COURS
D E
PEINTURE
PAR.
PRINCIPES/
CO M P 0 S E'
Par Mr DE PILES. |
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A PARTS,
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Chez J a c qjj es Estienne, rue
S. Jacques, au Coin de la rue de la
Parcheminerie , à la Vertu.
M. DCCV III.
'AVEC APROBATION ET PRirJLEGE, KUNSTHtSTORiSCH INSTiTUUT f
DER RIJKSUNIVERSIIEIT U. :ECHT ) |
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ORDRE DES TRAITES
contenus dans ce Volume.
TjlDE'E de la Peinture, Pag. i7
Le V'ray dans la Peinture, 2.9. Cis^/V <i'#«tf Zettre de Monfieur Dt&':
Guet fur le Traité du Vray dam la Peinture ,: 44. L* Invention, 49.
I?Ecole d'Athènes ^ J$,
La Difpofition 3 514.
Le Deffein , 1 26;
Les Draperies y 196*
,Z* Païfage, 200,.
■2/W Portraitsl< 260.
-£e Coloris, 302.'
•£«■ Clair-obfcure] 361.
L'Ordre pour l'Etude ]~ 3 S y.
Dijfertation oà l'on examine fi la,
■Poëfie eft préférable à la Pein- *** J&* |
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KUNSTHISTQRISCH INSTiTUUT
DER RUKSUNIVBRSITEIT UTRECHT |
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JDefcriptions de deux Ouvrages d&
Sculpture, faits par MonJieurZum- bo Gentilhomme Sicilien , 47 3. La Balance des Peintres, 4890-
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COURS
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COURS
DE PEINTURE
PAR PRINCIPES.
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Z'IDE'E DE LA PEINTVRE.,
pour fervir de Préface â ce Livre,
E r s o n n £ ne remporte
le prix de la courfe, qu'il ne voie le but où il doit arriver 5 et 4'on ne peut acquérir parfaitement la connoif- fance d'aucun Art., ni d'aucune Science,, fans en avoir la véritable ■idée. Cette idée efl notre but^ 8c •c'eft. elle qui dirige celui qui court,. <&£ qui le fait arriver sûrement à la m.®, de fa carrière , je veux dire, à A
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% Cours de Peinture
la poffefuon de la Science qu'il re-
Mais quoique toutes les çhofes
renferment en elles & faffent pa- roître la plus grande partie de leur véritable idée , il ne s'enfuit pas de-là qu'elle foit toujours connue à ne pouvoir s'y tromper, & que l'on n'en conçoive fouvent de faui- fes au lieu de celle qui eft la vé- ritable & la plus parfaite. La Pein- ture a fes idées comme les autres Arts : la difficulté eft donc de dé- mêler quelle eft la véritable. Mais avant que d'entrer dans cette dif- cuflion , H me paroit neceffaire d'expofer ici, que dans la Peinture jl y a deux fortes d'idées > l'idée générale qui convient à tous Jes; hommes, & l'idée particulière qui convient au Peintre feulement. Le moyen le plus sûr pour con-
noître infailliblement la véritable idée des choies, c'eft de la tirer du fond de leur effence & de leur définition ; parce que la définition |
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far Principes. ■$
n'a été inventée que pour empê-
cher l'équivoque des idées , pour écarter les fauftes, & pourinftruire notre efprit de la véritable fin, & des principaux effets de chaque chofe. Il s'enfuit de - là , que plus une
idée nous conduit directement ■■:& rapidement à la fin que l'eftence d'où elle coule nous indique, plus nous devons être affûtez qu'elle eft la véritable. L'eftence & la définition de la
Peinture, eft l'imitation des objets vifibles par le moyen de la forme & des couleurs. Il faut donc con- clure , que plus la Peinture imite fortement & fidèlement la nature, plus elle nous conduit rapidement & directement vers fa fin , qui eft de féduîre nos yeux 3 <k plus elle "nous donne en cela des marques de -fa véritable idée. Cette idée générale frappe &
attire tout le inonde , les ignorans, lesamateur^ de Peinture , les con- Aij
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■m Cours de Peinture
jnoiiTeurs , ' & les Peintres mêmes.
■Elle ne permet à perfonne de pal- fer indifféremment pa-r un lieu oà fera quelque Tableau qui porte ce xaradere , &as être comme fur- pris , fans s'arrêter & fans jouir -quelque tems du plaifir de fa lur- prife. La véritable Peinture elt donc celle qui.rious appelle ( pour ainfi dire) en nous (urprenant : & ce n'eft que par lafcrxe de l'effet ou'elle produit, que nous ne pou- vons nous empêcher d'en appro- cher , comme fi elle avoir quelque chofeà nous dire. Et quand nous Yommes auprès d'elle , nous trou- vons que non-feulement elle nous diverût parle :b eau-choix, & par la nouveauté des chofes qu'elle jious prefente, par l'hiftoire, & par la fable donc :cîlc rafraîchit notre "mémoire , par les inventions in- crenieufes, & par les allégories dont Sous nous foiions un plaifir,de trou- ver le fens , ou d'en critiquer l'o.->- fcurité ; mais .encore #ar l'imita- |
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far Jrrimifes.' f
tion vraie & fidèle qui nous a at-
tirez d'abord", qui nous inflruit dans le détail des parties de la Peinture, & qui, félon ;AHftote,-' nous divertit, quelque horribles que foientles objets de la nature qu'el- le reprefente.-- II y a une féconde idée, qufefl,
comme nous avons dit , particu- lière aux Peintres, & dont ils doï-; vent avoir une habitude confom-- mée. Cette idée regarde eh'détail toute la théorie de la Peinture, &' elle doit leur être familière, de telle forte qu'il femble qu'ils n'ayent be- foin d'aucune reflexion pour l'exé- cution de leurs penfées. C'eft ainfî qu'après l'étude exac-
te du Deflein, après la recherche d'un fçavant Coloris , & de'-toute les choies qui dépendent de ces deux parties-3 ils doivent toujours avoir prefentes les idées particu- lières qui répondent aux diverfes parties de leur Art. De.tout ce que je viens de di-
Aiij
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€ Cours de Peinture
re , je conclus que la véritable
Peinture doit appeller fon Speda- teur par la force & par la grande vérité de fon imitation ; & que le Spedateur furpris doit aller à elle comme pour entrer en converfa- tîon avec les figures qu'elle repré- sente; En,effet quand elle porte le caradere du.Vrai, elle femble ne nous avoir attirez que pour nous divertir, & pour nous inftruire. Cependant les idées de la Pein-
ture, en gênerai , font auffi diverfès que les manières des différentes écoles différent entr'elles. Ce n'eft pas que les Peintres manquent des idées particulières qu'ils doivent avoir ; mais l'ufage qu'ils en font n'étant pas toujours fort juite l'habitude qu'ils prennent de cet ufàge, l'attache qu'ils ont pour une partie plutôt que pour une autre & l'affection qu'ils confervent pour la manière des Maîtres qu'ils ont imités., les jette dans là prédilec- tion de quelque partie favorite , |
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far Principes. 7
au lieu qu'ils font dans'■ l'étroite
obligation de les poffeder toutes, pour contribuer à l'idée générale dont nous avons parlé. Gar la plu- part des Peintres fefoiït toujours partagés félon leurs différentes in- clinations 3 les uns pour -Raphaël, les autres pour JVÎichelange , les autres pour les Caraches, les au- tres pour leurs Difciples 5 quelques- uns ont préféré le Deffèin à tout, d'autres l'abondance des penfées, d'autres les grâces , d'autres l'ex- preffion des paffions de l'ame : d'au- tres enfin fe font abandonnez à l'em- portement de leur génie , fans l'a- voir allez cultivé par l'étude ô£ par les reflexions. Que ferons-nous donc de toutes
ces idées vagues &: incertaines ? Il eft fans doute dangereux de les re- jetter : mais le parti qu'il faut pren- dre, c'eft de s'attacher préférable- ment au Vrai, que nous avons fup- ppfë dans l'idée générale. Il faut que tous £es objets peints paroiflent |
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g Cours de Peinture
Trais 3 avant que de paroître d'une -
certaine façon 5 parce que le Vrai' dans la Peinture eft la baze de tou- tes les autres parties, qui relèvent' l'excellence» de cet Art , comme les fciences de les vertus relèvent l'excellence de l'homme qui en efb le fondement. Ainfl l'on doit tou- jours fuppofer l'un & l'autre dans- leur perfection, quand on parle des< belles parties dont ils font fufeep- tjbles, & qui ne peuvent faire un- bon effet, que.lors qu'elles y font» intimement attachées. Le Specta- teur n'eft pas obligé d'aller cher- cher du Vrai dans un ouvrage de:. Peinture : mais le Vrai dans la Pein- ture doit par fon effet appeller les> Spéculateurs^ C'efl inutilement que l'on con^
lerveroit dans un Palais magnifi- que les chofes du monde les plus rares, fi l'on- avoit obmis d'y faire des portes, ou fi l'entrée n'en étoio proportionnée à la beauté de l'é- difice , pour faire naître aux per-- |
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far Principes. 9
fennes l'envie d'y entrer & d'y fa i
tisfaire leur curiofîté. Tous les ob- jets vifîbles Centrent dans l'efprir: que par les organes des yeux, com- me les fons dans la mufique n'en- trent dans l'efprit que par les oreil- les, Les oreilles-& les yeux font les portes par lefquelles entrent nos jugemens fur les concerts de mu- fique & fur les ouvrages de Pein- ture, Le premier foin du Peintre auffi-bién que dû Muficien , doic donc être de rendre l'entrée de ces portes libre &t agréable par la for- ce de leur harmonie, l'un dans le Coloris accompagné de fon Clair- obfcur', èc l'autre dans fes accords. Les chofes étant ainfi, &. le Spec- tateur étant attiré par la force de Pouvrage, fes yeux y découvrent les beautés particulières: qui font ca- pables d'inftruire &?de divertir; Le curieux y trouve ce qui eft propor- tionné à fon goût, de le Peintre y obferve les diverfes parties de fon Art, pour profiter dubon, & rejetter |
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i o Cours de Teinture
le mauvais qui peut s'y rencontrer»
Tout n'en: : pas égal dans un ou- vrage de Peinture. Il y aura tel Tableau, qui avec plusieurs défauts à le confiderer dans le détail ne lailïèra pas d'arrêter les yeux de ceux qui paflènt devant, parce que le Peintre y aura fait un excellent ufage de fes couleurs & de fon Clair- obfcur. Rernbrant, par exemple, fe di-
vertit un jour à faire le portrait de ià, fervante, pour l'expofer à une fenêtre & tromper les yeux des paflans, Cela lui réiïffit y car on ne s'apperçût que quelques jours après de la tromperie. Ce n'étoit, comme,on peut bien fe l'imagi- ner de Rernbrant , ni la beauté du defTein , ni la nobleflè des expreffions qui avoient produit cet effet. ^ Etant en Hollande j'eus la cu_
rîofîté de voir ce portrait que je trouvai d'un beau pinceau & d'une grande foxce 5 je l'achetai , & |
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far Principes. i i
il tient aujourd'hui une place con-
sidérable dans mon cabinet. D'autres Peintres au contraire
ont fait voir par leurs ouvrages quantité de perfections dans les dï- verfes parties de leur Art, lefquels n'ont pas été aflèz heureux pour s'attirer d'abord des regards favo^. râbles, je dis .aflez heureux , parce que s'ils l'ont fait quelquefois , c'a été par une difpofîtion d'objets que le hazard avoit placés, & qui dans le lieu qu'ils occupoient, exigeoient un Clair-obfcur avantageux, qu'on ne pouvoir leur refufer , & auquel la icience du Peintre avoit très- peu de part 5 attendu que s'il l'a- voit fait par fcience, il l'auroit pra- tiqué dans tous fes Tableaux. Ainfî rien n'eft plus ordinaire
que de voir des Tableaux orner des appartemens par la richefTe feu- lement de leurs bordures, pendant que l'infipidité & la froideur de la Peinture qu'elles renferment, laif- fent paffer tranquillement les per- |
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i 2 Cours de Peinture
fonnes uns les attirer par aucune
intelligence de ce Vrai qui nous ap- pelle. Pour rendre là chofe plus -fëhCu
ble, je dois me fervir de l'exem- ple des plus habiles Peintres qui n'ont pas néanmoins pofïèdé dans un degré -ruffifant la partie qui d'a- bord Frappe les yeux par une imu tatïon très-fidéle, & par- un Vrai dont l'art nous féduife, s'il eft poil iîble, en fe mettant au deflus mê- me de la nature. Mais parmi les exemples que l'on peut citer , je n'en puis apporter de plus remar- quable que celui de Raphaël à eau- fe de fa grande réputation, & par- ce qu'il eft- certain , que de tous es Peintres il n'y en a aucun qui ait eu tant de parties, ni qui les ait poflèdées dans un fi haut de^ gré de perfection. C'eft un fait qui pafle pour con-i
fiant-, que de l'aveu de plulieurs personnes , on a vu. >fouvent des gens d'efprit chercher Raphaël au |
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par Principes. 1.3l
milieu-de Raphaël même, c'eft-à-
dire , au milieades Sales du Va- tican , où font les plus belles cho- fes de ce Peintre 5 & demander en ■ même-tems à ceux qui les cohi duifoient ^ qu'ils leur fiflènt voir des ouvrages de Raphaël, fans qu'ils . donnafTent aucune^ marque qu'ils en fufTent frappés du premier coup d'ceil, comme ils fë Fétoient ima- ginez fur le bruit de, la réputation de Raphaël. L*idée qu'ils avoient conçue des Peintures de ce grand génie ne fe trouvoit pas remplie } parce qu'ils la mefuroient à celle que naturellement sn> doit avoir d'une Peinture parfaite. Ils ne pou- voient s'imaginer que l'imitation de la Nature ne fe fit pas fentir dans toute fa vigueur &, dans toute la perfe&ion, à la vue des-ouvrages d'un Peintre li merveilleux. Ce qui fait bien voir que fans l'intelligen- ce du Claîr-obîcur , & de tout ce qui dépend du Coloris, les autres parties- de- la Peinture perdent |
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14 Cours de Peinture "
beaucoup de leur mérite, au point
même de perfedion que Raphaël hs a portées. Je puis donner ici un exem-
ple affez récent du peu d'effet que produifent d'abord les Ouvrages de Raphaël.* Cet exemple me vient d'un de mes amis , dont l'efprit & le génie font connus de tout le monde. Il porte fon eftime pour ce fameux Peintre jufqu'à l'admï- ration y & il a cela de commun avec tous les gens d'efprit. Il y a quelque tems que fe trouvant à Rome, il témoigna une grande im- patience de voir les Ouvrages de Raphaël. Ceux que l'on admire le plus, ce font les frefques qu'il a peintes dans les Sales du Vatican. On y mena le curieux dont je parle, & paffant indifféremment à travers les Sales , il ne s'aperce- voit pas qu'il avoit devant les yeux ce qu'il cherchoit avec tant d'em- preffement. Celui qui le conduifoit l'arrêta tout à coup, & lui ditrOù. * Moniteur de Valincoart;
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par Principes. i j.a
allez-vous fi vite , ,Monfieur ? voilà
ee que .vous cherchez, &■ vous n'y prenez pas garde. Notre curieux n'eût pas plutôt apperçû les beau- tés que Ton bon eiprît lui décou- vroit alors, qu'il prit la refolution d'y retourner plufieurs autres fois pour fatisfaire pleinement fa cu- riofité , & pour fe former le goût, fur ce qui "le. piquoit davantage. Qu'eût-ce été fi s'en retournant charmé à la vue de tant de bel- les ehofes , Raphaël l'avoit d'a- bord appelle lui-même par l'efFec des couleurs propres à chaque ob- jet , foutenuës d'un excellent Clair- obfcur ? Le Gentilhomme dont je viens
de parler, s'étoit imaginé qu'il fe- rait extrêmement furpris à la vue des Peintures d'une fi grande répu- tation. Il ne le fut point, ôc comme iln'étoit pas Peintre, il fe contenta d'examiner & de bien loiier les airs de têtes , les exprelïïons , la no- Meffe des. attitudes, & les grâces |
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•h 6'"' Cours de Peinture
qui accompagnoient les chofes qui
etojignt le-plus de la portée de fa connoifiance ; du- refte il eut peu de curiofké de s'arrêter aux autres parties qui regardent, l'étude des Peintres feulement. Ce que je viens 'de raporcer, ef&
un fait qui-fe renouvelle fouvent y non feulement parmi les curieux ignorans, mais à l'égard même des Peintres de profeffion qui n'ont en- core rien vu des Ouvrages de Ra-> phaël. Ce.n'eft pas que l'on ne voie quel-
ques Tableaux de Raphaël bien coloriés»; mais l'on ne doit pas ju- ger fur le très.petit nombre qu'il en à fait de cette forte : c'eft fur Je gênerai de fes-Ouvrages & de ceux de tous le autres Peintres y qu'on doit décider du degré de leur capacité. Quelques-uns obje&ent que cette
grande èc parfaite imitation n'eft. pas de l'efTence de la Peinture, Se que li cela étoit, on en verroit des |
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far Principes. vjr
effets dans la plupart des Tableaux;
Qu'un Tableau qui appelle, ne m- plit pas toujours: l'idée de .celui"qui va le trouver, & qu'il n'eft pas ne- ceffaire que les figures qui conipo- fent un Tableau., paroiiTent vouloir* entrer en converfatioir avec ceiv» qui le regardent -, ptiifqu'ôn eft biert prévenu que ce. n'eft que delà Pein- ture. . Il eft. vrai que le nombre dea
Tableaux qui appellent le Spe&a- teur, n'eft pas fort grand j mais ce n'eft pas la faute derla Peinture, dont l'eflence eft de furprendre les ' yeux &de les tromper v s'il eft pof~ lîble 3 il en- faut feulement imputer la faute à. la négligence du Peintre , ou plutôt à fon.elprit., ..qui n'eft pas affez élevé ni aflèz inftruit des prin- cipes neceffaires pour forcer , s'il faut ainfi dire, les paflans de regar- der fes Tableaux, û d'y faire atten- tion; Il faut beaucoup- plus de Genre
pour faire mx bon ufage.des lumie. |
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ï § Cours de Peinture
xes & des ombres, de l'harmonie
des couleurs & de leur jufteiTe pour chaque objet particulier, que pour defliner correctement une figure. Le Deflein qui demande tant de
tèms pour le bien fçavoir , ne con- lifte prefque que dans une habitude de mefures & de contours que l'on répète fouvent : mais le Clair-obfcur & l'harmonie des couleurs font un raifonnement continuel, qui exerce lé génie , d'une manière aulîi dif- férente que les Tableaux font com- pofés différemment. Un génie mo- déré arrive necefTairement à la cor- rection du Deffein pat fa perfeve- rance dans le travail, 6c le Glair- obfcur demande outre les': règles une mefure de génie , qui doit être l allez grande , pour fe partager Se pour le répandre ( s'il faut ainfi par- ler ) dans toutes les autres parties de la Peinture. Chacun fçait que bien que les
Ouvrages du Titien ôc de tous les • Peintres defonEcole, n'ayant pref. |
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far Principes. i y
que point d'autre mérite que celui
du Clair-obfcur. & du Coloris, ils ne laifTent pas d'être payei d'un grand prix, d'être très recherchez,, & de foutenir dans les cabinets des curieux le mérite des Tableaux de la première clafïè.. Quand je parle ici du Defïein,
j'entens feulement cette partie ma- térielle ., qui par des mefures juftes forme tous les objets régulièrement : : car je n'ignore pas que dans le Del- fein outre la régularité des mefures, il y a un efprk capable d'affaifon- ner toutes fortes de formes par le goût & par l'élégance. Cependant il eft aifé de voir
que ce qui a le plus de part à l'effet qui appelle le Spectateur , c'eft le Coloris compofé de toutes fes par- ties qui font le Clair-obfcur, l'har- monie des couleurs , &: ces mêmes couleurs que nous appelions Loca- les , lors qu'elles imitent fidelle--- ment chacune en particulier la cou- leur- des objets naturels que le- |
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>o Cours de Peinture
Peintre- veut reprefenter. Mais cefa •
ff'empêche pas que les autres par-^ ties nefoientneceflairespour l'effet? de toute la machine, & qu'elles ne fe prêtent un mutuel fecours, les unes pous former, les autres pour orner les objets peints , pour leur- donner du goût & de.la gi'ace, pour inftruire les amateurs de Peinture d'une manière, ôc les Peintres d'une autre5 enfin rxour plaire à tout le monde. Ain fi l'obligation de la Peinture •
étant d'appeller & de plaire : quand: elle=a attiré fon Spedateur, ce dei voir ne ia difpenfe pas de l'entre- tenir des différentes beautés qu'elle renferme. Il me refte prefentement à pla-'
cer'les parties de la Peinture dans un ordre naturel, qui confirme le Ledeur dans l'idée que je-viens de tâcher d'établir dans ion efprit. Et comme cette idée n'eft fondée que fur le Vrai , c'eft par le Traité du Vrai,dans la Peinture |
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■ par 'Principes. 355
.,que je <iois entamer l'ordre que je
donnerai aux autres Traités qui fuivront celuLci. J'y fuis d'autant plus obligé que ce Traité, du Vrai^ îôc celui de l'idée de la Peinture -que je viens d'expofer, ojit une il -grande relation entr'eux , que c'eft prefque la même xhofe. .Car tou- -tes les parties de la Peinture ne .valent qu'autant qu'elles portent Je caractère de,ce vrai. Après lldée qu'on vient d'éta.-
•blir de laPeinture,.&3.prèsle Trai- .té du Vrai , il,ne reliera ;plus qu'à j-alTenibler les -autres parties.de cet Art. Et fuppofe.que les fondemens -en fuffentbienTolides, ce.feroit le .feul moyen de fajre un tour qui Soit à couvert delà fauiTe, cri tique, £t de l'infulte de ceux1 qui ne ionjt ,pas inftruits ,d.es véritables prin- cipes. Je vais tâcher dnen établir qui
.puiflènt lervir de pierres félidés,,, pour bâtir un rempart.& .élever ua •Palaisi la Peinture, où .les grajads |
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ri Cours de Peinture
Peintres, les véritables curieux,
les amateurs de la Peinture, & les gens de bon goût puiflentfe retirer ;en sûreté. ■L'Invention donnera la penfée
de l'édifice, elle en choifira la fci- tuation pittorefque, bizarre à la vé- rité , & quelquefois fauvage ; mais agréable au dernier point. Elle or- donnera des matereaux , qui doi- vent entrer dans la ftru&ure de ce iPalais. Et la Difpofîtion diftribuera les appartemens pour les rendre Tufceptibles de toutes les folides beautés, & de tous les agrémens qu'on voudra leur donner. Après l'Invention & la Difpofi-
-tion , le DerTein & le Coloris fuivis de toutes les parties qui en dépen- dent , fe prefentent pour l'exécu- tion de ce bâtiment. Le Coloris prendra le foin de vifiter toutes chofes , & de leur diftribuer une partie de fes dons, chacune félon Tes befoins .& fes convenances. Il ordonnera conjointement avec le |
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par Principes. 2 3
Defleîn du choix des meubles, qui
doivent orner l'édifice. -Le DeiTein aura feul par préférence l'inten- dance de TArchitecture , & le Co- loris le choix des Tableaux. Mais tous deux travailleront de concert, à mettre la dernière main à l'ou- vrage , &à n'y laifler rien a defirer. Le fi te de ce Palais pour être
.convenableà la Peinture, doit être ..varié de divers objets que la natu- re produit de fon bon gré, fans art ,& fans culture. Les rochers , les torrens , les montagnes , les ruif- feaux , les forêts., les ciels, & les campagnes avec des accidens ex- traordinaires , fans fortir néan- ,moins du vraifemblabîe, font les chofes les plus convenables à la fci- ■tuation ce cet édifice •,.& le Traité .du Païfage que je donnerai enfuite, pariera du détail de ces differens -objets. Parmi les hâbitans de ce Palais,
■3a Peinture y recevra la Poëfie avec h, diftincHon qu'elle merise. Elles |
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:£. à. Cours de Peinture
.y vivront enfemble comme deux
bonnes fœurs, qui doivent s'aimer fans jalouiîe, &c qui n'ont rien à ïe difputer.-. Et c'eft par le parallèle de ces deux Arts que j-e finirai l'or- dre que j'ai crû devoir établir dans ce fiftême de Peinture que je me fuis propolé de donner, au Public. Quelques perfonnes d'eiprit ont
trouvé à redire que je me ferviife s comme je fais, du défaut de Ra- phaël , pour confirmer mon fend- irent .fur l'idée de la Peinture , lui qui ne doit être.cité ( difent ils ) que comme un modèle de toute perfedion., ,vû la réputation géné- rale qu'il s'efl établie dans le mon-' :de. Ils avouent bien que j'ai rai- fon dans le fond : mais que je de vois me fervir d'un autre exemple, .& avoir cette complaifance avec les gens d'efprit pour Raphaël. Ils ajoutent que les curieux font
déjà prévenus contre moi, fur ce qu'ils fe font imaginez que je prê- terais JR.ubens à Raphaël, & .que l'exemple
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far Principes. 15*j
l'exemple dont je me fervoïs pour
confirmer mon opinion les revolte- roit entièrement au lieu de les ra- mener, & donneroit dans leur ef- prit une furieufe atteinte à la con- noiiTance que l'on croit que]'ai dans la Peinture. Je n'ai autre chofe à répondra à
cet avis , linon qu'à l'égard de Ra- phaël , je ne me fuis lervi de fan exemple., c'eft-à-dire, du fait qui arrive fouvent à la vue de fes Ou- vrages , que parce qu'il pofiedoit avec plus d'excellence toutes les parties de fon Art qu'aucun autre Peintre 5 que je tirerois plus d'a- vantage & que j'établirois pkis fu- rement mon fentiment fur l'idée de la Peinture, G. je l'oppofois à toutes les perfections de Raphaël. Ce n'efi: donc pas méprifer Ra- phaël que de le choifir pour exem- ple , parce qu'il a plus de parties qu'un autre Peintre, 8c que par-là il fait fentir combien toutes fes B
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,.,2Ȏ Cours de Peinture
belles parties perdent de n'être
point accompagnées d'un Coloris qui appellât le Curieux pour les admirer. je n'écris , m pour ceux qui font
tout-à-fait favans en Peinture , ni pour ceux qui font tout-à-fait igno- rans.: j'écris pour ceux qui font nés avec de l'inclination pour ce bel Art , & qui l'auront cultivé au- moins dans la converfation des habiles connoiiTeurs & des favans Peintres. J'écris, en.un mot, pou-r les jeunes Elevés qui auront fuivi la bonne voie , &; pour tous ceux qui ayant quelque teinture du DefTein &du^Coioris, & qui ayant examiné fans prévention les -beaux .Ouvra- ges , ont afifez de docilité pour re- cevoir les vérités qu'on poura leur infirmer.
Les Peintres demi -favans qui fe
font enp-aeés dans un mauvais che_ min ,&. la plupart des Savans dans les Lettres , veulent ordinairement |
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far Principes,
foutenîr de fauiïes idées qu'ils ont formées d'abord j & fans connoître, ni DelTein, ni Coloris, ni Raphaël, ni Rubens, parlent de ces deux Peintres fur une ancienne "tradition qui bien que beaucoup diminuée par les bonnes réflexions , a enco- re laifle des racines dans Pefprk de plufieurs. Pour moi , je puis dire qu'ayant
Yii dans mes voyages avec grande attention les plus belles Peintures de l'Europe, je les ai étudiées avec amour,, 8c avec la culture dont j'ai exercé le peu de génie que la naii- fan ce m'a donné. J'aime tout ce qui eft bon dans les Ouvrages des grands Maîtres ians dîftin&ion des noms, & fans aucune complaifance. J'aime la diverfîté des Ecoles célè- bres 5 j'aime Raphaël, j'aime le Ti- tien , èc j'aime Rubens : je fais tout mon poffiblé pour pénétrer les ra- res qualités de ces grands Peintres : smais quelques perfections 'qu'ils Bij
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2.-8 "Cours de Peinture
ayent, j'aime encore mieux la vé-
rité. G'eft elle qu'on doit avoir uni- quement en vue , fur-tout quand on écrit pour lePublic ; c'eft un refped qu'on lui doit &; dont j'ai cru ne pouvoir me difpenfer. |
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far Pritîcifts. • ïy
^pqpqpqpqp3P9P3W9W*^?
È> V FRAI dans la Peinture^,
L'Homme tout menteur qu'il
eft ne hait rien tant que le menfonge, ècle moyen le plus puif- fant pour attirer fa confiance , c'eft la fincerité. Ain fi il eft inutile de faire ici l'éloge du Vrai, il n'y a péri fonne qui ne l'aime. & qui n'en fenl te les beautés. Rien n'eft bon, rien, ne p Iaît fans le Vrai ; c'eft la raifon, c'eft-l'équité, c'eft lé bon fens & la bafe de toutes les perfections, c'eft le but des Sciences ; &tous les Arts qui ont pour objet l'Imitation ne s'exercent que pour inftruire Se pour divertir les hommes par une fidellë rçprefentation de la Natiîrer C'eft a]ufî que ceux qui recherchent les Sciences, ou qui s'exercent dans les ■^rts ne iauroient fe dire heureux G. après tous leurs foins ils n'ont trou- A'-iij.-
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3 o Cours de Peinture
vé ce Vrai qu'ils regardent comme ;
larecompenfe.de leurs veilles.
Outre ce Vrai général qui "doit
fe trouver par tout, il y a un Vrai dans chacun des beaux Arts, Se dans chaque Science en particulier. Mon derTeîn eft de découvrir ici ce que c'eil que le Vrai dans la Peinture Se de quelle confequence il eft au Pein- tre de le bien exprimer. Mais avant que d'entrer en ma-'
tiere, il eft bon de favoir en pafTant que dans l'Imitation en fait de Pein- ture , il y a à obferver que bien que l'objet naturel foit vrai & que l'objet qui eft dans le Tableau ne foit que feint, celui-ci néanmoins eft appel- lé Vrai quand il imite parfaitement le caractère de fon modèle. C'efc donc ce Vrai en Peinture que je tacherai de découvrir pour en faire voir le prix Se la néceffité. Je trouve trois fortes de Vrai
dans la Peinture. Le Vrai Simple ,
Le Vrai Idéal,
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par Principes, 31
It le Vrai Compofé, ou le Vrai
Parfait,
Le Vrai Simple que j'appelle le premier Vrai, eft une imitation fim- pie & fidelle des mouvemens ex- preffifs de la Nature, & des objets tels que le Peintre les a choïlîs pour modèle, & qu'ils fe prefentent d'a- bord à nos yeux, en forte que les Carnations paroiffent de véritables Chairs, & les Draperies de vérita- bles étoffes félon leur dlverfké , & que chaque objet en détail conferve le véritable caractère de fa nature 5 que par l'intelligence du clair-obfcur & de l'union des couleurs, les objets qui font peints paroiffent de relief, & le tout enfemble harmonieux. Ce Vrai Simple trouve dans tou_.
tes fortes de naturels les moyens de conduire le Peintre à fa fin, qui eft une fenfible '& vive imitation de la Nature, en forte que les fi- gures femblent, pour ainfi dire ,. pouvoir fe détacher du Tableau, pour entrer en converiation avec B mj
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3 2 Cours de- Peinture
ceux qui les regardent.
Dans l'idée de ce Vrai Simple.,
je fais abftraclion des beautés qui peuvent orner ce premier Vrai, de que le génie ou les règles de l'Art pouroient y joindre pour en faire un tout-parfait. Le Vrai Idéal eft un ciioix de
diverfes perfections qui ne fe trou- vent jamais dans un-feul modèle -, niais qui fe tirent de plufîeurs & or- dinairement de • l'Antique. Ce Vrai Idéal comprend l'abon-
dance des penfees, la richefle des inventions, la convenance des at- titude.st l'élégance des contours ,. le choix des belles expreffions , le beau jet des draperies, enfin tout- ce qui peut fans altérer les premier Vrai le rendre plus piquant & plus convenable. Mais toutes ces per- feclions ne pouvant fubfîiler que dans l'idée par raport à la Peintu- re , ont befoin d'un fujet légitime^ qui les conferve et qui les faite pa- roître.avec avantage 5 & ce. fujet; |
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far Principes. 35
légitime eft le Vrai Simple : de mê-
me que les vertus morales ne font que dans l'idée fielles n'ont un fujet légitime , c'eft-à-dire , un fujet bien difpofé pour les recevoir & les faire fubfifter , fans quoi elles ne feroient que de fauffesapparences. & des fantômes de vertu. Le Vrai Simple fubfifte par lui-
même , c'eft l'afTaifonnement des perfections qui l'accompagnent -r c'eft lui qui les fait goûter & qui les anime : 6c s'il ne conduit pas lui feu 1 à l'imitation d'une Nature parfaite ( ce qui dépend du choix que le Peintre fait de fon Modèle ) il con- duit du moins à Pimitation de la Nature qui eft en général la fin du Peintre. Il eft confiant que le Vrai Idéal tout feul mené par une voie très - agréable j mais par laquelle lé Peintre ne pouvant arriver à la fin de; fon ^ Art eft contraint de demeurer en chemin , & l'unique fecours qu'il doir attendre pour ^'aider à remplir fa carrière doit ve- B-v-
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34 Cours de Peinture
nir du Vrai Simple. Il paroît donc
que ces deux Vrais, le Vrai Simple Se le Vrai Idéal font une compofé parfait, dans lequel ils fe prêtent un mutuel fecours, avec cette par- ticularité , que le premier Vrai per- ce &. ;fe fait fentir au travers de toutes les perfedions qui lui font. jointes. Lé troifiéme Vrai qui eft compo-
fé du Vrai Simple & du Vrai Idéal fait par cette jondion le dernier achèvement de l'Art, & la parfaite imitation de la belle Nature. Cell ce beau Vraifemblable qui paroît fou vent plus vrai que la vérité-mê- me:, parce que dans cette jondion le premier Vrai faifit le Spedateur, fauve plufieurs négligences, & fe fuit fentir le premier fans qu'on y penfe. Ce troilîéme Vrai, eft un but où.
perfonne n'a encore frappé j on peut dire feulement que ceux qui en ont le plus approché font les plus' habiles. Le Vrai Simple & le Vrai |
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par Principes. 35
Idéal ont été partagés félon le gé-
nie &• l'éducation des Peintres qui les ont poffedés. Georgion, Titien, Pordenon, le vieux Palme, les Baf- fans, & toute l'Ecole Vénitienne n'ont point eu d'autre mérite que d'avoir pofledé le premier Vrai. Et Léonard de Vinci , Raphaël, Ju- les Romain, Pôlidore de Carava~ ge , le Pouffin , & quelques autres de l'Ecole Romaine , ont établi leur plus grande réputation par le Vrai ïdeal ; mais fur-tout Raphaël, qui outre les beautés du Vrai Idéal a poffedé une partie eonfîderable du Vrai Simple ,& par ce moyen a plus approché du Vrai parfait qu'aucun de fa Nation.' En effet il pàrôît que pour imiter la Nature dans fa varié- té 3 il fe fervoit pour' l'ordinaire d'autant de naturels dîfferens qu'il avoit de différentes figures à repre- fenter ; & s'il y âjoûtoic quelque chofe du fîen, c'étoit pour rendre ^es traits plus réguliers1, & plus ex- pteffifs 5 ea confervant toujours le B:v]
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3 é Cours de peinture
Vrai & le caraclere fîngulîêr de fon-
modele. Quoiqu'il" n'ait pas entiè- rement connu le Vrai Simple dans- les autres parties de le Peinture , iî avoit cependant un tel goût pour le Vrai en général que dans la plu- part des parties du corps qu'il def- ilnoit d'après Nature , il les expri- moit fur fon papier comme elles- éfoïent eirec1:ivement,pour avoir des. témoins de la vérité toute fimpîe, & pour la joindre à l'idée qu'il s'é- mit faite de la beauté de l'Antique : conduite admirable qu'aucun au- tre Peintre n'a tenue auffî heureufe- ment que Raphaël depuis le réta- bliflement de la Peinture. Comme le Vrai Parfait eft un>
conipofé du Vrai Simple & du Vrai Idéal, on peut dire que les Peintres font-habiles félon le degré auquel ils poffedent lés parties du premier & du fécond Vrai, & félon l'heureu- iè facilité qu'ils ont acquife d'en fai- re un bon compofé. Après avo2-r établi le Vrai de la:
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par Principes. ' xt:
Feinture , il eft bon. d'examiner fi*
les Peintres qui ont exagéré les con- tours de leurs figures pour paroîtrc fâvans , n'ont point abandonné le' Vrai en fortant des bornes de la Sim- plicité régulière. Comme les» Peintres appellent;
du nom de charge & de chargé. tout ce qui eft outré, Si. que tout ce qui eft outré eft hors de la Vraifem-- blance 5 il eft certain que tout ce • qu'on appelle chargé eft hors du Vrai que nous venons d'établir. Ce— pendant il y a.des contours char- gés qui plaifent, parce qu'ils font éloignés de la. baftèfTe du naturel ordinaire, èc qu'ils portent avec eux. un air de liberté & une certaine idée, de grand goût, qui irapofe à la plu- part des Peintres, lefquels appellent du nom de grande manière ces for- tes d'exagérations. . Mais ceux qui ont une véritable *
idée de Ja correftion , de !a {impli- cite régulière, &.dei'élégance de là Nature , traiteront de fupexflot |
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3 8 ' Cours de Peinture
ces charges qui al tirèrent -'toujours'
la vérité. On ne peut néanmoins s'empêcher de louer dans quelques grands Ouvrages les chofes char- gées , quand une raifonnable dif- tance d'où on les voit les adoucit à nos yeux , ou qu'elles font em- ployées avec une difcretion qui rend plus fenfible le cara&ere de la vérité. Il y a eu des Peintres qui bien
loin de rechercher une jufte mo- dération dans leur deflein , ont af- fecté d'en rendre les contours èc Jes mufcles prononcés au-de-là d'une jufteiTe que demande leur Art, & cela dans la vue de pafïèr pour habiles dans l'Anatomie, 6c dans un goût de DefTein qui attirât Feftime de la Pofterité : mais ce mo- tif auffi-bien que leurs tableaux ont un certain air de pédanterie bien plus capable de diminuer la beauté ' des Ouvrages , que d'augmenter la réputation des Peintres qui les ont faits. |
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far ■■Principes, . $$•■■
ïleft'Vrai que le Peintre eft obli-
gé de favoir l'Anatomie, èc les exa- gérations piquantes qui en déri- vent , parce que l'Anatomie eft le fondement du Deffein & que les exagérations peuvent conduire à la. perfedion ceux qui favent en pren- dre & en laifler autant qu'il en faut 5 pour accorder la jufteffe & la fîm- plicité du Deffein avec le bon goût. Ces exagérations font- fuportables & fouvent agréables dans les Def- feins qui ne font que les penfées des Tableaux ■■ & le Peintre favant s'en peut fervir utilement lorfqu'ii commence Se qu'il ébauche fon Ouvrage : mais il doit les retran- cher quand il veut que fon Tableau paroiûe. dans fa perfedion, com- me un Architede retranche & re- jette le ceintre qui lui a fervi à bâ- tir fa voûte. Enfin les-Statues Antiques qui
©■nt paifé dans tous les tems pour la régie de la beauté, n'ont rien de chargé, ni rien d'afFedé, non plus |
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^ù■"' Cours de Peinture
que les Ouvrages de ceux qui'les"
ont toujours fuivies, comme Ra- phaël , le Pouffin, le Dominiquain y & quelques autres, Non-feulement toute afFe&atiorf
déplaît, mais la Nature eft encore obfcurcie par le nuage «de la mau- vaife habitude que les Peintres ap^ pellent Manière. Pour, bien entendre ce principe,'
il eft bon de favoir qu'il y a deux- fortes de Peintres. Quelques-uns!, qui font en petit nombre peignent félon les principes de leur Art, 6c font des Ouvrages où. le Vrai fe rend aflez fenfible pour arrêter le Spectateur 6c lui faire plaiflr. D'au- tres peignent feulement de prati-^ que par une habitude expéditive qu'ils ont contractée d'eux-mêmes ians raiibnner, ou qu'ils ont appri- fe de leurs Maîtres fans réfléchir. Ils- font quelquefois bien par ha- zard ou par reminifeence, & tou- jours médiocrement quand ils tra- vaillent de leur propre fond. Com- |
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far Principes: 4*'
me ils ne fe fervent que rarement;
du Naturel ,,ou qu'ils leréduifent à- l£ur habitude , ils: n'expriment ja- mais ce Vrai, ni ce Vraifemblable qui eftY l'unique objet du véritable Peintre, Scia fin de la Peinture. Au refte, de< tous les beaux Arts,
celui où. le Vrai fe doit trouver le plus feniiblement efl fans doute la Peinture. Les autres Arts ne font' que réveiller l'idée des chofes ab- sentes , au lieu que. la Peinture les? fupplée entièrement,. & les rend prefentes par fon eflence qui ne; confifte pas feulement à plaire avftc. yeux , mais à les tromper. Apelles faifoit lès portraits fi vrais & fi refTemblans dans l'air, 8c dans le détail du vifage, qu'un certain faifeur d'iiorofcopes difoit en les> voyant tout ce qui étoit du tempé- rament de- la perfonne peinte, &c> les chofes qui dévoient lui arriver v. Appelles, a-voît. donc plus, de foin, d'obferver le Vrai dans fes portraits,... que. de les embellir en les altérant,:.. |
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4'i Cours de Peinture.
En effet le Vrai a tant de char-
mes en cette occafiôn, qu'on le doit toujours préférer au fecours d'une beauté étrangère. Car fans le Vrai les portraits ne peuvent conferver qu'une idée vagué & confufe de nos amis, ■& non pas un véritable cara&ere de leur perfonne. Que conclure de tout ce raifon-
nement ? Sinon qu'il y a dans la Peinture un premier Vrai, un Vrai • effentiel qui conduit plus directe- ment le Peintre à fa fui, un Vrai animé qui non feulement fublifte Se* vit par lui-même , maïs encore qui donne la vie à toutes les per- fections dont il eft fufceptible , & dont on veut le revêtir , & que ces perfections ne font que de fécon- des vérités qui toutes feules n'ont aucun mouvement 5 mais qui à la vérité font honneur au premier Vrai lorfqu3elles lui font attachées. Et ce premier Vrai de la Peinture eft, comme nous avons die, une imi- tation fimple & ridelle des motu |
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fràr Principes, 43:=
Yemens expreffifs de la Nature, 2c.
des objets tels qu'ils le prefentent d'abord à nos yeux avec, leur va- riété &. leur cara&ere. Il paroît donc que tout Peintre
qui non feulement négligera ce pre- mier Vrai, mais qui n'aura pas un>: grand foin de le bien connoitre Se. de l'acquérir avant toutes chofes , ne bâtira que fur le fable , & ne. pafiera jamais pour un véritable Imitateur de la Nature^ & que tou- te la perfection de la Peinture con- frfte dans-les trois fortes de Vrai que mdus: venons d'établir. |
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4k/ Cours de Peinture
mmmmmmnw
COPIE D'VNE LETTRE
de Monjîeuf du Guet} à\ une Dame de qualité qui lui avoit envoyé le ' Traite ci-devant', & qui lui en- dveit demande fa fenfèë.* Le neuvième Màrs'1704..
£E Traité du Vrai dans la Pein-
ture, Madame^ m'a plus in_ ftruit 6c m'a donné un plus folide plaifir que les dîfcburs-dont vous lavez que j'ai été fi content. Il m'a paru n'être pas-feulement un- abrégé des règles, mais en décou- vrir le fondement & le but ; &c j'y ai appris avec beaucoup de fatisfa- Jtion le fecret de concilier deux cho- fés qui me fembloientoppofées, d'i- miter la naturel denefe pas bor- ner à l'imiter 5 d'ajouter à les beau- tés pour les atteindre, & de la cor- riger pour la bien faire fentir. Le Vrai Simple fournit lemouve-
a^ent &la vie. L'Idéal lui choi-fîe |
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far Principes. ^
-avecart toutce qui peut l'embellir
fdL'le rendre touchant ; 6c il ne le choifît pas hors du VraiSimple qui elt pauvre dans certaines parties, mais riche dans fon touç. Si le fécond Vrai ne fuppafe pa$
le premier 3 s'il l'étouffé & l'empê- che de fe faire plus fentir que tout ce que le fécond lui ajoute;, l'Art s'éloigne de la Nature,.ilfe montre au lieu d'elle , il en occupe la place au lieu.de la reprefenter,;il trom- pe l'attente du -Spe&ateur ,,& non les yeux , il l'avertit du'.piège & ne fait pas le lui préparer. Si au contraire le premier Vrai
qui a toute la vérité du mouvement ,& de la vie , mais qui n'a pas tou- jours l.a nobleiïe , l'exactitude , ,ôc Içs grâces qui fe trouvent .ailleurs , demeure fans le fecours d'un fécond Vrai toujours grand et parfait, il ne plaît qu'autant qu'il eft agréa- ble & fini :.,& le Tableau perd tout »ce qui a manqué à fon modèle. .L'ufage donc de ce fécond Vrai
f3- ........ <■•.'• |
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/$& Cours de Pe:?!ture
eonfîfte à fuppléer dans chaque fa-
jet ce qu'il ri'avoit pas h mais qu'il pouvoir avôïr-,& que la Nature avoir répandu dans quelques autres, &; de réunir âînjfi ce qu'elle divife prefque toujours. Ce fécond Vrai, à parler dans la
rigueur , eft prefque auffi réel que le premier ; car il n'invente rien, mais il choifit par tout. Il étudie ^tout ce qui peut plaire , " inftruire.,, animer. Rien ne lui échappe, lors même qu'il paroît échappé au ha- zard. Il arrête par le Deffein ce qui -ce fe montre qu'une fois $ èc il s*en- richit de mille beautés différentes, pour être toujours régulier , ôc ne jamais retomber dans les redites. G'eft pour cette raifon , ce me
semble .> que l'union de ces deux Vrais a un effet fi furprenant : car alors c'eft une imitation parfaite de ce qu'il y a dans la Nature de plus ipirituel, de plus touchant, &c de «plus parfait. Tout eft alors Vrai (emblable
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far -Principes. .^rj
.©arcecme tout eft Vrai; mais tout
. efl mrprenant, parce que tout eft ra- re. Tout fait imprelîion, parce que l'on a. .obfery.é tout ce qui eft capa- ble d'en faire : mais rien ne paroît affecté, parce qu'on a choilî le na- turel en clioififlant le .merveilleux ;■,& le parfait. C'eit s'écarter de ces régies &
, de la fin de la Peinture, que de vou- loir faire remarquer, une beauté au préjudice d'une autre , ou que de vouloir être eitimé par une partie -de non par le tout. Le DefTein , la coiinoiilance de l'Anatomîe , lede~ iir même de plaire & d'être aprou- ,vé,doivent céder à la vérité. Il faut .que la Peinture enlevé le Spectateur dans les premiers momens, & qu'on ;ne revienne au Peintre que par l'ad- miration de fon Ouvrage. Monfîeur de Piles a très "heureu-
sement marqué le caractère du Ti- tien par le Vrai Simple dans fa plus grande force, & celui de Raphaël i'anpblijTement du Simple .uni |
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/jç% Cours de Peinture
à Pldeal : Se je ne fai fi l'on pouvôït
établir une manière plus fpirituelle & plus univerfelle pour juger du mérite des plus grands -Peintres , qu'en allant au-de-là de leurs ef- forts & de leurs fuccès ,&: marquant pour terme l'union des deux Vrais qu'ils ont dû chercher , &: qu'ils n'ont pu atteindre. Je ne fai , Madame , pourquoi
j'en dis tant, mais vous verrez par- là combien je fuis plein de ce que je viens de lire , & quelle eftime je fais des chofes que je ne puis m'em- pêcher de vous rapporter lors même •que je cemprens que je les gâ- te 6clesafFoiblis. Je fuis, Madame, avec tout le refpect poffible, Wetre ire s,humble
,& très-obêiffant
Serviteur^ ***„
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: par ^Principe s a • 45
d e rïN v e iïrj'o &
POur garder quelque ordre ëh
parlant-des parties de la Pein- ture , on peut la confiderer de deux façons , ou dans un jeune homme qui -l'étudié , ou dans mn Peintre confommé qui la pratique. Si on la regarde de la manière dont elle s'apprend , on doit commencer par s'entretenir du Deflein , puis du Coloris, &C finir par la Compofî=- tion : parce qu'il eft inutile d'imagi- ner ce qu'on voudroit imiter , fi on ne le fait pas imiter,^ que la repré- sentation des objets ne fèpeuç faire que par le DefTein '& par le Colo- ris. Mais-à regarder cet Art dans fa perfe&ion & dans l'ordre dont il s'exécute, fuppofé de plus dans le Peintre une habitude confcm- e àcs parties de fon Art, pour C
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-5-0 Cûiirs âe Peinture
l'exercer avec facilité , la premiè-
re partie qui fe préfente à nou,s eft l'Invention. "Car pour repréfen- ter des objets, il faut fa voir quels objets on veut repréfenter. G'elt rde cette ^dernière forte que j'en- vifage ici la Peinture , dans la vue d'en .donner une idée plus pro- portionée au govk du grand nom- bre. Plufleurs Auteurs en parlant de
Peinture, fe font fervis du mot d'In- .vention , pour exprimer des cho- ies .différentes. Quelques-uns s'en font fait une telle idée , qu'ils ont crû qu'elle renfermoit toute la compofition .d'un Tableau. D'au- tres fe font imaginés que d'elle dé- pendoit la fécondité du Génie , la nouveauté des penfées 5 la manière de les tourner , -.& de traiter un même fujet de différentes façons. Mais quoique ces chofes foient ex- xellentes , pour foutenir l'Inven- tion , pour l'orner, pour lui donne* de la,chaleur ^ & pour la .rendre |
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far Principes. y*
vive "8e piquante , elles n'en font
néanmoins, ni le fondement, ni l'efl fence. Un Peintre qui rîsaora point toutes ces chofes, peut fatisfaire a cette partie, par la juftefTe de fes penfées ., par la prudence de icti choix, & par la folidicé de fon ju- gement. L'Invention n'étant qu'une par-
tie de la compofition , elle n'en peut pas donner une idée complet- te. Car la conipofition comprend •'■& l'Invention, ôe la Difpofîtion 5 autre chofe eft d'inventer les ob- jets, autre chofe de les bien pla- cer. Je ne m'arrêterai point ici à réfuter les. autres idées que l'on a eues fur l'Invention, 8e j'eipere vous :1a définir d'une manière fî vraie & fî fenfîble , que je ne préfume pas qu'il y ait là-defîus aucune diverfî- îé de fentimens. Il me par oit donc que f Inven-
tion .eft un choix des objets qui doivent entrer dans la compofition du jfujet que le Peintre veut traiter. Cij
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ff % Cours de Peinture
Je dis que c'eft un choix, parce
:que les jobjets ne doivent point
çtre introduits dans le Tableau in- , confidérément, & fans contribuer à
Texpref£on.&:au cara&ere du fujet.
Je dis encore que .ces objets doi- vent entrer dans la compofition du Tableau ,,& non pas la faire toute entière, afin de ne point confon- dre l'invention avec la -Difpofition, Se de laïiïèr à celle - ci toute la li- berté de ia fonction, qui confifte à placer ces mêmes objets avanta- geufement. LesJ?oëtes auffi bien que les Ora-
teurs ont plufieurs ftyles pour s'ex- primer ,feloç le fujet qu'ils ont en- trepris de traiter -, &. deMà dépend le .choix des paroles , de l'har- monie 3 s& du .pour des penfées. Il en eft de même '.dans la Peinture : .quand le Peintre s'eft déterminé à quelque fujet,il eft obligé d'.y pro- portionner le choix.d.e les figures, ,$i de .tout,ce qui les accompagne;i ,& les Peinties .comme les Poctef |
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par Principes, . '
oritleur flyle élevé' pour les c&ofes
élevées , familier pour celleâ qui font ordinaires, paftoral pour les" champêtres, 8e ainfi du relte. Quoi- que tous- ces ftyles differens con- vienne à-toutes les parties de la Peinture-, ils font néanmoins plus particulièrement du reflbrt de l'in- vention. Mais cette matière eftd'u-' rre aflez grande étendue , pour faire le fujet d'un Traité particu- lier. L'Invention par rapport à là"
Peinture fe peut confidererd'e trois manières ': elle éff, ou Hiftorique fimplement, ou. Allégorique,, ou MyfKquc; , . Les Peintres fe fervent ave c rau
fon du mot d'Hiftoire , pour figni- fier le genre de Peinture le- plus confiderable , &c qui confifte à met- tre plufieurs figures enfembie^ & l'on dit : Ce Peintre fait l'Hiftoire 5 cet autre fait des Animaux , celui- ci du Païfage; celui-là des Fleurs, ^ainiî du reile. Mais il y a de la Oïj v * \
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j4' Cours de Teinture
différence entre la dîvifion dès gen-
res de Peinture. & la divilîon de l'Invention. Je me fers ici du mot d'Hiftoire dans un Yens plus éten- du : j'y comprend tout ce qui peut fixer l'idée du Peintre, ou inftruire le -Spectateur , 6c je dis que l'Inven- tion amplement Hiftorique eft un choix d'objets , qui Amplement- prar eux-mêmes réprefentent le ftfjet. Cette forte d'Invention ne re-
garde pas feulement toutes les Hi- âoires vraies êcfabuleufes, telles qu'elles font écrites dans les Au- teurs , ou qu'elles font établies par la Tradition : mais elle comprend encore les portraits des perfonnes, la réprefentation des païs, des ani- maux, & de toutes les produdions de l'Art & de la Nature. Car pour faire un Tableau , ce n'eft point allez que le Peintre ait fes couleurs & fes pinceaux tout prêts y il faut, comme nous avons déjà dit, qu'a- vant de peindre, il ait refolu ce |
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far Principes, ff
du'il veut peindre, ne fut-ce qu'une-
neur , qu'un fruit, qu'une5 plante , ou qu'un infecte. Car outre que le-"-1 Peintre peut borner fôiî idée à leur feule représentation, elles font ca- pables fouverit de nous inftruire. Elles orit leurs vertus <k leurs pro-' prietés. Ceux qui en ont écrit, ôc qui ont accompagné.leur Ouvrage'" de figures démonftratives y l'ont nommé du nom d'Hiftoire \ &: l'on- dit l'Hiftoire4€S Plantes, l'Hiftoire des Animaux , comme on ditl'Hi»" ftoire■■ d'Alexandre.- Ce n'eftr pas que l'Invention Amplement Hifto- rique n'ait; fes degrés , &■ qu'elle ne foit plus ou moins eftimable v- félon la quantité des cliofes qu'elle contient, & la qualité du choix ô£ du génie. L'invention allégorique eft un
choix d'objets qui ïèrvent à répre- fenter dans un Tableau, ou en tout, ou en partie , autre chofe que ce qu'ils font en effet. Tel eft par exemple ■■> le Tableau d'Apelle qurj lllj
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5 6 Cours de Peinture
réprefente la Calomnie duquel Lu-
cien fait la defcription. Telle efï : la Peinture morale d'Hercules en- tre Venus &: Minerve , où ces Di- vinités Payennes ne font introdui- tes que pour nous marquer l'attrait de la Vertu. Telle eft celle de i'E- colQ-d'Athènes où plufieurs figures . de tcms , de païs , 8c de condu tions différentes concourent,a re- prefenter la Phiiofophie. Les trois autres Tableaux qui font au Vati- can dans la même chambre , font traités dans le même genre d'Al- légorie. Et-fi l'on veut faire atten- tion à ce qui s'eft pafle dans l'an- cien Teftàment, on trouvera que les faits qui y font raportés, ne font pas tellement d'Hiftoire Simple , qu'ils ne foient auffi * Allégoriques, parce qu'ils font des Symboles de ce qui devoit arriver dans la nou- velle Loi. Voila des exemples de iujets qui font Allégoriques en tout ce qu'ils contiennent. * I, .Cm, io. 6. |
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far Principes.' 5 gjp*
Les Ouvrages donc les objets
né font Allégoriques qu'en partie^ attirent plus facilement- & plus agréablement notre attention, patf. ce que le Spe&ateur qui> eft aidé par le mélange des figures pure- ment Hiftoriques,demêle avec plai-i fit les Allégories qui les aecom-i pagnent. Nous en avons un exerm pie autentique dans les bas-reliefs de la Colonne Antonine\ où le • Sculpteur ayant a exprimer une pluie que la legipn Chrétienne avoit obtenue par fes prières * , m-2 troduit parmi ces Soldats un Ju-> piter pluvieux, la barbe éc les clie-^ veux inondés de l'eau qui em couJ lé avec abondance, Jupiter n'effe pas répreienté là comme un E)ieit qui fafle partie de l'Hiftoire î mais a * Ce fait arriva fous le Règne de Marc~:
Aurele , qui érigea cette Colonne , où il fit re- présenter en bas relief les Guerres qt^it eut con-~ ire les Allemans & contre les Sarmates , & qui $ar. ïéconnùiffance fit mettre'fur cette même'co- lonne , la Statue Û'Antonin qui t'avait adopté a si l'Eingtre. Cv-
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5 8 Cours de Peinture
comme un Symbole qui îîgnïfîé là pluie parmi les Payens. Les anciens Auteurs en parlant des Ouvrages de Peinture de leur tems ,nous rap- portent quantité d'exemples, d'Al- légories > & depuis le renouvelle- ment de la Peinture, les Peintres en ont fait un ufageallez fréquent : 6 iî quelques- uns en ont abufé s
c'eft que ne fâchant pas que l'Al- légorie eft une efpece de langage qui doit être commun entre..plu- sieurs perfonnes, & qui eft fondé fur un ufage reçu, &. fur l'intelligence des livres de Medailles,ils ont mieux aimé, plutôt que de les conful- ter , imaginer une Allégorie parti- culière, qui bien qu'ingenieufe n'a pu être entendue que d'eux-mêmes. L'Invention Myftique , regarde
notre Religion : elle a pour but de nous inftruire de quelque Myftere fondé dans l'Ecriture , lequel nous: eft repréfenté par plufieurs objets qui concourent.à nous enfeigner une vérité, |
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fer Principe s: \ j^-'5
,Nos Myfteres & les points de
foi que l'Eglife nous propefe, nous en fournhTent quantité d'exemples. Le deuxième Concile de Nicée ayant laifTé la liberté d'expofer aux •yeux des Fidèles le Myftere-de la Trinité r les Peintres repréfente-nt le Père fous lafigure d'un Vénéra- ble Vieillard -, le Fils dans fon hu- manité ^ tel qu'il a paruàfes Difci- <ples après fa Refiirredion j_& le S» Lfprit fous l'apparence d'une Co- lombe: Lé Jugement Univerfel, le - Triomphe de l'Eglife ^ ceux de la Loi, de la Foi, & de l'Ëuchariftie font encore de cette Nature. Parmi la quantité d'exemples que les ha- biles Peintres nous ont laiffés 5 j'en, rapporterai un très-ingénieux , dont te conferve chèrement l'efquiÂe co- lorié, il repréfente le Myftere- de ■' l'Incarnation, Si l'Auteur du Tableau avoît
voulu peindre l'Annonciation ' Hi- ftoriquement, il fe feroit contente 4e faire voir la. Vierge dans une :: |
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é o Cours de Peinture
Simple chambre , fans autre com-
pagnie que celle de l'Ange : mais ayant refolu de traiter ce Sujet en Myftere,il a placé la fainte Vierge fur une efpece dé trône, où étant à genoux, elle reçoit humblement, mais avec dignité , Tambaflade de l'Ange, pendant que Dieu le Père qui avoit traité avec fon Fils du prix de la Rédemption des hom- mes , a/fifte, pour ainfi dire, à l'exé- cution du- Contrat. Il eft affis ma- |eftueufement , appuïé fur le glo- be du monde, entourré de la Cour Celefte, &; ayant à fa droite là Ju- stification &. la Paix qu'il étoit con- venu de-donner à toute la terre. Il envoie fon faint Efprit , pour opé- rer ce grand Myftere. Cet Efpric Saint eft entouré d\m cercle d'An- ges qui fe tiennent par la main,Se qui jerejouifTent de ce que lespla> ces des mauvais Anges alloient être . remplies par les hommes. Plu- sieurs-Anges qui terminent cette partie celefte de Tableau , tien< |
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■par Principes. \ 6H '■
aetit dans leurs mains difrerens- at-
tributs que l'Eglife appliqueà la Ste. Vierge , Se* qui- font voir que cet- te Créature étoit la plus digne de la grâce dont elle étoit comblée. Tout ce grand Spe&acle compofe la partie* fiiperieure du Tableau. En bas font les Patriarches qui ont fou- haité la, venue du Meffie , les. Pro- phètes qui Pont prédite, les Sibylles qui en ontparlé, & de petits Génies qui concilient les PafTages des Sibyl- les avec ceux des Prophètes. C'eft ainfî que - ce,- Tableau repréfente Myftiquement la vérité _8fc la gran-x deur de'foh Sujet. ' Voilà les trois manières dont on
peut concevoir l'Invention : c'eft-à- dire l'Invention fîmplement Hifto^ rique , l'Invention Allégorique , ô£ rinvention Myftique. Voyons ce que ces trois fortes d'Inventions ont de commun-entr?elles, Ôcpuis nous parlerons des-qualités que chacune exige en.' particulier. Le.Peintre qui a du génie trou*..
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6 ï Cours de Peinture
vê dans toutes les parties "de fon"'
Art une ample matière de le faire pâroître : mais celle qui lui fournit plus d'occafions de faire voir ce - qu'il a d'efprît, d'imagination } & de prudence, eft fans doute l'Inven- tion. C'eft par elle que la Peintu- ré marche de pas égal avec la Poë- iîe , & c'eft elle principalement qui attire l'eftinie des perfonnes les plus eftimables, je veux dire des gens d'efprît, qui noncontens de la feu- le imitation des objets , veulent que le choix en foit juftepourl'ex- ■ preflïon du fujet, Mais ce même gehie veut être
cultivé par lés connoiflances qui ont relation à la Peinture -, parce que quelque brillante que foit no- tre imagination , elle ne peut pro- duire que les chofes dont notre ef- prit s'eft. rempli, & notre mémoire ne nous rapporte que les idées de ce que nous lavons ,'&: de ce que nous * avons vu, C'eft félon cette mefure |
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fdr Frinvipes. 65
que lés talens des particuliers de-
meurent dans la bafleflé des objets communs, ou s'élèvent au fublime, , par la recherche de ceux qui font extraordinaires. C'eft par-là que certains Peintres qui ,ont cultivé leur efprit ont heureufement fup- - pléé au génie qui leur manquoit d'ailleurs ., & que s'élevant avec leur fujet, leur fujet. s'élève & s'agran- dit avec eux.: Sans les connoiffances nécelfaires f on fait beaucoup de fautes 5 avec elles, tout fe prefente & fe range en fon ordre infenfible- ment. Il eft bon néanmoins que les jeu-
nés gens après être fortis des étu- des eflentiellesà leur Art, & avant de donner des preuves ferieufes &■. publiques de leur capacité, exer- cent leur o-enie fur toutes fortes de îujets : &. comme un ~vm nouveau qui exhale violemment fes fumées pour rendre avec le tems fa liqueur : plus agréable 3 ils s'abandonnent à l'ixhrjretuofité de leur imagination. 2 |
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ê 4 Cours dé Peint are '
&que laiflant évaporer Tes prérhfdi'
xqs faillies 3 ils épurent après queU que tems- les images de leurs pen- - fées. Mais qu'ils ne fe fient pas tant à la
bonté de leur eiprit , qu'ils con- fult£nt leurs amis éclairés , afin de : découvrir l'efpece, & la mefure de leur talent. Qu'ils fe regardent com- me une plante qui veut être culti- vée dans un terrein plutôt que dan3 un autre, pour porter ion fruit dans fa faifon,- De cette manière fî ïe choix dû
fujet dépend du Peintre, il doit pré- férer celui qui efl proportionné à l'étendue & à la nature de fon gei nie , & qui foit capable de lui four- nir matière de l'exercer dans la par- - tie qu'il pofTede avec plus d'avan-'- tage. M faut que pour donner delà " chaleur à fon imagination , il tourJ ■- ne fes idées de différentes façons- il faut'qu'il life phtfieurs fois fort fujet avec application- afin que l'L mage>'en forme-vivement dans foia>> |
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far Principe'Si &'p
ciprit,& que félon la grandeur, de
la matière., il le .lame emporter jufqu'à l'enthoulîafme , qui eft le propre d'un grand Peintre. & d'un grand :Paëte; Comme, le P eintre ne peut re-
préfenter dans un même Tableau que ce qui fe. voit, d'un-coup d'oeil dans la Nature, il ne peut par cohj fequent nous y expofer ce qui s'eft pafle dans des tems differens : Et if quelques Peintres- ont pris la liber- té de faire le contraire , ils en font inexcufables, à moins qu'ils n'y ayent été contraints par ceux qui les ont employés ou qu'ils n?ayent eu dans la penfée de compofer un fujet Myftérïeux ou Allégorique 3 _ comme eu .le Tableau de FEcole d'Athènes.-. Mais quand le Peintre a une fois
bien choifi fon fujet, il eft très à propos qu'il, y* fafTe entrer les cir- conftances qui peuvent fervir à for, tifier lecara&ere de ce ni ême fujet', , &>.à:• le .faire . connoître > -pourvu * |
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6' 6 Cours de Peinture
qu'elles n'y foient pas eh afïezgrancP
nombre pour laffer notre attention : mais plutôt que le choix en foit aC fez judicieux pour exercer agréa- blement notre efpritV Et ces cir~ confiances regardent , le lieu , le- tems, & les perfonnes. • Ainfî il eft encore fort a propos ''-
que le Peintre en inftfuifant fon Spectateur, le divertifïè par la varie- - té. Elle fé trouve dans les fexés, dans les âges, dans les'païs, dans les con- ditions, dans les attitudes , dans les expreffions , dans la bizarerie des animaux ; dans les étoffes, < dans les "■ arbres , dans les édifices, &; dans tout ce qui peut exercer 1'efprit, 8c orner convenablement la feene d'un ] Tableau. Je ne voudrois néanmoins approuver cette abondance d'ob- jets , & cette variété fi agréable d'elle-même , qu'autant qu'elle fe- rait convenable au fujet,& qu'elle y auroit du moins une relation in- Ifcru&ive, Gar comme il y a des fujets qui
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far Principes, G'y
ne* refpirent que la joie ou la tran-
quilité , il y en a d'autres qui font" lugubres ou qui doivent être repre- fentés dans une agitation tumuî- tueufe. Il y en a qui demandent de la gravité, de la dignité , du ref- ped, du fflence', &c quelquefois de la folitude , lefquels ne peuvent fouffrir que peu de figures • com- me il s'en trouve qui en font fcfcep- tibles d'un grand nombre, &d'une. varieté d'objets telle que la pruden- ce du Peintre y voudra introduire :■- car il faut que tout fe rapporte au Héros du fujet,& conferve une unité bien liée & bien entendue.. Ce font-là les chofes qui con-
viennent en général à ces trois for- tes d'Inventions • il nous refte à voir ce qui eft propre à chacune. Entre les qualités que peut avoir
l'Invention fimplement Hiftorique, j?en remarque trois, k Fidélité, la Netteté, & le bon Choix, j'ai ob- servé • ailleurs que la. fidélité de.' l'Hiftoire n'éxoit pas deTejlTen.ee. de. |
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é'S (fours dé Peinture
la Peinture 5 mais une convenante-
indifpenfable à cet'Art.'Et quoique lé Peintre ne foit Hiftorien que par accident, c'eft'toujours une grande faute que de fortir mal de ce que l'on entreprend, j'eiitens par la fi- délité de THiftoire, l'étroite imi- tation * des" chofes ' vraies ou fabu- leufes telles qu'elles nous font con- nues' par les Auteurs, ou par la Tra- dition. Il eft fans doute que cette Imitation 'donne d'autant plus de - force à l'Invention , & relevé d'au- tant plus' le prix du Tableau, qu'el- ■ le conferve de fidélité. Mais ftle Peintre a l'induftrie de
mêler dans fon fujet quelque mar- • que d'érudition qui réveille l'at- tention du Speclateur fans détrui- re la vérité deJ'Hiftoire , s'il peut introduire quelque trait de Pocfie dans les faits Hiftoriques qui pour- ■ ront le fôuffriï \eniin mot, s'il trai- té fes fujets félon la licence modé- rée qui eft permife aux Peintres &: aux Po êtes , il rendra (es Inven^. - |
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fdr Principes. -6**
: tions élevées ,&: s'attirera une gran-
de diftin&iom"'La.Fidélité eft donc ila première qualité de i'Hiftoire. La féconde eft la. Netteté , en
forte que le Spectateur .fuffifam- ;ment inftruit dans. PHiftoire rdéve- lope facilement celle que le .Pein- tre aura voulu.réprefenter. D'où il s'enfuit qu'il faut .pt.tr l'équivoque par quelque marque qui ioit pro- ; pre au iujet v& qui. détermine l'eu prit en fa faveur. Je parle des iiijets qui ne font pas fort ordinaires j car pour ceux qui font connus ,du Pu- blic, & qui ont été plufieurs fois ré- pétés , ils n'ont pas befoin de cette précaution. Que fi le fujet .n'eft point afTez,
connu , ou qu'on ne puifTe xaifon- nablement y introduire quelque objet quile déclare , le Peintre ne doit point héûter d'y mettre une infeription. Entre plufieurs exem- ples que les Anciens Se les Moder- -nes nous en fourni(Tent, j'en choi- .îirai feulement d,eux qui font t-rjes |
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•"jo Cours de Peinture
.connus, l'un eft de Raphaël, & Pau-
tre d'Annibai Carache. Celui-ci ayant peint dans la 'Galierie Far- :nefe le moment ou Ancliife cher- che à donner des marques de fon amour à la Déefle'Venus., & vou- lant empêcher qu'on ne prît A ri- dule pour Adonis, s'eft ingenieufe- . ment iervi du mot de Virgile, * . Genus unde Latinum,, qu'il a écrit au delTous du lit dans l'épailTeurde Teflrade. Et Raphaël dans fon Par- nail'e où il a placé Sapho parmi les rPoctes,, a écrit le nom de cette fa- -vante fille, de peur qu'on ne la con- fondît avec les Mufes. La troifiéme qualité de l'Hiftôi-
*ce confifte dans le choix du Sujet, Iuppofe que le Peintre en foit le anaître : parce qu'un fujet remarqua- ble fournît plus d'occafions d'en- richir la fcene Se d'attirer l'atten- :tion. Mais fi le Peintre fe trouve ^engagé dans un petit fujct, il faut '* Ce mot veut.dire : Cefl à'oh vient îorigmt
Àts Latins. |
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■par'Principes. -7.1
■•qu'il tâche,de le rendre grand par
la manière .extraordinaire. dont il le traitera. L'Invention Allégorique exige
^pareillement trois qualités. La pre- mière .eft d'être intelligible. C'eft un auffi grand défaut de tenir îong- tems l'attention en fufpend par des Symboles nouvellement inventés , comme c'eft une perfection que de l'entretenir quelques niomens par dés-figures Allégoriques connue:,, reçues , & employées ingenieufe- ment. L'obicurité rebute l'efprit, & 4a netteté le fait jouir agréablement ;de fa découverte. La féconde qualité de l'Allégorie,
.eft d'être autorifée. Ripa en a écrit un Volume exprès qui eft entre -les mains des Peintres : mais ce qui • eft de meilleur dans cet Auteur., eft ce qu'il a extrait des Médailles An- tiques : ainfi l'autorité la mieux rer rçûe pour les Allégories, eft celle de l'Antiquité,parce qu'elle eft incoiî- -Êeftable. |
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«**& Cours de Peinture
La troifiéme qualité de l'Allégo-
rie , eft d'être néceflaire-, car tant , que l'Hiftoire fe peut éclaircir par des objets /impies, qui lui apartien- nent,: il eft inutile de chercher des ïecours/étrangers qui l'ornent bien moins qu'ils ne l'embarâiTent. A l'égard de l'Invention Myfti-
que , comme elle eft entièrement
confacrée à notre Religion, il faut
; qu'elle foit pure , & fans mélange
d'objets tirés de laFabîe. Elle doit
• être fondée fur l'Ecriture , ou fur
THiftoire Ecclefîaftique. Nous en
..avons-une foairce très vive dans les
iParaboles dont jefus-Chrift s'eft fer-
vi, & da-nsl'Apocalypfe dont nous
devons refpeéter * l'obfcurité fans
; être obligés de l'imiter. .Le Saint
Eîprit qui fouffle où il veut fe fait
entendre quand il lui plaît : mais
:1e Peintre qui ne.peut,, ni pénétrer, '
ni changer l'efprit de fon Spe&a-
iteur,, doit toujours faire fes efforts
jîoux fe rendre intelligible.
* Skut nmbtx eju$ ira & lumen ejus.
Comme
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far Principes. 73
- Comme rien n'eft plus faint, plus
grand, ni plus durable que les Myf. •teres de notre Religion, ils ne peu- vent être traités d'un fl y le trop ma- jeftueux. Tout ce qui plaît ne plaît pas toujours, &: les plus grands plai- firs finiflent ordinairement par le dé- goût 3 mais celui que donne l'idée de la grandeur & de la magnificen- ce ne finit jamais. Au relie de quelque manière que
l'Invention foit remplie , il faut qu'elle paroiffe l'effet d'un Génie fa- cile, plutôt que d'une pénible ré- flexion 3 8é s'il y a des talens pour la facilité , il y en a aulîi pour cou- vrir la peine ; les uns èc les autres ont leur mérite ôc leurs partifans. Heureux celui qui a reçu, de la
Nature un génie capable de cou- rir la vafte carrière de la partie dont je viens de parler, 6c de bien clioifir fes objets pour rendre fon fujet intelligible, pour l'enrichir, & pour inftruire fon «Spectateur. Mais plus heureux encore le Peintre, qui D
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74 Cours de Peinture
après avoir connu tout ce qui con-
tribue à une belle Invention , fe connoît beaucoup plus foi- même ? .& qui fait la jufte valeur de fes pro- pres forces : car la gloire d'un Pein- tre ne confifte pas tant à entrepren- dre de grandes chofes . qu'à bien fortir de celles qu'il aura entreprifes. |
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far Principes,
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DESCRIPTION DE L'ECOLE
D'ATHENES, Pour fervir d'exemple au Traité de
l'Invention Tableau de Raphaël.
CE Tableau qui porte le nom de
l'Ecole d'Athènes a été diverfe- ment conçu, par ceux qui en ont fait la Defcription -, Se il eft allez extraordinaire que Vafari entr'au- tres, qui vivoït du tems de Raphaël, fe foit fi fort mépris dans l'expli- cation qu'il en a publiée, qu'il ait négligé de puifer a la fource même -les instructions dont il avoit befoin pour parler d'un Ouvrage qui fai_ îoit tant de bruit dans toute l'Italie. Cet Auteur qui en a écrit le pre- mier , dit que c'eft l'accord de la Philofophie & de l'Aftrologie avec la Théologie. Cependant on ne voit aucune marque de Théologie dans la composition, de ce Tableau. Dij
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»? <? Cours de Peinture
Les Graveurs qui l'ont donnp
au Public, y ont mis mal à propos une Inlcription tirée des Aétes de faint Paul, pour nous induire à croi- re que cet Apatre après avoir ren- contré un Autel où étoît écrit, au ,Dieu inconnu, JgnotoDeo3 fe pre- fente ici devant les Juges de l'A- reopage pour leur donner la con- noiflance du Dieu qu!ils ignoroient, & pour les ïinitruire de la Réfur- reclion des Morts dont les Epicu- riens ôc.lesStoïciens difputoient en- tr'eux. Auguftin Vénitien s'eft encore
iplus lourdement trompé , lorfque dans l'Eftampe de cinq ou fix figu- res qu'il a gravée , lefquelles font à main droite du Tableau, il a fup- pofé que le Philofophe qui écrit étoit laint Marc , £z que le jeune iiornme qui a un genouil en terre étoit l'Ange Gabriel qui tient une table où. ce Graveur a mis la Sa^ lutation Angélique , Ave , Maria & le refte. |
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»
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par Principes'. 77
H eft inutile d'emploïer ici beau*
coup de tems à réfuter ces erreurs également groffieres, je1 me con- tenterai feulement de raporter les quatre Figures du plat-fond qui ré- pondent aux quatre fujets qui foné peints dans la Chambre où eft ce Tableau, & qui les de lignent incon- testablement. La première reprefente la Theo-s
logie avec ces mots, Scientia Divi- narum Rerum. La féconde, la Philofbphie avec
ces mots. Caufarum cognitio. La troifiéme, la jurisprudence
avec ces mots, Jus fuum unicuique tribuens* La quatrième, la Poëfie avec ces
mots, Isfumïne ajflatur. La figure qui reprefente la Phi-
lofophie eft au deftiis du Tableau dont nous parlons, appelle commu- Kemment l'Ecole d'Athènes 5 ainfï l'on ne peut mettre en doute que cette Peinture ne reprefente la Phi- -ofophje, comme on le verra plus D iij
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7 8 Cours de Peinture
clairement par le détail que j'en
vais faire. La fcene du Tableau eft un édi-
fice d'une magnifique Architedure eompofée d'Arcades & dePilaftres, èc difpofée d'une manière à rendre fa perfpedive fuyante 3 fon enfonce- ment avantageux, & à donner une grande idée du fujet. Ce lieu eft rempli de Philofophes, de Mathé- maticiens , & d'autres perfonnes attachées aux Sciences -y & comme ce n'eft que par la fucceiTion des tems que la Philofophie eft parve- nue dans le degré de perfedion où nous la voyons, Raphaël qui vouloit repréfenter cette fcience par l'af- femblée des Philofophes , n'a pu le faire en joignant ceux d'un îiecle feulement. Ce n'eft point une Am- ple Hiftoire que le Peintre a vou- lu repréfenter, c'eft une allégorie où la diverfité des tems 6c des païs n'empêche point l'unité du fujet. Le Peintre en a ufé ainfi dans les. trois autres Tableaux de la. même |
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par Principes. 79"
chambre où il a. peint la Théolo-
gie , la Jurisprudence-, ôc la Poëfie, L'on voit dans le premier les dif- ferens Pères de l'Èglife $ dans le fé- cond les Jurifconfultes 3 Si: dans le troifiéme , les Poètes de tous les tems. L'idée que donne la difpofition
de toutes les figures de ce Tableau, èc la nature de leurs diverfes occu- pations , font croire facilement que leurs entretiens ne peuvent être qu'entre des gens remplis de plu- fîeurs connoiflances, comme font les Philofophes. On y reconnoît même Pythagore, Socrate, Platon , Ariftote avec leurs Difciples , ôc l'on y voit parmi les Philofophes des gens occupés des Sciences Ma- thématiques. • Sur le milieu du plan d'en-haut
font les deux plus fameux Philofo- phes de l'Antiquité, Platon &; A- rïftote. Le premier tient fous le bras gauche un livre > fur lequel eft écrit ce mot Italien , Timeo , titre D iiij
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8o Cours de Peinture
que porte le plus beau Dialogue de
Platon 5 & comme cet écrit traite myftiquement des cliofes naturelles par raport aux Divines, ce Philo- sophe a le bras droit levé , & mon- tre le Ciel comme la caufe fuprême de toutes cliofes. A la gauche de Platon, eft fon
Dîfciple Ariitote, qui tient un livre appuie contre fa cuifTe, fur lequel ©n lit ce mot, Eticba, c'eft-à-clire la fcience des mœurs 5 parce que ce Philofophe s'y efb principalement attaché 5 & le, bras qu'il a étendu eft une aétion de pacificateur & de modérateur des parlions, ce qui con- vient parfaitement à la morale. De côté & d'autre de ces deux
grands Philofophes, font leurs Dif- ciples de tous âges, dont les figu- res font grouppées ingenieufement bc difpofées de manière à faire pa- roître avantaçeufement les deux principales, ôc qui font les Héros du Tableau. Et bien que les attitudes de ces Difciples foient différentes,. |
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far Principes, 8 r
elles montrent toutes une grande
attention aux paroles de leurs Maî- tres. Derrière les Auditeurs de Pla-
ton , eft Socrate tourné du côté d'Alcibiade qui eft vis-à-vis de ce Philofophe. L'un & l'autre font vus de profil. Socrate fe reconnoît à fa tête-chauve &: à fon nez ca- mus. Alcibiade eft un beau jeune homme en habit de guerrier , les cheveux blons flottant fur fes épau- les , & fon armure bordée d'un or- nement d'or , une main fur le côté & l'autre fur fon épée ;.Philofophe &. Guerrier tout enfemble , il fe montre attentif au difcours de So- crate, lequel accompagne fes paro- les d'une adion très-expreffive. 11 avance les deux mains, & prenant de la droite le bout du premier doigt de la gauche , fait concevoir parfaitement qu'il explique & qu'il veut faire entendre clairement fa penfée, pendant que tous fes Dif- ciples ont attention à ce qu'il dit. Dv
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b'z Cours de Peinture
A côté d'Alcibiade eft Antiffenc-
le Corroyeur en qui Socrate trouva tant de difpofition à laPhilofophie, qu'il lui en enfeigna les principes, &. que cet Artifan quitta fon métier pourfe rendre lui-même un célèbre. ProfefTeur en Morale dont il a écrit 3 3. Dialogues. C'eft lui qui eft le chef des Philofophes Ciniques. Le Peintre pour varier fes figures & leur donner du mouvement, feint que derrière Alcibiade , un homme fe tourne ■& étend la main pour appel- ler à la manière Italienne , & pour hâter un Serviteur qui apporte un livre &un grand rouleau de papiers qu'on appelloit anciennement un volume j ôc dernére ce Serviteur on voit le vifage d'un autre qui la main au bonnet femble répondre avec ref- pe& à celui qui l'appelle. Parmi les Difciples d'Ariftote ,
Raphaël a pareillement rendu fen- fîble l'attention qu'ils ont aux paro- les de leur maître II y en a un en- tr'autres qui ayant compris les Dé- |
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■par Principes- b.
monftratïons d'Archimede, monte
de l'Ecole des Mathématiques , félon la coutume des Grecs à cel- le de la Philofophie , & s'informant à une perfonne qu'il rencontre ou Ton enfeigne cette fcience , elle lut
montre Ariftote & Platon. Auprès de cette figure , eit un
kune homme ftudieux , lequel ap- puyé contre la bafe d'un pilaft^^ Lnbes l'uneïur l'autre la tête in- clinée fur fon papier, écrit ce qu il vient d'apprendre, pendant quun
Vieillard fur la même baie, le men- ton appuie fur fa main, regarde en reposée que le jeune homme vient d'écrire. .
* Entre les figures qui terminent
ce côté du Tableau, eft Démo- crite qui envelopé dans Ion man- teau le conduit dans cette affem- blée 'à l'aide de fon bâton a la ma- nière des aveugles: car fur la nu * de de finit» bon. & mal. hv. XXIX. ïdèmi
I. v. ££. XXXIX. Aul. Gell. i« c. XVII. ex La-
Dvj
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$4 Cours de Peinture
de fa vie il s'aveugla volontaire-
ment pour être moins diftrait dans1 fes réflexions philofophiques. Le Peintre a pu le reprefenter dans ce grand âge,pour nous apprendre que l'homme doit travailler jufqu'au tombeau à s'inftruire &: à fe def- abufer. Dans le grouppe du côté droit
fur la première ligne , il eft aifé de démêler Pythagore afîis, qui écrit les principes de fa Phiiofophie ti- rée des proportions harmoniques de la Mufique. A côté de ce Philofo- pheeft un jeune homme tenant une table où font marqués les accords & les confonnances du chant en Ca^ ra&eres Grecs > qui fe lifent ainfi. : Hiafente , Diapafon , Diateffaron , termes aflez connus des habiles Mu- siciens. On dit même que ce Philo^ fophe eft: auteur de la démonftration de ces confonnances dont Platon fon Difciple forma les accords & les proportions harmoniques de l'ame. |
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far Principes,. 8 f
Pythagore eftaffis 6c vu de profil
tenant un livre fur fa cuiflè. Il pa- roît appliqué à faire voir le rapport des nombres de la Mufique , avec la fcience des chofes naturelles. Aiu près de Pythagore font fes Difciples Empedocle , Epicarme , Archite j i/undefquels affis à côté de fon Mau tre , 6c qui a la tête chauve , écrie fur fon genouil, 6c qui tenant d'une main fon encrier 6c de l'autre fa plu- me fufpendue , ouvrant les yeux & ferrant les lèvres, montre par cet- te a&ion combien il eft occupé à ne rien laiffer perdre des écrits de Pythagore. Derrière ce Philofophe , un au-
tre Difeiple la main fur la poitrine, s'avance pour regarder dans le Li- vre 5 c'efl celui qui a un bonnet fur fa tête, le menton rafé , les mouf- tacbes de la barbe pendantes, & uneagraffe à fon manteau ; 6c tout cet ajuftement n'a point d'autre fin wraiferablablement que la diverlî- té que Raphaël a toujours, recher- |
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Î6 Cours de Peinture
cliée dans ks Ouvrages. Sur le der-
nere de ce grouppe on remarque le vïfage 6c la main d'un autre Philo- fophe , lequel un peu incliné , ou- vre les deux premiers doitgs de la main en aâion de compter à la manière Italienne , & femble par là expliquer le Diapaion , qui eft une double confonnance décrite par par Pythagore. Dans le coin du Tableau , il y a
un homme ras , tenant un livre iur le pied-d'eftal d'une Colonne, dans lequel il paroît écrire avec appli- cation. On croit que cette figure eft le portrait de quelque Officier de la maifon du Pape , parce qu'il a une Couronne de chêne qui eft le Corps de la devife du Pape Jule 11. à qui Raphaël dédia cet Ouvrage, comme à fon bienfaiteur , & com- me à celui qui avoit ramené le Siè- cle d'or en Italie pour les beaux. Arts. Tout auprès & à l'extrémité du
Tableau , on. voit un Vieillard qui |
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far Principes.. 2j
tient un enfant -. celui-ci d'une ma-
nière conforme à fon âge, porte la main au livre de celui qui écrit. Il femble que le Vieillard n'a mené cet enfant qu'à defTeih de décou-
vrir s'il a de l'inclination pour les Sciences 3 témoignant par là qu'ori ne fauroit trop tôt fonder & culti- ver le talent que l'on a reçu de la Nature. A côté de cegrouppe de figures
on voit un jeune homme d'une air noble , enveloppé d'un manteau blanc a frange d'or , la main fur la poitrine : on croit que c'eft Fran- çois Marie de la Rovere neveu du Pape , & que ce jeune homme eft reprefenté fur cette Scène à caufe de l'amour qu'il avoit pour les beaux: Arts. Un peu plus avant quePythagore ,
un autre de fes Difciples, un pied fur une pierre, levant le genouil,. &. foûtenant un livre d'une main , paroît copier de l'autre quelques endroits remarquables qu'il veut |
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tiT Ce un de Peinture
concilier avec les fentimens de fon
Maître. Cet homme pourroit bien être Terpandre ou Nicomaque, ou quelqu'autreDifciple de Pythagorer qui croyoit que le mouvement des étoiles étoit fondé £ur des raifons- » rnuficales. Plus avant l'on voit un Philo-
sophe feul, lequel appuyé lecoude fur une bafe de marbre, la plume à" la main, regarde fixement à ter- re, &; femble être attaché à refoudre quelque grande difficulté. H eft vêtu d'une faie groffîere avec des bas négligemment renverfés , & fait juger par cet ajufternent Chi- pie que. les Philofophes donnent très-peu d'attention à l'ornement de leur corps , & qu'ils mettent tout leur plaifir dans les réflexions & dans la culture de leur efprit. On voit fur la féconde marche
Diogene à part à demi-nud , fon manteau rejette en arrière, & au- près de lui fa taffe qui eft fon Sym- bole. Il paroît dans une attitude de |
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far Principes. &$>%
ncglîgence, Se convenable à un Ci-
nique , qui tout abforbé dans la Morale méprife lé fafte & les gran- deurs de la terré. Du côté gauche; fe voient plu-
fieurs Mathématiciens , dont la Science qui confifte dans ce qui efl fenfible , ne laiffe pas d'avoir rela- tion à la Philofophie qui regarde- les chofes intellectueiles. La première de ces figures efl'
Archimede fous le.Portrait de l'Ar- chitecte Bramante , qui le corps courbé Se le bras étendu en bas, mefure avec le compas la figureexa- gone faite de deux triangles équi- Tateraux , & femble en faire la dé- monftration à fes Dilciples. Il a au- tour de lui quatre Difciples bien- faits , qui dans des actions différen- tes font paroitre , ou l'ardeur d'a- prendre , ou le plaifir. qu'ils ont de* concevoir. Le Peintre les a repreten- tés jeunes, parce qu'il falloit avoir apris les Mathématiques avant que de pafTer à l'étude de la Philofo- |
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5?6 Cours de Peinture
phie. Le premier de ces DiTciples a*
an genouileri terre ,1e. corps plié, h main fur la cuiiîè&; les doitgs écar- tés , eft attentif à la figure démon- ftrative. Le fécond qui eft derrière lui debout, la main fur l'épaule de fon compagnon , avance la tête , ôc regarde avidement le mouve- ment du compas. Les deux autres font à côté è'-Âtchimede , de Ce font avancés à portée de voir commo- dément. Le premier un genouil en terre fe retourne, & montre la fi- gure à celui qui eft derrière lui, & qui fe penchant en avant, les bras plies &-iufjL>endus , fait voir ion ad-- miration, &le plailîrqu'il a de s'i'n- flruire. Vafari veut que celui-ci foit le Portrait de Frédéric IL Duc de Mantoue, qui pour, lors le trouvoit à Rome. Derrière Arcliimede font deux
Philofophes , dont l'un tient le Globe celefte, &; l'autre le Globe terrefle. Le premier par la maniè- re dont il eft vêtu,paroît avoir quel- |
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par Principes. ■ 91 ■
que rapport aux Chaldéens, Auteurs
de l'Aftronomie, ôc l'autre que l'on ne voit que par derrière, mais qui a la Couronne Royale fur la tête,,, fait prélumer qu'il eft Zoroaftre Roi de' la Badriane , lequel fut grand Aftronome tk. grand Philofo- phe. Ces deux Sages s'entretiennent avec deux jeunes hommes qui font au coin du Tableau, dont l'un eft le Portrait de Raphaël auteur de cette Peinture. Voilà la manière favante, fubli-
me &: judicieufe dont Raphaël a choili les fujets pour produire une des plus belles Inventions qui ayenr jamais paru en ce genre. Mais non content d'expofer (on fujet par les différentes perfonnes qui le compo- fent, il a voulu encore que les Sta- tues &, les bas-reliefs, qui font des ornemens de fon Architedure , contribuaffent en même-tems à la richeffe &à l'exprefîion de fa penfée. Car les deux Statues qui paroif-
fent de l'un & de l'autre, côté du |
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«fi Cours de Peinture
Tableau, font celles d'Apollon m de Minerve 5 Divinités qui préîi- dent aux Arts & aux Sciences. Et dans le bas relief qui eft au deflbus de la figure d'Apollon, eft reprefen- tée la iource des paiîîons l'Irafcible & le Concupifcible j l'Irafcible par un Furieux qui outrage impi- toyablement ceux- qui ie trouvent à fa rencontre $ & le Concupifci- ble par un Triton qui embraiîe une Nymphe dans l'élément qui a don- né la naifîance à- Venus. Et comme Je vice ne ie dompteque par laVertu- qui lui eft contraire, le Peintre a reprefenté au-deifous de la figure de Minerve dans un autre bas relief, la Vertu élevée fur des nuées ,, ayant une main fur la poitrine où. refide la Valeur ,&c de l'autre mon- trant aux mortels par le Sceptre qu'elle tient, le pouvoir de ion Em- pire. Auprès de la Vertu, eft la figu- re du Lion dans le Zodiaque j cet Animal étant le fymbole de la For- ce, laquelle en Morale ne fe peuc, |
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far Principes ,9$
acquérir que par les .bonnes,habi-
tudes. , C'efl ainfî que Raphaël par la
beauté de fon génie, par la fineffe de fes penfées, & par la folidité de fon efprit, a mis devant nos yeux 4e fujet allégorique de la :Phi|ofo= |)hie. |
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Cours de Peinture
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:$4
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X>£ Z^ DISPOSITION".
DAns la divifion que j'ai faite
de la Peinture, j'ai dit que la compofition qui en eft la première partie, contenoit deux chofes, l'In- vention Si. la Difpofîtion.En traitant de l'Invention, j'ai fait voir qu'elle confiftoitàtrouverles objets conve- nables au fujet que lePeintre veut re- préfenter. Mais quelque avantageux que foit le fujet, quelque ingenieu- Je que foit l'Invention , quelque ri- delle que foit l'imitation des objets que le Peintre a choifis, s'ils ne font bien diftribués, la composition ne fatisfera jamais pleinement le Spec- tateur deiîntereiTé, .& n'aura jamais une approbation générale. L'ceco- nomie&lebon ordre eft ce qui fait tout valoir, ce qui dans les beaux Arts attire notre attention, .& ce. |
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far Principes. ,f),<:
, qui tient notre efprit .attaché jui-
qu'à ce qu'il foit rçmpli descho- ,-fes qui peuvent dans un Ouviage££ l'iniîruire , .& lui plaire en roême- tems. Et c'eft cette Oeconomie que j'appelle proprement Difpofition. Dans cette idée , la Difpofition
contient fix parties. i. La Diftnbution des Objets ça
gênerai. 2.'Les Grouppes.
3. Le choix des Attitudes.
4. Le contrafte.
5. Le jet des Draperies.
6. Et l'effet du Tout-enfemble 5
, où par qccafion il eft par lé de l'Har- monie & de l'Enthoufîafme. J'examinerai toutes ces parties
dans leur rang le plus fuccinclemenf ,& le plus nettement qu'il me fera, .pqffiblc. |
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$6 Cours de Peinture
De la diftribution des Objets en
gênerai. Comme les differens fujets que
ie Peintre peut traiter font innom- brables , il n'eft pas poffible de les^ rapporter 'tous ici 5 bien moins en- core d'en faire voir en détail la idifpofîtion. Mais le bon fens , èc la qualité de la matière doivent déterminer le Peintre à donner aux objets qu'il aura choifis les pla- ces qui leur conviennent pour rem- plir les devoirs d'une bonne corn- pofition. Da-ns la composition d'un Ta-
bleau , le Peintre doit faire en forte, autant qu'il lui fera poffible, que le Spe&a-teur foit frappé d'abord du caractère du fujet, & que du moins après quelques momens de réfle- xion , il en ait la principale intel- ligence. Le Peintre peut faciliter xette intelligence en plaçant le Héros du Tableau & les principa- lesiïgures dans les endroits les plus ,apparcns,
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■fat TriTicip'es. f^f
spparens , fans affectation néan-
moins-mais félon que le fujet, S£ la vraifemblance ie requereront. Car l'œconomie dépend de la qua- lité du fujet , qui eft tantôt pateti- queSc tantôt enjoué ,-tantôt héroï- que & tantôt populaire, tantôt ten- dre & tantôt terrible , &'. enfin qui demande plus ou moins de-mouve- ment , félon qu'il eft plus ou moins vif ou tranquille. Mais fi le fujet infpire au Peintre une bonne cecono- mie dans la diftriburion des objets, la bonne diftributîon de fon côté fert merveilleùferoent à exprimer le fujet. Elle donne de la force ■& de la grâce aux chofes qui font inven- tées 3 elle tire les figures de la con- fufion, & fait que ce que l'on repré- sente eft plus net, plus fenfible & plus capable d'appeller, & d'arrêter fon Spectateur. Cette diftributîon des objets en
général regarde les Grouppes & les Grouppes refultent.dela liaifon des objets. Or cette.liaifon fe doit con- E
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,€)S -Cours de Peinture
iiderer de deux manières : ou , par
rapport au.Deflein feulement , op par rapport au Clair-obfcur. L'une & l'autre manière concourent à em- pêcher la diffipation des yeux, §£ à les fixer agréablement. La liai Ton des objets par rapport
feulement au Deffein, .& fans avoir égard au Clair-obfcur , regarde principalement les figures humai- nes, dont les a&ions, les conver- sations & les affinités exigent fou- vent qu'elles foient proches les unes des autres. Mais quoique cela ne fe trouve pas toujours fi jufte en- tre plufieurs perfonnes qui fe ren- contrent enfemble, il fuffit que la chofe foit poflible , ôc qu'il y ait aflez de figures dans la compofî- ,tion d'un Tableau , pour donner oc- cafion au Peintre de prendre fes avantages , & de faire plaifir aux yeux en pratiquant cette liaifon , . iorfqu'il la jugera agréable & vrai- femblable. II. eft impoffib.le de defcendre
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par Principe!. '-yy
i dans un détail qui falTe voir la ma-
nière dont il faut traiter ces fortes de Grouppes en particulier , on s'en doit repofer fur le génie & far les ré- flexions du Peintre. Cependantpour en prendre une idée jufte,& s'en for- mer un bon goût, on pourra confuî- ter les beaux endroits des grands Maîtres en cette partie, :& entr'au- tres de Raphaël, de Jules Romain, 6c de Polidore. Ils ont fouvent joint plusieurs figures d'une manière, où. l'on voit tout l'efprit, & tout l'agré- ment que l'on peut defîrer en ce gen- re de Grouppes. Mais avant que d'e- xaminer les endroits que ces excel- îens hommes ont lailïe pour exem- ples, il efl bon d'être averti que les liaifons dont nous avons parlé,tirent leurs meilleurs principes du choix des Attitudes & du Contrafte. Du choix des Attitudes.
La partie de la Peinture qui eft
comprife fous le mot d'Attitude, qui renferme tous les mou.vemens Eij
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iqo . Cours de Peinture
.du corps humain, & qui demainie une connoiffànce exacte de la Pon- dération , doit être examinée à fond dans un Traité particulier qui a re- lation à celui du-Deflein. Et com- me elle eft auffi du reffort de 1a difpofition par rapport à la forte de Grouppedont nous parions, je dirai feulement en cette occafton que quelque Attitude que l'on donne aux figures pour quelque forte de fujet que ce puiffe être , il faut qu'elle ■ rafle-voir de belles parties autant que la nature du fujet peut le fouffirir. Il-faut de plus, qu'elle ait unk-tour, qui fans fortir de la -vraifemlslance, ni du caractère de -la perfonne , jette de l'agrément dans l'a&iqn. JEn effet ,iln'y a rien dans l'imi-
tation où l'on ne puiffe faire entrer de -la grâce , .ou par le choix , ou par la manière d'imiter. Il y a de la grâce dans l'exprefîion des vices \ .comme dans celle des vertus. Les actions extérieures d'un Soldat., ont |
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far Principes'. i o "
leurs grâces particulières qui coa-
viendroient mal à une femme, coms me les actions d'une femme ont des grâces qui conviendroient mal à irtï Soldat. En un mot la connoiiîance du caractère qui eft attaché à cha- que objet, & qui regarde principa- lement les fexes, les âges, & les conditions , eft" le fondement dur bon choix, 6c la four ce où l'on puife les grâces convenables à chaque fi- gure. Il eft donc aifé devoir que le choix des belles Attitudes fait la; plus grande partie des beautés du Grouppe. Voyons maintenant de qu'elle manière le Contrafte ycon-» tribue. Du Contrajié,
Comme dans les Grouppes on ha
doit jamais repeter les Attitudes d'une même vue, & que la Nature répand une partie de fes grâces daus la diverfîté, on ne fauroit les mieux chercher que dans la variété Se dans f'bppofition des mouvemens. |
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lot Cours de Teinture
Le mot de Contrafte n'énVufïté
dans notre langue que parmi les Peintres qui l'ont pris des Italiens. 11 lignifie une oppo/ïtion qui fe. ren- contre entre les objets par rapport aux lignes qui les forment en tout,, ou en partie. Il renferme non feu- lement les differens mouvemens des ligures, mais les différentes situa- tions des membres , & de tous les autres objets qui fe touvent enfem- bîe, en forte que cela paroiffe fans affectation, & feulement pour don- ner plus d'énergie à I'expreffion du fujet. Or le Peintre qui difpofe Ces objets à fon avantage, emploie le Contraire non feulement dans les figures, mais encore dans les cho- ies inanimées, pour leur tenir lieu d'ame , &; de mouvement. On peut donc définir le Contraire. Vne op- foftion des lignes qui forment les ob- jets , far laquelle ils fe font valoir l'un l'autre. Cette oppofkion bien entendue
donne de la vie aux objets, attire |
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. par Principes. ibj-
l'attention , & augmente le grâce
qui eft fi neceffaire dans les Group- pes , dans ceux au moins qui re- gardent le DefTein Se la liaifondes-' Attitudes. Nous avons dit que la première
forte de Grouppes qui confifte dans le DefTein,regàrdoit principalement les figures humaines. Mais les Grouppes qui ont rapport au Clair- o'bfcur reçoivent toutes fortes d'ob- jets de quelque Nature qu'ils puif- fent" être; Ils demandent une con- .noiflance dés lumières & des om- bres non feulement pour chaque ob- jet particulier ^ mais ils exigent en- core une intelligence des effets que ces ombres & ces lumières font capa- bles de caufer dans leur affemblage, & c'eft ce qu'on appelle propre- ment l'artifice du Clair-oblcur dont j'ai traité avec toute l'exaditude qui m'a été poffible en parlant du Coloris. Comme la principale beauté des
Draperies confifte dans une conve- E iiij
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i Q4 Cours de Peinture
Bable diftnbution des plis, & qu'el-
les font d'un fréquent ufage pour la compofîtion des Grouppes, on ne peut s'empêcher de regarder cette matière comme dépendante en par- tie de la difpofttion. Des Draperies &c.
Le Traité que j'ai fait des Dra-i
peries doit être ici inféré. Je, pâlie au Tout en femble. Du Tout enfemhle.
La dernière chofe qui dépend de
ladifpofîtion eft le Tout enfemble. Le Tout enfemble eft un refuir
.tac des parties qui compofent le Tableau , enforte, néanmoins que ce Tout qui eft une liaifon de plu- iieurs objets ne foit point comme un nombre compofé de plufiears unités indépendantes & égales en, rr'elles , mais qu'il relfemble à uçi Tout politique , où les grands ont befoin. des petits, comme les perles |
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par Principes. 105
ehtbefoin des grands. Tous les o.b-
jets qui entrent dans le Tableau , toutes les- lignes &, toutes les cou- leurs , toutes les lumières & toutes les ombres ne font grandes ou pe- tites , fortes ou foibles que- pac comparaifon. Mais quelle que (bit îa qualité de toutes ces chofes, & quelque foit l'état où. elles fe trou- vent , elles' ont une relation dans leur afTemblage,dont aucune en par- ticulier ne peut fe prévaloir. Cat l'effet qui en-refaite confifte dans une fubordmation générale où. les. bruns font valoir les clairs ■ rcomm'e les clairs font valoir les brunis , & où. le mérite de chaque chofe n'eft fondé que fur une mutuelle dépen-> dance. Ainfi pour définir le Tout' enfemble, on peut dire que c'eft. une fubordination générale des -objets les uns aux autres ', qui les fait con- courir tous enfemble à n'en faire- qu'un. Or cette fubordination qui fait
concourir les objets à n'en faire» E ¥ -
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i g b Cours de Peinture
qu'un, eft fondée fur deux chofes,
fur la fatisfadion des yeux , & fur l'effet que produit la vifîon. C'eft ce que je vais expliquer. Les yeux ont cela de commun
avec les autres organes des fens , qu'ils ne veulent point être inter- rompus dans leurs fondions , &l il faut convenir que plufîeurs per- fonnes qui parleroient dans un mê- me lieu, en même tems & de mê- me ton, feroient de la peine aux Auditeurs qui ne fauroienc auquel entendre. Semblable chofe arrive dans un Tableau , où plufîeurs ob- jets féparés, peints de même force, & éclairés de pareille lumière, par- tageroient & inquieteroient la vue , laquelle , étant attirée de differens côtés feroit en peine fur lequel fe porter, ou qui voulant les embraf- ièr tous d'un même coup d'œil t ne pourroit les voir qu'imparfaite- ment. Pour éviter donc la diffipation
des yeux, il faut les fixer agréable- |
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far Principes, ' ■ .107 "
nient par des liaifons de lumières ce d'ombre , par des unions de cou- leurs , &c par des oppofitions d'une étendue fuffifante, pour foutenir les Grouppes, & leur fervir de repos. Mais fi le Tableau contient plufieurs Grouppes, ilfavit qu'il y en ait un qui domine fur les autres en for- ce &; en couleur \ Se que d'ailleurs les objets féparés s'unifient à leur fond pour ne faire qu'une mafïè , laquelle ferve de repos aux prin- cipaux objets. La fatisfa&ion des yeux eft donc l'un des fondemens de l'unité d'objet dans les Ta- bleaux. L'autre fondement de cette me-
me unité , c'eft l'effet que produit la vifion &. la manière dont elle le fait. L'œil a la liberté de voir par- faitement tous les objets qui l'en- vironnent , en fe fixant fucceffive- ment fur chacun d'eux j mais quand. îl eft une fois fixé , de tous les ob- jets il n'y a que celui qui fe trouve au centre de la vifion , lequel foie E-vj-'-
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l o 8 ' Cours de Peinture
vu clairement & diftinctement : les autres n'étant vils que par des rayons obliques , s'obfcurciflent Se fe confondent à mefure qu'ils s'é. loignent du rayon dired. C'eft un fait que nous vérifions à tous les in- ftans que nous portons nos yeux far quelque objet.. Je fuppofe , par exemple , que
mon œil A. fe porte fur l'objet B; par la ligne directe A. B. Il eft cer- tain que II je ne remue pas mon œil, & qu'en même tems.je veuille ob* ferver les autres, objets qui ne font vus que par les lignes obliques à droit & à gauche, je trouverai que bien qu'ils foient tous fur une mê- me ligne circulaire à la même dii^ tance de mon œil, ils s'effacent &: diminuent de force & de couleur à mefure qu'ils s'écartent-de la ligne directe, qui eft le centre de la vifion. D'où il s'enfuit que la vifion eft
«nepreuve de l'unité d'objet, dans la Nature.- Or £ la Nature qui eft fage., .ô£
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page 108
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D eniaiistmtion
d Vint/ d objet |
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par Principes r.o^
qui en pourvoyant à nos befoins les
accompagne de plaifirs, réduit ain» il fous un même coup d'œil plu- fieurs objets, pour n'en faire qu'un , elle donne en cela un avis au Pein- tre afin qu'il en profite félon que fon Art & la qualité de fon fujet le pourront permettre. Il me parok que cette obfervation n'eu: pas in- digne de la réflexion du Peintre, s'il veut travailler pour la fatisfa- etion des yeux à Texemple de la Nature dont il eft imitateur. Je rapporterai.encore ici Pexpe-
rience du Miroir convexe, lequel enchérit fur la Nature pour l'unité d'objet dans la vifîon. Tous les ob- jets qui s'y voient font un coup d'œil & un Tout enfemble plus agréa- ble que ne feroient les mêmes ob- jets dans un miroir ordinaire, ô£ j'ofe dire dans la Nature même; ( Je fuppofe le Miroir convexe d'une naeiïire raifohnable , èc non pas de ceux qui pour être partie d'unepe-t |
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ï t ô Ccvrs de Peinture
rffce circonférence corrompent trop la forme des objets. ) Je dirai en pâflant que ces fortes de Miroirs qui font devenus afTez rares pour- voient être utilement confultés pour les objets particuliers, comme pour le général du Tout enfemble. Après tout, c'eft au Peintre à fe
cônfulter foi-même fur le travail qu'il entreprend. Car fi fon Ou- vrage eft grand , il peut le cômpo- fer de plufieurs Grouppes qui après le premier coup d'œil feroient ca- pables de fixer les yeux du Speda- teur , par le moïen des repos bien ménagés, &de devenir à leur tour un centre de vifion. Ainfi le Pein- tre judicieux doit faire en forte qu'après le premier coup d'œil, de quelque étendue que foit fon Ou- vrage , les yeux en puiflent jouir fUcceffivement. Il refte encore à parler d'un ef-
fet merveilleux du Tout enfem- kle, c'eft de mettre tous les objets |
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fâr Principes, 11i --
en harmonie. Car l'harmonie quel-
que part qu'elle fe rencontre, vient de l'arrangement & du bon ordre. Il y a de Pharmonie dans la Mo- rale comme dans la Phyfique■$ dans là conduite de la vie des hommes, comme dans le corps des hom- mes mêmes. Il y en a enfin dans tout ce qui eftcompofé de parties, qui bien que différentes entr'elles s'accordent néanmoins à faire un feul Tout, ou particulier, ou géné- ral. Or comme on doit luppofer que cet ordre fe trouve dans toutes les parties de la Peinture fepare- ment , on doit conclure qu'elles ont leur harmonie particulière. Mais ce n'eft point affez que ces parties ayent leur arangement & leur juftefle en particulier , il faut encore que dans un Tableau elles s'accordent toutes enfemble , àc qu'elles ne faiîent qu'un Tout har- monieux 3 de même qu'il ne fuffit pas pour un concert de Mufique que chaque partie fe fafTe enten- |
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ï i % Cvwrs de Peinture
dre avec juftefle , & demeure dans
l'arragement particulier de fes no- tes , il faut encore qu'elles con- viennent d'une harmonie qui les râflemble, & qui de plufieurs Tous particuliers n'en faiTe qu'un généa rai. C'eft-'ce que fait la. Peinture par la fubordinat-ion des objets , des Grouppes, des couleurs, & des lumières dans le général du Ta* bleau. Il y a dans la Peinture differens
genres d'harmonie. Il y en a de douce&de modérée, comme l'ont ordinairement pratiqué le Correge U le Guide. Il y en a de, forte & d'élevée, comme celle du Giorgion^ du Titien ôc du Caravage : &'il y en peut avoir en differens degrés, ' félon.la fuppontion des lieux , des rems, de la lumière & des heures du jour. La lumière haute dans un lieu enfermé produit des ombres fortes ,,& celle, qui eft en pleine campagne demande des couleurs vagues &. des ombres douces. Enfin |
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far Principes: i -; 3
l'excellent Peintre fait l'ufage qu'il
doit faire non feulement des fai- sons , mais des tems3 Se des acci- dens qui fe rencontrent dans le ciel & fur la terre , pour en faire, comme nous avons dit, un Tout harmonieux. Voilà l'idée que je me fuis for^.
mée de ce qu'on appelle en Peinture Tout enfemble. j'ai tâché de la fai- re concevoir comme une machine dont les roues fe prêtent un mu- tuel fecours, comme un corps dont les membres dépendent l'un de l'autre , & enfin comme une ceco- nomie harmonieufé qui arrête le Spectateur , qui l'entretient, Se qui le convie à jouir des beautés par^ ticulieres qui fe trouvent dans le Tableau. Si l'on veut faire un peu de ré-
fléxion-fur tout ce que je viens de dire touchant la rdifpofîtion , on trouvera que cette partie qui en. contient beaucoup d'autres, euVd'tu. ûe extrême confequence j puifqu'el» |
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114 Cours de Peinture
le fait valoir tout ce que l'inven- tion lui a fourni, &: tout ce qui eft de plus propre à faire -impref- fton fur les yeux & fur l'efpritdu Speclateur. Les habiles Peintres peuvent con-
naître par leur propre expérience, que pour bien réuffir dans cette par- tie iî fpirituelle , il faut s'élever au defliis du commun , &- fe transpor- ter, pour ainfî dire, hors de foi mê- me : ce qui m'a donné occafion de dire ici quelque choie de l'Enthou- ikfme , &■ du Sublime, De l'Enthoufiafme.
L'Enthouftafme eft un tranfport'
de l'elprit qui fait penfer les cho- fés d'une manière fublîme, fupre- nante, & vraifemblable. Or comme celui qui confidere un
Ouvrage fuit le degré d'élévation qu'il y trouve , le tranfport d'efprit qui eft dans l'Enthoufîafme eft com- mun au Peintre & au Speclateur ; avec cette différence néanmoins, |
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far Principes. i t f
que bien que le Peintre ait travail- lé à plufîeurs reprifes pouréchauf« fer fon imagination, •& pour mon- ter fon Ouvrage au degré que de- mande rEnthoufiafmejle Spe&ateur au contraire fans entrer dans aucun détail fe lailfe enlever tout à coup , & comme malgré lui , au degré d'Enthoufiaf me où le Peintre l'a at- tiré. Quoique le Vrai plaife toujours,
parce qu'il eft la bafe.ôc le fonde- ment de toutes les perfe&ions , il ne laîife pas d'être fouvent infipide quand il eft tout feul ^ mais quand il eft joint à l'Enthoufîafme, il tranf- porte l'efprit dans une admiration mêlée d'étonnement 5 il le ravit avec violence fans lui donner le tems de retourner fur lui-même. J'ai fait entrer le Sublime dans
la définition de l'Enthoufîafme, par- ce que le Sublime eft un effet & une production de l'Enthoufîafme. L'En- thoufîafme contient leSublime com- me le tronc, d'un arbre contient fes,. |
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i r 'é Cours de Peinture
branches qu'il répand de différera côtés j ou plutôt l'Enthoufiafme eff un foleil dont la chaleur & les in- fluences font naître les hautes pen- fées, ôc les conduifent dans un état de maturité que nous appelions Su-s blime. Mais comme PEnthoufiafme & le Sublime tendent tous deux à élever notre .efpric , on peut dire qu'ils font d'une même nature. La différence néanmoins qui me parole entre l'un & l'autre, c'eft que l'En- thoulîafme eft une fureur de veine qui porte notre ame^ encore plus haut que le Sublime, dont il eft la fourçe, èc qui a fon principal effet dans la penfée & dans le Tout en- fembledè l'ouvrage 3 auiieu-qiie le Sublime fe fait fentîr également dans le général, & dans le détail de tontes les parties. L'Enthoufiafme a encore cela que l'effet en efl: plus prompt, & que celui du Sublime de- mande au moins quelques momens de réflexion pour être vu dans tou- te fa force. |
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.far Principes. « x-x.ft
■-'L'Enthouiîafme nous enlevé fans
que nous le fendons, &c nous trans- porte, pour ainiî dire, comme d'un pays dans an autre fans nous en appercevoir que.par leplaîlîr qu'il nous caufe.. Il me paroît, en un mot, que l'Enthouflaime nous iaifît, ■ éc que nous faillirons le Sublime. Ceft donc.à cette.élévation iurprenan- ;te, mais jufte , mais raifonnable que le Peintre doit porter fo'n Ou- vrage auffi bien que le Poète ; s'ils veulent arriver l'un ■& l'autre à cet extraordinaire Vraifemblable qui remue le cœur ,&: qui fait le plus grand mérite de la Peinture ,& de la Poêfie. Quelques efprits de feu ont pris
l'emportement de leur imagination pour le vrai Enthoufiafme, quoique dans le fond Pabondance.&'Ja vi- vacité de leurs productions ne fuf- fentque des fonges,de malade. Il eft vrai qu'il y a des,fonges bizar- res qui ave-c un peu de modération ..feraient capables de mettre h. |
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; ï i S Cours de Peinture
coup d'efprit dans la compofîtîon
d'un Tableau * & de réveiller agréa- blement l'attention -, & les ridions des Poètes, comme dit Plutarque, ne font autre chofe que des fonges d'un homme qui veille. Mais on peut dire auffi qu'il y a des produc- tions qui font des fonges de fièvre chaude, lefquelles n'ont aucune liai- ion, &: dont il faut éviter la dan- .gereufe extravagance. Il efl: certain que ceux qui ont un
;gsnie de feu entrent facilement dansd'Enthoufiafme , parce que leur imagination efl prefque toujours a- gitée -, mais ceux qui brûlent d'un feu doux , qui n'ont qu'une médio- cre vivacité,jointe à un bon juge- ment, peuvent s'iniïnuer dans l'Ën- htoufiafme par degrés , & le rendre même plus réglé par la folidité de leur efprit. S'ils n'entrent pas fi fa- cilement , ni fi promptement dans cette fureur Pittc , pour ain- •;fi parler, ils ne laiflent pas de s'en
|a|| e que |
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par '-Principes. ,ii-$
leurs réflexions leur font tout voir .■& tout fentir,.&: que non feule-
ment il y a plusieurs degrés d'En- ; thoufiafme ,.mais encore plusieurs
moyens d'y arriver. Si ces derniers ont à traiter un fuj et écrit, il faut qu'ils le lifent plusieurs fois avec application 3 (Si s'il| n'eft pas écrit, il eft à propos que le Peintre choi- fîfie entre les qualités de fon fujet, celles qui font les plus capables de lui fournir des circonstances qui mettent fon efpnt en mouvement,, Car par ce moyen ayant échauffé fon imagination par l'élévation de fes penfées, il arrivera enfin jufqu'à i'Enthoufiafme, & jettera de l'admi- ration dans l'efprit de fes Specta- teurs. Pour difpofer l'efprit à l'Enthou»
fîafme généralement parlant ,rien n'cfl meilleur que la vue des Ou- vrages des grands Maîtres, & la lec- ture des bons Auteurs Hiftoriens ou Poètes , à caufe de l'élévation de leurs penfées t de la nobleiTe |
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?f 20 Cours de Peinture
.de leurs expreffions, & du pouvoir
que les exemples ont fur l'efpritdes
hommes.
* Longin qui a traité du Sublime,
veut que ceux qui ont a écrire quelque chofe qui. exige du grand & du ■ merveilleux , regardent les grands Auteurs comme un flambeau . qui les éclaire, & qu'ils fe deman- dent à eux-mêmes , comment eft-ce qu'Homère auroit dit cela? Qu'au- roient fait Platon , ;Demofthene & Thucidide ? Le Peintre peut en fem- blable occafionfe demander à lui- même , comment eft-ce que Ra- phaël, le Titien, & le Correge au- roient penfé, auroîent deffiné , au- raient colorie , & peint ce que j'en- treprens de reprefenter ? Ou bien, comme dit le même Longin, l'on peut s'imaginer un tribunal des plus grands Maîtres , devant lequel le Peintre auroit à rendre compte de fon Ouvrage. -Quelle ardeur ne fen- tiroit-ïl pas à la feule imagination. >* CL t*.
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■par Principes. ■ ïî'ï
de voir tant d'excellens hommes ,
qui font les objets de fori admira- tion , &: qui doivent être fes juges ? Ces moïens font utiles à -tous les
Peintres, car ils enflammeront ceux font nés avec un puiiîànt génie | & ceux -que,la Nature 'n'a 'pas iï bien traités en reffenriront au niofns quelque chaleur qui fe répandra fur Jeu;s Ouvrages, J'ai tâché .de .faire voir dans
mon Traité de rin,yen.doi> de-quel- le manière il falloir choifîr les ob- jets convenables au fuj-et que le Peintre avoità représenter; Je viens de parler dans la Difpofition de l'ordre que ces mêmes objets dé- voient tenir pour compofer un Tout a vec avantage ; & c'elt ainfi 'que par la liaifon de ces deux parties, ^'Invention & la Difpofition , j'ai fait tous mes efforts pour donner «ne idée la plus jufte qu'il m'a été .poffîble, de cette grande partie de -a peinture qu'on appelle Compo- lîtion. |
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Ij2.2 Cours de -Peinture
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REPONSES 4 QVELQVES
ObjetJions. ENtre les objections qu'on pour-
roit me faire, j'en trouve deux auf quelles il elt bon de répondre. L'une eft contre l'unité d'objet, & l'autre contre l'Enthoufiafme. On peut dire contre le premier,
que la démonftration que l'on a fai- xe de la vifion pour établir l'unité d'objet, la détruit entièrement^ par la raifon qu'il n'eft pas necelfaire de déterminer l'œil, puifqu'en quel- que endroit du Tableau qu'il fe por- te, il fe déterminera naturellement lui-même, & fera l'unité d'objet, fans qu'il fait autrement befoin d'avoir recours aux principes de J'Art. r ^ A cette objedion l'on répond-
deux chofes. La première , qu'il n'eft pas à propos de laiifer à l'œil |
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far Principes. 115
la liberté de vaquer avec incertitu-
de , parce que s'arrêtant au hazard fur l'un des côtés du Tableau , il agiroit contre l'intention du Pein- tre, qui auroit placé , félon la vrai- semblance la plus approuvée , fes objets les plus effentiels dans le milieu, & ceux qui ne iëroient qu'ac- ceiîcii-es dans les côtés : car il ar- rive fouvent que de cet ordre dé- pend toute l'intelligence de /a pen- fée. D'où il s'enfuit qu'il faut fixer l'œil ,-& que le Peintre doit le dé- terminera l'endroit de fon Tableau qu'il jugera à propos pour l'effet de fon Ouvrage. La féconde chofe que l'on ré-
pond , c'eft que dans les fens tous les objets qui regardent les plaiiirs, ;ne demandent pas feulement les agrémens qu'ils ont reçus de la Na- ture ; ils exigent encore les fecours que l'Art eft capable de leur don- ner pour rendre leurs effets plus ienfibles. Par la féconde objedion, l'on
Fij
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a 1.4 Cours de Peinture
pçmrroit me dire que PEnthoufiaf- me emporte fouvént trop loin cer- tains Génies , •■-& pafTe par deflus beaucoup de fautes fans les apper- .cevoir. A quoi il feroit aifé de ré- pondre que cet emportement n'eft plus le véritable Entnoufîafme-,puif- . qu'il pafTe les bornes de la jufteiTe, &: de la vraifemblance que nous lui avons données. j'avoue qu'il paroit qu'un des ef-
-fets de l'Enthoufiafme eft de cacher fouvent quelque défaut à la faveur du tranfport commun qu'il nous caufe 3 ce qui n'eft pas un grand malheur..Car en effet l'Enthoufïaf. meavec quelques défauts, fera tou- jours.préféré à une médiocrité cor- recte 3 parce qu'il ravit l'ame, fans lui donner le tems de rien exami- ner, & de refléchir fur le détail de chaque choie. Miiis ,à proprement parler, cet-effet n'eft pas tant de l'Enthoufiafme que de notre efprit., qui s'en laîfTant pénétrer , pafTe quelquefois au delà des born-es de la vraJfemblance. |
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far Principes] rz'f'
Si on vouloir encore m'ob'jecïer
que tout ce que je- dis de l'Enthou- iiafme peut être attribué au Subli- îïie5 je repondrois que cela dépend de Tidée que chacun attache à ces deux mots, à quoi je fèrois toujours difpofé à m'accommoder, nonob- ftant la différence que j'en ai expli- quée dans le corps de ce Difcours.' |
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#Sp
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ilé Cours de Peinture
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DV DESSEIN.
LE mot de Deflein par rapport
à la Peinture, Te prend de trois manières : ou il représente la penfée de tout l'Ouvrage avec les lumières &, les ombres , & quelquefois avec les couleurs mêmes, 6c pour lors il n'eft pas regardé comme une des parties de la Peinture , mais com- me l'idée du Tableau que le Peintre. médite : ou il reprefente quelque, partie de figure humaine, ou quel- que animal, ou quelque draperie, le tout d'après le naturel , pour être peint dans quelque endroit du Tableau , bc pour fervir au Peintre comme d'un témoin de la vérité, èc cela s'appelle une étude ; ou bien ileftpris pour la circonfcription des objets, pour les mefuresôc les pro- portions des formes extérieures -y Se c'eft dans ce fens qu'il eft; une des. parties delà Peinture, |
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far Principes. Ûi"f
Si le DefTein eft , comme il cil-
vrai , la circonfcription des formes extérieures, s'il les réduit dans les mefures &. dans les proportions qui leur conviennent, il eft vrai de dire: aufli que c'eft une eipece de créa- tion, qui commence à tirer comme du néant, les productions vifibles de la Nature , qui font l'objet du Peintre. Quand nous avons parlé de l'In-
vention , nous avons dit que cette partie dans l'ordre de l'exécution étoit la première. Il n'en eft pas de même dans l'ordre des études, où. le defTein doit s'apprendre avant toute chofe. Il eft la clef des beaux Arts v c'eft
lui qui donne entrée aux autres par- ties de la Peinture y c'eft l'organe des nos penfées,. l'inftrument de nos démonftrations, ôc la lumière de notre entendement. C'eft donc par lui que les jeunes Etudians doi- vent non-feulement commencer , mais c'eft de lui qu'ils doivent conv |
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128 Cours de Peinture
trader une forte habitude , pour-
acquérir avec plus de facilité la con- noifîànce des autres parties dont il cil le. fondement. Le DeiTein étant donc le fonde-
ment de la Peinture , on ne fauroit prendre trop dé foin pour le-ren- dre folide, & pour foûtenir un édi- fice compofé d'autant de parties qu'eft celui de la Peincure. Aînll je tâcherai d'en parler avec tout l'or- dre que demande.une,connoifTance fineceflaire.- Je regarde dans le Derfein plu-
sieurs parties d'une extrême necef- iîté à quiconque veut devenir habi- le , dont voici les principales. La Correction, le bon Goût, l'Elegan- ce, le Caractère, la Diverfîté, PEx* preiîion ôc la Perfpe&ive. De la Corre£tion>
Correction eft un terme dont les
Peintres fe fervent ordinairement pour- exprimer l'état d'une Deflèia |
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far Principes. i zy
qui eft exempt de fautes dans les
mefures. Cette Corre&ion dépend de la jufteffe des Proportions, & de la connoiflance de l'Anatomie. Il y a une proportion générale
fondée fur les mefures les plus con- venables pour faire une belle figure. On peut confulter &: examiner ceux qui ont écrit des Proportions, 8c qui ont donné des mefures générales pour les figures humaines, iuppofé qu'ils ayent eux-mêmes confuité à fond & la Nature & la Sculpture des Anciens. Mais comme dans chaque efpece
que la Nature produit, elle n'eft pas déterminée à une feule forte d'ob- jet, & que fa diverfité fait une de fes plus grandes beautés •, il y a auf- iï des Porportions particulières, qui regardent principalement les fexes, les âges, & les conditions, & qui dans ces mêmes états trouvent en- core une infinie variété. Pour ce qui eft des Proportions particulières ,. ^Natureen fournit autant qu'il y |
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130 Cours de Peinture
a d'hommes fur la terre, mais pour- rendre ces Proportions juftes &c a- greables, il n'y a que l'Antique dont la fource eft dans la Nature , qui tmifle fervir d'exemple , & former une folide idée de la belle diverfité. Plusieurs habiles Peintres ont me-
furé les figures Antiques dans tou- tes leurs parties, &c ont communi- qué à leurs Elèves les études qu'ils en ont faites. Mais fi ces démonf- trations n'ont pas été rendues, ni affez publiques , ni allez exa&es, nous avons en France en notre pof- feffion un nombre plus que. furfilant de belles Statues Antiques, ou Ori- ginales , ou moulées fur les Origi- naux , d'où un chacun peut tirer les lumières 6c les détails neceflai- res pour (on inftruch'on. Ce qui eft.de certain , c'eft qu'il
eft impoffible de fe prévaloir des mefures des figures Antiques, fans les avoir étudiées exa&ement, fans les avoir deffihées avec attention , & fans les avoir données en garde à |
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par Principes. i "3 1
• fa mémoire après quelque tems
d'une parcique opiniâtrée. Vafari fait dire à Michelange que le Cam- pas doit être dans les yeux^& non pas dans les mains. Ce beau mot" a été bien reçu de tous les Peintres : Mais - Michelange n'a pu. le dire, & les autres n'ont pût lui donner cours ,, qu'en fuppofant une habitude des ■ plus belles Proportions. Comme c'eft de l'Antique- que
l'on doit non-feulement tirer ce qu'il y a de meilleur pour les Pro- portions, mais qu'il contient enco- re plufieurs chofes qui conduifent au fublime &. à la perfection , il eft necerfaire de s'en faire \ autant qu'il eft poffible\ une idée nette , qûifoït foûtenue de la raifon. Nous consi- dérerons donc l'Antique dans fon origine , dans fa beauté, pi dans fon - utilité. De l'Antique.
Quoique le mot: VAntique pris
dans la force de fon origine, fîgni- Fvj
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ï 3 2 Cours de Peinture
fie tout ce qui eft ancien , on ne le
prendra ici que pour les Ouvrages de Sculpture qui ont été faits dans le fiecle des grands Hommes, qui étoit celui du grand Alexandre, où les Siences &. les beaux Arts étoient dans leur perfe&ion. Ainfi je croi devoir épargner à mon Ledeur l'en- nui que je lui donnerois , il je vou- lois rapporter ici les noms des pre- miers Sculpteurs, qui par une lon- gue fuite d'années ont pris la Sculp- ture dans fon berceau, pour la con- duire jufqu'à l'âge où elle dévoie arriver à cette perfection qui méri- te , pour ainfi dire , le nom d'Anti- que que nous lui attribuons aujour- d'hui. • Les louanges que l'on donna pour
lors aux exceilens Ouvrages, aug- menta le nombre des bons Sculp- teurs j ôc la quantité de Statues que l'on érigeoit aux gens qui fe faifoient diftinguer par leur mérite , aufRbien que les Idoles dont on ornoit les Temples, donnoient de plustn plus |
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par Principes. 13"
îïtatiere aux grands Génies de s'e-
xercer , & de perfe&ioner leurs Ou- vrages à l'envie les vins des autres. Ce fut en ce tems-la que Policle-
tè l'un des plus grands Sculpteurs - delà Grèce, s'avifa de faire une Statue qui eut toutes les proportions qui conviennent à ttn homme par- faitement bien- formé. Il fé fervit pour cela de plufieurs modèles na- turels , & après-avoir réduit fon Ou- vrage dans la dernière perfe&ion, il fut examiné par les habiles gens avec tant d'exactitude , ôc admiré avec tant d'éloges", que cette Statue fut d'un commun confentement ap- pellée la R.egle , & fut fuivie en gé, néral par tous ceux qui cherchoient aie rendre habiles. Il eft aflez vrai- femblable que cette expérience ayant réuffi pour un fexe, on en fît autant pour un autre, & qu'on la pouffa même à la diverfité des âges „ &ides conditions. Il me paroît que c'cft à cePolicle-
te:que l'on peut raifoanablemeii- |
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x *3 4. ' Cours de Peinture
xer l'origine des merveilleux Ouvra- ges que nous appelions Antiques y puifqu'on les avoit déjà portés au degré de perfection où nous les voyons. Les Sculpturs de ces tems- ^ la continuèrent de donner des mar- ques de leur habileté jufqu'au règne de l'Empereur Galien, environ l'an 360. que les Gots ravagèrent la Grèce fans connoiflance, & fans au- cun refpecl pour les belles chofes. Mais puifque. nous regardons les- proportions de l'Antique comme les modèles de la perfe&ion , il eft de- l'ordre naturel de parler ici de fa- beauté. De la bes.utè de l'Antique.
Quelques-uns ont dît que la beau-
té du corps humain confiftoir. dans un juftë accord des membres entr'- eux par rapport à un Tout parfait $ d'autres la mettent dans un bon tempérament*, dans une vigoureufe ■ iânte, où le mouvement &. la pure- |
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f-ar Principes. . ■i^'J"
té du fâng répandent fur la peau des <
couleurs également vives & fraî- ches. Mais la commune opinion n'admet aucune définition du Beau, Le Beau, dit-on-, n'eft rien de réel, chacun en juge félon fon goût, en un mot,.que le Beau n'éft autre chofe que ce qui plaît.. Quoi qu'ilen foit, peu de fenti—
mens ont été partagés fur la beau- té de l'Antique. Les gens d'efprit qui aiment les beaux Arts ont efti- mé dans tous les tems ces merveil- leux Ouvrages, c'eft-à-dire, non feulement aujourd'hui qu'ils font ra- res , mais dans les tems que touc étoit plein de Statues , &. qu'elles étoient dans la Grèce £c dans Ro- me, comme un autre peuple. Nous voyons dans les anciens Auteurs quantité de partages, où pour louer les beautés vivantes, on les compa- rait aux Statues. Les Sculpteurs, dit Maxime de Tyr, par un admirable artifice choififsent de plufieurs corps les farties qui leurfcmblent les plus belles 3 |
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î 3 6 Cours de Peinture' '
& ne font de cette diverfité qu'une fe'u'i Iç Statue. Mais ce mélange eft fait avec tant de prudence &fi à propos, qu'ils femblent n'avoir eu pour modèle qu'une feule & parfaite Beauté. Et ne vous imagine^ pas, pourfuic le même Au- teur , de pouvoir jamais trouver une beauté naturelle , qui le difpute aux Statues 5 l'Art a toujours quelque cho. fe déplus parfait que la Mature. Ovii de dans le î i. de Tes Métamorpho- fes, où il fait la Defcription de CyU lâre , le plus beau des Centaures, dit, qu'il avoit une fi grande vivacité dans le vifage, que le col, les épaules , les mains , & i'efïomac en étaient fi beaux , qu'on pouvait ajjàrer qu'en tout ce qu'il avoit de l'homme , c'était la mè± me beauté que l'on remarque dans les Statues les'plusparfaites.Et Pliiloftra- te parlant d'Euphorbe , dit que fà, beauté avoit gagné le cœur des Grecs 5 & qu'il étoit fi approchant de la beau~ té d'une Statue qu'on l'aurait fris pour Apollon. Et plus bas parlant de la beauté de Neoptoleme, 6c de la reL |
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par Principes.- r3 T
femblance qu'il avoic avec Ton père
Achille , il die ■'-, .Qu'en beauté fin pè- re avait autantd'avantage fur lui, que les Statues en ont fur les beaux homme s. Ce n'etoit pas feulement chez les Grecs que l'on érigeoit de Statues aux gens demérite,&- qu'on-s'en fai- foit des Idoles ; le Peuple Romain fe fervoit des mêmes moyens pour recompenfer lés grandes actions, Se pour honorer, leurs Dieux. Les Ro- mains dans la conquête de la Grèce en enlevèrent ' non-feulement les plus belles Statues 5 mais enemme, nerent les meilleurs Ouvriers qui en înffcruifirent d'autres, ôc qui ont laif- fé à la Pofterité des marques éter- nelles de leur favoir, comme nous le voyons par tant d'admirables Sta- tues , par tant de Buftes, par tant de Vafes, Se tant de Bas-reliefs, Se par ces belles Colonnes Trajane Se Antoniane. Ce font toutes ces Anti- quités que l'on doit regarder com- me les véritables fources où il faut que les Pein';res.Se les Sculptures ail-, |
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r5§ Cours de Peinture
lentpuifer eux mêmes, pourrepanl
dre une beauté folide>fur ce que leur génie pourra d'ailleurs leur infpirer. Les Auteurs Modernes ont fuivi ces mêmes fentimens fur la beauté de l'Antique. Je rapporterai feule- ment celui de Scaliger. Le moyen ,. dit-il, que nous puifions rien voir qui approche de la perfeBion des belles Sta- tues , puifqu'il efi permis à l'Art de ehoifir,. de retrancher , d'ajouter yâe diriger, & qu'au contraire la Nature s'eft toujours altérée depuis la création du premier homme, en qui Dieu joiyniP la beauté de la forme à celle de l'in- nocence, |
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par Principes. i 59-'
Traduction littérale E*Rubenio..
du Latin de Rubens. De l'Imitation desSta- De ^"atÎMe Stattl*»
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rum.
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tues Antiques*
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IT 1 r» • A Liis uriliffîma.,-
LyadesPem- J\aïûs damnofa.
très a qui 1 1- ufqUe ad extermi-
mitation des Sta- nium Artis. Gonclu-
tues Antiques eft do tamen ad'fum--
très- utile , & à mum ejus perfe&io-
d'autres dange- nem eflè neceflariam
r r > \ 1 earum intelligen-
reuie lulqua la ■ . .&,... . . _ >n. *■ , tiam , îmo imbibi--
deltrudion de tionem:fedjudiciosè
leur Art. Je con- applicandum earum due néanmoins ufum&omnino ci- que pour la der- tra faxum. Nam plu- niere perfection resimperiti& etiam de la Peinture, il Periti non diJing™t
n , rr .. /. materiam a forma ,
eft neceiTaire d a- Faxum à figura ^
voir l'inteUigen- neceffitatem mar-
ce des Antiques , moris ab aitiScio.
voire même d'en être pénétré; mais
qu'il eft néccftàire. auffi que l'ufage
|
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!i4-o Cours de Peinturé
en foit judicieux ,..& qu'il ne fente
Ja pierre en façon quelconque. Car l'on voit des Peintres ignorans, &; même des Sâvans qui ne faventpas diftinguer la matière d'avec la for- me , la figura d'avec la pierre, ni la -lïéceflité; oà eft le Sculpteur de fe fèrvir du marbre d'avec l'artifice dont iï s'emploie. TJna autem maxi- fl eft cMlftanc.
maeitbtatuarum op- . r . rimas utiliffimas uc que lesStatuestes
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plus belles font
très-utiles, com- me les mauvaifes font inutiles èc même dangereu- fes : Il y a de |
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viles îbutiles efle,vel
etiam damnofas : Nam Tyrones ex iis nefcio quid cmdi , terminât! & diificilis moleftaque Anatd- |
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mix dum trahunt vi-
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dencurProfïcere,féd jeunes ,. Peintres
inopprobrium Na- qui s'Imaginent
turas, dumprocarne être bien avari-
marmor coloribus ces, quand ils ont
tantumreprzfewant. t{r(L de ces figures
Muha funt enim no- • „Q r • °- iQ .
, • „ . je ne lai quoi de
tanda îmo &c vitan- K , * . ,
da etiam in opti- dur, de termine,
mis accidentia ci- de difficile & de -
ïraculpam-Artincis ce qui eft plus à* -
|
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far Principes. a^ï
épineux dans l'A- pra;cipuè differentia.
.natomie : mais umbrarum , cum ca- tous ces foins io Pelh; ' ,çarcla"
, , , - so iua diaphanitate
vont a la honte ^ uka lenia^ u
delaNature,pmf- pjtja -m 5tacujs n;_
qu'au lieu d'imi- gredinis & umbrae ter la chair , ilsne quae fua denûtate fa- repref entent que .xumduplicatinexo» du marbre teint «bilnerobviuni.Ad- i ». /- de aaaidam macca- de diveries cou- ' , , '
. - turas ad omnes mo-
kUrs. -Car il V tus variabiles & faci-
,a plufieurs accl -litate.peilis aut di- . dens à remar- miîfasaut contractas ,qi:ervouplutôtà à Scatuariis vulgp éviter dans les evitatas>optimis ta-
Statues même les TO£ aliW*nd° ad-
, , ;, , r miHas, Picturas cer-
plus belles, -ief- t6fbdcum modera_
.quels ne viennent tipne neceflarias.Lu-
point de la faute mineetiam ab omnï de l'Ouvrier. Ils humanitate alieniflî- confiftent princi- m.^ différant lapidep palement.dans h Me™°*e r& afPsra- différence Aes ^ce ftpecflcws.ina- , A gis élevante ac par ombres ;vu que eft,aut faltemoculqs la chair, la peau, fafcina-nce.\ les cartilla-ges.,-par leur.qualité dig- |
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erjpz "Cours de Peinture
phaneadoucifîent, pour ainiï dire.,
la dureté des contours, &c font évi- -:ter beaucoup d'écueils qui fe trou- vent dans les Statues, à caufe de leur ., ombre noire qui par fon obfcurité fait paroître la pierre, quoique très- opaque , encore plus dure & plus .opaque qu'elleri'eit en effet.Ajoutez a cela qu'il y a dans le naturel cer- tains endroits qui changent félon les divers mouvemens, & quia cau- fe de la foupleffe ds la peau font quelquefois,, tantôt unis & tendus,, &. tantôt plies &; ramaffés, que les Sculpteurs pour l'ordinaire ont pris loin d'éviter ; mais que les plus lia- •bïles n'ont pas négligés,&;qui font .abfolumentneceflaires dans la Pein- ture, pourvu qu'on enufe avec mo- dération. Non feulement les ombres -des Statues, mais encore leurs lu- mières font tout à fait différentes de celles du naturel'; d'autant que l'é- clat de la pierre 6c l'âpreté des jours •dont elle eft frappée élève la fuper- fcieplus qu'il ne faut, ou du moins |
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far Principes, «43
-font paroître aux yeux des dhoiès
qui ne doivent point être. Celui qui par „ ■ , ...
ïine mure difcre- . ~,;p -1 >
. r r • 1 *i difcretione-lepera-
:tion iaura faire le verit, statuas comi-
difcernement de ,nns ampleftetur ; toutes ces chofes, nain quid in hoc er- ne peut cqnfide- roneo fsculo dége- ler avec trop d'at- neres .poflumus , mention les Sta- W» y°ûiÀs Geniu*
, . nos humi detinet ab
tues Antiques, ni heroico illo immi„
les étudier trop nutos ïngenio judi-
loigneufement : cio : feu Pattum ne-
puifque dans les -bu]â fufci fumus fuae
•fiecles erronés où voluntate Deum ad
nous vivons,.noas pejora lapfî .poft-
r r ,, . quam lapu non re-
lommes rorteloi- x • ■ r ,
, . mitumuraut vetera-
gnes de rien pro- fcente mundo inde-
Alire de fembla- boliti irrecuperablM ble , foit que la damno,feuetiamcl)«= bafTeffe de notre je&um naturali an- cenie nous tien- xiw'K™ origini Per- S rempans & ne ^ionique .propius ■*■ orrerebatultrocom- nous permette -paftum quod nunc
pa.5 d'aller jufqu> feculorum fçnefcGtfc
|
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14-4 ' Cours de Peinture
cïûm defedu ab ac- où les Anciens
, cidentibus , comip- font arrivés par
tum nihil fùîr'etinmt jeur jU£rement &
delabente in pluia par leur eforit ve-
perkctione iucce - r. , , L ,
dentibas. vitiis : Ut noblement h e-
etiam.Stature homi- roïque j ou bien
'num «jultomm fen- que nous lovons
;cenciisprobaturpau- enveloppés des
iattm decrefeencis mêmes ténèbres
quippeprofamfacri- Q^ nQS p£res
due de Heirolim , Gi-
~ , ' ont vécu : ou que
gue xvo multa qui- D*eu permette
djm fabulofaaliqua qu'ayant négligé tamen vera narrant de nous retirer . fine dubio. d'une erreur dans
laquelle nous étions tombés, nous
allions de mal en pire : foit encore que par un dommage irréparable il ârriveque nos efprits s'affoibliirent& fc Tentent de la vieillefle du-monde.: foit enfin que les corps humains ayant été dans les fîecles pailés-plus près de leur origine & de leur perfe- élion v fe foient trouvés des modèles parfaits & ayent fourni naturelle-
|
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far Principes. 54.5
ment toutes les beautés que nous
île reconnoiflbns plus aujourd'hui dans la Nature. La perfection qui étoït une , s'eil poflible partagée de afFoiblie par les vices qui lui ont fuccedé iniènfiblement 5 de forte que cette corruption feroit venue à tel point, qu'il femble que les corps ne foient plus les mêmes, ainfî qu'on pourroît le conjecturer par les écrits que nous ont lailîe plufieurs Au- teurs tant facrés que profanes, lef- quels nous ont parlé de la ftature ancienne des hommes en la perfon- ne des Héros , des Geans, & des Cyclopes 5 & fi en cela ils nous ont conté beaucoup de fables, ils nous ;ont dit fans doute quelques vérités. La principale Caufa prscipuaquâ raifon pourquoi noftri *vi horaines les corps hu- différant. ab_ Anci- rj emis eftignavia&in- mains de notre ?xercicat&um vivendi
tems font difte- genus. qUippeeflè-,
rens de ceux de bibere nulla exerci- fantiquité , c'eft tandi corporis cura. |
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T a & Cours de Peinture
Igitur prominet de- la pârefïe ,. l'oin- pceffumventrisjonus veté,ôde peu d'e~ femper affidua reple- xercjce qUe l'on tumingluvie crura fa;t . car la plu, SconfcS! Pf» des homme,
tràantiquitùsomnes 11 exercent leur
quotidie in palaeftris corps qu'a boire Se gymnafiis exerce- & à faire bonne bantur violenter, ut cnere. Ne vousé- rerè dicam.nim^ ad tonnex ^oac pas fudorem, ad laffitu- ^ fà& d nem extremam ul- ,»
que VideMercuria- fe fur graille , on
lem de Arte Gym- a un ventre gros naftica , quam va- & chargé , des rialaborum gênera, jambes molles 5c quam difficiha , enervées, & des
quamrobuftahabue- . fe fe_ tut tantoperè,venter mêmes leur oih-
reftringebatur abdev veté. Aulieu que mine in carnem mi- dans l'Antiquité grante. Et quidquid jes nommes s'e- in cor pore homano xerçoienttous les excitando paffivcfc J dans ks A. habent : nam bra- iw l .. chia,erura,cervix, cademies& lieux
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par Principes. 147
publics deftinés fcapuli &: omniaquas
aux exercices du agunt alliante na- ce n &r f tura iuccum ca- r . P » „ P - lore attra&um fub-
foient même fou- miniftrante in im_ vent ces exer- menfum augentur &
cices jufqu'à des crefcunt-,utvidemus
fueurs & des laf- terga Getulorum ,
fitudes extrêmes, brachia Gladiato -
Voyez dans le IL rum 'fura Saltfn"
; , , . tium & totum fere yre qu a écrit s Remi
Mercunalis tou - *
chant l'Art Gyrrmaftïque, en com-
bien de façons différentes ils tra- vailloient leurs corps,& quelle force il falloit avoir pour cela. Dans le vérité rien n'étoit meilleur poua faire fondre les parties trop molles èc trop grades d'oifiveté que ces fortes d'exercices : la panfe te reti- roit, & tous les endroits qui étoient agités fe changeoient en chair & fortifîoient les mufcles : car les bras , les jambes, le cou Jes épaules, & tout ce qui travaille étant aidé de la Nature qui attire par la chaleur un fuc dont elle les nourrit, pren-' G il
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ï4-8 Cours de Peinture
nent de la force, croîflent & s'aug- mentent extrêmement, ainfi que nous le voyons au dos des Getes 5 aux bras des Gladiateurs, aux jam- bes des Danfeurs, & prefque à tout le corps des Rameurs. Rubens, dans un Manufcrït La-
tin qui eft entre mes mains, en par- le de cette forte. Jai rapporté fes propres paroles pour autorifer la fidélité de la Traduction. De Imita- tione jiatuarum, Jlliis titiliffima &c. Enfin la louange des gens d'ef-
prit, les témoignages des Auteurs „ &c l'eftime univerfelle des fieclesles plus éclairés : toutes ces chofes , dis-je, qui font les plus forts pré- jugés en faveur de l'Antique, ne fervent pourtant qu'à confirmer cette unique raifon de fa beauté , favoir s que l'Antique n'eft beau que parce qu'il eft fondé fur l'imi- tatrbn de la belle Nature dans la c onvenance de chaque objet qu'on a voulu reprefenter. Un Dieu , un Héros , &. un Homme ordinaire: |
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far Principes. ^49
©fit des eâra&eres difFerens que l'on;
remarque dans les plus belles «Sta- tues antiques. Coiï)me,par exemple 5 dans l'Apollon , la Divinité ; dans l'Hercule la force extraordinaire * & dans l'Antinous la beauté hu- maine. Le Goût de l'Antique, me dira-
t-on, quiparoît fondé fur le com- mun contentement des gens d'ef- prit, a pourtant varié du tems des Gots. Mal* &&• peut répondre que la
manière gottique elt venue" dans un: tems où la guerre ayant fait périr les beaux Arts , les Ouvriers n'eu- rent point d'autre objet pour les re- nouveller que l'imitation de la Na- ture telle qu'elle fe prefentoit par tazard ; & que pour les ornemens » leur imagination s'exerçoit plutôt dans les chofes difficiles, qu'ils croyoient leur devoir acquérir de la réputation , que dans le bon goût qu'ils ne connoiïîbient pas. Ce n'efl donc point pour avoir
G iij
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i f © Cours de peinture
rejette l'Antique que les Gots s'en font écartés, c'en: pour ne l'avoir pas connu. Tous les Arts ont com- mencé par imiter la Nature , & ils ne fe font perfectionnés que par le bon choix. Ce bon choix qui fe trouve dans l'Antique , a été fait par des hommes d'un bon efprit, qui cherchoient la gloire par la fcience, & qui ont examiné pour arriver à leur fin , les modèles les plus par- faits , dans une païs où les hommes naiffent naturellement beaux , & dans un tems fertile en grands gé- nies , où les beaux Arts étoient af- fiduement étudiés , approfondis dans leur fource } & pouffes dans une perfe&ion qui eft encore au jourd'hui l'objet de notre étonne- ment. Que pourroit-on faire davanta-
ge pour donner à la Pofterité une grande idée de l'Antique, une idée prife non d'un pratique infipide , ou d'une manière exagérée que les Difciples prennent des Maîtres , |
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far Principes. i 5 i
d'un efprit borné 8c d'une capacité
médiocre : mais d'une idée qui n'a point d'autre fource que la Nature dans laquelle le Vrai paroît dans toute fa pureté, dans toute fon élé- gance , dans toutes fes grâces , & dans toute fa force , fans jamais for- tir de fa fimplicité. Voilà l'intérêt qu'ont tous ceux qui deffinent, de regarder le nud de l'Antique com- me la Nature épurée, & comme la régie la plus affurée de la perfec- tion. Mais comme il efr. inutile de vou-
loir profiter de la vue des belles chofes fans les bien concevoir , il eft impoffible de pénétrer la beauté de l'Antique, non plus que le Vrai de la Nature , fans le fecours de TAnatomie. On peut bien en voyant & deflinant l'Antique acquérir une eertaine grandeur de DefTein, &; fe faire en gros une pratique qui tend au bon goût & à la delicatefle : mais ces avantages , s'ils font fans con- noiiïànce & fans principes, n'iront |
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i f ï Cours de Peinture
qu'à éblouir le Spectateur par urt
dehors fpécieux , & par des remi- nifcences mal placées. Et tel qui s'ex- tafîe à la vue de ces beaux Ouvra- ges de l'Antiquité, eft encore fort éloigné de favoir la véritable four- ee des beautés qu'il admire, à moins qu'il ne fâche cette partie fonda- mentale du DefTein , je veux dire, de l'Anatomie. J'ai donc à faire voir que l'A-
natomie eft le véritable fondement du DeiTein, & que cette fcience fèrt à découvrir les beautés de l'Anti- que. Je ferai voir en même tems que la connoilïànce qui en eft necenai- re au Peintre & au Sculpteur, eft très facile à acquérir, Si que la né- gligence que l'on a eue pour l'ap- prendre, ne vient que de ce qu'on l'a regardée comme un chemin qui conduifoit dans une fechereflè de DefTein , & dans une manière trop reiTentie. Mais ceux qui voudront y faire un peu,de réflexion, connoî- tront au contraire qu'elle eft la ba~ |
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far Principes: r 5 f
fe folide de la vérité & de la cor-
rection des contours, bien loin d'en corrompre la pureté & d'altérer les mufcles dans leurs liaifon^, J'ai écrit autrefois fous un nom-
emprunté * un abrégé d'Anatomie accommodé aux Arts de Peinture &; de Sculpture, dans lequel les dé- ni onftrations font fort fenfibles , & j'en dirai encore ici quelque chofe pour en faciliter d'autant plus l'in- telligence , que ceux qui en ont be- fbin croient qu'elle eft. fort dif- ficile. De l'Anatomic
L'Anatomie eft une connoiÏÏàn-
ce des parties du corps humain y mais celle dont les Peintres ont befoin, ne regarde à la rigueur que les os ,: & les principaux mufcles qui les couvrent ; 6c la démonftra- tïôrtde ces deux chofes fe peut faire avec facilité. La Nature nous à donné des os pour la folidicé de * Abrégé d'/Snatomie par Tortebat.
6î
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154 Cours de Peinture
notre corps, 6c pour la fermeté de
chaque membre. Elle y a attaché des mufcles comme des agens ex- teneurs qui tirent les os du côté que la volonté le commande. Les os déterminent les mefures des lon- gueurs , & les mufcles celles des lar- geurs , ou du moins c'eft de l'office des mufcles que dépendent lafor- me & la. juftefle des contours. Il eft d'une neceffité indifpenfa-
ble de bien connoître la forme & la jonction des os % d'autant qu'ils altèrent fouvent les mefures dans le mouvement, comme il eil necef- laire de bien favoir la fkuation êc l'office des mufcles 5 puifqu'en cela confifte la vérité la plus fenfïble clu Deflein Les os font immobiles d'eux mê-
mes &; en font ébranlés que par les mufcles. Les mufcles ont leurs origines & leurs infertions j ils tien- nent par leur origine à un os qu'ils n'ont j'amais intention d'émouvoir , & ils tiennent par leur infertion à |
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far Principes. i 5 f
un autre os qu'ils tirent, quand, îi*
veulent, du côté de leur origine. Il n^y a point de mufcle qui n'ait
fon oppofé : quand l'un agit, il faut que l'autre obéifïe , femblables en cela aux féaux du puits dont l'un defcent quand l'autre monte. Ce- lui qui agit s'enfle & fe reflerre du côté de fon origine, &: celui qui obéit s'étend & fe relâche. Les plus gros os & qui font les
plus difficiles à s'ébranler ,font cou- verts des plus gros mufcles, lefquels font fouvent aidés dans leurs fonc- tions par d'autres qui déterminés à faire le même office, augmentent la force du mouvement, & rendent la partie plus fenfible. Plufieurs Peintres en prononçant
fortement les mufcles ont voulu s'établir une réputation defavans dans l'Anatomie , ou du moins ont voulu faire voir qu'ils la poiîedoient. Mais ils ont montré par là même qu'ils la favoient mal , puifqu'it paroit qu'ils ont ignoré qu'il y eus |
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i 5 6 Cours de Peinture
une peau qui enveloppe les mufcles,;
& qui les fait voir plus tendres &C: pfus coulans, ce qui fait une par. de du corps humain , & par confe- quent del'Anatomie. Les corps des femmes & des petits enfans qui ont tous leurs mufcles , auffi bien que les Atletes, nous prouvent affez cet- te vérité. Les Auteurs des figures Antiques
n'ont point abufé de la connoiflàn- ce profonde qu'ils avoient de cette partie , en faifant paroître les muf- cles au delà d'une prudente neceC fité ; !k. la jufterTë qu'ils ont confer- vée en cela marque bien l'attention qu'ils croyoient qu'on y devoir, don- ner. En effet , le moyen- de juger de la vérité, ou de la fauffeté d'un contour, fi l'on ne connoît certai- nement à quel point le mufcle qui le forme doit être enflé ou relâché félon la deftination de fon office, Se le degré de fon action. Nous voyons r b j '•
louvent, comme nous avons déjà
dit, que faute de cette connoiflan. |
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far Principes. T5T
ce, tel qui admire une Statue An-
tique n'en fait pas d'autre raifon que parce qu'elle eft Antique. Et fi vous lui demandez raifon
d'un contour de quelque figure mê- me qu'il aura faite, il vous répondra, qu'il l'a vue ainfi fur la Nature : & e'eft ce qui arrive parmi les jeunes gens &,parmi ceux dontlafcience ne confifte que dans la feule pratique. Il arrive fouvent que l'on voit
dans le nud des figures Antiques & dans la Nature même , certaines éminences dont on ne peut favoic la raifon, fi on ne fait l'inférer delà/ fituation & de l'office du mufcle qui les caufe. Mais ceux qui pofl fedent l'Anatomie voient tout en: ne voyant qu'une partie, Se favent conduire des yeux ce que la peau & la graifTe paroiffent leur déro- ber, & ce qui eft caché à ceux qui; ignorent cette fcîénce. Je ne m'expliquerai point ici da*
vantage 5 il fuffit que j'en aie affez; dit pour perfuader qu'il eft impoi- |
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158 Cours de Peinture
fîble d'être véritablement habile
dans le Deflein,fans une connoiffaa- ce claire & nette de l'Anatomie % telle qu'elle convient aux Arts de Peinture &c de Sculpture. Je reviens feulement à dire que rien n'eft plus aifé que de l'acquérir dans le degré que nous fuppofons : contre l'ima- gination de ceux qui aiment mieux s'en faire un monftre, que de don- ner quelque attention à cette par- tie fî neceffaire. Pour les demonftra- tions je renvois mon Lecteur à l'A- brégé d'Anatomie que j'en ai fait^ôc qui a été imprimé, comme j'ai dit > tous le nom de Tortebat. Du Goût du Deffein.
Le goût eft une idée qui fuit l'in-
clination naturelle du Peintre ,, ou qu'il s'eft formée par l'éducation. Chaque Ecole a fon goAt de Def- fein, & depuis le rétabliffement des beaux Arts celle de Rome a été toujours eftim.ee la meilleure, par- |
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' par Principes. 159
ce qu'elle s'eft formée fur l'Antique;
l'Antique eft donc ce qu'il y a de meilleur pour le goût du DefTein , ainfi que j'ai tâché ci-deflus d'en donner des preuves. De l'Elégance.
L'Elégance en gênerai eft une
manière de dire ou de faire les chofes avec choix y avec politefle , & avec agrément -f avec choix , en fe mettant audeflus de ce que la Nature & les Peintres font ordi- nairement 5 avec politefTe, en don- nant un tour à la chofe , lequel frappe les gens d'un efprit délicat} & avec agrément en répandant en gênerai un affaifonnement qui foit au goût & à la portée de tout le v monde. L'Elégance n'eft pas toujours
fondée fur la correction , comme elle le paroît dans l'Antique & dans Raphaël. Elle fe fait louvent fentir dans des ouvrages peu châtiés & |
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r6o Cours de Peinture
négligés d'ailleurs, comme dans le
Ccrrege, où malgré les fautes con- tre la juftefle du Deflein, l'Elégan- ce fe fait admirer dans le goût du Deffein même, dans le tour que ce Peintre donne aux actions, en un, mot „ le Correge fort rarement de l'Elégance. Mais l'Elégance qui eft foutenue
de la corsedion du DelTein , ère nous prefentant uneimage de ia per- fection , remplit toute notre atten- te y attache notre attention, & éle- vé notre efprit après l'avoir frappé d'un agréable étonnement. On peut encore définir l'elegance du Deffeiiï de cette forte. C'eft une manière d'être qui em-
feelit les objets, ou dans la forme* ©u dans la couleur , ou dans tous les deux, fans en détruire le Vrai. Celle qui regarde le Deffein fe
trouve dans l'Antique préferable- ment à tous les grands Peintres qui li'onr imité ,. parmi lefquels le con- |
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far Principes tët
fentement univerfel met Raphaël
au defïus des autres Des Caractères.
Ce n'efV pas la corre&ion feule
qui donne l'ame aux objets peints,/ c'eft la manière dont ils font deffL nés. Chaque efpece d'objet deman- de une marque différente de diftin- dion , la Pierre, les Eaux , les Ar- bres , le Poil, la Plume ; & enfin- tous les Animaux demandent des touches différentes pour exprimer l'efprit de leur caraétere : le nud même des figures humaines a Ces marques de diftin&ion. Les uns pour imiter la chair donnent aux con- tours une inflexion qui porte cet efprit : les autres pour imiter l'An- tique confervent dans leurs cou- tours la régularité des Statues 3 de- peur de rien perdre de leur beauté. On voit même dans les Deffeins^ des grands Maîtres , que pour ex- primer les parlions de l'ame , ils s'étoient familiarifés certains trairs |
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I 6 2 Cours de Peinture
qui montrent plus vivement encore
que leur Peinture l'expreffion de leur idée. Le mot d'Expreffion fe confond
ordinairement en parlant de Pein- ture avec celui de Paflîon. Ils dif- férent néanmoins en ce que , Ex- preffion effc un terme gênerai qui îîgnifle la reprefentatioa d'un objet félon le caracWe de fa Nature, & fé- lon le tour que le Peintre a deffein de lui donner pour la' convenance de ion ouvrage. Et la Paflîon en Peinture , eft un mouvement du corps accompagné de certains traits fur le vifage, qui marquent une agi- tation de l'ame. Ainfî toute paflîon eft une expreffion : mais toute ex- preffion n'eft pas une paffion- D'où l'on doit conclure qu'il n'y a point d'objet dans un tableau qui n'ait fon expreffion. • Ce feroit ici le lieu de parler des
paiîîons de l'ame : mais j'ai trouvé qu'il étoit impoffible d'en donner des démonflrations particulières qui |
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far Principes. 163
puflent être d'une grande utilité à
l'Art 11 m'a femblé au contraire , que fi elles étoient fixées par de cer- tains traits qui obligeaient les Pein- tres à les'fuivre necefTairement com- me des règles eflentielles, ce feroit ôter à la Peinture cette excellente variété d'expreffion , qui n'a point d'autre principe que la diverfité des imaginations dont le nombre eft in- fini , Se les productions auffi nouvel-, les que les penfées des hommes iont différentes. Une même paffion peut être exprimée de plufieurs façons toutes belles, &. qui feront plus ou moins de plaiiir à voir félon le plus ou le moins d'efprit des Peintres qui les ont exprimées,, 8t des fpecta- teurs qui les fentent. Il y a dans les paillons deux for-
tres de mouvemens -, les uns font vifs & violens, les autres font doux & modérés. Quintîlien appelle les premiers patetiques , &. les autres moraux. Les patetiques coraraan- |
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ï 64 Cours de Peinture
dent , les moraux persuadent ; tes
tins portent îe trouble et remuent puifïamment les cœurs, les autres infmuent le calme dans l'efprit 5 6c tous ont befoin de beaucoup d'Arc pour être bien exprimés. Le patetique eft fondé fur les
paffions les plus violentes , fur la Haine ,. fur la Colère, fur l'Envie , iur la Pitié. Le Moral infpirela dou- ceur , la Tendrefïè, l'Humanité.Le premier règne dans les combats & dans les a&ions imprévues &: mo- mentanées 5 le dernier dans les con- ventions. L'un & l'autre deman- dent les bienféances & les conve- nances des figures que l'on intro- duit fur la fcene. Le Brun a fait un Traité des Paf-
fions dont il a tiré la plupart des définitions de ce qu'en a écrit Def- cartes. Mais tout ce qu'en a dit ce Philofophe ne regarde que les mou- vemens du cœur , & les Peintres n'ontbefoin que de ce quiparok fur |
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far Principes,. i 6 5
ïe vîfage. Or quand les mouvemens
du cœur produiroîent les paffions félon les définitions qu'on en don- ne , ii efl difficile de favoir com- ment ces mouvemens forment les traits du vifagequi lesreprefèntent à nos yeux. De plus, les définitions de Def-
cartes ne :font pas toujours mefu- rées à la capacité des Peintres qui ne font pas tous Philofophes, quoi- que d'ailleurs ils aient Bon efpnt& ;bon fens. Il fuffit qu^ils fâchent que les paffions font des mouvemens de notre arne qui fe laifTe emporter i certains fentimens à la vue de quel- que objet, fans attendre Fordre, gc le jugement de la raifon. jLe Pein- tre doit envifkger cet o.bjet avec at- tention, le représenter prefent quoL qu'abfent, &: fè démanaer à foi-m ê- 111e ce qu'il ferait naturellement rs'îl ctoit furpris de la même paf. lîon. Il faut même faire davanta^ ge ; il faut prendre la place de lf |
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16 6 Cours de Peinture
perfonne paffionnée, s'échauffer l'i- magination , ou la modérer félon le degré de vivacité > ou de douceur qu'exige la paffion, après y êCre bien entré &. l'avoir bien fentie : le mi- roir eft: pour cela d'un grand fecours, auffi bien qu'une perfonne qui étant inftruite de la chofe voudra bien fer- vir de modèle. Mais ce n'eft point aflez que le
Peinte fente les paffions de l'ame, il faut qu'il les fane fentir aux au- tres 5 & qu'entre plufieurs caractè- res dont une paffion peut s'exprimer, il choififle ceux qu'il croira les plus propres à toucher fur-tout les gens d'efprit, ce qui ne fe peut faire à mon avis , que par un fens exquis , & par un jugement folide. Quand on a une fois attrapé le goût du fpe- clateur , rien ne l'interefle davan- tage en faveur du Peintre. Pour les démonftrations que le
Brun en a données, elles font très- favantes 8c très - belles, mais elles |
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par Principes. i6j
font générales -y & quoiqu'elles puif-
fènt être utiles à la plupart des Pein- tres, on peut néanmoins fur le mê- me fujet , faire de belles expref- fions tout-à-fait différentes de cel- les de le Brun , quoique ce Peintre y ait très-bien réuffi. Les exprefïïons générales font
donc excellentes , parce que c'efl d'elles que fortent les exprefïïons particulières, comme les branches de l'arbre fortent de leur tronc. Mais je voudrois que chaque Pein- tres s'en fît une étude , en remar- quant , le crayon à la main , les traits qui les défîgnent -, & qu'il fe fervît pour cela de l'Antique, & de la Na- ture , afin de fe faire ainfî une idée générale des principales pallions fé- lon fon génie ; car nous penfons tous différemment , & nous imaginons tous félon la Nature de notre tem- pérament. Quoique les parlions de l'ame fe
fa0ènt reconnoître plus fenfible- |
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g 6 S , Cours de Peinture
ment dans les traits du vifage qu'ail- leurs , elles demandent fouvent d'ê- tre accompagnées des autres par- ties du corps. Car dans les fujets qui demandent l'expreffion de quelque partie eflentîelle, fi vous ne touchez le Spectateur que foiblement, vous luiinfpirez une tiédeur qui le rebute-. au lieu que fi. vous le touchez i)ien , vous lui donnez un plaifïr infiiiî. La tête eft donc la partie du
£orps qui contribue toute feule plus que toutes les autres enfem- jble à l'expreffion des pafïions. Les autres parties féparement ne peu- vent exprimer que de certaines paf- lions 3 mais la tête les exprime toutes. Il y en a néanmoins qui lui font plus particulières : comme l'humilité , qu'elle exprime lorf- qu'elle eft baillée 5 l'arrogance , quand elle eft élevée 5 la Langueur quand elle panche & qu'elle fe laide aller fur l'épaule j l'opiniâtreté , avec
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far Principes. i€y
avec une certaine humeur revéche & barbare, quand elle eit droite , fixe 6c arrêtée entre les deux épau- les 3 de d'autres dont on conçoit mieux les marques qu'on ne les peut dire, comme la pudeur, l'admira- tion , l'indignation & le doute. C'eft par la tête que nous faifons
mieux voir nos Suppplications, nos menaces , notre douceur , notre fierté , notre amour, notre haine, notre joie , notre triftefTe , notre humilité : Enfin c'eft affez de voir le vifàge pour entendre à demi mot $ Ja rougeur 6c la pâleur nous par- lent , aufïi-bien que le mélange des deux. Les parties du vifage contribuent
toutes à mettre au dehors les fenti- mens du cœur 5 mais fur-tout les yeux , qui font, comme, dit Cice- ron , deux fenêtres par où l'amc fe.fait voir : Les pallions qu'ils ex- priment le plus particulièrement font , le plaifir, la langueur , le d-édain , la feverité r la douceur , H
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170 Cours de Peinture
l'admiratiou & la colère : la joie
ôcla triftefle pourroîent encore être de ce nombre fi elles ne partoient plus particulièrement des iburcils &l de la bouche : èc quoique ces deux dernières parties s'accordent davantage pour exprimer ces deux f«allions, néanmoins fi vous favez
es joindre avec le langage des yeux, vous aurez une harmonie mei% veilleufe pour toutes lçs pallions de l'ame. Le nez n'a point de paflion qui
lui foit particulière , il ne fait que prêter fon fecours aux autres par- ties du corps par un élevement de narines, qui eft autant marqué dans la joie que dans la triiteffe. Il fem- ble néanmoins que le mépris luifaC fe lever le bout & élargir les nari-, nçs en tirant en haut la lèvre de dek fus à l'endroit qui approche des coins de la bouche. Les Anciens ont fait du nez le liège de la mo- querie. Eum fubdoLe irrifioni die<t~ vcruntfot Pline. Us y ontauflî logé |
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far Principes. j-jx
le colère : on voit dans Perfe , Dif-
ce : fed ira eadat nafo , ruqofaque farina. Pour moi, je croirois volon- tiers que le nez eft le fiege de la co- lère dans les animaux plutôt que dans les hommes , & qu'il ne fied bien qu'au dieu Pan , qui tient beau- coup de la bête, de renfrogner fou nez dans la colère , ainfi que les autres animaux,èc que Philoflratc nous le reprefente, lorfque les Nim_ plies qui l'avoient lié , lui failoient mille infultes. Le mouvement àes lèvres doit
être médiocre dans le difcours, par- ce qu'on parle plutôt de la langue que des lèvres : 8c lî vous faites la bouche fort ouverte , il faut que ce foit pour exprimer une violente paffion. Pour ce qui eit des mains, elles
obéifTent à la tête, elles lui fervent en quelque manière d'armes & de fecours ^fans elles l'a&ioneit foible èc comme à demi-morte : leurs meu- vemens , qui font prefque infinis H ij
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ï 7 4 Cours de Peinture
font des expreffions fans nombre,
N'eft-ce pas par elles que nous de^ iîrons, que nous efperons, que nous promettons, que nous appelions, que nous renvoyons ? Elles font en- core les inflrumens de nos menaces , de nos fuppliçations, de l'horreur que nous témoignons pour les cho- fes, ou de la louange que nous leur donnons. Par elles nous approuyonSj nous refufons , nous craignons > nous interrogeons, nous montrons notre joie &; notre triftefTe , nos doutes, nos regrets, nos douleurs & nos admirations ; Enfin l'on peut dire , puifqu'elles font la langue des muets, qu'elles ne contribuent pas peu à parler un langage commun à toutes les Nations de la terre , qui eft celui de la Peinture. De dire comme il faut que ces
parties foient difpofées pour expri- mer les différentes pallions , c'eft ce qui eft impoflible, & dont on ne peut donner de règles bien précifes tant à caufe que le travail en ferait |
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par Principes. i-ff
infini , que parce que chacun en
doit ufer félon fon génie, & feioiï l'étude qu'il en a dâ faire. Souve-- nez-vous feulement de prendre gar- de que les actions de vos figures ioient toutes naturelles ; Il me fem- ble , (dit Quintilien, parlant des paf- fions ) que cette partie fi belle & fi grande n'efi pas inacceffïble , & qu'il y a un chemin qui y conduit ajfez^fa- cilement j c'efi de confiderer la ^Nature & de limiter r car les Spéculateurs font fatisfaits ,- lorfque dans les chofes artificielles ils rcconnoijfent la Natu- re telle qu'ils ont accoutume de la voir ? En effet il efi indubitable que les mouvemens de l'âme , qui font etu~- diés par Art, ne font jamais fi na- turels que ceux qui fe voient dans la chaleur d'une véritable pajjion. Ces mouvemens s'exprimeront bien mieux & feront bien plus naturels, fi l'on entre dans les mêmes fènti- mens , & que l'on s'imagine être dans le même état que ceux que l'on veut reprefenter. Car la 2ïa- Hiij
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1^4 Cours de Peinture
turc ( dit Horace ) difpofe notre inté- rieur a toutes fortes de fortunes j tan- tbt elle nous rend contens , tantôt elle nous foujfe dans la colère , ($* tantèt «lie nous accable tellement de trifteffe, qu'elle nous abat entièrement, & nous met dans des inquiétudes mortelles : fuis elle foufie audehors les mouvemens du cœur far la langue , qui efi fon in- terprète. Qu'au lieu de la langue le Peintre difë, far les aflions qui font fesinterfretes. Le moyen ( dit Quinti- lien ) de donner une couleur à uns cho- fe fi vous n'avez^pas cette couleur. Il faut que nous foyons touchés les fre. mi ers d'une faffion avant que d'ef* fayer d'en toucher les autres. Et com- ment faire ( ajoute-t-il ) fourfefen- tir ému , vu que les f offrons ne font pas en notre fuifiance : en voici le moyen, fi je ne me tromfe. Il faut fe former des vifions & des images des cho [es abfente s > comme fi effectivement elles étoient devant nos yeux, & celui qui concevra le plus fortement ces ima- ges , fourra ex frimer les pajfions avec |
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far Principes. I 7 5
fins d'avantage & de facilite. Mais
il faut prendre garde, comme nous avons déjà dit, que dans ces ima- ges les mouvemens foient naturels $ car il y en a qui s'imaginent avoir donné bien de la vie à leurs figures, quand ils leur ont fait faire des a&ions violentes & exagérées, que l'on peut appeller des contorfions du corps, plutôt que des parlions de l'aine ; 8c qui fe donnent ainfi fou- vent bien de la peine pour trouver quelque forte paffion, où il n'en faut qu'une fort légère. Joignez à tout ce que j'ai dit des
pariions , qu'il faut extrêmement avoir égard à la qualité des per- fonnes paffionnées : La joie d'un Roi ne doit pas être comme celle d'un Valet, & la fierté d'un Soldat ne doit pas reflembler à celle d'un Capitaine : c'en: dans ces différen- ces que confifte le vrai difcernement des parlions. Tout le monde fait que l'imita-
tion des objets vifibles de laNatu- |
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3 7^ Cours de Peinture
re, confîfte dans le Deflèin & dans
le Coloris. Je viens d'expofer ce que je conçois du premier en parlant de la correction du DefTein , fondée fur les beautés de la Nature & de l'Antique, & fur l'utilité de l'Ana- tomie. J'ai dit quelque chofe du goût , "de la diverfité , de l'élé- gance, du cara&ere, &des expref- fiqns des paffions, félon le rapport que toutes chofes ont avec le Deù fein. Il ne me refte maintenant qu'à traiter du Colons, pour joindre ce que j'en dirai à ce que j'en ai écrit autrefois. Au refte fi en parlant du Deflein j'ai omis quelque chofe qui ait relation à cette partie, c'eft parce que d'autres perfonnes que moi en ont écrit avec fuccès , & qu'il feroit ennuyeux de rebattre une matière, fans pouvoir la mieux. é clair cir. |
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far Principes. i 77
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Xto Draperies.
LA diverfité des climats , icf
changement des faifons&i leur ïnconftance ont mis les hommes dans la neceffité d'avoir des véte- mens : cette neceflité s'eft accom- modée aux règles de la bienféance v & la bienféance a donné lieu aux divers ornemens que les peuples ont inventés pour enrichir leurs habits félon le goût des différentes Na- tions , 6c félon la mode des divers tems. Mais comme on a étendu l'u- fage des étoffes à beaucoup d'au- tres chofes qu'aux vétemens , les Peintres les ont toutes comprifes fous le mot de Draperie • & pour faire entendre qu'un Peintre pof- fedoit l'Art de bien diftribuer les plis, ils ont dit qu'il favoit bien jjetter une draperie» Ce terme des |
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17 S Cours de Peinture
jetterune draperie paroît d'autant
plus julle, que la difpofîtion des plis doit plutôt paraître l'effet d'un pur hazard que d'un loigneux arange- ment. Il y a donc une intelligence dans
l'ajuftement des draperies , & nous allons voir en quoi elle confifte, & de quelle confequence elle eft dans la Peinture. L'Art de draper fe remarque
principalement en trois choies.- i °. dans l'ordre des plis $ i°. dans la diverfe nature des étoffes j 3 °. dans la variété des couleurs de ces mê- mes étoffes. De l'ordre des Plis.
Comme il ne faut pas que l'œil
foit jamais en doute de fon objet, le premier effet des Draperies , eft de faire connoître ce qu'elles cou- vrent , & principalement le nud des figures 5 enforte que le cara&e- â'c extérieur des perfonnes , & la |
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far Principes. i y 9
juftefle des proportions s'y rencon-
trent, du moins en gros , & autant que la vraifemblance jointe à l'Art ie pourra permettre. Ainfi à l'exemple des plus grands
Maîtres , le Peintre doit avant de difpofer Tes Draperies , deffiner le nud de fes figures , pour former des plis fans équivoque, & pour con- duire fi adroitement les yeux , que le Spedateur s'imagine voir ce que le Peintre lui couvre par le jet de fes Draperies. Qu'il prenne garde auffi que la
Draperie ne foit pas trop adhéren- te aux parties du corps : mais qu'el- le flotte/pour ainfi dire , alentour, qu'elle les carefle, que les figures y loiént à leur aife, & qu'elles y paroif- fent libres dans leurs mouvemens. Que les Draperies qui couvrent
des membres expofés à une grande lumière, ne foient pas ombrées de telle force, qu'elles femblent entrer dedans h & que ces mêmes mem- H vj
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i 8 o Cours de Peinture
bres ne foient pas traverfés par des*
plis trop refTentis, lefquels par leur ombre trop obfcure paroîtroient les rompre : mais qu'en confervant un petit nombre de plis , le Peintre leur d-îftribue délicatement le degré de lumière qui convient à la malle, dont ils font partie. Les plis doivent être grands 6c
en petit nombre , autant qu'il fera poffible : cette maxime étant une des chofes qui contribue davantage à ce qu'on appelle grande manière j parce que les grands plis partagent moins la vue , 6c que leur riche •(implicite eft plus fufceptible de grandes lumières. J'en excepte néan- moins les vétemens dont le cara- dere eft d'avoir beaucoup de plis, comme il arrive fouvent dans les habits de femmes , ainfi que l'An- tique nous en fournit beaucoup d'exemples. Alors le Peintre peut droitement groupper les plis, èc les. aranger à-côté des membres qui ert |
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par Principes. 18'r
recevront beaucoup plus d'appa- rence & plus d'agrément. . Le contraire qui eft fi néceiïaire. dans le mouvement des figures, ne l'eft pas moins dans l'ordre des plis s car le contrafte en interrompant les lignes qui tendroient trop d'un mê- me côté , introduit dans les dra- peries , comme, dans les figures une forte de contradidion, qui femble. les animer. La raifon en eft que 1er contrafte eft une efpece de guerre , qui met les parties oppofées en mou- vement. Ainfl dans les endroits où. le Peintre le jugera à propos , les Î)lis doivent fe contrarier non feu-
ement entr'éux : mais ils doivent fur tout contrafter les membres des figures rlorfque ces plis font grands & qu'ils font partie d'une ample: Draperie. Car pour lés Draperies de deffbus qui embrafîent plus, étroitement le nud , elles le con- trarient bien moins qu'elles ne lut obéiflent. Quelque vie que le contrafte don- |
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i 8 x Cours de Teinture
ne aux Draperies , quelque né-
ceflaire qu'il foit pour leur agré- ment, il demande au Peintre beau- coup de prudence & de précaution. Car dans les figures qui font de- bout , il y a beaucoup de rencon- tres où difficilement le contrarie peut fe pratiquer fans fortir de la Vraifemblance , & dans ces occa- sions le Peintre , qui Tait profiter de tout, fe fauve par d'autres principes. Les plis doivent être grands fé- lon la qualité & la quantité des Draperies : mais quand la qualité des étoffes légères contraint à bif- fer plufieurs plis, il faut lesgroup- per de manière que le Clairobfcur n'en puiffe fouffrir. Les plis des Draperies bien en-
tendus donnent beaucoup de vie à l'aéHon de quelque Nature qu'elle puiffe être 5 parce que le mouvement des plis fuppofe du mouvement au membre qui agit, qui les entraîne comme malgré eux, &qui les rend plus ou moins agités félon la violen- |
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far Principes* 183
ce ou la douceur de fon a&ion.
Une difcrete répétition de plis en
forme circulaire, eft d'un grand fe- cours pour l'effet des racourcis. Il eft bon quelquefois de tirer
des plis en certains endroits &; d'en introduire en d'autres,de forme con- venable à l'intention du Peintre, ou pour étendre la lumière , ou pour remplir des vuides qui fe trouvent en quelques attitudes, ou pour ac- compagner les figures, ou pour leur fervir d'un fond doux , ou pour em- pêcher que leur tournans ne fbif- iènt, & ne tombent dans une trop grande crudité. La richeffe'des Draperies &. des
ornemens qui font deflùs, fait une partie de leur beauté , quand le Peintre en fait faire un bon ufage : Mais ces ornemens ne conviennent gueres aux divinités , ils font tou- jours au defTous de la dignité Se de l'état desfigu res céleftes : lesDra- perïes qui leur font propres doi- vent être riches plutôt par la gran- |
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ï-8'4 Cours de Peinture
deur&ia. nobleffe des plis, que par 1a qualité des étoffes. Les plis faits de pratique &: fans
voir le naturel, ne font ordinaire- ment bons que. pour un Deffein. Mais le Peintre qui veut tendre à la1 perfection doit toujours confulter les étoffes naturelles : parce que le vrai forme les plis, & fait paraître les lumières félon la Nature des étoffes. Je ne veux pourtant pas> blâmer ceux qui ont une fi.grande- pratique du naturel,. que-les plis Sc- ies caractères des étoffes différen- tes leur relient fuffifamment dans la mémoire pour en exprimexune gran- ae partie. Pour bien imiter le vrai, il effc
néceffaire de jetter les draperies , o-u fur un manequin de la grandeur du naturel , ou fur le naturel mê- me. M'ais il faut extrêmement pren- dre garde que la draperie ne con- ferve rien de l'immobilité qu'elle.»", fur le manequin» |
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far Principes. i î f
II y a des Peintres qui fe fervent;
de petits manequins qu'ils drapent d'étoffes légères , ou de papier mouillé : mais il eftaifé de juger que ce moyen qui peut aider les Pein- tres confommés , & qui eft excel- lent pour mettre toute une Hiftoï- re enfemble , ne peut fervir pour bien terminer les draperies en par- ticulier. La raifon en eft , que dans- les petits manequins les étoffes ne pouvant avoir le même poids que dans la grandeur du naturel , ne peuvent par confequent rendre les. plis dans leur véritable forme. La grande légèreté & le grand
mouvement des draperies, ne con- vient qu'aux figures qui font dans une grande agitation , ou qui font expofées au vent ; mais quand on les fuppofe dans un lieu renfermé, & fans action violente , le parti que le Peintre peut prendre,. eft de faire fes draperies amples , & de* leur donner par le contrafte & par |
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tîê Cours de Peinture
la chute de leurs plis, une difpofi-
tion qui aie de la grâce & de la
majefté.
C'eft un grand défaut que de
donner trop d'étoffe aux vétemens • ils doivent convenir aux figures,& c'eft une erreur de croire , comme ont fait quelques-uns, que plus les draperies font amples , plus elles portent avec elles de grandeur & de majefté. La profufion des étof- fes ôte aux figures la liberté du mouvement , & les embarrafle en- core plus qu'elle ne Iqs rend maje- ftueufes. Voilà ce me femble , les principales obfervations qui regar- dent la première propofition, qui eft l'ordre des plis. Pafibns mainte- nant à la féconde , je veux dire à la diverfe nature des étoffes. De la diverfe nature'de s Etoffes.
Parmi tant de chofes différentes
qui plaifent dans la composition |
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far Principes. 187
d'un Tableau, la variété des dra-
peries n'eft pas c£ qui contribue le moins à cet agrément. L'ordre & le contrarie des plis en fait une par- tie : mais ce n'eft pas affez que les étoffes foient jettées diverfement, il faut encore qu'elles foient entr'el- les d'une nature différente, autant que le fujet le pourra fouffrir. La laine, le lin , le coton, & la foie employés de mille manières par les ouvriers,donnentauPeintre une am- ple matière d'exercer fon choix. C'eft un puiflànt moyen pour intro- duire dans fes ouvrages une diverfité d'autant plus néceffaire qu'elle fait, éviter une ennuyeuie répétition de plis d'une même nature , fur-tout dans les Tableaux de plufîeurs fi- gures. Il y a des étoffes qui font des plis caffés , d'autres étoffes en font de moelleux : il y a encore des étoffes dont la fuperficie eft mate , d'autres dont elle eft lui fante : les ut es font fines &. tranf. |
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fsS Cours de Teinture
parentes , les autres plus fermes & jplus folides. Touet cette variété ou feparée dans diverfes figures,ou pra- tiquée dans une feule félon les fu- jets, fait toujours une fersfation très- agréable. L'ufage ordinaire d'une même
qualité d'étoffe dans les figures d'un même Tableau , efl: un défaut oit font tombés la plupart des Peintres de l'Ecole Romaine , & où tom- bent tous ceux qui peignent de pra- tique , ou qui reduifent l'imitatiort du naturel à l'habitude qu'ils ont contractée. Le Peintre ingénieux fera donc
fon poffible pour trouver occafioiï d'introduire dans fes draperies en general, cette heureufe diverfité dont je viens de parler ; mais qu'il fe fouvienne fur-tout qu'elle eft in- difpenfable en particulier dans la différence des âges , des lèxes, ÔC des conditions. Les anciens Sculpteurs ont été
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par Principes. itj
fort entendus dans le jet de leurs
draperies : mais comme la -matière qu'ils ont employée eft d'une mê- me couleur , & qu'ainiî les grands plis qui reçoivent de grandes lumiè- res auraient fouvent fait des équi- voques avec les parties nues , ou du moins auraient partagé la vue du Spe&ateur, ils ont pris le parti d'attirer les yeux fur le nud de leurs figures , u'ayant^ en ce cas la rien de meilleur à faire pour l'avantage de leur Art. Ils fe font fervis pour cela de linges mouillés ou d'étoffes légères dont ils ont plus ordinaire- ment drappé leurs Statues. Mais il faut avouer que le remède qu'ils - ont apporté à cet inconvénient par le bon ordre de leurs plis eft très- ingenieux , &c donne , tel qu'il eft beaucoup de lumières à ceux qui en favent pénétrer l'intelligence. Je pourrais citer plufîeurs exemples de l'Antiquité fur ce fujet, & je pie contenterai de rapporter celuf |
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yjo Cours de Peinture
du bas relief, lequel eft connu fous le nom desDanfeufes. Les draperies qui couvrent le nud de ces figures en le marquant agréablement, {q terminent du côté de la partie pof. terieure du corps en quantité de plis femblables, & dont la répéti- tion paroîtroit un défaut à qui ne refléchiroit pas fur la fineiTe èc fur l'excellence de l'ouvrage. Car fi l'on tait attention que le but du Scul- pteur a été de reprefenter avec élé- gance le nud de l'es figures, on trou- vera que bien loin que ces répéti- tions foient un défaut en Sculptu- re j c'efl: au contraire un moyen de trouver une efpece d'ombre en jhachure que le Sculpteur a ména- gée avec adrefîe pour faire paroî- tre le nud avec avantage, &. pour fervir à l'œil comme de repos. C'eft ainfi que les anciens Sculpteurs ont Inventé , avec beaucoup d'efprit & de génie , plufieurs moyens de re- parer les inconveniens qui venaient |
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far Principes. i 9 \
du côté de leur matière, foitpour
la grandeur des plis 3 foit pour la variété des étoffes 5 ayant iatisfait d'ailleurs généralement pariant, à tout ce qu'on y peut fouhaiter pour la pcrfedion. Mais les Peintres qui ont la IL
berté de fe fervir de toutes fortes d'étoffes , & qui fa vent faire un bon. ufage des couleurs & des lumières, pour imiter le Vrai , feroient très mal de fuivre les Sculpteurs dans le grand nombre, & dans la. repe, tition de leurs plis, comme les ScuL pteurs feroient blâmables s'ils imi, toient les Peintres dans l'étendue de leurs draperies.il ne me refte plus qu'à dire un mot de l'effet des cou* leurs qui fe trouvent dans la varie- té des étoffes, afin d'examiner m* troifiçme proportion, |
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ï 9 s, €eurs de Peinture
X)g la vdrietê des Couleurs dans les
Etoffes. Comme l'ordre , le contrarie, &
la diverfe nature des plis & des étof- fes font toute l'élégance des drape- ries , la diverfité des couleurs de ces mêmes étoffes contribue extrême- ment à l'harmonie duTout enfemble dans les fujets hiftoriques. Le Pein- tre qui eft prefque toujours le maître de les fuppofer comme il lui plaît, doit faire une étude particulière de la valeur des couleurs entières , de l'effet qu'elles produifent les unes auprès des autres, &. de leur rupture harmonieufe. Mais ce n'eft point ici le lieu d'examiner ces trois chofes,el- les appartiennent au colons, & loril *que je parlerai de cette partie,je ferai mon poffible pour les éelaircir. Je me contenterai de dire main-
tenant que le Peintre doit confide- cer que les couleurs des draperies hxi donnent un moyen de pratiquer avec
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far Principes. Î95
avec adrefïe l'intelligence du Clair-
obfcur. Le Titien a mis en ufage cet artifice dans la plupart de fes Tableaux, en Te fervant de la liber*. té qu'il avoit de donner à fes dra- peries la couleur qui lui fembloit la plus convenable, ou pour fervir de fond , ou pour «tendre la lumière, ou pour caraderifer les objets par la comparaison. Après tout l'intelligence des drape-
ries ne peut pas être tellement fixée, que le génie du Peintre ne puiiîe. hazarder des plis extraordinaires qui pourraient avoir leur mérite. Il n'y a point d'effets dans la Nature où le hazard fafle avoir plus de va- riété que dans le jet des draperies, Et quoique l'Art trouve ordinaire- ment à reformer quelque cliofe dans la difpofîtion de celles qui fe prefen- tent d'elles-mêmes : ce même La- zard forme quelquefois des plis d'u- ne beauté & d'une convenance que les règles n'auraient jamais pu pra* duire. En un mot l'Art ne peut pas I
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i<>4 Cours de Peinture
tout prévoir , il s'étend fort peu au
delà des chofes générales, & laiffe aux gens de bon goût le foin de fai- re le relie. C'eft au Peintre à bien choifir les bons effets que le natu- rel lui prefente, & à s'en fervir d'une manière qui mette dans l'ouvrage le caractère d'une heureufe facilité. Entre les Peintres qui ont le mieux entendu les draperies , Raphaël pour l'ordre des plis peut être con- fideré, félon mon fentiment, com- me le plus fur modèle, fans préten- dre néanmoins rien ôter du mérite de ceux qui ne s'étant point tout à fait éloignés des principes de Ra- phaël , ont pris avec fuccés plus de liberté dans le caractère de leurs plis, & ont fait voir en cela même de la grandeur & de la vérité. L'E- cole de Vernie 6c celle de Flandre ont excellé pour la différence des étoffes : Et Paul Veronefe pour l'har- monie dans la variété des couleurs eft une fource d'exemples inepul- labk. |
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■par Principes j 9 3;
je paiTe fous fïlence beaucoup d'au-
:. très grands Maîtres qui bien enten- du l'artifice des draperies. Quand on voudra fe donner la peine de les examiner , on connoîtra que dans l'ajuftement des plis il y a un ordre -& un choix avantageux ; que la di- verfe nature des étoffes efl une eC pece de richefïe dans l'ouvrage, la- quelle Soutient une Vraifemblance nécefïàire 5 &c que la variété des cou- leurs dans les draperies ,peut contri- buer extrêmement à l'effet du Clair- obicur , de à l'harmonie du Tout- enfemble. En un mot on compren- dra par les ouvrages de ces excel- lens Maîtres, bien mieux que par mon difeours , en quoi confifte l'in- telligence des draperies,& de quel- le confequence elle efl dans la Pein- ture. |
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ï«
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ï 9 G Cours de Peinture
m&mmm && mxmm
D E S DRAPERIES
en abrégé.
LE mot de Draperie en Peintu-
re , s'entend de toute forte d'é- toffe , (oit que les hommes s'en ha- billent, foit qu'on veuille l'employer à quelqu'autre ufage. Mais l'idée la plus ordinaire que l'on s'en fait, re- garde l'étoffe qui fert aux vêtemens des hommes, La Peinture en a fait im Art qui coniifte en trois chofes. ï. Dans l'ordre des plis. 2. Dans la diverfe nature des
étoffes. 3. Dans la variété de leurs cou,.
XeXirs. ï. L'ordre des F lis.
perïiner le nud avant que de
draper. Que la draperie ne foit point ad-
l^erente aux parties;mais qu'elle flot- |
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fat Principef. %$*?•
te , pour ainfi dire , à l'entour &
qu'elle les carefle. Ne point rompre lés membres
par des plis ombrés trop fortement. Les plis grands Se en petit norru
bre autant que la nature de l'étoffe le peut fouffrir. Que les plis fe contraftent l'un'
l'autre , & qu'ils contraftent les membres. Les plis donnent en plufîeurs ren-
contres de la vie à l'acTion des fi- gures. Remplir les trop grands vuides
par des plisà propos,& bien adaptés. Les plis de pratique ne convien-
nent qu'aux Peintres confommés dans l'Art ^ mais la perfection de- mande toujours que l'on confulte la Nature. Les draperies des petits mane-
quins ne font pas inutiles - mais el- les font fauffes. Les draperies agitées ne convien-
nent que dans les lieux qu'on fup- pofe à découvert, ou dans les grands mouvemens. Iiij |
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19 & Cours de Teinture
La trop grande quantité d'etof-,
fe dans uni vêtement , embarafle la figure. Le hazard fert quelquefois beau-
coup dans le jet des draperies, & donne des beautés que l'Art ne prévoit pas. Les anciens Sculpteurs ont don-
ne beaucoup de lumières aux Pein- tre dans le jet des draperies ; mais l'ufage que les uns & les autres en. font eft néanmoins très différent.. II. La diverfe nature des Etoffes,
Donne une diverfité de plis.
Rejouir la vue.
Doit être pratiquée dans le gena-
ral du Tableau,quand il y a pluiîeurs figures, & dans la particulier quand il n'y en a qu'une $ mais cette diverfi- té doit être indifpenfab.lement ob- fervée dans la différence des âges . des fexes, & des conditions. Les Peintres Romains & ceux
qui peignent de pratique , tombent |
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far Principes. 199
ordinairement dans la répétition des
mêmes étoffes. III. La variété des couleurs dans les
Etoffes,
Sert à l'harmonie du Tableau.-
A cara&erifer les objets.
Et a pratiquer le Clair- obfcur.
Raphaël eft le meilleur modèle
pour l'ordre des plis. L'Ecole de Venife & celle de
Flandre pour la diverfe nature des étoffes. Et Paul Veronefe pour la variété
harmonieufe de leurs couleurs. |
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■aOô Cours de Peinture
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x> t; paysage. LE Païfage eft un genre de Pein-
ture qui réprefente les campa- gnes & tous les objets qui s'y ren- contrent. Entre tous les plaifirs que les difFerens talens de la Pein- ture procurent à ceux qui les exer- cent, celui de faire du.Païfage me paroît le plus fenfïble , & le plus ;> commode ; car dans la grande va «• rieté dont il eil fufceptible, le Pein- tre a plus d'occafions que dans tous les autres genres de cet Art, de fe contenter dans le choix des objets ^ la foîitude des rochers , la fraî, cheur des forêts , la limpidité des eaux, leur murmure apparent, l'é- tendue des Plaines ôc des Lointains, le mélange des Arbres, la fermeté du Gazon, & les Sites tels que le Païfagiile les veut reprefenter dans |
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■par Principes'. 2.01
Fes Tableaux, font que tantôt il y
chafle , que tantôt il y prend le frais, qu'il s'y promené , qu'il s'y repofe , ou qu'il y rêve agréable- ment. Enfin il eft le Maître de dif- pofer de tout ce qui fe voit fur la terre,. fur les eaux ,-& dans les airs : parce que de toutes les productions de l'Art & de la Nature , il n'y en a aucune qui ne puifTe entrer dans la composition de fes Tableaux. Ainfi la Peinture , qui eft une efpe- ce de création , l'eu: encore plus particulièrement à l'égard du Paï- fage. Parmi tant de ftyles difFerens que
les Païfagiftes ont pratiqués dans l'éxecution de leurs Tableaux , j'en distinguerai feulement deux dont les autres ne font qu'un mélange , le ftyle Héroïque, & le ftyle Pafto- ral ou Champêtre. Le ftyle Héroïque eft une compo-
lition d'objets qui dans leur genre tirent de l'Art &: de la Nature tout ee que 1 un & l'autre peuvent pro- |
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2 o 2, Cours de Peinture
duire de grand & d'extraordinaire.. Les fîtes en font tout agréables & tout furprenans : les fabriques n'y font que temples , que pyramides, que fepultures antiques, qu'autels confacrés aux divinités , que mai- fons de plaifànce d'une régulière architecture 5 & fi la Nature n'y eft pas exprimée comme le hazard nous la fait voir tous les jours , elle y eft du moins reprefentée comme on s'imagine qu'elle devroit être. Ce ftyle eft une agréable illufion , & une efpece d'enchantement quand il part d'un beau génie &: d'un bon e/prit, comme étoit celui du Pouf- fin : lui qui s'y eft fi bien exprimé. Mais ceux qui voudront fuivre ce genre de Peinture , & qui n'auront pas le talent de foûtenir le fubli- mequ'il demande , courent fouvent le rifque de tomber dans le puérile. Le ftyle champêtre eft une re- prefentation des Païs qui paroifient bien moins cultivés qu'abandonnés à la bizarerie de la feule Nature. |
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■par Principes. z q 3
Elle s'y fait voir toute fimple , fans
fard , & fans artifice $ mais avec tous les ornemens dont elle fait bien mieux fe parer , l'orfqu'on la iaifîe dans fa liberté , que quand l'Art lui fait violence. Dans ce ftyle les fîtes fouffrent
toutes fortes de variétés : ils y font quelquefois affez étendus , pour y attirer les troupeaux des Bergers , & quelquefois aflez fauvages, pour fervir de retraite aux Solitaires , &c de fureté aux animaux fauvages. Il arrive rarement que le Pein-
tre ait l'efprit d'une affez grande étendue pour embraffer toutes les parties de la Peinture. Il y en a or- dinairement quelqu'une qui attire notre prédilection , & qui occupe tellement notre efprit, qu'elle nous fait oublier les foins que nous de- vrions donner aux autres parties 5 6z nous voyons prefque toujours que ceux dont l'inclination les porte vers le ftyle Héroïque , croient avoir tout fait quand ils ont intro- Ivj
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2C>4 Cours de Peinture
-duic dans la composition de leur Ta-
bleau, des objets nobles &. capables d'élever l'imagination , fans fe met- tre autrement en peine de l'intelli- gence &c de l'effet d'un bon colo- ris. Ceux au contraire qui font dans le ftyle Paftoral, s'attachent forte- ment à la couleur pour repréfenter plus vivement la vérité. L'un &: l'au- tre ftyle ont leurs fe&ateurs & leurs partifans. Ceux qui fuivent le ft.yle Héroïque ,fuppléent par leur ima- gination à ce qui y manque de vé- rité , &; n'y fouhaitent rien davan- tage. Ainfî pour contrebalancer l'élé-
vation des Païfages Héroïques, je croirois qu'il feroit à propos de jet- ter dans les Païfages champêtres , non feulement un grand caractère de vérité , mais encore quelque ef- fet de la Nature piquant, extraor- dinaire & vraifemblable , comme a toujours fait le Titien. Il y a une infinité de Païfiges où
L'Héroïque 6c le Champêtre font |
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far Principes. iof
h-eureufement joints enfemble ,. &
l'on en pourra reconnoître le plus & le moins par la defcription que je viens de faire de ces deux maniè- res de s'exprimer dans le Pa'ifage. Les chofes qui font particulières au Pa'ifage, & fur lefquelles on peut réfléchir j font, à mon avis , 'es Si- tes ,, les Aceidens , le Ciel &: les Nuages , les Lointains et les Mon^- tagnes, le Gazon , les Roches, les Terreins, les Terraffes , les Fabri- ques , les Eaux, le devant du Ta- bleau , les Plantes , les Figures, de les Arbres. J'ai fait fur toutes ces chofes quelques réflexions que le Lecteur trouvera bon que je lui e& pofe.» Des Sites,
Le mot de Site fignifie la vue,
la fituation, & l'affiette d'une Corn- trée. Il vient de l'Italien Sito, &; nos Peintres l'ont fait palTer en France}! ou- parce qu'ils s'y étoient accoûtu*. |
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'i o 6 Cours de Peinture
mes en Italie , ou parce qu'ils l'ont
trouvé, comme il me femble fort
expreffif.
Les fîtes doivent être bien liés
& bien débrouillés par leur forme, en forte que le Spectateur puiflfe ju- ger facilement qu'il n'y a rien qui empêche la liaifon d'un Terrein à un aure , quoiqu'il n'en voie qu'u- ne partie. Il y a des fîtes de plufieurs for-
tes , &c le Peintre les repréfente in- différemment félon les Païs qu'il fuppofè , ouverts ou ferrés , mon- tueux , aquatiques , cultivés & ha- bités , incultes 6c folitaires, ou enfin variés par un mélange prudent d'u- ne partie de ces chofes. Mais fi le Peintre eft obligé d'imiter,par exem- ple , la Nature d'un Païs plat &: uni- forme , il doit le rendre agréable par la difpofition d'un bon Clair- obfcur 5 Se chercher de l'avantage dans la diftribution des couleurs qui peuvent plaire,. &.qui peuvent |
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par Principes.. ±®y
fe rencontrer d'un terrein plat à un
autre. Il effc certain cependant que les fî-
tes extraordinaires plaifent &: qu'ils réjouifTent l'imagination par la nou- veauté & par la beauté de leurs for- mes , quand même la couleur loca- le ôt l'exécution en feroient médio- cres ; parce qu'au pis aller , on regarde ces fortes de Tableaux comme des Ouvrages, qui ne font point achevés ; & qui peuvent rece- voir leur perfection de la main d'un Peintre intelligent dans le coloris. Mais les fîtes & les objets communs demandent pour plaire des couleurs & une exécution parfaite. Claude le Lorrain n'a reparé que par là l'in- fïpidité & le choix médiocre de la. plupart de fes fîtes. Mais de quel- que manière que foit un fîte, l'un des plus puiflàns moyens de le faire va- loir, & même de le multiplier Se de le varier, fans changer fa forme ,, c'èft la fuppofition fage & ingéniai-- fe des accidens.. |
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208 Cours de-Peinture'
JÛes Accidens.
L'Accident en Peinture eft uns
interruption qui fe fait de la lumiè- re du foleil par l'interpofition de3 nuages 5 en forte qu'il y ait des en* droits éclairés fur la terre, et d'au- tres ombrés , qui félon le mouve- ment des nuages fefuccedentles uns aux autres,Sc font des effets merveil- leux, &des changemens deClair ob*. fcur , qui femblent produire autant de nouveaux fîtes. L'exemple s'en voit journellement fur la Nature -, & comme cette nouveauté de fîtes n'eft fondée que fur la forme des nuages & fur leur mouvement, le- quel eft fort inconftant&fort inégal, il s'enfuit delà que les accidens font arbitraires,^ que le Peintre qui a du génie en peut difpofer à fon avanta- ge lorfqu'il juge à propos de s'en fervir $ car abfolument parlant il n'y eft point obligé ,.8c il y- a eu d'ha- biles Païfagiftes qui neles ont jamais |
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far Principes. z o $
mis en ufage , ou par timidité où
par habitude , comme Claude le Lorrain & quelques autres. Du Ciel & des Nuages.
Le Ciel, en termes de Peinture,eft
cette partie étherée que nous voyons au-deffus de nous, mais c'eft encore plus particulièrement la région de l'air que nous refpirons, &; celle oà fe forment les nuées & les orages. Sa couleur eft un bleu qui devient
plus clair à mefure qu'il approche de la terre, à caufe de l'interpofition des vapeurs qui font entre nous & l'orizon, lefquelles étant pénétrées de la lumierejla communiquent aux objets plus ou moins félon qu'ils en font plus près, ou plus éloignés. Il y a ieulement à obferver que
cette lumière étant jaune ou rou- geâtre fur le foir lorfque foleil fe couche , ces mêmes objets partici- pent non feulement de la lumière s. |
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i i o Cours de Peinture
mais auflï de la couleur. Ainfî la lu- mière jaune venant à fe mêler avec le bleu dont le ciel eft naturellement coloré , elle l'altère & lui donne un œil plus ou moins verdâtre félon que le jaune de la lumière eft plus ou moins chargé. Cette obfervation eft générale
fk. infaillible 5 mais il y en a une in- finité de particulières qui doivent le faire le pinceau à la main fur le naturel, lorfque l'o'ccafîon s'en pre- fente. Car il y a des effets très-beaux &: très-Singuliers qu'il eft difficile de faire concevoir par des raifons Phy- siques. Qui dira, par exemple, pour- quoi il fe voit des nuages dont la partie éclairée eft d'un beau rouge, pendant que la fource-de la.lumière dont ils font frappés eft d'un jaune très, vif & très-diftingué ? Qui ren- dra raifon des differens rouges qui fe voient fur des nuées différentes dans le moment que ces differens rouges ne reçoivent la lumière que |
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far Principes.. % r :r;
d'un même endroit ? Car les cou-
leurs & les effets furprenans dont je f>arle, ne paroiffent avoir aucune re- ation avec l'arc-en-ciel dont les Philofophes prétendent donner de folides raifons. Tous ces effets extraordinaires fe
voient le foir fur le déclin du jour quand le tems femble vouloir chan- ger , ou qu'un grand orage fe prépa- re , ou quand il eft paflé , Se qu'il nous laifTe voir for les fins dequoï attirer notre attention. Le cara&ere des nuages eft d'être
légers & aériens dans la forme et dans la couleur ; & quoique le nom- bre des formes en foit infini , il eft très à propos de les étudier, &: d'en faire choix d'après Nature, quand un bon moment nous enprelente de beaux. Si on veut les reprefenter minces , il faut les peindre en les confondant légèrement avec leur fond fur-tout aux extrémités , ou comme s'ils étoient tranfparens : Et |
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iîi Cours de Peinture
d l'on veut qu'ils foient épais, il faut
que les reflets y foient ménagés, de manière que fans perdre leur légè- reté , ils paroiffent tourner & fe lier 5 s'il eft befoin, avec d'autres nuages qui leur feroient voifïns. Les petits nuages font fouvent une petite ma- nière èç rarement un bon effet, à, moins qu'étant près les uns des au- tres, ils ne paroiffent tous enfemble rie faire qu'un feul objet. Enfin le caractère du ciel eft d'être
lumineux, &. comme il eft même la fource de la lumière , tout ce qui eft fur la terre lui doit céder en clarté } s'il y a pourtant quelque chofe qui puiffe approcher de fa lumière, ce font les eaux &c les corps polis qui font capables de recevoir des reflets lumineux. Mais le Peintre ne doit pas en fai-
sant le ciel lumineux, le rendre tou- jours brillant par tout, il doit an contraire ménager fi bien la lumiè- re,, que la plus grande ne foit qu'à un |
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par Principes. a 15
feul endroit $ & pour la rendre plus
fenfîble, il faut qu'il ait foin autanj: qu'il le pourra de l'oppoler à quel- que objet terreftre qui la rendra beaucoup plus vive par fa couleur un peu obfcure, comme à un arbre, à une tour, ou à quelque fabrique un peu élevée. Cette lumière principale peut en-
core être rendue fenfîble par une certaine difpofkion de nuages, par le moyen d'une lumière fuppofée, ou qui peut être renfermée ingé- nieufement entre des nuées, dont la douce obfcurité ferpit infenfîble- ment répandue & ménagée de côté &L d'autre. Nous en avons quantité .d'exemples dans les Peintres Fla- mans qui ont le mieux entendu le Païfàge, comme Paul Bril, Breugle, Saveri. Les eftampes mêmes que les Sadelers ^ Merian ont gravées , nous donnent une idée fort nette de ces fortes de lumières, &. réveillent fnerveilleufement le génie de ceu$ |
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a 14 Cours de Peinture
qui ont des principes du Clair-
obfcur.
Des Lointains & des Montagnes.
Les Lointains ont une grande rela-
tion avec le ciel -y c'eft lui qui en dé- termine la force ou la foiblefle : ils font plus obfcurs quand il eft plus chargé, Ô£ plus éclairés quand il eft plus ferain : ils confondent quelque- fois enfemble leurs formes & leurs lumières , & il y a des tems & des Pais ou les nuages parlent entre les montagnes dont le fommet s'élève, & fe fait voir au de nus d'eux. Les montagnes fort hautes Se couvertes de neiges font propres à faire naître dans les lointans des effets extraor- dinaires qui font avantageux au Peintre, Se agréables auSpeétateur. La forme des lointains eft arbi- traire , il faut feulement qu'elle s'ac- corde auTout-enfemble duTableau St à la nature du Pais que l'on re- |
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far Principes, 21 g
f>refente. Ils font d'ordinaire bleus
a caufe.de l'interpo/ition de l'air qui eit entre nous & ces lointains 3 mais ils quittent cette couleur peu à peu à mefure qu'ils s'approchent de nous, & prennent celle qui eft na^- turelle aux objets. Dans la dégradation des monta*
gnes, il fautobferver .une lîaifon iru ienfible, par des tournansque les re- flets rendentvraifemblables,.&. évi- ter entr'autres chofes dans les ex- trémités une certaine dureté qui les fait paraître tranchées , comme fi files ayoîent été coupées aux ci- feaux èc appliquées fur la toile. Il faut encore obferver que l'air
qui eftau pied des montagnes étant cliargédevapeurs,eftparconfequent plus fufceptible de lumière que la cime. £11 ce cas la , je fuppoie que la fource de la lumière fok dans une élévation raifonnable , 6c qu'elle éclaire les montages également, ou que les nuages leur dérobent la lu*. |
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s 16 Cours de Peinture
«itère du foleil. Mais 11 Ton fuppo-
le la lumière fort bafle , & qu'elle frappe les montagnes, alors la cime en fera vivement éclairée auffi bien que tout ce qui recevra le même degré de lumière. Quoique les formes diminuent de
grandeur, & que les couleurs per- dent de leur force depuis le premier plan du Tableau jufqu'aux loin- tains les plus éloignés, ôc que cette î-nfenfible diminution fe voye tou- jours dans la Nature, & fe pratique d'ordinaire, elle n'exclue pas pour- tant l'ufage des accidens dont nous avons parlé -, ôc ces accidens peu- vent beaucoup contribuer au mer- veilleux d'un Païfage , quand le Peintre a l'occafion de s'en fervir bien à propos , & qu'il a une idée jufte du bon effet qu'il en attend 4ans fon ouvrage. |
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I3#
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fdr Principes. tij
Du Ga%on,
J'appelle Gazon, le verd dont les
Iherbes colorent la terre. Il y en a de beaucoup de manières difrèren- tes,& leur diverfité vient non feule- ment de la nature des Plantes qui ont la plupart leur verd particu- lier 3 mais encore du changement des faifons & de la couleur des ter- res , lorfque les herbes y font çlair-femées. Cette variété donne iieu au Peintre de faire un choix, ou d'aïfembler iur une même éten- due de terrein plufieurs verds en- tremêlés & indécis ,qui font fou- vent très - avantageux à ceux qui favent en profiter -y parce que cet- te diverfité de verds qui fe trouve très-fouvent dans la nature, donne un cara&ere de vérité aux endroits où l'on a su les employer à propos. Il y en a un merveilleux exemple dans le Païfage de la vue de Ma- tines de Rubens» &
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îl8 Cours de Peinture
Des Roches,
Quoique les Roches foient de
toutes fortes de formes , & qu'el- les participent de toutes fortes de couleurs, elles ont pourtant dans leur diverfité certains cara&eres qui ne peuvent bien s'exprimer qu'après les avoir examinées fur le naturel. Il y en a qui font par bans 6c par lits feuilletés , d'au- tres par gros blocs faillans ou ren- trans, d'autres par grands quar- tiers contigùs , d'autres enfin font d'une maflè énorme , 5c de la fi- gure d'une feule pierre , ou parce que c'eft fa propre nature , com- me le grais , ou parce que les in- jures des faifons pendant plufieurs fiecles ont effacé les marques dont je viens de parler. Mais de quel, que forme que foient les roches. elles ont d'ordinaire certaines in- terruptions de fentes, de caffures, de trous, de brouflailles, de mouf- |
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far Principes. 11 9
Tes , & de taches -que le tems y a
imprimées: de forte que toutes ces chofes bien ménagées, donnent in- failliblement une idée de la vé- rité. Les roches font d'elles-mêmes
mélancoliques & propres aux foli- rudes • elles infpirent un air frais quand elles font accompagnées d'arbnfleaux : mais elles font d'un agrément infini, lorique par Je moyen des eaux qui en fartent, ou qui les lavent , elles acquièrent une ame qui les fait en quelque forte devenir fociables. Des Terreins.
Terrein en terme de Peinture
$eft un efpace de terre diftingué d'un .autre, & fur lequel il n'y a ni bois fort élevés, ni montagnes fort ap- parentes. Les terrel n s contribuent plus que toute autre chofe à la dé- gradation & à l'enfoncement du Païfage : parce qu'ils fe chafTent |
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% % © Cours de Peinture
l'un l'autre , .ou par leurs formes^ ,ou par le Glair obfcur , ou par la jdiverfité des couleurs, ou enfin par une liaifon infenfible qui conduit d'un cerrein à un autre. La multiplication des ter-reins
eft fouvent oppofée à la grandeur de manière fans la détruire abfo- iument : car outre que cette multi- plication fert à voir faire une gran- de étendue de Païs, elle eft fufcep- tible d'accidens , qui étant bien entendus, font un très-bon effet. Il y a une délicateffe «à obferver
dans les terreins, qui eft que pour les bien caraclerifer , il faut éviter que les arbres qui y feront placés n'ayent les mêmes verds de les mê- mes couleurs que leurs terreins , fans tomber néanmoins dans des différences trop fenfîbles. Des Terrajfes.
Terrafle en Peinture eft un elpav
ce 4e terre ou touc-à-fait dénué |
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■par Principes. ïr. i
ôû peu chargé d'herbes , comme'
font les grands chemins & les lieux fouvent fréquentés. On n'emploie gueres les terrafles que for le de- vant du Tableau où elles doivent1 être fpacieufes èc bien ouvertes 3 accompagnées fi l'on veut de queL que verdure qui s'y trouve comme par accident , auffi-bierî que queL ques pierres qui étant placées avec prudence, rendent la terrafle plus vraiiémblable. Des Fabriques.
On appelle Fabrique, en terme
de Peinture, les bâtimens en gê- nerai que le Peintre reprefente : mais plus particulièrement ceux qui ont quelque régularité d'Ar- chiteéfcure , ou du moins qui font plus apparens. Ainfî ce terme con- vient bien moins aux maifons de Païfans & aux chaumières des Bergers, lefquelles on introduit dans le goût champêtre, qu'aux Kiij
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x ï 2 Cours de Peinture.
bâtîmens réguliers & fpécieux que l'on fait toujours entrer dans le goût héroïque. Les Fabriques en général font
d'un grand ornement dans le Paï- fage , quand même elles feroient gothiques, ou qu'elles paroîtroient inhabitées & à moitié ruinées : el- les élèvent la penfée par l'ufage auquel on s'imagine qu'elles ont été deftinées, comme nous voyons ces anciennes tours qui femblent avoir fervi d'habitation aux Fées, &c qui font devenues la retraite des Bergers, &c des hibous. Le Pouffin a peint dans fes ou-
vrages des fabriques Romaines d'u- ne grande élégance, &; Bourdon des fabriques gothiques qui toutes gothiques qu'elles font, ne laiffent pas de jetter un air fublime dans les Païfages. Le petit Bernard en a inventé dans fon Hiftoire fainre d'un goût Babylonien , pour ainfi dire , qui ont beaucoup de grar- deur & de magnificence ; quoique |
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far Principes. x t %
le goût en foit extraordinaire, je
ne voudrois pas tout à-fait les es* jetter, elles élèvent l'imagination ,, &: je luis perfuadé qu'elles pour- roient réulîir dans leftyle Héroï- que parmi les démi-loins, h l'on. en favoit faire un bon ufage. Des Eaux.-
Le Païfage doit' une grande par-
tie de foname à l'eau que le Pein- tre y introduit. On l'y voit de dif- férentes façons, elle y eft tantôt impetueule, lorfqu'un orage la fait déborder , lorfqu'à la chute des rochers elle rejaillit & remonte contre elle-même ; ou lorlqu'ayant été prefFée par quelque corps étranger , elle s'en échappe , & fe divife en une infinité d'ondes ar- gentines , qui par l'apparence de leur mouvement & de leur mute- mure, féduiïént agréablement nos yeux ôt nos oreilles. Tantôt tran- quille elle ferpente dans un litia- K iiij
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124 Court de Peinture
bloneux } tantôt comme privée de mouvement, elle nous fert d'un miroir fidèle pour multiplier tous les objets qui lui font oppofés, &. qui en cet état de repos lui don- nent encore plus vie que lorfqu'el- le eft dans fa plus grande agitation. Voyez les ouvrages de Bourdon du moins en eftampes , c'eft un de ceux qui a donné plus d'ame aux eaux, & qui les a traitées avec plus de génie. L'eau ne convient pas à toute
forte de ûze -, mais pour la rendre véritable , les Peintres qui en in- troduisent dans leurs Tableaux y doivent être parfaitement inftruits de la juftefle des réflexions aqua- tiques. Car ce n'eft que par les ré- flexions que l'eau en Peinture nous paroît de véritable eau , &, par la pratique feule dénuée de juftefle , l'ouvrage eft privé de la perfection de fon effet, & nos yeux ne jouif- fent pas de la moitié du plaifvr qu'ils devroient avoir. Cette negiî- |
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par Principes, z 2 y
gence feroit d'autant moins par-
donnable au Peintre, qu'il eftfort aifé de fe faire une habitude \ de la règle de ces réflexions. Il faut obierver néanmoins que
l'eau qui eft un miroir ne repre- fente fidèlement les objets qui lut font oppofés qu'autant qu'elle eft tranquille : car fi elle eft dans quel- que mouvement par fon cours na- turel , ou par i'impullion du vent 9 fa furperficie qui en devient inéga- le , reçoit fur fes ondulations des 1 jours Se des ombres qui le mêlant: avec l'apparence des objets, enaL tere la forme 6c la couleur. Du devant du Tableau..
Comme le devant du Tableatc
eft l'introducteur des yeux, on ne fàuroit apporter trop de précau- tion pour faire en forte qu'ils foienc bien reçus,tantôt par l'ouverture d'une belle terrafle dont le def- fêla, èi. le travail, (oient également |
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2 16 Cours de Peinture
recherchés , tantôt par des plan- tes deplufieurs fortes bien cara&e- rifées,&; quelquefois accompagnées de leurs fleurs, tantôt par des fi- gures d'un goût piquant, & tantôt par des objets peu communs ca- pables d'attirer notre admiration par leur nouveauté, ou par quel- que autre, chofe qui falTe plailîr à la vue, & qui fe trouve placé com- me par hazard*. Enfin le Peintre ne fàuroit trop
* étudier les objets qui font fur les premières lignes du Tableau , ils attirent les yeux du fpe&ateur , ils impriment le premier cara&ere de vérité , & contribuent extrême- ment à. faire jouer l'artifice du Ta- bleau, & à prévenir l'eftime que .nousdevonsavoir de tout l'ouvrage. Je fài qu'il y a de très-beaux Paï- hges dont les devans qui paroif- fent bien choifis, & qui donnent une grande idée , font pourtant d'un travail très-léger. J'avoue mê- me qu'on doit pardonner cette le- |
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far Principes. % %-j
^ereté quand elle eft fpirituelle ,
qu'elle répond à la qualité du ter- rein , & qu'elle mène l'imagina- tion à un eara&ere de vérité. Mais on ne peut disconvenir auffi que l'effet n'en foit rare , Se qu'il ne foie à craindre que cette exécution lé- gère ne donne quelque idée de pauvreté ou d'une trop grande né- gligence. Je voudrois donc que de quelque manière que les devansdu Tableau foient difpofés, on fe fît une loi indifpenfable de les termi- ner par un travail exad 6c bien en- tendu. Des Plantes,
On ne peint pas toujours des plantes fur les premières lignes du Tableau , parce qu'il y a differens moyens de rendre agréables les de- yans du Païfage, comme nous le venons de dire. Mais lorfqu'orï a réfolu d'y en introduire , je vou- drois qu'on les peignît d'après Na- ture avec quelque exactitude , ou du>moins que parmi celles que l'om |
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i % & C<?jw <&■ Peinture
peint de pratique, il y en eût quel- ques-unes de plus terminées, donc on connût l'efpece par la différen- ce du deffein &c de la couleur ^ afin que par une fuppofîtion vraifem- blable elles communiquaflent aux autres un caractère de vérité. Ce qui fe dit ici pour les plantes, fe peut dire pour les branches des ar- bres , 6c pour leur écorce. Des Figures:
Le Peintre en compofant fon
Païfage peut avoir dans la penfée d'y imprimer un caradere confor- me au fui et qu'il pourroit avoir choifi, & que fes figures doivent re- prefenter. Il fe peut faire auffi ( & c'eft ce qui arrive ordinairement ) qu'il ne fonge à fes figures qu'après que fon Païfage eft tout-à-fait ter- miné : &■ la vérité eft que dans la plupart des Paï&ges y les figures font plutôt faites pour les acconu pagner, que pour leur convenir. Je fai qu'il y a des Païfages dont
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far Principes. u:f
les fîtes &: les difpofitions ne de-
mandent que de Amples figures paf. l'ageres-, & que plusieurs bons maî- tres ont introduites dans leurs Ta- bleaux chacun d'ans ion fty le, com- me a fait Pouffin dans fon Héroï- que , & Fouquier dans fen Cham- pêtre avec toute la vraifemblanee & la grâce poifible. Je faï auffi qu'il y a des figures de repos qui paroif- fent intérieurement occupées $ ôc l'on ne peut trouver à redire à ces deux façons de traiter les figures, parce qu'elles agiffent également quoique différemment. L'inaction* eft plutôt ce que l'on pourroit blâ^- mer dans les figures :'• car par cet état qui leur ôte toute liaifon avec le Païfage, elles y paroîtroient tou- jours poftiches , mais ians vouloir ôter là-deftùs la liberté du Peintre^ je fuis perfuadé que le meilleur moyen de faire valoir les figures 3 eft de les accorder tellement ai* caraclere du Païfage , qu'il femble que le Païfage n'ait été fait-cpa |
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230 Cours de Peinture
pour les figures. Je voudrois qu'el- les ne fuflent ni infipides, ni indif- férentes -y mais qu'elles reprefen- tafTent quelque p€tit fujet pour ré- veiller l'attention du fpe&ateur, ou du moins pour donner un nom: au Tableau,& le diftinguer d'en, tre les autres parmi les curieux. Il faut extrêmement prendre
garde à proportionner la grandeur des figures à celle des arbres & des autres objets qui entrent dans le Païfage; fi on les fait trop grandes , on rend le Païfage de petite ma- nière , fî au contraire on les fait trop petites, on leur donne un air de Pigmées qui en détruit la va- leur , & le Païfage en devient énor- me. Au refte il y a bien plus d'in- convénient en faifant les figures trop grandes, qu'en les faifant trop petites^ celles-ci donnent du moins un air de grandeur à tout le refte. Mais comme les figures font d'or-
dinaire petites dans les Pa'ifages ,. H faut que le Peintre ait foin de |
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far Principe?,. % 3 v
les toucher d'efprit, & de les ac-
compagner par endroits de cou- leurs vives mais convenables pour attirer la vue, fans fortir d'un dif- cret ménagement pour la vraifem- blance , et pour l'union des cou- leurs. Que le Peintre fe fouvienne enfin
qu'entre les parties qui donnent Pâme au Païfage, les figures tien- nent le premier rang, Se que pour cette-raifon il eft fort à propos d'en femer aux endroits où elles con- viendront. Des jirbres.
Il m'a toujours paru que l'un des
plus grands ornemens du Païfage, confiftoit dans la beauté de fes ar- bres , à caufe de la variété de leurs efpeces v de la fraîcheur qui paroît les accompagner, et fur-tout de leur légèreté qui nous induit à croire qu'étant expofés à l'agitation de Pair , ils font toujours en mouve- ment. Quoique la dîvëxfîté p laite dans;
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131 Cours de Peinture
tous les objets qui compofent \m Païfage, c'eft principalement dans les arbres qu'elle fait voir fon plus grand agrément. Elle s'y fait re- marquer dans l'efpece & dans ia forme. L'efpece des arbres deman- de une étude & une attention par- ticulière du Peintre pour les faire distinguer les uns des autres dans fon ouvrage. Il faut que du premier coup d'œil on voye que c'eft un chêne , un orme, un lapin, un ci- comore, un peuplier, un. Saule, un pin, & les autres arbres qui par uns couleur ou une touche Spécifique,, peuvent être reconnus pour une ef. pece particulière. Cette étude eft d'une trop grande recherche pour l'exiger dans toute fon étendue y & peu de Peintres l'ont même faite avec l'exaditude raifonnable que demande leur Art. Mais il eft conC sant que ceux qui approcheront le plus de cette perfection , jetteront dans leur ouvrage un agrément in- fini , &; s'attireront une grande dit-, lindiom |
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far Principes. . ï 3 5:
Outre la variété qui fe trouve dans chaque efpece d'arbre, il y & dans tous les arbres une variété gé- nérale. Elle fefait remarquer dans les différentes manières dont leurs branches font diipoiees par un jeu de la Nature,laquelle fe plaît à ren- dre les uns plus v'goureux &: plus touffus,Se les autres plus fecs,& plus dégarnis 5 les uns plus verds 6c les autres plus roux ou plus jaunâ- tres. La perfection feroît de joindre
dans la pratique ces deux variétés eniemble -, mais 11 le Peintre ne re- prelènte que médiocrement celle qui regarde l'ëlpece des arbres r qu'il ait du moins un grand foin de varier les formes et la couleur de ceux qu'il veut reprefenter : car la. répétition des mêmes touches dans un même PaïTage,caufe une efpece d'ennui pour les yeux , comme la* monotonie dans un dîfcours pour les. oreilles, |
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f
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i 3 4 Cours de Peinture
La variété des formes efl même
iî grande,que le Peintre feroit inex* cufable de ne la pas mettre en ufa- ge dans l'occafion, principalement lorfqu'il s'apperçoit qu'if a befoin de reveiller l'attention du fpecta- teur. Car parmi les arbres en géné- ral , la Nature nous en fait voir de jeunes, de vieux , d'ouverts, de fer- rés Y de pointus 5 d'autres à claire- voie , à tiges couchées &: étendues r d'autres qui font l'arc en montant, èc d'autres en defcendant, & enfin d'une infinité de façons qu'il enY plusaifé d'Imaginer que d'écrire. On trouvera , par exemple, que
le caractère des jeunes arbres elt d'avoir les branches longues, me- nues y & en petit nombre , mais bien garnies, les touffes bien refen- dues, èc les feuilles vigoureufes & bien formées. Que les vieux au contraire ont
les branches courtes, grofîès, ra- maiTées, & en grand nombre } les |
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far Principes.. 13 f
iouffes émouiïees, & les feuilles
inégales & peu formées. Il en eifc ainfi des autres choies qu'un peu d'obfervation & de génie feront parfaitement'tonnoître. Dans la variété des formes de
laquelle je viens de parler, il doit y avoir une diftribution de bran- ches qui ait un jufte rapport & une liaifon vraifemblable avec les touffes, en forte qu'elles fe prêtent un mutuel fecours pour donner à l'arbre une légèreté èc une vérité fenfible. Mais de quelque manière que l'or*
tourne & que l'on faiTe voir les branches des arbres, 6c de quelque nature qu'ils foient, que l'on fe fou- vienne toujours que la touche en doit être vive & legere,fi l'on veut leur donner tout l'efprit que de- mande leur caractère. Les arbres font encore différent
par leur écorce. Elle eft ordinaire- ment grife ; mais ce gris, qui dans an air groiîîcr „ dans les lieux bas Se |
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ï 3 S Cours dé Peinture
marécageux devient noirâtre , îë
fait voir au- contraire plus clair dans un air fubtil ; &: il arrive fou- vent que dans les lieux fecs l'é- eorce le revêt d'une* mouffe légè- re & adhérente qui fa fait paroi- tre tout à fait jaune. Ainn* pour ren^ dre l'écorce d'un arbre feniible, le Peintre peut la fuppofer claire fur un fond obfcur , & obfcure fur un fond clair. L'obfervation des écorces diffé-
rentes mérite une attention parti- culière ; ceux qui voudront y faire réflexion, trouveront que la varie- té des écorces des bois durs confif- te en général dans les fentes que le tems y a miles comme une ei- pece de broderie, & qu'à mefure qu'ils vieilliffent les crevaffes des écorces deviennent plus profon- des. Le refte dépend des accidens qui naiflent de rhumidite , ou de la fecherelîe, par des moufles ver- tes,. & par des taches blanches de inégales.. |
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par Principes. z 3 y
ï/écorce des bois blancs donnera
au Peintre plus de matière à s'e- xercer , s'il -veut prendre le plaifir d'en examiner la diversité qu'il ne doit pas négliger dans fes études. Cette réflexion m'oblige de dire ici quelque chofe de l'étude duPaï- fage , & je le ferai félon que je le conçois, fans vouloir afTujettir perr fonne à fuivre mon fendaient. De l'Etude du P aï Cage.
L'Etude du Païfage fe peut con-
iiderer de deux façons. La premiè- re eft pour ceux qui commencent 6c qui n'ont jamais pratiqué ce genre de Peinture 5 & l'autre regarde les Peintres qui en ont déjà quelque habitude. Ceux qui n'ont jamais fait de
Païfages & qui veulent s'y exercer, trouveront dans la pratique que 3eur plus grande peine fera dépein- dre des arbres -, & il me paroît auC â que non feulement dans la praçi* |
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-a 3 8 Cours de Peintme
•que, mais encore dans la Spécula- tion, les arbres font la plus diffici- le partie du Païfage, comme ils en font le plus grand ornement. Cependant il n'eft ici queftion
pour ceux qui commencent,que de leur donner une idée des arbres en général, ■& de leur procurer une habitude de les bien toucher. Quoiqu'il parohTe inutile de leur
^'aire remarquer les effets ordinai- res qui arrivent dans les plantes & •dans les arbres, parce qu'il n'y a tprefque perfonne qui ne s'en ap- perçoive ; il y a pourtant des choies qui bien qu'on ne les ignore pas, méritent néanmoins quelque réfle- xion. L'on fait, par exemple, que tout arbre cherche l'air , comme la principale caufe de fa vie & de fes productions, les uns plus, les autres moins : ,8c c'eft pour cela que dans leur accroiiTemene , fi vous en exceptez le cyprès ôc quel- ques arbres de cette nature, ils s'é- cartent l'an de l'autre , & de tous |
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far Principes. 239
corps étrangers autant -qu'ils le
peuvent, leurs branches & leurs feuilles font la même chofe. Ainfi pour leur donner cette légèreté èç .cet air dégagé qui eft leur principal caractère, il faut avoir foin dans la diltribution des branches, des touf- fes, & des feuilles,qu'elles fe fuyent l'une l'autre, qu'elles rirent toutes ■de differens côtés, & qu'elles foient bien réfendues 5 & que ces chofes fe fafiènt fans affe&er aucunarran- gement, mais feulement comme fi le hazard avoit pris plaifir de fé- conder la Nature dans la bizarre- rie de fa. diverfité. Mais de dire de quelle manière
cette diftribution de tiges, de touf- fes , èc de feuilles fe doit faire, il eir. inutile à mon avis d'en rappor- ter ici le détail qui ne pourroigêtre qu'une demonft ration copiée d'a- près les grands Maîtres 5 leurs ou- vrages & un peu d'attention fur les effets de la Nature, en feront plus comprendre que tous les difcours |
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2.40 Cours de Peinture
que j'en pourrois faire. J'entens par les grands Maîtres, ceux prin- cipalement qui ont donné des es- tampes au Public : ainfi ceux qui «commencent à peindre Je Païfage, apprendront d'abord plus en réfle- chifTant fur ces eftampes «5c en les •copiant 5 qu'ils ne feroient d'après les Tableaux. Parmi une aflfez grande quantité
de ces grands Maîtres de toutes les geôles , je prefererois les eftam- pes en bois du Titien, où les ar- fores font bien formés, «Se celles que Corneille Cort & Auguftin Cara- che ont gravées : «5c je répète pour ,ceux qui commencent , qu'ils ne ïàuroient mieux faire que de .contracter avant toutes chofes une habitude d'imiter la touche de ces grands Maîtres ^ <5c en les imitant, de réfléchir fur la perfpective des branches & des feuilles , 3c de prendre garde de quelle manière glles paroilfent lorsqu'elles mon- tent 3c qu'elles font vues par def- |
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far Principes. i^t
fous , lorfqu'elles defcendènt Ôc
qu'elles font vues par de/lus, lorf. qu'elles fe prefentent de front èc qu'elles ne iont vues que par la pointe, lorfqu'elles fe jettent de côte ;•& enfin aux difrerens afpeds dont la Nature les prefente iàns Sortir de fon caractère. Et après avoir beaucoup étudié
& copié à la plume ou au crayon le Titien ■& les Caraches , leurs Eilampes premièrement, puis leurs Defieins, fi l'on en peut avoir, il faut tâcher d'imiter avec le pin- ceau les touches que ces grands Hommes ont Je plus nettement Spé- cifiées. Mais comme les Tableaux duTitien & ceux desCaraches font fort rares , on peut leur en fub- ilituer d'autres qui ont eu un bon caractère dans leur touche, parmi Jefquels on peut fuivre Fouquier , comme un très- excellent-.-..mo- dèle : Paul Bril, Breugle , & Bour- don font encore très.bons , leur touche eft nette, vive, & légère. |
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.2.4ï Cours de Peinture
Mais après avoir bien pbfervé
la. Nature des arbres & la manière dont les feuilles s'écartent & fe rangent ,& dont les branches font refendues , il faut s'en faire une vive idée afin d'en conferver par- tout l'efprit, foit en les rendant fenfîbles & diftin&es fur les devans du Tableau, foit en les confondant à mefure quJelles feront éloignées. Enfin après avoir contracté de
cette forte quelque habitude d'a- près les bonnes manières, on pour- ra étudier d'après Nature en la choififlant & en la rectifiant fur J'idée que ces grands Maîtres en ont eue. Pour la perfection, il faut l'attendre d'une bonne pratique, gc de la perfeverance dans le travail. Voilà, ce me femble, ce qui regar- de ceux qui ayant inclination de faire du Pa'ïfage, cherchent les inoyens de bien commencer. A l'égard de ceux qui ont déjà
.quelque habitude dans ce genre de Peinture, il eft bon qu'ils amaflenc |
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far Principes. t43
des matériaux, & qu'ils faflent des
études des objets au moins qu'ils ont fouvent occafion de reprefen- ter. Xes Peintres appellent ordinai-
rement du nom d'étude les parties qu'ils defîînent ou qu'ils peignent ieparement d'après Nature , lef- quelles doivent entrer dans la corn- pofkion de leur Tableau , de quel- que Nature qu'elles puiiîent être j figures ., têtes , pieds, mains, dra- peries, animaux , montagnes , ar- bres , plantes , rieurs, fruits , ôc tout ce qui peut les afîurer dans î'imitatïon de la Nature. Us appel- lent , dis-je, du nom d'étude tou~ Tes ces parties deiiïndes , foit qu'ils s'en inftruifent en les deffinant, foit qu'ils ne fe fervent de ce moyen que pour s'affurer de la vei-ité, & pour perfectionner leur ouvrage. Quoi qu'il en foit, ce nom convient -d'autant mieux à l5uiào;e des Pein- tres , que dans ladiverfité de laNa- îure , ils découvrent toujours des L ij
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2.44 Cottrs de Peinture
çhofes nouvelles , & fe fortifient dans celles qui étoient déjà de leur connoifTance. Comme il n'eft queftion que de
l'étude des objets qui fe trouvent à la campagne, je voudrois que le Païfagifte mît un tel ordre dans celles qu'il doit faire , que les DeC feins dont il auroit befoin pour la reprefentation de quelque objet , fe trouvaient promtement fous fa main. Je fouhaiterois, par exem- ple, qu'il copiât d'après Naturel fur plufieurs papiers les effets dif- férées que l'on remarque aux ar- bres en général, & qu'il fît la mê- me choie fur les différentes efpe- çes des arbres en particulier, com- me dans la tige3 dans la feuille &; dans la couleur. Je voudrois même qu'il en i\t autant pour quelques plantes dont la diverfité eft d'un grand ornement pour les terralfes emi iont fur les devans. Je voudrois encore qu'il étudiât
de '% même manière les effets ç\n |
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far Principes: , £4/
yel dans les différentes heures dit jour, dans les différentes faî'fons > dans les différentes difpofitions des nuages, dans un tétas ferain & dans celui des tonnerres & des orages J en dis autant pour les lointains pour les divers caracferes des roches, des eaux , & des princi- paux objets 'qui entrent dans h •Hallage. Après ces études feparëes que le
Paifagifte a dû faire dans l'occa- lion, je lui demanderois de ramaf ier enfemble celles qui regardent les mêmes matières, & d'en faire comme un livre • afin qu'étant amn rangées, il puufe les trouver Plus promptement, & s'en aider clans le befoin. . les études des Paï/agiftes confi„
tent donc dans les recherches des beaux effets de la Nature , def quels il peut avoir befoin dans la compofition de fes Tableaux , ou «ans l'exécution de quelque par-' «e, foit pour la forme , foit pour, Liij
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2,46 Cours de Peinture
la couleur. Mais la queftion eft de bien choifir ces beaux effets de la. Nature. Il faut pour cela être né avec un bon efprit, un bon goût, & un beau g-enie, & avoir cultivé ce génie par les obfervations que l'on aura faites fur les ouvrages des meil- leurs Maîtres , & avoir examiné comment ils ont eux-mêmes choifi. îa Nature, &. comment en la recti- fiant félon leur Art, ils en ont con- lérvé le cara&ere. Avec ces avan- tages que donne la naiffance ., Se que l'Art perfectionne, le Peintre ne peut manquer de faire de bons choix 5 & fâchant ainfi démêler le bon d'avec le mauvais , il tirera beaucoup d'utilité des chofes mê- me les plus communes. Pour faire ces fortes d'études,
plufieurs Peintres fe font fervis de divers moyens, & j'ai cru qu'il ne feroit pas hors de propos de rap- porter ici ceux que j'ai vu prati- quer , & dont j'ai moi-même quel- que expérience. |
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far Principes %/Ç-j
Ceft don^ d'après Nature & en
pleine campagne que quel ques-un* ont deffiné &' fini exactement les morceaux qu'ils ont choifîs, faris y ajouter de couleurs. D'autres ont peint avec des couleurs à huile fur du papier fort , & de demi - tein- te , & ont trouvé cette manière commode en ce que les couleurs venant à s'emboire, donnent la fa- cilité de mettre couleur fur cou- leur , quoique différence l'une de l'autre. Ils portent à cet effet une boëte plate qui contient commo- dément leur palette , leurs pin- ceaux , de l'huile & des couleurs. Cette manière qui demande à la vérité quelque attirail , eft fans doute la meilleure pour tirer de la Nature plus de détails , & avec plus d'exactitude, fur-tout, fi après que l'ouvrage eft fec & verni , on vouloit retourner fur les lieux pour retoucher les chofes principales & les finir d'après Nature. D'autres ont feulement tracé les contours L iiij
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2.4,8 Coûts de Peinture
des objets, & les ont lavés de cou- leurs approchantes de celles de la Nature , mais légèrement,, & feu- lement pour foulager leur mémoi- re. D'autres ont obfervé atten- tivement les morceaux qu'ils vou- loient retenir • & fe font conten- tés de \es confier à leur mémoire qui dans te befoin les leur rappor- toit fidèlement. D'autres fe fonc fervis de paflels 6c de lavis ensem- ble. D'autres plus curieux & plus patiens en ont fait à plufieurs fois dans les endroits où ils pouvaient aller facilement, 6c dont les fîtes étoient de leur goût. La première fois ils ne faifoient autre chofe que de bien choifir leurs morceaux , 6c d'en deffiner le trait correctement 5 6c les autres jours qu'ils y retour- noient , c'étoit pour en remar- quer les couleurs qui font voir au- tant de diverfité, qu'il y a de chan- gement dans les lumières acciden- relies. Tous ces moyens font fort bons^
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far Principes. 249
&- chacun s'en doit fervir félon ce
qui lui convient, & félon l'activité de fon tempérament. Mais ces ma- nières d'étudier demandent une préparation de la part du Peintre : il lui faut des couleurs, des pin- ceaux , d^s paftels, 8c du loifir. Ce- pendant il arrive des momens où la Nature fait voir des beautés ex- traordinaires ,, mais palîageres & inutiles pour le Peintre qui n'auroit pas tout le tems d'imiter ce qu'il voit avec admiration. Voici donc ce que je croi de plus expédient pour profiter de ces occafions mo- mentanées-. Je fuppofe , comme cela doit"-
être, que le Peintre a toujours fur foi un cahier de papier 8c du crayon de mine. Cela étant, il doit deffi- 11er promptement 6c légèrement ce qu'il voit d'extraordinaire , ôc pour en retenir les couleurs il doit marquer les principaux endroits- par des caractères qui feront ex- pliqués au bas du papier, 8c dont il Lv
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2 j o Cours de Peinture
fuflîra qu'il ait l'intelligence. Un- nuage , par exemple , fera mar- qué A j un autre nuage B ; une lumière C ; une montagne D 3 une terraffe E 5 &: ainfî du refte. L'on ajoutera à chaque lettre qui fera répétée au bas du papier, telle chofe eft colorée de telle ou telle couleur : ou bien, pour abréger , on mettra feulement, bleu, rouge, violet , eris , ou même d'autres marques plus abrégées 3 Se connues feulement par celui qui s'en voudra fervir. Mais il faut obferver dans cette
manière d'étudier, qu'elle deman- de un promt ufage de la palette &• des pinceaux dès qu'on le pourra 5 autrement la plupart des chofes que l'on auroit marquées écha- peroient en peu de jours de la mé- moire. Et l'utilité en eft lî grande , que non-feulement fans ce moyen , le Peintre perd une. infinité de beautés. paliageres : mais encore que; les autres moyens dont nous |
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par Principe^. zyi
venons de parler , peuvent fe per-
fectionner par fon fecours 5 c'efl: à dire , en le fervant de marques <k de cara&eres. Si l'on demande quel tems en:
le plus avantageux pour faire les études dont nous venons de par- ler, je répondrai que le Païfagiffce doit étudier la Nature en tout tems ; parce qu'il eft obligé de la: représenter en toutes les faifons ,., que néanmoins l'Automne eft la plus propre à donner au Peintre une recoke abondante des beaux effets de la Nature 5 la douceur de cette faifon , la beauté du Ciel, la richefle de la terre , & la va- riété d'objets,font de puiifans mo- tifs pour exciter le Peintre à faire des recherches qui cultivent fon génie, èc qui perfectionnent fon; Art. Mais comme on ne peut pas
tout voir, ni tout obferver , il eft très-louable de fe fervir des étu- des d'autrui ,.& de les regarder^ L vj
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x 5 ■£ ■ Ctf<w de Peinture
comme Ci on les avoyc faites foi- même. Raphaël envoya de jeunes gens en Grèce pour deffiner des chofes donc il croyoit tirer de l'u- tilité , & dont il s'eft effectivement fervi comme fi lui-même les avoit deffinées fur les lieux. Bien loin que Ton puifle, fur cette précaution rien reprocher à Raphaël, on doit en cela lui favoir gré du chemin qu'il a montré aux autres , pour chercher toutes fortes de moyens de s'avancer dans leur profelîion. AinfilePaïfagiftepeut fefervir des ouvrages dé tous ceux qui ont ex- cellé dans quelque partie, afin qu'il s'en faite une bonne manière à la façon des abeilles qui tirent « des meilleures fleurs ce qui fait le meilleur miel. Obfervations gênerait s fur le-
Païfage.
Comme les règles générales de
la Peinture font les fondemens de^ |
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far Principes: tff
tous les genres de cet Art, on y
renvoie celui qui veut faire du Païfage 3 ou plutôt Ton fuppofe qu'il en efl inflruit. On fera feu- lement ici quelques oblèrvations générales qui regardent ce genre de Peinture. i. Le Païfage fuppofe l'habitu-
de des principales règles de la per- ipective, pour ne fe point éloigner du vraifemblable. 2. Plus les feuilles des arbres
font près de la terre,plus elles font: grandes & vertes ; parce qu'elles font plus à portée de recevoir abon, damment la fève qui les nourrit. Et les branches d'en haut com- mencent les premières à prendre le roux ou le jaune qui les colore dans l'arriére faifom Il n'en eft pas de même des plantes dont les tiges fe renouvellent tous les ans y & dont les feuilles fe. fuivent avec un intervalle de teins aflez con- sidérable : de forte que la Nature étant occupée à en produire- de. |
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» 54' Cours de Peinture
nouvelles pour garnir la tige à me: fure qu'elle s'élève , abandonne peu à peu celles qui font en bas, parce, qu'ayant accompli les pre- mières leur tems &: leur office , elles périïTent les premières. C'en: un effet, qui eft plus fenfible en quelques plantes, & moins en d'au- tres. 3. Le deffous de toutes les feuil-
les eft d'un verd plus clair que le deffus, & tire prefque toujours fur l'argentin. Ainfi les feuilles qui font agitées d'un grand vent doivent être distinguées des autres par cet. te couleur. Mais fi on les voit par- deffous, lorfqu'elles font pénétrées de la lumière du Soleil, leur tranC parent paroît d'un verd fi beau & fi vif, que l'on juge facilement que de tous les autres verds , il n'y en a point qui en approche. 4 Entre les chofes qui donnent
de l'ame au Païlage, il y en a cinq qui font elTbntielles , les figures , les animaux , les eaux, les arbres |
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#»>"Principes.. 2Tr,
^res du vent ,& la légèreté du
gnceau. On pourroit y apûter les. Wes a quand le Peintre a occa- "on d en faire paroître. 5- Quand une couleur règne
ge , comme un même verd au Printems , ou comme un même roux dans l'Au- tomne die donne au Tableau un air de Camayeu ou d'un ouvrage qui n eft pas achevé. J'ai va plt
fours Paiïages de Bourdon , aux- quels jpour avoir employé partout un même %le de grain , il ôtoic beaucQup de leur beauté, quoique d ailleurs les fîtes & les eaux en fifl lent plaifir à voir. Je laifTe au Pein- tre ingénieux le foin de reparer, & comme on dit", deracheter la cou- leur ingrate des Hiver & des Prin- tems par des figures, par des «aux,. «par des fabriques : car pour les Sujets d'Eté & -d'Automne, ils font iuiceptibles d'une grande diverfité. 6. Le.Titien &lè Carache font les modèles les plus capables dltt-J |
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2rj-<r cours de Peinture
fpirer le bon goût, & de mettre fe Peintre dans la bonne voie , pour la forme & pourla couleur. Il faut faire tous fes efforts pour bien com- prendre les principes que ces grands Hommes nous ont laiffés dans leurs ouvrages,&. s'en remplir l'imagination, fi l'on veut s'avan- cer de plus en plus, &; tendre à la perfection que le Peintre doit cou*. iours avoir en vue. t
7. Les Païfages de ces deux Pein-
tres , le Titien ôc le Carache , en- feignent beaucoup de chofes dont le difcours ne fauroit donner des idées bien precifes, ni des principes généraux. Le moyen , par exemp- le , de déterminer les mefures de arbre en gênerai, comme on dé- termineroit les mefures du corps humain. L'arbre n'a point de pro- portions arrêtées, une grande par- tie de fa beauté confîfte dans le eontrafte de fes branches, dans la diftribution inégale de fes tourFes,& enfin dans une certaine bizarrerie |
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■par Principes, i j 7
dont îa Nature fe jone, & dont le
Peintre eft un bon arbitre^quand il a bien goûté les ouvrages des deux Peintres que je viens de nommer. Il faut néanmoins dire à la louan- ge du Titien, que le chemin qu'il a frayé eft le plus fur de beaucoup , en ce qu'il a fuivr exactement la Nature dans fa diverfîté, avec un goût exquis, un coloris précieux , & une imitation très-fidéle ; &: le Carache, quoique très-habile, & les autres bons Peintres -, n'ont pas été exemts de manière dans l'exé- cution de leurs Païfages,. 8. Une des plus grandes perfec-
tions du Païfage dans cette gran- de variété qu'il reprefente, eft l'i- mitarion fidèle de chaque caractè- re en particulier 3 comme fon plus grand défaut eft une pratique fau- vage qui tombe dans ce qu'on ap- pelle routine. 9. Parmi les chofes que l'on peint
de pratiquejl eft fort à propos d'eu mêler quelques-unes faites d'aprèi |
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2, f$ Cours de Peinture
Nature : cela induit le Spedateur' à croire que le refte a été pareille- ment fait d'après Nature; 10. Comme il y a des ftyles de
penfer, il y en a auffi d'exécuter. J'en ai parlé de deux pour la pen- fëe, le ftyle héroïque , & le ftyle champêtre 3 8c j'en trouve pareil nombre pour l'exécution , le ftyle ferme , & le ftyle poli. Ces deux derniers ne regardent que la main & la façon plus ou moins fpirituei- le de conduire le pinceau. Le ftyle ferme donne delà vie à l'ouvrage, & faitexcufer les mauvais choix,& le ftyle poli finit ôc polit toutes cho- ies , il ne lairTe rien à faire à l'ima- gination du Spectateur, laquelle fe fait un plailîr de trouver & d'ache- ver des chofes qu'elle attribue au Peintre,quoiqu'elles viennent véri- tablement d'elle. Le ftyle poli tom- be dans le mou &: dans le fade, s'il n'eft foûtenu d'un beau fite : mais la jonction de ces deux caraderes rend l'ouvrage très-curieux,, |
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far Principes. s f$?
ri. Après avoir fait paffer com-
me en revue les principales parties qui compofent le Païfage , après avoir parlé des études que l'on y. pourroit faire , ôc après avoir fait quelques obfervations générales qui regardent ce genre de Peintu- re, je ne doute pas que plusieurs perfonnes ne foùhaitent encore , pour rendre cet ouvrage moins, dé- fectueux , quelque choie touchant: la pratique & l'emploi des cou- leurs. Mais comme chacun a fa pra- tique particulière, &; que l'emploi des couleurs comprend une partie des fecrets de l'Art, il faut atten- dre ce détail de l'amitié & de la. converfation des Peintres les plus éclairés, & joindre leurs avis avec: fa propre expérience. |
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a <yù Cours de Peinture
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Sur la manière de faire les
Portraits. |
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S
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I la Peinture eft une imitation
de la Nature, elle l'eft double-, |
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ment à l'égard du portrait qui ne
reprefente pas feulement utï.hom- me en général : mais un-tel homme en particulier qui foiï diftingué de tous les autres ; & de même que la première perfe&ion d'un Portrait eft une extrêmererTêmbîance, ain- iî le plus grand de fes défauts eft de reifembler à une personne pour laquelle il n'a pas été fait,n'y ayant pas deux perfonnes dans le monde qui lé reflemblent. Mais avant que d'entrer dans le détail des chofes qui donnent la connonTance de cette imitation particulière , il eft bon de faire pafler ici en revue quelques proportions générales qui doivent préparer l'efprit are- |
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far Principes. z(,i
cevoir ce que je dirai dans la fui~
te,& fupléer à ce que je ne dirai pasj car autrement il faudroit un trop' long difcours. ï
L'imitation eft l'eflènce de la Peinture, & le bûn choix eft à cette eflence ce que les vertus font à l'homme , il en relevé le prix. C'eft pour cela que le Peintre a grand intérêt de ne choifîr que des têtes avantageufes ou de bons mo- mens, & des fituations qui fup_ pléent au défaut d'un beau naturel Jl
Il y a des vues du naturel plus
ou moins avantageufes, tout dev pend de le bien tourner , & de le prendre dans un bon moment. III. Il n'y a pas une perfonne dans îe monde qui n'ait un caraâere parti- culier de corps 8c de yifage. IV. La Nature iïmple & naïve con. idenç mjeux à l'imitation , .elle eft |
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_rl>2. Vours de Teinture
d'un meilleur choix que celle qui eft ajuftée & que l'on a voulu em- cbelir par un trop grand artifice. V. C'en: une violence qu'on fait à la Nature que de la trop parer, ;Sc l'action qui en eft înfeparable ne peut être libre dans les ajufte- mens qui portent avec eux de la contrainte. En un mot la Nature parée en eft: moins Nature , pour ainfi dire. VI
Il y a des moyens plus avantageux les uns que les autres pour arriver à une même fin. VIL
Il ne faut pas feulement imiter ce que 1 on voit ^ mais ce que l'on peut voir d'avantageux à l'Art. VIII. La comparaifon fait valoir les chofes , U ce n'eft que par elle ••cju'on en peut bien juger. IX. Les yeux des Peintres s'accou- |
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fdr Principes. 2:6|
tument aÏÏement aux teintes dont
ils fe fervent.pour lsordinaire,& à la manière qu'ils ont apprife de leurs Maîtres j de forte qu'après cette habitude ils voient la Nature, non pas comme elle eft en effet, mais comme ils, ont accoutumé de la peindre & de la colorier. X. Il eft très-difficile qu'un Tableau dont les figures feront de la gran- deur du naturel, faffe fon effet de près comme de loin. Un Tableau lavant ne plaira aux ignorans que dans fa diftance, mais les connoiC feurs en admireront l'artifice de près, Se l'effet de loin. XI. L'intelligence donne du plaiiîr ,& de la facilité dans le travail 5 le voyageur qui fait bien fon cheaiin arrive plus furement & plus vite , que celui qui cherche & qui ta- tonne. XII.
U eft bon , avant de s'engager |
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2.^4 Cours de Peititure
dans un ouvrage, de le méditer 5c d'en faire un efquiffe colorié pour fon repos, & pour le foulagement de fa mémoire. On ne fauroir. trop réfléchir fur
ces proportions, & il eft néceiTaire de s'en former une telle habitude qu'elles fe prefentent d'elles mê- mes à l'efprit, fans être obligé lors du travail, de les rappeller dans fa mémoire quand on travaillera. Quatre rhofes font néceflaires
pour rendre un Portrait parfait, l'air , le coloris, l'attitude 8t les ajuftemens. . L'air comprend les traits du vi-
fage, la coëffure, & la taille,. Les traits du vifage confident
dans îa juftefTe du defleîn, & dans l'accord des parties , lefquelles toutes enfemble doivent reprefen- ter la phyfîonomie des personnes que l'on peint, en forte que le Por- trait de leurs corps foit encore ce- lui de leurs efprîts. La juftefTe du defïein qui £ft re-
quiie
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par Prirxipes. zë $
<quîfe dans les Portraits, n'efl pas tant; ce qui donne l'ame & le véri- table air, que cet accord des par- ties dans le moment qui marque i'efprit &c le tempérament de la pe-rfbnne. L'on voit beaucoup de Portraits correctement défîmes qui ont un air froid, h nguifîant .& ébê- té ; & d'autres au contraire qui n'é- tant pas dans une fi grande juftef- fe de Deffein, ne kiflent pas de nous frapper d'abord du caractère de la perfonne pour laquelle ils ont été faits. Peu de Peintres ont pris garde à
bien accorder les parties enfemble : tantôt ils ont fait une bouche rian- te, &-des yeux trilles -, 5c tantôt des yeux gais, & des joues relâ- chées ; &c c'efl ce qui met dans leur ouvrage un air faux &. con- traire aux effets de la Nature. Il faut donc prendre garde qu'au
même tems que le modèle fe don- Be un air riant, Jes yeux fe ferrent, les coins de la bouche s'élevenc M
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z6 6 Cours de Peinture
avec les narines, les joues rémois tent, .& les fourcils s'éloignent l'un <le l'autre : mais fi le modèle fe don- ne un air trille , toutes ces parties font un effet contraire. Les fourcils élevés font un air
grave & noble j mais étonné, s'ils font en arc. Parmi toutes les parties du vifa-
ge celle qui contribue davantage a la reflemblance, c'eft le nez , Se il eft d'une extrême confequence de le bien placer, Se de le bien def- finer. Quoique les cheveux femblent
faire partie des ajuftemens , qui peuvent être tantôt d'une façon & tantôt d'une autre , fans que l'air du vifage en foit altéré $ cependant il eft fi confiant que la manière dont on a accoutumé de fe coef- fer , fert à la reflemblance . que Ton a fou vent hefité de reconnoî- cre les hommes parmi lefquels on étoit tous les jours , quand il? âvoienr, mis une perruque un peu |
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par Principes. z$j
différente de celle qu'ils avoienc
auparavant. Aïnfi il faut , autant qu'on le peut , prendre l'air des co effares pour accompagner & fai- re valoir celui des vifages, à moins qu'on n'ait des raifons pour en ufer autrement. Pour ce qui eft de la taille, il eft
û véritable qu'elle contribue à la reflemblance , que l'on reconnoît très-fouvent les perfonnes (ans voir leur vifàge. Ceft pourquoi le meil- leur eft dedeffiner la taille d'après les perfonnes mêmes dont on fait le Portrait, & dans l'attitude qu'on les veut mettre 5 c'eft ainfi qu'en ufoit Vandeik.il eft d'une extrême coniequence d'avertir ici le Pein- tre que les perfonnes dont on fait le Portrait,étant ordinairement afl ftfes en paroiflènt d'une taille moins dégagée , parce que les épaules dans cet état remontent plus haut qu'elles ne doivent être na- turellement. Ainti pour defliner ia taille avec avantage , il eft à Mij
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2..6" 8 Cours de Peinture
propos de faire tenir un moment
ion ^modèle debout., tourné dans ■l'attitude qu'on lui veut donner, & l'obferver en cet état. Il fe pre- fente ici une difficulté à refoudre ; &: c'eft ce que nous allons exa- miner. S'il eft a propos de corriger l:$
défauts du Naturel dans les
Portraits,
L'effentiel des Portraits étant la
reiïemblance , il paroît qu'il faut imiter les défauts comme les beau- tés , puifque l'imitation en fera plus complette -, on auroit même de la peine à prouver le contraire à une peribnne qui voudroit s'opi- niâtrer dans cette thêfe : mais les Dames & les Cavaliers ne s'accom- modent point des Peintres qui font dans ces fentîmens , &: qui les pratiquent, j'ai vu des Dames qui m'ont dit nettement qu'elles n'eftimoient pas les Peintres qw I
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far Principes. i 6 y
faifoient fî fort relTembler, & qu'el-
les aimeroient mieux qu'on leur donnât beaucoup moins de rei- femblànce , & plus de beauté. Il eft certain qu'on-leur doitla-def- fus quelque complaifance , &c je: ne doute point qu'on ne les puifle' faire refTembler fans leur déplaire : car la reiïemblance efTentielle eft un jufte rapport des parties pein- tes avec celles du naturel, en forte que l'on connoifîe , fans hefiter , l'air du vifage , & le tempéra- ment de la perfonne donr on voit le Portrait. Cela pofé , je dis que tous les
défauts fans lefquels on connoît' l'air & le tempérament des per- sonnes , doivent être corrigés & omis dans lesPortraits des femmes, & des jeunes hommes f un; nez un peu de travers peut être redrefïe, une gorge trop feche, des épaules trop hautes, peuvent être accom- modées au bon air que l'on de- mande fans paffer d'une extrêmi- Miij.
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17© Cours de Peinture
té à l'autre, & tout cela avec beau- coup de difcretion , parce qu'en voulant trop corriger le naturel „ on tombe dans le défaut de don- ner un air gênerai à tous les Por- traits que Ton fait • de même qu'en s'attachant trop fcrupuleufement aux défauts & aux minuties, onfe mec en grand danger de tomber dans le bas, & le mefquin. Mais pour les Heros,& pour ceux
qui tiennent quelque rang dans le mande, ou qui fe font aiftinguer parleurs dignités, par leurs vertus, ou par leurs grandes qualités, on ne fauroit apporter trop d'exactitude dans l'imitation de leur vifage, foit que les parties s'y rencontrent bel- les , ou bien qu'elles y foient défe- ctueufes 5 car ces fortes de Portraits font des marques autentiques qui doivent être confacrées à la pofte- rité 3 àc dans cette vue tout eft précieux dans les Portraits, fi tout y eft fidèle. Mais de quelque ma- nière qu'agifTe le Peintre , qu'il |
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far Principes. i"j\
n'oublie jamais le bon air , ni la
bonne grâce , & qull y a dans Je naturel des momens avantageux. \ I Coloris.
Le Coloris dans les Portraits eft
tin épanchefnent de la Nature, le- quel fait connoître le véritable tempérament des perfonnes : & ce tempérament étant une choie eifentielle à la reflèmblance , il doit être reprefenté avec la même jufteffe que le Deflein. Cette par- tie eft d'autant plus eftimable qu'el- le eft rare & difficile. On a vu une infinité de Peintres qui ont fait réf. fembler par les traits & par les con- tours : mais le nombre de ceux qui ont reprefenté par la couleur le véritable tempérament des per- fonnes , eft affurément très-petit. Deux chofesfontnéceftàires dans le coloris , la juftefte des teintes , & l'art de les faire valoir ; le pre- mier s'acquiert par la pratique M iiij
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i "ji Cours de Peinture
en examinant & en comparant les couleurs que l'on voit fur le natu- rel , avec celles dont on veut les imiter ; & l'art de faire valoir les teintes confïfte à favoir ce qu'u- ne couleur vaut auprès d'une au- tre , &. à réparer ce que la dif- tance & le tems diminuent de l'é- clat & de la fraîcheur des cou- leurs. Un Peintre qui ne fait que ce
qu'il voit , n'arrivera jamais à une parfaite imitation : car fi fon ou- vrage lui fetnble bon de près, èc fur fon chevalet , de loin il dé- plaira aux autres &c fouvent à lui- même : une teinte qui de prespa- roît feparée& d'une certaine cou- leur , paroîtra d'une autre couleur dans fa diftance , &: fe confondra dans la mafTe dont elle fait partie. Si vous voulez donc que votre ou- vrage falfe un bon effet du lieu d'où il doit être vu, il faut que les couleurs & les lumières en foient un peu exagérées 3 mais favamment <5c |
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par Principes. Z73
avec une grande difcretion. Voyez
la manière dont Titien, Ruben's,. Vandeik, & Rembrant en cnt ufé : car leur artifice eft merveilleux. Il y a ordinairement dans le teint trois momens à obferver ; le pre- mier , quand le modèle nouvel- lement arrivé fe met en place , Se pour lors il eft plus animé &: plus coloré qu'à fon ordinaire , & cela fe remarque dans la première heu- re ; le fécond, quand le modèle étant repofé fe fait voir tel qu'il eft ordinairement, & cela fe trouve dans la féconde heure 5 & le troi- sième lorfque le modèle las d'être dans la même attitude , change la couleur ordinaire en celle que l'ennuï a coutume de répandre fur le vifàge. Aînfi ileft très-à_propos de s'en tenir au teint ordinaire des perfonnes , & de l'accompagner de quelque bon moment qu'on ne puiftè blâmer d'exagération. Il eft bon auili pour diffiper , ou préve- nir l'ennui , de permettre aux per- Mv
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174 Cours de Peinture
fonnes que l'on peint, de fe lever pour faire quelques tours de cham- bre , &: reprendre de nouveaux e/prits. Dans les Draperies toutes for-
tes de couleurs indifféremment ne conviennent pas à toutes fortes de perfonnes. Dans les Portraits d'homme , il fuffit de chercher beaucoup de vérité & beaucoup de force $ mais aux Portraits de femmes, il faut encore de l'agré- ment , de faire paroître dans un- beau jour ce qu'elles ont de beau- té , & tempérer par quelque indu- ftrie ce qu'elles ont de défauts. C'e/t pour cela qu'auprès d'une
tejnt blanc , vif 3 & éclatant , il faut bien fe garder de mettre d'un: beau jaune qui le feroit paroître de plâtre > mais plutôt des couleurs qui donnent dans le verd ,.ou dans le bleu, ou dans le gris, ou dans quelques autres femblables cou* leurs qui par leur oppofition cort-. tribuent à faire paroître plus de. !
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far Principes* i-ff
chair ces fortes de teins, que l'on
trouve ordinairement aux blondes, Vandeik s'eft fouvent fervi dans fes fonds de rideaux feuille-morte ; mais la couleur en eft douce & brune. Les femmes brunes au contrai-
re qui ont dans leur teint afTez de jaune pour foutenir le cara&erede chair, pourront fort bien être ha- billées de quelques draperies qui donnent dans le jaune , afin que leur teint femble en avoir moins, & en paroîcre plus frais ^ & auprès de& carnations qui font très-vives & hautes en couleur r le linge y fait à merveille. Pour les fonds, il y a deux cho-
fesàconfiderer, le ton, & la cou- leur. On doit raifonner de la cou- leur du fond, comme on raifonne de celles des habits à l'égard delà tête. Le ton du fonds doit être toujours différent de la maffe qu'il Soutient, & dont il eft le fond , en forte que les objets qui feront deC |
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17 6 Cours de Peinture
lus ne parouTent point tranfparens $ mais folides & de relief. Ce qui dé- termine le ton du fond eft ordinai- rement leton descheveux,&quand ils font châtins-clairs on eft fouvent fort embarrafle à moins qu'on ne fe iérve du fecours d'un rideau ou de; quelque accident de Clair-obfcur que l'on fuppofe derrière, ou que ce fond ne fok un ciel. Il faut encore obferver que lorf-
cju'on fait des fonds unis, c'eft-à- dire , lorfqu'il n'y a ni rideau ni Païfage, ni autre ouvrage femblar ble j mais feulement une efpece de muraille , il doit y avoir plusieurs couleurs qui faflent comme des ta- ches prefque imperceptibles. La raifon en eft, qu'outre que la Na*- ture eft toujours de cette forte, l'u- nion du Tableau en eft beaucoup plus grande. III. L'Attitude.
L'Attitude doit être convenable
à l'âge , à la qualité des perfonnes & à leur tempérament. Aux nom* |
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far Principes,. zyy
mes & aux femmes âgées elle doft:
être pofée, majeit-ueuië & quelque- fois fîere 5 & aux femmes en géné- ral il faut qu'elle foit d'une lïmpli- cité noble, &. d'un enjouement mo- defte : car la modeftie doit être le. caractère des femmes. C'eft un at- trait mille fois plus puilfant que la coqueterie -, &c dans la vérité il n'y: a gueres de, coquettes qui voulut fent le paroître dans leur portrait» Il y a de.deux fortes d'attitudes, l'une de mouvement, &; l'autre de. repos. Les attitudes de repos peu- vent convenir à tout le monde, de celles qui font en mouvement ne: font propres qu'aux jeunes perfon- nes, &: font très-difficiles à exécu- ter j parce qu'une grande partie des draperies &; des cheveux doit être agitée par l'air, le mouvement ne fe faifant jamais mieux voir en peintu- re, que par ces fortes d'agitations, tes attitudes qui font en repos, ne: doivent pas tellement y paroître qu'elles femblent reprefenter une,: |
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x y8" Cours de Peinture
perfonne oifive, & qui fe tient ex- près pour fervir de modèle.Et quoi- qu'on reprefente une perfonne ar- rêtée , l'on peut, fi on le juge à pro- pos, lui donner une draperie volan- te,pourvû que la fcene n'en foit pas dans une chambre ou dans quelque lieu fermé. Il eft fur-tout néceflaire que les-
fîgures qui ne font point occupées , femblent vouloir fàtisfaire le defir de ceux qui ont la curiofité de les voir ; Ôc qu'ainfi elles fe montrent dans l'à&ion la plus convenable à leur tempérament &: à leur état ,, comme fi elles vouloient inftruire le fpe&ateur de ce qu'elles font en effet j & comme la plupart du mon- defè pique de franchife, d'honnê- teté & de grandeur d'ame., il faut: fuir dans les attitudes toutes fortes d'affe&ations , que tout y foit aifé & naturel, & que l'on y fafTe entrer plus ou moins de fierté vde noblef- fè Se demajefté,félon que lesper- fcnnes auront plus ou moins ce ca- |
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far Principes.. . 27^?
racîere,& qu'elles feront plus ou* moins élevées en dignité. Enfin ih faut que dans ces fortes d'attitudes les Portraits fèmblent nous parler d'eux mêmes, & nous dire, par exemple : Tien, régarde-moi, je fuis ce Roi invincible environné de majefté :Je fuis ce valeureux Capi- taine qui porte la terreur par tout „. ou bien qui ai fait voir par ma bon- ne conduire tant de glorieux fuc- cès : Je fuis ce grand Miniftre qui ai connu tous les reiîbrts de la poli- tique : Je fuis ce Magiftrat d'une fa. geife&dtme intégrité eonfommée: Je fuis cet homme de lettre tout ab- forbé dans les fciences : je fuis cet homme fage & tranquile que l'a- mour.de. laPhilofophiea mis audel- fus des defirs &: de l'ambition : Je. fuis ce Prélat pieux, docte, vigilant;: Je fuis ce protedeur des beauxArtsr; cet amateur de la vertu : Je .fuis cec: artifan fameux , cet unique dansi maprofeffion, &c. Et pour les fem- mes : Je fuis cette fage PrinceUe |
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ï8a Cours de Peinture
dont le grand air inipire du refpecl
Bc de la confiance : Je fuis cette Da- me fiere dont les manières grandes attirent de l'eftime, Ste. Je fuis cet; te Dame vertueufe, douce , mode- lie , &c. Je fuis cette Dame enjouée' qui n'aime que les ris, la joie , ècc. ainfl du relie. Enfin les attitudes font le langage des Portraits , &:' l'habile Peintre n'y doit pas-faire une médiocre attention. Mais les excellentes attitudes"
font, à mon avis, celles qui font ju- ger au fpeclateur que les perfonnes qui font peintes fur la toile , fe; trouvent fans affectation dans un moment favorable à fe faire voir avantageufement. Il y a feulement une chofeà obferver pour les Por- traits de femmes en quelque attitu- de qu'on les puilfe mettre , e'efl de les difpofer 8c de les tourner d'une manière que dans leur vifage il y ait peu d'ombre , 6c d'examiner foi- gneufement iî le modèle eft plus ou' moins beau dans les ris que dansle- |
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far Principes. z8*J
férfeux , & en tirer Ton avantage.
Venons aux ajuftemens. IV. Les A'pifîemens.
Sous le mot d'Ajuftemens,je com-
prens les draperies qui habillent les perfonnes peintes , &; la manière dont elles font accommodées Il faut que chacun Toit vêtu félon-
fa qualité, & il n'y a que les ajuf- temens qui puiflent faire en Pein- ture la diftincUon des gens : mais en confervant le caradere de cette- qualité , il faut que les draperies foient bien choiïïes <k bien jettées. Les habits fort riches convien- nent rarement aux hommes, &. la grande chamarure eftaudeffous de leur gravité. Les femmes doivent être parées négligemment fans perdre leur dignité & leur noblefTe: &: quand les hommes & les femmes voudront être autrement, le parti que le Peintre doit prendre , eft de- ie faire un plaifr de l'imitation. Les étoffes de différentes natures. |
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iîi Cours de Peinture
donnent à l'ouvrage un caractère' de vericé que les draperies imagi- naires détruifent. On habille aujourd'hui la plu-
part desPortrairs d'une manière afl fez bizarre $ fa voir fi elle eft à pro- pos , c'eft: une queftion qu'il faut examiner. Ceux qui font pour ces fortes
d'habits difent que les modes étant en France fort fujettes à changer v on trouve les Portraits ridicules fix ans après qu'ils ont été faits : que ces ajuftemens qui font du caprice du Peintre durent toujours : que les habits des femmes ont des manches ridicules qui leur tiennent les bras ferrés d'une manière fort contrain- te^ peu favorable à la Nature & à la Peinture ;& qu'enfin i'ufage qui s'eft introduit peu-à-peu d'habiller ainfi les Portraits; doit être fuivi en cela comme en autre chofe. D'autres au contraire foûtien-
nent que les modes font eflentieî- les aux Portraits,& qu'elles contrL |
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far Principes.- 285
buent non-feulement au Portraic
de- la perfonne, maïs qu'elles fone encore celui du tems 3 que les Por- traits faïfant partie de l'hiftoire , doivent être fidèles en toutes cho- i'es j & cela,difent-ils,eft fî vrai que nous ferions bien fâchés aujour- d'hui de voir dans les médailles ,: dans les bas-reliefs &: dans les au- tres ouvrages antiques,les Romains vêtus d'autres habits que de ceux qu'ils portoient, & nous trouve- rions ridicules qu'ils fufTent habil- lés dans leurs Portraits à la Grec- que comme nous le fommes fou- vent dans les nôtres à la Romaine 5. ou ce feroit tout au moins une er- reur dans laquelle ils nous auroient mis. Pour ce qui eft de la mode qu'on trouve ridicule fîx ans après qu'elle eft paffée, ils y répondent 3 éc difent que ce n'eft pas la faute de la mode , puifqu'elle a été une fois trouvée belle , mais bien de l'ef- prit qui ne juge pas des choies par rapport au tems où elles étoient >;, |
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$ 84 Cours de Peinture
mais par rapport au prefent. Ils ajoutent que cette averîion feroit à la vérité pardonnable pour des ha- bits qu'on verroit à quelqu'un dans Je commerce du monde 5 maïs que dans la Peinture c'eft une foiblefTe que les yeux du corps ont commu- niquée ci ceux- de Peiprit, & que ce doit être-plutôt un divertiirement utile, & une in/lruclion piai/ànte de voir qu'en tel tems on portoir. des colets montés,^ dans un autre des frai les, des chaperons, des ai- lerons aux manches, des toques , des cheveux courts, des pourpoints tailladés, des colets de point cou- pé ou à languette, Se plu/leurs au- tres modes qui nous font connoître le tems auquel vivoient lesperfon- nes , comme les perfonnes nous font connoître le tems des modes. Ils rapportent encore l'autorité des anciens Peintres qui ont eu de la réputation, comme Titien , Ra- phaël, Paul Veronefe, Tintoret, les Caxaches, Vandeik , & enfihs |
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. far Principes. £#<
Cous ceux qui ont peine des Por-
traits avant ce nouvel ufage que les femmes ont introduit en France depuis vingt ou trente ans. Pour déterminer quelque cho/ê
entre ces deux partis , ce qui me iemble de véritable, eil que la dif- ficulté de tirer des habits à la mo- de quelque chofe .d'avantageux pour la Peinture eft bien plus gran- de, que d'habiller agréablement des Portraits quand on a la liber- té d'y employer ce que l'on juge à propos 5 & je croixois au/îï qu'on pourroit mettre en ufâge tantôt les habits à la modp pour les Portraits de famille, Se tantôt des habits de quelque vertu , de quelque attri- but, ou de quelque divinité payen- ne. Difons maintenant quelque chofe touchant la pratique. La Pratique. Je fuis perfuadé que chaque per-
sonne en particulier ayant un eiprit différent, envifage les fins qu'il fç propofe par des vues différentes} |
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2.86 Cours de Peinture
& qu'on peut arriver au bien par divers moyens 3 & je fuis d'avis que chacun fuive en cela la pente de fon genie,& le chemin qu'il trouve- ra le plus court & le plus commo- de-, aînfî je ne dirai rien là-deiîîis de particulier , j'expoferai feule- ment en général qu'il elt bon de travailler à un Portrait trois diffé- rentes fois , ébaucher, peindre, 6c retoucher. A l'ébauche, il faut ex- trêmement prendre garde avant de rien faire , quel afpect fera le plus avantageux au Portrait, expo- fer le modèle en différentes vues ficela fe peut, à moins qu'on n'ait un deffein arrêté qu'on veuille exé- cuter -, de lorfqu'on fe fera déter- miné , il efl d'une confequence ex- trême de bien mettre les parties en place en les comparant toujours l'une avec l'autre, parce que le Portrait non-feulement en rejTem- ble mieux quand il eft bien deffiné, maïs qu'il eft fâcheux de chan- ger les parties la féconde fois que |
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par Principes. z$y
f on travaille, où l'on ne devroit
jfonger qu'à peindre, je veux dire, qu'à placer, & à unir fes couleurs. L'expérience fait connoître qu'il eft à propos d'ébaucher clair à eau- fe de l'avantage des glacis & du tranfparent des couleurs, fur-tout dans les ombres h & lorfque toutes les parties feront bien enfembleôf qu'elles feront toutes empâtées, il faudra les adoucir .& les confions dre avec diferetion fans ôter l'air ? afin qu'en finîflànt on ait le plaifir 4e former à mefure que l'on tra- vaillera. Ou fi cette manière de confondre les parties ne plaît pas aux génies de feu, qu'ils le conten- tent de marquer légèrement ces mêmes parties,& feulement autant, qu'il eft nécelîaire pour donner - IJair. Il eft bon à l'ébauche d'un Porv
trait de mettre fur le front plutôt moins que plus de cheveux , afin d'avoir la liberté quand on les finit de les placer où lfon veut , & df |
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% S % Cours de Peinture
les peindre avec toute la tendrefle & toute la délicateflè poffible : «jue fi au contraire vous ébauchez fur le front quelque touffe de che- veux qui vous paroîtra de bon goût, & fort avantageufe pour votre ou- vrage, vous ferez embarraifé lorC qu'il faudra la finir, & que vous ne trouverez plus le naturel dans la mêmedifpofîtion,précifernent que vous les voulez peindre. Cette ob- fei vation n'eft pas pour ceux qui au- roient une fcience & une expérien- ce confommée, qui ont le naturel dans la tête, & qui le font obéir à leur Idée comme il leur plaît. La féconde fois que l'on travail-
le doitfervir à mettre bien les cou- leurs dans leur place, & à les pein- dre de la manière la plus conve- nable au modèle que l'on imite ,& à l'effet que l'on fe propofe. Mais avant de commencer d'empâter, je voudrois que l'on examinât de nouveau fi les parties font bien en leur pUce, & que l'on donnât par- ci |
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far Principes. .\%y
.cl, par-là les coups qui contribuent
le plus à la reffemblance, afin qu'é- tant allure de cette reiîemblance J'en travaillât avec plus de repos .& de plaifir. Suppofé que l'on entende ce que
l'on fait, & que le Portrait foit defl ■£né jufte , -il .faut autant qu'on le peut travailler vite, le modèle s'en accommode mieux, & l'ouvrage en a plus d'efp rit &.plus de vie : mais cette promptitude eft le fruit de notre expérience, .& l'on ne fàurok faire vite qu'après avoir foigneufe-' ment étudié ,& médité lescliofes durant beaucoup de tems, & eilayé entre plusieurs moyens celui qui conduit le plus dire&ementaubien: car pour trouver un chemin fa- cile^ que l'on doive tenir fouvents il eft permis d'être long-tems à le chercher. Avant que de retoucher un Por-
trait , il eft à propos que les che- veux en foientterminés,afin qu'en douchant les carnations vous N
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i^o Cours de Peinture
puiffiez juger de l'effet de toute la «ête. Comme il arrive fouvent que la
féconde fois que l'on travaille à un Portrait on ne peut y faire tout ce que l'on voudroit : la troifiéme fert à y fuppléer ôc à donner l'efpric, la phyfionomie & le cara&ere. Si l'on veut faire un Portrait au pre- mier coup, il faut peindre en met- tant toujours des couleurs & jamais en adouciffant ni en frottant , & faire en forte qu'il y ait peu d'hui- le dans les couleurs ; & fi l'on y vouloit mêler en peignant un peu de vernis avec la pointe du pin- ceau , cela donneroit un moyen fat- ale de mettre couleurs fur couleurs, &. de les mêler en peignant fans les (emporter. L'ufage 8c la v4e des bons Ta-
bleaux apprennent plus de chofes qu'on n'en fauroit dire : ce qui convient à l'efprit êc au tçmp cra- ment d'une perfonne, ne cony' ent p.as toujours à une autre $ 3c pref- |
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fdr Principes 29 r
que tous les Peintres ont tenu dif-
ferens chemins, quoique leurs prin- cipes ayent été fouvent les mêmes. Le fameux Jabac, homme con- fia de tout ce qu'il y a d'amateurs des beaux Arts, qui étoit des amis de Vandeik , & qui lui a fait faire •trois fois fon Portrait, m'a conté qu'un jour parlant à ce Peintre d\g peu de tems qu'il employoit à faire les Portraits, il lui répondit qu'au commencement il avoit beaucoup travaillé &c peiné fes ouvrages pour û. réputation , & pour apprendre à les faire vite dans un tems où. il travailloic pour fà cuifine. Voici quelle conduite il m'a dit que Van- deik tenoït ordinairement. Ce Peintre donnoit jour & heure aux perfonnes qu'il devoit peindre , & ne travailloit jamais plus d'une heure par fois à chaque Portrait, foit à ébaucher, foit à finir j & fon horloge l'avertiffant de l'heure, il fe levoit Se faifoic la révérence à la perfonne, comme pour lui dire |
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■ï^.-z Cours de "Peinture
que c'en étoit allez pour ce jour-la9 &; convenoit avec elle d'un autre jour 6c d'une autre heure : après quoi ion Valet de chambre lui ve- noit nettoyer (es pinceaux , §c lui apprêter une autre palette pendant qu'il recevoir une autre perlonne , à qui il avoir donné heure. 11 tra- yaillok ainfî à pluiieurs Portraits en un même jour d'une y trèfle ex- traordinaire. Après avoir légèrement ébauché
un Portrait , il faiiok mettre la •perlonne dans l'attitude qu'il avoit auparavant méditée,8c avec du pa- pier gris & des crayons blancs & noirs,il demnait en un quart d'heu- re Ça. taille & Tes habits qu'il difpo.- foit d'une manière p-rande, &. d'un goût exquis. Il donnoit enluite ce rlefTein à d'habiles gens qu'il avoit chez lui, pour le peindre d'après jes habits mêmes que les perfonnes avoient envoyés exprès à la prière de Vandeik. Ses Elevés ayant fait d'après Nature pequ'ils pouy oient |
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fdr Pftnrtfes. ■ i $ j
aux draperies, il repafîbit légère-
ment deffus , &cy mettoit en très- peu de rems , par Ton intelligence y l'art & la, vérité csue nous v ad- mirons. Pour ce qui eft des mains, il
â.voit chez lui des perfonnes à iès gages de l'un &c de l'autre fexe qui lui fervoient de modèle. Je cite cette conduite de Van-
deikplutôt pour fatisfaire la curio- ftté du Lecleur, que pour la lui propofer à fuivre : qu'il en prenne ce qu'il en trouvera de bon, & qui fera félon ion génie, & qu'il lâiife. là le reftë Pour mei, hors ce tra- vail d'une heure feulement, tout m'en plairoic , une heure eft bien peu. Je dirai ici en paifant' que rien
n'eft. fî rare que de belles mains , tant pour le delfein que pour la couleur ; ainfî il eft bon de ména- ger quand on le peut, l'amitié de quelque femme qui fefafle un plai- £r de fervir de modèle. Le moyea Niij "
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^94 Cours de Peinture
de les avoir eft d'en bien louer la beauté 5 &. cependant fi vous trou- vez occafion de copier des mains d'après Vandeik, ne la manquez pas. Itles a faites d'une délicatefle furprenante oc d'tine couleur admi- rable. Pour copier avec profit les ma-
nières qui ont approché le plus près de la Nature, comme font celles de Titien 8c de Vandeik, il faut en copiant s'imaginer que leurs Ta- bleaux font la Nature 5 les regar- der d'un peu de loin dans cette in- tention , Se dire en foi-même : De quelle couleur, & de quelle teinte me fervirois-je pour un tel en- droit , puis s'approcher du Ta- bleau , & voir fi. on auroit bien ou mal rencontré , ÔC fe faire enfuite comme une loi des chofes que nous aurions découvertes, Se que nous ne pratiquions auparavant qu'avec in- certitude. Mais je reviens au Portrait, Se je
croi qu'il eft à propos avant que de: |
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far Principe! icjf
mettre les couleurs ,d'obferver les
premiers momens qui font d'ordù naire tes plus agréables & les plus avantageux , & de les donner en garde à fa mémoire pour s'en fer.* vir fur la fin du travail j parce que le modèle las d'avoir été long- tems dans la même place a épuL fé les efprits qui foûtenoient ait commencement l'agrément des parties, & qui portoient au teint un) îàng plus vif, &c une couleur plus fraîche. Enfin il faut joindre à la vérité la pofîîbiiité vraifemblable & avantageufe, laquelle bien loin d'ôter la reflem'blance lui doit fer- vir d'ornement. Dans cette vue il eft à propos de commencer par ob- server le fond du teint, ce qu'il eft dans les clairs, & ce qu'il eft dans les ombres -, les ombres étant bel- les à proportion des clairs : il faut' dis-je, obferver fi le teint eft très- vif, s'il y a du jaune, & où il efV placé 5 parce qu'ordinairement fur la fin du travail l'ennui répand un |
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"t 96 Cours de Peïnfitrâ
jaune par tout, qui vous fait ou- blier ce qui en étoit coloré, & ce qui ne l'étoit pas, à moins que vous; ne l'ayez bien obfervé auparavant.. C'en; pour cela que dès que vous commencerez à travailler pour la féconde fois, il faut promptemenc mettre des couleurs par-ci par-là, telles que vous les voyez dans ces premiers momens qui font toujours les plus beaux. Le plus fur moyen pour j%er
des couleurs, c'eft la comparaifon 5 &pour juger du teint , rien n'eft meilleur que de le comparer avec du linge qui en fera voifîn, ou que l'on mettra auprès du naturels'il en eft befoin .• ce qui foit dit feulement pour ceux qui n'ont que- peu de pratique du naturel. Enfin votre Portrait étant dans
l'état que vous êtes capable de la mettre par le jugement que vous aurez fait du naturel, & par l'imi- tation qui s'en voit fur votre toile^ il vousrefte encore une chofe à fai-- |
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far Principes, z 9 f
re, e'eft de mettre le Portrait au-
près du modèle , afin que dans une diftance raifonnable vous puiffiez juger définitivement par la corn- paraifon que vous en devez faire s'il ne manque rien pour l'entière perfection de votre ourage. X*a Politique,
Mais ce n'eft point affez de pren-
dre toutes les précautions qui font réuffir un Portrait &; qui 1-e ren- dent bon , il faut encore prendre celles qui le font croire tel. En France quelque merveilleux que foit un Portrait ,. s'il n'a effuyé la critique des femmes, & s'il n'a leur approbation,il eft de rebut 8c de- meure dans l'oubli $ parce que la complaifance qu'on a pour elles ,-. fait repeter comme un écho,le juge- ment qu'elles en auront fait. En France les Dames font les maitref. fes ,. elles y décident fouveraine- ment , &;les bagatelles qui fonr- |
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z ç> 8 Cours de Peinture
de leur goût, détruïfenr les gran- des manières. Elles feroient capa- bles de pervertir Titien & Van- deik, s'ils étoient encore au mon- de, èc qu'ils fulTent contraints de travailler pour elles. Ainlî pour éviter les chagrins qui viennent de ces fortes de jugemens inconfide- rés, il eit bon de mettre en ufage quelque forte de politique félon les gens Se les occasions. Il ne faut jamais faire voir fon
ébauche fî ce n'effc aux Peintres de fes amis porlr en apprendre leur fentiment. Il eft même fort à pro- pos de ne faire voir aucun ouvra- ge fini que dans fà bordure., & après. avoir été verni. Il ne faut pas non plus en pre-
fence du modèle demander le fen- timent des gens qui ne s'y connoif- fent pas : parce que regardant le modèle d'une vue & le voyant d'une autre dans le Tableau, ils feront d'avis que l'on racommode les parties que leur imagination |
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far Principes'. ï$*f)
leur représente défe&ueufès. Vous
aurez beau vous efforcer de leur faire connoître vos raifons, com- me on n'aime pas ordinairement à fe dédire & à faire croire par-là qu'on eft capable de fe tromper ,.. vous ne les aurez jamais favorables C'eft pourquoi le meilleur eft de ne leur point donner occafion de décider , ou s'ils vous préviennent par leur fentiment, fervez-vous de quelque artifice pour éluder un long, ennuyeux, &; inutile raifon-- nement. Faites-leur croire , par exemple , ou que l'ouvrage n'eft pas achevé , ou qu'ils ont quelque raifon êc que vous y allez retou- cher, ou quelqurautre chofe fem- blable qui ait la vertu de les faire taire promptement. Vousfavez ce que Vafari dit de Michel-Ange en pareille rencontre. Le Pape ayant été dans l'Attelierde Michel-An- ge pour voir une Figure de Marbre qu'il lui avoit fait faire, Si ne s'y connoiflànt pas autrement ,,de- |
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3>oo Cours de Peinture
manda tout bas à fon Maître de- Chambre ce qu'il lui en.fembloit > lequel ayant répondu que le nez étoit trop gros , fît dire auffi-tôt au Pape tout haut,Sc comme de lu'f- même,que le nez étoit trop gros. Michel-Ange , qui s'étoit apper- çu de l'affaire , dit au Pontife qu'il avoit raifon , &C qu'il alloit le racommoder en fa prefence : Et ayant pris un marteau d'une main & un cifeau avec de la poudre de marbre de l'autre, il femit çlevanc fon ouvrage en a&ion de travail- ler , & après avoir coigné en l'air fur fon cifeau, &c laifle tomber à mefure la poudre qu'il avoit amaf- fée, il fe retourna, Se dit au Pape : Adejfi Santiffïmo Padre che gliene fare ? O Signor Michel-Angelo , ( s'écria le Pape) glï avete dato la ■vita. Apelles ne demandoit point d'avis, il fe tenoit, dit Pline, der- rière fa toile j & pour avoir trouvé: celui d'un Cordonnier raifonna- bte,; U avoir corrigé ledéfaut de ■la- |
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far Principes; 30fi
couroye , ce miferable Artifan en
devint fi fuperbe qu'il fe mit à rail- ler le Peintre d'une cuiffe. qu'il na trouvoit pas à fon gré : ce qui ob- ligea Apelles de lui dire, d'un ton méprifant , que le jugement du Cordonnier ne paffoit pas la fon- dale. Ainfi quand même ceux qui fe mêlent de juger vous parle- roient jufte fur le défaut de quel- ques parties,, il bon d'en profiter adroitement fans trop les écouter^ ni leur biffer croire qu'ils ayenc raifon 5 car ils abuferoient de vo-i tre docilité , oc les louanges que vous donneriez à leurs bons avis, vous en attireroient de mauvais ôs de téméraires. Il faut en ceci beaucoup d'Aru
&: d'honnêteté de la part du Pehu trê, lequel doit faire grande diftin- clion des perfonnes qui lui parlent,, & qui lui difent leurs fentimensfurr (qs ouyrages. |
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3or. Cours de Peinture
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BV C O L ORTS. J'Ai fait imprimer autrefois un
dialogue lur le Coloris, où j'ai tâché de faire voir fes prérogati- ves , & le rang qu'il devoit tenir parmi les autres parties de la Pein- ture. Mais comme les Traités qui regardent cet Art, & que je dor>- ne prefentement au Public , font écrits par principes, j'ai cru que je devois réduire dans la même for- me celui du coloris ; afin que cette partie flnéceflâire à toutes les au- tres, s'accorde à faire un tout avec elles , & que le Lecteur en juge avec plus de facilité. Plufieurs en parlant dePeinture,,
fe fervent indifféremment des mots de Couleur , & de Colons r pour ne fignifier qu'une même chofe j & quoique pour l'ordinaire, ils ne' |
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far Principes.-. 305^
IaîfTenrpas de fe faire entendre, jË eft bon néanmoins de tirer ces deux; termes de la confufton , & d'ex- pliquer ce que l'on doit entendre par l'un 8c par l'autre. „ £,a Couleur eft ce qui rend les objets feniîbles à la vue. Et le Coloris eft une des parties
eiTentielks delà Peinture , par la quelle le Peintre fait imiter les ap- parences des couleurs de tous les objets naturels , &: diftribuer aux objets artificiels la couleur qui leur eft la plus avantageufe pour trom- per la vue. Cette partie comprend là con-
noifTance des couleurs particuliè- res , la fîmpathie ôc l'antipathie qui fe trouvent entr'elles , la ma- nière de les employer, & l'intelli- gence du Clair-obfcur. Et comme il me paroît que cet-
te mêmepartie.n'a été-que très-peu ■: ou point du tout connue d'un; grand nombre des plus habiles Peintres des deux derniers ficelés, L |
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3 04' Cours de Peinture
je crois être obligé d'en donner autant que je le puis la véritable' idée pour en foûtenir le mérite. * Il y en a encore qui confondent
là couleur fimple avec la couleur locale ,. quoiqu'il y ait entr'elles une grande différence: car la cou- leur fîmple cft celle qui toute feu- le ne reprefente aucun objet com- me le blanc pur , c'eft-à-dire, fans mélange 5 le.noir pur- , le jaune pur , le rouge pur , le bleu , le verd & les autres couleurs dont le Peintre charge d'abord fa palette., & qui lui fervent enfuite à faire les mélanges dont il a befoin pour ar- river à une fidèle.imitation; Et la couleur locale eft celle qui
f»ar rapport au lieu qu'elle, occu- pe , & par le. fecours de quelque autre couleur reprefente un objet iîngulier - comme une.carnation , un linge ,.une étoffe, ou quelque objet diftingué des autres: Elle eil appellée locale ; parce que le lieu qu'elle occupe l'exige telle.-, pour |
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par Principes. 3 o f
Jonner un plus grand caractère de
vérité aux autres couleurs qui letue font voifines. Ceci foit dit par oc- cafion de la couleur fimple & de la couleur locale, je reprens le fiL de ma matière, &. je dis que , Le Peintre doit confiderer que
comme il y a deux fortes d'objets i le naturel ou celui qui eft vrai, & l'artificiel ou celui qui eft peint y il v aaullideux fortes de couleurs,. la naturelle & l'artificielle. La cou- leur naturelle eft celle qui nous rend actuellement vifibîes tous les objets qui font dans la Nature j fk. l'artificielle eft un mélange judi- cieux que les Peintres compofenc des couleurs fimples qui font fur leur palette , pour imiter la cou- leur des objets naturels.. Le Peintre doit donc avoir une
parfaite connoifTance de. ces deux fortes de couleurs , de la naturel- le , afin qu'il fâche ce qu'il doit imi- ter, j &: de l'artificielle, pour en fai, te une composition &: une teinte. |
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3?o6 Cours de Peinture
capable de reprefenter parfaite-- ment la couleur naturelle, Il faut qu'il facile encore que la-
couleur naturelle comprend trois fortes de couleurs, ià. la couleur vraie de l'objet 5 x°. la couleur réfléchie 5 3 *'. la couleur de la lu- mière. Et quant aux couleurs arti- ficielles il en doit connoître la va- leur , la force, & la douceur fépa- rément èc par comparàifon , afin d'exagérer par les unes, Si d'affoi- îklir par les autres, quand la com- pofkion du fuiet le demande de cette forte. C'eft pourquoi il faut faire ré-
flexion qu'un Tableau eft une fu- perficie plate , que les couleurs n'ont plus leur première fraîcheur quelque rems après qu'elles font employées 5 qu'enfin la diftance du Tableau lui'fait perdre de fon éclat & de fa vigueur $ qu'ainfi il eft impofïïbledeluppléer à ces trois chofes, fans l'artifice que la fcien- ce du coloris enfeigne 5 & qui eft £0a principal objet.. |
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fat Principes. 3 c 7'
Un habile Peintre ne doit point
être efclave de la Nature -y il eh* doit être arbitre & judicieux imi- tateur : èc pourvu qu'un Tableau- fafle fon effet, de qu'il impofe a- gréablement aux yeux 5 c'èft tout ce qu'on en peut attendre à cet égard, & c'èft ce que le Peintre ne fauroit faire , s'il néglige le colo- ris. Et comme il eft certain qu'un tout ne peut être parfait s'il lut' manque quelque partie , &: qu'un Peintre n'eft pas habile en fon Art, s'il ignore quelqu'une des parties qui le compofent, je blâmerai éga- lement unPeintre pour avoir négli- gé le coloris , comme poun n'avoir pas difpofé fes figures auffi avanta- geufement qu'il lepouvoit faire , ou pour les avoir mal deffinées. Cependant il n'y a point dans la
Peinture de partie où la Nature foit toujours bonne à imiter telle que le hazard la prefente. Cette aiaîtreflè des Arts nous conduit tiu |
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f o 8- Cours' de Peinture
f ement par le plus beau chemin , elle nous empêche feulement de nous égarer. Il faut que le Peintre la choiihîè félon les régies de fon Art ; & s'il ne la trouve pas telle qu'il la cherche, il doit corriger celle qui lui eft prefentée.Et de mê- me que celui qui defîine n'imite pas tout ce qu'il voit dans un modèle défectueux , & qu'au contraire il change en des proportions- conve- nables les défauts qu'il y trouve-5 de la même manière ,. le Peintre ne doit pas imiter toutes les cou- leurs qui s'offrent indifféremment à fes yeux , il ne doit choifïr que celles qui lui conviennent : & s'il Je juge à propos , il y en ajoute d'autres qui puiffent produire un effet tel qu'il l'imagine pour la beauté de fon ouvrage. Il fonge non-feulement à rendre fes objets chacun en particulier, beaux, na- turels ,, & vrais : mais- encore il a fbin. de L'union du tout enfembler |
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far Principe!. y®f
tantôt il diminue delà vivacité du
naturel ; <k tantôt il enchérit fur l'éclat ,& fur la force des couleurs qu'il y trouve ,_afin d'exprimer plus vivement & plus véritablement le caractère de fon .objet fans l'al- térer. Il n'y a que les grands Pein- tres, & en très-petit nombre , qui ayent pénétré dans l'intelligence de cet artifice. Ainfijbjen loin que cette favante exagération énerve la fidélité de l'imitation, au con- traire elle feft au Peintre pour jet- ter plus de vérité en ce qu'il imi- te d'a.près Nature.» je prie le Lecteur en pafTant,
que dans cedjfcours çn parlant gé- néralement de la Peinture, du Def- iein ou du Coloris, j.l les fuppofe joujovirâ dans toute leur perfection,, Ceux qui tâchent de donner a.tr
ieinte au coloris, djfent qu'on ne peut s'empêcher d'accoder au De.Ç iein une correction dans les proT portions 9 une élégance dans les |
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3 î o "Cqws de Peinture
-contours , & une délicateilè dans les expreffîons ; èc que l'Ecole Ro- maine, qui étoit celle de Raphaël, a toujours recherché ces trois cho- ies avec avidité , comme les pre- mières & les plus parfaites inten- tions de la Nature ; ne .faïfanr d'ailleurs qu'un cas médiocre du coloris; Qu'ainfi le Peintre nefau- roît mieux faire, que de regarder je DefTein, comme fon objet effen- ariel, 8de coloris comme un accef- foire. je répons premièrement, que les
•premières intentions de la Nature ne font pas moins dans le coloris -que dans le DefTein, & que du re- lie il eft vrai que les trois qualités «|iie Ton vient d'attribuer au Def- iein, en relèvent l'excellence ; maïs il eft vrai auffi que lePeintre a com- mencé d'étudier en Peinture par les acquérir } & il faut fuppofer qu'il les poflède dans la plus grande perfection qu'il eft poflible. Mais |
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par Principes* 3 y ï
ce ne font point ces qualités qui constituent le Peintre ce qu'il eft. plies le commencent en attendant leur perfection du coloris par rap- port au tout qu'ils doivent corn- pofer enfemble. Dieu en créant les corps a fourr
m une ample matière aux Créatu,. tes de le louer, & de le reconnoî- tre pour leur Auteur : mais en les rendant colorés & ylfibles , il a donné lieu aux Peintres de l'imi,- ter dans û. Toutepuiiîance , &C fde tirer comme du néant une fé- conde Nature qui n'avoit l'être que dans leur idée. En effet, tout feroit confondu fur la Terre, & les corps 11e feroient fenfîbles que par le toucher , fî la diverfîté des couleurs ne les a-voit distingués les uns des autres. Le Peintre qui eft un parfait imi,
îeteur de la Nature , pourvu de ^'habitude d'un excellent Deilèin, comme nous le fuppofons , doit $lonc çonfrderer la couleur comme |
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5 à -2. Cours ae Peinture
ion objet principal , puifqu'îl ne regarde cette même Nature que comme imitable > qu'elle ne lui e£t imitable, que parce qu'elle eft vi- fible , & qu'elle n'eft vifibl'e que parce qu'elle eft colorée. l\ me femble donc qu'on peut re-
garder le coloris comme la cliffe- rence de la Peinture .-,*§£ le Delïèin , comme fon genre. De la même fa- çon que la raifon eft la différence de l'homme, parce qu'elle le con- ftitue dans fon être , qu'elle le diC tingue d'avec les autres animaux .4 & qu'elle le met au deflus d'eux. Carpùifque les idées des chofes ne doivent ferv-ir qu'à nous les ti- rer du cahos & de la confufion , il eft néceflaire de les concevoir par ce qu'elles ont de particulier Si. qui ne convient à aucune au- tre chofe. De concevoir le Peintre par fes inventions , c'eft n'en faire qu'un avec les Poètes : de le con- cevoir par la perfpedive , comme ont écrit quelques-uns. c'eft ne le |
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far Principe$\ 313
«pas diftînguer d'avec le Mathéma-
ticien 5 par les proportions & les mefures des corps, c'efl le confon- dre avec le Sculpteur & le Géo- mètre. Ainfi quoique l'idée parfai- te du Peintre dcpende du Dcfïein & du coloris tout enfemble, il faut ;fe la former fpécialement par le co- loris 5 d'autant que par cette diffé- rence qui le rend un parfait imita- teur de la Nature , on le démêle d'entre ceux qui n'ont que le Def- fëin pour objet, 8c dont l'Art ne peut arriver à cette parfaite imita- tion où conduit la Peinture, 8c l'on ne peut concevoir qu'un Peintre. Parmi les Arts qui ont le DeîTein commun avec la Peinture, on peut nommer la Sculpture , l'Architec- ture , 8c la Gravure ;'& voici com- me elles fe définiflent. La Peinture eft unArt,qui fur une
fuperfîcie plate imite tous les ob- jets vi/îbles. Il y en a de plufîeurs fortes, on la divife ordinairement en O
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$i^ Cours de Peinture
C à H Mofaïque.
à Fraiique ,
I à Détrempe,, feïnture «( a Huile, Iau Paftel,
en Miniature, ^. de en Email. La Sculpture efl un Art, qui par
le moyen du DefTein &c de la ma- tière folîde, imite les objets palpa- bles de la Nature. On divife cet Art ordinairement en c, , c de Ronde-boffe,
Sculpture^ de gas_relie£
L'ArcMte&ure efl un Art, qui
par le Deflein & par des propor- tions convenables , imite &: eon« ftruk toutes fortes d'édifices.On di- vife cet Art ordinairement en Archkedure^^f
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far Principes-» 3 15
La Gravure eft un Art, qui par
le moyen du Deflèin & de J'incï- ûm fur les matières dures , imite .les lumières & les ombres des ob- j ?ts vifibles. On divife cet Art or- dinairement en en Bois ,
, au Burin , a 1 hau-forte , &: à la manière Noire. La manière Noire inventée de-
puis peu , eft ainfi appellée $ par- ce qu'au lieu de préparer la plan- che en la polifïànt , on la prépa- re par une gravure fine , croi/ee dans tous les fèns & uniforme, qui l'occupe entièrement, en forte que fi on l'imprimoit après fa prépara- tion , on en tireroit une empreinte très-forte , & également noire par tout. La gravure noire eft donc celle
qui au lieu de Burin ,pour former les traits & les ombresjlefert de bru- Oij
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3 r 6 Cours de Peinture
riifloir pour tirer les objets de l'dbfcurïté en leur diftribuant peu- à-peu les lumières qui leur convien- nent. On laiife la libertéd'attnbuerà
la Sculpture ou à la Gravure le tra- vail qui eft fur les pierres fines ; néanmoins on les appelle ordinai- rement , pierres gravées. Ce qui me paroît de plus vraifemblable , c'eft que les Auteurs de ces fortes d'ouvrages étoient Sculpteurs % Graveurs tout enfemble. Sans fe donner la peine de dé-
finir toutes ces diyifions, il eftaifé de voir que le DefTein qui eft leur genre , c'eft à-dire , qui eft com- mun entr'elles, eft déterminé par une différence particulière qui con- ftitue chaque Art dans fon efTence. La fin du Peintre Se du Sculp- teur eft bien l'imitation 3 mais ils y arrivent par dîfFerentes voies , le Sculpteur par une matière iolide en imitant la quantité réelle des objets 5 Se le Peintre en imitant |
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far Principes. 317
avec des couleurs la quantité & li
qualité apparente de tout ce qui eft vilîble : en forte qu'il eft obligé non-leulement de plaire aux ye:tx , mais encore de les tromper en tout ce qu'il reprefente. On obje&e ordinairement à ce-
la, que le Deiîein eft le fondement du coloris, qu'il le foutient, que le coloris en dépend, & qu'il ne dé- pend en rien du coloris : puifque le Deiîein peut fubfifter fans le co- loris , 8c que le coloris ne peutfub- ftfter fans le Deiîein , & par con- fequent que le Deffein, eft plus né- ceilàire , plus noble , ëc enfin plus confîderable que le coloris. Mais il eft aifé de faire voir que
cette objection ne conclut rien d'a- vantageux pour le Deffein au pré- judice du coloris : au contraire on fait avoir par là que le Deffein tout fèul, comme on le fuppofe , n'eft le fondement du coloris, & ne fub- lifte avant lui que pour e.i recevoir fa perfeclionpar rapport à la Pein- Oiij
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3 ï8 Cowrs de Peinture
ture, & il n'eftpas furprenant que ce qui reçoit ait fon être & fubij- fte avant ce qui doit être reçu. Il en eft ainh* de toutes les ma-
tières qui doivent être difpofées avant que de recevoir leur perfe- ction des formes fubftantielles. Le corps del'homme,parexemple,doit être entièrement formé 6c organifé avant que l'ame y fait reçue, & c'eft avec cet ordre que Dieu fit le pre- mier homme.Il prit de la terre, il y mit toutes les difpofitionsnéceffai- res.- puis il créa l'ame qu'il y infufa pour le perfectionner 6c pour en fai- re un homme. Ce corps ne dépen- doit point de l'ame pour fubfîfter, puifqu'il étoit avant l'ame : cepen- dant il n'y a perfonnes qui voulût foutenir que le corps fût la partie de l'homme la plus noble 5c la plus confiderable 5 la Nature commen- ce toujours par les chofes les moins parfaites, û. l'Art qui en eft l'imi- tateur fuit la même règle.. D'abord le Peintre ébauche fon fujet par le |
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far Principes, $ i f
moyen du ÛefTeiiï, 8c le finit en-
fuite par le coloris qui endettant le vrai fur les objets deifinés, y jette- en même tems la perfection dont la Peinture eft: capable-.. A l'égard d'être plus ou moins
neceilaire pour faire un tout, les parties efTentiellés font également nécefïàïres , il n'y a point d'homme fi l'aine n'efr. jointe"au corps, auiîî n'y a-t-il point de Peinture fî le co- loris n'eft joint au Deflein. Mais fï Ton regarde le DefTein
feparement &: comme un infini- ment dont on a befoin en toutes rencontres dans la plupart des Arts, on pourroit par l'utilité qui en re- vient l'eftimer davantage que le co- loris 5 de là même manière que l'on eftimeroit un gros diamant beaucoup plus qu'une plante, quoi- que la moindre de toutes les plan- tes foit plus noble & plus eftima- ble en elle-même, que toutes les pierres précieufes enfemble. Comme tout le monde court à |
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3 2 o Cours dep-eintftre
l'utile, & que l'on envifage les cho- ies de ce côté.la , il ne faut pas s'étonner fi le Deflein étant plus d'ufage,8c par confequent plus utile dans le monde par les demonftra- tions dont on fe fert dans les Ma- thématiques , & par les Defléins , qui quoique légers font connoître les penfées des ouvrages que l'on propofe,, on l'eftime. davantage. Mais enrejettant le coloris,il
n'y a rien dans le Deflein que le Sculpteur ne puifle faire ; ôc ces choies confiderées par rapport à un ouvrage de Peinture, demeure,, ront toujours imparfaites fans le fer- cours du colons , lequel met le Peintre audeflus du Sculpteur,6c fait que les objets peints avec in- telligence,reflemblent plus parfair tement aux véritables. On ne peut s'empêcher néan-
moins d'accorder au Deflein par,- fait , tel que nous le fuppofons, 6c que nous le voyons dans l'antique, plufîeurs marques d'élévation qui |
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par Principes. 321
©nt partagé les curieux fur le choix
des Tableaux dont ils ont compo- fé leur Cabinet. En effet félon les fujets&les figures que les anciens Sculpteurs ont voulu repréfenter, on remarque- dans les Sculpteurs antiques du terrible ou du gra- cieux , du fimpleou de l'idéal d'un grand cara&ere $ mais toujours du fublime, & de la vraifemblance. Toutes ces qualités jettent les es- prits dans un grand doute fur la préférence que l'on doit donner aux Tableaux qui font ou mieux deffinés que coloriés.,ou mieux co- loriés que deffinés. Cependant ce que nous avons dit du coloris à l'égard d'un ouvrage de Peinture, ne permet pas que nous préférions les Tableaux mieux deffinés que coloriés, pourvu que dans ceux-ci le Deflein n'y foit point trop mal. La raifon de cela eft que le Def- fein fe trouve ailleurs que dans les Tableaux. ^ il fe rencontre dans les1 bonnes Eftampes , dsns les Sta- Ov
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3 2i Coups de Peinture
tues , & dans les bas-reliefs. Mafï une belle intelligence de couleurs ne fe trouve que dans un très-petit, nombre de Tableaux. A.infïfuppofé que je voulufFe fai-
re un Cabinet, j'y ferois entrer tou- tes fortes de Tableaux où. je verrois de la beauté dans quelque partie que ce foit : mais jeprefererois ceux du Titien aux autres, par la raiion queje viens de dire, &c le prix dont les curieux payent les ouvrages de ce Peintre favori fe tout-à^fait mon fèntiment. Il eft vrai que quelques- uns fe fondent fur l'eftime que l'on a {>our les DefTeins en gênerai, &, fur e grand nombre de perfonnes qui ayant regardé leDefTein par rap- port à fon utilité, en ont pris quel- que habitude manuelle & beau- coup d'amour : ainfî pour fortir de cette difficulté, ilfaut favoir ce que l'on entend parle mot de DefTein. Par rapport à la Peinture,le mot de DefTein n'a que deux fignifica- tions.Premièrement,l'on appelle |
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par Principes'. 3 2 3
Deffein la penfée d'un Tableau la-
quelle le Peintre met fur du papier ou fur de la toile , pour juger de l'ouvrage qu'il médite ; & de cet- te manière l'on peut appeller du nom de Deffein non-feulement un efquiïTe, mais encore un ouvrage bien entendu de lumières 8c d'om- bres ,, ou même un petit Tableau bien colorié. C'eft de cette forte que Rubens faifoit prefque tous fes* Deffeins J & que la plupart de ceux du Titien qui font prefque tous à la plume ont été exécutés. z°. L'on appelle Deffein les juftes me- sures y les porportions Se lés con- tours que l'on peut dire imaginai- res des objets vifibles, qui n'ayant point de confiftence- que l'extré- mité même des corps, refïdent vé- ritablement ôc réellement dans l'ëfi- prit :■& fî les Peintres les ont ren- dus fenfîbles de néceffité indifpen- fàblepar des lignes qui en font la circonfcription, c'eft pour en ren- dre la demonftration fenfîble à Ovj
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314 Cours de Peinture
leurs Elevés, & afin de pratiquer1 pour eux-mêmes une manière com- mode qui les fafle arriver facile- ment à une extrême correction. Cependant il elt vrai de dire que ces lignes n'ont point d'autre ufa-r ge que celui du ceintre dont fe fert l'Architecte quand il veut faire une Arcade : ies pierres étant po, fées fur fon ceintre, Scfon Arcade étant conftruite,il rejette ce ceintre qui ne doit plus paroître non plus- que les lignes dont le Peintre s'eft fervi pour former fa figure., & c'eft de cette dernière'forte que l'on doit concevoir le Deffein qui fait une des parties efTentielles de la Peinture, Mais lorfqu'on ajoute aux contours les lumières & les ombres, on ne le peut faire fans le fecours du blanc & du noir, qui font deux des principales couleurs dont le Peintre a coutume de (q fervir , & dont l'intelligence eft comprife fous celle du coloris. J'ai vu néanmoins pluiîeurs Pela* |
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far Principes. 325"
tre qui n'ont jamais voulu conve-
nir que la partie de la Peinture qu'on appelle Deflein ,.contienne feulement les proportions & les contours des objets vifibles : mais ils difent que cette partie eft enco- re cette féconde forte de Deflein que je viens de définir ,.c'eft-à di- re, la penfée d'un grand Tableau que l'on médite , foit que cette penfée ne fût qu'un léger crayon , ou bien qu'on la vît exprimée par le clair-obfcuri&: par toutes les cou- leurs qui doivent entrer dans le grand ouvrage dont ce DeiTein eft l'effai & le racourcî. J'ai cru que la meilleure répon*
fe que l'on pouvoir faire à ceux qui étoient dans cette opinion r étoit de leur dire, que pour lors le Deflein ne fer oit plus une des par- ties de la Peinture : mais qu'il en féroït le tout,puifqu'il contiendroit non-feulement les lumières &: les ombres, mais auflî le coloris, & Vin- wntion même : & pour lors ilfau- |
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3 2 G Cours d<r Peinture
droit toujours convenir de nou- veaux termes, & demander à ceux qui font de l'opinion que je viens de rapporter , comme ils vou-, droient que l'on appellât la partie du Deifein laquelle trouve lesob- jets qui compofent une Hiftoire ;, & comment ils voudroient encore qu'on nommât cette autre partie' du-Deflein qui diftribue les cou- leurs r les lumières & les ombres. Ainfi, fans entrer ici dans une plus grande explication , il eft aifé de voir qu'il n'importe pas de quelle façon l'on.appelle les chofes, pour- vaque l'on s'entende , & que l'on convienne de leur nom. Il eft donc certain que fans fe met- tre dans l'embarras dé chercher " de nouveaux termes aufquels on âuroit de la peine à s'accoutumer, il vaut mieux s'en tenir à ceux dont on eft convenu depuis long-tems.- Cependant il n'eft pas raifonna- ble de parler ici fous fiience les .pré- rogatives du DeiTein dont lesprin- |
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par Principes,.. 3 'rj:
cipales font : iQ. Qu'il fert à fai-
re beaucoup de chofes utiles tour feul, avant la jonction du coloris». Ce qui fait qu'une infinité de per- sonnes fe contentent d'avoir quel- que habitude du DefTein fans fe ibucier du coloris. 2°. Qu'i 1 don- ne un goût pour la connoiflance des Arts, & pour en faire juger du moins jufqu'à un certain point. Ce: qui oblige de regarder cette partie comme nécefTaire à l'éducation des. jeunes Gentilshommes à qui on donne ordinairement des Maîtres à defïiner , comme on en donne pour écrire. 30. Que cette partie, qui en contient plufîeurs autres confîderables 3 comme la colinoif- fance des mufcles extérieurs ,, là. perfpective, la po.fition des attitu- des, les expreffions des parlions de l?ame,pourroit être par conséquent ' confédérée comme un tout r plu- tôt que c®mme une partie féparéé. On ne peut nier que toutes ces prérogatives neioîent véritables &: |
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3*i S Cours de Peinture
d'un grand ufao-e : niais nous r<*- gardons ici le Deflein par rapport à l'Art de la Peinture , & comme tel , toutes les parties qu'il corn tient ont befoin du coloris pour fai- re un Tableau parfait dont il s'a- git prefentement. C'eft pourquoi nous ne regardons, pas. ici le Def- fein avec toutes les parties qu'il renferme, ni comme une partie feparée, ni comme un tout accom- Î>li, mais comme le fondement 6c
ë commencement de la Peinture. Nous avons dit cLdelfus, que le clair-obfcur qui n'effc autre cho- fe que l'intelligence des lumières 8c des ombres étoit compris dans lé coloris 5 6c cependant plufîeurs Peintres n'en veulent pas conve- nir : car ils difent, que la raifon qu'on en donne efb,, que dans la Nature la lumière & le clair-ob- fcur font inféparables l'un de l'au- tre. Ils ajoutent qu'on peut dire la même choie du Deflein -, parce que fans lumière l'œil nefauroit apper- |
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par Principes. 3-2.9
eevoir ni connoitre dans la Natu-
re les contours & les proportions des Figures. A quoi l'on peut ré- pondre , que les mains peuvent taire en cela l'office de. yeux, & qu'en touchant un corps iblide el- les jugent fi ce corps eft rond ou carré, & s'il a. quelqu'autre for- me , telle qu'elle puiffe être ; donc H s'enfuit que fans la lumière l'on peut connoître dans la Nature les contours & les proportions des EL gures. A propos de cette queftion, je
rapporterai ici l'Hiftoire affez ré- cente d'un Sculpteur aveugle , qui faifoit des Portraits de cire fort refTemblans. Il vivoit dans le der- nier fiecle.-. Et voici ce que m'en a. raconté un homme digne de foi qui l'a connu en Italie, 8c qui a été témoin de tout ce que vous allez entendre. L'Aveugle, me dit-il, dont vous
allez favoir l'Hiftoire , étoit de Camhafli dans la Tofcane , ho.m~ |
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$$û Cours de Peinture
me fort bien fait, & qui paroiiïbk âgé d'environ cinquante ans. Il avoit beaucoup d'efprit &. de bon iens , aimant à parler ? & difant agréablement les chofes. Un jour entr'autres l'ayant rencontré dans le Palais Juftinien où il copioit une Statue de Minerve ,., je pris occa- sion de lui demander s'il ne voyoit pas un peu' pour copier auffi jufte qu'il faifoit. Je ne vois rien , me dit-il , &; mais yeux font au bout de mes doigts. Mais encore,, lui dis- je r comment eft-il poffible que ne voyant goûte vous faffiez de il bel- lés chofes ? Je tâte, dit-il, mon ori- ginal , j'en examine les dimensions, les éminences 6c les cavités, je tâ- che de les retenir dans ma mémoi- re , puis je porte-ma main fur ma cire, &c par la comparaifon que je fais de l'un &c de l'autre , portant & rapportant ainfî plufieurs fois la main, je termine le mieux que je puis mon ouvrage. En effet il n'y a aucune apparen-
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■par Principes 3'3".ï?
ce qu'il eut le moindre ufage delà
vue ; puifque le Duc de Braciasc pour éprouver ce qui en étoit r feï nt faire fonPortrait dans une CaVe. fort obfcure, & que ce Portrait fut trouvé très-reflemblant.Mais quoi- que cet ouvrage fût admiré de tous eeux quilevoyoient,onnelaifla pas d'objecter au Sculpteur que la bar- be du Duc étoit un grand avanta- ge pour le faire refTembler , & qu'il n'auroit pas cette même facilité s'il lui falloit imiter un vifage fans barbe. Hé bien, dit.il, qu'on m'en donne un autre. On lui propofa de faire le Portrait de l'une des De- moifelles de la DucherTe. Il l'en- treprit , & le fit très-reffemblant. j'ai encore vu de la main de cet illuitre Aveugle, le Portrait du feu Roi d'Angleterre Charles Premier, & celui du Pape Urbain VIII. tous deux copiés d'après le marbre très- finis & très-reflèmblans. Ce qui lui faifoit de la pcûie , ainfi qu'il IV- vouoit , étoit de reprefenter les. |
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j'3'■# Cours de Peinture
eheveux où il ne trouvoit pas afTez de réfiftance. Mais fans aller plus loin , nous
avons,à Paris un Portrait de fa main , Se c'eft celui de feu Mon- fîeur HerTelin, Maitre de la Cham- bre aux Deniers, lequel en fut fi content , &■■ trouva l'ouvrage fi merveilleux , qu'il pria l'Auteur de vouloir bien fe laiiîer peindre pour emporter fon Portrait en France, & pour y conferver fa mémoire. La curiofité que me donna le ré-
cit de cette Hiftoire, ne me permit pas de différer plus long-tems à voir ce Portrair : & après en avoir obfervé d'abord la phyfionomie, je m'apperçus que le Peintre lui avoit mis un œil à chaque bout de doigt pour faire voir que ceux qu'il avoit ailleurs lui étoient tout-à-fait in*, utiles. J'ai rapporté cette Hiftoire d'au-
tant plus volontiers que je l'ai trou- vée digne de la curiofité du Lec- teur. } &; propre à démontrer la-prc- |
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■par Principes. 335
position dont il s'agiiloic ; /avoir
qu.e l'intelligence du -clair-obfcur etoic renfermée dans le coloris. Il n'y a perfonne en effet qui
dans la plus grande obfcuriré ne {ente les contours d'un homme, ou d'une Statue , ,& ne juge^des éminences & des cavités extérieu- res en y portant feulement la maîna au lieu qu'il effc impoffible devoir aucune couleur, ni d'en juger fans lumières. On voit par l'Hifloire de cet
Aveugle, que fon Art qui étoit tout dans le DeiTein,liu avoit donné oc- cafîon de fatisfaire fon efprit , &; de fe confoleren quelque façon de la. perte qu'il avoit faite d'un fens a-uji précieux qu'eft celui de la vues §t que s'il avoit été-Peintre,il auroit été privé de cette confolation: & la raiïbn en eft^que la couleur & les lumières ne iont l'objet que de la vue, & que le Deffein, comme jg ïgi dit, l'eft encore du toucher. |
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à
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•334 'Cours de Teinture
J'aurois pvi rapporter encore ïcï
l'exemple de plus fraîche date du .feu fleur Buret, l'un des plus habi- tes Sculpteurs de l'Académie : car félon le témoignage de quelques perfonnes dignes de foi, il devint Aveugle à l'âge d'environ vingt- cinq. ans.,par une petite Vérole qui lui ayant ôté entièrement la vue , ne put lui ôter le plaifir de fe con- foler en lui laiffant la faculté de travailler, comme avoir fait l'A- veugle de Cambaffi. Ce ferait ici le lieu ou le Trai-
té du -Claîr-obfcur devroit être placé -comme partie efTentielle du coloris .5 mais ce Traité étant de quelque étendue, on a jugé à pro- pos de le mettre à la fin du Trai- té du Coloris , & d'y renvoyer le Le6\eur,afin de lui laitier prendre uneidée plus difKn&e de cette in- telligence des lumières & des om- bres. L'accord des couleurs & leur op-
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far Principes. 3 3 j
ipofîtion ne font pas moins nécel-
iaires dans le coloris., que .l'union 0t la .aromatique dans la Musi- que. Cet accord Se cette opposition
des couleurs viennent de deux cau- ses , de leur qualité fenfible Sk. ori- ginaire, .& de leur mélange. Leurs qualités fenfîbles procèdent de la participation qu'elles ont avec l'air , & avec la -terre. Celles qui •font aériennes ont entf'elles une lé- gèreté qui les rend aniies comme le blanc, le beau jaune, le bleu 9 la laque, le verd , & autres fera- blables couleurs dont on en fait tme infinité qui peuvent toujours être en fimpathie. Et celles qui font terrefires ont
au contraire une pefanteur qui par Je mélange abforbatla douceur êç la légèreté des aériennes. Il eli difficile de trouver la vé-
ritable raifon Phyfique , pourquoi une couleur e& aérienne ou rerreC ïre. Il ei} pourtant aîfé 4e £onclu- |
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336 Cours de Peinture
re que les couleurs lumineufes font
douces &c aériennes , &. qu'en les mêlant enfemble elles s'accordent entr'elles •. mais il eft confiant aufli que certaines couleurs belles, dou- ces & lumineufes, bien loin de s'ac- corder ,fe détruifent parle mélan- ge ■ tel eft le bel outremer accom- pagné de blanc, avec le beau jau- ne &. le beau vermillon. Et quoi- que ces couleurs feules auprès'l'une de l'autre foient d'un grand éclat, elles font lorfqu'elles font mêlées, une couleur de terre la plus vilaine du monde. Delà on peut tirer cette confe-
quence , qu'une des plus grandes preuves de la iimpathie £c de l'an- tipathie qui eft entre les couleurs placées l'une auprès de l'autre, le tire de la troilftme couleur qui re- faite du mélange des deux qui l'ont çompofée • car ft cette troifiéme couleur çompofée marque par là' faleté la deftruftion des deux qui la convpoienT,'dl faut inférer que ces |
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par Principes. 285
deux couleurs font antipathiques ;
fi au contraire leur mélange fait une teinte douce 6c agréable, qui tienne de leur première qualité, c'eft une marque infaillible de leur harmonie. Le corps des couleurs eft encore
un autre principe pour juger de leur deftru&ion par le mélange. Car il y a des couleurs qui ont tant de corps, qu'elles ne peuvent fouf. frir aucune autre couleur, fans la dépouiller prefqu'entierement de Ces qualités naturelles : telles font l'occre de Rut, la terre-d'ombre, l'indigo , & d'autres à proportion. Mais quand l'Art & la raifon n'e-
xïgeroienr pas les accords de cou- leurs, la Nature nous les montre, & y oblige prefque toujours ceux mêmes qui ne la copient que fer- vilement. Car foit que l'on confi- dere la lumière ou directe fur les jours, ou reflchie dans les ombres, elle ne peutfe communiquer qu'en communiquant fa couleur qui efl P
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3 3 8 Cours de Peinture
tantôt d'une façon ôc tantôt d'une
autre. Nous en avons l'expérien- ce dans la lumière du Soleil, qui eft à midi bien différente en quali- té de ce qu'elle eft le foir ou le ma- tin -, èc la lune a tout de même une couleur particulière, auffî-bien que la lueur du feu ,ou celle d'un flam- beau. Avant que de quitter cet arti-
cle qui regarde l'harmonie dans le coloris, je dirai que les glacis font un très-puiffant moyen pour arri- ver à cette fuavité de couleurs fi. néceiTaire pour l'exprefîîon duV rai. Peu de gens les entendent : parce- que l'on n'en acquière ordinaire- ment la connoiflance, que par une longue expérience accompagnée d'un bon jugement. Trop heureux celui qui en voyant les ouvrages des grands Maîtres, a les talens de pénétration à cet égard. Je dirai encore pour înliruire les
amateurs de Peinture quitn?ont çoint de pratique en cet Ar , que |
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far Principes. 339
les glacis fe font avec des couleurs
tranfparentes ou diaphanes, & qui par confequent ont peu de corps, lefquellesfepaffent en frottant lé- gèrement avec une broife fur un ouvrage peint de couleurs plus claires que celles qu'on fait palTer par-defïùs, pour leur donner une f uavité qui les mette en harmonie avec d'autres qui leur font voifines. Après avoir parlé de l'union des
couleurs , il eft bon de dire deux mots de leur opposition. Les cou- leurs font oppofées entr'elles, ou dans leur qualité naturelle^ com- me telle couleur Amplement ; ou en lumière èc ombre , comme fai- faut partie du Claîr_obfcur. L'oppofîtion dans la qualité des
couleurs s'appelle antipathie. Elle eft entre des couleurs qui voulant dominer l'une fur l'autre, fe detrui- fent par leur mélange , comme l'outremer & le vermillon 3 &. la contrariété qui eft dans le Clair- obfcurn'eft qu'une flmple oppoû- |
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34-o Cours de Peinture
tion de la lumière à l'ombre ians
aucune deftru&ion.
Car encore qu'il n'y ait rien,
par exemple > qui paroifle plus op- pofé que le blanc &; le noir, dont l'un reprefente la lumière, & l'au- tre la privation de la lumière, ils confervent cependant dans leur mélange une efpece d'amitié qui n'eft fufceptible d'aucune deftruc, tion. Le blanc Se le noir çnfemble font un gris doux qui tient de l'une ôc de l'autre couleur -,&c ce qui pa- raîtra comme noir par oppofition au blanc tout pur, îemblera coni- meblanc, fi ortie met auprès d'un grand noir. L'on doit raifonner de la même
manière à l'égard de toutes les au- tres couleurs, où le plus ou le moins de lumière ne change rien à leur qualité. Il eft confiant que cette union 6ç
cette oppofition fe trouvent entre certaines couleurs : mais la difficuL té d'en bien expliquer la c.aufe,fait |
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far Principes. 341
que je renvoie le Peintre ftudieux
à Tes propres expériences,^ aux fo- iides réflexions qu'il doit faire fur les ouvrages les plus beaux en ce genre, èc qui font très-rares, par- ce que les Tableaux harmonieux font en petit nombre : car depuis près de 300 ans que la Peinture eft refTufcitée , à peine peut-on compter fix Peintres qui ayent bien colorié 5 au lieu que l'on en comp- tera pour le moins 3 o. qui ont été très-bons Deflinateurs. Et la raifon de cela eft que le DelTein a des rè- gles fondées fur des proportions, fur l'Anatomie 6c fur une expérien- ce continuelle de la même chofe; au lieu que le coloris n'a point en- core de règles bien connues, & que l'expérience qu'on y fait étant pref que toujours différente à caufedes differens fujets que l'on traite , n'a pu encore en établir de bien pre- eifes. Ainfî je fuis perfuadé que le Titien a tiré plus de fecours de fa- longue & fttidieufe expérience avec |
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342- Cwr* de Pein mre
la grande folldité de Ton jugement' , que d'aucune règle démonftrauve qu'il eût établie dans fon efpnt, pour lui fervir de fondement. Je ne diraipas la même chofe deRubensj celui-ci cédera toujours au Titien pour les couleurs locales:mais pour les principes de l'harmonie , îleo avoit trouvé de folides qui le fai- foïent opérer infailliblement pour l'effet & pour l'accord du Tout-en- iemble. .
Suppofé ce que je viens de dire
de Titien & de Rubens, ceux qui veulent devenir habiles dans le co- loris , ne fauroient mieux faire que de regarder les Tableaux de ces deux grands Maîtres, comme au- tant de livres publics capables de les inftruire. Il n'y a qu'à bien exa- miner leurs ouvrages , les copier pendant quelque tems pour les bien comprendre, & faire deflus toutes les remarques qu'on croira necei- faires pour s'en faire des principes. Mais il eft vrai aufïi que toutes |
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,far Principes. 345
fortes de perfonnes ne font pas ca-
pables d'entendre tous les livres Se d'en profiter, il faut pour cela avoir l'efprit tourné d'une manière à ne remarquer que ce qui eft remarqua- ble^ à pénétrer les véritables eau- {es des effets que l'on admire dans les beaux ouvrages. Il y a des Peintres qui ont copié
leTïtien durant beaucoup detems, qui l'ont examiné avec ïoin,& qui ont fait deflus toutes les reflexions dont ils ont été capables : mais qui pour n'avoir pas fait celles qu'ils dévoient, ne l'ont jamais compris. Et c'eft pour cela que les copies qu'ils ont faites avec tout le loin poffible, & qu'ils croyoient dans une grande exactitude,font encore fort éloignées de la conduite qui fe trouve dans les originaux. Quel- ques-uns des plus lia biles & très-ca- pables de folides réflexions les font copier, pour jouir de la vue de ces belles chofes,& pour en profiter, & cela eft très-louable -.mais s'ils vou- P iiij
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344 Cours de Peinture
loient fe donner la peine d'en co- pier eux-mêmes du moins les plus beaux endroits , ils les penetre- roient tout autrement que par la fimple vue\ &. le profit qu'ils y cherchent en feroit fans comparai- fon plus grand. Il eft vrai que les originaux &
tous les Tableaux bien entendus de lumières & de couleurs font rares, & la difficulté de les avoir pour quelque tems eft aftez grande. Mais l'amour eft ingénieux , & quand on aime véritablement on ne trouve rien de difficile. Enfin pour obtenir les bonnes grâces de la Peinture , le plus sûr moyen eft de les méri- ter par les foins, par le travail, & par les reflexions que demande cet Art 3 & par ces moyens on acquiè- re infailliblement l'intelligence &t la facilité. Il eft conftant que l'on trouve peu de bons Tableaux à co- pier. Mais fi l'on ne peut avoir tou- jours des originaux , que l'on fe contente de belles copies, que l'on |
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far Principes. 345
en choififfe feulement les bons en
droits, & qu'on néglige fi l'on veut- le relie, que l'on voie fouvent les Cabinets des Particuliers* : mais celui du Roi, & de Monfeigneur le Duc d'Orléans, toutes les fois que l'on pourra,- Nous avons encore la Gallerie du
Palais de Luxembourg qui eft un des plus beaux ouvrages de Ru- bens 5 & Rubens eft, ce me femble, celui de tous les Peintres qui a ren- du le chemin qui conduit au colo- ris plus facile & plus debarafle. L'ouvrage dont je parle eft la main fecourable qui peut tirer le Peintre du nauffrage où il fe feroit inno- cemment engagé. J'ai toujours eftimé cet ouvrage
comme une des plus belles choies qui foient dans l'Europe, fi l'on en retranchoit en plufieurs endroits le goût du Dc-fTein , dont il n'eft pas queftion prefentement. Je fai bien que tout le monde n'eft pas de mon fentiment fur les ouvrages de Ru- P v.
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346 Cours de Peinture
bens, & que d'un fort grand nom bre de Peintres & de curieux qui s'oppofcient de toutes leurs forces à mes fentimens, lorfque je déter- rai , ( fi je l'ofe dire ainfî ) le mé- rite de ce grand ho-mme quïn'éroit regardé que comme un Peintre peu au deflfus du médiocre. De ces gens, la, di-je , il en eft encore refté qui fans diftinétion des différentes par- ties de la Peinture, c'eft-à-dire du coloris même , dont il s'agit ici , n'eftiment que la manière Romai- ne, le goût du Pouffinâ& l'Ecole des Caraches. Ceux donc qui font reftés, com-
me je viens de dire, dans leurs mê- mes fentimens , objectent entr'- autre chofe, qu'on trouve peu de vérité dans les ouvrages deRubens, quand on les examine de près, que les couleurs ôc les lumières y font exagérées ; que ce n'eft qu'un fard, & qu'enfin ce n'eft point ainfî que l'on voit ordinairement la Nature. Il eft vrai que c'eft un fard ;mais
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par Principes* 34^
ri feroit à fouhaiter que les Ta-
. bleaux qu'on fait aujourd'hui, fui! fent tous fardés de cette forte.L'on fait afïèz que la peinture n'eft qu'un fard , qu'il eft de'Ton elTence de tromper , &; que le plus grand trompeur en cet Art, eft le plus grand Peintre. La Nature eft in- grate d'elle-même , & qui s'atta- cheroit à la copier iîmplemenc comme elle eft -Se fans artifice, fe- roit toujours quelque chofe de pau- vre & de très-petit goût. Ce que l'on nomme Exagération dans les couleurs $c dans les lumières, eft l'effet d'une profonde connoiflan- ce de la valeur des couleurs , & une admirable înduftrie qui fait paroître les objets peints plus vrais ( s'il faut aînfï dire ) que les véri- tables mêmes. C'eft dans ce fens que l'on peut dire que dans les Ta- bleaux de Rubens l'Art eft audef- fus de la Nature, laquelle femble en cette oceafîon n'être que la co- pie des ouvrages de ce grand Pein- Pvj
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348 Cours de Peinture
tre :èc quand les chofes,après avoir été bien examinées, ne le trouve- roient pas juftes, comme on les , fuppofe, qu'importe après tout , pourvu qu'elles le paroiffent -, puif- que la fin de la Peinture n'eft pas tant de convaincre l'efprit que de tromper les yeux. Cet artifice paroîtra toujours
merveilleux dans les grands ouvra- ges 3 car c'eft lui qui dans les dif- tances proportionnées à la gran- deur des Tableaux ,foûtientle ca- ractère des objets particuliers & du Tout-enfemble ^ & fans lui, en s'é- loignant de l'ouvrage , l'ouvrage s'éloigne du vrai, & tombe dans l'infîpidité de la Peinture ordinai- re. C'eft dans ces grands ouvrages, où l'on voit que Rubens a rendu cette favante exagération plus heu- reufe Se plus fenfible ; mais princi - paiement à ceux qui font capables d'y faire attention, & de l'exa- miner : car aux perfonnes qui ne s'y connoifTent que peu , rien n'éft |
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far Principes. 349
plus caché que cet artifice.
Celui qui de tous les Difciples
de ce rare homme a le plus profi- té des inftructions de ion Maître, a été Vandeik, &. l'on ne peut en parlant de Rubens fe difpenfer de Faire un cas particulier de cet illul- tre Difciple ; puifque s'il n'a~pas eu tant de génie que fon Maître pour les grandes exécutions, il l'a îurpafTé en certaines finefles de l'Art, & il eft confiant qu'il a fait généralement parlant fes Portraits plus délicats, fie d'une liberté de pinceau au deflus de tout ce qui s'eft fait en ce genre. Après avoir expofé fincerement
ce que je penfe fur le coloris, & fur les parties qui en dépendent , il me refte encore à répondre à ceux qui croient qu'on ne peut pofleder tout enfemble le DefTein & le colons, & la plus forte rai- fon qu'ils en donnent, c'eft, difent ils , qu'en s'attachant au coloris on néglige le Deffein , & que les |
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■ 5 fo Ç$#r/ flV Peinture
charmes de celui-ci faîc oublier la néceffité de l'autre. A quoi il eft aile de répondre,.
que fi. cela arrive ainfi, ce n'eft pas la faute du coloris, maïs de l'ef- pritquiatrop peu d'étendue pour s'appliquer à deux choies en mê- me tems. Ce ne font pas de ces for- tes d'efprits que demande la Pein- ture 3 elle n'admet pour fes favoris que ceux qui font capables d'em- braiïèrplufieurs objets,ou quifont fi bien tournés, qui de fa vent fi bien fe ménager , qu'ils ne s'attachent qu'aux chofes qui doivent aug- menter par degrés leur connoif. fance. Les nouvelles études qu'ils entreprennent ne leur font point oublier celles qu'ils o-nt deja fai- tes 5 au contraire ils fortifient les unes par les autres, &c s'efforcent de les acquérir toutes, comme des moyens héceflaîres pour arriver à leur fin. C'eft de ce cara6fcere qu'é- toit l'efprit de Raphaël. L'ordre & la netteté avec laquelle il con-. |
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far Principes. 5 j i
cevoit les chofes, ne lin ont jamais-
permis de rien oublier 5 il augmen- toic toujours fes connoifïances, & fortifioît lesnouvelleslumîeres qu'il acqueroit, par celles qu'il avoir dé- jà acquifes. Après la connoifTanee des cou-
leurs , vient celle de leur emploi,. de leur ménagement,^ de leur tra- vail -, Se dans l'exercice de ces trois chofes confifte la plus grande fatif- faclion du Peintre., Seneque en parfant de l'agré-
ment de la Peinture , dît , que le plaifïr qu'elle donne en peignant eft bien plus grand que celui que l'on reçoit de l'ouvrage , lorsqu'il eft entièrement fini. Je fuis abfolu- ment de cet avis, parce qu'en tra- vaillant on manie à fon gré les principes , &. les fecrets de l'Art % on leur commande ( pour ainfî di- re ) &C chacun les fait obéir félon l'étendue de fa capacité Se de fon génie j au lieu que l'ouvrage étant fait, il commande à fon Auteur & |
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5 fl Cours de Peinture'
6 le contraint de fe contenter du
fuccès en quelque état qu'il puiiTe être. Voici quelques maximes tou-
chant l'emploi des couleurs. Pline dit, que les Anciens pei-
gnoient avec quatre couleurs feu- lement , dont ils compofoîent leurs teintes. Mais il eft à croire que ce n'étoit que pour préparer le fond, à recevoir les couleurs qui donnent la fraîcheur, la vigueur &. Pâme à l'ouvrage. Il faut apprendre à bien voir la
Nature pour la bien reprefenter. Il y a deux manières de la colorier, la première dépend de l'habitude que ceux qui commencent à Pein- dre fe forment , & l'autre com- prend la véritable connoiflànee des couleurs dont on fe fert , ce qu'elles valent l'une auprès de l'au- tre , èc le jufte tempérament de leur mélange pour imiter les di- verfes couleurs de la Nature. La mémoire de l'homme- eft
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far Principes. 353
fouvent bornée à un petit nombre didées au de-là desquelles il eft contraint de repeter. Le Peintre n'a qu'un moyen d'éviter l'ennui de la répétition , c'eft d'avoir re- cours à la fource inépuisable de la Nature. Il eft même bon de pré- venir là-defTus les momens de fes befoins , & de faire d'après le vrai des études différentes des objets naturels extraordinaires dans tous les genres de Peinture , & iur du papier huilé afin de s'en fervir dans î'occafion. L'harmonie de la Nature dans
fes couleurs, vient de ce que les objets participent les uns des au- tres par les reflets.Car il n'y a point de lumière qui ne frappe quelque corps, & il n'y a point de corps éclairé qui ne renvoie fa lumière &fa couleur en même tems, félon le degré de la vivacité de la lumiè- re , & la variété de la couleur. Cette participation des reflets dans la lumière & dans la couleur, fait |
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3 j4 Cours de Peinture
cette union de la Nature , & cette harmonie que le Peintre doit imi- ter j d'où il s'enluit que le blanc &C le noir font rarement bons dans les reflets. La variété des teintes à peu près
dans le môme ton, employée fur une même figure, Scfouvent fur , une môme partie avec modération lie contribue pas peu à l'harmonie. Le tournant des parties •& les
contours qui fe perdent infenfible- ment dans leur fond , & qui s'y évanouiffent avec prudence, lient les objets &, les tiennent dans l'u- nion principalement en ce qu'il femble conduire nos yeux au de- là de ce qu'ils voient,. & les per- fuader qu'ils voient ce qu'ils ne voient pas; c'eft-à-dire,la continui- té que l'extrémité leur cache. L'exagération des couleurs à la-
quelle le Peintre eft obligé d'avoir recours à eaufe de la fuperfîcie de fon fond, de la diftance de fon ou- vrage , & du terns qui diminue |
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far Principes* 3 y 5
toutes chofes, doit être ménagée
de manière qu'elle ne fa (Te point; fortir l'objet de fon cara&ere. Il faut ériter autant qu'on le
peut de repeter la même couleur dans le même Tableau , mais on peut bien en approcher par princi- pe d'union & d'élégance. Il y en a un bel exemple dans leTableau des noces de Cana de Paul Veronefe, où. l'on voit plufieurs blancs & plu- fieurs jaunes renfermés harmonieu- fement.
L'œil fe laflè des mêmes objets,
il aime la variété bien entendue 5 & en toutes chofes la répétition eit la mère du dégoût. En Peinture comme en autre ma-
tière , les chofes ne valent que par comparaifon. La pratique & l'ex- périence rendent favant en cette partie. Le mélange de certaines cou-
leurs qui en diminue la force, ou qui les met en harmonie avec d'au- tres „ leur donne le nom de couleurs |
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5 56 Cours de Peinture
rompues. On peut en faire une in- finité de fortes : & Paul Veronefe s'y eft fi heureufement attaché , qu'il peut fervir d'un bon modèle en cette partie. Il eft à remarquer que pour j
réuffir, il a affe&é de le fervir de couleurs lumineufes qu'il a rendues fenfibles par des fonds encore plus lumineux. Il avoit beaucoup de goût pour les étoffes travaillées & d'une couleur douce ; &. fa plus grande dépenfe étoit pour en ache- ter , afin de les peindre d'après le vrai. Il y a lieu de s'étonner qu'avant
Raphaël, Se même de fon tems , les Peintres fuffent fi jaloux de leurs contours,qu'ils n'avoient au- cun foin de les lier avec leur fond, Se qu'ils n'euflènt pas entendu par- ler de la manière dont les anciens Auteurs louent ces paftages fondus d'un objet à un autre. Il y a apparence en effet qu'ils
n'en avoient pas ouï parler, èc |
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far Principes, 3 j.7
qu'ils ne favoient rien de meilleur
que d'obferver leur régularité dans h. préciiion des contours , tant ii eft vrai qu'il y a des tems & des païs où l'on rat aveuglemeJit les maniè- res qui s'y pratiquent, & où les plus habiles gens entraînent leurs .élevés.qui les regardent comme in- faillibles. D'où il eft aifé de juger que cJeft an grand bonheur à ceux ;qui fe deftinent à la Peinture, que de tomber fous la difcipline d'un habile homme. Mais voici ce qui arrive pour l'ordinaire Après que l'Etudiant s'eft acquis
dans le Deffein autant de capaci- té qu'il eft néceflaire, & après qu'il s'eft déterminé à embraffer la profeffion de Peintre, il fe met or^ dinairement fous la difcipline d'un Maître dont il fuit les fentimens , 6i dont il copie les ouvrages ^ d'où il arrive infailliblement que dans la fuite fes yeux & fon efpric s'ac* coûtument tellement aux ouvra- ges de fon Maître, qu'il voit touç |
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3 5 S Cours de Peinture
le refte de fa vie la Nature colorée
comme fon Maître s'eft accoutu- mé de la peindre. Mais ce qui eft d'extraordinaire, c'eft que fuppofé que le Maître 6c l'Elevé voyent la Nature très mal, c'eft-à-dire, d'u- ne autre couleur qu'elle n'eft en ef- fet , & qu'on leur prefente des Ta- bleaux du Titien ou de quelque au- tre bon colorifte, ils admireront les Tableaux & continueront ce- pendant d'employer les mêmes teintes &. le même coloris dont ils ont accoutumé de fe fervir , tant leur habitude a prévalu , & tant il eft difficile de la quitter. Que peut-on conclure de là, fï-
non qu'il faut que l'habitude leur ait gâté les yeux, ou que le Peintre ne prenne pas allez de foin de fe corriger : mais un changement to- tal eft fort rare, parce qu'il eft cer- tain que d'un côté l'habitude cau- ie de l'altération dans les organes, & que d'un côté il eft très-diffici. le de changer une manière à la- |
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par Principes. 359
.quelle on eft accoutumé , &. où
l'on trouve de la facilité dans l'exécution , pour en prendre une autre dont Pacquifîtion couteroit beaucoup de peine. Que l'Elevé s'examine là-deflîis , bc que fans perdre courage après avoir recon- nu la bonne voie, il s'efforce de la fuivre. Par le peu de chofes que je viens
de dire touchant l'exercice actuel de la Peinture , j'avoue que j'en pafTe beaucoup fous filence qui re, gardent l'exécution &c la pratique j mais comme je n'ai appris ce que j'en pourrois communiquer qu'en examinant avec beaucoup de ré- flexion les ouvrages des grands Peintre, ,& fur-tout ceux de Titien & de Rubens ; & que fur- tout les Studieux de Peinture peuvent pui, fer à la même fourçe ; je les ren- voi à ces deux Peintres, à Rubens premièrement, parce que les prin- cipes en font plus fenfîbles & plus ailés à pénétrer ; puis à Titien qui |
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. ,go Cours âe Peinture
fcmble avoir encore parte la lime Le le Titien a fait ientir dans une
diftancelégitime,plus de vente:& de précifioa dans fes couleurs lo- çalePS,ayantlaiiréàRubensleta lent des grandes composions , &
rartifice^de faire entendre de plus loin l'harmonie de fon Tout-en.
iemble.
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LA fcience des lumières & des
ombres qui conviennent à la Peinture, eft une des plus impor- tantes parties, & des plus eflentiel- les de cet Art. Nous ne voyons que par la lumière, & la lumière attire & attache plus ou moins fortement nos yeux , félon qu'elle frappe du verfement les objets de la Nature. Le Peintre qui eft imitateur de ces mêmes objets, doit donc connoî- tre & cho'ifir les effets avantageux de la lumière , pour ne pas perdre les foins qu'il aura pris d'ailleurs pour fe rendre habile. Cette partie de la Peinture con-
tient deux chofçs, l'incidence des lumières & des ombres particuliè- res , & l'intelligence des lumières &c des ombres générales s que l'on appelle ordinairement le Clair-ob- 0.
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3 6 ?, Cours de Peinture
fcur : 6c quoique félon la force des mots, ces deux chofes n'en paroif. fent qu'une feule j elles font néan- moins fort différentes félon les idées qu'on s'eft accoutumé d'y attacher. L'incidence de la lumière con-
fifle à favoir l'ombre que doit fai- re 6c porter un corps fitué fur un tel plan, 6c expofé à une lumière donnée. ( Et c'effc une connoiffance que l'on acquiert facilement dans tous les livres de perfpe&ive auf- quels on peut avoir recours. ) Ainiî par l'incidence des lumières l'on^n- tend les lumières 6c les ombres qui appartiennent aux objets particu- liers. Et par le mot de clair-obfcur , l'on entend l'Art de distribuer avantageufement les lumières 6c les ombres qui doivent fe trouver dans un Tableau, tant pour le repos 6: pour la fatisfaclion des yeux, que pour l'effet du tout-enfemble. L'incidence de la lumière fe dé-
montre par des lignes que l'on fup- |
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far Principes. y g.
pofe tirées de la fource de la mê-
me lumière fur un corps qu'elle éclaire. Elle force & néceffite le Peintre à lui obéir : au lieu que le clair-obfcur dépend absolument de l'imagination du Peintre. Car celui qui invente les objets eft maî- tre de les difpofer d'une manière à recevoir les lumières & les ombres telles qu'il les defire dans fon Ta- bleau , fk. d'y introduire Jes acci- dens &c les couleurs dont il pourra tirer de l'avantage. Enfin comme les lumières & les ombres particu- lières font comprifes dans les lu- mières & dans les ombres généra- les, il faut regarder le clair-obfcur comme un tout, jfe l'incidence de la lumière particulière comme une partie que le clair-obfcur fuppofe. Mais pour une entière intelligen- ce du clair-obfcur , il eft bon de favoir que fous le mot de Clair, il faut entendre , non-feulement ce qui eft expofé fous une lumière dL |
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3 64. Cours de Peinture
re&e , mais auffi toutes les couleurs qui font lumineufes de leur Natu- re; &; par le mot â'Obfcur , il faut -entendre non-feulement toutes les ombres caufées directement par l'incidence , èç par la privation de la lumière ; mais encore toutes les couleurs qui font naturellement brunes^en forte quefousl'expofition de la lumière même , elles con- fervent de l'obfcurité, ôcfoient ca- pables de groupper avec les om- bres des autres objets. Tels font, par exemple , un velours chargé, une étoffe brune, un cheval noir, des armures polies , &: d'autres- chofes femblables qui confervent leur obfcurité naturelle ou appa- rente à quelque lumière qu'on les expofe. Il y a encore à ob fer ver que le
clair-obfcur qui renferme $c qui fuppofe l'incidence de la lumière & de l'ombre, comme le tout ren- ferme fa partie, regarde cette m£- |
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par Principes. j éf
Me partie d'une manière quï lui eft
particulière : car l'incidence de la lumière & de l'ombre ne tend qu'à marquer précifémerft les parties éclairées & les parties ombrées ; & le clair-obfcur ajoute à cette préçinon , l'Arc de rendre les ob- jets plus de relief, plus vrais & plus ienfîbles. J'ai démontré ailleurs cette propofition, je n'en répéte- rai point ici les preuves. Voilà la différence qu'il y a entre le clair- obfcur & l'incidence de la lumiè- re. Reprenons maintenant l'idée du premier ,,&difons que le clair- obfcur eft l'Art dediftribuer avan- tageusement les lumières &'les om- bres-, & furies objets particuliers & dans le gênerai du Tableau. Mais quoique le clair-obfcur compren- ne la fcience de diftribuer toutes les lumières & toutes les ombres , il s'entend plus particulièrement des grandes lumières & des gran- des ombres ramaiTées avec une in- duilrie qui en cache l'artifice. Ceft |
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3 <>6 Cours de Peinture
dans ce fens que le Peintre s'en fert pour mettre les objets dans un beau jour , en donnant occafîon à la vue de fe repofer d'efpace en efpace par une ingenieufe diftribu- tion d'objets, de couleurs, & d'ac- cidens. Trois moyens qui condui- fent à la pratique du clair-obfcur, comme je vais tâcher de le faire voir. PREMIER MOYEN.
Parla distribution des Objets.
La diftribution des objets for-
me des maries de clair-obfcur , lorfque par une induftrieufe ccco- nomie on les difpofe de manière que ce qu'ils ont de lumineux fe trouve joint enfemble d'un côté , &. que ce qu'ils ont d'obfcur fe trouve lié enfemble d'un autre cô- .té , & que cet amas de lumières & d'ombres empêche la diflîpati a de notre vue. C'eft ce que le Ti~ |
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par Principe s". 367
tien appelloic la grappe de raifm .•
parceque les grains de raifin fepa- rés les uns des autres auroient cha- cun fa lumière & fon ombre' éga- lement 5 & partageant ainfî la vue en plufieursrayons,lui cauferoient de la confufion : au lieu qu'étant tous rafiemblés en une grappe , ôc ne faifant par ce moyen qu'une maffe de clair , &: qu'une mafTe d'ombre, les yeux les embrafTent comme un feul objet. Ce que je dis ici de la grappe de raifin ne doit pas être pris groffierement à la let- tre , ni félon l'arrangement, ni fé- lon la forme , c'eft une comparai- fon fenfible qui ne fignifie autre chofe que la jon&ion des clairs, & la jonction des ombres. SECOND MOYEN.
Par le corps des Couleurs.
La diftribution des couleurs con-
tribue aux maflès de clairs & aux QJHj
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3 6 $ Qours de Peinture
maffes d'ombres, fans que la lu- mière directe y contribue autre chofe que de rendre les obfcure vi- ables : cela dépend de la fuppofi- tion que fait le Peintre qui eft li- bre d'introduire une figure habil. lée de brun,qui demeurera obfcure malgré la lumière dont elle peut - être frappée, & qui fera d'autant plus fon effet qu'elle en cachera, l'artifice. Ce que je dis d'une cou- leur peut s'entendre de toutes les autres coul'eurs félon le degré de leur ton, & félon le befoin qu'en aura le Peintre. TROISIEME MOYEN,
Par les Accident.
£a diftribtitfon des Accidens peut
fervir à l'effet du clair-obfcur, ou dans la lumière , ou dans les om- bres. Il y a des lumières & des om- bres accidentelles : la lumière ac- cidentelle eft celle qui eft acceflbu |
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far Principes'. 369
fe au Tableau , & qui s'y trouve
par accident, comme la lumière de quelque fenêtre, ou d'un flairu. beau , ou de quelque autre caufe lumineufe , laquelle eft: pourtant inférieure à la lumière primitive. Les ombres accidentelles font, par exemple, celles des nuées dans un. Païfage , ou de quelqu'autre corps que l'on fuppofe hors du Tableau, & qui peut caufer des ombres avan;- tageufes. Mais en fuppofant hors: du Tableau la caufe de ces ombres volantes, pour ainfi parler , il faut bien prendre garde que cette cau- fe fuppofée foit vraifemblable,.6c non pas impoffible. Il me femble que ce font-là trois
moyens dont on peut fe fervir pour mettre en pratique le clair-obfcur.i Mais en vain aurois-je parlé de ces moyens, fi je ne farfois connoître la néceffité de la fin où ils condui- sent , je veux dire la néceffité du claîr-obfcurdans la théorie,^ dans- [a pratique de la Peinture. |
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370 Cours de Peinture
Entre plusieurs raifons qui dé-
montrent cette néceffité , j'en ai choifi quatre qui m'ont femblé les plus eflentielles. La première eft prife de la ne'-
teffité du choix dans la Peinture. La 2 e. de la Nature du clair-
obfcur. La 3 e. de l'avantage qu'il pro-
cure aux autres parties de la Pein- ture. Et la 4e. de la conftitutïon gé-
nérale de tous les êtres. Première Preuve,
Prife ne la nècejjîtè au Choix.
Le Peintre ne Ce contente pas or-
dinairement de la Nature telle que le hazard la lui prefente, il fait que par rapport à. l'ufàge qu'il en veut faire, elle efl prefque toujours défe&ueufe, & que pour la rédui- re dans un état parfait, il doit re- courir à fon Art qui lui enfeigne les |
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par Principes. 371
moyens de la bien choifir dans tous
fes effets vifibles. Or la lumière & l'ombre ne font pas moins un effet vifible de la Nature que les con- tours du corps humain, que les attitudes, que les plis des drape- ries , & que tout ce qui entre dans la composition d'un Tableau : tou- tes ces chofes demandent un choix, &c par confequent la lumière en demande un auffi : ce choix de la lumière n'en; autre chofe que l'ar- tifice du clair-obfcur : l'artifice du clair - obfcur eft donc une partie abfolument néceffaire dans la Pein- ture. Seconde Preuve, ]
Tirée de de la Mature du Claire
obfcur. Les fens ont cela de commun ?
qu'ils ont de la répugnance pour tout ce qui trouble leur attention. |
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3 7ï Cours de Peinture
Ce n'eft point afTez que les yeux jmiflent voir, il faut qu'ils embraf- fent leur objet avec fatisfa&ion , 6c que le Peintre éloigne tout ce qui peut leur faire de la peine. Il eft certain que les yeux ne peuvent être contens lorfque voulant fe porter fur un objet, ils en font dé- tournés par d'autres objets voifîns que leurs jours ôc leurs ombres par- ticulières rendent auffi fenfibles que cet objet même : mais il n'eft pas moins certain qu'il n'y a que l'intelligence du clair-obfcur qui puille procurer à la vue la jouiffan- ce paifible de fon objet : car, com- me nous avons dit, c'eft le clair- obfcur qui empêche la multiplici- té des angles , Se la diffipation des yeux par le moyen des Grouppes de lumières & d'ombres dont il donne l'intelligence. Ainlîle clair- obfcur eft d'une extrême confe- quence dans la Peinture. |
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far Principes. 373'
Tbloisie'me Preuve*
jPrife de l'avantage que les autres:
parties de la Peinture tirent
du Clair-obfcur..
Il eft néceflaire de bien pofer les
figures, de les dégrader , de bien- jetter une draperie, d'exprimer les parlions de l'ame , en un mot de donner le caractère à chaque objet par un Deffein jufte & élégant, & par une couleur locale vraie 6c na- turelle : mars il n'eft pas moins né- cefîàirede foûtenir toutes ces par- ties , 6c de les mettre dans un beau jour , en les rendant plus capables d'attirer les yeux, 6c de les tromper agréablement par la force 6c par le repos que l'intelligence des lu- mières générales introduit dans un Tableau : ce qui prouve l'avanta- ge que les parties de la Peinture en reçoivent, & qui établit par con- séquent la. néceffité. du clair-ob- fcur«. |
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3 74 Cours de Peinture
Qjj atrieme Preuve,
Voici encore une preuve qui fer-
vira à fortifier celles que l'on vient de propofer , elle jeft tirée de la conftitution générale de tous les Etres. Il eft confiant que tous les Etres
du monde tendent à l'imité , ou par relation, ou par compofition, ou par harmonie, & cela dans les chofes humaines comme dans les divines ; dans la Religion comme dans la politique ; dans l'Art com- me dans la Nature 5 dans les facul- tés de l'ame comme dans les or- ganes du corps. Dieu efb Un par l'excellence de fa Nature j le Mon, de efl Un • la morale rapporte tour à la Religion qui eft Une, comme la politique rapporte tout au gou- vernement d'un Etat. La Nature Hniverfelle conferve dans toutes fes productions une unité qui refulte de pluûeurs membres dans les amU |
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far Principes. 3 7 j
maux , &: de plufieurs parties dans
les plantes 5 &: l'Art fe fert de plu- sieurs préceptes dîfferens dont il fait un feul ouvrage. Les différen- tes conditions des hommes fervent pour le commerce, & pour la fo- cieté, comme les différentes roues d'une machine fe raffemblent &- agiffent pour un principal mouve- ment. Les facultés de l'ame ne font occupées dans un même moment que d'une feule chofe pour la bieo faire, Se les organes du corps ne peuvent bien jouir dans un même tems que d'un feul objet : que fi on leur en prefente plufieurs à la fois,. ils ne s'attacheront à aucun, & cet- te multiplicité les partagera,&leur ôtera entièrement la liberté de leur fonction. Si dans un difcours public deux ou trois perfonnes parlent en même tems du même ton & delà même force , l'oreille ne faura au- quel entendre, & ne fera frappée que d'un bruit confus. De la mê- me manière fi l'on prefente à la |
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37^ Cours ie Teinture
vue plusieurs objets feparés & éga- lement fenfuSles^il efl certain que' l'œil ne pouvant ramafTer tous ces objets enfemble , aura dans fa divi- fion de la peine à fe déterminer. Ainfi,, comme dans un Tableau il doit y avoir unité de fujet pour les yeux de l'efprit, il doit pareille- ment y avoit unité d'objet pour les yeux du corps. Il n'y a que l'intelli- gence du clair-obfcur qui puifTe procurer cette unité , ni qui puifle faire jouir la vue paifiblement Si agréablement de fon objet. Quand je parle de l'unité d'ob-
jet dans un Tableau, c'eft par rap- port à l'efpace que l'œil peut rai- fonnablement embrafler fans être diftrait par plufïeuf s ob j ets fepar es : ee qui fe trouve ordinairement dans un petit nombre de ligures ; car il y a des Tableaux affez grands &C & affez chargés d'ouvrage pour contenir jufqu'à trois Grouppes de elair-obfcur. Alors les lumières 8C fcs ombres- de chaque'Grouppe; |
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far Principes. fff
étant fuffi fa ni ment étendues, attL
rent les yeux &. les arrêtent queL- que terns, en leur laiflant néan- moins la liberté de pafîer d'un; Grouppe à un autre,, Mais ces Grouppes d'objets èé
de clair-obfcur dans un même Ta- bleau ,font tellement des unités t qu'il y en doit avoir un qui domi- ne fur les autres. C'eft par cette raifonque le Peintre eft obligé d'y faire entrer , autant qu'il fe peut, les principales figures de fon lujet* AinficettefubordinationdeGroup- pes fait encore une unité qu'on appelle le Tout-enfemble. Il faut néanmoins remarquer que ces Grouppes ne doivent être, ni trop arrangés, ni affedés, ni confus, ni pareils dans leur forme : car il im- porte peu à la vue que les maflés de clair-obfcur foient en figure: convexe ou en figure concave , ou de quelque autre manière qu'on, veuille les reprefenter. On doit feulement obferves
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3 7 $ Cours de Peinture
qu'encore que dans les grands ou- vrages il faille riécellfairement que les mâiTes de clair & les maflès d'ombres Te prêtent les unes aux autres un mutuel fecours T cepen- dant il ne faut pas que les malles d'ombres contribuent lî fort à fai- re repofer la vue , qu'elles la laif- fent dans une entière inaction en faveur des malles claires. Le Peintre doit en cela imiter
l'Orateur , qui voulant nous atta- cher à un endroit qu'il a refolu de nous rendre fenfïble, fait précéder cet endroit par quelque chofe qui lui eft inférieure, de après avoir at- taché fon auditeur à l'objet, ce même Orateur le delafle en l'entre- tenant de quelque chofe de mode- ré , fans le laifTer néanmoins fortir de fon attention. Tout de même le Peintre fait
briller dans fon Tableau fes clairs, 8clesfoutientpardesmafTesbrunes, qui en repofant les yeux ne laîfTent pas de les entretenir par des objets moins fenliblesi. |
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par Principes, 37^
L'on peut même introduire quel-
quefois , mais avec beaucoup de prudence , quelques objets fingu- liers, bruns dans les maiTes claires, de quelques objets clairs dans les malles brunes, ou pour en reveiller le trop grand filence, ou pour dé- tacher quelques figures , ou pour ne laifTer aucune affe&ation dans l'ouvrage. Enfin il me paroît qu'il eft a propos que le tout fe rencon- tre dans une heureufe difpofition comme il le hazard en avoit ainfl ordonné. J'avoue pourtant qu'il n'eft pas
;donné à tous les Peintres de cacher de cette manière l'artifice du clair- obfcur,& de l'exécuter avec indu- fine. C'eftune partie qui demande d'autant plus de reflexion & de de- licatefTe, qu'elle trouve une nou- velle difficulté dans chaque nou- veau fujet. Elle veut de ces génies qui fe font ouverture par tout, 6c qui favent fortir heureufement de toutes-leurs entreprifes. |
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| Bo Cours de Peinture
On pourrait ajouter ici pour ut!
lurcroîc de preuve de la force & de la néceffité du clair-obfcur , les louanges que les Peintres donnent tous les jours aux ouvrages où cet- te partie fe fait fentir, & aux Pein- tres qui l'ont poifedee. En effet qui fera réflexion fur le*
avantages que toutes les parties de la Peinture tirent de celle-ci , avouera qu'un ouvrage de Peintuu re dénué de clair-oblcur,demeure- ra foible & infipide quelque cor- rect qu'en foit leDdîèin, & quel- que fidèles qu'en foient les cou- leurs locales & particulières. Au lieu qu'un Tableau où le Defîein &les couleurs locales font médio.. cres, mais qui font fbutenues par l'artifice du clarr-obfcur, ne lailTe- ra point pafler tranquilement fon Speclateur, il l'appellera , il l'ar- rêtera du moins quelque tems, eut- il même de l'indifférence pour la Peinture. Que ne fera-ce point, fî avec le clair-obfcur les autres par- |
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far Principes. 381
ties s'y rencontrent dans un louable
degré de perfeâion,,& que l'ouvra- ge tombe Tous les yeux d'un curieux éclairé , ou d'un amateur fenilble ? J'ai crû qu'il ne feroit pas hors de propos de donner ici les princL. pales démonftrations de l'effet du, clairrpbfcur, pour remettre le Le- jcteur au fait de tout ce qui en a été dit. La première figure prouve l'uni-
té d'objet, comme nous l'avons dés ja fait voir dans le Traité de la Dif. poiîtion. Il y a de plus ici une dér monftration des objets qui entrent dans le Tableau, & qui font en ptr- (pe.6live.Les uns &c les autres objets diminuent également de force en s'éloiVnant du centre de Javifitfn, Toute la différence qui eft entre eux,c'eft que les objets qui rentrene diminuent de grandeur en s'éloi- gnant du centre de la vifïon , félon les règles de la perfpective 5 §£ quf ceux qui s'étendent feulement à droit & à gauçlie, s'effacent pas |
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3 S % Cours de Peinture
l'éloignement, fans diminuer de forme ni de grandeur. La féconde fait voir comme on
doit traiter un objet particulier, pour lui donner du relief, qui eft., d'employer fur le devant les lumiè- res les plus vives & les ombres les plus fortes, félon les couleurs qui conviennent à cet objet, en con- fervant toujours les reflets fur les îournans du côté de l'ombre. La troifiéme eft pour pouver la
néceffité des Grouppes pour la fa- tisfa&ion des yeux , qui étoit la grande règle du Titien, & qui doit l'être encore aujourd'hui pour ceux qui voudront obferver dans leur Tableau, cette unité d'objet qui avec les couleurs bien entendues, en fait toute l'harmonie, La quatrième eft une conviction
de la néceffité «d'obferver l'unité d'objet, en formant des Group- pes dans la compofîtion des Ta- bleaux , félon leur grandeur , & le nombre des figures ; car , |
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p«?
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Clair obscur à ans un seul objet
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Fie-»■ iïMËz-
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Clair olscur dans <i>n grojtppe 3 'objets
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Clair obscur dispersent par conséquent sans effet
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&* Jlecktfcrt se
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far Principes, 3 13
comme nous avons dit, pour plai-
re à l'œil, il faut le fixer par un Grouppe dominant , qui par le moyen des repos que çaufe l'éten- due de (es lumières & de fes om- bres , n'empêche pas l'effet des au» très Grouppes, ou objets fubor- donnés : car fi les objets font dif- perfét, l'œil ne fait auquel s'adreC 1er d'abord, non plus que l'oreil- le au difcours de plufieurs perfon- nes qui pai'leroient toutes à la fois. On pourroit ajouter beaucoup d'autres chofes à ce que je viens de dire des lumières & des ombres, cette matière étant fufceptible d'un plus grand détail. Je me fuis contenté de donner ici, félon mon iens j l'idée du clair-obfcur , de faire voir en gênerai les differens moyens de le pratiquer, &: de prou- ver fon abfolue nécejfité dans 1g Peinture. Ceux qui voudront en lavoir
davantage,peuvent voir ce que j'en ai écrit dans le Commentaire 4$ |
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3 S 4 Cours de Peinture
Poème de du Frenoi fur le 267. vers,6c les 7. ou 8. feuillets faivans, & que je n'ai pas cru devoir rap- porter ici, y en ayant expofé la principale fubftance. Les Sculpteurs auffi bien que les
Peintres, peuvent mettre en prati- que l'artifice du clair-obfcur,quand ils en ont occanon , ou qu'ils fe la procurent par la difpofitîon de leurs figures, ou par le lieu où doit être placé leur ouvrage. LeCava» iîerBerninenalaine des monumens & la pofterité dans quelques Egli- fes de Rome, dans lefquelles il a difpoféfa Sculpture félon la lumiè- re des fenêtres qui dévoient l'éclai-* #er. Ou bien il a percé des fenêtres d'une ouverture avantageufe quand il en a eu la liberté , afin d'en tirer des lumières qui fiffent un effet ex- traordinaire $C capable d'entre - tenir l'attention de fon Spe&ateur, ^dais le Sculpteur habile peut enco- re faire quelque çhofe de plus, en ajoutant au clajr-obfeur des cou- leurs |
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far Principes 3 g y
leurs locales,s'il en a l'intelligence.
On en peut voir un merveilleu* exemple chez Monsieur le Hay , rue de Grenelle faubourg S. Ger- main. Ces ouvrages font dans deux caifles, dont l'une contient le fujec d'une defcente de Croix , & l'au- tre l'Adoration des Pafteurs. La profonde fcience &c la Singulière beauté dont ces deux fujets font exécutés , m'ont perfuadé que le Public feroit bien aife d'être pré- venu de leur defcription ; & quoi- que je l'aie faite avec toute l'exa- ctitude qui m'ait été poffible, je ne doute pas que les curieux ne la trouvent fort éloignée du fubl'me où l'Abbé Zumbo, qui en eft Au- teur , l'a porté dans toutes les par- ties de fon Art. Ce feroit ici le lieu de dire quel-
que chofe de la vie de cet homme illuftre : mais j'ai crû qu'il étoic plus à propos de la referver pour la féconde édition que l'on va faire de l'Abrégé de la vie des Peintres |
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3 S 6 Cours de Peinture
que j'ai mis au jour. Je me conten- terai donc de donner dans ce Vo- lume la deicription des fculptures dont je viens de parler : on l'a pla- cée fur la fin du Livre pour nç point interrompre l'ordre des trai- tés qui font la matière eiîentiellç de cet ouvrage. |
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par Principes. 387
M%&Si5iX$l$à &&5iâi3i3iStSiM
*ï>3 &** HÉ* £*? t*î' KW : *g#«&? ?*3 .gcgj. f.^. sssg.
I> l'Ordre qu'il faut tenir dam
l'Etude de la Peinture. LA plupart des habiles Pein-
tres ont pris beaucoup de foin, & ont confumé plufieurs années à la recherche des connoiflànces qu'ils auroient pu acquérir en peu de tems, s'ils en euflent trouvé d'a- bord la véritable voie. Cette véri- té que l'expérience a fait fentir dans tous les âges, regarde fur-tout la jeunefTe. C'eft-elle principale- ment qui dans l'avidité d'appren- dre , a befoin des lumières qui lui faflent voir par ordre les progrès qu elle doiteiperer pour arriver in- failliblement au but qu'elle fe pro- pofe. L'on peut confîderer la Peinture
comme un beau parterre 5 le Génie comme le fond, les Principes com-. Ki}
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'388 Cours de Peinture
me les femences, & le bon çfprit comme le Jardinier qui prépare la terre pour y jetter les femences dans leurs faifons, & pour en faire naître toutes fortes de fleurs qui ne regardent pas moins l'utilité que l'agrément. Il eft certain que le génie à qui
nous devons la naiflànce des beaux Arts , ne fauroit les conduire à leur perfe&ion fans lefecours de la culture -y que cette culture eft im- pratiquable fans la direction du ju- gement ; &que le jugement ne fau- roit rien faire fans la poileffion des vrais principes, Il Faut donc fuppofer le génie
dans toutes nos entreprifes , autre- ment on ne fait que languir dans l'exécution. 11 eft vrai que les fie- cles ne font pas égaux dans la pro- duction des grands génies, Ôc que l'Art s'afroibiit faute d-habiles gens s Mais le manque de grands génies ne doit point empêcher que l'on ne cultive ceux qui fe rencon- |
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1 far Principes; 389
trent dans tous les tenis quels qu'ils
puiffent être. La terre rend à pro- portion de fon fond, & de la fe- mence qu'on y jette ; de même le génie produira toujours en le culti- vant , fuivant le degré de fon élé- vation &. de fon étendue i les uns plus, les autres moins. Ainfî le génie a plufieurs degrés,
ôc la Nature en donne aux uns pour une chofe , & aux autres pour une autre 5 non-feulement dans la di- verfité des profeffions, mais encore dans les différentes parties d'un même Art ou d'une même fcience. Dans la Peinture , par exemple, l'un aura du génie pour le Portrait, ou pour le Païfage , pour les ani- maux , ou pour les fleurs : mais comme toutes ces parties fe trou- vent raffemblées dans le génie pro- pre à traiter l'hiftoire, il eft certain que ce génie doit prérider à tous les genres particuliers de la Peintu- re , d'autant plus que fi ceux qui les exercent y réumffent mieux que les R ii1
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390 Cours d* Peinture
autres, c'eft ordinairement parce qu'ils s'y font occupés davantage 5 & qu'ayant fenti le talent qu'ils avoient pour cette partie , ils l'ont embrafiee avec plaiiîr , éc ont eu plus d'occafions de l'examiner, 6c de le pratiquer : ce qui foit dit fans faire tort au génie de ceux qui l'ayant aflez étendu pour réuffir dans l'hiftoire, fe font adonnés par occafion ou par goût à un genre de Peinture plutôt qu'à un autre. Car la Peinture doit être regar-
dée comme un long pèlerinage, où. l'otf voit dans le cours du voyage plufîeurs chofes capables d'entre- tenir agréablement notre efprit pour quelque tems. On y confidere les différentes parties de cet Art , on s'y arrête en faifant fon chemin, comme un voyageur s'arrête dans les lieux de repos qui font fur fa route : mais fi nous fixons notre de- meure dans l'un de ces lieux , par- ce que nous y aurons trouvé des beautés félon notre goût x ou. des |
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par Principes. $ 9 ï •
occafions félon notre intérêt, Se
que nous nous contentions de voir de loin , ou d'attendre feulement parler du lieu où. nous voulions nous rendre , nous demeurerons toujours à l'hôtellerie ,&nous n'a- chèverons jamais notre voyage. C'eft ce qui arrive infail liblement
à ceux qui tendent à la Peinture comme à leur fin, & qui en paflant par l'étude des parties qu'elle ren- ferme^ font arrêtés parles charmes qu'ils auront trouvés dans quel- ques-unes, fans faire réflexion que l'accomplîiTement de la Peinture ne refuite que de la perfection, & de l'affemblage de toutes les par- ties qui la compofent. La queftion eft donc de cultiver ce génie qui doit y préfider. Je le demande tout entier, uniquement attaché à ce qui le regarde, évitant les diffi- pations capables de le retarder 4 & libre de toute affaire. Mais quelque difpofition qu'ait
un Elevé pour êtreinftruit , il fe Rmj
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392 Cours de Peinture
peut faire que le Maître ne foit pas difpofé pour i'inftruire ^ parce que l'apparence d'un jufteintérêt pour- roit le retenir dans l'apprehenfion de perdre en peu de jours le fruit d'une longue expérience en com- muniquant les lumières , &. d'être par ce moyen ou furpafle , ou du moins égalé par fcn Elevé. Cependant, d'enterrer fes con-
noiifances avec foi, fans vouloir fai- re d'Elevé, eft une chofe qui n'eft, ni naturelle, ni Chrétienne, ni po- litique j elle n'eft point naturelle , car le propre de la Nature eft de fe reproduire elle-même -, elle n'eft point Chrétienne 3 puifqu'il eft de la charité d'enleigner les ignorans, je veux dire ces fortes d'ignorans à qui Dieu a donné des talens pour apprendre 3 elle n'eft point non plus politique , parceque la répu- tation des Maîtres fe répand tk. fe conferve par celle des Difciples, qui tranfmettent à la pofterité la gloire de ceux qui les ont inftruits. |
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far Principes. 3 93
Maïs fuppofé que parmi les ha-
biles Peintres ,les plus jeunes ayent les raifons d'intérêt dont j'ai parlé, & qu'on trouvât ces raifons fuffifan- tes pour les difpenfer de communi- quer leurs lumières & leurs fecrets à des Elevés ; on ne peut du moins excufer les plus avancés en âge, ni ceux qui ont une réputation éta- blie j parce que n'y ayant rien à rif- quer pour eux , ils ne peuvent at- tendre de leurs bonnes intentions qu'une pleine fatisfa&ion d'eux- mêmes , &c des louanges de tous les autres. Il ne s'agit plus que de trouver
des moyens qui applaniflent les dif- ficultés , qui abrègent le tems, & qui conduifent les Elevés dans la voie de perfectionner eux-mêmes leur goût, & leur génie. Je fai bien que les habiles Pein-
tres ( je parle de tous en gênerai ) je fai bien, dis-je, que les habiles gens peuvent avoir tenu différentes voies dans leurs études 3 & qu'ils Rv
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394 Cours de Peinture
peuvent par confequent conduire leursDifciples chacun par différent chemins qui meneroient aune mê- me fin. Je fai bien auffi qu'il s'en pourroit rencontrer , qui après avoir étudié fans ordre, 8c confu- mé inutilement plufieurs années à la recherche de la bonne voie, ne l'ont trouvée que fort tard ^ & en- fin qui après s'être inftruits ôc def- abufés eux-mêmes,feroient très ca- pables de marquer à la Jeunefle la meilleure voie pour s'avancer dans leurs études. Mais l'étonnement où je fuis des longues années qu'on emploie ordinairement dans l'étu- de de cette profeffion, m'a donné la liberté de dire ici ce que je penfe des études de la Peinture, & de l'ordre que je fouhaiterois qu'on y obfervât. Je ne fixerai point ici l'âge auquel
on doit commencer à travailler pour acquérir cet Art, P^ce qu'en toutes fortes de profemons, le gé- nie &c l'applïcationfont la moitié,de l'ouvra?; e. |
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far Principes. 5 yf
Cependant les jeunes gens que
l'on deftine à la Peinture, ne fau- roient fe mettre trop tôt à deffi- ner , parceque leur génie venant à fe déclarer en pratiquant,on les laif- fe continuer s'ils en ont $ ou fi l'on découvre qu'ils n'en ayent point> on les emploie à des chftfes auf- quelles on les croit plus propres. Maïs en cas que leur inclination les aorte à continuer du côté delà Peinture -, il faut avoir foin pen- dant ces premiers exercices de leur Deflein, qu'ils apprennent à bien lire & à bien écrire ; afin qu'ils évitent la trop grande indifférence que la plupart des hommes ont pour la lecture , faute de fe l'être rendue familière dans leur jeuneffe. Et comme c'eft un fecours dont les Peintres ont grand befoin dans leur profeffion , il eft bon qu'on leur donne à lire dans les commen- cemens des livres agréables 8c pro- portionnés à leur âge pour les met- tre en goût de lecture. Et dans la Rvj
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3 9 6 Cours de Peinture
fuite , à mefure que Pefprit Te for- me , rien n'apprend à bien penfer comme les bons livres. Du refte à quelque âge que l'on
commence la Peinture, chacun y avance plus ou moins félon le de- gré de ion génie. Il y en a qui fê ientent^attirés par leur génie , &c qui le fui vent : d'autres en font en- traînés par violence. Il y en a peu de ces derniers 3 6c ces génies ra- res , quand il s'en trouve , font ca- pables de faire en peu de tems de très-grands progrès , & il n'y a point d'âge déterminé pour eux. Mais comme nous devons former ici un plan d'étude , choififfons pour commencer le tems de la première jeunefTe, comme on fait ordinairement pour conduire un jeune élevé. Nous apprenons de Pline que
lorfqu'Alexandre le Grand donna à la Peinture la première place par- mi les Arts libéraux, il ordonna en même tems que les jeunes gens de |
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far Principes. 3 577
.condition apprendroient à deffi-
ner avant toutes chofes. Alexan- dre ne pouvoit avoir en cela d'au- tre vue que de former le goût de les principaux fujets,par les difpofî- tions que le DefTein met dans l'ef- prit. En effet le premier fruit du Dell
fein eft la juftefle qu'il met dans les yeux de ceux qui deffinent, ôc fon premier ufage eft de faire di- stinguer en général le caractère des objets, & enfuited'imprimer dans Teiprit les principes du bon qui fe trouve dans les beaux Arts : & en- fin le goût s'étant formé par un progrès de ces mêmes principes , il eft bien plus capable de juger des ouvrages de l'Art, 6c de ceux de la Nature. Alexandre qui ne vouîoit pas
faire des Peintres de tous ces gens de condition , les faifoit néan- moins commencer de bonne heure à deffiner -y parce qu'il vouloit que le DefTein leur fervît à juger dans |
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3 y 8 Cours de Peinture
îe cours de la vie , de tous les ob- jets que l'occaflon leur prefente- roit. Les Peintres , & les Sculpteurs
ont d'autant plus de fujet de fuivre cette loi d'Alexandre dans l'em- ploi des premiers tems de leur jeu- nèfle, que le Deflein ne doit pas feulement leur fervir à dire leur avis fur les ouvrages, mais à faire ceux dont on doit juger. La première chofe que l'on doîc
confiderer dans l'acquifition d'un Art que l'on veut exercer toute fa vie, c'eft de bien partager fon tems, & de donner à chaque étude celui qui lui eft le plus propre. Dans les premiers tems de la jeunefle , par exemple, où la raîfon eft encore foible, &: les réflexions hors de faï- fon, il faut fe prévaloir de la mo- lefle du cerveau,&; de la pureté des organes qui font fufceptibles des impreffions, &.des habitudes qu'on voudra leur faire prendre. Cela fuppoié y il n'y a que deux
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f ar Principes. 3 5 f
exercices qui conviennent aux gens.
de la première jeunefTe. L'un eft d'accoutumer leurs yeux à la ju- fleffe, c'eft-à-dire à rapporter fi- dèlement fur leur papier les di- menfions de l'objet qu'ils copient -y & l'autre , c'eft d'accoutumer leur main au manîment du crayon 8c de la plume, jufqu'à ce qu'on aie acquis la facilité nécefïàïre, la- quelle par la pratique s'acquiert infailliblement. La jufteffe des yeux & la faci-
lité dans la main, font les deux portes qui donnent entrée aux dé- monstrations des parties qui con- duifent à l'entière connoifiance du Deflein. Il eft donc de la dernière con-
fequence aux jeunes gens , pour bien commencer la Peinture, £c pour y avancer â grands pas , de ne point quitter ces deux premiers exercices qu'ils n'en ayent une grande habitude. Et {i cet article importe beau-
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400 Cours de Peinture
coup aux Etudians, il en: encore d'une plus grande confequence à l'Académie ; car pour peu qu'elle veuille réfléchir fur fon avance- ment , & même fur le foin de fe maintenir, elle regardera comme une chofe néceflfaire de ne recevoir perfonne pour Ecolier qui n'ait une luffifante pratique de defïiner d'a- près les DefTeins , 8c d'après les Bofles, c'eft-à-dire une fuffifante juflefîè dans les yeux, & une fuffi- fante liberté dans le manîmentdu crayon , 6c cela au jugement des Officiers en exercice. La raifon de mon fentiment en
ceci eil, que les Ecoliers ayant été reçus trop jeunes & trop ignorans dans l'école de l'Académie , ils y pafïènt beaucoup de tems fans goût & fans difcernement, & enfin fans faire deprogrès remarquables dans leurs études prétendues. Cepenl dant après quelques années, comp- tant plutôt fur le tems qu'ils ont pafle dans l'Ecole de l'Académie |
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fat Principes, 401
que fur le progrès qu'ils y ont fait,
ils fe prefentent témérairement pour concourir aux prix dont ils font tout-à-fait indignes. D'où il arrive eniuite que ceux qui préten- dent aux prix dePeinture,étant des branches delà même fouche d'i- gnorance , produifent les mêmes fruits, ou mauvais ou infipides. Le premier ufage que les jeunes
gens doivent faire de ces habitu- des, c'en: d'apprendre la Géomé- trie , parce qu'étant prefentement queftion de refléchir & de raison- ner pour toutes les parties de la Peinture , defquelles il faut'avoir une entière connoiflance , &. la Géométrie apprenant à raifonner &à inférer une chofe d'une autre, elle nous tiendra lieu de Logique, & nous tirera de nos doutes. Comme la perfpeclive fuppofe
la Géométrie qui en eft le fonde- ment , il eft naturel d'en placer ici l'étude, & de s'y attacher d'autant |
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4o i Cours de Peinture
plus fortement que le Peintre e'fi tire un fervice dont il lui eft impôt lible de fe paffer , quelque ouvra- ge qu'il veuille entreprendre. Je fuppofe ici que le jeune Etu-
diant ait contracté l'habitude de copier facilement toutes fortes de Defleins,&de deïîiner toutes for- tes de Tableaux. Cette habitude néanmoins ne peut entrer dans cel- le du DefTein que comme une dif- pofition nécefTaire pour l'acquérir. Les chofes étant ainfï, le jeune
Etudiant doit regarder l'imitation de la belle Nature comme fon but , & doit tâcher de connoître les caractères extérieurs des for- mes qu'elle produit. Aînfî pour commencer par le Chef-d'œuvre des productions de la Nature, qui* eft l'homme, le jeune Etudiant doit s'inftruïre de FAnatomie , & des proportions } parce que ces deux parties font le fondement du DefTein. |
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far Principes. 401
L'Ànatomie établit la foliaire
du corps , ôc les proportions en forment la beauté. Les propor- tions font redevables à PAnatomie de la vérité de fes contours , Se PAnatomie doit aux proportions l'exacte régularité de la Nature dans fa première intention. Enfin. PAnatomie, & les proportions fe prêtent un mutuel fecours pour ré- duire le DefTein dans une folide & parfaite correction. Quelque liaifon que ces deux
parties femblent avoir entr'elles , il paroît néanmoins que le mieux eft de commencer par PAnatomie y Î>arce que PAnatomie eft la fille de
a Nature , & la proportion la fil- le de PArt, &: que fila proportion vient du bon choix , le bon choix tire fon origine de la Nature. Mais après PAnatomie fuit l'é-
tude des proportions.ily a des pro- portions générales que l'on doit premièrement bien lavoir , c'eft- a-dire celles qui conviennent ge- |
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404 Cours de Peinturé
neralëment à chaque partie pou? en faire un tout accompli. Il faut favoir , par exemple , comment une tête doit être conftruite , un pied, une main , 5c enfin tout le corps pour former un homme par- fait. Mais comme la Nature eft dif-
férente dans fes ouvrages, il faut examiner ce qu'elle peut faire de plus beau dans les differens cara- ctères qui fe rencontrent dans la, vie des hommes, à caufe de la dï- verfîté des âges, des pais Se des proférions. Il eft vrai que la Nature nous
offre l'abondance de fa variété qui eft infinie : mais comme fes richef. {es ne font pas fans mélange, il eft mieux de recourir d'abord à l'An- tique qui nous fait part du choix exquis qu'il a fait avec une con- noifîance profonde pour tous les états de la vie. Puifqu'il eft confiant que les fi-
gures antiques renferment non feu- |
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par Principes. 40 j
lement tout ce qu'il y a de plus
beau dans les proportions j mais qu'elles font encore la fource des grâces ,de l'élégance, & des ex- preffions : c'eft une étude d'autant plus nécéfTaire qu'elle conduit au chemin de la belle vérité. Il faut s'y exercer fans avoir égard au tems qu'elle exige pour la bien pof- feder : car puifque l'Antique eft la règle de la beauté , il la faut def- fmer jufqu'à s'en former une jufte & forte idée, qui ferve à bien voir la Nature , & à la ramener dans fes premières intentions, d'où, elle s?écarte a£Tez fouvent. Comme le plus bel exemple que
nous ayons dans cette conduite, eft celle qu'a tenue Raphaël dans fes ouvrages, il eft bon de les def- finer en même tems , afin qu'il nous ferve de guide dans l'heureux mélange qu'il a fait de l'Antique & de la Nature. Il eft bon auffi de remarquer en
paflant que 4ans l'antique il y a |
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40 e Cours de Peinture
un goût gênerai répandu fur tous les ouvrages de ces tems-la, &c un goût particulier qui caraclerife chaque figure félon fon âge , 6c fa qualité. Ceft au jeune Etudiant à faire là-deffus les réflexions en terns & lieu , félon la pénétration de fon jugement. Suppoié que l'on ait fait les étu-
des dont je viens de parler avec le tems 6c l'application qu'elles de- mandent , on doit les confiderer comme des degrés qui élèvent l'ef. prit à la connoiffance du naturel, tel qu'il eft , 6c tel qu'il doit être. Nous jugeons par ces premières études des défauts que le hazard a mis dans un modèle , èc des per- fections qui lui manquent ^ ainfx nous voyons au travers de nos idées, ce qu'il faut ajouter ou di- minuer au naturel pour le rendre 4ans l'état que nous le defîrons. Ceft donc ici le lieu , où Ton
doit placer l'étude du Modèle à laquelle il faut joindre celle de |
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par Principes, 407
Contrafte , & de la Pondération
qui compofent toutes deux enfem- t>le celle des Attitudes. Comme il eft néceflaire en po-
sant un modèle de chercher une attitude qui dans fon contrafte foit naturelle, & fafte voir de bel- les parties : il eft de la même ne- çiffité de lui donner du relief & de la rondeur. Mais comme le re- lief .& la rondeur d'un objet par- ticulier ne fuffit pas dans l'aflem-, frlage de plufieurs figures, & qu'il fautpour îafatisfa&ion des yeux, & pour l'effet du tout-en(emble,qu'ii y ait une intelligence de lumières ,& d'ombres, qu'on appelle le clair- obfcur, on ne peut fe difpenfer d'en acquérir la connoiflance. Cette intelligence demande une
attention particulière, & l'onze» doit avoir une habitude d'autant plus forte , que Je clair-obfcur eft îun des principaux fondemens ⧠la peinture, que fon çffet appçllg |
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^.oS "Cours de Peinture
le Spec"tateur,qu'il foûtient la com- pofition du Tableau, 6c que fans lui tout le foin qu'on auroit pris pour les objets particuliers, feroit une peine perdue. Quand on a une fois bien conçu
cette partie de la Peinture , il eft bon pour lui faire prendre de pro- fondes racines dans l'efprit,de voir avec reflexion les eftampes des Maîtres qui ont le mieux entendu les lumières5cles ombres, & d'en pénétrer l'intelligence. Il n'eft pas feulement à propos de
voir ces eftampes particulières pour fe confirmer dans la connoif- fance du clair-obfcur : mais la vue des belles eftampes en général, èc des DeiTeins des grands Maîtres, <?ft très-utile encore pour nous in- ftruire de la manière dont les plus habiles Peintres ont tourné leurs penfées 3 dans leurs compo(Irions en général, & dans leurs figures en particulier, Les
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par Principes. 4»^
Les bonnes éftampes, auflî bien que les bons Defleins , font encore très capables d'échauffer notre gé- nie , & de l'exciter à produire quel- que chofe de iemblable. Chaque objet s'exprime par des traits dif- ferens pour faire fentir Ton caractè- re j èc quand on a deffiné d'après les bons Maîtres, on s'apperçoit aflèz que ces touches Spirituelles & que ces differens traits font l'ame des Defleins ; on fe les imprime dans l'efprit, & l'on acquiert par là beaucoup plus de difpofîtion & de facilité à remarquer clans la Na. tnre la manière dont on peut ex- primer le cara&ere de chaque ob- jet. Le jeune étudiant doit donc faire fon poflîble pour nourrir fe$ yeux par la vue de ces belles chofes. Mais pour les imprimer forte- ment dans la mémoire, & pour les faire entrer bien avant dans fon ef- prit, ileftbon d'en copier, & d'en extraire le plus beau , Se nous ré- gler en cela félon les cjhofes qui «S
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%ïç> Cours de Peinture
nous manquent, &: dont nous avons le plus de befoin, ou vers leiqueL les nous nous Tentons attirés par notre génie. C'eft dans cette occar iîonoù. des amis éclairés, & fince- res, qui fouvent connoiffent mieux que nous-mêmes nos foibles & nos penchans , pourroîent nous aider ,de leurs lumières, s'ils étoient con- fuites. Jufqu'ici la Peinture , & la Sculp-
ture fe font donné la main ^ parce que je fuppofe que le Sculpteur s'effc exercé à deffiner fur le papier „ comme je defire ici que le Peintre pour fon utilité propre apprenne a modeler. Il faut prefentement que chacu-
ne marche de fon côté pour arri- ver heureufement à leur fin, qui eft l'imitation de la Nature par diffe- rens moyens 3 la Sculpture par le relief de la matière, & la Peinture par les couleurs fur une fuperficie plate. C'eft de celle-ci que j'ai en- core à parler pour achever de la |
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far Principes. 41 f
conduire à la fin de fa carrière. L'ordre que j'ai indiqué jufqu'îcï
n'a relation qu'à l'étude du Def- fein , &: ce qui nie refte à dire re- garde principalement le coloris. Plufîeurs Peintres font d'avis que
■dans l'étude du Deffein on mêle celle du coloris 3 parce que, difent- 11s , plusieurs bons Deiîinateurs , pour avoir goûté trop long-tems les charmes du Deffein , en ont tellement rempli leur efprit, que le coloris n'y a pu trouver de pla- ce 3 ou qu'étant trop avancés dans la partie du Deffein , ils fe rebu- toient facilement de la partique du coloris qui leur faifoït <ie la peine. Ainfi ils retournoîent au plaifir que leur donnoît l'habitude du Deffein qu'ils avoient contractée 3 parce <m'on fait volontiers ce qu'on faït facilement. Il efb certain que ces réflexions
ne font pas fans fondement, & que pour ssaccomoder à la foibleffe des Sommes qui font prefque tout par S îj
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4i * Csurs de Teinture
habitude , on pourroit permettra dans le cours du DefTein, & par in- tervalle , le manîment du pinceau 6c de la couleur aux Etudians, afin que s'y étant accoutumés de bon7 ne heure ils n'y troavafTent plus que du plaifir. Mais fi l'on veut examiner la
jfource de ces inconvénient , on trouvera qu'elle ne vient pas d'a- voir manqué de colorier d'aiïez bonne heure • mais d'avoir mal commencé, je veux dire , d'avoir ' copié d'abord de mauvaifes chofes, pu d'avoir été fous la dilcipline d'un Maître qui n'avoit aucuns principes du coloris. On revient ordinairement d'un
mauvais Deffein , cela îe voit dans tous ceux qui deffinent aufquels la pratique &. le changement d'objet te de modèle fait reprendre une rpute plus correcte, fk plus approu- vée. Mais rien n'eft plus rare que le changeraient d'une mauvaife ha- bitude dans le coloris pour en pren^. $Ue une bonne, |
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far Principes'. 4*3'
Je ne dis pas que ce changement
fo"t impoffible • mais il eft très-ra- re. Raphaël a luivi les Ecoles &c la pratique des lieux où il a été éle- vé , comme Léonard de Vinci' „ Michelange, Jules Romain & les autres grands Peintres de ces tenis la. Et ils- ont aïnfî paiTé toute leur vie fans arriver à l'entière & à la véritable connoifïance du bon co- loris: &: pour parler des gens dé notre tems & de notre connoifïan- ce 5 les Difciples de Voct , qui étoient en grand nombre &c qui né manquoient pasd'efprit, quelques efforts qu'ils ayent faits, n'ont pu fe défaire de la mauvaife pratique qu'ils avoient fuivie chez leur Maî- tre. Nous avons encore l'exemple de plufîeurs jeunes Peintres qui pour avoir commencé par copier quelques Tableaux d'un coloris tri- vial, en retiennent la manière dans tout ce qu'ils colorient, & s'en font comme un verre , au travers du- quel ils voient la Nature colorée Su)
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4*4 Cours de Peinture
comme ce qu'ils ont accoutumé de peindre. D'où, l'on peut inférer qu'un jeune homme qui commen- ce par copier un Tableau mal co- lorié , avale un poifon dont il em- poifonnera lui-même tous le« ou- vrages qu'il fera dans la fuite. Cependant un jugement folide
& une bonne éducation font âu- defïùs des difficultés, 8c peuvent même rétablir un goût mal affec- té dans l'efprit d'un homme doci- le. Ainiî rien n'empêche qu'on ne puifle placer ici l'Etude du colo- ris , en laifTant la liberté à chacun des Etudians d'interrompre quel- quefois pour fe defennuyer l'ordre que je viens d'établir. Le premier foin que demande le
coloris d'un jeune Etudiant eft de commencer par copier ce qu'il trouvera de mieux colorié, de plus fairs , & de glus librement peint entre les ouvrages des grands Maî- tres , parmi lefquels Titien, Ru- bens, & Vandeik tiennent les pre- |
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far Principes. 415
iniers rangs , pouf les premiers
corrtrnencemens.- je croirois qu'on tireroit plus d'utilité en copiant Vandeik à caufe qu'en y apprenant le bon coloris on y trouve encore la liberté du pinceau. Comme le coloris n'eft eftimable
qu'autant qu'il imite parfaitement la Nature, le jeune Etudiant, après quelqu'habitude de la pratique des habiles gens, doit copier aufli cet- te même Nature, l'examiner & la comparer avec les ouvrages des grandsMaîtres qu'il aura copiés \\xu même. Cette pratique accoutume- ra fon goût à l'idée du vrai, Se £e& yeux à le voir fans aucuns nuages. Le jeune Peintre s'étant formé
une bonne habitude,, <k ayant mis fon goût en état de ne rien appré- hender, peut copier des Tableaux de tontes les manières 3 s'il y trouve d'ailleurs de quoi entretenir l'ac- tivité de ion génie. Mais une étude très-importante
ceferoit de faire comme les abeilles |
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'4* S Cours de Peinture
qui tirent de plusieurs bonnes rieurs 4e quoi compofer leur miel, & le jeune Peintre à leur imitation doit «opier àes excellens Tableaux ce qu'il y aura de meilleur pour s'en former une bonne manière. Il doit faire la même chofe d'après les belles productions de la Nature, foit Figures, Animaux , ou Païfa- ges. Il en fera un recueil auquel il doit avoir recours tant pour fon propre fervice dans l'exercice de fon Art, que pour entretenir fon goût, ou pour nourrir fa curiofité. En cet état le jeune Peintre fe
voyant pourvu de toutes chofes, peut voler de fes propres aîles 5 & par la lecture, ou par la réflexion, élever fes penfées, exercer fon ima- gination à compofer differens fo- jets, & dans l'exécution profiter des beautés dont la Nature lui prefente le choix dans l'abondan- ce de fes productions. Mais qu'il obferve fur-tout de
ne faire jamais aucun Tableau qu'il |
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far Principes. 417
n'en ait fait un léger efquiffe colo-
rié 1 dans lequel il puiffe s'abandon- ner à ion génie & en régler les mou- vemens dans les objets particuliers, & dans l'effet du tout-enfêmble. Cet efquilTe fe doit faire très-vite
quand le Peintre a fixé fa penfée , pour ne point perdre le feu de font, imagination. Cet efquilTe étant donc tout informe , comme nous le fuppofons y on y peut changer r augmenter, ou diminuer,, tant pour la compofîtion, que pour le coloris. Et quand fon Auteur l'aura réduit „ quoique légèrement dans l'état qu'il le defire ■> il doit avant que d'é- baucher le grand Ouvrage , faire toutes les études nécefiTaires d'à- Î>rès ce qu'il y a de plus beau dans
a Nature & dans l'Antique qui convienne à fon fujet y & deffiner •exadement toutes les parties dans leurs places ,, afin de s'épargner 1& peine & le chagrin de changer et de faire deux fois le même ouvra- ge. Raphaël faifoit bien, davanta~ |
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4i § Cours de Peinture
ge : car il coloit plufieurs papiers
enfemble de la grandeur de les Ta- bleaux , où après avoir deffiné cor- rectement & mis toutes chofes en. place , il calquoit ce carton fur les- fonds fur lefquels il devoit peindre,, Cependant s'il arrivoit après tou-
tes ces précautions qu'il fût à pro- pos de changer quelque chofe pour l'effet du Tableau, il feroit de la prudence de n'y pas manquer , & la peine en feroit légère n'y ayant rien d'ailleurs à fe reprocher. Enfin le Tab leau étant achevé,
le Peintre doit considérer le lieu oà il doit être placé , & la diftance d'où il doit être vu, afin de don- ner à ion ouvrage , par des tou* ches & par des couleurs plus ou moins vigoureufes , la force &la vfe qu'il exigera. De tous les génies'3 je ne croî
pas qu'il y en ait un plus libertin que celui de la Peinture , ni qui iouffre le frein plus impatiemment. Je ne doute pas même, fi l'on &*■. |
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par Principes'*- 41 9
excepte quelques efprits extraordi- naires, que plufieurs Peintres, quoi- que fans aucun ordre , ne foient parvenus à fe rendre eftimables , non pas à la vérité fans perdre beau- coup de tems dans la dilîîpation de' leurs études. Mais comme dans une machine la mauvaife difpoiL tion des roues en retarde le mouve-- ment, de même auflî les parties de la Peinture mal arrangées par rap-- port à l'étude qu'on en doit faire,, jettent de la confufion dans l'efprhr U dans la mémoire , & deviennent par ce moyen difficiles à concevoir &à retenir. D'où il paro'ît que le parti le plus fur ,eft de mettre xa$ ordre à fes études lequel s'accorda avec une raiibnnable liberté» |
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Svj
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410 Cours de Peinture
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B I S SERT AT 1 0 N.
Ou ton examine fi la Poe fie eft pré-
ferable a la Peinture. M On Deffein n'eft pas de foû~
tenir que la Peinture l'em- porte abfolument fur la Poëfî'e 5 mais je n'ai jamais douté que ces deux Arts ne marchaflent de pas égal, ni que l'un & l'autre ne me* ritafTent les mêmes honneurs. J'en ai parlé dans cefens-îa, quandl'oc- cafîon s'en eft prefentée , &je n'ai fait quefuîvre lefentiment des Au- teurs les plus célèbres. Mais com- me les hommes ne s'accordent pas toujours fur les chofes même les mieux établies , 'je trouve aujour- d'hui des Perfonnes illuftres qui me témoignent de la répugnance à placeru Peintureàcôté delaPoc-. |
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far Principe?. 42 r
£e$ &: quelque inclination que j'aye à fuivre leurs avis, je fuis bien-aifè d'examiner cette matière avec tou- te l'application dont je ferai capa- ble : car fi je fuis obligé de me rendre à leur opinion, ils ne def. approuveront pas que je ne le fafl qu'après m'être defabufé moi mê- me. Mon but eft, non-feulement de
ne rien dire, que l'on ne trouve établi dans tous les Ecrivains an- ciens & modernes qui ont parlé du fujet de cette difTertation ^ mais encore je croi qu'il eft bon d'aver- tir qu'en parlant comme je fais de la Poëfie &; de la Peinture, je les fuppofe toujours dans le plus haut degré de perfe&ion où. elles puif- fent arriver. Ce n'eft donc point k Poiëfïe que*
j'entreprens d'attaquer : c'eft la Peinture que je veux défendre. Quand à force d'exercice & de re- flexions la Peinture & la Poëfie ïk |
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422.' Cours de Peinture
furent enfin montrées dans leur plus grand lùftre , des hommes d'un genîe extraordinaire donnè- rent au Public des ouvrages & des règles en l'un & en l'autre genre pour fervir de guide à la Poftéri- • té, û pour donner une idée de leur perfection. Cependant ces deux Arts ont été malheureufement né- gligés depuis la décadence de l'Empire Romain jufqu'à ces der- niers Siècles, que Raphaël, & le Titien pour la Peinture, comme Corneille , &. Racine pour la Poë- fïe Dramatique ont fait tous leurs efforts pour les relTufciter, &: pour les porter à leur premier état. Il y a néanmoins cette difreren-
ce , que la Poe fie n'a fait que dii- paroître , & qu'elles'eft confervée. toute pure dans les ouvrages' d'Homère , d'Efchile , de Sopho- cle , d'Euripide , d'Ariftophane ,., fk. dans les règles qu'Ariflote èc Horace, nous en ont laiffées. Ainii |
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far Principes. 423-
il ef! confiant que la route que les
Poètes qui font venus depuis de~ voient fuivre, étoit toute marquée „ & que la véritable idée de la Poë- lie ne s'effc point perdue ; ou du moins, il étoit aifé pour là retou- ver de recourir aux ouvrages, & aux règles infaillibles dont je viens de parler. Au lieu que la Peinture a été entièrement annéantie, foit par la perte de quantité de volu- mes , qui", au rapport de Pline, en: ont été compotes par les Grecs, foit par la privation des ouvrages dont les Auteurs de ces tems_la; nous ont dit tant de merveilles s, ( car je ne compte que pour très- peu de chofe quelques reftes de: Peinture Antique que l'on voit aï Rome. ) Si donc ilnes'eft rien confervé
qui puifte nous donner une idée jufte de la Peinture , comme elle fè pratiquoit anciennement, c'eft» à-dire , dans le tems que les Arc» étoient dans leur plus grande par. |
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414 Cours de Peinture
fedïon , iî eft certain que la Poëfîe fe faifant voir encore aujourd'hui dans tout fon luftre , peut jetter dans l'efprit de ceux qui y font le plus attachés, une prévention qui les porte à lui donner la préféren- ce fur la Peinture. Car il faut avouer qu'il y a beau-
coup de gens d'efprit qui bien loin " de regarder la Peinture du côté de la perfection & de Feftime où elle étoit chez les Grecs , n'ont pas même donné la moindre atten- tion à cet Art tel que nous le poL fedonsà prefeat,&que les derniers Siècles l'ont fait renaître : & fi ces mêmes Perfonnes font tant que de regarder quelque ouvrage de Pein- ture , ils jugent de l'Art par le Ta- bleau , au lieu qu'ils devraient ju- ger du Tableau par l'idée de l'Art. Cependant quoique nous n'a- yons point encore recouvré de la Peinture dans toute fon étendue, & que dans fon rétabliuement, el- le n'ait pu avoir pour guides des. |
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far Principe!, 425
principes aufli certains, & des ou-
vrages auffiparfaitsqu'étoient ceux de la Poëfie 5 rien n'empêche que nows ne puiffions en concevoir une idée jufte fur les ouvrages des meil- leurs Peintres qui l'ont renouvel- lée , &. fur ce que nous en ont dit ceax-mêmes qui nous ont donné les règles de la Poëfie, comme Ari- ftote, 6c Horace. Le premier aflure o°ans fa Poe.»
tique ( a ) Que la Tragédie ejl plus parfaite que le Po'éme Efique 5 farce qu'elle fait mieux fon effet & domine plus de flaifir. Et dans un autre endroit, il dit
( b ) Que la Peinture caufe une entrée me fatisfaïlion. La raifon qu'il en rend , c'efi quelle arrive fi parfai- tement a Ça fin , qui efi l'imitation , qu'entre toutes les chofes qu'elle imi- te , celles mêmes que nous ne four- rions voir dans la Nature fans hor- reur , nous font en Peinture un foré |
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{a\ Chap. 17 (6) Chap. i.
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4-ïé Cours de Peinturé
grand plaifir. Il ajoute à cette »aî- Jori , Que la Peinture inftruit , & quelle donne matière de raifonner , non-feulement aux Philofophes, mais à tout le monde. Dans ce raifonneffient, Arifto-
Ée qui mefure la beauté de ces deux Arts,par le plaifir qu'ils donnent, parla manière dont ils inftruiient, êc par celle dont ils arrivent à leur En, dit que8k Peinture donne un plaifir extrême , qu'elle inftruit plus généralement, & qu'elle ar- rive très-parfaitement à fa fin. Ce Philofophe eft donc fort éloigné de préférer la Poëfie à la Pein- ture. Pour Horace, {a) il déclare net-
tement que la Poëfie & la Peintu- re ont toujours marché de pas égal,, & qu'elles ont eu dans tous les tems le pouvoir de nous reprefenter tout ce qu'elles ont voulu. Mais, quand nous n'aurions pas;
(.4 ) A«. Pock
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far Principes. 417
ces autorités, nos fens & la raifon
nous difent aiTez que la Pocfie ne fait entendre aucun événement que la Peinture ne puifTe faire voir. Il y a long-terris qu'elles ont été reconnues pour deux Sœurs qui fe reflèmblent fi fort en toutes clio- fes, qu'elles fe prêtent alternative- ment leur office 8t leur nom : on appelle communément la Peinture une Poëfie muette, & l'a Poèfie v une Peinture parlante. Elles demandent toutes deux un
génie extraordinaire qui les empor- te plutôt qu'il ne les conduit-, &. nous voyons que la Nature par une douce violence a engagé les grands Peintres & les grands Poètes dans leurs Profeffions, fans leur donner le tems de délibérer ôc d'en faire choix. Que fi nous voulons péné- trer dans leurs excellens ouvrages r nous y trouverons une feerette in- fluence qui paroit avoir quelque: ehofe de plus qu'humain. Il y a un Dieu, au dedans, de nous-mêmes s,di& |
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4-iî Cours de Peinture
Ovide {a) parlant des,■ lequelPocteè nous échauffe en nous agitant.EtSuidas dit i Que ce fameux Sculpteur Phi- dias , & que Zeuxis ce Peintre in* comparable, tous deux tranfportés par un enthoufafme , ont donné la vie k leurs ouvrages* La Peinture & la Poëfîe tendent
à même fin y qui eft l'imitation 5 de il femble , dit un favant Auteur , que non-contentes d'imiter ce qui eft fur la Terre , elles ayent été jufques dans le Ciel obferver la ma- jefté des Dieux pour en faire part aux. hommes , comme elles pei- gnent les hommes pour en faire des demi-Dieux.C'eft dans cefens- la que Charles-Quint (b) faifoit gloire ncm-feulement de s1 être rendu des Provinces tributaires : mais d'avoir obtenu trois fois l'immortalité par les mains du Titien. # Toutes deux font occupées dn
foin de nous impofer , & pourvu que nous voulions leur donner na- (,») Faites, Ltv. 6,(i)RidoIfié |
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par Principes. 4.29
tre attention , elles nous tranfpor-
cent somme par un effet de magie d'un Païs dans un autre, (a) Leurs propriétés font de nous
inflruire en nous diversifiant, de former nos mœurs èc de nous ex- citer à la vertu en représentant les Héros & les grandes actions. Ceft ce qui fait dire à Ariftote ,{'■#') que les Sculpteurs & les F cintres nous en- jeiyient a former nos mœeurs par une Méthode plus courte & plus efficace que celle des Philofophes , & qu'il y a des Tableaux & des Sculptures au/Jt capables de corriger les vices que tous les préceptes de la Morale. Toutes deux confervent exacte-
ment l'unité du lieu, du tems , Sç de l'objet. Toutes deux font fondées fur la
force de l'imagination pour bien inventer leurs productigny , & fur la folidité du jugement pour-les (a) Et modo Thebis, modo pçwp 4thenit,
Hor. Epift. i« Lib. z. ^b) Politique. R. ;. |
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430 Cours âe Peinture
bien conduire. Elles favent choifîr des fujets qui foient dignes d'el- les , &. fe fervir des circonftances ;& des accidensqùi les font valoir, comme elles favent rejetter tout ce qui leur eft contraire , ou qui aie mérite pas d'être reprefenté. Enfin la Peinture & la Pocfie
partant du même lieu , tiennent la même route , arrivent à la mê- me fin, &c tirent leur plus grande çftime des premiers tems , où la magnificence & la delicateffe ont paru avec plus d'éclat. Les Poètes de ces tems-la ont
reçu'des honneurs 6c des recom- penfes infinies, ils ont été excités par des prix que l'on donnoit à ceux ,dont les pièces avoient un fuccès plus heureux que celles de leurs concurrens : & tous les genres de Poe fie ont eu leurs louanges Se leurs protecteurs. On a vit Virgile 8c Hhora.ce, (a)
comblés de bienfaits par Augufte j, £«) Donat*
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far Principes. 43 \
Terence en commerce d'amitié
,avec Leiîus & Scîpion le vainqueur <leCarthage : Ennius chéri de Scî- pion l'Africain Ôc enterré dans le \a) Sépulcre des Scipions fur le- quel on lui éleva une Statue j Eu- ripide tant de fois applaudide tou- te la Grèce, ( b ) élevé aux pre- miers honneurs par Archelaiïs Roi de Macédoine , ,& regretté des A- theniens par un deuil public : Ho- mère révéré de toute PAnrîquité & fouvent honoré par des Autels & fàcrifîces,(c) Alexandre vifitant le t ombeau d5Achille:Heureux s'écri- a-t-il, devoir pu trouver un Ho- mère qui .chantât fes louanges \ Ce Prince ne marchoit jamais fans les Oeuvres d'Homère , il les lifoit in_ celîaaiment &il les pîaçoitmêmç fous fon chevet en fè mettant au lit. ( d) Un jour qu'on lui prefènta, «ne calTette d'un prix ineflimable
1 • "■ #
( a ) Oc. pro. Archia. Val Max.
{ b) Solin. Thomaflin? ,{<;) Vie d'Homère". f d) Phttarqpe. |
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43 % Q° îiYS dc T chiure
bijou le plus précieux de la dé-
pouille de Darius , fes Courtifans lui demandèrent à quel ufage il la xleftinoit ? A renfermer les Oeu- vres d'Homère , leur répondit-il, Mais que n'a point fait ce mê- me Alexandre pour les Peintres ? Quelles marques d'eftime §i d'a- mour ne leur a-t- il point données ? (a) Il ordonna que laPeinture tien- droitle premier rang parmi les Arts libéraux , qu'il ne feroit permis qu'aux Nobles de l'exercer, &. que desleur plustçndrejeunefTeilscom- menceroient leurs exercices pour apprendre à déffiner. En cela il re^ ^ardoitlesDeffein comme lacho. fêla plus capable de difpofer l'eù prit au bon goût, à la connoiffan- ce des autres Arts .& à juger de Ja beauté de tous les objets du monde. Il vi^toit fouyenf les Peintres, ôç
prenoit plaifir à s'entretenir avec 4-pelle des choies qui regardoiept (a) Pline j S. jo>
la
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far Principes. 43 3
la Peinture. Pline dit , que touché de la beauté de l'une de fis Efclaves. appellèe Campafpe qu'il aimoit éper- duement , il Li fit peindre par Apelle ^ & s'ètantappercu qu'elle avoitfrap- pé le cœur du Peintre du même traie dont il fie trouvoit lui même atteint, il lui en fit un prefent, ne pouvant recompenfier plus dignement cet Ou- vrage , qu'en fie privant de ce qu'il aimoit avec paffion. * Ciceron rapporte que fi Alexan-
dre défendit à tout autre Peintre qu'à Apelle de le peindre , & à tout autre Sculpteur qu'à Lifîppe de faire fa Statue , ce ne fut pas feulement par l'envie d'être bien reprefenté 5 mais par l'envie qu'il avoit de ne rien lai/Ter de lui qui ne fut digne de l'immortalité -3 Se par l'eftime finguliere qu'il avoic pour ces deux Arts. Auffi ne feraï- je point ici de différence entre la Peinture & la Sculpture: car celle- ci n'a rien que la Peinture ne doL * Ep. fam. 11.1, f.
T.
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434 Cours de Peinture
\e bien entendre pour être parfai- te, ôc ce que la Sculpture a de plus beau lui eft commun avec la Pein- ture. Ces deux Arts fe font main- tenus de tous les tems dans un mê- me degré de perfection : Les Pein- tres & les Sculpteurs ont toujours vécu dans une louable jaloufie fur la beauté &, fur l'eftime de leursOu- vrages, comme ils font encore au- jourd'hui. Et fi les Sculptures An- tiques ont été l'admiration des An- ciens , comme elles font l'étonne- ment des Modernes, que peut-on. concevoir de laPeinture de ces mê- mes tems-là ; puifqu'avec le goût, & la régularité de fon Deflfein , el- le a dû. s'attirer toutes les louanges que méritent les effets furprenans de fon Coloris. Mais fl nous voulons remonter
audelà du tems d'Alexandre, nous trouverons que Dieu même rendit pet Art honorable en faifant parc de fon intelligence, de fon eipric ôc de fa fageife à Befeléel * & à Oo- ? Exodt. î i. Jofefhf.
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par Principes. 43 y
iîab qui dévoient embélir le Tem-
ple de Salomon , & le rendre réf. pe&able par leurs Ouvrages. Si nous regardons la manière dont laPeinture a été recompenfée, nous verrons que lesTableaux des excel- lensPeintres étoientachetés à plei- nes mefures de pièces d'or (a) fans compte & fans nombre : d'où Quin- tilien infère, que rien n'eft plus no- ble que la Peinture 3 puifque la plu- part des autres chofes fe marchan- dent , Se ont un prix, & qu'au con- traire la Peinture n'en a point. (b) Une feule Statue de la main
d'Ariftide fut vendue 375. talens, une autre dePoliclete fix vingt mil- le Seflerces : [c) Et le Roi de Nico- medie voulant affranchir la ville de Gnide deplufîeurs tributs, pourvu, qu'elle lui donnât cette(^) Venus de ( a ) In ntimmo aureo menjuram accept non
numéro, (b) Pline. 10. }f
(c) Cic. I. Ep. 7' à Afticut.
là) JElian. biji. A Tij
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'436 Cours de Peinture
La main de Praxitelle qui y attiroit toutes les années un concours infini de gens ^ {a) les Gnidiens aimèrent mieux demeurer toujours tributai- res que de lui donner une Statue qui faifoit le plus grand ornement de leur ville. Il s'eft même trouvé d'excellens
Peintres, & d'excellens Sculpteurs qui pénétrés du mérite de leur Art conlacrerent aux Dieux leurs Ou- vrages , croyant que les hommes en étoient inclignes. {(?) Et la Grèce touchée de reconnoi{fance envers le célèbre Polignote qui lui avoit donné des Tableaux que tout le monde admiroit, lui fit des entrées magnifiques dans les villes où il avoit fait quelque Ouvrage : & elle ordonna par un décret du Sénat d'Athènes qu'il feroit défrayé aux dépens du Public dans tous les lieux ou il pafleroit. Auffi la Peinture étoit alors fi
( a ) Ck.eontre Verretj,
(!b ) plut. of. |
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far Principes. 43 7
honorée que les habiles Peintres
de ces tems-là ne peignoient fur aucune chofe qui ne pût être trans- portée d'un lieu à un autre , & qu'on ne pût garantir d'un embra- fèment. Jls fe feroient bien gardés , dit Pline , de feindre contre un mur qui n'auroit pu affartenir qu'à un Maître 3 qui ferait toujours demeuré dans un même lieu , & qu'on n'auroit fk dérober a la rigueur des flammes. Il n'ctoit fas fermis de retenir comme en prifon la Peinture fur les murail~ les , elle demeurait indifféremment dans toutes les Villes , & un Pein~ tre était un bien commun à toute la. Terre. L'on portoit même jufqu'au ref-
pect l'honneur que l'on rendoït à cet Art : le Roi Demetrius en don- na des marques mémorables au Siège de Rhodes, où il ne pût s'em- pêcher d'employer une partie du tems qu'il devoit aux foins de fon armée , à vifiter Protogene qui faifoic alors le Tableau de Jalilus Tiij
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43 S Cours de Peinture
Cet Ouvrage , die Pline , enficha, le Roi Demetrius de prendre Rhodes dans l'apprehen(îon qu'il avait de brû- leries Tableaux de ce y and Peintre , & ne pouvant mettre le feu dans la Ville par un autre cbté que celui où était le Cabinet de cet homme illuftre, // aima mieux épargner la Peinture que de recevoir la vifloirc- qui lui ètoit offerte. Protogene 3 pourfuit le même Pline > travailloit alors dans an jardin hors de la Ville près du Camp des Ennemis , & il y achevoit aj]îduement les Ouvrages qu'il avait commencés 3 fans que le bruit des armes fut capable de l'interrompre : mais Demetrius l'ayant fait venir & lui ayant demande avec quelle con- fiance il ofoit travailler au milieu des Ennemis , le Peintre répondit : Qu'il feavoit fort bien que la guerre qu'il avoit entreprise était contre les Rho- diens & non pas contre les Arts. Ce qui obligea le Roi de lui donner des gardes pour fa fureté > étant ravi de pouvoir conferver la main qu'il avait |
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far Principes. 43 y
fauvée de l'infolence des Soldats. De grands perfonnages ont aimé
la Peinture avec paffion, & s'y font exercés avec plaifir: entr'autresFa- bius, l'un de ces fameux Romains qui au rapport ( a) de Ciceron lorf. qu'il eut goûté la Peinture & qu'il s'y fut exercé , voulut être appel- lé Fabius PiBor. Par là il vouloit donner un nouveau luftre à fa naïf, fance , félon l'idée que Ton avoit alors de la Peinture : car ce qui eft admirable en cet Art, dit Pline, c'eft qu'il rend les (b) Nobles enco- re plus nobles 6c les Illuftres plus il- luflres. Turpilius Chevalier Ro- main , Labeon Préteur Se Conful, les Poètes Ennius 6c Pacuvius , So- crate , Platon , Metrodore , Pyr- ron, Commode, Vefpafîen , Né- ron, Alexandre Severe, Antonin, de plufieurs autres Empereurs , 6c Rois n'ont pas tenu au deffous ( a ) In Bruto.
( b i Mirum in hac Ane ejl quoi nobilet viras
tnbiliores fucit. 34.. 8» Tilfj
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440 Cours de Teinture
d'eux d'y employer une partie de
leurs tems.
On fait avec quel foin les grands
Princes ont ramafîe dans tous les tems quantité de Tableaux des grands Maîtres, & qu'ils en ont fait un des plus précieux ornemens de leur Palais. On voit encore tous les jours combien ce plaifïr eft fenfi- ble aux grands Seigneurs," èc aux gens d'efprit qui ont du goût pour les bonnes chofes. On Içair avec quelle diftin&ion les habiles Pein- tres de ces derniers tems ont été traités des Têtes couronnées, 6c- à quel point le Titien !k Léonard de Vinci furent eftimés des Princes qu'ils fervoïent. Celui-ci mourut ( a ) entre les bras de François pre- mier , & le Titien donna tant de ja- loufie (b) aux Courtifans de Char- les-Quint qui fe plaifoit dans la converfation de cePeintre, que cet Empereur fut contraint de leur di- re, qu'il ne manqueroit jamais, de ( a ) Vafari. ( b ) RideW,
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far Principes. 441
Courtifans, mais qu'il n'auroit pas
toujours un Titien. On fçait encore que ce Peintre ayant un jour laiflé tomber un pinceau en faifant le portrait de Charles- Quint, cet Em- pereur le ramafla, de que fur le re- merciment &c l'excufe que le Titien lui enfaifok, il dit ces paroles, Ti- tien mérite d'être ferviparCefar.(^); Mais fuppofé que l'idée de la
Peinture , à la confîderer dans fa. perfection, ne foit pas encore bien établie -, fi celle que l'on conçoit aujourd'hui n'avoir pas unfond de mérite par toutes les connoifTan- ces qu'elle renferme 6c par tout ce qu'elle eft capable de produire fur, les efprits , d'où viendroit la paf- iîon que les grandsSeigneurs & tant de gens d'efprit ont pour elle, &c que ceux mêmes qui ont de l'indif- férence pour cet Art, n'oferoient l'avouer fans rougir ?'■ Ce fi un mal y (b) dit un Auteur
grave, de n aimer pas la Peinture^ UOtRjicijJ. (>) Dion Chryfoflome. or. 12*
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44 - Cours de Peinture
de luire fit fer l'eftime qui lui efi due : car celui qui le fait far ignorance , eft bien malheureux de ne pouvoir difcerner toutes les beautés qu'il y a dans le monde 3 & celui qui le fait far mépris 3 efi bien méchant de fe déclarer ennemi d'un Art qui tra- vaille a honorer les Dieux 5 à inf- truire les hommes 3 & à leur donner l'immortalité. Pour les effets que la Poëfîe&
la Peinture font fur les efprits, il efi: certain que l'une & l'autre font ca- pables de remuer punTammentles paffions j & fî les bonnes pièces de théâtre ont tiré & tirent encore tous les jours des larmes de leurs Speétateurs, la Peinture peut faire la même chofe quand le fujet le demande, & qu'il eft, comme nous le fuppofons bien exprimé, {a) Gre- groire de Nice après avoir fait une longue defcription du facrifice d'Abraham, dit ces paroles : J'ai fouvent jette les yeux fur un Tableau (a) Qt. de. la Divin* dm Fih & du S. EfpriK
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far PrincîpëS 44$
qui reprefente ce SpeFiacle digne de
fitié , $■ je ne les ai jamais retirés fans larmes, tant la Peinture a feu repréfenter la chofe comme fi elle fe faffoit cjfeïlivement. La fin de la Peinture, comme de
la Poëfie, eft de furprendre de tel- le forte que leurs imitations paroif. fent des vérités. Le Tableau de Zeuxis, où il avoir peint un Gar- çon(^)qui portoit des raifiris, 6c qui ne fît point de peur aux oifeaux , puifqu'ils vinrent becqueter ces fruits , eft une marque que la Pein- ture de ces tems-là avoit accoutu- mé de tromper les yeux en tous les objets qu'elle reprefentoit. Cet- te figure ne fut en effet cenfurée par Zeuxis même, que parce qu'el- le n'avoit pas trompé. Voilà à peu près les rapports
naturels que la Peinture Se la Poë- fie ont enfemble, & qui ont de tous têms, comme dit Horace, permis également aux Peintres & aux Poe- {a) Pline }J» 10.
Tvj
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444 Cours de Peinture
tes de tout ofer. Mais il ajoute que cette liberté ne doit pas les porter à produire rien qui foit hors de la vraifemblance , comme à joindre les chofes douces avec les améres, ni les Tigres avec les Agneaux. Cette idée générale l'oblige en-
fuite à nous donner des moyens communs qui puifTent conduire les Peintres & les Poètes par les voies du bon fens &. de la raifon : cur on voit dans l'une des Satires de cec Auteur * , qu'il aimoit extrême- ment la Peinture , & qu'il pafToit pour un fin ConnoifTeur. Cependant les préceptes qu'il
nous a lai/fés ne regardent que la théorie deces deux Arts, lefquels différent feulement dans la prati- que & dans l'exécution. Cette pra- tique de la Poê'fie fe remarque % dans la Diction & dans la Verfifi- eation r fuppofé que la Verfifka- îion foit de l'eflence de la Poëfîe; On pourroit y ajouter la Déclama- |
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par Principe*. 445
tion à cauie qu'elle eft le nerf de
la parole , & que fans elle on ne fçauroit bien reprefencer les mœurs & les actions des hommes , qui eft cependant la fin de la Poëhe. Et l'exécution de la Peinture, con, fifte tlans le Deiïèin , &c dans le Coloris. Ces différentes manières d'exe-
euter la Peinture &c la. Poëfie, ont leurs prix &: leurs difficultés • mais l'exécution de la Peinture deman- de beaucoup plus d'étude Se de tems que celle de la Poëfte : Car la Didion s'acquiert par la Gram- maire , èc par le bon ufagç, de ce- la eft commun à tous les honnêtes gens par l'obligation où ils font de bien parler leur Langue ; quoique la facilité de s'exprimer purement, nettement, &: élégamment foit en,- core le fruit d'une ferieufe étude. Le Déclamation dont Quintilien: traite fort exadement/ans laquel- le, dit-il, l'imitation eft imparfak m*,&qui eft l'a-me del'éloquence^ |
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44 6 Cours de Peinture
dépend depeudepnncîpes,&pre£< qu'entièrement des talensnaturels ^ èc la Verfification confifte dans la mefure harmonieufe, dans le tour du vers, Se dans la rime -y &: quoi- que ces chofes demandent de la réflexion, de la lecture, & de la pratique, elles s'apprennent néan- moins aflez facilement. Il n'en eft pas de même du Def-
fein & du Coloris ^ l'un & l'autre exigent une infinité de connoiflan- ces, & une étude opiniâtrée. Le Deflein demande un exercice qui produife une fi grande juftefle de la vue pour connoître les différen- tes dimentions des objetsvifibles, 6c une fi grande habitude pour en former les contours, que le Com- pas, comme difoit Michel-Ange, doit être plutôt dans les yeux que dans les mains. Le Deflein fuppofe la feience
du corps humain, non-feulement, comme il fe voit ordinairement : mais comme il doit être pour être |
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par Principes. 447
parfait, & félon la première inten-
tion de la nature. Il eft fondé fur la connoifTance de l'Anatomie , & fur des proportions tantôt fortes ôc robuftes, & tantôt délicates ôc élégantes, félon qu'elles convien- nent aux âges , aux fexes, &t aux conditions différentes : <k cela feui demande des études & des refle- xions de beaucoup d'années. Ce même DefTein oblige encore
le Peintre à poffeder parfaitement la Géométrie pour pratiquer exa- ctement la Perfpective, dont il a un befoin in'difpenfable dans tou- tes fes opérations. Il exige une ha- bitude des racourcis & des con- tours dont la variété eft auifi gran- de que le nombre des attitudes eft infini. Enfin le DefTein renferme enco-
re la connoifTance de la Phyfîono- mie Se TexprefTion des paflions de l'ame, partie fi nécefîâire ôrfï efti- mabîe dans la Peinture. Le Colons regarde l'Incidence
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44$ Cours de Peinture
des lumières, l'artifice du Clair- obfcur, les couleurs locales , la fimpathie & l'antipathie des cou- leurs en particulier , l'accord 8é l'union qu'elles doivent avoir en- tr'elles, leur perfpe&ive Aëriene, êc l'effet duTout-enfemble : Et tou- tes ces connoifTances dépendent de la Phyfique la plus fine & la plus abftraite. Je n'aurois jamais fait fi je vou-
lois parcourir tous les moyens qu'a la Peinture d'exprimer tout ce qu'- elle médite, ôt l'on voit affez par tout ce que je viens de dire , qu'elle ne manque pas de refiforts non plus que la Poëfie pour plaire aux hom- mes , pour leur impofer, & pour ébranler leurs efprïts. Mais quoique la Peinture &; la
Poëfie foient deux fccurs qui fe ref- femblent en ce qu'elles ont de plus fpirituel, on pourroit néanmoins attribuer à la Peinture plufieurs avantages fur la Poëfie, & je me contenterai d'en toucher ici quel- ques-uns.. |
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far Principes. 4457
En effet, fî les Poètes ont le
choix des Langues, des qu'ils fe font déterminés à quelqu'une de ces Langues, il n'y a qu'une Na- tion qui les puifTe entendre : & l'es Peintres ont un langage, lequel ( s'il m'efl permis de le dire ) à l'imitation de celui que Dieu don- na aux Apôtres, fe fait entendre de tous les Peuples de ia Terre. D'ailleurs la Peinture fe déve-
loppe , de nous éclaire en fe faifant voir tout d'un coup : la Poëfïe ne va à fon but, &. ne produit fon effet qu'en faifant fucceder une chofe à une autre. Or ce qui efl ferré eft bien plus agréable , die Ariftote, & touche bien plus vive- ment que tout ce qui eft. diffus : & fi la Poëfïe augmente le plaifïr par la variété des épifodes, & par le détail des circonftances, la Pein- ture peut en reprefenter tant qu'el- le voudra, & entrer dans tous les évenemens d'une action , en mul- tipliant fes Tableaux 5 8c de quel- |
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45° Cours de Teinture
que manière qu'elle expofe Tes Ou- vrages , elle ne fait point languir fon fpeclateur : le plaifîr qu'elle donne eft donc plus vif que celui de la Poê'fîe. On peut encore accorder cet
avantage à la Peinture , qu'elle vient à nous parlefensle plus fub- til, le plus capable de nous ébran- ler , & d'émouvoir nospaffions, je veux dire parla vue : caries chofesy die Horace , qui entrent dans l'ef- frit par les oreilles, prennent un cke~ min bien plus long que celles qui y entrent par les yeux, qui font des té- moins plus fidèles & plus furs que les oreilles. Si après ce premier mouvement
on regarde les effets qu'elle pro- duit iur Pefprit , il faut tomber d'accord que la Poëfie comme la Peinture a la propriété d'inftruire j mais celle ci le fait plus généra- lement. Elle inftruit les ignorans auffi-bien que les doctes 5 fans (on fecours il eft difficile de bien pe- |
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far Principes, 451
netrer dans le relie des Arcs 5 par- ce qu'ils ont befoin de Figures dé- monftratives pour être bien enten- dus. Et ce n'eft que par la perce de ces mêmes Figures que les li- vres de Vitruve&de Hieron l'an- cien qui a traité des Machines nous paroiftent fi obfcurs. De quelle uti- lité n'eft-elle pas dans les livres de Voyages ? & y a-t-il quelque fcien- ce à laquelle Ton fecours ne Toit pas néceflaire pour fa parfaite in- telligence ? La Topographie, les Médailles, les Devifes, les Emblè- mes, les livres de Plantes, & ceux des Animaux peuvent-ils fe paner du fecours que la Peinture eft tou- jours prête à leur donner? Pour commencer par l'Hiftoire
Sainte , quelle joie pleine de vé- nération n'aurions-nous pas, fi la peinture avoit pu -nous conferver jufqu'à préfent , le Temple que Salomon avoit bâti dans fa ma- gnificence .? Quel plaifir n'aurions- nous point à lire l'Hiftoire de Pâu- |
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452 Cours de Peinture
fanias, lequel nous décrit toute la Grèce, Se qui nous y conduit, com- me par la main, fi fon difcours étoitr accompagné de figures démon- flratives ? La principal fin du Poëte eft
d'imiter les mœurs 6c les actions des hommes : la Peinture a le mê- me objet : mais elle y va d'une manière bien plus étendue: car on ne peut nier qu'elle n'imite Dieu dans fa Toutepuiffance 5 c'eft-à- dire dans la Création des chofes vifibles. Le Poëte peut bien en faire la defcription par la force de les paroles, mais les paroles ne feront jamais prifes pour la chofe même, &: n'imiteront point cette Toutepuiffance , qui d'abord s'efr. manifeftée par des Créatures vifï~ bies. Au lieu que la Peinture avec un peu de couleurs , & comme de rien, forme & reprefente fi bien toutes les chofes qui font fur la Terre, fur les Eaux, Se dans les Airs, que nous les croyons verl- |
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far Principes'. 453
tables : Car l'efïence de la Peinture
eft de féduire nos yeux & de nous furprendre. Je ne veux point ici omettre
une chofe qui eft en faveur de la Poë'fîe 5 c'eft que les Epifodes font d'autant plus de plaifir dans la fui- te d'un Poëme qu'elles y font in, ferées & liées imperceptiblement} au lieu que la Peinture peut bien jreprefenter tous les faits d'une Hii- toirepar ordre en multipliant fes Tableaux ; mais elle n'en peut fai- re voir ni la caufe, ni la liaifon, Après avoir expofé le parallèle
de ces deux Arts, il me refte en- core à détruire quelques objections que l'on m'a faites. On m'objecte donc, que la Pein-
ture emprunte delà Poëfie, qif A- riftote dit, que les Arts qui fe fer- vent du fecours de la main font les moins nobles, enfin que la Poëfie eft toute fpirituelle 3 au lieu que la Peinture eft en partie ipirituelle §c m partie matérielle» |
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454 Cour de Peinture
A quoi je réponds, que le fe-
cours mutuel des Arts juftifie qu'ils ne peuvent fe pafTer l'un de l'autre : Et la Peinture n'emprunte pas plus de la Poe fie, que la Poèfie emprun- te de la Peinture. Cela eft livrai, que les faillies Divinités qui ont donné lieu aux Fables n'ont été emolovées par les Poètes dans leurs S* ' J 1 •
fictions, que parce que les Peintres
& les Sculpteurs les avoient pre- mièrement expofées aux yeux des Egyptiens pour les adorer. Ovide tout Poëte qu'il eft dit a,
que Venus cette Déefle que la plu- me des Auteurs a rendue fi célè- bre, feroit encore dans le fond des Eaux , fi le pinceau d'A pelle ne l'a voit fait connoître. De forte qu'à cet égard, fi la Poèfie a pu- blié les beautés de Vénus , la Peinture en avoit tracé la figure &l le cara&ere |
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a De Arte am.
Si Venerem Cous nunquam finxiffet Apelkt. Merfa fub »quoreit Ma Uttret aqttis, |
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far Principes'. 455
Horace quiavoit véritablement
beaucoup de goût pour la Pein- ture, mais qui devoit fa fortune & fa réputation à la Poëfîe, dit que les Peintres .& les Poëtes fe /ont totijous donné ia permiffion de tout entreprendre. Ainfî il avoue qu'en matière de fiction, leur Empire effc de la même éten- due, comme il eft fans bornes &T fans contrainte. Si des Fables nous voulons paf-
fer à l'Hifloire qui efl une autre fource ou les Peintes Se les Poëtes puîient également , nous trouve- rons qu'à la referve des Ecrivains Sacrés, lapliipartdes Auteurs ont écrit félon leurpaffion, ou félon les Mémoires qu'on leur a donnés, qu'ainfi il nous ont laiffé des dou- tes fur beaucoup de faits qu'ils onc fouvent rapportés diverfement. Mais les faits Hiftoriques les plus
conftans au fentiment des habi- les , font ceux que nous voyons établis, ou çonfirmçs par les Me- |
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45 <j Cours de Peinture
dailles <k les bas-reliefs Antiques,
ou par les Peintures dont les pre- miers Chrétiens ont décoré les lieux foûterrains où ils faifoient l'exercice de leur Religion : &. ces lieux fe trouvent à Rome , & en d'autres endroits d'Italie, fiaro- nius dit, que le Peuple Romain ayant découvert une autre Ville fous terre , fut ravi d'y voir repre- fenté en Peintures les chofes qu'il avoit lâes dans fes Hiftoires. En effet Bofius & Severan qui ont écrit de gros Volumes delà Rome fouterraine nous découvrent dans les Peintures qui s" y font confer- vées jufqu'aujourd'hui, l'AntiquL" té de nos Sacremens, la manière dont les premiers Chrétiens fai- foient leurs prières, & dont ils en- terroient les Martyrs, & plufieurs autres connoiffances qui regar- dent les Myfteres de notre Reli- gion. Que n'apprenons nous pas des
Médailles & des Sculptures Anti- ques , |
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far Principes. 457
ques , la diverfité des Temples,
des Autels, des Victimes, des Va- {es, des Ornemens du Pontificat, &: de tout ce qui iërvoit aux Sacri- fices , toutes les fortes d'Armes , de Chariots , de Navires 5 les în- ftrumens fervant à la Guerre pour attaquer &c pour défendre les Vil- les j toutes les Couronnes diffé- rentes pour marquer les dîverfes fortes de Dignités &c de Victoires : tant d'ornemens de têtes pour les Femmes , tant d'habits difFérens félon les tems Se les lieux, dans la Paix èc dans la Guerre. Y a-t-ii des Livres qui puiffent nous donner des connoiflances auifi certaines fur les Coutumes & fur les autres chofes qui étoient en ufage chez ies Romains, que celles que nous tirons des Sculptures qui ont été faites de leur tems. Les bas- reliefs des Colonnes Trajane & Antoniar ne font des livres muets où l'on ne trouve pas, à la vérité, les noms des chofes : mais les chofes mêmes qui y
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4 5§ Cours de Peinture
fervoient dans le commerce de la vie, du tems au moins des Empe- reurs donc ces Colonnes portent le nom. Ceux qui ont écrit de la Reli-
gion des anciens Romains, de leur manière de camper, des fymboles allégoriques, de l'Iconologie , & des Images des Dieux, n'ont point eu de meilleures raifons pour prou- ver ce qu'ils ont enfeigné , que les Monumens antiques des Bas-re- liefs & des Médailles. Enfin ces Ouvrages & les Peintures ancien- nes dont on vient de parler font les fources de l'érudition la plus aflu- rée. Et c'eft de-là que nous voyons dans un grand nombre de Sçavans cette vive curiofité des Médailles, des Pierres gravées, 6c de tout ce qui dans les beaux Arts porte le cara&ere de l'Antiquité. Il s'en- fuit donc de tout ce que je viens de dire touchant la Fable & l'HiC toire, que la Poëfie emprunte du moins autant de la Peinture, que la |
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far Principes, 459
Peinture emprunte de la Poëfie.
A l'égard de ce que dit Arifto- te, que les Arts qui fe fervent du fecours de la main font les moins nobles, & de ce que l'on ajoute, que la Poëfie eft toute fpirituelle, au lieu que la Peinture eit en par- tie fpirituelle & en partie maté- rielle -, on répond , que la main n'eft à la Peinture que ce que la parole eft à la Poëfie. Elles fondes Minières de l'efprit & le canal par où les penfées fe communiquent. Pour ce qui eft de l'efprit, il eft égal dans ces deux Arts. Le même Horace qui nous a donné des Rè- gles G. excellentes de la Poëfie, dit, (a) qu'un Tableau tient également en fufpend les yeux du corps & ceux de l'efprit. Ce qu'on veut appeller partie
matérielle dans la Peinture , n'eft autre chofe que l'exécution de la partie fpirituelle qu'on lui accor* (a) Safpendit pifl* vuhum mentemque Tabella*
V ij
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460 Cours de Peinture
de,&c qui efl: proprement l'effet de la penfée du Peintre, comme la déclamation eft l'effet delapenfée du Poète. Mais il faut bien un autre Art
pour exécuter la penfée d'un Ta- bleau que pour déclamer une Tra- gédie. Pour celle-ci , il y a peu de préceptes à ajouter aux ta- lens extérieurs de la Nature , & l'exécution de la Peinture de- mande beaucoup de réflexion &; d'intelligence. Il fuffit prefqu'uni- quement au Déclamateur de s'a- bandonner à fon talent, &: d'en- trer vivement dans fon fujet ^ & je fçai que le Comédien Rofcius s'en acquittoit avec tant de force, que pour cela feul, il méritoit , dit ( a ) Ciceron , d'être fort regretté des honnêtes-gens, ou plutôt de vivre toujours. Mais le Peintre ne doit pas feulement entrer dans fon fu- jet, quand il l'exécute , il faut en,, core qu'il ait 3 comme nous l'avons £ a ) Pro Archjs>
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far Principes] 461
dît , une grande connoiflànce du
JDeflein & du Coloris, &: qu'il ex- prime finement les différentes phy- sionomies , et lès différens mouve- mens des pallions. La main n'a aucune part à tou-
tes ces choies, qu'autant qu'elle eft conduite par la tête. Ainiî , à proprement parler , il n'y a rien dans la Peinture qui ne foit l'effet d'une profonde fpéculation. Il n'y a pas jufqu'au manîment du pin- ceau dont le mouvement ne con- tribue à donner aux objets l'efprit èc le caractère. On m'oppofe de plus la faculté
de raifonner, &. l'on dit que ce pré- cieux appanage de l'Homme,qui fe rencontre dans la Poëfie avec tous fes ornemens, ne fe trouve pas dans la Peinture, Tout ce que je viens de dire fe-
roit plus que fuffifant pour fatis- faire à cette objection : mais il effc bon de l'éclaircir pour y bien ré- pondre. V Jij
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462 Cours de Peinture
Il eft à remarquer que les Arts
n'étant que des imitations, le Rai- fonnement qui eft dans un Ouvra- ge ne fe pafle que dans l'elprit de celui qui en juge. Il eft; donc ques- tion de faire voir que le Spe&a- teur trouve du Raifonnement dans la Peinture , comme l'Auditeur dans la Poéfie. On entend par le mot de Rai-
fonnement, ou la caufe & la rai- fon par laquelle l'Ouvrage fait un bon effet, ou l'a&ion de l'enten- dement qui connoît une choie par une autre, & qui en tire des con- fequences. Si par le mot de Raifonnement
on entend la caufe Se la raifon par laquelle l'Ouvrage fait un bon ef- fet , il y a autant de Raifonnement dans la Peinture que dans la Poë- fie, parce qu'elles agilfent l'une de l'autre en vertu de leurs principes. Si par le mot de Raifonnement
on entend Pa&ion de l'entende- ment qui infère une chofe par la |
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par Principe ï. 465
connoîffance d'une autre , il fe
trouve également dans la Poëfîe & dans la Peinture, quand l'oo» cafion s'en prefente. Le plus fur moyen de rendre cette vérité fen- fible, eftdela'démontrer dans des Ouvrages qui foient fous nos yeux, & aufquels il foit aifé d'avoir re- cours. Les Tableaux de la Galerie de Luxembourg qui reprefentent la Vie de Marie de Medicis, en feront autant de preuves 5 & je me fervirai de celui où efl peinte la naifTance de Louis XIII. parce qu'il eft le plus connu. En voyant ce Tableau on infè-
re, par exemple , que l'accouche- ment arriva le matin, parce qu'on y remarque le Soleil qui s'élève avec fon char, & qui fait fa route en montant. On infère auflî que cet accouchement fut heureux par la conftellation de Caftor que le Peintre a mis au haut du Tableau, èc qui eft le fymbole des événe- ments favorables. A côté du Ta- Viiij
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4^4 Cours de Peinture
bleau eft la Fécondité qui tour- née vers la Reine lui montre dan$ une corne cl'abondance, cinq petits Enfans, pour'donner à entendre que ceux qui naitront de cette PrincefTe iront jufqu'à ce nombre. Dans la Figure de la Reine , on juge facilement par la rougeur de fes yeux , qu'elle vient de .fouffrir dans fon accouchement : Et par ces mêmes yeux amoureufement tournés du côté de ce nouveau Prince, joints aux traits du vifage que le Peintre a divinement mé- nagés, il n'y a perfonne qui ne re- marque une double paffion, je veux dire un relie de douleur avec un commencement de joie , & qui n'en tire cette conféquence , que l'amour maternel &. la joie, d'avoir mis un Dauphin au monde , ont fait oublier à cette PrincefTe les douleurs de l'enfantement. Les autres Tableaux de cette Galerie qui font tous allégoriques , don- nent lieu de tirer des conféquen- |
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par Principes. 465
ces par les fymboles qui convien-
nent aux Sujets, & aux circonftan- ces que le Peintre a voulu traiter. Il n'y a point d'habile Peintre
qui ne nous ait fait voir de fem- blables Raifonnemens, quand l'ou- vrage s'eft trouvé d'une nature à l'exiger de la forte. Car encore que les Raifonnemens entrent dans la Poëfie , &: dans la Peinture, les Ouvrages de ces deux Arts n'en font pas toujours mêlés , ni tou. jours fufceptibles : Et les Métamor- phofes d'Ovide qui font des ouvra- ges de Poëfie , ne font la plupart que des defcriptions. Il eft vrai que le Raifonnemenr
qui fetrouve dans la Peinture n'eft pas pour toutes fortes drefprits ; mais ceux qui ont un peu d'éléva- tion fe font un plaifir de pénétrer dans la penfée du Peintre, de trou- ver le véritable fens du Tableau par les fymboles qu'on y voit repré- fentes , en un mot, d'entendre un. langage d'efprit qui n'eft fait que |
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4.66 Cours de Peinture
pour les yeux immédiatement. La trop grande facilité que l'on
trouve à découvrir les choies, af- foiblit ordinairement les defirs 5 Se les premiers Philosophes ont cru. qu'ils dévoient enveioper la vérité (bus des Fables, & fous des allégo- ries ingénieufes; afin que leur feien- cefût recherchée avec plus de cu- riofîté, ou qu'en tenant les efprits appliqués, elle y jettât des racines plus profondes : car les chofes font d'autant plus d'impreflion dans notre efprit &: dans notre mémoire,, qu'elles exercent plus agréable- ment notre attention. Jésus- Christ mêmes'eft fervi de cette façon d'inftruire, afin que les com- paraifons & les paraboles tinllent les Auditeurs plus attentifs aux vé- rités qu'elles îïgnifîoient. On tire encore de la Peinture
des inductions par les attitudes , par les expreffions, & par les mou- vemens des parlions de l'ame. Il y a des Tableaux qui nous reprefen- |
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far Principes, 46 j
tent des Converfatîons & des Dia-
logues ,*>ù nous connoiflbns juf- quJau fentiment des Figures qui paroifient s'entretenir. Dans l'An- nonciation,par exemple,où l'Ange vient trouver Marie, le Spedateur démêle facilement par l'expreffion & par l'attitude de la fainte Vierge le moment que le Peintre a voulu choifir j &.l'on connoît fi c'eft lors- qu'elle fut troublée par une Appari- tion imprévue, ou fielleeft étonnée delà propofitiondel'Ange,ou enfin fî elley confent avec cette humilité qui lui fit prononcer ces motsiVoilk la Servante du Seigneur, & le refte. Il paroîtqu' Ariflotemême ne fait aucune difficulté d'accorder le raL fonnement à la Peinture quand il dit, que cet Art inftruit & qu'il donne matière à raifonner non feu- lement aux Philofophes , mais à tous les hommes. Et Quintilien [a) (a) pittura tacens apus & habiius j'entper ejufiim
fie in intima: pénétrât affettas, ut iffam vim dicmdi no» nunqunm [uferare videatttr, 1.11. c 5. V vj
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468 Cours de Peinture
avoue que la Peinture pénètre & avant dans notre efprit, ^'qu'elle remue fi vivement nos paffions , qu'il paroît qu'elle a plus de force que tous les difcours du monde. Mais la raifon ne fe trouve pas ■
feulement dans les Ouvrages de Peinture , elle s'y fait encore voir ornée d'une élégance & d'un tour agréable ; & le ïublime s'y décou- vre auffi fenfiblement que dans la Poëfîe. L'harmonie même qui les introduit toutes deux , & qui leur procure un accueil favorable s'y rencontre indifpenfablement. Car on tire des couleurs une harmonie pour les yeux , comme on tire des fons pour les oreilles. Mais me dira-t-on , quelque ef-
prit que l'on puifle donner à la Peinture , elle n'exprimera jamais auffi nettement ni auili fortement que la parole. Je fçai bien que l'on peut attri-
buer à la parole des expreffions que la Peinture ne peut fuppléer qu'inau. |
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par Principes. 4.6$
parfaitement : mais je fçai bien auffi.
que la Poëfîe efr. fore éloignée d'ex- primer avec autant de vérité & d'exactitude que la Peinture, tout ce qui tombe fous le fens de la vue. Quelque defeription que la Poëfie nous rafle d'un païs, quelque foin qu'elle prenne à nous repréfenter la phyfîonomie, les traits, & la cou- leur d'un vifage, ces portraits laif- feront toujours de l'oblcurité &: de l'incertitude dans l'efprit&n'apro- cheront jamais de ceux que laPein- turenous expofe. L'ona vu plusieurs Peintres qui ne pouvant par le moyen de la parole donner l'idée de certaines perfonnes qu'il impor- tait de connoitre, fe font fervis de fimples traits pour les défigner fans qu'on put s'y méprendre. Ceux-mê- mes dont la profeffion étokdeper- fuader, ont fouvent apellé la Pein- ture à leur fecours pour toucher les cœurs, parce que l'efprit, comme nous l'avons fait voir , eft plutôt & plus vivement ébranlé par les |
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4*70 Cours de Peinture
chofes qui frappent les yeux, que par celles qui entrent par les oreil- les : les paroles paflent & s'envo- lent, comme on dit, &;les exem- ples touchent. C'éft pour celàqu'au raport de Quintiiien (■„-;■) qui nous a. donné les Règles de l'Eloquence y les Avocats dans les caufes crimi- nelles expofoient quelquefois un Tableau qui reprefentoit l'événe- ment dont il s'agilïbit , afin d'é- mouvoir le cœur des Juges par l'énormité du fait. Les pauvres fe fervoient anciennement du même moyen pour fe défendre contre Foppreffiondes Riches, félon le té- moignage du même Quintiiien $ ( b ) parce que y dit-il, l'argent des Riches pouvoit bien gagner les fuffrages en particulier : mais fitôt que la Peinture du tort qui avoit été fait, paroifïbit devant toute l'âfTemblée, elle arrachoit la véri- té du cœur des Juges en faveur da pauvre. La raifonen eft que la pa- role n'eft que le figne de la «hofe, i»)6.l. (b) Del. il*»
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far Principes* 471
& que la Peinture qui reprefente
plus vivement la réalité, ébranle &£ pénètre le cœur beaucoup plus fortement que le difcours. Enfin il eft de Peflence de la Peinture de parler par les choies, comme il eft de l'efTence de la Poê'iie de pein- dre par lesparoles. Il n'eft pas véritable, pourfuivra-
t-on , que la Peinture parle & fe fafTe entendre par les chofes mê- mes j mais feulement par l'imita- tion des chofes. On répond que c'eft juftemenc
ce qui fait le prix de la Peinture y puifque par cette imitation , com- me nous l'avons fait remarquer, la Peinture plaît davantage que les chofes mêmes. J'aurois pu me prévaloir ici d'une
infinité d'autorités des Auteurs les plus célèbres pour foutenir le mé- rite de la Peinture , fî je n'avons appréhendé de rendre cette differ- tation trop longue 8c trop hecM- fée. |
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47 *■ Cours de Peinture
je me fuis donc contenté de faire
obferver dans ce petit difcours , combien l'idée que l'on avoir de la Peinture étoit imparfaite dans la plupart des efprits, & que delà ve- noit la préférence que quelques uns ont voulu donner à la Poëfie. j'ai tâché de faire voir la conformité -, qui fe rencontre naturellement dans ces deux Arts : j'ai touché quelques avantages qu'on peut at- tribuer à la Peinture & à la Poë- iîe : J'ai répondu aux objections que l'on m'a faites : & enfin j'ai fait mon poffible pour conferver à la Peinture le rang qu'on lui vou- loit ôter. |
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far Principes. 473
Description de deux - Ouvrages de
Sculpture , qui appartiennent k M. le Hay, faits par M. Zurnbo Gentilhomme Sicilien. ON a fouvent oui dire à l'Au-
teur de ces deux Ouvrages, dent l'un repréfente la Nativité , & l'autre la Sépulture de Jefus- Chrift, qu'il a voulu repréiénter ces deux Sujets , pour avoir occaflon d'exprimer deux pallions contrai- res ,• la Joie & la Trifteffe. C'eft pour cela qu'il a choifi dans l'Hif- toire de la Nativité l'arrivée des Pafteurs , lorfqu'ils viennent re- connoître & adorer le Sauveur, qui félon les paroles de l'Ange, dévoie être à tout le monde le iujet d'une grande joie. Dans l'Hiftoire de la Sépulture,
il s'eft attaché à repréfenter lemo- |
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474 Cours de Peinture
mentoù Jofeph d'Arimathie,ayan£ obtenu le Corps de jefus-Chrift , la Vierge & les faintes Femmes qui l'acccmpagnoient , donnent des marques de leur douleur. Et comme ce génie heureux a
bien fenti que la C ouleur releveroit infiniment Ion Ouvrage , & qu'elle feroît valoir l'es exprcfîions, il s'etë fervî du Coloris , pour mettre le vrai dans fes carnations 6c dans fes draperies. ZA NAT IV IT E\
Pour fuivre le Texte de l'Evan-
gile , l'Auteur a mis la fcene de ion lujet dans un lieu dénué de toutes chofes, & qui paroît par les ruines qui en reftent, avoir été autrefois un Temple d'idoles s mais qui ne peut plus jervir que de retraite aux animaux , & tout au plus d'une étable abandonnée au premier venu. L'Auteur dans fa comportions
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par Principes. 475
a voulu faire entrer des reftes de
magnificence , pour rendre plus feniible par cette oppofkion la pau- vreté de Jefus-Cbrift , & pour é- tablir fur le débris de l'Idolâtrie la Religion Chrétienne II a con- ftderé de plus, que pour contii- buer à la Joie qu'il vouloit expri- mer , il pouvoit , fans détruire l'idée de la pauvreté du lieu , y introduire quelque ouvrage de Sculpture antique, & par-là réveil- ler le goût de fon Spectateur , ôc le plaifir que donne aux Connoif- feurs la vue de ces précieux reftes. Adjoutez que, comme il n'v a rien de plus humble , ni de plus grand que la Naiilance du Fils de Dieu , l'Auteur y a voulu Bire allufîon, en mêiant la deftm&ion d'un bâ- timent magnifique avec la beauté de quelques reftes qui en faifoient partie. Notre illuftre Sculpteur a fait
entrer dans fon fujet vingt-quatre figures, 8c fix animaux de différen- |
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47 G Cours de Peinture
tes efpeces. Il a placé la Vierge avec Ion Fils au milieu de la corn- pofition. Elle y paroît d'un carac- tère modefte , mais d'un agrément infini ; & le Chrift, en confervant la Figure d'un Enfant nouveau-né s fait concevoir en Ion action quel- que chofe de plus qu'humain On remarque une grande variété
dans les figures de cette Hiftoire5 par la différence des phy fionomies, des caractères, des fexes, des âges, des attitudes &, des expreffions, QuatreBergers font attentifs à con- fiderer de près l'Enfant & la Mère que l'Ange leur avoit indiqués. A côté droit, quatre autres font
autour de faint Jofeph, qui leur ex- plique le myftere, dont ils font té- moins. Ces Bergers font voir en diverfes manières les effets de la grâce, en exprimant la Joie que leur caufe cette inftru&ion. D'autres plus craintifs, qui font
fur le devant de la compofition de cet ouvrage , adorent de plus |
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par Principes. Ail
loin le Sauveur qui leur étoit né,
A côté gauche, quelques Ber-
gers s'entretiennent de ce qu'ils voient, il v enaunentr'autres qui paroît appgller les plus éloignés, & qui les incite de fe hâter, pour jouir de la nouveauté du fpe&acle. L'Auteur a fait entrer dans la
compofition de fon fujet quatre Anges qui font en l'air au.demis du Chrift. & de la Vierge, fuppofane qu'ils font envoyés de la Cour Cé- leire , pour faire reconnoître aux Pafteurs leur Divin Maître, & pour i'adorer avec eux, Les ajufternens, les draperies, les
coëfTures, &l to.ut ce qui accompa- gne les figure?, leur convient H par- faitement, que ceux qui en vou- dront examiner le détail, en admi- reront la diverfité & la vraifem- blance. Les exprefîions, fuitout > en font fî vives, qu'on eh: forcé d'y entrer par l'impreffion qu'elles font fur les eiprits, lorfqu'pn y veut fai- re quelque attention. L?un y expri, |
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^_y% Cours de Peinture
rne l'admiration, l'autre la {impli- cite j l'un la furprife, l'autre la dé- votion -, & chaque objet marque parfaitement le choix d'un beau caractère. Les figures y font deffinées d'une
exaéte juftefle, d'un goût grand , & d'une manière convenable à leur qualité. On y peut admirer la ten- drefle des carnations, les beaux plis des draperies, la vérité & le contiafte des attitudes, la difpo- fition des grouppes, 6c la dégrada- tion des terreins. Tout eft extrêmement fini dans
cet Ouvrage, ôciln'yapasjufqu'aux plantes&aux autres minuties, dont Texacle vérité ne fafle plaifîr. Les couleurs mêmes,qui font d'ordinai- re peu convenables à la Sculpture -, y font ménagées avec une certaine modération qui jette dans le tout une plus grande vraifemblance, 6c entr'autres dans les Statues qui font fi bien imitées d'un vieux mar, bre tout taché , & tout altéré paç |
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far Principes. 479
ie rems, que l'œ'l y eft trompé
Enfin toutes ces choies enfemble
font une merveilleufe harmonie , & concourent à exprimer le fujcç avec tout l'agrément imaginable, LA SEPVZTVRE.
L'Auteur de cet excellent Ou-
vrage a fait choix, comme nous l'avons déjà dit, du moment que Jofeph d'Àrimathie, ayant fait dé- tacher de la Croix le Corps de Je- fus-Chrift, le laîffe voir pendant quelque tems aux principales per- sonnes quiavoient aimé le Sauveur pendant (à vie. La fkuatïon du lieu qui eft plein
de rochers fait juger que la fcene de ce qui fe pafle ici, n'eft pas loin. de l'endroit que l'on avoit deftiné pour la fepulture. Le Chrift, la Vierge fa mère ,'
iaint Jean , & les trois Maries, trois Anges , Jofeph d'Arimathie, Ni- ppdéme, &le Centenier qui reçon- |
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4-t o Cours de Peinture
nut la Divinité de Jefus-Çhrift in- continent après fa mort, font la compofidcn de cette Hiftoire. Le Chrift eft placé au milieu de
la Scène , étendu négligemment, mais naturellement, iur une pier- re couverte d'un linceul, &, dans une difpofition convenable à un corps qui n'a plus de mouvement ; mais qui fe trouve tourné comme par hazard à émouvoir jufqu'aux larmes la compaflion du Specta- teur. La figure eft d'une propor- tion fi noble 8t fi délicate, qu'en la voyant on eft aifément porté à croL re , qu'il y a fous ces apparences quelque chofe de Divin. La Vierge eft auprès de ce corps.
Elle en a appuyé la tête fur fes ge- noux pour le mieux contempler. Elle a le corps plié & les bras é- levés, en aclion d'exprimer fa ten- drefïe , & tout ce qu'elle fent fur l'état , où elle voit fon Fils & fon Dieu. Les faintes Femmes qui accom-
pagnoient
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far Principes. 4S1
pagnoient, la Vierge le cœur rem-
pli de douleur , font voir chacune à/à manière ce que peut la com_ paffion à la vue d'un ipe&acle iî touchant. Les notions qu'a voient ces faintes Femmes de la Divinité de Jefus- Chriffc , pouvoient bien mettre le calme dans leurs eiprits, èc effacer toutes les marques de leur arrlidion : mais l'amour qu'el- les avoient pour leur Maître , les outrages aufquels elles l'a voient vut expole pendant fa vie , le fupplice honteux de fa mort, ne leur per- mettoient pas d'oublier entière- ment les opprobres qu'il venoit tout récemment de fouffiïr à leurs yeux. Il eft vrai que Jefus-Chrift, leur
avoic parlé de la néceffité de Ces fouffrances, & de fa prochaine Ré- furre&ion : mais tout, ce que put faire l'eiperance de voir arriver • bientôt la Réfurreciion , fut d'a- doucir les tranfports démefurés aufquels une triftelîe extrême nous |
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. g i 0»r/ ^ Peinture
conduit.ordmairemenc. On ne ver- ra donc point ici l'expreffion exté- rieure du dernier abandon a la dou- leur on y obfervera feulement tou- tes les marques d'un cœur qui dans l'excès de fon amour eft a la vérité fort fenfible au triomphe Prochain de jems-Chrift,maisqui eft encore plus occupe du fouyenur de fes Souffrances. S lean placé du côte gauche ,
appuyé fur un rocher , dans une attWe abattue , tient les clous nu ont attaché fon Maître a la Croix Si paroît faire les réflexions lesiftftrumens.
leS^AuteuraplacélaMagdeene du même côté aux pieds du Chnft-
File les baife avec amour , & iem-
ble les baigner de les lam.es, qu- elle eft prlted'emiyer de fes che- veux épars, comme ele fit dans la Sn de Simon le Phanuen
"*£"deux autres tomes font, l'une à genoux près de la Vierge, |
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far Principes. 483
•&. l'autre debout. Celle-ci a le
corps panché , & la tête gracieu- fement inclinée fur l'épaule , com- me pour effuyer fes larmes avec le linge qui lui lert de voile. Ces deux femmes expriment fortement, &; fans aucun mouvement exagéré , le mélange de douleur & de ten- dreiTe , dont leur cœur eft: péné- tré. Les deux vieillards qui font der-
rière ces femmes, au coin de la composition, dont l'un paroît être Nicodéme, & l'autre le Centenier qui reconnut la Divinité dejefus- Chrïft incontinent après fa mort, s'entretiennent aiîez vivement de la manière injurie dont les Juifs avoient condamné rinnocencemê- me. Jofeph d'Arimathïe, un peu plus
avancé fur le devant, & debout, une main fur la hanche , & l'autre fur la poitrine , dans une attitu- de majeftueufe , les yeux tournés vers le Chrift, fait attention à ce Xij
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4S4 Cours de Peinture
qu'il voit : mais on juge facilement par toute fon action , qu'il eft en- core plus occupé de la foi qu'il a reçue, & de la.grandeur du myftere de la Rédemption. Le goût du Deflein dans cette
Hiftoire eit. merveilleufement con- venable aux figures qui la compo- fent. Il eft Ivelte, élégant, & no- ble dans le Chrift 6c dans les fem- mes. Il eft plus fort & plus pronon- cé dans les trois hommes qui font plus ayancçs en âge. Il s'y trouve diyerfement félon la diverfîté qui fê voit ordinairement dans la natu- re. Car pour S. Jean, fon caracler re de deflèin eft entre la délicatefte du Chrift Se la proportion plus pe-, fante des trois autres figures, dont je viens de parler. Cependant tou- tes les proportions font pbfervées dans leur genre avec toute la ju- fterïe que l'on peut attendre de Vkxt. Trois Anges font en l'air au-def-
fijs du Chrift , |k compofent un |
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far Principes. 4&J
groupe agréablement varié par
Jeurs attitudes contractées , & par la diverfiré de leurs expreffions & de leurs colons. Us font, dans leur caractère d'enfans i défîmes com- me les femmes 5 e'eft-à-dire, de là même délicateffe. Quelque difficile que foi t la r/fa-
tique du coloris dans la Sculpture, il eit étonnant que l'Auteur s'en" ïok acquitté, comme ri a fait, avec un heureux fuccès. Les carnations y font variées avec tant de ména- gement & d'intelligence, que dans la juftefîe qui leur convient, il y a une fînefTe d'oppofkion de de diffé- rence qu'on ne peut allez admirer. Notre ingénieux Sculpteur ne s'eft. pas contenté dés couleurs locales, e'eft-à-dire , de celles qui con- viennent à chaque chofe en par- ticulier, il a encore cherché com- me un Peintre habile , à faire va- loir la couleur d'un objet par i'op- pofition de la couleur d'un autre ebjec. Le linceul , par exemple y |
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-4^ 6 ■ Cours de Peinture
qui eft fous le corps du Chrift, don- ne à la carnation un plus grand ca- ra&ere de vérité par la .comparai- fon de ces deux couleurs. L'Auteur voulant attirer fur le
Chrift les yeux du Spe&ateur , comme fur l'objet le plus impor- tant , s'eft fervi d'un brun doux , dont il a habillé la Vierge & la Magdeléne , pour rendre la lu- mière qui eft fur le Chrift, plus vi- ve & plus fenfible. La femme qui eft à genoux
entre la Vierge & l'autre Marie „ ne contribue pas peu à l'effet du clair -obfcur , en diftinguant par fon obfcurité les figures qu'elle fé- pare. La couleur des vêtemens de Ni-
codéme & du Centenier détache & pouffe en devant , comme de concert, la figure qui leur eft pro- che. Et Jofeph d'Arimathië eft ha-
billé d'une pourpre , qui non-feu- lement défigne une perfonne de* |
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far Principes. 4S7
Qualité $ mais qui, félon les règles
de l'Art , étant d'un ton fort & Tigoureux: ,; convient aux figures que l'on veut mettre fur le devant, 6c contribue dans l'affemblage des couleurs à l'harmonie du Touten- iêmble. Mais ce n'eft pas feulement par
la couleur de fon habit que cette li- gure eft plus fenfible que les autres. L'ouvrage de la tête eft un chef- d'œuvre de l'Art. C'eft un Vieil- lard dont le vifage eft couvert de rides, mais de rides fçavantes par la manière dont elles font placées ,- & dont elles font exécutées. Car elles expriment la phyiionomie d'un homme de bon efprit, limi- tent la nature de ce caractère d'une maniera la plus fone , la plus ten- dre ; àc la plus accomplie. Mais quoique cett^ ter_* foie tr'vaillée dans la dernière exaftkud? , elle ne fent point du tout la peine : le travail y eft tout fpirituel, il y coule de fource ,. & la patience qu'il a Xinj
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4#& Cours de Peinture
exigée eft plutôt l'effet du plaimr
que l'Auteur y a pris, que de la ne- ceffité de le terminer. Tout eft donc fini dans cette figure parti- culière ; mais tout y eft de feu , & l'adrefle de la main fou tenue de la ' force d'un beau génie , & d'une feience profonde , ont rendu cet Ouvrage digne certes de la plus grande admiration. C'eft ainfi que notre fçavant
Sculpteur , en joignant à ce trifte fujet toutes les grâces dont il eft fufceptible , & en répandant d'ail- leurs toutes les marques d'une feien- ce auffi profonde qu'ingenieufe , a confaeré cet Ouvrage à la pofte- rité. Mais quelque foin que l'on ait
pris de rendre fidèles ces deux dé- icriptions, il eft impoffible , en les lifant feulement, fans voir les ou- vrages mêmes, de fe faire une idée, bien jufte de toute leur beauté. |
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far Principes, 489
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LA BALANCE DES PEINTRES.
QUel qjj es perfonnesayant
fouhaité de lçavoir le degré de mérite de chaque Peintre d'une- réputation établie, m'ont prié de faire comme une Balance dans la- quelle je miflè d'un côté le nom du Peintre & les parties les plus efl fentielles de Ton Art dans le degré qu'il les a pofledées, & de l'autre côté le poids de mérite qui leuj? eonvient 5 en forte que raroailant toutes les parties comme elles le trouvent dans les Ouvrages de cha- que Peintre, on puiffe juger com- bien pefe le tout.. J'ai fait cet eiTai plutôt poue
me divertir que pour attirer les au- tres dans mon fentiment. Les ju- gemens font trop differens fur cet- se matière , pour croire qu'on aie Xv
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49 o Cours de Peinture
tout feul raifon. Tout ce que je de- mande en ceci c'éft qu'on me don- ne la liberté d'expofer ce que je. penfe , comme je la laifle aux au- tres de conferver l'idée qu'ils pour- roient avoir toute différente de la. mienne. Voici quel eft. l'ufage que je fais-
de ma Balance. Je divife mon poids en vingt de-
grés, le vingtième efl le plus haut,, & je l'attribue à la fouveraine per- fection que nous ne connoiflbns pas dans toute fon étendue. Le dix- neuviéme eft pour le plus haut de- gré de perfection que nous con- noifîons , auquel perfonne néan- moins n'eft encore arrivé. Et le dix- huitiéme eft pour ceux qui à notre jugement ont le plus approché de la perfection , comme les plus bas chiffres font pour ceux qui en pa- roiiTent les plus éloignés. Je n'ai porté mon jugement que
ftir les Peintres les plus connus , & j'àî divife la Peintureen quatre co- |
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far Principes,,' 49"r
ibilfles , comme en les parties les
plus efTentielles, fçavoir, la Com- poiition , le Deflèin , le Coloris 3 & l'Expreffion; Cequej'entenspar le mot d'Expreffion, n'eft pas le ca- ractère de chaque objet, mais la penfée du cœur humain. On verra par l'ordre de cette divifîon à quel degré je mets chaque Peintre dont le nom répoad au chiffre de cha- que colonne. On auroit pu1 comprendre par-
mi les Peintres les plus connus, plu- iîeurs Flamans qui ont repréfenté avec une extrême fidélité la vérité de la nature & qui ont eu l'intelli- gence d'un excellent Coloris : mais parce qu ils ont eu un mauvais gouc dans les autres parties , on a cru qu'il vaîoit mieux en faire une cla/Te feparée, Or comme les parties efîentîelles
de la Peinture font compofées de plusieurs autres parties que les mê- mes Peintres n'ont pas également; fofteéées , il eft raifonnabe de |
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49 ~ Cours de Peinture
compenfer l'une par l'autre pour en faire un jugement équitable. Par exemple .y la Compofition re- lulte de deux parties ; fçavoir , de l'Invention & de la Difpofition. IL eft certain que tel a été capable d'Inventer tous les objets necefTai- res à faire une bonne Compofitionv lequel aura ignoré la manière de les difpofer avantageufement pour en. tirer un grand effet. Dans le Def- fein il y a le Goût & la Correction j l'un peut fe trouver dans un Ta- bleau fans être accompagné de l'autre, ou bien ils peuvent fe trou- ver joints enfemble en differens de- grés & par la compenfation qu'on en doit faire , ©n peut juger de ce que vaut le tout, Au refte, je n'ai pas affez bonne
opinion de mes fentimens pour n'ê- tre pas perfuadé qu'ils ne foient fe- verement critiqués : mais j'avertis que pour critiquer judkieufemene il faut avoir une parfaite connoi£ fanéede toutes les parties qui. corn- |
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far Principes 493"
pofent l'ouvrage & des raifons qui
en font un bon tout. Car plufîeurs jugent d'un. Tableau par la partie feulement qu'ils aiment , & ne comptent pour rien celles qu'ils ne eonnoiflent ou qu'ils n'aiment pas». |
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■ Peintres les plus
connut, |
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Albane.
Albert Dure. André del Sarte. B
Baroche.
Baflari , Jacques.
Baflift. del Piombo.
Belin, Jean,
Bourdon.
Le Brun.
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Calîiari p. Ver.
Les Caraches. Correge. D
Dan. de Volter.
Diepembek, |
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da Peintres les plus
connus. |
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Le Guerchin. Le Guide. |
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jaq. Joui dans» Luc Jourdans. ■ Jofepin. Jules Romain* |
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TABLE DES MATIERES
contenues en ce Volume.
ACciD5Ns.Ce que c'eft en Pein»
ture , Pag. zoS Allégorie eft une efpece de langage, 5 §
Anatomie, l'ufagequ'onen doit faire, 3.9. Elle a fait échouer plufieurs Peintres, & en a fait eftimer plufieurs autres, Antique dans la Peinture. Son origine &c
fon utilité. Son autorité chez les Au- teurs anciens & modernes. Sa beau- té , fon approbation univerfelle, & fon élévation , 130,319 Appeller le Spectateur doit être le pre-
mier effet d'un Tableau, 17 Les Tableaux qui appellent le Specta-
teur font rares , & pourquoi ?• 17 La partie du Coloris eft ce qui contribue
davantage à appeller le Spectateur, 19, Arbres, 131,23$
Attitude. La bien choifir ,, roo?
L'Aveugle de Cambaffi ,& fon Hiftok
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tablé
C CÀradére. Ce que c'eft en Peinture $
iGx Charge , & charger. Ce que c'eft eà Peinture , & en quel cas on en peue louer Ha pratique, jy , & 38 Ciel. Son caractère s- 212
ConnoiiTeur, Les Demi-connoiffeurs ju-
gent ordinairement de la Peinture , fans connoiflance de caufe ,r '. %6 Contrafte. Ce que c'eft, 102 Clair-obfcur. Ce que c'eft , 3^1
Trois moyens pour arriver au Clair-
obfcur, 366. Quatre preuves pour démontrer fa néceflué ? 370 Copier avec profit, 294.
Coloris. Ce que c'eft, 302
Cette partie de la Peinture eft très-peu
connue, mêmedes plus habiles, 303 Différence entre Couleur & Coloris, 3 02
Couleur fimple & Couleur Locale. Leur
différence, 304. Deux fortes de Couleurs, la naturelle
& l'artificielle , 30 j. Maximes tou- chant l'emploi des couleurs, 317 Correction du Defféin , 128 D
DEffein. Sa définition, 127,320
Ses parties principales , n8 |
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des Matières
•Bevant du Tableau, 1&I pifpofition. En quoi elle confifte, y$
Elle contient fix parties ; i. La Diftributiondes objets engéneral, 2. Les Grouppes.
3. Le choix des Attitudes»
4. Le Contrafte.
y. Le Jet des Draperies. 6, L'effet du Toutenfemble. Difpofuiçn. Spn effet, 114
Les Draperies. Cequec'efl;, 177
Contiennent trois chofes :
r x. L'ordre des Plis, 178 \ 2. La diverfe Nature des Etoffes 187
1 3. La variété des couleurs dans les (r Etoffes, 19 2 Le Traité des Drapexies en abrégé. 196
Les Draperies font d'une grande utilité pour le Contraire, i§t Les Couleurs des Draperies peuvent con-
tribuer extémement à l'effet du Clair- obfcur, igj £
EAux, -.• 225
Ecorcedes Arbres&léurvariété, 235
Elégance en Peinture, *i f? Sa définition , 160
Elle fe fait fentir quelquefois dans les
Ouvrages peu châtiés ^ l<Jo Enthounafine, I14
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Table
Moyen de difpofer l'efprit à l'EnthoufiaC
me, 119 Efprk. l'Efprit s'élève avec le beau fujet,
& le lujet s'élève avec le bel Efprit, 6 5 Notre Efprit eft une plante qui veut être
cultivée,, 64. Eftampes dePaïfage excellentes pour étu-
dier , quand elles font de grands Maî- tres , 140 jExageration générale neceflaite en Pein-
ture , & la particulière félon l'occa- fion, 30e Elle doit être ménagée avec pruden-
ce, 355 . Expreflioa. Sa différence d'avec la Paf- fion, 162 Ecole d'Athènes. Tableau de Raphaël,
Sa defcription , 75 Vafarireprisdansladefcriptionqu'ilena
faite du tems même de Raphaël, Idem. Auguftin Vénitien repris pour le même fujet, 79 F
TH Abriques, ni
JT Fabriques propres au Païfage, 22.S
G G Alleries de Luxembourg , 345
Gazon, 217 Glacis. Ce que c'eft , 338
Coût. Goût du deflfein , 158
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À:s Matières,,
(Grâce. Il n'y a rien dans l'imitation dés
objets, où l'on ne puiflTe faire entrer de
la Grâce , -1.09
Grouppes. En quoi ils confîftentj 97
Il yen a de deux fortes par rapport au
DeHein & par rapport au Clair-obfcur,,
Leur relation , 109
H
HArmonie., & fes difFerens genres
. dans la Peinture, m,&c. Hilîoire. Ce que c'eft en Peinture, 67
L'Hiitoire doit avoir trois qualités, la fidé- lité , la netteté , & le bon choix, 6j Comment le Peintre doit faire connoître le fujet de fon Hiftoire, & de beaux- exemples à cette occafion, 6 g & 69 I JAbac , grand curieux. Son témoignage
fur la pratique de Vendeik au fujec des Portraits 5 zp 1 Idée. Ce que c'eft , t
Peux Idées de la Peinture. Idée générale
pour tout le monde, 3 . Idée particulière pour les Peintres, ^
L'ondoit tirer les véritables Idées des cho- fes,de leure(îence,&de leur définition,£ Idée véritable de la Peinture, & le Vrai ne font que la même chofe, 2.0 Idées particulières ou fécondes qui regar-
dent les Peinttes feulement, « |
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Tahk
Obligation ou lont les Peintres de bien pofleder ces fécondes Idées, 6 Se 7 Les Idées des chofes entrent dans refptit par les organes des lens, j Invention. Qe terme a produit différentes
Idéesdansl'efpritdedifFerens Auteurs, jo Définition de l'Invention, 5 1 L'Inventioneil une des deux parties de la
Çompofition, dont l'autre partie s'ap- pelle Difpofirion, $1 Sa différence d'avec la Difpofttion , 52 Le moienderendre l'Invention ielevée,é8 L'Invention fe peut confideret de trois manières , comme Hi.ftorique (impie» ment 3 comme Allégorique ,& com- me Mifti que, 5^ Bel exemple de l'Invention Miftique, 5 9 Par l'Invention, on juge du Génie du Peintre > 61 Bile ne peut produire que les chofes dont notre efprit eft rempli , 6z L'Invention a differens ftiles, 52 L'Invention allégorique exige trois cho- fes, d'être intelligible, d'être autoriiée, & d'être neceflaire, 71 L LE linge eft un bon moyen de juger
de la Carnation du Naturel par la Comparaifon, 496 Lointins & montagnes, z 14
L on gin
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des Matières.
"Longin , fon exemple dans le fublime. 110
M A/4 Iroir convexe. Son utilité, 10?
N
^J Uages, leurs Caractères, iij O
GRdre qu'il Tant tenir dans l'Etude
delà Peinture, 387 Ordre dont on a placé les parties de la
Peinture, & pourquoi ; io P
PArallele de la Peinture , & de la
Poëfie, 42.0 Pallions de l'Ame, t6Z
Le Brun a écrit des Pa(lions fur le mo-
dèle de Defcartes, t <j^ Deux fortes de Peintres, 40 Peinture. Sa définition , j La véritable Peinture eft celle qui ap- pelle fon Spectateur, s La Peinture fe peut confiderer de deux manières, par rapport à l'inftrudtion, & par rapport à l'exécution , 49 La Peinture doit inftruire & divertir, & comment, 66 Palais de la Peinture élevé par fes diffé- rentes parties, félon la diverfité de leurs propriétés z$ , &c. Y
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Table
Le Pillage eft le plus agréable de tous les talens de la Peinture , 201
Deux principaux Stiles dans le Paifage ,
l'Héroïque & le Champêtre , 201
Heurs Defcriptions, i6i,i6z8ci6$ La jonction des deux Stiles en fait un troifiéme, zoj
Les parties du Paifage , aoj
Obfervations fut le Paifage, 252
Plautcs , a 17
Portraits. Manière de les bien faire, aôo
S'il eft à propos de corriger les défauts du Naturel dans les Portraits, 268
Le Coloris dans les Portraits, ayi L'Attitude dans les Portraits , 27^
Les Ajuftements dans les Portraits, 281
Comment ilfaut habiller lesPortraits, a 8 a Pratique fpaeiale pour les Portraits , 28$ Politique pour faire riuffirles Portraits, 257
R RAphael a poflèdé plus de parties
quaucun autre Peintre, & cité pour cela, . it Raphaël n'a peint appelle fon Spectateur
dans le général de tes Ouvrages, & ta- remerjt dans quelques-uns, 1} Exemple récent de M. de Valincour lut
les Ouvrages de Raphaël qui font au Vatican, J4, |
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des Matières.^
Pourquoi on s'eft fervi de l'exemple' de: Raphaël , z;
Roches ,■ 21S
Rubens peu connu à fond, %-j
Son fentiment fur l'Antique, 139
Rubens a rendu facile le chemin qui coiv
duit auColorisplus qu'aucun autre, 34e
Objection & réponfe au fujet de Rubens, S
SEnecjué, fon fentiment fur le plainY
que donne la Peinture dans le tems qu'on l'exerce , 3 j 1 Les Sites Partie du Païfage, zoe
Les Sites bizarres & extraordinaires plai-
fent & réjouiffent, 207 Sujet, le bien choifir , . 63'
Le caractère du Sujet doit frapet d'à-*'
bord le Spectateur, $6 Si le Peintre a le choix de fon Sujet, il
d«it préférer celui qui eft le plus pro- pre à fon Génie , 64. Les Jeunes-gens doivent s'exercer fur toutes fortesde fumets. Belle comparai- fon à cette occafion^ 63 T TAbleau. Le premier effet du Ta-
bleau eft d'appeller foiïSpeitateur,^ Un Tableau qui contient une des parties de la Peinture par excellence doit être Y ij
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Tdhle des Matières'.
loué, & peut tenir place dans an Cabï* net de Curieux, 10 Exemple de Rembrant fur ce fujet, 10
Terreins ,, 219 TerrafTes, 220
Le Tout-Enfemble, en quoi il confifte ?
105.
V UNité d'objet. Sa necefïité & fa dé-'
monftration ,, 108 Le Vrai doit prévenir le Spectateur, &
l'appeller,- 8
Sa Defcripfion , 29
Trois foi tes de Vrai dans la Peinture, 30
L'Idée que Raphaël avoitduVrai $6 De quelle confequence eft le Vrai dans la Peinture, 41
Lettre de M. l'Abbé du Guet, au fujet du
h Traité du Vrai dans la Peinture, 44 Fin de la Table des Matières
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N
^2**15**12* 3**13**1 S^
PRIVILEGE DU ROT.
I^UPi Gui^?ar la Grâce be Dieu,*
; Roy de France & de Navarre ; 1 A nos amez & feauxConfeillers les Gens tenans nos Cours de Parlement ,. Maîtres des Requêtes ordinaires de notre Hôtel, Grand Gonfeil, Prévôt de Paris,» Baillifs, Sénéchaux, leurs Lieutenans Ci~- vils, & autres nos Jufticiers qu'il appar- tiendra , Salut. Jacques Eftienne Librai- re à Paris, Nous ayant fait remontrer qu'il defireroit faire imprimer un Livre, intitu- lé, Cours de Peinture par principes , compoja parle Sieur de Piles -, s'il nous plaifoit lui accorder nos Lettres de Privilège fur ce né- ceîfaires.Nous avons permis & permettons par ces Préfentes audit Eftienne , de faire imprimer ledit Livre, en telle forme, mar- ge , caractère, & autant de fois que bon lui lèmblera, & de le vendre, faire vendre & débiter par tout notre Royaume , pendant' le tems de Cinq années confécutives , à* compter du jour de la datte defditespréfen- tes ; Faifons défenfes à toutes Perfonnes de quelque qualité & condition qu'elles puit fênt être d'en introduire d'Impreffion Etrangère dans aucun lieu de notre obéît»- |
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fance, & à tous Imprimeurs, Libraires,. &'
atftres d'imprimer, faire imprimer, verii. dre, débiter ni contrefaire ledit. Livre, en tout-ni en-partie, fans la permifïïon expref- fe & par écrit dudit Expofant ou de ceux qui auront droit de' lui" -, à peine de confîf- catiorT des Exemplaires contrefaits , de Quinze cens livres d'Amende pour chacun des Contre'venans , dont un tiers à Nous , un tiers à l'HôteLDieu de Paris ; l'autre tiers audit Expofanï, & de tous dépens, dommages & intérêts-: A la charge que ces- Préfentes feront enregiftrées tout au long fur le Regiftre de la Communauté des Im- primeurs & Libraires de Paris, & ce dans' trois mois de la datte d'icelles ; que l'im- preffion dudit Livre fera faite dans notre Royaume& non ailleurs, en bon papier Se en beaux caractères conformément auxRe- glemens de la Librairie, & qu'avant que de' l'expofer en vente, il en fera mis deux E- xemplaires en notre Bibliothèque publi- que, un d'ans celle de notre Château du' Louvre, & un dans celle de notre dès cher & féal Chevalier Chancelier de France, le Sieur Phélypeau* Comte de Pontchar- train , Commandeur de nos' Ordres ; le' ïcut à peine de nullité des Préfentes : Du contenu dèfquelles vous mandons & en- joignons de faire jouir l'Espofant ou fe?: |
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Ayans caufe^ pleinement &paifiblernent,
fer» foufFrir qu'il leur foit fait aucun trou- ble ou empêchement. Voulons qu~ la co- pie defd. Préfentes qui fera imprimée au commencement ou à la fin dudit Livre^ foit tenue pour duërnent lignifiée, &c qu'- aux Copies coljationnées par l'un de nos amez & féaux Confeiilers' & Secrétaires, •foi foit ajoutée comme à FOriginal j Com- mandons au premier notre HuMïïer ou Ser- gent de faire pour l'exécution d'icelles tous A&es requis &c néceflaires fans demander autre permiffion, & nonobftant clameur de Haro, Chartre Normande, Se Lettres à •ce contraires : C a r tel eft notre plaifir. Donne' à Paris, le vingt-troifiéme jour de Janvier, l'an de Grâce mil fept cens huit ; & de notre Règne le foucante-cin- quiéme. Par le Roi en ion Confeil ; Signé, ifCoHi b. Et fcellé du grand Sceau de .cire jaune. Regiftréfurle Regifiredela Communauté des
Libraires & Imprimeurs de Paris , N°. %. Pag. 315. N°. 599, conformément au Règlement, & notamment k l'Arrejî du Conjèiï du 1$. Aouft îyoj.AParislefixiémeMars 1708. Signé, LOUIS SEVESTRE, Syndic.
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Pc l'Imprimerie de Pierre MsRce',
rué Saint Jacques , au Cocq. |
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A F RO B ATI ON,
'AY. lu par ordre de Monfei-
gneur le Chancelier un Livre Intitulé, Cours de Peinture &c. Il m'a paru que cet Ouvrage feroic très.utile & très-agréable au Pu- blic. Fait à Paris ce i$>. Janvier ,170.8. t RAGUET.
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I
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KUNSTHISTORISCH INSTiTUUT
DER RUKSUNIV8RSITEIT UTRECHT |
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