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LINSTRVGTION
D V
ROY.
?#rd!
EN L'EXERCICE
DE MONTER A CHEVAL.
PAR MESS IRE
ANTOINE DE PLUVINEL,
fon Sous-Gouverneur, Confeiller en fon Confeil d'Eftat,
Chambellan ordinaire , & fon Efcuyer principal.
Lequel refpondant à fa Majefté, luy faiót remarqner I'excellence de fa Methode,
pour reduire les chevaux en peu de temps a l'obey fiance des juftes
proportions de tous les plus beaux airs 6c maneiges.
Le tout enrichy de orandes figures en faille douce, reprefentant les vrayes &
naifves aótions des hommes (& des chevaux en torn les airs
, & manages, cour*
fesdebame, rompre en lice au Quintan, & combatre a I'Efpe'e :'enfemble
les figures des brides, les plus necejfaires a cet ufage
, designees (f gravels
Par CRISPIAN DE PAS.
A AMSTERDAM,
Chez JEAN SCHIPPER.
M. DC. LXVI.
oAvec Privilege du Roy Tm-Chreftien.
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I/IN STRVCTION
D V ROY,
EN L'EXERCICE
DE MONTER A CHEVAL.
ParMeflire ANTOINE DE PLUVINEL,Efcuyer
principal de fa Majefté.
PREMIERE PARTIE.
LE ROY.
ONSIEUR le Grand, puis que mon
aage & ma force me permettent de conten-
ter le defir que j ay, il y a long-temps, dap,
prendre à bien mener un cheval pour m'en
fervir, foit à la tefte de mes Armées , ou fur
la Carriere , pour les adions de plaifir : le veux en fca-
voir non feulement ce qui m'eft neceffaire comme Roy ~
mais auffi ce qu'il en faut pour atteindre à k perfection
de cét exercice : afin de cognoiftre parmy tous ceux de
mon Royaume les plus dignes d'-eftrc eftimez.
MONSIEUR LE GRAND.
SIRE, voftre Majefté a raifon de fouhaitter paffionné-
ment d'apprendre le plus beau , & le plus neceffaire de
tous les exercices qui fe pratiquent au monde , non feu-
lement pour le corps, mais auffi pour lefprit ,• comme
Monfieur de Pluvinel luy donnera parfai&ement à en-
tendre,eftant tres-aife de ce qu'il a encor affez de vigueur
pour enfeigner à voftre Majefté, la perfe&ion de cefte
fcience.
A                             LE
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riNSTRVCTION
LEROY.
le ne doute nullement de ce que vous nV afleurez, c'eft
pourquoy, Monfieur de Plùvinel, dites moy ce quii faut
taire pour avoir parfaite cognoiflance de la Cavalerie. Et
premierement, efclairciflez moy de ce que Monfieur le
Grand me vient de dire , que cét exercice n'eft pas feule-
ment neceflaire pour le corps, mais audi pour l'efprit.
P L ti V I N E L.
SIRE, je loüe Dieu de voir que V. M. continue
dans la loiiable couftume que j'ay jufques icy remarquée
d'elle, qui eft de fcavoir parfaitement tout ce qu'elle de-
lire entreprendre, & avoir entiere cognoiflance de ce
qui fé prefente devant elle. Qui me fait efperer qu'al-
lant toufiours continuant ce genereux deflein, la France
le verrà comblée du plus grand heur & felicité quelle fcau-
roitdefirer, eftant commandée par le plus grand 5& plus
vertueux Monarque qui aye porte ce tiltre dans le monde.
Or SIRE, pour contenter voftre loiiable curiofité , el-
le remarquera,s'il luy plaift,que toutes les fciences, & les
arts que les hommes traittent par raifon, ils les appren-
nent en repos, fans aucun tourment, agitation , ny ap-
prehenfion quelconque : Leur eftant permis , foit enla
prefence, ou en l'abience de celuy qui les enfeigne , d'e-,
ftudier en leur particulier ce que leur maiftre leur aura
enfeigne , fans eftre inquietez dequoy que ce foit. Mais
en l'exercice de la Cavalerie , il n'en eft pas de mefmes :
car l'homme ne le peut appréndre, qu'en montant fur un
cheval, duquelil faut quii fé refolve de foufFrir toutes
les extravagances qui fé peuvent attendre d'un animai ìr-
raifonnable , les perils qui fé rencontrent parmy la cho-
lere, ledesefpoir, & la lafcheté de tels animaux, join-
cte auxapprehenfionsden reflentir les efFeds. Toutes
lefquel-
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D V ROY.                         3
lefquelles chofes ne fe peuvent vaincre ny eviter, qu'a-
vec la cognoifTance de la fcience, la bonté de l'efprit, &
lafoliditédujugement : lequel faut quii agiffe dans le
plus fort de tous ces tourmens ; avec la mefme prompti-
tude , & froideur, que fait celuy qui aflis dans fon cabi-
net, tafche d'apprendre quelque chofe dans un livre. Tel-
lement que par là, voftre Majefté peut cognoiftre tres-
clairement, comme quoy ce bel exercice eft utile à l'e-
fprit , puis quelle 1'inftruicT:, & 1'accouftume d'executer
nettement, & avec ordre, toutes ces fon&ions, par-
my le tracas, le braid, l'agitation, & la peur conti-
nuelle du peril, qui eft comme un acheminement, pour
le rendre capable de faire ces mefmes operations parmy
les armes , & au milieu des hazards qui s'y rencontrent ;
y ay ant encores une chofe tres-digne de remarquer, &
tres-neceflaire pour les grands Roys : C'eft que la plus-
nartdes hommes , & mefmes ceux qui font deftinez
pour leur enfeigner la vertu , les flattent le plus fouvent :
mais fi en cette fcience, je voulois flatter V. M. j'aurois la
honte qu'un animal fans raifon rn accuferoit de faux de-
vant elle, & par confequent d'infidelité : c'eft pourquoy
afin que je n'encourecét inconvenient, elle ne trouvera
mauvais , Sil luy plaift, fi en la reprenant je dis la verité.
Quand à ce qui touche le profit que le corps re^oit au
continuelufagede cét exercice, c'eftqu'outre quii ob-
lige l'homme à vivre fobrement & reiglement;il le rend li-
bre en toutes fes parties , le fait eviter toutes fortes d ex-
cez & de desbauches, qui pourroient troubler fa fante ,
fcachant bien eftre impoflible à celuy qui reflent la moin-
dre incommodité en fa perfonne,de pouvoir entreprendre
quoy que ce foit, à cheval de bonne grace, ny autrement.
MONSIEVR LE GRAND.
SIRE, jefuis bien aife dequoy Monfieur de Pluvi-
nel
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nel fait remarquer à V. M. quej'ay eu raifon de 1'afTeu-
rer, que luy feul la pouvoit dignement entretenir de
tout ce qui concerne la parfaite cognoiflance de la Cava-
lerie. le m'affeure que la continuation de fon entretien
luy en rendra encores plus de certitude, & qu'il luy don-
nera l'intelligence fi entiere de tout ce qu'elle luy deman-
derà , qu'il la rendra aufli parfaite que luy, non en l'ufage,
qui ne s'acquiert qu'avecune tres-longue pratique, mais
en la Theorie.
LE ROY.
le croy que fi j'ay bien appris ces deux premiers
poinófcs,je pourray faire le femblable au refte. Cefi: pour-
quoy,Monfieur de Pluvinel,paflons outre,& me dites par
où vous voudriez commencer à former voftre Efcolier.
P L U V I N E L
SI RE, il eft befoin que V. M. f9ache qu encore que
la pluspart des hommes foient capables de faire quelque
chofe en toutes fortes d'exercices,& mefmes en celuy-cy,
neantmoins les uns plus que les autres y font propres , &
particulierement ceux aufquels Dieu a donne un bon
efprit, & un corps bien proportionné & agile,
LE ROY.
Quelle taille trouvez-vous la plus commode pour bien
reüffir à ce que vous defirez ?
PLUVINEL
SIRE, le ferois volontiers ele&ion des hommes de
moyenne taille , en ce qu ils font fermes, legers , libres,
les aydes plus juftes& vigoureufes,donnant parcemoyen
plus de plaifir au cheval. Les grands ne font pas ordinai-
rement fermes , & n'ont tant de juftefle : par confequent
le
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D V R O Y.                         ,
le eheval neprend pas tant de plaifir à manier {bus cux.
Car c'eft une maxime, que le cheval doit prendre plaifir à
manier, ou autrement le Chevalier & luy ne fcauroient
rien faire de bonne grace.Les petits hommes font les plus
fermes, mais aufli c'eft tout ce qu'ils ont, car leurs aydes
ne donnent pas grande crainte quand il eft neceflaire.
Le cheval ayant ce fentiment, ne s employe pas avec la vi-
gueur requife , & le plus fouvent quand il eft befoin du
chaftiment, il ne le rccoit pas tei qu'il devroit : tellement
que trouvant un Chevalier de moyenne taille , avec les
qualitezquej'aydites, il peut atteindre facilement à h
perfection, comme jc m'afieure que fera voftre Maie-
fté, pour peu de peine quelle aye agreable d'y prendre ,
ayant en elle tout ce qui eft neceftaire pour arriverà ce
but. Mais pource quii luy doit fuffire de fcavoir feule-
ment ( en ce qui concerne la practique ) tirer de bonne
grace dun cheval drefle tout ce que vos Efcuyersluy
auront appris pour voftre fervice , foit pour la guerre , ou
pour le plaifir de la carriere , V. M. fé contenterà 5 sii luy
plaift, de ne fé travailler le corps que jufques à ce poincl.
Mais en ce de la Theorie , afin d'avoir parfaicTie coo-noif-
fance de ceux qui parmy voftre NoblcfTe feront les plus
dignes d'eftre eftimez de V. M. j'approuve le defir quelle
a d en f^avoir toutes les particularitez , & dis que celuy
auquel la nature a donne liberalement toutes les graces
que j ay declarées, doit commencer a y chercher quelque
ornement de bienfeance : ce qui fé fait par les habits les
plus propres à l'exercice qu'il defire faire, foit à pied ^
foit à cheval, non feulement pour ce qui concerne la pro-
prete, mais la commodité.
LE ROY.
Comme quoy faut-il que l'homme eftant à cheval foit
habillé ?
B                       P L U*
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6               LINSTRVCTION
P L U V I N E L.
le ne defire point, SIRE, adftraindre perfonne a
s'habiller autrement qu'à fa fantafie, d'autant que tout
homme de bon jugement cherchera tousjours, & trou-
vera afleurement ce qui fera de la bienfeance ; Sc en pra-
tiquant, rencontrera fa commodité. Mais d'autant que le
long ufage que j'ay en l'exercice duquel je parle, m'a
fait recognoiflre la commodité & incommodité qu'il y a
dans les habits de diverfes facons ; le confeille à celuy
qui y prendra plaifir , de ne porter jamais de chapeau pe-
fant, ny qui aye le bord trop large, pour éviter le danger,
qu'un cheval incommode en maniant ne le face toniber,
ou l'oblige d'y porter fouvent la main : lefquelles chofes ,
contre la bienfeance qui n'y feroit gardée , embroüillent
le Chevalier & divertiflent I'efprit de ce qu'il doit, & la
main de l'efpée ou de la houffinede faire fon office. Il
ne faut jamais auffi que le Chevalier foit fans plume : les
juppes , roupilles , ou collets , ont meilleure grace à che-
val que les pourpoints : comme auffi les fraifes plus que
lesrabats. Pour les chaufles il n'y en a point de plus
commodes ny de plus propres que celles à bandes fans
bourelet, pourveu qu'elles ne foient pas trop longues ,
afin que la cuifle du chevalier fé voye , & quelle fé trou-
ve jufte dans la felle, pour facilement faire fentir les aydes
à fon cheval. Il faut les bas d'attaché , Se les bas à botter
qui ne foient trop larges deffus * les bottes doiverit eftre
de cuir aifé & molet, foit vache deliée ou fort marfö-
quin : les genoüillieres un peu tongues , affez eftroiites,
& que la place du genoiiil y foit aifée. Que la coufture
qui les fepare d'avec la jambe , foit à droit fll, mais plus
haute derriere de trois doigts que par devant, parce que
la greve de la jambe emparoiftra plus longue & plus bel-
le : il ne faut pas que la tige foit courte, afih qu'elle
plifle
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D V ROY.                        7
plifle un peu par le bas : il eft befoin que le pied foit car-
ré ou large par le bout, d'autant qu outre la commodité,
il a meilleure grace , rempliflant mieux l'eftrier , lequel
sen porterà plus jufte. Quant aux efperons , les mieux
tournez font ceux que Fon appelle à la Dampville, de l'in-
vention de feu Monfieur le Conneftable. Je n'approuve
point les grandes molettes , mais Celles quiont fix poin-
tes rondes & poin&ues en forme de quille , chacune
d'un travers de doigt de long. Et pour dire en un mot,
( S I R E ) Je defirerois que mon Eicolier fuft veftu de
mefme fa<?on que Monfieur de Belle-garde voftre grand
Efcuyer, que voilà pres de V. M. qui iert en voftre Cour
de miroir & de vertueux modele à pied & à cheval,à tous
les plus propres & curieux chevaliers.
LEROY.
Venons à l'inftrucìiion de voftre Efcolier. Que defirez-
vous premierement de luy >
P L U V I N E L.
Quìi foit bel homme de cheval.
LE ROY.
Quelle difference faiftes-vous d'un bel homme de che-
vai à un bon homme de cheval ?
P L U V I N E L.
le la fais tres-grande , ( S IR E ) car encores quii foit
bien mal-aifé d'eftre bon homme de cheval, fans eftre
bel homme à cheval : neantmoins on peut eftre bel hom-
me à cheval, fans eftre bon homme de cheval : d'autant
nìi'il fuffit d'eftre bien place fur le cheval depuis la tefte
mfauesauxpieds, pour fé faire dire bel homme de che-
val, & celuy qu'on aura veu en cefte pofture chemmant
lv LL tv
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8                 ri N ST R V C TI O N
feulement au pas , fe pourra dire beau j & s'il a aflez de
fermefie pour fouffrir un plus rude maniment en gardant
fa belle pofture , il acquerra tousjours reputation de bel
homme de cheval, quand mefmes le cheval ne feroit rien
qui vaille , quoy que bien drefle : Car fi l'homme. garde
tousjours fa bonne pofture , on accufera pluftoft fon che-
val que luy , & n'y aura que les tres^avants qui recon-
noiftront d'où vient la faute ; d'autant que la pluspartne
peuvent pas s'imaginer qu un homme puifle eftre ferme ,
& en bonne pofture , fans eftre bon homme de cheval.
Comme auffi pour bien faire & acquerir la perfeftion de
la fcience,il faut commencer,continuer,& finir par la bon-
ne pofture du Chevalier : pource qu'il y a bien plus de
plaifir de voir un bel homme de cheval ignorant en la
fcience, qu'un tres-f^avant de mauvaife grace. Mais pour
eftre parfaiótement bon homme à cheval, il faut f£avoir
par pratique & par raifon,la maniere de drefler toutes for-
tes de chevaux à toutes fortes d'airs & de maneges ; con-
noiftre leurs forces , leurs inclinations , leurs habitudes ,
leurs perfections & imperfections , & leur nature entie-
rement -, fur tout cela faire agir le jugement, pour ffavoir
à quoy le cheval pent eftre propre , afin de n'entrepren-
dre fur luy que ce qu'il pourra executer de bonne grace :
& ayant cette cognoiflance , commencer, continuer , &
achever le cheval avec la patience 5 & la refolution , la
douceur , & la force requife , pour arriver à la fin où le
bon homme de cheval doit afpirer ; lefquelles qualitez fe
rencontrant en un homme, on le pourra veritablement
eftimer bon homme de cheval.
LE ROY.
Avant que de m'enquerir des moyens en particulier,
pour rendre le bon homme de cheval, je defire que
vous me faciez entendre comme quoy il faut eftre
place
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D V R O Y.                         9
place pour acquerir cette qualité de bel homme de che-
vai?
PLUV I N E L.
SIRE, en vous difcourant fur ce fai£t, je croy eftre
à propos de vous en monftrer la preuve , que je ne puis
prendre fur un fujeót plus digne que celuy de Monfieur
le Marquis de Termes , que jbfe afleurer à V. M. avoir
toutes les parties requifes au bel Sc bon homme de che-
vai, lefquelles (SIR E) je feray bien aife que vous puifliez
imiter , eftant celuy de tons ceux que je cognoifle , qui
outre la perfection qu'il a acquile, eft le plus poly en
l'exercice dont je parle. Le voicy done approcher à che-
vai tout à propos, de voftre Majefté.
                               r^-
LE R O Y.
Monfieur de Termes , arreftez -vous un peu devant
mov, afin que Monfieur de Pluvinel me face, remarquer
fur vous les belles & bonnes poftures qu'il faut avoir en
la fcience que je delire apprendre.
MONSIEUR DE TERMES.
SIRE, ce m'eft un grand honneur & bonheur tout
enfemble , de m'eftre fi heureufement trouvé le premier
en l'eftat où je fuis , pour faire voir à V. M. ce quelle de-
fire & ce que Monfieur de Pluvinel a pris tant de foin de
m'enfeigner.
PLUVINEL.
SIRE, le bon & excellent efprit que jay rencontre
en Monfieur de Termes,l'a rendu tei, que je lay afleuré à
V. M. & en fi peu de temps qu'il feroit prefque incroya-
ble-. Car je la puis afleurer qu'en moins de deux ans il
a acquis toute la perfection qui fe peut en cet art. Vous
C                     remar-
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L'INSTRVCTION
remarquerez done, Sire, sii vous pfeift, quelle eft fa
pofture, depuis la tefte jufques aux pieds, regardant
comme quoy il tient les refnes de la main gauche, le pon-
ce defius, & le petit doigt par deflbus entre les deux,
pour les feparer. Commede la main droi&e il leve le
bout des refnes en haut à bras defployé, pour bien ad-
jufter la bride dans la main , en forte qu'elle ne foit ny
trop longue , ny trop courte. Voyez en apres,' comme
il ferre la main de la bride, & la remet en fa place , qui
eft environ trois doigts au deflus du pommeau de la felle
bien fai£te : Confiderez la gayeté de fon vilage , car e'eft
une des parties tres-requife au Chevalier, d'avoir la face
riante, en regardant quelquesfois la compagnie , fans la
gueres tourner ny 9a ny là,afin que cette gayeté face con-
noiftre quii n'eft point embaraflé en ce qu'il faiòt. Advi-
fez auffi de quelle forte il eft dans le fonds de fa felle,
fans prefque en toucher que le milieu, fe gardant de ren-
contrer l'argon de derriere, de peur d'eftre affisa car ilfaut
eftre droicì:,comme vous le voyez, de mefmesque quand
il eft fur les pieds. Jugez comme fes deux efpaulesfont
juftes , & fon eftomach avance , avec un petit creux
audos présde laceinture. Iettez 1'ceil fur fes deux cou-
des, efgalement & fans contrainteun peu efloignés du
corps , & fon poing droit fort proche du gauche d'envi-
ron quatre ou cinq doigts , duquel il tient la houfline par
le manche tout cache dedans, & la pointe droite vers le
Cid., un peu panchée vers l'oreille gauche du cheval : re-
gardez les poftures de fes jambes advancées,&: le bout de
fon pied s'appuyer fermement fur I'eftrier proche de l'ef-
paule, le talon aflez bas & tourné en dehors *, en forte
qu on peut voir la femelle de fes bottes : car il y a deux
chofes à f9avoir, que ceux qui tiennent la bride de la
main gauche comme nous, ne peuvent faire par trop.
Lune eft de poufler l'efpaule droite en avant, & lautre
de
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D V R O Y.                        ir
de baifler & tourner les talons en dehors, afin d'efloigner
. du ventre du cheval la moiette des efperons , de crainte
que venant à fe remiier avec vigueur, il ne s'en piquaft ,•
qui eft ce que Ton nomme desrober les efperons : laquel-
le chofe arrivant ( outre la mauvaife grace qui fe recon-
noiftroit au Chevalier ) il sen enfuivroit afleurément du
desordre. Voyez en outre fes genoiiils ferrez de toute
fa force ; & que voftre Majefté retienne ( s'il luy plaift )
que nous n'avons point d'autre tenue, ny n'en devons
efperer que celle là , accompagnée du contrepoids du
corps, felon la neceflìté qui fe rencontre. Voilà (SI R E)
la pofture que je delire à mon efeolier, pour eftre eftimé
belhommede cheval, laquelle je veux quii ne change
jamais pour quelque chofe que face fon cheval, fi ce n'eft
quand il manie , pource quii eft neceflaire de changer à
temps toutes les aydes de la main de la bride , & de la
houffine. Q}Je voftre Majefté ( s'il luy plaift ) en voye
lapreuve, & cornine tournant à main droite, iltourne
les ono-les du poing de la bride en haut, laifle tomber la
houflìne de travers fur le col du cheval, pour ( s'il eft be-
foing ) Ten frapper fur l'efpaule gauche , afin de le faire
relever du devant, s'il fe rend parefleux, fans toutes-
fois haufler le coude , ny mettre le poing hors de fa pla-
ce. Regardez auffi a main gauche, comme quoy il
tient le poing de la bride fort droit, le tirant un peu du
mefme cofté, luy prefentant la houflìne de l'autre au-
pres de l'ceil droit , pour luy faire recognoiftre qu'il
doit changer de main : & fi cela ne fuffit, ( comme
voftre Majefté le void ) quelle confidere la forte qu'il
la frappé fur l'efpaule droi&e , & au ventre foubs la bot-
te d'un coup ou deux feulement , & comme parmy
tout cela, il a tenu fes eftrieux d'une longueur fi propor-
tionnée , que voftre Majefté la toufiours veu appuyé fur
le milieu de la felle , en forte que le cheval ne la nulle-
ment
s
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12                 L'INST. RVCTION-
ment incommode en maniant, ny fait fortir de fa bonne
pofture.
LEROY.
le comprens fort bien ce que vous venez de dire, mais
je defire f£avoir diftin£tement l'ordre que vous tenez
pour bien drefTer les hommes à avoir la bonne grace que
je voy en vous & en vos efcoliers , & ce que vous fai£tes
pour rendre vos chevaux adroifts à manier , aveccette
grande facilitò que je recognois eftre en tous ceux qui
font dreflez en voftre efcole.
PLUVINEL
SIRE, encor quii ne foit pas impofiible de drefTer
un homme, & un cheval tout enfemble, quoy qu'ils
foient tous deux ignorans : neantmoins à caufe qu'il y a
plus de difficulté,s'il m'eft poffible, je defire drefler l'hom-
me le premier ; & pour vous en dire la raifon, c'eft que
la fcience de la Cavalerie n'ayant pas tousjours efté en
la perfection qu'elle eft, il eftoit fort aifé aux hommes
aü commencement de mener leurs chevaux , par ce que
nos premiers Peres ne s'en fervoient qua aller au pas , au
trot, & à courir fans felle & fans bride autre que quelque
cordon ou filet dans la bouche , cömme ehcor font pres-
que toutes les nations barbares; en apres ceux qui ont
pafle un peu plus outre , les ont fait tourner au galop,
& de toute leur force, fort large, & fans y obferver au-
cune juftefle à eux ny à leurs chevaux : Mais depuis ces
derniers fiecles que nous avons trouvé l'invention d'ad-
jufter une felle, & une bride au cheval, pour donner
belle & bonne tenue au Chevalier, & bonne pofture au
cheval : l'obligeant d'obeyr à l'homme , au pas , au trot,
au galop , terre à terre , à courbettes, balotades, groupa-
des, capreolles, & un pas un fault : foit en avant, en arrie-
re, de
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D V ROY.                   -; i3
re, de cofté , en une place , & fur les voltes : faifant tou-
tes fes actions à tous les temps qu'il plaift au Chevalier,
endurant & foufFrant les aydes , & les chaftimens non
fans inquietude, ny fans tefmoigner du reflentiment,mais
bien fans cholere & fans desordre. lay creu que pour
abreo-er, il eftoit aucunement neceflaire de commencer à
drefler l'homme, & luy faire fentir tous les mouvemens
du che vai au pas, au trot, au galop , à courre, & à toutes
fortes d'airs : Le jufte & bon appuy de la main, la delica-
tefle des aydes,comme quoy il en faut ufer,&quand il eft
beibin fe fervir des chaftimens:Ayanteftiméquelemoyen
de parvenir à toutes ces chofes, avec la fermeté & la bon-
ne pofture que je defire du Chevalier, eftoit de le mettre
premierement fur un cheval drefle , pour luy donner par-
faite cognoiflance de ce que je viens de dire,afin qu'apres
nu'il le fcaura , il puifle plus facilement juger le bien & le
mal aue le cheval ignorant executera fous luy, pour le ca-
reflir du bien, & le chaftier du mal ; ce que tres-difficile-
ment il pourroit par autre voye: car le cheval ignorant fai-
fant quelque desordre par cholere,ou autrement,mettroit
fort fouvent l'homme peu f9avant (qui feroit deflTus)au ha-
zard de fe blefTer, ou à tout le moins en l'incommodant,
prendroit de tres-mauvaifes habitudes. Voilà pourquoy
( S I RE ) je voudrois commencer à drefler l'homme le
premier, tant pour efviter aux perils qu'il pourroit en-
courir, le mettant d'abord fur un jeune cheval, que pour
empefcher les mauvaifes lemons que le cheval recevroit
fous luy : Car c'eft une maxime generale , qu'il ne faut ja-
mais , sii eft poffible , aux exercices de plaifir hazarder la
vie des honimes , ny leur laifler prendre de mauvaifes ha-
bitudes. C'eft pourquoy en celuy qui s'agift , il eft pres-
que inipoffible d'empefcher que l'homme 8c le che-
val tous deux enfemble, s'ils font ignorans , ne retien-
nent de mauvaifes couftumes : Et que l'homme fou-
D                                   vent
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^IlWÌIi/!i!'l!ìl1(:ì!l!f!^l'!.|^
imiiiiiiiiiiilltilllillìi
lllllliillllili»
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14               L'INSTRVCTION
vent ne foit en peril, fi ce n'eft que la longue experience,
joinäe au bon jugement, & prudence de celuy qui le re-
garde, Ten empefche.
.                                                          LE        ROY.
J'approuve fort les raifons que vous me donnez,de vou-
loir dreffer l'homnie le premier, & de faire en forte que
le cheval bien dreffé luy apprenne tout ce quii eft befoin,
]                          qu'il enfeigne à celuy qui ne 1'eft pas : Mais commen-
90ns un peu à voir la methode que vous tenez , quand
vous avez un homme affez f^avant pour travailler devant
vous, & executer ce que vous luy dicäez , pour faire ve-
nir un cheval à toutes ces jufteffes , fans que vous ayez
la peine de me dire comme quoy vous avez inftrui<5fc vo-
tre efcolier fur les chevaux dreffez, pour le rendre au
poind d'executer toutes les le9ons que vous luy di£terez
fur ceux qui ne le feront. Pour ce qu'en la fuitte de voftre
difcours jufques en la fin des dernieres jufteffes , je ver-
ray en l'homme & au cheval tout ce que je delire.
MONSIEVR LE GRAND.
S IR E , je cognoy bien que Monfieur de Pluvinel
vous a dit vray, que le cheval ignorant eft bien pluftoft
dreffé foubs un homme f9avant ,que foubs un qui ne f9ait
riendu tout oufort peu. Neantmoinsdepuisqueje lecon-
■nois , je luy ay veu fouvent pratiquer le contraire, en
ce que les plus fafcheux chevaux de toutes fortes de na-
tures , ce font des plus jeunes Pages de voftre Majefté ,
de treize ou quatorze ans, ou de fes efcoliers de pareil
aage,aufquéls il les fait travailler fans apprehender qu'il en
arrive d'accident : encores que ce foient des Gentils-
hommes des meilleures Maifons de voftre Royaume, def-
quels la vie luy eft trop chere pour la hazarder impru-
demment. Ceft pourquoy ( SIR E ) je remarque en
cela
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/5«.
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D V
R O Y.
x5
cela l'excellence de fa methode. Car il eft tout vray, que
qui mettra un enfant fans aucun ufage fur un cheval igno-
rant , fafcheux, & plein de fantafie , pour le travailler par
les voyes que tout le monde praticque, il feroit en peril
de n'endeicendrepas en vie. Ce qui me fait dire eftre
tres à propos que Monfieur de Pluvinel luy declare corn-
ine quoy cela fé peut.
PLUVINEL.
SIRE, Monfieur le Grand a raifon de vous dire,
que je ne fais point de difficulté de mettre de jeunes en-
fans fur les plus fafcheux chevaux que je cognoifle , &
les plus ignorans j encore qu'il foit bien vray que les
plus f^avans efcoliers n'y font pas trop bons pour parfai-
tement venir à la fin de ce qu'on defire : neantmoins je
ne le fay pas fans confideration , & fans qu'il en arrive du
profit à l'homme & au cheval : Mais pourtant cela ne fé
doit entreprendre fans avoir parfaiéte cognoiflance de la
portée de Tun & de lautre , & fans f£avoir ce que l'hom-
me peut foufFrir fans incommodité , & prevoir ce que le
cheval doit faire ; afin que fi c'eft plus que la portée du
Chevalier, éviter par le moyen de cette cognoiflance les
accidents qui en pourroient advenir.
LE ROY.
Ce font chofes bien difficiles que ces prevoyances &
ces coffnoiflànces,lefquelles je voudrois bien que vous me
donnafliez à entendre quelles elles font.
MONSIEVR LE GRAND.
SI R E, Je vous diray que jay appris de Monfieur
de Pluvinel fur ce fujeft, que pour bien cognoiftrela
portée & le naturel du jeune efcolier, il faut le regarder
pour juger quelque chofe par fa phyfionomie, l'ouyr par-
v
                                                                                 ler
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io               L'INSTRVCTIÖN
ler pour voir quel eft fon efprit, & le mettre fur un
cheval duquel on foit afleuré pour cognoiftre fa force ,
& fa fermefle naturelle. De mefme il faut regarder le
cheval fixement dans les yeux , pour juger de fon natu-
rei, & de fon inclination : le faire remuer doucement,
vigoureufement, & mefmes rudement : pour fonder fa
force, fa colere s'il ena, de quelle forte il l'exerce,
quelles font fes deffences, les actions qu'il fait aupar-
avant d'entrer en colere ; celles qu'il fait durant qu'elle
dure, & celles qu'il demonftre quand il revient à foy ;
afin qu'ayant cognoiflance de ces chofes, il puifle ap-
parier l'homme & le cheval, de forte qu'il n'en reüffifle
que du bien. Et remarquera voftre Majefté , que pour
atteindre à cette perfection , il convient que celuy qui
enfeigne, & qui veut prattiquer cette methode, foit plein
de patience & de refolution, tout enfemble : Deux cho-
fes que Monfieur de Pluvinelvous pourra dire en deux
mots.
PLUVINEL
SIRE, Monfieur le Grand vous a tres-bien fait con-
noiftre pourquoy fans peril je fais quelquesfois travail-
ler toutes fortes de chevaux, quelques fafcheux qu'ils
foient, aux plus jeunes de mes efcoliers -, & a encore tres-
bien dit qu'il faut que celuy qui enfeigne, foit tres-patient
& tres-refolu : mais il faut prendre garde comme quoy on
pratique ces deux chofes -, car fi un homme fouffre quan-
tité d'extravagances , & de desordres à fon cheval, fans
raifon, ( pource qu'il en faut quelquesfois fouffrir avec ju-
gement) & fans qu'il le chaftie, celuy-là fé doit veritable-
ment nommer ignorant, & non pas patient j comme audi
celuy qui bat fon cheval fans neceffité, & lors qu'il n'a be-
ioing que des aydes, qui le tourmente des efperons , de
la gaule, de la bride , du caveflbn , au moindre petit man-
quement
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yy»«ii^^
I
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D V ROY.                      H
quement qu'il fait, fans chercher autre invention pour le
ramener,quand il comniet ces legeres fautes, pour le cha-
ftier , quand il execute les grandes. Je nomme aufli tres-
afTeurement celuy-là colere, ignorant , & non pas refolu ;
Car
la refolutioii c'eft proprement de chaftier, de battre,'
& de tourmenter le cheval quand il eft temps, & non au-
trement, comme j'efpere faire voir à voftre Majefté en la
fuite de ce difcours.
LE Roy.
le fuis bien aife que vous m'ayez fait entendre ces
raifons auparavant que den venir a la pratique : Mais
je croy qu'il n eft point mal à propos que vous me don-
niez à cognoiftre quels chevaux font les plus propres
pour bien fervir foit en guerre , foit fur la Carriere ,• &
quelles qualitez il fautqu'ils ayent, afiVque parmy le
grand nombre , je puifTe de moy-mefme juger des meil-
leurs , ne voulant rien ignorer de ce que je pourray ap-
prendre.
P L II V I N E L.
SIRE, plufieurs Provinces nous donnent des che-
vaux : ceux que nous avons le plus communement, vien-
nent d'Italie, où la plus part des races à prefent font per-
dues & abaftardies : tellement qu'il ne nous en arrive
plus de ü bons. D'Efpagne nous en avons rarement, en-
cor ceux qui nous paflent, ne font pas les meilleurs. De
Turquie, il nous en vient fi peu que nous n en devons
pas faire cas, quoy qu'ils foient tres-excellens , & plus
que ceux que jay nommez. Les Barbes nous font plus
communs , ordinairement bons, & tous propres à faire
quelque chofe. L'Alemagne , la Fiandre, & l'Angle-
terre nous en donnent audi 5 mais pour moy, je trouve
(SIRE,) que ceux qui naiflent en voftre Royaume font
E                           auflì
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■i*              L'INST R.VCTI O.N
auffi bons, ou nieilleurs, qu'aucuns de ceux qui nous vien-
nent de routes ces nations eftrangeres : car j'en ay reu de
Gafcongne, d'Auvergne, de Limofin, de Poi£kou,de Nor-
mandie, de Bretagne, & de Bourgongne de tres-excel-
lents. Et fi les Princes , & la Noblefle de voftre Royau-
me eftoient curieux de faire race de chevaux, il n'y a lieu
au monde où il y en euft de fi bons ; car jay remarqué
que ceux qui y naiflent ont toutes les excellentes quali-
tez requifes au beau & bon che vai. Et pour moy, je ne
m'enquiers point de quels pays ils foient, quandjeles
voy avoir bonne taille , beaux pieds , & belles jambes ,
avec de la force , de la legereté , & d'une bonne & douce
nature ; neantmoins je fais grand eftat des Barbes pour la
Carriere, & pour la grande inclination qu'ils ont à bien
manier avec une dexterité, &■ une grace plus particuliere
que les autres, tefmoing (SIRE) le Barbe bay que
Fig»- voilà , lequel Monfieur le Grand a donne à voftre Maje-
fté 3 le parangon certes de tous les chevaux de Maneige
du monde , tant pour fa beauté , que pour fon excellen-
ce , à manier parfaidement, & de bonne grace , terre à
terre , 3c à courbettes , avec tant de jufteffe, & d'agilité ,
que ce n'eft pas fans caufe qu'il s'appelle le Bonnite.
MONSIEUR LE GRAND.
SIRE, Monfieur de Pluvinel a raifon de vous mon-
ftrer ce cheval pour un chef-d'oeuvre : car il eft vray que
feu Monfieur de la Broiie , tres-excellent en l'exercice
de la Cavallerie, apres l'avoir fait long-temps travailler, &
fait voir à feu Monfieur le Conneftable , ils lejugerent
tous deux incapable de pouvoir jamais bien manier à
courbettes , à caufe de fon impatience , de fa tefte mal-
afleurée, ayant les gencives , & la barbe où repofe la
groumette, fi tendre, qu'il ne pouvoit fouffrir qu'à grande
peine ny emboucheure ny groumette , & fi fenfible de
tous
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f
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D V ROY.                        tf
tous coftez, qu'il n'y avoit nul moyen de branler tant
foit peu deffus, qu'il ne fe mift en desordre : neantmoins
quelque jugement qu^'en fiflent ces excellens hommes ,
Monfieur de Pluvinel m'aflèura de le rendre à la perfe-
ction où uri cheval pouvoit atteindre. Cela m'obligea
( ayant tant de fois veu des preuves de fa fuffifance ) de
luy abandonner mon cheval pour le dreffer & manier
du tout à fa volonte , à quoy il travailla, de forte que par
fa patience & fon induftrie , il luy gaigna la tefte, & luy
donna le parfait appuy à la main , en luy faifant porter
à diverfes fois plufieurs fortes de groumettes. La pre-
miere d'un bienpetit ruban de foye , lautre d'une treffe
de foye , l'autre de chevrotin , l'autre de marroquin , l'au-
tre de groffe vache , l'autre defer en forme de jazeran,
& la derniere qu'il porte maintenant en fervant voftrc
Majefté j elle la peut voir femblable à celles que portent
dordinaire tous les autres chevaux. Peu de jours apres
il me le monftra à Fontainebleau , où il le fit manier à
courbettes par Je droit, apres deux voltes à main droite ,
deux voltes à main gauche, & deux voltes a main droite ,
toutes fix d'une halaine , fans fortir d'un rond à peu pres
de la longueur du cheval, &puis il le fit manier en avant,
en arriere, de cofté, deca, & de là, & à une place : en fai-
fant une courbette de cofté,& changeant tout en l'air, re-
tomboit de l'autre cofté, tant de fois qu'il plaifoit au Che-
valier. Je nommay tout à l'heure ce Maneigc la Saraban-
de du Bonnite , que nous navons jamais veu faire qua
luy , quand Monfieur de Pluvinel eftoit deffus. Et pour
conclufion,il luy fit faire les excellentes paffades relevées,
avec la grace & la beauté du cheval en toutes ces aótions,
& tout celaen prefence de Monfieur le Conneftable,
qui fut en extreme admiration de voir ( contre le juge-
ment quii en avoit donne ) une fi grande &jufte obey f-
fance en tous ces Maneiges.
L E
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2o                 LINSTRVCTION
L E R O Y.
Les rares qualitez que vous me dites de ce cheval, me
mettent en impatience de ff avoir par le menu la voye &
l'ordre que Monfieur de Pluvinel tient pour bien dreffer
les chevaux , & les rendre adroicts à manier avec cette
grande facilité que je recognoy eftre en tous ceux qui
font dreflez en fon efcole. Cefi pourquoy demandons ce
qu'il luy en femble.
PLUVINEL.
SIRE, ffachant par la pratique , & par le long ufa-
ge , que le cheval ne fé peut dire drefTé, qu'il ne foit par-
faiétement obeyflant à la main & aux deux tallons ,- je
nay pour but, pour reduire mes chevaux à la raifon,
que ces deux chofes ; d'autant qu'il eft tres-certain que
tout cheval qui fe laifle conduire par la bride, qui fe ren-
ge de^à, & delà , & fe releve devant & derriere , à la vo-
lonte du Chevalier , je I'eftime tres-bien drefle : & doit
manier jufte , felon fa force & vigueur. Or pour arriver
a gaigner ces deux poinéts , j'ay creu par ma methode ,
en avoir abregé les moyens de plus de la moitié du temps:
mais pour autant que la perfection d'un art confifte à
f£avoir par oil il faut commencer, je me fuis tres-bien
trouvé en ceftuy^cy, de donner les premieres lemons
au cheval, parce qu'il treuve le plus difficile > en recher-
chant la maniere de luy travailler la cervelle , plus que
les reins & les jambes , en prenant garde de ne l'en-
nuyer, fi faire fe peut, & d'eftoufer la gentillefle : car
elle eft aux chevaux comme la fleur fur les frui£ts , la-
quelle oftée ne retourne jamais ; de mefme fi la gentillef-
fc eft perduè,on ne la peut redonner que difficilement aux
chevaux de legere taille & pleins de feu, & point du
tout aux chevaux d'Allemagne : eftant une chofe infail-
lible
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I
D V ROY.                       2I
lible que celuy qui ne travaille avec confideration 5 ou il
ofte la gentillefle à fon cheval, ou le fait tomber dans des
vices incorrigibles. Scachant done que fa plus grande
difficulté eft de tourner pour faire de bonnes voltes ter-
re à terre ; je commence le cheval ignorant parla, &
apres luy avoir mis un filet dans la bouche , pour luy ap-
prendre peu à peu à fouffrir le mors , & un caveflbn de
corde , de mon invention , cornine celuy (SIRE,) que^*.
vous voyez à ce cheval ; j attache les deux cordes juftes/'4'
que je fais tenir à un homme , puis un autre (ayant en la
main un bafton où eft attachée une longue courroye de
cuir, que j'ay nommé chambriere) marche à cofté, 3c luy
faifant peur l'oblige d'aller en avant, & tourner de la lon-
gueur des cordes avec la croupe dehors du rond : telle-
ment que par cette voye la tefte eft tousjours dedans la
volte , & le cheval oblige de regarder le milieu , s'accou-
ftumant à une tres-bonne habitude , qui eft de reo-arder
fa pifte, & par ce moyen de ne fé rendre jamais entier.
MONSIEUR LE GRAND.
SIRE, Monfieur de Pluvinel vous dit vray, que la
plus grande difficulté qu'ayentles chevaux,eft de tourner;
carfouvent j'ay pris plaifir a faire efehapper dans la car-
riere de voftre grande Efcurie , de jeunes chevaux fans
felle & fans bride , qui en s'egayans partoient de la main,
&arreftant fur les hanches prenoient un quart de volte
ou une demie , mais jamais le tour entier. Quelques
fois aufli ils faifoient pour leur plaifir deux ou trois
courbettes par le droi£t, les autres plus legers & vio-oii-
reux, trouflbient autant de capreolles ou balottades ;
qui m'oblige à croire que chafques chevaux ont natu-
rellement un air particulier , où ils peuvent mieux reiif-
fir, & que la plus grande difficulté qu'ils ayent c'eft de
tourner.
F                          P L U-
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w
fgflgflffi^B
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22                 L'INSTRVCTION
P L ti V I N E L
SIRE, ce que Monfieur le Grand vous vient de ra-
conter,eft la raifon pourquoy je commence mes chevaux,
par ce qu'ils trouvent le plus difficile qui eft de tourner,
& de les mettre autour d'un pillier , corame je viens
de dire à voftre Majefté , afin qu'en les y faifant chemi-
ner au pas deux ou trois jours fans les battre, puis dix
ou douze au trot, le cheval nous monftre quelle eft fa
nature , fa force , fon inclination , fa gentillefTe , & tout
ce qui peut eftre en luy ; afin de juger à quoy il fera pro-
pre , & de quelle forte il le fàut conduire : ce qui fé fait
bien plus faeilement à un lieu où il eft retenu, en forte
qu'il ne puifte efchapper : pour ce qu'on a loifir de voir
mieux tous fes mouvemens, que s'il eftoit fur fa foy
avec un homme fur luy ; d'autant qu'à ces premiers com-
mencemens le naturel du cheval eft d'employer tome fa
force 5 & fon induftrie , pour fé deffendre de l'homme
quand ils ont le pouvoir fans grande difficulté : comme il
luy eft tres-aifé en le travaillant par une autre methode
que la mienne : durantle temps qu'il va au pas & autrot,il
faut prendre garde de ne le prefler pas jufques à ce qu'il
chemine & trotte faeilement, & qu'il s'accouftume à de-
barafler fes jambes , de crainte qu'en le preflant, le pied
de devant du dedans de la volte , ne choque l'autre jam-
be, & que la douleur qui fé feroitjl'obligeaft de chercher
une deffence contre le mal qu'il fentiroit, & Fempefchaft
d'obeyr. Mais lors qu'il va librement au pas Sc au trot,
( ce qui fé tefmoigne par le libre marcher & par la gayeté,
ne faifant plus cette adion avec peine) on pourra l'animer
ou par la peur , ou par un coup de chambriere , à pren-
dre le galop; auquel eftant afleuré,luy faudra donner plus
de fougue pour l'obliger, en fe mettant fur les hanches de
manier feul, & faire quelque temps terre à terre : toutes
lef-
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D V K O Y.                         23
lefquelles chofes , le fage & difcret Chevalier mefnagera
felon la cognoiflance quii aura de fon cheval, luy conleil-
lant neantmoins de pratiquer cette lecon , pluftoft à main
droite j qua main gauche , m'eftant toufiours apperceu
que la plus grand'part des chevaux , & prefque tous ,
ont plus d'inclination à tourner à main gauche qua main
droite.
L E ROY.
N y a-il point de raifon pourquoy ils font portez à tour-
ner plus volontiere a main gauche ?
p L U V I N E L.
SIRE, il y a quelques uns qui en ont voulu cher-
cher la caufe avant la naiflance du cheval, & afleurcnt
que le poullain eftant dans le ventre de fa mere , eft
tout plié du cofté gauche : d'autres ont dit , qu'ordi-
nairement les chevaux fé couchent le plus fouvent fur
le cofté droit, qui les oblige de plier le col & la tefte
à main gauche. Mais moy , qui ne recherche point rou-
te cette Philofophie invifible , & qui m'arrefte à ce que
je voy apparemment , je ne croy ny aux uns ny aux
autres : & puis affeurer à voftre Majefté , que la ieule
couftume leur produit cette mauvaife habitude , la-
quelle ils prennent dés qu ils font hors d'auprcs de leur
mere , & attachez dans l'Efcurie. Premierement le li-
col ; le filet, la bride , la felle , & les {angles fé mettcnt
du cofté gauche. Jamais , ou rarement, le Palfrenier ne
commence à penfer fon cheval, ny ne luy donne à man-
ner que de niefme cofté. Et toutes fortes de valets ioit
Palfreniers ou autres (s'ilsnefont gauche«) conduiient
toÓours un cheval de la main droifte , & par ce moyen
luy tirent la tefte à main gauche.
L E
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'■■■ H                  L'INSTRVCTION
LE R O Y.
Je comprens fort bien, & juge que vous avez raifon de
commencer vos chevaux fur les voltes à main droicTie,
quoy que le plus difficile j mais d'autantque vous ne vou-
lez pas qu'on batte le cheval àce commencement, vous
prefuppofez par là que toutes fortes de chevaux doivent
obeyr facilement : & fi par hazard le contraire advenoit,
(car il y en a de diverfe nature , bonne ou mauvaife) corn-
ine quoy il en faudroit ufer ?
PLUVINEL
Jp- SIRE, quand j'ay dit quii fé falloit garder de battre
le cheval a ce commencement pour les raifons que j'ay
declarées , jay dit fi faire fe peut. mais je pafle outre &
afleure qu'il ne faut nullement battre au commence-
ment , au milieu ny à la fin, ( s'il eft poflìble de s'en em-
pefcher ) eftant bien plus neceflaire de le drefler par la
douceur ( s'il y a moyen ) que par la rigueur, en ce que
le cheval qui manie par plaifir, va bien de meilleure gra-
ce que celuy qui eft contraint par la force. D'avantage
en le for^ant il en arrive le plus fouvent des accidens à
lhomme & au cheval ; à l'homme,en ce qu'il court fortu-
ne de fe blefler, fi la force dont il ufe n'eft conduitte
avec grand jugement. Et au cheval, qui en courant la
mefme rifque , eftoufFe fa gentilleflè, s'ufe les pieds & les
jambes, fe rendant par là incapable de bien fervir. Mais
d'autant que les Francois ne font pas de l'humeur des au-
tres nations , en ce que leurs chevaux de quelque nature
qu'ils foient, bien que fans force,fans addrefle & fans gen-
tillefie5ils veulent/ans confiderer ces chofes3les faire dref-
fer. I'ay cren avant que pafler outre devoir dire à véftre
Majeftéjun petit mot de la nature des chevaux en particu-
lier.Premierement il eft tout certain que j'ay remarqué par
les
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I
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D V ROY.                       2;
Ies Ileux où j'ay eftéhors ce Royaume, mefmement en
Italie , oh on a tousjours fait grande profeflìon de l'exer-
cice d'e la Cavallerie, qu'ils n'entreprennent point un che-
vai , quii n'aye toutes les qualitezneceflaires pour bien
manier; & fi on leur en meine qui foient coleres & im-
patiens, mefchans, lafches,parefleux,de mauvaife bouche
& pefante , infailliblement quelques beaux qu'ils puif-
fent eftre, ils ne les entreprennent point, au contraire
ils les envoyent au carofle. Ce que les Fran9ois ne trou-
veroient nullement bon , & accuferoient d'ignorance les
Efcuyers qui renvoyeroient leurs chevaux de la forte.
Cell: l'occafion ( S I R E ) qui m'a fait plus foigneufe-
ment rechercher la methode de laquelle j'ufe , pour ce
que par autre voye il me feroit impoffible de reduire
quantité de chevaux que l'on m'ameine, dont la plus part
ont les mauvaifes qualitez cy-defTus. Qui me fait dire
fans vanite ny prefomption , que fi je n'eufle recognu
mes reieles plus certaines, & beaucoup plus briefves que
toutes les autres que j'avois apprifes , je n'aurois pas
ciuitté la plus grande partie de celles du Seigneur lean
Bantifte Pignatel, Gentilhomme Neapolitain le plus
excellent homme de cheval qui ait jamais efté de noftre
fiecle, ny auparavant, duquel j'ay appris une partie de ce
n„e ie fcav durant le temps de fix annees.que j ay paiTees
Lres deìuy. Et pour ce que je n'ay jamais eu faute qup
de temps, j'ay travaillé à l'abreger tant qu il m a efte polfi-
hle pour drefler les hommes & les chevaux, à quoy j'ay
reufll fi heureufement, que je puis faire voir que mes
rHples font des plus briefves , & fi certaines qu elles font
inlillibles Ce n'eft pas que je reprouve les autres , par
e quelles ies bon» & les rares Efcuyers apprennent à
eurs chevaux à bien manier jufte : ma.s jeft.me celles
defquelles je me fers, eftre telles que*^™£*£
Sc
de plus, moins perilleufes. Si done quelque cheval re
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i6               LINSTRVCTION
fufe d'obeyr , il faut que le prudent Chevalier confiderà
ce qui Ten empefche. Si le che vai eft impatient, me-
rchant & cholere, il fé faut donner garde de le battre
( quelque mefchanceté & defFence qu'il fafle) pourveu
qu'il aille en avant : pource qu'eftant retenu de court,
cette fubje&ionchaftie affez fa cervelle, ( ce qui eft plus
neceflaire à travailler à tels chevaux & à tous autres , que
lesreins & les jambes ) & les cordes du caveflbn, du-
rant ces efchappades , luy donnent le chaftiment à pro-
pos , &au melme temps qu'il fé met en effort de s'ef-
chapper, tellement que par cette voye , il faut qu'il de-
meuredansfa pifte, malgré qu'il en aye : mais fi l'in-
commodité du caveflbn le faifoit arrefter, pour chercher
quelque autre defFence , foit en allant en arriere , ou bien
en fé jettant contrele pilier, alors celuy qui tiendra la
chambriere, luy en fera peur 3 & luy donnera un coup ,
centre lequel s'il fé deffend , il redoublera jufques à ce
que le cheval aille en avant : puis incontinent luy donne-
ra à cognoiftre que fon obeyflance produit les carefles :
& continuant de la forte avec la prudence requife, le
cheval s appercevra & executera bientoft ce qu'on defire
de luy. Si le cheval eft parefleux & lafche , & que fa
parefle & lafcheté luy faflent refufer d'obeyr, il faut fé
fervir de la chambriere vigoureufement, tantoft de la
peur, tantoft du mal, efpargnant neantmoins les coups
le plus qu'il fera poflìble -, pour ce que ce doit eftre le
dernier remede , lequel il ne faut mettre en ufage qu'aux
extremitez des malices noires des chevaux , principale-
ment quand en fé defFendant ils cherchent l'homme pour
luy faire mal. Si le cheval fé rencontre avoir mauvaife
bouche , ordinairement la defFence s'exerce pluftoft en
avant, & en forfant la main, que non pas en arriere ; tel-
lement que tei cheval ne doit eftre battu , au contraire
retenu & allegery, pour luy donner bon & jufte appuy,
Se
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D V ROY.                        27
& le mettre fur les handles , afin de luy öfter l'habitude
de s'appuyer fur la bride, & forcer la main i: ce qui fé fera
au mefme pilier , en trottant & galoppant doucement
jufques à ce qu'il fafle fa le9on , fans contrainte , & avec
de la legereté. Si le cheval eft pefant, & que fa feule
pefanteur empefche TobeyfTance que Fon defire 5 il eft
befoin de le fort allegery, par la continuation de cette le-
£on , ou par les fuivantes ; de crainte que ü on le pref-
foit auparavant que de l'avoir allegery du devant, ou ap-
pris la commodité d'eftre fur les hanches, il fé mift fur
les efpaules de telle forte , qu'il fuft apres fort difficile de
le relever : mais fi parmy la pefanteur il s'y rencontroit
de la malice , il faudroit bien prendre garde de le pref-
fer auparavant que de l'avoir allegery , crainte de l'acci-
dent.fusdiófc, & d'un autre plusfacheux, qui eft que le
preflant avant que d'eftre allegery, il ne manqueroitpas
de fé deffendre de fa malice, laqueüe n'eftant pas fecon-
dée de force, ny de legereté , il y auroit hazard que le
cheval eftant attaché à terre, à caufe de fa pefanteur, cela
l'obligeaft,voyant qu'il ne fé pourroit defFendre de fa force,
defejettercontre terre, outafchant de faire quelques
eflans, n'eftant affifté de force ny de legereté , tomber ou
fé renverfer, ou quelquesfois fé coucher.
LE R o Y.
Vous m'avez fort bien fait entendre le bon efFed qu'il
V a de commencer les chevaux par ce qu'ils treuvent le
plus difficile, & le moyen d'y faire obeyr les chevaux de
toutes fortes d'humeurs : c'eft pourquoy , Monfieur de
Pluvinel, paflòns outre.
p L u V I N E L.
SIRE, quand je cognois que le cheval obeyt fran-
chementàcefte premiere le9on, de pas, de trot& de
galop,
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/
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ss               L'INSTRVCTION
galop, & qu'il fé prefente à manier terre à terre, je tafche
pen à peu à gaigner quelque chofe fur fa memoire. : car
apres avoir commence fa letjon autour du pilier, je l'atta-
%% che entre deuxpiliers en la forme que V.M. peut voir,puis
eftant derriereJe luy apprends avec le manche de la houf-
fine,ou avec celuy de la chambriere,à fuyr les coups,lefai-
fant marcher de cofté tout doucement de^à & delà. Et
d'autant que le cheval fé trouve grandement contraint du
caveflbn en ce lieu là plus qu'en nul autre , on doit bien
prendre garde de le travailler le plus doucement qu'on
pourra , afin qu'il s'accouftume à fouffrir en obeiflant,
& là vaincre fa colere , laquelle le faifit plus volontiers, fé
voyant ne pouvoir efchapper, ny aller avant, ny ardere ,
ny tourner à gauche, ny à droite ; Se où le cheval ne vou-
droit obeyr, ( ce qui fé tröuve en fort peu ) on pourra le
ramener autour du pilier, racourcir la corde du cavef-
fon, & luy tenant la tefte proche du pilier, le faire che-
miner des hanches tout doucement avec le manche de la
gaule , comme dit eft, ou celuy de la chambriere : car en
cas de refus , il cognoiftra bien pluftoft ce qu'on luy de-
mande au premier lieu où il eftoit plus libre , que dans
cefte grande contrainte.
LEROY.
Je croy que cette lefon eftant bien faite, il en peut
reüffir de tres-bons effects.
PLUVINEL
Tres-excellens , (SIRE) & plus que voftre Majefté
n'eftimeroit, en ce qu'en premier lieu le prudent &ju-
dicieux Chevalier peut remarquer à quoy fon cheval
eft capable, de quelle humeur il eft, fans faire courre for-
tune à aucun homme , il luy aura appris à fuyr la houffi-
ne & la chambriere à l'entour du pilier, & attaché entre
deux
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D V R O Y.                       29
deux piliers ; à aller pour la peur au pas, au trot, au ga-
lop, & quelque temps terre à terre ; à cheminer de cofté,
defà, & delà , & à fé donner les chaftimens plus à propos
du caveiìbn,qu'aucun homme ne f^auroit faire en cas qu'il
fé vouluft transporter hors de fa pifte : de plus en conti-
nuant cefte le9on , il en reiiffit encor trois grands biens :
Le premier , que jamais les chevaux ne font forts en bou-
che j le fecond , qu'on en voit point de retifs 5 Scìe troi-
fiefme , qu'ils ne peuvent devenir entiers , opiniaftres, &
revefches à tourner à main dröite & à main gauche , qui
font les plus grands defauts qui fé rencontrent le plus
fouvent aux chevaux ignorans.
L E R O Y.
Pourquoy ne peuvent-ils eftre forts en bouche, retifs ,
ou entiers, fi naturellement ils font enclins à quelqu'un de
ces vices, ou à tous les trois enfemble ?
P L IT V I N E L.
Pourcequ'entouinant, ils font contraints daueren
avant, & en leur monftrant la chambriere devant eux, ils
s'arreftent court quand on veut j chofe toute contraire à
l'entier, qui ne veut pas tourner ; au retif, qui refufe d'al-
ler en avant; &au fort en bouche,qui n'arrefte pas quand
il plaift au Chevalier. Et remarquera V. M. Sii luy plaift,
que ces trois effects, fi bons & fi neceflaires, font infailli-
bles, fi on ne change point ces lemons , jufqu'à ce que le
cheval face cognoiftre par fa grande obeyflance, qu'il em-
ploye fa force & fon haleine deliberément, & fans aucu-
ne violence.
LEROY.
Il femble,à vous ouyr parler,que vous trouviez tant d'uri-
lite pour le cheval amour du pilier feul , & entreles deux
r
                                      h                          piliers
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30               L'INSTRVCTION
piliers que vous le commences, continuez , & achevefc
par ces deuxmoyens.
PLUVINEL
II eft vray (SIRE) quequiconque ffaura travailkr ayec
jugement & cognoiflancé parfaifte , de ce qu'il faut en-
treprendre bien à propos, peut refoudre &ajufter la tefte
de fon cheval, & tout le refte du corps de toutes fortes
d'airs , en pratiquant les letjons fusdites, & les fuivantes ,
avec patience, induftrie & jugement.
LEROY,
En quel temps eft-ce que vous mettez un homme
fur le cheval, & quand eft-ce que vous le jugez à pro-
pos ?
PLUVINE L.
SIRE, Premierement que mettre perfonne fur le
cheval, je defire qu'il execute volontairement, & avec
facilité les lefons cy-defliis , avec la felle & la bride : ce
qu'il peut en quatre ou cinq jours , pourveu que celuy
qui le fera travailler , aye bon efprit, bon jugement, & y
procede de bonne forte : car il arrive quelquesfois que
faute de ces deux pieces-là bien adjuftées, on gate le
plus fouvent le cheval, & met-on l'homme au hazard : ce
que j'évite en ce qu'il meftpoffible -y d'autant qu'en tout
exercice, qui fe fait pour le plaifir, pour le profit, ou pour
les deux enfemble , comme cettuy-cy, il faut bien pren-
dre garde de tomber en ces accidens; pource qu'il n'y a nul
plaifir à voir faire mal à un homme , & point d'utilité de
battre fon cheval, & le rendre inutile à fervir fon maiftre:
Ceftpourquoy je defire qu'il obeyflefranchement auxle-
mons cy-defllis, felon fa puiflance , avec la felle & la bride
feulement : & fi je veux que les eftriers foient abbattus.
L E
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D V ROY.                       3x
LEROY.
Pourquoy faides-vous abattre les eftriers,puisque vous
ne mettez perfonne fur le cheval ?
P L u v I N E L.
S I RE, je le fais pour deux raifons , & principa-
lement pour les chevaux fenfibles , qui en ont tres-grand
befoin : la premiere, à fin que les eftriers , en battant
contre leur ventre , Ics facent appercevoir qu'ils n'en re-
9oivent point de mal , & les accouftument de foufFrir
que quelque chofe leur touche. Lautre railòn eft,
que cela feur donne occafion de tenir la queue ferme
pluftoftque de la remuer,- à quoy il eft neceftaire de
prendre bien garde , d'autant que c'eft une des plus
desagreables & mefleantes aótions que le cheval puif-
fe faire en maniant. Comme dont je le voy afleuré
à ce que je delire , & ne refufer point lbbeyfTance,
alors je ne fais point de difficulté de mettre quelques
jeune efcolier bien leger & ferme, afin que le cheval^;
en re9oive moins d'incommodité ;. & que l'homme
eftant ferme, en cas que le cheval fentant la charge
plus grande en fé deffendant de fon efquine, ( comme ce-
la arrive d'ordinaire ) qu'il fé pui/Te feurement tenir, &
foufFrir, fans desordre , la gaillardife , ou la deffence mali-
cieufe du cheval. Et luy ayant fait öfter fes efperons, il
doit eftre adverty de ne remuer defTus en aucune ma-
niere, ne luy faire fentir la bride, d'autant qu'il fuffira que
le cheval le fente fur luy, & qu'il s'accouftume à le por-
ter volontairement, &que la le9on fé continue comme
auparavant par celuy qui tient la chambriere, qui le fera
manier, ou par la peur, ou par le mal,- & en continuant
de la forte cinq ou fix jours , plus ou moins, le cheval
cognoiflTant que celuy qui eft Tur luy, ne luy fait ny mal
ny
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32                 L'I.N S TR V CT I ON
ny incommodité , il fé laiflera plus facilement approcher
par luy & monter.
L E R O Y.
l'apper^oy clairement que par la voye que vous fui-
vez , vous évitez prefque tous les perils quii y a pour les
hommes & pour les chevaux * & que deflbus un jeune
efcolier vous pouvez drefler un cheval.
P L U V I N E L
S I R E , le fuis bien aife que voftre Majefté aye con-
nu cette verité par lapreuve, pour ce quencepeu,
elle a veu tous les plus grands perils , qui fé puiflent ren-
contrer dans cét exercice, évitez, en ce que les plus dan-
gereufes le9ons pour les hommes , & pour les chevaux,
font les premieres aufquelles il leur faut faire venir d'une
extremité à lautre, qui eft de la liberté à l'obeyflance, &
à la fubjedion de porter la felle, la bride & l'homme :
defquelles chofes toutes fortes de chevaux fé deffendent,
ou plus ou moins,felon leur nature, leur force & vigueur ;
tellement qu'évitant ces premiers mouvements , & les
faifant obeyr aux le9ons cy-deflus , il n'y a nulle doute,
qu'obeyflans en un poin£t, ils obeyflent à tout, fi la force
leur permet, & fi le Cavalier de bon jugement fé ffait
fervir des occafions.
LE R O Y.
Iufquesicy jay veu l'homme immobile fur le cheval,
à cefte heure f9achons ce que vous voulez qu'il exe-
cute.
PLUVINE L.
SIRE, Lors que je cognoy le cheval accouftumé à
porter l'homme, & obei'r fous luy fans fe deffehdre,
je
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D V R O Y,                        g3
je mets deffus quelqüe efcolier plus f£avant 5 l8t qui aye
de k pratique à la main & au talon, lequel fans luy tou-
cherdes talons5s'accourcira doiicement les renes,afin que
peu à peu le cheval fente la main , & qu il s'accouftume à
s'y laiffer conduire , le caveflbn aidant toufiours comme
devant, & fé faifant fuivré par celuy qui tient k cham-
briere : fi le cheval a tant foit peu de force,il maniera tout
feul,& commencera à prendre 1'appuy de la main^& poür-
ra on continuer cefte letjon jusques à ce qu'en maniant, il
fouffre la main , & qu'il s'y laiffe conduire * màis il faut
que celuy qui eft deffus,prenne garde de luy donner cet-
te le^on avec difcretion , & fans l'incommoder de la bri-
de , pour l'en chaftier en aucune fa^on , mais avec pru-
dence & jugement lafcher ou r'afermir la main,felon le be-
foin & le point où fera le cheval -, puis felon l'obeyffance
qu'il aura rendué à I'entour du pilier, le renvoyer, ou finir
fa lecon entre deux piliers , le faifant chèminer de co-
fté, deca & delà, non pour les talons , desqüeis il ne fé
faut pas fervir qu'il ne fouffre la bride , & qu'il ne s'y laif-
fe conduire ; mais du manche de la gaule, ou de la cham-
briere, comme deffus , fans mettre le cheval en colere , fi
faire fé peut.
LE R O 16
le voy bierì que cette letjon eft pour faire ce qué voüs
m'avez dit cy-devant, qui eft que le cheval eft parfai&e-
ment dreffé quand il eft dans la main & daris les talons *
& qu'il s'y laiffe conduire aifément a la volonte du Che-
valier : mais dites-moy, pourquoy vous commencez
pluftoft à faire obey* voftre cheval à k main qu'aux ta-
lons?
HtlVlNEL
SIRE, le le fais, pource que comme j ay dit à voftre
I                          Majefté,
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34                L'INSTRVCTION
Majefté , la plus grande difficulté du cheval eft de tour-
ner, & la plus grande incommodité de fouffrir la bride :
car il foufFre bien plus volontiers l'homme fur luy que la
bride dans la bouche. Cefi: pourquoy je fuy ma maxime,
de commencer tousjours par les chófes les plus difficiles,
& les plus necefiaires. Or eft: il que la bride eftant celle
qui retient le cheval, qui le conduit à la volonte du Che-
valier, & fans laquelle on ne s'en pourroit fervir : je com-
mence par luy faire foufFrir, & obeyr à la main. Car pour-
veu que le cheval , qui naturellement va en avant, s'arre-
fte , & tourne fans autre juftefTe , le Chevalier s'en peut
fervir à fon befoin , & n'y a point de gens-d'armes ny de
chevaux legers dans voftre Royaume , qui ne tafchent
d'accouftumer leur cheval à tourner & arrefter pour la
bride : autrement il leur feroit inutile pour fervir voftre
Majefté.
L E R O Y.
Ie fuis content de l'intelligence que vous me donnez,
paflbns outre.
PLUVINEL
SIRE, quand le cheval foufFre la main & y obeyt,
s'y laiflant conduire fans refus au gre du Chevalier, il eft
à propos que le Chevalier en s'arFermifFant fur les eftriers,
face quelque mouvement pour animer fon cheval à ma-
nier ; que s'il fé prefente de luy-mefme, & fans la peur de
la chambriere , le Chevalier ne perdra temps, & prendra
certe occafion de luy faire cognoiftre par les carefles, &
l'entretiendra en cette cadence de fois à autre par les ju-
ftes contrepoids de fon corps , par la vigueur du gras de
fes jambes , & par la fermeté de fes cuifTes, en le regail-
lardifant quelquesfois de la voix : que fi par hazard il re-
fufoit d'obeir par cette voye, celuy qui tient la cham-
briere,
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l^m^^^S^g                                      ^ws
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D V ROY.                       SJ
briere, luy pourra faire peur : & à rnefrae temps Thomme
luy donnera un coup de houfline foubs la botte avec un
ton de voix, pour faire appercevóir au cheval qu'il faut
qu'il manie pour celuy qui eft fur luy , comme pour ce-
luy qui tient la chambriere. Laquelle chofe il compren-
dra bien-toft , en y procedant diftinftement, tant celuy
qui eft à cheval que celuy qui eft à pied. Et lors qu'il aura
obey à Tent our du pilier, & qu'il aura parfaiftement con-
tente le Chevalier , il le peut renvoyer au logis , pour luy
faire fentir le plaifir de fon obeiflaftce. Si auffi il ne luy a
donne tout le contentement parfaid qu'il pourroit deli-
rerai faut le faire attacher entre deux piliers, fans defcen-
dre ou remonter deflus , s'il eftoit defcendu, (en cas qu'il h»*
juge le pouvoir faire fans peril)puis apres au mefme inftant
que celuy qui tient la chambriere , le fait aller de la forte
comme j'ay dit cy-defTus, il doit approcher doucement la
houlEne de cofté & d'autre ? & obliger le cheval le plus
doucement qu'il pourra à y obeyr comme au manche de
la chambriere, pour luy donner à cognoiftre la gaule , &
comprendre qu'il faut qu'il y obeyfle : laquelle le^on il
luy continuerà tant qu'il juge à propos d'entreprendre »
davantage.
LE ROY.
Par cette voye le chevalcomprend facilementquii doit
obeyr à la gaule ? comme à celuy qui tient la chambriere :
mais pourquoy vous fervez vous pluftoft de la houffine
que des talons,puis que vous defirez que la houffine frap-
pe au mefme endroit que feroient les talons ?
PLUVINE L.
SIRE, jelefaisparcequejene me veux fervir des
talons qu'en tonte extremité : car fi les chevaux n'al-
loient point par autres aydes que par les coups d'efperon,
ie
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m^Mmmmmmmm
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$6                L'INSTRVCTION
je confefle franchement que je quitterois l'exercice de la
cavalerie , n'y àyant nul plaifir de faire manier un cheval
par la feule force * parce que jamais l'homme n'aura bon-
ne grace tant qu'il fera contraint de le battre ; & jamais le
cheval ne fera plaifant à regarder en fon maneige , s'il ne
prend plaifir à toutes les actions qu'il fera. C'eft pour-
quoy je me fers de la houffine pour luy donner cognoif-
fance des talons , en ce que le mouvement du bras, & la
veue que le cheval a d'elle , l'oblige à obeyr pluftoft pour
la peur qu'aiitrement : joint qu'à toutes les fois qu'il faut
qu'il la fente , eftant à l'endroit du talon , cela le prepare
par apres à les fouffrir.
LE K Ö Y.
Quand eft-ce que vous faites cognoiftre les talons au
cheval, & de quelle fa£on en ufez-voits ?
P L ti V I NEL.
SIRE, lors que je voy le cheval afleuré au pas, au
trot & au galop , & aucunement terre à terre à l'entour
du pilier, fouffrant l'homme fur luy, obeyflant à la bri-
de , & s'y laiflant conduire , maniant pour la peur de la
chambriere & de la gaule , ayant cognoiflance de l'une
& de lautre , allant de cofté entre les deux piliers pour la
gaule de l'homme qui eft fur luy : alors je continue
les mefmes le£ons, & en fuite , Thomme animant le
cheval de la voix & de la gaule , je fay qu'il prefle en
mefme temps le gras des jambes & les talons. Que
fi cette nouveaute l'oblige de fé deffendre , il ne faut
pas redoubler des efperons, mais bien d'un coup de
chambriere , ou de la peur : & apres avoir repris ha-
leine , en cheminant de pas , celuy qui aura la cham-
briere , fé tiendra preft fans faire femblant de rien au
cheval 3 puis comme l'homme qui fera deflus, ferre-
rà les
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D V ROY.                        37
rales deux gras des jambes & les talons* où il ne pär-
tiroit, la peur & le coup de chambriere luy obligeroient
auparavant qu'il ait loifir de fé deffendre : aitifi en prati-
quant avec induftrie & intelligence, le cheval cognoi-
ftra bien-toft , qu'il faut qu'il parte pour les talons $ & y
eftant accouftumé, il le fera franchement quand il fentira
ferrer les deux gras des jambes. Si auffi le cheval ne re-
fufe, & que la gaule feule & la voix, fecoitrant les talons,
fuflent fuffifantes pour le faire deliberer , il ne faut point
que celuy qui tient la chambriere , s'en ferve. Au con-
traire il fé doit retirer hors du pilier, & laifTer faire l'horn-
me qui eft deffus luy , afin que le cheval s'accouftume à
ne voir plus la chambriere aupres de luy, & à manier
autant pour le plaifir que pour la peur, à quoy le Cheva-
lier l'obligera de tout fon pouvoir ; puis l'ayant contente,
il le renvoyera, ou le fera attacher entre deux piliers,pour
le continuer, comme auparavant, à aller de cofté : mais en
approchant la gaule , il approchera auffi le talon tout dou-
cement. Et où il feroit refus, il ne donnera pas coup
du talon ; mais bien de la gaule, avec la peur de là cham-
briere , & ainfi le cheval s'accouftumera peu à peu à par-
tir pour les talons , & à fé ranger auffi de cofté deci Se
delà pour iceux.
MONSIEUR LE GRAND.
SIRE, je voy bien que par cette methode le cheval
peut obeyr fans aucun doute. Mais de prendre une ca-
dence bonne terre à terre , il s'en pourroit trouver quel-
ques-uns qui d'eux mefmes, fans autre artifice,ne s'y met-
troient pas : c'eft pourquoy il eft tres à propos que Mon-
fieur de Pluvinel die à voftre Majefté ce qu'il faudroit fai-
re à tels chevaux, pour les obliger de prendre une bonne
cadence terre à terre.
K                          PLU-
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               L'INSTRVCTION
PLtIVINE L.
SIRE, II eft tres-vray ce que Monfieur le Grand
vient de dire, qu'il y a des chevaux encor qu'ils obeiflent
a la main & aux talons , s'y laiffant conduire au pas , au
trot, au galop, & à toute bride : neantmoins ils ne peu-
vent prendre la cadence terre à terre : & ce qui les em-
pefche (j'entens les obeiffans) car pour ceuxqui fé deffen-
dént de malice , il faut les vaincre par la patience indu-
ftrieufe , & par la refolution judicieufe , afin de les faire
obeyr : & où eftans obei'ffans,ils ne s'accommoderoient à
aucune cadence. Il faut qu'ils foient fans force,fans lege-
reté,ou naturellement des-unis: car fi le cheval eft leger &
uny , infailliblement les aydes cy-deffus dites , le feront
prefenter à ce qu'on delire : mais fi le cheval eft leger &
des-uny , il fera befoin que le Chevalier ayant finy fa le-
£on,le race attacher entre les deux piliers. Et apres l'avoir
fait aller de cofté de^à & delà, qu'il defcende,puis un peu
Fig», apres qu'il luy frappe doucement- la poiftrine avec la houf-
fine en aidant de la langue, pour luy apprendre à faire des
courbettes : à quoy fi il ne refpond , 3c qu'il n'obeifTe,
comme il sen trouve de fi coleres ou fi ftupides , que la
moindre nouveauté les trouble de telle forte , qu'ils n'en-
tendent point ce qu'on leur demande , ou I'entendant ne
le veulent faire. A quoy le difcret Chevalier prendra gar-
de de prés : car fi le cheval entend & comprend ce qu'il
luy demande, le refufant, il le faut chaftier de fon refus :
fi auffi il ne Tentend , & que fon refus procede de man-
que d'intelligence produite par la colere , ou par la ftu-
pidité , faifant difficulté de fé lever haut de terre , & plier
lesjambes de devant, (qui eft une des bonnes graces
du cheval quand il manie à courbettes , ou à un air plus
haut) ou qu'il fé fift trop attendre à lever les deux
pieds de terre , il le faut frapper fur une jambe de der-
riere,
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D V R O Y.                        39
riere, ou fur toutes les deux avec la melme houflìne, pour
le faire ruer : & s'il eft tant foit pen fenfible , il s'apper-F^-
cevra qu'il luy faut lever les jambes , voire la croupe , en
voyant approcher la houffine : De forte qu'il ne refufera
plus à lever le devant, qui eft ce que premierement eft
demandé : & fi tons ces moyens manquoient, & que
le cliéval fuft telleraent attaché à terre qu'il ne fé vou-
luft lever , il faut faire tenir uii gros bafton haut de ter-
re , environ d'un pied & demy : & tenant une des cor-
des du caveflbn, faire fauter le cheval par deffus , le-
quel approchant du bafton, celuy qui fera fur luy ay-^-
dera de la langue & de la houfline fur fune ou l'autre de
fesefpaules: &parcette voye le cheval apprendra af-
feurenient à bien faire une courbette , fi le Chevalier
eft foigneux de l'ayder & de le careffer à propos à tou-
tes les fois quii obeyt ; voire mefmes quand il fait fem-
blant : car les chevaux ne nous peuvent entendre ny
obeyr que par la diligence des carefles de la langue , de la
main, ou en leur donnant quelque friandife , d'herbe ,
de pain, defucre5 ou autres chofes , quand ils font ce
qu'on defire,ou partie: Mais auffi quand ilsfont mal,il faut
eftre diligent de les chaftier de la voix, de la houflìne, de
l'efperon , ou de la chambriere un coup ou deux pour le
plus ; c'eft à f9avoir de l'un ou de l'autre , & non pas de
tous enfemble pour une mefme faute : car s'il eft poflìble,
il faut eftre avare des coups , & prodigue des carefles ,
à fin, corame j'ay desja dit, & rediray toufiours , d'obli-
ger le cheval à obeyr , & à manier pluftoft pour le plaifir
que pour le mal.
L E R O Y.
A voir la maniere que vous tenez pour lever le devant
aux chevaux, à fin de leur apprendre à bien faire une
courbette, il faut que l'homme qui l'entreprendra, re-
garde
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4o               I/I N S T R V C T I O N
garde de prés à ce qu il fait, pour éviter aux extremes
coleres qui peuvent prendre aux chevaux ainfi attachez,
& au perii de l'homme qui feroit deflus , & choifir le plus
propre de tous les moyens que vous venez de dire, felon
la cognoiffance qu'il aura du cheval, pour luy faire faire
feulenient une bonne courbette.
P LH VINE L.
SIRE , Voftre Majefté pourroit peut-eftre croire
que ce feroit fort peu de chofe au cheval, que de f9avoir
une bonne courbette : mais je la puis afleurer que celuy
qui la fait bonne , eft fort advance : car s'il en fait bien
une bonne, certainement il en fera bien trois , desquelles
eftant afleuré, il en fera infailliblement, tant que fon
haleine luy pourra fournir, en le travaillant avec discre-
tion & fans le mettre en colere : & pour donner à con-
noiftre à voftre Majefté, quelle eft la bonne courbette ,
c'eft quand le cheval la fait librement avec I'ayde feule de
la langue , à toutes les fois qu'il plaift au Chevalier de luy
demander , en accompagnant bien enfemble le devant &
le derriere : Et pour ce quej'ay donne divers moyens
pour faire lever le cheval, c'eft au prudent & judicieux
Chevalier de s'en fervir felon ce qu'il jugera à propos.
Car c'eft à luy à confiderer , que fi un cheval fe deffend
de fe lever par trop devant, jufques à fe mettre en peril
de fe renverfer,& fans vouloir aller en avant,que ce feroit
une imprudence à luy, de luy continuer la chofe de la-
quelle il fe defFend. Au contraire,au cheval qui prend cer-
te deffence, il le faut fort deliberer & determiner à Ten-
tour du pilier, pour là luy faire perdre & employer fa for-
ce à prendre une meilleure cadence : Si le cheval eftoit
ramingue ou retif, il n'eft pas à propos de le lever, fi ce
n eft qu'il fuft fort attaché à terre ; auquel cas encor
ne le faudroit il pas lever pour le rendre plus leger,
que
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D V ROY.                       41
que premierement il ne fut obeyflant à aller en avant, &
obeyr aux le9ons precedentes. Le Chevalier fage &
advifé confiderera done toutes ces chofes, & fera la
guerre a foeil • car il y a mille rencontres diverfes qui fe
treuvent en travaillant, qu'on ne pent dire que lors que
l'occafion s'en prefente ; eflant tres-neceffaire qu'avec le
long ufage & la pratique de cette fcience, lejugement
agifle puiflamment, autrement il y auroit du peril de ga-
fter bien fouvent des chevaux , & faire courre fortune
aux hommes de fe faire mal : car mon but n'eftant autre
par ma methode , que d'efpargner les jambes & les reins
du cheval, & d'abreger le temps : Je m'attache principa-
lenient à exercer fon efprit & fa memoire , de telle forte,
que pour bien reùffir à ce que je defire : tout ainfi que
c'eft l'efprit du cheval que je travaille le plus , il faut auffi
que l'efprit du Chevalier fo'it en perpetuel travail pour
épier toutes fortes d'occafions , afin de parvenir à ce qu'il
defire, fans laifTer pafler aucun mouvement qu'il n'obfer-
ve? ny aucun temps qu'il ne prenne. '
LE R O Y.
Je voy bien que 1'homme a grand befoin de pratiquer,
pour eftre ffavant en cette fcience. C'eft pourquoy je
fuis bien aife en vous entendant parier , de voir, comme
j'ay fait jufqu a cette heure , la preuve de ce que vous me
dites. Enfeignez-moy done , ce que vous defirez de vo-
ftre cheval, apres qu'il f^ait faire jufques à trois ou qua-
tre bonnes courbettes.
PLUVINEL
SIRE, Quand le cheval obeyt franchement aux
le£ons precedentes , & qu'il f?ait faire trois ou quatre
bonnes courbettes, & qu'il les fait franchement entre
les deux piliers, fans sappuyer fur les cordes ducavef-
L                        fon,
-ocr page 79-
42                L'INSTRVCTION
fpn, jefaisun peu allonger lescordes, & continue la
mefme le^on par quatre ou cinq jours , afin que le cheval
prenne bon appuy dans la main. Et lors que je cognois
qu'en maniant, il s'appuye fur les refnes * & non fur le
caveflbn, je le fais cheminer de cofté, de9à & delà , des
handles feulement, en approchant les talons tantoft Tun,
tantoft l'autre , de pas , puis la mefme chofe à courbet-
tes deux outroisde chafque cofté , felon la difcretion du
Chevalier, l'arreftant à chafque fois avec force carefles ,
pour luy apprendre à manierde cofté pour les talons,s'ap-
puyant dans la main, le fecourant de la houffine , où il ne
fé leveroit aflez devant ou derriere.
L E R O Y.
Mais pratiquant toutes les lemons fusdites , fi le che-
vai vigoureux fé defFendoit de fa force , que feroit-il be-
foing de faire ?
PLUVINEL
Si le cheval vigoureux , ou quelqu'autre cheval que ce
foit, fé defFend contre les le9ons fusdites , il faut confide-
rer fa deffence : car s'il va en avant, & que feulement il fé
deffende (s'il eft leger & vigoureux) de fon efquine , en
faifant des fauts au lieu de courbettes, pourveu que le
cheval aille bien deliberé à toute bride , quand il plaift au
Chevalier, & qu'il ne fé ferve de cette deffence que lors
qu'on le veut lever , il ne la faut pas feulement fouffrir,
mais faut entretenir le cheval à la cadence qu'il pren-
dra luy-mefme, foit capreoles, balotades , ou groupades -,
d'autant que c'eft une chofe tres-certaine , que les airs
font donnez au cheval de nature ; & qu'il faut, s'il eft
poffible , l'obliger à faire demonftration de celuy qui luy
eft le plus facile, .& auquel il a plus d'inclination : car
fans dome c'eft celuy auquel il aura meilleure grace
en
-ocr page 80-
D V R O Y.                       43
en maniant : partant le prudent & judicieux Chevalier
doit prendre garde, comme je viens de dire, de ne battre
pas fon cheval quand il prend quelque cadence , foit de
bonne volonte , ou par deffence , encor que ce ne fut pas
celle qu'il defire ,- d'autant que s'il fe deffend des fauts , il
le faut faire fauter , & luy entretenir : carpourveu qu'il
prenne une cadence, & qu'il obeyfle, il fuffit ; eftant
tres-certain , que fi le cheval n'a afTez de force pour con-
tinuer à capreoles , ballotades ou groupades , il fe rabaif-
fera tres-aifement de luy mefmes à courbettes, ou terre à
terre : & qui feroit autrement, tei cheval vigoureux &
plein de feu, pourroit faire mille desordres , qui en retar-
dant ce qu'on delire, apporteroit mille accidents fafcheux
tant à l'homme qu'à luy.
LEROY.
le con9oy bience que vous me venez de dire ,- mais
revenons au cheval obeyflant aux le9ons fusdites , & en-
tre les deux piliers , faifant quatre ou cinq courbettes en
une place, & autant de chafque cofté , s'appuyant en la
main. Quand il en eft à ce poincT:, voyons ce que vous
defirez de luy: car il femble, à voir l'ordre de ce que vous
dites , que vous commencez, continuez , & achevez
de drefler voftre cheval à l'entour du pilier , & entre les
deux piliers.
PLUVINEL
Voftre Majefté a tres-bien jugé, pource que je me
trouve tres-bien de ces deux moyens , en ce que j en ti-
re tout ce qui eft propre à reduire les chevaux à ce que
je defire,fans tourmenter le corps,Ies jambes,ny lespieds,
mais feulement leur efprit, d'autant qu'autour du pilier
le cheval fe met franchement fur les hanches, fe delibere,
fe refoud , tourne furieufement, & rondement, pourveu
qu'il
-ocr page 81-
?
44                L'INSTRVCTION
qu'il foit vigoureux entre les deux piliers, il obeyt aux
talons plus promptement. II s'unit & prend pluftoft le
bon appuy de la main à courbettes : aufquels lieux file
cheval y va volontairement, s'appuyant doucement fur
les refnes , & non fur le cavefTon , il ira encor mieux hors
de là en liberté.Et pour autant que toutes les jufteffes de-
pendent de celle de ferme à ferme,eftant en une place, je
continue volontiers , & conclus ordinairement la le^on
du cheval entre les deux piliers, y trouvant là ce qui m'eft
lìecefTaire : & vous diray (SIRE) que la plus excellen-
ce lepori que j'ay trouvée pour affermir promptement la
tede du cheval, luy faire prendre bon appuy à la main de
la bride , & luy gaigner l'haleine fur les courbettes , j'en-
tends quand il ne s'appuye , ny ne tire point fur le cavef-
fon j c'eft de l'attacher entre les deux piliers avec les
longes d'un filet, qu'il aura dans la bouche au lieu de bri-
de , & là le faire manier fans felle ; car il fé chaftie foy-
mefme , s'il brande la tefte, ou qu'il s'appuye trop, ou pas
affez; tellement qu'il eft contraint de manier fur les han-
dles , & prendre le bon appuy, de crainte qu'il a d'eftre
frappé de la chambriere, qu'on luy monftre toute prette
derriere, & Ten frappe on quand il en eft befoin , toutes-
fois avec difcretion. Lors done que je voy le cheval bien
obeyffant à ce que defliis, afin de luy donnei* plus de
pratique fur les voltes, je le fais remettre autour du
^ mefme pilier, corame deffus , avec une longe attachée
I2' au banquet du mors , corame une faufTe refne , & là je
le fais manier, en le faifant lever devant, & chaffer
fort en avant, qui eft moitié terre-à-terre & moitié à
courbettes , qui fert grandement à le refoudre & delibe-
rer, pour bien embraffer la volte , n'y ayant rien de plus
agreable à voir au cheval, que la diligence & la refolution
en maniant, ny plus desagreable que la lenteur & la mol-
leffe.                                                                  .
-ocr page 82-
D V R O Y.                       4?
LEROY.
Il femble que cy-devant vous avez fait ce qui vous a
efté poffible?pour obliger le cheval à fé lever haut devant,
pour bien faire des courbettes , m ayant fait cognoiftre
que les plus hautes font les plus belles : & à prefent vous
le faites lever demy à courbettes , & demy terre à terre :
ne craignez vous point que cela le divertifle de fé lever
haut devant, & le fafle rabaifler ?
P L U V I N E L.
SIRE, la pratique que j'ay du contraire, m'oblige
d afleurer voftre Majefté , que tant sen faut que cette
cadence de demy à courbettes, & demy terre à terre ,
rabaifle le cheval & l'appefantifle ; mais pluftoft en ufant
bien à propos de cette le9on , elle le releve & l'allegerit
d'avantage , en ce qu'elle le refoud, l'afFermit fur les han-
dles & l'afleure dans fa cadence : luyfaifant recevoir
franchement les aydesde la main, des talons & de la
houfline : lesquelles chofes rendent le cheval plus agile à
tout ce quon defire de luy , & par confequent luy en fa-
cilite les moyens.
LE ROY.
I'approuve vos raifons , & croy que les efFeds en reiif-
fiflent tels que vous me les dites , e eft pourquoy voyons
ce que vous faites apres.
PLUVINEL
SIRE, Voftre Majefté remarquera , sii luy plaift,
que je luy ay dit cette leijon , demy à courbettes & de-
my terre à terre , eftre tres-neceflaire en sen fervant au
befoin ; c'eft à dire 5 quand on verrà un cheval manquer
de refolution , s'entretenant fur fes courbettes , non
M                              afleuré
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4^               L I N S T R V C T I O N
afleuré de fa cadence , incertain de fon appuy & des ay-
des : mais fi le cheva.l eft aflez refolu par fa vigueiir, &
qu'il ne foit befoin de s'en fervir, il faudra pafler outre ,-
encor que je n'ay jamais trouvé de chevaux aufquels ce-
fte le^on fuft dommageable , tellement que je m'en fers
volontiers. Puis quand je les y voy fort obei'flans , pour
peu qu'on fouftienne la main d'avantage au cheval, il
maniera à courbettes ou à capreoles , fi c'eft fon air, en
laydant ou plus ou moins, comme j'ay dit ; & felon la dis-
cretion du Chevalier qui fera deflus , il apprendra à faire
de bonnes voltes , aufquelles je continue à entretenir le
&&- cheval à l'entour du pilier, tant que je le voye fort afleuré
à cette cadence, & à l'obeiflance entiere de la mani) fouf-
frant peu à peu l'ayde des talons.
-
LE ROY.
-
Qu'appellez-vous foufFrir l'ayde des talons ?
■ -
PLUVINEL
S IR E , Le cheval fouffre les talons quand en les ap-
prochant, il les fuit, &c fé renge de9a & delà pour Fun &
pour I'autre , quand en les preflant contre fon ventre , il
part vigoureufement de la main. Et lors qu'il fait quel-
que chofe contre la volonte de celuy qui eft deflus , &
qu'il le chaftie dun ou de deux coups des deux efperons,
ou d'un feul, qu'il endure tant ce chaftiment que les au-
tres aydes, fans fe mettre en colere.
LE ROY.
I'entends bien à cette heure , ce que c'eft au cheval de
foufFrir les talons : mais l'importance eft des moyens qu'il
faut tenir pour luy faire endurer , lefquels je feray bien
aife.que vous me faciez entendre.
P L U-
>
-ocr page 84-
D V. R O Y.                        47
P L U V I N E L.
SIR E; il y a plufieurs chevaux, & grande quantité,qui
les endurent trop,&qui sen foucient fort peurpour ceux-
là il faut pluftoft des moyens pour les accouftumer à y
eftre plus fenfibles : C'eft pourquoy je ne m'amuferay
pour cette heure à parler deux, feulement je declareray à
voftre Majefté,ce quelle defire , qui eft que rencontrant
un cheval fort fenfible aux talons pour commencer à les
luy faire fouffrir , eftant bien afleuré dans fa cadence à
courbettes i je fais tousjours , cu le plus fouvent felon le*&-
befoin , commencer fa lefon au pilier feul j & là lefaifant*14"
aller fur les voltes de fon air, lors qu'il eft en train , je ta-
fche tout doucement à le piacer le plus delicateme'nt que
je puis d'un talon ou de l'autre , felon le befoin : ou de
tous les deux enfemble , un temps ou deux feulement.
S'il le fouffre , luy faire cegnoiftre avec careflès que c'eft
ce qu'on defire. S'il ne le fouffre, arrefter l'ayde & ache-
ver la volte, pour le remettre dans fa ■ cadence : eftant
une maxime qu'il ne faut jamais arrefter fon cheval, s'il eft
poffible , fur une mauvaife cadence. Car le commence-
ment & la fin c'eft à quoy il faut prendre garde pour le
bien faire. Confiderant done le cheval faifant difficulté
d'endurer d'eftre doucement pince , je l'attaché entre les^*-
Y6S et
deux piliers les cordes un peu courtes, & en le levant, \tkFt-
■l                                                -                           x                                                                                                         7 J gare o.
le fais pincer tout doucement. Et fi il fé detracque de fa
mefure,je le redrefle derriere fur la crouppe avec la houf-
fine , & en luy aydant, je fais en forte que celuy qui eft
deffus continue à le pincer, afin qu'il remarque qu'il faut
refpondre à l'ayde du talon, comrae à celuy de la houffi-
ne. Et fi le Chevalier qui eft deffus , & celuy qui aydera
le cheval de la houffine , fur la crouppe s'entendent, ils
auront bientoft accouftumé le cheval à prendre l'ayde
des talons, & à y obeyr comme à celle de la houffine.
L E
-ocr page 85-
4s               L'INSTRVCTION
LE R O Y.
. Mais en cas que le cheval fuft fi impatient, ou fi fenfi-
ble , qu'il ne vouluft endurer les talons en la forme que
vous dites, & quii fe mift en colere de telle forte,qu'en le
voulant contraindre , il entraft en quelque desefpoir , fe-
roit-il befoin de s'opiniaftrer à les luy faire fouffrir , puis
que fans cela il me femble qu'il peut manier -, & que mef-
rn.es vous dites qu'il ne faut point battre les chevaux * au
contraire qu'il faut qu'ils aillent fans qu'on cognoiffe que
le Chevalier face aucune a&ion de force ny de contrain-
te j mais la creance que j'ay qu'il eft neceflaire, puis que
vous le fai£tes,m'oblige de vous en demander la raifon, &
le moyen que vous tenez , pour obliger ceux de l'humeur
que je vous viensde dire,à endurer librement cette aide :
neantmoins je feray bien aife que vous me declariez pre-
mierement ce que vous nommez pincer.
PLUVINEL
SIRE, Pincer fon cheval lors qu'il manie à cour-
bettes , ou à quelqu'autre air plus relevé , eft prefler tout
doucement les deux efperons, ou un d'iceux contre fon
ventre , non de coup , mais en ferrant delicatement, ou
plus fort, felon le befoin , à tous les temps, ou lors que la
neceffité le requerra ; afin que par Taccouftumance de
cette aide, il fe releve derriere, ou peu , ou beaucoup, fe-
lon la fermefle , delaquellele Chevalier avivera cette ai-
de , qui eft veritablement tout le fubtil de la plus par-
faite fcience , & pour le Chevalier , & pour le cheval,
que j'ay nommée la delicateffe principale de toutes les
aides, dont l'intelligence eft la plus neceiGTaire à l'homme
& au cheval ; & fans laquelle il eft impoffible au Che-
valier de faire bien manier fon cheval de bonne grace ,
en la forte que voftre Majefté ftjait que je delire , &
que
-ocr page 86-
D V R O Y.                       4P
que je pratique en mori efcole. D'autant que le che-
vai ri entendant, ne cognoifTant, & ne fouffrant les ai-
des des talons , s'ü a befoin d'eftre relevé , anime , ou
chaftié , il n'y aura nul moyen de le faire : car le coup
d'efperon eft poür le chaftiment, & les jambes & la fer-
meté des nerfs pour les aides : Mais où il ne refpondroit
aflez vigoureufement aux aides.de la jambe , il faudroit
en demeurer là, fi le cheval ne foufFroit le milieu d'entre
le coup d'efperon & Faide de la jambe, qui eft le pincer,
que je viens de dire, que fort peu de gens pratiquent,
(volontiers par faute de fcavoir pluftoft que de bonne vo-
lonte) non plus que celle de la cuifle, qui eft la feule pour
laquelle je veux que les chevaux dreflez de ma main ma-
nient, & laquelle je diray à V. M. en particulier avec au-
tres chofes pour la bienfeance , & pour la politefTe , afin .
que V. M. face manier fon cheval de meilleure grace que
les autres. Voilà done, SIRE, ce que je nomme pin-
cer , & les raifons pourquoy il eft neceflaire que le che-
val le cognoifle , l'entende, & le fouffre. Mais pour con-
tenter voftre Majefté en ce qu'elle delire fcavoir , coni-*-
me quoy j'oblige celuy qui eft trop fenfible , impatient &
colere, d'endurer cette aide : e'eft que je fais attacher le
cheval de pareille humeur entre les deux piliers les cor-
des courtes , apres avoir commence fa le^on autour du
pilier feul, pour tousjours Fentretenir dans fa bonne ca-
dence , puis eftant attaché , je lie deux balles de quoy on
joue à la paume , aux deux mollettes des efperons de ce-
luy qui eft deffus , avec lesquels efperons ainfi couverts ,
j'oblige le cheval à aller du cofté , de^à & delà, tout dou-w
cement, luy faifant fentir ces balles contre le ventre, pour^-
luy donner à cognoiftre que le mal n'eft pas grand :
puis eftant accouftumé d'aller de cofté , de pas , il le faut '
tenir droit en une place , & approcher de fois à au-
tre les deux talons enfemble, afin qu'il les fente tous
N                             deux
-ocr page 87-
5o               L'INSTRVCTION
deuxàlafois. Comme il eft accouftumé de les fouffrir
en cette forte , fans manier , de peur qu'il ne perde fa
cadence en faifant desordre : une autre fois je commen-
ce fa le^on entre deux piliers, &jpres qu'il a fenty les
talons fans manier, lors quii manie je les y approche
tout doucement à tous les temps : Et par cette voye in-
failliblement le cheval fouffrira les efperons armez de ces
balles. Voftre Majefté remarquera , s'il luy plaift , qu'au
lieu de balles je me pourrois faire öfter les efperons, d'au-
tant que le talon agiroit contre le ventre du cheval
comme les balles. Mais je le fais pour une raifon, qui
eft que n'ayant point d'efperons , le talon ne peut tou-
cher au ventre du cheval, fans que le gras de la jambe
ne le preffe par trop , & qu'elle ne foit en autre pofture
que lors qu'il y a un efperon. Quand le cheval les fouffre
ainfi converts de balles fans fé mettre en colere , je prens
des efperons qui ne piquent point, &c continue les mef-
mes lemons : puis y eftant accouftumé , je reprens les
ordinaires , & m'en fers delicatement, ou plus fort felon
le befoin ; de ainfi fans nulle doubte, toute forte de
chevaux, quelques impatiens, coleres, & fenfibles qu'ils
foient, en praótiquant cette methode avec induftrie &
jugement , endureront tres-librement les aides , &
fouffriront les chaftimens à propos : Eftant telle fouffran-
ce fi heceflaire au cheval de guerre principalement, que
celuy qui n'endure la main & les talons fans fe mettre en
colere & en desordre , eft non feulement incapable de
fervir fon maiftre aux bonnes occafions ; mais propre à
luy faire courre fortune de la vie , en ce qu'il eft tres-
certain qu'un homme au combat n'a pas la jufteffe de la
main, & des talons au milieu du hazard comme fur la
carriere : car fouvent voulant éviterle perii qu'il voidpres
de luy , donnant des efperons à fon cheval pour Ten for-
th* , redoublant fouvent, & de la main plus rudement
que
-ocr page 88-
D V ROY.                       fi
que Tordinaire,pour le tourner ou 9a ou là : fi le cheval ne
fouffre,& qu'au lieu d'obeyr à l'intention de celuy qui eft
deflus , il fafle desordre & fé mette en colere, il n'y a que
tenir que fa vie ne foit en danger extreme : ce qui mon-
ftre vifiblemént le befoin que les chevaux ont de fouffrir
la main & les talons.
LEROY.
Vos raifons tombent facilement fous mon fens , & voy
comme peu à peu vous-vous fai&es diftinétement enten-
dre au cheval: c'eft pourquoy je prendray plaifir que vous
pourfuiviez voftre difcours,& que vous me faciez enten-
dre ce que vous faites äu cheval reduit au point que vous
venez de dire ?
P L U V I N E L.
SIRE, quand j'ay reduit le cheval jufques où voftre
Majefté a veu , je commence toufiours fa let^on autour
du pilier, fur les voltes, pour l'entretenir d'avantage dans
l'obeyffance de la main5pour s'y laifler conduire,& foufte-
nir dans fa bonne cadence, Sc dans la fouffirance des aides
des talons. Puis l'ayant attaché entre les deux piliers les
cordes un peu plus longues., je commence tout douce-
ment ale faire aller de cofté , de pas , de<jà , & delà , &
reprendre d'un talon & de l'autre fans s'arrefter : puis
comme le cheval cognoift cette reprife de pas, je mets
peine & l'oblige fi je puis,de reprendre en maniant de fon
air,ce qu'il fera en fort peu de jours,eftant desja accouftu-
mé à manier,de9à &delà, en s'arreftant de chafque cofté.
L E          R O Y.
Pourquoy voulez-vous que voftre cheval flache ma-
nier de cofté , & qu'il repreigne de§à & delà pour un ta-
lon & pour l'autre ?
PLU-
-ocr page 89-
52               L I N S T R V C T I O N
'PLUVINE L.
Pour ce (SIRE) que le cheval qui ne f£ait manier
decotte, ne peut faire bonnes voltes que par hazard:
mais le f9achant, G en allant fur les voltes ? il s'eflargift
trop l'efperon de dehors , le referrera : & s'il fe ferre trop
l'efperon de dednas, le fera eflargir. De mefme fi en
maniant par le droict, ilfe j ettoit d'un cofté ou d'autre,
Fun ou 1'autre efperon le contraindra d'aller droid. Voi-
là (SIRE) la raifon pourquoy je veux que les che-
%*- vaux fgachent manier de cofté. Maintenant je pafle
' outre, & fupplie voftre Majefté de regarder ce cheval
avec une longe au banquet du mors, comme j'ay dit
cy-devant , lequel apres avoir commence fa leijon de
fon air à l'entour du pilier pour le divertir , de crainte de
l'ennuyer à mefme chofe , au lieu de I'attacher entre deux
piliers pour le faire aller de cofté: Voyez comme il a la te-
tte tournée contre le pilier , & tout proche , & les han-
dles dehors : comme quoy il chemine de cofté , de pas,
des efpaules & des hanches , & plus eftroit des efpaules.
En apres confiderez le maniant à courbettes de la mefme
pifte , & comme celuy qui eft deflus laide des deux ta-
lons, pour porter les efpaules en avant, un peu plus ferme
de celuy duquel il le chafle , afin qu'il y obeyfle -, e'eft à
dire , le fouftenir feulement de celuy oppofite qu'on le
chatte, le prettant fort du gras de la jambe, ou le pin^ant
de celuy auquel il veut qu'il obeyfle ; laquelle le9on eft
tres-profitable, & advance le cheval.
L E R O Y.
Quelle advance trouvez-vous que cette le9on face d'a-
vantage qu'entre les deux piliers, puis qu'il n'y fai<5t qu'al-
ler de cofté, de5à ou delà?
PLU-
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D V R O Y.                       n
...          - ....                                                                  -
I                  *. t                              ■ -                                                                       J
P-L UVINEL.
SIRE, I'y trouve deux advantages : le premier, que
le cheval n'eftant attaché des deux coftez , il a moins
d'apprehenfion du pilier feul., que des deux , n'y eftant
pas fi fubjet : & par confequent, il faut, outre l'appuy
qu'il a à la main, qu'il y obeyfie , en fe laiflant eonduire la
tefte contre le pilier : Secondement, qu'il obeyfie encor
aux deux talons enfemble , & plus à celuy dtiquel on le
chaffe, fe laiflant porter en avant un peu de cofté: par les-
quelles chofes voftre Majefté peut cognoiftre , que le
cheval qui a cette intelligence .& cette obeyflance, eft
prefque en eftat d'eftre nommé f9avant.
L E R O Y,
II me fouvient que vous avez tantoft dit, qu'il y avoit
des chevaux qui ne fouffroiènt que trop les talons, eftans
fi peu fenfibles & courageux , qu'ils ne s'en foucioient en
aucune forte ,- & qui avoient pluftoft befoin de moyens ,
pour leur apprendre a les craiiidre & à les fuir qu'à les en-
durer : c'eft pourquoy je feray bien aife que vous me de-
clariez quelle invention il y auroit pour leur donnei* cette
fenfibilité.
PL UVINEL.
SIR E, II y ä des chevaux fi ftupides, fi poltrons, avec
fi peu de force aux reins , aux pieds, & aux jambes, que
tout ce qu'ils peuvent faire , eft de cheminer deux lieués
par jour. Tels font plus propres à la charette qu'au ma-
neige, & tellement indignes de fe prefenter à voftre Ma-
jefté , qu'il n'en faut parler devant elle : Mais il y en a
d autres qui ont affez bonne force, beaux pieds &
belles jambes , que le peu de courage rend fi lafches &
infenfibles, qu'il faut y apporter bien de 1'artifice pour
les réveiller : à tels chevaux je voudrois en premier lieu
O                               les
!
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54               L' I HS T R V CTI O N
les bien traitter : puis eftans en bon corps , s'ils ne fai-
foient mine de fé réveiller , je les fetois r'enfermer dans
une efcurie, où on ne verroit point de lumiere, ny le jour
nylanuiä:, les y laiCant fejourner en cette maniere un
mais, ou fix.fepmaines, fans fortir, leur donnant à manger
à leur volonte : fi cela les animoit, ce feroit ce que je de-
firerois, pour éviter a leur faire du mal : car mon humeur
eft de chercher toutes fortes d'inventions pournfem-
pefcher de tourmenter les chevaux j tenant pour reigle
infaillible , que tout homme qui ne les f^ait drefler qu'en
leur faifant du mal, & par la force, eft parfaiétement
ignorant. Si done toutes fortes de voyes doucesme
^«-manquent, je les mets autour du pilier, & là je les fais ré-
ufL veiller de la chambriere , jusques à ce qu'ils aillent deli-
berement de peur du coup : puis quand l'homme peut eftre
defTus en feureté , & qu'ils font accouftumez d'aller vi-
goureufement fans tomber, ( qui eft le plus ordinaire ha-
zard qu'il coure fur tels chevaux , ) je fais fans crainte
donner vertement des efperons bien piquans, lesquels au
befoin font fecourus de la chambriere , de la houffine, &
de la voix de celuy qui eft defTus,pour tafcher par là de le
mettre en apprehenfion;&,s'il y a moyen,luy faire plus de
peur que de mal, pour I'obliger à partir librement pour les
talons,& s'y rendre plus fenfible par la crainte qu'il en pren-
dra.Que fi cette le9on bien pratiquée ne le met en peude
jours en I'eftat que le Chevalier defire , il faut croire que
l'impuiflance feule Ten empefche,auquel cas le mal eft fans
remede ; puis que l'homme n'eft pas oblige à f impoffible.
MONSIEUR LE GRAND.
SIRE, voftre Majefté peut cognoiftre, ay ant entendu
Monfieur de Pluvinel, & veu la preuve de fon difeours,
que fa methode eft la plus certaine, la plus briefve, la plus
profitable, & la moins perilleufe : & par laquelle je puis
afTeurer V. M. avoir veu reùffir de fi bons effefts , & fi
grand
-ocr page 92-
D V ROY.                       ss
grand nombre, que jamais je n'ay remarqué en quelque
lieuoùjemefuistrouvé, des chevaux fi bien allans à
toutes fortes d'airs , que eeux qui out efté dreflez en fon
efcole ; comme auflì il ne fe trouve point d'hommes, ou
fort peu, bien placez à cheval, bien refolus, traveller
avec fcience, jugement & patience, que ceux qui en ont
appris le moyen de luy : ofant afleurer voftre Majefté ,
qu'il a plus dreffe d'hommes & de chevaux en dix années
de temps ,: que jamais il ne s'en eft veu en voftre Royau-
me. Et pour preuve de mon dire , e eft que toutes les
bonnes efcoles qui font en France , font tenués par fes
efeoliers. Et que toute voftre Noblefle, qui avoit accou-
ftumé d'aller chercher cette fcience aux pays eftranges,fe
contente de fe rendre fcavans en leur patrie , au lieu que
la plus-part retournoient ignorans, fans avoir rapportò au-
cune fatisfa<5tion de leur voyage, que celle d'avoir veu un
autre pays que le leur. C'eft pourquoy ( S I R E ) je loüe
Dieu,de quoy Monfieur de Pluvinel s'eft trouvé durant le
Regne de voftre Majefté , afin qu'en acquerantl'honneur
de l'inftruire, il fe repute heureux d'avoir rencontre un fu-
jet fi digne pour faire admirer fa fcience , efperant en fort
peu de temps voir reiiffir fon labeur j de forte que V. M.
fe pourra dire eftre le plus excellent en cet exercice qui
foit en fonRoyaume,& fans grande peine, veu Finclination
naturelle qu'elle a à tout ce qu'elle defire entreprendre.
PLUVINEL.
SIRE, j'ay grande occafion de loiier Dieu , de m a-
voir donne le moyen d'acquerir le peu de vertu, qui
oblige Monfieur le Grand à vous parler de moy en ces
termes : mais je luy doy bien rendre graces davantage ,
de ce quii ma rendu fi heureux , que deux grands Roys
ayans eu agreable mon fervice, j'ay encor l'honneur d'en-
feigner à V. M. Ie plus parfaiöfc de tous les exercices du
corps, & le plus neceflaire à un grand Monarque. Ius-
ques
-ocr page 93-
56               L'I N ST RVCT IO N
ques icy, SIRE , j ay efté bien aife de luy monftrer par
effect de quelle forte je pratique la methode que je tiens
pour rendre les chevaux obey flans, & prefts d'arriver aux
plus grandes juftefles, ayant voulu monftrer à voftre Ma-
jefté, que ces chofes fe pouvoient faire facilement avec
1'ufage des piliers ; & donner à cognoiftre par raifon, que
ce n'eft pas fans caufe fi j'ay quitte toutes les autres in-
ventions, pour me tenir à celle-cy : Car, comme j'ay dit
cy-devant, il me faudroit accufer d'iniprudence, fi j'avois
abandonné la forte dont j'avois accouftumé de travailler,
pour en prendre une autre , fi je n'avois tire de tres-gran-
des preuves du bien qui en reiiffit -7 ■& fi je n'eftois tres-
certain que toutes fortes de chevaux ,: & de toutes natu-
res , fe peuvent drefler par ces deux voyes, fune autour
du pilier, & l'autre entre les deux piliers, à toutes fortes
d'airs,tant pour la guerre,que pour les triomphes, & tour-
nois : les uns neantmoins pluftoft que les autres $ car les
bons, qui fe trouveront naturellement avec de la force &
de la legereté, font plus promptemeiit refolus en leur ma-
neige , & manient mieux & plus long-temps , que ceux
qui manquent de telles parties , & fe mettent plus facile-
ment dans la main & dans les talons. Que fi par hazard
quelques uns ignorans,qui m'ont veu travailler,ayans creu
pou voir faire le femblable,& qu'en y efiayant ils ayent gafté £
leurs chevaux,ou n'ayent pas reüffiace qu'ils defirent^j'en
fuis bien marry : & les confeillerqis pluftoft d'abandonner
cette pratique ( puis qu'ils y reüffiffent fi mal) que de blaf-
mer ce qu'ils ne f^avent pas. Mais, SIRE, c'eft dequoy
je me foucie fort peu : car n'ayant entrepris de contenter
que voftre Majefté, ceux que j'honnore&àquije dois
du refpect, mes amis pàrticuliers, & toutes fortes de gens
vertueux qui auront defir d'apprendre ; je laifle volon-
tiers les autres travailler à leur fantafie , & ne delire de
blafmer perfonne, n'eftant pas mon humeur, me conten-
tant feulement de f9avoir difcerner le vray d'avec le faux,
&
-ocr page 94-
D V ROY.                        n
& de connoiftre la voye la meilleure pour parvenir à mon
deffein. Or, SI R E , je fuis d'advis que voftre Majefté,
pour ne s'ennuyer pas de mon difcours , & pour fé diver-
tir, qu'elle commence! monter à chevaL
L E R.O Y.
Non, Monfieur de Pluvinel, je feray anparavant biea
plus aife d'entendre , comme quoy yous achevez le che-
vai qui en eft au poind oil nous l'avons laifle , & de quel*
le forte vous faites pour l'adjufter parfaitement.
PLUVINEL.
SIRE, voftre Majefté ne laiffera pas de contenter fa
curiofité,& en travaillant elle-mefme,elle apprendra quel-
que chofe : puis apres en fé repofant, je continueray mon
difcours5& luy feray voir Teffecl des paroles que je luy di-
ray, fous quelques bons hommes capables d adjufter un
cheval devant moy, & le plus fouvent fous moy mefme.
Partant (SIRE,) voftre Majefté trouvera bon ( s'il luy
plaift) de fuivre mon confeil,afin d'obliger toutes ces per-
fonnes de qualité,que voilà devant elle, qui defirent, il y a
fi long-temps, de la voir en cet eftat, qui leur donne efpe-
rance que bien-toft elle fé porterà à la tefte de fes ar-
mées: donnant un fi bon exemple de fa vertu?qu'elle obli-
gera par là toute fa NoblefTe, en l'imitant de le fuivre , &
de le rendre dignes de la bien & dignement fervir.
MONSIEUR LE GRAND.
SIRE , Monfieur de Pluvinel a raifon de vous donnercet advis, pour ce qu'outre que V. M. fé desennuyera, ens'exer^ant elle apprendra quelque chofe , & donnera uncontentement extreme à tout ce qui eft icy.
tgn-
'■ der-
niere
de cet-
te
i.
perite,
cefi la
Selk,
Fin de la premiere Varile.
p                       v i N-
-ocr page 95-
|B
L'INSTRVGTION
D V
EN
R O Y,
EXER CI CE
DE MONTER A CHEVAL.
PärMeffire ANTOINE DE PLUVINEL,Efcuyer
principal de ix Majefté.
SECONDE PARTIE.
LEROY.
ONSIEUR le Grand, j'approuvele con-
feil que vous me venez de donner, & jus-
ques icy j'ay cogneu que par lamethode que
Monfieur de Pluvinel obferve , on peut en
peu de temps fe rendre capable de juger du
Chevalier Sc du cheval. Cependant je prends un grand
plaifir à voir travailler un bel homme de cheval ; & croy
que j'en prendray encor davantageà faire mariier fous
moy un cheval drefie de fa main , par ce qu'ils me fern-
blent fi ayfez & obeyflans,qu'il ne faut que fe tenir droit,
& ayder feulementdes cuilfes (qui eft celle laquelle il
m'a enfeignee en particulier) Se un peu de la langue : c'eft
pourquoy, Monfieur de Pluvinel, faites-moy venir le che-
val que vous jugerez le plus propre.
PLUVINEL.
S IR E , II eft tres-raifonnable, qu'eftant le plus grand
Monarque de la Chreftienté , voftre Majefté prenne fa
premiere lecon fur le plus parfait cheval de l'Europe :
Voilà, S I R E , le Bonnite, duquel j'ay cy-devant parie à
voftre Majefté, lequel, à mon advis, le fervira tres-digne-
ment :
*
-ocr page 96-
L'INSTRVCT. DV ROY. S9
ment : mais auparavant que d'en approchet \ voftre Ma*
jefté aura , s'il luy plaift, agreable, que je luy die comme
quay il le faut faire feurement, & de bonne grace.
L E ROY.
1'en feray bien aife, car il me fouvient voüs avoir fou«
vent entendu reprendre vos efcoliers de monter à cheval
de mauvaife grace. Ceft pourquoy je delire ne tomber
en ces inconveniens.
P L U V I N E L
SIRE, encor que voftre Majefté ne monte jamais a
cheval, ou peu fouvent, qu'il n'y aye plufieurs perfonnes
à l'entour d'elle pour luy aider, foit à tenir le cheval,
foit à le mettre dans la felle : neantmoins il peut afriver
quen beaucoup d'endroits , ou en guerre , ou ailleurs ,
qu'elle feroit quelquesfois contrainte de faire cette action,
n'ayant pour la fecourir que celuy qui tiendröit le che-
vai : auquel cas il faut toufiours avoir foubfon , & éviter
ce qu'il peut arriver. Il eft done befoin que celuy qui
ameine le cheval a voftre Majefté, le tienne du cofté
droit, en cas qu'il fuft feul , afin que fe treu van t du cofté
de l'eftrier pour le tenir , il puiflfe auffi empefeher le che-
val de faire desordre ■: je ne dis pas cela (SIRE) pour
vos Efcuyers, car il n'y en a aucun icy qui ne flache tres-
bien fa charge, & qui ne foit tres-digne de le fervir. Je le
fais feulement, afin que fi voftre Majefté fe treuvoit feule
avec quelque ignorant\ elle puiflfe luy commander de luy
amener, & luy tenir fon cheval comme il faudra. Lors
done qu'elle voudra s'en approcher, elle prendra , s'il luy
plaift, garde, que ce ne foit pas tout droit, par devant, de
**** crainte qu un cheval, ou fafcheux ou gaillard, ne luy don-
naft d un ou des deux pieds de devant. Il ne faut pas auffi
que ce foit par derriere , de peur du melme accident. Il
faut que ce foit du cofté gauche, un peu plus devant que
derriere,
-ocr page 97-
6o               LINS TRVGTION
defriere, &f vis à vis de l'efpaule ; où eftant , avant que
mettre le pied en l'eftrieu, elle jettera l'ceilfur la bride,
voir fi elle.eft bien placée dans la bouche un peu au def-
fus des crochets : Silagormétte n'eft point entorfe, ou
trop lafche , ou trop ferree. Puis confiderera les fangles
& le refte du harnois, fi le tout eft bien : car puis que la
vie depend de Ges chofes, il eft tres-raifonnable d'y regar-
der de prés , ce qui fé fait prefque en un moment quand
on y eft accouftumé , & lors ayant recognu le tout en
bon eftat, du mefme endroit proche de l'efpaule gauche,
V. M. prendra les deux refnes de la main gauche , & le
pommeau de la felle : puis ayant mis le pied en l'eftrieu ,
s'appuyant de la main droide fur l'argon de derriere , el-
le fé piacerà dans la felle: mais sii eft poffible,il faut qu'el-
le s'accouftume à faire cette a£tion fi librement, que le
cheval la fente fort peu,&quii n'en reQoive ny apprehen-
fion , ny incommodité : puis ayant bien fait adjufter ces
eftrieux,ۆe pourra faire ce qu'illuy plaira.
LE R.O Y.
pf- Me voilà done à cheval, mes eftrieux bien adjuftez, &
la bride en la main, que voulez-vous que je faffe ?
PLUVINEL
SIRE, je louéDieu dequoy V. M. a fi bonne memoi-
re , & quelle aye fi bien retenu la pofture que cy-devant
je luy ay monftrée fur la perfonne de Monfieur de Ter-
Recoa-
tez.k
la Ft
gurez
mes,qu'il .n'eft maintenant point de befoin que je m'appro-
che d'elle pour la placer d'autre forte quelle eft. Et d'au-
tant que voftre Majefté fe peut bien fouvenir ( comme je
Tay cy-devant fait voir ) la plus grande difficulté des che-
vaux eftre de tourner , & que pour cet effefifc je les com-
mence par là: de mefme la plus grande difficulté des hom-
ines'eft , de les faire manier en tournant. Ce qui m'ob-
lige de commencer leurs premieres le<jons par là : &c de
fup»
-ocr page 98-
\
D V R O Y.                        61
fupplier voftre Majefté , de tourner à main droite de pa§
large quatre tours ; & , s'il eft poffible > gardèr la bonne
pofture , tenant la gaule fur le col du cheval, la poinóte
vers I'oeil gauche , afin qu'il la voye , & les ongles de la
main de la bride en haut.
MONSIEUR LE GRAND.
SIRE, à ce que je voy, Monfieur de Pluvinel n'au-
ra pas grande peine à faire comprendre à voftre Majefté
tout ce qui eft requis pour le rendre parfait en cet exer-
cice, puis qu'à cette premiere fois je luy voy executer ce
quelle fait.
PLUVINE L.
SIRE, Je cognois que fi tous les efcoliers qui me font
paflez par les mains , euflent comprins auffi-toft que fait
voftre Majefté , qu'il y auroit bien plus grand nombre
d'excellens hommes de.cheval dans voftre Royaume qu'il
n'y a ; parce qu'elle a fort bien gardé fa bonne pofture.
Mais je la fupplie de prendre garde à mettre un peu le
dos en ardere quand elle arrederà fon cheval ; chofe fi
necefTaire,qu'il faut toufiours la pratiquer en cette aófcion,
foit en arreftant, de pas, de trot, de galop, à toute bride ,
ou à quelqu'autre air que ce foit. Le bien qui en arrive
eft, qu'en faifant de la forte, l'homme en a bien meilleure
grace , & le cheval y fent de la commodité pour mettre
plus facilement les hanches fous le ventre , à caufe des
contrepoids que le Chevalier fait par cette a£tion fur
les reins du cheval : l'inconvenient., qui en reiiffit faifant
le contraire , eft, que le Chevalier a tres-mauvaife grace
d'arrefter court, & de pancher la tefte prés du crin, &
fon eftomach prés du pommeau de la felle : auquél temps
fi le cheval faifoit quelque fault, & donnoit quelque tour
d'efquive, il incommoderoit fonhomme, &luyferoit
perdre fa bonne pofture.
Ql                       l e
-ocr page 99-
**■              LINSTRVCTION
LE R O Y.
La raifon eft fort bonne, & niettray peine de pratiquer
ce que vous me dites.
PLUVINE L.
SIRE, je voy que voftre Majefté a trop bon efprit,
pour que je fois oblige àia faire cheminer de pas d'avan-
tage : c'eftpourquoy je la fupplie de faire au trot ee
qu'elle a fait au pas : & fi le cheval fe prefente au galop ,
qu'elle le laiffe faire, s'il luy plaift. Car tout fera fort bon,
pourveu qu'en gardant fa bonne pofture,elle conduife fon
cheval rondement, qu'elle empefche quii ne s'arrefte fi-
non quand il plaira à voftre Majefté , & qua l'arreft elle
mette le dos en arriere , corame je viens de luy dire. Et
afinqueje cognoiffe fi le cheval ne s'arreftera point de
foy-mefme , V. M. aura agreable de faire quatre tours en-
tiers, puis arrefter en la place où elle eft.
MONSIEUR LE GRAND.
SIRE, voftre Majefté me permettra , s'il luy plaift ,
de luy dire fans flatterie, que j'ay veu des efcöliers de
trois mois, ay ans tres-bon efprit, qui n'eftoient point fi
droicts ny fi vigoureux qu'elle , & qui ne conduifoient
leur cheval avec tant de jugement qu'elle fai£t ; jem'en
rapporte à Monfieur de Pluvinel,que je fcay tres-bien qui
ne dira à voftre Majefté que la verité.
LE R O Y.
le n'en doute nullement, car il ffait combien je hais les
flateurs.
PLUVI NE L.
SIRE, Monfieur le Grand vous a tres-bien dit, car
il eft vray quii ne fe peut mieux ; & ofe afleurer voftre
Ma-
-ocr page 100-
D V R O Y.                       63
Majefté, n'avoir jamais veu perfonne faire eri ce peu de
temps le tiers de ce qu'elle vient d'executer : car elle
s'effc tres-bien fouvenue de mettre le dos en arriere ; & fi
l'efpaule droite n'a efté fi en avant que j'euffe defiré , &
que la jambe ne fé foit tenue aflez efteridué'; ce que j'ay à
dire, c'eft qu'il eft inipoffible que voftre Majefté faflTe
tout en un jour : mais je m'affeure qu'en fort peu de
temps fans que je luy parle , elle fera d'elle-mefme a che-
vai, ce qu'elle a entendu eftant à pied. N'eftant pas tous-
jours neceflaire de reprendre l'homme de toutes les fau-
tes qu'il fait , foit en la conduite de fon cheval, foit en fa
pofture ; à chafque fois qu'il les commet, • ( au commen-
cement qu'il apprend ; ) mais il le faut reprendre quand il
eft temps , afin de ne luy embroüiller point la cervelle :
appartenant feulement au prudent Efcuyer de cognoiftre
quand il eft temps.
MONSIEUR LE GRAND.
SIRE , il eft certain ce que vous dit Monfieur
de Pluvinel, qu'il ne faut pas toufiours reprendre fon
efcolier -, car j'ay veu fouvent travailler devant luy des
jeunes efcoliers faifans de grandiffimes fautes, lesquelles
il laiffoit paffer fans leur dire : & fi je ne 1'eufTe cognu
pour tres-f9avant enl'exercice , j'eufTe creu que 1'igno-
. ranee euft ■ produit ce filence. C'eft pourquoy ( S I-
RE) il fera bien apropos qu'il en die la raifon à voftre
Majefté.
PLUVINEL
SIRE, il plaira à voftre Majefté d'achever cette pre-^
miere lecon , je la contenteray apres fur ce qu'elle defire.ret
Voyons done encores quatre tours à main droi£te, & puis
fi elle a agreable de defcendre , il fuffira pour ce matin :
mais fur tout je la fupplie de fonger à bien ferrer les cuif-
fes & les genoux ; car c'eft ce qui luy fera garder fa bon-
-ocr page 101-
*4 L'INSTRVCTION
ne pofture, & executer à cheval de bonne grace tout ce
qui le peut faire.
MONSIEUR LE GRAND,
S I R E , je croy que Monfieur de Pluvinei treuvera fi
peu à reprendre à ce quii delire de V. M. qu'il n'ouvrira
pas la bouche finon pour lalouér.
PLtìVINE L.
SIRE, il eft vray que V. M. s'eft fouvenue parfaióte-
ment de tout ce que je luy ay dit, & a eu foin de l'execu-
ter j ce qui m'a donne un tei contentement, que j'efpere
en moins de trois mois d'exercice, la rendre capable de fé
fervir de toutes fortes de chevaux bien dreflez,& fi bien,
qu'il y aura tres-grand plaifir à la regarder.
LEROY.
Vous avez remis à me dire,quand je ferois pied à terre,
la raifon pourquoy vous ne reprenez pas au commence-
ment vos efcoliers de toutes lesfautesqu'ils font,donnez-
la moy done à entendre.
PLUVINEL.
SIR E, on peut plus drefler d'hommes en parlant peu,
& quand il eneft temps,qu'en criant à toutes heures,com-
me prefque la pluspart de ceux qui enfeignent ont accou-
ftumé : ne croyans pas (plufieurs y-a-il) eftre dignes d'e-
ftre appellez Efcuyers , fi de moment en moment ils n'u-
foient de menaces, d'injures, & quelquesfois de coups
aux hommes, & le tout fans raifon: car il n'en peut
reiiffir aucun bon effecì:5en ce que l'homme ignorant,eftant
desja aflez eftonné de fé voir fur un cheval qui l'incom-
niode,dont les extravagances le mettent en crainte^ fi par-
my tout cela celuy qui l'enfeigne,Va augmenter fon appre-
henfion
-ocr page 102-
D V R O Y.                       6$
henfion par fes menaces , fans doute il continuerà long-
temps cette methode avant que rendre fon efcolier fga-
vant, pour ce qu'il fai£t tout le rebours de ce qu'il con-
viene mettant en crainte celuy auquel il eft befoin de Fo-
fter, & luy donner de l'afleurance 5 ce qui fe doit nom-
mer une pure ignorance. Car puisque la vraye & parfäi-
te fcience eft d'arriver bien-toft à la fin qu'on defire, &
que par cette voye on n'y peut jamais atteindre; ceux qui
fuivent le contraire,fe peuvent à bon droift appeller igno-
rans. Or (SIRE) quand l'efcolier qui commence à appren-
dre, commet quelque faute , foit en fon aäion, ne gar-
dant la bonne pofture qu'on luy aura enfeignée ; foit en la
conduite de fon cheval -, il faut confiderer s'il eft à propos
de le reprendre: & pour le cognoiftre, il faut juger le fujet
qui le fait faillir, fi c'eft manque de tenue, fi c'eft eftonne-
ment, ou B c'eft faute d'efprit qui l'aye empefché de rete-
nir ce qu'on luy aura dit. Si c'eft manque de tenue, ce fe-
roit une folie bien grande , de reprendre un homme de fa
bonne pofture , & de manquer à la conduite de fon che-
vai, lequel eft fi empefché à fe tenir , qu'il ne fonge à au-
tre chofe : Il faut done auparavant que den venir à la re-
prehenfion,luy apprendre à fe tenir ferme. Au femblable,
fi c'eft quelqu'un qui s'eftonne,on profiteroit fort peu du-
rant cét eftonnement de cenfurer fes fautes , pource qu il
n'a rien devant les yeux qu'une continuelle apprehenfion,
qui le rend fourd à tout ce qu'on luy peut dire. H eft be-
foin premierement d'ofter cette crainte , pour luy rendre
l'ufage de la raifon , & la facilitò de bien concevoir ce
qu'on luy enfeignera. Si c'eft faute d'efprit, c'eft ce qui
eft plus fafcheux : car il eft tres-difficile d'en donner à
celuy qui n'en a pas : neantmoins les reprehenfions ai-
gres , les menaces & les tourmens ne luy en donneront
d'avantage , & ne le rendront plus f^avant : au contraire
elles eftoufferont ce peu qu'il en aura, de telle forte
qu'elles le rendront incapable de quoy que ce foit. 11 faut
R                          pluftoft
-ocr page 103-
66              riNSTRVCTION
pluftofty aller par douceur : pour ce qu'il n'yaque la
longue pratique qui luy puifle faire apprendre ce qu'on
defire : à quoy il faut travailler doucement, pour réveiller
cette grande ftupidité pluftoft que de l'afToupir tout à
fait. Voilà jSIRE, ce qu'il faut que celuy qui enfeigne
confidere de prés , afin d'apprendre quand il eft temps de
parler, & quand il fé faut taire. En un mot, il faut afleu-
rer parfaiótement l'homme fur le cheval auparavant que
de le reprendre ; & lors qu'il eft afleuré , il eft befoin de
luy enfeigner à fé fentir. Car il y en a plufieurs qui fail-
lent , faute de fentir ny eux ny leur cheval : & pour
preuve, tei eft courbé & de travers qui croit eftre droiét,
& tei penfe la croupe de fon cheval trop dedans, qu'il eft
trop dehors ; tellement qu'il eft befoin de connoiftre
quand l'homme fé fent, & ce qu'il fai6t, afin de luy mon-
ftrerdiftinftementlemoyenencas qu'il ne lef9euft; ce
qui ne s'execute pas en criant ny en menacant. De plus,il
faut laifler faillir les hommes au commencement, pour
( sii eft poflible , qu'ils remarquent, 5c qu'ils fé corrigent
tous feuls de leurs fautes ) apres toutesfois leur en avoir
faicä appercevoir une fois ou deux , afin qu'ils ne s'atten-
dent pas qu'on leur parie toufiours, & qu'ils ne s'endor-
mentlentendement en cette attente. Ceft pourquoy
je laifle quelquesfois gourmander & battre un cheval fans
raifon à un efcolier que je cognois manquer de refolu-
tion , afin qu il prenne de la hardiefle : car apres on cor-
rige fans difficulté les defFauts qui arrivent par trop de re-
folution, & bien plus aifement que ceux qui font caufez
par trop de crainte ; aymant beaucoup mieux qu'un efco-
lier entreprenne trop que trop peu. Voilà , (SIRE) de
quelle forte je procede pour enfeigner les hommes, & les
raifons qui m'obligent à me fervir de la courtoifie Se de la
douceur : Car puis que je veux, s'il eft poflible, dref-
fer mon cheval par tontes fortes de voyes douces : il eft*
bien plus raifonnable que j'exerce la mefme chofeàl'en-
droit
\
-ocr page 104-
D V R O Y.                        67
droit des hommes , puis qu outre qu'ils font fufcepti-
bles de raifon , ils n'ont pour but que le defir d appren-
dre la vertu.
LE ROY.
Reprenez le difcours que vous avez quitte quandj'ay
monteàcheval. Carjeveux, fans me divertirà autre
chofe , que vous pourfuiviez de me dire tout ce qui eft
neceflaire pour ache ver d'adjufter le cheval, qui en
eft reduit au poind où nous lavons 1'aifTe ,• enfemble fi
c'eft tout ce que vous avez à me reprefenter de l'ufage
des piliers.
PLUVINEL
SIR E, j'enayfaitremarquerà voftre Majefté les
principales reigles , & laifle au prudent & fage Ca-
valier d'en ufer felon le befoin, avec la modeftie & le
jugement qu'il fera de fon cheval, pour luy allonger,
accourcir, ou changer fes le9ons , comme il connoi-
ftra eftre neceflaire : Car de ces chofes particulieres,
il ne sen peut donner de maximes determinées, en ce
que les chevaux ne font pas tous d'une melme nature :
les uns voulans eftre forcez , & les autres careflez ; les
uns fort travaillez, & les autres peu ; par ainfi je dis que
par ma methode je puis travailler aux piliers toutes for-
tes de chevaux, & tirer d'eux tout ce qui fe pourra.
Mais pour les reigles particulieres, encor que j'en ay dit
à voftre Majefté plufieurs , & en diray encor en la fui-
te de mon difcours quelques unes , neantmoins elles font
fans nombre. Lefquelles toutesfois font tirées de ces
principales , & remarquera voftre Majefté, s'il luy plaift,
que tant plus le Chevalier a d'ufage , & de pratique en
cette fcience , tant plus il rencontre de moyens pour luy
facili ter ce qu'il delire.
L E
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6B                V I N STRVCTION
LE R O Y.
Continues done à me donner l'intelligence des autres
reigles que vous faictes obferver hors des piliers , pour
mettre le cheval dans les plus grandes jufteflfes.
PLUVINEL
SIRE, Il n'y a rien fi certain que les chevaux qui
font bien obeyffans aux piliers, & aux lecons prece-
dentes, le font encore d'avantage hors de cette fujecTiion,
& manient plus gayement hors des piliers : chofe qui fe
croiroit peu facilement,qui ne 1'auroit pratique; mais audi
il eft tres-neceflaire de fe bien fervir de cette methode
pour en venir là, autrement il y auroit peril qu'au lieu
de rendre le cheval au point où on le delire , que le con-
traire n'arrivaft , fante de l'intelligence parfaicte , requife
en l'execution des precedentes leQons. Cefi: pourquoy
je confeille ceux qui ignorent l'ufage de mes moyens ,
de les apprendre , ou de ne s'en fervir pas , de crainte de
tomber en mille accidents inevitables, où l'ignorance
^. de ma pratique les pourroit conduire. Auparavant done
I9'que de faire manier le cheval hors la fubjeftion du pi-
ìier, je le fais promener au pas, au trot, & au galop, felon
que je juge qu'il en eft befoin, pour qu il apprenne à fe
laiffer conduire franchement par la bride , & s'arrefter
droid&jufte cornine cy-devant : j'ay dit que l'arreft
fe devoit Taire à trois ou quatre temps feulement : fi le
Chevalier y treuvoit quelque peu de difficulté en cette
conduitte , il fe fervira des deux refnes feparées dans les
deux mains, comme on fe fert des longes du caveflbn ;
duquel ufage je me treuve fort bien , pourveu qu'on en
ufe bien à propos.
LEROY.
Pourquoy remettez-vous le cheval au pas, au trot,
&
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D V R O Y.                       69
& au galop par le droiófc, puis qu'il me femble que ce font
les premieres ie£ons que vous luy avez données au pi-
lier, & pourquoy vous fervezvous des refnes pluftoft
que de remettre un caveflbn ?
PLUVINEL
SIRE, je remets le cheval au pas, au trot & galop, par
le droict, fans caveflbn, & fans fubje<äion,afin que le che-
val fe voyant en liberto, fé rejouyfle,& que dans cette ré-
jouyflance , en fe fouvenant des lecxms qu'il aura appri-
fes, il les execute , & s'y laifle conduire à la difcretion du
Chevalier : la prudence & le jugement duquel ne man-
quera pas de fe fervir des occafions (filagaillardife de fon
cheval parmy ces promenades ou gallopades , engendre
quelque temps de terre-à-terre, ou courbettes de le rece-
voir) & luy faire cognoiftre que ces chofes ne luy
déplaifent, encor qu'il ne les luy demande pas , fi ce n'eft
qu'il les fift par deffence , auquel cas il ne luy faudroit
fouffrir : pource que le cheval au poind où il eft , doit
obeyr abfolument, & non pas fe deffendre. Si toutesfois
il y avoit quelque peu de refiftance en la conduite de la
bride,les refnes feparées,dont je me fers pour faire foufFrir
franchement l'emboucheure, & la gourmette du mors,&
pour plus promptement alegerir le cheval que par l'ufage
du caveflbn , ( que pourtant je ne reprouve en cas de ne-
ceffité : ) pluftoft que de m'opiniaftrer à me fervir des
refnes dans une forte refiftance j j'ufe volontiers d'une le-
guete, qui eft un caveflbn de fer, avec une charniere par
le milieu,creux & dentelé : &afin que le cheval ne brade
la tefte , je luy fais porter une cordelle grofle comme la
moitié du petit doigt, que je mets à l'entour de la mufe-
role , & la fais pafler par dedans la felle le long du liege ,
& arrefter au pommeau , adjuftée à la longueur que je
defire qu'il porte fa tefte : & en cette forte j'accouftu-
me mon cheval hors de la fubjedion à aller au pas,
S                                au
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7o                L'INSTRVCTION
au trot & au galop , & à courre , & arrefter droi£t, & ju-
fte, hors de la fubjeftion,& fans peril de l'homme : ce que
peut-eftre il fera dés la premiere le9on.
LEROY.
Quand voftre cheval obeyt à cela, que faiftes-vous
apres?
PLUVINE.L
S I R E, je defire luy apprendre de bonnes paflades
terre à terre , que je tiens eftre le meilleur maneige que
le cheval puifTe faire ; le plus beau à voir , tant pour luy
que pour le Chevalier ; & le plus neceflaire , principale-
ment quand elles font relevées à courbettes : qui eft tout
ce que le cheval parfaiót peut, & tout ce qu'il y a de plus
excellent dans tout l'art de la cavalerie : laquelle perfe-
ction de paflades relevées , je referveray à la fin des plus
grandes juftefles, puis que e'en eft la conclufion, & diray
par ordre à voftre Majefté, le chemin qu'il faut tenir pour
mettre le cheval à ce poind.
LE R O Y.
Je croy veritablement que les bonnes paflades eft
la plus agreable aftion , & la plus neceflaire : e'eft
pourquoy venons aux moyens pour les apprendre au
cheval.
PLUVINEL
Voftre Majefté a tres-bien jugé les paflades eftre là
vraye efpreuve de la bonté du cheval, pource qu'en par-
tant,on cognoift fa vitefle, en arreftant, fa bonne ou mau-
vaife bouche, en tournant, fon adreffe & fa grace -, en
repartant plufieurs fois , fa force , fa vigueur, & fa
loyauté. Pour done apprendre l'excellence de ce manei-
ge , qui veritablement me plaift plus que tous les autres :
Lors
\
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D V R O Y                        7i
Lors que le cheval f<jait bien galoper & arrefter droiòt,
je le fais cheminer deux pas , & au fecond, comme il leve
le pied droiòt de devant, en mefme temps il faut tourner
à main droióte tout doucement de pas , pour faire la de-
mie volte, toufiours en marchant en avant, & par ce
moyen croifera la jambe gauche par deflìis la droi&e de
devant, & de mefme , ou peu apres en fera de celles de
derriere, en fouftenant les hanches dans la juftefle &
proportion requife avec les jambes & les talons , puis fai-
re le femblable à l'autre bout de la paflfade , pour prendre
de la mefme fa£on une demie volte à main gauche : con-
tinuant ainfi jusques à ce que le cheval les f9ache bien
faire de pas, ce qui s'appelle paflager la volte : Et lors
que le cheval le ffàura bien de pas dans la main & dans
les deux talons , il eft tres-certain qu'en le pouflant à tou-
te bride, il fera de fort bonnes paflades, foit terre à terre,
foit relevées : fi le Chevalier s'eft bien fervy des le9ons
cy-deflus autour du pilier, & entre les deux piliers.
LE R O Y.
De quelle longueur & largeur faut-il que les paflades
foient pour eftre bonnes ?
PLUVIN EL.
SIRE, eftant neceflaire que le cheval obeyfTe à la
volonte du Chevalier, quii parte , quii arrefte , & qu'il
tourne quand il luy plaira, il ny a proportion à la guerre,
finon celle que la neceffité requiert ; mais fur la carriere
il la faut mefurer felon la force, la gentillefle , & l'inclina-
tion du cheval : Car s'il eftoit engourdy ou pefant, & un
peu abandonné fur le devant, & fur l'appuy de la bride ;
il faudra tenir la paffade plus courte, & les ronds plus
eftroitsque s'il eftoit leger ou ramingue. Si le cheval eft
fort vifte , on peut faire les paflades de trente pas de lon-
gueur, & le rond de quatre pas de diametre, coupé par
-ocr page 109-
7*                riNSTRVCT IO N
le milieu du centre,pour fermer la demie volte. Mais pour
toutes fortes de chevaux , je treuve que la yraye propor-
tion eft de cinq ou fix longueurs du cheval : pource qu'en
cette diftance on pent aifément remarquer fa viftefTe,&fa
vigueur;quefielleseftoientpluslongues,il ne pourroit pas
repartir fi furieufement, ny d'une mefme force , trois ou
quatre fois au moins, comme il eft neceflaire. La demie
volte que j'ay dite devoir eftre de deux pas de large ou en-
viron ; il faut qu'elle foit un peu en demie ovale, afin que
le cheval foit oblige de marcher toufiours en avant.
LE R O Y.
Quel temps prenez-vous pour faire la demie volte , &
combien de paflades jugez vous que le cheval doive faire
pouf qu'elles foyent de bonne grace ?
P.LUVINE L.
SIRE, apres avoir poufle le cheval à toute bride , au
troifiefme temps de fon arreft , je prends la demie volte ,,
que le cheval infailliblement fera bonne , lijachant desja
BgH- manier autour du pilier : puis ayant ferme de la main ,
rez°'8c du talon , cette demie volte à main droifte, il faut le
faire repartir de toute fa force , & en arreftant, au troi-
fiefme temps , prendre la demie volte à main gauche. Et
d'autant que le nombre fé proportionne felon la force, &
l'haleine du cheval, cela depend du Chevalier, auquel
on peut bien donner la fcience ; mafs la difcretion faut
qu'elle foit née avec luy , afin qu'eftant fjavant Sc difcret,
il puifle faire agir fon jugement, & ff avoir ce que fon
cheval peut faire de bonne grace : Cardans la neceffité
du combat, il eft quelquesfois befoin que le Chevalier
fafTe plus que la bonne pofture ne requereroit : C eft
pourquoy il faut eftre foigneux de gaigner, & de main-
tenir l'haleine aux chevaux de guerre , afin que dans l'oc-
cafion ils ne demeurent court : mais fur la carriere, je
1                con-
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D V R O Y.                       73
confeille au Chevalier , qui veut faire voir fon cheval ma-
nier de bonne grace, & luy aufli, de n'entreprendre point
plus de cinq paflades, commen9ant à main droite , qui eft
la main de l'efpée : & finiflant à main droite, pour ce que
le cheval en peut fournir gayement tout d'une haleine juf-
ques à ce nombre, fans fé faire battre, ny porter des aides
de la main & des talons ; & par ce moyen le Chevalier
peut demeurer en fa bonne pofture.
LEROY.
Je comprends bien à cette heure de quelle forte il faut
faire les paflades terre à terre ; mais je fuis en impatience
de ffavoir s'il ne faut rien adjoufter ou diminuer pour les
bonnes & exeellentes relevees, qu€ vous nommez la
perfection de tous les maneiges. C'eft pourquoy, Mon-
fieur de Pluvinel, avant que pafler outre,dites-moy ce qui
en eft.
PLUVINEL.
SIRE, j'avois faift deflein de conclure toutes les j u~
ftefles du Chevalier & du cheval, par le difeours des paf-
lades relevees, comrae eftant la vraye pierre de touche
de l'un & de lautre , en ce qu'il n'y a point de lecons fi
difficiles à faire que celle-là : car fi tous les deux l'execu-
tent, on ne peut accufer l'homme d'ignorance ; 3c doit on
attribuer au cheval une parfaiòte bonté & obeyflance ,
comme il fé peut prouver par raifon evidente. Et pour
monftrer à voftre Majefté que j'avois raifon d'en defirer
faire le difeours le dernier, comme la conclufion de
toutes Ies plus grandes juftefles : c'eft qu'en premier
lieu il faut que le cheval, avant que commencer, quel«
que fougeux , & plein de feu qu'il foit,, aye la patience
& l'obeyflance de fé tenir en une place , & droit : puis
qu'il aye l'art de bien partir de la main fans aucun desor»
dre: en apres qu'il arreftejufte fur les hanches,& que de la
T                          mefme
-ocr page 111-
74                L'INSTRVCTION
mefme cadence de fon arreft, dans la main & dansles ta-
lons de l'homme, fouffrant fes aides avec patience, (quoy
qu'animé de la courfe) il acheve la demie volte : au fermer
de laquelle, il attende fur les hanches, allant en une place
à courbettes, de mefme cadence de fon arreft,& de la de-
mie volte, le temps de l'autre repart : continuant tant quii
plaira au Chevalier , en mefme patience , obeyflance &
jufteflTe que la premiere $ tellement qu'avec raifon il fe
peut dire , qu'en cette feule forte de maneige , le cheval
pratique tout ce qu'il f<jait de patience, d'obeyflance , de
force , & de gentillefle : & me femble avoir aflfez prouvé
la parfaite fcience du Chevalier, & du cheval, ayant dit la
maniere de bien faire les paflades relevées.
LEROY.
Je voudrois bien f$avoir deux chofes que vous ne m'a-
ver pas dites. La premiere, comme quoy il faut faire par-
tir fon cheval de la main de bonne grace ? & l'autre, com-
bien de courbettek.il faut à l'arreft, combien en tournant,
en faifant la demie volte^, Sc combien auparavant que de
repartir?
PLUVINE L.
SIRE, Voftre Majefté a raifon de defirer f^avoir
ces chofes, & entr'autres la premiere : parcequ'ilya
grand nombre de perfonnes , & mefmes des gens qui
fe meflent de l'exercice dont je parle, qui font partir leurs
chevaux de la main d'autre forte que je ne ferois d'ad-
vis : & les accouftument à une mauvaife methode , qui
eft,lors qu'il s les veulent faire partir,ils ouvrent lesjambes
& le bras de l'efpée : tellement que les chevaux accou-
ftumez à cette routine 5 partent le plus fouvent : mais
cette aftion n'eft pas à ma fantafie , pour deux raifons :
L'une, que tant moins le Chevalier fait d'a£fo'ons à che-
val, & plus agreable il eft à regarder: & l'autre, qu'il peut
arriver
-ocr page 112-
D V R O Y.                         7S
arriver qu'ón furprendra un cheval, ou qu'il fera las & fa-
tigue de telle forte , ques'ilne part apres cette pofture
du Chevalier, & que l'homme dèmeure les jambes ou-
vertes, le bras leve, & fon cheval en une place , cela fe-
ra de mauvaife grace : car de donner un coup d'efperon
apres , cette a&ion s'eft desja fait paroiftre fans effecì: $
ce qu'il nefautpas : car il fau: que le moindre mouve-
ment de l'homme , foit un commandement abfolu au che-
val. Je confeille done à celuy qui voudra bien faire partir
fon cheval, qu'il lafche la main de la bride de trois doigts ,
& preflè les talons , d'ou lis font, fans aller chercher fon
temps plus loin ; & qu'il accouftume fon cheval à partir
en cette forte : car lors qu'il fé fera apperceu de cela,pour
peu que l'homme lafche la main, & approche feulement
les deux gras des jambes , le cheval efchappera de toute
fa force : & quand mefme il ne partiroit pour la peur du
gras de la jambe , les deux talons font tout contre pour y
arriver , fans que l'homme faffe nulle action mauvaife du
corps, des bras, ny des jambes. Quant au nombre des
courbettes, elles doivent eftre de neuf : fjavoir trois en
arreftant, trois en la demie volte en tournant, & trois au-
paravant que de partir. Mais V. M. remarquera , que ce
nombre prefix que je luy donne , eft quand le Chevalier
fait manier fon cheval feul: car fi e'eft dans un touraoy,en
un combat à cheval, au ferrer de la demie volte,il fa ut fai-
re plus ou moins de courbettes, à caufe que les chevaux
n'eftans pas d'efgale prefteffe , il eft necefTaire de s'atten-
dre l'un lautre ; Sc durant cette attente que le cheval de-
meure en la cadence des courbettes , & fafle paroiftre le
Chevalier de bonne grace en cette aòfcion , qui eft la plus
belle qui fé faflè en tous les tournoys & triomphes.
L E R O Y.
Je cognois veritablement que les paflades relevées eft
la vraye pierre de touche du bon Chevalier , & du bon
che-
-ocr page 113-
« ■
76               f INSTRVCTION
cheval : & que c'eft la conclusion de tons les maneiges ;
pour aufquelles parvenir, retournons à la fin de nos paf-
fades terre-à-terre : & continuez à me dire ce que vous
apprenez apres à voftre cheval, pour le rendre capable de
toutes les juftefles que vous en defirez.
PL U V I N E L.
SIRE, La clef de toutes les plus grandes juftefles ,
eft le pafleige fait par la difcretion & le j ugement du Che-
valier : s'en fervir quand il eft temps, felon les diftances &
les proportions qu'il juge neceflaires, foit en avant, en ar-
" riere , de cofté , peu ou beaucoup , en tournant plus ou
moins de la main ferme ou legere, eflargiflant, ferrant,ad-
van9ant d'un ou des deux talons, felon qu'il eft à propos ,
tantoft à une main, & tantoft à lautre. Et le feul moyen
d'adjufter les chevaux à toutes fortes d'airs , eft le paflei-
ge : pource que c'eft le plus doux, & que le Chevalier en
mefme temps monftre au cheval toute la fcience , qui
font les oeuvres de la main & des talons , fans luy donner
aucun fujet de fe met tre en colere ; à quoy il faut prendre
garde foigneufement, pource que par force on ne peut
jamais,ou rarement,tirer rien qui vaille d'un cheval. C'eft
pourquoy la conclufion de toutes mes le£ons, pour bien
drefler les chevaux, eft, de les travailler doucement, peu
&fouvent : car fi le cheval ne f^ait cheminer jufte au pas,
de la tefte, du corps, & des jambes , il eft impoffible qu'il
puifle jamais manier, ny bien, ny jufte.
LE ROY.
Que nommez-vous pafleiger, & queft ce que paf-
fete ?
P L U V I N E L.
SIRE, le vray pafleige eft un pas racourcy que le
cheval fait fous luy plus preft que le pas ordinaire, &
moins
-ocr page 114-
D V R O Y;                      77
moins que le trot,en une action toufiours difpofée àobeyr
à la main, & aux talons , fans furprife, ay ant bon & jufte
appuy dans la main, & s'y laiflant conduire , & bonne
obeyffance aux talons pour faire le femblable : c'eft à fja-
voir, que le cheval en tournant, ou en marchant de co-
ite, croife les jambes un peu moins celles de derriere que
Celles de devant : & pour faire le paffeige des voltes bien
proportionné , il faut que les jambes de devant faflent un
cercle à plus pres comme la longueur du cheval, & celles
de derriere un autre cercle, plus petit des deux tiers ; &
comme j'ay dit cy-defllis, en ufant prudemment & difere -
tement de eette forte de paffeiges, prenant garde de tra-
vailler ordinairement àce que le cheval trouve le plus dif-
ficile, il en reiiffit de fi bons effeds > que par cette voye il
obeyt franchement à la main , tournant & reculant à la
volonte de l'homme. Il fé range deca & delà pour la crain-
te des efperons , lesquelles chofes eftans , il peut manier
fans aucune difficulté à toutes mains, large, eftroit, court,
long, & jufte,comme il plaift à celuy qui eft deffus ; d'au-
tant que, comme j'ay dit, & rediray à toutes les fois qu'il
en fera befoin , la parfaite fcience des chevaux bien ma-
nians confitte en l'obeyffance abfolué de la main , de la
bride, & des talons. Et ofe affeurer V. M. que fi le che-
val me contente en le promenant, il maniera fort bien fur
les voltes , & paflades longues & courtes ; s'il ne va que
terre à terre, & fi fon air eft relevé, haut, ou mefaire, il fe-
ra felon fa force & vigueur, tout ce qu'un bon cheval de
maneige peut faire,foit fur les voltes redoublées,en avant,
en arriere, de cofté, de9a & delà, en ferpent, en une pla-
ce , de ferme à ferme , qui eft celuy feul d'où fort la vraye
& jufte obeyffance : car generalement toutes les autres
jufteffes font puifées de celle de ferme à ferme.
LE ROY.
Je feray bien aife que vous medeclariez plus particu-
V                            liere-
-ocr page 115-
78               L'INSTRVCTION
lierement le moyen de faire manier les chevaux,que vous
ni'avez feulement dit en termes generaux, par ce dis-
course du pafleige.
PLUVIN EL
SIRE, J'ay feulement parle du pafleige à voftre Ma-
jefté , pour luy donner à cognoiftre , comme c'efl: le feul
moyen d'ajufter les chevaux : à prefent je diray comme
qùoy il en faut ufer , non avec tant de particularitez que
je defirerois ; car d'enfeigner routes les chofes qu'il con-
viendroit, j'ay cy-devant dit à V. M. que le prudent horn-
me de cheval doit faire la guerre à l'ceil, & fé fervir des
moyens felon les temps,les occafions & le befoin : neant-
moins pour luy donner un peu de lumiere davantage : La
premiere lecon que j'obferve, lors que le cheval obeyt
à fentour du pilier dans la main & dans les talons, de pas,
de trot, de galop , à toute bride , & de fon air fur les vol-
tes : puis la tefte contre le pilier, de cofté, entre les deux
piliers, de cofté de^à & delà, des hanches feulement : le
ìentant fous le bouton, & en une place dans la main , &
dans les deux talons , fouffrant les aides des jambes , &
des talons au befoin fans fe mettre en colere , puis au '
pas, au trot, au galop, à toute bride par le droit, arreftant
jufte , & prenant une demie volte terre à terre : repar- ..
tant & redoublant le nombre de paflades que fa force
luy permettra. Alors luy oftant le caveflbn , je le fais
promener fur les voltes , comme la chofe la plus difficile
à faire au cheval, du mefme pafleige que cy-deflus j'ay
dit en fe fervant fort de la main , pour luy faire porter les
efpaules ou bon me femblera, & cognoiftre fi hors du pi-
lier il ne fera nulle difficulté d'obeyr -, ce qu'il executera
fans doute , fi en le travaillant au pilier on la fenti dans la
main , & dans les talons : que s'il les refufe , ce fera un
tefmoignage que les lemons cy-deflus n'auront pas efté
bien executées au pilier : auquel cas il luy faudra remet-
tre,
-ocr page 116-
D V ROY.                       79
tre , de peur de desordre ; & continuer jufqu'à ce qu'on
le fente capable de refpondre au Chevalier : ce qu'eftant,
& portant les efpaules où il delirerà, il doit approcher un
talon , & puis 1'autre , pour tafcher auffi à faire cheminer
les hanches de cofté & d'autre , fans que les efpaules
bougent que fort peu:&lors qu'on le cognoiftra obeyflant
en cette forte , on le pourra faire marcher de cofté à une
main & à l'autre , de la main & du talon tout enfemble,
le fentant toufiours fous le bouton , & plus preftàfe
mettre fur les hanches que fur les efpaules : & en faifant
toutes ces efpreuves , fi on le reffentoit abandonner
quelque peu plus fur la main qua la fantafie du Cheva-
lier , il fé doit arrefter plus fouvent, le lever & tenir fur
les hanches le plus qu'il pourra ; & , en cas de neceffité,
condurre fa lecon entre les deux piliers pour Tallegerir
d'a van tage.
L E PO Y.
Faifant paffeiger voftre cheval fur les voltes, voulez-
vous qu'il commence fon maneige par là ? car il me fem-
ble que vous avez toufiours dit que c'eftoit ce qu'il treu-
voit le plus difficile.
P L U V I N E L.
SIRE , C'eft pourquoy je commence toutes fortes
de chevaux par cette lec;on à l'entour du pilier , & les y
continuejufqu'àcequej'y treuve de Fobeyflance , tant
qu'ils foient prefts d'ajufter ; alors les oftans hors de la
fubje&ion des piliers , il n'eft pas à propos de commen-
cer à les faire manier fur les voltes 5 de crainte que fé
voyans en liberté , & treuvans une grande difficulté , ils
ne fiffent quelque refiftance, eftant neceffaire de les y
condukepeuà peu : ce que je fais en cette forte : Le
cheval ffachant done manier amour du pilier , comme
cy-deffus j'ay dit, & obeyffant au pafleige 5 à la main, &
aux
-ocr page 117-
8o                 L'I N S T.R V CT I O N
aux talons , le Chevalier le doit conduire le long d'une
muraille, & le promener de pas par le droit deux ou trois
tours , pour luy faire cognoiftre la pifte } puis comme il
l'aura recognue, il le faut obliger à faire trois ou qua-
ìjìr tre courbettes, puis marcher trois ou quatre pas , &
ainfi continuer en levant & cheminant de fois à autre,fans
ennuyer le cheval, tant qu'il les f9ache faire de fuite,
& qu'il manie par le droit, jufques au bout de fon ha-
leine , & de fa force ( fi on vouloit luy obliger ) ce qu'il
ne faut principalement au commencement des jufteffes ,
crainte de l'ennuyer, ou de le rebuter. Que fi durant
cette le£on, il luy prenoit quelque malice extra vagante,il
ne la faut endurer , ains la chaftier vigoureufement : mais
il eft bien neceffaire de cognoiftre fi la defence vient de
malice, d'ignorance, de gayeté, ou de manque de memoi-
re ì afin d'y remedier felon cette cognoiflance : qui ne fe
peut acquerir que par le long ufagedans l'exercicerneant-
moins quoy que ce foit, il faut vaincre le cheval par la
patience, ou par la force : & celuy qui n'eft pas beaucoup
fijavant, fera beaucoup mieux de fe fervir de la patience ,
crainte qu'en fe fervant de la force , il en ufaft mal à pro-
pos, pource que dans les jufteffes, c'eft la où on cognoit
la vraye perfection du f^avant Chevalier.
LE ROY.
Quand le cheval manie par le droit fans refus , que fai-
tes-vous apres ?
P L U V I N E L.
SIRE, quand le cheval a contente le Chevalier par
le droit, & qu'il eft bien affeuré , il le doit promener.
rondement, fur les voltes du mefme paffeige que deffus ,
fe fervant toufiours de la main, fans le trop ferrer des
hanches, fuffifant feulement qu'à ce commencement il.
chemine une hanche dans la volte, pour ce qu'il ne fe fer-
reque
«t
-ocr page 118-
D V        R O Y.                        gt
re que trop des hanches : & par ce moyen fe rend paref-
feux à plier les efpaules. Ceft pourquoy il faut à ces
premieres lemons de juftefle , fe fervir de la main felon
le befoin que le Chevalier jugera : car il y a des chevaux
qui fe ferrent trop des efpaules, & pas aflez des han-
ches : à ceux-là il faut faire la guerre à l'oeil, afin de les
obliger à bien entendre, à obeyr à la main , & aux talons,
auparavant que de les faire manier ; ce qu'eftant, & che-
minant bien rondement fur les voltes , fans s'embarafler
lésjambes &feles choquer ; fi par hazard le cheval fe
prefentoit de fon air dans la juftefle de fa pifte , le Che-
valier prendra ce temps, & l'aidera tout doucement,
pour l'obliger de faire un quart de volte : puis s'il obeyt,
le fort carefler, & continuer ce mefme pafleige , prenant
de fois à autre le temps qu'il fe prefentera , faifant cora-
me deflìis fans l'ennuyer ,- au contraire le carefler à pro-
pos : car les carefles font les principales chofes qui obli-
gent le cheval à contenter le Chevalier, aimant bien mieux
qu'il execute ce qu'il f9ait fur l'efperance des carefles , &
pour le plaifir qu'il en re9oit, que par l'apprehenfion & le
déplaifir des coups.
L E R O Y.
II femble que le cheval eftantreduit au poincfc que
vous dites , peut facilem.ent executer cette le9on. Mais
auffifile cheval ne fe prefentoit de luy-mefme corame
vous defirez , que faudra-il faire ? Car il y peut avoir
beaucoup de chevaux qui ne fe prefenteront pas d'eux-
mefmes.
PLUVINEL
ì SIR E , fi le cheval fe prefente , tant mieux ,• c'eft ce
que je defire , parce que par là il me tefmoigne fa gentil-
leflè , fa bonne memoire, & fa bonne nature à obeyr,
qui eft le chemin de bien-toft avoir acquis les plus
X                           gran-
-ocr page 119-
82                L'INSTRVCTION
grandesjuftefles. Maisauffis'il ne fé prefente de luy-
mefme , je delire que le Chevalier en le pafleigeant, luy
fafle fentir en s'anervant dans la felle tout doucement ,
tantoft un talon , tantoft lautre, puis quelque petit coup
de gaule pour 1'animer & lbbliger de fe prefenter, & lors
qu'il le fentira venir à ce qu'il defire , il pourra s'eftendre
plus vigoureufement fur les eftrieux, & dans la felle; puis
en prenant le bout des refnes à l'inftant que fon cheval
fe prefentera, l'aider de la langue, & des autres aides , fe-
lon le befoin , pour luy faire faire un quart de volte , ou
un peu plus, felon le jugement du Chevalier : & ou tous
ces petits advertisements ne fuffiroient pour obliger le
cheval de fe prefenter , le Chevalier, en reprenant le bout
&&• des refnes , Taidera franchement de la langue , & de la
uzl' gaule fur le devant ; aufquelles aides s'il refufe de fe le-
ver, il luy doit donner un bon coup des deux talons, pour
le chaftier de fon refus, puis recommencer de fois à autre,
afin de Tobliger à eftre toufiours preft à faire la volonte
de l'homme.
LEROY.
Je vous ay autresfois ouy dire, que la plus grande diffi-
culté que le cheval ait, eft de tourner en maniant, & de
plier. Geft pourquoy , encor que le cheval fe prefente ,
comme vous avez dit cy-deflus, à faire quelques cour-
bettes par le droit, s'il faifoit difficulté de tourner facile-
ment, Se de plier en maniant fur les voltes, quel moyen
tiendfie^-vous pour le faire arriver à les faire comme
vous defirez ?
PIUVIJBL
SIRE, je fuis bieti aife dequoy voftre Majefté m'in-
tjetìiògede la forte, pource que veritablement e eft la
fèmle pierre d'achoppement prefque en toutes fortes de
chevaux qui naturellement font unis , que celle de tour-
ner,
-ocr page 120-
D V R O Y.                       ga
ner , & de plier fur les voltes : car il s'en treuve qui ma-
nient en avant,de cofté,& en arriere, qui s'accommodent
difficilement à tourner & à plier : neantmoinspeu de che-
vaux le refuferont s'ils ont efté travaillez à l'entour du pi-
lier 3 & entre les deux piliers, comme il faut : & au fortir
de là pafTeigez bien à propos, le Chevalier s'eftant fervy
prudemment de la main, & des talons , en pratiquant
toutes ces lemons : leur ayant gaigné la memoire , 1'halei-
ne, & toutes les chofes que cy-devant j'ay fait entendre
àV. M. Toutesfois foit qu'on euft manqué de bien pra-
tiquer les lemons que j'enfeigne , fuivant mon intention :
ou que veritablement il fe treuvaft quelque cheval parmy
un grand nombre , dont la difficulté de fa nature , ou fon
impatience, rempefchaft de tourner, de plier, & de fe
tenir jufteau gre du Chevalier : il faudra a tei cheval le
promener rondement de pas fur les voltes , puis partager
la volte en quatre, & Tarrefter fur chafque quartier,droi(£t
& jufte ; & comme il aura la pratique de s arrefter droiä:
& jufte, à chafque fois que le Chevalier l'arreftera, il le
leverà en une place quatre courbettes feulement fans
tourner,puis continuerà tournant de pas, arreftant,levant
quatre courbettes en une place jufques à ce qu'il foit af-
feuré à cette le^on.
L E ROY.
Apres m'avoir dit quel bon efFed vous trouvez à cette
le9on, vous continuerez voftre difcours.
PLUVINE L.
SIRE, le bon effed que j y rencontre ^ eft que le
cheval prend la patience de tourner & de plier de pas ju-
ftement, & de s'arrefter jufte fans inquietude , à chaque
fois que le Chevalier le delire : le bien commencer une
courbette quand il luy plaift 5 & den continuer jufques à
quatre de ferme a ferme, fans faire desordre , ce que le
cheval
-ocr page 121-
84                L'INSTRVCTION
cheval peut aifement,l'ayant appris hors de là.Et lors qu'il
en eft reduit à ce point, au lieu de faire les quatre cour-
bettes en une place, le Chevalier doit tourner doucenient
la main, & en aidant bien à propos , il pourra comme in-
Bgu- fenfiblement obliger le cheval à faire les quatre courbet-
re 24.                                                     Tt                                                                    li
tes en tournant. II y a encores une autre le<jon pour le
cheval, de mefme humeur que celuy duquel je parle , la-
quelle à quelques uns reüflit auffi bien , & quelquesfois
mieux, encor que Fune & l'autre foient bonnes , qui fe
pratiquent en cette forte : C'eft qu'il faut au lieu d'une
volte ronde , en faire une carrée aflez large, que le Che-
valier fafle cheminer fon cheval de cofté, fur une des li-
gnes du carré , puis que les pieds de devant faflent un
quart de rond pour gaigner l'autre face du carré, fans
que les pieds de derriere bougent presque de leur place,
& qu'ils faflent un angle presque droit, puis continuer
ainfi fur tous les quatre coftez : & lors que le cheval aura
bien recognu cette le9on de pas , il faudra continuer à
cheminer de cofté , de pas ,'& faire routes les quatre en-
cogneures à courbettes ; de la mefme pifte qu'on les aura
fait recognoiftre au cheval, en l'arreftant au commence-
ment & à la fin des courbettes, continuant avec pruden-
ce cette le9on , fans ennuyer le cheval jusques à ce qu'il
obeyfle franchement & fans contrainte. Ce qu'eftant, le
Chevalier , pour l'advancer davantage à ce qu'il delire, au
lieu de la volte juftement carrée , il fera un carré long, &
conduira le cheval à cofté fur fune des lignes , puis eftant
au bout, il prendra un demy rond des efpaules , fans que
les pieds de derriere cheminent que fortpeu,jusques à ce
que la tefte aye gaigné l'autre ligne droitement oppofite:
& ainfi continuerà de pas ; & lors que le cheval recognoi-
ftra bien fa pifte, il le leverà au bout des lignes à courbet-
tes, en arreftant avant que commencer & en finiflant : &
en bìen pratiquant ces le9ons fuivant le plan qui en eft
trace en la planche fuivante 0 le cheval s'accouftumera a
la
-ocr page 122-
D V R O Y.                       85
la patience, à porter librement la telle & les efpaules à la
volonte du Chevalier, & à garder la jufte pifte de fon ter- %**
rain, en fé levant franchement,& maniant à toutes les fois
qu'il y eft oblige.
LE R O Y.
Je cognoy bien que ces lefons peuvent infailliblement,
eftans bien pratiquées felon voftre intention , acheminer
le cheval dans la jufte obeyflance que vous defirez : mais
j ay de l'impatience de le voir au dernier poinfb qu'il le faut,
pour eftre dit bien adjufté. Ceft pourquoy, Monfieur de
Pluvinel, continuez : carjeprends plaifir enlafuitede
voftre difcours.
PLUVINE L.
SIRE, quand le cheval en eft là, qui tres-afleuré-
ment y peut arriver ( comme voftre Majefté a tres-bien
jugé) le Chevalier le doit promener de pas fur les demies
voltes , & qu'entre les deux demies voltesil y aye de di-
ftance deux fois la longueur du cheval, ou environ.
L'ayant promené quelque peu , il luy fera faire une demie
volte jufte, puis continuerà cette le9on, tant que fon che-
val luy refponde librement, commen^ant par une , deux ,
trois ou plus , d'une haleine , felon ce qu'il jugera à quoy
le cheval obeyra afleurément, eftant reduit à ce poind ,
en y procedant (comme j'ay toufiours dit, & diray tous-
jours) avec jugement.
LEROY.
Pourquoy le mettez-vous plustoft fur les demies vol-
tes que fur une autre le^on, & quel profit y rencontrez
vous ?
PLUVINEL.
SIRE, Te le faispource qu'il eft beaucoup plus fa-
Y                                eile
-ocr page 123-
u               L'INSTRVCTION
eile au cheval de faire une demie volte feule, qu'une
volte entiere, & que dans la le9on des demies voltes ,
je luy continue,& le refouls à avoir la patience&l'obeyf-
fance de fe laifler conduire de la main & des talons par le
droit, & en tournant à une main & à lautre , dans la ju-
ftefle de la pifte que je delire, luy gaignant bien plus faci-
lement l'haleine, que fur les voltes ; eftant tres-certain
que faifant bien une bonne demie volte, il en fera tres-af-
feurément une entiere, laquelle il redoublera tant de fois,
que fa force & fon haleine luy permettront.
LE ROY.
Vous croyez done que le cheval faifant bien une bon-
ne demie volte , peut bien manier fur les voltes ? Si cela
eft, il eft adjufté, & n'eft plus befoin de le travailler, fi-
non pour l'entretenir en bonne efcole ?
PLUVINE L.
SIRE, Voftre Majefté me pardonnera, s'il luy plaift,
il eft encores neceflaire de quelques le9ons , pour rendre
le cheval qui en eft là , au poinot où je delire , qui eft de
luy apprendre à bien manier de cofté ; ce que le Cheva-
re 2dlier peut en le promenant de pas de cofté, de la main, &
du talon 5 puis obeyflant bien de pas , le lever deux ou
trois courbettes à la fois, continuant ainfi de pas & à
courbettes, felon le jugement & la difcretion, tant que le
cheval obeyflefranchement, & reprenne d'un talon &
de l'autre , fans s'arrefter , tant de fois qu'il plaira au Che-
valier : puis il luy faut continuer la mefme le9on de cofté
de^à&delàj mais au lieu qu'encette premiere j e ne de-
fire pas que le Chevalier le laifle advancer, au contraire
je veux qu'il continue cette le9on en avant, tant d'un ta-
lon que de lautre; ce que le cheval fera fort facilement,&
le treuvera plus aifé , en ce qu'allant en avant, il n'eft pas
fi contraint qu'allant de cofté fans advancer ^ mais pour
ce
-ocr page 124-
D V ROY.                       è7
ce faire, l'aide de Thomme eft un peu differente , pource
que de cofté fans aller en avant, le Chevalier n'a à faire
qu'à empefcher que fon cheval ne le transporter en le foü-
tenant, & portant la main doucement du cofté où il veut
quii aille, approchant le talon , fijavoir eft à main gauche
y porter la main, & aider du talon droit, fouftenant du
gauche, fi befoin eft : & à main droite , y porter k main,
ayder du talon gauche , en fouftenant du droit, felon la
neceffité. Mais pour aller de cofté en avant, fi c'eft à main
droite , il faut porteria main, comme dit eft, en la foufte-^
nant, & de plus fouftenir le cheval des deux talons en
chaflant en avant, & l'aider du talon gauche plus que du
droit,- continuant ainfi à l'autre mainjufques à ce qu'il
refponde librement.
LEROY.
A quoy trouvez-vous que cette le^on de cofté en
avant puifle fervir, puisque le cheval ffait desja manier
de cofté ?
PLUVINE L.
S X R E , II eft tres-neceflaire que le cheval flache
manier de cofté en allant en avant, pour ce qu'en ma-
niant par le droit, s'il fe jettoit fur un talon , ou fur lau-
tre , & qu'il nefuft accouftumé à prendreles aides dun
talon feul en allant en avant, on ne l^ pourroit pas re-
drefler fans desordre , & fans perdre la cadence , dau-
tant que fentant approcher un talon plus que l'autre , il
penferoit qu'on le vouluft faire aller de cofté feulement :
mais eftant accouftumé à prendre Faide d'un talon , ou
de l'autre , en allant en avant, cela le redreflera afleure-
ment, fans quii manque ny à fa cadence , ny à fa bonne
pofture : au contraire par là il fera paroiftre fon extreme
obeyffance.
L E
-ocr page 125-
88               L'INSTRVCTION
LE ROY.
Je croy que le cheval qui obeyt jufques là, eft au pe-
riode de la perfection des plus grandes jufteffes.
PLUVINE L.
SIRE, il s'en faut encore un arride qu'il ne foit tout
à fait digne de fé dire parfaitement achevé, qui eft d'aller
en arriere : & pour luy apprendre, le Chevalier le doit
conduire le long d'une muraille, & le tirer doucement en
arriere de pas : puis luy ayant fait recognoiftre , le lever
deux ou trois courbettes ou plus en une place, Se tirer en
arriere deux ou trois pas, Sc ainfi aller levant & tirant en
arriere de pas, par quatre ou cinq reprifes ; remarquant le
Chevalier que pour faire manier le cheval par le droit, fur
les demies voltes, fur les voltes, & de cofté , il faut peu
aider de la main, fi ce n'eft en la fouftenant, ou en la tour-
nant ; mais en arriere, il eft befoin de l'aider de la main à
tous les temps, le tirant doucement comrae le devant re-
tombe en terre, Sc auffi l'aider des talons , un peu plus en
arriere, fans s'anerver fi fort fur les eftriers, & fans porter
beaucoup le contrepoids du corps fur les hanches,comme
aux autres manimens du cheval. Ce qu'eftant execute
bien à proposte cheval fans doute fera bien-toft quelques
courbettes en arriere ; auquel cas , il le careffera fort, &
continuant de le contenteraiprendra garde de ne l'ennuyer
pas, pour ce que volontiers ils fé fafchent plus de manier
en arriere que de toute autre forte de maneige. Ayant con-
tinue cette le9on quelques jours,en le desennuyant (tou-
tesfois an commencement par quelques voltes ou demies
voltes,) il treuvera que fon cheval y obeyra franchement,
& lors il le pourra dire parfaitement ajufté,
LEROY.
Quelle eft la fin & la conclufion de toutes lesjuftefles ?
PLU-
-ocr page 126-
D V ROY.                          89
P L II V I N E U
SIRE, ce font les bonnes voltes bien rondes, lef-
quelles il faut que le cheval face larges, moyennes , &
eftroites , à la difcretion du Chevalier : car , corame j'ay
dit au commencement de mon premier difcours , tout ce
qu£ le cheval treuve le plus difficile , eft de tourner & de
rnänier fur les voltes. Cefi pourquoy je commence & fi-
nis par là : & lors que franchement le cheval fait des vol-
tes de la forte que je les viens de dire, il eft à la perfe-
ction de toutés lesjufteflesj ce qu'il ne pourroit execu-
ter , s'il n'avoit paffé par toutes les obeyffances que j'ay
fait remarquer a voftre Majefté ; lefquelles acquifes, il
peut veritablement manier fur les voltes , & changer de
main jufte fans fortir du rond: ce qu'autrement il ne pour-
roit executer, ny le Chevalier s'affeurer de le faire manier
juftement à toutes heures.
L E R O Y.
Pourquoy eft-il neceffaire que le cheval aye paffé par
tant de legons diverfes,pour bien manier fur les voìtes5 &
changer de main ?
P L U V I N E L.
SIRE, il faut premierement, pour conduire fon che-
val rondement furies voltes, qu'ilfouffrela main, qu'il
y obeyffe , quii aye bon & jufte appuy, fans branler la
tefte pour quoy que cefoit, qu'il aille en avant pour
les talons ; & qu'il s'arrefte à toutes les fois qu'il
plaift au Chevalier } qu'il obeyffe aux talons de^a & de-
là, qu'il fé leve, & prenne une cadence jufte.& égale,qu'il
fouffre les aides & les chaftimens de la main , & des ta-
lons ; pource que fi le cheval allant fur les voltes , n'a-
voit l'obeyffance parfaide de toutes ces chofes, il ne
pourroit pas fé làiffer conduire d'une pifte large des
Z                         efpaules,
\
-ocr page 127-
9o                LINSTRYCTION
efpaules , & eftroit des hanches ; large des handles, &
plus eftroit des efpaules ; allant trop en avant, eftre re-
tenu ou trop retenu , eftre porte en avant, ny changer de
main à tous les temps ; bref, en un mot, faire toutes les
figures qu'il plairoit au Chevalier, fans cette parfaide ca-
dence & obeyflfance de la main & des talons en toutes
les fortes dont j'ay difcouru à voftre Majefté. Cefi: pour-
quoy, (SIRE) je nay point parle du moyen qu'il faut
tenir pour apprendre au cheval à changer de main , puis
qu'en eftant à ce poind:, il le peut faire à tous les temps
qu'il plaira à celuy qui eft deflus. Voftre Majefté pouvant
demeurer tres-certaine , qu'allant bien par le droit en ar-
dere , de cofté en une place fur les voltes , 8c fur les de-
?%<" mies voltes ; il peut tres-afleurément changer de main fur
les voltes, à toutes les fois qu'on voudra , fans fortir de la
jufte pifte qu'on luy aura marquée.
LE ROY.
Voilà done le cheval ajufté de tout point, à courbettes &
terre à terre, aumoins comme j'eftime. C'eft pourquoy,
Monf.dePluvinel,dites moy s'ily a encore quelque chofe à
faire pour mener les che vaux à une plus grande perfection?
PLUVINE L.
Non,(SIRE) car tout cheval qui eft arrive à ce poind,
fé peut dire parfaiòtement drefle, & tres-digne de fervir
V. M. ne fé pouvant pas fouhaiter d'avantage à un cheval
terre à terre & à courbettes, que ce que je luy ay fait en-
tendre. Partant ( S IR E ) je finiray icy la feconde partie
de cét ouvrage , afin de n'ennuyer pas V. M. par un trop
long difcours , que je continueray toufiours quand elle
aura agreable de me le commander.
LE ROY.
f Ce fera done pour demain le refte. Mais je veux que
pour
-ocr page 128-
D V ROY.                       9i
pour cojiclure cette feconde partie, vous me faciez en-
tendre la raifon pourquoy vous faites travailler certains
chevaux avec des lunettes en leur donnant leijon , ne
leur oftant point tant qu'elle dure.
PLUVINEL.
SIRE, II y a des chevaux, mais fort peu , ( & peut-
eftre pas un entre mille) qui font fi coleres, impatiens,
pleins de feu , fi ennemis de 1'obeyflTance, fi fenfibles , &
avec fi peu de memoire à retenir le bien, que le plus fou-
vent ils entrent en de tels desefpoirs, qu'ils fe precipitent
par tout,quelque peril qu'ily aye, fans appreliender quoy
que ce foit. Aufquels chevaux fi on leur mettoit des lu-
nettes pour leur empefcher partie de cette fafcheufe co-
lere, ils ne laifleroient de faire les mefmes chofes, pource
qu'ils ne font point plus aveugles avec les lunettes que
lors que le desefpoir les faifit, qui leur fafcine les yeux
de telle forte,qu'ils ne s appercoivent de quoy que ce foit,
quelque peril quii y ait. Mais auffi il y en a d'autres dont
la colere n'eft pas fi violente , & dont la memoire eft fi
delicate , & l'efprit fi aite à deftourner , que le moindre
object qui fe prefente devant eux durant la lecon, ils ne
fongent nullement à ce qu'on eftaye de leur faire conce-
voir : c'eft pourquoy à tels chevaux il eft fort bon de leur
donner lecon avec de lunettes ; eftant tres-certain qu'ils
apprennent mieux la cognoiffance & obeyflance de la
bride, & des efperons , parce qu'ils ne peuvent avoir
d'apprehenfion ny de divertiflTement. Et quand ils fca-
vent manier, ils executent bien plus facilement & avec
plus de legereté à la main de la bride , toutes fortes de
maneiges : c'eft a fc^ivoir en une place, par le droit, de
cofté, & en arriere : car fur les voltes, il fe faut bien don-
ner de garde de les y faire manier pendant qu'ils ont les
yeux bouchez , parce qu'ils s'eftourdiroient & tombe-
roient affeurément. Et peut le Chevalier tirer de gran-
. des
-ocr page 129-
9* L'INSTRVCTION DV ROY.
des utilitez, & fé faciliter une prompte voye pour adju-
H*- fter fon cheval par le moyen des lunettes, en ce qu'il luy
apprend fans inquietude & fans divertiflement à obeyr à
la main de la bride & aux talons. Et le prenant à pied par
une des refnes tout prés de la branche du mors, avec une ' '
main, le tirant en avant, puis le faifant reculer, le pouflant
fur la main droite , le tirant fur la gauche : & en chan-
geant , le prenant de I'autre main , puis paflant de I'autre
cofté du cheval, le poufler fur la main gauche, le tirer fur
la main droite, & le frapper doucement au ventre du
manche de la houffiine, pour luy faire fuyr la croupe de
I'autre cofté : tellement que par cette methode bien pra-
tiquée à propos , on luy apprend tous les mouvemens de
la main de la bride , lesquels f^achant, & fuyant le coup
au ventre, on le peut aprés porter de9a & delà comme
on veut, en le tenant, comme j'ay dit, d'une main par les
branches du mors , & le frappant de I'autre au ventre.
Voftre Majefté peut done cognoiftre, comme il y a
quelques chevaux ausquels ce moyen eft tres-propre
comme le plus doux, le plus brief, & le plus certain pour
leur apprendre l'obeyflance de la main , 3c des deux ta-
lons , que j'ay toufiours dit eftre le feul fecret de la fcien-
ce dont j'ay l'honneur dentretenir voftre Majefté.
Fin de la deuxiepne Partie.
V I N-
-ocr page 130-
ì
L'INSTRVCTION
D V R O Y,
■ I
E N LEXER CI CE
DE MONTERÀ CHEVAL.
Par Meffire ANTOINE DE PLUVINEL, Efcuyer
principal de fa Majefté.
TROISIESME PARTIE,
LE R O Y.
O NS IE'UR de Pluvinel, reprenez le dis-
cours que vous lailTaftes hier, & me dites
quels autres airs il y a apres celuy de terrea
terre & de courbettes j Bref, entretenez moy
de tout ce qui depend de la cognoiiTance de
cét exercice : car je ne veux pas ignorer aucune chofe qui
en depende.
p L u v I N E L.
SI RE, encor que mon humeur né foit pas de parler
beaucoup, aimant davantage les bons effeàs que la fu-
perfluité de paroles : neantmoins le commandement, que
voftre Majefté me fait, joint à la louable curiofité quelle
a d'apprendre la vertu , m'a donne un contentement fi
parfaid , que ce fera la feule caule qui mbbligera de
donner au public un tefmoignage du reffentiment que
j'en ay, en tra^ant fur le papier partie du difcours dont
voftre Majefté a agreable qüe je l'entretienne. Il y a
done (SIRE) fept fortes d'airs qu'on petit apprendre
aux chevaux : mais à prefent on ri'en pratique que quatré ,
qui font le terrea terre, les courbettes, dont j'ay desja
" A a                                 parie
-ocr page 131-
94                 L'INSTRVCTION
parle à voftre Majefté,les capreoles, & un pas un fault, que
anciennement on nommoit le galop gaillard.                   JL
LE ROY.
Puis qu'il me refte encor à f£avoir le maneige des capreo-
les, & d'un pas un fault, commen^ons par les capreoles, &
me dites ce que c'eft.
PLUVINEL
SIRE, Les vrayes & bonnes capreoles ne font autre
chofe que des faults que fait le cheval à temps dans la main
& dans les talons , fe laiffant fouftenir de Fun, & aider de
lautre : foit en ayant, en une place, fur les voltes , & de
cofté. Neantmoins tous les faults ne fe peuvent nommer
capreoles j mais ceux là feulement; qui font hauts & eflevez
tout d'un temps, & le cheval eftant en l'aif à la fin de fa hau-
teur, qui efpare entierement des deux pieds de derriere,en
faifant refonner la jointure des deux jarets, & qui continue
cette a&ion, tant que fa force & fon haleine dure , y em-
ployant toute fa vigueur.
LEROY.
Je croy qu'il fe trouve fort peu de chevaux qui foient ca-
pables de bien manier de cet air : C'eft pourquoy dites-
moy les qualitez qu'il faut qu'ils ayent.
PLUVINEL.
SIRE, il fe treu ve à la verité fi peu d.e chevaux qui puif-
lent naturellement bien manier à capreoles , que je n'en ay
jamais veu en voftre Royaume que quatre,quiavec force &
legereté tout enfemble,ayent manie de cet air^ & encor des
quatre je n'en ay veu qu'un qui aye atteint cefte perfeftion; .
ceftoit (SIRE) un Courtaut que j'avois dfefTé à Monfieur
le Grand, le parangon veritablement de tous les plu$ excel»
lents faulteurs qui fe foient veus en nos temps.
LE
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D V ■ R O Y.                        9S
-         :                                                 ;
'.■■•■■                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                          -
LE R O Y.
Monfieur le Grand, dites-moy quel cheval c'eftoit que
cet excellent faulteur, auparavant que paffer outre.
MONSIEUR LE GRAND.
SIRE, Monfieur de Pluvinel vous ditvray, en vous
louant ce cheval, pour ce que c'eftoit le plus excellent, que
je croy, qui aye jamais efté de noftre temps & de celuy de
nos Peres, voire de memoire d'homme. Car il manioit par-
faiótement à toutes fortes d'airs ; à capreoles , à un pas un
fault, à courbettes , & terre à terre , & fi f<javant & obeyf-
fant, que je luy ay veu tout d'une haleine changer d'air fous
Monfieur de Pluvinel, à tous les temps qu'il luy plaifoit : de
tous les quatre que je viens de dire , fans luy desrober un
feul temps des autres airs, tant il eftoit parfait en obéyffan-
ce en force & en difpofition : ayant compté quatre-vingt-
trois capreoles qu'il a faites d'une haleine fous le Sieur de
Betbezé que voilà, qui eftoit encor page de voftre Majefté,
& avec tant de gayeté,qu'il en euft peu encor bien faire da-
vantage s'il euft pleu à Monfieur de Pluvinel : enquoy,
SIRE, je louè fort fa couftume de ne defirer rien tirer
d'un cheval qua peu prés Ja moitié de ce qu'il peutj la trèu-
vant appuyée d'une fort bonne raifon , qui eft que faifant
autrement, le Chevalier & le cheval perdent toute leur
bonne grace ; pource que fi le cheval vient à s'affoiblir de
force & d'haleine en maniant, il faut neceffairement que
les aides du Chevalier foient plus grandes & plus apparen-
tes, perdant par ce moyen la bonne grace en leur aftion.
Voilà pourquoy de crainte de tomber en cet inconvenient,
on voit Monfieur de Pluvinel eftre toufiours en mefme pò-
fture , droit à cheval, foit qu'il le face manier , ou aller de
pas : luy ayant ouy dire affez fouvent, que le Chevalier,
pour avoir bonne grace en faifant manier fon cheval, ne
doit point remuer que tout doucement le bras de la houfli-
ne*
-ocr page 133-
96                   L IiN S T>R V QT I O N
ne-, en la faifant fifHer haut &bas, de9a3cdelà5 ny faire
paroiftre les autres aides ,'pour obtìger ceux qui le regar-
dent, a croire que fon cheval eft fi gentil & fi bieii drefTé ,
quii va tout feul de fa bonne volonte^ & quali cömme un
miracle en nature , qui eft veritablement la perfection du
Chevalier & du cheval. Mais pour encor entretenir vo-
ftre Majefté des rares qualitez de mon; cheval a il a fait
des coups fi excellent & pour rire , que Monfieur de Plu-
vinel peut l'affeurer, que jamais perforine n'a monte deffus ,
s'il ne Fa adverty auparavant de le faire manier , qu'il n'aye
jetté par terre.
PLUVIN EL.
-
S IR E, il eft tres-vray que perfonne n'a jamais monte
fur ce cheval qui foit demeuré en felle, fi auparavant que
de le faire manier, je ne Tay adverty. Et cela venoit de la
nature du cheval, lequel quand il fentoit quelqu'un fur luy,
il fé laifToit fort aifément conduire de pas ; mais lors que
Fhommele vouloit lever, la premiere action quii faifoit,
eftoit de prendre une demie volte àniain gauche, laquelle
fi le Chevalier luy foufFroit desrober, & qu'il ne fu ft ad-
verty de l'en empefcher, il faifoit à l'inftant des contre-
temps fi rudes & fi fafcheux, que je luy ay veu rompre Ics
deux arsons de fa felle par la rudefle de fon efquine : eftant
impoffible à quelque ho'mme que ce fuft, de pouvoir fouf-
frir ces efforts fans quitter la felle. Et puis afTeurer voftre
Majefté, l'avoir veu en une matinée jetter quatorze per-
fonnes par terre. Et une autre fois un qui fé difoit Ef-
cuyer, le faifant manier en un endroit où il y avoit quelques
petits arbres , il l'enleva fi haut par deffus la felle , ( en pre-
sence de plus de deux cents perfonnes) qu'il le jetta fur Fun
d'iceux. Mais la fouveraine perfection & gentillefle du che-
val eftoit,qu'aprés avoir jetté quelqu'un par terre^aulieu de
luy faire mal,il s'arreftoit tout court,falloit fentir,lefoufFroit
relever, & fé laifToit reprendre à luy. Je pourrois raconter à
voftre
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D V R O Y.                        91
voftre Majefté , cent tours pareils qu'il a faits^ mais pour ne
l'ennuyer, je reprendray mon difcours, & diray que peu de
chevaux font propres a manier à capreoles , enee qu'il faut
qu'ils foient premierement de grande force , tres-legers ,
nerveux, & bien fondez fur leurs jambes & fur leurs pieds,
pource que cét exercice , plus que tous les autres , les mi-
ne beaucoup : & oferay afleurer à voftre Majefté, que
fans ma methode peu de chevaux ( fi de leur inclination
feule ils ne s'y mettent ) fe pourront accommoder à certe
cadence , parce qu'il s'en treu ve rarement de force fuffifan-
te & de legereté pour y fournir,qui ne foient ordinairement
impatiens, malicieux,& fe deffendent de leur force. Je lau-
fe done confiderer au Chevalier judicieux , fi les chevaux
de telle nature font diffieiles de reduire au pas , au trot &
au galop , fans les moyens dont je me fers , ce qu'ils feront
quand on leur voudra demander davantage. Car s'ils fe
font deffendus de pas , à plus forte raifon le feront-ils avec
furie, quand on les recherchera de plus prés : & croy que
pour en venir à bout, il y faudra employer un fi long-
temps , ( fi on ne fe fert prudemment de mes reigles ) que
le cheval avant avoir pris feulement la cadence des capreo-
les, & y eftre afleuré , fes jambes feront ufées, fa for-
ce tellement abbatue , & fa gentillefle fi eftouffée,
qu'il ne fera plus capable de faire cette acìion4à de
bonne grace, à laquelle pourtant pour peu qu'il face, il
i* aura pas efté reduit fans grand danger de celuy qui luy
aura mis ; d'autant que ( corame j'ay dit cy-deflus ) tels
chevaux impatiens ne fe laiffent pas forcer fans fe def-
fendre ; & durant leurs deffences , qui n'a des moyens
fermes pour les retenir , il y a grand danger, que fou-
vent 1'homme en reflente. du mal : pource qu'en ce
maneige icy plus qu'aux autres le Chevalier doit ufer
de fagefle, de patience , & de jugement pour prevoir
aux accidents à venir , qui font bien plus grands pour
1'homme , qu'aux autres airs , d'autant que le cheval
B b                            prend
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5>8                   L'INSTRVCTION
prend plus de fougue , & de colere aux faults , laquelle eft
plus dangereufe , en ce que les temps font plus incommo-
des qu a aucune autre aòtion qu'on luy puifle faire execu-
ter : tellement qu'il faut que le Chevalier foit bien plus
confideratif à prevoir fa malice avant qu'elle arrive , pour y
donner le remede qu'il verrà bon eftre ; ce qu'il fera pour-
veu qu'il foit experimenté en fa fcience : car cela eftant, il
jugera par l'aftion & la phyfionomie du cheval,le bien ou le
mal qu'il doit faire avant que de l'avoir execute.
LE ROY.
Je croy que veritablement il faut avoir un grand ufage
en cet exercice,pour cognoiftre par la phyfionomie du che-
val,le bien & le mal qu'il doit faire avant que de l'avoir exe-
cute. C'eft pourquoy cela ne fe pouvant pas enfeigner
certainement que par la pratique, paflez outre, & me di-
tes les moyens qu'il faut tenir pour drefler le cheval à ca-
preoles.
PLUVIN.E L.
SIRE, le commence toufiours le cheval d'une mefme
fa^on, & par ce qu'il trouve le plus difficile,qui eft de tour-
Re. ner. C'eft pourquoy je le mets au pilier feul fans perfonne
conrs
k la
Figu-
re
deffus, comme cy-devant j'ay fait voir à voftre Majefté. Et
% là je tafche de luy gagner 1'obeyfTance au pas , au trot, &
au galop, a fouffrir la main, à s'y laifler conduire , attaché
entre les deux piliers à fuyr la gaule de^a & dell. Et lors
que fans danger je puis mettre un homme deflus,je luy fais
faire fous luy la mefme chofe : & ainfi continuant, je tache
^ de le deliberei* terre à terre , & luy donner l'obeyfTance
.tre en
ce liea
la Fi-
gnre9.
ce que
nous
mar-
que-
rons la
d'aller en avant, Se de fuyr les talons auparavant que de le
rechercher de plus prés : & lors que je le juge aflez delibe-
ré, & qu'il ne fe retient point, je le fais lever haut devant à
la fin de la leconj'obligeant le plus que je puis, de fort plier
les jambes, en le frappant deflus doucement, ou ferme ,
pour
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D V R O Y.                         99
pour d avantage embellir fon air : car tous les chevaux ma-
nians par haut , ou à courbettes , ont bien meilleure grace
quand ils plient les jambes, que lors qu'ils les tiennent roi-
des. Cefi: pourquoy il eft tres-neceflaire de les accouftu-
mer à les bien plier, afin qu'en rendant leur air plus beau,
ils foient plus legers à la main de la bride.
LE ROY.
Mais fi en continuant de luy apprendre l'obeyflance juf-
ques au poind que vous dites , le cheval fe deffendoit de
fon efquine, Sc fe fiant en fa force,entreprenoit quelque ex-
travagance, quel remede y apporteriez-vous ?
PLUVINE L.
SIRE, je ne fais point de doute que les chevaux capa-
bles de manier à capreoles,fe treuvans fiers Sc pleins d'orgueil
par le refTentiment de leur force extreme , ne s'en deffen-
dent. Mais le Chevalier prudent jugera par fon experience
[ la nature de fa deffence. Car , comme jay dit en quelque
f lieu cy-devant,fi la defFence fe fait en avant, & que fon def-
*i fein ne foit que d'incommoder l'homme qui fera fur luy,
avec un grand nombre de faults , tant s'en faut qu'il le faille
chattier, ( encore que ce foit par deffence ) au contraire il
fera befoin le laifTer fauter Sc employer fa force ; tafchant
parmy ces faults en avant, de gagner l'appuy & I'obeyf-
fance de la main, & regier une cadence efgale à ce qu'on
defire : pource que ce fera toufiours autant de gagné fili-
le cheval, qui peut-eftre en cette deffence rencontrera de
la facilitò en l'execution de ce qu'on luy demandejqu'il pra-
tiquera fans aucun refuspour le plaifirde l'homme. Ce qui
I n'arriveroit pas fi on fe vouloit opiniaftrer à empefcherle
cheval d'employer fa force , Se fa legereté , foit de bonne
volonte, ou en fe defendant. Mais auffi s il employoit cet-
te force par malice,s'opiniaftrant à ne vouloir aller en avant,
il faudroit le fort deliberer pour la peur, ou pour le coup de
la
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loo               L'INSTRUCTION
la chambriere , voire mefme des talons , ( les cognoifiTans ) à
aller en avant, à toute bride, ou terre à terre determine , (fi
il en fijavoit la cadence. ) Bref, il ne faut jamais que le che-
vai aille en arriere, fi ce n'eft pour le plaifir de l'homme.
LEROY.
le cognois par voftre difcours qu'il y en a beaucoup qui
faillent par ignorance, en s'opiniaftrant à faire faire au jeu-
ne cheval ce qu'ils defirent,-comme s'ils ont deffein de le fai-
re trotter ou galoper, & qu'il fe mette à fauter, encor qu'ils
facent ces fauts en avant, ils le chaftient, le veulent rabaif-
fer , quoy qu'il foit leger & plein de force -, ce que je voy
par vos raifons effcre veritablement un erreur : mais fi le
cheval ne fe deffend pas, quelle methode tenez-vous pour
luy apprendre les capreoles ?
PLU.VINEL
SIRE, quand le cheval obeyt à ce que j'ay dit cy-def-
fus , & qu'il eft bien libre de fe lever haut devant, en bien
pliant les jambes , je commence fa le^on toufiours par le
terre à terre. Puis l'ayant fait attächer entre les deux pi-
liers, les cordes un pen courtes, pour luy apprendre à lever
le derriere & ruer des deux jambes à la fois, je le touche de
fiH% la houffine furia croupe pourfobliger à ruer: s'il y obeyt, je
recompense fon obeyflance avec nombre de careffes ; fi auf-
fi il n'y refpond aflez vigoureufement, je luy fais prefenter
& toucher,s'il eft befoin,proche du ply de la feffe d'un long
bafton,qui a environ cinq ou fix pieds de long,& une petite
pommette de fer au bout, qui fert de moiette d'efperon, &
par ce moyen il n'y a cheval qui n'apprenne à ruer facile-
ment. Mais pource quii eft befoin que ce foit efgalement
des deux pieds de derriere,il faut mettre un bafton de chaf-
que coftéjufques à ce qu'il le cognoifle, & lors en le
voyant approcher, il luy obeyra fans nulle difficulté fans en
eftre touché , pourveu que la difcretion y foit obfervée :
Et
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D V R O Y.                        tot
Et ainfi peu à peu on luy apprendra à ruer par Faide de la
houffine ieulement, foit en le touchant, ou par le bruit &
fifflement qu'elle fera. Mais s'il faifoit le parefleux , le Che-
valier qui fera de'ffus, prendra un petit bafton de demy pied
de long dans fa main droite , lequel aura une petite pointe
de fer à Fun des bouts , duquel il le piquera fur le milieu de
la croupe , avec telle difcretion que le cheval fe puifle ap-
percevoir que s'il ne ruè , il eft piqué , & s'il obeyt, il ne
Feft ny du bafton, ny du poincjon ; & fuffira que cette
obeyfTance premiere s'eftende a une ruade , jufqu'à ce qu'il
foit bien affeuré à la faire pour la houffine feulement, à tou-
tes les fois qu'on luy demanderà. Mais il faut bien prendre
garde de ne mettre perfonne deflus entre les deux piliers,
qu'il ne cognoiffe Faide de la gaule & des baftons, & qu'il
n'y refponde librement.
L E R O Y.
Te croy quii faut que toutes fortes de chevauxruent par
cette voye, quoy qu'ils n'euffent la force affez pour manier
àcapreoles : mais ces ruades-là n'eftanspas ce que vous
nommez capreoles, vous me direz le moyen comme quoy
vous y faites venir le cheval.
PLUVINE L.
SIRE, Voftre Majefté remarquera, s'il luy plaid,
que toutes fortes de chevaux n'apprennent à manier que
par les bonnes couftumes. Ceft pourquoy il les y faut
apprendre : & pour parvenir à faire une bonne capreo-
le, il faut commencerpar ce qui eft le plus difficile au
cheval, qui eft de fe lever hautdevant& plier les jam-
bes : puis aprés il eft befoin de Fobliger à fe lever derriere
par la methode que j'ay declarée à V. M. Puis quand il
obeyt a fe lever devant, & qu'il rué pour les aides des ba-
ftons, du poin^on & du fon de la houffine,alors il faut aflem-
bler ces deux chofes en une,en cette forte:qui eft lors que ce-
Cc                         luy
«
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f K                LINSTRVCTION
luy qui eft deffus, leverà devant comrae il retombera à ter-
re ; il faut prelenter les baftons , & fans doute , les recon-
noiffant il mera, & en refpondant de la forte à cette aide, il
fera une bonne capreole , laquelle redonnant à toutes les
fois qu'en levant devant,onluy prefentera les baftons,en fin
il la fera pour Faide de la gaule. Et quand il la fijaura, bien
faire bonne, il fera à propos gagner fur fon haleine peu à peu,
luy en faifant faire deux & trois ,• continuant de cette forte
fans le forcer par plufieurs reprifes, le plus doucement qu'il
fera pofllble : d'autant que c'eft une chofe tres-affeurée,que
l'air des capreoles ne fé doit, ny ne fé peut forcer, comme
les autres airs de terre à terre , & de courbettes. De cet-
te fa^on en le travaillant avec jugement, on porterà le
cheval a faire autant de capreoles, que fa force & fon halei-
ne !e pourront permettre. Eftant tres-certain que celuy qui
f^ait faire trois bons faults fans intervalle entre deux, il en
fera tant qu'il plaira au difcret Chevalier : ayant efprouve &
cognupar experience , que trois bonnes courbettes , trois
bonnes capreoles, trois bons temps d'un pas , un fault, &
trois bonnes demies voltes terre à terre , font les certaines
preuves que le cheval qui les fcait bien faire , eft tout dref-
fé, pourveu qu'il foit entre les mains de quelque fage Che-
valier,lequelenbien continuant,lepeut en fort peu de temps
adjufter & gagner toute fon haleine.
LE R O Y.
Quand le cheval eft afTeuré entre les deux piliers à fé le-
ver devant pour faide de la langue & de la gaule , que fai-
tes-vous aprés ?
PLUVIN EL.
SIRE, aprés avoir commence terre à terre à l'entour
du pilier feul, pour desennuyer le cheval, je le fais atta-
cher entre deux piliers, les cordes du caveflbn un peu
longues. Et là en le fouftenant de la main, je tafche à
luy
r#
33
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D V R O Y.                       103
luy faire faire un, deux,ou trois fauts,fans qu'il s'appuye fur
les cordes du caveffon, afin de luy donner la pratique de fe
mettre dans le jufte appuy,& de le fouffrir^ce qui ne fe fera
peut-eftre pas en une journée, mais peu à peu,■&. bien-toft,
pourveu que le Chevalier travaille avec prudence, & n'en-
nuye point le chevaL
L E R O Y.
Je cognois bien que cette le9on eft pour commencer à
mettre voftre cheval dans la main.
v
PLUVINEL
Ouy, SIR E, voftre Majefté a tres-bien jugé : car, corn-
ine j'ay toufiours dit, pour que le cheval foit dreffé à routes
fortes d'airs , ou à Tun d'iceux, il faut qu'il foit dans la main
& dans les talons, Comrae done je le cognois eftre dans
la main , & s'y fouftenant, faifant trois bons faults à toutes
les fois que je le defire avec le bon & jufte appuy, je conti-
nue cette le<jon fans paffer outre , finon de le divertir, &
le desennuyer foit terre à terre , foit en le promenant de
pas, puis le faifant retrencher entre les deux piliers en le
levant devant & derriere de la gaule , & du poin9on fi be-
foin eft : j'ordonne à celuy qui eft deffus , d'approcher (es
deux gras des jambes, & en le fouftenant tout doucement,
avec, l'aider le plus delicatement qu'il pourra des deux ta-
lons, le pinfant de teile forte, que cela n'oblige le cheval de
fe mettre en colere : & s'il refpond une fois ou deux à cet-
te aide, luy monftrer avec force careffes & friandifes que
c'eft ce qu'on luy demande , afin de l'obliger à faire pour le
gras de la jambe, & pour les talons , le mefme que pour les
baftons, & le poinijon : n'y ayant nulle doute que tout che-
val qui dans la main , & pour faide des baftons, & du poin-
£on , fera trois bons fauts , il les executera pour laide des
jambes & des talons , fi celuy qui le fera travailler eft intel-
ligent ; & en cette forte , il mettra fon cheval au point de
faire
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!o4               L'INSTRVCTION
faire ces fauts efgaux dans la main , fans s'abanaonoer fur
les cordes du caveffbn , & de refpondre aux deux gras des
jambes , & des talons au lieu de poin9on : n'entendant
point qu'on mette le eheval à manier fur fa foy, qu'il ne foit
affeuré entre les deux piliers à ce que je viens de dire , ny
qu'on luy donne autre le£on fi ce n'eftoit pour le divertir,
quelquesfois le promener de pas , de cofté , la tefte contre
une rnuraille, fé fervant de la main & des talons, puis fur les
voltes de pas feulement.
LEROY.
Si le eheval ne vouloit obeyr à ces lemons, & particulie-
rement à cette derniere de fouffrir les aides des talons,
fecourus du poinc^on & des baftons au befoin, & qu'il fift
quelque extravagance de desefpoir, que feriez-vous pour
y remedier ?
/PLUVINE L.
SIRE, Voftre Majefté atres-bienjugé , qu'il y a des
chevaux qui fe voyans preffez, fe peuvent desefperer ; de
forte qu'au lieu de refpondre aux aides & de les fouffrir, ils
font des tours fi hazardeux pour les hommes & pour eux,
que c'eft à quoy il faut prendre garde de présafin de les evi-
ter : & particulierement les chevaux que Ton juge pouvoir
fournir à Fair des capreoles, comme eftans plus legers, plus
vigoureux , & par confequent fe reflentans accompagnez
de force fuffifante , pour refpondre aux moyens qu'ils vou-
dront entreprendre pour fecouer le joug de l'obeyffance,
& de la fubjeótion où il les faut mettre pour leur appren-
dre ce qu'on delire : eftant beaucoup plus difficile de les
reduire à la raifon , que ceux qui n'ont qu une force fuffi-
lante poür le terre à terre , & pour les courbettes. En ce
qu'en premier lieu , on ne peut forcer un eheval de fauter
quand il eft au bout de fon haleine , & de fa force , où l'air
des faults le met bien plustofl: que les autres, l'ennuye da-
vantage
-ocr page 142-
D V ROY.                       io;
vantage dans la continuation par la fatigue qu'en reflentent
fes reins, fes jambes & fes pieds ; & par confequent eftant
neceflaire pour ces caufes de faire fes leijons fort courtes,
il faut que le prudent Chevalier travaille à l'air des capreo-
les avec beaucoup plus de jugement, de patience , & d'in-
vention, qu'aux autres oil il peut forcer fon cheval : recher-
chant foigneufement toutes fortes de moyens pour luy fai-
re concevoir promptement ce qu'il luy demande , foit par
courtoifie & par douceur, foit par furprife , foit en chan-
geant fouvent de place où il feroit befoin , foit en gagnant
l'obeyflance par le frequent changement des le9ons , tan-
toft entre les deux piliers, tantoft la tefte à la muraille, tan-
toft dans une encoigneure , ou le long d'une carriere ou
allée bien droite : &ainfi fé fervant de tous ces moyens,des
divers mouvemens de la main, de la bride , du caveflbn ,
des contrepoids du corps , des cuifTes , des jambes , des
talons, delagaule, des baftons , & du poin^on : faifant
jouer tous ces reflbrs , felon les temps que le jugement di-
ptera ; il eft fans doute qu'on gagnera fur tei cheval que
ce foit ce qu'on en delire , fi quelque defaut de nature ne
l'empefche -y laquelle chofe eftant, ce n'eft plus la faute du
Chevalier. Si bien que V. M. peut juger par là, ce que je
luy ay desja dit cy-devant, qu'il eft impoffible de pouvoir
dire , ny efedre par le menu tout ce qui eft befoin de faire
pour reduire les chevaux à la perfedion qu'on delire d'eux.
La pratique feule de la main du Chevalier & de ies talons ,
jointeàun excellent jugement,& un long ufage dans l'exer-
cice, eft ce qui peut executer à temps mille & mille chofes
qui ne fe peuvent dire ny efcrire que dans l'occafion , & à
Tinftant qu'il eft befoin.
L E R O Y.
Je cognois ce que vous me racontez eftre vray, & croy
qu'il y a beaucoup de chofes qui ne fe peuvent dire qu'à
Tinftant de l'execution. C'eft pourquoy paffez outre.
D d                         P L U-
-ocr page 143-
xo6                 LINSTRVCTION
PLUVINEL
Le cheval refpondant aux aides , &faifant pour icelle
trois ou quatre bons faults , il faut le long d'une carriere le
promener de pas , & commencer à le lever , s'il ne fe pre-
dente, Mais s'il fe prefente bien à propos , il ne faut perdre
ce temps, ains le prendre , & luy faire faire trois ou quatre
capreoles, ou une ou deux felon la difcretion : & ainfi che-
minant, & levant doucement, il fe mettra fans beaucoup de
difRculté , & en peu de jours par le droit, ou on pourra luy
gagner peu à peu l'haleine fans le fafcher , & luy en faire
faire tant qu'elle durerà, dequoy pourtant il fe faut garder.
Car jamais on ne doit mettre un cheval au bout de fa force,
ny de fon haleine,fi ce n'eft dans la neceffité,pour les raifons
que cy-devant j'en ay dites à voftre Majefté. Et s'il fe treu-
voit quelque petite repugnance à l'obeyflance de la main,
des talons, ou des aides, le cheval eftant en fa liberté &
fur fa foy , il ne doit pas continuer long-temps que cette
difficulté ne foit vaincue par les moyens fufdits, de peur
qu'il rie print une mauvaife habitude , qui feroit tres-diffici-
le , voire quelquefois impoffible de luy öfter , eftans fouf-
fertes , Se n'y ayant remedié à l'origine. Le cheval eftant
au poind de cette obeyfTance, pour pafler outre il fera be-
foin de le mettre autour du pilier, puis ayant commence fa
le9on de pas,& s'il ne fe prefente de fon air, continuer terre
à terre auparavant que de le lever. Mais audi s'il fe prefen-
te , prendre ce temps & tirer de luy deux ou trois faults,ou
plus , felon le jugement du Chevalier. Et ainfi en levant &
cheminant de pas par plufieurs reprifes,pratiquant cette le-
£on avec prudence , il aura bien-toft reduit fon cheval à
fournir une volte entiere 3 voire deux, & plus, fi fa force &
fon haleine luy permettent, qu'il faudra gagner par difcre-
tion. Car quelquesfois les chevaux fe deffendent auflì-toft
par le manquement de leur force, & de leur baleine , que
par rignorance & par la malice.
L E
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D V ROY.                          107
LE ROY.
Quand le cheval eft aflfeuré fur les voltes à l'entour du pi-
lier, que defirez vous de plus, & qu'eft-il befoin de faire
pour le mettre au poind que vous fouhaittez ?
P L U V I N E L.
SIRE, Le cheval eftant advance jusques là-, je le fais
attacher entre les deux piliers , & aprés que celuy qui eft^-
deflus l'aura fait aller de pas, de cofté, de^a & delà pour les H?
deux talons, fi le cheval f9ait manier à courbettes , je defire rn>
qu'il le leve de ceft air-là : & qu'il luy apprenne à aller de
cofté à courbettes , fuivant les lemons que j'ay dites cy-de-
vant : excepté que le cheval de capreoles qui manie à cour-
bettes , lors qu'on les luy demanderà , il fé faut bien garder
de l'aider de la langue ; pource que c'eft pour les capreoles :
mais feulement de la gaule fur le col ou fur l'efpaule : & la
raifon pourquoy je defire, s'il y a moyen,qu'onluy apprenne
l'obeyflance du talon à courbettes , ( s'il les ffait faire ) eft
que fa le9on en peut durer plus long-temps fans l'ennuyer,
& par confequent aura pluftoft retenu ce qu'on defire, tant
de l'obeyflance que de la cadence : eftant tres-certain que
obeyflant à la cadence des courbettes , il fera le femblable
à capreoles. Mais auffi fi le cheval fé prefentoit de fon air ,
& qu'il y obeyt comrae a courbettes, tant mieux , eftant ce
qu'on defire. 11 luy faut faire goufter le plaifir de cefte
* obeyflance par les frequentes careffes , en le renvoyant au
logis à toutes les fois que le prudent Chevalier le jugera à
propos. Si toutefois le cheval ne f9avoit manier à courbet-
tes, & qu'il ne fé prefentaft de fon air, lors que le Chevalier
connoiftra qu'il obeyra de pas , de cofté franchement avec
le bon appuy dans la main ; il doit le lever de fon air, & en
l'aidant d'un talon , luy faire faire deux faults de cofté , &
achever le refte de pas fans l'arrefter : & ainfi continuant
avec douceur,foit attaché entre les deux piliers, foit la tefte
àia
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io8                r IN STRVCTION
à la muraille le long d'une carriere , (fi le cheval eftoit trop
ennemy des deux piliers ) il maniera de cofté bien-toft pour
les deux talons. Et lors qu'il refpondra franchement à la
volonte de Fhomrne par le droit en une place , de ferme à
ferme, & de cofté , le tout fous le bouton , fé laiflant con-
duire de la main , & prenant les aides des talons felon la
fantafie du Chevalier : il fera capable de paffer outre dans
la conclufion de ce qu'on doit defirer de luy.
LE ROY.
Quelle eft cette derniere conclufion? je fuis en impa-
tience de voir ce cheval de capreoles au dernier point de fa
perfection.
' PLÜVINEL
SIRE, Tout de melme que la conclufion & la per-
fection des maneiges terre à terre & de courbettes font les
bonnes voltes ,• ainfi en eft-il des capreoles : car les bonnes
voltes font la fin de tout ce qu'on en peut defirer de bon ,•
pour à quoy parvenir, le cheval eftant au point que je
viens de dire , le Chevalier luy peut franchement donner
lecjon fur les voltes, en le promenant de pas aflez larges , &
fans le contraindre des hanches ; car à l'air des capreoles el^
les ne doivent point eftre dedans ny trop fubjettes,fuffifant
feulement qu'il y en aye une : & fé doit fervir le Chevalièr
de la main, le menant rondement des efpaules , & des han-
ches : Puis l'ayant promené tant à une main qu'à l'autre , fi
le cheval fé prefente,il doit prendre ce temps,& en l'aidant,
s'il le contente pour luy donner plus grand plaifir , le ren-
voyer au logis quand il n'auroit faiä: que demie volte. Car
voftre Majefté remarquera (s'il luy plaift ) que ce n'eft pas
la quantité qui doit contenter le prudent Chevalier,
mais la franche obeyflance du cheval; la quantité ne
fervant qu'à gagner l'haleine , de laquelle quantité il ne
fautfe fervir finon quand le cheval obeyt franchement,
&
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' D ' V R O Y.                         109
& encore en faut il ufer peu à peu avec difcretion , afin de
ne l'ennuy er : Tellement (SIRE) que le fage Chevalier con-
tinuant cette le^on dans peu de jours , le cheval le conten- %.
tera fur les voltes ; laquelle chofe eftant, je luy confeille de''3'*
ne luy en demander pas davantage : car de vouloir faire
manier en arriere , ce n'eft pas le propre de l'air des capreo-
les ; feulement il fe doit èntretenir enee point, le pouvant
affeurer qu'il y a peu de chevaux quiypuiflent arriver.Ceft
pourquoy lors qu'il sen rencontre quelqu'un , on le doit
bien cherir , d'autant que dans les triomphes , dans les ma-
gnificences, aux entrées, & en mille autres endroits , il ny
a rien qui donne tant de contentement, & d'admiration
aux regardans, & qui face tant paroiftre un Chevalier bien
droit, & bien adroit, qu'un cheval bien maniant à capreo-
les , qui eft le plus beau de tous les airs : en ce que s'efle-
vant davantage en haut, il participe plus de la qualité de
l'air, qu'aufli il eft plus rare; de que les chofes les plus rares
font ordinairement les plus eftimées : joint qu'outretout
cela , la perfection du bon Chevalier fe cognoit à reduire
les chevaux de cet air, bien plus qu aux autres airs , pour
les difficultez qui fe treuvent à ceux qui font capables d'y
fournir, pour les raifons que jay fait voir à voftre Majefté ,
en la pratique de fes lemons de capreoles.
Leroy;                                  \
Je fuis bien aife d'avoir entendu la methode entiere , &
la fuite des leijons pour conduire le cheval de capreoles à
fa perfedion. Il refte à cette heure à me dire ce que e'eft
de l'air d'un pàs un fault,par le moyen que vous tenez pour
y reduire les chevaux.
PLUVINEL
SIRE, L'air d'un pas un fault eft tout different des
trois autres airs cy-deflus, & neantmoins compofé de
tous les trois, lesquels il faut que le cheval execute en ma-
E e                          niant,
-ocr page 147-
no               L'INSTRVCTION
niant, & que les aides du Chevalier tiennent audi de
tous les trois : tellement que le cheval maniant à un pas
un fault, on pent dire qu'il manie en mefme temps terre
a terre, à courbettes, & à capreoles. Et pour donner à con-
noiftre à voftre Majefté , comme il faut que le cheval faffe
les mefmes mouvemens , & le Chevalier les mefmes aides
qu'il convient à tous les trois airs : Premierement il eft be-
foin que le Chevalier lafche la main , afin qu'il face le pas
avec un peu de furie, comme s'il manioit terre à terre : Puis
foudain il faut tirer la main comme quand il manie à cour-
bettes, aprés la fouftenir pour luy faire faire la capreole fort
haute : & où il feroit parefleux , prefler les deux talons au
ventre pour le faire advancer,en lafchant un peu la main de
la bride, puis les prefler encor plus fort pour le faire faulter,
en tirant & fouftenant la main de la bride, jufquesà ce qu'il
manie de fcience, & qu'il foit afleuré de fa cadence : auquel
cas le Chevalier diminuera toutes les aides, en forte que les
regardans puiflent dire veritablement, que le cheval eft fi
gentil & bien drefle , qu'il manie tout feul -, & que par ce
moyen le Chevalier puifle demeurer jufte dans la felle en
fa bonne pofture , d'autant que s'il falloit aider le cheval à
tous les temps, le Chevalier & le cheval feroient tellement
desconcertez , qu'ils ne feroient plus rien qui vaille , chofe
qui defplairoit grandement aux fpe&ateurs.
LEROY.
Je croy que cet air eft tres-agreable à voir, & à fèntir à
celuy qui eft fur le cheval. C'eft pourquoy je feray bien aife
que vous me faciez entendre la methode que vous tenez,
pour le rendre digne d'y bien manier.
PLUV INE L.
SIRE, Le cheval ffachant manier terre à terre, à
courbettes, & fourniflant quelques capreoles; car le cheval
peut fournir à l'air d'un pas un fault, qu'il ne le pourroit
pas
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D V ROY.                       ni
pas à capreoles: en ce quii faut plus de force à fournir à ca-
preoles , pour ce que l'air d'un pas un fault, le cheval faifant
je pas , il reprend fa force, & fa commodité : & à l'air des
capreoles, les faults font continuels , fans qu'il y aye d'in-
tervalle entre-deux, qui puifle donner moyen au cheval de
fe remettre en vigueur.Voylà pourquoy fjachant feulement
refpondre à quelques faults , à toutes les fois qu'on les luy
demanderà ; il le faut mettre à l'entour du pilier, ou ayant
cheminé de pas , on le leverà à courbettes ; puis en che-
minant de pas on luy demanderà par intervalle un fault ; &
ainfi cheminant, & levant, on laccouftumeraà fe lever
en cheminant, & refpondre au fault quand on le delirerà.
Laquelle chofe f^achant le Chevalier fe faifaut fuivre , &
donnant unpeu de fougue d'avantage aprés le fault du
cheval, comme s'il le vouloit faire repartir , fe fervant des
aides que cy-deflus jay dites ; il en tirerà deux ou trois
temps : toutesfois s'il ne refpondoit franchement, & qu'il
fift quelque refus de prendre cette cadence en fe transpor-
tantpartrop , ilferabefoin de l'attacher entre les deuxf;m
piliers , ou bien la tefte contre la muraille , & là le lever àj£.
courbettes^ aufquelles obeyffant comme il en aura fait une/'33'
il faut en luy monftrant le bafton , 3c le foufbenant de la
main & des talons , luy faire faire un fault -, car eftant at-
tache , il ne fe pourra tranfporter en avant : & continuant
de la forte avec douceur & jugement, fans ennuyer le che-
val, il aura bien-toft pris cette cadence -, de laquelle eftant
affeuré, & y allant librement dans la main, & par l'aide
des talons , il fe laiflera aprés facilement conduire par le£*j
droit & fur les voltes, eftant desja dreffé à capreoles , finon
que ce fuft un cheval qu'on vouluft commencer de cet air
là fans le mettre à capreoles ; il faut fuivre toute la mefme
methode des capreoles , n'y ayant autre difference pour le
faire venir à ce but là, finon qu'il luy faut donner la cadence
d'un pas un fault ; car pour l'obeyflance & la jufteffe c'eft
la mefme chofe.
LE
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112               L'INSTRVCTION
LEROY.
Eft-ce tout ce que vous avez à dire de l'air d'un pas un
fault, lequel je croy eftre auffi agreable à fentir, comme il
eftà voir ?
P L.U VI N EL.
SI RE, Je m'eftendrois bien davantageàfaire reniarquer
à V, M. quantité de diverfes le£ons fur ce fubjet : mais luy
ayant cy-devant difcouru des moyens de reduire les chevaux
al'obeyflance defhomme, & luy ayant dit quej'eftimois
affeurément le cheval obeyflant en un poincì:, capable d'o-
beyr à tout,fi le Chevalier travailloit avec patiencejugement
& refolution : j'ay creu, pour ne l'ennuyer point de trop de
langage , qu'il fuffifoit feulement de luy monftrer quelle
eftoit la cadence d'un pas un fault, & que je finifle ce dis-
cours par ce qui eft le plus neceflaire au Chevalier & au
cheval, qui font les aides ; fanslefquelles ny Tun ny lautre
ne peut rien faire qui vaille , ny de bonne grace , fi elles ne
font données par le Chevalier , & receues par le cheval de
la forte que je delire : qui eft ( SIRE ) que le bon & bel
homme de cheval ne f^auroit faire trop peu d'aftion du
corps, ny des. jambes pour l'aider : & doit fuyr tant qu'il
pourra la mauvaife couftume de ceux qui à tous les temps
transient les jambes de telle forte,qu'ils ennuyent les regar-
dans par leur mauvaife grace. Je fouhaite done qu'il foit
place en la bonne pofture que j'ay monftré à V. M. la cuifle
& la jambe bien eftendue , & prés du cheval, à ce que les
aides en foient plus proches. Et s'il treuve fon cheval endor-
my,les prenant avec trop de patience (comme fouvent il arri-
ve,principalement à ceux qui les fouffrent trop par inclina-
tion^ou bien à ceux qu'il y a fallii endormir par un long-temps,
pour leur faire endurer,& mefme les'pincer à tous les temps,
pour les obliger à les prendre groffierement ; ) il eft befoin
que le Che valier ,fentant fon cheval en cette parefle, ou en-
dormifle-
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D V ROY.                       nj
dormiflTement, luy donne de fois à autre un bon coup des
deux efperons, ou d'un, felon le befoin. Puis qu'ii rafermif-
fe fes jambes , & prefle fort les cuiflTes toutes les deux en-
femble, ou Tune plus que I'autre , felon ce qu'il jugera : &
lors qu'il aura mis le cheval en cette apprehenfion , & qu'il
fentira prèfler les deux cuiflTes , ou Tune plus que I'autre , il
maniera pour lapeur,&fera paroiftre l'homme avec peu d'a-
ékion, qui eft cornine je le defire : & porterà cette le^on tei
profit à celuy qui la voudra bien confiderei", qu'elle luy fera
voir , & cognoiftre veritablement par le vray fens de la rai-
fon, que les talons font les dernieres aides que nous ayons
pour faire manier nos chevaux:tellementque file Chevalier
peut premierement faire aller fon cheval de la feule peur,
puis comme il voudra salentir,treuver un aide dans la cuiflTe
qui le releve, & encor aprés un autre plus ferme au grande
la jambe,il fera plus à propos de fuivre cette methode,& gar-
der les talons pour le dernier, puifque par cette voye le che-
val ira plus long-temps,& le Chevalier paroiftra en meilleu-
re pofture , que fi il commenfoit par un grand temps de
jambe , & par Faide des talons, qu'il doit conferver au be-
foin, & pour la fin de l'haleine de fon cheval ; n'y ayant rien
de plus certain qu'un homme expert en cet art, & qui en-
tend bien les aides , peut mener plus long-temps un cheval
de quelque forte d'air que ce foit,qu'un autre qui aura moins
de pratique': & qui au lieu.de le bien aider, l'incommodera
par fes mauvaifes aides. Voilà done ( SIR E ) ce que j'ay à
dire à V. M. pour ce qui touche le maniment des chevaux ,
& les moyens les plus briefs & moins perilleux,que j'ay mis
peine de trouver par mon labeur , afin d'eviter mille &
mille hazards , qui fé rencontrent en la fuite de cet exer-
cice. Que fi je nenie fuis expliqué fi clairement que j'au-
rois delire, Voftre Majefté remarquera , s'il luy plaift, ce
que cy-devant je luy ay dit, que je ne luy ay parie fi non
des moyens ordinaires dont j'ufe pour mettre les chevaux à
la raifon : d'autant que fi j'avois voulu particularifer & ex-
F f                            primer
-ocr page 151-
ii4               riNSTRVCTION
primer par le menu routes les leijons dont je me fers, il
m'auroit efté impoffible , pource que ma fa^on de travailler
n'eftant conduite que felon les occafions , il me feroit bien
mal-aifé de la mettre au net, en ce que toute action de l'en-
tendement eft tres-mal aifée , voire impoffible d'exprimer
par efcrit. Or eft-il que ma methode confitte au jugement,
faire la guerre à l'oeil, changer de moment en moment d'a-
ch'on,felon le befoin, & travailler plùtoft la cervelle du che-
vai que les jambes. Ceft pourquoy (SIRE) voftre Majefté
m'excufera , s'il luy plaift , fi je ne m'exprime fi bien par les
difcours, comme je pourrois faire en luy faifant voir l'effeä:
que ces foibles paroles ne luy peuvent monftrer. Mais je
n'ay eu autre intention en parlant, que d'obeyr aucomman-
dement qu'elle m'a fait, de luy declarer les principaux ef-
feóts de ma methode : & luy faire voir comme c'eft le feul
moyen de recueillir avec facilitò, fans danger du Chevalier,
fans grand travail du cheval, & avec briefveté de temps, la
perfeótion de cet exercice , que la pluspart cherchent avec
une fi longue peine , au peril de leur vie , & à la mine de
leurs chevaux.
LEROY.
je fuis bien aife d'avoir entendu tout le difcours que vous
m'avez fait de la methode que vous tenez , pour mettre les
chevaux à la raifon : car encor que jene fois f^avant en 1'exer-
cice , neantmoins tout ce que vous m'avez dit, tombe fous
mon fens avec telle facilitò, que je croy veritablement qu'il
fe peut executer fans difficulté par tout homme de bon ju-
gement ; & croy que cet entretien m'apporterà du profit,
en ce que m'ayant donne à cognoiftre les principales ma-
ximes de la Theorie , j'en trouveray la pratique beaucoup
plus aifée, & y prendray plus de plaifir, eftant desja inftruit
des raifons les plus neceflaires. Mais pour ce que je veux
f9avoir de fuite tout ce qui eft de l'exercice de la Cavale-
rie ? & qu'il refte encore une des plus gentilles adions qui
fe
/                                                                                                                                                            '                                 i
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D V ROY.                       iiS
le face à cheval,dont je n'ay pas l'intelligenee,qui eft la ma-
niere de faire les belles & bonnes courfes de bague : conti-
nuez à m'entretenir fur ce fujet ; car je veux auffi bien me
rendre beau & bon Gendarme, comme bel & bon homme
de cheval,afin de pouvoir auffi parfaiòtement juger fur la car-
riere , dans les triomphes, & tournois , de la bonne grace ,
& de l'addreffe des Chevaliers,comme je f£auray faire dans
les batailles, de la generofité de leur courage.
P L U V I N E L.
SIRE, Je n'euffe pour cette heure ofé importuner da-
vantage voftre Majefté , & euffe remis à l'entretenir des
courfes de bague à une autre fois: mais puis qu'elle a agrea-
ble que je continue , je le feray , fi mieux elle n'ayme de
commencer elle-mefme par l'aéHon.
LEROY.
Non , Monfieur de Pluvinel, je veux auparavant enten-
dre tout ce qui eft neceflaire pour faire de belles & bonnes
courfes de bague , avant que d'en venir à l'execution ; c'eft
pourquoy continuez à me le dire.
MONSIEURLEGRAND.
Le Roy a raifon de defirer fijavoir de vous le moyen de
bien courre la bague auparavant que d'y commencer. Pour-
ce que, comme vous avez veu cy-devant, il ne vous a point
efté befoin de piacer fa Majefté dans la felle , ny de la re-
prendre de fa pofture ny de fon aftion,ayant fi bien retenu
ce que vous luy avez dit auparavant que monter à cheval,
qu'elle n'a manqué en un feul poind requis à la bon-
ne grace du Chevalier. C'eft pourquoy elle delire den-
tenrire ce qu'elle vous dit, afin du premier coup deny
faillir , & nous faire tous admirer fon bon efprit, & fa bon-
ne memoire, auffi bien en cette derniere action qu'en la
premiere.
P L U-
-ocr page 153-
us                riNSTRVCTION
PLUVINEL
SIRE, Monfieur le Grand a tres-bien remarqué le loüa-
ble deflein de voftre Majefté,eftre de faire bien du premier
. coup,ce que beaucoup d'autres font plufieurs mois à appren-
' dre. Cefi; pourquoy en luy obeyflant, je diray qu'une des
plus belles aòtions & des plus agreables à voir & à prati-
quer à cheval, eft celle de bien courre la bague : Mais auffi
je la tiens une des plus difficiles , pour ce que tous exerci-
ces de plaifir qui fé font en public , les hommes qui ont du
courage defirent y paroiftre avec de la bonne grace,& cha-
cun avec ambition de faire le mieux : laquelle extreme en-
vie empörte quelquefois l'efprit, de forte qu'il ne fonge à
maintenir toutes les parties du corps dans la jufte & bonne
pofture requife, & particulierement aux courfes de bague.
La raifon principale eft,que cet exercice fé fait pour donner
plaifir aux Dames5& eft le feul de tous pour lequel elles don-
nent prix. Si bien que pour leur plaire, chacun tafche avec
pafllon, à fé rendre agreable à toutes en general, & à quel-
qu'une en particulier,& à gagner le prix, pour avoir la gioi-
re de le demander , de le recevoir avec honneur comme le
mieux faifant de la compagnie, peut-eftre de celle qu'il
honore le plus : ou fi ce n'eft d'elle , à tout le moins en la
prefence. Tellenient que cette extreme envie portant tous
les mouvemens de fon efprit à contribuer à ce deflein , eft
caufe que le plus fouvent la bonne pofture fé perd , cedant
la place à quantité de mauvaifes. Car melme dans l'efcole
où elle fé doit apprendre , ledefirde bien-toft s'y rendre
parfaift, pourjouyr du contentement que je viens de di-
re , porte l'efcolier dans l'oubly de ce que celuy qui l'en-
feigne luy aura dit, executant taut de mauvaifes actions
pour le defir extreme qu'il a de s'ajufter à empörter la ba-
gue , que je confeille à toutes fortes de gallants hommes ,
de ne pratiquer cet exercice en public , qu'ils n'y foient
tres-afleurez auparavant : afin que les Dames, & parti-
culiere-
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D V R O Y.                        117
eulierement les belles, ( qui, ce femble , ont plus de loy de
fe moquer que les autres, ) ne le fiflent à fon prejudice. La
premiere chofe qu'il faut done que le Chevalier fafle, eft
de donner ordre d'avoir un bon cheval, qui aye toutes les
qualitez requifes à l'exercice duquel je parley puis d'une
lance proportionnee felon fa taille : pource que fans ces
deux chofes, il ne peut rien faire qui vaille, quelque expert
qu'il puifle eftre.
L E ROY.
Dites moy les qualitez qu'il faut au bon cheval de ba-
gue , & la proportion que doit avoir la lance, puis que fans
ces deux chofes on ne peut faire cet exer^ice de bonne
grace.
P L U V I N E L.
SIRE, le cheval de bague ne doit eftre ny trop grand
ny trop petit 5 mais de moyenne &.de legere taille : les
Genets , & les Barbes femblent eftre les meilleurs , s'il eft
poflible que le poil en foit beau & rare ; que les jambes,les
pieds, & les reins en foient bons; quii aye bon appuy & ju-
fte à la main -, qu'il foit patient au partir , qu'il courre tride
& aife,qu'il arrefte fans incommodité; & fur tout qu'il cou-
re & arrefte feurement. Pour ce que de toutes les cheutes
qui fe font à cheval, celles qui arrivent en courant font les
plus dangereufes , & beaucoup davantage que quand il fe
renverfe: d'autant qu'en fe renverfant il fe tourne volontiers
en l'air,& ne tombe pas droit fur le dos, fi celuy qui eft def-
fus ne luy contraint abfolunjient : Mais à la courfe,la cheute
eft fi precipitée , que le plus fouvent le cheval fait un tour
ou deux fur le Chevalier,comme miraculeufement cela m'eft
arrive, du temps que le Parletnent eftoit à Tours, courant la
bague ; au milieu de la courfe le cheval met le nez en ter-
re , fait le tour entier fur moy, & fe retrouve fur les pieds,
la lance rompué dans ma main, contre mon cofté , en trois
G g                        pieces,
-ocr page 155-
n8               L'INSTRVCTION
pieces, dont je receu-s fi peu de mal, que, comme j'ay dit à
voftre Majefté, c'eft miraculeufement que j'en refchappay,
eftant, comme je croy , impoffible que pareille cheute püii-
fe arriver fans mort, fi Dieu n'y opere. Qu and à la lance, fa
proportion doit eftre felon la taille du Chevalier: à un grand
homme une petite lance, fort foible & courte, n'auroit pas
bonne grace ; comme à un petit une grofle lance , longue
& grandes ailles, luy feroit tres-mal feante en la main. C'eft
pourquoy le Chevalier de bon jugement pourra s'appro-
prier de cette arme à fa bien-feance, & à fa commodité , fe-
Re- lon le modelle & la forme de la figure que j'en donne pour
*!* cela : ou plus longue , ou plus courte , ou plus grofle , ou
"37. plus menue, felon fa taille & fa force.
L E R O Y.
le cognois que vous avez raifon de dire, que fans un bon
cheval & une bonne lance on ne peut faire de belles cour-
fes : mais apres qu'on en eft muny , comme quoy faut-il
que le Chevalier les employe ?
PLUVI NE L.
SIRE, la premiere chofe qu'ilfaut que le Chevalier
face auparavant que de commencer à courre , eft de pren-
dre garde à fa bonne pofture, de bien ajufter fes eftrieux,
& fes refnes dans la main , enfoncer fon chapeau en forte
qu il ne tombe dans la carriere , ( qui eft un des accidens
plus mefleans qui luy puifTe arriver.) Puis eftant bien ajufté
dans la felle, il prendra la lance de la main d'un Efcuyer ou
d'un Page, & la tenant la maniera & la fera tourner dans
la main de bonne grace & avec facilitò , pour monftrer au%
Bga.
regardans qu'il n'eft point embarafle de cette arme. Puis en
n 38'cheminant la mettra fur le plat de fa cuifle droite , en pre-
nant garde que le coude ne foit point trop proche du corps,
ny celuy de la bride non plus. En aprés il mettra la pointe
de k lance un peu panchée en avant vers l'oreille gauche
du
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D V R O Y.                       up
du cheval, la tenant toufiours en cette fa9on , foit arrefté ,
foit en màrchant de pas , de trot & de galop, fans faire pa-
roiftre aucune contrainte : car en cette a£tion il femble
qu'on n'excufe pas fi volontiers les mauvaifes poftures
qu'aux autres qui s'exercent à cheval.
LE ROY.
Pourquoy eft-ce qu'on ne les excufe pas fi-toft en cou-
rant la bague, qu'aux autres actions qui fé font à cheval ?
PL U V I N E L.
SIRE, La raifon pourquoy on n'excufe guere la mau-
vaife grace de ceux qui courent la bague,eft que les Cheva-
liers qui paroifTent fur la carriere le font tout exprés, &
avec deflein de fe rendre agreables aux Dames qui les re-
gardent, -fe promettans qu'ils ne peuvent rien faire que de
bon en leur prefence;&particulierement en cet exercice oli
il y a fort peu de peine & d'incommodité, eftant fur un bon
cheval qui court roidement, & qui eft aifé au partir , & à
l'arreft : tellement que fi par hazard il paroift quelque gefte
qui ne foit de bonne grace , foit avant la courfe \ durant
icelle, ou aprés , la ri'fée s'en fait generale parmy elles , qui
prefuppofent avec raifon , que perfonne ne fe doit prefen-
ter fur la carriere , ny dans la lice pour leur donner du piai-
fir, qui n'execute gentiment, avec hardieffe, & de bonne
fafon tout ce qu'il entreprendra fans demeurer court,
eftant certain que les belles & gentilles prennent davan-
tage de plaifir à voir un galland Chevalier commencer,. con-
tinuer, & finir une belle courfe 3 fa lance ferme dans la
main , par un beau dedans r que de confiderer un mauvais
Gendarme , mal place fur fon cheval, mal partir \ fa lance
toufiours branlante, Se vacillante le long de la carriere : &
au lieu d'un beau dedans , brider la potence. Car aux au-
tres exercices de cheval foit terre à terre , ou à capreoles,
ces maneiges fe faifans avec furie, Se les chevaux en les
execu-
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!2o L'INSTRVCTION
executant pleins de fougue , cela met en apprehenfion ces
pauvrettes,de crainte que le Chevalier ne fe fafle mal;laquel~
le apprehenfion les empefche de rechercher quelque occa-
fion qui les puifle faire rire,ne pouvans,eftans en cette crain-
te,remarquer fi exactement les mauvaifes poftures de Thorn-
me : & fi par hazard il y en avoit aucune , la rudeffe du ma-
niment du cheval feroit une excufe legitime en leur endroit;
ce qu'elles ne font nullement en l'exercice de courre la ba-
gue : tellement qu'il faut eftre bien afleuré de I'execution
de ce qu'on veut entreprendre , auparavant que de fe pre-
fenter devant elles pour cet effe£t -, car fi par hazard quel-
qu'un manque au moindre poinft, & qu'il commette une
feule faute , jamais il ne la peut reparer, Sc demeure tous-
jours en mauvaife reputation en leur endroit.
LE ROY.
Dites-moy auffi la raifon pourquoy vous faites porter la
lance vers l'oreille gauche du cheval ?
PLUVINEL
SIRE, V. M. remarquera , s'il luy plaift , que les ma-
neigés relevez n'eftoient pas anciennement en ufage corn-
ine ils font à prefent, & que lès exercices les plus frequents
à cheval des Roys & des grands Princes eftoient de rompre
des lances en lice les uns contre les autres,pour s'accouftu-
mer à faire la mefme chofe, & s'y rendre plus adroits en la
guerre & aux combats. Pour cet effect mefmes les Capitai-
nes de gens-darmes & de chevaux legers s'y exercent dans
leurs garnifons avec leurs compagnons,afin de rendre & eux
& leurs chevaux experts en cet exercice pour s'en fervir au
befoin. Mais pource qu'il y a grande peine & quelque fois
du peril de courre fi fouvent les uns contre les autres en li-
ce, & encor davantage à camp ouvert : ils s'aviferent, pour
eviter cette peine & ce peril, de prendre un anneau de la
hauteur d'un homme à cheval,& le mettre du cofté que pou-
voit
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D V R O Y.                           121
voit venir leur ennemy , qui eft le gauche , puis armez de
toutes pieces ils s'accouftumoient eux & leurs chevaüx à
courre jufte,& leur portoit cela tei profit, qu'ils s'ajuftoient
tout auffi bien que s'ils euffentcouru runcontrel'autre : n'y
ayant den qui ajufte tant le gendarme à bien manier fa lan-
ce, & en faire tout ce qu'il defire, que les frequentes cour-
fes de bague,- ayant veu un exemple fi figliale pour prouver
cette verité,queles ignorans mefnies le fcachanSjn'en fcau-
roient apres douter avec raifon. Ce que je veux dire à vo-
ftre Majefté, (SIRE) eft le combat des Sieurs de Ma-
rolles & de Marivault, qui fe fit durant le fiege de Paris, au
milieu de l'armèe du feu Roy voftre Pere , & de celle de la
Ligue. La veilìe du combat le Sieur de Marolles ayant veu
le Sieur de Marivault avec un habillement de tefte à grille ,
dit à ceux qui eftoient aupres de luy, fi demain il fe prefen-
te devant moy la tefte armée de la forte , affeurément il y
perdra la vie ; fe fentant tellement feur de fon dire par le
long ufage des courfes de bagues arme , que le lendemain
le Sieur de Marivault fe treuvant avec le tnefme habille-
ment de tefte,il ne manqua de luy donner juftement au lieu
où il avoit dit, le portant par terre roide mort fur la place :
qui eft (SIR E ) pour faire cognoiftre a voftre Majefté ,
comme quoy l'exercice ordinaire de la bague, outre ce
qu'il eft agreable à voir, eft neceffaire pour ceux qui fe veu-
lent fervir dune lance : & que la raifon , pour laquelle elle
fe doit porter panchée fur 1'oreille gauche du cheval, eft
que l'ennemy vient toufiours de ce cofté là. .
LE R O Y.
Quand le gendarme eft en bonne pofture fur fon che-
vai , fa lance bien placée fur fa cuifle > qu'eft il befoin qu'il
farle ?
PLU.VINEL.
SIRE, Il faut cheminer de bonne grace, & en bonne
pofture vers le commencement de la carriere , où eftant,
H h                                ilfe
-ocr page 159-
122                V I N S T R V C T I O N
il fe faut arrefter le dos tourné vers la bague , jufques à ce
qu'elle foit ajuftée au point qu'on defire : puis le Chevalier
ßi*- leverà fa lance de deflus fa cuiflTe de deux doigts , fans que
perfonne s'en appertjoive , & laiflera à l'inftant prendre une
demie volte terre à terre à fon cheval à main droite en en-
trant dans la carriere,puis fera quelqu'une des belles actions
de la lance en partant, que je diray cy-apres , & continue-
rà la courfe de bonne grace jufques à farreft , qu'il execu-
tera avec la mefme gaillardife, & gentillefle : remarquant
voftre Majefté, qu'il n'y a que trois principales chofes pour
acquerir la reputation d'eftre beau & bon gendarme , qui
font la grace & l'air de la lance au partir, fa defcente dou-
ce & ferme tout le long de la courfe , & la mefme bonne
grace, vigueur & gentillefle à l'arreft.
LEROY.
Or done, Monfieur de Pluvinel,parlons diftinétement de
toutes ces chofes,& me les enfeignez par ordre : Premiere-
ment je feray bien prendre à mon cheval la demie volte ter-
re à terre, à main droite, en entrant dans la carriere : mais
dites-moy de quelle longueur il faut qu'elle foit, & à quelle
hauteur vous ajuftez la bague; puis nous parlerons aprés du
furplus.
PLUVINE L.
S I R E, La longueur de la carriere doit eftre mefurée
felon la viftefle , & là force du cheval : fi le cheval eft fort
vifte, la carriere doit eftre plus longue ; fi moins vifte , plus
courte. Mais pour les chevaux les plus viftes , cent pas de
courfe jufques à la bague fuffifent, & trente pas d'arreft :
& pour les vrais chevaux de bague , qui courrent tride &
n'avancent pas tant, quatre-vingt pas de courfe fuffifent, &
vingt pas d'arreft. La hauteur de la bague doit eftre jufte-
ment un peu au deflus du fourcil gauche , d'autant que les
chevaux fe baiflent toufiours en courant. C'eft pourquoy
il la faut laifler un peu plus bafle : car qui la mettroit au dei-
fu s
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D V R O Y.                         123
fiis de la tefte , elle fe treuveroit trop haute en courant , &
ne fe pourroit-on pas fi facilement ajufter.
MONSIEUR LE GRAND.
SIRE, Il fera à propos que Monfieur de Pluvinel,
avant que pafler outre , vous donne la raifon pourquoy il
delire que le cheval en entrant dans la carriere,tourne plus-
toft à main droite qu'à main gauche -, & pourquoy il veut
que le gendarme commence fa courfe en tournant plustoft
qu'arrefté. Car j'ay veu plufieurs bons gendarmes autre-
fois difputer fur le premier poinót de tourner à main droite,
plustoft qu'à main gauche en entrant dans la carriere.
P L U V 1 N E L.
SIRE, Monfieur le Grand a dit tres-vray à V. M. qu'il
y a plufieurs gendarmes qui difputent à quelle main il faut
faire tourner le cheval en entrant dans la carriere;mais pour
moy je ne trouve nulle raifon à leur difpute , & conclus
hardiment qu'il faut toufiours tourner à main droiterpour ce
que la pluspart des chevaux s'efloignentordinairement de la
muraille, & quali tous partem avec impatience; qui eft cau-
fe que d'eux-mefmes tournans a main droite , ils fe jettent
en dedans vers la muraille : que fi on tournoit en partant à
main gauche , l'impatience jetteroit afleurément le cheval
trop en dehors , éloigné de la muraille & de la porte de la
carriere, qui cauferoit la courfe fauffe & de mauvaife grace,
eftant trop efloignée de la bague. Les raifon s , qui m'obli-
gent à confeiller au gendarme de commencer fa courfe en
tournant, font deux : La premiere , qu'il fe treuve fort peu
de chevaux qui ayent accouftumé de courre , qui puiflent
demeurer en patience dans la carriere , la tefte vers la ba-
gue ; tant l'inquietude d'achever leur courfe les prefle de
commencer, laquelle inquietude il eft tres-mal aifé de vain-
cre , & de difputer avec fon cheval au commencement de
la carriere , la lance en la main, & preft à partir ; outre qu'il
auroit tres-mauvaife grace : cela ne fe pourroit faire fans
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i24                L'INSTRVCTION
que l'homnie fortift de fa bonne pofture , qui rendroit fon
partir desagreable , & fa courfe mauvaife. L'autreeft
que partant en tournant, outre que ces accidens font évi-
tez , cela tefmoigne plus de vigueur au partir , & donne
plus d'air au Chevalier, que non pas de commencer de
fang froid.
LE ROY.
Parlons à cette heure de l'a&ion de la lance au partir , &
de quelle forte vous defirez que le gendarme commence fa
courfe.
P L U V I N E L.
SIRE, J'ay desja dit à voftre Majefté qu'il faut, aupar-
avant que commencer fa demie volte à main droite,
lever la lance de deffus la cuifle de deux doigts , fans
que perfonne s'apperfoive.qu'elle foit hors de fa place. A
prefent je vous diray que je pratique quatre fortes d a-
étions de la lance au partir , defquelles chacun fe peut fer-
vir felon fa fantafie , & felon le befoin : Car encor quune
action au partir peut fuffire au gendarme,pour faire une bel-
le & bonne courfe : neantmoins la diverfité, qui n'eft point
fauflTe ny contre les reigles des belles & bonnes courfes, eft
toiifiours bieh feante ; & fait eftimer celuy qui execute
chofes difFerentes avec liberto , & fans contrainte , f9avant
en l'exercice duquel il fe mefle.
LE R O Y.
Donnez-moy à entendre quelles font les actions que
vous faites de la lance au partir , afin qu'en les prenant, je
me ferve de toutes quatre , ou de celle que je treuveray le
plus à ma fantafie.
PLUVINÉL ,
SIRE, la premiere s'execute en cette forte ; cefi:
' qu'en mefme temps que le cheval fait le premier eflans dans
la
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D V R O Y.                          125
la carriere pour commencer fa courfe , le gendarme doit
lever fa lance du mefme endroit où elle eft tout d'un coup
avec vigueur , fans qu'il remile autre chofe que le bras , &
doit placer fa main vis à vis de fon oreille droite , prenant
garde de n'efcarter pas tant le poing, que la lance fuft trop
efloignée du vifage, ny auffi de le ferrer fi prés que la fa-
ce fuft ouverte ; fuffifant feulement que le gendarme fé vo-
ye, fans qu'il y aye d'intervalle entre fa lance & fon vifage :
puis la lance eftant placée en cet endroit, l'y laifler dix ou
douze pas dans la carriere avant que commencer à baifTer.
Apres laifler defcendre tout doucement, en ramenant le
poing en fa place proche de l'arrefl: de la cuirafle , & en
l'ajuftant à la bague ; laquelle paflee il faut lever la pointe
droit en l'air, eìcartant un peu le bras en dehors en levant,
mais fi peu qu'il n'y paroifle , & du mefme air & vigueur
que le partir. Puis arrefter le cheval de bonne grace, jufte
& droit dans la carriere , & arrefté remettre la lance fur fa
cuifle, ou la donner à un Efcuyer, ou Page, pour la rappor-
ter proche du partir.
LE ROY.
Voylà la premiere aófcion de la lance, venonsauxau-
tres.
PLUVINEL
SIRE, la feconde eft prefque femblable à cette pre-
miere ; la difference qu'il y a, eft que quelques uns treu-
vant de la difficulté à ramener le poing en fa jufte place, de
Tarreft de la cuirafle,en mefme temps que la pointe de la lan-
ce baifle : j'ay treuvé ce moyen pour leur faciliter la courfe
en cette forte : lors que la lance eft au poing du partir que
j'ay dit cy-deflus, à l'inftant mefme , & prefque d'un temps,
je fais remettre le poing en la place de l'arrefl: de la cuirafle,
fans toutesfois laifler tomber la pointe de la lance , que le
poing ne foit place, puis on acheve la courfe , & l'arrefl: de
la mefme forte cy-deflus.
li                               LE
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iz6                L'INSTRVCTION
L E R O Y.
Je croy que cette feconde eft plus facile que la premie-
re, en ce qu'à la premiere il y a de la peine & du foin à bien
ramener le poing, Sc laiffer tomber la pointe de la lance
tout enfemble : mais à celle-cy le poing fe ramenant au
mefme inftant qu'il fe leve, le gendarme n'a plus à fonger
qu a bien ajufter fa lance à la bague, & bien faire fon arreft*
mais voyons qu'elle fera la troifiefme.
P L U V I N E L.
SIRE, La troifiefme n'eft pas fi diffìcile que la premie-
re , & la fais pour s'en fervir en deux occafions , f^avoir eft
quand on court par un grand vent, ou quand on rompt en
lice, je l'execute en cette fa^on : Entrant dans la carriere,
au lieu de lever la lancej'efcarte un peu le troni^on fans gue-
res bouger le poing de fa place, & le paffe par deffus l'arrefl
de la cuiraffe, ( ou à l'endroit auquel il doit eftre fi je cours
desarmé)fans faire plus grande a&ion qu'un petit demy cer-
cle, pour mettre feulement le tron£on de la lance fur Tarrefl
fans qu'il y touche , faifant le mefme partir quand je cours
par un grand vent ; pour ce qu'en pareils temps , il y auroit
crainte que levant la pointe de la lance haut, le vent la pre-
nant,la portaft trop en dedans,trop en dehors,ou la fift ren-
verfer en arriere : toutes lefquelles chofes feroient tres-mal
feantes. La lance eftant done fur 1'arreft , au lieu que je ne
faifois commencer les courfes cy-devant que dix pas avant
dans la carriere, en tenant la pointe de la lance ferme , juf-
ques à cette diftance j à celle-cy je commence à laiffer tom-
ber la pointe dés que la lance eft en fa place,afin qu'en rom-
pant en lice , je fois plütofl preft & ajufté pour rompre , &
courant la bague par le vent qu'il n'ofte la lance de fa place,
fi elle demeuroit tant foit peu en l'air fans baiffer.
LE ROY.
Cette troifiefme eft bien feure ; mais audi je croy qu'el-
le
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D V R O Y.                       x27
le n'a pas fi bonne grace, pour ce quelle n a pas tant dair au
partir. Mais voyons quelle eft la quatriefrne.
P L U V I N E L.
SIRE, La quatriefrne eft la plus difficile à bien execu-
ter , mais auffi eftant bien faite elle a meilleure grace qu'au-
cune des autres. Et afin que voftre Majefté la puifle mieux
comprendreje la fuppliede regarder comme quoy je feray.
Confiderez en premier lieu la lance fur ma cuifle : puis
quand le cheval eft preft de prendre fa demie volte à main
droite, & ma lance levée de deux doigts,comme cy-devant
jay dit i voyez de quelle forte le cheval ayant pris un quart*«*-
de volte , & monftrant le cofté droit dans la carriere , je '
laiffe tomber le poing le long de ma cuiile, ma lance en fon
contrepoids dans ma main , la pointe toufiours panchée fur
l'oreille gauche de mon cheval. Puis dés qu'il met la tefte
dans la carriere , regardez , s'il vous plaift, comme au pre-
mier temps de la courfe , j'eflargis le poing de la lance , &
en montant & eflargiflant dun mefme temps à bras eften-
du, je fais un demy cercle, & paffe juftement ma main pro-
che de mon oreille droite , au mefme lieu que j'ay monftré
à voftre Majefté au premier partir , fans que pour cela ma
lance forte de la jufte ligne,qui tombe droitement à l'oreil-
le gauche du cheval. Le refte de la courfe s'acheve comme
la premiere 3 & tous les arrefts femblables. Car je ne con-
feille point à l'arreft de faire comme beaucoup , qui ayans
pafTé la bague,au lieu de lever la lance en haut, au contraire
ils baiflent le poing, & font comme s'ils vouloient donner
une eftocade à la fefle de leur cheval. Laquelle chofe ou-
tre qu'elle n'eft nullement de bonne grace , elle eft du tout
fauflfe : parce qu'il en peut arriver accident qui obligeroit
à rire la compagnie , & qui déplairoit à celuy à qui il feroit
advenu , qui eft qu'en retirant ainfi le bras en arriere avec
force, fi par hazard mettant un dedans , il n'eftoit du tout
franc , & qu'il n'y euft que le bout de la pointe de la lance
dans la bague, en la retirant avec force en arriere ; il n'y a
nulle
-ocr page 165-
128               LIN ST R V C T I O N
nulle doute que la bague tomberoit,& par confequent per-
due pour le gendarme j ce qui ne feroit ad venu portant la
lance à l'arreft, comme jel'ay dit à voftre Majefté.
LE R O Y.
N'avez-vous plus rien à enfeigner au gendarme, pour fai-
re de belles & bonnes courfes ?
PLUVINEL
SIRE, J'ay encore à luy dire , que ce n'eft pas tout
au Chevalier d'eftre bien place dans la felle , ny de bien
porter fa lance au partir durant la courfe, & à l'arreft : mais
il faut qu'il fonge à faire en forte que l'envie de gagner le
prix ne luy face perdre fa bonne pofture du corps & des
jambes : du corps , en portant l'efpaule droite trop en ar-
dere , & le vifage de travers , qu'on nomme faire l'Arba-
leftrier : au contraire faut les porter droit, & la face audi,
ne faire aucune grimace des yeux , ny de la bouche , ne
branfler & ne baifler la tefte en paflant fous la bague , ne
battre fon cheval pendant la courfe , mais tenir fes jambes
fermes, & non trop esloignées ; bref, eftre jufte , droit, &
libre fans affe&ation.
LE ROY.
Monfieur le Grand , voyons fi j'auray bien retenu tout,
ou partie de ce que Monfieur de Pluvinel m'a dit, pour fai-
re de belles & bonnes courfes de bague, & fi je pourray le
mettreen pratique.
MONSIEUR LE GRAND.
SIRE, Je loue Dieu dequoy la generofité de voftre
courage vous porte à entreprendre ce que vous n'avez ja-
mais pratique fans aucune crainte, & avec afleurance de n'y
manquer : qui doit faire juger à toute cette compagnie que
voftre Majefté eftant en fa force , & en fa vigueur , entre-
prendra & executera auffi facilement les belles & grandes
aétions,
-ocr page 166-
D V R O Y.                      >9
aftions 5 comme elle fait à prefent tout ce a quoy elle s'era-
ploye : laquelle efperance & aflfeurance tout enfemble, eft
fi douce à toute voftre Nobleffe, qu'elle attend, je m'eti af-
feure , avec impatience ceft agreable temps, auqtiel elle
verrà voftre Majefté remplie de taut de gioire & de trioni-
phes , par l'execution de mille belles conqueftes 5 quelles
n'eterniferont pas feulement le nom de voftre Majefté,mais
auffi la memoire de ceux qui auront eil l'honneur de luy
faire compagnie : ce qui doit veritablement obliger ceux
qui font nais fous un fi heureux regne , de benir le jour de
leur naiffance , puisque le premier aage de voftre Majefté
fait cognoiftre avec certitude , qu'ils feront un jour com-
mandez par le plus vertueux & genereux Monarque qui
jamais ayt regné dans le monde.
LE ROY.
Monfieur le Grand 3 je mettray peine de faire en for-
te que vos attentes & vos efperances ne foient pas vai-
nes,- c'eÖ: pourquoy, Monfieur de Pluvinel, puisque je
fuis fur la carriere , faites-moy venir un cheval de bague ,
afin que j'efpreuve , ayant encore la memoire recente de
ce que vous m'avez dit, fi je pourray faire quelque bonne
courfe.
PLÜVINE L.
SIRE, Voilà voftre Majefté fort droite dans la felle *
mais je la fupplie auparavant que de prendre la lance *
qu'elle aye agreable de paffer une carriere, afin de fentir di-
ftinfitement le partir du cheval, la courfe , &rarreft, en
gardant la bonne & jufte pofture en laquelle elle eft à
prefent.
MONSIEUR LE GRAND.
SIRE, Si vous continuez de la forte, vous ferez en
fort peu de temps parfait gendarme.
K k                         PLU-
t
-ocr page 167-
i3o               UINSTRVCTION
P L U V I N EL.
SIRE, II y a fort peu à dire : c'eft pourquoy voftre
Majefté pourra prendre une lance quand il luy plaira. Car
pourveu quelle fonge à n'advancer pas tant le corps en
avant, & y pouffer l'efpaule droite , tout le refte eft fort
bien : quelle fe fouvienne, s'il luy plaift , en prenant la lan-
ce , de la placer de bonne grace fur la cuifle , & de choifir
quel partir des quatre que je luy ay dit cy-deffiis , elle aura
agreable de faire.
LE ROY.
%.. Je veux faire le premier partant ; donnez-moy cette lan-
ce, & prenez garde avant que je commence la courfe deux
ou trois fois,fi je la placeray bien fur la cuifle : Si je feray la
levée du partir de bonne grace : Si en laiflTant tomber la
pointe, je rameneray bien le poing en fa place, & fi en Tar-
reft en le relevant, je donneray lair qu'il faut.
UUVINEL
SIRE, Si voftre Majefté fait de mefme quand le che-
vai courra,comme elle vient de me monftrer, je n'auray pas
grande peine à l'enfeigner, pource qu'elle a fort bien exe*
cute ce que je luy ay dit ; feulement elle prendra garde, en
levant la lance, que ce foit le bras feul, & non pas le corps
qui bouge de fa place.
LE R O Y.
Or fus, Monfieur le Grand, prenez garde, je vay faire ma
premiere courfe pour l'amour de vous.
MONSIEUR LE GRAND.
SIRE, Que je baife la main de voftre Majefté , pour
la grande faveur qu'elle me fait, laquelle je nbublieray ja-
mais.
PL U-
-ocr page 168-
D V R O Y.                           131
PLUVINEL
SIRE, que voftre Majefté prenne un peu foin de fer-
rer les cuifles, principalement au partir , afin de bien entrer
le corps & la lance jufte dans la carriere : Car tout homme
qui part bien, c'eft grand hazard fi la courfe n'eft bonne :
comme auffi fi le partir neft bon, il eft prefque impofllble
que la courfe le puifle eftre.
MONSIEUR LE GRAND.
Puis que parmy l'honneur que V. M. m'a fait de courre
cefte premiere courfe pour l'amour de moy, je fuis encor fi
heureuxqu'elle foit bonne:j'ofe la fupplier tres-humblement
dans trois ou quatre jours au plus, d'aller faire cet exercice
dans la place Roy alle , a la veué de tout le monde : afin de
faire cognoiftre non feulement à voftre Noblefle, mais à vo-
ftre peuple, l'excellence miraculeufe de voftre efprit.
PLUVINEL.
SIRE, je trouve fort peu à dire que cette courfe ne
foit telle que je la defire, & puis affeurer V. M. n'en avoir
jamais veu qui en ayt peu faire autant en deux mois, quel-
que bon efprit qu'ils ayent eu. Et tout ce que j'y remarque
dedefFaut, eft qu'au partir la pointe de la lance a efté en
dehors & non fur l'oreille gauche : dans la courfe en rame-
nant le poignet, le coude a efté un peu trop ferré , & ap-
prochant de la bague ; V. M. a tire 1'efpanle droite en arrie-
re ; à toutes lefquelles chofes elle prendra ( s'il luy plaift )
garde à la courfe qu'elle va faire.
MONSIEUR LE GRAND.
SIRE, voftre Majefté va augmentant à veuè d ceil,
pource que le corps a efté fort droit.
PLUVINEL.
S IR E, je croy qu'à ce matin voftre Majefté fé fera bon
gen-
0
-ocr page 169-
ija                 L'INSTRVCT'ION
gendarme , le corps a efté.bien droit, le coude n'a pas efté
ferré , ny la pointe de la lance en dehors } mais les jambes
ont un peu branflé le long de la carriere , faute d'avoir ferré
les cuifTes au partir. Pour l'arreft , le bras n'a pas efté aflez
eftendu ny libre. Mais je m'afleure que voftre Majefté y
prendra garde à cette fois.
LE RO Y.
Monfieur le Grand , je vay faire la feconde levée de la
lance que Monfieur de Pluvinel m'a cy-devant dit, qui eft
de ramener le poing en fa place en levant.
PLUVINE Li
SIRE, ayez done memoire, en entrant dans la carriere,
de faire trois aótions en un moment, ferrer les cuifTes,
poufTer l'efpaule droite en avant, & le corps un peu en ar-
dere. Et en levant la pointe de la lance,qu'elle foit toufiours
fur 1'oreille gauche du cheval.
MONSIEUR LE GRAND.
SIRE, voylà la meilleure courfe que voftre Majefté ayt
faite , Sc m'afTeure qu'il y a plufieurs gendarmes fur cette
carriere qui ne pourront pas faire mieux.
PLUVINEL.
S IR E , il eft vray qu'elle a efté bonne , & trop pour le
peu de temps : mais je fupplie V.M. d'en courre encor une,
qu'elle prenne garde que la lance ne touche au cofté, ny au
bras,ce qui n'arriverà en haufTant un peu le coude : & pour
ajufter la lance,ilfaut fouftenir juftement au deflusde la ba-
gue, pource qu'ordinairement on ne manque qu'en don-
nant trop bas.
LEROY.
Monfieur le Grand, je vay courre cette derniere,& met-
tray peine d'executer tout ce que Monfieur de Pluvinel
m'a dit.
                                                                M O N-
«
-ocr page 170-
D V ROY.                       13?
MONSIEUR LE GRAND.
SIRE, puifque voftre Majefté a refolu de faire une
belle & bonne courfe , afin qu'elle foit meilleure & plus
heureufe, j:e la fupplie tres-humblement, que ce foit pour
l'amour de la Reyne ; & fans doute elle treuvera que cette
penfée l'animerà, de forte que nous nous treuverons tous
remplis d'admiration ; car voftre Majefté remarquera , s'il
luy plaift, que les faveurs des Dames ont de tout temps fait
faire des merveilles aux Chevaliers.
LE ROY.
Monfieur le Grand, je veux bien que ce foit pour l'amour
d'elle : mais puifque cela eft, je veux empörter la bague.de
bonne grace.
MONSIEVR LE GRAND.
Etbien(SIRE) la penfée que voftre Majefté a eue
pour la Reyne,n'a elle pas reüffy heureufement & felon vo-^*-
ftre defir, puifque vous avez empörte la bague, par la plus"'43
belle courfe qui fe puifle faire, & m'affeure que Monfieur
de Pluvinel fera de mon advis.
p L u v 1 N e L.
Il n'y a rien au monde qui anime tant les braves coura-
ges à bien executer tous les exercices de plaifir,que les bel-
les & vertueufes Dames, pour ce que les Chevaliers ne les
ont inventez que pour leur faire paffer le temps. C'eft pour-
quoy V. M. en penfant à la Reyne , n'a manqué à aucun
poind de tout ce que je luy ay dit, & a fi bien couru cette
derniere , que fi elle continue encor une autre matinée de
mefine, je n'auray plus que faire de luy parler.
LEROY.
le veux done defeendre & m'en aller für cette bonne
efcole, remettant à vous entretenir du furplus que vous
LI                            avez
-ocr page 171-
134                 L'INST.RVCTION
avez à me dire, à l'iffue de mon difner ; car je ne veux rien
obmettre de tout ce qui concerne la fcience de la Cavale-
rie que je n'entende. Seulement dites-moy auparavant que
je forte , s'il y a encor beaucoup de chofes à dire fur ce
fubjed.
PLUVINE L.
Non (SIRE) je nay plus à vous declarer que la ma-
niere de rompre des lances en lice les uns contre les au-
tres, armez de toutes pieces, & apres comme il faut com-
battre à che vai l'efpée à la main.
L E R O Y.
Puis qu'il me refte fi peu à entendre, continuez à me dire
ce que c'eft de rompre enlice, & comme quoyillefaut
faire.
PLUVINE L.
SIRE, Anciennement les Chevaliers rompoient des
lances dans la campagne à camp ouvert, fans lices : mais il
en arrivoit tant, & de fi grands accidents , foit par la perte
de la vie des homraes & des chevaux, que pour éviter à ces
maux, on a inventé premierement une haute lice, qui cou-
vre le cheval & l'homme jusques a l'arreft de la cuirafle.
Puis on treuva les bafles lices de la hauteur du gras de la
jambe du Chevalier , qui fervent pour empefcher que les
chevaux,fur lesquels on a fouvent rompu des lances, & qui
craignent le choc , ne s'efcartent de la carriere ; & pour
autànt que les homines, nonobftant toutes ces chofes, ne
laiflòient fouvent de fe faire mal par les grands coups qu'ils
recevoient dans leur habillement de tefte, qui mettoit fou-
vent leur vie en hazard , on trouva moyen de s'armer con-
tre ces perils ; premierement d'arrefter la fallade, au devant
& au derriere de la cuirafle avec deux bons avis^puis un pla-
stron tout d'une piece,qui couvre le devant de la cuirafle,f9a-
voir eft tout le cofté gauche,& lefpaule jusques au gantelet,
le
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D V R O Y.                       135
le cofté droit jusques à l'arreft, laiflänt le bras de la lance H-
bre,& la fallade jusqu'à 1'endroit de la veué. Tellement que
l'homme arme en la forte eft hors de ces dangers. Mais
auffi il ne peut haufler , baifler, tourner la tefte , ny remuer
1'efpaule gauche ; feulement il luy refte le mouvement de-
puis le coude pour pouvoir arrefter fon cheval : & fert cet~
te forte d'armes à ce que les coups de lance donnez à 1'en-
droit de la gorge , & au deflus , ne f^auroit renverfer la te-
fte arreftée par les deux avis,& par ce plaftron que les gen-
darmes nomment la haute piece,laquelle garde audi que les
coups portez ne puiflent nuire au Chevalier arme de la forte.
LEROY.
Je croy que l'homme ainfi arme a bien de la peine à rnon-
ter fur fon cheval, & eftant deflus à s'en bien aider.
P L U V I N E L
SIRE, II luy feroit bien difficile,mais en l'armant de la
forte , on a pourveu a cela. C'eft qu'aux triomphes & aux
tournois, oìi il eft queftion de rompre des lances, il y doit
avoir aux deux bouts de la lice un petit efchaffaut de la hau-
teur de l'eftrieu du cheval > fur lequel deux ou trois perfon-
nes peuvent tenir, f9avoir eft le gendarme , un armurier
pour farmer, & quelqu'autre pour luy aider : eftant necef-
faire en fes aótions perilleufes que l'armurier foit toufiours
proche , & arme les combattans : afin que rien ne man-
que, & que tout foit jufte. Puis l'homme eftant arme , on
luy amenera fon cheval proche de cet efchaffaut, fur lequel
il fé peut facilement placer pour commencer fa courfe : car
voftre Majefté remarquera, s'il luy plaift, que pour rompre
des lances en lice , il ne faut pas commencer fa carriere en
tournant, pour deux raifons : La premiere, qu'eftant pefam-
ment & incommodément arme , le gendarme pourroit fé
desajufter de fa bonne pofture,qui luy porteroit grand pre-
judice au rencontre furieux de fon ennemy. La feconde,
qu'il faut partir tous deux enfemble , afin de fé rencontrer
au
-ocr page 173-
m                L'INSTRVCTION
au milieu de la lice , oil d'ordinaire fe placent tout vis à
vis , le Roy , la Reyne , les Princes & Princefles , .& les
plus Grands : ce qui ne fe feroit pas juftement, fi on com-
mei^oit fa courfe par une demie volte. C'eft pourquoy il
faut que les chevaux , pour faire cet exercice , foient gran-
dement patiens au partir, & accouftumez à demeurer arre«
ftez la tefte dans la carriere & fans inquietude , tant qu'il
plaift au gendarme.
LE ROY.
Quels chevaux treuvez-vous les plus propres à cet exer-
cice ?
PLUVINEL.
SIRE, Les plus viftes font les meilleurs , & ceux qui
font recevoir le plus grand choc,pourveu qu'ils foient aflez
forts de reins & de jambes pour les fouftenir ; qui me fait
eftimer les forts Courciers, ou les chevaux d'Allemagne,ou
de taille pareille, les plus propres, ne fe rebutant pas fi toft
des rüdes rencontres que les chevaux d'Efpagne , & les
Barbes, qui font trop foibles, & qui ne pourroient porter le
gendarme fi pefamment arme.
LE ROY.
Eg*- Quand le Chevalier eft bien arme fur fon cheval, & lan-
' ce en la main , preft à commencer fa courfe , comme quoy
defirez-vous qu'il Texecute ?
PLUVINE L.
SIRE, J'ay desja dit qu'il eftoit befoin que les deux
gendarmes partiflent enfemble , pour fe rencontrer au mi-
lieu de la carriere : en partant je veux qu'ils facent la qua-
triefme levée, que j'ay cy-devant declarée à voftre Majefté,
& qu'en mefme inftant ils pofent l'arreft de la lance fur l'ar-
reft de la cuiraflfe, & au lieu de laifler tout doucement
tomber la pointe de la lance , j'entends qu'elle foit tout à
fait
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D " V ' R O Y.                        137
fait en la place pour rompre, vingt pas avant de rencontrer
fon ennemy , arm d avoir plus de loifir de s'äjufter ,& don-
ner au lieu qu'on delire , pour rompre de bonne grace , &
prendre garde de ne ferrer pas la lance dans la main en cho-
quant, de crainte que fe rompant dans la poignée,elle ne fé
blefle la main qui fe trouveroit ferree. Ce qui arrive aflez
fouvent à ceux qui ne ffavent pas ce fecret. II fuffit feule-
ment que la main ferve pour fouftenir la lance fur l'arreft
de la cuirafle , & pour ajufter le coup oil on delire. Puis la
lance rompue , fi elle fe brife dans la poignée , il faut faire
fon arreft de bonne grace , en levant le refte du tronca
qui demeure dans la main : & l'arreft fait, la jetter hors la
lice dans le champ. Mais li la lance fe rompoit dans la poi-
gnée , il faut en faifant fon arreft de bonne grace, haufler la
main & fecouer le gantelet, pour monftrer aux regardans
qu'on n'eft pas eftonné du choc.
LE R O Y.
En quel endroit defirez-vous que le gendarme rompe ,
fon bois ?
PLUVINEL
j
SIRE, Le vray endroit pour rompre de bonne grace , &&*•
eft de rompré depuis la veue jusques à l'efpaule du cofté'"4 '
gauche ; mais les meilleurs coups font dans la tefte.
LEROY.
Dites moy ce que c'eft les deux arrefts, celuy de la lance
& celuy de la cuirafle.
P L ti V I N E L.
SIRE, L'arreft de la cuirafle eft une petite piece de
fer, longue de demy pied,& large de deux doigts, attachée
à deux bons avis au cofté droit de la cuirafle, quatre
doigts au defliis de la ceinture , qui avec une charniere fe
plie , pour n'incommoder le bras du Chevalier hors de la
M ni                           carne-
-ocr page 175-
i38                tlNSTRVCTION
carriere , lequel arreft le gendarme abaifle quand il veut
courre : celuy de la lance eft une forte courroye de ciiir,
large dun bon doigt, qui fait deux tours à l'entour du tron-
^on de la lance , proche du derriere de la main : auquel lieu
elle eft clouée de bons cloux tout autour, & fert cet arreft
pour pofer au defliis de celuy de la cuiraflfe -, d'autant que
fans cela la main ne feroit aflez forte pour rompre de grof-
fes lances de guerre. Et fi par hazard quelque mauvais
gendarme manquoit de faire tenir l'arreft de la lance fur ce-
luy de la cuiraflfe lors du rencontre , il n'y a doute qu'il fe
romproit le poignet de la main.
LE ROY.
Parlons à cette heure de la Quin&aine,& me dites ce que
c'eft, & comme quoy vous voulez que Ton s'en ferve.
PLUYIN'EL
SIRE, Quelquesfois les Chevaliers fe laflfent de faire
une mefme chofe, de rompre en lice les uns contre les au-
tres , ils y treuvent trop de peine , & quelquesfois du mal
pour le continuer fi fouvent; de courre la bague, ils y pren-
nent bien plaifir, & peu fouvent s'en laflent : mais ils n'efti-
ment pas cet exercice aflez Martial ; c'eft pourquoy les plus
inventifs ont trouvé un Milieu, qui eft une figure d'homme,
qu'ils placent au mefme endroit que celuy qui courroit
en lice contre eux, & de la mefme hauteur. Et là armez ils
rompoient leurs lances,s'ajuftans contre cette figure d'hom-
me qu'ils nomment Quinótan, tout audi bien que contre un
gendarme naturel : & en cette forte ils rencontrent un Mi-
lieu', outre la furie de rompre en lice les uns contre les au-
tres , & la gentillefle de la courfe de bague : l'endroit pour
rompre eft dans la tefte , les meilleurs coups font au deflus
des yeux dans le front, les moindres au deflbus. Et fi quel-
que mauvais gendarme donnoit dans un efcu que le Quin-
&an porte au bras gauche, il tourne fur un pivot, &
tafche de frapper celuy qui s'eft fi mal fervy de fa lance , le-
quel
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D V ROY.                       ii9
quel courant en partie, eft dehors & perd fes courfes pour
punition de fa mauvaife grace. On peutàcet exercice fai-
re celle qui plaift le plus de quatre levées, que j'ay dites à
voftre Majefté , pource que les lances, defquelles on court
contre le Quinctan,font foibles, & fe peuvent rompre fans^
arrefts, mefme le plus fouvent on s'y exerce en pour-"
point.
LE ROY.
Il ne refte done plus à cette heure à me dire finon la ma*
niere de combattre à che vai, à l'efpée.
PLUVINEL '
SIRE, pour faire cet exercice comme il eft requis , il
eftbefoinque le cheval lentende, & que le Chevalier le
f£ache mener de bonne grace. Car plufieurs fe treuvent
lefquels font plustoft rire la compagnie par leur mauvaife
pofture , & par leurs geftes ridicules , qu'il vaudroit mieux
à telles gens demeurer dans leur logis, que d'entreprendre
ce qu'ils n'entendent pas : acquerant par ce moyen reputa-
tion d'ignorants, & d'imprudents tout enfemble.
LE ROY.
Que defirez-vous done de l'homme & du cheval, pour
eftre dignes de paroiftre en bonne compagnie avec hon-
neur en Taction dont nous parlons.
PLUVINEL.
SIRE, Je diray premierement, que fans un bori cheval
qui aye toutes les parties requifes en cette adion , le meil-
leur Chevalier du monde & le plus adroit n'y fjauroit ac-
querà que de la honte. Il faut done quii foit de taille afTez
forte & non trop foible,proportionnée à celle du Chevalier,
& qui le puifle franchement porter arme : qu'il foit patient
& vigoureux , fe laiflant conduire de la main , & des ta-
lons , au gallop , à toute bride, arreftant jufte & ferme, ma-
niant
-ocr page 177-
i4o               riNSTRVCTIO N
niant terre à terre vigoureufement fur les paflades furieu-
fes : fur les demies voltes 5 & fur les voltes, faifant rou-
tes les actions à toutes les fois qu'il plaift au Chevalier , foie
large ou eftroit, long ou court, fans fe mettre en colere
pour la bride , pour les talons , ny pourquoy que ce foit,
& fans avoir peur des trompettes, tambours , des ar-
mes , ny d'aucuns inftruments de guerre. Quand à 1'honi-
me , il faut qu'il foit toufiours droit & bien place dans la
felle , fuivant la pofture que j'ay cy-devant fait voir à voftre
Majefté, furia perfonne de Monfieur de Termes , avec
une liberté , & fans aucune affectation , foit en faifant par-
tir fon cheval de la main , en le faifant manier, ou en l'ar-
reftant. Bref, je veux qu'il paroifle aufll libre dans fes ar-
mes , corame s'il eftoit en pourpoint, & qu'il face toutes
les actions du combat avec la mefme liberté : n'imitant pas
quantité de perfonnes qui marquent de la tefte 5 du corps,
des bras, & des jambes , tous les temps que fait leur
cheval, foit au galop , foit terre à terre , hauflant le bras
de l'efpée à contre-temps , ou le laiffant immobile , crians
perpetuellement, ouparlans à leurs chevaux. En pour-
point il eft quelquefois permis d'animer le cheval de la
voix : aux combats de la guerre le Capitarne peut faire le
femblable à ks compagnons : mais à ceux qui fe font fur
la carriere pour le plaifir, le Chevalier ne doit parler ny à
fon cheval, ny à fon ennemy : ains doit fonger feulement
a commencer , continuer & finir de bonne grace , ce qu'il
a entrepris : afin de remporter avec applaudifTement des re-
gardans, l'honneur & la gioire que inerite celuy qui s'en
acquite dignement.
LE ROY.
Quand l'homme & le cheval ont les qualitez que vous ve-
nez de me dire,ou quelques unes des plus neceflaires, (efhnt
bien difficile de les rencontrer toutes enfemble ) que defi-
rez-vous qu'ils facent ? .
PLU-
-ocr page 178-
r               D V R O Y.                       t4i
PLUVINEL
SIRE, II faut qu'ils fe placent au lieu marqué pour le ^
combat qui doit eftre entre la lice & l'efcharFaut, où vo-
ftre Majefté doit eftre, fi elle ne combat elle-melme : qu'ils
fe mettent à quarante pas de diftance Tun devant lautre,
l'efpée en la main, en mefme pofture que cy-devant j'ay
fait voir à voftre Majefté, qu'il faut tenir la houffine eftant
arrefté : & demeurant ferme, attendant le fon des trom-
pettes pour partir, lequel ne doit plustoft commencer que
chacun, ferrant les deux talons à foncheval, baiflant la
main de la bride de trois doigts , & hauflant le bras de tè-
pée,doit efchapper furieufement, paffer le plus prés de fon
ennemy que faire fe pourra, 8c en paffant donner un coup
d'efpée non fur la tefte à plain , de crainte que ne rencon-
trant l'homme, on bleflaft le cheval ,• mais fur le devant de
la face, tirant un peu vers le cofté gauche ; puis au mefme
endroitd'où fon ennemy eft party, prendre une demie
volte à courbettes : car c'eft là, comme cy-devant j'ay dit,
où les belles paflades relevées font neceflaires : afin que
fi quelqu'un des deux ache ve de tourner le premier, qu'il
attende que fon ennemy ayt fait le femblable, fon che-
vai demeurant en une place en la belle action des cour-
bettes : & eftans tous deux tournez , repartir en mefme
temps, le rencontrer, fe donner encor chacun un coup
d'efpée, & continuer de la forte jufques au troifiefme
rencontre.
LEROY.
Et à ce troifiefme rencontre, que defirez-vous qu ils fa-
cent ?
p'l u V I N E L
SIRE, H faut que les deux combattans foient d'ac-
cord au troifiefme rencontre,qu'au lieu de pafler outre pour
aller prendre la demie volte , de demeurer & tourner tous
N n                             deux
-ocr page 179-
i42                L'INSTRVCTION
deux fur les voltes, yis à vis l'un de l'autre, fé donnans con-
tinuellernent ( en s'attendans , afin de ne fe broüiller ) des
coups d'efpées, avec une aótion furieufe , & continuer jus-
ques à la troifiefme volte. Puis ayant juftement la tefte du
cofté qu'ils font entrez,chacun s'en doit retourner furieufe-
ment d'où il eft: party, faifant mine d'aller reprendre une
demie volte -, au lieu dequoy deux autres au mefme inftant
rempliront la place, & feront le femblable. Voilà (S I R E)
comme quoy les Chevaliers doivent combatre aux grands
tournois & triomphes,pour fe faire eftimer ; car en ces ren-
contres il fe peut donner de fi grands coups d'efpée , que
celuy qui n'eft bien adroit à les recevoir, court bien fou-
vent fortune d'acquerir de la honte au lieu d'honneur : &
pour prouver moti dire par un exemple , voftre Majefté
fijaura que feu Monfieur le Conneftable de Montmorency,
n'eftant encor que Marefchal de France , nommé le Ma-
*%*- refchal Dampville, a donne deux coups d'efpée en pareil-
les occafions de tournois & de triomphes fi rudes , que
du premier il renverfa un Prince fur la crouppe de fon che-
vai : & de l'autre il porta par terre hors de la felle , un Sei-
gneur de qualité , qui avoit reputation d'eftre des meilleurs
. hommes de cheval de fon temps. Le premier coup fut don-
ne à Bayonne , quand la Reyne d'Efpagne y fut treuver
le feu Roy Charles fon frere ,• & l'autre en cette ville de
Paris , au petit jardin qui eft derriere le Louvre , aux com-
bats qui furent faits au temps des nopces de feu Monfieur
le Prince de Portian, & tous deux en prefence du Roy , de
la Reyne fa Mere , & de tous les Princes & Princefles,
Seigneurs Sc Dames de la Cour. Aufli devons nous cette
louange à fa memoire, en difant de luy que c'a efté le plus
adroit à cheval, & à tous les exercices d'honneur & de
vertu de tous ceux qui fe font rencontrez de fon temps. Il
ne me refte done plus rien à dire a voftre Majefté, pour ce
qui concerne l'exercice de la Cavalerie,fi non en ce qui tou-
che les emboucheures des chevaux. Mais pour autant
que c'eft une chofe qui luy apporteroit plus d'importuni-
té que
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D V R O Y.                       143
té que d'utilité , il fera plus à propos que je m'en taife, que
d'en parier , d'autant que voftre Majefté n'aura jamais fau-
te d'Efcuyers tres-capables,qui prendront garde à ne la laif-
fer monter fur aucun cheval auquel il manque,quoy que ce
foit, au harnois ny à l'emboucheure.
L E R O Y.
Neantmoinsje nelaifle pas de vouloir fijavoir tout ce
qui eft de cet exercice , & particulierement de ce qui de-
pend de voftre methode. C'eft pourquoy ne laiflez rien à
me declarer,& achevez de me faire entendre comme quoy
vous embouchez toutes fortes de chevaux.
P L U V I N E L.
; : SIRE, Tant d'excellens Chevaliers ont parle de la forte
qu'il falloit emboucher les chevaux, 8c particulierement le
Seigneur Pietro Antonio Ferrara, Gentil-homme Neapoli-
tan! , en a efcrit fi dignement, & avec tant de foin , & de
jugement, qu'il eft impoffible de faire mieux. C'eft pou%
quoy eeux qui feront curieux de voir grand nombre d'em-
boucheures de diverfes fa^ons, pourront jetter l'ceil ( fi
bon leur femble ) fur ce qu'il en a mis en lumiere. Pour
moy (SIRE) je me contenteray d'obeyr au commande-
ment qu'elle m'ä fait, de luy dire de quelle forte je me fers
des emboucheures, & comme j'en u(e. La meilleure qui
fe puifle rencontrer , eft celle qui ne fait point de mal dans
la bouche du cheval 3 conduite par la bonne main du Che-
valier, & par la bonne efcole qu'il luy donnera : carde
croire ( comme il y en a plufieurs ) que la bride feule foit
celle qui afleure la tefte du cheval, & qui le face reculer
& tourner au gre du Chevalier, ce font des comptes trop
abfurdes, desquels je ne defire pas entretenir voftre Ma-
jefté. Car tout ainfi que la diverfité des efperons, foit pic-
quans ou mornez , ne font pas manier les chevaux , s'ils ne
font placez aux talons de quelqu'un qui s'en puifle bien fer-
virj tout de mefmc la diverfité des brides n'accommode
pas
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144               riNSTRVCTION
pas la tefte , ny la bouche des chevaux , fi la main de celuy
qui s'en fert,n'eft experimentée en l'exercice. Neantmoins
il eft neceflaire de donner de la commodité,& du plaifir au
cheval, le plus que faire fe ppurra ; eftant certain qu'il y a
des emboucheures qui peuvent fervir aux uns, qui ne fe-
roient pas propres aux autres : & qui au lieu de leur eftre
agreable dans la bouche , leur apporteroient de l'ennuy.
Pour cette caufe je dis, que le principal effect du mors con-
fitte en la branche longue ,--ou courte, flacque ou hardie ;
l'ceil haut ou bas, droit ou renverfé.
Comrae pour exemple,fi le cheval porte le nez trop haut,
faut qtie l'ceil de la branche foit un peu haut, le bas de la
branche jetté en avant y ce qui s'appelle hardie, qui eft pro-
pre pour ramener la tefte du cheval. Si au contraire le che-
vai porte la tefte trop bas,il faut que la branche foit flacque
jettée en ardere, & ì'ceil bas. Mais fi naturellement il por-
te bien fa tefte, il fera befoin que les branches foient ju-
ftes , par ligne droite depuis le banquet jusques au touret
de l'anneau de la refne. Quand à l'emboucheure , la prati-
que m'a appris qu'une douzaine ou plus fuffifent pour toutes
fortes de chevaux : à f^avoir un canon fimple, montant peu
ou beaucoup , ou avec une pignatelle , c'eft à dire , que le
pas d'afne trebuche en arriere , qui ne peut ofFencer le pa-
lais de la bouche du cheval. La feconde, une efcache à pas
d'afne trebuchant de mefme. La troifiefme, une efca-
che à deux petits melons à couplet montant garny d'anne-
lets rayez:eftant à noter que tous les pas d'afnes en doivent
eftre garnis pour donner plaifir à la langue du cheval : la
quatriefme tout de mefmes,excepté que l'efcache dòit eftre
de la forme d'un petit baftonnet, & les melons un peu plus
hauts, comme balottes. La cinquiefme, deux melons avec
deux petits anneaux derriere, à pas d'afne tout d'une piece.
La fixiefme , deux poires fort eftroites , avec deux petites
ballotes prés du pas d'afne , qui trebuche de deux coftez.
La feptiefme , des poires coupées à pas d'afne. La huictief-
mc, deux poires reayerfées à la Pietro Antonio , le pas d'af-
nes
-ocr page 182-
D V ROY.                         145
neà prenant entre la branche & la poire. La neufiefme, une
Pluvinelle , qui eft l'emboucheure toute d'une piece, à peu
prés comme une fimple genette. La dixiefme , toute fem-
blable, finon deux petites ballotes fort effcroites enchaffées
dans l'emboucheure. L'onziefme,une baftarde,qui tient de
la genette & de la Francoife , qui a de l'ouverture , & non
point de pas d'afnes : la gourmette eftant tout d'une piece,
de faeton qu'elle fouftient jufte le mors. La douziefme, une
genette,dequoy je me fers pour les haquenées, chevaux de
pas, ou de chafle , pource que je les treuve plus legers à la
main. Mais pour bien ordonner un mors au cheval qu'on
veut emboucher , il faut fjavoir cognoiftre ce qu'il a befoin
pour la commodité , & de celle du Chevalier : Premiere-
ment que le cheval aye la commodité de la langue, qui luy
eft neceflaire. Que l'emboucheure porte juftement fur le
coin des gencives, puis fi la levre eft trop grolle , la feparer
d'avec la gencive avec les annelets^y ayant quantité de che-
vaux qui mettent la levre fous l'emboucheure , & par ce
moyen en oftent l'effeä:. En apres il faut bien approprier
les branches & l'emboucheure, courtes, longues, fiacques,
ou hardies : l'oeil haut, ou bas3 felon que le requiert la for-
me de l'encoleure5& la pofture de la tefte du cheval. Pren-
dre garde auili fur routes chofes que la gourmette porte &
repole en fa place , qui eft le petit ply fous la barbe du che-
val. Et fi par hazard le crochet de la gourmette pin^oit la
levre , il le faudra fort courber en haut vers la branche du
mors, ce qui arrive fort fouvent,principalement quand l'em-
boucheure eft un canon , à caufe de fa rondeur, qui enfle
& releve la levre par trop. Confiderer en outre , fi la bou-
che eft beaucoup fenduè , & en ce cas luy mettre du fer
davantagè dedans. Ou bien mettre la tranche-fille plus
haut prés de l'oeil de la branche, voire dans l'oeil mefme, s'il
eft befoin. Si auffi la bouche eft peu fendue , luy faudra
mettre pen de fer dedans, & s'il eft befoin öfter la tranche-
fille du tout. Si le cheval ouvre la bouche par trop , le pas
d'afnes à la Pignatelle luy fera plus propre, pour ce quii
O p                               trebu-
-ocr page 183-
H6               L'INSTRVCTION
trebuche en arriere fur la langue j ayant efté inventé tout
exprés pour cet effect, & pour n'offencer le palais de la
boiiche du cheval. S'il tourne la bouche en facxm de cifeaux
deca & delà ; les emboucheures d'une piece font les meil-
leures,& neceflaires pour empefcher cette affcion mal fean-
te ,& à tels chevaux ferrer fort la muferolle. Toutes lef-
quelles chofes font fi neceflaires d'obferver foigneufement,
que qui y manque en la moindre partie , labouche du che-
val, & la main du Chevalier ne peuvent avoir leur commo-
di té parfaifte. Voylà done en termes generaux,ce que jeju-
ge propre pour emboucher toutes fortes de chevaux , tant
pour la proportion des branches, que du dedans de la bou-
che du cheval,en y adjouftant ou diminuant,advan9ant, re-
culant, ou changeant quelque piece de l'emboucheure : car
pour la gourmette,encore qu'ils'en face deplufieursfai^ons,
je ne me fers que de I'ordinaire bien proportionnée,excepté
quand le cheval a la barbe deliée, tendre & fort fenfible, je
luy en mets une de cuir jufques à ce qu'il foit du tout fer-
me de tefte , eftant tres-neceflaire de bien ajufter cette
piece, principalement à ceux qui n'ont que lapeau furies
os de la barbe , & point de petit ply pour tenir, & em-
pefcher qu'elle ne monte par trop : ce qui fe rencontre en
beaucoup de beaux & bons chevaux : mais pour y remedier,
il faut tenir les crochets de la gourmette un peü longs &
courbez ) Se par confequent les mailles ou anneaux plus
courts : & s'il eft befoin , mettre un petit annelet au deflus
de ehacun des deux crochets dans l'oeil de la branche du
mors, qui empefchera le crochet de fe fouflever , & le con-
traindra de demeurer toufiours bas en fa placej que je treu-
ve eftre le plus grand fecret pour ajufter la gourmette. Quant
à la mefure & proportion des mors, tant des branches que
des emboucheures,il nes'en peut parier qu'en general,pour
ce que chafque cheval portant la jufte mefure de fa tefte,de
fa bóuche , de fa bonne ou mauvaife pofture, & de fon en-
coleure droite, renverfée, bien ou mal tournée , courte ou
longue : C'eft au prudent & judicieux Chevalier d'appro-
prier
-ocr page 184-
D V R O Y.                       147
prier l'emboucheure & la branche,fek)n ce qu'il cognoiftra
eftre expedient pour la commodité de luy , & de fon che-
vai. Voylà (SI R E) ce que jay pratique, & rencontre eftre
le meilleur pour emboucher les chevaux,ce qui empefchera
que je ne m'eftende d'avantage en cette recherche : joint
qu'ayant efprouvé le peu de profit que la quantité d'embou-
cheures apporte, cela m'a oblige de m'arrefter à ce que j'ay
trouvé eftre le plus utile : pouvant dire avec verité , n'a-
voir jamais veu de chevaux qui avec la bonne efcole ne fé
foient accommodez , & demeure^ en bonne action , avec
l'ape des emboucheures cy-deflus nommées. Partant (SI-
R E ) voftre Majefté aura agreable , s'il luy plaift, que j'en
demeure à ce terme, &quejefinifle ce difcours par un
tres-humble remerciement, de l'honneur qu'elle m'a faiót
de s'eftre donne la patience de l'entendre : priant Dieu de
tout mon coeur , que le plaifir qu'elle m'a tefmoigné pren-
dre en m'efcoutant, puifle tellement agir dans fa memoire,
qu'en ayant retenu la plus grande partie, elle le puifle met-
tre en pratique aux occafions neceflaires, au contentement
general de^ous fes fubje£ts , & du mien particulier, qui
n'auray point de regret de quitter le monde, apres un tei
reflentiment de plaifir.
L E R O Y.
Monfieur de Pluvinel, j'ay receu un tei contentement
à vous entendre , que j'efpere mettre bien-toft en pra-
tique , avec peu de difficulté , tout ce qui eft neceflaire
pour me bien fervir d'un cheval ; Se afin que je vous en
rende quelque tefmoignage , faites-moy amener le Boni-
te, afin que je le face manier fans perdre un temps en^«-
avant, en arriere , de cofté , & en une place , pour vous
monftrer comme quoy j'ay bien efeouté & retenu ce que
vous m'avez dit.
MONSIEUR LE GRAND.
SIRE, il faut confefler que e'eft un miracle de voir
voftre
-ocr page 185-
i48               L'INSTRVCTION
voftre Majefté, faire ce qu'un efcolier d'un an, voire de
plus, n'oferoit entreprendre avec une telle afleurance : ne
fe pouvant faire manier ce cheval fenfible comme il eft,
avec plus de juftefle , & de refolution -, & telle que Mon-
fieur de Pluvinel en eft fi ravy d'eftonnement, qu'il en eft
demeuré en extafe, & fans parole.
PLUVINEL.
SIRE, il eft vray que je nay jamais efté plus eftonné,
& plus content tout enfemble , que d'avoir veu ce que je
viens de voir,ofant afleurer avec verité,que fi V.M. a agrea-
ble de prendre plaifir encore trois mois dans cet exercice ,
qu'elle en aura atteint la perfection.
LEROY
J y prens trop de plaifir pour le discontinuer : mais afin
que le public profite de là facilitò de voftre methode, je
veux que vous mettiez par efcrit tous les difcours que
vVous m'avez faits ,- & que pour les expliquer davantage ,
vous faciez graver en belle taille douce les figures des Che-
valiers, & des chevaux , felon lbrdre de vos meilleures le-
mons , pour faire remarquer la bonne pofture du Chevalier
& du cheval, à toutes fortes d'airs, aux courfes de bagues,
rompre en lice, à la Quintaine, & combatre à cheval : en-
femble les emboucheures , & les mors , dequoy vous vous
fervez ordinairement pour bien & juftement emboucher
toutes fortes de chevaux , vous afTeurant que cet ouvrage
me fera tres-agreable.
PLUVINEL.
SIRE, Dieu vueille que tout ainfi que j'ay obey à deux
grands Roys vös Predecefleurs, qui m'ont toufiours fait
l'honneur de me tefmoigner avoir mon tres-humble fervice
agreable,jepuifleavec pareil bonheur faire chofe,en obeyft
fant à voftre Majefté , qui la convie me departir de pareil-
les faveurs. Mais (SIRE) me cognoiflant à prefent appro-
cher
-ocr page 186-
D V R O Y.                       149
eher le dernier periode de ma vie , e'eft avec un regret ex-
treme , de voir que la plus grande part de voftre Noblefle
fe plonge tellement dans l'oyfiveté, que le vice prenne la
place de la vertu,qui fai£t que voftre Majefté Fay ant agrea-
ble , je luy rafraichiray la memoire des remedes que je luy
ay autrefois reprefentez , pour eftoufer dés leur naiflance
les mauvaifes habitudes , qui caufent la perte de fi grand
nombre dejeunefle.
LE K O Y.
Vous me ferez plaifir de me dire voftre advis là deflìis ,
les moyens que vous jugeriez les plus propres , pour éviter
ces desordres, & faire que le vice cedaft à la vertu.
".; P L U V J N E L.
SIRE, puis qu'il vous plaift me le commander , & vous
dormer la patience de m'entendreje vous diray comme j'ay
toufiours remarqué foit en lifant, foit en pratiquant, que la
plus grande force de la Monarchie Fran^oife confifte en la
Noblefle , laquelle de tout temps a pris tei plaifir à la ge-
nerofité,& à la recherche de la vertu,que cette humeur leur
ayant continue jufques à cette heure , vous voyezquela
plus grande part le contente encore d'avantage des caref-
fes,des courtoifies & des paroles de leur Roy & des Princes,
que des bien-faits qu'ils re^oivent d'eux par la faveur d'au-
truy : & que les mefpris leur font tellement à contrecoeur,
& leur ont efté de tout temps, qu'il s'en eft veu grande
quantité par le pafle , qui deplaifans dupeu d'eftime que
faifoient leurs Souverains d'eux , les ont abandonnez pour
fuivre de moindres, qui feulement les obligeoient par
quelque courtoifie. M'eftant apperceu que ceux qui ont
voulu entreprendre de grandes chofes, foit pour le bien
de FEftat, foit pour le leur particulier , fe font toufiours
fortifiez de la Noblefle, n'ayant apporté autre artifice,
pour gagner tons ces braves courages, que le feul bon vifa-
ge. Qui nie fait entrar en confideration,que fi avec les paro-
P p                         les
-ocr page 187-
i5o               . L'INSTRVCTl'ON
les courtoifes on y joignoit quelques effects , que ce feroit
un aymant fi fort pour les retenir obligez à celuy qui agi-
roit en cette aftion , que difHcilement pourroit-on feparer
ces perfonnes-là d'avec leur bienfai&eur.
LE ROY.
Quels effe&s voudriez-vous que je joigniffe aux paro-
les pour faire ce que vous defirez ?
P L u V I N E L.
S IR E, II faudroit que V. M. fift comme le bon Mede-
cin, lequel encore qu'il ayt cognoiflance de grande quanti-
té de remedes, il choifit, pour guerir un malade, celuy qu'il
juge le plus propre pour le foulager, apres avoir exaótement
confiderò & veritablement recognu la complexion de fon
patient. De mefmes y ayant plufieurs fortes de voyes pour
faire du bien aux hommes, il faut confiderer de prés l'hu-
meur de ceux ausquels on delire bien faire , & leur offrir
les chofes les plus agreables pour leurs contentemens ; &
en ufant de la forte , il fera mal-aifé que celuy qui fe fervira
de cette methode , ne gagne l'affecìiion non feulernent de
ceux qui faborderont, mais encor de beaucoup qui n'au-
ront cognoiflance de luy que par reputation : & pour m'ex-
pliquer davantage à voftreMajefté, je preftdray la hardiefle
de luy dire, que l'ufage du monde m'a fait cognoiftre que
toute la Noblefle de ceft Eftat eft plus paflìonnément defi-
reufe d'eftre inftruite à la vertu, à la civilité, à la courtoifie ,
aux bonnes moeurs , àlapropreté, àbien faire les exerci-
ces, foit des armes , foit de ceux qui fe font pour le plaifir,
& pour la bienfeance , que de toute autre chofe : que c'eft
la plus grande ambition des Peres, quand ils commencent
à decliner de leur premiere vigueur, que de voir refufei-
ter leurs vertueufes aftions, en ceux qu'ils ont mis au mon-
de ,n'ayant plus de regret de l'abandonner quand ils voyent
leurs enfans heriter de leur bien & de leurs perfections tout
enfemble. Qui me fait avoir une creance certame,que ton-
te la
-ocr page 188-
D V ROY.                       151
te la Nobleffe Francoife ne fé peut obliger davantage , ny
retenir avec de plus fortes chaifnes, que de luy donner l'in-
vention & le moyen d'exercer leur corps & leur efprit aux
exercices vertueux , pour contenter la genereufe ambition
qui anime leur courage, & porte leur efprit au defir de fur-
paffer toutes les autres nations, en force , jugement & ad-
drefle : car ayant acquis ces qualitez,conduits par celuy au-
quel ils auront cette obligation , iln'yanulle doute qu'ils
feront capables d'entreprendre & d'executer toutes chofes *
& de s'expofer en toutes fortes de hazards, pour la confer-
vation & pour l'advancement de leur bienfaicteur , y ayant
de l'apparence & de la certitude, que celuy qui aura le foin
de leur elevation,ne manquera de leur infufer dans la fanta-
fieun defir de fervir celuy qui leur aura cauféla bonne nour-
riture , qui les rendra récommandables & admirez par def-
fus le commun des autres hommes.
LE ROY.
Mais pourquoy jusques à prefent aucun de tous ceux
qui ont regné auparavant moy dans ce Royaume , ne seft
il advifé du moyen que vous me dites de gratifier la No-
bleffe ?
PLUVINEL
SIRE, Il y en a une raifon tres-veritable , qui eft qu'en
ce temps-là la France eftoit fi fterile de perfonnes capables
d'entreprendre , & de faire reüflir à bien , l'inftruction de la
jeuneffe, qu'ils eftoient contraints de Taller mendier parmy
les eftrangers , dbù la pluspart retournoient auffi ignorans
qu'ils y eftoient allez : d'autant que les eftrangers n'eftans
curieux que de s'enrichir à leurs defpens, ils leur mon-
ftroient fi peu que cela ne pouvoit produrre aucun bon ef-
fect ; joint auffi que pour la civilité & pour les moeurs, l'é-
cole eftrangere rieft pas propre aux efprits Francois. Mais
ce n'eft pas une confequence,que ce qui ne seft treuvé par
le paffé en cet Eftat, ne s'y puiflè jamais rencontrer \ pour-
ce
-ocr page 189-
I52                 L'IN ST.RV CT IO N
ce que la vertu ayant anime le courage de plufieurs , elle a
fait que quelques-uns en ce temps fé font rendns dignes de
faire du bien à leur pays par le bon exemple,&parla bonne
nourriture qu'ils peuvent donner a la jeune Noblefle , fi
tant eft que leur bonne volonte foit fecourue &appuyée de
l'authorité de voftre Majefté ,• laquelle par cette voye obli-
gera & conquerra non feulement ceux qui par fon moyen
feront eflevez de la forte 5 mais auffi tous leurs parens &
leurs amis , qui participeront au reflentimeat qu'ils en au-
ront. C'eft pourquoy (SIRE) j'ofe fupplier voftre Maje-
fté, de treuver bon l'advis que je luy donne, de fonder qua-
tre Academies en voftre Royaume , Fune à Paris , la fecon-
de à Tours ou à Poiótiers , la tierce à Bordeaux , & la qua-
triefme à Lyon : &y commettre en chacune une perfonne
de qualité & de fuffifance,digne d'en avoir la conduite,leur
donnant commodité pour cela , afin que par le moyen de
cette aide ils puiffent faire meilleur marche des penfions :
& qu'ainfi les pauvres Gentils-hommes y foient auffi bien
receus que les riches. D'autant qu'il n'y a aujourd'huy que
ceux qui ont quantité de biens , qui puiffent faire inftruire
leurs enfans aux bonnes moeurs : enee que pour faire efle-
ver un jeune homme , il faut premierement pourlapen-
fion de luy & de celuy qui le fervira, cinq cens efeus par
an, fans compter les habits & autres chofes neceffaires. Et
fi encore ceux qui tiennent les efcoles , ne peuvent à ce
prix-là faire ce que je diray cy-apres, ny s'aquitter fi digne-
•ment de cet office qu'ils defireroient : mais eftans unpen
fecourus de voftre Majefté, ils pourront mettre les penfions
à mille livres ou moins , s'il fé treu ve qu'ils y puiffent fubfi-
fter : & que Meflìeurs les Gouverneurs & Magiftrats des
lieux où ferönt fituées ces belles efcoles , cognoiffent qu'ils
s'y puiffent fauver : eftant necefiaire que la taxe des pen-
fions foit faite en la prefence du Gouverneur ( avec ce-
luy qui fera ordonné pour conduire & enfeigner cette
jeuneflTe ) par les Magiftrats du lieu , corame gens enten-
dus à la valeur des chofes neceffaires, pour l'entretene-
                                              ment
-ocr page 190-
D V R O Y.                      iTS
ment de cette vertueufe aflemblée : & par là ce feroit ou-
vrir la porte aux pauvres , qui n'ont pas le moyen aujourd-
huy de faire une fi grande defpenfe , pour la nourriture de
leurs enfans.
L E ROY.
Pourquoy les perfonnes qui entreprendront l'inftruction
de cette jeuneffe, ont-ils befoin de mon fecours , puis qu'il
y en a nombre dans mon Royaume qui n'en attendent
d'autre que celuy qu'ils peuvent acquerir par leur la*
beur?
PLUVINE L.
SIRE, Il eft vray que plufieurs à Paris fé font effor-
cez d'arriver à ce but ; mais peu ailleurs, ny point du tout,
ny à Paris, ny aux autres lieux , qui ayent fplendidement
fait cet affaire.
LEROY.
Pourquoy ceux qui tiennent à prefent les Academies,
ne les peuvent-ils faire avec la fplendeur que merite la
chofe ?
PLUVINEL.
SIRE, Ceft qu'il y a fort peu de gens de qualité en cet
Eftat qui fé meflent de cet exercice : & que la pluspart de
ceux qui y vacquent, n'ayant autre but que leur profit par-
ticulier, il eft impoffible que par cette voye ils puifTentbien
s'acquiter de leur devoir : eftant tout certain que les affai-
res domeftiques ont toufioursnuy, & nuiront aux publi-
ques. Mais quiconque voudra nettement & en confcience
faire quelque chofe qui luy apporte de l'honneur, il faut
qu'il aye un fonds duquel il eftoit afleuré, afin qu'il ne
foit point force à ufer de complimens & d'attraits à la jeu-
neffe qui eft fous fa conduite , & quelquefois de tole-
rances aux vices, pour les retenir, ou pour en attirer d'au-
Qjq                                tresj
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154                L I.N S T R V CT.I O N
tres ; & ce de erainte que manqüant d'efcoliers, la charge
de fon equipage lay ■ demente furies bras , fans autre re-
cours que ce qu'il pourra retirer de fon bien , ce qui n'eft
pas raifonnable : car iln'yamille apparence qu'un hom-
me vertueux & de bonne qualité , depende le fien pour
faire du bien aux autres : occafion qui m'oblige de repre-
fenter le befoin qu'il a de quelque peu d'aide pour faire ce
quejepropofe : & d'autant que la grandeur de la chofo
pourroit faire naiftre de la difficulté , & faire penfer à vo-
ftre Majefté , que les grands defleins ne fé meinent gue-
res , afin qu'avec une grande defpenfe qu'il faut éviter en
ce temps de tout fon pouvoir , & qui eft tellement appre-
hendée en cet Eftat, que le plus fouvent les aftes vertueux
ont efté enfevelis dans l'oubly par faute de faire cas des
perfonnes qui les pouvoient monftrer au jour, jay creu
devoir luy lever ce doute , puis que la cognoiffance que
j'en ay, m'en donne le moyen. Je dy done qu'il eft befoin
à celuy qui veut entreprendre la conduite d'une efcole de
vertu 5 telle que je la reprefenteray cy-apres, d'avoir un lo-
gis grand & fpacieux pour loger les Gentils-hommes qui
luy feront mis entre les mains. D'avantage il luy faut au
moins vingt chevaux d'abord, gens pour les panfer, offi-
ciers & ferviteurs pour fon affaire , Tireur d'armes , Mai-
ftre à dancer, Voltigeur, Mathematicien , un horame de
lettres pour faire les lefons que je diray. Toutes lefquel-
les perfonnes il faut payer, (bit qu'il y aye beaucoup d'ef-
coliers , foit qu'il y en aye peu : tellement qu'eftant une
chofe certame qu'il faut toufiours avoir moyen d'entrete-
nir cet equipage, & incertained'avoir nombre fuffifant
d'efcoliers pour fubvenir à ces frais : cela eft caufe que
cet affaire merite un fonds pour la faire reüffir comme il
faut, Sc durer perpetuellement au grand profit & utilité
de l'Eftat.
LE ROY.
Je ne plaindray jamais la defpenfe lors qu'il s'agirà de
gratifier
-ocr page 192-
D V ROY.                        155
gratifier maNoblefle ; mais auparavant que den venir à ce
point, dites moy quel ordre vous voudriez apporter dans
les efcoles dont vous me parlez , & de quelle forte la jeu-
nefle que j'y mettrois , y feroit enfeignée.
P L U V I N E L
SIRE, Toute la matinée feroit employee pour l'exer-
cice de la Cavallerie, & pour courre la bague l'apresdi-
née , fjavoir le Lundy, Mercredy , Vendredy & Same-
dy, pour les exercices de tirer des armes , dancer , vol-
tiger , & les Mathematiques. Et pour les deux autres ,
ftjavoir le Mardy & le leudy l'apresdinée , il feroit à
propos que celuy que cy-deflìis j'ay qualifié homme de
lettres, traitaft en prefence de toute cefte jeunefle af-
femblée :
Premierement de toutes les vertus morales , enfemble
des exemples qui fé tirent des Hiftoires , tant anciennes
que modernes pour les efclaircir : & apres les avoir in-
ftruits fur ce qui defpend des moeurs, pafler à la Politique ,
comme la partie la plus neceffaire : & là defllis leur mon-
ftrer la forme qu'il faut tenir pour gouverner les Provin-
ces , les villes & les places que voftre Majefté leur peut re-
mettre entre les mains : comme il faut fé maintenir aux ar-
mées , foit pour commander , foit pour obeyr : comme
quoy fervir fon Maiftre , foit en Ambaflfade , foit en quel-
qu'autre affaire particuliere : bref, tafcher par ce moyen de
les rendre capables de bien fervir leur Prince, foit en paix 5
foit en guerre.
Davantage, confiderant qu'il y a plufieurs qui fé meflent
de mener des chevaux, & de porter une efpée, qui fé treu-
veroient fort eftonnez s'ils fé voyoient à cheval, armez de
toutes pieces: Cela fait que je defirerois tous les mois
choìfir un jour de fefte , & apres le fervice de Dieu , ayant
nombre fuffifant de Noblefle , en faire armer , foit pour
courre la bague , foit pour rompre en lice , foit pour for-
tir à la campagne , pour là leur apprendre la maniere d'al-
ler
-ocr page 193-
A
i$6               L'INSTRVCTION
lerau combat, le moyen d'attaquer une efcarmouche , la
forme de fe retirer ; bref, tout l'ordre de la guerre, &
faire ces combats tantoft à cheval tantoft à pied , en failänt
faire des forts de terre , & les faire attaquer & deffendre
à cefte jeunefTe , ( felon leur force ) pour leur enfeigner à
bien attaquer une place , & à la bien deiFendre , donnei*
les commandemens alternativement aux uns & aux autres,
afin de les rendre tous dignes de bien commander , & bien
obeyr.
Si voftre Majefté entre en confideration de ces chofes,
eile jugera que Fexecution de cette entreprife produira de
fi bons efFets dans ce Royaume, qu'il pourra dire avoir
plus receu de bien d'elle feule , que de tous ceux qui y ont
commandé auparavant, & marqué fon Regne d'une fi bel-
le marque , que les loüanges de V. M. feront publiées eter-
nellement dans cette Monarchie^d'autant que par cemoyen
elle en aura banny tant de vices qui y font fi communs: Pre-
mierementle peu d'amour & de refpe£t à Dieu & à fon
Prince ) la desobeyjflance à fes commandemens , d'où il s'en
eft enfuivy autresfois des revokes , des conjurations, Sc
mille autres crimes qui dependent de la : les querelles &les
duels ü frequents en ce temps : & quantité d'autres desor-
dres que jaurois horreur de nommer, qui ne prennent leur
fource que du manquement que les efprits ont de bonnes
occupations en leur jeunefle ; faute desquelles il fe laiflent
aller infenfiblement dans ce labyrinthe de vices , d'où puis
apres ils ne fe peuvent retirer. Car c'eft une chofe toute
cognue , que la nourriture a plus de force fur les efprits des
liommes5 que leur naiflance & leur inclination naturelle,- &
les exemples que nous y voyons tous les jours , nous en
donnent tant de certitude qu'il n'en faut entrer en doute ,
en ce que ceux qui fe remarquent parmy nous , non feule-
ment nous font voir cette verité; mais auffi ceux qui fe ren-
contreiit parmy les plus barbares & infideles nations de la
terre. Et pour m'efclaircir d'avantage à voftre Majefté, il
ne faut que confiderei* la nourriture qui fe fait par le foin du
Grand
-ocr page 194-
D V ROY.                        157
Grand Seigneur des enfans qu'il prend fur les Chreftiens par
tribut ; defquels il eft fi curieux de Peflevement & de Fin-
ftruftion , qu'apres les avoir fait apprendre à luy rendre du
fervice , il ne confie pas feulement fes places en leur fideli-
té j mais fa perfonne mefme , de telle forte , que fans leur
affiftance ceux qui ont tenu cét Empire^euflent perdu beau-
coup de fois la vie & rhonneur tout enfemble. Par là on
peut tirer une confequence certaine , que fi des enfans for-
ds de peres Chreftiens, eftans ravis par force d'entre les
bras de leurs parens , par le commun ennemy de la religion
en laquelle ils font nez 5 nonobftant toutes ces confidera-
tions, portent (en recompenfe de la bonne nourriture qu'iis
ont receue) leur vie contre leurs plus proches, pour foufte-
nir les volontez de celuy qui les a eilevés.Que des Gentils-
hommes vrayement nez Francois & Chreftiens , la porte-
ront bien plus franchement pour leur Prince naturel5fi l'ob-
ligation qui les y adftraint par la loy divine & humaine , eft
fortifiée d'un foin particulier de les faire tous inftruire en la
cognoiflance de la vertu , & de toutes fortes d'honneftes
exercices de 1'efprit & du corps : n'y ayant point de trefors
ny de biens qui puiflfent tant obliger un franc courage
qu'une bonne iiiftrudion ; qui fait que je ne m'amuferay
point particulierement à dire les fruits que le general ref-
fentiroit de la bonne nourriture de ceux qui pafferoient par
de fi bonnes efcoles. J'en laifleray la confederation à ceux
qui ont aflez de jugement pour cela : ny ne parleray point
du contentement & du profit que V.M. recevroit en lexecu-
tion d'un fi beau defiein. Seulement je la fupplieray de re-
marquer 3 que les grandes conqueftes , & l'inftitution des
bonnes loix ne s'eftans jamais faites que par la force, l'indu-
ftrie & la bonne nourriture des hommes ; celuy qui afluje-
tira leur courage dés leur premiere jeuneffe, y infüfantles
bonnes mceurs, & ployant leur nature au bien , aura avec
raifon plus de pouvoir de conquerir les Monarchies , & de
faire obferver fes commandemens, s'il peut rendre à la de-
votion ceux qui font ou deffont les Royaumes.
R r                                LE
* 1
-ocr page 195-
ij8                 L'INSTRVCTION
LEROY.
Je voy de l'apparence en voftre difcours , eftimant qu'il
n'en peut reiiffir que de bons effects : & convoy la raifon
pourquoy il faut quelque peu d'aide à ceux qui auront la
charge de ces efcoles de vertu. Dites-moy done, Monfieur
de Pluvinel , quel fonds vous jugeriez neceffaire pour l'e-
ftabliflement de quatre Colleges d'armes dans mon Royau-
rae, tels que vous me les avez defignez cy-devant.
P L II V.I N E L.
S I R E , La proposition que je fais à V. M. de fonder ces
efcoles vertueufes, & donnei* moyen à ceux qu'elle ordon-
nera pour y commander de s'en aquiter fi dignement, que
la reputation en puifle voler par toute la terre , eft de fi
peu de defpence pour le grand bien qui en proviendra à
l'advenir, que je fuis affeuré que tous ceux qui font pro-
feffion de l'honneurjoindront leurs prieres a mes tres-hum-
bles fupplications , puis que la charge eft de fi peu de con-
fequence au prix du benefice , & laquelle encore voftre
Majefté peut treu ver , fans qu'il luy coufte , ny fans que le
public, ny le particulier en foit interefle.
Le fonds que je defire qui foit treuvé pour cela, n'eft que
de trente mil livres par an , lefquelles fe pourront partager
en quatre : f^avoir eft à Paris douze mil, pource que l'a-
bord eftant plus grand en cette ville , tant pour la demeure
de la Cour , des Ambaffadeurs , que de toutes fortes d'e-
ftrangers , il eft neceflaire que l'efcole y foit plus grande &
plus fplendide qu'ailleurs. Puis les dix-huifl: mil livres qui
reftent, les divifer efgalement à Tours, Bordeaux, & Lyon,
a chacun fix mil livres : toute laquelle fomme de trente mil
livres fe pourra prendre fur le fonds des penfions ou entre-
tenements que V. M. donne tous les ans à fa Noblefle :
d'autant que cette petite fomme retranchée fur le total,
chafque particulier s'en reflentira fi peu , que tous feront
contens de cette ouverture , & ne s'erx treuvera point, ny
mefme
-ocr page 196-
D V ROY.                         iJ9
mefme de ceux qui font des meilleures Maifons,qui nayent
desenfans ou des parens, lefquels par fante de bonne
nou tr:foplongePnttousles3oursdansle ^
rant quii ny en a aucun de tous ceux qui t.rent des gratin
cSsdevoftreMajefté, qui haymaft micux nen avoir
Jamais eu , que de voir fon fils fon nepveu , **%££?
en hazard d'eftre ignominieufement traete de la Juftice ,
comrne ceux qui conduits de la furie , ont cy-devant tranf-
.reffévosEdias, & perdu fhonneur & la vie tout enfem-
b e Ce qui ne feroit arrive , fi du commencement ces „n-
nrudentsTuffent efté eflevez dans les efcoles femblables
dTqoe je propofoà voftre Majefté ^f e^ncore
pourra dans peu ^|g||^^SXSS
te petite fomme , & au lieu y arrcctci y
benefices à mefure qu ils vacqueront, & ou il y auroit quel-
r rv ,nres qui ( nonobftant les moyens que voftre
Sfté^oPnneroit pour faire nourrir fa Nobleffe à la vertu,
& n^obeyffance d'e fes commanders ) vint à manquer
ffon devofr , & transgreffant gg^ÄSSSSS
Tuftice de pourfuivre la perte de-fa vie : il feroit à propos
Sesbiensdu delinquant foffent confifquez, & mis a
?entretenement & augmentation de ces &*g"£££
ofin que peu à peu le revenu y croiflant, ce faft un moyen
M- dvenfr que les pauvres Gentils-hommes y peuffent
ì noùrris fans payer penfion, ny fans quii leur couftaft,
eftre n^J^Äü£ttion qu ils auroient à V. M. & me
finon une eterneile obligat 4                   Gentil-homme
fpmble eftre une chole tres-jmte , que 11 ui                    _
Tntl faifir par imprudence , manque davoir efté bien
nouty entnii aage, & que fon bien foit confifqué que
?emo7ument qui proviendra de la confifcation fo.t employe
àlonner ord?e que la jeuneffe ( peut-eftre les parens du
coulpable ) foit divertie par une bonne inftruaion , a ne
SJ en un pareil accident : car par là ce fera em-
péfoherque tous les Gentils-hommes, ny mefme les plus
Uches des criminels , nefe pourront offencer legitime-
St puis que le bien ne feroit applique quau profit de
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i6o L'INSTRVCTION DV ROY.
tout le corps de la NoblefTe , & à l'elevation aux bonnes
moeurs de ceux qui font de la melme qualité.
Voylà done (SIRE) les meilleurs moyens que je con-
noifle pour bannir les vices qui regnent parmy la Noblef-
fe de voftre Royaume : & les puiffans remedes pour gue-
rir les pernicieufes maladies5qui ont ravy à cette Monarchie
tant de gentils courages ,♦ lesquels moyens je n'eufle pas
efté fi temeraire d'offrir à voftre Majefté : mais la cognoif-
fant portée à aymer fes fubjecTis , lesquels je voy aujourd'-
huy du tout privez de bonne inftruótion ,. &abandonnez
dans des aòfcions indignes des courages Francois : j'ay cren
qu'elle n'auroit point des-agreable fi je la faifois fouvenir de
ce qu'autresfois elle a treuvé bon que je luy propofafle :
laquelle prbpofition (SIRE) le feu Roy voftre pere avoit
treuvée fi bonne , que fans la perte de fa vie il l'euft faite
reiiffir. Mais comme toutes les chofes dependent de la vo-
lonte, de Dieu, je croy qu'il a refervé a V. M. l'execution de
cefte genereufe entreprife, afin d'attirer fur elle les benedi-
ctions , non feulement de toute la Nobleffe de cét Eftat,
mais aufli de tous les peuplqs qui en feront gouvernez fous
l'authorité de V. M. Pour moy (SIRE) ce que je feray
d'orefnavant fera de prier le refte de mes jours fa Divine
bonté,qu'elle face durer voftre regne aufli longuement que
tous les gens de bien le defirent.
FI- N.