LE PROBLEME ESPAGNOL
DEVANT LA CONSCIENCE
UNIVERSELLE
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Conférence organisée par la Ligue Française des Droits
de l'Homme à la Salle Pleyel de Paris le 7 Avril 1949
prononcée par
Monsieur ]. PAUL-BONCOUR
Ancien Président du Conseil des Ministres de France
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SERVICES DE L'INFORMATION ET DE LA PROPAGANDE
DE LA REPUBLIQUE ESPAGNOLE |
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Allocution de M, le Président" Paul-Boncour
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Citoyennes,
Citoyens, J'ai répondu à l'appel de la Ligue des Droits de l'Homme
et des républicains espagnols pour prendre la parole ce soir. Depuis le début, j'ai vécu, sinon jour par jour, au moins
mois par mois, les étapes de ce que j'appellerai le martyre de la République Espagnole, le déni constant de justice dont elle a été l'objet et, il faut bien le dire, la lâcheté des gouverne- ments qui en ont été la cause. (Applaudissements.) A la Société des Nations, j'ai lutté pour que celle-ci fasse
son devoir, qu'elle flétrisse d'abord, qu'elle aide ensuite, par tous les moyens en son pouvoir : qu'elle flétrisse le coup d'Etat, qu'elle aide les Républicains espagnols. A l'intérieur de mon pays, j'ai lutté contre mes adver-
saires et aussi un peu contre la tiédeur de mes amis pour qu'on fît cesser cette conception hypocrite et boiteuse qu'on appelait la non-intervention. Et ce soir j'élève la voix pour alerter l'opi- nion publique, pour qu'elle songe à ce qui se passe là-bas, de l'autre côté de l'Atlantique, à Lake Success, à l'Organisation des Nations Unies, et qu'elle empêche que, par des chemine- ments souterrains et inquiétants, ce que certains se prépare- raient à faire et qui serait donner la consécration définitive au régime du général Franco en admettant l'Espagne actuelle dans l'Organisation des Nations Unies. Je dis l'Espagne actuelle, car j'espère bien que l'Espagne,
redevenue libre et républicaine, saura prendre une place emi- nente dans l'Organisation des Nations Unies et, je dois le dire pour rendre justice à ce qui s'est passé, reprendre la place |
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qu'elle a connue sous la monarchie espagnole, car je n'oublie
pas que son représentant, Monsieur Quiñones de León, a tou- jours aidé Briand, ainsi que moi-même, par ses efforts à la So- ciété des Nations, et je veux, avec vous, reprendre toutes les étapes de ce que j'appelle encore, et je le répète, le martyre de la République espagnole. LA BOUTIQUE DE NON-INTERVENTION
A la date historique du coup d'Etat de Franco, des élec-
tions libres ont eu lieu. Une République démocratique et libé- rale existe en Espagne. Tous les organismes constitutionnels fonctionnent normalement. Aux Cortés, il y avait une majorité de gauche de 269 députés. Mais la droite en possède 142. La ma- • jorité de gauche comprend 90 socialistes et 16 communistes : tous les autres sont des républicains. Pas une minute il ne vient à l'esprit de la droite de contester la légitimité des Cor- tés et la preuve en est qu'elle a accepté sa représentation dans le bureau. Toutes les libertés publiques, tous les droits privés se trouvent garantis par les lois des tribunaux, sans que le pouvoir exécutif dépasse le moins du monde les limites de sa légitime activité. Donc, aucune excuse, aucune raison plausible à l'insurrection. Mais elle était préparée depuis 1934. En 1934, les Espagnols fascistes ou fascisants avaient
été trouver Mussolini qu'on m'a reproché — j'avais pourtant raison ! — d'avoir appelé « César de Carnaval », et, ensem- ble, ils s'étaient entendus pour qu'il apporte une aide morale et matérielle à l'insurrection qui se préparait. L'année suivante, même, entrevue, même résultat avec
Hitler et Goering. Et, en 1936, dans l'atmosphère politique que j'ai décrite tout à l'heure et dont j'ai tenu, à rester rigoureuse- ment dans les grandes lignes, éclate l'insurrection de Franco. Mais bien vite, comme l'héroïsme des républicains espagnols risque d'amener son échec, Hitler et Mussolini interviennent, d'abord par une aide matérielle, puis par l'intervention directe et massive de leurs bateaux, de leurs avions, de leurs effectifs et de leur matériel. Eh bien, en présence de cela, que va faire la Société des
Nations ? Délégué permanent de la France, ' alors, j'ai suivi toutes les étapes du calvaire qu'ont gravi vos représentants : Alvarez del Vayo, ministre des Affaires Etrangères, Azcárate. votre Ambassadeur à Londres, se heurtant sans cesse à l'in- différence, à l'hypocrisie. Le Conseil de Sécurité se refusait, s'abritant derrière les déclarations hypocrites et verbales, à appliquer ce qui était la rigueur même des textes de la Société des Nations. Il y avait un article 16 qui était le point central, la clé
de voûte de l'édifice du pacte de la Société des Nations. Il di- sait, cet article : « Si un membre de la Société recourt à la |
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« guerre, contrairement aux engagements pris aux articles 12,
« 13 et suivants, il sera considéré comme ayant commis un acte « de guerre contre tous les autres membres de la Société. Ceux- « ci s'engageront à rompre immédiatement avec lui toutes re- « lations commerciales ou financières, à interdire tous rapports «avec les nationaux et ceux de l'Etat en rupture de pacte et à « faire cesser toutes communications financières, commerciales « ou personnelles entre les nationaux de cet Etat et ceux de « tout autre Etat, membres ou non, de la Société. » Eh bien, est-ce que ce n'était pas le cas d'un recours à
la guerre, et à la guerre la plus brutale et la plus injuste qu'il se pût et qu'accomplissaient l'Allemagne et l'Italie en faisant la guerre contre le gouvernement légal attaqué par une insur- rection intérieure ? Je sais, on me dira : ni l'Allemagne, ni l'Italie n'étaient
plus membres de la Société des Nations. Pardon ! Il y avait un article 17 qui était ainsi conçu :
« En cas de différend entre deux Etats dont l'un seulement « est membre de la Société, l'Etat ou les Etats étrangers à la « Société sont invités à se soumettre aux' obligations qui s'im- « posent à ses membres, aux fins de règlement du différend, « aux conditions, etc.. Si l'Etat invité, non membre de la So- « ciété des Nations (donc, en l'espèce, l'Allemagne et l'Italie), « refuse d'accepter les obligations de membre et recours à la «guerre contre un membre (l'Espagne), les dispositions de « l'article 16 (dont je viens de dire la rigueur et l'automatis- « me) lui sont applicables. » Donc, les textes étaient clairs. Le devoir l'était aussi,
mais le Conseil de Sécurité, désigné sans cesse, répondait par des déclarations hypocrites et verbales à l'impératif de ces textes. - - Carence de la Société des Nations. Bien ! mais alors ?
Qu'allaient faire les Etats voisins ? Qu'allait faire la France, voisine de l'Espagne ? Qu'allait faire l'Angleterre, qui avait été mêlée si étroitement à sa politique ? Hélas !... L'Angleterre et la France — et la France, il faut bien le dire, sous l'influen- ce et même la pression de l'Angleterre — se renferment dans une politique dite de non-intervention. Eh bien, cette politique- là, même si l'Allemagne et l'Italie n'avaient pas été dans la péninsule, combattantes avec les rebelles espagnols contre le gouvernement légal, j'affirme et je vais prouver que cette po- litique de non-intervention était contraire à tous les principes du droit international, universellement reconnu, mêrns si le gouvernement légal de la République espagnole n'avait eu en face de lui que les insurgés de Franco, le devoir des Etats dé- mocratiques était de l'aider matériellement, de lui laisser faire avec eux le commerce des armes, du matériel, des matières premières, etc. — 3 • —
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LA DOCTRINE INTERNATIONALE
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Les textes sont d'une netteté absolue.
« On affaiblit l'indépendance des Etats, dit Monsieur Dé-
baquet, en paralysant les efforts qu'ils pourraient faire pour réprimer une révolte et affermir leur politique intérieure. » Monsieur Noël Henri dit, de son côté : « Sauf le cas où
les rebelles auraient été reconnus belligérants, les deux parties en conflit ne doivent pas être traitées de manière égale. Il existe, d'un côté, un gouvernement ami et reconnu dont la ca- pacité demeure intacte et, de l'autre côté, des insurgés qui n'ont absolument aucun droit. » L'Institut de Droit International proclamait, lors de ses
réunions à Neufchâtel, en 1900, que le « droit international im- pose aux puissances étrangères, en cas de mouvement insurrec- tionnel ou de guerre civile, certaines obligations à l'égard des gouvernements établis et reconnus qui ont à faire face à des insurrections ». La Conférence panaméricaine de 1928 reprenait cette doc-
trine et, en application de celle-ci, le « Manchester Guardian » soutenait, en juillet 1936, que ce n'était pas s'immiscer dans les affaires intérieures d'un pays que de procurer des armes à des gouvernements légitimement constitués. Interprète également de l'opinion britannique — du moins
de cette partie de l'opinion britannique qui était plus éclairée —, Sir Stafford Cripps, dans un discours prononcé en 1936 à Clayton, disait : « Le gouvernement espagnol légal élu confor- mément à sa Constitution par le peuple espagnol, a droit à tou- tes les facilités qu'un gouvernement consente à un autre avec lequel il entretient des relations amicales, conforme à la cou- tume internationale. » Vous m'excuserez, mon cher Président du gouvernement
républicain espagnol, de reprendre, dans vos nobles interven- tions, la citation si décisive de ces textes. Et un homme poli- tique français, qui avait des défauts, mais aussi des qualités, Léon Archambault, écrivait dans « L'Œuvre » (dans « L'Œu- vre » d'avant guerre... depuis ?) : « Dans une guerre civile, seul compte le gouvernement régulier. C'est à lui seul qu'ont affaire les puissances, avec lui seul qu'elles doivent traiter, et les Etats tiers doivent tenir leurs engagements sans attendre la fin des hostilités et sans modifier d'aucune façon leurs rela- tions avec le gouvernement. Vendre des armes ou, pour le moins, laisser des particuliers en vendre n'est pas soutenir une neutralité nullement en litige ; ce n'est pas non plus interve- nir. Le gouvernement régulier d'Espagne que nous soumettons à un véritable blocus, sous prétexte de non-intervention, sera en droit de nous dire qu'en réalité nous intervenons dans ses affaires intérieures. » (Vifs applaudissements.) Eh bien, tout cela, doctrine, jurisprudence, coutumes, pra-
tiques internationales, tout cela fut méconnu et violé au pré- |
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judice de la République espagnole par la fameuse .non-interven-
tion qui n'eût été qu'une erreur funeste et regrettable si le gou- vernement de la République espagnole n'avait eu à faire face qu'à ses insurgés, mais qui devenait un crime le jour où Hitler et Mussolini se mettaient aux côtés des insurgés. Qu'a-t-on fait ? La non-intervention, déjà condamnée par
les textes de droit international que j'ai cités, devenait, je le répète, criminelle le jour où l'Allemagne et l'Italie étaient dans la péninsule, transformant une guerre civile en une guerre étrangère. La non-intervention, déjà condamnable de par ces textes,
était une véritable duperie criminelle, il faut bien le dire, en face de l'inter-vention si positive et si massive de l'Allemagne et de l'Italie, n'est-il pas vrai ? On a été jusqu'à admettre qu'Hitler et Mussolini inter-
venant en Espagne avec leurs bateaux, avec leurs avions, avec leurs effectifs, avec leur matériel, continuent de siéger au Co- mité de non-intervention de Londres ! Et on a eu l'audace de nous chercher des difficultés parce que quelques pauvres wa- gons traversaient la frontière à Cerbère et à Hendaye, appor- tant des secours que des ministres zélés donnaient aux répu- blicains espagnols en cachette de leur gouvernement..." LA POSITION DE I,A FRANCE
ET E'ATTITUDE ANGLAISE Il a fallu, pour que ce scandale cesse, qu'en 1938, Léon
Blum revienne au pouvoir et me demande d'être son Ministre des Affaires Etrangères. Ah ! je n'ai pas admis un pareil scan- dale. J'ai parlé fort à l'Angleterre. Voyez-vous, je suis un par- tisan non pas seulement résolu mais sentimental de l'alliance anglaise. J'aime l'Angleterre pour le libéralisme de ses insti- tutions, pour la dignité de l'individu, je dirai que je l'aime jus- que -dans ses coutumes de vie, dans sa façon de vivre. Je pen- se, avec Monsieur de Talleyrand, que l'alliance de l'Angleterre et de la France est aussi nécessaire que celle du cavalier et du cheval. Mais j'ajoute, comme lui, qu'il ne faut pas toujours être le cheval (rires). Et je fis valoir, en Angleterre, que la France ne pouvait pas tolérer cette absurdité de voir siéger Hitler et Mussolini dans un Comité dit de non-intervention alors qu'ils intervenaient en Espagne. Et, d'accord avec Blum, nous nous sommes mis en mesure de prêter au gouvernement républicain espagnol les secours matériels que les lois internationales nous permettaient de prendre. Hélas ! il était trop tard. Les républicains espagnols, dé-
bordés par le nombre et par ces forces allemandes et italien- nes qui combattaient dans le pays, refluaient vers nos frontiè- res. Nous tombâmes, et (vous, mes amis républicains espagnols, vous avez pris les durs chemins de l'exil. Mais il avait suffi que le gouvernement dont je faisais partie — et, personnelle- |
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ment, je prends toute la responsabilité de ce que j'ai fait alora
— il a suffi que nous voulions appliquer les règles du droit in- ternational en venant en aide aux insurgés pour que la réac- tion française fût terrible, réaction, il faut bien le dire, qui était aussi celle de certains représentants du gouvernement bri- tannique. Il y avait, à ce moment-là, à l'ambassade, un certain Monsieur Mender," très influent, en contact avec la presse, et je sais les campagnes qu'il a suscitées, dirigées contre Léon Blum et contre moi. Ce fut à tel point que je reçus, dans mon cabinet de Ministre des Affaires Etrangères, une délé- gation à la tête de laquelle il y avait Monsieur Montigny, dont on connaît l'attitude dans la défaite vis-à-vis du gouvernement Pétain et qui venait me demander très sérieusement de pren- dre l'engagement qu'aucun soldat français ne traverse la fron- tière et n'aille en Espagne. D'autres, et de plus haut placés, nous sommaient de fermer la frontière aux malheureux répu- blicains espagnols qui venaient se réfugier chez nous. Nous avons repoussé avec mépris cette sommation inhumaine. Mais il y a eu mieux, et je vais vous conter une histoire bien signi- ficative. Il faut vous dire que le repliement des républicains espa-
gnols avait coïncidé avec l'envahissement de l'Autriche par Hitler. Arrivé aux Affaires, il était trop tard pour empêcher l'enjeu qui était fait. Je vis clairement que la prochaine victi- me serait la Tchécoslovaquie et, en plein accord avec Blum, je fis savoir à la Tchécoslovaquie que la France était décidée à tenir ses engagements vis-à-vis d'elle. Et puis, je fis le con- traire de ce qu'on avait fait au moment de la Rhénanie : je ne demandais pas à l'Angleterre la permission d'agir, j'agis d'a- bord, en prévenant la Tchécoslovaquie, et je dis à l'Angleterre : voilà ce que nous ferons. Qu'est-ce que vous ferez, vous ? Et le 24 mars 1938, j'obtins de Monsieur Chamberlain
cette déclaration aux Communes : « La France nous a fait sa- voir que, si la Tchécoslovaquie était attaquée, elle tiendrait ses engagements vis-à-vis d'elle. Nous n'avons pas, vis-à-vis de la Tchécoslovaquie, les mêmes engagements que la France, mais nous en avons avec la France. H est peu. probable que nous pourrions rester à l'écart du conflit. » Vous sentez l'importance de l'hypothèque que nous pre-
nions alors sur le gouvernement anglais. Je n'ai pas besoin de dire ce que fit de cette hypothèque Bonnet, qui m'a succédé, en accord avec Daladier. Je n'ai pas besoin de rappeler Mu- nich. La question n'est pas là. Mais cette position si ferme, prise vis-à-vis de la Tchécoslovaquie, heurtait, vous le pensez bien, toute la cinquième colonne. Mais, à ce moment-là, les esprits n'étaient pas suffisamment préparés, les choses n'étaient pas assez mûres pour qu'on puisse prendre position contre la Tchécoslovaquie : il a fallu attendre quelques mois et Munich pour cela. |
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LES RESPONSABILITES
DE LA REACTION EUROPEENNE Alors, c'est par le détour de notre politique espagnole
qu'on a cherché à nous atteindre. C'était parce que nous vou- lions aider le gouvernement espagnol, suivant les règles du droit international, qu'on nous accablait, visant, à travers no- tre politique espagnole, notre politique vis-à-vis de la Tchéco- slovaquie. Il s'est produit ceci — mes explications sont un peu lon-
gues mais elles étaient nécessaires pour que vous compreniez l'intérêt de ce qui va venir maintenant —, il s'est produit ce- ci : je dis à Blum : « Très bien, nous avons pris des engage- ments vis-à-vis de la Tchécoslovaquie, mais il faut savoir quels sont les moyens matériels et militaires de les tenir. « Réunis- sez donc le Comité de la Défense Nationale ». Il s'agissait là d'une sorte de Conseil supérieur de la Dé-
fense nationale, pur et simple. La réunion eut lieu. Il y avait trois chefs d'état-major, le maréchal Pétain, le Ministre des Affaires Etrangères, Blum, Léger, c'était tout. La discussion s'ouvre et nous constatons, hélas ! que bien
des choses ont été laissées à l'abandon, que nous aurions de la peine à tenir nos engagements. Nous cherchons les moyens de les prendre. C'est alors que Blum pose la question suivante : « Si nous étions obligés d'intervenir en Tchécoslovaquie (il s'adressait au général Gamelin qui était également présent), est-ce que le point le plus vulnérable de l'Allemagne et de l'Ita- lie ne serait pas en Espagne où elles sont en train de combat- tre ? » Et je vois encore Gamelin, ouvrant un gros dossier qu'il avait apporté et qui prouvait, clair comme le jour, le pé- ril de mort qu'il y avait, pour la France, à laisser l'Allemagne et l'Italie combattre à nos frontières, sur le territoire espa- gnol. C'était contraire à toute la tradition de la politique exté- rieure française. N'oubliez pas que, toujours, le souci de la po- litique extérieure française a été en Espagne pour qu'aucune puissance étrangère ne puisse s'y installer. En définitive, la guerre de 1870 est sortie de cette conception-là. C'était donc rigoureusement conforme à toute notre politique extérieure, à nos intérêts les plus évidents. Que s'est-il passé ? Le maréchal Pétain, qui était là et
qui n'avait pas dit un mot — les seuls mots qu'il ait pronon- cés, à la fin de la discussion, furent pour dire : « C'est la faute de la semaine de 40 heures » (rires) — le maréchal Pétain, soit qu'il n'ait pas compris, soit qu'il ait été de mauvaise foi, je n'en sais rien, raconta à un de ses officiers d'ordonnance, dont il avait dû d'ailleurs se séparer parce que trop compromettant dans cette affaire-là, que Blum et moi avions préconisé l'inter- vention armée en Espagne, à tel point que ce pauvre Dormoy, qui a payé de sa vie sa vigilance républicaine ,reçut une dépê- che du Préfet des Pyrénées-Orientales lui signalant que des |
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cinéastes étaient arrivés dans ce département pour filmer le
passage des Pyrénées par les troupes françaises... Voilà où nous en étions, voilà quel était l'état d'esprit
vis-à-vis des républicains espagnols. Eh bien, comment s'explique une telle aberration ? Com-
ment s'explique la carence de la Société des Nations ? Com- ment s'explique cette politique de non-intervention où nous avons accepté d'être acculés ? Elles s'expliquent par plusieurs choses. La première, évi-
demment, vous la saisissez : c'est l'anti-communisme, cette tarte à la crème de toutes les réactions, je le crois... (rires). On s'étonnait de la part, que certains tenaient pour prépondé- rante, qu'avaient prise les communistes dans la guerre civile. Ah çà, voyons... à qui la faute ? Dès lors que les grandes dé- mocraties abandonnaient la République espagnole et que l'U.R.S.S., au contraire, lui apportait des secours, comment vouliez-vous que les communistes espagnols n'en profitent pas ? Pour apprécier la situation, il faut se placer non pas au mo- ment de la guerre, mais au moment où la malheureuse Répu- blique espagnole, abandonnée par les grandes démocraties, est forcée de se tourner vers ceux, dont je n'ai pas à apprécier les fins politiques, qui lui fournissaient armes, matériel et même, dans une certaine mesure, soldats. Il faut se dire que la part importante, c'est vrai, prise par les communistes dans la guer- re civile espagnole tient à la carence des démocraties. Voilà la vérité ! (Vifs applaudissements.) Vous savez que c'est encore l'anti-communisme qui est la
cause de la tiédeur avec laquelle les affaires de la République espagnole sont examinées à l'Organisation des Nations Unies. I/O.NU. ET LE FRANQUISME
Pour moi, la déclaration solennelle de 1946 n'a pas été
appliquée. Et même, elle tombe de plus en plus en quenouille que les relations diplomatiques reprennent, plus ou moins de façon occulte, ouverte, avec Franco. Que les affaires repren- nent aussi et que la France, il faut bien le dire là-dedans, la France actuelle qui, à son honneur, a fait son devoir, à vrai- ment tenu tête aux autres nations, même les nations amies, in- tervienne pour qu'on ne continue pas ce scandale de l'aide prê- tée à Franco. La France, qui avait fermé sa frontière, a été obligée de la rouvrir puisque c'était la seule à l'avoir fait et que c'était inefficace. Eh bien, au fond de tout cela, il y a la crainte que la République espagnole, si elle venait à se rétablir, ne tombe sous le contrôle communiste. C'est la première raison, la raison de fond, la raison per-
manente, plus ou moins avouée, qui détermine l'attitude des puissances de l'Organisation des Nations Unies vis-à-vis de l'Espagne. — 8 —
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Il y a d'autres causes aussi. Il y a l'âpreté du capitalis-
me, il faut bien le dire, à faire des affaires, et il paraît que celles de l'Espagne sont très fructueuses parce que Franco, aux abois, livre son pays aux puissances économiques étran- gères. Et puis, il y a aussi — et là, c'est le plus grave — la
pensée que l'Espagne est nécessaire à la défense de l'Europe, qu'en cas de guerre entre l'U.R.S.S. et les Etats-Unis, elle fournirait à la fois des bases navales et aériennes nécessaires et que son armée viendrait augmenter de façon appréciable les effectifs à opposer à l'U.R.S.S. Eh bien, voulez-vous que nous examinions ça au fond,
parce que, je le répète, c'est plus grave. Voyons, je vous le demande, quelle importance stratégi-.
que, quelle puissance offensive pourrait avoir un pays aussi profondément divisé que l'est, à l'heure actuelle, l'Espagne ? Ses plaies sont saignantes. Plaies de la guerre civile, elles sai- gnent chaque jour puisque,' malgré la déclaration de l'Organi- sation des Nations Unies de 1946, le régime n'a pas changé, puisqu'en 1947, on compte 60 fusillés ; en 1948, 23 ; de jan- vier 1949 à mars 1949, 6 ; au total 89. On compte encore : assassinés sans procès régulier : en 1947 : 175 ; en 1948 : 174 ; de janvier à mars 1949 : 21 ; total : 370. On compte enfin : condamnés par le Conseil de Guerre, pendant l'année 1948 et de janvier à mars 1949 : 408. Condamnés à mort non exécutés, de janvier à mars 1949 : 14 — peines- de mort, de janvier au 20 mars 1949 : 43. Et les statistiques pénitentiaires avouent un total de plus de 100.000 détenus dans les prisons espagno- les, parmi lesquels plus de 20.000 femmes. Voilà où on en est depuis la résolution solennelle de l'As-
semblée des Nations Unies de décembre 1946 restée, vous le voyez, inappliquée et dérisoire. Eh bien, quel pauvre secours, je vous le demande, minée
par une partie de son peuple en révolte contre lui, pourrait constituer une Espagne qui se trouve dans ces conditions et sous ce régime ? Et au contraire, au contraire, si la République espagnole
existait, quel concours elle apporterait à l'Organisation des Nations Unies et à la sécurité collective ! Les Espagnols ne sont pas des mercenaires, les Espagnols ne veulent être tués que pour la justice. Pour avoir des soldats en Espagne, il faut d'abord y avoir des amis ! (Très vifs applaudissements.) Que de libres consultations ressorte une République es-
pagnole ressuscitée, -après avoir été assassinée ! Qu'elle entre alors, toutes portes grandes ouvertes, à l'Organisation des Na- tions Unies ! Elle se prêtera de plein cœur à l'Organisation des Nations Unies, à l'application de la sécurité collective, car c'est bien de la sécurité collective qu'il s'agit, n'est-il pas vrai ? Une guerre avec l'U.R.S.S. ne peut être envisagée que si c'est |
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l'U.R.S.S. qui est l'agresseur. Autrement, je crois qu'il ne fau-
drait plus compter sur la France, pas plus que sur l'Espagne pour faire la guerre. (Vifs applaudissements.) Mais, je vais plus loin. Je crois avoir répondu aux préoccupations.qui sont même celles de bons esprits inclinés à accepter l'entrée de l'Es- pagne actuelle dans l'Organisation des Nations Unies. Mais, je le répète, je vais plus loin : je dis que les textes, la Charte de San Francisco, s'y opposent de manière absolue. Il y a dans la Charte de San Francisco, un article 4 qui
dit ceci : « Peuvent devenir membres des Nations Unies tous « autres Etats pacifiques qui acceptent les obligations de la «présente charte et, au jugement de l'Organisation, sont ca- « pables de les remplir et disposés à le faire. » Comment ? Peut-on prétendre que le "général Franco soit
qualifié pour accepter les obligations d'une Charte qui est toute entière basée sur la lutte contre les puissances de l'Axe, alors que son régime a été établi grâce aux puissances de l'Axe, alors que, pendant la guerre, de façon directe ou indi- recte, il a aidé les puissances de l'Axe ? ! Alors qu'il y a eu cette négociation épouvantable où il s'engageait à entrer en guerre aux côtés de l'Axe si celui-ci lui laissait dépecer de lar- ges morceaux du territoire français et du Maroc ? ! ! Voyons ! Quel paradoxe il y a à accepter un régime qui
a été mêlé aussi étroitement aux destins de l'Axe ! Voilà pour l'extérieur.
Et pour l'intérieur ? Il y a un article 55 qui dit : « En
« vue de créer les conditions de stabilité et de bien-être néces- « saires pour assurer entre les nations des relations pacifiques « et amicales, fondées sur le respect du principe de l'égalité « des droits des peuples et de leur droit à disposer d'eux-mê- « mes-, les Nations Unies favoriseront : a) le relèvement de « leur niveau de vie ; b) la solution des problèmes internatio- « naux ; c) le respect universel effectif des droits de l'homme « et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de « races, de sexes, ou de religions. » Et cette déclaration du respect des droits de l'homme a
reçu une consécration éclatante du fait de la dernière Assem- blée qui a proclamé la déclaration internationale des droits de l'homme que nous avons célébrée, mon cher Président, dans cette dernière et magnifique séance au grand amphithéâtre de la Sorbonne. Alors, comment peut-on envisager l'entrée, dans l'Orga-
nisation des Nations Unies, d'un régime responsable des arres- tations, des massacres dont j'ai donné, tout à l'heure, les sta- tistiques exactes, sans compter — j'en aurais pour trop long- temps — les atteintes aux libertés que vous trouverez d'ailleurs dans l'excellent discours du Président du Gouvernement répu- blicain espagnol ? Non, je ne crois pas que ce soit possible. |
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APPEL AU DEVOIR DES DEMOCRATIES
Cependant, il faut prendre garde. Il y a les efforts des
fascistes ou des fascisants. On a eu le grand tort, d'ailleurs, de les admettre, eux aussi, dans l'Organisation des Nations Unies, comme on avait eu tort, à la Société des Nations, de ne pas tenir rigoureusement la main de ceux qui disaient que seuls pouvaient faire partie de la Société des Nations les Etats qui se gouvernaient librement, comme on a eu tort de ne pas en exclure Hitler et Mussolini au lieu d'attendre qu'ils quittent eux-mêmes la Société des Nations après l'avoir affaiblie et dés- honorée. Il y a les efforts de ces nations-là, et puis, il faut bien le dire, il y a la tiédeur, les arrière-pensées de grands Etats, des phis grands même, incontestablement démocratiques, irréprochablement démocratiques, mais qui, pour des raisons que j'ai analysées tout à l'heure : anti-communisme, affaires commerciales et industrielles, préparation de bases et d'une aide militaire possible, inclinent, sans trop l'avouer et sans trop paraître au premier plan, mais agissant dans les coulis- ses, inclinent pour que, par des moyens détournés, par exem- ple participations aux organisations techniques des Nations Unies préparant une adhésion plus complète, on donne, au ré- gime actuel dont souffrent tellement les républicains espagnols, une compréhension internationale. J'espère, je veux croire que la France, dans cette tentati-
ve, fera tout son devoir. Je lui demande seulement de parler un peu plus haut qu'elle n'a coutume de le faire dans les con- férences internationales... (applaudissements), qu'elle ne se traîne pas à la remorque de ses grands alliés, que vaincue, bien entendu, diminuée dans ses ressources, de toute manière, mais fière de la richesse de son passé, de son patrimoine moral, elle ose faire entendre la voix qu'attendent tant de petites nations qui ont les yeux fixés sur elle ! Et, si j'ai accepté de prendre la parole ce soir devant
vous, en vous remerciant de la bienveillance avec laquelle vous avez bien voulu m'écouter, c'est pour alerter, certes, la cons- cience universelle, comme l'intitule un peu grandement cette conférence, mais c'est aussi pour alerter la consicence de mon propre pays. (Chaleureux applaudissements.) |
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Paroles finales de Monsieur Fernando Valera
V ice-Psésident du Conseil et Ministre des Finances
du Gouvernement Républicain Espagnol Monsieur le Président,
Mesdames,
Messieurs,
Au nom de Leurs Excellences, le Président de la Répu-
blique Espagnole et le President du Gouvernement à l'exil, j'ai l'honneur d'exprimer la reconnaissance de notre peuple à la Ligue française des droits de l'homme, et à vous tous qui avez bien voulu nous accompagner ce soir, pour entendre la voix autorisée et éloquente de M. le Président Paul-Boncour, ce grand Français et, à la fois, grand citoyen du monde — puisqu'il ne faut pas renoncer à sa propre patrie pour devenir citoyen du, monde — qui a toujours su harmoniser ses devoirs de patriote avec son sentiment d'homme universel, et unir dans un même service l'amour, les traditions progressives de la France et le culte désintéressé de toutes les causes justes de l'humanité. Nous, Espagnols exilés, nous saluons en lui, d'une émotion profonde, la France immortelle, seconde patrie adop- tive de tous les hommes qui ont perdu leur patrie, école, foyer et temple de la vraie démocratie, où l'on garde et l'on apprend l'amour permanent de la liberté, de la paix et de la justice. Après ce que nous avons entendu, je dois ajouter bien
peu de choses. Le problème espagnol pourrait se résumer, du point de vue républicain, de cette manière : 1" Avant l'intervention du totalitarisme étranger, l'Es-
pagne constituait une république ordonnée, démocratique au plus pur sens du mot, membre de la Société des Nations, libé- rale et progressive, issue tie, et appuyée, sur le suffrage uni- versel. 2" Cette République a été détruite, comment et par qui ?
Eh bien, je laisse la parole à l'Assemblée Générale des Nations Unies qui dans la Préface à l'accord du 9 décembre 1946, a dit avec une précision admirable : « a) De par son origine, sa nature, sa structure et son
« activité générale, le régime franquiste est un régime de type « fasciste établi suivant le modèle et, dans une large mesure, « grâce à l'aide reçue de l'Allemagne nazie de Hitler et de l'Ita- « lie fasciste de Mussolini. « b) Au cours de la longue lutte menée par les Nations
« Unies contre Hitler et Mussolini, Franco, en dépit d'inces^ |
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« santés protestations alliées, a fourni une aide très substan-
« tielle aux puissances ennemies. « c) Des documents irréfutables ont établi que Franco a
« été un participant coupable, avec Hitler et Mussolini, dans la « conspiration pour déchaîner la guerre contre les pays qui, au « cours de celle-ci, devaient s'associer en tant que Nations « Unies. Cette conspiration prévoyait que la participation de « Franco à la guerre devait être ajournée jusqu'à une date fixée « d'un commun accord. » L'Assemblée Générale ajoute qu'elle est persuadée que le
Gouvernement fasciste de Franco ne représente pas le peuple espagnol. 3" Donc, s'il est vrai.que la République Espagnole est le
seul gouvernement légal, renversé par une rébellion fasciste qui a été encouragée, préparée et appuyée par l'intervention des Allemands et des Italiens, la rigueur du syllogisme et aussi la force de la morale obligent à tirer la conclusion qu'il n'y a d'autre solution juste et pratique au problème espagnol que de reconnaître la légalité de la République et de faciliter son rétablissement dans le territoire national. * Mais pour atteindre ce but, il ne suffit pas de dire aux
Espagnols : « Débarrassez-vous de Franco ! » ; ce serait aussi inefficace que si l'on avait conseillé au peuple allemand de se débarrasser d'Hitler. Les Espagnols ont fait tout ce qu'on pour- rait attendre d'eux. Un auteur américain, C. Folz Junior, dans son livre « The masquerade in Spain », évalue à 1.300.000 les Espagnols morts par conséquence de la rébellion de Franco. Ajoutez-y les quelques 400.000 exilés et les milliers de person- nes emprisonnées. Les Espagnols font toujours tout ce qu'ils peuvent : ré-
sister, lutter, souffrir, mourir, mais il leur manque une colla- boration internationale qui soit quelque chose de plus efficace que la simple condamnation morale et platonique de Franco. Il s'agit, non pas d'une intervention de l'Etranger dans les affaires espagnoles, mais plutôt d'une « désintervention », — si l'on peut inventer un mot pour une nouvelle réalité —, d'une désintervention, dis-je, puisque c'est une intervention étran- gère qui a placé Franco au pouvoir. La simple condamnation morale de l'O.N.U. a décidé
Franco à envisager la restauration d'une espèce de royaume médiéval. C'est une preuve qu'à la moindre pression de la part des nations démocratiques, Franco aurait disparu sans dou- leur, sans offense et sans carnage, comme le disait jadis M. Léon Blum. Des mesures adoptées en temps voulu par le Conseil de
Sécurité dans le « délai raisonnable » qu'on avait signalé, il y a deux ans et plus, auraient épargné au peuple espagnol plu- sieurs victimes et bien de souffrances inutiles. En ce moment, lorsque le régime totalitaire s'effondre de lui-même dans la |
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ruine" et le déshonneur, nous ne demandons pas autant. Il nous
suffit qu'on le laisse mourir sans lui accorder des crédits ou lui procurer des coups d'effet psychologiques pour prolonger son agonie et qui ne seraient pratiquement qu'une nouvelle moda- lité de cette espèce de non-intervention consistant à intervenir dans les affaires de l'Espagne, toujours en faveur du tyran et contre les intérêts du peuple. Quelles sont ces mesures qui pourraient remédier à la si-
tuation, puisque dans un « délai raisonnable » — même trop raisonnable — de deux années et demi, « ne s'est pas établi en Espagne le gouvernement dont l'autorité émane du consente- ment des gouvernés ? » Le Président Albornoz les a plusieurs fois indiquées. Ces mesures sont au nombre de deux. L'une : faire effective dans le domaine économique la condamnation universelle du franquisme, par le blocus de trois produits es- sentiels : le pétrole, le coton et le caoutchouc. L'autre : appuyer décidément la formation d'un gouvernement national, sur le fondement de la loi républicaine, dont l'instauration en Espa- gne signifierait l'incorporation immédiate du peuple espagnol aux affaires internationales, et l'effectivité d'une collaboration économique pour sa reconstruction. Ces deux mesures adop- tées, il se produirait un mouvement d'opinion capable de dé- placer sans grande violence, nous en sommes sûrs, le régime fasciste, que toutes les classes et tous les secteurs sociaux et politiques du pays, même ceux qui l'ont appuyé d'abord, détes- tent aujourd'hui, par des raisons d'honneur et de patriotisme. Mais, au lieu d'appuyer la légalité républicaine, qui est
la seule chose efficace et pratique, on a perdu un temps pré- cieux à la recherche de solutions inefficaces, sans tenir compte de la volonté populaire, basées sur l'ignorance des faits. Nous sommes d'accord avec le membre du parlement anglais Mr. Francis-Noel Baker, lorsqu'il écrit : « On a suggéré parfois « qu'une restauration monarchique pourrait être une solution « au problème espagnol. En raison de l'histoire des rois, de « l'appui personnel que le prétendant donna au général Fran- « co pendant la guerre civile et, surtout, de l'absence de tout « mouvement monarchiste uni et effectif à l'intérieur du pays, « cette proposition n'a jamais pu être prise au sérieux. La « grande majorité des Espagnols pense que pendant des géné- « rations la monarchie a été synonyme de dictature et d'op- « pression. Aujourd'hui, une restauration monarchique ne se- « r.ait possible qu'avec le consentement du dictateur. Il ne pour- « rait en résulter que la prolongation de la dictature fasciste « sous un nouveau déguisement. » Les Phalangistes eux-mêmes le reconnaissent, ainsi qu'en
f ait foi le journal officiel de la Phalange à Madrid, dans l'édi- torial publié le 9 avril 1947, où l'on lit : |
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« Si le Comte de Barcelone (1) veut- établir sa monarchie
« traditionnelle sur la démocratie libérale (sic) (et s'il s'agit « d'autre chose nous n'en comprenons pas la nécessité) il n'est « pas besoin de la Monarchie ; on devrait reconnaître les pou- « voirs de la République, proclamée aux élections, dont la vali- « dite fut reconnue par son père Alphonse XIII (ainsi que la « perte de l'estime des Espagnols) et d'accord- avec la légalité « démocratique, il n'y aurait autre chose à faire qu'à rétablir « la République ». CETTE FOIS-CI NOUS SOMMES D'ACCORD
AVEC LES PHALANGISTES
Voilà pourquoi les Républicains espagnols s'opposeront ré-
solument à l'implantation arbitraire de tout autre régime, mais ils sont disposés à faciliter la formation d'un gouvernement na- tional qui, sous l'égide républicaine, présidera à une nouvelle consultation électorale libre de laquelle sodtira, nous en som- mes persuadés, une victoire républicaine catégorique. Mais dans le cas où notre foi nous tromperait, cela n'en permettrait pas moins une évolution pacifique vers d'autres formes politiques que, nous autres républicains, nous ne servirions naturellement pas, mais que nous aurions le devoir de respecter et d'accepter tant qu'elles seraient l'expression non-équivoque de la volonté souveraine du peuple. Ce n'est certes pas se montrer trop exigeants que de de-
mander, que soit accordée au peuple espagnol une opportunité que l'on ne refuse pas à d'autres peuples à peine sortis d'une vie élémentaire et ^primitive. L'idéal de justice le demande, la paix future du monde le
conseille, car on' ne peut laisser allumé ce foyer de fascisme peut-être sans danger momentanément, mais dont une étincelle pourrait, à un certain moment, déchaîner l'incendie sur l'Eu- rope. Le prestige de la démocratie l'exige, car il ne se base pas seulement sur la force des armes ou sur le pouvoir corrup- teur de l'argent, mais avant tout — les hommes sont des êtres moraux — sur le respect du Droit et sur le culte de la Liberté et de la Justice. Si la démocratie veut mériter vraiment la foi des peuples
et éveiller leur enthousiasme, elle aura besoin de cultiver ses valeurs idéologiques, mystiques, si vous aimez mieux, les seu- les qui poussent les hommes vers les grandes tâches universel- les et historiques. Et pour cela, il est nécessaire que la démo- cratie se refuse à couvrir du prestige de son étiquette la mar- chandise avariée des grands crimes du totalitarisme. Elle doit montrer, au contraire, par des réparations telle que celle que le monde doit à l'Espagne, que la démocratie est réellement |
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(1) C'est le titre qu'on donne au Prétendant.
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une Cause noble, digne des millions de héros qui sont tombés
sous ses drapeaux, convaincus qu'ils donnaient leur vie pour le bien de l'Humanité et du progrès. Si la démocratie veut devenir un idéal possédant une for-
ce mystique capable de pousser les hommes vers les grandes tâches historiques, elle devra avoir le courage de se solidari- ser avec les peuples opprimés, en les aidant à se libérer, avec la même décision 'dont font preuve les tyrans pour se soutenir les uns les autres. Le peuple espagnol, qui est un peuple désar- mé et dominé, bien qu'insoumis, aura besoin de cette assistan- ce de la démocratie internationale pour se dégager d'un sys- tème qui lui a été imposé par la coalition mondiale des puis- sances totalitaires, malgré une longue et héroïque résistance. Nous remercions nos amis de tout ce qu'ils ont fait pour
la Cause républicaine. Ce sont de bonnes semences d'amour qui ne seront pas perdues, puisque l'Espagne est un pays roman- tique et sentimental qui saura répondre à l'amour par l'amour. Je vous remercie, Mesdames, Messieurs, mes amis, et je
vous dis : . Quand vous vous sentez heureux d'être un peuple libre,
pensez toujours qu'il y a encore un peuple esclave, un peuple qui souffre, un peuple honnête et digne qui attend avec une passion désespérée que sonne pour lui l'heure de la Libération et de la Justice. |
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SOCIÉTÉ PARISIENNE D'IMPRESSIONS
4. rue Saulnier - PARIS MX) |
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