Le mulacre de démocratie
de TEfaf franquiste Note du Gouvernement républicain
espagnol Depuis que les présages de la déroute de l'Axe sont appa-
rus certains ont obligé à une prise de position avant la vic- toire plus ou moins proche des Nations Unies ; la dictature espagnole, inquiète et angoissée, n'a pas cessé d'utiliser deux procédés simultanés : pour l'intérieur, affirmation et renforce- ment de l'appareil terroriste ; pour l'étranger, simulacre de dé- mocratie grâce à un grossier camouflage des institutions poli- tiques. Du premier aspect de l'action de l'Etat phalangiste, le Gouvernement républicain espagnol s'est déjà occupé bien sou- vent pour le dénoncer à la face du monde, pevant la nouvelle de prétendues élections annoncées pour les 21, 28 Novembre et 5 Décembre, il se doit aujourd'hui de démasquer le simulacre de démocratie auquel on continue de s'attacher avec une cyni- que ostentation. En Espagne, toutes réminiscences démocratiques — qui ne
s'éteignent jamais dans l'âme populaire même aux moments de pire avilissement et de pire abjection de la vie civique — évoquent deux noms également glorieux : les Cortés et les Mu- nicipalités. Le phalangisme insolent, d'inspiration étrangère et vainqueur grâce à l'aide extérieure, avait besoin de parodier les deux grandes institutions nationales. Il le fit avec une au- dacieuse effronterie. D'abord, les Cortés. Les soi-disant Cortés franquistes fu-
rent créés par ce qu'on appelle loi du 17 Juillet 1942, par- tiellement modifiée par celle du 9 Mars 1945. Les Cortés sont définies (Article premier) organe supérieur de la participation du peuple espagnol aux tâches de l'Etat, et leur mission essen- tielle consiste en la préparation et l'élaboration des lois, sans préjudice du droit de sanction qui revient au Chef de l'Etat. Ces Cortés comprennent : a) Les Ministres, désignés par le Chef de l'Etat. — b) Les Conseillers nationaux nommés par |
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Ia Phalange. — c) Les Présidents du Conseil d'Etat, du Tribu-
nal Suprême et du Conseil Suprême de Justice Militaire, tous nommés directement ou indirectement par le Chef de l'Etat. — d) Les représentants des syndicats nationaux, c'est-à-dire des syndicats de la Phalange, seuls autorisés. — e) Les maires de 50 capitales de province, nommés par le Ministre de l'Inté- rieur, un pour toutes les Municipalités de chaque province — dont on verra ensuite le mode d'élection — et un autre pour chaque Deputation provinciale, dont l'élection est également étrangère au suffrage universel. — f) Le Président de l'Insti- tut d'Espagne et deux représentants élus parmi les membres des Académies Royales qui le composent ; le Président du Con- seil Supérieur de Recherche Scientifique, après censure phalan- giste et ecclésiastique, et deux représentants de ce même orga- nisme. — g) Les représentants, élus par leurs Comités direc- teurs respectifs, de l'Institut des ingénieurs civils, des collèges d'avocats, de médecins, de pharmaciens, d'architectes, de licen- ciés et docteurs en sciences et en lettres, de magistrats et d'a- voués, tous ces organismes étant contrôlés et sélectionnés par la Phalange. — h) Toutes îles personnes, dont le nombre ne doit pas dépasser cinquante, désignées par le Chef de l'Etat en raison de leur rang ecclésiastique, militaire, administratif ou social. Le Chef de l'Etat nomme par décret (Art. 7) le Prési- dent, les deux Vice-Présidents et les deux secrétaires des Cor- tés. Pas un seul membre élu par le peuple ; pas un seul repré- sentant de la nation. Et la présidence des Cortés, toujours con- fiée à un grand démocrate élu par la représentation nationale elle-même, décernée maintenant, par décision du Chef de l'Etat, à un phalangiste, à un fonctionnaire du régime. Les prétendues Cortés franquistes ne se contentent pas de
supplanter les Chambres des systèmes représentatif et parle- mentaire modernes, elles renient encore et foulent aux pieds les vieilles Cortés historiques de la Monarchie espagnole du Moyen Age. Dans celles-ci, en effet, les Ordres de la nation avaient leur place de plein droit ; c'étaient les Cités qui dési- gnaient leurs représentants dans une élection où la royauté elle-même ne pouvait intervenir. Quand elles n'étaient pas con- voquées par le roi, conformément à la vieille Constitution es- pagnole, elles se réunissaient de leur propre chef, comme le firent les Juntas et les Hermandades de Carrion, Cuellar et Villacastin. Elles se refusaient à délibérer dans un lieu qui he fût pas libre et débarrassé de troupes, comme elles le firent à Burgos. Elles évitaient de voter des crédits qui sortissent « de cuestas e pechos de labradores » (de la chair des paysans). Et elles osaient faire face à la majesté du roi empereur Char- les-Quint pour lui rappeler qu'il n'était roi que pour faire et rendre la justice, qu'en réalité il n'était pas autre chose que le mercenaire de ses vassaux et que, pour cela même, ils le servaient de leurs personnes et de leurs biens. Traits d'indé- pendance dont sont incapables les fonctionnaires serviles des |
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Cortés franquistes, dépourvus de tout sens historique et étran-
gers à tout esprit d'authentique hispanité. Après la parodie et la profanation des Cortés, la parodie
et la profanation des Municipalités, institution populaire par excellence dans toute la Péninsule. Depuis le Conseil en plein air qui sa réunit sous l'arbre sacré, jusqu'aux solides murs des salles capitulaires, c'est dans les Conseils Municipaux que vit l'esprit civique de l'Espagne. Encore au dix-neuvième siècle, une de nos révolutions, celle de 1840, est une protestation con- tre une loi rétrograde sur les Conseils Municipaux. Les hom- mes d'Etat contemporains les plus clairvoyants mettent tout leur espoir et concentrent leur effort sur la résurrection de la vie locale d'antan. Et voici que la fausse ¡Iiispanité du phalan- gisme qui feint de posséder des titres d'authentique noblesse, nous offre en matière municipale la plus grossière des mysti- fications. . Selon la loi du 17 Juillet 1945 sur les Bases des Conseils
Municipaux et des Deputations provinciales, les membres de chaque Conseil seront désignés par tiers de la façon suivante : 1° Par vote des habitants chefs de famille.
2° Par vote des organismes syndicaux domiciles dans la
commune. 3° Par l'élection faite par les conseillers représentants des
deux groupes précédents de conseillers choisis parmi les habi- tants membres d'entités économiques, culturelles et ¡profession- nelles domiciliées dans la commune ou, à leur défaut, parmi les habitants de prestige notoire dans la localité. Pour l'élec- tion du troisième groupe de conseillers, le gouverneur civil de f la province proposera une liste de candidats dont le nombre sera au moins triple de celui des conseillers qui devront être élus. I Au premier coup d'oeil on voit que le suffrage universel
n'intervient en rien dans l'élection des conseils municipaux. Et quant à l'élection directe par les habitants chefs de famille, à l'exclusion de tous les autres citoyens, voyez dans quelles con- ditions elle est faite. Pour être électeur et eligible, il faut figu- rer sur un recensement d'où sont préalablement exclus non seulement les incapables selon les dispositions du Code Civil, et les condamnés de droit commun conformément aux prescrip- tions du Code Pénal, mais encore « les condamnés à privation ou restriction de liberté ou à incapacité aux charges publi- ques », situation dans laquelle se trouvent, ¡ dans l'Espagne franquiste, des centaines de milliers de citoyens. A l'épuration des recensements concourent les Présidents des Tribunaux, ceux des Comités provinciaux de liberté surveillée — institu- tion qui, à elle seule, juge le régime — et les chefs des servi- ces du Corps Général de police. Et ceux qui ont réussi à pas- ser à travers les mailles subtiles de l'éligibilité doivent, pour être candidats, avoir fait partie des conseils municipaux fran- quistes — car tous les représentants procédant d'élection po- |
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pulaire durant la République ont été frappés d'incapacité po-
litique — pu être proposés par deux représentants ou ex-re- présentants aux Cortés, par trois députés ou ex-députés pro- vinciaux ou par quatre conseillers ou ex-conseillers de la même Municipalité, ceux-ci étant naturellement tous acquis au régi- me, car aucune autre signification politique n'est possible sous le système du parti unique phalangiste. Si toutes ces conditions ne sont ,pas remplies, on ne peut être candidat que si on réunit les signatures du vingtième des électeurs préalablement épu- rés. Il n'y a donc pas d'autre électeur que la Phalange en fait de chef de famille, ni d'autre candidat possible que le phalan- giste, ce qui revient au même. Quant aux conseillers éligibles par les organismes syndi-
caux, désignés par compromissaires élus à leur tour par les Assemblées des syndicats, il suffira de dire que, dans l'Espa- gne franquiste, il n'y a pas d'autre organisation syndicale que celle de la Phalange, toutes les autres ayant été non seulement supprimées, mais proscrites et persécutées. Et quant à la troi- sième catégorie de conseillers éligibles choisis parmi les habi- tants membres d'entités économiques, culturelles ou profes- sionnelles, ou à défaut de celles-ci, parmi des habitants de prestige notoire dans la localité, il suffira de rappeler qu'elle est élue par les deux catégories précédentes et seulement par- mi les noms que le Gouverneur civil de la province inscrit sur une liste et dont le choix ne dépend que de son autorité. Mais, même à ces éléments pourtant sélectionnés officiel-
lement, on ne confie pas la représentation et la direction des Municipalités. Dans les capitales de province et dans les com- munes de plus de dix mille habitants, les maires sont nommés par le Ministre de l'Intérieur ; dans les autres, par le Gouver- neur civil. Le maire populaire espagnol a disparu avec la mu- nicipalité libre. Le Ministre de l'Intérieur peut révoquer, à son gré, tous les maires, ,pour des raisons d'intérêt public. Tel est le simulacre de vie municipale espagnole offert par
la législation franquiste en vigueur. Dans ce cadre, toute mu- tation, tout changement ne peuvent être qu'une anecdote plus ou moins pittoresque. La main-mise de la dictature fasciste sur la vie municipale espagnole est incontestable. Devant cette évi- dence, les élections annoncées pour les prochaines semaines ne seront qu'une nouvelle manœuvre frauduleuse. C'est pourquoi le Gouvernement de la République en exil croit de son devoir de dénoncer la nouvelle supercherie ¡tentée précisément au mo- ment où les Nations Unies se trouvent réunies au Palais de Chaillot, au milieu de ce Paris dont la tradition municipale est, de toutes les traditions de la France démocratique, l'une des plus illustres. PARIS, 20 Novembre 1948.
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