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VOYAGEUR
CATHECUMENE. |
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A LONDRES.
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MDCCLXVUI.
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V O Y A G E ü R
CATHECUMENE.
DEs affaires de commerce m'avoient en-
gage ä faire un voyage fur mer; j'etois deja bien loin'des cötes de ma patrie, lorf- qu'une tempete affreufe nous fit perdre no- tre route. Nous paflames plufieurs jours en- tre la vie & la raort; enfin nous fumes jet« tes fur une terre inconnue, & forces de trouver un azile contre la fureur des flots. Je tombai entre les mains d'un peuple
rempli dhumanite' ; je m'apercus bientAt q-a'il avoit perfeftionne tons, les arts, qu'il pratiquoit les vertus, & qu'il £toit doue des plus hautes lumieres on l'homme puiffe at- teindre. Mon admiration egaloit ma re- connoiffance: mais htilns.' il n'eft que trop vrai ,que l'homme d^cele toujours par quel- que endroit la foibleffe de fon etre. Ces gens-lä avoient pris de l'amitie pour
taoi comme j'en avois congu pour eux; leur douceur, leur honnetete avoient gngne" inon ame: ils me dirent un jour, de quelle religion etes vous ? Cette queftion me fur- prit; je leur demandai, s'il y en avoit deux: *na reponfe les fit fourire, & je vis qu'ils «Hoient &onnis de mon ignorance: Us ajou- |
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terent, adorez-vous des Dieux de bois, de
mdtal ou de pierre ? Je hauflai les epaules; ils prirent un air de fatisfattion, & pourfui* virent : croyez-vous ä JVloife qui fit rnafla- crer vingt trois nulle de fes concitoyens par ordre de Dieu? Je fis un mouvement d'in- dignation; ils continuerent & me demande- rent, fi j'&toia difciple de Mahomet qui fen« dit la lune en deux, & qui la cacha dans fa manche? Je ne repondis que par des fi- gnes de mepris, qui parurent ks fatisfaire infiniment: etes-vous Chretien, me dirent- ils enfin? Je r<5pliquai, que je ne favois pas ce qu'ils vouloient dire: ils parurent fort &onn<*s , & ils ajouterent , qu'ils ne connooToient dans le monde que quatre ef- peces de religion. Vous n'en avez done point, me direntils? je leur r^pondis vai- nement, que j'etois ne dans un pays, oü 1'on adoroit un feulDieu, Intelligence fu- preme & bienfaifante, qui a cre^ le monde & qui le gouverne; qui recompenfe dans une autre vie les bonnes actions que l'hom- me a faires dans celle - ci; que notre cul- t'i confiftoit dans une reconnoiifance & une foumiflion fans bornes, & dans l'exer- cice habituel des vertus, c'efta-dire de la moderation, de la temperance , de l'hu- lnanite" , de la bienfaifance & de la ju- ftice. Eft-ce tout, reprirent-ils ? je leurs dis que tout etoit renferme' dans ce peu de mots. Eh quoi 1 votre Dieu, ajoutereflt- |
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As, n'a point fait de miracles? II a cree" le Ciel & la Terre, repondis-je modefte- laeut; que voulez • vous de plus? Quoi! point de Myfteres, de Pretres, de cere- monies! Je baiffai la tete, & leur^( dis que je ne les comprenois pas. Je les entendis slors s'ecrier entre eux; le pauvre honime.' dans quel exces d'aveuglement, d'ignoran- ce & de barbarie il eft plonge! Mon ami,: Hie dit 1'un d'eux, nous avons piti£ de vo- tre ecat , nous voutons vous dclairer; re- iberciez Dieu qui vous a conduit de fa main au milieu de nous, pour vous inftruire & Vous convaincre de notre fainte & admira» Me religion. Notre Dieu fe nomine le Chrift, nous nous appellons Catholiques, Vous allez voir Dieu. Mon etonnement fe. foit difficile a exprimer; eh quoi! vous me ferez voir Dieu! Sans doute, repondirent- ils, vous le verrez tout comme nous; nous 1'avons pour cela que quatre pas ä faire. Je les fuivis done: nous aprochions d'iin.
Edifice immenfe, us medirent que c'&oit.le Temple; je me fis expliquer ce mot: j'ap- Pris, aveclaplusgrandefurprife, quec'tkoit In bätiment oü r^fidoit leur Dieu. Eh quoi! 'eur dis je, vous renfermez Dieu entre qua. tfe murailles, cet Etre immenfe , infini, 5lü anime, penetre , environne des mondes '^Os nombre! Ils me repondirent froidement: luand vous verrez notre Dieu, vous ne fe- l^2 plus fi furpris. J'aper?us des portes, |
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des -ferrures & des clefs ä l'entrie de l'e'difi« ce, j'en demandai l'explication. Quoi! le Dieu du Ciel & de la Terre, vous ie teneZ fous la clef! 11 le fauc bien, dirent-ils, fans cela on pourroit le voler, le profaner. Voler Dieu! le profaner! Je paffois d'eton- nement en £tonnement. Nous avancjons dans ce qu'ils appelloient
le Temple; je demandai oü 6toit le DieU que l'on devoit me faire voir. Un peu de patience , me dit- on ; on me conduifit ä l'extremite- de l'edifice. La fur une table itevöe de quelques mar*
ches au deflus du ,fol, on me montre une grande niche d'un travail riebe & <£l£gmti dans cette niche un cercle tout rayonnant d'or & de pierreries attire mes regards. Ce qui m'&onnoit, e'etoit de voir ce cercle rempli d'une efpece de morceau de papief blanc: je leur demandai ce que c'&oit. C'eftnotre Dieu, dirent-ils, le voilä: ä ge1 houx, Profane, adorez le Dieu de l'univers. J'avoue que je n'y voyois pas beaucoup,
de vraifemblance : cependant comme j'ai toujours ete avide de m'inftruire, je pris la liberty de leur demander, pourquoi ils cro- yoient OjUe le morceau de papier füt Died lui-meme ? D« papier, rdpliquerent-ils, Blafpbima*
teur \ Ce que vous voyez, n'eft point du papier, e'eft un morceau de päte travail^ avec la plus fine farine. Non rnoius &ofl' |
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ne" qu'auparavant, j'infiftai & fis la meme
demande, a regard de la feuille de päte. Alors ils me dirent, vous ne favez done
pas-, ignorant, que Dieu s'eft fait homme? Je leur jurai que j'en apprenois la premie- re nouvelle. Je leur demandai pourquoi il s'&oit fait homme. II faut que vous fachiez, reprirent - ils, que le premier homme man« gea une pomme malgr£ la deTenfe de Dieu, & que toute fa poft&ite fut en confluence condamne'e 4 des fupplices kernels. Une autre fois Ies hommes fe rendirent fl coupa- bles , que Dieu fe repentit de les avoir cre6s; & dans un moment d'humeur, il les noya tous , ä Perception d'un tres - petit nombre. La poft£ric£ de ceux-ci n'en de- vint pas meilleure: Dieu continuoit ä etre irrite ; il s'agiflbit de räconcilier Ie genre humain avec lui, & Dieu le fils fe fit hom- me pour appaifer Dieu le pere. Cette famille divine ne laiffa pas que.
de m'&onner un peu; & la fille de Dieu, dis-je alors, "qu'eft -eile devenue? Ils r6- pondirent gravement, Dieu n'a point de fil- le. — Ha ha ! il n'a que des gargons! Mais dites - moi, ä quoi vous connoiffez le fexe de ce fils. — Ils räpondirent, Dieu eft incorporel, il n'a point de fexe, il n'en peut avoir. — Mais, infiftai-je, .comment Dieu le pere a -1- il produit le fils, qui ne peut etre ni gargon ni fille? — It l'a en- gendre. — Dieu le pere a done un fexe ? A3 |
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Il a done une femme ? — Rien de tout cc la. — Oh! mes amis, ne vous fervez done pas de termes qui defignent une operation toute corporelle ; mais pafTons la - deilbs. Quand elt-ce que le pere a engendre le iils V — De toute Eternite. — ivies amis, il y a enccre ici quelque contradiction, il n'y a pas moyen que frengendreur & Ten« gendrt5 foient prt!cißment auffi anciens l'un que l'autre. Accordez-moi an moins une minute. — Nous ne vous accorderions pas une feconde. — Eh bien, palTons encore, je n'aime point ä difputer fur ce que je n'entens pas; dites-moi ä pre fen t : votre Dieu n'a-t-il point eu d'autre enfant?—• Non, mais il y a clans la famiile une tryi- ficme peifonne, qui procede du pere & dtt fils. — Procede ! Je ne comprens pas cela: eile n'eft done pas engendree celle-lä? — Non vraiinent, prenez garde ä ce que vous dites, vous commettriez une berede. — Eh bien, je vous paffe encore votre proceffion, quoique je n'y entende rien. — OhlMon- fieur, ce font des Myfteres. — Et qu'eft: ce que des Myfteres ? — Ecoutez ■ bien , Monfieur, ce font des chofes que Dieu lui» meine a revelees aux bommes, tout exprcs afin qu'ils n'y compriffent rien du tout. —• A merveille, Meffieurs! — 11 a voulu bu- milier leur raifon. — C'eft-ä dire qu'ii a voulu leur infpirer du mepris pour le bien- le plus precieux qu'ils tiennent de lui; 6c |
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tous ne faites done plus aucim ufage de votre raifon. — Pardonnez - moi, ii nous eft ordonne de l'employer dans toutes Ies chofes de la vie, excepte lorfqu'il s'?.g:t de Religion, alors ce feroit un crime de la confulter. — Toujours de mieux en mieux, mais vous
avezdonc trois Dicux? — Point du tout; trois perfonnes, ä la verier, doitt U prefflie- re eft le pere, la feconde le fils, le verba ou la parole, la troificme 1'efprit; rnais. toutes les trois ne font qu'un feul Dieu , re- marquez bien ceia, car e'eft une chofe im» portante. — Comment ! comment! Mes« fieurs, trois qui ne font qu'uu & on feul qui fait trois! — Oui, ceia eft, ä la vtiiV te, contre toutes les regies de l'Arithmeu- que, mais vous concevez combien la The- ologie doit etre au deflus de cette petite fcience fubalterne. — Fort bien, & lorf- que quelqu'un vous doit trois 6cus, etes- vous contens s'ilnevous en donne qu'un?-? , Oh! Monfieur, vous voulez rire, mais ce
n'eft pas ici matiere ä plaifanter; e'eft en- core un Myftere. —• Oh! tant. — Vous n'etes pas au bout, e'eft ce qui fait notre lnerite , croire ce qui eft abfurde, voilä^ voilä ce qui peut flatter Dieu: d'ailleurs nous fommes venus ä bout d'expliquer tout ceia & d'en rendre raifon.— Ah! peurriez vous me faire voir ces explications? — Ah! ceia ■vous prendroit trop de terns. II y a dix>
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fept cens ans que nous compofons fans ceffe
des volumes d'explication fur toutes ces ma- tieres ; & (le croiriez - vous) il y a encore des milliers d'incredules que nous ne pou- vons convaincre. — Eh mais! je vois un moyen de les ramener: menacez-les de leur jetter les volumes ä la tete, je parie qu'ils viennent fe foumettre ä vos pieds. Mais revenons ä votre troifieme perfon-
ne, comment l'appellez-vous? — Le Saint Efprit. — S'eft-il fait homrce auffi? — Point du tout, il s'eft fait Pigeon: — Fort fcien, mes amis, l'un me paroit aufli croya- fcle que 1'autre. — Nous ne fommes pas bien allures que ce fut fa forme naturelle, mais toutes les fois qu'il s'eft montre aux fiommes, iln'apas manqu£ de^evetir celle- lä. -< Et vous tenez fans doute ce Dieu - Id dans un pigeonier? — Point du tout, nous ne le tenons point du tout, non plus que Dieu le pere, que vous voyez peint lä haut avec des cbeveux blancs & une longue bar« be. — Vous peignez fans doute le fils avec la memebarbe &les memescheveux blancs? Oh! non, vous le voyez lä fous la figure d'un bei homme , d'äge viril, comme il convient. — Mais s'ils font auffi anciens l'un que 1'autre, il me femble que le tils a autant de droit que le pere, ä tous les v£- neVables fignes de vieilleffe. — Monfieur, il faut de l'ordre en toutes chofes : vous voudriez done renverfer les loix de la na* |
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ture & confondre le pere avec le fils: ce«
lui-ci difoit toujours dans fa courfe.mortel- le, que fon pere e'toit plus grand que iui. - Et vous le croyez pourtant fon £gal ? — Sans doute , egal , plus grand; quand on veut s'entendre , tout cela revient au me- ine. ----- On ne peut mieux raifonner: Et le fils
y'eft fait liomme fans doute de toute Eterni- te? — Quelle pitie! il n'y a que dix-fept cens ans. — De qui & comment eft-il n^?- Mon eher Monfieur il eft ne d'une Vierge. - Elle fut tres-furprife fafls doute ? — Oh ! vous jugezbien, mais un Ange, un Efprit cälefte e^oit venu heureufement pour la preparer; fans cela vous concevez qu'ellc feroit morte de frayeur & de honte en ac- couchant: vous allez fitre bien furpris enco- re, cette Vierge dtoit mariee. — Ah! pardonnez-moi , je le fuis un peu moins que vous ne penfez: ce Myftere ä mon a- vis fe comprend un peu mieux que les au. tres. —' Ne plaifantez point, fon mari ne couchoit point avec eile; c'eft encore une revelation. — Mais enfin comment cette Vierge congut eile ? — Par l'operation du St. Efprit: — Eh bien, par exemple, voi- lä qui eft clair, & l'exprefllon eft de plus fort honnete; c'eft-a-dire que !e pigeon qui procede du fils, a enfuite" produit le fils Dieu homme V — Vous y etes precitöment. II faut que vous ayez un talent aatiwel pour A5 |
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ddbrouiller les genealogies. — Le fils d'u>
ne Vierge & dun pigeon etoit veritablement un Dieu? — N'en doutez-pas, la chofe eft fi claire, comme vous voyez. -- Et cet homme Dieu, de quelle efpece de femme niquit-il? — D'une Charpentiere. — Ah! j'en fuis bien aife pour les Charpentiers: & ou näquit-il? — Dans une etable, entre un bceuf & un äne, au mois de D^cembre,. par un ties-grand fro id ; mais Dieu n'a- bandonna pas fon fils; l'äne & le bceuf fouf- floient fur lui & le rdchaufoient. - Et n'y avoit - il qu'un äne ? -. Non Monfieur. — Ah! je concois bien , qu'ils n'etoient pas tous lä; & quelle vie mena-t-il enluite?-- II paffa trente ans dans la boutique de fon pere ä qui il dtoit d'un grand fecours dans tous fes ouvrages. -- Vraiment je crois que c'etoit de la befogne bien fake: ah!' Meffieurs, les belles idees que vous avez de la Divinite! — Au bout de ces trente ans, il fe mit ä pre eher le peuple dans les Campagnes, cela dura quelque terns ; enfui- te les Magiftrats fe mirent de mauvaife hu- meur, parce qu'it difoit dans fes fermons beaucoup de mal des gens riches & en pla- ce, & qu'il pretendoit qu'ils iroient ä tous les. Diables : il pre^vit qu'il alloit etre mis en prifon , & il fua de peur fang & eau.— Votre Dieu fua de peui! Eb bien, voili encore un beau trait dans fon hiftoire. — On l'.arräta,& par Sentence des Magiftrats, |
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City
apres qu'on lui eut crache au vifage, il fur
mis en croix entre deux voleurs. - Fran- chement, voilä un Dieu en fächeufe poftu- re, ou en bien mauvaife compagnie ! Et il mourut? — Et il mourut. - Et il fut en- terre ? -> Et il fut enterre\ .- Eb bien r Meflieurs , voilä done qui eft fini , votre Dieu eft pendu, mort &enterr(5, voilä fon hiftoire terminer : je la trouve , d'honneur■',. on ne peut pas plus amufante. - Monfieur, Monfieur , vous allez bien vlte ; il mou- rut , il eft vrai, pour engager Dieu le pere a pardonner aux hommes. — En confide- ration de ce qu'ils avoient tue" fon fils: rien de mieux imaging en effet. - Mais apre« nez que pour temoignage da fa Divinite, il fe reffufcira lui-meine trois lours apres fa mort. -- En public ?-- Non, fecrettement. - Etquelles preuves en avezvous ? - Le recit de ("es Difciples. — Et que difoit tout le peu- ple ? •- II nioit le fait. - Fort bien, Mes- fieurs, vous etes aufli heureux en preuves qu'en raifonnemens; Et avoit-il fait ci'autres miracles pendant fa vie? - Oh! tantlil gue- liffoit tous les poißdes, il fecboit les figuiers, H envoyoit les Diables dans des troupeaux <äe cocbons, il rempliflbit de poiffon les filets de fes difciples, il remettoit tres-propreinenc fes oreilles couples,' il changeoit l'eau en vin , l'-rfqu'il £toit prie d'aflifter ä des nöces: car il faut vous dire qu'il ne fe faifoit pas fifle jpeine de fe trouver ä des feftins lojfr' A* 6 |
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C iO
qu'on l'en prioit. — Vraiment pour un Dieu
Charpentier, il t^toic tout-a-fait aimable, & de plus je vois qu'il fe rendoit utile dans les jnaifons: c'eft for: bien fait ä lui: Et voyoit- il des femrnes'^ —Quelquefois, il etoit fur- tout fort indulgent pour les femmes adulte- jes, & fa meilleure amie dtoit une Courti- _anne publique! il avoit gagnö fon ame, ail |)oint qu'elle ne voyoit plus que lui. — Eh jnais! je fuis aflez content de ce miracle lä, il marque du talent & un nitrite cache\ — Ah! vous dites bien, Monfieur, il aiinoit tant ä fe cacher, que jamais dans fa vie il jn'a dit qu'il &oit Dieu. — Et pourtant vous le croyez Dieu ? — Sans doute: fes Secla- teurs ont difpute' Iongtems fur cet important article: il en a it& de meme du St. Efprit, & par ce qu'il n'dtoit point parle; de ces trois perfonnes Divines dans les anciennes ecri- tures. Le St. Efprit n'a die reconnu qu'apres douze cens ans: & quant a la Divinite de JeTus, il n'a fallu que trois cens ans de dif- f utes, de troubles, de maffacres, pour de- cider la chofe ä fon avantage. — Ah! je fuis cbarme de cette fortune-lä: eile s'eft unpeu fait attendre, mais que Diable, c'eft fa tau- te aufll: lorfqu'un Charpentier eft Dieu, il me femble qu'il doit le dire lui-merne; fans cela comment veut-il-qu'on le devine? Il jne femble que ce feroit encore affez faire, que de Ten croire fur fa parole; en verit* tous les Charpentiers du monds E'en pea* vent pas exiger daya&jage, |
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Mais puifque vous aimez tant ce Dien
horame, fans doute il eft ne dans votre pays? — Point du tout, il näquit, il vccut dans une aütre partie du monde. — Jl me fenible que vous cherchez vos Dieux bien loin: ap- paremnient il avoit compofe" un corps de Doctrine & de Religion, que vous avez era devoir adopter ? — II n'a point fait de corps de Doftrine, il n'a point enfeigne de nou- velle Religion, il n'a rien compote, rien €* crit; ne vous avons-nous pas dit qu'il aimoit a cacher fes ceuvres ? Mais ä fon deTaut, quelques - uns de fes difciples ont ecrit fon biftoire, fes difcours, fes penfees. — Et e'eft ce qui forme le cede de votre Religi- on? eile y eft annonce^e, d^finie, preferite exaetement? — Rien de tout cela, on n'y trouve que quelques faits de fa vie, aecom- pagnes de quelques'preeeptes de morale, qu'il r^pandoit 5a & lä dans fes difcours; il y dit lui-meme hautement & expreffement, qu'il eft venu aecomplir la loi ancienne, & non la changer. — II y avoit done avant lui une Religion particuliere dans le pays oü il prit naiffance ? — Oui vraiment. — C'eft done cette Religion que vous fuivez? —• Nullement; la notre lui eft oppofee prefque dans tous les points. — Mais d'oü vous eft done venue cette Religion nouvelle que vous avouez vous-mSme n'avoir pas et£ annoncee ni enfeign^e par votre Dieu ? C'eft done tous qui l'avez falte. — Nous avons explü |
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. ( '4)
qt'e", comment^, -interpreee fans cefie pen-
dant dix-fept cens ans, tous les difcours de notre Dieu, & nous en avons tire une belle fuite de Dogmes & de Myfteres tout nou- veaux. — Et vous etes tous d'aecord dans ces explications? — Ah! il s'en faut bien, nous n'avons pas ceiTe' de difputer, de com- battre, de nous egorger pour ces diverfes interpretations. — Je fuis fache1 de vous le dire, mais voilä une Religion qui ne parole pas attirante; vous ne vous entendez pas les uns les autres, & vous vous e^gorgez pour cela! Je fuis fort mal edifie\ je vous l'avoue,, il s'enfuivroit de vos principes que Dieu fe- roit venu expres parmi les hommes, pour les engager ä fe maflacrermutuellement. Vr> tre Dieune me plait point du tout, mais je vois ce qui vous a fait adopter une Religion fi extraordinaire, e'eft que les habitans oil votre Dieu precha, 1'avoient tous embras- fee ? — C'eft encore ce qui vous trompe j. notre Dieu n'ygagna qu'un tres-petit.-nombre de Difciples, tous de la lie du peupler & ne vous avons nous pas dit qu'il fut mis ämort par ordre des Magiftrats? — Quoi! Mes- fieurs, fe-s difcours n'ont pas 6t6 crus par la Nation qu'il inftruifoit? -— Non, Monfieur, — Ses miracles n'ont pas perfuade" ceux qui en etoient te>ioins ? — Non, Monfieur. — Et vous croyez ä routes ces chofes, vous qui etes a mille Iieues & ä dix-fept cens ans de diftance? — Oh! Monfieur, il y a explica*. |
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( 15)
tion ä tout. II faut que vous fachiez que Dieu
avoit envoye expres fon fils cbez ce peuple, & qu'il avoit expres endurci le creur de ce peuple, pcur qu'il ne crut pas ä fon fils. — Bien explique! en honneur, voilä qui me paroit fatisfaifant ä l'exces. Faites-moi le plaifir de me dire quel etoit Je nom de ce peuple ? — On l'appelloit le peuple Juif. — je ne le connois point. — Oh! Je le crois; il occupoit un il petit & fi pauvre pays, que fa reputation n'a pu faire beaucoup de che- min; rriais il n'en etoit pas moins autrefois le premier peuple de la Terre. Dieu I'avoit choifi parmi tous les autres, pour en faire fa Nation favorite: il le gouvernoit par lui- meme , il parloit fouvent ä fes chefs, mais il ne leur montroit que fon derriere. Nous ne finirions pas, fi nous voulions vous ra confer tous les prodiges qu'il ne cefibit dvo- perer en leur faveur. Une fois entre autres qu'ils e"toient au
nombre de fix-cens mille combattans, il leur donna les moyens de fe fauver des mains des ennemis qui les pourfuivoient pour les avoir voles par ordre de Dieu. — Ab! Mon- fieur, le beau miracle! Six-cens mille com- battans qui s'enfuient! L'admirabie idee que vous me donnez de cette brave Nation , & de fon Dieu! — II la cheriflbit a tel point, qu'a la moindre fame qu'elle commettoit, il la livroit en proye aux peuples voifins, gui la reduifoient, en efclavage, ou Ja anafla- |
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( i<5)
crolent fans pitie; quelquefois aulll par pure
tendreffe pour les Juifs, il Ieur ordonnoit de s'^gorger mntueliement, ci il y ea eut line fois vingt-trois millemis a mort par leurs propres concitoyens: & cela par les ordres de Dieu meme. II commanda ä un de leurs Rois de maffacrer jufqu'au dernier homme d'une Nation vaincue. Celui-d eut 1'audacc de ne pas egorger des homines hois d'etat de fe deTendre, il en fut puni: un fils de ce Roi mangea un peu de miel un jour de ba- taille , il fut condamne ä la mort. Le pers & le fils furent profcrits par leur Dieu juiie- ment irrite', qui choifit expres de fa main un nouveau Roi. Celui-ci a la verite1 coucha avec la femme d'un de fes Gene'raux, & fit maiTacrer le mari. 11 eut de cette femme adultere un fils,
qui raffembla fept-cens famines dans fon Se- rail : mais Dieu les chärit toujours J'un & l'autre. Tous deux furent combos de be- nedictions celeftes. Notre Dieu homnje avoit l'honneur de defcendre en droite ligne de cette femme adultere. — Ah! Meffieurs, vous me faites fr<Smir. — Ne vows avons-nous pas dejä dit que la conduite de ce Dieu fut toujours myfterieufe, & qu'il s'eft propofö pour objet d'humilier la raifon humaine ? Le premier tegiflateur de ce peuple, & qui lui fut donne1 pour chef par Dieu-meme, itoit un aiTaffin, il n'en eut pas moins le don de faire des miracles Tans nombrs. II com« |
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( 17)
pofa un tres-grand corps de Loix civiles & religieufes, que nous confervons encore, & que nous re>e>ons comma certainement infpirees par la Diviniti. — Et vous ne les fuivez pas ? — Non vraiment, nous les avons en horreur ainfi que ceux qui les pra. tiquent. 11 eft vrai que ce peupie avoit d'a. bord e^e" choifi de Dieu, & tout le refte de la Terre rejette: enfuite toute la Terre a &e" appellee, & ce meine peupie profcrit. N'ad- mirez-vous pas, Monfieur, la fageffe du Dieu que nous adorons? Nous voulons auffi vous faire admirer fa bonte: il avoit defen« du au peupie Juif, fous les plus grandes peines, de mangerdu cochon, & Dieu s'eft fait homme tout expres pour changer cela. Depuis dix-fept cens ans, nous mangeons du cochon tant qu'il nous plait, & par re- connoiffance nous brülons ceux qui n'en man- gent pas. A merveille: mais expliquez-moi, je vous
prie, ces mots profcrits, rejetUs, que je n'entens pas bien. — lis fignifient que tous ceux qui n'adorent pas notre Dieu, & qui ne lui rendent pas le mSme culte que nous, font condamn^s dans l'autre vie ä des flam? mes £ternelles. — Je comprens: mais puifque tous les hom-
ines ont ete appelles ä votre nouvelle Reli- gion, pourquoi n'a-t-elle jamais ete" connue dans le pays oü je fuis ne ? — Myftere , Monfieur, Myftere! Et croyez-vous etre le |
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c is;
feu!, qui n'ayez point connoiffance de cette
nouvelie Religion? —Je l'nnagine dumoins d'aprcs vos principes. — Apprenez que le Chrifti-mifme a rampe d'abord fur la terre pendant plufieurs fiecles, ignore, cache, repandu lenternent dans lepeuple. Quelques Souverains 1'adopterent: alors fes progres fe Brent plus rapidement & d'une maniere ecla- tante : mais dans fon plus haut point de •grandeur , jamais il n'eft parvenu ä occuper la quinzieme partie de la Terre. — Et les quatorze autres parties de la Terre ne -pro« duifent que des damnes! — Ilien n'eft plus certain, & gardez-vous bien d'en douter, vous feriez datnne vous meme. — Cela me paroit bien dur: mais fans doute votre Dieu, votre Religion ont £te annoncds ä tous les peuples: c'eft leur faute, s'ils- perfiftent dans I'erreur. •- Vous vous preffez toujours trop tot de juger: apprenez que ies trois quarts de la Terre n'ont jamais eu ni pu avoir con- noiffance de notre Religion, du moins pen- dant quinze-cens ans. Nous ignorions encore Tart de la navigation, nous ne pouvions tra- verfer Ies mersimmenfes qui nous feparoient d'eux, pour aller les inftruire de nos dogmes & de notre culte. — Et ces gens Ii etoier.t damned pour n'avoir pas connti ce qu'ils ne pouvoient pasconnoitre? — Sans doute :de- puis trois fiecles Tart de naviger nous a mis- ä portde d'aller inftruire queiques-uns de ces peuples, feulement fur les c6tes; car i* |
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( 19)
etoit impoffible de pen&rer bien avant dans
les ten es. Nous avons fait qtjelqsea Profe- lites. -- Et ceux qui he peuvent croiie que trois ne font qu'un ? - Mr., nous les e^gor- geons, toutes les fois que nous forames les plus forts. -» Ah! barbares! -• Prenez gar- de ä ce que vous dites: nous vengeons np- tre Dieu, qu'ils ne veulent pas reconnoitre: nous voulons lui gagner des ames; elles re- fiftent, il faut bien punir leur obftination. — Meffieurs, croyezvous votre Dieu tout-puis. fant ? -- Certainement. -• Il eft tout-puis. fant, & vous penfez qu'il a befoin de votre fecours pour gagner des anies, & vous vous efaargez du foin de punir pour lui, & de le venger! Quelle terribie inconföquence ! Et votre Dieu vous. a-til ordonne" expreffemenJ d'egorger vos freres en fon nomV - Non pas preciföment, mais nous avons l'artd'in- terpreter fes volonte^. On voit bien que vous ne favez pas ce que c'eft que le zele de la gloire de Dieu , & l'extreme envie de lui plaire. - Et le moyen que vous choi- fiffez , eft de maffacrer fes Creatures. Je fremiffois de tant d'abfurdites& d'hor-
reurs : mais faifant effort fur moi-meme pour achever de m'inftruire, je leur deman- dai quel £toit leur culte. lis me dirent,vous I'allez voir, voila le Pretre qui monte al'au- tel, fuivez les c£r£monies. Je vis en effet cet homme fingulieiemenS
& richement v£tu, fe courber, le relever, |
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(*>)
fe promener d'ua cöte ä l'autre , lifmt,
marmotant des paroles que je n'entendois pas: je leur dis, cet homine ne parle done pas votre langue ? — Vraiment non , repon« dirent-ils; tomes nos prieres font dans une langue etrangere, qui n'eft guere entendue que de la millieme partie de la nation; & la pluparc meme des livres de notre reli* gion font Merits dans un langage fi ancien > que perfonne ne le comprend plus. — Je t^moignai ma furprife, mais on me repeta doucement, fuivez les ce>t5monies. Je vis alors le Pretre prendre entre (es mains une grande feuiile de pate. Je leur dis: eft ce encore-lä votre Dieu? Pas encore, me r&- pliqua-t on; mais vous n'attendrez par long« tems. —Je redoublai d'attention, pour voir comme on devenoit Dieu. Le Pretre s'inclina, marmota quelques mots, leva le morceau de päte par defTus fa t£te: tout le monde dtoit profterni, on m'obligea d'en faire au- tant. Je ne comprenois rien ä tout cela. Cependant le Pretre prit une coupe d'ar- gent, dans laquelle je lui avrois vu mettre de l'eau & du vin; il s'inclina encore, pro« nonca des paroles, leva la coupe par deffuS fa tike. Interdit, &onne\ je demandai Im- plication de ce que je voyois. — On ms repondit, ce morceau de päte que vous avez vu d'abord, & que vous voyez enco- re, ce vin & cette eau qui font renfermes dans cette coupe, exiftoient tout-ä-l'heure» |
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. & n'exiftent plus. — Comment! lis inexis-
tent plus, & je les vois comme je les vo- yois auparavantl — N'importe, me dit on, vos fens vous trompent: d'abord, c'etoiten effet de la päte, c'gtoit du Vin & de l'eau; a prefent par le moyen des paroles que la i Pretre vient de prononcer, cette päte s'eit | aneantie, elk eft devenue le CofpS meme de notre Dieu: cette eau & ce vin ont cede d'etre , ils font devenus le fang de Dieu. : Etes vous au fait ä prefent? Convenez que voilä un beau Myftere. — Admirable en effet! Le Corps de Dieu d'un cote" , & fon fang de l'autre! Que cela eft heureufement imagine! Mais, Meffieurs, etes-vous bien affures de ce que vous me dites? — Com- ment en pouvez vous douter? Le Pretre a dit les paroles. — Et votre Dieu eft oblige" de s'y foumettre, & de fe rendre lä ä point nomme? —Sans doute. — J'avois ou'idire que Dieu avoir cree rhomme, & ici c'eft l'homme qui cree Dieu. — Oui , Mon- fieur. — Et vous pouvez tous operer ce prodige? — Oh.' non, il n'y a parmi nous que les Pretres qui ayent ce pouvoir. — Et qu'eft-ce que les Pretres ? — Ce font des homines qui embraffent cet dtat pour vivre, & a qui Ton donne dix fols pour faire ce prodige. — Cela ne me paroit pas eher, & ils ne le font apparemment qu'une feule fois dans leur vie? - Point du tout, ils le peuvent ä toute heure, ä tout moment; |
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rnais pour 1'ordinaire, ils fe contentent d'u-
ne feule fois par jour. — Eh vfrrite cela me parolt bien modefte de leur pare. Vous avez done chaque jour autant de Dieux que de Pretres? — Vous y etes precifement — Et avez vous beaucoup de Pretres ? — Un n ombre prefqu'infini. — Et par confequent un nombre prefqu'infini de Dieux. Ah ! Meflieurs, la belle manufacture que vous avez 14! Je fuis dans un dtonnement. — Ne vous preflez pas de vous dtonner, me di- rent-ils, vous 'n'etes pas au bout. — Appa- remnient.leiir dis-je alors, qu'il n'y aqu'un feul de vos Pretres qui fafle cette ceremo- nie a une heure fixee: votre Dieu ne pour- roit fe trouver en deux endroits A la fois. — Vous vous trompez encore : il y a peut- etre, en ce moment meme , cinq cens mil- le Pretres qui prononcent les meines paro« lcs. •- Et cinq cens mille Dieux crees 4 la fois au meme inftant ? - Oui , Mon- fieur, & e'eft abfolument un feul & meme Dieu partout. -- Et les cinq cens mille Dieux ne font qu'un. -• A merveille, vous voyez Men que cela va tout feul, & que rien n'efi plus aife 4 comprendre, vous 1'avez faifi d'abord, mais ne perdez pas le Pretre de viae, & obfervez attentivement ce qu'il fait. Je levai les yeux , & je I'apercus qui rompoit la feuille de päte entre fes doigts; Je fremis, & ne pus m'empecher de m'e- crier : ah! Meflieurs, voilä le Pretre qui |
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cafle les bras & les jambes a votre Dieu 1
lis fe mirent ä fourire & me dirent avec douieur ,• ne craignez rien , il l'a divifö en trois parties, il eil vrai, mais c'eft fans lui faire aucun mal: car le corps de Dieu fe trouve ä preTent tout entier dans chacune de ces trois parties, & vous devez conve- nir que cela fe comprend aufli aifement que tout le refte. Je fus oblige de l'avouer. En ineme tems je remarquai que le Fretre mettoit un petit morceau de päte dans la coupe oü etoit le fang; etonne' encore , je leur dis: le voilä qui met le corps dans le fang, & il me femble au contraire que c'eft le fang qui devroit etre dans le corps, lis fe mocquerent de moi, & me dirent de na pas infiiler fur ces bagatelles, & que j'al- lois voir bien autre chafe. , En effet je vis le Pretre qui plioit pro-
prement les deux grandes parties de la feuil- le de päte Pune fur l'autre, il fe frappa trois fois la poitrine, il approcha fa bou- cbe: jugez de ma furprife! je le vis faifir fon Dieu entre les dents, lui faire craquer les os, le manger, le devorer, Pavaler en- fin & l'abforber dans fon eftomac. On me dit, vous voilä bien etonjs^t vous ignoriez qu'un horame put manger Dieu: vous voyez pourtant que cela eft bientdt fait. - Ah! Ivleffieurs, leur dis je, il en a mange tren* te pour le moins, car j'ai bien vu qu'il Pa $ölcbi affez lengtems, & il ne Pa pu fans |
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la divifer entre fes dents; & vous venez de me dire que dans chaque partie il recon- noiffoit un Dieu tout entier. - Eh bien! trente fois, me r^pondit - on. - J'avoue , repris-je alors, qu'ii 6toit bien jufte qu'il les mangeät, puifqu'il les avoit faits. Mais comment n'a-t-ü pu faire qu'une bouchee de ce corps tout entier, ou plutdt de ces trente corps? Comment le goüt de la chair de cet homme Dieu, ne l'a-t»il pas fait fre-tnir ? — Vous n'y etes pas, reprirent- ils: il n'a fenti que le volume & le gout de la petite feuille de päte: ne vous avons- ,nous pas dit que toutes fes apparences con- tinuoient de fubfifter? - C'eft-a-dire, que votre Dieu apres avoir fait un miracle pour venir lä, en opere un fecond pour vous en faire douter. •- Oui, Monfieur , afin que nous ayons du m^rite ä croire. -• Je vois, Meflleurs, que vous n'en etes pas les du- pes, & que vous" ne donnez pas dans ces pieges - la. Mais fans doute votre Dieu a enfeignd formellement & evidemment ce Dogme, il a inftitue diftin&ement le facri- flee & toutes les ceremonies, il a cree des Pretres? -- Ilien de tout cela : on ne trou- ve dans fori hiftoire ecrite par fes difciples, ni ces facrifices, ni ces myfteres , ni ces Pretres , ni ces prodiges fans nombre: mais nous lifons dans cette hiftoire, qu'etant un foir a fouper avec fes amis, il prit par for- me dc converfation un morceau de pai'n |
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qii'il' partagea avec euxen Ieur difant.r ceci
eft mon Corps, & quand vous ferez ces ehofes, vous les ferez en memoire de moii il n'a jamais dit que ce peu de mots fur cet^ te importante matiere. Cent auteurs ont travaille", ont dcrit fur ce paffage, & en ont enfin tire" cette admirable doärine que nous venons de vous enfeigner. — II fal. loit que ce fuffent d'habiles gens. — Oh f nous vous en faifons juge; il faut vous dire »uffi, qu'ils tkoient tous Pretres. — C'eft. 4-dire de ceux qui fe vantent de faire le miracle. — Oui, Monfieur. — Eh mais! [e fuis un peu moins e'tonne' que je n'£tois il'abord. — Malgre' une autoritd fi däcifive, des nations entieres ont altera,. ont däigur£, ont nie ce dogme; il a fallu le deTendre les armes ä la main, & il n'en a giiere coü- te" que trois ou quatre cens mille homines, pour ie conferver dans toute fa purete" chez quelques peuples feulement, car il a £te aboli chez beaucoup d'autres. Cependant un d'entre eux me tira dour
cement par la manche, & me dit: fuivez ee qui fe paffe ä Pautel. J'ob&s: le PrStre tira une petite clef de fa poche, il l'appli- qua ä une petite ferrure, & ouvrit une pe- tite niche obfcure qut eroit au milieu de L'autel; il s'inclina, porta fa main dans la niche, & en re'tira un vafe d'argent; il d<j* couvrit le vafe, & retira avec le bout des- doigts, une tres. petite feuille de plte,, fe |
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letourna vers les fpettateurs, defcendit de
l'autel, s'aprocha dune baluflrade couverte d'une nape; tons les afliftans s'avancerent l'un apres l'autre, prirent un bout de la na- pe fur leurs mains, baiflerent les yeux, leverent la tece , tirerent la langue: le Pre* tre les parcouroit tous, & leur placoit fur \ä langüe le petit morceau de päte. Quand tout cela rat fini, j'en demandai
l'explication, felon mon ufage: ils me di- rent tranquillement , ce font autant de Dieux que nous avons manges: dequoi etes- vous etonne ? il me femble que chacun fon Dieu ce n'eft pas trop. — Quoi! Meffieurs» ce vafe que le Pretre a tire" de ce petit ca- chot noir, etoit tout plein de Dieux? — Oui vraiment, tant qu'il y en peut tenir, tous couches les uns fur les autres en atten* dant qu'on les mange; tous les jours la ta- ble eft dreffee, comine vous voyez , la na- pe eft mife; & tout homme qui fe fent en appe'tit fpirituel peut venir fe regaler de- votement. — Le matin & l'apres midi? — Le matin feulement. — Ah ! je comprens, vous ne mangez votre Dieu qua dejeuner : Et dans tous vos Temples eft ce la meine chofe? — N'en doutez pas; dans tous Jes pays oü notre Religion eft etablie, il fe confomme peut-etre, bon an, mal an , cent ou deux cens millions de Dieux. Repe'tez ce nombre jufqu'a la fin du monde, ajoutez- y le grand nombre de fiecles qui fe font |
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icoul& depuis l'^tablilTement da notre cul-
te, vous verrcz des milliards de milliards de morceaux de päte, de Dieux, de meta- morphofes, de prodiges & d'eftomac3 bu* mains changes en temple de la Divinitö. Ah! Monfieur, l'admirable Religion! nos champs font couverts de moilibns, & il n'y a pas un feul grain de bled qui ne puif- fe au befoin devenir un Dieu. — Vous n'en dites pas affez, Meffieurs; car d'apres vos principe«, vous n'avez qu'ä brifer en parti • cedes infenfibles tous les morceaux de päte, le tout fans faire aucun mal ä votre Dieu, (car ce feroit bien dommage) & en ce cas, vous multiplierez vos Dieux comme les fables do la mer. Je dtkouvre encore que, comme il y a dans le fein de la terre une infinite de portions da inatieres qui peuvent devenir du bled & de la farine, toutes ces multitudes innombrables de particules n'at« tenJent qu'un heureux hazard , pour etre autant de Dieux; j'appercois dans un tas da furnier des milliers d'Etres Divins poffi- bles; vos latrines memes en regorgent; & il n'y a pas une partie de vos cadavres, qui ne puifle ä fon tour devenir une Diyi- nite. — On ne pent pas mieux raifonner, dirent-
ils alors: vous avez faiü toute la fecondite" des principes. — Mais, repris-je auffitöt, il me refte une queftion ä vous faire: quand vous avez mange' votre Dieu, vous Sees - B 2 |
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( 28 )
^oncvous-m£mes autant de Dieux aiiibu-
lans: & s'il plaifoit ä un de vos Pretres dc fe nourrir uniquement de cette päte divine, tout Ton corps a la longue ne feroit done plus qu'une coagulation de Dieux , & s'il illoit ä la garde - robe, fes excrshnens fe- roient encore des Dieux, & vous tiendriez Tans dome ä grand honneur de les manger* — Vous vous trompez ici, me dirent • üs
froidement. ------ Mais, Meflieurs, cony
ment la chofe peut-elle nr£tre pas ainfi?
j'ai bien voulu ne pas vous contefter la deftruction & l'an&ntiflement devotre päte, de votre eau & de votre vin; mais Dieu ne peut-6tre ni detruit, ni ane'anti; & s'il ne peut l'etre, ma confluence eft neces* faire & Evidente. Puifque vous mangeZ Dieu, ou vous le digerez ou vous le ren- dez paries feiles, pardonnez-moi le terme. — NiPun Tri l'autre, me dirent-ils: notre
Dieu, il eft vrai, prend un fingulier plaifir ä &tre mange': on ne peut rien faire qui lui foit plus agreable. — A la bonne heure, on ne difpute pas des gouts. — Mais, Monfieur, de ce qu'il aime a entrer dan» notrs bouche, il ne-s'enfuit pas qu'il veuil- Ie s'enterrer dans notre eftomac ni fortir par notre derriere; notre Dieu eft decent» & nous vous prions de croire qu'il n'habi' ta jamais dans un pot de charribre : «fcou- tez bien comment la chofe fe pafle: atifli- tdt que Dieu eft defcendu dans notre efto- |
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ntac , la pite, 1'eau & le vin renauTerrt,
& il n'eft plus queftion de Dien. — II fort fans doute par en-haut ou par en-bas? — II ne fort point.— II refte done? — II nc reite pas non plus. — Que devient-il done? car enfin il faut qu'il forte ou qu'il refte, ou bien qu'il s'an^antiffe; & je vous avoue qu'un Dieu qui s'an^antit, ne m'en impo- fe point du tout, & qu'il me donne tres- mauvaife opinion de lui. — IYenez garde ä ce que vous dites; notre Dieu ne s'anean- tit point. — Eh bien! je ne veux pas dif- puter , >je me bornerai ä une expreflion, qui pourra peut - etre vous fatisfaire: il a d'abord efcamotte' le pain & le vin, & il finit par s'ecamotter lui-meme. — Le terme n'eft pas noble, mais nous voulons bien vous le pa!Ter, puifqu'il ne rend pas mal l'idee que nous avons de cet adorable mys- tere: d'ailleurs il s'agit de vous gagner i notre fainte Religion, nous vous devons quelque condefcendance. Ne vous fentez- vous pas merveilleufement ;^difie ? notre Dieu ne vous parott-il;pas grand & fubli- me ? fa doctrine, fa vie, -fes myfteres, tout ne vous femble-t-il pas marque" au coin de la Divinite f J'hefitois ä r£pondre : allons, mon eher
enfant, reprirent-ils, foumettez■ vous, ne fefiftez plus. Je craignois de les che quer, je ne difois mot: alors ils s'appro- c'ierent de moi avec un vafe plein d'eau; B 3 |
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L.
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Jls me prierent avec beaucoup de polices-
fe de permettre que Ton verßt quelques goutes de cette eau fur ma tete. Je fuis coinplaifant de mon naturel , je ne fis aucune difficulte d'y confentir, d'autant plus qu'ils paroiftbient le fouhaiter avec beaucoup d'empreflement. L'eau fut ver« fee, ils m'effuyerent enfuite ties - propre- ment ; ils me fauterent au col ; ils s'&- crioient, vous etes notre frere, vous etes Chretien. Toute cette ctSr&nonie fin it par un grand
diner; un des Chapelains prit beaucoup d'a- mitie pour moi en buvant; il me dit le fecret de 1'Eglife. Toutes ces inepties , dit-il, furent inventus par des Fripons. Les uns & les autres trouverent leur comp- te ä tromper les hommes: les Energumenes nourriflbient leur orgueil, en faifant des Profelites: les gens adroits mircnt l'argent des uns & des autres dans leurs poches. Quand la folie & l'intiret fe joignent en- femble, cela va loin; la raifon eft venue trop tard, eile n'a pu reTifter au torrent; & nous ferons le peuple le plus abfurde de la terre, jusqu'ä ce qu'enfin la voix des honnetes gens qui deteftent ces infames J puiffe fe faire entendre. Je levai les epaules de pitie"! j'embraffai
mon homme , & je retournai bien vite dans mon pays. F I N.
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