�mes du moins les plus
beaux endroits , ils les penetre-
roient tout autrement que par la
fimple vue\ &. le profit qu'ils y
cherchent en feroit fans comparai-
fon plus grand.
Il eft vrai que les originaux &
tous les Tableaux bien entendus de
lumi�res & de couleurs font rares,
& la difficult� de les avoir pour
quelque tems eft aftez grande. Mais
l'amour eft ing�nieux , & quand on
aime v�ritablement on ne trouve
rien de difficile. Enfin pour obtenir
les bonnes gr�ces de la Peinture ,
le plus s�r moyen eft de les m�ri-
ter par les foins, par le travail, &
par les reflexions que demande cet
Art 3 & par ces moyens on acqui�-
re infailliblement l'intelligence &t
la facilit�. Il eft conftant que l'on
trouve peu de bons Tableaux � co-
pier. Mais fi l'on ne peut avoir tou-
jours des originaux , que l'on fe
contente de belles copies, que l'on
-ocr page 349-
far Principes.          345
en choififfe feulement les bons en
droits, & qu'on n�glige fi l'on veut-
le relie, que l'on voie fouvent les
Cabinets des Particuliers* : mais
celui du Roi, & de Monfeigneur le
Duc d'Orl�ans, toutes les fois que
l'on pourra,-
Nous avons encore la Gallerie du
Palais de Luxembourg qui eft un
des plus beaux ouvrages de Ru-
bens 5 & Rubens eft, ce me femble,
celui de tous les Peintres qui a ren-
du le chemin qui conduit au colo-
ris plus facile & plus debarafle.
L'ouvrage dont je parle eft la main
fecourable qui peut tirer le Peintre
du nauffrage o� il fe feroit inno-
cemment engag�.
J'ai toujours eftim� cet ouvrage
comme une des plus belles choies
qui foient dans l'Europe, fi l'on en
retranchoit en plufieurs endroits le
go�t du Dc-fTein , dont il n'eft pas
queftion prefentement. Je fai bien
que tout le monde n'eft pas de mon
fentiment fur les ouvrages de Ru-
P v.
-ocr page 350-
346 Cours de Peinture
bens, & que d'un fort grand nom
bre de Peintres & de curieux qui
s'oppofcient de toutes leurs forces
� mes fentimens, lorfque je d�ter-
rai , ( fi je l'ofe dire ainf� ) le m�-
rite de ce grand ho-mme qu�n'�roit
regard� que comme un Peintre peu
au deflfus du m�diocre. De ces gens,
la, di-je , il en eft encore reft� qui
fans diftin�tion des diff�rentes par-
ties de la Peinture, c'eft-�-dire du
coloris m�me , dont il s'agit ici ,
n'eftiment que la mani�re Romai-
ne, le go�t du Pouffin& l'Ecole des
Caraches.
Ceux donc qui font reft�s, com-
me je viens de dire, dans leurs m�-
mes fentimens , objectent entr'-
autre chofe, qu'on trouve peu de
v�rit� dans les ouvrages deRubens,
quand on les examine de pr�s, que
les couleurs �c les lumi�res y font
exag�r�es ; que ce n'eft qu'un fard,
& qu'enfin ce n'eft point ainf� que
l'on voit ordinairement la Nature.
Il eft vrai que c'eft un fard ;mais
-ocr page 351-
par Principes*         34^
ri feroit � fouhaiter que les Ta-
. bleaux qu'on fait aujourd'hui, fui!
fent tous fard�s de cette forte.L'on
fait af��z que la peinture n'eft qu'un
fard , qu'il eft de'Ton elTence de
tromper , &; que le plus grand
trompeur en cet Art, eft le plus
grand Peintre. La Nature eft in-
grate d'elle-m�me , & qui s'atta-
cheroit � la copier i�mplemenc
comme elle eft -Se fans artifice, fe-
roit toujours quelque chofe de pau-
vre & de tr�s-petit go�t. Ce que
l'on nomme Exag�ration dans les
couleurs $c dans les lumi�res, eft
l'effet d'une profonde connoiflan-
ce de la valeur des couleurs , &
une admirable �nduftrie qui fait
paro�tre les objets peints plus vrais
( s'il faut a�nf� dire ) que les v�ri-
tables m�mes. C'eft dans ce fens
que l'on peut dire que dans les Ta-
bleaux de Rubens l'Art eft audef-
fus de la Nature, laquelle femble
en cette oceaf�on n'�tre que la co-
pie des ouvrages de ce grand Pein-
Pvj
-ocr page 352-
348 Cours de Peinture
tre :�c quand les chofes,apr�s avoir
�t� bien examin�es, ne le trouve-
roient pas juftes, comme on les ,
fuppofe, qu'importe apr�s tout ,
pourvu qu'elles le paroiffent -, puif-
que la fin de la Peinture n'eft pas
tant de convaincre l'efprit que de
tromper les yeux.
Cet artifice paro�tra toujours
merveilleux dans les grands ouvra-
ges 3 car c'eft lui qui dans les dif-
tances proportionn�es � la gran-
deur des Tableaux ,fo�tientle ca-
ract�re des objets particuliers & du
Tout-enfemble ^ & fans lui, en s'�-
loignant de l'ouvrage , l'ouvrage
s'�loigne du vrai, & tombe dans
l'inf�pidit� de la Peinture ordinai-
re. C'eft dans ces grands ouvrages,
o� l'on voit que Rubens a rendu
cette favante exag�ration plus heu-
reufe Se plus fenfible ; mais princi -
paiement � ceux qui font capables
d'y faire attention, & de l'exa-
miner : car aux perfonnes qui ne
s'y connoifTent que peu , rien n'�ft
-ocr page 353-
far Principes.          349
plus cach� que cet artifice.
Celui qui de tous les Difciples
de ce rare homme a le plus profi-
t� des inftructions de ion Ma�tre,
a �t� Vandeik, &. l'on ne peut en
parlant de Rubens fe difpenfer de
Faire un cas particulier de cet illul-
tre Difciple ; puifque s'il n'a~pas
eu tant de g�nie que fon Ma�tre
pour les grandes ex�cutions, il l'a
�urpafT� en certaines finefles de
l'Art, & il eft confiant qu'il a fait
g�n�ralement parlant fes Portraits
plus d�licats, fie d'une libert� de
pinceau au deflus de tout ce qui
s'eft fait en ce genre.
Apr�s avoir expof� fincerement
ce que je penfe fur le coloris, &
fur les parties qui en d�pendent ,
il me refte encore � r�pondre �
ceux qui croient qu'on ne peut
pofleder tout enfemble le DefTein
& le colons, & la plus forte rai-
fon qu'ils en donnent, c'eft, difent
ils , qu'en s'attachant au coloris
on n�glige le Deffein , & que les
-ocr page 354-
■ 5 fo �$#r/ flV Peinture
charmes de celui-ci fa�c oublier la
n�ceffit� de l'autre.
A quoi il eft aile de r�pondre,.
que fi. cela arrive ainfi, ce n'eft pas
la faute du coloris, ma�s de l'ef-
pritquiatrop peu d'�tendue pour
s'appliquer � deux choies en m�-
me tems. Ce ne font pas de ces for-
tes d'efprits que demande la Pein-
ture 3 elle n'admet pour fes favoris
que ceux qui font capables d'em-
brai��rplufieurs objets,ou quifont fi
bien tourn�s, qui de fa vent fi bien
fe m�nager , qu'ils ne s'attachent
qu'aux chofes qui doivent aug-
menter par degr�s leur connoif.
fance. Les nouvelles �tudes qu'ils
entreprennent ne leur font point
oublier celles qu'ils o-nt deja fai-
tes 5 au contraire ils fortifient les
unes par les autres, &c s'efforcent
de les acqu�rir toutes, comme des
moyens h�cefla�res pour arriver �
leur fin. C'eft de ce cara6fcere qu'�-
toit l'efprit de Rapha�l. L'ordre
& la nettet� avec laquelle il con-.
-ocr page 355-
far Principes.          5 j i
cevoit les chofes, ne lin ont jamais-
permis de rien oublier 5 il augmen-
toic toujours fes connoif�ances, &
fortifio�t lesnouvelleslum�eres qu'il
acqueroit, par celles qu'il avoir d�-
j� acquifes.
Apr�s la connoifTanee des cou-
leurs , vient celle de leur emploi,.
de leur m�nagement,^ de leur tra-
vail -, Se dans l'exercice de ces trois
chofes confifte la plus grande fatif-
faclion du Peintre.,
Seneque en parfant de l'agr�-
ment de la Peinture , d�t , que le
plaif�r qu'elle donne en peignant
eft bien plus grand que celui que
l'on re�oit de l'ouvrage , lorsqu'il
eft enti�rement fini. Je fuis abfolu-
ment de cet avis, parce qu'en tra-
vaillant on manie � fon gr� les
principes , &. les fecrets de l'Art %
on leur commande ( pour ainf� di-
re ) &C chacun les fait ob�ir f�lon
l'�tendue de fa capacit� Se de fon
g�nie j au lieu que l'ouvrage �tant
fait, il commande � fon Auteur &
-ocr page 356-
fl Cours de Peinture'
6 le contraint de fe contenter du
fucc�s en quelque �tat qu'il puiiTe
�tre.
Voici quelques maximes tou-
chant l'emploi des couleurs.
Pline dit, que les Anciens pei-
gnoient avec quatre couleurs feu-
lement , dont ils compofo�ent leurs
teintes. Mais il eft � croire que ce
n'�toit que pour pr�parer le fond,
� recevoir les couleurs qui donnent
la fra�cheur, la vigueur &. P�me �
l'ouvrage.
Il faut apprendre � bien voir la
Nature pour la bien reprefenter.
Il y a deux mani�res de la colorier,
la premi�re d�pend de l'habitude
que ceux qui commencent � Pein-
dre fe forment , & l'autre com-
prend la v�ritable connoifl�nee
des couleurs dont on fe fert , ce
qu'elles valent l'une aupr�s de l'au-
tre , �c le jufte temp�rament de
leur m�lange pour imiter les di-
verfes couleurs de la Nature.
La m�moire de l'homme- eft
-ocr page 357-
far Principes. 353
fouvent born�e � un petit nombre
did�es au de-l� desquelles il eft
contraint de repeter. Le Peintre
n'a qu'un moyen d'�viter l'ennui
de la r�p�tition , c'eft d'avoir re-
cours � la fource in�puisable de la
Nature. Il eft m�me bon de pr�-
venir l�-defTus les momens de fes
befoins , & de faire d'apr�s le vrai
des �tudes diff�rentes des objets
naturels extraordinaires dans tous
les genres de Peinture , & iur du
papier huil� afin de s'en fervir dans
�'occafion.
L'harmonie de la Nature dans
fes couleurs, vient de ce que les
objets participent les uns des au-
tres par les reflets.Car il n'y a point
de lumi�re qui ne frappe quelque
corps, & il n'y a point de corps
�clair� qui ne renvoie fa lumi�re
&fa couleur en m�me tems, f�lon
le degr� de la vivacit� de la lumi�-
re , & la vari�t� de la couleur.
Cette participation des reflets dans
la lumi�re & dans la couleur, fait
-ocr page 358-
3 j4 Cours de Peinture
cette union de la Nature , & cette
harmonie que le Peintre doit imi-
ter j d'o� il s'enluit que le blanc &C
le noir font rarement bons dans les
reflets.
La vari�t� des teintes � peu pr�s
dans le m�me ton, employ�e fur
une m�me figure, Scfouvent fur ,
une m�me partie avec mod�ration
lie contribue pas peu � l'harmonie.
Le tournant des parties �& les
contours qui fe perdent infenfible-
ment dans leur fond , & qui s'y
�vanouiffent avec prudence, lient
les objets &, les tiennent dans l'u-
nion principalement en ce qu'il
femble conduire nos yeux au de-
l� de ce qu'ils voient,. & les per-
fuader qu'ils voient ce qu'ils ne
voient pas; c'eft-�-dire,la continui-
t� que l'extr�mit� leur cache.
L'exag�ration des couleurs � la-
quelle le Peintre eft oblig� d'avoir
recours � eaufe de la fuperf�cie de
fon fond, de la diftance de fon ou-
vrage , & du terns qui diminue
-ocr page 359-
far Principes*         3 y 5
toutes chofes, doit �tre m�nag�e
de mani�re qu'elle ne fa (Te point;
fortir l'objet de fon cara&ere.
Il faut �riter autant qu'on le
peut de repeter la m�me couleur
dans le m�me Tableau , mais on
peut bien en approcher par princi-
pe d'union & d'�l�gance. Il y en a
un bel exemple dans leTableau des
noces de Cana de Paul Veronefe,
o�. l'on voit plufieurs blancs & plu-
fieurs jaunes renferm�s harmonieu-
fement.
L'�il fe lafl� des m�mes objets,
il aime la vari�t� bien entendue 5
& en toutes chofes la r�p�tition eit
la m�re du d�go�t.
En Peinture comme en autre ma-
ti�re , les chofes ne valent que par
comparaifon. La pratique & l'ex-
p�rience rendent favant en cette
partie.
Le m�lange de certaines cou-
leurs qui en diminue la force, ou
qui les met en harmonie avec d'au-
tres � leur donne le nom de couleurs
-ocr page 360-
5 56 Cours de Peinture
rompues. On peut en faire une in-
finit� de fortes : & Paul Veronefe
s'y eft fi heureufement attach� ,
qu'il peut fervir d'un bon mod�le
en cette partie.
Il eft � remarquer que pour j
r�uffir, il a affe&� de le fervir de
couleurs lumineufes qu'il a rendues
fenfibles par des fonds encore plus
lumineux. Il avoit beaucoup de
go�t pour les �toffes travaill�es &
d'une couleur douce ; &. fa plus
grande d�penfe �toit pour en ache-
ter , afin de les peindre d'apr�s le
vrai.
Il y a lieu de s'�tonner qu'avant
Rapha�l, Se m�me de fon tems ,
les Peintres fuffent fi jaloux de
leurs contours,qu'ils n'avoient au-
cun foin de les lier avec leur fond,
Se qu'ils n'eufl�nt pas entendu par-
ler de la mani�re dont les anciens
Auteurs louent ces paftages fondus
d'un objet � un autre.
Il y a apparence en effet qu'ils
n'en avoient pas ou� parler, �c
-ocr page 361-
far Principes,         3 j.7
qu'ils ne favoient rien de meilleur
que d'obferver leur r�gularit� dans
h. pr�ciiion des contours , tant ii
eft vrai qu'il y a des tems & des pa�s
o� l'on rat aveuglemeJit les mani�-
res qui s'y pratiquent, & o� les
plus habiles gens entra�nent leurs
.�lev�s.qui les regardent comme in-
faillibles. D'o� il eft aif� de juger
que cJeft an grand bonheur � ceux
;qui fe deftinent � la Peinture, que
de tomber fous la difcipline d'un
habile homme. Mais voici ce qui
arrive pour l'ordinaire
Apr�s que l'Etudiant s'eft acquis
dans le Deffein autant de capaci-
t� qu'il eft n�ceflaire, & apr�s
qu'il s'eft d�termin� � embraffer la
profeffion de Peintre, il fe met or^
dinairement fous la difcipline d'un
Ma�tre dont il fuit les fentimens ,
6i dont il copie les ouvrages ^ d'o�
il arrive infailliblement que dans
la fuite fes yeux & fon efpric s'ac*
co�tument tellement aux ouvra-
ges de fon Ma�tre, qu'il voit tou�
-ocr page 362-
3 5 S        Cours de Peinture
le refte de fa vie la Nature color�e
comme fon Ma�tre s'eft accoutu-
m� de la peindre. Mais ce qui eft
d'extraordinaire, c'eft que fuppof�
que le Ma�tre 6c l'Elev� voyent la
Nature tr�s mal, c'eft-�-dire, d'u-
ne autre couleur qu'elle n'eft en ef-
fet , & qu'on leur prefente des Ta-
bleaux du Titien ou de quelque au-
tre bon colorifte, ils admireront
les Tableaux & continueront ce-
pendant d'employer les m�mes
teintes &. le m�me coloris dont ils
ont accoutum� de fe fervir , tant
leur habitude a pr�valu , & tant il
eft difficile de la quitter.
Que peut-on conclure de l�, f�-
non qu'il faut que l'habitude leur
ait g�t� les yeux, ou que le Peintre
ne prenne pas allez de foin de fe
corriger : mais un changement to-
tal eft fort rare, parce qu'il eft cer-
tain que d'un c�t� l'habitude cau-
ie de l'alt�ration dans les organes,
& que d'un c�t� il eft tr�s-diffici.
le de changer une mani�re � la-
-ocr page 363-
par Principes.          359
.quelle on eft accoutum� , &. o�
l'on trouve de la facilit� dans
l'ex�cution , pour en prendre une
autre dont Pacquif�tion couteroit
beaucoup de peine. Que l'Elev�
s'examine l�-defl�is , bc que fans
perdre courage apr�s avoir recon-
nu la bonne voie, il s'efforce de la
fuivre.
Par le peu de chofes que je viens
de dire touchant l'exercice actuel
de la Peinture , j'avoue que j'en
pafTe beaucoup fous filence qui re,
gardent l'ex�cution &c la pratique j
mais comme je n'ai appris ce que
j'en pourrois communiquer qu'en
examinant avec beaucoup de r�-
flexion les ouvrages des grands
Peintre, ,& fur-tout ceux de Titien
& de Rubens ; & que fur- tout les
Studieux de Peinture peuvent pui,
fer � la m�me four�e ; je les ren-
voi � ces deux Peintres, � Rubens
premi�rement, parce que les prin-
cipes en font plus fenf�bles & plus
ail�s � p�n�trer ; puis � Titien qui
-ocr page 364-
. ,go Cours �e Peinture
fcmble avoir encore parte la lime
Le le Titien a fait ientir dans une
diftancel�gitime,plus de vente:&
de pr�cifioa dans fes couleurs lo-
�alePS,ayantlaiir��Rubensleta
lent des grandes composions , &
rartifice^de faire entendre de plus
loin l'harmonie de fon Tout-en.
iemble.
DV
-ocr page 365-
fdr Principes.          ~ySf
qp3P3P^pqpqp3P3Pqp^P3pq
BVCLA JR-0 BS CV R:
LA fcience des lumi�res & des
ombres qui conviennent � la
Peinture, eft une des plus impor-
tantes parties, & des plus eflentiel-
les de cet Art. Nous ne voyons que
par la lumi�re, & la lumi�re attire
& attache plus ou moins fortement
nos yeux , f�lon qu'elle frappe du
verfement les objets de la Nature.
Le Peintre qui eft imitateur de ces
m�mes objets, doit donc conno�-
tre & cho'ifir les effets avantageux
de la lumi�re , pour ne pas perdre
les foins qu'il aura pris d'ailleurs
pour fe rendre habile.
Cette partie de la Peinture con-
tient deux chof�s, l'incidence des
lumi�res & des ombres particuli�-
res , & l'intelligence des lumi�res
&c des ombres g�n�rales s que l'on
appelle ordinairement le Clair-ob-
0.
-ocr page 366-
3 6 ?, Cours de Peinture
fcur : 6c quoique f�lon la force des
mots, ces deux chofes n'en paroif.
fent qu'une feule j elles font n�an-
moins fort diff�rentes f�lon les
id�es qu'on s'eft accoutum� d'y
attacher.
L'incidence de la lumi�re con-
fifle � favoir l'ombre que doit fai-
re 6c porter un corps fitu� fur un
tel plan, 6c expof� � une lumi�re
donn�e. ( Et c'effc une connoiffance
que l'on acquiert facilement dans
tous les livres de perfpe&ive auf-
quels on peut avoir recours. ) Aini�
par l'incidence des lumi�res l'on^n-
tend les lumi�res 6c les ombres qui
appartiennent aux objets particu-
liers. Et par le mot de clair-obfcur ,
l'on entend l'Art de distribuer
avantageufement les lumi�res 6c les
ombres qui doivent fe trouver dans
un Tableau, tant pour le repos 6:
pour la fatisfaclion des yeux, que
pour l'effet du tout-enfemble.
L'incidence de la lumi�re fe d�-
montre par des lignes que l'on fup-
-ocr page 367-
far Principes.          y g.
pofe tir�es de la fource de la m�-
me lumi�re fur un corps qu'elle
�claire. Elle force & n�ceffite le
Peintre � lui ob�ir : au lieu que le
clair-obfcur d�pend absolument
de l'imagination du Peintre. Car
celui qui invente les objets eft ma�-
tre de les difpofer d'une mani�re �
recevoir les lumi�res & les ombres
telles qu'il les defire dans fon Ta-
bleau , fk. d'y introduire Jes acci-
dens &c les couleurs dont il pourra
tirer de l'avantage. Enfin comme
les lumi�res & les ombres particu-
li�res font comprifes dans les lu-
mi�res & dans les ombres g�n�ra-
les, il faut regarder le clair-obfcur
comme un tout, jfe l'incidence de
la lumi�re particuli�re comme une
partie que le clair-obfcur fuppofe.
Mais pour une enti�re intelligen-
ce du clair-obfcur , il eft bon de
favoir que fous le mot de Clair, il
faut entendre , non-feulement ce
qui eft expof� fous une lumi�re dL
-ocr page 368-
3 64. Cours de Peinture
re&e , mais auffi toutes les couleurs
qui font lumineufes de leur Natu-
re; &; par le mot �'Obfcur , il faut
-entendre non-feulement toutes les
ombres cauf�es directement par
l'incidence , �� par la privation de
la lumi�re ; mais encore toutes les
couleurs qui font naturellement
brunes^en forte quefousl'expofition
de la lumi�re m�me , elles con-
fervent de l'obfcurit�, �cfoient ca-
pables de groupper avec les om-
bres des autres objets. Tels font,
par exemple , un velours charg�,
une �toffe brune, un cheval noir,
des armures polies , &: d'autres-
chofes femblables qui confervent
leur obfcurit� naturelle ou appa-
rente � quelque lumi�re qu'on les
expofe.
Il y a encore � ob fer ver que le
clair-obfcur qui renferme $c qui
fuppofe l'incidence de la lumi�re
& de l'ombre, comme le tout ren-
ferme fa partie, regarde cette m�-
-ocr page 369-
par Principes.          j �f
Me partie d'une mani�re qu� lui eft
particuli�re : car l'incidence de la
lumi�re & de l'ombre ne tend qu'�
marquer pr�cif�merft les parties
�clair�es & les parties ombr�es ;
& le clair-obfcur ajoute � cette
pr��inon , l'Arc de rendre les ob-
jets plus de relief, plus vrais & plus
ienf�bles. J'ai d�montr� ailleurs
cette propofition, je n'en r�p�te-
rai point ici les preuves. Voil� la
diff�rence qu'il y a entre le clair-
obfcur & l'incidence de la lumi�-
re. Reprenons maintenant l'id�e
du premier ,,&difons que le clair-
obfcur eft l'Art dediftribuer avan-
tageusement les lumi�res &'les om-
bres-, & furies objets particuliers
& dans le g�nerai du Tableau. Mais
quoique le clair-obfcur compren-
ne la fcience de diftribuer toutes
les lumi�res & toutes les ombres ,
il s'entend plus particuli�rement
des grandes lumi�res & des gran-
des ombres ramaiT�es avec une in-
duilrie qui en cache l'artifice. Ceft
-ocr page 370-
3 <>6 Cours de Peinture
dans ce fens que le Peintre s'en
fert pour mettre les objets dans un
beau jour , en donnant occaf�on �
la vue de fe repofer d'efpace en
efpace par une ingenieufe diftribu-
tion d'objets, de couleurs, & d'ac-
cidens. Trois moyens qui condui-
fent � la pratique du clair-obfcur,
comme je vais t�cher de le faire
voir.
PREMIER MOYEN.
Parla distribution des Objets.
La diftribution des objets for-
me des maries de clair-obfcur ,
lorfque par une induftrieufe ccco-
nomie on les difpofe de mani�re
que ce qu'ils ont de lumineux fe
trouve joint enfemble d'un c�t� ,
&. que ce qu'ils ont d'obfcur fe
trouve li� enfemble d'un autre c�-
.t� , & que cet amas de lumi�res &
d'ombres emp�che la difl�pati a
de notre vue. C'eft ce que le Ti~
-ocr page 371-
par Principe s".          367
tien appelloic la grappe de raifm .�
parceque les grains de raifin fepa-
r�s les uns des autres auroient cha-
cun fa lumi�re & fon ombre' �ga-
lement 5 & partageant ainf� la vue
en plufieursrayons,lui cauferoient
de la confufion : au lieu qu'�tant
tous rafiembl�s en une grappe , �c
ne faifant par ce moyen qu'une
maffe de clair , &: qu'une mafTe
d'ombre, les yeux les embrafTent
comme un feul objet. Ce que je dis
ici de la grappe de raifin ne doit
pas �tre pris groffierement � la let-
tre , ni f�lon l'arrangement, ni f�-
lon la forme , c'eft une comparai-
fon fenfible qui ne fignifie autre
chofe que la jon&ion des clairs,
& la jonction des ombres.
SECOND MOYEN.
Par le corps des Couleurs.
La diftribution des couleurs con-
tribue aux mafl�s de clairs & aux
QJHj
-ocr page 372-
3 6 $ Qours de Peinture
maffes d'ombres, fans que la lu-
mi�re directe y contribue autre
chofe que de rendre les obfcure vi-
ables : cela d�pend de la fuppofi-
tion que fait le Peintre qui eft li-
bre d'introduire une figure habil.
l�e de brun,qui demeurera obfcure
malgr� la lumi�re dont elle peut -
�tre frapp�e, & qui fera d'autant
plus fon effet qu'elle en cachera,
l'artifice. Ce que je dis d'une cou-
leur peut s'entendre de toutes les
autres coul'eurs f�lon le degr� de
leur ton, & f�lon le befoin qu'en
aura le Peintre.
TROISIEME MOYEN,
Par les Accident.
�a diftribtitfon des Accidens peut
fervir � l'effet du clair-obfcur, ou
dans la lumi�re , ou dans les om-
bres. Il y a des lumi�res & des om-
bres accidentelles : la lumi�re ac-
cidentelle eft celle qui eft acceflbu
-ocr page 373-
far Principes'.           369
fe au Tableau , & qui s'y trouve
par accident, comme la lumi�re
de quelque fen�tre, ou d'un flairu.
beau , ou de quelque autre caufe
lumineufe , laquelle eft: pourtant
inf�rieure � la lumi�re primitive.
Les ombres accidentelles font, par
exemple, celles des nu�es dans un.
Pa�fage , ou de quelqu'autre corps
que l'on fuppofe hors du Tableau,
& qui peut caufer des ombres avan;-
tageufes. Mais en fuppofant hors:
du Tableau la caufe de ces ombres
volantes, pour ainfi parler , il faut
bien prendre garde que cette cau-
fe fuppof�e foit vraifemblable,.6c
non pas impoffible.
Il me femble que ce font-l� trois
moyens dont on peut fe fervir pour
mettre en pratique le clair-obfcur.i
Mais en vain aurois-je parl� de ces
moyens, fi je ne farfois conno�tre
la n�ceffit� de la fin o� ils condui-
sent , je veux dire la n�ceffit� du
cla�r-obfcurdans la th�orie,^ dans-
[a pratique de la Peinture.
1
-ocr page 374-
370 Cours de Peinture
Entre plusieurs raifons qui d�-
montrent cette n�ceffit� , j'en ai
choifi quatre qui m'ont fembl� les
plus eflentielles.
La premi�re eft prife de la ne'-
teffit� du choix dans la Peinture.
La 2 e. de la Nature du clair-
obfcur.
La 3 e. de l'avantage qu'il pro-
cure aux autres parties de la Pein-
ture.
Et la 4e. de la conftitut�on g�-
n�rale de tous les �tres.
Premi�re Preuve,
Prife ne la n�cejj�t� au Choix.
Le Peintre ne Ce contente pas or-
dinairement de la Nature telle que
le hazard la lui prefente, il fait
que par rapport �. l'uf�ge qu'il en
veut faire, elle efl prefque toujours
d�fe&ueufe, & que pour la r�dui-
re dans un �tat parfait, il doit re-
courir � fon Art qui lui enfeigne les
-ocr page 375-
par Principes.          371
moyens de la bien choifir dans tous
fes effets vifibles. Or la lumi�re &
l'ombre ne font pas moins un effet
vifible de la Nature que les con-
tours du corps humain, que les
attitudes, que les plis des drape-
ries , & que tout ce qui entre dans
la composition d'un Tableau : tou-
tes ces chofes demandent un choix,
&c par confequent la lumi�re en
demande un auffi : ce choix de la
lumi�re n'en; autre chofe que l'ar-
tifice du clair-obfcur : l'artifice du
clair - obfcur eft donc une partie
abfolument n�ceffaire dans la Pein-
ture.
Seconde Preuve, ]
Tir�e de de la Mature du Claire
obfcur.
Les fens ont cela de commun ?
qu'ils ont de la r�pugnance pour
tout ce qui trouble leur attention.
-ocr page 376-
3 7� Cours de Peinture
Ce n'eft point afTez que les yeux
jmiflent voir, il faut qu'ils embraf-
fent leur objet avec fatisfa&ion ,
6c que le Peintre �loigne tout ce
qui peut leur faire de la peine. Il
eft certain que les yeux ne peuvent
�tre contens lorfque voulant fe
porter fur un objet, ils en font d�-
tourn�s par d'autres objets voif�ns
que leurs jours �c leurs ombres par-
ticuli�res rendent auffi fenfibles
que cet objet m�me : mais il n'eft
pas moins certain qu'il n'y a que
l'intelligence du clair-obfcur qui
puille procurer � la vue la jouiffan-
ce paifible de fon objet : car, com-
me nous avons dit, c'eft le clair-
obfcur qui emp�che la multiplici-
t� des angles , Se la diffipation des
yeux par le moyen des Grouppes
de lumi�res & d'ombres dont il
donne l'intelligence. Ainl�le clair-
obfcur eft d'une extr�me confe-
quence dans la Peinture.
-ocr page 377-
far Principes.          373'
Tbloisie'me Preuve*
jPrife de l'avantage que les autres:
parties de la Peinture tirent
du Clair-obfcur..
Il eft n�ceflaire de bien pofer les
figures, de les d�grader , de bien-
jetter une draperie, d'exprimer les
parlions de l'ame , en un mot de
donner le caract�re � chaque objet
par un Deffein jufte & �l�gant, &
par une couleur locale vraie 6c na-
turelle : mars il n'eft pas moins n�-
cef��irede fo�tenir toutes ces par-
ties , 6c de les mettre dans un beau
jour , en les rendant plus capables
d'attirer les yeux, 6c de les tromper
agr�ablement par la force 6c par
le repos que l'intelligence des lu-
mi�res g�n�rales introduit dans un
Tableau : ce qui prouve l'avanta-
ge que les parties de la Peinture
en re�oivent, & qui �tablit par con-
s�quent la. n�ceffit�. du clair-ob-
fcur«.
-ocr page 378-
3 74 Cours de Peinture
Qjj atrieme Preuve,
Voici encore une preuve qui fer-
vira � fortifier celles que l'on vient
de propofer , elle jeft tir�e de la
conftitution g�n�rale de tous les
Etres.
Il eft confiant que tous les Etres
du monde tendent � l'imit� , ou
par relation, ou par compofition,
ou par harmonie, & cela dans les
chofes humaines comme dans les
divines ; dans la Religion comme
dans la politique ; dans l'Art com-
me dans la Nature 5 dans les facul-
t�s de l'ame comme dans les or-
ganes du corps. Dieu efb Un par
l'excellence de fa Nature j le Mon,
de efl Un � la morale rapporte tour
� la Religion qui eft Une, comme
la politique rapporte tout au gou-
vernement d'un Etat. La Nature
Hniverfelle conferve dans toutes fes
productions une unit� qui refulte
de plu�eurs membres dans les amU
-ocr page 379-
far Principes.          3 7 j
maux , &: de plufieurs parties dans
les plantes 5 &: l'Art fe fert de plu-
sieurs pr�ceptes d�fferens dont il
fait un feul ouvrage. Les diff�ren-
tes conditions des hommes fervent
pour le commerce, & pour la fo-
ciet�, comme les diff�rentes roues
d'une machine fe raffemblent &-
agiffent pour un principal mouve-
ment. Les facult�s de l'ame ne font
occup�es dans un m�me moment
que d'une feule chofe pour la bieo
faire, Se les organes du corps ne
peuvent bien jouir dans un m�me
tems que d'un feul objet : que fi on
leur en prefente plufieurs � la fois,.
ils ne s'attacheront � aucun, & cet-
te multiplicit� les partagera,&leur
�tera enti�rement la libert� de leur
fonction. Si dans un difcours public
deux ou trois perfonnes parlent en
m�me tems du m�me ton & del�
m�me force , l'oreille ne faura au-
quel entendre, & ne fera frapp�e
que d'un bruit confus. De la m�-
me mani�re fi l'on prefente � la
-ocr page 380-
37^ Cours ie Teinture
vue plusieurs objets fepar�s & �ga-
lement fenfuSles^il efl certain que'
l'�il ne pouvant ramafTer tous ces
objets enfemble , aura dans fa divi-
fion de la peine � fe d�terminer.
Ainfi,, comme dans un Tableau il
doit y avoir unit� de fujet pour les
yeux de l'efprit, il doit pareille-
ment y avoit unit� d'objet pour les
yeux du corps. Il n'y a que l'intelli-
gence du clair-obfcur qui puifTe
procurer cette unit� , ni qui puifle
faire jouir la vue paifiblement Si
agr�ablement de fon objet.
Quand je parle de l'unit� d'ob-
jet dans un Tableau, c'eft par rap-
port � l'efpace que l'�il peut rai-
fonnablement embrafler fans �tre
diftrait par pluf�euf s ob j ets fepar es :
ee qui fe trouve ordinairement dans
un petit nombre de ligures ; car il
y a des Tableaux affez grands &C
& affez charg�s d'ouvrage pour
contenir jufqu'� trois Grouppes de
elair-obfcur. Alors les lumi�res 8C
fcs ombres- de chaque'Grouppe;
-ocr page 381-
far Principes.          fff
�tant fuffi fa ni ment �tendues, attL
rent les yeux &. les arr�tent queL-
que terns, en leur laiflant n�an-
moins la libert� de paf�er d'un;
Grouppe � un autre,,
Mais ces Grouppes d'objets ��
de clair-obfcur dans un m�me Ta-
bleau ,font tellement des unit�s t
qu'il y en doit avoir un qui domi-
ne fur les autres. C'eft par cette
raifonque le Peintre eft oblig� d'y
faire entrer , autant qu'il fe peut,
les principales figures de fon lujet*
AinficettefubordinationdeGroup-
pes fait encore une unit� qu'on
appelle le Tout-enfemble. Il faut
n�anmoins remarquer que ces
Grouppes ne doivent �tre, ni trop
arrang�s, ni affed�s, ni confus, ni
pareils dans leur forme : car il im-
porte peu � la vue que les mafl�s
de clair-obfcur foient en figure:
convexe ou en figure concave , ou
de quelque autre mani�re qu'on,
veuille les reprefenter.
On doit feulement obferves
-ocr page 382-
3 7 $ Cours de Peinture
qu'encore que dans les grands ou-
vrages il faille ri�cellfairement que
les m�iTes de clair & les mafl�s
d'ombres Te pr�tent les unes aux
autres un mutuel fecours T cepen-
dant il ne faut pas que les malles
d'ombres contribuent l� fort � fai-
re repofer la vue , qu'elles la laif-
fent dans une enti�re inaction en
faveur des malles claires.
Le Peintre doit en cela imiter
l'Orateur , qui voulant nous atta-
cher � un endroit qu'il a refolu de
nous rendre fenf�ble, fait pr�c�der
cet endroit par quelque chofe qui
lui eft inf�rieure, de apr�s avoir at-
tach� fon auditeur � l'objet, ce
m�me Orateur le delafle en l'entre-
tenant de quelque chofe de mode-
r� , fans le laifTer n�anmoins fortir
de fon attention.
Tout de m�me le Peintre fait
briller dans fon Tableau fes clairs,
8clesfoutientpardesmafTesbrunes,
qui en repofant les yeux ne la�fTent
pas de les entretenir par des objets
moins fenliblesi.
-ocr page 383-
par Principes,          37^
L'on peut m�me introduire quel-
quefois , mais avec beaucoup de
prudence , quelques objets fingu-
liers, bruns dans les maiTes claires,
de quelques objets clairs dans les
malles brunes, ou pour en reveiller
le trop grand filence, ou pour d�-
tacher quelques figures , ou pour
ne laifTer aucune affe&ation dans
l'ouvrage. Enfin il me paro�t qu'il
eft a propos que le tout fe rencon-
tre dans une heureufe difpofition
comme il le hazard en avoit ainfl
ordonn�.
J'avoue pourtant qu'il n'eft pas
;donn� � tous les Peintres de cacher
de cette mani�re l'artifice du clair-
obfcur,& de l'ex�cuter avec indu-
fine. C'eftune partie qui demande
d'autant plus de reflexion & de de-
licatefTe, qu'elle trouve une nou-
velle difficult� dans chaque nou-
veau fujet. Elle veut de ces g�nies
qui fe font ouverture par tout, 6c
qui favent fortir heureufement de
toutes-leurs entreprifes.
;
-ocr page 384-
| Bo Cours de Peinture
On pourrait ajouter ici pour ut!
lurcro�c de preuve de la force & de
la n�ceffit� du clair-obfcur , les
louanges que les Peintres donnent
tous les jours aux ouvrages o� cet-
te partie fe fait fentir, & aux Pein-
tres qui l'ont poifedee.
En effet qui fera r�flexion fur le*
avantages que toutes les parties de
la Peinture tirent de celle-ci ,
avouera qu'un ouvrage de Peintuu
re d�nu� de clair-oblcur,demeure-
ra foible & infipide quelque cor-
rect qu'en foit leDd��in, & quel-
que fid�les qu'en foient les cou-
leurs locales & particuli�res. Au
lieu qu'un Tableau o� le Def�ein
&les couleurs locales font m�dio..
cres, mais qui font fbutenues par
l'artifice du clarr-obfcur, ne lailTe-
ra point pafler tranquilement fon
Speclateur, il l'appellera , il l'ar-
r�tera du moins quelque tems, eut-
il m�me de l'indiff�rence pour la
Peinture. Que ne fera-ce point, f�
avec le clair-obfcur les autres par-
-ocr page 385-
far Principes.         381
ties s'y rencontrent dans un louable
degr� de perfe�ion,,& que l'ouvra-
ge tombe Tous les yeux d'un curieux
�clair� , ou d'un amateur fenilble ?
J'ai cr� qu'il ne feroit pas hors
de propos de donner ici les princL.
pales d�monftrations de l'effet du,
clairrpbfcur, pour remettre le Le-
jcteur au fait de tout ce qui en a �t�
dit.
La premi�re figure prouve l'uni-
t� d'objet, comme nous l'avons d�s
ja fait voir dans le Trait� de la Dif.
poi�tion. Il y a de plus ici une d�r
monftration des objets qui entrent
dans le Tableau, & qui font en ptr-
(pe.6live.Les uns &c les autres objets
diminuent �galement de force en
s'�loiVnant du centre de Javifitfn,
Toute la diff�rence qui eft entre
eux,c'eft que les objets qui rentrene
diminuent de grandeur en s'�loi-
gnant du centre de la vif�on , f�lon
les r�gles de la perfpective 5 §� quf
ceux qui s'�tendent feulement �
droit & � gau�lie, s'effacent pas
-ocr page 386-
3 S % Cours de Peinture
l'�loignement, fans diminuer de
forme ni de grandeur.
La f�conde fait voir comme on
doit traiter un objet particulier,
pour lui donner du relief, qui eft.,
d'employer fur le devant les lumi�-
res les plus vives & les ombres les
plus fortes, f�lon les couleurs qui
conviennent � cet objet, en con-
fervant toujours les reflets fur les
�ournans du c�t� de l'ombre.
La troifi�me eft pour pouver la
n�ceffit� des Grouppes pour la fa-
tisfa&ion des yeux , qui �toit la
grande r�gle du Titien, & qui doit
l'�tre encore aujourd'hui pour ceux
qui voudront obferver dans leur
Tableau, cette unit� d'objet qui
avec les couleurs bien entendues,
en fait toute l'harmonie,
La quatri�me eft une conviction
de la n�ceffit� «d'obferver l'unit�
d'objet, en formant des Group-
pes dans la compof�tion des Ta-
bleaux , f�lon leur grandeur ,
& le nombre des figures ; car ,
-ocr page 387-
p«?
Clair obscur � ans un seul objet
Fie-»■ i�M�z-
Clair olscur dans <i>n grojtppe 3 'objets
Clair obscur dispersent par cons�quent sans effet
&* Jlecktfcrt se
-ocr page 388-
far Principes,          3 13
comme nous avons dit, pour plai-
re � l'�il, il faut le fixer par un
Grouppe dominant , qui par le
moyen des repos que �aufe l'�ten-
due de (es lumi�res & de fes om-
bres , n'emp�che pas l'effet des au»
tr�s Grouppes, ou objets fubor-
donn�s : car fi les objets font dif-
perf�t, l'�il ne fait auquel s'adreC
1er d'abord, non plus que l'oreil-
le au difcours de plufieurs perfon-
nes qui pai'leroient toutes � la fois.
On pourroit ajouter beaucoup
d'autres chofes � ce que je viens de
dire des lumi�res & des ombres,
cette mati�re �tant fufceptible
d'un plus grand d�tail. Je me fuis
content� de donner ici, f�lon mon
iens j l'id�e du clair-obfcur , de
faire voir en g�nerai les differens
moyens de le pratiquer, &: de prou-
ver fon abfolue n�cejfit� dans 1g
Peinture.
Ceux qui voudront en lavoir
davantage,peuvent voir ce que j'en
ai �crit dans le Commentaire 4$
-ocr page 389-
3 S 4 Cours de Peinture
Po�me de du Frenoi fur le 267.
vers,6c les 7. ou 8. feuillets faivans,
& que je n'ai pas cru devoir rap-
porter ici, y en ayant expof� la
principale fubftance.
Les Sculpteurs auffi bien que les
Peintres, peuvent mettre en prati-
que l'artifice du clair-obfcur,quand
ils en ont occanon , ou qu'ils fe la
procurent par la difpofit�on de
leurs figures, ou par le lieu o� doit
�tre plac� leur ouvrage. LeCava»
i�erBerninenalaine des monumens
& la pofterit� dans quelques Egli-
fes de Rome, dans lefquelles il a
difpof�fa Sculpture f�lon la lumi�-
re des fen�tres qui d�voient l'�clai-*
#er. Ou bien il a perc� des fen�tres
d'une ouverture avantageufe quand
il en a eu la libert� , afin d'en tirer
des lumi�res qui fiffent un effet ex-
traordinaire $C capable d'entre -
tenir l'attention de fon Spe&ateur,
^dais le Sculpteur habile peut enco-
re faire quelque �hofe de plus, en
ajoutant au clajr-obfeur des cou-
leurs
-ocr page 390-
far Principes          3 g y
leurs locales,s'il en a l'intelligence.
On en peut voir un merveilleu*
exemple chez Monsieur le Hay ,
rue de Grenelle faubourg S. Ger-
main. Ces ouvrages font dans deux
caifles, dont l'une contient le fujec
d'une defcente de Croix , & l'au-
tre l'Adoration des Pafteurs. La
profonde fcience &c la Singuli�re
beaut� dont ces deux fujets font
ex�cut�s , m'ont perfuad� que le
Public feroit bien aife d'�tre pr�-
venu de leur defcription ; & quoi-
que je l'aie faite avec toute l'exa-
ctitude qui m'ait �t� poffible, je ne
doute pas que les curieux ne la
trouvent fort �loign�e du fubl'me
o� l'Abb� Zumbo, qui en eft Au-
teur , l'a port� dans toutes les par-
ties de fon Art.
Ce feroit ici le lieu de dire quel-
que chofe de la vie de cet homme
illuftre : mais j'ai cr� qu'il �toic
plus � propos de la referver pour la
f�conde �dition que l'on va faire
de l'Abr�g� de la vie des Peintres
-ocr page 391-
3 S 6 Cours de Peinture
que j'ai mis au jour. Je me conten-
terai donc de donner dans ce Vo-
lume la deicription des fculptures
dont je viens de parler : on l'a pla-
c�e fur la fin du Livre pour n�
point interrompre l'ordre des trai-
t�s qui font la mati�re ei�entiell�
de cet ouvrage.
-ocr page 392-
par Principes.         387
M%&Si5iX$l$� &&5i�i3i3iStSiM
*�>3 &** H�* �*? t*�' KW : *g#«&? ?*3 .gcgj. f.^. sssg.
I> l'Ordre qu'il faut tenir dam
l'Etude de la Peinture.
LA plupart des habiles Pein-
tres ont pris beaucoup de foin,
& ont confum� plufieurs ann�es �
la recherche des connoifl�nces
qu'ils auroient pu acqu�rir en peu
de tems, s'ils en euflent trouv� d'a-
bord la v�ritable voie. Cette v�ri-
t� que l'exp�rience a fait fentir
dans tous les �ges, regarde fur-tout
la jeunefTe. C'eft-elle principale-
ment qui dans l'avidit� d'appren-
dre , a befoin des lumi�res qui lui
faflent voir par ordre les progr�s
qu elle doiteiperer pour arriver in-
failliblement au but qu'elle fe pro-
pofe.
L'on peut conf�derer la Peinture
comme un beau parterre 5 le G�nie
comme le fond, les Principes com-.
Ki}
-ocr page 393-
'388 Cours de Peinture
me les femences, & le bon �fprit
comme le Jardinier qui pr�pare la
terre pour y jetter les femences
dans leurs faifons, & pour en faire
na�tre toutes fortes de fleurs qui ne
regardent pas moins l'utilit� que
l'agr�ment.
Il eft certain que le g�nie � qui
nous devons la naifl�nce des beaux
Arts , ne fauroit les conduire �
leur perfe&ion fans lefecours de la
culture -y que cette culture eft im-
pratiquable fans la direction du ju-
gement ; &que le jugement ne fau-
roit rien faire fans la poileffion des
vrais principes,
Il Faut donc fuppofer le g�nie
dans toutes nos entreprifes , autre-
ment on ne fait que languir dans
l'ex�cution. 11 eft vrai que les fie-
cles ne font pas �gaux dans la pro-
duction des grands g�nies, �c que
l'Art s'afroibiit faute d-habiles
gens s Mais le manque de grands
g�nies ne doit point emp�cher que
l'on ne cultive ceux qui fe rencon-
-ocr page 394-
1           far Principes;          389
trent dans tous les tenis quels qu'ils
puiffent �tre. La terre rend � pro-
portion de fon fond, & de la fe-
mence qu'on y jette ; de m�me le
g�nie produira toujours en le culti-
vant , fuivant le degr� de fon �l�-
vation &. de fon �tendue i les uns
plus, les autres moins.
Ainf� le g�nie a plufieurs degr�s,
�c la Nature en donne aux uns pour
une chofe , & aux autres pour une
autre 5 non-feulement dans la di-
verfit� des profeffions, mais encore
dans les diff�rentes parties d'un
m�me Art ou d'une m�me fcience.
Dans la Peinture , par exemple,
l'un aura du g�nie pour le Portrait,
ou pour le Pa�fage , pour les ani-
maux , ou pour les fleurs : mais
comme toutes ces parties fe trou-
vent raffembl�es dans le g�nie pro-
pre � traiter l'hiftoire, il eft certain
que ce g�nie doit pr�rider � tous
les genres particuliers de la Peintu-
re , d'autant plus que fi ceux qui les
exercent y r�umffent mieux que les
R ii1
-ocr page 395-
390 Cours d* Peinture
autres, c'eft ordinairement parce
qu'ils s'y font occup�s davantage 5
& qu'ayant fenti le talent qu'ils
avoient pour cette partie , ils l'ont
embrafiee avec plaii�r , �c ont eu
plus d'occafions de l'examiner, 6c
de le pratiquer : ce qui foit dit fans
faire tort au g�nie de ceux qui
l'ayant aflez �tendu pour r�uffir
dans l'hiftoire, fe font adonn�s par
occafion ou par go�t � un genre de
Peinture plut�t qu'� un autre.
Car la Peinture doit �tre regar-
d�e comme un long p�lerinage, o�.
l'otf voit dans le cours du voyage
pluf�eurs chofes capables d'entre-
tenir agr�ablement notre efprit
pour quelque tems. On y confidere
les diff�rentes parties de cet Art ,
on s'y arr�te en faifant fon chemin,
comme un voyageur s'arr�te dans
les lieux de repos qui font fur fa
route : mais fi nous fixons notre de-
meure dans l'un de ces lieux , par-
ce que nous y aurons trouv� des
beaut�s f�lon notre go�t x ou. des
-ocr page 396-
par Principes.         $ 9 � �
occafions f�lon notre int�r�t, Se
que nous nous contentions de voir
de loin , ou d'attendre feulement
parler du lieu o�. nous voulions
nous rendre , nous demeurerons
toujours � l'h�tellerie ,&nous n'a-
ch�verons jamais notre voyage.
C'eft ce qui arrive infail liblement
� ceux qui tendent � la Peinture
comme � leur fin, & qui en paflant
par l'�tude des parties qu'elle ren-
ferme^ font arr�t�s parles charmes
qu'ils auront trouv�s dans quel-
ques-unes, fans faire r�flexion que
l'accompl�iTement de la Peinture
ne refuite que de la perfection, &
de l'affemblage de toutes les par-
ties qui la compofent. La queftion
eft donc de cultiver ce g�nie qui
doit y pr�fider. Je le demande
tout entier, uniquement attach� �
ce qui le regarde, �vitant les diffi-
pations capables de le retarder 4
& libre de toute affaire.
Mais quelque difpofition qu'ait
un Elev� pour �treinftruit , il fe
Rmj
-ocr page 397-
392 Cours de Peinture
peut faire que le Ma�tre ne foit pas
difpof� pour i'inftruire ^ parce que
l'apparence d'un jufteint�r�t pour-
roit le retenir dans l'apprehenfion
de perdre en peu de jours le fruit
d'une longue exp�rience en com-
muniquant les lumi�res , &. d'�tre
par ce moyen ou furpafle , ou du
moins �gal� par fcn Elev�.
Cependant, d'enterrer fes con-
noiifances avec foi, fans vouloir fai-
re d'Elev�, eft une chofe qui n'eft,
ni naturelle, ni Chr�tienne, ni po-
litique j elle n'eft point naturelle ,
car le propre de la Nature eft de
fe reproduire elle-m�me -, elle n'eft
point Chr�tienne 3 puifqu'il eft de
la charit� d'enleigner les ignorans,
je veux dire ces fortes d'ignorans �
qui Dieu a donn� des talens pour
apprendre 3 elle n'eft point non
plus politique , parceque la r�pu-
tation des Ma�tres fe r�pand tk. fe
conferve par celle des Difciples,
qui tranfmettent � la pofterit� la
gloire de ceux qui les ont inftruits.
-ocr page 398-
far Principes.         3 93
Ma�s fuppof� que parmi les ha-
biles Peintres ,les plus jeunes ayent
les raifons d'int�r�t dont j'ai parl�,
& qu'on trouv�t ces raifons fuffifan-
tes pour les difpenfer de communi-
quer leurs lumi�res & leurs fecrets
� des Elev�s ; on ne peut du moins
excufer les plus avanc�s en �ge, ni
ceux qui ont une r�putation �ta-
blie j parce que n'y ayant rien � rif-
quer pour eux , ils ne peuvent at-
tendre de leurs bonnes intentions
qu'une pleine fatisfa&ion d'eux-
m�mes , &c des louanges de tous les
autres.
Il ne s'agit plus que de trouver
des moyens qui applaniflent les dif-
ficult�s , qui abr�gent le tems, &
qui conduifent les Elev�s dans la
voie de perfectionner eux-m�mes
leur go�t, & leur g�nie.
Je fai bien que les habiles Pein-
tres ( je parle de tous en g�nerai )
je fai bien, dis-je, que les habiles
gens peuvent avoir tenu diff�rentes
voies dans leurs �tudes 3 & qu'ils
Rv
-ocr page 399-
394 Cours de Peinture
peuvent par confequent conduire
leursDifciples chacun par diff�rent
chemins qui meneroient aune m�-
me fin. Je fai bien auffi qu'il s'en
pourroit rencontrer , qui apr�s
avoir �tudi� fans ordre, 8c confu-
m� inutilement plufieurs ann�es �
la recherche de la bonne voie, ne
l'ont trouv�e que fort tard ^ & en-
fin qui apr�s s'�tre inftruits �c def-
abuf�s eux-m�mes,feroient tr�s ca-
pables de marquer � la Jeunefle la
meilleure voie pour s'avancer dans
leurs �tudes. Mais l'�tonnement
o� je fuis des longues ann�es qu'on
emploie ordinairement dans l'�tu-
de de cette profeffion, m'a donn�
la libert� de dire ici ce que je penfe
des �tudes de la Peinture, & de
l'ordre que je fouhaiterois qu'on y
obferv�t.
Je ne fixerai point ici l'�ge auquel
on doit commencer � travailler
pour acqu�rir cet Art, P^ce qu'en
toutes fortes de profemons, le g�-
nie &c l'appl�cationfont la moiti�,de
l'ouvra?; e.
-ocr page 400-
far Principes.          5 yf
Cependant les jeunes gens que
l'on deftine � la Peinture, ne fau-
roient fe mettre trop t�t � deffi-
ner , parceque leur g�nie venant �
fe d�clarer en pratiquant,on les laif-
fe continuer s'ils en ont $ ou fi l'on
d�couvre qu'ils n'en ayent point>
on les emploie � des chftfes auf-
quelles on les croit plus propres.
Ma�s en cas que leur inclination
les aorte � continuer du c�t� del�
Peinture -, il faut avoir foin pen-
dant ces premiers exercices de leur
Deflein, qu'ils apprennent � bien
lire & � bien �crire ; afin qu'ils
�vitent la trop grande indiff�rence
que la plupart des hommes ont
pour la lecture , faute de fe l'�tre
rendue famili�re dans leur jeuneffe.
Et comme c'eft un fecours dont les
Peintres ont grand befoin dans
leur profeffion , il eft bon qu'on
leur donne � lire dans les commen-
cemens des livres agr�ables 8c pro-
portionn�s � leur �ge pour les met-
tre en go�t de lecture. Et dans la
Rvj
-ocr page 401-
3 9 6 Cours de Peinture
fuite , � mefure que Pefprit Te for-
me , rien n'apprend � bien penfer
comme les bons livres.
Du refte � quelque �ge que l'on
commence la Peinture, chacun y
avance plus ou moins f�lon le de-
gr� de ion g�nie. Il y en a qui f�
ientent^attir�s par leur g�nie , &c
qui le fui vent : d'autres en font en-
tra�n�s par violence. Il y en a peu
de ces derniers 3 6c ces g�nies ra-
res , quand il s'en trouve , font ca-
pables de faire en peu de tems de
tr�s-grands progr�s , & il n'y a
point d'�ge d�termin� pour eux.
Mais comme nous devons former
ici un plan d'�tude , choififfons
pour commencer le tems de la
premi�re jeunefTe, comme on fait
ordinairement pour conduire un
jeune �lev�.
Nous apprenons de Pline que
lorfqu'Alexandre le Grand donna
� la Peinture la premi�re place par-
mi les Arts lib�raux, il ordonna en
m�me tems que les jeunes gens de
-ocr page 402-
far Principes.          3 577
.condition apprendroient � deffi-
ner avant toutes chofes. Alexan-
dre ne pouvoit avoir en cela d'au-
tre vue que de former le go�t de
les principaux fujets,par les difpof�-
tions que le DefTein met dans l'ef-
prit.
En effet le premier fruit du Dell
fein eft la juftefle qu'il met dans
les yeux de ceux qui deffinent, �c
fon premier ufage eft de faire di-
stinguer en g�n�ral le caract�re des
objets, & enfuited'imprimer dans
Teiprit les principes du bon qui fe
trouve dans les beaux Arts : & en-
fin le go�t s'�tant form� par un
progr�s de ces m�mes principes ,
il eft bien plus capable de juger des
ouvrages de l'Art, 6c de ceux de
la Nature.
Alexandre qui ne vou�oit pas
faire des Peintres de tous ces gens
de condition , les faifoit n�an-
moins commencer de bonne heure
� deffiner -y parce qu'il vouloit que
le DefTein leur ferv�t � juger dans
-ocr page 403-
3 y 8 Cours de Peinture
�e cours de la vie , de tous les ob-
jets que l'occaflon leur prefente-
roit.
Les Peintres , & les Sculpteurs
ont d'autant plus de fujet de fuivre
cette loi d'Alexandre dans l'em-
ploi des premiers tems de leur jeu-
n�fle, que le Deflein ne doit pas
feulement leur fervir � dire leur
avis fur les ouvrages, mais � faire
ceux dont on doit juger.
La premi�re chofe que l'on do�c
confiderer dans l'acquifition d'un
Art que l'on veut exercer toute fa
vie, c'eft de bien partager fon tems,
& de donner � chaque �tude celui
qui lui eft le plus propre. Dans les
premiers tems de la jeunefle , par
exemple, o� la ra�fon eft encore
foible, &: les r�flexions hors de fa�-
fon, il faut fe pr�valoir de la mo-
lefle du cerveau,&; de la puret� des
organes qui font fufceptibles des
impreffions, &.des habitudes qu'on
voudra leur faire prendre.
Cela fuppoi� y il n'y a que deux
-ocr page 404-
f ar Principes.         3 5 f
exercices qui conviennent aux gens.
de la premi�re jeunefTe. L'un eft
d'accoutumer leurs yeux � la ju-
fleffe, c'eft-�-dire � rapporter fi-
d�lement fur leur papier les di-
menfions de l'objet qu'ils copient -y
& l'autre , c'eft d'accoutumer leur
main au man�ment du crayon 8c
de la plume, jufqu'� ce qu'on aie
acquis la facilit� n�cef���re, la-
quelle par la pratique s'acquiert
infailliblement.
La jufteffe des yeux & la faci-
lit� dans la main, font les deux
portes qui donnent entr�e aux d�-
monstrations des parties qui con-
duifent � l'enti�re connoifiance du
Deflein.
Il eft donc de la derni�re con-
fequence aux jeunes gens , pour
bien commencer la Peinture, �c
pour y avancer � grands pas , de
ne point quitter ces deux premiers
exercices qu'ils n'en ayent une
grande habitude.
Et {i cet article importe beau-
-ocr page 405-
400 Cours de Peinture
coup aux Etudians, il en: encore
d'une plus grande confequence �
l'Acad�mie ; car pour peu qu'elle
veuille r�fl�chir fur fon avance-
ment , & m�me fur le foin de fe
maintenir, elle regardera comme
une chofe n�ceflfaire de ne recevoir
perfonne pour Ecolier qui n'ait une
luffifante pratique de def�iner d'a-
pr�s les DefTeins , 8c d'apr�s les
Bofles, c'eft-�-dire une fuffifante
juflef�� dans les yeux, & une fuffi-
fante libert� dans le man�mentdu
crayon , 6c cela au jugement des
Officiers en exercice.
La raifon de mon fentiment en
ceci eil, que les Ecoliers ayant �t�
re�us trop jeunes & trop ignorans
dans l'�cole de l'Acad�mie , ils y
paf��nt beaucoup de tems fans go�t
& fans difcernement, & enfin fans
faire deprogr�s remarquables dans
leurs �tudes pr�tendues. Cepenl
dant apr�s quelques ann�es, comp-
tant plut�t fur le tems qu'ils ont
pafle dans l'Ecole de l'Acad�mie
-ocr page 406-
fat Principes,         401
que fur le progr�s qu'ils y ont fait,
ils fe prefentent t�m�rairement
pour concourir aux prix dont ils
font tout-�-fait indignes. D'o� il
arrive eniuite que ceux qui pr�ten-
dent aux prix dePeinture,�tant des
branches del� m�me fouche d'i-
gnorance , produifent les m�mes
fruits, ou mauvais ou infipides.
Le premier ufage que les jeunes
gens doivent faire de ces habitu-
des, c'en: d'apprendre la G�om�-
trie , parce qu'�tant prefentement
queftion de refl�chir & de raison-
ner pour toutes les parties de la
Peinture , defquelles il faut'avoir
une enti�re connoiflance , &. la
G�om�trie apprenant � raifonner
&� inf�rer une chofe d'une autre,
elle nous tiendra lieu de Logique,
& nous tirera de nos doutes.
Comme la perfpeclive fuppofe
la G�om�trie qui en eft le fonde-
ment , il eft naturel d'en placer ici
l'�tude, & de s'y attacher d'autant
-ocr page 407-
4o i Cours de Peinture
plus fortement que le Peintre e'fi
tire un fervice dont il lui eft imp�t
lible de fe paffer , quelque ouvra-
ge qu'il veuille entreprendre.
Je fuppofe ici que le jeune Etu-
diant ait contract� l'habitude de
copier facilement toutes fortes de
Defleins,&de de��iner toutes for-
tes de Tableaux. Cette habitude
n�anmoins ne peut entrer dans cel-
le du DefTein que comme une dif-
pofition n�cefTaire pour l'acqu�rir.
Les chofes �tant ainf�, le jeune
Etudiant doit regarder l'imitation
de la belle Nature comme fon
but , & doit t�cher de conno�tre
les caract�res ext�rieurs des for-
mes qu'elle produit. A�nf� pour
commencer par le Chef-d'�uvre
des productions de la Nature, qui*
eft l'homme, le jeune Etudiant
doit s'inftru�re de FAnatomie , &
des proportions } parce que ces
deux parties font le fondement du
DefTein.
-ocr page 408-
far Principes.          401
L'�natomie �tablit la foliaire
du corps , �c les proportions en
forment la beaut�. Les propor-
tions font redevables � PAnatomie
de la v�rit� de fes contours , Se
PAnatomie doit aux proportions
l'exacte r�gularit� de la Nature
dans fa premi�re intention. Enfin.
PAnatomie, & les proportions fe
pr�tent un mutuel fecours pour r�-
duire le DefTein dans une folide &
parfaite correction.
Quelque liaifon que ces deux
parties femblent avoir entr'elles ,
il paro�t n�anmoins que le mieux
eft de commencer par PAnatomie y
�>arce que PAnatomie eft la fille de
a Nature , & la proportion la fil-
le de PArt, &: que fila proportion
vient du bon choix , le bon choix
tire fon origine de la Nature.
Mais apr�s PAnatomie fuit l'�-
tude des proportions.ily a des pro-
portions g�n�rales que l'on doit
premi�rement bien lavoir , c'eft-
a-dire celles qui conviennent ge-
-ocr page 409-
404 Cours de Peintur�
neral�ment � chaque partie pou?
en faire un tout accompli. Il faut
favoir , par exemple , comment
une t�te doit �tre conftruite , un
pied, une main , 5c enfin tout le
corps pour former un homme par-
fait.
Mais comme la Nature eft dif-
f�rente dans fes ouvrages, il faut
examiner ce qu'elle peut faire de
plus beau dans les differens cara-
ct�res qui fe rencontrent dans la,
vie des hommes, � caufe de la d�-
verf�t� des �ges, des pais Se des
prof�rions.
Il eft vrai que la Nature nous
offre l'abondance de fa vari�t� qui
eft infinie : mais comme fes richef.
{es ne font pas fans m�lange, il eft
mieux de recourir d'abord � l'An-
tique qui nous fait part du choix
exquis qu'il a fait avec une con-
noif�ance profonde pour tous les
�tats de la vie.
Puifqu'il eft confiant que les fi-
gures antiques renferment non feu-
-ocr page 410-
par Principes.          40 j
lement tout ce qu'il y a de plus
beau dans les proportions j mais
qu'elles font encore la fource des
gr�ces ,de l'�l�gance, & des ex-
preffions : c'eft une �tude d'autant
plus n�c�fTaire qu'elle conduit au
chemin de la belle v�rit�. Il faut
s'y exercer fans avoir �gard au
tems qu'elle exige pour la bien pof-
feder : car puifque l'Antique eft la
r�gle de la beaut� , il la faut def-
fmer jufqu'� s'en former une jufte
& forte id�e, qui ferve � bien voir
la Nature , & � la ramener dans
fes premi�res intentions, d'o�, elle
s?�carte a�Tez fouvent.
Comme le plus bel exemple que
nous ayons dans cette conduite,
eft celle qu'a tenue Rapha�l dans
fes ouvrages, il eft bon de les def-
finer en m�me tems , afin qu'il
nous ferve de guide dans l'heureux
m�lange qu'il a fait de l'Antique
& de la Nature.
Il eft bon auffi de remarquer en
paflant que 4ans l'antique il y a
-ocr page 411-
40 e Cours de Peinture
un go�t g�nerai r�pandu fur tous
les ouvrages de ces tems-la, &c
un go�t particulier qui caraclerife
chaque figure f�lon fon �ge , 6c fa
qualit�. Ceft au jeune Etudiant �
faire l�-deffus les r�flexions en
terns & lieu , f�lon la p�n�tration
de fon jugement.
Suppoi� que l'on ait fait les �tu-
des dont je viens de parler avec le
tems 6c l'application qu'elles de-
mandent , on doit les confiderer
comme des degr�s qui �l�vent l'ef.
prit � la connoiffance du naturel,
tel qu'il eft , 6c tel qu'il doit �tre.
Nous jugeons par ces premi�res
�tudes des d�fauts que le hazard
a mis dans un mod�le , �c des per-
fections qui lui manquent ^ ainfx
nous voyons au travers de nos
id�es, ce qu'il faut ajouter ou di-
minuer au naturel pour le rendre
4ans l'�tat que nous le def�rons.
Ceft donc ici le lieu , o� Ton
doit placer l'�tude du Mod�le �
laquelle il faut joindre celle de
-ocr page 412-
par Principes,        407
Contrafte , & de la Pond�ration
qui compofent toutes deux enfem-
t>le celle des Attitudes.
Comme il eft n�ceflaire en po-
sant un mod�le de chercher une
attitude qui dans fon contrafte
foit naturelle, & fafte voir de bel-
les parties : il eft de la m�me ne-
�iffit� de lui donner du relief &
de la rondeur. Mais comme le re-
lief .& la rondeur d'un objet par-
ticulier ne fuffit pas dans l'aflem-,
frlage de plufieurs figures, & qu'il
fautpour �afatisfa&ion des yeux, &
pour l'effet du tout-en(emble,qu'ii
y ait une intelligence de lumi�res
,& d'ombres, qu'on appelle le clair-
obfcur, on ne peut fe difpenfer d'en
acqu�rir la connoiflance.
Cette intelligence demande une
attention particuli�re, & l'onze»
doit avoir une habitude d'autant
plus forte , que Je clair-obfcur eft
�un des principaux fondemens �§
la peinture, que fon �ffet app�llg
-ocr page 413-
^.oS "Cours de Peinture
le Spec"tateur,qu'il fo�tient la com-
pofition du Tableau, 6c que fans
lui tout le foin qu'on auroit pris
pour les objets particuliers, feroit
une peine perdue.
Quand on a une fois bien con�u
cette partie de la Peinture , il eft
bon pour lui faire prendre de pro-
fondes racines dans l'efprit,de voir
avec reflexion les eftampes des
Ma�tres qui ont le mieux entendu
les lumi�res5cles ombres, & d'en
p�n�trer l'intelligence.
Il n'eft pas feulement � propos de
voir ces eftampes particuli�res
pour fe confirmer dans la connoif-
fance du clair-obfcur : mais la vue
des belles eftampes en g�n�ral, �c
des DeiTeins des grands Ma�tres,
<?ft tr�s-utile encore pour nous in-
ftruire de la mani�re dont les plus
habiles Peintres ont tourn� leurs
penf�es 3 dans leurs compo(Irions
en g�n�ral, & dans leurs figures
en particulier,
Les
-ocr page 414-
par Principes. 4»^
Les bonnes �ftampes, aufl� bien
que les bons Defleins , font encore
tr�s capables d'�chauffer notre g�-
nie , & de l'exciter � produire quel-
que chofe de iemblable. Chaque
objet s'exprime par des traits dif-
ferens pour faire fentir Ton caract�-
re j �c quand on a deffin� d'apr�s
les bons Ma�tres, on s'apper�oit
afl�z que ces touches Spirituelles
& que ces differens traits font l'ame
des Defleins ; on fe les imprime
dans l'efprit, & l'on acquiert par
l� beaucoup plus de difpof�tion &
de facilit� � remarquer clans la Na.
tnre la mani�re dont on peut ex-
primer le cara&ere de chaque ob-
jet. Le jeune �tudiant doit donc
faire fon pofl�ble pour nourrir fe$
yeux par la vue de ces belles chofes.
Mais pour les imprimer forte-
ment dans la m�moire, & pour les
faire entrer bien avant dans fon ef-
prit, ileftbon d'en copier, & d'en
extraire le plus beau , Se nous r�-
gler en cela f�lon les cjhofes qui
«S
-ocr page 415-
%��> Cours de Peinture
nous manquent, &: dont nous avons
le plus de befoin, ou vers leiqueL
les nous nous Tentons attir�s par
notre g�nie. C'eft dans cette occar
i�ono�. des amis �clair�s, & fince-
res, qui fouvent connoiffent mieux
que nous-m�mes nos foibles & nos
penchans , pourro�ent nous aider
,de leurs lumi�res, s'ils �toient con-
fuites.
Jufqu'ici la Peinture , & la Sculp-
ture fe font donn� la main ^ parce
que je fuppofe que le Sculpteur s'effc
exerc� � deffiner fur le papier �
comme je defire ici que le Peintre
pour fon utilit� propre apprenne
a modeler.
Il faut prefentement que chacu-
ne marche de fon c�t� pour arri-
ver heureufement � leur fin, qui eft
l'imitation de la Nature par diffe-
rens moyens 3 la Sculpture par le
relief de la mati�re, & la Peinture
par les couleurs fur une fuperficie
plate. C'eft de celle-ci que j'ai en-
core � parler pour achever de la
-ocr page 416-
far Principes. 41 f
conduire � la fin de fa carri�re.
L'ordre que j'ai indiqu� jufqu'�c�
n'a relation qu'� l'�tude du Def-
fein , &: ce qui nie refte � dire re-
garde principalement le coloris.
Pluf�eurs Peintres font d'avis que
■dans l'�tude du Deffein on m�le
celle du coloris 3 parce que, difent-
11s , plusieurs bons Dei�inateurs ,
pour avoir go�t� trop long-tems
les charmes du Deffein , en ont
tellement rempli leur efprit, que
le coloris n'y a pu trouver de pla-
ce 3 ou qu'�tant trop avanc�s dans
la partie du Deffein , ils fe rebu-
toient facilement de la partique du
coloris qui leur faifo�t <ie la peine.
Ainfi ils retourno�ent au plaifir que
leur donno�t l'habitude du Deffein
qu'ils avoient contract�e 3 parce
<m'on fait volontiers ce qu'on fa�t
facilement.
Il efb certain que ces r�flexions
ne font pas fans fondement, & que
pour ssaccomoder � la foibleffe des
Sommes qui font prefque tout par
S �j
-ocr page 417-
4i * Csurs de Teinture
habitude , on pourroit permettra
dans le cours du DefTein, & par in-
tervalle , le man�ment du pinceau
6c de la couleur aux Etudians, afin
que s'y �tant accoutum�s de bon7
ne heure ils n'y troavafTent plus
que du plaifir.
Mais fi l'on veut examiner la
jfource de ces inconv�nient , on
trouvera qu'elle ne vient pas d'a-
voir manqu� de colorier d'ai�ez
bonne heure � mais d'avoir mal
commenc�, je veux dire , d'avoir
' copi� d'abord de mauvaifes chofes,
pu d'avoir �t� fous la dilcipline
d'un Ma�tre qui n'avoit aucuns
principes du coloris.
On revient ordinairement d'un
mauvais Deffein , cela �e voit dans
tous ceux qui deffinent aufquels la
pratique &. le changement d'objet
te de mod�le fait reprendre une
rpute plus correcte, fk plus approu-
v�e. Mais rien n'eft plus rare que
le changeraient d'une mauvaife ha-
bitude dans le coloris pour en pren^.
$Ue une bonne,
-ocr page 418-
far Principes'.         4*3'
Je ne dis pas que ce changement
fo"t impoffible � mais il eft tr�s-ra-
re. Rapha�l a luivi les Ecoles &c la
pratique des lieux o� il a �t� �le-
v� , comme L�onard de Vinci' �
Michelange, Jules Romain & les
autres grands Peintres de ces tenis
la. Et ils- ont a�nf� paiT� toute leur
vie fans arriver � l'enti�re & � la
v�ritable connoif�ance du bon co-
loris: &: pour parler des gens d�
notre tems & de notre connoif�an-
ce 5 les Difciples de Voct , qui
�toient en grand nombre &c qui n�
manquoient pasd'efprit, quelques
efforts qu'ils ayent faits, n'ont pu
fe d�faire de la mauvaife pratique
qu'ils avoient fuivie chez leur Ma�-
tre. Nous avons encore l'exemple
de pluf�eurs jeunes Peintres qui
pour avoir commenc� par copier
quelques Tableaux d'un coloris tri-
vial, en retiennent la mani�re dans
tout ce qu'ils colorient, & s'en font
comme un verre , au travers du-
quel ils voient la Nature color�e
Su)
,
-ocr page 419-
4*4 Cours de Peinture
comme ce qu'ils ont accoutum� de
peindre. D'o�, l'on peut inf�rer
qu'un jeune homme qui commen-
ce par copier un Tableau mal co-
lori� , avale un poifon dont il em-
poifonnera lui-m�me tous le« ou-
vrages qu'il fera dans la fuite.
Cependant un jugement folide
& une bonne �ducation font �u-
def��s des difficult�s, 8c peuvent
m�me r�tablir un go�t mal affec-
t� dans l'efprit d'un homme doci-
le. Aini� rien n'emp�che qu'on ne
puifle placer ici l'Etude du colo-
ris , en laifTant la libert� � chacun
des Etudians d'interrompre quel-
quefois pour fe defennuyer l'ordre
que je viens d'�tablir.
Le premier foin que demande le
coloris d'un jeune Etudiant eft de
commencer par copier ce qu'il
trouvera de mieux colori�, de plus
fairs , & de glus librement peint
entre les ouvrages des grands Ma�-
tres , parmi lefquels Titien, Ru-
bens, & Vandeik tiennent les pre-
-ocr page 420-
far Principes.         415
iniers rangs , pouf les premiers
corrtrnencemens.- je croirois qu'on
tireroit plus d'utilit� en copiant
Vandeik � caufe qu'en y apprenant
le bon coloris on y trouve encore
la libert� du pinceau.
Comme le coloris n'eft eftimable
qu'autant qu'il imite parfaitement
la Nature, le jeune Etudiant, apr�s
quelqu'habitude de la pratique des
habiles gens, doit copier aufli cet-
te m�me Nature, l'examiner & la
comparer avec les ouvrages des
grandsMa�tres qu'il aura copi�s \\xu
m�me. Cette pratique accoutume-
ra fon go�t � l'id�e du vrai, Se �e&
yeux � le voir fans aucuns nuages.
Le jeune Peintre s'�tant form�
une bonne habitude,, <k ayant mis
fon go�t en �tat de ne rien appr�-
hender, peut copier des Tableaux
de tontes les mani�res 3 s'il y trouve
d'ailleurs de quoi entretenir l'ac-
tivit� de ion g�nie.
Mais une �tude tr�s-importante
ceferoit de faire comme les abeilles
-ocr page 421-
'4* S Cours de Peinture
qui tirent de plusieurs bonnes rieurs
4e quoi compofer leur miel, & le
jeune Peintre � leur imitation doit
«opier �es excellens Tableaux ce
qu'il y aura de meilleur pour s'en
former une bonne mani�re. Il doit
faire la m�me chofe d'apr�s les
belles productions de la Nature,
foit Figures, Animaux , ou Pa�fa-
ges. Il en fera un recueil auquel il
doit avoir recours tant pour fon
propre fervice dans l'exercice de
fon Art, que pour entretenir fon
go�t, ou pour nourrir fa curiofit�.
En cet �tat le jeune Peintre fe
voyant pourvu de toutes chofes,
peut voler de fes propres a�les 5
& par la lecture, ou par la r�flexion,
�lever fes penf�es, exercer fon ima-
gination � compofer differens fo-
jets, & dans l'ex�cution profiter
des beaut�s dont la Nature lui
prefente le choix dans l'abondan-
ce de fes productions.
Mais qu'il obferve fur-tout de
ne faire jamais aucun Tableau qu'il
-ocr page 422-
far Principes.        417
n'en ait fait un l�ger efquiffe colo-
ri� 1 dans lequel il puiffe s'abandon-
ner � ion g�nie & en r�gler les mou-
vemens dans les objets particuliers,
& dans l'effet du tout-enf�mble.
Cet efquilTe fe doit faire tr�s-vite
quand le Peintre a fix� fa penf�e ,
pour ne point perdre le feu de font,
imagination. Cet efquilTe �tant
donc tout informe , comme nous
le fuppofons y on y peut changer r
augmenter, ou diminuer,, tant pour
la compof�tion, que pour le coloris.
Et quand fon Auteur l'aura r�duit �
quoique l�g�rement dans l'�tat
qu'il le defire ■> il doit avant que d'�-
baucher le grand Ouvrage , faire
toutes les �tudes n�cefiTaires d'�-
�>r�s ce qu'il y a de plus beau dans
a Nature & dans l'Antique qui
convienne � fon fujet y & deffiner
�exadement toutes les parties dans
leurs places ,, afin de s'�pargner 1&
peine & le chagrin de changer et
de faire deux fois le m�me ouvra-
ge. Rapha�l faifoit bien, davanta~
-ocr page 423-
4i §        Cours de Peinture
ge : car il coloit plufieurs papiers
enfemble de la grandeur de les Ta-
bleaux , o� apr�s avoir deffin� cor-
rectement & mis toutes chofes en.
place , il calquoit ce carton fur les-
fonds fur lefquels il devoit peindre,,
Cependant s'il arrivoit apr�s tou-
tes ces pr�cautions qu'il f�t � pro-
pos de changer quelque chofe pour
l'effet du Tableau, il feroit de la
prudence de n'y pas manquer , &
la peine en feroit l�g�re n'y ayant
rien d'ailleurs � fe reprocher.
Enfin le Tab leau �tant achev�,
le Peintre doit consid�rer le lieu o�
il doit �tre plac� , & la diftance
d'o� il doit �tre vu, afin de don-
ner � ion ouvrage , par des tou*
ches & par des couleurs plus ou
moins vigoureufes , la force &la
vfe qu'il exigera.
De tous les g�nies'3 je ne cro�
pas qu'il y en ait un plus libertin
que celui de la Peinture , ni qui
iouffre le frein plus impatiemment.
Je ne doute pas m�me, fi l'on &*■.
-ocr page 424-
par Principes'*- 41 9
excepte quelques efprits extraordi-
naires, que plufieurs Peintres, quoi-
que fans aucun ordre , ne foient
parvenus � fe rendre eftimables ,
non pas � la v�rit� fans perdre beau-
coup de tems dans la dil��pation de'
leurs �tudes. Mais comme dans
une machine la mauvaife difpoiL
tion des roues en retarde le mouve--
ment, de m�me aufl� les parties de
la Peinture mal arrang�es par rap--
port � l'�tude qu'on en doit faire,,
jettent de la confufion dans l'efprhr
U dans la m�moire , & deviennent
par ce moyen difficiles � concevoir
&� retenir. D'o� il paro'�t que le
parti le plus fur ,eft de mettre xa$
ordre � fes �tudes lequel s'accorda
avec une raiibnnable libert�»
Svj
-ocr page 425-
410 Cours de Peinture
B I S SERT AT 1 0 N.
Ou ton examine fi la Poe fie eft pr�-
ferable a la Peinture.
M On Deffein n'eft pas de fo�~
tenir que la Peinture l'em-
porte abfolument fur la Po�f�'e 5
mais je n'ai jamais dout� que ces
deux Arts ne marchaflent de pas
�gal, ni que l'un & l'autre ne me*
ritafTent les m�mes honneurs. J'en
ai parl� dans cefens-�a, quandl'oc-
caf�on s'en eft prefent�e , &je n'ai
fait quefu�vre lefentiment des Au-
teurs les plus c�l�bres. Mais com-
me les hommes ne s'accordent pas
toujours fur les chofes m�me les
mieux �tablies , 'je trouve aujour-
d'hui des Perfonnes illuftres qui me
t�moignent de la r�pugnance �
placeru Peinture�c�t� delaPoc-.
-ocr page 426-
far Principe?. 42 r
�e$ &: quelque inclination que j'aye
� fuivre leurs avis, je fuis bien-aif�
d'examiner cette mati�re avec tou-
te l'application dont je ferai capa-
ble : car fi je fuis oblig� de me
rendre � leur opinion, ils ne def.
approuveront pas que je ne le fafl
qu'apr�s m'�tre defabuf� moi m�-
me.
Mon but eft, non-feulement de
ne rien dire, que l'on ne trouve
�tabli dans tous les Ecrivains an-
ciens & modernes qui ont parl� du
fujet de cette difTertation ^ mais
encore je croi qu'il eft bon d'aver-
tir qu'en parlant comme je fais de
la Po�fie &; de la Peinture, je les
fuppofe toujours dans le plus haut
degr� de perfe&ion o�. elles puif-
fent arriver.
Ce n'eft donc point k Poi�f�e que*
j'entreprens d'attaquer : c'eft la
Peinture que je veux d�fendre.
Quand � force d'exercice & de re-
flexions la Peinture & la Po�fie �k
-ocr page 427-
422.' Cours de Peinture
furent enfin montr�es dans leur
plus grand l�ftre , des hommes
d'un gen�e extraordinaire donn�-
rent au Public des ouvrages & des
r�gles en l'un & en l'autre genre
pour fervir de guide � la Poft�ri-
� t�, pour donner une id�e de leur
perfection. Cependant ces deux
Arts ont �t� malheureufement n�-
glig�s depuis la d�cadence de
l'Empire Romain jufqu'� ces der-
niers Si�cles, que Rapha�l, & le
Titien pour la Peinture, comme
Corneille , &. Racine pour la Po�-
f�e Dramatique ont fait tous leurs
efforts pour les relTufciter, &: pour
les porter � leur premier �tat.
Il y a n�anmoins cette difreren-
ce , que la Poe fie n'a fait que dii-
paro�tre , & qu'elles'eft conferv�e.
toute pure dans les ouvrages'
d'Hom�re , d'Efchile , de Sopho-
cle , d'Euripide , d'Ariftophane ,.,
fk. dans les r�gles qu'Ariflote �c
Horace, nous en ont laiff�es. Ainii
-ocr page 428-
far Principes.         423-
il ef! confiant que la route que les
Po�tes qui font venus depuis de~
voient fuivre, �toit toute marqu�e �
& que la v�ritable id�e de la Po�-
lie ne s'effc point perdue ; ou du
moins, il �toit aif� pour l� retou-
ver de recourir aux ouvrages, &
aux r�gles infaillibles dont je viens
de parler. Au lieu que la Peinture
a �t� enti�rement ann�antie, foit
par la perte de quantit� de volu-
mes , qui", au rapport de Pline, en:
ont �t� compotes par les Grecs,
foit par la privation des ouvrages
dont les Auteurs de ces tems_la;
nous ont dit tant de merveilles s,
( car je ne compte que pour tr�s-
peu de chofe quelques reftes de:
Peinture Antique que l'on voit a�
Rome. )
Si donc ilnes'eft rien conferv�
qui puifte nous donner une id�e
jufte de la Peinture , comme elle
f� pratiquoit anciennement, c'eft»
�-dire , dans le tems que les Arc»
�toient dans leur plus grande par.
-ocr page 429-
414 Cours de Peinture
fed�on , i� eft certain que la Po�f�e
fe faifant voir encore aujourd'hui
dans tout fon luftre , peut jetter
dans l'efprit de ceux qui y font le
plus attach�s, une pr�vention qui
les porte � lui donner la pr�f�ren-
ce fur la Peinture.
Car il faut avouer qu'il y a beau-
coup de gens d'efprit qui bien loin
" de regarder la Peinture du c�t�
de la perfection & de Feftime o�
elle �toit chez les Grecs , n'ont
pas m�me donn� la moindre atten-
tion � cet Art tel que nous le poL
fedons� prefeat,&que les derniers
Si�cles l'ont fait rena�tre : & fi ces
m�mes Perfonnes font tant que de
regarder quelque ouvrage de Pein-
ture , ils jugent de l'Art par le Ta-
bleau , au lieu qu'ils devraient ju-
ger du Tableau par l'id�e de l'Art.
Cependant quoique nous n'a-
yons point encore recouvr� de la
Peinture dans toute fon �tendue,
& que dans fon r�tabliuement, el-
le n'ait pu avoir pour guides des.
-ocr page 430-
far Principe!,         425
principes aufli certains, & des ou-
vrages auffiparfaitsqu'�toient ceux
de la Po�fie 5 rien n'emp�che que
nows ne puiffions en concevoir une
id�e jufte fur les ouvrages des meil-
leurs Peintres qui l'ont renouvel-
l�e , &. fur ce que nous en ont dit
ceax-m�mes qui nous ont donn�
les r�gles de la Po�fie, comme Ari-
ftote, 6c Horace.
Le premier aflure o°ans fa Poe.»
tique ( a ) Que la Trag�die ejl plus
parfaite que le Po'�me Efique
5 farce
qu'elle fait mieux fon effet & domine
plus de flaifir.
Et dans un autre endroit, il dit
( b ) Que la Peinture caufe une entr�e
me fatisfa�lion.
La raifon qu'il en
rend , c'efi quelle arrive fi parfai-
tement a �a fin
, qui efi l'imitation ,
qu'entre toutes les chofes qu'elle imi-
te , celles m�mes que nous ne four-
rions voir dans la Nature fans hor-
reur
, nous font en Peinture un for�
{a\ Chap. 17 (6) Chap. i.
-ocr page 431-
4-�� Cours de Peintur�
grand plaifir.
Il ajoute � cette »a�-
Jori , Que la Peinture inftruit , &
quelle donne mati�re de raifonner
,
non-feulement aux Philofophes, mais
� tout le monde.
Dans ce raifonneffient, Arifto-
�e qui mefure la beaut� de ces deux
Arts,par le plaifir qu'ils donnent,
parla mani�re dont ils inftruiient,
�c par celle dont ils arrivent � leur
En, dit que8k Peinture donne un
plaifir extr�me , qu'elle inftruit
plus g�n�ralement, & qu'elle ar-
rive tr�s-parfaitement � fa fin. Ce
Philofophe eft donc fort �loign�
de pr�f�rer la Po�fie � la Pein-
ture.
Pour Horace, {a) il d�clare net-
tement que la Po�fie & la Peintu-
re ont toujours march� de pas �gal,,
& qu'elles ont eu dans tous les tems
le pouvoir de nous reprefenter tout
ce qu'elles ont voulu.
Mais, quand nous n'aurions pas;
(.4 ) A«. Pock
-ocr page 432-
far Principes.          417
ces autorit�s, nos fens & la raifon
nous difent aiTez que la Pocfie ne
fait entendre aucun �v�nement
que la Peinture ne puifTe faire voir.
Il y a long-terris qu'elles ont �t�
reconnues pour deux S�urs qui fe
refl�mblent fi fort en toutes clio-
fes, qu'elles fe pr�tent alternative-
ment leur office 8t leur nom : on
appelle commun�ment la Peinture
une Po�fie muette, & l'a Po�fie v
une Peinture parlante.
Elles demandent toutes deux un
g�nie extraordinaire qui les empor-
te plut�t qu'il ne les conduit-, &.
nous voyons que la Nature par une
douce violence a engag� les grands
Peintres & les grands Po�tes dans
leurs Profeffions, fans leur donner
le tems de d�lib�rer �c d'en faire
choix. Que fi nous voulons p�n�-
trer dans leurs excellens ouvrages r
nous y trouverons une feerette in-
fluence qui paroit avoir quelque:
ehofe de plus qu'humain. Il y a un
Dieu, au dedans, de nous-m�mes
s,di&
-ocr page 433-
4-i� Cours de Peinture
Ovide {a) parlant des,■ lequelPocte�
nous �chauffe en nous agitant.EtSuidas
dit i Que ce fameux Sculpteur Phi-
dias
, & que Zeuxis ce Peintre in*
comparable
, tous deux tranfport�s par
un enthoufafme , ont donn� la vie k
leurs ouvrages*
La Peinture & la Po�f�e tendent
� m�me fin y qui eft l'imitation 5 de
il femble , dit un favant Auteur ,
que non-contentes d'imiter ce qui
eft fur la Terre , elles ayent �t�
jufques dans le Ciel obferver la ma-
jeft� des Dieux pour en faire part
aux. hommes , comme elles pei-
gnent les hommes pour en faire
des demi-Dieux.C'eft dans cefens-
la que Charles-Quint (b) faifoit
gloire ncm-feulement de s1 �tre rendu des
Provinces tributaires : mais d'avoir
obtenu trois fois l'immortalit� par les
mains du Titien.
          #
Toutes deux font occup�es dn
foin de nous impofer , & pourvu
que nous voulions leur donner na-
(,») Faites, Ltv. 6,(i)RidoIfi�
-ocr page 434-
par Principes.         4.29
tre attention , elles nous tranfpor-
cent somme par un effet de magie
d'un Pa�s dans un autre, (a)
Leurs propri�t�s font de nous
inflruire en nous diversifiant, de
former nos m�urs �c de nous ex-
citer � la vertu en repr�sentant les
H�ros & les grandes actions. Ceft
ce qui fait dire � Ariftote ,{'■#') que
les Sculpteurs & les F cintres nous en-
jeiyient a former nos m�eurs par une
M�thode plus courte & plus efficace
que celle des Philofophes , & qu'il y
a des Tableaux & des Sculptures
au/Jt capables de corriger les vices que
tous les pr�ceptes de la Morale.
Toutes deux confervent exacte-
ment l'unit� du lieu, du tems , S�
de
l'objet.
Toutes deux font fond�es fur la
force de l'imagination pour bien
inventer leurs productigny , & fur
la folidit� du jugement pour-les
(a) Et modo Thebis, modo p�wp 4thenit,
Hor. Epift. i« Lib. z.
^b) Politique. R.
;.
-ocr page 435-
430 Cours �e Peinture
bien conduire. Elles favent choif�r
des fujets qui foient dignes d'el-
les , &. fe fervir des circonftances
;& des accidensq�i les font valoir,
comme elles favent rejetter tout
ce qui leur eft contraire , ou qui
aie m�rite pas d'�tre reprefent�.
Enfin la Peinture & la Pocfie
partant du m�me lieu , tiennent
la m�me route , arrivent � la m�-
me fin, &c tirent leur plus grande
�ftime des premiers tems , o� la
magnificence & la delicateffe ont
paru avec plus d'�clat.
Les Po�tes de ces tems-la ont
re�u'des honneurs 6c des recom-
penfes infinies, ils ont �t� excit�s
par des prix que l'on donnoit � ceux
,dont les pi�ces avoient un fucc�s
plus heureux que celles de leurs
concurrens : & tous les genres de
Poe fie ont eu leurs louanges Se
leurs protecteurs.
On a vit Virgile 8c Hhora.ce, (a)
combl�s de bienfaits par Augufte j,
�«) Donat*
-ocr page 436-
far Principes.         43 \
Terence en commerce d'amiti�
,avec Lei�us & Sc�pion le vainqueur
<leCarthage : Ennius ch�ri de Sc�-
pion l'Africain �c enterr� dans le
\a) S�pulcre des Scipions fur le-
quel on lui �leva une Statue j Eu-
ripide tant de fois applaudide tou-
te la Gr�ce, ( b ) �lev� aux pre-
miers honneurs par Archelai�s Roi
de Mac�doine , ,& regrett� des A-
theniens par un deuil public : Ho-
m�re r�v�r� de toute PAnr�quit�
& fouvent honor� par des Autels &
f�crif�ces,(c) Alexandre vifitant le
t ombeau d5Achille:Heureux s'�cri-
a-t-il, devoir pu trouver un Ho-
m�re qui .chant�t fes louanges \ Ce
Prince ne marchoit jamais fans les
Oeuvres d'Hom�re , il les lifoit in_
cel�aaiment &il les p�a�oitm�m�
fous fon chevet en f� mettant au
lit. ( d) Un jour qu'on lui pref�nta,
«ne calTette d'un prix ineflimable
1                                                � "■ #
( a ) Oc. pro. Archia. Val Max.
{ b) Solin. Thomaflin?
,{<;) Vie d'Hom�re".
f d) Phttarqpe.
-ocr page 437-
43 %         �iYS dc T chiure
bijou le plus pr�cieux de la d�-
pouille de Darius , fes Courtifans
lui demand�rent � quel ufage il la
xleftinoit ? A renfermer les Oeu-
vres d'Hom�re , leur r�pondit-il,
Mais que n'a point fait ce m�-
me Alexandre pour les Peintres ?
Quelles marques d'eftime §i d'a-
mour ne leur a-t- il point donn�es ?
(a) Il ordonna que laPeinture tien-
droitle premier rang parmi les Arts
lib�raux , qu'il ne feroit permis
qu'aux Nobles de l'exercer, &. que
desleur plust�ndrejeunefTeilscom-
menceroient leurs exercices pour
apprendre � d�ffiner. En cela il re^
^ardoitlesDeffein comme lacho.
f�la plus capable de difpofer l'e�
prit au bon go�t, � la connoiffan-
ce des autres Arts .& � juger de
Ja beaut� de tous les objets du
monde.
Il vi^toit fouyenf les Peintres, ��
prenoit plaifir � s'entretenir avec
4-pelle des choies qui regardoiept
(a) Pline j S. jo>
la
-ocr page 438-
far Principes. 43 3
la Peinture. Pline dit , que touch�
de la beaut� de l'une de fis Efclaves.
appell�e Campafpe qu'il aimoit �per-
duement
, il Li fit peindre par Apelle ^
& s'�tantappercu qu'elle avoitfrap-
p� le c�ur du Peintre du m�me traie
dont il fie trouvoit lui m�me atteint
,
il lui en fit un prefent, ne pouvant
recompenfier plus dignement cet Ou-
vrage
, qu'en fie privant de ce qu'il
aimoit avec paffion.
* Ciceron rapporte que fi Alexan-
dre d�fendit � tout autre Peintre
qu'� Apelle de le peindre , & �
tout autre Sculpteur qu'� Lif�ppe
de faire fa Statue , ce ne fut pas
feulement par l'envie d'�tre bien
reprefent� 5 mais par l'envie qu'il
avoit de ne rien lai/Ter de lui qui
ne fut digne de l'immortalit� -3 Se
par l'eftime finguliere qu'il avoic
pour ces deux Arts. Auffi ne fera�-
je point ici de diff�rence entre la
Peinture & la Sculpture: car celle-
ci n'a rien que la Peinture ne doL
* Ep. fam. 11.1, f.
T.
-ocr page 439-
434 Cours de Peinture
\e bien entendre pour �tre parfai-
te, �c ce que la Sculpture a de plus
beau lui eft commun avec la Pein-
ture. Ces deux Arts fe font main-
tenus de tous les tems dans un m�-
me degr� de perfection : Les Pein-
tres & les Sculpteurs ont toujours
v�cu dans une louable jaloufie fur
la beaut� &, fur l'eftime de leursOu-
vrages, comme ils font encore au-
jourd'hui. Et fi les Sculptures An-
tiques ont �t� l'admiration des An-
ciens , comme elles font l'�tonne-
ment des Modernes, que peut-on.
concevoir de laPeinture de ces m�-
mes tems-l� ; puifqu'avec le go�t,
& la r�gularit� de fon Deflfein , el-
le a d�. s'attirer toutes les louanges
que m�ritent les effets furprenans
de fon Coloris.
Mais fl nous voulons remonter
audel� du tems d'Alexandre, nous
trouverons que Dieu m�me rendit
pet Art honorable en faifant parc
de fon intelligence, de fon eipric
�c de fa fageife � Befel�el * & � Oo-
? Exodt. � i. Jofefhf.
-ocr page 440-
par Principes.         43 y
i�ab qui d�voient emb�lir le Tem-
ple de Salomon , & le rendre r�f.
pe&able par leurs Ouvrages.
Si nous regardons la mani�re dont
laPeinture a �t� recompenf�e, nous
verrons que lesTableaux des excel-
lensPeintres �toientachet�s � plei-
nes mefures de pi�ces d'or (a) fans
compte & fans nombre : d'o� Quin-
tilien inf�re, que rien n'eft plus no-
ble que la Peinture 3 puifque la plu-
part des autres chofes fe marchan-
dent , Se ont un prix, & qu'au con-
traire la Peinture n'en a point.
(b) Une feule Statue de la main
d'Ariftide fut vendue 375. talens,
une autre dePoliclete fix vingt mil-
le Seflerces : [c) Et le Roi de Nico-
medie voulant affranchir la ville de
Gnide depluf�eurs tributs, pourvu,
qu'elle lui donn�t cette(^) Venus de
( a ) In ntimmo aureo menjuram accept non
num�ro,
(b)  Pline. 10. }f
(c)  Cic. I. Ep. 7' � Afticut.
l�) JElian. biji.
A
Tij
-ocr page 441-
'436 Cours de Peinture
La main de Praxitelle qui y attiroit
toutes les ann�es un concours infini
de gens ^ {a) les Gnidiens aim�rent
mieux demeurer toujours tributai-
res que de lui donner une Statue
qui faifoit le plus grand ornement
de leur ville.
Il s'eft m�me trouv� d'excellens
Peintres, & d'excellens Sculpteurs
qui p�n�tr�s du m�rite de leur Art
conlacrerent aux Dieux leurs Ou-
vrages , croyant que les hommes
en �toient inclignes. {(?) Et la Gr�ce
touch�e de reconnoi{fance envers
le c�l�bre Polignote qui lui avoit
donn� des Tableaux que tout le
monde admiroit, lui fit des entr�es
magnifiques dans les villes o� il
avoit fait quelque Ouvrage : & elle
ordonna par un d�cret du S�nat
d'Ath�nes qu'il feroit d�fray� aux
d�pens du Public dans tous les
lieux ou il pafleroit.
Auffi la Peinture �toit alors fi
( a ) Ck.eontre Verretj,
(!b ) plut. of.
-ocr page 442-
far Principes.         43 7
honor�e que les habiles Peintres
de ces tems-l� ne peignoient fur
aucune chofe qui ne p�t �tre trans-
port�e d'un lieu � un autre , &
qu'on ne p�t garantir d'un embra-
f�ment. Jls fe feroient bien gard�s ,
dit Pline , de feindre contre un mur
qui n'auroit pu affartenir qu'� un
Ma�tre 3 qui ferait toujours demeur�
dans un m�me lieu , & qu'on n'auroit
fk d�rober a la rigueur des flammes. Il
n'ctoit fas fermis de retenir comme
en prifon la Peinture fur les murail~
les
, elle demeurait indiff�remment
dans toutes les Villes
, & un Pein~
tre �tait un bien commun � toute la.
Terre.
L'on portoit m�me jufqu'au ref-
pect l'honneur que l'on rendo�t
cet Art : le Roi Demetrius en don-
na des marques m�morables au
Si�ge de Rhodes, o� il ne p�t s'em-
p�cher d'employer une partie du
tems qu'il devoit aux foins de fon
arm�e , � vifiter Protogene qui
faifoic alors le Tableau de Jalilus
Tiij
-ocr page 443-
43 S Cours de Peinture
Cet Ouvrage
, die Pline , enficha,
le Roi Demetrius de prendre Rhodes
dans l'apprehen(�on qu'il avait de br�-
leries Tableaux de ce y and Peintre ,
& ne pouvant mettre le feu dans la
Ville par un autre cbt� que celui o�
�tait le Cabinet de cet homme illuftre
,
// aima mieux �pargner la Peinture
que de recevoir la vifloirc- qui lui
�toit offerte. Protogene 3
pourfuit le
m�me Pline > travailloit alors dans
an jardin hors de la Ville pr�s du
Camp des Ennemis
, & il y achevoit
aj]�duement les Ouvrages qu'il avait
commenc�s 3 fans que le bruit des
armes fut capable de l'interrompre
:
mais Demetrius l'ayant fait venir &
lui ayant demande avec quelle con-
fiance il ofoit travailler au milieu des
Ennemis
, le Peintre r�pondit : Qu'il
feavoit fort bien que la guerre qu'il
avoit entreprise �tait contre les Rho-
diens & non pas contre les Arts. Ce
qui obligea le Roi de lui donner des
gardes pour fa furet� > �tant ravi de
pouvoir conferver la main qu'il avait
-ocr page 444-
far Principes. 43 y
fauv�e de l'infolence des Soldats.
De grands perfonnages ont aim�
la Peinture avec paffion, & s'y font
exerc�s avec plaifir: entr'autresFa-
bius, l'un de ces fameux Romains
qui au rapport ( a) de Ciceron lorf.
qu'il eut go�t� la Peinture & qu'il
s'y fut exerc� , voulut �tre appel-
l� Fabius PiBor. Par l� il vouloit
donner un nouveau luftre � fa na�f,
fance , f�lon l'id�e que Ton avoit
alors de la Peinture : car ce qui eft
admirable en cet Art, dit Pline,
c'eft qu'il rend les (b) Nobles enco-
re plus nobles 6c les Illuftres plus il-
luflres. Turpilius Chevalier Ro-
main , Labeon Pr�teur Se Conful,
les Po�tes Ennius 6c Pacuvius , So-
crate , Platon , Metrodore , Pyr-
ron, Commode, Vefpaf�en , N�-
ron, Alexandre Severe, Antonin,
de plufieurs autres Empereurs , 6c
Rois n'ont pas tenu au deffous
( a ) In Bruto.
( b i Mirum in hac Ane ejl quoi nobilet viras
tnbiliores fucit.
34.. 8»
Tilfj
-ocr page 445-
440 Cours de Teinture
d'eux d'y employer une partie de
leurs tems.
On fait avec quel foin les grands
Princes ont ramaf�e dans tous les
tems quantit� de Tableaux des
grands Ma�tres, & qu'ils en ont fait
un des plus pr�cieux ornemens de
leur Palais. On voit encore tous les
jours combien ce plaif�r eft fenfi-
ble aux grands Seigneurs," �c aux
gens d'efprit qui ont du go�t pour
les bonnes chofes. On I�air avec
quelle diftin&ion les habiles Pein-
tres de ces derniers tems ont �t�
trait�s des T�tes couronn�es, 6c- �
quel point le Titien !k L�onard de
Vinci furent eftim�s des Princes
qu'ils fervo�ent. Celui-ci mourut
( a ) entre les bras de Fran�ois pre-
mier , & le Titien donna tant de ja-
loufie (b) aux Courtifans de Char-
les-Quint qui fe plaifoit dans la
converfation de cePeintre, que cet
Empereur fut contraint de leur di-
re, qu'il ne manqueroit jamais, de
( a ) Vafari. ( b ) RideW,
-ocr page 446-
far Principes.         441
Courtifans, mais qu'il n'auroit pas
toujours un Titien. On f�ait encore
que ce Peintre ayant un jour laifl�
tomber un pinceau en faifant le
portrait de Charles- Quint, cet Em-
pereur le ramafla, de que fur le re-
merciment &c l'excufe que le Titien
lui enfaifok, il dit ces paroles, Ti-
tien m�rite d'�tre ferviparCefar.(^);
Mais fuppof� que l'id�e de la
Peinture , � la conf�derer dans fa.
perfection, ne foit pas encore bien
�tablie -, fi celle que l'on con�oit
aujourd'hui n'avoir pas unfond de
m�rite par toutes les connoifTan-
ces qu'elle renferme 6c par tout ce
qu'elle eft capable de produire fur,
les efprits , d'o� viendroit la paf-
i�on que les grandsSeigneurs & tant
de gens d'efprit ont pour elle, &c
que ceux m�mes qui ont de l'indif-
f�rence pour cet Art, n'oferoient
l'avouer fans rougir ?'■
Ce fi un mal y (b) dit un Auteur
grave, de n aimer pas la Peinture^
UOtRjicijJ. (>) Dion Chryfoflome. or. 12*
-ocr page 447-
44 - Cours de Peinture
de luire fit fer l'eftime qui lui efi due :
car celui qui le fait far ignorance
,
eft bien malheureux de ne pouvoir
difcerner toutes les beaut�s qu'il y a
dans le monde
3 & celui qui le fait
far m�pris 3 efi bien m�chant de fe
d�clarer ennemi d'un Art qui tra-
vaille a honorer les Dieux
5 � inf-
truire les hommes 3 & � leur donner
l'immortalit�.
Pour les effets que la Po�f�e&
la Peinture font fur les efprits, il efi:
certain que l'une & l'autre font ca-
pables de remuer punTammentles
paffions j & f� les bonnes pi�ces de
th��tre ont tir� & tirent encore
tous les jours des larmes de leurs
Spe�tateurs, la Peinture peut faire
la m�me chofe quand le fujet le
demande, & qu'il eft, comme nous
le fuppofons bien exprim�, {a) Gre-
groire de Nice apr�s avoir fait une
longue defcription du facrifice
d'Abraham, dit ces paroles : J'ai
fouvent jette les yeux fur un Tableau
(a) Qt. de. la Divin* dm Fih & du S. EfpriK
-ocr page 448-
far Princ�p�S         44$
qui reprefente ce SpeFiacle digne de
fiti�
, $■ je ne les ai jamais retir�s
fans larmes
, tant la Peinture a feu
repr�fenter la chofe comme fi elle fe
faffoit cjfe�livement.
La fin de la Peinture, comme de
la Po�fie, eft de furprendre de tel-
le forte que leurs imitations paroif.
fent des v�rit�s. Le Tableau de
Zeuxis, o� il avoir peint un Gar-
�on(^)qui portoit des raifiris, 6c qui
ne f�t point de peur aux oifeaux ,
puifqu'ils vinrent becqueter ces
fruits , eft une marque que la Pein-
ture de ces tems-l� avoit accoutu-
m� de tromper les yeux en tous
les objets qu'elle reprefentoit. Cet-
te figure ne fut en effet cenfur�e
par Zeuxis m�me, que parce qu'el-
le n'avoit pas tromp�.
Voil� � peu pr�s les rapports
naturels que la Peinture Se la Po�-
fie ont enfemble, & qui ont de tous
t�ms, comme dit Horace, permis
�galement aux Peintres & aux Poe-
{a) Pline }J» 10.
Tvj
-ocr page 449-
444 Cours de Peinture
tes de tout ofer. Mais il ajoute que
cette libert� ne doit pas les porter
� produire rien qui foit hors de la
vraifemblance , comme � joindre
les chofes douces avec les am�res,
ni les Tigres avec les Agneaux.
Cette id�e g�n�rale l'oblige en-
fuite � nous donner des moyens
communs qui puifTent conduire les
Peintres & les Po�tes par les voies
du bon fens &. de la raifon : cur on
voit dans l'une des Satires de cec
Auteur * , qu'il aimoit extr�me-
ment la Peinture , & qu'il pafToit
pour un fin ConnoifTeur.
Cependant les pr�ceptes qu'il
nous a lai/f�s ne regardent que la
th�orie deces deux Arts, lefquels
diff�rent feulement dans la prati-
que & dans l'ex�cution. Cette pra-
tique de la Po�'fie fe remarque %
dans la Diction & dans la Verfifi-
eation r fuppof� que la Verfifka-
�ion foit de l'eflence de la Po�f�e;
On pourroit y ajouter la D�clama-
-ocr page 450-
par Principe*.        445
tion � cauie qu'elle eft le nerf de
la parole , & que fans elle on ne
f�auroit bien reprefencer les m�urs
& les actions des hommes , qui
eft cependant la fin de la Po�he.
Et l'ex�cution de la Peinture, con,
fifte tlans le Dei��in , &c dans le
Coloris.
Ces diff�rentes mani�res d'exe-
euter la Peinture &c la. Po�fie, ont
leurs prix &: leurs difficult�s � mais
l'ex�cution de la Peinture deman-
de beaucoup plus d'�tude Se de
tems que celle de la Po�fte : Car
la Didion s'acquiert par la Gram-
maire , �c par le bon ufag�, de ce-
la eft commun � tous les honn�tes
gens par l'obligation o� ils font de
bien parler leur Langue ; quoique
la facilit� de s'exprimer purement,
nettement, &: �l�gamment foit en,-
core le fruit d'une ferieufe �tude.
Le D�clamation dont Quintilien:
traite fort exadement/ans laquel-
le, dit-il, l'imitation eft imparfak
m*,&qui eft l'a-me del'�loquence^
-ocr page 451-
44 6 Cours de Peinture
d�pend depeudepnnc�pes,&pre�<
qu'enti�rement des talensnaturels ^
�c la Verfification confifte dans la
mefure harmonieufe, dans le tour
du vers, Se dans la rime -y &: quoi-
que ces chofes demandent de la
r�flexion, de la lecture, & de la
pratique, elles s'apprennent n�an-
moins aflez facilement.
Il n'en eft pas de m�me du Def-
fein & du Coloris ^ l'un & l'autre
exigent une infinit� de connoiflan-
ces, & une �tude opini�tr�e. Le
Deflein demande un exercice qui
produife une fi grande juftefle de
la vue pour conno�tre les diff�ren-
tes dimentions des objetsvifibles,
6c une fi grande habitude pour en
former les contours, que le Com-
pas, comme difoit Michel-Ange,
doit �tre plut�t dans les yeux que
dans les mains.
Le Deflein fuppofe la feience
du corps humain, non-feulement,
comme il fe voit ordinairement :
mais comme il doit �tre pour �tre
-ocr page 452-
par Principes.         447
parfait, & f�lon la premi�re inten-
tion de la nature. Il eft fond� fur
la connoifTance de l'Anatomie , &
fur des proportions tant�t fortes
�c robuftes, & tant�t d�licates �c
�l�gantes, f�lon qu'elles convien-
nent aux �ges , aux fexes, &t aux
conditions diff�rentes : <k cela feui
demande des �tudes & des refle-
xions de beaucoup d'ann�es.
Ce m�me DefTein oblige encore
le Peintre � poffeder parfaitement
la G�om�trie pour pratiquer exa-
ctement la Perfpective, dont il a
un befoin in'difpenfable dans tou-
tes fes op�rations. Il exige une ha-
bitude des racourcis & des con-
tours dont la vari�t� eft auifi gran-
de que le nombre des attitudes
eft infini.
Enfin le DefTein renferme enco-
re la connoifTance de la Phyf�ono-
mie Se TexprefTion des paflions de
l'ame, partie fi n�cef��ire �rf� efti-
mab�e dans la Peinture.
Le Colons regarde l'Incidence
-ocr page 453-
44$ Cours de Peinture
des lumi�res, l'artifice du Clair-
obfcur, les couleurs locales , la
fimpathie & l'antipathie des cou-
leurs en particulier , l'accord 8�
l'union qu'elles doivent avoir en-
tr'elles, leur perfpe&ive A�riene,
�c l'effet duTout-enfemble : Et tou-
tes ces connoifTances d�pendent de
la Phyfique la plus fine & la plus
abftraite.
Je n'aurois jamais fait fi je vou-
lois parcourir tous les moyens qu'a
la Peinture d'exprimer tout ce qu'-
elle m�dite, �t l'on voit affez par
tout ce que je viens de dire , qu'elle
ne manque pas de refiforts non plus
que la Po�fie pour plaire aux hom-
mes , pour leur impofer, & pour
�branler leurs efpr�ts.
Mais quoique la Peinture &; la
Po�fie foient deux fccurs qui fe ref-
femblent en ce qu'elles ont de plus
fpirituel, on pourroit n�anmoins
attribuer � la Peinture plufieurs
avantages fur la Po�fie, & je me
contenterai d'en toucher ici quel-
ques-uns..
-ocr page 454-
far Principes.          4457
En effet, f� les Po�tes ont le
choix des Langues, des qu'ils fe
font d�termin�s � quelqu'une de
ces Langues, il n'y a qu'une Na-
tion qui les puifTe entendre : & l'es
Peintres ont un langage, lequel
( s'il m'efl permis de le dire )
l'imitation de celui que Dieu don-
na aux Ap�tres, fe fait entendre
de tous les Peuples de ia Terre.
D'ailleurs la Peinture fe d�ve-
loppe , de nous �claire en fe faifant
voir tout d'un coup : la Po�f�e ne
va � fon but, &. ne produit fon
effet qu'en faifant fucceder une
chofe � une autre. Or ce qui efl
ferr� eft bien plus agr�able , die
Ariftote, & touche bien plus vive-
ment que tout ce qui eft. diffus :
& fi la Po�f�e augmente le plaif�r
par la vari�t� des �pifodes, & par
le d�tail des circonftances, la Pein-
ture peut en reprefenter tant qu'el-
le voudra, & entrer dans tous les
�venemens d'une action , en mul-
tipliant fes Tableaux 5 8c de quel-
-ocr page 455-
45° Cours de Teinture
que mani�re qu'elle expofe Tes Ou-
vrages , elle ne fait point languir
fon fpeclateur : le plaif�r qu'elle
donne eft donc plus vif que celui
de la Po�'f�e.
On peut encore accorder cet
avantage � la Peinture , qu'elle
vient � nous parlefensle plus fub-
til, le plus capable de nous �bran-
ler , & d'�mouvoir nospaffions, je
veux dire parla vue : caries chofesy
die Horace , qui entrent dans l'ef-
frit par les oreilles
, prennent un cke~
min bien plus long que celles qui y
entrent par les yeux, qui font des t�-
moins plus fid�les & plus furs que
les oreilles.
Si apr�s ce premier mouvement
on regarde les effets qu'elle pro-
duit iur Pefprit , il faut tomber
d'accord que la Po�fie comme la
Peinture a la propri�t� d'inftruire j
mais celle ci le fait plus g�n�ra-
lement. Elle inftruit les ignorans
auffi-bien que les doctes 5 fans (on
fecours il eft difficile de bien pe-
-ocr page 456-
far Principes, 451
netrer dans le relie des Arcs 5 par-
ce qu'ils ont befoin de Figures d�-
monftratives pour �tre bien enten-
dus. Et ce n'eft que par la perce
de ces m�mes Figures que les li-
vres de Vitruve&de Hieron l'an-
cien qui a trait� des Machines nous
paroiftent fi obfcurs. De quelle uti-
lit� n'eft-elle pas dans les livres de
Voyages ? & y a-t-il quelque fcien-
ce � laquelle Ton fecours ne Toit
pas n�ceflaire pour fa parfaite in-
telligence ? La Topographie, les
M�dailles, les Devifes, les Embl�-
mes, les livres de Plantes, & ceux
des Animaux peuvent-ils fe paner
du fecours que la Peinture eft tou-
jours pr�te � leur donner?
Pour commencer par l'Hiftoire
Sainte , quelle joie pleine de v�-
n�ration n'aurions-nous pas, fi la
peinture avoit pu -nous conferver
jufqu'� pr�fent , le Temple que
Salomon avoit b�ti dans fa ma-
gnificence .? Quel plaifir n'aurions-
nous point � lire l'Hiftoire de P�u-
-ocr page 457-
452 Cours de Peinture
fanias, lequel nous d�crit toute la
Gr�ce, Se qui nous y conduit, com-
me par la main, fi fon difcours �toitr
accompagn� de figures d�mon-
flratives ?
La principal fin du Po�te eft
d'imiter les m�urs 6c les actions
des hommes : la Peinture a le m�-
me objet : mais elle y va d'une
mani�re bien plus �tendue: car
on ne peut nier qu'elle n'imite Dieu
dans fa Toutepuiffance 5 c'eft-�-
dire dans la Cr�ation des chofes
vifibles. Le Po�te peut bien en
faire la defcription par la force
de les paroles, mais les paroles ne
feront jamais prifes pour la chofe
m�me, &: n'imiteront point cette
Toutepuiffance , qui d'abord s'efr.
manifeft�e par des Cr�atures vif�~
bies. Au lieu que la Peinture avec
un peu de couleurs , & comme de
rien, forme & reprefente fi bien
toutes les chofes qui font fur la
Terre, fur les Eaux, Se dans les
Airs, que nous les croyons verl-
-ocr page 458-
far Principes'.         453
tables : Car l'ef�ence de la Peinture
eft de f�duire nos yeux & de nous
furprendre.
Je ne veux point ici omettre
une chofe qui eft en faveur de la
Po�'f�e 5 c'eft que les Epifodes font
d'autant plus de plaifir dans la fui-
te d'un Po�me qu'elles y font in,
fer�es & li�es imperceptiblement}
au lieu que la Peinture peut bien
jreprefenter tous les faits d'une Hii-
toirepar ordre en multipliant fes
Tableaux ; mais elle n'en peut fai-
re voir ni la caufe, ni la liaifon,
Apr�s avoir expof� le parall�le
de ces deux Arts, il me refte en-
core � d�truire quelques objections
que l'on m'a faites.
On m'objecte donc, que la Pein-
ture emprunte del� Po�fie, qif A-
riftote dit, que les Arts qui fe fer-
vent du fecours de la main font les
moins nobles, enfin que la Po�fie
eft toute fpirituelle 3 au lieu que la
Peinture eft en partie ipirituelle §c
m partie mat�rielle»
-ocr page 459-
454 Cour de Peinture
A quoi je r�ponds, que le fe-
cours mutuel des Arts juftifie qu'ils
ne peuvent fe pafTer l'un de l'autre :
Et la Peinture n'emprunte pas plus
de la Poe fie, que la Po�fie emprun-
te de la Peinture. Cela eft livrai,
que les faillies Divinit�s qui ont
donn� lieu aux Fables n'ont �t�
emolov�es par les Po�tes dans leurs
S* '            J                                                               1                      �
fictions, que parce que les Peintres
& les Sculpteurs les avoient pre-
mi�rement expof�es aux yeux des
Egyptiens pour les adorer.
Ovide tout Po�te qu'il eft dit a,
que Venus cette D�efle que la plu-
me des Auteurs a rendue fi c�l�-
bre, feroit encore dans le fond des
Eaux , fi le pinceau d'A pelle ne
l'a voit fait conno�tre. De forte
qu'� cet �gard, fi la Po�fie a pu-
bli� les beaut�s de V�nus , la
Peinture en avoit trac� la figure
&l le cara&ere
a De Arte am.
Si Venerem Cous nunquam finxiffet Apelkt.
Merfa fub »quoreit Ma Uttret aqttis,
-ocr page 460-
far Principes'.           455
Horace quiavoit v�ritablement
beaucoup de go�t pour la Pein-
ture, mais qui devoit fa fortune
& fa r�putation � la Po�f�e, dit
que les Peintres .& les Po�tes fe
/ont totijous donn� ia permiffion
de tout entreprendre. Ainf� il
avoue qu'en mati�re de fiction,
leur Empire effc de la m�me �ten-
due, comme il eft fans bornes &T
fans contrainte.
Si des Fables nous voulons paf-
fer � l'Hifloire qui efl une autre
fource ou les Peintes Se les Po�tes
pu�ient �galement , nous trouve-
rons qu'� la referve des Ecrivains
Sacr�s, lapliipartdes Auteurs ont
�crit f�lon leurpaffion, ou f�lon
les M�moires qu'on leur a donn�s,
qu'ainfi il nous ont laiff� des dou-
tes fur beaucoup de faits qu'ils onc
fouvent rapport�s diverfement.
Mais les faits Hiftoriques les plus
conftans au fentiment des habi-
les , font ceux que nous voyons
�tablis, ou �onfirm�s par les Me-
-ocr page 461-
45 <j         Cours de Peinture
dailles <k les bas-reliefs Antiques,
ou par les Peintures dont les pre-
miers Chr�tiens ont d�cor� les
lieux fo�terrains o� ils faifoient
l'exercice de leur Religion : &. ces
lieux fe trouvent � Rome , & en
d'autres endroits d'Italie, fiaro-
nius dit, que le Peuple Romain
ayant d�couvert une autre Ville
fous terre , fut ravi d'y voir repre-
fent� en Peintures les chofes qu'il
avoit l�es dans fes Hiftoires. En
effet Bofius & Severan qui ont
�crit de gros Volumes del� Rome
fouterraine nous d�couvrent dans
les Peintures qui s" y font confer-
v�es jufqu'aujourd'hui, l'AntiquL"
t� de nos Sacremens, la mani�re
dont les premiers Chr�tiens fai-
foient leurs pri�res, & dont ils en-
terroient les Martyrs, & plufieurs
autres connoiffances qui regar-
dent les Myfteres de notre Reli-
gion.
Que n'apprenons nous pas des
M�dailles & des Sculptures Anti-
ques ,
-ocr page 462-
far Principes.         457
ques , la diverfit� des Temples,
des Autels, des Victimes, des Va-
{es, des Ornemens du Pontificat,
&: de tout ce qui i�rvoit aux Sacri-
fices , toutes les fortes d'Armes ,
de Chariots , de Navires 5 les �n-
ftrumens fervant � la Guerre pour
attaquer &c pour d�fendre les Vil-
les j toutes les Couronnes diff�-
rentes pour marquer les d�verfes
fortes de Dignit�s &c de Victoires :
tant d'ornemens de t�tes pour les
Femmes , tant d'habits difF�rens
f�lon les tems Se les lieux, dans la
Paix �c dans la Guerre. Y a-t-ii des
Livres qui puiffent nous donner
des connoiflances auifi certaines
fur les Coutumes & fur les autres
chofes qui �toient en ufage chez
ies Romains, que celles que nous
tirons des Sculptures qui ont �t�
faites de leur tems. Les bas- reliefs
des Colonnes Trajane & Antoniar
ne font des livres muets o� l'on ne
trouve pas, � la v�rit�, les noms des
chofes : mais les chofes m�mes qui
y
-ocr page 463-
4 5§ Cours de Peinture
fervoient dans le commerce de la
vie, du tems au moins des Empe-
reurs donc ces Colonnes portent
le nom.
Ceux qui ont �crit de la Reli-
gion des anciens Romains, de leur
mani�re de camper, des fymboles
all�goriques, de l'Iconologie , &
des Images des Dieux, n'ont point
eu de meilleures raifons pour prou-
ver ce qu'ils ont enfeign� , que les
Monumens antiques des Bas-re-
liefs & des M�dailles. Enfin ces
Ouvrages & les Peintures ancien-
nes dont on vient de parler font les
fources de l'�rudition la plus aflu-
r�e. Et c'eft de-l� que nous voyons
dans un grand nombre de S�avans
cette vive curiofit� des M�dailles,
des Pierres grav�es, 6c de tout ce
qui dans les beaux Arts porte le
cara&ere de l'Antiquit�. Il s'en-
fuit donc de tout ce que je viens
de dire touchant la Fable & l'HiC
toire, que la Po�fie emprunte du
moins autant de la Peinture, que la
-ocr page 464-
far Principes,         459
Peinture emprunte de la Po�fie.
A l'�gard de ce que dit Arifto-
te, que les Arts qui fe fervent du
fecours de la main font les moins
nobles, & de ce que l'on ajoute,
que la Po�fie eft toute fpirituelle,
au lieu que la Peinture eit en par-
tie fpirituelle & en partie mat�-
rielle -, on r�pond , que la main
n'eft � la Peinture que ce que la
parole eft � la Po�fie. Elles fondes
Mini�res de l'efprit & le canal par
o� les penf�es fe communiquent.
Pour ce qui eft de l'efprit, il eft
�gal dans ces deux Arts. Le m�me
Horace qui nous a donn� des R�-
gles G. excellentes de la Po�fie, dit,
(a) qu'un Tableau tient �galement
en fufpend les yeux du corps & ceux
de l'efprit.
Ce qu'on veut appeller partie
mat�rielle dans la Peinture , n'eft
autre chofe que l'ex�cution de la
partie fpirituelle qu'on lui accor*
(a) Safpendit pifl* vuhum mentemque Tabella*
V ij
-ocr page 465-
460 Cours de Peinture
de,&c qui efl: proprement l'effet de
la penf�e du Peintre, comme la
d�clamation eft l'effet delapenf�e
du Po�te.
Mais il faut bien un autre Art
pour ex�cuter la penf�e d'un Ta-
bleau que pour d�clamer une Tra-
g�die. Pour celle-ci , il y a peu
de pr�ceptes � ajouter aux ta-
lens ext�rieurs de la Nature ,
& l'ex�cution de la Peinture de-
mande beaucoup de r�flexion &;
d'intelligence. Il fuffit prefqu'uni-
quement au D�clamateur de s'a-
bandonner � fon talent, &: d'en-
trer vivement dans fon fujet ^ & je
f�ai que le Com�dien Rofcius s'en
acquittoit avec tant de force, que
pour cela feul, il m�ritoit , dit ( a )
Ciceron , d'�tre fort regrett� des
honn�tes-gens, ou plut�t de vivre
toujours. Mais le Peintre ne doit
pas feulement entrer dans fon fu-
jet, quand il l'ex�cute , il faut en,,
core qu'il ait 3 comme nous l'avons
� a ) Pro Archjs>
-ocr page 466-
far Principes]          461
d�t , une grande connoifl�nce du
JDeflein & du Coloris, &: qu'il ex-
prime finement les diff�rentes phy-
sionomies , et l�s diff�rens mouve-
mens des pallions.
La main n'a aucune part � tou-
tes ces choies, qu'autant qu'elle
eft conduite par la t�te. Aini� , �
proprement parler , il n'y a rien
dans la Peinture qui ne foit l'effet
d'une profonde fp�culation. Il n'y
a pas jufqu'au man�ment du pin-
ceau dont le mouvement ne con-
tribue � donner aux objets l'efprit
�c le caract�re.
On m'oppofe de plus la facult�
de raifonner, &. l'on dit que ce pr�-
cieux appanage de l'Homme,qui fe
rencontre dans la Po�fie avec tous
fes ornemens, ne fe trouve pas dans
la Peinture,
Tout ce que je viens de dire fe-
roit plus que fuffifant pour fatis-
faire � cette objection : mais il effc
bon de l'�claircir pour y bien r�-
pondre.
V Jij
-ocr page 467-
462 Cours de Peinture
Il eft � remarquer que les Arts
n'�tant que des imitations, le Rai-
fonnement qui eft dans un Ouvra-
ge ne fe pafle que dans l'elprit de
celui qui en juge. Il eft; donc ques-
tion de faire voir que le Spe&a-
teur trouve du Raifonnement dans
la Peinture , comme l'Auditeur
dans la Po�fie.
On entend par le mot de Rai-
fonnement, ou la caufe & la rai-
fon par laquelle l'Ouvrage fait un
bon effet, ou l'a&ion de l'enten-
dement qui conno�t une choie par
une autre, & qui en tire des con-
fequences.
Si par le mot de Raifonnement
on entend la caufe Se la raifon par
laquelle l'Ouvrage fait un bon ef-
fet , il y a autant de Raifonnement
dans la Peinture que dans la Po�-
fie, parce qu'elles agilfent l'une de
l'autre en vertu de leurs principes.
Si par le mot de Raifonnement
on entend Pa&ion de l'entende-
ment qui inf�re une chofe par la
-ocr page 468-
par Principe �.         465
conno�ffance d'une autre , il fe
trouve �galement dans la Po�f�e
& dans la Peinture, quand l'oo»
cafion s'en prefente. Le plus fur
moyen de rendre cette v�rit� fen-
fible, eftdela'd�montrer dans des
Ouvrages qui foient fous nos yeux,
& aufquels il foit aif� d'avoir re-
cours. Les Tableaux de la Galerie
de Luxembourg qui reprefentent
la Vie de Marie de Medicis, en
feront autant de preuves 5 & je me
fervirai de celui o� efl peinte la
naifTance de Louis XIII. parce
qu'il eft le plus connu.
En voyant ce Tableau on inf�-
re, par exemple , que l'accouche-
ment arriva le matin, parce qu'on
y remarque le Soleil qui s'�l�ve
avec fon char, & qui fait fa route
en montant. On inf�re aufl� que
cet accouchement fut heureux par
la conftellation de Caftor que le
Peintre a mis au haut du Tableau,
�c qui eft le fymbole des �v�ne-
ments favorables. A c�t� du Ta-
Viiij
-ocr page 469-
4^4 Cours de Peinture
bleau eft la F�condit� qui tour-
n�e vers la Reine lui montre dan$
une corne cl'abondance, cinq petits
Enfans, pour'donner � entendre
que ceux qui naitront de cette
PrincefTe iront jufqu'� ce nombre.
Dans la Figure de la Reine , on
juge facilement par la rougeur de
fes yeux , qu'elle vient de .fouffrir
dans fon accouchement : Et par
ces m�mes yeux amoureufement
tourn�s du c�t� de ce nouveau
Prince, joints aux traits du vifage
que le Peintre a divinement m�-
nag�s, il n'y a perfonne qui ne re-
marque une double paffion, je veux
dire un relie de douleur avec un
commencement de joie , & qui
n'en tire cette conf�quence , que
l'amour maternel &. la joie, d'avoir
mis un Dauphin au monde , ont
fait oublier � cette PrincefTe les
douleurs de l'enfantement. Les
autres Tableaux de cette Galerie
qui font tous all�goriques , don-
nent lieu de tirer des conf�quen-
-ocr page 470-
par Principes.          465
ces par les fymboles qui convien-
nent aux Sujets, & aux circonftan-
ces que le Peintre a voulu traiter.
Il n'y a point d'habile Peintre
qui ne nous ait fait voir de fem-
blables Raifonnemens, quand l'ou-
vrage s'eft trouv� d'une nature �
l'exiger de la forte. Car encore
que les Raifonnemens entrent dans
la Po�fie , &: dans la Peinture, les
Ouvrages de ces deux Arts n'en
font pas toujours m�l�s , ni tou.
jours fufceptibles : Et les M�tamor-
phofes d'Ovide qui font des ouvra-
ges de Po�fie , ne font la plupart
que des defcriptions.
Il eft vrai que le Raifonnemenr
qui fetrouve dans la Peinture n'eft
pas pour toutes fortes drefprits ;
mais ceux qui ont un peu d'�l�va-
tion fe font un plaifir de p�n�trer
dans la penf�e du Peintre, de trou-
ver le v�ritable fens du Tableau
par les fymboles qu'on y voit repr�-
fentes , en un mot, d'entendre un.
langage d'efprit qui n'eft fait que
-ocr page 471-
4.66 Cours de Peinture
pour les yeux imm�diatement.
La trop grande facilit� que l'on
trouve � d�couvrir les choies, af-
foiblit ordinairement les defirs 5 Se
les premiers Philosophes ont cru.
qu'ils d�voient enveioper la v�rit�
(bus des Fables, & fous des all�go-
ries ing�nieufes; afin que leur feien-
cef�t recherch�e avec plus de cu-
riof�t�, ou qu'en tenant les efprits
appliqu�s, elle y jett�t des racines
plus profondes : car les chofes font
d'autant plus d'impreflion dans
notre efprit &: dans notre m�moire,,
qu'elles exercent plus agr�able-
ment notre attention. J�sus-
Christ m�mes'eft fervi de cette
fa�on d'inftruire, afin que les com-
paraifons & les paraboles tinllent
les Auditeurs plus attentifs aux v�-
rit�s qu'elles ��gnif�oient.
On tire encore de la Peinture
des inductions par les attitudes ,
par les expreffions, & par les mou-
vemens des parlions de l'ame. Il y
a des Tableaux qui nous reprefen-
-ocr page 472-
far Principes,         46 j
tent des Converfat�ons & des Dia-
logues ,*>� nous connoiflbns juf-
quJau fentiment des Figures qui
paroifient s'entretenir. Dans l'An-
nonciation,par exemple,o� l'Ange
vient trouver Marie, le Spedateur
d�m�le facilement par l'expreffion
& par l'attitude de la fainte Vierge
le moment que le Peintre a voulu
choifir j &.l'on conno�t fi c'eft lors-
qu'elle fut troubl�e par une Appari-
tion impr�vue, ou fielleeft �tonn�e
del� propofitiondel'Ange,ou enfin
f� elley confent avec cette humilit�
qui lui fit prononcer ces motsiVoilk
la Servante du Seigneur
, & le refte.
Il paro�tqu' Ariflotem�me ne fait
aucune difficult� d'accorder le raL
fonnement � la Peinture quand il
dit, que cet Art inftruit & qu'il
donne mati�re � raifonner non feu-
lement aux Philofophes , mais �
tous les hommes. Et Quintilien [a)
(a) pittura tacens apus & habiius j'entper ejufiim
fie in intima: p�n�tr�t affettas
, ut iffam vim dicmdi
no» nunqunm [uferare videatttr, 1.11. c 5.
V vj
-ocr page 473-
468 Cours de Peinture
avoue que la Peinture p�n�tre &
avant dans notre efprit, ^'qu'elle
remue fi vivement nos paffions ,
qu'il paro�t qu'elle a plus de force
que tous les difcours du monde.
Mais la raifon ne fe trouve pas ■
feulement dans les Ouvrages de
Peinture , elle s'y fait encore voir
orn�e d'une �l�gance & d'un tour
agr�able ; & le �ublime s'y d�cou-
vre auffi fenfiblement que dans la
Po�f�e. L'harmonie m�me qui les
introduit toutes deux , & qui leur
procure un accueil favorable s'y
rencontre indifpenfablement. Car
on tire des couleurs une harmonie
pour les yeux , comme on tire des
fons pour les oreilles.
Mais me dira-t-on , quelque ef-
prit que l'on puifle donner � la
Peinture , elle n'exprimera jamais
auffi nettement ni auili fortement
que la parole.
Je f�ai bien que l'on peut attri-
buer � la parole des expreffions que
la Peinture ne peut fuppl�er qu'inau.
-ocr page 474-
par Principes.          4.6$
parfaitement : mais je f�ai bien auffi.
que la Po�f�e efr. fore �loign�e d'ex-
primer avec autant de v�rit� &
d'exactitude que la Peinture, tout
ce qui tombe fous le fens de la vue.
Quelque defeription que la Po�fie
nous rafle d'un pa�s, quelque foin
qu'elle prenne � nous repr�fenter la
phyf�onomie, les traits, & la cou-
leur d'un vifage, ces portraits laif-
feront toujours de l'oblcurit� &: de
l'incertitude dans l'efprit&n'apro-
cheront jamais de ceux que laPein-
turenous expofe. L'ona vu plusieurs
Peintres qui ne pouvant par le
moyen de la parole donner l'id�e
de certaines perfonnes qu'il impor-
tait de connoitre, fe font fervis de
fimples traits pour les d�figner fans
qu'on put s'y m�prendre. Ceux-m�-
mes dont la profeffion �tokdeper-
fuader, ont fouvent apell� la Pein-
ture � leur fecours pour toucher les
c�urs, parce que l'efprit, comme
nous l'avons fait voir , eft plut�t
& plus vivement �branl� par les
-ocr page 475-
4*70 Cours de Peinture
chofes qui frappent les yeux, que
par celles qui entrent par les oreil-
les : les paroles paflent & s'envo-
lent, comme on dit, &;les exem-
ples touchent. C'�ft pour cel�qu'au
raport de Quintiiien (■�-;■) qui nous a.
donn� les R�gles de l'Eloquence y
les Avocats dans les caufes crimi-
nelles expofoient quelquefois un
Tableau qui reprefentoit l'�v�ne-
ment dont il s'agil�bit , afin d'�-
mouvoir le c�ur des Juges par
l'�normit� du fait. Les pauvres fe
fervoient anciennement du m�me
moyen pour fe d�fendre contre
Foppreffiondes Riches, f�lon le t�-
moignage du m�me Quintiiien $
( b ) parce que y dit-il, l'argent des
Riches pouvoit bien gagner les
fuffrages en particulier : mais fit�t
que la Peinture du tort qui avoit
�t� fait, paroif�bit devant toute
l'�fTembl�e, elle arrachoit la v�ri-
t� du c�ur des Juges en faveur da
pauvre. La raifonen eft que la pa-
role n'eft que le figne de la «hofe,
i»)6.l. (b) Del. il*»
-ocr page 476-
far Principes*         471
& que la Peinture qui reprefente
plus vivement la r�alit�, �branle
&� p�n�tre le c�ur beaucoup plus
fortement que le difcours. Enfin il
eft de Peflence de la Peinture de
parler par les choies, comme il eft
de l'efTence de la Po�'iie de pein-
dre par lesparoles.
Il n'eft pas v�ritable, pourfuivra-
t-on , que la Peinture parle & fe
fafTe entendre par les chofes m�-
mes j mais feulement par l'imita-
tion des chofes.
On r�pond que c'eft juftemenc
ce qui fait le prix de la Peinture y
puifque par cette imitation , com-
me nous l'avons fait remarquer, la
Peinture pla�t davantage que les
chofes m�mes.
J'aurois pu me pr�valoir ici d'une
infinit� d'autorit�s des Auteurs les
plus c�l�bres pour foutenir le m�-
rite de la Peinture , f� je n'avons
appr�hend� de rendre cette differ-
tation trop longue 8c trop hecM-
f�e.
-ocr page 477-
47 *■ Cours de Peinture
je me fuis donc content� de faire
obferver dans ce petit difcours ,
combien l'id�e que l'on avoir de la
Peinture �toit imparfaite dans la
plupart des efprits, & que del� ve-
noit la pr�f�rence que quelques uns
ont voulu donner � la Po�fie. j'ai
t�ch� de faire voir la conformit� -,
qui fe rencontre naturellement
dans ces deux Arts : j'ai touch�
quelques avantages qu'on peut at-
tribuer � la Peinture & � la Po�-
i�e : J'ai r�pondu aux objections
que l'on m'a faites : & enfin j'ai
fait mon poffible pour conferver
� la Peinture le rang qu'on lui vou-
loit �ter.
-ocr page 478-
far Principes. 473
Description de deux - Ouvrages de
Sculpture
, qui appartiennent k
M. le Hay
, faits par M. Zurnbo
Gentilhomme Sicilien.
ON a fouvent oui dire � l'Au-
teur de ces deux Ouvrages,
dent l'un repr�fente la Nativit� ,
& l'autre la S�pulture de Jefus-
Chrift, qu'il a voulu repr�i�nter ces
deux Sujets , pour avoir occaflon
d'exprimer deux pallions contrai-
res ,� la Joie & la Trifteffe. C'eft
pour cela qu'il a choifi dans l'Hif-
toire de la Nativit� l'arriv�e des
Pafteurs , lorfqu'ils viennent re-
conno�tre & adorer le Sauveur, qui
f�lon les paroles de l'Ange, d�voie
�tre � tout le monde le iujet d'une
grande joie.
Dans l'Hiftoire de la S�pulture,
il s'eft attach� � repr�fenter lemo-
-ocr page 479-
474 Cours de Peinture
mento� Jofeph d'Arimathie,ayan�
obtenu le Corps de jefus-Chrift ,
la Vierge & les faintes Femmes qui
l'acccmpagnoient , donnent des
marques de leur douleur.
Et comme ce g�nie heureux a
bien fenti que la C ouleur releveroit
infiniment Ion Ouvrage , & qu'elle
fero�t valoir l'es exprcf�ions, il s'et�
ferv� du Coloris , pour mettre le
vrai dans fes carnations 6c dans fes
draperies.
ZA NAT IV IT E\
Pour fuivre le Texte de l'Evan-
gile , l'Auteur a mis la fcene de ion
lujet dans un lieu d�nu� de toutes
chofes, & qui paro�t par les ruines
qui en reftent, avoir �t� autrefois
un Temple d'idoles s mais qui ne
peut plus jervir que de retraite aux
animaux , & tout au plus d'une
�table abandonn�e au premier
venu.
L'Auteur dans fa comportions
-ocr page 480-
par Principes.         475
a voulu faire entrer des reftes de
magnificence , pour rendre plus
feniible par cette oppofkion la pau-
vret� de Jefus-Cbrift , & pour �-
tablir fur le d�bris de l'Idol�trie
la Religion Chr�tienne II a con-
ftder� de plus, que pour contii-
buer � la Joie qu'il vouloit expri-
mer , il pouvoit , fans d�truire
l'id�e de la pauvret� du lieu , y
introduire quelque ouvrage de
Sculpture antique, & par-l� r�veil-
ler le go�t de fon Spectateur , �c
le plaifir que donne aux Connoif-
feurs la vue de ces pr�cieux reftes.
Adjoutez que, comme il n'v a rien
de plus humble , ni de plus grand
que la Naiilance du Fils de Dieu ,
l'Auteur y a voulu Bire alluf�on,
en m�iant la deftm&ion d'un b�-
timent magnifique avec la beaut�
de quelques reftes qui en faifoient
partie.
Notre illuftre Sculpteur a fait
entrer dans fon fujet vingt-quatre
figures, 8c fix animaux de diff�ren-
-ocr page 481-
47 G Cours de Peinture
tes efpeces. Il a plac� la Vierge
avec Ion Fils au milieu de la corn-
pofition. Elle y paro�t d'un carac-
t�re modefte , mais d'un agr�ment
infini ; & le Chrift, en confervant
la Figure d'un Enfant nouveau-n� s
fait concevoir en Ion action quel-
que chofe de plus qu'humain
On remarque une grande vari�t�
dans les figures de cette Hiftoire5
par la diff�rence des phy fionomies,
des caract�res, des fexes, des �ges,
des attitudes &, des expreffions,
QuatreBergers font attentifs � con-
fiderer de pr�s l'Enfant & la M�re
que l'Ange leur avoit indiqu�s.
A c�t� droit, quatre autres font
autour de faint Jofeph, qui leur ex-
plique le myftere, dont ils font t�-
moins. Ces Bergers font voir en
diverfes mani�res les effets de la
gr�ce, en exprimant la Joie que
leur caufe cette inftru&ion.
D'autres plus craintifs, qui font
fur le devant de la compofition
de cet ouvrage , adorent de plus
-ocr page 482-
par Principes.           Ail
loin le Sauveur qui leur �toit n�,
A c�t� gauche, quelques Ber-
gers s'entretiennent de ce qu'ils
voient, il v enaunentr'autres qui
paro�t appgller les plus �loign�s,
& qui les incite de fe h�ter, pour
jouir de la nouveaut� du fpe&acle.
L'Auteur a fait entrer dans la
compofition de fon fujet quatre
Anges qui font en l'air au.demis du
Chrift. & de la Vierge, fuppofane
qu'ils font envoy�s de la Cour C�-
leire , pour faire reconno�tre aux
Pafteurs leur Divin Ma�tre, & pour
i'adorer avec eux,
Les ajufternens, les draperies, les
co�fTures, &l to.ut ce qui accompa-
gne les figure?, leur convient H par-
faitement, que ceux qui en vou-
dront examiner le d�tail, en admi-
reront la diverfit� & la vraifem-
blance. Les expref�ions, fuitout >
en
font f� vives, qu'on eh: forc� d'y
entrer par l'impreffion qu'elles font
fur les eiprits, lorfqu'pn y veut fai-
re quelque attention. L?un y expri,
-ocr page 483-
^_y% Cours de Peinture
rne l'admiration, l'autre la {impli-
cite j l'un la furprife, l'autre la d�-
votion -, & chaque objet marque
parfaitement le choix d'un beau
caract�re.
Les figures y font deffin�es d'une
exa�te juftefle, d'un go�t grand , &
d'une mani�re convenable � leur
qualit�. On y peut admirer la ten-
drefle des carnations, les beaux
plis des draperies, la v�rit� & le
contiafte des attitudes, la difpo-
fition des grouppes, 6c la d�grada-
tion des terreins.
Tout eft extr�mement fini dans
cet Ouvrage, �ciln'yapasjufqu'aux
plantes&aux autres minuties, dont
Texacle v�rit� ne fafle plaif�r. Les
couleurs m�mes,qui font d'ordinai-
re peu convenables � la Sculpture -,
y font m�nag�es avec une certaine
mod�ration qui jette dans le tout
une plus grande vraifemblance,
6c entr'autres dans les Statues qui
font fi bien imit�es d'un vieux mar,
bre tout tach� , & tout alt�r� pa�
-ocr page 484-
far Principes.         479
ie rems, que l'�'l y eft tromp�
Enfin toutes ces choies enfemble
font une merveilleufe harmonie ,
& concourent � exprimer le fujc�
avec tout l'agr�ment imaginable,
LA SEPVZTVRE.
L'Auteur de cet excellent Ou-
vrage a fait choix, comme nous
l'avons d�j� dit, du moment que
Jofeph d'�rimathie, ayant fait d�-
tacher de la Croix le Corps de Je-
fus-Chrift, le la�ffe voir pendant
quelque tems aux principales per-
sonnes quiavoient aim� le Sauveur
pendant (� vie.
La fkuat�on du lieu qui eft plein
de rochers fait juger que la fcene
de ce qui fe pafle ici, n'eft pas loin.
de l'endroit que l'on avoit deftin�
pour la fepulture.
Le Chrift, la Vierge fa m�re ,'
iaint Jean , & les trois Maries, trois
Anges , Jofeph d'Arimathie, Ni-
ppd�me, &le Centenier qui re�on-
-ocr page 485-
4-t o Cours de Peinture
nut la Divinit� de Jefus-�hrift in-
continent apr�s fa mort, font la
compofidcn de cette Hiftoire.
Le Chrift eft plac� au milieu de
la Sc�ne , �tendu n�gligemment,
mais naturellement, iur une pier-
re couverte d'un linceul, &, dans
une difpofition convenable � un
corps qui n'a plus de mouvement ;
mais qui fe trouve tourn� comme
par hazard � �mouvoir jufqu'aux
larmes la compaflion du Specta-
teur. La figure eft d'une propor-
tion fi noble 8t fi d�licate, qu'en la
voyant on eft aif�ment port� � croL
re , qu'il y a fous ces apparences
quelque chofe de Divin.
La Vierge eft aupr�s de ce corps.
Elle en a appuy� la t�te fur fes ge-
noux pour le mieux contempler.
Elle a le corps pli� & les bras �-
lev�s, en aclion d'exprimer fa ten-
dref�e , & tout ce qu'elle fent fur
l'�tat , o� elle voit fon Fils & fon
Dieu.
Les faintes Femmes qui accom-
pagnoient
-ocr page 486-
far Principes.         4S1
pagnoient, la Vierge le c�ur rem-
pli de douleur , font voir chacune
�/� mani�re ce que peut la com_
paffion � la vue d'un ipe&acle i�
touchant. Les notions qu'a voient
ces faintes Femmes de la Divinit�
de Jefus- Chriffc , pouvoient bien
mettre le calme dans leurs eiprits,
�c effacer toutes les marques de
leur arrlidion : mais l'amour qu'el-
les avoient pour leur Ma�tre , les
outrages aufquels elles l'a voient vut
expole pendant fa vie , le fupplice
honteux de fa mort, ne leur per-
mettoient pas d'oublier enti�re-
ment les opprobres qu'il venoit
tout r�cemment de fouffi�r � leurs
yeux.
Il eft vrai que Jefus-Chrift, leur
avoic parl� de la n�ceffit� de Ces
fouffrances, & de fa prochaine R�-
furre&ion : mais tout, ce que put
faire l'eiperance de voir arriver
� bient�t la R�furreciion , fut d'a-
doucir les tranfports d�mefur�s
aufquels une triftel�e extr�me nous
-ocr page 487-
. g i 0»r/ ^ Peinture
conduit.ordmairemenc. On ne ver-
ra donc point ici l'expreffion ext�-
rieure du dernier abandon a la dou-
leur on y obfervera feulement tou-
tes les marques d'un c�ur qui
dans l'exc�s de fon amour eft a la
v�rit� fort fenfible au triomphe
Prochain de jems-Chrift,maisqui
eft encore plus occupe du fouyenur
de fes Souffrances.
S lean plac� du c�te gauche ,
appuy� fur un rocher , dans une
attWe abattue , tient les clous
nu ont attach� fon Ma�tre a la
Croix Si paro�t faire les r�flexions
lesiftftrumens.
leS^Auteuraplac�laMagdeene
du m�me c�t� aux pieds du Chnft-
File les baife avec amour , & iem-
ble les baigner de les lam.es, qu-
elle eft prlted'emiyer de fes che-
veux �pars, comme ele fit dans la
Sn de Simon le Phanuen
"*�"deux autres tomes font,
l'une � genoux pr�s de la Vierge,
-ocr page 488-
far Principes.         483
�&. l'autre debout. Celle-ci a le
corps panch� , & la t�te gracieu-
fement inclin�e fur l'�paule , com-
me pour effuyer fes larmes avec le
linge qui lui lert de voile. Ces deux
femmes expriment fortement, &;
fans aucun mouvement exag�r� ,
le m�lange de douleur & de ten-
dreiTe , dont leur c�ur eft: p�n�-
tr�.
Les deux vieillards qui font der-
ri�re ces femmes, au coin de la
composition, dont l'un paro�t �tre
Nicod�me, & l'autre le Centenier
qui reconnut la Divinit� dejefus-
Chr�ft incontinent apr�s fa mort,
s'entretiennent ai�ez vivement de
la mani�re injurie dont les Juifs
avoient condamn� rinnocencem�-
me.
Jofeph d'Arimath�e, un peu plus
avanc� fur le devant, & debout,
une main fur la hanche , & l'autre
fur la poitrine , dans une attitu-
de majeftueufe , les yeux tourn�s
vers le Chrift, fait attention � ce
Xij
-ocr page 489-
4S4 Cours de Peinture
qu'il voit : mais on juge facilement
par toute fon action , qu'il eft en-
core plus occup� de la foi qu'il a
re�ue, & de la.grandeur du myftere
de la R�demption.
Le go�t du Deflein dans cette
Hiftoire eit. merveilleufement con-
venable aux figures qui la compo-
fent. Il eft Ivelte, �l�gant, & no-
ble dans le Chrift 6c dans les fem-
mes. Il eft plus fort & plus pronon-
c� dans les trois hommes qui font
plus ayanc�s en �ge. Il s'y trouve
diyerfement f�lon la diverf�t� qui
f� voit ordinairement dans la natu-
re. Car pour S. Jean, fon caracler
re de defl�in eft entre la d�licatefte
du Chrift Se la proportion plus pe-,
fante des trois autres figures, dont
je viens de parler. Cependant tou-
tes les proportions font pbferv�es
dans leur genre avec toute la ju-
fter�e que l'on peut attendre de
Vkxt.
Trois Anges font en l'air au-def-
fijs du Chrift , |k compofent un
-ocr page 490-
far Principes.         4&J
groupe agr�ablement vari� par
Jeurs attitudes contract�es , & par
la diverfir� de leurs expreffions &
de leurs colons. Us font, dans leur
caract�re d'enfans i d�f�mes com-
me les femmes 5 e'eft-�-dire, de l�
m�me d�licateffe.
Quelque difficile que foi t la r/fa-
tique du coloris dans la Sculpture,
il eit �tonnant que l'Auteur s'en"
�ok acquitt�, comme ri a fait, avec
un heureux fucc�s. Les carnations
y font vari�es avec tant de m�na-
gement & d'intelligence, que dans
la juftef�e qui leur convient, il y a
une f�nefTe d'oppofkion de de diff�-
rence qu'on ne peut allez admirer.
Notre ing�nieux Sculpteur ne s'eft.
pas content� d�s couleurs locales,
e'eft-�-dire , de celles qui con-
viennent � chaque chofe en par-
ticulier, il a encore cherch� com-
me un Peintre habile , � faire va-
loir la couleur d'un objet par i'op-
pofition de la couleur d'un autre
ebjec. Le linceul , par exemple y
-ocr page 491-
-4^ 6 ■ Cours de Peinture
qui eft fous le corps du Chrift, don-
ne � la carnation un plus grand ca-
ra&ere de v�rit� par la .comparai-
fon de ces deux couleurs.
L'Auteur voulant attirer fur le
Chrift les yeux du Spe&ateur ,
comme fur l'objet le plus impor-
tant , s'eft fervi d'un brun doux ,
dont il a habill� la Vierge & la
Magdel�ne , pour rendre la lu-
mi�re qui eft fur le Chrift, plus vi-
ve & plus fenfible.
La femme qui eft � genoux
entre la Vierge & l'autre Marie �
ne contribue pas peu � l'effet du
clair -obfcur , en diftinguant par
fon obfcurit� les figures qu'elle f�-
pare.
La couleur des v�temens de Ni-
cod�me & du Centenier d�tache
& pouffe en devant , comme de
concert, la figure qui leur eft pro-
che.
Et Jofeph d'Arimathi� eft ha-
bill� d'une pourpre , qui non-feu-
lement d�figne une perfonne de*
-ocr page 492-
far Principes.        4S7
Qualit� $ mais qui, f�lon les r�gles
de l'Art , �tant d'un ton fort &
Tigoureux: ,; convient aux figures
que l'on veut mettre fur le devant,
6c contribue dans l'affemblage des
couleurs � l'harmonie du Touten-
i�mble.
Mais ce n'eft pas feulement par
la couleur de fon habit que cette li-
gure eft plus fenfible que les autres.
L'ouvrage de la t�te eft un chef-
d'�uvre de l'Art. C'eft un Vieil-
lard dont le vifage eft couvert de
rides, mais de rides f�avantes par
la mani�re dont elles font plac�es ,-
& dont elles font ex�cut�es. Car
elles expriment la phyiionomie
d'un homme de bon efprit, limi-
tent la nature de ce caract�re d'une
maniera la plus fone , la plus ten-
dre ; �c la plus accomplie. Mais
quoique cett^ ter_* foie tr'vaill�e
dans la derni�re exaftkud? , elle
ne fent point du tout la peine : le
travail y eft tout fpirituel, il y coule
de fource ,. & la patience qu'il a
Xinj
-ocr page 493-
4#&         Cours de Peinture
exig�e eft plut�t l'effet du plaimr
que l'Auteur y a pris, que de la ne-
ceffit� de le terminer. Tout eft
donc fini dans cette figure parti-
culi�re ; mais tout y eft de feu , &
l'adrefle de la main fou tenue de la
' force d'un beau g�nie , & d'une
feience profonde , ont rendu cet
Ouvrage digne certes de la plus
grande admiration.
C'eft ainfi que notre f�avant
Sculpteur , en joignant � ce trifte
fujet toutes les gr�ces dont il eft
fufceptible , & en r�pandant d'ail-
leurs toutes les marques d'une feien-
ce auffi profonde qu'ingenieufe , a
confaer� cet Ouvrage � la pofte-
rit�.
Mais quelque foin que l'on ait
pris de rendre fid�les ces deux d�-
icriptions, il eft impoffible , en les
lifant feulement, fans voir les ou-
vrages m�mes, de fe faire une id�e,
bien jufte de toute leur beaut�.
-ocr page 494-
far Principes, 489
E�*«�3 ««iSS�i-�S a«W9iK2iit�S trWWnf»"" Siu^g
**»«**f*fc ***:****�***3-«» +*3'8*3-«&� «S*
S?^» eysS�H".» W"» K""?* lfci""rA *»*»«* fcj'"' r4
LA BALANCE DES PEINTRES.
QUel qjj es perfonnesayant
fouhait� de l�avoir le degr�
de m�rite de chaque Peintre d'une-
r�putation �tablie, m'ont pri� de
faire comme une Balance dans la-
quelle je mifl� d'un c�t� le nom du
Peintre & les parties les plus efl
fentielles de Ton Art dans le degr�
qu'il les a pofled�es, & de l'autre
c�t� le poids de m�rite qui leuj?
eonvient 5 en forte que raroailant
toutes les parties comme elles le
trouvent dans les Ouvrages de cha-
que Peintre, on puiffe juger com-
bien pefe le tout..
J'ai fait cet eiTai plut�t poue
me divertir que pour attirer les au-
tres dans mon fentiment. Les ju-
gemens font trop differens fur cet-
se mati�re , pour croire qu'on aie
Xv
-ocr page 495-
49 o Cours de Peinture
tout feul raifon. Tout ce que je de-
mande en ceci c'�ft qu'on me don-
ne la libert� d'expofer ce que je.
penfe , comme je la laifle aux au-
tres de conferver l'id�e qu'ils pour-
roient avoir toute diff�rente de la.
mienne.
Voici quel eft. l'ufage que je fais-
de ma Balance.
Je divife mon poids en vingt de-
gr�s, le vingti�me efl le plus haut,,
& je l'attribue � la fouveraine per-
fection que nous ne connoiflbns pas
dans toute fon �tendue. Le dix-
neuvi�me eft pour le plus haut de-
gr� de perfection que nous con-
noif�ons , auquel perfonne n�an-
moins n'eft encore arriv�. Et le dix-
huiti�me eft pour ceux qui � notre
jugement ont le plus approch� de
la perfection , comme les plus bas
chiffres font pour ceux qui en pa-
roiiTent les plus �loign�s.
Je n'ai port� mon jugement que
ftir les Peintres les plus connus , &
j'�� divife la Peintureen quatre co-
-ocr page 496-
far Principes,,'        49"r
ibilfles , comme en les parties les
plus efTentielles, f�avoir, la Com-
poiition , le Defl�in , le Coloris 3
& l'Expreffion; Cequej'entenspar
le mot d'Expreffion, n'eft pas le ca-
ract�re de chaque objet, mais la
penf�e du c�ur humain. On verra
par l'ordre de cette divif�on � quel
degr� je mets chaque Peintre dont
le nom r�poad au chiffre de cha-
que colonne.
On auroit pu1 comprendre par-
mi les Peintres les plus connus, plu-
i�eurs Flamans qui ont repr�fent�
avec une extr�me fid�lit� la v�rit�
de la nature & qui ont eu l'intelli-
gence d'un excellent Coloris : mais
parce qu ils ont eu un mauvais gouc
dans les autres parties , on a cru
qu'il va�oit mieux en faire une
cla/Te fepar�e,
Or comme les parties ef�ent�elles
de la Peinture font compof�es de
plusieurs autres parties que les m�-
mes Peintres n'ont pas �galement;
fofte��es , il eft raifonnabe de
-ocr page 497-
49 ~ Cours de Peinture
compenfer l'une par l'autre pour
en faire un jugement �quitable.
Par exemple .y la Compofition re-
lulte de deux parties ; f�avoir , de
l'Invention & de la Difpofition. IL
eft certain que tel a �t� capable
d'Inventer tous les objets necefTai-
res � faire une bonne Compofitionv
lequel aura ignor� la mani�re de les
difpofer avantageufement pour en.
tirer un grand effet. Dans le Def-
fein il y a le Go�t & la Correction j
l'un peut fe trouver dans un Ta-
bleau fans �tre accompagn� de
l'autre, ou bien ils peuvent fe trou-
ver joints enfemble en differens de-
gr�s & par la compenfation qu'on
en doit faire , ©n peut juger de ce
que vaut le tout,
Au refte, je n'ai pas affez bonne
opinion de mes fentimens pour n'�-
tre pas perfuad� qu'ils ne foient fe-
verement critiqu�s : mais j'avertis
que pour critiquer judkieufemene
il faut avoir une parfaite connoi�
fan�ede toutes les parties qui. corn-
-ocr page 498-
far Principes         493"
pofent l'ouvrage & des raifons qui
en font un bon tout. Car pluf�eurs
jugent d'un. Tableau par la partie
feulement qu'ils aiment , & ne
comptent pour rien celles qu'ils ne
eonnoiflent ou qu'ils n'aiment pas».
-ocr page 499-
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connus.
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Tad�e Zuecre.
Fr�d�ric Zuecre.
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**#**=***#**#******#*#***********#*****'■
TABLE DES MATIERES
contenues en ce Volume.
ACciD5Ns.Ce que c'eft en Pein»
ture ,
                          Pag. zoS
All�gorie eft une efpece de langage, 5 §
Anatomie, l'ufagequ'onen doit faire, 3.9.
Elle a fait �chouer plufieurs Peintres,
& en a fait eftimer plufieurs autres,
Antique dans la Peinture. Son origine &c
fon utilit�. Son autorit� chez les Au-
teurs anciens & modernes. Sa beau-
t� , fon approbation univerfelle, &
fon �l�vation ,
                  130,319
Appeller le Spectateur doit �tre le pre-
mier effet d'un Tableau,
             17
Les Tableaux qui appellent le Specta-
teur font rares , & pourquoi ?� 17
La partie du Coloris eft ce qui contribue
davantage � appeller le Spectateur, 19,
Arbres,                               131,23$
Attitude. La bien choifir ,,             roo?
L'Aveugle de Cambaffi ,& fon Hiftok
-ocr page 505-
tabl�
C
C�rad�re. Ce que c'eft en Peinture $
iGx
Charge , & charger. Ce que c'eft e�
Peinture , & en quel cas on en peue
louer Ha pratique,
             jy , & 38
Ciel. Son caract�re s-                      212
ConnoiiTeur, Les Demi-connoiffeurs ju-
gent ordinairement de la Peinture ,
fans connoiflance de caufe ,r '. %6
Contrafte. Ce que c'eft,
                 102
Clair-obfcur. Ce que c'eft ,             3^1
Trois moyens pour arriver au Clair-
obfcur, 366. Quatre preuves pour
d�montrer fa n�ceflu� ?
              370
Copier avec profit,                       294.
Coloris. Ce que c'eft,                     302
Cette partie de la Peinture eft tr�s-peu
connue, m�medes plus habiles, 303
Diff�rence entre Couleur & Coloris,
3 02
Couleur fimple & Couleur Locale. Leur
diff�rence,
                                  304.
Deux fortes de Couleurs, la naturelle
& l'artificielle , 30 j. Maximes tou-
chant l'emploi des couleurs, 317
Correction du Deff�in ,
                   128
D
DEffein. Sa d�finition, 127,320
Ses parties principales ,
          n8
-ocr page 506-
des Mati�res
�Bevant du Tableau,                       1&I
pifpofition. En quoi elle confifte, y$
Elle contient fix parties ;
i. La Diftributiondes objets eng�neral,
2.  Les Grouppes.
3.  Le choix des Attitudes»
4.  Le Contrafte.
y. Le Jet des Draperies.
6, L'effet du Toutenfemble.
Difpofui�n. Spn effet,                    114
Les Draperies. Cequec'efl;,          177
Contiennent trois chofes :
r x. L'ordre des Plis,
                     178
\ 2. La diverfe Nature des Etoffes 187
1 3. La vari�t� des couleurs dans les
(r
         Etoffes,                                 19 2
Le Trait� des Drapexies en abr�g�. 196
Les Draperies font d'une grande utilit�
pour le Contraire,
                        i§t
Les Couleurs des Draperies peuvent con-
tribuer ext�mement � l'effet du Clair-
obfcur,
                                        igj
EAux,                                 -.� 225
Ecorcedes Arbres&l�urvari�t�, 235
El�gance en Peinture,
                     *i f?
Sa d�finition ,                                160
Elle fe fait fentir quelquefois dans les
Ouvrages peu ch�ti�s ^
                  l<Jo
Enthounafine,                                 I14
-ocr page 507-
Table
Moyen de difpofer l'efprit � l'EnthoufiaC
me,
                                               119
Efprk. l'Efprit s'�l�ve avec le beau fujet,
& le lujet s'�l�ve avec le bel Efprit, 6 5
Notre Efprit eft une plante qui veut �tre
cultiv�e,,
                                        64.
Eftampes dePa�fage excellentes pour �tu-
dier , quand elles font de grands Ma�-
tres ,
                                             140
jExageration g�n�rale neceflaite en Pein-
ture , & la particuli�re f�lon l'occa-
fion,
                                             30e
Elle doit �tre m�nag�e avec pruden-
ce,
                                               355
. Expreflioa. Sa diff�rence d'avec la Paf-
fion,
                                             162
Ecole d'Ath�nes. Tableau de Rapha�l,
Sa defcription ,
                               75
Vafarireprisdansladefcriptionqu'ilena
faite du tems m�me de Rapha�l, Idem.
Auguftin V�nitien repris pour le m�me
fujet,
                                              79
F
TH Abriques,                                  ni
JT Fabriques propres au Pa�fage, 22.S
G
G Alleries de Luxembourg , 345
Gazon,
                                   217
Glacis. Ce que c'eft ,                       338
Co�t. Go�t du deflfein ,                    158
-ocr page 508-
�:s Mati�res,,
(Gr�ce. Il n'y a rien dans l'imitation d�s
objets, o� l'on ne puiflTe faire entrer de
la Gr�ce ,                                     -1.09
Grouppes. En quoi ils conf�ftentj 97
Il yen a de deux fortes par rapport au
DeHein & par rapport au Clair-obfcur,,
Leur relation ,                             109
H
HArmonie., & fes difFerens genres
. dans la Peinture,
             m,&c.
Hil�oire. Ce que c'eft en Peinture, 67
L'Hiitoire doit avoir trois qualit�s, la fid�-
lit� , la nettet� , & le bon choix, 6j
Comment le Peintre doit faire conno�tre
le fujet de fon Hiftoire, & de beaux-
exemples � cette occafion, 6 g & 69
I
JAbac , grand curieux. Son t�moignage
fur la pratique de Vendeik au fujec
des Portraits 5
                                zp 1
Id�e. Ce que c'eft ,                                t
Peux Id�es de la Peinture. Id�e g�n�rale
pour tout le monde,
                          3
. Id�e particuli�re pour les Peintres, ^
L'ondoit tirer les v�ritables Id�es des cho-
fes,de leure(�ence,&de leur d�finition,�
Id�e v�ritable de la Peinture, & le Vrai
ne font que la m�me chofe,
          2.0
Id�es particuli�res ou f�condes qui regar-
dent les Peinttes feulement,
              «
\
-ocr page 509-
Tahk
Obligation ou lont les Peintres de bien
pofleder ces f�condes Id�es, 6 Se 7
Les Id�es des chofes entrent dans refptit
par les organes des lens,
                   j
Invention. Qe terme a produit diff�rentes
Id�esdansl'efpritdedifFerens Auteurs, jo
D�finition de l'Invention,
                 5 1
L'Inventioneil une des deux parties de la
�ompofition, dont l'autre partie s'ap-
pelle Difpofirion,
                           $1
Sa diff�rence d'avec la Difpofttion , 52
Le moienderendre l'Invention ielev�e,�8
L'Invention fe peut confideret de trois
mani�res , comme Hi.ftorique (impie»
ment 3 comme All�gorique ,& com-
me Mifti que, 5^
Bel exemple de l'Invention Miftique, 5 9
Par l'Invention, on juge du G�nie du
Peintre >
                                         61
Bile ne peut produire que les chofes dont
notre efprit eft rempli ,
                   6z
L'Invention a differens ftiles,
           52
L'Invention all�gorique exige trois cho-
fes, d'�tre intelligible, d'�tre autorii�e,
& d'�tre neceflaire,
                         71
L
LE linge eft un bon moyen de juger
de la Carnation du Naturel par la
Comparaifon,
                              496
Lointins & montagnes,                   z 14
L on gin
-ocr page 510-
des Mati�res.
"Longin , fon exemple dans le fublime.
110
M
A/4 Iroir convexe. Son utilit�, 10?
N
^J Uages, leurs Caract�res, iij
O
GRdre qu'il Tant tenir dans l'Etude
del� Peinture,
                     387
Ordre dont on a plac� les parties de la
Peinture, & pourquoi ;
                  io
P
PArallele de la Peinture , & de la
Po�fie,
                                   42.0
Pallions de l'Ame,                          t6Z
Le Brun a �crit des Pa(lions fur le mo-
d�le de Defcartes,
                       t <j^
Deux fortes de Peintres,
                  40
Peinture. Sa d�finition ,
                       j
La v�ritable Peinture eft celle qui ap-
pelle fon Spectateur, s
La Peinture fe peut confiderer de deux
mani�res, par rapport � l'inftrudtion,
& par rapport � l'ex�cution , 49
La Peinture doit inftruire & divertir, &
comment, 66
Palais de la Peinture �lev� par fes diff�-
rentes parties, f�lon la diverfit� de
leurs propri�t�s z$ , &c.
Y
-ocr page 511-
Table
Le Pillage eft le plus agr�able de tous
les talens de la Peinture ,            201
Deux principaux Stiles dans le Paifage ,
l'H�ro�que & le Champ�tre , 201
Heurs Defcriptions, i6i,i6z8ci6$
La jonction des deux Stiles en fait un
troifi�me,                                    zoj
Les parties du Paifage ,                   aoj
Obfervations fut le Paifage,            252
Plautcs ,                                          a 17
Portraits. Mani�re de les bien faire, a�o
S'il eft � propos de corriger les d�fauts
du Naturel dans les Portraits, 268
Le Coloris dans les Portraits,
         ayi
L'Attitude dans les Portraits ,         27^
Les Ajuftements dans les Portraits, 281
Comment ilfaut habiller lesPortraits, a 8 a
Pratique fpaeiale pour les Portraits , 28$
Politique pour faire riuffirles Portraits,
257
R
RAphael a pofl�d� plus de parties
quaucun autre Peintre, & cit� pour
cela,
                                            . it
Rapha�l n'a peint appelle fon Spectateur
dans le g�n�ral de tes Ouvrages, & ta-
remerjt dans quelques-uns,
             1}
Exemple r�cent de M. de Valincour lut
les Ouvrages de Rapha�l qui font au
Vatican,
                                        J4,
-ocr page 512-
des Mati�res.^
Pourquoi on s'eft fervi de l'exemple' de:
Rapha�l ,                                       z;
Roches ,■                                         21S
Rubens peu connu � fond,                %-j
Son fentiment fur l'Antique,           139
Rubens a rendu facile le chemin qui coiv
duit auColorisplus qu'aucun autre, 34e
Objection & r�ponfe au fujet de Rubens,
S
SEnecju�, fon fentiment fur le plainY
que donne la Peinture dans le tems
qu'on l'exerce ,
                             3 j 1
Les Sites Partie du Pa�fage,            zoe
Les Sites bizarres & extraordinaires plai-
fent & r�jouiffent,
                       207
Sujet, le bien choifir , .                    63'
Le caract�re du Sujet doit frapet d'�-*'
bord le Spectateur,
                       $6
Si le Peintre a le choix de fon Sujet, il
d«it pr�f�rer celui qui eft le plus pro-
pre � fon G�nie ,
                          64.
Les Jeunes-gens doivent s'exercer fur
toutes fortesde fumets. Belle comparai-
fon � cette occafion^ 63
T
TAbleau. Le premier effet du Ta-
bleau eft d'appeller foi�Speitateur,^
Un Tableau qui contient une des parties
de la Peinture par excellence doit �tre
Y ij
-ocr page 513-
Tdhle des Mati�res'.
lou�, & peut tenir place dans an Cab�*
net de Curieux,
                            10
Exemple de Rembrant fur ce fujet, 10
Terreins ,,
                                       219
TerrafTes,                                        220
Le Tout-Enfemble, en quoi il confifte ?
105.
V
UNit� d'objet. Sa necef�it� & fa d�-'
monftration ,,
                        108
Le Vrai doit pr�venir le Spectateur, &
l'appeller,-                                       8
Sa Defcripfion ,                                  29
Trois foi tes de Vrai dans la Peinture, 30
L'Id�e que Rapha�l avoitduVrai $6
De quelle confequence eft le Vrai dans
la Peinture,                                   41
Lettre de M. l'Abb� du Guet, au fujet du
h Trait� du Vrai dans la Peinture, 44
Fin de la Table des Mati�res
-ocr page 514-
N
^2**15**12* 3**13**1 S^
PRIVILEGE DU ROT.
I^UPi Gui^?ar la Gr�ce be Dieu,*
; Roy de France & de Navarre ;
1 A nos amez & feauxConfeillers les
Gens tenans nos Cours de Parlement ,.
Ma�tres des Requ�tes ordinaires de notre
H�tel, Grand Gonfeil, Pr�v�t de Paris,»
Baillifs, S�n�chaux, leurs Lieutenans Ci~-
vils, & autres nos Jufticiers qu'il appar-
tiendra , Salut. Jacques Eftienne Librai-
re � Paris, Nous ayant fait remontrer qu'il
defireroit faire imprimer un Livre, intitu-
l�, Cours de Peinture par principes , compoja
parle Sieur de Piles -, s'il nous plaifoit lui
accorder nos Lettres de Privil�ge fur ce n�-
ce�faires.Nous avons permis & permettons
par ces Pr�fentes audit Eftienne , de faire
imprimer ledit Livre, en telle forme, mar-
ge , caract�re, & autant de fois que bon lui
l�mblera, & de le vendre, faire vendre &
d�biter par tout notre Royaume , pendant'
le tems de Cinq ann�es conf�cutives , �*
compter du jour de la datte defditespr�fen-
tes ; Faifons d�fenfes � toutes Perfonnes de
quelque qualit� & condition qu'elles puit
f�nt �tre d'en introduire d'Impreffion
Etrang�re dans aucun lieu de notre ob��t»-
-ocr page 515-
fance, & � tous Imprimeurs, Libraires,. &'
atftres d'imprimer, faire imprimer, verii.
dre, d�biter ni contrefaire ledit. Livre, en
tout-ni en-partie, fans la permif��on expref-
fe & par �crit dudit Expofant ou de ceux
qui auront droit de' lui" -, � peine de conf�f-
catiorT des Exemplaires contrefaits , de
Quinze cens livres d'Amende pour chacun
des Contre'venans , dont un tiers � Nous ,
un tiers � l'H�teLDieu de Paris ; l'autre
tiers audit Expofan�, & de tous d�pens,
dommages & int�r�ts-: A la charge que ces-
Pr�fentes feront enregiftr�es tout au long
fur le Regiftre de la Communaut� des Im-
primeurs & Libraires de Paris, & ce dans'
trois mois de la datte d'icelles ; que l'im-
preffion dudit Livre fera faite dans notre
Royaume& non ailleurs, en bon papier Se
en beaux caract�res conform�ment auxRe-
glemens de la Librairie, & qu'avant que de'
l'expofer en vente, il en fera mis deux E-
xemplaires en notre Biblioth�que publi-
que, un d'ans celle de notre Ch�teau du'
Louvre, & un dans celle de notre d�s cher
& f�al Chevalier Chancelier de France, le
Sieur Ph�lypeau* Comte de Pontchar-
train , Commandeur de nos' Ordres ; le'
�cut � peine de nullit� des Pr�fentes : Du
contenu d�fquelles vous mandons & en-
joignons de faire jouir l'Espofant ou fe?:
-ocr page 516-
Ayans caufe^ pleinement &paifiblernent,
fer» foufFrir qu'il leur foit fait aucun trou-
ble ou emp�chement. Voulons qu~ la co-
pie defd. Pr�fentes qui fera imprim�e au
commencement ou � la fin dudit Livre^
foit tenue pour du�rnent lignifi�e, &c qu'-
aux Copies coljationn�es par l'un de nos
amez & f�aux Confeiilers' & Secr�taires,
�foi foit ajout�e comme � FOriginal j Com-
mandons au premier notre HuM��er ou Ser-
gent de faire pour l'ex�cution d'icelles tous
A&es requis &c n�ceflaires fans demander
autre permiffion, & nonobftant clameur
de Haro, Chartre Normande, Se Lettres �
�ce contraires : C a r tel eft notre plaifir.
Donne' � Paris, le vingt-troifi�me jour
de Janvier, l'an de Gr�ce mil fept cens
huit ; & de notre R�gne le foucante-cin-
qui�me. Par le Roi en ion Confeil ; Sign�,
ifCoHi b. Et fcell� du grand Sceau de
.cire jaune.
Regiftr�furle Regifiredela Communaut� des
Libraires & Imprimeurs de Paris ,
N°. %. Pag.
315. N°. 599, conform�ment au R�glement,
& notamment k l'Arrej� du Conj�i� du 1$.
Aouft �yoj.AParislefixi�meMars
1708.
Sign�, LOUIS SEVESTRE, Syndic.
Pc l'Imprimerie de Pierre MsRce',
ru� Saint Jacques , au Cocq.
-ocr page 517-
A F RO B ATI ON,
'AY. lu par ordre de Monfei-
gneur le Chancelier un Livre
Intitul�, Cours de Peinture &c. Il
m'a paru que cet Ouvrage feroic
tr�s.utile & tr�s-agr�able au Pu-
blic. Fait � Paris ce i$>. Janvier
,170.8. t
RAGUET.
I
KUNSTHISTORISCH INSTiTUUT
DER RUKSUNIV8RSITEIT UTRECHT