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LETTRES

À SOPHIE,

SUR

LA PHYSIQUE^ LA CHIMIE

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l'histoire naturelle.

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A YEESAIIXES, DE LIMPMMERIE DE J.-P. JACOB.

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Vnbsp;LETTRES

À SOPHIE,

SUR

LA PHYSIQUE^ LA CHIMIE

ET

l'histoire naturelle;

Par Louis-Aimé MARTIN;
Avec des Notes par M. PATRIN, de l'Institut.

seconde édition, corrigee et augmentee.

« Prenez et dirigez un miroir, dit Platon, vous
« reproduirez la terre,
Icstucts et le ciel ; le Monde,
a comme une ombre légère , passera devant vos
« yeux » : mon ouvrage est ce miroir.
Introduction.

tome second.

A ,PARIS,

Chez [H. Kicolle, Libraire, rue de Seine, n.quot; 12,
i8ii.

-ocr page 8-

^mssmms^ssgssr.

DU FEU.

« Le feu n'est point un corps simple;,
(C il est composé de deux principes, la
« lumière et le calorique. On n'est ce-
(( pendant pas encore pai-faitement sûr
« que ces deux substances soient bien
« distinctes. Le docteur Herschel est celui
« qui a donné l'exemple le plus frappant
« de leur séparation.

« Ce savant a découvert que la chaleur
« est moins
refrangible que la lumière.
« Voici son expérience : Un rayon de
« lumière étant reçu sur un prisme, on
« trouve que la plus grande chaleur
« n'est point à l'endroit où tombent les
« sept rayons, mais bien au-delà, à une
« petite distance des rayons rouges, qui
« sont les moihs
rêfrangihles ».

mÊtssmm

-ocr page 9-

LETTRES

À SOPHIE,

SUR

la physique, la chimie

ET

L'HISTOIRE NATURELLE.

i

SUITE

du livre troisième.

LETTRE XXVIL

du feu.

C'est assez voyager aux cliamps de la lumière ;
Ensemble descendons un moment sur la terre ,
Pénétrons dans son sein , et, d'un œil curieux ,
Cherchons cet clément qu'y cachèrent les dieux j
Le feu, qui des volcans déchire les entrailles
Et fait voler la mort au milieu des batailles ;

II.

-ocr page 10-

Qui s'élançant dans l'air en ardents tourbillons,
Dévore les cités , les bois et les moissons,
Et qui souvent, hélas ! d'un conquérant avide
Seconde, avec le fer , la vengeance homicide.

m

il

Le feu remplit toute la Nature : on
peut regarder comme un prodige que la
terre n'en soit pas embrâséej il jaillit en
étincelles des cailloux les plus durs j il
circule dans l'onde, qui lui doit la flui-
dité et le mouvement j les plantes , les
animaux,, l'air même sont imprégnés de
feu, pendant
que sur nos têtes brillent
des millions d'astres enflammés , depuis
la comète à la longue clieVelure, jusques
aux soleils régénérateurs. J'ai vu des
sources bouillantes jaillir du sein de la
terre, les volcans embrâserles montagnes
et lancer des torrents de flammes -, j'ai vu
la foudre frapper les forêts. Chose plus
effrayante, l'homme tient dans ses mains
cet élément terrible, qui s'agrandit et se
reproduit de soi-même.

-ocr page 11-

Cependant le feu , qui peut détruire
tout ce qu'il touche, est le créateur et
le régénérateur de l'universj il l'anime,
il le colore, il l'embellit, et donne la vie à
toute la Nature.

Voyez sur sa tige charmante
S'élever cette fleur des champs j
Aimable fille du printemps ,
Sur la verdure renaissante
EEe brille quelques instants.
Au feu qui détruit et dévore
EEe doit tovue sa fraîcheur ,
De son parfum la douce odeur,
Et l'incarnat qui la colore.
Elle lui doit bien plus encore :
Là plante vit à peine un jour,
Mais le feu qui l'a fait éclore
Dans son sein a placé l'amour.
Jouissant d'un bonheur extrême,
Elle existe peu de moments ;
Mais pendant tout ce temps elle aime ,
Et son sein est enfin lui-même
Le tombeau de tous ses amants.

Comment le feu fut-il connu des pre-

-ocr page 12-

miers hommes? où le trouvèi'cnt-iis ?
qui leur apprit à s'en servir , à le con-
server , à se le procurer à volonté ? Voilà
autant d'énigmes que les plus savants
n'ont pu deviner. S'il faut en croire la
fable, Prométhée déroba le feu à la divi-
nité; ce qui veut dire, peut-être, qu'il fut
le premier qui en connut l'usage.

La découverte de Prométliée ne se
répandit pas également dans toutes les
parties du monde, puisque le feu était
encore inconnu aux habitants d'une des
îles Mariannes , lorsque Magellan y dé-
barqtia : dans les commencements , dit le
père Gobien,
ces sauvages regardaient le
feu comme une espèce d'animal qui mordait
ceux qui s'en approchaient de trop près (i).
Cette pensée me parait être la première

(i) Histoire des (les Maldives, liv. 2.e Le capitaine Atkins
assure avoir trouvé au-delà du Groenland une nation entière
qui ignorait l'usage du feu,,—. Voyez
jfîittQire de la Pensyl-
vanie, çjiap.
6.

-ocr page 13-

que la vue du feu a dû inspirer. Quelle
différence entre ces peuples et nous ! La
flamme nous est soumise, l'homme l'ar-
rache aux cailloux , la renferme dans sa
maison , la change en magnifique spec-
tacle , et s'en sert également pour adoucir
l'âpreté des frimats , pour éclairer les
nuits, et donner aux terres et aux métaux
mille formes agréables et utiles. L'Éternel
a créé la lumière du jour , l'homme a
allumé
des flambeaux, et s'est fait ainsi
un jour éternel.

Il est impossible, en parlant du feu, de
ne pas demander à la Nature, ce que c'est
que ce globe immense , ce soleil, qui
change une profonde nuit en un jour
éclatant; qui, par sa chaleur bienfaisante,
féconde la terre ou la rend aride; qui
anime les fleurs ou les dessèche ; qui
donne enfin la vie à tous les êtres. On a
souvent répondu à toutes ces questions,
mais rarement d'une manière bien satis-
faisante.

-ocr page 14-

Par exemple,les savants se sont beaucoup
tourmente's pour expliquer les taches du
soleil ^ ils en ont fait tour à tour des mon-
tagnes , des fleuves, des cavernes et des
nuages. Leibnitz voulant rendre la phy-
sique agréable à l'oreille des reines ,
écrivait à celle de Prusse, que les taches
du soleil étaient des mouches dont il parait
quelquefois son visage. J'aime mieux
Cyrano, qui disait avoir surpris le soleil
lui-même dans les taches de la lune, re-
gardant par une fenêtre ce qu.'on faisait
dans ce monde en son absence.

Qu'il devait rire en voyant ici-bas
Ce que souvent nous n'apercevons pas !
Nos passions, nos savantes querelles;
jNos grands débats sur quelques bagatelles ;
Les droits plaisants que nous nous arrogeons ;
Les beaux projets qvie nous exécutons ;
Ces Turcarets engraissés d'ignorance,
Mais fort instruits dans l'art de la finance ;
Ces grands penseurs
qui ne pensent à rien ,
Et ces fripons qui font les gens de bien ;

-ocr page 15-

Ces rimailleurs dont la muse légère
Célèbre à jeun la joie et les festins,
Chante les ris , les amours et les vins,
Que cependant elle ne connaît guère ;
Et ces docteurs si doux , si révérés ,
Qui sans hermine et sans bonnets carrés,
Impunément prêchent une doctrine
Qui dans l'enfer a pris son origine :
Le blond Phébus en voyant tout cela ,
Dut s'écrier : « Quel beau monde voilà ! »
Puis en beaux vers , sans doute il raconta
Ce que pour vous ma muse vient d'écrire j
Je suis certain même qu'il ajouta
De
nouveaux trails, dignes de la satire ;
Traits bien malins , qui feraient beaucoup rire ,
Que je connais, mais que je n'ose dire ;
Ainsi lecteur je m'arrêterai là.

Je reviens donc à la physique. Dans le
grand nombre des lois de la Nature, il en
est une qui mérite surtout votre attention;
la voici : les rayons du soleil n'échauffent
les objets qu'autant que ces objets ne leur
accordent pas un libre passage. La chaleur
que nous sentons dans l'air lui est com-
muniquée par les corps environnants qui

-ocr page 16-

la réfléchissent : voilà pourquoi le froid
est si vif dans les régions élevées.

La ville de Quito, au Pérou, se trouvant
presque sous l'équateur, il semble que
la chaleur devrait y être insupportable;
mais comme cette cité est située sur un
plateau plus élevé que le sommet des
Pyrénées , et qu'une atmosphère très-
rare donne un libre passage aux rayons
du soleil, la température y est très-
douce.

L'Eternel prévoyant qvte l'homme ne
pourrait habiter la zone torride, y éleva
les plus hautes montagnes du monde,
pour en faire un climat agréable (i).

(i) Tous les physiciens n'expliquent pas de cette manière
la douce température de Quito. M. Patrin pense que c'est le
frottement des rayons les uns contre les autres qui développe
le calorique, et que la transparence de l'air n'y est pour
rien; car, dit-il, un verre ardent a le même effet sur le
sommet des Cordilicres que dans la plaine de Lima, parce
qu'il oblige les rayons à se frotter les uns contre les autres

-ocr page 17-

lettre xxvii.nbsp;9

Aucun savant n'a encore remarqué que
cette loi de la physique est une admii-able
prévoyance de la Nature. Si l'air n'avait
pas accoi'dé un libre passage à la chaleur
sans s'échauffer lui-même ; si celte cha-
leur s'était fait sentir dans l'étendue des
cieux qu'elle traverse , les glaciers des
Alpes, des Pyrénées, des Cordillères, etc.,
n'auraient jamais existé j aucun fleuve ,
aucune rivière n'arroserait le sein de la
teiTc ; la verdure et les fleurs ne la cou-
vriraient pas de leurs
riches tapis : le
monde serait un désert. Tout est prévu
dans l'univers. Impie ! ne vois-tu pas que
si tu détruisais un atome, l'univers s'écroti-
lerait ?

A l'aveugle hasard demande l'harmonie ,
Et l'ordre constant des saisgns ;

tout aussi bien sur les montagnes qu'au bord de la mer. Je
ne hasarderai aucun jugement sur cette opinion que j'ai cru
devoir présenter avec la mienne.

-ocr page 18-

Jonbsp;LIVRE TROISIÈME.

t Dis au néant, ennemi de la vie ,

De nous donner des fleurs et des moissons.

Vain espoir ! le néant est sourd à ta prière ;
Et lorsqu'au bout de ta carrière
Ta faible voix l'appellera ,

U sera sourd au cri de ta misère.....

L'éternité seule te répondra.

Mais n'accusons plus l'impie de son
aveuglement : la chaleur de notre globe
en est l'unique cause. Vous croyez que
je plaisante ? Ecoutez :

Selon le savant Whiston, la terre, avant
le déluge, était bien plus peuplée et plus
fertile qu'elle ne l'est à présent j la
vie des
.liommes était aussi plus longue, et tout
cela, parce que la chaleur interne de la
terre , ou le feu central (i), était alors
dans sa plus grande activité. Mais ce

(i) On appelle/ea central nu globe de feu que l'on disait
être au centre delà terre, et avec lequel on expliquait la
végétation sous la neige, et les sources bouillantes du
Spitzberg.

-ocr page 19-

même feu, en augmentant les forces du
çoi'ps, porta malheureusement à la tête
des hommes,quot; aussitôt toutes les cervelles
tournèrent; on se faisait un honneur de
tromper l'innocence, de tuer son ami en
duel ; on se vantait de ne pas croire en
Dieu , et les athées faisaient des livres
admirables sur le néant. Les animaux
même , à l'exception des poissons, qui
habitent un élément froid , se ressen-
tix-ent de cette influence, devini'ent cri-
minels, et méritèrent la mort. Elle
arriva,
cette mort universelle, un mercredi vingt-
huit novembre , par la rencontre que

fît la tei-re de la queue d'une comète----;

et voilà cependant ce qu'un peu de cha-
leur a pu faire éclore dans la tête d'un
philosophe (i).

En lisant ce beau système, vous n'ap-
prendrez peut-être pas sans frayeur que

(i) Théoris de la Terre, par Wliiston , dans le i .quot; tome de
VHistoirc naturdle de Buflbn.

-ocr page 20-

je vous écris du coin du feu. Rassurez-
vous ; ce feu ne répand que de douces
influences. Je m'arrêterai près de son
foyer, et même je le chanterai pour vous
délasser de la science.

Déjà le terrible aquilon
Revient attrister la Nature ;
Adieu les fleurs et la verdure ;
Tout périt : au sein du vallon
Le ruisseau suspend son murmure,
Des brouillards la vapeur obscure
A nos yeux cache l'iiorison ;
Dépouillé de sou verd feuillage,
Le hêtre, ornement de nos bois ,
Voit son front encore une fais
Des frimats supporter l'outrage ;
L'oiseau précurseur des hivers
A fait entendre dans les airs
Ses cris lugubres et sauvages,
Et
les hôtes des frais bocages
Vont chercher un autre univers.

Chassés de leurs premiers asiles,
Laissons ces voyageurs agiles ,
Voler de climats en climats ,
Tandis que, cazaniers tranquilles.

-ocr page 21-

A i'abri des vents, des frimats ,
Au coin d'un foyer solitaire,
Nous penserons, et du vulgaire
Sagement nous rirons tout bas.
Le coin du feu souvent inspire ,
Dans leur poétique délire ,
Les vieux et les jeunes auteurs,
Et par fois fait de leurs cervelles
Sortir de vieilles bagatelles
Dont ils se disent créateurs.
Mais souvent aussi le génie,
Loin du monde et de son vain bruit,
Dans le silence de la nuit,
Au coin du feu donne la vie
A plus d'un immortel «Scrit
Qui doit enrichir sa patrie.
Tous les soirs dans ce vieux château
Qu'on voit au haut de la colline ,
Autour du feu de la cuisine ,
Le premier berger du hameau
Plaçant son rustique auditoire,
Baconte l'amoureuse histoire
D'une belle et d'un jouvenceau.
L'un sourit et l'autre sommeiUe j
L'autre plus attentivement,
Les yeux fixes, prête l'oreiUè,
Et s'extasie à chaque instant.
Mais sur un ton plus lamentable,
Le conteur, trés-fidélement,

-ocr page 22-

Conte cncor l'histoire effroyable
D'un voleur ou d'un revenant.
A'ce coup chacun se resserre,
Et croit que , sorti des tombeaux ,
Un mort tout couvert de lambeaux
Vient le surprendre par-derrière.
Là-bas, dans cette humble chaumière ,
Auprès d'un paisible foyer,
Voyez-vous cette bonne mère
Avec ses enfants s'égayer ?
Le bonheur ne les quitte guère.
Son tendre époux , dès le matin ,
Quand l'aube blanchissait à peine ,
Est allé sur le mont voisin
Abattre quelqu'antique chêne,
il tombe ,
et son front menaçant
Qui bravait les coups du tonnerre,
Maintenant penché sur la terre ,
Du feu deviendra l'aliment.
Cependant, armé de sa hache,
Le bûcheron, d'un bras nerveux ,
Frappe , entame , déchire, arrachfe
Les rameaux de son tronc noueux.
Mais quelle joie aimable et vive !
Quel bonheur, quel plaisir diyia
I.orsqu'à sa mai^n il arrive !
De ses enfants l'aimable essaim
L'entoure, le presse et l'embrasse,
L'un va le prendre par la main ,

-ocr page 23-

L'autre au coin du feu lui fait place j

Celui-là, plus fort, plus lutin ,nbsp;,

De son fardeau le débarrasse,

Et vers lui revole soudain.

Pendant cette charmante scène,

Ces doux transports de l'amitié ,

Vers le foyer l'un d'eux entraîne

Un fagot qu'il a délié,

Et, joyeux, l'y jette avec peine.

La flamme aussitôt le saisit,

Monte, s'élève, le dévore,

Pétille , et, comme un météore ,

Répand l'éclat donc elle luit.

A sa lueur, autour de l'à»e,

t)es enfants la troupe folâtre

Rit, s'amuse et se réjouit.

Leur plaisir d'un chêne est l'ouvrage.

Bel arbre , liélas ! sous ton ombrage

Tu ne verras plus désormais

Venir en paix rêver le sage ,

Et, pour se soustraire à l'orage,

Les chantres ailés des forêts

Chercher l'abri de ton feuillage j

Et lorsque l'aimable printemps,

Le front couronné de verdure,

Aura rajeuni la Nature

Et rendu la vie à nos champs,

Tu ne verras point la bergère,

Pour éviter les feux du jour,

-ocr page 24-

Cherclier ton ombre hospitalière,
Et là, soupirant son amour,
Du beau berger qui sait lui plan e ,
Rêveuse, attendre le retour.
Ton destin , hélas ! est semblable
A celui des tristes humains ;
Tu croyais être inébranlable ,
Et cependant de faibles mains
Portent sur toi des coups certains ,
Et ta chute est inévitable.
Ainsi le mortel orgueilleux
Que la fortune favorise,
En impose un moment aux yeux
, Du vulgaire qui le méprise.

Touchant au faîte des grandeurs ,
Il croit ne
jamais en descendre ;
Mais la mort qui vient le surprendre,
Dissipant ses songes trompeurs,
Comme toi le réduit en cendre.

-ocr page 25-

lettre xxviit.

lettre xxviil

du calorique.

J'aime beaucoup le pays de la fable j
On y voyage eu s'amusant ;
J'aurais pu dire
en «'instruisant :
L'utile vaut bien l'agréable.
La Fontaine à la main, je chemine en causant :
Igt;e maître Aliboron j'écoute le langage ;
Et je trouve par fois le pauvre .Jine plus sage
iQue nos sages qu'on vante tant.
■Connaissez-vous les plaisirs du voyage ?
Lorsqu'on rencontre en son chemin
Messire loup , Janot lapin ,
Ou même le corbeau , grand mangeur de fromage ,
On n'est plus seul, on jase , et l'on reprend courage.,
•fe marcherais ainsi du soir jusqu'au matin.
Qu'un autre en un savant adage
place le secret du bonheur ;
La Fontaine parle à mon cœur ,
Et la sagesse est son partage.
3'ai quelquefois occupé mon loisir
De ces longs et tristes ouvrages
Où des moralistes sauyagei

ILnbsp;2

-ocr page 26-

Osaient condamner le plaisir ;
Las ! j'étais sourd à leur langage ,
Et la raison ne put rien obtenir.

La fable eût bien mieux fait, je gage :
Les bêtes m'auraient rendu sage,
Si j'avais pu le devenir.

Venons au fait, dit un censeur austère ;
Ton préambule est long , je le dis sans détour.

__Eh bien I point de courroux : je finis, pour te plaire,

Et je commence une fable à mon tour.

Dans le temps où le soleil n'était, selon
certains
pkilosoplaes , qu'un nuage en-
flammé d'un pied de diamètre , un sage
se
vantait d'expliquer tous les phénomènes
dont cet astre est la cause. Un jour, qu'au
milieu des jardins de l'académie, il venait
de créer d'un mot tous les mondes qui
roulent dans l'espaçe, un jeune disciple
de Platon, lui dit : « O sage ! daignez
« m'éclairer sur ces mystères : si les
« rayons du soleil tombent sur la cire,
« elle s'écoule en perles d'orj si ses feux.

-ocr page 27-

« au contraire, rencontrent Fargile liu~
« mide, ils la changent en pierre; l'homme
« qui se meut en présence de ses rayons
« se couvre de sueur , et ces mêmes
« rayons dessèchent les fontaines et les
« ruisseaux ; la lumière colore la rose ,
« peint la tulipe, blanchit le lis, et noircit
« le teint de la bergère : quelles peuvent
« être les causes de propriétés aussi op^
« posées? » Le disciple de Platon se tut;
mais le savant, confondu, ne savait que
répondre : celui qui
venait de créer des
mondes ne put résoudre la question d'un
écolier , et, tout honteux, il s'enfuit de
l'académie.

On nous a si souvent mis la fable dans
la science, que vous ne serez pas étonnée
de voir passer la science dans la fable :
chaque siècle doit avoir sa manière.

On sait d'ailleurs que notre temps
Est le siècle de la lumière.

Nous avons la bonne manière,
Car on ne voit plus d'ignorant.'; 5

a*

-ocr page 28-

Nous savons tout, ne vous déplaise.
Voyez nos docteurs de vingt ans,
Nos jolis Euclides de zeize,
Et tous nos faiseurs de romans ;
Voyez nos charmants incrédules.
Quoi ! vous croyez au Créatem' ?
Pascal et Fénélon partageaient votre erreur.

Les pauvres gens, qu'ils étaient ridicules
De publier le Dieu qui régnait dans leur cœur I
Nos auteurs sur ce point en savent davantage ;

Écoutez-les : ce sont tous gens de bien,
Qui devers le néant font gaîment le voyage :
L'un du hasard soutient qu'il est l'ouvrage ,
Et l'autre ne veut croire à rien,
Pour faire croire qu'il est sage.

Mais revenons à la science. Je ne sais
si vous aurez bien saisi la fable précé-
dente. Voici comment un physicien mo-
derne l'expliquerait :

Il imaginerait un fluide subtil, auquel
il donnerait le nom de calorique , et la
chaleur serait l'effet de la présence de ce
fluide invisible.

Le calorique, dirait le physicien, dilate
les corps en se glissant entre leurs mo-

-ocr page 29-

lécules. C'est ainsi qu'une barre d'acier
échauffée s'alonge de quelques lignes.
Une plus grande quantité de caloxnque
aurait changé cette barre en un ruisseau
d'acier. N'a-t-on pas vu l'or et l'argent
couler à grands flots comme les ondes;
d'un fleuve ? Le calorique dilate encore
les molécules de l'eau, au point de les
changer en vapeurs invisibles j et en son
absence , les fontaines et les torrents
restent suspendus comme des branches
de cristal.

L'air même lui doit sa fluidité : l'atmos-
phère deviendrait un corps solide, si le
caloi'ique ne dilatait les molécules qui la
composent. De nos jours on a réussi à
comprimer l'air au point de le rendre
deux fois plus dense que l'eau.

Quoique le calorique et la lumière
soient souvent réunis, il n'est pas rare de
les trouver séparés : le phosphore et
quelques insectes du soir offrent une

-ocr page 30-

lumière éclatante, sans aucune apparence
de clialeuf • et l'on peut échauffer un
grand nombre de substances, sans qu'elles
deviennent lumineuses. Il serait donc-
assez
Eaturel de croire que le calorique
et la lumière sont deux corps différents,
qui ont une grande attraction l'un pour
l'autre J mais les plus savants physiciens
persistent à les confondre, et vous adop-
terez sûrement ce système, lorsque vous
aurez réfléchi à la possibilité d'exister
deux et de n'être qu'un,
comme les amis
et les
amants dont parle Pythagore. Ce
philosophe ne disait-il pas ;

Je coule des moments heureux
Auprès d'une amante fidèle ;
Je n'existe pas seul quand je suis avec elle,
Et cependant nous ne sommes pas deux.

Voici , direz - vous , un commentaire
plus ennuyeux qu'une comédie nouvelle.

-ocr page 31-

lettre XXVllI.

Il était pourtant nécessaire. Un voile
enveloppe la fable, rl fallait le soulever.

Sous son voile léger cachant la vérité ,

La fable sait la rendre aimable.
Ah ! que ne puis-je voir sur ce point la beauté
Un peu ressembler à la fable !

Or, écoutez la fin de mon commentaire.

La propriété la plus remarquable du
calorique est de dilater les corps, c'est-à-
dire d'augmetiter
leur volume , en se
glissant entre leurs molécules. Cet effet,
comme je vous l'ai fait remarquer dans
mes premières lettres , est directement
opposé à celui que produit
l'attraction
d'agrégation
qui attire les molécules des
corps les unes vers les autres. H y a donc
une guerre continuelle entre ces deux
puissances, et c'est de cette guerre que
résultent toutes les formes variées de la
matière , depuis l'état de
solide jusqu
celui de liquide et de fluide aériformc.

-ocr page 32-

Une certaine quantité de calorique
ajoutée à un corps solide, le change en
fluide. Si l'on ajoute encore du calorique,
il entraîne les molécules de ce
fluide à une
telle distance les unes des autres, que leur
attraction d'agrégation est entièrement
détruite, et que le liquide est transformé
en vapeur -, c'est ce qui arrive à Teau bouil-
lante.

Lorsque je touche un corps chaud, le
calorique, qui tend à se mettre en équi-
libre, passe de ce corps dans ma main, et
produit la
sensation de la chaleur; au
contraire, lorsque je touche un corps
froid, le calorique passe de ma main dans
ce corps , et j'éprouve la sensation du
froid.

C'est à 1(1 propriété que le calorique a
de passer ainsi d'un corps dans un autre,
qu'est due l'invention du thermomètre.
La chaleur , en dilatant le vif areent,

Onbsp;/

augmente son volume, et le fait monter.

Cependant il est des corps que la chaleur

-ocr page 33-

ne pénètre qu'avec beaucoup de peine.
Permettez que je me serve ici du langage
de la physique.

On donne le nom de bons conducteurs
à tous les corps qui laissent un libre
passage au calorique. Les corps qui re-
tiennent, au contraire, le caloiiqvie, ou
ne lui accordent que difficilement un
passage, portent le nom de
mauvais con-
ducteurs.

Les mauvais conducteurs sont les corps
les plus chauds. Un habit de laine est
un
mauvais conducteur; il préserve du froid
non en donnant de la chaleur, comme
on le croit vulgairement, mais en em-
pêchant la chaleur de notre corps de
s'échapper. Ainsi, loi'sque l'air est plus
chaud, que notre corps, la laine nous
conserve frais.

Tous les animaux, par une prévoyance
admirable du Créateur, sont revêtus de
laine, de fourrures de poils, de plumes, etc.,
substances qu'on peut mettre au nombre

-ocr page 34-

des plus mauvais conducteurs. Les ani-
maux n'ayant pas l'industrie de se filer
des habits, sont vêtus des mains de la
Providence r elle prévoit pour eux les
chaleurs et les froids rigoureux -, leurs
poils tombent en été et s'épaississent en
hiver. Les oiseaux aquatiffues même ont
une espèce de duvet très-chaud qui ne
couvre que la partie de leur poitrine
exposée à l'eau, et les garantit à la fois
du froid et de l'humidité.

La prévoyance Va plus loin : le même
animal
revêt une fourrure différente dans
les climats différents. Les froids du Nord
couvrent
la chèvre, le lapin, ïe chat et
la brebis, d'une bourre épaisse et touffue.
Cependant ces quadrupèdes sont pres-
qu'entièremerit dépourvus de poils dans
les régions brûlantes du Sénégal et de la
Guinée, tandis qu'en Syrie, selon l'ex-
pression d'un naturaliste, ils sont couverts
d'un vêtement soïeux et long comme les
habits des Orientaux.

-ocr page 35-

lettre xxviii.nbsp;27

Les besoins de tous les êtres ont été
calculés avec tant de justesse, que les
animaux qui vivent dans les vallées, oîi
ils jouissent de la plus douce température,
sont habillés plus légèrement que les
animaux des montagnes, qui errent au
milieu des neiges et des frimats.

Ce serait une chose très-intéressante,
que de suivre cette observation jusque
dans les végétaux insensibles. Par exemple,
les boutons des fleurs sont destinés à mul-
tiplier et à perpétuer les espèces ; ils
renferment à la fois le fruit, la graine
et l'arbre à venir : aussi la Nature n'a-t-elle
rien négligé pour leur conservation : les
écailles qui les couvrent, disposées comme
des tuiles les unes sur les autres, sont
presque toujours hérissées de poils qui
les défendent des insectes , et enduites
d'un léger vernis sur lequel l'eau glisse
sans laisser d'humidité.

Je vous ai dit que les animaux sont
vêtus plus chaudement a mesure que la

-ocr page 36-

contrée qu'ils habitent est plus froide; il
en est de même des végétaux. En appro-
chant des pays chauds, les écailles qui
enveloppent les germes diminuent par
gradation, et finissent par disparaître tout
à fait. Dans la zone torride, les légers
boutons des fleurs sont nuds comme
le sauvage qui danse autour de l'arbre
qui les porte. Transportez ce végétal
dans nos climats , la Nature prendra
soin de le vêtir, et bientôt vous verrez
ses germes réchauffés par de nombreuses
écailles.

Tout périt dans l'univers, mais tout se
renouvelle. La Nature lutte sans cesse
contre la destruction ; sa prévoyance
maintient l'équilibre entre la vie et la
mort ; quel soin ne prend-elle pas pour
assurer la reproduction de la plante la
plus vile? pendant l'automne, elle entoure
le germe de l'oignon d'écaillés plus ou
moins nombreuses, selon la longueur de
l'hiver qui se prépare; les feuilles qui

-ocr page 37-

réchauffent les épis du maïs nous offrent
la même prévoyance : le sauvage n'a besoin
que de les compter, pour connaître la lon-
gueur de la saison des frimats, et c'est sur
ce livre charmant de la Nature qu^il règle
ses travaux, ses chasses et ses courses dans
le désert.

Ainsi l'étude de la Nature est pleine de
grâces et d'enchantement. A mesure que
nous avançons dans la connaissance de
ses secrets , les difficultés disparaissent,
l'aridité des
sujets fait place aux dé-
couvertes les plus intéressantes; la Pro-
vidence nous montre alors toute sa sagesse,
et l'on jouit, pour ainsi dire, du plaisir
qu'éprouve un voyageur lorsqu'il s'assied
au sommet d'vuie montagne qu'il croyait
ne jamais atteindre ; les plus beaux paysages
se déploient à ses yeux, et le ciel l'entoure
de tous côtés.

Mais c'est assez nous occuper de science;
les choses les plus aimables finissent par
fatiguer : telle est notre faiblesse, qu'il

-ocr page 38-

MOUS faut des délassements même au milieu
de nos plaisirs. Approchez-vous donc de
votre bibliothèque j

Oubliez pour quelques moments
Tout mon fatras scientifique ;
Laissez les lois de la physique,
Poiu- ouvrir ces auteurs charmants
Dont le dieu léger des amants
Anima le feu poétique.
De Chapelle et d'Anacréou
Lisez les galants badinages ;
Lisez les œuvres de ces sages
Qui , soiu-iant
à la raison ,
Ne cédaient qu'au plaisir volage
Dont ils recevaient, je le gage ,
Le plus doux prix de leurs chansons :
Tendres auteurs , amants fripons
Qui, malgré leur savant langage ,
Reçurent souvent des leçons
Des jeunes beautés de votre âge.
Ouvrez Desmahis et Bouflers ;
Parny qui nous rendit Tibulle j
Bertin qui du tendre Catulle
Nous fit entendre les concerts :
Amusez-vous des jeux divers
Dont leur histoire est embellie j

-ocr page 39-

LETTRE XXVIII.
Admirez leur tendre folie ;
Leurs longs amours, leurs petits vers,
Et jugez si ces doux travers
Ont fait le charme de leur vie,
Puisqu'ils ont eu la fantaisie
De les conter i l'uniyers.

3i

-ocr page 40-

lettre xxix.

HISTOIRE DU ÎRINCE DE CACHEMIRE, OU LES PRODIGES
DE LA SCIENCE.

Ces sublimes esprits qui, chassant de nos yeux
Tous les écarts d'une science obscure ,

Sur les secrets de la Nature
Firent penser tout l'univers comme
eux,
N'ont-ils jamais, oubliant leur génie ,
Accueilli la douce gaité ?
N'ont-ils jamais
charmé leur vie
En soupirant aux pieds de la beauté,
Et de quelques jours de foUe
Fait hommage à l'humanité ?

L'aigle qui plane au séjour du tonnerre
Ne reste pas toujours dans les hauteurs des cieux j
Il abaisse souvent son vol audacieux,
Et redescend chercher le repos sur la terre.

Imitons les savants , jouissons des plaisirs.
Sur ce point je les trouve sages.
Je vais conter pour charmer vos loisirs :
Les contes sont de tous les âges.

-ocr page 41-

lettre xxix.nbsp;33

Tout le monde sait que le sultan S cliariar
avait l'habitude de prendre chaque soir
une nouvelle épouse , et de la poignarder
le lendemain : c'était, disait-il, le seul
moyen qu'il eût trouvé de s'assurer de sa
fidélité. Eh quoi ! ne connaissait-il pas ces
complaisances, cet abandon de l'ame qui
confond l'existence des amants et les
oblige à la constance? Il disait que depuis
long-temps ces beaux sentiments servaient
moins à conserver les cœurs qu'à les
séduire ; et il avait
raison. Belle comme
la fleur qui vient de naître, Scliéhérazade
eut le secret d'endormir la férocité du
tyran, en lui faisant de jolis contes. Les
souverains, comme vous savez , aiment
lgt;eaucoup qu'on leur fasse des contes ;
c'est pourquoi ils entendent si rarement
la vérité. Or, une nuit que le sultan avait
rêvé qu'il ne ferait pas mal de s'amuser à
conquérir quelques royaumes, la sultane,
pour tâcher de le distraire de ces idées
11.nbsp;3

-ocr page 42-

34nbsp;livre troisième.

de gloire et de conquête, commença le

conte suivant :

« Depuis plusieurs jours le prince de
Cachemire marchait à l'Orient, espérant
y trouver le bout du monde. Hélas !
s'écriait-il, s'il est vrai que le monde ait
un bout, comment se fait-il qu'il m'échappe
totijours? Maudit génie 1 pourquoi m'as-tu
condamné à chercher inutilement une
femme infidèle?.... C'est donc un conte
de fée , interrompit Schariar ? ils ne
m'amusent plus, depuis que les spectres
et les brigands
se sont emparés des vieux
châteaux.
11 faut donc vous effrayer pour
vous plaire, reprit l'aimable sultane?

A. vos désirs on se conformera;

Et de l'histoire épouvantable
D'un vieux château, d'un souterrain, d'un diable,
D'un revenant,
et caeteraj
Seigneur, on vous amusera.

.......Au bout de quelques jours d«

-ocr page 43-

LETTRE XXIX.nbsp;35

marche, le prince de Cachemire aperçut
les débris d'un yieux château qui avait
une tour du nord et une tour du midi ;
il était bâti sur les bords d'un précipice
affreux j une haute montagne qui s'élevait
derrière semWait prête à l'écraser de ses
débris; trois torrents tombaient à la fois
de la cime du mont avec un bruit effrayant,
et formaient un rideau transparent qui
enveloppait toutes ces ruines. Étonné de
ce merveilleux spectacle, le prince s'arrête
pour le contempler,

Quand tout à coup un spectre épouvantable
Paraît devant l'illustre voyageur.
Je ue crois pas qu'il en ait eu grand peur,
Car il avait un courage indomptable.
Ce revenant, ce spectre, ou bien ce diable,
Était couvert de longs et noirs lambeaux,
Et sur son sein sa barbe vénérable
En s'agitant descendait à grands flots :
Il était tel, qu'en nos romans nouveaux
L'on ne pourrait en trouver un semblable.
Çaisaut au princç un «gae de la main,

-ocr page 44-

Sans lui parler, il lui dit de le suivre.

Le prince reste un moment incertain j

Mais de sa crainte enfin il se délivre,

Et hardiment suit les pas du lutin.

D'abord il entre en une cour immense

Où règne seul un sinistre silence,

Que le hibou, caché sous des débris,

Trouble le soir de ses lugubres cris.

Plus loin il volt, jusqu'aux cieux élancées,

De vieilles tours de créneaux hérissées j

L'astre du jour, touchant à l'horison,

Les dore encor de sou dernier rayon.

Prêt à courir toutes les aventures,

Le jeune prince avec son revenant

Qui sans mot dire allait toujoura-devant,

S'enfonce enfin sous des voûtes obscures.

Mais une voix, un long gémissement,

Sorti du fond d'un triste monument,

S'en vient frapper son oreille attentive j

Il se retourne, et dans l'éloignement

H aperçoit une ombre fugitive

Qui devers lui s'avance en grandissant.

Dieu ! qu'est ceci ? n'est-ce point un prestige f

Du bout du monde êtes-vous habitant,

S'écria-t-il? L'ombre à ces mots voltige,

Autour de lui passe rapidement.

Se diminue et s'agrandit encore,

Puis par degrés s'éloigne et s'évapor«.

-ocr page 45-

Elle est à peine éclipsée à ses yeux,
Qu'aussitôt brille un rayon de lumière ;
A sa
lueur, de ce lieu solitaire
Avec son guide il passe en d'autres lieux...

Que de plaisir me fait le merveilleux !
C'est là le bon et le vrai pathétique j
L'autre est auprès trivial et comique.
De jour en jour le goût devient meilleur :
L'art d'émouvoir est l'art de faire peur.

... Dans un salon où la mélancolie,
Triste et pensive, a souvent soupiré,
Le jeune prince à la fin est entré.
Les vieux lambeaux cl une
tapisserie
Pendaient encore à son mur délabré j
De mille feux il était éclairé ;
Sur une table élégamment servie,
Un bon souper se trouvait préparé.
Lors le lutin ouvre une large trappe,-
Et là-dessous disparait et s'échappe.
-'^U même instant, cn roulant sur leurs gonds.
Avec fracas vingt portes se fermèrent ;
Du vieux château les voûtes s'ébranlèrent ;
Et, déchaînés de
leurs gouffres profonds,
Au haut des tours les aquilons sifflèrent.
Demeuré seul, le prince dit tout bas :
Pour B»'effrayer, voilà bien du fracas ;

-ocr page 46-

L'on me reçoit d'une étrange manière !
J'ai lu par fois dans certain romancier
Quelqu'aventure encor plus singulière,
Et pour si peu je pourrais m'effrayer !
Non. Cependant une chose m'étonne ;
C'est ce souper : n'est-il là pour personne
Pour moi sans doute on l'a fait préparer :
Il vient à point. Eh bien ! sans différer,
Soupons. Il dit, et va se mettre à table,
Et, quoique prince, il trouva tout passable.
Mais le sommeil, image de la mort,
Déjà commence à fermer sa paupière ;
Et pour goûter sa douceur passagère, ,
Sur un fauteuil il se jette et s'endort.

11 y avait à peine Un instant qu'il som-
meillait, lorsqu'un coup de toriiietré le
réveilla en sursaut. S'étant approché d'une
ouverture que la foudre avait faite à la
muraille, il fut tout surpris de voir une
ville superbe, qui paraissait comme une
ombre dans un lointàin obscur. Pendant
qu'il contemplait ce spectacle, l'aurore
se levant tout à coup derrière les minarets,
de briques rouges de la cité, il fit UR

-ocr page 47-

ci'i de Joie en reconnaissant la superbe
Cachemire, où régnait son père, et dont
il se croyait éloigné de plus de quatre
mille lieues. Bientôt toute la ville fut en
mouvement; les boutiques des marchands
s'ouvraient de toutes parts, les femmea
allaient aux bains.

Tout s'animait dans la campagne j .
Le laboureur , reprenant ses travaux,
Suivait sa modeste comparé,
Qui menait paître ses troupeaux
Sur le penchaat de la montagne.
Dans le lointain, un jeune voyageur
Fuyait sa chaumière importune ;
L'insensd qtailtâlt lé bonheur
ïour courir açrès la fcnrtune !
AsSs sous un paltaier, au sommet d'un coteaii,
Un sage cependant contemplait ce tableau :
Mortels ! s'ccriait-il, votre espérantïe est vaine ;
Restez où le déstin plâça
iottc berteâu;
Heureux ou mallièiuwui, votre fin est prochaine :
Le plaisir, ainsi que la peine,
Ne çonduit-il pas au tombeau ?

En vain le prince appelait de toutes seamp;

-ocr page 48-

forces, on ne lui répondait pas. Impa-
tienté de ne pouvoir se faire entendre,
il se retourne, saisit son épée pour agi'andir
le passage et voler vers sa patrie. O sur-
prise ! en cet instant tout disparaît, tout
rentre dans l'ombre. Cependant le prince
se rappelle qu'il a vu
une fenêtre; il la
cherche, ill'ovivre. Oh!
alors, comme son
étonnement redouble en se trouvant au
milieu des ombres de la nuit l il venait
de voir lever l'aurore, et cependant la
lune au milieu de son cours remplissait
encore le
ciel de sa douce lumière. Un
précipice était à ses pieds; Ips trois torrents
y tombaient avec un fracas épouvantable,
et réfléchissaient une pâle lumière. Il y
avait un instant que le prince était à penser
s'il était jour ou s'il était nuit, lorsqu'il
aperçut un spectre noir debout
auprès de
son fauteuil. Plein de courage, il se pré-
cipite sur lui; mais à peine il le touche
qu'il se sent frappé par une main invisible ;
mille étincelles de feu sortent du visage et

-ocr page 49-

du corps du fantôme immobile. Le prince
recule épouvanté, ses cheveux se hé-
rissent, tandis que le spectre écrit ces
mots en lettres de flamme sur les lambeaux
de la tapisserie :
Si tu ne crains'pas la mort,
ose me suivre.
Ombre ou démon, s'écria le
prince, je te suivrai aux enfers. Le fan-
tôme, à ces mots, saisit une lampe, l'allume
en lui présentant son doigt, d'où une étin-
celle sort en pétillant -, et levant une trappe
qui cachait un escalier, il descend le
premier en éclairant le prince, qui le suit
le cimetère au poing...

A merveille, s'écria le sultan Schariar î

Jamais les bonzes, je vous jure,
N'ont fait des contes si jolis j
quot;Vous enchantez tous mes esprits
f'ar cette charmante aventure.
J'ai vu quelquefois les savants ;
Ils me faisaient sur la Nature,
Siu- le mondé et la créature
Certains contes assez plaisants.
Bien souvent la philosophie
Charma les heures de ma vie

-ocr page 50-

De ceTs contes ingénieux
Qu'on lit dans l'encyclopédie,
Et dont la docte académie
Fait des recueils si précieux.
Ainsi la sagesse embellie
Sut faire passer sous mes yeux
Tous les contes de la folie.
Mais
tous faites encor bien mieux :
C'est un charme de vous entendre ;
Et le cœur se laisse surprendre
A tous vos récits merveilleux.
Oui, sur le trône de mon pére
Je vous élève dès ce jour;
Car pour commander au vulgaire
Le savoir n'est pas nécessaire :
Le premier talent à
la cour
Sera toujours celui de plaire.

A ces mots, la sultane fit un sourire, puis
témoigna sa reconnaissance par une ca-
resse , puis enfiii se Mta de continuer
ainsi :

« Le prince avait déjà marché près de
deux heures dans les simiosités d'un sou-
terrain, lorsque tout à coup le spectre
disparut avec sa lampe, et laissa notre

-ocr page 51-

LETTRE XXIX.nbsp;43

liéros au milieu d'horribles ténèbres. Dans
cette pénible situation,
il allait se décider
à
revenir sur ses pas ; mais soudain une
voix de femme des plus douces se fit
entendre auprès de lui. La clianSon était
d'amour, et d'amour constant ;

Car chez les héros et les Lelk»
Çe fut la mode de tout temps,
De chanter les amours fidèles
Et d'adorer les amours inconstants,.

« Ah ! s'écriait le prince, si ce pouvait
être la beauté qui doit me désenchanter
en me refusant un baiser, mon bonheur
serait parfait. Jusqu'à ce moment je n'ai
pu. trouver que des femmes fidèles qui
) m embrassaient aussi souvent, que je le
voulais. En achevant ces mots, ii s'appro-
chait du côté où la voix s'était fait en-
tendre ■ mais à peine il touche le mur,
qu'il réçoit un coup terrible, et que de
longues aigrettes de feu brillent autour.

-ocr page 52-

de lui ; il veut présenter son épée, une
force semblable le frappe^ il s'avance en-
core, il se sent couvert de flammes; des
étincelles lui sortent en pétillant de toutes
les parties du corps ; il semble qu'un
brasier intérieur le consume, et cependant
il ne ressent aucune douleur.

M Alors, ayant marclié vers une lumière
qu'il vit dans le lointain, il se trouva sur
les bords d'un fleuve dont les ondes
noires se perdaient avec fracas dans des
cavernes immenses et ténébreuses. Une
soif brûlante le tourmentait, il se baisse
pour puiser de l'eau ; mais, ô surprise !
elle se change en feu sous la main du
prince, qui reçoit une violente commotion.
Epouvanté , il recule ; ses cheveux se
dressent sur son front et se couronnent
d'une lumière bleue ; il veut fuir, mais
il tombe, se sent entraîné, et roule comme
dans le fond d'un précipice. Quel fut son
étonnement de se trouver tout à coup
dans un vaste salon éclairé par douze

-ocr page 53-

l'oues de cristal qui, tournant avec ra-
pidité , faisaient jaillir des torrents de
flammes de douze tubes de cuivre étin-
celants.

« Il est impossible de peindre la surprise
du prince après cette dernière aventure :
il lui semblait, quoique debout, qu'il
roulait encore. Hélas ! s'écriait-il, j'ai beau
faire du chemin dans ce maudit château,
je vois bien qu'il ne me conduira pas au
bout du monde ; et quand le monde
aurait un bout, où trouverais-je
une femme
infidèle ?

« Ici, dit une voix terrible à l'oreille du
prince. Il se retourne, et ne voit per-
sonne. Ici, dit-on encore à son autre
oreille.

« S'étant approché des roues de cristal
et des tubes de cuivre qui éclairaient le
salon, il recula d'horreur
en voyant sur
une table des bras et des jambes qui,
quoique séparés du corps, étaient agités
de mouvements çonvulsifs, et cherchaient

-ocr page 54-

à se reunir. Cette pâle clarté, ces roues
de cristal, ces bras, ces jambes, toujoux-s
en action, formaient un tableau aussi
bizarre qu'effrayant. Le prince vit bien
qu'il était dans l'antre de quelque ma-
gicien : il serrait son épée avec force,
lorsqu'il aperçut encore douze têtes posées
sur autant de colonnes
brisées. Une de ces
têtes s'adressant à sa voisine : Il faut
avouer, dit-elle, que ce prince de Cache-
mire se fait bien attendre ; cependant la
princesse se meurt, et tous les jours nos
têtes
perdent de leur beauté. C'est un fou,
répondit l'autre tête, avec son bout du
monde et sa femme infidèle. Il se croit
enchanté, dit une troisièmè tête ; on assure
qu'il faut qu'une femme inconstante lui
refuse un baiser. Hélas ! s'écria une qua-
trième tête, c'est sûrement une leçon de
morale que l'enchanteiu- Galvani veut lui
donner. Ils n'est que trop vrai que tous
les hommes sont épris de la beauté, jus-
qu'au moment où une femme infidèle les

-ocr page 55-

désenchante, et pour jamais. Sa tête, reprit
la première qui avait parlé, sera sans doute
bientôt parmi les nôtres. J'espère que non,
s'écria le prince. Aussitôt toutes les têtes
poussèrent des cris si horribles, que le
prince prit la fuite en se bouchant les
oreilles. Il avait déjà traversé plusieurs
galeries, lorsqu'il se k'ouva dans un bou-
doir charmant. Mais quelle fut sa surprise
en apercevant une femme céleste, en-
dormie sur un sopha brodé d'or et de
perles !

Je ne peindrai pas sa beauté j
EUe av£Ùt comme vous, Sophie,,
Les grâces, la naïveté
Et l'air de la mélancolie. /
Un agréable demi-jour
Éclairait la belle endormie :
On 1 eamp;t prise pour mon amif
Ou pour la mère de l'Amour.

« Ah ! disait le prince, en marchant sur
la pointe du pied, comme elle est belle !

-ocr page 56-

48nbsp;Livre troisième.

Si celle-là n'est pas infidèle, je n'en trou^
verai jamais. Hélas ! quel souci de se dire :
m'embrassera't-elle, ne m'embrassera-t-elle
pas »?

A ces mots, le jour étant venu frapper
les yeux du sultan, Scbéhérasade se tut,
et remit à une autre fois la suite des aven-
tures du prince de Gacbemire.

Adieu, Sopbie. Vous venez de lire une
partie des prodiges que l'on peut opérer
par l'électricité et le galvanisme. Ce conte
est l'oeuvre de la science.

Pardonnez si, dans mon délire,

3'osai changer ainsi de ton,
Et toucher doucement les cordes de la lyre
Qui résonnaient sous les doigts d'Hamilton ,

Je me disais, en marchant sur ses traces,
Que vous verriez l'essai de mon faible crayon :
Les vers semblent toujours dictés par Apollon,
Lorsqu'ils sont chantés par les Grâces.

-ocr page 57-

lettre xxx.

ÉLECTRICITÉ, MÉTÉORES, FOUDRE.

Je vous écris du joli village de Rillieu,
où nous passerons quelques jours avec
Mesdames de B*** et de S***. Vous savez
combien elles sont aimables ; jugez de
nos plaisirs. C'est
bien ici que le temps a
des ailes.

Là, nous occupons nos loisirs
De physique et de poésie j
On rit, on jase , on étudie ,
Et bien'souvent à nos plaisirs
Se mÉle la philosophie ;
Non point celle de ces docteurs,
Dont l'aride et triste sagesse
Va toujours citant les auteurs,
Et d'Aristote et de Lucrèce
Préconise encor les erreurs j
Non la philosophie austère

U.

-ocr page 58-

Qui, repoussant la volupté,
N'ouvre jamais son sanctuaire
Au doux plaisir, à la gaîté ,
Et chasse d'un regard sévère ,
Les jeux, l'amour et la Leauté ;
Mais la philosophie aimable
De ces aimables beaux esprits
Qui n'étaient inspirés qu'à table j
Qui même , au milieu de Paris,
Eelevaient le culte adorable
Et de Bacchus et de Cypris ;
Qui toujours entourés des ris,
Ne rimaient que des bagatelles ,
Et qui de leurs galants écrits
Kecevaient chaque jour le prix,
De la main des dieux ou des belles.

Quelques-unes de vos amies, pensant
peut-être vous
rencontrer ici, sont ve-
nues assister à notre académie; vous com-
prenez bien que nous y parlons souvent
de vous ; je vous dois même la place que
j'y occupe.

Dans ce cercle enchanteur je n'entrai qu'en tremblant ;
Daignez me recevoir, dis-je à la plus jolie j

-ocr page 59-

lettre xxx.nbsp;Si

Se ne sais crudit, poète , ni savant,
Mais je suis l'ami de Sophie.

Hier l'orage nous ayant chassés de la
prairie , ces dames entrèrent dans mon
cabinet de physique.
M.quot;quot; de S'^** à
l'aspect des machines électriques, s'écria :
« L'académie traitera aujourd'hui desphé-
« nomènes du ciel, des
météores et de la
« foudre; elle expliquera tout,- comme
« c'est l
'usage, et l'ami de Sophie sera son
c( interprète ».

Je ne répondis à ce discours qu'en in-
voquant mon génie inspirateur.

Ainsi je vous nommai, Sophie.

Un autre eût invoqué quelque divinité

De la science ou de la poésie ;
Moi, je trouvai plus doux d'invoquer la beauté,

Nous commencerons, continua M.de
S***, en mettant en mouvement une ma-
ehine électrique, par expliquer comment

4*

-ocr page 60-

le frottement fait naître l'électricité. Ce
fluide n'est-il pas répandu dans toute la
Nature ? Le globe terrestre n'en est-il
pas la soiwce inépuisable ? Justement,
répondis-je; mais le verre, la résine et
l'ambre , ont la propriété de retenir le
fluide électrique
entre leurs molécules.
Le frottement le leur arrache , et des
pointes l'attirent et le transmettent dans
un tube de cuivre que les physiciens
nomment
conducteur. — Mais je ne com-
prends pas pourquoi le fluide électrique
reste dans le conducteur, jusqu'à ce que
je le touche pour l'en faire jaillir. — Rien
ne vous paraîtra plus facile à expliquer,
répondis-je, lorsque je vous aurai dit que
certains corps ont la propriété d'opposer
une barrière presqu'impénétrable au
fluide électrique. Le verre est au nombre
de ces corps. Un faible morceau de verre
a donc le pouvoir d'arrêter la matière de
la foudre : voilà pourquoi l'on élève le
conducteur sur des colonnes de cristal. A

-ocr page 61-

ces mots, Je S*** ayant tiré quelqueu
étincelles , toutes les dames voulurent
l'imitez-, et voilà notre grave académie

électrisant, raisonnant, expliquant, comme
ces Messieurs font.

D'an air mêlé d'audace et de timidité ,
Souvent sur l'isoloir une jeune beauté
Se place en rougissant, curieuse et tremblante ;
A peine elle a touché la baguette puissante ,
Autour d'eUe le feu jaiUit en longs éclairs,
La flamme en jets brillants s'élance dans les airs,
Se joue innocemment autour de sa parure,

Glisse autour de son cou, baise sa chevelure ;
La belle voit sans peur ces flammes sans courroux ,
Et dans le cercle entier répand un.feu plus doux (i).

Présentez à cette jeune beauté un vase
plein d'étber, l'approche de son doigt
l'enflammera.
Vous comprenez bien que je ne restais

(i) DeliUe , les Trois Règnts.

-ocr page 62-

pas muet au milieu de cet essaim char-
mant : je leur disais : Mesdames,

3'aime à vous voir accourir tour à tour
Pour arracher ces gerbes de lumière j
Ainsi Scopas représenta l'Amour
Lançant les flèches du tonnerre.

L'homme arrache la foudre au céleste séjour ,
De Jupiter il brave la vengeance ;
Mais contre les feux de l'amour
11 voit échouer sa puissance.

Et voilà, disait M.quot;quot; de S***, que nous
jouons avec la foudre, et que nous pou-
vons imiter une partie des météores qui
remplissent le ciel. Le feu saint Elme ,
les étoiles tombantes ne sont plus des
énigmes?]^ur nous. 0 César! notre petite
académie l'aurait expliqué ce que c'était
que ces aigrettes lumineuses qui cou-
vrirent tout à. coup les lances de tes
soldats. — Groiriez-vous, dis-je à de
S*** , qu'un feu follet ait jamais pu fairo
le destin des rois et des nations? L'histoire

-ocr page 63-

des pliénomènes de la Nature serait l'his-
toire des superstitions et lt;^es folies hu-
maines. Les pontifes de Rome, après un
orage, ordonnaient des fêtes pour
récon-
cilier le ciel et la terre. 11 y avait autrefois
un pays où, après une grande pluie , on
détrônait le roi (i). Les Spartiates même
déposaient leur prince, si, après neuf ans
de règne , ils apercevaient une étoile
tombante ou un feu follet (2) ; et les an-
ciens Thraces se rangeaient en bataille
pendant les bovileversements et les éclats
de la tempête, et lançaient leurs flèches
contre le ciel, en adorant leur dieu
Xamoixis.

Après ce discours , nous nous appro-
châmes de la fenêtre , qu'une académi-
cienne avait entr'ouverte.

Les oiseaux amis des orages
Mélaieiit leurs cris au truit du vent ;

(i) Histoire des Hum , tom. 2.
(î) Plutarque,
A^is et Ckomène.

-ocr page 64-

56nbsp;LIVRE TROISIÈME.

L'on voyait dans les airs passer rapidement,
D'horribles amas de nuages,
Et sur l'herbe et sur les feuillages ,
La pluie à petit bruit tombait en frémissant.
Dans un sombre lointain s'élevait le village ;

Tout était magique en ce lieu :
Les éclairs dans le ciel sillonnaient leur passage,
Et derrière un rideau de feu
Nous laissaient voir le paysage.

En ce moment ayant aperçu une nuée
qui se dirigeait sur le paratonnerre d'un
de nos pavillons, je pris une baguette, et
je dis
à ces dames que, nouveau Numa (i),
j'allais conjurer la foudre et la faire tom-
ber
à leurs pieds. Pi'enez garde , s'écria
M.quot;^ de S***, à ne pas éprouver le sort
de
Tullus Hostilius , qui ' fut foudroyé
pour avoir été trop novice dans l'art des
Volsiniens et de Numa. A peine elle ache-
vait ces mots, que le nliage éclata sur nos
têtes, et la foudre, suivant la route que

(i) Tite Live, lif. i.er; Arnobe, Uf. 5; Pline, lif. aj
Plularque,
Vie de IVuma,- Ovide , Pastor. 3.

-ocr page 65-

l'art lui avait tracée, passa devant nous
comme un serpent de feu. Je vous laisse
à penser la frayeur de toute l'académie :
Vénus n'éprouva pas un plus grand effroi
à l'aspect de Diomède furieux. M.quot;'quot; de
S*** elle-même semblait être une nou-
velle Sémélé en présence de Jupiter.

Bientôt oubliant sa frayeur ,
Notre charmante académie
Se mit à rire, et, d'une voix hardie,
Du grand Jupin me
déclara vainqueur.
Puis , sans garder un moment de sUence ,
On expliqua le pourquoi, le comment ;
On raisonna si bien de la science,
Que chacun de nous , en sortant,

En savait pour le moins autant (ju'homme de France.

gt;

Enfin, lorsque nous fûmes fatigués de
parler tous à la fois, il fallut bien se
décider à parler l'un après l'autre. J'allai
moi-même tirer quelques étincelles à la
barre du paratonnerre, pour convaincre
ces dames que la matière de la foudre

-ocr page 66-

était de même Nature que celle de la ma-
chine électrique ; puis j'expliquai com-
ment Franklin, ayant découvert que les
pointes avaient le pouvoir de soutirer
l'électricité sans bruit et sans explosion,
imagina d'en armer nos maisons et de les
opposer à la foudre. Le verre et les ré»
sines furent les
premiers instruments qui
firent connaître l'existence du fluide élec-
trique. Quelle distance entre un morceau
de résine et le tonnerre l Voilà pourtant
l'origine de notre puissance, et le chemin
que les hommes ont
pris pour désai'mer
les dieux. — Désarmer les dieux, inter-
rompit en riant M.quot;' de S assurément
Monsieur
veut plaisanter - car il ne peut
ignorer que les anciens n'armaient Jupiter
de la foudre , que pai^ce que les savants
croyaient qu'elle tombait lt;le la planète de
ce nom (i).

(i) Pline,».

-ocr page 67-

tetthe xxx,

L'observation est excellente, répon-
dis-je j d'ailleurs,

Ce Jupiter assis sur un nuage ^
Frappant du pied, faisant mauvais ménage
Avec Junon , sa jalouse moitié j
Ce Jupiter qui toujours sans pitié
Pour nos erreurs, n'en était pas plus sage ;
Qui pour séduire une beauté volage
Orna son front des cornes d'un taureau ;
Et, par ce tour agréable et nouveau,
Fit encor mieux qu'on ne fait à notre âge,
I-e chef couvert d'un casque ou d'im chapeau :
Bien loin , hélas ! de
lancer le tonnerre ,
Ce Jupiter était un petit roi
Qui gouvernait un petit coin de terre,
Faisant aimer et respecter sa loi 5
Et qui, doué de sagesse profonde,
Laissait en paix tout le reste du monde,
Et ne pouvait avoir la paix chez soi.

Puis, sans attendre de réponse, je conti-
nuai de parler de la science. Si nos re-
^rds, disais-je, pouvaient embrasser l'u-
nivers au moment où la foudre éclate dans
ses différentes régions, nous verrions le

-ocr page 68-

6onbsp;LIVRE troisième.

Brasilien, contempler le ciel en soupirant,
dans la pensée que l'esprit malin veut le
frapper ; au milieu d'une nuit profonde ,
à la lueur instantanée des éclairs , nous
surprendrions une foule de nations sau-
vages prosternées la face contre terre,
tandis que la Circassie nous montrerait ses
jeunes
beautés, sortant de leurs maisons
un lutli à la main, et formant des danses
joyeixses en présence des vieillards (i).

Vous les verriez d'un pas léger,
Aux roulements redoublés du tonnerre,

Danser ensemble , voltiger,
Et même encore au milieu du danger
Chercher tous les moyens de plaire.

Nous remarquerons qu'il est quelques
pays où la foudre est inconnue :
jamais il
ne pleut, jamais il ne tonne à Lima ; la
pureté de l'air y est
entretenue par les

^i) Vojage dé Taverniw.

-ocr page 69-

l)rises qui viennent des Andes, et le climat
est peut-être le plus beau et le plus
heureux de l'univers. Il tonne au contraire
tous les jours dans la Virginie ; c'est là
que la
Nature change en un bienfait l'un
de ses plus terribles phénomènes. Ces îles,
couvertes d'arbres épais , entrecoupées
de frais ruisseaux , ressentent pendant
quelques jours de si fortes chaleurs, que
l'atmosphère se chargerait d'exhalaisons
malfaisantes, si, de temps en temps, l'air
n'était fortement agité par un agent aussi
puissant que le tonnerre.

A peine j'achevais ces mots, que M.™® de
S**'^ m'interrompit pour me dire, avec
un sourire malin : en vérité, je crois que
la science nous fait tourner la tête. Com-
ment se fait-il que depuis plus d'une
heure nous parlions du fluide électrique,
et que nous n'ayons pas encore expliqué
ce que c'est que ce fluide ? — Pour ceci,
répondis-je, on l'ignore entièrement. —
Plaisante science, reprit vivement M.quot;quot; de

-ocr page 70-

S***, où l'on explique une chose sans
la connaître ! Pauvres savants, vous êtes
donc condamnés à raisonner sur la Nature,
comme les aveugles des couleurs, et les
sourds de la musique ?

J'allais répondre , lorsqu'on vint nous
avertir que le dîner était servi. J'offris la
main à ces dames, en leur rappelant que,
dans Homère, après un débat très-vif
entre Antenor et Paris, au sujet de la
belle Hélène, le sage Priam décida qu'il
était temps d'aller souper.

Nous suivîmes cet avis inspiré par la
sagesse, mais sans oublier de donner aupa-
ravant quelques louanges au poëte des
gourmands.

A toi, chantre charmant qui, dans tes jolis vers j

As mis l'homme des champs k table,
Et qui, pour surpasser les festins de la fable,
A tes diners invites l'univers j

A toi, joyeux convive, à ta muse ingénue

Qui manges eoujnje quatre et qui bois encor mieux.

-ocr page 71-

Sil'Égypt e autrefois plaça parmi ses dieux
Les lentilles , les pois , les choux et la laitue
Ton art, Berchoux, fait encor plus pour eux ;
Aux accords de ta poésie
Ils sont redescendus des cieux
four être les héros de M gastronomie.

A ce discours, les enfants d'Épicure
Qui m'écoutaient en souriant,
Se sentirent saisis d'une volupté pure ;
Et nous bénîmes la Nature
D'avoir fjit l'homme un peu gourmand.

-ocr page 72-

LETTRE XXXI.

électricité, belle compensation de la katuri.

aurore boreale.

Je m'empresse de vous apprendre que
notre académie s'est assemblée ce matin ,
pour achever d'expliquer tous les phéno-
mènes de la Nature -,

Et tandis lt;ïu'au sein de la viUe
La fovde s'ennuie à grands frais ,
Et que vous jouissez cn paix
Des jours que la
ïarque vous file ;
Tandis qu'on voit dans nos salons,
A quinze ans, Églé sur sa lyre
De l'amour célébrer l'empire,
Chanter ses légères chansons,
Ou bien de son brûlant délire
Nous exprimer la passion;
Tandis que, vantant sa Ninon,;
Quelque petit-maître infidèle
Se croit lui-même le modèle
Et de la grâce et du bon ton j

-ocr page 73-

LETTRE XXXI.nbsp;65

■A-u sein d'une plaine fleurie,
■ Sous l'ombrage des myrtes verts,
Notre infaiUible académie
Cherchait les lois de l'univers,
Et We dictait ces petits vers,
Pour les présenter à Sophie.

Elle eût voulu d'un compliment.
Tiré de ma faible cervelle,
Vous faire l'hommage galant ;
Chaulieu, Saint-Aulaire et ChapeUe
L'auraient bien fait assurément :
J'avais comme eux un beau modèle ,

Mais Urne'manquait leur talent.

Te n'irai donc point sur leurs traces j
Mon cœur saura m'inspirer mieux :
11 faut des louanges aux dieux ,
Un sentiment suffit aux Grâces.

Nous exposâmes d'abord les théories
imagmees par les physiciens pour expli-
quer les phénomènes de l'électricité. Les
quot;oms des Franklin, des Jîpinus et des
lt;;Oulomb, furent tour à tour célébrés par
lacademie. Je ne vous rapporterai point

-ocr page 74-

les discours de ces dames. Les esprits
célestes, dit un des savants que je viens de
citer , sourient du haut des cieux aux
hypothèses des hommes.

Je me fis entendre à mon tour.
Jugez de mon iuipatience,
Douze jeunes beautés étaient en ma prcsenee j
Leurs regards m'invitaient à parler de l'amour ,
Et leur liouclie, do la science.
Qu'il me serait doux d'obéir,
Si vos yeux quelque jour me parlaient ce langage !
D'un discours éloquent et sage
Vous voudriez en vain m'éblouir j
On cède ^oujom■s , à mon âge ,
A l'éloquence du plaisir.

Malheureusement vous n'étiez pas parmi
nous, et la science l'emporta. Je me mis
donc à raisonner, ou à déraisonner de la
physique ; car avec elle on n'est jamais
trop siir de ce qu'on fait.

Ilélas ! sur sa propre science
Le savant même est incertain j

-ocr page 75-

On sait aujourd'hui ce qu'il pense ,
Non ce qu'il pensera demain.

Cependant à l'ombre des myrtes fleuris,
entouré d'un cercle de beautés sédui-
santes, je commence enfin mon discours.

Le soleil, en répandant sur nos climats
des torrents de lumière et de feu, fait
naître les fleurs et les feuillages ; il elec-
trise nos cœurs, les échauffe, les anime,
et leur inspire l'amour; il est la source
des beautés de la
Nature et de nos plus
doux sentiments. Bisparaît-il un moment,
tout s'attriste, tout meurt, et l'hiver appe-
santit notre existence.

Quel est donc le sort des habitants
lt;les froides régions du Nord, de ces in-
fortunés voisins des pôles, entourés de
frimats éternels? la Nature les a-t-elle
abandonnés ?
bienfaisante envers nous ,
a-t-elle pu être injuste envers d'autres
créatures ? Privés de la chaleur inspira-
trice du soleil, ces malheureux ne se^

-ocr page 76-

i-eposent-ils jamais sous de riants berceaux
de pampres et de lierre ? ne voient-ils
naître aucune fleur dont ils puissent se
couronner ? Chose plus désespérante ,
meurent - ils sans avoir connu l'amour ?
Que dis-je ? la Nature est une bonne
mère : eh ! qui sait mieux aimer qu'une
mère ?

Oui, quelquefois dans ces climats
La Nature daigue sourire ,
Le printemps jette sur ses pas
Des fleurs qu'entr'ouvre le zéphire,
Et de l'empire des frimats
Le tendre Amour fait son empire.

La beauté dans ces lieux a tous les biens du coeur j
TranquUle au sein de sa famille ,
Heureuse amante , beiu:euse fille ,
Elle aime.,., et voilà le bonheur !

Quel est le soleil qui répand la fécon-
dité au sein de ces plaines glacées? quel
est le feu divin et reproducteur qui, dans

-ocr page 77-

ces tristes climats , ranime les désirs et
réveille l'amour?

La Nature compense tout ; prévoyant
les besoins de l'bomme et de la terre, elle
donna au fluide électrique une puissance
semblable à celle du soleil , puis elle le
répandit par torrents dans les climats les
plus froids. J'ai vu en Sibérie , me disait
«n sage vieillard, les cheveux des enfants
se hérisser sur leurs têtes, lorsqu'on y
passait la main : l
'air y était électrisé au
point que le poil des animaux pétillait au
plus léger frottement. Que si les physi-
ciens ont remarqué que l'électricité fa-
vorise rapidement la végétation (i), ils
n'ont pas vu que la grande abondance de
fluide dans les régions du Nord, avait
pour but de remplacer l'action bienfai-
sante du soleil sur l'homme, comme sur
les végétatix. L'électricité est le soleil des

(0 Voyt!. les ouvrages de Nollet et de Bertholon.

-ocr page 78-

pôles ; elle anime , elle échauffe -, en sa
présence les plantes ont plus de sève, le
sang circu.le plus rapidement, la vie a
plus de force , et l'âpreté du climat perd
son influence.

De Tenfant de Vénus vous voyez la puissance ; ,

Il fait sentir sou attrait enchanteur
Dans les glaces du Nord, dans les bosquets de France ;
Et pour s'assurer notre cœur,
Avec l'amour et le bonheur
La Nature est d'intelligence.

Ne croyez pas. Mesdames, que les tor-
rents de cette atmosphère d'électricité ne
servent qu'à donner de la vie à ces cli-
mats; on doit encore leur attribuer une
partie des météores qui remplissent le
ciel de ce monde polaire, lorsque le soleil
l'abandonne pendant six mois.

Vous n'ignorez pas que l'année , sous
les pôles, n'est composée que d'un jour
et d'une miit. Le soleil se lève à l'équi-
noxe du printemps, et sans discontinuer

-ocr page 79-

sa marche dans les cieux, on le volt six
mois sur l'horizon. Au hou^t de ce temps
il disparaît. Mais une nuit épouvantable
ne vient point envelopper la Nature ■ un
doux crépuscule l'éclairé long - temps
encore; le ciel offre
à chaque instant des
spectacles lumineux ; des flammes de
mille couleurs , des globes étincelants
et des écharpes de lumièi^e remplissent
l'étendue des cieux. Ces météores se pro-
mènent silencieusement dans l'espace, et
se réunissent quelquefois au zénith, où
ils forment des portiques, des arcs, des
gouffres de feux ; un incendie semble
consu.mer le ciel, le feu s'empare de toute
l'atmosphère , et l'aurore boréale règne
comme un géant superbe. Mais lorsque le
soleil reparaît
à l'horizon, tous ces phé-
nomènes s'évanouissent ; Apollon rentre
dans son empire.

On ignore encore quelles sont les causes
de l'aurore boréale; mais la quantité de
fluide électrique répandue dans les lieux

-ocr page 80-

qu'elle éclaire, doit faire penser que ce
fluide entre pour beaucoup dans la forma-
tion de ce phénomène.

J'achevais à peine ces mots, que l'aca-
démie , transportée d'admiration pour la
prévoyance et les soins du Créateur, ne
fit qu'un cri. O Nature ! disaitnbsp;de

S**,* , je te contemple , et mon être
s'agrandit -, tu as des signes certains pour
me montrer Dieu , et m'assurer de mon
immortalité. Celui qui t'étudie ressemble
à Christophe Colomb, qui, à l'aspect de
quelques fleurs qui flottaient sur les eaux,
fut assuré qu'il allait; voir un nouveau
monde.

Ce fut alors , Sopbie , que , saisi moi-
même d'énthousiasme , j'élevai ainsi ma
Toix victorieuse :

En vain l'impie ose troubler les airs,

J e verrai sa gloire abaissée
Je cbanterai le Dieu de l'univers j
Et l'erreur sera renversée.

-ocr page 81-

Ouvrant le ciel à la foule insensée
Qui se livre en mourant au néant destructeur,
Je rendrai Timpie au bonheur ,
Et j'agrandirai sa pensée
Eu lui montrant le Créateur.

Fleurs que le soleil fait éclore
En réglant le cours des saisons, ,
Champs qu'il a couverts de moissons,
Vous annoncez le Dieu que l'univers adore.
Superbe, abaisse-toi devant sa majestamp;j
Sois ton propre vainqueur , rends hommage à ga gloire,
Le ciel et l'immortalité
Seront le prix de ta victoire.

A peine j'achevais ces mots , qu'un
chant suave et doux retentit dans les
^irs ; les voix touchantes des académi-
ciennes répétaient en choeur l'hymne que
je venais de composer, et l'Éternel recevait
un hommage au milieu d'une académie.

Adieu. Nous retournons demain à la
ville; nous y resterons jusqu'au printemps.
Lorsque le zéphir le ramènera , vous
viendrez alors, je l'espère, prendre place

-ocr page 82-

parmi nous. Un siège de gazon vous
attend : un berceau de verdure, un joli
paysage et le ciel, voilà notre temple. Ne
croyez pas que le bonheur seul de vous
voir fasse désirer votre présence ; l'in-
térêt de l'académie entre pour quelque
chose dans ces désirs irrésistibles;

Car si, pour nous jouer un tour,
Un malin docteur de Cytlière ,
Sur les grâces et sur Tamour j
Sur les secrets de l'art de plaire,
Venait pour nous interroger,
C'est le moment, je vous l'annonce
Où vous pouvez nous obliger
En nous dictant notre réponse.

-ocr page 83-

LETTRE XXXII.

des volcans.

L A Nature semble avoir réservé pour les
montagnes toute la majesté de son spec-
tacle ;
ses plus grands mystères s'y accom-
plissent au milieu des bruits de
la tempête.
C'est de là que partent ces fleuves dont les
eaux argentées fécondent les campagnes j
c'est là que les cavernes profondés, les
Sites âpres et tristes, les coups redoublés
de la foudre, jettent dans l'ame de fortes
emotions, tandis que Fair le plus pur, les
plantes les plus salutaires, la majesté des
solitudes, inspirent à la fois les pensées les
plus riantes et les plus sublimes. Homme I
veux-tu agrandir tes idées, sentir toute
l'énergie de ton existence, étudier les

-ocr page 84-

secrets de la Nature? veux-tu être heureux?
marche vers les montagnes.

C'est la que venaient tous les sages
Que les siècles ont admirés ;
C'est là qu'ils étaient inspirés ,
Et que, sous d'antiques ombrages j
L'univers leur fut dévoilé ;
C'est là que le divin Homèrq
Sur l'Olympe avait assemblé,
Aux pieds du maître du tonnerre ,
Les dieux du ciel et de la terre,
L'Amour qui vous a révélé
Tous les secrets de l'art de plaire,
Et les Grâces avec leur mère.
Sur les sommets de l'Hélicon ,
Aux doux accords de Saint-jVuIaire ,
De Chapelle et d'Anacréon, '
Les Muses, d'une voix légère , .
Eépètcnt ces riens si jolis
Qu'elles avaient dictés jadi?
A ces volages beaux esprits
Qui chantaient le dieu ,de Cythère
Au milieu des Jeux et des Ris,
Et qui, cédant à la tendresse,
Eprouvaient cette douce ivresse
Qu'on retrouve dans leurs écyits :

-ocr page 85-

Enfin c'est sur les montagnes que les dieux,
les muses , les nymphes et les sages, font
leur séjour, et le plaisir y habite avec eux.

Mais quel spectacle s'ouvre devant moi ?
Au milieu des tourbillons de fumée, s'é-
lèvent tout à coup des colonnes de feu ;
la montagne mugit et s'entr'ouvre, la terre
tremble, les roulements de la foudre se
succèdent, des fleuves enflammés couvrent
les guérets..... Voilà l'enfer ! Les moissons
sont détruites, les villes renversées, leurs
habitants sont
écrasés. La première chose
qu'on trouva dans les cendres d'Hercu-
lanum, fut une pauvre mère emportant
son fils entre ses bras :
tous les sentiments
étaient éteints, et l'amour maternel existait
encore (i).

Venez voir le roi de la terre ;

Il se lamente, il pieuse ; être faible et mourant,
Il vient de naître à la lumière,
Et déjà la douleur l'attend.

(0 Bernardin de Saiut-Pier«, en parU«t du tableau du
lt;i«luge du Poussin.

-ocr page 86-

Qu'oses-tu dire , 6 sage Eli quoi ! l'iiomme en naissant
Serait abandonné de la Nature entière
Tu n'as donc jamais vu la mère
Près du berceau de son enfant ?

Je te salue, 6 pur amour
Dont l'Éternel entoure notre enfance !
Toi qui viens essuyer les pleurs que la souflrancc
Arrache aux yeux à peine ouverts au jour.

Age dont ime mère a fait un âge aimable,

Tu fuis, hélas ! comme un songe enchanteur ;
Ah ! les dieux , pour notre bonheur,
T'auraient dû faire plus durable.

Vous m'accusez peut-être de m'écarter
de mon sujet ; il faut me pardonner. Les
anciens aimaient ainsi à passer de l'histoire
des dieux à celle des hommes ; souvent
ils descendaient du ciel pour chanter la
terre. Je reviens aux volcans.

Quelle est la cause des volcans ? les
savants le demandent tous les jours à la
Nature.

La fable nous répond que Vulcain forge

-ocr page 87-

encore dans l'Etna les foudres de Jupiter.
Laissons les fictions.

Un piîilosoplie de l'Inde devint fou en
contemplant les mouvements de la sen-
sitive. Empedocle se précipita dans l'Etna,
ne pouvant comprendi-e ses mystères.
Pauvres philosophes !

Reprenez courage , Sophie ; vous ne
vous précipiterez pas dans l'Etna : notre
siècle n'est-il pas le siècle de la science ?

Voici une grande énigme que je vous
donne
à deviner :

L'Italie s'élève sur des volcans ; elle est
couverte dans toute son étendue de laves
et de cendres volcaniques d'une épaisseur
si énorme, que s'il existait des vides sou-
terrains proportionnés à de si grandes
masses, Rome, Naples, Capoue, seraient
abîmées depuis long-temps.

Les laves vomies par l'Etna sont plus
considérables que la Sicile entière.

La terre n'a donc pu fournir les matières
rejetées par les volcans. Ces irruptions
si anciennes, si multipliées, ne peuvent

-ocr page 88-

çtre dues à des agents qui s'épuiseraient
sans se renouveler. D'où viennent-elles ?
Voilà l'énigme. En vain les savants ont
cru la deviner ; Patrin seul paraît en avoir
trouvé le mot j

Ce sage dont la modestie
Égale les rares talents ,
Qui consacra toute sa vie
Aux études des vrais savants ,
Et qui fait sa philosophie
Des plus aimables sentiments,
Ce sage qui , dans sa vieillesse ,
A su conserver tout l'éclat,
L'esprit aimable et délicat.
Et les grâces de la jeunesse ,
Et qui, dans l'arrière saison,
Cueillant les fleurs de la science,
Pour nous faire aimer la raison,
L'embellit de son éloquence ;
Ce sage enfin cjui méritait
De vous conduire sur les traces
Des vrais savants qu'il imitait :
Le talent seul a le secret
D'instruire et d'amuser les Grâces.

Eh bien ! il a pénétré les mystères des
volcans. Différents gaz enflammés par le

-ocr page 89-

lettre xxxii.nbsp;6i

Auidé électrique , forment eux-mêmes les
fiaatièrés que lancent les volcans ; voilà
pourquoi ils sôht inépuisables.

Remarquez d'abord que toutes les mon-
tagnes volcaniques sont dans le voisinage
de la mer ; c'est de là qu'elles tirent les
Substances qui alimentent leurs feux , dàr
Ces feux s'éteignent à mesure que la mer
s'en éloigne. ' • . ;nbsp;^

Ces aliments sont les gaz qui composent
l'eau et, le sel.nbsp;'

r

Les

au'

Les volcans sont, Comm« les fontaines,
des émanations d'un fluide-^sans cesse-
renouvelé ; une partie de leur gaz s'en-
flamme et se dissipe dans l'atmosplièr^,
et l'autre ise condense en laves; ■ ; ■

masses pierreuses sont instantané-

ment formées par le contact de l'air , à
peu près comme certain gaz (i) se change
subitement en quartz par le contact de
l'eau.

(i) Le gOT. fliioriqiie siliceux.

II.

-ocr page 90-

La grande quantité de sel que les vol-
cans décomposent, est prouvée par une
observation aussi belle que singulière.

Méditerranée, perd, par l'évapora-
tion, inçomparablemeixt plus d'eau que
les fleuves n'en versent dans son sein.
Pour rétablir l'équilibre, Buffon observe
que les eanx de l'Océan y coulent avec
rapidité par le détroit de Gibraltar j mais,
dit M. Pati-ih, Qcs eaux lui apportent une
immense quantité de sel qui n':en ressort
plus -, il y aurait donc long-temps que le
bassin de la Méditerranée serait comblé
de sel , si les. volcans des deux Siciles ,
placés au milieu de cette mer, n'étaient
là pour en opérer la décomposition (i);.

C'est ainsi que la vérité
Voulant se révéler au sage,

(i) Voyez Recherches sur les Volcans, mémoire lu à l'Ins-
titut, par M. Patrin, Journal de physique, germinal an 8 j
les articles
Volcans, Laves, etc., dans le nouveau Diction-
naire d'Histoire naturelle, fit les notes qui sont à la fin de c
ïoluuiei

-ocr page 91-

Lui prêta la simplicité

Dont il embelKt Son ouvrage.

Cette aimable divinité

Que les savants n'invoquent guère ,

Dont on méconnaît la beauté

CJiez les grands et chez le vulgaire ,

Voulut nous prouver une fois

Qu'elle avait le secret de plaire :

Elle parla par votre voix ,

Sage ajmahle, que je révère.

Et l'on applaudit à son choix.

Amji ces diçux qui dans la.Gdrèçe entière
Ont vu s'écrouler leurs autels.
Ces dieux qu'immortalise Homère,
Queitfuefois se servaient de là voix des mortels j
Pour instruire et charmer la terre.

Le système de M. Patrin e-xplique en-
core la formation de'ces trombes'fpii,
semblables à. l'adamastor du Camoens ,
toucîieiit en même-temps la mer et lés
cieux,3Lés mers où oit-leii observé' sonï
toujours remplies d'îles volcaniques, et
les phénomènes que ces tz'ombei pré-
sentent tendent à prouver qu'elles sont

f!^

-ocr page 92-

causées par les explosions des volcans
sovis-marins. Six de ces immenses tour-
billons d'eau, de feu et de vent, entou-
rèrent tout à coup les vaisseaux de Cook;
le soleil les couvrait de lumière , les
orages combattaient dans leur sein ; leurs
mouvements vers le ciel étaient rapides ;
elles s'élançaient comme le Satan de
Milton,
et semblaient être une colonnade
qui fermait le passage aux infortunés
Toyageurs (i). Environné de toutes parts,
l'équipage était frappé de terreur et d'ad-
miration ; les trombes étaient immobiles,
et pouvaient tout dévorer; semblables à
ces douze lions d'Afrique qui virent passer,
sans se
déranger, les cinq cents naufragés
du vaisseau de Surville.nbsp;'

Je pourrais vous faire remarquer encore
combien les pierres qui tombent jdu ciel,
où elles se forment des différents gaz de

(i) Voyais de Caok, et Relation de Forster.

-ocr page 93-

TatmoSplière , sont favorables aux idées
de M. Patrin (i); mais voilà assez de
preuves et de science ; prenons un instant
de repos, en écoutant les malheurs de
cette famille infortunée qui habitait au
pied de l'Etna, dans le champ que la pos-
térité appela le champ des
enfants pieux....

Dans la verte Sicile, aux champs de Syracuse ,
Où murmurent les flots d'Alphée et d'Aréthuse ,
Dans un vallon peuplé de myrtes , d'orangers ,
sans cesse on entend le doux cliant des bergers ,
Beaux lieux que le bonheur a choisis
pour asile,
Et qu'en ses vers divins a célébrés Virgile ,
Vivaient loin du tumulte et du bruit des cités ,
Par leurs pieux enfants chéris et respectés ,
Le sage Philotas et sa modeste épouse.
Leur ame des grandeurs ne fut jamais jalouse.
Contents de peu, vivant dans la crainte des dieux ,
Ils cultivaient en paix le champ de leurs aïeux ;
Du mortel indigent, dans leur humble chaumière ,
Leurs soins compatissants accueillaient la misère,

(i) Vojez l'article Pierres méléonques, dans le nouveau
Dictionnaire d'Histoire naturelle.

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Et cliaque voyageur , de sa route écarté,

Y jouissait des droits de l'hospitalité.

Leurs fils , tous les matins, au lever de l'aurore,

Quand l'herbe de rosée était humide encore,

Suivis d'un chien fidèle , aux sommets des coteaux

Conduisaient eu chantant leurs paisibles troupeaux ,

Et les laissant loin d'eux errer à l'aventure ,

Ils contemplaient alors, admiraient la Nature.

Un jour qu'aux bords des mers, ils se trouvaient assis,

Amphinomus , rêveur, dit : O cher Anapis !

Vois-tu vers l'horison ces montagnes, ces îles,

Ces rivages déserts et ces plaines fertiles ?

Eh bien ! si quelque roi venait me les offrir,

Et qu'à quitter mon père il fallut consentir ,

Je lui dirais : L'éclat, la glqire et la richesse ,

Ne pourraient un moment remplacer sa tendresse.

Par lui y dés mon enfance, à la vertu formé ,

Des plus doux sentiments mon cœur fut animé ;

L'aimer et le chérir, voilà toute ma gloire,

Et ses bienfaits vivront gravés daiî? ma mémoire.

Ah ! s'écrie Anapis, que j'aime tant d'amour !

Nous en sommes tous deux bien payés de retour !

Les dievix que nous servons dans nos cœurs l'ont fait naître.

Ils ont toujours béni notre asile champêtre ,

Et, sensibles aux dons qui parent leurs autels ,

Toujours jeté sur nous des regards paternels.

Modèles de vertus , ainsi tous deux parlèrent.

Mais quel plaisir, le soir, lorsqu'ils s'en retournèrent,

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D'apercevoir de loin leur toit hospitalier ,
Et leur vieux père assis à l'ombre d'un laïu-ier î
Souvent dans cet endroit il venait les attendre ;
Et sitdt que leur voix pouvait se faire entendre ,
Gaîment sur son bâton vers eux il s'avançait,
i:t dans ses bras tremblants tour à tour les pressait.
Ensemble ils conduisaient les troupeaux â l'étable ,
Faisaient ensemble aux dieux une offrande agréable ,
Et leur mère , laissant son rouet, ses fuseaux,
Venait en haletant partager leurs travaux.
Heureux mortels ! combien vos destins font envie !
Jamais aucun chagrin n'avait troublé leur vie ;
Mais un instant, hélas! a détruit leur bonheur.
Essayons de
tracer ce tableau plein d'horreiUquot;.
Leurs fils étaient allés dans la ville prochaine.
Le matin , du zcphir régnait la douce haleine ,
La mer était tranquille, et du ciel le plus pur
Ses flots rélléchissaient et renvoyaient l'azur.
Mais bientôt dans les airs flottent d'épais nuages ;
Les cris sourds des oiseaux précurseurs des orages
Sont répétés au loin par l'écho des rochers ;
Dans leurs barques, d'effroi pâlissent les nochers ;
La mer frappe ses bords tout blanchissants d'écume,
Dans le sein de la terre un feu caché s'allume J
Pour éclater enfin , avec plus de fureur ,
L'Etna long-temps exhale une épaisse vapeur.
Tout à coup il mugit, et de son large gouffre
Sortent en bouillonnant le bitume et le soufre ;

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S8nbsp;LIVRE troisiewe;

Des toiirliillons de feux s'élançant dans les airs

Sillonnent de reflets la surface des mers ;

La lave en longs, ruisseaux descend de la montagne gt;

Et de ses flots brûlants inonde la campagne ;

Entraîne dans sa course arbres , temples , palais ,

Et détruit sans retour les trésors de Gérés.

Tout fuit épouvanté, court et se précipite.

Les uns pour échapper prennent en vain la fuite ;

Atteints de tous côtés par ces flots dévorants,

Sur des torrents de lave ils tombent expirants ;

Dans les champs embrasés régne une horreur profonde j

Et sur ses fondements semble crouler le monde.

Cependant les deux fils du sage Philotas

Le soir, de la cité revenaient à grands pas,

De l'Etna tout à coup apercevant la flamme :

Un noir pressentiment s'empare de letir ame.

Ah ! mon cher Anapis, s'écrie Amphinomus !

C'en est fait, hâtons-nous... nos parents ne sont plus ..,

Courons j et s'il se peut, s'd en est temps encore.

Mais peut-etre déj-à la flamme les dévore...

Dans la campagne en feu promenant leurs regards j

Quel spectacle d'horreur s'offre de toutes parts !

Des vieiOards , des enfants , des femmes désolées ,

De leurs gémissements remplissent les vallées ;

larmi ces malhevireux échappés au trépas,

Anapis et son frère ont cru voir Philotas ;

Ce n'est point lui. Malgré lenr méprise cruellç ,

ïls redoublent encore çt d'ardeur et de ?èle.

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■lettre xxxii.nbsp;891

Arrêtez, leur dit-on, liélas ! oii courez-vous ?

ta mort est sur vos pas ; ah ! fuyez avec nous ;

Vos parents sont sauvés : sur la verte colline

Où s'élève isolé l'autel de Proserpine,

Vous les retrouverez; les dieux veillent sur eux.

Vers la colliue alors ils s'élancent tous deux ;

Mais de tous les côtés , dans ce lieu solitaire ,

Ils cherchent vainement leur infortuné père ,

Et trois fois s'enfonçant dans l'épaisseur des bois ,

Us l'appellent 5 l'écho répond seul à leurs voix.

A sauver leurs parents ils n'osent plus prétendre ;

Le bruit sourd du volcan au loin se fait entendre ,

Et ce funeste bruit augmentant leur douleur ,

Ils restent l'un et l'autre immobiles d'horreur.

Leur courage abattu tout à coup se ranime.

De l'amour filial, ô dévouement sublime !

Du haut de la coUine , aussi prompts que l'éclair

Pour sauver, s'il se peut, ce qu'ils ont de plus cher ,

Ils descendent soudain.. . mais quelle horrible scène ! -

Un océan de feu couvre toute la plaine ;

Plus de passage ouvert, plus de chemins frayés ,

Aucun sentier ne s'offre à leurs yeux effrayés.

N'importe, les dangers accroissent leur courage ,

Et dans la plaine enfin ils trouvent un passage.

Dans ce moment affreux , le triste Philotas

Vers le ciel cn courroux lève ses faibles bras ;

Pour lui, pour son épouse , il le prie , il l'implore.

Mais quoi ! dit-il, mes fils ne viennent point encore !

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Dieux ! avant de mourir me seront-ils rendus ^
Non , c'en est fait, hélas ! j e ne les verrai plus !
Ils auront sur l'Etna.. . mais à peine il achève ,
Qu'autour de lui la lave en montagnes s'élève ,
Eoule sur sa cabane, embrase son verger ,
Et le menace enfin du plus pressant danger.
L'infortuné vieillard , tout saisi d'épouvante ,
Entraînant avec lui son épouse expirante,
Pour la sauver, hélas ! fait un dernier effort,
Et partout sur ses pas il rencontre la mort.
Sans espoir, sans secours, se soutenant à peine,
Ils tombent tous les deux sur la brûlante arène ,
Tous deux vont expirer... mais, ô bonheur soudain !
Leurs fils , leurs tendres fils qu'ils attendaient en vain ,
Précipitant l'essor de leur course rapide ,
Viennent les arracher à la lave homicide.
A travers
un déluge et de cendre et de feux,
Désespérés , ensemble ils s'élancent vers eux.
Déjà contre son sein l'un ranime son père ,
L'autre tient dans ses bras sa malheureuse mère ,
Et surmontant tous deux des obstacles nouveaux,
Dérobent au trépas leurs précieux fardeaux.
Mais comment traverser cet incendie immense ?
Tour à tour agités de crainte et d'espérance,
Ils arrivent enfin sur des bords écartés
Que le volcan cncor n'avait point dévastés.
Les deux vieillards mourants sont rendus à la vie ;
Et, malgré les transports de leur ame ravie ,

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Craignant de perdre encor les auteiurs de leurs jours,
Leurs tendres fds des dieux invoquent le secours.
Rassurez-vous ; le ciel, sensible à vos alarmes,
Calmera Vos douleurs et séchera vos larmes ;
Vous allez retrouver le bonheur et la paix ;
Et du nom de pieux honorés à jamais ,
Ces champs rappelleront sans cesse à la mémoire
De toutes vos vertus l'intéressante histoire (i).

(i) Cette anecdote est rapportée par SoUn, Strabon, Pan^
sanias et Philostrate, vie d'Apollonius de Tyane. ■

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LETTRE XXXm.

des vége'taux et des animaux venimeux.

Le feu sacre' des vestales à Rome, le bra-
sier d'Apollon à Delphes , la lampe de
Minerve à Athènes, et l'éternel flambeau
de l'Amour, devaient faire le sujet de
cette lettre ; je voulais vous montrer chez
tous les peuples une espèce de culte du
feu, mais j'ai renoncé à ce projet.

Laissons tons les écarts brillants
De ces Grecs légers, mais aimables :
Nos aïeux étaient des enfants
Qu'on amusait avec des fables.

Par exemple , comment, de nos jours,
oser parler des vestales ?

La beauté, chez nous, à quinze ans,
Naiyement et sans scrupule,

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Laisse voir les transports brûlants
D'un cœur qui s'abandonne aux plus doux sentiments.
Hélas ! en la voyant adorée et crédiile,

On juge bien qu'en nos cercles'cliàrmants
La vestale , modeste en ses ajustements^
Simple dans ses propos, sans grâcteS, sans amants,
Serait un objet ridicule. I- - nn

Gai-dez-vous cependant de croire que
les anciens fussent beaucoup'plus sages
que nous. Voulez-vous un eiêmplfe de leur
indifférence pour la sagesse ?

L'Amour voyait dans son temple immortel
Briller' de mille feux la-lùmière éclatante ;

line lampe pâle Irt inourante quot; ' 'nbsp;quot;

De Minerve éolairai^l'autel. |j fjf :; . /- i^

Mais j'oublie .qiife c'est de la Nature que
j« dois vous palier. Jè veux aujourd'hui
vous faire admir^er la sagesse de ses des*'
seins, et la grandeur de sa bonté.

Je sais que nos jeunes docteurs,
BoufEs d'orgueil «t de sçience

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XIV.HE TROISIEME.
Auront pitié cLe mes erreurs,
Et riront de jnoii. innoc^nop. ' . ■
Hélas ! telle est mou ignor5igc,ç.,^
Qu'en voya^,l,ç?.,berc,eaux Jtleur,^ -
Dont Zéphire. émbellit la terce
Qu'fip ypyant le fruit salutaire
Et la moisson du laboureut,.,^., • . ,
Je crois alors au Créateur,
Comme l'enfant croit à sa mère.
Et l'adtifcisèeirt
au bonheÙTi;

Ai^e^, i^^giîé^nbsp;_

Ou comme on croit à la beauté
Lorsqu'on esï en votre prësèncb.

Je vais plus loin encoje. Semblabie ail
stoïcien Cléanthe ( i ), qw apportait pour
preuve de la divinité, les orages-; les trem-
blements de terre, les volcans , les co-
mètes ^ 1
tQUS les Rpbéïïbiiafinps dont
nous accusons ; la NatMBé , j e : nreuî i-ap^
portertà la!'gloire du Cnéateùr les poisonsr
que la terre pi^ésente à Tbominc»nbsp;•gt;?

(i) Cicéron, de la natuis desnbsp;liv. 3.

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Si l'homme n'apportait pas son e'goïsme
jusque dans l'étude de la Nature, la vérité
lui échapperait moins souvent, fl veut que-
tout l'univers soit créé ppur lui, comme s'il
était seul sur la terre , et il ne daigne pas
même jeterlesyeux sur les êtres qui l'envi-
ronnent. Voilà pourquoi il ose nier la Pro-
vidence; voilà pourquoi se^ jugements sur
la création sont quelquefois si erronés.
Une plante lui est-elle nuisible, il infère
de là
qu'elle est nuisible à tout runi.vej,;s.
Il ne voit pas l'insept^ qui rampe sur sa
tige, ou le troupeau^i s'en nourrit;
un reptile le pique,-t-il £»u talon, il.o,se
blasphémer le Créateur, commç.s'il eût pté
de la suprême sagesse de,ne .créer que des
hommes , ou des êtres qui dussent nous
être utiles. Cependant les savants çonr
naissent plus de trente TO^le espèces: ida
plantes, et dans ce nombre deux ou troi^
cents suffisent à tous nos besoins le
laboureur nous présente ses gerbes et seâ
fruits, quelques simples font toute la

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science des émules d'Esculape, et il nrt
faut qu'un bluet, une violette, une rose
pour le bouquet de la bergère.

Il est donc des plantes qui ont été créées
pour l'homme , et d'autres pour les ani-
maux. 0 mortel! tu ne trouvés de sagesse
que dans les oeuvres qui se rapportent à
toi : eh bien ! vois ces fleurs dont tu
redoutes les sucs empoisonnés, l'abeille y
saura recueillir un nectar aussi doux que
celui de la rosé ; vois cettè ju^uiame, le
porc immonde la dévore, ce
poison ter-
rible
circule dans ses veines, et se change
en une chair délicate et succulente ; la
chèvre broute la ciguë et le titliyraale, et
ces plantes sé transforment dans ses ma-
melles en une liqueur douce et onctueuse.
L'outarde, dont les gourmands font leui's
délices , se nourrit des semences de ces
mêmes végétaux , et
presque tous les
oiseaux font leur pâtm^e des chenilles, des
insectes et des reptiles venimeux. Ainsi,
par une cbaî^ie
imperceptible, l'existence

r

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des poisons se lie à la nôtre. Voyons à
présent de quelle utilité ils peuvent être^
dans le système général de l'univers.

Toutes les œuvres de la Nature ont
Un but; cependant on demande encore
quelle est l'utilité des insectes veni-
ïneux et des plantes emj)oisonnées. In-
terrogeons la Providence : la seule pensée
de la bonté de Dieu explique plus de
mystères que toutes les recherches deâl
savants.

Remarquons que dans les climats froids!
il ne croît point de poisons, et qu'il n'y a
pas un seul insecte venimeux.

Les plantes même perdent leurs qualités
Riortelles en changeant de climat. L'il-
lustre Haller avait remarqué que les aco-
nits , dont le suc servait aux Gaulois pour
empoisonner leurs flèches, étaient moins
dangereux à mesure qu'on avançait a«
Nord, et qu'en Suède on les mangeait en
salade , pour réveiller l'appétit.

C'est sur les bords des marais que là
ILnbsp;7

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Nature jette le plus grand nombre de
plantes et d'animaux venimeux, parce que
l'air a besoin d'y être sans cesse purifié.
Ce n'est aussi que pendant les grandes
chaleurs que l'atmosphère se remplit d'in-
sectes, et que les serpents se dégour-
dissent. Partout où il y a une grande
corruption, la Nature sème des fleurs
pour la cacher et la détruire, et une foule
d'éphémères pour rendre à l'air la vie et la
pureté.

Ainsi l'Éternel dit à certains insectes et
à certaines plantes : Vous puiserez dans
le sein de la terre tous les germes dan-
gereux que la destruction, la chaleur et
la
mort y répandent -, mais vous porterez
avec vous ces poisons comme une marque
de ma prévoyance pour l'homme -, et
on vous connaîtra à votre laideur, à
vos cris lugubres, et à vos sifflements
sinistres. L'Éternel ne dit pas ces paroles
à la gerbe nourrissante et à la fleur par-
fumée i il ne les dit pas au boeuf laborieux.

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au cheval superbe et à l'agami (i) du
désert !..

Et l'homme élèverait une plainte insensée,-
tm qui, par le pouvoir de sa seule pensée^
S'ouvre l'éternité, devine un Créateur,
Et dans son abandon reconnaît sa grandeur !
Qui, lorsqu'autour de lui tout périt, tout sucdombe,
Voit un jour immortel en entrant dans la tombe,
Et qui seul, au milieu de tant d'êtres divers,
Peut célébrer lie Dieu qui forma l'univers.
Le connaître, Paimer, annoncer sa puissance^-
Et dans le temple saint
prier en sa présence !
Oh ! mille fois heureux le mortel dont lé
cœur
Croit retrouver partout la main d'un bienfaiteuTj
lt;3ui, toujours assuré de sa bonté suprême,
Ke juge point son Dieu, mais se juge lui-même jj
Se soumet sans se plaindre à ses justes décrets,
Êt qui, de la Nature ignorant les secrets,
Aime mieux s'accuser de sa propre faible»»e,
Que de penser qu'un Dieu pût manquer de sagesse !

Mais pour revenir à nos observations,

(0 Fojez ec q^^ç j'^j de l'agami, au premier vo{ume,

kv. 2.

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je VOUS dirai qu'on a remarqué que dans
les contrées brtilées des rayons du soleil,
l'air se corrompt plus facilement; que la
décomposition des corps y est plus ra-
pide, et que les principes malfaisants y
sont plus vifs et plus dangereux que lt;lans
les régions tempérées ; mais c'est aussi
dans ces climats brûlants que croissent les
poisons les plus violents. La Nature s'en
«ert pour purifier l'univers; elle réunit en
un seul point tous les venins qui auraient
pu remplir la terre et les cieux : les mos-
quites parmi les insectes, le bubon-upas
de Java parmi les arbres, et le serpent à
sonnette parmi les reptiles, ont été des-
tinés à la conservation de la Nature et de

l'homme.

Lorsqu'on détruit un trop grand
nombre de ces animaux et de ces plantes,
et que la Nature ne trouve plus ces
grandes masses pour y déposer les poisons
que la corruption et la mort lui four-
nissent ; alors des vents empoisonnés

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s'élèvent du désert, et parcourent l'uni-
vers, en y jetant la désolation et le deuil.

Je sais que tout ceci n'est qu'une hy-
pothèse fondée sur quelques observations:
voici à présent quelques observations sans
hypothèse. Si les pays méridionaux pro-
duisent une infinité de poisons mortels,
c'est aussi de là que la médecine tire ses
remèdes les plus salutaires ; que si l'on y
trouve des myriades d'insectes venimeux ,
ils sont tous relégués dans les sables
brûlants ou dans des marais impénétrables,
séjours qui ne furent point destinés à
l'homme ; que si, dans ces contrées, la
corruption est plus active qu'ailleurs ,
c'est aussi là que, par une belle compen-
sation , croissent les aromates et les par-
fums qui pui'ifient l'air J enfin, si dans
les climats froids, nous sommes privés
de ces végétaux
aromatiques et des
médicaux des contrées australes, nous
n'avons en revanche qu'un très-petit
aiombre de plantes véritablement dan-

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gereuses, et que nous pouvons facilement
éviter.

Quelque simple que soit mon hypo^
llièse, je vous avoue qu'on peut y faire
de très-fortes objections j aussi ne la ha-
sardé-je qu'avec beaucoup de crainte , et
comme une explication plausible de mys-
tères peut-être inexplicables. Je crois être
le premier qui ait osé dire quelque cliose
à ce sujet. Si mes idées ne sont pas justes,
du moins ne sont-elles pas dangereuses,
puisqu'elles ne tendent qu'à prouver la
sagesse de la Providence. Voilà surtout
ce qui m'a donné quelque confiance en
elles ; car je pense fermement que celui
qui trouvera le plus de prévoyance et de
bonté dans les œuvres de la Nature, sera
toujours son interprête le plus vrai.

Ne croyez pas, je vous en prie,
Que je veinlle dire par-là
Que tout est bien dans cette yi».
Tanglosse eut cette fantaisie.

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Le docteur Martin s'en moqua,

Et Voltaire nous amusa

De l'histoire de leur folie.

Ah ! quand je vois un malheureux

Sans un seul ami sur la terre

Qui puisse lui fermer les yeux,

Mourir flétri par la misère

Auprès des palais orgueiUeui

Du riche sourd à sa prière :

Je dis, tout n'est pas pour le mieux.;

Mais si, dans ma douleur profonde,

Je vois paraître un bienfaiteur ;

Si , dans l'ardeur qui le seconde,

Il vient soulager le malheur,

Je dis alors du fond du cœur:

Tout est pour le mieux dans le monde.j

Le vieux Panglosse avait raison , je pense ;
Le malheur même est un bienfait des cieux
Ah ! sans les pleurs qu'arrache la soulïrance,'
Aurait-on vu s'échapper de nos yeux
Les pleurs de la reconnaissance ?
S'il n'était point de malheureux,

Connaîtrait-on la bienfaisance '

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LETTRE XXXIV.

ÏRÉVOyANCE de LA NATURE. HORLOGE DE FLORE.
NIDS DES OISEAUX. RUSES DES INSECTES.

Laissons un instant les vérités souvent
arides do la physique, pour nous occuper
de la simple Nature. Je veux essayer de
vous donner une idée de sa prévoyance
dans les différents climats. Et toi, auteuv
naïf dqs amours de Paul et Virginie,

Sois mon maître et mon gnide en ton art difficile.

Hélas ! je ne suis rien encor ;
Mais lorsque le potier veut façonner l'argile,
Il lui donne le pris de l'or.

Ne pouvant marcher ton égal,
Je veux au moins te suivre à la victoire
Comme vm brave soldat vole au champ de la gloir«;
Sur les y as de son général j

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Ou comme on voit la timide glaneuse j
Quand vient le jour de la moisson ,
quot;ïlamasser les épis qu'une main généreus»
Laisse à dessein dans le vallon.

D'une éloquence simple et pure,'
ïn te lisant je connus tout le prix;
Fais pour moi ce que la Natur«
Fil pour embellir tes écrits.

Ne vous êtes-vous jamais demandé ce
que devenait la fleur délicate et frêle ,
exposée à la fureur de la tempête et aux
ardeurs du soleil? N'avez-vous jamais
songé, pendant l'orage, aux nids des
oiseaux, à leurs petits abandonnés à la
pluie et aux vents? Ab ! Sophie, que la
Nature est prévoyante ! qu'elle est
grande
et sublime î il faut l'admirer, il faut
l'aimer,

Asseyons-nous un instant sous ces massifs
de verdure, où les arbres des deux mondes
confondent leurs ombrages.
J'y vois les
feuilles mobiles et finement découpées de
nos climats j leur tissu léger laisse passer

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doucement les rayons bienfaisants du soleil.
Au contraire les arbres immenses de l'A-
mérique couvrent leurs fruits de longues
feuilles, versent sur leurs bouquets délicats
une ombre large et humide, et semblent
protéger leurs fleurs comme elles abritent
le voyageur brûlé des ardeurs du midi.

Mais ce n'est pas assez pour le faible
boulon qui redoute les feux du soleil •
il n'a ni feuillage, ni abri j se desséchera-
t-il avant d'avoir embelli nos bosquets ?
Non : la Nature elle-même prépare son
entrée à la vie, elle-même protège son
feuillage. Voyez la nigelle des champs
pencher sa tête comme si elle était flétrie,
éviter ainsi les feux du jour, puis se ra-
nimer et renaître dès que l'air reprend sa
fraîcheur : son bouton s'ouvre, ses cou-
leurs brillent, et l'amour attend.

Ainsi dans notre adolescence,
Lorsque la rêverie occupe notre cœur
Que nous faisons nos adieux à l'enfauce
Et que le SQBge du tottlieuï

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Entoure encore notre existence,
Cédant au souffle du plaisir,
l,e tendre adolescent parait quitter la viej
Et dans le sein de la mélancolie
On le croit prêt à s'endormir.
Mais, comme on voit la fleur renaître sur sa tige ^
Il reprend tout à coup sa fraîcheur, sa gaîté f
Et chassant de son cœur la douleur qui l'afflige ,
Il sourit à la volupté.
quot;Vous devinez qu'un semblable prodige
Est l'ouvrage de la beauté.

D'autres fleurs, comme la carline et le
trèfle des prés, se ferment à l'approche de
la tempête.
La quinte-feuille étend ses
pétales d'or, et en forme comme une
petite tente pour se mettre à couvert de la
pluie; mais, après l'orage, elle déplie ses
■voiles, et regarde le ciel.

Ainsi les fleurs se mettent elles-mêmes
quot; à l'abri des vents et de la pluie. A l'heure
de la tempête,
leurs différents mouve-
ments présentent un spectacle plein de
charme et d'intérêt; les ombellifères re-
plient leurs ombelles
en forme de coupe^

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les infundibuliformes renversent leurs en-
tonnoirs , les rosacées inclinent leurs
pétales, les liliacées laissent pendre leurs
corolles, et les cariopbylées penchent
leurs têtes. Chaque fleur semble prévoir
le danger, çt se servir des moyens que
la Nature lui a donnés pour l'éviter.
Il
est même, dans les climats chauds, des
plantes qui agitent
leurs feuilles ; comme
pour se rafraîchir.

L'Éternel veille sur les fleurs
Dont il embellit la Nature ;
ÏI a pris soin de leur pariu'e,
3De leurs parfums , de leurs couleurs:
ÎOlU' elles il prévoit l'orage ;
Et la fleur qu'un moment flétrit
'A les mêmes soins, eu partage
Que le chêne qui dépérit
Accablé sous le poids de l'âge.
Voyez au milieu du bocage
Où le sort voulut l'attacher,
La fleur qui va se dessécher;
L'Éternel sur son vert feuillaga
Conduit lui-même le nuage
Qu'elle ne peut aller ehetcher,'

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1,'liomme, par un destin contraire,-
Vivant sous le poids des douleurs ,
Cherche l'eau qui le désaltère ,
Et demande au sein de la terre
Un pain arrosé de sueurs.
Il s'agite, raisonne, espère ;
Dieu seul raisonne pour la fleur :
Elle vit au sein du bonheur,
Et l'homme connaît la misère.

Les mouvements variés des fleurs, leurs
veilles, leur sommeil, leur sensibilité, don-
nèrent
à Linnée l'idée d'une borloge et
d'un baromètre de Flore j son jardin ré-
glait tous les moments de sa vie j le trèfle,
l'oxalis , le souci lui annonçaient tour
à tour la tempête et les belles journées.
L'étude des fleurs était pour lui l'étude
de tous les phénomènes de la Nature. Les
bergers , disait-il, ramènent leurs trou-
peaux
à l'heure où le petit liseron re-
ferme ses cloches blanches j l'instant de
la pluie n'est pas éloigné, car le laitron
de Sibérie est resté
ouvert toute la nuit.

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Allez , allez sans crainte au sein de k
prairie, disait-il aux jeunes filles du
hameaiî, le souci d'Afrique a déployé sa
corole avant sept heures du matin, et le
jour entier se passera sans orage.

Au reste, ne croyez pas que cette ai-
mable science soit le partage des seuls
savants : le simple pasteur n'a besoin que
de jeter les yeux sur ses champs pour
recevoir les leçons de la Nature. Tandis que
le physicien, enfermé dans son cabinet,
66 fie aux présages trompeurs d'un tube
rempli de mercure, ou d'une mécanique
ingénieuse , le laboureur vous dira :
« la tempête n'est pas éloignée , car j'ai
« vu le trèfle et la drave printannièrè
« replier doucement leurs feuilles j il y
« aura de l'orage ce soir, car la carline
« des vallons s'est fermée dès le matin.
« Pour connaître les heures du jour, le
« laboureur regarde les fleurs de son
« jardin. La prairie est le livre charmant
« dans lequel il apprend à lire j il n'y voit

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« point les contradictions que renferment
« les oeuvres de nos sages ; les livres des
« savants ne lui apprendraient que les
« opinions des hommes, le livre de la
« Nature le fera jouir des plus beaux
« spectacles de l'univers : heureux de
« renfermer toute sa science dans les
« prés , les bois , les bocages et les
« fleurs )) (i).

Mais quelle sera notre admiration, si,
quittant l'étude des plantes, nous jetons
les yeux sur les nids des oiseaux, chefs-
d'oeuvre à la fois de patience et d'indus-
trie ? Ne craignons plus la pluie , les
frimats, ou le soleil, pour les petits des
oiseaux j tout a été prévu. Nous verrons
les nids pi'otégés par un épais feuillage ,
par des branches, par le chaume, et par
la mère elle-même qui ne l'abandonne
jamais ; nous verrons que ceux qui sont

(i) Ce passage est tiré de mes AmiQtatiQm au TraM de
f existence m«u, de rstfsi.off..

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placés à la cime des arbres, sont entié^
rement recouverts, et n'ont qu'une seule
petite ouverture, opposée aux vents plu^
vieux.

Le besoin d'air dans les climats brûlants,
a guidé l'industrie des oiseaux. Les loriots
attachent leurs nids comme des hamacs,
et les laissent se balancer au gré des
vents ; les cassiques les suspendent aux
branches comme des guirlandes; les ca-
rouges (i) entrelacent des feuilles, et en
forment un globe qu'ils abritent sous une
feuille de bananier ; les anis des savanes
se réunissent plusieurs dans un grand nid
qu'ils partagent en plusieurs apparte-^
ments, et forment
une espèce de ville
assez semblable à celle de Spartes, où
les enfants sont élevés en commun; les
yapous suspendent aux arbres leurs nids
faits en alambic, et souvent on en voit
«ne centaine sur la même branche, agitée

(i) Les cassicjues et les carouges sont du genre dss loriot».

-ocr page 121-

lettre xxxlv.nbsp;ii3

par une brise légère. Enfin le léger colibri
trouve le sien tout fait au milieu des
fleurs i il se place dans la coi oie rouge
du bignonia , dont le goulot alongé a la
forme d'une coupe antique. Sa petite tête
brille des couleurs
les plus vives ^ son
plumage est tour à tour de saphir, d'éme-
raude, d'or, d'argent et de feuj il semble
s'épanouir au souffle du zéphir, et s'éle-
ver comme une fleur dans une urne de
rubis.

Charmant oiseau, c'est au sein d'une fleuT
Que l'amour va le rendre père,
Qu'il verra ses petits, qu'il aimera leur mère ,
Et qu'il connaîtra le bonheur.

Mais si vous voulez admirer, lisez l'his-
toire des serins de l'abbé Pluche (i).

« On leur donna du foin pour faire leur
« nid j faute de coton ou de soie pour

(i) Spectacle de la Nature, torn, i.«', entret lo

II.nbsp;8

-ocr page 122-

« entretenir la chaleur nécessaire aux
« oeufs que le petit ménage voulait y
« déposer, la femelle eut recours à un
« expédient surprenant; elle se mit à dé-
« pouiller l'estomac du mâle, de toutes ses
« plumes, sans trouver aucune opposi-
te tion, puis elle revêtit fort proprement
« de ce duvet tout son appartement ».

La prévoyance de la Nature est la loi
d'une suprême sagesse ; il suffit, pour
admirer, de jeter les yeux autour de soi.
Ne regardons pas seulement, mais obser-
vons avec soin, et un voile épais tombera
de devant nos yeux. Dans l'étrange con-
formation des chameaux, le Créateur ne
semblait-il pas prévoir letirs courses im-
menses dans les déserts brûlants ? les
longues pattes et le long bec de l'ibis n'an-
nonçaient-ils pas qu'il devait habiter les
marais du Nil ? Eh ! que de soins encore
pour la sûreté des animaux, en apparence
les plus inutiles 1 La tortue, à la marche
iente, ne peut se soustraire par la fuite j

1

-ocr page 123-

niais elle a été recouverte d'un bouclier
impénétrable. Le lapin est faible et sans
défense ; mais le furet, son plus terrible
ennemi, est condamné par la Nature à un
sommeil presque éternel. Voulez-vous
des exemples plus extraordinaires ? les
doripes et les dromies (i) assujétissent
sur leur dos des fucus et des éponges,
et marchent ainsi au fond de la mer,
cachés sous une montagne , tandis que
l'anguille de Surinam frappe son ennemi
d'un coup de foudre , et que la galère
caustique (2) vogue comme un vaisseau
sur les eaux de l'Océan, et laisse sur tous
les poissons qui la touchent une empreinte
semblable à celle que pourraient faire des
charbons ardents.

La vie et les ruses des insectes n'an-
noncent pas moins de prévoyance. Toutes

(1)nbsp;Espèces de crabes dont les pattes sont armées de cro-
chets à cet effet.

(2)nbsp;Espèce de coquillage.

-ocr page 124-

ces petites peuplades ont des habitudes et
des moeurs différentes. Ici la chenille
livrée
habite sous une tente de soie ; plus loin
certaines chrysalides se suspendent à de
longs fds que le zéphire balance légè-
rement. Quelques insectes bien cuirassés,
mais sans armes, contrefont les morts
pour
tromper ceux qui les poursuivent;
il est des chenilles qui épouvantent leurs
ennemis en les menaçant avec une longue
queue double ; et le carabe fulminant,
faible et sans défense, jette l'effroi tout
autour de lui, en lâchant une bordée de
coups de canon, suivie d'une petite fumée

bleue.

Les insectes ont aussi leurs villes et
leurs gouvernements. Je ne parle pas des
abeilles dont Virgile nous a laissé l'his-
toire, leur instinct merveilleux le cède
peut-être à celui des thermites de l'île
des Bannanes. Ces insectes, qui ont à
peine trois lignes de longueur, élèvent
des pyramides jusques à douze pieds ait-

-ocr page 125-

dessus de terre. L'espèce de sommet qui les
couronne est si solide que les taureaux sau-
vages ne peuvent l'écraser. L'intérieur est
partagé en un labyrinthe d'appartements ;
les uns sont remplis de provisions, les autres
renferment les nombreux enfants de la
reine j une multitude de galeries conduisent
à tous les étages de cet immense édifice,
habité par un roi et une reine , et par
im peuple immense de travailleurs, de
maçons, de charpentiers et de soldats.

Mais voici peut-être le phénomène le
plus merveilleux que les insectes nous pré-
sentent. La guêpe ichneumon attaque une
chenille, la perce de son dard, et dépose
ses oeufs dans son corps; par une pré-
voyance inexplicable, elle se garde bien
de la tuer entièrement, il est nécessaire
qu'elle vive encore quelque temps pour
servir de berceati et de pâture aux petits
ennemis qu'elle renferme. Ces larves ainsi
cachées dans le corps de la chenille se
filent des petites coques de soie, où elles

-ocr page 126-

se logent à leur aise, il semble qu'elles
sachent que du prolongement de la vie
de la chenille dépend aussi la leur , car
elles ne dévorent aucun des organes néces-
saires à son existence. La chenille marche
sans paraître souffrir , et ce n'est qu'au
moment où les larves ont atteint toute
leur croissance, qu'elles déchirent ses lianes
et la tu^ent pour sortir de leur prison.

Tant de prévoyance , tant d'esprit,
tant de sagesse dans ces êtres naissants ,
étonnent notre esprit et notre sagesse.
L'intelligence d'un faible insecte ne peut
être comprise par l'intelligence céleste de
rhomme. Comment l'ichneumon ne blesse-
t-il la
chenille qu'autant qti'il est néces-
saire pour qu'elle vive encore un certain
nombre de jours ? Qui a appris à ces
faibles larves que si elles dévoraient cer-
taines parties du corps de la chenille ,
elles causeraient sa mort, et que leur perte
serait certaine? O Sophie! ce n'est point
aux hommes qu'il faut le demander, c'est

i

-ocr page 127-

au Dieu, au Créateur, qui leur donna
l'existence.

La prévoyance de la Nature se fait
sentir jusque dans les harmonies ou les
dissonances des couleurs.

Vous avez vu quelquefois des corbeaux
et des aigles, dont l'audace égale la vo-
racité, dévorer les lièvres, les perdrix,
et jusqu'à l'agneau timide écarté de sa
mère ; mais la Nature prévoyante, qui ne
les amène en nos climats que pendant les
neiges de l'hiver,
les a couverts d'un
plumage noir et lugubre, qui heurte avec
la blancheur de nos champs et l'azur du
ciel, et les fait découvrir de loin au faible
qu'ils menacent. La Nature a fait plus
encore, elle a blanchi elle-même, pendant
l'hiver seulement, la fourrure du lièvre,
la plume de la perdrix, afin qu'ils échap-
passent à l'œil perçant de leur ennemi.

Adieu, Sophie. En voilà assez pour vous
faire entendre comment on doit étudier
la Nature. N'écoutez jamais ces esprits

-ocr page 128-

superbes qui mettent leur gloire à de'truire
la gloire du Créateur. Au lieu d'admirer
la lumière, ils vantent les ténèbres; au
lieu de s'élever au ciel, ils creusent la
terre, et réduisent tout au tombeau : la
faiblesse de l'homme les encourage à nier
sa grandeur, et les pensées sublimes du,
génie ne sont pour eux que des mensonges
ou de folles espérances. Diogène, en jetant
au milieu de l'académie un coq qu'il avait
déplumé, s'écria :
Voilà l'homme de Platon.
Jetez devant eux quelqu'atôme de boue,,
et dites :
Voila l'homme de l'impie.

Encore une fois, adieu.

Quand vous lirez «es petits vers
Sur la science et la Nature
Et cette légère peinture
Des grands tableaux de l'univers,
Vous les accueillerez, j'espère.
Je sais qu'une telle faveur
Est le prix du talent de plaire.
Je n'ai point cet art enchanteur ;
Mais dans la saison printannière

-ocr page 129-

C'est souvent la plus simple fleur
Que la jeune beauté préfère.
Quelquefois sa tige légère
S'élève un peu sur l'horizon ;
Elle brille sur le gazon
Et sur le sein de la bergère.

Eh quoi ! déjà je vous vols rire,
Et vous répondez galamment
A ce discours impertinent
Par un petit mot de satire !
J e fais ici métier d'autexu-
Qui veut prouver à son lecteur
Que sa modestie est extrême,
Tandis que dans un vers flatteur
On le voit se louer lui-même.

Sexe aimable, sexe enchanteur ,
Ah ! vous le savez à merveille :
La louange est un son flatteur
Qui frappe doucement l'oreiUe
Et de là passe jusqu'au cœur.

fiN DU TROISIÈME LIVRE.

-ocr page 130-

ARGUMENT

DU QUATRIÈME LIVRE.

i

De Veau considérée dans cjueltjues-uns de ses
rapports avec la phjsique, la chimie, et
Vhistoire naturelle.

Lettre XXXV. — Apparition des omlres de
Chapelle , de Chaulieu , de Bertin ,
etc. ; ils m'ordonnent de me disculper
du désir que j'ai témoigné de célé-
brer l'eau. Discours que je leur tiens.
Soin de la Nature à répandre les eaux
sur toute la terre. Les Cacovougliens.
La terre vue de l'empyrée. Fraîcheur
délicieuse des ruisseaux. Les Ne-
reides. Adieu des ombres.

-ocr page 131-

Lettre XXXVI. — Gassendi et Ninon me
rendent visite. Je plaide ma cause.
Origine de la rosée. Les Sjlplies.
Système de Descartes sur les sources
des fleuves. Systèmes des physiciens
modernes. Belle harmonie de la Na-
tm'e. Révolution parmi les ombres.
Décomposition de l'eau par la pile
galvanique. Je me réveille.

Lettre XXXVII.—Immensité des eaux répan-
dues sur le globe. Réponse à une
objection intéressante. L'eau, ori-ine
de tout. Fêtes charmantes des Spar-
tiates et des Romains. Vue de l'Océan.
Vasco et Adamastor. Théorie des
marées, d'après Descartes et Newton.
Idée de Kepler. Mort d'Aristote.

Lettre XXXVIII. —Le nouveau monde dé-
couvert par Spallanzani. Description
de ses habitants. Idée philosophique.
Dénouement.

Lettre XXXIX. — Palais de glace de Saint-

-ocr page 132-

PétersLourg. ForraaPion de la glace
et de la neige. Rapport intéressant
qui existe entre les hesoins de la
Nature et les différentes formes de
l'eau. Traduction de quelques vers de
Lucrèce. Vue des Alpes. Le pont de
glace.

Lettre XL.— Eaux souterraines. Voyage à la
grotte de la Balme. Invocation à
Saint-Victor. Hommage aux Lyon-
nais morts pour leur patrie. La ville
d'Aristophane. Le château gothique.
Description curieuse de la grotte.
Voyage aux enfers. Navigation sou-
terraine.

Lettre XLT. — De la nature de l'eau. Hom-
mage à Lavoisier. Puissance des phy-
siciens. Décomposition et recompo-
sition de l'eau. Gaz hydrogène. Les
ballons, etc.

Lettre XLII. — Histoire du chevalier du Cygne.

Des connaissances des anciens sur les

-ocr page 133-

dtr quatrième livre.nbsp;las

ballons. La colombe d'Archjtas. Ori-
gine de la maiion de Clèves.

Lettre XLIII. — Harmonies lijdro-végétaies.

Prévoyance et sagesse de la Nature.
Le platane. Souvenirs de mon père
et de ma patrie. Les paysages des
environs de Lyon. Aveiiture d'uu
étranger.

Lïttre XLIV. — But général de la Nature.

Arrivée de Sophie à Paris. Grandes
harmonies. But de tous les êtres. But
de l'homme. Génie de rhomme.

EPILOGUE.

-ocr page 134-

DE L'EAU.

« L'eau est un flu.ide transparent, sans
« couleur, sans odeur, jouissant d'une
« grande mobilité , et susceptible de
« prendre différents états d'agrégation.
« Elle se présente quelquefois sous la
« forme d'un solide -, le plus souvent sous
« celle d'un liquide ; dans certaines cir-
« constances, elle prend la forme gazeuse.
« Pour bien connaître l'eau, il importe
« de l'envisager sous ces différents états,
« et d'étudier ensuite sa nature. »

Libes.

i

-ocr page 135-

LIVRE QUATRIÈME.

DE L'EAU CONSIDÉRÉE DANS QUELQUES-UNS DE
SES RAPPORTS AVEC LA PHYSIQUE , LA CHIMIE
ET L'HISTOIRE NATURELLE.

LETTRE XXXV.

DE 1,'EAtr EN GENERAI..

Je veux aujourd'hui, Sophie, vous entre-
tenir de ce fluide transparent et mobile
qui sert de voile aux Naïades, de miroirs
aux bergères, et sur le sein duquel
l'Olympe étonné vit naître et sourire la
déesse des amours.

Non ! s'écrie un buveur favori de Bacchus,
Non , tu n'es point disciple d'Épicure.
Quoi ! tu peux vanter les vertus
Dss Naïades et de l'eau pure ?

-ocr page 136-

Suis les cliemins tracés par nos charmants esprits.
Ce couplet si malin qui tout un jour gouverne
La France , les jeux et les ris,
Ils l'ont écrit en sablant lé falerne.
Et c'est de leurs caveaux qu'ils régnent sur Paris.
Penses-tu, jeune auteur, qu'avec autant de peine j
Aux sommets du Parnasse, et Racine et Boileau
Se fussent élancés pour quelques gouttes d'eau?
Ah ! l'on n'eût pas tari les sources d'IIyppocrène ,

Si l'onde seule eût formé ses ruisseaux.
Puisqu'ils ont épuisé la céleste fontaine,
Amis, à notre tour épuisons nos caveaux 5
Que le feu de Bacchus allume notre veine ,
Et créons, s'il se peut, des chefs-d'œuvre nouveaux.
Il est plus d'un chemin qui mènent à la gloire.
Ne peux-tu pas encor célébrer un festin,
Et prendre place enfin au temple de mémoire,
En chantant les plaisirs et l'amour et le vin ?

J'étais doucement occupé à vous écrire,
quand ce beau discours me fut adressé.
Quelle fut ma surprise, lorsque, m'étant
retourné pour voir d'où pouvait me venir
des avis aussi sages, il me sembla recon-
naître les ombres de Chaulieu, Lafare,
Bertin, Bonnard, enfin de tous les con-

-ocr page 137-

Vives aimables du Temple et de Feuillan-
cour : Chapelle était à leur tête,

Chapelle, cet auteur charmant,
Qui fit en badinant un si joK voyage,
Et nous apprit dans mainte page
Qu'il était buveur et gourmand.
Je voyais son ombre vermeille,
Qu'animaient l'amour et le vin,
Sourire en contemplant l'ombre d'une bouteill«
Qu'elle avait encor dans sa main.

Vous concevez que je ne me trouvais
pas trop à mon aise au milieu de ces
aimables morts ; je les avais si souvent
invoqués en vain, que mon étonnement
égalait mon embarras. Cependant, lorsque
je fus assez remis pour leur adesser la
parole , je leur dis :

Vous qui célébriez le plaisir et Ninon j
Ombres joyeuses et volages,
Si vous quittez le manoir de Pluton
Pour raisonner conjme des sages,

ILnbsp;5

-ocr page 138-

Asseyez-vous, et raisonnons.
Mais si des cieux dédaignant l'ambroisie,
I
jC doux Jus de Bacclius excite votre envie j
Si vous chantez encor ces légères chansons
Oii vous nous donniez des leçons
D'amour et de philosophie ,
Mes bons amis , prenez place , et buvons.

A ces mots, les ombres firent un sou-
rire , se posèrent légèrement sur les rayons
de ma bibliothèque, et j'entendis M. Cha-
pelle qui me disait en rimes redoublées :

Jadis , sur nos charmants rivages,
Les ombres , pour passer le temps ,
Av)3ein d'un éternel printemps
Se promenaient dans les bocages.
Là , les buveurs et les gourmands,
IjGS coquettes et leurs amants
Veillaiejit sous les mêmes feuillages j
Mais les ombres des vrais savants,
Dédaignant ces ombres volages,
Avec les héros et les sages
S'en allaient sous d'autres ombrages
Pour y louer éloquemment
L'Être inconcevable et puissant
Qui les tira de la poussière ,

-ocr page 139-

Et qui fit jaillir du néant
L'astre éclatant de la lumière.

Mais un nouveau jour nous éclaire ;
Les sages qui de l'Aehéron
Sans retour passent l'onde amère ,
Veulent tout apprendre au vulgaire J
Chacun raisonne chez Pluton ,
La science seule y sait plaire ,
Et chacun veut avoir raison ,
Ainsi qu'on le fait sur la terre.
L'ombre même d'Anacréon,
Cette ombre jadis si légère ,
Délaisse l'Amour et sa mère
Pour Lavoisier et pour Newton.
Lafare et le vif Hamilton ,
Chaulieu, Bachaumout, Saint-Aulaire,
Qui sur les rives du Lignon
Ont si bien chanté leur bergère ,
Délaissant leurs légers pipeaux ,
Les bois , les fleurs et la verdure ,
Ne chantent plus le doux murmure
Des zéphires et des ruisseaux
j
Ils sont devenus les rivaux
De Buflbn et de la Nature.

Oui, dans ce séjour enchanteur
Que neuf fois le Styx enyironne,

-ocr page 140-

i32nbsp;livre quatrième.

On ne rit plus, mais l'on raisonne
Sur la gaîté , sur le bonheur.
Tu vois bien qu'aux royajimes sombres,^
Ami, nous philosophons tous,
Et que tu peux charmer nos ombres
En philosophant avec nous.

Pendant ce long discours de Ctiapelle,
mille pensées s'étaient succédées dans
mon esprit ; je me disais :

En vérité , ce Chapelle m'étonne;
Mort, il n'est plus ce qu'il était vivant :
Sa poésie est celle d'un savant ;
Car maintenant, dans les vers qu'il façonne j
On s'aperçoit qu'il pense et qu'il raisonne.
En lui d'où vient un pareil changement ?
Je le conçois : quelque moderne sage ,
En descendant au ténébreux rivage,
Pour éclairer les sujets de Pluton ,
A fait briUer le jour de la raison ;
Depuis ce temps, hélas ! le bon Chapelle
Aura perdu sa gaîté naturelle.

J'aurais encore réfléchi long-temps sur
cette révolution philosophique, si l'un

-ocr page 141-

de ces Messieurs ne m'avait ordonné, en
vers bien symétriques et tombant deux
à deux ^ comme vous savez qu'on les
aime aujourd'hui, de me disculper du
désir que j'avais témoigné de célébrer
l'eau; car la philosophie n'avait pu réussir
à détruire leurs penchants pour Bacchus.
Allons, s'écriait Chapelle, raisonne, i-ai-
sonne ; sois profond surtout : si l'on ne
te comprend pas -, l'on t'admirera. Je vis
bien qu'il fallait parler, et me penchant
un peu pour donner à mon corps l'angle
de quatre-vingt-dix degrés, qui, selon
Sterne, est l'angle des bons prédicateurs ,
nous conmençâmes le dialogue suivant ;

Messieurs les esprits ,

Dans un siècle où l'on ne croit plus
à rien, vous me forcez presqu'à croire
aux revenants ; et toute la profonde
science de vos ombres légères ne peut
me sauver du ridicule. Vous ne concevez

-ocr page 142-

pas même combien je ferais rire à mes
dépens, si je m'avisais de dire que j'ai
disserté savamment avec des espx-its comme
les vôtres; cardans ce monde.

On croit encor qu'aux rives éternelles

Vous façonnez des vers brillants,
Où vous chantez les perdrix et les lielles,
Les poulardes et les gourmands.

i

Mais enfin, puisque je vois en vous
mes juges, je tâcherai de vous citer les
opinions que les savants et les peuples
ont eues sur l'eau, et de vous peindre
surtout les soins que la Nature a pris de
la répandre dans tout l'univei^s.-

Je vous rappellerai d'abord ces Grecs
enchanteurs qui transformaient en dieux
les fleuves et les ruisseaux, et qui, pour
exprimer par une seule idée que l'onde
est la source de l'abondance et des
plaisirs, faisaient naître Vénus, la déesse
de la volupté au sein
des mers azurées.

-ocr page 143-

CHAPE LLE.

L'allégorie est cliarmante.

MOI.

La Nature semble la confirmev par le
soin qu'elle prend de répandre les eaux
sur tout le glolje. Mais, direz-vous, il
est des pays entiers où il ne pleut ja-
mais. Eli l c'est justement là que la pré-
voyance de la Nature brille dans toute
sa gloire. Tantôt elle conduit toutes les
années un
fleuve qui se déborde, couvre
les campagnes et les fertilise,
comme
Niger en Afrique (i), l'Inopus à Délos (a),
le Mydonius en Mésopotamie (3) , et le
Nil en Egypte ; tantôt elle y plante des
arbres qui fournissent de l'eau, comme

(i) Marniolii africa, tomenbsp;5î, lib. i.quot;, cap. 17.

Voyez aussi l'existence de Dieu, Je Pfieuwcutyt.

(■2) Ezechicl Spanhemiusad Callunacinn, pag. a^.»;. Toyei
aussi
Traité de VexisUnoe. de Vim, de Niçuwenlyt.

(3) Idem ad Juliani orationan I. pag. log, Id.nbsp;■ ' -

-ocr page 144-

le plmialis (i) de l'île de Fer (2), celui
de l'île Saint-Thomas (3), et les arbres
de la vallée du royaume de Narsingue,
qui attirent les nuages et les distillent
en pluie fine dans de larges bassins pré-
parés par les habitants.

Combien d'îles seraient arides et in-
habitables, si la Nature n'avait pas eu
soin d'y placer de hautes montagnes,
d'où s'échappe l'eau quifertilise les plaines.
Telle est l'île de Scyros, dont les terres
sont si élevées, qu'elles attirent les va-
peurs qui les rafraîchissent j telle est la

(i) Les habitants du pays l'appellent Garcë; ses feuilles
sont longues, étroites et toujours vertes. L'île serait partout
«cche et aride, si la Nature n'avait fait de ces arbres autant
de somces d'eau qui la fertilisent.

(•2) Gundisaluei. Fernandez de Oviedo, histor. general, des
hidias,\.
2, c. 9. Voyez aussi Fabricius, Theolo^e de l'eau ,
«hap. 10, liy. a.

lt;j3) Pierre Bergeron, Traité de la Navigation, ch. 29 ,
I?. 112.

-ocr page 145-

petite île de Nevis , au centre de la-
quelle est une montagne couverte d'arbres
toujours entourés de nuées j telle est
enfin l'île des Pins en Amérique, et celle
de Tiné dans l'Archipel, île très-fertile
où les anciens avaient placé les cavernes
d'Eole, à cause des vents du nord qui
battent éternellement ses roches escar-
pées.

BERTIN.

Pour orner tous ces tableaux, que n'y
mêles-tu
quelques scènes champêtres et
patriarchales. Si tu parles d'un
ruisseau,
rappelle-toi aussitôt la princesse Nausicaa
allant y laver sa tunique et son voile j
si tu veux peindre une fontaine, fais-y
asseoir les filles de Judée, et que je les
voie offrant leur urne au voyageur et
au chameau du désert.

En vers harmonieux tu tracerais alors
Les mœurs si simples, si naïves ,
ft les attraits piquants de ces aimables Juives
Que k Jouidaia \ovait folitrer our se^i bords.

-ocr page 146-

Là, souvent tristes et pensives ,.
Sous quelqu'ombrage frais impénétrable au jour.
Au bruit des. ondes fugitives ,
Elles venaient soupirer leur amour.
Tu nous peindrais encore une jeime bergère,

Qui, prête à rentrer au hameau
A l'heure oil le soleil achève sa carrière,

Conduit en rêvant son troupeau
Sur les bords émaillés d'un ruisseau solitaire :
~ Le murmure de l'onde et le frémissement
Du mobile feuillage agité par le vent

Livrent son ame à la mélancolie.
Que dis-je ? c'est l'amour qui vient troubler son cœur;
Ne commcnce-t-il pas aussi notre bonheur
Par une douce rêverie ?

MOI.

Heureusement, M. Bertin, que mes

Cacovougliens valent bien votre Nausicaa.

CHAPELLE.

Les Cacovougliens ! Ce sont sans doute
des sauvages? les philosophes les aiment
beaucoup.

MOI.

Ce sont tout simplement les habitants

i

-ocr page 147-

d'un village de l'île de Cythère (i). Or,
dans ce village il n'y a point de sources ;
on y supplée par des citernes, dont on
estime l'eau autant que vous estimiez
jadis les vins de Toscane et d'Aï. Lors-
qu'un Cacovouglien se marie , l'affaire la
plus importante est de sonder la citerne;
car l'eau est le . présent le plus précieux
qu'il puisse faire à sa bien aimée.

CHAPELLE,

Les Cacovougliens ne feraient pas for-
tune en France.

/nbsp;M or.

Plus on consomme d'eau dans le repas
de noce, plus on passe pour riche. Cette
prodigalité fait du bruit, elle se i-épand
dans le village, on jase , on médit, on an-
nonce même la ruine du dissipateur ^
et les jeunes filles envient le sort de

(i) Aujovu-d'hui CérigQi,

-ocr page 148-

l'épousée qui a si bien régalé ses con-
vives (i).

CHAULIEU.

o Cythère, voilà donc ce que sont
devenus les joyeux habitants ! Voyons,
qu'as-tu encore à dire ?

MOI.

Avez - vous quelquefois considéré la
tei-re du haut de
l'empyrée ?

CHAULIEU.

Oui; c'est une petite boule un peu
applatie vers ses pôles , qui flotte dans
l'espace et tourne avec rapidité autour
du soleil, en lui présentant tour à tour
ses deux côtés, qu'il couvre de lumière.

C'est un point clans l'immensité
Où l'homme naît, pleure, s'élève et tombe;

Mais où l'homme lui-même, appuyé sur sa tombe,
Devine son éternité.

(i) Voyage historique et littéraire clans les (les des posses-
sions vénitiennes du Levant,
par Grasset Saint-Sauveur,
tome 3 , pag. S'jo.

i

-ocr page 149-

LETTRE xxxr.nbsp;l/jl

C'est un monde où, soumis au plus malheureux sort,
L'homme meurt lentement au sein de la souffrance ;
Mais où, pour oublier la douleur et la mort,
Il suffit d'un peu d'espérance.

C'est un monde où le doux plaisir
S'envole d'une aile légère,
Fuit le palais pour la chaumière.
L'abondance pour le désir.

Enfin c'est un monde où le sage,
Dans une douce paix laisse couler ses jours,
Assis sous un léger feuillage,
Cntre Bacchus et les Amours.

MOI.

Nos philosophes ont vu tout cela sans
avoir eu besoin de s'élever sur des nuées.
Mais n'avez-vous rien remarqué de plus?

chaulieu.

Toutes les sottises des hommes. Ce
chapitre serait trop long. J e n'ai plus rien
à dire , à moins que vous n'aimiez mieux
vous représenter, avec Kepler et quelques

-ocr page 150-

modernes (i), le monde comme un animal
marchant à grands pas dans le ciel. Pytha-
gore vous dira que cet animal sait par-
faitement la musique , et que ses mouve-
ments forment un concert mélodieux.

MOI.

Ah ! si je pouvais m'asseoir comme vous
sur un trône de nuages, et contempler
de là le globe de la terre, avec quel
plaisir je peindrais aux mortels étonnés
celte boule suspendue dans l'air, autour
de laquelle circulent de tous côtés, et
dans tous les sens, des mers profondes,
des fleuves rapides et de frais ruisseaux!

(i) Fojes l'ouvrage ayant pour litre : Clé des Phénomènes
de la Nature.
Voyez aussi Campanella, de Sensu rerum;
ouvrage où ce pîiilosoplie dit que le monde est un animal j
que ses mains sont les rayons de lumière qui émanent de sa
substance ; que ses pieds sont l'atmosphère des planètes, et
que ^es yeux sont les étoiles du firmament. Ce qu'on peut dire
de mieux à ce sujet, c'est que le monde n'est pas organisé
comme ujj homme, mais comme un monde.

-ocr page 151-

je les verrais , semlilables à des bandes
argentées , envelopper la terre en for-
mant des méandres délicieux. Mais de
quel nouvel enthousiasme mon ame ne
serait-elle pas saisie en découvrant la
sagesse de la Nature dans la distribution
des eaux ! toute la terre arrosée, fé-
condée et embellie est un assez beau
spectacle. Je montrerais les mers du Nord
en équilibre avec les mers du Midi ; la
mer
Atlantique avec la mer Pacifique;
l'Océan séparant les mondes
et baignant
leurs deux rives ; enfin les cliaînes de
montagnes disposées avec une si grande
sagesse, que les fleuves qui s'échappent
de leur sein arrosent tous les points du
globe , et fertilisent les rivages qu'ils
baignent de leurs flots.

CHAPELLE.

Ami, ton discours est fort beau;
Cependant il ne prouve guère
Qu il soit permis de chanter l'eau,
Lorsqu'on peut verser à plein verre

-ocr page 152-

l44nbsp;livre quatrième;

Les vins de Cliypre et de Bordeaux.
Crois-moi, dans leur course légère ,
Laisse murmurer tes ruisseaux ;
Laisse le dieu de la rivière
Couché sur son lit de roseaux ;
Et, le front coiu-onné de lierre,
Viens chanter sur des airs nouveaux j
Le vin qui rit dans la fougère,
L'amour qui trouble ton repos,
Et les attraits de ta bergère.

MOI.

Eh quoi! M. Chapelle, oublieriez-vous
déjà la science pour retourner au plaisir?
Mais
vraiment c'est être tout à fait phi-
losophe, que de se contredire à chaque
instant. Que dis-je ? les lumières ont fait
de si grands progrès dans l'autre monde,
que j'ai droit de tout espérer de vos
ombres. Daignez donc m'entendre; je n'ai
plus que d'aimables tableaux à vous offrir.
Je vous décrirai cet immense miroir des
eaux où la Nature, les arbres, les mon-
tagnes , le soleil même , viennent se
peindre avec toute leur pompe; et pour

-ocr page 153-

thttre xxxt.nbsp;145

VOUS jeter dans une douce rêverie, je
vous rappellerai ces heures de la nuit
la lune mélancolique suit sur les eaux
le voyageur qui marche silencieusement
le long du rivage.

chaulieu.

Alors, dans un calme enchanteur,
Le troubadour soupire une romance j
La solitude et le silence
Inspirent doucement son cœur.

De l'antique chevalerié
Il chante les exploits brillants
Et les amours du bon vieux temps
Entretiennent sa rêverie.

Déjà l'astre des nuits achevant sa carrière j
S'abaisse derrière un coteau,
Et sur la rive solitaire
Blanchit au loin les murs d'un antique château.

Peut-être qu'au sommet de cette vieille tour ,

Au bruit des flots la garde est attentive ;
Peut-être une beauté, solitaire et pensive ,
V prête encor l'oreille aux chants du troubadour.

ïu vois que je t'aide moi-même à gagner
ILnbsp;10

-ocr page 154-

ta cause. Mais il me semble que l'ombre

de Chapelle s'est endormie.

MOI.

Ah ! si c'était chez les morts comme chez
les vivants, où lorsqu'on en'àort ses juges
on gagne sa cause, je serais siir de la
victoire. Que ne puis-je l'endormir encore
plus
profondément au bruit des ondes?
je vous peindrais alors les scènes enchan-
tées qui remplissent de vie et de mou-
vement les rives des fleuves et des rivièi'cs,
ombragées de platanes et de saules d'Orient.
A travers les joncs et les roseaux,
l'œil
surpris
découvre le cygne au bec d'or,
au plumage argenté , pendant que sur le
rivage le paon de la Chine étale sa queue
éblouissante , et que le rossignol élève
une voix mélodieuse pou.r célébrer la Na-
ture et l'amoiu-.

Là , dans le sein d'une prairie ,
Vous chantiez vos galants travaux ;
Et, cédant à la rêverie
Que le doux murmure des ilôts

-ocr page 155-

LETTRE XXXV.nbsp;1,47

Jetait dans votre ame ravie,
Assis sur la rive fleurie,
Dans l'indolence et le repos
Vous laissiez couler votre vie
Comme l'onde de vos ruisseaux.

A ces mots l'ombre de Chapelle fît un
mouvement, se réveilla en baillant, et,
demanda où l'on en était. — Aux Nymphes
et aux Néreïdes , répondis-je ; veuillez
m'écouter encore un moment, et vous
me jugei-ez ensuite.

CHAPELLE.

Ta prose non philosophique m'a fait
l'effet d'un poëme desci-iptif.

MOI.

Si je voulais vous peindre la foule des
habitants des eaux, le chapitre serait trop
long , et je craindrais de vous rendor-
mir ; j'ai donc cru
devoir me réduire à
deux ou trois mille. Voici mon premier
exemple.

Imaginez une jeune Nymphe qui habite

-ocr page 156-

les ondes tranquilles des lacs et des fon-
taines : appuyée sur ses roseaux fragiles ,
elle file , compose et ourdit une trame
de soie qu'elle rend impénétrable à l'eau ;
sa forme est celle d'une spbère. Lorsque
cet ouvrage est achevé, la jeune Néreïde
s'élève à la surface de la
fontaine en na-
geant avec grâce sur le dos, puis plonge
avec rapidité, emportant sous les flots
une bulle d'air qui est restée adhérente
à son corps ; elle introduit ensuite cette
bulle d'air dans son tissu soyeux, et ré-
pète
aussitôt la même manoeuvre jusqu'à
ce que son ballon soit enflé; alors elle
se trouve en possession d'un petit palais
aérien, où elle se loge au frais au mi-
lieu des eaux, et d'où elle ne sort que
pour se procurer le plaisir de la prome-
nade et de la chasse.

Cependant près de là son amant vit re-
tiré dans un semblable palais ; mais l'amour
le rapprochant de l'aimable Nymphe, il
s'introduit chez elle, agrandit de sa bulle

-ocr page 157-

LETTRE XXXV.nbsp;l49

d'air sa riante habitation , et ces deux
palais réunis deviennent un temple où
l'amour célèbre leur hyménée.

CHAPELLE.

C'est avec de pareils contes que tu. penses
nous séduire ? Les ombres ne croient plus
aux Syrènes et aux Néreïdes.

MOI.

Ces Nymphes, ces Syrènes ne sontautre
chose que deux araignées dont vous venez
d'entendre l'histoire .... Mais continuons
de peindre les habitants des eaux. Exemple
surprenant de l'union conjugale , lorsque
l'abre (i) jaune s'est choisi une femelle ,
il ne la quitte plus : heureux dans leur
petit ménage , ils aiment mieux se laisser
prendre ensemble que de se séparer un

(i) Petit poisson.

-ocr page 158-

lao LIVRE QUATRIÈME,
moment. On conçoit.....A peine j'ache-
vais ces mots,

Que sur ses fondements la terre s'ébranla,
Qu'on entendit gronder l'orage,
Et qu'un éclair vint frapper le visage
Des ombres qui se trouvaient là.
Je connais , dit Chapelle, au signal que voilà,
Qu'il faut descendre au ténébreux rivage.
Le noir Pluton doit s'ennuyer là-bas ;

Et c'est pour raisonner, je gage,
Qu'il nous appelle avec tant de fracas.
Adieu. Je vais où le fou devient sage.
Pour ce pays un jour tu partiras ;
Mais, crois-moi, ne fais ce voyagé
Que le plus tard que tu pourras.

Là-dessus les ombres de ces Messieurs
prirent poliment congé de moi, en mè
promettant de revenir le lendemain. L'ai^
mable Bertin me dit en s'envolant :

Disciple de la volupté,
Je fus l'amant des Muses et des Grâces ■
Si tu veux marcher sur mes traces ,
Comme moi chante la beauté.

-ocr page 159-

Pour célébrer les héros de la terre,
N'invoque pas le dieu du jour;
Ta lyre appellerait la guerre ,
Et ton coeur nommerait l'amour.
Voit-on la colombe fidèle
Emporter dans les airs le char du roi des dieux,

Et la timide Phiiomèle ,
Poiu- suivre l'aigle altier, s'élancer dans les cieux ?

Imite-moi, pour jouir de ma gloire ;
J'aimai, je fus aimé, c'est toute mon histoire.

L'Amour, les Grâces et Vénus
Guideront ta Sophie au temple de mémoire j
Mais tu célèbres ses vertus,
Et moi je chantai ma victoire.

-ocr page 160-

LETTRE XXX VI.

M LA ROSEE, ET DE L'ORIGINE DES SOURCES.

On croit assez généralement que les
ombres qui errent dans les Champs-Élisées
n'ignorent rien des sciences de la terre ;
cela pouvait être du temps d'Homère et
de
Virgile, mais cela n'est plus à présent;
et la raison en est toute simple : au bon
vieux temps , les ames des sages et
des savants descendaient aux royaumes
sombres, et instruisaient les morts des
découvertes des vivants ; de nos jours il
est très-rare de voir arriver un savant
aux Gbamps-Élisées; ils marchent presque
tous vers le néant qui les engloutit, ou
pour mieux dire ils ne vont pas plus loin
que le tombeau. Les ombres ne savent
donc de nos sciences que ce que quelques

-ocr page 161-

pliilosoplies écliappés au néant veulent
bien leur
apprendre. Si vous désirez
savoir comment
je suis si bien infoi^mé
des affaires de l'autre monde, lisez l'aven-
ture suivante.

Tout était en ordre pour recevoir la
visite de mes aimables revenants; j'avais
fait préparer des sièges autour d'une
table chargée des vins les plus exquis ;
mon impatience était inexprimable. Ce-
pendant la nuit approchait, et les ombres
n'avaient pas encore paru.

Tétais déjà fort ennuyé d'attendre ,
Lorsqu'un grand bruit soudain se fait entendre.
Je me retourne, et regarde partout.
Pour mieux savoir d'où le bruit pouvait naître ,
Je cours ouvrir ma porte et ma fenêtre ;
Je vais, je viens, et ne vois rien du tout.
Je me disais : Pour passer un caprice ,
Quelqu'un veut-il me faire une malice ?
En vérité l'on s'adresse fort bien ,
Car avec moil 'on ne gagnera rien :
Je ne suis pas homme, je vous assure ,
A supporter la plus petite injure ,

-ocr page 162-

Dis-je lout hauÉ. LorS une faible voix ,

Qui paraissait venir du haut des toits ,

Me repondit : Blon ami, sois tranquille;

Je ne viens point pour troubler ton repos,

Mais seulemênt te dire quelques mots

Sur la science où tu te crois habile,

Et que sans fruit cultivent tant de sots-.

La voix se tait. D'une vapeur soudaine

Au même instant ma chambre est toute pleine.

Cette vapeur se dissipant enfin,

Me laisse voir un vieillard vénérable,

Bien fait de taille, ayant nez aqidlin.

Et dans les yeux je ne sais quoi de fin.

iT souriait de l'air le plus aimable ;

Et sur son front, par tm signe certain.

L'on découvrait que la philosophie

Avait été son étude chérie.

Et que son cœut, à la sagesse enclin.

Ne fut jamais tourmenté par l'envie.

Une soutane à longs plis le couvrait,

Sou6 son menton un rabat descendait ;

Et, pour finir en un mot sa peinture,

Une calotte était sur sa tonsure.

J'avais à peine eu le temps de faire
ces observations, que l'ombre, en s'as-
seyant dans un large fauteuil, me dit :
Je suis Gassendi. Quoi l m'écriai-je, j'ai

-ocr page 163-

■lettre xxxvi.
le bonheur de contempler ce philosophe
qui
combattit les erreurs de Descartes,
et qui, dédaignant de tracer des routes
nouvelles, créa une seconde fois le monde
des atomes de Démocrite et d'Épiciu^e î
— C'est moi-même. Curieux de connaître
les nouveaux systèmes des savants, j'ai
obtenu de Pluton la permission de t'écou-
ter. Tu ne dois pas revoir les ombres
de tes amis; tu sauras bientôt pourquoi;
mais, pour te dédommager , voici le juge
qui doit les remplacer. A ces mots Gas-
sendi fît un signe de la main, et je vis
entrer par la fenêtre une femme d'une
beauté céleste. J'allais peut-être m'in-
former de son nom;

Mais k son regard plein de feuXj
A certain air voluptueux
Képandu sur tout sou visage ,
Je nommai la beauté volage
toont tout Paris fut amoureux,
Et qui fit des amants heureux
Jusque sur le déclin de l'âge.

-ocr page 164-

LIVRE quatrième.

Du ciel elle eut tout en partage :
C'était un aimable assemblage
De légéreté , de raison,
Les Grâces , une folle , un sage ,

Vénus, l'Amour, enfin Ninon.

Sa démarche était noble et fîére.
J'admirais, sa taille légère ,
Son air coquet, son air galant,

Et ce ton frivole et savant
Que! la friponne assurément

Conserva dans la nuit profonde
Pour le bien de plus d'un amant

Qui l'attendaient dans l'autre monde.

■ -f

Vous allez donc me juger, dis-je à
Ninon,
ah! je suis sûr de ma victoire,
puisque c'est vous qui prononcerez.

Des bergers le plus amoureux
Donna la pomme à la plus belle j
Moi je suis encor plus heureux j
Car je vais la recevoir d'elle. ■

t • ■

Des compliments, me dit Ninon, c'est
très-bien : Heureusement que les
morts
ne peuvent être séduits. Allons, Monsieur,

I

i

-ocr page 165-

c'est de la science que vous devez nous
entretenii'. Nous sommes ici pour vous
juger. Voyons un peu le cas que l'autre
monde doit faire de vos savants. Rappelez-
vous seulement que

Nous sommes convenus de ne faire aucun cas
D'un génie aimable et facile ,
Et nous avons jugé , là-bas ,
Que si Racine eût tenu le compas,
Il eût été bien plus habile.

Commençons, dit Gassendi. Je le veux
bien, répondis-je ; et, puisque je dois
essayer de vous faire aimer l'eau, je vais
peindre les pliénomènes de la rosée ; et
j'espère vous apprendre des choses si nou-
velles , que Chapelle lui-même en serait
satisfait.

La rosée embelht la Nature ; elle renaît
avec le printemps, et réveille les zéphires
qui sèment les fleurs sur leurs pas. Le
soir , quand le dernier rayon du soleil

-ocr page 166-

j58nbsp;xivre quatrième.

éclaire l'horison, elle remplit toute l'al-
mosptère d'une fraîcheur délicieuse ; le
jnatin elle s'élève avec l'aurore , et re-
tombe en perles dans le calice des fleurs.
Soudain la prairie brille de l'éclat le plus
varié j tout s'anime et s'embellit , une
vapeur légère a changé la face de la
Nature.

Pour bien concevoir la formation de
la rosée, il faut savoir que l'air a la pro-
priété de dissoudre Teau : propriété que
la chaleur du soleil augmente beaucoup.
Le soir, lorsque l'air se refroidit, il aban-
donne une partie de l'eau qu'il tenait en
i-dissolution; le matin, au contraire, l'at-
E aosphère, en s'échauffant, se charge d'une
rtisée vivifiante qu'elle élève de la terre.

La rosee est destinee à remplacer les
pkiies dans les climats secs et arides. C'est
ainsi que des vapeurs continuelles hu-
mée ^tent les champs situés sous la zone
torri de. Dans l'Arabie heureuse, où il
pleut rarement, la rosée seule suffit à

-ocr page 167-

i'entretîen 4es plantes aromatiques dont
la terre est couverte : la même cliose
arrive dans le Languedoc et dans la Pro-
vence , pays abondants en herbes odori-
férantes, et où les pluies sont aussi très-
rares. Mais c'est surtout dans les plaines
du Pérou que la Providence se plaît à
répandre elle-même la rosée. Dès que
l'hiver a passé, des brumes légères rem-
plissent soudain l'atmosphère, humectent
les
vallées et les couvrent de gazons et
de fleurs. Ces rosees sont si douces ,
qu'elles mouillent à peine les habits ;
cependant elles suffisent pour rafraîchir
et féconder les champs, parce que les
rayons du soleil étant interceptés par des
brouillards très-élevés, ne jgt;euvent pas
absorber ces vapeurs vivifiantes.

Les anciens alchimistes avaient fait de
la rosée la base de leur breuvage d'im-
mortalité. Plus de cent ans avant l'ère
chrétienne, Ven-Ti, empereur de la
C hine, séduit par les promesses de quelques

-ocr page 168-

charlatans, fît construire un palais de bois
de senteur, dont le parfum se répandait à
plusieurs milles de distance. Au milieu de
ce palais s'élevait une tour de cuivre de
près de quatre cents pieds de hauteur,
terminée/par un grand entonnoir destiné
à recevoir la rosée du ciel. Un certain
nombre de perles d
'un grand prix, dis-
soutes dans cette rosée, devaient servir à
achever la teinture d'immortalité. On de-
vine bien que tout cela ne servit qu'à dé-
tromper le trop crédule empereur.

NINON.

La folie de cet empereur me plaît assez.
Sais - tu encore quelque chose sur la
rosée ?

MOI.

Je puis vous décrire une expérience
aussi curieuse que surprenante. Une urne
de verre ou d'argile , exposée à la rosée,
est bientôt inondée de ses gouttes bien-
faisantes j mais si l'on place auprès une

-ocr page 169-

lettre xxxvi.nbsp;i6i

urne d'argent, la rosée semble la fuir.
En vain vous l'unissez à un vase de terre,
ce vase se remplit et le me'tal reste sec.

gassendi.

Pythagore, qui disait que tout est
sensible dans la Nature, n'aurait pas été
embaiTassé pour expliquer ce phéno-
mène.

MOI.

Je ne sais si je me trompe, mais il me
semble qu'on peut attribuer ce choix
modeste de la rosée à quelque Sylphe
qui, peut-être, veut par-là nous inspirer
le mépris des richesses.

ninon.

Ah ! pour le coup, mon cher savant, la
tête
vous tourne !

Moi.

Quoi ! vous ignorez que l'air est peuplé
de Sylphes; les mers, d'Ondins; le feu,

n.nbsp;n

-ocr page 170-

de Salamandres; et la terre, de Gnomes?
Il fut même un temps où chaque dame
avait son Sylphe qui lui rendait visite en
l'absence de son époux ; c'était le bon
ton ; mais ces amants , d'une substance
déliée et subtile, passèrent bien vite de
mode.

NINON.

Et quelle occupation donnait-on à ces
êtres aériens ?

moi.

Les uns dans les plaines des cieux
Courent et folâtrent sans cesse,
Et de ces globes radient
Que l'espace cache à nos yeux
Règlent la marche et la vitesse ;
Ceux-là de l'Orient vetmeil
A l'Aurore ouvrent la barrière ;
D'autres , aux rayons du soleil,
Sur les sottises de la terre
Très-gravement tiennent conseil.
Lorsque de la céleste voflte
Une étoile tombe la nuit,
Pour la remettre dans sa rout©
Aussitôt un Sylphe la suit.

-ocr page 171-

lettre XXXVI.nbsp;i63

Ceux-ci déchaîueut les tempêtes ,
Excitent la fureur des vents.
Et de la foudre, sur nos têtes,
Allument les carreaux brûlants.
Mais d'autres Sylphes plus aimables
Colorent l'écharpe d'Iris
De ces nuances admirables
Qui charment nos regards surpris.
Heureux Sylphes ! c'est vous encore
Qui veillez sans cesse au destin
/ Du sexe aimable que j'adore ;
Pour plaire et pour séduire enfin
^'quot;ous lui donnez tout en partage :
rVous semez des fleurs sur son sein;
Et c'est sous votre heureuse main
Qu'on voit naître le doux carmin
Et les grâces de son visage (i).

ninon.

Voilà des • choses inge'nieuses ; il ne
leur manque que d'êti^e vraies.

(i) ^ojrez Vope, Boucle de cheveux enlevée, cliap. 26; lo
comte de Gabalis , et les œuvres du savant Paracelse , qui
paraît être l'inventeur des Sylphes , etc. ; c'est au moyen de
ces petits génies, habitants de l'air, de l'eau et du feu, qu'il
espliquaii sérieusement tous les phénomènes de l'univers.

-ocr page 172-

moi.

Puisque vous ne vous contentez pas
de mes Sylphes, je vois bien qu'il faudra
prendre un ton plus savant. Vous n'ignorez
pas, assurément, que les corps peuvent
se trouver dans deux états différents d'é-
lectricité, l'un
en plus, l'autre en moins,
et que deux corps électrisés de la même
manière se repoussent.....

NINON.

Je vois déjà où vous en voulez venir :
les corps de métal qu'on expose à la
rosée étant d'excellents conducteurs d'é-
lectricité, se chargent facilement de celle
qui leur
est communiquée par l'air en-
vironnant ; ils se trouvent donc électrisés
en plus comme l'est toujours l'atmosphère
dans un temps serein , et conséquemment
ils doivent repousser les gouttes de rosée
également électrisées
en plus (i).

(i) Voyi- la note do M. l'atria.

-ocr page 173-

GASSENDI.

En vérité, Ninon, ce serait dommage
que vous ne fussiez pas physicienne. Pour
toi, mon ami, si tu as beaucoup de
faits comme celui-là, ta cause est gagnée.

MOI.

Le passage de la rosée à l'origine des
fleuves est naturel, et je vais vous dé-
voiler tous les mystères de leurs sources.

GASSENDI.

Tu vas sans doute achever de creuser
ces canaux souterrains qui, selon Des-
cartes , conduisent les flots de la mer
jusque dans d'immenses cavernes, situées
sous les montagnes ; là, après avoir fait
vaporiser les eaux, pour qu'elles perdent
leur sel, tu les feras suliitement condenser
et jaillir au dehors en fleuves et en tor-
rents.

MOI.

Je ne vous dirai pas un mot de tout

-ocr page 174-

cela : la Nature ne se sert ni de sou-
terrains , ni de cavernes, ni d'alambic;
et notre pauvre Descartes, avec tout son
génie, est au nombre de ces savants,

Qui, s'appuyant sur un roseau,
Aimaient à voyager au pays des chimères,
Et qui régnaient comme Sancha
Sur des états imaginaires.

C'est dans les cieux que les fleuves
ont leur source ; ne la chercbez plus dans
le creux des montagnes.

A ces mots ^ prononcés avec feu, Ninon
fit un sourire, Gassendi s'enfonça dans
son fauteuil, et moi je continuai. — Les
pbysiciens ont reconnu que l'air a pour
l'eau lt;«.ne si grande attraction , qu'il la
change peu à peu. en vapeurs invisibles,
et l'enlève dans les plaines du ciel. C'est
a ces vapeurs qui se condensent éter-
nellement à la cîme des montagnes, quo
les fleuves doivent leur origine. Cett^gt;

-ocr page 175-

affluence permanente et toujours égale
suffirait à l'entretien des sources , lors
même que la pointe des monts n'atti-
rerait par les nuées chargées de neige,
de rosée et de pluie. Ne vous êtes-vous
jamais trouvée, dis-je à Ninon, le matin
à l'heure où la rosée cédant aux rayons
du soleil, s'élève comme une vapeur
légère ? c'est une leçon de physique :
voilà l'origine des fleuves.

Ainsi c'est par la voie des cieux qu'on
pourrait dire que les fleuves remontent
à leur source. De ce commerce du ciel
et de la terre naissent les masses d'eau
qui fertilisent l'univers ; et la fable pré-
sageait la vérité, lorsqu'elle donnait une
origine céleste à tous les phénomènes de
la Nature.

MOI.

La fable a disparu devant la vérité j

-ocr page 176-

la physique a chassé de la Nature tous
les dieux de l'ignorance,

Les nj-mphes ne vont plus dans nos plaines riantes
Épancher doucement leurs urnes bienfaisantes,
Le dieu glacé du fleuve a fui dans ses roseaux,
Et la Naïade en pleurs a cédé ses ruisseaux.
Neptune au sein des flots vainement en murmure ;
Sa puissance est rendue au
Dieu de la Nature,
Au
Dieu de la lumière, à ce Dieu bienfaiteur
Que l'homme vertueux trouve au fond de son cœwi
Dieu qui voit à ses pieds tous les rois de la terre,
Qui, sans armer ses mains des flèches du tonnerre,
Jusque sur leurs autels fait pâlir les faux dieux,
Et qui remplit lui seul l'immensité des cieux.

Quel sublime spectacle nous présente
l'Océan, ce
vaste réservoir où tous les
fleuves prennent leurs sources ! Voyez
ces nuages presque diaphanes -que l'air
et le soleil lui enlèvent sans cesse ; portés
vers les montagnes , ils y changent dç
forme , et roulent majestueusement à la
mer, d'où ils sont de nouveau élevés
■vers le ciel. Ainsi dans ce cercle , dans

-ocr page 177-

ces transformations éternelles, je vois
tous les fleuves passer sur ma tête comme
de légères vapeurs ; je vois tous les jardins
de l'univers , les arbres , les prairies ,
les fleurs sous la forme de quelques
gouttes d'eau. Une montagne arrête ce
nuage , et soudain un torrent jaillit, la
verdure est plus fraîche , les plaines plus
riantes , et les moissons couvrent les
guérêts.

En contemplant ces changements, ces
transformations éternelles des eaux en
nuages, en fleuves, en prairies, en
fruits délicats et savoureux , qui ne
serait tenté de croire avec Thalès ,
que l'eau est l'unique élément de l'uni-
vers ?

Lorsque tous les fleuves roulent sous
des voûtes glacées, la mer seule conserve
sa fluidité , à cause du sel
qu'elle con-
tient.
Peut-être ne verrez-vous dans cette
exception qu'un caprice de la Nature ?
eh bien essayons damp; découvrir la vérité.

-ocr page 178-

170nbsp;IITRE quatrième.

Si le froid glaçait l'Océan, l'air ne rencon-
trant qu'une surface durcie ne pourrait
plus J puiser ces légères vapeurs qu'il est
chargé de porter à la cime des montagnes
pour ahmenter toutes les sources du glohe,
et les ruisseaux, les rivières et les fleuves
se tariraient dès les premiers jours de
l'hiver ; nulle pluie ne tomberait des cieux
pour purifier
l'atmosphère, et la neige
ne réchaufferait pas les germes endormis
de toutes les plantes. Il est vrai que dans
la saison des frimats, la terre languit dé-
pouillée ; mais s'il n'est point de fleurs
qui demandent de fraîches rosées, il est
des animaux qui viennent aux bords des
fontaines pour se
désaltérer ; l'hommo
brise la glace, et puise l'onde nécessaire
à sa vie. Aipsi, cette exception miracu-
leuse, au lieu d'être un caprice de la
Nature, est un bienfait d'une intelligence
suprême, qui prévoyait les besoins de tous
les êtres divers.

Je ne vous parlerai pas de ceg machine^

-ocr page 179-

inventées par le génie de rhomme pour
élever les eatix sur les rochers arides et
les faire jaillir, sous mille formes agréables,
dans nos jardins et dans nos palais. Qu'est-
ce que toutes les merveilles de l'hydrau-
lique , auprès de cet océan de vapeurs
qui, raréfié par le soleil, roule dans le
ciel, retombe en pluie, est de nouveau
élevé par l'astre du jour, porté par les
vents sur d'autres contrées, et qui, dans
un court espace de temps, arrose et fer-
tilise ainsi tous les climats ? Chose admi-
rable ! les mêmes rayons du soleil qui
menaçaient de tout embraser, servent à
pomper et à raréfier les eaux qui doivent
tempérer leur ardeur : c'est le soleil lui-
même qui élève et soutient dans les airs
les nuages dont il voile son front, pour
rafraîchir la Nature,

J'achevais à peine ces mots , que Ninon
se levant avec transport, s'écria : De grâce,
venez parmi nous enseigner tous çes beaux

-ocr page 180-

systèmes : mais ne vous étonnez point de
notre ignorance.

Cher docteur, à ne vous rien taire,
On ne sait point tout chez Pluton ;
Au temps de Virgile et d'Homère,
Au temps même du grand Newton,
Les savants, en quittant la terre,
Promenaient leur ombre légère
Sur les rives de l'Achéron :
Là, pour enchanter notre oreille,
Sur les secrets du firmament,
Chacun dissertait à merveille ,
Et tous les jours nouveau savanS
Venait détruire en un moment
Le beau système de la veiUe.
Mais depuis qu'à pas de géant
On a vu marcher la science ,
Les savants , fiers de
leur puissance
Voyagent tous vers le néant.
Ils ont dédaigné l'espérance
De venir un jour parmi nous;
Le néant les engloutit tous,
Et nous restons dans l'ignorance.
Venez dans nos jardins charmants,-
De votre brillante doctrine
Instruir« les mânes «rrants.

-ocr page 181-

îlaton répétera vos chants ;
Chapelle , à ses accords touchants^'
Réveillant sa muse badine,
Chantera d'une voix divine
Le vin, la beauté , les savants
j
Et l'ame toujours plus ravie
Du sujet qu'il aura chanté ,
Aux accords de sa mélodie
-Nous passerons l'éternit«.

Je fus tellement surpris du discours de
Ninon, que je gardai à peine assez de
présence d'esprit pour me refuser à son
invitation. Gassendi, étonné de mon refus,
fit, avec une grande éloquence, passer
sous mes yeux le tableau des misères
liumaines ; il me peignit l'homme jeté
dans le monde au milieu des méchants qvii
travaillent à le perdre , les hasards de la
fortune, l'insolence des grands, l'indiffé-
rence des heureux. Rien ne put diminuer
l'amour que je me sentais pour la vie.
Ninon voyant cela, me dit : Tu t'aperçois
sans doute par
nos propositions que ta

-ocr page 182-

174nbsp;IIVRE QUATRIÈME.

cause est gagnée. Adieu. Je pars ; peut^
être arriverài-je à temps pour détourner
Chapelle de ses projets.

MOI.

Et lesquels, s'il vous plaît?

NINON.

L'ombre d'un savant échappée au néant
est descendue hier dans l'Elysée -, ayant
communiqué à Chapelle la belle décou-
verte de la décomposition de l'eau par la
pile galvaniq ue (1)5 Chapelle en a ins-
truit ses amis. A cette nouvelle ils ont
été saisis d'une joie divine ; tous ont juré
de ne pas laisser vine seule goutte d'eau
dans les Enfers. Chapelle est à leur tête;
il les commande , les anime , les soutient;
déjà le zinc et l'argent , unis par des
cartons humides, s'élèvent de tous côtés

(1) Fbj-« les notes,

-ocr page 183-

commè des colonnes immenses. Les ombres
amies de la nooveauté sont assemblées sur
les bords du Styx, pour assister à cette
expérience; les cris, les transports, l'allé-
gresse remplissent les Enfers : c'est une
véritable révolution ; et si Pluton n'y
prend garde, il n'aura bientôt pas uné
goutte d'eau dans son empire. Chapelle
ose plus encore : par le moyen du gaz
inflammable de l'eau décomposée, il me-
nace d'enlever toutes les ombfes dans des
ballons, et alors vous aurez beau jeu sut
la terre ;

Car si chacun reprend Sb'a biéft,
Yos modernes auteurs n'auront pas l'avantage ;

Et vous verrez réduire à rien

Tous les chefs-d'œuvre de votre âge.

Le danger est pressant, m'écriai-je î
Ah! de grâce, au nom de tous les poètes
présents et à venir, courez empêcher une
pareille révolution, je vous en conjure
à genoux..... Je parlais encore, et les

-ocr page 184-

ïg6;nbsp;livre quatrième,

ombres avaient disparu. Je me trouvai
seul devant les bustes de Gassendi et de
Ninon, avec les oeuvres de Chapelle et de
Cbaulieu à la main. Mes esprits étaient si
troublés, que je ne sais encore si tout ce
que je viens de vous raconter est un songe
ou une réalité.

Quoi qu'il en soit, j'ai goûté un moment
de bonbeur, puisque dans les traits de
Ninon j'avais cru reconnaître les vôtres. Il
est vrai que je ne suis pas resté long-temps
dans l'erreur.

Votre organe est bien plus flatteur j

Et l'on aime mieux vous entendre ;
Votre regard n'est pas si tendre ,
Mais , bêlas ! qui peut se défendre
De votre sourire enchanteur ?
Ninon, cédant à son aimable ivresse ,
Consacra tous ses jours au dieu de la tendresse;
• Elle promit, elle donna son
canir.
Vos grâces, vos attraits, et votre air séducteur,
Promettent bien de donnef le bonheur,
lieudreï-YOUS pas leur promesse ?

-ocr page 185-

LETTRE XXXVII.

IMMENSITE DES EAUX. EES MARE'ES.

T

A A a»! s qué mes amis, dans une pais profonde,
Assis au frais dans leurs caveaux,
Puisent sans cesse en leurs tonneaux
Les vins qu'ils versent à la ronde ,
Moi, je veux sur des airs nouveaux
Célébrer les bienfaits de l'onde.
Sans doute le trait est fort beau,
Mais pas autant que vous pourriez le croire ;
Car je promets de chanter l'eau,
Et je ne promets pas d'en boire.

L'onde circule de toutes parts sur la
terre; elle baigne les plaines, jaillit des
montagnes, et notre globe ressemble à un
vaisseau à moitié englouti dans les vastes
eaux de l'Océan.

Combien de belles campagnes sont per-
dues sous ces vagues profondes ! combie»

n.

-ocr page 186-

de villes se seraient élevées ! combien
d'hommes auraient vécu , là où règne
seul un abîme immense ! Pourquoi sub-
merger une partie du globe? quelle est
l'utilité de ces grands déserts de l'onde ?
Voilà les armes avec lesquelles on ose
a:ttaquer la Providence.

Mais tout à coup la science découvre les
secrets de la Nature, et fait tourner ces
objections à la gloire du Créateur.

J'irai m'asseoir sur le rocher sauvage
Où la mer vient briser ses flots impétueux ;
Là, sur l'immensité laissant errer mes yeux,
Au bruit lointain des vents, au fracas de l'orage,

J'interrogerai du rivage
Les abîmes de l'onde , et la terre et les cieux ;
Là, je verrai les vents, ministres des tempêtes ,
Mugir en balayant la surface des mers,
Se charger des vapeurs qu'ils portent dans les airs,
Les opposer au feu qui brille sur nos têtes.
Et les répandre enfin sur ce vaste univers.
Tous les fleuves alors jailliront des montagnes;
Leurs rivages heureux de fleurs s'embelliront
Des arbres desséchés les feuilles verdiront.
Et l'or des blonds épis j aunira les campagnes-

-ocr page 187-

Que dis-je ? pénétré d'une aimable fraîcheur,
L'univers s'embellit et parle à notre cœur,
Les nuages du ciel ont fécondé la terre,
Et la Nature enfin se pare pour nous plaire.
Ainsi le doux printemps, quand l'hiver est passé,
Demande à l'Océan sa brillante couronne;
Et c'est au sein des mers que les dieux ont placé
Les trésors des moissons et les fruits de
l'automne.

Oui, Sophie, il est entre la faible plante
et l'Océan une correspondance invisible
et admirable ; la vie de l'une est attachée
à l'existence de l'autre : n'importe la dis-
tance qui les sépare, la Nature sait la
franchir. De cet immense gouffre, placé
entre les deux mondes, sortent les élé-
ments des gazons, des fruits et des fleurs :
l'onde se change en vin dans la grappe
parfumée ; on la savoure dans la pêche,
l'orange, l'ananas ; elle se teint en bleu
dans la violette, dore le souci ^ argenté le
lis, colore en pourpre l'oeillet, et verdit
le feuillage. O sagesse admirable ! l'im-
mensité seule du bassin des mers peut.

-ocr page 188-

nous rassurer sur l'existence des races

futures.

Et les gourmands des siècles à venir,

Comme les gourmands de notre âge,
Pourront chanter l'amour et le plaisir
Entre la poire et le fromage.

Tlialès avait dit long-temps avant nous :
L'onde est le principe de toutes choses;
voilà pourquoi elle est répandue avec
tant d'abondance.

Les anciens, pour exprimer ce grand
pouvoir de l'eau dans la Nature, avaient
des fêtes consacrées aux fleurs, qu'ils ne
célébraient que sur les bords des fleuves
et des ruisseaux. Ainsi les Romainsquot; éle-
vaient des berceaux de verdure sur les
rives du Tibre, et les Spartiates sur celles
de l'Eurotas. Là, les nations assemblées se
couronnaient de roses, et s'abandonnaient
à la joie.

Alors la folâtre jeunesse
De Kome et de ses environs ,

-ocr page 189-

Cédant à sa bridante ivresse ,
Venait en chantant ces chansons
Où les favoris du Permesse,
TibuUe, Ovide, Anacréon,
Célébraient si bien leur tendresse
Et si rarement la raison.
Souvent une jeune prêtresse
SortaHt du temple de Vénus,
En voyant la troupe inconstante
De ces disciples de Bacchus,
S'écriait d'une voix charmante :
« Accourez tous, jeunes gourmands,
« Vous qui , sur un ton agréable,
ft En vers faciles et coulants
« Chantez votre délire aimable,
« Et rendez grâce à l'Océan
« Du chapon et de l'ortolan
lt;( Dont il a couvert votre table ».

Couronnons-nous de roses, ô Sophie ! et
volons à notre tour sur les bords de la
mer j qu'elle entende nos hymnes de
reconnaissance. Dieu ! quel spectacle s'offre
à moi ! mon oreille est frappée du bruit
sourd des flots; je respire un air humide
et chargé de vapeurs
salines j une foule

-ocr page 190-

de réflexions vagues et confuses sur la
grandeur de Dieu, sur l'immensité de cet
abîme, occupe ma pensée; je contemple,
et je ne peux me lasser de contempler.
Oh 1 qui peindra ce mouvement éternel
des flots qui tourmentent le rivage, ces
tempêtes qui grondent, ces vents qui
Soufflent avec
violence , ces montagnes
d'eau qui s'avancent , se recourbent,
tombent avec fracas, et font place à dp
nouvelles montagnes qui s'élèvent et s'ef-
facent sans cesse ? point de relâche, point
d'interruption, point de repos : l'éternibé
semble être là.

Voilà cet Océan qui, brisant sa barrière ,
De son immensité couvrit toute la terre.
Lorsque du haut des cieux l'Eternel irrité
Punissait les humains de leur impiété.
Et depuis, ces humains , avides de conquêtes ,
Ont osé sur les flots affronter les tempêtes !
Voyez de toutes parts cent peuples nautonniers,
Las de languir sans gloire au sein de leurs foyers,
Pleins de l'ambition qui déjà les dévore,
Courir dans leiu-s vaisseaux du couchant à l'aurore,

-ocr page 191-

•Et portant devant eux et la mort et les fers ,
Envahir et dompter tout ce vaste univers.
Vasco, le fier Vasco, quun dieu guidait sans doute ,
De l'Inde, le premier, cherche et trace la route.
Le sombre Adamastor sortant du fond des eaux,
Veut s'opposer cn vain aux projets du héros,
D'un avenir affreux cn vain il le menace,
Rien ne peut dans son cœur ébranler son audace;
Les trombes et les vents, tout cède à ses efforts,
Et de l'Inde bientôt il découvre les bords.
Tout à coup de» guerriers sortis de l'ibérie,
Sur un monde nouveau fondent avec furie,
Lui ravissent son or, le repos et la paix.
Et reviennent couverts de gloire et de forfaits.
Eh quoi ! de ces forfaits spectatrice tranquille,
La mer à leurs vaisseaux peut offrir un asile,
Hélas ! et, secondant leurs perfides efforts ,
Les laisser triomphants pénétrer dans leurs ports !
Non. Bientôt ils verront les vagues corro'icées.
Roulant avec fracas jusqu'au ciel élancées,
Dans leurs frêles vaisseaux entrer de toutes parts.
Et se couvrir au loin de leurs débris épars.

Mais continuons d'étudier les phéno-
mènes de l'Océan. Que vois-je? les eaux
fuient avec
rapidité, déjà la plage est à
découvert , la mer a quitté ses rives-.

-ocr page 192-

l84 iitre quatrième.
Que sont devenues ces vagues effrayantes
qui se heurtaient avec fureur? Mortel,
rassure - toi , les eaux vont reparaître ;.
elles fuiront pendant six heures , et re-
viendront après le même temps. L'Éternel
s'est servi du mouvement pour empêcher
la corruption des eaux et maintenir l'a-
bondance sur la terre.

Si vous voulez à présent que je vous
explique ce mouvement, connu sous le
nom
àejlux et reflux ou de marées, je
vais faire parler les savants.

Ce serait une erreur de s'imaginer que
pendant le flux la masse des eaux devient
plus considérable, et que pendant le reflux
elle diminue. La masse de la mer est
toujours la même -, mais il y règne un
mouvement par lequel elle est portée
alternativement d'une région dans une
autre.

C'est ce phénomène dont les anciens
ont tâché inutilement de
découvi^ir les
causes. Le philosophe de Stagire, Aristote,

-ocr page 193-

étant aux Indes avec Alexandre, fut si
surpris de ce spectacle , qu'il se noya,
dit-on, de désespoir de ne pouvoir l'ex'-
pliquer (i). Vous voye? que la science
fait aussi des passions,

Et qu'il arrive assez souvent
Qu'un rien ou qu'une bagatelle,
Tourne la tête d'un savant
Comme la tête d'une belle.

Les savants modernes sont un peu plus
instruits, et vous comprendrez, je Ves-
père, qu'il vaut mieux croire avec eux
au pouvoir de la lune, que de dire avec
l'un des plus grands génies de l'Allemagne,
le célèbre Kepler, que la terre est un
animal vivant, et que le flux et le reflux
sont l'effet de sa respiration. L'Anglais
Blackmore disait, dans le même sens,

(i) Je ne garantis point ce fait rapporté par plusieurs
auteurs et révoqué cn doute par d'autres auteurs non moins
estimables.

-ocr page 194-

que les paroxismes de l'Etna sont des
accès de colique. Mais revenons à l'astre
des nuits.

Imaginez-vous donc voir tous les savants
se désespérant de ne pouvoir expliquer les
- marées-.

Leur ignorance était commune ;
Et ces messieurs ne saciiant pas
Où trouver leur cause ici-bas,
Furent la chercher dans la hme.

C'était aller cliercher la vérité bien loin.
Descartes se présenta le premier; et re-
marquant que l'élévation et l'abaissement
des eaux variaient selon les moiivements
de la lune, il assura que cette planète,
en passant au-dessus de nous, exerçait
une pression sur les flots de la mer, et les
forçait de se répandre avec vitesse.

Cette belle harmonie entre les marées
et les mouvements de la lune, éclaira les
savants ; et Newton, qui était né pour
deviner les lois de l'univers, nous apprit

-ocr page 195-

enfin que la lune , au lieu de peser sur
les eaux de la mer, les soulevait pendant
six heures , en exerçant sur elles une
très-forte attraction, et ne les laissait re-
tomber qu'après avoir achevé une partie
de son cours.

Je ne vous assure point que ceci soit la
vérité ; cependant on n'a encore rien pu
imaginer de plus probable. Ainsi quelques
objections que vous puissiez faire à ce
système, je vous conseille de l'adopter,
en attendant qu'un savant, mieux
instruit
de toutes ces merveilles, vienne nous ap-
prendre ce que nous devons en penser :
je dis un savant, car les poètes, vous le
savez, ne s'occupent guère de semblables
choses.

Les poètes, troupe inconstante.
Avec leurs petits vers galants
Et leurs cervelles d'ignorants.
Ont une tête peu pensante.
Laissant la foule des savants,
Jusque dans le ciel élancée,

-ocr page 196-

Sans aller dans le firmament
Nous jouissons tout doucement
Des plus beaux fruits de leur pensée.
Que, plein de force et de grandeur,
Delambre ose quitter la terre j
Qu'il élève son front vainqueur
Parmi ces globes de lumière
Dont il admire la splendeur;
Nous , de ce globe de poussière,
Applaudissons au voyageur j
DeliUe assis dans un bocage
Célèbre ses fameux travaux,
Et le contemplant du rivage
Il chante son brillant voyage,
Au dons murmure des ruisseaux»

i

-ocr page 197-

LETTRE XXXVIII.

LK NOUVEAU MOWDE, OU DECOUVERTES DE SPALLANZAKI.

Ou I, les mondes sont ma folje;
J'aime ces globes radieux
Etincelants de mille feu*
Au sein de la nuit embellie.
Là, souvent loin de tous les yeux,

Je vais admirer l'harmonie
Que ces globes gardent entr'eux,
Et de mille êtres merveilleux
Je les peuple à ma fantaisie.
Ainsi je voyage, et j'oublie
Qu'ici-bas je suis malheureux,
Et des fatigues de la vie
Je me repose dans les cieuX.

Lorsque le galant Fontenelle
Nous fit en riant ses adieux,
Quand devers la voûte éternelle
Il s'en allait à tire d'aile
Contempler l'ouvrage des dieux,
On crut qu'il perdait 1« cervelje,

-ocr page 198-

On le crut même dans Paris ;
Mais pour l'amusement des belles,
Le désespoir des beaux esprits,
Un jour, de ces lointains pays
Il vint nous donner des nouvelles.
Que notre esprit fut enchanté !
Comme on applaudit son courage,
, Ses mondes, leur immensité !
Toujours prudent, aimable et sage.
Il n'avait tenté ce voyage
Qu'accompagné de la Beauté.

Devers ces zones de lumière
Je veux voyager à mon tour ;
Puis, laissant les sources du jour j
Près de vous,'guidé par l'amour,
Je veux achever ma carrière :
Je serai semblable à ces preux
Qui, dans leurs transports amtoureus,
Parcouraient l'Europe et rAsié;

V isitaient l'enfer et les cieux j
Faisaient miUe traits de folie ;
Livraient mille combats fameux,
Et revenaient pour être heureux
Auprès de leur fidèle amie,

Nous ne montâmes point sur l'hip-
pogriffe , nous ne fiâmes point emportés

-ocr page 199-

sur des nuées : je ne sais comment cela
se fît, mais nous nous trouvâmes tout à
coup au centre d'un monde inconnu j
Cyrano , Poequillon , Guliver, n'avaient
jamais rien vu de pareil ; et voilà, disais-je
en me frottant les yeux, voilà pourtant,
ce qu'on gagne à rêver \

Nous entrâmes dans une forêt dont les
arbres, de figures singulières, étaient
chargés de longues touffes de fleurs. De
là nous passâmes dans des prairies encore
plus merveilleuses ; le sol
nous en parut
divisé en vallées et en montagnes, dont
un gazon frais tapissait également l'éten-
due. Des lacs, des rivières, un vaste
océan, divisaient tous ces tableaux : c'était
le spectacle de la Nature, 'ou plutôt les
illusions d'un Panorama.

Eu vain j'appelais a graads evis
Les peuples de ce nouveau mond*,
Une solitude profonde
S'offrait à mes regard» surpris.

-ocr page 200-

Eh ! dc grâce, -mes bous amis,
Ne vous cachez pas davantage ;
Vous voyez devant vous un sage
Qui veut s'instruire, qui voyage.
Et qui chez des peuples polis •
Vient faire son apprentissage^ '
Pour a^ler ensuite à Paris,
Au mibeu des cercles volages,
De vos mœurs et de vos usages
Composer de galants récits.
Allons, allons, daignez me dire,
Connaissez-vous dausivotre empire
Les avocats , les médecins ?
Ah ! mes am's que je vous plaiss !
Avez-vous des fournaux malins
. Qui, pour vous plaire et vous instruire,
Sachent répandre à pleines main»
Le sel piquant de la satire ?
Est-il parmi vous des savants ?

Vraiment c'est une belle chose
*

Que de voir l'effet et la cause.
Et d'instruire les ignorants !
Avez-vous une académie
Des auteurs légers et galants
Aimez-vous la philosophie ?
Cédez-vous aux doux .senti^aents,
Et faites-vous de faux serments
Aux pieds d'une nymphe jolie ?

-ocr page 201-

Votre gloire va commencer.
Ah ! gardez-vous de me rien taire ;
Vos ridicules sauront plaire ;
Mais, sans vouloir les rabaisser,
La gloire de les surpasser
Appartient de droit à la terre.

Pendant que je haranguais ainsi, j'a-
perçus au bord de la mer une espèce
d'animal de couleur verte, ayant la forme
d'un ballon, et cheminant en roulant sur
lui-même. Il était si transparent, que
l'on distinguait sa
structure intérieure.
Les anatomistes de ce pays-là, s'il y en a,
doivent avoir beau jeu. Dans le sein de
ce petit globe vivant, je comptai jusqu'à
treize autres globes renfermés les uns
dans les autres, comme autant de géné-
rations à venir. Voici un plaisant poisson,
m'écriai-je ! — Parlez plus bas, me dit
une voix inconnue ; 11
ne faut offenser
pei^sonne : ce que vous prenez pour un
poisson, est peut-être une Nymphe ou
une
déesse de ce monde. Rappelez-vous
ILnbsp;i3

-ocr page 202-

î94-nbsp;iivre quatrième,

ce que dit Fontenelle , que rien dans
les autres planètes ne ressemble à ce qu'on
voit dans la nôtre. —Cela est vrai ■ n?ais
une déesse ronde comme une boule et
roulant sur elle-même, ressemble bien
peu à la Vénus de Médicis j au reste,
approchons ; si c'est une déesse , il fau-
dra bien qu'elle parle.

Je finissais à peine ce discours, qu'un
autre spectacle non moins extraordinaire
attira notre attention. Nous aperçûmes
un arbre tout couvert de petites cloches
transparentes comme du cristal. Tout à
covip quelques-unes de ces fleurs se déta-
chant de leurs tiges, se mirent a nager
avec grâce; puis elles se changèrent peu
à peu en petits arbres, tout couverts
de nouvelles cloches. D'autres arbres se
partageaient en deux, puis en quatre ,
puis en huit, etc., surpassant ainsi tout
ce que Platon nous a dit des androgynes,
et ce que le savant Maillet raconte de
cette carpe dont il fait descendre le genre

-ocr page 203-

liumain. Enfin nous vîmes un .petit animal
qui se reproduisait aux de'pens de sa vie
et d'une façon bien singulière.
Son ventre
s'enfla comme une bulle d'abord trans-
parente, ensuite opaquej puis, le moment
étant venu où il devait
donner le jour
à sa petite famille, il éclata en plus de
cent morceaux comme une mine de poudre
à canon, sans que sfts petits: en souffrissent
le moins du monde (i).

A ces inconnus, comme un sot,
Je parlai si long-temps, quç j'étais hors d'haleinej
Mais, ce que vous croirez à peine,
Ils ne répondaient pas un mot.

Nous nous étions approchés des bords
de cet océan; une vapeur brûlante s'en
élevait, et nous jugeâmes par le thermo-
mètre que l'eau en était
bouillante. Ce-
pendant ces paisibles habitants n'avaient

(i) Muler, ffkt- Fmn.prQ(lgt;, p. 83, n,quot; aSu-

i3*

-ocr page 204-

Îg6nbsp;HVRE QTTAfRlÈMK.

pas Tair de s'en inquiéter : les uns chemi-
naient lentement, d'autres couraient très-
yite sans jamais s'arrêter ; quelques-uns
lançaient des fils attachés à la partie posté-
rieure de leurs corps ; et s'en servaient
comme d'un ressort pOur se transporter
d'un saut à de grandes distances; quelques
autres
tournaient sans cesse sur eux-
mêmes comme les bonzes d'Orient, tandis
qu'auprès de là on en voyait qui se
balançaient perpétuellement jusqu'à la
fin de leur vie.

Cependant, au milieu de cette foule
innombrable , il y avait quelques jeunes
amants occupés de leur seul bonheur.
Nous les suivîmes dans la solitude ; et,
comme Mycromégas, nous criâmes prendre
la
Nature sur le fait.

Les Plaisirs, dans ces doux moments j
Secouaient leurs ailes légères
Sur les gazons où ces bergères
Folâtraient avec leurs amants.

-ocr page 205-

lettre xxxviii.nbsp;197

Nous considérions encore ces ta-
bleaux champêtres, lorsque tout à coup
une guerre furieuse s'éleva autour de
nous : on vit accourir une armée de
géants; ils s'avançaient en dévorant les
membres palpitants de leurs faillies en-
nemis. Ces antropophages ne connaissaient
qu'une loi, celle du plus fort: l'enfance,
la vieillesse , tout tombait sous leurs
coups. On voyait ces victimes infortunées,
englouties toutes vivantes, s'agiter encore
long-temps dans le sein de ceux qui les
dévoraient. La mort et la désolation
planaient sur ces rivages, et la paix avait
fui pour toujours.

Ne sais si dans ce pays-là

Il est beau d'égorger son semblable, son frère,
Si l'on vous nomme un héros pour cela;
Mais sais trop bien ce qu'on fait sur la terre.

En ce moment, ayant entendu un grand
bruit, je levai les yeux de dessus mon

-ocr page 206-

igsnbsp;livre quatrième.

mycroscope, et les mondes, les habitants,
l'océan, les campagnes disparurent : je ne
vis plus devant moi qu'une moisissure im-
perceptible, et une goutte d'eau où j'avais
fait infuser quelques plantes. — Des mil-
lions d'habitants, des guerres sanglantes
dans une goutte d'eau! — Oui, Sophie,
c'est là que Spallanzani, nouveau Colomb,
a conquis un monde inconnu ; car je viens
de vous faire l'histoire des animalcules des
infusions ( i ).

On se dévore dans une goutte d'eau, ces
guerres sont sous nos yeux, et elles nous
échappent. Les intérêts, les combats, les
passions de ces animalcules, que sont-ils
pour nous ?

La terre est comme cette goutte d'eau,
dans l'immensité. Que sont nos guerres,

(0 Vojez Spallanzaui, Observations et experiences sur less
Animlt;dcules,
tome i.quot;, ch. 9, pag. 196, 204, 214, etc.; et

k Contemplation de la Nature, de Bonnet.

-ocr page 207-

nos passions et notre gloire devant l'E-^
ternel ?

IJn héros a passé, la mort l'a fait connaître;
Mais tandis que, souillé de meurtres et de sang,

Il croit lui commander en maître.
Debout sur un tombeau, tranquille elle l'attend.

Sa gloire l'importune à son heure dernière.
Ah ! la seule vertu conserve sa grandeur,
En approchant du trône de lumière
Cil, dans la paix des cieux, siège le Créateur.

Heureux celui qui peut cacher sa vie,
Sur les infortunés répandre ses bienfaits,

Et qui, dans le sein de la paix,
He connaît que son champ, l'amour et son amie !

-ocr page 208-

LETTRE XXXIX.

DE lA GLACE ET DE LA WEIGE.

D A I» s notre enfance on charmait notre oreille
Par le récit de maints enchantements
Nous apprenions qu'au bon vieux temps
Les enchanteurs faisaient merveille.
Alors on voyait des géants,
Des lutins et des revenants,
Et quelques beautés sans pareille
Fidèles à de vrais amants.

Ah ! des enchanteurs de la France

Je regrette peu la puissance.

Les palais bâtis en un jour,

Les prestiges et la science

Des temps heureux de l'innocence j

Je ne regrette que l'amour,

Ses soupirs, et leur récompense.

Je sais que lorsqu'un enchanteur
Assistait à notre naissance,

dl

-ocr page 209-

Il pouvait douer notre cœur
De sentiment et de constance,
Nous donner l'esprit, la vaillance,
Et tout ce qui fait le bonheur ;
Mais vous, ô mon aimable amie !
Quand même ce temps reviendrait,
Aucun pouvoir ne vous rendrait
Plus aimable ni plus johe.
En voyant ce regard si doux,
Vos,jràces et votre figure,
Un enchanteur serait jaloux.
Que pourrait-il faire pour vous,
Que n'eût déjà fait la Nature ?

Cependant, si les prodiges ont encore le
don de vous amuser, je vais, parle pouvoir
de ma baguette , vous faire jouir d'un
spectacle extraordinaire.

Imaginez un palais de diamants : son im-
mense façade est diaphane comme l'onde ;
son portique , enrichi de superbes sculp-
tures, s'élève dans les airs; une foule de
statues de diamants ornent son entrée ; le
palais des dieux élevé par Homère, n'avait
rien d'aussi merveilleux. Des colonnades

-ocr page 210-

de cristal soutiennent %es voûtes transpa-
rentes , qui multiplient la lumière du
soleil. Les arbres , les paysages , les
scènes animées que l'oeil découvre à tra-
vers ses murs, semblent autant de tableaux
exécutés par la main d'un artiste habile.
Six canons de cristal et deux mortiers
avec leurs afuts et leurs roues également
de cristal , en défendent l'entrée : la
poudre enflammée chasse de leur sein un
boulet de fer, et les canons ne se brisent
pas. Je vois votre impatience; vous m'ac-
cusez, je le parie, de bâtir, comme on
dit; un château en Espagne. Cela m'ar-
rive quelquefois.

Quand je parle du sentiment
Et du bonheur qui l'accompagne,
Quand j'en parle en vous écrivant,
Hélas ! mon cœur fait trop souvent
Des châteaux en Espagne.

Le palais que je viens de décrire a existé

-ocr page 211-

quelques instants à Pétersbourg ■ mais ce
que j'ai appelé du cristal et du diamant,
n'était qu'impeu d'eau convertie e»,glace,
et dont la main de l'homme avait fait un
palais magnifique (i).

Le premier regard de l'aurore
Dissipa ce palais brillant,
Comme on .voit sous l'effort du vent
Tomber le lis qui vient d'éclore ;

Ou comme avec rapidité
Disparaît le plaisir volage ,
Sitôt que les rides de l'âge
Couvrent les traits de la beauté.

J'ai dit à ces murs éclatants
Que le soleil fît disparaître :
De vos débris je verrai naître
La fleur qui doit parer nos champs.

(i) Mairan, Dissert, sur la Giïce, part. 2.«, sect. 3.«,
pag.
■2']'] j et la Description de Krajft. Ce palais fut bâti
en

-ocr page 212-

ao4nbsp;LIVRE QUATRIÈME.

J'ai dit, et soudain le zéphir
Ranima la terre épuisée ;
Et je vis son sein refleurir
Sous les gouttes de la rosée.

Vous avez vu l'eau changée en vapeurs,
s'élever vers le ciel, et la voilà devenue
semblahle à du marbre. Oh! combien la
Nature est simple et admirable dans ses
phénomènes ! Un peu de chaleur rend
l'onde invisible comme l'air; avec un degré
de moins de chaleur, elle s'écoule en
fleuve rapide et fertilise nos guérets, privée
enfin d'une partie du feu qu'elle renferme,
elle se cristallise, et alors, selon l'expres-
sion d'un poète,

Où la nef a vogué, j'entends crier des chars (i).

L'eau ne passe donc à l'état solide, que
parce qu'elle cède à l'air qui l'environne
une partie du calorique qu'elle contient.

(i) Bérenger, poésies, tom. a, VHiyer.

-ocr page 213-

Si vous réflécliissez aux rapports qui
existent entre les besoins de la Nature
et les propriétés de l'onde sous ces diffé-
rentes formes ; si vous vous assurez de
la nécessité qu'elle soit arrêtée et cristal-
lisée à la cime des monts, qu'elle coule
ensuite à leure pieds ; enfin que l'air s'en
empare , la vaporise et l'élève de nouveau
pour la reporter à sa source, vous serez
étonné des soins du Créateur; et, comme
Moïse, vous entendrez la voix de Dieu sur
la montagne.

Otez à l'eau une seule de ses propriétés,
l'univers est détruit : l'existence de tous
les êtres est attachée à un souffle.

L'eau se modifie de plusieurs autres
manières. Vous savez que les nuages sont
composés d'une grande quantité de flocons
de vapeurs. Lorsque le froid les saisit et
les glace sans changer leurs formes, ils
tombent et c'est delà neige. Si le nuage en
se fondant rapproche ses parties pour se
transformer en pluie, les gouttes se gèlent,

-ocr page 214-

et c'est de la grêle, ainsi le même nuage
donne, selon la température de l'air, de
la neige, de la pluie ou de la grêle.

La neige est pour une grande partie du
globe, ce que les eaux du Nil sont pour
ï'^Sypt®- C'est en couvrant nos terres de
ses tapis éclatants, pendant la saison des
frimats qu'elle
empêche le froid de faire
périr les grains, et les germes des plantes.
Elle réchauffe et fertilise les champs. Sur
les coteaux du mont Atlas, on voit dès
le mois d'avril les pointes vertes des épis
percer sa surface éblouissante , et croître
et se développer à mesure qu'elle diminue :
à peine les guérets sont-ils entièrement
découverts , que le bled étale ses épis
dorés, et tombe sous la faucille des mois-
sonneurs. Les habitants de la Savoie et
de la Suisse lui doivent toute leur i-ichesse»
Au retour du printemps, lorsque la neige
abandonne les pâturages qu'elle a con-
servés, les bergers conduisent leurs trou-
peaux sur le penchant des montagnes e«

-ocr page 215-

bénissant la Providence qui prend soin
de donner un vêtement à la terre pour la
préserver de l'atteinte des frimats.

Ainsi l'onde semble ne changer de
forme, que pour multipher ses bienfaits.
Le poëte Lucrèce connaissait sans doute
une partie de sa puissance. Voici à peu
près comme il s'exprimait là-dessus en
beaux vers latins, que j'ai tâché d'imiter:

L'eau qui tombe à grands flots du séjour azuré,
Et qu'engloutit la terre en son sein altéré,
Vous la croyez perdue ? eh bien ! elle nous donne
Et les fleurs du printemps et les fruits de l'automne;
Aux arbres dépouillés rend leurs feuillages verds;
D'abondantes moissons couvre nos champs déserts;
Fournit des aliments au roi de la Nature,
Et tous les animaux lui doivent leur pâture.
De là dans nos forêts, tous ces essaims d'oiseaux
Qui par leurs doux concerts évefllent les échos ;
De là cette jeunesse, espoir de la patrie ,
Qui peuple les cités de la riche Italie.
Voyez de toutes parts ces agneaux bondissants
Errer et folâtrer sur les gazons naissants.
Et ces nombreux troupeaux paissant l'herbe fleurie,
Ou couches mollement au sein de la prairie.

-ocr page 216-

aoSnbsp;LIVRE QUATRIÈME.

Le lait de leur mamelle, en ruisseaux échappé.
Blanchit de loin en loin le sol qu'il a trempé,
Et comblant du colon la modeste espérance.
Dans son champêtre asile entretient l'abondance.
Ainsi donc un peu d'eau tombant du haut des airs,
Pour notre bien se change en raille objets divers ;
Et Dieu semble prêter tout son pouvoir à l'onde.
Pour charmer, embellir, et conserverie monde (i).

Vous trouverez dans ces vers bien des
idées nouvelles, ou que les savants mo-
dernes donnent comme telles.

Ne nous étonnons plus de la sagesse des
anciens philosophes; c'est à la cîme des
montagnes qu'ils allaient étudier la Nature.
Orphée descendait du mont Hémus pour
civiliser les hommes ; Thaïes passait ses
jours sur le Mycale, voisin de Milet, et
Anaxagoras de Clazomènes allait contem-
pler les choses divines sur le Mimas, mon-
tagne d'ionie.

(i) Lucret., lib. i. Voyez les notes.

-ocr page 217-

Elevons-nous comme eux; allons jouir
iîu spectacle imposant des montagnes j
allons étudier les fleuves au milieu des
glaces qui se perdent dans les nues.
C'est là que Dieu a renfermé toutes les
richesses de la terre ; c'est là que l'air
apporte les eaux de l'Océan; c'est là que,
dans le silence, une main invisible pré-
pare la verdure du printemps et les
moissons de l'automne. Qu'il est grand,
l
'homme qui, du haut de ces monts,
devine l'intention de la
Nature, et qui -,
suivant en idée le cours des fleuves
dont il contemple les sources, élève
vers le Créateur l'hymne de reconnais-
sance !

La Voix imposante du sage
Retentit dans l'immensité,
Et l'écho de ce lieu sauvage
Répète au loin le nom de la Divinité

Là le silence agrandit la pensée,
L'homme sent qu'il est immortel,

IL

t4

-ocr page 218-

2ionbsp;livre quatrième,

lit son ame, au ciel élancée.
Vole sans s'arrêter aux pieds de l'Étemel.

Au milieu du fracas et du bruit de l'orage.

Saisi d'une sainte terreur.
C'est là que l'homme croit élever son hommage
En présence du Créateur.

Gravissez les sommets des Alpes jusqu'à
la mer de glace, VOUS serez effrayée de
ce silence, de cette immobilité -, il semble
que les flots aient été surpris et arrêtés
d'un coup de baguette, au milieu d'une
affreuse tempête. C'est là que le vent
s'étend, avec une vitesse inouie, sur des
plaines de neige, sans qu'aucun bruit le
décèle. Quelqviefois, du haut d'un rocher,
au moment où vous contemplez une mon-
tagne immense , vous la voyez tout à
coup s'écrouler et disparaître dans le pré-
cipice. Lorsqu'un voyageur égaré appuie
sa main sur un rocher étincelant des
feux du soleil, et qu'il penche sa tête
en bas, il est étonné de ne voir que de

-ocr page 219-

i'omljre qui brunit les eaux d'un lac
immobile ou d'un torrent furieux.

Il regarde, il écoute, et l'onde bouillonnante,
De rocher en rocher au loin retentissante,
Tombe, se précipite, et dans un gouffre affreus
S'enfonce , et tout à coup disparait à ses yeux.
Bientôt il la revoit au fond de la vallée
Entraînant à grand bruit la glace amoncelée;
Hélas : et dans ces champs que la neige a couverts
Il découvre partout l'empreinte des hivers.
Tout dort; et la Nature immobile, engourdie,
Dans un profond repos semble attendre la vie.

Vous souvient-il, Sophie, de ce joi^r
où, nous promenant dans les gorges
des Alpes, nous fûmes arrêtés par un
torrent qui roulait entre deux montagnes?
Une large arcade de glace, d'un bleu
céleste, avait été jetée par la Nature
d'un mont à l'autre -, elle s'élevait à plus
de cent pieds. Nous nous avançâmes.
Comme je tremblais pour vous 1 Des cra-
quements horribles nous annonçaient le
péril ; sous nos pieds roulait le torrent ^

i/r

-ocr page 220-

on entendait le bruit de ses flots à une
telle profondeur, que nos yeux osaient
à peine s'ouvrir pour la sonder. Enfin
nous arrivâmes à l'autre bord. Alors se
présenta à nos regards la plus belle scène
que la JYature puisse créer ! le torrent
roulait jusqu'au milieu du gouffre, en-
touré d'ombres noii-es; mais tout à coup
le soleil perçant à travers les pointes de
deux flèclies de glace , répandait des
flots de lumière sur les eaux réduites
en poussière, et les couvrait de toutes
les couleurs de l'arc-en-ciel. Au-dessus
de ces eaux étincelantes , un grand ro-
cher penchait sa tête couverte de sapins
dans les ombres du précipice. Comme ce
voyage ressemble à celui de la vie !....
Sophie, nous sommes encore sur le pont
de glace, pâles et tremblants; nous nous in-
quiétons du passage, et cependant un spec-
tacle magnifique nous attend à l'autre rive.

Ah ! combien la Nature est fertile en miracles !

Partout elle produit les plus brillants spectacles.

-ocr page 221-

Du sommet de ce mont laissant errer mes yeux,-
Je vois mille autres monts s'élancer dans les cieux;
Des rochers menaçants suspendus à leurs cîmes,
Semblent prêts à rouler d'abîmes en abîmes.
De leurs seins caverneux s'échappent des torrents,
Dont les flots à grands bruits vont inonder les champs.
Mais le torrent bientôt, arrivé dans la plaine,
En ruisseau transparent lentement se promène,
Et sur ces bords riants, ombragés d'arbres verds,
Les oiseaux font sans cesse entendre leurs concerts.

Sur ces bords, charmante Sojihie,
Si vous voulez, nous irons quelquefois
Parler d'amour et de philosophie.
Pour s'exprimer l'Amour empruntera ma voix.
Et peut-être l'aspect de ce lieu solitaire,
Ce mont qui jusqu'au ciel élève un front yainquenr,
Feront enfin sur votre cœur
Ce que ce dieu n'a pas su faire»

-ocr page 222-

LETTRE XL.

DES EATJX SOUTERRAINES.

A toi, qui des fleurs du Permesse
Deux fois a couronné ton front,
Et que le dieu de la tendresse
A guidé sur le double mont.
Dans l'âge heureux de la jeunesse j
A toi qui, dans des vers touchante
Dictés par le dieu de la lyre.
De la tendre Nina soupiras le délire.
Et nous fit plaindre ses tourments 5
A toi qui chantas l'Espérance (i),
Ce doux pressentiment d'un heureux aycnir,
Qui nous ranime au sein de la souffrance,
En nous ofîrant l'image du plaisir.
Soit qu'en tes vers charmants tu chantes la verdure,
L'espérance ou bien les amours,
Le cœur y reconnaît toujours
Le poëte de la Nature.

(i) M. de Saist-Victob.

-ocr page 223-

O jeune voyageur ! prête-moi tes pinceaux !
Je veux m'asseoir sous les ombrages

Que le Rhône rapide arrose de ses flots,
Et, comme toi, de mes voyages
Esquisser les riants tableaux.

Mais lorsque, fatigué de ma course lointaine.
Tu m'entendras appeler le repos ;

Quand j'aurai peint les bois, les vergers, les coteaux,
Et la moisson qui jaunit dans la plaine,

J'irai, comme ton voyageur.
Me reposer au sein d'une prairie ;
Et li, dans un trouble enchantem-.
Oubliant les maux de la vie,
Ami, je livrerai mon cœur
A la tendre mélancoKe,
Ou je chanterai mon bonlieur,
Si je suis auprès de Sophie,

Je voulais vous parler des eaux soii-
terraines, et vous peindre en même-
temps une des merveilles de la Nature 3
Je me suis rappelé mon voyage à la
grotte de la Balme , et j'ai écrit.

C'était un beau jour de printemps;
nous sortîmes de Lyon, un ami et moi;
des crayons, Linnée et Bertin, formaientquot;

-ocr page 224-

livre quatrième.
tout notre équipage; nous voulions dessi-i
ner, herboriser et chanter nos
travaux.
La gaité nous inspirait, et l'amitié devait
enchanter le voyage.

Douce amitié, présent des cieux.
Que tu sèmes de fleurs sur les maux de la vie !
Si la douleur arrache une larme à nos yeux,
Des pleurs de l'amitié cette larme est suivie.
Qu'un véritable ami sait bien nous consoler !
Des secrets du bonheur qu'il sait bien nous instruire
Partager ses chagrins, n'est-ce pas les détruire ?
Partager ses plaisirs, n'est-ce pas les doubler ?

Le printemps renaît, et penche sur le
gazon sa corbeille entrelacée de violettes
et de primevères; les plus suaves parfuma
s'élèvent dans les airs, et la terre se
réjouit du spectacle que la Nature va
donner. Oh ! que l'imagination a bien
inspiré les poètes, lorsqu'ils ont fait du
printemps la saison de l'Élysée ! Je te
salue douce aurore de l'année, je vous

-ocr page 225-

salue, vallées cliamjiêtres^ forêts mysté-
rieuses ! O scènes ravissantes de l'Arcadie !
il n'a fallu qu'un regard du printemps
pour vous réaliser à nos yeux. Oui,
bientôt je verrai rougir les premiers bour-
geons, se développer les premiers fruits,
et j'assisterai à la naissance de la rose. Les
couleurs les plus belles, voilà la parure
du printemps; le murmure des eaux, le
cbant du rossignol, voilà la musique qni
précède son entrée dans les champs.

Cependant nous nous éloignions de la
ville ; déjà nous traversions cette plaine
immense plantée de peupliers , où dix
mille Lyonnais dorment du sommeil de
la mort.

Dieu ! quel cri de douleur est venu jusqu'à moi !
Sous le fer des bourreaux c'est un peuple fjui tombe ;
I! jura dc mourir en défendant son roi ;
Le voilà couché dans la tombe.

C'est là que ces héros, fameux par leur vaillance,
Élevèrent leurs chants vers la Divinité ;

-ocr page 226-

Cliauts sublimes de l'innocence,
Qui devaient retentir toute une éternité.

C'est là que, sans regrets, abandonnant la vie,
Pour la dernière fois ils contemplaient les cieux;
Et leurs regards mourants tournés vers leur patrie,
Lui faisaient les derniers adieux.

/

O cité .' lève toi ; viens des j euncs héros
Contempler la foule expirante ;
Que ton ombre pâle et sanglante
Veille éternellgmeut autour de leurs tombeaux.

Au pied de tes remparts ils sont venus jurer

De se couvrir d'une éternelle glcyre ;
Et jamais dans tes murs on ne les vit rentrer
Que précédés de
la victoire.

Pleure, ô triste cité! pleure sur tes débris!
Les héros n'ont pu te défendre ;
Mais au milieu de tes remparts en cendre,
Leurs bataillons entiers dorment ensevelis.

À

Il y avait déjà plusieurs heures que
nous marchions en silence, lorsque je fus

-ocr page 227-

lettre xl.nbsp;2i9

tout à coup tiré de ma méditation par vin
cri de mon ami. Quelle fut ma surprise,
d'apercevoir dans le lointain une cité
magnifique , telle que vous ne pouvez
rien vous figvu'er de pareil. Ses tours,
ses clochers se dessinaient sur un ciel
d'azur, et les colonnades de plusieurs
temples semblaient former son enceinte.
Cependant je cherchais à deviner quelle
pouvait être cette ville. Vains efforts !
Jamais je n'avais entendu dire que Lyon
eût un pareil voisinage. Mais voyez ce
que peut l'érudition :
ne me vint-il pas
dans la pensée que cette ville pourrait
bien être la même dont parle Aristophane.
Sans doute, me disais-je, fatigués de
voyager dans les. nuées, ses habitants l'au-
ront fait descendre dans la plaine. Allons,
dis-je à mon ami, ne donnons pas le temps
aux voyageurs de pénétrer ici avant nous ;
approchons, observons, décrivons : que
de choses novivelles à dire aux
hommes î

-ocr page 228-

O Sophie ! c'est là que Je voudrais vivre
avec vous.

Sans doute les bons habitants
De cette singulière ville,
Au sein de leur modeste asile,
Loin dc la terre et des méchants.
Jouissent d'un bonheur tranquille.
Nous
J chercherons des savants
Qui soient instruits par la Nature •
Des auteurs dont l'ame soit pure
Comme celle des wais amants
Dont ils font l'aimable peinture,
Dans leurs vers et dans leurs romans j
Et si dans la foule des belles
Il est quelques femmes fidèles
Aux époux qu'elles ont choisis.
Je les ofiiirai pour modèles
Aux jeunes beautés de Paris.
Heureux si, dans leur douce ivresse,
Ces beautés devenaient un jour
Aussi fidèles à l'amour
Que vous l'êtes à la sagesse !

Cependant mon jeune ami dirigeait ses
pas du côté de la ville -, mais , par un

-ocr page 229-

cliarme singulier, elle disparaissait à me-
sure que nous en approchions ; tantôt
une tour s'écroulait, tantôt un temple,
un obélisque , un clocher ; si bien que,
tout à coup, nous nous trouvâmes devant
une masse immense de rochei's. Un vieil
hermite était immobile à leur cîme. Peut-
être pensait-il aux illusions de l'existence.

O jeux si doux du premier âge, enchan-
tements de l'adolescence ! vous m'aviez
promis des amis constants , des amours
fidèles, un monde plein de vertu et de

bonheur !.....je me suis approché ide

la móntagne , et par degrés ce monde
a disparu.

Occupés de ces idées, nous quittâmes
bientôt ces lieux, et, tout en philoso-
phant , nous arrivâmes auprès des ruines
d'un château gothique. C'est là, dit une
ancienne chronique , qu'un troubadour
retrouva la maîtresse dont il pleurait la
perte. Son aventure est consignée dans
une romaiace en vieux langage, qui m'a

-ocr page 230-

pam si simple et si naïve , que je n'ai
pu i^ésister au désir de vous la traduire.
Heureux si vous trouvez qu'elle n'ait pas
perdu tous ses charmes !

Dans une vieille tour
Gémissait enfermée
La j eune bien aimée
D'un tendre troubadour.

Par un roi Sarrazin
Elle lui fut ravie j
Il eût donné sa vie
Pour savoir son destin.

Pour la trouver, bêlas !
Dans sa douleur profonde.
De tous les rois du monde
Il parcourt les états.
Un jour, ô jour heureux
Surpris par la tempête,
Le troubadour s'arrête
En de sauvages lieux.

Il voit un vieux donjon,
Dont le soleil éclaire
La cîmc solitaire
De son dernier rayon;

-ocr page 231-

Il sent battre son cœur; gt;■
Son cœur semble lui dire j
Là gémit et soupire
L'objet de ta douleur.

Dans l'ombre de la nuit,
Quand tout sera tranquille,
Dans ce funeste asile
Il veut entrer sans bruit.
Placé sous les créneaux,
De la garde qui veille
Il charmera l'oreille
Par des accords nouveaux.

Plein d'espoir et d'amour,
Jusques à sa maîtresse,
Par une heureuse adresse
Parvient le troubadour.
O dieu ! quel doux moment !
Quel destin nous rassemble ?
Quoi ! ce lieu voit ensemble
Et l'amante et l'amant !

Cependant de ces Ueus
Us sortent en silence;
La crainte et l'espérance
Les agit«nt tous deux.

-ocr page 232-

224nbsp;LIVRE QUATRIÈME-.

Mais l'Amour veillait là,
L'Amour était leur guide 5
De tout piège perllde
C'est lui qui les sauva.

Des prés, des bois, les bords du Rhône
émaillés de fleurs, quelques hameaux sur
le penchant des collines , voilà ce que
nous vîmes
jusqu'à la Balme , où nous
arrivâmes le soir. Mais pour ne vous pas
fatiguer de détails inutiles, imaginez-vous
nous voir le lendemain , ai-més de flam-
beaux et cheminant avec nos guides du
côté de la célèbre grotte. Nous arrivons... gt;
Je l'ai vue, Sophie ; c'était l'ouvi^ge des
fées, ou plutôt celui de la Nature.

bans le flanc d'un rocher dont le front sourcilleux
Couvert d'épais buissons, s'élève jusqu'aux cieux,
L'œil étonné découvre une large ouverture
Qu'ont taillée avec art les mains de la Natm e.
Le lierre qui serpente en verdoyants rameaux,
Étend 'de tous côtés ses festons inégaux.
Une croix, près de là, sur un tertre placée,
De pieux souvenirs entretient la pensée,

-ocr page 233-

Et dans Fame jetant une sainte terreur,
La ramène un moment derant son Créateur.
Plus loin un peuplier que le zépKir balance,
Mesure la hauteur de cette voûte immense,
Et des oiseaux cachés sous son feuillage verd,
Le doux gazouillement charme l'écho désert.
Plus loin, en avançant dans la grotte profonde,
D'un rapide torrent on entend mugir l'onde ;
De rochers cn rochers, de détours cn détoursj
Il roule ; et dans le fleuve il va finir son coms.
Mais au-dessus des flots, oii sa base est assise,
Sous la voûte s'élève une modeste église.
Là, des hameaux voisins, en un jour solennel,
Le peuple vient en foule adorer l'Éternel.
Quel spectacle touchant ! quelle cérémonie !
Des cantiques pieux la rustique harmonie,
Le bruit de la prière et le bruit du torrent,
Du ministre sacré le saint recueillement,
L'encens qui sm- l'autel s'élevant en nuages
Emportait dans les cieux les vœux et les hommages,
Tout à mon ame émue, oit naissait la ferveur,
Du Dieu de l'univers annonçait la grandeur j
Et, saisi de respect, et d'amour et de crainte,
J'adorai ses bienfaits et sa majesté sainte.

Vous devinez Lien que nous avions
choisi le jour de la fête du village. Bien-
tôt , quittant la foule , nous suivîmes le
ILnbsp;i5

-ocr page 234-

torrent ; il nous fallut gravir au milieu
des décombres qu'il entraîne avec lui.
Les masses de rocbers suspendues à de
grandes hauteurs , les excavations pro-
fondes, donnent à cette coupole un air
à la fois imposant et sauvage. Enfin
la voûte s'abaisse et se divise en deux
branches : nos guides prirent celle do la
gauche.

Bientôt nous découvrîmes une fontaine
dont les eaux coulent dans une multitude
de petits bassins disposés en amphithéâtre ;
c'est ici le
chef-d'œuvre de la grotte et
de la Nature. La forme de ces bassins
est ovale , et leur grandeur diminue à
mesïii'c qu'ils s'élèvent. Leur blancheur
est éblouissante • on les dirait semés de
paillettes d'argent ; et, comme ils forment
une pyramide régulière , mille petites
nappes d'eau tombent à la fois de tous
ces bassins. C'est là sans doute le bain
des nymphes et des fées de cette grotte ;
elles ne pouvaient choisir une onde plus

-ocr page 235-

limpide et plus fraîche, ni une fontaine
d'un, travail plus merveilleux.

On passe de là dans pkisieurs grandes
salles en forme de rotondes ; les murs
en sont recouverts d'un enduit qui a tout
l'éclat du diamant : il semble que la main
d'un artiste habile ait pris plaisir à les
orner de franges, de ciselures, de festons
d'une éclatante blancheur : les palais des
rois n'ont rien de plus magnifique. En
avançant encore, on est arrêté par des
fosses assez profondes; le passage csi, airn-
cile et dangereux; c'est le
Poulsera (i) qui
conduit en paradis. Imaginez quelle fut
notre surprise quand nous nous trouvâmes
tout à coup sur les bords d'un lac. La
majesté
des lieux, les grandes ombres de
nos guides qui nous attendaient dans le
lointain, et dont les flambeaux traçaient

(,) Le Pouhera est un pont trés-étrolt sur lequel les
Orientaux pensent qu'au jour du jugement se fera la sépara-
taon des bons et des mécliants.

-ocr page 236-

sur les eaux de longs sillons de lumière ;
nos voix qui retentissaient sous la voûte,
les mysteres que semblait annoncer ce
lac ; tout contribuait à jeter dans notre
ame une profonde émotion : je me crus
transporté sur les bords de l'Achéron.
Caron nous attendait. En le voyant, je
ne pus retenir un soupir.

Si pour traverser l'Acliéron,
Batelière jeune et jolie
Sp rr^spnfnit au lieu de l'horrible Caron,
Avec bien moins de peine on quitterait la vie.

Le lac nous parut d'abord avoir peu de
profondeur; bientôt la rame n'en atteignit
plus le fond ( i ) ; l'on entendait à peine
le bruit des flots; l'air était pur et tran-
quille :

Ce repos étemel, ce silence imposant;
La barque qui voguait sous cette voûte sombre;

(i) Il a jusqu'à douze pieds d'eaij»

-ocr page 237-

IiC feu de nos flambeaux qui se perdait dans l'ombre,
Tout pénétrait nos cœurs d'uu profond sentiment.
Debout sur le bateau, les yeux fixés sur l'onde,
Où se réfléchissaient de longs sillons de feu.
J'oubliais tout à coup les mortels et le monde;
Je faisais à la terre un éternel adieu :
Il me semblait abandonner la vie :
Déjà je contemplais cet auguste séjour
Où l'homme est immortel, oii sou ame ravie
Goûte paisiblement les charmes de l'amour ;

Oil nous retrouverons un jour
L'ami que nous pleurons, et l'amante chérie
Que notre cœur brisé crut perdre sans retour.
Mes pensers s'élevaient; du milieu de l'abime
J'osai m'élancer dans les cieux;
Et prenant un essor sublime,
Te me crus un moment dans le séjour des dieux.

Il y avait à peu près une demi-lieure que
nous étions dans la fatale barque, le bruit
sourd des vagues semblait augmenter,
quand tout à coup nous, nous trouvâmes
dans une vaste rotonde qui termine le
lac. Là toutes les illusions disparurent
pour faire place à l'admiration. Cette salle
magnifique nous
paraissait un temple que

-ocr page 238-

23onbsp;liyrk quatrième.

la Nature avait élevé elle-même à son
Créateur , et nous le fîmes retentir du
cliant d'une ode du grand Rousseau.

Pendant notre retour nous nous entre-
tînmes des récits épouvantables de ces deux
criminels que François I.quot; avait fait em-
barquer sur ce lac; nous célébrâmes en-
suite le voyage de M. Bourrit. Cet homme
courageux avait osé se jeter à la nage
au milieu de ces eaux immobiles. La
crainte de s'égarer, celle d'un gouffre ou
d'un courant , les ténèbres effrayantes ^
les prières de ses guides, rien n'avait pu
l'arrêter. A l'aide de quelques bougies dis-
posées sur une échelle, il avait parcouru
tous les détours de cette grotte, et ouvert
le chemin aux voyageurs à venir ( i ). En
nous entretenant ainsi, nous arrivâmes sur
les bords du lac.

(0 C'est depuis ce temps qu'on y tient un bateau. Ce
M. Bourrit est fils du célèbre peintre des Alpes. Voyez, les
Mûtes.

-ocr page 239-

lettre XL.
Cette navigation douce et tranquille est
restée dans mon
souvenir, comme les dlu-

sions d'un rêve agréable.

11 fallut visiter encore la partie de la
grotte que nous avions laissée à notre droi te.
Des chauves-souris et quelques stalactites,
voilà tout ce qu'elle contient. On nous fat
ensuite gravir par un labyrinthe de gale-
ries jusqu'au sommet de la vout^ du
vestibule.
Nous étions à plus de cent
pieds
au-dessus du torrent, debout sur
des rochers qui semblent
prêts à s'écrouler.
C'est là qu'un spectacle étonnant attend

A droite il voit les noirs
le voyageur.
A ûioiic, n

enfoncements des souterrains; à gauche,
à travers l'ouverture de la grotte , un
paysage délicieux , un fleuve superbe ,
et des scènes champêtres qui paraissc/it
comme encadrées dans le -vaste portique
de la grotte.

Ici finit notre voyage.
J'auiais pu, sur notre retour,

-ocr page 240-

Barbouiller eucor quelque page,
Peindre
les fêtes du viUage,
Et les bergères de votre âge
Allant sur le déclin du jour
Danser à l'ombre du feuillage ;
Mais je pense qu'il
est plus sage
De dire un petit mot d'amour :
Oui, plus sage, j'ose le dire;
, Et ce dieu qui vous déplaît tant,.
Ce dieu qui m'anime et m'inspire.
Serait pour vous vm dieu charmant
Si vous connaissiez son délire
ït le bonheur du sentiment.

Non, non, l'amour n'est point à craindre;
Je vous l'aurais fait adorer.
Si j'avais le don de le peindie
Comme vous savez l'inspirer.

Heureux celui que votre coeur
• De son amour fera dépositaire;
Car c'est avoir trouvé le secret du bonheuf
Que
d'avoir eu le secret de vous plaire.

-ocr page 241-

LETTRE XLL

DE LA NATURE DE L'EAU.

a. h ! si jamais sur les rivages sombres
Un dieu me guide et soutient mes accents,
Si des accords les plus touchants
Je peux un jour charmer les ombres ;
Tous m'entendrez alors, habitants des enfers,
Bedemander, au son d'une douce harmonie,

Ce grand, cet immortel génie
Qui créait à son gré les éléments divers ,
Et qui, frappé par sa patrie,
Fût regretté de l'univers.

Mais en vain un mortel ose du sombre empire

Implorer la divinité ;
Elles ne s'ouvrent plus aux accords de la lyre
Ees portes de l'enfer et de l'éternité !
Eh bien ! j'irai m'asseoir sur le tombeau du sage j
Aux œuvres du savant, là je veux rendre hommage.
N'est-ce pas proclamer son immortalité,
Que de célébrer son ouvrage ?

Préparez-vous clonC; Sophie, à entendre

-ocr page 242-

des choses merveilleuses : je vais parler
de Lavoisier.

Un sage a dit quelque part que les
savants en présence de la Nature , sont
semblables à des aveugles devant un ta-
bleau. C'est surtout en traitant des éléments
de l'air et de l'eau, que le chimiste peut
s'appliquer cette
comparaison. N'est-il
pas, en effet, comme aveugle devant ces
gaz qui échappent aux meilleurs yeux?
Cependant il les a soumis à ses expé-
l'iences, il les a pesés, mesurés, trans-
vasés d'un récipient dans un autre ; il a su
les arracher des substances qui les con-
tenaient , et les combiner avec d'autres
substances. On
admirait jadis l'aveugle
Sanderson qui, malgré sa cécité, donnait
publiquement des leçons d'optique; mais
le physicien opère des c^ioses plus ex-
traordinaires ; car la lumière suit une
marche géométrique ; et l'on peut repré-
senter ses rayons par des lignes, tandis que
les gaz échappent à presque tous les sens.

-ocr page 243-

I,ETTUE XLI.nbsp;5,35

All Sophie ! qu'il est admirable, celui
qui créa une science aussi extraordi-

»

naire

De cette terre où tu fus malheureux,

Mais où ta gloire est éterDcUe ;
De ce séjour d'où ton ame immortelle
En gémissant s'élança dans les cieux.

Je te salue, Ô sublime génie !
Toi qui de la Nature éclairas les sentiers,

Et qui laissant l'exemple de ta vie ,
Monta sur Péchafaud le front ceint dc lauriers.

Va, les tyrans n'ont pu te dérober ta gloire.

Quand le fer dc ta vie eut terminé le cours,
Tu fus te consoler au temple de mémoire
De la perte de tes beaux jours.

Lorsque le temps dans sa marche pressée
Aura vieilli les éléments divers,
Tu régneras cncor sur ce vaste univers
Par la force de
ta pensée.

Grâce à ce béros des savants, \e veux

-ocr page 244-

aujourd'hui doubler votre puissance ; vous
allez créer un élément, le composer et
le décomposer à vQtre gré.

Je vous ai déjà parlé de plusieurs gaz,
agents invisibles de la Nature et de la
création ^ en voici un nouveau non moins
extraordinaire : on le nomme
hydrogéné,
parce qu'il est une des parties consti-
tuantes de l'eau ; et ce qu'il y a de re-
marquable , c'est que de tous les gaz c'est
le plus inflammable.

Son caractère principal est de former
l'eau avec le gaz oxygène, quand on opère
leur combustion. Vous n'apprendrez peut-
être pas sans surprise que c'est l'hydro-
gène qui s'élève
souvent des tombeaux,
des fontaines ardentes , et du fond des
marais, sous la forme de longues flammes
bleues ou rouges : voilà

L'origine des maléfices
Qvii régnaient dans le bon vieux temps ,
Des feux-foleis, des revenants,
Et des contes de nos nourrices.

-ocr page 245-

Ainsi donc l'eau est composée d'un fluide
inflammable , et d'un fluide qui aide à
brûler. Etonnant mystère de la créa-
tion ! découverte surprenante du génie
de l'homme !

Voici 1' oeuvre de Lavoisier :
Il prit un canon de fusil, l'exposa à un
feu terrible, et y fit passer de l'eau réduite
en vapeurs j alors l'eau se décomposa ,
c'est-à-dire, que son oxygène ayant plus
d'attraction pour le fer que pour l'hydro-
gène, il se combina avec le canon de fusil,
et que l'hydrogène laissé à nud, passa dans
un bocal de verre. Ce qu'il y a de plus
admirable , c'est que l'augmentation du
poids du canon , plus le poids du gaz
hydrogène, forment précisément le poids
de l'eau employée.

Lavoisier tenait dans ses mains les élé-
ments de l'eau , son génie l'inspii^ait, et,
il allait reformer ce fluide qu'il venait
de décomposer. L'Europe entière le con-
templait. Il dit : unisson» ensemble, dans

-ocr page 246-

un globe de cristal, deux parties de gaz
hydrogène et une d'oxygène; enflammons-
les par l'étincelle électrique. Alors il fut
témoin d'une combustion rapide, et d'une
violente détonation ; et il retrouva en
eau pure, le poids juste des deux gaz qu'il
avait enflammés.

Qui pourrait jamais se faire Une idée de
l'épouvantable fracas qui se fit le jour de
la création, lorsque l'Eternel , unissant
ensemble l'oxygène et l'hydrogène de l'es-
pace , forma d'un seul coup de foudre
toutes les eaux de l'Océan, de la terre
et des cieux?

Vous devez bien penser que Lavoisier
eut des combats à livrer ; mais ses rai-
sonnements avaient la force de la lance
d'Astolphe, qui mettait hors de combat
tous ceux qu'elle touchait.

Et tout prêt à combattre encor,
Il restait tout seul dans l'arène :
I,a fortune en ses mains mettait un rameau d'or,
La gloire une branche de chêne.

-ocr page 247-

Quelque surprenantes que soient les
découvertes de Lavoisier, on ne peut les
nier, puisqu'elles sont appuyées sur des
expériences. Cependant ces découvertes
n'ont servi qu'à rendre certaines opéra-
tions de la Nature plus inexplicables. Les
savants se demandent en vain, comment
l'eau peut être composée d'un fluide in-
flammable et d'un fluide qui aide à brûler?
Comment ce fluide, qui est visible, est
composé de deux éléments invisibles ? et
comment il peut rafraîchir nos sens lors-
qu'il cache le feu le plus violent ?

Mais si la Nature nous empêche de pé-
nétrer dans ses secrets intéressants, elle
nous a révélé ses bienfaits les plus admi-
rables. L'homme a pu entrevoir quelques-
unes des grandes harmonies de la terre,
et il a été pénétré de respect et d'éton-
nement. Permettez - moi de vous citer
un fragment que j'ai déjà publié sur ce
quot;sujet.

Des deux éléments de l'eau , l'un est

-ocr page 248-

propre à être respiré par toutes les créa-
tures , l'autre ne peut servir à soutenir
leur vie , mais il alimente les végétaux ;
et c'est ce gaz qui se change en la substance
des fleurs, et qui, par vin phénomène in-
concevable , devient visible en se trans-
formant en oranger, en chêne, en cèdre,
en Baobab.

Les végétaux ont donc la propriété
d'opérer la décomposition de l'eau, de
se nourrir du gaz inutile aux créatures,
et de laisser aller dans l'atmosphère un
gaz bienfaisant, qui porte la vie dans le
sein de l'homme.

C'est ainsi que ce riant tapis où la bfer-
gère cueille ses bouquets ,• que ces gazons
fleuris , ces bocages enchanteui^s^ où une
jeunesse folâtre forme des danses aux ac-
cords de la flûte , servent à purifier une
atmosphère que la respiration de tant de
créatures aurait bientôt rendue mortelle.
Les mesures d'air nouveau ont été pro-
portionnées à la quantité d'air devenu«

-ocr page 249-

non respirable ; les gazons et les arbreâ
n'en
foui-nissent qu'autant qu'il, est né-
cessaire au bien du genre bumain. Eb !
l'on ne croirait pas à la Puissance qui
prévoit, qui mesure et qui crée \

Les animaux se meuvent ét covirent
cbercber leur nourriture : la plante im-
mobile est placée au milieu de la sienne ;
ses branches s'étendent de tous côtés, et
ses feuilles nombreuses sont autant dé
bouches qui s'emparent de l'air et de l'eau
qui les environnent. Que si l'on observe
que le règne végétal est le seul fondement
de la vie des animaux , qui sont à leur
toiw dévorés par l'homme , la surprise
redouble : il semble que les prairies, les
bois, les animaux, nous-mêmes enfin, ne
soyons qu'un peu d'air, un souffle que
l'Eternel dissipe à volonté. Grande et
effrayante pensée , qui nous montre en
même temps notre fragdité et la puissance
du Créateur !

Ainsi, ce que l'homme admire le plus,

n.nbsp;i6

-ocr page 250-

ces ombrages frais , ces vallons fleuris,
lie diffèrent presque de notre atmosphère
que par la forme ; ce qui fait les délices
de nos tables, n'est qu'un peu d'air trans-
formé en orange, en pêche, en ananas;
mais, ce serait en vain que nous essayerions
de nous nourrir de carbone, d'hydrogène,
d'azote , il faut que ces gaz aient passé
dans un végétal, pour qu'ils soient propres
à soutenir notre existence. La végétation
est donc le moyen employé par la Nature
pour offrir à l'homme une petite portion
d'air sous les formes les plus agréables ;
et il a fallu un aussi éclatant miracle pour
assurer la fécondité de la terre et la durée
des mondes (i).

J'espère que vous ne me saurez point
mauvais gré de vous avoir parlé une se-
conde fois de cette loi merveilleuse. Je
reviens à mon sujet.

i) Voye:L mes Annotations au livre de l'existence de Dieu,

(k FÉJMÎI.OS.

-ocr page 251-

L'air inflammable ou l'hydrogène joue
un grand rôle dans les phénomènes de la
Nature. Sa légèreté extraordinaire le fai-
sant tendre au ciel, il donne de ces hautes
régions les spectacles les plus brillants
et les plus terribles ; loi^squ'une étincelle
électrique vient à l'allumer, il produit,
disent quelques physiciens , les pluies
d'orage (i) , les météores lumineux, les
étoiles tombantes, les globes de feu, et
même la foudre.

Déjà, remplissant son ballon de gaz hy-
drogène , l'aéronaute s'élève triomphant
dans les airs , et planant comme l'aigle
au-dessus des orages, il prend possession
de ce nouveau monde, au nom de l'homme
et de Montgolfier. Ainsi s'élance tout à
coup le brave Pilàtre de Rozier.

Déjà le clocher du hameau
Décroît
et blanchit dans la nue,

(1) On concoit facilement qu'il s'unit alors avec l'oxygène

16

-ocr page 252-

Et déjà le fleuve à sa vue
Paraît comme un faible ruisseau;
Il voit l'homme, dans l'étendue,
Triste jouet des passions,
Et de ses agitations
La cause lui reste inconnue.
Hélas ! en quittant ce séjour
Il voit les héros de la terre,
Il entend les cris de la guerre.
Le bruit du
fifre et du tambour.
Mais il s'éléve, et le silence
Succède à ces cris beUiqueux;
Sous ses pieds un espace immense
Cache les mortels à ses yeux.
Hélas ! quelle est notre folie !
Pourquoi haïr dans une vie
Où les hommes dès le berceau,
Objets de douleur et d'envie.
Marchent tous ensemble au tombeau ?

Ne craignez pas cependant que notre
aéronaute s'élève jusqu'à la lune • bientôt
son ballon, en équilibre avec l'air devenu

dl

de l'atmosphère et qu'il forme de l'eau. Cette manière d'e.x-
pliquer les pluies d'orage me paraît très-naturelle.

-ocr page 253-

plus rare , cessera de monter. Mais tpae
de belles choses il pourrait nous dire, si,
quelque jour, la lune exerçant son attrac-
tion sur lui, l'attirait jusque dans son sein!
Que d'agréables descriptions il nous don-
nerait de ces montagnes, de ces vallons,
de ces volcans , de ces cavernes que nos
savants ont vus au bout de leurs lunettes !
O joyeux Astolphe ! combien, depuis ton
voyage , il s'est fait de changement dans
cet empire 1 Noti-e aéronaute y retrou-
verait le bon sens de nos merveilleux, de
nos coquettes , de nos artistes, de nos
grands hommes. Pour moi,

J'ai tant dc goût pour la folie,
Que , si ce voyageur m'apportait mon flacon,
J'irais, ô mon aimable amie,
Auprès de vous perdre encor ma raison.

On peut espérer qu'un jour l'art des
ballons se perfectionnera assez , pour que
l'aéronautc, élevé à
une grande hauteur,

-ocr page 254-

jette son ancre et i-este immobile au-dessus
de la terre, emportée dans l'espace. Alors
le monde roulera en quelques heures sous
ses pieds, le grand tableau de l'univers
sera devant lui, et la terre fera tous les
frais de la route.

Adieu, Sophie : si tout ceci vous inspire
le goût des voyages, choisissez-moi pour
votre
chevalier : le bonheur d'être auprès
de vous sera ma plus douce récompense.

Ah ! le jour du départ serait un jour d'ivresse!
En me voyant, chacun dirait :
Accompagné 4e la Sagesse,
Télémacpie ainsi voyageait.

Chevalier loyal et fidèle,
Mais plus heureux qu'Amadis et Dnnois,
Je n'aurai pas besoin de combattre une fois
Pour qu'on vous trouve la plus belle.

P- S. Je veux demain, par les aventures du chevalier du
Cygne, vous apprendre ce que les anciens ont connu sur les
ballons.

-ocr page 255-

LETTRE XLII.

iiélie et beatrix;
OU

connaissances des anciens sur les ballons.

VoiGi lê récit d'une aventure du bon
vièux temps ; vous y verrez que l'amour
s'est quelquefois
servi de la science pour
parvenir à ses fins, et que le merveilleux
répandu dans les romans de chevalerie
poui-rait bien avoir son origine dans la
vérité.

Dans ces heureux temps où les esprità
célestes veillaient sur les hommes , èt
mêlaient les merveilles de la magie aux
actions éclatantes des héros, sous le règne
de Justinien second, Xhéodoric, seigneur
de Clèves , voyait sans regret s'avancer
la vieillesse entre une épouse et
une fille

-ocr page 256-

cliérie. La jeune Beatrix aussi était heu-
reuse. Eh I comment ne le serait-on pas
dans 1 age de l'innocence et sous le toît
paternel ?

Heureux qui chaque soir s'endort près d'une mère,

Qui la retrouve encor dans un songe enchanteur,

Et qui tous les matins sent palpiter son cœur
En s'èveiUant sur le sein de son père !

Ah ! pourquoi la Nature barbare nous
a-t-elle condamnés en naissant à répandre
des pleurs sur des cendres si chères? Ainsi
donc l'homme destiné au sort le plus
heureux est toujours sûr de verser des
larmes.

Bientôt Théodoric et son épouse des-
cendirent dans
la tombe, et Beatrix resta
seule pour pleurer. :

. ;Hèlas ! pàuvres mortel?à. peine, sur la terre,
On nous parle déjà de cette loi du sort
Qui doit nous rendre à la poussière ;

Et le premier spectacle de la mort
Ne nous est présenté qu'au prix de noire père.

-ocr page 257-

Oui, riiomme est né pour la douleur.
Eh ! qui peut de la vie oser vanter les charmes ?
Le jour
l'Éternel nous fît présent d'un oceur,
11 remplissait nos yeux de larmes.

Cependant, à la nouvelle de la mort de
Théodoric, les princes ses voisins s'assem-
blèrent, et, voyant la jeune Béatrix isolée
et sans appui, ils résolurent de lui enlever
ses états et de se les partager. Béatrix
redoutant leur approche , s'était retirée
dans un vieux cbâteau, près de Nimègue,
et là elle ne cessait d'implorer les secours
du ciel, et de lui demander un libérateur.

Une nuit elle vit en songe un de ces
preux cbevaliers qui remplissaient alors
le monde de leur gloire 3 il descendait
majestueusement de la voi;ite azurée : beau
comme le jour, il semblait être un ange,
et quitter sa patrie céleste.

Cette merveilleuse vision rendit l'espé-
rance à la princesse, et ses jours étaient
plus tranquilles.

Un matin, iriste et dolente, elle était

-ocr page 258-

assise près d'une fenêu^ qui donnait sur le
Rhin ; ses i-egards se promenaient avec dé-
lice sur les belles campagnes de Newbourg;
tout à coup elle voit un navire voguant
dans les airs'; ses voilçs étendues s'en-
flaient au souffle du zéphire. Emerveillée
d'un spectacle aussi extraordinaire , elle
descend à la hâte ; le navire aérien s'ap-
proche et
aborde doucement au pied du
château. « Sur le tillac paraît un jeune
« chevaher, l'armet en tête, ombragé
« de lambrequins et panaches de quatre
« couleurs , ayant pour cimier un cygne
« blanc, et tenant en son bras un large
« écu en gueules, et en sa main
droite
« une épée d'or «.

Il s'élance hors du navire , met un
genoux en terre devant Béatrix, et lui
dit :

« Dieu et tous les esprits qu'il a ré-
« pandus dans l'air sont pour vous. Calmez
« vos craintes; je suis Hélie, chevalier du
« Cygne ; j'ai pour père un de ces génies

À

-ocr page 259-

« à qui le Très-Haut a donné une partie
« de sa puissance. J'habitais avec lui le
« pays du Gréai, semblable au paradis (i) ;
(( mais, touché de vos malheurs, et épris
« de vos attraits, j'ai voulu prendre votre
« défense. Ordonnez, et cette épée va
« disperser vos ennemis ».

Le héros garda le silence j mais s'aper-
cevant que l'étonnement empêchait la
princesse de répondre, pour lui donner
le temps de se remettre, il tira des ta-
blettes de son sein, et les lui présenta,
après y avoir écrit ce qui suit :

« Non, je n'ai pas quitté le doux séjour des dieux,
K Mon cœur l'éprouve en chantant vos louanges :
« Je dois me croire encore aux cieux,
« Puisque je vois un de leurs anges. »

Un chevalier qui vient du ciel.

tin

(,) Contrée fabuleuse, semblable au paradis terrestre, dans
laquelle on n'entrait que par
hasard et fortune. Voyeï Favin,
Théâtre d'Honneur, etc.

-ocr page 260-

songe accompli, un madrigalen faut-il
tant pour séduire la beauté? Béatrix, un
peu revenue de son étonnement, balbutia
quelques mots , et donna sa main à baiser
à Hélie , comme pour le déclarer
son
homme lige.

Ravi de cette faveur, le chevalier du
Cygne ne voulut pas attendr-e un seul
moment
pour mériter davantage -, il s'é-
lance sur un coursier, vole chercher les
ennemis de la princesse , et ne revient
qu'après les aVoir vaincus. C'était ainsi

qu'on prouvait son amour au bon vieux
temps.

Mais l'amour et l'hymen l'attendaient
pour le récompenser. Béatrix le conduisit
à l'autel, et Dieu entendit leurs serments.
Heureux Hélie ! elle t'aime ; vois, vois
comme «;lle «st belle !

Elle a quinze ans, elle a son innoeenee ;
L'amour clans ses beaux yeux cherche à sç déguiser;

Sa capdeur promet la constance,
Et l'on voit sur sa bouche éclore le baiser.

i

i

-ocr page 261-

Déjà plusieurs mois s'étaient écoulés
dans le bonheur, lorsqu'un matin Hélie
dit à son épouse : « Cetté nuit les génies
« m'ont visité -, j'ai vu mon père , dans
« un songe, triste et rêveur; il appelait
« son fils. Je vais painir, ô mon épouse
« chérie ! mais, si pendant mon absence
« quelques dangers vous menaçaient, voici
« une colombe, œuvre de l'art magique ( i ),
« enflammez le ruban qui forme un noeud
« sous son aile, et livrez-la au zéphire
« lorsqu'il soufflera
3. l'Orient », A C6S
mots Hélie s'éleva sur son char aérien, et
disparut dans l'immensité des cieux.

Ainsi Béatrix fut encore condamnée aux
larmes. Appuyée sur la fenêtre d'où, pour

(i) Colombe du philosophe Architas, dont il est parlé dans
Aulugelle,
Noctium atticarnm, lib. lO, cap. 12; Claudien.
Cardan,
Variarum remm, lib. 12, cap. 58; et Horace, Od.
lib. I.quot;, od. 23, ou, lib. 4) od. 4- Voyez aussi les iSecrefi

de Vecker, liv. 3; «t Scaligef) ^ Suitilitate ad Cardanum
^Serçit. âaô, etc.

-ocr page 262-

la première fois, elle avait découvert
Hélie, elle le cherchait sans cesse, comme
pour hâter son retour.

Souvent dans le silence de la nuit elle
entendait la marche lointaine du voyageur.
Quelquefois elle prêtait Foreille aux ro-
mances des troubadours qui passaient sous
les murs du château.

Le lointain murmure des flots,
La lune qui, dans sa carrière,
Traçait un sillon de lumière
Sur le sein tranquille des eaux j
Ce long, cet imposant silence,
Ce triste et pâle demi-jour;
Le doux refrain de la romance
Que répétait le troubadour ;
Tout faisait rêver l'innocence;
Hélas ! et dans son ignorance
Elle osait invoquer l'Amour ;
Ce dieu si fier de sa puissance,
Qui vient allumer nos désirs,
Qui promet les plus doux plaisùâ
Et ne donne que l'espérance.

Dix jours se passèrent, et Hélie ne

-ocr page 263-

revenait pas. Vingt fois Eéatrix avait posé
sur sa fenêtre la colombe magique et
immobile , et vingt fois elle n'avait osé
enflammer le ruban mystérieux. Enfin
elle ne put y résister plus long-temps j
un matin le vent soufflait à l'Orient, elle
prend un flambeau, le ruban se consume,
et soudain, comme si ce feu eiit été celui
de Prométbée, la colombe s'anime, pousse
un doux gémissement , s'échappe des
mains de Béatrix, et disparaît dans les airs.

Je ne peindrai pas l'étonnement de la
princesse, et encore moins sa joie, loi^sque
l'aurore suivante elle vit accourir le che-
valier du Cygne. Où sont vos ennemis ,
s'écria-t-il ? — Vous les avez vaincus,
répondit la princesse -, mais vous m'avez
dit d'envoyer la colombe , si quelques
dangers me menaçaient. Ah ! Hélie, un
jour encore d'absence, et Béatrix n'était
plus (i;.

(i) Théodose donna k Héliç et à son épouse l'investiture

-ocr page 264-

236nbsp;LIVRE QUATRIÈME.

Pour vous, charmante Sophie ^

Vous n'écrivez jamais un mot d'amour,
Vous craignez qu'au plaisir un mortel ne succombe;
Eh bien ! ne dites rien, j'y consens; mais un jour
Faites partir une colombe.

D'amour cette faveur serait le plus cîcmx prix :

Ainsi ferait une immortelle ;
Ah ! si vous m'envoyez l'oiseau cher à Cypris,
Je croirai le recevoir d'elle.

A

Anacréon, sur les bords de sa tombe,
Couronne encor son front des plus brillantes flems ;
Il chante le plaisir, jouit de ses douceurs ;
Mais veut-il obtenir de plus douces faveurs ?
Il fait partir une colombe.

de la principauté de Cléves : c'est à ce chevalier que la maison
de Clèves fait remonter son origine.
Voyes Favin, Théâtre.
d'Honneur et de Chevalerie
, tome 2, liv. 7, d'où j'ai tiré cette
histoire «n y ajoutant la colombe d'Architas.

-ocr page 265-

LETTRE XLIIL

HARMONIES H YDRO-VÉGÉT ALES.

Je conduirai vos pas sur la rive fleurie
ilne la Saône se plaît à baigner de ses flots ;
Là, sous les pampres verds, arrondis en berceaux,
Nous irons contempler la sublime harmônie
Qui règne entre les fleurs, le zéphir et les eaux.
Alors, laissant errer doucement votre vue
Sur les bois enchantés, les vallons, les coteaux,
Sur le mont qui s'élance et se perd dans la nue,
Votre
ame, tendrement émue.
Éprouvera des sentiments nouveaux.
Vous sentirez une volupté pure,
Que vous reconnaîtrez si v^ous aimez un jour :
C'est éprouver un sentiment d'amour
Que d'être émue en voyant la Nature.

Amants, espérez tout de la jeune beauté
Que la Nature rend sensible;
En vain son cœur vous parait inflexible;
En-vain elle vous traite avec sévérité ;

IL

17

-ocr page 266-

258nbsp;LIVRE QUATRIÈME,

Ah ! son ame, je vous assure.
Est faite pour aimer un jour :
Car l'amante de la Nature
Devient bientôt l'esclave de l'amour.

Assis sur ces bords fortunés, nous appren-
drons que si l'onde est nécessaire à la vie
des gazons et des fleurs, les plantes et les
arbres ont à
leur tour la plus grande in-
fluence sur les eaux de l'atmosplière et de
la terre.

Nous verrons les plaines et les montagnes
couvertes de forêts, attirer les nuées et les
dissoudre , détourner les vents dévasta-
teurs, arrêter les météores électriques,
les forcer à céder leurs feux, et préserver
ainsi le hameau du vallon. Alors des pluies
fécondes arroseront les campagnes, et l'air
des cités sera toujours pur et serein.

Abattez les forêts : ce beau climat va
changer;les orages gronderont, une séche-
resse effroyable ou des inondations im-
prévues détruiront vos asiles champêtres,
et la foudre vous écrasera.

i

-ocr page 267-

LETTRE XLIII.nbsp;25()

Lés voyageurs ont vainement cluerché
dans laTroade, le fleuve du Scamandre; il
avait disparu avec la forêt de cèdres cjui
couvrait le mont Ida, où il prenait sa source.

Je pense que vous savez comme
Ce mont fut, dans l'antiquité.
Fameux par un berger ami de la beauté,
Par Vénus et par une pomme.

L'Italie jouissait,pendant l'existence des
grandes forêts du Tyrol, d'une tempéra-
ture douce ; elle est devenue brûlante
depuis leur destruction.

Ainsi les plantations d'une partie du
monde étendent leurs influences jusques à
plusieurs centaines de lieues.

Ainsi l'on a vu changer le climat de Ja
France (i).

Lorsque d'insensés villageois,
Sans aucun respect pour leurs pères.

\i) On sait iju'à l'époque de la révolution les paysans

Tr, *

-ocr page 268-

260nbsp;lIVRE quatrième.

Abattaient ces antiques bois
Tout pleins encor des saints mystère«
Des Druides et des Gaulois,
Et des danses vives, légères,
Qu'y venaient former les bergèrea
Aux sons rustiques du hautbois.
O France ! de nouveaux feuillages
Viens te couronner en ce jour ;
Nous désirons tous tes ombrages :
Tu sais
qu'à des peuples volages
Il faut présenter, tour à tour,
Et des retraites pour les sages,
Et des asiles pom- l'amour.

Il ne pleut jamais dans les déserts de
l'Amérique,
parce que leur surface sablon-
neuse et privée de végétation réfléchit
une très-grande chaleur ^ cette colonne
d
'air chaud qui s'élève de la terre em-
pêche les vapeurs de se condenser, les
éloigne toujours davantage, et les chasse
vers les montagnes, où elles tombent,
parce que l'air y est plus frais.

détruisirent une grande quantité de forêts pour semsr du blé
dans les terres qu'elles occupaient.

-ocr page 269-

Comme tout est lié et prévu dans l'uni-
vers, la pluie eût été inutile et perdue
dans un désert sablonneux; et la Nature
a dit aux ondes du ciel : Vous ne tom-
berez que dans les lieux où un tapis de vei--
dure attendra vos gouttes bienfaisantes.

Où est la goutte d'eau perdue dans la

Nature?

Les sécheresses produisent quelquefois
aux environs de Quito des maladies très-
dangereu^ses : pour en interrompre l'action
il suffit de quelques
petites pluies qui
tempèrent l'ardeur du soleil. La Nature,
qui a tout prévu , a couvert de vastes
forêts les vallées et les montagnes envi-
ronnantes , et c'est ordinairement des h-
sières de
ces forêts que s'élèventles vapeurs
abondantes, les rosées délicieuses qui vont
se répandre presque tous les jours dans
les plaines voisines (i).

{i) Voyez Histoire naturelle de l'Air, tomenbsp;i8o;

5es Harmonies hydro-v^gétaks de M. Rauch, et les notes.

-ocr page 270-

Jetez encore un regard sur les rivages
fleuris; voyez les formes singulières des
arbres qui les embellissent, et jugei de
l'harmonie que la NatUre met dans ées
oeuvres;nbsp;-

Là, d'un bord escarpé le peuplier s'élance,
Et va chercher au ciel le vent qui le balance;
L'aulne,
moins élevé, fait entendre le bruit
Du ^éphir qui l'agite
OU de l'onde qui fuit,
Et le saule pleuretir, inclinant son feuillage,
Retombe doucement sur les éaùx qft'iT ombragé. . '

Ne croyez pas que ces arbres ne servent
qu'à embellir les bords des eaux. VÔyez-
vous ce platane qui se penche sur (ïes
rives marécageuses ? son feiïillage est
épais, sa verdure est fraîche et superbe;
mais il ne porté point de fruits. A qUoi
sert-il donc dans la Nature? Demandez-le
aux fontaines qu'il embellit, au voyageur
qui s'assied sous son ombre. — Il est
donc inutile , s'écriera l'impie ? assez
d'autres arbres offrent des abris déhcieux.

-ocr page 271-

— Non, non, il n'est pas inutile; n'a-t-on
pas TU les Perses, victimes des maladies
pestilentielles qui s'élevaient de leurs ri-
zières humides, appeler
à leur secours le
balsamique platane? aussitôt le fléau dis-
parut. Il n'y a plus de contagion
à Ispahan,
dit Chardin,
depuis que les Persans ont
orné de platanes
leurs rues et leurs jardins.

Voilà donc un arbre que la Nature nous
présente pour ombrager et purifier nos
marais.

C'est surtout sur les bords de la Saône,
dans les belles campagnes de Lyon, que
j'ai pu étudier ces grandes harmonies.

Les paysages du Poussin étaient SOUS
mes yeux; les descriptions du Tasse, de
Rousseau, n'offrent rien de plus encKan-
teur : prêtez l'oreille , le rossignol et la
fauvette vont vous faire entendre les plus
charmants concerts.

o mon pére c'est Ik qu'en ta maison des cliamps
Tu consacres tes jours aux soins les plus touchants;

-ocr page 272-

Là, tu jouis des biens tant vantés par le sag,e.
L'arbre que tu plantas te prête son ombrage.
Tu vis content de peu ; pauvre, mais bienfaisant,
Ta main secourt encor le faible et l'indigent;
Et pour que rien ne manque à ton bonheur tranquille j
Ma mère et les vertus habitent ton asile.
Je vous salue,
à champs embellis par l'amour!
J..yon, ville immortelle où je reçus le jour,
Je te salue! Hélas ! puisse le sort prospère
Me rendre dans tes murs le bonheur et mon pére f
Oui, je
veux les revoir, tes rivages fameux !
Je veux revoir mon père, afin de vivre heureux.
Solitaire, isolé sous le même feuillage
Où tu daignais instruire et guider mon jeune âge,
O mon père ! ton cœur est encore plein quot;de moi;
Tu songes tendrement au fils qui songe à toi;
Tu plains l'ambition et l'erreur qui l'égarent,
Ou plutôt, franchissant les lieux qui nous séparent,
ïeut-être ta pensée errante sur Paris,
Retrouve en ce moment le fils
que tu chéris.
Tu le vois, tristement appuyé sur sa table,
T'éerivant pour tromper l'absence qui l'accable;
Et tandis qu'en idée ainsi tu l'aperçois,
Son cœur est à Hillieux, et te suit dans nos bois.
Que ne puis-je qn sa course arrêter la Fortune ?
Ah ! si je fléchissais sa rigueur importune ,
Vous me verriez alors, verdoyantes forêts,
Et vous, champs embellis par Flore et par Cérès,

J

-ocr page 273-

Vous me verriez courir sur votre heureuse rive,
Suivre l'eau de la Saône à regret fugitive,
ï voguer doucement sur un léger bateau,
Ou m'asseoir sur ses bords en invoquant Rousseau.
Heureux de m'y trouver dans les bras de ma mère,
Et d'y jouir en paix des caresses d'un père !
Un dieu m'entend, m'exauce, pt je revois ces lieux.
Le voilà , cet asile où je dois être heureux !
Fleurissez, bords charmants, étalez vos ombrages,
Couronnez-vous encor des plus riants feuillages ;
Ruisseaux, faites entendre un murmme enchanteur,
Je vais revoir mon père et chanter mon bonheur.

Vous le savez, Sophie, si les bords de
la Saône doivent me faire pardonner cet
élan vers ma patrie, vous qui avez vu
ses eaux endormies entre deux collines
plantées de forêts et de jardins délicieux :
ici s'élève un château gothique, une tour
isolée , un pavillon, une chaumière ; des
fontaines jaiUissent de toutes parts, en-
tourées de peupliers et de saules d'Orient,
Quelquefois le coteau, s'entr'ouvrant tout
à coup, laisse voir un frais vallon qui se
prolonge dans le lointain ; une bei'gère y

-ocr page 274-

conduit ses troupeaux , un sage y con-
temple la Nature. Le vallon se referme;
et, de terrasse en terrasse, les montagnes
s'inclinent jusque sur le rivage. C'est là
que l'on voit, au milieu des ruines ro-
maines, fleurir des berceaux de myrtes
et d'orangers; c'est là que s'élève le ca-
talpa superbe, le
cèdre , le mélèze à la
chevelure noire, tandis que dans des vases
de forme antique fleurissent les géraniums
variés, les ombelles rosacées de l'horten-
sia , et les guirlandes du bignonia. On
croit en respirant tous ces parfums, en
voyant ces belles fleurs, ces eaux jaillis-
santes , cette' verdure et ces pavillons,
entrer dâôs
quelqu'une de ces villes d'O-
rient dont les voyageurs font de si bril-
lantes descriptions.

On raconte qu'un étranger, infidèle aux
lieux témoins des premiers jeux de son
enfance, cherchait une autre patrie pour
y finir ses jours. Arrivé sur les bords de
la Saône, une nacelle le réçoit; il la laisse

-ocr page 275-

aller au gré des flots. Alors on l'entendit
s'écrier dans son enthousiasme ;

Si les beautés de la Nature,
Les rnisseaux, les boià et le« fleurs
Nous rendent bienfaisants, s:éniibles et meilleurs,
Ici doit habiter la vertu la ^lus pure.
Il dit : mais son bateau léger
Vogue toujours sans toucher au rivage.
Nous avons dit souvent : Ici doit vivre un sage',
En passant comme l'étràiigêr.

Surpris des nouvelles beautés qui se dé-
couvraient sans cesse à ses regards , le
voyageur s'écriait encore :

Lorsque je vois ces campagnes tranquilles.
Je sens la douce paix se glisser dans mon cœur,
Et si je les compare au tumulte des villes.
Je juge que le vrai bonheur
Doit habiter ces aimables asiles.
L'étranger dit : mais son bateau léger
Vogue toujours sans toucher au rivage :
Il connaît le bonheur du sage,
Il passe sans le partager

-ocr page 276-

Un jour, il aperçut la cité que l'histoire
Donnera pour exemple à la postérité ;
Son commerce et les arts seuls ue font pas sa gloire;
Elle eut mille héros pour l'immortaUté.
Mais le repos, hélas ! fuit l'euceinte des villes.
Eh ! qu'importe la paix de nos vallons tranquilles?
L'étranger voit ouvrir le chemin des grandeurs;
Fortune lui promet de l'or et des honneurs.
Alors un doux zéphir, qu'il aide de sa rame.
Pousse
au rivage son bateau.

Mais il n'y jouit point du sentiment nouvew
Qui venait d'enivrer son ame,
Et bien souvent U pleura son hameau.

-ocr page 277-

LETTRE XLIV.

RECAPITULATION, OU BUT DE LA NATURE.

Dotrx sentiments, plaisirs du cœUr,
Ah!

venez enchanter ma vie !
Je vais la revoir, cette amie.
Dont la présence est un bonheur.
Et qui par l'amour embellie,
L'est encor plus par la pudeur.
Quoi ! vous quittez votre retraite
Pour venir habiter Paris,
Séjour aimable où l'on regrette
La campagne et ses prés fleuris ;
Mais où les plaisirs ont leurs fêtes
Et les femmes leur paradis ;
Où l'amour, les jeux et les ris,
L'opéra, les galants écrits,
Savent tourner toutes les têtes,
Même celles des beaux esprits.
Eh bien ! venez ; sur ces rivages,
Les beaux arts vont vous accueillir,
Et vos grâces vont recueillir
Des éloges et des suflfrages
Inspiré« par le doux plaisir.

-ocr page 278-

Ici vous apprendrez des beEes
A raisonner profondément
Des plus légères bagatelles ;
Vous verrez d'un chapeau galant,
D'une fleur ou d'une dentelle,
Le pouvoir aimable et charmant,
Et vous saurez incessamment
Ce qui se passe en la cervelle
De nos plus frivoles amants :
Vous verrez leur troupe immonello,
Vous entendrez leurs doux serments,
Serments de tendresse éternelle,
Et qui durent quelques moments;
Venez, sans tarder davantage,
Nous montrer ce teint de viUagq,
Ce sourire et ces yeux si doux;
Mais n'écoutez pas le langage
Du plaisir qui règne sur nous ;
Car c'est ici qu'il rend volage
Les jeunes beautés comme vous.

Pour mériter votre suffrage.
J'ai chanté les œuvres du sage,
La Nature et son Créateur ;
Daignez applaudir mon ouvrage,
Et je chanterai mon bonheur.

J

Puisque cette lettre est la dernière que

-ocr page 279-

TOUS pourrez recevoir de moi, je veux
la consacrer à quelques réflexions qui
naissent de l'étude des sciences.

Jusqu'à ce jour j'ai tâché de vous prou-
ver que la Nature est un tout harmonieux,
dont les éléments ont été liés par une
puissance prévoyante. Sans le feu rien
ne serait animé ; les fluides ne circu-
leraient pas, la terre serait aride, aucune
créature vivante n'existerait; sans l'air, le
fevi n
'aurait point d'aliment , et les plantes
et l'homme ne pourraient renouveler leur
vie. Eh ! que deviendrait l'univers, si des
fleuves ne fertilisaient son sein ? Quelle
grande et sublime harmonie entre la terre
et l'eau qui l'arrose, l'air qui l'enveloppe
et le feu qui l'anime ; entre le ruisseau
et l'herbe des champs, entre le ruisseau,
l'herbe et l'homme ! On voit qu'une su-
blime intelligence a prévu tous les rap-
ports de ces différents êtres, et
que la
vie est le but de la création ; mais une
fois qu'il est prouvé
que le hasard ne

-ocr page 280-

peut pas avoir un but sans cesser d'être
le hasard, Dieu reste seul grand et im-
muable sur les débris des systèmes de nos
philosophes.

De quelle admiration n'est'-on pas saisi,
lorsqu'on voit la Nature, dans ses plus
grands phénomènes, joindre toujours le
beau à l'utile ! La
lumière nous annonce
que l'oeil était prévu, et les superbes ta-
bleaux de la campagne s'étendent sous
les regards de l'homme. Quelle admirable
dépendance entre ces immenses globes
de feu qui roulent dans l'espace , et l'oeil
d'une créature jetée à plusieurs millions
de lieues sur un atome de poussière 1 L'air
qui se change en blé dans la faible plante
graminée , prouve qu'une créature hu-
maine devait s'en nouiTir. Mais lorsqu'on
voit ce même air servir de véhicule au
son, transmettre à l'homme la pensée de
l'homme, comment ne pas croire à la pré-
voyance divine , à cette puissance qui
nous fit entendre la pensée en nous envi-

-ocr page 281-

ronnant des ondes d'un fluide invisible !
Admirons la Nature, Sophie ;

Son Lut toujours est d'instruire et de plaire.
Quand le cristal recelant la lumière,
Offre à la fois à nos regards surpris
Les sept couleurs de l'écliarpe d'Iris,
De sa chaleur, sans épuiser la source ?
L'astre du jour, en poursuivant sa course,
Hépand sur nous ses rayons bienfaisants
féconde tout, à tout donne la vie,
De mille fleurs émaiUe la prairie ,
Et de Ponjone embellit les présents.
De l'homme enfin, guidé par la science,
L'air a déjà reconnu la puissance :
Pour lui cet air n'est plus un élément;
Et cependant au-dessus de nos têtes
Brille toujours son azur transparent,
Et dans son sein rayonnent les planètes
Que Dieu d'un mot fit sortir du néant.
Il fait mugir les vents et les tempêtes.
Venez l'entendre élever jusqu'aux cieux,
Des chants sacrés les sons religieux.
Hélas ! sans lui l'aimable Polymnie,
Par les accords d'une douce harmonie.
N'aurait jamais dans l'ame, tour à tour,
Éteint la haine et fait naître l'amour.

ILnbsp;lî^

-ocr page 282-

Oui, Sophie, toutes les oeuvres de la
Nature ont un but. La fleur n'embellit pas
seulement les champs, elle ne sert pas
seulement aux couronnes des bergères ;
l'abeille laborieuse j puise un suc déli-
cieux, qu'elle présente à l'homme dans
des coupes dorées. L'ai-bre qui nous offre
son fruit et son
ombre, le nuage qui vole
dans les airs pour abreuver les plantes, la
rosée du soir qui purifie l'atmosphère , le
troupeau de la prairie, ont tousle même
but dans le grand oeuvre de l'Éternel : ce
but est l'homme.

Vous allez peut être me demander quelle
est la fin de l'homme au milieu d'une créa-
tion qui tend toute à ses besoins ou à sa
gloire : cette fin est Dieu. Pour le prouver,
il suffit que la pensée de l'homme ait pu
atteindre Dieu dans l'éternité.

Eh quoi ! tout ce qui est sur la terre
tendrait au bien de celui que son
courage,
son génie et Dieu placèrent à la tête de la
çréation ! et celui-là seul né tendrait à

-ocr page 283-

rien! travailler, dévorer, penser et souf-
frir , serait notre fin ! l'homme se verrait
mourir tout entier au milieu de tout ce
qui se renouvelle! le plus faible animal
lèche les pieds du protecteur, du maître
qui le nourrit, et l'homme serait sans pro-
tecteur et sans maître ! celui qui peut s'éle-
ver si haut par la pensée serait obligé de
se rabaisser pour jouir et pour aimer, lui
que l'amour de son semblable ne peut
satisfaire, et dont le cœur est si grand,
qu'un Dieu seul peut le remplir !

0 mortel ! l'assentiment de ton cœur
n'est-il donc rien? la joie d'appartenir à
Un Dieu est-elle donc un rêve ? l'horreur
du néant est-elle donc u.ne illusion? A
qvii vas-tu adresser ta reconnaissance à la
Vue des beautés et des bienfaits de la Na-
ture? est-ce aux hommes? mais ils ne
l'ont pas créée : tu aurais donc un sen-
timent sans but. Et lorsque ton cœur est
embrasé d'un amour involontaire pour le
ciel, lorsqu'on soulevant la pierre de ta

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tombe tu entends une voix qui t'appelle
du sein de l'éternité, tu oserais te con-
damner au néant ! Ah ! les consolations
que t'offre le ciel , le bonheur qu'il te
promet, l'enthousiasme qui t'anime, voilà,
voilà les preuves de ta grandeur : preuves
incorruptibles que tu apportes en naissant
à la vie, et
que tw laisses après toi sur la
terre,pour consoler tes enfants et agrandir
leur destinée.

Salut, ô créature inspirée! homme! la
grandeur de tes oeuvres prouve la gran-
deur de ta destinée. Je te contemple, et
l'admiration me transpoi'te. Je m'étonne
de mapensee, je deviens fier de mon être
l'immortalité m'appartient. Que vois-je ?
la voûte céleste s'entr'ouvre, un feu bril-
lant s'élance de toutes parts, mes oreilles
sont frappées par des accords divins.

D'Apollon j'entends l'iiarmonie,
Il vole sur son char de feu ;
Chante, me dit-il, le génie
Qui dévoile l'œuvre de Dieu,

-ocr page 285-

Muses, venez, montez ma lyre.
Ah ! j e le sens dans mon délire,
J'ai cessé d'être ce mortel
Qui connaît et plaint sa misère j
Je suis homme , roi de la terre,
Et mon ame touche le ciel.

li'homme naît, l'univers l'étonné ;
Il voit les soleils sans appui;
Un orbe éclatant l'environne,
Les mondes roulent devant lui.
O sagesse !
6 magnificence !
Mortel I connais ton impuissance ;
Que dis-je ? connais ta grandeur.
La Nature est donc surpassée :
Peut-elle égaler la pensée
Qui devine le Créateur ?

Long-temps la créature heureuse
N'admira que l'auteur du jour,
Mais la pensée ambitieuse
Dit : Je veux créer à mon tour.
Des arts telle fut la naissance.
L'homme, appuyé de la science,
Connut son immortalité ;
Et malgré sa faiblesse extrême,
Son premier regard sur lui-même
Lui dévoila l'éternité.

-ocr page 286-

Bientôt l'homme inventa la lyre,
Sa voix interrogea les vents,
Et le souffle du doux zéphire
Forma des concerts ravissants.
O voix pviissante du génie !
O prodiges de l'harmonie
Dont se vante l'antiquité !
L'homme abandonne sa chaumière j
Et tout à coup de la poussière
Je vois
éclore uae cité.

O mortels ! un dieu vous inspire j
Voici des prodiges nouveaux ;
Sous vos doigts la toile respire,
Un monde naît sous vos pinceaux ;
Le marbre taillé se Iransforme;
Je vois sortir d'un bloc informa
La déesse de la beauté.
L'homme avait animé la toile •
Son ciseau fait tomber le voile
Qui cache une divinité.

1

Franchissons les déserts de l'onde,
Dit l'homme insensible à l'effroi ;
U part, et trouve un nouveau monde
Dont il se déclare le roi.
Contemplez-le ; couvert de gloire,
11 vogue en chantant sa victoire ,

-ocr page 287-

El triomphe de Touragan.
Contraste effrayant et bizarre
Un ais fragile le sépare
Des abîmes de l'Océan.

Faible et mourante créature
Condamnée aux infirmités,
L'homme est un point que la Nature
Place entre deux éternités (1).
Mais que sa pensée est puissante !
L'esprit lui-même s'épouvante
De ses calculs audacieux. .
Tel que l'astre de la lumière,
L'homme en parcourant sa carrière
Mesure la hauteur des cieux.

Jadis, dans la superbe France,
On vit un mortel généreux ;
Égalant les dieux en puissance,
11 était bienfaisant comme eux.
Son art enfanta des merveilles;
Du sourd il ouvrit les oreilles ;
Le muet se fît admirer.
G méchant ! cesse ton murmure ;
Vois tous les tojts de la Nature,
Un homme a su les réparer (2).

(i) Imitation d'une pensée de Pascal,
(a) Le célèbre abbé de l'Épée.

-ocr page 288-

Cependant un pompeux spectacle
Fut admiré de l'univers ;
L'homme voulant faire un miracle,
Osa s'élever dans les airs.
Le voilà qui laisse la terre ;
Une barque frêle et légère
Aux cieux porte le voyageur ;
Tout cède à son heureuse audace ;
Et de la mort qui le menace,
L'homme semble être le vainqueur.

Eh bien ! qu'ils viennent, les faux sages !

Ee voilà, cet être puissant

Dont ils admirent les ouvrages,

Et qu'ils condamnent au néant !

Ah ! mon ame au ciel élancée,

Dans la grandeur de sa pensée

A vu son immortalité.

La mort me frappe et je succombe;

Mais les dieux ont fait de ma tombe

Le chemin de l'éternité.

-ocr page 289-

ÉPILOGUE.

Heureux celui qui n'eut jamais l'envie
De courtiser les neuf sœurs d'Apollon,
Qui vit obscur, qui, pour se faire un nom
Et recueillir les palmes du génie,
A rimailler ne passe point sa vie !
U ne craint point de dangereux rivaux,
Il ne craint point les traits de la satire,
Il n'écrit point, et se moque des sots
Qui sont atteints de la rage d'écrire :
Du peu qu
'a sait il jouit cn repos.
Mais pour prétendre à ce destin tranquille,
Faut-iS vraiment qu'en un profond oubli
Mon nom toujours demeure enseveli ?
Il est, hélas ! il est bien difficile
De renoncer à décorer son front
De ce laurier qui croît au double mont.
Aussi, diit-on me trouver téméraire,
Jusques au bout j'ai suivi ma carrière.
Sûr d'obtenir un accueil indulgent.
Je vais enfin vous présenter, Sophie,
Le faible essai de mon faible talent ;
Car c'est à vous que mon cœur le dédie.

-ocr page 290-

Là, d'un ton grave et léger tour à tour,

J'ai des savants varié Je langage.

Ainsi qu'on voit une abeille volage

Qui de sa ruche, au matin d'un beau jour,

S'envole aux champs, s'arrête et se repose

Sur chaque fleur nouveUement éclose,

Et de leurs sucs composant son butin,

En bourdonnant retourne à son essaim :

Tel,inspiré par une muse aimable.

Pour composer le miel de mes essais

Pour rendre enfin la science agréable,

J'ai tour à toui- effleuré vingt sujets.

Peut-être un autre aurait-il su mieux faire.

Mais du bon goût qu'un zélé défenseur,

Avec esprit, sans fiel et sans aigreur.

Sur mes défauts et m'instruise et m'éclaire,

J'écouterai son avis salutaire.

Sur moi pourtant s'il fond avec fureurj

Si le plaisir de fâcher et de nuire

Le fait armer des traits de la satire ;

Si de sa bile écoutant les accès,

Pour m'accabler il lanee tous ses traits ,

Dois-je parler ou garder le silence

Dois-je lui rendre oflense pour offense ?

Je dois sourire au critique odieux ,

Et lui répondre, un jour, cn faisant mieux.

C'était ainsi qu'autrefois la critique,

Sans goût, sans choix, sans esprit, sans égards.

Pour les soumettre à son joug despotique.

Sur les auteurs fondait de toutes parts;

À

-ocr page 291-

Mais aujourd'hui plus aimable et pliTS fine,

Adroitement la critique badine.

Et cependant malgré tous ses efforts,

Elle ne peut diminuer le nombre

De ces écrits qui, passant comme une ombre,

Vont du Léthé peupler les tristes bords.

Un tel destin, Sophie, osons le croire,

De mes travaux ne sêra pas le prix.

Ab ! si par vous ils sont bien accueilUs,

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Je suis content; c'est assez pour ma gloire.

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NOTES

DU TOME DEUXIÈME.

SUITE DU LIVRE TROISIÈME.

LETTRE XXVII.

du feu.

L'e'le'ment le moins matériel, le plus mobile, le
plus énergique, est sans contredit le feu. Nous
ne connaissons rien de plus vif et de plus pénétrant
soit qu'il s'élance du soleil en rayoïls lumineux,
soit qu'il brille dans l'éclair, ou brûle dans nos
foyers. En effet, il ne subsiste que dans une per-
pétuelle agitation ; étant doué d'un mouvement
spontané ou de révolution, il se répand également
en tous sens. Aucune substance n'est plus conve-
nable pour communiquer la force et. la vie aux
animaux , pour entretenir cette circulation dont
le cœur est le centre. Sans doute, le même prin-
cipe dont se sert l'Être tout-puissant pour donner
le branle à la machine du monde , imprime la vie

-ocr page 294-

à tout. Nous voyons qu'un peu de chaleur excite
la végétation , la tiédeur de l'air ranime les animaux
à sang froid , comme- les reptiles , les insectes ;
l'ardeur du soleil développe la sensibilité et l'amour
dans tous les êtres ; la présence de la lumière les
réveille, son absence les fait dormir ; un peu de
froid cause la torpeur , un froid vif fait périr.
Sous les tropiques, où la chaleur solaire est plus
rassemblée, tout y est plus animé , les affections
sont plus impétueuses et plu? expansives. L'équateur
est peuplé d'une
multitude d'êtres, mais le froid
des
pôles s'oppose à leur multiplication, et les.
animaux s'y assoupissent une grande partie de leur
vie • tous correspondent à cette proportion dc l'é-
lément igné qui remplit le monde.

Quand le soleil s'éloigne de nos climats, les arbres
se dépouillent de leur quot;feuillage, les dernières fleurs
tombent. On voit les quadrupèdes se confiner dans
des tanières, les oiseaux s'enfuir en longues bandes
sous de plus beaux cieux, les reptiles s'engourdir,
les poissons s'enfoncer sous les eaux; toute la Na-
ture ek att^ist^^e. L'existence annuelle des herbes
et des insectes dépend du soleil; lorsqu'il remonte
sur notre horison , ramenant le printemps , il fait
tout -eng-endrer et renaître, tous les germes se dé-
veloppent , les fleurs s'épanouissem ; la santé , l'a-
mour , éclatent dans les jeunes créatures, la surftice
de la terre'est successivement animée, à mesure
que ses rayons la fécondent; elle languit sans eux.
L'homme n'engendre pas seul l'homme, il faut l'in-
tervention du soleil, générateur universel et père
de la vie.

J

-ocr page 295-

notes.nbsp;287

L'ardeur d'amour qu'inspirent leS feux de cet
astre, parmi les beaux jours et sous les climats du
midi , résulte d'une surahoiidaiice du principe sen-
sitif. Où le soleil est le plus ardent, là, les hommes
sont polygames , et les animaux plus lascifs ; les
singes papions , les satyres , etc., étalent une lu-
bricité inconnue aux froides races des pôles. La
vivacité des oiseaux de la Torride ne peut se com-
parer a l'apathie de ceux du septentrion ; et même
le naturel des animaux du midi est bien plus fé-
roce que celui des espèces du nord. Tous les êtres
végètent dans le froid plus qu'ils ne vivent , et si
notre terre était aussi éloignée du soleil que la
planète de Saturne , notre nature animée s'éteindrait
entièrement.
La matière tombe vers la mort, par sa
propension naturelle ; le soleil l
'attire à la vie 5 les
êtres animés semblent se lever chaque aurore et
converger vers lui, et à mesure que le jour cir-
cule autour du globe terrestre , les hommes, les
animaux, les plantes même s'éveillent • lorsque la
nuit succède , ils succombent au sommeil. Cette al-
ternative perpétuelle montre la correspondance de
nos
mouvements vitaux, avec la révolution du jour
et des saisons; il entre ainsi dans nous un prin-
cipe solaire dont le cours mesure nos âges. Si
l'aire parcourue par la terre se rétrécissait, sa ro-
tation diurne et annuelle, devenue plus prompte,
exalterait nos fonctions vitales, en raccourcissant,
à proportion, notre durée. Nous serions plus rapi-
dement consumés du feu de la vie ; car le voisinage
du soleil, foyer de l'attraction, imprime à toute
substance plus d'activité. Au contraire , la lenteur

-ocr page 296-

des revolutions des planètes augmentant, en raison
de leur éloignement, la vie de leurs habitants ,
si elles en ont, doit prendre une longueur pro-
portionnelle , parce qu'elles décrivent un plus long
cercle. Les peuples des tropiques sont pubères et
vieux de bonne heure ; ceux du nord dépensent
plus lentement leur vie, parce que la rotation et la
chaleur y sont moins vives que vers l'équateur. Ainsi
nous pouvons être comparés à des lampes vivantes
que le soleil allume chaque jour, et qui s'éteignent
lorsqu'il disparaît! l7inconstance naturelle de notre
sensibilité suit d'ordinaire
cette variété du principe
vital.

Taies sunt Jiominum mentes, lt;juales pater ipse

Jupiter auctiferd lustravit lampade terras.

(Virey).

J

LETTRE XXVIIL
nu CALORIQUE.

La matière qui produit la chaleur , et que les
chimistes nomment calorique , eSt, avec la lumière ,
le corps naturel le plus abondamment répandu dans
l'espace ou dans l'univers. Il doit donc jouer un
très-grand rôle dans les phénomènes du monde.
Aussi les philosophes l'ont-ils considéré, dans tous
les temps, sous les noms de feu, de chaleur , dû

-ocr page 297-

matière de la chaleur , comme le sujet de leurs
plus profondes et de leurs plus sublimes méditations.
Ils l'ont presque regardé comme l'ame de l'univers ,
comme le premier moteur d'une foule de mou-
vements , comme la source générale de toute mobi-
lité, de toute liquidité et fluidité de l'élasticité ,
de la vie même. Sans lui, suivant eux, il n'y aurait
qu'in«rtie , repos et mort.

Il est bien reconnu que ce qu'on nomme chaleur,
est l'expression d'une sensation produite par un
corps particulier; que ce mot chaleur ne peut
donner qu'une idée vague «t indéterminée, puis-
qu'il n'y a rien qui varie autant que nos sensations ;
que cependant tous les hommes conviennent que
l'abondance du principe calorifiant, appliqué ou
accumulé dans nos corps, excite l'échaufFement,
tandis que sa diminution ou sa soustraction occa-
sionne le refroidissement. C'est ce principe, sus-
ceptible d'augmentation ou de diminution dans
les corps, qu'on désigne par le nom de calorique.

Les philosophes et les physiciens ont été par-
tagés d'opinion entr'eux , sur la cause de la chaleur;
les uns n'y ont vu que la suite d'un mouvement
excité dans les molécules des corps ; les autres l'ont
attribuée à un corps existant par lui-même ; et les
chimistes, qui en étudient la marche, qui en dé-
terminent, jusqu'à un certain point, la quantité,
ou au moins la proportion dans divers systèmes
de corps comparés, qui en estiment même les at-
tractions diverses , ont mille moyens d'accumuler
les preuves de cette seconde opinion. C'est à eux
que l'on doit le mot calorique, fait pour distinguer

IL

-ocr page 298-

le corps qui produit la sensation , d'avec la seu-

sation elle-même ou la chaleur qû'elle excite.

En physique, on étudie spécialement les pro-
priétés , comme on montre la présence du calo-
rique par l'écartement des molécules de tous les
corps, qu'il produit en s'insinuant entr'elles ; on
prouve qu'il pénètre tous les corps, qu'aucun ne
peut lui opposer d'obstacle ; que, comme tous les
fluides , il tend à l'équilibre ou au niveau ; qu'il
dilate les solides, qu'il raréfie les
liquides ; que la
dilatation des
premiers , opérée par son moyen ,
amène
leur liquéfaction, que la raréfaction des se-
conds se termine par la fluidité élastique; qu'en
quelque quantité qu'on l'accumule dans les corps, il
n'augmente pas leur pesanteur absolue; qu'il di-
minue leur pesanteur spécifique , en augmentant
leur volume, et qu'on peut exprimer jusqu'à un
certain point la proportion du calorique par la me-
sure d'expansion ou par la dilatation qu'éprouvent
les solides et les liquides. Cette dernière méthode
est la pyrométrie et la thermométrie ; parce que
les instruments
qu'on y emploie sont nommés py-
romètres ou thermomètres.

En chimie on a quelques idées plus exactes et
plus positives sur cette première propriété du ca-
lorique; on regarde son action dilatante ou raré-
fiante comme l'elFet de l'attraction, comme une
véritable combinaison; on observe que le calorique,
a mesure qu'il pénètre et dilate les coi-ps, se com-
bine réellement avec eux, surtout quand il les fait
changer d'état, c'est-à-dire quand il les fait passer
de l'état solide à l'état liquide, ou de celui-ci à

A

-ocr page 299-

l'état fluide élastique; qu'ainsi pendant la fusion
des solides , ceux-ci restent constamment à la tem-
pérature ou à l'état d'échauffement qu'ils avaient
acquis avant de se fondre, tant qu'ils ne sont pas
complètement fondus; que de même lors de la
formation des vapeurs, les liquides ne continuent
point à s'échauffer tant qu'il y en a une dernière
portion sous la forme liquide ; que cette statio»
de température est due à ce que le calorique qu'on
introduit et qu'on accumule dans les corps s'y fixe
réellement , s'y comLine de manière à ne pas
prendre la forme ou l'état de chaleur, jusqu'à ce
que ces corps en étant saturés ne soient plus que
traversés par le calorique qu'on y ajoute et qui
en sort alors sous la forme de chaleur.

Les chimistes ont les mêmes idées sur ce qu'oa
nomme propriété conductrice du calorique, c'est-
à-dire sur la promptitude
avec laquelle certains
corps se laissent pénétrer par le calorique ou s'é-
chauffent , et la lenteur avec laquelle elle traverse
certains autres qui sont alors très-longs
à s'échauffer.
En admettant que les preniiers, comme bons con-
ducteurs du calorique, reçoivent beaucoup plus
facilement ce principe entre leurs molécules, et
qu'ils le retiennent bien moins facilement que les
seconds, ils attribuent cet effet à leurs attractions
chimiques; et en effet, la propriété conductrice
paraît suivre la raison de l'altérabilité des corps
par le calorique ; ainsi un cylindre de charbon qui
peut être tenu dans les doigts ,
à peu de distance
du point où il est rouge , sans les brûler , n'est
presque point dilatable , ni fusible , ni volatil, et

-ocr page 300-

un cylindre de me'tal qui s'échauffe proniptement
dans toute sa continuité, se dilate beaucoup , se
fond, se volatilise par l'action continuée du feu.,
( Système des connaissances chimiques, torn, i
sect. 2,e, article 3.lt;=)

De la Combustion.

Avant rintroduction de la chimie pneumatique ,
on regardait la
combustion comme le dégagement
du phlogistique ou
principe de l'inflammabihté
qu'on supposait contenu dans certains corps que,
pour cette raison, on nommait combustibles.

Dans le langage de la chimie moderne , le phé-
nomène de la
combustion est expliqué d'une ma-
nière à peu près inverse de la précédente. Ainsi
l'on dit que la
combustion n'est autre chose que
Voxidation des corps combustibles ; c'est-à-dire la
combinaison de l'oxygène avec les substances
qui
se trouvent avoir plus ou moins d'attraction pour
ce principe : combinaison d'où résulte nécessai-
rement une augmentation de pesanteur absolue
dans le corps brûlé , ainsi qu'on le remarque d'ime
manière si évidente dans les oxides métalliques ou
métaux brûlés, qui deviennent, par cette com-
bustion, plus pesants d'un quart ou même d'un
tiers qu'ils n'étaient dans leur premier état. Si le
contraire semble avoir lieu dans la combustion des
végétaux et de divers autres corps , c'est qu'ils
sont en grande partie composés de matières vo-
latiles qui se dissipeni pendant l'acte de la corn-
bustion ; mais si l'on recueille soigneusement dans

J

-ocr page 301-

des appareils convenables toutes les substances qui
se dégagent de ces corps combustibles, il est certain
qu'on obtient le même résultat que dans la com-
bustion des matières fixes , telles que les métaux j
c'est-à-dire une augmentation de poids plus ou moins
considérable, et proportionnée à la quantité d'oxy-
gène qui s'est combiné et fixé dans les matières
soumises à la
combustion.

On distingue deux sortes de combustion, l'une qui
est
rapide , et l'autre qui est lenlf. Dans la com-
lustion rapide
, il y a presque toujours dégagement
de calorique et même de lumière, ainsi qu'on le
voit arriver dans la combustion des substances- qui
portent plus particulièrement le nom de
combus-
tibles ,
telles que le bois et les. autres matières
végétales.

Dans la combustion lente , il y a quelquefois déga-
gement de lumière, mais rarement de calorique
bien sensible. C'est ainsi que le phosphore , exposé
à l'air dans une température qui ne soit élevée
que de quelques degrés au-dessus du terme de la
glace, éprouve
xmecombustion lente qui ne produit
que de la lumière sans dégagement sensible de
calorique; mais si la température est portée au
terme de trente à quarante degrés, alors il y a.
combustion rapide, et dégagement considérable de
calorique.

Les médecins physiciens considèrent la respiration
des animaux comme produisant en eux une com-
bustion modérée qui n'est ni rapide ni lente, et
qui, résultant d'une combinaison tranquille de l'oxy-
S.ène de l'air avec le sang artériel, y porte et y

-ocr page 302-

■MJI,nbsp;NOTES.

entretient une douce chaleur qui est l'ame et le
soutien des fonctions vitales.

La combustion n'étant, comme on l'a dit , autre
chose qu'une
oxidation des corps combustibles , il
est évident qu'elle ne saurait avoir lieu dans un
milieu qui serait totalement privé
ùioxygène. Aussi
tous les corps embrâsés qu'on plonge dans des fluides
gazeux qui sont privés de ce principe , tels que le
gaz azote, ou qui n'en ont que fort peu comme
le gaz carboniqne , cessent-ils de brûler , et s'é-
teignent ils
bientôt complètement.

Plus au contraire le milieu dans lequel est placé le
corps combustible abonde en oxygène, et plus la
combustion est rapide et complète ; c'est ainsi qu'on
parvient à
btHierles. Corps qui sont très-peu disposés
à la
combustion, en les exposant à un courant de gaz
oxygène. (
Patrin ).

LETTRE XXIX.

J'ai essayé de traiter ce conte du prince de
Cachemire dans le genre créé par Hamilton , en
ne me servant cependant que de la puissance des
physiciens. J'aurais pu le continuer j mais je n'ai
voulu que faire un essai que je pourrai achever
si le public l'approuve.

Il aperçoit une ombre fugitive.

C'est la fantasmagorie , phénomène d'optique,

-ocr page 303-

KO TE s.nbsp;2^5

dont je me propose de donner une ide'e dans la
suite.

Il fut tout surpris de voir une ville superbe.

Le panorama. On se souvient encore de celui
de Tilsit , où l'art avait presque égalé la Nature.

Mille étincelles de feu sortent du visage et du
corps du fantôme , etc.

Le fantôme était sans doute isolé sur des souliers
de verre, et comme il touchait une machine élec-
trique, il lui fut facile d'allumer une lampe pleine
d'éther.

O surprise ! l'eau se change en feu.

Cette pièce d'eau était électrisée. Foyez Nolet,
sur l'électricité.

Il se trouva dans un salon éclairé par douze roues
de cristal.

Douze machines électriques dont des baguettes,
arrondies par le bout et disposées avec art, arrachaient
de nombreuses étincelles.

Il recula d'iwrreur, en voyant sur une table
les restes encore sanglants de plusieurs infortunés.
( La note suivante expliquera ce phénomène ).

-ocr page 304-

Du Galvanisme.

Les sciences se sont enrichies, dans ces derniers
temps , d'une découverte importante qui paraissait
d'abord appartenir exclusivement à la physique ,
mais dont l'influence sur des phénomènes chimiques
se manifeste aujourd'hui de la manière la moins
équivoque.

Le docteur Galvani observa le premier, en 1764,
que des organes
nerveux ou musculaires, mis eu
contact avec des métaux, éprouvaient une irri-
tation qui se manifestait par des mouvements très-
sensibles. On donna à cette propriété animale le
nom de galvanisme, et le fluide qu'on supposa lui
donner naissance , reçut celui de fluide galvanique.

Certains corps résistent fortement au passage du
fluide galvanique, nous les appellerons
mauvais
conducteurs.
Tels sont le verre, les résines, les
bitumes, le soufre, la cire, l'air sec, le diamant,
les métaux oxidés, les
05, les huiles, l'épiderme,
les poils des animavix, etc.

D'autres prêtent au fluide galvanique un passage
très-libre et très-facile -, ils se nomment
bons con-
ducteurs.
Les principaux sont l'eau, les corps hu-
mides et les métaux, parmi ces derniers, l'or ,
l'argent, le zinc et l'étain , semblent être les plus
■ efficaces.

Nous donnerons enfin le nom de demi-conduc-
teurs
aux corps qui tiennent, pour ainsi dire, le
milieu entre les bons et les mauvais conducteurs
du fluide galvanique ; telles sont les matières char-

i

-ocr page 305-

, bonneuses , les chairs dépouillées de leur épi-
derme , etc.

Pour faire naître les effets du galvanisme , il faut
établir une communication entre deux points de
contact , plus ou moins distants entr'eux , dans
une suite d'organes nerveux ou musculaires ; d'où
il résulte que tout le système de cette communi-
cation représente, au moment de l'action, un cercle
entier divisé en deux parties , dont les intersections
sont aux deux points de contact.

Les organes de l'animal qui doivent recevoir l'in-
fluence, composent une de ces parties ; on l'appelle
arc animal.

Les instruments qui servent à exercer cette in-
fluence, forment l'autre partie du cercle, on la
nomme arc excitateur.

L'arc excitateur est composé de plusieurs pièces.

Les unes placées sous les parties de l'animal entre
lesquelles on établit la communication, portent le
nom de supports ou armatures.

Les autres , destinées à opérer la communication
par leur continuité avec les autres, se nomment com-
municateurs.

De l'arc animal.

Première expérience.

On prend une cuisse de grenouille écorchée, on
place l'extrémité du nerf crural sur une pièce d'ar-
gent , et le muscle sur une feuille d'étain ou de
plomb, on étabht la communication entre le plomb

-ocr page 306-

et l'argent, à la faveur d'un are métallique de
cuivre ou d'argent j au moment du contact des
métaux, la cuisse paraît agitée d'un mouvement
convulsif.

Deuxième expérience.

On sépare entièrement les deux cuisses d'une gre-
nouille écorcliée, de manière qu'elles ne tiennent
ensemble que par le point de réunion de leurs
nerfs respectifs. On met le paquet des nerfs en
contact avec une feuille de
plomb, et le support
d'argent est
placé sur l'une ou l'autre jambe. Au
moment de la communication établie par le moyen
d'un fil de cuivre jaune , la convulsion a lieu , mais
exclusivement dans la jambe posée sur le métal.

Troisième expénence.

On prépare une grenouille à l'ordinaire, mais
de manière que la partie supérieure du tronc, avec
la tête et les extrémités antérieures, reste unie,
au moyen des seuls npfs , avec le bassin et les
extrémités postérieures , on place la partie supé-
rieure du tronc sur un support de plomb; ses
cuisses sont sur un support d'argent, et les nerfs
sans armature. On établit la communication entre
le plomb et l'argent, et, par leur intermède entre
le tronc et les cuisses au moyen de cuivre ou d'argent,
la convulsion a lieu dans les cuisses seules.

Quatrième experience.

On prend une cuisse de grenouille préparée k

J

-ocr page 307-

la manière ordinaire; on serre les nerfs par le
milieu parune forte ligature, on place la partie dunerf
qui est
au-dessus de la ligature sur une lame de plomb
ou d'étain, et la cuisse,
au-dessous de la ligature,
est placée sur une lame d'argent ; on établit la
communication entre les deux supports avec un fil
d'or , de cuivre ou d'argent, et la contraction se

manifeste.nbsp;.

Il faut employer , pour cette c.perxence, une

grenouille fraîche et vive. La convulsion n a pas

lieu si-l'on opère sur une grenouille deja fatiguee

par une longue suite d'épreuves.

Cinquième expérience.

On coupe par le milieu le nerf d'une des deux
ïambes , et on met les deux parties , garnies de leurs
luppor s , en contact immédiat. Au moment de
la communication établie par le moyen dun arc
de cuivre ou d'argent, la convulsion a beu comme
lorsque le nerf n'a point été coupe.

SMes deux portions du nerf coupé sont sim-
plement rapprochées l'une de l'autre, mais sans
être en contact, la convulsion n'a pas lieu au moment
de la communication.

Les deux portions du nerf coupé étant séparées
l'une de l'autre , si on étabht entr'elles commu-
nication par un fil de chanvre sec , la convulsion
n'a pas lieu. Si le fil de chanvre est mouille , la
convulsion a' lieu; cependant , dans ce dernier cas ,
l'expérience n'a pas toujours le même succès.

Il est inutile de détailler les autres expériences;

-ocr page 308-

ceci suffit pour donner une idée du fluide galva-
nique , je renvoye ceux qui désireront s'instruire
davantage, aux ouvrages de HaUy, de Libes , etc.

Lorsqu'il aperçut douze têtes sur autant de co-
lonnes.

Ces têtes parlantes paraîtront sans doute extraor-
dinaires à ceux qui ne savent pas les merveilles que
peut enfanter l'art des Vaucanson.

Albert-le-Grand avait fait une tête parlante • on
lit même
dans la vie de saint Thomas-d'Aquin
qui était disciple de ce physicien, qu'il fut si enrayé'
Ja premiere fois qu'il entendit cette tête, qu'il la
jeta par terre et la brisa.

L'abbé Mical, l'un des plus grands mécaniciens de
notre temps, forma deux têtes d'airain, quj pronon-
çaient distinctement des phrases entières. Ces têtes
étaient colossales, et leur voix était forte et sonor.^
Le gouyernement de France refusa, dit-on, en 1782
d acheter ces têtes. Le malheureux et trop sensible
artiste, accablé de dettes, brisa son chef-d'œuvre
dans un moment de désespoir.
II mourut très-pauvre en 1789.

N. B. En suivant la Nature , Mical s'aperçut ,
dit un écrivain , que l'organe vocal était dans la
glotte un instrument à vent, qui avait son clavier
dans la-bouche; qu'en soufflant du dehors en dedans,
comme dans une flûte, on n'obtenait que des sons
filés; mais que, pour articuler des mots, il fallait
souffler du dedans au dehors. En effet, l'air, en

i

-ocr page 309-

Sortant de nos poumons, se change cn son dans
Botre gosier, et ce son est morcelé en syllabes
par les lèvres et par un muscle très-mobile, qui
est la langue , aidée des dents et du palais. Un
son continu n'exprimerait qu'une seule affection
de l'ame et se rendrait par une seule voyelle •
mais coupé à différents intervalles par la langue
et les lèvres , il se charge d'une consonne à chaque
coup ; et, se modifiant en une infinité d'articulations,
il rend la variété de nos idées.

Sur ce principe, Mical appliqua deux claviers
à ses têtes ; l'un en cylindre , par lequel on n'ob-
tenait qu'un nombre déterminé de phrases; mais
sur lequel les intervalles des mots et leur prosodie
étaient màrqués correctement.
L'autre clavier con-
tenait dans l'étendue d'un
ravalement, toutes les
syllabes de la langue française , réduites à un petit
nombre, par une méthode ingénieuse et particu^i
lière à l'auteur.

Avec un peu d'habitude et d'habileté , on aurait
pu parler avec les doigts comme avec la langue,
et donner au langage des têtes la rapidité , le repos ,
et toute l'expression que peut avoir la parole , lors-
qu'elle n'est point animée par les passions. Les
étrangers auraient pu prendre
la Henriade ou le
Télémaque, et les faire réciter d'un bout à l'autre ,
eu les plaçant sur le clavecin vocal, comme
on.
place degt; partitions d'opéra sur les clavecins ordi-
naires.

-ocr page 310-

LETTRE XXX.

ÉLECTRICITÉ, MÉTÉORES, FOUDRE,

L'électricité est cette propriété par laquelle, dans
certains états, dans certaines circonstances,les corps
attirent et repoussent ensuite des corps légers,
lancent des étincelles et des aigrettes lumineuses,
enflamment les substances combustibles: et excitent
de violentes commotions.

La découverte de Cette propriété a eu, comme
toutes sortes d'inventions, sa naissance , ses progrès
et sa perfection. Laissons à l'historien de la science,
le soin de remonter à l'époque de sa véritable
origine ; irous devons nous borner à remarquer
que son enfance a été longue, et que ce n'est
que dans ces derniers temps qu'elle a acquis cette
vigueur et cet éclat qui lui ont mérité un rang
distingué parmi les sciences naturelles.

L'ambre jaune, récemment frotté, paraissait dans
le principe jouir exclusivement de la vertu élec-
trique. On la reconnut ensuite dans la tourmaline,
le jayet et quelques pierres précieuses ; mais l'ob-
servation et l'expérience apprirent bientôt aux
physiciens que toutes les substances naturelles par-
tagent cette singulière propriété , quoiqu'inéga-
lement et d'une manière différente.

Les unes acquièrent la vertu électrique à la
faveur du frottement; tels sont le verre, les résines,
l'ambre, le soufre, le bois séché au four, toutes
les matières bitumineuses, la cire, la soie, la laine,

À

-ocr page 311-

le coton, l'air sec , les huiles, etc., etc. On les
nomme
Idio électriques. Nous les appellerons
mauvais conducteurs.

Les autres ne peuvent, il est vrai, être élec-
trisées par frottement d'une manière sensible; mais
elles acquièrent la vertu électrique par communi-
cation , c'est-à-dire lorsqu'elles sont plongées dans
la sphère d'activité d'un corps électrisé par frot-
tement. Tels sont en ge'ne'ral toutes les substances
métalliques, tous les fluides, à l'exception de l'air
et de l'huile, les parties fluides des animaux , la
fumée , la vapeur de l'eau bouillante , la neige,
la glace, les sels métalliques, etc. ; nous les nom-
merons bons conducteurs.

Les mauvais conducteurs retiennent le fluide
électrique comme enchaîné entre leurs molécules,
et ne lui permettent jamais de se répandre d'une
manière sensible sur les corps environnants.

Les bons conducteurs transmettent facilement cè
fluide ; mais exclusivement aux corps de la même
espèce qui sont eu contact avec eux ; il est donc
facile d'accumuler jusqu'à un certain point le
fluide électrique sur la surface.d'un, bon conducteur,
en l'isolant , c'est - à • dire en l'environnant de
toutes parts de mauvais conducteurs. Nous verrons
bientôt que la construction de nos machines élec-
triques est fondée sur ces principes.

Nous ne connaissons aucun corps qui soit ou
parfaitement mauvais ou parfaitement bon con-
ducteur. Le fluide électrique éprouve toujours une
sorte de résistance dans les meilleurs conducteurs,
une certaiae facilité à s'échapper , soit à travers

-ocr page 312-

la propre substance, soit le long de la surface
des mauvais conducteurs; aussi est-il difficile de
tracer la limite qui sépare les bons des mauvais
conducteurs. Cette difficulté augmente encore par
la faculté qu'ont les mauvais conducteurs de de-
venir assez bons conducteurs , par la chaleur et
par l'humidité. Ainsi , le verre fortement échauffé,
la résine fondue, le bois cn ignition, l'air chaud
ou humide, la viande crue , les plantes fraîches
prêtent au fluide électrique un passage assez facile.
Nous leur donnerons le
nom de demi-conducteurs.

Cet inconvénient qui n'est pas équivoque, né-
cessite la pre'caution d'essuyer, de sécher avec soin,
quelquefois même de chauffer assez fortement les
corps qu'on veut électriser à l'aide du frottement,
pour leur enlever l'humidité qui les rendait demi-
conducteurs.

Parmi le grand nombre d'hypothèses qui ont
été imaginées pour expliquer les phénomènes élec-
triques, celles de Frankhn, d'.®pinus et de
Coulomb,
sont les seules qui puissent, dans l'état actuel de
nos connaissances, fixer l'attention du physicien;
nous ne parlerons point des deux dernières, et
quoique celle de Coulomb jouisse parmi les savants
d'une préférence bien méritée, nous croyons qu'il
•suffit pour le moment de donner une idée de
la
théorie de Franklin.

Tableau abre'ge' de la théorie de Franklin.

Tous les corps de la Nature renferment une
«ertaine quantité de fluide électrique , qui dépend

-ocr page 313-

icur attraction pour ce fluide , et de leur ca-
pacité pour le contenir. Ils sont alors dans leur
état naturel, et ils ne donnent aucun signe d'é-
lectricité.

Les corps acquièrent l'électricité positive en
acquérant une surabondance de fluide électrique.
Ils ont l'électricité négative s'ils perdent une
portion de leur fluide naturel.

Les molécules du fluide électrique se repoussent
inuruellement à des distances assez considérables,
et elles sont attirées par toute autre espèce de
înatière.

Les corps électrisés sont environnés d'une atmos-
phère électrique qui a plus ou moins d'étendue.

Le verre est imperméable au fluide électrique,
qui ne pénètre jamais son épaisseur. Il n'est aucun
moyen d'ajouter à son électricité naturelle , et si
l'on veut augmenter la matière électrique d'une
de ses surfaces, il faut que l'autre perde la même
quantité de son fluide naturel.

C'est de ces principes, pour la plupart hypothé-
tiques , que les physiciens , attachés à l'opinion
de Franklin , déduisent de la manière suivante
l'explication des phénomènes.

Des corps légers présentés au conducteur élec-
trisé s'en approchent jusqu'au contact, parce qu'ils
cèdent à l'attraction du fluide qui environne le
conducteur. Deux corps doués de l'électricité po-
sitive s'écartent l'un de l'autre, parce que leurs
atmosphères se repoussent. Un corps léger électrisé
positivement se précipite sur un corps non élec-
trisé parce que ce dernier attire son atmosphère ,

IT.

-ocr page 314-

qui l'entraîne avec elle. Deux corps électrîse's né-
gativement s'écartent , parce que l'air se condense
à leur surface , et que le fluide électrique ne
pouvant s'y introduire , forme autour de chacun
d'eux une atmosphère qui les éloigne par sa force
répulsive.

Outre que cette condensation de l'air à la surface
des corps électrisés négativement, est une suppo-
sition purement gratuite ; elle est d'ailleurs in-
suffisaiite pour donner une explication plausible
d'un phénomène qui devient ainsi l'écueil inévi-
table lt;le la théorie de Franklin.

Les phénomènes de la bouteille de Leyde se
plient plus facilement à cette théorie. Lorsqu'on
tient d'une main la surface extérieure d'une bou-
teille , et qu'on présente son crochet au conducteur
électrisé, le fluide électrique s'accumule dans sa
surface intérieure, et quoiqu'il ne pénètre pas le
verre, il agit néanmoins à travers sur le fluide
naturel de la surface extérieure , sur lequel il
exerce une force répulsive qui détermine l'élec-
tricité en moins de cette surface , pourvu qu'elle
puisse céder son fluide naturel à quelque corps
conducteur. La surface intérieure de la bouteille
se trouve donc électrisée positivement, et la surface
extérieure négativement ; et comme le fluide élec-
trique, ainsi que tousles autres fluides, tend toujours
à se mettre en équilibre, le fluide qui est en excès
dans la surface intérieure , fait elfort pour aller
remplacer ce qui manque dans la surface exté-
rieure , il en est empêché par l'air qui, lorsqu'il
est bien sec, lui oppose une résistance iavinciblej

A

-ocr page 315-

Biais si on lui fraye une route facile à travers une
substance conductrice, il satisfera sa tendance, et,
l'e'quilibre se rétablira entre les deux surfaces.
C'est pourquoi, lorsque tenant d'une main la gar-
niture extérieure d'une bouteille chargée, on porte
le doigt au crochet de la bouteille , on sent une
forte et subite commotion; l'étincelle qui se ma-
nifeste a pour cause l'extrême rapidité du mou-
vement de la matière électrique dans son passage
de la surface intérieure de la bouteille à sa surface
extérieure. Un esprit tant soit peu exercé fera
Sans peine , à tous les phénomènes du même ordre,
l'application de ces principes.

Pour ne pas trop allonger mes notes , je ne
donnerai pas les autres théories, celle de Franklia
d'ailleurs est sufiisante pour donner la clé de presque
tous les mystères de l'électricité.*

Le feu Saint - Elme, les étoiles tombantes ne
^onl plus des énigmes pour nous. O César ! notre,
petite académie t'aurait expliqué ce que c'était que
ces aigrettes lumineuses qui couvrirent tout-à-coup
ies lances de tes soldats.

Il paraît que ces feux annoncent l'orage.

C'est ce que semble indiquer une coutume assez
singulière qui mérite de trouver place ici. Au
château de Dunio , dans le Frioul, au bord de la
mer Adriatique , il y a, de temps immémorial,
Sur un des bastions de la place , une pique plantée
■Verticalement la pointe en haut. Quand le temps
^euace d'orage, la seatiaelk lt;jui monte la garde

20*

-ocr page 316-

3o8nbsp;motes,

«n cet endroit , présente au fer de cette pîque,
celui d'une hallebarde qu'on laisse toujours là pour
cette épreuve ; si le fer de la pique étincell«
beaucoup à l'approche de celui de la hallebarde,
ou qu'il jette par la pointe une petite gerbe lu-
mineuse , alors on sonne une cloche qui est auprès,
pour avertir les gens de la campagne et les pêcheurs
qu'ils sont menacés d'orage, et sur cet avis tout

le monde rentre.

« Après une longue tempête, dit Dampier, noui
« vîmes le
corpusant au haut de notre grand mât.
« Ce fut une grande joie pour nos gens ; car quand
« le corpusant paraît en haut, on regarde ordi-
« nairement cela comme un signe que le fort d«
« la tempête est passé. Mais quand on le voit sur
« le tillac , cela passe d'ordinaire pour un signe
« de mauvais augure. Le corpusant est une certaine
« petite lumière brillante. Quand elle paraît, comme
« fut celle dont nous parlons , au haut du grand
« mât, elle ressemble à une étoile j mais quand
« elle paraît sur le tillac , elle ressemble à un gros
«, ver luisant... • Je n'en ai jamais vu qui ai quitté
« le lieu où il s'est une fois mis, si ce n'est quand
« il est sur le tillac , où chaque coup de mer
« l'emporte. Je n'en ai jamais vu non plus que

« quand nous avons eu grosse pluie et gros vent----

« La tempête durait depuis six heures; il était
« quatre heures du matin , lorsque le corpusant
« parut ; il fit des éclairs et des tonnerres pro-
« digieux, et la mer nous semblait toute en feu,
« car chaque vague nous paraissait comme un
« éclair. » ( Fbjage
autour du monde , tome a, ch. i5.

A

-ocr page 317-

Un vaisseau portugais étant à environ quinze
lieues du Cap de
Bonne-Espérauce , du côté du
Cap des Aiguilles , le 9 mai i6o5, on vil au fort
de la tempête , sur le grand mât , une flamme
de la grosseur d'une chandelle, qui parut succes-
sivement pendant deux nuits. Ce phénmr.ène n'a
rien d'effrayant. Les Portugais lui ont donné le
nom de corposanto, et croient qu'il annonce la
fin du péril. Ou l'a regarde loiig-lemps cou.me
un esprit qui s'intéresse au sort des vaisse.iux mal-
traités ; mais depuis qu'on se borne à des causes
' moins éloignées, on n'a pas cherché d'autres ex-
plications que les vapeurs qui s'élèvent de la mer
dans une violente agitation des flots. L'expérience
a fait connaître que la tempête n'était pas fort
éloignée de sa fin. (
Histoire générale des Voyages ,
édit. in-12, tome 4, page 7 ).

Quelquefois ces sortes de feux paraissent en grand
nombre , lorsque l'on remarque dans le ciel tous
les signes d'une violente tempête , qui cependant
n'a pas lieu. « Nous étions , dit M. le C. de Forbin
« ( tome I , an 1696 ), sur la côte de Barbarie;
« pendant la nuit il se forma tout-à-coup un temps
« très-noir , accompagné d'éclairs et de tonnerres
« épouvantables. Dans la crainte d'une grande tour-
« mente dont nous étions menacés, je fis serrer
« toutes les voiles. Nous vîmes sur le vaisseau plus
« de trente feux Saint - Elme. Il y en avait un
« sur le haut de la girouette du grand mât ,
« qui avait plus d'un pied et demi de hauteur;
« j'envoyai un matelot pour le descendre. Quand
» il fut en haut, il cria que ce feu faisait un

-ocr page 318-

o bruit semblable à celui de la poudre qu'on allumé
« après l'avoir mouille'e. Je lui ordonnai d'enlever
« la girouette et de venir; mais à peine l'eut-îl
« ôte'e de sa place, que le feu la quitta; il alla
« se poser sur le bout du mât , sans qu'il fût
« possible de l'en retirer. Il y resta assez long-
« temps, jusqu'à ce qu'il se consuma peu à peu.
o La menace de la tourmente n'eut d'autre suite
« qu'une pluie de quelques heures , après laquelle
lt;tt le beau temps revint. »

Un feu follet fit jadis le destin des rois et des
mations.

Tel fut celui qui parut sur la tête du jeune
Servius Tullius, pendant qu'il dormait, et auquel
il dut sa fortune et son élévation. Les domestiques
de Tarquin l'ancien , dans la maison duquel Tullius
était né d'une esclave , effrayés de ce prodige ,
jetèrent de grands Clis, et se disposaient à éteindre
ce feu avec de l'eau; mais Tanaquille, femme
forte et courageuse , crut lire les ordres de la di-
vinité dans cette flamme; elle défendit qu'on l'é-
teignît, ni qu'on éveillât l'enfant; peu après, la
flamme s'évanouit en même-temps que le sommeil
cessa. Tanaquille, très-versée dans la science des
augures, doiit elle s'était instruite dans la Toscane,
sa patrie , tirant à part son mari Tarquin , lui fit
prévoir dans cet événement les grandes destinées
de cet enfant, quoique né dans l'état d'esclave ;
et dès-lors, fondant sur lui toute l'espérance de
la gloire et de la fortune de sa maisoa, elle lui

À

-ocr page 319-

fit donner une éducation digne des grandes clîoses
auxquelles les dieux semblaient l'appeler. On sait
que ce même Servius épousa depuis la fille de
Tarquin l'ancien , et fut le sixième roi de Rome ,
après la mort de son beau-père.

On sait, au reste, que les feux folets qui s'é-
lèvent des cimetières et des eaux croupies, sont
dus à des exhalaisons d'hydrogène phosphoré , gaz
qui a la proprie'té de s'enflammer spontanément
dans l'atmosphère.

Étoiles tombantes, ou Etoiles qui filent.

Note communiquée par M. Patrik.

Tout le monde connaît le phénomène de ces
petits corps lumineux qu'on voit, dans les belles
nuits d'été , traverser la voûte céleste , sous la
forme et avec l'éclat d'une étoile , et dont le mou-
vement progressif est le plus souvent du Nord au
Sud, avec une vitesse plus ou moins grande , mais
qui n'excède pas quelquefois celle d'une fusée d'ar-
tifice.

Il en est de ce phénomène comme de beaucoup
d'autres : on les connaît pour les voir journellement,
et personne encore n'en a donné d'explication satis-
faisante; on en est réduit à de simples conjectures.

M. Chladni, célèbre savant d'Allemagne , nous
a donné l'exphcation du phénomène des pierres
tombées du ciel , en disant (pie c'étaient des frag-
ments de planètes qui étaient jetés et dispersés.

-ocr page 320-

dans l'espace , lorsque ces. jgt;lanètes, par une cer-î
taine cause, venaient à éclater comme des bombes ;
et comme ce savant n'a pu s'empêcher de voir
l'analogie qui se trouve entre le phénomène des
globes de feu qui se terminent par la chute de ces
pierres , et les autres globes de feu qui se ter-
minent par une simple explosion , et enfin avec
les petits globes purement lumineux qu'on nomme
étoiles tombantes, il a été forcé de les regarder
aussi comme de minces éclats de corps célestes ,
qui, à raison de leur petit vohune , se consument
en entier dans leur course.

Cette opinion, je l'avoue, m'a toujours paru bien
peu vraisemblable, et je l'ai réfutée il y a long-
temps. (
Bihlioth. brit. tome i8 , octobre 1801 ).
Je ne la rappelle ici que pour faire remarquer
l'analogie qui existe entre le phénomène des
pierres
tne'téoriques
et celui des étoiles tombantes , analogie,
si évidente, que M. Chladni lui-même a été forcé
de la reconnaître , quoique ces petits météores sim-
plement lumineux fussent , par une infinité de
circonstances, très-propres à détruire son système,
car il est aisé de faire voir que les
étoiles tom-
bantes
sont des phénomènes purement météoriques
qui n'on rien de commun avec les autres planètes;
et l'analogie évidente qu'elles ont avec le phéno-
mène des pierres tombées du ciel, oblige de les
regarder aussi sous le même point de vue ; c'est
pourquoi je les ai toujours nommées
pierres me-
te'oriques. (
Voyez ce mot dans le nouveau Diet.
d'Hist. nat. )

Pour s'assmer que les étoiles tombantes se forment

i

-ocr page 321-

dans notre atmosphère, il suffit de consldcrer les
circonstances où elles se montrent. Si elles venaient
de quelques régions étrangères à notre globe , ou
les verrait paraître indifféremment dans toutes les
contrées et dans toutes les saisons de l'année. Or
personne n'ignore qu'on ne les observe que pendant
îes nuits d'été, et jamais, ou du moins
tres-rarement
en hiver, et que plus la journée a été chaude,
et plus elles sont
nombreuses : que dans l'été meme,
on ne les voit
fréquemment que dans les soirees
tranquilles , où il ne règne tout au plus qu'un

léger zéphire, et qu'elles disparaissent par un grand

vent quand même le ciel serait sans nuage. On
sait de plus qu'elles sont incomparablement plus
fréquentes dans les contrées tempérées et surtout
dans les contrées méridionales, que dans les climats
froids. Pendant plus de huit ans que j'ai parcouru
les immenses déserts de la Sibérie, je n'ai presque
iamais vu d'étoiles tombantes, quoique j'aie souvent
observé d'autres phénomènes lumineux et surtout

des aurores boréales.

Mais une circonstance plus remarquable encore
et'que j'ai souvent observée, c'est que sur vingt
de ces météores il y en a toujours dix-sept ou d.x-
huit dont la marche se dirige Ji peu près du Word
au Sud : on en voit rarement qui courent de l'Est
à l'Ouest, ou de l'Ouest à l'Est, et presque jamais
An Sud au Nord ; quand elles out celte direction,
leur marche est lente et tortueuse , on dirait qu'elle
est pénible , et toute leur course se réduit k un

petit nombre de degrés.

J'ai de plus observé que la direction de ce^

-ocr page 322-

météores est constamment la même que celle clu
vent qui se fait sentir au coucher du soleil, et
surtout de celui qui règne le lendemain matin.

Outre ces observations, qui toutes tendent à
prouver que les étoiles tombantes sont des phé-
nomènes purement atmosphériques, il en est d'autres
qui le démontrent encore plus clairement s'il est
possible. Il me suffira de citer le fait suivant , pour
convaincre les plus incrédules. C'est le savant anglais
M. Elhcot qui le rapporte dans la relation du
voyage qu'il faisait par mer, de la Nouvelle-Orléans
a Philadelphie : voici ce qu'il vit étant près des
côtes de la Floride, par'25 degrés de lat. nord.

« Le 12 novembre 1799, vers les trois heures
« du matin , je fus invité, dit-il, à venir sur le
« pont du vaisseau, pour voir
un grand nombre
« d'étoiles tombantes.
Le phénomène était très-
« remarquable , et je puis dire effrayant. La voûte
« céleste presque entière semblait être éclairée par
« des fusées volantes , qui ne disparurent que
« lorsque le soleil ramena sa lumière et le jour.

« Ces météores qui , dans tel instant donné ,
« paraissaient être
aussi nombreux que les étoiles
« du firmament,
volaient dans toutes les directions
« possibles, excepté dc bas en haut ; et tous leurs
« mouvements paraissaient tendre vers la terre.
« Quelques-uns descendaient verticalement sur le
« vaisseau, en sorte que je m'attendais à chaque
« instant à en voir tomber un au milieu de nous.

« Mon thermomètre , qui avait été pendant
« quatre jours à 86.« F. ( 24.0 R. ) , tomba à
56.o
« ( lo.o i R. )

vers quatre heures du matin j et

-ocr page 323-

• vers le même temps le vent passa du sud au
lt; nord-ouest, d'où il souffla avec violence pendant
« trois jours consécutifs.

« Nous étions par aS.» lat. nord , au sud-ouest
« de Kay-Largo, près du bord de
Gulph-Stream.

« J'ai appris que ce phénomène a été aperçu
« dans une grande partie des Antilles, vers le
« Nord, jusqu'à Sainte-Marie , lat. So.quot; 42.1 oil
« il s'est montré aussi brillant que nous l'avions
« vu par le travers du cap de la Floride ».
{Biblioth.

hritan., juillet i8o5 ).

D'après des faits aussi marqués, je demande à
tout homme non prévenu, s'il peut rester quelque
doute sur l'origine purement atmosphérique des
étoiles tombantes. On voit par leur nombre infini,
qui s'est succédé sans relâche pendant des heures
entières , que ce phénomène était nécessairement
l'efiFet d'une cause locale et voisine des lieux où
il s'est manifesté. On voit par son influence ex-
traordinaire sur la température de l'air et sur la
marche du vent , qu'il avait avec l'atmosphère la
plus intime connexion. Avant l'apparition du phé-
nomène , il régnait une chaleur étouffante de 24
degrés; dès l'instant où il a cessé , la température
est tombée au même point que celle de nos caves ;
avant le phénomène le vent venait du Sud, aus-
sitôt après il passe du côté du Nord , d'où il
souffle avec violence pendant trois jours consécutifs.
Tout cela ne semble-t-il pas nous dire qu'avant
ce phénomène l'air était rempli de vapeurs gros-
sières et brûlantes qui causaient une chaleur in-
supportable ; que ces vapeurs
venant à s'élever

-ocr page 324-

dans les hautes re'gions de l'atmosphère, où elle»
se ti ansformaienî eu météores, emportaient avec
elles le calorique dont l'air était surchargé; et que
ces mêmes vapeurs , en se décomposant par la
corahustion , ont produit un volume immense de
gaz élastique, dont la réaction contre les couches
Supérieures de l'atmosphère a produit, par refou-
lement , ce violent courant d'air qui venait du
côté du Nord où le phénomène avait régné dans
une étendue de plus de cent lieues, c'est-à-dire
depuis l'île Sainte-Marie , etpeul-êlre au-delà,
jusqu'à l
'endroit où se trouvait M. Ellicot.

Si les observations ci-dessus prouvent que les
étoiles tombantes se forment dans l'atmosphère ,
il y a d'autres faits qui prouvent qu'elles ont des
rapports marqués avec les éruptions des volcans
et avec les tremblements de terre, ce qui annonce
clairement que leur première origine vient des divers
fluides aériformes qui s'échappent de l'intérieur du
globe et s'élèvent dans les hautes régions où ils
produisent les divers phénomènes ignés.

L'abbé Richard cite un grand nombre de ces
phénomènes qui ont précédé et suivi le trop fameux
tremblement de terre qui renversa Lisbonne le
I.®«' novembre 1755. (
Hist. nat. de l'Air, tome 2,
p. i58 et suiv. )

J'ai dit ci - dessus que , d'après mes propres
observations long - temps continuées , les étoiles
tombantes partent presque toujours des régions du
Nord pour se porter vers le Sud. La même re-
marque a été faite par d'autres observateurs ,
Relativement aux météores appelés g/oèe^
de feu ^

-ocr page 325-

qui ne different des étoiles tombantes que par un
volume plus considérable.

M. le baron de Bernsdorff a rendu compte d'un
de ces météores , qui fut observé sur les
neuf heures
et demie du soir, le i8 août 1783 , àLondre?, k
Paris, et jusqu'à Nuys en Bourgogne. Il était sorti
d'un nu;-e au
nord-nord-ouest de Londres,^«
sa marche se dirigea au sud-sud-est , jusqu'au
moment où il éclata et se divisa en une dixaine
de globes plus petits. « Il est remarquable, ajoute
« M. de Bei;nsdorff, que le globe de feu qui avait
« paru en 1771 , ei qui est le plus considérable
« qu'on ait observé en France , ait suivi la même
« direction du Word au Sud , ainsi que d'autres
« météores antérieurs, qui avaient paru sous la forme
« de globes de feu ; il paraît que cette direction
« n'est pas l'effet du hasard j la région septen-
« trionale où se forme l'aurore boréale semble être
« le séjo'ur de ces météores enflammés ». (
Journ.

de Phys. , fév. 1784. )

L'abbé Richard fait aussi mention d'un globe
de feu que l'on vit à Bologne, le 3i mars 1G76,
qui avait traversé la mer Adriatique , et qui par-
courut 160 milles d'Italie (plus de 5o lieues) en
une minute , en suivant la direction du nord-est
au
sud-ouest , comme les autres météores de la
même espèce. « Ce qui est étonnant, dit l'auteur,
« c'est la vitesse avec laquelle il était emporté ,
« à laquelle on ne peut comparer celle même des
« vents les plus impétueux. Il fallait donc, ajoute-
« t-il , qu'il eût une force projectile inconnue ,
t ou un mouvement spontané au-dessus de toute

-ocr page 326-

« combinaison ; puisque toutes les observations
« comparées ont prouvé que c'était le même globe
« que l'on avait vu dans si peu de temps parcourir
« ce vaste espace dans une ligne droite du nord-
« est au sud-ouest ».
{Histoire nat. de l'Air, tome
9, pag. 129 ).

L'auteur a grande raison de s'étonner de la
prodigieuse vitesse que les observateurs ont at-
tribuée à ce globe de feu : elle est en effet au-delà de
toute vraisemblance; car s'il eût
parcouru, comme
on l'a dit, 160 milles ( qui font 128,000 toises )
en une minute , ce serait à raison d'environ 2100
toises par seconde , tandis qu'un boulet de canon
n'en parcourt que 211 , de manière que sa vitesse
eiît été dix fois plus grande que celle du boulet,
et alors comment aurait-on pu l'observer ? Ce qui
a sans doute produit l'erreur, c'est que chaque
observateur qui a vu le globe de feu pendant une
minute a cru l'avoir suivi dans sa course entière,
et n'a pas tenu compte du chemin que le météore
a fait après qu'il l'a perdu de vue.

Au reste , quand l'abbé Richard ajoute qu'il fallait
donc que ce globe eut un
mouvement spontané,
peut-être a-t-il dit une grande vérité. Les mou-
vements spontanés
de certains corps peuvent tenir
à des propriétés de ce que nous appelons
matière,
qui ne nous seront probablement jamais connues
autrement que par leurs effets. Ce qu'il y a de
certain, c'est que plus on étudie la Nature , et
plus on est forcé de reconnaître que le Créateur
de la matière lui a donné des facultés infiniment
différentes de cette inertie , de cette mort 4

À

-ocr page 327-

rotes.nbsp;3rg

laquelle une fausse science voudrait la con-
damner.

Si l'on consulte les physiciens sur le phénomène
des étoiles tombantes, on n'a pas heu d'être fort satis-
fait. Le célèbre Musschenbroeck dit que l'on peut
imiter ces météores en mêlant ensemble du camphre
et du nitre avec un peu de limon : on humecte le tout
avec de l'eau-de - vie , on en fait une boule , on y
met le feu , on la jette en l'air , et cela ressemble à
une étoile tombante. D'après cette expérience, il
suppose qu'il doit y avoir dans l'air du camphre,
du nitre et du limon qui, venant à s'enflammer,
produisent le même effet que celui qu'on a obtenu
par le moyen de l'art. (
Mussch. Phys. i683 ).

Il n'est que trop aisé de voir combien une pareille
explication est vague et insignifiante : on peut la
mettre mr la même ligne que l'explication des
phénomènes volcaniques donnée par Lémery, d'après
l'expérience d'un mélange de soufre et de limaille
de fer qui avait pris feu de lui-même : expbcation
qui a néanmoins fait une grande fortune , et qui
est encore citée par quelques auteurs.

Brisson et le P. Beccaria regardaient les étoiles
tombantes
comme un phénomène purement élec-
trique. Beccaria disait que « se trouvant un soir
« dans un jardin avec un de ses amis, ils virent
« venir à eux un de ces météores
qui grossissait
« à vue cTceil
à mesure qu'il s'approchait, et qui
« disparut à peu de distance de l'endroit oii ils
« étaient. Alors, leur visage, leurs mains et leurs
« fatbits, aiusi qne tous les objets voisius furent

-ocr page 328-

« illuminés d'une lumière diffuse et légère, mais
« sans aucun bruit ».

Brisson , qui rapporte ce fait , dit que toutes
ces apparences confirmèrent le P. Beocaria dans
son opinion. Il me semble néanmoins qu'elles au^
raient dû produire un effet tout contraire : le
feu électrique marche avec la rapidité de l'éclair,
fet ne donne assurément pas le teinps
de le voit
grandir à mesure qu'il s'approche :
il donne une
violente commotion et disparaît complètement à
l'instant même oii se fait son explosion ; il ne res-
semble en rien à cette lumière diffuse et légère
dont parle Beccaria, qui paraît bien plutôt appar-»
tenir à une substance purement phosphorique.

Après avoir beaucoup raisonné sur la Nature des
étoiles tombantes, on a discuté la question relative
à la hauteur des régions où on les voit traverse^
l'atmosphère, et l'on n'a pas été plus d'accord sur
ce point que sur le reste. Il paraît que cette élé-
vation doit être immense. Pendant une station d'une
quinzaine de jours, que Saussure fit en juillet 1786,
sur le
Col du Géant, l'une des plus hautes som-
mités des Alpes, où il était à 1700 toises ( environ
J- de lieue perpendiculaires) au-dessus du niveau
de la mer , il vit un grand nombre de ces mé-
téores qui lui parurent aussi élevés au-dessus de
sa tête que lorsqu'on les voit de la plaine ; ils lui
semblaient même plus petits; probablement à
cause
de la rareté de l'air où il se trouvait. Quand nous
les observons à travers une atmosphère beaucoup
plus dense que celle des hautes
montagnes , ces

A

-ocr page 329-

Biétéores nous doivent paraître plus grands, à cause
de la re'fraction causée par les vapeurs , qui les
présente à notre œil sous un angle plus ouvert ;
c'est la même raison qui fait paraître le soleil et la
lune beaucoup plus grands à l'horison que lorsqu'ils
sont parvenus au méridien de l'observateur.

Si l'on demande maintenant quelle est la véritable
cause des
étoiles tombantes, je dirai franchement
qu'il est beaucoup plus aise de dire ce qu'elle n'est
pas, que d'indiquer précisément ce qu'elle est. La
science n'est point encore assez avancée pour qu'on
puisse résoudre ce problême dans tous ses détails.
Ce qu'on peut dire, ce me semble, de plus probable,
c'est que ce phénomène, ainsi que tous ceux
qui lui
sont analogues, sont le résultat d'une opération chi-
mique de la Nature , c'est-à-dire de la combinaison
des divers fluides gazeux qui coulent du sein de la •
terre dans l'atmosphère, et de l'atmosphère dans le
sein de la terre, ainsi que je l'ai établi dans ma
Théorie des Volcans. Ces fluides gazeux, parvenus
aux couches supérieures de l'atmosphère, s'y arrêtent
et s'y accumulent, parce qu'ils s'y trouvent en équi-
libre avec l'air extrêmement raréfié de ces hautes
régions : c'est là que, se mêlant et se combinant sui-
vant leurs diverses affinités, ils forment des masses
Bolées et circonscrites, semblables à ces mofettes
qu'on aperçoit quelquefois dans les souterrains
des mines, sous la forme d'un ballon, et qui, à la
faveur du gaz hydrogène qui entre toujours abon-
damment dans leur composition, se trouvent plus
%ères qu'un égal volume d'air, et voltigent çà et

? sous les YOÙtçs de ÇÇ» excavations souterraines.

II.nbsp;21 '

-ocr page 330-

Ce sont donc ces masses gazeuses, éminemment
combustibles , qui s'enflamment par le choc du
fluide électrique, à mesure qu'elles se forment. Or,
comme ce fluide qui, Sans cesse émane des pôles
du monde, se dirige constamment du côté de l'équa-
teur, ( ainsi que le prouve le phénomène des aurores
boréales dont j'ai vu cent fois les rayons flamboyants
passer sur ma tête au-delà du zénith de l'endroit oil
je me trouvais, lorsque j'habitaisles contrées boréales)
il n'est pas surprenant que les globes inflammables qui
reçoivent l'étincelle électrique du côté qui regarde
le Nord, s'élancent du côté du Midi ; ils font ce que
nous voyons faire à une fusée qui va toujours du
côté opposé à celui par où l'on a mis le feu. D'ailleurs
le mouvement que leur imprime le courant élec-
trique , doit les emporter vers le Sud, de même
qu'il emporte avec lui les fluides gazeux et com-
bustibles qui composent la matière des aurores^
boréales : ces deux phénomènes doivent avoir entre
eux une grande analogie ; et le rapprochement ,
quoiqu'un peu vague, qu'en a fait le baron de
Bernsdorff, me paraît infiniment judicieux.

Quant à ces météores ignés qui se montrent en
grand nombre dans le même temps et dans le
même lieu, comme cette foule
â!éloiles tombantes
dont parle M. Ellicot, il paraît évident qu'ils de-
vaient leur existence à une cause locale. On sait
que les Antilles et les Açores sont remplies de
volcans, soit en pleine activité, soit du moins
encore fumants ; et qu'il doit se trouver, outre
cela, dans les mêmes parages , plusieurs volcans
soumarins, ainsi que le prouvent les trombes fré-

-ocr page 331-

qaentes qu'on observe clans ces mers, et qui sont
des phénomènes produits par les émanations des
volcans soumarins. Quand ces volcans sont dans
un violent état de fermentation , il s'en exhale une
prodigieuse
quantité de ces gaz qui sont propres
à produire les météores ignés. On sait également
que dans ces moments de fermentation qui précèdent
les éruptions des volcans , le fluide électrique s'y
développe avec une énergie prodigieuse, comme on
en peut juger par les éclairs continuels qui sillonnent
en tous sens la noire colonne de fumée qui sort de
leurs cratères, et par lés éclats de tonnerre qui ne
cessent de retentir autour de la montagne. Ainsi
donc il paraît que ce sont les volcans de la mer
des Antilles qui fournissent en même-temps et les
gaz qui servent à former les globes lumineux , et le
fluide électrique qui sert à les enflammer. Il n'est
donc nullement surprenant que, dans certains cas,
on voie une foule innombrable de ces météores par-
courir le ciel en tous sens, puisqu'ils partent presque
en même-temps d'un même foyer. (
Patrin.)

Je dis à ces dames que, nouveau Numa, j'allais
conjurer la foudre.

Il n'y a rien dans Pline d'aussi singulier que ce
qu'il dit sur la manière de faire descendre la foudre
( !• 2, c. 53 ,
Fidminibus evocandis. ) Il semble
que l'on doive y retrouver une pratique fort
aquot;acîenne de l'électricité. « Nos annales nous ap-
« prennent, dit-il, qu'il y a eu des sacrifices, des
quot; cérémonies sacrées et des prières pour obtenir la

-ocr page 332-

« foudre, et même pour la forcer à descendre.
« Porsenna , roi des Toscans, les mit en usage
« avec succès ; avant lui, Numa pratiqua souvent
« ces actes religieux et effrayants ; Tullus Hostilius
« ayant voulu l'imiter , et n'ayant pas sans doute
« observé tous les rites prescrits, fut frappé de la
« foudre. Jupiter, qui, dans d'autres circonstances ,
« était appelé Stateur, Tonnant, Férétrien, avait,

« dans cette occasion le nom d'Élicius____»

Ce qu'Ovide raconte des cérémonies que Numa
mit en usage pour attirer la
foudre à son gré,
est sans doute plutôt
un jeu de l'imagination de
cet écrivain ingénieux, qu'un récit conforme à la
vérité; quoi qu'il en soit, il luppose
(fastor.Z)
que ce fut par le moyen de Picus et de Faune, deux
demî-dieux champêtres, que Numa parvint à con-
naître le moyen, inconnu jusqu'à lui, d'attirer du
ciel ces foudres favorables que l'on regardait comme
des signes certains de l'approbation qu'il donnait
aux desseins des mortels. Le roi de Rome, qui pré-
parait toutes ses entreprises dans le plus grand secret,
€t qui avait un commerce habituel avec la nymphe
Égérie, connaissait aussi la fontaine où Picus et
Faune venaient se désaltérer toutes les nuits ; il
y fit porter du vin dont ils burent copieusement.
Les deux demi-dieux s'enivrèrent et s'endormirent.
Numa les surprit dans cet état, les fit attacher,
et les força à lui révéler des secrets qu'il n'aurait pu
âécouvrir par un autre moyen; et en conséquence
il annonça au peuple assemblé, que le lendemain,
•à la fin du jour , après que le soleil, éclatant de
toute sa lumière ; aurait parcouru sa carrière, il

-ocr page 333-

verrait les prodiges qu'il lui avait annoncés. Il
parlait encore de la promesse des dieux, lorsqu'au
soleil couchant on entendit un bruit éclatant de
tonnerre : le dieu tonna trois fois sans qu'il parût
aucun nuage; il lança trois foudres.
Croyez-m'en,
dit le poëte , je raconte des choses merveilleuses
et cependant réelles. Ce qu'il y eut de plus éton-
nant encore, c'est que le ciel
paraissant s'ouvrir,
le roi et toute la multitude , saisis de frayeur et de
respect, virent paraître en l'air un boucher qu'un
vent léger semblait soutenir, et qui descendit, en
se balançant, jusqu'à terre.

.......Gravis œthereo venit ah axe fragor

Ttrtonnitfine nuhe deus , tria fulgura misit ^
Crédité dicenti, mira sed acta lo/juor.

Il paraît encore que Numa avait laissé quelques
mémoires sur la manière de faire des sacrifices à
Jupiter Élicius. Tullus les trouva sur la fm de son
règne , et se cacha pour opérer dans le secret ces
mystères; mais, dit Tite-Live (livre i.«'), sans
doute que ce prince n'était pas bien initié, ou
ne s'y prit pas de la bonne manière pour arriver
au but de ses sacrifices; non-seulement le ciel ne
répondit pas à ses sollicitations, mais Jupiter,
fatigué par des cérémonies faites maladroitement,
le frappa de la foudre, et mit le feu à sa maison
où il fut brûlé. Que conclure de ce récit, sinon
lt;}ue Tullus voulut forcer la machine , et qu'il lui
arriva les mêmes accidents que l'on craindrait de
l'expérience dcLeyde, poussée à uii certain poiut?

-ocr page 334-

Je puis me tromper dans mes conjectures , mai»,
il me semble que ce que Pline, Ovide et Tite-Live
nous rapportent de cette manière d'attirer la foudre,
a bien du rapport avec les nouvelles expériences
de l'électricité.

J'ajoute ici un morceau tiré des notes des trois
Règnes de la. Nature,
de Delille.

L'année 1746 sera célèbre dans l'histoire des
progrès de l'esprit
humain. Jusque-là le fluide élec-
trique , innocent et faible, n'avait fait en quelque
sorte que jouer avec les hommes. L'expérience dc
Levde le montra puissant et capable de frapper
avec violence. Bientôt après, des commotions plus
énergiques brûlèrent, fondirent, oxidèrent les mé-,
taux, fracassèrent le verre , foudroyèrent les ani-
maux. Leurs effets terribles avaient une analogie
remarquable avec ceux de la foudre. Il ne fallait
pour se convaincre de l'identité de la cause des uns
et des autres, qu'enlever le feu des orages et le
comparer , dans le cabinet du physicien, à celui
de l'électricité.

Franklin, dont le génie inventif avait multiplié
les expériences de ce genre, et mis dans un beau,
pur les effets de la bouteille de Leyde ,
enseigna
aussi les moyens de décider la question.

En suivant la route tracée par Franklin, M-,
Dalibard éleva, près de Marly-la-Ville , dans un
lieu découvert, une verge de fer, ronde , d'un
pouce de diamètre, longue de
quarante pieds »
çffjée en pointe par son extrémité supérieure

-ocr page 335-

l'assujétit dans la position verticale avec des cordons
de soie, et posa son extrémité inférieure sur une
planche soutenue par trois bouteilles. Dans cette
position , la verge se trouvait isolée et propre à
conserver quelque temps l'électricité qu'elle pour-
rait enlever au nuage.

« Après avoir ainsi dressé toute la machine,
K dit M. Dalibard, ne pouvant pas toujours rester
« à la campagne pour attendre l'orage, j'ai chargé
« de faire les observations en mon absence , un
« habitant du lieu, nommé Coiffier , qui a servi
o quatorze ans dans les dragons, et sur qui je
« pouvais également compter pour l'intelligence
« et pour l'intrépidité.

« Le mercredi 10 mai i']52, entre deux et trois
A heures après midi , Coiffier entendit un coup
« de tonnerre assez fort ; il vole à la machine ,
c présente le fil d'archal à la verge, en voit sortir

« une petite étincelle et entend le pétillement; il tire

« une seconde étincelle plus forte que la première
« et avec plus de bruit. Il appelle ses voisins,
« envoie chercher le curé, qui accourt avec pré-
« cipitation, et tire à son tour de fortes étincelles. »

Le bruit de cette audacieuse et belle expérience
ne tarda pas à voler par toute l'Europe. Des verges
électriques furent dressées en mille endroits; oa
recueillit la matière de la foudre par les mêmes
procédés que celle de l'électricité ; on la concentra
dans les mêmes vases ; les effets de l'une furent
aussi les effets de l'autre; enfin l'expérience ne
laissa plus de doute sur leur identité.
(Far M.
LçFÈVtE-GiHEAu , de l'institut. )

-ocr page 336-

de l'aurore boreale.

Note communiquée par M. Patriit.

On donne assez improprement le nom d'aurore
'boréale
à un pliénontene lumineux qui ressemble
lien plus aux flammes irrégulières et tourbillon-
nantes d'un incendie, qu'à la lumière égale , douce
et tranquille de l'aurore.

Ce phe'uomène ne se manifeste jamais entre les
tropiques : on l'observe rarement dans les zones
tempérées; mais il est fréquent dans les régions
polaires. Quelques marins l'ont vu dans les hautes
latitudes de l'hémisphère austral, et lui ont donné
Je nom
à'aurore australe.

C'est toujours dans les froids les plus rigoureux
que ces phénomènes lumineux se montrent le plus
fréquemment et avec le plus d'éclat. Pendant les
neuf hivers que j'ai passés dans diverses contrées
de la Sibérie , j'ai souvent eu l'occasion de les
observer.

Leur apparition s'annonce ordinairement par
«ae lueur blanchâtre qu'on aperçoit du côté du
pôle, quelques heures après le coucher du soleil.
Insensiblement la lumière devient plus vive à mesure
qu'elle s'élève; et lorsqu'elle est parvenue à 20
ou 3o degrés au-dessus de l'horison, elle prend
«ne couleur rougekre d'autant plus foncée qu'elle
parvient k une plus grande hauteur. Elle devient
idors ondoyante , et il s'eu échappe des jets de

-ocr page 337-

flammes d'une grandeur immense, qui vont jusqu'au
zénith €t même par-delà : tout l'hémisphère boréal
paraît en feu.

Quelquefois le phénomène se présente avec de
nouvelles modifications : il n'est pas rare de voir
aux environs du pôle une portion de cercle comme
un petit arc-en-ciel, qui ne s'élève que de 10 à
i5 degrés au-dessus de l'horison : la corde de cet
arc est d'une longueur à peu près double j mais
l'épaisseur de l'arc lui-même n'est guère que d'un
degré. Cet arc brille faiblement d'une lumière
blanchâtre ; son intérieur , ou l'aire du cercle,
est d'une profonde obscurité. Le bord intérieur de
l'arc est nettement tranché , mais son limbe exté-
rieur semble darder de toutes parts une multitude
de rayons flamboyants qui vont tantôt se perdre
dans une obscurité nébuleuse, et tantôt se con-
fondre avec un océan de lumière rougeâtre qui
paraît dans une agitation violente , et d'où partent
ces grandes masses de flammes qui vont au - delà
du zénith.

Souvent il arrive qu'une grande portion du ciel
paraît totalement libre et dégagée : on y voit
briller les étoiles de tout leur éclat, lorsque tout
à coup on y voit paraître des bouffées de flammes
qui disparaissent à l'instant, pour être, l'instant
d'après , remplacées par d'autres.

C'est cette perpétuelle agitation de ces masses
lumineuses, qui leur a fait donner par les peuples
du Nord diverses dénominations qui expriment ou
des danses ou des combats entre les habitants de
l'air, suivant que ces peuples août disposés à la

-ocr page 338-

joie ou à la guerre : dans tous les pays et dans
tous les siècles, les hommes grossiers ont attaché
des idées surnaturelles aux grands phénomènes de
la Nature.

A l'égard des savants, ils ont beaucoup raisonné
sur la nature et les causes des
aurores boréales,
Quelques physiciens, quiproblablement n'en avaient
guère observé, soutenaient qu'elle? étaient occa-
sionnées uniquement par le fluide électrique ; il y
en avait même chez qui la prévention pour cette
hypothèse était si forte, qu
'ils croyaient que les
aurores boréales
faisaient entendre un pétillement
semblable à celui que produit ^e conducteur d'une
forte machine électrique.

Mais le savant M. de Mairan , qui vit très-bien
que la marche onduleuse et vacillante de la ma-
tière de ce phénomène n'était en aucune manière
analogue à la marche du fluide électrique, qui va
toujours en ligne droite, et d'un mouvement si
brusque et si prompt, que l'œil ne peut le suivre ,
et qu'on ne saurait en apprécier la durée, M. de Mairan
cn chercha la cause ailleurs , et il fit un savant
traité dans lequel il tâcha de prouver que c'est
l'atmosphère du soleil qui produit nos aurores
boréales.

Mais , ce savant physicien a-t-il été plus heureux
que les autres ? a-t-il résolu solidement le pro-
blême , et faudra-t-il chercher dans l'atmosphère
du soleil la cause de ce phénomène de l'atmos-
phère de la terre? Je ne le crois pas; et je pense
qu'on peut la trouver sans sortiv du domaine de
notre globe.

-ocr page 339-

Comme tout est lié dans la Nature , il arrive
presque toujours qu'un grand phénomène a des
connexions étroites avec un autre phénomène , et
peut en fournir l'explication. Ainsi, quelque grande
que soit la distance qui se trouve entre la zone
torride et les régions polaires , je pense que le
phénomène des vents alizés qui régnent constamment
entre les tropiques , est étroitement lié avec le phé-
nomène des
aurores boréales. Voici comment je
le conçois : on ne saurait douter que l'air de la zone
torride ne soit extrêmement dilaté par la perpé-
tuelle chaleur des rayons solaires qui sont toujours
perpendiculaires sur quelque partie de ces régions
brûlantes; cet air raréfié s'élève nécessairement
beaucoup au-dessus de celui qui se trouve en
dehors des tropiques , jusqu'aux zones glacées ; les
colonnes les plùs élevées de cet air dilaté sont con-
tinuellement soulevées par celles qui leur succèdent,
et doivent retomber et s'étendre sur la masse moins
élevée des zones tempérées , et de là s'écouler
jusque dans les régions polaires.

Cet accroissement de masse sur l'atmosphère des
pôles, y cause une pression qui force l'air inférieur à
remonter vers les zones tempérées, et à revenir
enfin jusque dans la zone torride , soit par l'effet
de cette pression toujours renouvelée , soit par le
piouvenient de rotation du globe, qui porte toujours
vers les plus grands cercles les fluides qui couvrent
sa surface.

C'est ce perpétuel courant d'air des pôles vers
l'équateur, qui, combiné avec le mouvement de
potation de la terre, produit ce courant d'air

-ocr page 340-

général qui couvre la zone torride sous le nom de
vent alizé, dont la direction est sud-est dans la
bande australe de cette zone, et nord-est dans la
bande boréale, ainsi que cela devait être d'après
la direction qu'avaient les deux courants polaires
chacun dans leur hémisphère. Voilà pour les vents
alizés : voici maintenant pour les
aurores boréales.

L'air de la zone torride, qui, de dessus les couches
les plus élevées de l'atmosphère , a coulé vers les
pôles, était chargé des fluides les plus
subtils qui
s'élèvent sans cesse de la
surface et du sein de la
terre et des mers, notamment du gaz hydrogène,
soit simple, soit combiné avec le soufre , avec
le phosphore, etc. On ne saurait douter , en effet,
que des gaz de cette nature ne soient fournis en
prodigieuse quantité par les animaux et les végétaux
qui, dans ces contrées brûlantes, se décomposent
avec une excessive rapidité. Mais cela n'est rien
encore en comparaison de la quantité de ces mêmes
gaz qui s'échappent des innombrables volcans qui
forment une écliarpe de feu tout autour de la partie
équatoriale du globe terrestre.

Or , ces fluides gazeux que l'air de la zone torride
entraîne avec lui vers les pôles, s'y accumuleraient
sans fin ; car leur extrême légèreté les empêcherait
toujours de se mêler aux couches inférieures de
l'atmosphère; elle les empêcherait également d'obéir
au mouvement de rotation du globe, qui pousse
l'air plus dense vers les tropiques ; car on sait bien
que dans un mouvement commun de projection,
les corps les plus pesants vont en avant, et que
les plus légers restent en arrière à proportion de

-ocr page 341-

leur moindre densité. Ainsi donc, je le répète,
les fluides gazeux les plus légers s'accumuleraient
vers les pôles, et cette accumulation les forçant
enfin de descendre jusqu'à la surface de la terre , y
dénaturerait l'atmosphère, et rendrait les contrées
boréales du globe inhabitables à tout être organisé.

Mais la sage et prévoyante Nature est là : tout ce
désordre est prévenu, et c'est, comme à son ordi-
naire , par un moyen aussi simple qu'efficace , qu'elle
débarrasse l'atmosphère polaire de cette masse sura-
bondante de gaz pernicieux , non respirables et
surtout éminemment inflammables.

Ils ont e'té aécumule's alternativement à chaque
pôle pendant l'été de chaque émisphère, lorsque
les colonnes d'air de la zone torride s'élèvent ver-
ticalement au-dessus du tropique où règne le soleil,
et que c'est vers le pôle le plus
voisin que se fait
l'écoulement de cette masse d'air surabondante.

L'hiver suivant, quand le soleil a passé sur le
tropique opposé, le fluide électrique prend à son
tour l'empire dans les régions du pôle abandonné
par le soleil, et le remplace dans ses fonctions
à beaucoup d'égards ; c'est ce fluide, comme
je l'ai remarqué moi-même , qui remplit de vie
les êtres organisés , qui, sans son secours, périraient
dans un engourdissement mortel. Plus le froid est
violent, et plus son énergie augmente : je l'ai trouvée
quelquefois prodigieuse. Il n'est donc pas étonnant
que dans les hautes régions, où l'électricité est
toujours la plus forte, les fluides inflammables qui
s'y trouvent en si grande abondance soient em-
brasés par quelqu'étincelle, puisque nous voyons

-ocr page 342-

334nbsp;is-o TE s,

le doigt d'une dame enflammer l'e'ther qu'on lui
pre'sente , quand elle est elle-même pénétrée dé
fluide électrique.

La direction que suivent généralement du Nord
au Sud les rayons et les flammes des
aurores bo-
réales,
prouve que le fluide électrique, de même
que le fluide magnétique, émane continuellement
et avec force des deux pôles du monde. Pendant
l'été , l'atmosphère humide des régions polaires et
des régions tempérées sert de conducteur au fluidé
électrique, jusque dans la zone torride , où il produit
ces épouvantables et fréquents tonnerres dont là
terre est ébranlée. Dans sa route il enflamme ces
météores lumineux que nous ne voyons briller que
pendant les belles nuits d'été, et que nous con-
naissons sous le nom
^étoiles tombantes. C'est aussi
dans sa route qu'il cause ces tonnerres passagers
qu'on entend dans les zones tempérées.

Pendant l'hiver il est arrêté par l'atmosphère
sèche et glacée des régions polaires où il exerce
son action sur les gaz inflammables des hautes régions

de l'atmosphère.

C'est ainsi que, par des circulations et des échanges
continuels de divérs fluides, l'équilibre et l'harmonie
se conservent dans les fonctions du globe terrestre ,
comme dans lès fonctions de nos cOrps par la cir-
culation et les diverses modifications de nos humeurs,
ta manière dont je conçois que s'opèrent les phéno-
mènes des aurores boréales me semble' s'accorder
avec tous les faits qu'elles nous présentent, et
no-
tamment
avec ces bouffées de flamrhes, et ces
tongues traînées dé lumière vâgués et vàcillantés,

-ocr page 343-

qui ne sauraient annoncer autre chose que la com-
bustion d'une substance gazeuse, et nullement im
phénomène électrique; car, je le répète, l'élec*
tricité , bien loin de jouer ici le rôle principal,
n'y entre que comme cause occasionnelle d'un em-
brâsemeut qui pourrait être produit par toute autre
étincelle.

Je ne puis m'empêcher, à cette occasion, de parler
d'un fait allégué récemment encore par quelques
auteurs , mais qui paraît n'être bien certainement
qu'une illusion.

Ces auteurs, trop prévenus en faveur du sys-
tème qui attribue au fluide électrique tous les
phénomènes des aurores boréales , se sont imaginés
qu'elles devaient faire entendre un pétillement ^
et même des explosions électriques.

Le célèbre botaniste Gmélin, est je crois, le
premier qui ait fait mention de ce pétillement,
et c'est probablement le nom de ce savant qui a
donné quelque poids à cette idée; mais on n'a pas
remarqué que ce n'est pas lui qui parle, et qu'il
ne fait que rapporter un ouï dire. Lorsqu'il étaii,
en 1741, à Yénisseïsk , en Sibérie , il s'informa
auprès de quelques habitants de cette ville qui fré-
quentaient des contrées plus septentrionales , de ce
qu'Us y avaient observé de curieux ; dans leur récit,
ils rapportèrent, entre autres choses , ce qu'ils
avaient ouï dire à des chasseurs de renards, sur
les aurores boréales ; suivant eux ,
elles font un
bruit d'artillerie si terrible , que leurs chiens ,
saisis d'effroi, tombent par terre, et qu'il est im-
possible de les faire bouger avant que ce bruit soit

-ocr page 344-

fMi. ( Voyage en Siherie, tome p. 3i,) 11 est
aisé de voir, d'après l'exagération seule du fait,
que c'est un vrai
conte de chasseur, que l'auteur
n'a rapporté que pour égayer sa relation ; et ce
qui achève de le prouver, c'est que Gmélin lui-
même , qui a voyagé pendant plus de dix ans dans
les mêmes contrées, et qui a vu plusieurs aurores
boréales , n'a jamais dit un seul mot de leur pré-
tendu pétillement. Il en a décrit trois en assez peu
de mots , mais dont il rapporte les principaux
phénomènes; et certes, s'il eût
entendu le moindre
bruit, il n'eût pas manqué d'en faire mention ,
c'eût été une circonstance trop curieuse pour qu'il
pût l'omettre (i).

(i) Pour épargner au lecteur la peine de consulter le
Voyage de Gmëlln , je vais rapporter textuellement ce qu'il
dit des trois aurores boréales qu'il a vues. Voici comment
il décrit la première : « Je vis, le lo août 1787 , à huit
« heures du soir , vers le nord-est, une rougeur extraordi-
ic naire , qui bientôt pâlit et devint jaune. Il en sortait une
« bande claire en forme d'arc, qui dura peu et ne forma
n jamais le demi-cercle. Tout à coup le zénith parut extrê-
n mement rouge ; il en partait une bande large qui s'éten-
« dait à l'O.-N.-O., mais n'allait pas jusqu'à l'horison. Il y
« avait entre le Nord et l'Ouest d'autres bandes dont la
« plupart étaient d'un rouge très-vif, quelques-unes blan-
« châtres : le zénith était fort beau, et le tout se changea
« peu à peu en une aurore boréale,
m ( c'est-à-dire que tout
l'hémisphère fut éclairé d'une manière à peu prés uniforme. )
XI était alors près d'Jakoutsk , sur la Léna, dans la partie la

-ocr page 345-

NOTESinbsp;337

Ce que je puis attester personnellement , c'est

plus opietitale lt;le la Sibérie, par amp;3 Hegrés de latitude.
( Gvins , Voyage en Sibérie, tome 1 page i. )

Quand il a observé la seconde, il était à Krasnoiarsk,
sur l'Yénissey , par 57 degrés de latitude; « Le
9 septembre
« 174quot;» 3 onze teures du soir, je vis., dit-il j un nuâgo
« clair au Nord, prés de l'iiorizon qui était obscur j et
« quoique peu réiuparavant le ciel fût serein , il fut bientôt
K couvert de nuages noirs. Le nuage clair devint cotileur
« de feu : .peu après il se changea en une espèce d'amas de
lt;C petites nuées lumineuses , s'étendit vers l'Est et devint
K pàlé ; mais il resta au Nord une clarté qu'on aurait pu
tt prendre pour celle de la lune. Ensiiite le ciel se couvrit'
« de nuages, et it s'éleva Une grande temj)ête qui dura deux
»( hcui-es. )gt; ( G
méiin , Voyage en Sibérie , tomé 2, p. i58. )
La troisième aurore boréale dont Gmélin fasse mention »
parut lorsqu'il était à Jaloutorof, sur le TObol^à 57 degrés
de latitude.; « Je vis, dit-il, le ai septembre 1741 ) vers dix
« heures- du soir, ime aurore boréale .sous la forme de
rc quelques colonnes de feu immobiles. Une heure après ou
« aperçut au N.O. une colonne très - rouge , et toute»
n étaient, vers, minuit, claires et sans rouge. Peu aiijia-
« ravant une. partie obscure de l%orizon était deveiiuè
lt;! claire. Lorsque l'aurorë boréale avait le plus grand éclat ^
w le
ciel se couvrit tout à coup'au Sud et à l'Ouest de.
« nuages épais ; mais il s'éleva presque en même-teinps; uA
« vént d'ouest assez violent; ipii dissipa ces, nuages. Plus le

tt ciel devenait,-clair, plusfl'auroïe boréale, pfuai;iSait pâlej

« cependant on. aperçut jusqul la pointe du jour quelque,^
« colonnes blanchâtres. Le temp.ç du jour suivant fut raaUr

« vais, lèvent sud-ouest médiocre ». {IbiU., tome- a,

fage 190. ) ■ :nbsp;.

ILnbsp;î'a

-ocr page 346-

33Snbsp;so TE s.

qu'ayant habité les diverses contre'es de la Sibérie,
presque aussi long-temps que Gméhn , j'ai, nombre
de fois, vu des aurores boréales , et des plus com-
plètes qu'il y ait. J'avais l'ouïe fort bonne , et je
prêtais l'oreille avec soin, pour savoir si le rapport
fait à Gmélin avait quelque fondement ; mais le
résultat de mes observations a toujours été le
ûiême , et m'a pleinement confirrhé que le rapport
fait à Gmélin n'était qu'uK
conte de chasseur-, je
ne ïne suis jamais aperçu du moindre bruit, m
du plus léger pétillement.

Si quelqu'un avait été dans le cas d'entendre
les prétendues explosions, ce seraient sans doute
ceux qui ont habité le Groenland et l'Islande , qui
sont les contrées du globe où les aurores boréales
sont les plus fréquentes et lés plus vives. Mais ni
l'évêque
Eggede , qui a vécu pendant quinze ans
dans le Groenland, et qui en a donné l'histoire
naturelle , ni le pasteur
Horrebow, qui a décrit
cent seize aurores boréales observées en Islande ,
ne disent absolument ri«n des prétendus bruits
ou pétillements causés par ces phénomènes, dont
tout l
'effet est de présenter un brillant spectacle.

Si les aurores boréales avaient offert quelque
phénomène aussi. remarquable que ces explosions fi
assurément le célèbre Pallas , qui a voyagé pendant
six dtts en Sibérie , en aurait fait quelque mention ;
mais, bien loin de là, on ne trouve pas même
un seul mot sur les aurôres boréales dans toute la
longue et savante relation de son voyage , ce qui
prouve bien que ces phénomènes ne lui avaient
rien montré de remarquable ; et je l'ai moi-même

-ocr page 347-

«ntenda plaisanter sur le conte rapporté p»
Gmélin.

Je conviens sans peine que si, malgré tous ces
témoignages négatifs , un homme éclairé et digiie
de foi disait avoir entendu le bruit en question,
Ion devrait au moins suspendre spn jugement^
mais j'observe que ceux qui en parleiit, ne disenjt
pas autre chose sinon qu'o«
entend', mais aucun
ne dit
j'ai entendu, ce qui est fort différent.

Au reste, quand je dis que , d'après un témoi-
gnage positif, on devrait suspendre son jugement,
}e crois que je vais trçp loin, car ^ucun témoi-
gnage ne saurait établir un fait qui ser^iit démontré
■physiquement impossible; or, c'est précisément Jç
cas du bruit dont il s'agit.

M. de Mairan^ dans son beau Traité de l'aurorç
boréale, rappwte vingt-trois observations,faites par
les savants les pjus distingués, depuis Copenhague^
Pétersbourg et Tornep, jusqu'à Paris, Genève et
Piome , pour ^constater J'élévatipn,des lieux oîi],'ègne
ja matière des aurpçes boréalps, et où l'on voit
eclater leùrs rayons et leurs flammesj et il jésuite
de la parallaxe approximative de ces objets, que
leur élévation moyenne est d'environ cent soixante-
quinze lieues perpendiculaires au-dessus de la surface
de la terre. La plupart de ces vingt-trois aurores
boréales étaient à une hauteur de plus de deux
cents lieues. Il n'y en a eu que deux dont l'élé-
vation fut moindre de cent lieues, l'une était élevée
de quarante-sept lieues, et l'autre , de cinquante-
huit lieues.

Or, quel est le physicien qui pourrait admettre

-ocr page 348-

qa'à de pareilles distances, on entendît le bruit d'un
simple pétillement électrique , dont on n'aperçoit
pas même lès étincelles, quand il est bien certain
qu'on ne pourrait pas entendre les éclats même
du plus épouvantable tonnerre; lorSqtiè surtout
lt;es prétendus pétillements auraient lieu dans des
régions où l'excessive rareté de l'air rendrait com-
plètement nulle la propagation du son ? L'expé-
l ience n'a-t-elle pas prouvé que. seulement à la cime
de nos montagnes; qui ne s'élèvent pas à la cen-
tième partie de la hauteur des
auioi-es boréales ,
le son perd plus des
trois quarts de l'énergie qu'il
aurait dans la plaine. Parmi les belles expériences
que l'illustre Saussure fit sur le sommet du Mont-
Blanc , il n'eut garde d'oublier les expériences sur
le son, et il observa quun coup de pistoïçt n'y
faisait pas plus de bruit quun petit pétard de la
Chine n'en fait dans une phambre.
( §. aoao. )

Je demande si, d'après cela, l'on pourrait en-
tendre distinctement les explosions
dés'aurores bo-
réales, comOie quelqu'un le dit un peu légèrement ?
(Patrin.)

-ocr page 349-

LETTRE XXXII.

nouvelle the'orie des volcans.

ISote communiquée par M, Patriît.

Accoutumés comme nous le sommes à ne con-
sidérer les phénomènes de la
Nature que sous les
rapports qu'ils ont avec nous , et à mesurer sur
notre petite échelle tous les objets qu'elle nous
présente; il n'est pas surprenant que les
volcans
aient été regardés de tout temps comme des phé-
nomènes d'une importance proportionnée à l'effroi
qu'ils nous causent. Mais quand on les considère
relativement au globe terrestre, on voit qu'ils sont
beaucoup moins considérables à son égard, que
ne serait à l'égard du corps humain l'éruption d'une
pustule imperceptible.

On a bâti bien des systèmes pour en expliquer
l'origine ; mais ils sont tous bien insuffisants , ainsi
qu'on cn peut juger par l'impossibilité où ils nous
laissent de répondre d'une manière satisfaisante aux
questions suivantes :

i.o Quelle est la cause da l'inflammation des
volcans ?

2.0 Quelles sont les matières combustibles qui
servent d'aliment à leurs feux?

3.0 D'où proviennent les matières qui forment
la masse énorme de leurs éjections?

4.° Pourquoi les volcans brûlants ne se trouvent-
ils que dans le voisinage de la mer ?

-ocr page 350-

5.0 Quelle est la profondeur de ce qu'on appelle
leur foyer?

6.0 Quelle est la puissance qui élève les laves
au sonlmet des .volcans ?

7.0 Pourquoi trouve-t-on toujours des couches de
houille dans le voisinage des volcans éteints?

8.0 Pourquoi les paroxismes des volcans éprouvent-
ils des intermittences?

9.0 Qu'est-ce que les volcans vaseux?

io.° Quelle est l'origine du basalte?

11.0 Quelle est la cause des tremblements de terre ?

13.° Pourquoi les éruptions sont - elles accom-
pagnées de pluies , d'éclairs et de tonnerres ?

I.re QUESTION.
Quelle est la cause de l'inflammation des volcans ?

Les opinions ont été partagées : les uns ont dit
que l'inflammation des volcans était due à des
couches de pyrites qui tombaient en décomposition
èt s'échauffaient au point de s'embraser, de fondre
les rochers, etc., etc.

D'autres ont soutenu que c'était les couches de
houille, qui, venant à s'enflammer, produisaient
les phénomènes volcaniques.

Paflas réunissait les pyrites et les couches de
houille, pour expliquer ces phénomènes.

Dolomieu imaginait que le globe terrestre n'avait
qu'une écorce solide, et que l'intérieur était rempli
d'une matière pâteuse qui, veuant à sortir par les

-ocr page 351-

fissures de cette croûte, prenait feu par le contact
de l'air, comme un pyropliore.

En dernier lieu, M. l'abbé Breislack , dans la
première édition de sa description de la Campanie ,
imprimée à Florence, en 1798, disait que l'in-
flammation du Vésuve était due à un grand amas
de bitume qui se trouvait sous cette montagne.

Il ne faut pas de longues réflexions pour voir
combien de pareilles hypothèses sont peu propres
à rendre compte, d'une manière satisfaisante , des
divers phénomènes que présentent les volcans; et
si l'on a paru s'en contenter, c'est qu'on n'avait
rien de mieux.

Pour que des pyrites pussent s'embraser en se dé-
composant , il faudrait au moins qu'elles eussent
le contact de l'eau et de l'air; et encore voyons-
nous que celles qui se trouvent accidentellement
exposées à l'action de ces deux fluides n'éprouvent
rien qui ressemble à un embrasement. Les craies
et les argiles des environs de Paris et de tant d'autres
contrées, sont remplies de pyrites qui ne sont
nullement disposées à former des volcans.

Il en est de même des couches de pyrites pures
et en masse contiguë, dont l'étendue et l'épaisseur
sont quelquefois immenses , comme celle d'Allagne,
sur la Sesia, qu'on exploite pour une petite quan-
tité de cuivre qu'elle contient, et dont l'étendue
est telle, qu'on a percé dans la couche même une
galerie de 870 toises.
(Saussure ,§. 2i5i. )

Telle est encore celle de l'île d'Anglesey, qui a 66
pieds d'épaisseur , sur une étendue dont on n.'a
pas encore trouvé la fin.

-ocr page 352-

Tels sont enfin les filons pyriteux, ou compose'«
de sulfures, qui sont si communs dans les montagnes
à mines; rien de tout cela ne montre la plus légère
disposition à s'enflammer.

On ne sera pas plus heureux en cherchant l'ori-
gine des volcans dans les couches de houille : on
sait bien qu'il y en a qui brûlent, parce que des
ouvriers imprudents y ont mis le feu, et que les
courants d'air des puits et des galeries ont favorisé
l'incendie; mais il est fort douteux que jamais couche
de houille non exploitée ait pris
feu spontane'ment.
D'ailleurs,
qùelle ressemblance pourrait-on trouver
entre les efi'ets de l'incendie de la houille, qui se
réduisent à un léger affaissement de terrein, et les
divers phénomènes que présentent les volcans?

Comment enfin pourrait-on, avec des couches
de houille, expliquer l'existence de cette foule de
volcans sortis des abîmes de la grande mer du Sud.
Si ces couches de houille pouvaient prendre feu
dans le fond de l'Océan, dès qu'il se formerait la
moindre fissure pour donner jour aux flammes, la
colonne d'eau qui serait au-dessus et dont la pres-
sion serait énorme, ne pénétrerait-elle pas à l'instant
au centre de l'incendie, et ne l'éteindrait-elle pas
sans retour ?

On peut remarquer de plus que ceux qui attribuent
encore aujourd'hui l'origine des volcans à l'embra-
sement de la houille, ont en même-temps supposé
que ce combustible n'était autre chose qu'un amas
de
detritus de végétaux. Mais pour alimenter cette
multitude
de volcans qui ont brûlé dans toutes les
contrées de la terre, et qui brûlent
encore, prin-

-ocr page 353-

cipalcmcnt dans la zone tonicle, il aurait fallu des.
couches de houille aussi e'tendues que toute la sur-
face de la terre, et de dix mille pieds au moins
d'épaisseur. Or je doute que tous les mondes qui
composent notre système planétaire eussent pu
fournir une quantité suffisante de
detritus de vé-
gétaux pour composer de pareils amas de houille.

Ne sait-on pas que dans les plus antiques forêts
de la terre, comme celles qui couvrent les vastes
continents septentrionaux de l'Asie et de l'Amé-
rique, leurs
detritus forment à peine un pied
d'épaisseur de terreau. C'est ce que j'ai mille fois
observé dans les immenses forêts de la Sibérie, où
ni les eaux courantes ni aucun autre agent n'avaient
pu diniinuer la masse de ces
detritus, qui certai-
nement se décomposent pour entrer dans de nou-
velles combinaisons et se reproduire sous d'autres
formes.

Quant à l'amas de bitume que M. Breislack avait
placé sous le Yésuve , il a pris soin lui-même de
l'anéantir dans l'édition française de son ouvrage
qu'il a fait imprimer à Paris sous ses yeux , en 1801,
où il adopte complètement la nouvelle théorie des
volcans que j'avais publiée au commencement de
l'année précédente, dans le
Journal de physique
{ germinal an
8, mars 1800), ainsi que dans la Dé-
cade philosophique.
Et ce qui me flatte infiniment,
c'est que ce célèbre observateur a tellement goûté
ma théorie, qu'il a cru lui-même en être l'auteur,
et que, par distraction sans doute, il la donne
[tome^i.quot;, chap. comme le fruit des nouvelles

-ocr page 354-

reflexions qu'il avait faites sur les phénomènes vol-
caniques, depuis la première édition de son livre.
Je donnerai dans cette note une esquisse de ma
nouvelle théorie : ceux qui voudraient la connaître
plus en détail pourront consulter le
Journ. de phys.,
tom. 5o, pag. 241, ou mon Hist. nat. des mi-
néraux,
tom. 5, pag. 192.

a.e QUESTION.

Quelles sont les matières combustibles qui servent
d'aliment perpétuel au feu des
volcans?

Si 1' on était grandement embarrassé pour trouver
la cause de la première inflammation des volcans
on l'était bien plus encore pour trouver cette in-
calculable masse de combustibles qui devait être
indispensablement nécessaire pour mettre en fusion
dans le sein de la terre les roches qu'on supposait
être la matière dont étaient formées les laves ,
les basaltes, les cendres et les autres matières qui
composent toutes ces éjections volcaniques. L'en-
tassement successif de ces matières a produit des
montagnes d'une étendue et d'une hauteur pro-
digieuses , telles que l'Etna, dont la base a soixante
lieues de circonférence et dont le sommet s'élève
à dix mille pieds ; le pic de Ténériffe, dont la
masse est à peu près égale à celle de l'Etna ; les
Cordihères du Pérou , qui sont les plus hautes et
les plus vastes montagnes de l'univers, etc. Quel
est le combustible qui a foüdu tout cela ?

-ocr page 355-

so TE s.nbsp;347

Et ce qui devait paraître surtout inconcevable,
quoique personne , je Crois , n'en ait fait la re-
marque , c'est que toutes ces éjections sont par-
faitement homogènes chacune dans leui- espèce, et
n'offrent pas
Ib moindre mélange, pas la moindre
trace des matières combustibles qu'on suppose Va-
guement avoir servi à mettre en fusion cette partie
considérable des roches qui composent l'écorce du
globe terrestre.

Au reste, quelle que fût la nature de ce pré-
tendu combustible, on demandera toujours pourquoi
son action se ti-ouve interrompue par des inter-
valles , tantôt de quelques jours, tantôt d'un grand
nombre d'années, pour recommencer ensuite comme
auparavant, et cela pendant une longue suite de
siècles , ainsi qu'on l'observe dans l'Etna, le Vésuve
et les autres volcans connus depuis la plus haute
antiquité ?

3.^ QUESTION.

D'où proviennent les matières qui forment les
éjections volcaniques ?

Tous ceux qui , jusqu'à la publication de ma
Théorie des Volcans, ont parlé des matières qui
sortent de ièur sein, n'ont pas hésité un moment
à dire que ces matières avaient existé
en masse
dans l'intérieur de la terré , et que les laves ne
sont autre chose que des roches de granit, de
gneiss, de porphyre , etc., qui ont été mises en
fusion
par ua feu quelconque ; qui sont sorties de

-ocr page 356-

la bouche des volcans par une force quelconque ;
et qui, par une raison quelconque, ne se sont
montrées qu'à de certaines époques.

Mais quand on vient à considérer sans prévention
la masse incalculable des matières vomies parles
volcans , l'imagination est effrayée des vides qui
se trouveraient sous ces montagnes. Si l'on examine,
par exemple , le volume des matières pierreuses,
fixes et solides, qui composent l'Etna, et qu'on y
ajoute encore le volume des matières combustibles
qui ont dii servir à
leur fusion , lequel aurait du
être au moins triple de celui des roches, comment
peut-on soutenir l'idée du vide qui doit se trouver
sous la Sicile et sous l'Italie , et ne faudrait-il
pas recourir à la puissance des miracles pour pré-
server ces contrées d'être à chaque instant pré-
cipitées dans le fond des abîmes ?

Au milieu de la France même, l'Auvergne est
couverte de montagnes toutes composées de matières
volcaniques, dont plusieurs ont cinq à six mille
pieds d'élévation et dont l'assemblage couvre un
espace de vingt lieues en longueur et de douze
lieues en largeur : s'il existe sous cette contrée des
vides proportionnés à la masse de ces montagnes,
ne devons-nous pas nous attendre à la voir tota-
lement disparaître ?

Mais non, rassurez-vous, habitants de la Sicile,
de l'Auvergne et de tous les autres pays volcanisés '
vous ne serez point engloutis dans le sein de la
terre : jamais aucune province, aucune cité n'ont
éprouvé cette catastrophe. Les contrées
ont été
plus ou moins agitées, secouées par des tremble-

-ocr page 357-

quot;ments de terre, les édifices ont été renverseV; mais
rien n'a disparu ; dès que le sol â rejH-is son assiette
tranquille, toutes les ruines ont été retrouvées
à sa surface, et l'on a rebâti les cités sur le mêmé
emplacement. Aucune roche n'a été fondne, au-
cune matière qui eût existé en masse solide dans
le sein de la terre n'en est sortie; aucune caverne
n'a été creusée par le feu des volcans; toute^S ces
grandes cavités n'ont existé qne dans des imagi-
nations poétiques.

Quand un arbre laisse chaque année suinter par
les pores de son écoice les gouttes de ses sucs
gommeux ou résineux ; quand un ulcère rend des
matières abondantes pendant la vie d'un animal,
dira-t-on que ' le corps de l'airbre ou de l'animal
offre intérieurement des vides proportionnés au
volume des matières qu'il a fournies ? Kon sans
doute : on
quot;sait bien qu'elles sont quot;produites sucr
èessivement par la circulation'des fluides qui les
animent, et par leur assimilation aVec les substance^
contenues dans leur's Organes.quot; '

Eh bien, il en est de même relativement aux
élections Volcaniques : la Nature , dans toutes ses
oeuvres, suit Un plan uniforme; partout règne là
plus parfaite analogie : ainsi les
Végétaux donnent
des matières végétales, les animaux rendent des'
matières animales , et la terre vomit par ses volcans
des matières minérales : toutes ces substances Sont
composées des mémfes éléments qui sont diversement
modifiés par l'effet de l'assimilation.

Personne n'en a douté relativement aux subs-
^ïnces animales et végétales ; jnais l'analogie nous'

-ocr page 358-

ROTES'.'

dit qu'il en doit être de même à l'e'gard des sutï/
tances mine'rgles qui sont e'gal,ement forme'es par
une circulation de fluides qui p'ejécute dans le sein
de la terre. J'ose me flatter que la ge'ne'ration future
me saura gré d'avoir soutenu le premier cette grande
vérité, et d'avoir démontré que,les matières voir
çaniqu(^s , de jjaèmc qup celles qui compqsent les
filons métalliques, devaient.le.nr existence à l'a^-
similatiqn inin^rci,le., jusqu'ici ,copi.plèt£n;ient mé-
connue.

4.e Q.TJESTIOK.

'uoî ne voit-on des volcans brûlants que danS
le voisinfige de la merquot;^

C'est un (ifait apjourd'bui générale,n:\ent reconnu ,
qu'il n'existe aucjin volcan «n activité.dans l!^intérieur
des continents , et que . tous ceux dont ,qn v.oit dgj
vestiges à quelque distance de la.m.er , spnt éteints
depuis un temps immémorial.

Mais quelque frappante, que soit çettp circons-
tance , il paraît qu'il, n'y a .pas biç.n lojig-jtemps
qu'on en a fait robseryatio.n ; car l'abbé Richard,
physicien d'ailleuf^ fort-instruit, qui j)ublja en 1J70
so.u Hist. nçit. dfi l'-dir et des Météores;dit qu'il
s'ouvre tous les jours de no.uveauj^ y.olqans ; ququot;'îi
ment d'an paraître un .en Mongi-ie ; qii.il /en
forme d'autres .çn ,Bohême, etc. {X^m.
3 ^ pag. 78,
et tom. 4) pag. 275 ).

35o

On prenait quelquefois pour des yplcans , :de
simples exhalaisfios de gaz hydrogène , .comme

A

-ocr page 359-

notes;nbsp;35t

telles qu'on voit en diverses contrées, notamment
auprès de Grenoble, dans l'endroit appelé
Fontaine
brûlante,
et que les amateurs du merveilleux ont
comptée parmi les
sept merveilles du Dauphine'.

Mais ces sortes de phénomènes n« produisent
jamais les eiFets des volcans proprement dits.

BufFon ne dit rien de cette circonstance sin-
gulière qui ne fait trouver des volcans brûlants
que dans le voisinage de la mer. C'est je crois
M. Deluc l'aîné qui a fait le premier cette im-
portante remarque dans ses
Lettres sur l'Histoire
de la terre,
tom« i , pag. 477 5 et dès - lors on
s'évertua à chercher quelle pouvait être la cause
d'un fait aussi extraordinaire en apparence; mais
toutes les explications qu'on eu voulut. donner
n'étaient nullement satisfaisantes.;

Elles se réduisaient à dire que sans doute Ifis
eaux de la mer, en s'infiltrant dans le foyer des
volcans, y excitaient la fermentation et l'inflam-
mation des matières pyriteuses. Mais Ips eaux douces
auraient produit le même effet, et c'était sans
fondement qu'on alléguait que l'eau de la mer avait
à cet égard une propriété particulière.

D'ailleurs l'objcction de l'intermittence et du re-
nouvellement successif des éruptions , subsistait
toujours en son entier, puisqu'il n'y avait pa? de
raison pour qu'une eau qui pouvait dans un temps
exciter cette fermentation, ne l'eût pas excitée sans
interruption sur l'amas de pyrites avec lequel ou
a supposé qu'elle se trouvait en communication.

Enfin j'ai découvert quelle était la cause de cette
-singulière prédilection des volcans pour le bord

-ocr page 360-

de la mer : j'ai lait voir dans iiia noûvelfe tliéori«
que c'est de la mer même qne les volcans tirent
leur aliment ; que, par conséquent, ce n'était que
dans son' Voisinage qu'ils . pouvaient exister; et
qu'aussitôt qu'elle s'en était éloignée par l'effet de
sa diminution continuelle, on voyait
qu'ils s'étaient
éteints sans rètour. ( Sur la ditninrttioh de la mer,
Voyez l'article Mer dunow'càu Diet, â'Hist, natur. )

quot; 'nbsp;5.« question. ■

Pourquoi y a-t-il des intermittences dans les pa-
roxismes volcaniques.

Si rinflamjfaation des volcans était produite ,
comme on le dit,' par des amas- de matières com-
bustibles , il ariiverait nécessairement qu'aussitôt
qiie ces matières viendraient à diminuer , l'action
du volcan s'affaiblirait insënsiblement, et cesserait
enfin pour toujours , dès que l'amas serait con-
sumé. Or, lt;?ést ce qui n'arrivé point : après une
éruption suivie d'un intervall-e de repôs, l'on voit une
éruption noUVèlle toute aussi forte que la précé-
dente. On voit même que dans les temps modernes
les paroxisms du Vésuve et de l'Etna sont plus
fréquents et plus violents que dans les temps
anciens.'nbsp;■ ■

Il est donc bien évident qué les substances qili
causent et perpétuent l'action des volcans ne-
sont
point ces prétendus amas de houille ôU de pyrites,
qui se consumeraient sans se renouveler;
mais que
ce sont au contraire des substances qui
s'accumulent

-ocr page 361-

peu à peu dans le sein de la terre , par une cir-
culation continuelle de divers fluides , qui se com •
Linent de manière à produire les éruptions volca-
niques, de même que dans les animaux et les végétaux,
ils se modifient cn diverses manières pour produire
des éruptions analogues à la nature de ces corps.
Car nous savons aujourd'hui, grâce aux découvertes
de la chimie moderne , que tous les corps qui
forment ce qu'on norrime les
trois règnes de la
Nature, sont composés des mêmes éléments qui ,
dans les uns et les auti-es, ne diffèrent que par
les proportions et le mode d'aggrégation. Toutes
les molécules de ces éléments ont leur vie propre;
et cette distinction singulière qu'admettait Buffon
entre la
matière vivante et la matière morte, doit
s'évanouir pour toujours.

Je sais fort bien que la comparaison que je fais
des fonctions organiques des animaux et des vé-
gétaux avec celles que j'attribue au globe terrestre ,
peut paraître aujourd'hui pour le moins hasardée;
mais l'opinion de plusieurs grands jibilosophes ,
anciens et modernes , qui ont considéré la terre
et les astres comme des êtres vivants , me paraît
si conforme au plan géne'ral de la création, qu'on
sera peut-être étonné quelque jour que cette opinion
liit pu faire la matière d'un doute.

6.e question.

Quelle est la puissance qui porte les laves au
sommet des volcans ?

Comme tous les volcans en activité se trouvent

n.nbsp;23

-ocr page 362-

près de la mer, on supposait , pour expliquer
l'élévation de la lave dans le cratère , que l'eau
de la mer pénétrait dans ce vaste fourneau que
l'imagination avait creusé sous chaque volcan ; rien
n'est si puissant , disait-on , que l'eau réduite en
vapeurs , ainsi l'on ne doit pas s'étonner de voir
que ces vapeurs élèvent la lave à ces hauteurs
immenses.

Au premier coup d'oeil , cette explication paraît
admirable, mais dès qu'on l'examiuQ de près, on
la voit bientôt se réduire à
rien.

S'il y avait la base des volcans des ouvertures
où puissent pénétrer les eaux, de la mer , elles ne
sauraient entrer en contact avec la prétendue masse
de matières fondues , que de trois manières : ou
par-dessus , ou par-dessous, ou par côté. Si c'est
par-dessus, il n'en résultera pas autre chose, sinon
que cette eau se réduira en vapeurs , ou se dé-
composera , comme celle qu'on a eu quelquefois
la curiosité de jeter sur du verre fondu dans les
grands pots de verrerie, ou celle qu'on jette sur
le cuivre fondu, pour en refroidir la surface, et
former ce qu'on appelle des rosettes ; et les vapem-s
ou les gaz sortiraient paisiblement setds et sans lave
par l'ouverture du cratère.

Si c'est latéralement que les eaux vont rencontrer
la matière fondue , elles la feront tout au plus
reculer horisontalenient dans ces cavernes et ces
souterrains d'une étendue infinie qu'avaient dû jadis
occuper ( suivant l'ancienne théorie ) les matières
vomies par le volcan pendant des milliers d'années ,
et qui ont formé des montagnes immenses. On

-ocr page 363-

we voit donc encore rien là qui puisse porter des
torrents de lave à dix mille pieds d'élévation,
sans compter la profondeur du creuset.

Enfin, si c'est par-dessous qu'on veudle intro-
duire les eaux de la mer, il est aisé de voir que
les vapeurs qu'elle formera dans le moment du
contact, chercheront à s'échapper par le côté qui
leur offrira le moins de résistance , et il est évident
que c'est le côté même par cù l'eau serait venue,
puisqu'il leur serait infiniment plus aisé de passer
à travers cette eau, que de soulever une mon-
tagne de lave jusque dans la région des nues.

D'ailleurs, dans les trois suppositions précédentes,
ne voit-on pas que, les ouvertures une fois faites,
il
s't précipiterait continuellement de nouvelle eatt
qui- finirait par éteindre et noyer à jamais tous
îes feux volcaniques possibles.

Mais quelle est donc la manière dont les laves
s'élèvent dans les cratères ? C'est ce qui s'explique
fort simplement dans ma theorîe , qui est fondée
sur les principes de la nouvelle chimie, et oîi j'avais
même prévu quelques-unes des découvertes qui ont;
été faites depuis, et qui me paraissaient une con-
séquence nécessaire de celles qn'on avait faites
alors j car je prévoyais que les chimistes feraient
«n jour des terres , tout comme ils étaient par-
venus à composer de l'eau. Ainsi donc, j'établis
dans ma nouvelle théorie , que ce sont des fluides
gazeux qui , après avoir circulé dans le sein de
la terre , et après y avoir éprouvé diverses mo-
difications, sortent par les fissures de la roche qui
forme la
bouche du volcan , et prennent la forme

5,3 *

-ocr page 364-

terreuse , en se conabinant avec l'oxygène de l'eau
de la mer, si le volcan est encore soumarin , ou
avec celui de l'atmosphère si la bouche du volcan
est à découvert. On voit bien dès-lors qu'il n'y a
nulle difficulté à ce que la matière des laves s'élève à
des hauteurs immenses, puisqu'elle y parvient sous
une forme non pas solide mais purement gazeuse.

7.® question.

Qu est-ce que le foyer des -volcans et h quelle,
profondeur se trowe-t-il?

Comme nous sommes malheureusement portés
à supposer que la Nature , dans ses grandes opé-
rations , suit les mêmes procédés que nous em-
ployons dans nos petits travaux , il est arrivé que
les premiers naturalistes qui ont vu des volcans
en activité , et qui avaient vu dans des labora-
toii-es, que pour faire une distillation ou une su-
blimation on plaçait le vaisseau sublimatoire sur
le feu d'un fourneau, se sont facilement imaginés
qu'il y avait sous chaque montagne volcanique une
immense fournaise où se fondaient ( on ne sait
comment ) les roches qui composent l'écorce de
la terre ; qu'une partie de ces matières se sublimait,
s'enflammait et se perdait dans les airs , faute de
récipient pour les retenir ; et que les parties les
plus giossières de ces masses fondues, venant à sa
boursoufiler comme le lait qu'on fait bouillir, fi-
nissaient par se répandre au dehors en forme de
torrents de lave.

-ocr page 365-

Cette opinion, qui paraissait fort simple, fut
adopte'e sans beaucoup d'examen, ou plutôt ou évita
l'examen, parce qu'on apercevait de toutes parts
des difliciiltés insolubles et qu'on craignait de s'en-
gager dans un dédale dont la chimie pneumatique
ne nous avait pas encore donné le fil. On se con-
tentait de discuter la question de savoir si la fournaise
du grand alambic était située près de la surface
de la terre , ou bien à des profondeurs considérables;
mais comme ces deux suppositions présentaient
chacune de grandes difficultés , la question fut in-
décise , et l'on se contentait de dire que les phé-
nomènes volcaniques avaient quelque chose de
mystérieux.

En eflet, si le foyer des volcans était près de
la surface de la terre , cette immense fournaise
devait gagner en étendue ce qu'elle perdait en
profondeur , et alors on demandait pourquoi les
feux ne se faisaient pas jour à travers Une croûte
de terre qui n'aurait pas offert une très - grande
résistance, plutôt que de porter jusque dans les
nues une masse de lave dont la colonne , pesant
en tous sens sur sa base , devait faire contre les
parois qui l'environnaient, des efforts auxquels rien
ne semblait pouvoir résister.

On demandait comment les voûtes de cette four-
naise n'entraient pas elles - mêmes en fusion , et
n'abîmaient pas, en s'écroulant, des provinces en-
tières ; on demandait, etc., etc.

Si l'on soutenait au contraire que le foyer des
volcans était à de grandes profondeurs, on de-
mandait comment les feux volcaniques pouvaient

-ocr page 366-

358nbsp;so TES.

trouver de l'aliment dans le granit, qui ne contient
absolument rien de combustible ; mais en sup-
posant cette roche ou toute autre mise en fusion,
on demandait par quels moyens cette masse fondue
s'e'levait du fond des abîmes de la terre, jusqu'à
une lieue perpendiculaire au-dessus de sa surface ?
On a vu ci - dessus combien la réponse à cette
dernière question était peu satisfaisante.

Dans ma nouvelle théorie je fais voir que cette
prétendue fournaise n'existe point , et que toutes
les difficultés qu'elle présentait s'évanouissent.

8.« question.

Pourquoi trouve-t-on presque toujours des couches
de charbon de terre dans le voisinage des volcans
éteints ?

Ceux qui prétendent que les volcans sont pro-
duits par l'embrâsement de la houille, âllcguent
comme une grande preuve en faveur de leur sys-
tème , l'existence des couches de houille qui,
presque toujours, accompagnent les anciens volcans.
On aurait diî néanmoins en tirer une conséquence
toute différente ; car si c'était la houille qui fiit
l'aliment des feux volcaniques , pourquoi ces feux
se seraient - ils éteints lorsqu'ils avaient encore
autour d'eux tant de matières combustibles ?

Il me paraît évident qu'on a fait ici une sin-
gulière erreur, en prenant l'effet pour la cause;
car , bien loin de dire que ce soit l'embrâsement de
la houille qui ait produit les volcans, on aurait dû
dire que ce sont les volcans qui ont produit la

-ocr page 367-

houille. Aux yeux de la pre'veulion cela paraîtra
sans doute un paradoxe; mais il est aisé de faire
voir que c'est une vérité.

Tout le monde sait que dans les éruptions volca-
niques il s'élève dans les airs une énorme colonne
de fumée excessivement épaisse et noire , nielée
d'une prodigieuse quantité de cendres qui couvrent
la terre à plusieurs lieues à la ronde, et que les
vents transportent jusqu'à treute et quarante lieuei
de distance.

Cette fumée noire et fuligineuse est produite par
la combustion des matières bitumineuses qui
se
forment
instantanément par la combinaison de
l'hydrogène , du carbone et d'un peu d'oxygène
qui sont les éléments des bitumes. Quant aux
cendres, elles se forment de même par la com-
binaison des fluides gazeux , qui produisent la
matière de la lave : la seule diflerence est que ces
derniers sont plus rapprochés, plus condensés ;
ce sont ceux qui se trouvent au centre de la colonne
qui sort de la bouche du volcan , de manière qu'à
l'instant où ils sont convertis eu matière terreuse,
il forment une masse contiguë que le calorique
réduit à l'état de mollesse pâteuse. Ceux qui se
trouvent à la circonférence de la colonne , étant
bien moins denses que ceux du centre, ne peuvent
former que ces molécules terreuses, isolées et inco-
hérentes , qui composent la
cendre des volcans.
Je sais que quelques auteurs l'ont regardée comme
une lave pulvérisée dans le sein de la terre ; mais il
était bien dilEcile de concevoir qu'une matière eu
fusion prit se réduire en poussière impalpable.

-ocr page 368-

Quand les volcans e'taient encore sonmarins, les
mêmes émanations de ces matières bitumineuses et
terreuses avaient lieu dans leurs éruptions, comme
dans celles des volcans brûlants à découvert; mais
les résultats étaient différents : aujourd'hui ces ma-
tières bitumineuses s'enflamment et se perdent en
fumée dans les airs , les molécules terreuses sont
calcinées et tombent sous la forme de cendres.

Dans les eaux de la mer, au contraire, ces ma-
tières n'étaient ni brûlées, ni séparées les unes des
autres, elles formaient une pâte homogène qui se
délayait dans les
eaux et se déposait en couches
régulières,
qui sont les couches de houille.

La parfaite égalité qu'on observe dans le mélange
de la matière bitumineuse et de la matière terreuse
dans chaque partie de ces couches, ne prouve-t-elle
pas que ce mélange était une préparation sortie
immédiatement des mains de la Nature, et nul-
lement le résultat d'un entassement fait au hasard
de matières terreuses et végétales, comme on le
disait ?

On a trouvé dans les Cordillères du Pérou des
couches de houille à treize mille pieds d'élévation
au-dessus du niveau actuel de la mer.
Comment
pourrait-on supposer que cette houille fût formée
de végétaux, puisqu'alors la terre entière était cou-
verte par l'Océan. A quoi donc pourrait-on attribuer
cette formation de houille, si ce n'est aux volcans
qui existaient dans ces montagnes où ils sont encore
si nombreux ?

Mais il y a d'autres faits qui prouvent d'une
manière encore plus frappante que les couches de

-ocr page 369-

liouille ne peuvenl avoir d'aulre origine que les
éruptions volcaniques. Ces couches ne se trouvent
jamais seules; toujours on en voit plusieurs super-
posées les unes au-dessus des autreset séparées
par des dépôts terreux convertis en pierre. Cette
alternative de dépôts bitumineux et pierreux se ré-
pète souvent un grand nombre de fois : la montagne
de Saint-Gille à Liège, présente plus de soixante
couches de houille, et autant de couches pierreuses :
le tout ensemble forme une masse de plus de quatre
mille pieds d'épaisseur.

Il faut encore remarquer que le nombre de
ces dépôts varie considérablement dans différentes
houillères, quoique situées à peu de distance les
unes des autres. Comment donc pourrait-on sup-
poser , avec quelque vraisemblance, qu'une cause
générale, comme le mouvement de l'Océan, eût fait
un nombre fort inégal de dépôts dans deux ou trois
endroits voisins les uns des autres, et dont toutes
les circonstances locales sont les mêmes : une cause
générale devrait nécessairement produire des effets
généraux et uniformes.

On est donc obligé d'avoir ici recours à une cause
particulière et locale, dont l'action s'est bornée dans
un espace circonscrit. Or, quelle pourrait être cette
cause locale qui agirait par intervalles ? On ne voit
que les volcans qui puissent remplir toutes les con-
ditions relatives à la formation des couches de
houille. Ils fournissent des matières bitumineuses et
terreuses dans les premiers moments de leurs pa-
roxismes ; nous le voyons par la colonne immense
de fumée et de cendre qui précède la sortie des

-ocr page 370-

laves. C'est la matière de cette colonne qui, daus
les volcans soumarins, a fourni la couche de houille:
c'est la matière de la lave qui a fourni la couche
pierreuse. Une seconde éruption a fourni une nou-
velle couche de houille et une nouvelle couche pier-
reuse, et c'est ainsi que se sont formées les houillères
qui, toujours et sans exception, sont composées de
ces couches alternatives.

Quact à la difFérence qu'on observe dans le
nombre de ces couches dans des houillères assez voi-
sines, elle est une suite de l'intlépcndauce où sont,
les uns des
autres, les volcans les plus voisins. Tout
le monde sait que le Tésuve et l'Etna, quoique fort
peu éloignés l'un de l'autre, n'ont pas la moindre
correspondance, et que l'un des deux fait plusieurs
éruptions tandis que l'autre reste dans un parfait
repos.

Je ne pense donc pas qu'on puisse trouver dans
la Nature quelqu'autre cause qui fournisse une expli-
cation aussi vraisemblable de la formation des couches
de houille, que celle que nous trouvons dans les
éruptions des volcans soumarins.

9-® question.

Qu'est-ce que les volcans vaseux 7

S'il est un phénomène propre à nous donner des
idées justes sur la véritable origine des matières
vomies par les volcans, c'est assurément celui
que
nous présentent ces espèces de demi-volcans, qu'on
a nomme's volcans d'air et volcans d'eau, mais que

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j'ai cru devoir appeler volcans vaseux, attendu
qu'ils ne vomissent que de la boue. Ils servent
surtout à détruire les notions fausses qu'on a données
jusqu'ici sur l'origine des matières volcaniques. Il
suffit en effet de se rappeler toutes les circonstances
qui accompagnent les éruptions des
volcans vaseux,
pour être bien convaincu que leurs éjections ne sont
point fournies par des matières terreuses préexis-
tantes dans le sein de la terre, mais qu'elles sont
formées par une combinaison chimique lt;le divers
fluides gazeux.

Or, comme les volcans vaseux ont une origine
évidemment semblable à celle des volcans
igin-
vomes,
il en faut conclure que les matières vomies
par les uns et les autres, ont une origine semblable,
et que les laves ne sont point de prétendues
roches
fondues,
comme oh n'a cessé de le répéter jusqu'à
ce jour, contre toute espèce de vraisemblance.

Pour avoir une idée nette de ces volcans vaseux,
consultons les plus célèbres observateurs : Pallas a
décrit ceux de la Crimée ; Dolomieu, ceux de Mac-
calouba, près d'Agrigente, en Sicile; Spallanzani,
ceux des environs de Modène. Ces trois descriptions
offrent absolument les mêmes faits, accompagnés des
mêmes circonstances.

Dans ces trois contrées différentes, c'est un sol
calcaire imprégné d'une grande quantité de sel
marin; sur ce sol s'élèvent des collines d'argile de
cent à cent cinquante pieds de hauteur, formées
par les éruptions successives de ces volcans vaseux.
La cîme de ces collines offre une plaine circulaire un
peu convexe, de trois à quatre cents toises de cir-

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conference, sur laquelle on voit une foule de petits
cônes, dont le sommet est creusé en forme d'en-
tonnoir, comme les cratères des volcans. Il sort de
ces petits cratères une argile détrempée, qui, après
une petite explosion , se répand sur les côtés du
cône, comme la lave sur les flancs d'un cratère.

Tels sont les phénomènes qui se présentent dans
les intervalles de calme; mais dans le moment des
paroxismes, tous les environs de la colline, à plu-
sieurs lieues à la ronde , sont ébranlés par des se-
cousses de tremblements de terre :
on entend de
profonds mugissements Jans le sein de la montagne,
et bientôt on voit sortir avec fracas de son sommet
une immense gerbe composée d'argile délayée, qui
s'élève à plus de cent pieds de hauteur, et qui,
dans sa chute, forme de larges coulées de vase qui
s'étendent au loin dans la plaine; la masse calculée
de cette vase desséchée, est de plusieurs millions de
toises cubes.

Dans la plaine de Maccalouba, ces éruptions ont
formé un grand nombre de ces collines d'argile
d'une élévation assez considérable. Aussi leur exis-
tence remonte-t-elle à des temps fort reculés. Solin
qui vivait il y a quinze siècles, en parle comme
d'un phénomène qui subsistait de tout temps; et
la manière dont il s'exprime à ce sujet est bien re-
marquable.

« Le sol d'Agrigente, dit-il, vomit des torrents
« de vase ; et, comme on voit les sources d'eau
« fournir continuellement à l'entretien des ruisseaux,
« de même ici l'on voit la terre vomir sans relâche
« une terre qui ne tarit jamais. »
Ager agrigentinus

-ocr page 373-

éructât limosas scatuHgines : et, ut vence fontium
sufficiunt rivis subministrandis, ita, in hac Sicilice
parte, solo nunquarn déficiente, œterna rejectione
terrant terra evomit.

On ne peut s'empêcher d'admirer ici le bon sens
de l'auteur, dans la comparaison qu'il fait de ces
perpétuelles éjections terreuses, avec l'écoulement
perpétuel des eaux de source. Son esprit, dégagé de
toute piévention systématique, voyait clairement
l'analogie qui existe entre l'origine des sources et
celle des volcans vaseux ; et comme ni lui ni per-
sonne n'a jamais douté que lesv-gources ne fussent
dues à une circulation continuelle des eaux ( quelle
que fût la manière dont se faisait cette circulation),
il lui aurait paru aussi absurde de dire que toutes
les matières terreuses vomies par les volcans de
Maccalouba existaient en masse dans le sein du
globe, que de dire que toutes les eaux du Tibre
qui coulaient depuis le commencement du monde j
avaient été contenues dans le même réservoir. Il
pensait donc, et nous devons penser comme lui, que
ces éjections terreuses des volcans vaseux, étaient,
de même que les eaux de source, le produit d'une
circulation qui les remplaçait à mesure qu'elles sor-
taient du sein de la terre.

Mais comme les matières terreuses ne sauraient
circuler de l'atmosphère dans la terre sous la forme
que nous leur voyons, il faut bien reconnaître que
leurs éléments étaient sous une forme gazeuze, et
que c'est par leurs combinaisons chimiques, et par
l'effet de
Vassimilation minérale, qu'ils ont acquis
toutes les propriétés de l'argile.

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Quant aux volcans ignivomes, leur analogie est si
grande avec les volcans
vaseux, qu'on les voit
souvent eux-mêmes vomir des torrents de vase après
avoir vomi des torrents de lave. On en a plusieurs
exemples dans les eruptions du Vésuve; mais le plus
remarquable est celui qu'a présenté le volcan de
Moya, au Pérou, en 1797. D'après la relation qu'a
publiée de ce phénomène le célèbre Cavanilles , on
voit que ce volcan vomit alors une si prodigieuse
quantité de vase, qu'en peu de temps elle remplit
une vallée de mille pieds de
largeur, sur une pro-
fondeur de six cents pieds; cette vase se durcit au
point d'interrompre pendant trois mois le cours des
rivières.
{Joum. de Phys., fructid. an 7, tom. 49,
p.aSi.)

Or personne n'imaginera qne ces masses incalcu-
lables de matières vaseuses soient formées par des
roches fondues, ni engendrées par des couches em-
brasées de houille ou de pyrites, et l'on verra bien en
même-temps que les laves, les cendres et les autres
éjections volcaniques , n'ont pas davantage une ori-
gine aussi peu vraisemblable.

lO.e QUESTION,
Quelle est l'origine du Basalte ?

Il n'y a, je pense, aucun phénomène géologique
sur lequel on ait autant raisonné, autant disputé,
que sur l'origine et la formation de ces
chaussées
basaltiques composées de plusieurs millions de prismes
polygones, de vingt, trente et jusqu'à cinquante pieds

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de hauteur, dont les faces et les aretes sont souvent
de la plus admirable régularité.

Cette discussion a été si animée qu'elle a donné
naissance à deux partis opposés qui ont soutenu leur
opinion avec chaleur ; et, ce qui est assez rare dans
ces sortes de disputes , c'est que la bonne foi était
égale de part et d'autre ; chaque parti voyait son
opinion confirmée par des faits qui paraissaient dé-
monstratifs.

Ces deux partis sont connus sous le nom de Votca-
nistes
et de Neptumens. Les premiers, parmi lesquels
sont à peu près tous les natui-alistes français, sou-
tiennent que les basaltes sont des produits volca-
niques de la même nature que les laves; qu'ils ont
coulé dans un état de fusion ignée, et que les formes
prismatiques qu'on leur voit, sont l'effet d'un retrait
régulier qu'ils ont pris pendant lem- refroidissement.
Ils ont en leur faveur tous les anciens volcans d'Au-
vergne qui sont environnés d'immenses et magni-
fiques chaussées basaltiques, évidemment sorties de
leur sein. Ils ont également pour eux les basaltes
voisins des volcans de Provence, ceux de l'Etna,
ceux des anciens volcans d'Italie et d'autres contrées,
où toutes les circonstances locales attestent l'origine
volcanique de ces basaltes.

Les Neptuniens, dont le parti est principalement
composé de minéralogistes allemands, soutiennent
que les basaltes sont un produit de la voie humide
comme les bancs d'argile, d'ardoise, de pierre cal-
caire , etc., et ils ont pour eux des faits qui
semblent
décider la question en leur faveur. On voit en effet
des couches de basaltes qui alternent avec des

-ocr page 376-

couches de dépôts marins. On en voit qui alternent
même avec des couches de charbon de terre, sans
que, ni cette houille, ni les couches calcaires qui
leur sont interposées offrent le moindre signe de
cette altération qu'elles auraient dû éprouver par le
contact d'une masse de matière incandescente. On
voit enfin dans le basalte des coquilles marines qui
sont parfaitement intactes, ce qui prouve également
que le basalte n'était point une lave.

Il résultait de ces faits, en apparence si opposes ,
que chaque parti
demeurait pleinement convaincu
de la justesse et de la vérité de son opinion.

Mais comme je suis bien convaincu moi-même
que la Nature n'a jamais une conduite contradic-
toire , et que par conséquent ces faits, si opposés en
apparence , ne devaient pas l'être en réalité, j'ai
cherché de quelle manière ils pouvaient se con-
cilier , et j'ai vu que rien n'était plus facile.

Les plus habiles naturalistes conviennent que la
plupart des volcans, et tous peut-être j ont pris
naissance dans la mer, et que leurs premières érup-
tions Ont eu lieu dans le temps oii ils étaient encore
couverts par ses eaux.

Or, nous avons vu ci-dessus qu'il arrive fré-
quemment que les volcans ont des éruptions va-
seuses quelquefois très-considérables. L'observation
prouve également qu'ils vomissent au commencement
et à la fin de leurs éruptions ignées une immense
quantité de matières terreuses, quelquefois d'une
finesse extrême, connues sous le nom de
cendres
volcaniques. Il est donc aisé de concevoir que lorsque
ces volcans étaient soumarins, et qu'ils vomissaient

-ocr page 377-

notes:nbsp;369

ces matières pâteuses ou pulvérulentes, elles devaient
se délayer et s'étendre dans les eaux de la mer;
qu'elles y restaient suspendues plus ou moins long-
temps, et qu'enfin elles étaient déposées de la même
manière que l'ont été les autres touches marines.

On voit bien dès-lors qu'il n'est pas surprenant
que ces basaltes, quoique sortis des volcans, comme
le soutiennent avec raison les
volcanistes, se trouvent
alternant avec des couches
calcaires, puisque, dans
l'intervalle de deux éruptions basaltiques, il a très-
bien pu se faire un dépôt de matière calcaire et
coquillière, qui n'a reçu, ni dù recevoir aucune
altération, non plus que les coquilles isolées qui se
sont trouvées enveloppées dans la matière du ba-
salte. Il en est de même des couches de houille,
qui ne pouvaient éprouver non plus aucune alté-
ration de la part du basalte, puisque cette matière
était froide quand elle s'est déposée, ainsi que le
soutiennent avec raison les
neptuniens.

Quant à-la forme régulière des colonnes basal-
tiques , j'ai fait voir dans l'article
Basalte du non-
veau Dictionnaire d'Histoire naturelle-^
que cette
forme est l'effet lt;i'une cristallisation proprement
dite, et non d'un prétendu
retrait, qui ne saurait
produire que des formes irrégulières. J'ai fait, k
cette occasion, un rapprocheriieht qui a paru très-
remarquable , c'est que les émeraudes ou aigiies-ma-
rines de Sibériedont j'ai fait, sur les lieux mêmes,
une très-ample collection, offrent «on-seulement
les
articulations qu'on remarque dans lè basalte,
mais encore toutes les variétés de formes et autres
accidents qu'il présente- Le célèbre
M. A. Pictet, qui

n.nbsp;24

-ocr page 378-

a si bien observé les chaussées baisaltiques «TEcoss^
et d'Irlande, et qui a vu ma collection d'àigues-ma -
rines, a été singulièrement sui-pris de cette simi-
litude de formes, d'ans deux substances si différentes
à d'autres égards. C'est ce quHl exprime,lui-même
dans une note qu'il a bien voulu ajouter à une lettre
que je lui avais adressée à Ce Stijet. (
Voy. la Bihl.
Britan., mai
1806. ) Or, comme il n'y a point de
doute sur la cristallisation des aigues-mafines, je ne
crois pas non plus qu'il puisse y en avoir sur celle
des
basaltes.

ii.e, question.

Quelle est la cause des tremhlemenLs de terre ?

Pour expliquer le phénomène des trçmblemenis
de terre, des savants du- premier ordre ont supposé
qu'il existe dans l'intérieur du globe des cavernes
d'une étendue immense, remplies de Inatièrea com-
bustibles, qui, venant à prendre feu , ï'aréfienl l'air
et l'eau qui s'y rencontrent, et par cette dilatation
^ubite, causent les secousses qui ébranlent aji loin
la surface de la terre. C'est la the'prie qqe donnent
BulFon et beaucoup d'autres auteurs.nbsp;„

;pour adopter cette théorie, iL faut; commencer
par supposer qjifr; ces cavernes-d'odyeht avoir i«i
moins quinze ou seize cents lieues d'étendue, caa? pn
a vu des tremblements de terre,; tels que celui de
Ijisbonne, en 1755, se faire sentir en làême-tcmps
du midi au. nord, depuis les cotes d'Afrique
jusqu'en
Worwège; et du côté de l'ouest, jusqu'en Amérique.

-ocr page 379-

à travers la mer Atlantique, sur ïàquelle même ( pir
tui phénomène très-remarqUable) lés vaisscaùx ont
«prouvé des èecousses et des chdfcs aussi violents que
s'ils avaient donné contre un rocher.

On peut remarquer comme une singularité (suite
assez naturelle de semblables hypothèses) que tandis
-que des savants célèbres creusaient ainsi des ca-
vernes grandes comme un monde, qu'ils remplis-
saient de soufre et de bitdmé ; d'autres savants noii
moins célèbres en creusâïent d'autres de leur côte'
qui devaient «tre ehGoré plus étendues, puisqu'ils
y faisaient entrer tontes les eaux' dï l'ancien Océan ,
lorsqu'il s'élevait à quatre mille toises au-dessus du
niveau de l'Océan actuel. lt;5r, te v6lume d'eau qii'on
fait engloutir dans le sciii dû globe, devait étrè e'gal
à une masse cubique qui aurait au moiiis quatre
cents lieues dfe hauteur sur seize cen'ts liéues d'é feuit
Il serait-sak' doute difficile d'a't'corder èrisemMequot;,
dans le seiii dé la terre, tfrtis ceè feux et toutes ces
eaux, et il me pâr'aft évidèftt que ces deux hypo-
thèses ne sont pas plus adAiissiWcs l'iiné que l'autre.
Si la l'erré était créitsc'coi^tiiè Une citrouille, aiusj
que le supposent les auteurs de ces hypothèses, des
qu'une fois la clef de la voiïté serait tombée,.tout
le rCiste de la coque terrestre ne tarderait pas à
s'écrouler dans les abîmes ; mais nous n'avons pas
à craindre cette catastrophe j la terre, bien loin
d'être vide, est au contraire formée intérieurement
de matièiés bien plus denses , bien pJus compactes,
que celles de sa superficie; puisque, d'après les belles
observations dc Ma.skeline et de
Cavendish, la
pesanteur spécifique moyenne des matières qui

M*

-ocr page 380-

composent la totalité du globe terrestre, est plus

que double de la pesanteur du marbre.

Quelle serait donc la cause à laquelle on pourrait
attribuer d'une manière plus vraisemblable le phé-
nomène de ces tremblements de terre qui se pro-
pagent dans un instant,
à des distances prodigieuses,
et qui, non-seulement secouent dans ce vaste inter-
valle les parties solides du globe, mais qui, dans
l'Océan même, fpnt éprouver aux navires des coups
«ecs et violents, comme le feiait la rencontre d'un
rocher, et qui,
souvent sur la terre ferme, font en-
tendre
les explosions et les roulements d'un ton-
nerre souterrain?

D'après toutes ces circonstances réunies, je ne vois
d'autre cause probable de ces phénomènes, que le
seul FLumE ÉLECTRIQUE. Rien n'est plus prompt que
le mouvement de ce fluide, nous le voyons par la
rapidité de l'éclair ; rien n'est plus puissant, nous le
voyons par les effets de la foudre. Or ce fluide
remplit le globe tout entier, cela est si connu, que
les physiciens nomment la terre,
le grand réservoir
du fluide électrique.
Est- il donc surprenant que
lorsque cet agent, aussi puissant qu'universel, est
mis en action, il produise instantanément de sem-
blables effets. Les couches schisteuses primitives
qui composent l'écorce du globe terrestre , sont
jjerpétuellement pénétrées d'humidité; elles sont
d'ailleurs remplies de matières pyriteuses et d'autres
substances métalliques ; elles sont donc de très-
bons conducteurs du fluide électrique , et leur
contiguïté, qui n'est que rarement
interrompue ^
les rend propres à propager son action à des dis-

-ocr page 381-

tances qui pourraient n'avoir d'autres bornes que
la surface entière de la terre.

D'après l'analogie qui règne invariablement entre
tous les êtres qui composent le domaine de la
Kature , ne pourrait-on pas dire que le fluide
e'iectrique est à l'égard du globe terrestre, ce qu'est
à l'égard des animaux ce fluide qui est le principe
de leurs mouvements les plus subits, et auquel on
a donné le nom de
fluide nerveux 7 on pourrait
dire qu
'un tremblement de terre est pour notre
globe, ce qu'est
un frisson pour le corps d'un animal.

Au reste , ce qui prouve jusqu'à l'évidence que
c'est le
Jluide électrique qui est la véritable cause
des tremblements de terre, ce sont ces espèces de
percussions brusques et violentes, ces coups secs
que les navires ont éprouvés en pleine merj si les
tremblements de terre étaient causés comme on le
dit par des vapeurs aqueuses, elles ne produiraient
assurément rien de semblable.

Quant aux prétendues cavernes remplies de ma-
tières combustibles , si elles existaient en eff'et, elles
devraient produire des commotions continuelles
jusqu'à ce que- leur combustible fiît consumé ,
après quoi le repos devrait suivre, pour n'être plus
troublé. Cependant combien ne coilnaît-on pas de
contrées où les tremblements de terre ne se font
sentir que par intervalle, et cela depuis la plus
haute antiquité.

S'il existait des cavernes remplies de matières
combustibles, lorsque ces matières seraient con-
sumées les cavernes seraient vides, rien ne sou-
tiendrait plus leurs voûtes 3 comment aiors ces

-ocr page 382-

voûtes, déjà si fortement altérées par Taction et»
feu, si fortement ébranlées par les secousses et tes
soulèvements qu'elles auraient éprouvés, ne s'écrou-,
leraient-elles pas et n'en traîneraient-elles pas avec
elles tout ce qui serait au-dessus ? cependant rien
de tout cela n'arrive. Beaucoup de villes ont été
renversées par des tremblements de terre; mais,
comme je l'ai déjà dit, aussitôt que le mouvement
convulsif est passé , le sol reprend sa première
assiette, et l'on rebâtit la ville sur le même
em-
placement; on sait bien que si l'on est de nouveau
secoué, du moins on
ne sera pas englouti, et que
cette expression n'est qu'un stjle de gazette.
Her-
culanum , Pompeia
et Stahia sont à cent pieds sous
terre , mais c'est uniquement parce que ces villes
ont e'té couvertes p,r les cendres et les autres éjec-
tions du Vésuve ; le sol sur leqviel elles furent
construites il y a plus de deux mille ans, n'a pas
baissé d'un pouce.

Si les tremblements de terre étaient causés par
des incendies souterrains, on devrait en ressentir
dans les endrpits oir des couches entières de charbon
de terre sont embrâsées; cependant il n
'y eut jamais
la plus légère secousse, mais il s
'y fait peu à peu
des affaissements de terrain, proportionnés à la
masse de houille détruite par le feu. Voilà donc
précisément l'inverse de ce qui arrive dans les lieux
sujets aux tremblements de terre, où il
y a de
fortes secousses mais point d'affaissement de terrain:
donc les tremblements de terre ne sont pas dus à
des embrâsements souterrains. Il n
'y a point d'af-.
faissemciit : donc il n'y a point de cavernes.

-ocr page 383-

S'il avait existé de pareilles cavernes, elles seraient
bien plutôt remplies d'eau que remplies de feu : ceux,
qui connaissent les mines ne savent que trop com-
bien les eaux pénètrent facilement dans tous les
vides qu'on a pratiqués dans le sein de la terre; et
que, sans le secours des plus puissantes machines
hydrauliques, on serait obligé souvent d'abandonner
les travaux, quoique les galeries ne soient ouvertes
que depuis peu de temps : que serait-ce donc, si ces,
cavernes étaient le réceptacle des eaux depuis le
commencement du monde? Ce seraient des mers
souterraines, et non pas des abîmes de feu.

Les tremblements de terre sont donc tout à fait
indépendants de ces cavernes imaginaires; ils sont
l'effet d'une cause perpétuelle, qui, tantôt agit, et
tantôt reste en repos ; et cette cause ne saurait être
que
\efluide électrique: aussi les tremblements de
terre sont-ils plus fréquents autour des volcans que
partout ailleurs, parce que c'est là que
\e fluide
électrique
jouit de la plus grande activité, surtout
dans le temps des éruptions.

12.® question.

Pourquoi les éruptions volcaniques sont-elles accom-
pagnées de pluies, d'éclairs et de tonnerres ?

Dans les systèmes adoptés jusqu'ici, relativement
aux volcans^ on était bien embarrassé pour expli-
quer ces éclairs fréquents qui sillonnent en traits
de feu l'épaisse et
noire colonne de fumée qui sort
des cratères, au commencement des éruptions, et

-ocr page 384-

ces tonnerres eiFroyables qui se font entendre presque
sans relâche autour de la montagne.

Comment en effet supposer que des incendies de
houille ou de pyrites pussent produire des e'clairs,
du tonnerre et de la pluie, lorsqu'on voit, en cent
endroits différents, de puissantes couches de houille
qui sont embrasées depuis des centaines d'années,
et qui n'ont jamais produit, ni ces phénomènes,
ni aucun autre phénomène volcanique. Ces incendies
souterrains agissent d'une manière si lente, si paisible,
qu on ne s'aperçoit de leur
existence que par l'af-
faissement
successif du sol, à mesure que la houille
en se consumant, laisse dans la terre une place'
vide. On aperçoit aussi quelquefois des vapeurs un
peu chaudes, mais que la main supporte facilement,
et qui s'échappent sans le moindre effort à travers les
fissures de la roche qui sert de toit à la couche de
charbon de terre j voilà justement à quoi se réduisent
les effets des plus grands incendies souterrains.

Dira-t-on aussi que ce sont des embrâsements de
houille ou de pyrites qui produisent ces déluges de
pluies qui tombent autour du cratère dans le temps
des paroxismes, et qui, venant à se mêler avec les
cendres qui sortent en même-temps du sein de la
montagne , forment une espèce de boue ou de
magma qui devient, par la dessication , ce qu'on
appelle un tuf volcanique ?

Regardera-t-on enfin comme un produit de ces
prétendus embrâsements de houille et de pyrites,
ces torrents d'eau, tantôt claire, tantôt vaseuse,
que
les volcans vomissent quelquefois , après avoir vomi
.des torrents de laves incandescentes ?

-ocr page 385-

N'est-il pas évident que ces éclairs et CCS tonnerres
qui
accompagnent toujours les éruptions, sont l'eftet
de
V électricité, qui joue un rôle si important dans
tous les phénomènes volcaniques ? A l'égard des
déluges de pluie et des torrents d'eau et de vase
vomis par les volcans, n'est-il pas également évident
que ce sont des produits chimiques formés instanta-
nément par la combinaison des gaz hydrogène et
oxygène, et
de plusieurs autres gaz qui circulent
continuellement dans le sein de la terre, et qui
concourent par leurs diverses combinaisons et
leurs modifications successives, à produire tous les
phénomènes géologiques, qu'on a jusqu'à présent
expliqués d'une manière si éloignée de la vérité,
faute de connaître ces agents secrets de la Nature.

Résumé de la nouvelle théorie des volcans.

Après avoir exposé quelques-unes des innom-
brables difficultés qui résultent des anciennes théo-
ries , je vais tâcher d'offrir celle qui m'a semblé
répondre d'une manière satisfaisante aux diverses
questions ci-dessus, et qui peut rendre compte
non-seulement des phénomènes volcaniques, mais
encore de beaucoup d'autres faits géologiques.

Elle est fondée sur cette analogie admirable qu'on
observe dans toutes les œuvres de la création, et
en même-temps sur les principes de cette chimie
pneumatique dont la Nature fait usage dans ses
grands ateliers; car , n'en doutons pas, ce n'est que
par des combinaisons chimicjues de divers fluides

-ocr page 386-

gazeux , qu'ont été formés tous les corps qui
existent , depuis les astres qui composent notre
système planétaire jusqu'à ces grains de sable cristal-
lisés qu'on a dit être le produit d'une dissolution du
quartz, dans je ne sais quel menstrue universel qui
n'exista jamais.

C'est à la circulation de ces fluides gazeux dans
le sein de la terre que nous devons les filons me%
talliques , et les modifications perpétuelles qu'é-
prouvent les substances souterraines par l'effet de
l'assimilation minerale qui joue un si grand rôle
dans l'intérieur du globe, quoique personne jusqu'ici
ne l'ait reconnue ni même soupçonnée.

Mais, pour bien concevoir comment se préparent
les phénomènes volcaniques , il faut commencer
par reconnaître cette grande vérité : que
la Nature
tend sans cesse à donner des formes organiques
aux matériaux quelle emploie,
soit qu'elle s'occupe
pendant des milliards de siècles à construire ou à
modifier des systèmes planétaires , soit qu'elle se
joue un instant à former des animalcules micros-
copiques ou des points de moisissure.

Pour découvrir les moyens que la Nature emploie
pour produire les pliénomènes volcaniques, exami-
nons d'abord quelle est la structure de l'écorce du
globe terrestre.

Cette écorce est formée par les schistes primitifs
dont les couches minces et parallèles entr'elles ,
sont merveilleusement propres à favoriser la circu-
lation des fluides qui passent de l'atmosphère dans
l'intcrieur de la terre, et dont une partie
retourne
dans l'atmosphère , après avoir éprouvé disxrses

-ocr page 387-

modifications , tandis que l'autre partie est fixe'e
dans le seiu de la terre par l'effet de
Vassimilation
minérale,
qui convertit ces fluides gazeux en subs-
tances semblables ou analogues aux minéraux dans
le sein desquels ils ont circulé ; de même que nous
voyons ces fluides atmosphériques s'introduire dans
les végétaux par les pores absorbants de leurs feuilles
et de leur écorce , s'y modifier par l'effet de
Vassi-
milation végétale ,
s'y revêtir des qualités de la
plante avec laquelle ils ont circulé , et devenir
enfin partie constituante de cette plante.

Le même phénomène s'opère dans les animaux :
les gaz qu'ils aspirent, soit par les poumons , soit
par les pores du tissu cutané , deviennent partie
constituante de leur corps par l'eflet de
Xassimi-
lation animale.

C'est aussi par l'efTet de Yassimilation minérale
que ces mêmes fluides gazeux prennent dans le sein
de la terre les caractères de substances minérales.

Telle est la marche constante de la Nature dans
ce que nous appelons ses trois règnes : toujours
elle est analogue à elle-même , et jamais elle ne
s'écarte de la route uniforme et simple que lui
traça son auteur.

Les géologues savent que les couches schisteuses
primitives s'étendent sur toute la circonférence de
la terre et servent d'enveloppe aux couches de
granit dont nous ne connaissons point l'épaisseur,
mais dont la masse recouvre elle-même un noyau
beaucoup plus compacte.

On pourrait comparer les couches schisteuses,
les couches de granit et le noyau du globe, aujç

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trois ordres de substances qui composent les grands

végétaux, savoir, l'écorce, l'aubier et le cœur de

l'arbre.

Les couches schisteuses furent, dans les premiers
temps de la formation du globe, aussi planes que
la surface de l'Océan ; mais bientôt elles furent
soulevées, percées et déchirées cn mille endroits
par les intumescences qu'éprouva la masse gra-
nitique , soit par l'augmentation de volume qui
résulta de sa cristallisation, soit par une cause
analogue à celle qui produit ces mamelons réguliers
qu'on observe à la surface des variolités des agathes
et des calcédoines, car dans les grandes comme dans
les petites choses, la Nature suit toujours la même
route.

Ces couches schisteuses, quoiqu'ainsi soulevées et
fracturées, s'étendent néanmoins depuis les mon-
tagnes des continents jusque dans les profondeurs
des mers, où se treuvent d'autres
montagnes sem-
blables ; c'est là que s'introduisent dans leurs fentes
et leurs moindres fissures les eaux salées de l'Océan;
et le tissu feuilleté de ces couches, faisant l'office de
tubes capillaires, les pompe et les attire puissam-
ment jusqu'à des distances considérables.

Or, ce sont ces eaux qui renferment les principaux
aliments des feux volcaniques et les matériaux de
leurs éjections. Aussi voit-on que ce n'est jamais que
dans les îles ou dans le voisinage de la mer, que se
trouvent les volcans en activité : des que la mer s'est
éloignée des anciens volcans, ils se sont éteints.

Dans le mémoire qui contient ma nouvelle théorie
que j'ai publiée au commencement de l'année i8oo.

-ocr page 389-

{Journ. de Phys., germinal an 8 ) j'ai fait voir que
c'est surtout le sel marin qui, par sa décomposition,
devient la cause des phénomènes volcaniques.

J'avais été conduit à cette découverte par un fait
géologique bien frappant, et qui néanmoins avait
échappé à tous les yeux.

L'étendue de la mer Méditerranée est sept fois
plus grande que celle de la France, et sa vaste
surface, exposée aux rayons d'un soleil brûlant ,
laisse évaporer une quantité d'eau bien supérieure
à celle qu'elle reçoit par les rivières qui se jettent
dans sou sein. Il faut donc, pour maintenir l'équi-
libre , que l'Océan lui fournisse sans cesse une
immense quantité de ses eaux par le détroit de
Gibraltar , où l'on voit en effet régner un courant
perpétuel, semblable à un vaste fleuve qui se dégorge
dans la Méditerranée.

Or, .ces eaux de l'Océan sont chargées d'une quan-
tité de sel qui doit être au moins de la trentième
partie de leur poids ; et comme ce sel n'est point
emporté par l'évaporation, il semblerait devoir
rester dans le bassin de la Méditerranée, qui, dans ce
cas, en serait totalement comblé depuis bien des
siècles. Mais la Nature, qui, la
balance à k main,
sait maintenir partout un jnerveilleux équilibre, a
placé
l'Etna, le Vésuve et les volcans des îles
Eoliennes, pour absorber et décomposer la quan-
tité surabondante de ce sel; de même qu'elle a placé
des volcans dans l'Archipel, pour absorber et dé-
composer celui que la mer Noire vomit par le courant
du Bosphore, comme l'Océan par celui de
Gibraltar.

Dans le même mémoire, je faisais voir de quelle

-ocr page 390-

manière ce sel est décomposé; comment soiiacuîe^
devenant acide muriatique-oxygéné, décompose le^
pyrileg qui sont abondantes dans les schistes : com-
ment il y a décomposition de l'eau et formation du
pétrole ; comment le soufre et le phosphore sont,
formes par le fluide électrique; et comment toiites
ces substances, accumulées dans le sein de la terre et
l-éagissant les unes sur les autres , produisent les
paroxismes volcaniques.

Quant à la formation des matières terreuses que
les volcans vomissent
avec tant d'abondance sous la
forme de laves, de basaltes et de cendres, et dans
lesquelles il n'entre aucune portion ni des schistes ni
des autres roches qui existent dans l'intérieur du
globe, voici ce que j'en disais :

On a soupçonné depuis long-temps que les toires
Sont des oxides dont la base est inconnue : on a soup-
çoriné qu'il existe ira fluide métallifère qui circule
parmi les autres fluides atmosphériques.
J'ai pensë
que c'était ce principe métallique qui se combinait
avec l'oxygène , et qui était fixé sous uiie forme ter-
reuse par l'intermède du phosphoi-e.

Ce sont les différentes proportions et les différents
modes d'union de ces divers principes, qui forment
toutes les espèces de terre; et c'est par
\'assimilation
minérale
qu'elles prennent tous les caractères des
roches dans le sein desquelles ces fluides ont circulé.
Voilà pourquoi l'on voit des laves qui ressemblent au
granit, au porphyre, au trapp, au pétrosilcx, an
pechstein, etc.

C'est a la bouche même des volcans que s'opère la
conversion des fluides gazeux en matières terreuses,

-ocr page 391-

quot;pftr leur combinaison avec l'oxygène de l'eau de la
mer , s'ils
Sont soumarins , ou avec l'oxygène de
l'atmosphère, quand leur bouche s'élève au-dessus
de l'Océan.

Ce qui prouve bien évidemment que la ■ matière
des laves est
instantanément formée à la bouche des
volcans, c'est le phénomène si remarquable que pré-
sente le volcan du
Stromholi, dans les îles Eoliennes.
Depuis des milliers d'années il vomit sans interrup-
tion des bouffées de lave qui se succèdent de sept
minutes en sept minutes : il les lance du fond de son
cratère qui est en forme d'entonnoir et terminé par
le bas en une pointe où se trouve la petite bouche
qui se referme aussitôt qu'elle a jeté sa bouffée de
laves enflamniées qui partent en l'air comme un feu
■d'artifice et tombent dans la mer qui baigne le pied
du volcan. Dolomieu, qui décrit ce phénomène,
•dit qu'j7
semble que ce soit un air ou des vapeurs
injlammables qui s'allument subitement et qui font
'explosion en chassant les pierres qui se trouvent sur
cette issue.

Mais y a-t-il quelque vï-aisemblance à dire qric
depuis tant de siècles (car ce phénomène était connU
dans l'antiquité) il se trouve
toujours à point nommé ;
tous les demi-quart d'heure, une quantité de pierres
émbi-âsées toutes prêtes à être lancées hors du cra-
tère? N'est-il pas visible, au contraire, que ces ma-
tières pierreuses se forment à l'instant même dc la
sortie des gaz du sein du volcan ?

Quand jé publiai, en 1800, la théorie dont je viens
de donner l'esquisse, elle parut plus qu'extraordi-
naire, tant elle était différente de celle qui se trouvait

-ocr page 392-

384nbsp;notes;

consacrée par l'asseutiment universel. Cependant les
difficultés sans nombre que celle-ci présentait , et
que je lis remarquer, commencèrent à faire germer
quelques doutes svu- la solidité de cette ancienne
théorie.

Depuis ce temps-là le phénomène des pierres mé-
téoriques
a prouvé d'une manière évidente que des
corps pierreux, et métalliques peuvent être formegt;
j.ar des fluides gazeux, ainsi que je le soutenais plu-
sieurs années avant que ce phénomène fût connu.

La fameuse découverte que M, Davy a faite en
1809, des
bases métalliques des' terres et des, sels,
est encore venue puissamment à l'appui de ma nou.-
velle théorie. L'illustre auteur de cette découverte
s'en sert lui-niême pour expliquer les phénoinènes
volcaniques d'une manière fort analogue à celle que
j'avais employée dix ans auparavant. , ,

« Les métaux base des terres, ne peuvent, dit-il,
« exister à la surface duglpbe ; mais il est très-pos-
« sible qu'ils forment une portion de son intérieur :
« cette supposition
expliquerait les phénomène^ des
« volcans ,
la.formatiou des laves, les dégagements
« de
chaleur souterraine; en admettant que l'eau ou
« l'air pénètrent quelquefois jusfpi'aux couches qui
« renferment ces matières métalloïdes. On devine le
« dégagement de chaleur qui doit s'ensuivre , et
« l'on voit naître en même - temps les matières
« terreuses et pierreuses par l'oxidation des bases
« métalliques ».

{Journ. de Phjs., janvier 1810, p. 89.)

Il est aisé de voir combien l'opinion, de M. Davy
se rapproche de la mienne. Il suppose, il est vrai,

-ocr page 393-

qwe la substance métalloïde existe en masse dans le
sein de la terre, et que l'eau venant à la rencontrer
îe décompose et lui cède son oxygène qui la convertit
en matière terreuse ; mais cette supposition laisse
subsister de grandes difficultés.

J'avais soutenu, comme on l'a vu, que la subs-
tance métalloïde est nécessairement à l'état de gaz
qui circule dans le sein de la terre avec d'autres
fluides , et que les matières terreuses se forment au
moment de la sortie de ces gaz par les soupiraux du
volcan.

Ce n'était pas sans fondement que je soutenais que
ce principe métallique est un fluide gazeux qui se
trouve dans l'atmosphère , puisqu'il est constant
aujourd'hui que les alkalis et les terres ne sont autre
chose que la substance métalloïde combinée avec
l'oxygène j et que d'une autre part il est évident que
ces alkalis, etméme quelques terres, se forment sans
cesse par la seule influence de l'atmosphère. Cela
est bien prouvé par les immenses récoltes de nitrate
de
potasse qu'on fait tous les ans dans \espoulo de la
Calabre et ailleurs; par les efflorescences de
soude ou
de natron qui sont si abondantes dans les déserts des
pays chauds, et qui se renouvellent à mesure qu'on
les enlève : par le muriate de
soude qui se forme
journellement dans les plaines de la Cujavie, et qui
n'a d'autre source que l'atmosphère, ainsi que l'a si
judicieusement observé M. Humboldt. J'ai pareil-
lement observé moi-même , et je l'ai dit dans ma
théorie des volcans, que l'incalculable quantité de
sulfate de
magnesie, qui tous les ans couvre les plaines

II.nbsp;35

-ocr page 394-

du Baraba en Siberie, et qui tous les ans est en*
traîne'e par les pluies dans deux grands fleuves (l'Ob
et rirtiche ) qui environnent ce vaste désert, ne
pouvait être que le produit des fluides atmosphé-
riques • ainsi, la substance
métalloïde qui est la base
de la
terre magnésienne était certainement à l'état
du fluide gazeux, de même que celle qui fait la base
de la
soude et de Xa potasse.

Si la substance métalloïde qui sert de base aux
matières volcaniques , n'était pas un fluide gazeux
qui circule et se renouvelle sans
cesse dans 1« sein
des volcans, et si
cette substance métalloïde était
en masse dans l'intérieur de la terre , comment
expliquerait-on l'intermittence des paroxismes et
des éruptions volcaniques, et leur renouvellement
toujours dans le même local , pendant des milliers
d'années? cette masse métallique une fois épuisée,
les phénomènes ne cesseraient-ils pas sans retour?
cnun mot, les difllcultés sans nombre que présente,
dans l'ancienne théorie, la supposition de la préexis-
tence de la matière des laves en masse solide dans le
sein de la terre, subsisteraient toujours et seraient
toujours insolubles.

D'ailleurs ceux qui fréquentent l'intérieur de la
terre savent bien que partout on y trouve de l'eau;
beaucoup trop même pour le malheur de ceux qui
exploitent des mines. Il serait donc impossible que
la matière métalloïde ( que le moindre contact de
l'eau convertit en matière terreuse ), pût y subsister
un instant dans son état métallique. Il s'ensuivrait
également qu'on verrait des volcans indifféremment

-ocr page 395-

dans toutes les contrées et dans le milieu même
des continents j tandis qu'il est bien reconnu par
tous les naturalistes, qu'ils ne peuvent exister que
dans le voisinage de la mer.

Enfin comment pourrait-on , sans l'influence de
l'assimilation minérale, et par la seule conversioft
de la substance métalloïde en matière terreuse ,
expliquer la formation de toutes ces différentes
laves qui nous représentent toutes les espèces de
roches.

Au reste, M. Davy lui-même a si bien reconnu
que la substance métalloïde se trouve à l'état gazeux
et répandue dans l'atmosphère, qu'il la considère'
comme ayant formé les
pierres météoriques dans
les espaces éthérés. Après avoir parlé de la for-
mation des laves , il ajoute, « qu'on pourrait encore
« donner par cette supposition l'explication des
« météorolites ( ou pierres météoriques ), en sup-
B posant qu'elles sont composées de ces substances
« métalloïdes qui, venant des régions au - dessus
« de l'atmosphère , ne s'enflamment que lorsqu'elles
« arrivent dans cette atmosphère , et forment les
« terres qu'on y trouve. » (
Journ. de Phfs. janv.
j8io, p. 89 ).

Il ne manquait donc plus à la théorie de M.
Davy, sur la formation des
pierres météoriques,
pour rentrer de tout point dans celle que j'ai
donnée moi - même ( dans l'article
pierres météo-
riques
du nouveau Diction. d'Hist. nat. publié en
i8o3), que de reconnaître que le gaz métallifère,
émané du soleil, circule de l'atmosphère dans le

-ocr page 396-

sein de la terre, et du sein de la terre dans l'at-

mosplière.

Mais cette circulation , qui me paraît, par son
analogie avec les autres opérations de la Nature,
devoir être un jour généralement reconnue, vient
d'être admise par quelques hommes très-éclairés,
notamment par M. Guidotti, savant professeur de
physique et d'histoire naturelle , à Parme ; lequel,
en parlant des
pierres météoriques tombées dans
son voisinage, le 19 avril 1808, soutient avec raison
qu'elles ont été formées dans l
'atmosphère, et il
ajoute : « que les
substances terreuses et métal-
« liques dont elles sont composées,
circulent sans
« cesse de la terre dans f atmosphère,
où elles
« sont transportées par quelques-uns des fluides
« que nous connaissons, ou par d'autres que nous
« ne connaissons pas. » (
Journ. de l'empire, 23
juillet 1808 ).

On voit que ce savant reconnaît la réalité de
cette
circulation qui fait une des bases principales
de ma théorie, et c'est déjà beaucoup. Il est vrai
qu'il semble payer encore le tribut aux anciennes
opinions , qui ne permettaient point à la Nature
de former de nouvelles substances. Il suppose que
ces matières terreuses et métalliques étaient déjà
toutes formées dans le sein de la terre, et qu'elles
n'ont été que transportées dans l'atmosphère, par
divers fluides. Mais cette supposition entraîne une
foule de difficultés qui disparaissent dès qu'on
admet que ce sont ces fluides qui, par leurs com-
binaisons chimiques , forment eux - mêmes ces
substances métalliques et terreuses.

-ocr page 397-

Les de'couvertes de M. Davy , qui ont conduit
cet illustre chimiste à rejeter l'ancienne théorie
de la
formation des laves , et à l'attribuer à la
simple combinaison de l'oxygène avec une base
métalUque : la théorie de M. Guidotti , sur la for-
mation des pierres météoriques ; l'adoption com-
plète de ma théorie des volcans , par M. Breislack ,
dans son Voyage de la Campauie, tome i , ch. 7 ;
tout cela semble bien favorable à mes opinions
sur la cause de ces phénomènes.

Je puis encore invoquer le témoignage d'un grand
observateur des volcans de l'Auvergne, M. Lacoste,
qui m'a fait l'honneur de dire dans ses
lettres mi-
ne'ralogiques ,
que , par la manière nouvelle dont
j'envisageais les phénomènes de la Nature,
j'avais
fait faire un grand pas à la géologie ;
et il s'em-
presse d'adopter ma théorie des volcans , à la
vérité sous une restriction : il convient qu'ire
grande partie des laves a dû être formée confor-
mément à mon opinion;
mais il croit qu'une autre
partie de ces laves est le produit des roches fondues
dans le sein de la terre. Sur quoi j'observe que
ces deux suppositions sont incompatibles; il n'entra
jamais dans le plan de la
Nature de faire la moitib'
d'une chose de telle manière, et l'autre moitié de
telle autre. Si elle compose une partie des laves
par une combinaison chimique de fluides gazeux,
bien certainement elle emploie le même procédé
pour en former la totalité ; ainsi la restriction de
M. Lacoste ne diminue en rien l'hommage qu'il
Veut bien rendre à ma nouvelle théorie.

Si, dans l'explication que j'ai donnée des plié-

-ocr page 398-

nomènes volcaniques, et de divers autres plie'no-
mènes dont j'ai parlé, soit dans mon
Hist. nat.
des minéraux ,
qui parut en janvier 1801 , soit
dans le
nouv. Diet. d'Hist. nat., publié en i8o3,
je me suis écarté des opinions reçues, il est aisé de
voir , d'après les motifs que j'ai exposés , que ce
»'était pas la puérile fantaisie de me singulariser qui
m'empêchait de les adopter, mais que j'étais entraîné
par la force de la conviction. J'ai cru voir que
les idées reçues relativement
à ces phénomènes
ne pouvaient s'accorder ni avec d'autres faits qui
en étaient inse'parables, ni surtout avec cette ana-
logie qu'on remarque dans toutes les opérations
de la Nature ; analogie que je n'ai jamais perdue
de vue, et qui m'a servi constamment de boussole
dans l'examen et les rapprochements que je n'ai
cessé de faire d'une foule de phénomènes, grands
et petits , pendant le cours d'une longue vie toute
consacrée à ce genre d'étude. (
Patriiv.)

LETTRE XXXIV.

mns DES OISEAUX.

Voici un morceau très-curieux , tiré de la Con-
templation de la Nature, de Bonnet.

Nous avons entrevu les émigrations des oiseaux ,
et nous avons conjecturé qu'elles dépendent prin-
cipalement des vents. Un naturaliste exact s'en est
.assuré à Malte j toutes ses observations prouvent

-ocr page 399-

que les mêmes espèces e'migrent toujours par des
vents de'termine's. En avril , le sxid -
oUest amène
dans cette île des espèces de pluviers , et le nord-
ouest , des cardinaux et des cailles. A peu près
dans le même temps , les faucons, les buses , et
autres oiseaux de proie , passent avec le nord-ouest,
sans séjourner , et repassent en octobre, avec le
sud ou l'ouest. En été , le vent d'est conduit à
Malte les bécassines , et vers le milieu de l'automne ,
le nord et le nord-ouest y conduisent de nombreux
escadrons de bécasses. Ces oiseaux ne peuvent point
voler, comme les cailles, vent arrière , puisque
le vent du nord qui pourrait les porter en Bar-
barie, les oblige de demeurer dans les îles; les
cailles , au contraire , émigrent vent arrière d'un
pays dans un autre. Le sud-est les fait passer, au
mois de mars, de Barbarie en France. Elles re-
viennent de France en septembre , et passent à
Malte par un sud-est. Les vents sont donc les signaux
que la Nature emploie pour annoncer k divers oiseaux
le temps de leur départ. Fidèles à cette voix,
ils se mettent en route et suivent la direction
qu'elle leur indique.

Nous ne finirions point si nous voulions parcourir les
procédés propres à chaque espèce d'oiseaux ; suivre
les oiseaux de proie dans leurs chasses presque sa-
vantes , les oiseaux aquatiques dans leurs pêches
ingénieuses , les oiseaux domestiques dans leur petit
ménage, les oiseaux nocturnes dans leurs retraites
sombres, etc., etc. Je ne m'arrêterai donc pas à
vous faire admirer la langue du pic-vert, le ressort
qui la met en jeu, et la manière dont il la darde

-ocr page 400-

daijs les trous des arbres pour saisir adroitement
les petits insectes qui y sont logés. Quelle foule
de traits intéressants la construction des nids ne
nous offiirait-elle point encore ! Quelle ne serait
point notre admiration à la vue de ces petits bà-.
timents si réguliers, composés de tant de matériaux
diflérents, rassemblés les uns après les autres avec
tant de peine et de choix , mis en œuvre et arrangés
avec tant d'industrie , d'élégance et de propreté,
par un animal qui n'a pour tout instrument qu'un bec
cartilagineux et deux pieds !
Un nid de pinson
ou de
chardonneret nous occuperait des heures en-
tières. Nous chercherions dans quel lieu le chardon»
neret a pu se fournir de ce coton si fin , si soyeux,
si doux, qui tapisse l'intérieur de son joli nid ,
et qui en fait un lit si mollet et si chaud ; après
bien des recherches , nous décrouvririons enfin,
qu'en enveloppant d'un coton très-fin les graines
de certains saules , la Nature a préparc au char-
donneret le duvet qu'il emploie avec tant d'art. Nous
ne nous lasserions pas de considérer l'espèce de
broderie dont le pinson orne si agréablement les
dehors de son nid ; et, cn le regardant de près, nous
reconnaîtrions qu'elle est due à une infinité de petits
lichens , liés artistement les uns aux autres, dis-
tribués et appliqués avec la plus grande propreté
sur toute la surface du nid. La couleur de ces li-
chens , qui est souvent celle de l'écorce de l'arbre
sur lequel le nid est assis, nous apprendrait que
le pinson semble avoir voulu que l'on confondis
son nid avec la branche qui le porte.

Nous observerions d'autres espèces qui se nichept

-ocr page 401-

dans les trous des arbres , dans les fentes des rochers,
dans des cavite's qu'elles creusent sous terre. Nous
en verrions qui travaillent en bois , d'autres en ma-
çonnerie ; l'hirondelle nous offrirait un exemple
familier de ces dernières. Nous verrions avec plaisir
comment elle prépare son mortier, comment elle
le détrempe , et l'emploi industrieux quelle sait en
faire pour donner à son petit édifice toute la solidité
qui lui est nécessaire. Mais les nids qui nous frap-
peraient le plus , seraient ceux que certains oiseaux
des Indes suspendent habilement à des branches
d'arbres, pour se garantir des insultes de divers
animaux. Nous nous assurerions qu'on a fort exa-'
géré ici le merveilleux, lorsqu'on a dit qu'il y avait
de semblables nids à deux appartements , l'un pour
le mâle , l'autre pour la femelle. En examinant la
chose de plus près, avec les yeux d'un observateur,
nous trouverions que ce prétendu appartement du
mâle n'est qu'un vieux nid, le nid de l'année pré-
cédente , auquel l'oiseau a jugé plus commode ou
plus expéditif d'en ajouter un autre que d'en faire
un nouveau en entier.

Ces oiseaux , aussi prudents qu'industrieux , qui
siispendent leur nid aux bi'anches des arbres , et
qui lui donnent des formes et des proportions si
différentes de celles des nids les plus connus, semblent
avoir bien plus de droits à notre admiration que la
plupart des autres oiseaux qui naissent architectes.
Il y a bien des espèces de ces oiseaux, auxquelles
la Nature a enseigné l'art ingénieux de suspendre
leur nid pour soustraire leur couvée à la dent meur-
U'ière de quantité d'animaux voracesj nous ne les

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parcourrons pas toutes, mais nous nous arrêterons
quelques moments à celles dont l'industrie se fait
le plus admirer.

Approchons - nous de ce ruisseau peuple' d'une
multitude d'insectes : voyez cette sorte de bourse
suspendue par un cordon à cette branche qui s'in-
cline sur l'eau : c'est le nid d'une espèce de me'-
sange qui savait que ses petits trouveraient là une
nourriture abondante. Remarquez que la bourse est
exactement ferme'e par le haut, mais qu'elle a
une ouverture sur le côté qui regarde la surface
de l'eau; elle n'est point un simple trou rond; ses
contours sont façonne's en manière de rebord un
peu saillant ou de tuyau court. Mais examinons
de plus près l'ouvrage de notre adroite mésange , il
gagnera beaucoup à être mieux connu. Observez, je
vous prie, avec quel art le nid est suspendu. De
longs filaments d'écorce , rassemblés en forme d'é-
cheveau , composent une sorte de cordon que l'oiseau
a su entortiller autour de la branche souple et
mobile qui devait porter le nid. Considérez atten-
tivement l'extérieur de ce nid ; vous n'êtes pas
surpris de le trouver revêtu de mêmes racines,
et de filaments plus ou moins grossiers. Vous avez
fait la même observation sur les nids les plus com-
muns, et vous avez toujours remarqué que les
oiseaux revêtent l'extérieur de leur édifice des ma-
tériaux les plus bruts, tandis qu'ils placent les plus
fins à l'intérieur. Mais écartons la quot;grossière en-
veloppe qui recouvre le nid que nous avons actuel-
lement sous les yeux : qu'apercevez - vous ? un
tissu épais et serré, assez sembable à un drap ou

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à un feutre. Vous êtes dans l'étonnement et vous
avez peine à comprendre qu'une pareille étoffe
ait pu être fabriquée par un oiseau ; car vous n'aviez
point vu encore d'oiseau qui eiàt le talent d'ouvrer
les matières qu'il emploie dans son travail. L'art
de notre mésange vous paraît donc aussi nouveau
que recherché ; et vous tâchez de découvrir la
sorte de matière qu'elle fait entrer dans la fabrique
de son drap. Vous vous assurez bientôt qu'elle n'est
autre chose que ce duvet fin et léger qui enve-
loppe les graines de
diverses plantes qui croissent
dans le voisinage des eaux. Visitez à présent l'in-
térieur du nid , et vous verrez que c'est encore
dc ce même duvet qu'il est entièrement tapissé ;
mais prenez garde que la mésange ne lui a point
donné la forme d'un tissu serré : il n'aurait été'
ni assez mou, ni assez chaud ; elle l'a laissé tel
qu'elle l'a recueilli, et s'est contentée d'en former
un lit plus ou moins épais, sur lequel ses nourrissons
reposent mollement et chaudement. Le nid est une
espèce de branle ou de hamac où ils sont bercés
doucement, et où ils sont toujours à portée des
nourritures qui leur conviennent.

Voyez cet autre nid, presqu'aussi gros qu'un
œuf d'autruche, et qui en a assez la forme; son
grand axe a environ six pouces, et le petit, trois
à quatre. Il est suspendu à la bifurcation d'une
branche flexible de peuplier. C'est encore l'ouvrage
d'une petite mésange non moins industrieuse que
celle dont vous venez d'admirer le travail. Donnez
votre attention k la manière dont le nid est sus-
pendu ; remarquez que, pour le suspendre plus

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solidement, la me'sange a entoure' la branche d'un,
ruban de laine sur une longueur de sept à huit
pouces. Comme la me'sange pre'ce'dente , elle a fait
entrer dans la construction de l'édifice , de menus-
filamens, de petites racines, et le duvet cotonneuj;
de diverses plantes.

Elle a pratiqué de même , sur le côté du lo-
gement , une petite porte ronde ; et, au lieu de ce
rebord en manière de tuyau , que vous avez observé
dans l'autre nid, vous voyez ici une sorte d'auvent
qui saille au-dessus de la
porte de près de deux
pouces, et
qui, en même temps qu'il met les petits
à l'abri des intempéries de la saison, les dérobe
aux regards de leurs ennemis.

L'art du gros bec d'Abyssinie vous paraîtrait bien
plus recherché encore que celui de nos mésanges;
je n'oserais dire bien plus raisonné. Il suspend
aussi son nid aux branches des arbres inclinées sur
l'eau; mais ce nid, d'une touto autre structure,
n'est ni une simple bourse, ni une sorte de boule
creuse ; l'habile architecte lui donne la forme d'une
pyramide, et il en partage l'inte'rieur cn deux
chambres, par une cloison verticale ; la première
est une espèce de vestibule où se trouve la porte
du nid, qui est ordinairement tournée à l'est ; après
s'être introduit dans cette première chambre,
l'oiseau grimpe le long de la cloison, jusque vers
le haut du nid ; puis il redescend jusqu'au fond
de la seconde chambre qui est l'appartement des
petits. Vous voyez d'un coup d'œil, que, par cette
ingénieuse construction, la couvée est à l'abri de
la pluie, de quelque côté que le veut souffle; et vous

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n'ignorez pas qne la saison des pluies dure plu-
sieurs mois en Abyssinie ; mais ce n'est pas seu-
lement contre la pluie que l'art presque raisom é
de l'oiseau défend sa famille, il la met encore k
couvert des attaques de bien des animaux carnassier?»

Quand nous considérons le nid du roi des oiseaux,
cette aire si spacieuse, si plane, si solide, formée
de longues perches entrelacées de branches souples,
en manière de claie, nous nous plaisons à lui opposer
aussitôt le joli petit nid du chardonneret, si bien
arrondi et si bien façonné cn manière de demi-
sphère creuse , et mieux encore le nid sphérique
du roitelet, qui n'est composé que de mousse fine,
de toiles d'araignée et d'un duvet léger. Mais le
roitelet est presque un gros oiseau en comparaison
de ce merveilleux oiseau de l'Amérique , qui n'est
guère plus gros qu'une abeille , et qui en a pris
le nom d'oiseau mouche. Cette charmante minia-
ture , ce petit être tout aérien, aussi élégant par
sa forme que brillant par ses couleurs , est un vrai
bijou de la Nature , et l'on dirait qu'elle ait épuisé
son art dans cet admirable chef-d'œuvre.

L'émeraude, la topase, le rubis éclatent sur son
plumage demi-transparent , et il n'est point de
mouche, ni de papillon qui soit plus richement vêtu.
H semble même se rapprocher encore de ces insectes
allés par son genre de vie ; il voltige sans cesse de
fleur en fleur , et en pompe , comme eux , le nectar
\ laide d'une sorte de trompe; car sa langue, qui
ne paraît qu'un fil délié, est un canal formé de
la réunion de deux filets creusés en gouttière, et
qui semble s'acquitter des fonctions d'une vraie

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trompe ; l'oiseau la darde au dehors , et proba-
blement par une mécanique analogue à celle de
la langue du pic ; son bec long , presque droit,
est aussi délié qu'une fine aiguille ; ses yeux ne
sont que deux points noirs très-brillanls, et ses
jambes sont si courtes et si menues qu'il faut y
regarder de près pour les apercevoir. Son vol est
d'une rapidité surprenante ; il fend l'air comme un
trait, et on l'entend plus qu'on ne le voit ; il ne
s'arrête qu'un instant sur chaque fleur, se pose
rarement j et la vie toute
aérienne de ce volatile
plein de ten, n'est en quelque sorte qu'un mou-
vement perpétuel. Qui l'imaginerait, néanmoins !
son courage , je dirai mieux, son audace ne le
cède point à sa vivacité : il ose attaquer des oiseaux
qui sont, à son égard, de vrais colosses ; il les
poursuit avec autant d'acharnement que de fureur,
se cramponne à leur corps, se laisse emporter par
leur vol, ne cesse de les becqueter, et ne lâche
point prise qu'il n'ait assouvi sa petite rage.

Mais ce qui pique le plus la curiosité dans l'his-
toire de l'oiseau - mouche , c'est son nid : on est
pressé de savoir comment il est fait , et s'il répond
à l'extrême petitesse du charmant volatile. Heu-
reusement que ses historiens nous satisfont très-
bien sur ce point intéressant. Ce nid, tout mignon,
n'est pas plus gros que la moitié d'un abricot, et
taillé de même en demi-coupe. Il est attaché pour
l'ordinaire à un brin d'oranger ou de citronier,
quelquefois à un fétu qui pend du toît de quelque
hutte. On ne s'étonnera pas qu'un brin d
'oranger
ou un fétu puis.se ie soutenir , ^uaud on saura qu'il

-ocr page 407-

«e pèse, même avec l'oiseau, que vingt-quatre
grains. C'est la femelle qui le construit , et c'est
le mâle qui en recueille les mate'riaux. L'intérieur
présente un joli tissu serré, soyeux, épais et fort
doux , sur lequel reposent mollement deux ou trois
œufs tout blancs, et qui ont à peine la grosseur
des plus petits pois. L'extérieur est, en quelque
sorte, un ouvrage de marquetterie; il est formé
de petites lames d'écorce, arlistement collées au
nid et les uues aux autres. La femelle emploie
brin à brin l'espèce de bourre soyeuse dont ellç
compose son tissu ; elle arrange ces brins avec son
bec et ses pieds , polit avec sa gorge les contours
ou les bords du très-petit berceau, et se sert de
sa queue pour en polir de même le dedans.

Les nourrissons éclosent au bout de douze à
treize jours : qu'on juge de leur petitesse par celle
de leur mère, et on croira voir de petites mouches
d'une délicatesse extrême. A proprement parler,
la mère ne leur porte pas le becquée : on veut
qu'elle se borne a leur donner sa langue emmiellée
à sucer.

Le colibri, compatriote de l'oiseau-mouche, aussi
riche
que lui dans sa parure, aussi rapide dans son
vol, aussi léger, aussi vif, aussi
aérien, qui a les
mêmes mœurs, les mêmes inclinations , le même
genre de vie , et qui est taillé à peu près sur le
même modèle, n'en diffère que par des caractères
peu saillants et qui ne sont faits que pour les no-
menclateurs. En général, il est seulement un ^Jeu
moins petit que l'oiseau-mouche, et sa taille est
plus alongée. Mais entre les espèces des colibris.

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l'on en connaît qui ne surpassent pas en grandeur
le plus grand oiseau-mouche. On a vu le père et
la mère colibris continuer à prendre soin de leurs
petits, quoiqu'ils eussent été enlevés avec le nid
et réduits en captivité : la tendresse maternelle
•triomphait lt;3e leur amour excessif pour la liberté.

Après avoir entendu le naturaliste, on ne sera
peut-être pas fâché d'entendre le poëte. Voici
quelques vers de M. Delille sur le même sujet.

A

Mais plus digne de nous un peuple entier m'appelle;
C'est vous , charmants oiseaux, de nos chants le modèle s
Bientôt je chanterai vos mœurs et vos penchants;
Maintenant vos arts seuls sont l'objet de mes chants.
Combien d'adroits pêcheurs et de chasseurs habiles !
Observez cet oiseau redouté des reptiles ;
Si du plus haut des airs 11 découvre un serpent,
Aussitôt, pour saisir son ennemi rampant.
Sur lui d'un vol rapide il s'élance avec joie,
L'emporte dans les airs , laisse tomber sa proie.
Descend, la ressaisit, prend de nouveau l'essor,
La jette, la reprend, et la rejette encor.
Et ne s'arrête pas tpje sa chute fréquente
N'abandonne à sa faim sa victime mourante.
Ainsi qu'adroits chasseurs, architectes savants,
Contre leurs ennemis, les frimas et les vents,
Avec combien d'adresse, instruits par la Nature,
lis savent de leurs nids combiner la structure !
Chaque race choisit et la forme et le lieu ;
L'une en ces longs canaux oit pétille le feu,.
Sous nos toits, sous nos murs hospitaliers pour
elle,
Construit de ses enfants la demetu-e nouvelle.

-ocr page 409-

notes;nbsp;4oi

L'un au chêne orgueilleux, l'autre à l'humble arbrisseau,
De ses jeunes enfants confia le berceau;
Là, des œufs maternels nouvellement éclose,
Sur le plus doux coton la famiUe repose,
Et la laine et le crin, assemblés avec art,
De leur tissu serré leur forment un rempart
Dont le tour réguUer, l'exacte symétrie.
Délieraient le compas de la géométrie.
Par un soin prévoyant d'autres placent leurs nids
Au lieu le plus propice à nourrir leurs petits j
Ici, l'amour craintif les cache sous la terre j
Là, de leurs ennemis pour éviter la guerre.
Les suspend aux rameaux mollement balancés,
Et dans ce doux hamac les enfants sont bercés.
Quelques-uns ont leur toit, leur auvent, leur issue
Qui de leurs ennemis ne peut être aperçue :
Chacun a son instinct inspiré par l'amour.
Voyez, de ses enfants préparant le séjour
En architecte adroit, mais en père timide,
Cet oiseau leur construire une humble pyramidenbsp;y

Mille fois préférable à celles de l'orgueil.
Son air mystérieux d'abord étonne l'œil;
Introduit par la porte au sein du vestibule,
L'oiseau monte et descend dans une autre cellule,

Oii cachés et bravant les pièges, les saisons,

) :

Reposent mollement ses tendres nourrissons.
Ainsi, nos toits, nos murs, les forêts , les charmilles,
Tout a ses constructeurs, ses berceaux, ses familles,
Tout aime , tout jouit, tout bâtit à son tour.
Protège, Dieu puissant, ces enfants de l'amour ;
Le doux chardonneret, la fauvette fidèle ,
Le folâtre pinçon, et surtout Philomèle.

U.nbsp;26

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LIVRE QUATRIÈME.

LETTRE XXXV.

Elle conduit, toutes les années, unjleuve qui se
déborde , etc.

On peut regarder comme des terres nouvelles,
toutes les régions que les grands fleuves couvrent
chaque année régulièrement de leurs eaux ; telle
est la partie de l'Egypte sur laquelle le Nil se répand.
Le Niger , autre rivière d'Afrique, dout le cours
n'est pas moins long que celui du Nil, quoiqu'il
soit moins célèbre , parce qu'il n'est pas si connu ,
inonde les terres de la Nigritie dans le même temps
que le Nil se déborde en Egypte, et les couvre
dans un espace de quatre à cinq cents lieues j il se
perd en partie dans de grands lacs , et porte Iç
reste de ses eaux dans l'Océan par plusieurs em-
bouchure , dans la plus méridionale desquelles est
l'île de Sénégal. La rivière de Gambie ne doit être
regardée que comme une des branches du Niger.
Le Zaïre , autre rivière d'Afrique , moins
connue
encore que le Niger, se déborde tous les «ns sur
les terres du royaume de Congo : elle prend sa

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source dans le lac de Zambre, dans la panie iale-
rieure de l'Afrique la moins connue; et, après avoir
couru de l'Est à l'Ouest, elle se jette dans l'Océan
occidental, par les cinq degrés de latitude méri-
dionale. Le Sus, dans le royaume de Maroc , a ses
débordements périodiques en hiver, et inonde les
plaines basses qui s'étendent du nord à l'ouest des
montagnes où il prend sa source, jusqu'à la mer :
les pays qu'il couvre de ses eaux sont gras et fertiles.
Ce sont les fleuves et les rivières d'Afrique , dont
les débordements sont réglés et les plus connus;
il peut y en avoir d'autres encore dont les crues
causent des inondations géne
'rales.

Tous les grands fleuves des Indes orientales ont
des débordements périodiques, sous lesquels ils
couvrent une grande étendue de terres qu'ils fer-
tihsent et qu'ils renouvellent tous les ans. L'Inde,
qui prend sa souixe au mont Imaiis, inonde toutes
les plaines qui environnent le golfe auquel il donne
son nom, dans les mois de juin, juillet et août,
temps de la saison pluvieuse de ce climat. Le Gange,
qui se déborde dans le même temps, et qui couvre
une bien plus grande étendue de pays , se jette
dans le golfe de Bengale ; il prend sa source dans
les montagnes du petit Thibet, par les 35 degrés
de latitude nord; son cours est d'environ trois
cent cinquante lieues : dans le temps de la crue
des eaux, les habitants des pays qu'il j^arcourt en
conservent une partie dans de grands réservoirs,
pour les répandre à propos dans les terres pendant
la saison sèche ; car il y pleut très-rarement, hors
les quatre mois que dure Fhiver ou la saison des

-ocr page 412-

höhnbsp;'notes.

pluies. Entre l'Inde et le Gange, il y a quelques
autres petites rivières, le long de la côte de Coro-
inandel, qui coulent des montagnes des Gattes , et
ont leurs de'bordements annuels à peu près dans le
même temps.

La grande rivière de Camboye, qui sort du lac
de Kaamay, dans les montagnes de Laos, entre la
Tartaric et les Indes, se quot;divise en plusieurs branches
qui arrosent le Pe'gu, Siam et le royaume de Cam-
boye ; elles se de'bordent toutes en septembre ,
octobre et novembre : les campagnes quot;et les villes
même sont
alors couvertes d'eau, au point que
l'on ne peut aller qti'en bateaux d'une maison à
l'autre. L'Euphrate a aussi des crues réglées qui
submergent les terres basses du Diarbeckir, dans
la presqu'île qu'il forme avec le Tigre. Le grand
fleuve de la Plata, en Amérique, qui prend sa
source au Pérou , et se jette dans la mer du Nord,
après avoir traversé le Paraguay , a des débor-
dements réguhers comme le Nil, dans lesquels il
couvre soixante lieues de pays , ce qui fait que les
navigateurs qui l'ont vu dans ce temps , lui ont
donné cette largeur à son embouchure.

En général, tous ces fleuves descendent de mon-
tagnes très-élevées et prennent d'ordinaire leur
source dans des lacs qui leur fournissent beaucoup
d'eau ou reçoivent d'autres rivières assez abondantes
pour les grossir considérablement -, aussi sont-ils
presque tous fort gros dans les autres saisons de
l'année , ainsi que nous l'avons déjà remarqué
en
parlant du Meschacebé. Mais lors de la fonte des
neiges ou des pluies réglées qui tombent sur les

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montagnes ou dans les terres par lesquelles coulent
ces fleuves, il n'est pas étonnant que, recevant
beaucoup plus d'eau que leui-s lits n'en peuvent
contenir , ils débordent dans toutes les terres
basses , qu'ils inondent et qu'ils fertilisent en les
renouvelant j ce que l'on peut attribuer à diffé-
rentes causes, ces eaux venant ou des neiges fon-
dues ou de pluies abondantes, elles sont légères,
spiritueuses , remplies de quantité de particules
sulfureuses qui s'y sont mêlées dans l'air , et qui
les rendent plus propres à féconder les terres ;
ensuite , coulant avec rapidité , elles détachent du
sommet et du penchant des montagnes, les terres,
les sables les plus fins , les végétaux même qu'elles
arrachent et qu'elles entraînent dans les fleuves,
qui s'en chargent, les mêlent et les dissolvent en
partie dans leurs eaux , et les dispersent sur les
terres basses dans lesquelles ces fleuves se débordent ;
là, toutes ces matières différentes forment une couche
assez épaisse, et rendent la végétation plus forte
et plus abondante. Ces eaux séjournent assez long-
temps à la surface de la terre pour la pénétrer à
une grande profondeur , la desserrer en quelque
façon, et donner plus de liberté au fluide igné
qu'elle renferme , pour se développer et faciliter
par une prompte fermentation la dissolution des
corps différents dont le sol est couvert à l'extérieur.
Leurs parties les plus atténuées se répandent alors
dans l'atmosphère et la chargent d'ime quantité de
vapeurs et d'exhalaisons qui ne sont nulle part
aussi nuisibles que dans les plaines exposées aux
inondations, après que les
eaux s'en sont retirées.

-ocr page 414-

Les chaleurs qui succèdent aux de'bordements
ouvrent la terre de toute part ; et c'est alors que
ces exhalaisons subtilise'es produisent des eiFets
dangereux : accidents qui rendent l'air des pays
sujets aux inondations, plus malsain que celui de
toute autre contre'e situe'e sous la même latitude
et à la même exposition , mais hors de porte'e de
l'invasion des eaux, dont le sol est plus sec, et qui
n'est arrosé que par les pluies ordinaires et les
sources répandues dans le pays : dans les premiers ,
les chaleurs sont nuisibles aux naturels mêmes, et
toujours funestes aux étrangers.

( L'abbé Richard. )

LETTRE XXXVL

de la rosee.

Parmi les phénomènes que présente la rosée il
en est un bien remarquable, et qui, depuis près
d'un siècle , attire l'attention des physiciens. Il a été
reconnu et constaté par une foule d'expériences
souvent répétées par Musschenbroek et Dufay,
que la rosée ne s'attache pas indifféremment à tous
les corps , et qu'il y en a même qu'elle semble
éviter de la manière la plus marquée : ce sont les
métaux
polis, sur lesquels on n'en voit jamais une
seule goutte.

Ce phénomène a paru si singulier, qu'il n'y a,

-ocr page 415-

ue me semHe, qu'un seul physicien qui ait tenté
d'en donner l'explication, en disant que cela tient
au
calorique que les métaux conservent plus long-
temps que les autres corps, et qui ne permet pas
aux vapeurs de l'atmosphère de se condenser à

leur surface.

Mais un grand nombre de considérations se réu-
nissent pour empêcher d'admettre cette explication.
On demanderait d'abord pourquoi ce ne sont que
les métaux dont la surface a reçu le
poli qui aient
la propriété de repousser la rosée , tandis que ceux
dont la surface est brute en reçoivent presque autant
que les autres matières. En second lieu, l'on sait
bien que la rosée la plus abondante tombe vers le
matin, et alors, assurément, les plats de métal qui
s'y trouveraient exposés dès le soir, auraient bien
eu le temps de perdre leur calorique.

En troisième lieu, il a été prouvé par les expé-
riences de Dufay, de Musschenbroek et de plusieurs
autres physiciens, que si les métaux et les autres
corps conducteurs de l'électricité repoussent la
rosée, on voit par contre - coup que ce sont les
matières vitrifiées et les matières grasses et rési-
neuses, c'est-à-dire les matières non conductrices
de l'électricité qui la reçoivent en plus grande abon-
dance. Un rapprochement aussi frappant ne peut,
ce me semble, laisser douter que ce phénomène
ne soit l'eiîet de l'électricité.

Pour nous en convaincre, rappelons d'abord
quelques principes admis par tous les physiciens :
i.o que les divers corps peuvent être dans deux
états différents d'électricité,l'une
positive ouenplus

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l'autre négative ou e« „wins, suivant la doctniïc
de Franklin; ou bien
vitreuse et résineuse, comme
les appelait Dufay ;

a.» Que deux corps électrisés de la même manière
repoussent, et que deux corps électrisés d'une
manière différente,
s'attirent;

3.0 Enfin, que deux corps s'attirent quand l'un
des deux est dans un état électrique quelconque
et 1 autre dans l'état naturel de repos.

n ne s'agit donc plus maintenant, pour expli-
quer le phénomène en question , que d'examiner
quel est l'état électrique le plus habituel de l'atmos-
phère , celui des
vapeurs qu'elle contient, et celui
des corps
qui s'y trouvent exposés.

L'électricité de l'atmosphère (en temps serein
qui est celui où se forme la rosée) est toujours
positive ou e« plus, ainsi que l'ont prouvé les nom-
breuses , expériences de deux hommes célèbres
Saussure et Volta.nbsp;'

D'un autre côté Saussure s'est assuré que l'élec-
tricité des vapeurs de l'eau est toujours
négative
(et cîest là peut-être -la principale cause de leur
ascension dans l'atmosphère, où elles sont attirées
par^ l'électricité positive de l'air ,-qui augmente
en force a mesure qa'on s'élève davantage au-dessus
de la terre ).

Ce même physicien , qui voyait si bien les choses
en grand, fait une supposition qipi est bien conforme
à la marche ordinaire de la Nature : il pense que
le fluide électrique descend continuellement du
haut de l'atmosphère pour pénétrer dans le
sein
de la terre «t remplacer celui que les vapeurs

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emportent sans cesse avec elles ; et que c'est par
le moyen de cette
circulation perpétuelle que l'e'qui-
libre se rétablit (ou à peu près; car il n'y a jamais
rien d'absolu dans la Nature ).

On doit donc considérer les vapeurs montantes
comme électrisées en moins, al celles qui descendent
par l'effet de leur condensation en gouttelettes,
comme électrisées
en plus.

Voyons maintenant ce qtii se passe à l'égard
des corps qu'on expose à la rosée : ceux qui sont
de métal, étant d'excellents conducteurs de l'élec-
tricité , se chargent facilement de celle qui leur est
communiquée par l'air environnant; ils
se trouvent
donc électrisés
en plus, et conséquemment ils doivent
repousser les gouttes de rosée qui sont également
électrisées
en plus.

C'est par la raison contraire, que ces mêmes
corps métalliques, lorsqu'ils sont suspendus à une
petite distance du sol , ont leur surface
inférieure
couverte de rosée, attendu que les vapeurs qui
forment cette rosée
ascendante étaient électrisées
en moins, et devaient conséquemment être attirées
par des corps
électrisés en plus.

On a remarqué , comme une espèce de contra-
diction , que les corps dont la surface était
hruie
recevaient une certaine quantité de rosée, quoiqu'ils
fussent
métalliques-, mais de nombreuses expériences
ont prouvé aux physiciens que les corps dont la
surface était couverte de pelites_ aspérités étaient
toujours électrisés d'une manière différente de celle
qui se trouvait dans les mêmes corps dont la
surface était polie; ainsi ces métaux
hruts étant

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électrisés en moins devaient, comme tout autre
corps électrisé de la même manière , attirer des
vapeurs qui se trouvaient électrisées
en plus; ainsi
point de contradiction.

A l'égard des corps vitreux ou résineux , comme
ils ne sont électriques que par le frottement et nul-
lement par communication, ils demeurent dan^ leur
état d'inertie naturelle ; et dès-lors il règne entre
eux et les corps électrisés par quelque genre d'élec-
tricité que ce soit , une attraction plus ou moins
forte et c'est en vertu de cette attraction que les
gouttes de rosée, soit
montante soit descendante,
s'attachent également aux surfaces supérieure et
inférieure des corps de cette nature. (
Patrin.)

De l'origine des Sources.

Note communiquée par M. Patrw.

Parmi les phénomènes de la Nature, il en est
peu qui aient autant exercé l'imagination des philo-
sophes que celui que nous offrent si fréquemment
les montagnes , dans ces courants d'eau vive qui
sortent continuellement de leur sein , souvent même
près de leur sommet, en quantité presque égale
dans tous les temps de l'année, et sans que l'on
aperçoive quel peut être le réservoir qui fournit
a cet écoidement perpétuel d'une eau toujours pure
et limpide.

On nomme assez indifféremment ces courants
d'eau
sources ou fontaines ; cependant ces deux

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mots ne paraissent pas synonymes. La source est
le courant d'eau lui - même : la
fontaine est le
bassin qui le reçoit et qui, pour l'ordinaire, verse
au dehors le trop plein qui forme un ruisseau,
quelquefois même un torrent conside'rable : Telle
est la fameuse fontaine de Vaucluse , d'où sort la
rivière de Sorgue , assez forte pour porter bateau
dès son origine.

Les anciens philosophes de la Grèce , qui pen-
saient que
tout se fait de tout, c'est-à-dire que
les éléments qui entrent dans la composition d'une
substance quelconque , peuvent, par de nouvelles
combinaisons , devenir les éléments d'une substance
toute différente de la première, disaient que dans
certaines circonstances l'air se changeait en eau ,
et l'eau se changeait en air. On voit - par là que
la seule contemplation de la Nature et le simple
bon sens les avaient fait approcher de fort près
de nos découvertes modernes , puisqu'il est au-
jourd'hui reconnu que l'eau est composée d'oxygéné
et d'hydrogène ; que ces deux éléments , avant
leur combinaison , sont dans un état
aëriforme ;
en se combinant , ils perdent cet état gazeux et
forment un liquide : voilà donc un fluide aëriforme
converti en eau ; cette eau est-elle décomposée ,
elle donne de l'hydrogène et de l'oxygène à l'état
aëriforme ; voilà de l'eau convertie en air.

Ces philosophes pensaient donc que l'air, en
pénétrant dans l'intérieur des montagnes, s'y con-
densait et s'y changeait en eau ; l'on verra tout-
à-l'heure qu'en cela ils étaient bien moins éloignés
de la vérité que de célèbres auteurs plus modernes,

-ocr page 420-

qui, pour trouver l'origine des sources, conver-
tissaient les montagnes en alambics et leur faisaient
distiller la mer.

Ce fut Descartes, dont l'imagination avait cre'e'
les tourbillons, la matière subtile, les animaux-
machines , etc., etc. , qui crut pouvoir expliquer
le phénomène des sources, en creusant, par la
pense'e , des canaux souterrains par lesquels les
eaux de la mer venaient se rendre dans de grands
réservoirs placés sous les montagnes : ces réservoirs
étaient d'immenses chaudières
chauffées par le feu
central; l'eau de
la mer, reduite en vapeurs, s'é-
levait sous les voûtes supérieures de la montagne,
ou elle se condensait comme dans ie chapiteau d'un
alambic , et s'écoulait ensuite au dehors comme
par le bec d'un serpentin.

Quelque dénuée de vraisemblance que fût une
pareille hypothèse, elle eut le même avantage que
tant d'autres hypothèses trop légèrement hasardées
par des hommes célèbres : la réputation de son
auteur lui donna de nombreux, partisans, qui tà,
chèrent , chacun à leur manière ,. de la rendre
admissible autant qu'elle pouvait l'être.

Le célèbre architecte Vitruve, qui vivait sous
Auguste, avait eu sur l'origine des sources une
id.^e beaucoup plus simple : il se contentait de
l'attribuer à l'eau des pluies , qui , après avoir
pénétré plus ou moins avant dans les couches de
la terre, allait sortir par la première ouverture
qu'elle rencontrait dans sa course souterraine.

Cette idée , qui paraissait fort naturelle , eut
l'honneur de partager l'opinion des savants du

-ocr page 421-

dernier siècle avec l'hypothèse de Descaries , tou-
jours de'fendue par les amateurs du merveilleux.

Perrault, qui a donné lui-même un Traité de
i'origine des Fontaines, et qui avait adopté l'oj)inion
de Vitruve, nous a laissé la notice de vingt-deux
hypothèses plus ou moins différentes, qui toutes
avaient pour base ou celle des pluies ou celle des
alambics.

Cette dernière était assurément la moins sus-
ceptible d'être soutenue avec quelque probabilité;
«lie présentait même une difficulté qui devait sauter
aux yeux , et qui seule était capable de la faire
renvoyer dans le pays des chimères.

Personne n'ignore que l'eau de la mer contient
une quantité de sel assez considérable et dont la
proportion est au moins d'une livre sur trente
livres d'eau. On sait également que le sel marin
est assez fixe pour n'être pas volatilisé quand on
fait évaporer l'eau qui le tient en dissolution.

Que devenait donc la masse de sel qui était le
résidu de la distillation de toutes les eaux de
source ? Cette masse devait être d'un volume im-
mense , d'après les calculs qu'on a faits relativement
aux eaux qui concourent à former une seule ri-
vière telle que la Seine. Suivant Mariette, il passe
chaque jour sous le pont Boyal deux cent quatre-
vingt-huit millions de pieds cubes d'eau: or, chaque
pied cube pèse soixante-dix livres , et aurait par
conséquent déposé plus de deux livres de sel; ce
qui en donnerait par jour une masse du poids dc
cinq cent soixante-dix millions ( en ne comptant
que deux livres de sel par pied cube ) , et au

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bout d'une année la masse serait du poids de plus
de deux milliards de quintaux , ce qui formerait le
volume d'une petite montagne.

Ainsi, quelque vastes qu'on supposât les sou-
terrains où se seraient faits ces immenses dépôts
de sel marin , il est bien évident qu'ils auraient
été bientôt totalement comblés; que les canaux
auraient été obstrués , que la distillation aurait
cessé partout, et que toutes les sources auraient
été pour jamais taries; que d'ailleurs la mer
serait-
depuis long-temps privée de toute salure , puisque
les fleuves et
les rivières ne lui rendent que de
l'eau douce en échange de l'eau salée qu'elle aurait
fournie.

Des difficultés aussi palpables, et beaucoup d'autres
encore que présentait cette singuhère hypothèse,
ont enfin ouvert les yeux sur son invraisemblance,
et l'ont fait complètement abandonner.

Tous les auteurs modernes se sont donc réunis
à l'opinion de Vitruve, qui regardait les eaux
de pluie çomme la cause immédiate des sources
et des fontaines. Ils ont cru devoir y joindre la
rosée et les eaux provenant de la fonte des neiges.

Tout cela semble en effet à peu près suffisant
pour expliquer la formation de ces espèces de
sources qui se trouvent dans les plaines ou vers
le pied des montagnes, et qui sont sujettes à s'enfler
dans certaines saisons et à tarir dans d'autres. Rien
ne paraît plus simple que de dire : quand il pleut
abondamment , on voit l'eau couler dans les
champs, dans les chemins , dans les ravins ; bientôt
la plus grande partie de cette eau disparaît ; elle

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pénètre dans l'intérieur de la terre, et en ser-
pentant par des routes souterraines, elle va , jusqu'à
des distances plus ou moins éloignées , se remontrer
au grand jour sous la forme d'une
source qui
donne naissance à un ruisseau, et la réunion de
plusieurs ruisseaux forme une rivière.

Tout cela paraît , au premier coup d'œil, assez
satisfaisant ; mais quand on y regarde de plus près,
on voit que cette manière d'expliquer l'origine
des sources n'explique rien du tout, et que même
on a dit une chose assez ridicule; car rien n'em-
pêcherait que , d'après ce raisonnement , on ne
pût dire aussi que les égoûts de Paris sont au
nombre des sources de la Seine , puisqu'ils lui
portent, par des routes souterraines , les eaux de
la pluie et de la neige fondue , tout comme ces
prétendues
sources dont on a si facilement expliqué
l'origine. Quant à la rosée , elle ne fait que rendre
à la terre une partie de l'humidité qui s'en est\
évaporée ; ainsi, bien loin de pénétrer dans l'in-
térieur pour y former des courants souterrains ,
à peine sulFit-elle pour réparer dans les végétaux
la perte qu'ils ont faite de leurs sucs nourriciers.

Ce ne sont point les sources des plaines qui
peuvent faire
la matière d'un problème , et c'est
mal à propos qu'on les a confondues avec celles qui
avaient mérité l'attention des anciens philosophes,
et dont ils avaient expliqué l'origine par la con-
densation de l'air et sa transformation en eau. Ces
sources proprement dites, dont l'origine paraissait
mystérieuse , sont celles qui sortent des parties
élevées des montagnes, quelquefois même près de

-ocr page 424-

leur sommet ; qui ne tarissent jamais , qui n'é-
prouvent que de petites variations dans le volume
des eaux qu'elles donnent, et dont la température
est assez souvent différente de ce qu'elle semblerait
devoir être d'après les circonstances locales.

Ce sont là véritablement les sources dont l'origine
est problématique et qu'on ne peut certainement
pas attribuer à l'eau des pluies , puisqu'elles se
trouvent dans une région où il ne pleut jamais ou
très - rarement, et où la température est , même
pendant l'été, voisine du
terme de la congélation.
Telles
sont les sources du Rhin, situées dans les
Alpes des Grisons, à une élévation de 1029 toises,
suivant l'observation de Saussure, §. i856. Telles
sont les
sources de la Reuss et du Te'sin, toutes
deux voisines de l'hospice du Saint-Gothard, à une
élévation de io65 toises.
(Saussure, iSSa. )
Telle est la source du Rhône , qui sort près du
sommet de la montagne de la Fourche, à 900 toises
d'élévation ; elle se trouve près des glaciers , et
ce qu'elle a surtout de remarquable , c'est que sa
température est fort supérieure à celle de l'air
ambiant et à celle du sol sur lequel coulent ses
eaux. Dans différentes saisons , Saussure l'a cons-
tamment trouvée à la température de i4-®
t ( R-
ou 57.»
Fahr.), tandis que d'autres eaux voisines
sont, ou peu s'en faut , à la température de la
glace.

Ce sont de semblables sources qui méritent véri-
tablement ce nom ; et le seul bon sens, le simple
instinct de la Nature l'a fort bien fait sentir aux
bons et
grossiers habitants de ces montagnes, ainsi

-ocr page 425-

que Saussure l'a remarqué avec surprise. Voici ce
qu'il dit à ce sujet : « Le glacier
qui porte le nom
« de
glacier du Rhône ( parce qu'il est voisin de
« sa source), est, sinon le plus grand, du moins
« l'un des plus beaux de nos Alpes. Du haut d'une
« montagne
couronnée par des rocs sourcilleux,
« ce glacier descend , hérissé de pyramides de

« glaces..... et vient former un immense segment

« de sphère..... Au bas de ce segment, s'ouvrent

« deux arches de glace, d'oii sortent avec impé-
« tuosité deux torrents qui viennent porter à la
« source du Rhône le premier tribut qu'elle reçoive.

« Ces deux torrents , quoique venant de' plus
« haut, et avec un volume d'eau vingt fois plus
« grand ,
ne portent point le nom de source du
« Rhône ;
les gens du pays les nomment , avec
« une sorte de mépris,
des eaux de neige, tandis
« qu'ils montrent avec une espèce de vénération,
« et honorent
comme source du fleuve, une fon-
« taine qui sort de la terre au milieu d'une petite
« prairie ».
{Saussure, 1718 et 1719.)

Le savant Scheuchzer, dans son voyage des Alpes,
avait déjà fait la même remarque, et avait, à cette
occasion, traité de fous ces
bons montagnards, ce
qui prouve seulement que par fois la raison est
plutôt du côté de l'instinct de la Nature, que du
côté de l'orgueilleuse science.

Pour en venir maintenant à la véritable expli-
cation de l'origine de ces sources perpétuelles et
intarissables , qui n'ont rien de commun avec les
pluies, il me suffira de rappeler un fait
connu de
tout le monde, qui trouve sa juste apphcation an

TT.nbsp;o^

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phénomène dont il s'agit, et qui montre aux yeux
le moyen simple que la Nature emploie sans inter-
ruption pour produire ces sources qui ont fait faire
tant de faux raisonnements , parce qu'on aimait
mieux rêver des systèmes dans son cabinet, qu'aller
sur les montagnes étudier la Nature.

Il n'est personne qui n'ait observé que lors-
qu'après une longue gelée il survient un dégel
subit par un vent chaud et humide , les vapeurs
dont il est chargé se condensent et même se con-
gèlent en partie contre
les murailles, et que bientôt
après
on en voit couler une infinité de petits filets
d'eau. La même chose arrive pendant l'été sur une
bouteille qui a été mise à la glace. On a beau
l'essuyer parfaitement, un instant après qu'elle est
sur la table , elle se couvi-e de petites gouttelettes
d'eau qui finissent par couler jusqu'au bas de la
bouteille.

Ces petits faits si vulgaires nous représentent au
juste l'opération de la Nature dans la formation
des sources.

Comme l'air a la plus grande affinité pour l'eau,
il se charge abondamment des vapeurs aqueuses
qui s'élèvent de la mer, des rivières , des lacs et
de tous les corps qui contiennent de l'humidité.
Ces vapeurs s'élèvent daus l'atmosphère , et s'é-
tendent de tous côtés. Lorsqu'elles rencontrent les
sommets des montagnes qui sont dans une région
oil la température est voisine du terme de la con-
gélation, elles se condensent aussitôt par le contact
de ces corps froids, et se convertissent en eau qui

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coule le long des rochers et pe'nètre par leurs
fissures dans l'intérieur de la montagne.

A mesure que ces vapeurs se condensent et se
résolvent en eau , celles qui les avoisinent leur
succèdent et se condensent de même à leur tour,
successivement et sans interruption.

On sait d'ailleurs que les montagnes exercent une
forte attraction sur tout ce qui les environne
notamment sur les vapeurs de l'atmosphère. Aussi
voit-on leurs sommets élevés presque toujours en-
vironnés d'une ceinture de nuages qui ne sont autre
chose que ces vapeurs mêmes , qui reçoivent un
commencement de condensation qui les rend visibles,
et qui passent successivement à l'état d'eau coulante.
Ces nuages sont d'épais brouillards pour ceux qui
s'y trouvent plongés et qui sont incommodés de
leur excessive humidité.
C'est ce qu'éprouva souvent
l'illustre Saussure , lorsqu'il fit une station d'une
quinzaine de jours , au mois de juillet 1785 , sur
le Col-du-Géant, à 1760 toises d'élévation. « Les
« deux glaciers, dit-il, qui bordaient notre arrête
« de rocher, faisaient l'effet de réfrigérants, et con-
« densaient les vapeurs qui s'élevaient des profondes
« vallées situées immédiatement sous nos pieds. Ces
« vapeurs condensées formaient des nuages et des
« brouillards qui venaient nous troubler ( dans les
« expériences sur l'électricité) même quand le temps
« était partout ailleurs de la plus parfaite
sérénité
« Ces brouillards faisaient toujours venir nos hygro-
« metres
au terme de l'humidité extrême. » 2057.)

Je crois pouvoir ajouter que ces vapeurs qui
viennent à se trouver en contact avec les neiges et

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les glaciers de ces hautes sommite's, non-seulement
s'y condensent en eau coulante, mais encore
qu'elles
y sont converties en petits glaçons semblables à de
la neige, comme ceux qui se forment sur les murs
dans les premiers moments d'un dégel subit : la
raison est la même pour les uns et pour les autres.
Après la gélée nos murs sont à la température de la
glace, et les vapeurs qui les touchent se changent en
glaçons qui ne se fondent promptement qu'à la
faveur de l'air chaud qui les environne. Sur le
sommet
des montagnes , les vapeur. touchent les glaciers
doivent donc aussi se convertir en petits glaçons, et
ceux - ci doivent persister , attendu que l'air lui-
même est à peu près à la température de la congé-
lation. Ce sont ces petits glaçons niviformes sans
cesse accumulés sur la surface des glaciers , qui
peuvent seuls les entretenir dans l'état où ils sont, et
compenser la perte qu'ils font dans leur partie infé-
rieure que la chaleur de la terre fait fondre conti-
imellement, de manière qu'il sort de ces glaciers des
torrents d'eau qu'ils ne pourraient certainement pas
fournir
pendant quelques semaines sans disparaître
entièrement, s'ils n'étaient alimentés sans cesse par
la congélation des vapeurs. Aussi n'ai-je pas craint
de dire dans l'art.
Glacier du Diet, d'histoire natur.,
que pendant l'été les glaciers prenaient plus d'accrois-
sement par la congélation des vapeurs, que pendant
l'hiver par la chiite des neiges, et j'ose croire que
les physiciens ne prendront pas ceci pour un
paradoxe.

Il suffirait de voir dans la vallée de Chamouni la
source de l'Aveyron, qui sort comme un gros torrent

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de l'antre de glace qu'on admire au bas du glacier
des bois, pour se convaincre que si ce glacier n'était
p.is coiitinuellement alimenté et réparé par cette
espèce de neige que forment chaque nuit à sa surface
les vapeurs de l'atmosphère , il ne pourrait fournir
à la dépense d'eau qu'il fait chaque jour, sans dispa-
raître bientôt complètement.

Quant aux vapeurs qui se condensent contre les
rochers, elles se convertissent, comme je l'ai déjà
dit, en petits filets d'eau coulante , qui pénètrent
facilement dans les interstices des feuillets presque
verticaux dont les rochers de ces hautes sommités
sont presque toujours composés ; ils s'y fraient une
route qui s'agrandit insensiblement; bientôt quelques
feuillets de la roche se détachent, et voilà le com-
mencement d'un petit ravin souterrain, où se rendent
les «aux qui découlent des rochers voisins : ces eaux
pénètrent dans les fissures verticales qui sont au fond
du ravin, elles descendent à des profondeurs plus ou
moins grandes , et finissent par se montrer au jour
sur quelque point des flancs de la montagne, où elles
forment ce qu'on appelle
\me source, et cette source
ne tarit jamais , parce que la cause qui la produit est
habituelle et permanente.

C'est ainsi que ces rochers sourcilleux qui coU'
ronnent la montagne
d'où sort la source du Rhône ,
comme nous l'apprend Saussure, sont l'éternel ré-
servoir qui alimentera toujours également cette
source aussi long-temps que la montagne subsistera.

La structure intérieure des montagnes primitives,
formées généralement de couches à peu près verti-
cales, surtout vers leur sommet, favorise la réunion

-ocr page 430-

42-gt;-nbsp;jNOÏES.

des eaux dans un canal commun , par la facilite des
communications entre les petits canaux au moyen
des fissures fre'quentes qui se trouvent dans les
feuillets de ces roches, presque toujours divise'es en
masses d'une forme rhomboïdale, qui n'ont le plus
souvent que quelques pieds de dimension. De là vient
que, dans ces sortes de montagnes, les
sources sont
bien moins multiplie'es , mais aussi beaucoup plus
abondantes qu'elles ne le sont d'ordinaire dans les
montagnes secondaires à couches horizontales.

Les couches calcaires , plus «épaisses, plus conti-
nues que celles des montagnes primitives, ne pre'-
sentent qu'un très-petit nombre de fissures verti-
cales , en sorte que les eaux qui peuvent pe'nétrer
entre ces couches horizontales , y forment une
espèce de nappe plutôt qu'un courant , et s'é-
chappent en simples filets par une multitude de
petites échancrures.

Ce n'est que par des circonstances particulières
que les montagnes calcaires donnent des sources
abondantes ; quand , par exemple, il se trouve?,
sous des bancs de pierre dure et solide, quelque
couche plus tendre et susceptible de
décomposi-
tion, alors les eaux qui pénètrent par les fissures
des couches solides , jusqu'à ces couches plus molles,
ne tardent pas à les sillonner par des canaux qui
tendent toujours à se réunir aux plus anciens qui
sont les plus profonds. Il arrive alors dans le sein
de la terre, ce que nous voyons arriver à sa surface :
les petits ruisseaux se réunissent aux courants plus
considérables, et forment enfin des rivières; c'est
ainsi qu'ont été formées la
fontaine de Kaucluse,

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prés Avignon , et la fontaine de Diane, à Nîmes ,
où elle embelli t la magnifique promenade qui porte
son nom, et qui est à l'extrémité nord-ouest de la
ville.

J'ai vu ces deux fontaines dans le mois d'octobre
dernier ( 1809 ). Celle de Nîmes sort du pied d'un
rocher calcaire extrêmement rocailleux , qui se
délite en fragments assez durs, mais fort petits.
Ce rocher, d'environ deux cents pieds d'élévalion,
est coupé presque à pic , sa face est tourne'e au
midi, et il termine d'une manière assez pittoresque
cette partie du jardin. Au pied de ce même rocher,
à peu de distance de Ja fontaine, est le temple de
Diane , d'où elle a tiré son nom. Sur l'esplanade
qui couronne le rocher, est la fameuse Tour-Mague
( turris magna ) (i).

( i) La structure bizarre de cette tour ne permet guère de
deviner quelle fut sa destination : ou pense qu'elle fut cons-
truite du tenips des premiers Romains qui vinrent s'établir à
Nîmes. L'aruteur des
Antiquités de Ntmes Pa décfite et figu-
rée d'après son imagination ; mais il finit par déclarer que
dans ce qui reste on reconnaà à pHne Vordre , Véconomie, et
la structure primitive du hdtiment.
( pag. 44. )

Voici ce que j'ai remarqué moi-même dans cette cons-
truction : elle présente quatre étages en retraite les uns au-
dessus des autres, ce qui donne à l'ensemble une forme un
peu pyramidale. La base de l'édifice a sept faces, d'étendue
inégale , de trente-cinq à cinquante pieds chacune. La cir-
conférence totale est d'environ deux cent cinquante pieds.
La hauteur de ce qui reste de l'édifice est, suivant Fauteur
des
Antiquités^ seulement de treize toises; mais elle m'a

-ocr page 432-

La fontaine de Diane est regardce comme la
source du
vistre , quoiqu'elle aille se re'unir à
d'autres courants beaucoup plus conside'rables et

paru être d'environ cent vingt pieds, d'après le nombre des
assises de pierre qui sont très-régulières et d'épaisseur égale,
d'environ six pouces.

Mais un objet dont l'auteur ne parle point, quoiqu'il me
paraisse la partie la plus importante de l'édifice , c'est une
espèce de vaste caveau qui n'avait
ni porte ni fenêtre , et où
l'on n'a pénétre qu
'en perçant le mur par une ouverture la-
térale.
Le sol de ce caveau est au niveau du sol extérieur ; sa
forme est irrégulièrement circulaire et sa circonférence est de
cent vingt pieds. Le mur qui l'environne n'est point vertical,
on lui a donné la forme d'un cône dont le sommet tronqué
s'élève à plus de quatre-vingts pieds au-dessus du sol. L'ou-
verture du sommet, d'environ buit pieds de diamètre, est
couverte par des dalles de pierre placées horizontalement.
Les murs dtf ce caveau sont très-épais , et il paraît qu'il
formait le noyau de l'édifice dont l'extérieur offre les vestiges
de cinq ou six tours rondes qui toutes étaient appuyées
contre la partie supérieure et moyenne de ce noyau. Ce qui
reste de ces tours n'est que le segment qui était adhérent à
ce même noyau, en sorte qu'on ne saurait assurer si elles
étaient rondes ou seulement demi-circulaires. La face de
l'édifice du côté de l'Ouest n'offre point de vestige de sem-
blables tours, elle est en bgne droite, et l'on voit dans le
haut quelques colonnes de pierre engagées dans le mur et
d'un style grossier ; ce même côté présente les trois faces
intérieures d'une cage d'escalier, où l'on distingue très-bien
l'emplacement des marches de trois rampes de cet escalier
qui devait conduire au haut de la tour.

Quelle était la destination de ce singulier bâtimentc'est

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qui viennent de plus loin , mais qui sortent des
marais , et ne paraissent pas être de ve'ritaLles
sources , par la même raison qui a fait regarder
comme l'unique source du Rhône, celle qui sort
de terre imme'diatement, plutôt que les torrents
qui descendent des glaciers.

A peu de distance de sa sortie du rocher, fon-
taine de Diane
va remplir de vastes et magnifiques
pièces d'eau qui de'corent la promenade, et d'autres
pièces d'eau qui servent à des usages économiques,
tels que le canal des teinturiers, le grand lavoir
de la ville, oii j'ai vu plus de quatre cents lavan-
dières , etc., etc.

J'ai mesuré la quantité d'eau que donne cette
source, dans une ouverture carrée où elle passe ;

ce qu'on ignore : l'auteur des Ant 'ujiiités rapporte les prin-
cipales conjectures des antiquaires. Ces savants ont pensé
que c'était : i.° le mausolée des anciens rois du pays ; i.quot; un
pliare pour le port de Nîmes dans les temps oii la Médi-
terranée venait jusque-là ; 3.° un fanal pour guider les
voyageurs par terre ; 4 °
^cerarium ou trésor public ; 5.» un
monument consacré à la mémoire de l'impératrice Plotine ,
épouse de Trajan ; 6.quot; un temple des anciens habitants ;
^.o que cette tour faisait partie des fortifications de la ville.

De toutes ces opinions , c'est la première qui me paraît
seule probable : le grand caveau cônique et sans commu-
nication au dehors , pouvait être le tombeau du fondateur
de l'édifice, comme les pyramides d'Égypte servaient de
tombeau à celui qui les avait fait construire ; et les espèces
de tours collatérales pouvaient être destinées à servir de
tombeaux à ses descendants.

-ocr page 434-

cette ouverture a quatorze pouces de large, et le
courant avait environ trois pouces de profondeur,
ce qui donne plus de quarante pouces cubes d'eau
qu'elle fournit continuellement , avec une assez
grande rapidité, telle que pourrait être celle d'une
eau qui coulerait sur un plan incliné d'un poTice
par toise.

Quand j'ai visite cette source , c'était la saison de
l'année où elle était réduite à ses eaux de source
proprement dites , qui tirent leur origine des
hautes montagnes ( probablement des
Cévènes ) ;
mais dans les autres saisons où les eaux de pluie et
de neige viennent s'y mêler ( comme cela arrive
nécessairement aux fontaines situées dans les plaines),
la. fontaine de Diane est au moins du double plus
abondante que quand je l'ai vue à la mi-octobre.

Trois jours auparavant j'avais été rendre mes
hommages à la nymphe de
Vaucluse. Sa fon-
taine , si célèbre par les amours de
Pétrarque
et de Laure , est à cinq beues à l'est d'Avignon.
Quand on est arrivé au village de Vaucluse, situé
sur la rive droite de la Sorgue , il ne reste plus
qu'un quart de lieue jusqu'à la fontaine.
Au-dessus
de ce village, de l'autre côté de la rivière, on voit
-sur des rochers les restes d'un ancien château auquel
on a donné le nom de
château de Pétrarque. Non
loin de là sont d'autres masures qu'on appelle
la
maison de Laure.
On entre alors dans un vallon
un peu tortueux, fort étroit, dirigé du nord au
sud, bordé de part et d'autre par des rochers très-
élevés et fort escarpés , qui vont se joindre à un
immense rocher qui termine brusquement le vallon

-ocr page 435-

et en forme un vrai cui-de-sac, d'où est venu le
nom de Vaucluse (
vallis clausa ). C'est au pied
de ce rocher qu'est lè bassin de la fontaine; pour
y arriver , on suit, le long de la rive droite de la
Sorgue , un sentier rocailleux ; et, quand on est
près du sanctuaire de la nymphe, on voit sortir
de dessous ce sentier même, une vingtaine de tor-
rents d'eau, dont la plupart sont de la grosseur
d'un homme : ils se précipitent avec fracas dans
le lit qu'ils se sont creusé, et où ils forment, dès
leur naissance , une assez grosse rivière ; deux
autres torrents semblables sortent de la montagne
opposée. Ces divers courants produisent un tel
eifet, qu'un de mes compagnons s'écria :
l'on dirait,
que ces montagnes se fondent en eau !
Au-delà
de ces sources, on découvre un entassement de
blocs énormes de rochers que couvrent les eaux
qui débordent par-dessus le bassin de la fontaine
dans le temps de la fonte des neiges. Ce bassin,
dont le diamètre est d'environ soixante pieds ,
est à peu près circulaire , et creusé en entonnoir ;
il est adossé au pied du rocher qui forme le fond
du cul - de - sac. Ce rocher est coupé jusqu'à la
hauteur de plus de trois cents pieds, aussi per-
pendiculairement qu'une muraille ; il est composé
de couches calcaires horizontales de plusieurs pieds
d'épaisseur. Quand j'ai vu cette fontaine , le 11
d'octobre, il s'en fallait d'une quarantaine de pieds
que l'eau ne parvînt au bord du bassin. Je xles-
ceudis jusqu'à la surrace de l'eau qui était aussi
unie qu'une glace et sans aucune espèce de mou-
vement. Ce ne fut pas sans quelque danger, car

-ocr page 436-

si le pied m'eut glisse , je tombais dans un abîme
dont on n'a jamais pu, dit-on, trouver le fond. L'ex-
cavation du bassin s'étendait sous les rochers , et
je découvris à fleur d'eau de vastes canaux sou-
terrains par où viennent se rendre dans le bassin,
les eaux abondantes
cjue produit la fonte des
neiges J mais il n'en paraissait pas alors le moindre
filet.

Si je n'ai pas joui du coup-d'œil pittoresque
de la belle cascade que forment les eaux de
Vau-
cluse quand elles passent par-dessus les bords du
bassin et
tombent en flots écumants sur les blocs
de rochers qui forment un amphithéâtre au-devant
de la fontaine , j'ai eu plus de plaisir encore
à
reconnaître la structure souterraine des canaux qui
servent à l'alimenter. Ces blocs de rochers étaient
couverts d'une longue mousse d'un vert noirâtre,
qui croît sur une terre calcaire, blanche comme
la neige et fine comme de la poudre, que les eaux
y déposent en perdant l'acide carbonique qui
tenait cette terre en dissolution.

A la tête de ces rochers, et sur le bord même
du bassin, les autorités du pays venaient d'ériger
une haute et belle colonne, avec cette inscription
en lettres d'or
: a Pétrarque, 1809. La base de
cette colonne portait la marque des eaux dont elle
avait été baignée quelques mois auparavant. Vis-
à-vis de cette colonne, par un caprice assez sin-
. gulier de la Nature , un figuier sort de ce grand
mur de rocher dont le pied forme la partie
supé-
rieure du bassin de la fontaine , précisément à la
hauteur où parviennent les eaux dans leur plus

-ocr page 437-

grande élévation ; mais je ne crois pas que jamais
personne soit tenté d'en aller cueillir le fruit ! sa
situation le
rend tout à fait inaccessible ; les figues ,
d'ailleurs, doivent y miîrir difficilement , supposé
qu'il en donne, car je n'en vis point quoique ce
fût la saison. Comme le vallon est fermé du côté
du Midi par les immenses rochers qui environnent
la fontaine , jamais elle ne fut éclairée par les
rayons du soleil.

La fontaine de Vaucluse est, comme celle de
Nîmes , alimente'e de deux manières : ses eaux per-
pétuelles et intarissables sont fournies par de vé-
ritables
sources : elles viennent probablement du
mont
Ventoux, la plus haute montagne de Pro-
vence : son élévation est de mille trente-sept toises.
{Journ. de Phys., tome 53 , pag. 298. ) Les eaux ac-
cessoires proviennent des pluies et des neiges. Ainsi
la véritable source de la
Sorgue ne réside pas dans
le bassin de la fontaine de Vaucluse, mais bien
dans ces torrents qui sortent de dessous le sentier
rocailleux.

Sources et Fontaines chaudes ou thermales.

De tous les phénomènes que présentent les sources,
il n'en est point de plus obscur et qu'on ait ex-
pliqué d'une manière moins satisfaisante , que la
haute température qu'on observe dans quelques-
unes. Ou sait par exemple que les eaux thermales
du
Mont-d'Or, en Auvergne, s'élèvent à 35.®
(Réaum. celle de
Vichi, dans le Bourbonnais,
à 40.0 } celles de
Cauterès, dans les Pyrénées ,

-ocr page 438-

341.quot;; celles de Balaruc, en Languedoc, à 43.quot;;
celles de
Dax, dans les Landes , presqu'au degré
de l'eau bouillante, etc. (
Journ. de Phys., t. 3a ,
p. 53.) On a souvent demandé quelle pouvait être la
cause d'une température aussi extraordinaire dans
des eaux qui sortent du sein de quelques rochers
qui n'offrent eux-mêmes aucune température parti-
culière. Ce qu'on a cru répondre de plus vrai-
semblable , c'est que cette chaleur était occasionnée
par des matières minérales embrasées , près des-
quelles passent ces eaux
souterraines.

Saussure lui-même, en parlant de la source du
Rhône et des causes de sa température habituelle
de 14.° -î , finit par dire ,
Il est donc vraisem-
blable que cette eau , vraiment thermale, doit
comuie
lES AUTRES, sa chaleur a quelquamas de pyrites
qui se réchauffent en se décomposant lentement
dans le sein de ces montagnes.
( 1720. )

Je serais tenté de croire que ces mots , comme les
AUTRES , sont une espèce d'épigramme contre cette
théorie bannale et si complètement dénuée de vrai-
semblance. Un homme aussi éclairé, un aussi grand
observateur de la Nature, pouvait-il sérieusement
adopter une pareille idée , lui qui avait dû voir
si souvent dans les montagnes les pyrites dissé-
minées dans les schistes primitifs dont elles ne
changent nullement la température; lui qui avait
vu ce vaste amas de pyrites un peu cuivreuses ,
qui composent la mine de Saint-Marcel, dont la
masse est de plusieurs millions de toises cubes, et
qui ne donnent pas plus de signe de chaleur que
les autres amas de pyrites que l'on connaît ; et ce

-ocr page 439-

n'est certes pas faute d'être humectées, puisqu'il
y passe un ruisseau qui en détache le cuivre assez
abondamment pour couvrir son lit d'une couche
épaisse d'oxide vert et bleu de ce métal.

Mais en admettant même que des amas de pyrites
se décomposeraient avec chaleur , comment pour-
rait-on supposer raisonnablement que cette effer-
vescence subsisterait pendant un grand nombre de
siècles , toujours au même degre', toujours dans
le même lieu ? Qui est-ce qui ne sait pas que des
substances qui réagissent les imes sur les autres
n'ont qu'une action d
'une durée très-bornée ; et
qu'ensuite elles tombent dans un parfait repos ? Il
faudrait donc que , par im miracle continuel, il
se fît sans cesse un renouvellement de pyrites neuves
autour de chaque source; car c'est un fait bien
connu, que les sources thermales dont on fait
usage aujourd'hui, n'étaient jtas moins employées ,
pas moins célèbres il y a près de deux mille ans.
Pline , Strabon et d'autres auteurs de l'antiquité
ne nous laissent point de doute là-dessus. Les eaux
de
Spa, dans le pays de Liège, sont décrites par
ces auteurs sous le nom de
Tungromm fons ; Bade
en Autriche était appelé Thermœ Auslriacœ ; Bade
en Suisse, Aquœ Helveticœ ou Thermœ superiores;
Bade en Souabe, Thermœ inferiores ( Bade signifiait
hain en langues celtique ou tudesque, et les Allemands
disent encore aujourd'hui dans le même sens
Bad,
et les Anglais Bath. Le nom des villes d'Aix vient
du latin
aquœ. ) Les bains d'Aix - la - Chapelle
étaient appelés Aquœ Grani, du nom de celui qui
les avait construits sous l'empereur Adrien; Aix en

-ocr page 440-

Savoie, Aquœ gratianœ ; Aix en Provence, Aquœ
Sextiœ,
etc. Je pourrais en citer une foule d'autres.
Or , je le répète , comment pourrait-on supposer,
avec quelque vraisemblance, que, pendant tant de
siècles, sans compter les siècles bien plus nombreux
qui avaient passé précédemment sur ces mêmes eaux
thermales , les pyrites eussent été toujours en
même abondance dans le même local ; et toujours
au même degré d'effervescence , ou plutôt d'in-
candescence, car il n'en fallait pas moins pour
communiquer aux eaux
une dialeur telle qu'elles
conservassent encore une très-haute température
après avoir traversé de longs trajets à travers les
rochers qui n'étaient point échauffés eux-mêmes.

Je sais que ce qui a pu induire en erreur sur
la cause de la haute température des eaux ther-
males , c'est que la plupart contiennent une assez
grande quantité de soufre, dont on expliquait la
présence par la décomposition des pyrites. Mais la
grande difficulté subsistait toujours : d'où est-ce que
pouvait venir cette quantité de pyrites toujours
nouvelle , toujours inépuisable , toujours au même
lieu, toujours au même degré d'effervescence ? Diffi-
culté totalement insoluble aux yeux de la raison.

Heureusement pour la vraie connaissance de la
Nature, de bons esprits commencent à penser
qu'elle
forme journellement des substances qu'on
s'était accoutumé à regarder comme des substances
simples , formées depuis le commencement des
choses, et que la Nature pouvait seulement tourner
et retourner suivant le besoin; le soufre était dans
ce cas là : mais on commence à penser qu'il peut

-ocr page 441-

se fofmer dans les corps organisés. Or, comme
je ne crois nullement qu'il y ait une ligne de
se'paration entre ce qu'on nomme les trois règnes ,
je pense que le soufre des eaux thermales est jour-
nellementybrme par la Nature, dans le règne mi-
néral tout comme dans les animaux et les végétaux.
J'ai dit dans ma Théorie des volcans (
Journ. de.
Phys.,
germinal an 8 , mars 1800 ), quelles étaient
îes raisons qui me faisaient regarder le soufre comme
une simple concrétion du fluide électrique (joint
peut-être à quelque base, telle que l'hydrogène).

Je pense qu'il en est du phénomène des eaux
thermales comme des phénomènes volcaniques ( avec
lesquels il a beaucoup d'analogie ), et que ce ne
peut être que par le renouvellement continuel de
quelques fluides atmosphériques absorbés par les
rochers, que ceux-ci peuvent, dans le sein des mon-
tagnes, communiquer aux eaux un degré de chaleur
plus ou moins considérable.

Ce qui me porte surtout à le penser , c'est la
faculté qu'ont ces rochers de fondre insensiblement
la neige qui les couvre ( comme on le voit pai'
les eaux qui découlent en tout temps des glaciers),
et d'amener à l'état liquide les vapeurs qui s'at-
tachent à leur surface sous la forme d'atomes glacés,
dans les contrées les plus froides du globe, ainsi
que j'ai pu l'observer en Sibérie , où les sources
des rivières ne sont jamais interrompues, malgré
les froids inconcevables de trente-cinq à quarante
degrés et même au-delà, que j'ai souvent éprouvés
dans ces terribles contrées , où j'ai vu, bien des
fois, le mercure figé et rendu malléable en un

jr.nbsp;a8

-ocr page 442-

instant. Toute la rive occidentale du grand lac
Baikal, dans une e'tendue de plus de cent lieues,
est toute borde'e jusqu'à une lieue au large, d'une
infinité de sources chaudes qui viennent des hautes
montagnes dont cette partie du lac est environnée.
Ces sources forment dans la glace des ouvertures
circulaires où l'eau du lac ne gèle jamais , ce qui
rend la route d'hiver extrêmement dangereuse :
j'ai moi-même failli d'y périr.

Ne pourrait-on pas dire que certains rochers ,
dans des
circonstances qu'on ne connaît pas encore,
ont la
propriété d'absorber le calorique de l'at-
mosphère , et de le transmettre aux eaux avec les^
quelles ils se trouvent en contact. Ne sait-on pas
qu'il y a des corps qui, au moyen de certaines
dispositions , peuvent absorber une prodigieuse
quantité de fluide électrique, pour le transmettre
ensuite à d'autres corps; comme on le voit dans
les expériences d'électricité , surtout dans celle de
la bouteille de Leyde. La seule difFérence qu'il y
ait entre ces phénomènes , c'est que l'un s'opère
avec rapidité ; l'autre , d'une manière lente et
continue. Cette marche différente est analogue à
la nature des deux fluides : c'est le propre du
fluide électrique, de se communiquer subitement,
avec violence, avec fracas , tandis qu'au contraire,
c'est le propre du calorique ( tel que celui que
la terre reçoit du soleil ), de se communiquer d'une
manière douce , lente et progressive.

En im mot , ce qui me paraît incontestable ,
c'est que ce ne peut être que par une cause qui
se renouvelle continuellement , et par
çetts éter-

-ocr page 443-

KOTES.nbsp;435

nelle circulation de fluides qui est I'aine de tous les
phénomènesde la Nature,
qu'est produite cette haute
température des eaux thermales , et non par une
cause purement temporaire qui tendrait sans cesse
à s'anéantir, puisque le même elFet subsiste avec
la même énergie depuis tant de siècles, et qu'on
peut hardiment assurer qu'il subsistera aussi long-
temps que les montagnes.

Source de Vile de Stromhoïi.

Puisque je parle de l'origine des sources , je ne
puis passer sous silence celle de
Stromhoïi, qui se
forme d'une manière très-extraordinaire; car son
eau n'est point le résultat de la simple conden-
sation des vapeurs aqueuses; elle est immédiatement
et chimiquement composée d'éléments qui n'étaient

point de l'eau.

L'île de Stromhoïi, l'une des île! Eoliennes,
situées au Nord de la Sicile, renferme un volcan
qui est l'un des plus singuliers que l'on connaisse :
il fait continuellement de petites éruptions de
boules de lave enflammée qu'il lance en l'air et
qui ressemblent à un feu d'artifice; ce phénomène
se renouvelle de
demi-quart d'heure en demi-quart
d'heure , depuis des milliers d'années : il était
connu du temps de Pline. Dolomieu , dans son
vovage aux îles Eoliennes ou de Lipari, a décrit
ce
Volcan; et voici ce qu'il dit de la source qu'on
y trouve. « Je descendis la montagne en courant
« sur les cendres mouvantes dont elle est cou-
lt;; verte... Je cotovai une déchirure
considérable.. .

-ocr page 444-

« et je vis que l'inte'rieur de la montagne est formé

« presqu'entièrement de cendres et de scories____»

« Je rencontrai à moitié hauteur , une source d'eau
« froide, douce, légère et très-bonne
à boire...
« Cette petite fontaine, dans ce lieu très-élevé,
« au milieu des cendres volcaniques, est très-re-
« marquable ; elle ne peut avoir son réservoir
« que dans une pointe de montagne isolée , toute
« de sable ( ou cendres volcaniques ) et de pierres
« poreuses, matières qui ne peuvent point retenir
« l'eau, puisqu'elles sont
perméables à la fumée;
« d'ailleurs,
comment se peut-il que la chaleur in-
« térieure et l'ardeur d'un soleil brillant ne dissipent
« pas toute l'humidité et toute l'eau dont peut
« s'être abreuvé pendant l'hiver ce sommet de mon-
« tagne » ?

A l'époque où se trouvait alors Dolomieu, la
chimie ne nous avait point encore appris que l'eau
se compose de deux éléments, l'hydrogène et l'oxy-
gène, et que, quand ces deux principes sont à l'état
gazeux, et que le fluide électrique ou tout autre feu
les embrase , ils se combinent à l'instant, et se
montrent sous la forme d'eau coulante. Aussi fut-il
impossible à Dolomieu de hasardei-^aucune expli-
cation du phénomène que lui présentait cette sin-
gulière fontaine.

Je me suis trouvé dans des circonstances plus
heureuses, et j'en ai profité. Ma nouvelle théorie
des volcans, fondée sur les principes de la chimie
pneumatique, a donné tout aussi naturellement l'ex-
plication de l'origine de cette source, que de l'ori-
gine des autres produits volcaniques. J'ai fait voir

-ocr page 445-

dans cette théorie, que le gaz hydrogène , le gaz
oxygène et le fluide électrique étaient essentiellement
au nombre des fluides qui concourent à produire les
divers pliénomènes des volcans : que dans les érup-
tions des volcans ordinaires, qui ne se renouvellent
qu'après un certain espace de temps, il arrive assez
souvent que ces deux gaz se trouvent en surabon-
dance, et qu'il résulte de leur combinaison une quan-
tité d'eau plus ou moins considérable, qui forme ou
des déluges de pluie, ou des torrents d'eau, ou des
éruptions boueuses.

Le volcan de Stromholi, dont les paroxismes sont
continuels, et qui ne forme
que peu de lave, se
trouve habituellement dans le même cas oii les
autres ne se trouvent que par accident : les gaz
hydrogène et oxygène y sont cn surabondance, de
manière qu'il n'y a qu'une portion de ces gaz qui
soit employée aux autres phénomènes; le surplus est
enflammé par le fluide électrique, toujours fortement
en activité dans les volcans, et il en résulte une
formation d'eau continuelle qui donne naissance à
cette source dont la chimie pneumatique pouvait
seule me faire deviner l'énigme. (
Patrin.)

La décomposition de l'eau par la pile galvanique.

Cette superbe expérience appartient à la physique
moderne. La voici :

Dans un tube rempli d'eau et bouché hermé-
tiquement, plongez de part et d'autre des fils du
même métal, et, après les avoir fixés à une distance

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d'environ onze millimètres (5 lignes), mettez-les en
contact chacun avec une des extre'mite's de la pile.
Celui qui est en contact avec l'extre'mité de la pde
qui répond au zinc, dans chaque étage, se couvre
de bulles de gaz hydrogène, tandis que celui qui
touche l'extrémité qui répond à l'argent, s'oxide s'il
est oxidable, ou se couvre de bulles de gaz oxygène,
s'il ne l'est pas.

Il était naturel de regarder ces gaz comme ré-
sultant de la décomposition de l'eau , si une cir-
constance particulière ne faisait
naître des doutes
sur cette
explication.

Pour que le dégagement ait lieu, il faut que les
extrémités des fils métalliques soient à une certaine
distance; s'ils sont' en contact, on ne voit plus de
bulle, comment l'oxygène et l'hydrogène, provenus
de la même molécule d'eau , paraissent-ils à des
points éloignés, et pourquoi chacun d'eux paraît-il
exclusivement au fil contigu à l'une des deux ex-
trémités de la pile , et iamais à l'autre extrémité?

Pour résoudre cet important problême, qui fixe
toute l'attention des physiciens, il fallait voir d'abord
silesbullcs d'oxygène et d'hydrogène se manifestaient
dans des eaux séparées.

Lorsque les eaux sont absolument isole'es, les gaz
ne se montrent point ; si on les fait communiquer
par un fil métallique , il y a seulement une pro-
duction de gaz double , c'est-à-dire que chaque ex-
trémité du fil intermédiaire agit dans la portion
d'eau où elle plonge, comme si ce fil venait im-
médiatement de l'extrémité de la pile opposée
à celle qui communique avec cette portion , de

-ocr page 447-

manière que chaque portion donne à la fois les
deux gaz.

Mais si, à la faveur d'un tube de verre courbé
comme un V, l'on interpose entre les deux eaux
de l'acide sulfurique , le gaz hydrogène et le gaz
oxygène se manifestent chacun de son côté. Le
même effet a lieu , si, après avoir plongé chaque
fil dans un vase distinct , on fait communiquer
l'eau des deux vases par le moyen de ses propres
mains.

Ainsi la production de chaque gaz , dans des eaux
séparées , ne saurait paraître équivoque.

Il n'y a que trois manières d'expliquer ces phé-
nomènes :

Ou l'eau ne se décompose point ; mais sa com-
binaison , avec un principe quelconque émanant
de l'extrémité vitreuse de la pile , produit le gaz
oxygène ; et avec celui qui émanerait de l'extré-
mité résineuse, l'hydrogène;

Ou l'action galvanique tend à enlever dans chaque
eau une de ces parties constituantes , en y laissant
l'autre en excès ;

Ou bien enfin elle décompose de l'eau ; et laissant
dégager un des gaz a l'extrémité d'un des fils,
elle conduit l'autre d'une manière invisible à l'ex-
trémité de l'autre fil pour l'y laisser dégager.

Ritter et Psaff partagent la première opinion ,
qui contrarie tellement les faits sur lesquels rcjsose
la chimie moderne , qu'il serait impossible de l'ad-
mettre , quand même on ne trouverait aucime
explication satisfaisante du phénomène qui nous
occupe.

-ocr page 448-

La seconde opinion est de Monge. Hassenfrast »
cherché à l'appuyer par l'expérience suivante. Si c'est
le tendon qu'on emploie pour moyen de communi-
cation , le dégagement ne dure pas long -temps sans
beaucoup s'affaiblir ; qu'on change les fils de vase, le
dégagement recommence avec force, mais produit
dans chaque vase un gaz opposé à celui qui s'y
dégageait avant. C'est que, dit-il, chaque eau était
épuisée, autant que possible, de la partie que le
fil
lui arrachait, et contenait l'autre en excès; main-
tenant que le nouveau fil lui
demanJe précisément
cette partie excédante, die l'abandonne avec fa-
cilité.

Fourcroy a manifesté la troisième opinion dans
un mémoire qui renferme un grand nombre d'ex-
périences qu'il a faites de concert avec Vauquelin
et Thénard.

Ces physiciens admettent l'existence d'un fluide
particulier qu'ils appellent galvanique, et qui cir-
culerait de l'extrémité vitreuse de la pile vers l'ex-
trémité résineuse.

Ce fluide, disent-ils, décompose l'eau en sortant
de l'extrémité vitreuse; mais il ne laisse échapper
que l'oxygène en bulle, parce qu'il se combine lui-
même avec l'hydrogène , pour former un fluide qui
traverse d'une manière invisible l'eau, ou l'acide
sulfurique, ou le corps humain, pour se porter vers
l'autre fil; là, le fluide galvanique abandonne son
hydrogène, et le laisse échapper sous forme de gaz,
tandis que lui-même pénètre dans le fil.

L'expérience principale dont ces physiciens

-ocr page 449-

cherchent à appuj'er leur hypothèse , est la sui-
vante :

Si on interpose entre les deux eaux de l'oxide
d'argent bien pur, le fil contigu à l'extrémité ré-
sineuse de la pile oîi devrait se manifester le gaz
hydrogène, ne donne aucune effervescence, et l'oxide
métallique se réduit du côté qui répond à l'extré-
mité vitreuse de la pile ■ c'est que le fluide galva-
nique, chargé d'hydrogène, le perd en traversant
l'oxide, dont l'oxygène le prend pour reformer de
l'eau.

On a tenté sur le même objet quelques expé-
riences , en mêlant dans l'eau
différents acides ou
autres substances composées ; mais leurs résultats ne
paraissent présenter jusqu'ici que des modifications
de l'expérience fondamentale du dégagement des
deux gaz. Ainsi, si l'on y mêle de l'acide nitrique,
le fil du côté de l'argent se dissout très-promptement,
celui du côté du zing ne se dissout pas. Il est visible
que l'hydrogène s'empare de l'oxygène de l'acide ,
et ne permet pas au fil de s'oxider pour être dissous.
Si l'on emploie de l'acide sulfurique, il se précipite
du soufre du côté du zing, parce que l'hydrogène
décompose l'acide en lui enlevant son oxygène, etc.

Un fait constamment observé par Nicholson, Psaff,
mérite de fixer un instant notre attention. Il se forme
toujours un peu d'acide nitrique du côté de l'argent,
et d'ammoniaque du côté du zinc.
L'eau la plus pure
contient toujours un peu d'azote, qui, dans le
premier cas, se combine avec de l'oxygène, et dans
le second, avec de l'hydrogène. (
Libes.)

-ocr page 450-

LETTRE XXXIX.

DE LA GLACE.

Voici les vers de Lucrèce. Je dois avertir que j'ai
cru devoir, pour comple'ter le sens de ce poëte,
ajouter quatre vers dans ma traduction française.

Postremô pereunt imhres , uhi eos pater cether
In greinium matris terrai prœcipitavit ?
At nitidte surgunt frf-ges , ràmique nrescunt
Arhoribiis j crescuM ipsœ ,fœtuque gravantur.
Hinc alitur porro nostrum genus, atque f erarum :
Hinc lœtas urhes pueris florere fidemus,
Frondiferasque novis avibus canere undique silvas:
Hinc fessœ pecudes pingues per pabula lœta
Corpora deponunt, et candens lacteus humor
XJberihus manat distentis : hinc nova proies
Artuhus infirmis teneras lasciva per herbas
Ludit, lacté mero mentes percussa novellas.

Lucret., lib. i.

LETTRE XL.

des eatix souterraines.

La grotte de la Balme, que je décris ici, l'a déjà
été par plusieurs naturalistes ou historiens célèbres.
On peut consulter
VHisloire du Dauphine, par

-ocr page 451-

Charrier; les Mémoires de l'Académie des Sciences,
V Encyclopédie,Dictionnaire de Bomare,
et, plus
récemment, la Description de M. Bourrit amé.
Comme
cette brochure n'est pas bien répandue ,
j'en ai
extrait le morceau suivant, cim m'a paru
écrit avec chaleur et abandon.

Après avoir parlé de la résolution qu'il avait
prise de se jeter à la nage dans ce lac souterrain,
il ajoute :

« J'avais fait des chandeliers aquatiques avec des
plaques de liège, et un corselet de même matière,
pour n'avoir pas à craindre les dangers d'une trop
longue natation. Arrivé au village de la Balme, je
disposai un montant d'une échelle de huit pieds,
rond d'un côté, plat de l'autre, pour recevon- des
chandelles dans les trous vides faits pour les échelons.
J'adaptai ensuite à chaque extrémité de ce nouveau
candelabre, une petite planche clouée en travers.,
pour l
'empêcher de chavirer. J'y attachai encore
ime boîte où je mis une sonde., un thermomètre,
le nécessaire pour rallumer mes lumières, au cas
qu'elles s'éteignissent, ma montre, une carte hydro-
graphique du lac, que m'avait tracée M. de la Poype,
et tous les autres objets que je crus devoir m'étre
utiles : ce fut avec cet attirail que j'entrai dans la
grotte. Il serait difficile de vous exprimer l'étonne-
ment des habitants du village, plusieurs m'accom-
pagnèrent en déplorant ce qu'ils appelaient ma
folie ; ils ne doutaient pas qu'elle ne me conduisît à
ma perte ; mais je m'inquiétai peu de leurs sinistres,
présages.

-ocr page 452-

« A chaque pas, je tremblais pour mes pre'pa-
ratifs; cependant, malgré les décombres et les puits,
ils arrivèrent heureusement à leur destination. J'at-
tachai mes chandeliers de liège à quelque distance
les uns des autres, avec de la ficelle que j'arrêtai à
l'extrémité postérieure de ma branche d'échelle ; je
fixai mes autres lumières dans les trous disposés pour
cela, et je mis à flot cet équipage. Je me déshabillai
le plus promptement possible, pour n'être pas saisi
par le froid ; mais le domestique n'en faisait pas de
même ; il prêtait l'oreille aux
discours de ceux qui
disaient tout bas que
j'allais me noyer. L'aspect de
ces Ueux sombres, cet embarquement nocturne, ce
canal tortueux, ces eaux qu'il découvrait au loin à
la lueur des flambeaux, tout abattit son courage;
cependant, pressé par mes railleries , il se mit dans
l'eau jusqu'aux genoux ; mais il pâht et m'assura, en
tremblant , que l'eau était trop froide, qu'il ne
saurait la supporter, puis, enfin, qu'il ne m'y
suivrait pas pour tous les châteaux de son maître :
rien ne put l'ébranler : il fallut donc me résoudre à
m'avancer seul sous ces voûtes
souterraines; j'hésitai
quelque temps; mais la curiosité l'emporta; je con-
templai mon petit armement; je m'indignai d'avoir
balancé, et je me mis à la nage.

« Sous le bras gauche, je tenais ma branche d'échelle
qui me servait d'appui, tandis que je me dirigeais du
bras droit et des jambes. Cette manière de nager
soulage beaucoup, permet une attitude plus perpen-
diculaire , plus commode, et laisse presque l'usage
des mains. Quelques coups que je me donnai ine
firent apercevoir que je pouvais prendre pied ; alors

-ocr page 453-

je marchai quelque temps à moitié hors de l'eau, et
je pus me familiariser avec l'endroit extraordinaire
dans lequel je m'étais enfoncé. Ayant bientôt perdu
le fond, je nageai avec lenteur, pour éviter tout
accident.

«La fraîcheur de l'eau,lapureté de l'air, tout avait
disposé mes organes de manière que jamais ils ne se
prêtèrent à de plus douces sensations. J'e'tais hors de
la vue de mes guides (les sinuosités du lac ne per-
mettant pas de le voir dans son ensemble); je les
appelai de toutes mes forces, je prêtai l'oreille, et
une espèce de bruissement
précéda le son qui m'ap-
porta bientôt leur réponse; puis, comme si j'eusse
rompu par-là tout rapport avec les hommes, je
tombai insensiblement dans une sorte d'extase;
j'oubliai le but de mon voyage,- je sortis de l'eau
pour m'asseoir sur la saillie d'un rocher, qui forme
une étroite presqu'île , et je m'abandonnai tout
entier à la méditation. Mes
regards attentifs par-
couraient doucement la voûte de la grotte ; l'éclat
de mes lumières dans ces heux de ténèbres , la
limpidité des eaux qui les réfléchissaient, le sillon
d'or formé par leur longue traînée, et le profond
silence qui régnait autour de moi, occasionnèrent
dans mon ame une émotion secrète qui tenait le
milieu entre la crainte et le ravissement ; j'oubliai
le monde , ou plutôt je n'y pensai que pour lui
dire comme un éternel adieu. Une montagne me
recouvrait, une montagne m'interceptait la lumière
du ciel, je ne respirais plus un air commun à tous
les hommes; j'habitais une autre sphère. Quelquefois

-ocr page 454-

aussi je croyais que la voûte entr'ouverte allait
m'abîmer sous ses ruines ; ou qu'une masse d'eau
«'élevant jusqu'à elle , allait m'ensevelir dans son
sein; cependant ces idées ne m'effrayaient point,
elles étaient bientôt absorbées par le souvenir du
grand auteur de la Nature; je ne voyais plus que
lui, je me croyais seul en sa présence , les murs, les
voûtes, le lac me paraissaient,un temple oii tout
portait son empreinte , je le contemplai dans ses
œuvres, mon ame attentive croyait le voir, le sentir ,
et dans un enthousiasme que je n'éprouvai que la
je fis retentir la grotte du chant d'une ode du grand
Rousseau, dont la sublimité répondait à l'exaltation

de ma pensée.

« Revenu de cette espèce d'ivresse religieuse, dont

il serait difficile d'exprimer le charme, je repris ma
natation et j'arrivai dans un endroit où la voûte
plus exhaussée , et le lac plus étendu, forment une
espèce de rotonde, qui semble n'avoir pomt d'issue;
au premier coup d'œil, je crus avoir terminé ma

course, néamnoins, en faisant le tour de ce bassin,
eûmes
lumières produisaient le plus charmant effet,
je trouvai une ouverture, mais si basse et si étroite,
qu
'il me fallut beaucoup de précaution pour y
passer ma personne et mon équipage. Ce fut alors
que j'entendis un petit bruit semblable à celui
d'un
ruisseau ; j'eus d'abord une légère frayeur , mais
dont je revins presque aussitôt , en pensant que
j'allais trouver l'endroit par lequel les eaux se
rendent dans le lac; cependant mes recherches,
furent infructueuses, et je compris que ce murmure

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des eaux n'était occasionné que par les vagues que
je faisais en nageant, qui allaient doucement se
briser contre les parois du rocher.

« Parvenu à l'extrémité du lac, j'en cherchai
inutilement la source , et dans tout le temps de
ma natation, qui dura une heure , je n'entendis
pas la moindre goutte tomber dans l'eau , je la
trouvai d'un calme parfait; et si la source eût
été dans le lac même, je l'aurais certainement
découverte , à cause de son extrême limpidité
qui permet partout d'en voir distinctement le fond.
Je ne restai pas long -temps à l'extrémité du lac
où je ne découvris rien d'aussi intéressant que je
l'avais d'abord supposé : je me hâtai donc de revenir,
la faim me dévorait ; d'ailleurs mes chandelles ré-
pandaient une fumée , qui, ne trouvant pas d'issue,
m'affectait sensiblement la poitrine, un frisson
refroidissait mon ardeur , et ma curiosité satisfaite
n'avait plus d'aliment.

Au retour, un peu avant la fin de ma navigation,
j'aperçus la lueur répandue par les flambeaux de
mes guides; bientôt après, je les vis eux-mêmes,
et malgré leur peu de courage , j'éprouvai un sen-
timent de plaisir difficile à dépeindre ; leur joie
ne fut pas moins vive que la mienne , ils ne dou-
taient plus de ma mort, et se disposaient à partir
lorsqu'ils m'aperçurent. Le froid m'avait saisi au
point que je ne me sentais plus , ils furent obligés
de m'habiller, etc. (
Bourrit aîné. ) »

Il est plusieurs autres grottes très-célèbres , telle
que celle des fées, près de Gange , dont on peut

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lire une description intéressante et peut-être un peu
romanesque dans la
Collection des Petits Voyages,
par M. Béranger. La grotte d'Antiparos n'est pas
moins renominée , grâce à la belle description que
nous en a donné
Tournefort, dans son Voyage
au Levant.

LETTRE XLL

DE I-A WATURE DE t'EAITi
Du Gaz hydrogène.

Le gaz hydrogène brûle sans laisser de résidu,
Le résultat de cette combustion est toujours de
l'eau. On peut établir comme axiome chimique qu'i7
ny a point d'hydrogène sans décomposition d'eau.
Cette vérité, qui paraît d'abord être trop géné-
rale , ne reçoit cependant point d'exception.

On ne peut parler de l'hydrogène sans parler aussi
de la fameuse découverte de la composition de l'eau;
et, comme son deuxième principe, l'oxygène, nous
est déjà connu, il nous sera facile de comprendre
la théorie de cette composition.

Cavendish , à Londres , avait remarqué qu'en
brûlant de l'hydrogène sous des cloches de verre,
il se formait beaucoup de gouttes d'eau sur les
parois. Mais ce phénomène n'était point
apprécié,
et on l'expliquait par la précipitation de l'eau,
toute formée et tenue en dissolution dans l'air. Si

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jon eût imaginé d'examiner le poids de l'air avant
et après la combustion , ainsi que celui de l'eau
obtenue dans cette opération, on eût découvert
l'erreur de cette explication, qui cependant, au
premier coup d'œil paraît très - plausible.

Il était réservé à Lavoisier de prouver que l'eau ,
obtenue par Cavendish, était le produit de la com-
binaison de l'hydrogène avec l'oxygène , pendant
la combustion.

MM. Meunier et Lavoisier, pour établir ce prin-
cipe , eurent besoin d'appareils extrêmement exacts
et très-dispendieux 5 on va tâcher de donner une
idée de leur expérience.

A un ballon de verre où on avait fait le vide,
ils adaptèrent deux tuyaux ou conduits qui par-
taient de deux gazomètres ( mesure gaz ), dont l'un
contenait l'oxygène, et l'autre l'hydrogène en gaz.
Ils eui-ent soin de mettre dans les conduits un sel
déliquescent, pour absorber toute l'humidité qui
aurait pu être tenue en dissolution dans les gaz,
afin que le résultat fut rigoureusement exact.. Ils
pesèrent avec soin les gaz qui devaient entrer dans
le ballon j ils le remplirent d'abord d'oxygène , et
ensuite y firent passer un filet d'hydrogène , allumé
subitement par l'étincelle électrique. La combus-
tion fut rapide, l'eau tapissa d'abord l'intérieur du
ballon, et, en ruisselant , tomba sur le fond j ils
obtinrent de cette manière, et à dijfférentes re-
prises , plusieurs onces d'eau.

L'expérience faite , ils comparèrent le poids des
gaz employés avec celui de l'eau obtenue, et n'jr

ILnbsp;29

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trouvèrent qu'une différence de de grain; la pré-
paration de l'oxygène et de l'hydrogène avait été
de quatre-vingt-sept portions du premier, et treize
du second.

A peu près dans le même temps , M. Monge
faisait la même expérience à Mézières , et obtenait
les mêmes résultats. Ce qu'il y a de remarquable,
c'est que Lavoisier et Monge iie s'étaient point
communiqué leurs idées. On peut répéter soi-même
cette expérieuce, en faisant comiue M. CaVendish,
brûler du gaz hydrogène, sous une cloche de verre.
, r

Expérience.

Dans une fiole de médecine , au goulot de laquelle
vous aurez adapté un petit tuyau, mettez un peu
de limaille de fer, et versez dessus un acide étendu
dans de l'eau. Attendez que l'air^ atmogphériqud
contenu dans la fiole se soit dégagé, allumez ensuite
le gaz hydrogène qui sort , du tuyau et recouvrez
l'appareil d'une cloche de verre , mais de manière
que l'air
atmosphérique puisse s'y renouveler. Après
quelques instants, vous verrez l'eau ruisseler sur les
parois de la cloche.

Lavoisier voulut prouver sa découverte par voie
d'analyse et de synthèse.

Décomposition de l'Eau. ' .

A travers un fourneau rempli de charbons ardents,
faites passer un canon de fusil un peu incliné, et

-ocr page 459-

»ie manière qae la partie la plug!élevée abttutipse
à un entonnoir, rempli d'eau la partie :1a plus
basse à une
tiéulière qui se,rend dans un flacon.j
adaptez à ce flacon un second; t^'au .qui se rpude
sous une clpfihe pleine,d'eau.;, .par le moyen d'uu
petit bouchon .placé au fQud ,de l'enlonnpir ,, et
assez long potUquot; être facilement tirp ou cij[|oncé.
Il est entendu, que l'eau dans toute cxp^ienpe
de cliiteie^ rne; doit pas, être telle que .nous la donne
la Nature. ,11 faut qu'elle; soit distillée pour être
purgée de l'air et de toutes les autres matières
cthe'ro.gènes.
U»e fois le. Gauoiuirqngç de feu, tirez
le boucllo«^ et faites passer l
'tau goutte à g^vit^e.
L'eau se décomposera sur le fer,^ l'oxygène s'y .soK-
difiera,' et l'hydrogène passera à l'état de gaz. sous
la clocHe destinée à le recevoir. Le flacon recevra
le peu d'eau qui échappera du canon sans -eti-e
décomposée.nbsp;rnbsp;^ •! ;

Il y a lgt;eaucoùp de remarques .à faire sur cette
expérience:;
i.p telle qu'elle est présentée ici-, elle
n'est
.que très-impaifaite du côté de l'exactitude.
L'eau n'a point .été pesée, ni le £er , ni les produits
résultants de la décomposition ; mais Lavoisier ayait
snis dans cette .seconde expéritmce la même riggeur,
la même précision que dans la première , et il tçQwva
dans l'augmentation du poids du fer, et dans le poids
de l'hydrogène obtenu, la totalité de celui de l'eau
avant la décomposition, i.quot; Dans le c^non du fusil
il mit des copeaux d'un fer très-pur, ce qui yaut
beaucoup mieux que de se servir du canon même,
qui ne peut plus servir une fois qu'il
est oxidé»
3,0 II avait eu soin de -mettre le flacon dans uu

0,0

-ocr page 460-

4^52nbsp;notés;

i-éfrigérant, de l'entourer de glaces pour condenser
l'eau décomposée mais vaporisée par son passage
dans le canon j aussi dans l'expérience faite comme
ci-dessus remàrque-t-on que l'eau vaporisée n'ayant
pas été assez condensée dans le flacon, s'est élevée
dans la cloche avec l'hydrogène, et a déposé une
vapeur blanchâtre sur les parois. Il faut observer
que dans cette expérience , le fer ne peut obtenir
qu'un minimum d'oxidation , passé lequel l'eau
n'est plus décomposée, l'affinité de l'oxygène pour
l'hydrogène l
'emportant alor. sur celle même de
l'oxygène
pour le fer déjà oxidé et réduit à l'état
d'éthiops noir. 4'quot; C'est par le moyen du fer qu'on
obtient le gaz hydrogène le plus pur.

Pour compléter son travail, et réfuter d'avance
les moindres objections, Lavoisier recomposa de
l'eau de toutes
pièces , avec le même oxygène
et le même hydrogène obtenus, et il en obtint le
même poids qu'il avait employé à la décomposition.
Concluons des expériences de Lavoisier :

i.o Que l'eau n'est plus pour nous an élément,
puisque nous savons qu'elle est composée de deux

principes ;

2.0 Que la proportion des deux principes consti-
tuants de Feau , sont : quatre-vingt-sept d'oxygène,
et treize d'hydrogène ;

3.0 Que sa décomposition aura lieu toutes les fois
qu'on lui présentera un corps qui aura plus d'affi-
nité, pour un de ces principes , que celui-ci n'en a
pour l'autre , et que sa composition aura lieu ainsi
toutes les fois que le cas contraire se rencontrera ;

4.0 Que si cette décomposition a lieu dans l'expé-

-ocr page 461-

rience précédente, pour le fer, c'est que ce métal
a plus d'affinité pour l'oxygène que celui-ci n'en a
pour l'hydrogène , auquel il était d'ahord uni ;

5.0 Que le poids de l'hydrogène obtenu, plus,
l'augmentation de celui du fer par l'oxygène soli-
difié , faisant juste le poids de l'eau avant sa décom-
position , elle ne pouvait être formée que par ces
deux principes ;

6.° Qu'avec de l'oxygène et de l'hydrogène dans
les proportions et température convenables , on
formera toujours de l'eau semblable en tous points
à celle de la Nature, distillée dans un tel laboratoire ;

^.o Que cette expérience est si concluante, que
si l'expérience pouvait être personnifiée et ré-
pondre à notre question , elle ne répondrait pas
différemment que lorsque le génie de Lavoisier
l'a interrogée. (
Extrait pendant les leçons de
M. Raimond, professeur de chimie, a Lyon.

LETTRE XLIL

sur l'origine des ballons.

Dans l'épisode d'Hélie et Béatrix j'ai eu le dessein
de donner une idée des connaissances aérostatiques
des anciens. Je pourrais ajouter ici un grand
nombre d'exemples qui prouveraient incontesta-
blement que M. Montgolfier n'a fait que retrouver
un secret connu de quelques anciens physicieos.

-ocr page 462-

454-nbsp;notes.

Je me contenterai d'en citer encore deux exemples.

Le Père Me'nestrier, savant historien de Lyon,
rapporte que sur la fin du règne de Charlemagne,
il tomba dans cette ville, au milieu de la place du
change, un ballon où il y avait plusieurs personnes.
Le peuple, qui croyait encore aux sorciers s'at-
troupa autour d'eux , en criant que c'étaient des
magiciens que Grimoald, duc de Bénévent, alors
ennemi de la France, envoyait pour .dévaster le
pays; et sans l'évèque Agobard, homme juste et
instruit , les infortunés .physiciens allaient être
traînés au supplice.
Hktoire de Lyon, du Père
Mènes trier.

Mon second exemple est rapporté par le Père
K-ïrchér; irraconte que plusieurs Jésuites, que les
îndièhs rétenaient dans les fers, avaient inutilement
employé plusieurs moyens pour se procurer la
liberté , lorsque l'un d'eux, qui était resté libre ,
s'avisa de construire un immense dragon de papier.
S'étant ensuite présenté devant les Barbares , il les
assura qu'ils étaient
menacés des plus grands maux;
que la vengeance divine allait les frapper, s'ils ne
brisaient les fers des serviteurs de Jésus-Christ. Les
Jndiens incrédules se moquent de sa prédiction.
Aussitôt il a recours à sa machine : il suspend dans
le milieu une composition faite avec de la poix, du
soufre et de la cire, il attache une grande queue à
cet horrible dragon qui est bientôt enlevé dans les
nues où il semble vomir des flammes. On y lit ces
mots, écrits dans la langue du pays :
la colère de
Dieu va tomber sur vous.
Les Barbares alors, effrayés

-ocr page 463-

de ce phénomène, volent à la prison et délivrent
leurs prisonniers. Peu après le feu se met au papier,
le dragon s'agite, se réduit en cendres et disparaît,
et les Indiens prennent pour l'approbation des
Dieux , l'agitation et les mouvements de cette ma-
chine.

Voici les paroles de Alhan. Rircher, artis. magnœ
lucis et umbrœ, lib. 10, part.
3.

Novi hoc invente nonnullos è patribus nostris in
India è maximis barbarorum periculis erutos. Beti-
nehantur ii in carceribus , dum nioduin se è servitute
liberandi nescirent, nonnemo
callicUor taie quod-
piam machinamentum invenit, minitatus priàs har-
baris , nisi socios redderent, brevi portenta visuros,
et manifestam deorwn iram experturos. Barbaris
verb risu rem excipientibus , dracohem confecit, ex
charta subtilissimd in cujus medio , misturam ex
sulphure, pice , cerâ, eâ industriâ ordinavit, ut
accensa machinam illuminaret, et simul hcec verba
proprio idiomate legendam prœberet,
ii-a Dei : quod
factum est; deindè longissimd cauda affixâ, œri
commisit machinam. , quœ mox conccpto vento,
in œrem abiit, horrifica quadam draconis
igniti
specie. Barbari insolitum phantasmatis motum in-
tuiti, maximoque stupore attoniti , jam se irati
numinis , ac verbonmi patrum memorei, prœdictas quot;
pœnas luituri metuebant. Quare derepentè aperto,
carcere, libéré quos detinebant, exiiv permiserunt:
intereà machina correpta , et inflammata igne,
strepitu veluti applaudente suaptè sponte agitari

-ocr page 464-

dessit, ita patres naturœ spectaculis id, quod multo
aura non poterant, solo pavore immisso impetraruni.

LETTRE XLIIL

haixmonies hydro-vegetales.

Je pourrais citer ici un grand nombre de faits
pour appuyer mon opinion ;
mais M. Rauch , dans
ses harmonies
hydro-végétales, en ayant réuni un
grand nombre, ainsi que l'abbé Richard, dans son
histoire de l'air, je renvoye aux ouvrages de ces
auteurs, et je me contente de rapporter ici uu
fragment oix le lecteur reconnaîtra facilement la
plume éloquente du grand Buflfon.

Dans l'immense étendue des terres de la Guyanne,
qui ne sont que forêts épaisses, où le soleil peut à
peine pénétrer, où les eaux répandues occupent de
grands espaces , où les fleuves , très-voisins les uns
des autres, ne sont ni contenus ni dirigés, où il
pleut continuellement pendant huit mois de l'année ,
l'on a commencé, seulement depuis un siècle, à
défricher autour de Cayenne un très-petit canton
de ces vastes forêts, et déjà la diflerence de tem-
pérature dans cette petite étendue de terrein dé-
friché est si sensible , qu'on y éprouve trop de
chaleur, même pendant la rmit; tandis que dans
toutes les autres terres couvertes de bois , il fait
assez froid la nuit pour qu'on soit forcé d'allumer

-ocr page 465-

au feu. Il en est de même de la quantité et de la
continuité des pluies; elles cessent plus tôt et com-
mencent plus tard à Cayenne que dans l'intérieur
des terres , elles sont aussi moins abondantes et
moins continues; de plus, il ne tonne presque jamais
à Cayenne , tandis que les tonnerres sont violents et
très-fréquents dans l'intérieur du pays, oii les nuages
sont noirs, épais et très-bas. Ces faits, qui sont très-
certains, ne démontrent-ils pas qu'on ferait cesser
ces pluies continuelles, et qu'on augmenterait pro-
digieusement la chaleur dans toute cette contrée,
si l'on détruisait les forêts qui la couvrent, si l'on y
resserrait les eaux en dirigeant
les fleuves, et si la
culture de la terre, qui suppose le mouvement et
le grand nombre des animaux ét des hommes ,
chassait l'humidité froide et superflue que le nombre
infiniment trop grand des végétaux attire, entretient
et répand.

Comme tout mouvement, toute action produit de
la chaleur, et que tous les êtres doués du mouvement
progressif, sont eux-mêmes autant de petits foyers
de chaleur, c'est de la proportion du nombre des
hommes et des animaux à celui des végétaux, que
dépend ( toutes choses égales d'ailleurs ) la tempé-
rature locale de chaque terre en particulier; les
premiers répandent de la chaleur, les seconds ne
produisent que de l'humidité froide : l'usage habituel
que l'homme fait du feu, ajoute beaucoup à cette
température artificielle dans tous les lieux où il
habite en nombre. A Paris, dans les grands froids,
les thei-momètres , au faubourg Saint - Honoré ,
marquent deux ou trois degrés de
plus qu'au faubourg

-ocr page 466-

Saint-Marceau, parce que le vent du Nord se tempère
en passant sur les chemine'es de cette grande ville.
Une seule forêt de plus ou de moins dans un pays,
suffit pour en changer la température : tant que les
arbres sont sur pied, ils attirent le froid, ils diminuent
par leur ombrage la chaleur du soleil, ils produisent
des vapeurs humides qui forment des nuages et
retombent en pluie d'autant plus froide qu'elle
descend de plus haut : et si ces forêts sont aban-
données
à la seule Nature, ces mêmes arbres, tombés
de vétusté, pourrissent
froidomo»t sur la terre,
tandis qu'entre les mains de l'homme, ils servent
d'aliment à l'élément du feu , et deviennent les
causes secondaires de toute chaleur particulière.
Dans les pays de prairies, avant la récolte des herbes,
on a toujours des rosées abondantes , et très-souvent
de petites pluies, qui cessent dès que ces herbes sont
levées : ces petites pluies deviendraient donc plus
abondantes, et ne cesseraient pas, si nos prairies,
comme les savannes de l'Amérique, étaient toujours
couvertes d'une même quantité d'herbes qui, loin de
diminuer, ne peut qu
'augmenter, par l'engrais de
toutes celles qui se dessèchent et pourrissent sur
la
terre.

Je donnerais aisément plusieurs autres exemples,
qui tous concourent à démontrer que l'homme peut
modifier les influences du climat qu'il habite, et en
fixer pour ainsi dire la température au point qui lui
convient; et ce qu'il y a dc singulier, c'est qu'il lui
serait plus difllcile de refroidir la terre que de la
réchauffer : maître de l'élément du feu, qu'il
peut
augmehter et propager à son gré, il nc l'est pas de

-ocr page 467-

î'éiément du froid, qu'il ne peut saisir 111 commu-
niquer. Le principe du froid n'est pas même une
substance réelle, mais une simple privation , ou
plutôt une
diminution de chaleur; diminution qui
doit être
très-grande dans les hautes régions de l'air,
et qui l'est assez à une lieue de distance de la terre,
pour y
convertir en grête et en neige les vapeurs
aqueuses; car les émanations de la chaleur propre
du globe, suivent la même loi que toutes les autres
quantités ou qualités physiques qui partent d'un
centre commun; et leur intensité décroissant en
raison inverse du carré de la distance, il paraît
certain qu'il fait quatre fois plus froid à deux lieues
qu'à une lieue de hauteur dans notre atmosphère,
en prenant chaque point de la surface de la terre
pour centre. D'autre part, la chaleur intérieure du
globe est constante dans toutes les saisons, à dix
degrés au-dessus de la congélation : ainsi tout froid
plus grand, ou plutôt toute chaleur moindre de dix
degrés, ne peut arriver sur la terre que par la chute
des matières refroidies dans la région supérieure de
l'air, où les effets de cette chaleur propre du globe
diminuent d'autant plus qu'on s'élève plUS haut. Or,
la puissance de Hiomme ne s
'étend pas si loin; il ne
peut faire descendre le froid comme il fait monter
le chaud ; il n'a d'autre moyen pour se garantir de
la trop grande ardeur du soleil, que de créer de
l'ombre ; mais il est bien plus aisé d'abattre des
forêts à la Guyanne pour en réchauffer la terre hu-
mide , que d'en planter cn Arabie pour en rafraîchir
les sables arides : cependant une seule foret dans le
milieu de ces déserts brûlants, suffirait pour les

-ocr page 468-

tempérer, pour y amener les eaux du ciel, pour
rendre
à la terre tous les principes de sa fécondité,
et par conséquent pour y faire jouir l'homme de
toutes les douceurs d'un climat tempéré.
(Buffon,
Epoques de la Nature, page 197.)

LETTRE XLIV,

n y a quelque temps que le beau Traité de la
Viritéde la Religion Chrétienne,
d'Abbadie, m'étant
tombé entre les mains, je fus étonné de m'étre ren-
contré avec cet auteur dans les idées principales de ma
quarante-quatrième Lettre. Je suis bien aise d'avertir
mes lecteurs que je n'ai point prétendu lutter avec
un esprit d'Une trempe si supérieure -, et pour qu'on
ne m'accuse pas non plus d'avoir tenté de m'appro-
prier ses idées, je vais rapporter ce beau fragment,
en engageant ceux qui ne connaissent pas l'ouvrage
à le lire tout entier.

« Pour voir qu'il y a une sagesse souveraine, il
ne faut qu'ouvrir les yeux, et les porter sur les
merveilles de la Nature. Quand la considération des
cieux et des astres, de leur beauté, de leur lumière,
de leur grandeur, de leurs proportions, de leur per-
pétuel mouvement, et de ces révolutions admirables
qui les rendent si justes et si constants dans leurs
changements divers, ne nous convaincraient point de
cette vérité, nous la trouverions marquée dans les
vagues et sur le rivage de la mer, dans les plantes,

-ocr page 469-

dans la prodtiction des herbes et des fruits, dans la
diversité et danS l'instinct des animaux , dans la
structure de notre corps et dans les traits de notre
visage.

« En effet, comme tous les hommes qui m'ont
appris qu'il y a une ville de Rome, ne peuvent
s'accorder à se jouer de ma crédulité, il est impos-
sible aussi que toutes les parties de la Nature cons-
pirent à me tromper, en teie montrant les caractères
d'une sagesse qui n'existe point réellement.

« Il est certain même que cette dernière preuve,
à queiqu'iégard , a l'avantage sur la première, en
ce que tous les hommes ont en eux des principes
d'erreur et d'imposture, au lieu que les parties de
la Nature n'en ont point; et qu'ainsi le témoignage
général des hommes est moins infaillible que le
témoignage général des parties de l'univers, s'il est
permis de nommer ainsi l'accord de Jous les ou-
vrages de la Nature-k nous mettre devant les yeux
la sagesse de leur auteur.

« Il ne faut donc que considérer si nous pouvons
nous défendCe de reconnaître dans la Nature ces
caractères de sagesse que nous croyons
y avoir
ï'emarqués. La sagesse emporte deux choses, comme
chacun sait, un dessein et le choix de certains moyens
qui se rapportent à ce dessein. On n'est donc en
peine que de savoir si vous poUvez remarquer
quelque dessein dans les ouvrages de -l'univers, ou
s'il
y a quelque cause qui agisse pour une fin; en
quoi certainement il y a peu de difficultés. Il faut
sans doute avoir perdu la raison, pour douter que
nous
n'ayons des'yeux pour voir, des oreilles pour

-ocr page 470-

ouïr, un odorat pour flairer, une voix pour nous
faire entendre, des pieds pour marcher, les plantes
des pieds plates pour pouvoir nous tenir debout,
un cœur pour faire ou pour recevoir le sang, des
veines pour le contenir , des esprits pour le faire
înouvoir, des artères pour faire battre les.véii^es,
des nerfs pour, rtecevoir les esprits j et quand nous
Voyons que nos yeux ne sont^ point dans nos pieds,
d'où ils ne I p«uiïaient paß ygir les objets ; que
notre bouche, la une communication avec uoti
'e
estomac , sans rlaquelle nous demeurerions frive's
de no-utriiurej, ûo»»« croyons paj isans doute que
tout ceia se ti-ouve. ainsi fait sans' dessein.

« On, s'aperçoit de cette sa'gesse,-répandue' das»
l'univers., soit. qw'on examine un seul corps, soit
qu'on jette les yeux sur l'assemblage de toutes les
choses .ceçpprelles. Considérez la lumière, la plus
noble et la plus belle lt;le toutes les parties de l'uni-
vers ; . ce «'est pas sans raison qu'elle se trouve
réunie en certains globes -qui la rp'pandent sans
cesse, et qui ne s'épuisent, jamais ; que ces globes
sont à une distance de la
terre, si juste et si réglée^
et qu'ils paiaissent toujours se mouvoir sans que
ce mouvement r«el :0u apparent trouve aucun
obstacle qui l'arrête.

« Degicendez plus bas et considérée les usages de
l'air. Ii porte, jusqiues nous la lumière et les in-
fluences des: astres; il se charge de ces nuées qui
font la feAtjUté de la terre et l'abondance de nos
moissons ; il pprte les sons jusqu'à nos oreilles, et
les : couleurs jusqu'à nos yeux; il, .fait notre respi-
ration et k mouvement de.nos poumons, la force

-ocr page 471-

et l'agitation de la flamme, la ve'gétationquot; des plantes
et la vie des animaux.

« Voyez ensuite comment cet air et cette lumière
s'unissent avec les organes du corps Immain; car
sans l'œil de l
'homme, la lumière n'est que ténèbres,
et sans la lumière, l'œil de l'homme n'est qu'aveu-
glement. Considérez ces dépendances admirables,
qui font que les cieux roulant ou paraissant roider
dans le vaste sein du monde, procurent le bien d'un
atome, qui jouit de toutes ces merveillce, dont la
grandeur est si disproportionnée à la'sienne, et qui
possède ce que les «i«ux et les astres Çai'Aissent avoir
de plus précieux , taché comme it • est dans le coiil
d'un globe, qui n'est qu'un point en comparaison
des autres parties de l'univers.

« Qui est-ce qui a appris à l'air, aux vents, aux
pluies et aux autres météores, qu'ils devaient con-
tribuer à rendre la terre'fer tile ? Pourquoi le soleil
fournit-il p6ur cela sa chaleur et sa lùinière, les
astres leurs influences , la mer ses nuéës , l'air sa
rosée'et sa fraîcheur gt; et les saisons le tempérament
dê'leui-s qualité ? Comment la terre tire-t-elle d'un
Séin stérile et flétri tant de plantes si admirables
dans leurs productions, d'arbres excellents et de
friiits exquis ? Pourquoi faut-il que'cèsifruits soient
propres à se changer en la substanCi^rdes^ animaux
et à cônsèrVer lèur Vie ? Comment la faim et la soif
leur apprennent-ellés à point nommé qWil est temps
de prendre des aliments qui sont quot;^déstinés à leur
nourriture , et comment le dégoût'ët le fasSasiement
leur enseignent-ils, au contraire, qu'ils en ont assez
pris pour le
bien de leur nature, et Celd par une loi

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qui ne peut être viole'e que par les maladies qui
troublent l'e'conomie naturelle de leur tempe'ra-
ment ?

« A quoi serviraient tous les fruits de la terre,
s'il n'y avait des animaux pour s'en noUri'ir ? et que
feraient ces animaux, sans les fruits de la terre ?
Comment les espèces des animaux se conserveraient-
elles , sans l'inclination ,que le mâle a pour la
femelle ? et à quoi e'tait nécessaire cette inclination,
s'il n'avait fallu que la propagation se fît par ce
moyen ? Pourquoi est-ce que dans les lieux où il ne
croît point de grain, la Nature fait croître des cocos,
ces arbres merveilleux dont la moelle est du pain,
le suc qu'ils contieiment, du vin, et le poil dont
leurs feuilles sont couvertes, du coton dont on fait
des habits ? Pourcjuoi est-ce que dans l'île de Fer,
où il n'y a point de source ni de rivière pour
abreuver les habitants , il y a un arbre qui est
perpétuellement couvert d'une nuée qui fait distiller
l'eau de ses branches? la Nature, en formant une
source miraculeuse dans l'air , lorsque la terre,refuse
d'en donner, voulut que toutes les bètes et tous les
hommes qui habitent cette île y trouvassent abon-^
damment de quoi étancher leur soif.

« On ne peut se dispenser, quoi qu'on fasse, de
reconnaître que les parties de la Nature ne sont pas
ainsi enchaînées sans quelque dessein. La terre ne
serait pas située comme elle l'est, le soleil n'éclai-
rerait pas les deux hémisphères tour à tour avec
tant de régularité, la mer ne, respecterait pas ses
bords, l'air ne se serait point, venu placer préci-
sément entre la terre et les astres, pour nous faire

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]otiir de leur chaleur et de leur lumière tempe're'e
par cet éloignement ; les saisons ne se trouveraient
pas si régulièrement partagées ; le corps humain
formé avec une symétrie si parfaite, ce corps animé
d'une ame qui est toute seule un abrégé de mer-
veilles, cette ame avec des penchants qui la portent
au soin de son bien-être et de sa conservation, ces
penchants éclairés par une raison qui les adresse à
leurs fins légitimes, et cette raison elle-même rem-
plie d'une lumière naturelle, qui l'empêche de se
tromper, lorsqu'elle juge librement des objets qu'on
lui
propose : toutes ces choses ne seraient point de
la sorte, s'il n'y avait une
intelligence souveraine
qui agit dans l'univers.
» ( Abbadie , Traité de /«
vérité de la Religion Chrétienne,
page 20, )

3o

fin des notes.

II.

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TABLE

DU TOME SECOND.

Lettre xxvii. Du ftu..................pag. i

Lettre xxvm. Du calorique...........

Lettre xxix. Histoire du prince de Cachemire

ou les prodiges de la science. Sa
Lettre xxX. Electricité, météores, foudre..
Lettre xxxi. Electricité. Belle compensation

de la Nature. Jurore boréale.. 64

Lettre xxxii. Des volcans................ „j

Lettre xxxiii. Des végétaux et des animaux

venimeux................. ^^

Lettre xxxiv. Prévoyance de la Nature.

Horloge de Flore. Nids des
oiseaux. Ruses des insectes.. io4

Argument du quatrième Livre............ j23

Livre quatrième. De l'eau considérée dans
quelques-uns de ses rapports
avec la physique, la chimie

et l'histoire naturelle....... jgj

Lettre xxxv. De l'eau en général.........

Lettre xxxvi. De la rosée, et de l'origine

des sources................ ,

-ocr page 476-

AÖSnbsp;TABLE.

*nbsp;f«Be.,

Lettre xxxvii. Immensité des eaux. Les

marées......................................i77

Lettre xxxvm. Le nouveau monde, ou dé-
couvertes de Spallanzani
--------i8g

Lettre xxxix. De la glace et de la neige...nbsp;3oo

Lettre xl. Des eaux souterraines..................3i4

Lettre xli. De la nature de l'eau..................233

Lettre xlti. Hélie et Béatrix, ou Connais-
sances des anciens sur les

ballons......................................^47

Lettre xliii. Harmoniesnbsp;...nbsp;257

Lettre xi-iv. Récapitulation, ou But de la

Nature..........................269

ÉpiLOGrE................................................................281

1

f h n2 «f U gt;

Notes......................................................................285

Fin de la Table.

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