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IA BIBLIOTHÈQUE

B ]L IE U E'

Bntièrcment refondue, amp; conjidérahlement augmentée.

Tome II.

contenant:

Hiftoire de Fortunatus, amp; celle de fes Enfans^ en deux Parties.

Fliftoire de Jean de Calais.

n^3^rr«gt;»

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AVERTISSEMENT

Sur cette nouvelle TraduB’ton de HHiJ^ toire de F o RTU UA TVS,

uoiQUE nous ayoos, depuis prés de deux üècles,une traduftion desaventuresnbsp;de Fortunatus, elle eft fi infidelle, qu’onnbsp;peut dire que cette hiftoire voit Ie journbsp;pour la première fois. Un hafard fingu*nbsp;lier, dont il eft inutile de rendre comptenbsp;au public , a fait tomber entre mes mainsnbsp;Ie véritable manufcrit de eet ouvrage.nbsp;Lorfque j’ai voulu Ie confronter avec lesnbsp;éditions Efpagnoles, amp;, enfuite, avec Ianbsp;traduftion Fran^oife, j’ai trouvé qu’il ynbsp;avoit, entre ces différentes pièces, fi peunbsp;de rapport ^ que j’ai de la peine a croirenbsp;que Ie Traduileur ak jamais connu l’ori-

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vj A VtRT IS SEMEyl T.

. ginal: II n’y a dé reffémblanc'e que dans Ie fond du fujet, L’ancien Traduéleur anbsp;fondu, dans la même hiftoire, celle denbsp;Fortunatus amp; celle de fes Enfans : L’unnbsp;irieurt vers Ie milieu du livre, amp;ron nenbsp;fait trop oü finit fa narration, qu’il feinblenbsp;continuer après fa mort, ce qui n’eft pasnbsp;vraifemblable. Les aventures des autresnbsp;font confondues avec fon hiftoire, ce quinbsp;jette une confufion dégoütante dans lanbsp;fuite des évènemens. II feroit aifé de dé-montrer l’exiftence de mon manufcrit,nbsp;par ce défaut même d’unité dans l’hiftoirenbsp;traduite. Les anciens Auteurs Efpagnols,nbsp;comrae on fait, fe difpenfoient, dans leursnbsp;drames, ainfi que nous Ie faifons, ai’jour-d’hui, dans les nótres, de cette loi gênante, irapofée a Tart, par Tart même,nbsp;par !e génie amp; par la nature ; mais ils lanbsp;refpeftoient dans leurs hiftoires amp; dansnbsp;leurs romans. Mon manufcrit eft divifénbsp;en deux parties: La première contient Ianbsp;vie de Fortunatus, écrite, ou fuppoféenbsp;écrite par lui - même j il en raconte les^

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A VE RT IS S E M ENT, vij

principaux évènemens jufqu*au moment on il eft attaqué de la maladie dont ilnbsp;nieurt: Sa narration, interrompue a cettenbsp;ópoque, eft reprife a la feconde partie,nbsp;qui commence par Ie récit de la mort denbsp;Fortunatus, amp; qui contient les aventuresnbsp;de fes Enfans, jufqu’a ce que leur mortnbsp;détruit la vertu de la Bourle amp; du Chapeaunbsp;enchantés. On eft faché que la cataftro-phe de cette hiftoire foit ft trifte. Quelquesnbsp;perfonnes auroient défiré que je l’euflenbsp;changée i mais c’eft affez que eet ouvragenbsp;ait été défiguré, jufqu’a préfent, par uti •nbsp;Traduöeur infidelle. D’ailleurs, ce quinbsp;pouvoit être un défaut pour les Efpa-gnols, graves amp; férieux, pour qui Ie rirenbsp;eft, quelquefois, un remède amp; un befoin,nbsp;eft une beauté pour les Franqois légers amp;nbsp;frivol es, qui ont, enfin, fenti la néceffiténbsp;de s’attrifter, h que leucs Poëtes ont,nbsp;heureufement, familiarifés avec lesfpec-,nbsp;tacles les plus atroces- Je ne fais pas ^nbsp;qui nous en avons l’obligation;mais,enfin,nbsp;KOUS voila délivrés de cette fenfibilité pu-

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Vlij A VERT IS S E M EN

fillanime, qui nous faifoit pleurer, comme des enfans, fur les plus petits malheurs.nbsp;Nous verrionsRofemonde,fur Ie tliéatre,nbsp;boire dans Ie crane de fon père, que nousnbsp;ferions tentés de trinquer a Tallemande,nbsp;avec la Reine des Lombards.

C’eft, doute, a l’ancienneté du langage, qu’il faut attribuer l’efpèce denbsp;dédain que certaines perfonnes afFedlentnbsp;pour cette hiftoire : El les Tont abandonnénbsp;au peuple, qui^ en fait fon profit; il femblenbsp;que fon inftinél foit plus für que Ie goütnbsp;rafSné de ceux qui Ie méprifent.

Quant au véritable Auteur des Aven-tares de Fortunatus, quelques recherches que j’aye faites, U ne m’a pas été poffiblenbsp;de découvrir aucune anecdote de fa vie.nbsp;Je prie les favans ^ qui feront quefque dé-cbuverte ^ ce fujet, de me !a communi-quer par la ^voie de ceux des journauxnbsp;qu’on lit.

HISTOIRE

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H I S T O I R E

DE

fortunatus.

CHAPITRE PREMIER.

t^aijjance, éducation, depart de Formnaiui, amp; jbn débat dans k monde.

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- nbsp;nbsp;nbsp;d’autre motif, en écrivant les

principaux évènemens de ma vie, que l’inf-trufliion de mes enfans, afin que, s’ils trou-vent, dans ces mémoires, quelques aftions vertueufes, elles leur faflenc naitre Ie défirnbsp;de les furpafler, amp; qu’ils mettent a proficnbsp;jufqu’a mes fautes mêmes; C’eft pourquoi jenbsp;chercherai moins i plaire a leur efprit, qu’4nbsp;former leur ame. Si les aïeux des perfonnesnbsp;_ tirent vanité d’une haute naiflance ,nbsp;•kvoient eu foiö de tracer vin tableau fidelie

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2 nbsp;nbsp;nbsp;Hijioire

de leur vie privée, leurs defcendans y trou-veroient de quoi fe garantir de 1’orgueil, en imitant la modeftie des uns, ou de quoi ra-baifler leur fierté, en conüdérant les vicesnbsp;des autres. Ec que feroic-ce encore, fi 1’hif-toire veritable de leurs aïeux jrarvenoic jamais jufqu’a eux ? Tout ca que je défire ,nbsp;c’eft que mes enfans apprennent que ce n’efb,nbsp;ni dans l’opulence, ni dans la gloire que ré-lide la félicité, amp; que je ne 1’ai trouvéenbsp;que dans la vertu.

Théodofe, mon pète , avoit hérité de fes ancêtres d’une fortune brillante. II étoit re-gardé comme un des pilus riches habitans denbsp;Famagoufte, amp; comme 1’un des Seigneurs lesnbsp;plus heureux du. Royaume de Chypre.- Sanbsp;générolité, fon amour pour Ie plaifir, fanbsp;magnificence, eureiit bientót diffipé la plusnbsp;grande partie des richefles que fon père luinbsp;avoit laifl'ées. Elles avoient été acquifes parnbsp;vine grande économie amp; par de longs tra-vaux. Courtifan affidu, c’étoit lui qui difpo-foit des grkes du Prince ; mais il n’en abufanbsp;jamais. Perfonne ne fut plus capable que luinbsp;de diriger les rênes de 1’Etat; il aima mieuxnbsp;fe diftinguer par Ie fafte de fes équipages,nbsp;par les fétes les plus galames, amp; par un luxenbsp;lecherché qui défefpéroit fes rivaux.

Sa fortune étoit fur fon déclin, lorfque fes véritables amis, qui avoient toujours dé-fapprouvé fa conduite, amp; dont il avoit mé-prifé les confeils, réfolurent, entr’eux, denbsp;Ie marier. Quoique mon père aim^t fa liberté

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de Fortunatus. nbsp;nbsp;nbsp;3

comme tous ceux de fon efpèce, qui s’ima-ginent trouver, dans une vic déreglee, routes les douceurs du mariage, paree qu iis ont la facilité de s’en procurer les plailirs,nbsp;fans s’expofer a fes peines, il écouta, poutnbsp;la première fois, des propofitions qu u eunbsp;rejetées dans route autre circonftance; c eitnbsp;qu’il falloit foutenir un fafte qui commen-?oit a manquer d’alimens.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;„

Une jeune beauté, douce, modefte, polie-danc toutes les vertus de fon fexe amp; n en ayanc prefque aucun des défauts, vivoic anbsp;Nicofie , capitale de 1’ile de Chypre; lesnbsp;charmes la rendoienc 1’objec des voeux desnbsp;jeunes Nicofiens, amp; les tichelles de fon perenbsp;excitoient 1’ambition de leurs parens. Lesnbsp;amis de Théodofe fe üattèrenc que les vertusnbsp;de Gratiane pourroient, enfin, mettre unnbsp;terme aux volages défirs, amp; prodigalités denbsp;mon père. Ils en parlèrent aux patens denbsp;Gratiane, dont perfonne encore n’avoit fixenbsp;les vcEux. Son père étoit un vieillard refpec-table, plus fier des vertus de fa fiHe que desnbsp;fiennes •, elles étolent fon ouvrage •, il n’avoit voulu confier fon éducation a perfonne •, a peine fe croyok-il capable de lanbsp;former ; II regardoit avec Ie mêrae mépris,nbsp;les pères qui fe repofent fur des gouverneursnbsp;mercenaires , du foin de former 1’efprit,nbsp;1’ame amp; Ie corps de leurs enfans, amp; les mè-res dénaturées, qui leur refufent leur feiii»nbsp;amp; qui les expofent a fucer, dans un laicnbsp;étranget, des vices amp; des maux qu’elles ne

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4 nbsp;nbsp;nbsp;Hiftoire

leur auroient, peut-être, point mnfmis.

Ce bon vieillard, qui connoiflbit la familie de Théodofe, mais qui ignoroit Ie dérange-ment de fes affaires, confentit, fans peine, anbsp;lui donner fa fille, qui, de fon cóté, fe prévintnbsp;aifément en faveur d’un homme dont les ma-nières amp; les dehors féduifans fembloient luinbsp;annoncer Ie fort Ie plus heureux. Le mariagenbsp;fut conclu, amp; répoux magnifique ne manquanbsp;pas de le célébrer par les fêtes les plus bril-Jantes amp; les plus fomptueufes.

Le feul défaut qu’on püt reprocher d raofl père, étoit fa prodigalité ; encore étoit-ilnbsp;douteux, fi elle n’écoit pas autant 1’effet denbsp;fon coeur bienfaifant amp; généreux , que denbsp;1’oftentation. II vivoit dans le fafte ; mais fanbsp;main ne fut jamais fermée au pauvre amp; knbsp;1’indigent : II alloit au devant des malheu^nbsp;reux , amp; ne permettoit jamais qu’ils achetaf-fent, par des deraandes humiliantes, les fe-cours qu’il leur donnoit. II fut rempli d’at-tentions amp; de complaifance pour ma mère;nbsp;mais, plus il cherchoit a lui donner des preu-ves de fa tendreffe, amp; plus il trouvoit desnbsp;occafions de fe livrer a fon penchant pournbsp;la dépenfe. Ma naiffance ne fit qu’augmen-ter leur amour. Une femme adorée adopte ,nbsp;aifément, les gouts d’un époux, qu’elle aime jnbsp;amp; quelque vertueufe qu’elle foit, il eft biennbsp;rare qu’elle les contrarie, lorfqu’ils tournencnbsp;au profit de fon amour amp; de fa vanité.

Théodofe continua de vivre fplendidement, óe donner des fétes, de briller en équipages

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amp; en chevaux, amp;, furtout, de cotnbler ma mère de préfens. II alloic au devant de toptnbsp;ce qui pouvoit lui plaire , amp; la feule privation qu’elle eüt a éprouver»nbsp;piaifir de défirer : Ses prodigalités épuifèrentnbsp;bientót fes reflburces : D’avides créanciersnbsp;firent faifir fes lerres ; il fallut en vendre lanbsp;moitié, pour fauver Ie refte. On guérit denbsp;la plupart des vices par l’itnpuiflance de lesnbsp;fatisfaire; la fureur de dépenfer fubfille,nbsp;lots mêtne qu’elle manque d’alimens. Moiinbsp;père eut recours a 1’ufure, ce monftre, qui^nbsp;nourrit fes viélimes de leur propre fubflance;nbsp;elle dévora, peu a peu, ce qui avoir échapp®nbsp;è la rapacité des faux amis, des parafites,nbsp;des créanciers, amp; de route cette verminenbsp;qui puliule fur les traces du riche généreux.nbsp;II ne s’aper9ut de fa fituation , que lorfqu’ilsnbsp;l’eurent tous abandonné.

Enfin, mon père fe trouva réduit è 1’in-digence; il ne conferva, de fon premier état, que Ie courage de la fiipporter; auffi noble,nbsp;auffi grand avec les perfides qui avoient con-tribué a fa ruïne, que s’il n’avoit aucunenbsp;ingratitude a leur reptocher. La feule cholenbsp;qui lui fajfoit regretter fa fortune, étoit d’a-voir prodigué celle de fon époufe, qu’il n’au-roit dü regarder que comme un dépóc. Cenbsp;motif exciioit, quelquefois, fes remords;nbsp;Gratiane les appaifoit avec tant d’art, ellenbsp;Ie confoloit avec tant de grSee, qu’elle luinbsp;perfuadoit, quelquefois, que eet état étoitnbsp;néceffaiie 4 leur bonheur i les diflipations

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qu’entraïne Popülence, lui difoit-elle, font Ie fléau de la tendrefle ; Ie veritable amour,nbsp;ainli que l’auftère probité, a tout a crain-dre des richelles; vous regardez votre ruinanbsp;corame une trahifon; eh, mon arai! je n’ou-blierai jamais que j’écois 1’objet de tes pro-digalités; amp; fi 1’un de nous eft blamable,nbsp;c’eft moi feule, dont Ia vanité recevoit 1’hom-mage de ton amour avec rant de plaifir, quenbsp;je m’aveuglois volontairement fur les fuitesnbsp;que tes facrifices pourroient avoir. Alors, monnbsp;père oublioit fon affliftion, amp; devenoit Ie con-folateur de ma vertueufe mère.

Des fentimens aufll refpedables me ren-doient leur étac plus précieux amp; plus cher que celui oü je les avois vus dans mon en-fance. Un jour, que j’étois témoin d’une denbsp;ces fcènes tonchantes, je m’aper^us que Théo-dofe regardoit plus tendrément ma mère, qu’ilnbsp;tournoit fur moi fes yeux mouillés de larmes,nbsp;que Gratiane dévcroic fes pleurs, me regardoit de temps en temps, foupiroit, fixoit fonnbsp;mari amp; me regardoit encore. Cette fcènenbsp;muette m’attendrit; je pénétrai dans leursnbsp;ames, je m’élanqai vers eux, amp;, en tombantnbsp;\ leurs genoux : Pardon, m’écriai-je, desnbsp;peines que je vous caufe dans ce moment ;nbsp;épargnez-moi. les reproches que vous vousnbsp;faites; laiflez-moi vous bénir de m’avoir mis,nbsp;par votre fituation, dans Ie cas de la rendrenbsp;plus heureufe. Permettez-moi de me féparernbsp;de vous; je fens combien ce facrifice me coü-tera. Je Ms jeune, amp;, grace aux foins que

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vous avez pris de mon éducatioo, je p^is ïoe rendre utile : La fortune veut qu onbsp;la violente; rarernent elle accorde fesnbsp;a qui ne fait pas les lui arracher . i Jnbsp;n’envifageois que moi, peut-être ne les lo -liciterois-je que foiblement; maïs le motif qui m’anime va m’infpirer un zele, onnbsp;j’attends le plus heureux fuccès; calmez vosnbsp;inquiétudes 1’un amp; l’autre; adieu , je vaisotinbsp;mon devoir m’appelle. J’allois partir fur^ enbsp;champ; mais leurs bras, dont je ne pus m arracher , me retenoient fur leur fein ; monnbsp;vifage étoit inondé de leurs larmes. O monnbsp;fils, s’écrioit mon père ! quelle leijon pournbsp;toi l Quelques méprifables que foient, parnbsp;eux-mêmes, les dons de la fortune , n oubaenbsp;jamais qu’il n’eft pas moins honteux de les pro-diguer , fans néceffité, que de les acquérir parnbsp;des moyens injuftes, ou de les entafler patnbsp;avarice. C’eft moi qui t’ai livré a 1’indigence «nbsp;amp; qui accable 1’époufe la plus vercueule dunbsp;poids de ma misère. II alloit continuer, lorf-que ma mère, faifant un effort fur elle-mêrae:nbsp;Mon cher Théodofe , s’écria-t-elle , pourquoinbsp;t’obftiner a t’accufer toi-même , lorfque toutnbsp;te juftifie? Quand même tu ferois encore aunbsp;fein de l’opulence, Fortunatus n’eft-i\ pas d’unnbsp;Sge a aller chercher lagloire? Ne faudroit-ilnbsp;pas qu’il fe féparèt de nous ? Serions - nousnbsp;aflez ennemis de fa réputation pour le recenirnbsp;auprès de nous, lorfque déja fes pareilsfe fontnbsp;fait connoitre par mille adtions d’éclat ? Pour-quoi done nous affliger d’un depart néceflaire?

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Eft-ce paree qu’il ne part pas, comme eux« trainant après lui une fuite nombreufe de valets amp; de brillanséquipages? Sa fituation mémenbsp;eft un «vantage: Les délices de la maifonnbsp;paternelle, qui les ont accompagnés dans leursnbsp;voyages, ne leur ont pas permis d’acquérirnbsp;les connoiflances qu’ils cherchoient; accou-lumés a 1’ignorance amp; a la mollefle, ils ontnbsp;lefufé de s’inftruire; ils ont craint la peine,nbsp;amp; n’ont rapporté de leurs courfes que les pré-jugés amp; les ridicules des pays qu’ils ont par-courus : Comme, par leur état, ils n’ont pasrnbsp;eubefoin de fe faire des proteéteurs, fe croyancnbsp;au deüus de la néceffité de plaire , ils en onenbsp;négligé tous les moyens. Les relies précieuxnbsp;de 1’antiquité, les chef-d’muvres des arts,nbsp;les divers phénomènes que la nature a répan-dus fur la furface , amp; dans les entrailles de lanbsp;terre, fe font, vainement, olFerts aleursyeux;nbsp;ils n’avoient point appris è les voir: Ils ontnbsp;été chez diffërens Peuples, amp; n'en ont pas funbsp;diftinguer, ni les mceun , ni les caraélères ;nbsp;ils ont cru avoir beaucoup fait, paree qu’ilsnbsp;ont obfervé quelques ufages particuliers, quinbsp;ne leur ont paru bizarres, que paree qu’ilsnbsp;étoient différens de ceux de leurs pays; Aufli,nbsp;quel a été Ie fruit de leurs voyages ? unenbsp;prélbmption ridicule en leur faveur, une pré-vention injufte contre les Nations étrangères,nbsp;amp;, Ie plusfouvent,.le mépris qu'ilsont attiré anbsp;leur patrie, amp; i eux-mêmes. Grace au Ciel,nbsp;mon fils, je n’ai rien de tout cela i craindrenbsp;pour vüus. Je ma confole d’avance da notre

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de Fortunatus. nbsp;nbsp;nbsp;9

réparation, par Ie plaifir que j’efpère de votre retour: vous n’oublierez jamais quenbsp;ïaiflez des parens qui vous airoent, jsnbsp;feul moven que vous ayez de repondie ^nbsp;amour , eft d’être honnête amp; vertueux, jnbsp;fais que, fans ce motif, vous Ienbsp;nbsp;nbsp;nbsp;“

core ; Que ne devons-nous pas attendre cceur fait comme Ie vótre; quant au e inbsp;de mériier l’eftime publique, vous joinareznbsp;celui de faire notre confolation . rartez jnbsp;épargnez a votre père de triftes adieux qui de-cbirenc fon ame ; II n’eft pas moins beau denbsp;favoir dompter la nature , dans certaines oc-cafions, qu’il eft toujours agréable de fe livrernbsp;a fes penchans. Adieu, mon fils. A ces niots ,nbsp;elle s’arracbe de mes bras, fans avoir la forcenbsp;d’en dire davantage; amp; moi« je me trouyainbsp;dans ceux de mon père, que je vis froid,nbsp;pamp;le amp; inanimé : je tremblai pour fon état;nbsp;je demandai du fecours; ma mère revint ennbsp;efluyant fes larmes; elle me fit figne de menbsp;retirer, amp; je partis fans Ie revoir, après avoirnbsp;demeuré, quelques jours, cache a Famagoufte,nbsp;pour m'affurer que cette féparation n’auroitnbsp;point de fuites funeftes.

Je n’avois point de projet determine i je me voyois, pour la première fois, hors denbsp;la maifon paternelle; je n’avois que dix-huitnbsp;ans; j’étois fans experience; je me regar-dois comme un être ifolé dans la nature ; jenbsp;fcémiflbis de ma fituation; mes regards fenbsp;tournoient, malgré mol , vers la demeurenbsp;öe mes triftes parens ; Te leur tendois les

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mains, 85 ma feule confolation étoit de pen-fer que j’aurois , peut - être, Ie bonheur de leur être utile. Je me promenois, fans deflein,nbsp;fur Ie port; je vis une Galère qui reveuoicnbsp;de Jérufalem ; j’appris qu’elle avoit ramené Ienbsp;Comte de Flandre ; que ce Comte venoit denbsp;perdre un de fes écuyers; qu’il étoit fur Ienbsp;point de partir, amp; qu’il avoit fait avertir lesnbsp;paflagers qui devoient s’embarquer avec lui.nbsp;Je me préfentai au Comte, je lui dis, en peunbsp;de mots, Ie défir que j’avois de quitter 1’ilenbsp;de Chypre; je lui peignis 1’état de mes parens,nbsp;je lui parlai de leur opulence pafl'ée, amp; je nenbsp;lui cachai que les caufes de leur chute. J’eusnbsp;Ie bonheur d’être bien regu du Comte; j’ofainbsp;lui propofer de remplacer Ie ferviteur qu’ilnbsp;avoit perdu. II me demanda, d’un air affable, quel étoit mon talent. Je n’en fais rien,nbsp;lui répondis-je; mon père n’a rien négligé pournbsp;mon éducation; j’jgnore fi j’en ai profité,nbsp;comme je 1’aurois dü; mais, j’efpère que Ienbsp;défir de vous plaire, mon zèle , amp; les principes que j’ai re9us, me rendront propre anbsp;exécuter vos ordres, lorfque je ne ferai pasnbsp;affez heureux pour pouvoir les prévenir : Lenbsp;feul exercice, auquel je me fois livré, juf-qu’a préfent, eft la chaffe; amp;, foit hafard ,nbsp;foit adrefie, j’ai eu des fuccès qui m’ont flatté.nbsp;Une feule cliofe m’inquiète, reprit le Comte,nbsp;je fuis d’un pays fi éloigné, que j,e crains biennbsp;que vous ne vouliez pas quitter le vótre pournbsp;me fuivre. Je le raflurai fur cette crainte : 11nbsp;me denianda ce qne je voulois pour mes ga-

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de Fortunatus. nbsp;nbsp;nbsp;11

ëes. Rien, que vos bontés, répondis-je, ^en rougiffant. II infifta, amp; je lui dis que je m ennbsp;rappoccois a fa juftice, qui proportionneroicnbsp;la récompenfe au fervice. Je fus accepte : Lanbsp;galète fut bieutót prête •. Je quittai lama-goufte St mes parens; nous eümes unnbsp;favorable, amp; nous arrivames, en tres-peu denbsp;Jours, a Venife.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;,

Le Comte ne fit qu’un féjour tres-court dans cette Ville, qu’il connoifl’ólt déja; ilnbsp;‘ patient de revoir fes amis; d’ailleurs, il alloicnbsp;époufer la fiUe du Due de Glèves : Son manage avoit été fufpendu par fon départ pournbsp;la Terre-Sainte •, il étoit fixé a fon retour.nbsp;II ne s’arrêta a Venife qu’autanc de tempsnbsp;qu’il lui en fallut pour faire qvtelques emplec-tes de chevaux amp; de bijoux. Je m’entendoisnbsp;a ces chofes mieux qu’aucun des ferviteutsnbsp;du Conite : II me laiü'a le maitre des mar-chés, amp; il fut très-Gontent de tout ce que jenbsp;fis; ce qui, joint a mon afiiduité aupres denbsp;lui, m’attira fon entière confiance ; II ne tardanbsp;point a m’en donnet des preuves.

Parmi les chevaux qu’il avoit achetes, u y en avoit de moins bons les uns que les au-tres; il les diftribua k fa maifon; mais il menbsp;choifit un des meilleurs. Cette diftinétion ex-cita la jaloufie de fes autres domeftiques; jenbsp;les entendis murmurer contre moi. Les Fla-mands, bons amp; honnêtes, ont, rarement ,nbsp;1’efprit aftif; ils fe mélioient d’un jeune Ita-lien rempli de zèle, qui avöit re^u une education bien au delius de fon état Ils crai-

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gnoient que, felon 1’nfage, abufant de 1’a-mitié de leur maltre, je ne cherchaffe a leur nuire. Cependant, ils n’osèrent point éclater.nbsp;|e feignis de ne m’étre aper^u de rien; je fisnbsp;tout ee que je pus pour mériter leur araitié;nbsp;inais, quand lajaloufie s’eft emparee de certains el^rits, tout ce qu’on entreprend pournbsp;la guérir, fe tourne en poifon ; elle donne fesnbsp;propres couleurs aux démarches les plus in-nocentesj elle interprète tout au gré de fesnbsp;injuftices amp; de fes craintes : C’efl: dans cesnbsp;difpofitions que npus arrivames en Flandre.

Le Comte fut re^u, comme un Dieu, par fes amis amp; par fes vaflaux; ceux-ci ne pou-voient fe raflafier du plaifir de le voir; ilsnbsp;avoient fi long-temps tremblé pour un fi bonnbsp;maitre, quails ne favoient comment déployernbsp;leur joie. II faut des vertus extraordinairesnbsp;a nn particulier, pour acquérir 1’eftime de fesnbsp;femblables; il ne faut aux Grands, pour ob-tetiir l’amour de leurs inférieurs, que desnbsp;vertus communes, foutenues par 1’afFabilité.nbsp;Qu’ils font done coupables, les Grands quinbsp;fe font détefter, amp; que leur politique eft abfur-de! La crainte qu'infpire leur orgueil, leurnbsp;fait trouver des obftacles a leurs moindres vo-lontéS; au lieu que tous les eoeurs, rous lesnbsp;bras, tous les tréfors font ouverts au maitrenbsp;coropatiflant amp; généreux, qui fe fait aimer.nbsp;Tel étoit le Corate. II défiroit, avec em-preffement, Ia conclufion du mariage ; tousnbsp;fes amis, qui partageoient fes peines amp; fesnbsp;plaifirs, la hitèrenr, amp; les noees furent célé-

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de Fortunatus. nbsp;nbsp;nbsp;13

brées avec une telle pie, qu’on eüt dit que c’étoit la noce de chacun de Tes vaMux.nbsp;Cette fêce attira un grand concours de Princes amp; de Seigneurs des environs; car Ie Comtenbsp;étoit autanc eftimé de fes fupérieurs,nbsp;tefyeité de fes égaux, qu’il étoit dien ae lesnbsp;inférieurs. II y eut, pendant plulieurs jours,nbsp;des joutes amp; des tournois. Quoique plulieursnbsp;Princes euflent amené une foule de ferviteursnbsp;du plus grand mérite, j’eus la fatisfactjon denbsp;recueillir les fuffrages de tous les Seigneurs, desnbsp;hommes amp; des ferames; amp;, fur Ie bon temoi-gnage que mon maitre leur rendit de ma conduite , de mon adrelfe a la chafle, amp; de lanbsp;nobleffe avec laquelle je fervois , je me vis ac-cablé de préfens ; il faut 1’avouer , manbsp;modeftie n’y gagna lien.

C H A P I T R E II.

Premières aventures de fortunatus; ejffroi Jé-gitime; faite précipitée-

V-'Es marqués de diftindion ne contribuoient pas a me concilier 1’amitié de mes camarades:nbsp;Une aventure, a laquelle je ne pouvois pasnbsp;m’attendre, acheva de me déttuire dans leurnbsp;efprit. Après que les joutes amp; les tournois desnbsp;Princes eurent celi'é, Ie Due de Clèves, amp; Ienbsp;Comte} propofèreat deux prix pour les deux

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Ecuyers, ou Serviteurs, qui fe diftingueroieriC Ie plus aux tournois, qui furent ouvercs poucnbsp;eux : Ces deux prix étoient deux pièces denbsp;velours, Thimothée, un des Ecuyers du (i)nbsp;Due de Brabant, gagna, de fon cóté, i'uanbsp;des prix, amp; moi, je remportai i’autre. Lesnbsp;fervitewrs du Comte, qui ne m’avoient vunbsp;entrer en lice qu’avec des yeux de fureur,nbsp;parurent conllernés de ma vidoire : Ils réfo-lurent de m’en enlever Phonneur ; ils perfua-dèrent a Thimothée de m’envoyer un cartel |nbsp;amp; de me propofer de mettre mon prix contrenbsp;Ie fien, afin qu ’ils reftaflent, 1’un amp; 1’autre, aunbsp;vainqueur- Ils trembloient que je n’acceptaflenbsp;point Ie défi; je courus a Thimothée, amp; luinbsp;témoignai Ie plaifir que j’aurois de romprenbsp;une lance avec lui, quoique cette forte d’exer-cice me fut étranger. Dès que les Seigneursnbsp;furent avertis du combat, ils voulurent l’ho-norer de leur préfence : Nous partons, amp;, h,nbsp;la quatrième courfe, je renverfai mon adver-faire de fon cheval. Le Comte applaudit Anbsp;mon nouveau triomphe, amp; fe félicita quenbsp;les deux joyaux (2) , euflent refté a fonnbsp;Ecuyer : II ignoroit la bade jaloufie que fesnbsp;gens me portoient, amp; qu’ils n’avoient jamais

( I) II falloit étre Gentilhomme yotir être admis aux tour-, nois, amp; d’une probité fans tache. Les Ecuyers parvenoient,nbsp;par lil, è être Chevaliers.

(2) C’étoit ainö qu’on appeJoit les prix que les Dames dillribuoient, amp; dont le vainqueur iic manquoi: pas de fenbsp;parer.

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de Fortunatus. nbsp;nbsp;nbsp;i5

ofé me témoigner devant lui • Car envie amp; lach'eté marchent, aliez fouvent, de compagnie.

Ma nouvelle viftoire fut uij coup de rou-dve pour eux elie ne les empecha pas de faire agir de nouveaux reflbrts. Un des plusnbsp;envieux étoit un vieux Chevalier, attache,nbsp;depuis long-temps, au fervice du Comte ; lisnbsp;iuiavoient, plufieurs fois, entendu dire qu unbsp;avoit un moyen sur de me forcer de fuire,nbsp;fans rien dire a perfonne, fort heureux denbsp;pouvoir m’échapper fans que mon maitre ennbsp;fut rien. Ils ne manquèrent pas de Taller con-fulter. Le traitre avoit eu Ie temps d etudiernbsp;mon caraftère •, amp; ce fut fur ma franchile ynbsp;amp; fur ma crédulité, qu’il fonda fon projet ;

II avoit befoin d’argent pour réuffir; mes en-nemis eurent bientót fait la fomme qu’il leur demandoit.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;_

Robert (c’étoit le nom du vieux Chevalier ) commenga par me rechercher : raconta 1’hiftoire de fa vie •, peu a pen, il f®nbsp;lia a vee moi ; je n’avois aucune raifon denbsp;m’en méfier; il me conduifoit chez les^ belles femmes; il me louoit fur ma naihance,nbsp;fur mon education, fur mille qualites qu’ilnbsp;me fuppofoit. La flatterie eft douce; les ef-prits qui font le plus en garde centre fesnbsp;amorces, font, quelquefois , les premièresnbsp;dupes de fa perfidie; amp; je n’étois que tropnbsp;difpofé a l’écouter. Je prenois Robert pournbsp;mon ami; j’étois le'fien; je lui avois donnenbsp;toute ma confiance; je me prêtois a fes

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gouts; il avoit étudié les miens : II s’at-tacha a titer parti de ma vanité; il la flatta avec une adrefle, dont je fus aifément lanbsp;dupe; il me confultoit jufque dans les plusnbsp;petites bagatelles, amp; me faifoit toujours hon-neur du fuccès. II me juroit toujours Pami-tié la plus fincère; il me donnoit des con-feils, done j’avois fouvent éprouvé la foli-dité.

Ma vivacité, mon accent étranger, la dif-ficulté que j’avois k m’exprimer dans la lan-gue du pays, plaifoient a la Comtefle; elle me traitoit avec plus de familiarité que mesnbsp;camarades. J’étois fon Écuyer de preference.nbsp;Robert, fecondé par mon amour propte, menbsp;perfuada qu’elle ne me voyoit pas d’un ceilnbsp;indifférent, amp;j’avoue, k ma bonte, que j’eusnbsp;la préfomption de Ie croire : Je redoublai denbsp;zèle amp; de foins auprès d’elle, fans pourtant,nbsp;qu’il me foit jamais arrivé d’avoir 1’idée denbsp;fortir des bornes du refpeft : Robert eutnbsp;beau me repréfenter que 1’araour timide eftnbsp;prefque toujours malheureux; il ne réuffit jamais k me rendre téméraire.

J’étois, avec Robert, dans Punion la plus intime. Lorfqu’il me vit aflez engage dansnbsp;fes filets, il me prépara au dernier coup. Unenbsp;nuit, cjue tout Ie monde étoit retire , amp; quenbsp;je me difpofois a fuivre, Ie lendemain, monnbsp;maitre dans un voyage, il monte dans manbsp;chambre, ferme la porte, amp;, comme s’il avoitnbsp;un fecret de la plus grande importance k menbsp;communi^uerj il roe demande s’il peut fe

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ïf

dc Fortunatus.

ccmtler moi. Te 1’affurai qu’aux tertnes w nous étions, ce doute m’ofenfoit. Ii m enbsp;braffe, amp; me dit, a demi-voix : Mon chernbsp;Fortunatus, je fuis plus couvaincu que p -fonue qu’U ne s'eft pafie, entre Madanbsp;Comtefle amp; vous, nen que de très-hon »nbsp;cependant, foit qu’elle ne fe foit pas alieznbsp;obfervée, foit que votre amour vous aicnbsp;trahi, M.Ve Comte, qui, par malheur, n eitnbsp;que trop enclin èi la jaloufie, vous a epnbsp;1’un amp;. 1’autre, amp; vous lui avez donne uesnbsp;foop9ons dont il a fait part a quelqu un.

J’attendois avec impatience la nn de ce converfation; je crus qu’elle fe borneroit .nbsp;me donnet quelques confeils utiles. ]e^ ne pou-vois, cependant, concevoir que jeune-punbsp;alarmer Ie Comte. Comme je n’avois rien anbsp;me reprochet, je pris, d’abord , la chofe eiinbsp;plaifantant. Robert me regarda d’un air tortnbsp;férieux; amp;le Comte eft très-irrité contre vous,nbsp;ajouta-t-il; je Ie fais pofitivement; mais, aunbsp;fond , il vous aime, amp; il feroit très-fache denbsp;fe défaire de vous. II a long-temps cherchenbsp;les moyens de concilier fon amitié amp; ia tran-quUlité, de manière qu’il puifle vous lailleinbsp;iuprès de fa femme, fans avoir rien a crain-dre. Voici, enfin, 1’expédient qufil a imagine : Gardez-moi, je vous prie, fur toutnbsp;ceci, ie fecret Ie plus inviolable; il y vanbsp;du repos du refte de mes jours; d’ailleurs,nbsp;je comprovnettrois un ami intiroe, qui, con-noiü'ant mon amitié pour vous, m’a infortnenbsp;de tout ce myftère. M. Ie Comte, ajouta-t-il,

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Hiftoire

ne vous a-t-il pas ordonné d'etre prét, de-niain, au point du jour, pour 1’accompagner a Louvain ; ne vous a-t-il pas die qu’il ynbsp;alloit pour terminer tin procés, qu’ii avoicnbsp;avec Ie Comte de Saint-Paul ? Cela eft vrai,nbsp;lui dis-je; quelle conféquence en tirez-vous?nbsp;Dans Ie temps, continua-t-il, qu’il feta fem-blant d’étre occupé de fon affaire , il doitnbsp;vous envoyer chez un homme qui lui eft en-tièrement dévoué. II eft vrai, repris-je, qu’ilnbsp;m’a demandé li je connoiffois bienLouvain,nbsp;amp; fi je faurois m’acquitter des commiffionsnbsp;qu’il me donneroit, dans différens quartiersnbsp;de la Ville- Juftement, dit Robert: Eh bien,nbsp;eet homme, chez lequel il doit vous envoyer,nbsp;eft un Chirurgien, très-habile, è la vérité,nbsp;qui', de force ou de gré, avec Ie fecours danbsp;quelques perfonnes de fa profeffion, doit vousnbsp;inettre dans Ie cas de ne jamais infpirer denbsp;jaloufie d perfonne; vous faire une de cesnbsp;opérations qui font Ie plus grand mérite denbsp;nos vertuofo d'Italie. M. Robert, m’écriai-je en pdliffant, fongez-vous bien a ce quenbsp;vous me dites? En êtes-vous bien affuré? Se-loit-il poffible qu’une jaloufie fi mal fondée pütnbsp;porter M. Ie Comte, qui eft un li bon maitre,nbsp;a me faire un outrage femblable? Plüt a Dieu ,nbsp;inon cher Fortunatus, que jè puiffe douternbsp;de la vérité de 1’avis que je vous donne.nbsp;A quel propos feroit-on venu m’avertir, anbsp;1’heure qu’il eft, prefqu’au moment de votrenbsp;départ? D’ailleurs, comment auroit-on devinénbsp;que Madame la Comteffe a queique penchant

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de Fortunatus, nbsp;nbsp;nbsp;^9

pout vous, amp; que vous n’êtes pas infenfible ü fes charmes? 11 eft vrai que vous avez oesnbsp;euneiDis;jele fais; mais quel parti pourroient-ils titer de cette fuppofition ? Ce n’eft pas la première fois qu’uneidée femblableeft entrée dansnbsp;la téte d'un jalouxquot;, au lieu que jamais on n a

vu la haine la plus forte faire imaginer, ah.....

cela ne fe comjoit point. Au furplus ^ vous voila prévenvf, vous êtes fort amp; vigoureux;nbsp;ne témoignez rien; armez-vous; accompa-gnez M. Ie Comte: Sil’avis qu’on m‘’a donnenbsp;eft faux) vous aurez une preuve certaine denbsp;la malice de ceux qui vous en veulent» amp; ï®nbsp;vous protnetsde vous nommer 1’ami qui vieimnbsp;de m’avertir : Si, au contraire ¦, 1’avis eftnbsp;vrai, que rifquez-vous? Un Chirurgien eft-ilnbsp;un champion fi redoutableP Vous n’avez pasnbsp;craint la lance de Thiraothée, amp; vous aveznbsp;peur du rafoir d’un chirurgien? Allons, For-tunatus, du courage. Non,parbleu ,tD’écriai-je, je ne m’y expoferaipoint: Accompagne M.nbsp;Ie Comte qui voudra; vous êtes moii ami,nbsp;M. Robert; je vous remercie de 1’avis: Lanbsp;feule chofe que je vous demande, dans_ cenbsp;moment, c’eft de m’aider a me cacher , juf-qu’a ce que les portes de la Ville foient ou-vertes: J'ai Ie plus grand regret de me féparernbsp;de vous, amp; de quitter M. Ie Comte— Lenbsp;pani,que vousprenez, me dit Robert, d unnbsp;air alRigé, eft bien violent: Si j'avois crunbsp;que vous priffiez la chofe fi vivement, jenbsp;nre ferois bien gardé de vous rien dire. Quoi.nbsp;Fortunatus ne fait vaincre le péril que par

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10 nbsp;nbsp;nbsp;Hijloire

la fuite? D’ailleurs, qu’allez-vous devenir? Vous ne pouvez pas douter que M. Ie Comtenbsp;ne vous aime: La precaution même qu’il prendnbsp;pour pouvoir vous garder en fureté dans fanbsp;maifon, en eft une preuve; Oü trouverez-vousnbsp;un meilleur mattre ? II eft vrai qu’il a Ie défautnbsp;d’être jaloux: Après tout, dépend-il de nousnbsp;d’évirer cecte maladie? Au fond, Ie pire denbsp;tout, c’eft qu’en effet,il exécute fon projet:nbsp;Seriez-vous Ie feul dans Ie cas oü il veucnbsp;vous mettre? Si Ie mal d’autrui eft un fou-lagement pour celui que nous éprouvons, vousnbsp;trouverez la moitié du monde peuplée de compagnons de votre infortune. Dans tout l’O-rient, dans votre pays même , en vaut-onnbsp;moins pour cela ? Cet accident a-t-il erapê-ché quelqu'un de parvenir aux premières di-gnités? Eh ! que fa vez-vous la fortune qui vousnbsp;eft deftinée? Ce que la fougue de vos fensnbsp;vous fait regarder, dans ce moment, commenbsp;un malheur, eft, peut-étre, Ie plus grandnbsp;bien qui puifle vous arriver; car, enfin, vousnbsp;êtes ambirieux, amp; , ü votre Sge , fouvent,nbsp;la fatale paffion de 1’amour abforbe routes lesnbsp;autres, amp; devient 1’écueil des projets les mieuxnbsp;concertés. Vous Ie voyez par ce qui vous arrive:nbsp;La beauté de Madame Comtefle vous a frappé:nbsp;Auffi-tót, oubliant qu’elleeft l’époufe de votrenbsp;maitre, vous vous livrez a des vceux indif-crets: Au lieu que vous n’aurez plus rien denbsp;femblable ü craindre. Plus notre maJtre feranbsp;tranquille fur votre compte, amp; plus il eftnbsp;probable qu’il s’attachera a vous. Vous gou-

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de Fortunatus.

vernerez fous fon nom: Libre de la plus ardente öss paffions, tout occupé de 'votre avance-ment, il n’eft rien que vous ne puiffiez vousnbsp;pormetire. Ami Robert, lepris-je, laiie de lanbsp;harangue , vous êtes-vous mis dans la tetenbsp;que je me laiflerois perfuader , pat les beauxnbsp;Cxemples que vous me citez? Eh bien! facheznbsp;que 1’empire du monde ne me tenteroit pas, s ilnbsp;m’étoic offert au prix que vous dites. Eh »

quel bien peut compenfer!----La feule idee

me fait frémir. La nuit eft déja avancée ; duifez-moi dans quelque retraite sure» amp;»nbsp;furtout, ne parlez a perfonne de mon depart«nbsp;que dans troisjours. Le traitre prit un air afflige ^nbsp;rnaudit le moment fatal qui alloit nous lé-parer; me conduific dans une maifon écartée •nbsp;oü je fis mener mon cheval; amp; , avanr que lenbsp;Comte fut éveillé , je parus» mon oifeau futnbsp;le poing, fuivi de mon cbien, comme ff j’al-lois a la chafle, amp; regardant toujours autoutnbsp;de moi.

La crainte me donna des ailes; je fis dix lieues fans m'arrêter; Ik, lorfque je crus lenbsp;faire fans danger, j’achetai un autre cheval,

je renvoyai celui du Comte, ainli que fon chien, afin de lui óter tont prétexte de menbsp;faire fuivre. j’ai fu, depuis, qu’il fut fortnbsp;étonné d’un départ auffi précipité; il fit lesnbsp;plus exaéles perquifitions, il demanda , i cha-cun de fes domelliques en particulier, ce quinbsp;ni'avoit determine a partir ainfi» fans lutnbsp;^Voir demandé mon congé; fans avoir di^nbsp;adieu a perfonne, fuitout, fans avoir de»

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2 a nbsp;nbsp;nbsp;H/fioire

mandé mes gages, qui ne laiffoient pas d’être confidérables; II procefta que, s’il découvroitnbsp;que quelqu’un de fa maifon m’eüt donné lieunbsp;de me plaindre, il l’en puniroit févèrement,nbsp;II monta dans Pappartement de fa femme ,nbsp;amp; lui fit les mêmes queftions. Elle Paflliranbsp;que, bien loin d’avoir regu quelque déplaifir,nbsp;je lui avois paru, Ie foir même, plus gainbsp;qu’a Pordinaire; que je Pavois fort amufée,nbsp;ainfi que fes femmes, par les détails des ufagesnbsp;de mon pays, que je leur expliquois de lanbsp;manière la plus plaifante.

Cependant, Robert, voyant a quel point fon maicre me regrettoit, craignant, d’ail-leurG, 1’elfet de ces menaces, alia recommander Ie plus inviolable fecret a tons les domefti-ques du Comte : Ils ignoroient la manièrenbsp;dont il s’y étoit pris pour m’engager a fuir;nbsp;ils le preilbienc de le leur découvrir; maisnbsp;il eut Padrefle de les tromper eux-mêmes, amp;nbsp;de leur perfuader que j’étois parti pour allernbsp;rétablir les affaires de ma familie.

CHAPITRE II.

'^atre épreuve da caraamp;ère de, Fortunatus.

I-^’iMAGE effrayante de l'opération avec laquelle le perfide Robert avoir inutilementnbsp;tenté de me familiarifer, étoit toujours pré-fente a mon imagination j j’arrivai a Calais}

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de Portunatus. nbsp;nbsp;nbsp;*5

amp; je tie me crus en fureté, que lorfque j eus ' mis la mer entre Ie Comte amp; moi.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;^

joie je reflentis, en débarquant en Angleterre. je m’ücbeminai vers Londres, on je crus menbsp;trouver au rendez-vous de routes les nations jnbsp;Ie commerce les y attire des extréinite» denbsp;Tunivers, amp; femble ne faire qu’une mernenbsp;familie dss peuples difpe^fés fur la fiuface denbsp;la terre. Quél art que celui qui facilite auxnbsp;habitans des contrées les plus éloignees, lesnbsp;inoyens de fe communiquer leurs fecoursnbsp;mucuels!

Je melivrois d ces reflexions, lorfquej’aper-^us deux jeunes gens de mon age, quejewcon-nus pour être mes compatriotes. Ils étoient débarqués, depuis peu, en Angleterre; leursnbsp;parens leur avoient' donné quantité de_ mar-chandifes a vendre; mais, n’étant jamaisnbsp;fortis de chez eux, amp; ne connoiffant Ie paysnbsp;oü ils étoient, que par leurs leélures amp; parnbsp;les inftruélions de leurs pères, ils fe hdtèrentnbsp;de vendre ; L’argent, qu'iis requrent, leutnbsp;parut un fonds inépuifable; jamais ils ne s’ennbsp;étoient vu autant. Le déCr d’apprendre desnbsp;nouvelies de mes parens, amp; eet inftinft qui,nbsp;dans quelque fituation amp; dans quelque paysnbsp;que nous nous trouvions, nous ramène, mal-gré nous, vers notre patrie, me firent courirnbsp;vers ces deux jeunes gens; après les cora-plimens ordinaires, je leur demandai desnbsp;Nouvelies de Théodofe amp; de Gratiane; j^^Pquot;nbsp;Ptis qu’ils étoient, a pen prés, dans la memenbsp;fituation oü je les avois laiffés, amp; qu’ils »8

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Hijloire

pouvoient fe confoler de mon abfence. Je ne perdis pas un moment; je faifis I’occafionnbsp;d’un vaifleau qui recournoit a Famagoufte;nbsp;je leur écrivis tout ce qui m’étoit arrivé,nbsp;depuis Ie moment de notre féparation, amp; jenbsp;leur renouvelai les proraefles, que je leurnbsp;avois déja faites, de ne me conduire quenbsp;fuivant les fages inftruélions qu’ils m’avoiencnbsp;données. Mais, queiles que fuflent mes réfo-lutions k eet égard, mon peu d’expériencenbsp;les rendit bientdt inutiles. Mes compatriotesnbsp;s’étant liés avec de jeunes gens plus adroitsnbsp;qu’eux, ils m’aflbcièrent a leurs parties; peunbsp;a peu, ils nous engagèrent a jouer; ils firencnbsp;li bien, qu’en moins de fix mois, je me trouvainbsp;fans argent : J’en demandai a mes camara-des; mais eux-mêmes fe virent obligés denbsp;retourner chess eux, méprifés amp; infultés pacnbsp;ces mémes libertins qui les avoient dépouillés.nbsp;Pour moi, je n’avois pas eu un meilleur fort:nbsp;Comme j’avois moins d’argent que les autres,nbsp;je fus Ie premier ruiné.

Mes compatriotes m’avoient mené chez une jeune Angloife; nous nous étions jurénbsp;1'amour Ie plus tendre amp; une fidélité a.toutenbsp;épreuve. Elle m'avoit, plufieurs fois, vanténbsp;la folidité du caradère Anglois : Que vosnbsp;Italiennes, me difoit-elle, plus emportées dansnbsp;leurs plaifirs, fe piquent de les épuifer tous;nbsp;qu’elles fe vantent de leurs tranfports amp; denbsp;leurs fureurs; amp; que les Frangoifes fe glori-fient du nombre de leurs conquétes; qu'eilesnbsp;fe flattent de pofleder feules 1’art de iubjuguer

leurs

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de Fortuncitus.

^eurs amans, de leur faire aimer leurs caprices,

^ sdorer jufqu^a leurs défauts; les Angloiles tirent vanité que des fenrimens qu’ellesnbsp;éprouvent amp; des plaifirs qu’elies donnent; c’eitnbsp;chez elles que vous trouverez la volupté joinienbsp;^ la délicatefle, amp; couverte du voile de^lanbsp;décence qui la rend plus piquante encore : No3nbsp;coeurs font fimples comme nos attraits; nousnbsp;déteftons Ie fard qui dépare la beauté amp; quinbsp;enlaidit la laideur même.

pes fentimens auffi épurés m’avoienc acca-fbé, pour toujoars, d Sophie; Ie peu que j’avois, je 1’avois dépenfé avec elle; je luinbsp;aurois factifié ma vie. J’étois dans la plusnbsp;grande indigence; j'avois quelque deffein denbsp;palier en France pour y cherchev un maltrc«nbsp;mon amour pour Sophie me faifoit regardernbsp;ce projet avec horreur ; Je Ie lui communi-quai, cependant, en lui proteftant que je fe-rois Ie plus malheureux des hommes, s’il fal-ioit m’éloigner d’elle. Quel fut mon étonne-ment, lorfqu’elle entieprit demeperfuader quenbsp;c’étoit Ie meilleur parti que je puffe prendre!nbsp;qu’U ne falloic pas attendre que je fuffe ac-^ cablé par la mifère, qu’elle en feroit défef-¦* pérée •, mais qu'elle feroit ce facrifice a monnbsp;bonheur. Enhardi pat ce confeil, je lui avouainbsp;que 1’exécution de ce projet exigeoic quelquenbsp;urgent, une fomme très-raodique, a la vérpnbsp;té, une ümple guinée, amp; que je ne l'avoisnbsp;pw. A eet aveu, je la vis changer de figure jnbsp;tin air fombre fe répandit fur fon front, 1’éclatnbsp;de fes yeux s’éteignit; je me perfuadai qu«

B

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20 nbsp;nbsp;nbsp;Hijloirs

c’étoit un effec de fon coeur compaüflant. Quelle délicatefle, me difois-je en raoi-mêmelnbsp;Oh! il n’y a que les Angloifes qui fachentnbsp;aimer ¦, il n’y a qu’elies qui ayent iine amenbsp;fenfible. Tu Ie veux, ma chère Sophie, m’é-criai-je; complice de ma cruelle deftinée, tunbsp;me condamnes a te quitter; eh bien! je te jurenbsp;qu’auffi-tót que la fortune m’aura fait part denbsp;fes premières faveurs , je viens, d tes pieds,nbsp;reprendre une chaine que rien ne brifera jamais : Prête-moi cette guinée qui me manque ; que ce foit toi qui jettes la première pierrenbsp;de 1’édifice; puis-je êcre malheureux fous denbsp;tels aufpices! Non, me répondit-elle, d’unnbsp;ton d me glacer; non, mon cher Fortunatus,nbsp;je n’aurai jamais Ie courage de contribuer aullinbsp;formellement a ton départ; fi j’apprenois quenbsp;tu fufl'es malheureux, je ne me confoleroisnbsp;jamais d’en avoir été la caufe; ma délicateflenbsp;n’en peut foutenir 1’idée d’avance. Sophie eutnbsp;1’art de me perfuader; mon cceur Ample avoirnbsp;été la dupe de R.obert; la même fimplicité ,nbsp;quand même je n’aurois point aimé, m’eut em-pêché de fufpefter la délicatefle de Sophie.

Je n'infiftai pas plus long-temps, mais il étoit trois heures, amp; j’étois a jeun ; Depuisnbsp;que j’étois a Londres, je n’avois eu d’autrenbsp;afyle que la maifon de Sophie, avec qui lesnbsp;Jeunes Anglois, amis de mes compatriotes,nbsp;m’avoient fait faire un arrangement pour toutnbsp;Ie temps que je refterois en Angleterre. Jenbsp;repréfentai a Sophie qu’il étoit tard : Mais,nbsp;eela eft: 'vrai, mé dit-elle, vous m’y faites

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de Fortunatus.

penfer; on m’attend chez Ie Lotd Bubble t oü je fuis priée, depuis huit jours, avec deuxnbsp;Ou trois de mes amies ; C’eft un homme ef-fentiel; je lui ai promis, amp; pour rien au monde , je ne voudrois lui manquer. Elle prit manbsp;main pour defcendre, amp; me renvoya avec Ienbsp;fourire Ie plus gracieux. Mes entraiiles afia-mées avoient beau protefter contre la dureténbsp;de la perfide, mon cmur la juftifioit toujours,nbsp;J’avois rencontré, a Londres, un de mesnbsp;parens, qui apprenoit Ie commerce. Florindenbsp;y étoit, depuis quelques années; il avoir étu-dié Ie caradère de la Nation, amp;, quoiqu’ilnbsp;y eüt trouvé, plus communément qu’en Cby-pre, des Sages qui aiment la vertu pout elle-même, des citoyens appliqués amp; pacriores,nbsp;des efprits folides amp; livrés a la reflexion, desnbsp;ames dégagées des préjugés amp; capables d'ac-tions grandes amp; généreufes, ü y avoir éptou-vé, comme par-tout ailleurs, des trahifons amp;nbsp;des perfidies ; II s’étoic aper§u, que, quoiqu’il y eüt des femmes refpedables, par leurnbsp;attachemenc a leurs devoirs, par leur douceur, par une conduire irréprocbsble, Ie fexenbsp;y poffédoit, en general, comme dans tousnbsp;les pays, 1’art de féduire amp; celui de trom-per. Florinde avoir, plufieurs fois, voulu menbsp;dégoüter de Sophie •, j’avois, jufqu’alors,nbsp;payé fes confeils par beaucoup d'indifférence:nbsp;1’eus recours a lui ^ je lui expofai ma fltua-'ïlon : 11 s’emprefla de foulager ma misère,nbsp;^ me promir de me trouver un mairre. Je menbsp;gardai bien de lui parler de ce qui venoit de

B ij

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a 8 nbsp;nbsp;nbsp;Hifloire

fe paffer entre Sophie amp; moi; je favois qu’il étoit prévenu contr’elle, amp; je craignois, plusnbsp;que jamais, la malignité de fes interprétations.nbsp;J’ai toujours remarqué que, dans 1’amour, amp;nbsp;dans 1’amitié , moins nous avons lieu de nousnbsp;méfier de robjen aimé, amp; plus nous fommesnbsp;portés a la jaloufie ; amp; qu'au contraire, lorf-que nos douces font les inieux fondés, nousnbsp;cherchons a éloigner les foupgons, a juftifiernbsp;la trahifon, a repouller Pévidence pour em*nbsp;brafler une erreur qui fait, alors, notre feulenbsp;confolation. Mon imagination peignoit Sophienbsp;ingrate, faufle amp; légère; mais ce fourire gra-cieux j qu’elle avoit fait en me quittant, cettenbsp;délicatefle de fentimens qu’elle m’avoit fi fou-vent marquée, cette humeur fombre, quinbsp;avoit éclaté dans fes yeux, lotfque je lui avoisnbsp;annoncé mon départ, amp; mille autres circonf-tances que j’interprétois en fa faveur, renver-foient toutes mes idéés. Je voulois me con-vaincre de la vérité par moi-même: J'allai cheznbsp;elle : Sophie étoit fortie; j’y revins, elle étoitnbsp;¦è la campagne; j’y retournai encore; Lordnbsp;Buhbh amp; Lady Seeks étoient venus l’enlever,nbsp;dés Ie point du jour. J’y allai, plufieurs fois,nbsp;inutilement; ce ne fut qu’après la quinziè-me, que je regus cette lettre. „Je fuis biennbsp;„facliée, mon cher Fortunatus, que les cir--„conftances nous ayent fi mal fervis; depuisnbsp;„ quinze jours, je fuis furchargée d'affaires amp;nbsp;„ de plaifirs; je connois trop vos fentimens,nbsp;,, pour croire que vous vouluffiez me fairenbsp;„ manquer aux unes, amp; pour vouloir me pri-

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de. Fortunstus.

» ver des autres; les tniens font trop yrais V pour lie pas vous épargner des demarcnesnbsp;sf inutiles ; Je prévois que ceci fsra loog j 1®nbsp;3} fuis au défefpoir de ne pouvoir pas rece-aj voir vos adieux avant votre depart; rece-a» vez les miens, amp; épargnez-vous la peinenbsp;aa de revenir.

Cette lettre acheva de me dérrompèr '• Cette ^élicatefle de fentimens, dont j’avois ete lanbsp;dupe, me parut un rrioyen d’autantplus horrible, que Sophie 1’avoit puifé dans mon cceur.nbsp;II m’en couta pour m’en guérir; fa noirceurnbsp;fut ie meilleuï remède que J’employai contranbsp;la perfide. J’étoistoujoutsdans Ie deflein d’allernbsp;en France : Florinde vint m’annoncer qu ilnbsp;m’avoit trouvé un maitre tel qu’il me falloit;nbsp;un Négociant riche, jouiflant de la meilleurenbsp;reputation, prudent, furtout, amp; Florentin.nbsp;Quel quhl foit, lui dis-je, je 1’accepte ; monnbsp;projet n’eft que de ramafler quelque argent,nbsp;pour continuer mes voyages, jufqu’a ce quenbsp;ie trouve k me placer auprès de quelque Seigneur. Nous fixames au lendemain mon en-ttée chez Is Négociant de Florence, a quiFlo-ïinde avoit promis de me ptéfenter.

B ii]

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HiJIoire

CHAPITRE IV.

Sffets JiniJlres de Vcntêtcmmt. Malheurs, non mérités, de Fortunatus.

, peine fut-il jour, que j’arrivai chez Flo-rinde; je voulus favoir quel étoit le carac-tère de mon nouveau maitre. Le Signor Alberti , me dit-il, eft bon homme au fond, fe piquant de fineffe, quoiqu’il en ait trps-peu;nbsp;fe melant de routes les affaires, quoiqu’il n’ynbsp;entende rien ; fe vantant d’une pénétrationnbsp;lingulière pour connoitre les hommes, quoiqu’il ait été la dupe de quiconque a voulunbsp;I’attraper; amp; c’eft paree que je connois votrenbsp;droiture amp; votre franchife , que je vous metsnbsp;auprès de lui. Les banqueroutes, qu’il a ef-fuyées, auroient dü le rendre unpeu méfiant;nbsp;l’idée, OU il eft, qu’il n’y a pas de repli afleznbsp;caché dans le coeur humain qu’il ne découvrenbsp;d’un coup d’ceil, lui donne, i eet égard, unenbsp;fécurité imperturbable. Empêchez, autant quenbsp;vous le pourrez, qu’il ne foit trompé; maisnbsp;gardez-vous bien de le lui faire connoitre; ilnbsp;aimeroit mieux être volé par tous les friponsnbsp;des trois Royaumes, que d’en croire a quel-qu’un qui 1’avertiroit d’être fur fes gardes.nbsp;Voila le Signor Alberti; partons.

Nous le trouvamp;mes enfoncé dans un tas de papiers, entouré de deux ou trois Secrétaires,nbsp;amp; réglant, nous dit-il, une affaireimportan-

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de Fortunatus. nbsp;nbsp;nbsp;3 ^

te, a laquelle les gens de loi n’entendoient rien. J’applaudis a fon zèle : Je felicitai lesnbsp;perfonnes que cette affaire regavdoit ; il '

Sxa a plüfieurs reprifes, amp; peis, fe to^rnan vers Florinde; Je feroisbientrompe, lui oit-il, fi votre coufm n’étoit pas un de ces elpritnbsp;fins, déliés, fairs pour parvenir a la plusnbsp;grande fortune. Ce pays-ci abonde en gensnbsp;iubcils, en fyrènes perfides : Dis-vnoi, n snnbsp;as-tu pas encore rencontré fur ton cbemin.nbsp;Hélasl out, répondis-je en rotigifl'ant. Bon.nbsp;conte-moi done comment tu t’en es tire. üh,nbsp;très-bien , reprit Florinde, qui vjt que Jenbsp;balbutiois; cette hiftoire eft trop longue, amp;nbsp;mon coufin vous la racontera, une autre iois \nbsp;vous êtes fort occupé, amp; nous evaindrionsnbsp;d’enlever a vos diens des momens préciettx.nbsp;gt;5ous convinmes de nos faits; Alberti menbsp;donna quelques commiffions, raccompagnanbsp;Florinde, amp; fe remit a 1’ouvrage. _

Je rentrai, vers midi, après avoir fait, avec Ie plus d’exaftitude qu’il me fut poflible, routes les affaires dont Alberti m’avoit charge;nbsp;je lui en rendis très-bon compte, amp; je lusnbsp;dans fes yeux qu’il étoit fatisfait. ^11 donnoicnbsp;a diner, ce jour-la, amp; quoiqu’il fut dans 1'u-fage de faire une table particuliere pour fesnbsp;Commis, ü me fit Phonneur de me prrévenitnbsp;que je mangerois avec Ini- Quelle fut ma fur-prife, lorfque Je vis entrer Don André , Ienbsp;libertin Ie plus décrié par fes incnurs, qui foitnbsp;jamais forti de Florence, amp; dont la probiténbsp;étoit la plus fufpede I Alberti s’aperjut de

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mon étonnement, amp;, après avoir embrafle D. André, amp; lui en avoir demandé la permif-lion , il me conduific dans fon cabinet. Je voisnbsp;bien, me dit-il, amp; cela m’éconne, que tu esnbsp;la dupe de 1’opinion commune ; Jesfais toutnbsp;ce qu’on dit de D. André ; je ne puis pasnbsp;douter qu’on n’ait bien des chofes a lui re-procher: Le hafard me 1’a fait connoitre» amp;,nbsp;malgré routes les apparences, après 1’avoirnbsp;examiné jufqu’au fond de 1’ame, j’ai reconnunbsp;en lui' la probité la plus incorruptible , la juf-tice, la bonne-foi, la candeur; tu en jugerasnbsp;mieux par toi-même; dépouüle-toi de tootnbsp;préjugé, je vais faire tombcr la converfationnbsp;fur 1’aifaire qui le raméne a Londres.

J'appris, car Don André ne prenoit même pas la peine de pallier fes vices, que fon pèrenbsp;1’avoit envoyé en Flandre, avec un vaiffeaunbsp;chargé de marchandifes; qu’il les avoir vendues, amp; qu’il en avoir confommé le produit,nbsp;avec un tas de libertins de fon age : Je fis entendre ^ mon père, difoit-il, quej’avois employé ces fondsen marchandifes de retour, inbsp;plus de cinquantè pour cent de profit: Le bonnbsp;homme, enchanté de ma conduite, m’envoyanbsp;des lettres de change pour des fommes con-fidérablès, amp; je ne manquai pas de lui écrirenbsp;que j'en avois fait le même emploi; il m’ennbsp;cnvoya tant, qu’enfin, il épuifa tous les fondsnbsp;qu’il avoir chez fes correfpondans. Mon pèrenbsp;fut ruiné. J’étois jeune; je promis de réparernbsp;ma fortune par un bon mariage; amp; mon père,nbsp;qui il ne leltoit plus que cette reliburce,

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damp; Tortunatus. nbsp;nbsp;nbsp;%%

de foïce OU de gré, confencit 4 tne vom Je partis pour Florence; je paüai par Turin. Onnbsp;y parloit d’un Anglois que fa générofité ayoitnbsp;léduit a la misère, amp; que fes dettes avoientnbsp;conduit en prifon. Je demandai a Ie voir;nbsp;fes malheurs me touchèrenc : Je ne pretendsnbsp;pas me faire valoir; mais, fi mon goüt m'anbsp;coüté un tiers de ma fortune, je fuis rede-Vable de la perte des deux autres a mon amenbsp;^rop compatiflante. Enfin , après bien des fol-licitations , j’obtins la permiffion de voir lanbsp;généreux étranger. Quel fut mon étonnement,nbsp;lorfqu’on m’ouvrit la prifon, amp; que je jre-connus Ie jeune Greenfield, avec qui j'avoisnbsp;'été fort lié , a Londres. Je Ie confolai dunbsp;mieux que je pus; je Ie priai de m’indiquernbsp;un moyen de Ie tirer de la, amp; je lui proraisnbsp;de ne pas perdre un inftant. II me demandanbsp;fi je ne connoiflbis point Hyeronimo Alberti,nbsp;Florentin, Ie plus ricbe, amp;, furtout, Ie plusnbsp;entendu amp; Ie plus fage Négociant de Londres.nbsp;Greenfield me dit qu’Alberti étoit fon ami,nbsp;^ qu’il ne manqueroit pas d'avancer tous lesnbsp;fonds néceflaires pour Ie tirer de prifon : IInbsp;prqmit de rendre ces fonds ii cent pour centnbsp;® ™^yrêt, a moi, une bague de millfi gui-®sGs; Ge que je ne dis que pour vous peindrenbsp;la generofité de mon ami; car je fuis bien éloi-gne de rien accepter ! II m’indiqua, en mêmenbsp;temps, quelques^uns de fes amis, pour luinbsp;fervir de caution auprès du Seigneur Alberti.

3 erobraflai Greenfield; j'écrivis a mon père, ^ni m’atteüdoit, amp; je repris le chemin de

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S4 nbsp;nbsp;nbsp;Hifioire

Londres. II y a un niois que j’y fuis arrivé; Ie Seigneur Alberti confent a avancer lesnbsp;fonds; mais fa prudence exige des cautions;nbsp;c’eft ce qui retarde la conclufion de cettenbsp;affaire. Ce n’eft pas que les amis de Greenfieldnbsp;refufent de Ie cautionner; mais, comme jenbsp;me fuis chargé de porter moi-même l’argencnbsp;a Turin, je ne veux point fouffrir qu’ils 1’en-'voyent par une autre voie; c’eft une méfiancenbsp;qui m’outrage, amp;j’aimerois mieux aller prendre la place de mon ami, que de confentir knbsp;«ne telle infamie.

Lorfque D. André eut cede de parler; eh bien, me dit tout bas Alberti, jugerez-vousnbsp;toujours les honnêtes gens d’après 1’opinionnbsp;yublique? Je ne répondis rien. Après Ie dJné,nbsp;lorfque nous fumes feuls, je lui demandai,nbsp;pourquoi, ayant fi bonne opinion de D. André , il ne prenoit pas fur lui de confier fesnbsp;fonds, fans s’inquiéter d’autre caution quenbsp;lui-même. Je n’héfiterois pas un moment, menbsp;lépondit-il; mais je fuis Commer9ant, amp; cenbsp;feroit manquer effentiellement aux lois dunbsp;commerce : II faut que' chacun faflè fon métier.

Ce D. André, que mon maitre avoit fi bien pénétré, rie tarda pas a mettre fa prudence ennbsp;défaut, amp; peu s’en fallut qu'il ne m’entraindtnbsp;dans Ie même précipice oü il plongea Alberti,nbsp;Le Due de Bourgogne avoit époufé, depuisnbsp;peu, la fcEur du roi d’Angleterre, qui lui def-tinoit un préfent confidérable, en bijoux lesnbsp;plus rares; ils n’étoiént pas arrivés k temps’;

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lt;Ar Fortunatus. nbsp;nbsp;nbsp;35

iTiais, lorfqu’ils Ie fuïent, Ie Roi chargea un vieil Officier de fa Cour d'aller les porter inbsp;la Ducheffe. D. André appric que ce prefentnbsp;écoit chez ce Seigneur, dont Ie déparc étoitnbsp;fixé a peu de jours; il parvint, par fes intrigues , a faire connoiffance avec lui, amp; lui te-moigna un grand défir de voir ces bijoux :nbsp;Ce n’eft pas, lui dit-i\, la feule curiofité quinbsp;m’engage a vous faire cette demande; j’ainbsp;dss diamans d’un très-grand prix je fais quenbsp;Ie Roi délire d’avoir ce qu’il y a de plus beaunbsp;dans ce genre : Si ceux que j’ai font plusnbsp;rares que ceux de Sa Majefté, je les donne-rai a un prix raifonnable , amp; je prendrai lesnbsp;flens en échange. Le l^ord y confentit, amp; Ienbsp;retint a diner , après 1’avoir préfenté d fanbsp;femme. II le conduifit, enfuite, dans fon cabinet , amp; lui fit voir routes fes pierreries 1’unenbsp;apyès 1’autre. D. André admivoit celles-ci,nbsp;méprifoit celles-la, amp; 1’aflura qu’il avoir quel-ques pièces fupérieures a tout ce qu’il voyoir.nbsp;Le bon Lord, qui connoiffoit, a peine, D.nbsp;André, ne fe méfia point de lui, amp; demands,nbsp;^ fon lour, a voir fes pierreries. La partienbsp;lut remife au lendemain , amp; D. André l’in-^itaè diner, avec lui, dans la maifon d’Al-oerti, pom-nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;temps a eux. Le

Icelerat ne manqua pas de revenir, tout de luite ,chez mon maitre , amp; lui dit qu’enfin,nbsp;il avoit trouvé un des plus riches Seigneursnbsp;de la Cour, parent de Greenfield, qui offroitnbsp;oe caurionner amp; de tirer le prifonnier d’em-oarras: II doic venir, demain, diner avec

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Hifloire

nous, continua-t-il; mais, comrae c*efl: une affaire qui n’a été traitée encore qu’entre luinbsp;amp; moi, amp; qu’il refte quelques difficultés anbsp;lever, ne luiparlez de rien pendant lerepas;nbsp;je l'amenerai, au fortir de table, dans unenbsp;chambre de la maifon dont vous me donnerea

la clef.---- Eh! mon Dieu, je vous entends

a merveille, dit Ie pénétrant Alberti; je gage qu’il ne fe doute pas que c’eff moi qui avan-cerai les fonds; quand vous aurez terminé,nbsp;Tous Ie ferez paffer dans mon cabinet, amp; ilnbsp;ffgnera fon cautionnement. Vous y voila, reprit Ie fripon ; comment diable avez-vousnbsp;deviné tout cela? Oh, qh! répondit, en riant,nbsp;Alberti, je vois tout d’un coup d’ceil. Aunbsp;refte, interrompit D. André, vous étes Ienbsp;tnaitre de lui parler de cette affaire. Eh! non,nbsp;je m’en garderai bien; mais, a propos, D. André, votre prifonnier vous a promis une baguenbsp;de mille livres fterlings, amp; a moi cent pournbsp;•cent d’intérêt de mes fonds; il feroit bon denbsp;¦ne pas oublier ces articles, de faire eaution-ner Ie Lord pour Ie tout; qu’en penfez-vous?nbsp;Ce que j’en dis, au demeurant, n’eft pas parnbsp;intérêt; mais, enfin, vous avez interrompunbsp;votre voyage de Florence, amp; moi, je fuisnbsp;Commer9ant, amp; il faut que Ié Prêtre vive denbsp;l’Autel. Vous avez raifon, repliqua D. André, j’y avois penfé pour ce qui vous regar-de; mais, pour moi, mille guinées de plusnbsp;OU de moins, que m’iraporte? Je ne romprainbsp;pas la négociation pour cela. Oh! vous êtes Ienbsp;maitre, reprit Alberti; mais, furtout, n'ou-

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de Fortunatus. nbsp;nbsp;nbsp;57

bUez pas mon petit articie qui» au foud j une bagatelle pour Greenfield.

Le kndemain , André ne manqua pas d’aller prendre Ie Lord •, il Ie cenduifit chez Alberti;

On dine gaiement; Alberti laifle D. André faire les honneurs du repasil avoit dit aunbsp;^rd de ne point patler de diamans ni de bijoux devant fon hóte, de crainte de fe voirnbsp;importunes, l’un amp;l’autre, par l’envie qu’ilnbsp;auroit de les voir, amp; pour mille autres rai-fons j de forte que D. André difoit, pendantnbsp;Ie diner, mille chofes i double fens, que Ienbsp;Lord interprétoit relativement aux bijoux ,

amp; Alberti relativement au cautionnement: Le Lord répondoit dans ie fens de D. André ,

amp; Alberti hentendoit dans Ie fien. Le diner fini, D. André prend le Lord par deffbus lenbsp;bras j amp; le conduit dans une chambre qui étoitnbsp;au deflus de celie od ils étoient; il ouvrenbsp;«ne caflètte, dit au Lord de s’approcher, amp;,nbsp;tandis que celui-ci fe baifle d caufe de la foi-¦blefle de fa vue, il lui plonge un poignardnbsp;dans le fein , amp; l’étend a fes pieds; il redou-^

» amp; ne lui donne pas le temps de poulVer '^n^feul cri; Enfuite, il lui arrache 1’anneaunbsp;*l«’il avoit au', doigt, amp; prend les clefs qu’ilnbsp;Evoit dans fa poche, ferme la porte fur lui «nbsp;amp; va vers fa femme, qu’il trouve dinant avecnbsp;fes enfatis. Madame, lui dit-il, votre marinbsp;a trouvé, parmimes pierreries, deux diamansnbsp;qui peuvent convenir au Roi; il voudroitnbsp;les confronter avec deux des flens; il vou-loic venir les chercher lui-même, maïs, ^

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Uijïoire

caufe de fon age, je m’en fuis chargé moi-mênie ; amp;, comme il a craint que vous fiffiez quelque difficulcé, n’ayant pas 1’honneiir d’êtrenbsp;connii de vous, il m’a remis la clef de fonnbsp;cabinet, amp;,de plus, eet anneau, oü eft fonnbsp;cachet. Cette femme, qui ne fe douta de tien,nbsp;conduifit D. André au Cabinet; mals ils nenbsp;purent trouver les bijoux , quelques recherches qu’ils fiflent: D. André pèlit, en voyantnbsp;qu’il perdoit Ie fruit de fon crime.

Cependant, Ie fang du Lord qui avoit coulé a travers Ie planchet jufque dans la falie d’Al-berti, nous avoit tous effrayés; nous mon-tons, nous trouvons la porte de la chambrenbsp;fermée a clef; nous l’enfonij'ons : Quel fpec-tacle ! Ie cadavre du Lord étoit a rerre, noyénbsp;dans fon fang , percé de plufieurs coups. Nonsnbsp;étions dans la plus grande confternation. Alberti , qui, dans routes les affaires, fe piquoitnbsp;de prévoir les fuites, fut d’avis de ne pasnbsp;éclater : II me traita d’efprit borné , pareenbsp;que je propofai d’avertir la Juftice, amp; de dé-pofer naïvement tont ce qui s’étoit paffé.nbsp;Tandis que nous étions dans eet embarras,nbsp;D. André arrive avec Ie fang-froid de 1’hommenbsp;Ie plus innocent. Ah! Monfieur, m’écriai-jenbsp;en Ie voyant, quelle horreur venez-vous denbsp;commettre? Moil dit Ie fcélérat, je me fuisnbsp;défendu, amp;j’ai tué un monftre qui, voulantnbsp;tourner a fon profit les préfens que Greenfieldnbsp;a promis au Seigneur Alberti amp; a moi, m'anbsp;tenu des propos infolens ; Je lui ai repliqué ;nbsp;jl a pris fon épée, a fondu fur molj je me

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de Fortanatus. nbsp;nbsp;nbsp;39

fms mis en défenfe, amp; il eft venu , lui-mêi^, au devant du coup que je lui ainbsp;coup 1 lui dis-je encore? En voila plufieurs,nbsp;c’eft ce qui prouve, reprit-il, fa rage amp; ionnbsp;acharnement; il s’eft relevé, amp; eft venu encore fur moi, amp; in’a forcé de 1’achever inalgrenbsp;rooi ; raais je vous vois tous effrayes i quenbsp;craignez - quot;vous? Cette affaire ne regarde quenbsp;moi. Comme on fait qu’il a diné avec ’nbsp;vous direz a ceuxqui pourroient veniv Ie de-mander, que nous fomtnes forris enfernblegt;nbsp;ap'rès avoir pris querelle’, cependant, iaiüez--moi faire, amp; revenez dans la chambre ounbsp;vous étiez. J’étois toujours d’avis qu’Alberti

allamp;t faire fa déclaration', mais 1’oblline vieil-

lard difoit qu'il faudroit êire bien infenfé de s’aller mettre dans de mauvaifes affaires, tan-dis qu’on pouvoit les afloupir. Nous attendi-tnes long-temps D. André; i! ne reparut point;nbsp;Nous retnontSmes, amp; nous ne trouv^m^ ninbsp;Ie cadavre, ni l’aüaffin, ni vefüge de crime ;nbsp;nous eümes beau chercher dans toute Ia mai-fon, nous ne trouvèmes rien. Ce fut alorsnbsp;qu’Alberti triompba. Bientót après, il re9Utnbsp;rmbillet de D. André, qui lui inarquoit d êtrenbsp;tranquiWg^ qu’il partoit, amp; que, quelque diligence qu’onfit, il feroit impoffible de Ie jbindre.nbsp;Je voulois qu’on gaidè.t, du moins, ce bi’llec,nbsp;comme une juftification du crime, dont onnbsp;pourroitnousaccufer- lemaiheureux Albern,nbsp;plus entêcé que jamais, fut d'avis de Ie bruler,nbsp;pour qu’il n'en reftèt aucune trace. Néanmoins;nbsp;il étoit au défefpoir de la fuite de D. André j

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S’il eft innocent, s’il n’a fait que fe défetï-dre, difoit-il, qu’a-t-il a craindre? vS’il a fouf-trait les preuves de la mort, pourquoi fuit-il ? Tout cela 1’embarraflbit.

Cependant, la jeune veuve, inquiète de 1’abfence de fon mari, écrit de tous cótés. Lenbsp;bruit fe répand qu’il a fui; le Roi en eft in-formé; il commence a craindre que le Lordnbsp;n’ait été tué pour le préfent dont il étoit chargé : On délibère d’envoyer dans fa maifon;nbsp;on fouille par-tout, amp; 1’on ne trouve rien:nbsp;Alors, le doute fe change en certitude. Onnbsp;veilt, pourtant, favoir ce qu’il eft devenu, quelnbsp;pays il a choifi pour cacher fon larcin : Onnbsp;interroge la femme: Elle répond, en pleurant,nbsp;''qu’elle eft plus inquiète que perfonne, quftlnbsp;y a fix jours qu’elle ne 1’a vu; elle ajoute quenbsp;c’eft depuis qu’il eft forti avec D. André poutnbsp;aller diner chez Alberti, Commer5ant Floren-tin; que, ce mêmejour, D. André étoit revenu , avec 1’anneau de fon mari amp; les clefsnbsp;de fon cabinet, pour chercher, de fa part,nbsp;'les bijoux; mais qu’elle ne les a point trou-vés. Ón ne manqua pas de fe tranfporter cheanbsp;Alberti, qui avoua que D. André avoit eunbsp;quelque difpute avec le Lord, au fujet denbsp;quelques bijoux, que D. André vouloit luinbsp;vendre, amp; qu’ils étoient fortis enfemble. Pournbsp;plus grande fureté, on conduifit en prifonnbsp;Alberti amp; fes domeftiques, qui répondirentnbsp;tous, unanimement, comme leur maitre. Cependant , on fe faifit des clefs de la maifonnbsp;d'Albeni, dans 1’efpéiance de trojuver qirel-

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de FortunatuS.

^ues indices, ou , peut-être •, les^ pieireries: On fou\e, on met tout fans deiïus deflbus •nbsp;Un de la troupe, qui tenoit un flambeau ^nbsp;ia main, va aux latrines j il lui vient dansnbsp;l’idée d’allumer du papier amp; de 1’y jeterquot;, ilnbsp;voit Un cadavre au fond, appelle fes cama-rades, amp;leur fait part de fa découverte; aufli-töt on fit ouvrir la fofle, amp; 1’on reeonnoitnbsp;Ie malheureux Seigneur, percé de plufieursnbsp;Coups, On Ie retire, on i’expofe devant lanbsp;maifon d’Alberti. A ce fpeftacle , les Angloisnbsp;entrent en fureur contre les Florentins; ilsnbsp;quot;veulent punir route la Nation du crime d’unnbsp;feul, les Florentins font obligés de fe cacher.nbsp;On nous interroge de nouveau : Nos répon-fes, alors, deviennent des preuves contranbsp;¦nous; on nous confronte Ie cadavre; tous, 4nbsp;1’exception d’Alberti, avouèrent la vérité.nbsp;Nous étions a la veille d’être jugés. Com-tien de fois ne regrettois-je pas, dans la pri-fon , d’avoir quitté Ie Comte deFlandre, aunbsp;rifque de perdre ce qu’il vouloit m’enlever.nbsp;Enfin, je déclarois tout ce que je favois denbsp;André. Sur ma dépofition, on foupgonnanbsp;emportoit^es diamans du Roi. On fuf-pendit notre jugement: Le Roi fit courir aprèsnbsp;*ui: On le trouva, au bout de deux mois denbsp;recherches, a Alexandrie, parmi les malfai-teurs condamnés aux travaux publics; on lenbsp;tamena, amp; , a force de tourmens, on lui ficnbsp;avouer fon crime. Les domeftiques d’Albertinbsp;furent déchargés de 1'accufation de meurtie,nbsp;•liQfi que moi, mais, cependant» condarnnés

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a un banniflement hors du Royaume. La finefle d’Alberti lui coüta la vie; il ne dé-mentit jamais fa première dépolition : II fei-gnit de ne pas reconnoicre D. André; il s’i-maginoit que, fans fon aveu, on ne pouvoitnbsp;condamner ni 1’un ni 1’autre ; II fe trompoit,nbsp;amp; fon obftination Ie conduifit a 1’échafaud ,nbsp;avec D. André. II éioit coupable, a la vé-rité, d'avoir célé Ie crime, de ne 1’avoir pasnbsp;révélé ; mais il n’auroit pas, vraifemblable-ment, été puni de mort.

CHAPITRE V.

Tout pour Je mieux. La fortune vient en dormant, Bourfe enchantée.

Je me hkai de gagner Ie premier port, amp; de fortir de cette terre fatale : Je fuis biennbsp;malheureux, me difois-je; je fervois un bonnbsp;maïcre; j’étois content auprès de lui, amp; Unbsp;faut que fa maudite jaloufie lui tourne la téte,nbsp;amp; lui falie prendre la réfolution de me ren-dre eunuque, pour pouvoir m’aitner en fu-leté : J’arrive en Angleterre, j’y fuis volénbsp;par des libertins, trompé amp; chaflë par manbsp;maitreiTe, enfin, fur Ie point d’être pendu, parnbsp;l’obftination d'un vieillard imbécille : ó ciel! finbsp;ce font les aventures que tu me prépares,nbsp;donne-moi Ie courage de les fupporter, ou re-prends une vie qui feroit Ie plus funefte de tes

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de Fortunatüs. nbsp;nbsp;nbsp;45

dons. Plon?é dans ces rédexions afRigeantes, j’arrive a Douvres, jem’embarque;

plus heureux que je n’avois Ueu d elperei: après tant de malheurs: Je parcourus la i-cardie, en ra’informant, par-tout, n 3nbsp;trouverois point un maltre : je traverfainbsp;partie de la France, amp; je parvins jufque dansnbsp;la Raffe-Bretagne. Étranger, n’ofant me con-fier a perfonne , amp; craignant égalemenc lesnbsp;bommes amp; moi-même, je roe trouve dans unnbsp;pays aride , défett, fans iffue plus ] !wan-9ois, amp; plusjem’égarois: La nuit approchoi »nbsp;i’entrevois, loin de mol, une efpèce d haui-tation ; je double Ie pas : C'étoit une verre-lie, abandonnée depuis long-temps, repwtBnbsp;infea d’infeftes amp; d’oifeaux nofturnes: II fai-foit froid , je réfolus d’y paflev la nuit. A peinenbsp;eut-elle couvert de fes ombres, amp; mes chagrins, amp; la faim qui me dévoroit, que j entendis ces lieux affreux retentir des hurlemensnbsp;des bétes fauvages done ils étoient peuples.nbsp;De vieux ais, que Ie temps amp; la pourriturenbsp;avoient détachés de la cabane, je fis une porte,nbsp;que je fermai avec les débris d’une partie desnbsp;murs; tiès que je vis Ie jour, je repris manbsp;route, ayatit mon poignard a la main, la feulenbsp;arme qui me reftk; je m’engageai dans unenbsp;forêt epaifle, ^ j’en cherchois vainement lesnbsp;routes, paree qu’au lieu de la prendre è travers , je la fuivois par fa longueur. La nuitnbsp;me furprit encore moutant de faim, de foirnbsp;^ de laffitude; J’aper^us une fontaine auprèsnbsp;de mol; je bus lt;, amp; j’allois m'er.dormir fur fes

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Uijioire

boras, lorfque j’entendis Ie rugiflement des ours, amp; Ie bruit que faifoient autour de moinbsp;des bêtes fauvages, qui venoient a la fon-taine. Quoique la chalTe fdt mon premier métier , je crus qu’il étoit auffi dangereux dBnbsp;fuir, que de refter ou j’écois: Je pris Ie partinbsp;de monter fur un arbre très-élevé, fous lequelnbsp;j’étois couché. La lune éclairoit, jechoilislanbsp;branche la plus forte de 1’arbre, amp; je visbien-tót, autour de la fontaine, un immenfe trou-peau d’ours, de loups, de fangliers amp; d'ani-maux monftrueux : Un , entre autres, quinbsp;tenoit du loup amp; de 1’ours, s’approcha de 1’arbre, amp;, me fentanc, fans doute, il commence a griraper avec agilité; il gagne les premières branches, amp; me fuit jufqu’aux plusnbsp;élevées; voyant que je ne pouvois 1’éviter,nbsp;je lui porte plufieurs coups fur Ia tére, amp; luinbsp;fais plufieurs bleftures. II léve fur moi une denbsp;fes griffes énorraes; je recule; il manque foanbsp;coup, amp;, perdant réquilibre, il tombe; fanbsp;chute fait retentir la forét, amp; tous les ani-maux effrayés prennent la fuite : Le coupnbsp;qu’il fe donna, Ie fang qu'il perdoit, 1’em-pêchérent de fe relever: Cependant, je n’o-fois defcendre, fes bleffures le rendoient plusnbsp;furieux; je m’arrangeai fur 1’arbre, en attendant qu’il eüt perdu fes forces avec fonnbsp;fang : Mais je craigms que le fommeil quinbsp;m’accabloit ne me fit toraber moi-même :nbsp;J’en defcendis tenant toujours mon poignardnbsp;è la main ; Le monftre rugiflbit encore : Jenbsp;le frappai, il expira, amp; fon fang, que je fu-

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fout int mes forces gt; qui comtïiSHQoient a ra’abandonner; Enfin, Ie fommeil^ i’emportanbsp;fur ma crainte,, ]e m’endormis a cóté de i’ours.

Les premiers rayons du foleil m’éveillèrent: Quel fut mon étonnement, lorfque je vis de-vant moi une femme d’une beauté éclatante »nbsp;qui écartoit les bêtes féroces qui fembloiencnbsp;vouloir venger Ie monftre qui me fervoit d’o-reiller. Ohl quique vous foyezl m’écriai-je,nbsp;Déefle, Fée ou roortelle, dirigez mes pas 'nbsp;bors de ce bois. Depuis trois jours, j’errc'

bans cette folitude.....Je fais, me dit-_elle,

tout ce qui t’eft arrivé , amp; c’eft a moi que tu dois imputer tous les évènemens dont tunbsp;murmures. Ingrat, de quoi te plains-tu?nbsp;Quand tu.quittas la maifon paternelle, c’ellnbsp;moi qui t’infpirai de t’adrefier au plus douxnbsp;des maitres; ton bonheur étoit afluré, fi tunbsp;tivois voulu te fixer auprès de lui. Ah! Déef-fe» m’écriai-je, vous favez a quel prix. Jenbsp;fais, reprit^elle en foupirant, que tu donnasnbsp;dans Ie piège que Robert te tendit; que tu.

la dupe de l’envie que te portoient tes carnavadej •, que la jaloufie du Comte étoit unenbsp;lemte, dont ta vanité ne te permit point denbsp;te méfier. jg qye c’eft par Ie mêmenbsp;motif que tu as été dupé par Sophie ; janbsp;lais tous les malheurs qui te font arrivésnbsp;a Londres, amp;nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;as fupportés avec

conftance; je t’en ai récompenfé : Tu de-¦vois périr avec Alberti; je t’ai arraché de la prifon; je t’ai conduit dans ces bois,nbsp;ovi tout autre eüt péri; je t’ai faft rencontres.

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Hifloire

la mafure qui t’a mis a couvert des bétes féroces; je t’ai oiFert une fontaine pour fou-tenir tes forces défaillantes; j’ai fufcité Ienbsp;ïTionftre qui t’a fait fi grand’peur, amp; dontnbsp;Ie fang a appaifé ta faim; j’ai écarté loin denbsp;toi des ennemis qui t’auroient dévoré pendant ton fommeil. Je fais que tu as beau-coup fouftert; mais je vais t’en récompen-fer. Je puis t'accorder, ou de longs jours,nbsp;OU une force extraordinaire , ou une fanténbsp;parfaite, ou une fagefie confommée, ou denbsp;grandes richefles , ou la plus grande beauté : Choifis, amp; ne tarde pas a te déter-miner, car je fuis la Fortune, amp; tu doisnbsp;avoir entendu parler de inon inconftance.nbsp;Déeffe, m’écriai-je, je connois les avantagesnbsp;d’une longue vie, mais ils ne me tenterontnbsp;point; quand l’homme a végété, cinquantenbsp;OU foixante ans, fur la terre, que lui im-porte une longue vieillefle, toujours accom-pagnée de mille infirmités? Je conviens quenbsp;la force élève 1’homme au deflus de fes fem-blables; mais elle Ie rend fouvent témérairenbsp;amp; audacieux; d’ailleurs, a quoi me ferviroit-elle, fans la prudence? La fanté eft un biennbsp;ineftimable; mais elle eft la fuite du travailnbsp;amp; de la modération, amp; je puis me la procurernbsp;aifément par ces deux moyens; la fagefle,nbsp;6 Fortune', eft un bien foible mérite, lorf-qu’elle eft un effet du tempérament; amp; c’eftnbsp;ce qu’elle feroit en moi, fi je la recevoisnbsp;de vous. Je choifis done les richefles; car c’eftnbsp;paree que je fuis pauvre, que tant de malheurs

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de Fortunatus. nbsp;nbsp;nbsp;4?

ont fotidu fur moi; mais, dit-eUe, c’eftpaice que Sophie t’a cru riche, qu’elie t anbsp;DéeHe, repris-je, j’aime mieux unenbsp;qui me üaue, qu’une vérLté qui rae 'nbsp;père ; Si j’euffe été toujours riche, je nenbsp;ferois jamais aper^u qu’elle me prenoit ponbsp;dupe. Eh bien, dit la Fortune, voila inbsp;bourle : Sa vertu eft telle que, dans quelquenbsp;pays que tu fois, dans quelquenbsp;nbsp;nbsp;nbsp;®

que tu te trouves, k toute heure, is toutes les fois que tu Touvriras, tu y trouveras dixnbsp;pieces d’or; elle aura cette vertu pour toi,

pour tes enfans, amp;pourceuxquilapoflederont, mais, feulement, pendant ta vie; apies ta mort,nbsp;eile perdra fa vertu : Tout ce que j exige enbsp;Toi, c’eft que, tous les ans, a pareil jour qu au-jourd’hui, tu maries quinze fiUes pauvres, anbsp;ehacune defquelles tuferasune dot de quatrenbsp;cents pieces d’ot. Je Ie pvotnis, amp; ju u’ai jamais , depuis, manqué a ma promelle. _

Je demandai a la Déelïe de m’enfeigner les moyens de fortir hors du bois; elle me ntnbsp;figne de la fuivxe ; elle me conduifit dans unnbsp;chemin frayé, en me difant que je ne pou-quot;vois pius m’éearer; elle me défendit de menbsp;retourner, favoir ce qu’elle deviendroit,nbsp;amp; m’avertit „a curiolité me feroit fu-nefte. Je lui obéis, amp; je fuivis Ie chemin qu’ellenbsp;m’avoit indiqué. J’arrivai a une mauvaifenbsp;hdtellerie : Avant que d’y entrer, je vouliwnbsp;faire 1’expérience de ia bourfeje 1'ouvris «nbsp;3’y trouvai dix pièces d’or gt; comffl®nbsp;lae, Pavoic prorais.

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Hijïoire

CHAPITRE VI.

Fortunatus éproüve que Ie bankeur n'efi pas toujours d la fulte des richeljes.

^^UAND je me vis alTuré de la vertu de ma bourle, j’entrai gaiement dans l’auberge;nbsp;amp; je dis a l'hóce de me donner ce qu’il au-,nbsp;roit de meüleur, que j’avois faim, amp; qu’ilnbsp;en feroit bien récovnpenfé; je l’exhortai, fur-tout, de faire diligence. L’hóte étoit un boanbsp;homme, mais grand babillard amp; nouvellifte ;nbsp;il me fit cent queftions è la fois : Je com-pris que je ne dinerois pas de la journée, linbsp;je lui répondois ; je me contentai de lui direnbsp;que je revenois de Londres ; II voulut favoirnbsp;tout ce qui regardoic Tétat aduel des affaires de ce Royaiime, Je ne voulois pas Ie dé-fobliger ; mais je craignois de l’empêcher denbsp;préparer mon diné ; Je lui dis done qu’il m’é-toit iinpoffible de Ie fatisfaire, paree qu’il ynbsp;avoit fort long-temps que j’en étois forti, amp;nbsp;qu’en traverfant de Douvres a Calais, unnbsp;coup de vent avoit jeté notre vaifleau d plusnbsp;de mille lieues en mer : 11 parut content denbsp;cette raifon, malgré fon peu de vraifemblance;nbsp;mais je n’en fus pas quitte. Oh! bien, me dit-il ,en ce cas, c’eftmoi qui vous donnerai desnbsp;nouvelles de ce pays: Volei une hiftoire quenbsp;vous ne pouvez pas favoir, amp; que je tiens d’unnbsp;Anglois qui pafla, ces jours derniers. Hyero^

iiim®

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de Fonunatus. nbsp;nbsp;nbsp;40-

niino Albeni... non, D. André.... Atten-dez, il faut prendre les chofes de plus h»üt. Vous faurez done... A ces mots d’Alberti'

amp; de D. André, je rougis; amp; , quoique je fuflï prelfé jjar la faim, j’avois grande en vie denbsp;favoit quelles avoient été les fuites de lenbsp;^rte des pierreries du Roi, amp; fi elles avoientnbsp;été retrouvées. Je dis done a 1’hóte que, com-me cette hiftoire me paroiflbit un peu lon^nbsp;gue, j’irois l’entendre dans fa cuifine, amp;nbsp;qo’il me la raconteroit en préparant Ie diné.nbsp;il y confentic, car tout lui étoit bon, pourvitnbsp;qu’il parlat : Je ne lui permis de commencernbsp;que loTfqu’il fe fut mis a Touvrage,

II me raconta tout ce que je favois mieux que lui; mais je me gardai bien de 1’interrom-pre : Je lui demandai de m’apprendre fi Ienbsp;Roi avoit retrouvé fes diamans. Oui, me dit-il, par Ie plus grand hafard du monde ; IInbsp;fit écrire dans routes les Cours, promit desnbsp;récompenfes è celui qui pourroit lui en donnet des nouvelles \ fit faire, chez tous fesnbsp;fujets, les recherches les plus exaétes; malsnbsp;tour cela fut inutile. La femme du Lord,nbsp;que D. André avoit aflafliné, ne pouvoit fenbsp;confoler de fa perte : Par-tout, elle Ie voyoitjnbsp;par-tout, elle 1’entendoit: Pour mieux fe nour-rir de fa douleur, elle ne vouloit pas quitter Ie Ut, dans lequel 11 couchoit avec elle.nbsp;Trois mois s’étoient écoulés depuis cec alamp;f-finat; enfin, une veuve, amie de cette da-ttie, vint^ bout de lui perfuader de changernbsp;de lit, OU, du moins, de Ie faire tranfporter

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50 nbsp;nbsp;nbsp;Hifioire

dans une autre chambre. Comme elle le faifoit démonter, elle apergut un carreau qui étoitnbsp;mouvanc, amp; dérangé de fa place : Elle fenbsp;baiffe pour le remettre, Si volt une caUettenbsp;qu’elle reconnoic pour être celle ou étüiencnbsp;les bijoux du Rol; elle va chercher, dansnbsp;un tas de clefs, amp; decouvre celle de la caf-fette : Elle ouvre, rien ne manquoit auxnbsp;pierreries. Elle ne put s’empêcher de mau-dire ces mifères qui avoienc caufé la mortnbsp;de fon mari. La veuve ne voulut confier cenbsp;fecret a perfonne : Dès le lendemain , ellenbsp;prit, elle-même •gt; ces joyaux, Si demanda anbsp;parler au Roi : II ne lui fuc pas difficile d'ynbsp;parvenir: Elle fe profterna aux genoux decenbsp;Prince, lui raconta comment elle avoit,re-trouvé fes joyaux, amp; les lui remit. Le Roinbsp;les examina, vit qu’il n’y manquoit rien, Scnbsp;marqua la plus grande fatisfaftion. Madame,nbsp;lui dit-il, puifque ces bijoux ont caufé vosnbsp;malheurs, c’eft 4 moi a les réparer; Auffi-tóc,nbsp;ilfait appeier le comte Williams, jeune hom-me aimable, fait pour plaire, qui s’étoit dif-tingué dans la dernière guerre, amp; que le Roinbsp;aimoic beaucoup; il le préfenta i la jeunenbsp;veuve. Je ne connois que lui , continua lenbsp;Roi, qui puifle remplacer 1’époux que vousnbsp;pleurez : Je n’exige pas que vous lui don-niez la main dès a pxélént; je vous prie feu-iement, Madame, de lui permettre de vousnbsp;voir; Si, s’il eft affez heureux pour vousnbsp;plaire, je me charge de fa fortune. La veuvenbsp;regarda le jeune liomae, amp; ne voulut pas

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damp; Fortunatus. nbsp;nbsp;nbsp;51

Kfufer Ie Roi : II lui donna la roain pour la reconduire chez elle ; En amant délicat, ilnbsp;a commence par faire un grand éloge du mort,

11 a pleuré avec elle; peu a peu, il eft parvenu a Ie lui faire oublier, amp; 1’on dit qu’ils' ®ttendent, avec impatience, que 1’année dunbsp;foit révolue pour aller, enfemble, remer-cier Ie Roi, amp; fe marier enfuite.

L’hóte groffit ce récit de mille circonftan-, que je fupprime ; il entra dans tous les détails que Ie Roi avoit fait faire , amp; desnbsp;Sinours du Comte Williams; il avoit préparénbsp;ïiion diné, mis Ie couvert; nous avions dinénbsp;Cnfemble, amp; la nuit approchoit, qu’il con-toit encore : II y avoit trois nuits que jenbsp;n’avois dormi; Ie fommeil m’accabloit, amp;nbsp;l’impitoyable babillard ne me donnoit pas unnbsp;moment de relèche; il avoit grand foin denbsp;m’éveiller dès qu’il voyoit que je m’aflbu-pilTois. Je lui dis que je ne vo.ulois point fou-per; je Ie priai de me faire préparer un lit,nbsp;amp; de me conduire dans ma chambre; il menbsp;Prit pat la main , amp; commen^a une autranbsp;hifloire, qu’il continua, en faifant mon lit :nbsp;II la méloit de mille épifodes, qui lui fai-foient, a tout moment, perdre de vue 1’objecnbsp;principal. Je me couchai, il s’affit auprès denbsp;moi, interrompit vingt fois mon fommeil,nbsp;lorfque, heureufement, un cavalier entranbsp;dans 1’auberge, amp; me délivra, jufqu’au len-demain, de fes contes éternels.

qu’il fut jour, mon hdte ne manqua pas d’entrer dans ma chambre, pour continuer

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5^ nbsp;nbsp;nbsp;Hijloirt

1’hiftoire qu’il avoit commences, la veille : Mon déjeüné étoit pret, je pris Ie parti denbsp;Ie laifiar pariet : J’efpérois de m’en délivrernbsp;en partant; mais, Ie bourreau , fous pré-texte que la forêt étoit infeftée de voleurs,nbsp;voulut m’accompagner; il me fumt en menbsp;racontant 1’hiftoire de tous les aflaffinats quinbsp;s'y étoient commis depuis fon trifaïeul, qui,nbsp;Ie premier, eut une auberge dans ce pays.nbsp;Je m’apergus qu’il s’effrayoit lui-même desnbsp;eontes qu’il mefaifoit; nous étions dans 1’en-droit Ie plus épais de la forêt. Ami, lui disje , puiCque vous habitez prés de ces lieux,nbsp;vous ne devez pas manquer de courage : Jenbsp;vois, a travers les feuilles, deux hommesnbsp;qui fe cachent en venant a nous; atten-dons-les de pied ferme. Je m’apergus qu’ilnbsp;fe troubloit : Je ne les vois pas, me dir-il; Voyez-vous, repris-je, ce gros chêne aunbsp;milieu de cette touffe de brouffailles a gauche; oui, oui, je commence a diftinguer, ré-pond-il en balbutiant; mais, je m’aperïois quenbsp;je fuis fans armes : Vous avez une épée,nbsp;vous, tenez ferme, je vais chercher la mien-ne, amp; je reviens fur mes pas. Courez donenbsp;vite, lui dis-je, amp; faites venir de? troupesnbsp;auxiliaires. Le poltron ne fe Ie ftt pas répéter;nbsp;la peur lui prêta des ailes, amp;, lorfque je l’eusnbsp;perdu de vue, je continuai ma route.

Après avoir fait environ deux lieues, je m’arrêtai dans un village, amp; j’ycherchai unenbsp;hotellerie; j’eus grand foin de faire quelquesnbsp;i|ueftions i 1’hötei pour favoir ^ ^uoi m’en

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de Fartunatus. nbsp;nbsp;nbsp;53

tenir, bien réfolu de paffer outre, s*il edt óté auffi babillarvt que celui que je venoisnbsp;lt;3uitter. Ce village étoit dominé par un peunbsp;chiteau perché fur Ie haut d’un rochet,nbsp;régnoit un petit tyran fubalterne, lavon unbsp;Due de Bretagne, au notn duquel il gouver-noit; c’étoit la qu’il recevoic l’hommage uenbsp;quelques malheureux qu'il appeloit fes terts;nbsp;ce n’étoii pas pour euxqu’ils arrofoiuutlater enbsp;de leurs fueurs: è. la place des fruits qu'ils le-«ueilloient, on leur vendoit fort cherementnbsp;quelques alimens groffiers amp; les grains, que cnbsp;pays fertile produifoit en abondance,nbsp;portés dans des terres étrangères, pout y et'nbsp;vendus, ou échangés avec des étoffes dor, ounbsp;d’autres effets qui pouvoient flatter Ie Itixe ,nbsp;la gourmandife, la vanité amp; les vices du Seigneur. Le Comte du Roe aimoit amp; protegeoitnbsp;1’agriculture; mais, fi un de fes ferfs ayoitnbsp;deux bons chevaux pour fa cliarrue, ils étoientnbsp;confifqués a fon profit; fi quelqu’autre avoitnbsp;une belle récolte, fon impofition étoit au-gmentée du double; s’il négligeoit de tra-vailler, u étoit puni, amp; , fouvent, expofenbsp;a mourir de faiin. II y avoit de très-bellesnbsp;manufaftures dans le chateau; chaque payfannbsp;étoit oblige d’avoir un certain nombra de bre-bis OU de moutons; tnais il y avoit un im-p6t fur chacun; amp;, comme le maitre du trou-peau étoit dans himpoflibilité de payer, lanbsp;laine étoit confifquée au profit du Comte, amp;nbsp;l’exalt;5eur prenoic 1'agneau pour fon paye-«deiu ; II eft vrai que k lait reftoit au pay-

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54 nbsp;nbsp;nbsp;Sifloirt

fan, mais il devoit fournir tant de livres de beurre par mois a la cuifine de Monfeigneur,nbsp;amp; queiques fromages pour les menus plaifirsnbsp;de fes palefreniers.

Tandis que j’étois a l’hótellerie , il fe pré-fenta un marchand de chevaux; j’en avois befoiu ; ils étoienc très-beaux : j’en choifisnbsp;trois, qui me parurent les meilleurs; je nenbsp;marchandai point fur Ie prix. Le Seigneur dunbsp;Roe en avoir eu envie : II les avoir mar-chandés; amp;, ne pouvant les avoir au prixnbsp;qu’il défiroit, il avoir fair dire au marchand ,nbsp;qu’il n’avoir qu’a fortir du Comté dans vingr-quatre heures; amp;, en même temps, 11 avoirnbsp;fait publier un impót fut tous les chevauxnbsp;étrangers qui pafleroient fur fes terres. II en-voya chercher l’hóte, amp; lui fit un crime denbsp;in’avoir fair voir ces chevaux i il lui demandanbsp;qui j’étois. L’hóte luirépondit qu’il nemecon-noiflbit pas; que j’étois venu a pied; qu’ilnbsp;jne croyoit un fimple écuyer. Le Comte, en-tendanr que je n’étois pas Gentilhomme, en-tra en fureur, Sr ordonna a fes gens de fenbsp;faific de moi, amp; de me mettre en prifon.nbsp;Les ordres d’un homme injufte font plutót,nbsp;amp; plus févèrement exécutés que ceux d'unnbsp;Grand equitable amp; bienfaifant. Je fus enlevénbsp;amp; mis dans un cachot obfcur, fans favoirnbsp;pourquoi, ni par qui. Dans le premier moment, je regrettai de n’avoir pas demandé aunbsp;Génie de Ia forét, la force préférablement auxnbsp;richefl'es, pout brlfer les fers, amp; déiivrer cesnbsp;pauvres habitans du monftre qui les tyran-

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de 'portnnatiis, nbsp;nbsp;nbsp;5 5

ïilfoit. On vint m’interroger, dans la prifon, *n préfence du Comte. On me demanda d’oü.nbsp;j’étois, amp; qui j’étois. Fils d’un pauvre Gen-tühomme de Chypre, rcpondis-je, qui pré-fémit, dans Ie temps de fa fortune, 1'amoucnbsp;de fes vaflaux a des richeües acquifes par desnbsp;Vexations amp; des injuftices. Alors, Ie Coratenbsp;in'interrogea lui-même. Oü as-tu pris l’argentnbsp;que tu portes, dont tu tires tant de vanité ? —nbsp;Cet argent eft a moi, amp;je n’en dois comptenbsp;è perfonne ; mais fi quelqu’un m’accufe, ilnbsp;n’a qu'a paroitre, amp; je me défendrai. — Puif-qu’on ne peut, autrement, lui arracher lanbsp;vérité, qu’on Ie mette a la torture. Je n'é-tois point Ie plus fort; mais, pour rien aunbsp;monde, je n’aurois découvert la vertu de manbsp;bourfe. Je fus mis a la queftion ;-dès les premières douleurs, je dis que j’allois tout dé-clarer. J’avouai que, m’étant égaré dans Ienbsp;bois, j’avois trouvé une bourfe avec fix cents,nbsp;écus. — Oü eft-elle, cette bourfe.^—J’ai prisnbsp;1'argent, amp; je 1’ai jetée dans la rivière quinbsp;traverfe la fbiêt. — Infigne voleur, eh! uenbsp;fais-tu pas que toute la forêc ni’appartient,nbsp;amp; que tout ce qu’elle renferme eft a moi? —nbsp;Je 1’ignorois, alors.— II falloit Ie demander.—nbsp;Eh! je n’ai trouvé que des ours amp; des loupsnbsp;(je n’eus garde de parler de 1’hóte babil-lard). — Ehbien, felon les lois, tu dojs pé-rir, amp;, par une fuite néceflaire, tes biensnbsp;doivent étre confifqués a mon profit. Hélas!nbsp;jpe difois-je alors en moi-même, a quoi menbsp;ferviront, maintenant, les richefles? Si j’a-

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Mijloire

vois choifi la fagelfe, je ne me ferois pas jeté entre les griffes de ce vautour; ou, fi j'avoisnbsp;préféré une longue vie, je n’aurois pas anbsp;cralndre, è préfent, de la perdte. Je fuis renté,nbsp;dans ce moment, de racheter mes jours parnbsp;ie facrifice de la bourfe fatale ; roais je menbsp;reffouvins que la Fée m'avoit recommandénbsp;de la bien conferver jufqu’a la mort. Alors,nbsp;je pris Ie parti de mejeter aux pieds du Comtenbsp;du Roe : Eh, que vous importe, lui dis-je,nbsp;la vie d’un infortuné, que Ie hafard amp; fesnbsp;malheurs voüs ont livré? Prenez tout ce quenbsp;je poliede; il eft a vous, puifque vous êtesnbsp;Ie maïtre, amp; Ie plus fort; vous défirez d’a-voir les chevaux, que j’ai achetés, amp; l’ar-gent qui peut me refter ; prenez tout, amp;nbsp;faites-moi grdce de la vie, qui ne peut vousnbsp;êcre d’aucune utilité. Le Comte étoic inflexible ; il craignoit que je n’allaQe publier 1’in-iuftice qu’il commettoit; ma mort étoit ré-foUie, lorfque je m’avifai de m’écrier ; Ohlnbsp;ma mère, qui m’attendez avec tant d’iropa-Tience, que deviendrez-vous, lorfque monnbsp;frère vous apprendra ma cruelle deftinée. Lenbsp;Comte me demanda ce que iignifioit ce dif-cours. Mon frère, lui répondis-je, étoit, avecnbsp;moi, dans la forêt; comme nous étions égarés,nbsp;nous avons pris, chacun, un chemin différent , amp; nous nous fommes donné rendezvous au village prochain. Mon aventure gnbsp;déja éclaté ; il fait, fans doute, que vousnbsp;m’avez fait arréter; ma mort ne peut étrenbsp;fi fecrette qu’il ne l’apprenne, amp; c’eft la nou-

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de Fortunatus. nbsp;nbsp;nbsp;5?

veile qu’il portera a Famagouftc, oü nous ^llions, enfemble, rejoindre nos parens. Lenbsp;Comte craignit plus que jamais que fon crimenbsp;ne fut découvert; ma mort eüt pu avoir desnbsp;vengeurs parrai les Seigneurs fes voifins gt; quinbsp;ne 1’aimoient point; au lieu qu’étant d’unnbsp;pays fi éloigné du fien, il pouvoit garder im-Punément Ie fruit de fon avarice. Eh bien,nbsp;me dir-il, dis-moi oü eft ton frère? Eh! quenbsp;fais-je ? répondis-je : Voyant que j’étois ar-lêté, il s’efl; cache , fans doute, pour atten-üre la fin de mon aventure, ou, peut-être,nbsp;a-t-il fui. — Va, dit Ie Comte, en feignancnbsp;üe fe radoucir, je n’ai voulu que t’effrayer ;nbsp;1’argent que tu as trouvé m’appartient, ilnbsp;m’avoit été volé, amp;, ayant long-temps fajtnbsp;chercher Ie voleur inutilement , j’étois fondénbsp;ü croire que c’étoit toi : Je veux bien paf-fer par-deilus la loi, amp; méme, par une bonténbsp;«lue tout autre, a ma place, n’auroit point,nbsp;ye donnet de quoi continuer ta route. Alors,nbsp;il fe fit amener les chevaux; je lui remisnbsp;tout 1’argent que j’avois : II me donna gé-néreufement deux ecus, amp; m’ordonna denbsp;Ibrtir de fes terras, dans Ie jour, fous peinenbsp;de la vie.

Dès que je me vis en liberté, je me hatai de tenir ma parole, aimant mieux étre ex-pofé a la férocité des ours, qu’aux injufticcsnbsp;d’un tel monftre. Je n’ofai faire ufage de manbsp;bourfe pendant deux jours j Ie premier argentnbsp;que j’en avois tiré, m'avoit été fi funefte,nbsp;j’allai jufqn’ü Angers en mendiant.

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Hijloire

CHAPITRE VIII.

Qui prouve que h bon ufage des richeJIes en fait tout Ie prix, Purgatoire de Saint-Pa~nbsp;trice.

'N préparoit tout, a Angers, pour les noces du Due de Bretagne, avec la feeur dunbsp;lloi d’Aragon, qu’on y attendoit de jour ennbsp;jour. Tout s'y difpofoit pour les fétes les plusnbsp;brillantes; lés étrangers y venoient en foule,nbsp;de routes parts, amp; c’étoit pour fe diftinguernbsp;dans les tournois, que le Comte du Roc vou-loit les trois chevaux. qu’il m’enleva.

En arrivanc dans la Ville, je me mêlai parmi le peuple, amp;, fans que perfonne put s’en dou-ter, je mis plufieurs fois ma main dans manbsp;bourfe, d’ou je tirai beaucoup d’argent. Lorf-que j’en eus une afl'ez grande quantité, j’a-chetai des habits, que je trouvai propres ènbsp;ma taille; je ra’informai de la meilleure hó-telleriei je pris un domeftique, Sz, dès lenbsp;lendemain, j’allai acheter deux beaux, chevaux, paree qua je défirois de voir les fé;es,nbsp;amp; d'attendre la Princefl'e qui devoir arrivernbsp;par met. Elle arriva, peu de jours après, amp;nbsp;les fêtes commencèrent. II y eut des joutes amp;nbsp;des tournois. J’y vis le Comte du Roc, monténbsp;fur un de mes chevaux. Je m’étois muni d’unenbsp;«xcellsnce armure; St, quoique inconnu, je

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de Fortundtüs. nbsp;nbsp;nbsp;59

öetnandai a rompre une lance avec lui. II accepta : Je déclarai devanc l'aflemblée que jenbsp;ö’afpirois poinc au prix; mais je propofai anbsp;mon adverfaire que Ie cheval du vaincu de-peurat au vainqueur. II voulut favoir quinbsp;j’écois; je Ie lui dis rouc bas : II parut ef-frayé. Ne crains rien, lui dis-je , défends-toi;nbsp;je n’en veux point a tes jours; tu ne m’asnbsp;laiffé la vie que dans la crainte que mon frèrenbsp;be divulguk ta bonte; je ne veux pas te 1’ar-racher, pourvu que tu me promettes d’êtrenbsp;plus jufte a l’avenir, de foulager tes malheu-leux vaflaux, qui ne font pas tes ferfs, amp;nbsp;qui valent mieux que toil Eh! qui es-tu,nbsp;ibe dit-il, pour m'impofer des lois? J’aimenbsp;la juftice, repris-je, voila mon feul titre. IInbsp;y a quatre jours que tu étois Ie plus fort;nbsp;Si tul’es aujourd’hui, je n’exige rien de toi;nbsp;tu peux être auffi injufte que tu Ie voudras;nbsp;11 je Ie fuis, fais ce que je demande, ou je tenbsp;perdrai auprès du Due de Bretagne , que tunbsp;trompes, en abufant del’autoricé qu’il te con-fie. Aufli-tót, je m'écarte de lui; nous fairnbsp;fons les faluts d’ufage ; j’évite fa lance avecnbsp;adrefle, amp;, du premier coup, je Ie renverfenbsp;fur la pouifière. Je lui réitérai ma demande;nbsp;il me promit tout ce que je voulus: Alors,nbsp;je pris Ie cheval par la bride, amp;, au lieu denbsp;1'amener, je Ie lui préfentai; je 1’aidai mêmpnbsp;^ monter, paree qu’il s’étoit blefle en tom-bant. Le fcélérat irembioit de tout fon corps;nbsp;•^ependant, je me difpofai a quitter Angers,nbsp;paree que les Ikbes amp; lés méchans font plus

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^ nbsp;nbsp;nbsp;Hifloire

a craindre dans leur impuiffance, que les bont dans leur plus grande fureur.

II n’y eut que lui, qu: fut que j'étois en-tré en lice, paree que je courus è toute bride Ie long de la Mayenne, oii je jetai mon ar-mure fans être vu de perfonne. Je revins inbsp;mon auberge, oü chacun parloic diverfe-ment de notre combat. Chacun rapportoit amp;nbsp;fa manière la converfation fecrette du Comtenbsp;amp; de mol, que nul n’avoit entendue : Cepen-dant, 1'hóte qui ne me connoiflbit point, quinbsp;roe voyoit foftir , tous les jours, a cheval fnbsp;amp; qui ne me voyoit rentrer qu’è l’heure desnbsp;repas , vint, Ie foir même, dans ma cham-bre, amp; me témoigna fon inquiétude : II menbsp;raconta que des inconnus, après avoir beau-coup dépenfé chez lui, avoient la famaifienbsp;de monter a cheval, amp; qu’il arrivoit, quel-quefois, que leurs chevaux les menoient finbsp;loin, qu’il n’entendoit plus parler d’eux. Jenbsp;me mis è rire de fa crainte, amp;, mettant mtnbsp;main dans ma bourfe, j’en tirai cent écus ,nbsp;que je lui donnai pour toute réponfe. L’hótenbsp;fut honteux, prit Ie ton Ie plus refpeélueuxnbsp;amp; Ie plus foumis, amp; me mena dans Ie plusnbsp;bel appartement de fon hótellerie.

Le lendemain, pendant que j’étois k dJne» avec plufieurs Seigneurs, il entraune troupe denbsp;joueurs d’inftrumens qui demandoient l’au-móne en danfant; je remarquai, parmi eux, unnbsp;vieillard qui infpiroitle refpeél: II ne demandoitnbsp;point comme les autres; il paroiflblt honteuxnbsp;amp; timide ; fa pauvreté paroiflbit lui pefei

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ie Fortunacus,

plus que les années. Quelqu’un lui demand# qui il étoit : Je fuis Gentilhomme Irlandois,nbsp;répondit - il; il y a fept ans que j’ai quitténbsp;snon pays : J’ai parcouru toute la Chrétienté ;nbsp;j’ai ttaverfé deux Empires amp; vingt Royau-*ues; chacun a fa langue particulière , amp; jenbsp;fais de chacune de ces langues tout ce qui eftnbsp;ïiéceflaire è. la vie; j’ai marqué les routes amp;nbsp;les diftances des pays, les particularités denbsp;chaque ville. Mais y dans tous vos voyages,nbsp;lui dit - on, qu’avez-vous remarqué de plusnbsp;extraordinaire ? C'eft 1’homme, répondit-il ,nbsp;^ui allie tous les vices amp; routes les vertos:nbsp;Chaque animal a fa paffion particulière, 1’hom-me les a routes; mais ce qui Ie diftingue fnbsp;furtout, c’eft fon orgueil. Les animaux Je lanbsp;même efpéce fe regardent tous comme égaux jnbsp;chaque individu de 1’efpèce humaine fe croitnbsp;pétri d’uD limon privilégié. L’homme vil, quinbsp;Janipe dans la mifère amp; dans la fange, a tou-jours quelque raifon pour s'eftimer plus quenbsp;1’homme puiflant qui Ie méprife, amp; qui croitnbsp;encore 1’honorer en 1’écrafant.

Cet homme me parut lingulier ; J’avois la fureur de voyager ; Je ne crus pas pouvoirnbsp;trouver un mwlleur guide : Je 1’appelai, jenbsp;lui mis dans la main quelques pièces d’argent,nbsp;8t je Ie priai, honnêtement, de m’attendre juf-qu’après Ie diné. Je Ie menai dans ma chambre,nbsp;amp; je lui témoignai Ie défir que j’avois qu’ilnbsp;öi’accompagnSt j je lui promis de lui entre-*enit4in cheval amp; un écuyer, amp; de lui don-des appointemens confidérables. Votrc

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Rijloirt

générofité, me répondit-il, 1’envle que vous ave;5 de vous inftruire, amp; Ie fecours que vousnbsp;jjourriez tirer de moi, me feroient accepternbsp;votre propofition, fi j’étois moins vieux, amp;nbsp;fi je n’avois point une familie qui a befoinnbsp;de moi, amp; auprès de laqueile je brüle de menbsp;lendre. Eh bien , lui dis-je , nous commen-cerons nos voyages par birlande; je vousnbsp;conduirai auprès de votre femme amp; de vosnbsp;enfans; je , ne ferai point inutile a leur fortune ; amp; , a la fin de nos voyages, quandjenbsp;ferai de retour a Famagoufte, j’aurai foin denbsp;votre vieillefle. Le bon Gentilhomme trou-voit le parti fort avantageux; mais, è fonnbsp;Sge, recommencer a voyager! D’ailleurs, lajeu-»efle eft imprudente, elle promet beaucoup, 8enbsp;tient rarement fes engagemens. Leopold (c’é-toit le nom du Gentilhomme) hefitoit encore. Jeunehomme, medit-il, vousformezunenbsp;grande entreprife; avez-vous compté avecnbsp;vous-meme ? L’argent eft le nerf de la guerre 1 les voyageurs font dans le cas des guerriers;nbsp;ils ont mille dangers a affronter, mille périls inbsp;éviter, des accidens a craindre, des incom-inodites infeparables des. voyages; la faim «nbsp;la foif, les maladies, mille chofes curieufesnbsp;è voir; des peoples ou 1’étranger n’eft biennbsp;re9u qu’autant qu’il fème For a pleines mains.nbsp;Je vous emends, lui dis-je; n’ayez aucuuenbsp;inquietude a cet égard. J’ouvris ma caflecte,nbsp;Ec lui dis d'y puifer tout l’argent qu’il luinbsp;falloit pour des habits amp; deux bops chevaux.nbsp;11 nc vouloit.rien prendre, amp;je fus oblige

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3e Fortunatus. nbsp;nbsp;nbsp;63

^’employer la prière pour l’engager a rece-¦''oir uue fomme, qu’il crüt fuffifante : II acheta un équipage, prit un domeftique. J'a-quot;Vois deux écuyers amp; un valer; nous nousnbsp;irouvSmes fix, tous bien d’accord, amp; nousnbsp;partimes.

Après avoir parcouru 1’Allemagne, oü nous crüraes retrouver les inceurs done Tacite anbsp;fait une defcription qui nous parut très-fidelle,nbsp;excepté les Grands amp; les Nobles, nous arri-vimes a Bruges, ou nous nous embarqudmesnbsp;pour 1’Angleterre, Je revis, une feconde fois,nbsp;Londres; je ne pus me défendre d’un certainnbsp;frémifiement, en débarquant. Heureufement,nbsp;j’y étoispeu connu; amp;, quand je l’aurois été,nbsp;naon changement de fortune en auroit impofé ,nbsp;amp; m’edt mis a couvert de tout événementnbsp;facheux. Nous traverfSmes 1’Angleterre amp; 1’E-coüe , amp; je rendis Leopold a fa familie.

11 me feroit difficile d’exprimer les tranf-ports, les expieffions de joie, les larraes que la tendreffe fit couler, lorfque j’annon^ai, amp;nbsp;t]ue je préfentai ce bon vieillard. II étendoitnbsp;les bras , amp; ne pouvoit parler; il embraflbit,nbsp;tour a tour, fa femme , fes enfans, un gendrenbsp;amp; une bru qu’il avoit acquis depuis fon ab-fence. II alloit aux uns; il revenoit aux au-tres; 1’alégrefle brilloit jufque dans fes rides.nbsp;A peine s’apercevoit-on de moi; de tempsnbsp;en temps, je me fentois embraflë, tantócnbsp;par un jeune homme, qui pouvoit, a peine,nbsp;refpirer, tantdt par une jeune fille, dont jenbsp;t'oyois Ie fein palpiter Si dont Thaleine étoit

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Hijtoire

brülante ; amp;, lorfque je voulois leur rendre leurs careflês, ils étoient déja dans les brasnbsp;de leurpère, ou dans les bras des uns desau-tres. Actendri par ce tableau, craignant de lesnbsp;gêner, je dis è Leopold que je voulois dinernbsp;a vee eux; que je ne tarderois pas è revenir;nbsp;amp;je fortis, pénétré d’un plaifir que la grandeur ni la richefle ne peuvent donner; il étoitnbsp;trop délicieux pour queje manquafle au rendezvous. Dès qu’on m’apergut, la femme de Léo-pold vint au devant de moi, fuivie de fa familie ; elle me fit mille excufes du peu d’at-tention qu’on avoit eu pour moi; ils me don-noient mille bénédiftions. Le refpeft, avecnbsp;lequel vous me traitez, leur dis-je, me plaitnbsp;bien moins que les carefles folies que vous menbsp;faifiez , ce matin. La jeune fille, qui fe fou-venoit de m'avoir embralTé dans fes tranf-ports, baifla la vue. N’en rougiffez pas, re-pris-je, jamais 1’amour ne donna de baifefnbsp;plus tendre; jamais la vertu n’en re9Ut d'auffinbsp;délicieux. Son père vint a fon fecours; il menbsp;Ja préfenta. Un jeune homme timide, d’unenbsp;figure agréable, mais paroiflant accablé de dou-leur, fe tenoit i 1’écart; je le crus un desnbsp;fils de Léopold *, j’allai vers lui coipme poufnbsp;1’encourager. Pourquoi cette triftelie, lui disje, dans un fi beau jour, quand tout le mondenbsp;eft dans la joie du retour de votre père? Ah!nbsp;je n’ai pas I’honneur d’étre fon fils, me dit-ilnbsp;en foupirant, amp; ce retour ne fera funefte qu’inbsp;moi. Le filenee de la familie fuccéda è ce peunbsp;de mots j je vis les yeux de la jeune fille fe

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’¦f mplir de larmes»amp; Léopold me parat conf-ferné. Je craignis d'étre indifcret; cependant,

3® fis figne a Léopold; il me fuivit dans an cabinet que je vis entt’ouverc, amp; je lepriainbsp;fie m’expliquer un myftère, dont je ne foup-9onnai que la moindre parüe. Je comprends,nbsp;3ai diS'je, que ce jeune homme aime votrenbsp;fille, amp; qu’elle n’eft pas infenfible i fon amour;nbsp;tnais, ce que je ne conpois pas, c’eft leurnbsp;^rifteffe amp; la vótre. Ah! Monfieur, me ré-Pondit-il, je foufFre pour tous les deux: Cenbsp;Jeune homme eft Ie fils d’un riche vieillardnbsp;cette Province; il a fait connoiflance avecnbsp;fille, dans 1’êge Ie plus tendre; ma femme,nbsp;charmée de fon honnêteté amp; de fes mo^rs, luinbsp;laifle un libre accès dans la raaifon. Le bruitnbsp;répandit, il y a deux ans, que j’avois faknbsp;^öe très-grande fortune; le vieux Maskwell,nbsp;père du jeune homme, eft encore plus avarenbsp;^U'il n’eft riche; tant qu’il me crue pauvre,nbsp;quot; S’embarrafla peu des amours de fon fils, dansnbsp;I idéé qu’il feroit toujours le maitre d'en ar-«ter le cours quand il voudroit: Mals, lorC-^ü’on lui aflura, de touscócés, que je nageoisnbsp;dans 1’abondance, il accourut au plus vite,nbsp;pour s’informer de la vérité. Ma femme, quinbsp;favoit ce qui en étoit, fit tous fes efforts pournbsp;ft le difluader; le vieux avare,, s’iroaginantnbsp;^a’on le trompoit, lui témoigna !e plus grandnbsp;^fir de raarier fon fils avec ma fille; elle eutnbsp;^au protefter que les bruits qui s’étoient ré-pandus étoient faux, il infifta jufqu’a la me-acer de lui intenter un procés, fous pré-

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teste de je ne fais quelle promefle que les deux jeunes gens s’étoient faite, amp; qu’il fuppofoit:nbsp;Enfin, il demands Jenny avec tant d’inftance,nbsp;que ma femme lui donna fa parole. Ces deuxnbsp;pauvres enfans ont vécu dans l'efpérance qu’anbsp;mon retour, ils feroient unis. Commeje con-nois Ie père , je viens de leur annoncer qu’ilnbsp;falloit renoncer 1’un al’autre; que je n’étoisnbsp;point riche, amp; que je ne voulois point abu-fer de la crédulité du vieillard. Ils ont eunbsp;beau me repréfenter qu’il avoit donné fa parole; qu'il avoit reïu celle de mon époufe ;nbsp;que cette promefle mutuelle étoit cimentée,nbsp;de parcamp; d’autre, par des écrirs; je n’ai riennbsp;voulu écouter. J’en fuis faché, j’aime Sir Charles; il Ie mérite: Ma fille eft au défefpoir;nbsp;je plonge un poignard dans Ie fein de 1'un amp; denbsp;l’autre, amp; ma femme ne fait lequel des deuxnbsp;elle doit regretter Ie plus.

Léopold cefla de parler; il alloit rentrer, je Ie retins. Avant de fortir de ce cabinet,nbsp;lui dis-je, écrivez au père que vous n’atten-dez que lui pour terminer Ie manage de votrenbsp;fille: Confirmez-le dans 1’idée oü il eft denbsp;votre fortune, amp; je me charge du refte. Non,nbsp;reprit-il, quelque tendrefle que j’ayc pour mesnbsp;enfans, je ne confentirai jamais a tromper Ienbsp;père de Sir Charles. 11 eft vrai qu’il a engagénbsp;fa parole; rnais c’eft fur 1’efpoir d’une fortune qui n’exifte point. Écrivez toujours; bonnbsp;Léopold, lui dis-je, vous êtes plus riche quenbsp;vous ne penfez; vous favez que j’ai, avec moi,nbsp;une fomme confidérable: fuilira-t-elle pour 1’é-

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de Fortunatus.

tablifletnent de votre fille ? Eh! Monfieur, me dit-il,y penfez-vous rJe fuis pénétré de vos bon-lés. Maïs, de bonne-foi, croyez-vous qu’unnbsp;bomme qui peut tirer avantage d’une parole ir-révocable, amp; qui ne Ie fait pas, paree qu’il faitnbsp;bien qu’eÜea été donnée par un motif qui n'a-Voit aucun fondement, aura la foiblefle d’abu-fer de votre générofité? Non, Monfieur, gardez-rnbsp;Votre argent; vous en aurez befoin dans Ienbsp;voyage que vous allez faire. Je me mis anbsp;rire de fa délicatelie; je lui perfuadai fi biennbsp;que j’avois, dans ma patrie, une fortunenbsp;inépuifable, amp; que mon crédit s’étendoit dansnbsp;les villes les plus éloignées, que je 1’obligeainbsp;d'écrire au père de Sir Charles. Le jeune hom-me, la larme a Pceil, nous interrompit, poutnbsp;prendre congé de Léopold amp; de moi. Vousnbsp;ne partirez pas, lui dis-je, vom dinerez avecnbsp;nous, amp; vous ferez raarié avec Jenny. Je lenbsp;pris par la main; je le conduifis a Jenny,nbsp;qui fondoit en larmes, amp; que fa mère con-foloit le mieux qu’elle pouvoit. Ne vousnbsp;affligez pas, lui dis-je, je vous rends Sir Charles; continuez i vous aimer; votre père n’anbsp;Voulu que vous éprouver 1’un amp; l’autre, amp;nbsp;vous furprendre agréablement : Sa fortunenbsp;n’eft point une chimère, elle eft telle que lenbsp;bruit s’en étoit répandu.

Ils demeurèrent tous comme pétrifiés; ils ne favoient qu’en croire; mais je vins ènbsp;bout de les perfuader : Les deux amans fenbsp;livrèrent a la joie Sc a l’efpérance. Leopoldnbsp;ffparut, fa lettre a la main; ils couiurent

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Hiftoire

i'etnbrafler : Son époufe lui faifoit de tendres reproches de lui avoir fait un myftère d’unnbsp;bien qu'elle ne défiroic que pour lui amp; pournbsp;fes enfans. Vous vous trompez tous, leur ditnbsp;Léopold; jc n’ai pas fait fortune; c’eft eetnbsp;homtne généreux, qui, pour vous calmer...nbsp;Charles ne lui donna pas Ie temps d’achever.nbsp;Ah! Monfieur, me dit-il en retombant dansnbsp;fa triftefle, quel plailir prenez-vous ^ vousnbsp;jouer d’un malheureux qui ne furvivra pasnbsp;au chagrin que 1’efpoir dont vous Ie flattieznbsp;rendra plus amer? Erreur encore, interrompitnbsp;Léopold, qui leur expliqua tout ce qui venoitnbsp;de fe pafler. Je vis l’inftant oü Sir Charlesnbsp;amp; Jenny alloient tomber a mes pieds; je leurnbsp;déclarai que la feule marque de reconnoif-fance que j’exigeois d’eux, c’eft qu’ils s’ai-mafient toujours. Je vis dans leurs yeux qu’ilsnbsp;avoienc l’ingratitude en horreur : Je fis partirnbsp;un de mes Ecuyers fur Ie champ, pour porternbsp;la lectre au pére de Sir Charles; amp; nous nousnbsp;mimes a table, ayant, k ma droite, Jenny,nbsp;amp; fon amant a ma gauche. Ils ne me furentnbsp;pas mauvais gré de les avoir féparés; j’étois,nbsp;dans ce moment, Ie point de réunion de leursnbsp;regards amp; de leurs fentimens.

On ne pouvoit avoir que dans quinze jours des nouvelles de Sir Charles. J’en donnai qua-tre a Léopold pour fe repofer ; Je lui pro-pofai, enfuite, de m’accompagner dans Ie reftenbsp;de 1'Irlande; mais, pour lui donner la fatis-faftion de ne pas quitter fa familie, j’engageainbsp;foD époufe amp; fes enfans de venir avec nous,

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Ims ouWier Sir Charles. La partxe fut accep-ïée, amp; nous nous mimes en route, Ie lende-lïiain. L’amitié guidoit la caravane; un fecret penchant me faifoit donner la préféreuce auxnbsp;lt;ieux amans ; Les bienfaits nous attachent knbsp;eeux fur quinous lesrépandonsavecplusde pro-fufion. Nous n^étions point éloignés de 1’Ab-haye de Saint-Patrice, oü Ie peuple d'Irlandenbsp;croit eommunément qu’on trouve une des embouchures du Purgaroire. Jenny voulut favoirnbsp;ee qui avoit donné Heu a cette fable. Nousnbsp;öemandames 1’Abbé, qui nous refut avecnbsp;sffedlion, amp; nous invita a diner. Nous Ienbsp;priamp;raes de nous faire voir cette caverne finbsp;eélèbre, amp; de nous dire ce qui avoit’^occa-fionné fa célébrité.

Cette Abbaye, nous dit-il, amp; les lieux qui 1’environnent, n'étoient, autrefois, qu’unnbsp;'Vafte défert ( i), au milieu duquel étoit cettenbsp;^verne. Le Saint Apótre d’Irlande, Patrice,nbsp;étoit reciré dans le temps qu’il fe pré-paroit a 1’apoftolat; il y roenoit la vie la plusnbsp;^ufcère. Le hafard lui fit découvrir eet antre :nbsp;*1 eut la curiofité d’y pénétrer; il alia finbsp;avant, qu’il ne rrouvoit plus d’iflue pour ennbsp;fortir i il entendjt desplaintes qui retentiffoienc

CO t'* Purgatoire de Saint-Patrice, for leqoel on a débité de fables, étoit une caverne fituée dans une pente Ilenbsp;lac.d'Earn, en VJUonie. Le Pape la fit fermer, en I497»nbsp;pour arrêter le cours de ceitaines pratiques fuperftiticufes iWnbsp;petit peuple. Elle fut rouverte, peu de temps apres, Cnbsp;fertnée, une fewnde fois, par erdte de Henti VUi.

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dans ces fouterrains. II craignit, d’abord, que ce lieu ne fut Ie repaire de bêtes féroces:nbsp;Bieiitót, il diftingue une voix ; 11 avance jnbsp;il entrevoit un rayon de lumière : II y court,nbsp;amp; voit.un vieillard vénérable, plus accablénbsp;de fes infirrnités que de fes années. Oh! qui quenbsp;vous foyez, lui dit cethomme, aidez-moi anbsp;fortir de ce lieu. Patrice accourut a lui; maïsnbsp;il ne lavoit par oü Ie conduite. Le vieillard ,nbsp;alors, fiifla trois fois. Auffi-tót un gros doguenbsp;d’Ecofle fit retentir la caverne de fes aboie^nbsp;mens. Le vieillard raflura Patrice, qui parutnbsp;effrayé. Voili, dit-il, le foutien de ma vie,nbsp;depuis fix ans, amp; la feule créature vivante avecnbsp;qui j'ai été en fociété depuis trente-cinq. Plusnbsp;fenfible que ceux qui m’ont conduit ici, ilnbsp;fort, tous les matins, amp; va chercher fa proie ,nbsp;qu’il partage avec moi. Je 1’ai appris m’ap-porter du bois; amp; 1’eau qui filtre a travers lesnbsp;rochers fait ma boiflon ordinaire. II fit figne inbsp;fon chien qui marcha devant eux; apiès lesnbsp;avoir guides par fes aboiemens dans les ténè-bres, ils fentirent le terrain s’élever amp; formernbsp;une pente douce amp; facile. Patrice le conduificnbsp;dans fa cabane, étendit quelques nattes, amp;,nbsp;après 1'avoir fait coucher, il le pria de luinbsp;dire qui il étoit, amp; par quel événement il 1’a-voit trouvé dans ce fouterrain.

Vous êtes jeune, lui dit le vieillard; vous n’avez pas connu le Comte de Falkland ,nbsp;1’homme le plus infatué de fa naiflance : IInbsp;auroit pu, par fon travail amp; par fon induf-trie, ttouver, dans le commerce amp; dans les

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de Fortunatus.

arts, une reiïburce contre les difgraces de la fortune; il aima mieux fe plaindre de fes in-juftices, amp; foulfrir, que de prendre un étatnbsp;qui Peut mis au niveau des autres hommes.nbsp;Il s’étoic retiré dans Ie Comté de Devonshire,nbsp;oü fes créanciers ne lui avoient laiffé qu’unenbsp;mafure, fa femme amp; fa fille. Cet homme ,nbsp;qui eüt rougi de fuftenter fa familie par unnbsp;travail honnéte, n’avoit point de honte denbsp;Vivre aux dépens de fes voifms, qu’il mépri-foit, qui lui prêtoient de l’argenc, qu’ils fa-Voient qu’il ne rendroit jamais. La maifonnbsp;de mon père, qui jouiübit tranqiiillement desnbsp;fruits d'un travail de quarante années, étoitnbsp;contigue a celle de Falkland; Ie Comre ne Ienbsp;tegardoit que comme un vil commer^ant; amp;nbsp;rnon père fe félicitoit d’une fortune, qui Ienbsp;tnettoit en état de foutenir un pauvre Gen-tilhomrae, amp; deux femmes refpeftables parnbsp;‘Cur vertu. Lady Falkland fupportoit fon in-Iprtune avec la fermeté la plus courageufe.nbsp;Lnima, leur fille, les confoloit; amp; 1'une amp;nbsp;autre , en 1’abfence du Comte, n’étoient-occupées qu’è travailler de leurs mains, amp; è.nbsp;itiarquet leur reconnoiflance d leur bienfai-leur.

J’étois jeune, amp; de l’ége d’Emma; fa vertu, es graces, fa beauté, me touchèrent ; Je n’o-ois lui faire connoitre mes fentimens, Falk-and devoir confidérablement a mon père, quinbsp;^’•iruifloir fans compter a la dépenfe ^ de lanbsp;: Ma délicatefle me faifoit craindrenbsp;Lmtna ne crut que je voululle abufer de

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fa nbsp;nbsp;nbsp;Hijloir»

fön état. Quelque precaution quc je priffe pouf cachet mon amour è Emma, il fe déclara,nbsp;par mes foins pour fes parens, par 1’art avecnbsp;lequel je leur faifois accepter des fecours, com-me un hommage dont je devois feul être re-connoiflant. Emma n’y fut point infenfible;nbsp;elle me louoit, un jour, fur hadrefle ave«nbsp;laquelle je favois óter aux bienfaits Ie fardeaunbsp;dont ils accabloient les malheureux. Je fou-pirai: Elle rougic; nos yeux fe renconttèrent;nbsp;ils étoient mpuillés de larmes. Vous, Emma,nbsp;malheureufe! lui dis-je; ah! je Ie fuis cent foisnbsp;plus que vous, Emmaquot;, je ne pus en dire da-vantage; mon coeur étoit comme reflerré patnbsp;la contrainte oh j’avois été depuis long-temps.nbsp;Lady Falkland nous furprit : Nous demeu-limes confternés; elle nous obferva quelquesnbsp;inftans, amp;, fondant elle-même en larmes,nbsp;elle vint nous embrafler 1’un amp; Pautre. Manbsp;chère Emma, mon cher Derby, ce n’eft pasnbsp;d'’aujourd’hui que j’ai pénétré Ie fecret de voinbsp;ames: Si votre bonheur ne dépendoit que denbsp;moi, vous feriez déja heureux j jamais onnbsp;n’auroit vu d’union ii belle : Mais votre fortnbsp;dépend d’un père impitoyable, aflujeti au plusnbsp;tyrannique des préjugés. II fait tout ce qu’ilnbsp;doit éi Derby amp; éi fon fefpeélable père; il n«nbsp;s’acquitteroit qu'è. moitié, en vous uniffant;nbsp;il n’y confentira jamais. Lady Falkland ,nbsp;qui, d’abord , avoit jeté la joie dans nolnbsp;ames, en nous épargnant 1’embarras de nouinbsp;expliquer, nous plongea dans la triftefle patnbsp;ces derniers mots. Ah! Madame, lui dis-je,

j’efpèr*

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de Forturiatus. nbsp;nbsp;nbsp;f3

j’efpère que mes foins, ma docilité, ma ten-dreffe pour lui, les avantages que mon père fcra luire k fes yeux, les vertus de ce pèrenbsp;qui m’a laifle Ie maitre de me choifir unenbsp;époufe digne de lui, pourront Ie fléchir.nbsp;N’y compcez pas, mon cher ami , reprit-elle; on peut dompter les caraèières lesnbsp;plus féroces, on ne guéric jamais les préjugésnbsp;qui tirent leur fource de 1’orgueil.. Je fuisnbsp;bien éloignée de m'oppofer a vos feux;nbsp;mais, s’il en eft temps encore, au nom denbsp;nion amitié pour vous, de votre amour mutuelnbsp;amp; de ma tendrellè pour ma fille, faites tousnbsp;vos efforts pour les éteindre.

Lady Falkland fe retira, la larme a 1’ceil, amp; nous laifla enfemble. Les obftacles ne fontnbsp;qu’irriter 1’amour; nous nous les diffimul^-lues •, je demandai a Emma la permiffion denbsp;faire parler a fon père : Elle me 1’accorda »nbsp;amp; m’allura qu’elle faifoit les voeux les plusnbsp;ardens pour Ie fuccès : Quoiqu’elle fut dansnbsp;^’intention de n'obéir qu’a fon père, elle ajoutanbsp;qu’elle me connoiflbic trop bien pour avoir inbsp;craindre que j’exigeafle d’elle d’autres fenti-mens, amp; que je pouvois être afl’uré que lanbsp;mort lui feroit moins ci'uelle, que Tobflina-tion dont on venoit de les menacer.

Le coeur rempli de crainte amp; d’efpérance, j’allai raconter a mon père tout ce qui ve-ï'olt de fe palier; je le trouvai dans les mê-difpoütions que Lady Falkland ; il menbsp;promit d’en parler au père. II étoit k unenbsp;grande partie de cliafle, qui duroit depuis

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j'4' nbsp;nbsp;nbsp;mjioire

deux jours; j’attendois fon retour avec im-pauence. Emma m’en avertit; il étoit revenu avec un parent, qui porcoic Ie même nom amp;nbsp;les mêmes armes; il 1’avoit préfenté a fa familie, comme un homme qui les honoroit,nbsp;comme Ie feul rejeton d’une branche qui avoitnbsp;donné a bAngleterre des hommes d’éclat, amp;nbsp;qui ne s’étoit jamaisméfalliée. Emma fut alar-mée de eet éloge ; elle Ie regut avec bonté;nbsp;lüur retour fut célébré par un repas poufle biennbsp;avant dans»!a nuit; amp;, felon la coutume desnbsp;perfonnes de qualité de ce temps-la, tout ennbsp;parlant de leurs ancêtres, ils fe quittèrentnbsp;ivres de vin amp; d’anogance.

Le feul domeftique de la maifon, excédé de fatigue, amp; las d’attendre, fut furpris parnbsp;le fommeil; une flamméche de la lampe au-près de laquelle il s’étoit endormi, tombanbsp;fur de la paille, qui s’embrafa , amp;, en unnbsp;inftant, la flamme fe cotnmuniqua dans tomenbsp;la maifon ; les deux Falkland, Emma amp; fanbsp;mère, étoient perdus, fans moi. C’étoit lenbsp;lendemain que mon père devoit propofer monnbsp;mariage; vous jugez bien que j’étois éveillé.nbsp;Voir le danger de ces infortunés, fauter denbsp;nion lit, amp; pénétrer jufqu’a l’appartemencnbsp;i’Emma, ne furent qu’un inftant; je la trou-vai, avec fa mère, cherchant a fe jeter parnbsp;une fenêtre qui donnoit fur un fofl'é très-profond. L’amour, fans doute, en ce moment, doubla mes forces : Je jetai la fillenbsp;fur mes épaules; je pris la mère fous monnbsp;bras : La flamme avoit gagné- le bas de l’ef-

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de Fortunatus. nbsp;nbsp;nbsp;^5

calier. Fier de mon fardeau, je monte fur is toit de la maifon qui eommuniquoit a ceüe denbsp;mon père; je les laiflai routes tremblantes dansnbsp;un grenier oü elles n’avoient rien a craindre;nbsp;je les priai d’attendre un moment, amp; je menbsp;gliflai, par Ie même chemin,dans la chambrenbsp;od les deux coufins étoient couches. Ils dor-moient encore; amp;, un quart-d'heure deplus,nbsp;iis étoient engloutis dans les dammes amp; dansnbsp;les ruines ; Je les éveille; j’ouvre la fenêtre,nbsp;afin qu’ils vifient Ie danger, amp; leur dis denbsp;me fuivre, Ils ne fe Ie firent pas répéter; jenbsp;les conduifis dans Ie grenier ou j'avois laiffénbsp;Emma. La joie qu’ils eurent tous de fe voirnbsp;en fureté, les rendit infenfibles a la perte denbsp;leur maifon. Emma amp; fa mère ne pouvoientnbsp;afl'ez me marquer leur reconnoiflance; les deuxnbsp;Falkland fe félicitoient d’étre délivrés do -danger : La Providence, difoit l’un, veille fur desnbsp;gens de notre efpèce. Ah! mon coufin, difoitnbsp;1’autre, croyez-vous qu’elle eüt permis quenbsp;la race des Falkland Rockbald eut péri li pro-che du port.

Nous ne comprimés pas, d’abord, cette énigme ; le vieux Falkland nous 1’expliquanbsp;bientót, en nous apprenant que le coufin étoicnbsp;¦venu pour époufer Emma; que tout cela étoitnbsp;arrange entr’eux, amp; qu’il ne favoit par quellenbsp;fa tali té il avoir oublié d’en parler è fouper,nbsp;jl’autant que la noce devoir fe faire dans deuxnbsp;jours. Nous nous regardSmes tous; Emmanbsp;palit; le vieillard continua d’étaler les avan-^sges d’une union qui réunifloit fur la tête

Dij

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*?6 nbsp;nbsp;nbsp;Hlfloire

«Ie fon coufin, Ie bien des deux branches Falkland, amp; par laquelle Ie premier enfantnbsp;mamp;le pourroit faire valoir les pretentions d’Au-gufte - Nabucliodonofor - Alfred - Alexandrenbsp;Falkland , mort dans la Paleftine , fur les biensnbsp;qu’il avoir acquis amp; conquis fur Ie Perfannbsp;Zaris, lors de la première croifade.

Le jour commenpoit a paroitre : Je def-cendis chez mon père , qui trembloit pour mes jours : Jelui racontai, d’un air confterné, toutnbsp;cequi venoit de fe palier, amp;ce queje venoisnbsp;d’apprendre. II me confola; amp;, après avoirnbsp;fait porter des robes pour les femmes, il lesnbsp;pria, tous, de defcendre, amp; les logea dans fanbsp;maifon. Le jeune Falkland, pour ne pointnbsp;augmenter 1'embarras, prit congé amp; promitnbsp;d’etre bientót de retour- Le pére d’Emma remit la noce a buit jours; bien entendu, ajouta-t-il, que 1’ami Derby amp; fon fils en feroient,^nbsp;fuppofé que la coufine Elhelrède-Médufe Falkland n’en fut point.

J’érois dans le plus grand défefpoir; la fen» Eble Emma eüt défiré d’avoir été la proie desnbsp;flammes'. Elle trouya un moment pour me ju-rer que jamais elle ne feroit Pépoufe de fonnbsp;coufin', qu’elle le cormoilibit de réputation,nbsp;comme 1’homme le plus propre a la rendrenbsp;malheureufe; qu’a 1'orgueil le plus infuppor-lable, il uniflbit 1’avarice ia plus fordide, amp;nbsp;Jes mocurs les plus corrompues.

En moins de fix,jours, mon père ent fait réparer la maifon de Falkland; Le vieillard,nbsp;jnfjtdé de fon coufin, ne manqua pas de le

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de Tortunatas. nbsp;nbsp;nbsp;'r*»^

f-iire venir. Emma frémit a fon arrivée; elle 6ut 1'art de faire retarder la noce de quinzenbsp;jours ;• elle efpéroit que fon père dévoileroitnbsp;5e caradtère atroce de fon coufin, amp; qu’il s'efinbsp;‘légoüteroit: L’orgueil de fa naiflancel’éblouitnbsp;Evr fesdéfauts. Emma imagina dedégoüterfoqnbsp;ïitnant lui-même; elle aifefta un caradère toutnbsp;différent de celui qu’elle avoit; elle oppofoitnbsp;¦lt;5 1’avarice de fon amant, une générofité quinbsp;1’effrayoit, II n’avoit d’autre paffiotl que pournbsp;5a chaffe; elle affeftoit de la détefter; amp; deuxnbsp;chiens qu’il idolamp;troit, furent rélégués dansnbsp;la Cour. Ce ftratagème coinmen^oit a réuffir»nbsp;lorfque Ie jeune Falkland intercepta une lec-tre qu’Emma m’écrivoit; car nous avions cedenbsp;de nous voir.

Dés ce moment, norre perte fut jurée; il Porta fa lettre au père d’Emrria, qui,furieuxnbsp;du’un homme de mon efpèce eut 1’audacenbsp;d’afpirer a fa fille, menaga mon père de routenbsp;fa fureur, fi elle faifoit la raoindre difficulténbsp;d’époufer fon coufin; il 1’afiura que, s’il menbsp;lencontroit, il feroit expiter fous Ie bStonnbsp;dn faquin dont il ne voudroit point pour fonnbsp;valet. Heureufement, je n’étois point cheznbsp;mon père : Je Ie trouvai, a mon retour,nbsp;doye dans les larraes ; II m’exhorta de re-noncer a Emma, amp; d’abandonner a fon or-gueil un ingrat qui ne méritoit que nos nié-ptis.

Je deliberois fur ce que j’avois £i faire, lorf-^’^PPrendre qu’on avoir vu Emma, efperée, fuir a pas précipités, amp; Ie jeune

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Hijloire

Falklatid qui la fuivoit; je craignois que fon père ne lui eüt fait éprouver fon reflentinient:nbsp;|e courus pour la fecourir; mais j’appris quenbsp;fon indigne amant 1’avoit maltraitée, amp; qu’ellenbsp;fuvoit fa fureur. Je rencontrai Ie père, qui,nbsp;ayant fu tout ce qui s’étoit paile, couroitnbsp;après eux. Vil fédudeur, me dit-il, ta vienbsp;me répondra du fort de ma fille Père aveu-gle, vieillard ingrat, lui répondis-je, ce n’eft,nbsp;ici, ni Ie temps, ni Ie lieu de me juftifier ;nbsp;volons fur les traces d'Emma , amp; , quand jcnbsp;vous 1’aurai rendue, vous m’accuferez, fi vousnbsp;1’ofez.

On nous dit qu’Emma, les cheveux épars, implorant Ie Ciel, avoit gagné un bois touf-fu, pour fe détober aux pourfuites d’unnbsp;homme qui marchoit fur fes traces ; qu’ilnbsp;y étoit entré par une aucre route, amp; qu’il fe-roit bien difficile qu'il la rencontrat. Nous ynbsp;pénétr^mes. A peine eümes-nous fait quelquesnbsp;pas, que nous entendimes les cris d'Emma,nbsp;nous y volles; nous la trouvames a demi-nue, Ie corps meurtri, la voix éteinte, fe dé-battant entre les bras de 1'infame Falkland. Jenbsp;m’élance, amp; lui fais Ikher fa proie; c’en étoitnbsp;fait de fa vie, fi Emma amp; fon père ne 1’euflentnbsp;srraché de mes mains. Qui de nous, dis-je aunbsp;vieillard, mérite votre haine, ou eet inffimenbsp;ravifleur, dont je yiens de délivrer votre fille,nbsp;OU un amant tendre amp; refpectueux qui Pa fau-vée des flammes, amp; a qui vous devez Ie jour?nbsp;Toi, fon amant! s’écria 1’impitoyable vieillard : O Ciel I Ie fils d’un vil Coniiner9ant; ah'.

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de Fortanatus. nbsp;nbsp;nbsp;fg

je déchirerois de mes mains Ie coeur d’Emma, avant de Ibufïi-ir qu’elle fuc unie a un hommenbsp;tel que toi. Emma vouluc, malheureufement ,nbsp;prendre mon parti : Elle tomba aux gefiouxnbsp;de fon père; elle eflaya de Ie ramener a desnbsp;fenrimens de recoimoiflance , amp; ne fit quenbsp;1’irriter encore ;C’eftmoi, difoit-elle, c’eftnbsp;nioi qui 1’ai encouragé a efpérer vos bontés:nbsp;Eh bien ! en voila Ie fruit, dit-il, en levantnbsp;Ie poignard fur moi; Emma , effrayée, fe pré-cipite au davant du coup, amp; Ie reqoit dansnbsp;Ie fein; elle tombe, prie fon père de me par-donner, me tend la main amp; expire. Dieu!nbsp;comment, dans ce moment, ne poignardai-je point ce père dénaturé. Voila, voila, cruel,nbsp;m’écriai-je , Ie fruit de vos préjugés odieux.nbsp;J’allois me percer Ie cceur; les barbares, ilsnbsp;fe réunirent pour m’en empécher; j’étois.fansnbsp;force; la vue du fang, qui couloit du feinnbsp;d’Emma, me rendoit immobile; ils appelérentnbsp;du fecours, amp; me livrèrent a des juges auflinbsp;impitoyables qii’eux. On regarda comme uanbsp;crime irrémiffible, d'avoir ofé afpirer a lanbsp;main de lafille d’un homme tel que Falkland ;nbsp;fon ingratitude amp; fa cruauté furent comptéesnbsp;pour rien ; il avoit aflez, difoient qtielquesnbsp;Genrilshommes complices de fon orgueil, ilnbsp;avoit aflez honoré mon père, en lecevant fesnbsp;bienfaits. On me chargea du crime de la mortnbsp;d’Emma, amp; 1’on érigea Ie parricide en aétionnbsp;héroïque : Enfin , un tribunal de fang me con-datnna a perdre la vie.

Lady Falkland, qui faifoit plus de cas de

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So nbsp;nbsp;nbsp;Hijloire

la bienfaifance amp; de la probité, qne d’aieux le plus fouvent fouillés de crimes, amp; done l’é-clat s’elt borné a faire 1’abus le plus funeftenbsp;de leur crédit amp; de leur puiffance, follicitanbsp;fecrettement ma grÉce. Hélas! la plus grandenbsp;qu’on eüt pu me faire, dans ce moment,nbsp;eüt cté de me donner la mort. La fin cruellenbsp;d’Emma, amp; la douleur de mon père, étoientnbsp;pour mol des fupplices plus affreux que tousnbsp;ceux que la haine de mes ennemis eüt punbsp;inventer. Tout ce que Lady put obtenir, futnbsp;que ma peine feroit changee en une prilonnbsp;perpétuelle.

On me transféra en ültonie, dans un cachot fouterrain , que le jour n’avoit jamais éclairé : II ne 1’étoit que par une lampe fé-pulcrale : On m’y defcendoit, par un foupi-lail pratique dans la voute, du pain, de 1’eau,nbsp;amp; uhe certaine quantiic d’huile pour l’en-tretien de ma lampe.

II y avoit cinq ans que j’étois dans ce caveau, iorfqu’une pierre fe détacha du murnbsp;contre lequel la paille qui me fervoit de lienbsp;étoit adoliée : Un vent frais amp; piquant fenbsp;répandic dans mon tombeau par cette ouverture; je n’ofois en approcher ma lampe, denbsp;crainte qu’elle ne s’éteignit. J’imbibai d’huilenbsp;deux mèches, amp; je les allumai; je vis quenbsp;cette brèche communiquoit a une cavité très-profonde : je démolis une partie du mur, amp;nbsp;je plaqai mes lampes vis a vis de la caverne ;nbsp;j’y entrai, amp; j'avangai auffi loin que la hi-mièrepouvoit s’étendre. Le lendemain, je laif-

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de Fortunatus. nbsp;nbsp;nbsp;Si

fai deux mèches allumées dans mon cachot; j’en pris deux autres, Sc j’allai plus avaijt^nbsp;j’eus Ie bonheur deles conferver ; Enfin, jenbsp;recommengai rnon experience Ie troifièmejour,nbsp;amp; je vis, de loin, une lueur. Je n’ofois, d’a-bord, avancer;mais n’entendant rien autouc.nbsp;de moi, je continual, amp; je me trouvai dansnbsp;un endroit qui prenoit jour a travers un ro-cher : Quoique la lumière n’y parvint qu’o-bliquement, Sc que je ne pufle voir Ic Ciel«nbsp;ma vue fut li agréablement affeftée de cesnbsp;rayons, que je me profternai pour remerciernbsp;l’Etre Suprème : Mes lampes étoient prés denbsp;leur fin; je regagnai mon cachot è la hdte. Lenbsp;jour fuivant, je me propofai de pénécrer plusnbsp;avant ; Lorfque je fus parvenu a 1’endroicnbsp;éclairé, je vis que la caverne fe divifoit ennbsp;plufieurs fouterrains; je choifis celui d’oü ilnbsp;me parut qu'il venoit le plus d’air, amp; je laif-fai une de mes mèches allumée, pour ne pasnbsp;m’égarer au retour , è 1’entrée de celui desnbsp;fouterrains qui conduifoit a mon cachot. Enfin ,nbsp;je fentis que le terrain s’élevoit en pentenbsp;douce, amp;, bientót , je me vis au grand jour.nbsp;Que la nature, toute inculte amp; fauvage qu’ellenbsp;eft en ces lieux, me parut belle! je ne vis,nbsp;au tour de moi, qu’un vafte défert; j’y au-rois fixé mon féjour, dès ce moment; maisnbsp;je craignis qu’on ne vint vifiter ma prifon ,nbsp;ce qui arrivoit trois fois l’année. Je revinsnbsp;done encore è mon cachot: J’attendis qu’onnbsp;eöt renouvelé mes provifions. Alors, je rallu-mes lampes pour la dernière fois; j’em-

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§2 nbsp;nbsp;nbsp;Hijloire

amp; des f^tes galantes. II fic connoiflance avee plufieurs Chevaliers, amp; leur propofa de voyager, avec lui, en Allemagne, amp; de parcouritnbsp;tous les pays dépendans de 1’Empire. II leutnbsp;arriva bien des aventures, dont on confervenbsp;encore la mémoire dans Ie pays. II ramecanbsp;fes compagnons de voyage en Flandre , oünbsp;ils Ie quiccèrent a regret; ils auroienc défirénbsp;de Ie fuivre, toute leur vie. Andolofio, aprèsnbsp;avoir traverfé Venife, Florence amp; Gènes, re-.nbsp;prit Ie chernin de Famagoufte. En paflant dansnbsp;ces villes, il ht venir les Marchands dont ilnbsp;avoir enlevé les bijoux, lorlque, pour ravoirnbsp;fa bourfe, il s’étoit déguifé en marchand joail-lier; il apprit que eet enlevement leur avoitnbsp;porté un préjudice confidérable ; II leur paysnbsp;non feulement leurs pierreries Ie double denbsp;ce qu'elles valoient, mais il les indetnnifa denbsp;tout ce qu’ils avoient perdu, en difcontinuanCnbsp;leur commerce.

Enfin, Andolofio arriva è. Famagoufte; fou frère, qui ne 1’attendoit pas, 1’accabla de ca-refles. Ampedo, qui, depuis iong-remps, n’a-voit pas re9U de ihs nouvelles, craignoit qu’ilnbsp;ne lui füt arrivé quelque malheur. Pourquoi»nbsp;lui difoit-il tendrement, ayant Ie chapeau amp;nbsp;pouvant me raflurer, d’un moment a l'aurre,nbsp;me laiflez-vous dans 1’inquiétude? Ah! monnbsp;frère, dit Andolofio , c’étoit pour vous ennbsp;épargner de plus grandes. Alors, il lui ra-conta tout ce qui lui étoit arrivé, amp; par quellenbsp;perfidie il avoit perdu la bourfe amp; Ie chapeau,

amp; de quelle adrefle il s’étoit fervi pour ravoir

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de Fortunatus, nbsp;nbsp;nbsp;83

1’un amp; 1’autre. C’en eft fait, ajouta-t-il, je renonce a ces funeftes préfens: Sans vous, jenbsp;n’aurois jamais tencé de les racheter par tantnbsp;de peines; vous n’en avez point encore joui,nbsp;il eft jufte que je vous les rende; il les remit a Ampedo, qui refufa la bourfe commenbsp;la fource de tous les malheurs qui étoient arrivés a fon père amp; a Andolofio, qui penfoitnbsp;bien différemment; car, après avoir fait-encore quelques inftances , il fut bien aife dunbsp;refus d’Ampedo. II lui laifla Ie chapeau, amp;nbsp;lui fit préfent de plufieurs coffres templis d’or.nbsp;Ampedo les re^ut comme une marque de 1’a-mitié de fon frère , fans y attacher d’autrenbsp;prix. II penfoit que les richefles contribuoientnbsp;peu au bonheur de 1’horome raifonnable, amp;nbsp;que, Ie plus fouvent, elles rendoient malheu-reux ceux qui les poffédoient.

Pendant qu’Andolofio fe plaifoit 4 répan-dre 1’or 4 pleines mains, a donner amp; a re-cevoir des fêtes, fon frère, plus fage, pro-fita du chapeau pour fe tranfporter dans rous les Jieux qui pouvoient lui offrir quelque phé-nomène de la nature: Du fommet du Caucafe,nbsp;il defcendoit dans les mines de la Dalécarlie;nbsp;11 franchit les mers, ne laifla aucun rochet,nbsp;aucun abyme des Alpes amp; des Pyrénées a par-courir. II eflc voulu pénétrer dans les caver-nes du Véfiive. Après avoir vu par lui-mêraenbsp;tout ce que la nature offre de merveilleux,nbsp;il voulut vérifier les faits les plus importansnbsp;de l’hifto re, pat les monumens qui nousref-tent de i’antiquité. Que de inenfonges, que

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de faufles traditions il découvrit! II vit» gémiflant, combien les beaux-arts avoie^cnbsp;dégénéré/ il en jugea par les ruines d’Atbe--nes, de Rome, de Perfepolis, de Palmyranbsp;amp; de tant d’autres villes, done il contempl^nbsp;les reftes majeftueux, quoique la plupart foientnbsp;enfevelis fous l’herbe. Par-tout il s’aper-fut que Pefpric amp; 1’orgueil avoientnbsp;plus de mal au bon godt, que 1’ignorance amp;nbsp;la barbarie; car il penfoit qu’il valoit misu^nbsp;laifler anéantir les arts, que de les faire fervifnbsp;è défigurer la nature- II remarquoit qu’ü^nbsp;avoient eu, par-tout, amp; dans tous lesfiècles»nbsp;la même progrefiion amp; la même décadeneejnbsp;que ces fiècles d’ignorance avoient précédé Rsnbsp;fiècles du génie, que ceux-ci avoient été fuivisnbsp;par les fiècles de 1'efprit, amp;, enfin, par celuinbsp;des Philofophes : Ce n’efl: pas que la Philofo-phie n’étincèle dans les beaux ouvrages d’Ho'nbsp;mère, de Virgile, d’Horace; mais on voulutnbsp;la dépouiller de tout ornement; on fe déchainanbsp;contre la poéfie amp; 1’éloquence ; La Philofo-phie perdit prefque tout fon prix, dés qu'onnbsp;la vit toute nue : La Sculpture, la Peinture,nbsp;la Mufique, éprouvèrent les mêmes difgraces;nbsp;1’efprit voulut ajouter è la nature, amp; il la gamp;ta.nbsp;Ampedo vit que la corruption des moeurs avoicnbsp;entrainé la decadence des arts. II parcourutnbsp;tous les peuples amp; tous les climats : II vitnbsp;les pays des plus grands Héros amp; des hommesnbsp;les plus célèbres, peuples d’hommes liches amp;nbsp;vils, chérilïant leur ignorance amp; leurs pré-jugés. Il déplora l’inllabiUté des chofes hu-


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de Fortunotus. nbsp;nbsp;nbsp;85

Blaines. Tel éroit Ie parti qu’Ampedo tiroit de Ibn chapeau.

Son frère alia a la Cour deChypre, Ie Roi Ie re9Ut avec bonté, amp; lui fit raconter fesnbsp;^ventures; il cacha routes celles oü Ie chapeau avoir eu la meilleure part; il auroit éténbsp;faché que quelqu’un en eüt pu deviner la vertu.nbsp;Lorfqu’il en vint a l'hiftoire d’Agripine, ilnbsp;Cut foin de ne pas prononcer Ibn nom, ennbsp;9uoi Ie hafard k fervit mieux que la prudence; car Ie Roi de Cliypre vouloit marier Ibnnbsp;fils a cette Princefle; il en demanda des nou-Velles a Andolofio : II avoir oui dire qu’ellenbsp;avoir quitté la maifon paternelle; il voulutnbsp;en favoir la caufe, paree que Ie Roi faifoicnbsp;plus de cas de la vertu de l’époufe qu’il vouloit donner d Ibn fils, que de la royauté quenbsp;la Princefle devoit porter a fon mari, Andolofio rafiura Ie Roi fur cette fuite; elle n’anbsp;été caulée, lui dit-il, ni par aucun enlève-nient, ni par aucune paflion qui puifle porter lanbsp;inoindre atteinte a 1’honneur de cette Princefle : Comme je 1’ai vue, amp; que j’étois étran-ger, elle m’a confié fes peines fecrettes.

La Reine, fa mère, vouloit la marier a un Prince qu’Agripine détefloit; elle étoic,nbsp;tous les jours, expofée aux plus raauvaisnbsp;traitemens; on la forgoit a Ie recevoir; onnbsp;étoit fur Ie point de Ie lui faire époufer. J’a-Vois cru, d’abord, qu’elle ne Ie refufoit quenbsp;par caprice, ou, peut-être, paree qu’elle avoitnbsp;dans Ie cceur quelqu’autre inclination; la Princefle voulant que j’en jugealie par moi-même.

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me donna une oommiflion pour lui .* Je Ie vis» jamais la nature n’a produitrien d’auffi affreux*nbsp;II eft des boflus, mais, Sire, vous n’en ave®nbsp;jamais vu de femblables; fa bolle, qui,nbsp;devant, eft de niveau avec fon nez, lui 1'^''’’nbsp;d’oreiller par derrière ; de forte que fa têtenbsp;paroit enfoncée dans un croiflant; eet êtrSnbsp;fingulier eft foutenu par deux colonnes tout »nbsp;fait torfes, portées fur des bafes qui fe croi-fent en raarchant. Son caraótère eft encorenbsp;plus hideux que fa figure, amp;, quoique fai’^nbsp;efprit, il eft ie plus méchant des hommes :nbsp;Voila Ie moiiftre a qui 1’on vouloit donnetnbsp;Agripine : II eft neveu du Roi amp; allié dlt;5nbsp;la Reine, amp; c’eft afin de perpétuer Ie trónSnbsp;dans la familie, qu’on vouloit faire ce ma-

riage-

Andolofio n’en impofoit point au Roi 1 étoit vrai qu’on avoit projeté ce mariage, amp;nbsp;que la Princelie avoit dit qu'elle n’y confen-tiroit jamais; mais les mauvais traitemens dffnbsp;la Reine étoient fuppofés. Andolofio, qui avoftnbsp;tout lieu d’efpérer qu’Agripine changeroit apnbsp;convent, amp; qu’elle deviendroit une Princeflsnbsp;bonne amp; vertueufe, digne de porter la cou-ronne amp; de rendre fes fujets heureux, ne vouloit lui donner aucun tort. Vous jugerez»nbsp; Sire, continua-t-il, de la méchanceté de cenbsp;,, Prince, par les moyens qu’il a pris pournbsp;,, forcer la Princelie a lui donner la main. Nenbsp; pouvant réuffir par fes calomnies a Ia dif-j, famer auprès des Princes qui pourroient lanbsp;^ demander, U a a les eo dègodter. Je

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de Tortunatas. nbsp;nbsp;nbsp;8?

^ Tie fais par quel fecret diabolique il a en-n chanté deux pommes, qu’il a fait acheter i » la Princefle, comme par hafard; a peine lesnbsp;« a-t-elle eu mangées, que deux cornes, plusnbsp;it grandes que celles de la plus forte chèvre, luinbsp;9} ont poufl’é fur Ie front.

A ces mots, Ie Roi de Chypre fit une figne fifindignation, amp; dit qu’il ne confentiroit ja-fiiais que fon fils épousêt une Princefle qui au-ïoit une telle infirmité, „ Elle ne 1’a prefque plus,nbsp;«reprit Andolofio. Un habile Médecin s’eftnbsp;« chargé de laguérir, amp;, en trois jours, ilavoitnbsp;«fait difparoitre les trois quarts des cornes,nbsp;«lorfque ce Médecin, féduit, fans doute, parlenbsp;« méchant Prince, a difparu. Ses cornesétoient,nbsp;« amp; font encore un fecret pour toute la Cour,nbsp;«excepté pour rooi : Agripine a gardé Ie licnbsp;« depuisqu’elle s’apenjut de fon incommodité,nbsp;«jufqu’au jour qu’elle partit pour fon cou-« vent. Ce fut moi qui 1’y conduifis, il y anbsp;« environ un an; car, quoique fes cornes foiencnbsp;«bien diminuées, elle n’a, cependant, pasnbsp;„voulu les monrrer a la Cour de fon père,nbsp;« amp; je puis vous aflurer, Sire, qu’elle eft ado-« rée dans Ie couvent oü elle eft „. Ses cornes reftent touj'ours, reprit Ie Roi, amp; ce mal-lanbsp;me parolt fi bizarre, que je n’itnagine pointnbsp;qu'aucun Médecin veuille en tenter la gué-rifon; je ne hafarderai pas de la demander pournbsp;mon fils, c’eft un point décidé. Mais, Sire,nbsp;continüa Andolofio, fi je vous réponds, furnbsp;ma vie, que la Princefle fera guérie pour tou-jours, amp; que VOUS n’en ferez la demand®


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que lorfque vos Ambafladeurs vous en aurob^ bien alïuré! Oh l je Ie délire, dit Ie Roi»nbsp;maisje ne 1’efpèrepas. Eh bien! Sire,j’ainbsp;trouvé Ie Médecin, jelui ai donné une fomih®nbsp;confidérable, amp;il m’a promis de guérir radica'nbsp;lenient Agripine , a condition que je Ie ms-nerois dans quelque Royaume étranger, po^rnbsp;Ie fouftraire a la fureur du Prince boflu ”nbsp;eil a Londres, j’ai fon adreffe, amp; je vais 1^^^nbsp;dépêcher un exprès, avec la moitié de la fominsnbsp;quejeluiai proinife, étant convenu avec l^inbsp;que je ne lui donnerois le refte qu'aptèsnbsp;guérifon. Le Roi confentit a tout; Andolofionbsp;prétexta, pour le lendemain, une affaire pref'nbsp;lante , amp; fut trouver fon frère, d qui ilnbsp;manda le chapeau, pour un jour feulemeot:nbsp;Atnpedo le lui prêta avec plailir. Andolofi^nbsp;le mit fur fa tête, amp; fe rendit a la portenbsp;couvent. II fit venir I’Abbeffe, amp;, commenbsp;y avoit un an révolu qu’Agripine étoit eO'nbsp;trée, il prit pour prétexte qu’il venoit payernbsp;fa penfion. II demanda fi 1’on étoit conteornbsp;d’elle dans la Communauté; 1’Abbefle fit 1®*nbsp;plus grands éloges de la bonté amp; de ia douceur de fon caraétèreil n’y avoit ni R®'nbsp;ligieufe , ni Penfionnaire, qui ne rechercliutnbsp;fon amitié , amp; il n’y en avoit aucune qui h®nbsp;crüt avoir la préférence; fon efprit, déja for^nbsp;cultivé , s’étoit orné par la leéture , qu’eh®nbsp;aimoit beaucoup ; la triftefle 1’avoit un pe^nbsp;gagnée dinsle commencement; fes corapagu^/’nbsp;ajputa 1’Abbefie , ont mis tant d’étude a 1’^'

öiufer, qu’elle s’eft livrée a l’enjouement '

plus

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de Fortunatus. nbsp;nbsp;nbsp;89

plus aimable; un jour, en jouant, elle a voulu lavoir Teftec que faiföieuc les cornes, elle ennbsp;^ fait d’artificielles, Si les a pofées fur la cétenbsp;d’unejeiinepenfionnaire, qui, non feulement,nbsp;s’efl; prêtée a ce badinage, mais qui a folli-uité la préférence. Le lendemain, chacune ennbsp;particulier eft venii prier Agripine de lui fairenbsp;des cbrnes, routes en ont mis, amp; c’eft, au*nbsp;jourd’hui , la parure a la mode dans le cou-rnbsp;Vent. Andololio étoic au comble de la joie;nbsp;il deiïimda a voir Agripine, elle vint, d’unnbsp;^ir modefte amp; riant, elle témoigna beaucoupnbsp;de plaifir de le revoir. Andolofio n’avoit pasnbsp;^ntièrement oublié fon ancien amour, amp; ilnbsp;repentit prefque d’avoir donné fa parolenbsp;Roi de Chypre ; mais, craignant d’être encore la vidime de fa paffion, il la combattit amp;nbsp;fe dompta: II demanda a 1’Abbefle la permiffioanbsp;deparler en particulier a Agripine. Vous voyez ,nbsp;lui dit-il, que je ne vous oublie point; ccnbsp;'lu’on vient de me dire de vous, me fait au-ïunt de plaifir que fi vous étiez ma fille ; Convener, Agripine, qu’il eft bien plus doux,nbsp;plus fatisfailant pour foi-méme, d’être bon,nbsp;Jufte, populaire amp;:vertueux, que de fe livrernbsp;^ Porgueil,, qui nous rend odieux aux autres,nbsp;^ fouvent ridicule a tios propres yeux.' Si vosnbsp;Gorges vous étoient enlevées, feriez-vous en-core vainej,'médifatitev'comhie Vous 1’étiez?nbsp;l^Uïdon, fi je vous parle librement des défautsnbsp;vous n’avez plus. J'ignore ce que je de-Vieudrois, dir Agripine; car on ne peut pasnbsp;tpondre de foi: .Ces ïéflexioiKs gt; que j'ai faites,

jü:

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90 nbsp;nbsp;nbsp;Hiftoire

. nbsp;nbsp;nbsp;r

m’ont convaincue'qu’il n’y avoit rien a g*' gner d’étre méchant; j’ai exatniné ma con*nbsp;duite pafl’ée , furcout celle que j’ai tenue avecnbsp;vous, j'en rougis; mais je n’ai fait que la rnoJ-tié du mal; s’il étoit permis d’accufer fesnbsp;rens, voiis verriez que je ne fuis pas tout a fai*-aufli coupable que je vous 1’ai paru. Je J’®nbsp;veux, pourtant point m’excufer, j’ai mérit®nbsp;l’affreufe vengeance que vous avez tirée d®nbsp;moi; je n’en ai aucun reflentiment, pi^^^nbsp;qu’elle a tourné a mon avantage : Je délireroiSnbsp;bien, cependant, d’etre délivrée de ces mauquot;nbsp;dites cornes; car, enfin, Ie tróne de moonbsp;père m’appartient, amp; comment y monter»nbsp;dans 1’état oü je fuis? Vous y monterez ^nbsp;vous joindrez un autre Royaume au vótre*nbsp;dit Andolofio; je ferai, dans peu de jours»nbsp;difparoitre vos cornes; il lui apprit qu’iinbsp;ménageoit un mariage avec Ie Prince de Chyquot;nbsp;pre, jeune-hom me, dont la beauté ne pouvoirnbsp;étre comparée a celle d’aucun des Princes def-tinés a re'gner', amp; dont Ie caraélére étoi^nbsp;auffi beau que la figure: II lui répéta fa con-verfation a.vec Ie Roi de Chypre, amp; I’e^,quot;!nbsp;gagement qu’il avoit pris de la guérir, ce qu'*nbsp;Ie promettoit d’elfeduer' inceflamment.nbsp;Princefle auroirvoulu que c’eutétédans Ie naotnbsp;ment pil n’avoit pas ce qu’il lui falloit; Ünbsp;fecommanda ie plus-grand fecretyamp; ]a ranten®nbsp;a l’Abbefle. Agripine fenroit plus que de 1*nbsp;reconnoiflance pour ^Li^dolofio; elle nenbsp;s’empêcher de Ie regarder avec un certain ut-tendriflementj dtte concevoit: moins que

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de Fortunatus.

maïs comment elle avoir pu avoir Ia foiblefle de fe prêter aux manoeuvres de fes pareus,nbsp;pour lui enlever la bourfe; ce fouvenir 1’hu-milioit; enfin, elle ne put quitter Andolofio,nbsp;fans lui demander mille fois pardon du malnbsp;qu’elle lui avoir fait; elle Ie quitta la larmenbsp;a l’oeil. Ah! quel coeur, difoit-elle en elle-mêrae. Quoi! eet étranger, qui avoit faitnbsp;gagner a mon père la vidloire la plus com-plette, que j’ai trompé fi indignement; quenbsp;mes parens amp; moi avons vu dans la plusnbsp;grande mifére, fans lui donner aucun fecours,nbsp;après Tavoir dépouillé de fa fortune; que monnbsp;père eüt, peut-être, fait périr, fi fon obfcu-rité ne 1’eüt dérobé a notre ingratitude; cenbsp;même homme, qui pourroit, avec les moyensnbsp;qu’il a, mettre des armées fur pied, détró-Her un Roi dont il n’eft point Ie fbjet, amp;nbsp;qui a violé, par la plus infame des injuftices,nbsp;les droits les plus facrés de 1’hofpitalité, ceintnbsp;mon front d’un double diadème! Ah, Andolofio , puille 1’époux que tu me deftines, nenbsp;t,eflembler qu’a toil

Cependant, Andolofio étoit revenu k la Cour du Roi de Chypre; il aliura qu’ii avoitnbsp;envoyé un exprès au Médecin, amp; que, dansnbsp;peu, Agripine, guérie, feroit rendue a fonnbsp;père : Quelques jours après, il inftruifit fonnbsp;frère de tout ce qui fe paflbit; il lui rede-manda Ie chapeau, pour aller chercher desnbsp;Pommes du défert. Ampedo eüt défiré y allernbsp;lui -même; mais Andolofio lui fit remarquernbsp;Is danger auquel il s’expoferoit, fi, par ha-,

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fard, il ne trouvoit que Iff pominier qui venir des cornes. Andolofio partit, amp; protnitnbsp;a fon frère de lui porter de ces pommes fin*nbsp;gulières. II n’eut qu’a défirer, amp; il fe trouvanbsp;dans Ie défert; il vit plufieurs pommiers,nbsp;il ne favoic quel étoit celui dont il cher-choit Ie fruit; après avoir long-temps délibéré,nbsp;il mangea une pomme, qu'il prit au hafard;nbsp;auffi-tót fon front fut ombragé de deux coriiesnbsp;plus belles que les premières; il courut a unnbsp;autre arbre, mangea encore une pomme, amp;nbsp;deux petites cornes poufférent, aulli-tót, aunbsp;deflbus des grandes : II fut effrayé de cettenbsp;feconde épreuve; il n’ofoit plus en manger:nbsp;II fe détermina k la fia; mais les deux premières cornes fe fendirent amp; en formèrentnbsp;quatre. Andolofio commengoit a s’inquiéter,nbsp;il n’ofoit plus cueillir des pommes; enfin,nbsp;il fe refibuvint de Thermite; il défira d’êtrenbsp;tranfporté a fa celluie. Le bon vieillard Ienbsp;revit avec plaifir, en allant cueillir, avecnbsp;lui, les pommes ialutaires, Andolofio lui ra-conta tout ce qui lui étoit arrivé, depuis qu’ilnbsp;ne 1’avoit vu, amp; le motif de fon arrivée ’•nbsp;Mon fils, lui dit Thermite, vous auriez mieuXnbsp;fait de refter dans ce défert; votre bourfe»nbsp;dans peu , vous fera fatale : Pldt a Dieu quenbsp;vous ne Teuffiez jamais retrouvée! II en ellnbsp;temps encore, allez guérir la Princefl'e , amp;nbsp;revenez avec moi. Andolofio lui répondit :nbsp;Mon père, je fens que je ferois beaucoupnbsp;mieux, mais je ne puis m’y réfoudre : Eh,nbsp;que deviendrois-je, dans cccte folitude, avec

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ie ‘Fortunatus.

les paffions qüe Ie ciei a mifes dans mon lein i Vous feriez vos efforts pour les dompter , reprit l’hermitejj’en aieu jcommevous, j’enfuisnbsp;venu a bout; j’ai eu des combats terribles anbsp;livrer, Ie plaifir de la viftoire m’a bienpayénbsp;de mespeines. Cette fatisfaftion n’eft que pournbsp;vous, reprit Andolofio; car, de quel fecoursnbsp;étes-vous au monde ? Le ciel vous a-t-il faicnbsp;pouryêtre inutile? Convenez, monpère,que,nbsp;fi quatre hermites comme vous fuflent venus,nbsp;dans ce défert, avec autant d’époufes, depuisnbsp;ie temps que vous y êtes, ces lieux feroient cul-tivés; vos enfans s’y feroient établis; ils au-roient élevé des temples au créateur, vousnbsp;leur auriez infpiré vos principes amp; vos ver-tus, amp; vous vous féliciteriez, aujourd’hui, d’etre le Patriarche d'une peuplade nombreufe.

L’hermite foupira, amp; dit: Ah ! mon que venez-vous de me rappeler? J’ai eu lenbsp;bonheur d'être père : Jeune, dans 1’Sge desnbsp;paffions, je fcrmai les plus beaux noeuds dunbsp;monde. J’époufai la femme la plus belle amp;nbsp;la plus vertueufe : Le ciel bénit notre ma-xiage; fix enfans rendirent notre union encorenbsp;plus douce; nous les élevions nous-mêmes,nbsp;nous nous félicitions de les voir croitre ; lenbsp;Roi d’Angleterre, le père de celui qui règnsnbsp;aujourd’hui, entreprit de réunir 1’Irlande itnbsp;fes états. II attendit la mort de notre Roi,nbsp;amp;, pendant 1’interrègne, il vint, a main ar-mée, nous fommer de recevoir fes lois: L’Ir-laudois eft né fier; la nation fit ferment denbsp;fe foumettre qu’au Roi qu’elle fe choifi-

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roit elle-même. Ce ferment fut Ie ilgnal d'une guerre funefte : Les Irlandois ne fe foumirenCnbsp;pas, ils défendirent Ie fang de leurs Rois amp;nbsp;leur liberté ; II eft vrai que routes les villesnbsp;des frontières d’Irlanda furent palfées au filnbsp;de 1’épée. Ün Général Anglois avoir vu manbsp;femme, amp; en étoit devenu amoureux ; ilnbsp;projeta de 1'enlever; elle en fut avertie, amp;nbsp;jne Ie dit : J'avois des amis, je les raflem-blai; ils me promirent tons de fe joindre anbsp;moi; cependant, pour plus de fureté/je mönbsp;propofai de la cacher chez une de fes parentes ; II falloit traverfer un bois, je la con-duifois; un de mes amis marchoit devant nous,nbsp;un autre nous fuivoit. Le'premier vint nousnbsp;avertir qu’on marchoit a nous; auffi-tót dixnbsp;Cavaliers nous entourèrent; mes deux amisnbsp;perdirent la vie en nous défendant; je fusnbsp;dangereufement bleüe; j’entrainai ma femmenbsp;dans ma chute; nous nous tenions embralies;nbsp;les barbares 1’arrachèrent de mes bras amp; lanbsp;conduifirent au Général; elle lui échappa , S*nbsp;la crainte lui prétant des ailes, elle fe perditnbsp;dans 1’épaifieur du bois. Le ravifleur crucnbsp;qu’elle reviendroit chez elle, il fit inveflirnbsp;ma maifon; un de mes parens, qui paflbit,nbsp;par hafard , -me rencontra , noyé dans monnbsp;fang; il me fit emporter chez lui; je croyoisnbsp;ma femme entre les mains du ravifleur, jenbsp;voulois mourir : On me dit qu’elle lui avoicnbsp;échappé, je fus plus tranquille; dans peu denbsp;jours, je fus guéri de ma blefl’ure; je revinsnbsp;chez moi, je trouvai les portes ferraées; un

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damp; Fórtunatus.

fecret prèflentiment me rendoit immobile, j’enfonce : Dieux, quel fpedade! je trou-vai Ie ravifleu): amp; ma femme écendus dans leur’nbsp;fang, l’un a cóté de i’autre; elle, ayarit unenbsp;épée dans fon fein, amp; la tenant dans Patdtiidenbsp;d’une femme qui s’eft poignardée; lui, avecnbsp;Une large bleflure dans Ie flanc, mais dans lanbsp;pofture d’un homme qui avoit fait des effortsnbsp;pour facisfaire fa pafiion; cinq de mes enfansnbsp;avoient été égorgés, ou écrafés centre Ie mur;nbsp;Ie fixième, qu'on avoit cru mort, refpiroitnbsp;encore; il m’appela d’une voix mourante ; jenbsp;courus a lui; c’étoit Ie plus Sgé, il avoit buitnbsp;ans ; Je n’avois ni la force de pleurer, ninbsp;celle de parler, l’horreur de ce fpedtacle feranbsp;toujours préfente a ma mémoire. Mon fiis menbsp;dit que Ie rroifième jour que j’érois forti avecnbsp;fa mère, elle étoit rentree, fort inquière denbsp;ce que j’étois devenu; que, Ie lendemain,nbsp;un foldat étoit entré, s’écoit adrefl'é a lui,nbsp;pour demander oü étoit fa mère, amp; qu’il luinbsp;avoit répondu qu’elle étoit abfente; que , fansnbsp;doute, il 1’avoic apergue, car eet homme,nbsp;ajouta-t-il, en me montrant Ie cadavre dunbsp;Général, vint Ie foir raême: II paria long-terops avec ma mère, d'abord, avec beaucoupnbsp;de douceur; ma mère pleuroit amp; vouloit toujours Ie faire fortir; enfin , il entra en futeur;nbsp;elle pleura encore plus fort; il la renverfa anbsp;terre: Elle faifit fon épée amp; menaqa de fe roer,nbsp;il fe mit è rire, amp; courut a elle pour la luinbsp;arracher ; Ma mère, qui étoit au défefpoir,nbsp;amp; qui s’étoit relevée, l'attendit, amp; lui porta

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nn coup dans Ie cóté; il ne fit qu’un cri amp; tomba mort : Ma mère étoit fort inquicte;nbsp;elle m’envoya de tons cótés. pour cherchefnbsp;du fecours, je ne trouvai perfonne; je visnbsp;Je méme foldat qui étoit venu Ie matin ^nbsp;il étoit avec cinq autres; ils me deroan-dèrent fi j’avois vu leur General; je leur ré-pondis qu’il étoit venu a la niaifon, amp; qu’ilnbsp;s’en étoit retourné; ils s’en allèrent ; Je re-¦yins, il étoit nuk, ma mère ferma les powrey»nbsp;efpérant toujours de vous voir arriver, ounbsp;quelqu’un de ceux chez qui j’avois été, L®nbsp;lendemain, dès que Ie jour parut, ces mêtnssnbsp;foldats, que j’avois vus la veille, enfoncèrencnbsp;la porte ; nous ne nous étions point couches;nbsp;En voyant leur Général mort, ils devinrentnbsp;furieux ; 1’un d’eux battit ma mère; nousnbsp;nous mimes a genoux pour lui demander grS-ce, mais il prit mon frère, Ie plus jeune, amp;nbsp;I’écrafa contre la cheminée; ma mère jeta denbsp;grands cris, un autré foldat fe mit a 1’embraf-fer; elle tomba a cdté du Général, auprèsnbsp;duquel, par malheur, étoit fon épée ; elle lanbsp;prit, fans que Ie foldat s’en apergtit, amp; fe tua;nbsp;mes frères amp; moi, nouscefllmes de pleurer,nbsp;nous nous mimes a les frapper ; mals ils totn-bèrent fur eux amp; les maflacrèrent, 1’un aptèsnbsp;1’autre; quand mon tour fut venu , jenbsp;jetai fur le corps de ma mère, en difant quenbsp;je voulois mourir avec elle ; Ils m’en arra-chèrent, amp; me jetèrent par la fenêtre : Je ref-tai long-temps évanoui : Quand je fus revenunbsp;M mon évanouiflement, j’entendis ces foldats

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de Fortunatus.

qui remontèrent a cheval, amp; qui paffèrent au-près de moi. Lorfque je corapris qu’ils étoient bien loingt; je me trainai ici; car je ne pus jamais me fbutenir. J’allai vers ma mère; toucnbsp;fecours étoit inutile, tous mes frères étoientnbsp;morts; quatre jours fe font pafles depuis cenbsp;maflacre; je n’ai relienti mon mal que Ie fe-condj'je fouffre des douleurs mortelles auxnbsp;jambes amp; k la tête. Le pauvre enfant! fesnbsp;deux jambes étoient cafl'ées, S^ il avoit unenbsp;plaie énorme a la tête. Chaque mot, chaquenbsp;circonftance de 1’horrible récit qu’il me fai-foit, avec une ingénuité qui le rendoit plusnbsp;affreux encore, me déchiroient le cteur; j’é-tois réfolu de mourir, j’allois de cadavre ennbsp;cadavre , arrofant 1’un de larmes, couVrancnbsp;1’autre de mes baifers , maudiflant 1'infamenbsp;auteur de tant de maux, amp; revenant toujoursnbsp;auprès de ma raalheureufe époufe. Deux denbsp;nos parens arrivèrent ; je ne les apercevoisnbsp;point; mon Ills, en les voyant, fit un cri,nbsp;croyant, fans doute, que c’étoient encore fesnbsp;bourreaux ils vinrent a moi : Je leur répé-tai ce que mon fils venoit de me dire. L’unnbsp;m’arracha de ce lieu d’horreur, amp; m’entrainanbsp;dans une chambre voifine ; 1’autre alia cher-cher du fecours; il envoya un Chirurgien knbsp;mon fils; le Chirurgien défefpéra de fon état;nbsp;la plaie de fa tête étoit mortelle. Les foldatsnbsp;avoient tout enlevé, on le tranfporta dansnbsp;'me maifon voifine ; les foins qu’on prit denbsp;lyi ne firent que hkter fa mort, qui arriva lenbsp;'^rnquième jour. Que j’ai fouvent regrecté de

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^8 nbsp;nbsp;nbsp;Hijïoire

ne m’ècre point trouvé chez moi lots de eet horrible attentar! du moins, fi je n'avois P'^nbsp;défendre ma femme amp; mes enfans^-arjroiS'jsnbsp;eu Ie bonheur de mourir avec edx; ilf cielnbsp;ne l’a pas voulu. II me réfervoit a cette épreuve-On m’arracha de ma maifon , amp; iWi fic en-terrer route ma malheureufe familie a mobnbsp;jnfu. Le corps du General fut envoyé en An-gleterre, avec le récit circonftancié de toutnbsp;ce qui s’étoit pafle. Le Roi en fut informé»nbsp;il flétrit la mémoire du Général, fit chet-cher les fix foldats, amp; ordonna qu’on lesnbsp;périr fur uu échafaud ; Pour moi, déplorantnbsp;mon malheur, je réfolus de quitter pour tou-jours le commerce des hommes, que je re-garde comme 1’efpèce la plus cruelle amp; la plusnbsp;dangereufe de tous les animaux ¦, je vins dansnbsp;ce défert, oü je conferve le fouvenir des ver-tus de mon époufe, amp; oü j’invoque mes enfans.

Pendant le récit de 1’hermite, Andolofio avoit mangé les pommes falutaires, amp; fa têtenbsp;étoit revenue dans fon état naturel ; il patquot;nbsp;tageoit 1’afflicflion du vieillard , il comparoitnbsp;fes maux avec ceux que le Roi d’Angleterrenbsp;iivoit fait éprouver a ce père infortuné, amp;nbsp;il trouvoit les fiens bien légers. Je ne con-damne plus votre retraite, lui dit-il, ilnbsp;des pertes dont oh ne fe confole jamais;nbsp;n’approuve, cependant, pas la haine que vousnbsp;avez congue pour refpèce humaine ; ilnbsp;dés ames atroces, fans doute; mais quel plusnbsp;beau fpedacle, que celui d’une ame oü règnent:nbsp;la paix amp; la vertu ? Vos généreux amis, qui

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font morts pour votra défenfe; votre époufe, qui a préféré la mort a la honte ; ce pauvre enfant , fe trainant fur fes mains vers Ie cadavrenbsp;de fa mère, amp; 1’embraliant, ne font-ils pas des,nbsp;objets capables de vousréconcilier avec Ie genrenbsp;humain? L’hermite en convint, amp; lui avouanbsp;que toute fa haine s’étoit tournée contre Ienbsp;vice, amp; qu’il avoit toujours prié Ie ciel de toucher Ie ccEur des meurtriers de fon époufe. An-dolofio protnic è l’hermite de Ie yenir voirnbsp;encore : Je Ie délire, reprit l’hermite, je nenbsp;l’efpère pas; je ne fais quel preflentiment menbsp;fait vous quitter a regret. Andolofio parutnbsp;étonné ;il pritcongédu vieillard, amp;partit,avecnbsp;tin panier de pomraes, comme Ia première fois.

De retour au couvent, Andolofio prit une des pommes falutaires, amp; demanda Agripine.nbsp;je vous tiens ma parole, lui dit-il, mais tinbsp;condition que vous remplirez' la promeife que,nbsp;Vous m’avez faite, d’aimer la veriu , d’etrenbsp;jofte, de protéger les inforiunés, amp; de tra-Vailler au bonheur de vos fujets. Que puisje vous promettre, lui répondit-elle ? Je n’ainbsp;jamais été Reine; je fais que je défire de fairenbsp;Ie bien ; fi , par malheur, 1’état que vous m’an-noncez, m’éblouiflbit au point de changernbsp;fa^on de penfer, i quoi ferviroit Ie fer-inent que je vous ftrois, a ajouter Ie par-jure ‘i mes autres crimes. J'ai goüté la vertu,nbsp;j’en connois toute la douceur, amp; je feral mesnbsp;ctTorts pour la conferver toute la vie, amp; pournbsp;faire aimer aux autres; c’ell tout ce quenbsp;puis vous promettre : Andolofio fut en-

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chanté de fa réponfe. II lui donna une pooi-me, il lui en avoir expliqué les propriétés *, è peine 1’eüt-elle mangée, qu’elle fentit unenbsp;douleur de tête affez vive; elle s’aflbupitnbsp;moment fur fa chaife ; Andolofio la contem-ploit amp; la trouvoit plus belle que jamais;nbsp;n’eöt, peut-être, tenu qu'a lui de Penlever aunbsp;Prince de Chypre; mais il eüt manqué de parole a 1’un, h eut privé 1’autre de deux trónes.nbsp;II refpeéta fon ouvrage, amp; s’eftima plus heu-reux de l’avoir rendu vertueufe, que de lanbsp;pofféder. Agripine s’éveiila, palfa fa main furnbsp;fon front, amp; Ie trouva plus uni qu’il ne 1’a-voit jamais été : Elle fit un cri de joie, amp;nbsp;ne put s’empêcher d’embrafler Andolofio, ennbsp;1’appelant fon père : Difpofez de moi, luinbsp;dit-elle; ma main efi; a vous, fi vous ne lanbsp;dédaignez point: Je ne connois point Ie Princenbsp;de Chypre; c’eft un facrifice qui me coütenbsp;peu a vous faire; je renonce, pour vous, nonnbsp;feulement a fa couronne, mais encore a cellenbsp;de mon père, s’il s’oppofoit a notre union;nbsp;je préfêre la vertu a routes les couronnes dunbsp;monde. Non, belle Agripine, répondit An-dolofio en fe jetant a fes genoux; non, jenbsp;n’abuferai point de votre reconnoiflance; jenbsp;n’ai jamais cefl'é de vous aimer, amp; c’eft ce quinbsp;m’a rendu fi fenfible aux coups que vous m’a-vez portés; je vous aimois pour vous-même.nbsp;Rempliflez votre deftinée; Ie ciel vous ré-ferve deux trónes, afin que vous y donnieznbsp;l’exemple des vertus; je ferois coupable enversnbsp;tous les hoiiimes, fi je leur raviliuis un fi

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de Fortunatus, nbsp;nbsp;nbsp;loi

grand bien. Pardonnez-moi les chagrins que je vous ai caufés, vous voyez quel en a éténbsp;1’objec. Agripine ne put s’empêcher d’embraf-fer encore fon bienfaiteur, amp; de 1’appelernbsp;mille fois fon père. II lui dit d’aller fe paternbsp;Ie mieux qu’elle pourroit, amp; que, des cejournbsp;même, il la rendroit a fa familie; que, dès quenbsp;Ie Roi de Chypre feroit bien afluré de fa guéfi-fon, il enverroit des Ambaffadeurs pour la de-mander; amp; lui recommanda Ie plus grand fecret.

En attendant que la Princefle d’Angleterre t’habillat, Andolofio fit venir 1’Abbellè, amp;nbsp;s’entretint avec elle : 11 lui fit, au fujet desnbsp;cornes, a peu prés la même hiftoire qu’il avoirnbsp;faite au Roi de Chypre, fans lui pariet denbsp;fa guérifon, que 1’Abbelie défiroit, par amitiénbsp;pour elle; car elle n’étoit connue au couventnbsp;que pour la fille d’un Comte difgracié, amp; pro-che parente d’Andolofio. Tandis qu’ils étoiencnbsp;a s’entretenir, Agripine parut dans toute fanbsp;beauté: L’Abbefle fit un cri, en voyant qu’ellenbsp;n’avoit plus fes cornes; a peine pouvoir-ellenbsp;en croire fes yeux, elle y porta la main : Ellenbsp;crut que c’étoit un miracle ; elle fit avertirnbsp;toute la Communauié de venir au plus vite*nbsp;Toutes éprouvèrent Ie même étonnement amp;nbsp;la même joie; elle penfa être étouffée par lesnbsp;emhrafleraens des Religieufes amp; des Penfion-naires. Toutes demandoient comment, en finbsp;peu de temps, elle avoit pu être guérie. N’e»nbsp;foyezpoint furprifes, leur dit Andolofio, toutnbsp;eft poflible a Dieu ; c’eft lui qui nous en-voyeles biens amp;lesmaux, c’eft lui qui nous

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les enlève quand il Ie juge è propos. Agrlpioe. eft Priocefie amp; deftinée a régner; fi Dieu veillsnbsp;fiu- Ie dernier des êtres, il doit veiller, furtout,nbsp;fur les maitres de la terre, qui tiennent dansnbsp;leurs mains Ie fort des hommes. Je vais 1^nbsp;ramener a fes parens, amp;, avant qu’il foit unnbsp;mois, elle fera 1'époule du plus beau amp; dunbsp;plus vertueux Prince de la terre. A peinenbsp;eut-il cefle de parler, que les pleurs amp; les regrets de perdre Agripine fuccédèrent a la joienbsp;de fa guérifon : Elle les remercia , les con-fola, leur promit de fe fouvenir d’elles, quandnbsp;elle feroit fur Ie tróne, amp; leur dit même»nbsp;que celles qui voudroient venir auprès d’elle»nbsp;n’auroient qu'a Ie lui faire favoir; que, »nbsp;elles Ie défiroient, elle obtiendroit la permii-lion de faire transferer Ie couvent dans Ie pay®nbsp;oü elle alloit régner, pays charmant parnbsp;beauté de fa fituation amp; par la bonté du eb'nbsp;mat. Cet efpoir les confola; elles la viren'^nbsp;partir avec moins de regret. Andolofio fit pré'nbsp;fent de cent ducats a I’Abbeflè, amp; la remercianbsp;des foins qu’elle avoir pris d’Agripine; il re-mercia aulfi route la Communauté, ik dit qu’ilnbsp;alloit dépofer, entre les mains de cette Prin-ceile, dix mille guinées pour marier des Ds~nbsp;moifelles pauvres, amp; que, fi quelqu’une d’elle®nbsp;étoit dans Ie cas, 1’Abbeflé pourroic s’adref-fer a Agripine, qui donneioit telle partie denbsp;cette fomme qu’elle jugeroit a propos. Hnbsp;ïemarqua quelques-unes, qui fourirent, amp; gt; 5“nbsp;efiet, cette fomme fut, quelque temps apres,nbsp;partagée entr'elles.

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de. Fortunatas.

La Princeffe, a qui Andolofio donnoit la main, fortit du couvent. Lorfqu’ils furentnbsp;fur la prairie , 11 lui expliqua de quelle ma-nière elle devoir fe conduire dans Ie palaisnbsp;de fon père ; Elle lui réitéra les mêmes propo-fitions qu’elle lui avoir faites; il s’aper^utnbsp;qu’elle eür défiré qu’il les eüt acceprées; mais,nbsp;dans la crainre de iuccomber, il prit fon panier ó fon bras, mir fon chapeau, faifir lanbsp;Princefle, amp; défira d’être tranfporcé auprès dunbsp;palais du Roi : II la laifla la, amp; s’en retournanbsp;a Famagoufte.

CHAPITRE VII.

Phénomènes qui exercent ks Savans. Noccs du Prince de Chypre.

A MPEPO atrendoit fon frère avec impatience ;il Ie virarriver avec la plus grande joie; 11 ne put s’empêcher de rire, en Ie voyant,nbsp;avec un panier au bras. 11 admira la beauténbsp;des pommes; inais il n’ofoit en faire 1'expé-lience ; Andolofio, plus hardi, la fit devantnbsp;lui; Ie hafard voulut qu’un domeftique d’Am-pedo entrdt au moment ou Andolofio faifoitnbsp;examiner a fon frère la nature de ces cornes;nbsp;cejeune homme fut effrayé, amp; fortit aufli-tót,nbsp;difant, par-tout, ce qu’il avoir vu. Bientót,nbsp;Ié bruit s’en répandit dans Famagoufte, millenbsp;perfonnes vinrent pour s'aflurer du fait; An-dolofio, avoir mange dans 1’intervalle, la pom-

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me falutaire, amp;; les comes avoient difparu;

Ie préfenta dans fon état ordinaire, amp; Ie paUquot; vre domeftique pafla pour fol. Andolofio luinbsp;donna de quoi s’établir honnêtement, amp; 1®nbsp;renvoya cotntne un domeftique indifcrec amp;nbsp;parleur.

Aropedo ne voulut point faire un mauvais lifage de fes pommes ; mais il efiaya fi ellesnbsp;avoient Ie même effet fur les animaux»nbsp;n’ofoit cependant en faire 1’épreuve fur au-cun des fiens, de crainte que ce phénomèn?nbsp;ne confirmat 1’hiftoire de la veille i il alia ftnbsp;promenev dans une prairie ; il s’appiocha d’uunbsp;jeune poulain fans être aperpu', il lui jeta unenbsp;pomme, quftl mangea fur Ie champ. Ampedonbsp;fe retira, amp;, dès Ie lendemain, il entenditnbsp;dire, par-tour, qu’il étoit venu des cornes a lanbsp;téte d’un poulain; tout Ie monde alia voirnbsp;une chofe fi rare; Ampedo amp; fon frère y al-ïèrent amp; admirèrent, comme les autres, cettenbsp;bizarrerie de la nature. Ils propoférent au roai-tre du poulain de Ie leur vendre, amp; Ie payèrentnbsp;devanc tout Ie monde, afin qu’il fut bien aflurénbsp;qu’ils 1’avoient acheté, amp; que eet événementnbsp;n’étoit point arrivé chez eux. Ampedo con-tinua fes experiences fur des chiens, des chatsnbsp;amp; d’autres animaux, mais toujours chez ft*nbsp;Voifins. Ces phénomènes effrayèrent les uns»nbsp;faifoient rire les autres, amp; paroiflbient a toutnbsp;Ie monde fort extraordinaires : Les favans»nbsp;les curieux de la nature, s’aflemblèrent, amp; nenbsp;convinrent de rien : Andolofio propofa unnbsp;prix confidérable» amp; fit diftribuer un

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di Fortunatus.

gramme dans route TEurope, portant que Ic prix feroir donné a celui qui découvriroit parnbsp;quelles caufes ces cornes étoienc venues a cesnbsp;animaux, amp; par quels moyens on pourroitnbsp;les faire difparoitre, ü ce mal attaquoit l’ef-pèce humaine. II vint des diflertations fansnbsp;nombre; ie prix fut adjugé a celle qui met-toit la caufe des cornes dans Pextention desnbsp;nerfs produiis par une trop grande abondancenbsp;d’efprits animaux, amp; qui propofoit de lesnbsp;faire difjaaroitre, dans les hommes, par des vé-Ikatoires lippliqués a la plante des pieds.

¦ Andolofio laiffa palier quelques jours avant de revenir a la Cour du Roi de Chypre. Am-pedo s’ainufoit, tous les après-midis, a par-eourir Ie monde; comme il avoit un très-beau cabinet de curioiités naturelles, les cho-fes.rates qu’il rapportoit de fes voyages, nenbsp;jrcuvoient donn'er aucun foujagon fnr Ie fecretnbsp;du chapeau ; oh ctc^iVqü’il lés ach’.tèit eom-me auparavant : En effét, tour ce qu’il nenbsp;pouvoit porter, il Ie payoit fur les lieux, amp;nbsp;Ie faifoit envoyer a fon adrefle.

Lorfqu’il y eut un aflez long intervalle, Andolofio alia la Cour du Roi, amp; lui an-rion^a qu’il avoit appris la guérifon d’zlgri-pine, qu’il pouvoit envoyer fes Ambafladeursnbsp;pour s’en afllirer, amp; ne leur donnet Ie pou-voir de conclure qu'autant que la guérifonnbsp;feroit parfaite. Le jeune Prince, qui avoir entendu parler de la beauté amp; de 1’efprit de lanbsp;Princefié,pria, en particulier, Andolofio de luinbsp;^crire en fa faveur, amp; d’apporter tous fes

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foins a faire réuffir ce mariage. II avoir fa'*’ faire fon portrait, qa'il remit a I’Ambalia*nbsp;deur; il y joignit des prefens confidérables poti^nbsp;la Reine, pour le Roi amp; pour route la Cour-L’Ambafladeur partit avec une efcorte amp; de®nbsp;équipages magnifiques: A'ndolofio amp; le Prin^®nbsp;l’acc.ompagnérent jufqu’ii ce qu’il fe fut embat'nbsp;qué ; §1, deux jours après, Andolofio refU*-les certificats les plus authentiques de la pat'nbsp;faite gaérifon de la Princefle; c’etoit elle-nie-me qui les avoir fait faire amp; qui les lui avoRnbsp;adrefles pour les préfenter au Roi : Elle R*nbsp;marquoit, en même temps, I’effet que fon at-rivée avoir produit a la Cour d’Angleterre.

L’abfence de la Princefle avoir pafl'é pout un pélerinage a Saint-Pierre de Rome; ennbsp;vain le Roi avoit-il fait publier qu’elle s’é-toit retiree, pour quelque temps, dans un paquot;nbsp;lais, loin du rnonde amp; de la Cour; en vainnbsp;voulut-il pevfuad'er qtte-^’^toit lui-même quinbsp;la tenoit éloignée, paree qu’elle avoir marqué trop ouvertement fa protection a quel-ques rebelles d'lrlande; le peuple, qui avoirnbsp;eu quelque foup^on de la veritable caufe denbsp;fa retraite, mais qui, ,Be fachant qu’une trés-foible partie de la vérité, .méloit, felon I’u-fage, 1’abfurde amp; le vraifemblable, s’obftinoirnbsp;a croire que, lui étant furvenu une léptenbsp;affreufe, qui la défiguroic, elle avoir été aver-tie, en fonge, par Saint-Pierre en perfonne,nbsp;qu’elle ne guériroit que , lorfqu’apiès avoir taicnbsp;une neuvaine dans fon e'glife, elle iroit vi-fiter Notre-Dame de Lorecte. Ces bruits s’é-

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toient fi bien accrédités a la ville amp; a la Cour, qu’on ne témoigna aucune furprife,nbsp;lorfqu’elle reparut; Agripine, qui ne s'y at-tendoit pas, fut fort étonnée de voir Ie peu-plé a genoux fur fon paflage, amp; d'entendrenbsp;les Grands qui, dévots par flatterie, commenbsp;ils auroient été ivnpies pour faire leur cour,nbsp;lui demandèrent des reliques amp; des chapelets.nbsp;Elle crut, d’abord, qu’on avoitfu fon féjournbsp;dans Ie couvenc du défert, amp; cela ne 1’afFeiitanbsp;^ue médiocrement; mais elle fut déconcercé@nbsp;par les queftions qu’on lui faifoit fur la ba-fjlique, fur la Rotonde, fur Ie Colifée amp; furnbsp;IS’otre-Dame de Lorette. Elle demanda a fanbsp;inère ce qiie cela fgnifioit, amp; ajufta fes ré-ponfes au préjugé du public.

Elle avoit trouvé fon père amp; fa mère dans la douleur, amp; pouflant des cris de rage con-ire Andolofio; elle prit ouvertement fa dé-fenfe; elle loua fon honnêteté amp; fa bienfaifan-ce; leur dit hardiment que c’étoit a lui plusnbsp;Su’aeux, qu’elle devoit l’arnoür de la vertu;nbsp;elle leur raconta tout ce qu’il avoit fait pour elle ; que la feule vengeance qu’il eüt tirée de tantnbsp;de traits d’ingratitude qu’il avoit re^us en An-gleterre , étoit de l’avoir retenue dans unnbsp;couvent pendant dix-huit mois, amp; que c’étoit ce qui avoit pu lui arriver de plus heu-ïeux. Le Rol, qui étoit plus jufte que fonnbsp;dpoufe, fe repentit des mauvais traitemensnbsp;^u’il avoit faits a Andolofio; il envoya cher-cher le Prince boflu, amp; lui demanda quellénbsp;*^sttitude il avoit du bruit qu’il avoit répan-

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I ö8 nbsp;nbsp;nbsp;Uifioin

d«, qu’Andolofio ayant eu un enfant pine, 1’avoit enlevée, amp; qu’après s'en êtrSnbsp;laffé , il 1’avoit livrée a un de fes écuyers tnbsp;‘auquel elle tenoit lieu de maitrefle amp; denbsp;vante- Agripine fut indignée de cette horr^quot;nbsp;ble calomnie; Ie Roi vouloit Ie faire jno-*-felon la rigueur des lois, amp; il auroit eunbsp;tête tranchée; mais, a la follicitation de 1*nbsp;Princefle, il fe contenta de Ie condainnernbsp;«ne prifon perpétuelle, afin de lui óter tout®nbsp;occafion de nuire. Agripine fut bien aife d’^quot;nbsp;tre délivrée de ce monftre amp; des perfécutionSnbsp;de fa mère, a caufe de lui; quoiqu’elle n’eut^nbsp;jamais confenti a 1’époufer, elle craignoit qu’ünbsp;iie traverfdt fon mariage avec Ie Prince denbsp;Chypre.

L’Ambafladeur parut, enfin; Ie Roi ne com-prenoit pas quel pouvoit être Ie fujet d’une ambaflade fi magnifique; la Reine, qui avoiCnbsp;appris, de fa fille, qu’Andolofio étoit ^ Fama-goufte, craignit qu’il n’eüt excité Ie Roi denbsp;Chypre a déclarer la guerre ^ 1’Angleterre;nbsp;amp; que n’avoit-on pas a rifquer avec un Gé-néral tel qu’Andolofio ? Elle communiqua feinbsp;conjectures, en grand feeree, a quelques femmes de la Cour , qui Ie dirent, dans un plusnbsp;grand fecret, è leurs raaris, amp; , dans vingt-quatre heures, la guerre avec Ie Royaumenbsp;de Chypre fut Ie bruit public, amp; peu s’ennbsp;fallut que Ie peuple n'infultk 1’Ambafladeur.nbsp;Enfin , après un délai de deux jours, pendantnbsp;lefquels il avoit vu fecrettement la Princeflenbsp;amp; lui avoit doniié la lettre d’Andolofio gt; 1’Am-

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de Fortunatus,. nbsp;nbsp;nbsp;log

^afladeur préfenta au Roi fa lettre de crédit amp; demanda l’audience : Elle fut fixée au len-demain : Dans 1’intervalle , la Reine , quinbsp;frémiflbic (les coupables ont toujours devantnbsp;les yeux les fuites funeftes de leurs crimes),nbsp;fit tout ce qu’elle put pour favoir Ie vérita-ble fecret de Tambaflade ; routes fbs démarches n’aboutirent a rien.

L'Ambafladeur de Chypre, fuivi d’un Due, de deux Comtes, de plufieurs Chevaliers amp;nbsp;Êcuyers, fit la demande de la Princefle Agri-pine pour Ie Prince de Chypre. II infifta furnbsp;Ie défir que Ie Roi de Chypre avoir de cettenbsp;Union, amp; furie bonheur dont les fujets desnbsp;deux époux jouiroient. Si la vertu la plusnbsp;cprouvée eft la plus folide, celfe de la Princefle avoit été expofée a bien des écugils;nbsp;l’Ambafladeur fit fentir cette vérité dans fanbsp;harangue, mais fort adroitement. II fit 1’é-loge du Prince de Chypre. La Reine étoit d’unenbsp;grande inquiétude a ce fujet; 1’Ambafladeuenbsp;lui préfenta Ie portrait done il étoit chargénbsp;pour Agripine; elle Ie trouva très-beau, amp; lènbsp;fit remarquer au Roi. Andolofio, dit- elle anbsp;fa fille, vous a, fans doute , parlé ‘de ce Prince ; Ie portrait qu’il vous en a fait, eft-ilnbsp;conforme a celui que nous voyons ? Agripinsnbsp;De répondit rien ; L’Ambafladeur afliira Ie Roinbsp;^ la Reine , que , s’il y avoir quelque difference entre 1’original amp; Ja copie, elle étoitnbsp;toute a Pavantage du Prince, qui, n’ayantnbsp;P3s encore atteint fa vingt-quatrième année,nbsp;wniflbit a la beauté du corps les tulens d«


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, no nbsp;nbsp;nbsp;Hijïoire

1’efprit amp; les qiialités du coeur. Comme, ajott-tèrent-ils, ce ne font point des incérêrs pO' litiques qui fonc défirer ce mariage au Rolnbsp;mon maitre, après avoir eu Ie confenternentnbsp;du Roi amp; de la Reine d’Angleterre, il veut»nbsp;piour lui amp; pour Ie Prince fon fils, avoir celui de la Princefle, mais libre amp; dégagé denbsp;route contrainte. La Princefle 'baifla la vue»nbsp;amp; aflura 1’Ambafladeur qu’elle dépendoit uni-quement de la volonté de fon père amp; de 13.nbsp;rhèfe. Alors, Ie Roi amp; la Reine dirent que »nbsp;quoiqu'ils approuvaflent, amp; métne qu’ils dé-liraflent ce mariage, ils lui remettoient, néan-moins, tous leurs droits; que c’étoic a ellenbsp;a prononcer; Agripine dit que puifqu’ilsnbsp;1’approuvoient, elle confentoit a donner fanbsp;main au Prince de Chypre , dont elle eftimoitnbsp;les rares vertus. Cei aveu fut fuivi de grandsnbsp;cris de vive ylgripine , vtve /e Prince dinbsp;Chypre. Dès ce moment, Ie mariage fut ar-ïêté , amp;, Ie lendemain, les cérémonies d’u-fage furent faites.

On fe difpofa a nommer les Seigneurs amp; les Dames qui devoient accompagner la Princefle ; on intrigua, on cabala, on follicita eetnbsp;honneur, comme il arrive prefque toujours:nbsp;Ce choix dépendoit du Roi amp; de la Reine ;nbsp;ils confultèrent leur fille : Comme il y avoitnbsp;plufieurs perfonnes de diftinélion fur les rangSfnbsp;dont elle ne fe foucioit pas, elle profita denbsp;la connoiflance qu’elle avoit des intrigues denbsp;la cour , pour s’en débarrafler, fans les ex-clare. Elle forma la lifte des femmes, de route»

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celles dont les amans ne foient pas nomtnes, amp; celle des hommes étoic compofée de ceuxnbsp;dont les maicreüès ne devoient pas être dunbsp;Voyage. Dès que ces liftes furenc publiées,nbsp;Une confternation générale s’empara des femmes. Ellesfirent follicicer, fourdement, pournbsp;réfter, les unes fous prétexte d’affaires, lesnbsp;aucres a raifon de leur inauvaife fanté; ellesnbsp;propofèrent a leur place les femmes qu’A-gripine défiroit; pour les hommes, très-peunbsp;demandèrent a être remplacés.

Lorfque tout fut ainfi difpofé , Ie Roi fit préparer plufieurs vaifleaux, les fit charger denbsp;fiches préfens, amp; de route forte de provi-fions : 11 donna a Agripine les plus richesnbsp;joyaux , amp; une grande quantité de pièces d’é-toffes d’or; il fit des dons a routes les femmes de la Princefle, amp; la Reine en fit a tousnbsp;les hommes. Le Roi amp; la Reine accompagnè-fent Agripine jufqu’au vaiflêau ; amp;, avant denbsp;S’ernbarquer, ils lui donnèrent leur bénédic-tion, fuivant 1’ufage; ils rembraflérenc , Scnbsp;ne la quittèrent point fans 'verfer des larrnes:nbsp;Les Anglois, qui avoient mëdit d’elle rantnbsp;qu’ils la pofl'édoientla regrettèrenc beau-coup, quand ils la virent partir, amp; n'y pen-lerent plus, huit jours après.

Agripine arriva heureufement a Famagouf-ïc, .oü Andolofio l’attendoit avec les Dames fiue le Roi de Chypre avoit envoyées au de-Vant d’elle. Elle vit Andolofio avec beaucoupnbsp;plaifir; il lui avoir préparé des fêtes fu-pcrbes ; La Princefle, déja enchancée dé la

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beauté d’un cliraat fl différent de celui d'AiJ' gleterre amp; d’Irlande, amp; que fa douceur aVOJtnbsp;fait confacrer, autrefois, a Venus, les trouVinbsp;encore plus belles. Ampedo avoir paflénbsp;jours a fe tranfporter de contrée en contree»nbsp;pour apporter a cette fête ce que chacune »nbsp;de plus. rare amp; de plus précieux ; tout cenbsp;pouvoit y flatter les fens y étoit rafletnbls*nbsp;I^a Princefle en croyoit a. peine fes yeux. Ani'nbsp;pedo lui fit voir fon cabinet pies phénonièiifi*nbsp;les plus merveilleux des trois règnes y étoiei^''nbsp;accumulés; la ménagerie étoit encorenbsp;amufante; on avoir eu foin de cacher tousnbsp;les animaux portant cornes; elle s’en aperfUt»nbsp;amp; fourit, en regardant Andolofio.

La fête n’étoit pas pour la Princefle feul2; tout Ie peuple, foit Cypriotes ou étrangers»nbsp;y eurenc part. Aux Tournois fuccédoient Ie*nbsp;joutes; aux joutes les bals publics Sc les H'nbsp;luminatioirs. Le lendemain, c’étoient ^0*nbsp;fpeftacles d’une autre efpèce, des cavalcades»nbsp;des jeux de bague , des carroufels; on ter-mina le troifième jour par des fitnulacres tl®nbsp;guerre de terre amp; de mer. II fe donna unnbsp;combat naval dont on a long-temps confetvenbsp;le Ibuvenir a Famagoufle. Deux efcadres»nbsp;com'pofées dès vailiéaux les plus légers, tiu^nbsp;pavilions d’Angleterre amp; de Chypre, ornéesnbsp;de banderoles de routes couleurs, combat.ti-rent 1’une contre 1’autre, au bruit d’uncnbsp;foule d’inftrumens de mufique amp; des cris desnbsp;combattans. Deux vailiéaux, dont on avoit eunbsp;foin de retirer i’équipage dans des chaloupes,

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furént brulés amp; coulés a fond. La Princefle en fut effi-a5iée; on la rafiura. Elle étoit mon-tée a bord de l’^ndolofio , galére, dont onnbsp;He favoit qu’admirer Ie plus, de la galanterie,nbsp;Ou de larichelfe; les cordages étoient tiffus de filnbsp;d’or amp; de foie; les rames étoient d’or.amp; d’azur;nbsp;les voiles étoient de pourpre; vers la poupe s’é-levoit un tróne en forme de conqüe, foutenuènbsp;par des Tritons amp; des Néréides; des chaloupes,nbsp;qui fuivoient la galére, amp; que la Princefle. nenbsp;Voyoit pas ^ portoient de jeunes plongeurs^nbsp;qui fe jetoient dans 1’eau, venoient folatrernbsp;autour de la galère, amp; imitoient, dans leui'Snbsp;jeux, toutes les divinités de la mer.

' Le corabat finit par la, viftoire. de 1’une des efcadres, amp; la Princefle pofa une cou-ï.onne de laurier fur la tête du vainqueur. Lenbsp;foleil étoit couché , la nuit avan^óit, Agri-pine, peu faite a la mer, commengoit a êtrénbsp;inquiète , lorfque les efcadres s’étant joinces,nbsp;parurent étincelantes de lumière ; elle fe tour-'Ha, amp; vit le port également éclairé ^ fa galère,nbsp;Cn un inftant, parut un pihofphore; jamais illu-öiination n’avoitété fi brillante, ni fi prompte-ïHent exécutée; La galère s’approcha; une cha-loupe couverte vint recevoir ’la Princefle amp; lanbsp;conduifit chez Andolofio, au bruitde-plufieutsnbsp;Inflirumens.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;'

Le lendemain', c’étoit le jour du depart de Princefle, qui n’éh étoit ¦ peinc prévenue ,nbsp;partif poür 'la[,.cbdfle^ comme de rgndez-¦Vóus .étoit fort éloigné, on flt-möntér la Prin-¦«efle fur ^un cbar.; attelé^- Ae quaire lènes,

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qu’Ampedo avoir tranfportées du fond du nord; une vingtaiqS de chars, un peu pi^^*nbsp;grands, tratnés par des cerfs, pour les Damesnbsp;de la fuite d’Agripine, fuivoient le lien : Ceuxnbsp;d’Ampedo amp; d’Andolofio etoient atteles denbsp;fix élans : Les Seigneurs de la fuite, les Chevaliers St leurs Ecuyers, étoient partis, douzsnbsp;heures plutót, a cheval, amp;, quelque diligefcsnbsp;qu’ils euflent faite, a peine écoienc-ils au ren-dez-vous, lorfque la Princeffe y arriva; ellsnbsp;fut étonnée de les y trouver. On quitta cesnbsp;voitures, amp;, après un repas de chafle, pl^*nbsp;délicar que fomptueux, on fortit de la fors’-comma en fe promenant; on pafla dans unenbsp;enceinte, ou le hafard fembloit avoir conduit. Dès que la Princefle parut, un bruitnbsp;éclatant de cors, amp; d’autres inltrumens, per?^nbsp;les airs, amp; cinquante chars, plus brillans qu®nbsp;les premiers, trainés par les plus magnifiqu^snbsp;chevaux, tnarchoient a la fuite d’un char denbsp;triomphe dans lequel Andolofio conduifitnbsp;Princeffe, en lui annonqant que, dans peu»nbsp;elle feroit rendue a la Cour du Roi de Chypt®*nbsp;On fe mit en marche; les gardes du Roi efcot-toient les chars; la Princefle remarqua, ^ quelque diftance du fien, un de fesgardes; il étoitnbsp;d’une taille majeftueufe amp; legére; le panachenbsp;qui ombrageoit Ion cafque, rabattoit futnbsp;front amp; cachoit fa figure, de forte qu’ell® nenbsp;putpas]edifl:inguer;d’ailleurs, il avoir fi bonnenbsp;-grèce, le fon de voix li touchant, ce qu’elle en-tendit lui parut li honnete amp; fi ingenieux., qunbsp;fon cceuc s’intéreflbit a lui, inalgré eJle: li di

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de Fortunatus.

parut un moment après. A quelques lieues de Ia capitale, les troupes du Roi bordoienr Ie che-min a droite amp; gauche; a mefure que lesnbsp;chars paffoient, les deux files fe réuniflbientnbsp;amp; fe replioient fur quatre de front, pour leurnbsp;fervir d’efcorte ; cette double hale finiflbitnbsp;a une demi-lieue de Ia capitale, oü les Seigneurs , rangés dans Ie rnême ordre que lesnbsp;troupes, bordoient Ie chemin ; quand les charsnbsp;eurent pafl'é, les troupes s’arrêcèrent amp; lesnbsp;Seigneurs fe replièrent, auffi pour les accom-pagner, marchant a la tête de la colonne, quinbsp;occupoit un efpace immenfe : C’eft dans eetnbsp;ordre qu’on arriva au palais du Roi, quinbsp;étüit a 1’autre extrémité de la ville ; il n’ynbsp;eut que les Seigneurs a la fuite des chars,nbsp;q\ü la traverfèrent; les troupes arrivèrent de-vant Ie palais, par un autre chemin, amp; fenbsp;rangèrent en ordre de bataille. En paflant dansnbsp;la capitale, jonchée de lauriers amp; de fleurs,nbsp;cm eut foin de prendre les plus longs detoursnbsp;pour donnet au peuple la fatisfaélion de voirnbsp;leur nouvelle Souveraine. Le Roi, les Princes de fon fang amp; les Miniftres, re^urent lanbsp;Princelie dans un beau périftile, oü ils 1’at-tendoient. Lorfqu’elle defcendit, le Roi alianbsp;Êu devant d’elle, amp; lui préfenta fon fils, quinbsp;lui oftnt la main de la manière la plus noblenbsp;amp; la plus modefte: Malgré le changement d’ha-bit, elle reconnut le garde qui 1’avoit frap-Pée. Le Prince paroiflbit au comble du bon-lieur; il parloit peu, fes yeux feuls expri-iiioienc fes tranfports; il aper^ut Andololio 5

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11'6 nbsp;nbsp;nbsp;H’fioire

lt;^ue je VOUS' ai d’obligation, lui dit-il, d’uti . ton pénérré! La Princelle fenrit tout le prixnbsp;de ce remerdment. Un repas fompcueux étoicnbsp;préparé; le Prince fat placé a cóté d’elle;nbsp;fes diftracTiions continuelles, qui faifoient ritenbsp;les courtifans, enchantoient Agripine; le Roinbsp;fourioit, amp; fe fentoit rajeunir; enfin, elle futnbsp;conduite a Ion appartement, oü le Prince lanbsp;laifla. Le lendemain, fe fit la cérémonie dunbsp;mariage, 'après lacjuelle Agripine avoua que «nbsp;quelque idéé qu’elle fe fut faite de lui, ellenbsp;étoit bien .au deflbus de la réalité ; qu’ellenbsp;n’afpiroit qu’d mériter fon amour amp; fon ef-time ; il lui fit les declarations les plus ten-drés. Enfin, il fallut céder a 1’étiquette ; lenbsp;Prince requt, pendant toute la matinee, lesnbsp;félicitations des Grands amp; du Peuple, amp; lanbsp;Princefl'e les cömplimens des Dames. Alors, leSnbsp;fetes commencèrent; le Roi avoir chargé Ando-lolio d’en être 1’ordonnateur; elles furent auflinbsp;galantes que celles deFamagoufte, quoiqu’ellesnbsp;fie fe reflemblaflent en rien; elles durèrent fixnbsp;femaines, avec une fi grande variété de plai-firs, qu’elles ne parurent pas durer fix jours.

Andolofio comproit pour rien les fêtes les plus agréables, fi le people ne les partageoitnbsp;pas avec les Grands. Il y eut, dans routesnbsp;Jes villes du royaume , des réjouiflances publi-ques, qui, routes , tournerent au foülagementnbsp;des citoyens. Le Roi ordonna que , dans cha-cune , on choisit les garqons amp; les fiHes pau-vres , qui fe' conviendroient, amp; qu'on lesnbsp;inari^t avec vine dot prife fur la recette des

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de Fortunatus.

deniers royaux. II fit diftribuer de 1’argenc au peuple, amp; ordonna par-tout des repasnbsp;publics a fes dépens. Tous les orphelins eu-renc un fort aflliré : Dans .les villes principa-les, il fit élever des moqumens luiles, desnbsp;marches commodes, des fonraines, enfin,nbsp;tout ce qui put y attirer 1’étranger.

On fe reöencoit un peu plus dans la capi-tale de la préfence du Roi. Tous les étran-gers y furent magnifiqueraent re^us, chacun fuivant fon état. II y vine des Chevaliers denbsp;toutes les contrees; les tournois avoient éténbsp;annoncés depuis plufieurs jours. Seigneurs amp;nbsp;vaflaux, chacun fe piqua d'etre fuperbemencnbsp;rnontépour venir offrir fesprafens; ils furencnbsp;dignes du Roi, amp; au gré des deux époux.nbsp;Andolofio donna un vaifleau chargé de vinsnbsp;mufeat amp; de malvoifie, qu’on buvoit commenbsp;du vin ordinaire. Les Seigneurs, les Chevaliers, amp; leurs Ecuyers, furent invités de refter pendant les fix femaines, amp; furent tousnbsp;défrayés aux dépens du Roi.

Les tournois corainencèrent; ils fe firent avec beaucoup d’ordre. Sur la fin du jour ,nbsp;on diftribuoit les prix, amp; c’étoit de la mainnbsp;de la Princefle qu’on devoit les recevoir. An-dolofio excelloit dans ces exercices; mais,nbsp;pour ne géner perfonne, il s’étoit fait unnbsp;point de n’entrer en lice , que lorfqu’on 1’ynbsp;^ppeloit. C’étoit pendant Ie bal que la nouvellenbsp;Reine couronnoitle Vainqueur, file Chevalier,nbsp;aprés i’avoir emporté d la lance, a la courfe ,nbsp;^ dans les autres jeux de la chevalerie, 1’em-

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portoit auffi a la danfe. Andolofio avoit déji été couronné plufieurs fois, amp; les hommesnbsp;amp; les femmes lui prodiguoient également leursnbsp;applaudillemens. Un jour, qu’il avoit mérité tous les prix, amp; que, d’une communenbsp;voix, Ie peuple amp; les Seigneurs les lui ad-jugeoient, Ie Roi, pour plaire a la nationnbsp;Angloife, Ie décerna au Comte Théodore»nbsp;qui avoit accompagné Agripine. Si Ie Roi denbsp;Chypre devoit faire uneinjuftice, c’étoitmoinsnbsp;d Andolofio qü’a tout autre ; mais Andolofioynbsp;fit peu d’attention , ayant pour lui Ie cri géné-lal, amp; 1’approbation du peuple, qui murmura.

CH A PITRE VIII.

Complot atroce. Fin tragique du ChapeaU» Mort d'un des fih de Fortunatus.

hÉodore, qui eüt du fe contenter d’avoir obtenu Ie prix par la faveur du Roi»nbsp;fut indigné de ce que Ie peuple penchoit pournbsp;Andolofio ; Sa préfomption lui fit croire quenbsp;rinjuftice étoit du cóté du public; il jura denbsp;s’en venger : II edt été tout fimple qu’il eütnbsp;mis fa vengeance a difputerde nouveaux prix »nbsp;c'étoit, du moins, la voie la plus fure denbsp;mettre Ie public dans fon tort, amp; celle quenbsp;fa vanité auroit dü lui fuggérer; ü ^irnanbsp;mieux fe fervir de la reflburce des laches. IInbsp;favoit qu’Andolofio avoit plufieurs envieux,nbsp;il en avoit lemarqué un, entr’autres, qui,

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de. Fortunatus.

a (Siaque fuccès amp; a chaque trait de générofité de ce valfiureux chevalier, frémifloit de rage ;nbsp;il épioit, depuis long-temps, Ie moment de Ienbsp;perdre, foit par fes calomnies, foit par quejquenbsp;tiahifon; mais rien encore n’avoit pu lui réuf-fir ; il en étoit d’autant plus défefpéré, qu’ilnbsp;favoit qu’Andoloiio connoiflbic Ie fond da fanbsp;haine , amp; ne daignoic pas y faire attention.nbsp;Cet envieux , qui déteftoit les gens de bien,nbsp;paree qu'il n’avoit jamais fu faire que Ienbsp;inal, étoit Ie Comte de Limofi. Théodorenbsp;alia )e rrouver: II ell bien trifte pour nous,nbsp;dit-il, que, paree que cet Andolofio s’eft faitnbsp;quelques créatures a force d’acheter leur eftimenbsp;pardesbafleflesamp;parfon argent, nousfoyonsnbsp;expofés a nous voir facrifiés a cet hommenbsp;obfeur par une vile populace. Quoi! le Roinbsp;lui-même u’eft pas a couvert de fa cenfure :nbsp;il fuffit que fon fouverain me couronne pournbsp;qu’on le trouve injufte ; e’eft un attentat corn-mis contre fa perfonne facree, amp; e’eft a nousnbsp;ji le venger. 11 eft honteux qu’un Roi dé-pende du vain caprice de fes fujets; e’eft anbsp;la fource du mal qu'il fau't remonter; e’eftnbsp;Andolofio qiii corrompt le peuple ; e’eft Andolofio qu’il faut punir. Le Comte de Limofinbsp;1’écüuta avecplaiflr, il n’étoit embarraflé quenbsp;fur les inoyens. Comment attaquer un hom-me qui a la confiance du Roi amp; l’amitié dunbsp;peuple ? II a , difoit le Comte , fafciné 1’unnbsp;rautre,^ amp; fes richefles inepuifables ferontnbsp;toujours un obftacle a nos projets. Quelle eftnbsp;done la fource de cette opulence ? II a peu dc

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terres; Ton pèfe ne quitta Famagoufte, paree qu’il étoic dans la misère; ils ont beau-coup voyage 1’iin amp; l’autre; mais Fortunatusnbsp;amp; Andoloiio 5 euflent - ils gagné un ernpij®nbsp;chacun , aux dépenfes qu’ils onr faites»nbsp;devroient étre ruinés. La fète qu’il a donneenbsp;a la Reine furpaflbit en magnificence celle denbsp;Souverain. Oui, je crois avoir deviné Ie fflOCnbsp;de cette énigme ; Andolofio n’a hérité de fortnbsp;ptère que de 1'arc diabolique de Nécromantie*nbsp;N’avez-vous pas entendu dire qu’on 1’avoicnbsp;vu avec des cornes a la tête? Depuis quel-que .temps, nous n’entendons parler que ^enbsp;prodiges, de chiens, de chevaux, qui naifièncnbsp;avec des cornes; ne voyez-vous pas avec quelnbsp;foin fon frère achète tous ces monllres, poo^nbsp;en. dérbbet ia connoiflance au public? linbsp;i’accufer hautement amp; Ie livrer aux Prêtres»-Théodore ne fuc pas de eet avis; lesnbsp;tres feront pour lui; car il a fait beaucoupnbsp;de fondations; Ie peuple Ie prendra fous f^nbsp;proteélion, paree qu’il eft généreux; Ienbsp;ie défendra, paree qu’il fait 1’art de flateer:nbsp;Le plus für, mon cher Comte, Ie plus fu^nbsp;eft de 1’enlever. Je vois trois grands avan-tages dans ce parti : D’abord, notre vengeancenbsp;eft fure; elle fera impunie, paree qu’il nynbsp;aura que nous dans le fecret, fe elle p^u::

' nous être fortutile, paree qu’Andolofio nous avouera , de gré ou de force, la fource denbsp;fon opulence, amp; que, quoique Tart de Necromantie foit un grand mal, nous nous enbsp;fervirons pour réparer le mal qu’ü ^ J

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entendu dire, a de tvès-grands doAeurs, ‘qu’il étoit permis de faire un petit mal, quand ilnbsp;en réfultoit un grand bien : Or, vous \t)yeznbsp;Ie bien immenfe que nöus ferons. Quant aunbsp;moyen de nous emparer de lui, il me paroitnbsp;tout fimple. Votre chateau eft fitué prés denbsp;Famagoufte : Lorfque les fêtes feront linies,nbsp;Andolofio retournera chez lui; nous 1’atten-drons fur Ie paflage, nous 1’attaquerons, amp; ,nbsp;furtout, nous aurons foin qu’auciin de fesnbsp;gens ne nous échappe ; nous renfermeronsnbsp;Andolofio dans votre chateau , amp; nous Ienbsp;mettrons hors d’état de nuire, a 1’avenir,nbsp;a perfonne, de trompet- Ie Roi amp; Ie peuple,nbsp;amp;, furtout, d’enlever tous les prix des tour-nois. Le Comte de Limofi, qui n’avoit pasnbsp;ofé, d’abord, propofer ce moyen, de craintenbsp;qu’il ne parut trop violent a Théodore, 1’ap-prouva, le reftifia, amp; y ajouta tout ce quenbsp;1'envie put lui fuggérer de plus prudent.

Après que les fêtes furent terminées, Andolofio prit congé du Roi, amp; des jeunes époux, qui le combièrent de carefles La Princeffenbsp;avoit dévoilé a fon mari tout ce qui s’étoitnbsp;paflë, a Ia Cour d’Angleterre, au fujet d’An-dolofio: L’heureufe vengeance qu’il en avoitnbsp;tirée; amp;, quoiqu’elle fut le fecret de lanbsp;bourfe amp; du chapeau, amp; qu’elle fut femme,nbsp;elle le garda jufqu’après la mort d’Andolofio.nbsp;Elle n’en paria, dans les récits qu’elle fit anbsp;fon mari, que comme de bijoux fort rares,nbsp;qu’il tenoit de fon père , amp; qui les lui avoienbsp;Eecoinmandésen mourant, aux dépens même

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de fa vie. Le Prince partageoit Ia reconnoir-fance de fon époufe, amp; leur tendreüe pour Andolofio étoit un nouveau nceud pour leurnbsp;amour. Ils le virent partir avec le plus grandnbsp;regret; le Roi s’étoicjuftifié de 1’efpèce d’in-juftice qu’il lui avoir faire, en lui ótant Isnbsp;prix, pour le donner é, Theodore. Pouvois-je faire autreraent? je viens de m’unir a lanbsp;nation Angloife; les Chevaliers de routes lesnbsp;nations avoient remporté des prix, les feulsnbsp;Anglois n’en avoient aucun ; vous en avie2nbsp;obtenu une fi grande quantité, que je n’ainbsp;pas cru vous faire tort , en vous arrachantnbsp;une feuille de laurier, pour la mettre fur lanbsp;tête du Comte Theodore : Au refte, j’ai vunbsp;avec plaifir que le peuple vous a rendu,juf-tice. Andolofio s’excufa lui - mêroe de ftnbsp;trop grande avidité pour la gloire, amp; en de-manda pardon au Roi, qui lui ordonna de re-venjr le plus promptement qu’il pourroit.

Tandis qu’Andolofio prenoit congé , IS Comte de Limofi amp; Théodore difpofoient»nbsp;fur fon chemin, des fcélérats, qu’ils avoieurnbsp;été chercher au loin, leur défignoient 1’en-nemi, fans jamais le nommer, en leur re-commandant de le prendre amp; de ne tuer qusnbsp;les gens: Ils leur promirent de grandes rs-compenfes amp; les ilépouilles des vaincus.

Comblé des bontés de fes maitres, i’ame ft“ tisfaite du bien qu’il avoir fait, Pefprit occupénbsp;des moyens d'en faire encore, Andolofio volqicnbsp;dans les bras de fon frère; il fuivoit le chem‘°nbsp;de Famagoufte, s’entretenent famiUsrement

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de Fortunatus.

avec fes gens. Les émiflaires des Comres, em-bufqués derrière des haies, attendirent qu’il fut au milieu d’eux; alors, fonant de tous cótés,nbsp;ils fe jetèrenc, a grands cris, lur les brides desnbsp;chevaux: Andolofio amp; fes gens fe défendirencnbsp;avec courage; mais que peut la valeur contrenbsp;ie jiombre amp; la trahifon! Le chemin étoicnbsp;parfemé de clous a plufieurs pointes; les chevaux furent enferrés, amp; on leur coupa les jarrets;nbsp;les Chevaliers furent renverfés, amp; touspaffésnbsp;au fil de 1’épée: Andolofio s’étoit relevé, amp;nbsp;avoit tué trois de ces affalVins. Malheureufe-ment, le chapeau étoit entre les mains denbsp;fon frère; néanmoins, il fe feroit débarraffénbsp;d’eux; mais, comme il fe battoit en retraite ,nbsp;les deux Comtes, jufqu’alors fpedlateurs danbsp;combat, 1’attaquèrent par-derrière; il fit face;nbsp;als 1’attirèreni auprès d’un arbre, fur lequelnbsp;ils avoient pofte deux des fcélérats, lefquels,nbsp;a uncertain figne, laiflerent tomber un énormenbsp;filet qui enveloppa Andolofio, amp; l’éleva dansnbsp;1’air. On fe failit de lui, amp; les deux Comtesnbsp;1’enfermèrent dans les prifons du chateau,nbsp;i’enclaaJnèrent, amp; lui donnèrent des gardes,nbsp;qui le veilioient jour amp; nuit. En vain leurnbsp;promit-il des fommes conüdérables s’ils le laif-foient fortir \ ils craignoient trop la cruauté denbsp;leurs maitresi d’ailleurs, quand il auroit panbsp;s’échapper de la prifon , le chateau étoit dansnbsp;dne 11e qui étoit gardée de tous cótés.

La nouvelle de 1’aflaffinat des gens d’Ando-lofio, qu’on avoit dépouillés, amp; dont les corp s furent trouvés dans le chemin, jeta une grand

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condernation a la Cour; on craignoit qu’An-dolofio n’eut été tué; Ie Roi dépêcha , fur Ie champ, un eourrier a Famagoufte, amp; cenbsp;fut par lui qu’Ampedo en apprit la premièrenbsp;nouvelle. Les deux Comtes parurenc fort affli-ges, amp; demandèrent au Roi une efcorte pournbsp;faire des recherches dans tous les environs denbsp;1'endroit oii s’étoit commis le meurtre, donenbsp;le chateau de Limofi n’étoit pas bien éloigné.nbsp;Ampedo revint a la Cour, avec le eourrier ; ilnbsp;fe jeta aux genoux du Roi, le pria de lui préternbsp;main-forte, amp; de faire chercher Andololio dansnbsp;tout fon royaume : Le Roi amp; les Princes mêlè-rent leurs larmes aux fiennes. Le Roi fit publiernbsp;qu’il donneroit une récompenfe de mille ducatsnbsp;è celui qui donneroit des indices de I'adaffinatnbsp;d’Andolofio; il fit faire des perquifitions denbsp;tous cótés: Il jura d Ampedo de ne rien epar-gner, quand il devroit lui en couter la moitiédenbsp;Ibn royaume , amp; de le venger, s’il étoit mort,nbsp;par le fupplice du meurtrier, quel qu’il fut.

Plufieurs jours s’étoient palies dans ces recherches inutiles; Ampedo, au moyen de fon chapeau, s’étoit tranfporté dans tous les lieuXnbsp;OÜ il imaginoit qu’il pourroittrouver fon frère.nbsp;Enfin, défefpéré de ne rien découvrir; funeftsnbsp;chapeau, dit-il, qui me deviens inutile annbsp;moment ou ta vertu me feroit le plus nécef-faire:Hélas, fi mon frère t'avoit eu, peur-étre 1’aurois-tu fauvé de fes ennemis! Il n’eltnbsp;plus, fans doute; peris done, inutile préfent,nbsp;amp;, auffi-tót, il le jeta dans le feu, afin fiuenbsp;perfonne ne put en jouir. Il dépêchoit vers


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de Fortunatus. nbsp;nbsp;nbsp;125

Ie Roi courrier fur courrier, amp; il ne recevoic aucune nouvelle favorable. A peine fon chapeau fut-il brülé, qu’il lui vine mille moyensnbsp;de découvrir fon frère , auxquels il n’avoir pasnbsp;fongé auparavanc; il eüc voulu Ie ravoir aunbsp;prix de la moitié de fon fang; Ce nouveaunbsp;chagrin ne faifant qu’accroitre fon-défefpoir,nbsp;il tomba dangereufement malade Tout Fa-• ^ magoufte étoirdans les lartnes: Puifque Ie Cielnbsp;nous a ravi Andolofio, difoit-on, qu’il nousnbsp;laiffe fon frère: Que de vidimes il va frap-per, s’i! prend encore celle-la. Tousleurs vmuxnbsp;furent inutiles, comme les fecours de la rnéde-cine; Ampedo, confumé de chagrin , expira,nbsp;également regretté des grands amp; des petits: Cha-cun perdoit, en lui, un père, un protefteur,nbsp;OU un ami. Cette mort excita encore Ie reflenti-ment du Roi contre les aflaffins defon frère. Tousnbsp;les habitans de Famagoulle prirent Ie deuil.nbsp;Le. jour de fes funérailles, on n’entendoitnbsp;que fanglots amp; gemiflèmens dans routes lesnbsp;rues : Pendant les huit jours fuivans , chacunnbsp;refta chez, foi: Cette ville immenfe fembloit unnbsp;défert. Sur le port, le bruit des vagues fe mêloicnbsp;triftement aux voix confufes des commer^ansnbsp;amp; des matelots, qui pleuroient leur appui. Lesnbsp;larmes amp; les cris redoublèrenc, lorfqu’on ap-prit qu’au defaut de fon frère, il laiflbit fonnbsp;palais au Roi, amp; toutes fes richefles au peuple»nbsp;aux commer^ans amp; aux laboureurs.

Le Comte de Lirnofi, après avoir pafcouru ^ Royaume, revint, avec une douleür fein-ïe, apprendre au Roi qu'il 11’avoic rien dé-


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couvert, amp; lui remit fon efcórte bien har-ralïée du chemin qu'il lui avoit fait faire; Ie Roi loua Ion zèle amp; fon amitié pour An-dolofio, amp; tous les honnêtes gens lui ennbsp;marquèrent leur reconnoifiance. II demandanbsp;la permiffion de s’en retourner chez lui, pournbsp;fe repofer, amp; partit, laiflant tout Ie nion^enbsp;dans 1’erreur. Le jour même de fon arrivée,nbsp;alia dans la prifon d’Andolofio; amp;, comme il ynbsp;entra d’un air triomphant, Andolofio le prianbsp;de lui apprendre de qui, amp; pourquoi il étoirnbsp;prifonnier. Je n’ai fait du mal a peiTonne»nbsp;dit-il, amp; fi, fans le favoir, j’ai fait du tortnbsp;a quelqu’un, je fuis prêt a le réparer; appre-nez-moi le dommage, amp;, quel qu’il foit,nbsp;j’ai une fortune aflez confidérable pour ennbsp;indemnifer 1’homme le plus riche amp; le plusnbsp;puiflant; raais, faites-moi fortir de eet abominable lieu. Le Comte fe mit a rire. An-dolofio, lui dit-il, tu es en mon pouvoir,nbsp;amp; rien au monde ne peut t’en arracher. N'ef-père point d’obtenir jamais la liberté; cepen-dant, il ne dépend que de toi d’avoir unnbsp;fort plus doux; j’adoucirai tes peines, a condition que tu me diras d’oü tu tires ces foin-mes immenfes que tu prodigues. Andolofio isnbsp;regarda d’un air de mépris ; Infdme aflaffin»nbsp;lui dit-il, je les aurois partagées avec toi gt;nbsp;li tu m’avois témoigné en avoir befoin; tunbsp;devois connoitre ma générofité ; pour te punk de ta lècheté, tu ne fauras jamais ce que

tu défires, amp; tu auras coramis en pure perte exime le plus atro'ce. Eh bien, reprit le

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de Fortunatus.

Comte, prépare-toi a fouffrir les plus longs amp; les plus cruels tourmens. Andolofio, quinbsp;connoiflbit la méchanceté du Comre, ne ré-pondit rien, amp; Ie laifla fortir; Ie lendemain,nbsp;faifant reflexion qu’il ne gagneroit rien furnbsp;ce caraclère féroce, il prit ie parci de difli-muler. Le Comte revint a.vec fes fatellites;nbsp;il 1’interrogea encore : Eh bien, lui dit Aii-dolofio, puifque tu fais tant de cas des ri-chefles, je veux bien te faire part des mien-nes, j’ai un puits dans mon palais, que monnbsp;père , avant fa mort, remplit d’or amp; denbsp;pierreries; tu fais qu’il paflbit pour être plusnbsp;riche que les Rois, amp; qu’il rétablit les affaires de la république de Venife : Par quelnbsp;feeree il avoir acquis ces richefles, c’eft cenbsp;que j’ignore : Faites-moi tranfporter a Fama-goufte, amp; je t’indiquerai ce puits, qui n’eftnbsp;connu que de mon frère amp; de moi. Le Comrenbsp;lui dit : Tu mens; car tu n’avois pas emporténbsp;ton puits en Angleterre, ni dans tous les lieuxnbsp;QÜ tu as fait de fi énormes dépenfes. Tonnbsp;feeree eft avec toi; que rifques-tu a t'ouvrirnbsp;a moi.^ Je fais que tu connois 1’art de Né-cromantie; apprends-le-moi, amp; tu peux êtrenbsp;afluré que tu t’épargneras bien des fupplices.nbsp;Andolofio lui jura que, non feulement, il nenbsp;Connoiflbit point eet art, niais encore qu’ilnbsp;étoit perfuadé qu’il n’avoit jamais exifté. Lenbsp;Comte, qui croyoit bien plus au diable qu’4nbsp;Dieu, fut plus convaincu que jamais qu’An-bolofio le trompoit. II fit óter fes chatnes, amp;nbsp;le fit appüquer è la torture la plus rude, le


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queftionnant pendant fon fupplice, qu’il fit durer aufli long-temps que les forces humai-nes pouvoient Ie fupporter : II n’en put riennbsp;arracher ce jour-la : Le lenderaain, Ie Comtenbsp;reparut, avec fes bourreaux, amp; de nouvellesnbsp;tortures; Andolofio, fe fouvenant qu’aprèsnbsp;avoir perdu fa bourfe, il 1’avoit reirouveenbsp;au moyen de fon chapeau, efpéra qu’il pour-roit bien l’enlever encore au Comte ; ainfi »nbsp;il ne fit aucune difficulté d'avouer fon fe-cret; le Comte prit la bourfe, fit 1’épreuve,nbsp;amp; fut fort content qu’Andolofio lui eüt dit lanbsp;vérité; cependant, il Ie fit remettre dans lesnbsp;fers, amp; le fit garder encore avec plus de foin»nbsp;ayant tout a craindre du Rol, fi jamais fon pri-fonnier fe trouvoit en liberté^

Le Comte paya les dettes dont il étoit ac-cablé de tons cótés, fit des acquifitioas con-fidérables, rétablit fes affaires, qui étoienc très'dérangées , amp; fe livra a routes fes debauches. Il reparut a la Cour^ amp; raconta aunbsp;Comte Theodore tout ce qu’il avoit fait, amp;nbsp;le fecret de la bourfe dont il étoit le maitre.nbsp;Theodore vouloit qu’on fit mourir ie pri-fonnier. Tant qu’il fera en vie, difoit-il, nousnbsp;aurons tout a rifquer; on dit qu’il eft très-favant en Nécromantie; fa bourfe en eft unenbsp;preuve; il a le fecret, dit-on, de's’envolernbsp;dans les airs, de fe tranfporter , en un moment , d’un bout du monde a 1’autre. Lanbsp;Princefle, depuis qu’on le croit mort, a ditnbsp;qu’elleconnoiflbitle fecret de la bourfe ;qu’ell2nbsp;Tavoic eue entre les mains, qu’elle en avoit

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tjré elle - mêms des fomraes confidérables , qu’elle n’en avoir jamais parlé a perfonne ,nbsp;eraignant que quelqu’un n’uttentamp;t k fa vie ,nbsp;pour lui ravir un tréfor ü rare. Oh! nous n’a-vons rien a craindre de ce cócé , répondic Ienbsp;Comce, car , non feuleinent, il m’a afluré ,nbsp;dans les tortures, qu’il ne croyoit pas a hexif-tence de eet art, amp; qu’il ne s’en étoit jamaisnbsp;fervi; mais encore, il efh fi hien enchaïné, amp;nbsp;fi bien gardé, que je défie tous les nécromansnbsp;de 1’univers de 1’arracher de mes mains.

.. Les deux fcélérats s’étant afl'urés, Ie mieux-qu’ils pouvoient, contre les fuites de leur crime, fe mirent a, puifer, tour a tour, dansnbsp;la bourfe; Ils en tirèrent des monceaux d’or;nbsp;leur avidité n'étant pas encore raflafiée , ilsnbsp;entrèrent en difpute , pour favoir a qui lanbsp;bourfe appartiendroit. Après bien des débats,nbsp;eraignant que leurs querelles ne les trahiiient ,nbsp;comme il arrive, prefque toujours, entre lesnbsp;perfonnés qui ne font unies que par Ie crime,nbsp;ils convinrenr qu’ils la poflederoient alterna-ivvement, chacun pendant fix mois; que Ienbsp;Comte de Liraofi, comme Ie plus agé, amp;nbsp;ayant aftuellement la bourfe, la garderoit lesnbsp;fix premiers. Surtout, il fut arrêté entr’euxnbsp;que, comme la Reine connoiffoit Ie pouvoirnbsp;de la bourfe, ils ne feroient pas de dépenfesnbsp;trop éclatantes, de crainte qu’on ne les foup-lt;;onnat. Au furplus, ils vécurent enfemblenbsp;dans route forte de plaifirs, amp; faifant de leursnbsp;ïichefles un ufagehien different de celui qu’ennbsp;^voient fait les deux frères.

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Hijlaire

Theodore craignoit encore Andolofio les fers. II dit au Comte de Liraofi qu’il vou-droit voir fi, dans 1'état oü il étoit, il avoicnbsp;la même audace, que lorfqu’il lui difputoicnbsp;Ie prix; que, pour fe venger , il feroit charmenbsp;de jouir de Phumiliation de eet homme or-gueilleiix, rendu a fon premier néant. 11 de-inanda une lettre au Comte de Limofi , poucnbsp;pouvoir entrer dans la prifon. Le Comte hé-fica quelque temps; mais, vaincu par les im-portunités de Theodore, il lui _donna la lettrenbsp;qu’il demandoit. Théodore ne Peut pas plutdt,nbsp;qu’il obtint une permiffion du Roi de s’abfen-ter, pour quelque temps, de la Cour, amp; partit.

CHAPITRE IX.

Fin malheureufe du fecond fih de Fortunatus-Fanition des ajfaffins. La bourfe perd fd vertu. Eloge des deux frères.

Xv E malheureux Andolofio, courbé fous Ia poids de fes chaines, livré a la plus affreufenbsp;misère, ferappeloit laprédidion de 1’hermite ;nbsp;il regrettoit de n’avoir pas mis fes exhortations è profit, amp; de n’avoir pas refuféla bourfe»nbsp;lorfque fon frère la lui laifl’a, Quel chagrinnbsp;pour lui, difoic-il, fi jamais il apprend manbsp;cruelle aventure! Oh, que la fagefle eft preferable é la vanité, qui nous fait courir aprèsnbsp;la gloire amp; après les richefles! II étoit plongénbsp;dans ces reflexions, lorfque Theodore entra

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dans la prifon ; II crut que Ie Cotnte de Li-lïiofi, fatisfait d’avoir la bourfe, envoyoit fon ami pour foulager fes peines; il lui tendit Ienbsp;tgt;ras comme a Ibn libérateur. Cher Comte,nbsp;lui dit-il, vous êtes Chevalier ; je partage cecnbsp;honneur avec vous, amp; je ne m’en fuis jamaisnbsp;rendu indigne : Cependant, Ie plus abjeét desnbsp;Criminals feroit-il puniaufli févèrement? Alors,nbsp;il fouleva fesfers, Stfirvoirdes brasamp;desjam-bes rongés par la pourricure; 1’humidité de fonnbsp;cachot avoit fait tomber fes habits en lam-beaux , les cicatrices des plaies que la torturenbsp;lui avoit faites, étoient encore ouvertes; fanbsp;voix étoit foible amp; languiflante. Je com-prends. lui dit Theodore, que ce féjour doitnbsp;déplaire è un preux Chevalier tel que toi; anbsp;un héros, qui, lors même qu’il eft vaincu,nbsp;femble ne céder la viétoire que par gr^ce.nbsp;Vante-nous 1’amitié du Roi amp; la faveur dunbsp;peuple; ne te font-ils pas, 1’iin amp; 1’autre, d’unnbsp;grand fecours ? Andolofio demeura confondunbsp;de ce nou vel outrage. LSche, répondit-ii,nbsp;que ne me tenois-tu de femblables propos anbsp;Londres, ou avant que ton complice m’eücnbsp;mis hors d’état de te punir; fi tu ne re^oisnbsp;pas Ie chariment que tu mérites, n’en accufenbsp;pas ma valeur, ne t’en prends qu’a ces fersnbsp;qui me retiennent. Fais-les tomber, ramène-moi fur ie champ de bataille, quelque foiblenbsp;que je fois, je doute que tu foutiennes encore mes regards; mais, que demandes-tu ?nbsp;Eft-ce pour outrager un cadavre, que tu esnbsp;defcendu dans ce tombeau ? Andolofio, repric

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Hijloire

Theodore, crois-moi, prends nn ton plus conforme a ton état, ü tu aiines la vie; elle m’eft odieufe, répondit-il, puilque je te vois encore : Choifis, OU de me 1’enleve'r, ou denbsp;délivrer de ta préfence; Pair que je refpir®nbsp;rPeft-il pas afleK infedl? Les tourmens que j®nbsp;fouffre me font moins infupporcables que 1^nbsp;vue d’un mal-honnéte horame; amp;, quelqu*nbsp;diiférent que foic notre état, fois afluré que j®nbsp;re changerois pas avec Ie tien. Oh! je n’en fui®nbsp;pas tenté, reprit, d’un ton railleur, Ie Comtenbsp;Theodore, a qui la fierté d’Andolofio en impO'nbsp;foit; cependant, ajouta-t-il, fitu veuxmedon-ner une bourfe femblable a celle que tu as doo-rée au Comte: de LiHiofi , tu peux efpérer qu®nbsp;j’adoucirai ton fort. Sij’en avois dix, réponditnbsp;Andolofio, je te les donnerois pour me veo-ger de toi; car, fans dome, Pufage que tunbsp;ferois des richefles, te conduiroit bientótnbsp;terme que méritent tes crimes. Dans les main*nbsp;d’un méchant, tel que toi, les richefles fontnbsp;un poiibn qui confume celui qui les pofsède.nbsp;Je n’ai plus de bourf;, mais 11 tu es fi avidenbsp;de richefles, amène-moi chez mon fiére,nbsp;y a de quoi fatisfaire ta cupidité. Oui, oüi*nbsp;je t’y menerai chez ton frère, reprit Théodore, amp; même plutót que tu ne penfes. An-dolofio ne comprenoit rien a ce difsours; amp;?nbsp;lorfque Théodore lui eut fair coraprendre qu’ilnbsp;éroit mort, il répandit un torrent de larmes.nbsp;Que tardes-tu, ajouta-t-il, a m’arracher lanbsp;vie. Crois-moi, rant que je refpirerai, tu asnbsp;4 ctaindre un aceufateur auprès du Roi. Qui.^


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toi,, lui dit Théodore! En effet, que ne l’ap-pelles-tu a ton fecours? Et cette Agripine, qui t’appeloit fon père, amp; fon tendre époux, quinbsp;ïe traitoit comme fon égal, amp; tanr de bellesnbsp;tlames pour qui tu as rompu tant de lances,nbsp;amp; qui t’ont donné tant de prix, que ne vien-hent-elles a ton aide? Mais, fans recourir anbsp;ces illuftres ingrats, que ne te délivres-tu toi-lïiême? Habile dans Tart de necromantie ;nbsp;ïoi, éi qui 1’enfer obéit, que ne t’envoles-tunbsp;dans les airs, comme tu faifois autrefois? Jenbsp;Vols bien que, depuis que tu n’as plus denbsp;^ourfe, les hommes amp; les démons font fourdsnbsp;^ ta voix : Je fuis plus généreux qu’eux : Tunbsp;¦Veux que je te conduife a ton frère, prépare-^oi encore pour ce voyage. Théodore, a- cesnbsp;Eliots, fit entrer le géolier, iui ordonna d'é-ïrangler Anddlofio, amp; lui promit cinquantenbsp;ducats; mais le géolier, plus humain que Theodore , eut horreur de cette propofition; qubi-^Ue accoutumé au fang, il fut touche de 1’étacnbsp;deplorable de cet infottuné, qui n’avoit plusnbsp;SU’un refte de vie tout prêt a s’exhaler. Ennbsp;?uin Théodore entra-t-il en fureur, il ne putnbsp;i'^rnais obliger le géolier a lui obéir; Théodorenbsp;^i^i die que, puifqu’il étoit fi compatiflant, ilnbsp;f^’avoit qu’a lui donner les inftrumens donenbsp;fe fervoit; le géolier fortit, fans lui répon-^gt;¦0 ; Alors, cet homme impitoyable prit fanbsp;'^^inture, la mit autour du cold’Andolofio, amp;,nbsp;®'’ec fon poignard, la tordit, jufqu’a ce qu'Tlnbsp;efir Strangle; enfuice, il jeta quelques piecesnbsp;® urgent att géolier» ajfin qu'il le ficenierrer...


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Ainfi périt, dans fa cinquantiètne année» par la main de l’icjuftice amp; de la cruauté, eetnbsp;homme , qui, jamais, ne fit du mal anbsp;fonne; qui ne fe vengea de fes ennemis quenbsp;par fes bienfaits ; qui aima mieux foutenirnbsp;des Rois fur Ie tröne, que de conquérir desnbsp;empires; 11 excita l’envie, par la feule vertunbsp;qui peut la fubjuguer, par la générolité, quinbsp;re devroit pas faire des jaloux , puifqu’ellenbsp;ne peut pas faire des rivaux. En lui, finit lanbsp;familie de Fortunatus, fur laquelle Ie cielnbsp;épuifa fes faveurs, afin que , dans les diffé-rens traits qui compofent fon hiftoire, Ie*nbsp;hommes appriiVent que la fagefle eft au deflusnbsp;des dons les plus rares.

Après Ie meurtre d’Andolofio, Ie Comte Theodore ne s’arrêta pas au chateau de Ei-mofi , il revint a la Cour, d’un air ferein amp;nbsp;triomphant, s’applaudilfant, en fecret, du criquot;nbsp;me horrible qu’il venoit de commettre. Lenbsp;Comte de Limofi alia au devant de lui; il luinbsp;demanda ce qu’il penfoit de fon Jle amp; de fopnbsp;chateau. Le fcélérat lui répondit, que ce qu’ilnbsp;y avoit trouvé de plus beau , étoic la prifoOnbsp;d’Andololio, furtout lorfqu'il en étoit pat'nbsp;ti; le Comte ne 1'entendit point d’abord;nbsp;Théodore lui dit , en 1’embraflant, qu’ilsnbsp;n’avoient plus rien a craindre, amp; qu’il I u-voit tué de fes propres mains; il lui recom-manda, furtout, de faire mqurir fon géoliet,nbsp;qui avoit refufé fon miniftère, amp; .qui pour-roit bien les trahir. Le Comte, qui n’étoitnbsp;qu’envieux, étoit faché de ce que Théodore

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ïi’avoic pas laiffé finir fes jours a Andolofio, qui ne pouvoit vivre long-temps ; il com-niengoit a fentir des remords, car 1’envie ,nbsp;quand elle eft aiibuvie, eft auffi tourmencée parnbsp;Ie mal qu’elle a fait, qu’elle étoit agitée avantnbsp;de Ie faire, par Ie bien qui excitoit fa haine.

La bourfe enchantée avoit perdu fa vertu, au moment qu’Andolofio avoit ceffé de vivre ; les deux Comtes ignoroient que tel étoitnbsp;1’enchantement qui y étoit attaché. Les fixnbsp;niois du Cotpte de Limofi étoient expirés; Ienbsp;Comte Thébdore la lui demanda , pour fixnbsp;Kiois, fuivant leurs conventions: II y en avoitnbsp;trois que Ie Comte de Limofi n’y avoit fouillé.nbsp;Il ne la refufa point è Théodore, qui, d’ail-leurs, avoit grand befoin d’argent, ayant dé-penfé , amp; beaucoup au dela, celui qu’ils ennbsp;avoient retiré enfemble : Le Comte ouvricnbsp;fa caflétte amp; remit la bourfe a Théodore, quinbsp;y.plongea fa main avec avidité; mals il n’ynbsp;trouva rien: II y revint plufieurs fois, amp; n'ynbsp;trouva rien encore ; ils fe regardèrent Tun amp;nbsp;1’autre, amp; reftèrent immobiles, comme s’ilsnbsp;euflent été frappés de la foudre; Theodorenbsp;ne fortit de fon étonnement que pour entrernbsp;dans la colère la plus violente. Homme fauxnbsp;amp; perfide, dit-il a Limofi, vous ne vous con-tentez point que ie vous aye laifl'é jouir,^ lenbsp;premier, de la bourfe d’Andolofio, vous vou-dez la garder, pour vous en faire faire unenbsp;-.femblable, amp; me la donner a la place de lanbsp;.¦'^raie; jene le fouffrirai point, fi vousnbsp;vous iiatez de me Ja rapporter, craignes


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1^6 nbsp;nbsp;nbsp;¦ Blfloire

ma vengeance.' En vam, Ie Comte jura quC c‘étöic la même bourfe, amp; qu’il n’y avoitnbsp;rien change; qu’il étóit auffi furpris que luinbsp;de ce qu’elle ne rendoit rien : Théodore, fu-rieux, mie 1’épée a la main; Limofi fe mi'-en défenfe ; mais il étoit foiblê amp; Sgé : H*nbsp;fe battirent long-teiiips; ie bruit, qu’ils fai-foient, attira les domeftiques du Comte;nbsp;enfoncèrenc, amp; ie trouvérent étendu dans founbsp;fang,- d’une bleffure mortelle qu’il venoit denbsp;tecevoir-; Théodote n’en etoit pas moinsnbsp;acharné après lui, ne cefiant de lui deuian-lt;3er fa boürfe. Les domeftiques les féparèrent gt;nbsp;forcérent Theodore de fortir.

Le bruit de ce conibat parvint au Roi. Tout 'Ie'monde ^ qui connoiflbit 1’union des- deuXnbsp;Comtesfut étonné de leur brouülerie; ijsnbsp;furent mandés 1’un amp; 1’autre; le Comte de Limofi ne puf être arnené, a caufe de fa blef-fufe ; le Roi ordpnna è un de fes officiers d’ai-lei^ le 'Voi'r de fa part ^ amp; de favoir le fujetnbsp;de la querèlle. Le Comte s'obftina a fe taire »nbsp;rOfficiéry-que le Roi -avoit envoyé , étoKnbsp;intérefleMui-mém'e a favoir la vérité, paré*nbsp;qu’if fé 'friéfioit j'depuis long-temps, de cesnbsp;-deux homrne\; il prit en particulier un dèsnbsp;¦domeftiques, qui'lui dit qu’unè bourfe avoitnbsp;¦étélé'ftijet de leur difpüte; il 'Palla chefcher»nbsp;amp; ajóüta: Voyez fi cela vaut la peine quenbsp;detix honnêtes geriS fé' coupenc la gorge. Lanbsp;•bourfe' de Förtünatns avoit fait '^uelqu* écldcnbsp;è Ib Couri, parcé que la Princefll,-^’'^!*

n^avoit plus del HOU veiled d’'A^olofio;‘he-'fö

croyuit

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de Fortunatus.

ctoyoit plus obligee au fecret; 1’Officier s’em-para de la bourfe, amp; la remit au Roi, qui la fic voir k la Princefle. Auffi-tót, on envoya desnbsp;gardes inveftir la maifon du Comte de Limoli;nbsp;la Princefle reconnut la bourfe : Quand elle ynbsp;mie la main, amp; qu’elle n’en r^tira r'ien, ellenbsp;s’écria avec douleur; c’en eft fait, Andolofionbsp;efi; mort, amp; ces fcélérats Pont tué. On luinbsp;demanda pourquoi elle afluroit ainfi la morenbsp;d’Andolofio, amp; elle dit qu’il lui avoit apprisnbsp;que la vertil de la bourfe devoit cefler avec lanbsp;vie des enfans de Fortunatus.

On demanda au Comte Theodore quel étoic Ie fujet de fa difpute avec fon ami; il re-fufa de Ie dire. Le Roi Ie fit charger de fers.nbsp;On lui dit que le Comte de Limofi avoicnbsp;avoué une partie de fes crimes; mais qu’on vou-Ipit avoir un détail circonftancié de tont ce quinbsp;s’étoitpafié au fujet d’Andolofio. II s’obllina anbsp;mfufer. On le mit ?. la torture, on lui préfentanbsp;la bourfe, amp; il détailla jufqu’a la moindre cir-Ponftance de la mort d’Andolofio. Le Comtenbsp;de Limofi avoit avoué fon aflalïïnat, amp; déclarénbsp;^ous les malheureux qu’il y avoit employés.

Lorfque les auteurs de la mort d’Andolofio lurent connus, on ent bien de la peine d’ar-ïêter la fureur du peuple, qui demandoit cesnbsp;deux monftres, amp; qui avoit invefti la maifon

Comte de Limofi, pour y mettre ie feu. Leur crime 11’étoit que trop avéré : Ils furencnbsp;*^t)ndamnés a expirer fur la roue, après avoirnbsp;eté dégradés. Avant de les conduire auTup-PUce, on fe tranfporia au chüteau de Limofi.

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138 nbsp;nbsp;nbsp;Hijioire

On arrêta tons ceux qni avoient eu connoif-fance du crime, ou qui y avoient prêcé leur miniftère, amp; la plupart furent condamnés ^nbsp;la mort. On accorda la vie a celui qui en-feigna ou étoitle cadavre d’Andolofio, qu’onnbsp;avoit jeté dans un des fofles du chateau. On lenbsp;porta dans la prifon du Corate Théodore»nbsp;afin d’augmencer fon fupplice par la vuenbsp;cet objet. Le jour de leur execution, le Comtenbsp;de Limofi fut enlevé de fon lit, quoiqusnbsp;mouranr, il fut conduit fur 1’échafaud, maisnbsp;il expira aux premiers coups qu’il re^ut; lenbsp;Comte Theodore ne fut pas auffi heureux»nbsp;il paffa deux jours dans les douleurs les pinsnbsp;cruelles; le peuple, lafle de le voir vivre,nbsp;lenverfa I’echafaut, fe jeta fur ce malheu-leux, le traina dans la bone amp; le déchiranbsp;en ntille pièces. On n’outragea pas moins Isnbsp;cadavre du Comté de Limoli. On fut que 1®nbsp;Roi avoit ordonné que fon chateau feroicnbsp;démiit; le peuple s’y tranfporta amp; n’y laifl'anbsp;pierre fur pierre. On refpeda la prifon d’An^nbsp;dolofio, fur laquelle on éleva une chapelle»nbsp;avec cette infcription : ^ Dku bienfaifantnbsp;amp; miféricordieux, amp; aux manes du généreuxnbsp;uindolofio : Son coeur y fut dépofé. Son corpsnbsp;fut rranfporté -a Famagoufle, dans le tombeaunbsp;de fon père. Le deuil recommen9a dans cettenbsp;ville afHigée. On allumoit des buchers, amp; I'o*^nbsp;y jetoit les repréfentations des meurtriers;nbsp;tleux des fcélérats qui avoient attaqué Ando-lofio amp; tué fes gens, s’étoienc réfugiés a Fama-goulie; ils furent decouvens amp; traïnés au fup-

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de Fortunatus.

plice : L’oraifon funèbre de Thomme jufte amp; bienfaifant eft dans les larmes du peuple, 85nbsp;non dans les vaines declamations des Oraceurs.

Famagoufte retentiflbit de cris amp; de gé-niiflemens; amp;, quand Ie peuple apprit que Ie Roi, les Princes amp; la Cour avoien: pris Ienbsp;deuil de fon bienfaiteur, les larmes de ten-dreffe pour Ie Roi fe mêlerent a celles de lanbsp;douleur. Le Prince, avec fon époufe, vinrentnbsp;a Famagoufte, amp; les habitans l’aimèrent com-nie 1’héritier du tröne, amp; 1’adorèrent, coramenbsp;un cmur fenüble qui partageoit leurs regrets.nbsp;La Princefle verfa des larmes, en fe rappe-lant les fêtes qu’Andolofio lui avoit donnéesnbsp;a fon paflage: Elle témoigna au peuple com-bien elle étoit touchée de fa douleur. Quafidnbsp;elle amp; fon époux eurent pris poflefiion du palais qu’Ampedo leur avoit donné, au défaucnbsp;de fon frère, ils firent publier qu’ils diftri-bueroient aux citoyens de Famagoufte les ri-chefles qu’il leur avoit laiflees. Les Notablesnbsp;ayant convoqué le peupile, il fut délibérénbsp;qu’on abandonneroit les legs aux Princes, quinbsp;cafsèrent une délibération a laquelle ils n’a-Voient point été appelés. Ils convoquèrent,nbsp;eux-mêmes, une nouvelle aflemblée, amp;, aprèsnbsp;bn long combat de générofité, il fut arrêténbsp;lt;3ue la fucceffion feroit partagée entre les Prinses amp; le peuple, corame entre les héritiersnbsp;d'une même familie. Les vertus des deux frêles furent long-temps, dans Famagoufte, unnbsp;bxernple plus puiflant pour les moeurs, quenbsp;Rs lois amp; 1’autorité.

FIN.


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TABLE

DES CHAPITRES.

(^HAPITRE I. Fin de Fortunatus; coni~ mencement de I’hifloire de fes Enfans. Debutnbsp;de don u4ndoloJio.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;Fogs 5

Chap. II. Mifère, au fein des richejfes. Carac-tère des Francois amp; des Efpagnnls.

Chap. III. Suite des Fojages d’JindoloJio. Ses aventures d la cour d’yJngleterre.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;27

Chap. 1Y. - Jnfortune d'^ndolofio ; J^ijion ? aventures extraordinaires. L’Hermite, amp;nbsp;Pommes enchantees.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;4’-

Chap. V. Atrompeur ^trompeur amp; demi. Bourfi reconquife. Vengeance d'AndoIofio.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;60

Chap. Yl. A quelque chofe malheur eft bon-Ecole des Grands. Hiftoire de I'Herniite-Remède contre les Comes. nbsp;nbsp;nbsp;81

Chap. VII. Phénomènes qui exercent les Sa-vans. Noces da Prince de Chypre. nbsp;nbsp;nbsp;103

Chap. VIII. Complot atroce. Fin tragique da Chapeau. Mort d'uii des fils de Fortunatus-

118

Chap. IX. Fin malheureufe da fecond fils de Fortunatus. Punition des ajfajjins. La Botirfenbsp;perd Jdvertu. Eloge des deuxfrères.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;I3°

Fin de la Table.