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LETTRES

À SOPHIE,

SUR

la physique, la chimie

et

L'HISTOIRE NATURELLE.

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a yißisäkles, îdequot; l'imprimerie de j.-p. jacob.

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^ lettres

A SOPHIE,

SUR

la physique^ la chimie

ET

L'HISTOIRE NATURELLE;

Par Louis-Aimé MARÏINj
Avec des Notes par M. PATRIN, de l'Instittit.

,seconde edition, corric.ee et augmentee.

« Prenez et dirigez un miroir, dit Platon, vous
'I reproduirez la terre, les mers et le ciel ; le Monde,
a comme une ombre legère , passera devant vos
« yeux
11 : mon ouvrage est ce miroir. Introduction.

TOME PREMIER.
A PARIS,

^ hcz H. SicoLLE, Libraire, rue lt;3e Seine, n.o 12,

1811. U'-ff^c

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-ocr page 9-

préface

DE CETTE SECONDE ÉDITION.

Cette Édition aurait paru trois mois
plus tôt, si elle n'avait été arrêtée'par
les nombreuses corrections auxquelles
je travaillais.
J'étais tlevenu d'autant
plus difficile que l'indulgence du Public
avait été plus grande à mon égard 5 je
voulais rendre mon Ouvrage le plus
digne possible du succès qu'il avait ob-
tenu, et profiter de toutes les critiques
faites à sa naissance ; j'entends de celles
qui n'avaient été dictées ni par la haine
ni par l'esprit de parti; et je dois dire,

-ocr page 10-

a la louange de mes Juges, que ces
dernières étaient peu nombreuses.

Le reproche le plus grave qu'on ait
lait aux
Lettres à Sophie, c'est qu'elles
donnaien t des notions trop superficielles
des sciences. On oubliait sans doute que
ces Lettres étaient plutôt composées
pour donner le goût de la physique
et de l'histoire naturelle , que pour
approfondir leurs secrets. Quoi qu'il
en soit, j'ai cru devoir me rendre à
cette observation ; et, sans trop sur-
charger mon livre , j'ai ajouté quelques
détails scienlifiques dont l'aridité m'a-
vait d'abord effrayé , et auxquels j'ai
essayé de donner un peu de clarté et
d'agrément. Dans les quatre Lettres
que je publie, on en trouvera une

-ocr page 11-

sur les lois du mouvement et une sur
ïœil. Cette dernière surtout m'a coûté
beaucoup de travail 5 et si l'on veut
considérer combien les découvertes de
Newton sont difficiles à faire entendre
sans le secours de la géométrie j si l'on
examine la délicatesse inouïe de l'œil,
les merveilles de sa conformation, ses
Rapports surprenants avec la lumière
qui se brise dans les dllFérentes
humeurs
qui le composent, on me saura peut-
être gré d'avoir tenté de dévoiler aux
gens du monde des secrets qui, jusqu'à
ce jour , n'avaient été connus que des
savants.

Dans une troisième Lettre j'ai traité
des
ruses des animaux ; l'amour ma-
ternel , surtout, m'a semblé une loi

-ocr page 12-

générale instituée par la Nature pour la
conservation de tous les êtres. Les
jni-
grations des oiseaux
méritaient un
article à part, et j'ai dit peut-être des
choses nouvelles sur ce sujet, que peu
de naturalistes avaient traité. Quant aux
anciennes Lettres, j'y ai refait un grand
nombre de passages ; on trouvera, par
exemple, dans la cinquième, des détails
qui manquaient sur la
raréfaction et
sur la
puissance du soleil. La onzième
contient la
description du baromètre.
La quatorzième renferme quelques idées
sur les
voyages des plantes. Dans la
seizième et la dix-septième, j'ai donné
la
théorie de la respiration et de la
combustion-.,
plus loin , j'ai parlé de la
lumière de la lunecalorique, des

-ocr page 13-

fourrures des animaux., des plantes
vénéneuses
de la mer, de la neige^
de la glace et d'un grand nombre
d'autres phénomènes que j'avais traités
d'abord trop succinctement (ij.

Ces Lettres, adressées dans l'origine à
une demoiselle charmante, renfermaient
quelques galanteries qui ne pouvaient
intéresser le public 5 j'ai senti, avec un
critique distingué , qu'il était
nécessaire
d'en diminuer le nombre, et je les ai

(i) Ceux qui désireront acquérir des connaissances
plus étendues peuvent lire la nouvelle édition du
Traité de l'existence de Dieu, démontrée par les
merveilles de la Nature,
par Fénelon, dans laquelle
j'ai donné plusieurs aperçus nouveaux sur les grandes
harmonies de l'univers, i vol. in-8.0, 1811, à Paris,
chez Demonville, imprimeur-libraire, rue Christine,
n.o 2.

-ocr page 14-

remplacées par des pièces qui naissaient
du sujet.

Il me reste à remercier MM. les Jour-
nalistes de la bienveillance qu'ils ont
montrée en rendant compte de mon
Ouvrage -, j'ai cru ne pouvoir mieux leur
prouver ma reconnaissance qu'en ren-
dant ces Lettres plus dignes des éloges
qu'ils ont bien voulu leur donner.

-ocr page 15-

introduction.

Il y a quelques années, que me trou-
vant à la campagne, chez Sophie H***,
nous eûmes ensemble plusieurs entre-
tiens sur la physique et l'histoire natu-
relle. Le livre favori de Sophie était les
Études de la Nature 5 elle le portait
toujours avec
elle, oorïiTïifi on dit que
La Fontaine portait les Œuvres de
Gassendi. La lecture de Bernardin de
Saint-Pierre avait donné à cette aimable
personne le goût de l'observation. Lors-
que dans ses promenades, un site pitto-
resque se présentait à sa vue, elle se
plaisait à en chercher les harmonies ; le
ruisseau de la vallée, le saule du ruis-
seau, le sapin de la montagne, tout lui

-ocr page 16-

apprenait qu'il est une Providence. H
fallait l'entendre alors vanter les œuvres
de l'Éternel ; elle semblait , comme
Socrate, avoir à ses côtés un génie qui
lui dévoilait un Dieu bienfaiteur.

Cependant l'ouvrage de Bernardin,
en la transportant, pour ainsi dire, au
milieu d'une Nature enchantée, lui avait
donné des idées fausses sur plusieurs
grands phénomènes de la Nature 5 elle
ignorait encore toutes les découvertes
de la physique moderne, et semblait se
peu soucier de les apprendre. Lors-
qu'elle me parlait de quatre éléments,
de sept métaux , ou de la fonte des
glaces polaires, je me hâtais de lui donner
une idée de la science de Newton et de
Lavoisier 5 mais la crainte de voir dé-
truire son monde enchanté, l'empêchait
de se livrer aux sublimes systèmes de

-ocr page 17-

ces deux grands génies. Cependant un
jour je développais quelques idées sur
la décomposition de l'air et de l'eau. Ces
singulières expériences piquèrent la cu-
riosité de Sophie. Je saisis cet instant
pour lui montrer la lumière analysée ,
les éléments décomposés, la physique
régénérée, enfin une partie des décou-
vertes modernes. On devine combien
elle dut ^tre étonnée ^ un nouveau
raonde paraissait à ses yeux. Cette même
Sophie, que jusqu'alors l'éloquence seule
de l'auteur de Paul et Virginie avait su
charmer ; cette Sophie , qui avait tou-
jours dédaigné les idées nouvelles, était
devenue tout à coup l'admiratrice de
Lavoisier. Séduite par les expériences
de cet homme surprenant, elle résolut
d'étudier la physique, et de me prendre
pour son guide. J'eus beau lui repré-

-ocr page 18-

senter qu'une partie des connaissances
nécessaires me manquaient ; que, pour
lui faciliter l'étude des sciences, je serais
obligé , moi-même, à des études consi-
dérables , Sophie ne voulut rien en-
tendre ; et, tout à coup , comme le
pauvre Sganarelle, je fus reconnu savant
malgré moi.

La chose étant décidée, il fallut songer
à rendre amusantes des expériences et
des
découvertes souvent abstraites. Les
difficultés ne me rebutèrent point; je fis
un grand nombre d'essais; je me nourris
de la lecture des bons auteurs. Peu à
peu le cahos se débrouilla, mon plan
s'agrandit, et je commençai à écrire. La
sécheresse des sujets que j'avais à traiter
était souvent désespérante. Pour y jeter
un peu de variété et d'agréments , et
pour sortir des routes déjà tracées, je ré-

-ocr page 19-

solus d'entremêler ces essais de quelques
morceaux de poésie, et je chantai, tour
à tour, la beauté, la Nature et la science.
Instruire en amusant, tel est le but que
je me suis proposé5 le temps seul m'ap-
prendra si j'ai réussi.

Prenez et dirigez un miroir, dit Platon,
vous reproduirez la terre, les mers et le
ciel ; le monde , comme une ombre
légère,
passera devant nos yeux : mon
ouvrage est ce miroir.

Telle est l'origine de cet essai; et si
une chose peut me faire pardonner ma
témérité, c'est que je n'ai eu d'autre but,
dans mon travail, que de donner le goût
de la science et d'oflrir une esquisse des
découvertes principales de la physique
et de la chimie.

Quant à la partie poétique de cet
essai, je nie plais à témoigner ici ma

-ocr page 20-

reconnaissance à riiomme de lettres
distingué qui a bien voulu m'honorer
de ses conseils. Auteur de plusieurs
poèmes charmants , savant dans les
langues anciennes, et de plus homme
de goût, il vient encore de montrer,
dans des ouvrages d'érudition, qàe tous
les genres de littérature lui étaient fami-
liers. Si,, malgré ses soins, mon ouvrage
est resté si faible, c'est moi seul qu'il
faut
en accuser : les conseils d'un litté-
rateur distingué peuvent guider le talent
et non le donner.

Je dois aussi beaucoup à M. Maurice
S...., mon compatriote et mon ami,
jeune artiste plein de goût et d'instruc-
tion ; il n'a rien épargné pour rendre
mon ouvrage digne du pubhc, et je lui
suis redevable d'une foule d'heureuses
corrections. Je le prie de me pardonner

-ocr page 21-

introduction.nbsp;xvij

ce faible éloge ; quelle que soit sa mo-
destie , elle est au moins égalée par ma
reconnaissance.

M. Delille, dans son poëme des Trois
Règnes.,
a développé avec le plus grand
talent les belles découvertes de la science.
Le traducteur des Géorgiques pouvait
seul donner une tournure agréable aux
choses les plus arides ; aussi, me suis-je
bien gardé
d'essayer de marcher sur ses
traces. M. Dehlle plaça une statue
d'airain sur les autels de la Nature 5
moi, j'essayai d'y jeter quelques fleurs ;
il éleva des accents subhmes , à peine
osai-je répéter des airs inspirés par une
muse trop faible encore ; et, si j'ai tenté
lt;ie m'élever quelquefois, c'est qu'il est
bien difficile de ne pas se croire poète
en présence de la Nature.

Je finirai cette préface en donnant

I.nbsp;b

-ocr page 22-

une légère esquisse du plan que j'ai
suivi.

J'ai divisé cet essai en quatre livres ;
on verra que cette division naissait du
sujet.

Le premier livre contient l'explication
succincte de quelques lois générales de
l'univers, lois dont la connaissance est
indispensable. Après avoir fait l'éloge
de Newton, de Lavoisier, de Bufibn ;
après avoir dit quelques mots sur l'in-
certitude des sciences, je rappelle l'hy-
pothèse de Pythagore ,
cfue tout est
sensible dans la Nature.
Cela me
conduit à parler de l'attraclion, de la
pesanteur, et de quelques lois des affi-
nités chimiques. Je donne ensuite des
détails sur les lois du mouvement, ce
qui me conduit à montrer la sagesse du
Créateur dans la forme des pieds des

-ocr page 23-

animaux. Je consacre une lettre aux
moyens de conservation que tous les
êtres ont reçus , aux ruses des insectes ,
à la tendresse maternelle, etc., etc. Je
termine ce livre par un tableau de la
puissance du physicien.

Dans le second livre, je traite de l'air
dans quelques - uns de ses rapports
avec la physique, la chimie et l'his-
toire naturelle.
Je commence par donner
une idée des phénomènes de l'acous-
tique; je cherche la cause des échos; je
dis, en passant, quelque chose de l'im-
pression que le bruit des vents et des*
orages fait sur notre ame ; je donne
quelques idées nouvelles sur les migra-«
tions curieuses des oiseaux ; je traite
ensuite des vents ; j'explique le phéno-
inène de la respiration ; je décompose
1 air ; je fais l'histoire des gaz oxygène,

-ocr page 24-

xxnbsp;introduction.

a/ote et carbonique, ce qui me conduit
à la reproduction de l'oxygène par le
règne végétal ; et, après avoir peint les
amours de Flore et de Zéphire, ou les
mystères de la botanique, je finis par
donner quelques idées nouvelles sur le
système du monde.

Dans le troisième livre, je traite de la
lumière et du calorique dans quelques-
uns de leurs rapports avec la phy-
sique, la chimie et l'histoire naturelle.
Je peins la nuit, le crépuscule et l'au-
rore 5 je traite de leurs causes, et je
donne ensuite une idée des tourbillons
de Descartes ; puis, suivant la marche
tracée par Newton, je décompose un
rayon du soleil, j'explique l'origine des
couleurs, l
'arc-en-ciel, la vision et les
phénomènes de la
réflexion et de la
réfraction , et je finis par hasarder,

-ocr page 25-

quelques idées sur les harmonies des
couleurs.

L'histoire du calorique ou du feu
suit immédiatement, ainsi que celle de
l'électricité, des météores et de la foudre.
Je donne ensuite quelques idées qui
m'appartiennent sur les compensations
admirables de la Nature. Je traite de
l'aurore boréale, et j'explique d'un seul
trait,
les pluies de pierres, les trombes
et les volcans, par la belle
théorie de
M. Patrin. Enfin, je hasarde quelques
pensées nouvelles sur l'utilité des plantes
et des animaux venimeux; et je termine
ce livre par le tableau de la prévoyance
de la Nature par rapport aux fleurs et
aux nids des oiseaux.

Dans le quatrième livre considère
ïeau dans quelques-uns de ses rap^
poi ts avec la physique p la chimie et

-ocr page 26-

l'histoire naturelle. Je traite d'abord de
l'eau en général, de l'estime qu'en ont fait
les anciens peuples, et du soin que la Na-
ture a pris de la répandre en tous lieux.
Je traite ensuite des causes de la rosée
et des sources des fleuves, de l'immen-
sité des mers , des marées , et je donne
une idée des animalcules de Spallanzani,
La formation de la glace, l'aspect des
Alpes et »un voyage souterrain font le
sujet de plusieurs lettres ; et j'arrive ainsi
à la fameuse expérience de la compo-
sition et de la décomposition de l'eau.
Cette lettre est suivie d'un essai sur les
connaissances aréostatiques des anciens ;
puis, après avoir peint quelques har-
monies hydro-végétaies, je termine mon
ouvrage par montrer que toutes les
œuvres de la Nature ont un but ; que
ce but est le bien des êtres créés ; et

-ocr page 27-

• • o

je chante le génie de l'homme, pour
prouver son immortalité (i).

Tel est le plan que j'ai suivi : plan
immense, qui renferme l'explication des
plus intéressants phénomènes de l'uni-
vers, et
qui, par conséquent, était bien
au-dessus de mes forces. Je ne dirai donc
rien de mes essais ; reconnaître la fai-
blesse de mes talents, c'est reconnaître

la faiblesse de mon ouvrage.

Cependant, si les savants me repro-»
chaient de traiter les matières scienti-
fiques trop légèrement, je les prierais

(i) Oa conçoit que cet ouvrage, pour être com-
plet, demande un cinquième livre où il soit traité
de la terre , de la physique du monde en général,
des métaux, des sels, etc. Ceci fera le sujet d'un
ouvrage, k part que l'auteur se propose de publier,
ainsi que des lettres sur la botanique, si le publie
accueille avec indulgence ce premier essai.

-ocr page 28-

xxiv introduction.

de se rappeler que mon ouvrage n'est
qu'une introduction à ceux de Lavoisier
et de ses successeurs, et que je n'ai point
tâché de refaire ce que ces savants ont
si bien fait.

Au reste, les notes que M. Patrin a
bien voulu me communiquer serviront
comme de supplément à mon ouvrage,
et contenteront ceux qui auraient le
désir de pénétrer plus avant dans les
profondeurs de la science. Qu'il me soit
permis de remercier ici ce savant natu-
raliste , qui a bien voulu m'aider de ses
conseils et de sa plume.

le ferai encore remarquer que, soit
pour ramener l'attention , soit pour
rompre un peu l'uniformité du style
épistolaire, j'ai souvent changé la forme
de mes lettres : tantôt c'est une pro-
menade, tantôt un entretien, un réve,

-ocr page 29-

une fable, un voyage ; quelquefois je
hasarde une fiction. La plus hardie,
sans doute, est l'apparition des ombres
de Chapelle et de Gassendi : peut-être
me dira-t-on que c'était les faire revenir
de bien loin pour raisonner des sciences;
cependant jai cru pouvoir suivre
l'exemple de quelques grands écrivains,
et entre autres, du léger Hamilton,
auteur ingénieux, qui conversait souvent
avec les morts pour égayer les
vivants.

Je tiens d'ailleurs pour certain que les
fictions ainsi que les épisodes que j'ai
répandus dans cet essai, serviront à
captiver l'esprit des lecteurs, réveilleront
leur attention, et leur feront goûter les
vérités de la science. Comme il est permis
de comparer les petites choses aux
grandes, je rappellerai ici que les plus
gi'ands orateurs ne sont souventparvenus

-ocr page 30-

à se faire écouter qu'en employant
à propos un apologue. Rome vit ses
peuples révoltés rentrer dans le devoir
au simple récit d'une fable. Thémistocle
et Démosthènes, placés dans les mêmes
circonstances, n'employèrent pas d'autres
moyens, et obtinrent le même succès.
Les hommes sont des enfants qui
demandent à être amusés.

Si humble que soit la chaumière, elle
est aperçue du soleil qui y fait tomber
un de ses rayons. J'ai osé appliquer cette
sentence de Pythagore à mon ouvrage :
heureux si le sexe enchanteur pour qui
je l'écrivis veut répandre sûr lui ce rayon
bienfaisant !

-ocr page 31-

ARGUMENT

DU PREMIER LIVRE.

De quelques Lois générales de la Nature,

Lettre première.—Introduction. Grandeur des
œuvres de Dieu. Systèmes des
anciens.
Incertitude des sciences. Paul et
Virginie. Idée de Montaigne. Anec-
dote sur le roi de Siam.

Lettre II. — De Newton, de BufFon et de
Lavoisier.

Lettre III. — De l'hypothèse de Pythagore,
que
Tout est sensible dans l'univers.
Tableau de la Nature.

Lettre IV. — De l'attr«ction. Histoire de sa.

-ocr page 32-

découverte par Newton. De la pe-
santeur, du mouvement et de l'har-
monie des mondes.

Lhttre V. — De plusieurs lois des affinités
chimiques. De l'attraction élective.
De la raréfaction qui balance le
pouvoir de l'attraction. Exemple tiré
de la formation des sources. De la
puissance du soleil. Belle harmonie
de la Nature dans la distribution des
fruits. Des premières fleurs du prin-
temps. Apostrophe au soleil.

Lettre VI. — Du mouvementi Des deux mou-
vements de la terre, l'un sur son axe,
l'autre autour du soleil. Du repos
apparent, et du vrai repos. Lois géné-
rales du mouvement. Du mouvement
par rapport aux tableaux de la Nature.
Bonté du Créateur dans le mouve-
ment des animaux et dans la
forme
de leurs pieds.

Lettre VII. —Loi de conservation. Des ruses
des animaux. De l'amour maternel.

-ocr page 33-

Des habitants des eaux, de l'air et
de là terre. Combat du sphex et de
l'araignée. Grand tableau de la
Nature. Description des nids des
oiseaux; leurs couvées. Comment la
Nature enseigne à plaire aux ani-
maux. De l'amour et de la vieillesse.

Lettre VIII. — Description d'un cabinet de
physique. Puissance du physicien. Lp
poëte.

-ocr page 34-

DES LOIS GÉNÉRALES DE LA
NATURE.

y

« La matière est un assemblage confus,
« un mélange hétérogène des propriétés
« les plus dissemblables, des éléments les
« plus ennemis, des objets les plus dis-
« parates, des principes de vie et des
« semences de mort, enfin de toutes les
« contrariétés de la Nature. Il est donc
(( nécessaire de classer et de séparer ce
« cahos en substances similaires et ho-
« mogènes entre elles , que la science
« humaine n'est point encore parvenue à
« décomposer. Ces matières simples et ho-
« mogènes sont les
éléments, non pas ces
(( quatre grandes classes de matières que
u l'ancienne physique désigna sous les
« noms de
terre, iXeau, iXair et àe feu;
« car on est pai^venu à découvrir que ces
« prétendus éléments étaient encore com-
« posés de matières plus simples qui seront
« décomposées à leur tour en éléments,
« dans la suite des âges.

-ocr page 35-

xxxj

Clt; Il est donc impossible aujourd'hui de
« fixer le nombre des éléments qui com-
« posent la matière en général, et cette
« connaissance surpasse peut-ê tre les forces
« de l'esprit humain j mais du moins nous
tlt; reconnaissons quelques lois très-géné-
V raies dans la Nature, et qui gouvernent
« tous les corps de l'univers.

« Les premières de toutes celles qui
« semblent inhéi-entes à la matière, bien
« qu'elles soient un présent de la Nature,
« sont les lois de l'attraction ou de la
« pesanteur. Tantôt, agissant à de grandes
« distances, elles font circuler
les mondes
« autour du soleil, et déterminent l'é-
w tendue de leurs ellipses; tantôt, circons-
« crites dans les bornes des affinités clii-
« miques ou des agrégations, la masse des
« corps entre comme élément, et doit
« être évaluée dans la masse totale des
« forces -, ainsi ces lois s'étendent géné-
« ralement dans toute la matière de l'u-
« nivers.

« La seconde loi est celle de la raré-
« faction, qui contrarie sans cesse la pré-
« cédente, en écartant les molécules des
« corps que l'attraction tend toujours à

-ocr page 36-

xxxîj

« rapprocher. La chaleur ou le feu est
« le principe de cette force universel-
« lenient répandue dans le monde. Peut-
« être se lie-t-elle par des rapports in-
« connus aux premières lois de la matière;
« peut-être devient-elle le germe secret
« de la vie des corps organisés. Au moins
« elle semble se confondre avec la lumière
« et le fluide électrique, qui jouent sans
« doute un très-grand rôle dans l'univers,
« qui allument la foudre, qui pénètrent
« la terre, la vivifient, et sont les prin-
« cipaux instruments des métamorphoses
« de tous les corps. Peut-être le magné-
« tisme dépend-il oi'iginairement des
« mêmes causes, mais modifiées, et qui
« tiennent aux lois fondamentales du
« monde.

« Les autres lois générales de la matière
« sont celles du mouvement, etc.

( ViREY, nouveau Dictionnaire d'Histoire
naturelle, au mot
JNatUre. )

-ocr page 37-

LETTRES

1 SOPHIE,

SUR

LA PHYSIQUE, LA CHIMIE

et

L'HISTOIRE NATURELLE.
LIVRE PREMIER.

de quelques lois générales DE la nature.

-■ ..iliii . 'M :gt;■

LETTRE PREMIÈRE.

de la physique ancïeufne.

quot;^lEss Bn'inspirer, ô dieu du jour l
Que ma voix sublitoe ou légère
Puisse célébrer tour à tour
Les lois du ciel et de la terre,
Les savants, Sophie, et l'amour.
La beauté m'ordonne d'écrire ;
Je vis sous ses aimables lois ;
La beauté m'anime et m'inspire j

I.

-ocr page 38-

LIVRE PREMIEK.
Jamais les cordes de ma lyre
N'avaient résonné sous mes doigts
(Jue pour célébrer son empire.
Mais il faut que de nos docteurs
Je vous dévoile la science,
Et qu'à leur severe éloquence
Par fois je mêle quelques fleurs.
Eh Lien ! essayons cet ouvrage,
Préparons nos légers pinceaux.
It faisons quot;de légers tableaûi'^
Qui plaisent au Français volage.,
Quoi ! l'on redoute les savants !
L'on trouve leur science :obscure,
Leurs systèmes impertinents !
ïeut^lre seraient-ils charmanls
Aveo un peu plus de parure.
Eh bien ! s^ un ton plus galant
J'entais essayêr la peinture :
Vous apprendre? incessamment
Et les secrets de la Nature,
Et les secrets du firmament..
Ma muse, légère et badine,
N'écrira rien que de flatteur..
Ainsi, dans son trouble enchanteur,
L'amant qui vous o£amp;e une fleur
A soin d'en écarter l'épine.

ïfous allons donc étudier la Nature j

-ocr page 39-

mais ne vous flattez pas tie n'y janiais
trouver l'amour : tout est sensible dans.
1 univers j la fleur même des champs, dont
la bergère fait des bouquets, renferme de^
mystères qujtf Je savsint rLinnée vous con^
fiera.nbsp;, ,lt;5;nbsp;; :

Que si je votis conduis avec Newtonv
dans la route des cieux , noùs y retrou-'
verohs l'attraction lt;jùi soutient les soieiJar
amp;ur r^baane et les. dirige dans l'espacc^ qufe'
SI nous touiroons nos yeux saî-la phy§gt;îq{iëgt;
et la.Gliimiegt;nous
réconnaîtJioiis qu'^lèîâ»
doivent toute leur gloirè à des affînitt}$-
singulières et inexplicable^.nbsp;i

Essayons d'esquisser les phénomène-a de
l'univers. O magnificence! comment con-
templer à la fois tant de , merveilleg,^^
détails échappent aux calculs, et l'en-
semble au génie : k coeur ne peut suffire
a tant d'amour, la reconnaissance à cétte
multitude de bienfaits , et l'imagina^qn
même reste épouvantée devant la gi:aB-
deur de la création. •

-ocr page 40-

4 * LIVRE PHKMIÈR,

Qui peindra la verdure et les fleurs?qui
peindra l'Océan, les fleuves, les ruisseaux,
les fontaines? qui dévoilera leurs secrets?
Vuyez.se jouer dans les airs ^ dans les
eaux et sur la terre, cette multitude variée
d'animaux, depuis l'aigle jusqu'au mou-
cheron, depuis Téléphant jusqu'à l'insecte
imperceptible ; interrogez lès -éîjliOs ;
Toyçz l'éclair, la foudj^-e, les orages, l'arc-
en-cjel j comment ne pas désirer -^ tfon-^
naîtr« les causes de ces merveilles ? Ori les
cherche, on les étudie, on en saisit quel-
ques-unes; mais toujours la première reste
invisible, et la pensée de Dieu seule peut
l'expliquer.

Et tout à coup cédant aux désirs de mon cœur,
Je voulus adorer Dieu, l'auteur de mou être,
Ef je dis à la terre : Es-tu le créateur

Que mon amour cherche à connaître?
Et la terre me dit : Je ne suis point ton Dieu.
Et je dis à la nier, à l'air, au vent, au feu :
|;ies-vous l'Éternel que l'univers adore ?

1911« rajout répgudu, nous n« Iç lommss pa^.

-ocr page 41-

\ers 1 Orient alors ayant tourné mes pas,
Je demandai rÉternel à l'Aurore :
^ astre de l'univers s'avance radieux;
D un seul de ses rayons il embrase, il éclaire
Tonte l'immensité de sa noble carrière,quot;
Et je fus ébloui du spectacle des cieux ;
Et le soleil me dit : O mortel téméraire !
Tu voudrais ôontempler Dieu dans sa majesté !
Lévè les yeux, soutiens l'éclat de ma lumière :
Je
suis èbscur devant le maître du tonnerre j
Je puis servir de voile à la Divinité.
Homme ! vois ton néant, et garde le silence :
la mort dissipera bientôt ton ignorance.
Mais laisse en l'attendant couler tes jours en paix;
Et reconnais le Dieu qui t'apprend sa puissanoa
En répandant sur toi d'innombrables bieafaits.

Eh bien! si je ne puis contempler le
Créateur, j'essayerai de le connaître par
ses œuvres.
Je m'élèverai à la cîme des
monts pour
y étudier la source des
fleuves; je verrai les orages se former et
la foudre grondera sous mes pieds en-
tr'ouvrant le sein de la tèrre , je vous
ïnontrerai les cristaux, For, le diamant
eachés sous la verdure , comme pour

-ocr page 42-

laisser la place aux véritables richesses j je

demanderai aux abîmes la cause de ces

gt; ■■

feux qui donnent des spectacles si ef-
frayants et si magnifiques j et, remontant
enfin à la surface du globe, j'essayerai de
deviner comment, du sein de la poussière
aridej on voit éclore les bois, les fleurs et
les moissons.

Mais pour varier ces tableaux
Et pour délasser mon amie,
3'irai tantôt dans la prairie
Célébrer siu- mes chalumeaux
L'amour et ses galants travaux,
La bergère la plus jolie,
•j, .Et les doux charmes du repos ;
Tantôt sur les bords solitaires
D'une fontaine ou d'un ruisseau j
J'irai des filles du hameau
Contempler les danses légères.
Alors foulant le verd gazon,
Et me couronnant de feuiUage,
Je répéterai la chanson
Des jeunes pasteurs du village.
Ainsi j'unirai tour à tour
A la plus savante peinture,

-ocr page 43-

lETTRE r.nbsp;7

t.'amour, les fleurs et la verdure :
Chanter le plaisir et l'amour,

C'est toujours chanter la Nature.nbsp;,

V

rgt;e manière quot; que les plus belles décou-
vertes de l'homme seront unies dans notre
esprit aux tableaux les plus riants et les
plus aimables.

Mais je pense qu'avant d'entrer en ma-
tière il ne serait point inutile de vous
donner une idée des principaux systèmes
des
anciens en physique : je dis des prin-
cipaux 5 car s'il fallait vous
les détailler
tous , des volumes ne suffiraient pas.

L'ancienne physique était moins la
science de la Nature, que celle des opi-
nions des philosophes. On n'observait pas,
mais on faisait des systèmes qui expli-
quaient tout. Thaïes créait le monde avec
l'eau Phérécide avec la terre (2) j
Hippon employait le feu j un peu d'air

(i) Aristote, tome 4, Metaphj. lib. i.«', cap. 3.
C- Origenis Philosophumcna. cap. de Thalete.
[■gt;) SfXTus £mpincus,
p. 367.

-ocr page 44-

suffisait à Anaximènes ( i ) ; et Zénon se
servait des quatre éléments réunis (a).
Embarrassés pour peupler ce monde ,
d'autres savants venaient ensuite allumer
de grands feux souterrains , pensant
prOf
duire ainsi les métaux, les pierres, les
plantes, et peut-être les hommes.

Si des miracles aussi singuliers vous
donnent
quelque confiance aux lumières
de ces physiciens, et que vous les inter-
rogiez sur les astres qui brillent dans le
çiel, combien ne serez-vous pas surprise
de leur réponse ! Le soleil, que Cassini a
trouvé un million de fois plus grand que
la terre, n'avait pour Heraclite qu'un pied
de diamètre (3) , et Anaxagoras ne le
croyait pas plus étendu que le Pélopo^
îièse
(4). Cet astre superbe , dont Newton

(i) Arislote, Mctaph. liv. i.quot;', cap. 3. — Plutarch, de.
Plaçais philos,
lib. i.quot;^', cap. 3.

(a) Sextus Einpiricus , 3G7.

(3)nbsp;Plutarch, de Placilis philos, lib. 1, cap. al.

(4)nbsp;Id.nbsp;id.nbsp;id.

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a analysé les rayons, n'est, selonTlialès et
Xénopliane, qu'un nuage enflammé ( i ) i
selon Anaxagore et Démocrite , qu'un
rocher de feu (2) ; et Philolaùs disait que
les étoiles sont autant de
miroirs suspendus
aux cieux, afin de nous renvoyer la lu-
mière du soleil,

Je vois votre surpi-ise à la lecture de
toutes ces folies : ne riez cependant pap
trop aux dépens de ces anciens sages;
nous retrouverons souvent parmi nous des
systèmes aussi
absurdes que les leurs.

C'est seulement depuis deux ou trois
siècles que la physique est devenue une
science de faits. Galilée et Torricelli, en
pesantl'air, et Bacon en indiquant presque
toutes les découvertes modernes, prépar-
rèrent la voie que devaient suivre Newton
et Lavoisier. Je vous parlerai dans ma
px-emière lettre de ces deux grands génies,

(i) Plutarch, de Placitis philos, lib. 2, cap. iJ.
W Id.nbsp;id.nbsp;id. id. —
Origems

Plilo5oj,]tunmna. cap. 8. De jinaxagora.

-ocr page 46-

OU pour mieux dire, toutes mes lettres ne
seront que le développement de quelques-
unes de leurs idées.

Cependant les observations étotinantes
de ces hommes célèbres firent faire les
plus rapides progrès à la physique. Les
connaissances s'augmentaient à chaque
instant, l'homme se vit forcé d'apprendre
toujours. Quelle précaution, quelle ins-
truction ne fallut-il pas alors pour étudier
les livres les plus nouveaux et les mieux
faits ! Vous admirez les Études de la Na-
ture; et cependant ces Études renferment
quelques erreurs qui tiennent sans doute
au temps où ce livre fut publié. Je sais
que jamais l'univers n'eut un plus habile
peintre que Fauteur de cet ouvraee •

D y

presque toujours tendre et gracieux , il
compose des tableaux enchanteurs : a sa
voix, les plan-tes, les fleuves, les mon-
tagnes, la terre, le ciel, tout semble sortir
du cahos, et le monde embelli devient
l'oeuvre de la Providence. Paul et Virgi-

-ocr page 47-

lETTRE I.

nie, c'est vous surtout que j'aime et que
j'admire.

Vous dirai-je combien la peinture touchante

De leurs amours naïfs, de leur vie innocente,

Ravissait à la fois mon esprit et mon cœur ?

De ces tendres amants j'enviais le bonheur j

Dans le vallon désert, sur le rocher sauvage ,

Avec'eux, j'écoutais le bruit sourd de l'orage j

Lorsqu'ils allaient s'asseoir à l'ombre d'un palmier y

J'arrivais avec eux sous l'arbre hospitalier.

Mais le moment approche, hélas ! où Virginie,

Tour de lointains climats va quitter sa patrie.

Que devint Paul alors ; quel fut son désespoir,

Quand il la vit partir pour ne la plus revoir !

Les antres écartés, les forets solitaires

Sont témoins chaque jour de ses plaintes amèresi.

Quelquefois s'asseyant sur des rochers déserts,

Il Croit voir le vaisseau fendre le sein des mers ;

Il fioupire, il gémit au lever de l'aurore j

Quand tout sommeille, hélas ! sa douleur veille encore ;

Pour lui plus de repos, pour lui plus de bonheur;

tJn noir chagrin flétrit et consume son cœur.

Mais tout à coup son cœur renaît à l'espérance :

Virginie a quitté les rives de la France.

Du vaisseau qui la portç, à chaque instant du jour,

ïaul vient sur le rivage attendre le retour j

n la verra bientôt. Vain espoir ! la tempête.....

A cet affreiu[ tableau, malgré moi je m'arrête.

-ocr page 48-

Ah .' (Jui pourra jamais, en lisant leiu-s malheuri f
A Virginie, à Paul refuser quelques pleurs ?
J'ai vu Paul, succombant à sa mélancolie,
A genoux sur la tombe où dorniait Virginie j
Ses yeux étaient hagards, son front décoloré;
J'ai vu son désespoir, hélas I et j'ai pleuié-

C'est ajnsi que mon cœur se laissait sé-
duii-e par l'éloquence du poëte. Mais il
n'en sera pas de même lorsque nous vou-
drons nous instruire; il nous faudra écarter
toutes ces aimables illusions, et combattre
les pliysiciens que nous goûterons le plus.

La véritable science consiste à imiter la
marclae' de la Nature , à détruire, à ^-é-
parer, à créer comme elle. Mais que nous
sommes loin d^atteindre à sa hauteur !
Nous imitons ses phénomènes, elle les
varie sans cesse ; nous dévoilons un de ses
secrets, elle nous en cache raille; nous
faisons des expériences, elle conserve ,
elle reproduit un monde. A la voix du
génie, l'eau et l'air cessent d'être des élé-
ments , et la science ancienne disparaît

-ocr page 49-

cdmme un songe. Tout à coup l'homme
laisse deri-ière lui vingt siècles d'eiTCurs,
;Sa pensée se renouvelle. Cependant,
an milieu de.ce bouleversement des opi^
Dions'humaines ^ Nature rèstè inva*-
ri able ; et , poursui vant sa màrchç , elle
semble sourire un moment à nos nouvelles
découvertes.

Mais enfin comment ne pas craindre de
s égarer^: lQi;3qtt'(on songe qu-irn'est
pas
fereurs dam Jes sciences qui n'aient eu
de .zélés et de nombreux
pàriisants : U
physique d'Aristote fut admirée pendant
des siècles, c'eut, été un crime d
'oser la
contredire ; de grands esprits soutinrent
la doctrine d'Epicvu-e ; ArchéLaijs, Démo-
crite;, Anaxagore , .Xénopbane, obtinrent
tour à tour de brillants succès. Où nous
n'apercevons que des erreurs, nos pères
croyaient trouver la vérité.
Hélas î dit
Montaigne ,
a voir ce tintamare de tant damp;
philosophiques,
vantons-nous d'avoir
^^^'^^^élafhye au gâteau.

-ocr page 50-

t4.nbsp;livre premier.

Les savants ressemblent à ce roi de
Siam qui, après une longue suite d'expé-
riences, faites, dans le climat brûlant qu'il
habitait, décida avec ses Talapoints que
l'eau était toujours: et essentiellement
fluide 5 vérité qu'on, regarda comme dé-
montriée, jusqu'à ce qu'un voyageur ayant
gravi les montagnes d'Ava, voisines de
Siam y rencontra des physiciens qui lui
soutinrent que l'eau n'est qu'un cristal
fusible , uiue pierre: que là chaleur seul®
peut dissoudre. O savants ! Vous avezïtusst

votre montagne d'Ava.nbsp;' '

Tout ceci pourrait fàire naître quelques
réflexions sur le néant dès connaissances
humaines j mais ma lettre est déjà trOp
longue , et je tiens du bon La Fontaine
qu'il n^^autjàinais épuiser un sujet. ' ■

tfn moment laissant le compas,
Et la physique et la chimie,
Je vais donc chanter les appas
Qu'on admire dans mon amie.

-ocr page 51-

lettre i.

TituUe en aurait fait ainsi.
Parni chantait Éléonore,
Et la beauté répète encore
Les vers et le nom de Psrtii.
Hélas ! c'est son sort que j'envie.
Sur les secrets de l'univers
Ecrivait-il à son amie ?
L'amour fît naître ses concerts.
Berlin, dont vous ainiez les airs,
îour Eucharis et Catilie, ■ ^
Soupirait ses aimables vers ■
Qui sont l'histoire de leur vié. ,

Que m'importe l'espoir flatteur

D'aUer au temple de mémoire ?
Du dieu qui régnait sur leur crtur
J'estimerais mieux la faveur. ' ,
En vous voyant, daigffezm'ea CtOÙéi
J'ai plus désiré leur boiÀeto,
Que je n'ai désiré leur gloire.

'■■t-.r- —, -ir.l

-ocr page 52-

lettre ii.

newton, buffon, lavoisier.

L'art d'écrire est un art charnjant.
Pour lui bien exprimer sans cesse
Tout ce qu'éprouve sa tendresse,

L'amante écrit à son amant.nbsp;,

Pour charmer l'absence cruelle,-
La tendre épouse à son époux, .
Dont la prive le .sort jaloux,nbsp;;,

Trace sur le papier fidèle
Les plus aimables,sentiments ,nbsp;-

Peint son amour, et luirappelle

Le souvenir de ses enfants.
Pour moi, mon bonheur est extrême!
Grâces à cet art enchanteur,
Je puis dire à celle qllt;e j'aime
Tout ce qu'elle inspire à mon cœur.
Lorsque Biu: la double montagne
Par hasard je vais m'égarer.
Sou doux souvenir m'accompaguç j
Et son esprit vient m'inspircr ;
Ma muse alors dans son déliie

-ocr page 53-

Ose prendre un plus noble essor :
Je Vous célèbre sur ma lyre,
Et je chante long-temps encor
Après avoir cessé d'écrire.

Mais, puisque je n'ai obtenu là per-
ïnission de vous écrire qu'à titre de phy-
sicien, je vais essayer, pour vous plaire,
de faire passer devant vous qùelques-uns
des savants modernes qui ont le plus
illustré les sciences.

Newton est le premier. A' ce nom',
les cieux s'abaissent sous les regards de
l'homme, et lui racontent la gloire de
l'Éternel.nbsp;-

Au sein d'un tourbillon rapide
Les globes ont leur mouvement ;
La main de Descartes les guide
Sous las voûtes du firmament.
Newton paraît, le ciel s'anime ^
Il dit, et son œuvre sublime,
O soleil ! est digne de toi :
Les astres ont cru reconnaître
La voix puissante de leur maître,
Et les cieux reçoivent sa loi.

I.

-ocr page 54-

Mais ce génie immense ne se contente
pas de mesurer les astres, de leur donner
l'attraction pour les soutenir dans l'espace j
décomposant un rayon de lumière, il fait
voir au monde étonné les sept couleurs
primitives, et le soleil devient le peintre
de l'univers. Suivons Newton dans une
chambre ohscure : il reçoit sur le prisme
un filet de lumière
; ce filet se décompose
en ti'aversant le cristol , et nous offre
soudain le spectacle réjouissant de l'arc-
en-ciel. Toutes les couleurs qui embel-
lissent la Nature s'expliquent alors, en
admettant seidement que les corps ont
la propriété de décomposer la lumière,
de réfléchir une ou plusieurs nuances,
et d'éteindre les autres. Avant Newton,
l'origine de ces phénomènes était ignorée,
et l'on ne se doutait pas qu'un i-ayon du
soleil, qui paraît blanc, fût composé de
sept rayons brillants des plus vives cou-
leurs; la lumièi^e est, si j'ose le dire, la
palette dont la Nature se sert pour peindre

-ocr page 55-

les ïiUages, les fleurs, la verdure, enfin le
monde entier.

Tandis que Newton décompose la lu-
mière et dirige le cours des astres, Buffon
expose les merveilles de la création, et
fait, pour ainsi dire , passer l'univers
devant nos yeux.

Gloire, gloire à Bufibn dont la plume éloquente
Traça des animaux l'histoire intéressante !
L'homme, dans ses écrits, recouvre tous ses droits:

Et, levant vers le ciel, sa dernière patrie.
Un front majestueux où s'empreint le génie,
U demeure étonné de toute sa splendeur,
Et reconnaît partout la main du Créateur.
Ce superbe coursier, qui du pied bat l'arène.
Qui, prêt à s'élancer, mord le frein qui Penchaine,
Hennu, et, balançant ses longs crins ondoyants.
Vole et prend son essor aussi prompt que les vents :
Cet animal utile, et pourtant qu'on méprise,
Dont le nom, mais à tort, exprime la sottise,
L'ane, qui, chaque jour, apporte sur son dos
Dans le sein des cités les tributs des hameaux,
Et qui du laboureur secondant l'industrie,
Défriche ce terrain sans culture et sans yie ;

-ocr page 56-

De quels traits par Bufibn ils sont peints tous les deux '.

C'est le coursier lui-même. Impatient, fougueux,

Au Lruit de la trompette, au cliquetis des armes,

11 emporte son maître au milieu des alarmes,

Sans crainte entend l'airain tonner de toutes parts,

Et foule sous ses pieds les cadavres épars.

.Voilà bien l'âne aussi : patient et docile,

Moins beau que le cheval, mais non pas moins utile,

Ou ne l'attelle point à nos chars opulents ,

Mais humble, il vit et meurt dans la maison des champs.

Quand du roi des forêts Buffon m'offre l'image,

Je crois voir le lion avide de carnage,

S'élançant tout à coup au milieu d'un troupeau,

Combattre, terrasser, déchirer un taureau j

Et les crins hérissés et la gueule sanglante,

Il rugit, et partout il répand l'épouvante.

Mais sa fureur se calme : avec quelle fiertù

Il s'avance ! son port est plein de majesté.

En lui les animaux ont reconnu lem- maître ;

Tous ont frémi de crainte en le voyant paraître.

Ainsi de la Nature, habile observateur,

Buffon peint dignement l'œuvre du Créateur j

Il dit le cerf léger, roi du bois solitaire,

Le chevreuil innocent, le tigre sanguinaire;

Il surprend du castor les secrets merveilleux;

Pour peindre l'aigle altier il le suit dans les cieui;

Et quand du colibri, bijou de la Nature,

Il veut montrer l'éclat et la riche parure,

-ocr page 57-

LETTRE II.nbsp;21

Soudain l'oiseau couvert des plus vires couleurs,
S'offre à nos yeux charmés, volant de fleurs en fleurs.

Ainsi l'éloquence de Buffon sait reproduire
les traits d« tous les animaux. C'est peu de
les avoir peints ; il veut encore assister à
leur création et à celle de l'univers. Mais
quand il nous fait voir la main du Créateur
lançant sur le soleil une immense comète
qui détache de cet astre le glohe que nous
habitons; mais quand il nous montre ce
globe formant pendant trois mille
ans un
immense incendie au miUeu de l'espace,
les eaux réduites en vapeurs, l'or, l'argent,
le fer liquéfiés, et tous les éléments con-
fondus ; mais quand, pour peupler ce
monde, il crée tous les êtres divers avec
ses molécules organiques, comme Épicure
avec ses atomes, son génie l'égaré et nous
égare avec lui, tant son éloquence est
persuasive, tant son esprit le sert bien
î^isque dans ses erreurs! Plaignez l'homme j
lien de parfait ne peut sortir de sa mainj

-ocr page 58-

ses systèmes les plus e'tonnants ressemblent
à ce colosse dont la tête était d'or et les
pieds d'argile : une pierre roule du haut
de la montagne, et le chef-d'œuvre est
brisé.

Si Buffon n'a pu sauver ses systèmes de
l'oiibli, son histoire des animaux le fera
vivre éternellement. Il semble, en la lisant,
qu'il soit le premier qui ait vu l'univers
au moins est-il le premier des modernes
qui ait su le reproduire dans ses our
vrages.

A l'étude sans cesse il consacra sa vie;

Toujours sublime et grand dans ses écrits divers,
Il prit pour guide son génie,
Et pour modèle l'univers.

Au récit des découvertes de Newton et
des travaux de Buffon, peut-être vous est-il
venu dans la pensée que tout était fait en
physique. Cependant de nos jours il vint
un homme qui, s'attachant aux choses

-ocr page 59-

les plus simples en apparence, dévoila
des secrets jusqu'alors impénétrables. La-
voisier fut le créateur d'une science qui
avait px-esque le pouvoir de créer j l'eau
et l'air furent tour à tour décomposés
et recomposés , et le monde reçut de
nouveaux éléments. Voulez-vous savoir
la récompense que les tyrans révolution-
naires donnèrent à celui qui opéra tant
de miracles ? la mort !

Le front ceint des lauriers reserve's aux savants,
Lavoisier s'avançait au temple de mémoire;
Mais les tyrans ont dit, éblouis de sa gloire :
Qu'il meure, il est coupable, et l'échafaud l'attend.
C'en est fait, la vertu succombe ;
Mais c'est en vain que la voix du méchant
Sur les oeuvres du s^ge appelle le néant :
L'éternité repose sur sa tombe.

Connaissez l'immensité de la chimie :
tout ce qui est sous le ciel est de son
ressort : le potier lui demande ses
terres,
le peintre ses couleurs, le médecin ses

-ocr page 60-

remèdes, et le guerrier ses armes : toutes
les sciences puisent dans son sein; elle crée
la minéralogie, réforme la géologie; et,
découvrant les abîmes de la terre, elle
imite la marche de la Nature, et nous
enseigne ses secrets : nos aliments, nos
habits, nos arts, l'or, l'argent, le fer, la
poudre, tout est l'oeuvre de la science, et
la science est l'oeuvre de l'homme.

Mon projet, dans la suite de mes lettres,
est de considérer les anciens éléments dans
quelques-uns de leurs rapports avec la
physique, la chimie et l'histoire naturelle,
et de mettre sous vos yeux les systèmes
des grands maîtres dont nous avons parlé.
Mais daignez m'en croire, Sophie, quelque
savants que nous puissions devenir, nous
ne renfermerons
jamais dans les bornes
étroites de notre intelligence toutes les
profondeurs de l'œuvre de l'infini.

On interroge la Nature à toute heure,
et chaque siècle elle répond un mot.

-ocr page 61-

La Nature se joue des savants , comme
les passions de la sagesse. Les hommes sont
grands enfants.

Un petit enfant, assis sur les bords du
Rhin, puisait de l'eau dans sa main , et la
vei^sait dans une écuelle. On lui demanda
ce qu'il voulait faire : Je veux , re'pondit-
il, vider toute cette eau dans mon écuelle,
pour voir ce qu'd y a là-bas au fond. Les
enfants sont de petits hommes.

Plus d'un savant se flattera de vous dire
ce qu'il y a au fond de la rivière j vous
aurez mille exphcations pour un phéno-
mène. Les systèmes sont nombreux j la
vérité n'est qu'une ^ c'est elle que nous
chercherons!

Demain nous nous occuperons de l'hy-
pothèse de Pythagore , ^ue
tout est sen-
sible dans la Nature.
Il n'y a qu'un pas de
là aux lois générales de l'attraction et des
affinités ; ce sera le sujet des lettres sui-
vantes. (

Adieu : soyez heureuse dans vos bocages ^

-ocr page 62-

26nbsp;livre premier.

cueillez des bouquets, formez des guir-
landes. Hélas ! j'envie votre bonheur.

Qu'il est doux de vivre au village,
D'y rêver aux bords du ruisseau
Qui baigne un modeste héritage,
Et d'entendre le chalumeau
Des jeunes filles du hameau
Qui s'assemblent sous le feuillage !
Heureux qui possède un troupeau,
Et qui voit la laine légère
Tourner sur le léger fuseau
De son innocente bergère !
Qu'il soit béni par les amours,
Que son amante soit chérie,
Et qu'il voie écouler ses jours
Comme l'onde dans la prairie !
Qu'il ne cueille jamais la fleur
Dont la campagne est embellie,
Que pour roflrir à la pudeur ;
Que jamais l'or ni la grandeur
Ne soient l'objet de son envie;
Et qu'il soit content du bonheur
Qu'on goûte auprès de son amie.

-ocr page 63-

lettre m.

ue l'hypothèse que tout est sensible dans la

hature.

O qui peindra jamais les attraits enchanteurs,
Amour, fils de Vénus, dieu puissant d'Idalio!
Tu parais, le vent fuit, et la terre embellie
Tressaille de plaisir et se couvre de fleurs ;
T-a mer a pHs soudain xme face riante;
Les bois onl incliné leur cime verdoyante,
Et le ciel plus serein, plus brillant et plus pur,
Déroule devant toi ses vastes champs d'azur.
A peine le printemps ramènp le zéphire,
Tout fleurit, tout s'anime et ressent ton empire ;
Des chants vifs et joyeux annoncent ton retour,
Et l'univers entier rend hommage à l'Amour.
Déjà s'abandonnant au dieu qui les entraine,
Les taureaux enflammés bondissent dans la plaine,
Traversent les forêts, les torrents, les déserts,
De leurs nazeaux brûlants interrogent les airs.
Et bientôt on les voit, au miUeu des campagnes,
Reposer triomphants auprès de leurs compagnes',
quot;«»ur! charmant Amour ! tout cède à tes attraits !
l^aiUe mortel ! en yain pour éviter ses trait.

-ocr page 64-

Tu gravis sur les monts, tu vogues sur les ondes,
Tu t'enfonces en vain dans les forêts profondes,
Au fond de ces déserts, quand tu crois échapper,
Le dieu lance le trait qui vole te frapper.

Oui, tout est sensible, tout est en har-
monie dans la Nature ! Voilà l'origine de
cette hypothèse sentimentale d'Orphée ,
d'Homère et de Pythagore : que l'univers
est un admirable concert, et que la sa-
gesse et la philosophie ne sont que l'étude
de cette musique , que le méchant ne
peut comprendre, sûrement parce que
le méchant n'aime pas.

C'est en recueillant les traditions de
tous les peuples, qu:e Pythagore s'était
assuré de cette grande vérité de la sen-
sibilité de la Nature. Les premiers hommes
l'avaient transmise à levirs enfants dans
des allégories poétiques : la lyre d'Apollon
élevait les murs de Troie ; Thèbes pa-
raissait aux accords d'Amphion. Si à ces
allégories on joint celle de Deucalion et

-ocr page 65-

de Pyrrha^ qui repeuplèrent le monde
jetant derinère eux les cailloux du,
désert, on expliquera facilement com-
blent les pierres purent être sensibles aux^
accords d'Apollon et d'Amphion. Dans
Ces heureux temps.

Les nymphes habitaient les vergers et les bois ;

Les dieux pour les chanter avaient fait naître Homère.

Ne pouvant expliquer la nature et ses lois,
Les anciens enchantaient la terre.

Les nutations (i) des plantes vers le
soleil, le retournement des feuilles pour
trouver la rosée , l'amour de la vigne
pour l'ormeau, du Herre pour le chêne,
l'excroissance des stalagmites et des sta-
lactites , le pouvoir de l'aimant, et mille
autres phénomènes semblables séduisirent
les anciens sages. Trop portés peut-être

(gt;) On appelle nutation.le mouvement que font quelques
PWtes pour suivre le cours du soleil. C'est au moins en çç
qu« Bonuet s'e» est servi.

-ocr page 66-

à généraliser, ils se crurent dans uri
monde d'amour; ils aimaient, et tout aima
autour d'eux : l'histoire de la Nature fut
celle des nymphes et des dieux : les
Napées couronnées de bhiets , enchan-
taient les prairies ; les Oréades , vêtues
de mousses, se reposaient dans les fraîches
grottes des montagnes ; les Dryades em-
beUissaient les bocages ; Clytie animait le
tournesol, et la nymphe Echo répétait
je t'aime à tous les amants. Les poètes
voulaient-ils peindre l'Aurore et le Prin-
temps , tout s'animait, tout prenait une
vie dans leurs tableaux.

chassant loin d'elle la nuit sombre j
L'aimable Aurore en souriant
Paraît au bord de l'Orient :
Déjà le jour succède à l'ombre
Et de toutes parts ae répand.
Le Zéphir souffle, et les prairies
Se couvrent, s'émaillent de fleurs
L'Aurore, en les baignant de pleurs,
Peint leurs coroles rafraîchies
De» plus agréables couleurs j

-ocr page 67-

LETTllE III.nbsp;3X

Le Zcphir de sa douce haleine
^es halauçe légèrement,
Et de leur parfum odorant
Il embaume et remplit la plaine ;
Partout règne la volupté,
L'Amour a repris son empire,
Et dans l'univers enchanté
Tout renaît, S'anime et respire.

Quelle joie ! quel appareil de gloire !
Voici le jour des noces de la Nature; le
Printemps se pare d'un riche tapis:
la
jeunesse fleurit comme la rose. Il semble
que la vie et la beauté ne nous aient été
données que pour aimer. Sitôt que l'âge
de la tendresse est passé, les fleurs se
fletrissent.de même la beWé fuit,
la
vieillesse vient, et le plaisir s'envole

Interrogez votre coeur, il vous dira
pourquoi la prêle et la sahcaire ne
quittent jamais leurs ruisseaux, et l'origan
ses rochers arides; pourquoi la bruyère

««t fidèle à ses collines, la jusquiame à ses

p^^ailles, et le muguet à ses bois. Etudiez
quot;^^^^^ement des plantes; voyez le réséda

-ocr page 68-

et l'héliotrope se tourner vers le soleil
qui leur donne la vie, l'arbre triste ne
s'épanouir que la nuit, et la sensitive fuir
la main de l'homme , comme si elle sa-
vait que cette main détruit.

Si vous suivez les bords des,ruisseaux ,
vous serez sui-prise de la multitude do
fleurs qui ne les quittent jamais ; vous
verrez la circée qui se contemple dans
la fontaine où elle baigne ses pieds dé-
licats , la scrofulaire avec ses petites
conques de velours, les ^menthes avec
leur doux parfum , et les jolis
souvenez-
vous de moi
(i) qui s'élèvent dans les
eaux tranquilles, et y réfléchissent leurs
têtes d'azur. La fable seule a expliqué
les mystères de ces fleurs qui se regardent

(i) Le myosotis scorpioides de Linuée, jolie petite plante
qui croit dans les ruisseaux, et à laquelle on a donné le nom
de
souvenez-vous de moi, ou aimez-moi comme je vous
aime,
sùremem à cause de sa simplicité et de la pureté de
son azur.

-ocr page 69-

sans cesse , en en faisant autant de
nymphes métamorphosées.

Si ces briUantes fleurs qui parent nos ruisseaux
N'avaient porté jadis un féminin visage,
Les verrait-on encor se pencl«:r sur les eaux,
Pour y contempler leur image ?

^ Mais an mihen des flenrs et des feuillages
s eleve nn concert d'amour. L'éphémère
naît et meurt , son existence est d'une
minute , et cette „.inute e,. consacrée
a la tendresse. Les termites se font un
tombeau de leur couche nuptiale , et
passent leur vie, ainsi cachés, dans les
debces de la solitude et de l'amour. Près
de cette tombe le ver luisant allume sou
flamWau, et semble appeler les faveurs
de Ibymen : tel fut autrefois le fanal qui
guidait Léandre aux pieds de Héro Pen-
dant que tout ceci se passe dans le silence,
^ entres animaux remplissent les
fort ts
® «^rs cris de joie, les oiseaux chantent

-ocr page 70-

leui' tendresse : le rossignol fait mieux,

il sait l'inspirer.

Le petit-maître qui l'entend,
Croit que le rossignol chante pour le Zéphire 5
L'ami de la Nature assuje que son chant
De Flore célèbre l'empire,

Les bois, les fleurs , les jardins et Iss champs :
Mais le cœur amoureux est le seul qui devine ;
Il reconnaît l'amour dans cette voix divine;
Et dit : le rossignol chante poiu' les amants.

A l'aspect de ces tableaux, qui ne serait
tenté de croire, avec l'antique Phérécide,
que Jehova se fit tout amour , lorsqu'il
voulut créer les mondes!

Mais je n'ai encore rien dit de ces
royaumes, de ces républiques qui servirent
peut-être de modèles aux législateurs; je
ii'ài pas loué l'industrieux castor, les four-
mis , les abeilles... . Que de beaux noms
ces dernières rappellent ! Swamerdam,
Miaraldi, Réaumur , Chiratz, Bonnet, et
mille
autre»; dont la vie n'a pu suffire à la

-ocr page 71-

lettre m.nbsp;35

découverte de tant de phénomènes échap-
pés à l'académie de Lusace, et aux soixante
ans d'Aristomachus. Jeune fdle douée de
la beauté, disait Pythagore, demande à
1 abedle laborieuse si les fleurs ne doivent
servir qu'à faire des bouquets. . . . Admi-
rable pensée ! La beauté n'est-elle pas
comme la rose? elle se flétrit au souffle du
plaisir.

Enfin , pour achever ces tableaux de la
Nature, je vous
rappelerai les miracles de
la création ; et surpassant tout ce lt;jue la
fable a de magie
et d'enchantements , je
vous montrerai le polype renaissant ,
comme l'hydre de Lerne, sous le couteau
qui le frappe; le puceron (i) qui reste

(0 Les pucerons ne sont pas les seuls qui jouissent de
cette propriété;
M. Jurine, l'un des naturaHstes les plus
dutingués de l'Europe, a fait sur les monocles ( espèce do
lt;=™Macées que l'on place entre les coquillages et les poissons,
et qm sont recouverts d'une croûte calcaire ) des expériences
extrêmement curieuses qu'il
se propose de publier. Voici ca

-ocr page 72-

vierge et se reproduit sans cesse ; la
jaouclie - araignée qui pond u^n oeuf aussi
gros qu'elle -, le rotifer ressuscitant après
plusieurs années de mort ; enfin je comp-
terai les quatre mille quarante etun muscles
d'une seule chenille (i), les quatorze mille
miroirs que Hook a trouvés sur l'oeil d'un
bourdon, et les treize mille trois cents
artères , tuyaux
, veines , os, etc. , qui
servent à la seule respiration de la carpe.

Que ne puis-je avec éloquence

Offrir à vos regards surpris ,
Les merveilles de la science,
Et pom: égayer mes récits

qu'il m'en écrivait il y a (jiielque temps : Les monocles ont un
sœur musculaire dont les contractions sont bien apparentes
ef
hien fréquentes y mais ce t/u'ils ont de plus intéressant, du
moins dans quelques genres, c'est un appareil de branchies
admirables , dont on n'a pas d'exemples , j'ai isolé dix-huit
générations successives , et les femelles de ces dix-huit géné-
rations ont toujours été fécondes. Les pucerons enfant autant,
mais dans une saison seulement.
Jurine.

(i) yojr^nh b«l QHvrage deLyou»et sur 1« chenill^ du saule.

-ocr page 73-

lettre m.

î^ar une plus douce peinture
Faire passer dans mes écrits
Tous les tableaux de la Nature.
O combien ces tableaux charmants
Suspendraient votre ame ravie !
O combien de doux sentiments
Rempliraient alors votre vis !
Dans Fétude et la rêverie
Vous passeriez tous vos moments;
Tandis qu'abandonnant la terre,
Je m'élancerais vers le ciel,
Et dans son temple de lumière,
J'irais contempler l'Eternel.
Là, pleine de force et d'audace.
Des mondes qui peuplent l
'espace,
Ma voix chanterait la sp-endeur;
Et mes chants, passant d'âge en âge^
En présence de son ouvrage,
Proclameraient le Créateur.

37

-ocr page 74-

lettre iv.

de l'attraction decorverte par newtqir.

Laissez là pour quelques instants
Et les bijoux et les dentelles,
Et ces frivoles bagatelles
Dont aujourd'hui toutes les belles
Font leurs plus doux amusements.
Dans les cieux, aimable Sophie,
Allons ensemble de ce pas.
Dans vos mains prenez le compas
Et l'astrolabe d'Uranie.
Bientôt sur la rive fleurie
ÏSTous viendrons chercher le repos j
Nous chanterons l'astronomie,

Et la gloire de ce génie
Dont vous admirez les travaux.
Ainsi l'immortelle Emihe
Que Voltaire peint galamment,
quot;Voyageait dans le firmament
Aux accords de sa poésie,
Et le soir venait doucement
Près de l'onde de Castalie,
Pour recevoir le compliment
De Voltaire et de Polymnie.

-ocr page 75-

C'est là qu'Ovide, Anacréon,
Sj répétaient mainte chanson
Qu'aujourd'hui l'on n'entend plus guère,
Et pour mieux troubler sa raison ,
Remplissaient soudain le vallon
De leur danse vive et légère.

Nous avons vu comment les anciens
étaient arrivés à penser que tout était sen-
sible dans l'univers; je veu.x aujourd'hui
vous parler de l'attraction, de cette loi
générale qui est, si j'ose le dire, la vie des
mondes.

Il semble que la terre exerce sur tous
les corps une attraction semblable à celle
de l'aimant sur le fer. En effet, il existe
une force invincible qui pousse tous les
corps en bas. Si la fleur entrelacée à vos
cheveux se détache, elle tombe : voilà ce
qu'on nomme la pesanteur. Ce phéno-
mène , si simple en apparence, servit à
Newton pour expliquer le système de l'u-
nivers.

Que la force de pesanteur cesse sur la

-ocr page 76-

terre, les hommes détachés de sa surface
tomberont éternellement dans l'étendue.

Comme la terre attire tous les corps sur
son sein, de même le soleil attire toutes
les planètes qui circulent autovu de lui; il
est, pour ainsi dire, leur appui sur l'abîme.
Les corps célestes sont tous attirés et
poussés les uns veis les autres ; et leurs
forces sont calculées et balancées avec tant
de sagesse, qu'ils gardent chacun leur place
et leur mouvement.

ÏDes mystères du ciel sublime profondeur !
Ces astres que leur poids, leur forme, leur grandeur
Semblaient devoir sans cesse entraîner dans l'espace,
Sont par le même poids retenus à leur place.

O douces harmonies des mondes! ô dé-
couvertes admirables de l'homme !

Eh bien ! je veux invoquer le génie du
grand Newton ; je veux peindre à la fois
les lois du mouvement et de la pesanteur,
les mondes et les soleils ; j'atteindrai dans

-ocr page 77-

leurs cours ces corps lumineux qui brillent
dans le sein de la nuit, et je m élancerai
triomphant au milieu de leurs orbes étia-
celants.

Oui, je m'élèverai vers l'immortel séjour
Où règne sans rival l'astre éclatant du jour;
On me verra, du ciel franchissant la barrière,quot;
Voler avec Newton sur un cliar de lumière,
Des globes étonnés mesurer la hauteur,
Et célébrer le dieu qui fut leur créateur.
Mais déjà loin de moi je vois briller les mondes.
Quel dieu m'a transporté sous ces voûtes profondes ?
A la voix de Newton les cieux se sont ouverts.
Le voilà, ce soleil, qui, vainqueur des hivers.
Couronne le printemps d'une aimable verdure,
Ce roi brillant du ciel, ce roi de la Nature !
Immobile au milieu de ce vaste univers,
Il semble contempler tous ces mondes divers,
Dont les orbes de feux s'élevant en sUence,
Marchent en l'entourant de leur cortège immense.
Oh! qui m'expUquera les mystères des cieux?
Mon ame
à leur aspect demeure confondue ;
Attachés au soleil par d'invisibles nœuds,
Tous ces globes divers nagent dans l'étendue,
Soutenus par un globe encor plus pesant qu'eux.
C'est Newton qui l'ordonne : à la voix du génie,
Les astres font entendre une douce harmonie,

-ocr page 78-

Et l'immortalité, qui reconnaît Newton,
Sm: le front des soleils vole graver sou nomo

Je veux vous raconter l'histoire de la
découverte de l'attraction : vous allez voir
jusqu'où la réflexion la plus simple peut
conduire le génie.

Newton se trouvant un jour couché
sous un pommier, une pomme lui tomba
sur la tête, et lui fit faire bien des ré-
flexions. Il conçut sans peine que cette
pomme avait été dégagée de sa branche
par une cause quelconque , et qu'ensuite
la pesanteur l'avait fait tomber. Tout le
monde pouvait faire un semblable raison-'
ïiement; niais le philosophe alla plus loin;
il se demanda si la pomme serait tombée
dans la supposition que l'arbre eût été
beaucoup plus haut, et sans doute il n'en
put douter un moment.

Cependant l'imagination du mathéma-
ticien agrandissant l'arbre par degré, l'avait
enfin élevé jusqu'à la lune j arrivé à

-ocr page 79-

celte hauteur , il s'agissait de savoir si la
pomme détachée de sa branche tomberait
encore sur la terre : en supposant qu'elle
tombât, disait Newton , il faudrait qu'elle
eût gardé quelque pesanteur qui la poussât
vers la terre : donc la lune se trouvant à
la même hauteur, devrait être poussée par
une force semblable. Cependant, comme
la lune ne lui tomba pas sur la tête, il com-
prit que le mouvement pourrait bien en
être la cause. Ce fut alors que, par les
secours de la
plus sublime géométrie,
Newton trouva que la lune suivait dans
son cours les mêmes lois
qu'on observe
dans celui d'une bombe; et que, s'il était
possible de jeter une bombe à la hauteur
de la lune, et de Ivii donner une vitesse
égale a celle de cet astre, la bombe ne
tomberait jamais. Convenez que nous avons
hien des obligations à une pomme.

Ah ! dans ce fruit charmant que la faWe a chauté,

Chacun voit le sujet dont son cœur est llatté :

-ocr page 80-

44nbsp;LIVRE PREMIER.

C'est le secret du ciel pour l'esprit d'un grand homme-,

Tandis qu'auprès de vous s'il tombait une pomme,

Moi j'y verrais le prix qu'on offre à la beauté.

Mais le philosophe ne s'arrêta pas en
si beau chemin ; il prouva que, de la
taême manière que la lune se meut autour
de la terre, et les satellites autour de
Jupiter et de Saturne , toutes les planètes
elles-mêmes tournent autour du soleil ^
il tira de là cette fameuse conséquence,
que le soleil est doué d'une force
attrac-
tive et que tous les corps qui se meuvent
autour de lui , y sont poussés par une
force qui modère leur mouvement, et
qui remplit toute l'étendue.

Toutes les planètes, dit Buffon (i),
avec leurs satellites , entraînées par un
mouvement rapide dans le même sens
et presque dans le même plan, composent
une roue d'un vaste diamètre, dont l'essieu

(i) Buffon, Discours sur la Natwe, page 5.

-ocr page 81-

porte toute la charge , et qui, tournant
lui-même avec rapidité, a dû s'échauffer,
® embraser et répandre la chaleur et la
lumière jusqu'avix extrémités de^ la cir-
conférence.

Voilà tout le système du monde expli-
qué par la seule force qui fait tomber
une pomme sur la terre.

Si Newton ne se fût pas couché sous
un pommier, si une pomme ne lui fût
pas tombée sur la tête, peut-être serions-
nous encore dans l'ignorance
sur la cause
des mouvements célestes ; peut - être
craindrions-nous encore , comme les an-
ciens Celtes, que le ciel ne nous écrasât
de sa chûte.

Ceci est un chapitre de plus au hvre

des grands événements par les petites
causes.

Vous me demanderez peut-être com-
ment se soutiennent les soleils qui ter-
minent la sphère immense des mondes. ,
^ Vaut pas d'autres soleils qiù les attirent

-ocr page 82-

en sens contraires , il semble qu'ils
devraient tomber les uns sur les autres,
s'amonceler, et ne plus former dans l'es-
pace qu'un soleil d'une grandeur épou-
vantable.

Quel spectacle sublime se dévoile tout
à coup à mes yeux l les soleils sont
éclipsés, et je vois enfin cette
main puis-
sante qui, après avoir fait sortir les
étoiles du néant, soutient seule tout le
poids de ce vaste univers.

Adieu. Je pars ce soir pour la cam-
pagne ; c'est de là que je vous écrirai sur
quelques-unes des autres lois générales
de l'univers.

Ah ! qu'Us sont heureux les moments
Qu'on passe dans la soUtude !
Là , j'interroge les savants,
Je travaille par habitude ;
Bu temps qui fuit en nous berçant
Je jouis sans inquiétude,
Et j'oublie en vous écrivant
L'absence , mes maux et l'étude.

-ocr page 83-

) pour tromper l'éloignement,
Je brûle de vous faire entendre
^e mot si doux, si vrai, si tendre ,
Que je vous répétai souvent,
Et que je n'ai pu vous apprendre,
Ma plume , que ma main conduit,
Trace un magique caractère,
Et sur une feuiUe légère
Fixe la parole qui fuit.
Sur ces lignes que j'ai tracé««
A peine jetez-vous les yeux,
Que , par un pouvoir meryeifleux,
EUes vous disent mes pensées.
Ah! si vous le, écoutiez mieux
Que vous ne m'écoutez moi-même ,
Je croirais dans mon trouble extrême,
Qu'il est des moments plus heureus
Que ceux
oïl l'on écrit qu'on aime.

-ocr page 84-

lettre v.

i

des affinites chimiques. de la rarefaction et DE
LA puissance du soleil.

C^oEttE splendeur, queUe'magnifîcence
Dieu répandit dans ce vaste univers !
D'astres brillants il a peuplé les airs.
Et tous en choeur célèbrent sa puissance.
Dans leurs bassins il enferma les mers,
De noirs sapins ombragea les montagnes,
Partout de fleurs émailla les campagnes,
Couvrit les champs d'abondantes moissons;
Et l'homme, enfin, son plus parfait ouvrage,
Plein de grandeur, de force et de courage,
En roi puissant vint jouir de ces dons.
Mais c'était peu : pour combler ses désirs,
Pour occuper le vide de son ame,
Et partager ses peines, ses plaisirs,
Comme un beau jour il vit naître la femme.
Grâces, fraîcheur, candevu-, timidité,
Sont les présents que lui fit la Nature :
Ses longs cheveux flottaient à l'aventure,
Et la pudeur voilait s» nudité,

-ocr page 85-

Lettre v.nbsp;49

Qu'il fut surpris, eu la voyant si belle !
ses attraits laissant errer ses yeux,
oubliait et la terre et les cieux :
L'éclat des fleurs s'éclipsait devant elle.
Ces charmes, cette volupté,
CeUe grâce naïve et pure,
App rusent à l'homme enchanté
Qu'il ne cédait à la beauté
Que par l'ordre de la Nature.

Mais la Nature ne voulut pas que l'homme
fût le seul heureux sur la terre; tous les
êtres vivants
eurent comme lui une amante,
une compagne; que dis-je? les corps, en
apparence, les plus insensibles, s'unirent à
d'autres corps par une espèce de choix, par
une espèce d'amitié ; et l'hypothèse de
Pythagore sembla se réaliser aux yeux des
savants. L'histoire des affinités vous expli-
fjuera ma pensée.

On appelle affinité cette force qui pé-
nètre toutes les substances de l'univers,
agite leurs molécules, et les invite à s'unir
quot;nés aux autres. C'est cette
même

-ocr page 86-

propriété qui, en agissant à de grandes
distances , soutient les mondes autour du
soleil.

Les affinités sont presque un esprit de
vie ;...
mais il y a bien loin de là aux êtres
organisés. Les métaux, les diamants qui
germent au sein de la terre doivent leur
naissance aux affinités : elles reproduisent
les fleurs au printemps, etles fruits en au-
tomne.

Force étonnante, qui cristallise le quartz
et le diamant, qui unit entre eux les élé-
ments des mondes, et qui ne sépare jamais
deux corps quepovirles lier plus fortement
à d'autres ! Si la terre perdait cette force
d'attraction qui rapproche, attix^e, attache
ensemble les éléments, elle se dissiperait
dans l'espace -, et notre globe entier s'élè-
verait comme une poussière ,
comme une
vapeur épaisse.

Il existe deux sortes d'attractions : la pre-
mière est celle qui n'a heu qu'entre les
corps de même nature. Deux goilttes d'eau

-ocr page 87-

Lettre v.nbsp;5r

donnent naissance à un agrégé. Un mor-
ceau d'or est un agrégé (i).

I^a seconde espèce d'attraction est, au
contraire , celle qui a lieu entre les corps
de nature différente. C'est cette loi qui
cause leur décomposition , qtii fait enfin
toute la science et tout le pouvoir du phy-
sicien.

Les opposés se cherchent, s'unissent :
cette loi de la physique pourrait peut-être
s appliquer aux sentiments : telle est au
moins la pensée de quelques sages obser-
vateurs.

Voici ce qu'un de ces sa^es m'a appris
sur les unions qu'on pourrait faire dans le
monde moral: il est même plusieurs choses
qui ne sont point si opposées qu'on le
pense, et que les hommes, tout en faisant

0) On appelle agrégation l'^iion de plusieurs raoléc.les

-îquot;quot; forment un corps qrielconqnc.nbsp;^

-ocr page 88-

leurs efforts pour les séparer , sont
forcés d'admirer, lorsqu'ils les trouvent
réunies.

Pour charmer cette courte vie
Qui passe avec rapidité,
Marions la philosophie
Avec la riante galté.
Du temps qui fuit je me console ;
Je réunis, par le plaisir.
Le moment présent qui s'envole
Avec rincertain avenir.

Jeunes époux, d^ns le ménage
Le bonhem- vous suivra toujours,
Si vous faites le mariage
De la constance et des amours.
Et vous qui cherchez l'art de plaire,
Jeunes beautés, sexe enchanteur,
Sachez qu'on marie à Cythère
Les grâces ayec la pudeur.

Joyeux disciples d'Épicure,
Nuit et jour dans votre caveau.
De peur de choquer la Nature,
Au vin ne mariez pas l'eau.

-ocr page 89-

lettre v.
^ ^wonr lui-même vous l'ordonne,

savourez le bon vin :
Bacchus, pour séduire Érigone,
Se change en grappe de raisin.

Pour former de piquants contraste*,
Unis.lt;îons nos .savants docteur.s ;
Que les muses, jeunes et ebastes.
Epousent nos jeunes auteurs.
Ah ! si je ne perdais haleine.
Je crois que, quand je suis en train,
Je pourrais marier sans peine
Les deux moitiés du genre humain.

Les phénomènes de l'attraction ont
donné naissance à dix lois qui gouvernent
l'empire de la chimie. U en faut beaucoup
plus aux hommes , et encore vivent-ils en
guerre. Une seule leur suffirait pour être
heureux^ ils ont le pouvoir de s'aimer.

Comme les dix lois de la science sont
tres-comphquées, je mécontenterai,
pour
e moment, de vous en exposer une qu'il
mdispensahle de connaître. N'aUezpas

-ocr page 90-

i-ire de mon petit ton scientifique, et m'oigt;
donner de ne vous rien cacher. En vérité,
je ne me méfie ni de votre tête, ni de votre
esprit; je veux simplement vous éviter des
difficultés. Je ne puis encore vous offrir
que les fleurs de la science ; mais rappelez-
vous que les premières fleurs dont le prin»
temps se couronne , sont celles qui pro-
mettent des fruits délicieux.

La loi dont je veux vous parler est con-
nue sous le nom d'attraction e'/ec^iVe; c'est
la force qui oblige l'une des substance^
d'un
composé à abandonner le corps dont
elle fait partie , pour s'unir
à une nouvelle
substance qu'elle préfère : c'est un choix.

Phénomène étonnant, qui semble placer
une espèce d'amitié entre les corps les plus
insensibles !

Si les anciens, qui enchantaient tout,
avaient eu connaissance de ces mystères ,
ils auraient créé une foule de nymphes
riantes, qui, cédant aux mouvements de
leurs cœurs, eussent conservé dans leurs

-ocr page 91-

LETTRE V.nbsp;55

métamorphoses le doux pencliant à l'in-
constance; Ovide les aurait chantées, et

^ Amour eût tenu sa lyre.

J^ermettez-moi, sinon d'user des images

de la mythologie , au moins de me

servir du privilège qu'elle avait de tout
animer.

Voyez cette beauté dans son adolescence;
Sa mère, tendrement, k presse entre ses bras;
L'amour, qu'elle ne connaît pas,
N'a point encore séduit son innocence.
Que ne peut-elle ainsi rester jusqu'au trépas !
Mais un amant la voit, lui parle, a sait lui plaire;
L'hymen les réunit,... eUe quitte sa mère ;
Pes bras de son époux rien ne peut l'arracher.
La jeunesse est comme le lierre,
Qui ne vit que pour s'attacher.

C'est aux affinités électives que nous
devons l'harmonie qui règne dans les
éléments des mondes , et la constante
reproduction des fleurs, des fruits, des
'quot;^taux, de l'air, de l'eau, etc. Si nne

-ocr page 92-

substance n'e'tait pas destinée à s'unit à
telle substance plutôt qu'à telle autre,
tout rentrerait dans le cahos, tout serait
confondu; ou, pour mieux dire, rien de
ce qui est n'existerait.

Je ne parlerai pas davantage des lois
de l'attraction : je vous ferai observer
seidement que dans le nombre des corps
sur lesquels elle agit, on n'en a pas encore
trouvé^ qui changeassent réciproquement
de propriétés. L'aimant communique bien
ses vertus magnétiques à l'acier, mais il
ne reçoit rien de ce dernier. J'ose croire
qu'il n'en est 'pas ainsi des hommes ;
et, sans aller chercher bien loin des
exemples, n'arrive-t-il pas quelquefois
que je change ma tristesse contre votre

gaîté ?

Souvent je suis triste et rêveur,
Et près de moi je vous vois rire.
La raison du contraste est bien facile à dire
Moi, je songe aux maux de mon cœm-,

-ocr page 93-

Et vous pensez qu'il est sous votre empire.

si, cédant à l'amour qui m'inspire,
tente de cueillir un baiser enchanteur,
■Alors vos jolis traits prennent mon
air boudeur,
Et sur ma bouche on voit votre souiire.

Il est une autre loi de la Nature, qui
contrarie la précédente, en écartant sans
cesse les molécules des corps que l'at-
traction tend à rapprocher. La chaleur
est le principe de cette force répandue
dans tout l'univers. Par un mystère in-
concevable, ces deux lois ont la même
origine : le soleil est, si j'ose m'exprimer
ainsi, le père de l'attraction ; et cependant

ses rayons tendent toujours à la dé-
truire,

Je vais vous citer un exemple qui vous

apprendra comment, de l'harmonie de ces

deux lois, découle l'harmonie générale de
1 univers.

Vous savez sans doute que c'est un des
•^«ets de l'attraction, de rapprocher les

-ocr page 94-

molécules de l'eau, au point de changer
ce fluide en glace ; mais à mesure que
le soleil paraît, ces molécules se désu-
nissent , roulent l'une sur l'autre et
s'écoulent doucement sur le sable et sur
Je gazon. Voilà ce que les physiciens
nomment
raréfaction; que si la chaleur
augmente encore, les molécules de l'eau
s'écartent, se
raréfient toujours davantage,
et deviennent à la fin si déliées et si légères,
que l'air ^'en empare et les reporte à la
cîme des monts, où elles alimentent les
sources.

Je vous ferai remarquer, en passant,
combien est admirable l'harmonie qui
existe entre les trois états de l'eau et les
besoins de la terre. C'est un de ces phé-
nomènes qui décèlent l'intelligence divine.
Si l'eau n'avait pas la propriété de se vola-
tiliser et de planer dans les airs, quelle
puissance et quelle force seraient en état de
la puiser dans l'Océan, et de la transporter
au sommet des montagnes, d'où jaillissent

-ocr page 95-

les fleuves? La terre, aride et dessécliée,
demanderait en vain ces douces pluies qui
fertilisent son sein , et l'univers serait
détruit. Cependant il fallait encore que
ces légères vapeurs pussent être trans-
formées en une pierre dure et
fusible,
pour se conserver sur les montagnes, et
que, reprenant peu à peu sa première
forme, l'eau se promenât mollement au
milieu des jardins de la Nature,

Ainsi le pouvoir de l'attraction, qui
tend toujours à unir, balance le pouvoir
de la raréfaction, qui tend toujours à
diviser; et c'est à ces deux lois opposées
que nous devons l'existence et la conser-
vation des mondes. Comment ne croi-
rions-nous pas à l'intelligence suprême,

qui entretient un équilibre aussi ad-
mirable l

Mais le feu n'a pas seulement la propriété
de diviser la matière ; il est encore le prim
^'Pe de la vie de tous les végétaux. C'est

-ocr page 96-

LIVRE PREMIER,
au soleil que la terre doit sa splendeur et
sa magnificence.

Le front couronné de lumière,
Le soleil paraît dans les cieux
Comme un guerrier audacieux
Qui s'élance dans la carrière.
Soudain tout renaît à nos yeux;
Il reste vainqueur des orages,
Et, par un pouvoir merveilleux,
Lui-même anime les ombrages
Qui nous dérobent à ses feux.
La nature s'est réveillée
Aux concerts les plus enchanteurs ;
Zéphire agite la feuillée,
11 vient avec le mois des fleurs ,
Et sur la prairie émaillée
Répand de légères vapeurs.
O doux repos de la nature !
O jours fortunés du printemps î
Grottes fraîches, ruisseaux charmants
O de quelle volupté pure
Vous savez enivrer nos sens !
C'est alors que l'ame ravie,
D'une tendre mélancolie
Aime à goûter l'enchantement.
Les plus doux plaisirs de la vie

-ocr page 97-

lettre v.nbsp;6t

valent pas un seul moment
^I^'une aussi douce rêverie,

I^a Nature, disait Socrate, est pleine
e voluptés dont elle ne cherche qu^à se
aehvrer pour nous en faire jouir.

Comment un globe placé à trente-trois
milhons de heues de la terre, a-t-U
«ne semblable influence sur la légère

vegetation qui l'enveloppe, et sur les êtres

^-perceptibles qui l'habitent ? Quelle

et la fleur des champs ! Quel rapport
-rprenant entre un globe étincelant et
dun atôme perdu dans l'espace'
Lorsqu'on jette un regard observateur
la succession des fruits et des mois-

«o-, onesyentéde croire que le soleil
P vo,ties besoins de l'homme, ou pour
- eux dire, un dieu les a prévus pour

N est-ce donc point un bienfait signalé

les a^T'nbsp;—

, ^des, les marrons, les faînes,

les

-ocr page 98-

noisettes, etc., enfin toutes les plantes
papilionacées se trouvent clans les con-
trées froides et ne donnent leurs récoltes
qu'en automne ? tandis qu'au milieu des
chaleurs dévorantes de l'été , nos champs
se couvrent de groseilles , de cerises , de
prunes, de pêches , de poires , et que
les citroniers, les papayers, les ananas,
les bananiers, les manguiers , etc., pré-
sentent leurs fruits acides et rafraîchis-
sants aux habitants de l'Amérique. Un tel
phénomène est contraire à toutes les lois
de la
physiqiie -, on sait que partout où
le soleil darde ses rayons brûlants, les
fluides s evaporent, et la verdure se
dessèche j ici, au contraire, ces mêmes
feux mûrissent des fruits pleins d'un jus
délicieux, et d'une liqueur rafraîchissante :
mais ce n'est point encore assez.

La nature veut plaire, elle- sait s'emLellir ;

Comme Vénus, elle aime la parure,
Elle couvre les fruits d'une aimable peinture,
Et nous invite à les cueillir,

J

-ocr page 99-

lETTRE T,nbsp;63

En les plaçant sur la verdure,
^lle embaume les airs d'une suave odeur,
Et ce parfum qui nous enchante,
La nature nous le présente
Dans le calice d'une fleur.

C'était peu de mûrir les fruits jus-
tement à l'époque la plus utile à nos
besoins. Le soleil nous offre des moissons
encore plus agréaMes. La succession des
fleurs, dans nos campagnes , présente un
speetade plei„ d'enchantement, je ne
puis résister au désir de vous rappeler

1 esquisse que j'en ai faite dans un autre
ouvrage.

Lorsqu'aux premiers jours du prin-
♦^nip«, le soleil s'élance radieux du sein
des sombres brouillards , que la terre
-veillée, soupire de volupté, et que
«on sein fécond séparé de verdure, les
^^ ons et les bois retentissent de chants

- odieux, les branches des chênes ab^

donnent leurs feuilles desséchées, et se
onnent de bourgeons roses; soudain
^^odes jaunes de la jacobée brillent

-ocr page 100-

64nbsp;LIVRE PREMIER,

sur les bords des eaux -, la marguerite /
au disque d'or, aux rayons d'argent bordés
d'incai-nat, émaille les prairies ; partout
les regards enchantés se promènent sur
les fleurs : c'est l'ancolie avec ses coupes
de porphyre , la tige du pohgala qui
semble couverte de papillons violets ; le
pavillon bleu de la véroniquie, et la glo-
bulaire azurée dont la tête ronde , agitée
légèrement, semble
rouler sur le gazon.
Plus loin, l'oeil s'arrête avec surprise sur
le ciste blanc qui se couche avec le soleil ;
il
contemple les voiles jaunes de la pilo-
selle qui se referment aux approches de
la pluie, et les panaches rouges des crépis,
dont les petites fleurs s'endorment le soir
et se réveillent à l'aurore, image char-
mante de la vie de Thomme.

Mais au mUieu de ces prairies, tout se
prépare déjà pour la saison suivante ; un
léger bouton renferme les voiles roses de
l'épilobe, quelques brins d'herbe cachent
encore les campanules aux clochettes
bleues, les bouquets parfumés de l'origaB

-ocr page 101-

et la superbe spirée, dont le corymbe
^^^anc doit s'élever sur le gazon comme
reine sur son trône.

Tel est le spectacle magnifique que le
«oleil donne à la terre. Géant superbe
u ciel, il ne couronne point sa tête de
fleurs, mais il les sème sous nos pas;
d n'amasse point les moissons dans son
orbe éclatant, mais il les fait naître sous
la mam de l'homme qui doit s'en nourrir ■
source de lumière, il „e colore point sou
disque enflammé, mais il peint la nature
des plus riclies couleurs. Immense comme
l'univers, il est à la fois en tous lieux
sans jamais sortir de sa place , et l'on
pourrait dire de lui, avec un poète
sacré :
d fait éclater son pouvoir dans les cieux ,
et la terre est pleine de ses merveilles (i).

O sok-il, roi des cieux, astre éclatant du jour,
Que tes prerrùers rayons annoncent de puissance]

mlnbsp;Annotations au traité de l'existence de

^ émontrée par les merveilles de la Nature, de Fi

I.nbsp;g

-ocr page 102-

Le monde, en soupirant, demande ton retour.
Tu parais, tout fleurit, et le printemps commence-
Tu règles à la fois les jours et les saisons;
La terre, en te voyant, se couvre de moissons ,
Et ton orbe de feu, poursuivant sa carrière,
Remplit l'immensité des flots de sa lumière.
Non, je ne peindrai point ta gloire et ta beauté ;
Ta gloire est accomplie , Homère t'a chanté ,
Et Delille , prenant sa lyre harmonieuse ,
Eleva jusqu'à toi sa plainte douloureuse.
Jadis il contemplait le spectacle pompeux
Qui précède au matin ta marche dans les cieux,
Et sa voix célébrait les charmes de l'aurore,
Ses yeux se sont fermés, il te célèbre encore,
Et l'univers surpris de ses accords touchant»,
Admire ta lumièr» et répète ses chant«.

-ocr page 103-

lettre vl

bu mouvement.

tt

ECRECX qui des secrets de ce vaste univers,
Fait le sujet divin de ses divins concerts.
D'accords toujours nouveaux il charme nos oreiUes,
Et dans ses vers pompeux reproduit des merveilles.
Veut-d peindre aux regards ce globe radieux,
Centre denbsp;et roi briUant des oieux P

Il ose s'élancer au sein de la lumière,
Arrête fièrement le dieu dans sa carrière,
Voit les mondes divers dont cet astre cst'l'appui,
En des temps inégaux, rouler autour de lui -
La terre, dans son cours, sur son axe inclinée,
Recevant les saisons qui partagent l'année,
Et la lune, fidèle au globe qu'elle suit,
D'une tendre lueur éclairer chaque nuit.
U sait par quel moyen, au sommet des montagne,,,
L eau revient à sa source et fuit dans les campagnes ■
Comment le grand abimc aux orages livré,

S eleve chaque jour vers le ciel attiré,

Et bientôt, par son poids, entraîné sur la plage

-- I-----,nbsp;sur ta

roule, bouiUonne et couvre le riv

raac.

-ocr page 104-

Muses qui m'inspirez, vous n'avez point encor
Au sommet d'IIélicon , pris un si noble essor.
Mes concerts s'élevaient pour chanter la Nature;
Mais je n'osais tracer sa brillante peinture.
Eh bien ! je veux tenter un sujet si nouveau !
Je veux de l'univers esquisser le tableau.
Forêts, recevez-moi sous vos épais ombrages i
Fleurissez à ma voix, solitaires bocages !
Ef vous, riants vallons oii l'onde en cent détours.
Fuit, s'égare et revient poiu- prolonger son cours ;
Vous me verrez souvent sur la rive tranquille,
Errer en invoquant la muse de Delille ;
Et tirant quelques sons d'un luth harmonieux,
Dévoiler les secrets de la terre et des cieux.

Ainsi, dans le silence de la nuitj j'é-
levais ma faible voix. Ces étoiles sans
nombre, cette multitude de mouvements,
ces oibes radieux, cette terre emportée
dans l'espace, comme un frêle vaisseau
au milieu de l'Océan, pénétraient mon
ame d'un profond étonnement; je tâchais
de comprendre la puissance et la gran-
deur de celui qui nous plaça en présence
de si magnifiques spectacles. J'étudiai

-ocr page 105-

lETTRE VI. 'nbsp;6g

le mouvement des mondes, et celui du
plus petit insecte ; ces planètes qui
marchent pour ainsi dire dans le vide,
sans jamais s'écarter de leur route j l'ani-
mal , muni de ressorts intérieurs qui
l'aident à se transporter d'un lieu dans
un autre • enfin l'homme, dont la pensée,
plus étonnante encore, sait instruire nos
pieds et nos mains, et franchit l'espace
Sans que le corps qu'elle anime la suive
dans ses lointains voyages. Les deux
mouvements de la terre, l'un sur son
axe, et l'autre autour du soleil, me pa-
raissaient un des plus grands bienfaits du
créateur; bienfait inexpUcable par toutes
les lois de la physique. L'attraction attire
et soutient les corps, mais elle ne leur
donne pas
l'impulsion, le momement-, et
qui n'admirerait pas les rapports qui
existent entre ces mouvements et les
besoins de l'homme et de la Nature.
La terre, en s'inclinant sur son axe, pré-
sente tour à tour ses deux côtés au soleil

-ocr page 106-

â qui elle doit l'agréable distribution de
ses jours et de ses nuits, tandis que le
mouvement qui l'emporte dans l'espace
la fait jouir alternativement des quatre
saisons de l'année.

Du printemps qui sème les fleurs
Dont la campagne se couronne ;
De la saison où l'on moissonne ;
De celle où de joyeux buveurs
Dansent aux accords peu flatteurs
D'un gros tambourin qui résonne,
Et de Bacchus et d'Érigone
Célèbrent les douces faveurs ;
Où, pendant que l'on s'abandonne
Aux plaisirs les plus séducteurs,
Que chacun rit et déraisonne,
L'Hiver, ce débOe vieillard,
S'avance et jaunit le feuillage,
Et d'un sombre et triste brouillard
Enveloppe le paysage.
Soudain, changeant tous les tableaux
Que la Nature nous présente,
11 ose, d'une main puissante,
Arrêter le cours des ruisseaux;
11 ose chasser les oiseaux

-ocr page 107-

ïîont la voix joyeuse et brillante
Naguère enchantait les échos,
Et lorscfu'au milieu des orages
Le soleil, perçant les nuages,
Revient un moment dans les cieux,,
Il voit sur sa tige charmante
Se pencher la fleur expirante
Qu'il embellissait de ses feux.

Mais avant d'entrer dans de plus grands
détails sur les phénomènes du mouvement,
je veux essayer de vous exposer le plus
brièvement possible quelques-uttes de ses
lois. La première porte :
qu'un corps une
fois en repos demeure éternellement en repos
a moins qu'une cause étrangère ne le mette
en mouvement ;
et la seconde : qu'un corps
une J'ois en mouvement le conserve éternel'
lement avec la même vitesse et dans la même
direction, s'il n'est trouhlé par aucune cause
étrangère.
C'est sur ces deux propositions
que toute la science de la mécanique est
fondée. Vous voyez qu'en partant des prin-
cipes les plus simples,le génie de l'hommç

-ocr page 108-

peut opérer les choses les plus surpre-
nantes. A présent expliquons ces deux
lois.

Tous les corps, dit Euler, sont en repos
ou en mouvement. Quelque évidente que
paraisse une pareille proposition, il est
bien difficile de juger si un corps se trouve
dans l'uni ou l'autre état. Le papier que je
vois sur ma table me semble en repos.
Mais comme la terre entière se meut aA^ee
une grande vitesse, il faut absolument que
mon papier, ma table et la maison soient
emportés avec elle; ainsi tout ce qui nous
paraît en repos a le même mouvement qu.e
la terre , et n'est véritablement que dans
un
repos apparent. Un corps est dans un
■vrai repos, lorsqu'il demeure dans le même
lieu non par
rapport à la terre, mais par
rapport
à l'univers. Le soleil serait dans
un
-vrai repos, s'il ne tournait pas sur son
axe.

On distingue encore le mouvement vrai
ou absolu du mouvement apparent ou re-

-ocr page 109-

latif. Le pêcheur sur sa barque qu'il aban-
donne au courant du fleuve, voit fuir le
rivage, et semble être lui-même en repos.
Voilà ce qu'on nomme mouvement
appa-
rent.
Cependant le physicien, assis sur les
bords.du fleuve, contemple cette barque
entraînée rapidement, et juge que son
mouvement est
vrai ou absolu : ce n'est
que sur ce dernier mouvement que sont
fondés les principes de la science.

A présent, si à l'aspect d'un corps en
repos, on demandes'd demeiu^era
toujours
en repos ou s'il commencera à se mouvoir;
comme il n'a aucune force qui, le porte
d'un côté plutôt que d'un autre , on
conclut qu'il demeurera en repos aussi
long-temps qu'une cause du dehors n'agira
pas sur lui, d'où suit cette loi que j'ai déjà
énoncée :
Un. corps une fois en repos de-
meure éternellement en repos, à moins(ju une
cause étrangère ne le mette en mouvement.

Quelques physiciens peu exercés op-
posent l'exemple d'une pierre suspendue à

-ocr page 110-

74nbsp;LIVRE PREMIER,

un fil. Il est certain que cette pierre est en
i-epos, et que si l'on coupe le fil, la pierre
tombe sans que cependant on ait agi pour
la faire mouvoir. Mais vous savez déjà que
îa gravité ou pesanteur est l'unique cause
desacliûte.

On demande encore si un corps une fois
en mouvement doit conserver toujours la
même vitesse et la même direction, et
comme on ne saurait concevoir pourquoi
il se détournerait de sa route, et chan-
gerait de vitesse , puisque rien n'arrive-
sans raison , on conclut que ce corps con-
tinuera à se mouvoir éternellement , à
moins qu'il ne survienne quelque cause
externe capable de le troubler.

Il est vrai que lorsqu'on pousse une
bille sur un billard, son mouvement se
ralentit assez promptement, et qu'elle
rentre bientôt dans le repos. Mais si nous
faisons attention au frottement de la bille
sur le drap, si nous considérons que
l'air lui oppose encore une assez grande

-ocr page 111-

ïésistaMce, nous comprendrons facilement
que, sans tous ces obstacles, le mouvement
de la bdle durerait toujours. Telles sont les
preuves de notre seconde proposition :
Un
corps une fois en mouvement le conserve
éternellement avec la même vitesse, et dans
la même direction, s'il n'est troublé par au-
cune cause étrangère.

A présent que nous connaissons les prin-
cipes du mouvement, tâchons de décou-
vrir les bienfaits qui naissent de cette loi
générale.

Le créateur disposa le bassin des mers,
dans les parties les plus basses du globe ,
afin que tous les fleuves y fussent en-
traînés par une pente douce et réglée; les
eaux reçurent le mouvement, non-seu-
lement pour se promener dans nos villes
et nos solitudes champêtres, mais encore
pour que leurs flots se conservassent
dans toute leur pureté; immobiles, elles
eussent en croupissant porté la mort dans
l'habitation de l'homme : Dieu leur donna

-ocr page 112-

LIVRE premier.

un peu de mouvement, et elles y portent
au contraire la fraicheur et la fécondité.
Que de prévoyance dans la forme du bassin
des mers , dans la pente qui y conduit
tous les fleuves du monde, et dans le mou-
vement de l'air qui les reporte aux som-
mets des montagnes î

Les fleuves ne combleront pas les mers,
et leurs sources ne tariront jamais ; c'est
du sein de ces eaux salées et amères, agitées
par le flux et le reflux, que l'éternel saura
enlever des eaux douces et pures pour
rafraîcliir nos campagnes fleuries.

Le mouvement ne contribue pas moins
à la beauté de la nature ^ une
campagne,
un paysage, un bosquet, un arbre sans
mouvement, sont tristes et morts. Faites
souffler un doux zéphir à travers le feuil-
lage ; que je voie un oiseau voltiger sur
une branche, des cygnes se jouer dans les
eaux tranquilles d'un lac, un troupeau
dans le sein du vallon, un chamois s'élan-
cer légèrement d'un pic à l'autre, sou-

-ocr page 113-

dain la Nature s'est empreinte d'un esprit
de vie, un peu de mouvement a changé à
nos yeux toute la face du tableau, tant
l'homme aime à retrouver partout ce
sentiment de l'existence qui fait sa force
et sa grandeur.

Mais rien n'est plus doux que l'en-
chantement que l'homme répand autour
de lui. Est-il une prairie qu'une danse
de bergère ne rende plus riante, un site
âpre, des rochers caverneux auxquels la
présence d'un
solitaire ne donne un aspect
plus mélancolique. 0 comme la vue de
la beauté inspire des idées d'amour et de
bonheur !

Qu'un sage, au seiu d'une plaine fleurie,
Prête l'oreille au murmure des eaus
Qu'il admire, qu'il étudie;
Que son ame, attentive aux eliampétrcs tableaux

Que lui présente la prairie,
Se livre à des plaisirs qui sont toujours nouveau:^,
Ou croit que rien ne peut troubler sa rêverie;

-ocr page 114-

EÎI bieu ! ilans un bocage, au fond de ce vallon,
S'il parait une nympbe à la taiUe élégante,

Au doux minois, au pied mignon,
Et qui, d'un pas léger effleurant le gazon,
Livre au zépliir les plis de sa robe ondoyante,
Le sage , à cet aspect, sent fléchir sa raison.
Oubliant les ruisseaux, les forêts, la verdure.
Son cœur s'ouvre à la volupté;
Et, même au sein de la Nature,
H ne voit plus que la beauté.

Si nous considérons les phénomènes du
mouvement dans les animaux, nous ne
verrons pas sans admiration la faculté qu'ils
ontde se transporter d'unlieudansunautre,
suivant leur caprice ou leur besoin. La
plante attend qu'une douce rosée vienne la
i-afraîchir, et la biche court se désaltérer au
bord de la fontaine ; quel appareil ne lui
faut-il pas pour opérer cette seule action!
des yeux qui lui apprennent la position de
la fontaine, des pieds pour l'y porter, des
muscles pour faire mouvoir ses pieds, et une
volonté pour
animer ses muscles.Une chose

-ocr page 115-

très-digne de remarque, c'est que les
animaux à qui la nature n'a point donné
d'armes pour se défendre , sont doués
d'une excessive vitesse , comme le lièvre,
le bouquetin, le chamois, le cheval, le
chameau, etc. ; tandis que les animante,
bien armés ont assez communément un
mouvement lent et grave comme le tau-
reau, l'éléphant , le rhinocéros , l'hip-
popotame , etc. ; les reptiles composés
d'anneaux mobiles n'avaient besoin ni de
jambes ni d'ailes, parce qu'ils
trouvent leur
habitation et leur nourriture tout près
d'eux dans la première motte de terre ;
mais il fallait de longues jambes aux oi-
seaux , qui habitent les vases des marais,
et les grues, les cigognes, les ibis furent
placés sur des espèces d'échasses. Ceci
îious conduit à une observation très-inté-
ressante , c'est que les pieds des animaux
«ont proportionnés à leurs tailles , à leurs
habitudes et à leurs mouvements. L'élé-
phant, d'une pesanteur prodigieuse, a été

-ocr page 116-

posé sur quatre colonnes ; le cerf, le bou-
quetin, la vigogne ont des jambes menues
et fortes, qui semblent faites
pour l'agilité;
les pieds des animaux qui vivent dans
l'eau, comme le loutre, le castor (i), le
cygne, l'oie , le canard, sont pourvus
d'une membrane qui s'étend comme uine
rame ; les mains de la taupe sont faites
pour creuser; l'élan, qui fuit sur la neige,
a les jambes inflexibles et se tient raide
sur le verglas le plus glissant, ce qui lui
donne le moyen d'échapper au loup, son
plus cruel ennemi; le sabot fendu de la
chèvre l'aide à grimper sur les rochers ;
les pieds calleux du chameau sont appro-
priés au sol mouvant et sablonneux des
déserts; les gerboises etles kanguroos, etc.,
se tiennent droit sur leurs pattes de
derrière, et se servent de leur queue

(i) Le castor «taat aajfhitie, n'a de rames qu'aux pLeds
de derrière.

-ocr page 117-

comme d'un étançon, de manière qu'on
les croirait sur trois pieds.

Quelquefois les insectes n'ont d'autres dé-
fenses que la diversité de leurs mouvements.
Lorsque le taupin tombe sur le dos, il se sert
d'un ressort caché dans sa poitrine, pour
s'élancer dans l'air et se replacer sur ses
pattes j le papillon échappe aux oiseaux,
par son vol en zigzag ; l'araignée se jette
brusquement loin de l'ennemi qui la pour-
suit , én se laissant couler le long de son
fil, comme un matelot le long d'un câble;
l'hémerohe se couvre tout le corps d'a-
tomes sablonneux j en le voyant flotter sur
l'eau, on le prendrait pour un morceau de
hois pourri -, cependant, le soir il se trans-
forme en mouche et se
pare de deux ailes
brillantes ; tandis que le gyrin (i) décrit ra-
pidement des cercles à la surface des eaux
dormantes où les tipules exécutent des
danses légères sans se mouiller les pattes.

(l) ViREY.

Lnbsp;G

V/

-ocr page 118-

Que , si nous jetons les yeux sur
les poissons, nous verrons que le fluide
qui les environne leur sert, pour ainsi
dire de voitiire ; aidés de leurs nageoires,
ils se promènent lestement dans leur
domaine : la Nature les a pourvus d'une
vessie pleine d'air ; ils la gonflent ou la

compriment à volonté, et, diminuant ou

augmentant ainsi le volume de leur corps,
^ ils montent ou descendent dans les eaux.
D'autres poissons sautent en se courbant en
arc et en se débandant avec impétuosité.
Les zoopliytes marchent par un moyen
semblable à celui qui fait élever une fusée.
C'est ainsi que les
holothuries lancent avec
force l'eau qu'ds renferment dans leur
sein, et sont repoussés violemment par
le moyen de cette pompe refoulante.

Je n'oubhrai point ici une observation
très-curieuse, c'est que les poissons, comme
les oiseaux , sont pourvus d'une glande
huileuse qui enduit leurs écailles et les
défend de l
'action relâchante de l'eau-

-ocr page 119-

Mais ce qu'il y a de plus surprenant, c'est
que cette glande est placée sur leur tête,
de manière que la seule action de nager
fait glisser cette espèce d'hude sur leurs
écailles, et les recouvre entièrement. Sans
cette admirable disposition, cette glande
eût
été inutile, les poissons n'ayant ni
pieds, ni mains pour s'enduii^e
eux-mêmes.

Ainsi, lorsqu'on étudie les effets du
mouvement , depuis les mondes qui-t
roulent dans l'espace, jusqu'à finsecte
imperceptible qui met en
jeu ses os, ses
muscles , ses tendons , pour marcher,
voler ou nager, on ne peut s'empêcher
d'admirer la sagesse de la Providence.
La même loi conserve les astres, embelht
la Nature , et donne la vie aux plantes
Gt aux animaux; et c'est dans ces spec-
tacles intéressants que l'Éternel semble
nous engager à chercher les preuves de
sa grandeur et de sa bonté. Mais, Saphie,
combien les esquisses qu'on veut faire
de ses oeuvres sont loin de la vérité. Ce

6*

-ocr page 120-

n'est point dans les livres qu'il faut Voifquot;
la campagne.

Ah ! si d'une volupté quot;pure
Vous voulez enivrer vos sens,
Venez contempler la Nature.
Jamais la plus belle peinture
Ne rendra ses tableaux charmants.
De l'onde qvie sa pente entraîne,
Vous fait-on sentir la fraîcheur ?
Voit-on le cerf fuir dans la plaine,
Devant la meute du chasseur
Qui cherche sa trace incertaine ?nbsp;*

Voit-on, au milieu de nos bois,
Ou sur le penchant des montagnes,
Des troupes de légers chamois ,
Contemplant de loin nos campagnes?
Tandis que dans le frais vallon,
Cil le fier taureau se promène,
Les jeunes fiUes du canton
Dansent aux bords de la fontaine,
Et que les bataillons d'oiseauji
Qui descendent sur nos rivages,
Font entendre leurs doux ramages,
Marchent au miheu des roseaux,
Et voltigent dans les bocages ?

1

-ocr page 121-

lettre vil

d'une autre loi générale de la NATUiUE-

Nous allons étudier les êtres divers qui
peuplent la terre.

Buffon esquissa les tableaux
De leurs mœurs et de leur génie.
Ce grand homme écrivit la vie
Pu bon peuple des animaux.

Tandis qu'en sïs lignes sensées'
II en parlait éloquemment,
La Fontaine vint bonnement
ïoiu- nous apprendre leurs pensées;

Animant ses joyeux pipeaux.
Il chanta d'une voix légère
Les conquêtes et les travau.t
De ces petits rois de la terne.

Souvent, oubliant leur vertu ,
Ces petits princes font la guerre
Et se battent pour un fétu,
Comn^e nous pour un coin de terre.^

-ocr page 122-

On voit chez eux plus d'un Sully;
Vingt bons rois pour un Alexandre.
Les hommes n'ont eu qu'un Henry,
Et l'on pleure encore sur sa cendre.

En voilà sans doute assez pou^r rendre ces
petits êtres intéressants à vos yeux , et
vous convaincre qu'ils ont bien mérité de
compter La Fontaine, Buffon, Reaumur
et Bonnet, parmi leurs historiens.

Les lois d'attraction et d'affinité con-^
servent les mondes. Leurs habitants se con-
servent par les ruses les plus singulières et
par la tendresse maternelle. Les races fortes
et sanguinaires n'anéantissent point les
races faibles y un équilibre parfait règne
dans la Nature, rien n'y peut être dé-
truit. L'insecte imperceptible a reçu des
moyens de défense et peut combattre ou
éviter son ennemi. Le lion, caché dans
les broussailles où il guette la timide
gazelle qui fuit avec la légèreté du vent,
est-il mieux partagé que l'araignée qui
tend des filets, va à la chasse, et
revient

-ocr page 123-

LETTRE VII.nbsp;gr,

chargée de sa proie ? Les armes du sau-
gher sont-elles plus dangereuses que
celles de la guêpe ou du mousquite ?
Le kanguroos échappe-t-d mieux à ses
ennemis, en faisant des bonds épouvan-
tables, que les grillons et les sauterelles
qui sautent avec tant d'agihté ? Un sca-
rabée, un hanneton, sont, eu égard à
leur grosseur, six fois plus robustes qu'un
cheval • et Linnée a dit que si l'éléphant
était aussi fort, à proportion, qu'un cerf-
volant, il serait capable de déraciner les
arbres et de culbuter les montagnes.

Jetez un coup d'oed sur les eaux des
fleuves et de l'Océan , vous serez surprise
de la beauté et de la variété de leurs
habitants. Là, le misgurn indique l'ap-
proche de l'orage en agitant la vase et
en troublant les flots. Plus loin, les tor-
pilles et les gymnotes électriques, qui
semblent faibles et abandonnées, sont
armées d'une pile galvanique, et se dé-
hvrent de leurs ennemis voraces en les
I.nbsp;Q**

-ocr page 124-

frappant ^ .n coup de tonnerre. Une
foule de poissons sortent des eaux et se
soutiennent dans les airs pour éviter la
poursuite des dorades. Les légers argo-
nautes élèvent leurs coquilles élégantes-
sur les ondes , et voguent par petites
flottes dans les solitudes de l'Océan }
craignent-ils l'approclie de l'orage? ils
se submergent volontairement, tombent
au fond de la mer, et ne reparaissent
qu'avec le beau temps. Cependant les
sêcbes et les calmars répandent autour
d'eux une encre noire, et se dérobent
dans l'obscurité. Les doripes ont reçu
deux pattes plus longues que les autres,
dont ils se servent pour soutenir une
éponge sur leurs têtes, et, ainsi cachés,
ils se traînent au fond de la merj tandis
que le
bernard l'hermite se place dans
une coquille vide, comme Diogène dans
son tonneau, et que de petits
crabes se
blottissent dans les coquillages bivalves,
et, vivant en commun avec ces molusques

-ocr page 125-

LE'TÏRE A'11.nbsp;89

aveugles, se mettent en senf/^lles pou.r
les avertir du moindre danger.

Les ruses et les habitudes des animaux
qui vivent sur la terre, ne sont pas moins
intéressantes. On ne peut trop admirer
la prestesse des sauts du lynx et du ca-
racal , les finesses du renard, l'attaque
hardie de l'ours , le vol des galéopi-
théques et des taguans j les cornes dont
la Nature a armé le front d'une multitude
de quadrupèdes; enfin les cuirasses, les
épines, les écailles, dont elle a revêtu
presque tous les insectes. Les
tatous et
les pangolins sortent la nuit de leur-s
terriei^s, butinent en silence , et, roulés
en boule dans leurs maisons osseuses ,
dorment tout le jour. Les hérissons et les
tenrecs se hérissent et ne présentent que
des piquants. Les loirs, les gerboises et
les rats, posés sur leurs pattes de der-
rière , peignent leurs moustaches avec
leurs griffes, et courent, à l'approche de
l'hiver, se renfermer dans leurs terriers

-ocr page 126-

9®nbsp;livre premier.

garnis de mousses, où ils s'endorment
jusqu'au printemps. Cependant le castor
élève des digues contre les courants des
fleuves, et se bâtit des huttes à plusieurs
étages ; l'ondatras s'établit sur les bords
des rivières, dans sa maisonnette de joncs;
et les bobaks, rassemblés en famille au
fond d'un souterrain, placent des sen-
tinelles qui les avertissent, en sifflant, des
attaques de leurs ennemis; et l'écpreuil,
la tête ombragée de sa queue touffue,
s'embarque et traverse les eaux sur une
écorce d'arbre , comme un sauvage sur
son canot.

Souvent, au milieu d'un bocage,
Une araignée établit son ménage ;

Sur la porte de sou palais,
Elle s'amuse à tendre des filets ;

De sa ruse et de son ouvrage.
Immobile en un coin, elle attend le succès.
Déjà mille imprudents ont éprouvé sa rage ;

Déjà, dans tout le voisinage,

On sait qu'un célèbre brigand,
De moucherons a fait un grand carnage.

i

-ocr page 127-

Et l'on ne trouve plus, dans ce fatal moment.
Un seul insecte assez vaillant
Pour oser se mettre en voyage.
Cependant un guerrier s'avance,
Et, semblable à ces paladins
Qui parcouraient les grands chemins
Pour redresser les torts et venger L'innocence,
Armé d'un aiguillon, il fond rapidement

Sur l'ennemi qu'il veut combattre ;nbsp;'

L'attaquer, le frapper, l'abattre,
Est l'affaire d'un seul moment ;
Il plonge dans son sein une pointe acérée,
Le voit sur la poussière à ses pieds abattu,
Et d'un brigand fameux délivrant la contrée,
Lui-rbème ensevelit son ennemi vaincu (i).

Ce n'était pas assez pour la Providence
d'inventer les ruses des animaux et de
leur donner des armes; elle voulut assurer
leur conservation par le sentiment le plus

(1) Le sphex est une guêpe qui attaque tous les insectes
et surtout les araignées, les perce avec une espèce de tarière,
Us tue à moitié , dépose ses œufs dans leurs corps, et les
ensevelit sous terre, oit les petits âclosent et se nourrissent
du cadavre qui les renferme.

-ocr page 128-

doux et le plus toucliant de la Natuye.,
L'amour maternel, l'intelligence des ani^
maux augmente à mesure que les espèces
se rapprochent de l'homme -, mais l'amour
maternel a la même force dans tous les
êtres. L'aigle cruel, le vautour impitoyable
sont attachés à leurs petits, comme la fau-
vette et le loriot; l'insecte perdu dans la
poussière a été animé d'une a\issi vive
tendresse pour ses larves insensibles, que
l'éléphant immense pour sa jeune famille ;
et l'on ne voit point sans admiration, que
les mamelles de ce dernier ont été placées
près de sa poitrine, parce qu'il est obligé
de sucer son lait avec sa trompe, pour le
conduire dans la bouche de son petit (i).

Voyez-vous cette multitude d'insectes
et d'animaux qui circulent sous ces voûtes
de verdure ? les uns s'établissent sur les
bords des ruisseaux, les autres trouvent
un monde dans quelques brins de gazon}

(i) Trans, phi, n.quot; 336.

À

-ocr page 129-

tous exercent une industrie et des talents,
différents : armés de longues tarières, de
scies, de râpes, de tenailles, ils animent
leurs travaux par de petites symplionies.
L'araignée loup entoure ses oeufs d'un
Voile de soie très-délicat et les emporte
partout avec elle; la tipule pond sur les
bi^anches du genévrier, où sa piqûre fait
naître un petit logement
à trois faces : à
peine la psylea-t-elle déposé ses oeufs sUr la
véronique, que ses feuilles se rejoignent et
s'arrondissent
comme un berceau. Voyez-
vous cette clienille hideuse que sa mère
semble avoir abandonnée ? elle s'avance en
dévorant les fleurs et les feuillages ; mais
hientôt arrêtée au milieu de sa course ,
elle s'enveloppe d'un tissu de soie et s'en-
sevelit toute vivante ; mais un grand mys-
tère s'accomplit : tout
à coup le tombeau
Se déchire, et de ses débris s'élance un
papillon superbe : ses dents ont disparu;
être tout aérien, il ne doit plus se nourrir
que du miel des fleurs. Ainsi Le Brun a

-ocr page 130-

g4nbsp;tivre premier.

représenté sa mère soulevant la pierre de
sa tombe, et s'élevant doucement vers le
ciel.

Les animaux, les plus faibles et les plus
timides, deviennent courageux à l'époque
de l'alaitement. La poule attend hardi-
ment l'oiseau de proie qui se précipite
sur ses poussins. La biche craintive frappe
avec fureur l'ennemi qui s'approche du
taillis où elle a déposé ses petits. Les
kanguroos , les manicous et les sarigues
ont sous le ventre une poche membra-
neuse où se réfugient leur famille , et
chargés de ce précieux fardeau, ils fuient
au fond des forêts. Les écureuils placent
leurs nids dans des troncs d'arbres chau-
dement tapissés de mousse. Les femelles
des singes portent leurs petits dans leurs
bras , les allaitent, les caressent, les em-
brassent, jouent avec eux, et les corrigent
même lorsqu'elles en sont mécontentes.
Enfin, les loriots s'élancent contre ceux
qui enlèvent leurs nichées, et l'on a vu

À

-ocr page 131-

ia mère prise avec le nid, continuer de
couver en cage et mourir sur ses oeufs.

Tant de soins, de tendresse et de peines gt;
sans récompense j le dévouement sublime
de toutes ces mères que la crainte de la
mort ne peut arrêter ; leurs sollicitudes
si vives et si constantes , annoncent la
volonté d'un Dieu qui voulait que la même
loi, qui fait le bonheur de tous les êtres,
servît à les conserver.

Mais, parmi tant de merveilles, rien
n'est plus
admirable que l'industrie que
déploient les oiseaux dans la construction
de leurs nids. Lorsque le zéphir ramène
le printemps, un doux soleil fait renaître le
feuillage, des troupes d'oiseaux voyageurs,
reviennent dans nos climats , et com-
mencent à chanter leurs amours. Un
instinct secret les avertit de la naissance
de leurs petits.

Tous les lieux sont peuplés de leurs troupes volages,

Les forêts, les gazons, les roseaux, les bocages,

-ocr page 132-

Leur servent à cacher mille herceaux charmants •
Chantres harmonieux, architectes savants,
On les voit travailler à leurs petits ménages.
Ils remplissent les airs des plus joyeux ramages ,
Et célèbrent l'ainour pour charmer lèurs travaux.
L'un bâtit hardiment sa hutte sur les eaux;
Pour mienx la préserver des fureurs de l'orage
Il l'attache avec art aux plantes du rivage ,
Et son nid retenu par ces flexibles noeuds,
Balancé sur les flots, monte ou baisse avec eux (i).
L'autre élève le sien comme une pyramide,
. Et, pour nous dérober sa famille timide,
I Sait, par une cloison qu'il pose adroitement ,
Partager l'intérieur de son appartement (2).
Cependant le remiz, sur une onde tranquille.
Tient suspendre son nid à la branche mobile,
De la maternité, goûte en paix les plaisirs.
Et livre son hamac au souffle des zéphirs.
Tandis que des serpents, la troupe fugitive.
Rampe , glisse, se dresse, et siffle sur la rive.
Et, l'œil étincelant, contemple avec furein
Le nid où cet oiseau, reposant sans frayeur,
Voit ses petits, joyeux , sortir de leur coquille,
Et chante tendrement son aimable famille.

(i) La poule d'eau.

(^2) Une espèce de trûupiale, et le gros bec d'Abyssinie.

-ocr page 133-

lettre vit.

^ Les habitations des oiseaux offrent bien
d'autres curiosités. Ceux qui vivent au
Huheu des joncs humides garnissent le
fond de leurs nids avec le duvet de leur
poitrine. Le tadorne et le martin-pêcheur
placent leurs œufs dans une espèce de
terrier qu'ils creusent comme les lapins.
Le bouvreuil a soin de ne pratiquer l'ou-
verture de son nid que du côté le moins
exposé à la pluie. Le baglafecht roule le
sien en spirale, et le
suspend à «ne branche
sur une eau dormante, pour le mettre hors
de l'atteinte des reptiles. Le nélicourvi
suit à peu près la même méthode, et l'on
voit souvent cinq ou six cents'de ces nids
a un seul arbre comme une ville aérienne.
Enfin, le couturier a l'adresse de coudre
une feuille détachée de sa tige à une autre
feuille placée à l'extrémité d'une branche,
et forme ainsi une espèce de hotte, où il
dépose sa tendre couvée.

A peine tous ces nids Sont-ils achevés
que les femelles s'occupent à
pondre^ Ces

-ocr page 134-

qBnbsp;livre premier.

petits êtres si vifs, si légers, si inconstante
deviennent tout à coup fidèles à leurs oeufs.
Les femelles ne chantent pas, sûrement
parce qu'étant destinées à rester sur leurs
couvées, ce talent aurait pu devenir fu-
neste à leurs petits en attirant les chasseurs.
Cependant, le mâle se place quelquefois
sur un arbre voisin, et charme les peines
maternelles par les chants les plus doux.
Peut-être exprime-t-il le bonheur de se
voir père; peut-être

a nos coteaux, à nos vergers,
Il raconte ses aventures ;

Des villes, des champs étrangers,
Il fait de j^rillantes peintures,
Et prédit leurs courses futures
Aux petits oiseaux passagers.
Il peint leurs troupes vagabondes
S'en allant au milieu des airs,
Chercher des rives plus fécondes ;
Décrit le passage des mers,
£t les prés fleuris des deux mondes.
Et de l'hymne heureux du retour j
Faisant retentir les bocages,
Mêle encor les chants de l'amour
Aux doux récits de ses voyages.

i

-ocr page 135-

Je n'entrerai pas dans de plus grands
détails sur les sollicitudes maternelles des
oiseaux. Je vous ferai seulement remar-
quer que la coquille des œufs de poule
étant extrêmement dure, le bec du petit
poussin a
été armé d'une éminence osseuse,
dont il se sert pour fendre l'oeuf, et
qui
tombe quelque temps après sa naissance :
prévoyance qui décèle la main d'un créa-
teur intelligent, et qui embarrasse singu-
lièrement les incrédules.

Ainsi le Créateur fit de la tendresse
maternelle la loi conservatrice de l'univers.
Mais de quoi aurait servi ce doux sen-
timent , si l'amour n'avait embrasé les
coeurs de ce feu charmant qui anime tous
les êtres, qui réchauffe, qui embellit,
qui enchante la nature. Voyez comme
au printemps le feuillage est mollement
agité; comme le ruisseau caresse le gazon,
comme l'oiseau chante avec tendressô :
tous les êtres sont en extase , tous se
revêtent de leurs habits de noces, tous

-ocr page 136-

loonbsp;liVre premier.

adoucissent et modulent leurs voix, il
semble que la Nature veuille plaire pouf
faire aimer. La plante n'épanouit ses co-
roles parfumées f|tie pour être fécondée i
à peine l'hyménée est-il accompli, que la
fleur se dessèche, pâlit et meurt ; le zéphir
ne balance plus que le berceau léger qui
renferme le fruit de ses amours. Mais
déjà le paon étale au soleil sa queue
enrichie d'une broderie d'or et d'éme-
raude. Les faisans dorés et les argus se
couvrent de leurs superbes plumages ;
une riche aigrette s'élève sur la tête de
la pintade. Les combattants de mer, se
parent d'une collerette de plumes , et le
cotinga marche revêtu d'une robe à plu-
sieurs reflets , son col bleu est tacheté
de pourpre, de violet et de noir ; le bout
de ses aîles est semblable à une frange
glacée de vert. Ainsi parés de leurs habits
de fêtes, tous ces êtres brillants se pré-
^.entent devant leurs épouses, poussent des
cris de joie, élèvent des chants mélodieux.

i

-ocr page 137-

et tentent de faire leurs conquêtes. Mais
à peine la saison d'aimer est-elle passée,
qu'ils se dépouillent de leurs belles cou- ,
leurs. Les paons perdent leur queue
éblouissante ; les pintades, les aigrettes
qui les couronnent; le cotinga, son vête-
ment superbe ; et îes combattants , leurs
collerettes de plumes. Tous se revêtent
soudain d'habits sombres et tristes : on
dirait qu'ils regrettent les jours d'ivresse
et d'amour qui viennent de s^écouler,
et qu'ils ne se parent que pour en
jouir. Ainsi, le rossignol ne fait en-
tendre ses accords mélodieux, que pour
charmer sa compagne chérie ; dès qu'il
n'a plus besoin de plaire , il ne soupire
plus de tendres romances ; ses chants
suaves, son ramage inimitable, sont rem-
placés par des cris aigus et de plaintifs
croassements.

Ne pas aimer, c'est être malheureux ,
C'est vivre seul ; aimer, c'est vivre deux ,

-ocr page 138-

C'est exister dans un autre soi-même.
Ail ! jouissons de ce bonlieur suprême,
Avant que l'âge ait blanchi nos cheveux.
Dans la jeunesse un plaisir nous console j
Un peu d'espoir chasse notre souci ;
L'âge survient, l'espérance s'envole.
Et le plaisir fuit et s'envole aussi.
Alors on voit la pesante vieillesse.
Le dos courbé, s'avancer tristement,
La mort la suit, l'aiguillonne, la presse,
Elle n'a plus à donner qu'un moment ;
II faut mourir. Prêt à quitter la vie,
L'homme déjà s'aperçoit qu'on l'oublie j
Ï1 voit de loin ces fêtes et ces jeux.
Ces doux plaisirs que la foule idolâtre,
Prête l'oreiUe à ses propos joyeux,
Suit lentement la jeunesse folâtre.
Jette sur elle un regard expirant,
Et
vers sa tombe avance en soupirant.

-ocr page 139-

lettre viii.

genie de l'homme..

A^o u S voulez donc que je prenne la lyre
Pour célébrer le magique pouvoir
De ces savants que l'univers admire ?
Vous désirez égaler leur savoir ?
Jamais on n'eut si beau sujet d'écrire.
Sans invoquer Farfadet ni Lutin,
Le monde entier sera votre conquête :
Point ne vous faut de pbiltre, de baguette.
Point ne vous faut de grimoire à la main j
Et vous verrez que l'enchanteur Merlin,
Dont on nous fait maint récit fort honnête,
Ne fut sorcier, enchanteur ni devin.
Dans notre siècle agréable et volage.
On apprend tout, et l'on ne croit à rien;
On réfléchit, on n'en est pas plus sage ;
On rit, on danse, et l'on s'en trouve bien.
Vous dédaignez tous ces vains badinages,
Et vous voulez connaître les ouvrages
De ces savants qui règlent l'univers;

-ocr page 140-

Décomposer les éléments divers ;
Vous élever au-dessus des nuages,
Et diriger la foudre dans les airs.
Ap rts avoir vu ces grands phénomènes,
Dont les savants font leur amusement,
Nous reviendrons réflécliir un moment
-Aux vanités des sciences humaines.

Eh bien ! le cabinet du savant nous esfe
ouvert. Voyez le physicien environné
d'une muititade d'instruments qui lui
servent à peser les mondes, et de machines
ingénieuses avec lesquelles il arrache le
feu du ciel. Ses fourneaux sont allumés;
l'or s'y change en une poussière fulminante
qui, sans le secours du feu, s'enflamme
avec un bruit horrible ; mille gaz invi-
sibles s'élèvent à la fois dans des globes de
cristal : l'un doit éteindre la
flamme ( i ) ,
l'autre produire la foudre (2); le simple

(1) Le gaz acide carbonique-,
(s) Le
gaz hydrogène.

-ocr page 141-

çonlact d'un troisième donne la mort (i).
Mais je vois le sage lui-même couvert
d'étincelles brillantes; ses clieveux se hé-
rissent ; il touche un tube de cuivre , et
des rayons de lumière le couronnent ; et
Jupiter qui, du haut de son trône, con-
temple ce moderne Prométhée , s'écrie ^
dans sou effroi :

N'attenflons pas tpie cet audacieux,
Nouveau Titan, escalade les cieux.
Il veut créer,
qu'il soit réduit eu poudre.
Jupiter dit, s'arme et lance la foudre ^
En un moment tout le ciel est en feu.
Mais l'homme à ses projets a su mettre un obstacle,
Et nous faire un brillant spectacle
De l'impuissance de ce dieu.

Voyez le savant, avec sa baguette ma-
gique , diriger la foudre , et lui dire : Tu
tomberas là.

(0 Ee gaz hydrogène sulfiuc. F^je^ Içs aptes.

-ocr page 142-

Donnez-moi un levier et un point d'^ap^«.
pui , disait Archimède , et je remuerai
l'univers. Donnez-moi de la matière et du
mouvement ^ disait Descartes, et je vais
faire un monde.

Voulez-vous à présent que le physi-
cien évoque les ombres , qu'il s'entoure
de fantômes et de spectres, et qu'il s'élèvé^
dans les cietix avec cette pâle assemblée
de morts ?... Je l'ai vu, dans les ténèbres
de la nuit, tracer en lettres de feu sur les
ruines des vieux monuments, les arrêts
terribles du destin (i) : ainsi Balthazar,
■t au milieu d'un festin, vit une main qui
écrivait sur la muraille sa sentence de
mort.

Voulez-vous que, comme Archimède ^
il enflamme les flottes ennemies au moyen
d'un miroir ardent -, que , nouveau Calli-
nique, il invente un feu terrible qui s'a-
nime dans les eaux; ou voulez-vous que ^

(quot;i) Le pliospliore.

-ocr page 143-

suivant les traces de Phérécide, il prévoie
un tremblement de terre ? O ame ! esprit
divin ! qu'es-tu ? toute cette puissance est
ton oeuvre.

Eh bien, Sophie! ces expériences ex-
traordinaires ne sont que les jeux des
savants : c'est ainsi qu'ils préludent à la
véritable science, et qu'ds nous tendent
des appâts.

Mais malgré leur pouvoir, leurs spectacles brillants,
La jeune beauté , d'un sourire ,

Sait soumettre en quelques instants
Bien plus de cœurs à Son aimable empire
Que la science dans cent ans.

Voulez-vous u^n exemple de la véritable
science ?

L'homme, sur un grain de sable qui
tourne et l'emporte avec i^apidité, a me-
suré l'immensité des cieux. Il vous dira la
grandeur des astres, leur vitesse et leur
distance ; interrogez-le sur l'atome qui est
auprès de lui, il gardera le silence.

-ocr page 144-

Mais je le vois assis dans la solitude/ il
joue avec des aiguilles d'acier qui s'attirent
et se repoussent. Quoi ! prétend-il encore
occuper l'univers de ces jeux d'enfants,
ou ce mystère confond-il son intelligence?
Non, vous dis-je ; il tient la clé d'un nou-
veau monde : rien n'aura eu autant d'in-
fluence sur le bonheur des nations, que la
découverte d'une pierre.

L'histoire des grands effets par les pe-
tites causes ferait nn livre bien curieux.
Une pierre nous conduit dans un autre
univers, un grain de sable nous découvre
des mondes invisibles , un peu d'air nous
élève aux cieux, et voilà l'homme qui
quitte la terre.

Au .'ein de la tempiltc et de» flots en fureur,

Sans crainte, le mortel s'élance ;
li'univers est témoin de sa haute valeur j
Et le ciel l'est de sa puissance.

Transportez ce physicien aux sources,
mystérieuses du Nil, ou sur les rives de

-ocr page 145-

i'Aïnazône, bientôt les peuples en feront
ün dieu.

A présent vous pôuvez expliquer tous
les mystères des prêtres égyptiens, et,
plus récemment, ceux de la magie.

Je vois votre surprise au récit de tant
de prodiges, et cependant je n'ai rien dit
des télescopes qui lapproclient les astres
de la terre , et des microscopes qui nous
ont découvert des mondes perdus dans
une goutte d'eau. Je n'ai pas
parlé des
mécaniques admirables de Vaucanson, des
têtesparlantesde Mical,et des phénomènes
de l'électricité et du galvanisme. J'espère
dans la suite vous donner une idée de
toutes ces choses, mais que de découvertes
précieuses nous serons forcés de néghger!
Que de spectacles sublimes nous ne pour-
l'ons conlempler. Les sciences et fes arls
se tiennent par la main ; l'optique nous
conduirait à la peinture , invention char-
mante qui reproduit les beautés de l'u-
■îîivers; de la contemplation d'un ruisseau.

-ocr page 146-

BOUS nous élèverions par degré aux jeux
superbes des eaux de Versailles ou de
Saint-Cloud. Enfin que de clioses merveil-
leuses à dire d'une créature qui, jetée sur
la terre sans vêtements, sans asile, sans
soutien, a su, parla seule force de sapensée,
créer les arts et les sciences, bâtir des
villes magnifiques,se couvrir de pourpre j
de soie et d'or, et qui, au milieu de ces
richesses et de cette pompe, élève une
voix poétique pour chanter sa gloire et sa
grandeur. O découvertes surprenantes du
génie ! O inventions sublimes des premiers
humains ! Vous serez l'objet éternel de
l'admiration et de la reconnaissance.

Et toi qui, le premier, par un art séducteur,
Enferma ta pensée en un rythme enchanteur,
Et cadençant des vers de mesuras pareilles,
De sons harmonieux sut frapper nos oreilles,
Accepte mon hommage, ô dieu brillant du jour.
Mon cœur jusqu'à présent n'a connu que l'amour.
Qu'il soit rempli soudain de ce brûlant délire
Que fait sentir Horace et que Virgile inspire,

-ocr page 147-

Lettre yiii.

■Et que ma faible voix s'élévant dans les airs,
Mêle ses chants légers à leurs brillants concêrts.
Je n'imiterai pas ces auteurs pleins d'audace,
Qui, du crime puissant, dédaignant la menace,
Font pâlir le tyran, dont l'orgueil irrité
Ne craint pas l'infamie et craint la vérité,
Et jusque sur son trône, où le crime l'encense,
Font asseoir le remords, vengeur de l'innocence j
Mes vers ne seront point toujours prêts à punir.
Je peindrai le bonheur et
j'en saurai jouir -,
Je peindrai la nature, et, dans son sein, tranquiUe,
J'irai, loin des cités, me choisir un asile
Je peindrai la vertu, mes chants harmonienx
Oseront invoquer ses secours généreux.
Soudain on la verra, de gloire environnée,
Descendre, en souriant, sur la terre étonnée,

iïi

, soulageant les maux des mortels malheureux,
îrçndre, «n le« secourant, sa force dans les cieus.

riir du premisr î,iyrï~

-ocr page 148-

argument

DU SECOND LIVRE.

De 1' àir considéré dans (juelcjues'uus de st's
rapports avec la physique, la chimie, ^t
Vhistoire naturelle.

Letîrë IX. — Système d'Anaximènes , de
Diogène et d'Archélaiis sur l'air.
L'air est le véhicule du son. Sylphe»
légers qui recueillent nos pensées.
Idée de Shafeespear. Mécanisme de
la voix. Des échos. Vitesse du son.
Expérience du tambour. De la struc-
ture de l'oreille. De la différente
forme des oreilles des animaux.Sagesse
du Créateur à cet eifet. Musi(jue.
Dithyrambe imité de Pope.

Lettre X. — De l'effet du bruit des vents sur
l'ame. Frémissement profond des
forêts. Les anciens connaissaient ces
influences. Le matelot et le voyageur.
De^la
mélancolie J et d'Ossian.

-ocr page 149-

£ettre XI. — Des habitants de l'air. Structure
admirable de l'aigle et de l'alouette.
Le perroquet. République formé©
dans les nues. Pesanteur de l'air.
Expéfience du Puj de Dôme. Hom-
mage à Pascal. Du ressort et de
l'élasticité de l'air. Explication du
ïnystère de la statue de Memnon.
Nouvelles découvertes de Molet ,
physicien de Ljon. Explication de^
incendies inopinés des forêts, Com-
pression de fair. Fusil à vent. Poudra
à canon. Anecdote racontée pac
Plutarqug.

Lettre XIL — Des habitants de l'air. Le
moineau de Lesbie. Observations sur
la poule , le dindon, etc. Chaque
climat a son oiseau bienfaiteur. Le
sgcrétaire, le moucherolle, le coucou
indicateur, l'agami, le cormoran.
Pêche chinoise. Observations n,ou-
vellos sur les migrations des oiseaux,
etc.

Lettre XIII.— Des causes du vent. Bords de la
Saône. De l'utilité de plusieurs ani-
maux. Lever de l'aurore. Explication
du yent ; il purifie l'atmosphère. Sa-
gesse de la nature» Expérience de lâ

Lnbsp;8

-ocr page 150-

bouteille. Harmonies sublimes des
vents et des nuages. Système plaisant
sur la cause des vents alizés.

Lettre XIV. — L'air est bleu. Pourquoi on voit
les montagnes lorsqu'il doit pleu-
voir. Le jeune voyageur. Zépliire
transporte les graines des végétaux. ,
Voyage des fleurs. Soins de la Na-
ture à cacher ses ruines ; sa pré-
voyance ; elle revêt pendant l'hiver
les arbres de lichens et de mousse,
seulement du côté où le vent souffle.
La chaumière de
Rochecardon.

Lettre XV. — Charme que les fleurs répandent
autour d'elles. Idées poétiques et sen-
timentales de Thalès. Découvertes de
Lévaillant et de Linnée. Amour des
fleurs. Le pistil et l'etamine. La diœcie
classe de Linnée. Utilité de l'air dans
la botanique. Le saule pleureur. His-
toire de deux palmiers ; leurs aiiiours,
ou le mariage de Flore et de Zéphire.

I.ettre XVI. — L'air est composé des même^
éléments que l'eau forte. Expérience
de sa décomposition. Elle était connue
des enfants. Anacréon, Homère. De
deux gaz, l'oxygène et l'azote. Théori»
de la coBftbtiitïoB.

-ocr page 151-

btr secoisd livre.nbsp;ii5

Lettre XVII. — Découvertes des physiciens.

Pourquoi la respiration est utile à la
vie. Pensée de Lavoisier. Théorie de
la respiration comparée à celle de la
combustion. L'homme vicie l'air qu'il
respire. Comment l'atmosphère se
renouvelle par
la végétation. Il semble
que le monde ne «oit que de l'air. Les
plantes absorbent tous les gaz mor-
tels , et exhalent l'oxygène , le seul
propre à la vie de l'homme. Idée
poétique de Saadi. Les amours du
rossignol et de la rose, ou expérience

qui prouve le contenu de la lettre.

Lettre XVIII. — Du gaz acide carbonique.

Grotte du chien, près de Naples.
Anciens oracles. Le diamant est du
carbone pur. Système des géologues.
Buffon , Burnet et Palissj. Le monde
est un diamant, ou nouvelles idées
sur sa formation, pour ajouter aux
rêves de Cyrano de Bergerac.

-ocr page 152-

ïi6

DE L'AIR ATMOSPHÉRIQUE,

« L'air atmosphérique est un fluide
« invisible , insipide , inodore , pesant,
« élastique, jouissant d'une grande mo-
lt;( bilité, susceptible de raréfaction et de
« condensation, qui environne notre pla-
« nète jusqu'à une certaine hauteur, et
« dont la masse entière constitue l'atmos:-
« phère.

« Ce fluide, au milieu duquel nous
« sommes sans cesse plongés, nous inté-
« resse tous d'une manière particulière,
« soit parce qu'il est le dépositaire des
« signes de nos pensées et de nos affec-
« tions, soit parce qu'il alimente l'exis-
jL( tence de tous les êtres animés. Ses
« propriétés physiques et ses propriétés
« chimiques doivent fixer successivement
M l'attention du physicien. »

A lihes.

-ocr page 153-

LIVRE SECOND.

DE L'AIR CONSIDÉRÉ DANS QUELQUES-UNS DE
SES RAPPORTS AVEC LA PHYSIQUE , LA CHIMIE
ET L'HISTOIRE NATURELLE.'

lettre ix.

que l'air est le vehicule du son,
de l'oreille.

ja-cjourd'hui je vais gravement
Parler de chose trcs-légère,
De l'air, ce subtil élément
San.s lequel, dit-on, sur la terre
Nul être ne serait vivantj
Que le soleil, en parcourant
Son interminable carrière,
Inonde de flots de lumière;
Cet air, enfin , si transparent,
Sur lequel maint et maint savant
Vont raisomiant à leur manière,
Et quelquefois déraisonnant j

-ocr page 154-

Sans l'air, hélas ! helle Sophie,
Que serait ce sexe eachantein-
Qui fait à la fois le malheur
Et le bonheur de notre vie ?
Ses attraits seraient sans fraîcheur ;
Sa voix n'aurait plus l'harmonie
Qui porte au fond de notre cœur
La joie ou la mélancolie;
Ses yeux, privés du doux éclat
Dont on les voit briller sans cesse,
N'inspiieraient plus la tendresse :

Adieu les lis et l'incarnat
Et tous les dons de la jeunesse.
Bientôt à ses derniers moments
La beauté perdant son empire.
Tomberait comme un lis des champ«
Privé du souffle de Zéphire.

i

Je vais donc m'occuper de l'air.

Trois philosophes de l'antiquité, Anaxî-
mènes, Diogène d'Apollonie et Archélaùs,
le divinisèrent comme principe unique,
et même comme créateur. Il y a une
grande pensée dans ce système ; le Créa-
teur est invisible comme l'air , et n'est

-ocr page 155-

connu que par la vie qu'il donne et par
les bienfaits qu'il répand.

L'air est le véhicule du son ; il porte
jusqu'à nous la voix de l'objet chéri, et
jouit du pouvoir de transmettre les pen-
sées qu'on lui confie. Sans lui, jamais
le cœur n'eût éprouvé l'irrésistible émo-
tion qui l'agite au seul nom de l'amour.
Les volages amants vous diraient peut-
être :

Il ne peut durer plus d'un jour,
Le serment que le cœur inspire ;
Dès que l'air est frappé de ce doux nom d'amour,
L'air le porte à l'oreille, on l'entend, il expire.
Interprète du sentiment,
Zéphire porte le serment
Qui passe comme le Zéphire.

La nature du son n'est point semblable
à celle des parfums qui s'élèvent d'une
fleur. Une cloche qu'on frappe ne perd
rien de sa substance, et le son se répand
autour d'elle^ Si vous touchez une lyre,

-ocr page 156-

ses cordes sont dans un ébranlement ,
dans une agitation qu'elles communiquent
à l'air voisin ; ces vibrations se perpé-
tuent jusqu'à nous, et la perception dti
son n'est autre chose que le choc que
nos oreilles reçoivent par l'ébranlement
de l'air.

Vous ne vous doutez pas de la mul-
titude de Sylphes légers que vous avez
à vos ordres. Continuellement occupés,
à recueiUir vos pensées , à peine vous
prononcez un mot, qu'ils s'en emparent,
et le vont répéter tout autour de vous.
Leur légèreté est si grande, qu'ils par-
courent mille pas en une seconde : ce sont
les Sylphes de Paracelse et de Gabalis.
Voyez la pensée portée sur un peu d'air
jusqu'à l'oreille de celui qui écoute , et
le même souffle se charger de la réponse.
Ce serait un spectacle assez singulier que
de se représenter chaque pensée ,scu;. la
forme de Sylphes aimables vêtus de loutes
les couleurs de l'imagination de celui qui

-ocr page 157-

parle. Par exemple , si vous écoutiez
belille sur les délices de la vie champêtre ,
vous verriez une foule de nymphes cou-
ronnées de roses, et tenant des bouquets
à la main, suivre les vagues de l'air, et
s'introduire dans votre oreille. Si l'on vous '
parlait ensuite de l'Amour,

Vous verriez venir l'innocent
Porté sur l'aile du Zéphire;
D'un air timide et caressant,
U s'empresserait de vous dire ;
« Secourez un petit enfant » ;
Nud, sans asile, il s'agite et soupire.
En voyant s'échapper des larmes de ses yeux,
Le renverriez-vous, mon amie ?
Ah ! ce serait k premier malheureux
Que vous eussiez repoussé de la vie !

Les physiciens comparent la manière
dont le son se propage, aux vagues cir-
culaires qui se forment lorsqu'on jette une
pierre dans un bassin : les vibrations des
corps sonores, disent-ils, font dans l'air

-ocr page 158-

de pareilles vagues qui, en s'agrandissant,
se communiquent le son, et parviennent
ainsi jusqu'à nous. Shakespear se servit
de cette idée pour exprimer le néant des
grandeurs humaines. Voici sa pensée :

La gloire de ce monde est toute vanité.

Les cercles que sur l'eau le zépliire a fait naître

S'agrandissent toujours avec rapidité ;

Mais c'est dans leur grandeur qu'on les voit disparaître.

Tous voyez que la même idée peut expri-
mer clairement u.ne loi de la physique et
une vérité mofale.

Le mécanisme de la voix mérite que
nous nous y arrêtions un instant.

On a donné le nom de glotte à une
fente ovale par où l'air entre dans la
trachée-artère , pour se rendre dans les
poumons. La glotte présente deux lèvres,
dont les bords sont formés par des cordons
attachés de part et d'autre à des cartilages
qui servent à les tendre plus ou moins.

-ocr page 159-

Lorsque l'air est cliassé des poumons, il
frappe les cordes vocales , les fait frémir
et résonner, et devient le propagateur du
son qu'elles produisent, en l'apportant
dans la bouche. C'est là que cette petite
quantité d'air, agitée par la langue et les
lèvres, forme les mots et les discours, et
exprime tout à coup les pensées les plus
brillantes du génie.

La manière dont le son se communique
a dû vous faire comprendre comment se
forment les
échos. Dès que les ondes
de l'air rencontrent un ohstacle, il y a
répercussion ; c'est-à-dire , qu'elles se
réfléchissent, et ébranlent de nouvelles
molécules dont les ondulations reportent
le son au point d'où il était paiti. Les
voûtes de figures elliptiques ont une pro-
priété singulière : deux personnes placées
aux deux foyers de l'ellipse, peuvent se
parler devant une foule de témoins, sans
être entendues : les ondulations suivent
Je chemin que l'art leur a préparé, et

-ocr page 160-

l'éclio seul reste dans la confidence (i).
On trouve dans la nature une foule d'échos
remarquables; Muschembroeck en cite un
où l'air trouvant alternativement quarante
obstacles à son passage, répétait quarante
fois.

Le me me phénomène a lieu au château
de la Simonelle, prèà de Milan.Les moindres
accords y font l'effet d'un concert nom-
breux. Cet écho provient de deux grandes
ailes de bâtiment, élevées en face l'une
de l'autre, et ornées d'une quantité pro-
digieuse de fausses fenêtres. L'architecte
les a disposées avec tant d'art, qu'elles se
renvoient les sons comme plusieurs glaces
multiphent un flambeau.

La vitesse du son ayant été calculée, elle
peut faire connaître à peu près à quelle
distance la foudre tombe. On compte le
nombre de battements du pouls entre

(i) Un pareil phénomène a lieu dans une des salles du
Conservatoire des Arts, à Paris.

-ocr page 161-

l'éclair et le bruit. Si le pouls bat six fois,
le tonnerre est à six mille pas; cincj fois,
à cinc[ mille; ainsi de suite; car le bruit
met envii'on une seconde à parcourir
mille pas.

La commotion de l'air causée par le
mouvement, s'étend fort loin. Dans les
armées, lorsqu'on craint d'être surpris par
l'ennemi, on place un dez sur un tambour,
et l'on voit ce dez sauter à l'approclie de
la cavalerie.

J'ai fait une autre expérience ,
Sur l'approche du doux plaisii-j
Mais je ne dois pas ma science
Àux commotions du zépliir.
Quand l'Amour, fatigué d'cntendrfe'im ioUx^eproche.
Me dit, en souriant, jsferai ton honheiu-,J;;.
Moi, je mets la main sur mon cœur,,
Et je devine votre approche.nbsp;■

C'est par le moyen d'un mécanisme
admirable, que nous entendons la pensée.
Les sous introduits dans l'oreille s'y

-ocr page 162-

jagnbsp;livré sèconb.

glissent à travers plusieurs cavités, suivent
une multitude de contours où ils font jouer
des ressorts merveilleux, et éprouvent dif-
férentes
réflexions avant d'arriver à l'ame
et de l'instruire de la pensée d'un être qui
est hors de nous. Ce qu'il y a peut-'être
de plus surprenant, c'est la correspondance
établie entre les nerfs de la bouche et ceux
de l'oreille, de manière, dit quot;Willis, que
la voix, d'accord avec l'ouïe, est, pour
ainsi dire, son écho, et que ce qu'on
entend facilement par le moyen d'un de
ces deux nerfs, la voix l'exprime par le
secours de l'autre.

Les formes variées des oreilles des
animaux feraient seules le sujet d'un livre
très-curieux. L'âne dirige la sienne comme
un cornet, du côté où se fait entendre le
bruit. Celle du lièvre timide est d'une
structure merveilleuse, et lui sert, pour
ainsi dire , à guetter ses ennemis. La
taupe, retirée dans ses souterrains obs-
curs ,
n'avait pas besoin d'une excellente

-ocr page 163-

Vue ; mais, afin de l'avertir de l'approche
de ses nombreux ennemis, elle reçut une
ouïe d'une finesse extraordinaire ; et pour
que ses oreilles ne fussent pas obstrue'és
par la terre ou le sable, le Créateur les
recouvrit d'uïie légère membrane que le
petit mineur a le pouvoir d'ouvrir ou de
fermer à volonté.

Les animaux les plus faibles sont aussi
les plus timides, et font un grand usage
de l'ouïe, qu'ils ont plus parfaite que les
autres animaux. Les lièvres, les gazelles,
les lapins, les gerboises, les rats , les
taupes , distinguent les bruits les plus
éloignés. Les chauves-souris, qui ont la
Vue très-faible, sont pourvues de grandes
oreilles dont la sensibilité est si exquise,
que, par la seule impression de l'air, elles
sentent qu'elles approchent d'un corps
quelconque, et qùe jamais elles ne se
heurtent, même dans la plus grande obs-
curité. Les rhinocéros, les hippopotames,
les tatous, qui ne voient que dans le

-ocr page 164-

crépuscule, ont l'ouïe d'une grande finesse,
tandis que les chats, les lynx, les lions,
les tigres reçurent des yeux d'autant
meilleurs que leur ouïe était moins par-
faite.

Les légers volatiles qui peuplent nos
forêts n'ayant point de pavillons externes
a. leurs oreilles, n'entendent que les bruits
les plus forts aussi ont - ils une voix
extrêmement aiguë. Toutefois Jes oiseaux
nocturnes, auxquels il était absolument
nécessaire d'entendre leurs proies qu'ils
ne pouvaient voir dans les ombres de la
nuit, ont de grandes .cavités attenantes à
la caisse de leurs oreilles : tels sont les
hiboux, les chouettes, et l'engpuleyent.

Mais rien, n'est plus merveilleux que la
disposition du conduit: de l'oreijle dans
plusieurs espèces d'animaux, La chouette,
qui se perche sur les arbres et les vieux
murs, et qui guette sa proie en écoutant
de haut en,bas, a ce conduit beaucoup
plus élevé par le côté de dessus que par

i

-ocr page 165-

coliii cIè dessous, afin de recevoir jusqu'aux
moindres impressions du son. Mais dans le
renard, qui découvre sa proie juchée sur
tm arbre, ce conduit est plus avancé vers
le bas, et oppose une barrière aux ondu-
lations de l'air. Le putois, au contraire,
écoute devant lui ; aussi son oreille est-elle
échancrée sur le devant, et le conduit
avance par-derrière pour mieux inter-
cepter les sons qui viennent du côté
opposé J tandis que le cerf, animal timide
et toujours aux écoutes, a l'oreille garnie
d'un tuyau osseux, fait comme un cornet
acoustique, et dont l'ouverture est si bien
dirigée vers le derrière, que les bruits les
plus doux ne peuvent lui échapper (i).

C'est par de semblables bienfaits que la
Nature nous décèle à chaque instant la
grande puissance qui présida à sa création.

Sans les vibrations sonores de l'air, un

(i) Giew. cosmol. sacr. liv. i.«!-, ch. S.

I-nbsp;0

-ocr page 166-

silence éternel régnerait dans la Nature;
et la pensée serait inutde, si nous n'étions
entourés des vagues de l'atmosphère, et si
l'air n'existait pas entre l'organe de l'ouïe
et les corps qui produisent les sons. Quelle
harmonie sublime entre l'air, l'oreille et
l'ame ; entre un fluide invisible et les
besoins d'une faible créature, qui n'est
grande que par sa pensée î

Mais l'air ne sert pas seulement à nous
faire entendre les idées ; il jouit d'une
puissance bien plus merveilleuse; c'est à ses
ondulations que nous devons la musique ;
dont les accords enchanteurs exprimentles
passions de l'ame, et ont le pouvoir de
les éveiller ou de les endormir. Ces sen-
sations d'amour qui nous animent au
murmure. champêtre de la flûte et du
hautbois ; cette douce mélancolie qui
semble faire un rêve de l'existence, aux
accords sublimes de l'orgue de sainte
Cécile ; eh bien ! Sophie, c'est un peu
d'air qui les fait naître. Vouleij-vous

-ocr page 167-

connaître le pouvoir d'un souffle sur
l'homme maître de l'univers ?

Descends du ciel, douce harmonie!
Viens de ta voix savante accompagner nos chants!
Que les accords divins de nos luths gémissants

Inspirent la mélancolie.
La flûte et le hautbois à l'écho, tour à tour,
Rediront les secrets de la j eune bergère ,
Tandis que la trompette appellera la guerre,
Et que son bruit terrible éloignera l'amour.

O divin Apollon ! fais entendre ta lyre;
Viens animer les jeux, suspendre la douleur.
La Mollesse à ta voix se réveille et soupire,
Et Morphée attentif, d'un sommeil enchanteur
Pense goûter le charme, et rêve le bonheur.

Mais si la trompette d'alarmes
Appelle tout à coup le soldat belliqueux,
Il lève son épée en défiant les dieux ;
Les antres, les rochers, les cieux,
Répètent aux armes ! aux armes !

Silence ! un chant sacré s'élève de la terre ;
La musique en triomphe emporte dans les cieux

-ocr page 168-

isînbsp;-liyïie secofift,

Les liytiiues de, la gloire et la sainte prièfêj
Et les ombres en chœur les redisent aux dieu$.
Écoutez ces accords , Apollon les inspire j
L'air répond à la voix, et le son ravissant,
Emporté vers le ciel sur
les aUes du vent,
S'éloigne, diminue, expire.

Quand le divin Orphée , animé par l'amour,
Descendit aux royaumes sombres ;
Quand il voidut fléchir les omLres,
Et l'inflexible roi de cet afTreux séjour,
Dieux quelle scène épouvantable !
La foudre roule, tombe et frappe en même-temps
Le fantôme immobile et les spectres errants ;
Les feux qui s'échappaient de la nuit elamp;oyable
Dans un lointain obscur éclairaient des tourments.
Il prend sa lyre d'or , soudain l'enfer respire ;
Le rocher de Sisyphe est prompt à s'arrêter,
Sur sa roue Ixion se repose et soupire,
L'Euménide s'émeut : en vain pour l'irriter
L'enfer attise encor le feu qui la tourmente,
Les serpents hérissés sur sa tête sanglante
Cessent leurs sifflements et semMent écouter.

O prodige d'amour ! l'enfer eut un vainqueur;
G magique pouvoir d'une tendre harmonie !
Tout cède aux chants divins d'un immortel génie.
Dieu nou* donna la voi* pour émouvoir le coeijr.

-ocr page 169-

Sublime Orphée ! ainsi tout cédait à tes charmes;
L'enfer eut un moment d'espoir et de bonheur,
Et les morts étonnés répandirent des larmes
Que n'arrachait point la douleur.

-ocr page 170-

l34nbsp;xivre second.

1

LETTRE X.

m l'influence du bruit des vents sur l'homme.

Jvi cKanté dans mes derniers vers
Les doux effets de l'harmonie,
Orphée au miheu. des enfers,
La Parque, immobile et ravie,
Attentive à ses doux concerts;
Maintenant vous allez apprendre
Quels concerts produisent les vents.
Dans les feuillages jaimissants
Des sons déjà se font entendre ;
Au loin l'écho retentissant
Les répète et les multiplie ;
Et la nymphe de la prairie.
Qui dans sa douce rêverie
Soupire et songe à son amant,
Qui la fuit peut-être et l'oublie,
Les écoute attentivement.

Les anciens connaissaient les influences

-ocr page 171-

LETTRE X.
de ces bruits mystérieux, et ils entou-
raient de bois les monuments religieux.
En approchant des forêts du temple d'Am-
mon , l'ame était saisie d'une terreur mé-
lancolique. Egérie inspirait Numa dans
des bois enchantés, et les chênes de Do-
done prophétisaient l'avenir.

Je ne dis rien des bosquets de Cythère,
Où l'on ne peut entrer sans ressentir l'amour ;
Puissiez-vous, en traitant leur pouvoir de cbimcre,
Vous y laisser conduire un jour !

Le matelot, de retour dans l'héritage de
ses pères , parcourt ses champs couverts
de moissons ; et son cœur est ému par le
frémissement des épis, semblable au bruit
qui sort de l'Océan légèrement agité. Que
de sentiments se réveillent dans son ame !
la tempête, les périls, les flots du grand
abîme, tout est devant ses yeux.

Brûlé par les ai^deurs du soleil, ie voya-
geur s'assied à l'ombre d'un peuplier ;

-ocr page 172-

LIVRE SECOND.

fout à coup le zépliire agite le feuillage,
et l'étranger ému croit entendre le bruit
d'une source limpide.

Dans une douce rêverie
Il trouve l'oubli de ses maux;.
Il se rappelle sa patrie,
Ses prés, ses bois et ses ruisseaux;
De sa mère il voit le sourire ;
Peut-être même une plus douce erreur
Le rend à son épouse, au bonheur qu'il désire;
Et pour tromper si doucement son cœur,
Il n'a fallu qu'un souffle du Zéphire.

A la douce clarté de Pbœbé, au milieu
d'un profond silence, on aime à se res-
serrer dans soi-même , et à être surpris
tout à coup par les longs gémissements
de la forêt. Le contraste de la tranquillité
qui nous entoure avec l'agitation qui
règne dans les cieux, jette dans l'ame un
vague d'idées et d'émotions, une tristesse
rêveuse qui a quelques rapports avec la
fuite rapide de la vie. La mélancolie aime

-ocr page 173-

lETTRE X.quot;
à entendre le murmure éloigné de l'orage,
le bruissement des feuilles : silencieuse ,
elle s'assied alors sur un rocher battu des
vents.

Ses rêves sont toucliants. Seule avec sa tristesse,
EUe adoucit ses maux en y songeaut sans cesse ;
Sur ses propres ennuis laissant couler des pleurs,
Des douleurs des humains elle accroît ses douleurs.
Mais, hélas ! trop souvent vague et mystérieuse ,
Elle ignore le mal qui la rend malheureuse.
Au murmure de l'eau qui tomhe à petit bruit,
Assise
SOU.S un saule, elle veille la nuit :
C'est l'ombre qui lui plaît. Toujours triste et pensive,
Au bruit lointain des vents son ame est attentive.
Pour gémir en secret et soulager ses maux,
Elle erre tristement au milieu des tombeaux :
IA, le front prosterné sur une froide pierre,
Souvent elle murmure une tendre prière ,
Et l'espérance alors , brillante de clartés ,
Vient, et sur ces débris s'assied à ses côté.%

Mais souvent la mélancolie
Doit à l'amour ses plus touchants plaisir s;
Xjui seul peut enchanter sa tendre rêverie,
En lui donnant des souvenirs.

Les poètes ont essayé quelffuefois de

-ocr page 174-

peindre cette douleur voluptueuse qu©
donne la vue de l'orage , le bruit des
vents et la chute de la pluie ; mais jamais
ils n'ont songé
à exprimer l'harmonie de
ces phénomènes avec le cœur humain
dans ces deux extrêmes, la tristesse et la
gaité; et cependant le même bruit et la
même verdure qui ont animé les jeux et
les danses folâtres des bergers, enchantent
la mélancolie. L'agitation des vents plaît
à l'homme joyeux ; elle fait rêver la dou-
leur.

Ossian, barde sauvage, que fais-tu,
assis sur la
pierre des tombeaux? songes-tu
aux héros des temps passés? Mais j'en-
tends les accords de ta harpe ; ta voix
enchante les ombres qui se penchent sur
l'enceinte légère de leurs palais aériens.
Malvina t'accompagne ; elle pleure la
perte d'Oscar; sa douce voix répète en
gémissant : (i)

(i) Vojez len notef.

-ocr page 175-

LETTRE X.nbsp;l3lt;gt;

Porte sur l'aile du Zéphir,
Le front couronné de verdure,
Le printemps est venu rajeunir la nature,
Et ne m'a point fait refleurir.

Je sens que vers ma fin chaque jour je décline ;
Demain on cherchera la trace de mes pas,
Et le chasseur viendra sur la verte colline ,
Et ne m'y retrouvera pas.

Ainsi le Barde se console de la perte de
ses enfants. L'herbe des tombes dou-
cement agitée lui rappelle ses pères, et le
gémissement lointain de Forage réveille
les pensées de sa jeunesse.

Adieu, Sophie. Demain nous pèserons
l'air avec Galilée et Pascal. Heureux si
ma lettre pouvait vous trouver assise dans
le petit bois de pins, prêtant l'oreille au
murmure des vents. Je ne m'explique
pas davantage ;

Ah ! puisse votre cœur un jom-,
Sensible aux douleurs de ma vie,
Je ne dis pas sentir l'amour,
Mais se livrer à la mélancolie !

-ocr page 176-

l4onbsp;lïvre second;

Hélas ! pour tout bien je voudrais
Que vous en connussiez les cbarmes ;
Vous serez sensible à mes, larmes
Si vdus eu répandez jamais»

-ocr page 177-

LETTRE XL

decouverte de la pesanteur de l'aiu.

La nuit descend des cieux, le peuple des oiseaux
Vient goûter dans les bois les douceurs du repos;
Mais l'ombre disparait, et leur voix matinale
Salue en gazouillant l'amante de Cépbale,
Célèbre le printemps, les plaisirs de l'amour,
Et du soleil enfin annonce le retour.
Dans les champs arrosés des larmes de l'Aurore
Et couverts des présents de Gérés et de Flore,
Ils voltigent en foule, et, voleurs diligents.
Dérobent quelques grains épis jaunissants,
Et vers leurs nids chéris reprenant leur volée,
Les portent aussitôt à leur famille ailée.
Pour eUe incessamment bravant tous les dangers,
Ils sont pris quelquefois aux pièges des bergers.
Plus d'espérance alors; consumés de tristesse,
Ils ne reverront plus les fruits de leur tendresse.
D'un enfant inhumain jouets infortunés.
Dans k cage cruelle ils sont emprisonnés ;
Et perdant sans retour leur liberté chérie.
Dans les regrets, hélas ! ils terminent leur vie.
Voyez sur ce rocher l'oiseau cher aux amants ;
11 fatigue l'écho de ses gémi.ssemeut»,

-ocr page 178-

tivre second.

Hélas ! il a perdu sa compagne fidèle,

Et la nuit et le jour vainement il l'appelle.

Quels chants harmonieux s'élèvent dans les airs?

Le tendre rossignol répète ses concerts,

Aux plaisirs de l'amour doucement il prélude,

Et sa voix des forêts charme la solitude.

Mais plus loin la fauvette, au milieu des roseaux,

Soigne attentivement ses œufs à peine éclos;

Le mâle à ses côtés, satisfait d'être père,

Cadence, en s'agitant, sa voix viVe et légère,

Et semble défier les ravissants accords

Que fit entendre Orphée aux dieux des sombres bords.

Cependant je vois l'aigle s'élancer vers le
ciel et se. perdre dans la nue ; l'alouette
le suit et disparaît avec lui.

Par quel moyen l'aigle et l'alouette
s'élèvent-ils si haut ? C'est ici, Sophie ,
que vous allez admirer la prévoyance de
la Nature. Que notre regard curieux pé-
nètre dans l'intérieur de ces oiseaux qui
élèvent leur vol jusqu'à de si grandes hau-
teurs, nous trouverons leurs os minces,
creux et dépourvus de moelle ; nous y
verroîis même des cavités habilement

-ocr page 179-

ménagées, qui communiquent avec les
poumons, et au moyen desquelles les os
reçoivent un air plus ou moins chaud,
plus ou moins rare, qui augmente leur
légèreté. Telle est l'admirable structure
de
r aigle et de l'alotiette, tandis que les
oiseaux qui doivent peu s'élever, comme
le moineau, le canard, la poule, etc.,
ont les os épais, et sans aucune cavité.

Pendant que nous admirions ainsi l'as-
semblée des habitants de l'air , je me
rappelai tout à coup ces beaux projets de
république que nos philosophes n'ont
cessé d'enfanter depuis Aristote et Platon.
Sans doute , me disais-je , ces gouver-
nements parfaits ne pouvaient convenir
à la terre, et nos sages, ainsi qu'Aristo-
phane , élevaient leurs villes dans les
nues. Séduit par cette idée , je ne pus
m'empêcher de m'éçrier, en désignant
les
plaines de l'air :

C'est ici que'maints politiques,
Dans leurs lois mettant leur raison,

-ocr page 180-

l44nbsp;LIA-RE SECOND.

Elevèrent leurs républiques
Sur le modèle de Platon.
On y voit des choses, je pense,
Qu'ailleurs on ne verra jamais ;

On J voit l'égalité----Maisnbsp;^

C'est qu'il existe une défense
A chacun d'avoir plus d'esprit
Que le bon peiqile qui bénit
Tout liaut cette sage ordonnance.

Toujours la paix y règne----Mais

C'est qu'afm d'éviter la guerre,
La république désormais
Doit s'établir loin de la terre.
La vertu seule a des attraits.
Dans ces lieux l'on ne connaît guère
lt;3ue des juges honnêtes .... Mais
C'est qu'on n'y voit pas de procès.
Au sexe je dois rendre hommage :
Ici la beauté reste sage;
Elle est tendre, fidèle.... Mai.s
Tous les hommes y sont parfaits.
Enfin ici le peuple est maître;
Il est juste, ami de la paix,
Il règne, il est souverain .... Mai.s
Ce bon peuple est encore à naître.

Laissons ces républiques pai'faites se
former dans les champs aériens, la science

-ocr page 181-

lettre xi;
hous appelle, les plus belles découvertes,
et les phénomènes les plus extraordinaires
ïious attendent. Nous allons commencer
par peser l'air, avec Gahlée, TorriceUi et
Pascal. C'est à la découverte de sa pesan-
teur que l'on doit la
machine pneuma-
tique ^ les pompes et le baromètre. On a
calculé la pression qu'exerce l'air sur un
homme de moyenne grandeur; elle équi-
vaut à trente-trois mille six cents livres.
Chose admirable ! L'air qui s'introduit
dans nos poumons par la respiration ,
suffît pour soutenir l'effort de cette masse
horrible , pour maintenir l'équilibre et
empêcher l'atmosphère de nous écraser.
Voilà pourtant, dit plaisamment le savant
Haiiy, le poids dont étaient chargés les
anciens philosophes qui niaient sérieu-
sement la pesanteur de l'air !

L'athée est plus aveugle encore en son erreur, •
Lorsqu'élevant un impuissant murmure,
Il veut nier un Créateur
En présence de la Naturç,

I-

-ocr page 182-

if^onbsp;xivre second.

Le baromètre est un tube de verre de
plus de trente pouces de hauteur, scellé
par un bout et ouvert par l'autre. On le
remplit de mercure, puis, en appuyant
le doigt sur l'orifice, on le renverse dans
une cuvette également pleine de mercure;
on retire le doigt, et l'on voit ce métal
descendre à la hauteur d'environ vingt-
huit pouces. Ainsi la pression qu'exerce
l'atmosphère sur la cuvette soutient le
mercure à cette hauteur.

Un des usages les plus ordinaires du
baromètre, dit un physicien, est d'indiquer
la pluie ou le beau temps, suivant que la
colonne de mercure s'abaisse ou s'élève
dans le tube. Il est aisé de sentir que ces
sortes d'indications sont le plus souvent
équivoques, parce que différentes causes
concourent à la pluie et au beau temps,
tandis que les variations dans la hauteur du
baromètre dépendent exclusivementdesva-
riations dans la pression de l'atmosphère.

Pascal, désirant convaincre le monde

-ocr page 183-

lÈTTRE XI.nbsp;i47

savant, qui niait encore la pesanteur de
l'air, engagea son ami Penner à monter
sur le Puy-de-Dôme, avec un baromètre :
à mesure que Perrier s'élevait, le mercure
s'abaissait dans le tube; et au sommet de
la montagne il était de près de trois pouces
moins baut qu'au pied de la même mon-
tagne.

Vous comprenez sans doute que la
colonne d'air, devenant moins longue à
mesure qu'on s'élève, pèse moins sur la
cuvette du baromètre ; ce qui
force la
colonne de mercure à descendre.

Jetez les yeux sur un baromètre, et
Vous expliquerez vous-même l'expérience
de la pesanteur de l'air.

Ce mortel qui, dans sa carrière,
Est toujours resté sans rival,
Le grand, le sublime Pascal,
V'int nous apprendre ce mystère.
jMais bientôt ce génie heureux
Vit le néant de nos sciences.
Son ame alors jusques aux cieux
Osa porter ses espérances.

lo-^

-ocr page 184-

l48nbsp;LIVRE SECOfJD.

Je te salue, 6 noble auteur
Qui dévoilas dans tes pensées
La majesté du Créateur;
Qui des voluptés insensées
Plaignis et reconnus l'erreur,
Et qui, proclamant la grandeur
De l'homme oublié dans la tombe,
De la mort, sous lt;jui tout succombe,
Devins toi-même le vainqueur.
O mortel, bénis son génie !
Pascal a dit la vérité ;

Et de toute une éternité
Il sut agrandir notre vie.

A présent que vous connaissez la pesan-
teur de l'air, je vais vous faire connaître
son
ressort, son élasticité, et la propriété

qu'il a de s'étendre pour former un grand
volume, et de se resserrer dans un petit
espace : c'est ce que les physiciens ont
nommé dilatation et condensation.

Ces différentes propriétés nous serviront
à expliquer le phénomène de la statue de
Memnon, qui, selon Pline, Philostrate et
Strahon, rendait des sons harmonieux au
lever de l'aurore.

-ocr page 185-

Les Égyptiens avaient élevé cette statue
sur les bords du fleuve Belus, près du
temple du dieu Apis. Elle avait cela d'ex-
traordinaire , qu'étant frappée des rayons
du soleil, elle rendait un son mélodieux,
et le soir un son triste et
lugubre, comme
si elle eût regretté la présence de la lu-
mière. Le père Kircber expliquait ainsi ce
phénomène : une statue creuse et de métal
renferme un volume d'air que les rayons
du soleil échauffent et dilatent -, si l'on met
à la bouche de cette statue une
anche de
musette ou de hautbois, l'air ddaté s'é-
chappe par cette issue, et la statu^e fait
entendre des sons clairs et agréables.
Cependant, lorsque le soleil disparaît, et
que la statue se refroidit, l'air rentre dans
son sein, et produit un bruit sourd et
lugubre. L'effet étant extérieur le matin,
et intérieur le soir, la variété des sons se
trouve naturellement expliquée.

La Nature se sert aussi de la dilatation
de l'air pour rendre habitables différentes

-ocr page 186-

ijonbsp;livre second.

parties de la terre. Croiriez-vous qu'il est
sous la zone tori ide de tx-ès-vastes pays où
l'on éprouve tous les effets d'un climat
tempéré ? Tel est le Pérou, au rapport
du savant don Uloa, l.a densité de l'air y
étant très-affaiblie, modère la cbaleur des
rayons du soleil. O Nature ! que tu es
puissante ! Pour changer une saison, un
climat, pour ôter à l'astre du jour une
partie de ses feux, il te suffit de changer
la densité de l'air.

L'air est imprégné d'une très-grande
quantité de feu; et l'on a découvert depuis
peu (
I ) qu'une forte pression l'en dé-
j)Ouillait presqu'entièrement. L'air ren-
fermé dans un tube , et comprimé au,
moyen d'un piston, laisse dégager son
calorique, qui enflamme au même instant
une mèche préparée à cet effet. Cette
belle expérience peut servir à expliquer

(i) MM. Gensoul, négociant, et Molet, professeur de
physique à Lyon.

-ocr page 187-

LETTRE XI.nbsp;I^I

les incendies inopinés des forêts : les tour-
billons chassés avec force dans des brous-
sailles impénétrables, s'y pressent, s'y
refoulent, et laissent échapper le feu
qu'ils retenaient : la forêt s'eidlamme , et
le même air qui causa l'incendie, l'anime
encore de son souffle.

Lucrèce (i), qui ignorait la cause de ces
inflammations subites, en parle ainsi dans
son fameux poëme : « Sur les hautes mon-
« tagnes, les arbres, agités par un vent
(( impétueux, entrechoquent souvent leurs
« cimes, prennent feu, et font briller au
« loin des tourbillons de flamme ».

La compression de l'air a fourni plusieurs
belles expériences, et entre autres celle
des fusils à
vent : un peu d'air, renfermé
dans un tube, chasse successivement douze
balles à plus de cent pas. La poudre à
canon a la propriété de retenir un air
extrêmement condensé dans ses petites

(i) Lib. i.quot; ctlib. 5, De Naiiuu rcruiii.

-ocr page 188-

ï^anbsp;livre second,

cavités; lorsque le feu les brise, l'air
s'échappe subitement, avec une telle force,
qu'il emporte balles, boulets, bombes, à
des distances immenses, et avec une rapi-
dité si épouvantable, qu'ils échappent à
tous les regards. Ainsi un peu de vent
comprimé par la Nature dans le salpêtre,
fait toute la puissance de l'homme à la
guerre (i). On doit aussi
attribuer à la
condensation le fait suivant, raconté par
Plutarque : « Lorsque Quintus Flaminius,
« gouverneur de la Grèce au nom
de
« Rome, rendit par une proclamation la
« liberté aux Grecs, la force des cris de
« joie et
des clameurs fît tomber morts
« plusieurs corbeaux qui passaient par
«hasard au-dessus de l'assemblée du
« peuple ».

Je sais que plus d'un érudit
Va mettre en doute cette histoire,

(0 Les effets de la poudre à canon sont dus aussi la di-
latation des
gaz produits par la décomposition du nitre.

-ocr page 189-

Et que sa pesante mémoire
Voudra convaincre notre esprit :
Mais il n'aura pas ce crédit.
Le trait est beau; je dois le croire,
Car le bon Plutarque l'a dit.
Que ce Plutarque est admirable !
Un peu philosophe et conteur.
Quelquefois même un peu menteur.
Mais cependant toujours aimable,
Il est l'ami de son lecteur.
Que j'aime sa voix éloquente,
Sa candeur, sa naïveté
Il nous amuse, il nous enchante
Des bons mots de l'antiquité.
J'ai vu cet immortel génie
Ranimant la cendre endormie
Et des Césars et des Gâtons,
Au souvenir de ces grands noms
Faire encor frémir leur patrie ;
Et, des plus brillantes leçons
D'une douce philosophie.
Soudain charmant notre raison,
Prendre place à l'académie,
Près de Socrate et de Platon.

-ocr page 190-

ixvre secosü,

LETTRE XII.

des habitants de l'air. migrations
des oiseaux.

Vo u s voulez connaître la vie

Des légers habitants des bois.
Lesbie eut, dit-on, autrefois,
Une semblable fantaisie.
Elle était friponne et jolie,
Et pour contenter son envie,
De Catulle elle avait fait choix.
Cet auteur aimable et frivole
Occupa, par vm art nouveau,

Les fiers guerriers du Capitole,
De sa maîtresse et d'un moineau.
Pour imiter un si grand maître,
En vain je creuse mon cerveau;
Il n'a célébré qu'un oiseau,
Et vous voulez tous les connaître.
Le son harmonieux des vers
Ne peut rendre le doux ramage
De ces hôtes brillants des airs.
Ils chantent, voilà lexir langage;

io4

-ocr page 191-

lettre xii.
lis se parlent dans leurs concerts,
En voltigeant sous le feuillage;
Et dans nos c'imats tour à tour.
Promenant leurs troupes volages.
Us n'habitent que les bocages.
Et ne connaissent que l'amour.

Vous allez voir comme tout se lie dans
la Nature. La terre et l'air sont deux
mondes différents , et cependant l'exis-
tence de l'un dépend de l'existence de
l'autre. C'est ainsi que les oiseaux , ces
jolis musiciens de l'air,
descendent dans
nos campagnes pour les délivrer des
insectes et des reptiles venimeux; puis,
après nous avoir enchantés par les con-
certs les plus mélodieux , ils se confient
au zéphir qui les porte dans d'autres

climats.

Mais puisque nous devons étudier les
harmonies générales qui existent entre
les oiseaux et la terre , il est peut-être
nécessaire de commencer par vous faire
observer que les oiseaux utiles à l'homme,

iS5

-ocr page 192-

xivre second.

tels que la poule, l'oie, le canard , le
dindon, ont été mai organisés pour le
vol, sans doute pour les empêcher de
s'éloigner de nos habitations, tandis que
l'aigle et le vautour qui nous sont inu-
tiles, portent leur vol jusque dans les
profondeurs de l'espace.

Lorsqu'on étudie la Nature, on ne voit
jgt;oint sans
admiration le soin qu'elle a
pris de donner à chaque climat son oiseau
bienfaiteur. Les grues, les hérons, les
ibis, montés sur leurs longues échasses,
parcourent les vases du Nil et les déserts
de l'Afrique, en détruisant les reptdes
dangei-eux. Le
secrétaire dévore les ser-
pents du cap de Bonne-Espérance. Les
cigognes descendent en foule dans les
marais de la Hollande et de l'Allemagne,
et ne se remettent en voyage qu'après
les avoir entièrement nettoyés. Enfin le
moucherolle détruit les insectes qui pul-
lulent dans quelques parties de la zone
torride, les poursuit jusque sur les épaules

-ocr page 193-

lettre xii.nbsp;iSj

âes habitants du pays, et, satisfait de sa
chasse, se pavane en de'ployant sa queue
en éventaih

Rien n'est plus joli que les tableaux que
présentent toutes ces espèces brillantes de
volatiles. Egaré au milieu des forêts de
l'Afrique, le voyageur entend un cri aigu,
il lève la tête, un oiseau se présente, vol-
tige devant lui, le guide jusqu'au rocher
où l'abeille a déposé son nid rempli de
miel, et attend pour sa récompense un
rayon de ce miel parfumé (i). En Asie, le
faucon s'élance dans les airs et revient
déposer aux pieds de son maître la proie
qu'il n'ose dévorer. Cependant l'américain
trouve un compagnon, un serviteur fidèle
dans l'agami. Cet oiseau, dont le col est
couvert de plumes vertes, à reflet d'or,
est docile à la voix de son maître, il le
suit ou le précède en donnant, comme le
chien, des marques de la joie la plus vive.

(i) Le coucou indicateur.

-ocr page 194-

l58nbsp;livre second,

11 connaît les amis de la maison, court les
caresser, et reconduit à coups de bec les
étrangers qui lui déplaisent. Souvent le
soir on le voit rentrer, chassant devant
lui des troupeaux de jeunes brebis dont
on lui confie la garde, et qu'il ramène du
pâturage à l'habitation de son maître.

Mais un oiseau pêcheur va nous donner
un spectacle encore plus extraordinaire.
A peine l'aurore commence à dorer la
cîme des tours de porcelaine qui s'élèvent
dans les campagnes de la Chine , qu'un
lac formé par les eaux de la rivière de
Luen , se couvre d
'une multitude de
petites nacelles.

Laissant aux bords des flots une foule attentive
Déjà mille pêcheurs s'éloignent de la rive;
Vers le milieu du lac ils voguent en chantant.
On les voit sur les flots balancés mollement.
D'ecliarpes, de rubans, leurs chaloupes ornées,
Au souffle du zéphir semblent abandonnées,
Et les mâts sont couverts de ces brillants oiseawi
Qui doivent du pécheur partager les travaux.

-ocr page 195-

lettre xii.nbsp;i59

Le signal est donné : ces troupes vagabondes
Partent en même-temps et plongent dans les ondes,
Et troublant le repos de ces gouffres profonds,
Enfants légers des airs, font la guerre aux poissons.
Enfin, avec leur proie on les voit reparaître ,
Et chacun reconnaît la barcpie de son maître.
De ces bateaux chinois les brillantes couleurs,
Les cris des bateliers
et des oiseaux pêcheurs,
Ceux du peuple assemblé sur la rive fleurie.
Tous ces riants tableaux pleins de grâce et de vie
Se succèdent sans cesse, et charment tour à tour.
Et pour les embellir, l'astre éclatant du jour,
Poiu-suivant en vainqueur sa brillante carrière,
Couvre le lac entier d'uu sillon de
lumière (i).

Pour acliever ces tableaux de la Nature,
je vais vous transcrire un fragment où
j'ai tenté de dévoiler le dessein secret de
la Providence ^ dans les migrations des
oiseaux. Daignez vous souvenir, je vous
prie, que c'est à l'époque des équinoxes
que s'exécutent ces grands voyages, temps

(i) Ces oiseaux pêcheurs sont des espèces de cormoran
qui portent en Chine le nom de leu-tzp.

-ocr page 196-

tiviie second.
où les vents régnent avec beaucoup dé
force , comme s'ils étaient destinés à
transpoi'ter les oiseaux d'une contrée dans
une autre.

Les airs ne sont pas seulement peuplés
de volatiles fidèles à leurs forêts et à
leurs bocages, mais ils sont encore tra-
versés par des hordes vagabondes d'oi-
seaux qui, semblables aux Arabes du dé-
sert, s'arrêtent dans les vallons, recueillent
les moissons que la terre leur présente ^
et , voyageurs insouciants , reprennent
leurs volées pour chercher d'autres mois-^
sons, d'autres fleurs et d'autres bocages.

Au retour du printemps, lorsque le
soleil ranime la terre qui se couvre de
fleurs, les insectes renaissent, les reptiles
se dégourdissent, les papillons brisent
leurs tombes et folâtrent avec le zéphir
une foule de rats, de mulots, de taupes,
de serpents, sortent de terre et jouent sur
l'herbe fleurie ; des chenilles enveloppées
de légers voiles, dévorent les feuilles et

-ocr page 197-

les bourgeons; des moucherons brillants
remplissent l'atmosphère , et des searabés
de mille couleurs , de mille formes ,
rampent, volent et marchent au milieu
de la verdure naissante ; tous ces petits
animaux semblent travailler à la destruc-
tion de la Nature ; les uns, mineurs ha-
biles , attaquent les racines des arbres, les
autres, rongent et flétrissent le feuillage ;
leurs nombreux bataillons ne connaissent
point de repos; armés de râpes, de scies,
de tenailles, de. marteaux, de dents, ils
attaquent hardiment les plus grands, vé-
gétaux; le chêne immense tombera sous
l'effort d'un vil insecte., et les fruits de
l'automne seront dévorés par des mou-
cherons imperceptibles.nbsp;.

La terre ■ restera-t-elle abandonnéje et
languissante ?;D'où lui viendra le secours
qu'elle semble désirer? Fiez - vous la
Providence ; elle va éveiller un yen!L léger
sur les côtes de l'Asie et de l'Afrique;
elle fera souffler un doux zéphir sur les
I.nbsp;Il

-ocr page 198-

loanbsp;livrè second.

îles encliantées de l'Océan : soudain des
bataillons d'oiseaux, attentifs à ce signal
mystérieux , s'assemblent sur les ruines
de Thèbes et de Memphis, et formés en
phalanges guerrières ou en longs triangles,
pour traverser plus facilement les plaines
de l'air, ils se mettent gaîment en voyage.
Les sables arides de l'Afrique nous en-
voient leurs cailles succulentes , tandis
que les grimpereaux, les hirondelles, les
coucous, les pics , les becs-figues , les
bisets, les gobe - mouches, l'alouette au
joli corsage, la fauvette mignone, s'élèvent
dans l'atmosphère aux accords de leur
douce mélodie. Cependant le rossignol,
égaré dans les plaines fraîches et riantes
du Delta, ou dans les bosquets de roses
de l'Orient, se confie, solitaire, au vent
qu'il reconnaît, et toutes ces légères fa-
milles traversent les mers pour venir au
secours de nos climats.

Tout se prépare pour les recevoir j le
printemps déroulé leur couche nuptiale

-ocr page 199-

LETTRE XII.nbsp;lC3

SOUS les plus frais ombrages ; partout il
étend des lits de fleurs et de gazons,
partout il élève des dômes de verdure ,
comme pour servir de voile à leurs
amours. A peine tous ces préparatifs sont
achevés, les cieux se remplissent de lé-
gions aériennes ; musiciens charmants de
la Nature, ils descendent avec le zéphir
et saluent leur patrie par des chants mé-
lodieux. Soudain la terre est délivrée des
insectes et des reptiles qui la dévoraient.
L'hirondelle vole sous le toît du labou-
reur, et reconnaît le nid de sa jeunesse ;
la cigogne va se poser sur son antique
tourj l'étourneau retrouve son habitation
dans le trou de l'aune (i); le rossignol

(i) Les oiseaux, dit un naturaliste célèbre, reviennent
âans les mêmes lieux avec une exactitude merveilleuse : Redi,
{Esperienz JVat,, pag. loo) l'a remarqué dans les grues.
Spallanzani
a vu retourner, pendant plusieurs années de
suite, des hirondelles qui pondaient à ses fenêtres, et aux
pieds desquelles il avait attaché un fil rouge. Lineus rap-
porte
{ Ama:n acad. tr^ mi^. av.-j p. 5o5 et 5^4. ) qu'un

-ocr page 200-

l64nbsp;livre second,

élève ses concerts dans les bocages témoins
de ses premières amours. Aimables enfants
de l'air, ils peuplent nos vallons et nos
montagnes -, cliaque prairie, chaque ruis-
seau , chaque arbre a son musicien. Les
uns s'élèvent dans l'atmosphère comme
des flèches rapides ; les autres volent en
tourbillonnant et en rasant la surface des
lacs ;
tous sont ivres de joie et de plaisir;
tous sont revêtus de leurs habits de noces ;
tous soupirent les hymnes sacrés de l'hy-
men, et s'égarent doucement sur les traces
de leurs amantes.

Les poètes n'ont vu dans les oiseaux
voyageurs que le désir de vivre au sein
d'un éternel printemps. Ils viennent ,
disent-ils, avec le mois des fleurs , et,
paisibles habitants des bocages , ils dis-
paraissent avec la verdure. Mais nous

étoumeau vint ponJr« pendant huit années de suite dans
le même trou d'aune , quoiqu'il émigrât chaque hiver, etc.

»e^, au mot habitation dunbsp;Diitt d'Skt. not«

-ocr page 201-

lettre xii.nbsp;ï65

venons de montrer le but secret de la
Nature, et de dévoiler l'harmonie et la
beauté de ses oeuvres. C'est une chose
admirable qu'elle fasse venir, tous les
ans, de l'Asie, de l'Afrique et de l'Amé-
rique, des armées d'oiseaux insectivores
et granivores, justement à l'époque ovi la
terre semble implorer leur secours ; car ,
par un instinct aussi merveilleux que leur
voyage, si l'hiver se prolonge, les oiseaux
arrivent plus tard , tandis qu'ils hâtent
leur retour lorsque le printemps tâte lui-
même
son entrée dans Us champs qu'il
veut embellir.

Cependant , par une suite de cette
même loi, lorsque, aux derniers jours
de l'automne, les insectes s'engourdissent
ou meurent, et que les reptiles rentrent
dans la terre, ces oiseaux nous devenant
inutiles, passent dans d'autres climats, où
la Nature attend d'eux les mêmes con-
certs , les mêmes spectacles et les mêmes
services.

-ocr page 202-

î66nbsp;iivre second.

Que s'il en est quelques-uns fidèles k
leur patrie la Nature , prévoyant leur
destination, a soin de les couvi-ir d'un
plumage plus douillet et plus chaud,
comme on l'observe dans la seule espèce
de fauvette (
siluia modularis) qui passe
l'hiver au milieu des neiges de nos jardins.

Le départ de ces oiseaux voyageurs
présente des spectacles charmants.

Ceux qui de nos hivers redoutant le coutrous,
Vont se réfugier dans des climats plus doux.
Ne laisseront jamais la saison rigouretise
Surprendre parmi nous leur troupe paresseuse.
Dans un sage conseil par les chefs assemblé,
Du départ général le grand jour est réglé ;
Il arrive : tout part; le plus jeune peut-être
Demande, en regardant les lieux qui l'ont vu naître.
Quand viendra ce printemps par qui tant d'exilés,
Dans les champs paternels se verront rappelés (i).

Mais tandis que ces oiseaux fuient nos
campagnes désolées , d'autres oiseaux

(i) Racine le fds, Poé'me de la Heligion, chant i.quot;

-ocr page 203-

lETTRE xn.nbsp;1G7

arrivent pour les remplacer. Nos marais,
nos terres humides sont jonchées de
débris et de cadavres; une foule d'insectes
et de reptiles, surpris par l'hiver, restent
engourdis sous les feuilles desséchées des
forêts : c'est alors cpie les airs se rem-
plissent de grives, de pluviers, de vanaux,
de bécasses ; que de longs triangles de
grues, de cigognes , de sarcelles et de
canards, viennent s'abattre dansles champs
inondés et couverts de frimais; des ba-
taillons de
corbeaux se joignent à ces
hordes vagabondes, et tous ensemble ils
se hâtent de nettoyer les bois, en frappant
les airs de leurs clameurs. Bientôt en-
veloppés de sombres brouillards , ils
remontent sur les vents et poursuivent
leur route en poussant des cris et des
croassements sinistres (i).

(1) Voyez mes Annotations au Traité de l'existence dt
Dieu, de
FiîjfÈLON, chez DemonviUc, imprimeur, rue Chria-
tine,a.o2.

-ocr page 204-

i68nbsp;nvre seconb;

Ainsi, nos forêts, nos prairies et nos
vallons , dépouillés par l'hiver , sont
abandonnés tour à tour par leurs légers
habitants. Ils fuient. Tout rentre dans le
silence , et la tristesse règne sur la
Nature.

Adieu, chantres charmants, qui peuplez nos feuillages j

Adieu, je vois venir la saison des orages.

Sur l'aile du zéphir vous fuyez les hivers

Et suivez le printemps autour de l'univers.

AUez vous reposer sur les débris d'Athène.

Volez sur les côteaux fleuris de Mitylène,

Aux plaines de Platée, aux champs de Marathon,,

A ceux où Miltiade éternisa son nom.

Mais qu'ai-je dit, hélas ? Quand vos troupes volages

Descendent, en chantant, sur ces lointains rivages,

EUes ne savent point que des peuples fameux

Vinrent troubler la paix de ce séjour heureux,

Et tout couverts de sang, de meurtres et de gloire,'

Elevèrent aux cieux les cris de leur victoire.

Hôtes joyeux des bois, vos plus doux souvenirs

Sont tous pour le printemps, l'amour et les plaisirs.'

Légers, insouciants, vous voltigez sans cesse,

Et sans vous informer des destins de la Grèce j

-ocr page 205-

lettre xii-nbsp;169

Dans ses temples sacrés, sur ses antiqpies tours f
iVous venez déposer le nid de vos amours.-
Li, toujours amoureux d'une amante fidèle,
Vous chantez,
vous vivez et vous mourez prés d'elle.

-ocr page 206-

170nbsp;livre second.

LETTRE Xm.

DES VENTS, ET OE lEURS CAT7SES.

Le jour est sur le point d'éclore,
Et la déesse de la nuit

Voile son visage, s'enfuit,
Et déjà fait place à l'Aurore.

Allons aux pieds de ces coteaux
Tout couverts de jolis villages ;
C'est là que, sous de frais ombrages,
La Saône promène ses flots.

Là, siu- d'antiques monuments,
La ronce épineuse et sauvage,
Des grands, triste et fidèle image,
Bampe et s'élève en même-temps.

Là Lyon, sur ses deux collines,
Demande des palais nouveaux,
El, triste au sein de ses ruines,
Semble encor pleurer ses héros.

-ocr page 207-

lettre xin.nbsp;171

Les Alpes ferment ces beaux lieux;
Je vois, dans la vapeur légère,
S'élever leur front orgueilleux
Déjà blanchi par la lumière.

Allons aux pieds de ces coteaux,
Allons sur ces heureuses rives,
Au bruit des ondes fugitives
Contempler ces riants tableaux.

J'arrive. Déjà l'alouette faisait entendre
sa musique joyeuse ; je voyais cet oiseau
s'élever perpendiculairement dans l'air,
s'y soutenir pour chanter ses amours,
puis se précipiter vers la terre avec la
rapidité d'une flèche, et y rester auprès
de sa femelle.

Il se tait; son silence exprime le plaisir.

Mais tout à coup, plein d'une douce ivresse,-

U vole vers le ciel, y chante sa tendresse,
Et redescend pour en jouir.

Dans une délicieuse méditation, je con-
templais les immenses travaux de la jNature.

-ocr page 208-

172nbsp;tlvre second.'

J'admîrais la disposition des branches deS
arbres, toujours plus rapprochées du tronc
en s'élevant, afin de laisser un hbre passage
à l'air et à la rosée. Je remarquais aussi la
physionomie variée des végétaux, dont
les rapports admirables me paraissaient en
harmonie avec les sites qu'ils embellis-
saient. Je voyais enfin autour de moi la
terre criblée
d'une infinité de petites ou-
vertures, ouvrages des fourmis, des taupes,
des mulots; mais, loin d'accuser le Créateur
d'avoir destiné ces animaux à faire tant de
dégâts, il me semblait entendre la Provi-
dence dire à des myriades d'animaux :
« Allez, ouvrez le sein de la terre, et
« divisez ses parties, afin que l'air, sans
K le secours duquel elle ne produit rien,
« la pénètre de toutes parts et y porte la
« fécondité ».

De la Nature, admirez l'harmonie ;
Tout y seinble créé pour embellir la vie ;
Les prés, les bois, les champs nous parlent du bonheur,

-ocr page 209-

LETTRE XIII.nbsp;173

En même-temps qu'ils prouvent la puissance
Et la bonté du Créateur.

Ail ! n'accusons pas la science,
Des orgueilleux écarts de quelques faux sàrants :
Le vrai savant voit Dieu dans toute la Nature,
nbsp;j

Et ses œuvres sont la peinturenbsp;- :

Des plus sublimes sentiments.

Favorisé des cieux, son pouvoir est immense;
L'œuvre de l'Étemel se grave en son esprit;
Il la voit, l'étudié, il l'admire, et j ouit ;nbsp;;

Rien dans le monde, enfin, n'échappe à sa constance;

Pour embellir son existence,nbsp;1

Nature lui fournit la science et l'amour;

Et quand pour le frapper la pâle mort s'avance,

Son cœur liù fournit l'espérance,nbsp;.

Pour enchanter son dernier jour.

, - • 1 *

( ' ■ '
Cependant une vapeur rose s'élevait à
l'Orient ; les nuages s'éclairaient par degrés j
quelques étoiles brillaient encore. Le soleil
s'élance sur son char de lumière, tout dis-
paraît dans les cieux, tout s'éclaire sur la
terre. Les fleurs y brillent des plus belles

-ocr page 210-

t74nbsp;titre second.

couleurs, les plus suaves parfums s'élèvent
de leurs coroles, la fauvette s'éveille et
chante; la Nature, sortie du néant des
ténèbres, a repris ses couleurs; et l'homme,
tiré du néant du sommeil, a retrouvé la
pensée.

En ce moment un petit vent frais s'éleva;
il naissait avec l'aurore, et semblait venir
du ciel comme elle. Alors, transporté de
joie, je ne pus m'empêcher de m'écrier,
comme autrefois Archimède : Je l'ai
trouvée ! je l'ai trouvée ! Oui, j'ai trouvé
l'origine du vent. Ce zéphire léger, qui
souffle de l'Orient, provient sans doute
de ce que l'air, dilaté par les premiers
feux du soleil, s'étend et chasse devant lui
l'air qui l'avoisine. Telle est aussi la cause
des vents réguhérs de la zone torride. Et
Je m'écriai encore : Je l'ai trouvée ! Ce fut
. aussi,

Ce fut le premier cri de mon adolescence :
L'amour alors faisait rêyer mon cœur.

-ocr page 211-

lettre xih.nbsp;ï^s

Rêves si doux de l'innocence,
Vous suffisiez à mon Jjonheur !
ïlelas ! je vous connus; vous étiez jeune et bellç j

Je voidus plaire, et je fus captivé.
De toutes les vertus je cherchais le aiodêlf,
Je m'écriai : Je l'ai trouvé.

Oui, me disais-je en tournant mes pas du
côté de la ville, on ne peut douter que
l'air étant facile à se condenser et à se
dilater, la chaleur du soleil ne soit une
des causes principales des vents. Cet astre ,
en échauffant les mas^s d'air de la zone
torride, y produit des vents réglés qw'on
nomme ahsés. Grande et sublime sagesse
de la Nature, qui, dans la cause de la
chaleur même, a mis le remède à la
chaleur ! Ainsi le soleil brûlant donne
naissance aux vents délicieux qui
viennent
nous rafraîchir.

Toujours bon, toujours prévoyant,
Pour purifier l'atmosphère,
L'Éternel déchaîna le vent.
11 souffle, et dans un seul instant

-ocr page 212-

176nbsp;lîvrë seconb:^

Il est aux bornes de la terre.
Souvent il gronde avec fureur;
C'est lui qui forme les orages •
Et rassemble tous ces nuages
Qui des cieux voilent la splendeur |
Plus doux, faiblement il murmure.
Il soupire dans les forêts,
Des ruisseaux ride l'onde purej
Féconde les champs de Gérés j
De son haleine salutaire
Il balance ces jeunes fleurs

Que la brillante avant-courrière
Du dieu qui verse la lumière
Le matin baigne de ses pleurs ^
Et sur les abîmes de l'onde
Fait voler ces légers vaisseaux
Qui, chargés de trésors nouveaux,
Voguent de l'un à l'autre monde.

Si l'air était visible, me disais-Je encore
nous verrions quelquefois les plaines di
ciel hérissées de flots qui se heurtent k
uns les autres, se précipitent dans k
vallons, les remplissent et roulent comm
les ondes d'un fleuve impétueux.

J'achevais à peine ces mots, que j'arriva

-ocr page 213-

Lettre xiii,
xîans mon cabinet. Plein d'entbousiasme,
je me saisis d'une bouteille ; puis, imitant
ce héros d'Homère, qui renferma les vents
dans des outres profondes, je voulus tenter
une expérience qui devait me dévoiler
leurs causes. Les causes du vent au fond
d'une bouteille ? Eh ! pourquoi pas ? Dom
Cléophas y trouva bien le plus aimable
des démons. Et ce plaisant Rabelais ne
nous assui-e-t-il pas que Panurge y ren-
contra la vérité ? Je ne dis rien du
charmant l'Arioste.

On sait qu'Astolplie, en son plaisant voyage
Au firmament, raconte qu'il a vu
Dans les flacons dont le ciel est pourvu,
Notre bon sens, celui de plus d'un sage
Qui pense encor ne pas l'avoir perdu.
On y pourrait trouver encor, je gage,
Ce qu'ici bas on ne retrouve plus.
Le doux plaisir, le bonheur, les vertus,
De nos aïeux aimable et doux partage.
Ah ! parmi nous, s'il est un Paladin
Assez hardi pour tenter l'aventure
Et galoppcr sur la même monture
Qui de Roland portait le beau cousin,

Lnbsp;12

)

-ocr page 214-

-Snbsp;LIYRÈ SECÙHÈi

Qu'il aille donc s'amuser dans la lune
A nous jeter chacun notre flacon :
Je plaide ici pour la cause commune;
Le monde est fou, je le dis sans façon.
O Paladin ! ton heureuse fortune
Peut-être un jour lui rendra la raison.

Je pris donc une bouteille; je la scellai
et l'exposai à une douce cbaleur. Mais
tout à coup, l'air qu'elle contenait se
dilatant avec force, elle e'clata en mille
pièces. Ah ! Sophie ! que n'avez-vous pu
contempler mon triomphe au milieu des
débris ! Jugez, disais-je, par cette petite
bouteille et ce petit réchaud, quelle force
d'expansion l'air doit avoir, lorsqu'il est
dilaté par Faction d'un astre de feu un
million de fois plus grand que la terre?
Mais gardez-vous de conclure, d'après
cette expérience, que la ddatation d'une
partie de l'atmosphère soit l'unique cause
des vents : la Nature a mille moyens pour
venir à la même fin ; les savants n'ont
qu'une tête pour l'étudier. Cependant, s'il

-ocr page 215-

tETtRÈ xill.nbsp;i^g

faut les en croire, l'attraction du soleil et
de la lune doit produire un flux et reflux
dans l'air comme dans les abîmes de l'Océan.
Souvent aussi un nuage, en tombant avec
impétuosité, chasse la colonne d'air qu'il
rencontre, etlui donne un courant terrible.
Lorsque la masse d air qui circule sur nos
têtes est raréfiée par une cause quelconque,
l'atmosphère devient sensiblement plus lé-
gère, et le vent se porte de ce côté : voilà
pourquoi on s'attend à un orage, lorsque
le baromètre baisse (r). Je sais bien que
ces tourbillons qui semblent sortir de la
mer, que ces typhons qui s'échappent des
cavernes, font encore le désespoir des
savants. La Nature se sert quelquefois de
ces vents extraordinaires pour rafraîchie
certains climats. Par exemple, la ville de
Cesi, en Italie, est bâtie sur le penchant

(i) Voyez Encyclopéd., mot Vent; Bacon, Traité des
Vmts j
Mairan, Leuwenhoek, Nyenwentit et Rouland, Phé'
nomènes de l'Air.

-ocr page 216-

î8ônbsp;LIVRE SECOND.

d'une montagne, des ouvertures de laquelle
il sort un vent très-frais. Cependant ce
vent ne souffle qu'en été, depuis le matin
jusqu'au soir; sa force même est propor-
tionnée à la chaleur; et, bien loin d'être
dangereux, il contribue à la santé et à la
vie de ceux qui sont à portée de jouir de
son influence. Je parlais encore, lorsque,
ayant jeté les yeux autour de moi, je
m'aperçus que j'étais seul au milieu de
mon cabinet. Vous comprenez bien que je
mis fin à mon discours.

J'aurais pu vous développer encore
cette belle harmonie des vents , trans-
portant les nuages d'un monde à l'autre,
leur donnant les plus belles formes; les
distribuant de manière à fertiliser tous les
pays, à embellir tous les cieux; les diri-
geant toujours avec la même égalité, pour
donner au monde entier la fraîcheur
l'abondance et les beaux jours de toutes
les saisons : je vous aurais prouvé alors
que les vents ne portent presque point

-ocr page 217-

lettre xiii.nbsp;isï

de nuages sur l'Égypte, parce que les
crues du Nil
y rendent les pluies inutiles ;
et, rassemblant les belles harmonies des
cieux avec la terre , j'en eusse fait un
tableau digne d'arrêter les regards des
savants.

Mais combien de choses j'aurais été
forcé de passer sous silence ! Les phéno-
mènes des vents resteront long-temps
inexplicables. La Nature se laisse assez
voir pour qu'on l'admire ; mais pas assez
pour qu'on la comprenne.

L'homme est lui-même un être incom-
préhensible J il calcule les distances que
son oeil ne peut mesurer , il pèse les
mondes et ne peut soulever une mon-
tagne :
presque tout ce qui est bors de
la portée de ses sens, son génie le dévoile,*
et souvent ce qu'il voit, ce qu'il entend,
ce qu'il touche lui est inconnu. La Nature
fait encore un mystère de ses phéno-
mènes les plus grands et les plus extraor-
dinaires, tels que les volcans, la lumière.

-ocr page 218-

i sanbsp;LIVRE s eco SB.

l'aurore boréale, le flux et le reflux, la
foudre et les vents. La lumière met sept
minutes à venir du soleil j mais qu'est-ce
que cette lumière qui fait de l'univers un
spectacle si admirable? La foudre gronde,
l'homme l'attend, la dirige, l'imite même;
mais qu'est-ce que la foudre ? Le vent
souffle, sa vitesse est mesurée; il a beau
être invisible, ses éléments sont trouvés ;
sa force même ne peut résister à notre
génie ; il enfle nos voiles sur les abîmes
de l'Océan, et cependant sa cause reste
encore ignoi'ée. Au milieu de cette foule
de phénomènes, à peine quelques con-
jectures viennent-elles au secours des
savants. Eh! comment l'esprit de l'homme
devinerait-il tous ces mystères, lorsqu'il
se perd dans les choses les plus simples ?

Science des Bonnet, des Pline, des Buffon,
Apprends-moi par que] art un insecte admirable
Ourdit en un moment sa toile inimitable.
Tend des pièges adi-oits, se file une maison.

-ocr page 219-

LETTRE XIII.nbsp;l83

Tu ne me réponds rien. Pauvre science humaine !
Un fil t'arrête, hélas ! comme le moucheron
Du bon Jean La Fontaine.

Ne cherclions donc point à découvrir
ce que la main du Créateur a cadré avec
tant de soin. Sans quoi il nous arriverait
comme à ce physicien qui, ne pouvant
expliquer les vents alisés, prétendit qu'ils
étaient produits par l'agitation d'une
plante ( le lentisque marin ) qui croît en
abondance sous les tropiques. Quoi ! ce
système vous étonne , ce n'est cependant
qu'un bien faible échantillon des idées
de quelques savants du siècle passé. Je
pourrais vous citer encore le système de
Maillet, sur l'homme poisson , et celui de
Kepler, sur le monde animal.

Le bon Maillet, tenaillant sa raison,
îfous a prouvé que tout sortait de l'onde.
Si l'on en croit sa science profonde,
Le genre humain eut pour père un poisson.

-ocr page 220-

184nbsp;LIVRE SECOND.

Mes bons amis, disait ce plaisant sage,
Applaudissez mon système nouveau ;
Pour le trouver j'ai fait plus d'un voyage gt;
Et soixante ans j'ai creusé mon cerveau.

Un autDc auteur, dans un savant ouvrage,,
Voulut changer la terre en animal,
Faire du globe un grave personnage.
Vraiment le tour était original.
Animant donc notre machine ronde,
Sur quatre pieds il vous pose le monde;
Puis sur son dos tout couvert de forêts,
II place l'homme en de vertes campagnes;
Il y bâtit des temples, des palais,
Creuse des lacs, élève des montagnes.
Ainsi paré, l'animal orgueilleux
Va galoppant dans les plaines du vide.
Et dans sa course, il tourne dans
les cieux,
En emportant le savant qui le guide.

Tous les humains jouissent des bienfaits
Que la Nature a pris soin de répandre ;
Mais nous voudrions vainement les comprendre ^
Le Créateur seul connaît leurs secrets.

!

-ocr page 221-

LETTRE XIV.

de l'utilité du zéphire pour l'embellissement

de la nature. '

Ce n'est que dans un lointain immense
que l'air se laisse apercevoir. Sa couleur
est bleue ; pour s'en coj^vaincre il suffit de
lever les yeux. Cet
azur que nous attri-
buons à la voûte céleste , appartient à
l'atmospbère : voilà ce qui, dans les jours
sereins, empêche nos regards d!einbrasser
une grande étendue. Mais lorsque l'air se
charge d
'invisibles vapeurs qui le divisent,
on aperçoit les montagnes, et, quoique
le temps paraisse plus clair, l'expérience
apprend aux villageois que l'orage se
forme.

L'habitu.de vous a sans doute empêchée
de remarquer la belle harmonie qui existe

-ocr page 222-

iS6nbsp;livre second.

entre les tableaux de la Nature et la
transparence de l'air. Ces campagnes, ces
asiles agrestes qui paraissent à nos yeux
comme au travers d'un cristal brillant,
sont d'un effet magique et inimitable. Si
nous pouvions voir la Nature dans un
vide parfait, elle ne serait ni aussi fraîche,
ni aussi animée qu'elle l'est, mêlée à une
atmosphère bleue et transparente. Qui
pourrait, par exemple , lui rendre ce
léger mouvement que Zéphire imprime
à la tige flexible des fleurs à la cîme
élevée des arbres? L'air est à la campagne
ce que le tendre velouté qu^on nomme
fleur est au fruit trempé de la rosée du
matin.

Souvent un jeune voyageur
Gravit aux sommets des montagnes,
S'arrête, et des vertes campagnes
Aime à contempler la splendeur.
A l'abri sous un verd feuillage,
Il voit, dans l'azur transparent.
Décroître au loin le paysage.

-ocr page 223-

Alors, si le souffle du vent
Incline le front ondoyant
De la forêt triste et sauvage ;
Si dans le ciel rapidement
Il gronde et chasse les nuages ;
Si des mers troublant le repos,
Il soulève, agite les flots ,
Et les brise sur leurs rivages ;
Dans ce tableau plein de grandeur,
Oil tout semble prendre une vie,
L'ame du jeune voyageur,
Silencieuse et recueillie,
A vu la main du Créateur.

Mais lorsqu'une brifie légère
Tout à coup répand la fraîcheur
Sur la montagne solitaire;
Lorsqu'elle agite la bruyère
Et les moissons du laboureur ;
O Dieu ! quelle volupté pure !
J'écoute le lointain murmure
Du vent qui vole dans les cieux ;
Soudain à son souffle amoureux
J'aime i livrer ma chevelure.
Assis à la cîme du mont,
Dans
line douce rêverie,
Vers la terre inclinant mou front.
Je songe aux douleurs de la vi«.

-ocr page 224-

r8Snbsp;LIVRE SECON».

Je dis : la vie est un sommeil ;
Eh ! qu'importe que je succombe?
L'heure où j'entrerai dans la tombe
Sera l'heure de mon réveil.

Vous vous croyez peut-être instruite
de toute l'histoire de l'air, il n'en est
rien. Ge souffle léger semble créé pour
les fleurs comme
pour l'homme j il élève
les parfums de celles-ci vers le ciel, il se
charge de leurs graines ailées, et les
dépose dans les lieux que la Nature veut
embellir. Les fleurs, ainsi que les dieux
de la fable, voyagent dans les airsj et le
vent est le char où l'Éternel a placé les
jardins du monde.

L'ame se sent émue au souffle du zéphire j

Elle lui doit les concerts enchanteurs,
Le printemps tout l'éclat de son aimable empire,
Et le berger ses couronnes de fleurs.

À

Les végétaux, il est vrai, n'ont pas la

-ocr page 225-

faculté de se mouvoir; mais ils peuvent
envoyer de petites colonies d'un cliamp
à l'autre, parcourir les vallons et visiter
les bocages. Les arbres des montagnes,
comme les ormes, les bouleaux, les frênes,
les érables, ont des semences ailées qui
sont emportées par le vent. Ces forêts à
venir traversent les airs et descendent
dans les campagnes où elles doivent un
jour former des ombrages délicieux.
Cependant les plantes qui fleurissent sur
les bords des eaux portent des graines
semblables à des coquilles, des pirogues
et des bateaux. Le noyer, le coudrier et
l'olivier, qui se plaisent sur les rives
fleuries, ont des fruits façonnés comme
de petits tonneaux -, toutes les graines des
plantes aquatiques sont semblables à de
légères gondoles. Souvent on voit ces
flottes charmantes déployant leurs voiles,
voguer le long des fleuves, s'ari-êter sur
des rivages étrangers et les recouvrir de
pelouses et dé fleurs éclatantes,
au-dessus

-ocr page 226-

îd®nbsp;ttvre second.

desquelles la Nature prend plaisir a in--
diner mollement les branches du saule
pleureur.

Mais c'est peu d'embellir la campagne
et de jeter des bouquets sur les terres
sèches et arides, il semble que la Nature
ait deviné que la main de l'homme ne
pouvait élever que des monuments des-
tinés à tomber en ruines, et qu'elle ait
employé tous les moyens pour cacher,
sous des fleurs et des gazons, les objets
de notre fureur ou de notre faiblesse.
J'ai vu les mousses toujours vertes, les
cédum étoiles, les bouquets d'or des
giroflées, couvrir de leurs tiges fleuries
les débris de ma patrie j à mesure que
les tyrans portaient leurs mains san-
glantes sur nos palais antiques, des touffes
d'herbes et de fleurs croissaient sur les
ruines qu'ds avaient faites ; le
chelidonium
étendait ses larges feuilles sur les tours
renversées des vieilles basiliques , et la
fausse épervière s'élevait tristement au

i

-ocr page 227-

milieu des décombres, et repliant chaque
soir ses fleurs jaunâtres, seule dans la
cité, se livrait paisiblement aux doi\ceurs
du sommeil.

Ainsi les ruines et les rochers s'embel-
lissent au souffle du zéphire j il les cache
sous les touffes des vertes pariétaires et
sous les étoiles d'or des joubarbes , et
souvent il plante des arbres aux sommets
des tours délabrées.

Sur d'antiques tombeaux j'ai vu le Temps assis;

Il démolissait en silence.
Nos neveux apprendront, par d'imposants débris.

Notre grandeur et sa puissance.
Tout à coup j'ai vu l'homme, être faible et mourant j
D'un fer armer son bras, dans son ardeur guerrière,
Terrible, s'élancer comme un feu dévorant,
Semer partout la mort, et ravager la terre.
Mais les débris affreux, témoins de ses fureiu-s,

Déjà se couvrent de verdure ;
ft bientôt le zéphir cache sous mille fleurs
Les ruines de la Nature.

Ne croyez pas cependant que le vent jette

-ocr page 228-

ïginbsp;tiviîe second.

au hasài^d les plantes qu'il emporte slir ses
ailes diaphanes ; non : il s'en sert comme
d'un bienfait. Me promenant un jour dans
les bois de la Rochecardon,

Je suivais les bords d'un ruisseau
Dont les eaux pures et tranquilles
Répétaient le riant tableau
De mille champêtres asiles.
Ici Rousseau venait souvent
Penser à la beauté fidèle
Qu'il ne vit jamais qu'en rêvant,
Et dont j'adore le modèle.
Rousseau, jeune et^lein de candem-;
Coulait alors dans le bonheur
Une TÎe innocente et pure ;

Ignorant qu'il dût être auteur,
Il ne livrait encor son coeur .
Qu'aux doux charmes de la Nature.
Plein de ces heureux souvenirs,
Je suivais la rive fleurie,
Et le plus doux de mes plaisirs
Était de songer à Sophie.
Puissé-je au murmure de l'eaxi
Passer ainsi toute ma vie,
Occupé de ma douce amie,
De la Nature et de Rousseau !

-ocr page 229-

AT entrée d'un vallon, je vis une salle de
tilleuls, sous laquelle était une chaumière
de l'aspect le plus agreste. Ses murs étaient
couverts d'un massif de lierre, sur lequel
les grandes cloches blanches de quelques
liserons paraissaient avoir été peintes. Son
toit de mousse était garni de tleurs et de
pamjîres sauvages, qui retombaient en
guirlandes mobiles. LaNature avait embelli
cette pauvre cabane des mêmes plantes
dont la gloire couronne les poètes et les
héros.

Mais on voyait encore autour de Ja chaumière,
Ce qu'on ne trouve pas dans les jardins des grands ;

On y voyait la simple fleur des c}iamj)s
Éclore pour orner le sein de la bergère.

Cependant j'avais fait un détour pour
in'approcher de cette chaumière ; mais
quelle fut ma surprise, lorsque je vis ses
autres faces entièrement nues ! point de
I.nbsp;i3

-ocr page 230-

ig4nbsp;LIVRE SECOND.

mousses, point de fleurs ; les murs étaient
sans aucune parure. En chercliant les
motifs de cette singularité, je remarquai
que ces côtés étaient abrités du vent par
deux petites collines, tandis que les murs
qui s'élevaient à l'entrée du vallon devaient
en être continuellement frappés. O Nature ?
c'est ainsi que tes beautés cachent toujours
quelques bienfaits ! en faisant ce qui est
beau, tu fais ce qui est utile. J'ai vu le
vêtement de verdure et de fleurs que tu
donnes à la cabane exposée aux outrages
de l'hiver, afin d'en garantir le pauvre
qui l
'habite.

Le même phénomène a lieu dans les
arbres des forêts et des vergers, et tou-
jours je les ai trouvés vêtus de mousse,
de lichens et de lierre, du côté de l'aqudon
glacé, comme si la Providence eût prévu
leurs besoins. Le lis des jardins, dit l'évan-
gile, ne s'est pas filé sa parure : les arbres
des forêts aussi ne se sont pas filé des
habits^ mais le vent même qui apporte le

-ocr page 231-

froid, s'est chargé du vêtement qui doit
les en garantir.

Croissez, croissez, étendez vos rameaux,
Arbres touffus, solitaires bocages !
Au doux printemps rendez vos frais ombrages;
Pour nos bergers, courbez-vous en berceaux :
Vous n'avez plus à craindre la froidure ;
Les dieux pour vous ont fait souffler les vents,
Et des hivers vous bravez les autans,
Sous un habit de mousse et de verdure.

Croissez, croissez, étendez vos rameaux,
Arbres touffus, solitaires bocages !
Au doux printemps rendez vos frais ombrages,
Pour nos bergers, courbez-vous en berceaux.

-ocr page 232-

LIVKE SECOND.

LETTRE XV.

de l'air dans ses rapports avec la botanique, '
ou les amours de flore et de zephire.

Le charme que les fleurs répandent autour
d'elles a quelque chose de céleste qui n'a
encore été saisi que par un très-petit
nombre de poëtes. Si, au lieu de peindre,
ils se sont contentés de jouir, c'est qu'il
est difficile d
'exprimer un sentiment mêlé

igG

à toutes les idées virginales de pudeur, de
beauté et d'innocence. La vue des fleurs
inspire le plaisir, et leur étude apprend
l'amour : n'est-ce pas un rapport de plus
qu'elles ont avec la beauté ?

Dès qu'on la voit, le premier jour
On croit n'aimer que sa douce innocence,
Que la vertu qu'inspire sa présence ;
Bientôt après Ifon reconuaît l'amour.

-ocr page 233-

Thaïes enseignait que les plantes ont
une ame immortelle. Eh quoi ! disait-il,
ces fleurs qui connaissent si bien les saisons
qu'elles doivent embellir, qui s'aiment,
qui s'endorment, s'éveillent et suivent le
cours du roi des astres, ces plantes ne
participeraient point à l'immortalité ! Ah !
nous les retrouverons dans les Champs
Élysées ! Les poètes, qui ont fait un jardin
du séjour des ames justes, auraient-ils
donc deviné-ce mystère?

Quelle eût été la joie de Thalès, si on
lui eût appris que les fleurs sont des
temples où de jeunes amants offrent sans
cesse des sacrifices à l'Amour !

A peine du matin la jeune avant-cmirrière
Annonce en rougissant le dieu de la lumière, ,
L'univers embelli soudain est ranimé.
Déjà la fleur des champs ouvre un sein parfumé ,
Là, mille époux heureux autour de leurs amantes,
Inclinent doucement leurs têtes languissantes,
Et l'Amour, qui sourit en voyant ces époux,
Donne le doux signal des i)laisirs les plus doux.

-ocr page 234-

198nbsp;LIVRE SECOND.

O .signal du bonheur ! 6 volupté charmante !
La fleur a tressailli ; l'étamine brûlante,
Dans le sein du pistil épanche son trésor,
Et couvre tout l'autel d'une poussière d'or.
Tout se ressent soudain d'une volupté pure :
C'est l'abeiUe qui vole avec un doux murmure ;
C'est le zéphir qui fuit dans les feuillages verds ;
Ce sont de doux parfums qui montent dans les airsj
Tandis qu'un rossignol, caché sous la verdure,
chante à la fois l'Hymen, l'Amour et la Nature.

Ainsi ces jolis filets qu'on nomme éta-
mines, peints de toutes les couleurs,
coiffés de chapeaux légers et mobiles,
sont autant de bergers amoureux de la
nymphe qui s'élève au milieu de la fleur.
Enfermés dans ce temple, ils pressent,
ils embrassent le pistil qui jouit de leurs
caresses. Oui ! les nymphes métamor-
phosées par Ovide n'ont pas cessé d'aimer
sens leurs nouvelles formes. Rendez grâce
à Linnée, qui nous confia leurs amours.

ïlélas ! tous ces jolis amants
N'ont pas la même destinée ;

-ocr page 235-

LETTRE XV.nbsp;199

Quelquefois le dieu d'hymenée
Semble fuir leurs palais brillants.
Là, sur des tiges solitaires.
Sont rassemblés tous les bergers.
Tandis qu'en de lointains vergers
Fleurissent les jeunes bergères.
Pour eux il n'est point de bonheur.
Ah ! plaignez, plaignez la souffrance
De ces petits amants en fleur :
Qui sentit les maux de l'absence,
A connu tous les maux du cœur.

Ceci n'est point une fable j il est une
multitude d
'arbres et de plantes dont les
fleurs staminifères et pistilifères s'élèvent
sur deux pieds différents. Séparés par les
lois de la Nature, le Zépbire peut seul les
réunir, en portant sur ses ades invisibles
la poussière des étamines dans le sein du
pistil solitaire. Telles les jeunes filles de
Sparte, éloignées de leurs amants, atten-
daient les faveurs de l'amour dansl'ombïe
et le mystère.

Ainsi vit le saule pleureur,
Dont la branche s'incline si semble être trempée

-ocr page 236-

500nbsp;LIVRE SECOND.

Des pleurs amers de la douleur.

Ainsi du peuplier s'entr'ouvre encor la fleur.

Mais lorsque du zéphire elle se sent frappée,

On entend tout autour un doux frémissement ;

L'homme ému reconnaît la voix de la Nature,
Et voit dans ce touchant murmure
L'expression du sentiment.
Oui ! de tous les maux de la vie.
L'absence est le plus douloureux :
Aïoilà pourquoi ces arbres malheureux
Sont consacrés à la mélancolie.

Jovianus Pontanus, précepteur d'Al-
phonse , roi de Naples, raconte l'histoire
de deux palmiers : l'un cultivé à Brinde,
c'était l'amant ; l'autre élevé dans les bois
d'Otrante, c'était l'amante. Celle-ci, triste
et stérile, se flétrissait dans sa fleur; sa
jeunesse passait, et des fruits savoureux
n'avaient jamais couronné son feuiUage.
Peut-être, à ma place, Ovide, qui savait
tout embellir, aurait peint ici les charmes
de la mélancolie d'amour.

Car de ce dieu telle est la douce ivresse,
Il berce notre cœur, flatte la volupté j

-ocr page 237-

•LETTRE xr:nbsp;aor

On est séduit par sa gaitc,
Et l'on finit par aimer sa tristesse.

Un matin, l'amante, solitaire dans les bois
d'Otrante, ayant élevé sa tête couronnée
de fleui^s au-dessus de la
forêt, aperçut
le palmier de Brinde dans un éloignement
de plus de quinze lieues. Attachée à la terre
par ses racines, sans pieds, sans ailes pour
voler où l'amour l'appelait, elle osa im-
plorer le Zéphire à peu près en ces mots ;

G père du printemps ! ô dieu léger des airs !
Combien ton-souffle embellit la Nature !
Par des guirlandes de verdure
1nbsp;Tu réimis tout l'univers.

All ! si jamais la fleur à peine éclose
Devint l'objet de tes
soupirs ;
Si jamais , entr'ouvrant le boulon de la rosç,
Tu puisas sur son sein d'ineffables plaisirs ;
Daigne exaucer les vœux d'une amante plaintive :
Loin de l'objet qu'on aime il n'est point d'heureux jour.
Las ! je me vois flétrir sur cette heureuse rive,
Et je n'ai pas connu l'amour.

Elle dit, et Zéphire l'exauce. Sensible à

-ocr page 238-

XIVRE SECOND.

ses plaintes, il vole vers le palmier cle
Brinde, couvre ses ailes du polen de ses.
fleurs, et vient les secouer dans le sein
de l'heureuse amante. Alors on entendit
ixn doux murmure dans la forêt d'Otrante;
quelque chose de mystérieux semblait se
passer dans l'ombre et la solitude; et la
jeune amante parut, pour la première
fois, couronnée de fruits délicieux.

Pour moi, Sophie, si le Zéphire dai-
gnait exaucer les vœux d'un mortel, je
lui dirais :

Allez, Zéphire, allez à mon amie
Répéter mes tristes accents ;

Mais ne lui dites pas tons les maux que je sens,
De crainte que voyant la tendresse suivie

De si cruels tourments,
Elle ne jure, hélas ! de n'aimer de la vie.

-ocr page 239-

LETTRE XVI.

de la decomposition de l'air,

the'orie de la combustion.

Au milieu de cette multitude innom-
brable de globes que le Créateur jeta
dans l'espace, il en est un dont l'atmos-
phère est
composée des mêmes éléments
que l'eau forte. Le premier de ces élé-
ments renferme dans son sein le feu dévo-
rant qu'il est cliargé de répandre. H a
tant de force, que le temps se sert de lui
pour ronger le fer, et que la mort en
fait la base de ses poisons les plus ardents.
Le second élément, au contraire, éteint
la flamme et tue l'animal qui le respire.
Quelles créatures, direz-vous, peuvent
exister dans une pareille atmosphère ?
Quelles créatures? c'est vous, c'est moi.

-ocr page 240-

2O4nbsp;IIVÏIE SECOND.

car ce globe est le nôtre, et cet air est

l'air que nous respirons.

Pour commencer à vous habituer au
nouveau langage de la physique, je veux
vous apprendre que l'air n'est point un
élément comme on l'avait cru jusqu'au
siècle dernier. Ce fluide qui nous frappe
et reste invisible , n'a pu résister aux
expériences de Lavoisier. Ses principes,
invisibles comme lui, ont été trouvés -,
ainsi rien ne se dérobe aux recherches
du génie.

Je veux, ma charmante physicienne,
que vous ayez le plaisir d'opérer vous-
même la décomposition de l'air. Allumez
une bougie , fixez-la sur une soucoupe
à moitié pleine d'eau, et couvrez cet
appareil d'une cloche de cristal, vous
verrez bientôt la flamme se rétrécir ,
prendre ime couleur bleue, et s'éteindre.
Cependant l'eau s'élèvera pour occuper
la place de la portion d'air absorbée.
Long - temps avant la helle pensée de

-ocr page 241-

Lavoisier , les enfants s'amusaient de
cette expérience qui devait conduire le
genre humain aux plus brillantes décou-
vertes.

Oui, l'on verrait quelquefois les savants
Cesser de calculer les effets et les canses
Pour se mêler à vous, aimables innocents.
S'ils pouvaient deviner combien on voit de choses
Dans les jeux des petits enfants.

A chercher le bonheur le sage se tourmente;
Il fait pour le saisir des efforts impuissants.
Le bonheur est semblable aux vulgaires amants;

Trop de sagesse l'épouvante :
Mais voyez comme il prend une forme riante
Dans les jeux des petits enfants.

Ah ! s'il n'est plus de tendres sentiments,
Plus de vertus que l'honneur récompense ;
Si tous les hommes sont méchants.
Jetez vos regards sur l'enfance :
On voit toujours la vertu, l'innocence,
Dans les jeux des petits enfants.

Heureux celui dont l'existence entière
Est consacrée à des jeux innocents !

-ocr page 242-

2O6nbsp;tlVRK SECOND.

Henreui celui qui parcourt sa carrière
Occupé des jeux des enfants !

Je ne doute pas que vous ne veniez
d'essayer l'expérience que je vous ai dé-
crite : vous avez vu l'eau s'élever et la
bougie s'éteindre; et vous avez deviné
que la portion d'air absorbée est la seule
propre à la combustion. Les physiciens
lui donnent le nom savant
à'oxjgène.
Quant au gaz resté sous le cristal, on le
nomme
azote; il entre pour les trois quarts
dans la composition de l'air : jetez-y un
animal, il y meurt asphyxié ; mais on le
rappelle à la vie en lui faisant respirer
le gaz oxygène, qui forme l'autre quart
de l'atmosphère. Voilà deux gaz qui ont
bien de la puissance, l'azote et l'oxygène.
Je sais que vous allez me dire avec l'ai-
mable Berchoux :

Vous serait-il égal de nous parler français?

Eh oui, Sophie , ces mots sont grecs !

-ocr page 243-

Quoi ! serieis-vous donc fâchée de savoir
quelques mots

De cette langue harmonieuse
Que parlait le divin Platon,
Dont se servait Anacréon,
Quand sa lyre mélodieuse,
D'une amante voluptueuse
Troublait doucement la raison?
t) vieillard chéri d'Apollon !
Tu fus heureux malgré l'envie ;
Tu donnas d'aimablea leçons
D'une aimable philosophie.
Et laissas dans quelques chansons
L'histoire entière de ta vie.
J'aime ses bachiques fureurs ;
J'aime à le voir, dans son délire j
Couronner sa tête de fleurs,
Et tenir dans ses bras vainqueurs
Glycère, sa coupe et sa lyre,
Tandis que dans un ciel d'azur
Je vois sa colombe fidèle
Qui des coups pressés de son aile
Frappe un air transparent et pur.
Porteuse d'un galant message,
Elle vient de toucher au port;
Et tandis que l'aimable sage

-ocr page 244-

208nbsp;lilVRE SECONB.

Cliante la douceur de son sort,
Au repos elle s'abandonne,
Et sur la lyre qui résonne
Voltige, se pose et s'endort.

Mais cette langue si JégSre,
Qui, dans ces tableaux gracieux,
Semble encore offrir à nos yeux
Le bonheur qu'on ne connaît guère,
Peint aussi le dieu du tonnerre,
D'un regard ébranlant les cieux j
Et devient la langue des dieux
Dans les vers subKmes d'homère.

Je pense qu'à cette heure vous n'en
voulez plus aux savants qui vous ont fait
connaître quelques mots de cette belle
langue. Je me hâte donc de vous ap-
prendre qu'oxygène veut dire
qui engendre
l'acide :
car c'est à ce gaz que vous devez
cette multitude de vinaigres que l'art de
plaire consacre à la toilette de la beauté :
Enfin l'oxygène est l'unique cause de la
blancheur des toiles, des mousselines, des

-ocr page 245-

•■gazes, et de ces dentelles que l'art inventa
pour servir de filets à l'Amour.

Car ces tissus légers , en cachant des appas,

Objets de notre idolâtrie,
Servent les doux projets de la coquetterie :
Le désir embellit ce que l'œil ne voit pas.

Je crois vous avoir dit que l'oxygène
était la seule partie de l'air propre à en-
tretenir la vie ; et cependant c'est un
grand bonlieur qu'il soit uni à un autre
gaz pour former l'atmosplière • seul, il
eût en peu de temps épuisé nos forces,
et usé nos organes. Son activité est si
grande , qu'une spirale de fer allumée
dans son sein, se consume en un instant,
et jette une lumière éclatante. Heureu-
sement la sagesse divine à mis un frein à
cette épouvantable activité, en unissant
l'oxygène à son contraste, l'azote, dont
le nom signifie
privé de vie. C'est ainsi
que la Nature nous apprend que, pour
T.nbsp;14

-ocr page 246-

prolonger notre existence, il faut tem-
pérer les extrêmes les uns par les autres.

Mais pour vous bien faire comprendre
l'expérience de la bougie, il faut que je
vous apprenne que
Voxjghne est toujours
combiné avec une grande quantité de
calorique ou de feu. Vous me demanderez
sans doute ce que devient ce
calorique
lorsque l'oxygène se combine avec une
substance étrangère , comme le bois ou
la mèclie de la bougie; et ceci va nous
conduire à l'une des plus brillantes décou-
vertes de la cbimie moderne.

L'attraction à'agrégation qui existe entre
les molécules des corps combustibles,
étant un obstacle à leur combinaison avec
l'oxygène, il s'agit de trouver un moyen
de diminuer cette force d'attraction. Le
calorique a seul cette puissance. Enflam-
mer du bois, c'est donc lui faire absorber
l'oxygène de l'atmosplière et laisser Vazote
libre.
A présent vous devinez sans doute
ce que devient le calorique qui était

-ocr page 247-

Combiné à l'oxygène de l'air. A mesure
que l'oxygène s'unit au bois, le calorique
mis en liberté paraît sous une forme
sensible , il y a dégagement de lumière
et de feu. Ainsi la chaleur d'un corps en
combustion est produite par l'atmosphère
qui nous entoure et non par le corps
lui-même.

Une substance brûlée n'est donc pas
détruite, elle n'a que changé d'état; ses
parties constituantes se sont envolées sous
une forme gazeuse, ou, réduites en pous-
sière, restent combinées avec l
'oxygène
de l'atmosphère.

Lorsqu'on souffle le feu , il s'anime
parce qu'on lui fournit une plus grande
quantité de gaz oxygène.

Je suis persuadé que dès aujourd'hui
Vous ne pourrez plus détourner vos regards
de dessus le feu, tant vous serez saisie
d'admiration en pensant que le bois n'est
que l'instrument dont se sert la Nature
pour rendre la liberté au calorique

-ocr page 248-

212nbsp;IIVRE SECOND,

contenu dans l'oxygène, et que la chaleu?
et la lumière, que vous avez, jusqu'à ce
jour , attribuées aux charbons , pro-
viennent réellement de l'atmosphère qui
est sans cesse décomposée par ces agents.

Adieu, relisez-moi deux fois avec atten-
tion , et vous pourrez expliquer un des
phénomènes les plus surprenants de la
Nature.

Adieu : je Vais pour vous écrire
Interroger quelques savants ;
Je vais de leurs succès brillants
Vous amuser et voUs instruire ,
Et quelquefois à leurs accents
Joindre les accords de la lyre :
Vous saurez tout incessamment,
Les neuf savantes^mortelles
Vous attendent au firmament ;
Vous avez droit assurément
De prendre place à côté d'elles.
C'est là qu'on chante, en jolis
vers,
lies découvertes étemelles.
Vous verrez aux pieds de ces bell^
Des systèmes sur l'univers,

-ocr page 249-

XETTRE XVI-

Des explications nouvelles
De ses phénomènes divers,
Avec miUe autres bagatelles.

Demain je vous ferai connaître
Quelqu'une de ses belles lois ;
Mais daignez au moins quelquefois
Vous souvenir de votre maître.

2X3

-ocr page 250-

LETTRE XVII.

harmonies du regne vegetal et du regne animal ^
OU les amours du rossignol et di la rose.

A. H ! si fléchissant la furie

Qui veille aux bords de FAchéron,
Pline, Phérécide et Platon ,
Pouvaient revenir à la vie,
Combien ces sublimes esprits
Seraient charmés de la science î
Ils donneraient leur éloquence,
Leurs systèmes et leurs écrits,
Pour jouir de notre puissance.

Déjà le fleuve impétueux
A vu décomposer ses ondes,
Déjà dans les hauteurs des cieux
Newton a médité ses mondes ;
Sa main sous des voûtes profondes
Guide leurs orbes radieux.
Vainement Jupiter s'indigne
De la puissance des humains ;
Vainement, à son premier signe,
Un feu terrible arme ses mains j

-ocr page 251-

Dans un tube enflammant la poudre ,
On a vu l'homme audacieux
Répondre par des coups de foudre
A la foudre du roi des cieux.

Oui, déjà, mon aimable amie,
Vous en savez plus que Platon ;
Vous avez sa grâce et son ton.
Vous avez même sa raison
Dans le siècle de la folie :
Mais vous devez à nos savants
Plus d'une vérité nouvelle.
Et tout ce qui dans le vieux temps
Étonnait la vieille cervelle
Des philosophes ignorants,
N'est pour vous qu'une bagatelle.

Pour augmenter l'avantage que vous
avez déjà sur les savants de l'antiquité ,
je vais vous apprendre ce qui se passe en
nous dans l'acte de la respiration. ■

Un peu d'air s'introduit dans nos pou-
mons; notre vie tient à cela. Par quelle
opération l'air acquiert-il une semblable
puissance ? Voici la pensée de Lavoisier.
Le sang, en circulant dans le corps
ï.

-ocr page 252-

humain, se charge d'un principe mortel ( i
mais à peine est-il parvenu dans les
poumons, qu'il se dépouille de ce prin-
cipe pour se combiner avec l'oxygène
de l'air, que la respiration lui apporte.
Alors sa composition se renouvelle, il
acquiert de la chaleur; et, pur et coloré,
il court exciter dans le coeur cette con-
traction par laquelle le mouvement vital
se perpétue.

L'air éprouve une véritable décomposi-
tion dans la poitrine; il en sort chargé
d'un gaz méphitique, nommé
acide car-
bonique.
Hélas ! telle est la misère de
l'homme, qu'il empoisonne l'air qui lui
conserve la vie.

Ainsi le but de la respiration est de
fournir de l'oxygène et du calorique au
sang, et de le dégager de ses principes
mortels.

(i) D'hydrogène et de carbone.

-ocr page 253-

Vous voyez qu'il y a une grande ana-
logie entre la respiration et la combus-
tion (i). Respirer c'est brûler. Une bougie
renfermée dans un vase plein d'air atmos-
phérique, s'éteint aussitôt que l'oxygène
est entièrement absorbé. Un animal placé
dans une
pareille circonstance, meurt au
bout de quelques minutes. Il semble que
nous portions dans notre sein une espèce
de flambeau de vie qui a besoin d'air
comme la flamme ordinaire. Mais, dit un
Naturaliste, notre combustion est
cachée,
et ne s'exécute pas avec de la flamme,
quoique les vapeurs que l'on expire soient
une sorte de fumée. Effectivement cette
vapeur est la même que celle qui s'élève
des charbons ardents , et on lui donne
le nom de gaz acide carboniqué. C'est ce
gaz qui éteint la flamme, et.tue l'animal
qui le respire.

(i) ^oyez la lettre précédente sur la combustion.

-ocr page 254-

Vous devinez que le gaz oxygène, en se
combinant avec le sang, laisse échapper
son calorique , et qu'il devient ainsi la
cause de la chaleur de tous les corps
■vivants. Ainsi l'animal qui respire beau-
coup , doit jouir d'une plus grande chaleur
que l'animal qui respire peu. Et voilà
justement ce qui arrive : les tortues, les
grenouilles et les lézards, qui sont prescpie
glacés, respirent tout au plus une fois
tous les quart-d'heure ; tandis que les
oiseaux, dont les poumons remphssent la
capacité de la poitrine, et qui sont tout
pénétrés d'air, respirent cinquante fois
par minute, et ont le corps brûlant.

Vous serez peut-être surprise en ap-
prenant que les plantes respirent comme
les animaux; leurs feuilles, doucement
agitées par l'atmosphère, sont des espèces
de petites bouches ; elles absorbent efe
exhalent l'air tour à tour : nous verrons
tout à l'heure, combien elles sont utiles,
dans la Nature.

-ocr page 255-

Mais comment l'atmosphère conserve-
l-eUe toujours le même degré de pureté?
Ne semhlerait-il pas que la respiration de
tant de millions de créatures dût la cor-
rompre en un instant ? Jugez de la
grandeur de la Providence ; l'impie lui-
ïnême, en apprenant ce phénomène,

L'impie ouvrit son ame aux tendres sentiments;
Il sentit sur sa bouche expirer le murmure,
Et le ciel l'entendit élever des accents ■
Pour célébrer l'auteur de la Nature.

Je pense qu'il est inutile de prouver que
la terre serait bientôt épuisée si elle four-
nissait seule les éléments nécessaires à
l'accroissement des plantes. Qui pourrait
lui rendre les sucs , les parfums, les
fruits, les masses végétales qu'elle semble
renouveler sans cesse ? Depuis long-temps
elle aurait donc cessé de produire mais
la Providence a dit aux fleurs et aux
arbres ; Vous vivrez comme les sylphes

-ocr page 256-

fabuleux, et l'air se changera dans vos«
tiges en silice, en alumine, en chaux, en
fer, etc. Ainsi les parenchymes savoureux
de la pêche , de l'orange , de l'ananas,
cette multitude de fruits suaves dont l'Au-
tomne remplit sa corbeille ; la rose si
fraîche, penchée sous les gouttes de rosée j
le chêne orgueilleux, le cèdre superbe, le
baobab , ce géant des
arbres, c[ui couvre
des champs entiers de son ombre, ne
sont qu'un peu d'air ( i ) que la Nature a
travaillé dans le plus profond silence. O
Nature ! ne dévoiles - tu tes secrets que
pour nous paraître plus incompréhensible?
L'Éternel aurait-il formé le monde avec
un souffle ?

Cependant les plantes ne se nourrissent
pas également de toutes les parties de

J

(i) L'auteur entend ici par air tous les gaz qui servent à
l'accroissement des végétaux, tels que l'acide carbonique ,
riiydrogène, l'azote , etc.

-ocr page 257-

l'air. Peut-être pensez-vous qu'elles ab-
sorbent
Yoxjgene , ce gaz bienfaisant,
seul propre à la vie de l'homme ; il n'en
est rien : c'est l'azote, l'hydrogène, l'acide
carbonique que les végétaux préfèrent :
ces poisons, ces gaz mortels, ne le
sont *
pas pour eux; au contraire, ils favorisent
si rapidement la végétation, que les jar-
diniers ne manquent pas de répandre ,
suivant l'avis de Golumelle , une grande
quantité d'engrais sur leurs herbages j et,
croyant donner un sel à la terre, ils four-
nissent des gaz au végétal.

C'est ainsi que la tendre fleur
Ne se contente pas de montrer sa couleur,
De livrer à l'abeiUe un sein plein d'ambroisie,
D'embaumer la terre embellie
Par sa verdure et sa fraîcheur;
Soutien charmant de notre vie,
Dans son sein elle purifie
L'air que nous avons respiré,
Et bientôt sa tige fleurie
Exhale un air plus épuré.
L'homme, si vaiu de sa puissance,

-ocr page 258-

552nbsp;LIVRE SECOND.^

L'homme , roi de ce beau séjour,
Doit presqu'un siècle d'existence
a la plante qui vit un jour.

Mais ce n'est pas assez de purger l'at-
mosplière des gaz malfaisants, les plantes
exhalent encore des rosées vivifiantes de
gaz oxygène. Le croiriez-vous, Sophie?
cette décomposition de feau dont la
science s'enorgueillit avec raison , la plus
faible plante l'opérait journellement depuis
le commencement du monde : nous somme»
entourés d'une multitude de petits phy-
siciens qui, sans cesse occupés à renou-
veler l
'atmosphère , boivent l'hydi'ogène
de l'eau ( i ), et laissent échapper l'oxy-
gène , ami de l'homme.

Ainsi tous ces riants tapis, ces gazons,
ces bocages qui enchantent nos regards,
laissent échapper chaque jour une quan-
tité de gaz oxygène égale à celle que les

(i) On verra dans le dernier livre, que l'eau est composée
d'oxygène et d'hydrogène, et dans quelles Jgt;roportions.

-ocr page 259-

LETTRE XVII.nbsp;quot;aaS

animaux détruisent. La respiration des
végétaux forme un équilibre parfait avec
celle de tous les êtres.
Nous sommes pour
eux des sources de gaz acide carbonique,
comme ils sont pour nous des sources
de gaz oxygène, et de cette correspon-
dance invisible entre le règne végétal et
le règne animal naît l'harmonie générale
de l'univers.
Quel plaisir vous allez avoir
désormais en jetant les yeux sur une prai-
rie , lorsqu'aux sensations que donnent les
parfums les plus suaves, les couleurs les
plus brillantes, vous joindrez encore des
idées sublimes d'ordre et de sagesse.
Ces
riches bouquets que le zéphire balance
Vous sembleront autant de bienfaiteurs
qui travaillent silencieusement à la con-
servation des hommes, et la reproduction
d'un air pur et vivifiant, la nourriture des
troupeaux, la douceur des i^osées sei'ont
Unies dans votre esprit avec la guirlande
dont se pare la jeune bergère.

Quelle distance sépare le brin d'herbe

-ocr page 260-

224nbsp;LIVRE SECOND.

de l'homme ! et cependant notre vie
tient, par une double nécessité, à l'exis-
tence de ce faible végétal. Quelle éton-
nante création, que celle où l'on ne peut
rien ôter sans que le tout ne périsse ! O
Saadi ! tu la connaissais sans doute, cette
loi sublime de l'harmonie de l'univers gt;
lorsque tu chantais les amours du rossignol
et de la
rose; de la rose muette et superbe,
et du rossignol, rival d'Orphée.

Bientôt dans les bosquets du superbe Orient,
La plus belle des fleurs, la rose va paraître ;
Elle s'ouvre, aussitôt son parfum se répand.
La nymphe des jardins, surprise en la voyant,
Croit qu'une autre Vénus en ce jour vient de naître.
Pour la reine des fleurs on veut la reconnaître ;
La rose est étonnée; une aimable pudeur
Couvre son sein charmant d'une vive rougeur.
Le rossignol la voit, frappe l'air de son aile ,
Respire ses parfums, voltige sur son sein,
Chante l'amour heureux, et s'envole soudain,
Quoiqu'il ait fait serment d'être toujours fidèle.

Arrêtons un moment le volage oiseau,

J

-ocr page 261-

LETTRE XVII.nbsp;2^5

saisissons-le par les ailes, et qu'il soit
emprisonné avec le rosier dans une cage
de cristal. Il est donc vrai qu'il va devoir
la vie à l'amante que son cœur aban-
donnait? Privé d'un air nouveau, son joli
gosier cesserait bientôt de produire des
sons harmonieux , si , par un prodige

inconcevable......Ne devinez-vous pas

ce qui va se passer? Déjà le rossignol a
vicié , par sa respiration, l'atmospbère de
la cage -, mais la rose, avide de l'air respiré
par son amant, l'absorbe, et ne l'exhale
doucement, qu^après l'avoir purifié : au-
tant de fois le rossignol le décompose,
autant de fois elle retient les poisons dans
son sein ; et lorsqu'enfin il expire en
chantant sa reconnaissance, le rosier se
penche, se flétrit et meurt.

Ainsi Ton voit deux vrais amants
Exister l'un par l'autre, avoir même constance,
Confondre doucement leur paisible existence,
Puis expirer dans les mêmes moments.

-ocr page 262-

LETTRE XVIII.

du gaz acide carbonique.

Le gaz acide carbonique sera le sujet de
cette lettre. Je vais vous conduire dans des
cavernes semblables à celles de Lemnos :
vous en aurez un rapport de plus avec
la déesse de la beauté; car

Vénus n'habite pas toujours
De Gnide et de Paphos les retraites charmantes ;
Souvent près de Vulcain dans des forges brûlantes,
Elle conduit les Ris et les Araoïirs.

Le gaz acide carbonique est le produit
de la combustion du charbon ; c'est-à-
dire, de sa combinaison avec l'oxygène,
Sa pesanteur est une des cent mille pré-
voyances de la Nature. Vous devez vous
rappeler que c'est de ce gaz méphitique
que les plantes tirent presque tout leur
accroissement et leur vie; voilà pourquoi
il tombe à terre , tandis que les autres

-ocr page 263-

gaz s'élèvent plus ou moins , selon les
besoins de l'homme.

Plaignez, plaignez celui qui voudra désormais

Nier le Créateur, le Dieu qui l'environne;

C'est un infortuné qui reçoit des bienfaits,

Et refuse de croire à la main qui les donne.

Le gaz dont nous nous occupons se
trouve souvent dans le sein de la terre,
et notamment dans la grotte du Chien,
près de Naples. Les montagnes sont pleines
de
cavernes d'où il s'échappe : on le res-
pirait dans l'antre mélancolique de Tro-
phonius, et, par son mélange avec d'autres
gaz, il anima long-temps les inspirations
de la Pythie de Delphes. Ainsi, dans ces
temps de prodiges, un peu d'air méphitique
faisait la destinée des rois et de l'univers (i).

Si de nos jours , grâce aux sciences,
On n'attaclie plus aucun prix

(0 Voyez Pline, lib. 2; Cicéron, de la Div., lif. 1;
Tacite,
lib. 3; Strabon , liigt;. la ; ammien Marcellin , Uh. 3,

t5*

-ocr page 264-

A toutes ces impertinences,
On fait d'autres extravagances :
Les savants et les beaux esprits
Sont les oracles de la France ,
Et nous connaissons la puissance
De leurs admirables écrits.
Chez les Athéniens volages,
Peuple charmant, peuple de fous,
On n'a jamais vu que sept sages ;
Tout le monde l'est parmi nous.
Nous avons l'encyclopédie.
Recueil admirable et complet,
Où toute la philosophie
Se retrouve par alphabet ;
C'est là qu'il faut voir le génie,
Plein de force et plein de grandeur,
Détrôner un Qieu bienfaiteur,
Et tirant de la nuit profonde
Les astres, les cieux et le monde,
Les créer sans leur Créateur !

Mais déjà la foule éloquente
Des vrais sages, des vrais savants,
Oppose la raison puissante
A tous leurs vains raisonnements.
L'impie a cédé la victoire.
Le sage couronné de gloire
Lève son front majestueux;
De son pied il touche la terre ;

-ocr page 265-

lETTRE XVIII.nbsp;aag

Mais sa pensée est dans les cieux,
'Devant le Dieu de la lumière.

Pendant que je vous entretiens des
savants, la science fait des pas de géant ;
elle opère des prodiges. En effet, ne
trouverez - vous pas merveilleux que ,
n'ayant à vous parler que d'un gaz
produit par la combustion du charbon,
je passe rapidement à la substance la
plus éclatante de l'univers? Quelle dis-
tance sépare à vos yeux le charbon et le
diamant !

Cette substance qui décompose la lu-
mière et réfléchit toutes les couleurs de
l'arc-en-ciel, qui pare le sein de la beauté,
qui brille sur la
couronne des rois ; eh
bien \ cette substance n'est, pour le chi-
miste , que du charbon.

Ne pensez pas que ceci soit un badinage.
Je pvis citer de grands noms , et vous
croiiez sans doute à la science de Lavoi-
sier, de Tennant et de Guy ton?

-ocr page 266-

''Sonbsp;riA^RE SECOND.

Je ne vous répéterai pas leurs expé-
riences; qu'il vous suffise de savoir que
le charbon est le corps que la Nature a
répandu avec le plus de profusion dans
la formation de l'univers. Il fait la base
des végétaux et des animaux ; il se com-
bine avec les minéraux jusque dans les
profondeurs du globe. Ainsi , réahsant
les rêves des poëtes et les enchantements
des fées, la science a fait un monde de
diamant.

J'ai toujours été surpris que les géo-
logues, qui cherchent depuis si long-
temps les éléments de l'univers, n'aient
jamais pensé au diamant. C'eût été un
assez beau spectacle que de se représenter
le monde , au sortir du cahos, comme
un gros brillant roulant sur lui-même ,
et jetant des torrents de lumière. Aimeriez-
vous mieux dire avec Buffon, que la terre
est tombée du soleil; avec Bm^net, qu'elle
fut au commencement une boule d'air
pleine d'eau ; ou, enfin, avec Palissy,

-ocr page 267-

que le monde est une coquille ? Ahl que
Cicéron a bien eu raison de dire , qu'il
n'y a rien de si absurde qui n'ait été
avancé par les savants ! Et puis, ô phi-
losophes

\

Vantez-vous de votre sagesse ;

Voi»s le pouvez sans vanité,
Comme Sénéque, au sein de la richesse,
Osait vanter la pauvreté.

Quelle occasion charmante de faire un
système, ou, si vous l'aimez mieux, de
prouver qu'il n'y a point d'idées extra-
vagantes qu'on ne puisse appuyer de
raisonnements séduisants. Un monde de
diamant vaut bien un monde de coquille
au moins pourrait-on le prouver dans un
gros Hvre. Eh hien ! dut-on faii'e de ma
lettre un appendice à l'éloge de la folie;
dût-elle être oubliée comme tous les
systèmes passés, présents et à venir, je

-ocr page 268-

232nbsp;livre second.

vais essayer de créer le monde à mon

tour.

Je sais très-Lien que plus d'un sage
A fait des systèmes charmants ;
Que depuis plus de trois mille ans,
Toujours plein d'un nouveau courage,
Nous avons tenté vainement
De comprendre ce bel ouvrage.
Que Dieu
créa dans un moment.
O toi, dont la science obscure
Vint éblouir notre raison ;
Toi qui créas un tourbillon
En voulant créer la Nattu-e !
Daigne, du haut du firmament,
Jeter un regard sur la France j
Daigne applaudir à ma science ;
Tu vas voir dans l'espace immense
Naître un monde de diamant.

Daignez vous rappeler, Sophie, que
le charbon est la base des végétaux et
des animaux; qu'il se trouve sur toute
la surface de la terre, et voilà mon monde
créé. S'il est vrai que le cai^bone soit

-ocr page 269-

lettre xviu.nbsp;^33

répandu avec tant de profusion; s'il est
vrai que les pierres et les bois soient en
grande partie composés de carbone, ainsi
que le chimiste le prouve, l'imagination
n'a plus rien à faire. Je vois dans ce
inonde déchu, les preuves de son ancienne
richesse, de son éclat primitif. O temps
heureux où la chaleur du soleil et Toxy-
gène de l'atmosphère n'avaient pas encore
défait cet univers ! la science va vous faire
renaître. Déjà les forêts s'élèvent vers le
ciel,
comme des colonnes de diamants ;
leurs branches, leurs fruits sont, à nos
yeux, autant de miroirs lumineux 5 la
prairie ne voit s'épanouir que des fleurs
briUantes et adamantines j les troupeaux
circulent sous
ces voûtes diaphanes; et
lorsque le soleil lancera tout à coup ses
rayons sur tous ces objets, l'homme se
croira au mdieu d'un monde de lumière.

Mais le carbone seul n'enrichit pas
l'univers; les pierres les plus précieuses
se trouvent sous nos pas. C'est de l'argde

-ocr page 270-

flu potier que la Nature forme la topaze
d'Orient, le saphir et le rubis. Ainsi le
naturaliste peut, comme Candide au pays
d'Eldorado , i^amasser les cailloux des
chemins pour enrichir son trésor. Et
dites à présent que ce monde n'est pas
le meilleur des mondes possibles.

Lavoisier est le nom de celui qui opéra
tous ces prodiges.

N'allez pas rire de ces mondes enchantés,
ou je les peuple à l'instant d'hommes de
diamant.

Je ferai plus : pendant que je suis dis-
posé à dire des choses extraordinaires, je
vous
apj)rendrai qu'il est un pays favorisé
de
la Nature au point que notre souflle
Y fait naître cette brillante substance.

Ai-je besoin de vous rappeler que, dans
l'acte de la respiration, l'air qui sort des
poumons s'est chargé de gaz acide car-
bonique ? or, le diamant semble devoir
son origine à ce gaz répandu dans l'air.
Si
vous me demandez la cause pour laquelle

-ocr page 271-

ce gaz ne «e combine ainsi que dans
quelques contrées de peu d'étendue, je
vous répondrai que je l'ignore ; cependant
le fait n'en est pas moins certain : sin-
guliers pays que ceux de Golconde et de
Visapour, où le souffle de l'bomme enricliit
la couronne des rois ! Tel est l'univers des

physiciens. ^

Mais quoique ce monde enchanté
Pour les pauvres humains soit sans réalité,
Ue le croyez point un mensonge :
Vous pouvez voir ici la vérité ,

Comme on croit la voir dans un songe.

Pour opérer ces prodiges, il ne faudrait
trouver que le secret de réduire le charbon
à l'état de carbone pur ; alors la Nature
présenterait le spectacle éblouissant dont
je viens de vous donner une esquisse. En
attendant cette découverte, je me hâte de
proposer à nos jeunes beautés des bijoux
et des coUiers de charbon. La mode,

-ocr page 272-

236nbsp;LIVRE SECOND.

comme on le sait, a le don de tout
embellir.

Adieu, Sophie. Vous voyez que les en-
chantements des fées ressemblent beau-
coup à ceux des physiciens.

À

Maintenant la science en merveille féconde,
Fait plus que ne faisait cet enchanteur Merlin
Qui jadis parcourait, sa baguette à la main,
Et le ciel, et la terre , et Tonde ;
Et qui, par fois, dans son chemin,

Pour amuser sa sagesse profonde ,
Enchantait quelque paladin
Dont il n'aimait pas la faconde ;

Vous renfermait dans un château d'airain ,

Dont le seigneiu- était un vieux lutin,
Digne fils de l'enfer , et presqu'aussi malin

Qu'on pourrait l'être dans ce monde. ■ -,
Là, le preux chevalier , accablé de chagrin,
Sans armes, sans cheval, hélas ! et sans maîtresse ,
Perdait dans le repos sa gloire et sa jeunesse.
Mais tout-à-coup un beau matin
Certaine aimable enchanteresse,
Qui pour lui se sentait quelque peu de tendresse,
De sa captivité le délivrait enfin.

-ocr page 273-

Ensemble galoppant sur la même monture,
Ils s'en allaient alors chercher quelqu'aventure.

Adieu. J'aime beaucoup le temps,
Le temps heureux de la féerie :
Quand je suis près de vous, Sophie,
Je crois presqu'aux enchantements.

fin nxj second livre.

-ocr page 274-

23bnbsp;argument

ARGUMENT

DU TROISIÈME LIVRE.

De la lumière et du calorique, considérés
dans quelques-uns de leurs rapports avec
la physique, la chimie et l'histoire natu-
relle.

Lettre XIX. — De la lumière. De la nuit.
De l'étendue et de l'immensité de
l'espace. Du sommeil des animaux.
Plantes dormeuses. Vitesse de la
lumière. Contemplation des cieur.
Origine de l'astronomie. De la lu-
mière de la lune ; de son influence.
Description romantique.

Lettre XX. — Le songe. Les tourbillons.

Descartes explique la formation des

-ocr page 275-

dxj troisième livre.nbsp;239

mondes. La lumière n'appartient pas
au soleil; elle est le résultat de la
pression de cet astre sur son tour-
billon. De la matière subtile, et de
la matière du second élément. Ori-
gine des couleurs, selon Descartes.
Le coloris de la Nature et de l'art.
Petits tourbillons qui rebondissent
sur les corps. Je me réveille. La vie
est un songe.

Lettre XXI. — Réflexions sur les tourbillons.

Système de Newton. Le soleil est
la source intarissable de la lumière.
Le grain de musc. Explication des
phénomènes du crépuscule et de
l'aurore. L'air exerce une attraction
sur la lumière. Sagesse de l'Eternel.
L'homme est le seul qui jouisse du
spectacle de la Nature ; elle n'a reçu
sa beauté et ses grâces que pour lui.
Épisode du vieillard et du charlatan.

Lettre XXII.—La chambre obscure. Vue de
la montagne de Fourvière à Lyon.

-ocr page 276-

ARGUMENT
Je ferme la fenêtre. Description de
l'œil. Manière dont la vision s'opère.
Système d'Empedocle. Argus et Po-
Ijphéme. Phénomène inexplicable.

Lettre XXIII. — Philosophes qui nient leur
propre existence. Vains efforts de
la science. De l'optique. Puissance
de l'homme. Pensée d'un ancien sage.
Réfraction de la lumière. Pourquoi
un bâton plongé obliquement dans
l'eau paraît brisé. Le prisme. Les
illusions de la réfraction et de la
réflexion ont pu donner naissance
aux spectres et aux fantômes. Mes
observations à ce sujet. Anecdote
racontée par le père de Chales. Ex-
plication de la réflexion des objets
dans une glace. Milton cité. Le ani-
roir de Ptolomée Evergète. Le cla-
vecin oculaire du père Castel. Pro-
position à Sophie.

Lettre XXIV. — La lumière décomposée par
, Newton. Un rajon est composé da
sept couleurs primitives, le rouge,

j

-ocr page 277-

DU TROISIÈME LIVRE.nbsp;9.41

l'orangé, le jâune, le verd, le bleu,
l'indigo et le violet. Apollon est les
peintre de la Nature. De la réfran-
gibilité des rayons. Vers de Delille.
Pourquoi les corps paraissent de
diverses couleurs. De l'arc-en-ciel.
Iris , ou l'ai-c - en - ciel d'Homère.
Explication des physiciens. Les ha-
bitants de l'île d'Etéa adorent l'arc-
en-ciel.

Lettre XXV. — Suite de la description de

l'œiL Différentes refractions des
quatre humeurs qui le composent.
Rapport admirable de ces réfractions
avec les divers degrés de réfrangi-
Lilité des rayons de la lumière. Eulec
cité. Hugheiis cité. Yeux des insectes.
Usage des trente-quatre mille si.x
cent cinquante yeux du papillon.
Yeux du crabe, du limaçon et du
caméléon. Yeu^c des animaux des
montagnes et des plaines. Différence
admirable entre les yeux des oiseaux
et ceux des poisson;?. Sur les athées.
J.nbsp;iG

-ocr page 278-

Lettre XXVI. — Description du printemps
Description de l'été. Harmonies des
couleurs avec les climats et les usages
des peuples. Les Chinois, les Péru-
viens. Autres harmonies entre les
couleurs du ciel des dilïérents cli-
mats et les superstitions des peuples.
Le ciel de l'Irlande. Le ciel des
Tropiques. Le ciel de Rome et de la

Grèce. Alphabet des Chinois.

Lettre XXVII. — Du feu en général. Prn-
méthée. Sauvages à qui le feu était
inconnu. Qu'est-ce que le soleil?
Pensée de Léibnitz sur les taches de
son disque. Autre idée de Cyrano de
Bergerac. Température de la ville
de Quito. Loi admirable de la phy-
sique. Théorie de la terre de Whiston.
Le coin du feu.

Lettre XXVIII. — Du caloriq ue. Invocation
à La Fontaine. Fable du savant et
du soleil. Aux incrédules. Commen-
taire sur notre fable. Le calorique

J

-ocr page 279-

Ï)U ÏROISIÈMË LIVRE.nbsp;243

répandu dans tous les corps; il les
dilate et allonge une barre d'acier.
Le thermomètre. Le calorique et la
lumière ne font qu'un. Des bons et
des mauvais conducteurs. Belle pré-
voyance de la Nature.

Lettre XXIX. —Épisodè du prince de Ca-
chemire , ou lés phénomènes de
l'éleetricité et du galvanisme mis en
action.

Lettre XXX. — De l'électricité. L'académie de
village. Delille cité. Le feu Saint-Elme.
Les étoiles tombantes. Aigrettes lu-
mineuses qui couvrirent les lances
«les .soldats dp César. Les Huns. Les
Spartiates. Les Thraces. Le para-
tonnerre. Numa connaissait l'art de
faire tomber la foudre. Histoire de
Jupiter. Superquot;sliti'on des ^euplet.
Soins de la nature. Apostrophe à
i'auteur de la gastronomie.

f.ETTBE XXXL — .Suite de l'électricité. Belle

-ocr page 280-

244nbsp;argument

compensation de la Nature dans les
climats froids. Aurores boréales. Vers
contre les impies.

Lettre XXXII. —Les volcans. Deux mots sur
les montagnes. Grande énigme à
deviner. Eloge du savant géologue
Patrin. Nouvelle
théorie des volcans
de ce savant. Pluie de pierres.
Trombes. Épisode d'Anapis et d'Am-
pliinomus, tiré de Strabon.

Lettre XXXIII. — Superstition des peuples
pour le feu. Des insectes venimeux.
Des plantes vénéneuses. Essai suc
leur utilité dans l'économie de la
Nature,

Lettre XXXIV.;,— Vers à l'auteur de Paul et
, Virginie. Prévoyance de la Nature
dans les nids des oiseaux et dans
les fleurs. Mouvements de quelques
plantes. Nids des loriots et des ca-

J

-ocr page 281-

rouges. Le colibri. Les serins de l'abbé
Pluche. Structure de divers animaux.
Idée nouvelle sur la couleur des
corbeaux. L'homme de l'impie.

-ocr page 282-

DE LA LUMIERE.

« Lorsqu'im corps lumineux rëpand sur tous les
« autres corps renfermés dans sa sphère un e'clat qui
« alFecte nos yeux, et reiid ces corps visibles pour
« nous, cet eifet suppose nécessairement l'existence
« d'un fluide, dont l'action s'exerce, et sur les or-
« ganes éclaire's, et sur l'organe qui les aperçoit. Ce
« fluide est-il une matière subtile qui remplit toute
« la sphère de l'univers, et à laquelle le corps lumi-
« neux imprime une agitation qui se transmet de
« proche en proche, comme les vibrations du corps
« sonore se propagent par l'intermède de l'air? Telle
« était l'hypothèse deDescartes, admise par plusieurs
« physiciens modernes, qui, pour l'adapter au phé-
« nomène de la réflexion et à celui de la propagation
« de la lumière, y ont fait quelques changements, en
« supposant que les particules de ce fluide, au lieu
« d'être inflexibles et tout à fait contiguës, comme
« le voulait Descartes, étaient élastiques et laissaient
« entr'elles de petits intervalles. La lumière provient-
« elle au contraire d'une émission ou d'un écoidement
« des particules propres du corps lumineux , qu'il
« lance sans cesse de tous côtés, par un eiTçt de l'agi-
« tation continuelle que lui-même éprouve ? Dans
« cette hypothèse, qui est celle de Newton, il en
« serait de la lumière, du moins quant à la manière
« dont elle est produite, comme des
corpuscules
« émanés des corps odorants ».

I?AijY.

-ocr page 283-

LIVRE TROISIÈME.

DE LA LUMIÈRE ET DU CALORIQUE CONSIDÉRÉS
DANS QUELQUES-UNS DE LEURS RAPPORTS
AVEC LA PHYSIQUE, LA CHIMIE ET L'HISTOIRE
PfATURELLE.

LETTRE XIX.

DE LA VITESSE DE LA LUMlfRE.

(^coi ! la science vous cncliante ?
Vous aimez jusqu'à ses travers ?
Vous aimez les frivoles airs
D'une lyre tendre et galante ?
Quoi ! vraiment, en lisant mes vers
Vous voulez devenir savante ,
Et vous désirez que je chante
Les miracles de l'univers ?

Eh bien ! aujourd'hui pour vous plaii'c
Je veux interroger Newton ;
Je veux du divin Apollon
Suivre la brillante carrière,

-ocr page 284-

248nbsp;LIVRE TROISIÈME.

Et décomposer un rayon
De sa couronne de lumière.
Et lorsque tout à coup la nuit
Découvre le front des montagnes,
Et qu'on voit déjà les campagnes
Croître dans l'ombre qui s'enfuit,
Nous surprendrons la jeune Aurore
Qui, des cieux tirant le rideau,
Répand des fleurs, et se coloré,
Tandis qu'agitant son flambeau ,
L'Amour anime le tableau
De la
terre qui vient d'éclote.

Mais avant de parler de la lumière, je
me propose de dire quelque chose de la
chaste de'esse qui nous éclaire pendant
les nuits. Ceci , j'espère , ne vous dé-
plaira pas ;

Car sous son voile noir, cette vierge immorteEe
Cache les attraits les plus doux ;
Diane est belle comme vous,
Vous êtes modeste comme elle.

A

Aussi les savants l'ont-ils toujours beau-
coup aimée : ce fut dans une nuit que

-ocr page 285-

Galilée changea le système de l'univers ;
c'est dans de sombres réduits que Newton
créait les sept rayons de la lumière, et
Fontenelle ses mondes.

Il y a une harmonie admirable entre
la nuit et le sommeil : l'oeil se ferme
aussitôt qu'il ne voit plus la lumière, et
le silence qui règne dans les airs semble
inviter toute la Nature à céder aux charmes
du z-epos. Les végétaux même s'endorment
avec le jour. Chaque soir , on voit se
fermer les cloches du
liseron et les pé-
tales du pissenlit ; chaque matin on les
voit s'épanouir aux rayons du soleil. Le
draba verna qui élève sur le gazon sa
petite tête argentée. Le trientalis europœa,
l'impatiens balsamine, se penchent négli-
gemment à la lueur du crépuscule j tandis
que le nénuphar s'enfonce sous l'eau, et
ne reparait que le matin.

Mais à l'heure même où ces fleurs char-
mantes s'endorment sur le gazon , au
nailievi des plus doux parfums, d'autres

-ocr page 286-

l5onbsp;XIVRE TROISIÈME,

fleurs s'e'veillent doucement et déploienl:
leurs vodes légers. L'angrec nocturne,
dont la cor oie est inodore à la lumière ,
exhale pendant la nuit l'odeur la plus suave.
L'arbre triste des Moluques veille dans les
ténèbres , et s'endort à la naissance de
l'aurore ; tandis que le mirabilis jalapa et
le nictantes sambac, tristes et solitaires,
entr'ouvi-ent leurs calices parfumés , et
semblent jouir de la fraîcheur et de la
beauté de la nuit.

Placé au miheu de ces tableaux enchanr
leurs , l'homme se plaît à les admirer ;
mais sa pensée s'élève encore plus haut,
et c'est dans la contemplation des Cieux
qu'elle semble jouir de toute sa gran-
deur.

A l'aspect des soleils sans nombre dont
la nuit se couronne, l'ame émue, remplit
l'espace infini, et s'élance jusqu'aux pieds
de l'Eternel où elle se console des dou-
leurs de la vie. Dans ces temps affreux
la France ne renfermait plus que des

-ocr page 287-

victimes et des bourreaux, un infortuné
s'écriait , en contemplant la voûte cé^
leste : « S'ils m'égorgent aujourd'hui ,
« demain tous ces soleils brilleront sous
« mes pieds ».

Que ce dôme est grand et majestueux !
où sont les colonnes qui le soutiennent?
où est la base de celte voûte que les astres
parcourent ; ô mortel !

Ose quitter la terre et t'élancer aux cicux ;
Au-delà des soleils que Newton soit ton guide,
Et va te reposer, dans ta course rapide,
Au centre de l'étoile invisible à nos yeux.
Là tu verras briller dans un espace immense.
Des soleils dont la terre ignore l'existence ;
Et, pour cbarmer les nuits de cent globes nouveaux,
D'autres cieux allumer d'innombrables ilambeanx.
Mais pourrpioi t'arrêter sous ces voûtes profondes
Penses-tu contempler les limites des mondes?
Prends ton vol, disparais sous ce dôme éclatant,
Tes yeux verront s'ouvrir un nouveau firmament,
Bien ne te bornera dans ta noble carrière;
Et, t'élevant sans cesse au sein de la lumière,
Une surprise éternelle t'attend.

-ocr page 288-

2i)i2

livre troisième.'

Mais la vitesse seule de la lumière peut
vous donner une idée de l'imiriensité de
l'espace. Si nous n'apercevons le soleil
que huit minutes après qu'il a paru à
l'horison, c'est que la lumière met ce
temps à parcourir trente-quatre millions
de heues : un boulet de canon mettrait
dix-huit ans à faire la même route. Cepen-
dant quelque prodigieux que vous paraisse
l'éloignement du soleil, tâchez d'Imaginer
celui de l'étoile fixe la plus rapprochée,
dont la lumière reste six années avant
d'être aperçue de la terre. Il y a donc
six ans que les rayons qui entrent dans
vos yeux pour y représenter cette étoile
en sont partis ,• et si sa destruction était
possible , vous verriez encore sa lumière
six années après son anéantissement. Que
s'il a plu à l'Eternel de créer des étoiles
seulement mille fois plus éloignées, quels
que soient leur éclat et leur grandeur,
nous ne pouvons les apercevoir encore,
parce qu'il ne s'est pas écoulé six mille

-ocr page 289-

ans depuis la création (i). Il est donc des
soleils invisibles dont nos neveux contem-
pleront la lumière. Quel grand, quel beau
sujet de méditation sur l'immensité de
l'espace, et sur la durée des temps que
les globes mesurent dans leurs marches
silencieuses.

Et ces vastes pays d'azur et de lumière,
Tirés du sein du vide et formés sans matière,
Arrondis sans compas, soutenus sans pivot,
Ont à peine coûté la dépense d'un mot (a).

La magnificence de ces voiles d'azur que
la nuit laisse flotter dans les cieux, a dû
exciter l'étonnement et la curiosité des
premiers hommes. Ils voyaient des flam-
beaux s'allumer sur leurs têtes, à mesure
que les ténèbres couvraient la terre ;

(1)nbsp;Suivant Herscliel, il y a des étoiles dont l'éloignement;
est tel, qu'il a fallu deux millions d'années pour que lemr.
lumière parvint à la terre.

(2)nbsp;Lemoine.

-ocr page 290-

ialors, pleins de reconnaissance, ils peu-
iplèrent le ciel de tout ce qu'ds chérissaient
le plus ;

Ét lorsque la nuit dans son ombre
Cacha les brillantes couleurs ^
Quand sur la verdure et les fleurs
Elle jeta son voile sombre,
L'homme levant au ciel des regards pleins d'amour.

Y vit renaître la Nature 5
Lui-même en composait la riante peinture,
Pour enchanter ses nuits de la beauté du jour.
Alors se couronnant de miUe fleurs briUantes ,
Le ciel de l'univers répéta le tableau ;
Les gerbes y levaient leurs têtes jaunissantes ,
Et le chien du berger veillait prés du taureau ;
Timide dans sa marche, et soulevant son voile ,
Plus loin la jeune vierge allumait une étoile ;
Et, consacrant ses nuits aux soins les plus touchants,
Elle fuyait l'amour et servait les amants.
Mais je vois des jumeaux l'éclatante lumière ;

Ah ! ce fut l'amour d'une mère
Qui plaça ses enfants dans le palais des dieux :
Sans doute elle espérait retrouver dans les cieux
Ce qu'elle avait tant aimé sur la terre.

Ainsi naquit l'astronomie. Peut-être,

A

-ocr page 291-

Sophie, vous entretiendrai-je de cette
science, si jamais, comme le galant Fon-
tenelle, je puis être entendu de la beauté
au milieu des ombres de la nuit, et dan«
un bosquet délicieux.

Ne vous dirai-je rien de cette lune pai-
sible qui roule dans l'azur du firmament ?
Consacrée à la mélancolie , elle l'est
encore à l'amour; et les amants ne cessent
de lui faire les plus douces invocations.
Aussitôt qu'elle se lève
Une lumière
bleuâtre enveloppe la terre, l'eau argentée
baigne plus mollement
ses rivages, les
sombres feuillages de la forêt s'éclair-
cissent par degrés , et une perspective
d'ombre et de lumière s'ouvre dans
l'espace.

D'où peut venir cette clarté charmante
que la lune lance sur notre globe ?

Voyez le soleil à son déclin. Tandis que
fatigué de sa course il se couche dans des
flots d'or et de poussière, d'autres peuples
le voient paraître humide des pleurs de

-ocr page 292-

l'aurore, et tout brillant cle gloire et de
majesté. Que vont devenir cette multitude
de rayons qu'il lance clans l'étendue ?
Seront-ils perdus pour notre hémisphère?
Non. Un astre les reçoit, sa surface s'en-
flamme, et jette une tendre lueur. Chose
admirable, le soleil a disparu, et cepen-
dant il nous éclaire encore. Un globe
s'est levé dans le ciel, et quoiqu'aussi
ténébreux que la terre, d s'avance entouré
d'étoiles , et les ténèbres fuient à son
approche. Il semble que le Créateur ait
placé la lune dans le ciel , comme une
lampe qui devait s'alhmier aux derniers
rayons du soleil, et nous consoler de son
absence.

L'influence de la lune , jadis tant
vantée, est entièrement tombée en dis-
crédit j peut-être même est-on devenu
un peu trop incrédule à cet égard. On
croit, par exemple, cj[ue la lune a le
pouvoir d'ébranler l'Océan; et on ne veut
pas croire que cette planète cause la

-ocr page 293-

moindre variation dans, les liqueurs des
corps organisés. N'a - t - on pas observé
qu'au retour du printemps , lorsque la
terre, Vénus et le soleil sont sur la même
ligne, la végétation fait des prodiges, la
nature renaît, tous les êtres rajeunissent,
tous les
esprits s'égayent ; c'est alors qu'on
peut planter, semer, faire des vers, et
même inventer des systèmes. Je connais
certains auteurs qui ont plus ou moins
d'esprit , selon les phases de la lune.
Maintenant que je vous parle , la lune est
dans son dernier quartier, et peut-être
trouvez-vous que j'éci^is des folies : mais
si pour vous écrire j'avais attendu quelques
jours, je vous aurais dit cent jolies choses
que je ne vous dis pas, et qui ne nous sont
inspirées que dans les lunes nouvelles.
Adieu. C'est assez plaisanter sur l'astre fa-
vori des amants : je finis cette lettre en
vous faisant souvenir que

Si dans les livres des savants ,

La lune a perdu son empire ,

I.nbsp;17

-ocr page 294-

Elle règne dans les romans ;
C'est là qu'on l'aime et qu'on l'admire ;
C'est là que son rôle est charmant,
Et que chaque nuit elle inspire
Quelque discours tendre et galant.
Souvent auprès d'une fenêtre
La beauté vient en soupirant,
Et triste et pensive, elle attend
L'heure où la lune doit paraître.
Toujours sur les murs d'un château,
Cet astre jette sa lumière ,
Et sur le penchant d'un coteau,
D'un bois antique et solitaire.
Dessine le lointain tableau,
La vieille église du hameau
Et les crOL\ de son cimetière.
Mais dans cet antique séjour
Un fantôme cherchant
fortune,
Tous les soirs au clair de la lune,
Paraît au sommet d'une tour;
Et là, répandant l'épouvante,
Cette ombre livide et sanglante
Reste immobile jusqu'au jour.

On ne peint plus dans nos romans
Ni les moeurs, ni les caractères ;
Mais on
y voit des revenants ;
Et l'on amuse notre temps
Avec des contes de grand'mères.

i

-ocr page 295-

LETTRE XX.

les tourbillons.

C'ETAIT l'heure à laquelle un tendre demi-jour
Vient doucement éclairer l'étendue ;
La lune, astre charmânt d'amour,
Comme une lampe, au ciel paraissait suspendue;
Heure aimable où l'amante, en proie à ces combats

Que dans les cœurs un dieu brûlant fait naître
S'avance à petit bruit, entr'ouvre sa fenêtre,
Puis recule et veut fuir.... pauvre innocente, hélas !
Fuit-on l'amour qu'on brîde de connaître ?
Timide même en cédant au désir

Que son heureux amant partage,
Son cœur ému tendrement s'encourage.
Il m'aime, se dit-elle, avec un doux soupir;
Il m'aime ; j'ai reçu l'aveu de sa tendresse.
Le plaisir, à ces motsj l'anime doucement;

Il lui promet une éternelle ivresse.
Alors elle s'avance , écoute son amant,
Et le plaisir accompht sa promesse.

Le croiriez-vous Sophie ? durant cette

17-

-ocr page 296-

heure déhcieuse j'étais assis dans moH
cabinet ; ma voix invoquait les génies de
tous les siècles ; elle les interrogeait sur
les soleils , la lumière et les couleurs,
pour vous transmettre leur réponse.

Absorbé par mes sublimes méditations,
je ne sais si je restai éveillé ou si je m'en-
dormis ; mais je fis un rêve si extraordi-
naire, que je
ne puis m'empêclier de vous
le répéter. Quoi ! direz-vous, me donner
des rêves lorsque je vous demande des
vérités ! C'est quelquefois l'usage des sa-
vants. Admirez donc mon exactitude à
suivre leurs traces , et prêtez attention
à mon rêve philosophique.

J'aurais pu, mon aimaLIe amie,
Jouir d'un songe bien plus doux :
Souvent je rêve près de vous,
Mais ce n'est pas à la philosophie.

Je me trouvai donc tout à coup em-
porté au milieu d'un tourbillon formé de
corpuscules égaux entre eux, à peu près

J

-ocr page 297-

de la forme d'un cube ; ils tournaient avec
rapidité autour de différents points , en
même-temps que chacun d'eux tournait
sur lui-même. Cependant ces petits dés,
en se choquant mutuellement, rompirent
leurs angles , et s'ai-rondirent par degrés.
La matière subtile que le frottement avait
détachée des petits dés, se glissant peu
à peu à travers les vides qui se trouvaient
entre eux , parvint enfin au centre du
tourbillon , pour en former comme le
noyau. Alors je vis éclore en un moment
les étoiles, le soleil, et en même-temps
la lumière jaillit de toutes parts. Ce fut
pour moi comme le coup de baguette
d'une fée, comme le
Jiat lux de l'Eternel.

Quelle merveille que ces tourbillons,
m'écriai-je dans mon étonnement ! — Ce
monde, dit à mon oreille une voix in-
connue , est celui d'un grand philosophe.
— Et voilà, continuai-je en cherchant
à découvrir d'où partait cette voix mysté-
rieuse , voilà que ce philosophe a déjà

-ocr page 298-

créé les étoiles, la terre , le soleil et la
lumière ! en vérité, je n'aurais jamais ima-
giné que de petits globules insensibles
eussent une pareille puissance.

Qui croirait, répondit la même voix,
qu'une aiguille aimantée eût pu nous gui-
der dans un nouveau monde -, qu'une
pomme en tombant aux pieds de Newton
eût dû lui faire imaginer le système de
l'univers? Imagineriez-vous même, que
la rencontre d'un chevalier et de sa dame
pût donner naissance à vingt volumes ?
C'est pourtant ce qu'on voit tous les jours j
et encore , quels volumes !

On n'y voit que des cœurs constants,
Des sages , des femmes cruelles,
Et l'âge d'or des vrais amants
L'est aussi des amis fidèles ;
Ainsi l'on peint le bon vieux temps.
De ces jours heureux d'innocence,
De l'amour et de la constance.
On fait aujourd'hui les romans.

Je conviens de mes torts, répondis-je ;

-ocr page 299-

qui pourrait douter de lien, après l'ai-
guille , la pomme et les vingt volumes ?
Continuez , s'il vous plaît.

Cependant une scène magnifique s'of-
frait à mes yeux ; je voyais des milliards
de tourbillons rouler avec rapidité dans
l'espace ; ils se touchaient tous, et se sou-
tenaient sur les abîmes du vide par levir
pression mutuelle. Au centre de chaque
tourbillon tournait un monde, une pla-
nète , une étode. Mais la lumière n'émanait
pas du soleil ; elle naissait
autour de moi
par la pression de cet astre sur les glo-
bules environnants. Ainsi, ce n'était pas
le soleil qui était lumineux, mais le tour-
billon qu'il agitait.

Mais les couleurs , m'écriai - je , d'où
tirent-elles leur origine? — La Nature,
me dit la voix incoiuiue , que je crus
reconnaître pour celle d'une femme , la
Nature doit ses couleurs à la diversité
de mouvements des globules. La manière
dont les corps reçoivent la lumière ,

-ocr page 300-

augmente ou diminue la rapidité des tour-
billons. Par exemple, les corps dont la
superficie est disposée de manière à dou-
bler la rotation des globules paraissent
rouges ; les objets qiii l'augmentent un
peu moins , paraissent jaunes : ainsi de
suite.

Quelle rapidité dans vos explications ,
répoiidis-je l Vos héros à vingt volumes
perdent furieusement leur temps, au prix
de nous. Ainsi donc , avec quelques glo-
bules qui rebondissent plus ou moins ,
votre philosophe peut émaiUer les prai-
ries ,
peindre les feuillages et les fleurs;
et, pour diversifier tous ces
tableaux, il
suffît d'un peu de mouvement.

Ne vous étonnez pas, repi it encore mon
génie invisible, qu'd faille de si petites
choses pour en créer de si grandes. Qui
di rait que la combinaison de sept couleurs
peut suffire à la Nature pour peindre ses
tableaux, et à l'art pour imiter la Nature ?
Voilà cependant l'origine dfe tout ce que

-ocr page 301-

l'oeil admire. Cinq tons et deux demi-tons
produisent des concerts enchanteurs ; et
une vingtaine de caractères servent à
conserver et à rendre toutes les pensées
des hommes. Voulez-vous un dernier
exemple ?

C'est peu, dites la vérité ,
Qu'un mot, un regard , un sourire ;
Et ce peu néanmoins suffit à la beauté
Pour fonder son aimable empire.

Vous m'accablez de preuves, répondis-fe,
-r- Revenons aux couleurs, ajouta la voix
inconnue. — J'étais impatienté de toujours
entendre cette voix sans voir d'où elle
partait. Cependant je prêtai toute mon
attention à son discours : Imaginez la di-
versité de mouvements qui doivent s'opé-
rer devant un tableau du Corrège , du
Titien , ou sur les joues de la beauté ;
c'est à s'y perdre. Il me semble que je
ypis tous ces petits tourbillons s'élancer.

-ocr page 302-

pirouetter , rebondir , et se poser sur un
joli visage pour y faire naître les roses.
Oui ! continua la voix avec une douceur
cbarmante , le coloris de notre visage
entre pour quelque chose dans ce système.
En vérité,, je ne croyais pas que les
philosophes s'occupassent de semblables
choses. — Eh quoi, Madame, car je ne
doute plus
que je n'aie le bonheur d'en-
tendre la voix de la beauté , pouvez-vous
faire une pareille injure à la science ?
Faut-il donc que je vous apprenne

Qu'après avoir mesuriî les espaces ,
Écrit sur la vertu, les lois et la raison
Le philosophe cède au conseil de Platon,
En venant à vos pieds sacrifier aux Grâces ?

J'achevais .à peine ces mots , que les
mondes , les soleils, les tourbillons dispa-
rurent à mes yeux ; je ne vis plus devant
moi qu'un grand livre où était écrit le
ïiom de Descartes, de ce génie immense

-ocr page 303-

qui, ne pouvant deviner la Nature, avait
cru pouvoir la créer. Je m'étais éveillé.

Adieu, Sophie. J'ai voulu vous donner
une légère idée du plus sublime rêve de
l'esprit humain. Demain je parlerai de
Newton; et peut-être ferai-je encore
un songe.

La vie est un sommeil où chacun va rêvant,
Selon qu'il est plus ou moins grand,

L'un qu'il a beaucoup d'or, et l'autre qu'il est sage ;
Peu rêvent qu'ils sont ignorants.
Voilà pourquoi les sots et les savants
Sont satisfaits de leur ouvrage.

Les songes ne sont pas également heureux :

Young nous a dit, d'un accejii triste et sombre :

Le rêve de la vie est long et douloureux ;

Et Pindare, en prenant son élan vers les cieux ,

S'écriait : l'existence est le rêve d'une ombre.

Ah ! s'il en est ainsi, pour enchanter mon cœur,
Je choisis le plus doux mensonge ;

Amour, viens m'embràser : si l'amour n'est qu'un songe
C'est au moins celui du bonheur.

-ocr page 304-

LETTRE XXI.

le crepuscule et l'aurore.

A H ! mes tourbiUons sont charmants,
Puisqu'ils ont fait votre conquête !
René vous a tourné la
tête j
Vous aimez ses enchantements,
Et vous amusez vos moments
Des jolis tours de sa baguette,
René fut
un profond penseur,
II faut admirer son génie j
Mais ne faites pas la folie
De le prendre pour conducteur.
Il vous dira, dans son erreur,
Que l'astre qui répand la vie
Est sans lumière et sans chaleur ;
Le monde, ce grand phénomène
Ne paraîtra plus à vos yeux
Qu'un tourbillon qui se promène
Dans l'espace immense des cieux.
Ah ! que sa science est profonde !

-ocr page 305-

LETTRE XÏI.nbsp;269^

Ilëlas ! puisqu'il en est ainsi,
Laissons-le prendre le souci
De créer, de bâtir un monde,
Et jouissons dans celui-ci.

Vous avez vu que, selon Descartes, la
lumière ne vient pas du soleil ; cependant
le sentiment aujourd'hui généralement
adopté est contraire à ce système.

La lumière, dit Newton , yient en droi-
ture du soleil; elle en jaillit par torrents.

Mais comment cet astre ne s'épuise-t-il
pas ?
Tous les jours il répand ses feux,
et tous les jours il jouit du même éclat.

Les physiciens nous proposent l'exemple
d'un grain de musc, qui pendant plusieurs
années laisse échapper des millions d'a-
tomes parfumés, sans perdre sensiblement
de son poids.

Vous remarquerez que les atomes du
musc , quoi qu'invisibles à la vue , sont
énormes auprès de ceux que le soleil nous
lance. Imaginez, si vous le pouvez, quelle
extrême ténuité doit avoir un globule de

-ocr page 306-

lumière qui entre dans les yeux d'une
mite ou d'un ciron, et de quelle incon-
cevable petitesse sont las images qu'il y
porte.

Que si mon grain de musc ne vous sa-
tisfait pas, Buffon vous dira que les co-
mètes tombent dans le soleil pour réparer
ses pertes • ou, enfin, il ne
tiendra qu'à
vous de recourir au Système de Milton,
qui assUt-e que l'astre du jour sOupe tous
les soirs avec FOcéan.

Mais laissons le savant caresser son erreur.

Je vois le ciel qui se colore ;
Et venez avec moi sur le front de l'Aurore
Lire le nom du Créateur.

Déjà la Nature se laisse apercevoir au
milieu d'une ombre légère ; de nouvelles
Scènes s'ouvrent, par gradation, dans un
éloignement sans fin ; les montagnes s'é-
lèvent , les forêts se balancent, les cités
sortent de l'ombre, et cependant l'astre

-ocr page 307-

de feu ne brille pas encore à l'Orient»
Comment sa lumière est-elle donc par-
venue jusqu'à nous?

La Nature, en passant tout-à-coup deS
ténèbres les plus profondes à l'éclat le
plus vif, eût inutilement fatigué les yeuîs:
de l
'homme ; un tendre crépuscule, une
douce aurore , devaient nous préparei'
aux grandes pompes de là lumière du jour.
Admirable sagesse , qui sut tirer de si
beaux spectacles de notre faiblesse même I
Les physiciens attribuent ce phéno-»
mène à l'atmosphère qui entoure notrë
globe ; c'est elle qui, avant que le soleil
soit àl'horison, détourne, attire, coitrbé
et réfléchit les premiers rayons; c'est elle
qui illumine notre globe , donne au cré^
puscule sa charmante lueur, et à l
'aurOre
ses grâces et sa légèreté.

L'Eternel dit à l'air : Tu exerceras une
attraction sur la lumière ; et la première
aurore brilla dans le ciel.
Ainsi le même vent qui enfle nos voiles

-ocr page 308-

Livre troisi-ème.
sur le grand abîme, la même atmosphère
que nous respirons, est encore la source
de mille bienfaits que le vulgaire ignore :
les cieux lui doivent leur azur , et l'aurore
son crépuscule et sa beauté. Quoi ! l'azur
de la voûte céleste ne serait que de l'air?
Les premiers pas de l'aurore à l'horison,
ces gerbes enflammées , ces torrents de
feu, ne
seraient que des jeux, de l'atmos-
phère ? Ces brillants phénomènes n'ap-
partiendraient pas au ciel, à l'astre éclatant
du jour ? Chose admirable ! il n'a ftdlu
qu'un peu d'air à l'Eternel pour créer ces
voûtes éclatantes, que les anciens sages
croyaient de cristal ou de diamant : un
souffle , dans la main du Créateur , est
devenu la source de la splendeur des Cieux.

Cependant l'homme est le seul, au mi-
lieu de la création, qui jouisse du spectacle
qui l'environne.

Au retour du printemps, quand il a vu renaître

Le gaïoii que l'hiver avait fait disparaître,

i

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Quand il voit de nouveau les arbres des forêts,
Se couvrir, s'ombrager de leur feuillage épais.
Quel plaisir il ressent dans son ame ravie !
Lui-même il croit jouir d'une nouvelle vie;
Tout le charme et l'étonné : il hâte son réveil
Pour venir assister au lever du soleil.
Aux bords de l'horison, déjà de l'astre immense
L'Aurore, en souriant, annonce la présence.
Quel spectacle ! bientôt
sot son char radieux
Il s'élance et poursuit sa route dans les cieux.
Ainsi l'homme marchant entouré de miracles ,
Jouit à chaque instant des plus brillants spectacles.
Eh ! quel autre que lui pourrait les admirer ?
Lorsque du fond des bois, pour se
désaltérer.
Accourt près d'un ruisseau la biche vagabonde,
Prête-t-eUe l'oreille au murmure de l'onde ?
yoit-on l'agneau timide errant dans les vallons,
Du tendre rossignol écouter les chansons ?
Le bruit harmonieux que produit le feuillage,
Et le bruit sourd des flots soulevés par l'orage,
Plaisent-ils au coursier qui, fier et plein d'ardeur,
Déploie en s'élançant sa grâce et sa vigueur ?
L'a-t-on vu quelquefois, paissant l'herbe fleurie,
Contempler les tableaux de la terre embellie ?
Non : l'homme seul, parmi tous les êtres divers
Eépandus , dispersés dans ce vaste univers.
Pouvait de l'Éternel admirer les ouvrages,
Et jusques à ses pieds déposer ses hommages.

ï. i8

-ocr page 310-

Quel mortel, à l'aspect de la création ,
Ose nier un Dieu juste, puissant et bon ,
Dont tout peint
à ses yeux la grandeur éternelle,
El dont lui-même il est la preuve solennelle ?
Ah ! plus l'homme est habile à soutenir l'erreur
Qui d'un venin fatal empoisonne son cœur.
Plus il veut s'affermir dans son doute funeste,
Plus le Dieu fpi'll renie en lui se manifeste.
Ainsi, quand du
Soleil, dans les plaines d'azur,
Un nuage obscurcit l'éclat brillant et pur,
Avant de dissiper la nuit tpii l'environne,
L'astre décrit cet arc dont le ciel se couronne,
Le fait briller soudain des plus vives couleurs.
Et couvre de Ilots d'or les épaisses vapeurs.

Pourcpioi jouissons-nous si peu des
beautés de la Nature ? Enseveli dans les
cités, l'homme connaît à peine les mer-
veilles cpxi l'entourent. On raconte à ce
sujet, qu'un sage rassembla les peuples
dans une plaine immense , et promit de
les étonner par un grand spectacle. Tout
à coup une douce lueur ayant éclairé
l'Orient, le sage s'écria: « O soleU! pour-
« quoi les hommes assistent-ils si rarement

-ocr page 311-

à ton lever ? pourquoi négligent-ils les
« moyens que tu leur donnes de devenir
« meilleurs ? Le Caraïbe , assis à la porte
« de sa butte , attend l'aurore pour la
« saluer, fume son calumet de paix, et
quot;« court ensuite embrasser ses enfants.
« Jadis Pytbagore préparait ses disciples
« à la bienfaisance , en les conduisant
■lt;( dans les campagnes pour contempler les
« premiers rayons du matin. Rien n'est
« changé ; la
magnificence du ciel est
« toujours la même; et cependant l'homme

s'enferme dans les cités , et, enseveli
« dans un sommeil profond, il n'assiste

« jamais au réveil de la Nature...... »

Comme il disait ces mots, le soleil s'élançait
à l'horison. Alors on entendit des voix
parmi la foule, et plusieurs s'écriaient :
« Où sont donc les merveilles que vous
« nous avez promises » ? Le vieillard
sembla ne pas les entendre; et se tournant
à l'Orient, il dit encore : « O soleil ! non ,
(f tu ne fus pas placé là-haut seulement

-ocr page 312-

LIVRE TROISIÈME.
« pour répandre des torrents de lumière ;
« l'auteur de la Nature voulut encore,
« par une aussi grande pompe , attirer
« notre attention vers le ciel, et apprendre
« aux mortels quelle est leur véritable
« patrie : ainsi des flammes brillantes gui-
« daient les Israélites vers la terre pro-
« mise. Et nous aussi, nous
avons une
« terre promise , et un astre éclatant
(( qui nous en montre la route « ! A ces
mots, le sage adora l'Auteur de la Na-
ture ; puis il dit aux peuples : « Jouissez du
« spectacle que je vous avais promis ».
Alors peu
s'en fallut qii'il ne fût lapidé.
La foule reprit le cliemin de la ville, en
se moquant du vieillard, de sa sagesse et
de ses merveilles.

tTn charlatan ayant, le lendemain,

Dit gravement à ces sots de la veille :

Seul je possède une rare merveille;

Rien, croyez-moi, messieurs, n'est plus certain.

Par mon talent, je puis à l'instant même

Faire paraître et briller à vos yeux

-ocr page 313-

L'astre des nuits tel qu'il est dans les cieux ;
Vous en aurez une surprise extreme.
Si parmi vous il est quelqu'un, d'ailleurs,
Qui ne vouliit me croire sur parole.
Il peut entrer sans donner une oLole :
Je ne crains point les propos des railleurs. '
Je suis bien sûr qu'on me rendra justice;
Et je dis plus, je veux qu'on m'applaudiss«.
Tout aussitôt le peuple impatient
Brûle de voir- cc spectacle étonnant.
11 entre; enfin le spectacle commence,
Puis à grand bruit on fait faire silence.
Le charlatan, derrière un transparent,
Fait voir alors la lune au front d'argent,
Qui, répandant ime pâle lumière.
Semble en effet parcourir sa carrière.
Pour l'admirer, le peuple curieux
Ouvre à la fois et la bouche et les yeux.
L'on applaudit, en tumulte l'on crie
Bravo ! bravo ! puis la foule ébahie
Sort en louant et l'ouvrage et l'auteur.

Voilà le peuple : un sage veut l'instruire,
On le bafoue, et ses discours font rire ;
Mais survient-il un adroit imposteur,
Soudain le peuple est son admirateur.

-ocr page 314-

278nbsp;LIVRE TROISIÈME.

LETTRE XX IL

de la chambre obsottre et de l'oeil.

Hier j'allai chez Madame de S*quot;^*. Vous
savez que sa maison s'élève vis-à-vis de
l'amphithéâtre de Fourvières. Quelle est
majestueuse , cette montagne que la
Saône haigne de ses flots, et sur laquelle
sont les ruines de l'ancienne ville de
Lyon !

Quel riche aspect , quel spectacle imposant
A nos regards offre ce mont antique !
Là s'étendait la ville magnifique
Que fit bâtir Auguste triomphant;:
Qui, par la flamme et le fer ravagée,
Vingt fois, liélas ! dans le deuil fut plongée.
Mais tout à coup ses palais renversés,
De toutes parts sur la terre entassés,
Se relevaient, et leurs marbres antiques
Se façonnaient en dômes , en portiques ;

i

-ocr page 315-

Et, reprenant leui- première splendeur ,
Jusques au çiel levaient uij front vainqueur.
Elle n'est plus , cette cité supeflie,
Elle n'est plus ; et ses restes épars,
Qu'avec respect
cherche l'ami des arts,
Sont pour jamais ensevelis soijs l'herbe.
Là , s'élevait le palais des Césars ;
Ici, régnait un vaste amplulhéâtre ,
Où tout un peuple inconstant, idolâtre,
Venait de sang enivrer ses regards.
Plus loin je vois, je reconnais la place
Où l'orateur aux ministres des loix
Faisait entendre une éloquente voix,
Et d'un client sollicitait la grâce.
Plus loin, au pied de ces côtcaux ri-ints
Couverts de pampres et d'arbres verdoyants,
Je vois encore, à travers le feuillage
Qui sur la.SaÔne épanche son ombrage.
Quelques tombeaux. De quel grand souvenir
Je sens mon ame aussitôt se remplir !
Là, tout m'invite à la mélancolie.
Je songe alors, je songe en soupirant
Que sur la terre il n'est rie® de constant;
Que la vertu, de malhems,pour/:uivip,
Pour être heureuse attend une autre vie.
Que, plein d'orgueil, le crime triomphant
Contre le ciel lève son front impie,
Mais qu une voix à chaque instant lui crie :
* Un Dieu vengeur dans la tombe t'attend. »

-ocr page 316-

Toujours rêveur, au haut de ces collines,
Je vais m'asseoir sur de vieilles ruines :
C'était jadis un de ces monuments
Qui, s'élevant au niveau des montagnes,
Dans les cités versaient l'eau des campagnes,
Quittant ces heux, je m'avance à pas lents
Vers une église , où l'or et le porphyre
Ne brillent point, mais que la piété
Sans ornement, sans faste , fit construire ,
Et d'où les yeux plongent dans la cité :
Là, fut un temple où l'on venait sans cesse
Des voluptés adorer la déesse.
Mais quel contraste ! axi lieu même où jadis
L'encens fumait sur l'autel de Cypris,
L'on ne voit plus qu'une simple chapelle ,
Où , chaque jour , le mortel malheureux
Vient humblement à la Vierge immortelle
OlFrir son cœur, ses larmes et ses vccux.

M.quot;quot;' de , témoin de mon enthou-
siasme poétique , me dit en souriant : J'ai
plusieurs fois essayé de réunir tous ces
points de vue en un tableau, mais sans
aucun succès : je me perdais dans les dé-
tails, et l'ensemble, trop chargé, n'avait
plus ni grâce ni majesté. — C'est que l'art
ne va pas aussi loin que la Nature ; mais

J

-ocr page 317-

dites à laNatui-e de se peindre elle-même,
et vous verrez éclore un clxef-d'œuvre. —•
Je ne vous comprends pas. — Si vous
voulez que je me fasse mieux comprendre,
fermons les volets, et restons dans l'obscu-
rité. — Pour le coup, voilà de vos folies.
Eb bien !
continua-t-elle avec une viva-
cité charmante, quand nous serons dans
l'obscurité , qu'y verrons-nous ? — Vous
croyez plaisanter, et moi je vous assure
que nous y verrons la Nature se peindre
elle-même avec une variété et une finesse
de tons inimitables. — Parlez-vous sérieu-
sement, dit de S*** d'un air étonné?
— Ignorez-vous que, pour mieux voir
dans les secrets de la Nature , Héraclite
se creva les yeux , et que, s'il faut en
croire quelques écrivains, Homère, malgré
sa cécité , a peint de si brillants spec-
tacles , que depuis trois mille ans l'imagi-
nation ne nous a rien offert de pareil? (i)

(i) Quelques écrivains ont révoqué en doute la cecué

-ocr page 318-

-— Voilà des preuves. Allons, Monsieur
l'encîianteur, opérez des prodiges. .Te
profitai de- cette permission pour vite
■fermer les fenêtres. M.quot;quot; de
S*** me
regardait, immobile de surprise. Singu-
lière expérience, disait-elle, qu'il faut
faire à tâtons. Cependant j'avais placé un
vei^re convexe a une petite ouverture
pratiquée à
dessein dans le volet; puis,
ayant posé verticalement, à quelque dis-
tance , une feuille de papier blanc, l'am-
phitbéâtre de Fourvières, ses jardins, ses
Tuines, ses palais vinrent s'y peindre avec
une dégradation de teintes admirables. ,

Ce qu'il y avait de plus merveilleux ,
c'est que le tableau était animé ; la cîme
des arbres cédait au zéphire, leur ombre
suivait ses mouvements, le soleil traçait
un long sillon de lumière sur les flots

d'Homère; mais j'ai pensé ffuc dans un l)adinage tel que
celui-ci, cette erreur, si c'en est une, ne pouvait tirera
conséquence.

-ocr page 319-

tranquilles de la Saône ; on voyait des
barques traverser rapidement cette ri-
vière , l'oiseau fendre l'air, les habitants
de la ville sortir de leurs maisons; la Na-
ture
enfin faisait elle-même son portrait.
Le tableau était sans défaut, si ce n'est que
les objets
avaient la tête en bas.

De ce monde à rebours, sur le carton tracé,

Je vous aurais fait la peintiu-e,
Si l'on ne voyait pas le monde renversé,
Sans entrer dans la chambre obscure.

M.quot;quot; de S'^'^* était en extase ; elle ne
se lassait pas d'admirer cette miniature.
Comment , me disait - elle , toutes ces
choses se sont-elles peintes sur le papier ,
-et pourquoi le tableaix est-d renversé ?

Un corps , répondis-je , lance de tous
côtés les rayons lumineux que le soled
fait tomber sur lui ; ces rayons se réflé-
chissent, emportent l'image de ce corps,
et viennent la peindre au fond de l'oeil ;

-ocr page 320-

mais en s'y introduisant, ils se croisent,
et causent ainsi le renversement du
tableau. — Je-vous demandais la cause de
cette jolie peinture, et vous me donnez
une description de l'oeil. — Justement :
la chambre obscure est le dedans de
votre œil, l'ouverture du volet est sa
prunelle , l'humeur cristalline répond au
verre convexe , et enfin la rétine fait
l'office du carton où vou» voyez que la
Nature s'est peinte.

Quoi! s'écria M.quot;quot; de S***, lorsque je
vois une belle campagne, une plaine im-
mense, de hautes montagnes, tout cela
se trouve peint en miniature dans mon
oeil ? un si petit espace peut renfermer
les plus grandes scènes de l'univers, et
la lumière se multiplie assez pour ap-
porter la même image à des millions de
créatures à la fois ? — Oui, Madame, la
chambre obscure n'est qu'un œil où la
himière peint la Nature. Ceci ne vaut-il
pas mieux que de dire, avec Empedocle,

-ocr page 321-

que le feu sort de nos yeux comme d'une
lanterne , et nous découvre ainsi les
objets ?

Cependant, reprit vivementM.quot;® de S'^**,
nous avons deux yeux, et nos images ne
sont pas doubles. —Argus avait cent yeux,
Polypbême n'en avait qu'un, et la belle
lo ne s'offrait pas plus multipliée aux cent
yeux d'Argus, que Galathée à l'oeil unique
de Polypbême. Les physiciens expHquent
cela par la comparaison de deux lyres,
dont les cordes, montées à l
'unisson, ne
portent qu'un même son à l'ame.

Mais de vous dire comment, par le
secours d'un léger ébranlement, certain
petit nerf porte ces images jusqu'au cer-
veau j de vous apprendre comment ce
mouvement fait impression sur l'ame et
donne naissance aux idées -, de vous expli-
quer enfin le secret de l'ame qui redresse
ces tableaux renversés , c'est ce que je
regarde comme absolument impossible.
Ce n'est pas qu'il ne me soit facile de vous

-ocr page 322-

a86nbsp;iiyre troisième,

donner un grand nombre d'explications;
l'éunissez deux philosophes, et yous aurez
trois opinions : c'est à l'infini. Cependant
il n'est que trop vrai que la science ne
consiste qu'à nous apprendre jusqu'à quel
point nous sommes ignorants.

Voilà, Sophie, le récit de mes expé-
riences chez M.quot;quot; de S*'^'^. Comme c'est
pour vous qu'elles ont été faites, je me
hâte de vous en faire hommage.

L'Amour est la divinité
Qu'invoquait le galant Catulle,
Et les vers du tendre Tibulle
Sont un hommage à la beauté.

Platon, qui fut aimable et sage,
Pour mieux enchanter nos esprits,
Aux Grâces offrait son hommage ;
Elles inspiraient ses écrits.

j'ai voulu marcher sur leurs traces j
Cet essai fut écrit pour vous,
Comme eux je.sacrifie aux Grâces
En le mettant à vos genoux.

-ocr page 323-

LETTRE XXIIL

de la réfraction. explication naturelle
des spectres.

Celui qui veut approfondir les secrets
de la Nature , court risque de s'abimer
dans la pensée de ces philosophes qui
ni^nt
leur propre existence. H suffît d'a-
voir dormi une seule fois, disent-ils, pour
être assuré que le monde n'est qu'une
illusion. Cependant je jette un coup d'oeil
autour de moi , et aussitôt les plaines,
les montagnes, les cités étalent de tous
côtés leurs tableaux magiques ; le fleuve
roule ses eaux argentées, le vent agite
la foret, l'aigle s'élève dans les cieux, un
astre éclatant s'y promène. Comment mon
ame saisit-elle ces formes, ces couleurs,
ces mouvements, ce repos ? Un nerf a été
agité par la présence de ce spectacle, l'ame

-ocr page 324-

a88nbsp;LIVRE TROISIÈME.

contemple cette agitation et voit la Nature.
O mystère impénétrable ! Eh bien , me
dira le philosophe , qui t'assure que ces
impressions ne sont pas causées par des
' illusions ? La vie n'est-elle pas un songe ?

La vie, hclas ! la vie est un pénible songe !

Nous sommes en naissant dévoués au trépas.

Pour un peu de plaisir que l'on goûte ici-bas,

Un long et noir chagrin nous assiège et nous ronge.

Sans nous connaître, enfin , nous marchons à grands pas

Vers l'abîme éternel, et la mort nous y plonge j

Il se ferme sur nous et ne se rouvre pas.

Cependant jusque-là nous cherchons i connaître

Qui nous sommes , pourquoi l'Eternel nous fit naître,

Pourquoi cet Etre immense et maître des destins

A formé cette terre où rampent les humains.

Vains efforis ! la raison, l'esprit et la science ,

Sur ces profonds secrets restent dans l'ignorance ;

Et d'erreurs en erreurs cherchant la vérité ,

Nous ne la découvrons que dans l'éternité.

Cependant tel est le caractère de l'homme,
qu'il semble tirer sa gloire de sa faiblesse
même. Ce phénomène de la vue, qu'il ne

-ocr page 325-

comprend pas , lui fait découvrir les lois
de loptique , découverte digne des in-
telligences célestes, et qui appartient à
Galile'e et à Newton.

L'optique est une science de prestiges
et d'enchantements ; elle nous ouvre un
ciel sans fin, débrouille le cahos des astres
arrache le feu dévorant du ciel; et, dé-
composant les rayons déliés de la lumière,
nous présente la palette où la Nature
prend ses couleurs. L'âge affaibht-il notre
Vue ? le verre convexe nous la rend ; les
objets se perdent - ils dans l'espace ? I0
télescope les
met à nos pieds ; sont - ils
invisibles ? le microscope les découvre.
Un monde a été vu dans une moisissure;
et ce
monde avait ses montagnes, ses
plaines, ses forêts et ses habitants.

Ainsi rien ne résiste à la puissance de
l'homme.

Maître de l'univers, l'homme y commande en roi.
Contemplez ce coursier qu'il retient sous sa loi ;

-ocr page 326-

2f)0nbsp;XIV.B.E TROISIÈME.

Il s'anime, il s'élance, il franchit la carrière,

Soij pied ferme et léger fait voler la poussière,

L'espace devant lui s'efface et disparaît :

Ainsi de l'arc flexible on voit partir un trait.

Sa crinière est flottante, il redresse sa tête;

Terrible, impétueux, plus prompt lt;jue le zéphir,

Il semble qu'un dieu seul puisse le contenir,

Cependant dans sa course un faible enfant l'arrête,

Et, docile à sa main, il est fier d'obéir.

Mais je puis des humains mieux prouver la puissance :

Tout cède à leurs efforts, tout cède à leur science :

E'homme veut, et soudain il plane dans les cieux ;

La foudre un seul moment étonne son audace,

Ï1 lui présente im fer et désarme les dieux;

En vain de l'Océan l'abîme le menace,

Sur une frêle barque il brave sa fureur :

Au milieu de l'orage il s'avance en vainqueur;

Une aiguille le guide, il voit un nouveau monde.

Et l'aimant lui soumet tous les déserts de l'onde.

L'homme peut encor plus : par un sublime effort,

Je l'ai vu vivre en paix dans sa retraite obscure.

Braver ses passions comme il brave la mort.

Et régner sur son cosur comme sur la Nature.

Vous rappelez - vous cet ancien sage,
qui disait qu'il n'avait fallu que de faibles
roseaux povir soumettre , éclairer et

-ocr page 327-

adoucir les hommes? Du roseau, disait-il,
on a fait des flèches, des plumes et des
instruments de musique (i).

L'attraction est pour les physiciens, ce
que, suivant f opinion de ce sage, le ro-
seau fut pour nos pères ; elle leur sert
à expliquer tous les phénomènes de la
Nature, depuis le cours des astres jusquea
a l'ascension des fluides dans les tuyaux
capilaires. Cette opinion est si bien adoptée
de nos jours,

Que si quelque savant, disciple de jS^ewtonj

Osait de son amour vous faire confidence,
Il ne s'excuserait, je pense,
Qu'en vous parlant d'attraction.

Quoi qu'il en soit, il existe entre la
lumière et tous les corps de la Nature,
une force d'attraction très - sensible, qui
donne naissance à une infinité de phéno-
mènes remarquables.

(i) Pline, Ub. 16, cap. 36.

-ocr page 328-

La lumière se détourne, se courbe, en
traversant un corps diaphane. Les physi-
ciens nomment cela
réfraction, et milieu
le corps que la lumière traverse.

La himière forme donc un angle en
passant d'un
milieu dans un autre : telle
est, comme je vous l'ai déjà dit, la cause
•des crépuscules. Les
premiers rayons du
soleil, attirés par l'atmosphère, se dé-
tournent de leur route , et donnent nais-
sance à l'aurore, de manière que la lumière
nous parvient long-temps avant que l'astre
du jour se montre à l'horison.

Un bâton plongé obliquement dans
une fontaine, paraît à nos yeux comme
s'il était brisé , parce que les rayons réflé-
chis par la partie immergée passent obli-
quement de l'eau dans l'air, et changent
ainsi en apparence la position du bâton.
Aristote ignorait la cause de ce phéno-
mène. Il y a du mérite à en savoir plus
qu'Aristote.
Supposons un
moment que le bassin

-ocr page 329-

qui est au milieu de votre jardin soit
mis à sec. Un rayon parti de vos yeux
irait frapper le centre de ce bassin. Mais
s'il était plein d'eau , ie rayon ne suivrait
plus la même route ; sa direction chan-
gerait en pénétrant dans le fluide ; il ten-
drait à la perpendiculaire , et viendrait
toucher le fond dans un point moins éloi-
gné de vous. Il arrive tout le contraire,
lorsqu'un rayon repasse de l'eau dans
l'atmosphère, c'est-à-dire, d'un milieu
plus dense dans un milieu
plus rare : ce
rayon alors s'écarte de la perpendiculaire,
s'incline dans l'air, et change ainsi la po-
sition des objets.

Je ne p.irle ici que des rayons qui
tombent obliquement sur un milieu quel-
conque ; car ceux qui suivent une ligne
perpendiculaire , n'éprouvent aucune ré-
fraction ; comme vous pouvez en faire
l'expérience en contemplant perpendicu-
lairement un bâton plongé dans l'eau.

La découverte de la réfractionj

-ocr page 330-

nous dévoilerait l'origine de bien des mys-
tères , si on l'appliquait à quelques su-
perstitions des peuples. Il est des cir-
constances, par exemple, où les spectres
peuvent avoir leur cause dans la Nature.
Les guerriers d'Ecosse voyaient des ombres
errer dans les brouillards épais du Lego -,
nos villageois superstitieux, lorsque l'air
est
cbargé de vapeurs noires, rencontrent
des fantômes que leur frayeur agrandit;
ne serait - il pas possible qu'd y eût
quelque chose de vrai dans ces visions
extraordinaires , et que les Calédoniens
et
nos paysans eussent vu leurs propres
images réfléchies dans les eaux raréfiées,
comme elles se réfléchissent dans un ruis-
seau ? Souvent, le soir, en me promenant
aux bords des marais, j'ai cru apercevoir,
au milieu des brumes épaisses, une ombre
errer avec moi dans la solitude.

Le père de Chales, jésuite, i-aconte,
comme témoin oculaire , qu'en plein jour
on vit à Besançon un homme d'une taille

-ocr page 331-

cxlraordinaire, qui se promenait dans les
nues, et tenait dans sa main une épce
dont il paraissait menacer la ville j tout
le peuple était en alarmes , et on eut
bien de la peine à le rassurer, en lui
faisant voir que ce fantôme n'était que
l
'ombre réfléchie de la statue d'un saint
placée à la cîme d'un clocher.

Ce phénomène se lie naturellement à
la propriété qu'ont certains corps de
ré-
fléchir
la lumière et les objets. Vous com-
prenez que je veux parler de ces
glaces ,

\

Où sans espace et sans mesure
De nouveaux corps sont enfantés.

Les rayons qui partent de tous les points
de votre visage vont frapper le miroir qui
les renvoie à vos yeux avec votre image :
telle est cette expérience que la beauté
répète tous les jours, à toutes les heures,
à toutes les minutes. Essayez-là, Sophie,
si vous êtes curieuse de contempler les

-ocr page 332-

tlVRE TROISIÈME,

Grâces. Les poëtes n'en ont vante' que
trois ; je vous en annonce mille.

Miroir, dit-on , ne fut jamais flf(tteur;

Vous vous verrez jeune,.charmante et belle,

Et vous serez enfin dans la glace fidèle
Comme vous êtes dans mon cœur.

Milton, ce peintre des amours célestes,
n'a pas dédaigné d'exprimer la surprise et
la joie de la première femme, lorsqu'elle
s'aperçut dans le cristal des eaux. Elle se
penchait doucement, son coeur était ému;
elle disait à son époux :

Tous me plaisez, je vous trouve si beau !
J'aime votre noble visage ;
Mais j'en vois un dans ce ruisseau
Qui me plaît encor davantage.

L'épigramme est douce, mais elle est bien
sentie.

Quoi qu'il en soit, je vous souhaite un
miroir semblable à celui de Ptolomée

-ocr page 333-

Evergète, qui, place sur le phare d'Alexan-
drie, représentait, dit-on, avec netteté ,
tout ce qui se faisait dans l'Egypte.

Avant de finir cette lettre , je veux
vous donner une idée de la musique des
yeux, c'est-à-dire du clavecin oculaire
du père Castel. Un grand philosophe, qui
mettait également sa philosophie dans ses
romans, et des romans dans
sa philosophie,
Diderot en a parlé très-agréablement, et
c'est d'après lui que je vous en parlerai
moi-même.

Newton avait découvert que les inter-
valles qui séparent les couleurs de l'arc-
en-ciel, sont les mêmes que ceux dont est
formée notre échelle musicale (i).

Imaginez donc un clavecin où l'on a
réuni les couleurs suivant le diapason de
cette échelle; au lieu d'entendre des sons,
on jouit d'une harmonie visible.

(gt;) Newton, Optice lucis, lib. i,quot;

-ocr page 334-

298nbsp;XIVRE TROISIÈME.

Sur ce clavecin les peintres peuvent
exécuter des sonates, et les sourds former
des concerts : l'art peut aller jusqu'à imiter
les mouvements des passions. Les yeux
écoutent , les couleurs chantent : c'est
comme le langage des fleurs, inventé par
les amants de l'Orient.

L'odalisqnc timide et sage
Terme l'oreille aux propos séducteurs j
Mais on lui présente des fleurs
Dont elle écoute le langage.

Ce joli clavecin pourrait vous servir à
mettre votre toilette en musique : l'art de
marier les couleurs selon les lois de l'har-
monie , n'est pas à dédaigner dans l'empire
des Grâcesj et ce serait une chose assez
ingénieuse que de s'habiller selon la
quinte , la sixte ou la septième di-
minuée.

Mais je m'aperçois que le papier me
manque. Adieu. Je vous laisse le soin de

-ocr page 335-

réfléchir à cette nouvelle méthode de se
parer.

Vous voyez que d'un grave auteur
Je ne prends point le ton sévère.
Je voudrais d'une voix légère,
En m'amusant de leur erreur,
Vous parler de plus d'un docteur
Dont, hélas ! on ne parle guère ;
De la science trop austère
Je voudrais vous olTrir la fleur,
Car je n'écris que pour vous plaire.
L'auteur en charmant son loisir
Ne cède qu'au dieu du génie j
En écrivant à mon amie,
Moi je ne cède qu'au plaisir.

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LETTRE XXIV.

theorie des couleurs. de l'auc-en-ciel.

Les couleurs viennent du ciel^ la lumière
les apporte sur ses ailes
éclatantes. Dé-
composez un de ses faisceaux déliés, et
vous verrez briller toutes les nuances de
l'arc-en-ciel. Quelle étonnante puissance !
le même rayon colore la rose, peint la
tulipe , et verdit les feuilles du prin-
temps.
La nuit vient, le spectacle de la

Nature disparaît, les fleurs se dépouillent
de leurs charmantes livrées, et si l'homme
n'avait pas eu l'art d'allumer de nouveaux
feux , les roses et les lis de la beauté
auraient été effacés avec le tableau de
l'univers.

Lorsque chassant la nuit obscure
Phébus paraît sur son char radieux.

-ocr page 337-

lETTRE XXIV.nbsp;3ot

Il me semble le voir peindre, du haut des cieus,
Le grand tableau de la Nature.
Mais des plus brillantes coiJeurs
A votre sexe il fait hommage ;
Du pinceau dont il peint les fleurs
11 peint aussi votre visage.

Vous lui devez Tincarnat enchanteur
Qui d'un aveu charmant est le charmant augure ;
C'est le peintre de la pudeur,
Et le peintre de la Nature.

Mais dans les ténèbres toutes ces cou-
leurs n'existent
plus parce qu'elles ne sont
que le
résultat de la décomposition de la
lumière sur les différents corps. Les lis et
les roses de votre visage appartiennent
donc au soleil : le dieu des arts tient la
palette et le pinceau de la Nature. Quel
joli spectacle de voir cliaque matin les
plus brillantes couleurs apportées à la
beauté sur un rayon de lumière !

Tandis que la beauté repose ,
Le tendre Amour prend son crayon ;
Sur chaque joue il dessine une rose
Que l'aurgre peint d'un rayon.

-ocr page 338-

Car un rayon de lumière , quelque
délié qu'il soit, n'est qu'un faisceau d'une
infinité de rayons qui ont chacun une
couleur différente : ils sontroviges, oran-
gés, jaunes, verts, bleus, indigo et violets.
Ces couleurs réunies forment le blanc
ou la couleur d'or que vous voyez à la
lumière.

Par quel moyen le physicien séparera-
t-il les sept couleurs qui composent un
rayon primitif ? Le voici : le génie de
Newton découvrit que ce rayon était de
nature à se briser sous différents angles,
en passant d'un milieu dans un autre de

densité différente j par exemple de l'air
dans le cristal. Il appela ce phénomène la
réfraction des rayons : les violets sont lej
plus réfrangibles^ les moins réfrangibles
sont les i-ouges. Vous concevez que la
réfraction doit séparer les rayons et les
couleurs.

Entrons dans la chambre obscure j c'est
un palais consacré aux mei^veilles de

-ocr page 339-

l'optique. Un rayon de lumière que vous
recevrez sur le prisme va vous dévoiler le
secret des couleurs, en peignant sur le
carton les nuances de l'arc-en-cîel.

Enfiii des sept couleurs la brillante famille
Prête à chaque rayon l'éclat dont elle brille j
Du mélange divers des diverses couleurs,
Naît l'éclat des métaux, le coloris des fleurs ,
L'or flottant des moissons , et le verd des feuillages ,
Et le changeant émail qui peint les coquiflages,
La pourpre des raisins, l'azur foncé des mers j
Et l'éclat varié de la voûte des airs.
Eh ! qui ne connaît pas les dons de la lumière !
Sans elle tout languit dans la Nature entière,
Les végétaux flétris regrettent ses faveurs,
La flem- est sans éclat et les fruits sans saveurs j
Ainsi loin du soleil, dans nos celliers captive ,
Pâlit la chicorée et se blanchit l'endive j
Ainsi vers cette z6ne où le ciel plus vermeil
Épanche en fleuves d'or les rayons du soleil,
De ses plus riches dons la lumière suivie
Prodigue les couleurs , les parfums et la vie ;
L'onctueux aromate y verse ses ruisseaux,
De plus vives couleurs y parent les oiseaux,
Les fleurs ont plus d'éclat, la superbe Nature
Eevét pompeusement sa
plus riche parure,

-ocr page 340-

Tandis que , déployant son lugubre coiqgt; d'œil ^
Le Nord décoloré languit dans un long deuil (i).

Tous les corps ont une certaine dispo-
sition, dans la contexture de leurs molé-
cules , qui les oblige à réfléchir une
couleur quelconque : la rose réfléchit les
rayons roses , et absorbe les autres.

C'est par cette loi que l'ayeugle dis-
tingue les couleurs au toucher j il fonde
ses jugements sur la disposition particu-
lière des molécules des corps-

L'eau et l'air nous paraissent bleus,
parce qu'ils réfléchissent les rayons d'azur,
et absorbent toutes
les autres couleurs.

Je n'ai pas besoin de tous dire que le
blanc est la réunion de tous les rayons
réfléchis , et le noir la jjrivation de la
lumière réfléchie, ou l'absorbtion de tous
ses rayons.

La blancheur des sept rayons réunis»

(i) Delille, Trois Règnes, ch. i.«

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est prouvée par une charmante expé-
rience. On peint une roue de toutes;
les couleurs prismatiques, on la tourne
avec rapidité, et ces couleurs, confondues
par le mouvement, forment dans les airs
un cercle de la plus grande blancheur.

Ceci peut servir à votre toilette. Si vous
voulez, par exemple, qu'une étoffe bleue
ne devienne pas verdâtre au milieu d'un
bal, choisissez un fond extrêmement vif,
autrement les rayons azur mêlés aux
rayons jaunes que l'étoffe recevra des
bougies, la feront paraître verte.

Ainsi le soleil est le réservoir éternel
des couleurs; c'est de lui qu'elles émanent
sans cesse , il en remplit l
'immensité ,
et il suffit au Créateur , pour nous les
rendre visibles, de varier la disposition
des moléctdes de tous les corps. Com-
ment les rayons d'un astre un million de
fois plus gros que la terre ont-ils des
harmonies si surprenantes avec les ta-
bleaux de la Nature ? Comment les atomes
T.quot;nbsp;20

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des corps peuvent-ils décomposer la lu-
mière d'un globe placé à trente - trois
millions de lieues dans l'espace ? Ces mys-
tères n'étonnent pas moins que les rap-
ports merveilleux qui existent entre ces
diverses propriétés et l'oeil, entre l'œil
et la pensée , et entre la pensée et le
Créateur de toutes
ces merveilles.

Il me reste à vous expliquer un des
plus brillants spectacles de la lumière ,
l'arc-en-ciel.

Je ne veux point parler d'Iris j
Jeune et brillante messagère ,

Qui descendait du paradis ,
Et venait chez les favoris
De la déesse de Cythère,
Ainsi que le divin Homère
L'assure en ses divins écrits.
Amis de la fable riante ,
J'ai vu la déesse aux yeux bleus,
A la taille fine, élégante,
Entr'ouvrir la porte des cieux,
Et prenant sa course charmante
Sur un arc-en-ciel radieux,

-ocr page 343-

LETTRE XXIV.nbsp;3oj

Livrer soi» écliarpe flottante
Au gré du Zéphire amoureux.
Mais bannissant la poésie,
Dans le siècle de la folie
Nous sommes grands par la raison ;
Au lieu d'iine nymphe jolie
Courant aux bords de l'horison,
On voit
aujourd'hui le génie

Du grand, du subhme Newton.

Contemplez ce cercle magique qui s'ar-
rondit dans les cieux; il semble qu'il ait
fallu, pour
le créer, toutes les richesses
du ciel. Eh bien ! Sophie, quelques gouttes
d'eau où la lumière -va se rompre sous
différents angles, voilà tous les matériaux
de ce
superbe édifice.

Dans ce délicieux moment
Oîi d'un pas timide, l'Aurore
Vient éclairer en souriant
Le gazon où Zéphir sommeille auprès de Flore,

allez dans la prairie , et vous pourrez
admirer à la fois mille arcs-en-ciel peints

-ocr page 344-

sur cliaque goutte de rosée, et qui mêlent
leurs riches couleurs
à la parure des
champs. Quelquefois même la prairie sera
couverte d'un seul arc lumineux, et cet
arc sera semblable à une immense cou-
ronne posée au milieu du vallon (i). Mais
en vain les habitants de l'île d'Etéa
(a)
adorent comme un dieu ce brillant mé-
téore j en vain les Mexicains avaient placé
sa représentation en or dans le fameux
temple du soleil, l'arc-en-ciel n'est plus
pour vous qu'une vapeur : vous pouvez
même le créer à volonté. Cela vous
étonne
j eh bien î placez-vous entre le

soleil et l'eau que vous ferez tomber en
pluie fine devant vous (3), et vous verrez
l'astre du jour se peindre dans votre

(1)nbsp;Le père Pardies en a vu une semblable. Journal des
Savants, février
1669.

(2)nbsp;Voyage dans la mer du Sud, par Sidney Parkinson.

(3)nbsp;Plutarque, De Placit. philos, lib. 3, c. 5.

-ocr page 345-

œuvre , et vous couronner de ses plus
éclatantes couleurs.

Je me hâte de vous indiquer ces char-
mantes expériences, parqe que la saison
leur est favorable. Déjà les douces rosées
de mai fertilisent les campagnes.

Le doux printemps est de retour ;
Il rajeunit, charme la terre,
Avec lui ramène l'amour.
L'astre brillant de la lumière
A déjà prolongé le jour;
Le ciel ne voit plus les nuages
Ternir l'éclat de son azur j
Le ruisseau transparent et pur
N'est plus gonflé par les orages j
Le zéphir chasse les frimats,
Et l'hirondelle voyageuse,
Franchissant la mer orageuse,
Revient habiter nos climats ;
L'aimable et tendre Philomèle
Fait entendre ses doux accents ;
L'amour a fait naître ses chants,
L'écho les répète avec elle ;
Le cygne au plumage argenté,
Sur l'onde se jouant sans cesse,
Incline son cou, le redresse,

-ocr page 346-

Plonge, et tout fier de sa beauté,
De sa grâce et de sa noblesse.
Navigue avec agilité.
Partout, quelle vive allégresse !
Quelle joie au sein des hameaux !
Sur l'herbe que zéphir caresse
Bondissent les jeunes agneaux;
J'entends le son des chalumeaux,
Je vois la folâtre jeunesse
Dans les prés, au bord des ruisseaux,
Livrant son
cœur à la tendresse,
Danser
à l'ombre des ormeaux.
Quittez votre toit solitaire.
Amis, et venez dans les champs
Jouir des plaisirs du printemps,
Tandis qu'il régne sur la terre.
Le sombre hiver qu'il a chassé,
Déjà se prépare à le suivre ;

Nous n'avons qu'un instant à vivre,
£t bientôt il aura passé.

ii.
i

-ocr page 347-

LETTRE XXV.

de l oeil.

Ah que je plains les soucis amoureux
Du tendre amant que sa peine tourmente j
Un rien l'accable et le rend malheureux,
Un rien aussi le ranime et l'enchante.
Le voyez-vous admirant
tour à tour
tes doux appas de l'objet qui l'enflamme :
C'est dans ses yeux qu'il cherche du retour;
Les yeux , dit-on, sont le chemin de l'ame,
Et leur langage est celui de l'amour.
Dieu ! quel langage ! A sa douce éloquence
Rien ne résiste, et quand il veut charmer,
11 est compris même de l'innocence.
Ce que la bouche ose à peine exprimer,
Deux yeux charmants savent nous en instruire ;
Ils disent tout ce que l'on n'ose dire :
C'est un regard qu'il faut pour nous séduire,
C'est un regard qui nous permet d'aimer.
Jeunes beautés dont la bouche timide
N'ose avouer ce je t'aime enchanteur,

-ocr page 348-

Que dans vos yeux une flamme rapide
Laisse entrevoir un aveu si flatteur ;
Ne craignez rien, l'amour est un bon guide ,
Et c'est ainsi que parle la pudeur.

Tels sont à peu près les conseils que
vous donnerait un poëte, s'il avait à vous
parler de la puissance du regard : pour
moi, qui ne suis que
votre physicien, je
vais essayer de vous donner tout sim-
plement une description de l'oeil.

Je vous ferai d'abord admirer sa forme
spbérique ; si sa surface était plane, il
ne pourinait recevoir perpendiculairement
l
'image d'un objet plus grand que lui. Les
rayons qui tombent sur un corps spbé-
rique , tendent toujours vers le centre de
la spbère, et c'est par ce moyen que
les tableaux les plus vastes de l'univers
viennent se peindre tout entiers dans un
globe aussi petit que l'oeil (i).

(i) Baconis perspect., dist. 4 gt; o. 4.

-ocr page 349-

Quatre liqueurs transparentes com-
posent l'oeil (i) et servent à courber les
rayons, et à les réunir sur la
rétine qui
reçoit l'image des objets. Vous savez qu'en
faisant tomber un rayon du soleil sur un
prisme, ce rayon se brise, et se décompose
en sept parties colorées comme l'arc-en-
ciel. Le plus ou moins d'attraction de ces
rayons pour le cristal est cause de leur
sépai-ation et des angles différents qu'ils
forment. C'est ce qu'on nomme
réfrac-^
tion.
Les rayons du soleil sont donc com-
posés de rayons plus ou moins
réfran-
gibles ,
c'est-à-dire, qui s'écartent en

(i) La première est contemie dans la cornée, membrane
qni couvre l'œil, et porte le nom
d^humeur aqueuse; derrière
cette liqueur se trouve une autre membrane circulaire et
colorée, qu'on nomme
i'm, au milieu de 1'«« est un trou
noir qu'on nomme
pupille; derrière ce trou est un petit corps
semblable à un verre ardent, auquel on donne le nom de
cristallin ; puis, vient Vhumeur ■vitrée qui remplit tout le
fond de l'œil jusqu'à la
rétine qui est la toile oii viennent se
peindre les objets.

-ocr page 350-

passant d'un milieu dans un autre. Or si
l'oeil ne renfermait qu'un seul fluide, la
lumière en le traversant , se briserait
comme dans le prisme, et nous ne perce-
vrions que des images confuses. Il a donc
fallu, pour que la lumière et l'oeil fussent
en harmonie, que les rayons étant plus
ou moins
réfrangihles, rencontrassent des
matières
transparentes qui eussent la pro-
priété de les
réfracter, de manière à les
porter sur le même point. Toutes ces
réfractions n'ont d'autre but que de ren-
voyer les sept rayons sur la rétine , et de
troiiver dans la propriété qu'ils ont de
s'écarter , les moyens
même de les réunir.

L'œil surpasse donc de beaucoup toutes
les machines que l'adresse humaine est
capable de produire. Les quatre matières
transparentes dont il est composé , ont
non-seulement un degré de densité ca-
pable de causer des
réfractions différentes,
mais leur figure est encore déterminée
de façon que tous les rayons réfléchis

-ocr page 351-

par un corps quelconque sont exactement
portés sur un même point, quoique ce
corps soit plus ou moins éloigné , et dans
une situation verticale ou oblique (i).

Ce qu'il y a de plus merveilleux dans
la créJttion de l'oeil, dit le célèbre Hug-
hens
(2) , c'est la délicatesse infinie f£ue
doivent avoir les nei^fs qui sei^vent à la
vision , puisqu'ils peuvent être ébranlés
par un fluide aussi subtil que la lumière.
Qu'y a-t-il de plus incompréhensible que
la création d'un petit globe par le moyen
duquel un animal connaît la figure des
corps placés hors de lui, leurs situations,
leurs mouvements , leurs grandeurs et les
nuances infinies qui les distinguent?
Quel
autre qu'un Dieu puissant aurait pu établir
des rapports aussi surprenants entre le
soleil, astre superbe un million de fois

(1)nbsp;Euler, Lettres à une princesse d'Allemagne, tome i.quot;'

(2)nbsp;Ilughens, nouveau Traite! de la pluralité des Mondes,
ehap. 9.

-ocr page 352-

plus gros que la terre, et l'oeil d'un
atôme jeté quelque part à la surface de
cette même terre.

Le voilà donc, ce Dieu qui règne sur mon cœur î
O iJuissance divine ! ô sagesse ! Ô grandeiu- !
Il met en harmonie un globe de lumière
Avec l'œil d'un ciron perdu dans la poussière,
Et dans i espace étroit dont se
forme nos yeux.
Renferme
les tableaux de la terre et des cieux.
Sait peindre les forêts, les coteaux, les bocages,
Et jusque dans notre ame en porter les images.
Ah ! si cet univers est sans nn Créateur,
Il est donc des bienfaits et point de bienfaiteur :
Je vois l'infortimé gémissant sur la terre ;
Le ciel n'écoute plus le cri de sa misère;
Je vois le monde entier sans sagesse, sans loi.
L'homme sans espérance, et l'univers sans roi.

Toi qui, chaque matin, chassant la nuit obscure,
Viens charmer, embellir, féconder la Nature,
O soleil ! apprends-moi quel est le Lras puissant
Qui posa sur ton front ce disque éblouissant.
Et, te donnant sans cesse une force nouvelle.
Te guide et te soutient dans ta course éternelle ?
Que dis-je ? il me suffit d'avoir vu ta beauté :
Tu décèles la main de la Divinité.

-ocr page 353-

XETTRE XXV.nbsp;3l7

Oui, quand son nom sacré frappera mes oreilles.
Je me rappellerai tes pompeuses merveiQes,
Et, le cœur pénétré de respect et d'amour.
J'inclinerai mon front devant le Dieu du jour.

Quelle que soit notre admiration, elle
aiigmentera
encore , lorsque nous étu-
dierons les yeux des insectes. Ici les
merveilles se multiplient, c'est dans les
plus petites clioses que l'Éternel déploie
toute sa grandeur. Les araignées ont six
ou huit yeux ( i ), et
comme ils sont dis-
posés
autour de leurs têtes , elles dé-
couvrent leur proie de tous côtés. Hook
ét Leuwenhoet ont compté jusqu'à seize
mille yeux sur les deux cornées d'une
mouche, et trente-quatre mille six cents
cinquante sur celles d'un papillon. Cette
multiplicité est sans doute surprenante,
cependant j'ai toujours pensé que ces

(0 II est des araignées qui ont jusqu'à quatorze yeux.
Voyez l'ouvrage de Valkenaer.

-ocr page 354-

Naturalistes s'étaient mépris. La mouche
et le papillon n'ont vraiment que deux
yeux, mais ils sont recouverts d'un réseau
percé à
jOur, destiné à remplacer les pau-
pières dont ces insectes sont privés. Que
ceci ne diminue pas votre admiration, car
il y a ici une £,rande marque de la sagesse
de la Providence. Les insectes ailés qui
vivent sur les fleurs étant expo és, par la
vitesse de leur vol, à se heurter contre
des corps plus ou moins durs, le Créateur
crut devoir garantir leurs yeux par ce
rézeau percé d'un grand nombre de trous.
C'est
ainsi, dit un savant, que les anciens
paladins
portaient une visière à leurs
casques.

Les écrevisses ont les yeux placés sur
des pédicules mobiles et les dirigent à
volonté. Le crabe les tourne à droite et
à gauche, pour voir également autour de
lui. Le caméléon a reçu deux yeux qu'il
peut diriger en même-temps de deux côtés
opposés. Newton remarque que les nerf?

-ocr page 355-

qui portent au cervéau les images des
objets, ne s'unissent pas dans le caméléon
comme dans les animaux qui regardent
du même côté (i). Ainsi ce petit animal
peut contempler a la fois l'ennemi qui
plane dans les airs, et celui qui
ramjîe et
se glisse sous l'herbe : aussitôt qu'd se
croit en danger, il change de couleur et
disparaît.

Voyez-vous ce limaçon, reptile impur
qui se traîne sur la terre ? son corps,
accablé sous le poids de sa maison, ne
se tourne qu'avec les plus grands efforts :
deviendra-t-il la proie de ses ennemis qui
le guettent et cherchent à le surprendre ?
Ah ! ce n'est point ainsi que la Nature
délaisse ses enfants ! Admirez comment
elle a placé les yeux de. ce reptde hors
de sa tête, au bout de deux petites lunettes
d'approche qu'il dirige à volonté. Mais de

(0 Newt., optic, lue., q.

-ocr page 356-

320nbsp;livre troisième,

quoi lui serviront ces télescopes mer-
veilleuï, s'il ne peut ni combattre son
ennemi, ni se dérober par la fuite à ses
attaques terribles ? le voilà donc aban-
donné. Eh quoi ! ne le voj^ez-vous pas se
revêtir de son armure de nacre, et,
chevalier intrépide, attendre hardiment
l'oiseau qui le menace du haut des airs (i)?

Poussant toujours plus loin les précau-
tions, la Providence a donné à chaque
animal une vue appropriée aux sites qu'il
habite. Le chamois, le bouquetin, la
gazelle, qui errent sur les hautes mon-
tagnes, et qui devaient étendre leur vue
dans les plus profondes vallées, sont
pres-
bjtes,
ou voient mieux de loin que de près ;
tandis que les races pesantes qui habitent
les plaines, et dont la vue devait être
bornée de tous côtés par des collines et

( i) Voyez mes Additions au Traité de l'Existence de Dieu-
dénontrie par les meri'eilles de la ]\fatiire,
page Jo8.

-ocr page 357-

des forêts, sont mjopes, on voient mieux
près que de loin.

Mais ce qui décèle irrésistiblement la
prévoyance du Créateur, c'est la diffé-
rence merveilleuse qui existe entre les
yeux des oiseaux et ceux des poissons.
Vous savez que la première matière qui
se trouve sur le devant de l'oeil, et qui
sert à réfracter la lumière, se nomme
humeur aqueuse; toujours placés au milieu
d'une atmosphère
IvU-rare et qui réfracté
peu les rayons du soleil , les oiseaux
reçurent une très - grande
quantité de
cette
humeur, afin que la lumière se réfran-
geant
beaucoup en entrant dans leurs
yeux, y apportât des images plus dis-
tinctes ; aussi les oiseaux placés à des
hauteurs où ils ne paraissent que oomme
un point , aperçoivent le plus petit
reptile caché sons le gazon. Peut-être me
direz-vous
que leur proie doit échapper
à leurs regards à mesure qu'ils se préci-
pitent du haut des airs , car les
vues
h 21

-ocr page 358-

pieshjles ne distinguent pas les objets
j-approcliés; mais la Nature semble avoir
prévu cette objection. Cette tendre mère
a pourvu les oiseaux d'une membrane au
moyen de laquelle ils éloignent le cris-
tallin de la rétine, en descendant sur la
terre, et, cliangeant ainsi la propriété de
leurs yeux, comme nous pourrions faire
des
verres d'une lunette, ils ne perdent
jamais leur nourriture de vue.

Cependant cette grande quantité àliu-
rneur aqueuse
qui est si nécessaire aux
oiseaux, devenait inutile aux poissons qui
vivent dans l'eau, où les rayons de la
lumière se
réfractent considérablement.
Aussi le Créateur, qui ne fait rien d'inutile
ne leur en a point donné ; mais comme
l'eau, qui tient lieu aux poissons
à'humeur
aqueuse , réfracte
beaucoup trop la lu-
mière , ils ont été pourvus d'un
cristallin
presque spbérique , qui , faisant l'effet
d'un verre ardent, corrige la
réfraction,
de l'eau, réunit tous les rayons dispersés

-ocr page 359-

et ies porte sur la rétine. On a observé
de plus que les poissons ont presque tous
de grands yeux, ce qui leur était néces-
saire à cause de l'obscurité et de l'épais-
seur du
milieu qu'ils habitent.

Frappé de tant de prévoyance , le
savant Galien feignit cju'une divinité lui
avait ordonné de parler de l'oeil. Les
merveilles de la vision lui pai^aissaient
dignes de l'éloquence du ciel.

Vous voyez à présent combien ces phé-
nomènes admirables doivent embarrasser
les athées. Aussi ont-ils été réduits à dire
que l'oeil' n'était pas fait pour voir. Ma
lettre répond à cette absurdité. L'oeil qui
décèle tant de sagesse et de prévoyance
ne peut être l'oeuvre d'une puissance sans
sagesse et sans prévoyance. Mais les athées
n'y regardent pas de si près ; tout leur est
bon pour parvenir à leur but odieux.

Qui ne connaît les fruits de leurs illustres Veilles !

Dieu n'est plus qu'un vain mot qui frappe nos oreilles.

-ocr page 360-

I.'homme sait qu'au cercueil il entre tout entier.
Du plus mince pédant le plus mince écolier,
Niant, dans son orgueil, la puissance divine.
Ose accuser d'erreur un Pascal, un Racinè,
Et, fier de son savoir, plus que de sa raison,
Insulte à Bossuet et rit de Fénélon.
Que dis-je, il n'est pas vrai qu'il ait cesse de croire ;
Quand sur lui-même il pense emporter la victoire,
Le doute veille encore dans son cœur orgueilleux,
Et crie à chaque instant : N'est-il donc point de Dieu?

Descendez à ma voix de la voûte éthérée,
Sages dont la mémoire est encor révérée ;
Vous qui, pour l'honorer d'un culte solemnelj,
Inchniez votre front, en nommant l'Éternel,
Et dont l'ame aujom-d'hui dans le séjour des anges,
En présence de Dieu célèbre ses louanges.
Bossuet, Fénélon ,
descendez à ma voix !
Venez de nos Titans contempler les exploits;
Venez voir les succès de leur doctrine impie ;
Ils ont commis le crime et l'univers l'expie.
Venez voir la Vertu pleurant sur un cercueil,
Et la Religion, en vêtement de deuil.
Honteuse des écrits que nos sages publient.
Prêté à quitter la terre où les hommes l'oublient (i).

(i) Ces vers sont tirés d'une épître inédite que j'adressai
il y a quelque temps k mon aminbsp;et que je pubherM

peut-être un jour.

T

-ocr page 361-

LETTRE XXVL

harmonies des couletos dans les diffe'rents climats.

Le soleil peint l'univers, comme Ra^
phaël peignait ses tableaux -, rien n'est
fait au hasard , tout est en harmonie,
non-seulement avec la vue et les besoins
de l'homme, mais encore avec les saisons,
le temps et les climats. L'auteur de Paul
et Virginie a écrit de belles pages à ce
sujet.

Interprête de I.i Nature,
Il sait émouvoir notre cœur 9
Ses ouvrages sont la peinture
Des ouvrages du Créateur.

L'univers à sa voix s'embellit et s'anime ;
Il veut montrer le Dieu que l'erreur méconnaît j
La Nature, propice à ce dessein sublime,

t

Lève son voile, et Dieu parait.

Essayons d'ajouter quelques chapitres à

-ocr page 362-

ces études. Daignez seulement, en lisant
ce qui suit , vous rappeler qu'il n'y a
point de loi dans la Nature qui ne souffre
de nombreuses exceptions.

Une partie des fleurs du printemps
sont d'une éclatante blancheur. Il semble
qu'il y ait une harmonie de couleur entre
les neiees de l
'hiver et les fleurs du
printemps. Les anciens, qui avaient l'art
de cacher les secrets de la Nature sous
des fables ingénieuses, auraient dit, peut-
être , à l'aspect de ces charmants tableaux,
que lorsque le zéphire amène les beaux
joiu
^s ,et fait fpndre le givre qui blan-
chissait les arbres, l'hiver, qui fuyait nos
climats, s'arrête devant les cerisiers, les
amandiers et les buissons d'aubépine voilés
de blanc j mais à peine voit-il des bouquets
d'albâtre,

Qu'il fuit, honteux de sa méprise,
riore, dans ces lieux enchanteurs,
Voit ce vieillard avec surprise,
El le poursuit en lui jetant des fleurs.

-ocr page 363-

Mais déjà l'été succède au printemps ,
la campagne a perdu son éclatante blan-
cheur ; bientôt la bergère nuancera sa
couronne de coquelicots, de bluets et
d'inules j ses pieds fouleront les cistes
d'or, les
pyramides bleues de la véro-
nique , les étoiles de la jacobée, et ces
familles immenses d'orchis et d'ophris,
dont les fleurs sont figurées comme des
mouches brillantes, des papillons légers,
et semblent prêtes à s'envoler lorsque le
zéphire balance leurs tiges.

Tout se prépare pour la saison siti-
vante : une guirlande de fleurs entoure
l'année.

Notis ne faisons usage des bouquets que
dans nos fêtes, pour exprimer notre joie
et la faire partager à nos amis. Le prin-
temps est la fête de la Nature.

A la cabane, aux champs prodiguant ses favems,

Du simple villageois il couronne la tête ;

Il veut que tous les jours du pauvre soit la fête.

Et tous les jours sa main lui présente des fleurs,

-ocr page 364-

Vous remarquerez, s'il vous plaît, qu a
mesure que la saison avance, les fleurs se
rembrunissent et se revêtent, pour ainsi
dire, de leurs habits d'été. Appliquez cette
remarque aux climats, et vous aurez sous
les yeux le tableau de l'Amérique et de
l'Afrique, de ces pays que le soleil inonde
de sa lumière, où l'on voit des flammans
rouges, des colibris étincelants , des in-
sectes d'or et de feu. C'est un beau spec-
tacle , que celui de toutes ces riches
nuances au milieu d'une Nature gigan-
tesque, desmasses considérables des fleuves,
et des calonnades des palmiers.

Ombrages frais, oiseaux joyeux,
Campagnes de la belle France,
Où le troubadour amoureux
Soupirait sa douce romance,
Vous me plaisez encor bien mieux.
Ah ! les déserts du Nouveau-Monde,
Ces bois, ces champs süencieuK.
Où l'Orénoque impétueux
Avec fracas roule son onde,
Valent-ils nos riants coteaux^

-ocr page 365-

Nos plaines vertes et fleuries,
Ce fleuve qui dans les prairies
Promène mollement ses eaux,
Et ces bergères si jolies
Qui des campagnes embellie»
Animent les riants tableaux ?

Pourquoi vanter des étrangers
Les forêts, les déserts sauvages ?
Ont-ils de plus riants vergers,
D'autres roses, d'autres bocages ?
Connaissent-ils de plus beaux jours ?
Ont-ils des bergères plus sages
Et de plus fidèles amours ?

Mais que cet élan vers notre patrie ne
vous fasse pas oublier nos observations.

Je vais encore vous communiquer
quelques idées sur les couleurs des vé-
gétaux dans les différents climats ; peut-
être ces idées vous paraîtront-elles un
peu singulières j aussi je vous conseille
de ne les adopter qu'autant que vos
observations seraient d'accord avec les
miennes.

-ocr page 366-

L'Iiomme , presqu'abandoniié sur la
terre , ne se sert pas toujours de la raison
qui pourrait l'éclairer sur sa destinée ; ii
est des moments où des peuples entiers
sont soumis à l'influence de tous les objets
qui les entourent. Un orage, un feu follet,
une éclipse, ont fait souvent le destin des
nations. Les couleurs et les formes des
végétaux ont exercé sur les hommes une
influence peut-être plus douce, mais non
moins puissante. Cette influence se montre
surtout d'une manière singulière chez les
Chinois : il serait aisé de peindre leurs
vêtements,
leur architecture, par la seule
description des nuances et des formes des
fleurs et des oiseaux de leur patrie (i).
Une chose plus remarquable encore ,
c'est l'harmonie qui existe entre les céré-
monies, les moeurs, la rehgion des Péru-

(i) L'éperonicr au bec rouge, au plumage éclatant d'or et
«l'émeraude, et le paon, sont originaires de la Chine.

-ocr page 367-

viens , et les couleurs du climat qu'ils
habitent. Dans ces lieux seuls la religion
du soleil était pardonnable j car la cam-
pagne semble y retenir les rayons de la
lumière. Tout y est riche ; la terre y pro-
duit l'or, l'astre du jour y resplendit avec
plus de gloire , les fleurs même y jettent
des flammes comme la capucine (i), y
laissent retomber leurs grappes de pourpre,
comme le lopèze, y sont l'image du soleil,
comme le tournesol, ou ne s'ouvrent que
dans les ténèbres , comme le mirabilis
parfumé.

lt;3uels souvenirs encore rappellent ces climats !

Que sont-Os devenus ces superbes Incaa

Qui, foulant à leurs pieds tout l'or d'un nouveau Mon Je,

Gouvernaient leurs sujets dans une paix profonde ?

Hélas ! pour leur ravir cet or qu'ils méprisaient,

Dans l'Europe déjà des assassins s'armaient j

(i) Cette lumière a été aperçue pour la première fois par
M.lle Linnée.

-ocr page 368-

Ils partent, et soudain l'Amérique en alarmes
Des fougueux Espagnols a vu Lriller les armes.
Elle veut, mais en vain, opposer quelqu'eflbrt
A ces foudres d'airain qui vomissent la mort ;
Sous leurs coups redoublés les Indiens en foule
Tombent, ef leur cité dans la flamme s'écroulc.
De cet état puissant tel fut l'affreux destin,
A peine à sa naissance il toucbait à sa fin.
Tout périt, Dieu , du haut de sa grandeur suprême,
Voit tout changer ; lui seul reste toujours le même.

Ces observations peuvent s'étendre jus-
qu'aux coideurs qui parent le ciel. Un
tapis verd est étendu sous nos pieds, un
voile d'azur brille sur nos têtes. Mais le
soleil est aussi le
peintre des nuages ; il
en varié à chaque instant les aspects, et
les change selon les climats.

Le ciel de l'Irlande n'offre que des
ombres qui se penchent sur des nuages
enflammés, livides et cuivrés ; les aspects
y sont âpres et sauvages comme les
bruyères et les forêts du pays, et sombres
comme le génie d'Ossian. C'est là que la

-ocr page 369-

tempête ttiugit éternélleinent, et que les
spectres des Càlédoniens habitent dans des
cavernes horribles.

Le vojfagcûr , assis sur leurs tombeailx )
Distingue encore au milieu des oragea
Les cris affreux des ombres des héros
Qui combattent dans les nuages.

Enire les tropiques, le ciel est d'or et
dé Ïgu.
, SÔÙvëhit dés montagnes de
vapeurs roses et vertes s'enti^'ouvrent, et
laissent
àpercevoîr dés lôîntàîhs qui ,se
prolongent à l'infini, au milieu dès jeux
variés de la lumière. Le soleil semble se
créer des palàis èt des campagnes déli-
cieuses , pour se reposer dans sa course.
Tout à coup il dissipe tons ces prestiges,
reste seul dans les cieux, et poursuit sa
marche triomphante.

De légers nuages, des vapeurs trans-
parentes , un ciel pur couvrent les ruines
superbes de l'empire romain. Ce serait un
beau livre, que celui qui traiterait de

-ocr page 370-

l'influence que les couleurs et les aspects
variés de la terre et du ciel ont eue sur les
opinions des anciens peuples î On trou-
verait peut-être tout l'Olympe d'Homère
dans le ciel et dans les campagnes de la
Grèce.

Je m'arrête. Grondez-moi, je vous en
prie , de la longueur de mes lettres. En
vérité , c'est bien dommage que ce ne
soit pas en France comme chez les Chi-
nois, où celui qui trace le plus grand
nombre de caractères est réputé le plus
savant.

Ail ! combien d'auteurs à Paris,
Qu'on ose accuser d'ignorance,
Pourraient nous prouver leur science
Par le nombre de leurs écrits I

-ocr page 371-

NOTES

DU TOME PREMIER.

HISTOIRE ABREGEE DE LA PHYSIQUE.

La physique est la science des choses naturelles.
Comme l'histoire naturelle, elle a pour objet l'étude
de l'uiiivers, avecla différence que l'histoire natu-
relle nous apprend seulement quelles sont des pro-
ductions de la nature , tandis que la physique ne
nous apprend à connaître les corps que par leurs
-propriéte's et par les lois selon lesquelles s'exercent
leurs actions réciproques.

Les anciens ne paraissent pas s'être beaucoup oc-
cupe's de la physique expérimentale. Cependant ils
nous ont conservé un grand nombre de faits. Les
plus sages d'entre eux ( c'est-à-dire ceux qui n'ont
pas composé de systèmes) ont fait pour ainsi dire la
table de ce qu'ils voyaient, l'ont bien faite, et s'en
sont tenus là. Ils n'ont connu de l'aimant que sa
propriété d'attirer le fer; ils n'ont connu des mer-
veilles dç l'électricité que la propriété que l'ambre

-ocr page 372-

ou le verre a d'attirer une paille, et leurs ouvrages ne
renferment rien autre sur ces deux phe'nomciies,
qui ont fait la gloire des physiciens modernes.

Je ne dis rien de la lumière et des couleurs, il est
• à peu près siir qu'ils ne savaient rien sur ces ma-
tières, que Newton a pour ainsi dire cre'e'cs.

C'est peut-être dans l'histoire des animaux d'Aris-
tote, qu'il faut chercher la vraie physique des an-
ciens , plutôt que dans ses ouvrages de physique
même, où il est moins riche en faits et plus abondant
en, paroles, plus raisonneur et moins instruit ; car
telle est tout à la fois la sagesse et la manie de l'esprit
humain, qu'il ne songe guère qu'à amasser et ranger
des mate'riaux , tant que la collection en est facile et
abondante j mais qu'à l'instant où les matériaux lui
manquent, il se met aussitôt à discourir et à former
des systèmes.

ï^ ne parlerai des temps ténébréux de la physique
que pour faire mention, en passant, de quelques
génî'es
supérieurs qui , abandonnant la méthode
Vague et obscure de philosopher, qui fut si long-
temps adoptée dans les écoles, laissaient les mots
pour les choses, et cherchaient dans leur sagacité et
dans l'étude de là nature des connaissances plus
réelles. Le mbfne Bacon doit être mis au nombre de
ces esprits du premier ordre ; dans le sein dé la plus
prôfonde ignorance, il sut, par la force de son
génie, s'élever au-dessas de son siècle, et le laisset
bien loin derrière lui : aussi fut-il persécuté par
Ves confrères , et regardé par le peuplé comme un
sorcier, à peu près comme Gerbert l'avait été, près
(Ve trois siècles auparavant, pour ses inventions me'-

-ocr page 373-

caniques; avec cette difFe'rence que Geibert devint
pape, et que Bacon resta moine et malheureux.

Le chancelier Bacon, anglais comme le moine ,
entrevit les principes ge'néraux- qui doivent servir
de fondement à l'étude de la Nature ; il proposa
de les reconnaître par la voie de l'expérience; il
annonça un grand nombre de découvertes qui se sont
faites depuis. Descattes , qui le suivit de près, ouvrit
de nouvelles routes , et remplaça dans les écoles la
physique d'Aristote par la sienne. ■ , . .

Enfin Newton parut, et montra le premier ce que
ses prédécesseurs n'avaient fait qu'éntrévoir. Aussi
grand par ses expériences d'optique,que par son sys-
tème du monde, il ouvrit de tous côtés une car-
rière immense que les pliysitiçns^pafcpurqijt encpre.

Ce que Newton avait fait pour les astres et pour
la lumière , Lavoisier le lit pour les corps les plus
simples de la Nature : l'eau et i;air cessèrent d'çtre
des éléments, et la chimie fut créée.

Je ne m'étendrai pas davantage sur l'histoire (Je
la physique. Ceux qui seraient curieux de mieux
connaître les progrès de la science , pourront con-i
suiter le
dictionnaire de Physique de Brissou., lés
ouvrages du père Kegnault, et l'Encyclopédie., etc.

■ T,

1.

22

-ocr page 374-

LIVRE PREMIER.

LETTRE III.

Amour, fils de Venns; dieu puissant d'Idalie !

Une partie dé ce morceau est imitée de là célèbre
invocation à Vénus, par le pdël« Lucrèce.

C'est en 'récueitlant les traditions de toits les
peuples, etc.

L'hypotlièsë sentimentale de Py tliàgôTe fut adoptée
par un très-grand nomlDrc de piiilosopliés.Déniocrite
donnait une àme même aux pierres. Voyez, à ce
sujet un chapitre
âe la Philosophie de la Nature,
ayant pour titre les douze Surprises dè Pytlia^ore.
Je joins ici quelques idées puisées dans la Contem-
plation de la Nature,
dê Bonn«t, l'uU des plus grands
métaphysiciens et des plus grands naturalistes du

siècle passé.

Les plantes nous offrent quelques faits qui sem-
bleraient indiquer qu'elles ont du sentiment; mais je
ne sais si nous sommes bien placés pour voir ces
faits, et si la forte persuasion oii nous sommes depuis
si
long-temps, qu'elles sont insensibles, nous permet
d'en bien juger. Il faudrait pour cela être table rase

-ocr page 375-

sur la question, et rappeler les plantes à un nouvel
examen, plus impartial et plus exempt de préjugés.
Un habitant de la lune qui aurait les mêmes idées
et le même fonds d'esprit que nous , mais qui
ne serait point prévenu sur l'insensibilité des plantes,
serait le philosophe que nous cherchons.

Imaginons qu'un tel observateur vienne étudier
les productions de notre terre ,, et qu'après .ivoir
donné son attention aux polypes et aux autres in-
sectes qui multiplient de bouture, il passe à la con-
templation des végétaux, il voudra sans doute les
prendre à leur iiaissance. Pour cet effet
il semera
des graines de 'différentes espèces , et il sera attentif
à les voir germer. Supposons que
quelques-unes de
CCS graines Aient été semées à contre-sens, la radi-
cule tournée vers le Jiaut^ la plumule ou la petite
tige tourn,«'-- vers le bas^ supposons en
même-temps
^e notregt;obsEi-vateur sait distinguer la radicule
de ia plurnuie , et qu'il connaît les fonctions de l'une
et de l'autre , au bout de quelques jours, il remar-
queia que la radicule se sera élevée à la surface de
la terre, et-que la plantule se sera enfoncée dans
l'intérieur. Il ne
sera pas surpris de cette direction
si nuisible à la vie de la plante; il l'attribueia à
la position qui avait donnée à ses graines en les
semant. Il contifiiiera d'observer, et il verra bientôt
la radicale se relier sur elle-même , pour gagner
l'intérieur de la te'h-e, €t la plumule se recourber
pareillement pour s'fiever dans l'air. Ce
changement
ide-direction lui paraîira très-remarquable, et il
commencera k soupçonn^^ que l'être organisé qu'il
«tudie est doué d'un certain discernement.

-ocr page 376-

Trop sage néanmoins pour prononcer sur ces pre-
mières indications , il suspendra son jugeiuent, et
poursuivra ses reclierclies.

Les plantes dont notre piiysicien vient d'observer
la germination, ont pris naissancedans le voisinage
d'un abri. Favorisées de cette exposition, et cul-
tivées .avec soin, elles ont fait en peu de temps
de grands progrès. Le terrein qui les environne,
à quelque distance, est de deux qualités très-op-
posées. La partie qui est à la droite des plantes
est humide, grasse et spongieuse ; la partie qui est
à la gauche est sèclie, dure et graveleuse. Notre
observateur rémarquera que les racin°s, après avoir
corame-ncé a s'étendre assez égaleinent cC tous côtés,
lt;,nt cliangé de rotvte , et se
sont toutes ungées vers
la partie du, tdrrein qui est grasse et Ltnnide. Elles
s'y sont, même prolongées au point t.c lui fane
craindre qu'elles n'interceptent la nouA'iture aux
plantes voisines. Pour prévenir cet inconvénient ,
il
imagine de faire un fossé qui sépare les plantes
qu'il observe de celles qu'elles menacent d'alFamer,
et, par-Ui, il croit avoir pourvu à tovi- Mais ces
plantes , qu'il prétend ainsi maîtriser , .trompent sa

prudence: elles font passer leurs racines sous le fossé,
et les conduisent à l'autre bord. ■nbsp;,

Surpris de .cette marche ,, il d/icouvre une de
ces racines,; mais sans l'exposer i^tO, chaleur : il lui
présente une éponge imbibée d'eau : la racine se
porte bientôt vers cette épgi^go. 11 fait ■ changer
de place plusieurs fois à cclk-ci ; la racine la suit et
se conforme à toutes ses,,igt;ositions.

Penduut que notre pùilosophe médite profoa-

-ocr page 377-

dément sur ces faits, d'autres faits aussi remar-
quables s'offrent à lui presqu'en même-temps. Il
observe que toutes ses plantes ont quitté l'abri et
se sont inclinées en avant, comme pour présenter
aux regards bienfaisants du soleil toutes les parties
de leur corps. Il observe encore que lés feuilles
sont toutes dirigées de manière que leur surface
supérieure regarde le soleil ou le plein air, et que
la surface inférieure reg.irdc l'abri ou le tcrrein.
Quelques expériences qu'il a faites auparavant, lui
ont appris que la surfiice supérieure des feuilles sert
principalement de défense à la surface inférieure,
et que cette dernière est principalement destinée
à pomper l'humidité qui s'éleve de la terre, et à
procurer l'évacuation du superflu ; la direction qu'il
observe dans les feuilles lui parait donc très-con-
forme à ses expériences; il en devient plus .utentif
il étudier cette partie de la plante. 11 remarque que
les feuilles de quelques espèces semblent suivre les
mouvements du soleil, en sorte que le matin elles
sont tournées vers le levant, le soir, vers lo couchant.
Il voit d'.autres feuilles se fermer au soleil, dans un
sens, et à la rosée, dans un sens opposé. Il observe
un mouvement .inalogue dans quelques fleurs. Con-
sidérant ensuite, que cjuclle que soit la position
des plantes , relativement à l'horison , la direction
des feuilles est toujours à peu près telle qu'il l'a
d'abord observée, il lui vient en pensée de changer
cette direction , et de mettre les feuilles dans une si^
tuation précisément contraire à celle qui leur est
naturelle. Il a déjà eu recours à de semblables moyens^,
pour s'assurer de l'iustinct des animaux, et pour en

-ocr page 378-

342nbsp;KO TE s.

connaître la porte'c. Dans cette vue, il incline à.
l'horison des plantes qui lui e'taient perpendicu-
laires, et il les retient dans cette situation; par-là, la
direction des feuilles se trouve entièrement changée.
La surface supérieure, qui, auparavant, regardait le
ciel ou l'air libre, regarde la terre ou l'intérieur de
la plante ; et la surface inférieure , qui, auparavant,
regardait la terre ou l'intérieur de la plante, re-
garde le ciel ou l'air libre. Mais bientôt toutes ses
feuilles se mettent en mouvement; elles tournent
sur leur pédicule comme sur un pivot, et, au bout
de quelques heures elles rcpi-enncnt leur première
situation : la tige et les rameaux se redressent aussi
et se disposent perpendiculairement à l'horison.

Chaque portion d'une étoile, d'une ortie, d'un
polype , a essentiellement, en petit, la même struc-
ture qu'j le tout a plus en grand. Il en est de même
des plantes. Notre observateur, qui ne l'ignore pas,
veut s'assurer si des feuilles et des rameaux, détachés
de leurs sujets, et plongés dans des vases pleins
d'eau, y conserveront les mêmes inclinations qu'ils
avaient sur la plante dont ils faisaient partie; et
c'est ce que l'expérience lui prouve, de manière
à ne lui laisser aucun doute.

Il place sous quelques feuilles des éponges mouil-
lées , il voit ces feuilles s'incliner vers les éponges ,
et tiicher de s'y appliquer par leur surface infé-
rieure.

Il observe encore que quelques plantes qu'il a
rcnfcrmces dans son cabinet , et d'autres qu'il a
portées dans une cave, se sont dirigées vers la fe-
nêtre ou vers les soupiraux.

-ocr page 379-

- Enfin les phénomènes de la sensitive , ses mou-
vements variés, la promptitude avec laquelle elle
se contracte lorsqu'on la touche, font le sujet inté-
ressant qui termine ses recherches.

Accablé de tant de faits qui paraissent tous dé-
poser en faveur du sentiment des plantes , quel
parti prendra notre philosophe ? Se rendra-t-il à ces
preuves? ou suspendra-t-il encore son jugement,
en vrai pyrrhonnien ? U me semble qu'il embrassera
le premier parti, surtout s'il compare de nouveau
ces faits avec ceux que lui offrent les animaux qui
se raj^prochent le plus des plantes.

Mais, dira-t-ou , votre philosophe devrait com-
prendre qu'il est facile d'expliquer mécaniquement
tous ces faits qui lui paraissent prouver que les
plantes sont sensibles. U suffit d'admettre que les
végétaux out des fibres qui se contractent à l'hu-
midité , et d'autres qui se contractent à la sé-
cheresse.

Cela est vrai, et notre philosophe le sait très-
bien; mais il sait aussi qu'on a entrepris d'expliquer
mécaniquement toutes les actions des animaux ,
non-seulement celles qui démontrent qu'ils ont du
sentiment, mais encore celles qui paraissent prouver
qu'ils sont doués d'un certain degré d'intelligense,
procédé singulier de l'esprit humain ! Pendant
que quelques philosophes s'efforcent d'ennoblir les
plantes, en les élevant au rang d'êtres sentants;
d'autres
philosophes s'efforcent d'abaisser les animaux
en les réduisant au rang de simples machines.

Aux idées du philosophe, joignons celles du pocte

-ocr page 380-

cette pensée de la sensibilité de la Nature a inspire
à M. Delille les vers suivants :

;Toulez-Tous d'intérêts un plus riche trésor ?

Dans tous ces animaux peignez les mœurs humaines;

Donnez-leur notre espoir, nos plaisirs et nos peines,

Et par nos passions rapprochez-les de nous.

En vain le grand Buffon, de leur gloire jaloux.

Peu d'accord avec soi dans sa prose divine,

Voulut ne voir en eux qu'une adroite machine,

«Qu'une argile mouvante, et d'aveugles ressorts

.D'une grossière vie organisant leurs coriis :

Buffon les peint ; chacun, de sa main immortelle,

Du feu de Prométlice obtint une étincelle.

Le chien eut la tendresse et la fidélité,

Ije bœuf la patience et la docilité;

Et, fier de porter l'homme, et sensible à la gloire,

IjC coursier partagea l'orgueil de la victoire.

Ainsi chaque animal, rétabli dans ses droits,

Lui dut un caractère et des mœurs et des lois.

Mais que dis-je? déjà l'auguste poésie

Avait donné l'exemple à la philosophie;

C'est elle qui toujours, dans ses riches tableaux,

tinit les dieux à l'homme, et l'homme aux animaux.

Voyez-vous dans Homère, aux siècles poétiques,

Lcs héros haranguant leurs coursiers héroïques.'

'Ulysse est do retour, ô spectacle touchant!

Son chien le reconnaît , et meurt en le léchant.

Et toi, Virgile, et toi, trop éloquent Lucrèce,

Aux mœurs des animaux, que votre art intéresse !

Avec le laboureur, je dételle en pleurant

Le taureau qui gémit sur son frère expirant.

Les chefs d'un grand troupeau se déclarent la guerre :

Au biuit dont leurs débats font retentir la terre,

-ocr page 381-

Mon œil épouvanté ne voit plus deux taureaux;
Ce sont deux souverains, ce sont deux fiers rivaux,
Armés pour un empire, armés pour une Hélène,
Brûlant d'ambition, enflammés par la haine j
Tous deux, le front baissé, s'entre-choqucnt j tous deux,
De leur large fanon battant leur cou nerveux,
Mugissent de douleur, d'amour et de vengeance j
lie vaste Olympe en gronde, et la foule, en silence,
Attend, intéressée à ces galants assauts,
A qui doit demeurer l'empire des troupeaux.

Voulez-vous un tableau d'un plus doux caractère ?

Regardez la génisse : inconsolable mèré,

Hélas ! elle a perdu le fruit de ses amours !

De la noire forêt parcourant les détours,

Ses longs mugissements en vain le redemandent;

A ses cris, que les monts, que les rochers lui rendent.

Lui seul ne répond point : l'ombre, les frais ruisseaux,

Roulant sur les cailloux leurs diligentes eaux-,

La saussaie encor fraîche et de pluie arrosée,

L'herbe où tremblent encor des gouttes de rosée,

Rien ne la. touche plus : elle va mille fois

Et du bois à l'étable, et de l'étable au bois,

S'en éloigne plaintive, y revient éplorée,

Et s'en retourne enfin seule et désespérée.

Quel cœur n'est point ému de ses tendres regrets !

Même aux eaux, même aux fleurs, même aux arbres muets,

La poésie encore, avec art mensongère,

Ne peut-elle prêter une ame imaginaire?

Tout semble concourir à cette illusion.

Voyez l'eau caressante embrasser le gazon,

Ces arbres s'enlacer, ces vignes tortueuses

Embrasser les ormeaux de leurs mains amoureuses,

-ocr page 382-

Et refusant les sucs d'un terrain ennemi,
Ces racines courir ver£ un sol plus ami.

Ce mouvement des eaux et cet instinct des plantes
Suflk pour enhardir vos fiçtions brillantes :
Donnez-leur donc l'essor. Que le jeune bouton
Espère le zèpliir et craigne l'acjuilon.
A ce lis altéré versez l'eau qu'il implore;
Formez dans ses beaux ans l'arbre docile encore ;
Que ce tronc, enrichi de rameaux adoptés.
Admire son ombrage et ses fruits empruntés;
Et si le jeune cep prodigue sou feuiliage,
Demandez grâce au fer
en faveur de son âge.
Alors dans ces objets croyant voir mes égaux,
La douce sympathie à leurs biens, à leiu-s maux,
Trouve mon cœur sensible, et votre heureuse adresse
Me surprend pour un arbre un moment de tendresse.

Le polype qui renaît sous le couteau qui le frappe.

La timide sensitive fuit la main qui l'approche.
Elle se replie promptement sur elle-même ^ et ce
mouvement, si ressemblant à ce qui se passe alors
chez les animaux , paraît faire de cette plante un
des liens qui unissent le règne ve'ge'tal au règne
animal. Un peu au-dessus de la sensitive , j'aperçois,
dans une espèce de calice, au fond de l'eau, un
petit corps tout semblable à une fleur. Il se retire
et disparaît entièrement lorsque je veux le toucher.
Il sort de son calice , et s'e'panouit lorsque je le
laisse à lui-même ^ et que je m'en éloigne. Incertain
sur ce que je dois penser de la nalu^re de cette

-ocr page 383-

production, je de'couvre à côté un autre corps
de même forme , mais plus grand , et qui n'est point
logé dans un fourreau. Il est porté sur une petite
tige dont l'extrémité inférieure tient à une plante,
et dont l'autre, inclinée vers le bas , se divise eu
plusieurs petits rameaux.

Je me persuade facilement que c'est là une plante
parasite, et pour achever de m'en convaincre, je
la taille à la moitié de sa longueur.

Elle repousse bientôt, et paraît telle qu'elle était
auparavant. Je m'arrête à la considérer. Je vois les
petits rameaux s'agiter et s'étendre au point d'at-
teindre à plusieui-s pouces de distance ; ils sont d'une
finesse extrême , et s'écartent de tous côtés.

Un vermisseau vient à passer, et touche légè-
rement un de ces rambaux; aussitôt ce rameau s'en»
tortille autour du vermisseau , et, en se raccour-
cissant , il le conduit vers l'extrémité supérieure
de la tige. Là , je découvre une petite ouverture
qui s'agrandit pour recevoir le vermisseau; il entre
dans une longue cavité que renferme la tige; il y est
dissous et digéré
sous mes yeux^ et je vois le résidu
ressortir par la même ouverture, un moment après ;
cette production singulière se détache de la plante ,
et se met à marcher ; les rameaux, après avoir
fait la fonction de bras, font encore celle de jambes.

A tous ces traits, je ne puis m'empêcher de re-
connaître que ce que je prenais pour une plante
parasite , est un véritable animal. Je vais observer
la portion que j'en ai retranchée, et je vois avec
surprise qu'elle a crii, et qu'elle est devenue en
tout semblable à l'autre.

-ocr page 384-

Mais ma surprise augmente beaucoup , lorsqu'au
bout de quelques semaines, je trouvé ces animaux
transformés en deux petits arbres fort touffus.

Du tronc, que je reconnais pour le corps de l'a-
nimal, sont sorties', de part et d'autre, plusieurs
branches ; ces branches en ont poussé de plus
petites, celles-ci de plus petites encore; toutes
s'agitent en divers sens , et allongent leurs rameaux,
pendant que le tronc demeure fixé à un appui.
Cet assemblage surprenant ne forme qu'un seul
corps , et la nourriture que prend une des parties se
communique
successivement à toutes les autres.
Enfin, cet assemblage se décompose, chaque branche
se sépare, et va vivre en son particulier. Plein
de ces merveilles, je partage un de ces animaux
selon sa longueur , jusque vers le milieu du corps :
bientôt j'ai im monstre à deux têtes.

Je réitère l'opération un grand nombre de fois,,
sur le même sujet, et je donne aiiisi naissance à une
hydre ,
plus étonnante encore que celle de Lcrne.

Je partage plusieurs de ces animaux transver-
salement, et j'en mets les portions bout à bout;
elles se greffent ou s'unissent les unes aux autres , et
ne composent plus qu'un seul animal.

A ce prodige , j'en vois succéder un nouveau : je
tourne un de ces insectes , comme on ferait un
gant ; je mets le delrors dedans, et le dedans dehors.
Il ne lui est survenu aucun changement : il vit,
croît et multiplie.

Ces animaux qui multiplient de boutures et par
rejetons; ces animaux qu'on greffe, qu'on retourne,
.sont les
polypes , s'il est besoin de les nommer.

-ocr page 385-

Les espèces en sont fort diversifiées. Beaucoup
ne changent jamais de place; il. en^st qui se, par-
tagent d'elles-mêmes, selon leur.longueur^, et quj
forment ainsi de fort jolis bouquetsquot;, dont les fleurs
sont eu cloche. (
Bonnet , Cqiitemplaùon cle la Nar
tare,
3.quot; partie).nbsp;,

La mouche qui pond un œufa^ssi gros quelle.'^

Une poule qui pondrait un œnf aussi gtffs, qu!elJe,
et dont il éclorait un coq ou une poule, no^
offrirait un prodige que nous aurions peine à croitç
sur le rapport de
uos propres jeux. Une mouche
qui hante les chevaux, et que sa forme a fait,nopmicr
mouche^araignée, nous ofamp;e an f^ajejl prodige ; il
ne doit pas nous paraître
moins étrange , pour
n'avoir lieu
que dans un itiseçte. S'il- était une
loi du.règne organique, à laquelle nous ne con-
naissions aucune exception , c'était assurément celle
qui veut que tout corps organisé ait à croître après
sa naissance. Voici néanmoins une p.iouche qui pond
une espèce d'œuf, d'où sort une
mouche aussi gi'ande
et aussi parfaite que sa mère. Cet œuf est presque
rond , d'abord blanc , puis d'un noir d'ébène, et
qui a de l'éclat. Sa coque, est ferme et polie...
Mais je me hâte de détromper mon lecteur : ceci
n'est point un véritable œnf ; il n'eu a que les
apparences : c'est l'insecte liii-même qui a pris la
forme de boule alongée, dans une coque faite de
sa propre peau; la chose n'en devient pas moins
merveilleuse. Tous les insectes qui se métamor-
phosent , subissent leurs diverses transformations

-ocr page 386-

liors du ventre dè leur mère. Ils ont même beaucoup
à croître avant que de subir leur première trans-
formation , et ne croissent plus après l'avoir subie.

Nous avons donc ici un insecte qui se transforme,
même dans 1« ventre de sa mère, et qui n'a plus à
croître dès qu'il en est sorti.

Ne vous défiez pas de la vérité de ce fait, il est
trop bien attesté; mais je ne veux laisser aucun
doute dans votre esprit. On a ouvert , à différents
tei-mes , de ces coques de la mouche-araignée, de
•ces prétendus œufe, et l'on y a troavé les mêmes
choses qu'on voit datis les tiyniphës en houî'e àlongée,
observées dans îeui's différents âges. Je puis vous dire
plus : on à décousi t des stigmates à cette espèce de
coque qU'Wn pi-^Wdi'amp;ïfpou'r un véritable œuî, preuve
iévidenti^ qu'elle était la peau d'un ver qui s'est
transformé sous clt;;tté peau mêmè. Un œuf ne se
quot;donné pas des mouvements : notre coque s'en donne
quelquefois de très-sensibles ; et, dans certaines
circonstances, l'intérieur en laisse apercevoir qui
s'attirent l'attention de l'observateur. Il lui semble
voir de petits nuages qui se succèdent sans in-
terruption , et qui vont , d'un mouvement pro-
■^•essif et assez uniforme, d'un bout de la coque
au bout opposé.Dans les coques avortées ou pondues
'avant terme, cés couthes nébuleuses ont une di-
'rection contraii'e à celle qu'elles ont dans les coques
■à terme. Vous avez vu que la circulation change de
direction chez la njTnphe ; puiscpie nos couches
nébuleuses en changent aussi, elks nous indiquent
assez clairement qiie la coque avortée est lé ver
lui-même, qui n'a pas encore subi sa métamor-

-ocr page 387-

phose, Ce ver est à la vérité un être fort singulier :
il n'a ni tête , ni bouthe, ni aucun hiembre ; mkis
un insecte appelé à prendre tout son accroissement
dans ui.esorte d'ovaire , n'avait besoin ni de bouclie,
ni de membîes , il y est nourri apparemment comme
le sont les œufs des oiseaux dans les trompes qui les
renferment. Une dissection délicate démontre l'o-
vaire de la mouche, et le ver logé au milieu.
{Con-
templation de la Nature,
part. )

LETTRE V.

Quelle splendeiu-, quelle magnificence !

Je n'ai point prétendu, dans cette esquisse de la
femme , lutter avec les poètes qui ont fait son
portrait. Colardeau, dans les hommes de Prométhée,
a imité Milton, comme un gratid maître imite un
grand maître; il semblait avoir, épuisé ce sujet;
cependant M. Saint-\'ictor, dans le pööme d« l'Espé-
rance , a prouvé qu'on pouvait peindre les grâces,
et n'être point au-dessous de ses modèles. Je crois
faire plaisir au lecteur, en remettant sous ses yeux
quelques vers de ce poëmc charmant.

Vulcain pétrit l'argile, «t sa fatale adresse

Trace un plus doux contour, des traits plus délicats;

Db ■l'aimable■pudeur le timide embarras,

-ocr page 388-

Et des filles du ciol la taille noble et fière
Offrent d'attraits nouveaux un double caractète :
■ Telle naquit la feminc, humble dans sa bçauté.
Minerve alors s'avance avec austérité ;
De l'art ffu'elle inventa dévoilan't lé mystère, .
X/a déesse Finstruit; et d'une main légère,
Son élève,attentive, iinitant ses travaux,
-, Fait voler, la havette'ou tourner les fuseaux; ■
Vénus la .voit,sourit, lui prête sa ceinture • ■
Aussitôt mille dons, séduisante.imposture,..
Le charme du langage, et le pouvoir des yeux.
Ce sourire enivrant qui subjugue les dieux,
Et la grâce qui sait
cmbeUii'la'^lus belle.
Couvrent d'appas divins une simple mortelle ;
Et par un art charmant J'la pudiqueSbeauté
A dans son innocence un air de volupté.
Mercure lui;donna sa Uexihle ék)qp.ence,„lt;, jT;
Des dehors affectés la perfide science.
L'art plus perfide encor des attrayants discours,
' ■ Et tous cés'Vailià serments des volages amours.
Flore, pour la parer/compose une guirlande; ■
Un voile transparent des Grâces fut l'offrande;
; Ainsi riche de dons, d'attraits, de majesté, ■
: Pandore fit offerte à l'Olympe enchanté.

. LETTRE VIII. ;

. . ..... ■ . ; »

sur i-e carbone et le diamant.

■iVbie communiciude par -M-- Pxtri».

La substance à laquelle les cbimistes modernes
ont donné le non! de
carbone , est la base, la partie
la plus pure, la plUs
liomogène du charbon : celui-ci

-ocr page 389-

«ontient de 1 oyygone, dont le carhone est exempt ,
ainsi que l'a reconnu M. Guyton-Morveau, dans ses
expériences sur le diamant.

Le carbone est très-re'pandu dans la Nature : l'air
atmosphe'rique en contient à peu près un centième ,
sous la forme de
gaz acide carbonique, dans lequel,
à la vérité , une fort petite masse de çarhorie occupe
un très-grand espace.

Le carbone, sous la forme solide, compose à
lui seul la presque totalité de la matière du bois
et des autres végétaux ; il entre pour une portioa
notable dans la composition des matières animales j
enfin il se trouve en immense quantité dans plusieurs
substances minérales : il est un des principaux in-
grédiens de la
houille ou charbon de terre , dont la
masse est incalculable : il
entre pour beaucoup dans
la composition du marbre et de la pierre calcaire,
qui forme à elle seule dt, vastes chaînes de mon-~
tagnes, et des bancs ou assises qui couvrent une
grande partie du globe, et dont l'épaisseur est quel-
quefois de plusieurs centaines de pieds. La pierre
calcaire qui se trouve dans les
terreins primitifs,
contient la même quantité de
carhone que celle
des montagnes secondaires. Dans l'une et
dans l'autre
il est à l'état
à'acide carbonique, et il forme, par sa
combinaison avec la matière calcaire de
ces pierres
ce que les naturalistes et les chimistes appellent
chaux varhonalée ou carbonate de chaux.

On regarde le carhone comnie une substance
simple, ou du moins indécomposable , (iav^s l'état
actuel de la science ; cepeiidant il paraît certain
que la Nature le forme journellement : nous en

I.nbsp;a3

-ocr page 390-

avons la preuve dans l'énorme quantité qu'en Cotl'
tiennent tous les arbres dçs forêts, et tous les vé-
gétaux qui couvrent la surface de la terre , qui sont,
comme je viens de le dire, presque entièrement
composés de
carbone. On ne saurait supposer avec
la moindre vraisemblance, que tout ce
carhone soit
fourni par l'atmosphère, pui-;qu'ellc n'en contient
qu'une quantité si petite qu'elle serait évidemment
insufîisante pour fournir aune aissi grande consom-
mation.

Il me paraît extrêmement probat. ■ que c'est la
lumière du soleil qui contribue, plus qu toute autre
substance , à la formation du
carbon i les plantes
qui croissent k l'ombre n'en contiei icnt presque
point , quoiqu'elles aient un libre itact avec l'air
de l'atmosphère J tandis que ce! ^ui jouissent de
l'influence vivifiante des rayons ' laires, quoique
privées du renouvellement de l'tir environnant,
et
dépourvues de toute nourriture de la part du
sol, puisqu'on les a semées dans du sable quai-tzeux ,
simplement humecté d'eau pure, contiennent néan-
moins la même quantité de
carbone que les plantes
qui croissent à la manière ordinaire. C'est ce qui
se trouve démontré par les'expériences récentes
de M. Braconot. Ce savant observateur à s'ehié une
pincée de graines de moutarde dans de grands bocaux
de verre, dont il a fermé l'ouverture , mais qu'il a
tenus exposés au soleil ; il n'y avait autre chose dans
ces vases que du sable humecté : cependant les plantes
qui sont provenues de ces graines, ont donné, par
la combustion, 4 grammes ^ de charbon, qui
n'a pu
être fourni que par la lumière ou
par l'hydrogène,

-ocr page 391-

provenant de la décomposition de Feau dont le sable
était himiecté. (^«na/.
df. Chim. Fév.etMars iSo-j.)

J'observe à cette occasion, que la lumière,
dro^ne
et le carbone , ont des propriétés essen-
tielles qui leur sont communes; notamment une
extrême affinité pour l'oxygène : on voit que des
nxides métalliques exposés à l'action de la lumière
sont désoxidés, et passent à l'état de métal pur.
Il en est de même des oxides traités avec
\hydro-
gène
dans des vaisseaux clos ; ils sont désoxidés , et il
y a formation d'eau parla combinaison de
Yliydro-
gène avec l'oxygène dégagé des oxides mis en expé-
rience. Il y a pareillement désoxidatioi» et formation
d'eau, lorsqu'on traite dans des vaisseaux clos les
oxides métalliques avec le
charbon : ce qui prouve
que le
carbone n'est qu'une modification de l'hydro-
gène , ou du
moins que Vkydrogène est une de ses
parties constituantes; car on ne peut pas supposer
que
Vhydrogène, fourni par le charbon, pour former
de l'eau , pût provenir de l'humidité qu'il aurait
retenue , puisqu'on a le plus grand soin , pour faire
ces sortes d'expériences , de
tenir le charbon en
incandescence pendant plusieurs heures.

D'après beaucoup d'autres faits analogues, il
parait vraisemblable que la
lumière , l'hydrogène et
le
carbone ne sont que des modifications d'^ne
seule et même substance. BulFon lui-même avait déjà
été conduit, par différentes observations , à sou-
tenir que le
charbon n'était autre chose que la
matière du feu fixée sous une forme co cv 'ti- : or
on connaît assez l'étroite analogie qui règne entre
la
lumière et le feu-, ainsi lu sagacité de Buffon

23

-ocr page 392-

avait presser! li cc que les expériences motlerneï
semblent confirmer.

Ne pom-rait-on pas dire, d'après cela, que l'/ij -
drogène que les végétaiix exhalent pendant la nuit,
n'est autre chose que la
lumière surabondante qu'ils
ont absorbe'e pendant la présence du soleil , et
qui a été modifiée en
hydrogène par la force de
l'organisation ; et que la
lumière qu'ils répandent
pendant leur combustion est celle qui s'est assimilée
à leur substance, et fixée sous une forme solide;
enfin , que le charbon qu'ils laissent quand on les
brûle ,
est , comme le disait Buffon , la matière
du feu
rendue solide, et combinée avec un peu
d'oxygène.

Tout cela se trouve parfaitement conforme à l'o-
pinion de l'homme qui connaissait le mieux la nature
de la lumière ; je n'ai pas besoin de dire que c'est
l'immortel
Newton. J'expose dans une autre note ce
que ce grand homme pensait des modifications
extraordinaires dont
la lumière est susceptible.

Ce que les découvertes de la chimie moderne
nous ont appris de plus curieux et de plus sin-
gulier sur le
carbone, c'est que le plus dur de tous
les corps , et la plus brillante de toutes les pierres
précieuses, en un mot le
diamant, li'est autre
chose que le
charbon pur, ou le carbone, devenu
concret par un procédé dont la Nature nous dérobe
la connaissance.

Les expériences aussi ingénieuses qu'exactes des
plus célèbres chimistes, ont démontré que le
diamant
avait absolument toutes les propriétés du carbone.
Xraité dans des vaisseaux clos, il fournit une quan-

-ocr page 393-

,tité de gaz carbonique égale à celle que produirait
un charbon du même poids que le
diamant : ce gaz
précipite parfaitement l'eau de chaux ; traité de
même avec le feu doux, il le convertit en acier ,
tout comme le ferait une égale quantité de charbon.
D'autres expériences encore confirment cette con-
clusion , que le
diamant n'est autre chose qu'une
concrétion de
carbone.

Mais si ce carbone n'était autre chose que la
lumière elle-même, comme je l'ai dit il y a long-
temps, dans mon
Hist. Nat. des Minéraux, et
dans
le Nouv. Diet. d'IIist. naU, au mot diamant,
alors le phénomène serait moins surprenant : or ,
toutes les circonstances qui accompagnent la for-
mation du
diamant, tendent à confirmer cette opi-
nion. Ce n'est qu'entre les tropiques qu'on trouve
cette précieuse matière : ce n'est même
que dans la
partie de la zone torride oîi le soleil fait le fins
long séjour, oii deux fois par an , à deux époques
très-rapprochées l'une de l'autre, il se trouve per-
pendiculaire , et que deux fois de suite il inonde
d'un torrent de lumière; c'est dans la presqu'île
occidentale de l'Inde, vers le 18.« degré de lati-
tude boréale : c'est dans les plaines du Brésil, éga-
lement vers le 18.« degré de latitude, dans l'hé-
misphère austral. Dans l'une et l'autre de ces contrées,
toutes les circonstances locales se trouvent réunies
pour accumuler les rayons solaires, et leur donner
une plus grande énergie. Les gîtes des
diamants sont
dans des plaines environnées de cordons de rochers,
qui réfléchissent les rayons , et les concentrent sur
le sol, comme dans le foyer d'un miroir ardent ;

-ocr page 394-

et ce sol lui-même, qui n'est qu'un minerai ferru-
gineux, se trouve, par sa nature et par sa couleur
noirâtre, le plus propre qu'il soit possible, pour
absorber le calorique et les rayons de la lumière.
Ce n'est enfin qu'à la superficie même du sol ou
tout au plus à quelques pieds de profondeur , que
se rencontrent ces pi-êcieuses concrétions : circons-
tance qui achève de prouver que leur formation
est l'effet d'une cause
extérieure, très - différente
des fluides
intérieurs, qui forment les métaux dans
les profondeurs de la terre.

Pour achever de démontrer d'une manière di-
recte, que le
carbone, Vhydrogène et le diamant
ne sont que des modifications de la même subs-
tance , il suffit de rappeler les expériences faites
par
MM. Biot et Arrago , sur la force réfringente
du
diamant. Ces savants ont trouvé, comme Newton,
que cette force, qui est toujours proportionnée au
degré de combustibilité de la substance mise en ex-
périence , était
plus puissaTite dans le diamant que

dans tout autre corps, d'oii ils ont conclu qu'dftdlait
nécessairement qu'd contînt très-abondamment la
plus combustible de toutes les matières, c'est-à-dire,
Vhydi'ogène.

Mais, comme d'un autre côté , les plus grands
chimistes ont reconnu que
toute la matière du
diamant avait les propriétés caractéristiques du car~
lone,
il s'ensuit que le carbone et Y hydrogène ne
sont qu'une seule et même substance, qui ne diffère,
dans l'un et dans l'autre que par son mode d'aggré-
gation ; on ne doit donc pas être surpris , si le
charbon le mieux calciné contient touj ours de
\'hy~

-ocr page 395-

drogène, puisque Vhydrogène n'est que la matière
même du charbon, de même que le
diamant.

L'autre produit la foudre (le gaz hydrogène.)

L'hydrogène, d'après tous les travaux qui ont eu
la recherche de sa nature et de ses propriétés pour
objet, est la base du gaze inflammable pur , qu'on
a nommé, suivant la même marche de la nomen-
clature , gaz hydrogène. C'est un corps éminemment
combustible , dont le caractère spécifique , source
du nom qui lui a été donné, est de former l'eau
avec l'oxygène qui le brûle, qui est trcs-dissoluble
dans k calorique , et qui prend le plus facilement
la formé gazeuse la plus rare possible, qui se trouve
fixé dans
beaucoup de combinaisons, et dont les
propriétés , exactement et méthodiquement re-
connues dans les expériences et la doctrine pneuma-
tiques, ent beaucoup avancé la théorie générale
de la chimie. 11 faut étudier successivement le gaz
hydrogène
et l'hydrogène.

Quoiqu'on ait, depuis long-temps , une connais-
sance quelconque de vapeurs hiflammablesnaturelles
des mines, des carrières de charbon de terre , ainsi
que de celles qui se dégagent dans plusieurs opé-
rations de chimie, telles que les dissolutions mé-
talliques dans les acides , etc.; quoiqu'on eût décrit
et remarqué leurs propriétés combustible et dé-
tonante, comme on le voit dans les ouvrages de
Boy le, do Haies, de Bocrhave , et de Slhal , ce
n'est qu'en 1766 que M. Cavendish a bien reconnu

-ocr page 396-

l'existence de ce fluide élastique , et l'a Lien dis-lt;
tingué de tous les autres , en le recueillant en parti-
culier et en examinant ses propriétés. MM. Priestley,
Sennebier et Volta , l'ont ensuite étudié avec soin
dans la plupart de ses combinaisons. On l'appelait
alors air inflammable, ou gaz inflammable; en 1787 ,
en le reconnaissant comme formé d'un être simple,
fondu dans le calorique , et en distinguant soigneu-
sement sa base d
'avec le gaz lui-même, les cbi-
mistes pneumatistes français l'ont caractérisé par les
miots gaz hydrogène et hydrogène.

Ce n'est point parmi les produits naturels qu'on
peut
recueillir le gaz hydrogène. Celui qui se dégage
abondamment des couches de charbons fossiles hu-
mectés ou exposés à l'air, des végétaux pourris
au fond des eaux stagnantes, des étangs, des marais,
des terrains tourbeux, n'est rien moins que du gaz
hydrogène pur. Il contient plusieurs substances di-
verses en dissolution, et ses propriétés varient singu-
lièrement
, suiv.int le nombre et la proportion de
ces substances. Il en est de même de celui
qui
s'exhale des volcans enflammés , des laves rouges
coulant dans l'eau , des eaux minérales sulfureuses.
On verra par la suite que ces gaz sont autmt d'es-
pèces diverses de gaz inflammables , dont le gaz
hydrogène fait bien la base constante, mais dans
lesquelles ce gaz est en même temps le dissolvan t
de plusieurs matières différentes, et en proportions
variées.

Pour obtenir le gaz hydrogène le plus pur, ou
plutôt le moins impur possible , car c'est un pro-
blême encore irrésolu en chimie , de l'avoir dans un

-ocr page 397-

filât de pureté parfaite , on se sert , ou de l'action
de l'eau sur le fer rougi au feu, ou de la disso-
lution de fer très-doux ou de zinc dans l'acide sulfu-
rique ou dans l'acide muriatique étendu d'eau.
C'est pendant l'action réciproque de ces matières,
et par le jeu d'attractions électives, que le gaz
hydrogène se dégage, et qu'on le recueille dans
des appareils convenables , c'est-à-dire dans des
cloches ou flacons pleins d'eau , renversés sur des
tablettes de cuves pneumatochimiques , et recevant
les extrémités de tubes qui partent des bouteilles
oii s'opèrent les dissolutions. Toutes les autres opé-
rations dans lesquelles on obtient des gaz inflam-
mables, comme les distillations de matières orga-
niques, ne donnent que du gaz hydrogène très-
impur , et dont on ne peut pas séparer les subs ■
tances différentes qui l'altèrent. (
Foubcroy, Chimie,
tome 3.)

Le simple contact d'un troisième donne la mort.

C'est l'effet que pourrait produire le gaz hydro-
gène sulfuré , posé sur la peau nue.

On connaît également peu la combinaison directe
et binaire du soufre avec l'hydrogène, quoiqu'il
soit bien prouvé que ces deux corps sont susceptibles
d'en former une. Il est certain qu'ils sont souvent
unis ensemble, à la vérité avec quelques autres ma-r
tières encore, dans les composés compliqués qui
appartiennent à l'organisation végétale et animale j
mais on opère la combinaison directe et binaire

-ocr page 398-

de l'hydrogène et du soufre, par quelques moyens
dont il est nécessaire d'exposer ici la théorie et
l'influence générales, quoiqu'elle n'ait lieu qu'à l'aide
de plusieurs autres corps différents qui n'ont point
encore été traités.

Toutes les fois que le gaz hydrogène naissant,
c'est-à-dire l'hydrogène au moment où il prend
la forme gazeuse , se dégage d'un milieu, ou d'un
mélange , ou d'une combinaison tenant du soufre
très-divisé, il en emporte toujours une plus ou
moins grande quantité en dissolution, il acquiert
de nouvelles
propriétés, une pesanteur bien supé-
rieure à
la sienne , une odcur extrêmement fétide,
un méphitisme terrible , la propriété de donner
une flamme bleue et de déposer du soufre en brûlant,
celle d'en précipiter également par le contact de
l'air, et surtout de la dissolubilité dans l'eau , etc.
(FouRCRoy, Chim. torn. 2.)

Voulez-vous que le physicien évoque les ombres,
etc., etc. ?

Il est ici question de la fantasmagorie.

I

Voulez-vous que, nouveau Calinique? etc.,

Je veux parler ici du feu grégeois qui fut découvert
au septième siècle, par Calinique , ingénieur grec.
Le secret de ce feu se perdit ensuite jusqu'au règne
de Louis XV, alors un nommé Dupré le retrouva,
mais
Louis le bien Aimé refusa de s'en servir^ et

-ocr page 399-

mérita, par cette action, d'être béni par les'sièclesà
venir.

Le brave Joinville, dans ses précieux et naïfs
mémoires, fait une peinture effrayante des effets
terribles de ce feu , qui s'anime dans l'eau.
Et
ianstàt
, s'écrie-t-il, que les Turcs jettèrent le pre-
mier coup de feu , nous nous mimes à genoux.....

la manière du feu grégeois était telle qu'il venait
lien devant aussi gros que ung tonneau , et d»
longueur la queue en durait bien comme une demi-
canne de quatre pans ; il faisait tel bruit à venir,
qu'il semblait que ce fust foudre qui cheut du ciel,
et semblait d'img grand dragon volant par Vair,
et jestait si gi ant clareté qu'il faisait aussi clair
dedans notre ost comme le jour. ...Et toutes les
fois que notre bon roi Saint Louis oyait qu'il nous
jestairnt ainsi ce feu , il se jestçiit à terre et tendait
ses mains , la face levée au ci^l, et criait à haulle
voix h notre Seigneur, et disait, en pleurant à grand
larmes : Beau sire Dieu Jésus-Crist, garde-moi et
toute ma gent...
. Quelle naïveté ! quelle foi! quel
tableau I

Ce feu terrible vient d'être retrouvé par un chi-
miste anglais nommé Davy. On n'est pas , encore
d'accord sur le nom qu'on doit lui donner. Quelques
chimistes le nomment
hydrure de potasse, quelques
autres , métal de potasse ; on attend à ce sujet, un
travail du célèbre professeur Thénard , qui doit
décider la question.

Du charbon, du fer et de la potasse étant calcinés,
il se forme de l'hydrure ou du métal de potasse,
par la réaction du for et de la potasse ; cette

-ocr page 400-

hydrure s'unit au charbon, et il en résulte une masse
noire qui s'enflamme dès qu'elle touche un corps
humide.

DEUXIÈME LIVRE.

LETTRE IX.

I/air est le véhicule du son.

La musique a le son pour objet ; et le plaisir
de l'oreille est sa fin. Que le son existe dans l'air,
c'est un fait constaté par le raisonnement et par
l'expérience. Un corps
sonore ne communique avec

nos oreilles que par l'air qui les environne. Où
prendrions - nous donc le véhicule du son, si ce
fluide ne l'était pas ? car il n'en est pas de l'ouïe
comme de l'odorat et de la vue, et ce ne sont
pas des molécules échappées du corps sonore qui
viennent frapper nos oreilles. Le son d'une cloche
renfermée dans la machine pneumatique , s'affaiblit
à mesure qu'on pompe l'air , et s'éteint quand le
récipient est vide.

L'air est donc le véhicule du son. Mais quelle
est l'altération qui survient dans ce milieu à l
'ocr
casion du corps sonore ? C'est cc que nous allons

-ocr page 401-

exposer. Si vous pincez une corde d'instrument ,
vous y remarquerez un mouvement qui la fait aller
et venir avec vitesse en-delà et en-deçà de son
état de repos; et ce mouvement sera d'autant plus
sensible qne la corde sera plus grosse. Appliquez
votre main sur une cloclie en volée, et vous la sen-
tirez frémir. La corde vient-elle à se détendre, ou
la cloche à se fendre? plus de frémissement, plus
de son. L'air n'agit donc sur nos oreilles ,
qu'en
conséquence de ce frémissement. C'est donc ce fré-
missement qui le modifie. Mais comment ? le voici.
En vertu des vibrations du corps sonore, l'air envi-
ronnant en prend et exerce de semblables sur ses
particules les plus voisines; celles-ci, sur d'autres
qui leur sont contiguës, et ainsi de suite, avec cette
différence seule que l'action des particules les unes
sur les autres, est d'autant plus grande , que la dis-
tance au corps sonore est plus petite. L'âir mis en
ondulation par le corps sonore , vient frapper le
tympan. Le tympan est une membrane tendue au
fond de l'oreille , comme la peau sur un tambour;
et c'est de là que cette membrane a pris
son nom.
L'air agit sur elle, et lui communique des pul-
sations qu'elle transmet .lux nerfs auditifs. C'est ainsi
que se produit la sensation que nous appelons son.

Le son , par rapport à nous, n'est donc autre
chose qu'une sensation excitée à l'occasion des pul-
sations successives que le tympan reçoit de l'àir
ondulent qui remplit nos oreilles.

Il suit de là que la propagation du son n'ést
pas instantanée. Le son ne parcourt un espace dé-
terminé que dans un temps fini. Mais ce que je

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regarde comme un des phénomènes de la Nature
les phis inexplicables , c'est que son mouvement
est uniforme ; fort on faible , grave ou aigu, sa
vitesse est constante. Les vicissitudes qtie la dif-
férence des lieux et des températures peut causer
dans la densité de l'air , et la force élastique de
ses molécules , augme iteront ou diminueront la
vitesse du son; mais si l'on trouve qu'il parcourt
m. de pieds dans une seconde, quoique tn. puisse
varier d'un instant à l'autre, il parcourra deux m.
de pieds en deux secondes, trois m. de pieds en trois
secondes, et ainsi de suite, jusqu'à ce qu'il se fasse
quelque révolution dans l'air.

Si l'on s'en rapporte à Halley et à Flamstaed,
le son parcourt, en Angleterre, mille soixantf-dix
pieds de France , en une seconde de temps. Sur
la parole du père Mersène et de Gassendi, on
assurait, il n'y a pas encore long-temps , que le
vent favorable n'accélérait point le son , et qu'il
n'était point retardé par un
vent contraire. Mais
depuis les expériences de Derham, et celles que
l'académie a faites, il y a quelques années, cela
passe pour une erreur. (
Diderot, Principe cVA-
coustique, tome a. )

J'ajouterai à ce morceau les observations sui-
vantes du célèbre Haiiy, et de Roulant ,
Phe'nO'
mènes de l'Air.

On prouve par une expérience fort simple, que
l'air est le véhicule du son. Elle consiste à placer
sous le récipient d'une machine pneumatique , uu
raoavement d'horlogerie, propre à faire résoimer

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un timbre, et qui repose sur un coussinet rempli
de coton ou de laine; on fait le vide, et ensuite,
au moyen d'une tige qui traverse le haut du re'-
cipient , on appuie sur une de'tente qui , en se
lâchant, permet au rouage d'agir: on voit alors,
sans rien entendre, le marteau frapper continuel-
lement le timbre.

Hauksbée, pour rendre cette expérience encore
plus décisive, plaçait le timbre dans un premier
récipient, qui restait plein d'air et qui était re-
couvert d'un second récipient, tellement disposé,
que l'on pouvait faire le vide entre deux. Quoiqu'il se
produisit du son dans le récipient intérieur, lorsque
le marteau était mis en mouvement, le timbre
demeurait également muet pour l'observateur.

Il suit de, que , dans un air raréfié jusqu'à
un certain degré, tel que celui qui repose sur le
sommet dès hautes montagnes, le son doit perdre
de sa force, et si ce sommet est isolé , l'absence
des échos dimiimera encore l'intensité du son. C'est
ce qu'a observé Saussure, lorsqu'il se trouvait sui-
la cîme du Mont Blanc, où^ suivant son rapport, un
coup de pistolet ne faisait pas plus de bruit qu'une
petite pièce d'artifice n'en fait dans uue chambre.

Si l'on en croit le père Rircher, il y a , à Fulde,
un puits d'environ trois cents palmes de profondeur,
dans lequel, si on jette utie pierre , on èntend
un bruit semblable à un coup de canon. On dit
aussi qu'ayant déchargé un pistolet sur
les monts
Rrapaks, on n'entendit d'abord qu'un bruit sem-
blable à celui d'un bâton qu'on brise, mais qu'en-
suite ce son augmenta prodigieusement par les fré^

-ocr page 404-

quentes réflexions des rochers et des vallées; ou
tira le même pistolet en descendant de ces mon-
tagnes , et les réflexions produisirent un bruit plus
horrible que celui d'un gros canon. «Dans les antres
« souterrains , l'air est souvent plus dense qu'à là
« surface de la terre; et si le son s'augmente dans
« les cavernes, dans la même proportion qu'il
« diminue sur certaines montagnes où l'air est fort
« rare, il peut devenir horrible ».

C'est sans doute par des raisons à peu près sem-
blables , que les sons font plus d'impression sur l'or-
gane de l'ouïe, toutes les fois que les corps qui
les produisent communiquent leurs vibrations à
un ajr
C[ui est appuyé. Dans les aqueducs et dans
les antres souterrains voûtés , la voix la plus faible
se fait entendre intelhgiblement d'un bout à l'autre.
Quand on a crevé ou lâché simplement l'une des
peaux d'un tambour , il ne rend plus autant de
son qu'auparavant , parce que, l'air contenu dans
la caisse n'étant plus
appuyé sur une peau Lieu
tendue, il résiste moins, et se soustrait en quelque
sorte à l'action des coups qu'on lui porte. Les ins-
truments à cordes, tels que les violons,,les basses,
les clavecins , doivent contenir une caisse de bois
mince et élastique ; autrement le frémissement des
cordes se communiquerait à un air vague et sans
appui. Celui - ci ne résisterait point assez pour
recevoir convenablement les impressions qu'on
, voudrait lui communiquer par le moyen de ces
cordes sonores.

C'est en partant sans doute de ces observations
ou de quelques autres du même genre, qu'on a

-ocr page 405-

lîOTEs.nbsp;36g

imaginé le porte-voix; on appelle ainsi une espèce
tie trompette dont on se sert pour donner plus
d'ctendue et de force à la voix humaine. Il y a
apparence qu'on doit aux Grecs l'invention de cet
instrument; car il est fait mention dans l'histoire
de la fameuse trompette d'Alexandre-le-Grand ,
avec laquelle il se faisait entendre de très-loin , ras-
semblait son arme'e disperse'e, et lui donnait ses
ordres, comme s'il se trouvait en présence de chaque
soldat, et qu'il parlât à chacun d'eux en particulier;
cependant cet instrument avait été oublié.

Samuel Morlant, anglais, le père Kircher, et
Jean-Baptiste Porta, napolitains , croient l'avoir
inventé, et ils ont des partisans. Au reste , c'est
un tube de métal qui est communément de figure
conique, et qui se termine, d'une part, par une
embouchure , et de l'autre par une espèce de pa-
villon très-évasé. Pour construire cet instrument
de la manière la plus avantageuse , il faut travailler
avec soin son embouchure , faire en sorte qu'elle
s'adapte exactement à la bouche, et qu'elle reçoive
tout l'air qui en sort ; il faut, autant qu'il est pos-
sible, ne point composer le corps de la trompette
de tuyaux qui s'emboîtent les uns dans les autres,
autrement les inégalités qui en résulteraient seraient
préjudiciables à la propagation des sons articulés.
Le fer-blanc est la matière avec laquelle on fabrique
communément les trompettes parlantes ; suivant
quelques physiciens elles produiraient mieux leur
effet si on les faisait avec des planches de cuivre
battu ou de tout autre métal propre à acquérir
du ressort sous le marteau. D'autres voudraient

I.nbsp;24

-ocr page 406-

t|u'Qn employât les matières les moins sonores ,
c'est-à-dire celles dont l'élasticité ne peut être mise
en jeu que difficilement.

Ces derniers observent avec raison que les matières
résonnantes répandent le son à la ronde , et que
cela ne peut être qu'au préjudice de la propagation
des sons vers un endroit déterminé. « Il me semble,
« dit M. l'abbé Béguin, que l'on pourrait accorder
« les uns et les autres , s'il était possible
de faire
« l'intérieur des porte - voix d'une matière élastique,
« et l'extérieur , au contraire. Si cela n'est point
« praticable, ajoute-t-il, il faut les construire
« comme les premiers le demandent, et revêtir
« leur surface extérieure de quelque matière molle ,
« qui empêclie les vibrations sonores de se com-
« muuiquer au deliors à un air vague. En revêtissaut
« l'instrument de quelque peau ou de quelqu'étoffe
« de laine , il paraît que l'on obtiendrait cet effet j
« l'usage de garnir ainsi en dehors les trompettes
«musicales, les cors de cliasse, ne serait-il pas

« dû, au moins en partie, à cette observation? a

Le son augmente en dedans du porte-voix , non-
seulement parce que l'air intérieur y est solidement
appuyé, mais encore parce que ce fluide imprime
aux parties raides et élastiques du métal qui forme le
corps de l'instrument, des vibrations analogues à
celles qu'il reçoit lui-même. Ce qui fait que plu-
sieurs rayons sonores sont répercutés ou réfléchis
d'une paroi à l'autre , et ne se rassemblent qu'après
avoir éprouvé un grand nombre de réflexions qui
produisent le même effet que si plusieurs personnes
articulaient le même son presque dans le même

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temps. Lorsqu'on veut se faire entendre distinc-
tement à une grande distance , par le moyen de
cet instrument , non-seulement il faut le diriger
vers la personne à qui on s'adresse, mais on doit
prononcer lentement toutes les syllabes; ajoutons
qu'il ne faut pas trop crier , afin que l'articulation
soit plus distincte ; enfin celui qui parle dans cette
trompette doit preiidre , autant qu'il peut, le ton
qu'elle rend quand elle est en jeu. (
Rouland.)

On a donné le nom de Glotte, etc.

Il ne faut pas croire que les hommes et les perro-
quets soient les seuls êtres qui parlent. Phne,
lib. 8,
cap. 4i, dit qu'on lui a raconté qu'un chien avait
parlé ; et le célèbre Léibnitz disait aussi avoir
entendu un chien à qui son maître avait appris
à prononcer distinctement une trentaine de mots
allemands. Si le système de la perfectibilité, tant
vanté par les philosophes , est vrai, il ne faut dé-
sespérer de rien ; et ces faibles commencements nous
annoncent des choses bien extraordinaires.

C'est aux ondulations de l'air que nous devons
la musi(jue.

Il est inutile de donner, dans cette note, une
théorie des sons. Les Euler, les Haiiy, etc., n'ont
rien laissé à désirer à ce sujet , et je renvoie k
leurs ouvrages. Je me contenterai de dire quelque
ehose des effets de la musique. Les miracles opérés

24*

-ocr page 408-

par la célèbre Marseillaise n'ont rendu que trop
croyable ce que les anciens racontent de leurs
musiciens.

Dans Y Histoire de V Académie royale des Sciences,,
de l'année 1707 , au chapitre des Observations sur
la Physique en général,
il est parlé d'un grand
musicien; et dans l'année 1708, d'un fameux maître
à danser : le premier fut attaqué d'une fièvre con-
tinue , accompagnée de délire , et l'autre , d'une
fièvre très-violente , accompagnée d'une espèce de
léthargie qui fut suivie d'une vraie folie , et tous
les deux
revinrent dans leur bon sens, par le moyen
de la musique.

Dans le temps que j'écrivais ceci , il y eut un
sâvant très-versé dans la musique , qui m'honora
d'une visite ; notre conversation roula par hazard
sur cette matière ; il m'apprit l'histoire suivante
qu'Angelo Vitali, fameux musicien Italien, lui avait
racontée, en l'assurant qu'elle était vraie. TJn homme
qui jouait du luth à Venise , se vantail de priver ,
en jouant de son instrument, les auditeurs de l'usage
de l'entendement ; là - dessus , le doge l'envoya
quérir , et lui ordonna de mettre son art en usage
en sa présence ; après avoir joué pendant quelque
temps avec toute la perfection possible, et au grand
étonnement des auditeurs , il commença à la fin
un ton lugubre , à dessein , autant qu'il lui était
possible, de jeter le doge dans un accès de mélan-
colie , et immédiatement il entonna un air gai pour
le disposer à rire et à danser ; et après avoir ré-
pété plusieurs fois les deux tons , tour-à-tour , le
doge., qui paraissait ne pouvoir plus être le maître

-ocr page 409-

des mouvements qu'il sentait dans son ame , lu^
ordonna de ne plus jouer.

Que ces changements de ton , qui rendent dans
un instant les hommes fort tristes , et immédia-
tement après fort gais , fassent de grandes impressions
dans notre esprit ; c'est ce qu'il est aisé de concevoir
quand on a tme fois entendu ou senti la force de
la musique d'un habile maître ; au moins cela nous
fait voir, de même qu'une infinité d'autres exemples ,
combien le son de l'ouie contribue à exciter les
passions. Il ne faut poartant pas croire qu'il n'y
ait qu'une bonne musique qui puisse exciter des
passions et des désordres dans l'esprit de l'homme,
puisqu'on voit que d'autres sons produisent les ,
mêmes effets. Un chacun peut nous fournir des
exemples des émotions extraordinaires et des passions
que le bruit d'un tambour et les coups de canon
excitent dans l'ame de ceux qui ont été dans les
sièges , ou dans les combats sur mer ou sur
terre.

Les médecins en trouvent aussi beaucoup d'exemples
dans leur pratique. Nous voyons qu'il suffit quelque-
fois de fermer une porte, de laisser tomber un livre
ou de produire à l'imprévu quelqu'autre son , pour
troubler et effrayer les femmes sujettes aux vapeurs
hystériques. Ces bruits les agitent jusqu'à les faire
tressaillir ou sauter.

J'eu ai vu qui, étant sujettes à cette fâcheuse ma-
ladie , étaient non-seulement dans des frayeurs con-
tinuelles , mais elles se plaignaient de ce qu'il leur
semblait d'entendre le son d'une grande cloche, lors-
qu'elles entendaient la voix ordinaire d'un homme,

-ocr page 410-

et peu s'en fallait qu'elles ne se trouvassent mal.

(Nieuwemtyt, Existence de Dieu, ch. i3.)

Les chants et la musique semblent influer même
sur les animaux. Je ne parlerai pas de la fauvette
qui chante à côté du nid de sa femelle comme pour
la désennuier ; je ne dirai rien non plus de cette
araignée qui venait écouter les accords du violon
d'un prisonnier à la bastille. Je me contenterai de
citer une observation curieuse de l'abbé Richard.

Les Mingréliens sont peut-être les plus lâches et
les plus paresseux de tous les Asiatiques ; la félicité
des principaux d'entr'eux est d'avoir un cheval et
un bon chien de chasse ; ils ne portent pas leurs
vues au-delà. Ils trouvent dans leurs pays des den-
rées auxquelles ils sont habitués, du vin en abon-
dance , et de belles femmes : ils n'en ambitionnent
pas davantage. Ceux que leur état oblige à des tra-
vaux plus durs s'excitent et se soutiennent par la
continuité de leurs chants ou plutôt par des hur-
lements si forts, qu'ils s
'entr'étourdissent les uns les
autres. Dans le temps des ouvrages de la campagne,
tout le pays résonne de leurs cris perçants ; les
chameaux , les bœufs , les chevaux sont habitués
d'être animés et soutenus par ce bruit ; et selon
que le travail est pénible, ou la charge pesante,
il faut chanter plus fort et plus constamment.
N'est-ce bas une indication de la Nature qui porte
ces peuples à se communiquer par ce moyen un
mouvement plus vif et plus constant, par les efforts
continuels qu'exige ce chant ? Ne rend-il pas l'air
plus fluide par les vibrations qu'il lui donne ?
I/a chaleur qu'il lui imprime , ne diminue-t-clic

-ocr page 411-

pas l'action fâcheuse de son humidité ? On peut
conjecturer que ces chants continuels et forcés ont
un effet physique, puisqu'ils excitent et soutiennent
les animaux dans leur marche et leurs travaux les
plus pénibles. Ne voyons - nous pas les habitants
de nos provinces , dont la température tient de
celle de la Mingrélie, fidèles à la même habitude,
animer au travail par leurs chants et leurs cris,
le bœuf
paresseux et lent ?

On a prétendu que ces chants étaient plutôt un
effet de la paresse de l'esprit et de l'aversion pour
toute espèce de peine ; on dit que partout un bon
ouvrier occupé de son travail ne se fatigue pas
mal à propos par un chant continuel qui diminue
l'application qu'il doit y donner ; qu'il n'y a que
la répugnance à l'ouvrage qui rende cette espèce
de dissipation
nécessaire ; que les nègres libres ne
s'occupent qu'autant qu«; durent les chansons qu'ils
savent j que c'est une habitude presqu'universelle
en Orient de s'animer au travail par le chant,
ce qui prouve autant de paresse d'esprit que de
mollesse de corps : mais ces deux effets ne sont-ils
pas co-relatifs ? En général le relâchement de la ma-
chine , le jeu lent des nerfs et des fibres, n'inlluent-ils
pas sur la faiblesse des
idées , sur le mécanisme de
l'imagination ? Des peuples dont le désir dominant
est de ne rien faire , n'imaginent rien ; il n'y a
qu'une nécessité forcée qui puisse les tirer de cet
état d'inertie où ils placent Je souverain bien. Il faut
qu'ils s'étourdissent pour ne pas s'affliger outre me-
sure d'être forcés à quelques travaux. On ne doit
donc pas être étonné de trouver la plupart des

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Asiatiques dans cette habitude , qui devient pbis
forte et plus remarquable k mesure qu'on s'approche
du midi, parce que le climat plus chaud contri-
buant à diminuer les forces , augmente en pro-
portion l'éloignement pour le travail , c'est ce
qui fait que les matelots Indiens ne peuvent pas
même remuer une corde s'ils ne chantent. ( L'abbé
Richard. )

Descends du ciel, douce harmonie.

Ce morceau de poésie est une imitation libre du
fameux Dithyrambe de Pope, pour la fête de Sainte-
Cécile. On devine que le poëte anglais avait pris
l'épisode d'Orphée dans le quatrième livre des
géorgiques.

LETTRE X.

Les effets de l'air sur l'homme sont extrêmement
diversifiés ; il est même presque prouvé que c'est
à eux que l'on doit ce qu'on appelle
la maladie
du pays.
On sait que lorsqu'un certain vent souffle
en Angleterre, il s'y commet un très-grand nombre
de suicides. J'ai cru ne pas devoir m'arrêter sur ces
phénomènes qui ont été décrits par un jeune savant
du plus grand talent, je joins ici quelques-unes de
ses réflexions.

Il n'est personne qui n'éprouve plus de gaîté,

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de contentement et d'alacrité' au travail dans les
beaux temps, parce qu'on transpire aise'ment, et
plus d'ennui, dé noir dans l'humeur, pendant les
temps sombres et froids. Si l'air est chaud, humide,
et l'atmosphère lourde , les esprits sont appesantis
comme les corps , et incapables de pensées suivies.
Le vent étouffant du midi, chargé d'orages, abat
tellement qu'on ne sait que faire de soi ; la tête
pesante, la vue, l
'ouïe oBtuse annoncent là torpeur.
Dans cet accablement des facultés nobles , celles do
la vie animale , les fonctions sexuelles par exemple ,
prennent plus d'activité, et comme dans les imbé-
ciles , les crétins , elles se fortifient de tout ce que
le cerveau ne peut pas dépenser. Une telle pros-
tration de force , dispose les humeurs à la putridité j
il survient quelquefois des syncopes , ou une mort
subite ; au
contraire le vent sec et piquant du nord
dispose à l'agitation , à l'impatience , à l'anxiété ;
le froid resserre les pores, fortifie les muscles et
engourdit le sentiment moral. Un air épais, chargé
de brouillards et de vapeurs, rend le corps flasque ,
les humeurs stagnantes; il relâche et ramollit jus-
qu'à causer la stupidité , comme chez les habitants
de l'ancienne Béotie , des Pays-Bas , des vallées ma-
récageuses. Au contraire , l'air pur et sec, aidé de
chaleur , est de tous le plus favorable à l'esprit ;
il allège le corps par une facile transpiration, il
ouvre le sentiment moral et entretient la liberté
de la tête. Les terrains arides , découverts, exposés
au soleil d'orient et du midi, tels qu'Athènes et
plusieurs lieux de Grèce , d'Arabie, d'Italie, d'Es-
pagne , de la France méridionale, ont des habitants

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Daturellenient vifs et spirituels. Un air doux et calme,
imprime beaucoup d'uniformité aux caractères mo-
raux , comme dans les plaines de l'Asie ; un air fort
agité et inégal rend les esprits insconstants et divers,
comme parmi les lieux montueux d'Europe. L'air
subtil et raréfié des hautes montagnes semble ins-
pirer , avec l'amour de la liberté , des idées vives,
gigantesques , extravagantes , parce qu'il fait re-
monter le sang vers la tête , de là viennent aussi
de fréquentes hémorragies du nez. L'air dense et
lourd dans les profondeurs , rend l'esprit constant,
appliqué ,
méthodique , mais esclave de la routine.
L'air renfermé des appartements, des villes, dispose
à la mollesse, à une timide docilité; tandis qu'un
air libre et renouvelé , donne plus de vigueur , de
santé et d'indépendance, mais moins d'aptitude aux
arts qui exigent de la délicatesse. Une habitation
élevée dans une exposition sèche, à l'orient ou au
midi, sous un ciel pur, est très-convenable à la
bonne disposition de l
'esprit, surtout le matin et
dans les belles saisons.

L'été, l'automne sèche, sont les saisons du génie;
les tempéraments trop ardents travaillent mieux en
hiver ; les trop froids acquièrent plus de vivacité
en été ; les dissipés sont plus réfléchis en automne,
temps que Milton trouvait favorable à sa muse ;
les esprits trop concentrés sont plus ouverts au
printemps, qui était l'époque principale de la verve
du Tasse.

Qui veut se rendre robuste et très - sain doit
chercher l'air sec et froid qui excite le mouvement
musculaire, l'appétit, et endurcit le corps ; aussi les

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régions du nord nourrissent des hommes vigoureux,
tandis que le caractère des mciidiouaux est porté
à l'esprit : en effet, les poctes ont feint que Phœbus,
ou le soleil, était le chef des muscs , et sa splen-
deur sèche, comme parle Heraclite, fait l'ame très-
sage.
[L'Art de perfectionner l'Homme, ou de la
Médecine spirituelle et morale, par
J.-J. Vire y. )

Ossian , barde sauvage.

On est aujourd'hui bien convaincu que les poésies
d'Ossian ont été supposées par Macpherson. Voici
à ce sujet vine note très-bien faite que je trouve a
la suite d'un poëme charmant de M. de Saint-Victor.

Les poésies d'Ossian excitèrent d'abord un grand
enthousiasme dans toute l'Europe : bien qu'il soit
un peu
diminué, l'on ignore encore assez généra-
lement en France que ces poésies publiées par Mac-
pherson , trouvèrent en Angleterre même beaucoup
d'incrédules qui, dès que la traduction en parut,
ne craignirent pas d'en attaquer l'authenticité. Mac-
pherson, sommé par eux de produire les originaux,
éluda avec beaucoup d'adresse de les satisfaire, en
évitant néanmoins de se compromettre par un refus.
Cependant ces originaux ne paraissant point ni pen-
dant sa vie , ni après sa mort , les incrédules se
multiplièrent et il s'en éleva parmi les Ecossais
eux-mêmes, bien qu'ils fussent plus intéressés que
d'autres à croire authentiques des monuments qui
attestaient l'ancienne gloire de leur nation. La dé-
fense du docteur Blair, qui prétendit appuyer l'exis-
tence des poëmes d'Ossian, sur des preuves morales,

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fut justement rejetée ; les travaux de la société
Ecossaise qui, pendant huit années de recherches,
ne réussit qu'à rassembler quelques fragments que
Alacpherson avait elfectivement employés en les
dénaturant , furent jugés insuffisants ; et M. Mar-
colm Laing, écossais, homme fort savant et fort
judicieux, écrivit une dissertation dans laquelle il
entreprit de prouver que ces poésies tant vantées,
étaient supposées. Il publia les pièces originales ,
qui sont des romances , et prouva par l'analogie
que ces romances avaient servi de texte à quelques-
unes des épopées de Macpherson , mais qu'il en
avait altéré le Style, qui est inégal, languissant,
diffus, quelquefois ampoulé, quelquefois aussi tendre
et naturel, tel enfin qu'il répond parfaitement à
l'idée que l'on se fait des poésies d'un peuple bar-
bare ; qu'il avait changé totalement les mœurs, en
donnant de la politesse , des sentiments de'Hcats,
de la générosité à des sauvages grossiers et féroces.;
que non-seulement
il avait écarté soigneusement
de ses poèmes toutes les particularités qu'offraient
ces romances sur les mœurs des anciens Celtes ; mais
encore que tout ce qu'il avait mis à leur place était
visiblement emprunté de la Bible, d'Homère, et des
autres poiites profanes; qu'il n'existait dans les ori-
ginaux galliques, ni les effusions sentimentales, ni
ces descriptions pittoresques dont il a chargé ses
récits, ni la moinlre trace de ce système mytho-
logique , enfanté par son imagination , et qu'on
peut regarder comme la preuve la plus frappante
de sa mauvaise foi. Enfin dans un second ouvrage,
l'infatigable critique, voulant dévoiler entièrement

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NOTES.nbsp;38r

cette imposture littésaire, et ne laisser aucune ré-
plique à ses partisans, a réiini par un travail opi-
niâtre et une lecture presqu'incroyable, plus de
mille imitations ou plagiats de Macplierson, dans
divers poètes, tant anciens que modernes, et prouvé
ainsi jusqu'à l'évidence la supposition de toute la lit-
térature ossianique.

Ces beautés, empruntées aux plus grands modèles,
peuvent expliquer la grande sensation que pro-
duisirent d'abord les prétendues poésies d'Ossian.
On admira ce qui était vraiment admirable, sans se
douter qu'on l'avait déjà mille fois admiré dans
d'autres ouvrages. Les formes extraordinaires, les
couleurs nouvelles dont l'auteur sut envelopper les
pensées et les images qu'il dérobait, ne permirent
pas au commun des lecteurs de soupçonner l'imi-
tation ; et cette découverte merveilleuse d'un poète
sauvage , presqu'aussi sublime qu'Homère , frappa
seule tous les esprits; la prévention exagérait les
beautés et diminuait les défauts ; cette manière
d'écrire, vague et bizarre, qu'on eût blâmée dans
un moderne , passa pour le caractère original
d'Ossian, pour une preuve irrécusable de l'authen-
ticité de ses poésies. Macpherson put impunément
manquer d'invention et de conduite dans ses poèmes,
être monotone dans ses descriptions, exagéré dans
ses sentiments : tout cela fut
non-seulement excusé
dans le barde antique et vénérable, mais vanté,
mais imité; et le style ossianique ne fut pas, dans le
siècle dernier, une des moindres causes dé la cor-
ruption du goût en poésie et en littérature.'

Cependant, çn blâmant les défauts et surtout la

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supei'clierie de Macplierson, ou est forcé d'avouef
qu'il n'a pas fallu un talent ordinaire pour tromper,
pendant si long-temps, presque l'Europe entière;
et qu'au milieu des imaginations bizarres qui rem-
plissent ses poésies, il règne je ne sais quelle grandeur
sauvage , une teinte sombre et mélancolique, qui ne
laissent pas que d'avoir du charme. Ce vague dans
les effets, cette mélancolie dans les pensées et les
sentiments, doivent séduire les poëtes lyriques, et
surtout les musiciens , qui peuvent y puiser des
couleurs intéressantes et nouvelles.

LETTRE XL

Par quel moyen l'aigle et l'alouette s'élèvent-ils
si haut.

J'ajouterai ici. quelques observations curieuses d«
l'éloquent Buffon, sur les habitudes des oiseaux.

Le genre de vie , les habitudes et les mœurs
dans les animaux , ne sont pas aussi libres qu'on
pourrait l'imaginer; leur conduite n'est pas le pro-
duit d'une pUre liberté de volonté, ni même uu
résultat de choix, mais un effet nécessaire qui
dérive de la conformation, de l'organisation et de
l'exercice de leurs facultés physiques. Déterminés
et fixés chacun à la manière de vivre que cette
nécessité leur impose et prescrit , nul ne cherche
à l'enfrehidre , ne peut s'eu écarter : c'est par

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cette nécessité, tout aussi variée que leurs formes,
que se sont trouvés peuplés tous les districts de
la Nature. L'aigle ne qviitte point ses rochers, ni
le héron ses rivages. L'un fond du haut des airs
sur l'agneau qu'il enlève ou déchire par le seul
droit que lui donne la force de ses armes, et par
l'usage qu'il fait de ses serres cruelles; l'autre, le
pied dans la fauge, attend, à l'ordre du besoin,
le passage de la proie fugitive. Le pic n'abau-
donne jamais la tige des arbres, à l'entour de la-
quelle il lui est ordonné de ramper; la barge doit
rester dans ses marais, l'alouette dans ses sillons,
la fauvette dans ses bocages; et ne voyons-nous
pas tous les oiseaux granivores chercher les pays
habités et suivre nos cidtures, tandis que ceux
qui préfèrent à nos grains les fruits sauvages et
les baies, constants à nous fuir, ne' quittent pas
les bois et les lieux escarpés des montagnes, où
ils vivent loin de nous, et seuls avec la Nature,
qui d'avance leur a dicté ses lois et donné les
moyens de les exécuter. Elle retient la gélinotte
sous l'ombre épaisse des sapins; le merle solitaire
sur son rocher ; le loriot dans les forets , dont il
fait retentir les échos, tandis que l'outarde va
chercher les friches arides, et le râle les humides
prairies. Ce-s lois de la Nature sont des décrets
éternels, immuables, aussi constants que la forme
des êtres ; ce sont ses grandes et vraies propriétés,
qu'elle n'abandonne ni ne cède jamais, même dans
les choses que nous croyons nous être appropriées;
car , de quelque manière que nous les ayons
acquises, elles n'en restent pas moins sous son

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empire : et n'est-ce pas ponr le démontrer qu'elle
nous a chargés de loger des hôtes importuns et
nuisibles , les rats dans nos maisons , l'hirondelle
sous nos fenêtres, le moineau sur nos toits; et
lorsqvr'felle amène la cigogne au haut de nos vieilles
tours en ruine, où s'est déjà cachée la triste fa-
mille des oiseaux de nuit , ne semble-t-elle pas se
hâter de reprendre sur nous des possessions usur-
pées pour un temps , mais qu'elle a chargé la
main sûre des siècles de lui rendre ?

Ainsi les espèces nombreuses et diverses des
oiseaux , portées par leur instinct et fixées par
lours besoins dans les ditfcrenls districts de la Nature,
se partagent, pour ainsi dire les airs, la terre et
les eaux; chacune y tient sa placé , et y jouit de
son petit domaine et des moyens de subsistance
que l'étendue ou le défaut de ses facultés restreint
ou multiplie. Et comme tous les degrés de l'é-
chellc des êtres, tous les points de l'existence
possible doivent être
remplis 5 quelciiics espèces ,
bornées à une seule inaiiiere de vivre, réduites à
un seul moyen de subsister, ne peuvent varier
l'usage des instruments imparfaits qu'ils tiennent
de la Nature : c'est ainsi que les cuilliers arron-
dies du bec de la spatule paraissent uniquement
propres à ramasser les coquillages; que la petite
lanière flexible, et l'arc rebroussé du bec de l'avo-
cette, la réduisent à vivre d'un aliment aussi mou
que le frai des poissons; que l'iiuîtiier n'a son bec
en hache , que pour ouvrir les écailles, d'entre
lesquelles il lire sa pâture; et que le bec croisé
pourrait à peine se servir de sa pince brisée , s'il
ne

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çavàit l'appliquer pour soulever l'enveloppe en
écaille qui recèle la graine des sapins ; enfin , que
l'oiseau nommé bec en ciseaux ne peut ni mordre
de côté, ni ramasser devant soi, ni béqueter en
avant , son bec étant composé de deux pièces
excessivement inégales , dont la mandibule infé-
rieure, alongée et avancée hors de toute propor-
tion , dépasse de beaucoup la supérieure qui;, ne
fait que tomber sur celle-ci, comme un rasoir sur
son manche.

J'ajouterai à cette dernière observation de Buffon,
que la mandibule inférieure de cet oiseau sert à
enlever par-dessous le poisson qu'il saisit en rasant
la surface de la mer.

Voici, sur la pesanteur de l'air, une observation
curieuse de M. Rouland.

Les habitants des Alpes sont habitués à respirer
un air rare, léger, et celui qui passe dans leur
sang , étant de même nature , les vaisseaux et les
fibres de leurs corps sont eux-mêmes accoutumés
à ne supporter que le poids de cet air rare et
subtil. De là s'ils voyagent dans des endroits où le
poids de l'atmosphère est plus grand , comme ils
y sont exposés à une pression plus sensible, et
que l'air intérieur , compris dans les différentes
humeurs de leur corps , ne peut résister à cette
pression, la circulation du sang se ti-ouve dans ce
cas exposée à de trop grandes variations ; ce qui
occasionne ces inquiétudes , cette tristesse qu'ils
éprouvent; alors ils deviennent hypocondriaques,

I.nbsp;25

-ocr page 422-

et leur plus grand désir est celui de retourner danâ
leur patrie.

2quot;cl est le Pérou, au rapport du savant don TJloa.

Le chaud et le froid y sont tempérés avec uu
accord qu'on ne voit dans aucun autre climat,
entre ces deux contraires. L'humidité y étant conti-
nuelle , et l'action du soleil presque toujours ca-
pable de pénétrer et de fertiliser la terre, on peut
dire que
pendant toute l'année ce pays jouit des
richesses de l'automne unies aux douceurs du
printemps. A mesure que l'herbe sèche d'un côté,
il en croît de l'autre , et les fleurs ne sont pas
plutôt fanées que l'on on voit éclore de nouvelles :
il en est de même des arbres qui sont sans cesse
parés de feuilles et de fleurs, et toujours chargés
de
fruits, les uns verds, les autres mûrs. A l'égard
des grains , on
voit aussi dans le même lieu semer
d'un côté et moissonner de l'autre; les semences
nouvelles germent, celles qui ont été plutôt mises
en terre, croissent, les plus avancées poussent des
épis, d'autres soiit au moment d'être recueillies : ce
qui présente continuellement sur ces collines, une
vive peinture de nos quatre saisons de l'année.
On ne laisse pas d'avoir des temps réglés pour les
grandes récoltes; mais le temps propre à semer
dans uu lieu, est souvent passé depuis un mois ou
deux pour un autre lieu, quoique peu éloigné ,
et n'est pas encore arrivé pour un troisième. Ainsi
toute l'année se passe K semer et à recueillir, soit

-ocr page 423-

dans le même lieu , soit en clillfe'rcnts cantons.
Cette inégalité vient de la situation diverse d;e3
montagnes, des collines, des plaines et des coulés.
On ne doit pas être étonné si , dans une tempé-
rature si heureuse, dans un soi si fertile, l'excel-
lence des fruits et des denrées répond à leur
abondance j quoique l'agriculture soit tellement né-
gligée dans tout ce pays , que l'on ne sait ce que c'est
que greffer les arbres , ni les tailler , ils sont tels
que la Nature les produit, l'industrie n'y ajoute
rien. Leur fertilité est donc un effet de la fécon-
dité naturelle du sol, entretenue et augnientée par
les cendres et les sels que les fréquentes éruptions
des volcans répandent sur ks plaines, et par les
qualités favorables de l'air.

Le pays dont nous venons dé parler, est ren-
fermé dans la cordilière , qui -est double ^ et le
sépare à l'est et à l'ouest du reste de l'Amérique.
La première de ces deux chaînes de montagnes
est à environ quarante lieues de la mer ; elles
courent sur deux lignes parallèles du nord au sud ,
à sept ou huit cents lieues de distance , suivant
la position de leurs sommets qui s'éloignent ou
qui se rapprochent. Quitto, et presque toute la
province de ce nom, sont situées dans cette longue
vallée, qui, malgré sa grande hauteur, paraît une
plaine assez basse , relativement aux sommets très ■
élevés entre lesquels elle s'étend dans une largeur
de cinq à six lieues; les montagnes, qui semblent
décider de la température de ce pays, ne sont
doubles que dans l'espace d'eirviron cent soixante-
dix
lieues , depuis le sud de Cuçnça , jusqu'au

-ocr page 424-

nord de Popayan, dans la nouvelle Grenade j aU-
delà le pays change de qualité, les dispositions de
l'air n'y sont plus les mêmes , ni aussi saines.
( L'abbé
Richard. )

LETTRE XIIL

Je voyais enfin autour de moi, la terre crihle'e
d'une infinité de petites ouvertures.

Une dernière classe d'individus purement ter-
restres , citoyens de l'intérieur de la terre , n'est
ni moins nombreuse, ni moins diversifiée que les
trois premières; c'est celle-ci qui va nous occuper.

Ces substances vivantes dont nous connaissons
une partie , et dont la plupart échappent à nos
regards , fouillent la terre et la parcourent ; leur
famille innombrable s'y établit, et trouve sa nour-
riture uniquement dans son sein. Si quelquefois
elles en sortent , c'est pour y rentrer incessam-
ment , et dans un temps prescrit où elles déposent
leurs œufs. Sans nous arrêter à leur façon d'y
subsister , nous examinerons leur utilité pour la
propagation et la vie des végétaux.

Par leurs sorties continuelles, ainsi que par leurs
rentrées successives , ces animaux criblent la terre
de toutes parts. Tels sont les vers , les courtillières,
les fourmis, les hannetons, les perce-oreilles , les
taupes et les mulots. En réfléchissant sur leurs
occupatipos,
on reconnaît que ces trou» et ces

-ocr page 425-

»emuements continuels de terre , produits par
tant de sortes d'auimaux, ont des avantages qu'on
ne peut assez priser dans un sens, quoique dans
un autre ils occasionnent de grands dommages aux
plantes. Le Créateur a donné commission à ces
peuplades d'animaux , d'ouvrir incessamment le sein
de la terre , de le diviser , de le cribler , pour
former à sa superficie autant de soupiraux. Sans
eux l'air et les vents j causeraient de violentes
secousses : ils servent de plus à faire passer dans
la substance de la terre, et ji\sque dans son fond,
les pluies, les neiges , et les humidités d'en haut.

Indépendamment de ses orifices naturels et de
ses pores , formés par l'inégalité et les figures variées
de tous les grains de sable qu'elle renferme, il lui
faut d'autres sinuosités et des conduits particuliers
pour les eaux, afin
que , durant les grandes pluies ,
les neiges abondantes, le débordement des rivières,
leur écoulement soit plus facile , et ne cause aucuu
préjudice, soit à la terre, soit aux végétaux. Lcur
trop long séjour délayerait les sucs, et les détrempe-
rait tellement, qu'il les dépouillerait de leurs parties
substantielles; il minerait la terre de toutes parts,
et ferait en grand, ce que font les ravines dans
les lieux trop en pente, ou qui retiennent les eaux.

De plus, si au lieu de passer dans la terre, d'y
descendre et de se filtrer à travers ces ouvertures pra-
tiquées et renouvelées sans cesse j)ar ces animaux ,
elles restaient dans sa superficie ou dans son sein ,
les racines, comme je l'ai dit, pourriraient néces-
sairement. Mettez de la terre dans un pot, dont
le fond soit tout à fail bouché, en sorte que l'air

-ocr page 426-

puisse y cii'culer, et que I'e.-vu y reste , tontes
les plantes que vous y éleverez pe'riront. (
Cette
.ISote est tirée de l'eaicellent oiwrage de M.
Rocher
SçHABOL, ayant pour titre : Théorie du Jardinage,
page i3. )

des vents.

JVote communir/uée par M. Patriw.

Les agitations plus ou moins violentes de l'atmos-
phère ,
auxquelles on donne le nom de vjENTS, jouent
lui si grand rôle sur la surface du globe , que ce
phénomène a toujours fixé l'attention des obser-
vateurs de la Nature, pour connaître leur marche,
et, s'il est possible, en découvrir là cause.

On distingue trois sortes de vents : les vents
généraux ,
les vents périodiques et les vents va-
riai) les.

ÏjCS vents généraux, que beaucoup d'auteurs re-
gardent comme la source et la cause des autres vents,
sont ceux qui, pendant toute l'année, conservent
à peu près la meme direction. Tels sont les
vents
alizés
qui soufflent des parties de l'est, et qui régnent
perpétuellement entre les tropiques; et les
vents
d'ouest
qui régnent dans les régions tempérées ,
presque aussi régulièrement que les
vents alizés,
dans la zône torride.

Les vents périodiques sont ceux qui, dans telle
maison, ont une certaine direction , et dans telle
autre saison , une direction différente ou même
opposée. Telles sont les
moussons de la mer des

-ocr page 427-

Indes , qui, pendant six mois, viennent du côté de
l'est , et pendant les six autres mois , des parties
de l'ouest.

Les vents variables sont ceux qui ne suivent point
de direction constante , et qui sont souvent inter-
rompus par des calmes , tels que sont les vents
qu'on trouve à 2 ou 3 degrés de distance de chaque
côté de l'équateur, de même que sur la limite des
lt;vents alizés et des vents d'ouest.

Si le globe terrestre était entièrement couvert
par les eaux de l'Océan (comme il le fut jadis) ,
les
vents généraux seraient à peu près réguliers;
on voit même, que dans la grande mer pacifique,
ils approchent de celte régularité, mais dans le
voisinage des côtes, ou remarque des anomalies
causées par les obstacles qu'opposent les continents
et les îles.

La vitesse des vents alizés est en général uni-
forme et modérée ; elle est d'environ cent toises
par minute. C'est à la faveur de ces vents,que les
galbons espagnols allaient tous les ans d'Acapulco
à Manille , et faisaient, en
70 jours , un voyage
de
270.0 lieues (environ 4» lieues par jour), en
suivant, dans leur route, toujours le même parallèle,
entre i3 et 14 degrés de latitude nord, qui est
la région du globe où les
vents alizés ont le plus
de force et de régularité.

Les vents généraux d'ouest ont en général plus
de vitesse que les
vents alizés. Cook, dans son
second voyage , se trouvant à peu près à nos anti-
podes k la mi-novembre (qui, dans l'hémisphère
austral, correspond, poux la saison, à notre moià

-ocr page 428-

de mai ), était poussé par un vent d'ouest, si violent,
que son vaisseau penchait quelquefois de 38 à 4»
degrés, quoiqu'on suppose que l'inclinaison d'un
vaisseau ne peut guère aller au-delà de ao degrés.
Le
0.6 Novembre, il fit avec ce vent 6o lieues
en 34 heures. Dans le mois de Décembre, le capi-
taine Furneaux, allant de la Nouvelle-Zélande au.
cap Horn, parcourut, dans un mois, lai degrés
de longitude , à la faveur des mêmes
vents d'ouest.

Quelque grande que soit la vitesse de ces vents
réglés , elle est peu de chose en comparaison de
celle que des causes particulières et peu connues,
impriment quelquefois aux vents de certains pa-
rages. C'est surtout dans la zone torride, que se
font ressentir ces violentes convulsions de l'atmos-
phère : tels sont les
ouragants des Antilles et de
l'Ile de France, les
tornados des côtes d'Afrique,
les
typhons des mers du Tunquin, de la Chine et
du Japon, les
tempêtes du Cap de Bonne-Espé-
rance , les
baguyos des Philippines , etc. , etc.

Aux Antilles , les ouragants n'ont lieu que depuis
ia nii-Juillet jusqu'à la mi-Octobre; ils durent i2
à i5 heures, et font le tour du compas. Ils sont
précédés d'un calme profond et d'un temps doux
et serein ; peu à peu le ciel se charge de nuages,
et la mer brise avec violence sur ia côte, quoiqu'on
ne sente pas un souffle de vent. Pendant ce temps
là les oiseaux et les autres animaux donnent des
signes non équivoques d'inquiétude et de terreur.
Tout à coup le vent s'élève, et bientôt il souffle
avec une violence inexphcable ; il se rallentit
ensuite,
il mollit peada.«! quelques instants, maià

-ocr page 429-

au bout de quelques minutes , il se déchaîne avec
une nouvelle fureur : le tonnerre gronde , le ciel est
en feu, la foudre éclate de toutes parts, des torrents
d'eau inondent la terre, des tourbillons de vent
enlèvent le toît des maisons , renversent les cases ,
brisent les arbres , déracinent et emportent les
bananiers , les cannes à sucre, les arbres à café, etc.
Dans l'espace de quelques heures, les plus riches
productions disparaissent et sont anéanties. Les
vaiss«aux qui se trouvent dans les ports ou dans
le voisinage des côtes, sont lancés contre les rochers ,
et la mer est couverte de leurs débris.

Les tornados de Sierra-Léonc , les typhons du
Tunquin , etc. , sont des phénomènes semblables
aux
ouragants des Antilles, et ils se font sentir
de même, après que le soleil a été pendant long-
temps à peu près vertical sur ces régions.

Mais ce n'est pas seulement dans les parages
maritimes qu'on éprouve ces furieux coups de vent ;
toutes les relations de voyages dans l'intérieur de
l'Afrique , font mention de ces épouvantables
tourbillons, qui enlèvent des montagnes de sable,
capables d'ensevelir, dans leur chute, une armée
entière.

Sans aller si loin , n'en avons-nous pas quelquefois
des exemples, même dans nos contrées tempérées ?
il me suffira de citer l'ouragan qu'essuya l'illustre
Saussure , pendant la station de quinze jours qu'il fit
sur le Col-du-Géant, l'une des montagnes les plus
élevées des Alpes ; voici la description qu'il en donne
dans ses voyages. (§.
2o3i.)

Après avoir dit que ses guides, qui prévoyaient

-ocr page 430-

nn changement de temps , travaillèrent à asstt-
je'tir, aussi solidement qu'il était possible, les deux
tentes qu'il avait établies sur une arrête de la mon-
tagne , il ajoute : « Nous nous trouvâmes bien heureux
« d'avoir pris toutes ces précautions, car, dès la
« nuit suivante , celle du 4 au 5 juUlet , nous
« fûmes accueillis par le plus terrible orage dont
« j'aie jamais été témoin. Il s'éleva, à une heure
« après minuit, un vent dè-S.-O. , d'une telle
« violence, que je croyais à chaque instant qu'il
« allait emporter la cabane de pjerres dans la-
« quelle mou fils et moi nous étions couchés,
«c Ce vent avait ceci de singulier , c'est qu'il était
« périodiquement interrompu par des intervalles
o du calme le plus parfait. Dans ces intervalles ,
« nous entendions le vent souffler au-dessous de
« nous , dans le fond de
Vallée blanche , tandis
« que la tranquillité la plus absolue régnait autour
v- de notre cabane; mais ces calmes étaient suivis
« de raffales , d'une
violence inexprimable ; c'étaient
lt;( des coups redoitblés qui ressemblaient h des dé-
^c charges d'artillerie ; nous sentions la montagne
a même s'ébranler sous nos matelas. Le vent se
« faisait jour par les joints des pierres de la ca-
c bane ; il souleva même uiie fois mes draps et
« mes couvertures , et me glaça de la tête aux
a pieds. Il se calma un peu a l'aube du jour ;
« mais il se releva bientôt, et revint accompagné de
« neige qui entrait de toutes parts dans notre cabane^
« Nous nous réfugiâmes alors dans mie des tentes.
« oti l'on était mieux ù l'abri ; nous y trou-
« yâmes les guides obligés de soutenir continuel-

-ocr page 431-

« lement les mâts j de peur que la violence du
« vent ne les renversât et ne les balayât avec la
« tente ».

De la cause des vents.

La question de savoir quelle est la cause des
vents est peut - être celle qui a le plus exerce' la
sagacité des
savants : les plus grands géomètres , les
plus habiles physiciens , ont donné des théories,
ont créé des hypothèses; mais comme ils ne sont
nullement d'accord entr'eux, on peut regarder cette
question comme
fort éloignée d'être résolue d'une
manière complète et satisfaisante.

Il y a trois opinions différentes sur la cause des
vents alizés , qui régnent sans relâche dans la zone
torride , et qui
soufflent toujours à peu près de
l'est à l'ouest.

La première de ers opinions, qui a été adoptée
par Buffon, et qui paraît en effet assez vraisem-
blable au premier coup d'œil, c'est que' le soleil,
dans sa marche journalière de l'est à l'ouest, échauffe,
raréfie et chasse devant lui la masse d'air qui se
présente successivement à l'action de ses rayons.

I^a seconde opinion est que , dans le mouvement
de rotation de la terre, qui tourne de l'ouest à
l'est , l'air qui l'environne et qui tourne avec elle ,
n'a pas un mouvement aussi rapide que le globe lui-
même, en sorte que les corps qui sont
à sa surface et
qui frottent contre cette masse d'air qui est presque
stagnante en comparaison de leur vitesse,éprouvent
de sa part le même diet que s'ils étaient en repos ,

-ocr page 432-

et que la masse d'air eût un mouvement d'oxieirt
en occident.

La troisième opinion, soutenue par de grands
ge'omètres , attribuait ce mouvement général de
l'atmosphère entre les tropiques à l'attraction de
la lune, de
même qu'on lui attribue le phéno-
mène des marées.

Quelques physiciens ont essayé de combiner la
première opinion avec la seconde, en rectifiant
celle-ci, qui supposait que l'atmosphère se meut
moins vite que le globe terrestre , tandis qu'il est
démontré que leur vitesse est égale j mais comme
il est pareillement démontré que dans chaque pa-
rallèle la masse de l'atmosphère qui lui correspond ,
n'a qu'un mouvement égal à celui de la portion
du globe qui est sous ce même parallèle, voici
comment ils ont raisonné ; ils ont dit : la chaleur
solaire dilate l'air de la zone torride ; les colonnes
de cet air dilaté , s'élèvent au-dessus du niveau
général de l'atmosphère, et
en retombant ensuite,
elles s'écoulent à droite et à gauche vers les pôles
du globe , d'oit il arrive en même temps un nouvel
air frais qui remplace celui qui avait été raréfié.
De cette manière, il se forme deux courants op,
posés, l'un dans le haut de l'atmosphère, de l'é-
quateur aux pôles , l'autre dans sa partie infé-
rieure , des pôles à l'équateur ; mais comme l'air
qui vient des régions polaires n'a pas, à beaucoup
près , un mouvement de rotation aussi rapide que
celui de la surface du globe dans les régions équato,
riales , il en résulte ce frottement qui produit le
même effet qu'un vent d'est.

-ocr page 433-

Quant à l'opinion fondée sur l'attraction de la
lune, elle est aujourd'hui parfaitement abandonnée
par les physiciens.

Quelqu'ingénieuses que soient les théories précé-
dentes , elles paraissent sujettes à de fortes objections.
On dit que l'air dilaté dans la zone torride s'élève
au-dessus du niveau général de l'atmosphère, et de
là se répand à droite et à gauche, vers les pôles,
d'où il vient un nouvel air frais ; mais ne semble-t-il
pas qu'il devrait, même par préférence , s'écouler
du côté de l'ouest, car son mouvement d'ascension
ayant détruit le mouvement de rotation que lui
communiquait le globe terrestre, ces colonnes
élevées devaient retomber sur la masse d'air qui
se trouve à leur ouest , et qui se présentait à
elles par l'effet de leur mouvement, plus rapide
que celui de ces colonnes ; d'où il devait résulter
que la partie occidentale de l'atmosphère , com-
primée par le poids de ces colonnes tombantes ,
devait refluer du côté de l'est, où elle trouvait
une place presque vide par la raréfaction de l'air
inférieur, et conséquemment elle devait produire
un vent d'ouest, ce qui est précisément le con-
traire de ce qui arrive.

Il y a une autre objection bien forte contre ces
vents venant des pôles, c'est qu'avant d'arriver à
la zone torride, ils seraient invinciblement arrêtés
par ce puissant courant des
vents d'ouest qui régnent
constamment dans les zônes tempérées.

Comment d'ailleurs pourrait - on expliquer les
vents d'est, par l'effet de la dilatation de l'air dans
la ïôae torride, lorsqu'U est parfaitement connu que

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dans la partie même de cette zone qui devrait
éprouver le plus sensiblement les effets de cette
dilatation , il n'y a justement point de vent d'est.
Tous les marins ne savent que trop, que dans la
voisinage même de l'équateur , et jusqu'à 5o à 80
Jieues de distance, de chaque côté de la ligne, on
ne trouve plus les
vents alizés-, mais seulement
quelques vents faibles, irréguliers, et souvent des
calmes désespérants.

Si c'était la dilatation de l'air qui produisît les
•vents d'est, comment se ferait-il
que lorsque le
soleil est dans un tropique, dont il dilate certai-
nement bien l'atmosphère , on trouve dans le
voisinage même de ce tropique ces vents d'ouest,
qui sont aussi constants et plus forts que les vents
d'est?

Enfin , ne semble-t-il pas que si c'était à la chaleur
solaire qu'on dût attribuer les
vents alizés, ils
devraient cesser lorsque l'action de cette chaleur
cesse elle-même, cependant
ces vents sont tout aussi
forts lorsque le soleil éclaire les antipodes, que
lorsqu'il est au zénith.

Il y aurait encore bien d'autres objections à faire
contre cette théorie, mais je crois qu'il serait su-
perflu de les accumuler.

A l'égard des vents particuliers , et surtout des
ouragants, que la plupart des physiciens attribuent
à de simples
ruptures d'équilibre dans les diverses
parties do l'atmosphère , j'avoue que cette cause
me paraît tout à fait insuffisante pour opérer de
pareils effets : une rupture d'équilibre dans l'atmos-
phère ne saurait produire que de simples oscil-

-ocr page 435-

lations, qui seraient même assez faibles, k cause
de la grande compressibilité de l'air qui se prêterait,
sans beaucoup de re'sistance, aux inégalités qui se
formeraient dans sa masse générale. En un mot
les résultats de ces ruptures d'équilibre n'auraieut
nulle ressemblance avec les fureurs convulsives des
ouragants.

Je pense qu'on doit regarder ces terribles phéno-
mènes
comme: i'éffet des attractions et des répul-
sions qui se manifestent dans les grandes opérations
chimiques de la Nature. C'est le résultat d'un
mélange de fluides gazeux, qui s'échappent du sein
de la terre, et qui réagissent violemment contre
ceux qui se trouvent répandus dans l'atmosphère.

L'existence de ces gaz , que vomit l'intérieur du
globe, est assez connue de ceux qui fréquentent
les souterrains des mines : ce sont ces terribles
mofettes qui, trop souvent , tuent les mineurs ,
et détruisent leurs travaux, par d'effroyables ex-
plosions. Les marins même ont eu quelquefois
l'occasion de les apercevoir , et de reconnaître qu'ils
étaient les précurseurs et la cause des tempêtes.

Voici de quelle manière le capitaine Williams
nous apprend qu'oiti peut prévoir une tempête sur
le golfe de Bengale : « Si le vent sud-ouest s'éteint,
« si des vents légers soufflent successivement de tous
« les points de Phorison, et sont entremêlés de
a calmes , si le temps est plus clair qu'à l'ordi-
« naire, autour de l'horison.... si
des toiles d'a-
« baignees s'attachent aux cordages , on peut

« compter sur nne tempête »,

Je n'ai pas besoin de dire que cesfiUiments, qui

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s'attachent aux cordages , ne sont pas de ve'rîtableS
toiles d'araignées ; on sait bien qu'il n'y a pas d'a-
raignées en pleine mer, et pourquoi, d'ailleurs ,
leurs fils annonceraient - ils une tempête, lorsque
l'air est tout à fait calme, ils ne pourraient pas
être apportés du continent ? Ces prétendus
fils
iVaraignées
sont des mofettes souterraines qui se
manifestent précisément, sous la même forme , dans
les travaux des mines; j'en ai
vu , môi-même , sortir
des fissures d'un rocher, comme la fumée d'une pipe;
mais à l'instant oii elles avaient le contact de l'air,
elles prenaient la consistance cle plusieurs fils d'a-
raignées réunis ensemble , et allaient s'attacher à
la voiite des galeries ; ces mêmes mofettes , prennent
quelquefois la forme d'un ballon de la grosseur
de la tête; c'est une enveloppe de ces espèces de
toiles d'araignées, remplie de gaz inflammables,
qui, venant à s'enflammer aux lampes des mineurs,
causent des accidents plus ou moins considérables.

L'illustre et malheureux Lapcyrouse a fait une
autre observation, qui prouve, d'une manière encore
plus directe , l'émanation soumarine de ces gaz ,
qui produisent les tempêtes. Lorsqu'il était, le 'iG
Mai 1-387 , sur les côtes de la Corée , « les vigies,
« dit-il, crièrent du haut des mâts , qu'elles sen-
« taient
des vapeurs brûlantes, semblables à celles
« de la bouche d'un four,
qui passaient comme
« des bouflees, et se succédaient d'une demi-minute
« à l'autre. Tous les officiers montèrent au haut
« des mâts , et éprouvèrent la même chaleur ».

L'apparition de ces vapeurs embràsées , pro-
duites par l'éruption d'un volcan soumarin , fut en

-ocr page 437-

cfifet suivie d'une violente tempête, et je ne doute
pas que toutes celles qu'on éprouve n'aient une
cause tout à fait analogue à celle-là.

A l'égard de celles qui sont périodiques , ellèg
tiennent à des causes qui sont étroitement liées
avec
l'organisation intérieure du globe, qu'on étu-
diera peut-être quelque jour, autant que nos faibles
moyens peuvent le permettre, et que l'observation
des phénomènes extérieurs pourra du moins faire
soupçonner jusqu'à un Certain point.

LETTRE XIV.

Sur les ruines que la Nature couvre de jleurs.

Voyez les Etudes de la Nature et le Génie du
Christianisme. M. Bernardin et M. Chàteaubriant
ont dit à ce sujet des choses très-intéressantes.

LETTRE XV.

l.irs AMOURS DES FLEURS.
A peine du matin la jeune avant-courrière.

Cette pièce de vers est imitée des vers latins d«
Delacroix.

Si capiat domus una duos, dat pronuha signum
Aurora exoiiens, aç,

ï-

-ocr page 438-

Je joins ici les imitations de la même pièce, par
M. Delille et M. Castel. Le lecteur verra sans doute
avec plaisir comment une plume aussi liabOe que
celle de M. Delille sait faire passer les beautés d'une
langue dans une autre.

Des deux sexes divers, de leurs divers organes
Ijes peuples végétaux jouissent comme nous.
L'ôèil distingue d'abord et l'épouse et l'époux.

Le pistil oil la graine a choisi son asile,
L'étamine enfermant la poussière subtile ,
Les distinguent aux yeux. Dans la saison d'amour,
Si Fépouse et l'époux ont le même séjour,nbsp;'

Le signal est donné; l'aurore matinale
Tient frapper de ses feux la couche nuptiale;
Le couple est éveillé ; l'amant brûle, et soudain
Les esprits créateurs s'échappent de son sein.
Dans l'organe secret dont l'ardeur les seconde,
Son amante attendait cette vapeur féconde ;
Elle entre, et le pistil, avec avidité,nbsp;^

Ouvre sa trompe humide à la fécondité.
^ La graine en se gonflant boit le suc qui l'arrose :
C'est un œillet naissant, c'est un lis , une rose ;
Et l'organe qui verse ou reçoit ce trésor.
D'un doux tressaillement frémit long-temps cncor.
Cependant autour d'eux s'enibelht la Nature;
Le papillon fol.ître, et le ruisseau murmure;
Les essaims bourdonnants voltigent alentour,
Et les oiseaux en chœur chantent
l'hymne d'amour.

Mais si les deux époux habitent sur deux tiges, •
Quels spectacles nouveaux et quuls nouveaux prodiges !

-ocr page 439-

Héunis par l'amour, séparés par les lieux.
L'amant darde dans l'air les gages de ses feux j
Les vents les ont reçus j leur aile officieuse
Porte à l'objet chéri la vapeur précieuse;
L'hymen est consommé j des zéphirs complaisants
L'épouse avec transports reçoit ces doux présents;
Et se reproduisant dans des fils digues d'elle,
A son époux absent se montre encor fidélè.

Ces amours, ces hymens, observés par nos sages,
Croit-on qu'ils aient été méconnus des vieux âges ?
•Non ; le peuple du Nil précéda nos savants;
Lu^méme il suppléait à l'haleine des vents;
Lui-même , à leur défaut, sur la pahne stérile,
Secouait les rameaux de son époux fertile j
Et le besoin avait devancé le savoir.

Poème des Trois Règnes, chapt 6.'^

X'Amour d'un noùveau myrte a coiironné sa tète ;
Du monde végétal il a fait la conquête :
Otez la jalousie et les autres chagrins,
On aime chez les fleurs, comme chez les humains.
O toi que l'on adore à Paphos, à Cythère !
Que dis-jetes autels couvrent toute la terre;
Dieu puissant ! d'un regard seconde mes efforts •
Je vais chanter ta gloire, anijne mes accords.

Dans des tentes d'azur, de rubis et d'opale,
Vénus a préparé la pompe nuptiale.
Les plantes qu'agitaient seulement les zéphirs,
Par d'autres mouvements témoignent leurs désirs.
On les voit se pencher, s'entr'ouvrir, se sourire.
Et confondre les feux que l'amour leur inspire.
Si le jour s'obscurcit, et qu'un ciel nébuleux
Leur fasse redouter quelqu'accident fâcheux,

-ocr page 440-

4o4nbsp;NOTES.

Le calice, à l'instant, les branches, le feuillage,
S'agitent de concert pour prévenir l'orage ; ,
Les pavillons fermés en écartent les coups,
Et l'amour est remis à des moments plus doux.

Chaque espèce a ses lois : souvent la même tente
Kéunit côte à côte et l'amant et l'amante ;
Dans des séjours divers quelquefois retirés,
Loin du lit l'un de l'autre ils vivent séparés.
Tel le saide llexible offre dans les prairies
Un sexe différent sur ses tiges fleuries ;
Lorsque vers le bélier le soleil, de retour,
Kamène sur son
char le l'rintemps et l'Amour,
Le mâle fait voler à travers la campagne
Ses esprits créateurs sur sa verte compagne,
Lt, quelque large étang que le sort mette entr'eux,
A l'aide des zéphirs ils s'unissent tous deux.

L'homme leur prête aussi sa féconde industrie..
Dans les brûlants climats oîi la palme fleurie
Semble, en penchant sa tête, appeler son amant,

Le Maure attache un thyrse au palmier fleurissant,

Sur elle le secoue, et revient en automne

Cueillir les fruits nombreux que cet hymen lui donne.

Les Plantes, poème par M. Casiel, chant i.«'

Voici comment M. Campenon s'est approprié les
mêmes idées, dans son poëme plein de grâce et de
charme de la
Maison des Champs.

Le même Dieu qui plaça dans nos ames
Ces doux rapports des deux sexes entr'eux,
Ces vifs désirs, ces amoureuses flammes.
Du cœur de l'homme aliments dangereux,

-ocr page 441-

Du même feu sut animer k plante.
Ainsi que nous, sa jeunesse bouillante
A des penchants, des besoins, des désirs,
Des nœuds secrets, d'inéfables plaisirs;
Et du printemps quand la sève l'inonde,
L'amour la brûle, et l'hymen la féconde.

Mais dp ce peuple étudions les mœurs.
Il est d'abord une tribu de fleurs,
De la Nature admirable caprice,
Qui, résidant sur un même calice,
D'un double sexe y goûtent les douceurs ;
Et s'unissant en couple inséparable,
Dans les plaisirs do ce lien charmant,
A chaque hymen réalisent la fable
De Salmacis et de son jeune amant.
Une autre habite une tige commune,
Mais des rameaux l'intervalle jaloux
quot;Vient séparer les vierges des époux ;
Une autre, enfin, pleurant son infortune.
Qui la condamne à l'absencf;, aux regrets,
Voit, loin des fleurs oii l'amiite respire,
Naître la tige o^^ son amant soupire.
De leur hymen pénétrez les secrets.
Et quand la fleur échappée à l'enfance
A déployé sa fraîche adolescence,
( O de
rin.stinct pouvoir miraculeux ! )
Soudain l'amant, qu'irrite la distance,
Confie aux vents ses filtres amoureux ;
De SCS parfums les plus voluptueux
Flatte de loin son âmante nouvelle,
Charme ses sens, et se courbant sur elle
Jusqu'en son sein, qui s'ouvre avec transport,
Laisse jaillir sa poussière brûlante.
La jeune épouse, interdite, tremblante.
Sur son bonheur se recueille et s'endort.

-ocr page 442-

Et déployant son plus riche pétale,
Pour en couvrir le dépôt de l'amour,
Mère en espoir, sur son sein tout le jour
Laisse flotter la robe nuptiale.

De leur hymen, sî vous trompiez les feux,
Si votre main, par une loi cruelle.
Sur d'autres bords, loin du plant amoureux,
Voulait porter la plante maternelle.
Vous la verriez, victime de vos jeux.
Se dessécher dans un mortel veuvage ;
Prés d'elle en vain mille plants étrangers
Courbent leur cime, inclinent leur feuiUage;
Indifférente à leurs soins passagers,
La triste fleur, en son deuil sohtaire,
Repousserait leur caresse adultère ;
Mais si les vents, propices à ses feux,
Jusqu'en son sein, par une heureuse haleine.
Du jeune époux exilé de ces lieux.
Faisaient voler la poussière lointaine ,
Son sein, flétri par la stérilité,
S'ouvrant encore à la maternité, *
Dans Pair brûlant qui la frappe au passage,
Respirerait l'amour, la volupté.
Et saisirait dans ce vague nuage
Le germe errant de la fécondité.

Un médecin de Louis XIII, nommé Guy de la
Brosse ( dit M. Campenon), fit imprimer, en 1628,
un ouvrage intitulé :
de la nature, vertu et uti-
lité des Fiantes,
dans lequel se trouvent plusieurs
chapitres fort curieux sur le sexe, les sens, et la
génération des plantes ; en voici quelques passages
qui m'ont paru aussi piquants par le fond des idées

-ocr page 443-

que par le naturel du vieux langage dans lequel
s'exprime l'auteur.

« Par le général aveu que tout ce qui prend
nourriture, croît et engendre, est vivant, nos de-
vanciers nous ont assuié que les plantes sont dës
corps animés, vivants et végétants. Empedocle et
Anaxagoras, au rapport d'Aristote, croient qu'elles
étaient , ainsi que les animaux , distinguées de
sexe, pleines de sentiment, se mouvant
à la joie
et à la tristesse, et ayant l'usage du veiller et dii
dormir; même elles ont leur temps auquel elles
entrent en amour. Une certaine Immeur gluante
se trouve entre l'écorce et le bois , que l'on nomme
séve , témoignant leurs désirs amoureux. Lors elles
se transplantent les unes dans les autres, et non

en autre saison,........et se mêlent, quand la

semence .écumante et émue les titille et les cha-
touille.

« Puisqu'elles ont du sens , elles sont émues à
la joie et ii la tristesse, parce que ce sont deux
passions qui s
'introduisent par le sens, et lesquelles
se rencontrent en ce qui les satisfait ou
contredit.
La vigne élève plus haut son sarment quand elle
rencontre quelqu'arbre voisin pour support, et
devient plus belle que lorsqu'elle traînasse. Le
lierre est plus verdoyant rencontrant un chêne ou
une muraille pour support, que
rampant 'a terre.
11 y a un arbre nommé triste, croissant en Ma-
labar ( au rapport d'Acosta ), qui fleurit seulement
de nuit et jamais de jour. Aussitôt que le soleil
luit dessus, Igs fleurs tombent, et ses feuilles de-
meurent tout le long du jom- fanées. La nuit elles

-ocr page 444-

retournent en leur naturel : ses fleurs ont une bonne
odeur; mais aussitôt qu'on les manie, elles la
perdent.

« L'herbe vive donne de pareils sentiments de
son déplaisir , quand on la touche. Celle qu'on
nomme mimeuse ou mole, pourrait être appelée
joyeuse, par les efl'ets contraires qu'elle a de l'arbre
triste; car, aussitôt que le soleil se couche, elle
devient de sorte languide qu'elle paraît morte,
cette passion croissant toute la nuit jusqu'au lever
du soleil qu'elle revient à soi, étant k midi en sa
pleine vigueur , tournant tout le long du jour ses
feuilles vers lui.

« Ces accidents ne sont-ils pas signes de joie
et de tristesse ? Les animaux en peuvent-ils rendre
de plus exprès , hors la voix et le gémissement ?

« Nous pouvons même dire que les plantes
vedlent et dorment comme les animaux, princi-
palement si les choses matérialisées , comme dit
Averroës, se fatiguent
en leurs fonctions, et se
rétablissent par le sommeil restaurant ou plutôt
récréant leurs esprits dissipés; car les plantes tra-
vaillent et sont fatiguées. Elles travaillent, attirant
le suc nourricier de la terre, pour leur aliment,
le digérant , transmuant et distribuant , occupant
leurs sentiments à ces fonctions. Aussi voyons-nous
qu'elles se reposent et dorment. Elles sont encore
fatiguées par le chaud, et par les autres impres-
sions tempestivcs, pour lesquelles elles souflrent
grandement et ont besoin de chômer et dormir.
Aristote nie le dormir aux plantes, parce, dit-il,quot;
qu'elles n'ont point de sens et de mouvement,'

-ocr page 445-

et que le somme est une cessation du sens et
repos du mouvement ; mais nous avons prouvé
qu'elles ont sens , et qu'elles travaillent, voire se
meuvent de plusieurs sortes de mouvements ; quand
même elles n'auraient que celui de la génération,
il suffirait, car elles ont besoin après de se reposer
de telle action. Il me semble qu'avouant cette
nécessaire vérité, nous sommes obligés de dire
que les plantes veillent et dorment. Quand l'on
n'en voudrait avouer la nécessité par ces raisons,
l'on serait obligé de la confesser par les effets ,
considérant le repos et le travail des plantes. Com-
bien sont-elles affaiblies l'été par les ardents rayons
du soleil , et consolées la nuit par l'agréable fraî-
cheur que leur verse la mère du sommeil ?

« L'on remarque que les soucis , les anémones,
les tulipes , les colchiques , et semblables plantes,
ouvrent leurs fleurs au soleil, et se couchant les
referment; ce qu'elles continuent tous les jours,
nous faisant voir par là une espèce de dormir ,
lequel encore est très-exprès au réglisse et au
trèfle aigre ; car tous les soirs , au coucher du
soleil, ils replient leurs feuilles qu'ils tiennent ainsi
toute la nuit, et à son lever les ouvrent et con-
tinuent tout le jour, soit que le soleil luise ou
non ; mais outre celui-là les plantes ont un très-
exprès dormir , ou repos , l'hiver , après le tra-
vrail du printemps et de l'été. Et ainsi qu'il y
a des animaux qui dorment de jour et veillent la
nuit, allant à la pâture, aussi y a-t-ii des plantes
qui dorment au printemps et veillent l'été ; d'autres
veillent l'automne et l'hiver, et dorment les deux

i

-ocr page 446-

autres saisons.'Ces varie'te's rendent la Nature plus
belle , et les diversités en sont très-agréables, en
l'un et l'autre règnes des animaux et des plantes.
Plusieurs bulbeuses dorment un long-temps même
hors de leur lit, comme les oignons , les ails, les
échalottes , et les tulipes, et se conservent lon-
guement endormis hors de terre , sans s'altérer ;
mais lorsque leur réveil approche , on les voit
poasser leur sève et mourir, si elles ne sont re-
mises au giron de leur mère et nourrice , pour
lui sucer la mamelle, à guise de petit enfant qui,
à son reveil est impatient, et la faim le pressant,
ne demande qu'à tetter.

« Que s'il y a quelques plantes sans repos , tra-
vaillant continuellement , ainsi que l'oranger et
le citronnier , ayant toujours fleurs ou fruits , et
tien souvent tous les deux ensemble , c'est qu'elles
imitent les fourmis, dont l'assidu labeur ne prend
point de fin ; encore que, retirées dans leur taupi-
nière et cachées pour l'hiver, elles ne chôment
jamais, du moins nous l'assure ainsi le philosophe
Cléantes , après les avoir observées quarante ans.

« Voilà les raisons qui nous font penser que les
plantes veillent et dorment, ou si l'on ne veut
ces mots , qu'elles travaillent et se reposent ».
{De la nature des Plantes, chap. 9, 10 et 12. )

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LETTRE XVL

de la décomposition de l'air.

Avant d'entrer en matière je citerai quelques
beaux vers de\Delille , sur la décomposition de l'air.

Sur nous, autour de nous, de deux aîfs different«

L'Éternel répandit les fluides errants ;

L'un en courant, moins pur, dans l'immense atmosphère

Règne plus abondant ; l'autre, phis salutaire ,

A la plus faible part dans les champs de l'éther j

De leurs flots réunis la Nature a fait l'air :

Sur nous , comme l'esprit d'une liqueur actire ,

L'un d'eux exercerait une action trop vive ;

L'autre serait mortel, et de nos faibles corps

Ses dormantes vapeurs détruiraient les ressorts.

Dévoré par le feu, fluide commrfl'onde, ,

L'air d'effets variés est la cause féconde.

Respiré par la plante et par les animaux,

L'air ainsi que le feu circule dans les eaiix,

L'air ainsi que le feu court au sein de la terre,

De la flamme électrique il arme le tonnerre ,

Remonte de nos champs aux plaines de l'éther,

Il roule dans l'espace en une immense mer.

De ces grands mouvements qui décrira l'histoire ?

C'est là, dans l'étemel et grand laboratoire ,

Que sans cesse essayant miUe combinaisons,

Récipient commun de tant d'exhalaisons ,

La Nature distille, et dissout et mélange,

Décompose, construit, fond, désordonné, arrange

Ces innombrables corps l'un sur l'autre portés,

Quelques-uns suspendus, d'autres précipités j

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Des soufres et des sels fait l'analyse immense,
Des trois règnes divers enlève la substance,
Xes 03ufs de l'animal, et la graine des fruits.
Et leur premier principe, et leurs derniers produits,
Et la vie et la mort, et les feux et les ondes.
Et dans cc grand cabos recompose les mondes.
Mais d'abord essayons d'exprimer dans mes vers
Ses divers attributs et ses eflets divers.
A notre œil curieux dérobant sa naissanamp;p,
A tous les éléments l'air unit sa substance.
Ddatablc, élastique, invisible et pesant.
Il est toujours du.feuI'aUié complaisant.
Peut-être, comme l'e.iu, le feu le rend Iluide;
De ce principe actif chacun d'eux est avide ;
Pénétré par les corps, W.seul les presse tous;
Océan invisible, il roule autour de nous ;
Chaque être tour ù tour cl l'attire et le chasse ;
11 vit dans le rocher et même dans la glace ;
Du corps qui le reçut, du corj)s qui le produit,
Il sort avec fracas ou s'exhale sans bruit ;
Lui-même agit sur eux; il dessèche la terre.
Il rouiUe les métaux, il pénétre la pierre.

Tâchons à present de concevoir clairement la
constitution de l'atmosplière. La chaleur solaire
et la chaleur centrale sont les deux causes prin-
cipales de la chaleur, qui e'chaulFe notre plauète.
La chaleur centrale est, à notre latitude, de onze
degrés et demi ( échelle centigrade ). Les obser-
vations faites depuis un siècle , à l'observatoire de
Paris , ne laissent aucun doute sur cet objet. Or
une chaleur d'environ onze degrés , est non-seule-
ment insuffisante pouj volatihser les corps qui

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existent sur la surface du globe , même pour y
entretenir une douce tempe'rature. Les régions
polaires , privées pendant long-temps de la pré-
sence du soleil, se refroidissent à un tel point ,
qu'on y éprouve les froids les plus vifs et les
plus rigoureux. Pendant l'hiver, lorsque le soleil
e'claire moins long - temps notre horizon , et que
ses rayons y tombent plus.obliquement, des froids
violents se font sentir dans nos contrées , quoique
la chaleur centrale y soit constamment la même.
Les corps solides soulfrent un refroidissement très-
sensible , et plusieurs liquides acquièrent la soli-
dité. Tel est le sort qu'éprouverait notre planète,
si, tout à coup , elle se trouvait transportée dans
une région beaucoup plus froide du système so-
laire. Malgré l
'influence de la chaleur centrale ,
les liquides se transformeraient en masses solides j
les substances gazeuses perdraient la fluidité aéri-
forme pour passer à l'état de hquidité. La chaleur
solaire a donc la plus grande influence sur l'entre-
tien de la chaleur qui échauffe notre planète , sur
la volatilisation des substances qui existent sur sa
surface, et conséquemment sur le dégagement des
fluides aériformes qui sont le fruit de cette trans-
formation. L'atmosphère n'est donc autre chose
que l'assemblage de toutes les substances suscep-lt;
tibles de se vaporiser , ou plutôt de conserver l'état
aériforme au degré habituel de température dans
lequel nous vivons, et à une pression égale au
poids d'une colonne de mercure de soixante-seize
centimètres ( vingt-huit pouces ). Ces fluides for-
ment une masse , depuis la surface de la terre,

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jusqu'à la. plus grande hauteur à laquelle on soit
encore parvenu; et cette première couche est pro-
bablement recouverte, comme nous le verrons dans
la suite, d'un fluide aériforme particulier , qui s'en-
vole , en vertu de sa grande le'gèrete', dans les
régions supérieures, pour y occuper une place
marquée par sa pesanteur spécifique, et pour y
donner naissance aux météores les plus frappants
que l'atmosphère nous présente.

Mais quels sont les fluides aériformes qui com-
posent cette couche inférieure que nous habitons?
Tel est l'important problême dont nous allons
chercher la solution.

L'analyse et la synthèse sont les seuls moyens
qui soient en notre pouvoir , pour connaître la
nature des corps. Lorsqu'on peut les employer tous
deux, on forme un corps de preuves, le plus
complet et le plus satisfaisant. Dans le sujet qui
nous occupe, nous avons l'avantage de les réunir.
Nous pouvons
décomposer l'air atmosphe'rique, et
le recomposer ensuite avec les mêmes éléments
qui résultent dq sa décomposition.

Expérience.

On prend une cloche de verre , d'une certaine
hauteur, qu'on renverse sur une soucoupe ou cap-
sule à demi-pleine d'eau , au milieu de laquelle
on a fixé une bougie allumée; on voit bientôt la
flamme se rétrécir , prendre une couleur bleue ,
s'éteindre absolument au bout de quelques se-
condes , et l'eau de la soucoupe monter à peu près
jusqu'au quart de la hauteur de la cloche.

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Si l'on transporte ensuite la cloche sur l'appa-
reil pneumato-chimique, et que l'on éprouve l'air
qui est resté dans la cloche après la combustion ,
on trouve qu'il est méphitique, c'est-à-dire im-
propre à la combustion et à la respiration.

Il est aisé de voir qu'il j a absorption d'air dans
cette expérience. Car lorsque la bougie est éteinte ,
l'eau monte à peu près jusqu'au quart de la hauteur
de la cloclie. Et qu'on ne dise pas que l'air ren-
fermé sous la cloche est raréfié par la flamme ,
qu'il s'en échappe même presque toujours quelques
bulles au moment où l'on place la cloche sur la
bougie; et que, conséquemment, on doit regarder
l'ascension de l'eau dans la cloche, comme l'effet
de la seule condensation de l'air par le refroidis-
sement , tandis que l'extinction de la bougie a
pour cause l'efTet de la dilatation de l'air, pro-
duite par le calorique. Il est aisé de détruire cette
objection , en faisant disparaître les circonstances
accessoires qui lui ont
donne' naissance. Pour cela,
on place la bougie non allumée dans un grand
flacon , après avoir fixé , sur l'extrémité de la
mèche, un très-petit morceau de phosphore; on
ferme ensuite le flacon avec un bouchon portant
un tube de verre de quarante à quarante - cinq
centimètres ( quinze à vingt pouces) de longueur,
qui communique avec une grande cloche placée
d'avance sur la tablette d'une cuve hydropneuma-
tique , dans la vue de tenir l'air renfermé à la
pression uniforme de l'atmosphère. Les choses ainsi
disposées , on allume la bougie par le moyen d'une

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forte lentille, et on observe e'galement et l'ex-
tinction de la bougie , et la diminution du volume
de l'air, détermine'e par l'ascension de l'eau au-
dessus du point où elle se tenait dans la cloche,
avant l'opération ; d'où il suit invinciblement que
l'effet est indépendant, soit de la condensation,
soit de la réaction de l'air échaufïé , et que, con-
séquemment, l'ascension de l'air a pour cause l'ab-
sorption d'une partie de l'air contenu dans la
cloche; a.o l'absorption de l'air se fait uniquement
aux dépens d'un fluide aériforme, capable d'ali-
m.enter la combustion , et puisque l'eau monte à
peu près jusqu'au quart de la hauteur de la cloche,
il s'ensuit que ce fluide aériforme forme le quart
de l'air atmosphérique ; S.» l'air qui reste dans
la cloche, après l'extinction de la bougie, est
tout à fait méphitique ; il faut donc conclure que
l'air atmosphérique est composé d'environ trois
parties d'un gaz méphitique, et d'une partie d'un
fluide aériforme ,
propre à la combustion et ù la

respiration.

Cette expérience devient plus intéressante, si l'on
place, dans la capsule qui soutient la cloche pleine
d'air atmosphérique, plusieurs bougies allumées de
différente hauteur. Alors l'extinction des bougies
a lieu successivement , en commençant par celle
qui a plus de hauteur, parce que le fluide aériforme
qui est seul propre à alimenter la combustion ,
manque plus tôt dans la partie supérieure de la
cloche que dans sa partie inférieure , et cela n'a
rien qui puisse exciter de là surprise , puisque,
la pesanteur spécifique de cc gaz rcspirable est

-ocr page 453-

NOTES.nbsp;417

plus grande que celle du gaz méphitique qui con-
court avec lui à former l'air atmosphérique.

( Libes. )

De T Oxygène^

Ces expériences ne laissent aucun doute sur Ift
composition de l'air atmosphérique ; elles nous
éclairent sur le rapport qui existe entre les fluides
aériformes qui en sont les éléments. Lorsqu'elles
sont faites avec attention et avec exactitude , elles
nous font voir que la proportion du gaz respirable
et du gaz méphitique qui entrent dans la com-
position de l'air atmosphérique, est dans le rapport
de
27 à 73, ou environ de i à 3.

Le gaz respirable qui forme le quart dé l'air atmos-
phérique , appelé d'abord air déphlogistique , par
Priestley, air de fe^ par Scheele, air vital ou air
pur , par Lamétherie j a reçu de chimistes mo-
dernes le nom de gaz oxygène ; nous adoptons cette
dernière dénomination , et nous donnerons la raison
de cette préférence lorsque nous étudierons la na-
ture de ce gaz.

On s'était aperçu depuis long-temps du déga-
gement du gaz oxygène, dans
Un grand nombre
d'opérations chimiques ; mais on n'avait jamais pensé
à s'emparer de ce fluide aériforme pour en étudier
la nature et les propriétés. C'est Priestley qui a
l'honneur de cette découverte , quoique , comme
il le dit lui-même , il y ait été conduit, pour ainsi
dire par hazard, on lui doit néanmoins tout l'éclat,
qu'elle a répandu sur la physique.

I.nbsp;27

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On peut employer différentes substances pour
obtenir du gaz oxygène. Le précipité perse , qui
n'est autre chose que du mercure bnilé , à l'aide
du feu, par l'absorption de la base de la partie respi-
rable de l'air atmosphérique ; le précipité rouge ,
c'est-à-dire du mercure brûlé par un des principes
de l'acide nitrique qu'il décompose à l'aide du calo-
rique ; une substance métallique , appelée man-
ganèse , qu'on arrose d'un peu d'acide sulfurique, etc.,
en fournissent une plus ou moins grande quantité.

Les feuilles des plantes exposées, dans l'eau, au
contact des rayons solaires , exhalent aussi du gaz
oxygène très - pur. Celui qu'on retire des autres
substances , si l'on en excepte le manganèse et le
précipité perse , est toujours mêlé d'un gaz mé-
phitique qui altère sa pureté. Aussi emploie-t-on
de préférence le manganèse pour obtenir du gaz
oxygène.nbsp;•

De l'Azote.

Voici une note qui m'a été donnée par M. Rai-
mond , savant distingué, et professeur de chimie
à Lyon.

Comme l'oxygène, Tazote est toujours combiné j
îa manière la plus commodè de l'étudier, est de le
prendre en état de gaz. C'est donc du gOii azote que
nous allons nous occuper.

Ce gaz ftit d'abord nommé air phlogistiqué, par
Priestïey, d'après le système de Stahl.

Lavoisier le nomma mofette atmosphérique ;
«Jans la nouvelle nomenclature il a pris le nom d»

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notes.nbsp;4^9

gaz azote de a privatif, et de zoé vie, parce que
son
inspiration tue les animaux.

Cavendish, célèbre physicien anglais, trouva que
l'azote était la base de l'acide nitrique.

Bertholet découvrit ensuite que ce principe était
«n de ceui de l'ammoniaque , et qu'il est en très-
grande abondunce dans la chair des animaux. Il
forme environ , sous forme élastique , les trois
quarts de l'atmosphèr«.

Il y a une foule de procédés pour l'obtenir ; lés
huiles volatiles , et surtout celle de. térébenthine,
donnent un moyen prompt et facile d'extraire l'azote.

Expérience.

Ilenferméz sur l'eau un bocal de verre ; cette eau
étant surnagée d'un peu d'huile de térébenthine ,
l'huile absorbera bientôt l'oxygène de l'air. L'eau
montera d'un cinquième , et vous n'aurez plus dans
le bocal que du gaz azote.

Cette expérience prouve combien il est dan-
gereux d'habiter des appartements dont les boi-
series sont fraîchement vernies ; les vernis qui, la
plûpart, sont faits avec de l'huile de térébenthine,
ou d'autre huile , pompent tout l'oxygène et ne
laissent que l'azote qui asphyxie avec promptitude.

Il en est de même des fruits ou autres produits
végétaux, qui mettent facilement l'azote dè l'air à
nud, et qui en outre laissent échapper le carbone,
un de leurs principes, aussi dangereux à respirer
que le gaz azote.

Je citerai ici un exemple dont j'ai été témoin :

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deux jeunes personnes couchèrent à la campagne,
dans une chambre qui contenait uue récolte de
fruits ; elles furent toutes deux asphyxiées dans leur
lit, et il fut impossible de les rappeler à la vie.

Les chairs des animaux renferment beaucoup
d'azote, mais toutes les parties de la chair ne sont
pas également riches de ce gaz. Celles qui en con-
tiennent le plus sont les parties les plus anima-
lisées , comme le sang, les muscles, etc. ; les moins
auimalisées eu contiennent le moins , comme la
gélatine.

Par la même raison , les jeunes animaux en four-
nissent
moins que les animaux les plus vieux. Aussi
la pulréfaction des premiers est-elle plus lente que
celle des derniers.

Fourcroi a découvert, il y a vingt ans , que les
vessies natatoires des carpes et autres poissons, con-
tietinent de l'azote ; ce qu'il est aisé de vérifier, en
crevant ces vessies sous des cloches pleines d'eau.

Vicq d'Azir a explique la formation de cet azote,
en le regardant comme le résultat de la digestion
des poissons. Il assurait avoir trouvé le canal qui
sert au versement de ce gaz, et qui passe de l'esto-
mac dans les vessies ; lorsque le poisson en a trop
il le rejette par la bouche , et les bulles d'azote
viennent crever à la surface de l'eau, ainsi qu'on
peut le remarquer dans les eaux poissonneuses et
dormantes , surtout dans les temps d'orages où il
paraît que les fonctions vitales ont le plus d'énergie j
c'est aussi j)ar le moyen de ce gaz qu'on explique
les mouvements dc.5 poissons du bas en haut , et
du haut en bas, mouvement qui résulte de la plus

-ocr page 457-

«u moins forte compression que l'animal exerce
sur ses A'essies natatoires.

Le gaz azote éteint les corps en ignition, et est
irrespirable pour les animaux.

T1 est plus léger que l'air atmosphérique. La lé •
gèreté le porte dans les parties élevées des lieux
des grandes assemblées, où la respiration d'une foule
d'hommes absorbe tout l'oxygène de l'air, pour laisser
l'azote à nud. Il est bon de dire que le gaz acide
carbonique produit par la respiration, et qui, par
sa pesanteur spécifique , reste dans le bas des lieux
des rassemblements, exigerait ainsi, pour sa sortie,
des soupiraux latéraux ou des puits , pom- éviter
les asphyxies.

L'azote paraît tenir spécialement à l'animal, et
former la ligne de démarcation avec le végétal.
Tout ce qui est substance animale fottrnit de l'ammo-
niaque , dont l'azote est un des principes, ainsi que
de l'acide nitrique.

On ignore comment l'azote se combine dans les
animaux. Ils pompent probablement ces principes
qui abondent dans le gluten des plantes , et qui
les rendent si propres à la nourriture des animaux.

L'azote fait plus des trois quarts de notre atmos-
phère , et cependant il ne paraît que passif aux
yeux des chimistes. Ce n'est probablement qu'une
erreur ; la science, en faisant de nouveaux pro-
grès, reconnaîtra dans l'azote un des plus puissants
«gents de la Nature. (
Extrait pendant les Cours
(le m. raimond. )

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LETTRE XVn.

HARMONIE ENTRE LE REGNE VEGETAL ET LE BÈGNE
ANIMAL.

Mais comment l'atmosphère conserve-t-elle tou-
jours le même degré de pureté? etc., etc.

C'est une propriété bien reconnue dans les feuilles,
qu'elles absorbent l'humidité atmosphérique par
leur surface inférieure, ainsi que beaucoup d'autres
corps, pour leur faire subir, dans leur tissu, les
changements nécessaires pour opérer la nutrition
végétale. Cette propriété des feuilles est commune
aux autres parties vertes des végétaux , comme les
tiges , les stipules , les calices , les fruits verts ;
mais dans ces parties, l'absorption serait insuffisante
jjour
nourrir les plantes sans le secours des feuilles.
Cette force d'absorption est si grande et tellement
nécessaire à l'entretien de la vie végétale, que si
on enlève aux plantes leurs feuilles, elles périssent
la plupart , ou elles languissent long-temps et ne
donnent ni fleurs ni fruits. C'est sur cette consi-
dération importante de physiologie végétale que re-
pose la théorie de l'efifeuillaison partielle des plantes,
dans certaines circonstances, pour les faire fructifier,
pour diminuer l'abondance de la sève ou la con-
centrer dans quelques rameaux, pour y donner plus
de développements aux fruits.

Mais l'objet le plus important des feuilles, est de
rendre continuellement à l'air une partie du gaa

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oxygène que la respiration animale et d'autres cir-
constances lui ont enlevé. L'eau atmosphérique
aspirée , comme nous l'avons dit , par les pores
absorbants de la face inférieure des feuilles , est
décomposée dans leurs viscères ; son hydrogène se
fixe dans le végétal, et devient la base sohde des
sucs propres, des substances résineuses, gommeuses
et extractives ; et son oxygène sort par la surface
supérieure des feuilles , pour se répandre dans l'air
qu'il purifie. Elles absorbent aussi le gaz acide car-
bonique , dont le carbone se fixe dans la plante,
de laquelle il devient la base solide ou corps ligneux,
et dont l'oxygène est aussi versé dans l'air atmos-
phérique qu'il purifie de concert avec l'air vital,
séparé de l'eau , dans le tissu des feuilles. Nous
pensons aussi que dans certaines circonstances elles
absorbent et
solidifient en elles le gaz azote pur,
qu'on suppose
généralement entrer dans les plantes,
et en sortir sans y avoir éprouvé aucune altéra-
tion. Les feuilles absorbent de préférence toutes les
matières
volatiles nuisibles à l'économie animale
vivante, les substances carbonées j
les gaz et émana-
tions impures ; les gaz hydrogènes, azotés, sulfurés ,
carbonés ; les émanations putrides animales ; les
dissolutions impures qui flottent dans l'air ; les gaz
septoprés , les miasmes délétères de toute nature,
ïloivent être considérés comme est le pabulum le
plus approprié à l'organisation des plantes qui s'assi-
milent ces matières , et en séparent un gaz vital
qu'elles versent dans l'atmosphère ; mais ce n'est
que par la
présence de la lumière solaire qu'elles
produisent ces heureux résultats ; car la nuit elles

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dégagent au contraire un gaz acide carbonique er-.ien-'
tieliement nuisible à l'e'cononiie animale vivante.
Les expériences souvent répétées qui ont établi ces
propositions , ont fait considérer les feuilles des
plantes comme le laboratoire de la Nature , où se
prépare l'air pur indispensable à l'entretien de la
vie animale. C'est aux physiciens Halés et Ingenhouz
que la physiologie végétale est redevable de ces
beaux résultats , qui ont jeté un grand jour sur
la science hygiénique. Toutefois les recherches de
Spallanzani semblent modifier ces propositions ; ce
naturaliste célèbre a fait
tine suite d'expériences
qui tendent à démontrer que les plantes les plus
exposées aux rayons solaires, dégagent beaucoup
moins d'oxygène que ne le pensaient les physiciens
que nous avons cités ; et que , comme elles n'en
dégagent jamais la nuit, ni dans un jour sombre
ou pluvieux , et qu'au contraire , dans ces circons-
tances , elles dégagent du gaz acide carbonique,
il
résulte , pour ce physicien , calcul fait des cir^

constances favorables au dégagement de l'un et de
l'autre de ces gaz , et des quantités qu'elles en
versent dans l'atmosphère, que la proportion d'oxy-
gène fournie par les végétaux, est beaucoup moindre
que celle du gaz acide carbonique. Il fallait, d'après
ces conclusions, chercher ailleurs que dans les feuilles
la source de l'oxygène. Spallanzani avait entrepris
«n fonds d'expériences sur cet intéressant sujet de
recherches , lorsqu'une mort imprévue vint subi^
tement l'enlever à l'université de Pavie, aux science?
et aux lettres. Les expériences de M. de Saussure
fils, sur diverses plantes mises en contact avec tous

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les gaz, prouvent aussi combien la tliéorie gcnc'-
ralement admise du dégagement de l'oxygène par
les feuilles est peu exacte ; qu'au lieu de verser ce
fluide vital, elles l'absorbent et dégagent, dans toutes
les circonstances , de l'air impur. Elles produisent,
selon ce physicien , du gaz acide carbonique pur,
quand elles sont en contact avec l'oxygène atmos-
phérique ; mais, décomposant ce gaz carbonique ,
après l'avoir formé , celui-ci ne peut corrompre l'air
dans lequel les plantent végètent, comme le font
les animaux. Ainsi , d'après ces expériences , les
plantes et les animaux forment continuellement,
avec l'oxygène atmosphérique , de l'acide carbo-
nique , soit qu'elles végètent au soleil ou à l'ombre.
— J'ai voulu présenter l'état actuel des connais-
sances sur les émanations gazeuses des plantes, parce
que ce sujet tient à la salubrité publique, et que,
considéré sous ce point de vue , il présente le plus
grand intérêt, et sollicite de nouvelles recherches
pour fixer les opinions contradictoires établies par
des physiciens d'une grande autorité, et que l'étude
de la physiologie végétale a contribué
à illustrer
dans les sciences.

Dans l'hypothèse de ceux des physiologistes des
plantes, qui pensent que les feuilles et les parties
vertes des végétaux produisent l'air vital, les opi-
nions diffèrent sur l'origine de sa source première.

Hassenfratz pense que ce gaz est un produit ex-
clusif de la décomposition de l'eau dans les feuilles.
Senebier en attribue au contraire la production à
la séparation de l'oxygène du composé binaire acide
carbonique, que les plantes absorbent. La quantité

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de carbone que les plantes renferment, semble mi-
liter en faveur du sentiment de ce célèbre physicien j
mais il paraît que ces deux substances se décom-
posent dans les feuilles , et que l'eau et l'acide
carbonique abandonnent leur oxygène, et fixent,
l'un , son carbone , et l'autre, son hydrogène, dans
le tissu végétal, pour former la charpente ligneuse,
les substances gommeuses, résineuses et tétractivesj
et si on démontre une fois que l'hydrogène et le
carbone ne sont qu'une même substance dans deux
états différents, cette supposition acquerra plus de
fondement. Mais d'oii les
arbres qui habitent les
montagnes,
ou qui sont situés à leur revers, ou
isolés dans les plaines, reçoivent - ils le gaz acide
carbonique nécessaire à leur nutrition, puisque la
pesanteur spécifique de ce gaz le fait toujours habi-
ter dans les régions inférieures, et qu'on ne peut
supposer que , dans cette circonstance, celui que
les animaux respirent , ou qui se dégage sponta-
nément de l
'humus végétal , soit en assez grande
quantité pour opérer la nutrition végétale ? Si l'on
disait que ce gaz est dissous dans l'eau que les ra-
cines aspirent de la terre, ou que les deux centièmes
qui entrent dans la composition de l'atmosphère
peuvent produire cet effet, ee ne serait pas, je
pense, résoudre totalement la question. Nous pen-
sons que , dans cette circonstance , le gaz azote
devient le pabulum des feuilles, de concert avec
l'eau dissoute dans Fair, dont la décomposition,
dans les végétaux, se fait sans qu'on en ait encore
expliqué le mécanisme exact, pi donné la démons-
tration rigoureuse.

-ocr page 463-

Pour que le ile'gagement de l'oxygène ait lieu, il
faut que les feuUles soient saines, vertes et dans toute
leur force. Celles des jeunes végétaux en donnent,
à surface» égales,'non n;ioins que les feuilles plus
avancées en âge , et celles des plantes étiolées,
malades et panachées en donnent peu.

Les plantes qui ne perdent pas leurs feuilles,
et dont les fonctions s'exécutent en hiver, donnent,
dans toutes les saisons , le gaz oxygène , ainsi U
nombreuse famille des mousses, plusieurs graminées,
un grand nombre de plantes subacquées, quelqur»
fougères, les trimoles, l'hellébore, le buis, le gui,
les pins , les sapins, les genévriers , le houx, les
pervenches, le lierre, l'if, les ruscus, la lauréole,
les thuyacs, les cyprès , purifient l'air dans la saison
de l'hiver. Il conviendrait, d'après ces observations,
de préférer les arbres verds pour faire des plan-
tations dans les faubourgs, sur les grands chemins
et les promenades des villes, el dans les lieux con-
sacrés aux funérailles. Si l'histoire des sécrétions
végétales n'avait point été inconnue des anciens,
comme leurs écrits tendent à le prouver, il serait
peut-être vrai de dire , que c'est autant d'après
ces considérations , que par leurs aspects lugubres ,
qu'ils plantaient des cyprès autour des tombeaux.

Si le vert sombre des feuilles du cyprès inspire
quelquefois des idéesmélancoUques,le recueillement
et la méditation , cet arbre n'en est point rejeté,
pour cela , des jardins de délices , où il figure
d'ailleurs agréablement de nos jours, et qu'il em-
bellit dans l'antiquité. On a recommandé des plan-
tations de frênes dans les lieux insalubres , pour

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en détruire le mauvais air, parce que ces arbres
jouissent d'une très - grande propriété absorbante
par leurs feuilles ; mais comme ils perdent les organes
absorbants en automne, et que'd'ailleurs ils s'ac-
compagnent de mouches infectes , il y aurait p]u5
d'avantages à leur substituer les cyprès et les autres
arbres verds , qui dégagent l'air vital à toutes les
époques de l'année, et dont l'élégance des rameaux
et la forme déliée des feuilles flattent plus agréa-
blement la vue que le feuillage des frênes indigènes
à la France.

{Nouveau Dictionnaire d'Hist. uat., mot Feuille).

Voyez aussi le bel ouvrage de Bonnet, sur l'usage
des feuilles.

LETTRE XVIIL

DU GAZ ACIDE CARBOPflQUE ET du diamant.

J'ai déjà parlé, âu commencement de ces notes,
du gaz acide carbonique, ainsi je me contenterai
de dire quelques mots du carbone pur ou du
diamant. Voici une note que je dois à l'amitié
de M. Raimond, savant professeur de chimie , à
Lyon.

De tous les corps de la Nature, le diamant esi
le plus inaltérable. Il brûle sans laisser aucun résidu.
Sa for me la plus ordinaire est un octaèdre ou
figure à huit pans. Il y en a cependant de sphé-
roïdes, ou à un plus grand nombre de faces.

-ocr page 465-

La cristallisation du diamant ordinaire, celle des
autres minéraux, se fait, suivant la théorie savante
d'Haiiy, par la superposition des différentes lames
qui en forment l'agrégé. Le lapidaire s'attache à
suivre le fd de direction de ces lames, pour pro-
duire dans le diamant cet éclat qui le rend si
précieux.

C'est aux Indes orientales qu'on trouve ce corps
qne la Nature n'a guère prodigué. Les plus beaux
se tirent des mines de Visapour et de Golconde.

Il s'en trouve dans l'Amérique méridionale et
surtout au Brésil; mais ces diamants sont inférieurs
à ceux des Indes.

C'est la roche granitique qui leur sert de gangue.
Ils sont quelquefois, mais très-rarement, charriés
par les eaux.

Le diamant brut est enveloppé de deux couches ,
l'une de terre et l'autre de pierre, qu'il faut dé-
tacher pour pouvoir le polir; c'est en frottant du
diamant contre du dianoant, qu'on l'use et qu'on
le-taille.

Le diamant se nomme rose, quand il est plat
d'un côté , et taillé à plusieurs facettes de l'autre.
Il se nomme brillant, lorsqu'il est taillé de même
des deux côtés. Un brillant scié par le milieu peut
fairç deux roses.

Le diamant brûle à l'air comme tous les corps
combustibles j mais quand il n'a pas le contact de
l'air, il est inaltérable par l'application du calo-
rique le plus intime. Cette propriété est bien connue
des lapidaires, qui, lorsqu'ils veulent dépouiller
les diamants de tous les corps qui leur sont unis,

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et qui gâteraient leur brillant, leS mettent dans
un creuset recouvert d'un ciment particidicr , pour
empêcher l'air d'y entrer, ét font ainsi agir sur
eux le feu le plus violent, sans crainte qu'ils ne
s'altèrent, ou se décomposent.

En comparant la force réfractive du diaiiiaftt
avec sa densité. Newton trouva qu'elle était plus
forte que cette dernière, et il en conclut, par une
analogie que le génie seul peut trouver, que le
plus en réfraction était dû
à la combustibilité du
diamant. François I.^r, empereur d'Allemagne, avait
tenté ,
à Yienné , au commencement du siècle ,
des expériences sur le diamant, qui ne furent pas
faites avec aSsez d'exactitude pour pouvoir en tirer
des conclusions ponctuelles sur sa nature. Macquer,
t't enfin Lavoisier, reprirent ce travail, et ce dernier
parvint
à levGr tous les douteà, ef à prouver la
vérité de l'assertion de Neivton.

L'appareil dorit se servait Lavoisier pour brûler
le diamant, était simple : il ^laça
un petit godet
qui contenait de la poussière de diamant sur du
mercure , et recouvrit le téut d'une cloche de verre ,
oil il y avait de l'air atmosphéiique. Par le moyen
d'une lentille, il concentra la chaleur solaire sur
le diamant qui ne tarda pas à brûler complètement.
Ayant examiné le gaz qui se trouvait dans la cloche,
après la combustion , il trouva du gaz acide carbo-
nique , et de l'azote , dont le poids était parfai-
tement égal à la poussière du diamant employé , et
à l'air atmosphérique qui avait été d'abord contenu
dans la cloche. Cette expérience fut répétée plusieurs
fois et donna toujours le même résultat. La con-

-ocr page 467-

elusion qu'en tira Lavoisier, et qui était rigoureuse,
fut que le diamant n'était que du carbone pur.
Cette conclusion a été adoptée par beaucoup de
chimistes, quoiqu'il paraisse étonnant qu'une subs-
tance , si rare, ne soit que le principe du charbon,
si commun partout, principe qui est le carbone,
considéré comme dépouillé de tout ce qui lui est
étranger.

Les raisonnements les plus sévères conduisent à la
conclusion de Lavoisier ; et quelque singulière qu'elle
paraisse, il estpresqu'impossible de ne la pas adopter.

i.o Le diamant, sans le contact de l'air, est
inaltérable par le calorique.

3.0 A l'air , il brûle comme tous les autres corps
combustibles.

3.° Le produit de cette combustion est la mise à
nud de l'azote de l'air, et la formation de l'acide
carbonique par le carbone combiné à l'oxygène.

Le temps ne peut avoir aucune influence sur
le diamant, il traverse les siècles sans diminuer de
poids ou d'éclat. C'est cette propriété, sa rareté et
dureté, qui le rendent si précieux, et qui en
ont fait un des plus beaux ornements de la parure
des femmes.

Les alchimistes avaient attribué aux diamants et
aux autres pierres précieuses des qualités occultes.
Le célèbre Boyle a fait im gros ouvrage sur ce sujet,
où il veut prouver que la poussière du diamant ,
prise intérieurement, a une foule de propriétés
médicamenteuses; on n'a plus foi à toutes ces re-
cettes , et on les met au même rang que
Vor po-
table ,
ridicule chimère des alchimistes.

-ocr page 468-

LIVRE TROISIÈME.

SUR I/A LUMIERE.

ISfOle communiquée par M. Patrijt.

De toutes les substances corporelles , la lumière est
certainement celle qui préséntè les phénomènes les
plus singuliers, les plus incompréhensibles. La seule
question de savoir comment la lumière du soleil et des
étoiles parvient à nos yeux, a divisé d'opinion les
plus grands géomètres, les plus célèbres physiciens.

L'opinion qui paraît aujourd'hui la plus géné-
xalement adoptée, c'est que la
lumière est une ewa-
«aftOH réelle de molécules de matière lumineuse,
qui sont lancées de toutes paris, avec une force
inconcevable, p.tr les corps lumineux, en sorte que
ces molécules parcourent des milliards de lieues ,
toujours avec la même vitesse , qui est si prodigieuse,
qu'elle surpasse un million de fois celle d'un boulet
de canon : elle est de quatre millions de lieues par
minute.

Cette hypothèse, de l'émanation de la lumière,
était déjà rciçue par les plus célèbres philosophes
de l'antiquité , notamment par Démocrite, Épicure
et le poëte Lucrèce , qui l'a exposée en beaux.vers.
Parmi les modernes, Kewtou et d'auli-cs savants

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illustres l'ont adoptée. Cependant elle présente de si
grandes difficultés, que d'autres savants, d'autres géo-
mètres du plus grand nom, l'ont regardée comm e inad-
missible : dans ce nombre on distingue Ma/ZeZ-ra/ic/fe,
Descartes, Huygens, et surtout l'illustre^^H/er, l'un
des plus profonds savants et des plus grands géo-
mètres qui aient existé; il regardait même cette hy-
pothèse comme si dénuée de vraisemblance, que,
malgré sa modération naturelle , il a cru pouvoir
rappeler à cette occasion, ce mot de Cicéron :
quil n'est point d'opinion si absurde qui n'ait passé
par la téte de quelque philosophe. ( Lett, à une
princesse d'Allem., tome I, page
68.)

Ces adversaires de \émanation pensaient que tout
l'espace que comprend l'univers était rempli d'un
fluide subtil, dont toutes les molécules
étaient con-
tiguës les unes aux autres, de manière que les
vibra-
tions
communiquées par l'action du corps lumineux
aux molécules qui en étaient les plus voisines, se
propageaient jusqu'à des distances indéfinies. Suivant
eux
la lumière n'est autre chose que le résultat
des
vibrations de ce fluide, de même que le son,
n'est que le résultat des vibrations de l'air.

On leur objecte que, puisque la transmission de
la lumière s'opère , d'après leur système , par la
commotion donnée à une série de corpuscules, qui se
touchent immédiatement, il s'ensuit que cette ma-
nifestation doit se transmettre sans le moindre retard,
.quelque grandes que soient les distances ; tandis
qu'il est reconnu que la lumière emploie, dans sa
marche, un temps proportionné à l'espace qu'elle
parcourt.

ï.nbsp;28

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Mais ils peuvent répondre que, quoique les mo-
lécules de l'air soient contiguës les unes aux autres ,
les vibrations d'un corps sonore qui agissent sur
ces molécules, et qui, par-là, produisent le son,
ne se communiquent point instantanément, elles
emploient même un temps assez considérable pour
parcourir un espace de quelques centaines de toises ;
par la raison que, ces molécules étant compressibles,
le choc qu'elles éprouvent est ralenti par l'effet
âe cette compressibihté. Or, rien ne démontre que
le fluide lumineux soit complètement dépourvu
de cette
propriété , l'analogie même doit la faire
supposer, puisque les fluides que nous connaissons,
sont presque tous plus ou moins compressibles ;
ainsi rien n'empêche d'admettre que les vibrations
'imprimées au fluide lumineux, se transmettent gra^
duellement, comme celles du son, quoiqu'avec une
vitesse incomparablement plus grande.

Je crois devoir présenter ici quelques-unes des
difficultés qui m'ont le plus frappé
dans l'hypothèse
de l'émission de la lumière, lorsqu'une étoile, par
exemple, éclaire mes yeux de ses rayons , si une
planète , en parcourant son orbite, vient un instant
s'interposer entre mes yeux et l'étoile, sur-le-champ ,
les rayons lumineux qu'elle m'envoyait disparaissent,
et semblent aussi complètement anéantis que s'ils
n'eussent jamais existés ; et le moment d'après, je
revois , comme auparavant , l'étoile qui n'a été
occultée que pendant un instant presque indivisible.
Je demande d'abord ce qu'est devenue cette ma-
tière lumineuse qui composait la portion des rayons
de l'étoile, depuis la planète occultante jusqu'à mes

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yeux, et qui Semblerait avoir dû finir complè-
tement sa course? Je demande ensuite pourquoi
l'autre portion des mêmes rayons , qui s'e'tendait
depuis la planète occultante jusqu'à l'étoile, est par-
venue subitement.à mon œil, tandis que dans l'hypo-
thèse de
Vémission elle aurait employé un temps
assez considérable pour faire ce trajet ?

On convient qu'il faut huit minutes aux molécules
lumineuses du soleil pour arriver jusqu'à la terre i
or je suppose que l'occultation de l'étoile s'est faite
par la planète de Saturne, :qui est presque dix
fois plus éloignée du soleil que nous ne le sommes ;
il faudra donc au moins une heure et un quart
avant que la portion de ses rayons, qui a été
arrêtée dans sa course par l'interposition de Saturne,
reprenne sa marche, et arrive jusqu'à nous, tandis
qu'au contraire on n'aperçoit pas le moindre retard.
Mais encore une fois, qu'est devenue la portion -des
rayons qui se trouvait entre la planète et mon œil,
et qui s'est subitement évanouie ?

Un des grands arguments des partisans de l'éma-
nation
, c'est qùe , disent-ils , la lumière a des pro-
priétés chimiques qui, par leur influence sur d'autres
-substances aveclesquelles elles se combinent, prouvent
quot;«{u'elle est une substance réelle et corporelle, et
non pas une simple modification. On observe , par
exemple, qu'elle enlève l'oxygène aux métaux, dont
les oxides passent à l'état purement métallique par
la seule exposition aux rayons solaires ; elle enlève
également l'oxygène à l'acide
nitrique, que la lu-
mière convertit en acide
nitreux, etc., etc. Mais il
faut convenir a.ussi qu'elle a quelquefois des effets

-ocr page 472-

contraires, elle oxide elle-même les corps orga^
nisés, elle les fera/e, comme on le voit, par la couleur
plus ou moins noire qu.'elle imprime à la peau
de l'homme , et même aux ve'gétaux d'Afrique gt;
suivant la remarque de Linnœus. Elle agit même
évidemment, comme
acide, sur la plupart des
couleurs qu'elle détruit comme le ferait l'eau-forte.

On pourrait donc dire, ce me semble , que dans
les opérations chimiques de la
lumière , elle n'est
point elle-même la cause efficiente; mais seulement
l'agent qui met en jeu d'autres fluides qui produisent
ces phénomènes.

Les adversaires de \émanation font, contre cette
hypothèse, une objection assez spécieuse, et à la-
quelle ils paraissent avoir donné beaucoup de poids ;
mais qui, je l'avoue , ne me paraît pas bien forte. Si
l'on admet, disent-ils, que les corps lumineux, tels
que le soleil et les étoiles, lancent continuellement
de leur sein des parcelles de matière, en si grande
abondance qu'elles remplissent sans relâche une
ephère sans bornes d'une matière toujours nouvelle;
ces corps, quelque vastes qu'ils soient , doivent, à
la longue', éprouver une déperdition assez considé-
rible pour que leur volume se trouve diminué
d'une manière sensible. Cependant on ne s'a-
perçoit nullement que depuis plusieurs milliers
d'années le soleil soit moins grand ou moins chaud
lt;ju'il n'était dans ces siècles reculés : donc il n'a
rien perdu de sa substance ; donc il n'y a point
d'émission de matière lumineuse.

On peut facilement répoudre à cette objection
par l'exemple d'un grain de musc, qui peut, pendant

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trente ans , infecter tout un appartement dont
l'air même serait renouvele', sans perdre un atome
de son poids.

La plus grande difficulté que je trouve dans l'hy-
pothèse de
Y émanation , et qui, j'en conviens ,
retombe aussi sur celle des
vibrations, c'est riue
les rayons lumineux ne soient jamais détournés de
leur route , malgré tant de causes qui sembleraient
devoir apporter de nombreuses perturbations dans
la régularité de leur marche. Ce phénomène est
si frappant qu'il semblerait contredire cet axiome,
que
la matière est impénétrable.

On sait qu'il existe des milliards d'étoiles, qui
sont autant de soleils dont la lumière parvient k
nos yeux, lorsqu'ils sont armés des télescopes de
Hersciiei., et qui sont à de si prodigieuses distances
que les rayons qu'ils nous envoient (ou dont ils
nous procurent la sensation ) emploient des années ,
des siècles, et même dit-on , des millions d'années,
pour parvenir à la terre. Or chacun de ces in-
nombrables soleils remplit à lui seul, d'une sphère
de rayons, cet espace presque infini. Toutes ces
sphères derayous lumineux se coupent, se croisent,
se pénètrent dans tous les sens imaginables; tous
les rayons qui les composent sont animés d'un mou-
vement plus rapide que la pensée; cependant (ô
merveille mille fois incompréhensible!) malgré le
nombre infini de ces rayons de matièi e lumineuse ,
qui tous sont poussés, eu ligne droite, par une force ,
dont la puissance passe toute imagination : qui tous
marchent en sens contraire ou fort différent ; qui
tous exercent réciproquement les uns sur les autres

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la puissance attractive; qui tous sont soumis à l'at-
traction des immenses corps célestes qu'ils trouvent
sur leur route, et dont le nombre doit être infini,
puisqu'un célèbre géomètre soutient que dans
notre
seul système solaire il existe, pour le moins, cinq
cent millions de comètes
( Lambert, Système du
monde , page 490 j etc., etc. ; malgré tant de causes
de troubles et de dérangements dans la marche des
rayons lumineux, nous voyons qu'ils ne donnent
pas plus d'apparence de perturbation, et que leur
marche s'exécute avec autant d'aisance et de régula-
rité que s'il
n'existait, dans l'espace universel, autre
chose qu'une seule et unique sphère de ces mer-
veilleux rayons.

Je sais bien qu'on peut répondre à tout cela par
d'ingénieuses suppositions; mais il en résulte seu-
lement qu'il est beaucoup plus aisé de faire taire
les objections, que de satisfaire pleinement la raison.

Toutes les difficultés que je viens de rappeler ,
et beaucoup d'autres
sans doute , que la perspica-
cité de Wewtou lui avait fait apercevoir, avaient
tellement frappé ce grand homme, qu'il avait fini
par douter si la lumière était véritablement une
substance corporelle : c'est ce qu'il énonce formel-
lement dans le chapitre où il traite de la
diffraction
des rayons lumineux : de natura radiorum ( inquit),
VTRUM SINT CORPORA NEC NE g nihil ornniuo dis-
putans.

Je ne saurais passer sous silence une autre idée
de Newton qui me paraît extrêmement belle par
sa sublime simplicité : c'est que, probablement, il
n'existe dans l'univers qu'une seule et unique

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substance , dont les molécules peuvent, par la seule
différence de leur mode d'aggrégation , produire
tous les corps qui existent, quelque disparité qui
semble régner entr'eux.

D'un autre côté, Newton pensait que la lumière
peut se transformer en toute espèce de corps, et que,
réciproquement, tous les corps qui existent peuvent
se transformer en lumière. ( Optique, quest. , p.
531.)
D'où il résulte que Newton aurait considéré la lu-
mière
( ou le fluide qui la manifeste), comme cette
matière unique, principe de tous les êtres. Il me
semble même, si j'osais mêler les oracles sacrés avec
les opinions des hommes, qu'on pourrait appuyer
cette idée par le livre même de laGenèse, où il est dit
que la
lumière fut le premier résultat du grand acte
de la création : ce fut le premier jour que l'Eternel
prononça ce mot :
que la lumière soit. Ce mot
seul aurait compris toute la création ; le reste n'aurait
été qu'une suite de modifications de cette matière
universelle , comme le corps de l'homme ne fut
qu'une modification du limon de la terre , et la
femme une modification d'une partie du corps de
l'homme, ainsi que nous l'enseigne le même livre.
L'opinion de Newton me semblerait donc tout à
fait conforme
à l'esprit de la Genèse, et dès-lors
parfaitement vraie.

-ocr page 476-

sur le mirage, les terres de brume, ctg.

Note communiquée par M. Pathut.

On a depuis long-temps observé , dans les déserts
sablonneux de l'Asie et de|rAfrique, un phénomène
fort singulier par les apparences trompeuses qu'il
présente. Le voyageur , environné de plaines arides ,
croit voir, à quelques centaines de pas de distance,
une vaste étendue d'eau, dont les bords paraissent
même quelquefois couverts d'arbres et de verdure.
Ravi de cet aspect agréable et inattendu , il presse
sa mayche, il avance, dans l'espoir de goiiter le
repos et le rafraîchissement dont il a grand besoin,
et que lui promettent cette onde limpide et ce
verdoyant feuillage ; mais , à mesure qu'il croit ap-
procher de l'objet de ses désirs, cet objet fuit, s'é-
loigne, et bientôt s'évanouit.

Ce phénomène, auquel on donne le nom de mirage,
et que nos savants , lt;jui ont fait le voyage d'Égypte,
ont observé dans cette contrée, avait été jadis aperçu
par l'armée d'Alexandre , dans les déserts de la
Sogdiane , à l'est de la mer Caspienne, ainsi que
nous l'apprend l'historien de ce héros : « Quand
« l'ardeur du soleil, dit-il, embrasait les sables de
« ces déserts, on eilt dit que toute la contrée
« n'était qu'un incendie général ; le jour était obs-
« curci par les vapeurs qui s'élevaient de ce sol
« brûlant, et
le pays offrait l'aspect d'une vaste

« et profonde mer ».

Arenas vapor œstivi soils accendit, quœ ubi fla-^
gare cœpcrunt, haud scius qiiam contmenti in-^

-ocr page 477-

Ceiidio cuncla torrentur. Caligo deindè immodico
terrœ fervore excitata luccm tegit
cAMPORVMQVB
NON
alia QUASI VASTl ET PROFUNDI ^QUORIS
SPECIES EST.
( Quint. Curt., lib. m , cap. 5. )

Au commencement du siècle dernier, le voyageur
anglais
Bell d'Anteemony , qui allait à Pékiu , se
trouva, vers la mi-octobre, dans le désert sablonneux
qui sépare la Sibérie des frontières de la Cliine ,
oil il eut le même spectacle, dont il rend compte
de la manière suivante : « Ce stérile désert, dit-il,
« offre à l'œd une surface parfaitement uniforme...
« Qiwlquefois le matin j'étais agréablement surpris
« de voir, devant nous, a peu de distance, comme
« une grande et belle rivière bordée de rangées de
« jolis arbres;
mais ce n'était qu'une illusion d'op-
« tique , occasionnée , je pense , par les vapeurs qui
« grossissaient les objets, de manière à transformer
(C en grands arbres les petits arbustes disséminés
« dans le désert. (
Tome i.«quot;quot;, pag. 243, edit, angl.)

Quand les troupes françaises entrèrent dans le
désert d'Egypte, elles eurent de même le singulier
spectacle du
mirage. Au lieu d'une plaine aride
et sablonneuse qu'elles avaient devant les yeux , elles
croyaient voir un vaste lac au milieu duquel les
villages paraissaient bâtis sur des îles, et présentaient,
outre leur image directe, une autre image ren-
versée.

M. Biot a donné de savantes explications de ce
dernier phénomène, dans sou ouvrage, qui a pour
titre,
Recherches sur les réfractions extraordi-
naires , qui ont lieu près de l'horison. Va vol.
in-^.o, iBio.

-ocr page 478-

Cet ouvfage rend très - savamment raison du
phénomène qui présente les objets terrestres dans
nue situation renversée; mais je n'y trouve point
l'explication des faits qui causent cette illusion sin-
gulière, et tellement frappante, qu'elle trompe les
yeux de toute une armée qui se croit certaine de
voir un beau lac dans une plaine où il n'y a autre
chose que des amas de sable.

Terres de bninie.

Les marins ont été souvent trompés par une autre
illusion d'optique, qu'on peut regarder, en quelque
sorte, comme l'inverse du
mirage. Celui-ci fait voir
une mer à la place d'un terrain aride ; l'autre fait
voir, en pleine mer, des terres où l'on découvre ,
d'une manière très-distincte, le rivage , les rochers,
les montagnes, les ravins , les arbres, etc. Cette
illusion est si complète, que , nombre de fois, les
marins les plus ■ expérimentés , et même les phy-
siciens les plus e'clairés, y ont été complètement
trompés ; les vaisseaux se sont détournés de leur
route, pour aller aborder à ces terresqui se
présentaient comme très-réelles aux yeux de tout
l'équipage; mais ils ont fini par traverser, sans le
moindre obstacle, tout l'espace que semblaient oc-
cuper ces terres fantastiques qui disparaissaient tota-
lement ; aussi leur a-t-on donné le nom de
terres
de brume.

Plusieurs fois , le célèbre navigateur Cook s'est
trouvé la'dupe de ces étranges illusions, lui, qu'une
longue habitude des voyages maritimes avait si biea

-ocr page 479-

ROTES.nbsp;443

familiarisé avec tous les phénomènes que présentent
les mers ; il rencontra ces
terres de brume , no-
tamment le 3 janvier
1769, lorsqu'il cherchait l'île
Pepjs , dans le voisinage des terres magellaniques ,
par 4o degrés de latitude méridionale. Ce n'étaient
pas les brumes de l'hiver, puisqu'on était alors
au plus fort de l'été de l'hémisphère austral ; c'est
comme s'il etit été le 3 de juillet, à la hauteur
des côtes de
Portugal. Cependant l'illusion fut si
forte , qu'il courut, pendant deux heures et demie,
sur cette prétendue terre, avant de reconnaître
que ce n'était qu'un fantôme.

La seconde fois qu'il fut frappé d'une semblable
illusion, ce fut, le
20 février 1773, par 5o degrés
de latitude australe, au sud de la mer des Indes:
« Nous
crûmes voir, dit-il, une terre au S.-O.;
« l'apparence était si forte que nous croyions tous
« ne pas nous tromper, et je revirai pour l'attaquer,
« ayant une brise légère du sud et un
beau temps-,
« mais je reconnus enfin que ce n'était qu'une
« terre de brume. »

Pour la troisième fois, il crut fermement qu'il
voyait une terre, lorsqu'il se trouvait, le
18 fé-
vrier, par 5o degrés de latitude sud, et 8 degrés de
longitude est, au sud de l'Afrique ; mais il reconnut
encore que ce n'était qu'une illusion. Il est bon
de remarquer que ces trois observations ont eu
lieu dans le plus fort de l'été de l'hémisphère austral,
et ce qui prouve combien l'illusion était forte, c'est
que Cook avait avec lui de savants observateurs,
qui partageaient son erreur.

]Notre illustre et malheureux La Peyrouse a lui-

-ocr page 480-

même été trompé complètement par ces sortes-
d'apparitions fantastiques, aussi bien que les savants
physiciens et naturalistes qui l'accompagnaient.-

Cette illusion le surprit lorsqu'il se trouvait sur
les côtes de Tartaric , par
44 degrés de latitude,
le i8 juin 1787 : « A quatre heures du soir, dit-il ,
« le plus beau ciel avait succédé à la brume la
« plus épaisse, nous voyions le continent qui s'é~
« tendait de l'o.-s.-o. au
n.-n.-e. , et dans le sud nous
« découvrions
une grande terre qui allait rejoindi-e
« la Tartaric vers l'ouest, en ne laissant entre elle
« et le continent qu'un passage dont l'ouverture
« était d'environ i5 degrés,
i^ous distinguions les
« montagnes, les ravinsenfin tous les détails du
lt;e terrain , et nous ne pouvions pas concevoir par
« où nous étions entrés dans ce détroit...
Dans
« cette situation , je crus devoir gouverner au
s.-s.-e.
« (sur cette prétendue terre); mais bientôt ces
« mornes , ces ravins disparurent. C'était un
banc
« de brume J
le pkis extraordinaire que j'eusse jamais
« vu, qui avait occasionné notre erreur... Nous
« cùrrgt;es encore assez de jour pour qu'il ne nous
« restât aucune incertitude sur l'inexistence de cette
« terre fantastique : je fis route toute la nuit sur
« l'espace de mer qu'elle avait paru occuper , et,
« au jour, rien ne se montra à nos yeux. »

D'après les faits ci dessus , je ne puis m'em-
pêcher de témoigner encore une fois l'étonnement
que me cause ce singulier contraste qui existe entre
le
mirage et les terres de brume : d'une part , c'est
une terre aride et desséchée, qui présente l'aspect
d'un grand et beau lac, ou d'une jolie rivière;

-ocr page 481-

«t d'un autre côté, c'est la surface de l'Océan, qui
fait voir des terres, des rochers, des montagnes,
et le tout avec des apparences tellement sédui-
santes, qu'elles trompent les meilleurs yeux. Je
ne puis, je l'avoue, m'empêcher de douter qu'on
explif[ue jamais ces phénomènes d'une manière
parfaitement satisfaisante, d'après nos connaissances
actuelles.

Quand Quinte-Curce veut nous faire entendre
que c'étaient les vapeurs brûlantes des sables de
la Sogdiane , qui transformaient aux yeux des
soldats d'Alexandre , ce désert en une vaste mer,
il est formellement contredit par l'observation de
Bell d'Antermony , puisque ce voyageur eut la
même vision dans le désert sablonneux des fron-
tières de la Sibérie , qui était si peu brûlant à la
mi-octobre, qu'on s'attendait à chaque instant,
à ce que dit Bell lui-même , à le voir couvrir
d'une neige très-abondante, ce qui obligeait sa
caravane de forcer sa marche. Ce ne sont donc
pas les vapeurs brûlantes, qui donnent la vision
d'une vaste nappe d'eau dans un désert oîi il n
'y
a que du sable. Quelle est donc la véritable cause
de ce singulier phénomène ? C'est ce qu'on saura
peut-être quelque jour. Je remarquerai seulement
comme une circonstance singulière, et probablement
importante , que ce phénomène ne se manifeste
jamais que dans des déserts sablonneux , et jamais
dans les vastes et fertiles plaines de la Bauce, de
la Flandre ou de la Pologne, quoique ces plaines,
parfaitement unies , ne semblent devoir opposer
aucuu
obstacle k soa apparition.

-ocr page 482-

Je demande pareillement pourquoi ces fantas-
tiques
terres de brumes ne se montrent jamais avec
leurs rochers et leurs montagnes, que sur la mer,
et nulle part sur les plaines du continent, où les
brumes ne manquent pourtant pas , surtout dans le
mois qui leur a dû sa de'nomination de
Brumaire ?

La Fée Morgane.

Il y a d'autres phénomènes aëriens qui produisent
des illusions d'optique extrêmement
smgulières. On
connaît surtout
ce spectacle extraordinaire que les
habitants de^Reggio nomment
fata Morgana, la fée
Morgane, ({ni,
de temps en temps, se fait voir sur
le de'troit qui sépare la Sicile de la Calabre. Le
célèbre voyageur anglais Swinburn en donne lâ
description, d'après le P. Angelucci qui, se trou-
vant à Reggio, en fut témoin oculaire : « La mei''
« dit-il, qui baigne les côtes de la Sicile,
s'enfla
« tout à coup , et parut ■ dans
une étendue de dix
« milles , semblable à une clrâîne de
montagnes
•lt;c d'une teinte obscure, tandis que les eaux des
« rivages de Calabre devinrent tout à fait unies'
« et me paraissaient comme
Un iniroir bien poli,
« appuyé ■Contre Ce rideau de collines. Sur cette
« glace on voyait se peindre en clair obscur, une
« suite de plusieurs milhers de pilastres, tous égaux
« en hauteur , en distance, en degré de lumière
« et d'ombre. Un instant après, ces pilastres se trans-
« formèrent en arcades semblables aux aqueducs de
« Rome. Sur le haut de ces arcades régnait une
« longue
cornichç surmontée d'une multitude de

-ocr page 483-

«t châteaux, qui bientôt se transformèrent en simples,
« tours ; celles-ci devinrent des colonnades , puis
« des range'es de fenêtres ; et enfin , des arbres
« semblables k des pins el à des cyprès , tous d'une
« égale élévation. C'est ce singuher phénomène
«c auquel on donne , dans le pays , le nom de
fata
a morgana , que j'avais jusqu'ici regardé comme
« un conte ».

Nuages figurés.

Ces phénomènes d'optique sont si multipliés,
qu'on pourrait dire que presque chaque contrée
a les siens. L'un des plus singuliers est celui dont
parle Diodore de Sicile, qu'on observe dans la partie
de l'Afrique qui s'étend entre le royaume de Tripoli
et celui de Barca, vis-à-yis du golfe appelé les
Seiches
d'Afrique,
que les anciens nommaient les Syrtes.
Ce pays désert n'est aujourd'hui fréquenté que par
quelques Arabes vagabonds.

Diodore de Sicile nous apprend « qu'en toute
« saison,
lorsqu'il ne fait point de vent, l'air y
« paraît rempli de figures d'animaux,
dont les uns
« sont immobiles, et les autres semblent se remuer :
« ils paraissent d'une grandeur extraordinaire, et
« rien n'est plus capable d'épouvanter ceux qui ne
« sont pas accoutumés k ce bizarre spectacle ».

Je me permettrai, k cette occasion, de rapporter
ce que j'ai moi-même observé cent et cent fois
pendant le séjour de plus de huit années que j'ai fait
dans diverses contrées de l'Asie boréale. Dans les
soirées d'automne ovi l'air était parfaitement tran-
quille, si je me trouvais dans ces vastes plaines

-ocr page 484-

Connues sous le nom de steppes, qui soht abso-'
lument dénuées d'arbres, et qui n'ont, comme la
mer, d'autres bornes visibles que le ciel, j'observais
constamment que tout l'horizon était bordé d'une
ceinture de nuages, qui ne s'élevaient qu'à la hau-
teur de i5 à 20 degrés tout au plus. Ces nuages, assez
épais, quoique toute la calotte du ciel fût nette,
étaient mêlés de clairs et d'ombres, comme un
dessin à l'encre de la Chine, et représentaient
toujours
des figures humaines dans diverses atti-
tudes , plus souvent nues que vêtues , et d'une
proportion plus grande que nature. L'imitation me
paraissait quelquefois si parfaite, que je craignais
que ce ne fussent des fantômes de mon imagination ;
pour savoir ce qu'il en était, j'interrogeais mes
guides ou d'autres habitants du pays, sur ce qu'ils
Voyaient dans les nuages que je leur montrais, et la
réponse de ces bonnes gens se trouvait parfaitement
conforme à ce que je voyais moi-même.

LETTRE XIX.

L'influence de la lune, jadis tant vantée, e^î
entièrement tombée en discrédit.

Un naturaliste du plus grand mérite s'exprime
ainsi, dans un ouVrage qui a obtenu un succès
mérité :

D'ordinaire les attaques d'épilepsie reparaissent
à chaque lunaison, surtout daus la nuit, de liv

-ocr page 485-

vient qu'on a nommé lunatiques les épileptiques.
îl en est de même de l'hystérie qui renaît .à chaque
retour des menstrues. Les accès des maniaques, les
attaques d'apoplexie , les migraines surviennent
plus fréquemment aux nouvelles ou pleines lunes,
surtout à l'époqùè dés équinoxes. — L'on peut
donc observer journellement que ce satellite de la
terre à beaucoup d'empire sur les corps et sur les
Esprits vitaux, non-seulement chez l'homme et les
animaux , dont il règle les époques de gesta-
tion , de naissance, etc., mais aussi sur les sèves
et l'accroissement des végétaux , sur les saisons
propres à planter, semer ou recueillir les fruits.
Ces observations, consacrées par le temps , sont
reconnues par tous les agriculteurs et les natura-
listes. Ainsi la femme n'accouche qu'au commen-
cement de la dixième lunaison. Les naissances et
les morts sont plus fréquentes sous les nouvelles
et les pleines lunés. Selon Hyppocrate , les femmes
conçoivent surtout à ces dernières époques, temps
où se déclarent principalement aussi les maladies
et les paroxismes critiques ; c'est pourquoi, dans
l'antiquité , les femmes près d'accoucher faisaient
des vœux à Lucine, qui est la lune (i); de même
que cet astré fait eiifler la mer pendant les six
heures du flux, il y a, dans plusieurs maladies,
une exacerbation de douleurs au même temps, et
lorsq ue la mer décroît , il s'opère également un

(i) Carol. Piso, last, natur., liy. i, pag. 24. — Voyez
aussi
Mead, infi. nstr.nbsp;,

Lnbsp;9.9

-ocr page 486-

reflux dans ie corps malade ; car l'on meurt sur-
tout dans ces moments , selon l'observation des
médecins (i). On a vu dans les fièvres épidémique»,
le mal s'augmenter constamment après la pleine
lune, et diminuer k chaque lune nouvelle , tout
comme les marées (2), et des accès, de manies rc
viennent à chaque lune.

Ces mouvements ne s'opèrent jamais plus visible-
ment chez nous qu'en l'état de maladie ; car la
marche des crises, dans les fièvres continues bien
réglées, a des retours septénaires. L'intermittente
quotidienne , le tierce
simple , cessent communé-
ment après le septième accès, de même que la
fièvre continue ordinaire se termine en sept jours;
mais lorsqu'elle passe ce terme, elle s'étend jusqu'au
quatorzième jour , de là elle peut aller jusqu'au
vingt-un, ou enfin au vingt-huitième, après lequel
temps elle prend , si elle n'a pas cessé, le carac-
tère chronique. Les fièvres quartes d'automne , si
tenaces qu'elles subsistent souvent d'un équinoxe
,à l'autre, ont en tout trois cent trente-six
heures
d'accès , lequel nombre fait quatorze jours com-
plets, durée moyenne d'une fièvre continue. De
même, toutes les maladies chroniques n'étant que
des fièvres aiguës interrompues ou ralenties , ont
des périodes correspondantes.

(1)nbsp;Macrolius Satum., Uv. 7, ch. 16; SÛuil, de œstu maris
microcosmici.

(2)nbsp;Ramaiini, de Comtitut. amor. 1692 et 1693,

-ocr page 487-

Ces retours critiques se rapportent, comme les
marées , aux phases de la lune, qui changent de
sept en sept jours , et divisent le mois en se-
maines. Néanmoins les jours critiques n'arrivent
pas toujours exactement selon cet ordre, parce
qu'indépendamment des irrégularités de diète et
de tempérament, souvent la maladie ne commence
pas avec la lunaison ; mais elle alonge ou rac-
courcit ses périodes , pour se mettre à l'unisson
du mouvement lunaire. On a vu un homme assu-
jéti pendant plusieurs années k un écoulement hé-
morroïdal, vers le dix-huitième jour de chaque
mois (i). Lorsque la fièvre n'est plus qu'une ha-
bitude du corps, il suffit d'anéantir ses retours,
pour la guérir , en brisant, par d'autres secousses
ce cercle d'accès périodiques. (
Virey, Art. de per.
fe.clionner THomme ).

LETTRE XX.

les TOtlRBILLONSi

Le fragment suivant est tiré du Newtonîânisme
des Dames, d'Algarotti, delà traduction de Castera;
d renferme en peu de lignes la réfutation du sys-*
terne de Descartes , et l'exposition des change-
ments que le père Mallebranche avait essayé d'y
apporter.

' i) Juncker, Physiol, p. 1j Frid. Heffman, defato medice,

-ocr page 488-

Avant d'en venir à cette réforme ( dit Algarotti ),
il faut, je crois , vous proposer la grande difficulté
qui doit ruiner pour jamais les globules dans votre
esprit.

Tel que l'Hercule de la fable, ce système eut,
presque dès sa naissance , une infinité d'assauts à
soutenir,- mais il ne triompha pas toujours avec
la même gloire.

Quelques-uns objectaient aux Cartésiens, que ,
suivant les lois des tourbillons, et suivant les prin-
cipes de leur inventeur, les étoiles ne devaient
pas être composées de matière subtile, mais plutôt
de la matière du troisième élément ; qu'ainsi, loin
d'être lumineuses, elles seraient opaques et cou-
vertes de croûte ; et que , qu^nd même elles au-
raient tout l'éclat imaginable , on ne pourrait les
voir , à cause de l'égale pression des tourbillons.

Ces objections, et plusieurs autres qui n'étaient
pas moins graves , n'ont pu ébranler la foi des
bons Cartésiens ; mais voici une difficulté
qui sera

toujours le nœud gordien pour les plus fervents
d'entr'eux.

Vous avez l'ennemi du cartésianisme dans votre
maison , je le vois même dans cette galerie , et
vous ne l'apercevez pas. Considérez ces murailles
peintes à fresque , vous y trouverez de quoi faire
la guerre au système que vous aimez tant....

Monsieur, tirez-moi d'embarras, je vous en sup-
phe , et ne tardez point , ou bien je vais effacer
cette peinture. Quelle est votre cruauté ! Vous
roulez sans doute que j'abhorre ma maison____

Bien loin de là, je souhaite, madame, quç dé-

-ocr page 489-

sormals vous en estimiez tous les coins , comme
autant de monuments pliilosopliiques.

Marquons dans l'air un point commun vers le-
quel votre œil et le mien soien^ toujours dressés,
pendant que nous examinerons , en même temps,
les différentes parties et les diverses couleurs de
cette muraille.

Appuyez-vous contre ce pilastre, et regardez le
rouge du manteau d'Achille ; moi, je me mettrai
auprès de cette fenêtre , d'où je regarderai l'azur
de mer que voilà plus loin. N'oubliez pas surtout
qu'il faut que nos regards se croisent dans le point
commun que nous avons établi. Il est hors de
doute que deux rayons passeront par ce point,
l'un venant du manteau d'Achille jusqu'à vous, et
l'autre de la mer jusqu'à moi.

Ces rayons , vous le savez de'jà , ne sont , sui-
vant le système des Cartésiens , que deux filets de
globules, et ces globules s'entre-touchent immédia-
tement l'un l'autre, depuis l'objet jusqu'à l'œil.

N'est-il pas sensible que nos deux filets doivent
s'entre-couper au point marqué? Ils s'entre-cou-
peront certainement, et par conséquent il y aura,
dans ce point d'intersection , un globule commun
à votre rayon et au mien. Vous figurez-vous bien
toutes ces choses ?

Que trop, monsieur, et je commence à trembler...

Vous sentez donc, poursuivis-je en riant, qu'afin
que ces deux filets fassent naître en nous la vi-
sion , il faut que, de p.art et d'autre , la pression
des globules soit continuée dans toute la longueur
de nos rayons différents.

-ocr page 490-

Mais afin que cette pression fût effectivement
continuée de part et d'autre , d faudrait que le
globule placé au point d'intersection pressât en
même-temps , vers votre œil et vers le mien.

Cela n'est possible en aucune manière , si les
globules sont durs, comme Descartes le soutient;
car un corps dur ne saurait presser en même temps
par deux différents côtés, l'étroite union de ses
parties s'y oppose. Encore n'est-ce pas tout____

Hé mon dieu , interrompit-elle , en voilà bien
assez pour exterminer mes globules ! Que voulez-
vous donc davantage?

Il faudrait outre cela, madame, que le globule
commun eût deux mouvements divers de rotation ;
l'un , pour exciter en vous l'idée du rouge , et
l'autre, pour faire naître en moi l'idée de l'azur.

L'embarras deviendrait bien plus grand , si nous
allions placer une vingtaine d'observateurs dans
cette galerie , et si
tous leurs regards se croisaient
dans le point d'intersection dont nous sommes con-
venus. •

Alors une foule de rayons chargés d'une infinité
de couleurs traverseraient ce même point , l'un
annoncerait les cheveux blonds d'Achille , l'autre ,
le teint de Minerve qui tâche de l'appaiser ; l'autre,
ime prairie verdissante , enfin, toute la
variété
que cette peinture offre à nos yeux.

Quel rôle terrible pour le globule commun !
L'imagination la plus déréglée n'oserait lui prêter
tous les mouvements de rotation qu'il aurait besoin
de transmettre aux globules suivants ; cela blesse
t-rop les lois de la Nature.

-ocr page 491-

Ainsi, vous comprenez Lien qu'en supposant les
globules, nous ne pourrions voir, dans la situation
où nous sommes présentement, ce que nous voyons
en effet.

J'en tombe d'accord , et j'en suis désespérée.
Tîe me parlez plus des globules, puisqu'ils cèdent
si lâchement le champ de bataOle. Won, je n'y
veux plus penser; ils ne valent pas mieux que
certains galants , qui, n'ayant ni expérience ni fer-
meté , songent à la retraite dès les premières ri-
gueurs d'une belle. Ayons recours au père Malle-
branche , peut-être qu'il nous donnera quelque
chose de plus sohde.

Ce philosophe s'est brouillé avec les globules ,
aussi bien que vous, madame ; il les a répudiés
pour leur substituer une infinité de tourbillons ex-
trêmement petits, qui remplissent tous les grands
tourbillons , comme les grands remplissent tout
l'univers.

Au surplus, ces vorlicules , ou «es petits tour-
billons , sont composés d'une matière éthérée très-
subtile , et très-fluide ; la force qu'ils ont de se
dilater et de se presser mutuellement, les main-
tient dans un équilibre perpétuel , tout de môme
que les grands tourbillons y sont maintenus par
leur pression réciproque.

L'action du corps radieux sur les vorlicules , et
la réaction soudaine des vorticules sur le corps
radieux, leur donnent un mouvement d'ondula-
tion ou de vibration qu'ils
s'entre-communiquent
jusqu'à nous. Ce mouvement fait la lumière ; et

-ocr page 492-

la lumière est plus ou moins forte , suivant cru'il
est plus ou moins fort lui-même.

A l'égard des couleurs, c'est aux divers degrés
de promptitude , dans les vibrations , ou dans les
secousses, qu'elles doivent leur naissance; en sorte
que SI la matière des vorticules vient exciter, par
exemple , cinquante vibrations sur notre rétine
dans un temps déterminé , une certaine couleur
nous frappera; au lieu que nous en verrions une
autre, si, dans le même instant, le nombre des
Vibrations était plus grand ou plus petit.

De nous dire quels degrës de promptitude les
vibrations doivent avoir pour former chaque cou-
leur en particulier, l'auteur n'a pas osé le faire-
il avoue ingéni\ment qu'on ne saurait rien déter-!
miner sur cet article; tm aveu si modeste
est bien
remarquable dans un philosophe.

Tel est le système de Mallebranche. Quelque
séduisant qu'il paraisse au premier coup d'œil il
ne peut résister long-temps aux raisonnements' et
il est tombé dans l'oubli avec le système de Des-
cartes.

LETTRE XXIL

De la manière dont s'opère la vision.

^ De tous les points d'un objet qui se présente a
l'œil , il part des rayons qui divergent dans tous
les sens , mais parmi lesquels ceux qui sont di-
rigés de manière à pouvoir entrer dans la petite

-ocr page 493-

ouverture de la prunelle, forment des espèces de
pinceaux délie's, en sorte que ceux qui composent
un même pinceau approchent du parallélisme.
Supposons que l'objet étant d'une forme alongée,
soit situé horizontalement, et ne considérons, pour
plus de simphcité, que le pinceau qui vient du
milieu , et les deux qui viennent des extrémités.
L'axe du premier pinceau passant par le centre
de la cornée, et tombant à angle droit sur la sur-
face du cristallin, pénètre les dilférentes humeurs
de l'œil, sans y subir de réfraction. Cet axe porte
le nom d'axe optique, et est d'un grand usage
dans l'explication des phénomènes de la vision.
Les autres rayons qui tombent obliquement sur
la cornée, se réfractent dans l'humeur aqueuse ,
en convergeant vers l'axe. Leur passage à travers
le cristallin augmente cette convergence ; et en
sortant de ce corps lenticulaire pour entrer dans
un milieu moins dense, ils prennent un nouveau
degré de convergence qui est tel, que le cône
qu'ils
forment derrière le cristalHn, a son sommet,
situé précisément sur le fond de l'œil, où il dessine
l'image du point d'où les rayons sont partis pour
se rendre à cet organe. Cette marche des rayons
est analogue k celle dont nous avons parlé en
exposant les effets de la réfraction dans les milieux
terminés par des surfaces courbes.

Les axes des deux autres pinceaux , en entrant
par la cornée , se réfractent ainsi que les rayons
qui les accompagnent. Ces pinceaux se croisent
ensuite, en passant par le trou de la prunelle, et
subissent, dans le cristallin et l'humeur vitrée ,

-ocr page 494-

de nouvelles réfractions , dont l'effet est de rap^
procher les rayons qui les composent de leurs axes
respectifs, en sorte qu'ils forment deux nouveaux
cônes dont les bases reposent sur la surface pos-
térieure du cristallin , et dont les sommets tombent
sur le fond de l'œd , où ils dessinent de même
les images des points qui leur correspondent sur
l'objet.

Tous les pinceaux partis des autres points de
l'objet , font le même office, en sorte qu'il se
forme au fond de l'œil vme image
complète de
cet objet , mais
qui est renversée, en conséquence
de ce que les rayons qui viennent des points situés
de part et d'autre de celui du mdieu , se croisent
en traversant la prunelle. L'opinion la plus com-
mime est que l'image se peint sur la rétine. Ce-
pendant de célèbres anatomistës ont pensé que la
choroide était la véritable toile du tableau.

On peut vérifier, par l'expérience, ce que nous
venons de dire sur la cause de la vision ,
en prenant
l'œil d'un bœuf tué récemment , et en le dé-
pouillant par derrière de sa sclérotique. Si l'on
place cet œil dans l'ouverture faite au volet d'une
chambre obscure , de manière que la cornée soit
en dehors , on verra, à travers les membranes
transparentes de la partie opposée , les images
distinctes des objets extérieurs.

Cette vérité une fois reconrme, qu'aussitôt qu'un
objet est devant l'œd, cet^objet a son portrait
au fond de l'organe , il semble d'abord que la
vision n'ait plus besoin d'autre explication; et l'on
serait tenté de croire qne nos yeux, à l'instant

-ocr page 495-

ils s'ouvrent pour la première fois, sont déjà
tout dressés , et que la seule présence des objets
suffit pour que les impressions faites sur la rétine,
et transmises par l'intermède du nerf optique ,
jusqu'au cerveau , donnent occasion à l'ame de se
représenter ces objets tels qu'ils sont , et aux en-
droits où ils sont. Mais on concevra qu'il faut
quelque chose de plus, si l'on fait attention que
l'image qui se peint sur la rétine est une simple
surface, figurée et revêtue de couleurs, sans aucun
relief, et que d'ailleurs elle n'est que le résultat
de l'action qu'exercent sur l'organe les extrémités
des rayons qui le touchent, et ne se rapporte pas
d'elle-même aux extrémités opposées, où se trouve
situé le corps qui est l'objet de la vision. Ces con-
sidérations avaient déjà fait conjecturer à plusieurs
physiciens , qu'il existait un intermédiaire qui nous
servait à lier les impressions produites par les rayons
que les corps envoient à l'œil avec les modifications de
ces corps
eux-mêmes. Ils pensaient que c'était le tact
qui instruisait l'œil en quelque sorte , et qui nous
aidait à rectifier les erreurs dans lesquelles cet organe
nous entraînerait, s'il était abandonné à lui-même.
Mais personne n'a mieux développé que Condillac
les moyens que le tact emploie dans cette espèce
d'enseignement, et c'est en partie d'après ce célèbre
métaphysicien que nous allons essayer de les faire
connaître.

Les premières leçons nous viennent des divers
mouvements que fait la main , qui a elle-même
son image au fond de l'œil. Tandis qu'elle s'ap-
proche et s'éloigne successivement de cet organe,

-ocr page 496-

elle lui apprend à rapporter à une distance plus
ou moins grande , à un lieu plutôt qu'à l'autre ,
l'impression qui se produit sur la rétine, d'après le
sentiment que nous avons de chaque position de la
main, de la direction et delà grandeur de chaque
mouvement qu'elle fait. Tandis qu'une main passe sur
l'autre, elle étend en quelque sorte, sur la surface de

celle-ci, la couleur dont l'impression est dans l'œil; elle

circonscrit cette couleur entre seslimites, et fait naître
dans l'ame la représentation d'un corps figuré de telle
manière. Lorsqu'ensuite nous touchons différents
objets, la main dirige l'œil sur les diverses parties
de chacun d'eux, et lui en rend sensibles l'arran-
gement et les positions respectives; elle agit sans
cesse, à l'égard de l'œil, par l'mtermède des rayons
de la lumière , comme si elle tenait une des extré-
mités d'un bâton qui aboutirait au fond de l'œil
par l'autre extrémité , et qu'elle conduisît suc-
cessivement ce
bâton sur tous les points de l'objet.
Elle semble avertir l'œil que le point qu'elle touche
est l'extrémité du rayon qui le frappe. Elle par.
court ainsi toute la surface de l'objet; elle semble
en prononcer la véritable forme. Tantôt courbée
uniformément sur la surface d'un globe dont elle
suit le contour dans tous les sens , elle marque la
distinction de la lumière et des ombres; elle donne
de la rondeur et du relief à ce que l'œil aperçoit.
Tantôt obhgée de varier sa propre figure, tandis
qu'elle se moule alternativement sur les faces et
sur les arêtes d'un corps angideux, elle fait res-
sortir les diverses positions et l'assortiment des plans
qui en composent la surface,

t

-ocr page 497-

Dès qu'une fois les yeux sont instruits , alors
l'expérience qu'ils ont acquise les met dans le cas
de se passer des secours du tact; et la seule pré-
sence des objets détermine le retour des mêmes
sensations , à l'occasion des impressions semblables
que font sur l'organe les rayons envoyés par ces
objets.

Nous avons dit que l'image de chaque objet se
peint au fond de l'œil, dans une situation renversée,
et des savants célèbres en ont conclu que chacun
voyait naturellement tous les objets dans cette même
situation; mais il sera aisé de sentir combien cette
conséquence est peu fondée, si l'on considère que
nous vo} ons notre propre corps , qui a son image
renversée sur la rétine , comme celle des autres
objets , en sorte que le seul sentiment que nous
avons de notre position détermine la sensation qui
nous fait voir tous les objets droits.

En même-temps que le tact instruit l'œil à rap-
potter au dehors les images des objets, et à en
saisir les formes, il l'exerce sur l'estimation de leur
position dans l'espace , de leurs grandeurs et de
leurs distances ; et lorsque ces distances surpassent
celles jusqu'oii s'étendent les mouvements de la
main , nous y suppléons par un autre exercice ,
qui consiste k nous approcher de l'objet jusqu'au
point de le toucher, et k nous en éloigner ensuite,
et nous jugeons k peu près de sa distance, par l'é-
tendue des mouvements que nous faisons vers lui,
ou en sens contraire. Lorsqu'ensuite la distance
surpasse la portée de nos mouvements ordinaires,
les rapports que nous sommes exercés k saisir, nous

-ocr page 498-

servent comme de règles pour appliquer à dés
objets plus éloignés les impressions qui se font eû
nous ; mais, à mesure que l'éloignement augmente ,
les circonstances deviennent toujours moins favo-
rables à ces applications; et ; au-delà d'un certain
terme , les objets se présentent à nous sous des
apparences plus ou moins trompeuses, qui nous
induisent dans ces espèces d'erreurs que l'on a
nommées illusions d'optique, et dont nous par-
lerons dans la suite. (
Hauy ).

Voyez aussi Bonnet , Contemplation de la Na-
ture,
tome 7, partie 5, p. 237.

LETTRE XXIV;

de l'arc-en-ciel.

Les couleurs de l'arc-en-ciel, comme celles de
tous les météores emphatiques, ne sont que les
diverses modifications des rayons lumineux qui j
tombant sur des gouttes d'eau, y subissent diffé-
rentes réfractions et réflexions; c'est de là que
dépend la forme que prennent ces rayons , et les
couleurs variées qu'ils produisent. On voit dans
les écrits des anciens naturalistes, qu'ils avaient
quelqu'idée de cette vérité physique. Pline l'in-
dique, d en dit un mot au sujet de l'arc-en-ciel
qui couronne toujours la belle cascade de Terni.
Il lui eut été facile d'aller étudier ce phénomène
si Voisin de lui, et d'en prendre une idée distincte ;

-ocr page 499-

iiiais comme rien n'est plus commun que l'arc-en-
ciel ; comme dans tous les temps on l'a regardé
comme une espèce de décoration brillante qui pa-
raissait à la suite des tempêtes, que la Nature em-
ployait pour en adoucir l'horreur, et en annoncer
la-fin; comme on n'a jamais attaché d'autre utilité
à ce météore doux et tranquille, dont on n'avait
rien à redouter , on s'est peu attaché à le consi-
dérer avec des yeux philosophiques ; ce n'est que
dans le siècle dernier que l'on en a véritablement
étudié et connu la nature , et qu'on s'est appliqué
à vérifier les conjectures des anciens.

Marc-Antonio de Dominne , archevêque de Spa-
latro, est le premier qui, en 1611, ait démontré
que l'apparence de l'arc-en-ciel dépendait de la
réfraction et de la réflexion des rayons lumineux
sur les gouttes d'eau répandues dans l'air, ou sur
un nuage léger formé de ces gouttes. Descartes
vint ensuite , qui embrassa cc sentiment, le rendit
plus vraisemblable par les explications qu'il y ajouta.
Jean-Christophe Sturmine^ mathématicien d'Altorf,
donna un traité de l'Iris ; c'est d'après ces premières
tentatives que le célèbre Newton et le savant
Halley, donnèrent une théorie nouvelle de l'arc-
en ciel. On s'en est tenu depuis aux principes que
ces physiciens illustres ont établis sur ce météore,
parce que l'on a reconnu, par une multitude d'ob-
servations réitérées, qu'ils étaient conformes aux
procédés de la Nature.

Les couleurs les plus remarquables sur l'arc-en-
ciel, sont le rouge éclatant , le vert et le jaune,
qui f se mêlant par leurs extrémités, produisent

-ocr page 500-

des couleurs moyennes, telles que le jaune orangé,
le bleu et le pourpre; mais quelques variétés qu'oii
remarque dans les teintes de l'Iris, on verra toujours
qu'elles sont produites par le mélange des couleurs
principales. Ces couleurs sont l'effet naturel du
passage des rayons lumineux de l'air dans l'eau,
ou dans les molécules aqueuses, et de leurs ré-
flexions et réfractions de l'eau dans l'air. Du point
d'incidence d'où l'on peut regarder la ligne comme
directe ou perpendiculaire au point de réflexion ,
on prétend que ces rayons prennent la forme concave
k l'intérieur, et convexe à l'extérieur ; c'est-à-dire
que , pour réfléchir la lumière et la modifier de
façon que l'arc-en-ciel soit peint des couleurs qui
s'y font remarquer, il faut que la lumière soit
réfléchie et réfractée par une matière aqueuse
divisée en différentes gouttes presqu'insensibles , qui
lui donnent les modifications d'où résultent les cou-
leurs variées de l'arc-en-ciel ; et c'est la forme même
des gouttes d'eau qui
peut faire entendre comment
un rayon de lumière peut être
concave d'un côté
et convexe de l'autre.

Un rayon parti du centre du soleil tombe sur
une goutte de pluie, qu'on suppose spbérique; il
s'y rompt suivant la loi connue de la réfraction
de la lumière dans l'eau , c'est-à-dire en sorte que
le sinus de l'angle de réfraction soit au sinus de
l'angle d'incidence , comme trois à quatre ou à
peu près. Il va frapper contre la surface concave
de la goutte ; il s'y réfléchit à angles égaux ; de
là il ressort de la goutte en se rompant selon la ré^
flexion de la lumière de l'eau dans l'air, et vient

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îœil du spectateur placé entre le soled et le plan
bù est la pluie, ou l'amas de molécules aqueuses
Sur lesquelles paraît l
'arc-en-ciel.

Comme il tombe du centre du soled, sur la goutte
d'eau , une infinité de rayons parallèles entr'eux ,
à cause du grand éloignement, et qu'ils ont difFé-
rentes incidences sur la goutte , à raison de sa
courbure , ds eu sortent tous sous divers angles ,
après deux réfractions et une réflexion entre les
deux réfractions. Pour se faire une idée plus distincte
de cette théorie, il faut concevbir une ligne tirée
du centre du soleil, qui, traversant le derrière de
la tête du spectateur , passe par le centre de sou
œd, et se termine au plan de la pluie. Cette ligne
visuelle est par conséquent parallèle aux rayons
du soleil qui tombent sur une goutte , et elle est
rencontrée par tous les rayons qui en sortent, ou
au moins par quelques-uns. Or, par les calculs faits
sur les observations les plus exactes , les rayons qui
sortent de la goutte, ne peuvent pas rencontrer
cette ligne sous
un angle plus grand qUe quarante-
deux degrés ou environ , et de plus ceux qui la
rencontrent sous cet angle, ou sous un angle seu-
lement un peu moindre , sont en nombre beaucoup
plus grand que ceux qui se rencontrent sous de
moindres angles ; d'où il suit qu'au-dessus de l'angle
de quarante - deux dégrés, d y a, relativement à
l'œd, une ombre parfaite puisqu'il ne reçoit aucun
des rayons rompus ou sortis de la goutte , et qu'au-
dessous de quarante - deux , à commencer , par
exemple , à quarante , il y a à peu près une ombre j
ou plutôt reffet de la réflexion et de la réfraction

1.nbsp;3o '

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des rayons lumineux, cesse et se confond avec la
lumière ge'ne'rale dont l'air est encore e'claire' ; ce
•jui est sensible en ce que l'œil est beaucoup moins
frappé du peu de rayons qui lui viennent au-dessous
de l'angle de quarante degrés, que du nombre de
eeux qui lui viennent de quarante - deux jusqu'à
quarante, intervalle ou ils sont extrêmement serrés
quoique leur densité soit inégale ; et c'est ce qui
occasionne la variété des couleurs de l'arc-en-ciel.
Au point de quarante-deux degrés où les rayons
sont plus directs et plus denses , paraît le rouge
éclatant ; ensuite , en se rapprochant de quarante-
deux à quarante,
la réflexion diminue, et où
la ligne visuelle rencontre moins de rayons , on
voit successivement l'orangé , le jaune , le vert, le
bleu, et enfin le pourpre et le violet, qui sont le
dernier efi'et de la réflexion qui est à peine sensible,
et où la lumière se confond avec les ténèbres.

Cette inégale densité de rayons, qui sortent après
différentes réfractions et réflexions , vient de la
courbure des surfaces qui les ont rompus, et elle
varie selon cette courbure. L'ombre qui termine
les bords de l'arc-en-ciel, tant en dedans qu'en
dehors , est nécessaire pour faire sortir les rayons
colorés, et donner au météore toute l'apparence
dans laquelle il consiste ; c'est aiusi que dans le
prisme il faut qu'il y ait de l'ombre de part et
d'autre des rayons colorés, pour qu'on puisse les
distinguer.

Que l'on se mette dans une position favorable, le
matin, lorsque le soleil commence à monter sur l'ho-
rison , oa remarquera autant de petites Iris, ou

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tfarcs colorés, qu'il y a de différentes gouttes de
rosée sur les plantes, sur les toiles d'araignées, et
les autres corps légers oii la rosée se rassemble. On
peut faire la même observation avant le soleil cou-
chant , lorsque , dans le cours de la journée , il est
tombé de la petite pluie ; par ce moyen on peut se
faire une idée de la matière du nuage sur lequel se
peignent les couleurs de l'arc-en-ciel. Il faut,
disaient les anciens , que la nuée soit disposée de
manière qu'elle soit transparente d'un côté et
opaque de l'autre, à la manière d'un miroir con-
cave qui réfléchit les rayons du soleil vers les yeux
de celui qui le regarde. Ils se seraient expliqués
d'une manière plus conforme aux procédés de la Na-
ture, s'ds eussent dit que chaque goutte d'eau devait
avoir à peu près cette forme, et que le nuage sur
lequel se peint l'arc-en-ciel ne doit pas être un corps
solide dont toutes les parties soient continues , mais
plutôt un amas de différentes gouttes contiguès les
unes aux autres, toutes figurées de même , rondes
et
transparentes , qui, par conséquent, ont chacune
la forme convexe et la forme concave requises pour
la réfraction des rayons lumineux, qui s'y modifient
de manière k produire les couleurs qui frappent la
vue. Ces gouttes légères sont, ou des vapems qui
s'élèvent en grande quantité d'un fleuve ou d'une
autre masse d'eau, à la suite d'une action assez vive
du soleil, et que la solidité de l'atmosphère infé-
rieure tient comme suspendues k une certaine hau-
teur, ou bien elles sont l'effet d'un nuage mis en dis-
solution , dont les parties sont tellement atténuées
qu'elles ne peuvent
vaiuae la résistance qu'elles

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trouvent dans l'air qui la soutient avant que de.
s'être re'unies et d'avoir acquis une plus grande
pesanteur spécifique que celle qu'elles, avaient
d'abord. Ainsi on peut regarder les gouttes d'eau
sur lesquelles se forme l'arc-en-ciel, ou comme
tombantes des nuées, ou comme saillantes de la
surface de la terre en haut, et par conséquent ce
phénomène, ou accompagne la pluie qui tombe
dans son voisinage , ou l'annonce comme très-pro^.
chaine. (
Richard. )

LETTRE XXVL

harmonies des couleurs dans les differents climats.

E'air conduit la lumière, et du palais des cieux,
Par lui ses doux rayons arrivent à nos yeux ;
Par lui nous respirons l'œillet, la marjolaine ;
D'une bouche adorée il nous porte l'haleine,
Souffle plus embaumé qne le parfum des Heurs ,
L'air humide, d'Iris compose les couleurs;
L'air par ses doux reflets forme le crépuscule;
Par lui l'aurore avance et le soir se recule ;
Sans lui l'œil passerait, par un brusque retour.
Du plein jour à la nuit, de la nuit au grand jom- ;
C'est lui qui nuançant leur marche régulière ,
Par degrés nous fait perdre et revoir la lumière;
Enfin multipliant ses mobiles reflets.
Le jour comme dans l'onde y vient briser ses traits ;
De là ces jets brillants , ces vapeurs colorées
. Dont se peignent du ciel les vofites azurées,
Surtout dans les climats où l'ardent équateur
De l'astre ardent du jour redouble la splendeur

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Et déploie avec pompe, entre les deux tropitiues ,
Du luxe des couleurs les teintes magnifiques.
Là, l'éclat des métaux , des fleurs le vif émail,
L'émeraude , l'azur, l'opale et le corail
Versent tous leurs trésors sur de riches nuages j
L'illusion
y joint ses magiques images ,
Et d'un hasard heureux secondant la beauté,
D'êtres qui ne sont pas, peuple un ciel enchanté j
L'œil y voit resplendir de brillantes campagnes ,
Éclater des volcans , s'élever des montagnes,
La lumière frapper des rocs étincelants,
D'un gouffre ténébreux sortir des flots brûlants,
Sous de riches couleurs , sons de mobiles formes,
S'agiter des lions et des coursiers informes ;
L'Océan dans son sein balance ces tableaux,
Les lacs resplendissants en colorent leurs eaux.
Les arbres leurs sommets, les montagnes leur faîte,
Et la Nature y donne une éternelle fête ;
Spectacle éblouissant, éclatant appareil
Dont le ciel est la scène et que peint le soleil.

Dewhe , les trois Règnes dje la Nature.

riv DES NOTES DU TOME PREMIER.

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TABLE

DU TOME PREMIER.

Préface...............................pag. v

introdrctiow............................ x]

Argument du premier Livre..............xxvij

Livre premier. De quelques lois générales de

la Nature................. i

Lettre première. De la physique ancienne,, ih.

Lettre ii. Newton, Buffon, Lavoisier...... i6

Lettre m. De l'hypothèse que tout est sensible

dans la Nature............ 27

Lettre iv. De l'attraction découverte par

Newton................... 38

Lettre v. Des affinités chimiques. De la raré-
faction et de la puissance du

soleil..................... 48

Lettre vi. Du mouvement................

Lettre vu. D'une autre loi générale de la

Nature.................... 85

Lettre vin. Génie de l'homme............ io3

Argument du second Livre............... ua

lavre second. De l'air considéré dans quelques-
uns de ses rapports avec la
physique, la chimie et l'his-
toire naturelle............. ii'j

Lettre ix. Que l'air est le véhicule du son.

De l'oreille................ ib.

Lettre x. De l'influence du bruit des vents

sur l'homme............... i34

ï.f.ttre Découverte de la pesanteur de l'air. i4i

-ocr page 508-

lA I

Lettre xii. Des hahitants de l'air. Migrations

des oiseaux............... i54

Lettre xiii. Des vents et de leurs causes... 170
Lettre xiv. De l'utilité du zéphire pour l'em-
bellissement de la Nature..
.. i85
Lettre xv. De l'air dans ses rapports avec la
botanique,
ou les Amours de

Flore et de Zéphire......... 19G

Lettre xvi. De la décomposition de l'air.

Théorie de la combustion... ao3
Lettre xvh. Harmonies du règne végétal et du
règne animal, ou les Amours
du rossignol et de la rose. ... ai4

Lettre xviu. Du gaz acide carbonique..... aa6

Argument du troisième Livre . ........... 238

Livre TROisiiÈME. De la lumière et du calorique
considérés dans quelques-uns
de leurs rapports avec la phy-
sique, la chimie et l'histoire

naturelle!.nbsp;^.......... 347

Lettre xix. De la vitesse de la lumière..........ib.

Lettre xx. Les tourbillons................................sSg

Lettre xxi. Le crépuscule et l'aurore............268

Lettre -amp;.yi.n. De la chambre obscure et de l'oeil.nbsp;278
Lettre xxiu. De la refraction. Explication

naturelle des spectres..............287

Lettre xxiv. Théorie des couleurs. De l'arc-

en-ciel. ......................................3oo

Lettre xxv. De l'œil.......................................3ii

Lettre xxvi. Harmonies des couleurs dans

les différents climats................3a5

Notes...........................................................333

Fin de la Table.

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