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COURS
D E
PEINTURE
PAR.
PRINCIPES/
CO M P 0 S E'
Par Mr DE PILES.
A PARTS,
Chez J a c qjj es Estienne, rue
S. Jacques, au Coin de la rue de la
Parcheminerie , à la Vertu.
M. DCCV III.
'AVEC APROBATION ET PRirJLEGE,
KUNSTHtSTORiSCH INSTiTUUT f
DER RIJKSUNIVERSIIEIT U. :ECHT )
-ocr page 2-
MiêUUUmmm
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SSSÎÏSSÏÎ4W8SÏ8ÎÏÏS
ORDRE DES TRAITES
contenus dans ce Volume.
TjlDE'E de la Peinture, Pag. i7
Le V'ray dans la Peinture, 2.9.
Cis^/V <i'#«tf Zettre de Monfieur Dt&':
Guet fur le Traité du Vray dam
la Peinture
,:
                         44.
L* Invention,                              49.
I?Ecole d'Athènes ^                   J$,
La Difpofition 3                          514.
Le Deffein ,                              1 26;
Les Draperies y                       196*
,Z* Païfage,                             200,.
■2/W Portraitsl<                        260.
-£e Coloris,                              302.'
•£«■ Clair-obfcure]                     361.
L'Ordre pour l'Etude ]~             3 S y.
Dijfertation oà l'on examine fi la,
■Poëfie eft préférable à la Pein-
***                                       J&*
KUNSTHISTQRISCH INSTiTUUT
DER RUKSUNIVBRSITEIT UTRECHT
-ocr page 3-
JDefcriptions de deux Ouvrages d&
Sculpture, faits par MonJieurZum-
bo Gentilhomme Sicilien
, 47 3.
La Balance des Peintres, 4890-
I
\
I
I
COURS
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COURS
DE PEINTURE
PAR PRINCIPES.
Z'IDE'E DE LA PEINTVRE.,
pour fervir de Préface â ce Livre,
E r s o n n £ ne remporte
le prix de la courfe, qu'il
ne voie le but où il doit
arriver 5 et 4'on ne peut
acquérir parfaitement la connoif-
fance d'aucun Art., ni d'aucune
Science,, fans en avoir la véritable
■idée. Cette idée efl notre but^ 8c
•c'eft. elle qui dirige celui qui court,.
<&£ qui le fait arriver sûrement à la
m.®, de fa carrière , je veux dire, à
A
-ocr page 5-
%             Cours de Peinture
la poffefuon de la Science qu'il re-
Mais quoique toutes les çhofes
renferment en elles & faffent pa-
roître la plus grande partie de leur
véritable idée , il ne s'enfuit pas
de-là qu'elle foit toujours connue
à ne pouvoir s'y tromper, & que
l'on n'en conçoive fouvent de faui-
fes au lieu de celle qui eft la vé-
ritable & la plus parfaite. La Pein-
ture a fes idées comme les autres
Arts : la difficulté eft donc de dé-
mêler quelle eft la véritable. Mais
avant que d'entrer dans cette dif-
cuflion , H me paroit neceffaire
d'expofer ici, que dans la Peinture
jl y a deux fortes d'idées > l'idée
générale qui convient à tous Jes;
hommes, & l'idée particulière qui
convient au Peintre feulement.
Le moyen le plus sûr pour con-
noître infailliblement la véritable
idée des choies, c'eft de la tirer
du fond de leur effence & de leur
définition ; parce que la définition
-ocr page 6-
far Principes.              ■$
n'a été inventée que pour empê-
cher l'équivoque des idées , pour
écarter les fauftes, & pourinftruire
notre efprit de la véritable fin, &
des principaux effets de chaque
chofe.
Il s'enfuit de - là , que plus une
idée nous conduit directement ■■:&
rapidement à la fin que l'eftence
d'où elle coule nous indique, plus
nous devons être affûtez qu'elle eft
la véritable.
L'eftence & la définition de la
Peinture, eft l'imitation des objets
vifibles par le moyen de la forme
& des couleurs. Il faut donc con-
clure , que plus la Peinture imite
fortement & fidèlement la nature,
plus elle nous conduit rapidement
& directement vers fa fin , qui eft
de féduîre nos yeux 3 <k plus elle
"nous donne en cela des marques de
-fa véritable idée.
Cette idée générale frappe &
attire tout le inonde , les ignorans,
lesamateur^ de Peinture , les con-
Aij
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■m              Cours de Peinture
jnoiiTeurs , ' & les Peintres mêmes.
■Elle ne permet à perfonne de pal-
fer indifféremment pa-r un lieu oà
fera quelque Tableau qui porte ce
xaradere , &as être comme fur-
pris , fans s'arrêter & fans jouir
-quelque tems du plaifir de fa lur-
prife. La véritable Peinture elt
donc celle qui.rious appelle ( pour
ainfi dire) en nous (urprenant : &
ce n'eft que par lafcrxe de l'effet
ou'elle produit, que nous ne pou-
vons nous empêcher d'en appro-
cher , comme fi elle avoir quelque
chofeà nous dire. Et quand nous
Yommes auprès d'elle , nous trou-
vons que non-feulement elle nous
diverût parle :b eau-choix, & par
la nouveauté des chofes qu'elle
jious prefente, par l'hiftoire, & par
la fable donc :cîlc rafraîchit notre
"mémoire , par les inventions in-
crenieufes, & par les allégories dont
Sous nous foiions un plaifir,de trou-
ver le fens , ou d'en critiquer l'o.->-
fcurité ; mais .encore #ar l'imita-
-ocr page 8-
far Jrrimifes.'              f
tion vraie & fidèle qui nous a at-
tirez d'abord", qui nous inflruit
dans le détail des parties de la
Peinture, & qui, félon ;AHftote,-'
nous divertit, quelque horribles que
foientles objets de la nature qu'el-
le reprefente.--
II y a une féconde idée, qufefl,
comme nous avons dit , particu-
lière aux Peintres, & dont ils doï-;
vent avoir une habitude confom--
mée. Cette idée regarde eh'détail
toute la théorie de la Peinture, &'
elle doit leur être familière, de telle
forte qu'il femble qu'ils n'ayent be-
foin d'aucune reflexion pour l'exé-
cution de leurs penfées.
C'eft ainfî qu'après l'étude exac-
te du Deflein, après la recherche
d'un fçavant Coloris , & de'-toute
les choies qui dépendent de ces
deux parties-3 ils doivent toujours
avoir prefentes les idées particu-
lières qui répondent aux diverfes
parties de leur Art.
De.tout ce que je viens de di-
Aiij
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           Cours de Peinture
re , je conclus que la véritable
Peinture doit appeller fon Speda-
teur par la force & par la grande
vérité de fon imitation ; & que le
Spedateur furpris doit aller à elle
comme pour entrer en converfa-
tîon avec les figures qu'elle repré-
sente; En,effet quand elle porte le
caradere du.Vrai, elle femble ne
nous avoir attirez que pour nous
divertir, & pour nous inftruire.
Cependant les idées de la Pein-
ture, en gênerai , font auffi diverfès
que les manières des différentes
écoles différent entr'elles. Ce n'eft
pas que les Peintres manquent des
idées particulières qu'ils doivent
avoir ; mais l'ufage qu'ils en font
n'étant pas toujours fort juite
l'habitude qu'ils prennent de cet
ufàge, l'attache qu'ils ont pour une
partie plutôt que pour une autre
& l'affection qu'ils confervent pour
la manière des Maîtres qu'ils ont
imités., les jette dans là prédilec-
tion de quelque partie favorite ,
-ocr page 10-
far Principes.              7
au lieu qu'ils font dans'■ l'étroite
obligation de les poffeder toutes,
pour contribuer à l'idée générale
dont nous avons parlé. Gar la plu-
part des Peintres fefoiït toujours
partagés félon leurs différentes in-
clinations 3 les uns pour -Raphaël,
les autres pour JVÎichelange , les
autres pour les Caraches, les au-
tres pour leurs Difciples 5 quelques-
uns ont préféré le Deffèin à tout,
d'autres l'abondance des penfées,
d'autres les grâces , d'autres l'ex-
preffion des paffions de l'ame : d'au-
tres enfin fe font abandonnez à l'em-
portement de leur génie , fans l'a-
voir allez cultivé par l'étude ô£ par
les reflexions.
Que ferons-nous donc de toutes
ces idées vagues &: incertaines ? Il
eft fans doute dangereux de les re-
jetter : mais le parti qu'il faut pren-
dre, c'eft de s'attacher préférable-
ment au Vrai, que nous avons fup-
ppfë dans l'idée générale. Il faut
que tous £es objets peints paroiflent
-ocr page 11-
g           Cours de Peinture
Trais 3 avant que de paroître d'une -
certaine façon 5 parce que le Vrai'
dans la Peinture eft la baze de tou-
tes les autres parties, qui relèvent'
l'excellence» de cet Art , comme
les fciences de les vertus relèvent
l'excellence de l'homme qui en efb
le fondement. Ainfl l'on doit tou-
jours fuppofer l'un & l'autre dans-
leur perfection, quand on parle des<
belles parties dont ils font fufeep-
tjbles, & qui ne peuvent faire un-
bon effet, que.lors qu'elles y font»
intimement attachées. Le Specta-
teur n'eft pas obligé d'aller cher-
cher du Vrai dans un ouvrage de:.
Peinture : mais le Vrai dans la Pein-
ture doit par fon effet appeller les>
Spéculateurs^
C'efl inutilement que l'on con^
lerveroit dans un Palais magnifi-
que les chofes du monde les plus
rares, fi l'on- avoit obmis d'y faire
des portes, ou fi l'entrée n'en étoio
proportionnée à la beauté de l'é-
difice , pour faire naître aux per--
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far Principes.               9
fennes l'envie d'y entrer & d'y fa i
tisfaire leur curiofîté. Tous les ob-
jets vifîbles Centrent dans l'efprir:
que par les organes des yeux, com-
me les fons dans la mufique n'en-
trent dans l'efprit que par les oreil-
les, Les oreilles-& les yeux font les
portes par lefquelles entrent nos
jugemens fur les concerts de mu-
fique & fur les ouvrages de Pein-
ture, Le premier foin du Peintre
auffi-bién que dû Muficien , doic
donc être de rendre l'entrée de ces
portes libre &t agréable par la for-
ce de leur harmonie, l'un dans le
Coloris accompagné de fon Clair-
obfcur', èc l'autre dans fes accords.
Les chofes étant ainfi, &. le Spec-
tateur étant attiré par la force de
Pouvrage, fes yeux y découvrent les
beautés particulières: qui font ca-
pables d'inftruire &?de divertir; Le
curieux y trouve ce qui eft propor-
tionné à fon goût, de le Peintre y
obferve les diverfes parties de fon
Art, pour profiter dubon, & rejetter
I
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i o          Cours de Teinture
le mauvais qui peut s'y rencontrer»
Tout n'en: : pas égal dans un ou-
vrage de Peinture. Il y aura tel
Tableau, qui avec plusieurs défauts
à le confiderer dans le détail ne
lailïèra pas d'arrêter les yeux de
ceux qui paflènt devant, parce que
le Peintre y aura fait un excellent
ufage de fes couleurs & de fon Clair-
obfcur.
Rernbrant, par exemple, fe di-
vertit un jour à faire le portrait de
ià, fervante, pour l'expofer à une
fenêtre & tromper les yeux des
paflans, Cela lui réiïffit y car on
ne s'apperçût que quelques jours
après de la tromperie. Ce n'étoit,
comme,on peut bien fe l'imagi-
ner de Rernbrant , ni la beauté
du defTein , ni la nobleflè des
expreffions qui avoient produit cet
effet.
^ Etant en Hollande j'eus la cu_
rîofîté de voir ce portrait que je
trouvai d'un beau pinceau & d'une
grande foxce 5 je l'achetai , &
-ocr page 14-
far Principes.              i i
il tient aujourd'hui une place con-
sidérable dans mon cabinet.
D'autres Peintres au contraire
ont fait voir par leurs ouvrages
quantité de perfections dans les dï-
verfes parties de leur Art, lefquels
n'ont pas été aflèz heureux pour
s'attirer d'abord des regards favo^.
râbles, je dis .aflez heureux , parce
que s'ils l'ont fait quelquefois , c'a
été par une difpofîtion d'objets que
le hazard avoit placés, & qui dans
le lieu qu'ils occupoient, exigeoient
un Clair-obfcur avantageux, qu'on
ne pouvoir leur refufer , & auquel
la icience du Peintre avoit très-
peu de part 5 attendu que s'il l'a-
voit fait par fcience, il l'auroit pra-
tiqué dans tous fes Tableaux.
Ainfî rien n'eft plus ordinaire
que de voir des Tableaux orner
des appartemens par la richefTe feu-
lement de leurs bordures, pendant
que l'infipidité & la froideur de la
Peinture qu'elles renferment, laif-
fent paffer tranquillement les per-
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i 2           Cours de Peinture
fonnes uns les attirer par aucune
intelligence de ce Vrai qui nous ap-
pelle.
Pour rendre là chofe plus -fëhCu
ble, je dois me fervir de l'exem-
ple des plus habiles Peintres qui
n'ont pas néanmoins pofïèdé dans
un degré -ruffifant la partie qui d'a-
bord Frappe les yeux par une imu
tatïon très-fidéle, & par- un Vrai
dont l'art nous féduife, s'il eft poil
iîble, en fe mettant au deflus mê-
me de la nature. Mais parmi les
exemples que l'on peut citer , je
n'en puis apporter de plus remar-
quable que celui de Raphaël à eau-
fe de fa grande réputation, & par-
ce qu'il eft- certain , que de tous
es Peintres il n'y en a aucun qui
ait eu tant de parties, ni qui les
ait poflèdées dans un fi haut de^
gré de perfection.
C'eft un fait qui pafle pour con-i
fiant-, que de l'aveu de plulieurs
personnes , on a vu. >fouvent des
gens d'efprit chercher Raphaël au
-ocr page 16-
par Principes.             1.3l
milieu-de Raphaël même, c'eft-à-
dire , au milieades Sales du Va-
tican , où font les plus belles cho-
fes de ce Peintre 5 & demander en ■
même-tems à ceux qui les cohi
duifoient ^ qu'ils leur fiflènt voir
des ouvrages de Raphaël, fans qu'ils
. donnafTent aucune^ marque qu'ils
en fufTent frappés du premier coup
d'ceil, comme ils fë Fétoient ima-
ginez fur le bruit de, la réputation
de Raphaël. L*idée qu'ils avoient
conçue des Peintures de ce grand
génie ne fe trouvoit pas remplie }
parce qu'ils la mefuroient à celle
que naturellement sn> doit avoir
d'une Peinture parfaite. Ils ne pou-
voient s'imaginer que l'imitation de
la Nature ne fe fit pas fentir dans
toute fa vigueur &, dans toute la
perfe&ion, à la vue des-ouvrages
d'un Peintre li merveilleux. Ce qui
fait bien voir que fans l'intelligen-
ce du Claîr-obîcur , & de tout ce
qui dépend du Coloris, les autres
parties- de- la Peinture perdent
-ocr page 17-
14          Cours de Peinture "
beaucoup de leur mérite, au point
même de perfedion que Raphaël
hs a portées.
Je puis donner ici un exem-
ple affez récent du peu d'effet que
produifent d'abord les Ouvrages de
Raphaël.* Cet exemple me vient
d'un de mes amis , dont l'efprit &
le génie font connus de tout le
monde. Il porte fon eftime pour
ce fameux Peintre jufqu'à l'admï-
ration y & il a cela de commun
avec tous les gens d'efprit. Il y a
quelque tems que fe trouvant à
Rome, il témoigna une grande im-
patience de voir les Ouvrages de
Raphaël. Ceux que l'on admire le
plus, ce font les frefques qu'il a
peintes dans les Sales du Vatican.
On y mena le curieux dont je
parle, & paffant indifféremment
à travers les Sales , il ne s'aperce-
voit pas qu'il avoit devant les yeux
ce qu'il cherchoit avec tant d'em-
preffement. Celui qui le conduifoit
l'arrêta tout à coup, & lui ditrOù.
* Moniteur de Valincoart;
-ocr page 18-
par Principes.            i j.a
allez-vous fi vite , ,Monfieur ? voilà
ee que .vous cherchez, &■ vous n'y
prenez pas garde. Notre curieux
n'eût pas plutôt apperçû les beau-
tés que Ton bon eiprît lui décou-
vroit alors, qu'il prit la refolution
d'y retourner plufieurs autres fois
pour fatisfaire pleinement fa cu-
riofité , & pour fe former le goût,
fur ce qui "le. piquoit davantage.
Qu'eût-ce été fi s'en retournant
charmé à la vue de tant de bel-
les ehofes , Raphaël l'avoit d'a-
bord appelle lui-même par l'efFec
des couleurs propres à chaque ob-
jet , foutenuës d'un excellent Clair-
obfcur ?
Le Gentilhomme dont je viens
de parler, s'étoit imaginé qu'il fe-
rait extrêmement furpris à la vue
des Peintures d'une fi grande répu-
tation. Il ne le fut point, ôc comme
iln'étoit pas Peintre, il fe contenta
d'examiner & de bien loiier les airs
de têtes , les exprelïïons , la no-
Meffe des. attitudes, & les grâces
-ocr page 19-
•h 6'"'         Cours de Peinture
qui accompagnoient les chofes qui
etojignt le-plus de la portée de fa
connoifiance ; du- refte il eut peu
de curiofké de s'arrêter aux autres
parties qui regardent, l'étude des
Peintres feulement.
Ce que je viens 'de raporcer, ef&
un fait qui-fe renouvelle fouvent y
non feulement parmi les curieux
ignorans, mais à l'égard même des
Peintres de profeffion qui n'ont en-
core rien vu des Ouvrages de Ra->
phaël.
Ce.n'eft pas que l'on ne voie quel-
ques Tableaux de Raphaël bien
coloriés»; mais l'on ne doit pas ju-
ger fur le très.petit nombre qu'il
en à fait de cette forte : c'eft fur
Je gênerai de fes-Ouvrages & de
ceux de tous le autres Peintres y
qu'on doit décider du degré de leur
capacité.
Quelques-uns obje&ent que cette
grande èc parfaite imitation n'eft.
pas de l'efTence de la Peinture, Se
que li cela étoit, on en verroit des
-ocr page 20-
far Principes.            vjr
effets dans la plupart des Tableaux;
Qu'un Tableau qui appelle, ne m-
plit pas toujours: l'idée de .celui"qui
va le trouver, & qu'il n'eft pas ne-
ceffaire que les figures qui conipo-
fent un Tableau., paroiiTent vouloir*
entrer en converfatioir avec ceiv»
qui le regardent -, ptiifqu'ôn eft biert
prévenu que ce. n'eft que delà Pein-
ture. .
Il eft. vrai que le nombre dea
Tableaux qui appellent le Spe&a-
teur, n'eft pas fort grand j mais ce
n'eft pas la faute derla Peinture,
dont l'eflence eft de furprendre les '
yeux &de les tromper v s'il eft pof~
lîble 3 il en- faut feulement imputer
la faute à. la négligence du Peintre ,
ou plutôt à fon.elprit., ..qui n'eft pas
affez élevé ni aflèz inftruit des prin-
cipes neceffaires pour forcer , s'il
faut ainfi dire, les paflans de regar-
der fes Tableaux, û d'y faire atten-
tion;
Il faut beaucoup- plus de Genre
pour faire mx bon ufage.des lumie.
-ocr page 21-
ï §           Cours de Peinture
xes & des ombres, de l'harmonie
des couleurs & de leur jufteiTe pour
chaque objet particulier, que pour
defliner correctement une figure.
Le Deflein qui demande tant de
tèms pour le bien fçavoir , ne con-
lifte prefque que dans une habitude
de mefures & de contours que l'on
répète fouvent : mais le Clair-obfcur
& l'harmonie des couleurs font un
raifonnement continuel, qui exerce
lé génie , d'une manière aulîi dif-
férente que les Tableaux font com-
pofés différemment. Un génie mo-
déré arrive necefTairement à la cor-
rection du Deffein pat fa perfeve-
rance dans le travail, 6c le Glair-
obfcur demande outre les': règles
une mefure de génie , qui doit être l
allez grande , pour fe partager Se
pour le répandre ( s'il faut ainfi par-
ler ) dans toutes les autres parties
de la Peinture.
Chacun fçait que bien que les
Ouvrages du Titien ôc de tous les •
Peintres defonEcole, n'ayant pref.
-ocr page 22-
far Principes.             i y
que point d'autre mérite que celui
du Clair-obfcur. & du Coloris, ils
ne laifTent pas d'être payei d'un
grand prix, d'être très recherchez,,
& de foutenir dans les cabinets des
curieux le mérite des Tableaux de
la première clafïè..
Quand je parle ici du Defïein,
j'entens feulement cette partie ma-
térielle ., qui par des mefures juftes
forme tous les objets régulièrement : :
car je n'ignore pas que dans le Del-
fein outre la régularité des mefures,
il y a un efprk capable d'affaifon-
ner toutes fortes de formes par le
goût & par l'élégance.
Cependant il eft aifé de voir
que ce qui a le plus de part à l'effet
qui appelle le Spectateur , c'eft le
Coloris compofé de toutes fes par-
ties qui font le Clair-obfcur, l'har-
monie des couleurs , &: ces mêmes
couleurs que nous appelions Loca-
les , lors qu'elles imitent fidelle---
ment chacune en particulier la cou-
leur- des objets naturels que le-
-ocr page 23-
>o           Cours de Peinture
Peintre- veut reprefenter. Mais cefa •
ff'empêche pas que les autres par-^
ties nefoientneceflairespour l'effet?
de toute la machine, & qu'elles ne
fe prêtent un mutuel fecours, les
unes pous former, les autres pour
orner les objets peints , pour leur-
donner du goût & de.la gi'ace, pour
inftruire les amateurs de Peinture
d'une manière, ôc les Peintres d'une
autre5 enfin rxour plaire à tout le
monde.
Ain fi l'obligation de la Peinture •
étant d'appeller & de plaire : quand:
elle=a attiré fon Spedateur, ce dei
voir ne ia difpenfe pas de l'entre-
tenir des différentes beautés qu'elle
renferme.
Il me refte prefentement à pla-'
cer'les parties de la Peinture dans
un ordre naturel, qui confirme le
Ledeur dans l'idée que je-viens de
tâcher d'établir dans ion efprit.
Et comme cette idée n'eft fondée
que fur le Vrai , c'eft par le
Traité du Vrai,dans la Peinture
-ocr page 24-
■ par 'Principes.             355
.,que je <iois entamer l'ordre que je
donnerai aux autres Traités qui
fuivront celuLci. J'y fuis d'autant
plus obligé que ce Traité, du Vrai^
îôc celui de l'idée de la Peinture
-que je viens d'expofer, ojit une il
-grande relation entr'eux , que c'eft
prefque la même xhofe. .Car tou-
-tes les parties de la Peinture ne
.valent qu'autant qu'elles portent
Je caractère de,ce vrai.
Après lldée qu'on vient d'éta.-
•blir de laPeinture,.&3.prèsle Trai-
.té du Vrai , il,ne reliera ;plus qu'à
j-alTenibler les -autres parties.de cet
Art. Et fuppofe.que les fondemens
-en fuffentbienTolides, ce.feroit le
.feul moyen de fajre un tour qui
Soit à couvert delà fauiTe, cri tique,
£t de l'infulte de ceux1 qui ne ionjt
,pas inftruits ,d.es véritables prin-
cipes.
Je vais tâcher dnen établir qui
.puiflènt lervir de pierres félidés,,,
pour bâtir un rempart.& .élever ua
•Palaisi la Peinture, où .les grajads
-ocr page 25-
ri          Cours de Peinture
Peintres, les véritables curieux,
les amateurs de la Peinture, & les
gens de bon goût puiflentfe retirer
;en sûreté.
■L'Invention donnera la penfée
de l'édifice, elle en choifira la fci-
tuation pittorefque, bizarre à la vé-
rité , & quelquefois fauvage ; mais
agréable au dernier point. Elle or-
donnera des matereaux , qui doi-
vent entrer dans la ftru&ure de ce
iPalais. Et la Difpofîtion diftribuera
les appartemens pour les rendre
Tufceptibles de toutes les folides
beautés, & de tous les agrémens
qu'on voudra leur donner.
Après l'Invention & la Difpofi-
-tion , le DerTein & le Coloris fuivis
de toutes les parties qui en dépen-
dent , fe prefentent pour l'exécu-
tion de ce bâtiment. Le Coloris
prendra le foin de vifiter toutes
chofes , & de leur diftribuer une
partie de fes dons, chacune félon
Tes befoins .& fes convenances. Il
ordonnera conjointement avec le
-ocr page 26-
par Principes.            2 3
Defleîn du choix des meubles, qui
doivent orner l'édifice. -Le DeiTein
aura feul par préférence l'inten-
dance de TArchitecture , & le Co-
loris le choix des Tableaux. Mais
tous deux travailleront de concert,
à mettre la dernière main à l'ou-
vrage , &à n'y laifler rien a defirer.
Le fi te de ce Palais pour être
.convenableà la Peinture, doit être
..varié de divers objets que la natu-
re produit de fon bon gré, fans art
,& fans culture. Les rochers , les
torrens , les montagnes , les ruif-
feaux , les forêts., les ciels, & les
campagnes avec des accidens ex-
traordinaires , fans fortir néan-
,moins du vraifemblabîe, font les
chofes les plus convenables à la fci-
■tuation ce cet édifice •,.& le Traité
.du Païfage que je donnerai enfuite,
pariera du détail de ces differens
-objets.
Parmi les hâbitans de ce Palais,
■3a Peinture y recevra la Poëfie avec
h, diftincHon qu'elle merise. Elles
-ocr page 27-
:£. à.           Cours de Peinture
.y vivront enfemble comme deux
bonnes fœurs, qui doivent s'aimer
fans jalouiîe, &c qui n'ont rien à ïe
difputer.-. Et c'eft par le parallèle
de ces deux Arts que j-e finirai l'or-
dre que j'ai crû devoir établir dans
ce fiftême de Peinture que je me
fuis propolé de donner, au Public.
Quelques perfonnes d'eiprit ont
trouvé à redire que je me ferviife s
comme je fais, du défaut de Ra-
phaël , pour confirmer mon fend-
irent .fur l'idée de la Peinture , lui
qui ne doit être.cité ( difent ils )
que comme un modèle de toute
perfedion., ,vû la réputation géné-
rale qu'il s'efl établie dans le mon-'
:de. Ils avouent bien que j'ai rai-
fon dans le fond : mais que je de
vois me fervir d'un autre exemple,
.& avoir cette complaifance avec
les gens d'efprit pour Raphaël.
Ils ajoutent que les curieux font
déjà prévenus contre moi, fur ce
qu'ils fe font imaginez que je prê-
terais JR.ubens à Raphaël, & .que
l'exemple
-ocr page 28-
far Principes.           15*j
l'exemple dont je me fervoïs pour
confirmer mon opinion les revolte-
roit entièrement au lieu de les ra-
mener, & donneroit dans leur ef-
prit une furieufe atteinte à la con-
noiiTance que l'on croit que]'ai dans
la Peinture.
Je n'ai autre chofe à répondra à
cet avis , linon qu'à l'égard de Ra-
phaël , je ne me fuis lervi de fan
exemple., c'eft-à-dire, du fait qui
arrive fouvent à la vue de fes Ou-
vrages , que parce qu'il pofiedoit
avec plus d'excellence toutes les
parties de fon Art qu'aucun autre
Peintre 5 que je tirerois plus d'a-
vantage & que j'établirois pkis fu-
rement mon fentiment fur l'idée
de la Peinture, G. je l'oppofois à
toutes les perfections de Raphaël.
Ce n'efi: donc pas méprifer Ra-
phaël que de le choifir pour exem-
ple , parce qu'il a plus de parties
qu'un autre Peintre, 8c que par-là
il fait fentir combien toutes fes
B
-ocr page 29-
,.,2»é           Cours de Peinture
belles parties perdent de n'être
point accompagnées d'un Coloris
qui appellât le Curieux pour les
admirer.
je n'écris , m pour ceux qui font
tout-à-fait favans en Peinture , ni
pour ceux qui font tout-à-fait igno-
rans.: j'écris pour ceux qui font nés
avec de l'inclination pour ce bel
Art , & qui l'auront cultivé au-
moins dans la converfation des
habiles connoiiTeurs & des favans
Peintres. J'écris, en.un mot, pou-r
les jeunes Elevés qui auront fuivi la
bonne voie , &; pour tous ceux qui
ayant quelque teinture du DefTein
&du^Coioris, & qui ayant examiné
fans prévention les -beaux .Ouvra-
ges , ont afifez de docilité pour re-
cevoir les vérités qu'on poura leur
infirmer.
Les Peintres demi -favans qui fe
font enp-aeés dans un mauvais che_
min ,&. la plupart des Savans dans
les Lettres , veulent ordinairement
-ocr page 30-
far Principes,
foutenîr de fauiïes idées qu'ils ont
formées d'abord j & fans connoître,
ni DelTein, ni Coloris, ni Raphaël,
ni Rubens, parlent de ces deux
Peintres fur une ancienne "tradition
qui bien que beaucoup diminuée
par les bonnes réflexions , a enco-
re laifle des racines dans Pefprk de
plufieurs.
Pour moi , je puis dire qu'ayant
Yii dans mes voyages avec grande
attention les plus belles Peintures
de l'Europe, je les ai étudiées avec
amour,, 8c avec la culture dont j'ai
exercé le peu de génie que la naii-
fan ce m'a donné. J'aime tout ce
qui eft bon dans les Ouvrages des
grands Maîtres ians dîftin&ion des
noms, & fans aucune complaifance.
J'aime la diverfîté des Ecoles célè-
bres 5 j'aime Raphaël, j'aime le Ti-
tien , èc j'aime Rubens : je fais tout
mon poffiblé pour pénétrer les ra-
res qualités de ces grands Peintres :
smais quelques perfections 'qu'ils
Bij
-ocr page 31-
2.-8            "Cours de Peinture
ayent, j'aime encore mieux la vé-
rité. G'eft elle qu'on doit avoir uni-
quement en vue , fur-tout quand on
écrit pour lePublic ; c'eft un refped
qu'on lui doit &; dont j'ai cru ne
pouvoir me difpenfer.
-ocr page 32-
far Pritîcifts.            • ïy
^pqpqpqpqp3P9P3W9W*^?
È> V FRAI
dans la Peinture^,
L'Homme tout menteur qu'il
eft ne hait rien tant que le
menfonge, ècle moyen le plus puif-
fant pour attirer fa confiance , c'eft
la fincerité. Ain fi il eft inutile de
faire ici l'éloge du Vrai, il n'y a péri
fonne qui ne l'aime. & qui n'en fenl
te les beautés. Rien n'eft bon, rien,
ne p Iaît fans le Vrai ; c'eft la raifon,
c'eft-l'équité, c'eft lé bon fens & la
bafe de toutes les perfections, c'eft
le but des Sciences ; &tous les Arts
qui ont pour objet l'Imitation ne
s'exercent que pour inftruire Se pour
divertir les hommes par une fidellë
rçprefentation de la Natiîrer C'eft
a]ufî que ceux qui recherchent les
Sciences, ou qui s'exercent dans les
■^rts ne iauroient fe dire heureux G.
après tous leurs foins ils n'ont trou-
A'-iij.-
-ocr page 33-
3 o         Cours de Peinture
vé ce Vrai qu'ils regardent comme ;
larecompenfe.de leurs veilles.
Outre ce Vrai général qui "doit
fe trouver par tout, il y a un Vrai
dans chacun des beaux Arts, Se dans
chaque Science en particulier. Mon
derTeîn eft de découvrir ici ce que
c'eil que le Vrai dans la Peinture Se
de quelle confequence il eft au Pein-
tre de le bien exprimer.
Mais avant que d'entrer en ma-'
tiere, il eft bon de favoir en pafTant
que dans l'Imitation en fait de Pein-
ture , il y a à obferver que bien que
l'objet naturel foit vrai & que l'objet
qui eft dans le Tableau ne foit que
feint, celui-ci néanmoins eft appel-
lé Vrai quand il imite parfaitement
le caractère de fon modèle. C'efc
donc ce Vrai en Peinture que je
tacherai de découvrir pour en faire
voir le prix Se la néceffité.
Je trouve trois fortes de Vrai
dans la Peinture.
Le Vrai Simple ,
Le Vrai Idéal,
-ocr page 34-
par Principes,            31
It le Vrai Compofé, ou le Vrai
Parfait,
Le Vrai Simple que j'appelle le
premier Vrai, eft une imitation fim-
pie & fidelle des mouvemens ex-
preffifs de la Nature, & des objets
tels que le Peintre les a choïlîs pour
modèle, & qu'ils fe prefentent d'a-
bord à nos yeux, en forte que les
Carnations paroiffent de véritables
Chairs, & les Draperies de vérita-
bles étoffes félon leur dlverfké , &
que chaque objet en détail conferve
le véritable caractère de fa nature 5
que par l'intelligence du clair-obfcur
& de l'union des couleurs, les objets
qui font peints paroiffent de relief,
& le tout enfemble harmonieux.
Ce Vrai Simple trouve dans tou_.
tes fortes de naturels les moyens
de conduire le Peintre à fa fin, qui
eft une fenfible '& vive imitation
de la Nature, en forte que les fi-
gures femblent, pour ainfi dire ,.
pouvoir fe détacher du Tableau,
pour entrer en converiation avec
B mj
-ocr page 35-
3 2           Cours de- Peinture
ceux qui les regardent.
Dans l'idée de ce Vrai Simple.,
je fais abftraclion des beautés qui
peuvent orner ce premier Vrai, de
que le génie ou les règles de l'Art
pouroient y joindre pour en faire
un tout-parfait.
Le Vrai Idéal eft un ciioix de
diverfes perfections qui ne fe trou-
vent jamais dans un-feul modèle -,
niais qui fe tirent de plufîeurs & or-
dinairement de • l'Antique.
Ce Vrai Idéal comprend l'abon-
dance des penfees, la richefle des
inventions, la convenance des at-
titude.st l'élégance des contours ,.
le choix des belles expreffions , le
beau jet des draperies, enfin tout-
ce qui peut fans altérer les premier
Vrai le rendre plus piquant & plus
convenable. Mais toutes ces per-
feclions ne pouvant fubfîiler que
dans l'idée par raport à la Peintu-
re , ont befoin d'un fujet légitime^
qui les conferve et qui les faite pa-
roître.avec avantage 5 & ce. fujet;
-ocr page 36-
far Principes.             35
légitime eft le Vrai Simple : de mê-
me que les vertus morales ne font
que dans l'idée fielles n'ont un fujet
légitime , c'eft-à-dire , un fujet
bien difpofé pour les recevoir & les
faire fubfifter , fans quoi elles ne
feroient que de fauffesapparences.
& des fantômes de vertu.
Le Vrai Simple fubfifte par lui-
même , c'eft l'afTaifonnement des
perfections qui l'accompagnent -r
c'eft lui qui les fait goûter & qui les
anime : 6c s'il ne conduit pas lui feu 1
à l'imitation d'une Nature parfaite
( ce qui dépend du choix que le
Peintre fait de fon Modèle ) il con-
duit du moins à Pimitation de la
Nature qui eft en général la fin du
Peintre. Il eft confiant que le Vrai
Idéal tout feul mené par une voie
très - agréable j mais par laquelle
lé Peintre ne pouvant arriver à la
fin de; fon ^ Art eft contraint de
demeurer en chemin , & l'unique
fecours qu'il doir attendre pour
^'aider à remplir fa carrière doit ve-
B-v-
-ocr page 37-
34         Cours de Peinture
nir du Vrai Simple. Il paroît donc
que ces deux Vrais, le Vrai Simple
Se le Vrai Idéal font une compofé
parfait, dans lequel ils fe prêtent
un mutuel fecours, avec cette par-
ticularité , que le premier Vrai per-
ce &. ;fe fait fentir au travers de
toutes les perfedions qui lui font.
jointes.
Lé troifiéme Vrai qui eft compo-
fé du Vrai Simple & du Vrai Idéal
fait par cette jondion le dernier
achèvement de l'Art, & la parfaite
imitation de la belle Nature. Cell
ce beau Vraifemblable qui paroît
fou vent plus vrai que la vérité-mê-
me:, parce que dans cette jondion
le premier Vrai faifit le Spedateur,
fauve plufieurs négligences, & fe
fuit fentir le premier fans qu'on y
penfe.
Ce troilîéme Vrai, eft un but où.
perfonne n'a encore frappé j on
peut dire feulement que ceux qui
en ont le plus approché font les plus'
habiles. Le Vrai Simple & le Vrai
-ocr page 38-
par Principes.             35
Idéal ont été partagés félon le gé-
nie &• l'éducation des Peintres qui
les ont poffedés. Georgion, Titien,
Pordenon, le vieux Palme, les Baf-
fans, & toute l'Ecole Vénitienne
n'ont point eu d'autre mérite que
d'avoir pofledé le premier Vrai. Et
Léonard de Vinci , Raphaël, Ju-
les Romain, Pôlidore de Carava~
ge , le Pouffin , & quelques autres
de l'Ecole Romaine , ont établi leur
plus grande réputation par le Vrai
ïdeal ; mais fur-tout Raphaël, qui
outre les beautés du Vrai Idéal a
poffedé une partie eonfîderable du
Vrai Simple ,& par ce moyen a plus
approché du Vrai parfait qu'aucun
de fa Nation.' En effet il pàrôît que
pour imiter la Nature dans fa varié-
3 il fe fervoit pour' l'ordinaire
d'autant de naturels dîfferens qu'il
avoit de différentes figures à repre-
fenter ; & s'il y âjoûtoic quelque
chofe du fîen, c'étoit pour rendre
^es traits plus réguliers1, & plus ex-
pteffifs 5 ea confervant toujours le
B:v]
-ocr page 39-
3 é          Cours de peinture
Vrai & le caraclere fîngulîêr de fon-
modele. Quoiqu'il" n'ait pas entiè-
rement connu le Vrai Simple dans-
les autres parties de le Peinture , iî
avoit cependant un tel goût pour
le Vrai en général que dans la plu-
part des parties du corps qu'il def-
ilnoit d'après Nature , il les expri-
moit fur fon papier comme elles-
éfoïent eirec1:ivement,pour avoir des.
témoins de la vérité toute fimpîe,
& pour la joindre à l'idée qu'il s'é-
mit
faite de la beauté de l'Antique :
conduite admirable qu'aucun au-
tre Peintre n'a tenue auffî heureufe-
ment que Raphaël depuis le réta-
bliflement de la Peinture.
Comme le Vrai Parfait eft un>
conipofé du Vrai Simple & du Vrai
Idéal, on peut dire que les Peintres
font-habiles félon le degré auquel
ils poffedent lés parties du premier
& du fécond Vrai, & félon l'heureu-
iè facilité qu'ils ont acquife d'en fai-
re un bon compofé.
Après avo2-r établi le Vrai de la:
-ocr page 40-
par Principes. '            xt:
Feinture , il eft bon. d'examiner fi*
les Peintres qui ont exagéré les con-
tours de leurs figures pour paroîtrc
fâvans , n'ont point abandonné le'
Vrai en fortant des bornes de la Sim-
plicité régulière.
Comme les» Peintres appellent;
du nom de charge & de chargé.
tout ce qui eft outré, Si. que tout ce
qui eft outré eft hors de la Vraifem--
blance 5 il eft certain que tout ce •
qu'on appelle chargé eft hors du
Vrai que nous venons d'établir. Ce—
pendant il y a.des contours char-
gés qui plaifent, parce qu'ils font
éloignés de la. baftèfTe du naturel
ordinaire, èc qu'ils portent avec eux.
un air de liberté & une certaine idée,
de grand goût, qui irapofe à la plu-
part des Peintres, lefquels appellent
du nom de grande manière ces for-
tes d'exagérations. .
Mais ceux qui ont une véritable *
idée de Ja correftion , de !a {impli-
cite régulière, &.dei'élégance de
là Nature , traiteront de fupexflot
-ocr page 41-
3 8 '         Cours de Peinture
ces charges qui al tirèrent -'toujours'
la vérité. On ne peut néanmoins
s'empêcher de louer dans quelques
grands Ouvrages les chofes char-
gées , quand une raifonnable dif-
tance d'où on les voit les adoucit
à nos yeux , ou qu'elles font em-
ployées avec une difcretion qui
rend plus fenfible le cara&ere de
la vérité.
Il y a eu des Peintres qui bien
loin de rechercher une jufte mo-
dération dans leur deflein , ont af-
fecté d'en rendre les contours èc
Jes mufcles prononcés au-de-là
d'une jufteiTe que demande leur
Art, & cela dans la vue de pafïèr
pour habiles dans l'Anatomie, 6c
dans un goût de DefTein qui attirât
Feftime de la Pofterité : mais ce mo-
tif auffi-bien que leurs tableaux ont
un certain air de pédanterie bien
plus capable de diminuer la beauté '
des Ouvrages , que d'augmenter la
réputation des Peintres qui les ont
faits.
-ocr page 42-
far ■■Principes, .              $$•■■
ïleft'Vrai que le Peintre eft obli-
gé de favoir l'Anatomie, èc les exa-
gérations piquantes qui en déri-
vent , parce que l'Anatomie eft le
fondement du Deffein & que les
exagérations peuvent conduire à la.
perfedion ceux qui favent en pren-
dre & en laifler autant qu'il en faut 5
pour accorder la jufteffe & la fîm-
plicité du Deffein avec le bon goût.
Ces exagérations font- fuportables
& fouvent agréables dans les Def-
feins qui ne font que les penfées des
Tableaux ■■ & le Peintre favant
s'en peut fervir utilement lorfqu'ii
commence Se qu'il ébauche fon
Ouvrage : mais il doit les retran-
cher quand il veut que fon Tableau
paroiûe. dans fa perfedion, com-
me un Architede retranche & re-
jette le ceintre qui lui a fervi à bâ-
tir fa voûte.
Enfin les-Statues Antiques qui
©■nt paifé dans tous les tems pour la
régie de la beauté, n'ont rien de
chargé, ni rien d'afFedé, non plus
-ocr page 43-
■"'          Cours de Peinture
que les Ouvrages de ceux qui'les"
ont toujours fuivies, comme Ra-
phaël , le Pouffin, le Dominiquain y
& quelques autres,
Non-feulement toute afFe&atiorf
déplaît, mais la Nature eft encore
obfcurcie par le nuage «de la mau-
vaife habitude que les Peintres ap^
pellent Manière.
Pour, bien entendre ce principe,'
il eft bon de favoir qu'il y a deux-
fortes de Peintres. Quelques-uns!,
qui font en petit nombre peignent
félon les principes de leur Art, 6c
font des Ouvrages où. le Vrai fe
rend aflez fenfible pour arrêter le
Spectateur 6c lui faire plaiflr. D'au-
tres peignent feulement de prati-^
que par une habitude expéditive
qu'ils ont contractée d'eux-mêmes
ians raiibnner, ou qu'ils ont appri-
fe de leurs Maîtres fans réfléchir.
Ils- font quelquefois bien par ha-
zard ou par reminifeence, & tou-
jours médiocrement quand ils tra-
vaillent de leur propre fond. Com-
-ocr page 44-
far Principes:            4*'
me ils ne fe fervent que rarement;
du Naturel ,,ou qu'ils leréduifent à-
l£ur habitude , ils: n'expriment ja-
mais ce Vrai, ni ce Vraifemblable
qui eftY l'unique objet du véritable
Peintre, Scia fin de la Peinture.
Au refte, de< tous les beaux Arts,
celui où. le Vrai fe doit trouver le
plus feniiblement efl fans doute la
Peinture. Les autres Arts ne font'
que réveiller l'idée des chofes ab-
sentes , au lieu que. la Peinture les?
fupplée entièrement,. & les rend
prefentes par fon eflence qui ne;
confifte pas feulement à plaire avftc.
yeux , mais à les tromper.
Apelles faifoit lès portraits fi vrais
& fi refTemblans dans l'air, 8c dans
le détail du vifage, qu'un certain
faifeur d'iiorofcopes difoit en les>
voyant tout ce qui étoit du tempé-
rament de- la perfonne peinte, &c>
les chofes qui dévoient lui arriver v.
Appelles, a-voît. donc plus, de foin,
d'obferver le Vrai dans fes portraits,...
que. de les embellir en les altérant,:..
-ocr page 45-
4'i          Cours de Peinture.
En effet le Vrai a tant de char-
mes en cette occafiôn, qu'on le doit
toujours préférer au fecours d'une
beauté étrangère. Car fans le Vrai
les portraits ne peuvent conferver
qu'une idée vagué & confufe de
nos amis, ■& non pas un véritable
cara&ere de leur perfonne.
Que conclure de tout ce raifon-
nement ? Sinon qu'il y a dans la
Peinture un premier Vrai, un Vrai •
effentiel qui conduit plus directe-
ment le Peintre à fa fui, un Vrai
animé qui non feulement fublifte
Se* vit par lui-même , maïs encore
qui donne la vie à toutes les per-
fections dont il eft fufceptible , &
dont on veut le revêtir , & que ces
perfections ne font que de fécon-
des vérités qui toutes feules n'ont
aucun mouvement 5 mais qui à la
vérité font honneur au premier
Vrai lorfqu3elles lui font attachées.
Et ce premier Vrai de la Peinture
eft, comme nous avons die, une imi-
tation fimple & ridelle des motu
-ocr page 46-
fràr Principes,            43:=
Yemens expreffifs de la Nature, 2c.
des objets tels qu'ils le prefentent
d'abord à nos yeux avec, leur va-
riété &. leur cara&ere.
Il paroît donc que tout Peintre
qui non feulement négligera ce pre-
mier Vrai, mais qui n'aura pas un>:
grand foin de le bien connoitre Se.
de l'acquérir avant toutes chofes ,
ne bâtira que fur le fable , & ne.
pafiera jamais pour un véritable
Imitateur de la Nature^ & que tou-
te la perfection de la Peinture con-
frfte dans-les trois fortes de Vrai que
mdus: venons d'établir.
-ocr page 47-
4k/          Cours de Peinture
mmmmmmnw
COPIE D'VNE LETTRE
de Monjîeuf du Guet} à\ une Dame
de qualité qui lui avoit envoyé le
'
Traite ci-devant', & qui lui en-
dveit demande fa fenfèë.*
Le neuvième Màrs'1704..
£E Traité du Vrai dans la Pein-
ture, Madame^ m'a plus in_
ftruit 6c m'a donné un plus folide
plaifir que les dîfcburs-dont vous
lavez que j'ai été fi content. Il
m'a paru n'être pas-feulement un-
abrégé des règles, mais en décou-
vrir le fondement & le but ; &c j'y
ai appris avec beaucoup de fatisfa-
Jtion le fecret de concilier deux cho-
fés qui me fembloientoppofées, d'i-
miter la naturel denefe pas bor-
ner à l'imiter 5 d'ajouter à les beau-
tés pour les atteindre, & de la cor-
riger pour la bien faire fentir.
Le Vrai Simple fournit lemouve-
a^ent &la vie. L'Idéal lui choi-fîe
-ocr page 48-
far Principes.            ^
-avecart toutce qui peut l'embellir
fdL'le rendre touchant ; 6c il ne le
choifît pas hors du VraiSimple qui
elt pauvre dans certaines parties,
mais riche dans fon touç.
Si le fécond Vrai ne fuppafe pa$
le premier 3 s'il l'étouffé & l'empê-
che de fe faire plus fentir que tout
ce que le fécond lui ajoute;, l'Art
s'éloigne de la Nature,.ilfe montre
au lieu d'elle , il en occupe la place
au lieu.de la reprefenter,;il trom-
pe l'attente du -Spe&ateur ,,& non
les yeux , il l'avertit du'.piège & ne
fait pas le lui préparer.
Si au contraire le premier Vrai
qui a toute la vérité du mouvement
,& de la vie , mais qui n'a pas tou-
jours l.a nobleiïe , l'exactitude , ,ôc
Içs grâces qui fe trouvent .ailleurs ,
demeure fans le fecours d'un fécond
Vrai toujours grand et parfait, il
ne plaît qu'autant qu'il eft agréa-
ble & fini :.,& le Tableau perd tout
»ce qui a manqué à fon modèle.
.L'ufage donc de ce fécond Vrai
f3-                                            ........ <■•.'•
-ocr page 49-
/$&           Cours de Pe:?!ture
eonfîfte à fuppléer dans chaque fa-
jet ce qu'il ri'avoit pas h mais qu'il
pouvoir avôïr-,& que la Nature avoir
répandu dans quelques autres, &; de
réunir âînjfi ce qu'elle divife prefque
toujours.
Ce fécond Vrai, à parler dans la
rigueur , eft prefque auffi réel que
le premier ; car il n'invente rien,
mais il choifit par tout. Il étudie
^tout ce qui peut plaire , " inftruire.,,
animer. Rien ne lui échappe, lors
même qu'il paroît échappé au ha-
zard. Il arrête par le Deffein ce qui
-ce fe montre qu'une fois $ èc il s*en-
richit de mille beautés différentes,
pour être toujours régulier , ôc ne
jamais retomber dans les redites.
G'eft pour cette raifon , ce me
semble .> que l'union de ces deux
Vrais a un effet fi furprenant : car
alors c'eft une imitation parfaite de
ce qu'il y a dans la Nature de plus
ipirituel, de plus touchant, &c de
«plus parfait.
Tout eft alors Vrai (emblable
-ocr page 50-
far -Principes.            .^rj
.©arcecme tout eft Vrai; mais tout
. efl mrprenant, parce que tout eft ra-
re. Tout fait imprelîion, parce que
l'on a. .obfery.é tout ce qui eft capa-
ble d'en faire : mais rien ne paroît
affecté, parce qu'on a choilî le na-
turel en clioififlant le .merveilleux
;■,& le parfait.
C'eit s'écarter de ces régies &
, de la fin de la Peinture, que de vou-
loir faire remarquer, une beauté au
préjudice d'une autre , ou que de
vouloir être eitimé par une partie
-de non par le tout. Le DefTein , la
coiinoiilance de l'Anatomîe , lede~
iir même de plaire & d'être aprou-
,vé,doivent céder à la vérité. Il faut
.que la Peinture enlevé le Spectateur
dans les premiers momens, & qu'on
;ne revienne au Peintre que par l'ad-
miration de fon Ouvrage.
Monfîeur de Piles a très "heureu-
sement marqué le caractère du Ti-
tien par le Vrai Simple dans fa plus
grande force, & celui de Raphaël
i'anpblijTement du Simple .uni
-ocr page 51-
/jç%           Cours de Peinture
à Pldeal : Se je ne fai fi l'on pouvôït
établir une manière plus fpirituelle
& plus univerfelle pour juger du
mérite des plus grands -Peintres ,
qu'en allant au-de-là de leurs ef-
forts & de leurs fuccès ,&: marquant
pour terme l'union des deux Vrais
qu'ils ont dû chercher , &: qu'ils
n'ont pu atteindre.
Je ne fai , Madame , pourquoi
j'en dis tant, mais vous verrez par-
là combien je fuis plein de ce que
je viens de lire , & quelle eftime je
fais des chofes que je ne puis m'em-
pêcher de vous rapporter lors même
•que je cemprens que je les gâ-
te 6clesafFoiblis. Je fuis, Madame,
avec tout le refpect poffible,
Wetre ire s,humble
,& très-obêiffant
Serviteur^ ***„
-ocr page 52-
: par ^Principe s a • 45
d e rïN v e iïrj'o &
POur garder quelque ordre ëh
parlant-des parties de la Pein-
ture , on peut la confiderer de deux
façons , ou dans un jeune homme
qui -l'étudié , ou dans mn Peintre
confommé qui la pratique. Si on
la regarde de la manière dont elle
s'apprend , on doit commencer par
s'entretenir du Deflein , puis du
Coloris, &C finir par la Compofî=-
tion : parce qu'il eft inutile d'imagi-
ner ce qu'on voudroit imiter , fi on
ne le fait pas imiter,^ que la repré-
sentation des objets ne fèpeuç faire
que par le DefTein '& par le Colo-
ris. Mais-à regarder cet Art dans
fa perfe&ion & dans l'ordre dont
il s'exécute, fuppofé de plus dans
le Peintre une habitude confcm-
e àcs parties de fon Art, pour
C
1
-ocr page 53-
-5-0           Cûiirs âe Peinture
l'exercer avec facilité , la premiè-
re partie qui fe préfente à nou,s
eft l'Invention. "Car pour repréfen-
ter des objets, il faut fa voir quels
objets on veut repréfenter. G'elt
rde cette ^dernière forte que j'en-
vifage ici la Peinture , dans la vue
d'en .donner une idée plus pro-
portionée au govk du grand nom-
bre.
Plufleurs Auteurs en parlant de
Peinture, fe font fervis du mot d'In-
.vention , pour exprimer des cho-
ies .différentes. Quelques-uns s'en
font fait une telle idée , qu'ils ont
crû qu'elle renfermoit toute la
compofition .d'un Tableau. D'au-
tres fe font imaginés que d'elle dé-
pendoit la fécondité du Génie , la
nouveauté des penfées 5 la manière
de les tourner , -.& de traiter un
même fujet de différentes façons.
Mais quoique ces chofes foient ex-
xellentes , pour foutenir l'Inven-
tion , pour l'orner, pour lui donne*
de la,chaleur ^ & pour la .rendre
-ocr page 54-
far Principes.            y*
vive "8e piquante , elles n'en font
néanmoins, ni le fondement, ni l'efl
fence. Un Peintre qui rîsaora point
toutes ces chofes, peut fatisfaire a
cette partie, par la juftefTe de fes
penfées ., par la prudence de icti
choix, & par la folidicé de fon ju-
gement.
L'Invention n'étant qu'une par-
tie de la compofition , elle n'en
peut pas donner une idée complet-
te. Car la conipofition comprend
•'■& l'Invention, ôe la Difpofîtion 5
autre chofe eft d'inventer les ob-
jets, autre chofe de les bien pla-
cer. Je ne m'arrêterai point ici à
réfuter les. autres idées que l'on a
eues fur l'Invention, 8e j'eipere vous
:1a définir d'une manière fî vraie &
fî fenfîble , que je ne préfume pas
qu'il y ait là-defîus aucune diverfî-
îé de fentimens.
Il me par oit donc que f Inven-
tion .eft un choix des objets qui
doivent entrer dans la compofition
du jfujet que le Peintre veut traiter.
Cij
-ocr page 55-
ff %           Cours de Peinture
Je dis que c'eft un choix, parce
:que les jobjets ne doivent point
çtre introduits dans le Tableau in-
, confidérément, & fans contribuer à
Texpref£on.&:au cara&ere du fujet.
Je dis encore que .ces objets doi-
vent entrer dans la compofition
du Tableau ,,& non pas la faire toute
entière, afin de ne point confon-
dre l'invention avec la -Difpofition,
Se de laïiïèr à celle - ci toute la li-
berté de ia fonction, qui confifte
à placer ces mêmes objets avanta-
geufement.
LesJ?oëtes auffi bien que les Ora-
teurs ont plufieurs ftyles pour s'ex-
primer ,feloç le fujet qu'ils ont en-
trepris de traiter -, &. deMà dépend
le .choix des paroles , de l'har-
monie 3 s& du .pour des penfées. Il
en eft de même '.dans la Peinture :
.quand le Peintre s'eft déterminé à
quelque fujet,il eft obligé d'.y pro-
portionner le choix.d.e les figures,
,$i de .tout,ce qui les accompagne;i
,& les Peinties .comme les Poctef
-ocr page 56-
par Principes,           . '
oritleur flyle élevé' pour les c&ofes
élevées , familier pour celleâ qui
font ordinaires, paftoral pour les"
champêtres, 8e ainfi du relte. Quoi-
que tous- ces ftyles differens con-
vienne à-toutes les parties de la
Peinture-, ils font néanmoins plus
particulièrement du reflbrt de l'in-
vention. Mais cette matière eftd'u-'
rre aflez grande étendue , pour
faire le fujet d'un Traité particu-
lier.
L'Invention par rapport à là"
Peinture fe peut confidererd'e trois
manières ': elle éff, ou Hiftorique
fimplement, ou. Allégorique,, ou
MyfKquc;           , .
Les Peintres fe fervent ave c rau
fon du mot d'Hiftoire , pour figni-
fier le genre de Peinture le- plus
confiderable , &c qui confifte à met-
tre plufieurs figures enfembie^ &
l'on dit : Ce Peintre fait l'Hiftoire 5
cet autre fait des Animaux , celui-
ci du Païfage; celui-là des Fleurs,
^ainiî du reile. Mais il y a de la
Oïj v * \
-ocr page 57-
j4'         Cours de Teinture
différence entre la dîvifion dès gen-
res de Peinture. & la divilîon de
l'Invention. Je me fers ici du mot
d'Hiftoire dans un Yens plus éten-
du : j'y comprend tout ce qui peut
fixer l'idée du Peintre, ou inftruire
le -Spectateur , 6c je dis que l'Inven-
tion amplement Hiftorique eft un
choix d'objets , qui Amplement-
prar eux-mêmes réprefentent le
ftfjet.
Cette forte d'Invention ne re-
garde pas feulement toutes les Hi-
âoires vraies êcfabuleufes, telles
qu'elles font écrites dans les Au-
teurs , ou qu'elles font établies par
la Tradition : mais elle comprend
encore les portraits des perfonnes,
la réprefentation des païs, des ani-
maux, & de toutes les produdions
de l'Art & de la Nature. Car pour
faire un Tableau , ce n'eft point
allez que le Peintre ait fes couleurs
& fes pinceaux tout prêts y il faut,
comme nous avons déjà dit, qu'a-
vant de peindre, il ait refolu ce
-ocr page 58-
far Principes,             ff
du'il veut peindre, ne fut-ce qu'une-
neur , qu'un fruit, qu'une5 plante ,
ou qu'un infecte. Car outre que le-"-1
Peintre peut borner fôiî idée à leur
feule représentation, elles font ca-
pables fouverit de nous inftruire.
Elles orit leurs vertus <k leurs pro-'
prietés. Ceux qui en ont écrit, ôc
qui ont accompagné.leur Ouvrage'"
de figures démonftratives y l'ont
nommé du nom d'Hiftoire \ &: l'on-
dit l'Hiftoire4€S Plantes, l'Hiftoire
des Animaux , comme on ditl'Hi»"
ftoire■■ d'Alexandre.- Ce n'eftr pas
que l'Invention Amplement Hifto-
rique n'ait; fes degrés , &■ qu'elle
ne foit plus ou moins eftimable v-
félon la quantité des cliofes qu'elle
contient, & la qualité du choix ô£
du génie.
L'invention allégorique eft un
choix d'objets qui ïèrvent à répre-
fenter dans un Tableau, ou en tout,
ou en partie , autre chofe que ce
qu'ils font en effet. Tel eft par
exemple ■■> le Tableau d'Apelle qurj
lllj
-ocr page 59-
5 6           Cours de Peinture
réprefente la Calomnie duquel Lu-
cien fait la defcription. Telle efï :
la Peinture morale d'Hercules en-
tre Venus &: Minerve , où ces Di-
vinités Payennes ne font introdui-
tes que pour nous marquer l'attrait
de la Vertu. Telle eft celle de i'E-
colQ-d'Athènes où plufieurs figures .
de tcms , de païs , 8c de condu
tions différentes concourent,a re-
prefenter la Phiiofophie. Les trois
autres Tableaux qui font au Vati-
can dans la même chambre , font
traités dans le même genre d'Al-
légorie. Et-fi l'on veut faire atten-
tion à ce qui s'eft pafle dans l'an-
cien Teftàment, on trouvera que
les faits qui y font raportés, ne font
pas tellement d'Hiftoire Simple ,
qu'ils ne foient auffi * Allégoriques,
parce qu'ils font des Symboles de
ce qui devoit arriver dans la nou-
velle Loi. Voila des exemples de
iujets qui font Allégoriques en tout
ce qu'ils contiennent.
* I, .Cm, io. 6.
-ocr page 60-
far Principes.'            5 gjp*
Les Ouvrages donc les objets
né font Allégoriques qu'en partie^
attirent plus facilement- & plus
agréablement notre attention, patf.
ce que le Spe&ateur qui> eft aidé
par le mélange des figures pure-
ment Hiftoriques,demêle avec plai-i
fit les Allégories qui les aecom-i
pagnent. Nous en avons un exerm
pie autentique dans les bas-reliefs
de la Colonne Antonine\ où le •
Sculpteur ayant a exprimer une
pluie que la legipn Chrétienne
avoit obtenue par fes prières * , m-2
troduit parmi ces Soldats un Ju->
piter pluvieux, la barbe éc les clie-^
veux inondés de l'eau qui em couJ
lé avec abondance, Jupiter n'effe
pas répreienté là comme un E)ieit
qui fafle partie de l'Hiftoire î mais a
* Ce fait arriva fous le Règne de Marc~:
Aurele , qui érigea cette Colonne
, où il fit re-
présenter en bas relief les Guerres qt^it eut con-~
ire les Allemans & contre les Sarmates
, & qui
$ar. ïéconnùiffance fit mettre'fur cette même'co-
lonne , la Statue Û'Antonin qui t'avait adopté a si
l'Eingtre.
Cv-
-ocr page 61-
5 8            Cours de Peinture
comme un Symbole qui îîgnïfîé
pluie parmi les Payens. Les anciens
Auteurs en parlant des Ouvrages
de Peinture de leur tems ,nous rap-
portent quantité d'exemples, d'Al-
légories > & depuis le renouvelle-
ment de la Peinture, les Peintres
en ont fait un ufageallez fréquent :
6  iî quelques- uns en ont abufé s
c'eft que ne fâchant pas que l'Al-
légorie eft une efpece de langage
qui doit être commun entre..plu-
sieurs perfonnes, & qui eft fondé fur
un ufage reçu, &. fur l'intelligence
des livres de Medailles,ils ont mieux
aimé, plutôt que de les conful-
ter , imaginer une Allégorie parti-
culière, qui bien qu'ingenieufe n'a
pu être entendue que d'eux-mêmes.
L'Invention Myftique , regarde
notre Religion : elle a pour but de
nous inftruire de quelque Myftere
fondé dans l'Ecriture , lequel nous:
eft repréfenté par plufieurs objets
qui concourent.à nous enfeigner
une vérité,
-ocr page 62-
fer Principe s: \            j^-'5
,Nos Myfteres & les points de
foi que l'Eglife nous propefe, nous
en fournhTent quantité d'exemples.
Le deuxième Concile de Nicée
ayant laifTé la liberté d'expofer aux
•yeux des Fidèles le Myftere-de la
Trinité r les Peintres repréfente-nt
le Père fous lafigure d'un Vénéra-
ble Vieillard -, le Fils dans fon hu-
manité ^ tel qu'il a paruàfes Difci-
<ples après fa Refiirredion j_& le S»
Lfprit fous l'apparence d'une Co-
lombe: Lé Jugement Univerfel, le -
Triomphe de l'Eglife ^ ceux de la
Loi, de la Foi, & de l'Ëuchariftie
font encore de cette Nature. Parmi
la quantité d'exemples que les ha-
biles Peintres nous ont laiffés 5 j'en,
rapporterai un très-ingénieux , dont
te conferve chèrement l'efquiÂe co-
lorié, il repréfente le Myftere- de ■'
l'Incarnation,
Si l'Auteur du Tableau avoît
voulu peindre l'Annonciation ' Hi-
ftoriquement, il fe feroit contente
4e faire voir la. Vierge dans une ::
-ocr page 63-
é o          Cours de Peinture
Simple chambre , fans autre com-
pagnie que celle de l'Ange : mais
ayant refolu de traiter ce Sujet en
Myftere,il a placé la fainte Vierge
fur une efpece dé trône, où étant
à genoux, elle reçoit humblement,
mais avec dignité , Tambaflade de
l'Ange, pendant que Dieu le Père
qui avoit traité avec fon Fils du
prix de la Rédemption des hom-
mes , a/fifte, pour ainfi dire, à l'exé-
cution du- Contrat. Il eft affis ma-
|eftueufement , appuïé fur le glo-
be du monde, entourré de la Cour
Celefte, &; ayant à fa droite là Ju-
stification &. la Paix qu'il étoit con-
venu de-donner à toute la terre. Il
envoie fon faint Efprit , pour opé-
rer ce grand Myftere. Cet Efpric
Saint eft entouré d\m cercle d'An-
ges qui fe tiennent par la main,Se
qui jerejouifTent de ce que lespla>
ces des mauvais Anges alloient être .
remplies par les hommes. Plu-
sieurs-Anges qui terminent cette
partie celefte de Tableau , tien<
-ocr page 64-
■par Principes. \            6H '■
aetit dans leurs mains difrerens- at-
tributs que l'Eglife appliqueà la Ste.
Vierge , Se* qui- font voir que cet-
te Créature étoit la plus digne de
la grâce dont elle étoit comblée.
Tout ce grand Spe&acle compofe
la partie* fiiperieure du Tableau. En
bas font les Patriarches qui ont fou-
haité la, venue du Meffie , les. Pro-
phètes qui Pont prédite, les Sibylles
qui en ontparlé, & de petits Génies
qui concilient les PafTages des Sibyl-
les avec ceux des Prophètes. C'eft
ainfî que - ce,- Tableau repréfente
Myftiquement la vérité _8fc la gran-x
deur de'foh Sujet. '
Voilà les trois manières dont on
peut concevoir l'Invention : c'eft-à-
dire l'Invention fîmplement Hifto^
rique , l'Invention Allégorique , ô£
rinvention Myftique. Voyons ce
que ces trois fortes d'Inventions ont
de commun-entr?elles, Ôcpuis nous
parlerons des-qualités que chacune
exige en.' particulier.
Le.Peintre qui a du génie trou*..
-ocr page 65-
6 ï          Cours de Peinture
vê dans toutes les parties "de fon"'
Art une ample matière de le faire
pâroître : mais celle qui lui fournit
plus d'occafions de faire voir ce -
qu'il a d'efprît, d'imagination } &
de prudence, eft fans doute l'Inven-
tion. C'eft par elle que la Peintu-
ré marche de pas égal avec la Poë-
iîe , & c'eft elle principalement qui
attire l'eftinie des perfonnes les plus
eftimables, je veux dire des gens
d'efprît, qui noncontens de la feu-
le imitation des objets , veulent
que le choix en foit juftepourl'ex- ■
preflïon du fujet,
Mais ce même gehie veut être
cultivé par lés connoiflances qui
ont relation à la Peinture -, parce
que quelque brillante que foit no-
tre imagination , elle ne peut pro-
duire que les chofes dont notre ef-
prit s'eft. rempli, & notre mémoire
ne nous rapporte que les idées de ce
que nous lavons ,'&: de ce que nous *
avons vu, C'eft félon cette mefure
-ocr page 66-
fdr Frinvipes.              65
que lés talens des particuliers de-
meurent dans la bafleflé des objets
communs, ou s'élèvent au fublime, ,
par la recherche de ceux qui font
extraordinaires. C'eft par-là que
certains Peintres qui ,ont cultivé
leur efprit ont heureufement fup- -
pléé au génie qui leur manquoit
d'ailleurs ., & que s'élevant avec leur
fujet, leur fujet. s'élève & s'agran-
dit avec eux.: Sans les connoiffances
nécelfaires f on fait beaucoup de
fautes 5 avec elles, tout fe prefente
& fe range en fon ordre infenfible-
ment.
Il eft bon néanmoins que les jeu-
nés gens après être fortis des étu-
des eflentiellesà leur Art, & avant
de donner des preuves ferieufes &■.
publiques de leur capacité, exer-
cent leur o-enie fur toutes fortes de
îujets : &. comme un ~vm nouveau
qui exhale violemment fes fumées
pour rendre avec le tems fa liqueur :
plus agréable 3 ils s'abandonnent à
l'ixhrjretuofité de leur imagination. 2
-ocr page 67-
ê 4           Cours dé Peint are '
&que laiflant évaporer Tes prérhfdi'
xqs faillies 3 ils épurent après queU
que tems- les images de leurs pen- -
fées.
Mais qu'ils ne fe fient pas tant à la
bonté de leur eiprit , qu'ils con-
fult£nt leurs amis éclairés , afin de :
découvrir l'efpece, & la mefure de
leur talent. Qu'ils fe regardent com-
me une plante qui veut être culti-
vée dans un terrein plutôt que dan3
un autre, pour porter ion fruit dans
fa faifon,-
De cette manière fî ïe choix dû
fujet dépend du Peintre, il doit pré-
férer celui qui efl proportionné à
l'étendue & à la nature de fon gei
nie , & qui foit capable de lui four-
nir matière de l'exercer dans la par- -
tie qu'il pofTede avec plus d'avan-'-
tage. M faut que pour donner delà "
chaleur à fon imagination , il tourJ ■-
ne fes idées de différentes façons-
il faut'qu'il life phtfieurs fois fort
fujet avec application- afin que l'L
mage>'en forme-vivement dans foia>>
-ocr page 68-
far Principe'Si            &'p
ciprit,& que félon la grandeur, de
la matière., il le .lame emporter
jufqu'à l'enthoulîafme , qui eft le
propre d'un grand Peintre. & d'un
grand :Paëte;
Comme, le P eintre ne peut re-
préfenter dans un même Tableau
que ce qui fe. voit, d'un-coup d'oeil
dans la Nature, il ne peut par cohj
fequent nous y expofer ce qui s'eft
pafle dans des tems differens : Et if
quelques Peintres- ont pris la liber-
té de faire le contraire , ils en font
inexcufables, à moins qu'ils n'y
ayent été contraints par ceux qui
les ont employés ou qu'ils n?ayent
eu dans la penfée de compofer un
fujet Myftérïeux ou Allégorique 3
_ comme eu .le Tableau de FEcole
d'Athènes.-.
Mais quand le Peintre a une fois
bien choifi fon fujet, il eft très à
propos qu'il, y* fafTe entrer les cir-
conftances qui peuvent fervir à for,
tifier lecara&ere de ce ni ême fujet', ,
&>.à:• le .faire . connoître > -pourvu *
-ocr page 69-
6' 6          Cours de Peinture
qu'elles n'y foient pas eh afïezgrancP
nombre pour laffer notre attention :
mais plutôt que le choix en foit aC
fez judicieux pour exercer agréa-
blement notre efpritV Et ces cir~
confiances regardent , le lieu , le-
tems, & les perfonnes. •
Ainfî il eft encore fort a propos ''-
que le Peintre en inftfuifant fon
Spectateur, le divertifïè par la varie- -
té. Elle fé trouve dans les fexés, dans
les âges, dans les'païs, dans les con-
ditions, dans les attitudes , dans les
expreffions , dans la bizarerie des
animaux ; dans les étoffes, < dans les "■
arbres , dans les édifices, &; dans
tout ce qui peut exercer 1'efprit, 8c
orner convenablement la feene d'un ]
Tableau. Je ne voudrois néanmoins
approuver cette abondance d'ob-
jets , & cette variété fi agréable
d'elle-même , qu'autant qu'elle fe-
rait convenable au fujet,& qu'elle
y auroit du moins une relation in-
Ifcru&ive,
Gar comme il y a des fujets qui
-ocr page 70-
far Principes,             G'y
ne* refpirent que la joie ou la tran-
quilité , il y en a d'autres qui font"
lugubres ou qui doivent être repre-
fentés dans une agitation tumuî-
tueufe. Il y en a qui demandent de
la gravité, de la dignité , du ref-
ped, du fflence', &c quelquefois de
la folitude , lefquels ne peuvent
fouffrir que peu de figures • com-
me il s'en trouve qui en font fcfcep-
tibles d'un grand nombre, &d'une.
varieté d'objets telle que la pruden-
ce du Peintre y voudra introduire :■-
car il faut que tout fe rapporte au
Héros du fujet,& conferve une unité
bien liée & bien entendue..
Ce font-là les chofes qui con-
viennent en général à ces trois for-
tes d'Inventions • il nous refte à voir
ce qui eft propre à chacune.
Entre les qualités que peut avoir
l'Invention fimplement Hiftorique,
j?en remarque trois, k Fidélité,
la Netteté, & le bon Choix, j'ai ob-
servé • ailleurs que la. fidélité de.'
l'Hiftoire n'éxoit pas deTejlTen.ee. de.
-ocr page 71-
é'S          (fours dé Peinture
la Peinture 5 mais une convenante-
indifpenfable à cet'Art.'Et quoique
lé Peintre ne foit Hiftorien que par
accident, c'eft'toujours une grande
faute que de fortir mal de ce que
l'on entreprend, j'eiitens par la fi-
délité de THiftoire, l'étroite imi-
tation * des" chofes ' vraies ou fabu-
leufes telles qu'elles nous font con-
nues' par les Auteurs, ou par la Tra-
dition. Il eft fans doute que cette
Imitation 'donne d'autant plus de -
force à l'Invention , & relevé d'au-
tant plus' le prix du Tableau, qu'el- ■
le conferve de fidélité.
Mais ftle Peintre a l'induftrie de
mêler dans fon fujet quelque mar- •
que d'érudition qui réveille l'at-
tention du Speclateur fans détrui-
re la vérité deJ'Hiftoire , s'il peut
introduire quelque trait de Pocfie
dans les faits Hiftoriques qui pour- ■
ront le fôuffriï \eniin mot, s'il trai-
té fes fujets félon la licence modé-
rée qui eft permife aux Peintres &:
aux Po êtes , il rendra (es Inven^. -
-ocr page 72-
fdr Principes.            -6**
: tions élevées ,&: s'attirera une gran-
de diftin&iom"'La.Fidélité eft donc
ila première qualité de i'Hiftoire.
La féconde eft la. Netteté , en
forte que le Spectateur .fuffifam-
;ment inftruit dans. PHiftoire rdéve-
lope facilement celle que le .Pein-
tre aura voulu.réprefenter. D'où il
s'enfuit qu'il faut .pt.tr l'équivoque
par quelque marque qui ioit pro-
; pre au iujet v& qui. détermine l'eu
prit en fa faveur. Je parle des iiijets
qui ne font pas fort ordinaires j car
pour ceux qui font connus ,du Pu-
blic, & qui ont été plufieurs fois ré-
pétés , ils n'ont pas befoin de cette
précaution.
Que fi le fujet .n'eft point afTez,
connu , ou qu'on ne puifTe xaifon-
nablement y introduire quelque
objet quile déclare , le Peintre ne
doit point héûter d'y mettre une
infeription. Entre plufieurs exem-
ples que les Anciens Se les Moder-
-nes nous en fourni(Tent, j'en choi-
.îirai feulement d,eux qui font t-rjes
-ocr page 73-
•"jo           Cours de Peinture
.connus, l'un eft de Raphaël, & Pau-
tre d'Annibai Carache. Celui-ci
ayant peint dans la 'Galierie Far-
:nefe le moment ou Ancliife cher-
che à donner des marques de fon
amour à la Déefle'Venus., & vou-
lant empêcher qu'on ne prît A ri-
dule pour Adonis, s'eft ingenieufe-
. ment iervi du mot de Virgile, *
. Genus unde Latinum,, qu'il a écrit
au delTous du lit dans l'épailTeurde
Teflrade. Et Raphaël dans fon Par-
nail'e où il a placé Sapho parmi les
rPoctes,, a écrit le nom de cette fa-
-vante fille, de peur qu'on ne la con-
fondît avec les Mufes.
La troifiéme qualité de l'Hiftôi-
*ce confifte dans le choix du Sujet,
Iuppofe que le Peintre en foit le
anaître : parce qu'un fujet remarqua-
ble fournît plus d'occafions d'en-
richir la fcene Se d'attirer l'atten-
:tion. Mais fi le Peintre fe trouve
^engagé dans un petit fujct, il faut
'* Ce mot veut.dire : Cefl à'oh vient îorigmt
Àts Latins.
-ocr page 74-
■par'Principes.            -7.1
■•qu'il tâche,de le rendre grand par
la manière .extraordinaire. dont il
le traitera.
L'Invention Allégorique exige
^pareillement trois qualités. La pre-
mière .eft d'être intelligible. C'eft
un auffi grand défaut de tenir îong-
tems l'attention en fufpend par des
Symboles nouvellement inventés ,
comme c'eft une perfection que de
l'entretenir quelques niomens par
dés-figures Allégoriques connue:,,
reçues , & employées ingenieufe-
ment. L'obicurité rebute l'efprit, &
4a netteté le fait jouir agréablement
;de fa découverte.
La féconde qualité de l'Allégorie,
.eft d'être autorifée. Ripa en a écrit
un Volume exprès qui eft entre
-les mains des Peintres : mais ce qui
• eft de meilleur dans cet Auteur., eft
ce qu'il a extrait des Médailles An-
tiques : ainfi l'autorité la mieux rer
rçûe pour les Allégories, eft celle de
l'Antiquité,parce qu'elle eft incoiî-
-Êeftable.
-ocr page 75-
«**&           Cours de Peinture
La troifiéme qualité de l'Allégo-
rie , eft d'être néceflaire-, car tant
, que l'Hiftoire fe peut éclaircir par
des objets /impies, qui lui apartien-
nent,: il eft inutile de chercher des
ïecours/étrangers qui l'ornent bien
moins qu'ils ne l'embarâiTent.
A l'égard de l'Invention Myfti-
que , comme elle eft entièrement
confacrée à notre Religion, il faut
; qu'elle foit pure , & fans mélange
d'objets tirés de laFabîe. Elle doit
• être fondée fur l'Ecriture , ou fur
THiftoire Ecclefîaftique. Nous en
..avons-une foairce très vive dans les
iParaboles dont jefus-Chrift s'eft fer-
vi, & da-nsl'Apocalypfe dont nous
devons refpeéter * l'obfcurité fans
; être obligés de l'imiter. .Le Saint
Eîprit qui fouffle où il veut fe fait
entendre quand il lui plaît : mais
:1e Peintre qui ne.peut,, ni pénétrer, '
ni changer l'efprit de fon Spe&a-
iteur,, doit toujours faire fes efforts
jîoux fe rendre intelligible.
* Skut nmbtx eju$ ira & lumen ejus.
Comme
-ocr page 76-
far Principes.            73
- Comme rien n'eft plus faint, plus
grand, ni plus durable que les Myf.
•teres de notre Religion, ils ne peu-
vent être traités d'un fl y le trop ma-
jeftueux. Tout ce qui plaît ne plaît
pas toujours, &: les plus grands plai-
firs finiflent ordinairement par le dé-
goût 3 mais celui que donne l'idée
de la grandeur & de la magnificen-
ce ne finit jamais.
Au relie de quelque manière que
l'Invention foit remplie , il faut
qu'elle paroiffe l'effet d'un Génie fa-
cile, plutôt que d'une pénible ré-
flexion 3 8é s'il y a des talens pour
la facilité , il y en a aulîi pour cou-
vrir la peine ; les uns èc les autres
ont leur mérite ôc leurs partifans.
Heureux celui qui a reçu, de la
Nature un génie capable de cou-
rir la vafte carrière de la partie
dont je viens de parler, 6c de bien
clioifir fes objets pour rendre fon
fujet intelligible, pour l'enrichir, &
pour inftruire fon «Spectateur. Mais
plus heureux encore le Peintre, qui
D
-ocr page 77-
74         Cours de Peinture
après avoir connu tout ce qui con-
tribue à une belle Invention , fe
connoît beaucoup plus foi- même ?
.& qui fait la jufte valeur de fes pro-
pres forces : car la gloire d'un Pein-
tre ne confifte pas tant à entrepren-
dre de grandes chofes . qu'à bien
fortir de celles qu'il aura entreprifes.
-ocr page 78-
far Principes,
DESCRIPTION DE L'ECOLE
D'ATHENES,
Pour fervir d'exemple au Traité de
l'Invention
Tableau de Raphaël.
CE Tableau qui porte le nom de
l'Ecole d'Athènes a été diverfe-
ment conçu, par ceux qui en ont
fait la Defcription -, Se il eft allez
extraordinaire que Vafari entr'au-
tres, qui vivoït du tems de Raphaël,
fe foit fi fort mépris dans l'expli-
cation qu'il en a publiée, qu'il ait
négligé de puifer a la fource même
-les instructions dont il avoit befoin
pour parler d'un Ouvrage qui fai_
îoit tant de bruit dans toute l'Italie.
Cet Auteur qui en a écrit le pre-
mier , dit que c'eft l'accord de la
Philofophie & de l'Aftrologie avec
la Théologie. Cependant on ne
voit aucune marque de Théologie
dans la composition, de ce Tableau.
Dij
(
-ocr page 79-
»? <?           Cours de Peinture
Les Graveurs qui l'ont donnp
au Public, y ont mis mal à propos
une Inlcription tirée des Aétes de
faint Paul, pour nous induire à croi-
re que cet Apatre après avoir ren-
contré un Autel où étoît écrit, au
,Dieu inconnu, JgnotoDeo3 fe pre-
fente ici devant les Juges de l'A-
reopage pour leur donner la con-
noiflance du Dieu qu!ils ignoroient,
& pour les ïinitruire de la Réfur-
reclion des Morts dont les Epicu-
riens ôc.lesStoïciens difputoient en-
tr'eux.
Auguftin Vénitien s'eft encore
iplus lourdement trompé , lorfque
dans l'Eftampe de cinq ou fix figu-
res qu'il a gravée , lefquelles font à
main droite du Tableau, il a fup-
pofé que le Philofophe qui écrit
étoit laint Marc , £z que le jeune
iiornme qui a un genouil en terre
étoit l'Ange Gabriel qui tient une
table où. ce Graveur a mis la Sa^
lutation Angélique , Ave , Maria
& le refte.
»
-ocr page 80-
par Principes'.            77
H eft inutile d'emploïer ici beau*
coup de tems à réfuter ces erreurs
également groffieres, je1 me con-
tenterai feulement de raporter les
quatre Figures du plat-fond qui ré-
pondent aux quatre fujets qui foné
peints dans la Chambre où eft ce
Tableau, & qui les de lignent incon-
testablement.
La première reprefente la Theo-s
logie avec ces mots, Scientia Divi-
narum Rerum.
La féconde, la Philofbphie avec
ces mots. Caufarum cognitio.
La troifiéme, la jurisprudence
avec ces mots, Jus fuum unicuique
tribuens*
La quatrième, la Poëfie avec ces
mots, Isfumïne ajflatur.
La figure qui reprefente la Phi-
lofophie eft au deftiis du Tableau
dont nous parlons, appelle commu-
Kemment l'Ecole d'Athènes 5 ainfï
l'on ne peut mettre en doute que
cette Peinture ne reprefente la Phi-
-ofophje, comme on le verra plus
D iij
-ocr page 81-
7 8           Cours de Peinture
clairement par le détail que j'en
vais faire.
La fcene du Tableau eft un édi-
fice d'une magnifique Architedure
eompofée d'Arcades & dePilaftres,
èc difpofée d'une manière à rendre
fa perfpedive fuyante 3 fon enfonce-
ment avantageux, & à donner une
grande idée du fujet. Ce lieu eft
rempli de Philofophes, de Mathé-
maticiens , & d'autres perfonnes
attachées aux Sciences -y & comme
ce n'eft que par la fucceiTion des
tems que la Philofophie eft parve-
nue dans le degré de perfedion où
nous la voyons, Raphaël qui vouloit
repréfenter cette fcience par l'af-
femblée des Philofophes , n'a pu le
faire en joignant ceux d'un îiecle
feulement. Ce n'eft point une Am-
ple Hiftoire que le Peintre a vou-
lu repréfenter, c'eft une allégorie
où la diverfité des tems 6c des païs
n'empêche point l'unité du fujet.
Le Peintre en a ufé ainfi dans les.
trois autres Tableaux de la. même
/
-ocr page 82-
par Principes.            79"
chambre où il a. peint la Théolo-
gie , la Jurisprudence-, ôc la Poëfie,
L'on voit dans le premier les dif-
ferens Pères de l'Èglife $ dans le fé-
cond les Jurifconfultes 3 Si: dans le
troifiéme , les Poètes de tous les
tems.
L'idée que donne la difpofition
de toutes les figures de ce Tableau,
èc la nature de leurs diverfes occu-
pations , font croire facilement que
leurs entretiens ne peuvent être
qu'entre des gens remplis de plu-
fîeurs connoiflances, comme font
les Philofophes. On y reconnoît
même Pythagore, Socrate, Platon ,
Ariftote avec leurs Difciples , ôc
l'on y voit parmi les Philofophes
des gens occupés des Sciences Ma-
thématiques. •
Sur le milieu du plan d'en-haut
font les deux plus fameux Philofo-
phes de l'Antiquité, Platon &; A-
rïftote. Le premier tient fous le
bras gauche un livre > fur lequel eft
écrit ce mot Italien , Timeo , titre
D iiij
-••
-ocr page 83-
8o          Cours de Peinture
que porte le plus beau Dialogue de
Platon 5 & comme cet écrit traite
myftiquement des cliofes naturelles
par raport aux Divines, ce Philo-
sophe a le bras droit levé , & mon-
tre le Ciel comme la caufe fuprême
de toutes cliofes.
A la gauche de Platon, eft fon
Dîfciple Ariitote, qui tient un livre
appuie contre fa cuifTe, fur lequel
©n lit ce mot, Eticba, c'eft-à-clire
la fcience des mœurs 5 parce que ce
Philofophe s'y efb principalement
attaché 5 & le, bras qu'il a étendu
eft une aétion de pacificateur & de
modérateur des parlions, ce qui con-
vient parfaitement à la morale.
De côté & d'autre de ces deux
grands Philofophes, font leurs Dif-
ciples de tous âges, dont les figu-
res font grouppées ingenieufement
bc difpofées de manière à faire pa-
roître avantaçeufement les deux
principales, ôc qui font les Héros du
Tableau. Et bien que les attitudes
de ces Difciples foient différentes,.
-ocr page 84-
far Principes,             8 r
elles montrent toutes une grande
attention aux paroles de leurs Maî-
tres.
Derrière les Auditeurs de Pla-
ton , eft Socrate tourné du côté
d'Alcibiade qui eft vis-à-vis de ce
Philofophe. L'un & l'autre font
vus de profil. Socrate fe reconnoît
à fa tête-chauve &: à fon nez ca-
mus. Alcibiade eft un beau jeune
homme en habit de guerrier , les
cheveux blons flottant fur fes épau-
les , & fon armure bordée d'un or-
nement d'or , une main fur le côté
& l'autre fur fon épée ;.Philofophe
&. Guerrier tout enfemble , il fe
montre attentif au difcours de So-
crate, lequel accompagne fes paro-
les d'une adion très-expreffive. 11
avance les deux mains, & prenant
de la droite le bout du premier
doigt de la gauche , fait concevoir
parfaitement qu'il explique & qu'il
veut faire entendre clairement fa
penfée, pendant que tous fes Dif-
ciples ont attention à ce qu'il dit.
Dv
-ocr page 85-
b'z          Cours de Peinture
A côté d'Alcibiade eft Antiffenc-
le Corroyeur en qui Socrate trouva
tant de difpofition à laPhilofophie,
qu'il lui en enfeigna les principes, &.
que cet Artifan quitta fon métier
pourfe rendre lui-même un célèbre.
ProfefTeur en Morale dont il a écrit
3 3. Dialogues. C'eft lui qui eft le
chef des Philofophes Ciniques. Le
Peintre pour varier fes figures & leur
donner du mouvement, feint que
derrière Alcibiade , un homme fe
tourne ■& étend la main pour appel-
ler à la manière Italienne , & pour
hâter un Serviteur qui apporte un
livre &un grand rouleau de papiers
qu'on appelloit anciennement un
volume j ôc dernére ce Serviteur on
voit le vifage d'un autre qui la main
au bonnet femble répondre avec ref-
pe& à celui qui l'appelle.
Parmi les Difciples d'Ariftote ,
Raphaël a pareillement rendu fen-
fîble l'attention qu'ils ont aux paro-
les de leur maître II y en a un en-
tr'autres qui ayant compris les Dé-
-ocr page 86-
■par Principes-            b.
monftratïons d'Archimede, monte
de l'Ecole des Mathématiques ,
félon la coutume des Grecs à cel-
le de la Philofophie , & s'informant
à une perfonne qu'il rencontre ou
Ton enfeigne cette fcience , elle lut
montre Ariftote & Platon.
Auprès de cette figure , eit un
kune homme ftudieux , lequel ap-
puyé contre la bafe d'un pilaft^^
Lnbes l'uneïur l'autre la tête in-
clinée fur fon papier, écrit ce qu il
vient d'apprendre, pendant quun
Vieillard fur la même baie, le men-
ton appuie fur fa main, regarde en
reposée que le jeune homme vient
d'écrire.                        .
* Entre les figures qui terminent
ce côté du Tableau, eft Démo-
crite qui envelopé dans Ion man-
teau le conduit dans cette affem-
blée 'à l'aide de fon bâton a la ma-
nière des aveugles: car fur la nu
de de finit» bon. & mal. hv. XXIX. ïdèmi
I. v. ££. XXXIX. Aul. Gell. i« c. XVII. ex La-
Dvj
-ocr page 87-
$4           Cours de Peinture
de fa vie il s'aveugla volontaire-
ment pour être moins diftrait dans1
fes réflexions philofophiques. Le
Peintre a pu le reprefenter dans ce
grand âge,pour nous apprendre que
l'homme doit travailler jufqu'au
tombeau à s'inftruire &: à fe def-
abufer.
Dans le grouppe du côté droit
fur la première ligne , il eft aifé de
démêler Pythagore afîis, qui écrit
les principes de fa Phiiofophie ti-
rée des proportions harmoniques de
la Mufique. A côté de ce Philofo-
pheeft un jeune homme tenant une
table où font marqués les accords
& les confonnances du chant en Ca^
ra&eres Grecs > qui fe lifent ainfi. :
Hiafente , Diapafon , Diateffaron ,
termes aflez connus des habiles Mu-
siciens. On dit même que ce Philo^
fophe eft: auteur de la démonftration
de ces confonnances dont Platon
fon Difciple forma les accords &
les proportions harmoniques de
l'ame.
-ocr page 88-
far Principes,.             8 f
Pythagore eftaffis 6c vu de profil
tenant un livre fur fa cuiflè. Il pa-
roît appliqué à faire voir le rapport
des nombres de la Mufique , avec
la fcience des chofes naturelles. Aiu
près de Pythagore font fes Difciples
Empedocle , Epicarme , Archite j
i/undefquels affis à côté de fon Mau
tre , 6c qui a la tête chauve , écrie
fur fon genouil, 6c qui tenant d'une
main fon encrier 6c de l'autre fa plu-
me fufpendue , ouvrant les yeux &
ferrant les lèvres, montre par cet-
te a&ion combien il eft occupé à
ne rien laiffer perdre des écrits de
Pythagore.
Derrière ce Philofophe , un au-
tre Difeiple la main fur la poitrine,
s'avance pour regarder dans le Li-
vre 5 c'efl celui qui a un bonnet fur
fa tête, le menton rafé , les mouf-
tacbes de la barbe pendantes, &
uneagraffe à fon manteau ; 6c tout
cet ajuftement n'a point d'autre fin
wraiferablablement que la diverlî-
que Raphaël a toujours, recher-
-ocr page 89-
Î6          Cours de Peinture
cliée dans ks Ouvrages. Sur le der-
nere de ce grouppe on remarque le
vïfage 6c la main d'un autre Philo-
fophe , lequel un peu incliné , ou-
vre les deux premiers doitgs de la
main en aâion de compter à la
manière Italienne , & femble par
là expliquer le Diapaion , qui eft
une double confonnance décrite par
par Pythagore.
Dans le coin du Tableau , il y a
un homme ras , tenant un livre iur
le pied-d'eftal d'une Colonne, dans
lequel il paroît écrire avec appli-
cation. On croit que cette figure eft
le portrait de quelque Officier de
la maifon du Pape , parce qu'il a
une Couronne de chêne qui eft le
Corps de la devife du Pape Jule 11.
à qui Raphaël dédia cet Ouvrage,
comme à fon bienfaiteur , & com-
me à celui qui avoit ramené le Siè-
cle d'or en Italie pour les beaux.
Arts.
Tout auprès & à l'extrémité du
Tableau , on. voit un Vieillard qui
-ocr page 90-
far Principes..             2j
tient un enfant -. celui-ci d'une ma-
nière conforme à fon âge, porte la
main au livre de celui qui écrit. Il
femble que le Vieillard n'a mené
cet enfant qu'à defTeih de décou-
vrir s'il a de l'inclination pour les
Sciences 3 témoignant par là qu'ori
ne fauroit trop tôt fonder & culti-
ver le talent que l'on a reçu de la
Nature.
A côté de cegrouppe de figures
on voit un jeune homme d'une air
noble , enveloppé d'un manteau
blanc a frange d'or , la main fur la
poitrine : on croit que c'eft Fran-
çois Marie de la Rovere neveu du
Pape , & que ce jeune homme eft
reprefenté fur cette Scène à caufe
de l'amour qu'il avoit pour les beaux:
Arts.
Un peu plus avant quePythagore ,
un autre de fes Difciples, un pied
fur une pierre, levant le genouil,.
&. foûtenant un livre d'une main ,
paroît copier de l'autre quelques
endroits remarquables qu'il veut
-ocr page 91-
tiT          Ce un de Peinture
concilier avec les fentimens de fon
Maître. Cet homme pourroit bien
être Terpandre ou Nicomaque, ou
quelqu'autreDifciple de Pythagorer
qui croyoit que le mouvement des
étoiles étoit fondé £ur des raifons- »
rnuficales.
Plus avant l'on voit un Philo-
sophe feul, lequel appuyé lecoude
fur une bafe de marbre, la plume
à" la main, regarde fixement à ter-
re, &; femble être attaché à refoudre
quelque grande difficulté. H eft
vêtu d'une faie groffîere avec des
bas négligemment renverfés , &
fait juger par cet ajufternent Chi-
pie que. les Philofophes donnent
très-peu d'attention à l'ornement
de leur corps , & qu'ils mettent
tout leur plaifir dans les réflexions
& dans la culture de leur efprit.
On voit fur la féconde marche
Diogene à part à demi-nud , fon
manteau rejette en arrière, & au-
près de lui fa taffe qui eft fon Sym-
bole. Il paroît dans une attitude de
-ocr page 92-
far Principes.               &$>%
ncglîgence, Se convenable à un Ci-
nique , qui tout abforbé dans la
Morale méprife lé fafte & les gran-
deurs de la terré.
Du côté gauche; fe voient plu-
fieurs Mathématiciens , dont la
Science qui confifte dans ce qui efl
fenfible , ne laiffe pas d'avoir rela-
tion à la Philofophie qui regarde-
les chofes intellectueiles.
La première de ces figures efl'
Archimede fous le.Portrait de l'Ar-
chitecte Bramante , qui le corps
courbé Se le bras étendu en bas,
mefure avec le compas la figureexa-
gone faite de deux triangles équi-
Tateraux , & femble en faire la dé-
monftration à fes Dilciples. Il a au-
tour de lui quatre Difciples bien-
faits , qui dans des actions différen-
tes font paroitre , ou l'ardeur d'a-
prendre , ou le plaifir. qu'ils ont de*
concevoir. Le Peintre les a repreten-
tés jeunes, parce qu'il falloit avoir
apris les Mathématiques avant que
de pafTer à l'étude de la Philofo-
-ocr page 93-
5?6           Cours de Peinture
phie. Le premier de ces DiTciples a*
an genouileri terre ,1e. corps plié, h
main fur la cuiiîè&; les doitgs écar-
tés , eft attentif à la figure démon-
ftrative. Le fécond qui eft derrière
lui debout, la main fur l'épaule de
fon compagnon , avance la tête ,
ôc regarde avidement le mouve-
ment du compas. Les deux autres
font à côté è'-Âtchimede , de Ce font
avancés à portée de voir commo-
dément. Le premier un genouil en
terre fe retourne, & montre la fi-
gure à celui qui eft derrière lui, &
qui fe penchant en avant, les bras
plies &-iufjL>endus , fait voir ion ad--
miration, &le plailîrqu'il a de s'i'n-
flruire. Vafari veut que celui-ci foit
le Portrait de Frédéric IL Duc de
Mantoue, qui pour, lors le trouvoit
à Rome.
Derrière Arcliimede font deux
Philofophes , dont l'un tient le
Globe celefte, &; l'autre le Globe
terrefle. Le premier par la maniè-
re dont il eft vêtu,paroît avoir quel-
-ocr page 94-
par Principes.            91 ■
que rapport aux Chaldéens, Auteurs
de l'Aftronomie, ôc l'autre que l'on
ne voit que par derrière, mais qui
a la Couronne Royale fur la tête,,,
fait prélumer qu'il eft Zoroaftre
Roi de' la Badriane , lequel fut
grand Aftronome tk. grand Philofo-
phe. Ces deux Sages s'entretiennent
avec deux jeunes hommes qui font
au coin du Tableau, dont l'un eft
le Portrait de Raphaël auteur de
cette Peinture.
Voilà la manière favante, fubli-
me &: judicieufe dont Raphaël a
choili les fujets pour produire une
des plus belles Inventions qui ayenr
jamais paru en ce genre. Mais non
content d'expofer (on fujet par les
différentes perfonnes qui le compo-
fent, il a voulu encore que les Sta-
tues &, les bas-reliefs, qui font des
ornemens de fon Architedure ,
contribuaffent en même-tems à la
richeffe &à l'exprefîion de fa penfée.
Car les deux Statues qui paroif-
fent de l'un & de l'autre, côté du
-ocr page 95-
«fi Cours de Peinture
Tableau, font celles d'Apollon m
de Minerve 5 Divinités qui préîi-
dent aux Arts & aux Sciences. Et
dans le bas relief qui eft au deflbus
de la figure d'Apollon, eft reprefen-
tée la iource des paiîîons l'Irafcible
& le Concupifcible j l'Irafcible
par un Furieux qui outrage impi-
toyablement ceux- qui ie trouvent
à fa rencontre $ & le Concupifci-
ble par un Triton qui embraiîe une
Nymphe dans l'élément qui a don-
né la naifîance à- Venus. Et comme
Je vice ne ie dompteque par laVertu-
qui lui eft contraire, le Peintre a
reprefenté au-deifous de la figure
de Minerve dans un autre bas relief,
la Vertu élevée fur des nuées ,,
ayant une main fur la poitrine où.
refide la Valeur ,&c de l'autre mon-
trant aux mortels par le Sceptre
qu'elle tient, le pouvoir de ion Em-
pire. Auprès de la Vertu, eft la figu-
re du Lion dans le Zodiaque j cet
Animal étant le fymbole de la For-
ce, laquelle en Morale ne fe peuc,
-ocr page 96-
far Principes            ,9$
acquérir que par les .bonnes,habi-
tudes. ,
C'efl ainfî que Raphaël par la
beauté de fon génie, par la fineffe
de fes penfées, & par la folidité de
fon efprit, a mis devant nos yeux
4e fujet allégorique de la :Phi|ofo=
|)hie.
!
-ocr page 97-
Cours de Peinture
:$4
X>£ Z^ DISPOSITION".
DAns la divifion que j'ai faite
de la Peinture, j'ai dit que la
compofition qui en eft la première
partie, contenoit deux chofes, l'In-
vention Si. la Difpofîtion.En traitant
de l'Invention, j'ai fait voir qu'elle
confiftoitàtrouverles objets conve-
nables au fujet que lePeintre veut re-
préfenter. Mais quelque avantageux
que foit le fujet, quelque ingenieu-
Je que foit l'Invention , quelque ri-
delle que foit l'imitation des objets
que le Peintre a choifis, s'ils ne font
bien diftribués, la composition ne
fatisfera jamais pleinement le Spec-
tateur deiîntereiTé, .& n'aura jamais
une approbation générale. L'ceco-
nomie&lebon ordre eft ce qui fait
tout valoir, ce qui dans les beaux
Arts attire notre attention, .& ce.
-ocr page 98-
far Principes.            ,f),<:
, qui tient notre efprit .attaché jui-
qu'à ce qu'il foit rçmpli descho-
,-fes qui peuvent dans un Ouviage££
l'iniîruire , .& lui plaire en roême-
tems. Et c'eft cette Oeconomie que
j'appelle proprement Difpofition.
Dans cette idée , la Difpofition
contient fix parties.
i. La Diftnbution des Objets ça
gênerai.
2.'Les Grouppes.
3.  Le choix des Attitudes.
4.  Le contrafte.
5.  Le jet des Draperies.
6.  Et l'effet du Tout-enfemble 5
, où par qccafion il eft par lé de l'Har-
monie & de l'Enthoufîafme.
J'examinerai toutes ces parties
dans leur rang le plus fuccinclemenf
,& le plus nettement qu'il me fera,
.pqffiblc.
-ocr page 99-
$6          Cours de Peinture
De la diftribution des Objets en
gênerai.
Comme les differens fujets que
ie Peintre peut traiter font innom-
brables , il n'eft pas poffible de les^
rapporter 'tous ici 5 bien moins en-
core d'en faire voir en détail la
idifpofîtion. Mais le bon fens , èc
la qualité de la matière doivent
déterminer le Peintre à donner
aux objets qu'il aura choifis les pla-
ces qui leur conviennent pour rem-
plir les devoirs d'une bonne corn-
pofition.
Da-ns la composition d'un Ta-
bleau , le Peintre doit faire en forte,
autant qu'il lui fera poffible, que le
Spe&a-teur foit frappé d'abord du
caractère du fujet, & que du moins
après quelques momens de réfle-
xion , il en ait la principale intel-
ligence. Le Peintre peut faciliter
xette intelligence en plaçant le
Héros du Tableau & les principa-
lesiïgures dans les endroits les plus
,apparcns,
-ocr page 100-
■fat TriTicip'es.              f^f
spparens , fans affectation néan-
moins-mais félon que le fujet, S£
la vraifemblance ie requereront.
Car l'œconomie dépend de la qua-
lité du fujet , qui eft tantôt pateti-
queSc tantôt enjoué ,-tantôt héroï-
que & tantôt populaire, tantôt ten-
dre & tantôt terrible , &'. enfin qui
demande plus ou moins de-mouve-
ment , félon qu'il eft plus ou moins
vif ou tranquille. Mais fi le fujet
infpire au Peintre une bonne cecono-
mie dans la diftriburion des objets,
la bonne diftributîon de fon côté
fert merveilleùferoent à exprimer le
fujet. Elle donne de la force ■& de
la grâce aux chofes qui font inven-
tées 3 elle tire les figures de la con-
fufion, & fait que ce que l'on repré-
sente eft plus net, plus fenfible &
plus capable d'appeller, & d'arrêter
fon Spectateur.
Cette diftributîon des objets en
général regarde les Grouppes & les
Grouppes refultent.dela liaifon des
objets. Or cette.liaifon fe doit con-
E
-ocr page 101-
,€)S           -Cours de Peinture
iiderer de deux manières : ou , par
rapport au.Deflein feulement , op
par rapport au Clair-obfcur. L'une
& l'autre manière concourent à em-
pêcher la diffipation des yeux, §£
à les fixer agréablement.
La liai Ton des objets par rapport
feulement au Deffein, .& fans avoir
égard au Clair-obfcur , regarde
principalement les figures humai-
nes, dont les a&ions, les conver-
sations & les affinités exigent fou-
vent qu'elles foient proches les unes
des autres. Mais quoique cela ne
fe trouve pas toujours fi jufte en-
tre plufieurs perfonnes qui fe ren-
contrent enfemble, il fuffit que la
chofe foit poflible , ôc qu'il y ait
aflez de figures dans la compofî-
,tion d'un Tableau , pour donner oc-
cafion au Peintre de prendre fes
avantages , & de faire plaifir aux
yeux en pratiquant cette liaifon , .
iorfqu'il la jugera agréable & vrai-
femblable.
II. eft impoffib.le de defcendre
-ocr page 102-
par Principe!.            '-yy
i dans un détail qui falTe voir la ma-
nière dont il faut traiter ces fortes
de Grouppes en particulier , on s'en
doit repofer fur le génie & far les ré-
flexions du Peintre. Cependantpour
en prendre une idée jufte,& s'en for-
mer un bon goût, on pourra confuî-
ter les beaux endroits des grands
Maîtres en cette partie, :& entr'au-
tres de Raphaël, de Jules Romain,
6c de Polidore. Ils ont fouvent joint
plusieurs figures d'une manière, où.
l'on voit tout l'efprit, & tout l'agré-
ment que l'on peut defîrer en ce gen-
re de Grouppes. Mais avant que d'e-
xaminer les endroits que ces excel-
îens hommes ont lailïe pour exem-
ples, il efl bon d'être averti que les
liaifons dont nous avons parlé,tirent
leurs meilleurs principes du choix
des Attitudes & du Contrafte.
Du choix des Attitudes.
La partie de la Peinture qui eft
comprife fous le mot d'Attitude,
qui renferme tous les mou.vemens
Eij
-ocr page 103-
iqo . Cours de Peinture
.du corps humain, & qui demainie
une connoiffànce exacte de la Pon-
dération , doit être examinée à fond
dans un Traité particulier qui a re-
lation à celui du-Deflein. Et com-
me elle eft auffi du reffort de 1a
difpofition par rapport à la forte de
Grouppedont nous parions, je dirai
feulement en cette occafton que
quelque Attitude que l'on donne
aux figures pour quelque forte de
fujet que ce puiffe être , il faut
qu'elle ■ rafle-voir de belles parties
autant que la nature du fujet peut
le fouffirir. Il-faut de plus, qu'elle
ait unk-tour, qui fans fortir de la
-vraifemlslance, ni du caractère de
-la perfonne , jette de l'agrément
dans l'a&iqn.
JEn effet ,iln'y a rien dans l'imi-
tation où l'on ne puiffe faire entrer
de -la grâce , .ou par le choix , ou
par la manière d'imiter. Il y a de la
grâce dans l'exprefîion des vices \
.comme dans celle des vertus. Les
actions extérieures d'un Soldat., ont
-ocr page 104-
far Principes'.          i o "
leurs grâces particulières qui coa-
viendroient mal à une femme, coms
me les actions d'une femme ont des
grâces qui conviendroient mal à irtï
Soldat. En un mot la connoiiîance
du caractère qui eft attaché à cha-
que objet, & qui regarde principa-
lement les fexes, les âges, & les
conditions , eft" le fondement dur
bon choix, 6c la four ce où l'on puife
les grâces convenables à chaque fi-
gure. Il eft donc aifé devoir que le
choix des belles Attitudes fait la;
plus grande partie des beautés du
Grouppe. Voyons maintenant de
qu'elle manière le Contrafte ycon-»
tribue.
Du Contrajié,
Comme dans les Grouppes on ha
doit jamais repeter les Attitudes
d'une même vue, & que la Nature
répand une partie de fes grâces daus
la diverfîté, on ne fauroit les mieux
chercher que dans la variété Se dans
f'bppofition des mouvemens.
-ocr page 105-
lot         Cours de Teinture
Le mot de Contrafte n'énVufïté
dans notre langue que parmi les
Peintres qui l'ont pris des Italiens.
11 lignifie une oppo/ïtion qui fe. ren-
contre entre les objets par rapport
aux lignes qui les forment en tout,,
ou en partie. Il renferme non feu-
lement les differens mouvemens des
ligures, mais les différentes situa-
tions des membres , & de tous les
autres objets qui fe touvent enfem-
bîe, en forte que cela paroiffe fans
affectation, & feulement pour don-
ner plus d'énergie à I'expreffion du
fujet. Or le Peintre qui difpofe Ces
objets à fon avantage, emploie le
Contraire non feulement dans les
figures, mais encore dans les cho-
ies inanimées, pour leur tenir lieu
d'ame , &; de mouvement. On peut
donc définir le Contraire. Vne op-
foftion des lignes qui forment les ob-
jets
, far laquelle ils fe font valoir l'un
l'autre.
Cette oppofkion bien entendue
donne de la vie aux objets, attire
-ocr page 106-
. par Principes.         ibj-
l'attention , & augmente le grâce
qui eft fi neceffaire dans les Group-
pes , dans ceux au moins qui re-
gardent le DefTein Se la liaifondes-'
Attitudes.
Nous avons dit que la première
forte de Grouppes qui confifte dans
le DefTein,regàrdoit principalement
les figures humaines. Mais les
Grouppes qui ont rapport au Clair-
o'bfcur reçoivent toutes fortes d'ob-
jets de quelque Nature qu'ils puif-
fent" être; Ils demandent une con-
.noiflance dés lumières & des om-
bres non feulement pour chaque ob-
jet particulier ^ mais ils exigent en-
core une intelligence des effets que
ces ombres & ces lumières font capa-
bles de caufer dans leur affemblage,
& c'eft ce qu'on appelle propre-
ment l'artifice du Clair-oblcur dont
j'ai traité avec toute l'exaditude
qui m'a été poffible en parlant du
Coloris.
Comme la principale beauté des
Draperies confifte dans une conve-
E iiij
-ocr page 107-
i Q4         Cours de Peinture
Bable diftnbution des plis, & qu'el-
les font d'un fréquent ufage pour
la compofîtion des Grouppes, on ne
peut s'empêcher de regarder cette
matière comme dépendante en par-
tie de la difpofttion.
Des Draperies &c.
Le Traité que j'ai fait des Dra-i
peries doit être ici inféré. Je, pâlie
au Tout en femble.
Du Tout enfemhle.
La dernière chofe qui dépend de
ladifpofîtion eft le Tout enfemble.
Le Tout enfemble eft un refuir
.tac des parties qui compofent le
Tableau , enforte, néanmoins que
ce Tout qui eft une liaifon de plu-
iieurs objets ne foit point comme
un nombre compofé de plufiears
unités indépendantes & égales en,
rr'elles , mais qu'il relfemble à uçi
Tout politique , où les grands ont
befoin. des petits, comme les perles
-ocr page 108-
par Principes.           105
ehtbefoin des grands. Tous les o.b-
jets qui entrent dans le Tableau ,
toutes les- lignes &, toutes les cou-
leurs , toutes les lumières & toutes
les ombres ne font grandes ou pe-
tites , fortes ou foibles que- pac
comparaifon. Mais quelle que (bit
îa qualité de toutes ces chofes, &
quelque foit l'état où. elles fe trou-
vent , elles' ont une relation dans
leur afTemblage,dont aucune en par-
ticulier ne peut fe prévaloir. Cat
l'effet qui en-refaite confifte dans
une fubordmation générale où. les.
bruns font valoir les clairs ■ rcomm'e
les clairs font valoir les brunis , &
où. le mérite de chaque chofe n'eft
fondé que fur une mutuelle dépen->
dance. Ainfi pour définir le Tout'
enfemble, on peut dire que c'eft.
une fubordination générale des -objets
les uns aux autres ', qui les fait con-
courir tous enfemble à n'en faire-
qu'un.
Or cette fubordination qui fait
concourir les objets à n'en faire»
E ¥ -
-ocr page 109-
i g b        Cours de Peinture
qu'un, eft fondée fur deux chofes,
fur la fatisfadion des yeux , & fur
l'effet que produit la vifîon. C'eft
ce que je vais expliquer.
Les yeux ont cela de commun
avec les autres organes des fens ,
qu'ils ne veulent point être inter-
rompus dans leurs fondions , &l il
faut convenir que plufîeurs per-
fonnes qui parleroient dans un mê-
me lieu, en même tems & de mê-
me ton, feroient de la peine aux
Auditeurs qui ne fauroienc auquel
entendre. Semblable chofe arrive
dans un Tableau , où plufîeurs ob-
jets féparés, peints de même force,
& éclairés de pareille lumière, par-
tageroient & inquieteroient la vue ,
laquelle , étant attirée de differens
côtés feroit en peine fur lequel fe
porter, ou qui voulant les embraf-
ièr tous d'un même coup d'œil t
ne pourroit les voir qu'imparfaite-
ment.
Pour éviter donc la diffipation
des yeux, il faut les fixer agréable-
-ocr page 110-
far Principes, ' ■ .107 "
nient par des liaifons de lumières ce
d'ombre , par des unions de cou-
leurs , &c par des oppofitions d'une
étendue fuffifante, pour foutenir les
Grouppes, & leur fervir de repos.
Mais fi le Tableau contient plufieurs
Grouppes, ilfavit qu'il y en ait un
qui domine fur les autres en for-
ce &; en couleur \ Se que d'ailleurs
les objets féparés s'unifient à leur
fond pour ne faire qu'une mafïè ,
laquelle ferve de repos aux prin-
cipaux objets. La fatisfa&ion des
yeux eft donc l'un des fondemens
de l'unité d'objet dans les Ta-
bleaux.
L'autre fondement de cette me-
me unité , c'eft l'effet que produit
la vifion &. la manière dont elle le
fait. L'œil a la liberté de voir par-
faitement tous les objets qui l'en-
vironnent , en fe fixant fucceffive-
ment fur chacun d'eux j mais quand.
îl eft une fois fixé , de tous les ob-
jets il n'y a que celui qui fe trouve
au centre de la vifion , lequel foie
E-vj-'-
-ocr page 111-
l o 8 ' Cours de Peinture
vu clairement & diftinctement : les
autres n'étant vils que par des
rayons obliques , s'obfcurciflent Se
fe confondent à mefure qu'ils s'é.
loignent du rayon dired. C'eft un
fait que nous vérifions à tous les in-
ftans que nous portons nos yeux far
quelque objet..
Je fuppofe , par exemple , que
mon œil A. fe porte fur l'objet B;
par la ligne directe A. B. Il eft cer-
tain que II je ne remue pas mon œil,
& qu'en même tems.je veuille ob*
ferver les autres, objets qui ne font
vus que par les lignes obliques à
droit & à gauche, je trouverai que
bien qu'ils foient tous fur une mê-
me ligne circulaire à la même dii^
tance de mon œil, ils s'effacent &:
diminuent de force & de couleur à
mefure qu'ils s'écartent-de la ligne
directe, qui eft le centre de la vifion.
D'où il s'enfuit que la vifion eft
«nepreuve de l'unité d'objet, dans
la Nature.-
Or £ la Nature qui eft fage., .ô£
-ocr page 112-
page 108
D eniaiistmtion
d Vint/ d objet
^
.
■ —<
=-\'
^''
^—«3^
-ocr page 113-
par Principes           r.o^
qui en pourvoyant à nos befoins les
accompagne de plaifirs, réduit ain»
il fous un même coup d'œil plu-
fieurs objets, pour n'en faire qu'un ,
elle donne en cela un avis au Pein-
tre afin qu'il en profite félon que
fon Art & la qualité de fon fujet le
pourront permettre. Il me parok
que cette obfervation n'eu: pas in-
digne de la réflexion du Peintre,
s'il veut travailler pour la fatisfa-
etion des yeux à Texemple de la
Nature dont il eft imitateur.
Je rapporterai.encore ici Pexpe-
rience du Miroir convexe, lequel
enchérit fur la Nature pour l'unité
d'objet dans la vifîon. Tous les ob-
jets qui s'y voient font un coup d'œil
& un Tout enfemble plus agréa-
ble que ne feroient les mêmes ob-
jets dans un miroir ordinaire, ô£
j'ofe dire dans la Nature même;
( Je fuppofe le Miroir convexe d'une
naeiïire raifohnable , èc non pas de
ceux qui pour être partie d'unepe-t
-ocr page 114-
ï t ô Ccvrs de Peinture
rffce circonférence corrompent trop
la forme des objets. ) Je dirai en
pâflant que ces fortes de Miroirs
qui font devenus afTez rares pour-
voient être utilement confultés pour
les objets particuliers, comme pour
le général du Tout enfemble.
Après tout, c'eft au Peintre à fe
cônfulter foi-même fur le travail
qu'il entreprend. Car fi fon Ou-
vrage eft grand , il peut le cômpo-
fer de plufieurs Grouppes qui après
le premier coup d'œil feroient ca-
pables de fixer les yeux du Speda-
teur , par le moïen des repos bien
ménagés, &de devenir à leur tour
un centre de vifion. Ainfi le Pein-
tre judicieux doit faire en forte
qu'après le premier coup d'œil, de
quelque étendue que foit fon Ou-
vrage , les yeux en puiflent jouir
fUcceffivement.
Il refte encore à parler d'un ef-
fet merveilleux du Tout enfem-
kle, c'eft de mettre tous les objets
-ocr page 115-
fâr Principes,          11i --
en harmonie. Car l'harmonie quel-
que part qu'elle fe rencontre, vient
de l'arrangement & du bon ordre.
Il y a de Pharmonie dans la Mo-
rale comme dans la Phyfique■$ dans
là conduite de la vie des hommes,
comme dans le corps des hom-
mes mêmes. Il y en a enfin dans
tout ce qui eftcompofé de parties,
qui bien que différentes entr'elles
s'accordent néanmoins à faire un
feul Tout, ou particulier, ou géné-
ral. Or comme on doit luppofer
que cet ordre fe trouve dans toutes
les parties de la Peinture fepare-
ment , on doit conclure qu'elles
ont leur harmonie particulière.
Mais ce n'eft point affez que ces
parties ayent leur arangement &
leur juftefle en particulier , il faut
encore que dans un Tableau elles
s'accordent toutes enfemble , àc
qu'elles ne faiîent qu'un Tout har-
monieux 3 de même qu'il ne fuffit
pas pour un concert de Mufique
que chaque partie fe fafTe enten-
-ocr page 116-
ï i %         Cvwrs de Peinture
dre avec juftefle , & demeure dans
l'arragement particulier de fes no-
tes , il faut encore qu'elles con-
viennent d'une harmonie qui les
râflemble, & qui de plufieurs Tous
particuliers n'en faiTe qu'un généa
rai. C'eft-'ce que fait la. Peinture
par la fubordinat-ion des objets ,
des Grouppes, des couleurs, & des
lumières dans le général du Ta*
bleau.
Il y a dans la Peinture differens
genres d'harmonie. Il y en a de
douce&de modérée, comme l'ont
ordinairement pratiqué le Correge
U le Guide. Il y en a de, forte &
d'élevée, comme celle du Giorgion^
du Titien ôc du Caravage : &'il y
en peut avoir en differens degrés, '
félon.la fuppontion des lieux , des
rems, de la lumière & des heures
du jour. La lumière haute dans un
lieu enfermé produit des ombres
fortes ,,& celle, qui eft en pleine
campagne demande des couleurs
vagues &. des ombres douces. Enfin
-ocr page 117-
far Principes:          i -; 3
l'excellent Peintre fait l'ufage qu'il
doit faire non feulement des fai-
sons , mais des tems3 Se des acci-
dens qui fe rencontrent dans le
ciel & fur la terre , pour en faire,
comme nous avons dit, un Tout
harmonieux.
Voilà l'idée que je me fuis for^.
mée de ce qu'on appelle en Peinture
Tout enfemble. j'ai tâché de la fai-
re concevoir comme une machine
dont les roues fe prêtent un mu-
tuel fecours, comme un corps dont
les membres dépendent l'un de
l'autre , & enfin comme une ceco-
nomie harmonieufé qui arrête le
Spectateur , qui l'entretient, Se qui
le convie à jouir des beautés par^
ticulieres qui fe trouvent dans le
Tableau.
Si l'on veut faire un peu de ré-
fléxion-fur tout ce que je viens de
dire touchant la rdifpofîtion , on
trouvera que cette partie qui en.
contient beaucoup d'autres, euVd'tu.
ûe extrême confequence j puifqu'el»
-ocr page 118-
114 Cours de Peinture
le fait valoir tout ce que l'inven-
tion lui a fourni, &: tout ce qui
eft de plus propre à faire -impref-
fton fur les yeux & fur l'efpritdu
Speclateur.
Les habiles Peintres peuvent con-
naître par leur propre expérience,
que pour bien réuffir dans cette par-
tie iî fpirituelle , il faut s'élever au
defliis du commun , &- fe transpor-
ter, pour ainfî dire, hors de foi mê-
me : ce qui m'a donné occafion de
dire ici quelque choie de l'Enthou-
ikfme , &■ du Sublime,
De l'Enthoufiafme.
L'Enthouftafme eft un tranfport'
de l'elprit qui fait penfer les cho-
fés d'une manière fublîme, fupre-
nante, & vraifemblable.
Or comme celui qui confidere un
Ouvrage fuit le degré d'élévation
qu'il y trouve , le tranfport d'efprit
qui eft dans l'Enthoufîafme eft com-
mun au Peintre & au Speclateur ;
avec cette différence néanmoins,
-ocr page 119-
far Principes. i t f
que bien que le Peintre ait travail-
lé à plufîeurs reprifes pouréchauf«
fer fon imagination, •& pour mon-
ter fon Ouvrage au degré que de-
mande rEnthoufiafmejle Spe&ateur
au contraire fans entrer dans aucun
détail fe lailfe enlever tout à coup ,
& comme malgré lui , au degré
d'Enthoufiaf me où le Peintre l'a at-
tiré.
Quoique le Vrai plaife toujours,
parce qu'il eft la bafe.ôc le fonde-
ment de toutes les perfe&ions , il
ne laîife pas d'être fouvent infipide
quand il eft tout feul ^ mais quand
il eft joint à l'Enthoufîafme, il tranf-
porte l'efprit dans une admiration
mêlée d'étonnement 5 il le ravit
avec violence fans lui donner le
tems de retourner fur lui-même.
J'ai fait entrer le Sublime dans
la définition de l'Enthoufîafme, par-
ce que le Sublime eft un effet & une
production de l'Enthoufîafme. L'En-
thoufîafme contient leSublime com-
me le tronc, d'un arbre contient fes,.
-ocr page 120-
i r 'é Cours de Peinture
branches qu'il répand de différera
côtés j ou plutôt l'Enthoufiafme eff
un foleil dont la chaleur & les in-
fluences font naître les hautes pen-
fées, ôc les conduifent dans un état
de maturité que nous appelions Su-s
blime. Mais comme PEnthoufiafme
& le Sublime tendent tous deux à
élever notre .efpric , on peut dire
qu'ils font d'une même nature. La
différence néanmoins qui me parole
entre l'un & l'autre, c'eft que l'En-
thoulîafme eft une fureur de veine
qui porte notre ame^ encore plus
haut que le Sublime, dont il eft la
fourçe, èc qui a fon principal effet
dans la penfée & dans le Tout en-
fembledè l'ouvrage 3 auiieu-qiie le
Sublime fe fait fentîr également
dans le général, & dans le détail de
tontes les parties. L'Enthoufiafme
a encore cela que l'effet en efl: plus
prompt, & que celui du Sublime de-
mande au moins quelques momens
de réflexion pour être vu dans tou-
te fa force.
-ocr page 121-
.far Principes.          « x-x.ft
■-'L'Enthouiîafme nous enlevé fans
que nous le fendons, &c nous trans-
porte, pour ainiî dire, comme d'un
pays dans an autre fans nous en
appercevoir que.par leplaîlîr qu'il
nous caufe.. Il me paroît, en un mot,
que l'Enthouflaime nous iaifît, ■ éc
que nous faillirons le Sublime. Ceft
donc.à cette.élévation iurprenan-
;te, mais jufte , mais raifonnable
que le Peintre doit porter fo'n Ou-
vrage auffi bien que le Poète ; s'ils
veulent arriver l'un ■& l'autre à cet
extraordinaire Vraifemblable qui
remue le cœur ,&: qui fait le plus
grand mérite de la Peinture ,& de
la Poêfie.
Quelques efprits de feu ont pris
l'emportement de leur imagination
pour le vrai Enthoufiafme, quoique
dans le fond Pabondance.&'Ja vi-
vacité de leurs productions ne fuf-
fentque des fonges,de malade. Il
eft vrai qu'il y a des,fonges bizar-
res qui ave-c un peu de modération
..feraient capables de mettre h.
-ocr page 122-
; ï i S        Cours de Peinture
coup d'efprit dans la compofîtîon
d'un Tableau * & de réveiller agréa-
blement l'attention -, & les ridions
des Poètes, comme dit Plutarque,
ne font autre chofe que des fonges
d'un homme qui veille. Mais on
peut dire auffi qu'il y a des produc-
tions qui font des fonges de fièvre
chaude, lefquelles n'ont aucune liai-
ion, &: dont il faut éviter la dan-
.gereufe extravagance.
Il efl: certain que ceux qui ont un
;gsnie de feu entrent facilement
dansd'Enthoufiafme , parce que leur
imagination efl prefque toujours a-
gitée -, mais ceux qui brûlent d'un
feu doux , qui n'ont qu'une médio-
cre vivacité,jointe à un bon juge-
ment, peuvent s'iniïnuer dans l'Ën-
htoufiafme par degrés , & le rendre
même plus réglé par la folidité de
leur efprit. S'ils n'entrent pas fi fa-
cilement , ni fi promptement dans
cette fureur Pittc
           , pour ain-
•;fi parler, ils ne laiflent pas de s'en
|a||
                                         e que
-ocr page 123-
par '-Principes. ,ii-$
leurs réflexions leur font tout voir
.■& tout fentir,.&: que non feule-
ment il y a plusieurs degrés d'En-
; thoufiafme ,.mais encore plusieurs
moyens d'y arriver. Si ces derniers
ont à traiter un fuj et écrit, il faut
qu'ils le lifent plusieurs fois avec
application 3 (Si s'il| n'eft pas écrit,
il eft à propos que le Peintre choi-
fîfie entre les qualités de fon fujet,
celles qui font les plus capables de
lui fournir des circonstances qui
mettent fon efpnt en mouvement,,
Car par ce moyen ayant échauffé
fon imagination par l'élévation de
fes penfées, il arrivera enfin jufqu'à
i'Enthoufiafme, & jettera de l'admi-
ration dans l'efprit de fes Specta-
teurs.
Pour difpofer l'efprit à l'Enthou»
fîafme généralement parlant ,rien
n'cfl meilleur que la vue des Ou-
vrages des grands Maîtres, & la lec-
ture des bons Auteurs Hiftoriens
ou Poètes , à caufe de l'élévation
de leurs penfées t de la nobleiTe
-ocr page 124-
?f 20        Cours de Peinture
.de leurs expreffions, & du pouvoir
que les exemples ont fur l'efpritdes
hommes.
* Longin qui a traité du Sublime,
veut que ceux qui ont a écrire
quelque chofe qui. exige du grand
& du ■ merveilleux , regardent les
grands Auteurs comme un flambeau
. qui les éclaire, & qu'ils fe deman-
dent à eux-mêmes , comment eft-ce
qu'Homère auroit dit cela? Qu'au-
roient fait Platon , ;Demofthene &
Thucidide ? Le Peintre peut en fem-
blable occafionfe demander à lui-
même , comment eft-ce que Ra-
phaël, le Titien, & le Correge au-
roient penfé, auroîent deffiné , au-
raient colorie , & peint ce que j'en-
treprens de reprefenter ? Ou bien,
comme dit le même Longin, l'on
peut s'imaginer un tribunal des plus
grands Maîtres , devant lequel le
Peintre auroit à rendre compte de
fon Ouvrage. -Quelle ardeur ne fen-
tiroit-ïl pas à la feule imagination.
>* CL t*.
-ocr page 125-
■par Principes.         ïî'ï
de voir tant d'excellens hommes ,
qui font les objets de fori admira-
tion , &: qui doivent être fes juges ?
Ces moïens font utiles à -tous les
Peintres, car ils enflammeront ceux
font nés avec un puiiîànt génie |
& ceux -que,la Nature 'n'a 'pas
bien
traités en reffenriront au niofns
quelque chaleur qui fe répandra fur
Jeu;s Ouvrages,
J'ai tâché .de .faire voir dans
mon Traité de rin,yen.doi> de-quel-
le manière il falloir choifîr les ob-
jets convenables au fuj-et que le
Peintre avoità représenter; Je viens
de parler dans la Difpofition de
l'ordre que ces mêmes objets dé-
voient tenir pour compofer un Tout
a vec avantage ; & c'elt ainfi 'que
par la liaifon de ces deux parties,
^'Invention & la Difpofition , j'ai
fait tous mes efforts pour donner
«ne idée la plus jufte qu'il m'a été
.poffîble, de cette grande partie de
-a peinture qu'on appelle Compo-
lîtion.
-ocr page 126-
Ij2.2          Cours de -Peinture
REPONSES 4 QVELQVES
ObjetJions.
ENtre les objections qu'on pour-
roit me faire, j'en trouve deux
auf quelles il elt bon de répondre.
L'une eft contre l'unité d'objet, &
l'autre contre l'Enthoufiafme.
On peut dire contre le premier,
que la démonftration que l'on a fai-
xe de la vifion pour établir l'unité
d'objet, la détruit entièrement^ par
la raifon qu'il n'eft pas necelfaire
de déterminer l'œil, puifqu'en quel-
que endroit du Tableau qu'il fe por-
te, il fe déterminera naturellement
lui-même, & fera l'unité d'objet,
fans qu'il fait autrement befoin
d'avoir recours aux principes de
J'Art.                      r ^
A cette objedion l'on répond-
deux chofes. La première , qu'il
n'eft pas à propos de laiifer à l'œil
-ocr page 127-
far Principes.          115
la liberté de vaquer avec incertitu-
de , parce que s'arrêtant au hazard
fur l'un des côtés du Tableau , il
agiroit contre l'intention du Pein-
tre, qui auroit placé , félon la vrai-
semblance la plus approuvée , fes
objets les plus effentiels dans le
milieu, & ceux qui ne iëroient qu'ac-
ceiîcii-es dans les côtés : car il ar-
rive fouvent que de cet ordre dé-
pend toute l'intelligence de /a pen-
fée. D'où il s'enfuit qu'il faut fixer
l'œil ,-& que le Peintre doit le dé-
terminera l'endroit de fon Tableau
qu'il jugera à propos pour l'effet de
fon Ouvrage.
La féconde chofe que l'on ré-
pond , c'eft que dans les fens tous
les objets qui regardent les plaiiirs,
;ne demandent pas feulement les
agrémens qu'ils ont reçus de la Na-
ture ; ils exigent encore les fecours
que l'Art eft capable de leur don-
ner pour rendre leurs effets plus
ienfibles.
Par la féconde objedion, l'on
Fij
-ocr page 128-
a 1.4 Cours de Peinture
pçmrroit me dire que PEnthoufiaf-
me emporte fouvént trop loin cer-
tains Génies , •■-& pafTe par deflus
beaucoup de fautes fans les apper-
.cevoir. A quoi il feroit aifé de ré-
pondre que cet emportement n'eft
plus le véritable Entnoufîafme-,puif-
. qu'il pafTe les bornes de la jufteiTe,
&: de la vraifemblance que nous lui
avons données.
j'avoue qu'il paroit qu'un des ef-
-fets de l'Enthoufiafme eft de cacher
fouvent quelque défaut à la faveur
du tranfport commun qu'il nous
caufe 3 ce qui n'eft pas un grand
malheur..Car en effet l'Enthoufïaf.
meavec quelques défauts, fera tou-
jours.préféré à une médiocrité cor-
recte 3 parce qu'il ravit l'ame, fans
lui donner le tems de rien exami-
ner, & de refléchir fur le détail de
chaque choie. Miiis ,à proprement
parler, cet-effet n'eft pas tant de
l'Enthoufiafme que de notre efprit.,
qui s'en laîfTant pénétrer , pafTe
quelquefois au delà des born-es de
la vraJfemblance.
-ocr page 129-
far Principes]          rz'f'
Si on vouloir encore m'ob'jecïer
que tout ce que je- dis de l'Enthou-
iiafme peut être attribué au Subli-
îïie5 je repondrois que cela dépend
de Tidée que chacun attache à ces
deux mots, à quoi je fèrois toujours
difpofé à m'accommoder, nonob-
ftant la différence que j'en ai expli-
quée dans le corps de ce Difcours.'
#Sp
-ocr page 130-
ilé        Cours de Peinture
DV DESSEIN.
LE mot de Deflein par rapport
à la Peinture, Te prend de trois
manières : ou il représente la penfée
de tout l'Ouvrage avec les lumières
&, les ombres , & quelquefois avec
les couleurs mêmes, 6c pour lors il
n'eft pas regardé comme une des
parties de la Peinture , mais com-
me l'idée du Tableau que le Peintre.
médite : ou il reprefente quelque,
partie de figure humaine, ou quel-
que animal, ou quelque draperie,
le tout d'après le naturel , pour
être peint dans quelque endroit du
Tableau , bc pour fervir au Peintre
comme d'un témoin de la vérité, èc
cela s'appelle une étude ; ou bien
ileftpris pour la circonfcription des
objets, pour les mefuresôc les pro-
portions des formes extérieures -y Se
c'eft dans ce fens qu'il eft; une des.
parties delà Peinture,
-ocr page 131-
far Principes.          Ûi"f
Si le DefTein eft , comme il cil-
vrai , la circonfcription des formes
extérieures, s'il les réduit dans les
mefures &. dans les proportions qui
leur conviennent, il eft vrai de dire:
aufli que c'eft une eipece de créa-
tion, qui commence à tirer comme
du néant, les productions vifibles
de la Nature , qui font l'objet du
Peintre.
Quand nous avons parlé de l'In-
vention , nous avons dit que cette
partie dans l'ordre de l'exécution
étoit la première. Il n'en eft pas de
même dans l'ordre des études, où.
le defTein doit s'apprendre avant
toute chofe.
Il eft la clef des beaux Arts v c'eft
lui qui donne entrée aux autres par-
ties de la Peinture y c'eft l'organe
des nos penfées,. l'inftrument de
nos démonftrations, ôc la lumière
de notre entendement. C'eft donc
par lui que les jeunes Etudians doi-
vent non-feulement commencer ,
mais c'eft de lui qu'ils doivent conv
-ocr page 132-
128         Cours de Peinture
trader une forte habitude , pour-
acquérir avec plus de facilité la con-
noifîànce des autres parties dont il
cil le. fondement.
Le DeiTein étant donc le fonde-
ment de la Peinture , on ne fauroit
prendre trop dé foin pour le-ren-
dre folide, & pour foûtenir un édi-
fice compofé d'autant de parties
qu'eft celui de la Peincure. Aînll je
tâcherai d'en parler avec tout l'or-
dre que demande.une,connoifTance
fineceflaire.-
Je regarde dans le Derfein plu-
sieurs parties d'une extrême necef-
iîté à quiconque veut devenir habi-
le , dont voici les principales. La
Correction, le bon Goût, l'Elegan-
ce, le Caractère, la Diverfîté, PEx*
preiîion ôc la Perfpe&ive.
De la Corre£tion>
Correction eft un terme dont les
Peintres fe fervent ordinairement
pour- exprimer l'état d'une Deflèia
-ocr page 133-
far Principes.           i zy
qui eft exempt de fautes dans les
mefures. Cette Corre&ion dépend
de la jufteffe des Proportions, & de
la connoiflance de l'Anatomie.
Il y a une proportion générale
fondée fur les mefures les plus con-
venables pour faire une belle figure.
On peut confulter &: examiner ceux
qui ont écrit des Proportions, 8c qui
ont donné des mefures générales
pour les figures humaines, iuppofé
qu'ils ayent eux-mêmes confuité à
fond & la Nature & la Sculpture
des Anciens.
Mais comme dans chaque efpece
que la Nature produit, elle n'eft pas
déterminée à une feule forte d'ob-
jet, & que fa diverfité fait une de
fes plus grandes beautés •, il y a auf-
iï des Porportions particulières, qui
regardent principalement les fexes,
les âges, & les conditions, & qui
dans ces mêmes états trouvent en-
core une infinie variété. Pour ce qui
eft des Proportions particulières ,.
^Natureen fournit autant qu'il y
-ocr page 134-
130 Cours de Peinture
a d'hommes fur la terre, mais pour-
rendre ces Proportions juftes &c a-
greables, il n'y a que l'Antique dont
la fource eft dans la Nature , qui
tmifle fervir d'exemple , & former
une folide idée de la belle diverfité.
Plusieurs habiles Peintres ont me-
furé les figures Antiques dans tou-
tes leurs parties, &c ont communi-
qué à leurs Elèves les études qu'ils
en ont faites. Mais fi ces démonf-
trations n'ont pas été rendues, ni
affez publiques , ni allez exa&es,
nous avons en France en notre pof-
feffion un nombre plus que. furfilant
de belles Statues Antiques, ou Ori-
ginales , ou moulées fur les Origi-
naux , d'où un chacun peut tirer
les lumières 6c les détails neceflai-
res pour (on inftruch'on.
Ce qui eft.de certain , c'eft qu'il
eft impoffible de fe prévaloir des
mefures des figures Antiques, fans
les avoir étudiées exa&ement, fans
les avoir deffihées avec attention ,
& fans les avoir données en garde à
-ocr page 135-
par Principes.           i "3 1
• fa mémoire après quelque tems
d'une parcique opiniâtrée. Vafari
fait dire à Michelange que le Cam-
pas doit être dans les yeux^& non pas
dans les mains.
Ce beau mot" a été
bien reçu de tous les Peintres : Mais -
Michelange n'a pu. le dire, & les
autres n'ont pût lui donner cours ,,
qu'en fuppofant une habitude des ■
plus belles Proportions.
Comme c'eft de l'Antique- que
l'on doit non-feulement tirer ce
qu'il y a de meilleur pour les Pro-
portions, mais qu'il contient enco-
re plufieurs chofes qui conduifent
au fublime &. à la perfection , il eft
necerfaire de s'en faire \ autant qu'il
eft poffible\ une idée nette , qûifoït
foûtenue de la raifon. Nous consi-
dérerons donc l'Antique dans fon
origine , dans fa beauté, pi dans fon -
utilité.
De l'Antique.
Quoique le mot: VAntique pris
dans la force de fon origine, fîgni-
Fvj
-ocr page 136-
ï 3 2         Cours de Peinture
fie tout ce qui eft ancien , on ne le
prendra ici que pour les Ouvrages
de Sculpture qui ont été faits dans
le fiecle des grands Hommes, qui
étoit celui du grand Alexandre, où
les Siences &. les beaux Arts étoient
dans leur perfe&ion. Ainfi je croi
devoir épargner à mon Ledeur l'en-
nui que je lui donnerois , il je vou-
lois rapporter ici les noms des pre-
miers Sculpteurs, qui par une lon-
gue fuite d'années ont pris la Sculp-
ture dans fon berceau, pour la con-
duire jufqu'à l'âge où elle dévoie
arriver à cette perfection qui méri-
te , pour ainfi dire , le nom d'Anti-
que que nous lui attribuons aujour-
d'hui.
       
Les louanges que l'on donna pour
lors aux exceilens Ouvrages, aug-
menta le nombre des bons Sculp-
teurs j ôc la quantité de Statues que
l'on érigeoit aux gens qui fe faifoient
diftinguer par leur mérite , aufRbien
que les Idoles dont on ornoit les
Temples, donnoient de plustn plus
-ocr page 137-
par Principes.          13"
îïtatiere aux grands Génies de s'e-
xercer , & de perfe&ioner leurs Ou-
vrages à l'envie les vins des autres.
Ce fut en ce tems-la que Policle-
tè l'un des plus grands Sculpteurs -
delà Grèce, s'avifa de faire une
Statue qui eut toutes les proportions
qui conviennent à ttn homme par-
faitement bien- formé. Il fé fervit
pour cela de plufieurs modèles na-
turels , & après-avoir réduit fon Ou-
vrage dans la dernière perfe&ion,
il fut examiné par les habiles gens
avec tant d'exactitude , ôc admiré
avec tant d'éloges", que cette Statue
fut d'un commun confentement ap-
pellée la R.egle , & fut fuivie en gé,
néral par tous ceux qui cherchoient
aie rendre habiles. Il eft aflez vrai-
femblable que cette expérience
ayant réuffi pour un fexe, on en fît
autant pour un autre, & qu'on la
pouffa même à la diverfité des âges „
&ides conditions.
Il me paroît que c'cft à cePolicle-
te:que l'on peut raifoanablemeii-
-ocr page 138-
x *3 4. ' Cours de Peinture
xer l'origine des merveilleux Ouvra-
ges que nous appelions Antiques y
puifqu'on les avoit déjà portés au
degré de perfection où nous les
voyons. Les Sculpturs de ces tems- ^
la continuèrent de donner des mar-
ques de leur habileté jufqu'au règne
de l'Empereur Galien, environ l'an
360. que les Gots ravagèrent la
Grèce fans connoiflance, & fans au-
cun refpecl pour les belles chofes.
Mais puifque. nous regardons les-
proportions de l'Antique comme les
modèles de la perfe&ion , il eft de-
l'ordre naturel de parler ici de fa-
beauté.
De la bes.utè de l'Antique.
Quelques-uns ont dît que la beau-
té du corps humain confiftoir. dans
un juftë accord des membres entr'-
eux par rapport à un Tout parfait $
d'autres la mettent dans un bon
tempérament*, dans une vigoureufe ■
iânte, où le mouvement &. la pure-
-ocr page 139-
f-ar Principes. .        ■i^'J"
té du fâng répandent fur la peau des <
couleurs également vives & fraî-
ches. Mais la commune opinion
n'admet aucune définition du Beau,
Le Beau, dit-on-, n'eft rien de réel,
chacun en juge félon fon goût, en
un mot,.que le Beau n'éft autre
chofe que ce qui plaît..
Quoi qu'ilen foit, peu de fenti—
mens ont été partagés fur la beau-
té de l'Antique. Les gens d'efprit
qui aiment les beaux Arts ont efti-
mé dans tous les tems ces merveil-
leux Ouvrages, c'eft-à-dire, non
feulement aujourd'hui qu'ils font ra-
res , mais dans les tems que touc
étoit plein de Statues , &. qu'elles
étoient dans la Grèce £c dans Ro-
me, comme un autre peuple. Nous
voyons dans les anciens Auteurs
quantité de partages, où pour louer
les beautés vivantes, on les compa-
rait aux Statues. Les Sculpteurs, dit
Maxime de Tyr, par un admirable
artifice choififsent de plufieurs corps les
farties qui leurfcmblent les plus belles
3
-ocr page 140-
î 3 6 Cours de Peinture' '
& ne font de cette diverfité qu'une fe'u'i
Iç Statue. Mais ce mélange eft fait avec
tant de prudence &fi à propos, qu'ils
femblent n'avoir eu pour modèle qu'une
feule & parfaite Beauté. Et ne vous
imagine^ pas
, pourfuic le même Au-
teur , de pouvoir jamais trouver une
beauté naturelle
, qui le difpute aux
Statues
5 l'Art a toujours quelque cho.
fe déplus parfait que la Mature. Ovii
de dans le î i. de Tes Métamorpho-
fes, où il fait la Defcription de CyU
lâre , le plus beau des Centaures,
dit, qu'il avoit une fi grande vivacité
dans le vifage
, que le col, les épaules ,
les mains , & i'efïomac en étaient fi
beaux
, qu'on pouvait ajjàrer qu'en tout
ce qu'il avoit de l'homme
, c'était la mè±
me beauté que l'on remarque dans les
Statues les'plusparfaites.
Et Pliiloftra-
te parlant d'Euphorbe , dit que fà,
beauté avoit gagné le cœur des Grecs
5
& qu'il étoit fi approchant de la beau~
té d'une Statue qu'on l'aurait fris pour
Apollon.
Et plus bas parlant de la
beauté de Neoptoleme, 6c de la reL
-ocr page 141-
par Principes.-          r3 T
femblance qu'il avoic avec Ton père
Achille , il die ■'-, .Qu'en beauté fin pè-
re avait autantd'avantage fur lui, que
les Statues en ont fur les beaux homme s.
Ce n'etoit pas feulement chez les
Grecs que l'on érigeoit de Statues
aux gens demérite,&- qu'on-s'en fai-
foit des Idoles ; le Peuple Romain
fe fervoit des mêmes moyens pour
recompenfer lés grandes actions, Se
pour honorer, leurs Dieux. Les Ro-
mains dans la conquête de la Grèce
en enlevèrent ' non-feulement les
plus belles Statues 5 mais enemme,
nerent les meilleurs Ouvriers qui en
înffcruifirent d'autres, ôc qui ont laif-
fé à la Pofterité des marques éter-
nelles de leur favoir, comme nous
le voyons par tant d'admirables Sta-
tues , par tant de Buftes, par tant
de Vafes, Se tant de Bas-reliefs, Se
par ces belles Colonnes Trajane Se
Antoniane. Ce font toutes ces Anti-
quités que l'on doit regarder com-
me les véritables fources où il faut
que les Pein';res.Se les Sculptures ail-,
-ocr page 142-
r5§         Cours de Peinture
lentpuifer eux mêmes, pourrepanl
dre une beauté folide>fur ce que leur
génie pourra d'ailleurs leur infpirer.
Les Auteurs Modernes ont fuivi
ces mêmes fentimens fur la beauté
de l'Antique. Je rapporterai feule-
ment celui de Scaliger. Le moyen ,.
dit-il, que nous puifions rien voir qui
approche de la perfeBion des belles Sta-
tues
, puifqu'il efi permis à l'Art de
ehoifir,. de retrancher
, d'ajouter yâe
diriger, & qu'au contraire la Nature
s'eft toujours altérée depuis la création
du premier homme
, en qui Dieu joiyniP
la beauté de la forme à celle de l'in-
nocence,
-ocr page 143-
par Principes.           i 59-'
Traduction littérale E*Rubenio..
du Latin de Rubens.
De l'Imitation desSta- De ^"atÎMe Stattl
rum.
tues Antiques*
IT        1 r» •        A Liis uriliffîma.,-
LyadesPem-   J\aïûs damnofa.
très a qui 1 1-  ufqUe ad extermi-
mitation des Sta-  nium Artis. Gonclu-
tues Antiques eft  do tamen ad'fum--
très- utile , & à   mum ejus perfe&io-
d'autres dange-   nem eflè neceflariam
r r > \ 1     earum intelligen-
reuie lulqua la ■ . .&,... .
. _ >n. *■ ,        tiam , îmo imbibi--
deltrudion de      tionem:fedjudiciosè
leur Art. Je con-
   applicandum earum
due néanmoins
    ufum&omnino ci-
que pour la der-
   tra faxum. Nam plu-
niere perfection
    resimperiti& etiam
de la Peinture, il   Periti non diJing™t
n , rr .. /.      materiam a forma ,
eft neceiTaire d a-   Faxum à figura ^
voir l'inteUigen-   neceffitatem mar-
ce des Antiques ,  moris ab aitiScio.
voire même d'en être pénétré; mais
qu'il eft néccftàire. auffi que l'ufage
-ocr page 144-
!i4-o          Cours de Peinturé
en foit judicieux ,..& qu'il ne fente
Ja pierre en façon quelconque. Car
l'on voit des Peintres ignorans, &;
même des Sâvans qui ne faventpas
diftinguer la matière d'avec la for-
me , la figura d'avec la pierre, ni la
-lïéceflité; oà eft le Sculpteur de fe
fèrvir du marbre d'avec l'artifice
dont iï s'emploie.
TJna autem maxi- fl eft cMlftanc.
maeitbtatuarum op-
          . r            .
rimas utiliffimas uc que lesStatuestes
plus belles font
très-utiles, com-
me les mauvaifes
font inutiles èc
même dangereu-
fes : Il y a de
viles îbutiles efle,vel
etiam damnofas :
Nam Tyrones ex iis
nefcio quid cmdi ,
terminât! & diificilis
moleftaque Anatd-
mix dum trahunt vi-
dencurProfïcere,féd  jeunes ,. Peintres
inopprobrium Na-   qui s'Imaginent
turas, dumprocarne   être bien avari-
marmor coloribus     ces, quand ils ont
tantumreprzfewant.  t{r(L de ces figures
Muha funt enim no-   • „Q r °- iQ .
, • „ .         je ne lai quoi de
tanda îmo &c vitan-   K , * . ,
da etiam in opti-   dur, de termine,
mis accidentia ci-   de difficile & de -
ïraculpam-Artincis   ce qui eft plus à* -
-ocr page 145-
far Principes.            a^ï
épineux dans l'A- pra;cipuè differentia.
.natomie : mais umbrarum , cum ca-
tous ces foins io Pelh; ' ,çarcla"
, , , -         so iua diaphanitate
vont a la honte ^ uka lenia^ u
delaNature,pmf- pjtja -m 5tacujs n;_
qu'au lieu d'imi- gredinis & umbrae
ter la chair , ilsne quae fua denûtate fa-
repref entent que .xumduplicatinexo»
du marbre teint «bilnerobviuni.Ad-
i ». /-
                de aaaidam macca-
de diveries cou- ' , ,            '
. -                               turas ad omnes mo-
kUrs. -Car il V tus variabiles & faci-
,a plufieurs accl -litate.peilis aut di-
. dens à remar- miîfasaut contractas
,qi:ervouplutôtà à Scatuariis vulgp
éviter dans les evitatas>optimis ta-
Statues même les TO£ aliW*nd° ad-
, , ;,         , r miHas, Picturas cer-
plus belles, -ief- t6fbdcum modera_
.quels ne viennent   tipne neceflarias.Lu-
point de la faute
   mineetiam ab omnï
de l'Ouvrier. Ils
   humanitate alieniflî-
confiftent princi-
   m.^ différant lapidep
palement.dans h
   Me™°*e r& afPsra-
différence Aes
   ^ce ftpecflcws.ina-
, A
            gis élevante ac par
ombres ;vu que
   eft,aut faltemoculqs
la chair, la peau,
   fafcina-nce.\
les cartilla-ges.,-par leur.qualité dig-
-ocr page 146-
erjpz         "Cours de Peinture
phaneadoucifîent, pour ainiï dire.,
la dureté des contours, &c font évi-
-:ter beaucoup d'écueils qui fe trou-
vent dans les Statues, à caufe de leur
., ombre noire qui par fon obfcurité
fait paroître la pierre, quoique très-
opaque , encore plus dure & plus
.opaque qu'elleri'eit en effet.Ajoutez
a cela qu'il y a dans le naturel cer-
tains endroits qui changent félon
les divers mouvemens, & quia cau-
fe de la foupleffe ds la peau font
quelquefois,, tantôt unis & tendus,,
&. tantôt plies &; ramaffés, que les
Sculpteurs pour l'ordinaire ont pris
loin d'éviter ; mais que les plus lia-
•bïles n'ont pas négligés,&;qui font
.abfolumentneceflaires dans la Pein-
ture, pourvu qu'on enufe avec mo-
dération. Non feulement les ombres
-des Statues, mais encore leurs lu-
mières font tout à fait différentes de
celles du naturel'; d'autant que l'é-
clat de la pierre 6c l'âpreté des jours
•dont elle eft frappée élève la fuper-
fcieplus qu'il ne faut, ou du moins
-ocr page 147-
far Principes,             «43
-font paroître aux yeux des dhoiès
qui ne doivent point être.
Celui qui par „ ■ , ...
ïine mure difcre- . ~,;p -1 >
. r        r • 1 *i difcretione-lepera-
:tion iaura faire le verit, statuas comi-
difcernement de ,nns ampleftetur ;
toutes ces chofes, nain quid in hoc er-
ne peut cqnfide- roneo fsculo dége-
ler avec trop d'at- neres .poflumus ,
mention les Sta- W» y°ûiÀs Geniu*
,                  . nos humi detinet ab
tues Antiques, ni heroico illo immi
les étudier trop  nutos ïngenio judi-
loigneufement :   cio : feu Pattum ne-
puifque dans les  -bu]â fufci fumus fuae
•fiecles erronés où  voluntate Deum ad
nous vivons,.noas   pejora lapfî .poft-
r r ,, .    quam lapu non re-
lommes rorteloi-    x • ■ r ,
, .               mitumuraut vetera-
gnes de rien pro- fcente mundo inde-
Alire de fembla- boliti irrecuperablM
ble , foit que la damno,feuetiamcl)«=
bafTeffe de notre je&um naturali an-
cenie nous tien- xiw'Korigini Per-
S rempans & ne ^ionique .propius
■*■                   orrerebatultrocom-
nous permette -paftum quod nunc
pa.5 d'aller jufqu> feculorum fçnefcGtfc
-ocr page 148-
14-4 ' Cours de Peinture
cïûm defedu ab ac-   où les Anciens
, cidentibus , comip-   font arrivés par
tum nihil fùîr'etinmt   jeur jrement &
delabente in pluia   par leur eforit ve-
perkctione iucce -   r. , , L ,
dentibas. vitiis : Ut  noblement h e-
etiam.Stature homi-  roïque j ou bien
'num «jultomm fen-   que nous lovons
;cenciisprobaturpau-   enveloppés des
iattm decrefeencis   mêmes ténèbres
quippeprofamfacri-  Q^ nQS p£res
due de Heirolim , Gi-
~ , ' ont vécu : ou que
gue xvo multa qui- D*eu permette
djm fabulofaaliqua qu'ayant négligé
tamen vera narrant de nous retirer
. fine dubio.               d'une erreur dans
laquelle nous étions tombés, nous
allions de mal en pire : foit encore
que par un dommage irréparable il
ârriveque nos efprits s'affoibliirent&
fc Tentent de la vieillefle du-monde.:
foit enfin que les corps humains
ayant été dans les fîecles pailés-plus
près de leur origine & de leur perfe-
élion v fe foient trouvés des modèles
parfaits & ayent fourni naturelle-
-ocr page 149-
far Principes.          54.5
ment toutes les beautés que nous
île reconnoiflbns plus aujourd'hui
dans la Nature. La perfection qui
étoït une , s'eil poflible partagée
de afFoiblie par les vices qui lui ont
fuccedé iniènfiblement 5 de forte
que cette corruption feroit venue à
tel point, qu'il femble que les corps
ne foient plus les mêmes, ainfî qu'on
pourroît le conjecturer par les écrits
que nous ont lailîe plufieurs Au-
teurs tant facrés que profanes, lef-
quels nous ont parlé de la ftature
ancienne des hommes en la perfon-
ne des Héros , des Geans, & des
Cyclopes 5 & fi en cela ils nous ont
conté beaucoup de fables, ils nous
;ont dit fans doute quelques vérités.
La principale Caufa prscipuaquâ
raifon pourquoi noftri *vi horaines
les corps hu- différant. ab_ Anci-
rj
               emis eftignavia&in-
mains de notre ?xercicat&um vivendi
tems font difte- genus. qUippeeflè-,
rens de ceux de bibere nulla exerci-
fantiquité , c'eft tandi corporis cura.
-ocr page 150-
T a & Cours de Peinture
Igitur prominet de- la pârefïe ,. l'oin-
pceffumventrisjonus veté,ôde peu d'e~
femper affidua reple- xercjce qUe l'on
tumingluvie crura fa;t . car la plu,
SconfcS! Pf» des homme,
tràantiquitùsomnes 11 exercent leur
quotidie in palaeftris corps qu'a boire
Se gymnafiis exerce- & à faire bonne
bantur violenter, ut cnere. Ne vousé-
rerè dicam.nim^ ad tonnex ^oac pas
fudorem, ad laffitu-
             ^ &
d nem extremam ul-                     
que VideMercuria- fe fur graille , on
lem de Arte Gym- a un ventre gros
naftica , quam va- & chargé , des
rialaborum gênera, jambes molles 5c
quam difficiha , enervées, & des
quamrobuftahabue-
                . fe fe_
tut tantoperè,venter mêmes leur oih-
reftringebatur abdev veté. Aulieu que
mine in carnem mi- dans l'Antiquité
grante. Et quidquid jes nommes s'e-
in cor pore homano xerçoienttous les
excitando paffivcfc J dans ks A.
habent : nam bra- iw l
               ..
chia,erura,cervix, cademies& lieux
-ocr page 151-
par Principes.           147
publics deftinés fcapuli &: omniaquas
aux exercices du agunt alliante na-
ce n &r
        f tura iuccum ca-
r . P » „ P - lore attra&um fub-
foient même fou- miniftrante in im_
vent ces exer-  menfum augentur &
cices jufqu'à des  crefcunt-,utvidemus
fueurs & des laf-  terga Getulorum ,
fitudes extrêmes,  brachia Gladiato -
Voyez dans le IL rum 'fura Saltfn"
; , , .
        tium & totum fere
yre qu a écrit             s Remi
Mercunalis tou -                                 *
chant l'Art Gyrrmaftïque, en com-
bien de façons différentes ils tra-
vailloient leurs corps,& quelle force
il falloit avoir pour cela. Dans le
vérité rien n'étoit meilleur poua
faire fondre les parties trop molles
èc trop grades d'oifiveté que ces
fortes d'exercices : la panfe te reti-
roit, & tous les endroits qui étoient
agités fe changeoient en chair &
fortifîoient les mufcles : car les bras ,
les jambes, le cou Jes épaules, &
tout ce qui travaille étant aidé de
la Nature qui attire par la chaleur
un fuc dont elle les nourrit, pren-'
G il
-ocr page 152-
ï4-8 Cours de Peinture
nent de la force, croîflent & s'aug-
mentent extrêmement, ainfi que
nous le voyons au dos des Getes 5
aux bras des Gladiateurs, aux jam-
bes des Danfeurs, & prefque à tout
le corps des Rameurs.
Rubens, dans un Manufcrït La-
tin qui eft entre mes mains, en par-
le de cette forte. Jai rapporté fes
propres paroles pour autorifer la
fidélité de la Traduction. De Imita-
tione jiatuarum, Jlliis titiliffima &c.
Enfin la louange des gens d'ef-
prit, les témoignages des Auteurs „
&c l'eftime univerfelle des fieclesles
plus éclairés : toutes ces chofes ,
dis-je, qui font les plus forts pré-
jugés en faveur de l'Antique, ne
fervent pourtant qu'à confirmer
cette unique raifon de fa beauté ,
favoir s que l'Antique n'eft beau
que parce qu'il eft fondé fur l'imi-
tatrbn de la belle Nature dans la
c onvenance de chaque objet qu'on
a voulu reprefenter. Un Dieu , un
Héros , &. un Homme ordinaire:
-ocr page 153-
far Principes.          ^49
©fit des eâra&eres difFerens que l'on;
remarque dans les plus belles «Sta-
tues antiques. Coiï)me,par exemple 5
dans l'Apollon , la Divinité ; dans
l'Hercule la force extraordinaire *
& dans l'Antinous la beauté hu-
maine.
Le Goût de l'Antique, me dira-
t-on, quiparoît fondé fur le com-
mun contentement des gens d'ef-
prit, a pourtant varié du tems des
Gots.
Mal* &&• peut répondre que la
manière gottique elt venue" dans un:
tems où la guerre ayant fait périr
les beaux Arts , les Ouvriers n'eu-
rent point d'autre objet pour les re-
nouveller que l'imitation de la Na-
ture telle qu'elle fe prefentoit par
tazard ; & que pour les ornemens »
leur imagination s'exerçoit plutôt
dans les chofes difficiles, qu'ils
croyoient leur devoir acquérir de
la réputation , que dans le bon goût
qu'ils ne connoiïîbient pas.
Ce n'efl donc point pour avoir
G iij
-ocr page 154-
i f © Cours de peinture
rejette l'Antique que les Gots s'en
font écartés, c'en: pour ne l'avoir
pas connu. Tous les Arts ont com-
mencé par imiter la Nature , & ils
ne fe font perfectionnés que par le
bon choix. Ce bon choix qui fe
trouve dans l'Antique , a été fait par
des hommes d'un bon efprit, qui
cherchoient la gloire par la fcience,
& qui ont examiné pour arriver à
leur fin , les modèles les plus par-
faits , dans une païs où les hommes
naiffent naturellement beaux , &
dans un tems fertile en grands gé-
nies , où les beaux Arts étoient af-
fiduement étudiés , approfondis
dans leur fource } & pouffes dans
une perfe&ion qui eft encore au
jourd'hui l'objet de notre étonne-
ment.
Que pourroit-on faire davanta-
ge pour donner à la Pofterité une
grande idée de l'Antique, une idée
prife non d'un pratique infipide ,
ou d'une manière exagérée que les
Difciples prennent des Maîtres ,
-ocr page 155-
far Principes.           i 5 i
d'un efprit borné 8c d'une capacité
médiocre : mais d'une idée qui n'a
point d'autre fource que la Nature
dans laquelle le Vrai paroît dans
toute fa pureté, dans toute fon élé-
gance , dans toutes fes grâces , &
dans toute fa force , fans jamais for-
tir de fa fimplicité. Voilà l'intérêt
qu'ont tous ceux qui deffinent, de
regarder le nud de l'Antique com-
me la Nature épurée, & comme la
régie la plus affurée de la perfec-
tion.
Mais comme il efr. inutile de vou-
loir profiter de la vue des belles
chofes fans les bien concevoir , il
eft impoffible de pénétrer la beauté
de l'Antique, non plus que le Vrai
de la Nature , fans le fecours de
TAnatomie. On peut bien en voyant
& deflinant l'Antique acquérir une
eertaine grandeur de DefTein, &; fe
faire en gros une pratique qui tend
au bon goût & à la delicatefle : mais
ces avantages , s'ils font fans con-
noiiïànce & fans principes, n'iront
-ocr page 156-
i f ï         Cours de Peinture
qu'à éblouir le Spectateur par urt
dehors fpécieux , & par des remi-
nifcences mal placées. Et tel qui s'ex-
tafîe à la vue de ces beaux Ouvra-
ges de l'Antiquité, eft encore fort
éloigné de favoir la véritable four-
ee des beautés qu'il admire, à moins
qu'il ne fâche cette partie fonda-
mentale du DefTein , je veux dire,
de l'Anatomie.
J'ai donc à faire voir que l'A-
natomie eft le véritable fondement
du DeiTein, & que cette fcience fèrt
à découvrir les beautés de l'Anti-
que. Je ferai voir en même tems que
la connoilïànce qui en eft necenai-
re au Peintre & au Sculpteur, eft
très facile à acquérir, Si que la né-
gligence que l'on a eue pour l'ap-
prendre, ne vient que de ce qu'on
l'a regardée comme un chemin qui
conduifoit dans une fechereflè de
DefTein , & dans une manière trop
reiTentie. Mais ceux qui voudront y
faire un peu,de réflexion, connoî-
tront au contraire qu'elle eft la ba~
-ocr page 157-
far Principes:          r 5 f
fe folide de la vérité & de la cor-
rection des contours, bien loin d'en
corrompre la pureté & d'altérer
les mufcles dans leurs liaifon^,
J'ai écrit autrefois fous un nom-
emprunté * un abrégé d'Anatomie
accommodé aux Arts de Peinture
&; de Sculpture, dans lequel les dé-
ni onftrations font fort fenfibles , &
j'en dirai encore ici quelque chofe
pour en faciliter d'autant plus l'in-
telligence , que ceux qui en ont be-
fbin croient qu'elle eft. fort dif-
ficile.
De l'Anatomic
L'Anatomie eft une connoiÏÏàn-
ce des parties du corps humain y
mais celle dont les Peintres ont
befoin, ne regarde à la rigueur que
les os ,: & les principaux mufcles
qui les couvrent ; 6c la démonftra-
tïôrtde ces deux chofes fe peut faire
avec facilité. La Nature nous à
donné des os pour la folidicé de
* Abrégé d'/Snatomie par Tortebat.
-ocr page 158-
154         Cours de Peinture
notre corps, 6c pour la fermeté de
chaque membre. Elle y a attaché
des mufcles comme des agens ex-
teneurs qui tirent les os du côté
que la volonté le commande. Les
os déterminent les mefures des lon-
gueurs , & les mufcles celles des lar-
geurs , ou du moins c'eft de l'office
des mufcles que dépendent lafor-
me & la. juftefle des contours.
Il eft d'une neceffité indifpenfa-
ble de bien connoître la forme &
la jonction des os % d'autant qu'ils
altèrent fouvent les mefures dans
le mouvement, comme il eil necef-
laire de bien favoir la fkuation êc
l'office des mufcles 5 puifqu'en cela
confifte la vérité la plus fenfïble clu
Deflein
Les os font immobiles d'eux mê-
mes &; en font ébranlés que par
les mufcles. Les mufcles ont leurs
origines & leurs infertions j ils tien-
nent par leur origine à un os qu'ils
n'ont j'amais intention d'émouvoir ,
& ils tiennent par leur infertion à
-ocr page 159-
far Principes.          i 5 f
un autre os qu'ils tirent, quand, îi*
veulent, du côté de leur origine.
Il n^y a point de mufcle qui n'ait
fon oppofé : quand l'un agit, il faut
que l'autre obéifïe , femblables en
cela aux féaux du puits dont l'un
defcent quand l'autre monte. Ce-
lui qui agit s'enfle & fe reflerre du
côté de fon origine, &: celui qui
obéit s'étend & fe relâche.
Les plus gros os & qui font les
plus difficiles à s'ébranler ,font cou-
verts des plus gros mufcles, lefquels
font fouvent aidés dans leurs fonc-
tions par d'autres qui déterminés
à faire le même office, augmentent
la force du mouvement, & rendent
la partie plus fenfible.
Plufieurs Peintres en prononçant
fortement les mufcles ont voulu
s'établir une réputation defavans
dans l'Anatomie , ou du moins ont
voulu faire voir qu'ils la poiîedoient.
Mais ils ont montré par là même
qu'ils la favoient mal , puifqu'it
paroit qu'ils ont ignoré qu'il y eus
-ocr page 160-
i 5 6         Cours de Peinture
une peau qui enveloppe les mufcles,;
& qui les fait voir plus tendres &C:
pfus coulans, ce qui fait une par.
de du corps humain , & par confe-
quent del'Anatomie. Les corps des
femmes & des petits enfans qui ont
tous leurs mufcles , auffi bien que
les Atletes, nous prouvent affez cet-
te vérité.
Les Auteurs des figures Antiques
n'ont point abufé de la connoiflàn-
ce profonde qu'ils avoient de cette
partie , en faifant paroître les muf-
cles au delà d'une prudente neceC
fité ; !k. la jufterTë qu'ils ont confer-
vée en cela marque bien l'attention
qu'ils croyoient qu'on y devoir, don-
ner. En effet , le moyen- de juger
de la vérité, ou de la fauffeté d'un
contour, fi l'on ne connoît certai-
nement à quel point le mufcle qui
le forme doit être enflé ou relâché
félon la deftination de fon office, Se
le degré de fon action. Nous voyons
r b                                        j '•
louvent, comme nous avons déjà
dit, que faute de cette connoiflan.
-ocr page 161-
far Principes.           T5T
ce, tel qui admire une Statue An-
tique n'en fait pas d'autre raifon que
parce qu'elle eft Antique.
Et fi vous lui demandez raifon
d'un contour de quelque figure mê-
me qu'il aura faite, il vous répondra,
qu'il l'a vue ainfi fur la Nature : &
e'eft ce qui arrive parmi les jeunes
gens &,parmi ceux dontlafcience ne
confifte que dans la feule pratique.
Il arrive fouvent que l'on voit
dans le nud des figures Antiques
& dans la Nature même , certaines
éminences dont on ne peut favoic
la raifon, fi on ne fait l'inférer delà/
fituation & de l'office du mufcle
qui les caufe. Mais ceux qui pofl
fedent l'Anatomie voient tout en:
ne voyant qu'une partie, Se favent
conduire des yeux ce que la peau
& la graifTe paroiffent leur déro-
ber, & ce qui eft caché à ceux qui;
ignorent cette fcîénce.
Je ne m'expliquerai point ici da*
vantage 5 il fuffit que j'en aie affez;
dit pour perfuader qu'il eft impoi-
-ocr page 162-
158        Cours de Peinture
fîble d'être véritablement habile
dans le Deflein,fans une connoiffaa-
ce claire & nette de l'Anatomie %
telle qu'elle convient aux Arts de
Peinture &c de Sculpture. Je reviens
feulement à dire que rien n'eft plus
aifé que de l'acquérir dans le degré
que nous fuppofons : contre l'ima-
gination de ceux qui aiment mieux
s'en faire un monftre, que de don-
ner quelque attention à cette par-
tie fî neceffaire. Pour les demonftra-
tions je renvois mon Lecteur à l'A-
brégé d'Anatomie que j'en ai fait^ôc
qui a été imprimé, comme j'ai dit >
tous le nom de Tortebat.
Du Goût du Deffein.
Le goût eft une idée qui fuit l'in-
clination naturelle du Peintre ,, ou
qu'il s'eft formée par l'éducation.
Chaque Ecole a fon goAt de Def-
fein, & depuis le rétabliffement des
beaux Arts celle de Rome a été
toujours eftim.ee la meilleure, par-
-ocr page 163-
' par Principes.           159
ce qu'elle s'eft formée fur l'Antique;
l'Antique eft donc ce qu'il y a de
meilleur pour le goût du DefTein ,
ainfi que j'ai tâché ci-deflus d'en
donner des preuves.
De l'Elégance.
L'Elégance en gênerai eft une
manière de dire ou de faire les
chofes avec choix y avec politefle ,
& avec agrément -f avec choix , en
fe mettant audeflus de ce que la
Nature & les Peintres font ordi-
nairement 5 avec politefTe, en don-
nant un tour à la chofe , lequel
frappe les gens d'un efprit délicat}
& avec agrément en répandant en
gênerai un affaifonnement qui foit
au goût & à la portée de tout le
v monde.
L'Elégance n'eft pas toujours
fondée fur la correction , comme
elle le paroît dans l'Antique & dans
Raphaël. Elle fe fait louvent fentir
dans des ouvrages peu châtiés &
-ocr page 164-
r6o        Cours de Peinture
négligés d'ailleurs, comme dans le
Ccrrege, où malgré les fautes con-
tre la juftefle du Deflein, l'Elégan-
ce fe fait admirer dans le goût du
Deffein même, dans le tour que ce
Peintre donne aux actions, en un,
mot „ le Correge fort rarement de
l'Elégance.
Mais l'Elégance qui eft foutenue
de la corsedion du DelTein , ère
nous prefentant uneimage de ia per-
fection , remplit toute notre atten-
te y attache notre attention, & éle-
vé notre efprit après l'avoir frappé
d'un agréable étonnement. On peut
encore définir l'elegance du Deffeiiï
de cette forte.
C'eft une manière d'être qui em-
feelit les objets, ou dans la forme*
©u dans la couleur , ou dans tous les
deux, fans en détruire le Vrai.
Celle qui regarde le Deffein fe
trouve dans l'Antique préferable-
ment à tous les grands Peintres qui
li'onr imité ,. parmi lefquels le con-
-ocr page 165-
far Principes           tët
fentement univerfel met Raphaël
au defïus des autres
Des Caractères.
Ce n'efV pas la corre&ion feule
qui donne l'ame aux objets peints,/
c'eft la manière dont ils font deffL
nés. Chaque efpece d'objet deman-
de une marque différente de diftin-
dion , la Pierre, les Eaux , les Ar-
bres , le Poil, la Plume ; & enfin-
tous les Animaux demandent des
touches différentes pour exprimer
l'efprit de leur caraétere : le nud
même des figures humaines a Ces
marques de diftin&ion. Les uns pour
imiter la chair donnent aux con-
tours une inflexion qui porte cet
efprit : les autres pour imiter l'An-
tique confervent dans leurs cou-
tours la régularité des Statues 3 de-
peur de rien perdre de leur beauté.
On voit même dans les Deffeins^
des grands Maîtres , que pour ex-
primer les parlions de l'ame , ils
s'étoient familiarifés certains trairs
-ocr page 166-
I 6 2         Cours de Peinture
qui montrent plus vivement encore
que leur Peinture l'expreffion de leur
idée.
Le mot d'Expreffion fe confond
ordinairement en parlant de Pein-
ture avec celui de Paflîon. Ils dif-
férent néanmoins en ce que , Ex-
preffion effc un terme gênerai qui
îîgnifle la reprefentatioa d'un objet
félon le caracWe de fa Nature, & fé-
lon le tour que le Peintre a deffein
de lui donner pour la' convenance
de ion ouvrage. Et la Paflîon en
Peinture , eft un mouvement du
corps accompagné de certains traits
fur le vifage, qui marquent une agi-
tation de l'ame. Ainfî toute paflîon
eft une expreffion : mais toute ex-
preffion n'eft pas une paffion- D'où
l'on doit conclure qu'il n'y a point
d'objet dans un tableau qui n'ait fon
expreffion.
• Ce feroit ici le lieu de parler des
paiîîons de l'ame : mais j'ai trouvé
qu'il étoit impoffible d'en donner
des démonflrations particulières qui
-ocr page 167-
far Principes.            163
puflent être d'une grande utilité à
l'Art 11 m'a femblé au contraire ,
que fi elles étoient fixées par de cer-
tains traits qui obligeaient les Pein-
tres à les'fuivre necefTairement com-
me des règles eflentielles, ce feroit
ôter à la Peinture cette excellente
variété d'expreffion , qui n'a point
d'autre principe que la diverfité des
imaginations dont le nombre eft in-
fini , Se les productions auffi nouvel-,
les que les penfées des hommes iont
différentes. Une même paffion peut
être exprimée de plufieurs façons
toutes belles, &. qui feront plus ou
moins de plaiiir à voir félon le plus
ou le moins d'efprit des Peintres qui
les ont exprimées,, 8t des fpecta-
teurs qui les fentent.
Il y a dans les paillons deux for-
tres de mouvemens -, les uns font
vifs & violens, les autres font doux
& modérés. Quintîlien appelle les
premiers patetiques , &. les autres
moraux. Les patetiques coraraan-
-ocr page 168-
ï 64        Cours de Peinture
dent , les moraux persuadent ; tes
tins portent îe trouble et remuent
puifïamment les cœurs, les autres
infmuent le calme dans l'efprit 5 6c
tous ont befoin de beaucoup d'Arc
pour être bien exprimés.
Le patetique eft fondé fur les
paffions les plus violentes , fur la
Haine ,. fur la Colère, fur l'Envie ,
iur la Pitié. Le Moral infpirela dou-
ceur , la Tendrefïè, l'Humanité.Le
premier règne dans les combats &
dans les a&ions imprévues &: mo-
mentanées 5 le dernier dans les con-
ventions. L'un & l'autre deman-
dent les bienféances & les conve-
nances des figures que l'on intro-
duit fur la fcene.
Le Brun a fait un Traité des Paf-
fions dont il a tiré la plupart des
définitions de ce qu'en a écrit Def-
cartes. Mais tout ce qu'en a dit ce
Philofophe ne regarde que les mou-
vemens du cœur , & les Peintres
n'ontbefoin que de ce quiparok fur
-ocr page 169-
far Principes,.          i 6 5
ïe vîfage. Or quand les mouvemens
du cœur produiroîent les paffions
félon les définitions qu'on en don-
ne , ii efl difficile de favoir com-
ment ces mouvemens forment les
traits du vifagequi lesreprefèntent
à nos yeux.
De plus, les définitions de Def-
cartes ne :font pas toujours mefu-
rées à la capacité des Peintres qui
ne font pas tous Philofophes, quoi-
que d'ailleurs ils aient Bon efpnt&
;bon fens. Il fuffit qu^ils fâchent que
les paffions font des mouvemens de
notre arne qui fe laifTe emporter i
certains fentimens à la vue de quel-
que objet, fans attendre Fordre, gc
le jugement de la raifon. jLe Pein-
tre doit envifkger cet o.bjet avec at-
tention, le représenter prefent quoL
qu'abfent, &: fè démanaer à foi-m ê-
111e ce qu'il ferait naturellement
rs'îl ctoit furpris de la même paf.
lîon. Il faut même faire davanta^
ge ; il faut prendre la place de lf
-ocr page 170-
16 6 Cours de Peinture
perfonne paffionnée, s'échauffer l'i-
magination , ou la modérer félon
le degré de vivacité > ou de douceur
qu'exige la paffion, après y êCre bien
entré &. l'avoir bien fentie : le mi-
roir eft: pour cela d'un grand fecours,
auffi bien qu'une perfonne qui étant
inftruite de la chofe voudra bien fer-
vir de modèle.
Mais ce n'eft point aflez que le
Peinte fente les paffions de l'ame,
il faut qu'il les fane fentir aux au-
tres 5 & qu'entre plufieurs caractè-
res dont une paffion peut s'exprimer,
il choififle ceux qu'il croira les plus
propres à toucher fur-tout les gens
d'efprit, ce qui ne fe peut faire à
mon avis , que par un fens exquis ,
& par un jugement folide. Quand
on a une fois attrapé le goût du fpe-
clateur , rien ne l'interefle davan-
tage en faveur du Peintre.
Pour les démonftrations que le
Brun en a données, elles font très-
favantes 8c très - belles, mais elles
-ocr page 171-
par Principes.          i6j
font générales -y & quoiqu'elles puif-
fènt être utiles à la plupart des Pein-
tres, on peut néanmoins fur le mê-
me fujet , faire de belles expref-
fions tout-à-fait différentes de cel-
les de le Brun , quoique ce Peintre
y ait très-bien réuffi.
Les exprefïïons générales font
donc excellentes , parce que c'efl
d'elles que fortent les exprefïïons
particulières, comme les branches
de l'arbre fortent de leur tronc.
Mais je voudrois que chaque Pein-
tres s'en fît une étude , en remar-
quant , le crayon à la main , les traits
qui les défîgnent -, & qu'il fe fervît
pour cela de l'Antique, & de la Na-
ture , afin de fe faire ainfî une idée
générale des principales pallions fé-
lon fon génie ; car nous penfons tous
différemment , & nous imaginons
tous félon la Nature de notre tem-
pérament.
Quoique les parlions de l'ame fe
fa0ènt reconnoître plus fenfible-
-ocr page 172-
g 6 S , Cours de Peinture
ment dans les traits du vifage qu'ail-
leurs , elles demandent fouvent d'ê-
tre accompagnées des autres par-
ties du corps. Car dans les fujets qui
demandent l'expreffion de quelque
partie eflentîelle, fi vous ne touchez
le Spectateur que foiblement, vous
luiinfpirez une tiédeur qui le rebute-.
au lieu que fi. vous le touchez
i)ien , vous lui donnez un plaifïr
infiiiî.
La tête eft donc la partie du
£orps qui contribue toute feule
plus que toutes les autres enfem-
jble à l'expreffion des pafïions. Les
autres parties féparement ne peu-
vent exprimer que de certaines paf-
lions 3 mais la tête les exprime
toutes. Il y en a néanmoins qui
lui font plus particulières : comme
l'humilité , qu'elle exprime lorf-
qu'elle eft baillée 5 l'arrogance ,
quand elle eft élevée 5 la Langueur
quand elle panche & qu'elle fe laide
aller fur l'épaule j l'opiniâtreté ,
avec
-ocr page 173-
far Principes. i€y
avec une certaine humeur revéche
& barbare, quand elle eit droite ,
fixe 6c arrêtée entre les deux épau-
les 3 de d'autres dont on conçoit
mieux les marques qu'on ne les peut
dire, comme la pudeur, l'admira-
tion , l'indignation & le doute.
C'eft par la tête que nous faifons
mieux voir nos Suppplications, nos
menaces , notre douceur , notre
fierté , notre amour, notre haine,
notre joie , notre triftefTe , notre
humilité : Enfin c'eft affez de voir le
vifàge pour entendre à demi mot $
Ja rougeur 6c la pâleur nous par-
lent , aufïi-bien que le mélange des
deux.
Les parties du vifage contribuent
toutes à mettre au dehors les fenti-
mens du cœur 5 mais fur-tout les
yeux , qui font, comme, dit Cice-
ron , deux fenêtres par où l'amc
fe.fait voir : Les pallions qu'ils ex-
priment le plus particulièrement
font , le plaifir, la langueur , le
d-édain , la feverité r la douceur ,
H
-ocr page 174-
170        Cours de Peinture
l'admiratiou & la colère : la joie
ôcla triftefle pourroîent encore être
de ce nombre fi elles ne partoient
plus particulièrement des iburcils
&l de la bouche : èc quoique ces
deux dernières parties s'accordent
davantage pour exprimer ces deux
f«allions, néanmoins fi vous favez
es joindre avec le langage des
yeux, vous aurez une harmonie mei%
veilleufe pour toutes lçs pallions de
l'ame.
Le nez n'a point de paflion qui
lui foit particulière , il ne fait que
prêter fon fecours aux autres par-
ties du corps par un élevement de
narines, qui eft autant marqué dans
la joie que dans la triiteffe. Il fem-
ble néanmoins que le mépris luifaC
fe lever le bout & élargir les nari-,
nçs en tirant en haut la lèvre de dek
fus à l'endroit qui approche des
coins de la bouche. Les Anciens
ont fait du nez le liège de la mo-
querie. Eum fubdoLe irrifioni die<t~
vcruntfot
Pline. Us y ontauflî logé
-ocr page 175-
far Principes.          j-jx
le colère : on voit dans Perfe , Dif-
ce : fed ira eadat nafo
, ruqofaque
farina.
Pour moi, je croirois volon-
tiers que le nez eft le fiege de la co-
lère dans les animaux plutôt que
dans les hommes , & qu'il ne fied
bien qu'au dieu Pan , qui tient beau-
coup de la bête, de renfrogner fou
nez dans la colère , ainfi que les
autres animaux,èc que Philoflratc
nous le reprefente, lorfque les Nim_
plies qui l'avoient lié , lui failoient
mille infultes.
Le mouvement àes lèvres doit
être médiocre dans le difcours, par-
ce qu'on parle plutôt de la langue
que des lèvres : 8c lî vous faites la
bouche fort ouverte , il faut que
ce foit pour exprimer une violente
paffion.
Pour ce qui eit des mains, elles
obéifTent à la tête, elles lui fervent
en quelque manière d'armes & de
fecours ^fans elles l'a&ioneit foible
èc comme à demi-morte : leurs meu-
vemens , qui font prefque infinis
H ij
-ocr page 176-
ï 7 4         Cours de Peinture
font des expreffions fans nombre,
N'eft-ce pas par elles que nous de^
iîrons, que nous efperons, que nous
promettons, que nous appelions,
que nous renvoyons ? Elles font en-
core les inflrumens de nos menaces ,
de nos fuppliçations, de l'horreur
que nous témoignons pour les cho-
fes, ou de la louange que nous leur
donnons. Par elles nous approuyonSj
nous refufons , nous craignons >
nous interrogeons, nous montrons
notre joie &; notre triftefTe , nos
doutes, nos regrets, nos douleurs
& nos admirations ; Enfin l'on peut
dire , puifqu'elles font la langue des
muets, qu'elles ne contribuent pas
peu à parler un langage commun à
toutes les Nations de la terre , qui
eft celui de la Peinture.
De dire comme il faut que ces
parties foient difpofées pour expri-
mer les différentes pallions , c'eft
ce qui eft impoflible, & dont on ne
peut donner de règles bien précifes
tant à caufe que le travail en ferait
-ocr page 177-
par Principes.            i-ff
infini , que parce que chacun en
doit ufer félon fon génie, & feioiï
l'étude qu'il en a dâ faire. Souve--
nez-vous feulement de prendre gar-
de que les actions de vos figures
ioient toutes naturelles ; Il me fem-
ble
, (dit Quintilien, parlant des paf-
fions ) que cette partie fi belle & fi
grande n'efi pas inacceffïble
, & qu'il
y a un chemin qui y conduit ajfez^fa-
cilement
j c'efi de confiderer la ^Nature
& de limiter
r car les Spéculateurs font
fatisfaits
,- lorfque dans les chofes
artificielles ils rcconnoijfent la Natu-
re telle qu'ils ont accoutume de la
voir ? En effet il efi indubitable que
les mouvemens de l'âme , qui font etu~-
diés par Art
, ne font jamais fi na-
turels que ceux qui fe voient dans la
chaleur d'une véritable pajjion.
Ces mouvemens s'exprimeront bien
mieux & feront bien plus naturels,
fi l'on entre dans les mêmes fènti-
mens , & que l'on s'imagine être
dans le même état que ceux que
l'on veut reprefenter. Car la 2ïa-
Hiij
-ocr page 178-
1^4 Cours de Peinture
turc
( dit Horace ) difpofe notre inté-
rieur a toutes fortes de fortunes
j tan-
tbt elle nous rend contens
, tantôt elle
nous foujfe dans la colère
, ($* tantèt
«lie nous accable tellement de trifteffe
,
qu'elle nous abat entièrement, & nous
met dans des inquiétudes mortelles
:
fuis elle foufie audehors les mouvemens
du cœur far la langue
, qui efi fon in-
terprète.
Qu'au lieu de la langue le
Peintre difë, far les aflions qui font
fesinterfretes. Le moyen
( dit Quinti-
lien ) de donner une couleur à uns cho-
fe fi vous n'avez^pas cette couleur. Il
faut que nous foyons touchés les fre.
mi ers d'une faffion avant que d'ef*
fayer d'en toucher les autres. Et com-
ment faire
( ajoute-t-il ) fourfefen-
tir ému
, vu que les f offrons ne font
pas en notre fuifiance : en voici le
moyen
, fi je ne me tromfe. Il faut fe
former des vifions & des images des
cho [es abfente s > comme fi effectivement
elles étoient devant nos yeux
, & celui
qui concevra le plus fortement ces ima-
ges
, fourra ex frimer les pajfions avec
-ocr page 179-
far Principes.          I 7 5
fins d'avantage & de facilite. Mais
il faut prendre garde, comme nous
avons déjà dit, que dans ces ima-
ges les mouvemens foient naturels $
car il y en a qui s'imaginent avoir
donné bien de la vie à leurs figures,
quand ils leur ont fait faire des
a&ions violentes & exagérées, que
l'on peut appeller des contorfions
du corps, plutôt que des parlions de
l'aine ; 8c qui fe donnent ainfi fou-
vent bien de la peine pour trouver
quelque forte paffion, où il n'en faut
qu'une fort légère.
Joignez à tout ce que j'ai dit des
pariions , qu'il faut extrêmement
avoir égard à la qualité des per-
fonnes paffionnées : La joie d'un
Roi ne doit pas être comme celle
d'un Valet, & la fierté d'un Soldat
ne doit pas reflembler à celle d'un
Capitaine : c'en: dans ces différen-
ces que confifte le vrai difcernement
des parlions.
Tout le monde fait que l'imita-
tion des objets vifibles de laNatu-
-ocr page 180-
3 7^         Cours de Peinture
re, confîfte dans le Deflèin & dans
le Coloris. Je viens d'expofer ce que
je conçois du premier en parlant de
la correction du DefTein , fondée
fur les beautés de la Nature & de
l'Antique, & fur l'utilité de l'Ana-
tomie. J'ai dit quelque chofe du
goût , "de la diverfité , de l'élé-
gance, du cara&ere, &des expref-
fiqns des paffions, félon le rapport
que toutes chofes ont avec le Deù
fein. Il ne me refte maintenant qu'à
traiter du Colons, pour joindre ce
que j'en dirai à ce que j'en ai écrit
autrefois. Au refte fi en parlant du
Deflein j'ai omis quelque chofe
qui ait relation à cette partie, c'eft
parce que d'autres perfonnes que
moi en ont écrit avec fuccès , &
qu'il feroit ennuyeux de rebattre
une matière, fans pouvoir la mieux.
é clair cir.
-ocr page 181-
far Principes.          i 77
#m *** *m ■?*? ; «&3: «** -• **s **3' **•* «#» e» **a
Xto Draperies.
LA diverfité des climats , icf
changement des faifons&i leur
ïnconftance ont mis les hommes
dans la neceffité d'avoir des véte-
mens : cette neceflité s'eft accom-
modée aux règles de la bienféance v
& la bienféance a donné lieu aux
divers ornemens que les peuples ont
inventés pour enrichir leurs habits
félon le goût des différentes Na-
tions , 6c félon la mode des divers
tems. Mais comme on a étendu l'u-
fage des étoffes à beaucoup d'au-
tres chofes qu'aux vétemens , les
Peintres les ont toutes comprifes
fous le mot de Draperie • & pour
faire entendre qu'un Peintre pof-
fedoit l'Art de bien diftribuer les
plis, ils ont dit qu'il favoit bien
jjetter une draperie» Ce terme des
-ocr page 182-
17 S         Cours de Peinture
jetterune draperie paroît d'autant
plus julle, que la difpofîtion des plis
doit plutôt paraître l'effet d'un pur
hazard que d'un loigneux arange-
ment.
Il y a donc une intelligence dans
l'ajuftement des draperies , & nous
allons voir en quoi elle confifte, &
de quelle confequence elle eft dans
la Peinture.
L'Art de draper fe remarque
principalement en trois choies.- i °.
dans l'ordre des plis $ i°. dans la
diverfe nature des étoffes j 3 °. dans
la variété des couleurs de ces mê-
mes étoffes.
De l'ordre des Plis.
Comme il ne faut pas que l'œil
foit jamais en doute de fon objet,
le premier effet des Draperies , eft
de faire connoître ce qu'elles cou-
vrent , & principalement le nud
des figures 5 enforte que le cara&e-
â'c extérieur des perfonnes , & la
-ocr page 183-
far Principes.          i y 9
juftefle des proportions s'y rencon-
trent, du moins en gros , & autant
que la vraifemblance jointe à l'Art
ie pourra permettre.
Ainfi à l'exemple des plus grands
Maîtres , le Peintre doit avant de
difpofer Tes Draperies , deffiner le
nud de fes figures , pour former
des plis fans équivoque, & pour con-
duire fi adroitement les yeux , que
le Spedateur s'imagine voir ce que
le Peintre lui couvre par le jet de fes
Draperies.
Qu'il prenne garde auffi que la
Draperie ne foit pas trop adhéren-
te aux parties du corps : mais qu'el-
le flotte/pour ainfi dire , alentour,
qu'elle les carefle, que les figures y
loiént à leur aife, & qu'elles y paroif-
fent libres dans leurs mouvemens.
Que les Draperies qui couvrent
des membres expofés à une grande
lumière, ne foient pas ombrées de
telle force, qu'elles femblent entrer
dedans h & que ces mêmes mem-
H vj
-ocr page 184-
i 8 o         Cours de Peinture
bres ne foient pas traverfés par des*
plis trop refTentis, lefquels par leur
ombre trop obfcure paroîtroient les
rompre : mais qu'en confervant un
petit nombre de plis , le Peintre
leur d-îftribue délicatement le degré
de lumière qui convient à la malle,
dont ils font partie.
Les plis doivent être grands 6c
en petit nombre , autant qu'il fera
poffible : cette maxime étant une
des chofes qui contribue davantage
à ce qu'on appelle grande manière j
parce que les grands plis partagent
moins la vue , 6c que leur riche
•(implicite eft plus fufceptible de
grandes lumières. J'en excepte néan-
moins les vétemens dont le cara-
dere eft d'avoir beaucoup de plis,
comme il arrive fouvent dans les
habits de femmes , ainfi que l'An-
tique nous en fournit beaucoup
d'exemples. Alors le Peintre peut
droitement groupper les plis, èc les.
aranger à-côté des membres qui ert
-ocr page 185-
par Principes. 18'r
recevront beaucoup plus d'appa-
rence & plus d'agrément.
. Le contraire qui eft fi néceiïaire.
dans le mouvement des figures, ne
l'eft pas moins dans l'ordre des plis s
car le contrafte en interrompant les
lignes qui tendroient trop d'un mê-
me côté , introduit dans les dra-
peries , comme, dans les figures une
forte de contradidion, qui femble.
les animer. La raifon en eft que 1er
contrafte eft une efpece de guerre ,
qui met les parties oppofées en mou-
vement. Ainfl dans les endroits où.
le Peintre le jugera à propos , les
Î)lis doivent fe contrarier non feu-
ement entr'éux : mais ils doivent
fur tout contrafter les membres des
figures rlorfque ces plis font grands
& qu'ils font partie d'une ample:
Draperie. Car pour lés Draperies
de deffbus qui embrafîent plus,
étroitement le nud , elles le con-
trarient bien moins qu'elles ne lut
obéiflent.
Quelque vie que le contrafte don-
-ocr page 186-
i 8 x        Cours de Teinture
ne aux Draperies , quelque né-
ceflaire qu'il foit pour leur agré-
ment, il demande au Peintre beau-
coup de prudence & de précaution.
Car dans les figures qui font de-
bout , il y a beaucoup de rencon-
tres où difficilement le contrarie
peut fe pratiquer fans fortir de la
Vraifemblance , & dans ces occa-
sions le Peintre , qui Tait profiter de
tout, fe fauve par d'autres principes.
Les plis doivent être grands fé-
lon la qualité & la quantité des
Draperies : mais quand la qualité
des étoffes légères contraint à bif-
fer plufieurs plis, il faut lesgroup-
per de manière que le Clairobfcur
n'en puiffe fouffrir.
Les plis des Draperies bien en-
tendus donnent beaucoup de vie à
l'aéHon de quelque Nature qu'elle
puiffe être 5 parce que le mouvement
des plis fuppofe du mouvement au
membre qui agit, qui les entraîne
comme malgré eux, &qui les rend
plus ou moins agités félon la violen-
-ocr page 187-
far Principes*         183
ce ou la douceur de fon a&ion.
Une difcrete répétition de plis en
forme circulaire, eft d'un grand fe-
cours pour l'effet des racourcis.
Il eft bon quelquefois de tirer
des plis en certains endroits &; d'en
introduire en d'autres,de forme con-
venable à l'intention du Peintre, ou
pour étendre la lumière , ou pour
remplir des vuides qui fe trouvent
en quelques attitudes, ou pour ac-
compagner les figures, ou pour leur
fervir d'un fond doux , ou pour em-
pêcher que leur tournans ne fbif-
iènt, & ne tombent dans une trop
grande crudité.
La richeffe'des Draperies &. des
ornemens qui font deflùs, fait une
partie de leur beauté , quand le
Peintre en fait faire un bon ufage :
Mais ces ornemens ne conviennent
gueres aux divinités , ils font tou-
jours au defTous de la dignité Se
de l'état desfigu res céleftes : lesDra-
perïes qui leur font propres doi-
vent être riches plutôt par la gran-
-ocr page 188-
ï-8'4 Cours de Peinture
deur&ia. nobleffe des plis, que par
1a qualité des étoffes.
Les plis faits de pratique &: fans
voir le naturel, ne font ordinaire-
ment bons que. pour un Deffein.
Mais le Peintre qui veut tendre à la1
perfection doit toujours confulter
les étoffes naturelles : parce que le
vrai forme les plis, & fait paraître
les lumières félon la Nature des
étoffes. Je ne veux pourtant pas>
blâmer ceux qui ont une fi.grande-
pratique du naturel,. que-les plis Sc-
ies caractères des étoffes différen-
tes leur relient fuffifamment dans la
mémoire pour en exprimexune gran-
ae partie.
Pour bien imiter le vrai, il effc
néceffaire de jetter les draperies ,
o-u fur un manequin de la grandeur
du naturel , ou fur le naturel mê-
me. M'ais il faut extrêmement pren-
dre garde que la draperie ne con-
ferve rien de l'immobilité qu'elle.»",
fur le manequin»
-ocr page 189-
far Principes.           i î f
II y a des Peintres qui fe fervent;
de petits manequins qu'ils drapent
d'étoffes légères , ou de papier
mouillé : mais il eftaifé de juger que
ce moyen qui peut aider les Pein-
tres confommés , & qui eft excel-
lent pour mettre toute une Hiftoï-
re enfemble , ne peut fervir pour
bien terminer les draperies en par-
ticulier. La raifon en eft , que dans-
les petits manequins les étoffes ne
pouvant avoir le même poids que
dans la grandeur du naturel , ne
peuvent par confequent rendre les.
plis dans leur véritable forme.
La grande légèreté & le grand
mouvement des draperies, ne con-
vient qu'aux figures qui font dans
une grande agitation , ou qui font
expofées au vent ; mais quand on
les fuppofe dans un lieu renfermé,
& fans action violente , le parti
que le Peintre peut prendre,. eft de
faire fes draperies amples , & de*
leur donner par le contrafte & par
-ocr page 190-
tîê         Cours de Peinture
la chute de leurs plis, une difpofi-
tion qui aie de la grâce & de la
majefté.
C'eft un grand défaut que de
donner trop d'étoffe aux vétemens
ils doivent convenir aux figures,&
c'eft une erreur de croire , comme
ont fait quelques-uns, que plus les
draperies font amples , plus elles
portent avec elles de grandeur &
de majefté. La profufion des étof-
fes ôte aux figures la liberté du
mouvement , & les embarrafle en-
core plus qu'elle ne Iqs rend maje-
ftueufes. Voilà ce me femble , les
principales obfervations qui regar-
dent la première propofition, qui
eft l'ordre des plis. Pafibns mainte-
nant à la féconde , je veux dire à
la diverfe nature des étoffes.
De la diverfe nature'de s Etoffes.
Parmi tant de chofes différentes
qui plaifent dans la composition
-ocr page 191-
far Principes.           187
d'un Tableau, la variété des dra-
peries n'eft pas c£ qui contribue le
moins à cet agrément. L'ordre &
le contrarie des plis en fait une par-
tie : mais ce n'eft pas affez que les
étoffes foient jettées diverfement,
il faut encore qu'elles foient entr'el-
les d'une nature différente, autant
que le fujet le pourra fouffrir. La
laine, le lin , le coton, & la foie
employés de mille manières par les
ouvriers,donnentauPeintre une am-
ple matière d'exercer fon choix.
C'eft un puiflànt moyen pour intro-
duire dans fes ouvrages une diverfité
d'autant plus néceffaire qu'elle fait,
éviter une ennuyeuie répétition de
plis d'une même nature , fur-tout
dans les Tableaux de plufîeurs fi-
gures. Il y a des étoffes qui font
des plis caffés , d'autres étoffes en
font de moelleux : il y a encore
des étoffes dont la fuperficie eft
mate , d'autres dont elle eft lui
fante : les ut es font fines &. tranf.
-ocr page 192-
fsS Cours de Teinture
parentes , les autres plus fermes &
jplus folides. Touet cette variété ou
feparée dans diverfes figures,ou pra-
tiquée dans une feule félon les fu-
jets, fait toujours une fersfation très-
agréable.
L'ufage ordinaire d'une même
qualité d'étoffe dans les figures d'un
même Tableau , efl: un défaut oit
font tombés la plupart des Peintres
de l'Ecole Romaine , & où tom-
bent tous ceux qui peignent de pra-
tique , ou qui reduifent l'imitatiort
du naturel à l'habitude qu'ils ont
contractée.
Le Peintre ingénieux fera donc
fon poffible pour trouver occafioiï
d'introduire dans fes draperies en
general, cette heureufe diverfité
dont je viens de parler ; mais qu'il
fe fouvienne fur-tout qu'elle eft in-
difpenfable en particulier dans la
différence des âges , des lèxes, ÔC
des conditions.
Les anciens Sculpteurs ont été
-ocr page 193-
par Principes.           itj
fort entendus dans le jet de leurs
draperies : mais comme la -matière
qu'ils ont employée eft d'une mê-
me couleur , & qu'ainiî les grands
plis qui reçoivent de grandes lumiè-
res auraient fouvent fait des équi-
voques avec les parties nues , ou
du moins auraient partagé la vue
du Spe&ateur, ils ont pris le parti
d'attirer les yeux fur le nud de leurs
figures , u'ayant^ en ce cas la rien
de meilleur à faire pour l'avantage
de leur Art. Ils fe font fervis pour
cela de linges mouillés ou d'étoffes
légères dont ils ont plus ordinaire-
ment drappé leurs Statues. Mais il
faut avouer que le remède qu'ils -
ont apporté à cet inconvénient par
le bon ordre de leurs plis eft très-
ingenieux , &c donne , tel qu'il eft
beaucoup de lumières à ceux qui
en favent pénétrer l'intelligence.
Je pourrais citer plufîeurs exemples
de l'Antiquité fur ce fujet, & je
pie contenterai de rapporter celuf
-ocr page 194-
yjo Cours de Peinture
du bas relief, lequel eft connu fous
le nom desDanfeufes. Les draperies
qui couvrent le nud de ces figures
en le marquant agréablement, {q
terminent du côté de la partie pof.
terieure du corps en quantité de
plis femblables, & dont la répéti-
tion paroîtroit un défaut à qui ne
refléchiroit pas fur la fineiTe èc fur
l'excellence de l'ouvrage. Car fi l'on
tait attention que le but du Scul-
pteur a été de reprefenter avec élé-
gance le nud de l'es figures, on trou-
vera que bien loin que ces répéti-
tions foient un défaut en Sculptu-
re j c'efl: au contraire un moyen
de trouver une efpece d'ombre en
jhachure que le Sculpteur a ména-
gée avec adrefîe pour faire paroî-
tre le nud avec avantage, &. pour
fervir à l'œil comme de repos. C'eft
ainfi que les anciens Sculpteurs ont
Inventé , avec beaucoup d'efprit &
de génie , plufieurs moyens de re-
parer les inconveniens qui venaient
-ocr page 195-
far Principes.           i 9 \
du côté de leur matière, foitpour
la grandeur des plis 3 foit pour la
variété des étoffes 5 ayant iatisfait
d'ailleurs généralement pariant, à
tout ce qu'on y peut fouhaiter pour
la pcrfedion.
Mais les Peintres qui ont la IL
berté de fe fervir de toutes fortes
d'étoffes , & qui fa vent faire un bon.
ufage des couleurs & des lumières,
pour imiter le Vrai , feroient très
mal de fuivre les Sculpteurs dans
le grand nombre, & dans la. repe,
tition de leurs plis, comme les ScuL
pteurs feroient blâmables s'ils imi,
toient les Peintres dans l'étendue
de leurs draperies.il ne me refte plus
qu'à dire un mot de l'effet des cou*
leurs qui fe trouvent dans la varie-
té des étoffes, afin d'examiner m*
troifiçme proportion,
-ocr page 196-
ï 9 s, €eurs de Peinture
X)g la vdrietê des Couleurs dans les
Etoffes.
Comme l'ordre , le contrarie, &
la diverfe nature des plis & des étof-
fes font toute l'élégance des drape-
ries , la diverfité des couleurs de ces
mêmes étoffes contribue extrême-
ment à l'harmonie duTout enfemble
dans les fujets hiftoriques. Le Pein-
tre qui eft prefque toujours le maître
de les fuppofer comme il lui plaît,
doit faire une étude particulière de
la valeur des couleurs entières , de
l'effet qu'elles produifent les unes
auprès des autres, &. de leur rupture
harmonieufe. Mais ce n'eft point ici
le lieu d'examiner ces trois chofes,el-
les appartiennent au colons, & loril
*que je parlerai de cette partie,je ferai
mon poffible pour les éelaircir.
Je me contenterai de dire main-
tenant que le Peintre doit confide-
cer que les couleurs des draperies
hxi donnent un moyen de pratiquer
avec
-ocr page 197-
far Principes.           Î95
avec adrefïe l'intelligence du Clair-
obfcur. Le Titien a mis en ufage
cet artifice dans la plupart de fes
Tableaux, en Te fervant de la liber*.
té qu'il avoit de donner à fes dra-
peries la couleur qui lui fembloit la
plus convenable, ou pour fervir de
fond , ou pour «tendre la lumière,
ou pour caraderifer les objets par la
comparaison.
Après tout l'intelligence des drape-
ries ne peut pas être tellement fixée,
que le génie du Peintre ne puiiîe.
hazarder des plis extraordinaires
qui pourraient avoir leur mérite. Il
n'y a point d'effets dans la Nature
où le hazard fafle avoir plus de va-
riété que dans le jet des draperies,
Et quoique l'Art trouve ordinaire-
ment à reformer quelque cliofe dans
la difpofîtion de celles qui fe prefen-
tent d'elles-mêmes : ce même La-
zard forme quelquefois des plis d'u-
ne beauté & d'une convenance que
les règles n'auraient jamais pu pra*
duire. En un mot l'Art ne peut pas
I
-ocr page 198-
i<>4        Cours de Peinture
tout prévoir , il s'étend fort peu au
delà des chofes générales, & laiffe
aux gens de bon goût le foin de fai-
re le relie. C'eft au Peintre à bien
choifir les bons effets que le natu-
rel lui prefente, & à s'en fervir d'une
manière qui mette dans l'ouvrage
le caractère d'une heureufe facilité.
Entre les Peintres qui ont le mieux
entendu les draperies , Raphaël
pour l'ordre des plis peut être con-
fideré, félon mon fentiment, com-
me le plus fur modèle, fans préten-
dre néanmoins rien ôter du mérite
de ceux qui ne s'étant point tout à
fait éloignés des principes de Ra-
phaël , ont pris avec fuccés plus de
liberté dans le caractère de leurs
plis, & ont fait voir en cela même
de la grandeur & de la vérité. L'E-
cole de Vernie 6c celle de Flandre
ont excellé pour la différence des
étoffes : Et Paul Veronefe pour l'har-
monie dans la variété des couleurs
eft une fource d'exemples inepul-
labk.
-ocr page 199-
■par Principes           j 9 3;
je paiTe fous fïlence beaucoup d'au-
:. très grands Maîtres qui bien enten-
du l'artifice des draperies. Quand
on voudra fe donner la peine de les
examiner , on connoîtra que dans
l'ajuftement des plis il y a un ordre
-& un choix avantageux ; que la di-
verfe nature des étoffes efl une eC
pece de richefïe dans l'ouvrage, la-
quelle Soutient une Vraifemblance
nécefïàire 5 &c que la variété des cou-
leurs dans les draperies ,peut contri-
buer extrêmement à l'effet du Clair-
obicur , de à l'harmonie du Tout-
enfemble. En un mot on compren-
dra par les ouvrages de ces excel-
lens Maîtres, bien mieux que par
mon difeours , en quoi confifte l'in-
telligence des draperies,& de quel-
le confequence elle efl dans la Pein-
ture.
ï«
-ocr page 200-
ï 9 G Cours de Peinture
m&mmm && mxmm
D E S DRAPERIES
en abrégé.
LE mot de Draperie en Peintu-
re , s'entend de toute forte d'é-
toffe , (oit que les hommes s'en ha-
billent, foit qu'on veuille l'employer
à quelqu'autre ufage. Mais l'idée la
plus ordinaire que l'on s'en fait, re-
garde l'étoffe qui fert aux vêtemens
des hommes, La Peinture en a fait
im Art qui coniifte en trois chofes.
ï. Dans l'ordre des plis.
2.   Dans la diverfe nature des
étoffes.
3.  Dans la variété de leurs cou,.
XeXirs.
ï. L'ordre des F lis.
perïiner le nud avant que de
draper.
Que la draperie ne foit point ad-
l^erente aux parties;mais qu'elle flot-
-ocr page 201-
fat Principef.          %$*?•
te , pour ainfi dire , à l'entour &
qu'elle les carefle.
Ne point rompre lés membres
par des plis ombrés trop fortement.
Les plis grands Se en petit norru
bre autant que la nature de l'étoffe
le peut fouffrir.
Que les plis fe contraftent l'un'
l'autre , & qu'ils contraftent les
membres.
Les plis donnent en plufîeurs ren-
contres de la vie à l'acTion des fi-
gures.
Remplir les trop grands vuides
par des plisà propos,& bien adaptés.
Les plis de pratique ne convien-
nent qu'aux Peintres confommés
dans l'Art ^ mais la perfection de-
mande toujours que l'on confulte la
Nature.
Les draperies des petits mane-
quins ne font pas inutiles - mais el-
les font fauffes.
Les draperies agitées ne convien-
nent que dans les lieux qu'on fup-
pofe à découvert, ou dans les grands
mouvemens.
                      Iiij
-ocr page 202-
19 &         Cours de Teinture
La trop grande quantité d'etof-,
fe dans uni vêtement , embarafle la
figure.
Le hazard fert quelquefois beau-
coup dans le jet des draperies, &
donne des beautés que l'Art ne
prévoit pas.
Les anciens Sculpteurs ont don-
ne beaucoup de lumières aux Pein-
tre dans le jet des draperies ; mais
l'ufage que les uns & les autres en.
font eft néanmoins très différent..
II. La diverfe nature des Etoffes,
Donne une diverfité de plis.
Rejouir la vue.
Doit être pratiquée dans le gena-
ral du Tableau,quand il y a pluiîeurs
figures, & dans la particulier quand
il n'y en a qu'une $ mais cette diverfi-
té doit être indifpenfab.lement ob-
fervée dans la différence des âges .
des fexes, & des conditions.
Les Peintres Romains & ceux
qui peignent de pratique , tombent
-ocr page 203-
far Principes.          199
ordinairement dans la répétition des
mêmes étoffes.
III. La variété des couleurs dans les
Etoffes,
Sert à l'harmonie du Tableau.-
A cara&erifer les objets.
Et a pratiquer le Clair- obfcur.
Raphaël eft le meilleur modèle
pour l'ordre des plis.
L'Ecole de Venife & celle de
Flandre pour la diverfe nature des
étoffes.
Et Paul Veronefe pour la variété
harmonieufe de leurs couleurs.
-ocr page 204-
■aOô Cours de Peinture
^qp^pqpqpqp3P9P3W*3É?
x> t; paysage.
LE Païfage eft un genre de Pein-
ture qui réprefente les campa-
gnes & tous les objets qui s'y ren-
contrent. Entre tous les plaifirs que
les difFerens talens de la Pein-
ture procurent à ceux qui les exer-
cent, celui de faire du.Païfage me
paroît le plus fenfïble , & le plus
;> commode ; car dans la grande va «•
rieté dont il eil fufceptible, le Pein-
tre a plus d'occafions que dans tous
les autres genres de cet Art, de fe
contenter dans le choix des objets ^
la foîitude des rochers , la fraî,
cheur des forêts , la limpidité des
eaux, leur murmure apparent, l'é-
tendue des Plaines ôc des Lointains,
le mélange des Arbres, la fermeté
du Gazon, & les Sites tels que le
Païfagiile les veut reprefenter dans
-ocr page 205-
■par Principes'.            2.01
Fes Tableaux, font que tantôt il y
chafle , que tantôt il y prend le
frais, qu'il s'y promené , qu'il s'y
repofe , ou qu'il y rêve agréable-
ment. Enfin il eft le Maître de dif-
pofer de tout ce qui fe voit fur la
terre,. fur les eaux ,-& dans les airs :
parce que de toutes les productions
de l'Art & de la Nature , il n'y en
a aucune qui ne puifTe entrer dans
la composition de fes Tableaux.
Ainfi la Peinture , qui eft une efpe-
ce de création , l'eu: encore plus
particulièrement à l'égard du Paï-
fage.
Parmi tant de ftyles difFerens que
les Païfagiftes ont pratiqués dans
l'éxecution de leurs Tableaux , j'en
distinguerai feulement deux dont
les autres ne font qu'un mélange ,
le ftyle Héroïque, & le ftyle Pafto-
ral ou Champêtre.
Le ftyle Héroïque eft une compo-
lition d'objets qui dans leur genre
tirent de l'Art &: de la Nature tout
ee que 1 un & l'autre peuvent pro-
-ocr page 206-
2 o 2, Cours de Peinture
duire de grand & d'extraordinaire..
Les fîtes en font tout agréables &
tout furprenans : les fabriques n'y
font que temples , que pyramides,
que fepultures antiques, qu'autels
confacrés aux divinités , que mai-
fons de plaifànce d'une régulière
architecture 5 & fi la Nature n'y eft
pas exprimée comme le hazard nous
la fait voir tous les jours , elle y
eft du moins reprefentée comme on
s'imagine qu'elle devroit être. Ce
ftyle eft une agréable illufion , &
une efpece d'enchantement quand
il part d'un beau génie &: d'un bon
e/prit, comme étoit celui du Pouf-
fin : lui qui s'y eft fi bien exprimé.
Mais ceux qui voudront fuivre ce
genre de Peinture , & qui n'auront
pas le talent de foûtenir le fubli-
mequ'il demande , courent fouvent
le rifque de tomber dans le puérile.
Le ftyle champêtre eft une re-
prefentation des Païs qui paroifient
bien moins cultivés qu'abandonnés
à la bizarerie de la feule Nature.
-ocr page 207-
■par Principes.          z q 3
Elle s'y fait voir toute fimple , fans
fard , & fans artifice $ mais avec
tous les ornemens dont elle fait
bien mieux fe parer , l'orfqu'on la
iaifîe dans fa liberté , que quand
l'Art lui fait violence.
Dans ce ftyle les fîtes fouffrent
toutes fortes de variétés : ils y font
quelquefois affez étendus , pour y
attirer les troupeaux des Bergers ,
& quelquefois aflez fauvages, pour
fervir de retraite aux Solitaires , &c
de fureté aux animaux fauvages.
Il arrive rarement que le Pein-
tre ait l'efprit d'une affez grande
étendue pour embraffer toutes les
parties de la Peinture. Il y en a or-
dinairement quelqu'une qui attire
notre prédilection , & qui occupe
tellement notre efprit, qu'elle nous
fait oublier les foins que nous de-
vrions donner aux autres parties 5 6z
nous voyons prefque toujours que
ceux dont l'inclination les porte
vers le ftyle Héroïque , croient
avoir tout fait quand ils ont intro-
Ivj
-ocr page 208-
2C>4          Cours de Peinture
-duic dans la composition de leur Ta-
bleau, des objets nobles &. capables
d'élever l'imagination , fans fe met-
tre autrement en peine de l'intelli-
gence &c de l'effet d'un bon colo-
ris. Ceux au contraire qui font dans
le ftyle Paftoral, s'attachent forte-
ment à la couleur pour repréfenter
plus vivement la vérité. L'un &: l'au-
tre ftyle ont leurs fe&ateurs & leurs
partifans. Ceux qui fuivent le ft.yle
Héroïque ,fuppléent par leur ima-
gination à ce qui y manque de vé-
rité , &; n'y fouhaitent rien davan-
tage.
Ainfî pour contrebalancer l'élé-
vation des Païfages Héroïques, je
croirois qu'il feroit à propos de jet-
ter dans les Païfages champêtres ,
non feulement un grand caractère
de vérité , mais encore quelque ef-
fet de la Nature piquant, extraor-
dinaire & vraifemblable , comme a
toujours fait le Titien.
Il y a une infinité de Païfiges où
L'Héroïque 6c le Champêtre font
-ocr page 209-
far Principes.          iof
h-eureufement joints enfemble ,. &
l'on en pourra reconnoître le plus
& le moins par la defcription que
je viens de faire de ces deux maniè-
res de s'exprimer dans le Pa'ifage.
Les chofes qui font particulières
au Pa'ifage, & fur lefquelles on peut
réfléchir j font, à mon avis , 'es Si-
tes ,, les Aceidens , le Ciel &: les
Nuages , les Lointains et les Mon^-
tagnes, le Gazon , les Roches, les
Terreins, les Terraffes , les Fabri-
ques , les Eaux, le devant du Ta-
bleau , les Plantes , les Figures, de
les Arbres. J'ai fait fur toutes ces
chofes quelques réflexions que le
Lecteur trouvera bon que je lui e&
pofe.»
Des Sites,
Le mot de Site fignifie la vue,
la fituation, & l'affiette d'une Corn-
trée. Il vient de l'Italien Sito, &; nos
Peintres l'ont fait palTer en France}!
ou- parce qu'ils s'y étoient accoûtu*.
-ocr page 210-
'i o 6 Cours de Peinture
mes en Italie , ou parce qu'ils l'ont
trouvé, comme il me femble fort
expreffif.
Les fîtes doivent être bien liés
& bien débrouillés par leur forme,
en forte que le Spectateur puiflfe ju-
ger facilement qu'il n'y a rien qui
empêche la liaifon d'un Terrein à
un aure , quoiqu'il n'en voie qu'u-
ne partie.
Il y a des fîtes de plufieurs for-
tes , &c le Peintre les repréfente in-
différemment félon les Païs qu'il
fuppofè , ouverts ou ferrés , mon-
tueux , aquatiques , cultivés & ha-
bités , incultes 6c folitaires, ou enfin
variés par un mélange prudent d'u-
ne partie de ces chofes. Mais fi le
Peintre eft obligé d'imiter,par exem-
ple , la Nature d'un Païs plat &: uni-
forme , il doit le rendre agréable
par la difpofition d'un bon Clair-
obfcur 5 Se chercher de l'avantage
dans la diftribution des couleurs
qui peuvent plaire,. &.qui peuvent
-ocr page 211-
par Principes..          ±®y
fe rencontrer d'un terrein plat à un
autre.
Il effc certain cependant que les fî-
tes extraordinaires plaifent &: qu'ils
réjouifTent l'imagination par la nou-
veauté & par la beauté de leurs for-
mes , quand même la couleur loca-
le ôt l'exécution en feroient médio-
cres ; parce qu'au pis aller , on
regarde ces fortes de Tableaux
comme des Ouvrages, qui ne font
point achevés ; & qui peuvent rece-
voir leur perfection de la main d'un
Peintre intelligent dans le coloris.
Mais les fîtes & les objets communs
demandent pour plaire des couleurs
& une exécution parfaite. Claude le
Lorrain n'a reparé que par là l'in-
fïpidité & le choix médiocre de la.
plupart de fes fîtes. Mais de quel-
que manière que foit un fîte, l'un des
plus puiflàns moyens de le faire va-
loir, & même de le multiplier Se de
le varier, fans changer fa forme ,,
c'èft la fuppofition fage & ingéniai--
fe des accidens..
-ocr page 212-
208         Cours de-Peinture'
JÛes Accidens.
L'Accident en Peinture eft uns
interruption qui fe fait de la lumiè-
re du foleil par l'interpofition de3
nuages 5 en forte qu'il y ait des en*
droits éclairés fur la terre, et d'au-
tres ombrés , qui félon le mouve-
ment des nuages fefuccedentles uns
aux autres,Sc font des effets merveil-
leux, &des changemens deClair ob*.
fcur , qui femblent produire autant
de nouveaux fîtes. L'exemple s'en
voit journellement fur la Nature -,
& comme cette nouveauté de fîtes
n'eft fondée que fur la forme des
nuages & fur leur mouvement, le-
quel eft fort inconftant&fort inégal,
il s'enfuit delà que les accidens font
arbitraires,^ que le Peintre qui a du
génie en peut difpofer à fon avanta-
ge lorfqu'il juge à propos de s'en
fervir $ car abfolument parlant il n'y
eft point obligé ,.8c il y- a eu d'ha-
biles Païfagiftes qui neles ont jamais
-ocr page 213-
far Principes.           z o $
mis en ufage , ou par timidité
par habitude , comme Claude le
Lorrain & quelques autres.
Du Ciel & des Nuages.
Le Ciel, en termes de Peinture,eft
cette partie étherée que nous voyons
au-deffus de nous, mais c'eft encore
plus particulièrement la région de
l'air que nous refpirons, &; celle oà
fe forment les nuées & les orages.
Sa couleur eft un bleu qui devient
plus clair à mefure qu'il approche
de la terre, à caufe de l'interpofition
des vapeurs qui font entre nous &
l'orizon, lefquelles étant pénétrées
de la lumierejla communiquent aux
objets plus ou moins félon qu'ils en
font plus près, ou plus éloignés.
Il y a ieulement à obferver que
cette lumière étant jaune ou rou-
geâtre fur le foir lorfque foleil fe
couche , ces mêmes objets partici-
pent non feulement de la lumière s.
-ocr page 214-
i i o Cours de Peinture
mais auflï de la couleur. Ainfî la lu-
mière jaune venant à fe mêler avec
le bleu dont le ciel eft naturellement
coloré , elle l'altère & lui donne un
œil plus ou moins verdâtre félon que
le jaune de la lumière eft plus ou
moins chargé.
Cette obfervation eft générale
fk. infaillible 5 mais il y en a une in-
finité de particulières qui doivent
le faire le pinceau à la main fur le
naturel, lorfque l'o'ccafîon s'en pre-
fente. Car il y a des effets très-beaux
&: très-Singuliers qu'il eft difficile de
faire concevoir par des raifons Phy-
siques. Qui dira, par exemple, pour-
quoi il fe voit des nuages dont la
partie éclairée eft d'un beau rouge,
pendant que la fource-de la.lumière
dont ils font frappés eft d'un jaune
très, vif & très-diftingué ? Qui ren-
dra raifon des differens rouges qui
fe voient fur des nuées différentes
dans le moment que ces differens
rouges ne reçoivent la lumière que
-ocr page 215-
far Principes..          % r :r;
d'un même endroit ? Car les cou-
leurs & les effets furprenans dont je
f>arle, ne paroiffent avoir aucune re-
ation avec l'arc-en-ciel dont les
Philofophes prétendent donner de
folides raifons.
Tous ces effets extraordinaires fe
voient le foir fur le déclin du jour
quand le tems femble vouloir chan-
ger , ou qu'un grand orage fe prépa-
re , ou quand il eft paflé , Se qu'il
nous laifTe voir for les fins dequoï
attirer notre attention.
Le cara&ere des nuages eft d'être
légers & aériens dans la forme et
dans la couleur ; & quoique le nom-
bre des formes en foit infini , il eft
très à propos de les étudier, &: d'en
faire choix d'après Nature, quand
un bon moment nous enprelente de
beaux. Si on veut les reprefenter
minces , il faut les peindre en les
confondant légèrement avec leur
fond fur-tout aux extrémités , ou
comme s'ils étoient tranfparens : Et
-ocr page 216-
iîi         Cours de Peinture
d l'on veut qu'ils foient épais, il faut
que les reflets y foient ménagés, de
manière que fans perdre leur légè-
reté , ils paroiffent tourner & fe lier 5
s'il eft befoin, avec d'autres nuages
qui leur feroient voifïns. Les petits
nuages font fouvent une petite ma-
nière èç rarement un bon effet, à,
moins qu'étant près les uns des au-
tres, ils ne paroiffent tous enfemble
rie faire qu'un feul objet.
Enfin le caractère du ciel eft d'être
lumineux, &. comme il eft même la
fource de la lumière , tout ce qui eft
fur la terre lui doit céder en clarté }
s'il y a pourtant quelque chofe qui
puiffe approcher de fa lumière, ce
font les eaux &c les corps polis qui
font capables de recevoir des reflets
lumineux.
Mais le Peintre ne doit pas en fai-
sant le ciel lumineux, le rendre tou-
jours brillant par tout, il doit an
contraire ménager fi bien la lumiè-
re,, que la plus grande ne foit qu'à un
-ocr page 217-
par Principes.           a 15
feul endroit $ & pour la rendre plus
fenfîble, il faut qu'il ait foin autanj:
qu'il le pourra de l'oppoler à quel-
que objet terreftre qui la rendra
beaucoup plus vive par fa couleur
un peu obfcure, comme à un arbre,
à une tour, ou à quelque fabrique
un peu élevée.
Cette lumière principale peut en-
core être rendue fenfîble par une
certaine difpofkion de nuages, par
le moyen d'une lumière fuppofée,
ou qui peut être renfermée ingé-
nieufement entre des nuées, dont la
douce obfcurité ferpit infenfîble-
ment répandue & ménagée de côté
&L d'autre. Nous en avons quantité
.d'exemples dans les Peintres Fla-
mans qui ont le mieux entendu le
Païfàge, comme Paul Bril, Breugle,
Saveri. Les eftampes mêmes que les
Sadelers ^ Merian ont gravées ,
nous donnent une idée fort nette de
ces fortes de lumières, &. réveillent
fnerveilleufement le génie de ceu$
-ocr page 218-
a 14          Cours de Peinture
qui ont des principes du Clair-
obfcur.
Des Lointains & des Montagnes.
Les Lointains ont une grande rela-
tion avec le ciel -y c'eft lui qui en dé-
termine la force ou la foiblefle : ils
font plus obfcurs quand il eft plus
chargé, Ô£ plus éclairés quand il eft
plus ferain : ils confondent quelque-
fois enfemble leurs formes & leurs
lumières , & il y a des tems & des
Pais ou les nuages parlent entre les
montagnes dont le fommet s'élève,
& fe fait voir au de nus d'eux. Les
montagnes fort hautes Se couvertes
de neiges font propres à faire naître
dans les lointans des effets extraor-
dinaires qui font avantageux au
Peintre, Se agréables auSpeétateur.
La forme des lointains eft arbi-
traire , il faut feulement qu'elle s'ac-
corde auTout-enfemble duTableau
St à la nature du Pais que l'on re-
-ocr page 219-
far Principes,           21 g
f>refente. Ils font d'ordinaire bleus
a caufe.de l'interpo/ition de l'air qui
eit entre nous & ces lointains 3 mais
ils quittent cette couleur peu à peu
à mefure qu'ils s'approchent de
nous, & prennent celle qui eft na^-
turelle aux objets.
Dans la dégradation des monta*
gnes, il fautobferver .une lîaifon iru
ienfible, par des tournansque les re-
flets rendentvraifemblables,.&. évi-
ter entr'autres chofes dans les ex-
trémités une certaine dureté qui les
fait paraître tranchées , comme fi
files ayoîent été coupées aux ci-
feaux èc appliquées fur la toile.
Il faut encore obferver que l'air
qui eftau pied des montagnes étant
cliargédevapeurs,eftparconfequent
plus fufceptible de lumière que la
cime. £11 ce cas la , je fuppoie que
la fource de la lumière fok dans une
élévation raifonnable , 6c qu'elle
éclaire les montages également, ou
que les nuages leur dérobent la lu*.
-ocr page 220-
s 16         Cours de Peinture
«itère du foleil. Mais 11 Ton fuppo-
le la lumière fort bafle , & qu'elle
frappe les montagnes, alors la cime
en fera vivement éclairée auffi bien
que tout ce qui recevra le même
degré de lumière.
Quoique les formes diminuent de
grandeur, & que les couleurs per-
dent de leur force depuis le premier
plan du Tableau jufqu'aux loin-
tains les plus éloignés, ôc que cette
î-nfenfible diminution fe voye tou-
jours dans la Nature, & fe pratique
d'ordinaire, elle n'exclue pas pour-
tant l'ufage des accidens dont nous
avons parlé -, ôc ces accidens peu-
vent beaucoup contribuer au mer-
veilleux d'un Païfage , quand le
Peintre a l'occafion de s'en fervir
bien à propos , & qu'il a une idée
jufte du bon effet qu'il en attend
4ans fon ouvrage.
I3#
-ocr page 221-
fdr Principes.           tij
Du Ga%on,
J'appelle Gazon, le verd dont les
Iherbes colorent la terre. Il y en a
de beaucoup de manières difrèren-
tes,& leur diverfité vient non feule-
ment de la nature des Plantes qui
ont la plupart leur verd particu-
lier 3 mais encore du changement
des faifons & de la couleur des ter-
res , lorfque les herbes y font
çlair-femées. Cette variété donne
iieu au Peintre de faire un choix,
ou d'aïfembler iur une même éten-
due de terrein plufieurs verds en-
tremêlés & indécis ,qui font fou-
vent très - avantageux à ceux qui
favent en profiter -y parce que cet-
te diverfité de verds qui fe trouve
très-fouvent dans la nature, donne
un cara&ere de vérité aux endroits
où l'on a su les employer à propos.
Il y en a un merveilleux exemple
dans le Païfage de la vue de Ma-
tines de Rubens»
&
-ocr page 222-
îl8 Cours de Peinture
Des Roches,
Quoique les Roches foient de
toutes fortes de formes , & qu'el-
les participent de toutes fortes de
couleurs, elles ont pourtant dans
leur diverfité certains cara&eres
qui ne peuvent bien s'exprimer
qu'après les avoir examinées fur
le naturel. Il y en a qui font par
bans 6c par lits feuilletés , d'au-
tres par gros blocs faillans ou ren-
trans, d'autres par grands quar-
tiers contigùs , d'autres enfin font
d'une maflè énorme , 5c de la fi-
gure d'une feule pierre , ou parce
que c'eft fa propre nature , com-
me le grais , ou parce que les in-
jures des faifons pendant plufieurs
fiecles ont effacé les marques dont
je viens de parler. Mais de quel,
que forme que foient les roches.
elles ont d'ordinaire certaines in-
terruptions de fentes, de caffures,
de trous, de brouflailles, de mouf-
-ocr page 223-
far Principes.         11 9
Tes , & de taches -que le tems y a
imprimées: de forte que toutes ces
chofes bien ménagées, donnent in-
failliblement une idée de la vé-
rité.
Les roches font d'elles-mêmes
mélancoliques & propres aux foli-
rudes • elles infpirent un air frais
quand elles font accompagnées
d'arbnfleaux : mais elles font d'un
agrément infini, lorique par Je
moyen des eaux qui en fartent, ou
qui les lavent , elles acquièrent
une ame qui les fait en quelque
forte devenir fociables.
Des Terreins.
Terrein en terme de Peinture
$eft un efpace de terre diftingué d'un
.autre, & fur lequel il n'y a ni bois
fort élevés, ni montagnes fort ap-
parentes. Les terrel n s contribuent
plus que toute autre chofe à la dé-
gradation & à l'enfoncement du
Païfage : parce qu'ils fe chafTent
-ocr page 224-
% % © Cours de Peinture
l'un l'autre , .ou par leurs formes^
,ou par le Glair obfcur , ou par la
jdiverfité des couleurs, ou enfin par
une liaifon infenfible qui conduit
d'un cerrein à un autre.
La multiplication des ter-reins
eft fouvent oppofée à la grandeur
de manière fans la détruire abfo-
iument : car outre que cette multi-
plication fert à voir faire une gran-
de étendue de Païs, elle eft fufcep-
tible d'accidens , qui étant bien
entendus, font un très-bon effet.
Il y a une délicateffe «à obferver
dans les terreins, qui eft que pour
les bien caraclerifer , il faut éviter
que les arbres qui y feront placés
n'ayent les mêmes verds de les mê-
mes couleurs que leurs terreins ,
fans tomber néanmoins dans des
différences trop fenfîbles.
Des Terrajfes.
Terrafle en Peinture eft un elpav
ce 4e terre ou touc-à-fait dénué
-ocr page 225-
■par Principes.          ïr. i
ôû peu chargé d'herbes , comme'
font les grands chemins & les lieux
fouvent fréquentés. On n'emploie
gueres les terrafles que for le de-
vant du Tableau où elles doivent1
être fpacieufes èc bien ouvertes 3
accompagnées fi l'on veut de queL
que verdure qui s'y trouve comme
par accident , auffi-bierî que queL
ques pierres qui étant placées avec
prudence, rendent la terrafle plus
vraiiémblable.
Des Fabriques.
On appelle Fabrique, en terme
de Peinture, les bâtimens en gê-
nerai que le Peintre reprefente :
mais plus particulièrement ceux
qui ont quelque régularité d'Ar-
chiteéfcure , ou du moins qui font
plus apparens. Ainfî ce terme con-
vient bien moins aux maifons de
Païfans & aux chaumières des
Bergers, lefquelles on introduit
dans le goût champêtre, qu'aux
Kiij
-ocr page 226-
x ï 2 Cours de Peinture.
bâtîmens réguliers & fpécieux que
l'on fait toujours entrer dans le
goût héroïque.
Les Fabriques en général font
d'un grand ornement dans le Paï-
fage , quand même elles feroient
gothiques, ou qu'elles paroîtroient
inhabitées & à moitié ruinées : el-
les élèvent la penfée par l'ufage
auquel on s'imagine qu'elles ont
été deftinées, comme nous voyons
ces anciennes tours qui femblent
avoir fervi d'habitation aux Fées,
&c qui font devenues la retraite
des Bergers, &c des hibous.
Le Pouffin a peint dans fes ou-
vrages des fabriques Romaines d'u-
ne grande élégance, &; Bourdon
des fabriques gothiques qui toutes
gothiques qu'elles font, ne laiffent
pas de jetter un air fublime dans
les Païfages. Le petit Bernard en
a inventé dans fon Hiftoire fainre
d'un goût Babylonien , pour ainfi
dire , qui ont beaucoup de grar-
deur & de magnificence ; quoique
-ocr page 227-
far Principes.          x t %
le goût en foit extraordinaire, je
ne voudrois pas tout à-fait les es*
jetter, elles élèvent l'imagination ,,
&: je luis perfuadé qu'elles pour-
roient réulîir dans leftyle Héroï-
que parmi les démi-loins, h l'on.
en favoit faire un bon ufage.
Des Eaux.-
Le Païfage doit' une grande par-
tie de foname à l'eau que le Pein-
tre y introduit. On l'y voit de dif-
férentes façons, elle y eft tantôt
impetueule, lorfqu'un orage la fait
déborder , lorfqu'à la chute des
rochers elle rejaillit & remonte
contre elle-même ; ou lorlqu'ayant
été prefFée par quelque corps
étranger , elle s'en échappe , & fe
divife en une infinité d'ondes ar-
gentines , qui par l'apparence de
leur mouvement & de leur mute-
mure, féduiïént agréablement nos
yeux ôt nos oreilles. Tantôt tran-
quille elle ferpente dans un litia-
K iiij
-ocr page 228-
124 Court de Peinture
bloneux } tantôt comme privée
de mouvement, elle nous fert d'un
miroir fidèle pour multiplier tous
les objets qui lui font oppofés,
&. qui en cet état de repos lui don-
nent encore plus vie que lorfqu'el-
le eft dans fa plus grande agitation.
Voyez les ouvrages de Bourdon
du moins en eftampes , c'eft un
de ceux qui a donné plus d'ame
aux eaux, & qui les a traitées avec
plus de génie.
L'eau ne convient pas à toute
forte de ûze -, mais pour la rendre
véritable , les Peintres qui en in-
troduisent dans leurs Tableaux y
doivent être parfaitement inftruits
de la juftefle des réflexions aqua-
tiques. Car ce n'eft que par les ré-
flexions que l'eau en Peinture nous
paroît de véritable eau , &, par la
pratique feule dénuée de juftefle ,
l'ouvrage eft privé de la perfection
de fon effet, & nos yeux ne jouif-
fent pas de la moitié du plaifvr
qu'ils devroient avoir. Cette negiî-
-ocr page 229-
par Principes,           z 2 y
gence feroit d'autant moins par-
donnable au Peintre, qu'il eftfort
aifé de fe faire une habitude \ de
la règle de ces réflexions.
Il faut obierver néanmoins que
l'eau qui eft un miroir ne repre-
fente fidèlement les objets qui lut
font oppofés qu'autant qu'elle eft
tranquille : car fi elle eft dans quel-
que mouvement par fon cours na-
turel , ou par i'impullion du vent 9
fa furperficie qui en devient inéga-
le , reçoit fur fes ondulations des 1
jours Se des ombres qui le mêlant:
avec l'apparence des objets, enaL
tere la forme 6c la couleur.
Du devant du Tableau..
Comme le devant du Tableatc
eft l'introducteur des yeux, on ne
fàuroit apporter trop de précau-
tion pour faire en forte qu'ils foienc
bien reçus,tantôt par l'ouverture
d'une belle terrafle dont le def-
fêla, èi. le travail, (oient également
-ocr page 230-
2 16 Cours de Peinture
recherchés , tantôt par des plan-
tes deplufieurs fortes bien cara&e-
rifées,&; quelquefois accompagnées
de leurs fleurs, tantôt par des fi-
gures d'un goût piquant, & tantôt
par des objets peu communs ca-
pables d'attirer notre admiration
par leur nouveauté, ou par quel-
que autre, chofe qui falTe plailîr à
la vue, & qui fe trouve placé com-
me par hazard*.
Enfin le Peintre ne fàuroit trop
* étudier les objets qui font fur les
premières lignes du Tableau , ils
attirent les yeux du fpe&ateur , ils
impriment le premier cara&ere de
vérité , & contribuent extrême-
ment à. faire jouer l'artifice du Ta-
bleau, & à prévenir l'eftime que
.nousdevonsavoir de tout l'ouvrage.
Je fài qu'il y a de très-beaux Paï-
hges dont les devans qui paroif-
fent bien choifis, & qui donnent
une grande idée , font pourtant
d'un travail très-léger. J'avoue mê-
me qu'on doit pardonner cette le-
-ocr page 231-
far Principes.           % %-j
^ereté quand elle eft fpirituelle ,
qu'elle répond à la qualité du ter-
rein , & qu'elle mène l'imagina-
tion à un eara&ere de vérité. Mais
on ne peut disconvenir auffi que
l'effet n'en foit rare , Se qu'il ne foie
à craindre que cette exécution lé-
gère ne donne quelque idée de
pauvreté ou d'une trop grande né-
gligence. Je voudrois donc que de
quelque manière que les devansdu
Tableau foient difpofés, on fe fît
une loi indifpenfable de les termi-
ner par un travail exad 6c bien en-
tendu.
Des Plantes,
On ne peint pas toujours des
plantes fur les premières lignes du
Tableau , parce qu'il y a differens
moyens de rendre agréables les de-
yans du Païfage, comme nous le
venons de dire. Mais lorfqu'orï a
réfolu d'y en introduire , je vou-
drois qu'on les peignît d'après Na-
ture avec quelque exactitude , ou
du>moins que parmi celles que l'om
-ocr page 232-
i % & C<?jw <&■ Peinture
peint de pratique, il y en eût quel-
ques-unes de plus terminées, donc
on connût l'efpece par la différen-
ce du deffein &c de la couleur ^ afin
que par une fuppofîtion vraifem-
blable elles communiquaflent aux
autres un caractère de vérité. Ce
qui fe dit ici pour les plantes, fe
peut dire pour les branches des ar-
bres , 6c pour leur écorce.
Des Figures:
Le Peintre en compofant fon
Païfage peut avoir dans la penfée
d'y imprimer un caradere confor-
me au fui et qu'il pourroit avoir
choifi, & que fes figures doivent re-
prefenter. Il fe peut faire auffi ( &
c'eft ce qui arrive ordinairement )
qu'il ne fonge à fes figures qu'après
que fon Païfage eft tout-à-fait ter-
miné : &■ la vérité eft que dans la
plupart des Paï&ges y les figures
font plutôt faites pour les acconu
pagner, que pour leur convenir.
Je fai qu'il y a des Païfages dont
-ocr page 233-
far Principes.          u:f
les fîtes &: les difpofitions ne de-
mandent que de Amples figures paf.
l'ageres-, & que plusieurs bons maî-
tres ont introduites dans leurs Ta-
bleaux chacun d'ans ion fty le, com-
me a fait Pouffin dans fon Héroï-
que , & Fouquier dans fen Cham-
pêtre avec toute la vraifemblanee
& la grâce poifible. Je faï auffi qu'il
y a des figures de repos qui paroif-
fent intérieurement occupées $ ôc
l'on ne peut trouver à redire à ces
deux façons de traiter les figures,
parce qu'elles agiffent également
quoique différemment. L'inaction*
eft plutôt ce que l'on pourroit blâ^-
mer dans les figures :'• car par cet
état qui leur ôte toute liaifon avec
le Païfage, elles y paroîtroient tou-
jours poftiches , mais ians vouloir
ôter là-deftùs la liberté du Peintre^
je fuis perfuadé que le meilleur
moyen de faire valoir les figures 3
eft de les accorder tellement ai*
caraclere du Païfage , qu'il femble
que le Païfage n'ait été fait-cpa
-ocr page 234-
230 Cours de Peinture
pour les figures. Je voudrois qu'el-
les ne fuflent ni infipides, ni indif-
férentes -y mais qu'elles reprefen-
tafTent quelque p€tit fujet pour ré-
veiller l'attention du fpe&ateur,
ou du moins pour donner un nom:
au Tableau,& le diftinguer d'en,
tre les autres parmi les curieux.
Il faut extrêmement prendre
garde à proportionner la grandeur
des figures à celle des arbres & des
autres objets qui entrent dans le
Païfage; fi on les fait trop grandes ,
on rend le Païfage de petite ma-
nière , fî au contraire on les fait
trop petites, on leur donne un air
de Pigmées qui en détruit la va-
leur , & le Païfage en devient énor-
me. Au refte il y a bien plus d'in-
convénient en faifant les figures
trop grandes, qu'en les faifant trop
petites^ celles-ci donnent du moins
un air de grandeur à tout le refte.
Mais comme les figures font d'or-
dinaire petites dans les Pa'ifages ,.
H faut que le Peintre ait foin de
-ocr page 235-
far Principe?,.         % 3 v
les toucher d'efprit, & de les ac-
compagner par endroits de cou-
leurs vives mais convenables pour
attirer la vue, fans fortir d'un dif-
cret ménagement pour la vraifem-
blance , et pour l'union des cou-
leurs.
Que le Peintre fe fouvienne enfin
qu'entre les parties qui donnent
Pâme au Païfage, les figures tien-
nent le premier rang, Se que pour
cette-raifon il eft fort à propos d'en
femer aux endroits où elles con-
viendront.
Des jirbres.
Il m'a toujours paru que l'un des
plus grands ornemens du Païfage,
confiftoit dans la beauté de fes ar-
bres , à caufe de la variété de leurs
efpeces v de la fraîcheur qui paroît
les accompagner, et fur-tout de leur
légèreté qui nous induit à croire
qu'étant expofés à l'agitation de
Pair , ils font toujours en mouve-
ment.
Quoique la dîvëxfîté p laite dans;
-ocr page 236-
131 Cours de Peinture
tous les objets qui compofent \m
Païfage, c'eft principalement dans
les arbres qu'elle fait voir fon plus
grand agrément. Elle s'y fait re-
marquer dans l'efpece & dans ia
forme. L'efpece des arbres deman-
de une étude & une attention par-
ticulière du Peintre pour les faire
distinguer les uns des autres dans
fon ouvrage. Il faut que du premier
coup d'œil on voye que c'eft un
chêne , un orme, un lapin, un ci-
comore, un peuplier, un. Saule, un
pin, & les autres arbres qui par uns
couleur ou une touche Spécifique,,
peuvent être reconnus pour une ef.
pece particulière. Cette étude eft
d'une trop grande recherche pour
l'exiger dans toute fon étendue y
& peu de Peintres l'ont même faite
avec l'exaditude raifonnable que
demande leur Art. Mais il eft conC
sant que ceux qui approcheront le
plus de cette perfection , jetteront
dans leur ouvrage un agrément in-
fini , &; s'attireront une grande dit-,
lindiom
-ocr page 237-
far Principes. . ï 3 5:
Outre la variété qui fe trouve
dans chaque efpece d'arbre, il y &
dans tous les arbres une variété gé-
nérale. Elle fefait remarquer dans
les différentes manières dont leurs
branches font diipoiees par un jeu
de la Nature,laquelle fe plaît à ren-
dre les uns plus v'goureux &: plus
touffus,Se les autres plus fecs,& plus
dégarnis 5 les uns plus verds 6c les
autres plus roux ou plus jaunâ-
tres.
La perfection feroît de joindre
dans la pratique ces deux variétés
eniemble -, mais 11 le Peintre ne re-
prelènte que médiocrement celle
qui regarde l'ëlpece des arbres r
qu'il ait du moins un grand foin de
varier les formes et la couleur de
ceux qu'il veut reprefenter : car la.
répétition des mêmes touches dans
un même PaïTage,caufe une efpece
d'ennui pour les yeux , comme la*
monotonie dans un dîfcours pour
les. oreilles,
f
-ocr page 238-
i 3 4 Cours de Peinture
La variété des formes efl même
iî grande,que le Peintre feroit inex*
cufable de ne la pas mettre en ufa-
ge dans l'occafion, principalement
lorfqu'il s'apperçoit qu'if a befoin
de reveiller l'attention du fpecta-
teur. Car parmi les arbres en géné-
ral , la Nature nous en fait voir de
jeunes, de vieux , d'ouverts, de fer-
rés Y de pointus 5 d'autres à claire-
voie , à tiges couchées &: étendues r
d'autres qui font l'arc en montant,
èc d'autres en defcendant, & enfin
d'une infinité de façons qu'il enY
plusaifé d'Imaginer que d'écrire.
On trouvera , par exemple, que
le caractère des jeunes arbres elt
d'avoir les branches longues, me-
nues y & en petit nombre , mais
bien garnies, les touffes bien refen-
dues, èc les feuilles vigoureufes &
bien formées.
Que les vieux au contraire ont
les branches courtes, grofîès, ra-
maiTées, & en grand nombre } les
-ocr page 239-
far Principes..          13 f
iouffes émouiïees, & les feuilles
inégales & peu formées. Il en eifc
ainfi des autres choies qu'un peu
d'obfervation & de génie feront
parfaitement'tonnoître.
Dans la variété des formes de
laquelle je viens de parler, il doit
y avoir une diftribution de bran-
ches qui ait un jufte rapport & une
liaifon vraifemblable avec les
touffes, en forte qu'elles fe prêtent
un mutuel fecours pour donner à
l'arbre une légèreté èc une vérité
fenfible.
Mais de quelque manière que l'or*
tourne & que l'on faiTe voir les
branches des arbres, 6c de quelque
nature qu'ils foient, que l'on fe fou-
vienne toujours que la touche en
doit être vive & legere,fi l'on veut
leur donner tout l'efprit que de-
mande leur caractère.
Les arbres font encore différent
par leur écorce. Elle eft ordinaire-
ment grife ; mais ce gris, qui dans
an air groiîîcr „ dans les lieux bas Se
-ocr page 240-
ï 3 S Cours dé Peinture
marécageux devient noirâtre , îë
fait voir au- contraire plus clair
dans un air fubtil ; &: il arrive fou-
vent que dans les lieux fecs l'é-
eorce le revêt d'une* mouffe légè-
re & adhérente qui fa fait paroi-
tre tout à fait jaune. Ainn* pour ren^
dre l'écorce d'un arbre feniible,
le Peintre peut la fuppofer claire
fur un fond obfcur , & obfcure fur
un fond clair.
L'obfervation des écorces diffé-
rentes mérite une attention parti-
culière ; ceux qui voudront y faire
réflexion, trouveront que la varie-
té des écorces des bois durs confif-
te en général dans les fentes que
le tems y a miles comme une ei-
pece de broderie, & qu'à mefure
qu'ils vieilliffent les crevaffes des
écorces deviennent plus profon-
des. Le refte dépend des accidens
qui naiflent de rhumidite , ou de
la fecherelîe, par des moufles ver-
tes,. & par des taches blanches de
inégales..
-ocr page 241-
par Principes.          z 3 y
ï/écorce des bois blancs donnera
au Peintre plus de matière à s'e-
xercer , s'il -veut prendre le plaifir
d'en examiner la diversité qu'il ne
doit pas négliger dans fes études.
Cette réflexion m'oblige de dire
ici quelque chofe de l'étude duPaï-
fage , & je le ferai félon que je le
conçois, fans vouloir afTujettir perr
fonne à fuivre mon fendaient.
De l'Etude du P aï Cage.
L'Etude du Païfage fe peut con-
iiderer de deux façons. La premiè-
re eft pour ceux qui commencent 6c
qui n'ont jamais pratiqué ce genre
de Peinture 5 & l'autre regarde les
Peintres qui en ont déjà quelque
habitude.
Ceux qui n'ont jamais fait de
Païfages & qui veulent s'y exercer,
trouveront dans la pratique que
3eur plus grande peine fera dépein-
dre des arbres -, & il me paroît auC
â que non feulement dans la praçi*
-ocr page 242-
-a 3 8 Cours de Peintme
•que, mais encore dans la Spécula-
tion, les arbres font la plus diffici-
le partie du Païfage, comme ils en
font le plus grand ornement.
Cependant il n'eft ici queftion
pour ceux qui commencent,que de
leur donner une idée des arbres en
général, ■& de leur procurer une
habitude de les bien toucher.
Quoiqu'il parohTe inutile de leur
^'aire remarquer les effets ordinai-
res qui arrivent dans les plantes &
•dans les arbres, parce qu'il n'y a
tprefque perfonne qui ne s'en ap-
perçoive ; il y a pourtant des choies
qui bien qu'on ne les ignore pas,
méritent néanmoins quelque réfle-
xion. L'on fait, par exemple, que
tout arbre cherche l'air , comme
la principale caufe de fa vie & de
fes productions, les uns plus, les
autres moins : ,8c c'eft pour cela
que dans leur accroiiTemene , fi
vous en exceptez le cyprès ôc quel-
ques arbres de cette nature, ils s'é-
cartent l'an de l'autre , & de tous
-ocr page 243-
far Principes.          239
corps étrangers autant -qu'ils le
peuvent, leurs branches & leurs
feuilles font la même chofe. Ainfi
pour leur donner cette légèreté èç
.cet air dégagé qui eft leur principal
caractère, il faut avoir foin dans la
diltribution des branches, des touf-
fes, & des feuilles,qu'elles fe fuyent
l'une l'autre, qu'elles rirent toutes
■de differens côtés, & qu'elles foient
bien réfendues 5 & que ces chofes
fe fafiènt fans affe&er aucunarran-
gement, mais feulement comme fi
le hazard avoit pris plaifir de fé-
conder la Nature dans la bizarre-
rie de fa. diverfité.
Mais de dire de quelle manière
cette diftribution de tiges, de touf-
fes , èc de feuilles fe doit faire, il
eir. inutile à mon avis d'en rappor-
ter ici le détail qui ne pourroigêtre
qu'une demonft ration copiée d'a-
près les grands Maîtres 5 leurs ou-
vrages & un peu d'attention fur les
effets de la Nature, en feront plus
comprendre que tous les difcours
-ocr page 244-
2.40 Cours de Peinture
que j'en pourrois faire. J'entens
par les grands Maîtres, ceux prin-
cipalement qui ont donné des es-
tampes au Public : ainfi ceux qui
«commencent à peindre Je Païfage,
apprendront d'abord plus en réfle-
chifTant fur ces eftampes «5c en les
•copiant 5 qu'ils ne feroient d'après
les Tableaux.
Parmi une aflfez grande quantité
de ces grands Maîtres de toutes les
geôles , je prefererois les eftam-
pes en bois du Titien, où les ar-
fores font bien formés, «Se celles que
Corneille Cort & Auguftin Cara-
che ont gravées : «5c je répète pour
,ceux qui commencent , qu'ils ne
ïàuroient mieux faire que de
.contracter avant toutes chofes une
habitude d'imiter la touche de ces
grands Maîtres ^ <5c en les imitant,
de réfléchir fur la perfpective des
branches & des feuilles , 3c de
prendre garde de quelle manière
glles paroilfent lorsqu'elles mon-
tent 3c qu'elles font vues par def-
-ocr page 245-
far Principes.         i^t
fous , lorfqu'elles defcendènt Ôc
qu'elles font vues par de/lus, lorf.
qu'elles fe prefentent de front èc
qu'elles ne iont vues que par la
pointe, lorfqu'elles fe jettent de
côte ;•& enfin aux difrerens afpeds
dont la Nature les prefente iàns
Sortir de fon caractère.
Et après avoir beaucoup étudié
& copié à la plume ou au crayon
le Titien ■& les Caraches , leurs
Eilampes premièrement, puis leurs
Defieins, fi l'on en peut avoir, il
faut tâcher d'imiter avec le pin-
ceau les touches que ces grands
Hommes ont Je plus nettement Spé-
cifiées. Mais comme les Tableaux
duTitien & ceux desCaraches font
fort rares , on peut leur en fub-
ilituer d'autres qui ont eu un bon
caractère dans leur touche, parmi
Jefquels on peut fuivre Fouquier ,
comme un très- excellent-.-..mo-
dèle : Paul Bril, Breugle , & Bour-
don font encore très.bons , leur
touche eft nette, vive, & légère.
-ocr page 246-
.2.4ï Cours de Peinture
Mais après avoir bien pbfervé
la. Nature des arbres & la manière
dont les feuilles s'écartent & fe
rangent ,& dont les branches font
refendues , il faut s'en faire une
vive idée afin d'en conferver par-
tout l'efprit, foit en les rendant
fenfîbles & diftin&es fur les devans
du Tableau, foit en les confondant
à mefure quJelles feront éloignées.
Enfin après avoir contracté de
cette forte quelque habitude d'a-
près les bonnes manières, on pour-
ra étudier d'après Nature en la
choififlant & en la rectifiant fur
J'idée que ces grands Maîtres en
ont eue. Pour la perfection, il faut
l'attendre d'une bonne pratique, gc
de la perfeverance dans le travail.
Voilà, ce me femble, ce qui regar-
de ceux qui ayant inclination de
faire du Pa'ïfage, cherchent les
inoyens de bien commencer.
A l'égard de ceux qui ont déjà
.quelque habitude dans ce genre de
Peinture, il eft bon qu'ils amaflenc
-ocr page 247-
far Principes.         t43
des matériaux, & qu'ils faflent des
études des objets au moins qu'ils
ont fouvent occafion de reprefen-
ter.
Xes Peintres appellent ordinai-
rement du nom d'étude les parties
qu'ils defîînent ou qu'ils peignent
ieparement d'après Nature , lef-
quelles doivent entrer dans la corn-
pofkion de leur Tableau , de quel-
que Nature qu'elles puiiîent être j
figures ., têtes , pieds, mains, dra-
peries, animaux , montagnes , ar-
bres , plantes , rieurs, fruits , ôc
tout ce qui peut les afîurer dans
î'imitatïon de la Nature. Us appel-
lent , dis-je, du nom d'étude tou~
Tes ces parties deiiïndes , foit qu'ils
s'en inftruifent en les deffinant, foit
qu'ils ne fe fervent de ce moyen
que pour s'affurer de la vei-ité, &
pour perfectionner leur ouvrage.
Quoi qu'il en foit, ce nom convient
-d'autant mieux à l5uiào;e des Pein-
tres , que dans ladiverfité de laNa-
îure , ils découvrent toujours des
L ij
-ocr page 248-
2.44 Cottrs de Peinture
çhofes nouvelles , & fe fortifient
dans celles qui étoient déjà de leur
connoifTance.
Comme il n'eft queftion que de
l'étude des objets qui fe trouvent
à la campagne, je voudrois que le
Païfagifte mît un tel ordre dans
celles qu'il doit faire , que les DeC
feins dont il auroit befoin pour la
reprefentation de quelque objet ,
fe trouvaient promtement fous fa
main. Je fouhaiterois, par exem-
ple, qu'il copiât d'après Naturel
fur plufieurs papiers les effets dif-
férées que l'on remarque aux ar-
bres en général, & qu'il fît la mê-
me choie fur les différentes efpe-
çes des arbres en particulier, com-
me dans la tige3 dans la feuille &;
dans la couleur. Je voudrois même
qu'il en i\t autant pour quelques
plantes dont la diverfité eft d'un
grand ornement pour les terralfes
emi iont fur les devans.
Je voudrois encore qu'il étudiât
de '% même manière les effets ç\n
-ocr page 249-
far Principes: , £4/
yel dans les différentes heures dit
jour, dans les différentes faî'fons >
dans les différentes difpofitions des
nuages, dans un tétas ferain & dans
celui des tonnerres & des orages
J en dis autant pour les lointains
pour les divers caracferes des
roches, des eaux , & des princi-
paux objets 'qui entrent dans h
•Hallage.
Après ces études feparëes que le
Paifagifte a faire dans l'occa-
lion, je lui demanderois de ramaf
ier enfemble celles qui regardent
les mêmes matières, & d'en faire
comme un livre • afin qu'étant
amn rangées, il puufe les trouver
Plus promptement, & s'en aider
clans le befoin.
. les études des Paï/agiftes confi„
tent donc dans les recherches des
beaux effets de la Nature , def
quels il peut avoir befoin dans la
compofition de fes Tableaux , ou
«ans l'exécution de quelque par-'
«e, foit pour la forme , foit pour,
Liij
-ocr page 250-
2,46 Cours de Peinture
la couleur. Mais la queftion eft de
bien choifir ces beaux effets de la.
Nature. Il faut pour cela être né
avec un bon efprit, un bon goût, &
un beau g-enie, & avoir cultivé ce
génie par les obfervations que l'on
aura faites fur les ouvrages des meil-
leurs Maîtres , & avoir examiné
comment ils ont eux-mêmes choifi.
îa Nature, &. comment en la recti-
fiant félon leur Art, ils en ont con-
lérvé le cara&ere. Avec ces avan-
tages que donne la naiffance ., Se
que l'Art perfectionne, le Peintre
ne peut manquer de faire de bons
choix 5 & fâchant ainfi démêler le
bon d'avec le mauvais , il tirera
beaucoup d'utilité des chofes mê-
me les plus communes.
Pour faire ces fortes d'études,
plufieurs Peintres fe font fervis de
divers moyens, & j'ai cru qu'il ne
feroit pas hors de propos de rap-
porter ici ceux que j'ai vu prati-
quer , & dont j'ai moi-même quel-
que expérience.
-ocr page 251-
far Principes           %/Ç-j
Ceft don^ d'après Nature & en
pleine campagne que quel ques-un*
ont deffiné &' fini exactement les
morceaux qu'ils ont choifîs, faris y
ajouter de couleurs. D'autres ont
peint avec des couleurs à huile fur
du papier fort , & de demi - tein-
te , & ont trouvé cette manière
commode en ce que les couleurs
venant à s'emboire, donnent la fa-
cilité de mettre couleur fur cou-
leur , quoique différence l'une de
l'autre. Ils portent à cet effet une
boëte plate qui contient commo-
dément leur palette , leurs pin-
ceaux , de l'huile & des couleurs.
Cette manière qui demande à la
vérité quelque attirail , eft fans
doute la meilleure pour tirer de la
Nature plus de détails , & avec
plus d'exactitude, fur-tout, fi après
que l'ouvrage eft fec & verni , on
vouloit retourner fur les lieux pour
retoucher les chofes principales &
les finir d'après Nature. D'autres
ont feulement tracé les contours
L iiij
-ocr page 252-
2.4,8 Coûts de Peinture
des objets, & les ont lavés de cou-
leurs approchantes de celles de la
Nature , mais légèrement,, & feu-
lement pour foulager leur mémoi-
re. D'autres ont obfervé atten-
tivement les morceaux qu'ils vou-
loient retenir • & fe font conten-
tés de \es confier à leur mémoire
qui dans te befoin les leur rappor-
toit fidèlement. D'autres fe fonc
fervis de paflels 6c de lavis ensem-
ble. D'autres plus curieux & plus
patiens en ont fait à plufieurs fois
dans les endroits où ils pouvaient
aller facilement, 6c dont les fîtes
étoient de leur goût. La première
fois ils ne faifoient autre chofe que
de bien choifir leurs morceaux , 6c
d'en deffiner le trait correctement 5
6c les autres jours qu'ils y retour-
noient , c'étoit pour en remar-
quer les couleurs qui font voir au-
tant de diverfité, qu'il y a de chan-
gement dans les lumières acciden-
relies.
Tous ces moyens font fort bons^
-ocr page 253-
far Principes.           249
&- chacun s'en doit fervir félon ce
qui lui convient, & félon l'activité
de fon tempérament. Mais ces ma-
nières d'étudier demandent une
préparation de la part du Peintre :
il lui faut des couleurs, des pin-
ceaux , d^s paftels, 8c du loifir. Ce-
pendant il arrive des momens où
la Nature fait voir des beautés ex-
traordinaires ,, mais palîageres &
inutiles pour le Peintre qui n'auroit
pas tout le tems d'imiter ce qu'il
voit avec admiration. Voici donc
ce que je croi de plus expédient
pour profiter de ces occafions mo-
mentanées-.
Je fuppofe , comme cela doit"-
être, que le Peintre a toujours fur
foi un cahier de papier 8c du crayon
de mine. Cela étant, il doit deffi-
11er promptement 6c légèrement
ce qu'il voit d'extraordinaire , ôc
pour en retenir les couleurs il doit
marquer les principaux endroits-
par des caractères qui feront ex-
pliqués au bas du papier, 8c dont il
Lv
-ocr page 254-
2 j o Cours de Peinture
fuflîra qu'il ait l'intelligence. Un-
nuage , par exemple , fera mar-
qué A j un autre nuage B ; une
lumière C ; une montagne D 3
une terraffe E 5 &: ainfî du refte.
L'on ajoutera à chaque lettre qui
fera répétée au bas du papier, telle
chofe eft colorée de telle ou telle
couleur : ou bien, pour abréger ,
on mettra feulement, bleu, rouge,
violet , eris , ou même d'autres
marques plus abrégées 3 Se connues
feulement par celui qui s'en voudra
fervir.
Mais il faut obferver dans cette
manière d'étudier, qu'elle deman-
de un promt ufage de la palette &•
des pinceaux dès qu'on le pourra 5
autrement la plupart des chofes
que l'on auroit marquées écha-
peroient en peu de jours de la mé-
moire. Et l'utilité en eft lî grande ,
que non-feulement fans ce moyen ,
le Peintre perd une. infinité de
beautés. paliageres : mais encore
que; les autres moyens dont nous
-ocr page 255-
par Principe^.         zyi
venons de parler , peuvent fe per-
fectionner par fon fecours 5 c'efl: à
dire , en le fervant de marques <k
de cara&eres.
Si l'on demande quel tems en:
le plus avantageux pour faire les
études dont nous venons de par-
ler, je répondrai que le Païfagiffce
doit étudier la Nature en tout
tems ; parce qu'il eft obligé de la:
représenter en toutes les faifons ,.,
que néanmoins l'Automne eft la
plus propre à donner au Peintre
une recoke abondante des beaux
effets de la Nature 5 la douceur de
cette faifon , la beauté du Ciel,
la richefle de la terre , & la va-
riété d'objets,font de puiifans mo-
tifs pour exciter le Peintre à faire
des recherches qui cultivent fon
génie, èc qui perfectionnent fon;
Art.
Mais comme on ne peut pas
tout voir, ni tout obferver , il eft
très-louable de fe fervir des étu-
des d'autrui ,.& de les regarder^
L vj
-ocr page 256-
x 5 ■£ ■ Ctf<w de Peinture
comme Ci on les avoyc faites foi-
même. Raphaël envoya de jeunes
gens en Grèce pour deffiner des
chofes donc il croyoit tirer de l'u-
tilité , & dont il s'eft effectivement
fervi comme fi lui-même les avoit
deffinées fur les lieux. Bien loin
que Ton puifle, fur cette précaution
rien reprocher à Raphaël, on doit
en cela lui favoir gré du chemin
qu'il a montré aux autres , pour
chercher toutes fortes de moyens
de s'avancer dans leur profelîion.
AinfilePaïfagiftepeut fefervir des
ouvrages dé tous ceux qui ont ex-
cellé dans quelque partie, afin
qu'il s'en faite une bonne manière
à la façon des abeilles qui tirent
« des meilleures fleurs ce qui fait le
meilleur miel.
Obfervations gênerait s fur le-
Païfage.
Comme les règles générales de
la Peinture font les fondemens de^
-ocr page 257-
far Principes:          tff
tous les genres de cet Art, on y
renvoie celui qui veut faire du
Païfage 3 ou plutôt Ton fuppofe
qu'il en efl inflruit. On fera feu-
lement ici quelques oblèrvations
générales qui regardent ce genre
de Peinture.
i. Le Païfage fuppofe l'habitu-
de des principales règles de la per-
ipective, pour ne fe point éloigner
du vraifemblable.
2. Plus les feuilles des arbres
font près de la terre,plus elles font:
grandes & vertes ; parce qu'elles
font plus à portée de recevoir abon,
damment la fève qui les nourrit.
Et les branches d'en haut com-
mencent les premières à prendre
le roux ou le jaune qui les colore
dans l'arriére faifom Il n'en eft
pas de même des plantes dont les
tiges fe renouvellent tous les ans y
& dont les feuilles fe. fuivent avec
un intervalle de teins aflez con-
sidérable : de forte que la Nature
étant occupée à en produire- de.
-ocr page 258-
» 54' Cours de Peinture
nouvelles pour garnir la tige à me:
fure qu'elle s'élève , abandonne
peu à peu celles qui font en bas,
parce, qu'ayant accompli les pre-
mières leur tems &: leur office ,
elles périïTent les premières. C'en:
un effet, qui eft plus fenfible en
quelques plantes, & moins en d'au-
tres.
3. Le deffous de toutes les feuil-
les eft d'un verd plus clair que le
deffus, & tire prefque toujours fur
l'argentin. Ainfi les feuilles qui font
agitées d'un grand vent doivent
être distinguées des autres par cet.
te couleur. Mais fi on les voit par-
deffous, lorfqu'elles font pénétrées
de la lumière du Soleil, leur tranC
parent paroît d'un verd fi beau &
fi vif, que l'on juge facilement que
de tous les autres verds , il n'y en
a point qui en approche.
4 Entre les chofes qui donnent
de l'ame au Païlage, il y en a cinq
qui font elTbntielles , les figures ,
les animaux , les eaux, les arbres
-ocr page 259-
#»>"Principes..         2Tr,
^res du vent ,& la légèreté du
gnceau. On pourroit y apûter les.
Wes a quand le Peintre a occa-
"on d en faire paroître.
5- Quand une couleur règne
ge , comme
un même verd au Printems , ou
comme un même roux dans l'Au-
tomne die donne au Tableau un
air de Camayeu ou d'un ouvrage
qui n eft pas achevé. J'ai va plt
fours Paiïages de Bourdon , aux-
quels jpour avoir employé partout
un même %le de grain , il ôtoic
beaucQup de leur beauté, quoique
d ailleurs les fîtes & les eaux en fifl
lent plaifir à voir. Je laifTe au Pein-
tre ingénieux le foin de reparer, &
comme on dit", deracheter la cou-
leur ingrate des Hiver & des Prin-
tems par des figures, par des «aux,.
«par des fabriques : car pour les
Sujets d'Eté & -d'Automne, ils font
iuiceptibles d'une grande diverfité.
6. Le.Titien &lè Carache font
les modèles les plus capables dltt-J
-ocr page 260-
2rj-<r cours de Peinture
fpirer le bon goût, & de mettre fe
Peintre dans la bonne voie , pour
la forme & pourla couleur. Il faut
faire tous fes efforts pour bien com-
prendre les principes que ces
grands Hommes nous ont laiffés
dans leurs ouvrages,&. s'en remplir
l'imagination, fi l'on veut s'avan-
cer de plus en plus, &; tendre à la
perfection que le Peintre doit cou*.
iours avoir en vue.
t
7. Les Païfages de ces deux Pein-
tres , le Titien ôc le Carache , en-
feignent beaucoup de chofes dont
le difcours ne fauroit donner des
idées bien precifes, ni des principes
généraux. Le moyen , par exemp-
le , de déterminer les mefures de
arbre en gênerai, comme on dé-
termineroit les mefures du corps
humain. L'arbre n'a point de pro-
portions arrêtées, une grande par-
tie de fa beauté confîfte dans le
eontrafte de fes branches, dans la
diftribution inégale de fes tourFes,&
enfin dans une certaine bizarrerie
-ocr page 261-
■par Principes,          i j 7
dont îa Nature fe jone, & dont le
Peintre eft un bon arbitre^quand il
a bien goûté les ouvrages des deux
Peintres que je viens de nommer.
Il faut néanmoins dire à la louan-
ge du Titien, que le chemin qu'il a
frayé eft le plus fur de beaucoup ,
en ce qu'il a fuivr exactement la
Nature dans fa diverfîté, avec un
goût exquis, un coloris précieux ,
& une imitation très-fidéle ; &: le
Carache, quoique très-habile, &
les autres bons Peintres -, n'ont pas
été exemts de manière dans l'exé-
cution de leurs Païfages,.
8. Une des plus grandes perfec-
tions du Païfage dans cette gran-
de variété qu'il reprefente, eft l'i-
mitarion fidèle de chaque caractè-
re en particulier 3 comme fon plus
grand défaut eft une pratique fau-
vage qui tombe dans ce qu'on ap-
pelle routine.
9. Parmi les chofes que l'on peint
de pratiquejl eft fort à propos d'eu
mêler quelques-unes faites d'aprèi
-ocr page 262-
2, f$ Cours de Peinture
Nature : cela induit le Spedateur'
à croire que le refte a été pareille-
ment fait d'après Nature;
10. Comme il y a des ftyles de
penfer, il y en a auffi d'exécuter.
J'en ai parlé de deux pour la pen-
fëe, le ftyle héroïque , & le ftyle
champêtre 3 8c j'en trouve pareil
nombre pour l'exécution , le ftyle
ferme , & le ftyle poli. Ces deux
derniers ne regardent que la main
& la façon plus ou moins fpirituei-
le de conduire le pinceau. Le ftyle
ferme donne delà vie à l'ouvrage,
& faitexcufer les mauvais choix,&
le ftyle poli finit ôc polit toutes cho-
ies , il ne lairTe rien à faire à l'ima-
gination du Spectateur, laquelle fe
fait un plailîr de trouver & d'ache-
ver des chofes qu'elle attribue au
Peintre,quoiqu'elles viennent véri-
tablement d'elle. Le ftyle poli tom-
be dans le mou &: dans le fade, s'il
n'eft foûtenu d'un beau fite : mais
la jonction de ces deux caraderes
rend l'ouvrage très-curieux,,
-ocr page 263-
far Principes.         s f$?
ri. Après avoir fait paffer com-
me en revue les principales parties
qui compofent le Païfage , après
avoir parlé des études que l'on y.
pourroit faire , ôc après avoir fait
quelques obfervations générales
qui regardent ce genre de Peintu-
re, je ne doute pas que plusieurs
perfonnes ne foùhaitent encore ,
pour rendre cet ouvrage moins, dé-
fectueux , quelque choie touchant:
la pratique & l'emploi des cou-
leurs. Mais comme chacun a fa pra-
tique particulière, &; que l'emploi
des couleurs comprend une partie
des fecrets de l'Art, il faut atten-
dre ce détail de l'amitié & de la.
converfation des Peintres les plus
éclairés, & joindre leurs avis avec:
fa propre expérience.
-ocr page 264-
a <yù Cours de Peinture
Sur la manière de faire les
Portraits.
S
I la Peinture eft une imitation
de la Nature, elle l'eft double-,
ment à l'égard du portrait qui ne
reprefente pas feulement utï.hom-
me en général : mais un-tel homme
en particulier qui foiï diftingué de
tous les autres ; & de même que la
première perfe&ion d'un Portrait
eft une extrêmererTêmbîance, ain-
iî le plus grand de fes défauts eft
de reifembler à une personne pour
laquelle il n'a pas été fait,n'y ayant
pas deux perfonnes dans le monde
qui lé reflemblent. Mais avant que
d'entrer dans le détail des chofes
qui donnent la connonTance de
cette imitation particulière , il eft
bon de faire pafler ici en revue
quelques proportions générales
qui doivent préparer l'efprit are-
-ocr page 265-
far Principes.        z(,i
cevoir ce que je dirai dans la fui~
te,& fupléer à ce que je ne dirai pasj
car autrement il faudroit un trop'
long difcours.
ï
L'imitation eft l'eflènce de la
Peinture, & le bûn choix eft à cette
eflence ce que les vertus font à
l'homme , il en relevé le prix.
C'eft pour cela que le Peintre a
grand intérêt de ne choifîr que des
têtes avantageufes ou de bons mo-
mens, & des fituations qui fup_
pléent au défaut d'un beau naturel
Jl
Il y a des vues du naturel plus
ou moins avantageufes, tout dev
pend de le bien tourner , & de le
prendre dans un bon moment.
III.
Il n'y a pas une perfonne dans îe
monde qui n'ait un caraâere parti-
culier de corps 8c de yifage.
IV.
La Nature iïmple & naïve con.
idenç mjeux à l'imitation , .elle eft
-ocr page 266-
_rl>2. Vours de Teinture
d'un meilleur choix que celle qui
eft ajuftée & que l'on a voulu em-
cbelir par un trop grand artifice.
V.
C'en: une violence qu'on fait à
la Nature que de la trop parer,
;Sc l'action qui en eft înfeparable
ne peut être libre dans les ajufte-
mens qui portent avec eux de la
contrainte. En un mot la Nature
parée en eft: moins Nature , pour
ainfi dire.
VI
Il y a des moyens plus avantageux
les uns que les autres pour arriver
à une même fin.
VIL
Il ne faut pas feulement imiter
ce que 1 on voit ^ mais ce que l'on
peut voir d'avantageux à l'Art.
VIII.
La comparaifon fait valoir les
chofes , U ce n'eft que par elle
••cju'on en peut bien juger.
IX.
Les yeux des Peintres s'accou-
-ocr page 267-
fdr Principes.           2:6|
tument aÏÏement aux teintes dont
ils fe fervent.pour lsordinaire,& à la
manière qu'ils ont apprife de leurs
Maîtres j de forte qu'après cette
habitude ils voient la Nature, non
pas comme elle eft en effet, mais
comme ils, ont accoutumé de la
peindre & de la colorier.
X.
Il eft très-difficile qu'un Tableau
dont les figures feront de la gran-
deur du naturel, faffe fon effet de
près comme de loin. Un Tableau
lavant ne plaira aux ignorans que
dans fa diftance, mais les connoiC
feurs en admireront l'artifice de
près, Se l'effet de loin.
XI.
L'intelligence donne du plaiiîr
,& de la facilité dans le travail 5 le
voyageur qui fait bien fon cheaiin
arrive plus furement & plus vite ,
que celui qui cherche & qui ta-
tonne.
XII.
U eft bon , avant de s'engager
-ocr page 268-
2.^4 Cours de Peititure
dans un ouvrage, de le méditer 5c
d'en faire un efquiffe colorié pour
fon repos, & pour le foulagement
de fa mémoire.
On ne fauroir. trop réfléchir fur
ces proportions, & il eft néceiTaire
de s'en former une telle habitude
qu'elles fe prefentent d'elles mê-
mes à l'efprit, fans être obligé lors
du travail, de les rappeller dans fa
mémoire quand on travaillera.
Quatre rhofes font néceflaires
pour rendre un Portrait parfait,
l'air , le coloris, l'attitude 8t les
ajuftemens. .
L'air comprend les traits du vi-
fage, la coëffure, & la taille,.
Les traits du vifage confident
dans îa juftefTe du defleîn, & dans
l'accord des parties , lefquelles
toutes enfemble doivent reprefen-
ter la phyfîonomie des personnes
que l'on peint, en forte que le Por-
trait de leurs corps foit encore ce-
lui de leurs efprîts.
La juftefTe du defïein qui £ft re-
quiie
-ocr page 269-
par Prirxipes. zë $
<quîfe dans les Portraits, n'efl pas
tant; ce qui donne l'ame & le véri-
table air, que cet accord des par-
ties dans le moment qui marque
i'efprit &c le tempérament de la
pe-rfbnne. L'on voit beaucoup de
Portraits correctement défîmes qui
ont un air froid, h nguifîant .& ébê-
té ; & d'autres au contraire qui n'é-
tant pas dans une fi grande juftef-
fe de Deffein, ne kiflent pas de
nous frapper d'abord du caractère
de la perfonne pour laquelle ils ont
été faits.
Peu de Peintres ont pris garde à
bien accorder les parties enfemble :
tantôt ils ont fait une bouche rian-
te, &-des yeux trilles -, 5c tantôt
des yeux gais, & des joues relâ-
chées ; &c c'efl ce qui met dans
leur ouvrage un air faux &. con-
traire aux effets de la Nature.
Il faut donc prendre garde qu'au
même tems que le modèle fe don-
Be un air riant, Jes yeux fe ferrent,
les coins de la bouche s'élevenc
M
-ocr page 270-
z6 6 Cours de Peinture
avec
les narines, les joues rémois
tent, .& les fourcils s'éloignent l'un
<le l'autre : mais fi le modèle fe don-
ne un air trille , toutes ces parties
font un effet contraire.
Les fourcils élevés font un air
grave & noble j mais étonné, s'ils
font en arc.
Parmi toutes les parties du vifa-
ge celle qui contribue davantage
a la reflemblance, c'eft le nez , Se
il eft d'une extrême confequence
de le bien placer, Se de le bien def-
finer.
Quoique les cheveux femblent
faire partie des ajuftemens , qui
peuvent être tantôt d'une façon &
tantôt d'une autre , fans que l'air
du vifage en foit altéré $ cependant
il eft fi confiant que la manière
dont on a accoutumé de fe coef-
fer , fert à la reflemblance . que
Ton a fou vent hefité de reconnoî-
cre les hommes parmi lefquels on
étoit tous les jours , quand il?
âvoienr, mis une perruque un peu
-ocr page 271-
par Principes.           z$j
différente de celle qu'ils avoienc
auparavant. Aïnfi il faut , autant
qu'on le peut , prendre l'air des
co effares pour accompagner & fai-
re valoir celui des vifages, à moins
qu'on n'ait des raifons pour en ufer
autrement.
Pour ce qui eft de la taille, il eft
û véritable qu'elle contribue à la
reflemblance , que l'on reconnoît
très-fouvent les perfonnes (ans voir
leur vifàge. Ceft pourquoi le meil-
leur eft dedeffiner la taille d'après
les perfonnes mêmes dont on fait
le Portrait, & dans l'attitude qu'on
les veut mettre 5 c'eft ainfi qu'en
ufoit Vandeik.il eft d'une extrême
coniequence d'avertir ici le Pein-
tre que les perfonnes dont on fait
le Portrait,étant ordinairement afl
ftfes en paroiflènt d'une taille moins
dégagée , parce que les épaules
dans cet état remontent plus
haut qu'elles ne doivent être na-
turellement. Ainti pour defliner
ia taille avec avantage , il eft à
Mij
-ocr page 272-
2..6" 8         Cours de Peinture
propos de faire tenir un moment
ion ^modèle debout., tourné dans
■l'attitude qu'on lui veut donner,
& l'obferver en cet état. Il fe pre-
fente ici une difficulté à refoudre ;
&: c'eft ce que nous allons exa-
miner.
S'il eft a propos de corriger l:$
défauts du Naturel dans les
Portraits,
L'effentiel des Portraits étant la
reiïemblance , il paroît qu'il faut
imiter les défauts comme les beau-
tés , puifque l'imitation en fera
plus complette -, on auroit même
de la peine à prouver le contraire
à une peribnne qui voudroit s'opi-
niâtrer dans cette thêfe : mais les
Dames & les Cavaliers ne s'accom-
modent point des Peintres qui
font dans ces fentîmens , &: qui
les pratiquent, j'ai vu des Dames
qui m'ont dit nettement qu'elles
n'eftimoient pas les Peintres qw
I
             «                                                                                 I
-ocr page 273-
far Principes.           i 6 y
faifoient fî fort relTembler, & qu'el-
les aimeroient mieux qu'on leur
donnât beaucoup moins de rei-
femblànce , & plus de beauté. Il
eft certain qu'on-leur doitla-def-
fus quelque complaifance , &c je:
ne doute point qu'on ne les puifle'
faire refTembler fans leur déplaire :
car la reiïemblance efTentielle eft
un jufte rapport des parties pein-
tes avec celles du naturel, en forte
que l'on connoifîe , fans hefiter ,
l'air du vifage , & le tempéra-
ment de la perfonne donr on voit le
Portrait.
Cela pofé , je dis que tous les
défauts fans lefquels on connoît'
l'air & le tempérament des per-
sonnes , doivent être corrigés &
omis dans lesPortraits des femmes,
& des jeunes hommes f un; nez un
peu de travers peut être redrefïe,
une gorge trop feche, des épaules
trop hautes, peuvent être accom-
modées au bon air que l'on de-
mande fans paffer d'une extrêmi-
Miij.
-ocr page 274-
1Cours de Peinture
té à l'autre, & tout cela avec beau-
coup de difcretion , parce qu'en
voulant trop corriger le naturel „
on tombe dans le défaut de don-
ner un air gênerai à tous les Por-
traits que Ton fait • de même qu'en
s'attachant trop fcrupuleufement
aux défauts & aux minuties, onfe
mec en grand danger de tomber
dans le bas, & le mefquin.
Mais pour les Heros,& pour ceux
qui tiennent quelque rang dans le
mande, ou qui fe font aiftinguer
parleurs dignités, par leurs vertus,
ou par leurs grandes qualités, on ne
fauroit apporter trop d'exactitude
dans l'imitation de leur vifage, foit
que les parties s'y rencontrent bel-
les , ou bien qu'elles y foient défe-
ctueufes 5 car ces fortes de Portraits
font des marques autentiques qui
doivent être confacrées à la pofte-
rité 3 àc dans cette vue tout eft
précieux dans les Portraits, fi tout
y eft fidèle. Mais de quelque ma-
nière qu'agifTe le Peintre , qu'il
-ocr page 275-
far Principes.          i"j\
n'oublie jamais le bon air , ni la
bonne grâce , & qull y a dans Je
naturel des momens avantageux.
\ I Coloris.
Le Coloris dans les Portraits eft
tin épanchefnent de la Nature, le-
quel fait connoître le véritable
tempérament des perfonnes : &
ce tempérament étant une choie
eifentielle à la reflèmblance , il
doit être reprefenté avec la même
jufteffe que le Deflein. Cette par-
tie eft d'autant plus eftimable qu'el-
le eft rare & difficile. On a vu une
infinité de Peintres qui ont fait réf.
fembler par les traits & par les con-
tours : mais le nombre de ceux qui
ont reprefenté par la couleur le
véritable tempérament des per-
fonnes , eft affurément très-petit.
Deux chofesfontnéceftàires dans
le coloris , la juftefte des teintes ,
& l'art de les faire valoir ; le pre-
mier s'acquiert par la pratique
M iiij
-ocr page 276-
i "ji Cours de Peinture
en examinant & en comparant les
couleurs que l'on voit fur le natu-
rel , avec celles dont on veut les
imiter ; & l'art de faire valoir les
teintes confïfte à favoir ce qu'u-
ne couleur vaut auprès d'une au-
tre , &. à réparer ce que la dif-
tance & le tems diminuent de l'é-
clat & de la fraîcheur des cou-
leurs.
Un Peintre qui ne fait que ce
qu'il voit , n'arrivera jamais à une
parfaite imitation : car fi fon ou-
vrage lui fetnble bon de près, èc
fur fon chevalet , de loin il dé-
plaira aux autres &c fouvent à lui-
même : une teinte qui de prespa-
roît feparée& d'une certaine cou-
leur , paroîtra d'une autre couleur
dans fa diftance , &: fe confondra
dans la mafTe dont elle fait partie.
Si vous voulez donc que votre ou-
vrage falfe un bon effet du lieu
d'où il doit être vu, il faut que les
couleurs & les lumières en foient un
peu exagérées 3 mais favamment <5c
-ocr page 277-
par Principes.         Z73
avec une grande difcretion. Voyez
la manière dont Titien, Ruben's,.
Vandeik, & Rembrant en cnt ufé :
car leur artifice eft merveilleux.
Il y a ordinairement dans le teint
trois momens à obferver ; le pre-
mier , quand le modèle nouvel-
lement arrivé fe met en place , Se
pour lors il eft plus animé &: plus
coloré qu'à fon ordinaire , & cela
fe remarque dans la première heu-
re ; le fécond, quand le modèle
étant repofé fe fait voir tel qu'il
eft ordinairement, & cela fe trouve
dans la féconde heure 5 & le troi-
sième lorfque le modèle las d'être
dans la même attitude , change
la couleur ordinaire en celle que
l'ennuï a coutume de répandre fur
le vifàge. Aînfi ileft très-à_propos
de s'en tenir au teint ordinaire des
perfonnes , & de l'accompagner
de quelque bon moment qu'on ne
puiftè blâmer d'exagération. Il eft
bon auili pour diffiper , ou préve-
nir l'ennui , de permettre aux per-
Mv
-ocr page 278-
174 Cours de Peinture
fonnes que l'on peint, de fe lever
pour faire quelques tours de cham-
bre , &: reprendre de nouveaux
e/prits.
Dans les Draperies toutes for-
tes de couleurs indifféremment ne
conviennent pas à toutes fortes de
perfonnes. Dans les Portraits
d'homme , il fuffit de chercher
beaucoup de vérité & beaucoup
de force $ mais aux Portraits de
femmes, il faut encore de l'agré-
ment , de faire paroître dans un-
beau jour ce qu'elles ont de beau-
té , & tempérer par quelque indu-
ftrie ce qu'elles ont de défauts.
C'e/t pour cela qu'auprès d'une
tejnt blanc , vif 3 & éclatant , il
faut bien fe garder de mettre d'un:
beau jaune qui le feroit paroître
de plâtre > mais plutôt des couleurs
qui donnent dans le verd ,.ou dans
le bleu, ou dans le gris, ou dans
quelques autres femblables cou*
leurs qui par leur oppofition cort-.
tribuent à faire paroître plus de.
!
-ocr page 279-
far Principes*        i-ff
chair ces fortes de teins, que l'on
trouve ordinairement aux blondes,
Vandeik s'eft fouvent fervi dans fes
fonds de rideaux feuille-morte ;
mais la couleur en eft douce &
brune.
Les femmes brunes au contrai-
re qui ont dans leur teint afTez de
jaune pour foutenir le cara&erede
chair, pourront fort bien être ha-
billées de quelques draperies qui
donnent dans le jaune , afin que
leur teint femble en avoir moins, &
en paroîcre plus frais ^ & auprès de&
carnations qui font très-vives &
hautes en couleur r le linge y fait à
merveille.
Pour les fonds, il y a deux cho-
fesàconfiderer, le ton, & la cou-
leur. On doit raifonner de la cou-
leur du fond, comme on raifonne
de celles des habits à l'égard delà
tête. Le ton du fonds doit être
toujours différent de la maffe qu'il
Soutient, & dont il eft le fond , en
forte que les objets qui feront deC
-ocr page 280-
17 6 Cours de Peinture
lus ne parouTent point tranfparens $
mais folides & de relief. Ce qui dé-
termine le ton du fond eft ordinai-
rement leton descheveux,&quand
ils font châtins-clairs on eft fouvent
fort embarrafle à moins qu'on ne fe
iérve du fecours d'un rideau ou de;
quelque accident de Clair-obfcur
que l'on fuppofe derrière, ou que
ce fond ne fok un ciel.
Il faut encore obferver que lorf-
cju'on fait des fonds unis, c'eft-à-
dire , lorfqu'il n'y a ni rideau ni
Païfage, ni autre ouvrage femblar
ble j mais feulement une efpece de
muraille , il doit y avoir plusieurs
couleurs qui faflent comme des ta-
ches prefque imperceptibles. La
raifon en eft, qu'outre que la Na*-
ture eft toujours de cette forte, l'u-
nion du Tableau en eft beaucoup
plus grande.
III. L'Attitude.
L'Attitude doit être convenable
à l'âge , à la qualité des perfonnes
& à leur tempérament. Aux nom*
-ocr page 281-
far Principes,.         zyy
mes & aux femmes âgées elle doft:
être pofée, majeit-ueuië & quelque-
fois fîere 5 & aux femmes en géné-
ral il faut qu'elle foit d'une lïmpli-
cité noble, &. d'un enjouement mo-
defte : car la modeftie doit être le.
caractère des femmes. C'eft un at-
trait mille fois plus puilfant que la
coqueterie -, &c dans la vérité il n'y:
a gueres de, coquettes qui voulut
fent le paroître dans leur portrait»
Il y a de.deux fortes d'attitudes,
l'une de mouvement, &; l'autre de.
repos. Les attitudes de repos peu-
vent convenir à tout le monde, de
celles qui font en mouvement ne:
font propres qu'aux jeunes perfon-
nes, &: font très-difficiles à exécu-
ter j parce qu'une grande partie des
draperies &; des cheveux doit être
agitée par l'air, le mouvement ne fe
faifant jamais mieux voir en peintu-
re, que par ces fortes d'agitations,
tes attitudes qui font en repos, ne:
doivent pas tellement y paroître
qu'elles femblent reprefenter une,:
-ocr page 282-
x y8" Cours de Peinture
perfonne oifive, & qui fe tient ex-
près pour fervir de modèle.Et quoi-
qu'on reprefente une perfonne ar-
rêtée , l'on peut, fi on le juge à pro-
pos, lui donner une draperie volan-
te,pourvû que la fcene n'en foit pas
dans une chambre ou dans quelque
lieu fermé.
Il eft fur-tout néceflaire que les-
fîgures qui ne font point occupées ,
femblent vouloir fàtisfaire le defir
de ceux qui ont la curiofité de les
voir ; Ôc qu'ainfi elles fe montrent
dans l'à&ion la plus convenable à
leur tempérament &: à leur état ,,
comme fi elles vouloient inftruire
le fpe&ateur de ce qu'elles font en
effet j & comme la plupart du mon-
defè pique de franchife, d'honnê-
teté & de grandeur d'ame., il faut:
fuir dans les attitudes toutes fortes
d'affe&ations , que tout y foit aifé
& naturel, & que l'on y fafTe entrer
plus ou moins de fierté vde noblef-
Se demajefté,félon que lesper-
fcnnes auront plus ou moins ce ca-
-ocr page 283-
far Principes.. . 27^?
racîere,& qu'elles feront plus ou*
moins élevées en dignité. Enfin ih
faut que dans ces fortes d'attitudes
les Portraits fèmblent nous parler
d'eux mêmes, & nous dire, par
exemple : Tien, régarde-moi, je
fuis ce Roi invincible environné de
majefté :Je fuis ce valeureux Capi-
taine qui porte la terreur par tout „.
ou bien qui ai fait voir par ma bon-
ne conduire tant de glorieux fuc-
cès : Je fuis ce grand Miniftre qui
ai connu tous les reiîbrts de la poli-
tique : Je fuis ce Magiftrat d'une fa.
geife&dtme intégrité eonfommée:
Je fuis cet homme de lettre tout ab-
forbé dans les fciences : je fuis cet
homme fage & tranquile que l'a-
mour.de. laPhilofophiea mis audel-
fus des defirs &: de l'ambition : Je.
fuis ce Prélat pieux, docte, vigilant;:
Je fuis ce protedeur des beauxArtsr;
cet amateur de la vertu : Je .fuis cec:
artifan fameux , cet unique dansi
maprofeffion, &c. Et pour les fem-
mes : Je fuis cette fage PrinceUe
-ocr page 284-
ï8a        Cours de Peinture
dont le grand air inipire du refpecl
Bc de la confiance : Je fuis cette Da-
me fiere dont les manières grandes
attirent de l'eftime, Ste. Je fuis cet;
te Dame vertueufe, douce , mode-
lie , &c. Je fuis cette Dame enjouée'
qui n'aime que les ris, la joie , ècc.
ainfl du relie. Enfin les attitudes
font le langage des Portraits , &:'
l'habile Peintre n'y doit pas-faire
une médiocre attention.
Mais les excellentes attitudes"
font, à mon avis, celles qui font ju-
ger au fpeclateur que les perfonnes
qui font peintes fur la toile , fe;
trouvent fans affectation dans un
moment favorable à fe faire voir
avantageufement. Il y a feulement
une chofeà obferver pour les Por-
traits de femmes en quelque attitu-
de qu'on les puilfe mettre , e'efl de
les difpofer 8c de les tourner d'une
manière que dans leur vifage il y ait
peu d'ombre , 6c d'examiner foi-
gneufement iî le modèle eft plus ou'
moins beau dans les ris que dansle-
-ocr page 285-
far Principes.          z8*J
férfeux , & en tirer Ton avantage.
Venons aux ajuftemens.
IV. Les A'pifîemens.
Sous le mot d'Ajuftemens,je com-
prens les draperies qui habillent les
perfonnes peintes , &; la manière
dont elles font accommodées
Il faut que chacun Toit vêtu félon-
fa qualité, & il n'y a que les ajuf-
temens qui puiflent faire en Pein-
ture la diftincUon des gens : mais
en confervant le caradere de cette-
qualité , il faut que les draperies
foient bien choiïïes <k bien jettées.
Les habits fort riches convien-
nent rarement aux hommes, &. la
grande chamarure eftaudeffous de
leur gravité. Les femmes doivent
être parées négligemment fans
perdre leur dignité & leur noblefTe:
&: quand les hommes & les femmes
voudront être autrement, le parti
que le Peintre doit prendre , eft de-
ie faire un plaifr de l'imitation.
Les étoffes de différentes natures.
-ocr page 286-
iîi Cours de Peinture
donnent à l'ouvrage un caractère'
de vericé que les draperies imagi-
naires détruifent.
On habille aujourd'hui la plu-
part desPortrairs d'une manière afl
fez bizarre $ fa voir fi elle eft à pro-
pos , c'eft: une queftion qu'il faut
examiner.
Ceux qui font pour ces fortes
d'habits difent que les modes étant
en France fort fujettes à changer v
on trouve les Portraits ridicules fix
ans après qu'ils ont été faits : que
ces ajuftemens qui font du caprice
du Peintre durent toujours : que les
habits des femmes ont des manches
ridicules qui leur tiennent les bras
ferrés d'une manière fort contrain-
te^ peu favorable à la Nature & à
la Peinture ;& qu'enfin i'ufage qui
s'eft introduit peu-à-peu d'habiller
ainfi les Portraits; doit être fuivi en
cela comme en autre chofe.
D'autres au contraire foûtien-
nent que les modes font eflentieî-
les aux Portraits,& qu'elles contrL
-ocr page 287-
far Principes.-         285
buent non-feulement au Portraic
de- la perfonne, maïs qu'elles fone
encore celui du tems 3 que les Por-
traits faïfant partie de l'hiftoire ,
doivent être fidèles en toutes cho-
i'es j & cela,difent-ils,eft fî vrai que
nous ferions bien fâchés aujour-
d'hui de voir dans les médailles ,:
dans les bas-reliefs &: dans les au-
tres ouvrages antiques,les Romains
vêtus d'autres habits que de ceux
qu'ils portoient, & nous trouve-
rions ridicules qu'ils fufTent habil-
lés dans leurs Portraits à la Grec-
que comme nous le fommes fou-
vent dans les nôtres à la Romaine 5.
ou ce feroit tout au moins une er-
reur dans laquelle ils nous auroient
mis. Pour ce qui eft de la mode
qu'on trouve ridicule fîx ans après
qu'elle eft paffée, ils y répondent 3
éc
difent que ce n'eft pas la faute de
la mode , puifqu'elle a été une fois
trouvée belle , mais bien de l'ef-
prit qui ne juge pas des choies par
rapport au tems où elles étoient >;,
-ocr page 288-
$ 84 Cours de Peinture
mais par rapport au prefent. Ils
ajoutent que cette averîion feroit à
la vérité pardonnable pour des ha-
bits qu'on verroit à quelqu'un dans
Je commerce du monde 5 maïs que
dans la Peinture c'eft une foiblefTe
que les yeux du corps ont commu-
niquée ci ceux- de Peiprit, & que ce
doit être-plutôt un divertiirement
utile, & une in/lruclion piai/ànte
de voir qu'en tel tems on portoir.
des colets montés,^ dans un autre
des frai les, des chaperons, des ai-
lerons aux manches, des toques ,
des cheveux courts, des pourpoints
tailladés, des colets de point cou-
pé ou à languette, Se plu/leurs au-
tres modes qui nous font connoître
le tems auquel vivoient lesperfon-
nes , comme les perfonnes nous
font connoître le tems des modes.
Ils rapportent encore l'autorité
des anciens Peintres qui ont eu de
la réputation, comme Titien , Ra-
phaël, Paul Veronefe, Tintoret,
les Caxaches, Vandeik , & enfihs
-ocr page 289-
. far Principes.         £#<
Cous ceux qui ont peine des Por-
traits avant ce nouvel ufage que les
femmes ont introduit en France
depuis vingt ou trente ans.
Pour déterminer quelque cho/ê
entre ces deux partis , ce qui me
iemble de véritable, eil que la dif-
ficulté de tirer des habits à la mo-
de quelque chofe .d'avantageux
pour la Peinture eft bien plus gran-
de, que d'habiller agréablement
des Portraits quand on a la liber-
té d'y employer ce que l'on juge
à propos 5 & je croixois au/îï qu'on
pourroit mettre en ufâge tantôt les
habits à la modp pour les Portraits
de famille, Se tantôt des habits de
quelque vertu , de quelque attri-
but, ou de quelque divinité payen-
ne. Difons maintenant quelque
chofe touchant la pratique.
La Pratique.
Je fuis perfuadé que chaque per-
sonne en particulier ayant un eiprit
différent, envifage les fins qu'il
propofe par des vues différentes}
-ocr page 290-
2.86 Cours de Peinture
& qu'on peut arriver au bien par
divers moyens 3 & je fuis d'avis que
chacun fuive en cela la pente de
fon genie,& le chemin qu'il trouve-
ra le plus court & le plus commo-
de-, aînfî je ne dirai rien là-deiîîis
de particulier , j'expoferai feule-
ment en général qu'il elt bon de
travailler à un Portrait trois diffé-
rentes fois , ébaucher, peindre, 6c
retoucher. A l'ébauche, il faut ex-
trêmement prendre garde avant
de rien faire , quel afpect fera le
plus avantageux au Portrait, expo-
fer le modèle en différentes vues
ficela fe peut, à moins qu'on n'ait
un deffein arrêté qu'on veuille exé-
cuter -, de lorfqu'on fe fera déter-
miné , il efl d'une confequence ex-
trême de bien mettre les parties en
place en les comparant toujours
l'une avec l'autre, parce que le
Portrait non-feulement en rejTem-
ble mieux quand il eft bien deffiné,
maïs qu'il eft fâcheux de chan-
ger les parties la féconde fois que
-ocr page 291-
par Principes.          z$y
f on travaille, où l'on ne devroit
jfonger qu'à peindre, je veux dire,
qu'à placer, & à unir fes couleurs.
L'expérience fait connoître qu'il
eft à propos d'ébaucher clair à eau-
fe de l'avantage des glacis & du
tranfparent des couleurs, fur-tout
dans les ombres h & lorfque toutes
les parties feront bien enfembleôf
qu'elles feront toutes empâtées, il
faudra les adoucir .& les confions
dre avec diferetion fans ôter l'air ?
afin qu'en finîflànt on ait le plaifir
4e former à mefure que l'on tra-
vaillera. Ou fi cette manière de
confondre les parties ne plaît pas
aux génies de feu, qu'ils le conten-
tent de marquer légèrement ces
mêmes parties,& feulement autant,
qu'il eft nécelîaire pour donner
- IJair.
Il eft bon à l'ébauche d'un Porv
trait de mettre fur le front plutôt
moins que plus de cheveux , afin
d'avoir la liberté quand on les finit
de les placer où lfon veut , & df
-ocr page 292-
% S % Cours de Peinture
les peindre avec toute la tendrefle
& toute la délicateflè poffible :
«jue fi au contraire vous ébauchez
fur le front quelque touffe de che-
veux qui vous paroîtra de bon goût,
& fort avantageufe pour votre ou-
vrage, vous ferez embarraifé lorC
qu'il faudra la finir, & que vous ne
trouverez plus le naturel dans la
mêmedifpofîtion,précifernent que
vous les voulez peindre. Cette ob-
fei vation n'eft pas pour ceux qui au-
roient une fcience & une expérien-
ce confommée, qui ont le naturel
dans la tête, & qui le font obéir à
leur Idée comme il leur plaît.
La féconde fois que l'on travail-
le doitfervir à mettre bien les cou-
leurs dans leur place, & à les pein-
dre de la manière la plus conve-
nable au modèle que l'on imite ,&
à l'effet que l'on fe propofe. Mais
avant de commencer d'empâter, je
voudrois que l'on examinât de
nouveau fi les parties font bien en
leur pUce, & que l'on donnât par-
ci
-ocr page 293-
far Principes.         .\%y
.cl, par-là les coups qui contribuent
le plus à la reffemblance, afin qu'é-
tant allure de cette reiîemblance
J'en travaillât avec plus de repos
.& de plaifir.
Suppofé que l'on entende ce que
l'on fait, & que le Portrait foit defl
■£né jufte , -il .faut autant qu'on le
peut travailler vite, le modèle s'en
accommode mieux, & l'ouvrage en
a plus d'efp rit &.plus de vie : mais
cette promptitude eft le fruit de
notre expérience, .& l'on ne fàurok
faire vite qu'après avoir foigneufe-'
ment étudié ,& médité lescliofes
durant beaucoup de tems, & eilayé
entre plusieurs moyens celui qui
conduit le plus dire&ementaubien:
car pour trouver un chemin fa-
cile^ que l'on doive tenir fouvents
il eft permis d'être long-tems à le
chercher.
Avant que de retoucher un Por-
trait , il eft à propos que les che-
veux en foientterminés,afin qu'en
douchant les carnations vous
N
-ocr page 294-
i^o Cours de Peinture
puiffiez juger de l'effet de toute la
«ête.
Comme il arrive fouvent que la
féconde fois que l'on travaille à un
Portrait on ne peut y faire tout ce
que l'on voudroit : la troifiéme fert
à y fuppléer ôc à donner l'efpric,
la phyfionomie & le cara&ere. Si
l'on veut faire un Portrait au pre-
mier coup, il faut peindre en met-
tant toujours des couleurs & jamais
en adouciffant ni en frottant , &
faire en forte qu'il y ait peu d'hui-
le dans les couleurs ; & fi l'on y
vouloit mêler en peignant un peu
de vernis avec la pointe du pin-
ceau , cela donneroit un moyen fat-
ale de mettre couleurs fur couleurs,
&. de les mêler en peignant fans les
(emporter.
L'ufage 8c la v4e des bons Ta-
bleaux apprennent plus de chofes
qu'on n'en fauroit dire : ce qui
convient à l'efprit êc au tçmp cra-
ment d'une perfonne, ne cony' ent
p.as toujours à une autre $ 3c pref-
-ocr page 295-
fdr Principes          29 r
que tous les Peintres ont tenu dif-
ferens chemins, quoique leurs prin-
cipes ayent été fouvent les mêmes.
Le fameux Jabac, homme con-
fia de tout ce qu'il y a d'amateurs
des beaux Arts, qui étoit des amis
de Vandeik , & qui lui a fait faire
•trois fois fon Portrait, m'a conté
qu'un jour parlant à ce Peintre d\g
peu de tems qu'il employoit à faire
les Portraits, il lui répondit qu'au
commencement il avoit beaucoup
travaillé &c peiné fes ouvrages pour
û. réputation , & pour apprendre
à les faire vite dans un tems où.
il travailloic pour fà cuifine. Voici
quelle conduite il m'a dit que Van-
deik tenoït ordinairement. Ce
Peintre donnoit jour & heure aux
perfonnes qu'il devoit peindre , &
ne travailloit jamais plus d'une
heure par fois à chaque Portrait,
foit à ébaucher, foit à finir j & fon
horloge l'avertiffant de l'heure, il
fe levoit Se faifoic la révérence à
la perfonne, comme pour lui dire
-ocr page 296-
■ï^.-z Cours de "Peinture
que c'en étoit allez pour ce jour-la9
&; convenoit avec elle d'un autre
jour 6c d'une autre heure : après
quoi ion Valet de chambre lui ve-
noit nettoyer (es pinceaux , §c lui
apprêter une autre palette pendant
qu'il recevoir une autre perlonne ,
à qui il avoir donné heure. 11 tra-
yaillok ainfî à pluiieurs Portraits
en un même jour d'une y trèfle ex-
traordinaire.
Après avoir légèrement ébauché
un Portrait , il faiiok mettre la
•perlonne dans l'attitude qu'il avoit
auparavant méditée,8c avec du pa-
pier gris & des crayons blancs &
noirs,il demnait en un quart d'heu-
re Ça. taille & Tes habits qu'il difpo.-
foit d'une manière p-rande, &. d'un
goût exquis. Il donnoit enluite ce
rlefTein à d'habiles gens qu'il avoit
chez lui, pour le peindre d'après
jes habits mêmes que les perfonnes
avoient envoyés exprès à la prière
de Vandeik. Ses Elevés ayant fait
d'après Nature pequ'ils pouy oient
-ocr page 297-
fdr Pftnrtfes. ■          i $ j
aux draperies, il repafîbit légère-
ment deffus , &cy mettoit en très-
peu de rems , par Ton intelligence y
l'art & la, vérité csue nous v ad-
mirons.
Pour ce qui eft des mains, il
â.voit chez lui des perfonnes à iès
gages de l'un &c de l'autre fexe qui
lui fervoient de modèle.
Je cite cette conduite de Van-
deikplutôt pour fatisfaire la curio-
ftté du Lecleur, que pour la lui
propofer à fuivre : qu'il en prenne
ce qu'il en trouvera de bon, & qui
fera félon ion génie, & qu'il lâiife.
là le reftë Pour mei, hors ce tra-
vail d'une heure feulement, tout
m'en plairoic , une heure eft bien
peu.
Je dirai ici en paifant' que rien
n'eft. fî rare que de belles mains ,
tant pour le delfein que pour la
couleur ; ainfî il eft bon de ména-
ger quand on le peut, l'amitié de
quelque femme qui fefafle un plai-
£r de fervir de modèle. Le moyea
Niij "
-ocr page 298-
^94 Cours de Peinture
de les avoir eft d'en bien louer la
beauté 5 &. cependant fi vous trou-
vez occafion de copier des mains
d'après Vandeik, ne la manquez
pas. Itles a faites d'une délicatefle
furprenante oc d'tine couleur admi-
rable.
Pour copier avec profit les ma-
nières qui ont approché le plus près
de la Nature, comme font celles
de Titien 8c de Vandeik, il faut en
copiant s'imaginer que leurs Ta-
bleaux font la Nature 5 les regar-
der d'un peu de loin dans cette in-
tention , Se dire en foi-même : De
quelle couleur, & de quelle teinte
me fervirois-je pour un tel en-
droit , puis s'approcher du Ta-
bleau , & voir fi. on auroit bien ou
mal rencontré , ÔC fe faire enfuite
comme une loi des chofes que nous
aurions découvertes, Se que nous ne
pratiquions auparavant qu'avec in-
certitude.
Mais je reviens au Portrait, Se je
croi qu'il eft à propos avant que de:
-ocr page 299-
far Principe!         icjf
mettre les couleurs ,d'obferver les
premiers momens qui font d'ordù
naire tes plus agréables & les plus
avantageux , & de les donner en
garde à fa mémoire pour s'en fer.*
vir fur la fin du travail j parce que
le modèle las d'avoir été long-
tems dans la même place a épuL
fé les efprits qui foûtenoient ait
commencement l'agrément des
parties, & qui portoient au teint un)
îàng plus vif, &c une couleur plus
fraîche. Enfin il faut joindre à la
vérité la pofîîbiiité vraifemblable
& avantageufe, laquelle bien loin
d'ôter la reflem'blance lui doit fer-
vir d'ornement. Dans cette vue il
eft à propos de commencer par ob-
server le fond du teint, ce qu'il eft
dans les clairs, & ce qu'il eft dans
les ombres -, les ombres étant bel-
les à proportion des clairs : il faut'
dis-je, obferver fi le teint eft très-
vif, s'il y a du jaune, & où il efV
placé 5 parce qu'ordinairement fur
la fin du travail l'ennui répand un
-ocr page 300-
"t 96 Cours de Peïnfitrâ
jaune par tout, qui vous fait ou-
blier ce qui en étoit coloré, & ce
qui ne l'étoit pas, à moins que vous;
ne l'ayez bien obfervé auparavant..
C'en; pour cela que dès que vous
commencerez à travailler pour la
féconde fois, il faut promptemenc
mettre des couleurs par-ci par-là,
telles que vous les voyez dans ces
premiers momens qui font toujours
les plus beaux.
Le plus fur moyen pour j%er
des couleurs, c'eft la comparaifon 5
&pour juger du teint , rien n'eft
meilleur que de le comparer avec
du linge qui en fera voifîn, ou que
l'on mettra auprès du naturels'il en
eft befoin .• ce qui foit dit feulement
pour ceux qui n'ont que- peu de
pratique du naturel.
Enfin votre Portrait étant dans
l'état que vous êtes capable de la
mettre par le jugement que vous
aurez fait du naturel, & par l'imi-
tation qui s'en voit fur votre toile^
il vousrefte encore une chofe à fai--
-ocr page 301-
far Principes,         z 9 f
re, e'eft de mettre le Portrait au-
près du modèle , afin que dans une
diftance raifonnable vous puiffiez
juger définitivement par la corn-
paraifon que vous en devez faire
s'il ne manque rien pour l'entière
perfection de votre ourage.
X*a Politique,
Mais ce n'eft point affez de pren-
dre toutes les précautions qui font
réuffir un Portrait &; qui 1-e ren-
dent bon , il faut encore prendre
celles qui le font croire tel. En
France quelque merveilleux que
foit un Portrait ,. s'il n'a effuyé la
critique des femmes, & s'il n'a leur
approbation,il eft de rebut 8c de-
meure dans l'oubli $ parce que la
complaifance qu'on a pour elles ,-.
fait repeter comme un écho,le juge-
ment qu'elles en auront fait. En
France les Dames font les maitref.
fes ,. elles y décident fouveraine-
ment , &;les bagatelles qui fonr-
-ocr page 302-
z ç> 8 Cours de Peinture
de leur goût, détruïfenr les gran-
des manières. Elles feroient capa-
bles de pervertir Titien & Van-
deik, s'ils étoient encore au mon-
de, èc qu'ils fulTent contraints de
travailler pour elles. Ainlî pour
éviter les chagrins qui viennent de
ces fortes de jugemens inconfide-
rés, il eit bon de mettre en ufage
quelque forte de politique félon les
gens Se les occasions.
Il ne faut jamais faire voir fon
ébauche fî ce n'effc aux Peintres de
fes amis porlr en apprendre leur
fentiment. Il eft même fort à pro-
pos de ne faire voir aucun ouvra-
ge fini que dans fà bordure., & après.
avoir été verni.
Il ne faut pas non plus en pre-
fence du modèle demander le fen-
timent des gens qui ne s'y connoif-
fent pas : parce que regardant
le modèle d'une vue & le voyant
d'une autre dans le Tableau, ils
feront d'avis que l'on racommode
les parties que leur imagination
-ocr page 303-
far Principes'.         ï$*f)
leur représente défe&ueufès. Vous
aurez beau vous efforcer de leur
faire connoître vos raifons, com-
me on n'aime pas ordinairement à
fe dédire & à faire croire par-là
qu'on eft capable de fe tromper ,..
vous ne les aurez jamais favorables
C'eft pourquoi le meilleur eft de
ne leur point donner occafion de
décider , ou s'ils vous préviennent
par leur fentiment, fervez-vous de
quelque artifice pour éluder un
long, ennuyeux, &; inutile raifon--
nement. Faites-leur croire , par
exemple , ou que l'ouvrage n'eft
pas achevé , ou qu'ils ont quelque
raifon êc que vous y allez retou-
cher, ou quelqurautre chofe fem-
blable qui ait la vertu de les faire
taire promptement. Vousfavez ce
que Vafari dit de Michel-Ange en
pareille rencontre. Le Pape ayant
été dans l'Attelierde Michel-An-
ge pour voir une Figure de Marbre
qu'il lui avoit fait faire, Si ne s'y
connoiflànt pas autrement ,,de-
-ocr page 304-
3>oo Cours de Peinture
manda tout bas à fon Maître de-
Chambre ce qu'il lui en.fembloit >
lequel ayant répondu que le nez
étoit trop gros , fît dire auffi-tôt
au Pape tout haut,Sc comme de lu'f-
même,que le nez étoit trop gros.
Michel-Ange , qui s'étoit apper-
çu de l'affaire , dit au Pontife
qu'il avoit raifon , &C qu'il alloit
le racommoder en fa prefence : Et
ayant pris un marteau d'une main
& un cifeau avec de la poudre de
marbre de l'autre, il femit çlevanc
fon ouvrage en a&ion de travail-
ler , & après avoir coigné en l'air
fur fon cifeau, &c laifle tomber à
mefure la poudre qu'il avoit amaf-
fée, il fe retourna, Se dit au Pape :
Adejfi Santiffïmo Padre che gliene
fare ? O Signor Michel-Angelo
,
( s'écria le Pape) glï avete dato la
■vita.
Apelles ne demandoit point
d'avis, il fe tenoit, dit Pline, der-
rière fa toile j & pour avoir trouvé:
celui d'un Cordonnier raifonna-
bte,; U avoir corrigé ledéfaut de ■la-
-ocr page 305-
far Principes;         30fi
couroye , ce miferable Artifan en
devint fi fuperbe qu'il fe mit à rail-
ler le Peintre d'une cuiffe. qu'il na
trouvoit pas à fon gré : ce qui ob-
ligea Apelles de lui dire, d'un ton
méprifant , que le jugement du
Cordonnier ne paffoit pas la fon-
dale. Ainfi quand même ceux
qui fe mêlent de juger vous parle-
roient jufte fur le défaut de quel-
ques parties,, il bon d'en profiter
adroitement fans trop les écouter^
ni leur biffer croire qu'ils ayenc
raifon 5 car ils abuferoient de vo-i
tre docilité , oc les louanges que
vous donneriez à leurs bons avis,
vous en attireroient de mauvais ôs
de téméraires.
Il faut en ceci beaucoup d'Aru
&: d'honnêteté de la part du Pehu
trê, lequel doit faire grande diftin-
clion des perfonnes qui lui parlent,,
& qui lui difent leurs fentimensfurr
(qs ouyrages.
-ocr page 306-
3or. Cours de Peinture
*#» ■«* t*ft *** «*» É4W : «» <*» hj» «» rt» *S»
#####&#:* #:#???!???#### '
BV C O L ORTS.
J'Ai fait imprimer autrefois un
dialogue lur le Coloris, où j'ai
tâché de faire voir fes prérogati-
ves , & le rang qu'il devoit tenir
parmi les autres parties de la Pein-
ture. Mais comme les Traités qui
regardent cet Art, & que je dor>-
ne prefentement au Public , font
écrits par principes, j'ai cru que je
devois réduire dans la même for-
me celui du coloris ; afin que cette
partie flnéceflâire à toutes les au-
tres, s'accorde à faire un tout avec
elles , & que le Lecteur en juge
avec plus de facilité.
Plufieurs en parlant dePeinture,,
fe fervent indifféremment des mots
de Couleur , & de Colons r pour
ne fignifier qu'une même chofe j
& quoique pour l'ordinaire, ils ne'
-ocr page 307-
far Principes.-. 305^
IaîfTenrpas de fe faire entendre, jË
eft bon néanmoins de tirer ces deux;
termes de la confufton , & d'ex-
pliquer ce que l'on doit entendre
par l'un 8c par l'autre.
„ £,a Couleur eft ce qui rend les
objets feniîbles à la vue.
Et le Coloris eft une des parties
eiTentielks delà Peinture , par la
quelle le Peintre fait imiter les ap-
parences des couleurs de tous les
objets naturels , &: diftribuer aux
objets artificiels la couleur qui leur
eft la plus avantageufe pour trom-
per la vue.
Cette partie comprend là con-
noifTance des couleurs particuliè-
res , la fîmpathie ôc l'antipathie
qui fe trouvent entr'elles , la ma-
nière de les employer, & l'intelli-
gence du Clair-obfcur.
Et comme il me paroît que cet-
te mêmepartie.n'a été-que très-peu ■:
ou point du tout connue d'un;
grand nombre des plus habiles
Peintres des deux derniers ficelés, L
-ocr page 308-
3 04' Cours de Peinture
je crois être obligé d'en donner
autant que je le puis la véritable'
idée pour en foûtenir le mérite.
* Il y en a encore qui confondent
là couleur fimple avec la couleur
locale ,. quoiqu'il y ait entr'elles
une grande différence: car la cou-
leur fîmple cft celle qui toute feu-
le ne reprefente aucun objet com-
me le blanc pur , c'eft-à-dire, fans
mélange 5 le.noir pur- , le jaune
pur , le rouge pur , le bleu , le
verd & les autres couleurs dont le
Peintre charge d'abord fa palette.,
& qui lui fervent enfuite à faire les
mélanges dont il a befoin pour ar-
river à une fidèle.imitation;
Et la couleur locale eft celle qui
f»ar rapport au lieu qu'elle, occu-
pe , & par le. fecours de quelque
autre couleur reprefente un objet
iîngulier - comme une.carnation ,
un linge ,.une étoffe, ou quelque
objet diftingué des autres: Elle eil
appellée locale ; parce que le lieu
qu'elle occupe l'exige telle.-, pour
-ocr page 309-
par Principes.         3 o f
Jonner un plus grand caractère de
vérité aux autres couleurs qui letue
font voifines. Ceci foit dit par oc-
cafion de la couleur fimple & de
la couleur locale, je reprens le fiL
de ma matière, &. je dis que ,
Le Peintre doit confiderer que
comme il y a deux fortes d'objets i
le naturel ou celui qui eft vrai, &
l'artificiel ou celui qui eft peint y
il v aaullideux fortes de couleurs,.
la naturelle & l'artificielle. La cou-
leur naturelle eft celle qui nous
rend actuellement vifibîes tous les
objets qui font dans la Nature j fk.
l'artificielle eft un mélange judi-
cieux que les Peintres compofenc
des couleurs fimples qui font fur
leur palette , pour imiter la cou-
leur des objets naturels..
Le Peintre doit donc avoir une
parfaite connoifTance de. ces deux
fortes de couleurs , de la naturel-
le , afin qu'il fâche ce qu'il doit imi-
ter, j &: de l'artificielle, pour en fai,
te une composition &: une teinte.
-ocr page 310-
3?o6 Cours de Peinture
capable de reprefenter parfaite--
ment la couleur naturelle,
Il faut qu'il facile encore que la-
couleur naturelle comprend trois
fortes de couleurs, ià. la couleur
vraie de l'objet 5 x°. la couleur
réfléchie 5 3 *'. la couleur de la lu-
mière. Et quant aux couleurs arti-
ficielles il en doit connoître la va-
leur , la force, & la douceur fépa-
rément èc par comparàifon , afin
d'exagérer par les unes, Si d'affoi-
îklir par les autres, quand la com-
pofkion du fuiet le demande de
cette forte.
C'eft pourquoi il faut faire ré-
flexion qu'un Tableau eft une fu-
perficie plate , que les couleurs
n'ont plus leur première fraîcheur
quelque rems après qu'elles font
employées 5 qu'enfin la diftance
du Tableau lui'fait perdre de fon
éclat & de fa vigueur $ qu'ainfi il
eft impofïïbledeluppléer à ces trois
chofes, fans l'artifice que la fcien-
ce du coloris enfeigne 5 & qui eft
£0a principal objet..
-ocr page 311-
fat Principes.         3 c 7'
Un habile Peintre ne doit point
être efclave de la Nature -y il eh*
doit être arbitre & judicieux imi-
tateur : èc pourvu qu'un Tableau-
fafle fon effet, de qu'il impofe a-
gréablement aux yeux 5 c'èft tout
ce qu'on en peut attendre à cet
égard, & c'èft ce que le Peintre ne
fauroit faire , s'il néglige le colo-
ris. Et comme il eft certain qu'un
tout ne peut être parfait s'il lut'
manque quelque partie , &: qu'un
Peintre n'eft pas habile en fon Art,
s'il ignore quelqu'une des parties
qui le compofent, je blâmerai éga-
lement unPeintre pour avoir négli-
gé le coloris , comme poun n'avoir
pas difpofé fes figures auffi avanta-
geufement qu'il lepouvoit faire ,
ou pour les avoir mal deffinées.
Cependant il n'y a point dans la
Peinture de partie où la Nature
foit toujours bonne à imiter telle
que le hazard la prefente. Cette
aiaîtreflè des Arts nous conduit tiu
-ocr page 312-
f o 8- Cours' de Peinture
f
ement par le plus beau chemin ,
elle
nous empêche feulement de
nous égarer. Il faut que le Peintre
la choiihîè félon les régies de fon
Art ; & s'il ne la trouve pas telle
qu'il la cherche, il doit corriger
celle qui lui eft prefentée.Et de mê-
me que celui qui defîine n'imite pas
tout ce qu'il voit dans un modèle
défectueux , & qu'au contraire il
change en des proportions- conve-
nables les défauts qu'il y trouve-5
de la même manière ,. le Peintre
ne doit pas imiter toutes les cou-
leurs qui s'offrent indifféremment
à fes yeux , il ne doit choifïr que
celles qui lui conviennent : & s'il
Je juge à propos , il y en ajoute
d'autres qui puiffent produire un
effet tel qu'il l'imagine pour la
beauté de fon ouvrage. Il fonge
non-feulement à rendre fes objets
chacun en particulier, beaux, na-
turels ,, & vrais : mais- encore il a
fbin. de L'union du tout enfembler
-ocr page 313-
far Principe!.          y®f
tantôt il diminue delà vivacité du
naturel ; <k tantôt il enchérit fur
l'éclat ,& fur la force des couleurs
qu'il y trouve ,_afin d'exprimer plus
vivement & plus véritablement le
caractère de fon .objet fans l'al-
térer. Il n'y a que les grands Pein-
tres, & en très-petit nombre , qui
ayent pénétré dans l'intelligence
de cet artifice. Ainfijbjen loin que
cette favante exagération énerve
la fidélité de l'imitation, au con-
traire elle feft au Peintre pour jet-
ter plus de vérité en ce qu'il imi-
te d'a.près Nature.»
je prie le Lecteur en pafTant,
que dans cedjfcours çn parlant gé-
néralement de la Peinture, du Def-
iein ou du Coloris, j.l les fuppofe
joujovirâ dans toute leur perfection,,
Ceux qui tâchent de donner a.tr
ieinte au coloris, djfent qu'on ne
peut s'empêcher d'accoder au De.Ç
iein une correction dans les proT
portions 9 une élégance dans les
-ocr page 314-
3 î o "Cqws de Peinture
-contours , & une délicateilè dans
les expreffîons ; èc que l'Ecole Ro-
maine, qui étoit celle de Raphaël,
a toujours recherché ces trois cho-
ies avec avidité , comme les pre-
mières & les plus parfaites inten-
tions de la Nature ; ne .faïfanr
d'ailleurs qu'un cas médiocre du
coloris; Qu'ainfi le Peintre nefau-
roît mieux faire, que de regarder
je DefTein, comme fon objet effen-
ariel, 8de coloris comme un accef-
foire.
je répons premièrement, que les
•premières intentions de la Nature
ne font pas moins dans le coloris
-que dans le DefTein, & que du re-
lie il eft vrai que les trois qualités
«|iie Ton vient d'attribuer au Def-
iein, en relèvent l'excellence ; maïs
il eft vrai auffi que lePeintre a com-
mencé d'étudier en Peinture par
les acquérir } & il faut fuppofer
qu'il les poflède dans la plus grande
perfection qu'il eft poflible. Mais
-ocr page 315-
par Principes* 3 y ï
ce ne font point ces qualités qui
constituent le Peintre ce qu'il eft.
plies le commencent en attendant
leur perfection du coloris par rap-
port au tout qu'ils doivent corn-
pofer enfemble.
Dieu en créant les corps a fourr
m une ample matière aux Créatu,.
tes de le louer, & de le reconnoî-
tre pour leur Auteur : mais en les
rendant colorés & ylfibles , il a
donné lieu aux Peintres de l'imi,-
ter dans û. Toutepuiiîance , &C
fde tirer comme du néant une fé-
conde Nature qui n'avoit l'être
que dans leur idée. En effet, tout
feroit confondu fur la Terre, &
les corps 11e feroient fenfîbles que
par le toucher , fî la diverfîté des
couleurs ne les a-voit distingués les
uns des autres.
Le Peintre qui eft un parfait imi,
îeteur de la Nature , pourvu de
^'habitude d'un excellent Deilèin,
comme nous le fuppofons , doit
$lonc çonfrderer la couleur comme
-ocr page 316-
5 à -2. Cours ae Peinture
ion objet principal , puifqu'îl ne
regarde cette même Nature que
comme imitable > qu'elle ne lui e£t
imitable, que parce qu'elle eft vi-
fible , & qu'elle n'eft vifibl'e que
parce qu'elle eft colorée.
l\ me femble donc qu'on peut re-
garder le coloris comme la cliffe-
rence de la Peinture .-,*§£ le Delïèin ,
comme fon genre. De la même fa-
çon que la raifon eft la différence
de l'homme, parce qu'elle le con-
ftitue dans fon être , qu'elle le diC
tingue d'avec les autres animaux .4
& qu'elle le met au deflus d'eux.
Carpùifque les idées des chofes
ne doivent ferv-ir qu'à nous les ti-
rer du cahos & de la confufion ,
il eft néceflaire de les concevoir
par ce qu'elles ont de particulier
Si. qui ne convient à aucune au-
tre chofe. De concevoir le Peintre
par fes inventions , c'eft n'en faire
qu'un avec les Poètes : de le con-
cevoir par la perfpedive , comme
ont écrit quelques-uns. c'eft ne le
-ocr page 317-
far Principe$\          313
«pas diftînguer d'avec le Mathéma-
ticien 5 par les proportions & les
mefures des corps, c'efl le confon-
dre avec le Sculpteur & le Géo-
mètre. Ainfi quoique l'idée parfai-
te du Peintre dcpende du Dcfïein
& du coloris tout enfemble, il faut
;fe la former fpécialement par le co-
loris 5 d'autant que par cette diffé-
rence qui le rend un parfait imita-
teur de la Nature , on le démêle
d'entre ceux qui n'ont que le Def-
fëin pour objet, 8c dont l'Art ne
peut arriver à cette parfaite imita-
tion où conduit la Peinture, 8c l'on
ne peut concevoir qu'un Peintre.
Parmi les Arts qui ont le DeîTein
commun avec la Peinture, on peut
nommer la Sculpture , l'Architec-
ture , 8c la Gravure ;'& voici com-
me elles fe définiflent.
La Peinture eft unArt,qui fur une
fuperfîcie plate imite tous les ob-
jets vi/îbles. Il y en a de plufîeurs
fortes, on la divife ordinairement
en
O
-ocr page 318-
$i^ Cours de Peinture
C à H Mofaïque.
à Fraiique ,
I à Détrempe,,
feïnture «( a Huile,
Iau Paftel,
en Miniature,
^. de en Email.
La Sculpture efl un Art, qui par
le moyen du DefTein &c de la ma-
tière folîde, imite les objets palpa-
bles de la Nature. On divife cet
Art ordinairement en
c, ,         c de Ronde-boffe,
Sculpture^ de gas_relie£
L'ArcMte&ure efl un Art, qui
par le Deflein & par des propor-
tions convenables , imite &: eon«
ftruk toutes fortes d'édifices.On di-
vife cet Art ordinairement en
Archkedure^^f
-ocr page 319-
far Principes-»        3 15
La Gravure eft un Art, qui par
le moyen du Deflèin & de J'incï-
ûm fur les matières dures , imite
.les lumières & les ombres des ob-
j ?ts vifibles. On divife cet Art or-
dinairement en
en Bois ,
, au Burin ,
a 1 hau-forte ,
&: à la manière Noire.
La manière Noire inventée de-
puis peu , eft ainfi appellée $ par-
ce qu'au lieu de préparer la plan-
che en la polifïànt , on la prépa-
re par une gravure fine , croi/ee
dans tous les fèns & uniforme, qui
l'occupe entièrement, en forte que
fi on l'imprimoit après fa prépara-
tion , on en tireroit une empreinte
très-forte , & également noire par
tout.
La gravure noire eft donc celle
qui au lieu de Burin ,pour former
les traits & les ombresjlefert de bru-
Oij
-ocr page 320-
3 r 6 Cours de Peinture
riifloir pour tirer les objets de
l'dbfcurïté en leur diftribuant peu-
à-peu les lumières qui leur convien-
nent.
On laiife la libertéd'attnbuerà
la Sculpture ou à la Gravure le tra-
vail qui eft fur les pierres fines ;
néanmoins on les appelle ordinai-
rement , pierres gravées. Ce qui
me paroît de plus vraifemblable ,
c'eft que les Auteurs de ces fortes
d'ouvrages étoient Sculpteurs %
Graveurs tout enfemble.
Sans fe donner la peine de dé-
finir toutes ces diyifions, il eftaifé
de voir que le DefTein qui eft leur
genre , c'eft à-dire , qui eft com-
mun entr'elles, eft déterminé par
une différence particulière qui con-
ftitue chaque Art dans fon efTence.
La fin du Peintre Se du Sculp-
teur eft bien l'imitation 3 mais ils y
arrivent par dîfFerentes voies , le
Sculpteur par une matière iolide
en imitant la quantité réelle des
objets 5 Se le Peintre en imitant
-ocr page 321-
far Principes.         317
avec des couleurs la quantité & li
qualité apparente de tout ce qui eft
vilîble : en forte qu'il eft obligé
non-leulement de plaire aux ye:tx ,
mais encore de les tromper en tout
ce qu'il reprefente.
On obje&e ordinairement à ce-
la, que le Deiîein eft le fondement
du coloris, qu'il le foutient, que le
coloris en dépend, & qu'il ne dé-
pend en rien du coloris : puifque
le Deiîein peut fubfifter fans le co-
loris , 8c que le coloris ne peutfub-
ftfter fans le Deiîein , & par con-
fequent que le Deffein, eft plus né-
ceilàire , plus noble , ëc enfin plus
confîderable que le coloris.
Mais il eft aifé de faire voir que
cette objection ne conclut rien d'a-
vantageux pour le Deffein au pré-
judice du coloris : au contraire on
fait avoir par là que le Deffein tout
fèul, comme on le fuppofe , n'eft
le fondement du coloris, & ne fub-
lifte avant lui que pour e.i recevoir
fa perfeclionpar rapport à la Pein-
Oiij
<
-ocr page 322-
3 ï8 Cowrs de Peinture
ture, & il n'eftpas furprenant que
ce qui reçoit ait fon être & fubij-
fte avant ce qui doit être reçu.
Il en eft ainh* de toutes les ma-
tières qui doivent être difpofées
avant que de recevoir leur perfe-
ction des formes fubftantielles. Le
corps del'homme,parexemple,doit
être entièrement formé 6c organifé
avant que l'ame y fait reçue, & c'eft
avec cet ordre que Dieu fit le pre-
mier homme.Il prit de la terre, il y
mit toutes les difpofitionsnéceffai-
res.- puis il créa l'ame qu'il y infufa
pour le perfectionner 6c pour en fai-
re un homme. Ce corps ne dépen-
doit point de l'ame pour fubfîfter,
puifqu'il étoit avant l'ame : cepen-
dant il n'y a perfonnes qui voulût
foutenir que le corps fût la partie
de l'homme la plus noble 5c la plus
confiderable 5 la Nature commen-
ce toujours par les chofes les moins
parfaites, û. l'Art qui en eft l'imi-
tateur fuit la même règle.. D'abord
le Peintre ébauche fon fujet par le
-ocr page 323-
far Principes,          $ i f
moyen du ÛefTeiiï, 8c le finit en-
fuite par le coloris qui endettant le
vrai fur les objets deifinés, y jette-
en même tems la perfection dont
la Peinture eft: capable-..
A l'égard d'être plus ou moins
neceilaire pour faire un tout, les
parties efTentiellés font également
nécefïàïres , il n'y a point d'homme
fi l'aine n'efr. jointe"au corps, auiîî
n'y a-t-il point de Peinture fî le co-
loris n'eft joint au Deflein.
Mais fï Ton regarde le DefTein
feparement &: comme un infini-
ment dont on a befoin en toutes
rencontres dans la plupart des Arts,
on pourroit par l'utilité qui en re-
vient l'eftimer davantage que le co-
loris 5 de là même manière que
l'on eftimeroit un gros diamant
beaucoup plus qu'une plante, quoi-
que la moindre de toutes les plan-
tes foit plus noble & plus eftima-
ble en elle-même, que toutes les
pierres précieufes enfemble.
Comme tout le monde court à
-ocr page 324-
3 2 o Cours dep-eintftre
l'utile, & que l'on envifage les cho-
ies
de ce côté.la , il ne faut pas
s'étonner fi le Deflein étant plus
d'ufage,8c par confequent plus utile
dans le monde par les demonftra-
tions dont on fe fert dans les Ma-
thématiques , & par les Defléins ,
qui quoique légers font connoître
les penfées des ouvrages que l'on
propofe,, on l'eftime. davantage.
Mais enrejettant le coloris,il
n'y a rien dans le Deflein que le
Sculpteur ne puifle faire ; ôc ces
choies confiderées par rapport à
un ouvrage de Peinture, demeure,,
ront toujours imparfaites fans le fer-
cours du colons , lequel met le
Peintre audeflus du Sculpteur,6c
fait que les objets peints avec in-
telligence,reflemblent plus parfair
tement aux véritables.
On ne peut s'empêcher néan-
moins d'accorder au Deflein par,-
fait , tel que nous le fuppofons, 6c
que nous le voyons dans l'antique,
plufîeurs marques d'élévation qui
-ocr page 325-
par Principes.         321
©nt partagé les curieux fur le choix
des Tableaux dont ils ont compo-
fé leur Cabinet. En effet félon les
fujets&les figures que les anciens
Sculpteurs ont voulu repréfenter,
on remarque- dans les Sculpteurs
antiques du terrible ou du gra-
cieux , du fimpleou de l'idéal d'un
grand cara&ere $ mais toujours du
fublime, & de la vraifemblance.
Toutes ces qualités jettent les es-
prits dans un grand doute fur la
préférence que l'on doit donner
aux Tableaux qui font ou mieux
deffinés que coloriés.,ou mieux co-
loriés que deffinés. Cependant ce
que nous avons dit du coloris à
l'égard d'un ouvrage de Peinture,
ne permet pas que nous préférions
les Tableaux mieux deffinés que
coloriés, pourvu que dans ceux-ci
le Deflein n'y foit point trop mal.
La raifon de cela eft que le Def-
fein fe trouve ailleurs que dans les
Tableaux. ^ il fe rencontre dans les1
bonnes Eftampes , dsns les Sta-
Ov
-ocr page 326-
3 2i Coups de Peinture
tues , & dans les bas-reliefs. Mafï
une belle intelligence de couleurs
ne fe trouve que dans un très-petit,
nombre de Tableaux.
A.infïfuppofé que je voulufFe fai-
re un Cabinet, j'y ferois entrer tou-
tes fortes de Tableaux où. je verrois
de la beauté dans quelque partie
que ce foit : mais jeprefererois ceux
du Titien aux autres, par la raiion
queje viens de dire, &c le prix dont
les curieux payent les ouvrages de
ce Peintre favori fe tout-à^fait mon
fèntiment. Il eft vrai que quelques-
uns fe fondent fur l'eftime que l'on a
{>our les DefTeins en gênerai, &, fur
e grand nombre de perfonnes qui
ayant regardé leDefTein par rap-
port à fon utilité, en ont pris quel-
que habitude manuelle & beau-
coup d'amour : ainfî pour fortir de
cette difficulté, ilfaut favoir ce que
l'on entend parle mot de DefTein.
Par rapport à la Peinture,le mot
de DefTein n'a que deux fignifica-
tions.Premièrement,l'on appelle
-ocr page 327-
par Principes'.         3 2 3
Deffein la penfée d'un Tableau la-
quelle le Peintre met fur du papier
ou fur de la toile , pour juger de
l'ouvrage qu'il médite ; & de cet-
te manière l'on peut appeller du
nom de Deffein non-feulement un
efquiïTe, mais encore un ouvrage
bien entendu de lumières 8c d'om-
bres ,, ou même un petit Tableau
bien colorié. C'eft de cette forte
que Rubens faifoit prefque tous fes*
Deffeins J & que la plupart de ceux
du Titien qui font prefque tous à
la plume ont été exécutés. z°.
L'on appelle Deffein les juftes me-
sures y les porportions Se lés con-
tours que l'on peut dire imaginai-
res des objets vifibles, qui n'ayant
point de confiftence- que l'extré-
mité même des corps, refïdent vé-
ritablement ôc réellement dans l'ëfi-
prit :■& fî les Peintres les ont ren-
dus fenfîbles de néceffité indifpen-
fàblepar des lignes qui en font la
circonfcription, c'eft pour en ren-
dre la demonftration fenfîble à
Ovj
-ocr page 328-
314 Cours de Peinture
leurs Elevés, & afin de pratiquer1
pour eux-mêmes une manière com-
mode qui les fafle arriver facile-
ment à une extrême correction.
Cependant il elt vrai de dire que
ces lignes n'ont point d'autre ufa-r
ge que celui du ceintre dont fe fert
l'Architecte quand il veut faire
une Arcade : ies pierres étant po,
fées fur fon ceintre, Scfon Arcade
étant conftruite,il rejette ce ceintre
qui ne doit plus paroître non plus-
que les lignes dont le Peintre s'eft
fervi pour former fa figure., & c'eft
de cette dernière'forte que l'on
doit concevoir le Deffein qui fait
une des parties efTentielles de la
Peinture, Mais lorfqu'on ajoute
aux contours les lumières & les
ombres, on ne le peut faire fans le
fecours du blanc & du noir, qui
font deux des principales couleurs
dont le Peintre a coutume de (q
fervir , & dont l'intelligence eft
comprife fous celle du coloris.
J'ai vu néanmoins pluiîeurs Pela*
-ocr page 329-
far Principes.           325"
tre qui n'ont jamais voulu conve-
nir que la partie de la Peinture
qu'on appelle Deflein ,.contienne
feulement les proportions & les
contours des objets vifibles : mais
ils difent que cette partie eft enco-
re cette féconde forte de Deflein
que je viens de définir ,.c'eft-à di-
re, la penfée d'un grand Tableau
que l'on médite , foit que cette
penfée ne fût qu'un léger crayon ,
ou bien qu'on la vît exprimée par
le clair-obfcuri&: par toutes les cou-
leurs qui doivent entrer dans le
grand ouvrage dont ce DeiTein eft
l'effai & le racourcî.
J'ai cru que la meilleure répon*
fe que l'on pouvoir faire à ceux
qui étoient dans cette opinion r
étoit de leur dire, que pour lors le
Deflein ne fer oit plus une des par-
ties de la Peinture : mais qu'il en
féroït le tout,puifqu'il contiendroit
non-feulement les lumières &: les
ombres, mais auflî le coloris, & Vin-
wntion même : & pour lors ilfau-
-ocr page 330-
3 2 G Cours d<r Peinture
droit toujours convenir de nou-
veaux termes, & demander à ceux
qui font de l'opinion que je viens
de rapporter , comme ils vou-,
droient que l'on appellât la partie
du Deifein laquelle trouve lesob-
jets qui compofent une Hiftoire ;,
& comment ils voudroient encore
qu'on nommât cette autre partie'
du-Deflein qui diftribue les cou-
leurs r les lumières & les ombres.
Ainfi, fans entrer ici dans une plus
grande explication , il eft aifé de
voir qu'il n'importe pas de quelle
façon l'on.appelle les chofes, pour-
vaque l'on s'entende , & que l'on
convienne de leur nom.
Il eft donc certain que fans fe met-
tre dans l'embarras dé chercher "
de nouveaux termes aufquels on
âuroit de la peine à s'accoutumer,
il vaut mieux s'en tenir à ceux dont
on eft convenu depuis long-tems.-
Cependant il n'eft pas raifonna-
ble de parler ici fous fiience les .pré-
rogatives du DeiTein dont lesprin-
-ocr page 331-
par Principes,..         3 'rj:
cipales font : iQ. Qu'il fert à fai-
re beaucoup de chofes utiles tour
feul, avant la jonction du coloris».
Ce qui fait qu'une infinité de per-
sonnes fe contentent d'avoir quel-
que habitude du DefTein fans fe
ibucier du coloris. 2°. Qu'i 1 don-
ne un goût pour la connoiflance
des Arts, & pour en faire juger du
moins jufqu'à un certain point. Ce:
qui oblige de regarder cette partie
comme nécefTaire à l'éducation des.
jeunes Gentilshommes à qui on
donne ordinairement des Maîtres
à defïiner , comme on en donne
pour écrire. 30. Que cette partie,
qui en contient plufîeurs autres
confîderables 3 comme la colinoif-
fance des mufcles extérieurs ,, là.
perfpective, la po.fition des attitu-
des, les expreffions des parlions de
l?ame,pourroit être par conséquent '
confédérée comme un tout r plu-
tôt que c®mme une partie féparéé.
On ne peut nier que toutes ces
prérogatives neioîent véritables &:
-ocr page 332-
3*i S Cours de Peinture
d'un grand ufao-e : niais nous r<*-
gardons ici le Deflein par rapport
à l'Art de la Peinture , & comme
tel , toutes les parties qu'il corn
tient ont befoin du coloris pour fai-
re un Tableau parfait dont il s'a-
git prefentement. C'eft pourquoi
nous ne regardons, pas. ici le Def-
fein avec toutes les parties qu'il
renferme, ni comme une partie
feparée, ni comme un tout accom-
Î>li, mais comme le fondement 6c
ë commencement de la Peinture.
Nous avons dit cLdelfus, que
le clair-obfcur qui n'effc autre cho-
fe que l'intelligence des lumières
8c des ombres étoit compris dans
lé coloris 5 6c cependant plufîeurs
Peintres n'en veulent pas conve-
nir : car ils difent, que la raifon
qu'on en donne efb,, que dans la
Nature la lumière & le clair-ob-
fcur font inféparables l'un de l'au-
tre. Ils ajoutent qu'on peut dire la
même choie du Deflein -, parce que
fans lumière l'œil nefauroit apper-
-ocr page 333-
par Principes.          3-2.9
eevoir ni connoitre dans la Natu-
re les contours & les proportions
des Figures. A quoi l'on peut ré-
pondre , que les mains peuvent
taire en cela l'office de. yeux, &
qu'en touchant un corps iblide el-
les jugent fi ce corps eft rond ou
carré, & s'il a. quelqu'autre for-
me , telle qu'elle puiffe être ; donc
H s'enfuit que fans la lumière l'on
peut connoître dans la Nature les
contours & les proportions des EL
gures.
A propos de cette queftion, je
rapporterai ici l'Hiftoire affez ré-
cente d'un Sculpteur aveugle , qui
faifoit des Portraits de cire fort
refTemblans. Il vivoit dans le der-
nier fiecle.-. Et voici ce que m'en
a. raconté un homme digne de foi
qui l'a connu en Italie, 8c qui a été
témoin de tout ce que vous allez
entendre.
L'Aveugle, me dit-il, dont vous
allez favoir l'Hiftoire , étoit de
Camhafli dans la Tofcane , ho.m~
-ocr page 334-
$$û Cours de Peinture
me fort bien fait, & qui paroiiïbk
âgé d'environ cinquante ans. Il
avoit beaucoup d'efprit &. de bon
iens , aimant à parler ? & difant
agréablement les chofes. Un jour
entr'autres l'ayant rencontré dans
le Palais Juftinien où il copioit une
Statue de Minerve ,., je pris occa-
sion de lui demander s'il ne voyoit
pas un peu' pour copier auffi jufte
qu'il faifoit. Je ne vois rien , me
dit-il , &; mais yeux font au bout
de mes doigts. Mais encore,, lui dis-
je r comment eft-il poffible que ne
voyant goûte vous faffiez de il bel-
lés chofes ? Je tâte, dit-il, mon ori-
ginal , j'en examine les dimensions,
les éminences 6c les cavités, je tâ-
che de les retenir dans ma mémoi-
re , puis je porte-ma main fur ma
cire, &c par la comparaifon que je
fais de l'un &c de l'autre , portant
& rapportant ainfî plufieurs fois la
main, je termine le mieux que je
puis mon ouvrage.
En effet il n'y a aucune apparen-
-ocr page 335-
■par Principes          3'3".ï?
ce qu'il eut le moindre ufage delà
vue ; puifque le Duc de Braciasc
pour éprouver ce qui en étoit r feï
nt faire fonPortrait dans une CaVe.
fort obfcure, & que ce Portrait fut
trouvé très-reflemblant.Mais quoi-
que cet ouvrage fût admiré de tous
eeux quilevoyoient,onnelaifla pas
d'objecter au Sculpteur que la bar-
be du Duc étoit un grand avanta-
ge pour le faire refTembler , & qu'il
n'auroit pas cette même facilité
s'il lui falloit imiter un vifage fans
barbe. Hé bien, dit.il, qu'on m'en
donne un autre. On lui propofa de
faire le Portrait de l'une des De-
moifelles de la DucherTe. Il l'en-
treprit , & le fit très-reffemblant.
j'ai encore vu de la main de cet
illuitre Aveugle, le Portrait du feu
Roi d'Angleterre Charles Premier,
& celui du Pape Urbain VIII. tous
deux copiés d'après le marbre très-
finis & très-reflèmblans. Ce qui lui
faifoit de la pcûie , ainfi qu'il IV-
vouoit , étoit de reprefenter les.
-ocr page 336-
j'3'■# Cours de Peinture
eheveux où il ne trouvoit pas afTez
de réfiftance.
Mais fans aller plus loin , nous
avons,à Paris un Portrait de fa
main , Se c'eft celui de feu Mon-
fîeur HerTelin, Maitre de la Cham-
bre aux Deniers, lequel en fut fi
content , &■■ trouva l'ouvrage fi
merveilleux , qu'il pria l'Auteur de
vouloir bien fe laiiîer peindre pour
emporter fon Portrait en France,
& pour y conferver fa mémoire.
La curiofité que me donna le ré-
cit de cette Hiftoire, ne me permit
pas de différer plus long-tems à
voir ce Portrair : & après en avoir
obfervé d'abord la phyfionomie, je
m'apperçus que le Peintre lui avoit
mis un œil à chaque bout de doigt
pour faire voir que ceux qu'il avoit
ailleurs lui étoient tout-à-fait in*,
utiles.
J'ai rapporté cette Hiftoire d'au-
tant plus volontiers que je l'ai trou-
vée digne de la curiofité du Lec-
teur. } &; propre à démontrer la-prc-
-ocr page 337-
■par Principes.         335
position dont il s'agiiloic ; /avoir
qu.e l'intelligence du -clair-obfcur
etoic renfermée dans le coloris.
Il n'y a perfonne en effet qui
dans la plus grande obfcuriré ne
{ente les contours d'un homme,
ou d'une Statue , ,& ne juge^des
éminences & des cavités extérieu-
res en y portant feulement la maîna
au lieu qu'il effc impoffible devoir
aucune couleur, ni d'en juger fans
lumières.
On voit par l'Hifloire de cet
Aveugle, que fon Art qui étoit tout
dans le DeiTein,liu avoit donné oc-
cafîon de fatisfaire fon efprit , &;
de fe confoleren quelque façon de
la. perte qu'il avoit faite d'un fens
a-uji précieux qu'eft celui de la vues
§t que s'il avoit été-Peintre,il auroit
été privé de cette confolation: & la
raiïbn en eft^que la couleur & les
lumières ne iont l'objet que de la
vue, & que le Deffein, comme jg
ïgi dit, l'eft encore du toucher.
à
-ocr page 338-
•334 'Cours de Teinture
J'aurois pvi rapporter encore ïcï
l'exemple de plus fraîche date du
.feu fleur Buret, l'un des plus habi-
tes Sculpteurs de l'Académie : car
félon le témoignage de quelques
perfonnes dignes de foi, il devint
Aveugle à l'âge d'environ vingt-
cinq. ans.,par une petite Vérole qui
lui ayant ôté entièrement la vue ,
ne put lui ôter le plaifir de fe con-
foler en lui laiffant la faculté de
travailler, comme avoir fait l'A-
veugle de Cambaffi.
Ce ferait ici le lieu ou le Trai-
té du -Claîr-obfcur devroit être
placé -comme partie efTentielle du
coloris .5 mais ce Traité étant de
quelque étendue, on a jugé à pro-
pos de le mettre à la fin du Trai-
té du Coloris , & d'y renvoyer le
Le6\eur,afin de lui laitier prendre
uneidée plus difKn&e de cette in-
telligence des lumières & des om-
bres.
L'accord des couleurs & leur op-
-ocr page 339-
far Principes.          3 3 j
ipofîtion ne font pas moins nécel-
iaires dans le coloris., que .l'union
0t la .aromatique dans la Musi-
que.
Cet accord Se cette opposition
des couleurs viennent de deux cau-
ses , de leur qualité fenfible Sk. ori-
ginaire, .& de leur mélange. Leurs
qualités fenfîbles procèdent de
la participation qu'elles ont avec
l'air , & avec la -terre. Celles qui
•font aériennes ont entf'elles une lé-
gèreté qui les rend aniies comme
le blanc, le beau jaune, le bleu 9
la laque, le verd , & autres fera-
blables couleurs dont on en fait
tme infinité qui peuvent toujours
être en fimpathie.
Et celles qui font terrefires ont
au contraire une pefanteur qui par
Je mélange abforbatla douceur êç
la légèreté des aériennes.
Il eli difficile de trouver la vé-
ritable raifon Phyfique , pourquoi
une couleur e& aérienne ou rerreC
ïre. Il ei} pourtant aîfé 4e £onclu-
-ocr page 340-
336        Cours de Peinture
re que les couleurs lumineufes font
douces &c aériennes , &. qu'en les
mêlant enfemble elles s'accordent
entr'elles •. mais il eft confiant aufli
que certaines couleurs belles, dou-
ces & lumineufes, bien loin de s'ac-
corder ,fe détruifent parle mélan-
ge tel eft le bel outremer accom-
pagné de blanc, avec le beau jau-
ne &. le beau vermillon. Et quoi-
que ces couleurs feules auprès'l'une
de l'autre foient d'un grand éclat,
elles font lorfqu'elles font mêlées,
une couleur de terre la plus vilaine
du monde.
Delà on peut tirer cette confe-
quence , qu'une des plus grandes
preuves de la iimpathie £c de l'an-
tipathie qui eft entre les couleurs
placées l'une auprès de l'autre, le
tire de la troilftme couleur qui re-
faite du mélange des deux qui l'ont
çompofée • car ft cette troifiéme
couleur çompofée marque par là'
faleté la deftruftion des deux qui la
convpoienT,'dl faut inférer que ces
-ocr page 341-
par Principes.         285
deux couleurs font antipathiques ;
fi au contraire leur mélange fait
une teinte douce 6c agréable, qui
tienne de leur première qualité,
c'eft une marque infaillible de leur
harmonie.
Le corps des couleurs eft encore
un autre principe pour juger de
leur deftru&ion par le mélange.
Car il y a des couleurs qui ont tant
de corps, qu'elles ne peuvent fouf.
frir aucune autre couleur, fans la
dépouiller prefqu'entierement de
Ces qualités naturelles : telles font
l'occre de Rut, la terre-d'ombre,
l'indigo , & d'autres à proportion.
Mais quand l'Art & la raifon n'e-
xïgeroienr pas les accords de cou-
leurs, la Nature nous les montre,
& y oblige prefque toujours ceux
mêmes qui ne la copient que fer-
vilement. Car foit que l'on confi-
dere la lumière ou directe fur les
jours, ou reflchie dans les ombres,
elle ne peutfe communiquer qu'en
communiquant fa couleur qui efl
P
-ocr page 342-
3 3 8        Cours de Peinture
tantôt d'une façon ôc tantôt d'une
autre. Nous en avons l'expérien-
ce dans la lumière du Soleil, qui
eft à midi bien différente en quali-
té de ce qu'elle eft le foir ou le ma-
tin -, èc la lune a tout de même une
couleur particulière, auffî-bien que
la lueur du feu ,ou celle d'un flam-
beau.
Avant que de quitter cet arti-
cle qui regarde l'harmonie dans le
coloris, je dirai que les glacis font
un très-puiffant moyen pour arri-
ver à cette fuavité de couleurs fi.
néceiTaire pour l'exprefîîon duV rai.
Peu de gens les entendent : parce-
que l'on n'en acquière ordinaire-
ment la connoiflance, que par une
longue expérience accompagnée
d'un bon jugement. Trop heureux
celui qui en voyant les ouvrages
des grands Maîtres, a les talens de
pénétration à cet égard.
Je dirai encore pour înliruire les
amateurs de Peinture quitn?ont
çoint de pratique en cet Ar , que
-ocr page 343-
far Principes.           339
les glacis fe font avec des couleurs
tranfparentes ou diaphanes, & qui
par confequent ont peu de corps,
lefquellesfepaffent en frottant lé-
gèrement avec une broife fur un
ouvrage peint de couleurs plus
claires que celles qu'on fait palTer
par-defïùs, pour leur donner une
f uavité qui les mette en harmonie
avec d'autres qui leur font voifines.
Après avoir parlé de l'union des
couleurs , il eft bon de dire deux
mots de leur opposition. Les cou-
leurs font oppofées entr'elles, ou
dans leur qualité naturelle^ com-
me telle couleur Amplement ; ou
en lumière èc ombre , comme fai-
faut partie du Claîr_obfcur.
L'oppofîtion dans la qualité des
couleurs s'appelle antipathie. Elle
eft entre des couleurs qui voulant
dominer l'une fur l'autre, fe detrui-
fent par leur mélange , comme
l'outremer & le vermillon 3 &. la
contrariété qui eft dans le Clair-
obfcurn'eft qu'une flmple oppoû-
-ocr page 344-
34-o Cours de Peinture
tion de la lumière à l'ombre ians
aucune deftru&ion.
Car encore qu'il n'y ait rien,
par exemple > qui paroifle plus op-
pofé que le blanc &; le noir, dont
l'un reprefente la lumière, & l'au-
tre la privation de la lumière, ils
confervent cependant dans leur
mélange une efpece d'amitié qui
n'eft fufceptible d'aucune deftruc,
tion. Le blanc Se le noir çnfemble
font un gris doux qui tient de l'une
ôc de l'autre couleur -,&c ce qui pa-
raîtra comme noir par oppofition
au blanc tout pur, îemblera coni-
meblanc, fi ortie met auprès d'un
grand noir.
L'on doit raifonner de la même
manière à l'égard de toutes les au-
tres couleurs, où le plus ou le moins
de lumière ne change rien à leur
qualité.
Il eft confiant que cette union 6ç
cette oppofition fe trouvent entre
certaines couleurs : mais la difficuL
té d'en bien expliquer la c.aufe,fait
-ocr page 345-
far Principes.         341
que je renvoie le Peintre ftudieux
à Tes propres expériences,^ aux fo-
iides réflexions qu'il doit faire fur
les ouvrages les plus beaux en ce
genre, èc qui font très-rares, par-
ce que les Tableaux harmonieux
font en petit nombre : car depuis
près de 300 ans que la Peinture
eft refTufcitée , à peine peut-on
compter fix Peintres qui ayent bien
colorié 5 au lieu que l'on en comp-
tera pour le moins 3 o. qui ont été
très-bons Deflinateurs. Et la raifon
de cela eft que le DelTein a des rè-
gles fondées fur des proportions,
fur l'Anatomie 6c fur une expérien-
ce continuelle de la même chofe;
au lieu que le coloris n'a point en-
core de règles bien connues, & que
l'expérience qu'on y fait étant pref
que toujours différente à caufedes
differens fujets que l'on traite , n'a
pu encore en établir de bien pre-
eifes. Ainfî je fuis perfuadé que le
Titien a tiré plus de fecours de fa-
longue & fttidieufe expérience avec
-ocr page 346-
342- Cwr* de Pein mre
la grande folldité de Ton jugement' ,
que d'aucune règle démonftrauve
qu'il eût établie dans fon efpnt,
pour lui fervir de fondement. Je ne
diraipas la même chofe deRubensj
celui-ci cédera toujours au Titien
pour les couleurs locales:mais pour
les principes de l'harmonie , îleo
avoit trouvé de folides qui le fai-
foïent opérer infailliblement pour
l'effet & pour l'accord du Tout-en-
iemble.                                     .
Suppofé ce que je viens de dire
de Titien & de Rubens, ceux qui
veulent devenir habiles dans le co-
loris , ne fauroient mieux faire que
de regarder les Tableaux de ces
deux grands Maîtres, comme au-
tant de livres publics capables de
les inftruire. Il n'y a qu'à bien exa-
miner leurs ouvrages , les copier
pendant quelque tems pour les bien
comprendre, & faire deflus toutes
les remarques qu'on croira necei-
faires pour s'en faire des principes.
Mais il eft vrai aufïi que toutes
-ocr page 347-
,far Principes.        345
fortes de perfonnes ne font pas ca-
pables d'entendre tous les livres Se
d'en profiter, il faut pour cela avoir
l'efprit tourné d'une manière à ne
remarquer que ce qui eft remarqua-
ble^ à pénétrer les véritables eau-
{es des effets que l'on admire dans
les beaux ouvrages.
Il y a des Peintres qui ont copié
leTïtien durant beaucoup detems,
qui l'ont examiné avec ïoin,& qui
ont fait deflus toutes les reflexions
dont ils ont été capables : mais qui
pour n'avoir pas fait celles qu'ils
dévoient, ne l'ont jamais compris.
Et c'eft pour cela que les copies
qu'ils ont faites avec tout le loin
poffible, & qu'ils croyoient dans
une grande exactitude,font encore
fort éloignées de la conduite qui fe
trouve dans les originaux. Quel-
ques-uns des plus lia biles & très-ca-
pables de folides réflexions les font
copier, pour jouir de la vue de ces
belles chofes,& pour en profiter, &
cela eft très-louable -.mais s'ils vou-
P iiij
-ocr page 348-
344 Cours de Peinture
loient fe donner la peine d'en co-
pier eux-mêmes du moins les plus
beaux endroits , ils les penetre-
roient tout autrement que par la
fimple vue\ &. le profit qu'ils y
cherchent en feroit fans comparai-
fon plus grand.
Il eft vrai que les originaux &
tous les Tableaux bien entendus de
lumières & de couleurs font rares,
& la difficulté de les avoir pour
quelque tems eft aftez grande. Mais
l'amour eft ingénieux , & quand on
aime véritablement on ne trouve
rien de difficile. Enfin pour obtenir
les bonnes grâces de la Peinture ,
le plus sûr moyen eft de les méri-
ter par les foins, par le travail, &
par les reflexions que demande cet
Art 3 & par ces moyens on acquiè-
re infailliblement l'intelligence &t
la facilité. Il eft conftant que l'on
trouve peu de bons Tableaux à co-
pier. Mais fi l'on ne peut avoir tou-
jours des originaux , que l'on fe
contente de belles copies, que l'on
-ocr page 349-
far Principes.          345
en choififfe feulement les bons en
droits, & qu'on néglige fi l'on veut-
le relie, que l'on voie fouvent les
Cabinets des Particuliers* : mais
celui du Roi, & de Monfeigneur le
Duc d'Orléans, toutes les fois que
l'on pourra,-
Nous avons encore la Gallerie du
Palais de Luxembourg qui eft un
des plus beaux ouvrages de Ru-
bens 5 & Rubens eft, ce me femble,
celui de tous les Peintres qui a ren-
du le chemin qui conduit au colo-
ris plus facile & plus debarafle.
L'ouvrage dont je parle eft la main
fecourable qui peut tirer le Peintre
du nauffrage où il fe feroit inno-
cemment engagé.
J'ai toujours eftimé cet ouvrage
comme une des plus belles choies
qui foient dans l'Europe, fi l'on en
retranchoit en plufieurs endroits le
goût du Dc-fTein , dont il n'eft pas
queftion prefentement. Je fai bien
que tout le monde n'eft pas de mon
fentiment fur les ouvrages de Ru-
P v.
-ocr page 350-
346 Cours de Peinture
bens, & que d'un fort grand nom
bre de Peintres & de curieux qui
s'oppofcient de toutes leurs forces
à mes fentimens, lorfque je déter-
rai , ( fi je l'ofe dire ainfî ) le mé-
rite de ce grand ho-mme quïn'éroit
regardé que comme un Peintre peu
au deflfus du médiocre. De ces gens,
la, di-je , il en eft encore refté qui
fans diftinétion des différentes par-
ties de la Peinture, c'eft-à-dire du
coloris même , dont il s'agit ici ,
n'eftiment que la manière Romai-
ne, le goût du Pouffinâ& l'Ecole des
Caraches.
Ceux donc qui font reftés, com-
me je viens de dire, dans leurs mê-
mes fentimens , objectent entr'-
autre chofe, qu'on trouve peu de
vérité dans les ouvrages deRubens,
quand on les examine de près, que
les couleurs ôc les lumières y font
exagérées ; que ce n'eft qu'un fard,
& qu'enfin ce n'eft point ainfî que
l'on voit ordinairement la Nature.
Il eft vrai que c'eft un fard ;mais
-ocr page 351-
par Principes*         34^
ri feroit à fouhaiter que les Ta-
. bleaux qu'on fait aujourd'hui, fui!
fent tous fardés de cette forte.L'on
fait afïèz que la peinture n'eft qu'un
fard , qu'il eft de'Ton elTence de
tromper , &; que le plus grand
trompeur en cet Art, eft le plus
grand Peintre. La Nature eft in-
grate d'elle-même , & qui s'atta-
cheroit à la copier iîmplemenc
comme elle eft -Se fans artifice, fe-
roit toujours quelque chofe de pau-
vre & de très-petit goût. Ce que
l'on nomme Exagération dans les
couleurs $c dans les lumières, eft
l'effet d'une profonde connoiflan-
ce de la valeur des couleurs , &
une admirable înduftrie qui fait
paroître les objets peints plus vrais
( s'il faut aînfï dire ) que les véri-
tables mêmes. C'eft dans ce fens
que l'on peut dire que dans les Ta-
bleaux de Rubens l'Art eft audef-
fus de la Nature, laquelle femble
en cette oceafîon n'être que la co-
pie des ouvrages de ce grand Pein-
Pvj
-ocr page 352-
348 Cours de Peinture
tre :èc quand les chofes,après avoir
été bien examinées, ne le trouve-
roient pas juftes, comme on les ,
fuppofe, qu'importe après tout ,
pourvu qu'elles le paroiffent -, puif-
que la fin de la Peinture n'eft pas
tant de convaincre l'efprit que de
tromper les yeux.
Cet artifice paroîtra toujours
merveilleux dans les grands ouvra-
ges 3 car c'eft lui qui dans les dif-
tances proportionnées à la gran-
deur des Tableaux ,foûtientle ca-
ractère des objets particuliers & du
Tout-enfemble ^ & fans lui, en s'é-
loignant de l'ouvrage , l'ouvrage
s'éloigne du vrai, & tombe dans
l'infîpidité de la Peinture ordinai-
re. C'eft dans ces grands ouvrages,
où l'on voit que Rubens a rendu
cette favante exagération plus heu-
reufe Se plus fenfible ; mais princi -
paiement à ceux qui font capables
d'y faire attention, & de l'exa-
miner : car aux perfonnes qui ne
s'y connoifTent que peu , rien n'éft
-ocr page 353-
far Principes.          349
plus caché que cet artifice.
Celui qui de tous les Difciples
de ce rare homme a le plus profi-
té des inftructions de ion Maître,
a été Vandeik, &. l'on ne peut en
parlant de Rubens fe difpenfer de
Faire un cas particulier de cet illul-
tre Difciple ; puifque s'il n'a~pas
eu tant de génie que fon Maître
pour les grandes exécutions, il l'a
îurpafTé en certaines finefles de
l'Art, & il eft confiant qu'il a fait
généralement parlant fes Portraits
plus délicats, fie d'une liberté de
pinceau au deflus de tout ce qui
s'eft fait en ce genre.
Après avoir expofé fincerement
ce que je penfe fur le coloris, &
fur les parties qui en dépendent ,
il me refte encore à répondre à
ceux qui croient qu'on ne peut
pofleder tout enfemble le DefTein
& le colons, & la plus forte rai-
fon qu'ils en donnent, c'eft, difent
ils , qu'en s'attachant au coloris
on néglige le Deffein , & que les
-ocr page 354-
■ 5 fo Ç$#r/ flV Peinture
charmes de celui-ci faîc oublier la
néceffité de l'autre.
A quoi il eft aile de répondre,.
que fi. cela arrive ainfi, ce n'eft pas
la faute du coloris, maïs de l'ef-
pritquiatrop peu d'étendue pour
s'appliquer à deux choies en mê-
me tems. Ce ne font pas de ces for-
tes d'efprits que demande la Pein-
ture 3 elle n'admet pour fes favoris
que ceux qui font capables d'em-
braiïèrplufieurs objets,ou quifont fi
bien tournés, qui de fa vent fi bien
fe ménager , qu'ils ne s'attachent
qu'aux chofes qui doivent aug-
menter par degrés leur connoif.
fance. Les nouvelles études qu'ils
entreprennent ne leur font point
oublier celles qu'ils o-nt deja fai-
tes 5 au contraire ils fortifient les
unes par les autres, &c s'efforcent
de les acquérir toutes, comme des
moyens héceflaîres pour arriver à
leur fin. C'eft de ce cara6fcere qu'é-
toit l'efprit de Raphaël. L'ordre
& la netteté avec laquelle il con-.
-ocr page 355-
far Principes.          5 j i
cevoit les chofes, ne lin ont jamais-
permis de rien oublier 5 il augmen-
toic toujours fes connoifïances, &
fortifioît lesnouvelleslumîeres qu'il
acqueroit, par celles qu'il avoir dé-
jà acquifes.
Après la connoifTanee des cou-
leurs , vient celle de leur emploi,.
de leur ménagement,^ de leur tra-
vail -, Se dans l'exercice de ces trois
chofes confifte la plus grande fatif-
faclion du Peintre.,
Seneque en parfant de l'agré-
ment de la Peinture , dît , que le
plaifïr qu'elle donne en peignant
eft bien plus grand que celui que
l'on reçoit de l'ouvrage , lorsqu'il
eft entièrement fini. Je fuis abfolu-
ment de cet avis, parce qu'en tra-
vaillant on manie à fon gré les
principes , &. les fecrets de l'Art %
on leur commande ( pour ainfî di-
re ) &C chacun les fait obéir félon
l'étendue de fa capacité Se de fon
génie j au lieu que l'ouvrage étant
fait, il commande à fon Auteur &
-ocr page 356-
fl Cours de Peinture'
6 le contraint de fe contenter du
fuccès en quelque état qu'il puiiTe
être.
Voici quelques maximes tou-
chant l'emploi des couleurs.
Pline dit, que les Anciens pei-
gnoient avec quatre couleurs feu-
lement , dont ils compofoîent leurs
teintes. Mais il eft à croire que ce
n'étoit que pour préparer le fond,
à recevoir les couleurs qui donnent
la fraîcheur, la vigueur &. Pâme à
l'ouvrage.
Il faut apprendre à bien voir la
Nature pour la bien reprefenter.
Il y a deux manières de la colorier,
la première dépend de l'habitude
que ceux qui commencent à Pein-
dre fe forment , & l'autre com-
prend la véritable connoiflànee
des couleurs dont on fe fert , ce
qu'elles valent l'une auprès de l'au-
tre , èc le jufte tempérament de
leur mélange pour imiter les di-
verfes couleurs de la Nature.
La mémoire de l'homme- eft
-ocr page 357-
far Principes. 353
fouvent bornée à un petit nombre
didées au de-là desquelles il eft
contraint de repeter. Le Peintre
n'a qu'un moyen d'éviter l'ennui
de la répétition , c'eft d'avoir re-
cours à la fource inépuisable de la
Nature. Il eft même bon de pré-
venir là-defTus les momens de fes
befoins , & de faire d'après le vrai
des études différentes des objets
naturels extraordinaires dans tous
les genres de Peinture , & iur du
papier huilé afin de s'en fervir dans
î'occafion.
L'harmonie de la Nature dans
fes couleurs, vient de ce que les
objets participent les uns des au-
tres par les reflets.Car il n'y a point
de lumière qui ne frappe quelque
corps, & il n'y a point de corps
éclairé qui ne renvoie fa lumière
&fa couleur en même tems, félon
le degré de la vivacité de la lumiè-
re , & la variété de la couleur.
Cette participation des reflets dans
la lumière & dans la couleur, fait
-ocr page 358-
3 j4 Cours de Peinture
cette union de la Nature , & cette
harmonie que le Peintre doit imi-
ter j d'où il s'enluit que le blanc &C
le noir font rarement bons dans les
reflets.
La variété des teintes à peu près
dans le môme ton, employée fur
une même figure, Scfouvent fur ,
une môme partie avec modération
lie contribue pas peu à l'harmonie.
Le tournant des parties •& les
contours qui fe perdent infenfible-
ment dans leur fond , & qui s'y
évanouiffent avec prudence, lient
les objets &, les tiennent dans l'u-
nion principalement en ce qu'il
femble conduire nos yeux au de-
là de ce qu'ils voient,. & les per-
fuader qu'ils voient ce qu'ils ne
voient pas; c'eft-à-dire,la continui-
té que l'extrémité leur cache.
L'exagération des couleurs à la-
quelle le Peintre eft obligé d'avoir
recours à eaufe de la fuperfîcie de
fon fond, de la diftance de fon ou-
vrage , & du terns qui diminue
-ocr page 359-
far Principes*         3 y 5
toutes chofes, doit être ménagée
de manière qu'elle ne fa (Te point;
fortir l'objet de fon cara&ere.
Il faut ériter autant qu'on le
peut de repeter la même couleur
dans le même Tableau , mais on
peut bien en approcher par princi-
pe d'union & d'élégance. Il y en a
un bel exemple dans leTableau des
noces de Cana de Paul Veronefe,
où. l'on voit plufieurs blancs & plu-
fieurs jaunes renfermés harmonieu-
fement.
L'œil fe laflè des mêmes objets,
il aime la variété bien entendue 5
& en toutes chofes la répétition eit
la mère du dégoût.
En Peinture comme en autre ma-
tière , les chofes ne valent que par
comparaifon. La pratique & l'ex-
périence rendent favant en cette
partie.
Le mélange de certaines cou-
leurs qui en diminue la force, ou
qui les met en harmonie avec d'au-
tres „ leur donne le nom de couleurs
-ocr page 360-
5 56 Cours de Peinture
rompues. On peut en faire une in-
finité de fortes : & Paul Veronefe
s'y eft fi heureufement attaché ,
qu'il peut fervir d'un bon modèle
en cette partie.
Il eft à remarquer que pour j
réuffir, il a affe&é de le fervir de
couleurs lumineufes qu'il a rendues
fenfibles par des fonds encore plus
lumineux. Il avoit beaucoup de
goût pour les étoffes travaillées &
d'une couleur douce ; &. fa plus
grande dépenfe étoit pour en ache-
ter , afin de les peindre d'après le
vrai.
Il y a lieu de s'étonner qu'avant
Raphaël, Se même de fon tems ,
les Peintres fuffent fi jaloux de
leurs contours,qu'ils n'avoient au-
cun foin de les lier avec leur fond,
Se qu'ils n'euflènt pas entendu par-
ler de la manière dont les anciens
Auteurs louent ces paftages fondus
d'un objet à un autre.
Il y a apparence en effet qu'ils
n'en avoient pas ouï parler, èc
-ocr page 361-
far Principes,         3 j.7
qu'ils ne favoient rien de meilleur
que d'obferver leur régularité dans
h. préciiion des contours , tant ii
eft vrai qu'il y a des tems & des païs
où l'on rat aveuglemeJit les maniè-
res qui s'y pratiquent, & où les
plus habiles gens entraînent leurs
.élevés.qui les regardent comme in-
faillibles. D'où il eft aifé de juger
que cJeft an grand bonheur à ceux
;qui fe deftinent à la Peinture, que
de tomber fous la difcipline d'un
habile homme. Mais voici ce qui
arrive pour l'ordinaire
Après que l'Etudiant s'eft acquis
dans le Deffein autant de capaci-
té qu'il eft néceflaire, & après
qu'il s'eft déterminé à embraffer la
profeffion de Peintre, il fe met or^
dinairement fous la difcipline d'un
Maître dont il fuit les fentimens ,
6i dont il copie les ouvrages ^ d'où
il arrive infailliblement que dans
la fuite fes yeux & fon efpric s'ac*
coûtument tellement aux ouvra-
ges de fon Maître, qu'il voit touç
-ocr page 362-
3 5 S        Cours de Peinture
le refte de fa vie la Nature colorée
comme fon Maître s'eft accoutu-
mé de la peindre. Mais ce qui eft
d'extraordinaire, c'eft que fuppofé
que le Maître 6c l'Elevé voyent la
Nature très mal, c'eft-à-dire, d'u-
ne autre couleur qu'elle n'eft en ef-
fet , & qu'on leur prefente des Ta-
bleaux du Titien ou de quelque au-
tre bon colorifte, ils admireront
les Tableaux & continueront ce-
pendant d'employer les mêmes
teintes &. le même coloris dont ils
ont accoutumé de fe fervir , tant
leur habitude a prévalu , & tant il
eft difficile de la quitter.
Que peut-on conclure de là, fï-
non qu'il faut que l'habitude leur
ait gâté les yeux, ou que le Peintre
ne prenne pas allez de foin de fe
corriger : mais un changement to-
tal eft fort rare, parce qu'il eft cer-
tain que d'un côté l'habitude cau-
ie de l'altération dans les organes,
& que d'un côté il eft très-diffici.
le de changer une manière à la-
-ocr page 363-
par Principes.          359
.quelle on eft accoutumé , &. où
l'on trouve de la facilité dans
l'exécution , pour en prendre une
autre dont Pacquifîtion couteroit
beaucoup de peine. Que l'Elevé
s'examine là-deflîis , bc que fans
perdre courage après avoir recon-
nu la bonne voie, il s'efforce de la
fuivre.
Par le peu de chofes que je viens
de dire touchant l'exercice actuel
de la Peinture , j'avoue que j'en
pafTe beaucoup fous filence qui re,
gardent l'exécution &c la pratique j
mais comme je n'ai appris ce que
j'en pourrois communiquer qu'en
examinant avec beaucoup de ré-
flexion les ouvrages des grands
Peintre, ,& fur-tout ceux de Titien
& de Rubens ; & que fur- tout les
Studieux de Peinture peuvent pui,
fer à la même fourçe ; je les ren-
voi à ces deux Peintres, à Rubens
premièrement, parce que les prin-
cipes en font plus fenfîbles & plus
ailés à pénétrer ; puis à Titien qui
-ocr page 364-
. ,go Cours âe Peinture
fcmble avoir encore parte la lime
Le le Titien a fait ientir dans une
diftancelégitime,plus de vente:&
de précifioa dans fes couleurs lo-
çalePS,ayantlaiiréàRubensleta
lent des grandes composions , &
rartifice^de faire entendre de plus
loin l'harmonie de fon Tout-en.
iemble.
DV
-ocr page 365-
fdr Principes.          ~ySf
qp3P3P^pqpqp3P3Pqp^P3pq
BVCLA JR-0 BS CV R:
LA fcience des lumières & des
ombres qui conviennent à la
Peinture, eft une des plus impor-
tantes parties, & des plus eflentiel-
les de cet Art. Nous ne voyons que
par la lumière, & la lumière attire
& attache plus ou moins fortement
nos yeux , félon qu'elle frappe du
verfement les objets de la Nature.
Le Peintre qui eft imitateur de ces
mêmes objets, doit donc connoî-
tre & cho'ifir les effets avantageux
de la lumière , pour ne pas perdre
les foins qu'il aura pris d'ailleurs
pour fe rendre habile.
Cette partie de la Peinture con-
tient deux chofçs, l'incidence des
lumières & des ombres particuliè-
res , & l'intelligence des lumières
&c des ombres générales s que l'on
appelle ordinairement le Clair-ob-
0.
-ocr page 366-
3 6 ?, Cours de Peinture
fcur : 6c quoique félon la force des
mots, ces deux chofes n'en paroif.
fent qu'une feule j elles font néan-
moins fort différentes félon les
idées qu'on s'eft accoutumé d'y
attacher.
L'incidence de la lumière con-
fifle à favoir l'ombre que doit fai-
re 6c porter un corps fitué fur un
tel plan, 6c expofé à une lumière
donnée. ( Et c'effc une connoiffance
que l'on acquiert facilement dans
tous les livres de perfpe&ive auf-
quels on peut avoir recours. ) Ainiî
par l'incidence des lumières l'on^n-
tend les lumières 6c les ombres qui
appartiennent aux objets particu-
liers. Et par le mot de clair-obfcur ,
l'on entend l'Art de distribuer
avantageufement les lumières 6c les
ombres qui doivent fe trouver dans
un Tableau, tant pour le repos 6:
pour la fatisfaclion des yeux, que
pour l'effet du tout-enfemble.
L'incidence de la lumière fe dé-
montre par des lignes que l'on fup-
-ocr page 367-
far Principes.          y g.
pofe tirées de la fource de la mê-
me lumière fur un corps qu'elle
éclaire. Elle force & néceffite le
Peintre à lui obéir : au lieu que le
clair-obfcur dépend absolument
de l'imagination du Peintre. Car
celui qui invente les objets eft maî-
tre de les difpofer d'une manière à
recevoir les lumières & les ombres
telles qu'il les defire dans fon Ta-
bleau , fk. d'y introduire Jes acci-
dens &c les couleurs dont il pourra
tirer de l'avantage. Enfin comme
les lumières & les ombres particu-
lières font comprifes dans les lu-
mières & dans les ombres généra-
les, il faut regarder le clair-obfcur
comme un tout, jfe l'incidence de
la lumière particulière comme une
partie que le clair-obfcur fuppofe.
Mais pour une entière intelligen-
ce du clair-obfcur , il eft bon de
favoir que fous le mot de Clair, il
faut entendre , non-feulement ce
qui eft expofé fous une lumière dL
-ocr page 368-
3 64. Cours de Peinture
re&e , mais auffi toutes les couleurs
qui font lumineufes de leur Natu-
re; &; par le mot â'Obfcur , il faut
-entendre non-feulement toutes les
ombres caufées directement par
l'incidence , èç par la privation de
la lumière ; mais encore toutes les
couleurs qui font naturellement
brunes^en forte quefousl'expofition
de la lumière même , elles con-
fervent de l'obfcurité, ôcfoient ca-
pables de groupper avec les om-
bres des autres objets. Tels font,
par exemple , un velours chargé,
une étoffe brune, un cheval noir,
des armures polies , &: d'autres-
chofes femblables qui confervent
leur obfcurité naturelle ou appa-
rente à quelque lumière qu'on les
expofe.
Il y a encore à ob fer ver que le
clair-obfcur qui renferme $c qui
fuppofe l'incidence de la lumière
& de l'ombre, comme le tout ren-
ferme fa partie, regarde cette m£-
-ocr page 369-
par Principes.          j éf
Me partie d'une manière quï lui eft
particulière : car l'incidence de la
lumière & de l'ombre ne tend qu'à
marquer précifémerft les parties
éclairées & les parties ombrées ;
& le clair-obfcur ajoute à cette
préçinon , l'Arc de rendre les ob-
jets plus de relief, plus vrais & plus
ienfîbles. J'ai démontré ailleurs
cette propofition, je n'en répéte-
rai point ici les preuves. Voilà la
différence qu'il y a entre le clair-
obfcur & l'incidence de la lumiè-
re. Reprenons maintenant l'idée
du premier ,,&difons que le clair-
obfcur eft l'Art dediftribuer avan-
tageusement les lumières &'les om-
bres-, & furies objets particuliers
& dans le gênerai du Tableau. Mais
quoique le clair-obfcur compren-
ne la fcience de diftribuer toutes
les lumières & toutes les ombres ,
il s'entend plus particulièrement
des grandes lumières & des gran-
des ombres ramaiTées avec une in-
duilrie qui en cache l'artifice. Ceft
-ocr page 370-
3 <>6 Cours de Peinture
dans ce fens que le Peintre s'en
fert pour mettre les objets dans un
beau jour , en donnant occafîon à
la vue de fe repofer d'efpace en
efpace par une ingenieufe diftribu-
tion d'objets, de couleurs, & d'ac-
cidens. Trois moyens qui condui-
fent à la pratique du clair-obfcur,
comme je vais tâcher de le faire
voir.
PREMIER MOYEN.
Parla distribution des Objets.
La diftribution des objets for-
me des maries de clair-obfcur ,
lorfque par une induftrieufe ccco-
nomie on les difpofe de manière
que ce qu'ils ont de lumineux fe
trouve joint enfemble d'un côté ,
&. que ce qu'ils ont d'obfcur fe
trouve lié enfemble d'un autre cô-
.té , & que cet amas de lumières &
d'ombres empêche la diflîpati a
de notre vue. C'eft ce que le Ti~
-ocr page 371-
par Principe s".          367
tien appelloic la grappe de raifm .•
parceque les grains de raifin fepa-
rés les uns des autres auroient cha-
cun fa lumière & fon ombre' éga-
lement 5 & partageant ainfî la vue
en plufieursrayons,lui cauferoient
de la confufion : au lieu qu'étant
tous rafiemblés en une grappe , ôc
ne faifant par ce moyen qu'une
maffe de clair , &: qu'une mafTe
d'ombre, les yeux les embrafTent
comme un feul objet. Ce que je dis
ici de la grappe de raifin ne doit
pas être pris groffierement à la let-
tre , ni félon l'arrangement, ni fé-
lon la forme , c'eft une comparai-
fon fenfible qui ne fignifie autre
chofe que la jon&ion des clairs,
& la jonction des ombres.
SECOND MOYEN.
Par le corps des Couleurs.
La diftribution des couleurs con-
tribue aux maflès de clairs & aux
QJHj
-ocr page 372-
3 6 $ Qours de Peinture
maffes d'ombres, fans que la lu-
mière directe y contribue autre
chofe que de rendre les obfcure vi-
ables : cela dépend de la fuppofi-
tion que fait le Peintre qui eft li-
bre d'introduire une figure habil.
lée de brun,qui demeurera obfcure
malgré la lumière dont elle peut -
être frappée, & qui fera d'autant
plus fon effet qu'elle en cachera,
l'artifice. Ce que je dis d'une cou-
leur peut s'entendre de toutes les
autres coul'eurs félon le degré de
leur ton, & félon le befoin qu'en
aura le Peintre.
TROISIEME MOYEN,
Par les Accident.
£a diftribtitfon des Accidens peut
fervir à l'effet du clair-obfcur, ou
dans la lumière , ou dans les om-
bres. Il y a des lumières & des om-
bres accidentelles : la lumière ac-
cidentelle eft celle qui eft acceflbu
-ocr page 373-
far Principes'.           369
fe au Tableau , & qui s'y trouve
par accident, comme la lumière
de quelque fenêtre, ou d'un flairu.
beau , ou de quelque autre caufe
lumineufe , laquelle eft: pourtant
inférieure à la lumière primitive.
Les ombres accidentelles font, par
exemple, celles des nuées dans un.
Païfage , ou de quelqu'autre corps
que l'on fuppofe hors du Tableau,
& qui peut caufer des ombres avan;-
tageufes. Mais en fuppofant hors:
du Tableau la caufe de ces ombres
volantes, pour ainfi parler , il faut
bien prendre garde que cette cau-
fe fuppofée foit vraifemblable,.6c
non pas impoffible.
Il me femble que ce font-là trois
moyens dont on peut fe fervir pour
mettre en pratique le clair-obfcur.i
Mais en vain aurois-je parlé de ces
moyens, fi je ne farfois connoître
la néceffité de la fin où ils condui-
sent , je veux dire la néceffité du
claîr-obfcurdans la théorie,^ dans-
[a pratique de la Peinture.
1
-ocr page 374-
370 Cours de Peinture
Entre plusieurs raifons qui dé-
montrent cette néceffité , j'en ai
choifi quatre qui m'ont femblé les
plus eflentielles.
La première eft prife de la ne'-
teffité du choix dans la Peinture.
La 2 e. de la Nature du clair-
obfcur.
La 3 e. de l'avantage qu'il pro-
cure aux autres parties de la Pein-
ture.
Et la 4e. de la conftitutïon gé-
nérale de tous les êtres.
Première Preuve,
Prife ne la nècejjîtè au Choix.
Le Peintre ne Ce contente pas or-
dinairement de la Nature telle que
le hazard la lui prefente, il fait
que par rapport à. l'ufàge qu'il en
veut faire, elle efl prefque toujours
défe&ueufe, & que pour la rédui-
re dans un état parfait, il doit re-
courir à fon Art qui lui enfeigne les
-ocr page 375-
par Principes.          371
moyens de la bien choifir dans tous
fes effets vifibles. Or la lumière &
l'ombre ne font pas moins un effet
vifible de la Nature que les con-
tours du corps humain, que les
attitudes, que les plis des drape-
ries , & que tout ce qui entre dans
la composition d'un Tableau : tou-
tes ces chofes demandent un choix,
&c par confequent la lumière en
demande un auffi : ce choix de la
lumière n'en; autre chofe que l'ar-
tifice du clair-obfcur : l'artifice du
clair - obfcur eft donc une partie
abfolument néceffaire dans la Pein-
ture.
Seconde Preuve, ]
Tirée de de la Mature du Claire
obfcur.
Les fens ont cela de commun ?
qu'ils ont de la répugnance pour
tout ce qui trouble leur attention.
-ocr page 376-
3 7ï Cours de Peinture
Ce n'eft point afTez que les yeux
jmiflent voir, il faut qu'ils embraf-
fent leur objet avec fatisfa&ion ,
6c que le Peintre éloigne tout ce
qui peut leur faire de la peine. Il
eft certain que les yeux ne peuvent
être contens lorfque voulant fe
porter fur un objet, ils en font dé-
tournés par d'autres objets voifîns
que leurs jours ôc leurs ombres par-
ticulières rendent auffi fenfibles
que cet objet même : mais il n'eft
pas moins certain qu'il n'y a que
l'intelligence du clair-obfcur qui
puille procurer à la vue la jouiffan-
ce paifible de fon objet : car, com-
me nous avons dit, c'eft le clair-
obfcur qui empêche la multiplici-
té des angles , Se la diffipation des
yeux par le moyen des Grouppes
de lumières & d'ombres dont il
donne l'intelligence. Ainlîle clair-
obfcur eft d'une extrême confe-
quence dans la Peinture.
-ocr page 377-
far Principes.          373'
Tbloisie'me Preuve*
jPrife de l'avantage que les autres:
parties de la Peinture tirent
du Clair-obfcur..
Il eft néceflaire de bien pofer les
figures, de les dégrader , de bien-
jetter une draperie, d'exprimer les
parlions de l'ame , en un mot de
donner le caractère à chaque objet
par un Deffein jufte & élégant, &
par une couleur locale vraie 6c na-
turelle : mars il n'eft pas moins né-
cefîàirede foûtenir toutes ces par-
ties , 6c de les mettre dans un beau
jour , en les rendant plus capables
d'attirer les yeux, 6c de les tromper
agréablement par la force 6c par
le repos que l'intelligence des lu-
mières générales introduit dans un
Tableau : ce qui prouve l'avanta-
ge que les parties de la Peinture
en reçoivent, & qui établit par con-
séquent la. néceffité. du clair-ob-
fcur«.
-ocr page 378-
3 74 Cours de Peinture
Qjj atrieme Preuve,
Voici encore une preuve qui fer-
vira à fortifier celles que l'on vient
de propofer , elle jeft tirée de la
conftitution générale de tous les
Etres.
Il eft confiant que tous les Etres
du monde tendent à l'imité , ou
par relation, ou par compofition,
ou par harmonie, & cela dans les
chofes humaines comme dans les
divines ; dans la Religion comme
dans la politique ; dans l'Art com-
me dans la Nature 5 dans les facul-
tés de l'ame comme dans les or-
ganes du corps. Dieu efb Un par
l'excellence de fa Nature j le Mon,
de efl Un • la morale rapporte tour
à la Religion qui eft Une, comme
la politique rapporte tout au gou-
vernement d'un Etat. La Nature
Hniverfelle conferve dans toutes fes
productions une unité qui refulte
de pluûeurs membres dans les amU
-ocr page 379-
far Principes.          3 7 j
maux , &: de plufieurs parties dans
les plantes 5 &: l'Art fe fert de plu-
sieurs préceptes dîfferens dont il
fait un feul ouvrage. Les différen-
tes conditions des hommes fervent
pour le commerce, & pour la fo-
cieté, comme les différentes roues
d'une machine fe raffemblent &-
agiffent pour un principal mouve-
ment. Les facultés de l'ame ne font
occupées dans un même moment
que d'une feule chofe pour la bieo
faire, Se les organes du corps ne
peuvent bien jouir dans un même
tems que d'un feul objet : que fi on
leur en prefente plufieurs à la fois,.
ils ne s'attacheront à aucun, & cet-
te multiplicité les partagera,&leur
ôtera entièrement la liberté de leur
fonction. Si dans un difcours public
deux ou trois perfonnes parlent en
même tems du même ton & delà
même force , l'oreille ne faura au-
quel entendre, & ne fera frappée
que d'un bruit confus. De la mê-
me manière fi l'on prefente à la
-ocr page 380-
37^ Cours ie Teinture
vue plusieurs objets feparés & éga-
lement fenfuSles^il efl certain que'
l'œil ne pouvant ramafTer tous ces
objets enfemble , aura dans fa divi-
fion de la peine à fe déterminer.
Ainfi,, comme dans un Tableau il
doit y avoir unité de fujet pour les
yeux de l'efprit, il doit pareille-
ment y avoit unité d'objet pour les
yeux du corps. Il n'y a que l'intelli-
gence du clair-obfcur qui puifTe
procurer cette unité , ni qui puifle
faire jouir la vue paifiblement Si
agréablement de fon objet.
Quand je parle de l'unité d'ob-
jet dans un Tableau, c'eft par rap-
port à l'efpace que l'œil peut rai-
fonnablement embrafler fans être
diftrait par plufïeuf s ob j ets fepar es :
ee qui fe trouve ordinairement dans
un petit nombre de ligures ; car il
y a des Tableaux affez grands &C
& affez chargés d'ouvrage pour
contenir jufqu'à trois Grouppes de
elair-obfcur. Alors les lumières 8C
fcs ombres- de chaque'Grouppe;
-ocr page 381-
far Principes.          fff
étant fuffi fa ni ment étendues, attL
rent les yeux &. les arrêtent queL-
que terns, en leur laiflant néan-
moins la liberté de pafîer d'un;
Grouppe à un autre,,
Mais ces Grouppes d'objets èé
de clair-obfcur dans un même Ta-
bleau ,font tellement des unités t
qu'il y en doit avoir un qui domi-
ne fur les autres. C'eft par cette
raifonque le Peintre eft obligé d'y
faire entrer , autant qu'il fe peut,
les principales figures de fon lujet*
AinficettefubordinationdeGroup-
pes fait encore une unité qu'on
appelle le Tout-enfemble. Il faut
néanmoins remarquer que ces
Grouppes ne doivent être, ni trop
arrangés, ni affedés, ni confus, ni
pareils dans leur forme : car il im-
porte peu à la vue que les maflés
de clair-obfcur foient en figure:
convexe ou en figure concave , ou
de quelque autre manière qu'on,
veuille les reprefenter.
On doit feulement obferves
-ocr page 382-
3 7 $ Cours de Peinture
qu'encore que dans les grands ou-
vrages il faille riécellfairement que
les mâiTes de clair & les maflès
d'ombres Te prêtent les unes aux
autres un mutuel fecours T cepen-
dant il ne faut pas que les malles
d'ombres contribuent lî fort à fai-
re repofer la vue , qu'elles la laif-
fent dans une entière inaction en
faveur des malles claires.
Le Peintre doit en cela imiter
l'Orateur , qui voulant nous atta-
cher à un endroit qu'il a refolu de
nous rendre fenfïble, fait précéder
cet endroit par quelque chofe qui
lui eft inférieure, de après avoir at-
taché fon auditeur à l'objet, ce
même Orateur le delafle en l'entre-
tenant de quelque chofe de mode-
ré , fans le laifTer néanmoins fortir
de fon attention.
Tout de même le Peintre fait
briller dans fon Tableau fes clairs,
8clesfoutientpardesmafTesbrunes,
qui en repofant les yeux ne laîfTent
pas de les entretenir par des objets
moins fenliblesi.
-ocr page 383-
par Principes,          37^
L'on peut même introduire quel-
quefois , mais avec beaucoup de
prudence , quelques objets fingu-
liers, bruns dans les maiTes claires,
de quelques objets clairs dans les
malles brunes, ou pour en reveiller
le trop grand filence, ou pour dé-
tacher quelques figures , ou pour
ne laifTer aucune affe&ation dans
l'ouvrage. Enfin il me paroît qu'il
eft a propos que le tout fe rencon-
tre dans une heureufe difpofition
comme il le hazard en avoit ainfl
ordonné.
J'avoue pourtant qu'il n'eft pas
;donné à tous les Peintres de cacher
de cette manière l'artifice du clair-
obfcur,& de l'exécuter avec indu-
fine. C'eftune partie qui demande
d'autant plus de reflexion & de de-
licatefTe, qu'elle trouve une nou-
velle difficulté dans chaque nou-
veau fujet. Elle veut de ces génies
qui fe font ouverture par tout, 6c
qui favent fortir heureufement de
toutes-leurs entreprifes.
;
-ocr page 384-
| Bo Cours de Peinture
On pourrait ajouter ici pour ut!
lurcroîc de preuve de la force & de
la néceffité du clair-obfcur , les
louanges que les Peintres donnent
tous les jours aux ouvrages où cet-
te partie fe fait fentir, & aux Pein-
tres qui l'ont poifedee.
En effet qui fera réflexion fur le*
avantages que toutes les parties de
la Peinture tirent de celle-ci ,
avouera qu'un ouvrage de Peintuu
re dénué de clair-oblcur,demeure-
ra foible & infipide quelque cor-
rect qu'en foit leDdîèin, & quel-
que fidèles qu'en foient les cou-
leurs locales & particulières. Au
lieu qu'un Tableau où le Defîein
&les couleurs locales font médio..
cres, mais qui font fbutenues par
l'artifice du clarr-obfcur, ne lailTe-
ra point pafler tranquilement fon
Speclateur, il l'appellera , il l'ar-
rêtera du moins quelque tems, eut-
il même de l'indifférence pour la
Peinture. Que ne fera-ce point, fî
avec le clair-obfcur les autres par-
-ocr page 385-
far Principes.         381
ties s'y rencontrent dans un louable
degré de perfeâion,,& que l'ouvra-
ge tombe Tous les yeux d'un curieux
éclairé , ou d'un amateur fenilble ?
J'ai crû qu'il ne feroit pas hors
de propos de donner ici les princL.
pales démonftrations de l'effet du,
clairrpbfcur, pour remettre le Le-
jcteur au fait de tout ce qui en a été
dit.
La première figure prouve l'uni-
té d'objet, comme nous l'avons dés
ja fait voir dans le Traité de la Dif.
poiîtion. Il y a de plus ici une dér
monftration des objets qui entrent
dans le Tableau, & qui font en ptr-
(pe.6live.Les uns &c les autres objets
diminuent également de force en
s'éloiVnant du centre de Javifitfn,
Toute la différence qui eft entre
eux,c'eft que les objets qui rentrene
diminuent de grandeur en s'éloi-
gnant du centre de la vifïon , félon
les règles de la perfpective 5 §£ quf
ceux qui s'étendent feulement à
droit & à gauçlie, s'effacent pas
-ocr page 386-
3 S % Cours de Peinture
l'éloignement, fans diminuer de
forme ni de grandeur.
La féconde fait voir comme on
doit traiter un objet particulier,
pour lui donner du relief, qui eft.,
d'employer fur le devant les lumiè-
res les plus vives & les ombres les
plus fortes, félon les couleurs qui
conviennent à cet objet, en con-
fervant toujours les reflets fur les
îournans du côté de l'ombre.
La troifiéme eft pour pouver la
néceffité des Grouppes pour la fa-
tisfa&ion des yeux , qui étoit la
grande règle du Titien, & qui doit
l'être encore aujourd'hui pour ceux
qui voudront obferver dans leur
Tableau, cette unité d'objet qui
avec les couleurs bien entendues,
en fait toute l'harmonie,
La quatrième eft une conviction
de la néceffité «d'obferver l'unité
d'objet, en formant des Group-
pes dans la compofîtion des Ta-
bleaux , félon leur grandeur ,
& le nombre des figures ; car ,
-ocr page 387-
p«?
Clair obscur à ans un seul objet
Fie-»■ iïMËz-
Clair olscur dans <i>n grojtppe 3 'objets
Clair obscur dispersent par conséquent sans effet
&* Jlecktfcrt se
-ocr page 388-
far Principes,          3 13
comme nous avons dit, pour plai-
re à l'œil, il faut le fixer par un
Grouppe dominant , qui par le
moyen des repos que çaufe l'éten-
due de (es lumières & de fes om-
bres , n'empêche pas l'effet des au»
très Grouppes, ou objets fubor-
donnés : car fi les objets font dif-
perfét, l'œil ne fait auquel s'adreC
1er d'abord, non plus que l'oreil-
le au difcours de plufieurs perfon-
nes qui pai'leroient toutes à la fois.
On pourroit ajouter beaucoup
d'autres chofes à ce que je viens de
dire des lumières & des ombres,
cette matière étant fufceptible
d'un plus grand détail. Je me fuis
contenté de donner ici, félon mon
iens j l'idée du clair-obfcur , de
faire voir en gênerai les differens
moyens de le pratiquer, &: de prou-
ver fon abfolue nécejfité dans 1g
Peinture.
Ceux qui voudront en lavoir
davantage,peuvent voir ce que j'en
ai écrit dans le Commentaire 4$
-ocr page 389-
3 S 4 Cours de Peinture
Poème de du Frenoi fur le 267.
vers,6c les 7. ou 8. feuillets faivans,
& que je n'ai pas cru devoir rap-
porter ici, y en ayant expofé la
principale fubftance.
Les Sculpteurs auffi bien que les
Peintres, peuvent mettre en prati-
que l'artifice du clair-obfcur,quand
ils en ont occanon , ou qu'ils fe la
procurent par la difpofitîon de
leurs figures, ou par le lieu où doit
être placé leur ouvrage. LeCava»
iîerBerninenalaine des monumens
& la pofterité dans quelques Egli-
fes de Rome, dans lefquelles il a
difpoféfa Sculpture félon la lumiè-
re des fenêtres qui dévoient l'éclai-*
#er. Ou bien il a percé des fenêtres
d'une ouverture avantageufe quand
il en a eu la liberté , afin d'en tirer
des lumières qui fiffent un effet ex-
traordinaire $C capable d'entre -
tenir l'attention de fon Spe&ateur,
^dais le Sculpteur habile peut enco-
re faire quelque çhofe de plus, en
ajoutant au clajr-obfeur des cou-
leurs
-ocr page 390-
far Principes          3 g y
leurs locales,s'il en a l'intelligence.
On en peut voir un merveilleu*
exemple chez Monsieur le Hay ,
rue de Grenelle faubourg S. Ger-
main. Ces ouvrages font dans deux
caifles, dont l'une contient le fujec
d'une defcente de Croix , & l'au-
tre l'Adoration des Pafteurs. La
profonde fcience &c la Singulière
beauté dont ces deux fujets font
exécutés , m'ont perfuadé que le
Public feroit bien aife d'être pré-
venu de leur defcription ; & quoi-
que je l'aie faite avec toute l'exa-
ctitude qui m'ait été poffible, je ne
doute pas que les curieux ne la
trouvent fort éloignée du fubl'me
où l'Abbé Zumbo, qui en eft Au-
teur , l'a porté dans toutes les par-
ties de fon Art.
Ce feroit ici le lieu de dire quel-
que chofe de la vie de cet homme
illuftre : mais j'ai crû qu'il étoic
plus à propos de la referver pour la
féconde édition que l'on va faire
de l'Abrégé de la vie des Peintres
-ocr page 391-
3 S 6 Cours de Peinture
que j'ai mis au jour. Je me conten-
terai donc de donner dans ce Vo-
lume la deicription des fculptures
dont je viens de parler : on l'a pla-
cée fur la fin du Livre pour nç
point interrompre l'ordre des trai-
tés qui font la matière eiîentiellç
de cet ouvrage.
-ocr page 392-
par Principes.         387
M%&Si5iX$l$à &&5iâi3i3iStSiM
*ï>3 &** HÉ* £*? t*î' KW : *g#«&? ?*3 .gcgj. f.^. sssg.
I> l'Ordre qu'il faut tenir dam
l'Etude de la Peinture.
LA plupart des habiles Pein-
tres ont pris beaucoup de foin,
& ont confumé plufieurs années à
la recherche des connoiflànces
qu'ils auroient pu acquérir en peu
de tems, s'ils en euflent trouvé d'a-
bord la véritable voie. Cette véri-
té que l'expérience a fait fentir
dans tous les âges, regarde fur-tout
la jeunefTe. C'eft-elle principale-
ment qui dans l'avidité d'appren-
dre , a befoin des lumières qui lui
faflent voir par ordre les progrès
qu elle doiteiperer pour arriver in-
failliblement au but qu'elle fe pro-
pofe.
L'on peut confîderer la Peinture
comme un beau parterre 5 le Génie
comme le fond, les Principes com-.
Ki}
-ocr page 393-
'388 Cours de Peinture
me les femences, & le bon çfprit
comme le Jardinier qui prépare la
terre pour y jetter les femences
dans leurs faifons, & pour en faire
naître toutes fortes de fleurs qui ne
regardent pas moins l'utilité que
l'agrément.
Il eft certain que le génie à qui
nous devons la naiflànce des beaux
Arts , ne fauroit les conduire à
leur perfe&ion fans lefecours de la
culture -y que cette culture eft im-
pratiquable fans la direction du ju-
gement ; &que le jugement ne fau-
roit rien faire fans la poileffion des
vrais principes,
Il Faut donc fuppofer le génie
dans toutes nos entreprifes , autre-
ment on ne fait que languir dans
l'exécution. 11 eft vrai que les fie-
cles ne font pas égaux dans la pro-
duction des grands génies, Ôc que
l'Art s'afroibiit faute d-habiles
gens s Mais le manque de grands
génies ne doit point empêcher que
l'on ne cultive ceux qui fe rencon-
-ocr page 394-
1           far Principes;          389
trent dans tous les tenis quels qu'ils
puiffent être. La terre rend à pro-
portion de fon fond, & de la fe-
mence qu'on y jette ; de même le
génie produira toujours en le culti-
vant , fuivant le degré de fon élé-
vation &. de fon étendue i les uns
plus, les autres moins.
Ainfî le génie a plufieurs degrés,
ôc la Nature en donne aux uns pour
une chofe , & aux autres pour une
autre 5 non-feulement dans la di-
verfité des profeffions, mais encore
dans les différentes parties d'un
même Art ou d'une même fcience.
Dans la Peinture , par exemple,
l'un aura du génie pour le Portrait,
ou pour le Païfage , pour les ani-
maux , ou pour les fleurs : mais
comme toutes ces parties fe trou-
vent raffemblées dans le génie pro-
pre à traiter l'hiftoire, il eft certain
que ce génie doit prérider à tous
les genres particuliers de la Peintu-
re , d'autant plus que fi ceux qui les
exercent y réumffent mieux que les
R ii1
-ocr page 395-
390 Cours d* Peinture
autres, c'eft ordinairement parce
qu'ils s'y font occupés davantage 5
& qu'ayant fenti le talent qu'ils
avoient pour cette partie , ils l'ont
embrafiee avec plaiiîr , éc ont eu
plus d'occafions de l'examiner, 6c
de le pratiquer : ce qui foit dit fans
faire tort au génie de ceux qui
l'ayant aflez étendu pour réuffir
dans l'hiftoire, fe font adonnés par
occafion ou par goût à un genre de
Peinture plutôt qu'à un autre.
Car la Peinture doit être regar-
dée comme un long pèlerinage, où.
l'otf voit dans le cours du voyage
plufîeurs chofes capables d'entre-
tenir agréablement notre efprit
pour quelque tems. On y confidere
les différentes parties de cet Art ,
on s'y arrête en faifant fon chemin,
comme un voyageur s'arrête dans
les lieux de repos qui font fur fa
route : mais fi nous fixons notre de-
meure dans l'un de ces lieux , par-
ce que nous y aurons trouvé des
beautés félon notre goût x ou. des
-ocr page 396-
par Principes.         $ 9 ï •
occafions félon notre intérêt, Se
que nous nous contentions de voir
de loin , ou d'attendre feulement
parler du lieu où. nous voulions
nous rendre , nous demeurerons
toujours à l'hôtellerie ,&nous n'a-
chèverons jamais notre voyage.
C'eft ce qui arrive infail liblement
à ceux qui tendent à la Peinture
comme à leur fin, & qui en paflant
par l'étude des parties qu'elle ren-
ferme^ font arrêtés parles charmes
qu'ils auront trouvés dans quel-
ques-unes, fans faire réflexion que
l'accomplîiTement de la Peinture
ne refuite que de la perfection, &
de l'affemblage de toutes les par-
ties qui la compofent. La queftion
eft donc de cultiver ce génie qui
doit y préfider. Je le demande
tout entier, uniquement attaché à
ce qui le regarde, évitant les diffi-
pations capables de le retarder 4
& libre de toute affaire.
Mais quelque difpofition qu'ait
un Elevé pour êtreinftruit , il fe
Rmj
-ocr page 397-
392 Cours de Peinture
peut faire que le Maître ne foit pas
difpofé pour i'inftruire ^ parce que
l'apparence d'un jufteintérêt pour-
roit le retenir dans l'apprehenfion
de perdre en peu de jours le fruit
d'une longue expérience en com-
muniquant les lumières , &. d'être
par ce moyen ou furpafle , ou du
moins égalé par fcn Elevé.
Cependant, d'enterrer fes con-
noiifances avec foi, fans vouloir fai-
re d'Elevé, eft une chofe qui n'eft,
ni naturelle, ni Chrétienne, ni po-
litique j elle n'eft point naturelle ,
car le propre de la Nature eft de
fe reproduire elle-même -, elle n'eft
point Chrétienne 3 puifqu'il eft de
la charité d'enleigner les ignorans,
je veux dire ces fortes d'ignorans à
qui Dieu a donné des talens pour
apprendre 3 elle n'eft point non
plus politique , parceque la répu-
tation des Maîtres fe répand tk. fe
conferve par celle des Difciples,
qui tranfmettent à la pofterité la
gloire de ceux qui les ont inftruits.
-ocr page 398-
far Principes.         3 93
Maïs fuppofé que parmi les ha-
biles Peintres ,les plus jeunes ayent
les raifons d'intérêt dont j'ai parlé,
& qu'on trouvât ces raifons fuffifan-
tes pour les difpenfer de communi-
quer leurs lumières & leurs fecrets
à des Elevés ; on ne peut du moins
excufer les plus avancés en âge, ni
ceux qui ont une réputation éta-
blie j parce que n'y ayant rien à rif-
quer pour eux , ils ne peuvent at-
tendre de leurs bonnes intentions
qu'une pleine fatisfa&ion d'eux-
mêmes , &c des louanges de tous les
autres.
Il ne s'agit plus que de trouver
des moyens qui applaniflent les dif-
ficultés , qui abrègent le tems, &
qui conduifent les Elevés dans la
voie de perfectionner eux-mêmes
leur goût, & leur génie.
Je fai bien que les habiles Pein-
tres ( je parle de tous en gênerai )
je fai bien, dis-je, que les habiles
gens peuvent avoir tenu différentes
voies dans leurs études 3 & qu'ils
Rv
-ocr page 399-
394 Cours de Peinture
peuvent par confequent conduire
leursDifciples chacun par différent
chemins qui meneroient aune mê-
me fin. Je fai bien auffi qu'il s'en
pourroit rencontrer , qui après
avoir étudié fans ordre, 8c confu-
mé inutilement plufieurs années à
la recherche de la bonne voie, ne
l'ont trouvée que fort tard ^ & en-
fin qui après s'être inftruits ôc def-
abufés eux-mêmes,feroient très ca-
pables de marquer à la Jeunefle la
meilleure voie pour s'avancer dans
leurs études. Mais l'étonnement
où je fuis des longues années qu'on
emploie ordinairement dans l'étu-
de de cette profeffion, m'a donné
la liberté de dire ici ce que je penfe
des études de la Peinture, & de
l'ordre que je fouhaiterois qu'on y
obfervât.
Je ne fixerai point ici l'âge auquel
on doit commencer à travailler
pour acquérir cet Art, P^ce qu'en
toutes fortes de profemons, le gé-
nie &c l'applïcationfont la moitié,de
l'ouvra?; e.
-ocr page 400-
far Principes.          5 yf
Cependant les jeunes gens que
l'on deftine à la Peinture, ne fau-
roient fe mettre trop tôt à deffi-
ner , parceque leur génie venant à
fe déclarer en pratiquant,on les laif-
fe continuer s'ils en ont $ ou fi l'on
découvre qu'ils n'en ayent point>
on les emploie à des chftfes auf-
quelles on les croit plus propres.
Maïs en cas que leur inclination
les aorte à continuer du côté delà
Peinture -, il faut avoir foin pen-
dant ces premiers exercices de leur
Deflein, qu'ils apprennent à bien
lire & à bien écrire ; afin qu'ils
évitent la trop grande indifférence
que la plupart des hommes ont
pour la lecture , faute de fe l'être
rendue familière dans leur jeuneffe.
Et comme c'eft un fecours dont les
Peintres ont grand befoin dans
leur profeffion , il eft bon qu'on
leur donne à lire dans les commen-
cemens des livres agréables 8c pro-
portionnés à leur âge pour les met-
tre en goût de lecture. Et dans la
Rvj
-ocr page 401-
3 9 6 Cours de Peinture
fuite , à mefure que Pefprit Te for-
me , rien n'apprend à bien penfer
comme les bons livres.
Du refte à quelque âge que l'on
commence la Peinture, chacun y
avance plus ou moins félon le de-
gré de ion génie. Il y en a qui fê
ientent^attirés par leur génie , &c
qui le fui vent : d'autres en font en-
traînés par violence. Il y en a peu
de ces derniers 3 6c ces génies ra-
res , quand il s'en trouve , font ca-
pables de faire en peu de tems de
très-grands progrès , & il n'y a
point d'âge déterminé pour eux.
Mais comme nous devons former
ici un plan d'étude , choififfons
pour commencer le tems de la
première jeunefTe, comme on fait
ordinairement pour conduire un
jeune élevé.
Nous apprenons de Pline que
lorfqu'Alexandre le Grand donna
à la Peinture la première place par-
mi les Arts libéraux, il ordonna en
même tems que les jeunes gens de
-ocr page 402-
far Principes.          3 577
.condition apprendroient à deffi-
ner avant toutes chofes. Alexan-
dre ne pouvoit avoir en cela d'au-
tre vue que de former le goût de
les principaux fujets,par les difpofî-
tions que le DefTein met dans l'ef-
prit.
En effet le premier fruit du Dell
fein eft la juftefle qu'il met dans
les yeux de ceux qui deffinent, ôc
fon premier ufage eft de faire di-
stinguer en général le caractère des
objets, & enfuited'imprimer dans
Teiprit les principes du bon qui fe
trouve dans les beaux Arts : & en-
fin le goût s'étant formé par un
progrès de ces mêmes principes ,
il eft bien plus capable de juger des
ouvrages de l'Art, 6c de ceux de
la Nature.
Alexandre qui ne vouîoit pas
faire des Peintres de tous ces gens
de condition , les faifoit néan-
moins commencer de bonne heure
à deffiner -y parce qu'il vouloit que
le DefTein leur fervît à juger dans
-ocr page 403-
3 y 8 Cours de Peinture
îe cours de la vie , de tous les ob-
jets que l'occaflon leur prefente-
roit.
Les Peintres , & les Sculpteurs
ont d'autant plus de fujet de fuivre
cette loi d'Alexandre dans l'em-
ploi des premiers tems de leur jeu-
nèfle, que le Deflein ne doit pas
feulement leur fervir à dire leur
avis fur les ouvrages, mais à faire
ceux dont on doit juger.
La première chofe que l'on doîc
confiderer dans l'acquifition d'un
Art que l'on veut exercer toute fa
vie, c'eft de bien partager fon tems,
& de donner à chaque étude celui
qui lui eft le plus propre. Dans les
premiers tems de la jeunefle , par
exemple, où la raîfon eft encore
foible, &: les réflexions hors de faï-
fon, il faut fe prévaloir de la mo-
lefle du cerveau,&; de la pureté des
organes qui font fufceptibles des
impreffions, &.des habitudes qu'on
voudra leur faire prendre.
Cela fuppoié y il n'y a que deux
-ocr page 404-
f ar Principes.         3 5 f
exercices qui conviennent aux gens.
de la première jeunefTe. L'un eft
d'accoutumer leurs yeux à la ju-
fleffe, c'eft-à-dire à rapporter fi-
dèlement fur leur papier les di-
menfions de l'objet qu'ils copient -y
& l'autre , c'eft d'accoutumer leur
main au manîment du crayon 8c
de la plume, jufqu'à ce qu'on aie
acquis la facilité nécefïàïre, la-
quelle par la pratique s'acquiert
infailliblement.
La jufteffe des yeux & la faci-
lité dans la main, font les deux
portes qui donnent entrée aux dé-
monstrations des parties qui con-
duifent à l'entière connoifiance du
Deflein.
Il eft donc de la dernière con-
fequence aux jeunes gens , pour
bien commencer la Peinture, £c
pour y avancer â grands pas , de
ne point quitter ces deux premiers
exercices qu'ils n'en ayent une
grande habitude.
Et {i cet article importe beau-
-ocr page 405-
400 Cours de Peinture
coup aux Etudians, il en: encore
d'une plus grande confequence à
l'Académie ; car pour peu qu'elle
veuille réfléchir fur fon avance-
ment , & même fur le foin de fe
maintenir, elle regardera comme
une chofe néceflfaire de ne recevoir
perfonne pour Ecolier qui n'ait une
luffifante pratique de defïiner d'a-
près les DefTeins , 8c d'après les
Bofles, c'eft-à-dire une fuffifante
juflefîè dans les yeux, & une fuffi-
fante liberté dans le manîmentdu
crayon , 6c cela au jugement des
Officiers en exercice.
La raifon de mon fentiment en
ceci eil, que les Ecoliers ayant été
reçus trop jeunes & trop ignorans
dans l'école de l'Académie , ils y
pafïènt beaucoup de tems fans goût
& fans difcernement, & enfin fans
faire deprogrès remarquables dans
leurs études prétendues. Cepenl
dant après quelques années, comp-
tant plutôt fur le tems qu'ils ont
pafle dans l'Ecole de l'Académie
-ocr page 406-
fat Principes,         401
que fur le progrès qu'ils y ont fait,
ils fe prefentent témérairement
pour concourir aux prix dont ils
font tout-à-fait indignes. D'où il
arrive eniuite que ceux qui préten-
dent aux prix dePeinture,étant des
branches delà même fouche d'i-
gnorance , produifent les mêmes
fruits, ou mauvais ou infipides.
Le premier ufage que les jeunes
gens doivent faire de ces habitu-
des, c'en: d'apprendre la Géomé-
trie , parce qu'étant prefentement
queftion de refléchir & de raison-
ner pour toutes les parties de la
Peinture , defquelles il faut'avoir
une entière connoiflance , &. la
Géométrie apprenant à raifonner
&à inférer une chofe d'une autre,
elle nous tiendra lieu de Logique,
& nous tirera de nos doutes.
Comme la perfpeclive fuppofe
la Géométrie qui en eft le fonde-
ment , il eft naturel d'en placer ici
l'étude, & de s'y attacher d'autant
-ocr page 407-
4o i Cours de Peinture
plus fortement que le Peintre e'fi
tire un fervice dont il lui eft impôt
lible de fe paffer , quelque ouvra-
ge qu'il veuille entreprendre.
Je fuppofe ici que le jeune Etu-
diant ait contracté l'habitude de
copier facilement toutes fortes de
Defleins,&de deïîiner toutes for-
tes de Tableaux. Cette habitude
néanmoins ne peut entrer dans cel-
le du DefTein que comme une dif-
pofition nécefTaire pour l'acquérir.
Les chofes étant ainfï, le jeune
Etudiant doit regarder l'imitation
de la belle Nature comme fon
but , & doit tâcher de connoître
les caractères extérieurs des for-
mes qu'elle produit. Aînfî pour
commencer par le Chef-d'œuvre
des productions de la Nature, qui*
eft l'homme, le jeune Etudiant
doit s'inftruïre de FAnatomie , &
des proportions } parce que ces
deux parties font le fondement du
DefTein.
-ocr page 408-
far Principes.          401
L'Ànatomie établit la foliaire
du corps , ôc les proportions en
forment la beauté. Les propor-
tions font redevables à PAnatomie
de la vérité de fes contours , Se
PAnatomie doit aux proportions
l'exacte régularité de la Nature
dans fa première intention. Enfin.
PAnatomie, & les proportions fe
prêtent un mutuel fecours pour ré-
duire le DefTein dans une folide &
parfaite correction.
Quelque liaifon que ces deux
parties femblent avoir entr'elles ,
il paroît néanmoins que le mieux
eft de commencer par PAnatomie y
Î>arce que PAnatomie eft la fille de
a Nature , & la proportion la fil-
le de PArt, &: que fila proportion
vient du bon choix , le bon choix
tire fon origine de la Nature.
Mais après PAnatomie fuit l'é-
tude des proportions.ily a des pro-
portions générales que l'on doit
premièrement bien lavoir , c'eft-
a-dire celles qui conviennent ge-
-ocr page 409-
404 Cours de Peinturé
neralëment à chaque partie pou?
en faire un tout accompli. Il faut
favoir , par exemple , comment
une tête doit être conftruite , un
pied, une main , 5c enfin tout le
corps pour former un homme par-
fait.
Mais comme la Nature eft dif-
férente dans fes ouvrages, il faut
examiner ce qu'elle peut faire de
plus beau dans les differens cara-
ctères qui fe rencontrent dans la,
vie des hommes, à caufe de la dï-
verfîté des âges, des pais Se des
proférions.
Il eft vrai que la Nature nous
offre l'abondance de fa variété qui
eft infinie : mais comme fes richef.
{es ne font pas fans mélange, il eft
mieux de recourir d'abord à l'An-
tique qui nous fait part du choix
exquis qu'il a fait avec une con-
noifîance profonde pour tous les
états de la vie.
Puifqu'il eft confiant que les fi-
gures antiques renferment non feu-
-ocr page 410-
par Principes.          40 j
lement tout ce qu'il y a de plus
beau dans les proportions j mais
qu'elles font encore la fource des
grâces ,de l'élégance, & des ex-
preffions : c'eft une étude d'autant
plus nécéfTaire qu'elle conduit au
chemin de la belle vérité. Il faut
s'y exercer fans avoir égard au
tems qu'elle exige pour la bien pof-
feder : car puifque l'Antique eft la
règle de la beauté , il la faut def-
fmer jufqu'à s'en former une jufte
& forte idée, qui ferve à bien voir
la Nature , & à la ramener dans
fes premières intentions, d'où, elle
s?écarte a£Tez fouvent.
Comme le plus bel exemple que
nous ayons dans cette conduite,
eft celle qu'a tenue Raphaël dans
fes ouvrages, il eft bon de les def-
finer en même tems , afin qu'il
nous ferve de guide dans l'heureux
mélange qu'il a fait de l'Antique
& de la Nature.
Il eft bon auffi de remarquer en
paflant que 4ans l'antique il y a
-ocr page 411-
40 e Cours de Peinture
un goût gênerai répandu fur tous
les ouvrages de ces tems-la, &c
un goût particulier qui caraclerife
chaque figure félon fon âge , 6c fa
qualité. Ceft au jeune Etudiant à
faire là-deffus les réflexions en
terns & lieu , félon la pénétration
de fon jugement.
Suppoié que l'on ait fait les étu-
des dont je viens de parler avec le
tems 6c l'application qu'elles de-
mandent , on doit les confiderer
comme des degrés qui élèvent l'ef.
prit à la connoiffance du naturel,
tel qu'il eft , 6c tel qu'il doit être.
Nous jugeons par ces premières
études des défauts que le hazard
a mis dans un modèle , èc des per-
fections qui lui manquent ^ ainfx
nous voyons au travers de nos
idées, ce qu'il faut ajouter ou di-
minuer au naturel pour le rendre
4ans l'état que nous le defîrons.
Ceft donc ici le lieu , où Ton
doit placer l'étude du Modèle à
laquelle il faut joindre celle de
-ocr page 412-
par Principes,        407
Contrafte , & de la Pondération
qui compofent toutes deux enfem-
t>le celle des Attitudes.
Comme il eft néceflaire en po-
sant un modèle de chercher une
attitude qui dans fon contrafte
foit naturelle, & fafte voir de bel-
les parties : il eft de la même ne-
çiffité de lui donner du relief &
de la rondeur. Mais comme le re-
lief .& la rondeur d'un objet par-
ticulier ne fuffit pas dans l'aflem-,
frlage de plufieurs figures, & qu'il
fautpour îafatisfa&ion des yeux, &
pour l'effet du tout-en(emble,qu'ii
y ait une intelligence de lumières
,& d'ombres, qu'on appelle le clair-
obfcur, on ne peut fe difpenfer d'en
acquérir la connoiflance.
Cette intelligence demande une
attention particulière, & l'onze»
doit avoir une habitude d'autant
plus forte , que Je clair-obfcur eft
îun des principaux fondemens â§
la peinture, que fon çffet appçllg
-ocr page 413-
^.oS "Cours de Peinture
le Spec"tateur,qu'il foûtient la com-
pofition du Tableau, 6c que fans
lui tout le foin qu'on auroit pris
pour les objets particuliers, feroit
une peine perdue.
Quand on a une fois bien conçu
cette partie de la Peinture , il eft
bon pour lui faire prendre de pro-
fondes racines dans l'efprit,de voir
avec reflexion les eftampes des
Maîtres qui ont le mieux entendu
les lumières5cles ombres, & d'en
pénétrer l'intelligence.
Il n'eft pas feulement à propos de
voir ces eftampes particulières
pour fe confirmer dans la connoif-
fance du clair-obfcur : mais la vue
des belles eftampes en général, èc
des DeiTeins des grands Maîtres,
<?ft très-utile encore pour nous in-
ftruire de la manière dont les plus
habiles Peintres ont tourné leurs
penfées 3 dans leurs compo(Irions
en général, & dans leurs figures
en particulier,
Les
-ocr page 414-
par Principes. 4»^
Les bonnes éftampes, auflî bien
que les bons Defleins , font encore
très capables d'échauffer notre gé-
nie , & de l'exciter à produire quel-
que chofe de iemblable. Chaque
objet s'exprime par des traits dif-
ferens pour faire fentir Ton caractè-
re j èc quand on a deffiné d'après
les bons Maîtres, on s'apperçoit
aflèz que ces touches Spirituelles
& que ces differens traits font l'ame
des Defleins ; on fe les imprime
dans l'efprit, & l'on acquiert par
là beaucoup plus de difpofîtion &
de facilité à remarquer clans la Na.
tnre la manière dont on peut ex-
primer le cara&ere de chaque ob-
jet. Le jeune étudiant doit donc
faire fon poflîble pour nourrir fe$
yeux par la vue de ces belles chofes.
Mais pour les imprimer forte-
ment dans la mémoire, & pour les
faire entrer bien avant dans fon ef-
prit, ileftbon d'en copier, & d'en
extraire le plus beau , Se nous ré-
gler en cela félon les cjhofes qui
«S
-ocr page 415-
%ïç> Cours de Peinture
nous manquent, &: dont nous avons
le plus de befoin, ou vers leiqueL
les nous nous Tentons attirés par
notre génie. C'eft dans cette occar
iîonoù. des amis éclairés, & fince-
res, qui fouvent connoiffent mieux
que nous-mêmes nos foibles & nos
penchans , pourroîent nous aider
,de leurs lumières, s'ils étoient con-
fuites.
Jufqu'ici la Peinture , & la Sculp-
ture fe font donné la main ^ parce
que je fuppofe que le Sculpteur s'effc
exercé à deffiner fur le papier „
comme je defire ici que le Peintre
pour fon utilité propre apprenne
a modeler.
Il faut prefentement que chacu-
ne marche de fon côté pour arri-
ver heureufement à leur fin, qui eft
l'imitation de la Nature par diffe-
rens moyens 3 la Sculpture par le
relief de la matière, & la Peinture
par les couleurs fur une fuperficie
plate. C'eft de celle-ci que j'ai en-
core à parler pour achever de la
-ocr page 416-
far Principes. 41 f
conduire à la fin de fa carrière.
L'ordre que j'ai indiqué jufqu'îcï
n'a relation qu'à l'étude du Def-
fein , &: ce qui nie refte à dire re-
garde principalement le coloris.
Plufîeurs Peintres font d'avis que
■dans l'étude du Deffein on mêle
celle du coloris 3 parce que, difent-
11s , plusieurs bons Deiîinateurs ,
pour avoir goûté trop long-tems
les charmes du Deffein , en ont
tellement rempli leur efprit, que
le coloris n'y a pu trouver de pla-
ce 3 ou qu'étant trop avancés dans
la partie du Deffein , ils fe rebu-
toient facilement de la partique du
coloris qui leur faifoït <ie la peine.
Ainfi ils retournoîent au plaifir que
leur donnoît l'habitude du Deffein
qu'ils avoient contractée 3 parce
<m'on fait volontiers ce qu'on faït
facilement.
Il efb certain que ces réflexions
ne font pas fans fondement, & que
pour ssaccomoder à la foibleffe des
Sommes qui font prefque tout par
S îj
-ocr page 417-
4i * Csurs de Teinture
habitude , on pourroit permettra
dans le cours du DefTein, & par in-
tervalle , le manîment du pinceau
6c de la couleur aux Etudians, afin
que s'y étant accoutumés de bon7
ne heure ils n'y troavafTent plus
que du plaifir.
Mais fi l'on veut examiner la
jfource de ces inconvénient , on
trouvera qu'elle ne vient pas d'a-
voir manqué de colorier d'aiïez
bonne heure • mais d'avoir mal
commencé, je veux dire , d'avoir
' copié d'abord de mauvaifes chofes,
pu d'avoir été fous la dilcipline
d'un Maître qui n'avoit aucuns
principes du coloris.
On revient ordinairement d'un
mauvais Deffein , cela îe voit dans
tous ceux qui deffinent aufquels la
pratique &. le changement d'objet
te de modèle fait reprendre une
rpute plus correcte, fk plus approu-
vée. Mais rien n'eft plus rare que
le changeraient d'une mauvaife ha-
bitude dans le coloris pour en pren^.
$Ue une bonne,
-ocr page 418-
far Principes'.         4*3'
Je ne dis pas que ce changement
fo"t impoffible • mais il eft très-ra-
re. Raphaël a luivi les Ecoles &c la
pratique des lieux où il a été éle-
vé , comme Léonard de Vinci' „
Michelange, Jules Romain & les
autres grands Peintres de ces tenis
la. Et ils- ont aïnfî paiTé toute leur
vie fans arriver à l'entière & à la
véritable connoifïance du bon co-
loris: &: pour parler des gens dé
notre tems & de notre connoifïan-
ce 5 les Difciples de Voct , qui
étoient en grand nombre &c qui né
manquoient pasd'efprit, quelques
efforts qu'ils ayent faits, n'ont pu
fe défaire de la mauvaife pratique
qu'ils avoient fuivie chez leur Maî-
tre. Nous avons encore l'exemple
de plufîeurs jeunes Peintres qui
pour avoir commencé par copier
quelques Tableaux d'un coloris tri-
vial, en retiennent la manière dans
tout ce qu'ils colorient, & s'en font
comme un verre , au travers du-
quel ils voient la Nature colorée
Su)
,
-ocr page 419-
4*4 Cours de Peinture
comme ce qu'ils ont accoutumé de
peindre. D'où, l'on peut inférer
qu'un jeune homme qui commen-
ce par copier un Tableau mal co-
lorié , avale un poifon dont il em-
poifonnera lui-même tous le« ou-
vrages qu'il fera dans la fuite.
Cependant un jugement folide
& une bonne éducation font âu-
defïùs des difficultés, 8c peuvent
même rétablir un goût mal affec-
té dans l'efprit d'un homme doci-
le. Ainiî rien n'empêche qu'on ne
puifle placer ici l'Etude du colo-
ris , en laifTant la liberté à chacun
des Etudians d'interrompre quel-
quefois pour fe defennuyer l'ordre
que je viens d'établir.
Le premier foin que demande le
coloris d'un jeune Etudiant eft de
commencer par copier ce qu'il
trouvera de mieux colorié, de plus
fairs , & de glus librement peint
entre les ouvrages des grands Maî-
tres , parmi lefquels Titien, Ru-
bens, & Vandeik tiennent les pre-
-ocr page 420-
far Principes.         415
iniers rangs , pouf les premiers
corrtrnencemens.- je croirois qu'on
tireroit plus d'utilité en copiant
Vandeik à caufe qu'en y apprenant
le bon coloris on y trouve encore
la liberté du pinceau.
Comme le coloris n'eft eftimable
qu'autant qu'il imite parfaitement
la Nature, le jeune Etudiant, après
quelqu'habitude de la pratique des
habiles gens, doit copier aufli cet-
te même Nature, l'examiner & la
comparer avec les ouvrages des
grandsMaîtres qu'il aura copiés \\xu
même. Cette pratique accoutume-
ra fon goût à l'idée du vrai, Se £e&
yeux à le voir fans aucuns nuages.
Le jeune Peintre s'étant formé
une bonne habitude,, <k ayant mis
fon goût en état de ne rien appré-
hender, peut copier des Tableaux
de tontes les manières 3 s'il y trouve
d'ailleurs de quoi entretenir l'ac-
tivité de ion génie.
Mais une étude très-importante
ceferoit de faire comme les abeilles
-ocr page 421-
'4* S Cours de Peinture
qui tirent de plusieurs bonnes rieurs
4e quoi compofer leur miel, & le
jeune Peintre à leur imitation doit
«opier àes excellens Tableaux ce
qu'il y aura de meilleur pour s'en
former une bonne manière. Il doit
faire la même chofe d'après les
belles productions de la Nature,
foit Figures, Animaux , ou Païfa-
ges. Il en fera un recueil auquel il
doit avoir recours tant pour fon
propre fervice dans l'exercice de
fon Art, que pour entretenir fon
goût, ou pour nourrir fa curiofité.
En cet état le jeune Peintre fe
voyant pourvu de toutes chofes,
peut voler de fes propres aîles 5
& par la lecture, ou par la réflexion,
élever fes penfées, exercer fon ima-
gination à compofer differens fo-
jets, & dans l'exécution profiter
des beautés dont la Nature lui
prefente le choix dans l'abondan-
ce de fes productions.
Mais qu'il obferve fur-tout de
ne faire jamais aucun Tableau qu'il
-ocr page 422-
far Principes.        417
n'en ait fait un léger efquiffe colo-
rié 1 dans lequel il puiffe s'abandon-
ner à ion génie & en régler les mou-
vemens dans les objets particuliers,
& dans l'effet du tout-enfêmble.
Cet efquilTe fe doit faire très-vite
quand le Peintre a fixé fa penfée ,
pour ne point perdre le feu de font,
imagination. Cet efquilTe étant
donc tout informe , comme nous
le fuppofons y on y peut changer r
augmenter, ou diminuer,, tant pour
la compofîtion, que pour le coloris.
Et quand fon Auteur l'aura réduit „
quoique légèrement dans l'état
qu'il le defire ■> il doit avant que d'é-
baucher le grand Ouvrage , faire
toutes les études nécefiTaires d'à-
Î>rès ce qu'il y a de plus beau dans
a Nature & dans l'Antique qui
convienne à fon fujet y & deffiner
•exadement toutes les parties dans
leurs places ,, afin de s'épargner 1&
peine & le chagrin de changer et
de faire deux fois le même ouvra-
ge. Raphaël faifoit bien, davanta~
-ocr page 423-
4i §        Cours de Peinture
ge : car il coloit plufieurs papiers
enfemble de la grandeur de les Ta-
bleaux , où après avoir deffiné cor-
rectement & mis toutes chofes en.
place , il calquoit ce carton fur les-
fonds fur lefquels il devoit peindre,,
Cependant s'il arrivoit après tou-
tes ces précautions qu'il fût à pro-
pos de changer quelque chofe pour
l'effet du Tableau, il feroit de la
prudence de n'y pas manquer , &
la peine en feroit légère n'y ayant
rien d'ailleurs à fe reprocher.
Enfin le Tab leau étant achevé,
le Peintre doit considérer le lieu oà
il doit être placé , & la diftance
d'où il doit être vu, afin de don-
ner à ion ouvrage , par des tou*
ches & par des couleurs plus ou
moins vigoureufes , la force &la
vfe qu'il exigera.
De tous les génies'3 je ne croî
pas qu'il y en ait un plus libertin
que celui de la Peinture , ni qui
iouffre le frein plus impatiemment.
Je ne doute pas même, fi l'on &*■.
-ocr page 424-
par Principes'*- 41 9
excepte quelques efprits extraordi-
naires, que plufieurs Peintres, quoi-
que fans aucun ordre , ne foient
parvenus à fe rendre eftimables ,
non pas à la vérité fans perdre beau-
coup de tems dans la dilîîpation de'
leurs études. Mais comme dans
une machine la mauvaife difpoiL
tion des roues en retarde le mouve--
ment, de même auflî les parties de
la Peinture mal arrangées par rap--
port à l'étude qu'on en doit faire,,
jettent de la confufion dans l'efprhr
U dans la mémoire , & deviennent
par ce moyen difficiles à concevoir
&à retenir. D'où il paro'ît que le
parti le plus fur ,eft de mettre xa$
ordre à fes études lequel s'accorda
avec une raiibnnable liberté»
Svj
-ocr page 425-
410 Cours de Peinture
B I S SERT AT 1 0 N.
Ou ton examine fi la Poe fie eft pré-
ferable a la Peinture.
M On Deffein n'eft pas de foû~
tenir que la Peinture l'em-
porte abfolument fur la Poëfî'e 5
mais je n'ai jamais douté que ces
deux Arts ne marchaflent de pas
égal, ni que l'un & l'autre ne me*
ritafTent les mêmes honneurs. J'en
ai parlé dans cefens-îa, quandl'oc-
cafîon s'en eft prefentée , &je n'ai
fait quefuîvre lefentiment des Au-
teurs les plus célèbres. Mais com-
me les hommes ne s'accordent pas
toujours fur les chofes même les
mieux établies , 'je trouve aujour-
d'hui des Perfonnes illuftres qui me
témoignent de la répugnance à
placeru Peintureàcôté delaPoc-.
-ocr page 426-
far Principe?. 42 r
£e$ &: quelque inclination que j'aye
à fuivre leurs avis, je fuis bien-aifè
d'examiner cette matière avec tou-
te l'application dont je ferai capa-
ble : car fi je fuis obligé de me
rendre à leur opinion, ils ne def.
approuveront pas que je ne le fafl
qu'après m'être defabufé moi mê-
me.
Mon but eft, non-feulement de
ne rien dire, que l'on ne trouve
établi dans tous les Ecrivains an-
ciens & modernes qui ont parlé du
fujet de cette difTertation ^ mais
encore je croi qu'il eft bon d'aver-
tir qu'en parlant comme je fais de
la Poëfie &; de la Peinture, je les
fuppofe toujours dans le plus haut
degré de perfe&ion où. elles puif-
fent arriver.
Ce n'eft donc point k Poiëfïe que*
j'entreprens d'attaquer : c'eft la
Peinture que je veux défendre.
Quand à force d'exercice & de re-
flexions la Peinture & la Poëfie ïk
-ocr page 427-
422.' Cours de Peinture
furent enfin montrées dans leur
plus grand lùftre , des hommes
d'un genîe extraordinaire donnè-
rent au Public des ouvrages & des
règles en l'un & en l'autre genre
pour fervir de guide à la Poftéri-
• té, û pour donner une idée de leur
perfection. Cependant ces deux
Arts ont été malheureufement né-
gligés depuis la décadence de
l'Empire Romain jufqu'à ces der-
niers Siècles, que Raphaël, & le
Titien pour la Peinture, comme
Corneille , &. Racine pour la Poë-
fïe Dramatique ont fait tous leurs
efforts pour les relTufciter, &: pour
les porter à leur premier état.
Il y a néanmoins cette difreren-
ce , que la Poe fie n'a fait que dii-
paroître , & qu'elles'eft confervée.
toute pure dans les ouvrages'
d'Homère , d'Efchile , de Sopho-
cle , d'Euripide , d'Ariftophane ,.,
fk. dans les règles qu'Ariflote èc
Horace, nous en ont laiffées. Ainii
-ocr page 428-
far Principes.         423-
il ef! confiant que la route que les
Poètes qui font venus depuis de~
voient fuivre, étoit toute marquée „
& que la véritable idée de la Poë-
lie ne s'effc point perdue ; ou du
moins, il étoit aifé pour là retou-
ver de recourir aux ouvrages, &
aux règles infaillibles dont je viens
de parler. Au lieu que la Peinture
a été entièrement annéantie, foit
par la perte de quantité de volu-
mes , qui", au rapport de Pline, en:
ont été compotes par les Grecs,
foit par la privation des ouvrages
dont les Auteurs de ces tems_la;
nous ont dit tant de merveilles s,
( car je ne compte que pour très-
peu de chofe quelques reftes de:
Peinture Antique que l'on voit aï
Rome. )
Si donc ilnes'eft rien confervé
qui puifte nous donner une idée
jufte de la Peinture , comme elle
fè pratiquoit anciennement, c'eft»
à-dire , dans le tems que les Arc»
étoient dans leur plus grande par.
-ocr page 429-
414 Cours de Peinture
fedïon , iî eft certain que la Poëfîe
fe faifant voir encore aujourd'hui
dans tout fon luftre , peut jetter
dans l'efprit de ceux qui y font le
plus attachés, une prévention qui
les porte à lui donner la préféren-
ce fur la Peinture.
Car il faut avouer qu'il y a beau-
coup de gens d'efprit qui bien loin
" de regarder la Peinture du côté
de la perfection & de Feftime où
elle étoit chez les Grecs , n'ont
pas même donné la moindre atten-
tion à cet Art tel que nous le poL
fedonsà prefeat,&que les derniers
Siècles l'ont fait renaître : & fi ces
mêmes Perfonnes font tant que de
regarder quelque ouvrage de Pein-
ture , ils jugent de l'Art par le Ta-
bleau , au lieu qu'ils devraient ju-
ger du Tableau par l'idée de l'Art.
Cependant quoique nous n'a-
yons point encore recouvré de la
Peinture dans toute fon étendue,
& que dans fon rétabliuement, el-
le n'ait pu avoir pour guides des.
-ocr page 430-
far Principe!,         425
principes aufli certains, & des ou-
vrages auffiparfaitsqu'étoient ceux
de la Poëfie 5 rien n'empêche que
nows ne puiffions en concevoir une
idée jufte fur les ouvrages des meil-
leurs Peintres qui l'ont renouvel-
lée , &. fur ce que nous en ont dit
ceax-mêmes qui nous ont donné
les règles de la Poëfie, comme Ari-
ftote, 6c Horace.
Le premier aflure o°ans fa Poe.»
tique ( a ) Que la Tragédie ejl plus
parfaite que le Po'éme Efique
5 farce
qu'elle fait mieux fon effet & domine
plus de flaifir.
Et dans un autre endroit, il dit
( b ) Que la Peinture caufe une entrée
me fatisfaïlion.
La raifon qu'il en
rend , c'efi quelle arrive fi parfai-
tement a Ça fin
, qui efi l'imitation ,
qu'entre toutes les chofes qu'elle imi-
te , celles mêmes que nous ne four-
rions voir dans la Nature fans hor-
reur
, nous font en Peinture un foré
{a\ Chap. 17 (6) Chap. i.
-ocr page 431-
4-ïé Cours de Peinturé
grand plaifir.
Il ajoute à cette »aî-
Jori , Que la Peinture inftruit , &
quelle donne matière de raifonner
,
non-feulement aux Philofophes, mais
à tout le monde.
Dans ce raifonneffient, Arifto-
Ée qui mefure la beauté de ces deux
Arts,par le plaifir qu'ils donnent,
parla manière dont ils inftruiient,
êc par celle dont ils arrivent à leur
En, dit que8k Peinture donne un
plaifir extrême , qu'elle inftruit
plus généralement, & qu'elle ar-
rive très-parfaitement à fa fin. Ce
Philofophe eft donc fort éloigné
de préférer la Poëfie à la Pein-
ture.
Pour Horace, {a) il déclare net-
tement que la Poëfie & la Peintu-
re ont toujours marché de pas égal,,
& qu'elles ont eu dans tous les tems
le pouvoir de nous reprefenter tout
ce qu'elles ont voulu.
Mais, quand nous n'aurions pas;
(.4 ) A«. Pock
-ocr page 432-
far Principes.          417
ces autorités, nos fens & la raifon
nous difent aiTez que la Pocfie ne
fait entendre aucun événement
que la Peinture ne puifTe faire voir.
Il y a long-terris qu'elles ont été
reconnues pour deux Sœurs qui fe
reflèmblent fi fort en toutes clio-
fes, qu'elles fe prêtent alternative-
ment leur office 8t leur nom : on
appelle communément la Peinture
une Poëfie muette, & l'a Poèfie v
une Peinture parlante.
Elles demandent toutes deux un
génie extraordinaire qui les empor-
te plutôt qu'il ne les conduit-, &.
nous voyons que la Nature par une
douce violence a engagé les grands
Peintres & les grands Poètes dans
leurs Profeffions, fans leur donner
le tems de délibérer ôc d'en faire
choix. Que fi nous voulons péné-
trer dans leurs excellens ouvrages r
nous y trouverons une feerette in-
fluence qui paroit avoir quelque:
ehofe de plus qu'humain. Il y a un
Dieu, au dedans, de nous-mêmes
s,di&
-ocr page 433-
4-iî Cours de Peinture
Ovide {a) parlant des,■ lequelPocteè
nous échauffe en nous agitant.EtSuidas
dit i Que ce fameux Sculpteur Phi-
dias
, & que Zeuxis ce Peintre in*
comparable
, tous deux tranfportés par
un enthoufafme , ont donné la vie k
leurs ouvrages*
La Peinture & la Poëfîe tendent
à même fin y qui eft l'imitation 5 de
il femble , dit un favant Auteur ,
que non-contentes d'imiter ce qui
eft fur la Terre , elles ayent été
jufques dans le Ciel obferver la ma-
jefté des Dieux pour en faire part
aux. hommes , comme elles pei-
gnent les hommes pour en faire
des demi-Dieux.C'eft dans cefens-
la que Charles-Quint (b) faifoit
gloire ncm-feulement de s1 être rendu des
Provinces tributaires : mais d'avoir
obtenu trois fois l'immortalité par les
mains du Titien.
          #
Toutes deux font occupées dn
foin de nous impofer , & pourvu
que nous voulions leur donner na-
(,») Faites, Ltv. 6,(i)RidoIfié
-ocr page 434-
par Principes.         4.29
tre attention , elles nous tranfpor-
cent somme par un effet de magie
d'un Païs dans un autre, (a)
Leurs propriétés font de nous
inflruire en nous diversifiant, de
former nos mœurs èc de nous ex-
citer à la vertu en représentant les
Héros & les grandes actions. Ceft
ce qui fait dire à Ariftote ,{'■#') que
les Sculpteurs & les F cintres nous en-
jeiyient a former nos mœeurs par une
Méthode plus courte & plus efficace
que celle des Philofophes , & qu'il y
a des Tableaux & des Sculptures
au/Jt capables de corriger les vices que
tous les préceptes de la Morale.
Toutes deux confervent exacte-
ment l'unité du lieu, du tems ,
de
l'objet.
Toutes deux font fondées fur la
force de l'imagination pour bien
inventer leurs productigny , & fur
la folidité du jugement pour-les
(a) Et modo Thebis, modo pçwp 4thenit,
Hor. Epift. i« Lib. z.
^b) Politique. R.
;.
-ocr page 435-
430 Cours âe Peinture
bien conduire. Elles favent choifîr
des fujets qui foient dignes d'el-
les , &. fe fervir des circonftances
;& des accidensqùi les font valoir,
comme elles favent rejetter tout
ce qui leur eft contraire , ou qui
aie mérite pas d'être reprefenté.
Enfin la Peinture & la Pocfie
partant du même lieu , tiennent
la même route , arrivent à la mê-
me fin, &c tirent leur plus grande
çftime des premiers tems , où la
magnificence & la delicateffe ont
paru avec plus d'éclat.
Les Poètes de ces tems-la ont
reçu'des honneurs 6c des recom-
penfes infinies, ils ont été excités
par des prix que l'on donnoit à ceux
,dont les pièces avoient un fuccès
plus heureux que celles de leurs
concurrens : & tous les genres de
Poe fie ont eu leurs louanges Se
leurs protecteurs.
On a vit Virgile 8c Hhora.ce, (a)
comblés de bienfaits par Augufte j,
£«) Donat*
-ocr page 436-
far Principes.         43 \
Terence en commerce d'amitié
,avec Leiîus & Scîpion le vainqueur
<leCarthage : Ennius chéri de Scî-
pion l'Africain Ôc enterré dans le
\a) Sépulcre des Scipions fur le-
quel on lui éleva une Statue j Eu-
ripide tant de fois applaudide tou-
te la Grèce, ( b ) élevé aux pre-
miers honneurs par Archelaiïs Roi
de Macédoine , ,& regretté des A-
theniens par un deuil public : Ho-
mère révéré de toute PAnrîquité
& fouvent honoré par des Autels &
fàcrifîces,(c) Alexandre vifitant le
t ombeau d5Achille:Heureux s'écri-
a-t-il, devoir pu trouver un Ho-
mère qui .chantât fes louanges \ Ce
Prince ne marchoit jamais fans les
Oeuvres d'Homère , il les lifoit in_
celîaaiment &il les pîaçoitmêmç
fous fon chevet en fè mettant au
lit. ( d) Un jour qu'on lui prefènta,
«ne calTette d'un prix ineflimable
1                                                • "■ #
( a ) Oc. pro. Archia. Val Max.
{ b) Solin. Thomaflin?
,{<;) Vie d'Homère".
f d) Phttarqpe.
-ocr page 437-
43 %         îiYS dc T chiure
bijou le plus précieux de la dé-
pouille de Darius , fes Courtifans
lui demandèrent à quel ufage il la
xleftinoit ? A renfermer les Oeu-
vres d'Homère , leur répondit-il,
Mais que n'a point fait ce mê-
me Alexandre pour les Peintres ?
Quelles marques d'eftime §i d'a-
mour ne leur a-t- il point données ?
(a) Il ordonna que laPeinture tien-
droitle premier rang parmi les Arts
libéraux , qu'il ne feroit permis
qu'aux Nobles de l'exercer, &. que
desleur plustçndrejeunefTeilscom-
menceroient leurs exercices pour
apprendre à déffiner. En cela il re^
^ardoitlesDeffein comme lacho.
fêla plus capable de difpofer l'eù
prit au bon goût, à la connoiffan-
ce des autres Arts .& à juger de
Ja beauté de tous les objets du
monde.
Il vi^toit fouyenf les Peintres, ôç
prenoit plaifir à s'entretenir avec
4-pelle des choies qui regardoiept
(a) Pline j S. jo>
la
-ocr page 438-
far Principes. 43 3
la Peinture. Pline dit , que touché
de la beauté de l'une de fis Efclaves.
appellèe Campafpe qu'il aimoit éper-
duement
, il Li fit peindre par Apelle ^
& s'ètantappercu qu'elle avoitfrap-
pé le cœur du Peintre du même traie
dont il fie trouvoit lui même atteint
,
il lui en fit un prefent, ne pouvant
recompenfier plus dignement cet Ou-
vrage
, qu'en fie privant de ce qu'il
aimoit avec paffion.
* Ciceron rapporte que fi Alexan-
dre défendit à tout autre Peintre
qu'à Apelle de le peindre , & à
tout autre Sculpteur qu'à Lifîppe
de faire fa Statue , ce ne fut pas
feulement par l'envie d'être bien
reprefenté 5 mais par l'envie qu'il
avoit de ne rien lai/Ter de lui qui
ne fut digne de l'immortalité -3 Se
par l'eftime finguliere qu'il avoic
pour ces deux Arts. Auffi ne feraï-
je point ici de différence entre la
Peinture & la Sculpture: car celle-
ci n'a rien que la Peinture ne doL
* Ep. fam. 11.1, f.
T.
-ocr page 439-
434 Cours de Peinture
\e bien entendre pour être parfai-
te, ôc ce que la Sculpture a de plus
beau lui eft commun avec la Pein-
ture. Ces deux Arts fe font main-
tenus de tous les tems dans un mê-
me degré de perfection : Les Pein-
tres & les Sculpteurs ont toujours
vécu dans une louable jaloufie fur
la beauté &, fur l'eftime de leursOu-
vrages, comme ils font encore au-
jourd'hui. Et fi les Sculptures An-
tiques ont été l'admiration des An-
ciens , comme elles font l'étonne-
ment des Modernes, que peut-on.
concevoir de laPeinture de ces mê-
mes tems-là ; puifqu'avec le goût,
& la régularité de fon Deflfein , el-
le a dû. s'attirer toutes les louanges
que méritent les effets furprenans
de fon Coloris.
Mais fl nous voulons remonter
audelà du tems d'Alexandre, nous
trouverons que Dieu même rendit
pet Art honorable en faifant parc
de fon intelligence, de fon eipric
ôc de fa fageife à Befeléel * & à Oo-
? Exodt. î i. Jofefhf.
-ocr page 440-
par Principes.         43 y
iîab qui dévoient embélir le Tem-
ple de Salomon , & le rendre réf.
pe&able par leurs Ouvrages.
Si nous regardons la manière dont
laPeinture a été recompenfée, nous
verrons que lesTableaux des excel-
lensPeintres étoientachetés à plei-
nes mefures de pièces d'or (a) fans
compte & fans nombre : d'où Quin-
tilien infère, que rien n'eft plus no-
ble que la Peinture 3 puifque la plu-
part des autres chofes fe marchan-
dent , Se ont un prix, & qu'au con-
traire la Peinture n'en a point.
(b) Une feule Statue de la main
d'Ariftide fut vendue 375. talens,
une autre dePoliclete fix vingt mil-
le Seflerces : [c) Et le Roi de Nico-
medie voulant affranchir la ville de
Gnide deplufîeurs tributs, pourvu,
qu'elle lui donnât cette(^) Venus de
( a ) In ntimmo aureo menjuram accept non
numéro,
(b)  Pline. 10. }f
(c)  Cic. I. Ep. 7' à Afticut.
là) JElian. biji.
A
Tij
-ocr page 441-
'436 Cours de Peinture
La main de Praxitelle qui y attiroit
toutes les années un concours infini
de gens ^ {a) les Gnidiens aimèrent
mieux demeurer toujours tributai-
res que de lui donner une Statue
qui faifoit le plus grand ornement
de leur ville.
Il s'eft même trouvé d'excellens
Peintres, & d'excellens Sculpteurs
qui pénétrés du mérite de leur Art
conlacrerent aux Dieux leurs Ou-
vrages , croyant que les hommes
en étoient inclignes. {(?) Et la Grèce
touchée de reconnoi{fance envers
le célèbre Polignote qui lui avoit
donné des Tableaux que tout le
monde admiroit, lui fit des entrées
magnifiques dans les villes où il
avoit fait quelque Ouvrage : & elle
ordonna par un décret du Sénat
d'Athènes qu'il feroit défrayé aux
dépens du Public dans tous les
lieux ou il pafleroit.
Auffi la Peinture étoit alors fi
( a ) Ck.eontre Verretj,
(!b ) plut. of.
-ocr page 442-
far Principes.         43 7
honorée que les habiles Peintres
de ces tems-là ne peignoient fur
aucune chofe qui ne pût être trans-
portée d'un lieu à un autre , &
qu'on ne pût garantir d'un embra-
fèment. Jls fe feroient bien gardés ,
dit Pline , de feindre contre un mur
qui n'auroit pu affartenir qu'à un
Maître 3 qui ferait toujours demeuré
dans un même lieu , & qu'on n'auroit
fk dérober a la rigueur des flammes. Il
n'ctoit fas fermis de retenir comme
en prifon la Peinture fur les murail~
les
, elle demeurait indifféremment
dans toutes les Villes
, & un Pein~
tre était un bien commun à toute la.
Terre.
L'on portoit même jufqu'au ref-
pect l'honneur que l'on rendoït à
cet Art : le Roi Demetrius en don-
na des marques mémorables au
Siège de Rhodes, où il ne pût s'em-
pêcher d'employer une partie du
tems qu'il devoit aux foins de fon
armée , à vifiter Protogene qui
faifoic alors le Tableau de Jalilus
Tiij
-ocr page 443-
43 S Cours de Peinture
Cet Ouvrage
, die Pline , enficha,
le Roi Demetrius de prendre Rhodes
dans l'apprehen(îon qu'il avait de brû-
leries Tableaux de ce y and Peintre ,
& ne pouvant mettre le feu dans la
Ville par un autre cbté que celui où
était le Cabinet de cet homme illuftre
,
// aima mieux épargner la Peinture
que de recevoir la vifloirc- qui lui
ètoit offerte. Protogene 3
pourfuit le
même Pline > travailloit alors dans
an jardin hors de la Ville près du
Camp des Ennemis
, & il y achevoit
aj]îduement les Ouvrages qu'il avait
commencés 3 fans que le bruit des
armes fut capable de l'interrompre
:
mais Demetrius l'ayant fait venir &
lui ayant demande avec quelle con-
fiance il ofoit travailler au milieu des
Ennemis
, le Peintre répondit : Qu'il
feavoit fort bien que la guerre qu'il
avoit entreprise était contre les Rho-
diens & non pas contre les Arts. Ce
qui obligea le Roi de lui donner des
gardes pour fa fureté > étant ravi de
pouvoir conferver la main qu'il avait
-ocr page 444-
far Principes. 43 y
fauvée de l'infolence des Soldats.
De grands perfonnages ont aimé
la Peinture avec paffion, & s'y font
exercés avec plaifir: entr'autresFa-
bius, l'un de ces fameux Romains
qui au rapport ( a) de Ciceron lorf.
qu'il eut goûté la Peinture & qu'il
s'y fut exercé , voulut être appel-
Fabius PiBor. Par là il vouloit
donner un nouveau luftre à fa naïf,
fance , félon l'idée que Ton avoit
alors de la Peinture : car ce qui eft
admirable en cet Art, dit Pline,
c'eft qu'il rend les (b) Nobles enco-
re plus nobles 6c les Illuftres plus il-
luflres. Turpilius Chevalier Ro-
main , Labeon Préteur Se Conful,
les Poètes Ennius 6c Pacuvius , So-
crate , Platon , Metrodore , Pyr-
ron, Commode, Vefpafîen , Né-
ron, Alexandre Severe, Antonin,
de plufieurs autres Empereurs , 6c
Rois n'ont pas tenu au deffous
( a ) In Bruto.
( b i Mirum in hac Ane ejl quoi nobilet viras
tnbiliores fucit.
34.. 8»
Tilfj
-ocr page 445-
440 Cours de Teinture
d'eux d'y employer une partie de
leurs tems.
On fait avec quel foin les grands
Princes ont ramafîe dans tous les
tems quantité de Tableaux des
grands Maîtres, & qu'ils en ont fait
un des plus précieux ornemens de
leur Palais. On voit encore tous les
jours combien ce plaifïr eft fenfi-
ble aux grands Seigneurs," èc aux
gens d'efprit qui ont du goût pour
les bonnes chofes. On Içair avec
quelle diftin&ion les habiles Pein-
tres de ces derniers tems ont été
traités des Têtes couronnées, 6c- à
quel point le Titien !k Léonard de
Vinci furent eftimés des Princes
qu'ils fervoïent. Celui-ci mourut
( a ) entre les bras de François pre-
mier , & le Titien donna tant de ja-
loufie (b) aux Courtifans de Char-
les-Quint qui fe plaifoit dans la
converfation de cePeintre, que cet
Empereur fut contraint de leur di-
re, qu'il ne manqueroit jamais, de
( a ) Vafari. ( b ) RideW,
-ocr page 446-
far Principes.         441
Courtifans, mais qu'il n'auroit pas
toujours un Titien. On fçait encore
que ce Peintre ayant un jour laiflé
tomber un pinceau en faifant le
portrait de Charles- Quint, cet Em-
pereur le ramafla, de que fur le re-
merciment &c l'excufe que le Titien
lui enfaifok, il dit ces paroles, Ti-
tien mérite d'être ferviparCefar.(^);
Mais fuppofé que l'idée de la
Peinture , à la confîderer dans fa.
perfection, ne foit pas encore bien
établie -, fi celle que l'on conçoit
aujourd'hui n'avoir pas unfond de
mérite par toutes les connoifTan-
ces qu'elle renferme 6c par tout ce
qu'elle eft capable de produire fur,
les efprits , d'où viendroit la paf-
iîon que les grandsSeigneurs & tant
de gens d'efprit ont pour elle, &c
que ceux mêmes qui ont de l'indif-
férence pour cet Art, n'oferoient
l'avouer fans rougir ?'■
Ce fi un mal y (b) dit un Auteur
grave, de n aimer pas la Peinture^
UOtRjicijJ. (>) Dion Chryfoflome. or. 12*
-ocr page 447-
44 - Cours de Peinture
de luire fit fer l'eftime qui lui efi due :
car celui qui le fait far ignorance
,
eft bien malheureux de ne pouvoir
difcerner toutes les beautés qu'il y a
dans le monde
3 & celui qui le fait
far mépris 3 efi bien méchant de fe
déclarer ennemi d'un Art qui tra-
vaille a honorer les Dieux
5 à inf-
truire les hommes 3 & à leur donner
l'immortalité.
Pour les effets que la Poëfîe&
la Peinture font fur les efprits, il efi:
certain que l'une & l'autre font ca-
pables de remuer punTammentles
paffions j & fî les bonnes pièces de
théâtre ont tiré & tirent encore
tous les jours des larmes de leurs
Speétateurs, la Peinture peut faire
la même chofe quand le fujet le
demande, & qu'il eft, comme nous
le fuppofons bien exprimé, {a) Gre-
groire de Nice après avoir fait une
longue defcription du facrifice
d'Abraham, dit ces paroles : J'ai
fouvent jette les yeux fur un Tableau
(a) Qt. de. la Divin* dm Fih & du S. EfpriK
-ocr page 448-
far PrincîpëS         44$
qui reprefente ce SpeFiacle digne de
fitié
, $■ je ne les ai jamais retirés
fans larmes
, tant la Peinture a feu
repréfenter la chofe comme fi elle fe
faffoit cjfeïlivement.
La fin de la Peinture, comme de
la Poëfie, eft de furprendre de tel-
le forte que leurs imitations paroif.
fent des vérités. Le Tableau de
Zeuxis, où il avoir peint un Gar-
çon(^)qui portoit des raifiris, 6c qui
ne fît point de peur aux oifeaux ,
puifqu'ils vinrent becqueter ces
fruits , eft une marque que la Pein-
ture de ces tems-là avoit accoutu-
mé de tromper les yeux en tous
les objets qu'elle reprefentoit. Cet-
te figure ne fut en effet cenfurée
par Zeuxis même, que parce qu'el-
le n'avoit pas trompé.
Voilà à peu près les rapports
naturels que la Peinture Se la Poë-
fie ont enfemble, & qui ont de tous
têms, comme dit Horace, permis
également aux Peintres & aux Poe-
{a) Pline }J» 10.
Tvj
-ocr page 449-
444 Cours de Peinture
tes de tout ofer. Mais il ajoute que
cette liberté ne doit pas les porter
à produire rien qui foit hors de la
vraifemblance , comme à joindre
les chofes douces avec les améres,
ni les Tigres avec les Agneaux.
Cette idée générale l'oblige en-
fuite à nous donner des moyens
communs qui puifTent conduire les
Peintres & les Poètes par les voies
du bon fens &. de la raifon : cur on
voit dans l'une des Satires de cec
Auteur * , qu'il aimoit extrême-
ment la Peinture , & qu'il pafToit
pour un fin ConnoifTeur.
Cependant les préceptes qu'il
nous a lai/fés ne regardent que la
théorie deces deux Arts, lefquels
différent feulement dans la prati-
que & dans l'exécution. Cette pra-
tique de la Poê'fie fe remarque %
dans la Diction & dans la Verfifi-
eation r fuppofé que la Verfifka-
îion foit de l'eflence de la Poëfîe;
On pourroit y ajouter la Déclama-
-ocr page 450-
par Principe*.        445
tion à cauie qu'elle eft le nerf de
la parole , & que fans elle on ne
fçauroit bien reprefencer les mœurs
& les actions des hommes , qui
eft cependant la fin de la Poëhe.
Et l'exécution de la Peinture, con,
fifte tlans le Deiïèin , &c dans le
Coloris.
Ces différentes manières d'exe-
euter la Peinture &c la. Poëfie, ont
leurs prix &: leurs difficultés • mais
l'exécution de la Peinture deman-
de beaucoup plus d'étude Se de
tems que celle de la Poëfte : Car
la Didion s'acquiert par la Gram-
maire , èc par le bon ufagç, de ce-
la eft commun à tous les honnêtes
gens par l'obligation où ils font de
bien parler leur Langue ; quoique
la facilité de s'exprimer purement,
nettement, &: élégamment foit en,-
core le fruit d'une ferieufe étude.
Le Déclamation dont Quintilien:
traite fort exadement/ans laquel-
le, dit-il, l'imitation eft imparfak
m*,&qui eft l'a-me del'éloquence^
-ocr page 451-
44 6 Cours de Peinture
dépend depeudepnncîpes,&pre£<
qu'entièrement des talensnaturels ^
èc la Verfification confifte dans la
mefure harmonieufe, dans le tour
du vers, Se dans la rime -y &: quoi-
que ces chofes demandent de la
réflexion, de la lecture, & de la
pratique, elles s'apprennent néan-
moins aflez facilement.
Il n'en eft pas de même du Def-
fein & du Coloris ^ l'un & l'autre
exigent une infinité de connoiflan-
ces, & une étude opiniâtrée. Le
Deflein demande un exercice qui
produife une fi grande juftefle de
la vue pour connoître les différen-
tes dimentions des objetsvifibles,
6c une fi grande habitude pour en
former les contours, que le Com-
pas, comme difoit Michel-Ange,
doit être plutôt dans les yeux que
dans les mains.
Le Deflein fuppofe la feience
du corps humain, non-feulement,
comme il fe voit ordinairement :
mais comme il doit être pour être
-ocr page 452-
par Principes.         447
parfait, & félon la première inten-
tion de la nature. Il eft fondé fur
la connoifTance de l'Anatomie , &
fur des proportions tantôt fortes
ôc robuftes, & tantôt délicates ôc
élégantes, félon qu'elles convien-
nent aux âges , aux fexes, &t aux
conditions différentes : <k cela feui
demande des études & des refle-
xions de beaucoup d'années.
Ce même DefTein oblige encore
le Peintre à poffeder parfaitement
la Géométrie pour pratiquer exa-
ctement la Perfpective, dont il a
un befoin in'difpenfable dans tou-
tes fes opérations. Il exige une ha-
bitude des racourcis & des con-
tours dont la variété eft auifi gran-
de que le nombre des attitudes
eft infini.
Enfin le DefTein renferme enco-
re la connoifTance de la Phyfîono-
mie Se TexprefTion des paflions de
l'ame, partie fi nécefîâire ôrfï efti-
mabîe dans la Peinture.
Le Colons regarde l'Incidence
-ocr page 453-
44$ Cours de Peinture
des lumières, l'artifice du Clair-
obfcur, les couleurs locales , la
fimpathie & l'antipathie des cou-
leurs en particulier , l'accord 8é
l'union qu'elles doivent avoir en-
tr'elles, leur perfpe&ive Aëriene,
êc l'effet duTout-enfemble : Et tou-
tes ces connoifTances dépendent de
la Phyfique la plus fine & la plus
abftraite.
Je n'aurois jamais fait fi je vou-
lois parcourir tous les moyens qu'a
la Peinture d'exprimer tout ce qu'-
elle médite, ôt l'on voit affez par
tout ce que je viens de dire , qu'elle
ne manque pas de refiforts non plus
que la Poëfie pour plaire aux hom-
mes , pour leur impofer, & pour
ébranler leurs efprïts.
Mais quoique la Peinture &; la
Poëfie foient deux fccurs qui fe ref-
femblent en ce qu'elles ont de plus
fpirituel, on pourroit néanmoins
attribuer à la Peinture plufieurs
avantages fur la Poëfie, & je me
contenterai d'en toucher ici quel-
ques-uns..
-ocr page 454-
far Principes.          4457
En effet, fî les Poètes ont le
choix des Langues, des qu'ils fe
font déterminés à quelqu'une de
ces Langues, il n'y a qu'une Na-
tion qui les puifTe entendre : & l'es
Peintres ont un langage, lequel
( s'il m'efl permis de le dire ) à
l'imitation de celui que Dieu don-
na aux Apôtres, fe fait entendre
de tous les Peuples de ia Terre.
D'ailleurs la Peinture fe déve-
loppe , de nous éclaire en fe faifant
voir tout d'un coup : la Poëfïe ne
va à fon but, &. ne produit fon
effet qu'en faifant fucceder une
chofe à une autre. Or ce qui efl
ferré eft bien plus agréable , die
Ariftote, & touche bien plus vive-
ment que tout ce qui eft. diffus :
& fi la Poëfïe augmente le plaifïr
par la variété des épifodes, & par
le détail des circonftances, la Pein-
ture peut en reprefenter tant qu'el-
le voudra, & entrer dans tous les
évenemens d'une action , en mul-
tipliant fes Tableaux 5 8c de quel-
-ocr page 455-
45° Cours de Teinture
que manière qu'elle expofe Tes Ou-
vrages , elle ne fait point languir
fon fpeclateur : le plaifîr qu'elle
donne eft donc plus vif que celui
de la Poê'fîe.
On peut encore accorder cet
avantage à la Peinture , qu'elle
vient à nous parlefensle plus fub-
til, le plus capable de nous ébran-
ler , & d'émouvoir nospaffions, je
veux dire parla vue : caries chofesy
die Horace , qui entrent dans l'ef-
frit par les oreilles
, prennent un cke~
min bien plus long que celles qui y
entrent par les yeux, qui font des té-
moins plus fidèles & plus furs que
les oreilles.
Si après ce premier mouvement
on regarde les effets qu'elle pro-
duit iur Pefprit , il faut tomber
d'accord que la Poëfie comme la
Peinture a la propriété d'inftruire j
mais celle ci le fait plus généra-
lement. Elle inftruit les ignorans
auffi-bien que les doctes 5 fans (on
fecours il eft difficile de bien pe-
-ocr page 456-
far Principes, 451
netrer dans le relie des Arcs 5 par-
ce qu'ils ont befoin de Figures dé-
monftratives pour être bien enten-
dus. Et ce n'eft que par la perce
de ces mêmes Figures que les li-
vres de Vitruve&de Hieron l'an-
cien qui a traité des Machines nous
paroiftent fi obfcurs. De quelle uti-
lité n'eft-elle pas dans les livres de
Voyages ? & y a-t-il quelque fcien-
ce à laquelle Ton fecours ne Toit
pas néceflaire pour fa parfaite in-
telligence ? La Topographie, les
Médailles, les Devifes, les Emblè-
mes, les livres de Plantes, & ceux
des Animaux peuvent-ils fe paner
du fecours que la Peinture eft tou-
jours prête à leur donner?
Pour commencer par l'Hiftoire
Sainte , quelle joie pleine de vé-
nération n'aurions-nous pas, fi la
peinture avoit pu -nous conferver
jufqu'à préfent , le Temple que
Salomon avoit bâti dans fa ma-
gnificence .? Quel plaifir n'aurions-
nous point à lire l'Hiftoire de Pâu-
-ocr page 457-
452 Cours de Peinture
fanias, lequel nous décrit toute la
Grèce, Se qui nous y conduit, com-
me par la main, fi fon difcours étoitr
accompagné de figures démon-
flratives ?
La principal fin du Poëte eft
d'imiter les mœurs 6c les actions
des hommes : la Peinture a le mê-
me objet : mais elle y va d'une
manière bien plus étendue: car
on ne peut nier qu'elle n'imite Dieu
dans fa Toutepuiffance 5 c'eft-à-
dire dans la Création des chofes
vifibles. Le Poëte peut bien en
faire la defcription par la force
de les paroles, mais les paroles ne
feront jamais prifes pour la chofe
même, &: n'imiteront point cette
Toutepuiffance , qui d'abord s'efr.
manifeftée par des Créatures vifï~
bies. Au lieu que la Peinture avec
un peu de couleurs , & comme de
rien, forme & reprefente fi bien
toutes les chofes qui font fur la
Terre, fur les Eaux, Se dans les
Airs, que nous les croyons verl-
-ocr page 458-
far Principes'.         453
tables : Car l'efïence de la Peinture
eft de féduire nos yeux & de nous
furprendre.
Je ne veux point ici omettre
une chofe qui eft en faveur de la
Poë'fîe 5 c'eft que les Epifodes font
d'autant plus de plaifir dans la fui-
te d'un Poëme qu'elles y font in,
ferées & liées imperceptiblement}
au lieu que la Peinture peut bien
jreprefenter tous les faits d'une Hii-
toirepar ordre en multipliant fes
Tableaux ; mais elle n'en peut fai-
re voir ni la caufe, ni la liaifon,
Après avoir expofé le parallèle
de ces deux Arts, il me refte en-
core à détruire quelques objections
que l'on m'a faites.
On m'objecte donc, que la Pein-
ture emprunte delà Poëfie, qif A-
riftote dit, que les Arts qui fe fer-
vent du fecours de la main font les
moins nobles, enfin que la Poëfie
eft toute fpirituelle 3 au lieu que la
Peinture eft en partie ipirituelle §c
m partie matérielle»
-ocr page 459-
454 Cour de Peinture
A quoi je réponds, que le fe-
cours mutuel des Arts juftifie qu'ils
ne peuvent fe pafTer l'un de l'autre :
Et la Peinture n'emprunte pas plus
de la Poe fie, que la Poèfie emprun-
te de la Peinture. Cela eft livrai,
que les faillies Divinités qui ont
donné lieu aux Fables n'ont été
emolovées par les Poètes dans leurs
S* '            J                                                               1                      •
fictions, que parce que les Peintres
& les Sculpteurs les avoient pre-
mièrement expofées aux yeux des
Egyptiens pour les adorer.
Ovide tout Poëte qu'il eft dit a,
que Venus cette Déefle que la plu-
me des Auteurs a rendue fi célè-
bre, feroit encore dans le fond des
Eaux , fi le pinceau d'A pelle ne
l'a voit fait connoître. De forte
qu'à cet égard, fi la Poèfie a pu-
blié les beautés de Vénus , la
Peinture en avoit tracé la figure
&l le cara&ere
a De Arte am.
Si Venerem Cous nunquam finxiffet Apelkt.
Merfa fub »quoreit Ma Uttret aqttis,
-ocr page 460-
far Principes'.           455
Horace quiavoit véritablement
beaucoup de goût pour la Pein-
ture, mais qui devoit fa fortune
& fa réputation à la Poëfîe, dit
que les Peintres .& les Poëtes fe
/ont totijous donné ia permiffion
de tout entreprendre. Ainfî il
avoue qu'en matière de fiction,
leur Empire effc de la même éten-
due, comme il eft fans bornes &T
fans contrainte.
Si des Fables nous voulons paf-
fer à l'Hifloire qui efl une autre
fource ou les Peintes Se les Poëtes
puîient également , nous trouve-
rons qu'à la referve des Ecrivains
Sacrés, lapliipartdes Auteurs ont
écrit félon leurpaffion, ou félon
les Mémoires qu'on leur a donnés,
qu'ainfi il nous ont laiffé des dou-
tes fur beaucoup de faits qu'ils onc
fouvent rapportés diverfement.
Mais les faits Hiftoriques les plus
conftans au fentiment des habi-
les , font ceux que nous voyons
établis, ou çonfirmçs par les Me-
-ocr page 461-
45 <j         Cours de Peinture
dailles <k les bas-reliefs Antiques,
ou par les Peintures dont les pre-
miers Chrétiens ont décoré les
lieux foûterrains où ils faifoient
l'exercice de leur Religion : &. ces
lieux fe trouvent à Rome , & en
d'autres endroits d'Italie, fiaro-
nius dit, que le Peuple Romain
ayant découvert une autre Ville
fous terre , fut ravi d'y voir repre-
fenté en Peintures les chofes qu'il
avoit lâes dans fes Hiftoires. En
effet Bofius & Severan qui ont
écrit de gros Volumes delà Rome
fouterraine nous découvrent dans
les Peintures qui s" y font confer-
vées jufqu'aujourd'hui, l'AntiquL"
té de nos Sacremens, la manière
dont les premiers Chrétiens fai-
foient leurs prières, & dont ils en-
terroient les Martyrs, & plufieurs
autres connoiffances qui regar-
dent les Myfteres de notre Reli-
gion.
Que n'apprenons nous pas des
Médailles & des Sculptures Anti-
ques ,
-ocr page 462-
far Principes.         457
ques , la diverfité des Temples,
des Autels, des Victimes, des Va-
{es, des Ornemens du Pontificat,
&: de tout ce qui iërvoit aux Sacri-
fices , toutes les fortes d'Armes ,
de Chariots , de Navires 5 les în-
ftrumens fervant à la Guerre pour
attaquer &c pour défendre les Vil-
les j toutes les Couronnes diffé-
rentes pour marquer les dîverfes
fortes de Dignités &c de Victoires :
tant d'ornemens de têtes pour les
Femmes , tant d'habits difFérens
félon les tems Se les lieux, dans la
Paix èc dans la Guerre. Y a-t-ii des
Livres qui puiffent nous donner
des connoiflances auifi certaines
fur les Coutumes & fur les autres
chofes qui étoient en ufage chez
ies Romains, que celles que nous
tirons des Sculptures qui ont été
faites de leur tems. Les bas- reliefs
des Colonnes Trajane & Antoniar
ne font des livres muets où l'on ne
trouve pas, à la vérité, les noms des
chofes : mais les chofes mêmes qui
y
-ocr page 463-
4 5§ Cours de Peinture
fervoient dans le commerce de la
vie, du tems au moins des Empe-
reurs donc ces Colonnes portent
le nom.
Ceux qui ont écrit de la Reli-
gion des anciens Romains, de leur
manière de camper, des fymboles
allégoriques, de l'Iconologie , &
des Images des Dieux, n'ont point
eu de meilleures raifons pour prou-
ver ce qu'ils ont enfeigné , que les
Monumens antiques des Bas-re-
liefs & des Médailles. Enfin ces
Ouvrages & les Peintures ancien-
nes dont on vient de parler font les
fources de l'érudition la plus aflu-
rée. Et c'eft de-là que nous voyons
dans un grand nombre de Sçavans
cette vive curiofité des Médailles,
des Pierres gravées, 6c de tout ce
qui dans les beaux Arts porte le
cara&ere de l'Antiquité. Il s'en-
fuit donc de tout ce que je viens
de dire touchant la Fable & l'HiC
toire, que la Poëfie emprunte du
moins autant de la Peinture, que la
-ocr page 464-
far Principes,         459
Peinture emprunte de la Poëfie.
A l'égard de ce que dit Arifto-
te, que les Arts qui fe fervent du
fecours de la main font les moins
nobles, & de ce que l'on ajoute,
que la Poëfie eft toute fpirituelle,
au lieu que la Peinture eit en par-
tie fpirituelle & en partie maté-
rielle -, on répond , que la main
n'eft à la Peinture que ce que la
parole eft à la Poëfie. Elles fondes
Minières de l'efprit & le canal par
où les penfées fe communiquent.
Pour ce qui eft de l'efprit, il eft
égal dans ces deux Arts. Le même
Horace qui nous a donné des Rè-
gles G. excellentes de la Poëfie, dit,
(a) qu'un Tableau tient également
en fufpend les yeux du corps & ceux
de l'efprit.
Ce qu'on veut appeller partie
matérielle dans la Peinture , n'eft
autre chofe que l'exécution de la
partie fpirituelle qu'on lui accor*
(a) Safpendit pifl* vuhum mentemque Tabella*
V ij
-ocr page 465-
460 Cours de Peinture
de,&c qui efl: proprement l'effet de
la penfée du Peintre, comme la
déclamation eft l'effet delapenfée
du Poète.
Mais il faut bien un autre Art
pour exécuter la penfée d'un Ta-
bleau que pour déclamer une Tra-
gédie. Pour celle-ci , il y a peu
de préceptes à ajouter aux ta-
lens extérieurs de la Nature ,
& l'exécution de la Peinture de-
mande beaucoup de réflexion &;
d'intelligence. Il fuffit prefqu'uni-
quement au Déclamateur de s'a-
bandonner à fon talent, &: d'en-
trer vivement dans fon fujet ^ & je
fçai que le Comédien Rofcius s'en
acquittoit avec tant de force, que
pour cela feul, il méritoit , dit ( a )
Ciceron , d'être fort regretté des
honnêtes-gens, ou plutôt de vivre
toujours. Mais le Peintre ne doit
pas feulement entrer dans fon fu-
jet, quand il l'exécute , il faut en,,
core qu'il ait 3 comme nous l'avons
£ a ) Pro Archjs>
-ocr page 466-
far Principes]          461
dît , une grande connoiflànce du
JDeflein & du Coloris, &: qu'il ex-
prime finement les différentes phy-
sionomies , et lès différens mouve-
mens des pallions.
La main n'a aucune part à tou-
tes ces choies, qu'autant qu'elle
eft conduite par la tête. Ainiî , à
proprement parler , il n'y a rien
dans la Peinture qui ne foit l'effet
d'une profonde fpéculation. Il n'y
a pas jufqu'au manîment du pin-
ceau dont le mouvement ne con-
tribue à donner aux objets l'efprit
èc le caractère.
On m'oppofe de plus la faculté
de raifonner, &. l'on dit que ce pré-
cieux appanage de l'Homme,qui fe
rencontre dans la Poëfie avec tous
fes ornemens, ne fe trouve pas dans
la Peinture,
Tout ce que je viens de dire fe-
roit plus que fuffifant pour fatis-
faire à cette objection : mais il effc
bon de l'éclaircir pour y bien ré-
pondre.
V Jij
-ocr page 467-
462 Cours de Peinture
Il eft à remarquer que les Arts
n'étant que des imitations, le Rai-
fonnement qui eft dans un Ouvra-
ge ne fe pafle que dans l'elprit de
celui qui en juge. Il eft; donc ques-
tion de faire voir que le Spe&a-
teur trouve du Raifonnement dans
la Peinture , comme l'Auditeur
dans la Poéfie.
On entend par le mot de Rai-
fonnement, ou la caufe & la rai-
fon par laquelle l'Ouvrage fait un
bon effet, ou l'a&ion de l'enten-
dement qui connoît une choie par
une autre, & qui en tire des con-
fequences.
Si par le mot de Raifonnement
on entend la caufe Se la raifon par
laquelle l'Ouvrage fait un bon ef-
fet , il y a autant de Raifonnement
dans la Peinture que dans la Poë-
fie, parce qu'elles agilfent l'une de
l'autre en vertu de leurs principes.
Si par le mot de Raifonnement
on entend Pa&ion de l'entende-
ment qui infère une chofe par la
-ocr page 468-
par Principe ï.         465
connoîffance d'une autre , il fe
trouve également dans la Poëfîe
& dans la Peinture, quand l'oo»
cafion s'en prefente. Le plus fur
moyen de rendre cette vérité fen-
fible, eftdela'démontrer dans des
Ouvrages qui foient fous nos yeux,
& aufquels il foit aifé d'avoir re-
cours. Les Tableaux de la Galerie
de Luxembourg qui reprefentent
la Vie de Marie de Medicis, en
feront autant de preuves 5 & je me
fervirai de celui où efl peinte la
naifTance de Louis XIII. parce
qu'il eft le plus connu.
En voyant ce Tableau on infè-
re, par exemple , que l'accouche-
ment arriva le matin, parce qu'on
y remarque le Soleil qui s'élève
avec fon char, & qui fait fa route
en montant. On infère auflî que
cet accouchement fut heureux par
la conftellation de Caftor que le
Peintre a mis au haut du Tableau,
èc qui eft le fymbole des événe-
ments favorables. A côté du Ta-
Viiij
-ocr page 469-
4^4 Cours de Peinture
bleau eft la Fécondité qui tour-
née vers la Reine lui montre dan$
une corne cl'abondance, cinq petits
Enfans, pour'donner à entendre
que ceux qui naitront de cette
PrincefTe iront jufqu'à ce nombre.
Dans la Figure de la Reine , on
juge facilement par la rougeur de
fes yeux , qu'elle vient de .fouffrir
dans fon accouchement : Et par
ces mêmes yeux amoureufement
tournés du côté de ce nouveau
Prince, joints aux traits du vifage
que le Peintre a divinement mé-
nagés, il n'y a perfonne qui ne re-
marque une double paffion, je veux
dire un relie de douleur avec un
commencement de joie , & qui
n'en tire cette conféquence , que
l'amour maternel &. la joie, d'avoir
mis un Dauphin au monde , ont
fait oublier à cette PrincefTe les
douleurs de l'enfantement. Les
autres Tableaux de cette Galerie
qui font tous allégoriques , don-
nent lieu de tirer des conféquen-
-ocr page 470-
par Principes.          465
ces par les fymboles qui convien-
nent aux Sujets, & aux circonftan-
ces que le Peintre a voulu traiter.
Il n'y a point d'habile Peintre
qui ne nous ait fait voir de fem-
blables Raifonnemens, quand l'ou-
vrage s'eft trouvé d'une nature à
l'exiger de la forte. Car encore
que les Raifonnemens entrent dans
la Poëfie , &: dans la Peinture, les
Ouvrages de ces deux Arts n'en
font pas toujours mêlés , ni tou.
jours fufceptibles : Et les Métamor-
phofes d'Ovide qui font des ouvra-
ges de Poëfie , ne font la plupart
que des defcriptions.
Il eft vrai que le Raifonnemenr
qui fetrouve dans la Peinture n'eft
pas pour toutes fortes drefprits ;
mais ceux qui ont un peu d'éléva-
tion fe font un plaifir de pénétrer
dans la penfée du Peintre, de trou-
ver le véritable fens du Tableau
par les fymboles qu'on y voit repré-
fentes , en un mot, d'entendre un.
langage d'efprit qui n'eft fait que
-ocr page 471-
4.66 Cours de Peinture
pour les yeux immédiatement.
La trop grande facilité que l'on
trouve à découvrir les choies, af-
foiblit ordinairement les defirs 5 Se
les premiers Philosophes ont cru.
qu'ils dévoient enveioper la vérité
(bus des Fables, & fous des allégo-
ries ingénieufes; afin que leur feien-
cefût recherchée avec plus de cu-
riofîté, ou qu'en tenant les efprits
appliqués, elle y jettât des racines
plus profondes : car les chofes font
d'autant plus d'impreflion dans
notre efprit &: dans notre mémoire,,
qu'elles exercent plus agréable-
ment notre attention. Jésus-
Christ mêmes'eft fervi de cette
façon d'inftruire, afin que les com-
paraifons & les paraboles tinllent
les Auditeurs plus attentifs aux vé-
rités qu'elles îïgnifîoient.
On tire encore de la Peinture
des inductions par les attitudes ,
par les expreffions, & par les mou-
vemens des parlions de l'ame. Il y
a des Tableaux qui nous reprefen-
-ocr page 472-
far Principes,         46 j
tent des Converfatîons & des Dia-
logues ,*>ù nous connoiflbns juf-
quJau fentiment des Figures qui
paroifient s'entretenir. Dans l'An-
nonciation,par exemple,où l'Ange
vient trouver Marie, le Spedateur
démêle facilement par l'expreffion
& par l'attitude de la fainte Vierge
le moment que le Peintre a voulu
choifir j &.l'on connoît fi c'eft lors-
qu'elle fut troublée par une Appari-
tion imprévue, ou fielleeft étonnée
delà propofitiondel'Ange,ou enfin
fî elley confent avec cette humilité
qui lui fit prononcer ces motsiVoilk
la Servante du Seigneur
, & le refte.
Il paroîtqu' Ariflotemême ne fait
aucune difficulté d'accorder le raL
fonnement à la Peinture quand il
dit, que cet Art inftruit & qu'il
donne matière à raifonner non feu-
lement aux Philofophes , mais à
tous les hommes. Et Quintilien [a)
(a) pittura tacens apus & habiius j'entper ejufiim
fie in intima: pénétrât affettas
, ut iffam vim dicmdi
no» nunqunm [uferare videatttr, 1.11. c 5.
V vj
-ocr page 473-
468 Cours de Peinture
avoue que la Peinture pénètre &
avant dans notre efprit, ^'qu'elle
remue fi vivement nos paffions ,
qu'il paroît qu'elle a plus de force
que tous les difcours du monde.
Mais la raifon ne fe trouve pas ■
feulement dans les Ouvrages de
Peinture , elle s'y fait encore voir
ornée d'une élégance & d'un tour
agréable ; & le ïublime s'y décou-
vre auffi fenfiblement que dans la
Poëfîe. L'harmonie même qui les
introduit toutes deux , & qui leur
procure un accueil favorable s'y
rencontre indifpenfablement. Car
on tire des couleurs une harmonie
pour les yeux , comme on tire des
fons pour les oreilles.
Mais me dira-t-on , quelque ef-
prit que l'on puifle donner à la
Peinture , elle n'exprimera jamais
auffi nettement ni auili fortement
que la parole.
Je fçai bien que l'on peut attri-
buer à la parole des expreffions que
la Peinture ne peut fuppléer qu'inau.
-ocr page 474-
par Principes.          4.6$
parfaitement : mais je fçai bien auffi.
que la Poëfîe efr. fore éloignée d'ex-
primer avec autant de vérité &
d'exactitude que la Peinture, tout
ce qui tombe fous le fens de la vue.
Quelque defeription que la Poëfie
nous rafle d'un païs, quelque foin
qu'elle prenne à nous repréfenter la
phyfîonomie, les traits, & la cou-
leur d'un vifage, ces portraits laif-
feront toujours de l'oblcurité &: de
l'incertitude dans l'efprit&n'apro-
cheront jamais de ceux que laPein-
turenous expofe. L'ona vu plusieurs
Peintres qui ne pouvant par le
moyen de la parole donner l'idée
de certaines perfonnes qu'il impor-
tait de connoitre, fe font fervis de
fimples traits pour les défigner fans
qu'on put s'y méprendre. Ceux-mê-
mes dont la profeffion étokdeper-
fuader, ont fouvent apellé la Pein-
ture à leur fecours pour toucher les
cœurs, parce que l'efprit, comme
nous l'avons fait voir , eft plutôt
& plus vivement ébranlé par les
-ocr page 475-
4*70 Cours de Peinture
chofes qui frappent les yeux, que
par celles qui entrent par les oreil-
les : les paroles paflent & s'envo-
lent, comme on dit, &;les exem-
ples touchent. C'éft pour celàqu'au
raport de Quintiiien (■„-;■) qui nous a.
donné les Règles de l'Eloquence y
les Avocats dans les caufes crimi-
nelles expofoient quelquefois un
Tableau qui reprefentoit l'événe-
ment dont il s'agilïbit , afin d'é-
mouvoir le cœur des Juges par
l'énormité du fait. Les pauvres fe
fervoient anciennement du même
moyen pour fe défendre contre
Foppreffiondes Riches, félon le té-
moignage du même Quintiiien $
( b ) parce que y dit-il, l'argent des
Riches pouvoit bien gagner les
fuffrages en particulier : mais fitôt
que la Peinture du tort qui avoit
été fait, paroifïbit devant toute
l'âfTemblée, elle arrachoit la véri-
té du cœur des Juges en faveur da
pauvre. La raifonen eft que la pa-
role n'eft que le figne de la «hofe,
i»)6.l. (b) Del. il*»
-ocr page 476-
far Principes*         471
& que la Peinture qui reprefente
plus vivement la réalité, ébranle
pénètre le cœur beaucoup plus
fortement que le difcours. Enfin il
eft de Peflence de la Peinture de
parler par les choies, comme il eft
de l'efTence de la Poê'iie de pein-
dre par lesparoles.
Il n'eft pas véritable, pourfuivra-
t-on , que la Peinture parle & fe
fafTe entendre par les chofes mê-
mes j mais feulement par l'imita-
tion des chofes.
On répond que c'eft juftemenc
ce qui fait le prix de la Peinture y
puifque par cette imitation , com-
me nous l'avons fait remarquer, la
Peinture plaît davantage que les
chofes mêmes.
J'aurois pu me prévaloir ici d'une
infinité d'autorités des Auteurs les
plus célèbres pour foutenir le mé-
rite de la Peinture , fî je n'avons
appréhendé de rendre cette differ-
tation trop longue 8c trop hecM-
fée.
-ocr page 477-
47 *■ Cours de Peinture
je me fuis donc contenté de faire
obferver dans ce petit difcours ,
combien l'idée que l'on avoir de la
Peinture étoit imparfaite dans la
plupart des efprits, & que delà ve-
noit la préférence que quelques uns
ont voulu donner à la Poëfie. j'ai
tâché de faire voir la conformité -,
qui fe rencontre naturellement
dans ces deux Arts : j'ai touché
quelques avantages qu'on peut at-
tribuer à la Peinture & à la Poë-
iîe : J'ai répondu aux objections
que l'on m'a faites : & enfin j'ai
fait mon poffible pour conferver
à la Peinture le rang qu'on lui vou-
loit ôter.
-ocr page 478-
far Principes. 473
Description de deux - Ouvrages de
Sculpture
, qui appartiennent k
M. le Hay
, faits par M. Zurnbo
Gentilhomme Sicilien.
ON a fouvent oui dire à l'Au-
teur de ces deux Ouvrages,
dent l'un repréfente la Nativité ,
& l'autre la Sépulture de Jefus-
Chrift, qu'il a voulu repréiénter ces
deux Sujets , pour avoir occaflon
d'exprimer deux pallions contrai-
res ,• la Joie & la Trifteffe. C'eft
pour cela qu'il a choifi dans l'Hif-
toire de la Nativité l'arrivée des
Pafteurs , lorfqu'ils viennent re-
connoître & adorer le Sauveur, qui
félon les paroles de l'Ange, dévoie
être à tout le monde le iujet d'une
grande joie.
Dans l'Hiftoire de la Sépulture,
il s'eft attaché à repréfenter lemo-
-ocr page 479-
474 Cours de Peinture
mentoù Jofeph d'Arimathie,ayan£
obtenu le Corps de jefus-Chrift ,
la Vierge & les faintes Femmes qui
l'acccmpagnoient , donnent des
marques de leur douleur.
Et comme ce génie heureux a
bien fenti que la C ouleur releveroit
infiniment Ion Ouvrage , & qu'elle
feroît valoir l'es exprcfîions, il s'etë
fervî du Coloris , pour mettre le
vrai dans fes carnations 6c dans fes
draperies.
ZA NAT IV IT E\
Pour fuivre le Texte de l'Evan-
gile , l'Auteur a mis la fcene de ion
lujet dans un lieu dénué de toutes
chofes, & qui paroît par les ruines
qui en reftent, avoir été autrefois
un Temple d'idoles s mais qui ne
peut plus jervir que de retraite aux
animaux , & tout au plus d'une
étable abandonnée au premier
venu.
L'Auteur dans fa comportions
-ocr page 480-
par Principes.         475
a voulu faire entrer des reftes de
magnificence , pour rendre plus
feniible par cette oppofkion la pau-
vreté de Jefus-Cbrift , & pour é-
tablir fur le débris de l'Idolâtrie
la Religion Chrétienne II a con-
ftderé de plus, que pour contii-
buer à la Joie qu'il vouloit expri-
mer , il pouvoit , fans détruire
l'idée de la pauvreté du lieu , y
introduire quelque ouvrage de
Sculpture antique, & par-là réveil-
ler le goût de fon Spectateur , ôc
le plaifir que donne aux Connoif-
feurs la vue de ces précieux reftes.
Adjoutez que, comme il n'v a rien
de plus humble , ni de plus grand
que la Naiilance du Fils de Dieu ,
l'Auteur y a voulu Bire allufîon,
en mêiant la deftm&ion d'un bâ-
timent magnifique avec la beauté
de quelques reftes qui en faifoient
partie.
Notre illuftre Sculpteur a fait
entrer dans fon fujet vingt-quatre
figures, 8c fix animaux de différen-
-ocr page 481-
47 G Cours de Peinture
tes efpeces. Il a placé la Vierge
avec Ion Fils au milieu de la corn-
pofition. Elle y paroît d'un carac-
tère modefte , mais d'un agrément
infini ; & le Chrift, en confervant
la Figure d'un Enfant nouveau-né s
fait concevoir en Ion action quel-
que chofe de plus qu'humain
On remarque une grande variété
dans les figures de cette Hiftoire5
par la différence des phy fionomies,
des caractères, des fexes, des âges,
des attitudes &, des expreffions,
QuatreBergers font attentifs à con-
fiderer de près l'Enfant & la Mère
que l'Ange leur avoit indiqués.
A côté droit, quatre autres font
autour de faint Jofeph, qui leur ex-
plique le myftere, dont ils font té-
moins. Ces Bergers font voir en
diverfes manières les effets de la
grâce, en exprimant la Joie que
leur caufe cette inftru&ion.
D'autres plus craintifs, qui font
fur le devant de la compofition
de cet ouvrage , adorent de plus
-ocr page 482-
par Principes.           Ail
loin le Sauveur qui leur étoit né,
A côté gauche, quelques Ber-
gers s'entretiennent de ce qu'ils
voient, il v enaunentr'autres qui
paroît appgller les plus éloignés,
& qui les incite de fe hâter, pour
jouir de la nouveauté du fpe&acle.
L'Auteur a fait entrer dans la
compofition de fon fujet quatre
Anges qui font en l'air au.demis du
Chrift. & de la Vierge, fuppofane
qu'ils font envoyés de la Cour Cé-
leire , pour faire reconnoître aux
Pafteurs leur Divin Maître, & pour
i'adorer avec eux,
Les ajufternens, les draperies, les
coëfTures, &l to.ut ce qui accompa-
gne les figure?, leur convient H par-
faitement, que ceux qui en vou-
dront examiner le détail, en admi-
reront la diverfité & la vraifem-
blance. Les exprefîions, fuitout >
en
font fî vives, qu'on eh: forcé d'y
entrer par l'impreffion qu'elles font
fur les eiprits, lorfqu'pn y veut fai-
re quelque attention. L?un y expri,
-ocr page 483-
^_y% Cours de Peinture
rne l'admiration, l'autre la {impli-
cite j l'un la furprife, l'autre la dé-
votion -, & chaque objet marque
parfaitement le choix d'un beau
caractère.
Les figures y font deffinées d'une
exaéte juftefle, d'un goût grand , &
d'une manière convenable à leur
qualité. On y peut admirer la ten-
drefle des carnations, les beaux
plis des draperies, la vérité & le
contiafte des attitudes, la difpo-
fition des grouppes, 6c la dégrada-
tion des terreins.
Tout eft extrêmement fini dans
cet Ouvrage, ôciln'yapasjufqu'aux
plantes&aux autres minuties, dont
Texacle vérité ne fafle plaifîr. Les
couleurs mêmes,qui font d'ordinai-
re peu convenables à la Sculpture -,
y font ménagées avec une certaine
modération qui jette dans le tout
une plus grande vraifemblance,
6c entr'autres dans les Statues qui
font fi bien imitées d'un vieux mar,
bre tout taché , & tout altéré paç
-ocr page 484-
far Principes.         479
ie rems, que l'œ'l y eft trompé
Enfin toutes ces choies enfemble
font une merveilleufe harmonie ,
& concourent à exprimer le fujcç
avec tout l'agrément imaginable,
LA SEPVZTVRE.
L'Auteur de cet excellent Ou-
vrage a fait choix, comme nous
l'avons déjà dit, du moment que
Jofeph d'Àrimathie, ayant fait dé-
tacher de la Croix le Corps de Je-
fus-Chrift, le laîffe voir pendant
quelque tems aux principales per-
sonnes quiavoient aimé le Sauveur
pendant (à vie.
La fkuatïon du lieu qui eft plein
de rochers fait juger que la fcene
de ce qui fe pafle ici, n'eft pas loin.
de l'endroit que l'on avoit deftiné
pour la fepulture.
Le Chrift, la Vierge fa mère ,'
iaint Jean , & les trois Maries, trois
Anges , Jofeph d'Arimathie, Ni-
ppdéme, &le Centenier qui reçon-
-ocr page 485-
4-t o Cours de Peinture
nut la Divinité de Jefus-Çhrift in-
continent après fa mort, font la
compofidcn de cette Hiftoire.
Le Chrift eft placé au milieu de
la Scène , étendu négligemment,
mais naturellement, iur une pier-
re couverte d'un linceul, &, dans
une difpofition convenable à un
corps qui n'a plus de mouvement ;
mais qui fe trouve tourné comme
par hazard à émouvoir jufqu'aux
larmes la compaflion du Specta-
teur. La figure eft d'une propor-
tion fi noble 8t fi délicate, qu'en la
voyant on eft aifément porté à croL
re , qu'il y a fous ces apparences
quelque chofe de Divin.
La Vierge eft auprès de ce corps.
Elle en a appuyé la tête fur fes ge-
noux pour le mieux contempler.
Elle a le corps plié & les bras é-
levés, en aclion d'exprimer fa ten-
drefïe , & tout ce qu'elle fent fur
l'état , où elle voit fon Fils & fon
Dieu.
Les faintes Femmes qui accom-
pagnoient
-ocr page 486-
far Principes.         4S1
pagnoient, la Vierge le cœur rem-
pli de douleur , font voir chacune
à/à manière ce que peut la com_
paffion à la vue d'un ipe&acle iî
touchant. Les notions qu'a voient
ces faintes Femmes de la Divinité
de Jefus- Chriffc , pouvoient bien
mettre le calme dans leurs eiprits,
èc effacer toutes les marques de
leur arrlidion : mais l'amour qu'el-
les avoient pour leur Maître , les
outrages aufquels elles l'a voient vut
expole pendant fa vie , le fupplice
honteux de fa mort, ne leur per-
mettoient pas d'oublier entière-
ment les opprobres qu'il venoit
tout récemment de fouffiïr à leurs
yeux.
Il eft vrai que Jefus-Chrift, leur
avoic parlé de la néceffité de Ces
fouffrances, & de fa prochaine Ré-
furre&ion : mais tout, ce que put
faire l'eiperance de voir arriver
• bientôt la Réfurreciion , fut d'a-
doucir les tranfports démefurés
aufquels une triftelîe extrême nous
-ocr page 487-
. g i 0»r/ ^ Peinture
conduit.ordmairemenc. On ne ver-
ra donc point ici l'expreffion exté-
rieure du dernier abandon a la dou-
leur on y obfervera feulement tou-
tes les marques d'un cœur qui
dans l'excès de fon amour eft a la
vérité fort fenfible au triomphe
Prochain de jems-Chrift,maisqui
eft encore plus occupe du fouyenur
de fes Souffrances.
S lean placé du côte gauche ,
appuyé fur un rocher , dans une
attWe abattue , tient les clous
nu ont attaché fon Maître a la
Croix Si paroît faire les réflexions
lesiftftrumens.
leS^AuteuraplacélaMagdeene
du même côté aux pieds du Chnft-
File les baife avec amour , & iem-
ble les baigner de les lam.es, qu-
elle eft prlted'emiyer de fes che-
veux épars, comme ele fit dans la
Sn de Simon le Phanuen
"*£"deux autres tomes font,
l'une à genoux près de la Vierge,
-ocr page 488-
far Principes.         483
•&. l'autre debout. Celle-ci a le
corps panché , & la tête gracieu-
fement inclinée fur l'épaule , com-
me pour effuyer fes larmes avec le
linge qui lui lert de voile. Ces deux
femmes expriment fortement, &;
fans aucun mouvement exagéré ,
le mélange de douleur & de ten-
dreiTe , dont leur cœur eft: péné-
tré.
Les deux vieillards qui font der-
rière ces femmes, au coin de la
composition, dont l'un paroît être
Nicodéme, & l'autre le Centenier
qui reconnut la Divinité dejefus-
Chrïft incontinent après fa mort,
s'entretiennent aiîez vivement de
la manière injurie dont les Juifs
avoient condamné rinnocencemê-
me.
Jofeph d'Arimathïe, un peu plus
avancé fur le devant, & debout,
une main fur la hanche , & l'autre
fur la poitrine , dans une attitu-
de majeftueufe , les yeux tournés
vers le Chrift, fait attention à ce
Xij
-ocr page 489-
4S4 Cours de Peinture
qu'il voit : mais on juge facilement
par toute fon action , qu'il eft en-
core plus occupé de la foi qu'il a
reçue, & de la.grandeur du myftere
de la Rédemption.
Le goût du Deflein dans cette
Hiftoire eit. merveilleufement con-
venable aux figures qui la compo-
fent. Il eft Ivelte, élégant, & no-
ble dans le Chrift 6c dans les fem-
mes. Il eft plus fort & plus pronon-
cé dans les trois hommes qui font
plus ayancçs en âge. Il s'y trouve
diyerfement félon la diverfîté qui
fê voit ordinairement dans la natu-
re. Car pour S. Jean, fon caracler
re de deflèin eft entre la délicatefte
du Chrift Se la proportion plus pe-,
fante des trois autres figures, dont
je viens de parler. Cependant tou-
tes les proportions font pbfervées
dans leur genre avec toute la ju-
fterïe que l'on peut attendre de
Vkxt.
Trois Anges font en l'air au-def-
fijs du Chrift , |k compofent un
-ocr page 490-
far Principes.         4&J
groupe agréablement varié par
Jeurs attitudes contractées , & par
la diverfiré de leurs expreffions &
de leurs colons. Us font, dans leur
caractère d'enfans i défîmes com-
me les femmes 5 e'eft-à-dire, de là
même délicateffe.
Quelque difficile que foi t la r/fa-
tique du coloris dans la Sculpture,
il eit étonnant que l'Auteur s'en"
ïok acquitté, comme ri a fait, avec
un heureux fuccès. Les carnations
y font variées avec tant de ména-
gement & d'intelligence, que dans
la juftefîe qui leur convient, il y a
une fînefTe d'oppofkion de de diffé-
rence qu'on ne peut allez admirer.
Notre ingénieux Sculpteur ne s'eft.
pas contenté dés couleurs locales,
e'eft-à-dire , de celles qui con-
viennent à chaque chofe en par-
ticulier, il a encore cherché com-
me un Peintre habile , à faire va-
loir la couleur d'un objet par i'op-
pofition de la couleur d'un autre
ebjec. Le linceul , par exemple y
-ocr page 491-
-4^ 6 ■ Cours de Peinture
qui eft fous le corps du Chrift, don-
ne à la carnation un plus grand ca-
ra&ere de vérité par la .comparai-
fon de ces deux couleurs.
L'Auteur voulant attirer fur le
Chrift les yeux du Spe&ateur ,
comme fur l'objet le plus impor-
tant , s'eft fervi d'un brun doux ,
dont il a habillé la Vierge & la
Magdeléne , pour rendre la lu-
mière qui eft fur le Chrift, plus vi-
ve & plus fenfible.
La femme qui eft à genoux
entre la Vierge & l'autre Marie „
ne contribue pas peu à l'effet du
clair -obfcur , en diftinguant par
fon obfcurité les figures qu'elle fé-
pare.
La couleur des vêtemens de Ni-
codéme & du Centenier détache
& pouffe en devant , comme de
concert, la figure qui leur eft pro-
che.
Et Jofeph d'Arimathië eft ha-
billé d'une pourpre , qui non-feu-
lement défigne une perfonne de*
-ocr page 492-
far Principes.        4S7
Qualité $ mais qui, félon les règles
de l'Art , étant d'un ton fort &
Tigoureux: ,; convient aux figures
que l'on veut mettre fur le devant,
6c contribue dans l'affemblage des
couleurs à l'harmonie du Touten-
iêmble.
Mais ce n'eft pas feulement par
la couleur de fon habit que cette li-
gure eft plus fenfible que les autres.
L'ouvrage de la tête eft un chef-
d'œuvre de l'Art. C'eft un Vieil-
lard dont le vifage eft couvert de
rides, mais de rides fçavantes par
la manière dont elles font placées ,-
& dont elles font exécutées. Car
elles expriment la phyiionomie
d'un homme de bon efprit, limi-
tent la nature de ce caractère d'une
maniera la plus fone , la plus ten-
dre ; àc la plus accomplie. Mais
quoique cett^ ter_* foie tr'vaillée
dans la dernière exaftkud? , elle
ne fent point du tout la peine : le
travail y eft tout fpirituel, il y coule
de fource ,. & la patience qu'il a
Xinj
-ocr page 493-
4#&         Cours de Peinture
exigée eft plutôt l'effet du plaimr
que l'Auteur y a pris, que de la ne-
ceffité de le terminer. Tout eft
donc fini dans cette figure parti-
culière ; mais tout y eft de feu , &
l'adrefle de la main fou tenue de la
' force d'un beau génie , & d'une
feience profonde , ont rendu cet
Ouvrage digne certes de la plus
grande admiration.
C'eft ainfi que notre fçavant
Sculpteur , en joignant à ce trifte
fujet toutes les grâces dont il eft
fufceptible , & en répandant d'ail-
leurs toutes les marques d'une feien-
ce auffi profonde qu'ingenieufe , a
confaeré cet Ouvrage à la pofte-
rité.
Mais quelque foin que l'on ait
pris de rendre fidèles ces deux dé-
icriptions, il eft impoffible , en les
lifant feulement, fans voir les ou-
vrages mêmes, de fe faire une idée,
bien jufte de toute leur beauté.
-ocr page 494-
far Principes, 489
E£*«£3 ««iSSài-ÏS a«W9iK2iit£S trWWnf»"" Siu^g
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S?^» eysSçH".» W"» K""?* lfci""rA *»*»«* fcj'"' r4
LA BALANCE DES PEINTRES.
QUel qjj es perfonnesayant
fouhaité de lçavoir le degré
de mérite de chaque Peintre d'une-
réputation établie, m'ont prié de
faire comme une Balance dans la-
quelle je miflè d'un côté le nom du
Peintre & les parties les plus efl
fentielles de Ton Art dans le degré
qu'il les a pofledées, & de l'autre
côté le poids de mérite qui leuj?
eonvient 5 en forte que raroailant
toutes les parties comme elles le
trouvent dans les Ouvrages de cha-
que Peintre, on puiffe juger com-
bien pefe le tout..
J'ai fait cet eiTai plutôt poue
me divertir que pour attirer les au-
tres dans mon fentiment. Les ju-
gemens font trop differens fur cet-
se matière , pour croire qu'on aie
Xv
-ocr page 495-
49 o Cours de Peinture
tout feul raifon. Tout ce que je de-
mande en ceci c'éft qu'on me don-
ne la liberté d'expofer ce que je.
penfe , comme je la laifle aux au-
tres de conferver l'idée qu'ils pour-
roient avoir toute différente de la.
mienne.
Voici quel eft. l'ufage que je fais-
de ma Balance.
Je divife mon poids en vingt de-
grés, le vingtième efl le plus haut,,
& je l'attribue à la fouveraine per-
fection que nous ne connoiflbns pas
dans toute fon étendue. Le dix-
neuviéme eft pour le plus haut de-
gré de perfection que nous con-
noifîons , auquel perfonne néan-
moins n'eft encore arrivé. Et le dix-
huitiéme eft pour ceux qui à notre
jugement ont le plus approché de
la perfection , comme les plus bas
chiffres font pour ceux qui en pa-
roiiTent les plus éloignés.
Je n'ai porté mon jugement que
ftir les Peintres les plus connus , &
j'àî divife la Peintureen quatre co-
-ocr page 496-
far Principes,,'        49"r
ibilfles , comme en les parties les
plus efTentielles, fçavoir, la Com-
poiition , le Deflèin , le Coloris 3
& l'Expreffion; Cequej'entenspar
le mot d'Expreffion, n'eft pas le ca-
ractère de chaque objet, mais la
penfée du cœur humain. On verra
par l'ordre de cette divifîon à quel
degré je mets chaque Peintre dont
le nom répoad au chiffre de cha-
que colonne.
On auroit pu1 comprendre par-
mi les Peintres les plus connus, plu-
iîeurs Flamans qui ont repréfenté
avec une extrême fidélité la vérité
de la nature & qui ont eu l'intelli-
gence d'un excellent Coloris : mais
parce qu ils ont eu un mauvais gouc
dans les autres parties , on a cru
qu'il vaîoit mieux en faire une
cla/Te feparée,
Or comme les parties efîentîelles
de la Peinture font compofées de
plusieurs autres parties que les mê-
mes Peintres n'ont pas également;
fofteéées , il eft raifonnabe de
-ocr page 497-
49 ~ Cours de Peinture
compenfer l'une par l'autre pour
en faire un jugement équitable.
Par exemple .y la Compofition re-
lulte de deux parties ; fçavoir , de
l'Invention & de la Difpofition. IL
eft certain que tel a été capable
d'Inventer tous les objets necefTai-
res à faire une bonne Compofitionv
lequel aura ignoré la manière de les
difpofer avantageufement pour en.
tirer un grand effet. Dans le Def-
fein il y a le Goût & la Correction j
l'un peut fe trouver dans un Ta-
bleau fans être accompagné de
l'autre, ou bien ils peuvent fe trou-
ver joints enfemble en differens de-
grés & par la compenfation qu'on
en doit faire , ©n peut juger de ce
que vaut le tout,
Au refte, je n'ai pas affez bonne
opinion de mes fentimens pour n'ê-
tre pas perfuadé qu'ils ne foient fe-
verement critiqués : mais j'avertis
que pour critiquer judkieufemene
il faut avoir une parfaite connoi£
fanéede toutes les parties qui. corn-
-ocr page 498-
far Principes         493"
pofent l'ouvrage & des raifons qui
en font un bon tout. Car plufîeurs
jugent d'un. Tableau par la partie
feulement qu'ils aiment , & ne
comptent pour rien celles qu'ils ne
eonnoiflent ou qu'ils n'aiment pas».
-ocr page 499-
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■ Peintres les plus
connut,
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Albane.
Albert Dure.
André del Sarte.
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Baflari , Jacques.
Baflift. del Piombo.
Belin, Jean,
Bourdon.
Le Brun.
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Les Caraches.
Correge.
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Dan. de Volter.
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connus.
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Mich. Bonarotfi.
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Palme le vieux.
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Palme le jeune.
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Le Parmefan.
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Paul Veronefe.
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Perrin del Vague.
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Piètre de Cortone.
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Piètre Perugin.
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Le Sueur.
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NOMS
des Peintres les plus
connus.
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Coloris. |
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Tadée Zuecre.
Frédéric Zuecre.
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**#**=***#**#******#*#***********#*****'■
TABLE DES MATIERES
contenues en ce Volume.
ACciD5Ns.Ce que c'eft en Pein»
ture ,
                          Pag. zoS
Allégorie eft une efpece de langage, 5 §
Anatomie, l'ufagequ'onen doit faire, 3.9.
Elle a fait échouer plufieurs Peintres,
& en a fait eftimer plufieurs autres,
Antique dans la Peinture. Son origine &c
fon utilité. Son autorité chez les Au-
teurs anciens & modernes. Sa beau-
té , fon approbation univerfelle, &
fon élévation ,
                  130,319
Appeller le Spectateur doit être le pre-
mier effet d'un Tableau,
             17
Les Tableaux qui appellent le Specta-
teur font rares , & pourquoi ?• 17
La partie du Coloris eft ce qui contribue
davantage à appeller le Spectateur, 19,
Arbres,                               131,23$
Attitude. La bien choifir ,,             roo?
L'Aveugle de Cambaffi ,& fon Hiftok
-ocr page 505-
tablé
C
CÀradére. Ce que c'eft en Peinture $
iGx
Charge , & charger. Ce que c'eft eà
Peinture , & en quel cas on en peue
louer Ha pratique,
             jy , & 38
Ciel. Son caractère s-                      212
ConnoiiTeur, Les Demi-connoiffeurs ju-
gent ordinairement de la Peinture ,
fans connoiflance de caufe ,r '. %6
Contrafte. Ce que c'eft,
                 102
Clair-obfcur. Ce que c'eft ,             3^1
Trois moyens pour arriver au Clair-
obfcur, 366. Quatre preuves pour
démontrer fa néceflué ?
              370
Copier avec profit,                       294.
Coloris. Ce que c'eft,                     302
Cette partie de la Peinture eft très-peu
connue, mêmedes plus habiles, 303
Différence entre Couleur & Coloris,
3 02
Couleur fimple & Couleur Locale. Leur
différence,
                                  304.
Deux fortes de Couleurs, la naturelle
& l'artificielle , 30 j. Maximes tou-
chant l'emploi des couleurs, 317
Correction du Defféin ,
                   128
D
DEffein. Sa définition, 127,320
Ses parties principales ,
          n8
-ocr page 506-
des Matières
•Bevant du Tableau,                       1&I
pifpofition. En quoi elle confifte, y$
Elle contient fix parties ;
i. La Diftributiondes objets engéneral,
2.  Les Grouppes.
3.  Le choix des Attitudes»
4.  Le Contrafte.
y. Le Jet des Draperies.
6, L'effet du Toutenfemble.
Difpofuiçn. Spn effet,                    114
Les Draperies. Cequec'efl;,          177
Contiennent trois chofes :
r x. L'ordre des Plis,
                     178
\ 2. La diverfe Nature des Etoffes 187
1 3. La variété des couleurs dans les
(r
         Etoffes,                                 19 2
Le Traité des Drapexies en abrégé. 196
Les Draperies font d'une grande utilité
pour le Contraire,
                        i§t
Les Couleurs des Draperies peuvent con-
tribuer extémement à l'effet du Clair-
obfcur,
                                        igj
£
EAux,                                 -.• 225
Ecorcedes Arbres&léurvariété, 235
Elégance en Peinture,
                     *i f?
Sa définition ,                                160
Elle fe fait fentir quelquefois dans les
Ouvrages peu châtiés ^
                  l<Jo
Enthounafine,                                 I14
-ocr page 507-
Table
Moyen de difpofer l'efprit à l'EnthoufiaC
me,
                                               119
Efprk. l'Efprit s'élève avec le beau fujet,
& le lujet s'élève avec le bel Efprit, 6 5
Notre Efprit eft une plante qui veut être
cultivée,,
                                        64.
Eftampes dePaïfage excellentes pour étu-
dier , quand elles font de grands Maî-
tres ,
                                             140
jExageration générale neceflaite en Pein-
ture , & la particulière félon l'occa-
fion,
                                             30e
Elle doit être ménagée avec pruden-
ce,
                                               355
. Expreflioa. Sa différence d'avec la Paf-
fion,
                                             162
Ecole d'Athènes. Tableau de Raphaël,
Sa defcription ,
                               75
Vafarireprisdansladefcriptionqu'ilena
faite du tems même de Raphaël, Idem.
Auguftin Vénitien repris pour le même
fujet,
                                              79
F
TH Abriques,                                  ni
JT Fabriques propres au Païfage, 22.S
G
G Alleries de Luxembourg , 345
Gazon,
                                   217
Glacis. Ce que c'eft ,                       338
Coût. Goût du deflfein ,                    158
-ocr page 508-
À:s Matières,,
(Grâce. Il n'y a rien dans l'imitation dés
objets, où l'on ne puiflTe faire entrer de
la Grâce ,                                     -1.09
Grouppes. En quoi ils confîftentj 97
Il yen a de deux fortes par rapport au
DeHein & par rapport au Clair-obfcur,,
Leur relation ,                             109
H
HArmonie., & fes difFerens genres
. dans la Peinture,
             m,&c.
Hilîoire. Ce que c'eft en Peinture, 67
L'Hiitoire doit avoir trois qualités, la fidé-
lité , la netteté , & le bon choix, 6j
Comment le Peintre doit faire connoître
le fujet de fon Hiftoire, & de beaux-
exemples à cette occafion, 6 g & 69
I
JAbac , grand curieux. Son témoignage
fur la pratique de Vendeik au fujec
des Portraits 5
                                zp 1
Idée. Ce que c'eft ,                                t
Peux Idées de la Peinture. Idée générale
pour tout le monde,
                          3
. Idée particulière pour les Peintres, ^
L'ondoit tirer les véritables Idées des cho-
fes,de leure(îence,&de leur définition,£
Idée véritable de la Peinture, & le Vrai
ne font que la même chofe,
          2.0
Idées particulières ou fécondes qui regar-
dent les Peinttes feulement,
              «
\
-ocr page 509-
Tahk
Obligation ou lont les Peintres de bien
pofleder ces fécondes Idées, 6 Se 7
Les Idées des chofes entrent dans refptit
par les organes des lens,
                   j
Invention. Qe terme a produit différentes
Idéesdansl'efpritdedifFerens Auteurs, jo
Définition de l'Invention,
                 5 1
L'Inventioneil une des deux parties de la
Çompofition, dont l'autre partie s'ap-
pelle Difpofirion,
                           $1
Sa différence d'avec la Difpofttion , 52
Le moienderendre l'Invention ielevée,é8
L'Invention fe peut confideret de trois
manières , comme Hi.ftorique (impie»
ment 3 comme Allégorique ,& com-
me Mifti que, 5^
Bel exemple de l'Invention Miftique, 5 9
Par l'Invention, on juge du Génie du
Peintre >
                                         61
Bile ne peut produire que les chofes dont
notre efprit eft rempli ,
                   6z
L'Invention a differens ftiles,
           52
L'Invention allégorique exige trois cho-
fes, d'être intelligible, d'être autoriiée,
& d'être neceflaire,
                         71
L
LE linge eft un bon moyen de juger
de la Carnation du Naturel par la
Comparaifon,
                              496
Lointins & montagnes,                   z 14
L on gin
-ocr page 510-
des Matières.
"Longin , fon exemple dans le fublime.
110
M
A/4 Iroir convexe. Son utilité, 10?
N
^J Uages, leurs Caractères, iij
O
GRdre qu'il Tant tenir dans l'Etude
delà Peinture,
                     387
Ordre dont on a placé les parties de la
Peinture, & pourquoi ;
                  io
P
PArallele de la Peinture , & de la
Poëfie,
                                   42.0
Pallions de l'Ame,                          t6Z
Le Brun a écrit des Pa(lions fur le mo-
dèle de Defcartes,
                       t <j^
Deux fortes de Peintres,
                  40
Peinture. Sa définition ,
                       j
La véritable Peinture eft celle qui ap-
pelle fon Spectateur, s
La Peinture fe peut confiderer de deux
manières, par rapport à l'inftrudtion,
& par rapport à l'exécution , 49
La Peinture doit inftruire & divertir, &
comment, 66
Palais de la Peinture élevé par fes diffé-
rentes parties, félon la diverfité de
leurs propriétés z$ , &c.
Y
-ocr page 511-
Table
Le Pillage eft le plus agréable de tous
les talens de la Peinture ,            201
Deux principaux Stiles dans le Paifage ,
l'Héroïque & le Champêtre , 201
Heurs Defcriptions, i6i,i6z8ci6$
La jonction des deux Stiles en fait un
troifiéme,                                    zoj
Les parties du Paifage ,                   aoj
Obfervations fut le Paifage,            252
Plautcs ,                                          a 17
Portraits. Manière de les bien faire, aôo
S'il eft à propos de corriger les défauts
du Naturel dans les Portraits, 268
Le Coloris dans les Portraits,
         ayi
L'Attitude dans les Portraits ,         27^
Les Ajuftements dans les Portraits, 281
Comment ilfaut habiller lesPortraits, a 8 a
Pratique fpaeiale pour les Portraits , 28$
Politique pour faire riuffirles Portraits,
257
R
RAphael a poflèdé plus de parties
quaucun autre Peintre, & cité pour
cela,
                                            . it
Raphaël n'a peint appelle fon Spectateur
dans le général de tes Ouvrages, & ta-
remerjt dans quelques-uns,
             1}
Exemple récent de M. de Valincour lut
les Ouvrages de Raphaël qui font au
Vatican,
                                        J4,
-ocr page 512-
des Matières.^
Pourquoi on s'eft fervi de l'exemple' de:
Raphaël ,                                       z;
Roches ,■                                         21S
Rubens peu connu à fond,                %-j
Son fentiment fur l'Antique,           139
Rubens a rendu facile le chemin qui coiv
duit auColorisplus qu'aucun autre, 34e
Objection & réponfe au fujet de Rubens,
S
SEnecjué, fon fentiment fur le plainY
que donne la Peinture dans le tems
qu'on l'exerce ,
                             3 j 1
Les Sites Partie du Païfage,            zoe
Les Sites bizarres & extraordinaires plai-
fent & réjouiffent,
                       207
Sujet, le bien choifir , .                    63'
Le caractère du Sujet doit frapet d'à-*'
bord le Spectateur,
                       $6
Si le Peintre a le choix de fon Sujet, il
d«it préférer celui qui eft le plus pro-
pre à fon Génie ,
                          64.
Les Jeunes-gens doivent s'exercer fur
toutes fortesde fumets. Belle comparai-
fon à cette occafion^ 63
T
TAbleau. Le premier effet du Ta-
bleau eft d'appeller foiïSpeitateur,^
Un Tableau qui contient une des parties
de la Peinture par excellence doit être
Y ij
-ocr page 513-
Tdhle des Matières'.
loué, & peut tenir place dans an Cabï*
net de Curieux,
                            10
Exemple de Rembrant fur ce fujet, 10
Terreins ,,
                                       219
TerrafTes,                                        220
Le Tout-Enfemble, en quoi il confifte ?
105.
V
UNité d'objet. Sa necefïité & fa dé-'
monftration ,,
                        108
Le Vrai doit prévenir le Spectateur, &
l'appeller,-                                       8
Sa Defcripfion ,                                  29
Trois foi tes de Vrai dans la Peinture, 30
L'Idée que Raphaël avoitduVrai $6
De quelle confequence eft le Vrai dans
la Peinture,                                   41
Lettre de M. l'Abbé du Guet, au fujet du
h Traité du Vrai dans la Peinture, 44
Fin de la Table des Matières
-ocr page 514-
N
^2**15**12* 3**13**1 S^
PRIVILEGE DU ROT.
I^UPi Gui^?ar la Grâce be Dieu,*
; Roy de France & de Navarre ;
1 A nos amez & feauxConfeillers les
Gens tenans nos Cours de Parlement ,.
Maîtres des Requêtes ordinaires de notre
Hôtel, Grand Gonfeil, Prévôt de Paris,»
Baillifs, Sénéchaux, leurs Lieutenans Ci~-
vils, & autres nos Jufticiers qu'il appar-
tiendra , Salut. Jacques Eftienne Librai-
re à Paris, Nous ayant fait remontrer qu'il
defireroit faire imprimer un Livre, intitu-
lé, Cours de Peinture par principes , compoja
parle Sieur de Piles -, s'il nous plaifoit lui
accorder nos Lettres de Privilège fur ce né-
ceîfaires.Nous avons permis & permettons
par ces Préfentes audit Eftienne , de faire
imprimer ledit Livre, en telle forme, mar-
ge , caractère, & autant de fois que bon lui
lèmblera, & de le vendre, faire vendre &
débiter par tout notre Royaume , pendant'
le tems de Cinq années confécutives , à*
compter du jour de la datte defditespréfen-
tes ; Faifons défenfes à toutes Perfonnes de
quelque qualité & condition qu'elles puit
fênt être d'en introduire d'Impreffion
Etrangère dans aucun lieu de notre obéît»-
-ocr page 515-
fance, & à tous Imprimeurs, Libraires,. &'
atftres d'imprimer, faire imprimer, verii.
dre, débiter ni contrefaire ledit. Livre, en
tout-ni en-partie, fans la permifïïon expref-
fe & par écrit dudit Expofant ou de ceux
qui auront droit de' lui" -, à peine de confîf-
catiorT des Exemplaires contrefaits , de
Quinze cens livres d'Amende pour chacun
des Contre'venans , dont un tiers à Nous ,
un tiers à l'HôteLDieu de Paris ; l'autre
tiers audit Expofanï, & de tous dépens,
dommages & intérêts-: A la charge que ces-
Préfentes feront enregiftrées tout au long
fur le Regiftre de la Communauté des Im-
primeurs & Libraires de Paris, & ce dans'
trois mois de la datte d'icelles ; que l'im-
preffion dudit Livre fera faite dans notre
Royaume& non ailleurs, en bon papier Se
en beaux caractères conformément auxRe-
glemens de la Librairie, & qu'avant que de'
l'expofer en vente, il en fera mis deux E-
xemplaires en notre Bibliothèque publi-
que, un d'ans celle de notre Château du'
Louvre, & un dans celle de notre dès cher
& féal Chevalier Chancelier de France, le
Sieur Phélypeau* Comte de Pontchar-
train , Commandeur de nos' Ordres ; le'
ïcut à peine de nullité des Préfentes : Du
contenu dèfquelles vous mandons & en-
joignons de faire jouir l'Espofant ou fe?:
-ocr page 516-
Ayans caufe^ pleinement &paifiblernent,
fer» foufFrir qu'il leur foit fait aucun trou-
ble ou empêchement. Voulons qu~ la co-
pie defd. Préfentes qui fera imprimée au
commencement ou à la fin dudit Livre^
foit tenue pour duërnent lignifiée, &c qu'-
aux Copies coljationnées par l'un de nos
amez & féaux Confeiilers' & Secrétaires,
•foi foit ajoutée comme à FOriginal j Com-
mandons au premier notre HuMïïer ou Ser-
gent de faire pour l'exécution d'icelles tous
A&es requis &c néceflaires fans demander
autre permiffion, & nonobftant clameur
de Haro, Chartre Normande, Se Lettres à
•ce contraires : C a r tel eft notre plaifir.
Donne' à Paris, le vingt-troifiéme jour
de Janvier, l'an de Grâce mil fept cens
huit ; & de notre Règne le foucante-cin-
quiéme. Par le Roi en ion Confeil ; Signé,
ifCoHi b. Et fcellé du grand Sceau de
.cire jaune.
Regiftréfurle Regifiredela Communauté des
Libraires & Imprimeurs de Paris ,
N°. %. Pag.
315. N°. 599, conformément au Règlement,
& notamment k l'Arrejî du Conjèiï du 1$.
Aouft îyoj.AParislefixiémeMars
1708.
Signé, LOUIS SEVESTRE, Syndic.
Pc l'Imprimerie de Pierre MsRce',
rué Saint Jacques , au Cocq.
-ocr page 517-
A F RO B ATI ON,
'AY. lu par ordre de Monfei-
gneur le Chancelier un Livre
Intitulé, Cours de Peinture &c. Il
m'a paru que cet Ouvrage feroic
très.utile & très-agréable au Pu-
blic. Fait à Paris ce i$>. Janvier
,170.8. t
RAGUET.
I
KUNSTHISTORISCH INSTiTUUT
DER RUKSUNIV8RSITEIT UTRECHT