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COMMEMORATION DU 18 JUILLET
LA REPUBLIQUE
DEMOCRATIQUE
ET LIBERALE
Discours prononcé par
le Chef du Gouvernement Républicain Espagnol
DON ALVARO DE ALBORNOZ
à Paris, Salle Pleyel,
le 18 Juillet 1948
MINISTERIO DE INFORMACIÓN, PRENSA
Y PROPAGANDA DE LA REPÚBLICA ESPAÑOLA
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Chers compatriotes et amis, tous espagnols républicains.
Bien rarement j'ai, autant qu'aujourd'hui, eu besoin de
la bienveillance de mon auditoire. D'abord, parce que la ma-
tière de ce discours est plus encore qu'ardue, ingrate, doulou-
reuse pour les souvenirs qu'elle évoque de dates 'qui ont laissé
en nous une profonde tristesse. Ensuite parce que le sujet que
je vais traiter demande un large développement et m'obligera,
bien malgré moi, à être plus long que je n'ai coutumt- dans mes
discours. ,
Lorsque, à la date historique que nous commémorons au-
jourd'hui, éclate la criminelle rébellion nazi-fasciste, la Répu-
blique démocratique et libérale existe en Espagne ; tous les
organismes constitutionnels fonctionnent normalement ; le
Parlement, élu au cours d'une glorieuse journée civique, est au
travail. Aux Cortés, existe une majorité de gauche de 269 dé-
putés ; rnais les droites en possèdent
142 ; la majorité de gau-
che comprend
90 socialistes et 16 communistes seulement; tous
les autres sont des républicains.
Pas une minute il ne vient à
l'esprit de la droite de contester la légitimité des Cortés et la
preuve en est qu'elle accepte les représentations qui lui revien-
nent au Bureau de la Chambre. Toutes les libertés publiques et
tous les droits privés se trouvent garantis par les lois et les
tribunaux; sans que le Pouvoir Exécutif dépasse le moins du
monde les limites de sa légitime activité. La liberté de presse
est absolue et permet aux adversaires du régime non seule-
ment la critique nécessaire au fonctionnement de l'opposition
constitutionnelle, mais encore l'attaque immodérée où se con-
fondent liberté et licence et où rivalisent injure et calomnie.
Le droit d'association est si scrupuleusement respecté par tous
les organismes gouvernementaux que même les cercles où l'on
conspire contre la République échappent à tout contrôle. Il
existe une liberté de tribune illimitée à la faveur de laquelle
on lance contre le régime des attaques et des insultes qui ba-
fouent tout respect légal, toute résignation et toute patience.
Contrairement au reste de l'Europe où règne la Dictature ou
des régimes analogues jusque dans les Démocraties grâce à la
pratique des Décrets-lois qui réduisent considérablement la
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souveraineté des Parlements, en Espagne, fonctionne pleine-
ment, normalement, la Constitution ,de 1931, l'une des plus dé-
mocratiques et des plus libérales de l'Europe et du monde.
LA REBELLION FOMENTEE D'ACCORD
AVEC ROME ET BERLIN
Contre cette République1 démocratique et libérale, se pré-
pare la rébellion nazi-fasciste de juillet 1936. Rien dans notre
pays ne pouvait ni la justifier, ni l'excuser, ni même l'expli-
quer. L'agitation sociale dont on a parlé est une pure inven-
tion. En 1936, dans la plupart des pays; d'Europe, éclataient
des grèves et des conflits sociaux beaucoup plus graves qu'en
Espagne : en Angleterre, l'importante grève des transports
maritimes et celles des mines de charbon, en France, plusieurs
grèves dans différentes régions, grèves également en Belgique,
en Pologne, aux Etats-Unis. En même temps, près de 150.000
ouvriers chômaient en Belgique, 96.000 en France, 324.000 dans
les Pays-Bas, plus de 68.000 en Suède, plusieurs millions aux
Etats-Unis. En revanche, pas un seul arrêt d'usine en Espa-
gne. La vie économique s'y déroulait de telle sorte qu'elle fai-
sait de l'Espagne non seulement un des pays les plus habita-
bles d'Europe mais peut-être même le plus habitable.
Cependant, la rébellion était tout de même préméditée de-
puis l'avènement de la République, pourtant instaurée non à la
suite d'une conspiration ou d'une insurrection, mais d'une irré-
fragable manifestation de la volonté nationale, devant laquelle
Alphonse XIII lui-même n'osa pas résister et dut s'incliner.
Déjà en août 1932, la tentative du général Sanjurjo avait été
vouée à un échec immédiat parce que l'ambiance dans le pays
ne s'y prêtait pas. La République fit preuve à cette occasion
d'une magnanimité que ses ennemis étaient incapables d'ap-
précier. Persistant dans leur criminel dessein, mais convaincus
de l'insuffisance de leurs propres forces pour renverser le ré-
gime, les ennemis de la République, les uns monarchistes, les
autres nazi-fasciaftes, eurent recours à l'étranger et demandè-
rent de l'aide sans se soucier le moins du monde de vendre leur
patrie, pourvu qu'ils pussent y implanter leur domination. En
1934, le lieutenant général Barrera, monarchiste, don Rafael
Olozabal, conservateur, et Antonio Goicoechea, monarchiste
fascistoïde, se rendent à Rome et, dans une entrevue avec le
dictateur de l'Italie, conviennent d'un appui moral et matériel
du fascisme italien à l'insurrection contre la République espa-
gnole. Pendant l'été 1935, sous le prétexte des Jeux Olympiques
de Berlin, le général Sanjurjo et D. José Antonio Primo de
Rivera rendent visite à Hitler et Goering qui 'leur promettent
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une aidé égal© à celle de l'Italie en faveur de la rébellion, qui
se prépare en Espagne. H faut dire qu'à ce moment-là, la Ré-
publique Espagnole n'était pas seulement gouvernée, mais con-
trôlée et absorbée par la droite qui occupait le pouvoir et qui,
devant la grande victoire gagnée par la gauche dans la jour-
née électorale de février, perdit toute prudence : en effet, le
jour même des élections, le leader de droite, Gil Robles, et dès
le lendemain le général Franco, devenu dictateur par la mort
violente de quelques devanciers, rendirent tous deux visite au
Président du Conseil des Ministres, républicain du centre,
M. Pórtela Valladares, pour lui demander d'assumer la dicta-
ture et lui offrir leur appui s'il consentait à attenter au régime
démocratique.
Pour faire éclater la rébellion préméditée depuis si long-
temps, il fallait créer un climat favorable qui n'existait aucu-
nement. C'est pourquoi les futurs rebelles ne reculent devant
rien, même pas devant des crimes fréquents. Profitant des élec-
tions, quelques « señoritos » phalangistes tirent d'une auto-
mobile sur un groupe d'ouvriers revenant d'une excursion à la
campagne et causent la mort de Juanita Rico. Le 12 mars,
attentat contre le professeur Don Luis Jiménez de Asúa, dont
est victime l'agent de police M. Gisbert, chargé de la protec-
tion de notre ami. Peu de jours après, attentat, heureusement
sans conséquences, contre la maison habitée rue Viriato par
don Francisco Largo Caballero. Le 14 avril, pendant le défilé
des troupes sur la Castellana, à la cérémonie commemorative
de la proclamation de la République, explosion d'un pétard près
de la tribune du gouvernement et fusillade qui fait plusieurs
blessés et cause la mort d'un sous-lieutenant de la Garde Ci-
vile, vêtu en paysan. Assassinat du Magistrat D. Manuel Pe-
dregal, auteur du vote particulier approuvé à la majorité, qui
permit de condamner à une peine de 30 ans un des phalangis-
tes ayant pris part à l'attentat contre D. Luis Jiménez de Asúa.
Attentat contre notre ami l'écrivain D. Eduardo Ortega y
Gasset, au moyen d'une bombe glissée dans un panier d'œufs,
dont l'explosion blessa la femme. Incidents provoqués à Yeste,
dans la province d'Albacete, où la Garde Civile causa la mort
de 17 paysans. Au début de mai, assassinat à Madrid du capi-
taine du Génie D. Carlos Faraudo. Nouvelle victime à Santan-
der, D. Luciano Malumbres, directeur de « La Región », assas-
siné alors qu'il prenait son café en compagnie de quelques amis.
Le 13 juillet, assassinat à Madrid, du Lieutenant des Forces
d'Assaut, D. José del Castillo. Peu d'heures après ce crime, ¿es
gardes compagnons du mort se livrent en représailles à un
attentat contre D. José Calvo Sotelo. Les phalangistes, insti-
gateurs de tous les crimes antérieurs, quand ils n'en étaient
pas les auteurs, jettent alors les hauts cris. C'est pour eux une
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exceptionnelle monstruosité qu'ils présentent au monde com-
me un exemple de la perversité des gauches espagnoles, digne
de la réprobation éternelle de l'histoire. Et cependant, bien
qu'on doive le déplorer et le blâmer, ce n'est qu'une conséquen-
ce naturelle et logique des provocations de ceux qui veulent à
tout prix créer un climat insurrectionnel, au risque même de
précipiter leur patrie dans l'anarchie.
LA REPUBLIQUE LIBERALE
ET DEMOCRATIQUE EN EXÍL
La rébellion, déchaînée, devait tout naturellement provo-
quer chez le peuple espagnol trahi des réactions violentes. Ce-
pendant on doit à la vérité et à la justice de dire qu'elles
n'égalèrent celles du camp adverse ni en ampleur ni en signi-
fication.
En ampleur, parce que celles des rebelles qui, à Badajoz,
Salamanque et en bien d'autres endroits, arrivèrent à battre le
record de la férocité, furent plus nombreuses et plus cruelles.
En signification, parce que, dictées par la colère, les réactions,
souvent incontrôlées, du peuple républicain injustement atta-
qué dans ce qu'il avait de plus précieux, furent, malgré leurs
excès, spontanées, logiques, explicables, sinon excusables. Alors
qu'au contraire, les violences du camp opposé furent fréquem-
ment commises par des autorités, sous une prétendue légalité
et au nom de principes sacrés, en premier lieu de la religion
tant de fois profanée par ceux qui s'en déclarent les plus ar-
dents défenseurs. La guerre déchaînée, dans l'exaltation de la
lutte et d'un héroïsme qui honore la race, on devait forcément
oublier plus que de raison les principes démocratiques et les
égards jamais transgressés dans la normalité, même par les
plus exaltés. De même, le désir excessif de réformes, souvent
qualifiées à tort de révolutionnaires, devait mener à l'extrava-
gance. Des innovations et des réformes, il ne restera que ce
qui doit rester, que ce qui est conforme à la justice et a été ga-
gné par le peuple au prix de son sang.
Au bout de trois années, les possibilités de résistance
s'épuisèrent devant l'écrasante supériorité de l'ennemi qui,
déjà, ne recevait plus de l'étranger une aide, mais une véritable
collaboration. Et nous, républicains, prîmes le chemin de l'exil.
Et en exil, partout où nous nous sommes trouvés, nous avons
d'abord proclamé et revendiqué pour bannière la République li-
bérale et démocratique. La République libérale et démocrati-
que est affirmée dans le manifeste de l'Action Républicaine Es-
pagnole, constituée au Mexique en 1940. La République démo-
cratique et libérale est également affirmée dans le manifeste
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de la Junta Espagnole de Libération de décembre 1943 où la
Constitution de 1931 était déclarée intangible tant qu'elle ne
serait pas modifiée ou abrogée par une nouvelle et authentique
manifestation de la souveraineté nationale. La République dé-
mocratique et libérale est incarnée par le Gouvernement cons-
titué au Mexique en août 1945, et c'est le leit-motiv de la Dé-
claration lue devant les Cortès par l'éminent Docteur Giral. La
République libérale et démocratique est ce que représente le
gouvernement que j'ai l'honneur de présider, comme l'ont été
les gouvernements précédents. La République libérale et démo-
cratique c'est, dans le domaine politique, le respect, la soumis-
sion à la volonté nationale ; dans le domaine religieux, la li-
berté des lois et la tolérance des coutumes ; dans le domaine
juridique, la garantie de tous les droits ; dans le domaine so-
cial, après la disparition de conceptions catastrophiques et
l'échec des impératifs totalitaires, la réforme selon les règles
démocratiques, aussi large et aussi radicale que l'exige la jus-
tice et que le permet l'évolution économique.
L'APPEL A LA SOLIDARITE
DEMOCRATIQUE INTERNATIONALE
C'est la République démocratique et libérale qui en appelle,
jusqu'à maintenant sans résultat positif, aux puissances victo-
rieuses dans la guerre contre les Etats totalitaires. Toute une
série de faits, de manifestations, de déclarations des Nations
Unies sur leurs buts de guerre lui en donnait le droit. La Char-
te de l'Atlantique du 14 août 1941, dont l'article 3 affirme le
droit pour chaque peuple de choisir sa forme de gouverne-
ment et exprime le vœu que soient rendues la souveraineté et
la liberté gouvernementales à tous ceux qui en xmt été privés
par la force. La Déclaration des Nations Unies du 1" janvier
1942 qui assigne comme but à la victoire le maintien des droits
humains et de la justice, non seulement dans leurs propres
pays, mais dans les autres nations. La Conférence de Téhéran
du 2 décembre 1943 qui parle d'édifier une paix débarrassée de
l'horreur de la guerre et englobant la plupart des pays du
monde.
Tout particulièrement, la Conférence de Yalta du 12
février 1945, dont la déclaration sur l'Europe libérée définit,
comme résultat de l'accord entre les trois grandes puissances,
Grande-Bretagne, Etats-Unis et Russie, les buts suivants : ai-
der les peuples de l'Europe libérée de la domination nazie
et ceux des anciens Etats satellites de l'Axe à résoudre pacifi-
quement leurs problèmes politiques et économiques les plus ur-
gents ; établir l'ordre en Europe et reconstruire les économies
nationales par des moyens qui permettent aux pays libérés de
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détruire les derniers vestiges du nazisme et du fascisme et d'é-
tablir les Institutions démocratiques de leur choix ; droit de
tous les peuples à élire la forme de gouvernement qu'ils dési-
rent et restauration de la, souveraineté et de l'autonomie de gou-
vernement au profit des peuples qm en ont été brutalement
privés par les puissances d'agression.
Ensuite sont précisées les
mesures pour atteindre ces buts et, parmi elles, tant pour les
pays libérés que pour les anciens satellites de l'Axe, la célébra-
tion d'élections libres, sous des gouvernements provisoires lar-
gement représentatifs de tous les éléments démocratiques, per-
mettant l'expression de la volonté authentique des peuples. Les
trois grandes puissances s'engagent à faciliter ces élections là
où ce sera nécessaire. H s'agit, en somme, de construire un
ordre mondial inspiré des lois de la paix, de la sécurité, de la
liberté et du bien-être de l'Humanité entière.
Tous ces actes, toutes ces manifestations, toutes ces dé-
clarations donnaient à l'Espagne démocratique et libérale — la
première à combattre sur son propre territoire pour ces mê-
mes buts — quelque titre à solliciter et obtenir des puissances
démocratiques une aide efficace dans son effort de libération.
Mais elle possède un titre encore plus important qui ne peut
être niéconnu des pays aujourd'hui libres et en possession de
leurs droits : la contribution des républicains espagnols à la
victoire des Nations Unies sur les champs de bataille d'Afrique
et d'Europe. Quand la guerre éclata, il y avait encore en Fran-
ce, au Maroc, en Algérie quelque
400.000 Espagnols exilés.
300.000 se trouvaiet confinés dans des camps de concentration.
Beaucoup d'entre eux s'enrôlèrent dans les Compagnies de Tra-
vailleurs, affectées à des travaux de fortifications sur la ligne
Maginpt et à d'autres constructions de défense et de protection
dans le nord de la France. D'autres Espagnols formèrent des
bataillons d'infanterie, destinés à combattre les forces alleman-
des. Enfin,
20.000 environ s'engagèrent dans la Légion Etran-
gère française et furent envoyés sur les fronts des Flandres, de
Syrie et de Norvège. Le total de ces forces républicaines grou-
pait environ
50.000 hommes.
Nos frères combattirent héroïquement en Norvège, ils tom-
bèrent par centaines à Nanoick. Des survivants, certains ren-
trèrent en France, d'autres se dirigèrent vers l'Angleterre.
Parmi ces derniers, certains furent ouvriers dans des usines de
matériel de guerre, mineurs, marins, tandis que d'autres chan-
gèrent l'uniforme de la Légion française pour celui de l'Armée
Britannique et formèrent le
« Pioneers Corps » qui débarqua
en Normandie et atteignit l'Allemagne.
Les Républicains espagnols enrôlés dans la Légion qui se
trouvaient en Syrie refusèrent de servir le Gouvernement de
Vichy, désertèrent en masse, traversèrent le désert, arrivèrent
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en, Palestine où ils formèrent avec d'autres compatriotes ve-
nant d'Afrique du Nord un bataillon affecté au
« Queen's Re-
giment
» ei à une unité de Commandos, forces destinées à la
Crète qui luttèrent là-bas jusqu'au dernier moment. En Italie,
sous la bannière française,
8.000 Espagnols combattirent bra-
vement dans la première armée sous le commandement du gé-
néral de Lattre de Tassigny. En Afrique du Nord,
3.000 réfu-
giés espagnols traversèrent le Sahara, atteignirent la région du
Lac Tchad et s'intégrèrent à la deuxième Division, Blindée com-
mandée par l'héroïque général Leclerc qu'ils accompagnèrent
dans sa marche glorieuse jusqu'à l'entrée dapis Paris.... Les
Républicains espagnols luttent donc sur tous les fronts d'Afri-
que et d'Europe. En combattant pour tous les peuples subju-
gués, ils croient combattre pour leur patrie asservie. La part
qu'ils prennent dans ld libération de la France, dans la Résis-
tance d'abord, dans le combat contre l'envahisseur ensuite, est
connue de tous. A Paris, les deux bannières républicaines tri-
colores se confondent dans les rues pendant la lutte et pendant
les réjouissances publiques. Les tanks espagnols aux sonores
noms ibériques, Guadalajara, Teruel, Ebro, noms immortels d*
notre seconde guerre d'indépendance, arrivent jusqu'aux por-
tes de l'Hôtel de Ville. Nous sommes fiers de cette geste répu-
blicaine au service de la France tellement aiméeJ à laquelle doit
tant la liberté du monde.... Dépassant les limites de l'héroïs-
me, sur le sombre fond de la tragédie silencieuse et horrible, se
dresse le barbare, l'atroce sacrifice de
10.000 réfugiés espagnols
qui périrent dans les infâmes camps de concentration alle-
mands
.... Oublier tout cela — et il semble bien qu'on l'oublie
peu à peu -=r serait un exemple d'ingratitude historique incon-
cevable tant que vit la conscience démocratique et libérale de
l'Europe et du monde.
L'ESPRIT DE MUNICH
PROTEGE-LE FASCISME ESPAGNOL
Tant de titres à la solidarité de principes, d'idées, plus en-
core à une aide efficace des puissances démocratiques n'ont pas
donné jusqu'à présent les résultats mérités. Il y a eu, certes,
N des résolutions d'une indiscutable valeur, qu'il ne serait ni jus-
te ni politique de dédaigner. La résolution de San Francisco de
Juin 1945 dont le paragraphe 2, article 4, chapitre 11 de la
Charte des Nations Unies, « ne pourra s'appliquer aux Etats
donj: les régimes ont été établis avec l'aide des forces militai-
res des pays en lutte contre les Nations Unies, tant que ces ré-
gimes détiendront le pouvoir
». La déclaration de Potsdam du
2 août de la même année, souscrite par les Etats-Unis, !a Rus-
sie et la Grande-Bretagne dans laquelle les trois gouverne-
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ments, se reportant aux conditions d'admission à l'organisme
des Nations Unies et invoquant l'article 4 de la Charte de San
Francisco, se considèrent dans l'obligation d'indiquer claire-
ment qu'ils n'appuieront pas la candidature « du gouvernement
espagnol actuel qui a été établi grâce aux puissances de l'Axe
et qui ne possède pas, de par ses origines, sa nature et son
association étroite avec les pays agresseurs, les qualités requi-
ses pour former partie de cet organisme
». La déclaration de
l'Assemblée de Londres de février 1946 qui, se fondant sur la
résolution de San Francisco et la Déclaration de Potsdam, re-
commande aux membres des Nations Unies d'observer, dans
leurs relations futures avec l'Espagne, la lettre et l'esprit de
ces déclarations. La résolution de l'Assemblée de New-York
du 12 décembre 1946, dont le texte intégral mérite d'être rap-
pelé :
« L'Assemblée Générale, convaincue que le Gouvernement
fasciste du Général Franco en Espagne a été imposé au peuple
espagnol par 'la force grâce à l'aide des puissances de l'Axe
qu'il a d'ailleurs matériellement aidées pendant la guerre, et
convaincue qu'il ne représente pas le peuple espagnol et que sa
domination persistante en Espagne rend impossible la partici-
pation du peuple espagnol aux affaires internationales,
Recommande que le Gouvernement espagnol soit refusé
comme membre des organismes internationaux établis par les
Nations Unies ou des organismes s'y rattachant et que lui soit
interdite la participation aux Conférences ou à tous autres tra-
vaux qui pourraient être entrepris par les Nations Unies ou ces
organismes jusqu'à l'instauration en Espagne d'un gouverne-
ment nouveau et acceptable.
Désireuse en outre d'assurer la participation de tous les
peuples épris de paix y compris le peuple espagnol à la com-
munauté internationale.
EUe recommande, si dans un délai raisonnable ne s'est pas
établi un gouvernement dont l'autorité émane du consentement
des gouvernés, qui s'engage à respecter la liberté de parole, de
culte et de réunion et soit disposé à procéder rapidement à des
élections parfaitement libres, que le Conseil de Sécurité étudie
les mesures nécessaires pour remédier à cette situation.
Elle recommande que tous les membres des Nations
Unies rappellent immédiatement leurs Ambassadeurs et leurs
Ministres Plénipotentiaires accrédités à Madrid.
L'Assemblée Générale recommande également que les
Etats membres des Nations Unies informent le Secrétaire Gé-
néral dans la prochaine session de l'Assemblée des mesures
prises pour suivre ces recommandations
-».
Enfin, la résolution de l'Assemblée de New-York du 17 no-
vembre 1947, qui, sans ratifier expressément la précédente,
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la maintient en vigueur et exprime l'espoir que le Conseil de
Sécurité assumera ses responsabilités conformément à la Char-
te, aussi rapidement que l'exigera à son avis la situation en
Espagne. *
La résolution de New-York ûe décembre 1946 n'a été jus-
qu'à présent suivie qu'en ce qui concerne l'exclusion de l'Es-
pagne des organismes internationaux établis par les Nations
Unies ou des organismes qui s'y rattachent, et la participation
aux Conférences et aux travaux du même ordre. Ce qui con-
cerne le rappel des Ambassadeurs et de3 Ministres Plénipoten-
tiaires n'a été accompli que partiellement. Mais aucune de cea
déclarations et de ces résolutions n'a profondément affecté le
régime de Franco qui continue à défier l'opinion libérale du
monde avec des simulacres de Constitutions démocratiques et
des plébiscites mensongers et cyniques. Il semble même au con-
traire que le généralissime affermisse chaque jour davantage
son autorité dictatoriale, au su et vu des Espagnols, malgré le
mépris et les sarcasmes de la conscience démocratique univer-
selle. L'explication en est que, parallèlement à cette suite de
résolutions et de déclarations platoniques, en existe une autre,
d'actes divers d'une réalité beaucoup plus substantielle. Et ces
faits se multiplient ces derniers temps. Traité commercial du
30 avril de cette année, signé le 8 mai entre la France et l'Es-
pagne. Accord monétaire des 28 mars et 26 juillet 1947 entre
l'Angleterre et l'Espagne. Nouvel accord commercial du 23 juin
de l'année en cours, extrêmement favorable à l'Espagne fran-
quiste qu'on prétend combattre politiquement. Accord commer-
cial entre la Suède et l'Espagne signé à Madrid le 1" du mois
passé. On commence à parler de conventions commerciales en-
tre l'Espagne et la bizone allemande. Ballons d'oxygène qui
servent à prolonger une agonie qui n'est que la prolongation
du martyre du peuple espagnol.
La justice oblige à faire une exception à l'égard de la
France. Le 3 août 1945, la Commission des Affaires Etrangè-
res de l'Assemblée 'Constituante demandait la rupture des re-
lations diplomatiques avec l'Espagne. A la constitution du gou-
vernement Gouin, en fin d'année, ce vœu est repris par la dé-
claration ministérielle et approuvé par la majorité de l'Assem-
blée. Le Gouvernement français envoya donc, le 15 décembre,
une note aux Gouvernements de Londres et de Washington,
proposant l'adoption, à l'égard de Madrid, d'une attitude com-
mune de réserve et de méfiance préparatoire à un blocus éco-
nomique. Malgré la ferme attitude de la France, fidèle à ses
principes démocratiques, des conversations entre les trois gou-
vernements, sortit la célèbre note tripartite, échec de la démo-
cratie, qui ne servit qu'à renforcer la tyrannie espagnole.
Par ailleurs, la frontière franco-espagnole, fermée le 1"
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mars 1946, sur l'initiative de la France, ne tarda pas à être
rouverte en vertu de l'accord du 5 février de l'année en cours.
La démocratie française, à laquelle nous devons tant, ne pou-
vait livrer seule la bataille....
                                 
L'ESPAGNE DE FRANCO. —
L'ORDRE TERRORISTE
A l'esprit de Munich est imputable l'arrogance du fascis-
me espagnol au milieu des décombres de l'Europe. JJétat de
guerre
déclaré en juillet 1936 subsiste en Espagne et c'est donc
la juridiction militaire qui est chargée de juger sommairement,
sans aucune garantie, les actes commis par des civils dans des
buts politiques et sociaux. Et l'on assiste à ce fait monstrueux
que, neuf années après la fin de la guerre dite civile, les pro-
cès relatifs à des actes exécutés entre le 18 juillet 1936 et le
1" avril 1939, ne sont pas encore liquidés. Le 13 février der-
nier, se tint à huis clos un conseil de guerre contre 4 inculpés
de prétendus délits commis en 1936. Ces inculpés, arrêtés en
avril 1939, étaient restés en prison, sans jugement, à la dispo-
sition des autorités franquistes pendant près de 9 ans. Au bout
de ces 9 ans, trois d'entre eux furent condamnés à mort et le
quatrième à 20 ans de réclusion. Au mois de juin, il y a donc
peu de jours, l'avocat bien connu de Pampelune, don Jesús
Monzón, après un emprisonnement de 9 ans à Carabanchel, fut
condamné par un autre conseil de guerre à 30 ans de réclusion
pour avoir'exercé, pendant la guerre, la charge de Procureur au
Tribunal d'Espionnage du Territoire Basque et avoir été nom-
mé ensuite Gouverneur civil de la Province d'Alicante.
Subsiste également le Décret-Loi dit de Banditisme et de
Terrorisme,
dont tous les articles sauf le sixième, punissent
des actes prévus et sanctionnés par la peine de mort qui s'ap-
plique tant aux auteurs qu'aux complices et aux receleurs et
indistinctement à des délits consommés, avortés ou à des ten-
tatives de délits. Subsiste encore la Disposition secrète de la
Direction, générale de Sécurité
édictée en relation avec le Dé-
cret-Loi précédent, dans laquelle sont données des instructions
aux Agents de l'Ordre Public pour que, en l'absence de témoins,
ils appliquent systématiquement la « Loi contre les Fuyards ».
Subsiste le Décret-Loi du 2 mars 1940 et son ordonnance inter-
prétative du
22 octobre contre la Maçonnerie et le Communis-
me. Subsiste la prétendue Loi de Sécurité de l'Etat du 29 mars
1941, apparemment abrogée, mais dont les dispositions ont été
annexées au Code Pénal du 23 décembre 1944 ou à la Loi con-
tre le Banditisme et le Terrorisme
du 18 avril 1947. Malgré
l'apparente abrogation de la Loi des Responsabilités Politiques
du 9 février 1959, les confiscations, les séquestres, les adjudi-
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cations civiles continuent. Et, dans le Code de Justice Militaire
du
17 juillet 1945, a été introduite, entre autres, l'innovation,
contraire à toute la tradition juridique espagnole, d'autoriser
le procès contre des accusés absents, y compris la sentence ;
innovation en contradiction avec le principe juridique espagnol,
intangible et sacré, en vertu duquel « personne ne Peut être
" condamné, sans avoir été entendu et traduit en justice
». En
application de ces mesures terroristes, sentences et exécutions
capitales se,succèdent sans arrêt. Pendant l'année
1947,<-33 Es-
pagnols furent condamnés à mort et non exécutés ;
40 exécu-
tés par sentence ;
134 exécutés sans instance ; total 207. Dans
le premier semestre de
1948, 21 condamnés à mort et non exé-
cutés ;
11 exécutés par sentence, 78 exécutés sans instance, to-
tal,
110. Et outre les exécutions sans instance, les cas effroya-
bles comme celui dénoncé par notre ami Don Rodolfo Llopis,
au récent Congrès Socialiste à Paris ' :
22 ouvriers asturiens
précipités au fond d'un puits, arrosés de pétrole et dynami-
tés.
Il ne se passe rien en Espagne, M. Cadogan ? Que doit-il
donc se passer pour que l'élégante et correcte diplomatie s'en
trouve affectée ? Que doit-il donc se passer pour que les va-
gues d'émotion humaine arrivent jusqu'à Downing Street et à
la Manson Blanche sans qu'on doive les confondre avec des va-
gues de panique ? Peut-être est-il besoin qu'éclate en Espagne,
ce qui peut arriver un jour à la grande surprise des observa-
teurs de Londres et de Washington, une révolution ? Attend-
on une autre guerre plus cruelle et plus terrible que la précé-
dente ? Ou attend-on que le généralissime qui engloutit dans
son budget de guerre la presque totalité des ressources de la
nation espagnole ruinée et épuisée, se trouve en situation mi-
litaire d'appuyer une insurrection fasciste en France et en
Italie ?
LA DEFORMATION
DE L'AME NATIONALE
Des horreurs comme celles-ci, même si elles obéissent à
.des nécessités terroristes, ne seraient pas explicables sans le
fanatisme idéologique qui règne dans l'Etat fasciste espagnol.
La Législation, si l'on peut dire, de l'Instruction Publique,
offre les exemples les plus édifiants de ce fanatisme et sort du
domaine idéologique pour entrer dans le pathologique. Ce n'est
plus l'école confessionnelle mais cléricale, avec des exercices
spécialement consacrés au carême et au mois de Marie. En ma-
tière religieuse, il faut suivre prudemment Franco et la Pha-
lange, comme le sait bien un illustre prélat de l'église romaine
fui connaît l'Espagne, les républicains et les fascistes. Il sait
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-ocr page 13-
parfaitement ce que la République voulut et ne put faire dans
le domaine religieux, plus à cause de l'étroitesse d'esprit de»
catholiques plus papistes que le Pape que de l'intransigeanc»
des républicains exaltés. Les phalangistes brandissent la reli-
gion comme un garrot après l'avoir profanée dans le secret de
leur conscience et ils sont aussi étrangers à la grande tradi-
tion catholique espagnole que le « Maure Muza ». La fable de
la croisade religieuse est une farce égale a celle de la croisadt
contre-le communisme, et Franco, qui prétendit être un Gode-
froy de Bouillon, ne verrait aucun inconvénient à devenir e»
cas de nécessité, le tambour du Maréchal Staline.
Le plus- véritablement grave est que l'école est empoison-
née par des haines politiques féroces: « Les guerres carlistes,
dit une Ordonnance d'Instruction Publique du
21 septembre
1937, doivent être livrées à l'esprit de la nouvelle génération
débarrassées des absurdes topiques qui les défigurent et exa-
minêes à une lumière nouvelle qui fasse de la simple vérité his-
torique déjà une apologie...
» (Apologie du curé Santa Cruz, de
Rosa Samaniego, du gouffre tragique de Ygusquiza aujourd'hui
éfl honneur aux Asturies, des scélérats de Cuenca). Conféren-
ces dans les écoles, sans doute pour édifier l'âme des enfants
et les disposer à la bienveillance et à la sympathie humaines
devant l'assassinat de Calvo Sotelo. Et défilés pour commémo-
rer le 10 août 1932, date de l'insurrection avortée du général
Sanjurjo contre la République qui exalte « le droit sacré de la
rébellion
texte d'une ordonnance de l'Instruction Publique
du
4 août 1939 -— si brillamment proclamé par les théologues
et les juristes de la tradition espagnole ; quand la dialectique
juridique et légale est épuisée par la mauvaise foi ou la vio-
lence des tyrans
ajoute Ténergumène rédacteur de l'ordon-
nance
cette autre dialectique des poings et du pistolet im-
mortalisée par José Antonio, devient héroïque et décisive
.... »
Pour enseigner cette immortelle dialectique du poing et du pis-
tolet — l'Europe civilisée et le monde entier doivent le savoir
— des chaires ont été créées dans les Universités de Madrid et
de Barcelone, par décret du 16 novembre 1938. La loi du 20
septembre 1938 qui réorganise l'enseignement et le réadapte à
l'esprit de la Phalange, donne une idée de ce que peut être en
Espagne l'enseignement secondaire. Pour le moins, sept cours
de religion, faux hommage de la barbarie phalangiste aux sen-
timents catholiques espagnols. Après avoir parlé de la pureté
morale
de la nationalité espagnole, de la nationalité phalangis-
te, s'entend — oh ! mânes de Lazarillo de Tormes et de Rin-
conete et Cortadillo ! — et de la supériorité de l'universalité
de notre esprit impérial, voici quelques passages du question-
naire de géographie et d'histoire que nous offrons à nos bons
amis anglais et américains. « Troisième cours. La Révolution
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anglaise. Son caractère hypocritement puritain et tyrannique-
ment anti-catholique. ... Les Etats-Unis d'Amérique du Nord.
Matérialisme et infériorité de la civilisation nord-américaine.
— Absence de fondement et d'unité morale. Immoralité finan-
cière. — Agression injuste contre l'Espagne et les pays his-
pano-américains, Nicaragua, Haïti. Supériorité morale de l'A-
mérique latine sur l'Amérique du Nord ». Et le plus curieux, à
dire vrai, est que ce qu'ont pensé les phalangistes, tous les
conservateurs espagnols continuent de le penser, sans excepter
D. Antonio Cánovas del Castillo, ardent germanophile malgré
son scepticisme, et que ces braves Anglais et Nord-Américains
ne veulent pas se convaincre que les uniques amis — amis à
toute épreuve — qu'ils possèdent en Espagne, aujourd'hui hors
d'Espagne, c'est nous, les Républicains.
En matière universitaire, comme partout, on commence
par un cléricalisme qui est le pavillon couvrant la marchandise
phalangiste, et on instaure une Université Pontificale à Sala-
manque. Naturellement, davantage de cours de religion ; des
collèges plus importants avec chapelle et aumônier d'abord.
Mais — et ce n'est pas en vain que les recteurs d'universités
doivent être des phalangistes illustres —■ ce qui importe par-
dessus tout c'est la politique, la politique de la Phalange Es-
pagnole traditionaliste et des J.O.N.S. On crée à l'Universi-
té de Santiago une chaire pour l'étude de l'œuvre et de la pen-
sée du tribun carliste Vazquez de Mella. Ils ne pensent pas,
eux, si épris de culture espagnole, à honorer la mémoire d'un
Ménendez y Pelayo et d'un Mila y Fontanals. Il s'agit de con-
vertir en Droit Politique officiel l'activité carliste. Le cata-
pulte de Tristany et l'éthique du droit du pistolet au frontis-
pice universitaire.
LE DESASTRE ECONOMIQUE
ET FINANCÍER
Sous ce régime, l'Espagne agonise. Et s'il est dit que, in-
dépendamment du régime, on ne veut pas nuire au peuple es-
pagnol en l'éloignant de toute collaboration économique, il se-
rait facile d'objecter que tout remède sera vain, car le désas-
tre économique et financier est inévitable. Un budget de 15.196
millions de pesetas contre 4.690 en 1935 ; compte tenu de la
réduction de la valeur monétaire, trois milliards de plus qu'au
temps de la République :
55 milliards de dette publique contre
20 milliards en 1932 ; 10 milliards de plus, compte tenu de la
remarque précédente. La circulation fiduciaire qui n'arrivait
pas aux
5 milliards sous la République atteint maintenant les
28 milliards. Toute cette inflation couvre une misère qu'on ne
peut plus ni cacher ni dissimuler. La production agricole a
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baissé dans des proportions alarmantes. Celle du blé de 50 mil-
lions de quintaux à à peine plus de 15, ce qui explique que le
prix en soit passé en quelques jours de 175 à 250 le quintal.
Cette situation catastrophique est due, comme pour les autres
cultures, à l'absence de bras, d'engrais, de machines, qui oblige
à réduire le terrain cultivable ou à en diminuer la productivité.
La production industrielle a également diminué dans des pro-
portions inquiétantes. Les chemins de fer n'étant plus que de
la ferraille, les transports sont devenus tout à fait insuffi-
sants. Les principales valeurs descendent vertigineusement ;
par rapport à février
1947, les actions sidérurgiques ont baissé
de
29,92 pour cent, les bancaires de 34 pour cent, les électri-
ques de
35,28 pour cent, les immobilières de 48,62 pour cent.
L'écart entre les salaires et le coût de la vie est astronomique.
Les salaires qui ont nominalement augmenté de
170 pour cent
représentent un pouvoir d'achat qui n'est que la moitié de celui
de
1935. Le prix des produits alimentaires a monté de 500 pour
cent.
Les petits rentiers qui vivent de pensions et de retraites
frisent la mendicité. C'est la banqueroute de l'économie et du
commerce. Contribuer à prolonger une telle situation, c'est en-
tretenir un abcès, une tumeur maligne et s'exposer à la voir
éclater tout d'un coup. En tous cas, c'est condamner le peuple
espagnol à une vie de désespoir et priver l'Europe, si l'on ar-
rive trop tard, de ce qui pourrait être une collaboration écono-
mique de premier ordre.
REMEDE D'URGENCE.—
BLOCUS ECONOMIQUE
Seules, les sanctions économiques pourraient accélérer le
processus de décomposition de l'Etat franquiste et ecourter en
même temps les souffrances du peuple espagnol. Des considé-
rations politiques essentielles doivent apaiser les vains scru-
pules d'une interprétation formaliste ou faussement rigoriste
de la Charte. L'efficacité des sanctions économiques a été prou-
vée pendant la guerre à l'occasion des demandes présentées par
Mr. Hayes, Ambassadeur, au nom du Gouvernement des Etats-
Unis et de la Grande-Bretagne au Comte Jordana, Ministre
des Affaires Etrangères du Gouvernement de Franco, en no-
vembre 1943. Les deux gouvernements alliés demandaient l'em-
bargo sur les envois de wolfram à destination de l'Allemagne,
la dévolution des bateaux de guerre et des navires marchands
italiens retenus dans les ports espagnols ; la fermeture du
Consulat Allemand à Tanger ; l'expulsion des agents alle-
mands de la zone de Tanger et de diverses zones du territoire
espagnol ; l'autorisation d'établir un circuit radiotélégraphique
direct entre l'Espagne et les Etats-Unis. Les demandes essen-
■— 14 —
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tielles concernaient le wolfram et les navires italiens. D'in-
fructueuses négociations, comme on les appelle en termes di-
plomatiques, durèrent des semaines entières. Et en fin janvier
1944, 300 tonnes de wolfram furent exportées vers l'Allema-
gne. Les gouvernements alliés décidèrent alors de suspendre
leurs envois de pétrole. Et quelques semaines de cette fructueu-
se coaction suffirent à amener la signature de l'accord du 2
mai. En vertu des dispositions de cet accord, le Gouvernement
de Franco s'engageait à limiter les exportations de wolfram
à destination de l'Allemagne à 20 tonnes mensuelles pour mai
et juin et à un maximum de 20 tonnes mensuelles à l'avenir.
Au mois de juin, tous les navires italiens furent rendus. De
plus, le circuit radiotélégraphique direct entre l'Espagne et
les U.S.A. fut accordé. Et la situation de Franco était loin
d'être ce qu'elle est aujourd'hui. Alors, les Allemands n'avaient
pas encore été vaincus, malgré le déclin de leur étoile, et la
dictature franquiste pouvait avoir des raisons, ou croire en
avoir, pour accepter des difficultés, dans l'espoir d'une quel-
conque compensation. Aujourd'hui, l'administration franquiste
n'est pas en état de supporter une période de privations. Au-
jourd'hui, les mesures économiques qui seraient adoptées con-
tre le Gouvernement de Franco constitueraient sa sentence de
mort, sans appel. Et un blocus général de toutes les puissan-
ces sur toutes les marchandises ne serait même pas nécessaire.
Il suffirait qu'il fût décidé par les puissances principales, Etats-
Unis, Grande-Bretagne, France. Et il suffirait également qu'il
se limitât à deux produits essentiels : le pétrole et le coton,
peut-être même le caoutchouc. L'effet serait foudroyant. Tout
le système défensif de la dictature franquiste se désorganise-
rait rapidement. « Le bouleversement qui en résulterait a
déclaré un expert après l'examen détaillé du problème
se-
rait immédiat et violent, comme un traumatisme ».
En dehors
des questions matérielles, les effets psychologiques causés par
la simple décision de blocus, à conséquences.politiques certai-
nes sinon-décisives, sont à envisager. « La plus grande partie
des appuis passifs
continue l'expert précité que compte
la dictature franquiste à l'intérieur de l'Espagne, viennent de
ce que l'on croit généralement que le gouvernement actuel ne
peut être renversé que par une nouvelle guerre civile ou par
une action énergique des grandes puissances. La première so-
lution, dont les maux paraissent pires que les malheurs pré-
sents, étant éliminée, il ne reste que le second terme de l'alter-
native. La con&uite hésitante des puissances victorieuses à l'é-
gard du problème espagnol a convaincu la plus grande partie
de ceux qui croyaient à cette seconde solution qu'on ne pou-
vait rien espérer de ce côté-là, et ainsi a gagné du terrain à
l'intérieur de l'Espagne le sentiment de la stabilité du régime
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franquiste, de la maigre efficacité d'une résistance active ou
passive face à un énorme appareil répressif, et enfin de l'aban-
don total où est laissé le peuple espagnol..
.. Si les puissances
confirmaient leurs déclarations théoriques par des mesures pra-
tiques et démontraient une volonté effective de voir s'établir en
Espagne un régime libéral et démocratique, la plupart de ces
appuis passifs dont profite la dictature franquiste et qui cons-
tituent aujourd'hui la raison essentielle de sa stabilité, cesse-
raient. ... L'application de mesures effectives priverait la dic-
tature du principal élément de cohésion qui la maintient au-
jourd'hui au pouvoir
».
LA LEGALITE REPUBLICAINE DEVANT
UNE NOUVELLE PERIODE CONSTITUANTE
La chute du régime franquiste provoquée par le blocus
économique ouvrirait inévitablement en Espagne une nouvelle
période constituante. Une nouvelle période constituante, dans
une grande agitation civique, puisque les liens et les bâillons
qui étouffent le peuple espagnol seraient dénoués. La perspec-
tive de cette période qui inquiète les uns et remplit les autres
d'espérance doit être envisagée par nous avec le plus.grand
sérieux.
Cette période ne peut être dirigée par l'esprit de Franco
en son absence matérielle. Elle ne peut pas davantage être di-
rigée par les généraux rebelles contre la République non plus
que par quelque figure de proue, aristocrate ou plébéienne, qui
essayeraient de mettre en avant les monarchistes qui se soli-
darisèrent avec les rebelles et assumèrent la responsabilité
d'atroces représailles ; pas davantage par les oligarchies ecclé-
siastiques qui agirent en pontifes dans la prétendue croisade,
bénirent les armes fascistes et reçurent solennellement le dic-
tateur sous le dais ; pas davantage par les ploutocrates avides
qui désirent l'économie libérale — c'est-à-dire la débauche de
l'économie — sous le despotisme politique et qui financèrent
l'entreprise contre la liberté et contre la patrie. Ni les uns ni
les autres ne constituent une garantie de justice et d'ordre. De
justice impartiale, sereine, je dirais presque auguste, telle que
l'exigent à la fois l'esprit chrétien et la haute prudence politi-
que qu'il faut apporter au peuple espagnol après dix années
de persécutions et de crimes. De l'ordre qu'ils ont troublé et
qu'il faut rétablir pour continuer la vie civile, en apaisant et
en étouffant les haines, les rancœurs causées par de terribles
blessures qu'ils ne feraient qu'exaspérer et exciter par leu:
seule présence au pouvoir.
La nouvelle période constituante qui s'ouvre en Espagne
ne peut être dirigée que par la légalité républicaine, expres-
— 16 —
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aion ultime, solennelle et authentique de la volonté nationale.
Légalité républicaine qui, dans une période si importante his-
toriquement, devant un horizon ouvert à l'avenir, avenir de
paix et de grandeur pour l'Espagne, n'est pas ce gouverne-
ment ni aucun autre qui pourrait se constituer grâce au jeu
de nos seules forces,, mais, au-dessus de tous les partis qui,
au retour dans la Patrie, devront nécessairement se transfor-
mer en nouveaux instruments de collaboration, l'emblème de
la République qui ne peut -être abattu que par la volonté du
peuple. Seul, l'esprit de la légalité républicaine peut, dans cet-
te prochaine période, constituer une garantie d'impartialité et
de générosité, grâce à la, grande leçon de l'exil, d'autorité, grâce
à son titre même de légalité indûment invalidé, de justice
grâce à son caractère d'institution nationale, d'ordre (qui doit
nous préoccuper tous) grâce à ses racines dans les masses po-
pulaires et à son ascendant sur la plus grande partie de l'opi-
nion espagnole. Légalité républicaine qui, dans le provisoire
propre à toute période constituante et dans un nécessaire res-
pect de la volonté nationale doit avoir son expression dans un,
grand gouvernement, aussi large et aussi représentatif que
possible, comprenant tous les éléments démocratiques et libé-
raux de la société espagnole.
Gouvernement véritablement na-
tional dont ne seraient exclus que les traîtres à la République
et les responsables des horreurs déchaînées sur l'Espagne. Gou-
vernement véritablement national avec l'autorité et — l'auto-
rité ne suffisant pas — les moyens de procéder à des élections
qui, pour être libres, n'auront qu'à rappeler les trois élections
faites par la République et qui, de plus, offriraient toutes les
garanties internationales jugées nécessaires, sans pour cela
ressembler à des contrôles de pays occupé ou de colonie, in-
compatibles avec l'indépendance nationale et la dignité ci-
vique.
A LA VEILLE DE LASSEMBLEE
DE PARIS
En septembre prochain, se réunira à Paris l'Assemblée
Générale de l'O.N.U. Nous irons de nouveau y exposer le cas
de l'Espagne, invétéré comme une plaie chronique qui affecte
non seulement son corps mais tout l'organisme international.
Il faudra abandonner toute attitude de quémandeur — le chœur
de.la tragédie antique — et prendre le rôle digne et viril d'am-
bassadeurs d'un peuple qui invoque le droit et la justice. Exa-
men complet du problème posé, sans dérobades, sans subterfu-
ges. Plus de condamnations théoriques ; plus de déclarations
platoniques ; plus de cérémonies liturgiques ; plus d'oraisons
funèbres sur le corps palpitant — pas encore cadavre, heureu-
— 17 —
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sèment — de notre Patrie. Des mesures efficaces, décisives,
qui tranchent le nœud franquiste. Le peuple espagnol, dont il
serait téméraire de confondre le stoïcisme avec la lâcheté,
quelque fort et puissant que puisse être l'appareil répressif du
régime, considère cette conjoncture comme la dernière pour
un dénouement pacifique du drame qui détruit l'Espagne de-
puis dix ans. La dernière conjoncture pour l'intégration et
l'ordonnance juridique de tous les éléments qui furent désinté-
grés et disloqués par la criminelle rébellion et l'anarchie de la
dictature. Après cette dernière conjoncture, il n'y a plus que
le chemin de la violence devant laquelle ne recule jamais le
peuple espagnol quand il n'y a plus que cette issue désespérée.
Faire allusion à la violence comme au recours suprême, quand
on la déteste par tempérament, par sensibilité, par éducation,
par formation sévère dans les disciplines du droit, n'est ni l'in-
voquer, ni la conseiller, ni l'exciter. Et encore moins quand on
ressent, comme moi, une répugnance invincible pour « el Ena-
no de la Venta » autant que pour le « Capitán Araña » et qu'on
est peu disposé à jouer en bouffon un rôle héroïque à une pru-
dente distance de la ligne de feu. Je laisse cet emploi aux déma-
gogues irresponsables et aux tragédiens forains. Si l'on parle
de violence, avec douleur, en contrariant tous les élans de-bien-
veillance, de sympathie, de cordialité, de solidarité, de commu-
nauté humaine, c'est parce que l'on craint que la frivolité, l'é-
goïsme, l'incompréhension, l'aveuglement des grands recteurs
du monde ne placent le peuple espagnol dans l'alternative tra-
gique de la soumission, qui répugne à son tempérament même
dans les périodes de pire infortune, ou de rébellion qui répond
mieux à son caractère. Les Nations Unies ne voudront pas
prendre la responsabilité de pousser le peuple espagnol à la
violence, avec toutes les incalculables conséquences d'une telle
résolution, tant pour l'ordre européen que pour l'ordre mondial.
De notre côté et, ici je me réfère à moi-même, nous accompli-
rons notre devoir comme nous l'avons toujours fait et cela tous
les républicains espagnols- le savent.
La prochaine Assemblée de l'O.N.U. se tiendra à Paris, au
milieu du grand peuple français, notre frère de race et de cul-
ture, lié à notre peuple par tant d'affinités et tant d'antagonis-
mes historiques et qui a manifesté pour la. cause de la Répu-
blique une sympathie cordiale et fervente. Les Nations Unies,
traversant les brouillards de l'Atlantique, délibéreront au bord
de la Seine, au milieu du peuple de Paris, sensible ^jusque dans
sa chair à la tragédie de la grande nation qui est en même
temps la tragédie de l'Europe, dans une atmosphère vibrante
de toutes sortes de palpitations spirituelles.... la presse, les
partis, les masses populaires, capables encore, comme l'im-
morteïle plèbe de Rome notre mère, de se retirer sur l'Aven-
— 18 —
-ocr page 20-
tin. La douleur et l'angoisse de l'Espagne résonneront et s'en-
tendront à travers les Pyrénées et les peuples d'Amérique, de
notre sang, écouteront de l'enpeinte de l'Assemblée, les batte-
ments du cœur espagnol. L'occasion est exceptionnelle pour un
dernier effort, une dernière tentative de résolution du problè-
me espagnol par les voies de la légalité et de la, paix. .. .
Il faut que l'émigration espagnole qui supporte tant de
malheurs, se montre sous son vrai jour, à la hauteur des cir-
constances, dépouillée de ses petites rancunes et de ses incom-
patibilités et qu'elle soit capable de comparaître devant la gran-
de représentation internationale, unie, compacte, étroitement
solidaire devant le danger commun et la commune responsa-
bilité. Un défilé de comparses tragiquement pittoresques, cha-
cun avec sa cocarde et son uniforme, mettrait fin à la dernière
espérance. Au lieu de paraître chacun de son côté, le héros et
le sage, il faut que le héros et le sage apparaissent ensemble
comme Don Quichotte et Sancho dans leurs célèbres aventu-
res. ... comme un seul homme et un seul Espagnol.
SALUT AUX COMBATTANTS
DE LA LIBERTE ESPAGNOLE
Et j'arrive, chers compatriotes et amis, avec satisfaction
pour ma part, et je pense que la vôtre ne sera pas moins gran-
de, à la fin de mon long discours. Je veux que mes dernières
paroles soient un message de nous tous à ceux qui, en Espagne,
luttent, souffrent et meurent pour la liberté et la justice. Aux
combattants braves, indomptables qui, à califourchon sur les
montagnes, tiennent la plaine en échec et donnent foi dans l'es-
prit invincible de la race ibérique. A ceux qui, ne pouvant com-
battre les armes à la main, supportent dans une héroïque ré-
sistance passive les rigueurs de la faim et de la misère. A
tous ! ! ! Notre émotion cordiale, chaleureuse, palpitante, bou-
leversante, va à tous les coins de la pauvre Espagne qui gémit
sous la tyrannie. Aux prisons, aux camps de concentration qui
existent encore, aux foyers où l'on souffre obscurément et si-
lencieusement, sans pouvoir même aspirer à l'auréole du mar-
tyre.... Et aussi aux cimetières.... Parce que, si nous ne
pouvons abandonner ceux qui vivent et luttent, nous ne pou-
vons non plus profaner par notre infidélité les tombes sacrées
de ceux qui sont morts pour un idéal qui est le nôtre. »
Après avoir terminé son, discours, M. Albornoz écouta une
chaleureuse ovation qui dura un long moment.
Le public, debout, applaudit la République avec enthou-
siasme.
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