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Bntièrcment refondue, amp; conjidérahlement augmentée.
Tome II.
contenant:
Hiftoire de Fortunatus, amp; celle de fes Enfans^ en deux Parties.
Fliftoire de Jean de Calais.
n^3^rr«gt;»
-ocr page 8- -ocr page 9- -ocr page 10-Sur cette nouvelle TraduB’ton de HHiJ^ toire de F o RTU UA TVS,
uoiQUE nous ayoos, depuis prés de deux üècles,une traduftion desaventuresnbsp;de Fortunatus, elle eft fi infidelle, qu’onnbsp;peut dire que cette hiftoire voit Ie journbsp;pour la première fois. Un hafard fingu*nbsp;lier, dont il eft inutile de rendre comptenbsp;au public , a fait tomber entre mes mainsnbsp;Ie véritable manufcrit de eet ouvrage.nbsp;Lorfque j’ai voulu Ie confronter avec lesnbsp;éditions Efpagnoles, amp;, enfuite, avec Ianbsp;traduftion Fran^oife, j’ai trouvé qu’il ynbsp;avoit, entre ces différentes pièces, fi peunbsp;de rapport ^ que j’ai de la peine a croirenbsp;que Ie Traduileur ak jamais connu l’ori-
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. ginal: II n’y a dé reffémblanc'e que dans Ie fond du fujet, L’ancien Traduéleur anbsp;fondu, dans la même hiftoire, celle denbsp;Fortunatus amp; celle de fes Enfans : L’unnbsp;irieurt vers Ie milieu du livre, amp;ron nenbsp;fait trop oü finit fa narration, qu’il feinblenbsp;continuer après fa mort, ce qui n’eft pasnbsp;vraifemblable. Les aventures des autresnbsp;font confondues avec fon hiftoire, ce quinbsp;jette une confufion dégoütante dans lanbsp;fuite des évènemens. II feroit aifé de dé-montrer l’exiftence de mon manufcrit,nbsp;par ce défaut même d’unité dans l’hiftoirenbsp;traduite. Les anciens Auteurs Efpagnols,nbsp;comrae on fait, fe difpenfoient, dans leursnbsp;drames, ainfi que nous Ie faifons, ai’jour-d’hui, dans les nótres, de cette loi gênante, irapofée a Tart, par Tart même,nbsp;par !e génie amp; par la nature ; mais ils lanbsp;refpeftoient dans leurs hiftoires amp; dansnbsp;leurs romans. Mon manufcrit eft divifénbsp;en deux parties: La première contient Ianbsp;vie de Fortunatus, écrite, ou fuppoféenbsp;écrite par lui - même j il en raconte les^
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principaux évènemens jufqu*au moment on il eft attaqué de la maladie dont ilnbsp;nieurt: Sa narration, interrompue a cettenbsp;ópoque, eft reprife a la feconde partie,nbsp;qui commence par Ie récit de la mort denbsp;Fortunatus, amp; qui contient les aventuresnbsp;de fes Enfans, jufqu’a ce que leur mortnbsp;détruit la vertu de la Bourle amp; du Chapeaunbsp;enchantés. On eft faché que la cataftro-phe de cette hiftoire foit ft trifte. Quelquesnbsp;perfonnes auroient défiré que je l’euflenbsp;changée i mais c’eft affez que eet ouvragenbsp;ait été défiguré, jufqu’a préfent, par uti •nbsp;Traduöeur infidelle. D’ailleurs, ce quinbsp;pouvoit être un défaut pour les Efpa-gnols, graves amp; férieux, pour qui Ie rirenbsp;eft, quelquefois, un remède amp; un befoin,nbsp;eft une beauté pour les Franqois légers amp;nbsp;frivol es, qui ont, enfin, fenti la néceffiténbsp;de s’attrifter, h que leucs Poëtes ont,nbsp;heureufement, familiarifés avec lesfpec-,nbsp;tacles les plus atroces- Je ne fais pas ^nbsp;qui nous en avons l’obligation;mais,enfin,nbsp;KOUS voila délivrés de cette fenfibilité pu-
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fillanime, qui nous faifoit pleurer, comme des enfans, fur les plus petits malheurs.nbsp;Nous verrionsRofemonde,fur Ie tliéatre,nbsp;boire dans Ie crane de fon père, que nousnbsp;ferions tentés de trinquer a Tallemande,nbsp;avec la Reine des Lombards.
C’eft, doute, a l’ancienneté du langage, qu’il faut attribuer l’efpèce denbsp;dédain que certaines perfonnes afFedlentnbsp;pour cette hiftoire : El les Tont abandonnénbsp;au peuple, qui^ en fait fon profit; il femblenbsp;que fon inftinél foit plus für que Ie goütnbsp;rafSné de ceux qui Ie méprifent.
Quant au véritable Auteur des Aven-tares de Fortunatus, quelques recherches que j’aye faites, U ne m’a pas été poffiblenbsp;de découvrir aucune anecdote de fa vie.nbsp;Je prie les favans ^ qui feront quefque dé-cbuverte ^ ce fujet, de me !a communi-quer par la ^voie de ceux des journauxnbsp;qu’on lit.
HISTOIRE
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t^aijjance, éducation, depart de Formnaiui, amp; jbn débat dans k monde.
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- nbsp;nbsp;nbsp;d’autre motif, en écrivant les
principaux évènemens de ma vie, que l’inf-trufliion de mes enfans, afin que, s’ils trou-vent, dans ces mémoires, quelques aftions vertueufes, elles leur faflenc naitre Ie défirnbsp;de les furpafler, amp; qu’ils mettent a proficnbsp;jufqu’a mes fautes mêmes; C’eft pourquoi jenbsp;chercherai moins i plaire a leur efprit, qu’4nbsp;former leur ame. Si les aïeux des perfonnesnbsp;_ tirent vanité d’une haute naiflance ,nbsp;•kvoient eu foiö de tracer vin tableau fidelie
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de leur vie privée, leurs defcendans y trou-veroient de quoi fe garantir de 1’orgueil, en imitant la modeftie des uns, ou de quoi ra-baifler leur fierté, en conüdérant les vicesnbsp;des autres. Ec que feroic-ce encore, fi 1’hif-toire veritable de leurs aïeux jrarvenoic jamais jufqu’a eux ? Tout ca que je défire ,nbsp;c’eft que mes enfans apprennent que ce n’efb,nbsp;ni dans l’opulence, ni dans la gloire que ré-lide la félicité, amp; que je ne 1’ai trouvéenbsp;que dans la vertu.
Théodofe, mon pète , avoit hérité de fes ancêtres d’une fortune brillante. II étoit re-gardé comme un des pilus riches habitans denbsp;Famagoufte, amp; comme 1’un des Seigneurs lesnbsp;plus heureux du. Royaume de Chypre.- Sanbsp;générolité, fon amour pour Ie plaifir, fanbsp;magnificence, eureiit bientót diffipé la plusnbsp;grande partie des richefles que fon père luinbsp;avoit laifl'ées. Elles avoient été acquifes parnbsp;vine grande économie amp; par de longs tra-vaux. Courtifan affidu, c’étoit lui qui difpo-foit des grkes du Prince ; mais il n’en abufanbsp;jamais. Perfonne ne fut plus capable que luinbsp;de diriger les rênes de 1’Etat; il aima mieuxnbsp;fe diftinguer par Ie fafte de fes équipages,nbsp;par les fétes les plus galames, amp; par un luxenbsp;lecherché qui défefpéroit fes rivaux.
Sa fortune étoit fur fon déclin, lorfque fes véritables amis, qui avoient toujours dé-fapprouvé fa conduite, amp; dont il avoit mé-prifé les confeils, réfolurent, entr’eux, denbsp;Ie marier. Quoique mon père aim^t fa liberté
-ocr page 17-comme tous ceux de fon efpèce, qui s’ima-ginent trouver, dans une vic déreglee, routes les douceurs du mariage, paree qu iis ont la facilité de s’en procurer les plailirs,nbsp;fans s’expofer a fes peines, il écouta, poutnbsp;la première fois, des propofitions qu u eunbsp;rejetées dans route autre circonftance; c eitnbsp;qu’il falloit foutenir un fafte qui commen-?oit a manquer d’alimens.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;„
Une jeune beauté, douce, modefte, polie-danc toutes les vertus de fon fexe amp; n en ayanc prefque aucun des défauts, vivoic anbsp;Nicofie , capitale de 1’ile de Chypre; lesnbsp;charmes la rendoienc 1’objec des voeux desnbsp;jeunes Nicofiens, amp; les tichelles de fon perenbsp;excitoient 1’ambition de leurs parens. Lesnbsp;amis de Théodofe fe üattèrenc que les vertusnbsp;de Gratiane pourroient, enfin, mettre unnbsp;terme aux volages défirs, amp; prodigalités denbsp;mon père. Ils en parlèrent aux patens denbsp;Gratiane, dont perfonne encore n’avoit fixenbsp;les vcEux. Son père étoit un vieillard refpec-table, plus fier des vertus de fa fiHe que desnbsp;fiennes •, elles étolent fon ouvrage •, il n’avoit voulu confier fon éducation a perfonne •, a peine fe croyok-il capable de lanbsp;former ; II regardoit avec Ie mêrae mépris,nbsp;les pères qui fe repofent fur des gouverneursnbsp;mercenaires , du foin de former 1’efprit,nbsp;1’ame amp; Ie corps de leurs enfans, amp; les mè-res dénaturées, qui leur refufent leur feiii»nbsp;amp; qui les expofent a fucer, dans un laicnbsp;étranget, des vices amp; des maux qu’elles ne
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leur auroient, peut-être, point mnfmis.
Ce bon vieillard, qui connoiflbit la familie de Théodofe, mais qui ignoroit Ie dérange-ment de fes affaires, confentit, fans peine, anbsp;lui donner fa fille, qui, de fon cóté, fe prévintnbsp;aifément en faveur d’un homme dont les ma-nières amp; les dehors féduifans fembloient luinbsp;annoncer Ie fort Ie plus heureux. Le mariagenbsp;fut conclu, amp; répoux magnifique ne manquanbsp;pas de le célébrer par les fêtes les plus bril-Jantes amp; les plus fomptueufes.
Le feul défaut qu’on püt reprocher d raofl père, étoit fa prodigalité ; encore étoit-ilnbsp;douteux, fi elle n’écoit pas autant 1’effet denbsp;fon coeur bienfaifant amp; généreux , que denbsp;1’oftentation. II vivoit dans le fafte ; mais fanbsp;main ne fut jamais fermée au pauvre amp; knbsp;1’indigent : II alloit au devant des malheu^nbsp;reux , amp; ne permettoit jamais qu’ils achetaf-fent, par des deraandes humiliantes, les fe-cours qu’il leur donnoit. II fut rempli d’at-tentions amp; de complaifance pour ma mère;nbsp;mais, plus il cherchoit a lui donner des preu-ves de fa tendreffe, amp; plus il trouvoit desnbsp;occafions de fe livrer a fon penchant pournbsp;la dépenfe. Ma naiffance ne fit qu’augmen-ter leur amour. Une femme adorée adopte ,nbsp;aifément, les gouts d’un époux, qu’elle aime jnbsp;amp; quelque vertueufe qu’elle foit, il eft biennbsp;rare qu’elle les contrarie, lorfqu’ils tournencnbsp;au profit de fon amour amp; de fa vanité.
Théodofe continua de vivre fplendidement, óe donner des fétes, de briller en équipages
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amp; en chevaux, amp;, furtout, de cotnbler ma mère de préfens. II alloic au devant de toptnbsp;ce qui pouvoit lui plaire , amp; la feule privation qu’elle eüt a éprouver»nbsp;piaifir de défirer : Ses prodigalités épuifèrentnbsp;bientót fes reflburces : D’avides créanciersnbsp;firent faifir fes lerres ; il fallut en vendre lanbsp;moitié, pour fauver Ie refte. On guérit denbsp;la plupart des vices par l’itnpuiflance de lesnbsp;fatisfaire; la fureur de dépenfer fubfille,nbsp;lots mêtne qu’elle manque d’alimens. Moiinbsp;père eut recours a 1’ufure, ce monftre, qui^nbsp;nourrit fes viélimes de leur propre fubflance;nbsp;elle dévora, peu a peu, ce qui avoir échapp®nbsp;è la rapacité des faux amis, des parafites,nbsp;des créanciers, amp; de route cette verminenbsp;qui puliule fur les traces du riche généreux.nbsp;II ne s’aper9ut de fa fituation , que lorfqu’ilsnbsp;l’eurent tous abandonné.
Enfin, mon père fe trouva réduit è 1’in-digence; il ne conferva, de fon premier état, que Ie courage de la fiipporter; auffi noble,nbsp;auffi grand avec les perfides qui avoient con-tribué a fa ruïne, que s’il n’avoit aucunenbsp;ingratitude a leur reptocher. La feule cholenbsp;qui lui fajfoit regretter fa fortune, étoit d’a-voir prodigué celle de fon époufe, qu’il n’au-roit dü regarder que comme un dépóc. Cenbsp;motif exciioit, quelquefois, fes remords;nbsp;Gratiane les appaifoit avec tant d’art, ellenbsp;Ie confoloit avec tant de grSee, qu’elle luinbsp;perfuadoit, quelquefois, que eet état étoitnbsp;néceffaiie 4 leur bonheur i les diflipations
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qu’entraïne Popülence, lui difoit-elle, font Ie fléau de la tendrefle ; Ie veritable amour,nbsp;ainli que l’auftère probité, a tout a crain-dre des richelles; vous regardez votre ruinanbsp;corame une trahifon; eh, mon arai! je n’ou-blierai jamais que j’écois 1’objet de tes pro-digalités; amp; fi 1’un de nous eft blamable,nbsp;c’eft moi feule, dont Ia vanité recevoit 1’hom-mage de ton amour avec rant de plaifir, quenbsp;je m’aveuglois volontairement fur les fuitesnbsp;que tes facrifices pourroient avoir. Alors, monnbsp;père oublioit fon affliftion, amp; devenoit Ie con-folateur de ma vertueufe mère.
Des fentimens aufll refpedables me ren-doient leur étac plus précieux amp; plus cher que celui oü je les avois vus dans mon en-fance. Un jour, que j’étois témoin d’une denbsp;ces fcènes tonchantes, je m’aper^us que Théo-dofe regardoit plus tendrément ma mère, qu’ilnbsp;tournoit fur moi fes yeux mouillés de larmes,nbsp;que Gratiane dévcroic fes pleurs, me regardoit de temps en temps, foupiroit, fixoit fonnbsp;mari amp; me regardoit encore. Cette fcènenbsp;muette m’attendrit; je pénétrai dans leursnbsp;ames, je m’élanqai vers eux, amp;, en tombantnbsp;\ leurs genoux : Pardon, m’écriai-je, desnbsp;peines que je vous caufe dans ce moment ;nbsp;épargnez-moi. les reproches que vous vousnbsp;faites; laiflez-moi vous bénir de m’avoir mis,nbsp;par votre fituation, dans Ie cas de la rendrenbsp;plus heureufe. Permettez-moi de me féparernbsp;de vous; je fens combien ce facrifice me coü-tera. Je Ms jeune, amp;, grace aux foins que
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vous avez pris de mon éducatioo, je p^is ïoe rendre utile : La fortune veut qu onbsp;la violente; rarernent elle accorde fesnbsp;a qui ne fait pas les lui arracher . i Jnbsp;n’envifageois que moi, peut-être ne les lo -liciterois-je que foiblement; maïs le motif qui m’anime va m’infpirer un zele, onnbsp;j’attends le plus heureux fuccès; calmez vosnbsp;inquiétudes 1’un amp; l’autre; adieu , je vaisotinbsp;mon devoir m’appelle. J’allois partir fur^ enbsp;champ; mais leurs bras, dont je ne pus m arracher , me retenoient fur leur fein ; monnbsp;vifage étoit inondé de leurs larmes. O monnbsp;fils, s’écrioit mon père ! quelle leijon pournbsp;toi l Quelques méprifables que foient, parnbsp;eux-mêmes, les dons de la fortune , n oubaenbsp;jamais qu’il n’eft pas moins honteux de les pro-diguer , fans néceffité, que de les acquérir parnbsp;des moyens injuftes, ou de les entafler patnbsp;avarice. C’eft moi qui t’ai livré a 1’indigence «nbsp;amp; qui accable 1’époufe la plus vercueule dunbsp;poids de ma misère. II alloit continuer, lorf-que ma mère, faifant un effort fur elle-mêrae:nbsp;Mon cher Théodofe , s’écria-t-elle , pourquoinbsp;t’obftiner a t’accufer toi-même , lorfque toutnbsp;te juftifie? Quand même tu ferois encore aunbsp;fein de l’opulence, Fortunatus n’eft-i\ pas d’unnbsp;Sge a aller chercher lagloire? Ne faudroit-ilnbsp;pas qu’il fe féparèt de nous ? Serions - nousnbsp;aflez ennemis de fa réputation pour le recenirnbsp;auprès de nous, lorfque déja fes pareilsfe fontnbsp;fait connoitre par mille adtions d’éclat ? Pour-quoi done nous affliger d’un depart néceflaire?
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Eft-ce paree qu’il ne part pas, comme eux« trainant après lui une fuite nombreufe de valets amp; de brillanséquipages? Sa fituation mémenbsp;eft un «vantage: Les délices de la maifonnbsp;paternelle, qui les ont accompagnés dans leursnbsp;voyages, ne leur ont pas permis d’acquérirnbsp;les connoiflances qu’ils cherchoient; accou-lumés a 1’ignorance amp; a la mollefle, ils ontnbsp;lefufé de s’inftruire; ils ont craint la peine,nbsp;amp; n’ont rapporté de leurs courfes que les pré-jugés amp; les ridicules des pays qu’ils ont par-courus : Comme, par leur état, ils n’ont pasrnbsp;eubefoin de fe faire des proteéteurs, fe croyancnbsp;au deüus de la néceffité de plaire , ils en onenbsp;négligé tous les moyens. Les relies précieuxnbsp;de 1’antiquité, les chef-d’muvres des arts,nbsp;les divers phénomènes que la nature a répan-dus fur la furface , amp; dans les entrailles de lanbsp;terre, fe font, vainement, olFerts aleursyeux;nbsp;ils n’avoient point appris è les voir: Ils ontnbsp;été chez diffërens Peuples, amp; n'en ont pas funbsp;diftinguer, ni les mceun , ni les caraélères ;nbsp;ils ont cru avoir beaucoup fait, paree qu’ilsnbsp;ont obfervé quelques ufages particuliers, quinbsp;ne leur ont paru bizarres, que paree qu’ilsnbsp;étoient différens de ceux de leurs pays; Aufli,nbsp;quel a été Ie fruit de leurs voyages ? unenbsp;prélbmption ridicule en leur faveur, une pré-vention injufte contre les Nations étrangères,nbsp;amp;, Ie plusfouvent,.le mépris qu'ilsont attiré anbsp;leur patrie, amp; i eux-mêmes. Grace au Ciel,nbsp;mon fils, je n’ai rien de tout cela i craindrenbsp;pour vüus. Je ma confole d’avance da notre
-ocr page 23-réparation, par Ie plaifir que j’efpère de votre retour: vous n’oublierez jamais quenbsp;ïaiflez des parens qui vous airoent, jsnbsp;feul moven que vous ayez de repondie ^nbsp;amour , eft d’être honnête amp; vertueux, jnbsp;fais que, fans ce motif, vous Ienbsp;nbsp;nbsp;nbsp;“
core ; Que ne devons-nous pas attendre cceur fait comme Ie vótre; quant au e inbsp;de mériier l’eftime publique, vous joinareznbsp;celui de faire notre confolation . rartez jnbsp;épargnez a votre père de triftes adieux qui de-cbirenc fon ame ; II n’eft pas moins beau denbsp;favoir dompter la nature , dans certaines oc-cafions, qu’il eft toujours agréable de fe livrernbsp;a fes penchans. Adieu, mon fils. A ces niots ,nbsp;elle s’arracbe de mes bras, fans avoir la forcenbsp;d’en dire davantage; amp; moi« je me trouyainbsp;dans ceux de mon père, que je vis froid,nbsp;pamp;le amp; inanimé : je tremblai pour fon état;nbsp;je demandai du fecours; ma mère revint ennbsp;efluyant fes larmes; elle me fit figne de menbsp;retirer, amp; je partis fans Ie revoir, après avoirnbsp;demeuré, quelques jours, cache a Famagoufte,nbsp;pour m'affurer que cette féparation n’auroitnbsp;point de fuites funeftes.
Je n’avois point de projet determine i je me voyois, pour la première fois, hors denbsp;la maifon paternelle; je n’avois que dix-huitnbsp;ans; j’étois fans experience; je me regar-dois comme un être ifolé dans la nature ; jenbsp;fcémiflbis de ma fituation; mes regards fenbsp;tournoient, malgré mol , vers la demeurenbsp;öe mes triftes parens ; Te leur tendois les
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mains, 85 ma feule confolation étoit de pen-fer que j’aurois , peut - être, Ie bonheur de leur être utile. Je me promenois, fans deflein,nbsp;fur Ie port; je vis une Galère qui reveuoicnbsp;de Jérufalem ; j’appris qu’elle avoit ramené Ienbsp;Comte de Flandre ; que ce Comte venoit denbsp;perdre un de fes écuyers; qu’il étoit fur Ienbsp;point de partir, amp; qu’il avoit fait avertir lesnbsp;paflagers qui devoient s’embarquer avec lui.nbsp;Je me préfentai au Comte, je lui dis, en peunbsp;de mots, Ie défir que j’avois de quitter 1’ilenbsp;de Chypre; je lui peignis 1’état de mes parens,nbsp;je lui parlai de leur opulence pafl'ée, amp; je nenbsp;lui cachai que les caufes de leur chute. J’eusnbsp;Ie bonheur d’être bien regu du Comte; j’ofainbsp;lui propofer de remplacer Ie ferviteur qu’ilnbsp;avoit perdu. II me demanda, d’un air affable, quel étoit mon talent. Je n’en fais rien,nbsp;lui répondis-je; mon père n’a rien négligé pournbsp;mon éducation; j’jgnore fi j’en ai profité,nbsp;comme je 1’aurois dü; mais, j’efpère que Ienbsp;défir de vous plaire, mon zèle , amp; les principes que j’ai re9us, me rendront propre anbsp;exécuter vos ordres, lorfque je ne ferai pasnbsp;affez heureux pour pouvoir les prévenir : Lenbsp;feul exercice, auquel je me fois livré, juf-qu’a préfent, eft la chaffe; amp;, foit hafard ,nbsp;foit adrefie, j’ai eu des fuccès qui m’ont flatté.nbsp;Une feule cliofe m’inquiète, reprit le Comte,nbsp;je fuis d’un pays fi éloigné, que j,e crains biennbsp;que vous ne vouliez pas quitter le vótre pournbsp;me fuivre. Je le raflurai fur cette crainte : 11nbsp;me denianda ce qne je voulois pour mes ga-
-ocr page 25-ëes. Rien, que vos bontés, répondis-je, ^en rougiffant. II infifta, amp; je lui dis que je m ennbsp;rappoccois a fa juftice, qui proportionneroicnbsp;la récompenfe au fervice. Je fus accepte : Lanbsp;galète fut bieutót prête •. Je quittai lama-goufte St mes parens; nous eümes unnbsp;favorable, amp; nous arrivames, en tres-peu denbsp;Jours, a Venife.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;,
Le Comte ne fit qu’un féjour tres-court dans cette Ville, qu’il connoifl’ólt déja; ilnbsp;‘ patient de revoir fes amis; d’ailleurs, il alloicnbsp;époufer la fiUe du Due de Glèves : Son manage avoit été fufpendu par fon départ pournbsp;la Terre-Sainte •, il étoit fixé a fon retour.nbsp;II ne s’arrêta a Venife qu’autanc de tempsnbsp;qu’il lui en fallut pour faire qvtelques emplec-tes de chevaux amp; de bijoux. Je m’entendoisnbsp;a ces chofes mieux qu’aucun des ferviteutsnbsp;du Conite : II me laiü'a le maitre des mar-chés, amp; il fut très-Gontent de tout ce que jenbsp;fis; ce qui, joint a mon afiiduité aupres denbsp;lui, m’attira fon entière confiance ; II ne tardanbsp;point a m’en donnet des preuves.
Parmi les chevaux qu’il avoit achetes, u y en avoit de moins bons les uns que les au-tres; il les diftribua k fa maifon; mais il menbsp;choifit un des meilleurs. Cette diftinétion ex-cita la jaloufie de fes autres domeftiques; jenbsp;les entendis murmurer contre moi. Les Fla-mands, bons amp; honnêtes, ont, rarement ,nbsp;1’efprit aftif; ils fe mélioient d’un jeune Ita-lien rempli de zèle, qui avöit re^u une education bien au delius de fon état Ils crai-
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gnoient que, felon 1’nfage, abufant de 1’a-mitié de leur maltre, je ne cherchaffe a leur nuire. Cependant, ils n’osèrent point éclater.nbsp;|e feignis de ne m’étre aper^u de rien; je fisnbsp;tout ee que je pus pour mériter leur araitié;nbsp;inais, quand lajaloufie s’eft emparee de certains el^rits, tout ce qu’on entreprend pournbsp;la guérir, fe tourne en poifon ; elle donne fesnbsp;propres couleurs aux démarches les plus in-nocentesj elle interprète tout au gré de fesnbsp;injuftices amp; de fes craintes : C’efl: dans cesnbsp;difpofitions que npus arrivames en Flandre.
Le Comte fut re^u, comme un Dieu, par fes amis amp; par fes vaflaux; ceux-ci ne pou-voient fe raflafier du plaifir de le voir; ilsnbsp;avoient fi long-temps tremblé pour un fi bonnbsp;maitre, quails ne favoient comment déployernbsp;leur joie. II faut des vertus extraordinairesnbsp;a nn particulier, pour acquérir 1’eftime de fesnbsp;femblables; il ne faut aux Grands, pour ob-tetiir l’amour de leurs inférieurs, que desnbsp;vertus communes, foutenues par 1’afFabilité.nbsp;Qu’ils font done coupables, les Grands quinbsp;fe font détefter, amp; que leur politique eft abfur-de! La crainte qu'infpire leur orgueil, leurnbsp;fait trouver des obftacles a leurs moindres vo-lontéS; au lieu que tous les eoeurs, rous lesnbsp;bras, tous les tréfors font ouverts au maitrenbsp;coropatiflant amp; généreux, qui fe fait aimer.nbsp;Tel étoit le Corate. II défiroit, avec em-preffement, Ia conclufion du mariage ; tousnbsp;fes amis, qui partageoient fes peines amp; fesnbsp;plaifirs, la hitèrenr, amp; les noees furent célé-
-ocr page 27-brées avec une telle pie, qu’on eüt dit que c’étoit la noce de chacun de Tes vaMux.nbsp;Cette fêce attira un grand concours de Princes amp; de Seigneurs des environs; car Ie Comtenbsp;étoit autanc eftimé de fes fupérieurs,nbsp;tefyeité de fes égaux, qu’il étoit dien ae lesnbsp;inférieurs. II y eut, pendant plulieurs jours,nbsp;des joutes amp; des tournois. Quoique plulieursnbsp;Princes euflent amené une foule de ferviteursnbsp;du plus grand mérite, j’eus la fatisfactjon denbsp;recueillir les fuffrages de tous les Seigneurs, desnbsp;hommes amp; des ferames; amp;, fur Ie bon temoi-gnage que mon maitre leur rendit de ma conduite , de mon adrelfe a la chafle, amp; de lanbsp;nobleffe avec laquelle je fervois , je me vis ac-cablé de préfens ; il faut 1’avouer , manbsp;modeftie n’y gagna lien.
C H A P I T R E II.
Premières aventures de fortunatus; ejffroi Jé-gitime; faite précipitée-
V-'Es marqués de diftindion ne contribuoient pas a me concilier 1’amitié de mes camarades:nbsp;Une aventure, a laquelle je ne pouvois pasnbsp;m’attendre, acheva de me déttuire dans leurnbsp;efprit. Après que les joutes amp; les tournois desnbsp;Princes eurent celi'é, Ie Due de Clèves, amp; Ienbsp;Comte} propofèreat deux prix pour les deux
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Ecuyers, ou Serviteurs, qui fe diftingueroieriC Ie plus aux tournois, qui furent ouvercs poucnbsp;eux : Ces deux prix étoient deux pièces denbsp;velours, Thimothée, un des Ecuyers du (i)nbsp;Due de Brabant, gagna, de fon cóté, i'uanbsp;des prix, amp; moi, je remportai i’autre. Lesnbsp;fervitewrs du Comte, qui ne m’avoient vunbsp;entrer en lice qu’avec des yeux de fureur,nbsp;parurent conllernés de ma vidoire : Ils réfo-lurent de m’en enlever Phonneur ; ils perfua-dèrent a Thimothée de m’envoyer un cartel |nbsp;amp; de me propofer de mettre mon prix contrenbsp;Ie fien, afin qu ’ils reftaflent, 1’un amp; 1’autre, aunbsp;vainqueur- Ils trembloient que je n’acceptaflenbsp;point Ie défi; je courus a Thimothée, amp; luinbsp;témoignai Ie plaifir que j’aurois de romprenbsp;une lance avec lui, quoique cette forte d’exer-cice me fut étranger. Dès que les Seigneursnbsp;furent avertis du combat, ils voulurent l’ho-norer de leur préfence : Nous partons, amp;, h,nbsp;la quatrième courfe, je renverfai mon adver-faire de fon cheval. Le Comte applaudit Anbsp;mon nouveau triomphe, amp; fe félicita quenbsp;les deux joyaux (2) , euflent refté a fonnbsp;Ecuyer : II ignoroit la bade jaloufie que fesnbsp;gens me portoient, amp; qu’ils n’avoient jamais
( I) II falloit étre Gentilhomme yotir être admis aux tour-, nois, amp; d’une probité fans tache. Les Ecuyers parvenoient,nbsp;par lil, è être Chevaliers.
(2) C’étoit ainö qu’on appeJoit les prix que les Dames dillribuoient, amp; dont le vainqueur iic manquoi: pas de fenbsp;parer.
-ocr page 29-ofé me témoigner devant lui • Car envie amp; lach'eté marchent, aliez fouvent, de compagnie.
Ma nouvelle viftoire fut uij coup de rou-dve pour eux elie ne les empecha pas de faire agir de nouveaux reflbrts. Un des plusnbsp;envieux étoit un vieux Chevalier, attache,nbsp;depuis long-temps, au fervice du Comte ; lisnbsp;iuiavoient, plufieurs fois, entendu dire qu unbsp;avoit un moyen sur de me forcer de fuire,nbsp;fans rien dire a perfonne, fort heureux denbsp;pouvoir m’échapper fans que mon maitre ennbsp;fut rien. Ils ne manquèrent pas de Taller con-fulter. Le traitre avoit eu Ie temps d etudiernbsp;mon caraftère •, amp; ce fut fur ma franchile ynbsp;amp; fur ma crédulité, qu’il fonda fon projet ;
II avoit befoin d’argent pour réuffir; mes en-nemis eurent bientót fait la fomme qu’il leur demandoit.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;_
Robert (c’étoit le nom du vieux Chevalier ) commenga par me rechercher : raconta 1’hiftoire de fa vie •, peu a pen, il f®nbsp;lia a vee moi ; je n’avois aucune raifon denbsp;m’en méfier; il me conduifoit chez les^ belles femmes; il me louoit fur ma naihance,nbsp;fur mon education, fur mille qualites qu’ilnbsp;me fuppofoit. La flatterie eft douce; les ef-prits qui font le plus en garde centre fesnbsp;amorces, font, quelquefois , les premièresnbsp;dupes de fa perfidie; amp; je n’étois que tropnbsp;difpofé a l’écouter. Je prenois Robert pournbsp;mon ami; j’étois le'fien; je lui avois donnenbsp;toute ma confiance; je me prêtois a fes
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gouts; il avoit étudié les miens : II s’at-tacha a titer parti de ma vanité; il la flatta avec une adrefle, dont je fus aifément lanbsp;dupe; il me confultoit jufque dans les plusnbsp;petites bagatelles, amp; me faifoit toujours hon-neur du fuccès. II me juroit toujours Pami-tié la plus fincère; il me donnoit des con-feils, done j’avois fouvent éprouvé la foli-dité.
Ma vivacité, mon accent étranger, la dif-ficulté que j’avois k m’exprimer dans la lan-gue du pays, plaifoient a la Comtefle; elle me traitoit avec plus de familiarité que mesnbsp;camarades. J’étois fon Écuyer de preference.nbsp;Robert, fecondé par mon amour propte, menbsp;perfuada qu’elle ne me voyoit pas d’un ceilnbsp;indifférent, amp;j’avoue, k ma bonte, que j’eusnbsp;la préfomption de Ie croire : Je redoublai denbsp;zèle amp; de foins auprès d’elle, fans pourtant,nbsp;qu’il me foit jamais arrivé d’avoir 1’idée denbsp;fortir des bornes du refpeft : Robert eutnbsp;beau me repréfenter que 1’araour timide eftnbsp;prefque toujours malheureux; il ne réuffit jamais k me rendre téméraire.
J’étois, avec Robert, dans Punion la plus intime. Lorfqu’il me vit aflez engage dansnbsp;fes filets, il me prépara au dernier coup. Unenbsp;nuit, cjue tout Ie monde étoit retire , amp; quenbsp;je me difpofois a fuivre, Ie lendemain, monnbsp;maitre dans un voyage, il monte dans manbsp;chambre, ferme la porte, amp;, comme s’il avoitnbsp;un fecret de la plus grande importance k menbsp;communi^uerj il roe demande s’il peut fe
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ccmtler moi. Te 1’affurai qu’aux tertnes w nous étions, ce doute m’ofenfoit. Ii m enbsp;braffe, amp; me dit, a demi-voix : Mon chernbsp;Fortunatus, je fuis plus couvaincu que p -fonue qu’U ne s'eft pafie, entre Madanbsp;Comtefle amp; vous, nen que de très-hon »nbsp;cependant, foit qu’elle ne fe foit pas alieznbsp;obfervée, foit que votre amour vous aicnbsp;trahi, M.Ve Comte, qui, par malheur, n eitnbsp;que trop enclin èi la jaloufie, vous a epnbsp;1’un amp;. 1’autre, amp; vous lui avez donne uesnbsp;foop9ons dont il a fait part a quelqu un.
J’attendois avec impatience la nn de ce converfation; je crus qu’elle fe borneroit .nbsp;me donnet quelques confeils utiles. ]e^ ne pou-vois, cependant, concevoir que jeune-punbsp;alarmer Ie Comte. Comme je n’avois rien anbsp;me reprochet, je pris, d’abord , la chofe eiinbsp;plaifantant. Robert me regarda d’un air tortnbsp;férieux; amp;le Comte eft très-irrité contre vous,nbsp;ajouta-t-il; je Ie fais pofitivement; mais, aunbsp;fond , il vous aime, amp; il feroit très-fache denbsp;fe défaire de vous. II a long-temps cherchenbsp;les moyens de concilier fon amitié amp; ia tran-quUlité, de manière qu’il puifle vous lailleinbsp;iuprès de fa femme, fans avoir rien a crain-dre. Voici, enfin, 1’expédient qufil a imagine : Gardez-moi, je vous prie, fur toutnbsp;ceci, ie fecret Ie plus inviolable; il y vanbsp;du repos du refte de mes jours; d’ailleurs,nbsp;je comprovnettrois un ami intiroe, qui, con-noiü'ant mon amitié pour vous, m’a infortnenbsp;de tout ce myftère. M. Ie Comte, ajouta-t-il,
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Hiftoire
ne vous a-t-il pas ordonné d'etre prét, de-niain, au point du jour, pour 1’accompagner a Louvain ; ne vous a-t-il pas die qu’il ynbsp;alloit pour terminer tin procés, qu’ii avoicnbsp;avec Ie Comte de Saint-Paul ? Cela eft vrai,nbsp;lui dis-je; quelle conféquence en tirez-vous?nbsp;Dans Ie temps, continua-t-il, qu’il feta fem-blant d’étre occupé de fon affaire , il doitnbsp;vous envoyer chez un homme qui lui eft en-tièrement dévoué. II eft vrai, repris-je, qu’ilnbsp;m’a demandé li je connoiffois bienLouvain,nbsp;amp; fi je faurois m’acquitter des commiffionsnbsp;qu’il me donneroit, dans différens quartiersnbsp;de la Ville- Juftement, dit Robert: Eh bien,nbsp;eet homme, chez lequel il doit vous envoyer,nbsp;eft un Chirurgien, très-habile, è la vérité,nbsp;qui', de force ou de gré, avec Ie fecours danbsp;quelques perfonnes de fa profeffion, doit vousnbsp;inettre dans Ie cas de ne jamais infpirer denbsp;jaloufie d perfonne; vous faire une de cesnbsp;opérations qui font Ie plus grand mérite denbsp;nos vertuofo d'Italie. M. Robert, m’écriai-je en pdliffant, fongez-vous bien a ce quenbsp;vous me dites? En êtes-vous bien affuré? Se-loit-il poffible qu’une jaloufie fi mal fondée pütnbsp;porter M. Ie Comte, qui eft un li bon maitre,nbsp;a me faire un outrage femblable? Plüt a Dieu ,nbsp;inon cher Fortunatus, que jè puiffe douternbsp;de la vérité de 1’avis que je vous donne.nbsp;A quel propos feroit-on venu m’avertir, anbsp;1’heure qu’il eft, prefqu’au moment de votrenbsp;départ? D’ailleurs, comment auroit-on devinénbsp;que Madame la Comteffe a queique penchant
-ocr page 33-pout vous, amp; que vous n’êtes pas infenfible ü fes charmes? 11 eft vrai que vous avez oesnbsp;euneiDis;jele fais; mais quel parti pourroient-ils titer de cette fuppofition ? Ce n’eft pas la première fois qu’uneidée femblableeft entrée dansnbsp;la téte d'un jalouxquot;, au lieu que jamais on n a
vu la haine la plus forte faire imaginer, ah.....
cela ne fe comjoit point. Au furplus ^ vous voila prévenvf, vous êtes fort amp; vigoureux;nbsp;ne témoignez rien; armez-vous; accompa-gnez M. Ie Comte: Sil’avis qu’on m‘’a donnenbsp;eft faux) vous aurez une preuve certaine denbsp;la malice de ceux qui vous en veulent» amp; ï®nbsp;vous protnetsde vous nommer 1’ami qui vieimnbsp;de m’avertir : Si, au contraire ¦, 1’avis eftnbsp;vrai, que rifquez-vous? Un Chirurgien eft-ilnbsp;un champion fi redoutableP Vous n’avez pasnbsp;craint la lance de Thiraothée, amp; vous aveznbsp;peur du rafoir d’un chirurgien? Allons, For-tunatus, du courage. Non,parbleu ,tD’écriai-je, je ne m’y expoferaipoint: Accompagne M.nbsp;Ie Comte qui voudra; vous êtes moii ami,nbsp;M. Robert; je vous remercie de 1’avis: Lanbsp;feule chofe que je vous demande, dans_ cenbsp;moment, c’eft de m’aider a me cacher , juf-qu’a ce que les portes de la Ville foient ou-vertes: J'ai Ie plus grand regret de me féparernbsp;de vous, amp; de quitter M. Ie Comte— Lenbsp;pani,que vousprenez, me dit Robert, d unnbsp;air alRigé, eft bien violent: Si j'avois crunbsp;que vous priffiez la chofe fi vivement, jenbsp;nre ferois bien gardé de vous rien dire. Quoi.nbsp;Fortunatus ne fait vaincre le péril que par
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la fuite? D’ailleurs, qu’allez-vous devenir? Vous ne pouvez pas douter que M. Ie Comtenbsp;ne vous aime: La precaution même qu’il prendnbsp;pour pouvoir vous garder en fureté dans fanbsp;maifon, en eft une preuve; Oü trouverez-vousnbsp;un meilleur mattre ? II eft vrai qu’il a Ie défautnbsp;d’être jaloux: Après tout, dépend-il de nousnbsp;d’évirer cecte maladie? Au fond, Ie pire denbsp;tout, c’eft qu’en effet,il exécute fon projet:nbsp;Seriez-vous Ie feul dans Ie cas oü il veucnbsp;vous mettre? Si Ie mal d’autrui eft un fou-lagement pour celui que nous éprouvons, vousnbsp;trouverez la moitié du monde peuplée de compagnons de votre infortune. Dans tout l’O-rient, dans votre pays même , en vaut-onnbsp;moins pour cela ? Cet accident a-t-il erapê-ché quelqu'un de parvenir aux premières di-gnités? Eh ! que fa vez-vous la fortune qui vousnbsp;eft deftinée? Ce que la fougue de vos fensnbsp;vous fait regarder, dans ce moment, commenbsp;un malheur, eft, peut-étre, Ie plus grandnbsp;bien qui puifle vous arriver; car, enfin, vousnbsp;êtes ambirieux, amp; , ü votre Sge , fouvent,nbsp;la fatale paffion de 1’amour abforbe routes lesnbsp;autres, amp; devient 1’écueil des projets les mieuxnbsp;concertés. Vous Ie voyez par ce qui vous arrive:nbsp;La beauté de Madame Comtefle vous a frappé:nbsp;Auffi-tót, oubliant qu’elleeft l’époufe de votrenbsp;maitre, vous vous livrez a des vceux indif-crets: Au lieu que vous n’aurez plus rien denbsp;femblable ü craindre. Plus notre maJtre feranbsp;tranquille fur votre compte, amp; plus il eftnbsp;probable qu’il s’attachera a vous. Vous gou-
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vernerez fous fon nom: Libre de la plus ardente öss paffions, tout occupé de 'votre avance-ment, il n’eft rien que vous ne puiffiez vousnbsp;pormetire. Ami Robert, lepris-je, laiie de lanbsp;harangue , vous êtes-vous mis dans la tetenbsp;que je me laiflerois perfuader , pat les beauxnbsp;Cxemples que vous me citez? Eh bien! facheznbsp;que 1’empire du monde ne me tenteroit pas, s ilnbsp;m’étoic offert au prix que vous dites. Eh »
quel bien peut compenfer!----La feule idee
me fait frémir. La nuit eft déja avancée ; duifez-moi dans quelque retraite sure» amp;»nbsp;furtout, ne parlez a perfonne de mon depart«nbsp;que dans troisjours. Le traitre prit un air afflige ^nbsp;rnaudit le moment fatal qui alloit nous lé-parer; me conduific dans une maifon écartée •nbsp;oü je fis mener mon cheval; amp; , avanr que lenbsp;Comte fut éveillé , je parus» mon oifeau futnbsp;le poing, fuivi de mon cbien, comme ff j’al-lois a la chafle, amp; regardant toujours autoutnbsp;de moi.
La crainte me donna des ailes; je fis dix lieues fans m'arrêter; Ik, lorfque je crus lenbsp;faire fans danger, j’achetai un autre cheval,
je renvoyai celui du Comte, ainli que fon chien, afin de lui óter tont prétexte de menbsp;faire fuivre. j’ai fu, depuis, qu’il fut fortnbsp;étonné d’un départ auffi précipité; il fit lesnbsp;plus exaéles perquifitions, il demanda , i cha-cun de fes domelliques en particulier, ce quinbsp;ni'avoit determine a partir ainfi» fans lutnbsp;^Voir demandé mon congé; fans avoir di^nbsp;adieu a perfonne, fuitout, fans avoir de»
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mandé mes gages, qui ne laiffoient pas d’être confidérables; II procefta que, s’il découvroitnbsp;que quelqu’un de fa maifon m’eüt donné lieunbsp;de me plaindre, il l’en puniroit févèrement,nbsp;II monta dans Pappartement de fa femme ,nbsp;amp; lui fit les mêmes queftions. Elle Paflliranbsp;que, bien loin d’avoir regu quelque déplaifir,nbsp;je lui avois paru, Ie foir même, plus gainbsp;qu’a Pordinaire; que je Pavois fort amufée,nbsp;ainfi que fes femmes, par les détails des ufagesnbsp;de mon pays, que je leur expliquois de lanbsp;manière la plus plaifante.
Cependant, Robert, voyant a quel point fon maicre me regrettoit, craignant, d’ail-leurG, 1’elfet de ces menaces, alia recommander Ie plus inviolable fecret a tons les domefti-ques du Comte : Ils ignoroient la manièrenbsp;dont il s’y étoit pris pour m’engager a fuir;nbsp;ils le preilbienc de le leur découvrir; maisnbsp;il eut Padrefle de les tromper eux-mêmes, amp;nbsp;de leur perfuader que j’étois parti pour allernbsp;rétablir les affaires de ma familie.
CHAPITRE II.
'^atre épreuve da caraamp;ère de, Fortunatus.
I-^’iMAGE effrayante de l'opération avec laquelle le perfide Robert avoir inutilementnbsp;tenté de me familiarifer, étoit toujours pré-fente a mon imagination j j’arrivai a Calais}
-ocr page 37-amp; je tie me crus en fureté, que lorfque j eus ' mis la mer entre Ie Comte amp; moi.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;^
joie je reflentis, en débarquant en Angleterre. je m’ücbeminai vers Londres, on je crus menbsp;trouver au rendez-vous de routes les nations jnbsp;Ie commerce les y attire des extréinite» denbsp;Tunivers, amp; femble ne faire qu’une mernenbsp;familie dss peuples difpe^fés fur la fiuface denbsp;la terre. Quél art que celui qui facilite auxnbsp;habitans des contrées les plus éloignees, lesnbsp;inoyens de fe communiquer leurs fecoursnbsp;mucuels!
Je melivrois d ces reflexions, lorfquej’aper-^us deux jeunes gens de mon age, quejewcon-nus pour être mes compatriotes. Ils étoient débarqués, depuis peu, en Angleterre; leursnbsp;parens leur avoient' donné quantité de_ mar-chandifes a vendre; mais, n’étant jamaisnbsp;fortis de chez eux, amp; ne connoiffant Ie paysnbsp;oü ils étoient, que par leurs leélures amp; parnbsp;les inftruélions de leurs pères, ils fe hdtèrentnbsp;de vendre ; L’argent, qu'iis requrent, leutnbsp;parut un fonds inépuifable; jamais ils ne s’ennbsp;étoient vu autant. Le déCr d’apprendre desnbsp;nouvelies de mes parens, amp; eet inftinft qui,nbsp;dans quelque fituation amp; dans quelque paysnbsp;que nous nous trouvions, nous ramène, mal-gré nous, vers notre patrie, me firent courirnbsp;vers ces deux jeunes gens; après les cora-plimens ordinaires, je leur demandai desnbsp;Nouvelies de Théodofe amp; de Gratiane; j^^Pquot;nbsp;Ptis qu’ils étoient, a pen prés, dans la memenbsp;fituation oü je les avois laiffés, amp; qu’ils »8
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pouvoient fe confoler de mon abfence. Je ne perdis pas un moment; je faifis I’occafionnbsp;d’un vaifleau qui recournoit a Famagoufte;nbsp;je leur écrivis tout ce qui m’étoit arrivé,nbsp;depuis Ie moment de notre féparation, amp; jenbsp;leur renouvelai les proraefles, que je leurnbsp;avois déja faites, de ne me conduire quenbsp;fuivant les fages inftruélions qu’ils m’avoiencnbsp;données. Mais, queiles que fuflent mes réfo-lutions k eet égard, mon peu d’expériencenbsp;les rendit bientdt inutiles. Mes compatriotesnbsp;s’étant liés avec de jeunes gens plus adroitsnbsp;qu’eux, ils m’aflbcièrent a leurs parties; peunbsp;a peu, ils nous engagèrent a jouer; ils firencnbsp;li bien, qu’en moins de fix mois, je me trouvainbsp;fans argent : J’en demandai a mes camara-des; mais eux-mêmes fe virent obligés denbsp;retourner chess eux, méprifés amp; infultés pacnbsp;ces mémes libertins qui les avoient dépouillés.nbsp;Pour moi, je n’avois pas eu un meilleur fort:nbsp;Comme j’avois moins d’argent que les autres,nbsp;je fus Ie premier ruiné.
Mes compatriotes m’avoient mené chez une jeune Angloife; nous nous étions jurénbsp;1'amour Ie plus tendre amp; une fidélité a.toutenbsp;épreuve. Elle m'avoit, plufieurs fois, vanténbsp;la folidité du caradère Anglois : Que vosnbsp;Italiennes, me difoit-elle, plus emportées dansnbsp;leurs plaifirs, fe piquent de les épuifer tous;nbsp;qu’elles fe vantent de leurs tranfports amp; denbsp;leurs fureurs; amp; que les Frangoifes fe glori-fient du nombre de leurs conquétes; qu'eilesnbsp;fe flattent de pofleder feules 1’art de iubjuguer
de Fortuncitus.
^eurs amans, de leur faire aimer leurs caprices,
^ sdorer jufqu^a leurs défauts; les Angloiles tirent vanité que des fenrimens qu’ellesnbsp;éprouvent amp; des plaifirs qu’elies donnent; c’eitnbsp;chez elles que vous trouverez la volupté joinienbsp;^ la délicatefle, amp; couverte du voile de^lanbsp;décence qui la rend plus piquante encore : No3nbsp;coeurs font fimples comme nos attraits; nousnbsp;déteftons Ie fard qui dépare la beauté amp; quinbsp;enlaidit la laideur même.
pes fentimens auffi épurés m’avoienc acca-fbé, pour toujoars, d Sophie; Ie peu que j’avois, je 1’avois dépenfé avec elle; je luinbsp;aurois factifié ma vie. J’étois dans la plusnbsp;grande indigence; j'avois quelque deffein denbsp;palier en France pour y cherchev un maltrc«nbsp;mon amour pour Sophie me faifoit regardernbsp;ce projet avec horreur ; Je Ie lui communi-quai, cependant, en lui proteftant que je fe-rois Ie plus malheureux des hommes, s’il fal-ioit m’éloigner d’elle. Quel fut mon étonne-ment, lorfqu’elle entieprit demeperfuader quenbsp;c’étoit Ie meilleur parti que je puffe prendre!nbsp;qu’U ne falloic pas attendre que je fuffe ac-^ cablé par la mifère, qu’elle en feroit défef-¦* pérée •, mais qu'elle feroit ce facrifice a monnbsp;bonheur. Enhardi pat ce confeil, je lui avouainbsp;que 1’exécution de ce projet exigeoic quelquenbsp;urgent, une fomme très-raodique, a la vérpnbsp;té, une ümple guinée, amp; que je ne l'avoisnbsp;pw. A eet aveu, je la vis changer de figure jnbsp;tin air fombre fe répandit fur fon front, 1’éclatnbsp;de fes yeux s’éteignit; je me perfuadai qu«
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c’étoit un effec de fon coeur compaüflant. Quelle délicatefle, me difois-je en raoi-mêmelnbsp;Oh! il n’y a que les Angloifes qui fachentnbsp;aimer ¦, il n’y a qu’elies qui ayent iine amenbsp;fenfible. Tu Ie veux, ma chère Sophie, m’é-criai-je; complice de ma cruelle deftinée, tunbsp;me condamnes a te quitter; eh bien! je te jurenbsp;qu’auffi-tót que la fortune m’aura fait part denbsp;fes premières faveurs , je viens, d tes pieds,nbsp;reprendre une chaine que rien ne brifera jamais : Prête-moi cette guinée qui me manque ; que ce foit toi qui jettes la première pierrenbsp;de 1’édifice; puis-je êcre malheureux fous denbsp;tels aufpices! Non, me répondit-elle, d’unnbsp;ton d me glacer; non, mon cher Fortunatus,nbsp;je n’aurai jamais Ie courage de contribuer aullinbsp;formellement a ton départ; fi j’apprenois quenbsp;tu fufl'es malheureux, je ne me confoleroisnbsp;jamais d’en avoir été la caufe; ma délicateflenbsp;n’en peut foutenir 1’idée d’avance. Sophie eutnbsp;1’art de me perfuader; mon cceur Ample avoirnbsp;été la dupe de R.obert; la même fimplicité ,nbsp;quand même je n’aurois point aimé, m’eut em-pêché de fufpefter la délicatefle de Sophie.
Je n'infiftai pas plus long-temps, mais il étoit trois heures, amp; j’étois a jeun ; Depuisnbsp;que j’étois a Londres, je n’avois eu d’autrenbsp;afyle que la maifon de Sophie, avec qui lesnbsp;Jeunes Anglois, amis de mes compatriotes,nbsp;m’avoient fait faire un arrangement pour toutnbsp;Ie temps que je refterois en Angleterre. Jenbsp;repréfentai a Sophie qu’il étoit tard : Mais,nbsp;eela eft: 'vrai, mé dit-elle, vous m’y faites
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penfer; on m’attend chez Ie Lotd Bubble t oü je fuis priée, depuis huit jours, avec deuxnbsp;Ou trois de mes amies ; C’eft un homme ef-fentiel; je lui ai promis, amp; pour rien au monde , je ne voudrois lui manquer. Elle prit manbsp;main pour defcendre, amp; me renvoya avec Ienbsp;fourire Ie plus gracieux. Mes entraiiles afia-mées avoient beau protefter contre la dureténbsp;de la perfide, mon cmur la juftifioit toujours,nbsp;J’avois rencontré, a Londres, un de mesnbsp;parens, qui apprenoit Ie commerce. Florindenbsp;y étoit, depuis quelques années; il avoir étu-dié Ie caradère de la Nation, amp;, quoiqu’ilnbsp;y eüt trouvé, plus communément qu’en Cby-pre, des Sages qui aiment la vertu pout elle-même, des citoyens appliqués amp; pacriores,nbsp;des efprits folides amp; livrés a la reflexion, desnbsp;ames dégagées des préjugés amp; capables d'ac-tions grandes amp; généreufes, ü y avoir éptou-vé, comme par-tout ailleurs, des trahifons amp;nbsp;des perfidies ; II s’étoic aper§u, que, quoiqu’il y eüt des femmes refpedables, par leurnbsp;attachemenc a leurs devoirs, par leur douceur, par une conduire irréprocbsble, Ie fexenbsp;y poffédoit, en general, comme dans tousnbsp;les pays, 1’art de féduire amp; celui de trom-per. Florinde avoir, plufieurs fois, voulu menbsp;dégoüter de Sophie •, j’avois, jufqu’alors,nbsp;payé fes confeils par beaucoup d'indifférence:nbsp;1’eus recours a lui ^ je lui expofai ma fltua-'ïlon : 11 s’emprefla de foulager ma misère,nbsp;^ me promir de me trouver un mairre. Je menbsp;gardai bien de lui parler de ce qui venoit de
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fe paffer entre Sophie amp; moi; je favois qu’il étoit prévenu contr’elle, amp; je craignois, plusnbsp;que jamais, la malignité de fes interprétations.nbsp;J’ai toujours remarqué que, dans 1’amour, amp;nbsp;dans 1’amitié , moins nous avons lieu de nousnbsp;méfier de robjen aimé, amp; plus nous fommesnbsp;portés a la jaloufie ; amp; qu'au contraire, lorf-que nos douces font les inieux fondés, nousnbsp;cherchons a éloigner les foupgons, a juftifiernbsp;la trahifon, a repouller Pévidence pour em*nbsp;brafler une erreur qui fait, alors, notre feulenbsp;confolation. Mon imagination peignoit Sophienbsp;ingrate, faufle amp; légère; mais ce fourire gra-cieux j qu’elle avoit fait en me quittant, cettenbsp;délicatefle de fentimens qu’elle m’avoit fi fou-vent marquée, cette humeur fombre, quinbsp;avoit éclaté dans fes yeux, lotfque je lui avoisnbsp;annoncé mon départ, amp; mille autres circonf-tances que j’interprétois en fa faveur, renver-foient toutes mes idéés. Je voulois me con-vaincre de la vérité par moi-même: J'allai cheznbsp;elle : Sophie étoit fortie; j’y revins, elle étoitnbsp;¦è la campagne; j’y retournai encore; Lordnbsp;Buhbh amp; Lady Seeks étoient venus l’enlever,nbsp;dés Ie point du jour. J’y allai, plufieurs fois,nbsp;inutilement; ce ne fut qu’après la quinziè-me, que je regus cette lettre. „Je fuis biennbsp;„facliée, mon cher Fortunatus, que les cir--„conftances nous ayent fi mal fervis; depuisnbsp;„ quinze jours, je fuis furchargée d'affaires amp;nbsp;„ de plaifirs; je connois trop vos fentimens,nbsp;,, pour croire que vous vouluffiez me fairenbsp;„ manquer aux unes, amp; pour vouloir me pri-
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de. Fortunstus.
» ver des autres; les tniens font trop yrais V pour lie pas vous épargner des demarcnesnbsp;sf inutiles ; Je prévois que ceci fsra loog j 1®nbsp;3} fuis au défefpoir de ne pouvoir pas rece-aj voir vos adieux avant votre depart; rece-a» vez les miens, amp; épargnez-vous la peinenbsp;aa de revenir.
Cette lettre acheva de me dérrompèr '• Cette ^élicatefle de fentimens, dont j’avois ete lanbsp;dupe, me parut un rrioyen d’autantplus horrible, que Sophie 1’avoit puifé dans mon cceur.nbsp;II m’en couta pour m’en guérir; fa noirceurnbsp;fut ie meilleuï remède que J’employai contranbsp;la perfide. J’étoistoujoutsdans Ie deflein d’allernbsp;en France : Florinde vint m’annoncer qu ilnbsp;m’avoit trouvé un maitre tel qu’il me falloit;nbsp;un Négociant riche, jouiflant de la meilleurenbsp;reputation, prudent, furtout, amp; Florentin.nbsp;Quel quhl foit, lui dis-je, je 1’accepte ; monnbsp;projet n’eft que de ramafler quelque argent,nbsp;pour continuer mes voyages, jufqu’a ce quenbsp;ie trouve k me placer auprès de quelque Seigneur. Nous fixames au lendemain mon en-ttée chez Is Négociant de Florence, a quiFlo-ïinde avoit promis de me ptéfenter.
B ii]
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•»=:
HiJIoire
Sffets JiniJlres de Vcntêtcmmt. Malheurs, non mérités, de Fortunatus.
, peine fut-il jour, que j’arrivai chez Flo-rinde; je voulus favoir quel étoit le carac-tère de mon nouveau maitre. Le Signor Alberti , me dit-il, eft bon homme au fond, fe piquant de fineffe, quoiqu’il en ait trps-peu;nbsp;fe melant de routes les affaires, quoiqu’il n’ynbsp;entende rien ; fe vantant d’une pénétrationnbsp;lingulière pour connoitre les hommes, quoiqu’il ait été la dupe de quiconque a voulunbsp;I’attraper; amp; c’eft paree que je connois votrenbsp;droiture amp; votre franchife , que je vous metsnbsp;auprès de lui. Les banqueroutes, qu’il a ef-fuyées, auroient dü le rendre unpeu méfiant;nbsp;l’idée, OU il eft, qu’il n’y a pas de repli afleznbsp;caché dans le coeur humain qu’il ne découvrenbsp;d’un coup d’ceil, lui donne, i eet égard, unenbsp;fécurité imperturbable. Empêchez, autant quenbsp;vous le pourrez, qu’il ne foit trompé; maisnbsp;gardez-vous bien de le lui faire connoitre; ilnbsp;aimeroit mieux être volé par tous les friponsnbsp;des trois Royaumes, que d’en croire a quel-qu’un qui 1’avertiroit d’être fur fes gardes.nbsp;Voila le Signor Alberti; partons.
Nous le trouvamp;mes enfoncé dans un tas de papiers, entouré de deux ou trois Secrétaires,nbsp;amp; réglant, nous dit-il, une affaireimportan-
-ocr page 45-te, a laquelle les gens de loi n’entendoient rien. J’applaudis a fon zèle : Je felicitai lesnbsp;perfonnes que cette affaire regavdoit ; il '
Sxa a plüfieurs reprifes, amp; peis, fe to^rnan vers Florinde; Je feroisbientrompe, lui oit-il, fi votre coufm n’étoit pas un de ces elpritnbsp;fins, déliés, fairs pour parvenir a la plusnbsp;grande fortune. Ce pays-ci abonde en gensnbsp;iubcils, en fyrènes perfides : Dis-vnoi, n snnbsp;as-tu pas encore rencontré fur ton cbemin.nbsp;Hélasl out, répondis-je en rotigifl'ant. Bon.nbsp;conte-moi done comment tu t’en es tire. üh,nbsp;très-bien , reprit Florinde, qui vjt que Jenbsp;balbutiois; cette hiftoire eft trop longue, amp;nbsp;mon coufin vous la racontera, une autre iois \nbsp;vous êtes fort occupé, amp; nous evaindrionsnbsp;d’enlever a vos diens des momens préciettx.nbsp;gt;5ous convinmes de nos faits; Alberti menbsp;donna quelques commiffions, raccompagnanbsp;Florinde, amp; fe remit a 1’ouvrage. _
Je rentrai, vers midi, après avoir fait, avec Ie plus d’exaftitude qu’il me fut poflible, routes les affaires dont Alberti m’avoit charge;nbsp;je lui en rendis très-bon compte, amp; je lusnbsp;dans fes yeux qu’il étoit fatisfait. ^11 donnoicnbsp;a diner, ce jour-la, amp; quoiqu’il fut dans 1'u-fage de faire une table particuliere pour fesnbsp;Commis, ü me fit Phonneur de me prrévenitnbsp;que je mangerois avec Ini- Quelle fut ma fur-prife, lorfque Je vis entrer Don André , Ienbsp;libertin Ie plus décrié par fes incnurs, qui foitnbsp;jamais forti de Florence, amp; dont la probiténbsp;étoit la plus fufpede I Alberti s’aperjut de
3S nbsp;nbsp;nbsp;Hijlolrs
mon étonnement, amp;, après avoir embrafle D. André, amp; lui en avoir demandé la permif-lion , il me conduific dans fon cabinet. Je voisnbsp;bien, me dit-il, amp; cela m’éconne, que tu esnbsp;la dupe de 1’opinion commune ; Jesfais toutnbsp;ce qu’on dit de D. André ; je ne puis pasnbsp;douter qu’on n’ait bien des chofes a lui re-procher: Le hafard me 1’a fait connoitre» amp;,nbsp;malgré routes les apparences, après 1’avoirnbsp;examiné jufqu’au fond de 1’ame, j’ai reconnunbsp;en lui' la probité la plus incorruptible , la juf-tice, la bonne-foi, la candeur; tu en jugerasnbsp;mieux par toi-même; dépouüle-toi de tootnbsp;préjugé, je vais faire tombcr la converfationnbsp;fur 1’aifaire qui le raméne a Londres.
J'appris, car Don André ne prenoit même pas la peine de pallier fes vices, que fon pèrenbsp;1’avoit envoyé en Flandre, avec un vaiffeaunbsp;chargé de marchandifes; qu’il les avoir vendues, amp; qu’il en avoir confommé le produit,nbsp;avec un tas de libertins de fon age : Je fis entendre ^ mon père, difoit-il, quej’avois employé ces fondsen marchandifes de retour, inbsp;plus de cinquantè pour cent de profit: Le bonnbsp;homme, enchanté de ma conduite, m’envoyanbsp;des lettres de change pour des fommes con-fidérablès, amp; je ne manquai pas de lui écrirenbsp;que j'en avois fait le même emploi; il m’ennbsp;cnvoya tant, qu’enfin, il épuifa tous les fondsnbsp;qu’il avoir chez fes correfpondans. Mon pèrenbsp;fut ruiné. J’étois jeune; je promis de réparernbsp;ma fortune par un bon mariage; amp; mon père,nbsp;qui il ne leltoit plus que cette reliburce,
-ocr page 47-de foïce OU de gré, confencit 4 tne vom Je partis pour Florence; je paüai par Turin. Onnbsp;y parloit d’un Anglois que fa générofité ayoitnbsp;léduit a la misère, amp; que fes dettes avoientnbsp;conduit en prifon. Je demandai a Ie voir;nbsp;fes malheurs me touchèrenc : Je ne pretendsnbsp;pas me faire valoir; mais, fi mon goüt m'anbsp;coüté un tiers de ma fortune, je fuis rede-Vable de la perte des deux autres a mon amenbsp;^rop compatiflante. Enfin , après bien des fol-licitations , j’obtins la permiffion de voir lanbsp;généreux étranger. Quel fut mon étonnement,nbsp;lorfqu’on m’ouvrit la prifon, amp; que je jre-connus Ie jeune Greenfield, avec qui j'avoisnbsp;'été fort lié , a Londres. Je Ie confolai dunbsp;mieux que je pus; je Ie priai de m’indiquernbsp;un moyen de Ie tirer de la, amp; je lui proraisnbsp;de ne pas perdre un inftant. II me demandanbsp;fi je ne connoiflbis point Hyeronimo Alberti,nbsp;Florentin, Ie plus ricbe, amp;, furtout, Ie plusnbsp;entendu amp; Ie plus fage Négociant de Londres.nbsp;Greenfield me dit qu’Alberti étoit fon ami,nbsp;^ qu’il ne manqueroit pas d'avancer tous lesnbsp;fonds néceflaires pour Ie tirer de prifon : IInbsp;prqmit de rendre ces fonds ii cent pour centnbsp;® ™^yrêt, a moi, une bague de millfi gui-®sGs; Ge que je ne dis que pour vous peindrenbsp;la generofité de mon ami; car je fuis bien éloi-gne de rien accepter ! II m’indiqua, en mêmenbsp;temps, quelques^uns de fes amis, pour luinbsp;fervir de caution auprès du Seigneur Alberti.
3 erobraflai Greenfield; j'écrivis a mon père, ^ni m’atteüdoit, amp; je repris le chemin de
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Londres. II y a un niois que j’y fuis arrivé; Ie Seigneur Alberti confent a avancer lesnbsp;fonds; mais fa prudence exige des cautions;nbsp;c’eft ce qui retarde la conclufion de cettenbsp;affaire. Ce n’eft pas que les amis de Greenfieldnbsp;refufent de Ie cautionner; mais, comme jenbsp;me fuis chargé de porter moi-même l’argencnbsp;a Turin, je ne veux point fouffrir qu’ils 1’en-'voyent par une autre voie; c’eft une méfiancenbsp;qui m’outrage, amp;j’aimerois mieux aller prendre la place de mon ami, que de confentir knbsp;«ne telle infamie.
Lorfque D. André eut cede de parler; eh bien, me dit tout bas Alberti, jugerez-vousnbsp;toujours les honnêtes gens d’après 1’opinionnbsp;yublique? Je ne répondis rien. Après Ie dJné,nbsp;lorfque nous fumes feuls, je lui demandai,nbsp;pourquoi, ayant fi bonne opinion de D. André , il ne prenoit pas fur lui de confier fesnbsp;fonds, fans s’inquiéter d’autre caution quenbsp;lui-même. Je n’héfiterois pas un moment, menbsp;lépondit-il; mais je fuis Commer9ant, amp; cenbsp;feroit manquer effentiellement aux lois dunbsp;commerce : II faut que' chacun faflè fon métier.
Ce D. André, que mon maitre avoit fi bien pénétré, rie tarda pas a mettre fa prudence ennbsp;défaut, amp; peu s’en fallut qu'il ne m’entraindtnbsp;dans Ie même précipice oü il plongea Alberti,nbsp;Le Due de Bourgogne avoit époufé, depuisnbsp;peu, la fcEur du roi d’Angleterre, qui lui def-tinoit un préfent confidérable, en bijoux lesnbsp;plus rares; ils n’étoiént pas arrivés k temps’;
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iTiais, lorfqu’ils Ie fuïent, Ie Roi chargea un vieil Officier de fa Cour d'aller les porter inbsp;la Ducheffe. D. André appric que ce prefentnbsp;écoit chez ce Seigneur, dont Ie déparc étoitnbsp;fixé a peu de jours; il parvint, par fes intrigues , a faire connoiffance avec lui, amp; lui te-moigna un grand défir de voir ces bijoux :nbsp;Ce n’eft pas, lui dit-i\, la feule curiofité quinbsp;m’engage a vous faire cette demande; j’ainbsp;dss diamans d’un très-grand prix je fais quenbsp;Ie Roi délire d’avoir ce qu’il y a de plus beaunbsp;dans ce genre : Si ceux que j’ai font plusnbsp;rares que ceux de Sa Majefté, je les donne-rai a un prix raifonnable , amp; je prendrai lesnbsp;flens en échange. Le l^ord y confentit, amp; Ienbsp;retint a diner , après 1’avoir préfenté d fanbsp;femme. II le conduifit, enfuite, dans fon cabinet , amp; lui fit voir routes fes pierreries 1’unenbsp;apyès 1’autre. D. André admivoit celles-ci,nbsp;méprifoit celles-la, amp; 1’aflura qu’il avoir quel-ques pièces fupérieures a tout ce qu’il voyoir.nbsp;Le bon Lord, qui connoiffoit, a peine, D.nbsp;André, ne fe méfia point de lui, amp; demands,nbsp;^ fon lour, a voir fes pierreries. La partienbsp;lut remife au lendemain , amp; D. André l’in-^itaè diner, avec lui, dans la maifon d’Al-oerti, pom-nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;temps a eux. Le
Icelerat ne manqua pas de revenir, tout de luite ,chez mon maitre , amp; lui dit qu’enfin,nbsp;il avoit trouvé un des plus riches Seigneursnbsp;de la Cour, parent de Greenfield, qui offroitnbsp;oe caurionner amp; de tirer le prifonnier d’em-oarras: II doic venir, demain, diner avec
Hifloire
nous, continua-t-il; mais, comrae c*efl: une affaire qui n’a été traitée encore qu’entre luinbsp;amp; moi, amp; qu’il refte quelques difficultés anbsp;lever, ne luiparlez de rien pendant lerepas;nbsp;je l'amenerai, au fortir de table, dans unenbsp;chambre de la maifon dont vous me donnerea
la clef.---- Eh! mon Dieu, je vous entends
a merveille, dit Ie pénétrant Alberti; je gage qu’il ne fe doute pas que c’eff moi qui avan-cerai les fonds; quand vous aurez terminé,nbsp;Tous Ie ferez paffer dans mon cabinet, amp; ilnbsp;ffgnera fon cautionnement. Vous y voila, reprit Ie fripon ; comment diable avez-vousnbsp;deviné tout cela? Oh, qh! répondit, en riant,nbsp;Alberti, je vois tout d’un coup d’ceil. Aunbsp;refte, interrompit D. André, vous étes Ienbsp;tnaitre de lui parler de cette affaire. Eh! non,nbsp;je m’en garderai bien; mais, a propos, D. André, votre prifonnier vous a promis une baguenbsp;de mille livres fterlings, amp; a moi cent pournbsp;•cent d’intérêt de mes fonds; il feroit bon denbsp;¦ne pas oublier ces articles, de faire eaution-ner Ie Lord pour Ie tout; qu’en penfez-vous?nbsp;Ce que j’en dis, au demeurant, n’eft pas parnbsp;intérêt; mais, enfin, vous avez interrompunbsp;votre voyage de Florence, amp; moi, je fuisnbsp;Commer9ant, amp; il faut que Ié Prêtre vive denbsp;l’Autel. Vous avez raifon, repliqua D. André, j’y avois penfé pour ce qui vous regar-de; mais, pour moi, mille guinées de plusnbsp;OU de moins, que m’iraporte? Je ne romprainbsp;pas la négociation pour cela. Oh! vous êtes Ienbsp;maitre, reprit Alberti; mais, furtout, n'ou-
i
-ocr page 51-bUez pas mon petit articie qui» au foud j une bagatelle pour Greenfield.
Le kndemain , André ne manqua pas d’aller prendre Ie Lord •, il Ie cenduifit chez Alberti;
On dine gaiement; Alberti laifle D. André faire les honneurs du repasil avoit dit aunbsp;^rd de ne point patler de diamans ni de bijoux devant fon hóte, de crainte de fe voirnbsp;importunes, l’un amp;l’autre, par l’envie qu’ilnbsp;auroit de les voir, amp; pour mille autres rai-fons j de forte que D. André difoit, pendantnbsp;Ie diner, mille chofes i double fens, que Ienbsp;Lord interprétoit relativement aux bijoux ,
amp; Alberti relativement au cautionnement: Le Lord répondoit dans ie fens de D. André ,
amp; Alberti hentendoit dans Ie fien. Le diner fini, D. André prend le Lord par deffbus lenbsp;bras j amp; le conduit dans une chambre qui étoitnbsp;au deflus de celie od ils étoient; il ouvrenbsp;«ne caflètte, dit au Lord de s’approcher, amp;,nbsp;tandis que celui-ci fe baifle d caufe de la foi-¦blefle de fa vue, il lui plonge un poignardnbsp;dans le fein , amp; l’étend a fes pieds; il redou-^
» amp; ne lui donne pas le temps de poulVer '^n^feul cri; Enfuite, il lui arrache 1’anneaunbsp;*l«’il avoit au', doigt, amp; prend les clefs qu’ilnbsp;Evoit dans fa poche, ferme la porte fur lui «nbsp;amp; va vers fa femme, qu’il trouve dinant avecnbsp;fes enfatis. Madame, lui dit-il, votre marinbsp;a trouvé, parmimes pierreries, deux diamansnbsp;qui peuvent convenir au Roi; il voudroitnbsp;les confronter avec deux des flens; il vou-loic venir les chercher lui-même, maïs, ^
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o”
Uijïoire
caufe de fon age, je m’en fuis chargé moi-mênie ; amp;, comme il a craint que vous fiffiez quelque difficulcé, n’ayant pas 1’honneiir d’êtrenbsp;connii de vous, il m’a remis la clef de fonnbsp;cabinet, amp;,de plus, eet anneau, oü eft fonnbsp;cachet. Cette femme, qui ne fe douta de tien,nbsp;conduifit D. André au Cabinet; mals ils nenbsp;purent trouver les bijoux , quelques recherches qu’ils fiflent: D. André pèlit, en voyantnbsp;qu’il perdoit Ie fruit de fon crime.
Cependant, Ie fang du Lord qui avoit coulé a travers Ie planchet jufque dans la falie d’Al-berti, nous avoit tous effrayés; nous mon-tons, nous trouvons la porte de la chambrenbsp;fermée a clef; nous l’enfonij'ons : Quel fpec-tacle ! Ie cadavre du Lord étoit a rerre, noyénbsp;dans fon fang , percé de plufieurs coups. Nonsnbsp;étions dans la plus grande confternation. Alberti , qui, dans routes les affaires, fe piquoitnbsp;de prévoir les fuites, fut d’avis de ne pasnbsp;éclater : II me traita d’efprit borné , pareenbsp;que je propofai d’avertir la Juftice, amp; de dé-pofer naïvement tont ce qui s’étoit paffé.nbsp;Tandis que nous étions dans eet embarras,nbsp;D. André arrive avec Ie fang-froid de 1’hommenbsp;Ie plus innocent. Ah! Monfieur, m’écriai-jenbsp;en Ie voyant, quelle horreur venez-vous denbsp;commettre? Moil dit Ie fcélérat, je me fuisnbsp;défendu, amp;j’ai tué un monftre qui, voulantnbsp;tourner a fon profit les préfens que Greenfieldnbsp;a promis au Seigneur Alberti amp; a moi, m'anbsp;tenu des propos infolens ; Je lui ai repliqué ;nbsp;jl a pris fon épée, a fondu fur molj je me
-ocr page 53-fms mis en défenfe, amp; il eft venu , lui-mêi^, au devant du coup que je lui ainbsp;coup 1 lui dis-je encore? En voila plufieurs,nbsp;c’eft ce qui prouve, reprit-il, fa rage amp; ionnbsp;acharnement; il s’eft relevé, amp; eft venu encore fur moi, amp; in’a forcé de 1’achever inalgrenbsp;rooi ; raais je vous vois tous effrayes i quenbsp;craignez - quot;vous? Cette affaire ne regarde quenbsp;moi. Comme on fait qu’il a diné avec ’nbsp;vous direz a ceuxqui pourroient veniv Ie de-mander, que nous fomtnes forris enfernblegt;nbsp;ap'rès avoir pris querelle’, cependant, iaiüez--moi faire, amp; revenez dans la chambre ounbsp;vous étiez. J’étois toujours d’avis qu’Alberti
allamp;t faire fa déclaration', mais 1’oblline vieil-
lard difoit qu'il faudroit êire bien infenfé de s’aller mettre dans de mauvaifes affaires, tan-dis qu’on pouvoit les afloupir. Nous attendi-tnes long-temps D. André; i! ne reparut point;nbsp;Nous retnontSmes, amp; nous ne trouv^m^ ninbsp;Ie cadavre, ni l’aüaffin, ni vefüge de crime ;nbsp;nous eümes beau chercher dans toute Ia mai-fon, nous ne trouvèmes rien. Ce fut alorsnbsp;qu’Alberti triompba. Bientót après, il re9Utnbsp;rmbillet de D. André, qui lui inarquoit d êtrenbsp;tranquiWg^ qu’il partoit, amp; que, quelque diligence qu’onfit, il feroit impoffible de Ie jbindre.nbsp;Je voulois qu’on gaidè.t, du moins, ce bi’llec,nbsp;comme une juftification du crime, dont onnbsp;pourroitnousaccufer- lemaiheureux Albern,nbsp;plus entêcé que jamais, fut d'avis de Ie bruler,nbsp;pour qu’il n'en reftèt aucune trace. Néanmoins;nbsp;il étoit au défefpoir de la fuite de D. André j
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S’il eft innocent, s’il n’a fait que fe défetï-dre, difoit-il, qu’a-t-il a craindre? vS’il a fouf-trait les preuves de la mort, pourquoi fuit-il ? Tout cela 1’embarraflbit.
Cependant, la jeune veuve, inquiète de 1’abfence de fon mari, écrit de tous cótés. Lenbsp;bruit fe répand qu’il a fui; le Roi en eft in-formé; il commence a craindre que le Lordnbsp;n’ait été tué pour le préfent dont il étoit chargé : On délibère d’envoyer dans fa maifon;nbsp;on fouille par-tout, amp; 1’on ne trouve rien:nbsp;Alors, le doute fe change en certitude. Onnbsp;veilt, pourtant, favoir ce qu’il eft devenu, quelnbsp;pays il a choifi pour cacher fon larcin : Onnbsp;interroge la femme: Elle répond, en pleurant,nbsp;''qu’elle eft plus inquiète que perfonne, quftlnbsp;y a fix jours qu’elle ne 1’a vu; elle ajoute quenbsp;c’eft depuis qu’il eft forti avec D. André poutnbsp;aller diner chez Alberti, Commer5ant Floren-tin; que, ce mêmejour, D. André étoit revenu , avec 1’anneau de fon mari amp; les clefsnbsp;de fon cabinet, pour chercher, de fa part,nbsp;'les bijoux; mais qu’elle ne les a point trou-vés. Ón ne manqua pas de fe tranfporter cheanbsp;Alberti, qui avoua que D. André avoit eunbsp;quelque difpute avec le Lord, au fujet denbsp;quelques bijoux, que D. André vouloit luinbsp;vendre, amp; qu’ils étoient fortis enfemble. Pournbsp;plus grande fureté, on conduifit en prifonnbsp;Alberti amp; fes domeftiques, qui répondirentnbsp;tous, unanimement, comme leur maitre. Cependant , on fe faifit des clefs de la maifonnbsp;d'Albeni, dans 1’efpéiance de trojuver qirel-
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de FortunatuS.
^ues indices, ou , peut-être •, les^ pieireries: On fou\e, on met tout fans deiïus deflbus •nbsp;Un de la troupe, qui tenoit un flambeau ^nbsp;ia main, va aux latrines j il lui vient dansnbsp;l’idée d’allumer du papier amp; de 1’y jeterquot;, ilnbsp;voit Un cadavre au fond, appelle fes cama-rades, amp;leur fait part de fa découverte; aufli-töt on fit ouvrir la fofle, amp; 1’on reeonnoitnbsp;Ie malheureux Seigneur, percé de plufieursnbsp;Coups, On Ie retire, on i’expofe devant lanbsp;maifon d’Alberti. A ce fpeftacle , les Angloisnbsp;entrent en fureur contre les Florentins; ilsnbsp;quot;veulent punir route la Nation du crime d’unnbsp;feul, les Florentins font obligés de fe cacher.nbsp;On nous interroge de nouveau : Nos répon-fes, alors, deviennent des preuves contranbsp;¦nous; on nous confronte Ie cadavre; tous, 4nbsp;1’exception d’Alberti, avouèrent la vérité.nbsp;Nous étions a la veille d’être jugés. Com-tien de fois ne regrettois-je pas, dans la pri-fon , d’avoir quitté Ie Comte deFlandre, aunbsp;rifque de perdre ce qu’il vouloit m’enlever.nbsp;Enfin, je déclarois tout ce que je favois denbsp;André. Sur ma dépofition, on foupgonnanbsp;emportoit^es diamans du Roi. On fuf-pendit notre jugement: Le Roi fit courir aprèsnbsp;*ui: On le trouva, au bout de deux mois denbsp;recherches, a Alexandrie, parmi les malfai-teurs condamnés aux travaux publics; on lenbsp;tamena, amp; , a force de tourmens, on lui ficnbsp;avouer fon crime. Les domeftiques d’Albertinbsp;furent déchargés de 1'accufation de meurtie,nbsp;•liQfi que moi, mais, cependant» condarnnés
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a un banniflement hors du Royaume. La finefle d’Alberti lui coüta la vie; il ne dé-mentit jamais fa première dépolition : II fei-gnit de ne pas reconnoicre D. André; il s’i-maginoit que, fans fon aveu, on ne pouvoitnbsp;condamner ni 1’un ni 1’autre ; II fe trompoit,nbsp;amp; fon obftination Ie conduifit a 1’échafaud ,nbsp;avec D. André. II éioit coupable, a la vé-rité, d'avoir célé Ie crime, de ne 1’avoir pasnbsp;révélé ; mais il n’auroit pas, vraifemblable-ment, été puni de mort.
Tout pour Je mieux. La fortune vient en dormant, Bourfe enchantée.
Je me hkai de gagner Ie premier port, amp; de fortir de cette terre fatale : Je fuis biennbsp;malheureux, me difois-je; je fervois un bonnbsp;maïcre; j’étois content auprès de lui, amp; Unbsp;faut que fa maudite jaloufie lui tourne la téte,nbsp;amp; lui falie prendre la réfolution de me ren-dre eunuque, pour pouvoir m’aitner en fu-leté : J’arrive en Angleterre, j’y fuis volénbsp;par des libertins, trompé amp; chaflë par manbsp;maitreiTe, enfin, fur Ie point d’être pendu, parnbsp;l’obftination d'un vieillard imbécille : ó ciel! finbsp;ce font les aventures que tu me prépares,nbsp;donne-moi Ie courage de les fupporter, ou re-prends une vie qui feroit Ie plus funefte de tes
-ocr page 57-dons. Plon?é dans ces rédexions afRigeantes, j’arrive a Douvres, jem’embarque;
plus heureux que je n’avois Ueu d elperei: après tant de malheurs: Je parcourus la i-cardie, en ra’informant, par-tout, n 3nbsp;trouverois point un maltre : je traverfainbsp;partie de la France, amp; je parvins jufque dansnbsp;la Raffe-Bretagne. Étranger, n’ofant me con-fier a perfonne , amp; craignant égalemenc lesnbsp;bommes amp; moi-même, je roe trouve dans unnbsp;pays aride , défett, fans iffue plus ] !wan-9ois, amp; plusjem’égarois: La nuit approchoi »nbsp;i’entrevois, loin de mol, une efpèce d haui-tation ; je double Ie pas : C'étoit une verre-lie, abandonnée depuis long-temps, repwtBnbsp;infea d’infeftes amp; d’oifeaux nofturnes: II fai-foit froid , je réfolus d’y paflev la nuit. A peinenbsp;eut-elle couvert de fes ombres, amp; mes chagrins, amp; la faim qui me dévoroit, que j entendis ces lieux affreux retentir des hurlemensnbsp;des bétes fauvages done ils étoient peuples.nbsp;De vieux ais, que Ie temps amp; la pourriturenbsp;avoient détachés de la cabane, je fis une porte,nbsp;que je fermai avec les débris d’une partie desnbsp;murs; tiès que je vis Ie jour, je repris manbsp;route, ayatit mon poignard a la main, la feulenbsp;arme qui me reftk; je m’engageai dans unenbsp;forêt epaifle, ^ j’en cherchois vainement lesnbsp;routes, paree qu’au lieu de la prendre è travers , je la fuivois par fa longueur. La nuitnbsp;me furprit encore moutant de faim, de foirnbsp;^ de laffitude; J’aper^us une fontaine auprèsnbsp;de mol; je bus lt;, amp; j’allois m'er.dormir fur fes
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boras, lorfque j’entendis Ie rugiflement des ours, amp; Ie bruit que faifoient autour de moinbsp;des bêtes fauvages, qui venoient a la fon-taine. Quoique la chalTe fdt mon premier métier , je crus qu’il étoit auffi dangereux dBnbsp;fuir, que de refter ou j’écois: Je pris Ie partinbsp;de monter fur un arbre très-élevé, fous lequelnbsp;j’étois couché. La lune éclairoit, jechoilislanbsp;branche la plus forte de 1’arbre, amp; je visbien-tót, autour de la fontaine, un immenfe trou-peau d’ours, de loups, de fangliers amp; d'ani-maux monftrueux : Un , entre autres, quinbsp;tenoit du loup amp; de 1’ours, s’approcha de 1’arbre, amp;, me fentanc, fans doute, il commence a griraper avec agilité; il gagne les premières branches, amp; me fuit jufqu’aux plusnbsp;élevées; voyant que je ne pouvois 1’éviter,nbsp;je lui porte plufieurs coups fur Ia tére, amp; luinbsp;fais plufieurs bleftures. II léve fur moi une denbsp;fes griffes énorraes; je recule; il manque foanbsp;coup, amp;, perdant réquilibre, il tombe; fanbsp;chute fait retentir la forét, amp; tous les ani-maux effrayés prennent la fuite : Le coupnbsp;qu’il fe donna, Ie fang qu'il perdoit, 1’em-pêchérent de fe relever: Cependant, je n’o-fois defcendre, fes bleffures le rendoient plusnbsp;furieux; je m’arrangeai fur 1’arbre, en attendant qu’il eüt perdu fes forces avec fonnbsp;fang : Mais je craigms que le fommeil quinbsp;m’accabloit ne me fit toraber moi-même :nbsp;J’en defcendis tenant toujours mon poignardnbsp;è la main ; Le monftre rugiflbit encore : Jenbsp;le frappai, il expira, amp; fon fang, que je fu-
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fout int mes forces gt; qui comtïiSHQoient a ra’abandonner; Enfin, Ie fommeil^ i’emportanbsp;fur ma crainte,, ]e m’endormis a cóté de i’ours.
Les premiers rayons du foleil m’éveillèrent: Quel fut mon étonnement, lorfque je vis de-vant moi une femme d’une beauté éclatante »nbsp;qui écartoit les bêtes féroces qui fembloiencnbsp;vouloir venger Ie monftre qui me fervoit d’o-reiller. Ohl quique vous foyezl m’écriai-je,nbsp;Déefle, Fée ou roortelle, dirigez mes pas 'nbsp;bors de ce bois. Depuis trois jours, j’errc'
bans cette folitude.....Je fais, me dit-_elle,
tout ce qui t’eft arrivé , amp; c’eft a moi que tu dois imputer tous les évènemens dont tunbsp;murmures. Ingrat, de quoi te plains-tu?nbsp;Quand tu.quittas la maifon paternelle, c’ellnbsp;moi qui t’infpirai de t’adrefier au plus douxnbsp;des maitres; ton bonheur étoit afluré, fi tunbsp;tivois voulu te fixer auprès de lui. Ah! Déef-fe» m’écriai-je, vous favez a quel prix. Jenbsp;fais, reprit^elle en foupirant, que tu donnasnbsp;dans Ie piège que Robert te tendit; que tu.
la dupe de l’envie que te portoient tes carnavadej •, que la jaloufie du Comte étoit unenbsp;lemte, dont ta vanité ne te permit point denbsp;te méfier. jg qye c’eft par Ie mêmenbsp;motif que tu as été dupé par Sophie ; janbsp;lais tous les malheurs qui te font arrivésnbsp;a Londres, amp;nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;as fupportés avec
conftance; je t’en ai récompenfé : Tu de-¦vois périr avec Alberti; je t’ai arraché de la prifon; je t’ai conduit dans ces bois,nbsp;ovi tout autre eüt péri; je t’ai faft rencontres.
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Hifloire
la mafure qui t’a mis a couvert des bétes féroces; je t’ai oiFert une fontaine pour fou-tenir tes forces défaillantes; j’ai fufcité Ienbsp;ïTionftre qui t’a fait fi grand’peur, amp; dontnbsp;Ie fang a appaifé ta faim; j’ai écarté loin denbsp;toi des ennemis qui t’auroient dévoré pendant ton fommeil. Je fais que tu as beau-coup fouftert; mais je vais t’en récompen-fer. Je puis t'accorder, ou de longs jours,nbsp;OU une force extraordinaire , ou une fanténbsp;parfaite, ou une fagefie confommée, ou denbsp;grandes richefles , ou la plus grande beauté : Choifis, amp; ne tarde pas a te déter-miner, car je fuis la Fortune, amp; tu doisnbsp;avoir entendu parler de inon inconftance.nbsp;Déeffe, m’écriai-je, je connois les avantagesnbsp;d’une longue vie, mais ils ne me tenterontnbsp;point; quand l’homme a végété, cinquantenbsp;OU foixante ans, fur la terre, que lui im-porte une longue vieillefle, toujours accom-pagnée de mille infirmités? Je conviens quenbsp;la force élève 1’homme au deflus de fes fem-blables; mais elle Ie rend fouvent témérairenbsp;amp; audacieux; d’ailleurs, a quoi me ferviroit-elle, fans la prudence? La fanté eft un biennbsp;ineftimable; mais elle eft la fuite du travailnbsp;amp; de la modération, amp; je puis me la procurernbsp;aifément par ces deux moyens; la fagefle,nbsp;6 Fortune', eft un bien foible mérite, lorf-qu’elle eft un effet du tempérament; amp; c’eftnbsp;ce qu’elle feroit en moi, fi je la recevoisnbsp;de vous. Je choifis done les richefles; car c’eftnbsp;paree que je fuis pauvre, que tant de malheurs
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ont fotidu fur moi; mais, dit-eUe, c’eftpaice que Sophie t’a cru riche, qu’elie t anbsp;DéeHe, repris-je, j’aime mieux unenbsp;qui me üaue, qu’une vérLté qui rae 'nbsp;père ; Si j’euffe été toujours riche, je nenbsp;ferois jamais aper^u qu’elle me prenoit ponbsp;dupe. Eh bien, dit la Fortune, voila inbsp;bourle : Sa vertu eft telle que, dans quelquenbsp;pays que tu fois, dans quelquenbsp;nbsp;nbsp;nbsp;®
que tu te trouves, k toute heure, is toutes les fois que tu Touvriras, tu y trouveras dixnbsp;pieces d’or; elle aura cette vertu pour toi,
pour tes enfans, amp;pourceuxquilapoflederont, mais, feulement, pendant ta vie; apies ta mort,nbsp;eile perdra fa vertu : Tout ce que j exige enbsp;Toi, c’eft que, tous les ans, a pareil jour qu au-jourd’hui, tu maries quinze fiUes pauvres, anbsp;ehacune defquelles tuferasune dot de quatrenbsp;cents pieces d’ot. Je Ie pvotnis, amp; ju u’ai jamais , depuis, manqué a ma promelle. _
Je demandai a la Déelïe de m’enfeigner les moyens de fortir hors du bois; elle me ntnbsp;figne de la fuivxe ; elle me conduifit dans unnbsp;chemin frayé, en me difant que je ne pou-quot;vois pius m’éearer; elle me défendit de menbsp;retourner, favoir ce qu’elle deviendroit,nbsp;amp; m’avertit „a curiolité me feroit fu-nefte. Je lui obéis, amp; je fuivis Ie chemin qu’ellenbsp;m’avoit indiqué. J’arrivai a une mauvaifenbsp;hdtellerie : Avant que d’y entrer, je vouliwnbsp;faire 1’expérience de ia bourfeje 1'ouvris «nbsp;3’y trouvai dix pièces d’or gt; comffl®nbsp;lae, Pavoic prorais.
-ocr page 62-CHAPITRE VI.
Fortunatus éproüve que Ie bankeur n'efi pas toujours d la fulte des richeljes.
^^UAND je me vis alTuré de la vertu de ma bourle, j’entrai gaiement dans l’auberge;nbsp;amp; je dis a l'hóce de me donner ce qu’il au-,nbsp;roit de meüleur, que j’avois faim, amp; qu’ilnbsp;en feroit bien récovnpenfé; je l’exhortai, fur-tout, de faire diligence. L’hóte étoit un boanbsp;homme, mais grand babillard amp; nouvellifte ;nbsp;il me fit cent queftions è la fois : Je com-pris que je ne dinerois pas de la journée, linbsp;je lui répondois ; je me contentai de lui direnbsp;que je revenois de Londres ; II voulut favoirnbsp;tout ce qui regardoic Tétat aduel des affaires de ce Royaiime, Je ne voulois pas Ie dé-fobliger ; mais je craignois de l’empêcher denbsp;préparer mon diné ; Je lui dis done qu’il m’é-toit iinpoffible de Ie fatisfaire, paree qu’il ynbsp;avoit fort long-temps que j’en étois forti, amp;nbsp;qu’en traverfant de Douvres a Calais, unnbsp;coup de vent avoit jeté notre vaifleau d plusnbsp;de mille lieues en mer : 11 parut content denbsp;cette raifon, malgré fon peu de vraifemblance;nbsp;mais je n’en fus pas quitte. Oh! bien, me dit-il ,en ce cas, c’eftmoi qui vous donnerai desnbsp;nouvelles de ce pays: Volei une hiftoire quenbsp;vous ne pouvez pas favoir, amp; que je tiens d’unnbsp;Anglois qui pafla, ces jours derniers. Hyero^
iiim®
-ocr page 63-niino Albeni... non, D. André.... Atten-dez, il faut prendre les chofes de plus h»üt. Vous faurez done... A ces mots d’Alberti'
amp; de D. André, je rougis; amp; , quoique je fuflï prelfé jjar la faim, j’avois grande en vie denbsp;favoit quelles avoient été les fuites de lenbsp;^rte des pierreries du Roi, amp; fi elles avoientnbsp;été retrouvées. Je dis done a 1’hóte que, com-me cette hiftoire me paroiflbit un peu lon^nbsp;gue, j’irois l’entendre dans fa cuifine, amp;nbsp;qo’il me la raconteroit en préparant Ie diné.nbsp;il y confentic, car tout lui étoit bon, pourvitnbsp;qu’il parlat : Je ne lui permis de commencernbsp;que loTfqu’il fe fut mis a Touvrage,
II me raconta tout ce que je favois mieux que lui; mais je me gardai bien de 1’interrom-pre : Je lui demandai de m’apprendre fi Ienbsp;Roi avoit retrouvé fes diamans. Oui, me dit-il, par Ie plus grand hafard du monde ; IInbsp;fit écrire dans routes les Cours, promit desnbsp;récompenfes è celui qui pourroit lui en donnet des nouvelles \ fit faire, chez tous fesnbsp;fujets, les recherches les plus exaétes; malsnbsp;tour cela fut inutile. La femme du Lord,nbsp;que D. André avoit aflafliné, ne pouvoit fenbsp;confoler de fa perte : Par-tout, elle Ie voyoitjnbsp;par-tout, elle 1’entendoit: Pour mieux fe nour-rir de fa douleur, elle ne vouloit pas quitter Ie Ut, dans lequel 11 couchoit avec elle.nbsp;Trois mois s’étoient écoulés depuis cec alamp;f-finat; enfin, une veuve, amie de cette da-ttie, vint^ bout de lui perfuader de changernbsp;de lit, OU, du moins, de Ie faire tranfporter
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dans une autre chambre. Comme elle le faifoit démonter, elle apergut un carreau qui étoitnbsp;mouvanc, amp; dérangé de fa place : Elle fenbsp;baiffe pour le remettre, Si volt une caUettenbsp;qu’elle reconnoic pour être celle ou étüiencnbsp;les bijoux du Rol; elle va chercher, dansnbsp;un tas de clefs, amp; decouvre celle de la caf-fette : Elle ouvre, rien ne manquoit auxnbsp;pierreries. Elle ne put s’empêcher de mau-dire ces mifères qui avoienc caufé la mortnbsp;de fon mari. La veuve ne voulut confier cenbsp;fecret a perfonne : Dès le lendemain , ellenbsp;prit, elle-même •gt; ces joyaux, Si demanda anbsp;parler au Roi : II ne lui fuc pas difficile d'ynbsp;parvenir: Elle fe profterna aux genoux decenbsp;Prince, lui raconta comment elle avoit,re-trouvé fes joyaux, amp; les lui remit. Le Roinbsp;les examina, vit qu’il n’y manquoit rien, Scnbsp;marqua la plus grande fatisfaftion. Madame,nbsp;lui dit-il, puifque ces bijoux ont caufé vosnbsp;malheurs, c’eft 4 moi a les réparer; Auffi-tóc,nbsp;ilfait appeier le comte Williams, jeune hom-me aimable, fait pour plaire, qui s’étoit dif-tingué dans la dernière guerre, amp; que le Roinbsp;aimoic beaucoup; il le préfenta i la jeunenbsp;veuve. Je ne connois que lui , continua lenbsp;Roi, qui puifle remplacer 1’époux que vousnbsp;pleurez : Je n’exige pas que vous lui don-niez la main dès a pxélént; je vous prie feu-iement, Madame, de lui permettre de vousnbsp;voir; Si, s’il eft affez heureux pour vousnbsp;plaire, je me charge de fa fortune. La veuvenbsp;regarda le jeune liomae, amp; ne voulut pas
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Kfufer Ie Roi : II lui donna la roain pour la reconduire chez elle ; En amant délicat, ilnbsp;a commence par faire un grand éloge du mort,
11 a pleuré avec elle; peu a peu, il eft parvenu a Ie lui faire oublier, amp; 1’on dit qu’ils' ®ttendent, avec impatience, que 1’année dunbsp;foit révolue pour aller, enfemble, remer-cier Ie Roi, amp; fe marier enfuite.
L’hóte groffit ce récit de mille circonftan-, que je fupprime ; il entra dans tous les détails que Ie Roi avoit fait faire , amp; desnbsp;Sinours du Comte Williams; il avoit préparénbsp;ïiion diné, mis Ie couvert; nous avions dinénbsp;Cnfemble, amp; la nuit approchoit, qu’il con-toit encore : II y avoit trois nuits que jenbsp;n’avois dormi; Ie fommeil m’accabloit, amp;nbsp;l’impitoyable babillard ne me donnoit pas unnbsp;moment de relèche; il avoit grand foin denbsp;m’éveiller dès qu’il voyoit que je m’aflbu-pilTois. Je lui dis que je ne vo.ulois point fou-per; je Ie priai de me faire préparer un lit,nbsp;amp; de me conduire dans ma chambre; il menbsp;Prit pat la main , amp; commen^a une autranbsp;hifloire, qu’il continua, en faifant mon lit :nbsp;II la méloit de mille épifodes, qui lui fai-foient, a tout moment, perdre de vue 1’objecnbsp;principal. Je me couchai, il s’affit auprès denbsp;moi, interrompit vingt fois mon fommeil,nbsp;lorfque, heureufement, un cavalier entranbsp;dans 1’auberge, amp; me délivra, jufqu’au len-demain, de fes contes éternels.
qu’il fut jour, mon hdte ne manqua pas d’entrer dans ma chambre, pour continuer
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1’hiftoire qu’il avoit commences, la veille : Mon déjeüné étoit pret, je pris Ie parti denbsp;Ie laifiar pariet : J’efpérois de m’en délivrernbsp;en partant; mais, Ie bourreau , fous pré-texte que la forêt étoit infeftée de voleurs,nbsp;voulut m’accompagner; il me fumt en menbsp;racontant 1’hiftoire de tous les aflaffinats quinbsp;s'y étoient commis depuis fon trifaïeul, qui,nbsp;Ie premier, eut une auberge dans ce pays.nbsp;Je m’apergus qu’il s’effrayoit lui-même desnbsp;eontes qu’il mefaifoit; nous étions dans 1’en-droit Ie plus épais de la forêt. Ami, lui disje , puiCque vous habitez prés de ces lieux,nbsp;vous ne devez pas manquer de courage : Jenbsp;vois, a travers les feuilles, deux hommesnbsp;qui fe cachent en venant a nous; atten-dons-les de pied ferme. Je m’apergus qu’ilnbsp;fe troubloit : Je ne les vois pas, me dir-il; Voyez-vous, repris-je, ce gros chêne aunbsp;milieu de cette touffe de brouffailles a gauche; oui, oui, je commence a diftinguer, ré-pond-il en balbutiant; mais, je m’aperïois quenbsp;je fuis fans armes : Vous avez une épée,nbsp;vous, tenez ferme, je vais chercher la mien-ne, amp; je reviens fur mes pas. Courez donenbsp;vite, lui dis-je, amp; faites venir de? troupesnbsp;auxiliaires. Le poltron ne fe Ie ftt pas répéter;nbsp;la peur lui prêta des ailes, amp;, lorfque je l’eusnbsp;perdu de vue, je continuai ma route.
Après avoir fait environ deux lieues, je m’arrêtai dans un village, amp; j’ycherchai unenbsp;hotellerie; j’eus grand foin de faire quelquesnbsp;i|ueftions i 1’hötei pour favoir ^ ^uoi m’en
-ocr page 67-tenir, bien réfolu de paffer outre, s*il edt óté auffi babillarvt que celui que je venoisnbsp;lt;3uitter. Ce village étoit dominé par un peunbsp;chiteau perché fur Ie haut d’un rochet,nbsp;régnoit un petit tyran fubalterne, lavon unbsp;Due de Bretagne, au notn duquel il gouver-noit; c’étoit la qu’il recevoic l’hommage uenbsp;quelques malheureux qu'il appeloit fes terts;nbsp;ce n’étoii pas pour euxqu’ils arrofoiuutlater enbsp;de leurs fueurs: è. la place des fruits qu'ils le-«ueilloient, on leur vendoit fort cherementnbsp;quelques alimens groffiers amp; les grains, que cnbsp;pays fertile produifoit en abondance,nbsp;portés dans des terres étrangères, pout y et'nbsp;vendus, ou échangés avec des étoffes dor, ounbsp;d’autres effets qui pouvoient flatter Ie Itixe ,nbsp;la gourmandife, la vanité amp; les vices du Seigneur. Le Comte du Roe aimoit amp; protegeoitnbsp;1’agriculture; mais, fi un de fes ferfs ayoitnbsp;deux bons chevaux pour fa cliarrue, ils étoientnbsp;confifqués a fon profit; fi quelqu’autre avoitnbsp;une belle récolte, fon impofition étoit au-gmentée du double; s’il négligeoit de tra-vailler, u étoit puni, amp; , fouvent, expofenbsp;a mourir de faiin. II y avoit de très-bellesnbsp;manufaftures dans le chateau; chaque payfannbsp;étoit oblige d’avoir un certain nombra de bre-bis OU de moutons; tnais il y avoit un im-p6t fur chacun; amp;, comme le maitre du trou-peau étoit dans himpoflibilité de payer, lanbsp;laine étoit confifquée au profit du Comte, amp;nbsp;l’exalt;5eur prenoic 1'agneau pour fon paye-«deiu ; II eft vrai que k lait reftoit au pay-
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-ocr page 68-54 nbsp;nbsp;nbsp;Sifloirt
fan, mais il devoit fournir tant de livres de beurre par mois a la cuifine de Monfeigneur,nbsp;amp; queiques fromages pour les menus plaifirsnbsp;de fes palefreniers.
Tandis que j’étois a l’hótellerie , il fe pré-fenta un marchand de chevaux; j’en avois befoiu ; ils étoienc très-beaux : j’en choifisnbsp;trois, qui me parurent les meilleurs; je nenbsp;marchandai point fur Ie prix. Le Seigneur dunbsp;Roe en avoir eu envie : II les avoir mar-chandés; amp;, ne pouvant les avoir au prixnbsp;qu’il défiroit, il avoir fair dire au marchand ,nbsp;qu’il n’avoir qu’a fortir du Comté dans vingr-quatre heures; amp;, en même temps, 11 avoirnbsp;fait publier un impót fut tous les chevauxnbsp;étrangers qui pafleroient fur fes terres. II en-voya chercher l’hóte, amp; lui fit un crime denbsp;in’avoir fair voir ces chevaux i il lui demandanbsp;qui j’étois. L’hóte luirépondit qu’il nemecon-noiflbit pas; que j’étois venu a pied; qu’ilnbsp;jne croyoit un fimple écuyer. Le Comte, en-tendanr que je n’étois pas Gentilhomme, en-tra en fureur, Sr ordonna a fes gens de fenbsp;faific de moi, amp; de me mettre en prifon.nbsp;Les ordres d’un homme injufte font plutót,nbsp;amp; plus févèrement exécutés que ceux d'unnbsp;Grand equitable amp; bienfaifant. Je fus enlevénbsp;amp; mis dans un cachot obfcur, fans favoirnbsp;pourquoi, ni par qui. Dans le premier moment, je regrettai de n’avoir pas demandé aunbsp;Génie de Ia forét, la force préférablement auxnbsp;richefl'es, pout brlfer les fers, amp; déiivrer cesnbsp;pauvres habitans du monftre qui les tyran-
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ïilfoit. On vint m’interroger, dans la prifon, *n préfence du Comte. On me demanda d’oü.nbsp;j’étois, amp; qui j’étois. Fils d’un pauvre Gen-tühomme de Chypre, rcpondis-je, qui pré-fémit, dans Ie temps de fa fortune, 1'amoucnbsp;de fes vaflaux a des richeües acquifes par desnbsp;Vexations amp; des injuftices. Alors, Ie Coratenbsp;in'interrogea lui-même. Oü as-tu pris l’argentnbsp;que tu portes, dont tu tires tant de vanité ? —nbsp;Cet argent eft a moi, amp;je n’en dois comptenbsp;è perfonne ; mais fi quelqu’un m’accufe, ilnbsp;n’a qu'a paroitre, amp; je me défendrai. — Puif-qu’on ne peut, autrement, lui arracher lanbsp;vérité, qu’on Ie mette a la torture. Je n'é-tois point Ie plus fort; mais, pour rien aunbsp;monde, je n’aurois découvert la vertu de manbsp;bourfe. Je fus mis a la queftion ;-dès les premières douleurs, je dis que j’allois tout dé-clarer. J’avouai que, m’étant égaré dans Ienbsp;bois, j’avois trouvé une bourfe avec fix cents,nbsp;écus. — Oü eft-elle, cette bourfe.^—J’ai prisnbsp;1'argent, amp; je 1’ai jetée dans la rivière quinbsp;traverfe la fbiêt. — Infigne voleur, eh! uenbsp;fais-tu pas que toute la forêc ni’appartient,nbsp;amp; que tout ce qu’elle renferme eft a moi? —nbsp;Je 1’ignorois, alors.— II falloit Ie demander.—nbsp;Eh! je n’ai trouvé que des ours amp; des loupsnbsp;(je n’eus garde de parler de 1’hóte babil-lard). — Ehbien, felon les lois, tu dojs pé-rir, amp;, par une fuite néceflaire, tes biensnbsp;doivent étre confifqués a mon profit. Hélas!nbsp;jpe difois-je alors en moi-même, a quoi menbsp;ferviront, maintenant, les richefles? Si j’a-
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vois choifi la fagelfe, je ne me ferois pas jeté entre les griffes de ce vautour; ou, fi j'avoisnbsp;préféré une longue vie, je n’aurois pas anbsp;cralndre, è préfent, de la perdte. Je fuis renté,nbsp;dans ce moment, de racheter mes jours parnbsp;ie facrifice de la bourfe fatale ; roais je menbsp;reffouvins que la Fée m'avoit recommandénbsp;de la bien conferver jufqu’a la mort. Alors,nbsp;je pris Ie parti de mejeter aux pieds du Comtenbsp;du Roe : Eh, que vous importe, lui dis-je,nbsp;la vie d’un infortuné, que Ie hafard amp; fesnbsp;malheurs voüs ont livré? Prenez tout ce quenbsp;je poliede; il eft a vous, puifque vous êtesnbsp;Ie maïtre, amp; Ie plus fort; vous défirez d’a-voir les chevaux, que j’ai achetés, amp; l’ar-gent qui peut me refter ; prenez tout, amp;nbsp;faites-moi grdce de la vie, qui ne peut vousnbsp;êcre d’aucune utilité. Le Comte étoic inflexible ; il craignoit que je n’allaQe publier 1’in-iuftice qu’il commettoit; ma mort étoit ré-foUie, lorfque je m’avifai de m’écrier ; Ohlnbsp;ma mère, qui m’attendez avec tant d’iropa-Tience, que deviendrez-vous, lorfque monnbsp;frère vous apprendra ma cruelle deftinée. Lenbsp;Comte me demanda ce que iignifioit ce dif-cours. Mon frère, lui répondis-je, étoit, avecnbsp;moi, dans la forêt; comme nous étions égarés,nbsp;nous avons pris, chacun, un chemin différent , amp; nous nous fommes donné rendezvous au village prochain. Mon aventure gnbsp;déja éclaté ; il fait, fans doute, que vousnbsp;m’avez fait arréter; ma mort ne peut étrenbsp;fi fecrette qu’il ne l’apprenne, amp; c’eft la nou-
-ocr page 71-veile qu’il portera a Famagouftc, oü nous ^llions, enfemble, rejoindre nos parens. Lenbsp;Comte craignit plus que jamais que fon crimenbsp;ne fut découvert; ma mort eüt pu avoir desnbsp;vengeurs parrai les Seigneurs fes voifins gt; quinbsp;ne 1’aimoient point; au lieu qu’étant d’unnbsp;pays fi éloigné du fien, il pouvoit garder im-Punément Ie fruit de fon avarice. Eh bien,nbsp;me dir-il, dis-moi oü eft ton frère? Eh! quenbsp;fais-je ? répondis-je : Voyant que j’étois ar-lêté, il s’efl; cache , fans doute, pour atten-üre la fin de mon aventure, ou, peut-être,nbsp;a-t-il fui. — Va, dit Ie Comte, en feignancnbsp;üe fe radoucir, je n’ai voulu que t’effrayer ;nbsp;1’argent que tu as trouvé m’appartient, ilnbsp;m’avoit été volé, amp;, ayant long-temps fajtnbsp;chercher Ie voleur inutilement , j’étois fondénbsp;ü croire que c’étoit toi : Je veux bien paf-fer par-deilus la loi, amp; méme, par une bonténbsp;«lue tout autre, a ma place, n’auroit point,nbsp;ye donnet de quoi continuer ta route. Alors,nbsp;il fe fit amener les chevaux; je lui remisnbsp;tout 1’argent que j’avois : II me donna gé-néreufement deux ecus, amp; m’ordonna denbsp;Ibrtir de fes terras, dans Ie jour, fous peinenbsp;de la vie.
Dès que je me vis en liberté, je me hatai de tenir ma parole, aimant mieux étre ex-pofé a la férocité des ours, qu’aux injufticcsnbsp;d’un tel monftre. Je n’ofai faire ufage de manbsp;bourfe pendant deux jours j Ie premier argentnbsp;que j’en avois tiré, m'avoit été fi funefte,nbsp;j’allai jufqn’ü Angers en mendiant.
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CHAPITRE VIII.
Qui prouve que h bon ufage des richeJIes en fait tout Ie prix, Purgatoire de Saint-Pa~nbsp;trice.
'N préparoit tout, a Angers, pour les noces du Due de Bretagne, avec la feeur dunbsp;lloi d’Aragon, qu’on y attendoit de jour ennbsp;jour. Tout s'y difpofoit pour les fétes les plusnbsp;brillantes; lés étrangers y venoient en foule,nbsp;de routes parts, amp; c’étoit pour fe diftinguernbsp;dans les tournois, que le Comte du Roc vou-loit les trois chevaux. qu’il m’enleva.
En arrivanc dans la Ville, je me mêlai parmi le peuple, amp;, fans que perfonne put s’en dou-ter, je mis plufieurs fois ma main dans manbsp;bourfe, d’ou je tirai beaucoup d’argent. Lorf-que j’en eus une afl'ez grande quantité, j’a-chetai des habits, que je trouvai propres ènbsp;ma taille; je ra’informai de la meilleure hó-telleriei je pris un domeftique, Sz, dès lenbsp;lendemain, j’allai acheter deux beaux, chevaux, paree qua je défirois de voir les fé;es,nbsp;amp; d'attendre la Princefl'e qui devoir arrivernbsp;par met. Elle arriva, peu de jours après, amp;nbsp;les fêtes commencèrent. II y eut des joutes amp;nbsp;des tournois. J’y vis le Comte du Roc, monténbsp;fur un de mes chevaux. Je m’étois muni d’unenbsp;«xcellsnce armure; St, quoique inconnu, je
-ocr page 73-öetnandai a rompre une lance avec lui. II accepta : Je déclarai devanc l'aflemblée que jenbsp;ö’afpirois poinc au prix; mais je propofai anbsp;mon adverfaire que Ie cheval du vaincu de-peurat au vainqueur. II voulut favoir quinbsp;j’écois; je Ie lui dis rouc bas : II parut ef-frayé. Ne crains rien, lui dis-je , défends-toi;nbsp;je n’en veux point a tes jours; tu ne m’asnbsp;laiffé la vie que dans la crainte que mon frèrenbsp;be divulguk ta bonte; je ne veux pas te 1’ar-racher, pourvu que tu me promettes d’êtrenbsp;plus jufte a l’avenir, de foulager tes malheu-leux vaflaux, qui ne font pas tes ferfs, amp;nbsp;qui valent mieux que toil Eh! qui es-tu,nbsp;ibe dit-il, pour m'impofer des lois? J’aimenbsp;la juftice, repris-je, voila mon feul titre. IInbsp;y a quatre jours que tu étois Ie plus fort;nbsp;Si tul’es aujourd’hui, je n’exige rien de toi;nbsp;tu peux être auffi injufte que tu Ie voudras;nbsp;11 je Ie fuis, fais ce que je demande, ou je tenbsp;perdrai auprès du Due de Bretagne , que tunbsp;trompes, en abufant del’autoricé qu’il te con-fie. Aufli-tót, je m'écarte de lui; nous fairnbsp;fons les faluts d’ufage ; j’évite fa lance avecnbsp;adrefle, amp;, du premier coup, je Ie renverfenbsp;fur la pouifière. Je lui réitérai ma demande;nbsp;il me promit tout ce que je voulus: Alors,nbsp;je pris Ie cheval par la bride, amp;, au lieu denbsp;1'amener, je Ie lui préfentai; je 1’aidai mêmpnbsp;^ monter, paree qu’il s’étoit blefle en tom-bant. Le fcélérat irembioit de tout fon corps;nbsp;•^ependant, je me difpofai a quitter Angers,nbsp;paree que les Ikbes amp; lés méchans font plus
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a craindre dans leur impuiffance, que les bont dans leur plus grande fureur.
II n’y eut que lui, qu: fut que j'étois en-tré en lice, paree que je courus è toute bride Ie long de la Mayenne, oii je jetai mon ar-mure fans être vu de perfonne. Je revins inbsp;mon auberge, oü chacun parloic diverfe-ment de notre combat. Chacun rapportoit amp;nbsp;fa manière la converfation fecrette du Comtenbsp;amp; de mol, que nul n’avoit entendue : Cepen-dant, 1'hóte qui ne me connoiflbit point, quinbsp;roe voyoit foftir , tous les jours, a cheval fnbsp;amp; qui ne me voyoit rentrer qu’è l’heure desnbsp;repas , vint, Ie foir même, dans ma cham-bre, amp; me témoigna fon inquiétude : II menbsp;raconta que des inconnus, après avoir beau-coup dépenfé chez lui, avoient la famaifienbsp;de monter a cheval, amp; qu’il arrivoit, quel-quefois, que leurs chevaux les menoient finbsp;loin, qu’il n’entendoit plus parler d’eux. Jenbsp;me mis è rire de fa crainte, amp;, mettant mtnbsp;main dans ma bourfe, j’en tirai cent écus ,nbsp;que je lui donnai pour toute réponfe. L’hótenbsp;fut honteux, prit Ie ton Ie plus refpeélueuxnbsp;amp; Ie plus foumis, amp; me mena dans Ie plusnbsp;bel appartement de fon hótellerie.
Le lendemain, pendant que j’étois k dJne» avec plufieurs Seigneurs, il entraune troupe denbsp;joueurs d’inftrumens qui demandoient l’au-móne en danfant; je remarquai, parmi eux, unnbsp;vieillard qui infpiroitle refpeél: II ne demandoitnbsp;point comme les autres; il paroiflblt honteuxnbsp;amp; timide ; fa pauvreté paroiflbit lui pefei
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ie Fortunacus,
plus que les années. Quelqu’un lui demand# qui il étoit : Je fuis Gentilhomme Irlandois,nbsp;répondit - il; il y a fept ans que j’ai quitténbsp;snon pays : J’ai parcouru toute la Chrétienté ;nbsp;j’ai ttaverfé deux Empires amp; vingt Royau-*ues; chacun a fa langue particulière , amp; jenbsp;fais de chacune de ces langues tout ce qui eftnbsp;ïiéceflaire è. la vie; j’ai marqué les routes amp;nbsp;les diftances des pays, les particularités denbsp;chaque ville. Mais y dans tous vos voyages,nbsp;lui dit - on, qu’avez-vous remarqué de plusnbsp;extraordinaire ? C'eft 1’homme, répondit-il ,nbsp;^ui allie tous les vices amp; routes les vertos:nbsp;Chaque animal a fa paffion particulière, 1’hom-me les a routes; mais ce qui Ie diftingue fnbsp;furtout, c’eft fon orgueil. Les animaux Je lanbsp;même efpéce fe regardent tous comme égaux jnbsp;chaque individu de 1’efpèce humaine fe croitnbsp;pétri d’uD limon privilégié. L’homme vil, quinbsp;Janipe dans la mifère amp; dans la fange, a tou-jours quelque raifon pour s'eftimer plus quenbsp;1’homme puiflant qui Ie méprife, amp; qui croitnbsp;encore 1’honorer en 1’écrafant.
Cet homme me parut lingulier ; J’avois la fureur de voyager ; Je ne crus pas pouvoirnbsp;trouver un mwlleur guide : Je 1’appelai, jenbsp;lui mis dans la main quelques pièces d’argent,nbsp;8t je Ie priai, honnêtement, de m’attendre juf-qu’après Ie diné. Je Ie menai dans ma chambre,nbsp;amp; je lui témoignai Ie défir que j’avois qu’ilnbsp;öi’accompagnSt j je lui promis de lui entre-*enit4in cheval amp; un écuyer, amp; de lui don-des appointemens confidérables. Votrc
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générofité, me répondit-il, 1’envle que vous ave;5 de vous inftruire, amp; Ie fecours que vousnbsp;jjourriez tirer de moi, me feroient accepternbsp;votre propofition, fi j’étois moins vieux, amp;nbsp;fi je n’avois point une familie qui a befoinnbsp;de moi, amp; auprès de laqueile je brüle de menbsp;lendre. Eh bien , lui dis-je , nous commen-cerons nos voyages par birlande; je vousnbsp;conduirai auprès de votre femme amp; de vosnbsp;enfans; je , ne ferai point inutile a leur fortune ; amp; , a la fin de nos voyages, quandjenbsp;ferai de retour a Famagoufte, j’aurai foin denbsp;votre vieillefle. Le bon Gentilhomme trou-voit le parti fort avantageux; mais, è fonnbsp;Sge, recommencer a voyager! D’ailleurs, lajeu-»efle eft imprudente, elle promet beaucoup, 8enbsp;tient rarement fes engagemens. Leopold (c’é-toit le nom du Gentilhomme) hefitoit encore. Jeunehomme, medit-il, vousformezunenbsp;grande entreprife; avez-vous compté avecnbsp;vous-meme ? L’argent eft le nerf de la guerre 1 les voyageurs font dans le cas des guerriers;nbsp;ils ont mille dangers a affronter, mille périls inbsp;éviter, des accidens a craindre, des incom-inodites infeparables des. voyages; la faim «nbsp;la foif, les maladies, mille chofes curieufesnbsp;è voir; des peoples ou 1’étranger n’eft biennbsp;re9u qu’autant qu’il fème For a pleines mains.nbsp;Je vous emends, lui dis-je; n’ayez aucuuenbsp;inquietude a cet égard. J’ouvris ma caflecte,nbsp;Ec lui dis d'y puifer tout l’argent qu’il luinbsp;falloit pour des habits amp; deux bops chevaux.nbsp;11 nc vouloit.rien prendre, amp;je fus oblige
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^’employer la prière pour l’engager a rece-¦''oir uue fomme, qu’il crüt fuffifante : II acheta un équipage, prit un domeftique. J'a-quot;Vois deux écuyers amp; un valer; nous nousnbsp;irouvSmes fix, tous bien d’accord, amp; nousnbsp;partimes.
Après avoir parcouru 1’Allemagne, oü nous crüraes retrouver les inceurs done Tacite anbsp;fait une defcription qui nous parut très-fidelle,nbsp;excepté les Grands amp; les Nobles, nous arri-vimes a Bruges, ou nous nous embarqudmesnbsp;pour 1’Angleterre, Je revis, une feconde fois,nbsp;Londres; je ne pus me défendre d’un certainnbsp;frémifiement, en débarquant. Heureufement,nbsp;j’y étoispeu connu; amp;, quand je l’aurois été,nbsp;naon changement de fortune en auroit impofé ,nbsp;amp; m’edt mis a couvert de tout événementnbsp;facheux. Nous traverfSmes 1’Angleterre amp; 1’E-coüe , amp; je rendis Leopold a fa familie.
11 me feroit difficile d’exprimer les tranf-ports, les expieffions de joie, les larraes que la tendreffe fit couler, lorfque j’annon^ai, amp;nbsp;t]ue je préfentai ce bon vieillard. II étendoitnbsp;les bras , amp; ne pouvoit parler; il embraflbit,nbsp;tour a tour, fa femme , fes enfans, un gendrenbsp;amp; une bru qu’il avoit acquis depuis fon ab-fence. II alloit aux uns; il revenoit aux au-tres; 1’alégrefle brilloit jufque dans fes rides.nbsp;A peine s’apercevoit-on de moi; de tempsnbsp;en temps, je me fentois embraflë, tantócnbsp;par un jeune homme, qui pouvoit, a peine,nbsp;refpirer, tantdt par une jeune fille, dont jenbsp;t'oyois Ie fein palpiter Si dont Thaleine étoit
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brülante ; amp;, lorfque je voulois leur rendre leurs careflês, ils étoient déja dans les brasnbsp;de leurpère, ou dans les bras des uns desau-tres. Actendri par ce tableau, craignant de lesnbsp;gêner, je dis è Leopold que je voulois dinernbsp;a vee eux; que je ne tarderois pas è revenir;nbsp;amp;je fortis, pénétré d’un plaifir que la grandeur ni la richefle ne peuvent donner; il étoitnbsp;trop délicieux pour queje manquafle au rendezvous. Dès qu’on m’apergut, la femme de Léo-pold vint au devant de moi, fuivie de fa familie ; elle me fit mille excufes du peu d’at-tention qu’on avoit eu pour moi; ils me don-noient mille bénédiftions. Le refpeft, avecnbsp;lequel vous me traitez, leur dis-je, me plaitnbsp;bien moins que les carefles folies que vous menbsp;faifiez , ce matin. La jeune fille, qui fe fou-venoit de m'avoir embralTé dans fes tranf-ports, baifla la vue. N’en rougiffez pas, re-pris-je, jamais 1’amour ne donna de baifefnbsp;plus tendre; jamais la vertu n’en re9Ut d'auffinbsp;délicieux. Son père vint a fon fecours; il menbsp;Ja préfenta. Un jeune homme timide, d’unenbsp;figure agréable, mais paroiflant accablé de dou-leur, fe tenoit i 1’écart; je le crus un desnbsp;fils de Léopold *, j’allai vers lui coipme poufnbsp;1’encourager. Pourquoi cette triftelie, lui disje, dans un fi beau jour, quand tout le mondenbsp;eft dans la joie du retour de votre père? Ah!nbsp;je n’ai pas I’honneur d’étre fon fils, me dit-ilnbsp;en foupirant, amp; ce retour ne fera funefte qu’inbsp;moi. Le filenee de la familie fuccéda è ce peunbsp;de mots j je vis les yeux de la jeune fille fe
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’¦f mplir de larmes»amp; Léopold me parat conf-ferné. Je craignis d'étre indifcret; cependant,
3® fis figne a Léopold; il me fuivit dans an cabinet que je vis entt’ouverc, amp; je lepriainbsp;fie m’expliquer un myftère, dont je ne foup-9onnai que la moindre parüe. Je comprends,nbsp;3ai diS'je, que ce jeune homme aime votrenbsp;fille, amp; qu’elle n’eft pas infenfible i fon amour;nbsp;tnais, ce que je ne conpois pas, c’eft leurnbsp;^rifteffe amp; la vótre. Ah! Monfieur, me ré-Pondit-il, je foufFre pour tous les deux: Cenbsp;Jeune homme eft Ie fils d’un riche vieillardnbsp;cette Province; il a fait connoiflance avecnbsp;fille, dans 1’êge Ie plus tendre; ma femme,nbsp;charmée de fon honnêteté amp; de fes mo^rs, luinbsp;laifle un libre accès dans la raaifon. Le bruitnbsp;répandit, il y a deux ans, que j’avois faknbsp;^öe très-grande fortune; le vieux Maskwell,nbsp;père du jeune homme, eft encore plus avarenbsp;^U'il n’eft riche; tant qu’il me crue pauvre,nbsp;quot; S’embarrafla peu des amours de fon fils, dansnbsp;I idéé qu’il feroit toujours le maitre d'en ar-«ter le cours quand il voudroit: Mals, lorC-^ü’on lui aflura, de touscócés, que je nageoisnbsp;dans 1’abondance, il accourut au plus vite,nbsp;pour s’informer de la vérité. Ma femme, quinbsp;favoit ce qui en étoit, fit tous fes efforts pournbsp;ft le difluader; le vieux avare,, s’iroaginantnbsp;^a’on le trompoit, lui témoigna !e plus grandnbsp;^fir de raarier fon fils avec ma fille; elle eutnbsp;^au protefter que les bruits qui s’étoient ré-pandus étoient faux, il infifta jufqu’a la me-acer de lui intenter un procés, fous pré-
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teste de je ne fais quelle promefle que les deux jeunes gens s’étoient faite, amp; qu’il fuppofoit:nbsp;Enfin, il demands Jenny avec tant d’inftance,nbsp;que ma femme lui donna fa parole. Ces deuxnbsp;pauvres enfans ont vécu dans l'efpérance qu’anbsp;mon retour, ils feroient unis. Commeje con-nois Ie père , je viens de leur annoncer qu’ilnbsp;falloit renoncer 1’un al’autre; que je n’étoisnbsp;point riche, amp; que je ne voulois point abu-fer de la crédulité du vieillard. Ils ont eunbsp;beau me repréfenter qu’il avoit donné fa parole; qu'il avoit reïu celle de mon époufe ;nbsp;que cette promefle mutuelle étoit cimentée,nbsp;de parcamp; d’autre, par des écrirs; je n’ai riennbsp;voulu écouter. J’en fuis faché, j’aime Sir Charles; il Ie mérite: Ma fille eft au défefpoir;nbsp;je plonge un poignard dans Ie fein de 1'un amp; denbsp;l’autre, amp; ma femme ne fait lequel des deuxnbsp;elle doit regretter Ie plus.
Léopold cefla de parler; il alloit rentrer, je Ie retins. Avant de fortir de ce cabinet,nbsp;lui dis-je, écrivez au père que vous n’atten-dez que lui pour terminer Ie manage de votrenbsp;fille: Confirmez-le dans 1’idée oü il eft denbsp;votre fortune, amp; je me charge du refte. Non,nbsp;reprit-il, quelque tendrefle que j’ayc pour mesnbsp;enfans, je ne confentirai jamais a tromper Ienbsp;père de Sir Charles. 11 eft vrai qu’il a engagénbsp;fa parole; rnais c’eft fur 1’efpoir d’une fortune qui n’exifte point. Écrivez toujours; bonnbsp;Léopold, lui dis-je, vous êtes plus riche quenbsp;vous ne penfez; vous favez que j’ai, avec moi,nbsp;une fomme confidérable: fuilira-t-elle pour 1’é-
-ocr page 81-tablifletnent de votre fille ? Eh! Monfieur, me dit-il,y penfez-vous rJe fuis pénétré de vos bon-lés. Maïs, de bonne-foi, croyez-vous qu’unnbsp;bomme qui peut tirer avantage d’une parole ir-révocable, amp; qui ne Ie fait pas, paree qu’il faitnbsp;bien qu’eÜea été donnée par un motif qui n'a-Voit aucun fondement, aura la foiblefle d’abu-fer de votre générofité? Non, Monfieur, gardez-rnbsp;Votre argent; vous en aurez befoin dans Ienbsp;voyage que vous allez faire. Je me mis anbsp;rire de fa délicatelie; je lui perfuadai fi biennbsp;que j’avois, dans ma patrie, une fortunenbsp;inépuifable, amp; que mon crédit s’étendoit dansnbsp;les villes les plus éloignées, que je 1’obligeainbsp;d'écrire au père de Sir Charles. Le jeune hom-me, la larme a Pceil, nous interrompit, poutnbsp;prendre congé de Léopold amp; de moi. Vousnbsp;ne partirez pas, lui dis-je, vom dinerez avecnbsp;nous, amp; vous ferez raarié avec Jenny. Je lenbsp;pris par la main; je le conduifis a Jenny,nbsp;qui fondoit en larmes, amp; que fa mère con-foloit le mieux qu’elle pouvoit. Ne vousnbsp;affligez pas, lui dis-je, je vous rends Sir Charles; continuez i vous aimer; votre père n’anbsp;Voulu que vous éprouver 1’un amp; l’autre, amp;nbsp;vous furprendre agréablement : Sa fortunenbsp;n’eft point une chimère, elle eft telle que lenbsp;bruit s’en étoit répandu.
Ils demeurèrent tous comme pétrifiés; ils ne favoient qu’en croire; mais je vins ènbsp;bout de les perfuader : Les deux amans fenbsp;livrèrent a la joie Sc a l’efpérance. Leopoldnbsp;ffparut, fa lettre a la main; ils couiurent
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i'etnbrafler : Son époufe lui faifoit de tendres reproches de lui avoir fait un myftère d’unnbsp;bien qu'elle ne défiroic que pour lui amp; pournbsp;fes enfans. Vous vous trompez tous, leur ditnbsp;Léopold; jc n’ai pas fait fortune; c’eft eetnbsp;homtne généreux, qui, pour vous calmer...nbsp;Charles ne lui donna pas Ie temps d’achever.nbsp;Ah! Monfieur, me dit-il en retombant dansnbsp;fa triftefle, quel plailir prenez-vous ^ vousnbsp;jouer d’un malheureux qui ne furvivra pasnbsp;au chagrin que 1’efpoir dont vous Ie flattieznbsp;rendra plus amer? Erreur encore, interrompitnbsp;Léopold, qui leur expliqua tout ce qui venoitnbsp;de fe pafler. Je vis l’inftant oü Sir Charlesnbsp;amp; Jenny alloient tomber a mes pieds; je leurnbsp;déclarai que la feule marque de reconnoif-fance que j’exigeois d’eux, c’eft qu’ils s’ai-mafient toujours. Je vis dans leurs yeux qu’ilsnbsp;avoienc l’ingratitude en horreur : Je fis partirnbsp;un de mes Ecuyers fur Ie champ, pour porternbsp;la lectre au pére de Sir Charles; amp; nous nousnbsp;mimes a table, ayant, k ma droite, Jenny,nbsp;amp; fon amant a ma gauche. Ils ne me furentnbsp;pas mauvais gré de les avoir féparés; j’étois,nbsp;dans ce moment, Ie point de réunion de leursnbsp;regards amp; de leurs fentimens.
On ne pouvoit avoir que dans quinze jours des nouvelles de Sir Charles. J’en donnai qua-tre a Léopold pour fe repofer ; Je lui pro-pofai, enfuite, de m’accompagner dans Ie reftenbsp;de 1'Irlande; mais, pour lui donner la fatis-faftion de ne pas quitter fa familie, j’engageainbsp;foD époufe amp; fes enfans de venir avec nous,
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Ims ouWier Sir Charles. La partxe fut accep-ïée, amp; nous nous mimes en route, Ie lende-lïiain. L’amitié guidoit la caravane; un fecret penchant me faifoit donner la préféreuce auxnbsp;lt;ieux amans ; Les bienfaits nous attachent knbsp;eeux fur quinous lesrépandonsavecplusde pro-fufion. Nous n^étions point éloignés de 1’Ab-haye de Saint-Patrice, oü Ie peuple d'Irlandenbsp;croit eommunément qu’on trouve une des embouchures du Purgaroire. Jenny voulut favoirnbsp;ee qui avoit donné Heu a cette fable. Nousnbsp;öemandames 1’Abbé, qui nous refut avecnbsp;sffedlion, amp; nous invita a diner. Nous Ienbsp;priamp;raes de nous faire voir cette caverne finbsp;eélèbre, amp; de nous dire ce qui avoit’^occa-fionné fa célébrité.
Cette Abbaye, nous dit-il, amp; les lieux qui 1’environnent, n'étoient, autrefois, qu’unnbsp;'Vafte défert ( i), au milieu duquel étoit cettenbsp;^verne. Le Saint Apótre d’Irlande, Patrice,nbsp;étoit reciré dans le temps qu’il fe pré-paroit a 1’apoftolat; il y roenoit la vie la plusnbsp;^ufcère. Le hafard lui fit découvrir eet antre :nbsp;*1 eut la curiofité d’y pénétrer; il alia finbsp;avant, qu’il ne rrouvoit plus d’iflue pour ennbsp;fortir i il entendjt desplaintes qui retentiffoienc
CO t'* Purgatoire de Saint-Patrice, for leqoel on a débité de fables, étoit une caverne fituée dans une pente Ilenbsp;lac.d'Earn, en VJUonie. Le Pape la fit fermer, en I497»nbsp;pour arrêter le cours de ceitaines pratiques fuperftiticufes iWnbsp;petit peuple. Elle fut rouverte, peu de temps apres, Cnbsp;fertnée, une fewnde fois, par erdte de Henti VUi.
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dans ces fouterrains. II craignit, d’abord, que ce lieu ne fut Ie repaire de bêtes féroces:nbsp;Bieiitót, il diftingue une voix ; 11 avance jnbsp;il entrevoit un rayon de lumière : II y court,nbsp;amp; voit.un vieillard vénérable, plus accablénbsp;de fes infirrnités que de fes années. Oh! qui quenbsp;vous foyez, lui dit cethomme, aidez-moi anbsp;fortir de ce lieu. Patrice accourut a lui; maïsnbsp;il ne lavoit par oü Ie conduite. Le vieillard ,nbsp;alors, fiifla trois fois. Auffi-tót un gros doguenbsp;d’Ecofle fit retentir la caverne de fes aboie^nbsp;mens. Le vieillard raflura Patrice, qui parutnbsp;effrayé. Voili, dit-il, le foutien de ma vie,nbsp;depuis fix ans, amp; la feule créature vivante avecnbsp;qui j'ai été en fociété depuis trente-cinq. Plusnbsp;fenfible que ceux qui m’ont conduit ici, ilnbsp;fort, tous les matins, amp; va chercher fa proie ,nbsp;qu’il partage avec moi. Je 1’ai appris m’ap-porter du bois; amp; 1’eau qui filtre a travers lesnbsp;rochers fait ma boiflon ordinaire. II fit figne inbsp;fon chien qui marcha devant eux; apiès lesnbsp;avoir guides par fes aboiemens dans les ténè-bres, ils fentirent le terrain s’élever amp; formernbsp;une pente douce amp; facile. Patrice le conduificnbsp;dans fa cabane, étendit quelques nattes, amp;,nbsp;après 1'avoir fait coucher, il le pria de luinbsp;dire qui il étoit, amp; par quel événement il 1’a-voit trouvé dans ce fouterrain.
Vous êtes jeune, lui dit le vieillard; vous n’avez pas connu le Comte de Falkland ,nbsp;1’homme le plus infatué de fa naiflance : IInbsp;auroit pu, par fon travail amp; par fon induf-trie, ttouver, dans le commerce amp; dans les
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arts, une reiïburce contre les difgraces de la fortune; il aima mieux fe plaindre de fes in-juftices, amp; foulfrir, que de prendre un étatnbsp;qui Peut mis au niveau des autres hommes.nbsp;Il s’étoic retiré dans Ie Comté de Devonshire,nbsp;oü fes créanciers ne lui avoient laiffé qu’unenbsp;mafure, fa femme amp; fa fille. Cet homme ,nbsp;qui eüt rougi de fuftenter fa familie par unnbsp;travail honnéte, n’avoit point de honte denbsp;Vivre aux dépens de fes voifms, qu’il mépri-foit, qui lui prêtoient de l’argenc, qu’ils fa-Voient qu’il ne rendroit jamais. La maifonnbsp;de mon père, qui jouiübit tranqiiillement desnbsp;fruits d'un travail de quarante années, étoitnbsp;contigue a celle de Falkland; Ie Comre ne Ienbsp;tegardoit que comme un vil commer^ant; amp;nbsp;rnon père fe félicitoit d’une fortune, qui Ienbsp;tnettoit en état de foutenir un pauvre Gen-tilhomrae, amp; deux femmes refpeftables parnbsp;‘Cur vertu. Lady Falkland fupportoit fon in-Iprtune avec la fermeté la plus courageufe.nbsp;Lnima, leur fille, les confoloit; amp; 1'une amp;nbsp;autre , en 1’abfence du Comte, n’étoient-occupées qu’è travailler de leurs mains, amp; è.nbsp;itiarquet leur reconnoiflance d leur bienfai-leur.
J’étois jeune, amp; de l’ége d’Emma; fa vertu, es graces, fa beauté, me touchèrent ; Je n’o-ois lui faire connoitre mes fentimens, Falk-and devoir confidérablement a mon père, quinbsp;^’•iruifloir fans compter a la dépenfe ^ de lanbsp;: Ma délicatefle me faifoit craindrenbsp;Lmtna ne crut que je voululle abufer de
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fön état. Quelque precaution quc je priffe pouf cachet mon amour è Emma, il fe déclara,nbsp;par mes foins pour fes parens, par 1’art avecnbsp;lequel je leur faifois accepter des fecours, com-me un hommage dont je devois feul être re-connoiflant. Emma n’y fut point infenfible;nbsp;elle me louoit, un jour, fur hadrefle ave«nbsp;laquelle je favois óter aux bienfaits Ie fardeaunbsp;dont ils accabloient les malheureux. Je fou-pirai: Elle rougic; nos yeux fe renconttèrent;nbsp;ils étoient mpuillés de larmes. Vous, Emma,nbsp;malheureufe! lui dis-je; ah! je Ie fuis cent foisnbsp;plus que vous, Emmaquot;, je ne pus en dire da-vantage; mon coeur étoit comme reflerré patnbsp;la contrainte oh j’avois été depuis long-temps.nbsp;Lady Falkland nous furprit : Nous demeu-limes confternés; elle nous obferva quelquesnbsp;inftans, amp;, fondant elle-même en larmes,nbsp;elle vint nous embrafler 1’un amp; Pautre. Manbsp;chère Emma, mon cher Derby, ce n’eft pasnbsp;d'’aujourd’hui que j’ai pénétré Ie fecret de voinbsp;ames: Si votre bonheur ne dépendoit que denbsp;moi, vous feriez déja heureux j jamais onnbsp;n’auroit vu d’union ii belle : Mais votre fortnbsp;dépend d’un père impitoyable, aflujeti au plusnbsp;tyrannique des préjugés. II fait tout ce qu’ilnbsp;doit éi Derby amp; éi fon fefpeélable père; il n«nbsp;s’acquitteroit qu'è. moitié, en vous uniffant;nbsp;il n’y confentira jamais. Lady Falkland ,nbsp;qui, d’abord , avoit jeté la joie dans nolnbsp;ames, en nous épargnant 1’embarras de nouinbsp;expliquer, nous plongea dans la triftefle patnbsp;ces derniers mots. Ah! Madame, lui dis-je,
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j’efpère que mes foins, ma docilité, ma ten-dreffe pour lui, les avantages que mon père fcra luire k fes yeux, les vertus de ce pèrenbsp;qui m’a laifle Ie maitre de me choifir unenbsp;époufe digne de lui, pourront Ie fléchir.nbsp;N’y compcez pas, mon cher ami , reprit-elle; on peut dompter les caraèières lesnbsp;plus féroces, on ne guéric jamais les préjugésnbsp;qui tirent leur fource de 1’orgueil.. Je fuisnbsp;bien éloignée de m'oppofer a vos feux;nbsp;mais, s’il en eft temps encore, au nom denbsp;nion amitié pour vous, de votre amour mutuelnbsp;amp; de ma tendrellè pour ma fille, faites tousnbsp;vos efforts pour les éteindre.
Lady Falkland fe retira, la larme a 1’ceil, amp; nous laifla enfemble. Les obftacles ne fontnbsp;qu’irriter 1’amour; nous nous les diffimul^-lues •, je demandai a Emma la permiffion denbsp;faire parler a fon père : Elle me 1’accorda »nbsp;amp; m’allura qu’elle faifoit les voeux les plusnbsp;ardens pour Ie fuccès : Quoiqu’elle fut dansnbsp;^’intention de n'obéir qu’a fon père, elle ajoutanbsp;qu’elle me connoiflbic trop bien pour avoir inbsp;craindre que j’exigeafle d’elle d’autres fenti-mens, amp; que je pouvois être afl’uré que lanbsp;mort lui feroit moins ci'uelle, que Tobflina-tion dont on venoit de les menacer.
Le coeur rempli de crainte amp; d’efpérance, j’allai raconter a mon père tout ce qui ve-ï'olt de fe palier; je le trouvai dans les mê-difpoütions que Lady Falkland ; il menbsp;promit d’en parler au père. II étoit k unenbsp;grande partie de cliafle, qui duroit depuis
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deux jours; j’attendois fon retour avec im-pauence. Emma m’en avertit; il étoit revenu avec un parent, qui porcoic Ie même nom amp;nbsp;les mêmes armes; il 1’avoit préfenté a fa familie, comme un homme qui les honoroit,nbsp;comme Ie feul rejeton d’une branche qui avoitnbsp;donné a bAngleterre des hommes d’éclat, amp;nbsp;qui ne s’étoit jamaisméfalliée. Emma fut alar-mée de eet éloge ; elle Ie regut avec bonté;nbsp;lüur retour fut célébré par un repas poufle biennbsp;avant dans»!a nuit; amp;, felon la coutume desnbsp;perfonnes de qualité de ce temps-la, tout ennbsp;parlant de leurs ancêtres, ils fe quittèrentnbsp;ivres de vin amp; d’anogance.
Le feul domeftique de la maifon, excédé de fatigue, amp; las d’attendre, fut furpris parnbsp;le fommeil; une flamméche de la lampe au-près de laquelle il s’étoit endormi, tombanbsp;fur de la paille, qui s’embrafa , amp;, en unnbsp;inftant, la flamme fe cotnmuniqua dans tomenbsp;la maifon ; les deux Falkland, Emma amp; fanbsp;mère, étoient perdus, fans moi. C’étoit lenbsp;lendemain que mon père devoit propofer monnbsp;mariage; vous jugez bien que j’étois éveillé.nbsp;Voir le danger de ces infortunés, fauter denbsp;nion lit, amp; pénétrer jufqu’a l’appartemencnbsp;i’Emma, ne furent qu’un inftant; je la trou-vai, avec fa mère, cherchant a fe jeter parnbsp;une fenêtre qui donnoit fur un fofl'é très-profond. L’amour, fans doute, en ce moment, doubla mes forces : Je jetai la fillenbsp;fur mes épaules; je pris la mère fous monnbsp;bras : La flamme avoit gagné- le bas de l’ef-
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calier. Fier de mon fardeau, je monte fur is toit de la maifon qui eommuniquoit a ceüe denbsp;mon père; je les laiflai routes tremblantes dansnbsp;un grenier oü elles n’avoient rien a craindre;nbsp;je les priai d’attendre un moment, amp; je menbsp;gliflai, par Ie même chemin,dans la chambrenbsp;od les deux coufins étoient couches. Ils dor-moient encore; amp;, un quart-d'heure deplus,nbsp;iis étoient engloutis dans les dammes amp; dansnbsp;les ruines ; Je les éveille; j’ouvre la fenêtre,nbsp;afin qu’ils vifient Ie danger, amp; leur dis denbsp;me fuivre, Ils ne fe Ie firent pas répéter; jenbsp;les conduifis dans Ie grenier ou j'avois laiffénbsp;Emma. La joie qu’ils eurent tous de fe voirnbsp;en fureté, les rendit infenfibles a la perte denbsp;leur maifon. Emma amp; fa mère ne pouvoientnbsp;afl'ez me marquer leur reconnoiflance; les deuxnbsp;Falkland fe félicitoient d’étre délivrés do -danger : La Providence, difoit l’un, veille fur desnbsp;gens de notre efpèce. Ah! mon coufin, difoitnbsp;1’autre, croyez-vous qu’elle eüt permis quenbsp;la race des Falkland Rockbald eut péri li pro-che du port.
Nous ne comprimés pas, d’abord, cette énigme ; le vieux Falkland nous 1’expliquanbsp;bientót, en nous apprenant que le coufin étoicnbsp;¦venu pour époufer Emma; que tout cela étoitnbsp;arrange entr’eux, amp; qu’il ne favoit par quellenbsp;fa tali té il avoir oublié d’en parler è fouper,nbsp;jl’autant que la noce devoir fe faire dans deuxnbsp;jours. Nous nous regardSmes tous; Emmanbsp;palit; le vieillard continua d’étaler les avan-^sges d’une union qui réunifloit fur la tête
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«Ie fon coufin, Ie bien des deux branches Falkland, amp; par laquelle Ie premier enfantnbsp;mamp;le pourroit faire valoir les pretentions d’Au-gufte - Nabucliodonofor - Alfred - Alexandrenbsp;Falkland , mort dans la Paleftine , fur les biensnbsp;qu’il avoir acquis amp; conquis fur Ie Perfannbsp;Zaris, lors de la première croifade.
Le jour commenpoit a paroitre : Je def-cendis chez mon père , qui trembloit pour mes jours : Jelui racontai, d’un air confterné, toutnbsp;cequi venoit de fe palier, amp;ce queje venoisnbsp;d’apprendre. II me confola; amp;, après avoirnbsp;fait porter des robes pour les femmes, il lesnbsp;pria, tous, de defcendre, amp; les logea dans fanbsp;maifon. Le jeune Falkland, pour ne pointnbsp;augmenter 1'embarras, prit congé amp; promitnbsp;d’etre bientót de retour- Le pére d’Emma remit la noce a buit jours; bien entendu, ajouta-t-il, que 1’ami Derby amp; fon fils en feroient,^nbsp;fuppofé que la coufine Elhelrède-Médufe Falkland n’en fut point.
J’érois dans le plus grand défefpoir; la fen» Eble Emma eüt défiré d’avoir été la proie desnbsp;flammes'. Elle trouya un moment pour me ju-rer que jamais elle ne feroit Pépoufe de fonnbsp;coufin', qu’elle le cormoilibit de réputation,nbsp;comme 1’homme le plus propre a la rendrenbsp;malheureufe; qu’a 1'orgueil le plus infuppor-lable, il uniflbit 1’avarice ia plus fordide, amp;nbsp;Jes mocurs les plus corrompues.
En moins de fix,jours, mon père ent fait réparer la maifon de Falkland; Le vieillard,nbsp;jnfjtdé de fon coufin, ne manqua pas de le
-ocr page 91-f-iire venir. Emma frémit a fon arrivée; elle 6ut 1'art de faire retarder la noce de quinzenbsp;jours ;• elle efpéroit que fon père dévoileroitnbsp;5e caradtère atroce de fon coufin, amp; qu’il s'efinbsp;‘légoüteroit: L’orgueil de fa naiflancel’éblouitnbsp;Evr fesdéfauts. Emma imagina dedégoüterfoqnbsp;ïitnant lui-même; elle aifefta un caradère toutnbsp;différent de celui qu’elle avoit; elle oppofoitnbsp;¦lt;5 1’avarice de fon amant, une générofité quinbsp;1’effrayoit, II n’avoit d’autre paffiotl que pournbsp;5a chaffe; elle affeftoit de la détefter; amp; deuxnbsp;chiens qu’il idolamp;troit, furent rélégués dansnbsp;la Cour. Ce ftratagème coinmen^oit a réuffir»nbsp;lorfque Ie jeune Falkland intercepta une lec-tre qu’Emma m’écrivoit; car nous avions cedenbsp;de nous voir.
Dés ce moment, norre perte fut jurée; il Porta fa lettre au père d’Emrria, qui,furieuxnbsp;du’un homme de mon efpèce eut 1’audacenbsp;d’afpirer a fa fille, menaga mon père de routenbsp;fa fureur, fi elle faifoit la raoindre difficulténbsp;d’époufer fon coufin; il 1’afiura que, s’il menbsp;lencontroit, il feroit expiter fous Ie bStonnbsp;dn faquin dont il ne voudroit point pour fonnbsp;valet. Heureufement, je n’étois point cheznbsp;mon père : Je Ie trouvai, a mon retour,nbsp;doye dans les larraes ; II m’exhorta de re-noncer a Emma, amp; d’abandonner a fon or-gueil un ingrat qui ne méritoit que nos nié-ptis.
Je deliberois fur ce que j’avois £i faire, lorf-^’^PPrendre qu’on avoir vu Emma, efperée, fuir a pas précipités, amp; Ie jeune
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Hijloire
Falklatid qui la fuivoit; je craignois que fon père ne lui eüt fait éprouver fon reflentinient:nbsp;|e courus pour la fecourir; mais j’appris quenbsp;fon indigne amant 1’avoit maltraitée, amp; qu’ellenbsp;fuvoit fa fureur. Je rencontrai Ie père, qui,nbsp;ayant fu tout ce qui s’étoit paile, couroitnbsp;après eux. Vil fédudeur, me dit-il, ta vienbsp;me répondra du fort de ma fille Père aveu-gle, vieillard ingrat, lui répondis-je, ce n’eft,nbsp;ici, ni Ie temps, ni Ie lieu de me juftifier ;nbsp;volons fur les traces d'Emma , amp; , quand jcnbsp;vous 1’aurai rendue, vous m’accuferez, fi vousnbsp;1’ofez.
On nous dit qu’Emma, les cheveux épars, implorant Ie Ciel, avoit gagné un bois touf-fu, pour fe détober aux pourfuites d’unnbsp;homme qui marchoit fur fes traces ; qu’ilnbsp;y étoit entré par une aucre route, amp; qu’il fe-roit bien difficile qu'il la rencontrat. Nous ynbsp;pénétr^mes. A peine eümes-nous fait quelquesnbsp;pas, que nous entendimes les cris d'Emma,nbsp;nous y volles; nous la trouvames a demi-nue, Ie corps meurtri, la voix éteinte, fe dé-battant entre les bras de 1'infame Falkland. Jenbsp;m’élance, amp; lui fais Ikher fa proie; c’en étoitnbsp;fait de fa vie, fi Emma amp; fon père ne 1’euflentnbsp;srraché de mes mains. Qui de nous, dis-je aunbsp;vieillard, mérite votre haine, ou eet inffimenbsp;ravifleur, dont je yiens de délivrer votre fille,nbsp;OU un amant tendre amp; refpectueux qui Pa fau-vée des flammes, amp; a qui vous devez Ie jour?nbsp;Toi, fon amant! s’écria 1’impitoyable vieillard : O Ciel I Ie fils d’un vil Coniiner9ant; ah'.
-ocr page 93-je déchirerois de mes mains Ie coeur d’Emma, avant de Ibufïi-ir qu’elle fuc unie a un hommenbsp;tel que toi. Emma vouluc, malheureufement ,nbsp;prendre mon parti : Elle tomba aux gefiouxnbsp;de fon père; elle eflaya de Ie ramener a desnbsp;fenrimens de recoimoiflance , amp; ne fit quenbsp;1’irriter encore ;C’eftmoi, difoit-elle, c’eftnbsp;nioi qui 1’ai encouragé a efpérer vos bontés:nbsp;Eh bien ! en voila Ie fruit, dit-il, en levantnbsp;Ie poignard fur moi; Emma , effrayée, fe pré-cipite au davant du coup, amp; Ie reqoit dansnbsp;Ie fein; elle tombe, prie fon père de me par-donner, me tend la main amp; expire. Dieu!nbsp;comment, dans ce moment, ne poignardai-je point ce père dénaturé. Voila, voila, cruel,nbsp;m’écriai-je , Ie fruit de vos préjugés odieux.nbsp;J’allois me percer Ie cceur; les barbares, ilsnbsp;fe réunirent pour m’en empécher; j’étois.fansnbsp;force; la vue du fang, qui couloit du feinnbsp;d’Emma, me rendoit immobile; ils appelérentnbsp;du fecours, amp; me livrèrent a des juges auflinbsp;impitoyables qii’eux. On regarda comme uanbsp;crime irrémiffible, d'avoir ofé afpirer a lanbsp;main de lafille d’un homme tel que Falkland ;nbsp;fon ingratitude amp; fa cruauté furent comptéesnbsp;pour rien ; il avoit aflez, difoient qtielquesnbsp;Genrilshommes complices de fon orgueil, ilnbsp;avoit aflez honoré mon père, en lecevant fesnbsp;bienfaits. On me chargea du crime de la mortnbsp;d’Emma, amp; 1’on érigea Ie parricide en aétionnbsp;héroïque : Enfin , un tribunal de fang me con-datnna a perdre la vie.
So nbsp;nbsp;nbsp;Hijloire
la bienfaifance amp; de la probité, qne d’aieux le plus fouvent fouillés de crimes, amp; done l’é-clat s’elt borné a faire 1’abus le plus funeftenbsp;de leur crédit amp; de leur puiffance, follicitanbsp;fecrettement ma grÉce. Hélas! la plus grandenbsp;qu’on eüt pu me faire, dans ce moment,nbsp;eüt cté de me donner la mort. La fin cruellenbsp;d’Emma, amp; la douleur de mon père, étoientnbsp;pour mol des fupplices plus affreux que tousnbsp;ceux que la haine de mes ennemis eüt punbsp;inventer. Tout ce que Lady put obtenir, futnbsp;que ma peine feroit changee en une prilonnbsp;perpétuelle.
On me transféra en ültonie, dans un cachot fouterrain , que le jour n’avoit jamais éclairé : II ne 1’étoit que par une lampe fé-pulcrale : On m’y defcendoit, par un foupi-lail pratique dans la voute, du pain, de 1’eau,nbsp;amp; uhe certaine quantiic d’huile pour l’en-tretien de ma lampe.
II y avoit cinq ans que j’étois dans ce caveau, iorfqu’une pierre fe détacha du murnbsp;contre lequel la paille qui me fervoit de lienbsp;étoit adoliée : Un vent frais amp; piquant fenbsp;répandic dans mon tombeau par cette ouverture; je n’ofois en approcher ma lampe, denbsp;crainte qu’elle ne s’éteignit. J’imbibai d’huilenbsp;deux mèches, amp; je les allumai; je vis quenbsp;cette brèche communiquoit a une cavité très-profonde : je démolis une partie du mur, amp;nbsp;je plaqai mes lampes vis a vis de la caverne ;nbsp;j’y entrai, amp; j'avangai auffi loin que la hi-mièrepouvoit s’étendre. Le lendemain, je laif-
-ocr page 95-fai deux mèches allumées dans mon cachot; j’en pris deux autres, Sc j’allai plus avaijt^nbsp;j’eus Ie bonheur deles conferver ; Enfin, jenbsp;recommengai rnon experience Ie troifièmejour,nbsp;amp; je vis, de loin, une lueur. Je n’ofois, d’a-bord, avancer;mais n’entendant rien autouc.nbsp;de moi, je continual, amp; je me trouvai dansnbsp;un endroit qui prenoit jour a travers un ro-cher : Quoique la lumière n’y parvint qu’o-bliquement, Sc que je ne pufle voir Ic Ciel«nbsp;ma vue fut li agréablement affeftée de cesnbsp;rayons, que je me profternai pour remerciernbsp;l’Etre Suprème : Mes lampes étoient prés denbsp;leur fin; je regagnai mon cachot è la hdte. Lenbsp;jour fuivant, je me propofai de pénécrer plusnbsp;avant ; Lorfque je fus parvenu a 1’endroicnbsp;éclairé, je vis que la caverne fe divifoit ennbsp;plufieurs fouterrains; je choifis celui d’oü ilnbsp;me parut qu'il venoit le plus d’air, amp; je laif-fai une de mes mèches allumée, pour ne pasnbsp;m’égarer au retour , è 1’entrée de celui desnbsp;fouterrains qui conduifoit a mon cachot. Enfin ,nbsp;je fentis que le terrain s’élevoit en pentenbsp;douce, amp;, bientót , je me vis au grand jour.nbsp;Que la nature, toute inculte amp; fauvage qu’ellenbsp;eft en ces lieux, me parut belle! je ne vis,nbsp;au tour de moi, qu’un vafte défert; j’y au-rois fixé mon féjour, dès ce moment; maisnbsp;je craignis qu’on ne vint vifiter ma prifon ,nbsp;ce qui arrivoit trois fois l’année. Je revinsnbsp;done encore è mon cachot: J’attendis qu’onnbsp;eöt renouvelé mes provifions. Alors, je rallu-mes lampes pour la dernière fois; j’em-
amp; des f^tes galantes. II fic connoiflance avee plufieurs Chevaliers, amp; leur propofa de voyager, avec lui, en Allemagne, amp; de parcouritnbsp;tous les pays dépendans de 1’Empire. II leutnbsp;arriva bien des aventures, dont on confervenbsp;encore la mémoire dans Ie pays. II ramecanbsp;fes compagnons de voyage en Flandre , oünbsp;ils Ie quiccèrent a regret; ils auroienc défirénbsp;de Ie fuivre, toute leur vie. Andolofio, aprèsnbsp;avoir traverfé Venife, Florence amp; Gènes, re-.nbsp;prit Ie chernin de Famagoufte. En paflant dansnbsp;ces villes, il ht venir les Marchands dont ilnbsp;avoir enlevé les bijoux, lorlque, pour ravoirnbsp;fa bourfe, il s’étoit déguifé en marchand joail-lier; il apprit que eet enlevement leur avoitnbsp;porté un préjudice confidérable ; II leur paysnbsp;non feulement leurs pierreries Ie double denbsp;ce qu'elles valoient, mais il les indetnnifa denbsp;tout ce qu’ils avoient perdu, en difcontinuanCnbsp;leur commerce.
Enfin, Andolofio arriva è. Famagoufte; fou frère, qui ne 1’attendoit pas, 1’accabla de ca-refles. Ampedo, qui, depuis iong-remps, n’a-voit pas re9U de ihs nouvelles, craignoit qu’ilnbsp;ne lui füt arrivé quelque malheur. Pourquoi»nbsp;lui difoit-il tendrement, ayant Ie chapeau amp;nbsp;pouvant me raflurer, d’un moment a l'aurre,nbsp;me laiflez-vous dans 1’inquiétude? Ah! monnbsp;frère, dit Andolofio , c’étoit pour vous ennbsp;épargner de plus grandes. Alors, il lui ra-conta tout ce qui lui étoit arrivé, amp; par quellenbsp;perfidie il avoit perdu la bourfe amp; Ie chapeau,
1’un amp; 1’autre. C’en eft fait, ajouta-t-il, je renonce a ces funeftes préfens: Sans vous, jenbsp;n’aurois jamais tencé de les racheter par tantnbsp;de peines; vous n’en avez point encore joui,nbsp;il eft jufte que je vous les rende; il les remit a Ampedo, qui refufa la bourfe commenbsp;la fource de tous les malheurs qui étoient arrivés a fon père amp; a Andolofio, qui penfoitnbsp;bien différemment; car, après avoir fait-encore quelques inftances , il fut bien aife dunbsp;refus d’Ampedo. II lui laifla Ie chapeau, amp;nbsp;lui fit préfent de plufieurs coffres templis d’or.nbsp;Ampedo les re^ut comme une marque de 1’a-mitié de fon frère , fans y attacher d’autrenbsp;prix. II penfoit que les richefles contribuoientnbsp;peu au bonheur de 1’horome raifonnable, amp;nbsp;que, Ie plus fouvent, elles rendoient malheu-reux ceux qui les poffédoient.
Pendant qu’Andolofio fe plaifoit 4 répan-dre 1’or 4 pleines mains, a donner amp; a re-cevoir des fêtes, fon frère, plus fage, pro-fita du chapeau pour fe tranfporter dans rous les Jieux qui pouvoient lui offrir quelque phé-nomène de la nature: Du fommet du Caucafe,nbsp;il defcendoit dans les mines de la Dalécarlie;nbsp;11 franchit les mers, ne laifla aucun rochet,nbsp;aucun abyme des Alpes amp; des Pyrénées a par-courir. II eflc voulu pénétrer dans les caver-nes du Véfiive. Après avoir vu par lui-mêraenbsp;tout ce que la nature offre de merveilleux,nbsp;il voulut vérifier les faits les plus importansnbsp;de l’hifto re, pat les monumens qui nousref-tent de i’antiquité. Que de inenfonges, que
-ocr page 98-de faufles traditions il découvrit! II vit» gémiflant, combien les beaux-arts avoie^cnbsp;dégénéré/ il en jugea par les ruines d’Atbe--nes, de Rome, de Perfepolis, de Palmyranbsp;amp; de tant d’autres villes, done il contempl^nbsp;les reftes majeftueux, quoique la plupart foientnbsp;enfevelis fous l’herbe. Par-tout il s’aper-fut que Pefpric amp; 1’orgueil avoientnbsp;plus de mal au bon godt, que 1’ignorance amp;nbsp;la barbarie; car il penfoit qu’il valoit misu^nbsp;laifler anéantir les arts, que de les faire fervifnbsp;è défigurer la nature- II remarquoit qu’ü^nbsp;avoient eu, par-tout, amp; dans tous lesfiècles»nbsp;la même progrefiion amp; la même décadeneejnbsp;que ces fiècles d’ignorance avoient précédé Rsnbsp;fiècles du génie, que ceux-ci avoient été fuivisnbsp;par les fiècles de 1'efprit, amp;, enfin, par celuinbsp;des Philofophes : Ce n’efl: pas que la Philofo-phie n’étincèle dans les beaux ouvrages d’Ho'nbsp;mère, de Virgile, d’Horace; mais on voulutnbsp;la dépouiller de tout ornement; on fe déchainanbsp;contre la poéfie amp; 1’éloquence ; La Philofo-phie perdit prefque tout fon prix, dés qu'onnbsp;la vit toute nue : La Sculpture, la Peinture,nbsp;la Mufique, éprouvèrent les mêmes difgraces;nbsp;1’efprit voulut ajouter è la nature, amp; il la gamp;ta.nbsp;Ampedo vit que la corruption des moeurs avoicnbsp;entrainé la decadence des arts. II parcourutnbsp;tous les peuples amp; tous les climats : II vitnbsp;les pays des plus grands Héros amp; des hommesnbsp;les plus célèbres, peuples d’hommes liches amp;nbsp;vils, chérilïant leur ignorance amp; leurs pré-jugés. Il déplora l’inllabiUté des chofes hu-
de Fortunotus. nbsp;nbsp;nbsp;85
Blaines. Tel éroit Ie parti qu’Ampedo tiroit de Ibn chapeau.
Son frère alia a la Cour deChypre, Ie Roi Ie re9Ut avec bonté, amp; lui fit raconter fesnbsp;^ventures; il cacha routes celles oü Ie chapeau avoir eu la meilleure part; il auroit éténbsp;faché que quelqu’un en eüt pu deviner la vertu.nbsp;Lorfqu’il en vint a l'hiftoire d’Agripine, ilnbsp;Cut foin de ne pas prononcer Ibn nom, ennbsp;9uoi Ie hafard k fervit mieux que la prudence; car Ie Roi de Cliypre vouloit marier Ibnnbsp;fils a cette Princefle; il en demanda des nou-Velles a Andolofio : II avoir oui dire qu’ellenbsp;avoir quitté la maifon paternelle; il voulutnbsp;en favoir la caufe, paree que Ie Roi faifoicnbsp;plus de cas de la vertu de l’époufe qu’il vouloit donner d Ibn fils, que de la royauté quenbsp;la Princefle devoit porter a fon mari, Andolofio rafiura Ie Roi fur cette fuite; elle n’anbsp;été caulée, lui dit-il, ni par aucun enlève-nient, ni par aucune paflion qui puifle porter lanbsp;inoindre atteinte a 1’honneur de cette Princefle : Comme je 1’ai vue, amp; que j’étois étran-ger, elle m’a confié fes peines fecrettes.
La Reine, fa mère, vouloit la marier a un Prince qu’Agripine détefloit; elle étoic,nbsp;tous les jours, expofée aux plus raauvaisnbsp;traitemens; on la forgoit a Ie recevoir; onnbsp;étoit fur Ie point de Ie lui faire époufer. J’a-Vois cru, d’abord, qu’elle ne Ie refufoit quenbsp;par caprice, ou, peut-être, paree qu’elle avoitnbsp;dans Ie cceur quelqu’autre inclination; la Princefle voulant que j’en jugealie par moi-même.
-ocr page 100-me donna une oommiflion pour lui .* Je Ie vis» jamais la nature n’a produitrien d’auffi affreux*nbsp;II eft des boflus, mais, Sire, vous n’en ave®nbsp;jamais vu de femblables; fa bolle, qui,nbsp;devant, eft de niveau avec fon nez, lui 1'^''’’nbsp;d’oreiller par derrière ; de forte que fa têtenbsp;paroit enfoncée dans un croiflant; eet êtrSnbsp;fingulier eft foutenu par deux colonnes tout »nbsp;fait torfes, portées fur des bafes qui fe croi-fent en raarchant. Son caraótère eft encorenbsp;plus hideux que fa figure, amp;, quoique fai’^nbsp;efprit, il eft ie plus méchant des hommes :nbsp;Voila Ie moiiftre a qui 1’on vouloit donnetnbsp;Agripine : II eft neveu du Roi amp; allié dlt;5nbsp;la Reine, amp; c’eft afin de perpétuer Ie trónSnbsp;dans la familie, qu’on vouloit faire ce ma-
riage-
Andolofio n’en impofoit point au Roi 1 étoit vrai qu’on avoit projeté ce mariage, amp;nbsp;que la Princelie avoit dit qu'elle n’y confen-tiroit jamais; mais les mauvais traitemens dffnbsp;la Reine étoient fuppofés. Andolofio, qui avoftnbsp;tout lieu d’efpérer qu’Agripine changeroit apnbsp;convent, amp; qu’elle deviendroit une Princeflsnbsp;bonne amp; vertueufe, digne de porter la cou-ronne amp; de rendre fes fujets heureux, ne vouloit lui donner aucun tort. „ Vous jugerez»nbsp;„ Sire, continua-t-il, de la méchanceté de cenbsp;,, Prince, par les moyens qu’il a pris pournbsp;,, forcer la Princelie a lui donner la main. Nenbsp;„ pouvant réuffir par fes calomnies a Ia dif-j, famer auprès des Princes qui pourroient lanbsp;^ demander, U a a les eo dègodter. Je
-ocr page 101-^ Tie fais par quel fecret diabolique il a en-n chanté deux pommes, qu’il a fait acheter i » la Princefle, comme par hafard; a peine lesnbsp;« a-t-elle eu mangées, que deux cornes, plusnbsp;it grandes que celles de la plus forte chèvre, luinbsp;9} ont poufl’é fur Ie front.
A ces mots, Ie Roi de Chypre fit une figne fifindignation, amp; dit qu’il ne confentiroit ja-fiiais que fon fils épousêt une Princefle qui au-ïoit une telle infirmité, „ Elle ne 1’a prefque plus,nbsp;«reprit Andolofio. Un habile Médecin s’eftnbsp;« chargé de laguérir, amp;, en trois jours, ilavoitnbsp;«fait difparoitre les trois quarts des cornes,nbsp;«lorfque ce Médecin, féduit, fans doute, parlenbsp;« méchant Prince, a difparu. Ses cornesétoient,nbsp;« amp; font encore un fecret pour toute la Cour,nbsp;«excepté pour rooi : Agripine a gardé Ie licnbsp;« depuisqu’elle s’apenjut de fon incommodité,nbsp;«jufqu’au jour qu’elle partit pour fon cou-« vent. Ce fut moi qui 1’y conduifis, il y anbsp;« environ un an; car, quoique fes cornes foiencnbsp;«bien diminuées, elle n’a, cependant, pasnbsp;„voulu les monrrer a la Cour de fon père,nbsp;« amp; je puis vous aflurer, Sire, qu’elle eft ado-« rée dans Ie couvent oü elle eft „. Ses cornes reftent touj'ours, reprit Ie Roi, amp; ce mal-lanbsp;me parolt fi bizarre, que je n’itnagine pointnbsp;qu'aucun Médecin veuille en tenter la gué-rifon; je ne hafarderai pas de la demander pournbsp;mon fils, c’eft un point décidé. Mais, Sire,nbsp;continüa Andolofio, fi je vous réponds, furnbsp;ma vie, que la Princefle fera guérie pour tou-jours, amp; que VOUS n’en ferez la demand®
que lorfque vos Ambafladeurs vous en aurob^ bien alïuré! Oh l je Ie délire, dit Ie Roi»nbsp;maisje ne 1’efpèrepas. Eh bien! Sire,j’ainbsp;trouvé Ie Médecin, jelui ai donné une fomih®nbsp;confidérable, amp;il m’a promis de guérir radica'nbsp;lenient Agripine , a condition que je Ie ms-nerois dans quelque Royaume étranger, po^rnbsp;Ie fouftraire a la fureur du Prince boflu ”nbsp;eil a Londres, j’ai fon adreffe, amp; je vais 1^^^nbsp;dépêcher un exprès, avec la moitié de la fominsnbsp;quejeluiai proinife, étant convenu avec l^inbsp;que je ne lui donnerois le refte qu'aptèsnbsp;guérifon. Le Roi confentit a tout; Andolofionbsp;prétexta, pour le lendemain, une affaire pref'nbsp;lante , amp; fut trouver fon frère, d qui ilnbsp;manda le chapeau, pour un jour feulemeot:nbsp;Atnpedo le lui prêta avec plailir. Andolofi^nbsp;le mit fur fa tête, amp; fe rendit a la portenbsp;couvent. II fit venir I’Abbeffe, amp;, commenbsp;y avoit un an révolu qu’Agripine étoit eO'nbsp;trée, il prit pour prétexte qu’il venoit payernbsp;fa penfion. II demanda fi 1’on étoit conteornbsp;d’elle dans la Communauté; 1’Abbefle fit 1®*nbsp;plus grands éloges de la bonté amp; de ia douceur de fon caraétèreil n’y avoit ni R®'nbsp;ligieufe , ni Penfionnaire, qui ne rechercliutnbsp;fon amitié , amp; il n’y en avoit aucune qui h®nbsp;crüt avoir la préférence; fon efprit, déja for^nbsp;cultivé , s’étoit orné par la leéture , qu’eh®nbsp;aimoit beaucoup ; la triftefle 1’avoit un pe^nbsp;gagnée dinsle commencement; fes corapagu^/’nbsp;ajputa 1’Abbefie , ont mis tant d’étude a 1’^'
de Fortunatus. nbsp;nbsp;nbsp;89
plus aimable; un jour, en jouant, elle a voulu lavoir Teftec que faiföieuc les cornes, elle ennbsp;^ fait d’artificielles, Si les a pofées fur la cétenbsp;d’unejeiinepenfionnaire, qui, non feulement,nbsp;s’efl; prêtée a ce badinage, mais qui a folli-uité la préférence. Le lendemain, chacune ennbsp;particulier eft venii prier Agripine de lui fairenbsp;des cbrnes, routes en ont mis, amp; c’eft, au*nbsp;jourd’hui , la parure a la mode dans le cou-rnbsp;Vent. Andololio étoic au comble de la joie;nbsp;il deiïimda a voir Agripine, elle vint, d’unnbsp;^ir modefte amp; riant, elle témoigna beaucoupnbsp;de plaifir de le revoir. Andolofio n’avoit pasnbsp;^ntièrement oublié fon ancien amour, amp; ilnbsp;repentit prefque d’avoir donné fa parolenbsp;Roi de Chypre ; mais, craignant d’être encore la vidime de fa paffion, il la combattit amp;nbsp;fe dompta: II demanda a 1’Abbefle la permiffioanbsp;deparler en particulier a Agripine. Vous voyez ,nbsp;lui dit-il, que je ne vous oublie point; ccnbsp;'lu’on vient de me dire de vous, me fait au-ïunt de plaifir que fi vous étiez ma fille ; Convener, Agripine, qu’il eft bien plus doux,nbsp;plus fatisfailant pour foi-méme, d’être bon,nbsp;Jufte, populaire amp;:vertueux, que de fe livrernbsp;^ Porgueil,, qui nous rend odieux aux autres,nbsp;^ fouvent ridicule a tios propres yeux.' Si vosnbsp;Gorges vous étoient enlevées, feriez-vous en-core vainej,'médifatitev'comhie Vous 1’étiez?nbsp;l^Uïdon, fi je vous parle librement des défautsnbsp;vous n’avez plus. J'ignore ce que je de-Vieudrois, dir Agripine; car on ne peut pasnbsp;tpondre de foi: .Ces ïéflexioiKs gt; que j'ai faites,
90 nbsp;nbsp;nbsp;Hiftoire
. nbsp;nbsp;nbsp;r
m’ont convaincue'qu’il n’y avoit rien a g*' gner d’étre méchant; j’ai exatniné ma con*nbsp;duite pafl’ée , furcout celle que j’ai tenue avecnbsp;vous, j'en rougis; mais je n’ai fait que la rnoJ-tié du mal; s’il étoit permis d’accufer fesnbsp;rens, voiis verriez que je ne fuis pas tout a fai*-aufli coupable que je vous 1’ai paru. Je J’®nbsp;veux, pourtant point m’excufer, j’ai mérit®nbsp;l’affreufe vengeance que vous avez tirée d®nbsp;moi; je n’en ai aucun reflentiment, pi^^^nbsp;qu’elle a tourné a mon avantage : Je délireroiSnbsp;bien, cependant, d’etre délivrée de ces mauquot;nbsp;dites cornes; car, enfin, Ie tróne de moonbsp;père m’appartient, amp; comment y monter»nbsp;dans 1’état oü je fuis? Vous y monterez ^nbsp;vous joindrez un autre Royaume au vótre*nbsp;dit Andolofio; je ferai, dans peu de jours»nbsp;difparoitre vos cornes; il lui apprit qu’iinbsp;ménageoit un mariage avec Ie Prince de Chyquot;nbsp;pre, jeune-hom me, dont la beauté ne pouvoirnbsp;étre comparée a celle d’aucun des Princes def-tinés a re'gner', amp; dont Ie caraélére étoi^nbsp;auffi beau que la figure: II lui répéta fa con-verfation a.vec Ie Roi de Chypre, amp; I’e^,quot;!nbsp;gagement qu’il avoit pris de la guérir, ce qu'*nbsp;Ie promettoit d’elfeduer' inceflamment.nbsp;Princefle auroirvoulu que c’eutétédans Ie naotnbsp;ment pil n’avoit pas ce qu’il lui falloit; Ünbsp;fecommanda ie plus-grand fecretyamp; ]a ranten®nbsp;a l’Abbefle. Agripine fenroit plus que de 1*nbsp;reconnoiflance pour ^Li^dolofio; elle nenbsp;s’empêcher de Ie regarder avec un certain ut-tendriflementj dtte concevoit: moins que
-ocr page 105-maïs comment elle avoir pu avoir Ia foiblefle de fe prêter aux manoeuvres de fes pareus,nbsp;pour lui enlever la bourfe; ce fouvenir 1’hu-milioit; enfin, elle ne put quitter Andolofio,nbsp;fans lui demander mille fois pardon du malnbsp;qu’elle lui avoir fait; elle Ie quitta la larmenbsp;a l’oeil. Ah! quel coeur, difoit-elle en elle-mêrae. Quoi! eet étranger, qui avoit faitnbsp;gagner a mon père la vidloire la plus com-plette, que j’ai trompé fi indignement; quenbsp;mes parens amp; moi avons vu dans la plusnbsp;grande mifére, fans lui donner aucun fecours,nbsp;après Tavoir dépouillé de fa fortune; que monnbsp;père eüt, peut-être, fait périr, fi fon obfcu-rité ne 1’eüt dérobé a notre ingratitude; cenbsp;même homme, qui pourroit, avec les moyensnbsp;qu’il a, mettre des armées fur pied, détró-Her un Roi dont il n’eft point Ie fbjet, amp;nbsp;qui a violé, par la plus infame des injuftices,nbsp;les droits les plus facrés de 1’hofpitalité, ceintnbsp;mon front d’un double diadème! Ah, Andolofio , puille 1’époux que tu me deftines, nenbsp;t,eflembler qu’a toil
Cependant, Andolofio étoit revenu k la Cour du Roi de Chypre; il aliura qu’ii avoitnbsp;envoyé un exprès au Médecin, amp; que, dansnbsp;peu, Agripine, guérie, feroit rendue a fonnbsp;père : Quelques jours après, il inftruifit fonnbsp;frère de tout ce qui fe paflbit; il lui rede-manda Ie chapeau, pour aller chercher desnbsp;Pommes du défert. Ampedo eüt défiré y allernbsp;lui -même; mais Andolofio lui fit remarquernbsp;Is danger auquel il s’expoferoit, fi, par ha-,
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fard, il ne trouvoit que Iff pominier qui venir des cornes. Andolofio partit, amp; protnitnbsp;a fon frère de lui porter de ces pommes fin*nbsp;gulières. II n’eut qu’a défirer, amp; il fe trouvanbsp;dans Ie défert; il vit plufieurs pommiers,nbsp;il ne favoic quel étoit celui dont il cher-choit Ie fruit; après avoir long-temps délibéré,nbsp;il mangea une pomme, qu'il prit au hafard;nbsp;auffi-tót fon front fut ombragé de deux coriiesnbsp;plus belles que les premières; il courut a unnbsp;autre arbre, mangea encore une pomme, amp;nbsp;deux petites cornes poufférent, aulli-tót, aunbsp;deflbus des grandes : II fut effrayé de cettenbsp;feconde épreuve; il n’ofoit plus en manger:nbsp;II fe détermina k la fia; mais les deux premières cornes fe fendirent amp; en formèrentnbsp;quatre. Andolofio commengoit a s’inquiéter,nbsp;il n’ofoit plus cueillir des pommes; enfin,nbsp;il fe refibuvint de Thermite; il défira d’êtrenbsp;tranfporté a fa celluie. Le bon vieillard Ienbsp;revit avec plaifir, en allant cueillir, avecnbsp;lui, les pommes ialutaires, Andolofio lui ra-conta tout ce qui lui étoit arrivé, depuis qu’ilnbsp;ne 1’avoit vu, amp; le motif de fon arrivée ’•nbsp;Mon fils, lui dit Thermite, vous auriez mieuXnbsp;fait de refter dans ce défert; votre bourfe»nbsp;dans peu , vous fera fatale : Pldt a Dieu quenbsp;vous ne Teuffiez jamais retrouvée! II en ellnbsp;temps encore, allez guérir la Princefl'e , amp;nbsp;revenez avec moi. Andolofio lui répondit :nbsp;Mon père, je fens que je ferois beaucoupnbsp;mieux, mais je ne puis m’y réfoudre : Eh,nbsp;que deviendrois-je, dans cccte folitude, avec
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les paffions qüe Ie ciei a mifes dans mon lein i Vous feriez vos efforts pour les dompter , reprit l’hermitejj’en aieu jcommevous, j’enfuisnbsp;venu a bout; j’ai eu des combats terribles anbsp;livrer, Ie plaifir de la viftoire m’a bienpayénbsp;de mespeines. Cette fatisfaftion n’eft que pournbsp;vous, reprit Andolofio; car, de quel fecoursnbsp;étes-vous au monde ? Le ciel vous a-t-il faicnbsp;pouryêtre inutile? Convenez, monpère,que,nbsp;fi quatre hermites comme vous fuflent venus,nbsp;dans ce défert, avec autant d’époufes, depuisnbsp;ie temps que vous y êtes, ces lieux feroient cul-tivés; vos enfans s’y feroient établis; ils au-roient élevé des temples au créateur, vousnbsp;leur auriez infpiré vos principes amp; vos ver-tus, amp; vous vous féliciteriez, aujourd’hui, d’etre le Patriarche d'une peuplade nombreufe.
L’hermite foupira, amp; dit: Ah ! mon que venez-vous de me rappeler? J’ai eu lenbsp;bonheur d'être père : Jeune, dans 1’Sge desnbsp;paffions, je fcrmai les plus beaux noeuds dunbsp;monde. J’époufai la femme la plus belle amp;nbsp;la plus vertueufe : Le ciel bénit notre ma-xiage; fix enfans rendirent notre union encorenbsp;plus douce; nous les élevions nous-mêmes,nbsp;nous nous félicitions de les voir croitre ; lenbsp;Roi d’Angleterre, le père de celui qui règnsnbsp;aujourd’hui, entreprit de réunir 1’Irlande itnbsp;fes états. II attendit la mort de notre Roi,nbsp;amp;, pendant 1’interrègne, il vint, a main ar-mée, nous fommer de recevoir fes lois: L’Ir-laudois eft né fier; la nation fit ferment denbsp;fe foumettre qu’au Roi qu’elle fe choifi-
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roit elle-même. Ce ferment fut Ie ilgnal d'une guerre funefte : Les Irlandois ne fe foumirenCnbsp;pas, ils défendirent Ie fang de leurs Rois amp;nbsp;leur liberté ; II eft vrai que routes les villesnbsp;des frontières d’Irlanda furent palfées au filnbsp;de 1’épée. Ün Général Anglois avoir vu manbsp;femme, amp; en étoit devenu amoureux ; ilnbsp;projeta de 1'enlever; elle en fut avertie, amp;nbsp;jne Ie dit : J'avois des amis, je les raflem-blai; ils me promirent tons de fe joindre anbsp;moi; cependant, pour plus de fureté/je mönbsp;propofai de la cacher chez une de fes parentes ; II falloit traverfer un bois, je la con-duifois; un de mes amis marchoit devant nous,nbsp;un autre nous fuivoit. Le'premier vint nousnbsp;avertir qu’on marchoit a nous; auffi-tót dixnbsp;Cavaliers nous entourèrent; mes deux amisnbsp;perdirent la vie en nous défendant; je fusnbsp;dangereufement bleüe; j’entrainai ma femmenbsp;dans ma chute; nous nous tenions embralies;nbsp;les barbares 1’arrachèrent de mes bras amp; lanbsp;conduifirent au Général; elle lui échappa , S*nbsp;la crainte lui prétant des ailes, elle fe perditnbsp;dans 1’épaifieur du bois. Le ravifleur crucnbsp;qu’elle reviendroit chez elle, il fit inveflirnbsp;ma maifon; un de mes parens, qui paflbit,nbsp;par hafard , -me rencontra , noyé dans monnbsp;fang; il me fit emporter chez lui; je croyoisnbsp;ma femme entre les mains du ravifleur, jenbsp;voulois mourir : On me dit qu’elle lui avoicnbsp;échappé, je fus plus tranquille; dans peu denbsp;jours, je fus guéri de ma blefl’ure; je revinsnbsp;chez moi, je trouvai les portes ferraées; un
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damp; Fórtunatus.
fecret prèflentiment me rendoit immobile, j’enfonce : Dieux, quel fpedade! je trou-vai Ie ravifleu): amp; ma femme écendus dans leur’nbsp;fang, l’un a cóté de i’autre; elle, ayarit unenbsp;épée dans fon fein, amp; la tenant dans Patdtiidenbsp;d’une femme qui s’eft poignardée; lui, avecnbsp;Une large bleflure dans Ie flanc, mais dans lanbsp;pofture d’un homme qui avoit fait des effortsnbsp;pour facisfaire fa pafiion; cinq de mes enfansnbsp;avoient été égorgés, ou écrafés centre Ie mur;nbsp;Ie fixième, qu'on avoit cru mort, refpiroitnbsp;encore; il m’appela d’une voix mourante ; jenbsp;courus a lui; c’étoit Ie plus Sgé, il avoit buitnbsp;ans ; Je n’avois ni la force de pleurer, ninbsp;celle de parler, l’horreur de ce fpedtacle feranbsp;toujours préfente a ma mémoire. Mon fiis menbsp;dit que Ie rroifième jour que j’érois forti avecnbsp;fa mère, elle étoit rentree, fort inquière denbsp;ce que j’étois devenu; que, Ie lendemain,nbsp;un foldat étoit entré, s’écoit adrefl'é a lui,nbsp;pour demander oü étoit fa mère, amp; qu’il luinbsp;avoit répondu qu’elle étoit abfente; que , fansnbsp;doute, il 1’avoic apergue, car eet homme,nbsp;ajouta-t-il, en me montrant Ie cadavre dunbsp;Général, vint Ie foir raême: II paria long-terops avec ma mère, d'abord, avec beaucoupnbsp;de douceur; ma mère pleuroit amp; vouloit toujours Ie faire fortir; enfin , il entra en futeur;nbsp;elle pleura encore plus fort; il la renverfa anbsp;terre: Elle faifit fon épée amp; menaqa de fe roer,nbsp;il fe mit è rire, amp; courut a elle pour la luinbsp;arracher ; Ma mère, qui étoit au défefpoir,nbsp;amp; qui s’étoit relevée, l'attendit, amp; lui porta
nn coup dans Ie cóté; il ne fit qu’un cri amp; tomba mort : Ma mère étoit fort inquicte;nbsp;elle m’envoya de tons cótés. pour cherchefnbsp;du fecours, je ne trouvai perfonne; je visnbsp;Je méme foldat qui étoit venu Ie matin ^nbsp;il étoit avec cinq autres; ils me deroan-dèrent fi j’avois vu leur General; je leur ré-pondis qu’il étoit venu a la niaifon, amp; qu’ilnbsp;s’en étoit retourné; ils s’en allèrent ; Je re-¦yins, il étoit nuk, ma mère ferma les powrey»nbsp;efpérant toujours de vous voir arriver, ounbsp;quelqu’un de ceux chez qui j’avois été, L®nbsp;lendemain, dès que Ie jour parut, ces mêtnssnbsp;foldats, que j’avois vus la veille, enfoncèrencnbsp;la porte ; nous ne nous étions point couches;nbsp;En voyant leur Général mort, ils devinrentnbsp;furieux ; 1’un d’eux battit ma mère; nousnbsp;nous mimes a genoux pour lui demander grS-ce, mais il prit mon frère, Ie plus jeune, amp;nbsp;I’écrafa contre la cheminée; ma mère jeta denbsp;grands cris, un autré foldat fe mit a 1’embraf-fer; elle tomba a cdté du Général, auprèsnbsp;duquel, par malheur, étoit fon épée ; elle lanbsp;prit, fans que Ie foldat s’en apergtit, amp; fe tua;nbsp;mes frères amp; moi, nouscefllmes de pleurer,nbsp;nous nous mimes a les frapper ; mals ils totn-bèrent fur eux amp; les maflacrèrent, 1’un aptèsnbsp;1’autre; quand mon tour fut venu , jenbsp;jetai fur le corps de ma mère, en difant quenbsp;je voulois mourir avec elle ; Ils m’en arra-chèrent, amp; me jetèrent par la fenêtre : Je ref-tai long-temps évanoui : Quand je fus revenunbsp;M mon évanouiflement, j’entendis ces foldats
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de Fortunatus.
qui remontèrent a cheval, amp; qui paffèrent au-près de moi. Lorfque je corapris qu’ils étoient bien loingt; je me trainai ici; car je ne pus jamais me fbutenir. J’allai vers ma mère; toucnbsp;fecours étoit inutile, tous mes frères étoientnbsp;morts; quatre jours fe font pafles depuis cenbsp;maflacre; je n’ai relienti mon mal que Ie fe-condj'je fouffre des douleurs mortelles auxnbsp;jambes amp; k la tête. Le pauvre enfant! fesnbsp;deux jambes étoient cafl'ées, S^ il avoit unenbsp;plaie énorme a la tête. Chaque mot, chaquenbsp;circonftance de 1’horrible récit qu’il me fai-foit, avec une ingénuité qui le rendoit plusnbsp;affreux encore, me déchiroient le cteur; j’é-tois réfolu de mourir, j’allois de cadavre ennbsp;cadavre , arrofant 1’un de larmes, couVrancnbsp;1’autre de mes baifers , maudiflant 1'infamenbsp;auteur de tant de maux, amp; revenant toujoursnbsp;auprès de ma raalheureufe époufe. Deux denbsp;nos parens arrivèrent ; je ne les apercevoisnbsp;point; mon Ills, en les voyant, fit un cri,nbsp;croyant, fans doute, que c’étoient encore fesnbsp;bourreaux ils vinrent a moi : Je leur répé-tai ce que mon fils venoit de me dire. L’unnbsp;m’arracha de ce lieu d’horreur, amp; m’entrainanbsp;dans une chambre voifine ; 1’autre alia cher-cher du fecours; il envoya un Chirurgien knbsp;mon fils; le Chirurgien défefpéra de fon état;nbsp;la plaie de fa tête étoit mortelle. Les foldatsnbsp;avoient tout enlevé, on le tranfporta dansnbsp;'me maifon voifine ; les foins qu’on prit denbsp;lyi ne firent que hkter fa mort, qui arriva lenbsp;'^rnquième jour. Que j’ai fouvent regrecté de
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ne m’ècre point trouvé chez moi lots de eet horrible attentar! du moins, fi je n'avois P'^nbsp;défendre ma femme amp; mes enfans^-arjroiS'jsnbsp;eu Ie bonheur de mourir avec edx; ilf cielnbsp;ne l’a pas voulu. II me réfervoit a cette épreuve-On m’arracha de ma maifon , amp; iWi fic en-terrer route ma malheureufe familie a mobnbsp;jnfu. Le corps du General fut envoyé en An-gleterre, avec le récit circonftancié de toutnbsp;ce qui s’étoit pafle. Le Roi en fut informé»nbsp;il flétrit la mémoire du Général, fit chet-cher les fix foldats, amp; ordonna qu’on lesnbsp;périr fur uu échafaud ; Pour moi, déplorantnbsp;mon malheur, je réfolus de quitter pour tou-jours le commerce des hommes, que je re-garde comme 1’efpèce la plus cruelle amp; la plusnbsp;dangereufe de tous les animaux ¦, je vins dansnbsp;ce défert, oü je conferve le fouvenir des ver-tus de mon époufe, amp; oü j’invoque mes enfans.
Pendant le récit de 1’hermite, Andolofio avoit mangé les pommes falutaires, amp; fa têtenbsp;étoit revenue dans fon état naturel ; il patquot;nbsp;tageoit 1’afflicflion du vieillard , il comparoitnbsp;fes maux avec ceux que le Roi d’Angleterrenbsp;iivoit fait éprouver a ce père infortuné, amp;nbsp;il trouvoit les fiens bien légers. Je ne con-damne plus votre retraite, lui dit-il, ilnbsp;des pertes dont oh ne fe confole jamais;nbsp;n’approuve, cependant, pas la haine que vousnbsp;avez congue pour refpèce humaine ; ilnbsp;dés ames atroces, fans doute; mais quel plusnbsp;beau fpedacle, que celui d’une ame oü règnent:nbsp;la paix amp; la vertu ? Vos généreux amis, qui
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font morts pour votra défenfe; votre époufe, qui a préféré la mort a la honte ; ce pauvre enfant , fe trainant fur fes mains vers Ie cadavrenbsp;de fa mère, amp; 1’embraliant, ne font-ils pas des,nbsp;objets capables de vousréconcilier avec Ie genrenbsp;humain? L’hermite en convint, amp; lui avouanbsp;que toute fa haine s’étoit tournée contre Ienbsp;vice, amp; qu’il avoit toujours prié Ie ciel de toucher Ie ccEur des meurtriers de fon époufe. An-dolofio protnic è l’hermite de Ie yenir voirnbsp;encore : Je Ie délire, reprit l’hermite, je nenbsp;l’efpère pas; je ne fais quel preflentiment menbsp;fait vous quitter a regret. Andolofio parutnbsp;étonné ;il pritcongédu vieillard, amp;partit,avecnbsp;tin panier de pomraes, comme Ia première fois.
De retour au couvent, Andolofio prit une des pommes falutaires, amp; demanda Agripine.nbsp;je vous tiens ma parole, lui dit-il, mais tinbsp;condition que vous remplirez' la promeife que,nbsp;Vous m’avez faite, d’aimer la veriu , d’etrenbsp;jofte, de protéger les inforiunés, amp; de tra-Vailler au bonheur de vos fujets. Que puisje vous promettre, lui répondit-elle ? Je n’ainbsp;jamais été Reine; je fais que je défire de fairenbsp;Ie bien ; fi , par malheur, 1’état que vous m’an-noncez, m’éblouiflbit au point de changernbsp;fa^on de penfer, i quoi ferviroit Ie fer-inent que je vous ftrois, a ajouter Ie par-jure ‘i mes autres crimes. J'ai goüté la vertu,nbsp;j’en connois toute la douceur, amp; je feral mesnbsp;ctTorts pour la conferver toute la vie, amp; pournbsp;faire aimer aux autres; c’ell tout ce quenbsp;puis vous promettre : Andolofio fut en-
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chanté de fa réponfe. II lui donna une pooi-me, il lui en avoir expliqué les propriétés *, è peine 1’eüt-elle mangée, qu’elle fentit unenbsp;douleur de tête affez vive; elle s’aflbupitnbsp;moment fur fa chaife ; Andolofio la contem-ploit amp; la trouvoit plus belle que jamais;nbsp;n’eöt, peut-être, tenu qu'a lui de Penlever aunbsp;Prince de Chypre; mais il eüt manqué de parole a 1’un, h eut privé 1’autre de deux trónes.nbsp;II refpeéta fon ouvrage, amp; s’eftima plus heu-reux de l’avoir rendu vertueufe, que de lanbsp;pofféder. Agripine s’éveiila, palfa fa main furnbsp;fon front, amp; Ie trouva plus uni qu’il ne 1’a-voit jamais été : Elle fit un cri de joie, amp;nbsp;ne put s’empêcher d’embrafler Andolofio, ennbsp;1’appelant fon père : Difpofez de moi, luinbsp;dit-elle; ma main efi; a vous, fi vous ne lanbsp;dédaignez point: Je ne connois point Ie Princenbsp;de Chypre; c’eft un facrifice qui me coütenbsp;peu a vous faire; je renonce, pour vous, nonnbsp;feulement a fa couronne, mais encore a cellenbsp;de mon père, s’il s’oppofoit a notre union;nbsp;je préfêre la vertu a routes les couronnes dunbsp;monde. Non, belle Agripine, répondit An-dolofio en fe jetant a fes genoux; non, jenbsp;n’abuferai point de votre reconnoiflance; jenbsp;n’ai jamais cefl'é de vous aimer, amp; c’eft ce quinbsp;m’a rendu fi fenfible aux coups que vous m’a-vez portés; je vous aimois pour vous-même.nbsp;Rempliflez votre deftinée; Ie ciel vous ré-ferve deux trónes, afin que vous y donnieznbsp;l’exemple des vertus; je ferois coupable enversnbsp;tous les hoiiimes, fi je leur raviliuis un fi
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grand bien. Pardonnez-moi les chagrins que je vous ai caufés, vous voyez quel en a éténbsp;1’objec. Agripine ne put s’empêcher d’embraf-fer encore fon bienfaiteur, amp; de 1’appelernbsp;mille fois fon père. II lui dit d’aller fe paternbsp;Ie mieux qu’elle pourroit, amp; que, des cejournbsp;même, il la rendroit a fa familie; que, dès quenbsp;Ie Roi de Chypre feroit bien afluré de fa guéfi-fon, il enverroit des Ambaffadeurs pour la de-mander; amp; lui recommanda Ie plus grand fecret.
En attendant que la Princefle d’Angleterre t’habillat, Andolofio fit venir 1’Abbellè, amp;nbsp;s’entretint avec elle : 11 lui fit, au fujet desnbsp;cornes, a peu prés la même hiftoire qu’il avoirnbsp;faite au Roi de Chypre, fans lui pariet denbsp;fa guérifon, que 1’Abbelie défiroit, par amitiénbsp;pour elle; car elle n’étoit connue au couventnbsp;que pour la fille d’un Comte difgracié, amp; pro-che parente d’Andolofio. Tandis qu’ils étoiencnbsp;a s’entretenir, Agripine parut dans toute fanbsp;beauté: L’Abbefle fit un cri, en voyant qu’ellenbsp;n’avoit plus fes cornes; a peine pouvoir-ellenbsp;en croire fes yeux, elle y porta la main : Ellenbsp;crut que c’étoit un miracle ; elle fit avertirnbsp;toute la Communauié de venir au plus vite*nbsp;Toutes éprouvèrent Ie même étonnement amp;nbsp;la même joie; elle penfa être étouffée par lesnbsp;emhrafleraens des Religieufes amp; des Penfion-naires. Toutes demandoient comment, en finbsp;peu de temps, elle avoit pu être guérie. N’e»nbsp;foyezpoint furprifes, leur dit Andolofio, toutnbsp;eft poflible a Dieu ; c’eft lui qui nous en-voyeles biens amp;lesmaux, c’eft lui qui nous
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les enlève quand il Ie juge è propos. Agrlpioe. eft Priocefie amp; deftinée a régner; fi Dieu veillsnbsp;fiu- Ie dernier des êtres, il doit veiller, furtout,nbsp;fur les maitres de la terre, qui tiennent dansnbsp;leurs mains Ie fort des hommes. Je vais 1^nbsp;ramener a fes parens, amp;, avant qu’il foit unnbsp;mois, elle fera 1'époule du plus beau amp; dunbsp;plus vertueux Prince de la terre. A peinenbsp;eut-il cefle de parler, que les pleurs amp; les regrets de perdre Agripine fuccédèrent a la joienbsp;de fa guérifon : Elle les remercia , les con-fola, leur promit de fe fouvenir d’elles, quandnbsp;elle feroit fur Ie tróne, amp; leur dit même»nbsp;que celles qui voudroient venir auprès d’elle»nbsp;n’auroient qu'a Ie lui faire favoir; que, »nbsp;elles Ie défiroient, elle obtiendroit la permii-lion de faire transferer Ie couvent dans Ie pay®nbsp;oü elle alloit régner, pays charmant parnbsp;beauté de fa fituation amp; par la bonté du eb'nbsp;mat. Cet efpoir les confola; elles la viren'^nbsp;partir avec moins de regret. Andolofio fit pré'nbsp;fent de cent ducats a I’Abbeflè, amp; la remercianbsp;des foins qu’elle avoir pris d’Agripine; il re-mercia aulfi route la Communauté, ik dit qu’ilnbsp;alloit dépofer, entre les mains de cette Prin-ceile, dix mille guinées pour marier des Ds~nbsp;moifelles pauvres, amp; que, fi quelqu’une d’elle®nbsp;étoit dans Ie cas, 1’Abbeflé pourroic s’adref-fer a Agripine, qui donneioit telle partie denbsp;cette fomme qu’elle jugeroit a propos. Hnbsp;ïemarqua quelques-unes, qui fourirent, amp; gt; 5“nbsp;efiet, cette fomme fut, quelque temps apres,nbsp;partagée entr'elles.
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de. Fortunatas.
La Princeffe, a qui Andolofio donnoit la main, fortit du couvent. Lorfqu’ils furentnbsp;fur la prairie , 11 lui expliqua de quelle ma-nière elle devoir fe conduire dans Ie palaisnbsp;de fon père ; Elle lui réitéra les mêmes propo-fitions qu’elle lui avoir faites; il s’aper^utnbsp;qu’elle eür défiré qu’il les eüt acceprées; mais,nbsp;dans la crainre de iuccomber, il prit fon panier ó fon bras, mir fon chapeau, faifir lanbsp;Princefle, amp; défira d’être tranfporcé auprès dunbsp;palais du Roi : II la laifla la, amp; s’en retournanbsp;a Famagoufte.
CHAPITRE VII.
Phénomènes qui exercent ks Savans. Noccs du Prince de Chypre.
A MPEPO atrendoit fon frère avec impatience ;il Ie virarriver avec la plus grande joie; 11 ne put s’empêcher de rire, en Ie voyant,nbsp;avec un panier au bras. 11 admira la beauténbsp;des pommes; inais il n’ofoit en faire 1'expé-lience ; Andolofio, plus hardi, la fit devantnbsp;lui; Ie hafard voulut qu’un domeftique d’Am-pedo entrdt au moment ou Andolofio faifoitnbsp;examiner a fon frère la nature de ces cornes;nbsp;cejeune homme fut effrayé, amp; fortit aufli-tót,nbsp;difant, par-tout, ce qu’il avoir vu. Bientót,nbsp;Ié bruit s’en répandit dans Famagoufte, millenbsp;perfonnes vinrent pour s'aflurer du fait; An-dolofio, avoir mange dans 1’intervalle, la pom-
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me falutaire, amp;; les comes avoient difparu;
Ie préfenta dans fon état ordinaire, amp; Ie paUquot; vre domeftique pafla pour fol. Andolofio luinbsp;donna de quoi s’établir honnêtement, amp; 1®nbsp;renvoya cotntne un domeftique indifcrec amp;nbsp;parleur.
Aropedo ne voulut point faire un mauvais lifage de fes pommes ; mais il efiaya fi ellesnbsp;avoient Ie même effet fur les animaux»nbsp;n’ofoit cependant en faire 1’épreuve fur au-cun des fiens, de crainte que ce phénomèn?nbsp;ne confirmat 1’hiftoire de la veille i il alia ftnbsp;promenev dans une prairie ; il s’appiocha d’uunbsp;jeune poulain fans être aperpu', il lui jeta unenbsp;pomme, quftl mangea fur Ie champ. Ampedonbsp;fe retira, amp;, dès Ie lendemain, il entenditnbsp;dire, par-tour, qu’il étoit venu des cornes a lanbsp;téte d’un poulain; tout Ie monde alia voirnbsp;une chofe fi rare; Ampedo amp; fon frère y al-ïèrent amp; admirèrent, comme les autres, cettenbsp;bizarrerie de la nature. Ils propoférent au roai-tre du poulain de Ie leur vendre, amp; Ie payèrentnbsp;devanc tout Ie monde, afin qu’il fut bien aflurénbsp;qu’ils 1’avoient acheté, amp; que eet événementnbsp;n’étoit point arrivé chez eux. Ampedo con-tinua fes experiences fur des chiens, des chatsnbsp;amp; d’autres animaux, mais toujours chez ft*nbsp;Voifins. Ces phénomènes effrayèrent les uns»nbsp;faifoient rire les autres, amp; paroiflbient a toutnbsp;Ie monde fort extraordinaires : Les favans»nbsp;les curieux de la nature, s’aflemblèrent, amp; nenbsp;convinrent de rien : Andolofio propofa unnbsp;prix confidérable» amp; fit diftribuer un
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di Fortunatus.
gramme dans route TEurope, portant que Ic prix feroir donné a celui qui découvriroit parnbsp;quelles caufes ces cornes étoienc venues a cesnbsp;animaux, amp; par quels moyens on pourroitnbsp;les faire difparoitre, ü ce mal attaquoit l’ef-pèce humaine. II vint des diflertations fansnbsp;nombre; ie prix fut adjugé a celle qui met-toit la caufe des cornes dans Pextention desnbsp;nerfs produiis par une trop grande abondancenbsp;d’efprits animaux, amp; qui propofoit de lesnbsp;faire difjaaroitre, dans les hommes, par des vé-Ikatoires lippliqués a la plante des pieds.
¦ Andolofio laiffa palier quelques jours avant de revenir a la Cour du Roi de Chypre. Am-pedo s’ainufoit, tous les après-midis, a par-eourir Ie monde; comme il avoit un très-beau cabinet de curioiités naturelles, les cho-fes.rates qu’il rapportoit de fes voyages, nenbsp;jrcuvoient donn'er aucun foujagon fnr Ie fecretnbsp;du chapeau ; oh ctc^iVqü’il lés ach’.tèit eom-me auparavant : En effét, tour ce qu’il nenbsp;pouvoit porter, il Ie payoit fur les lieux, amp;nbsp;Ie faifoit envoyer a fon adrefle.
Lorfqu’il y eut un aflez long intervalle, Andolofio alia la Cour du Roi, amp; lui an-rion^a qu’il avoit appris la guérifon d’zlgri-pine, qu’il pouvoit envoyer fes Ambafladeursnbsp;pour s’en afllirer, amp; ne leur donnet Ie pou-voir de conclure qu'autant que la guérifonnbsp;feroit parfaite. Le jeune Prince, qui avoir entendu parler de la beauté amp; de 1’efprit de lanbsp;Princefié,pria, en particulier, Andolofio de luinbsp;^crire en fa faveur, amp; d’apporter tous fes
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foins a faire réuffir ce mariage. II avoir fa'*’ faire fon portrait, qa'il remit a I’Ambalia*nbsp;deur; il y joignit des prefens confidérables poti^nbsp;la Reine, pour le Roi amp; pour route la Cour-L’Ambafladeur partit avec une efcorte amp; de®nbsp;équipages magnifiques: A'ndolofio amp; le Prin^®nbsp;l’acc.ompagnérent jufqu’ii ce qu’il fe fut embat'nbsp;qué ; §1, deux jours après, Andolofio refU*-les certificats les plus authentiques de la pat'nbsp;faite gaérifon de la Princefle; c’etoit elle-nie-me qui les avoir fait faire amp; qui les lui avoRnbsp;adrefles pour les préfenter au Roi : Elle R*nbsp;marquoit, en même temps, I’effet que fon at-rivée avoir produit a la Cour d’Angleterre.
L’abfence de la Princefle avoir pafl'é pout un pélerinage a Saint-Pierre de Rome; ennbsp;vain le Roi avoit-il fait publier qu’elle s’é-toit retiree, pour quelque temps, dans un paquot;nbsp;lais, loin du rnonde amp; de la Cour; en vainnbsp;voulut-il pevfuad'er qtte-^’^toit lui-même quinbsp;la tenoit éloignée, paree qu’elle avoir marqué trop ouvertement fa protection a quel-ques rebelles d'lrlande; le peuple, qui avoirnbsp;eu quelque foup^on de la veritable caufe denbsp;fa retraite, mais qui, ,Be fachant qu’une trés-foible partie de la vérité, .méloit, felon I’u-fage, 1’abfurde amp; le vraifemblable, s’obftinoirnbsp;a croire que, lui étant furvenu une léptenbsp;affreufe, qui la défiguroic, elle avoir été aver-tie, en fonge, par Saint-Pierre en perfonne,nbsp;qu’elle ne guériroit que , lorfqu’apiès avoir taicnbsp;une neuvaine dans fon e'glife, elle iroit vi-fiter Notre-Dame de Lorecte. Ces bruits s’é-
-ocr page 121-toient fi bien accrédités a la ville amp; a la Cour, qu’on ne témoigna aucune furprife,nbsp;lorfqu’elle reparut; Agripine, qui ne s'y at-tendoit pas, fut fort étonnée de voir Ie peu-plé a genoux fur fon paflage, amp; d'entendrenbsp;les Grands qui, dévots par flatterie, commenbsp;ils auroient été ivnpies pour faire leur cour,nbsp;lui demandèrent des reliques amp; des chapelets.nbsp;Elle crut, d’abord, qu’on avoitfu fon féjournbsp;dans Ie couvenc du défert, amp; cela ne 1’afFeiitanbsp;^ue médiocrement; mais elle fut déconcercé@nbsp;par les queftions qu’on lui faifoit fur la ba-fjlique, fur la Rotonde, fur Ie Colifée amp; furnbsp;IS’otre-Dame de Lorette. Elle demanda a fanbsp;inère ce qiie cela fgnifioit, amp; ajufta fes ré-ponfes au préjugé du public.
Elle avoit trouvé fon père amp; fa mère dans la douleur, amp; pouflant des cris de rage con-ire Andolofio; elle prit ouvertement fa dé-fenfe; elle loua fon honnêteté amp; fa bienfaifan-ce; leur dit hardiment que c’étoit a lui plusnbsp;Su’aeux, qu’elle devoit l’arnoür de la vertu;nbsp;elle leur raconta tout ce qu’il avoit fait pour elle ; que la feule vengeance qu’il eüt tirée de tantnbsp;de traits d’ingratitude qu’il avoit re^us en An-gleterre , étoit de l’avoir retenue dans unnbsp;couvent pendant dix-huit mois, amp; que c’étoit ce qui avoit pu lui arriver de plus heu-ïeux. Le Rol, qui étoit plus jufte que fonnbsp;dpoufe, fe repentit des mauvais traitemensnbsp;^u’il avoit faits a Andolofio; il envoya cher-cher le Prince boflu, amp; lui demanda quellénbsp;*^sttitude il avoit du bruit qu’il avoit répan-
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d«, qu’Andolofio ayant eu un enfant pine, 1’avoit enlevée, amp; qu’après s'en êtrSnbsp;laffé , il 1’avoit livrée a un de fes écuyers tnbsp;‘auquel elle tenoit lieu de maitrefle amp; denbsp;vante- Agripine fut indignée de cette horr^quot;nbsp;ble calomnie; Ie Roi vouloit Ie faire jno-*-felon la rigueur des lois, amp; il auroit eunbsp;tête tranchée; mais, a la follicitation de 1*nbsp;Princefle, il fe contenta de Ie condainnernbsp;«ne prifon perpétuelle, afin de lui óter tout®nbsp;occafion de nuire. Agripine fut bien aife d’^quot;nbsp;tre délivrée de ce monftre amp; des perfécutionSnbsp;de fa mère, a caufe de lui; quoiqu’elle n’eut^nbsp;jamais confenti a 1’époufer, elle craignoit qu’ünbsp;iie traverfdt fon mariage avec Ie Prince denbsp;Chypre.
L’Ambafladeur parut, enfin; Ie Roi ne com-prenoit pas quel pouvoit être Ie fujet d’une ambaflade fi magnifique; la Reine, qui avoiCnbsp;appris, de fa fille, qu’Andolofio étoit ^ Fama-goufte, craignit qu’il n’eüt excité Ie Roi denbsp;Chypre a déclarer la guerre ^ 1’Angleterre;nbsp;amp; que n’avoit-on pas a rifquer avec un Gé-néral tel qu’Andolofio ? Elle communiqua feinbsp;conjectures, en grand feeree, a quelques femmes de la Cour , qui Ie dirent, dans un plusnbsp;grand fecret, è leurs raaris, amp; , dans vingt-quatre heures, la guerre avec Ie Royaumenbsp;de Chypre fut Ie bruit public, amp; peu s’ennbsp;fallut que Ie peuple n'infultk 1’Ambafladeur.nbsp;Enfin , après un délai de deux jours, pendantnbsp;lefquels il avoit vu fecrettement la Princeflenbsp;amp; lui avoit doniié la lettre d’Andolofio gt; 1’Am-
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^afladeur préfenta au Roi fa lettre de crédit amp; demanda l’audience : Elle fut fixée au len-demain : Dans 1’intervalle , la Reine , quinbsp;frémiflbic (les coupables ont toujours devantnbsp;les yeux les fuites funeftes de leurs crimes),nbsp;fit tout ce qu’elle put pour favoir Ie vérita-ble fecret de Tambaflade ; routes fbs démarches n’aboutirent a rien.
L'Ambafladeur de Chypre, fuivi d’un Due, de deux Comtes, de plufieurs Chevaliers amp;nbsp;Êcuyers, fit la demande de la Princefle Agri-pine pour Ie Prince de Chypre. II infifta furnbsp;Ie défir que Ie Roi de Chypre avoir de cettenbsp;Union, amp; furie bonheur dont les fujets desnbsp;deux époux jouiroient. Si la vertu la plusnbsp;cprouvée eft la plus folide, celfe de la Princefle avoit été expofée a bien des écugils;nbsp;l’Ambafladeur fit fentir cette vérité dans fanbsp;harangue, mais fort adroitement. II fit 1’é-loge du Prince de Chypre. La Reine étoit d’unenbsp;grande inquiétude a ce fujet; 1’Ambafladeuenbsp;lui préfenta Ie portrait done il étoit chargénbsp;pour Agripine; elle Ie trouva très-beau, amp; lènbsp;fit remarquer au Roi. Andolofio, dit- elle anbsp;fa fille, vous a, fans doute , parlé ‘de ce Prince ; Ie portrait qu’il vous en a fait, eft-ilnbsp;conforme a celui que nous voyons ? Agripinsnbsp;De répondit rien ; L’Ambafladeur afliira Ie Roinbsp;^ la Reine , que , s’il y avoir quelque difference entre 1’original amp; Ja copie, elle étoitnbsp;toute a Pavantage du Prince, qui, n’ayantnbsp;P3s encore atteint fa vingt-quatrième année,nbsp;wniflbit a la beauté du corps les tulens d«
, no nbsp;nbsp;nbsp;Hijïoire
1’efprit amp; les qiialités du coeur. Comme, ajott-tèrent-ils, ce ne font point des incérêrs pO' litiques qui fonc défirer ce mariage au Rolnbsp;mon maitre, après avoir eu Ie confenternentnbsp;du Roi amp; de la Reine d’Angleterre, il veut»nbsp;piour lui amp; pour Ie Prince fon fils, avoir celui de la Princefle, mais libre amp; dégagé denbsp;route contrainte. La Princefle 'baifla la vue»nbsp;amp; aflura 1’Ambafladeur qu’elle dépendoit uni-quement de la volonté de fon père amp; de 13.nbsp;rhèfe. Alors, Ie Roi amp; la Reine dirent que »nbsp;quoiqu'ils approuvaflent, amp; métne qu’ils dé-liraflent ce mariage, ils lui remettoient, néan-moins, tous leurs droits; que c’étoic a ellenbsp;a prononcer; Agripine dit que puifqu’ilsnbsp;1’approuvoient, elle confentoit a donner fanbsp;main au Prince de Chypre , dont elle eftimoitnbsp;les rares vertus. Cei aveu fut fuivi de grandsnbsp;cris de vive ylgripine , vtve /e Prince dinbsp;Chypre. Dès ce moment, Ie mariage fut ar-ïêté , amp;, Ie lendemain, les cérémonies d’u-fage furent faites.
On fe difpofa a nommer les Seigneurs amp; les Dames qui devoient accompagner la Princefle ; on intrigua, on cabala, on follicita eetnbsp;honneur, comme il arrive prefque toujours:nbsp;Ce choix dépendoit du Roi amp; de la Reine ;nbsp;ils confultèrent leur fille : Comme il y avoitnbsp;plufieurs perfonnes de diftinélion fur les rangSfnbsp;dont elle ne fe foucioit pas, elle profita denbsp;la connoiflance qu’elle avoit des intrigues denbsp;la cour , pour s’en débarrafler, fans les ex-clare. Elle forma la lifte des femmes, de route»
-ocr page 125-celles dont les amans ne foient pas nomtnes, amp; celle des hommes étoic compofée de ceuxnbsp;dont les maicreüès ne devoient pas être dunbsp;Voyage. Dès que ces liftes furenc publiées,nbsp;Une confternation générale s’empara des femmes. Ellesfirent follicicer, fourdement, pournbsp;réfter, les unes fous prétexte d’affaires, lesnbsp;aucres a raifon de leur inauvaife fanté; ellesnbsp;propofèrent a leur place les femmes qu’A-gripine défiroit; pour les hommes, très-peunbsp;demandèrent a être remplacés.
Lorfque tout fut ainfi difpofé , Ie Roi fit préparer plufieurs vaifleaux, les fit charger denbsp;fiches préfens, amp; de route forte de provi-fions : 11 donna a Agripine les plus richesnbsp;joyaux , amp; une grande quantité de pièces d’é-toffes d’or; il fit des dons a routes les femmes de la Princefle, amp; la Reine en fit a tousnbsp;les hommes. Le Roi amp; la Reine accompagnè-fent Agripine jufqu’au vaiflêau ; amp;, avant denbsp;S’ernbarquer, ils lui donnèrent leur bénédic-tion, fuivant 1’ufage; ils rembraflérenc , Scnbsp;ne la quittèrent point fans 'verfer des larrnes:nbsp;Les Anglois, qui avoient mëdit d’elle rantnbsp;qu’ils la pofl'édoientla regrettèrenc beau-coup, quand ils la virent partir, amp; n'y pen-lerent plus, huit jours après.
Agripine arriva heureufement a Famagouf-ïc, .oü Andolofio l’attendoit avec les Dames fiue le Roi de Chypre avoit envoyées au de-Vant d’elle. Elle vit Andolofio avec beaucoupnbsp;plaifir; il lui avoir préparé des fêtes fu-pcrbes ; La Princefle, déja enchancée dé la
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beauté d’un cliraat fl différent de celui d'AiJ' gleterre amp; d’Irlande, amp; que fa douceur aVOJtnbsp;fait confacrer, autrefois, a Venus, les trouVinbsp;encore plus belles. Ampedo avoir paflénbsp;jours a fe tranfporter de contrée en contree»nbsp;pour apporter a cette fête ce que chacune »nbsp;de plus. rare amp; de plus précieux ; tout cenbsp;pouvoit y flatter les fens y étoit rafletnbls*nbsp;I^a Princefle en croyoit a. peine fes yeux. Ani'nbsp;pedo lui fit voir fon cabinet pies phénonièiifi*nbsp;les plus merveilleux des trois règnes y étoiei^''nbsp;accumulés; la ménagerie étoit encorenbsp;amufante; on avoir eu foin de cacher tousnbsp;les animaux portant cornes; elle s’en aperfUt»nbsp;amp; fourit, en regardant Andolofio.
La fête n’étoit pas pour la Princefle feul2; tout Ie peuple, foit Cypriotes ou étrangers»nbsp;y eurenc part. Aux Tournois fuccédoient Ie*nbsp;joutes; aux joutes les bals publics Sc les H'nbsp;luminatioirs. Le lendemain, c’étoient ^0*nbsp;fpeftacles d’une autre efpèce, des cavalcades»nbsp;des jeux de bague , des carroufels; on ter-mina le troifième jour par des fitnulacres tl®nbsp;guerre de terre amp; de mer. II fe donna unnbsp;combat naval dont on a long-temps confetvenbsp;le Ibuvenir a Famagoufle. Deux efcadres»nbsp;com'pofées dès vailiéaux les plus légers, tiu^nbsp;pavilions d’Angleterre amp; de Chypre, ornéesnbsp;de banderoles de routes couleurs, combat.ti-rent 1’une contre 1’autre, au bruit d’uncnbsp;foule d’inftrumens de mufique amp; des cris desnbsp;combattans. Deux vailiéaux, dont on avoit eunbsp;foin de retirer i’équipage dans des chaloupes,
fureut
-ocr page 127-furént brulés amp; coulés a fond. La Princefle en fut effi-a5iée; on la rafiura. Elle étoit mon-tée a bord de l’^ndolofio , galére, dont onnbsp;He favoit qu’admirer Ie plus, de la galanterie,nbsp;Ou de larichelfe; les cordages étoient tiffus de filnbsp;d’or amp; de foie; les rames étoient d’or.amp; d’azur;nbsp;les voiles étoient de pourpre; vers la poupe s’é-levoit un tróne en forme de conqüe, foutenuènbsp;par des Tritons amp; des Néréides; des chaloupes,nbsp;qui fuivoient la galére, amp; que la Princefle. nenbsp;Voyoit pas ^ portoient de jeunes plongeurs^nbsp;qui fe jetoient dans 1’eau, venoient folatrernbsp;autour de la galère, amp; imitoient, dans leui'Snbsp;jeux, toutes les divinités de la mer.
' Le corabat finit par la, viftoire. de 1’une des efcadres, amp; la Princefle pofa une cou-ï.onne de laurier fur la tête du vainqueur. Lenbsp;foleil étoit couché , la nuit avan^óit, Agri-pine, peu faite a la mer, commengoit a êtrénbsp;inquiète , lorfque les efcadres s’étant joinces,nbsp;parurent étincelantes de lumière ; elle fe tour-'Ha, amp; vit le port également éclairé ^ fa galère,nbsp;Cn un inftant, parut un pihofphore; jamais illu-öiination n’avoitété fi brillante, ni fi prompte-ïHent exécutée; La galère s’approcha; une cha-loupe couverte vint recevoir ’la Princefle amp; lanbsp;conduifit chez Andolofio, au bruitde-plufieutsnbsp;Inflirumens.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;'
Le lendemain', c’étoit le jour du depart de Princefle, qui n’éh étoit ¦ peinc prévenue ,nbsp;partif poür 'la[,.cbdfle^ comme de rgndez-¦Vóus .étoit fort éloigné, on flt-möntér la Prin-¦«efle fur ^un cbar.; attelé^- Ae quaire lènes,
F
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qu’Ampedo avoir tranfportées du fond du nord; une vingtaiqS de chars, un peu pi^^*nbsp;grands, tratnés par des cerfs, pour les Damesnbsp;de la fuite d’Agripine, fuivoient le lien : Ceuxnbsp;d’Ampedo amp; d’Andolofio etoient atteles denbsp;fix élans : Les Seigneurs de la fuite, les Chevaliers St leurs Ecuyers, étoient partis, douzsnbsp;heures plutót, a cheval, amp;, quelque diligefcsnbsp;qu’ils euflent faite, a peine écoienc-ils au ren-dez-vous, lorfque la Princeffe y arriva; ellsnbsp;fut étonnée de les y trouver. On quitta cesnbsp;voitures, amp;, après un repas de chafle, pl^*nbsp;délicar que fomptueux, on fortit de la fors’-comma en fe promenant; on pafla dans unenbsp;enceinte, ou le hafard fembloit avoir conduit. Dès que la Princefle parut, un bruitnbsp;éclatant de cors, amp; d’autres inltrumens, per?^nbsp;les airs, amp; cinquante chars, plus brillans qu®nbsp;les premiers, trainés par les plus magnifiqu^snbsp;chevaux, tnarchoient a la fuite d’un char denbsp;triomphe dans lequel Andolofio conduifitnbsp;Princeffe, en lui annonqant que, dans peu»nbsp;elle feroit rendue a la Cour du Roi de Chypt®*nbsp;On fe mit en marche; les gardes du Roi efcot-toient les chars; la Princefle remarqua, ^ quelque diftance du fien, un de fesgardes; il étoitnbsp;d’une taille majeftueufe amp; legére; le panachenbsp;qui ombrageoit Ion cafque, rabattoit futnbsp;front amp; cachoit fa figure, de forte qu’ell® nenbsp;putpas]edifl:inguer;d’ailleurs, il avoir fi bonnenbsp;-grèce, le fon de voix li touchant, ce qu’elle en-tendit lui parut li honnete amp; fi ingenieux., qunbsp;fon cceuc s’intéreflbit a lui, inalgré eJle: li di
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de Fortunatus.
parut un moment après. A quelques lieues de Ia capitale, les troupes du Roi bordoienr Ie che-min a droite amp; gauche; a mefure que lesnbsp;chars paffoient, les deux files fe réuniflbientnbsp;amp; fe replioient fur quatre de front, pour leurnbsp;fervir d’efcorte ; cette double hale finiflbitnbsp;a une demi-lieue de Ia capitale, oü les Seigneurs , rangés dans Ie rnême ordre que lesnbsp;troupes, bordoient Ie chemin ; quand les charsnbsp;eurent pafl'é, les troupes s’arrêcèrent amp; lesnbsp;Seigneurs fe replièrent, auffi pour les accom-pagner, marchant a la tête de la colonne, quinbsp;occupoit un efpace immenfe : C’eft dans eetnbsp;ordre qu’on arriva au palais du Roi, quinbsp;étüit a 1’autre extrémité de la ville ; il n’ynbsp;eut que les Seigneurs a la fuite des chars,nbsp;q\ü la traverfèrent; les troupes arrivèrent de-vant Ie palais, par un autre chemin, amp; fenbsp;rangèrent en ordre de bataille. En paflant dansnbsp;la capitale, jonchée de lauriers amp; de fleurs,nbsp;cm eut foin de prendre les plus longs detoursnbsp;pour donnet au peuple la fatisfaélion de voirnbsp;leur nouvelle Souveraine. Le Roi, les Princes de fon fang amp; les Miniftres, re^urent lanbsp;Princelie dans un beau périftile, oü ils 1’at-tendoient. Lorfqu’elle defcendit, le Roi alianbsp;Êu devant d’elle, amp; lui préfenta fon fils, quinbsp;lui oftnt la main de la manière la plus noblenbsp;amp; la plus modefte: Malgré le changement d’ha-bit, elle reconnut le garde qui 1’avoit frap-Pée. Le Prince paroiflbit au comble du bon-lieur; il parloit peu, fes yeux feuls expri-iiioienc fes tranfports; il aper^ut Andololio 5
11'6 nbsp;nbsp;nbsp;H’fioire
lt;^ue je VOUS' ai d’obligation, lui dit-il, d’uti . ton pénérré! La Princelle fenrit tout le prixnbsp;de ce remerdment. Un repas fompcueux étoicnbsp;préparé; le Prince fat placé a cóté d’elle;nbsp;fes diftracTiions continuelles, qui faifoient ritenbsp;les courtifans, enchantoient Agripine; le Roinbsp;fourioit, amp; fe fentoit rajeunir; enfin, elle futnbsp;conduite a Ion appartement, oü le Prince lanbsp;laifla. Le lendemain, fe fit la cérémonie dunbsp;mariage, 'après lacjuelle Agripine avoua que «nbsp;quelque idéé qu’elle fe fut faite de lui, ellenbsp;étoit bien .au deflbus de la réalité ; qu’ellenbsp;n’afpiroit qu’d mériter fon amour amp; fon ef-time ; il lui fit les declarations les plus ten-drés. Enfin, il fallut céder a 1’étiquette ; lenbsp;Prince requt, pendant toute la matinee, lesnbsp;félicitations des Grands amp; du Peuple, amp; lanbsp;Princefl'e les cömplimens des Dames. Alors, leSnbsp;fetes commencèrent; le Roi avoir chargé Ando-lolio d’en être 1’ordonnateur; elles furent auflinbsp;galantes que celles deFamagoufte, quoiqu’ellesnbsp;fie fe reflemblaflent en rien; elles durèrent fixnbsp;femaines, avec une fi grande variété de plai-firs, qu’elles ne parurent pas durer fix jours.
Andolofio comproit pour rien les fêtes les plus agréables, fi le people ne les partageoitnbsp;pas avec les Grands. Il y eut, dans routesnbsp;Jes villes du royaume , des réjouiflances publi-ques, qui, routes , tournerent au foülagementnbsp;des citoyens. Le Roi ordonna que , dans cha-cune , on choisit les garqons amp; les fiHes pau-vres , qui fe' conviendroient, amp; qu'on lesnbsp;inari^t avec vine dot prife fur la recette des
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de Fortunatus.
deniers royaux. II fit diftribuer de 1’argenc au peuple, amp; ordonna par-tout des repasnbsp;publics a fes dépens. Tous les orphelins eu-renc un fort aflliré : Dans .les villes principa-les, il fit élever des moqumens luiles, desnbsp;marches commodes, des fonraines, enfin,nbsp;tout ce qui put y attirer 1’étranger.
On fe reöencoit un peu plus dans la capi-tale de la préfence du Roi. Tous les étran-gers y furent magnifiqueraent re^us, chacun fuivant fon état. II y vine des Chevaliers denbsp;toutes les contrees; les tournois avoient éténbsp;annoncés depuis plufieurs jours. Seigneurs amp;nbsp;vaflaux, chacun fe piqua d'etre fuperbemencnbsp;rnontépour venir offrir fesprafens; ils furencnbsp;dignes du Roi, amp; au gré des deux époux.nbsp;Andolofio donna un vaifleau chargé de vinsnbsp;mufeat amp; de malvoifie, qu’on buvoit commenbsp;du vin ordinaire. Les Seigneurs, les Chevaliers, amp; leurs Ecuyers, furent invités de refter pendant les fix femaines, amp; furent tousnbsp;défrayés aux dépens du Roi.
Les tournois corainencèrent; ils fe firent avec beaucoup d’ordre. Sur la fin du jour ,nbsp;on diftribuoit les prix, amp; c’étoit de la mainnbsp;de la Princefle qu’on devoit les recevoir. An-dolofio excelloit dans ces exercices; mais,nbsp;pour ne géner perfonne, il s’étoit fait unnbsp;point de n’entrer en lice , que lorfqu’on 1’ynbsp;^ppeloit. C’étoit pendant Ie bal que la nouvellenbsp;Reine couronnoitle Vainqueur, file Chevalier,nbsp;aprés i’avoir emporté d la lance, a la courfe ,nbsp;^ dans les autres jeux de la chevalerie, 1’em-
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portoit auffi a la danfe. Andolofio avoit déji été couronné plufieurs fois, amp; les hommesnbsp;amp; les femmes lui prodiguoient également leursnbsp;applaudillemens. Un jour, qu’il avoit mérité tous les prix, amp; que, d’une communenbsp;voix, Ie peuple amp; les Seigneurs les lui ad-jugeoient, Ie Roi, pour plaire a la nationnbsp;Angloife, Ie décerna au Comte Théodore»nbsp;qui avoit accompagné Agripine. Si Ie Roi denbsp;Chypre devoit faire uneinjuftice, c’étoitmoinsnbsp;d Andolofio qü’a tout autre ; mais Andolofioynbsp;fit peu d’attention , ayant pour lui Ie cri géné-lal, amp; 1’approbation du peuple, qui murmura.
Complot atroce. Fin tragique du ChapeaU» Mort d'un des fih de Fortunatus.
hÉodore, qui eüt du fe contenter d’avoir obtenu Ie prix par la faveur du Roi»nbsp;fut indigné de ce que Ie peuple penchoit pournbsp;Andolofio ; Sa préfomption lui fit croire quenbsp;rinjuftice étoit du cóté du public; il jura denbsp;s’en venger : II edt été tout fimple qu’il eütnbsp;mis fa vengeance a difputerde nouveaux prix »nbsp;c'étoit, du moins, la voie la plus fure denbsp;mettre Ie public dans fon tort, amp; celle quenbsp;fa vanité auroit dü lui fuggérer; ü ^irnanbsp;mieux fe fervir de la reflburce des laches. IInbsp;favoit qu’Andolofio avoit plufieurs envieux,nbsp;il en avoit lemarqué un, entr’autres, qui,
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de. Fortunatus.
a (Siaque fuccès amp; a chaque trait de générofité de ce valfiureux chevalier, frémifloit de rage ;nbsp;il épioit, depuis long-temps, Ie moment de Ienbsp;perdre, foit par fes calomnies, foit par quejquenbsp;tiahifon; mais rien encore n’avoit pu lui réuf-fir ; il en étoit d’autant plus défefpéré, qu’ilnbsp;favoit qu’Andoloiio connoiflbic Ie fond da fanbsp;haine , amp; ne daignoic pas y faire attention.nbsp;Cet envieux , qui déteftoit les gens de bien,nbsp;paree qu'il n’avoit jamais fu faire que Ienbsp;inal, étoit Ie Comte de Limofi. Théodorenbsp;alia )e rrouver: II ell bien trifte pour nous,nbsp;dit-il, que, paree que cet Andolofio s’eft faitnbsp;quelques créatures a force d’acheter leur eftimenbsp;pardesbafleflesamp;parfon argent, nousfoyonsnbsp;expofés a nous voir facrifiés a cet hommenbsp;obfeur par une vile populace. Quoi! le Roinbsp;lui-même u’eft pas a couvert de fa cenfure :nbsp;il fuffit que fon fouverain me couronne pournbsp;qu’on le trouve injufte ; e’eft un attentat corn-mis contre fa perfonne facree, amp; e’eft a nousnbsp;ji le venger. 11 eft honteux qu’un Roi dé-pende du vain caprice de fes fujets; e’eft anbsp;la fource du mal qu'il fau't remonter; e’eftnbsp;Andolofio qiii corrompt le peuple ; e’eft Andolofio qu’il faut punir. Le Comte de Limofinbsp;1’écüuta avecplaiflr, il n’étoit embarraflé quenbsp;fur les inoyens. Comment attaquer un hom-me qui a la confiance du Roi amp; l’amitié dunbsp;peuple ? II a , difoit le Comte , fafciné 1’unnbsp;rautre,^ amp; fes richefles inepuifables ferontnbsp;toujours un obftacle a nos projets. Quelle eftnbsp;done la fource de cette opulence ? II a peu dc
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terres; Ton pèfe ne quitta Famagoufte, paree qu’il étoic dans la misère; ils ont beau-coup voyage 1’iin amp; l’autre; mais Fortunatusnbsp;amp; Andoloiio 5 euflent - ils gagné un ernpij®nbsp;chacun , aux dépenfes qu’ils onr faites»nbsp;devroient étre ruinés. La fète qu’il a donneenbsp;a la Reine furpaflbit en magnificence celle denbsp;Souverain. Oui, je crois avoir deviné Ie fflOCnbsp;de cette énigme ; Andolofio n’a hérité de fortnbsp;ptère que de 1'arc diabolique de Nécromantie*nbsp;N’avez-vous pas entendu dire qu’on 1’avoicnbsp;vu avec des cornes a la tête? Depuis quel-que .temps, nous n’entendons parler que ^enbsp;prodiges, de chiens, de chevaux, qui naifièncnbsp;avec des cornes; ne voyez-vous pas avec quelnbsp;foin fon frère achète tous ces monllres, poo^nbsp;en. dérbbet ia connoiflance au public? linbsp;i’accufer hautement amp; Ie livrer aux Prêtres»-Théodore ne fuc pas de eet avis; lesnbsp;tres feront pour lui; car il a fait beaucoupnbsp;de fondations; Ie peuple Ie prendra fous f^nbsp;proteélion, paree qu’il eft généreux; Ienbsp;ie défendra, paree qu’il fait 1’art de flateer:nbsp;Le plus für, mon cher Comte, Ie plus fu^nbsp;eft de 1’enlever. Je vois trois grands avan-tages dans ce parti : D’abord, notre vengeancenbsp;eft fure; elle fera impunie, paree qu’il nynbsp;aura que nous dans le fecret, fe elle p^u::
' nous être fortutile, paree qu’Andolofio nous avouera , de gré ou de force, la fource denbsp;fon opulence, amp; que, quoique Tart de Necromantie foit un grand mal, nous nous enbsp;fervirons pour réparer le mal qu’ü ^ J
-ocr page 135-entendu dire, a de tvès-grands doAeurs, ‘qu’il étoit permis de faire un petit mal, quand ilnbsp;en réfultoit un grand bien : Or, vous \t)yeznbsp;Ie bien immenfe que nöus ferons. Quant aunbsp;moyen de nous emparer de lui, il me paroitnbsp;tout fimple. Votre chateau eft fitué prés denbsp;Famagoufte : Lorfque les fêtes feront linies,nbsp;Andolofio retournera chez lui; nous 1’atten-drons fur Ie paflage, nous 1’attaquerons, amp; ,nbsp;furtout, nous aurons foin qu’auciin de fesnbsp;gens ne nous échappe ; nous renfermeronsnbsp;Andolofio dans votre chateau , amp; nous Ienbsp;mettrons hors d’état de nuire, a 1’avenir,nbsp;a perfonne, de trompet- Ie Roi amp; Ie peuple,nbsp;amp;, furtout, d’enlever tous les prix des tour-nois. Le Comte de Limofi, qui n’avoit pasnbsp;ofé, d’abord, propofer ce moyen, de craintenbsp;qu’il ne parut trop violent a Théodore, 1’ap-prouva, le reftifia, amp; y ajouta tout ce quenbsp;1'envie put lui fuggérer de plus prudent.
Après que les fêtes furent terminées, Andolofio prit congé du Roi, amp; des jeunes époux, qui le combièrent de carefles La Princeffenbsp;avoit dévoilé a fon mari tout ce qui s’étoitnbsp;paflë, a Ia Cour d’Angleterre, au fujet d’An-dolofio: L’heureufe vengeance qu’il en avoitnbsp;tirée; amp;, quoiqu’elle fut le fecret de lanbsp;bourfe amp; du chapeau, amp; qu’elle fut femme,nbsp;elle le garda jufqu’après la mort d’Andolofio.nbsp;Elle n’en paria, dans les récits qu’elle fit anbsp;fon mari, que comme de bijoux fort rares,nbsp;qu’il tenoit de fon père , amp; qui les lui avoienbsp;Eecoinmandésen mourant, aux dépens même
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de fa vie. Le Prince partageoit Ia reconnoir-fance de fon époufe, amp; leur tendreüe pour Andolofio étoit un nouveau nceud pour leurnbsp;amour. Ils le virent partir avec le plus grandnbsp;regret; le Roi s’étoicjuftifié de 1’efpèce d’in-juftice qu’il lui avoir faire, en lui ótant Isnbsp;prix, pour le donner é, Theodore. Pouvois-je faire autreraent? je viens de m’unir a lanbsp;nation Angloife; les Chevaliers de routes lesnbsp;nations avoient remporté des prix, les feulsnbsp;Anglois n’en avoient aucun ; vous en avie2nbsp;obtenu une fi grande quantité, que je n’ainbsp;pas cru vous faire tort , en vous arrachantnbsp;une feuille de laurier, pour la mettre fur lanbsp;tête du Comte Theodore : Au refte, j’ai vunbsp;avec plaifir que le peuple vous a rendu,juf-tice. Andolofio s’excufa lui - mêroe de ftnbsp;trop grande avidité pour la gloire, amp; en de-manda pardon au Roi, qui lui ordonna de re-venjr le plus promptement qu’il pourroit.
Tandis qu’Andolofio prenoit congé , IS Comte de Limofi amp; Théodore difpofoient»nbsp;fur fon chemin, des fcélérats, qu’ils avoieurnbsp;été chercher au loin, leur défignoient 1’en-nemi, fans jamais le nommer, en leur re-commandant de le prendre amp; de ne tuer qusnbsp;les gens: Ils leur promirent de grandes rs-compenfes amp; les ilépouilles des vaincus.
Comblé des bontés de fes maitres, i’ame ft“ tisfaite du bien qu’il avoir fait, Pefprit occupénbsp;des moyens d'en faire encore, Andolofio volqicnbsp;dans les bras de fon frère; il fuivoit le chem‘°nbsp;de Famagoufte, s’entretenent famiUsrement
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de Fortunatus.
avec fes gens. Les émiflaires des Comres, em-bufqués derrière des haies, attendirent qu’il fut au milieu d’eux; alors, fonant de tous cótés,nbsp;ils fe jetèrenc, a grands cris, lur les brides desnbsp;chevaux: Andolofio amp; fes gens fe défendirencnbsp;avec courage; mais que peut la valeur contrenbsp;ie jiombre amp; la trahifon! Le chemin étoicnbsp;parfemé de clous a plufieurs pointes; les chevaux furent enferrés, amp; on leur coupa les jarrets;nbsp;les Chevaliers furent renverfés, amp; touspaffésnbsp;au fil de 1’épée: Andolofio s’étoit relevé, amp;nbsp;avoit tué trois de ces affalVins. Malheureufe-ment, le chapeau étoit entre les mains denbsp;fon frère; néanmoins, il fe feroit débarraffénbsp;d’eux; mais, comme il fe battoit en retraite ,nbsp;les deux Comtes, jufqu’alors fpedlateurs danbsp;combat, 1’attaquèrent par-derrière; il fit face;nbsp;als 1’attirèreni auprès d’un arbre, fur lequelnbsp;ils avoient pofte deux des fcélérats, lefquels,nbsp;a uncertain figne, laiflerent tomber un énormenbsp;filet qui enveloppa Andolofio, amp; l’éleva dansnbsp;1’air. On fe failit de lui, amp; les deux Comtesnbsp;1’enfermèrent dans les prifons du chateau,nbsp;i’enclaaJnèrent, amp; lui donnèrent des gardes,nbsp;qui le veilioient jour amp; nuit. En vain leurnbsp;promit-il des fommes conüdérables s’ils le laif-foient fortir \ ils craignoient trop la cruauté denbsp;leurs maitresi d’ailleurs, quand il auroit panbsp;s’échapper de la prifon , le chateau étoit dansnbsp;dne 11e qui étoit gardée de tous cótés.
La nouvelle de 1’aflaffinat des gens d’Ando-lofio, qu’on avoit dépouillés, amp; dont les corp s furent trouvés dans le chemin, jeta une grand
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condernation a la Cour; on craignoit qu’An-dolofio n’eut été tué; Ie Roi dépêcha , fur Ie champ, un eourrier a Famagoufte, amp; cenbsp;fut par lui qu’Ampedo en apprit la premièrenbsp;nouvelle. Les deux Comtes parurenc fort affli-ges, amp; demandèrent au Roi une efcorte pournbsp;faire des recherches dans tous les environs denbsp;1'endroit oii s’étoit commis le meurtre, donenbsp;le chateau de Limofi n’étoit pas bien éloigné.nbsp;Ampedo revint a la Cour, avec le eourrier ; ilnbsp;fe jeta aux genoux du Roi, le pria de lui préternbsp;main-forte, amp; de faire chercher Andololio dansnbsp;tout fon royaume : Le Roi amp; les Princes mêlè-rent leurs larmes aux fiennes. Le Roi fit publiernbsp;qu’il donneroit une récompenfe de mille ducatsnbsp;è celui qui donneroit des indices de I'adaffinatnbsp;d’Andolofio; il fit faire des perquifitions denbsp;tous cótés: Il jura d Ampedo de ne rien epar-gner, quand il devroit lui en couter la moitiédenbsp;Ibn royaume , amp; de le venger, s’il étoit mort,nbsp;par le fupplice du meurtrier, quel qu’il fut.
Plufieurs jours s’étoient palies dans ces recherches inutiles; Ampedo, au moyen de fon chapeau, s’étoit tranfporté dans tous les lieuXnbsp;OÜ il imaginoit qu’il pourroittrouver fon frère.nbsp;Enfin, défefpéré de ne rien découvrir; funeftsnbsp;chapeau, dit-il, qui me deviens inutile annbsp;moment ou ta vertu me feroit le plus nécef-faire:Hélas, fi mon frère t'avoit eu, peur-étre 1’aurois-tu fauvé de fes ennemis! Il n’eltnbsp;plus, fans doute; peris done, inutile préfent,nbsp;amp;, auffi-tót, il le jeta dans le feu, afin fiuenbsp;perfonne ne put en jouir. Il dépêchoit vers
Ie Roi courrier fur courrier, amp; il ne recevoic aucune nouvelle favorable. A peine fon chapeau fut-il brülé, qu’il lui vine mille moyensnbsp;de découvrir fon frère , auxquels il n’avoir pasnbsp;fongé auparavanc; il eüc voulu Ie ravoir aunbsp;prix de la moitié de fon fang; Ce nouveaunbsp;chagrin ne faifant qu’accroitre fon-défefpoir,nbsp;il tomba dangereufement malade Tout Fa-• ^ magoufte étoirdans les lartnes: Puifque Ie Cielnbsp;nous a ravi Andolofio, difoit-on, qu’il nousnbsp;laiffe fon frère: Que de vidimes il va frap-per, s’i! prend encore celle-la. Tousleurs vmuxnbsp;furent inutiles, comme les fecours de la rnéde-cine; Ampedo, confumé de chagrin , expira,nbsp;également regretté des grands amp; des petits: Cha-cun perdoit, en lui, un père, un protefteur,nbsp;OU un ami. Cette mort excita encore Ie reflenti-ment du Roi contre les aflaffins defon frère. Tousnbsp;les habitans de Famagoulle prirent Ie deuil.nbsp;Le. jour de fes funérailles, on n’entendoitnbsp;que fanglots amp; gemiflèmens dans routes lesnbsp;rues : Pendant les huit jours fuivans , chacunnbsp;refta chez, foi: Cette ville immenfe fembloit unnbsp;défert. Sur le port, le bruit des vagues fe mêloicnbsp;triftement aux voix confufes des commer^ansnbsp;amp; des matelots, qui pleuroient leur appui. Lesnbsp;larmes amp; les cris redoublèrenc, lorfqu’on ap-prit qu’au defaut de fon frère, il laiflbit fonnbsp;palais au Roi, amp; toutes fes richefles au peuple»nbsp;aux commer^ans amp; aux laboureurs.
Le Comte de Lirnofi, après avoir pafcouru ^ Royaume, revint, avec une douleür fein-ïe, apprendre au Roi qu'il 11’avoic rien dé-
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couvert, amp; lui remit fon efcórte bien har-ralïée du chemin qu'il lui avoit fait faire; Ie Roi loua Ion zèle amp; fon amitié pour An-dolofio, amp; tous les honnêtes gens lui ennbsp;marquèrent leur reconnoifiance. II demandanbsp;la permiffion de s’en retourner chez lui, pournbsp;fe repofer, amp; partit, laiflant tout Ie nion^enbsp;dans 1’erreur. Le jour même de fon arrivée,nbsp;alia dans la prifon d’Andolofio; amp;, comme il ynbsp;entra d’un air triomphant, Andolofio le prianbsp;de lui apprendre de qui, amp; pourquoi il étoirnbsp;prifonnier. Je n’ai fait du mal a peiTonne»nbsp;dit-il, amp; fi, fans le favoir, j’ai fait du tortnbsp;a quelqu’un, je fuis prêt a le réparer; appre-nez-moi le dommage, amp;, quel qu’il foit,nbsp;j’ai une fortune aflez confidérable pour ennbsp;indemnifer 1’homme le plus riche amp; le plusnbsp;puiflant; raais, faites-moi fortir de eet abominable lieu. Le Comte fe mit a rire. An-dolofio, lui dit-il, tu es en mon pouvoir,nbsp;amp; rien au monde ne peut t’en arracher. N'ef-père point d’obtenir jamais la liberté; cepen-dant, il ne dépend que de toi d’avoir unnbsp;fort plus doux; j’adoucirai tes peines, a condition que tu me diras d’oü tu tires ces foin-mes immenfes que tu prodigues. Andolofio isnbsp;regarda d’un air de mépris ; Infdme aflaffin»nbsp;lui dit-il, je les aurois partagées avec toi gt;nbsp;li tu m’avois témoigné en avoir befoin; tunbsp;devois connoitre ma générofité ; pour te punk de ta lècheté, tu ne fauras jamais ce que
tu défires, amp; tu auras coramis en pure perte exime le plus atro'ce. Eh bien, reprit le
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Comte, prépare-toi a fouffrir les plus longs amp; les plus cruels tourmens. Andolofio, quinbsp;connoiflbit la méchanceté du Comre, ne ré-pondit rien, amp; Ie laifla fortir; Ie lendemain,nbsp;faifant reflexion qu’il ne gagneroit rien furnbsp;ce caraclère féroce, il prit ie parci de difli-muler. Le Comte revint a.vec fes fatellites;nbsp;il 1’interrogea encore : Eh bien, lui dit Aii-dolofio, puifque tu fais tant de cas des ri-chefles, je veux bien te faire part des mien-nes, j’ai un puits dans mon palais, que monnbsp;père , avant fa mort, remplit d’or amp; denbsp;pierreries; tu fais qu’il paflbit pour être plusnbsp;riche que les Rois, amp; qu’il rétablit les affaires de la république de Venife : Par quelnbsp;feeree il avoir acquis ces richefles, c’eft cenbsp;que j’ignore : Faites-moi tranfporter a Fama-goufte, amp; je t’indiquerai ce puits, qui n’eftnbsp;connu que de mon frère amp; de moi. Le Comrenbsp;lui dit : Tu mens; car tu n’avois pas emporténbsp;ton puits en Angleterre, ni dans tous les lieuxnbsp;QÜ tu as fait de fi énormes dépenfes. Tonnbsp;feeree eft avec toi; que rifques-tu a t'ouvrirnbsp;a moi.^ Je fais que tu connois 1’art de Né-cromantie; apprends-le-moi, amp; tu peux êtrenbsp;afluré que tu t’épargneras bien des fupplices.nbsp;Andolofio lui jura que, non feulement, il nenbsp;Connoiflbit point eet art, niais encore qu’ilnbsp;étoit perfuadé qu’il n’avoit jamais exifté. Lenbsp;Comte, qui croyoit bien plus au diable qu’4nbsp;Dieu, fut plus convaincu que jamais qu’An-bolofio le trompoit. II fit óter fes chatnes, amp;nbsp;le fit appüquer è la torture la plus rude, le
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queftionnant pendant fon fupplice, qu’il fit durer aufli long-temps que les forces humai-nes pouvoient Ie fupporter : II n’en put riennbsp;arracher ce jour-la : Le lenderaain, Ie Comtenbsp;reparut, avec fes bourreaux, amp; de nouvellesnbsp;tortures; Andolofio, fe fouvenant qu’aprèsnbsp;avoir perdu fa bourfe, il 1’avoit reirouveenbsp;au moyen de fon chapeau, efpéra qu’il pour-roit bien l’enlever encore au Comte ; ainfi »nbsp;il ne fit aucune difficulté d'avouer fon fe-cret; le Comte prit la bourfe, fit 1’épreuve,nbsp;amp; fut fort content qu’Andolofio lui eüt dit lanbsp;vérité; cependant, il Ie fit remettre dans lesnbsp;fers, amp; le fit garder encore avec plus de foin»nbsp;ayant tout a craindre du Rol, fi jamais fon pri-fonnier fe trouvoit en liberté^
Le Comte paya les dettes dont il étoit ac-cablé de tons cótés, fit des acquifitioas con-fidérables, rétablit fes affaires, qui étoienc très'dérangées , amp; fe livra a routes fes debauches. Il reparut a la Cour^ amp; raconta aunbsp;Comte Theodore tout ce qu’il avoit fait, amp;nbsp;le fecret de la bourfe dont il étoit le maitre.nbsp;Theodore vouloit qu’on fit mourir ie pri-fonnier. Tant qu’il fera en vie, difoit-il, nousnbsp;aurons tout a rifquer; on dit qu’il eft très-favant en Nécromantie; fa bourfe en eft unenbsp;preuve; il a le fecret, dit-on, de's’envolernbsp;dans les airs, de fe tranfporter , en un moment , d’un bout du monde a 1’autre. Lanbsp;Princefle, depuis qu’on le croit mort, a ditnbsp;qu’elleconnoiflbitle fecret de la bourfe ;qu’ell2nbsp;Tavoic eue entre les mains, qu’elle en avoit
-ocr page 143-tjré elle - mêms des fomraes confidérables , qu’elle n’en avoir jamais parlé a perfonne ,nbsp;eraignant que quelqu’un n’uttentamp;t k fa vie ,nbsp;pour lui ravir un tréfor ü rare. Oh! nous n’a-vons rien a craindre de ce cócé , répondic Ienbsp;Comce, car , non feuleinent, il m’a afluré ,nbsp;dans les tortures, qu’il ne croyoit pas a hexif-tence de eet art, amp; qu’il ne s’en étoit jamaisnbsp;fervi; mais encore, il efh fi hien enchaïné, amp;nbsp;fi bien gardé, que je défie tous les nécromansnbsp;de 1’univers de 1’arracher de mes mains.
.. Les deux fcélérats s’étant afl'urés, Ie mieux-qu’ils pouvoient, contre les fuites de leur crime, fe mirent a, puifer, tour a tour, dansnbsp;la bourfe; Ils en tirèrent des monceaux d’or;nbsp;leur avidité n'étant pas encore raflafiée , ilsnbsp;entrèrent en difpute , pour favoir a qui lanbsp;bourfe appartiendroit. Après bien des débats,nbsp;eraignant que leurs querelles ne les trahiiient ,nbsp;comme il arrive, prefque toujours, entre lesnbsp;perfonnés qui ne font unies que par Ie crime,nbsp;ils convinrenr qu’ils la poflederoient alterna-ivvement, chacun pendant fix mois; que Ienbsp;Comte de Liraofi, comme Ie plus agé, amp;nbsp;ayant aftuellement la bourfe, la garderoit lesnbsp;fix premiers. Surtout, il fut arrêté entr’euxnbsp;que, comme la Reine connoiffoit Ie pouvoirnbsp;de la bourfe, ils ne feroient pas de dépenfesnbsp;trop éclatantes, de crainte qu’on ne les foup-lt;;onnat. Au furplus, ils vécurent enfemblenbsp;dans route forte de plaifirs, amp; faifant de leursnbsp;ïichefles un ufagehien different de celui qu’ennbsp;^voient fait les deux frères.
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Theodore craignoit encore Andolofio les fers. II dit au Comte de Liraofi qu’il vou-droit voir fi, dans 1'état oü il étoit, il avoicnbsp;la même audace, que lorfqu’il lui difputoicnbsp;Ie prix; que, pour fe venger , il feroit charmenbsp;de jouir de Phumiliation de eet homme or-gueilleiix, rendu a fon premier néant. 11 de-inanda une lettre au Comte de Limofi , poucnbsp;pouvoir entrer dans la prifon. Le Comte hé-fica quelque temps; mais, vaincu par les im-portunités de Theodore, il lui _donna la lettrenbsp;qu’il demandoit. Théodore ne Peut pas plutdt,nbsp;qu’il obtint une permiffion du Roi de s’abfen-ter, pour quelque temps, de la Cour, amp; partit.
Fin malheureufe du fecond fih de Fortunatus-Fanition des ajfaffins. La bourfe perd fd vertu. Eloge des deux frères.
Xv E malheureux Andolofio, courbé fous Ia poids de fes chaines, livré a la plus affreufenbsp;misère, ferappeloit laprédidion de 1’hermite ;nbsp;il regrettoit de n’avoir pas mis fes exhortations è profit, amp; de n’avoir pas refuféla bourfe»nbsp;lorfque fon frère la lui laifl’a, Quel chagrinnbsp;pour lui, difoic-il, fi jamais il apprend manbsp;cruelle aventure! Oh, que la fagefle eft preferable é la vanité, qui nous fait courir aprèsnbsp;la gloire amp; après les richefles! II étoit plongénbsp;dans ces reflexions, lorfque Theodore entra
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dans la prifon ; II crut que Ie Cotnte de Li-lïiofi, fatisfait d’avoir la bourfe, envoyoit fon ami pour foulager fes peines; il lui tendit Ienbsp;tgt;ras comme a Ibn libérateur. Cher Comte,nbsp;lui dit-il, vous êtes Chevalier ; je partage cecnbsp;honneur avec vous, amp; je ne m’en fuis jamaisnbsp;rendu indigne : Cependant, Ie plus abjeét desnbsp;Criminals feroit-il puniaufli févèrement? Alors,nbsp;il fouleva fesfers, Stfirvoirdes brasamp;desjam-bes rongés par la pourricure; 1’humidité de fonnbsp;cachot avoit fait tomber fes habits en lam-beaux , les cicatrices des plaies que la torturenbsp;lui avoit faites, étoient encore ouvertes; fanbsp;voix étoit foible amp; languiflante. Je com-prends. lui dit Theodore, que ce féjour doitnbsp;déplaire è un preux Chevalier tel que toi; anbsp;un héros, qui, lors même qu’il eft vaincu,nbsp;femble ne céder la viétoire que par gr^ce.nbsp;Vante-nous 1’amitié du Roi amp; la faveur dunbsp;peuple; ne te font-ils pas, 1’iin amp; 1’autre, d’unnbsp;grand fecours ? Andolofio demeura confondunbsp;de ce nou vel outrage. LSche, répondit-ii,nbsp;que ne me tenois-tu de femblables propos anbsp;Londres, ou avant que ton complice m’eücnbsp;mis hors d’état de te punir; fi tu ne re^oisnbsp;pas Ie chariment que tu mérites, n’en accufenbsp;pas ma valeur, ne t’en prends qu’a ces fersnbsp;qui me retiennent. Fais-les tomber, ramène-moi fur ie champ de bataille, quelque foiblenbsp;que je fois, je doute que tu foutiennes encore mes regards; mais, que demandes-tu ?nbsp;Eft-ce pour outrager un cadavre, que tu esnbsp;defcendu dans ce tombeau ? Andolofio, repric
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Hijloire
Theodore, crois-moi, prends nn ton plus conforme a ton état, ü tu aiines la vie; elle m’eft odieufe, répondit-il, puilque je te vois encore : Choifis, OU de me 1’enleve'r, ou denbsp;délivrer de ta préfence; Pair que je refpir®nbsp;rPeft-il pas afleK infedl? Les tourmens que j®nbsp;fouffre me font moins infupporcables que 1^nbsp;vue d’un mal-honnéte horame; amp;, quelqu*nbsp;diiférent que foic notre état, fois afluré que j®nbsp;re changerois pas avec Ie tien. Oh! je n’en fui®nbsp;pas tenté, reprit, d’un ton railleur, Ie Comtenbsp;Theodore, a qui la fierté d’Andolofio en impO'nbsp;foit; cependant, ajouta-t-il, fitu veuxmedon-ner une bourfe femblable a celle que tu as doo-rée au Comte: de LiHiofi , tu peux efpérer qu®nbsp;j’adoucirai ton fort. Sij’en avois dix, réponditnbsp;Andolofio, je te les donnerois pour me veo-ger de toi; car, fans dome, Pufage que tunbsp;ferois des richefles, te conduiroit bientótnbsp;terme que méritent tes crimes. Dans les main*nbsp;d’un méchant, tel que toi, les richefles fontnbsp;un poiibn qui confume celui qui les pofsède.nbsp;Je n’ai plus de bourf;, mais 11 tu es fi avidenbsp;de richefles, amène-moi chez mon fiére,nbsp;y a de quoi fatisfaire ta cupidité. Oui, oüi*nbsp;je t’y menerai chez ton frère, reprit Théodore, amp; même plutót que tu ne penfes. An-dolofio ne comprenoit rien a ce difsours; amp;?nbsp;lorfque Théodore lui eut fair coraprendre qu’ilnbsp;éroit mort, il répandit un torrent de larmes.nbsp;Que tardes-tu, ajouta-t-il, a m’arracher lanbsp;vie. Crois-moi, rant que je refpirerai, tu asnbsp;4 ctaindre un aceufateur auprès du Roi. Qui.^
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toi,, lui dit Théodore! En effet, que ne l’ap-pelles-tu a ton fecours? Et cette Agripine, qui t’appeloit fon père, amp; fon tendre époux, quinbsp;ïe traitoit comme fon égal, amp; tanr de bellesnbsp;tlames pour qui tu as rompu tant de lances,nbsp;amp; qui t’ont donné tant de prix, que ne vien-hent-elles a ton aide? Mais, fans recourir anbsp;ces illuftres ingrats, que ne te délivres-tu toi-lïiême? Habile dans Tart de necromantie ;nbsp;ïoi, éi qui 1’enfer obéit, que ne t’envoles-tunbsp;dans les airs, comme tu faifois autrefois? Jenbsp;Vols bien que, depuis que tu n’as plus denbsp;^ourfe, les hommes amp; les démons font fourdsnbsp;^ ta voix : Je fuis plus généreux qu’eux : Tunbsp;¦Veux que je te conduife a ton frère, prépare-^oi encore pour ce voyage. Théodore, a- cesnbsp;Eliots, fit entrer le géolier, iui ordonna d'é-ïrangler Anddlofio, amp; lui promit cinquantenbsp;ducats; mais le géolier, plus humain que Theodore , eut horreur de cette propofition; qubi-^Ue accoutumé au fang, il fut touche de 1’étacnbsp;deplorable de cet infottuné, qui n’avoit plusnbsp;SU’un refte de vie tout prêt a s’exhaler. Ennbsp;?uin Théodore entra-t-il en fureur, il ne putnbsp;i'^rnais obliger le géolier a lui obéir; Théodorenbsp;^i^i die que, puifqu’il étoit fi compatiflant, ilnbsp;f^’avoit qu’a lui donner les inftrumens donenbsp;fe fervoit; le géolier fortit, fans lui répon-^gt;¦0 ; Alors, cet homme impitoyable prit fanbsp;'^^inture, la mit autour du cold’Andolofio, amp;,nbsp;®'’ec fon poignard, la tordit, jufqu’a ce qu'Tlnbsp;efir Strangle; enfuice, il jeta quelques piecesnbsp;® urgent att géolier» ajfin qu'il le ficenierrer...
Ainfi périt, dans fa cinquantiètne année» par la main de l’icjuftice amp; de la cruauté, eetnbsp;homme , qui, jamais, ne fit du mal anbsp;fonne; qui ne fe vengea de fes ennemis quenbsp;par fes bienfaits ; qui aima mieux foutenirnbsp;des Rois fur Ie tröne, que de conquérir desnbsp;empires; 11 excita l’envie, par la feule vertunbsp;qui peut la fubjuguer, par la générolité, quinbsp;re devroit pas faire des jaloux , puifqu’ellenbsp;ne peut pas faire des rivaux. En lui, finit lanbsp;familie de Fortunatus, fur laquelle Ie cielnbsp;épuifa fes faveurs, afin que , dans les diffé-rens traits qui compofent fon hiftoire, Ie*nbsp;hommes appriiVent que la fagefle eft au deflusnbsp;des dons les plus rares.
Après Ie meurtre d’Andolofio, Ie Comte Theodore ne s’arrêta pas au chateau de Ei-mofi , il revint a la Cour, d’un air ferein amp;nbsp;triomphant, s’applaudilfant, en fecret, du criquot;nbsp;me horrible qu’il venoit de commettre. Lenbsp;Comte de Limofi alia au devant de lui; il luinbsp;demanda ce qu’il penfoit de fon Jle amp; de fopnbsp;chateau. Le fcélérat lui répondit, que ce qu’ilnbsp;y avoit trouvé de plus beau , étoic la prifoOnbsp;d’Andololio, furtout lorfqu'il en étoit pat'nbsp;ti; le Comte ne 1'entendit point d’abord;nbsp;Théodore lui dit , en 1’embraflant, qu’ilsnbsp;n’avoient plus rien a craindre, amp; qu’il I u-voit tué de fes propres mains; il lui recom-manda, furtout, de faire mqurir fon géoliet,nbsp;qui avoit refufé fon miniftère, amp; .qui pour-roit bien les trahir. Le Comte, qui n’étoitnbsp;qu’envieux, étoit faché de ce que Théodore
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ïi’avoic pas laiffé finir fes jours a Andolofio, qui ne pouvoit vivre long-temps ; il com-niengoit a fentir des remords, car 1’envie ,nbsp;quand elle eft aiibuvie, eft auffi tourmencée parnbsp;Ie mal qu’elle a fait, qu’elle étoit agitée avantnbsp;de Ie faire, par Ie bien qui excitoit fa haine.
La bourfe enchantée avoit perdu fa vertu, au moment qu’Andolofio avoit ceffé de vivre ; les deux Comtes ignoroient que tel étoitnbsp;1’enchantement qui y étoit attaché. Les fixnbsp;niois du Cotpte de Limofi étoient expirés; Ienbsp;Comte Thébdore la lui demanda , pour fixnbsp;Kiois, fuivant leurs conventions: II y en avoitnbsp;trois que Ie Comte de Limofi n’y avoit fouillé.nbsp;Il ne la refufa point è Théodore, qui, d’ail-leurs, avoit grand befoin d’argent, ayant dé-penfé , amp; beaucoup au dela, celui qu’ils ennbsp;avoient retiré enfemble : Le Comte ouvricnbsp;fa caflétte amp; remit la bourfe a Théodore, quinbsp;y.plongea fa main avec avidité; mals il n’ynbsp;trouva rien: II y revint plufieurs fois, amp; n'ynbsp;trouva rien encore ; ils fe regardèrent Tun amp;nbsp;1’autre, amp; reftèrent immobiles, comme s’ilsnbsp;euflent été frappés de la foudre; Theodorenbsp;ne fortit de fon étonnement que pour entrernbsp;dans la colère la plus violente. Homme fauxnbsp;amp; perfide, dit-il a Limofi, vous ne vous con-tentez point que ie vous aye laifl'é jouir,^ lenbsp;premier, de la bourfe d’Andolofio, vous vou-dez la garder, pour vous en faire faire unenbsp;-.femblable, amp; me la donner a la place de lanbsp;.¦'^raie; jene le fouffrirai point, fi vousnbsp;vous iiatez de me Ja rapporter, craignes
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ma vengeance.' En vam, Ie Comte jura quC c‘étöic la même bourfe, amp; qu’il n’y avoitnbsp;rien change; qu’il étóit auffi furpris que luinbsp;de ce qu’elle ne rendoit rien : Théodore, fu-rieux, mie 1’épée a la main; Limofi fe mi'-en défenfe ; mais il étoit foiblê amp; Sgé : H*nbsp;fe battirent long-teiiips; ie bruit, qu’ils fai-foient, attira les domeftiques du Comte;nbsp;enfoncèrenc, amp; ie trouvérent étendu dans founbsp;fang,- d’une bleffure mortelle qu’il venoit denbsp;tecevoir-; Théodote n’en etoit pas moinsnbsp;acharné après lui, ne cefiant de lui deuian-lt;3er fa boürfe. Les domeftiques les féparèrent gt;nbsp;forcérent Theodore de fortir.
Le bruit de ce conibat parvint au Roi. Tout 'Ie'monde ^ qui connoiflbit 1’union des- deuXnbsp;Comtesfut étonné de leur brouülerie; ijsnbsp;furent mandés 1’un amp; 1’autre; le Comte de Limofi ne puf être arnené, a caufe de fa blef-fufe ; le Roi ordpnna è un de fes officiers d’ai-lei^ le 'Voi'r de fa part ^ amp; de favoir le fujetnbsp;de la querèlle. Le Comte s'obftina a fe taire »nbsp;rOfficiéry-que le Roi -avoit envoyé , étoKnbsp;intérefleMui-mém'e a favoir la vérité, paré*nbsp;qu’if fé 'friéfioit j'depuis long-temps, de cesnbsp;-deux homrne\; il prit en particulier un dèsnbsp;¦domeftiques, qui'lui dit qu’unè bourfe avoitnbsp;¦étélé'ftijet de leur difpüte; il 'Palla chefcher»nbsp;amp; ajóüta: Voyez fi cela vaut la peine quenbsp;detix honnêtes geriS fé' coupenc la gorge. Lanbsp;•bourfe' de Förtünatns avoit fait '^uelqu* écldcnbsp;è Ib Couri, parcé que la Princefll,-^’'^!*
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de Fortunatus.
ctoyoit plus obligee au fecret; 1’Officier s’em-para de la bourfe, amp; la remit au Roi, qui la fic voir k la Princefle. Auffi-tót, on envoya desnbsp;gardes inveftir la maifon du Comte de Limoli;nbsp;la Princefle reconnut la bourfe : Quand elle ynbsp;mie la main, amp; qu’elle n’en r^tira r'ien, ellenbsp;s’écria avec douleur; c’en eft fait, Andolofionbsp;efi; mort, amp; ces fcélérats Pont tué. On luinbsp;demanda pourquoi elle afluroit ainfi la morenbsp;d’Andolofio, amp; elle dit qu’il lui avoit apprisnbsp;que la vertil de la bourfe devoit cefler avec lanbsp;vie des enfans de Fortunatus.
On demanda au Comte Theodore quel étoic Ie fujet de fa difpute avec fon ami; il re-fufa de Ie dire. Le Roi Ie fit charger de fers.nbsp;On lui dit que le Comte de Limofi avoicnbsp;avoué une partie de fes crimes; mais qu’on vou-Ipit avoir un détail circonftancié de tont ce quinbsp;s’étoitpafié au fujet d’Andolofio. II s’obllina anbsp;mfufer. On le mit ?. la torture, on lui préfentanbsp;la bourfe, amp; il détailla jufqu’a la moindre cir-Ponftance de la mort d’Andolofio. Le Comtenbsp;de Limofi avoit avoué fon aflalïïnat, amp; déclarénbsp;^ous les malheureux qu’il y avoit employés.
Lorfque les auteurs de la mort d’Andolofio lurent connus, on ent bien de la peine d’ar-ïêter la fureur du peuple, qui demandoit cesnbsp;deux monftres, amp; qui avoit invefti la maifon
Comte de Limofi, pour y mettre ie feu. Leur crime 11’étoit que trop avéré : Ils furencnbsp;*^t)ndamnés a expirer fur la roue, après avoirnbsp;eté dégradés. Avant de les conduire auTup-PUce, on fe tranfporia au chüteau de Limofi.
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On arrêta tons ceux qni avoient eu connoif-fance du crime, ou qui y avoient prêcé leur miniftère, amp; la plupart furent condamnés ^nbsp;la mort. On accorda la vie a celui qui en-feigna ou étoitle cadavre d’Andolofio, qu’onnbsp;avoit jeté dans un des fofles du chateau. On lenbsp;porta dans la prifon du Corate Théodore»nbsp;afin d’augmencer fon fupplice par la vuenbsp;cet objet. Le jour de leur execution, le Comtenbsp;de Limofi fut enlevé de fon lit, quoiqusnbsp;mouranr, il fut conduit fur 1’échafaud, maisnbsp;il expira aux premiers coups qu’il re^ut; lenbsp;Comte Theodore ne fut pas auffi heureux»nbsp;il paffa deux jours dans les douleurs les pinsnbsp;cruelles; le peuple, lafle de le voir vivre,nbsp;lenverfa I’echafaut, fe jeta fur ce malheu-leux, le traina dans la bone amp; le déchiranbsp;en ntille pièces. On n’outragea pas moins Isnbsp;cadavre du Comté de Limoli. On fut que 1®nbsp;Roi avoit ordonné que fon chateau feroicnbsp;démiit; le peuple s’y tranfporta amp; n’y laifl'anbsp;pierre fur pierre. On refpeda la prifon d’An^nbsp;dolofio, fur laquelle on éleva une chapelle»nbsp;avec cette infcription : ^ Dku bienfaifantnbsp;amp; miféricordieux, amp; aux manes du généreuxnbsp;uindolofio : Son coeur y fut dépofé. Son corpsnbsp;fut rranfporté -a Famagoufle, dans le tombeaunbsp;de fon père. Le deuil recommen9a dans cettenbsp;ville afHigée. On allumoit des buchers, amp; I'o*^nbsp;y jetoit les repréfentations des meurtriers;nbsp;tleux des fcélérats qui avoient attaqué Ando-lofio amp; tué fes gens, s’étoienc réfugiés a Fama-goulie; ils furent decouvens amp; traïnés au fup-
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de Fortunatus.
plice : L’oraifon funèbre de Thomme jufte amp; bienfaifant eft dans les larmes du peuple, 85nbsp;non dans les vaines declamations des Oraceurs.
Famagoufte retentiflbit de cris amp; de gé-niiflemens; amp;, quand Ie peuple apprit que Ie Roi, les Princes amp; la Cour avoien: pris Ienbsp;deuil de fon bienfaiteur, les larmes de ten-dreffe pour Ie Roi fe mêlerent a celles de lanbsp;douleur. Le Prince, avec fon époufe, vinrentnbsp;a Famagoufte, amp; les habitans l’aimèrent com-nie 1’héritier du tröne, amp; 1’adorèrent, coramenbsp;un cmur fenüble qui partageoit leurs regrets.nbsp;La Princefle verfa des larmes, en fe rappe-lant les fêtes qu’Andolofio lui avoit donnéesnbsp;a fon paflage: Elle témoigna au peuple com-bien elle étoit touchée de fa douleur. Quafidnbsp;elle amp; fon époux eurent pris poflefiion du palais qu’Ampedo leur avoit donné, au défaucnbsp;de fon frère, ils firent publier qu’ils diftri-bueroient aux citoyens de Famagoufte les ri-chefles qu’il leur avoit laiflees. Les Notablesnbsp;ayant convoqué le peupile, il fut délibérénbsp;qu’on abandonneroit les legs aux Princes, quinbsp;cafsèrent une délibération a laquelle ils n’a-Voient point été appelés. Ils convoquèrent,nbsp;eux-mêmes, une nouvelle aflemblée, amp;, aprèsnbsp;bn long combat de générofité, il fut arrêténbsp;lt;3ue la fucceffion feroit partagée entre les Prinses amp; le peuple, corame entre les héritiersnbsp;d'une même familie. Les vertus des deux frêles furent long-temps, dans Famagoufte, unnbsp;bxernple plus puiflant pour les moeurs, quenbsp;Rs lois amp; 1’autorité.
FIN.
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(^HAPITRE I. Fin de Fortunatus; coni~ mencement de I’hifloire de fes Enfans. Debutnbsp;de don u4ndoloJio.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;Fogs 5
Chap. II. Mifère, au fein des richejfes. Carac-tère des Francois amp; des Efpagnnls.
Chap. III. Suite des Fojages d’JindoloJio. Ses aventures d la cour d’yJngleterre.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;27
Chap. 1Y. - Jnfortune d'^ndolofio ; J^ijion ? aventures extraordinaires. L’Hermite, amp;nbsp;Pommes enchantees.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;4’-
Chap. V. Atrompeur ^trompeur amp; demi. Bourfi reconquife. Vengeance d'AndoIofio.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;60
Chap. Yl. A quelque chofe malheur eft bon-Ecole des Grands. Hiftoire de I'Herniite-Remède contre les Comes. nbsp;nbsp;nbsp;81
Chap. VII. Phénomènes qui exercent les Sa-vans. Noces da Prince de Chypre. nbsp;nbsp;nbsp;103
Chap. VIII. Complot atroce. Fin tragique da Chapeau. Mort d'uii des fils de Fortunatus-
118
Chap. IX. Fin malheureufe da fecond fils de Fortunatus. Punition des ajfajjins. La Botirfenbsp;perd Jdvertu. Eloge des deuxfrères.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;I3°
Fin de la Table.