Le moment espagnol
m par le President de la MMoe
H. Diego Martinez Barrio
Y A commémoration de cette glorieuse journée du
I j 14 Avril, date ineffaçable dans la mémoire des Espa- gnols, offre aujourd'hui une conjoncture plus favo- rable que toutes ces dernières années. En 1931, notre peu- ple, qui n'avait pas encore souffert l'effroyable déchire- ment intérieur de la guerre civile, montre, en ouvrant le chemin de la justice sociale et de l'égalité politique, qu'il était possible de changer le cours de l'histoire de la nation sans convulsions révolutionnaires. En 1951, vingt ans après, ce même peuple, malgré la tyrannie qui l'as- servit, a répété à Barcelone son geste héroïque, vaillante affirmation des caractéristiques qui lui attirent le respect des siens et l'admiration des étrangers. L'Espagne, égale à elle-même, épurée par la douleur, enseigne de nouveau que tous les calculs basés sur une apparente soumission à la dictature sont faux et qu'il n'y aura point de paix sur le sol de la patrie tant que la liberté et le droit y seront violés et bafoués. Ce récent et important épisode, qui prélude à l'anni-
versaire de la proclamation de la République, contient une double leçon à la fois pour les gouvernants des Etats dé- mocratiques et pour l'émigration républicaine. Je ne crois pas me tromper en affirmant que l'opinion internationale a tiré de la grève de Barcelone l'enseignement qu'en vou- lait donner le peuple espagnol, c'est-à-dire l'affirmation irréfutable de l'incompatibilité du pays et du régime qui prétend le représenter. Dorénavant, en ce qui concerne l'Espagne, il ne peut y avoir de sourds non plus que d'aveu- gles parmi les dirigeants de la politique occidentale, à moms qu'une fallacieuse convenance tactique ne les incite à fermer les yeux et à se boucher les oreilles. Il nous res- terait bien peu à vivre si nous n'arrivions pas à prouver la certitude de cette affirmation. L'évolution des événe- |
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ments s'accélère et, pour la perte ou le salut du monde,
le moment de la grande crise approche. L'Espagne, en toute sérénité, a fait entendre sa voix.
Il serait à la fois criminel et contraire à l'intérêt de la liberté et de la morale collectives que de refuser d'entendre cet appel. Pour moi, malgré l'amère désillusion de ces der- niers mois, je n'ai pas perdu l'espoir que la sagacité poli- tique de l'Angleterre, le bon sens de la France, la sensi- bilité démocratique de l'Italie et la droiture morale de celui qui gouverne l'Amérique du Nord cherchent et trouvent un terrain d'entente qui facilite la libération espagnole. Cependant, j'admets la possibilité que la politique que
l'on nomme politique de réalités interpose de nouveau ses mauvais offices sur le chemin de la réparation due à l'Es- pagne. Tant pis pour tous. Tant pis pour la cause de la démocratie et tant pis pour la future unité d'action dans laquelle notre peuple, capable d'être un allié, n'acceptera jamais d'être une armée mercenaire. Je dois loyalement signaler l'inquiétude de l'opinion
démocratique de mon pays devant les hésitations de la diplomatie occidentale. En parlant ainsi, sans décourage- ment et sans morgue, je m'acquitte de ma mission tout en sachant que notre attitude et notre jugement irritent cer- tains secteurs de l'opinion. Moment dramatique dans le cours de toute entreprise tendant à faire retrouver la pa- trie perdue, et moment plus dramatique encore parce qu'il s'agit de l'Espagne qui, quelles qu'eussent été ses fautes et ses faiblesses, a démontré sa volonté irrévocable de conserver sa liberté. C'est pourquoi la démonstration civi- que de Catalogne contient un avertissement. Je répète que c'est à ceux qui gouvernent le monde qu'il revient de l'ana- lyser. Cet avertissement est également adressé aux émigrés.
L'émigration républicaine espagnole a un double devoir à remplir : d'abord aider le mouvement intérieur en empê- chant ou en rendant difficile l'incorporation du régime dictatorial à la communauté des Etats démocratiques ; ensuite, après la restauration du droit national, annoncer la disparition de tous les organes institutionnels créés ou réorganisés en exil. Il est évident que le fait de travailler à la libération
du pays n'implique aucun droit à gouverner. Il est éga- lement évident que le renoncement obligatoire des pou- voirs intérimaires n'exempte nullement de l'accomplisse- ment des obligations actuelles. Subordonner les services |
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à la continuation de la fonction, ce serait une odieuse opé-
ration politique et l'excuser sous prétexte d'inefficacité ou de stérilité serait une excuse bien maladroite. Les Espagnols, autant que le simple impératif du
devoir historique, nous ont indiqué, sans équivoque possi- ble, notre tâche : travailler sans gêner. Je garde la con- fiance que l'émigration, dont les vertus et les travaux ont enorgueillit la patrie lointaine, entendra la voix des Espa- gnols opprimés. Je garde la confiance qu'elle facilitera, soit par des aides directes, soit par l'exemple d'une con- duite discrète, l'action libératrice qui se réalise à l'inté- rieur du pays. Cette œuvre de libération doit avoir un complément
inéluctable : la pacification et la réconciliation nationale. Les peuples ne peuvent vivre en état de guerre civile chro- nique, dans la division de familles et dans l'impossibilité de la coexistence sociale. Nulle bonne semence ne fructifie dans un pareil climat. La haine engendre la haine, et le châtiment sanglant appelle sans cesse le sang. Ceux qui s'érigent en prêtres du culte à la guerre fratricide pré- parent la sépulture de la nation entière. Liberté et réconciliation nationale doivent être nos
vœux pour ce prochain anniversaire du 14 Avril. Pour ma part, je les fais ardemment, de l'exil, et je demande aux républicains et aux Espagnols attachés au service de l'Espagne de multiplier les possibilités pour que ces deux biens inestimables, la liberté, base du progrès humain, et la paix nationale, couronnent l'œuvre commune de 1951. Ce serait le meilleur exemple que nous pourrions offrir au monde angoissé et affolé, et, en même temps, à notre patrie, qui a besoin du sacrifice de ses fils, la belle pro- messe de reconstitution. La tâche déjà commencée nous attend. Continuons-la
avec ténacité, jusqu'au bout, comme l'exigent les intérêts permanents de l'Espagne, liés aux intérêts essentiels de la démocratie et de la liberté universelle. Paris, Avril 1951.
DIEGO MARTINEZ BARRIO
(Président de la République Espagnole en exil.)
(Allocution adressée aux Espagnols, à l'occasion du
vingtième anniversaire de la proclamation de la Répu- blique.) |
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