DE
Sus. DU NOUVEAUX MÉMOISKS.
DE
SVR DE 2J0UVEAVX MÉMOIRES^
Chez F. J. DESOER, Imprimeur-Librairej fur Ie Pont-d’Ifle.
M, DCC. L X X X V I I,
DE
Svii DE ifouP'EAux Mémoires.
_iA ville de Calais fera a jamais memorable par les exemples de vertus qu’elle a donnés. Le dévoüment de fes fept Citoyens qui lirent le facrifice de leurs vies, pour fauvernbsp;leurs compatriotes, qu’Édouard vouloic livrernbsp;au carnage, 1’a immortalifée. Jean de Calais,nbsp;avant cette époque, eft un des Héros quinbsp;avoir le plus contribué a fa gloire. Le com-nierce amp; la navigation firent, de tour temps,nbsp;la principale occupation des Calailiens, Jean,nbsp;fbrmé par les lejons, Sc par les exemples de
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fon père, étoit devenu le Navigcteur le plus intrepide, amp; le plus grand Commerganc denbsp;1’Europe : A ces heureux talens, il joignoitnbsp;les qualitéslesplusaimables; généreux, doux,nbsp;coropatiflant; il faifoic les délices de la So-ciéte; il en faifoit la richefle amp; la fureté , parnbsp;fon aftivité amp; par fon courage, qu’il exerganbsp;fouvent conrre les Corfaires, dont il avoirnbsp;purgé les mers voifines ; Il les avoir repouf-les loin de la cóte, amp; la terreur de fon nom,nbsp;qui s’ecendoit fur une partie de l’Océan , faifoic jouir le commerce de Flandre, de la Pi-cardie amp; de la Normandie, d’une liberté inaNnbsp;térable.
Un vaifleau arriva, un joutr dans le port de Calais, maltraité par des Corfaires, quinbsp;I’avoient attaqué a la hauteur des cótes denbsp;Bretagne : Jean frémit, a cette nouvelle, amp;nbsp;jura leur ruine. Il arma le même vaifleau,nbsp;après Pa voir acheté du pfopriétaire; fonnbsp;père le munic d’armes amp; de vivres, amp; choi-lit les matelots amp; les gens qui devoient Pac-cotnpagner. X-’Équipage étoit peu nombreux :nbsp;OÜ Pexpérience amp; la valeur dominent, lenbsp;grand nombre n’eil qu’un grand embarras.nbsp;,11 part; a peine a-t-il dépafl’é les cótes de Normandie, qu’il apereoit trois vaif-feaux, qui venoient fi lui, a force de voiles.nbsp;Jean, inférieur en force, mais non en valeur,nbsp;crut qu’il devoir ufer d’adrefle : Tant quenbsp;' les Corfaires allèrent de conferve, il les évita,nbsp;amp; fit femblant de fuir; il les fatigua long-temps , vint a boht de les féparer. Le Cor-
-ocr page 7-faire Ie plus léger s’attacha è Ie pourfuivre : Jean de Calais fuit, jufqu’A ce qu’il Ie vit horsnbsp;de portée de tout fecours : Alors, il fondnbsp;fur Ie vaifleau, fait priibnnier Ie Commandant, amp; coule d fond tont Ie refte. Le fo-leil étoit couché, amp; les deux autres Corfai-res étoient trop éloignés, pour avoir aper9iinbsp;ce qui venoit de fe palier. Jean vole vers eux,nbsp;amp; force le Commandant prifonnier, lorfqu’ilnbsp;eft a portée de fe faire entendre, de deman-der qu’un des Corfaires vienne au fecours denbsp;fon vaifleau prêc d'être fubmergé. Le Cor-faire, qui ne fe méfie de rien, approche, amp;nbsp;fubit le fort du premier. Jean vogue vers lenbsp;troifième, pafle tout au fil de l’épée, amp; envoyenbsp;le Corfaire, avec une partie de 1’équipage, anbsp;Calais, oü il devoit fe rendre, deux joursnbsp;après. Jean avoit promis la vie au Commandant ; il lui donna la liberté. Ce Chef denbsp;pirates, rempli de frayeur amp; de reconnoif-fance, fe jeta a fes pieds, amp; fit remarquernbsp;d fon libérateur deux vaifleaux, dont lesnbsp;voiles, comme un nuage imperceptible, fenbsp;dérobèrent, enfin, a leur vue. II lui appricnbsp;que c’étoient deux Corfaires qui, ne voyantnbsp;plus ceux qu’il venoit de vaincre, amp; fe dou-Tant de leur fort, fe retiroient; qu’ils em-menoient en efclavage plulieurs Chretiens,nbsp;qu’ils avoient pris dans leurs courfes. Jean,nbsp;Voyant que, quelque diligence qu’il fit, ilnbsp;11e pouvoit les atteindre, reprit la route denbsp;Calais, après avoir fait metcre le Commandant d terre.
4 nbsp;nbsp;nbsp;Hijcoire
La 7ille de Calais lui préparoit Ia féte la plus brillante; tout, lur Ie port, refpiroit lanbsp;joie amp; les plaifirs. La Ville, qui Ie regardoicnbsp;comme Ie protefteur de fon commerce, voulutnbsp;que, déformais, Jean n’eüt plus d’autre nom,nbsp;que celui de fa Pacrie , comme les Romainsnbsp;donnoient a leurs Généraux les ooms des lieuxnbsp;qui furenc Ie theatre de leur gloire, foit qu’ilsnbsp;les euflent conquis, foit qu’ils les euüent fau-vés; Get ufage auroit dü fe ccnferver parminbsp;nous.
II revenoit triomphanti les vents portoienC jufqu’a lui, les chants de vidloire done lesnbsp;Calaifiens faifoient retentir Ie port; il fe fai-foit une douce image de la joie qu’éprouve-roit fon père; lorfqu’une nuit affreufe couvr*nbsp;les airs ; un vent impétueux foulève les flotsnbsp;amp; Ie repoufle loin du canal de la Manche:nbsp;II lutte contre 1’orage; fes voiles, qu’on n’a-voit pas eu Ie temps de plier, font déchirées;nbsp;un coup de vent emporte Ie vaifleau commenbsp;une flèche, fans que Jean puiffe favoir dansnbsp;quelles mers.
Enhn , la tempête fe diffipe, Ie jour repa-roit; Jean ne connoit point les mers dont il eft environné; il vogue au hafard, amp; décou-vre, enftn, une ile : II s’élance dans la cha-loupe,'accompagné de huit foldats, amp; abordenbsp;fur une rive facile amp; agréable, couverte d’unnbsp;bois épais; il eft furpris de Ie voir coupé denbsp;vaftes avenues Sr de prairies rafraichies patnbsp;mille ruifleaux, qui fe réuniflbient au dela dunbsp;bois, St formoient un canal qui fe perdoit dans
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l’éloignemetit. II eft d’autant plus étonné, qu’il avoir cru ce pays défert; il le parcoiiroit ennbsp;I’admirant : II entendit parler a cóté de-lui;nbsp;il s’ava^ce, amp; diftingue, a travers le feuilla-ge , trois hommes magnifiquement habillés ,nbsp;qui s’entretenoient en langue Flamande : Ilnbsp;franchit la haie qui les féparoit; il fe trouvenbsp;dans un cabinet de charmille, amp; ces trois étran-gers viennent an devant de lui. jean de Calaisnbsp;leur demande, dans la même langue, quel eftnbsp;ee pays enchante?
„11 eft bien étonnant, lui répondirent les „étrangers, que, de quelque lieu que vousnbsp;„ veniez , vous puiffiez ne pas connoitre 1’ilenbsp;„ Heureufe; c’eft le nom de celle on vousnbsp;„ êtes : Elle a été peuplée par une familienbsp;„ Flamande, qui y échoua, il y a environ unnbsp;f, fiècle. Le Chef de certe familie y bamp;tit unenbsp;„habitation; fix Matelots, échappés au nau-„ frage, s’y établirent aufli; ce qui faifoit dix-„ fept perfonnes, en y comprenant le Chefnbsp;„ amp; fon époufe, quatre filles, trois gardens,nbsp;„ amp; deux fervantes. Le Chef, nommé Pierre,nbsp;„ les raflembla tous, amp; leur propofa de fe fixernbsp;„ ici pour toujours : La terre y paroiflbit fer-„ tile; route inculte qu’elle étoit, elle pro-„ duifoit des fruits d’un goftt délicieux; lesnbsp;„ ruifleaux étoient templis de poiflbn, amp; lanbsp;„ terre couverte de gibier; tous y confenti-gt;, rent : Alors, Pierre adopta les matelots amp;nbsp;gt;5 les fervantes pour fes enfans; elles étoientnbsp;5)jeunes, il les maria avec deux de fes fils;
il choilit les quatre matelots les plus agés,
„ amp; les donna a fes quatre filles : Le plus „jeune de fes fils, amp; les deux matelots quinbsp;„ reftoient, furent deftinés pour les trois pre-„ mières filles qui naitroient. Le bonheur,nbsp;„ done les mariés jouiflbient, excita les re-„ grets des trois célibataires; leurs frères cher-„ choient, vainement, a les confoler; la di-„ vifion alloic fe inettre dans la familie; lenbsp;,, Père les appaifa par cette propofition. — Mesnbsp;enfans, leur dit-il, j’ai un moyen afiuré denbsp;„ vous fatisfaire : Vous voudriez avoir, cha-„ cun, une femme, amp; vous voyez que celanbsp;„ eft impoffible; vous étes d’un üge qui vousnbsp;„ permet epcore d'attendre; vos femmes fe-,, ront jeunes, lorfque celles de vos frères au-„ roftt perdu route la fraicheur de leurs char-„ mes. Si, dans ce temps-la, vos frères, excitésnbsp;„ par le même efprit qui vous anime aujour-,, d’hui, vous enievoient vos époufes, le fouf-,, fririez-vous.irapunément? Si, même, ils re-„ gardoient votre bonheur avec un teil d’envie,nbsp;„ voudriez-vous le partager avec eux? Et fi,nbsp;„ par une coupable commifération, elles lesnbsp;„ recevoient dans leurs bras, feriez-vous dif-„ pofés a leur pardonner cette infidélité? Ré-,, pondez. — Le plus jeune s’écria : — Ah!nbsp;,, périfle la femme faufle amp; perfide qui peut,nbsp;„ indifféremment, prodiguer fes faveurs a celuinbsp;- „ qu’elle aime amp; a celui qu’elle n'aime pas;nbsp;„ car il efl; auffl impoffible au coeur humain denbsp;,, s’attacher a deux objets a la fois, qu’a lanbsp;,, penfée de les embrafler en même temps. —¦nbsp;„ Les deux matelots témoignèrent la même
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}, délicatefle, amp; jurèrent que, s’ils avoient une 5,époufe, ils voudroient en être aimés avecnbsp;la même ardeur qu’ils auroient pour elle.
,,_Pourquoi done, leur dit Ie Père , mur-
j, mureZ'Vous du bonheur de vos frères, ou ), m’ótez-vous, par la délicatefle de vos fenti-}, mens, Ie projet, que j’avois formé, de vousnbsp;,, rendre touscontens. Ils voulurentfavoirquelnbsp;„ étoit ce projet. — j’avois réfolu, reprit-il ,denbsp;^ faire tirer au fort nos femmes; amp; les trois quinbsp;„ vous feroient échues, auroient partagé leursnbsp;,, faveurs entre leurs époux amp; vous. — Lesnbsp;,, jeunes gensparurent unpeu furpris—Mais,nbsp;,, penfez-vous, demandèrent-ils, qu’elles euf-fent voulu y confentir? — Je l’ignore,- ré-,, pondit Ie bon Père; cependant, en fuppo-,, fant qu’elles obéiroient, fans repugnancenbsp;quels fentimens auriez-vous pour elles, ennbsp;fongeanr qu'elles rrahiroient leurs maris?nbsp;,, — Le mépris amp; 1’indignation, dirent-ils. —nbsp;j, Et, fi je les avois forcées de voler dans vosnbsp;bras, malgré elles’, l’eftime qu’elles vousnbsp;auroient infpirée, fans doute, è quoi vousnbsp;j, auroit-elle engagés? Ils répondirent, tout'nbsp;^ d’une voix : — A les rendre a leurs époux,
„ amp; a facrifier nos penchans criminels__Eh
,, hien , mes amis, reprit eet homme fage, ,, faites le facrifice de votre jaloufie : A peinenbsp;3, le plus êgé de vous trois touche-t-il a fanbsp;„ dix-huitième année; dans deux niois, aunbsp;„ plus tard, mon époufe va donner un nou-„ vel habitant a la Colonie; j’efpère que cenbsp;feta une compagne pour 1’un de vous. Déja
fgt; nbsp;nbsp;nbsp;Uijloire
y, deux de racs filles annoncent leur fe'condi-té; Je ciel bénira les autres, amp; vous aurez y Ie plaifir de voif croitre fous vos yeux,nbsp;d’accommoder a vorre caraétère, ces enfans,nbsp;y, qui vous devront leurs vertus amp;leur amour.nbsp;,, — Les jeunes geus foupirèrent, coururencnbsp;y, embrafler leurs frères, amp; vécurent, a 1’a-„ venir, avec leurs foeurs, comme avec lesnbsp;mères de leurs époufes.
„La prediction du Père-de-Famille s’ac-„ complit dans tous fes points : En rooins d’un „ an, la peuplade fut augmentée de quatrenbsp;„ filles amp; de trois gargons, amp;, jufqu’au tempsnbsp;„ oü elles purent être mariées, on comptoitnbsp;„ foixante-quinze enfans. Dans un intervallenbsp;„de vingt-cinq ans, la Colonie fut fi nom-„breufe, que les habitations, bèties fuccef-„ fivement par les families qui avoient éténbsp;„ obligées de fe féparer, formèrent une villenbsp;„ confidérable. Le père de ce peuple n’avoitnbsp;„ pas encore atteinc fa foixantième année. Lanbsp;„ néceffité, amp; quelques connoiflances qu’ilnbsp;„ avoit apportées d’Europe, lui fuffirent pournbsp;„ établir, avec le fecours de fes enfans amp; denbsp;„ fix matelots, tous les arts utiles; il s’atta-„ cha a faire un corps de lois fimples, amp; peunbsp;,, nombreufes; elles avoient pour but 1’unionnbsp;,, amp; la Concorde ; Il rendit les chatimens utilesnbsp;,, au coupable amp; a la Société. Celui qui avoitnbsp;,, violé la loi naturelle, étoit cité devantfesnbsp;,, frères, qui le for?oient d’avouer fon crimenbsp;amp; de fe juger lui-même. On apprenoit lesnbsp;„lois aux enfans, en les inftruifant des de-
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voirs qu’elles leur impofoient; Ie Légifla-,, teur croyoic qu’il étoit injufte de punir ,, celui qui conirevenoic a la loi ^ lorfqa’ilnbsp;,, ignoroic la loi, a moins qu’il n’eüt conu-C-„ venu a la loi naturelle, qui eft dans tousnbsp;,, les coeurs.
, „ A la mort de Pierre, qui arriva a fa „ qaatre-vingt-quinzième année, Ie nombrenbsp;,, des habitaus alloit a prés de cinq mille,nbsp;,, parmi lefquels il voyoit fa cinquièmegénéra-,, tion. Avanc de inourir , il affembla lesnbsp;„ Chefs de routes les families. — Mes enfans,nbsp;„ leur dit-il, bientót, vous ne m’aurez plus:nbsp;,, Je vous laifle, a ma place, des lois, dont lanbsp;,, iageflé s’elt aflez manifeftée par l’ordre amp;
i, nbsp;nbsp;nbsp;la paix qui ont régné, jufqu’a préfent,nbsp;„ parmi tous. Si je croyois que Ie même ef-,, prit, qui vous anime, amp; que la même dif-„ cipline , dont vous ne vous êtes point écar-„ tés, fe perpétuaflent dans vos defcendans,nbsp;,, je vous dirois : II ne vous faut poiat d’autrenbsp;,, maicre que la loi; qu’elle foit écrite dansnbsp;„tous les coeurs, amp; que 1’aflemblée du peu-„ ple, repréfentée par ceux qu’il choifira pournbsp;„ la faireobferver, juge amp; récompenfe. Mais,nbsp;„ a mefure que ee peuple s'augmentera, lesnbsp;„ principes s’altéreront, il perdra de vue fesnbsp;,, véritables intéréts; les paffions des ufts, les
j, nbsp;nbsp;nbsp;préjugés des autres, y jetteront Ie troublenbsp;„ amp; la confufion; La loi, qui n’eft que la raifonnbsp;9, même réduite en principe, n’aura qu'unenbsp;gt;gt; voix impuiflante ; chacun 1’interprétera aunbsp;« gré de fon penchant. Il faut done, a la tête;
10 nbsp;nbsp;nbsp;Bijloire
„ de la Nation , ou un corps dépofitaire de „ la loi, OU un Chef, qui, laiflanc i la Na-„ tion , repréfentée par. un corps de Magif-„ trats qu’ü nommera , Ie droit d’interpré-,, ter la loi, fe réferve la force pour la ftürenbsp;obferver, amp; partage, avec Ie corps de Ma-,, giftrats, la prérogative d’ajouter a la loi,nbsp;,, amp; de niodérer fa févérité en cas de befoin.nbsp;,, Je ne m’attacherai pas a mettre fous vosnbsp;,, yeux les incohvéniens qu’offrenc 1'un StTau-,, tre partis; Ie plus doux me paroit être celuinbsp;„ OU la Société remet fes intéréts entre lesnbsp;,, mains d’un Chef; celui-ci confie une partie denbsp;,, 1’autorité, dont la Nation 1’a revêtu, aunbsp;corps des Magiftrats qu’il a choifis Voyez,nbsp;„ mes enfans, examinez quel eft Ie parti quenbsp;„ vous croyez Ie plus propre a votre félicité.nbsp;,, Remontez a l’origine de votre établiflem.entnbsp;,, dans cette ile; croyez-vous qu’il eüt mieuxnbsp;„ valu, pour votre bonheur, que notre petitenbsp;,, troupe fe fut gouvernée elle-même, ou pen-fez-vous qu'elle doive fes fuccès a l’auto-,, rité paternelle, que j’ai exercée fur vous?nbsp;,, Quoiqu’il y ait une très-grande différencenbsp;„ entre une fociété de dix - fept perfonnes,nbsp;,, réunies par Ie befoin, amp; un peuple nombreuxnbsp;,, divifé par autant d’intérêts, quhl y a denbsp;„ perfonnes qui Ie compofent, vous pouveznbsp;„juger, par ce qui s’eft pafl'é jufqu’aujour-,, d’hui , de ee qui arrivera dans les fiècles è.nbsp;,, venir.—
„ Après avoir ainfi pdrlé, Ie Père-de-Familie „ fe retira, pour lailiér a la Nation la libertc
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de Jean de Calais.
•»,de délibérer. Cette matière fut long-terops difcutée ; on ne pouvoit pas s’accorder,nbsp;,, lorfqu’un des plus anciens fe leva , amp; tiranbsp;1, un argument convaincant-contre Ie gouver-„ nement populaire, de la diverfité méme desnbsp;„opinions des délibérans. — Quoi, dit-il,nbsp;,, fi vGus ne pouvez pas vous accorder, pournbsp;,, favoir s’il vaut mieux que vous vous gou-„ verniez vous-mêmes, ou qué vous foyeznbsp;„ gouvernés par un maitre, que fera-ce, lorf-„ qu’il vous faudra choifir les Magiflrats quinbsp;„ doivent repréfenter Ie corps de la Nation?nbsp;„ amp; fi vousavez a vous défendre contre quel-,, que peuple jaloux, comment choifirez-vousnbsp;„vos Généraux? Le peuple, partagé en au-„ tant de corps qu’il y aura de prétendans,nbsp;„ fera la dupe de leurs intrigues, oulejouccnbsp;„ de leur éloquence •, les plus adroits l’empor-„ teront, amp; les plus braves, qui auront dé-„ daigné 1’aviliflante reflburce de vanter unnbsp;„ mérite qu’ils croiront d’autant moins avoir,nbsp;„ qu’ils l’auront, en eöet, feront oubliés.nbsp;„ Chers Compatriotes! quel eft 1’objet de nosnbsp;„vffiux? le bonheur de teus. Dans le gou-,, vernement populaire, il ne faut qu’un ara-„ bitieuK pour jeter le défordre parmi les con-,, citoyens. Je fais que la fituation de notrenbsp;„ ile nous met 4 1’abri de la paflion des con-„quêtes; mais Pambition avide des richefles,nbsp;,, ou de lagloire, nous fera d’autant plus fu-„ nelie, qu’elle ne pourra s'exhaler au dehors;
elle employ era, pour fe faire despartifans, -»^la Ibrce, 1’adrefle, amp;, furtout, la corrup-
12 nbsp;nbsp;nbsp;Uifloire
„ tion; Si quand Ie peupk eft corrompu, on „ en fait tout ce qu’on veut.
„ Dans Ie gouvernement d’un feul, la cor-„.ruption gagne, du moins, avecplus de len-,, teur ; la corruption ne peut être ébranlée „ par les caufes deftruélives de tout gouver-„ nement: Mals, comme !a Cour amp; Ie peupjenbsp;,, fe règlent fur l’exemple du Monarque, eÜenbsp;fe rëtablit alfément, auffi-tót que Ie Mo-„narque Ie veut. Si Ie Souverain eft jufte,nbsp;5, grand, vertueux , voulant tout voir parnbsp;5, lui-même, qui eft-ce qui, fous un tel rè-„ gne, ofera ne pas être jufte, grand amp; vet-tueux? Quel fera Ie Miniftre qui s’expoferanbsp;,, a Ie tronaper? Si, fous un règne trop foiblenbsp;„ OU trop tyrannique, l’Etac tombe dans lanbsp;,, langueur, il fe relève fous Ie règne fuivant,nbsp;„ pour fi peu d’énergie que Ie Souverain aitnbsp;„ dans l’ame, de juftefle dans 1'efprit, pournbsp;„ connoitre amp; pour choifir les hommes qu’ilnbsp;5, doit employer. Ainfi, mes diers Conci-„ toyens, vous ne devez pas héfiter de vousnbsp;„ débarrallèr du foin fatigantSt dangereux denbsp;„ vous gouverner vous-mêmes.—
,, Tout Ie monde fut de 1'avis de ce Ci-„ toyen; il propofa de declarer Pierre Rol de ,,1’ile; on lui applaudit : On courut è.
,, habitation; on Ie ramena dans l’aflemblée „ du peuple : On vouloit le'couronner; mais,nbsp;,, Pierre fit porter la couronne fur un au telnbsp;,, de gazon, amp; la plaga fur Ie livre de la Loi.nbsp;,, — Mes enfans, leur dit-il, je fuis votrenbsp;,, Légiftateur, amp; votre père j ces detix titres
de lean de Calais, nbsp;nbsp;nbsp;13
„ valent bién celui de Roi. J’ai mis tons mes „ loins a vous rendre heureux; qu’aurois-je punbsp;,, faire de plus fur Ie tróne? Vous vous décideznbsp;« pour Ie gouvernement roonarchique; je Ienbsp;j, croislemeilleur detous, pour Ie people, lorf-,, que Souverain eft Ie premier a fe foumet-¦„ tre a la loi. Vous venez de mettre en mesnbsp;,, mains Pautorité fuprème ; fi je m’en fer-„ vois, ce feroit pour élire celui qui doit régnernbsp;„ fur vous : Je 1’ai nommé dans mon coeur;nbsp;,, mais je veux qu’il foit élu d’un confente-,, ment unanime. — Le peuple Ie prelia denbsp;„ nommer; il fut inexorable; les voix fe trou-,, vèrent partsgées entre un fils de Pierre,nbsp;,, qui 1’avoit aidé a rédiger les Lois, amp;, unnbsp;„ des Matelots, qui, dans mille occafions,nbsp;,, avoir appaifé des troubles, terminé desnbsp;„ différens, amp; rendu aux habitans les plusnbsp;„ importans fervices. On ne pouvoit s’accor-,, der, lorfque le Matelot prit la parole. —nbsp;„ Mon frère doit êtie Roi , s’écria-t-il; J®nbsp;,, compte pour rien la pirérógative de fa naif~nbsp;,, fance ; Dès que fon père-nous a adoptés,nbsp;„ nous fommes tous égaux; maïs-, ce qui lenbsp;„rend, a mes yeux, digne du tróne, c’eftnbsp;„ que, né avec un penchant fecret a la fier-,, té, a l’intempérance amp; a d’autres vices, ilnbsp;„ s’eft, non feulement ^ toujours ihqntré le plusnbsp;„ fage amp; le plus vertueux de fes concitoyens,nbsp;„mais encore, c’eft que les Lois les plus fé-„ vères contre 1’intempéfance, l’órgueil amp; lesnbsp;», défaurs de fon car^élère, c'eft dui^ iqüi les- anbsp;•«'faites, -ói il en a été le plus rigide
14 nbsp;nbsp;nbsp;' Hifïoire
„ vateur. Quiconque eft jufte a 1’égard ds ,, foi, ne peut pas manquer de 1’étre a 1’é-,, gard des autres. Vous voulez récompenfernbsp;,, quelques vercus nées avec moi, done lesnbsp;,, unes font, peut-êcre, plutót 1’effet de monnbsp;„indolence naturelle, que d’un goüt par-,, ticulier pour la vertu même; amp; les autres,nbsp;,, les fuites d’une bonté que je tiens de la na-,, ture : Puis-je répondre que ces vertus nenbsp;„ m’abandonneront pas fur Ie tróne? Juftenbsp;,, fans effort, je n’ai ni 1’ame aliéz ferme pournbsp;,, réfifter aux piéges du flatteur, ni l'efpriEnbsp;,, affez étendu pour dévoiler les artifices denbsp;„ quiconque voudra me trompet. _
,, Le fils de Pierre convint de tous les pen-„ chans que fon concurrent lui avoir repro-„ chés, amp; foutint que, quoiqu’il les eut ré-„ primés jufqu’a ce jour, ils pouvoient re-„ prendre le deffus, lorfque rien ne les „ borneroit plus. Le Matelot prouva qu’il
s'obferverolt encore davantage, prit la cou-„ ronne de deiUis 1'autel, amp; la mit brufque-„ ment fur la tére de Pierre II; car on compta ,, le Legiflateur comme le premier Roi. Lenbsp;„ paqple applaudit: Le Roi choifit le Matelotnbsp;,, pour être fon premier Miniftre; il lui re-,, mit le livre de la Loi, amp; 1’établit fon jugsnbsp;5gt; enire la Loi amp; lui, amp; entre cette mém®nbsp;„ Loi amp; fon peuple.
„ Le Légiflateur fut- le premier è fléchir le „genou devant fon fils, amp;, comme le Roinbsp;,, voulojt 1’en empécher :nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;Ce. n’eft pas a
„ mon fils^ dit -il que je rends eet hommage.:
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„ Comme ton père, je te dois de l’amour, ,, des exemples amp; des legons : Si tu te ren-„ dois indigne de 1’un ou de 1’autre, ta cou-„ ronne ne m’empêcheroit pas de te Ie re-„ procher ; c’eft au Roi que s’adreffent mesnbsp;,, refpeds : Dès que la Nation t’a choifi pournbsp;„ fon Maïtre, c’eft en toi qu’elle réfide, amp;nbsp;,, c’eft elle que je révère en toi. Sois jufte»nbsp;„ bon, généreux, comme elle doit l’être, amp;nbsp;,, fouviens-toi que ton bonheur eft infépara-ble du fien. —
prendra , peut - être, c’eft que , de deux ,,fils, qu’il a, quoique adorés du peuple amp;nbsp;„ remplis des talens les plus rates, il n’en anbsp;,, choifi aucun pour lui fuccéder. II faut desnbsp;„ qualités particulières pour lesRois, bien dif-,, férentes de celles des fujets. II a défigné lenbsp;,,fils de fon Miniftre; mais, en laillant aunbsp;„ peuple la liberté de réformer ce choix, fi.nbsp;„Pon trouvoit un plus honnéte horame anbsp;n metue a fa place.
„Voila, continuèrent les Êtrangers, com-„ ment cette Golonie s’eft établie ; Pierre II „ règne encore; il touche a fa quatre-vingt-,, dixième année; il a toujours obfervé lesnbsp;^ Lois qu’il a faites: Si les circonftances 1’ontnbsp;„force d’y changer quelque chofe, il ne l’anbsp;„jamais fait qu’avec Ie confentement de lanbsp;„ Nation ; II a toujours deux objets en vue;nbsp;„ Ie premier, de rendre fon peuple heureux,nbsp;„il Ie remplit dans toute fon étendue ; Lenbsp;„ fecond, de former a la vertu celui qu'il anbsp;„ défigné pour lui fuccéder. Ce qui vous fur-
16 nbsp;nbsp;nbsp;Hifiolre
„ Nous vivons tons dans la plus grande ,, union ; c’etoit le but de la légillation denbsp;„Pierre. Coinme routes les profeffions, quenbsp;„nous exerqons, tendent an bien de la So-,, ciété, tous les etats font egaux; Peftime eftnbsp;„ réfervée a celui qui remplit le mieux fesnbsp;„ devoirs : C’eft ce qui a fait que les arts fenbsp;,, font perfecftionnés en fi peu de temps, pareenbsp;„que, comme nous regardons du radme oeilnbsp;,, le métier de Miniftre amp; celui de Laboureur,nbsp;„ aucun n’eft tenté de prendre une autre-pro-„ fefllon que celle de fon père, a moins qu’il
ne fe fente pas les talens néceflaires pour y „ réuflir : Le père de celui qui entretient cenbsp;„jardin, etoit jardinier, amp; fes petits-fils lenbsp;„ feront, jufqu’a ce qu’ils ne fe trouvent pasnbsp;„ les difpofitions néceflaires.
„ Ne regrettez point d’avoir été jeté dans „ cette ile , fi vous êtes vertueux ; Si vousnbsp;„ ne l’étes pas, croyez-moi, n’allez pas plusnbsp;,, loin, non que vous ayez a craindre la moin-5, dre infulte de nos concitoyens; les droitsnbsp;„ de 1'hofpitalité font facrés pour eux : Maisnbsp;„vous y ferez veillé de prés, amp; malheur inbsp;„ vous, fi vous cherchieza corromprenos In-„¦fulaires. Si vous voulez vous faire une ideenbsp;j, de la beauté de ce féjour, montez fur cette
hauteur.
Jean de Calais fut étonné de la grandeur amp; de la magnificence de la Capitale, qui s’offricnbsp;a fes yeux. Elle étoit fituée au milieu d’unenbsp;plaine immenfe, traverfee du fuperbe canalnbsp;qu’il avoir aper9u, couverte des plus riches
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moiSbns, h coupée de jardins, de vergers, amp; de bofquets délicieux. Jean, après avoir prisnbsp;congé des trois habitans, s’achemina'vers 3anbsp;Ville. En parcourant la campagne , il étoitnbsp;étonné de fa fernlité: Parvenu a la Ville, ilnbsp;ne favoit ce qu’il devoir admirer le plus, denbsp;fa richefle, ou de fa fimplicité. On vint lenbsp;recevoir, a I’entree de la Ville; amp;, après luinbsp;avoir offert route forte de rafraichiffemens,nbsp;on le conduifit au palais du Roi; Il etoit fituénbsp;au centre , féparé par un jardin qui 1’envi- .nbsp;ronnoit amp; qui dominoit fur la rivière. Jeannbsp;fut obligé de dire fon nom , amp; de raconternbsp;les principales aventures de fa vie; On le pré-vint que, quelque raifon qu’il eut de les ca-cher , il ne devoir rien déguifer, paree qu’ilnbsp;n’avoit rien a craindre, amp; qu’il auroit a rif-quer, s’il n’étoit point fincère. Après cettenbsp;converfation , un homme qui 1'avoit ecrite,nbsp;amp; qu’il n’avoit point aperpu, le conduifit aunbsp;Roi, amp; lui remit le papier; Le Roi le iut,nbsp;tandis qu’on faifoit voir a Jean routes lesnbsp;beautés du palais. On le ramena au Roi , quinbsp;ne s’informa plus de rien, amp; qui le combla denbsp;careffes. Il lui demanda dans quel endroit denbsp;la Ville il vouloit être logé. Jean répondit quenbsp;ce feroit dans celui qui le mettroit le plus ènbsp;piortée de voir routes les beautés d’un Étatnbsp;auffi floriffant. Le Roi 1’exhorta de venir anbsp;la Cour le plus fouvent qu’il le pourroit, amp;nbsp;le fit conduire dans une maifon voiline dunbsp;port. Il y fut introduit par le ineme Officiernbsp;•qui avoit écrit fa converfation. Ses hotes le
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re9urent comme s’il eütété de la familie; ils eprent pour lui rous les égards qu’on auroicnbsp;pour un fils qui reviendroit d’un long voyage:nbsp;Ils lui donnèrent leur fils ainé pour Ie con-duire dans la ville, amp; lui faire voir ce qu’il ynbsp;avoir de plus curieux.
On Ie mena fur une grande place, on la llatue du Roi régnanc écoit entourée d’unnbsp;groupe qui repréfentoit 1’Abondance amp;la Paix,nbsp;verfant leurs préfens fur un peuple heureux-Ce ne fut pas ce qui ie furprit Ie plus; fesnbsp;regards furent artirés par un fpeftacle horrible : II vit une troupe de chiens qui fe dif-putoient Ie cadavre d’un homme qui paroif-foic mort depuis peu. jean, éconné de ce traitnbsp;d’inhumanité de la part d’un peuple qui luinbsp;paroiflbit fi doux, demanda pourquoi les Lois,nbsp;dont on lui avoit tant vanté la fagefie, fouf-froient que Ie corps d’un citoyen fdt ainfinbsp;déshonoré après fa mort, On lui répondit quenbsp;les Lois ne donnant aucune aétion contre lesnbsp;débiteurs pendant leur vie, lespuniflbient ainfi»nbsp;lorfqu’ils mouroient infolvables , ce qui n’é-toit arrivé que deux fois dans l’ile. Cettenbsp;punition parut fi fingulière a Jean, qu’il demanda è fon condudeur la raifon de cettenbsp;Loi: II apprit qu’elle tenoitde la Religion dunbsp;pays. Les habitans de cette ile font convain-cus que 1’ame d’un débiteur infolvable eft er-rante jufqu’a la fin des fiècles, amp; ne peut jamais participer aux récompenfes proniifes auxnbsp;hommes qui n’ont jamais fait aucun tort anbsp;leurs feniblables, d moins qu’il ne fe trouye
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de Jean de Calais.
quelque citoyen compatiffant qui paye fes det-tes. La Loi, en ordonnant que Ie corps du débiteur infolvable fut jeté aux chiens, dans unö place publique, a eu deux objets; L'un, d’ef-frayer les débiteurs par un exemple qui révolte 1’humanité, maisqui, au fond, ne faicnbsp;aucun mal au coupable; amp; 1’autre, d’intéreflernbsp;les ames généreufes. a acquitter les dettes denbsp;ces malheureux. Jean de Calais demanda encore comment il falloit s’y prendre pour payer.nbsp;— II ne faur , dit Ie conduéteur, que fairenbsp;publier, a fon de trompe, que 1’on eft pretnbsp;a payer les dettes d’un tel, dont Ie cadavrenbsp;eft a la merci des chiens. Jean appela tout denbsp;fuite un trompette, amp;, dans une heure, tousnbsp;les créanciers fe trouvèrent fur la place. IInbsp;leur promit que, Ie lendemain , ils feroientnbsp;tous payés; amp;, fur fa parole, Ie cadavre futnbsp;enlevé.
II continua fa courfe vers Ie port, ou il 'trouva fon vaifleau ; il y prit 1’argent né-ceflaire, amp; s’amufa a obferver Ie grand nombrenbsp;de navires qui abordoient des différentespartiesnbsp;de 1’univers. La bonne-foi de ce peuple ynbsp;atciroit Ie commerce Ie plus florilfant. Jean,nbsp;après avoir admiré les magafins immenfes quinbsp;bordoient Ie port, fe retira chez fes hótes, oilinbsp;l’on avoit tranfporté Ie cadavre qu’on avoipnbsp;mis dans un cercueil. II demanda pourquoi onnbsp;1’avoit porté dans eet endroit? — C’eft, luj ré-pondirent fes hótes, paree que Ie cadavre vousnbsp;appartient, amp; qu’il dépend de vous de pro-ionger op de finir les tourmens de fgn ^me
H/JIoire
errante; tourmens qui ne finiront ’que par It fepulture de ce corps. —Auffi, dès qu’il fucnbsp;jour, Jean fit venir tous les créanciers, lesnbsp;paya, amp; fit au cadavre de magnifiques fune-railles. Les principaux Magiftrats amp; les parens du more, accompagnes d'un peuple in-rombrable, vinrent marquer leur reconnoif-fance a Jean de Calais, amp; 1’on fit publiqua-ment fon éloge.
Jean vouloit faire connoitre i route 1’Eu-rope une Nation fi extraordinaire : ,11 retourne fur le port, pour prendre les hauteurs de cettenbsp;terre, aiin de donner a fa pacrie le moyen denbsp;commercer avec ce peuple, amp; de prendre 1’ef-prit amp; la fagefle de fon gouvernement. Commenbsp;il etoit fur le point de revenir chez fes hóres,nbsp;jl aper^ut, fur le pont d’un vaifleau qui ve-noit de mouiller auprès du fien, deux femmes qui verfoient un torrent de larmes; 1’é-clat de leur parure attira fes regards; il nenbsp;fut pas moins éronné de leur beauté que denbsp;leur affliftion. Il prêta 1’oreille autant qu’ilnbsp;lui fut poffible, amp; il entenditqu’elles parloiencnbsp;efpagnol. Jean de Calais, qui parloit cettenbsp;langue, leur demanda qui elles étoient, amp; s’ilnbsp;pouvoit leur étre de quelqu’utilité.^’ Les bellesnbsp;Etrangères répondirentqu’elles étoient efclavesnbsp;du Coifaire maïtre du vaifleau fur lequel ellesnbsp;étoient, 8c que, dans deux jours, il devoir lesnbsp;vendre a un autre Corfaire qui faifoit voilenbsp;pour Conftantinople. II s’informa s’il n’éroicnbsp;pas poflible qu’elles fuflént vendues a d’nii-tres: Elles répondireni que c’étoit une chofe
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trés - indifférente au Corfaire, pourvu qu’il en eüt Ie prix qu’il demandoit. Jean les con-jura de ie tranquillifer, amp; leur promit que,nbsp;Ie lendemain, elles feroient libres.
De retour chez fes hótes, il leur raconta ce qui venoit de lui arriver : — Autrefois,nbsp;lui dirent-ils, la Nation les eüt rachetées:nbsp;Nous ne voyons 1’efclavage qu’avec horreur;nbsp;nous avions délibéré d’interdire ce commercenbsp;aux étrangers fur ces cótes, amp; on avoit faitnbsp;une loi, par laquelle tout efclave qui entroicnbsp;dans Ie port recouvroit fa liberté. Nous aper-5Ümes bientót que cette loi gênoit Ie commerce, amp; qu’aucun vaiffeau des pays oü 1’efclavage a lieu , n’abordoic chez nous ; alors ,nbsp;nous fimes publier que la loi fubfifteroit, maisnbsp;que la Nation racheteroit les efclaves, amp;; leurnbsp;donneroit la liberté. Les vaifléaux Africainsnbsp;Afiatiques revinrent, amp; ils amenèrent unnbsp;fi grand nombre d’efclaves, que Ie tréfor public fe trouva bientót épuifé. Le commercenbsp;eft une mine fi abundante, que ces pertes fu-rent réparées en très-peu de temps. Malgré lesnbsp;dépenfes que 1’achat des efclaves entrainoit,nbsp;nous continuames encore pendant deux ans,nbsp;lorfque nous apprimes que les Corfaires, attires par Pappas du gain amp; la certitude de ven-dre leurs prjfes, faifoient desenlèvemens beau-coup plus fréquens, amp; défoloient une partienbsp;de 1’Europe maritime : Quelques Nations voi-^nbsp;fines nous firent même folliciter de ne plusnbsp;acheter des efclaves. C’eft depuis ce tempsnbsp;que nous avons difcontinué une générolité.
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qui devenoit funefte par Pabus des vendeurs: Cependanc, la loi nö fut point abrogée, amp;,nbsp;en votre faveur, après ‘ce que vous avez faitnbsp;pour ce débiteur infolvable, il vous fera aifénbsp;d’obtenir la rangon de ces deux efclaves; —nbsp;Jean eüt été faché d’être privé ^e leur ren-dre ce fervice. II revint, Ie lendeinain, furnbsp;fon bord, fit appeler leCorfaire, amp;, Ie mar-ché ayant été auffi-tót conclu, il fe fit amener les deux efclaves: II leur donna la mainnbsp;pour defcendre fur fon vaifleau, amp; renvoyanbsp;Ie Corfaire.
Les deux Captives relevèrent leur voile i Si marquèrent leur reconnoiflance a leur nouveau Patron. Jean, étonné de leur beauté,nbsp;leur protefta qu’elles n’avoient plus de mai-tre, amp; qu’il étoit Ie plus efclave des trois. IInbsp;leur demanda oü elles vouloient qu’il les con-duisit. Les belles captives parurent pénétréesdenbsp;tant de générofité. La plus belle , amp;celle pournbsp;qui Jean fentoit déja la plus vive tendrefle,nbsp;lui dit que ce ne feroit qu’au retour du vaif-feau a Calais, qu’elle fe détermineroit. II leurnbsp;demanda la permiffion de les quitter pournbsp;quelques heurès, amp; leur promit de ne plus fsnbsp;féparer d’elles qu’a la fin de leur voyage. ,
II revint a la Ville, alia prendre conge du Roi, amp; recevoir fes ordres : II alia, en-fuite, chez fes bótes, qui ne purent Ie voitnbsp;partir fans regret : Ils l’accompagnèrent juf-qu’a fon bord, 1’embrafsèrent amp; lui remirentnbsp;Ie papier oü 'fa converfation au palais du Rolnbsp;avoit été écrite. Jean furpris, leur en de-
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manda la raifon : — C’eft, lui répondirent-ils, afin que vous remportiez avec vous vos fecrets, fi ce papier en contient quelqu’un quenbsp;vous ne vouliez pas qu’on fache. La feulenbsp;precaution que nous prenons contre les érran-gers, ell d’écrire les réponfes qu’ils font : Lanbsp;première , eft la feule fois qu’on les interroge;nbsp;on remet ces réponfes a 1’hóte, chez lequelnbsp;Ie Roi les envoye, afin qu’on puifl'e s’aflurernbsp;s’ils n’en ont point impofé , amp; fi leur conduite dément ce qu’ils onr dit; daiis ce cas,nbsp;on les forceroit de fortir de 1’ile. Nous nenbsp;fommes pas les feuls qui voudrions vous ynbsp;retenir: Le Roi, ayant appris que vous devieznbsp;partir , nous a fait dire de faire tons nos efforts pour vous engager a vous faire natura-lifer parmi nous. Hier, nous vous en parlêmesnbsp;indirediement, nous eflayames même de vousnbsp;faire fentir les avantages dont vous pourrieznbsp;jouir a la Cour; mais nous vous vimes fi.nbsp;prefle du défir de revoir votre Patrie, quenbsp;nous crümes inutile d’inlifter plus long-temps.nbsp;— Jean témolgna a fes hótes toute fa recon-noiffance; amp;, après les avoir priés de porternbsp;fes refpefts au Roi, il les embrafla, amp; alia re-joindre les deux captives.
Celle pour qui Jean s’enflammoit de plus Cn plus, lui marquoit auffi plus de reconnoif-fance. L'une amp; I’autre paroiflbient pénétréesnbsp;fon refpeft, de fes attentions amp; de fesnbsp;Sftces; il leur demanda leurs ordres pour met-Ji'e a la voile ; il voulut qu’elles. fixaflent ienbsp;jour amp; 1’heure du depart.
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II chercha tous les moyens de les amnfer pendanc Ie voyage : II leur en adouciflbit lesnbsp;peines, par les attentions les plus recherchées.nbsp;Jufqu’au moment oü Jean de Calais avoit vu «nbsp;pour la première fois, ces étrangères fur fonnbsp;bord, fon cmur infenfible n’avoit jamais ref-fenti Ie pouvoir de la beauté. Sa taille noblenbsp;amp; légere, des yeux, dans lefquels fe pei-gnoient la férénité de fon ame amp; la douceurnbsp;de fon caraètère , un regard ferme amp; prêt anbsp;s’attendrir , Ie fourire des amours, un frontnbsp;qui annon90it Ie courage Ie plus intrépide,nbsp;une démarche lefte, un corps que la natur*nbsp;fembloic avoir modelé fur les proportions quenbsp;les Poëtes donnent au Dieu Mars, l’avoientnbsp;rendu 1’objet des voeux des Calaifiennes; L’a-mour, qui ne vouloit pas Ie rendre coupablcnbsp;d’une infidélité , l’empécha de s’enflammer »nbsp;pour Ie conferver k fa captive. II éprouvoitnbsp;auprès d’elle des fentimens qu’il ne connoiflbicnbsp;pas : Elle étoit Pobjet de tous fes voeux; fansnbsp;cede, elle étoit préfente a fa penfée ; un ref-ped, femblable a celui quhnfpire la divinité gt;nbsp;enchainoit les défirs done il étoit dévoré.
La belle captive n’éprouvoit pas des f^*’quot; timens plus tranquilles : Ses yeux, hurnide®nbsp;de tendrefle, fixoient, quelquefois, fon libe'nbsp;rateiir, amp; fe détournoient, malgré elle, lorlquot;nbsp;qu’elle pouvoit en être aper5ue; ellejugeo^nbsp;de la fituation de 1’ame de fon amant par 1*nbsp;fienne ; mals elle eüt voulu qu’il la lui eu^nbsp;avouée. Jean ne peut pilus fe contraindre; inbsp;tombe a fes pieds: Punlilez-moi, lui d;r'
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il; j’ai jure que je n’avois d’autre deflein, en vous arrachant des mains du Corfaire, quenbsp;de vous rendre la liberté ; Je Ie croyois, amp;nbsp;j’étois bien éloigné de penfer que je fuflenbsp;excité par un autre fentiment que par celuinbsp;de la générofité. Un intérêc, moins noble, peut-être, mals plus preflant, me portoit a vousnbsp;rendre ce fervice : Je vous ai adorée du moment que je vous ai vue ; j’ai long-tempsnbsp;combattu ma tendrefle, amp;, fi vous favieznbsp;combien il m’en a cotaté pour ne pas vou»nbsp;la déclarer plutót, votre coeur ne pourroitnbsp;jamais s’offenfer de 1’aveu que je vous en fais.
La captive rougit amp; foupira : — Quel que foit Ie motif, lui dit-elle, auquel je dois manbsp;liberté. Je n'en fuis pas moins pénétrée d’unenbsp;reconnoiflance qui ne s’effacera jamais de monnbsp;c(£ur: Loin de m’offenfer de l’aveu de votrenbsp;tendrefle, oferai-je vous 1’avouer, mon coeurnbsp;ie défiroit; j’aurois, peut-être, du vous cachet plus long-temps 1’impreflion que vosnbsp;vertus ont faite fur moi; je fuis peu faite a.nbsp;cet art de déguifer un fentiment, pour luinbsp;donnet' plus deprix. D’ailleurs, je vouscon-nois aflez, pour avoir a craindre que vousnbsp;tiriez quelque avantage de ma fenfibilité. Avecnbsp;la même naïveté que je vous avoue la fituationnbsp;de mon.aine, je vous protefte qu’elle ne chan-gera jamais. Vous avez fait le mêm.e fermentnbsp;dans votre cmur, amp; j’y ai pénétré trop avant,nbsp;pour que je fufpefte jamais votre fidélité.
, Jean étoit dans I’ivrefle du plaifir amp; de la joie j 1'afliirance d'éue aimé le rendit plus ein-
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prefle de plaire« plus attentif amp; plus foumis encore: II ignoroit amp; le nom amp; la naiflancenbsp;de la belle captive; il n’avoit jamais fongénbsp;a le lui demander; il lui paroiflbic feulemencnbsp;qu’elle étoit d’un rang au deffus de fa com-pagne. Un jour, il fe hafarda a la prier denbsp;lui dire comment elles étoienc tombées aunbsp;pouvoir du Pirate: — Ne me foup9onnez pas,nbsp;ajouta-t-il, d’une curiofité intéreliee; je ne dé-fire d’apprendre les évènemens de votre vie,nbsp;que pour les partager: Votre naiffance, quellenbsp;qu’elle foit, n’a rien de commun avec notrenbsp;amour ; Comme l’éclat d’une couronne nenbsp;fauroit 1’augmenter, 1’obfcurité de 1’écat lenbsp;plus vil ne fauroit 1’aifoiblir : Tout eft aunbsp;deflbus de votre beauté, de vos grkes amp; denbsp;vos vertus; amp; vous feriez encore dans 1’efcla-vage, que je ne vous aurois pas offert ma main
avec moins de défir d’être accepté__
__Je connois, reprit la captive, route 1’é-
tendue de votre générofité ; étrangère, in-connue, portant encore les marques de la captivité, c’eft des mains d’un Corfaire quenbsp;vous tenez votre époufe ; mais, puifque j’ainbsp;regu votre foi, amp; que je vous ai, engage lanbsp;mienne, foyez afluré que vous n’aurez jamais a vous en repentir. — Moi, m’en re-pentir! s’écria Jean; ciel! aurois-je mérité..; •nbsp;— Non , reprit-elle; mais le myftère que jenbsp;dois vous faire de ma naiflance, exige quenbsp;vous érouffiez votre curiofité. II eft ellentielnbsp;que je vous cache , pour quelque temps, denbsp;quels parens je fuis née. Mon nom eft Conl-
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tance; irabelleeftceluidemacompagne. Quant au refte, je dois garder lefilence, pour votrenbsp;intérêt méme.
Jean de Calais témoigna Ie plus fenfible rs-gret de fon indifcrétion , amp; réitéra a fon amanie la promefle de ne plus lui faire denbsp;demande femblable. Pour lui prouver qu’ilnbsp;n’avoit eu aucun motif de méfiance, il lanbsp;pria de fixer Ie jour de leur union ; amp;, fur-tout, d’abréger Ie terroe de fes défirs. Conf-tance fixa ce moment heureux au' lendemain.nbsp;Leur manage fut célébré fur les cótes d’An-gleterre, oü Jean avoit mouillé. Ifiibelle feulenbsp;paroiflbit Ie défapprouver, amp; fembloit crain-dre qu’il ne fut pas confirmé par les parensnbsp;de Conftance, ou par ceux de Jean ; car ,nbsp;refpedtanc Ie feeree de fon amie, elle parloitnbsp;des uns amp; des autres, amp; elle affedloic de laif-fer 1’époux dans Ie doute. II fe contenta denbsp;lui répondre que la mort feule pouvoit brj-fer des nceuds formés par Ie Ciel, amp; que ,nbsp;quelque refpect amp; quelqu’amouv qu’il eür pournbsp;fes parens, Conftance lui étoit mille fois plusnbsp;chère.
L’union de Jean amp; de Conftance avoit au-gtnenté leur amour. Tous les jours, ils croy oient öe pouvoit pas s’aimer plus qu’ils ne s’ai-tnoient, amp;, tous les jours, il leur fembloitnbsp;^u’ils s’aimoient plus que la veille. Les défirsnbsp;fatisfaits étoient la fource de nouveaux défirs.nbsp;Jean, époux, étoit plus tendre amp; paroiflbitnbsp;P^us foumis qu’amant. La fortune, d'accordnbsp;^vecl’amour, confpiroita Ie rendre heureux i
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les mavchandifes, qu’il avoit envoyées en An-gleterre , lui avoient produit un bénéfice im-mepfe, par la fagefle de fon fafteur; fon vaiffeau étoit chargé de tonneaux d’or amp; d’ar-gent , amp; d’effers rares, qu’il avoir pris ennbsp;écbange , amp; qu’il deftinoit a fon époufe, anbsp;Ilabelle amp; a fon père.
Jean fe reinbarqua pour fa parrie. Le bruic de fon retour 1’y avoir devancé; fon père, amp;nbsp;tous les habitans, 1’attendoient fur le port;nbsp;il arrive amp; s’élance far le rivage, conduifancnbsp;Conftance par la main ; Mais quel fut fonnbsp;étonnement, lorfqu’il la préfenta a fon père;nbsp;il la re^ut avec dédain, amp; ne put cacher anbsp;fon fils fon inécontenrement d’un mariagsnbsp;fur lequel il lui faifoit un crjme de ne 1’avoirnbsp;pas confulté. Cent coups de poignard auroiencnbsp;été moins cruels pour Jean : Il embrafla lesge-noux de fon père; tout ce qu’il put lui direnbsp;des vertus de Conftance, de l’élévation denbsp;fes fentimens, ne put affoiblir 1’impreffionnbsp;qu’avoit faire fur lui, 1’idée d’efclavage ; foi*nbsp;courroux s’enflammoit par les carefl’es qu®nbsp;Conftance faifoit a fon epoux, amp; par la fiertenbsp;avec laquelle elle recevoit les reproches de-daigneux de ce père inexorable. Il la menara de faire caller le mariage de fon fdf-Jean , fans s’écarter du refpecft qu’il avoicnbsp;p.our fon père, protefta qu'il ne connoil'nbsp;foit point d’autorité fur la terre quinbsp;le forcer a rompre des liens, qu’il, fortne-roit encore, s’ils n’étoient pas formes; que *nbsp;lovfqu’il avoit époufé Conftance, il ^voi
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de Jean de Calais.
cru pouvoir compter aflez fur 1'amitié de fon père, amp; fur la bonne opinion qu’il avoir denbsp;fon fils, pour n’avoir pas befoin de la vainenbsp;formalité d’un confentement, qu’il n’auroicnbsp;pu refufer fans injuftice. II ajouta , qu’en luinbsp;laiflant tour pouvoir relativemént au commerce, il 1’avoit laifle Ie maitre d’une fortunenbsp;que fon dernier voyage venoit d'augraenternbsp;confidérablement : — Si j’avois été malheu-reux, vous vous feriez contenté de me plain-dre; j’ai fait Ie mariage Ie plus fortune pournbsp;moi, puifque j’ai époufé la vertu enrichie denbsp;tous les traits de la beauté, amp; vous youdrieznbsp;m’y faire renoncer! Non, mon père, en cé-dant a vos défirs , je me rendrois complicenbsp;de votre injuftice ; je me rendrois coupablenbsp;envers mon époufe amp; envers vous. —
Tout Ie peuple attendri, prit Ie parti des jeu-nes époux ; ce qui irrita encore la févérité du père, qui les bannit de fa maifon, amp; leur ordonnanbsp;de ne plus paroitre a fes yeux. Toute la villenbsp;Ie foilicita vainement ; mais un ccEur, quinbsp;avoit été infenfible au mérite de Jean amp; aux:nbsp;grèces de Conftarice , pouvoit-il fe rendre knbsp;aucune follicitation ?
Jean, plus affligé de 1’accueil que fon père avoit fait a Conftance , que faché de fa durnbsp;reté è 1’égard d’un fils qui n’avoit jamaisnbsp;cherché qu’a lui plaire, amp; auquel il devoitnbsp;la confidération dont il jouiflbit, fe retira ,nbsp;avec fes deux captives, dans une maifon ,nbsp;qu’il acheta fur Ie port. Malgré fa fierté, Conftance n’étoit fenfibk a 1’injuftice de fon beati-
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père, qu’a caufe de fon époux. — Vous voyez * lui difoit-elle, combien il eüc été heureuxnbsp;pour nous que je n’euffe jamais fu Ie nom denbsp;votre père, amp; que je lui eulie été inconnue »nbsp;corame vous 1’êtes au mien. Ne manquons jamais aux devoirs que la nature nous infpirenbsp;è leur égard; mais attendons, dans les brasnbsp;de 1’amour, que Ie temps amp; 1’ordre des évè-nemeris nous rendent leur amitié : La colèrenbsp;de votre père, amp; 1’ignorance oü vous étes furnbsp;Ie compte du mien , doivent rendre notrenbsp;amour plus folide; ifolés, pour ainfi dire, furnbsp;la terre , nous n’avons pour appui que nous-mémes. Va , quelque traitemenc que ton pèrenbsp;me réferve, ne crains pas que jamais je menbsp;demente.—
Conftance, avec une fermetéhéroïque, conquot; foloit fon époux; leur tendrefle fe fortifioit patnbsp;leurs adverficés : L’année de leur mariage n’é-Toitpas encoreaccomplie,qu’ellemit au mondenbsp;un gage de fon amour. 11 fut au comble denbsp;la joie; ce nouveau noeud rendit l’union desnbsp;jeunes époux plus agréable amp; plus indiffoluble:nbsp;Conftance voulut nourrir fon fils, amp; Jean fon-gea a lui laiffer une fortune qui püt Ie mettrenbsp;a portee de fe palier de celle de fon grand-père. Jean lui préfenta fon fils ; il refufa denbsp;Ie voir : Cèpendant, il ne fongea plus a fairsnbsp;annuller fon mariage; II eür,peut-être, trouvenbsp;des lois favorables a fa févérité; mais il n’euCnbsp;trouvé aucun tribunal qui eüt jugé fans repugnance, entre un père qui n’avoit en lanbsp;faveur que la rigueur de la loi, amp; un nis qui
de Jean de Galais. nbsp;nbsp;nbsp;$ t
n’avoit pas cru la violet, St que fa Pacrie avoit pris fous fa protedion.
Jean fe prépara a faire un voyage dans 1’ile Heureufe; fon projet étoit d’ouvrir un commerce fuivi avec fa patrie. II arma un vaif-feau; amp; tout ce qu’on put obtenir de fonnbsp;père, fut qu’il contribuat aux frais de 1’arme-inent amp; de 1’équipage, a condition qu’il par-tageroit la perte amp; Ie gain, comme tout autrenbsp;étranger; ce qui étoit plus onéreux que profitable pour Jean : Mais il n’eft rien a quoinbsp;il ne fe foumit, pour méi'iter les bontés del’im-pitoyable vieillard.
Jean amp; Conftance voyoient approcher avec chagrin Ie temps du départ, ils n’ofoienC ennbsp;parler : Jean, furtout, qui fe féparoit de foanbsp;époufe amp; de fon fils, amp; qui craignoit Ie ref-fentiment de fon père , frémiflbit : L’efpoirnbsp;d’aflurer une fortune a une familie adorée,nbsp;Ie foutenoit contre cette crainte. La tendrenbsp;Conftance verfoit fes chagrins dans Ie fein d’I-fabelle, amp; cachoit fes pleurs a fon époux. Peunbsp;de jours avant ce terrible départ, ils étoientnbsp;fur Ie port; elle aper9ut Ie vaifleau amp; ne putnbsp;retenir fes larmes : — Ah! ma chère Conf-lance , lui dit-il, je fens ta douleur plus quenbsp;la mienne; c’eft pour notre fils, amp; pour toi,nbsp;que je vais entreprendre un voyage qui doitnbsp;mettre fin a routes nos peines : Mon pèrenbsp;menace de me déshériter; prévenons les malheurs qui en feroient les fuites. II faut fairenbsp;Un patrimoine a mon fils, amp; j’efpère d’y réuf-hr. C’eft dans I’ifle Heureufe, que j’ai trouvé
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letréforle plus précieXix; pourquoi n’y trouve-rois-je pas encore des reffources centre nos malheurs? Le Ciel n'eft point favorable a demi; e’eft la qu’il t’a offert a mes yeux, amp; c’ell la,nbsp;fans doute, que la fortune m’appelle. Je faisnbsp;quelles fout les marcliandifes qui y ont le plusnbsp;de cours. Les habitans les tirent, i grandsfrais ,nbsp;du Portugal, amp; les Poreugais vont les cherchernbsp;en Angleterre. J'ai chargé monvaiffeau de tou-tes les merceries que Londres fait venir denbsp;Calais; je les échangerai au premier portnbsp;d’Angleterre, amp; je compte y doubler ma mi-fe : Les marchandifes que j’embarquerai ennbsp;Angleterre , doubleront encore a Lisbonne ,nbsp;amp; celles q’Ji je prendrai a Lisbonne, gagne-xont encore les deux tiers dans 1’lle Heuleu-fe.... — Quoi, interrompit Conftance, vous
allez a Lisbonne! Ce détour...._Va, ne
t’alarme point; l’amour me prêtera des ailes, amp;, dans hult mois au plus tard, j'efpère étre dsnbsp;retour--
Conftance eut de Ia peine a cacher fa joie amp; fa furprife, en apprenant que Jean alloitnbsp;a Lisbonne : Elle courut en avertir Ifabel-le, qui en parut alarmée. Conftance en con-cevoit 1’efpoir le plus flatteur. — II me vientnbsp;une idee, dit-elle a fon époux; quoique jenbsp;fache bien que vous portez mon image gra-vée en traits de flamme dans votre coeur, jfnbsp;défirerois, afin qu’étant toujours préfente anbsp;vos yeux, elle vous déterminat a revemrnbsp;plus promptement, qu’au lieu des figures or-dinaires, done on orneles poupes des vaif-
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ogt;gt;
de Jean de Calais.
feaux, vous me fiffiez peindre fur celle du vótre, tenant: mon fils entte mes bras, amp;nbsp;Ifabelle auprès de moi; mais en traits fi ref-femblans, qu’on ne put point s’y raépren-dre. — Jean embrafla Conftance, amp; fut f4-ché de n’avoir pas eu, Ie premier, cette idee.nbsp;II envoya chercher les peintres les plus habi-les, amp;, dans deux jours, 1’ouvrage fut ache-vé. —Je ne doute pas, dit-il, que, fous denbsp;tels aufpices, mon voyage ne foit trés-fortune. — Hélas! lui répondit Conftance, puif-fe-t-il 1’être autant que tu Ie mérites amp; que,nbsp;je Ie défire ; Je ne fais quel fecret prefienti-ment me dit que nous allons nous voir aunbsp;eomble de nos vceux. Cherépoux! va, pars;nbsp;que mon courage te raffure; Ie Ciel, oui, c’eftnbsp;Ie Ciel, fans doute, qui me donne cette fer-meté : II y a buit jours que la feule idéé de,nbsp;ton départ gla^oit mon fang dans mes veines;nbsp;dans ce moment, oü je vois couler tes lar-mes, oü je fens, d’avance, toutes les horreursnbsp;de ton abfence, oü je donnerois la moitié denbsp;ma vie pour pouvoir te fuivre; je me fou-mets, fans effort, a la néceffité de ton entre-prife : Adieu; fouviens-toi que tu tiens dansnbsp;tes mains Ie fort d’une époufe qui t’adore ,nbsp;d’un fils a qui tu te dols, amp; d’une généreufenbsp;amie. —
C'étoit par ces mots que la vertueufe Conf-ïance encourageoit fon époux, qui ne pouvoit s’arracher de fes bras. Ils fe féparèrent, enfin;
vaifléau partitmais elle ne quitta Ie riva-que lorfqu’elle 1’eüt perdu de vue : Aiors*
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fe jetant dans les bras d’Ifabelle, elle laiffi un libre cours a fes larmes; fes genoux fe dé-robèrenc fous elle: Ifabelle ne put la fouce-nir, amp; elles tombèrent fur Ie fable en s’em-braüant. Malgré l'efpoir qui 1’animoic, Conf-tance étoic bien éloignée de cette fermeténbsp;qu’elle avoit témoignée. On la ramène, amp; Isnbsp;trifte Ifabelle 1’accompagnoit, prefque auflinbsp;affligée qu’elle.
Cependant, Jean vogue au port de Douvrest oü il ne s’arrête qu’autant de temps qu’il luinbsp;en faut pour faire 1’échange de fes marchandi-fes; il repart,amp;fait voile pour Ie Portugal. Ohlnbsp;combien de fois, pendant la route, Jean def-cendit dans la chaloupe pour conteroplernbsp;1’image de fa chère Conftancef Jamais il n’a-voit fait de.voyage plus heureux; cette imagenbsp;adorée fembloit appeler les vents les plus fa-•vorables, amp; repoufler les vents contraires.nbsp;Dans peu de jours, Ie vailfeau touche ault;nbsp;bords du Portugal, amp; fe rend au port de Lif-bonne. II aborda fous Ie chateau qui dominoitnbsp;fur la mei'.
La fingularité des peintures de la poupc attira une foule de peuple fur Ie rivage ; of*nbsp;demande ce qu’elles fignifient; les matelot»nbsp;amp; les gens de 1’équipage, répondent quec’ettnbsp;un monument que 1’amour a confacré a 11*7quot;nbsp;men. Dans quelque climat de la terre qfi®nbsp;ce Iblt, parmi les nations les plus dures »nbsp;les, plus barbares, il n’eft perfonne ‘l**? ”nbsp;s’attendrifle è 1’idée d’un heureuxnbsp;On avoit appris une partie des aventures
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Jean; tout Lisbbnne voulut voir fon vaifleau. Le bruit d’un époux fi rare parvint jufqu’aanbsp;Roi; il voulut voir les peintures, donr on luinbsp;avoit exagéré la beauté. II fe fit tranfporter,nbsp;avec une partie de fa Cour, fur le bord denbsp;Jean, qui le regut avec tout le refped qu’ilnbsp;devoit a un Souverain, amp; avec une nobleflenbsp;amp; des graces qui le charmèrent. II fut frappénbsp;de fon efprit amp; de fa beauté. La douceur denbsp;Jean lui captiva tous les coeurs. Le roi def-cendit dans la chaloupe amp; pafla derrière lenbsp;vaifleau; mais, a peine eut-il apergu le portrait de Conftance, qu’il demeura commenbsp;frappé de la foudre. II jetaun cri pergant; amp;nbsp;les courtifans, agités du même trouble, re-gardoient, tour a tour, leur Monarque amp; lenbsp;tableau, fans ofer profeter une parole.
Jean étoit confondu; il rompit, le premier, le filence, amp; demanda au Roi, s’il avoit apergu,nbsp;dans le vaifleau, quelque chofe qui put lui dé-plaire. — Non, répondit le Roi, en diflimu-lant, je rends, au contraire, les plusgrandesnbsp;graces a Dieu, de vous avoir fait aborder dansnbsp;mes Etats. On m’a parlé de votre intelligencenbsp;dans le commerce, de votre fagefle, amp; de lanbsp;bravoure que vous avez montrée dans des oc-caflons très-périlleufes: Ce quej’eftime le plusinbsp;en vous, c’eft votre amour pour une époufenbsp;vertueufe. Je redens vos marchandifes, quelnbsp;qu’en foit le prix, je veux que vous foyeznbsp;traité dans mes Etats comme vous le méritez;nbsp;tnais, furtout, gardez-vous d’en fortir jufqu’anbsp;nouvel ordre. —
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Le Roi fortit du vailïêau, l’am'e agitée de ce qu’il venoit de voir; fes courtifans 1'ac-compagnoient en filence. II s’étoit aper9U quenbsp;le tableau de !a poupe du vaifleau de Jean»nbsp;avoit fait fur eux la même impreffion que fucnbsp;lui-même; ils attendoient qu’il leur en pariet:nbsp;Mais, avant de les renvoyer, amp; pour ne pas leurnbsp;donner le temps de divulguer un fecret d’unenbsp;aufii grande importance, il voulut être éclaircinbsp;fur Ie champ. II fit ayertir Jean de venir luinbsp;parlei” il 1’attendit dans fon cabinet, avecnbsp;un feul de fes Miniftres, amp; ordonna au reftenbsp;des courtifans de ,ne fortir que lorfqu’il ie leurnbsp;ordonneroit.
Jean étoit dans la plus grande inquiétude: II ne coroprenoit pas ce qui pouvoit afiedernbsp;le Roi ;.il avoit remarqué que fon trouble étoitnbsp;né a la vue du portrait de fa femme; il ima-gina que, peut-étre, il en avoit été frappé,nbsp;amp; que fon coeur s’étoit enflammé en la voyant.nbsp;Jean aimoit trop pour n’être pas fufceptiblenbsp;de jaloufie. II igooroit 1’hiftoire de la vie denbsp;Conftance; elle lui avoit dit que ca fecretnbsp;ïmportoit au repos de 1’un amp; de 1’autre; amp;nbsp;le Roi s’étoit troublé en voyant fes traits :nbsp;L’auroit-il vue a fa Cour? L’auroit-il aimée?nbsp;!N’auroit-elle été fait efclave, qu'en fuyantnbsp;un amant? Cette incertitude accabloit le jeunenbsp;héros, lorfqu'on vint le chercher de la partnbsp;du Roi.
Jean s’abandonne a Ia Providence, amp; mar-che d’un pgt;as ferme ; Le Roi 1’introduit dans fon cabinet. — Je ne doute pas, lui dit-il,
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de Jean de Calais.
que 1’état oü vous m’avez vu ns vous aic donné de 1’inquiétude. La miemie eft au coin-ble, amp; vous pouvez feul la diffiper. La nobleflenbsp;amp; la candeur, qui brillent fur votre front,nbsp;m’ont prévenu en votre faveur ; votre airnbsp;annonce du courage, amp; vos manières une douceur qui m'a féduif, je vous eftime fans vousnbsp;connoitre, amp; je fuis sur que je vous aimerainbsp;quand je vous connoitrai mieux : Mais il fautnbsp;dtre fincère, amp;, quelles que foient les véritésnbsp;que vous avez a m’apprendre, il faut ne menbsp;ien déguifer.
— Avec 1’opinion favorable que vous avez con9ue de moi, Sire, répondit Jean de Calais,nbsp;comment eft-il poflible que vous ayez pu menbsp;foupgonner capable de déguifer la véritéPLenbsp;délir de la gloire ne fe trouve jamais avec cenbsp;vief; des ames laches. L'honnêtehomine, intèr-logé fur un fecret qu’il a promis de garder, fenbsp;tait; mais il n’a paS recours au menfonge: Je nenbsp;voudrois pas tromper Ie plus cruel de mes èn-nemis; comment, Sire, pourrois-je en impo-fer a un Prince adoré de fes fujets, amp; dont lesnbsp;vertus m’ont plus étonné que la majefté?
Le Roi,' toujours plus rempli d’eftime-pour Jean, lui témoigna la plus grande confiance;nbsp;amp;, après de nouvelles carëfles, il lui demanda ,nbsp;du ton de 1’amitié, quelles étoient les deuxnbsp;femmes amp; 1’enfant qui étoient peincs fur lanbsp;poupe du vaifleau, — L’une des deux, répondit Jean, eft mon époufe; 1’enfant eft notrenbsp;fils, amp; 1’aiure eft une de fes-amies; je les ai retirees, l’une amp; 1'autre, 4es mains d’un Corfairej
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ma femme m’a récompenfé de cette aflion» par Ie don de fa main; amp; cette main, quenbsp;n’ont pu flétrir les fers de 1’efclavage, je 1’au-rois préférée ö. celle des filles des plus grandsnbsp;Rois. Le Roi ne put retenir fes larmes :nbsp;Gcnéreux jeune homme , lui dit-il, quellenbsp;des deux eft votre époufe? — C’eft la plusnbsp;belle, celle fur les genoux de laquelle eft 1’en-fant. — Mais de quelle familie eft-elle? —nbsp;Sire, elle m’en a toujours fait un myftère ynbsp;amp; j'ai refpedté fon fecret; fille d’un Bergernbsp;OU d’un Roi, Conftance ne me fera jamaisnbsp;ui plus, ni moins chère. —Elle s’appelle Conftance, dites-vous, amp; fa compagne ne fe nom-me-t-elle pas Ifabelle ? — Oui, Sire. — Ciel!nbsp;je n’en puis plus douter; mais, continuez, amp;nbsp;lacontez-moi par quel hafard ces deux jeunesnbsp;perfonnes font tornbées entre vos mains, dansnbsp;quels lieux, amp; comment Conftance s’eft dé-terminée d vous époufer? N’oraettez aucunenbsp;circonftance. —nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;'
Jean de Calais reprit fon hiftoire du moment de fon atrivée a I’Ifle Heureufe. Le Roi délira qu’il la reprit du moment de fa naif*nbsp;fance, afin de le mieux connoitre. Les détails ou il entra, le récit de plufieurs combatsnbsp;fur mer, amp; de quantité d’adlions éclatantes»nbsp;la modeftie, avec laquelle il parloit de lui-m4me, lorfqu’il ne pouvoit éviter d’en paf-Ier, la naïveté avec laquelle il avouoit fesnbsp;fautes, ou, du moins, ce qu’il regardoitnbsp;comme des fautes, attendrirent le Roi;nbsp;avoit de la peine a ne pas lailler éclater 1 m-
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térêt qu’il lui infpirpit. Jean lui raconta comment il avoit délivré Conftance amp; Ifabelle. — Je 1’avouerai« ajouta-t-il, j’aimai Conftancenbsp;du moment que je la vis: Pendant les premiersnbsp;jours, je n’ofois laifler paroitre mes feux;nbsp;enfin, je lui déclarai mes lentimens, en trem-blant: Soit reconnoiflance, foit que mes foinsnbsp;euflent touché fon ame, elle ne les rejetanbsp;point: Je lui demandai Ie nom de fa familie,nbsp;mais elle impofa a ma curiofité un filence,nbsp;que j'ai toujours obfervé depuis : C’eft alorsnbsp;qu’afluré de fa tendrefle, amp; brülant moi-même de 1’amour Ie plus ardent, j’ofai luinbsp;offrir ma main, amp; lui demander la fienne. IInbsp;y a trois ans que nous fommes mariés; notrenbsp;amour eft toujours Ie même; la mort pourranbsp;nous féparer, mais je doute qu’elle puifle alté-rer nos fentimens. —
Le Roi lui téraoigna fa furptife, fur Ie peu de'curiofité qu’il avoit témoignée a Conftance,nbsp;depuis fon mariage, au fujet de fes parens. —nbsp;Et, fi le hafard, ajouta-t-il, 1’avoit fait naitrenbsp;d’une mère fouillée de mille vices, ou d’unnbsp;père infdme ? J’en eftimerois encore davan-tage Conftance, répondit Jean, puifque, mal-gré 1’exemple, elle auroit des vertus qu’onnbsp;trouve rarement dans les perfonnes du plusnbsp;haut rang. — J’approuve votre générofité,nbsp;reprit leRoi; mais je crains bieu que, fi ellenbsp;devoit le jour a quelque familie qui tpuchStnbsp;de prés au rang fuprème, fes paren’s ne fuf-fent moins généreux, amp; ne vous enlevaflentnbsp;Votre Conftance. — Ah! Sire, s’écria Jean,
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je ne puis rien contre 1'autorité : Dans ce casj. je confultei-ois Conftancè ; fi 1’ambitionnbsp;excitoit en elle Ie moindre regret, je la ren-drois a fon premier état, quoique je fufle aflurénbsp;que ce facrifice me conduiroit au tombeau:nbsp;Mais, fi Conftance étoit toujours la méme,nbsp;je défendrois mes droits jufqu’a la dernièrenbsp;goutte de inon lang. Ah ! de grace, Sire,nbsp;continua-t-il en tombant a fes genoux, fouf-frez que j’implore vos bontés: Si jamais quel-que Grand, ou quelque Prince, venoit la re-clamer comme fa fille, ou comme fa parente, permettez-moi de la mettre fous la pro-teöion de votre juftice amp; de Votre Majefté.nbsp;Qui eft-ce qui oferoit violer üne fauve-gardenbsp;auffi refpeftable ? —
— Je la regois dès ce moment, lui dit Ie Roi, les yeux mouillés de larmes : Va, foisnbsp;1'époux de Conftance, elle eft ma fille, amp;nbsp;je légitime ton mariage. — Que dites-vous»nbsp;Sire! Conftance, mon époufe... Votre fille...nbsp;O ciel! elle m’auroit aimé jufqu’a ce point!nbsp;Elle avoit bien raifon de m’en faire un myf*nbsp;tère 1 Jamais, jamais je n’aurois confenti a uanbsp;mariage qui 1’expofe a perdre une couronne.nbsp;Ah, Sire! elle eft votre fille, amp; vous étes Roi •nbsp;Je Tuis perdu! — Raflure-toi; je ne fuis Mo-narque que pour te furpaller en générofité. Manbsp;fille étoit efclave, amp; tu n’as pas rougi de pépou-fer: Sans toi, elle feroit encore, ou dans lesnbsp;fers,dévouée aux caprices d’un maltre impe-rieux, ou dans un ferrail, pour fer vir aux plauirsnbsp;d'un tyran, Tu as refpefté fa vertu j tu as me-
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de Jean de Calais.
rité qu’elle t’aimat., amp; je roroprois des noeuds li légitimesl des feux fi purs! je déshonore-rois, pour un iudigne péjugé, ma fille, tonnbsp;fils amp; toi! Non, duffé-je m’enfévelir fous lesnbsp;ruines du truue, je défendrai mes enfans centre quiconque oferoit troubler une fi bellenbsp;union. En ce moment, il prit Jean par la main,nbsp;ouvrit la porte de fon cabinet, amp;, Ie mon-trant a fes Courtifans: —Voilé, dit-il, Ie li-bérateur amp; 1’époux de ma fille; il l’a fauvéenbsp;de 1'infamie, amp; je veux 1’en récompenfer,nbsp;en Ie reconnoifl'ant pour mon Gendre : Faitesnbsp;alfembler Ie Confeil amp; les Grands de 1’État. —nbsp;Jean craignoit que Ie Confeil ne lui futnbsp;pas aufli favorable que Ie Roi; ce Monarquenbsp;Ie raflura. — Ma fille, lui dit-il, étoit adoréenbsp;de la Cour amp; du Peuple; elle n’% jamais employé fon crédit, que pour répandre des graces amp; des bienfiiits; elle faifoit chercher lesnbsp;inalheureux, pour les foulager; fi quelquenbsp;avide exaéleur profitoit des circonftances poürnbsp;fouler les peuples, ils mavoienr qu’a pouflernbsp;ün cri vers Conftance, amp; 1’opprefleut étoitnbsp;forcé de leur rendre tout ce qu’il avoit pris;nbsp;elle ne connoiflbit pas de plus grand fupplicenbsp;pour ces fléaux des États. Tous, depuis monnbsp;premier Miniftre jufqu’au dernier de mes Su-jets, 1’ont pleurée, amp;la regrettent encore.—nbsp;Jean défiroit de favoir par quel hafard ellenbsp;étoit devenue la proie des Corfaires. Le Roinbsp;lui raconta que Conftance amp; Ifabelle fe pro-tnenoient fur le bord de la mer, amp; qu’ayantnbsp;ïencoutré un Pècheur qui entroit dans fa
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barque, elles voulurent voir jeter les filets; qu’elles y encrèrent avec lui, amp; allèrent anbsp;environ une lieue en mer, amp; que, dans Icnbsp;temps que Ie Pécheur étoic occupé a retirernbsp;fes filets, un Corfaire, caché derrière un rochet , décacha fa chaloupe avec quatre hommes, qui menacèrent Ie Pêcbeur de la mort,nbsp;s’il faifoit aucune réfiftance : Ils Ie lièrentnbsp;amp; firent defcendre Conftance amp; fon am ie dansnbsp;la chaloupe, a laquelle ils attachèrent la barque, amp; les conduifirent dans Ie vaiflèau dunbsp;Corfaire, qui continua fa route; amp;, qu’en-fin , lorfqu’ils furent hors de la vue des cótesnbsp;de Lisbonne, ils délièrenc Ie Pécheur, amp; luinbsp;permirent de ramener fa barque. C’étoit parnbsp;lui que Ie Roi avoir appris tous ces détails.nbsp;II n’y avoif pas de recherches qu’il n’eütnbsp;fait faire, depuis prés de quatre ans; mais,nbsp;fans aucun fuccès, foit que Ie Corfaire eütnbsp;été pouffé, par les vents, fur des mers incon-nues, foit que Ie Pécheur 1’eut mal défigné.nbsp;Le Roi, depuis Ie jour de 1’enlévemenc de fanbsp;fille, étoit plongé dans le chagrin amp; la trif-tefle, n’ayant pas d'autre héritier de fa cou-ïonne que Conftance, amp; voyant déja fe formernbsp;plufieurs partis pour ie la difputer.
Pendant que le Roi entretenoit fon Gendre, le Confeil fe formoit; tous ceux qui l’avoiencnbsp;fuivi dans le vaiflèau de Jean de Calais, s’ynbsp;trouvèrent II les avoit requs avec tant dsnbsp;bonté , que tous lui étoient dévoués. Lorf-que le Confeil fut aflemblé, le Roj expolanbsp;tout ce qui s’étoit pafle depuis le jour^ufi
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de Jean de Calais.
Conftance fut enlevée; il peignit la généro-fité de Jean avec des couleurs fi fortes, qu’il n’y eut perfonne qui put Ie blimer ; II futnbsp;fecondé par Ie Marquis de Silveiro, père d’Ifa-belle, qui eüt défiré que Jean put avoir deuxnbsp;femmes, ou qu'il eüt un frère pour lui offrirnbsp;fa fille. Le feul Don Juan, premier Princenbsp;du fang, qui avoit long-temps foupiré pournbsp;Conftance, vouloit que le roariage fut rompu,nbsp;paree que, difoit-il, un Roi n’eft pas tenunbsp;a la reconnoilfance, lorfqu’il y va de fa gloire,nbsp;amp; lorfqu’il s’agit de 1’héritière du Trtoe. IInbsp;foutenoit que Conftance n’étoit plus au Roi,nbsp;mais è 1’État, amp; que c’étoit a 1’État d’ennbsp;difpofer pour le bonheur des peuples. Le Roi,nbsp;fans difcuter a qui appartenoit le droit denbsp;difpofer de Conftance, demanda s’il étoit plusnbsp;permis a 1’État qu’au Roi, d’enlever le biennbsp;d'un particulier? Tous, amp; Don Juan lui-inê-me, répondirent, d’une commune voix, quenbsp;ce feroit une injuftice. — Ce mot a décidénbsp;la queftion, reprit le Roi : Ma fille appar-tient a Jean , non feulement paree qu’il 1’anbsp;époufée fans la connoitre; mais encore pareenbsp;qu’il 1’a achetée étant efclave. Vous alleznbsp;dire, qu’il fuffit de lui rendre fa ran?on;nbsp;mais ce feroit une nouvelle injuftice; il 1’anbsp;ïichetée de bonne-foi, ne fachant pas qu’ellenbsp;étoit Princefle : A préfent, qu’il le fait, ilnbsp;eft le maitre d’en porter le prix auffi hautnbsp;qu’il le trouvera a propos; amp; quel eft celui denbsp;Vous qui ofera 1’apprécier? Don Juan n’oianbsp;ïepliquer, amp; fe tut, en jetant un regard de
-ocr page 48-dépit fur Jean de Calais. Comme Ie Rol igno-roit fa paffion pour Conflanee, il prit pour l’effec du zèle, les mouvemens de fa jaloufie»nbsp;amp;, loin de lui en favoir mauvais gré, lorl-qu’il eut été décidé qu’on équiperoit une ef-cadre pour aller chercher la Princefle, il ennbsp;donna Ie commandement a Don Juan, amp; voulutnbsp;que Jean de Calais 1’accompagn^t.
Don Juan n’ofa refufer ces funeftes honneurs: Cette commiffion mit Ie comble a fa rage:nbsp;Neveu du Roi, héritier du tróne de Portugal»nbsp;en défaut de Conftance, depuis long-tempsnbsp;aimant la Princefle, amp; efpérant de réunir, p^ïnbsp;ce mariage, fes droits amp; ceux de Conitance»nbsp;fe flattant d’arracher, par les intrigues de Innbsp;politique, ce que fon amour n’avoit jamaisnbsp;pu obtenir, Jean détruifoit fes efpérances :nbsp;Rival couronné des mains de 1’amour, il i’fnbsp;laiflbit plus aucune reflburce è fon ambition, anbsp;laquelle Ia perte de la Princefle avoir donb®nbsp;de nouvelles forces. II con9ut pour Jean lanbsp;haine la plus cruelle; mais il la cacha fi biennbsp;au fond de fon coeur, que Ie malheureux Jea^anbsp;Ie regardoit comme fon protefteur a la Cour-Don Juan ne 1’appeloit que fon ami ; titrenbsp;que la perfidie ne manque jamais de donnet anbsp;Phonnête homme, qui, ne connoiflanc ni I’n^*-de tromper, ni Ie projet de nuire, ne peut lesnbsp;foupgonner méme chez fes ennemis.
Don Juan hèta.les préparatifs de ce voyage, Ie traitre s’en faifoit un mérite auprès de Jeannbsp;de Calais amp; du Roi. Cependant, U femoit ennbsp;fecret, a la Cour, des bruits jnjurieux a ion
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rival. — Un aventurier, difoit-il, qui n’i méme pas^ coixime fes femblables, 1’avantagenbsp;de pouvoir cacher 1’obfcurité de fa naiflancenbsp;fous des titres empruntés ou fabuleux, feranbsp;done un des premiers Souverains de 1'Europelnbsp;Le Portugal verra fur fon Tróne le fang royalnbsp;abforbé par un fang abjeft ! Le fils d’un vilnbsp;marchand donnera des lois a la nation la plusnbsp;fuperbe, amp; foulera aux pieds le corps de no-blefle le plus généreux amp; le plus illuftre! Lesnbsp;premières places de I’Etat feront remplies parnbsp;des inconnus, des etrangers, qu’il tirera de lanbsp;lie du peuple, amp;quel peuple que celui de Calais? Des matelots groffiers, des pirates accou-tumes au crime!--
Ces calomnies en imposèrent è peu de per-fonnes; on favoit que , quoique le père de Jean fut commer9ant, il appartenoit ^ I’illuftrenbsp;familie des Doria, qui avoient regardé le commerce comme le moyen le plus honnête denbsp;foutenir la grandeur de leur naiflance, en appelant la fortune dans les ports de Marfeille amp;nbsp;de Gènes.
Cependant., le Roi fit partir une corvette pour Calais, afin d’avertir Conflance de toutnbsp;ce qui venoit de fe pafler a Lisbonne : Donnbsp;Silveiro demanda la permiffion de prendre lesnbsp;devans, pour avoir la fatisfadlion de voir plutócnbsp;fa fille. Conflance, depuis le depart de fonnbsp;biari, vivoit dans la retraite, n’ayant d’autrenbsp;fitisfaètion que de s’entrerenir de lui avec Ifa-^slle, d’apprendre k fon fils le nom de fonnbsp;amp; de fe le faire répéter mille fois par
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jour. Elle parloit fouvent 4 fon amie de Ja furprife de fon père, lorfqu’il verroit Ie vaif-feau de Jean. Ifabelle, qui craignoit que Ienbsp;Roi, irrité du mariage de fa fille, ne s’ennbsp;vengedt fur fon époux, ne lui parloit que froi-dement de 1’idée qu’elle avoit eue de fe fairenbsp;peindre fur Ie vaifleau; elle lui laiflbit mêmenbsp;entrevoirfescraintes. — Non, lui difoitConf-tance, non, Ie Ciel ne peut qu’approuver notrenbsp;hymen. Eh! pourquoi mon père, dont tu con-nois la bienfaifance, feroit-il plus inexorable.^nbsp;Devois-je moins è. qui m’a fauvé 1’honneur amp;nbsp;la liberté? Que pourroit-il, d'ailleurs, repro-cher a Jean? il a toujours ignoré qui j’étois ’nbsp;Son mariage, loin d’étre une témérité, eft dunbsp;coEur leplusgénéreux: Je pouvois n’être qu'unenbsp;perfonne abjefte; il n’a confulté que fon coeur:nbsp;Va, ma chère Ifabelle, mon père elJ jufte*nbsp;mon époux eft innocent; je i'aiiure que inoOnbsp;ftratagème réuffira. —
Conftance amp; fon amie fe promenoient fur Ie bord de la mer, lorfqü’elles aper9urent uonbsp;vaifleau de fort loin : D’abord, elles y firencnbsp;peu d’attention; mais, a mefure qu’il appru-choit, Ifabelle crut reconnoitre Ie Pavillo^nbsp;Portngais; elle Ie fit obferver a Conflance-II n’étoit pas extraordinaire de voir des vaif'nbsp;feaux de Lisbonne venir dans ce port. Le cffiufnbsp;de Conftance pal pita : Enfin, le vaifleau abor-de, amp; elle remarque que c’eft une corvette avecnbsp;le Pavilion Royal. Conftance, qui, quelquesnbsp;jours auparavant, paroiflbit fi raliurée, devinr
pale amp; tremblante. — Ah! c’en eft fait, s e-
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eria-t-elle, mon fort eft décidé--Mais, re-
prenant bientóc fes efprits, elle s’élance fur Ie bord de la mer. Ifabelle la fuit; mais quellenbsp;eft fa furprife! elle fe trouve entte les brasnbsp;de fon père, qui l’arrofe de fes larmes. Ellesnbsp;ne peuvent fuffire a 1’excès de fa joie; ellenbsp;foulève fa téte, regarde fon père, fans pou-voir proférer une parole, amp; retombe fur Ienbsp;fein paternel. Conftance s’approche, recon-nok Don Silveiro, amp; ne voit, dans fes yeux,nbsp;que des lignes d’amour amp; de joie. II s’arra-che, enfin, a fa fille, amp;, mettant un genounbsp;a terre, il kii annonce les ordres dont il eftnbsp;chargé. Conftance revole a fon amie, amp; 1’em-brafle, fans avoir fongé a faire relever Donnbsp;Silveiro; elle revient a lui, Ie prie de 1’ex-cufer, amp; revole vers fon amie. Enfin, lia-belle, moins agitée, prend fon père par lanbsp;main, qui donnela fienne a Conftance, amp;Usnbsp;fe retirent dans la maifon de Jean.
Le bruit de la deputation de Don Silveiro fe répand dans toute la ville; les habitans vien-nent, de toutes parts, rendre leuts hommages a la Princeife ; Chacun fe fèlicite d’éttenbsp;compatriote de Jean, II étoit adoré k Calais; il le fut encore davantage, lorfqu’on eucnbsp;sppris toute l’étendue de fa gloire; amp;, quoi-qu’il en fut digne, il n’eut pas un envieux.nbsp;^on père fe repentit, alors, du mépris qu’ilnbsp;^voit eu pour Conftance; il cboifit le momentnbsp;les plus Grands de la Ville étoient cheznbsp;convint de fes torts , Sc la pria, devancnbsp;^out le monde, de lui pardonner fon impru-
-ocr page 52-dence. La généreufe époufe de Jean ne lui donna pas Ie temps d’achever; mais, courantnbsp;a lui, les bras ouverts, elle Ie pria de nenbsp;plus la regarder que comme fa fille, amp; luinbsp;protefta qu’elle en avoir les fentimens, depuisnbsp;qu’elle étoit 1’époufe de fon fils, amp; qu’ellenbsp;les conferveroit jufqu'a la mort. Deux joursnbsp;s’étoient a peine écoulés, depuis 1’arrivée denbsp;Silveiro, qu’on entendit retentir Ie port amp;nbsp;la Ville de mille cris de joie : On vine averticnbsp;Conftance, qu’on apercevoit 1’Efcadre Portu-gaife. Don Silveiro ne pouvoit pas ctoirenbsp;qu’elle put être arrivée en fi peu de momens»nbsp;amp; qu’elle eöt fuivi la corvette de fi prés. L’ai-mable Conftance ne perdit pas Ie temps ennbsp;vaines conteftations; elle prend fon fils enttenbsp;fes bras, fe fait accompagner de Silveiro amp;nbsp;de fa fille, amp; vole fur Ie port, couvert de*nbsp;habitans de Calais fous les armes. Don Juannbsp;amp; Jean de Calais débarquent; les Magiftratsnbsp;fe préparent a les haranguer; mais, Conftan-ce, les repouflant avec douceur, s’approche»nbsp;remet fon fils entte les bras de fon époux»nbsp;amp; couvre- l’un amp; 1’autre de fes larmes.nbsp;de Calais n'eft' pas moins attendti; amp; lesnbsp;giftrats,'qui avoient fait, ou qui s’étoieï^nbsp;fait faire un fort beau difcours, ne purei’^nbsp;exprimerdeur joie, que par les pleurs du fs’’''nbsp;timent. Ils furent conduits chez Jean, au bruinbsp;des trompettes ¦, des timbales amp; des bénedinbsp;tions du peuple.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;^nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;«
II avoit écé régie , après bien des deba * par les Magiftrats de Calais, qu’ds
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de Jean de Calais.
pagneroient Don Juan, amp; 1’époux de Conf-tance , é. fon hótel; que Conftance fe trou-'veroit au bas de 1’efcalier, pour les recevoir; que Don Juan, comnie député par Ie Roi,nbsp;s’avanceroit Ie premier, mettroit un genounbsp;en terre, baiferoit la main de Conftance; quenbsp;Jean de Calais paroitroit enfuite, amp; feroit lanbsp;même chole. La precipitation de Conftancenbsp;dérangea cette importante cérémonie. On au-roit tort d’attribuer a 1’amour l’invention denbsp;1’étiquette. II fallut pourtant que Don Juannbsp;amp; Jean de Calais s’y foumiflent ; Le premiernbsp;baifa la main de la Princefle; mais, au lieanbsp;de la préfenter a fon époux, elle le fit re-lever, amp;, étendant fes bras, elle 1’embraflanbsp;mille fois, en lui répétant qu’il lui devoicnbsp;de 1’amour amp; non des refpects, amp; que la qua-lité d’époufe lui étoit plus chère, que le ti-tre de Princefle. Les grdces, la tendrefle amp;nbsp;la beauté des deux époux, émurent tous lesnbsp;ccEurs : On n’entendoit, de routes parts, quanbsp;les mots de vive Jean de. Calais, vive lanbsp;I^rinccJJc de Portugal.
Le feul Don Juan, force de joindre fes acclamations a celles du people, ne refpiroicnbsp;que haine amp; que vengeance. Plus on applau-diflbit a fon rival , amp; plus il 1’abhorroit; lesnbsp;carefles que Conftance prodiguoit a fon époux,nbsp;étoient pour lui un tourment plus infuppor-table que les fouets des furies. Dans cesnbsp;ïaomens funeftes, il dévouoit a la morenbsp;cette Conftance qu’il adoroit. II voulut la voirnbsp;en particulier, foit qu’il efpérit de fu fédui-
-ocr page 54-re, ou qu’il cherchat: un moyen de Phumi-lier ; il prétexta que les ordres dont il étoit chargé, étoierrt crop importans pour étre rendus publics , amp; pria la Princefl'e de lui don-ner une audience particulière. Elle connoiflbitnbsp;trop les fentimens de Don Juan, pour la luinbsp;accorder ; Elle lui rcpondic qu’elle n’a-voitnbsp;point de feeree pour fon époux ; qu’il pou-¦voit s’expliquer devaut lui; que, d’ailleurs»nbsp;elle voyoit trop de preuves des bontés du Roinbsp;euvers Jean de Calais, pour que les ordres«nbsp;don: il étoit chargé, ne dulient pas lui étrenbsp;communiqués comrae a elle.
Don Juan pénétra le motif de la Princef-fe; mais, diflimulant fa haine amp; fes defleins, il lui rendit un compte fidelle de tout ce quinbsp;s’étoit palfé a la Cour de Lisbonne entre lenbsp;Roi amp; Jean de_ Calais : Il lui peignit, at'CCnbsp;énergie, 1’impatience oir fon père étoit del*nbsp;revoir, amp; Unit eu la conjurant de partir lenbsp;plutot qu’elle pourroit. Conftanca I’afluranbsp;qu’elle n’éprouvoit pas moins d’impatience denbsp;letourner auprès du Roi, qu’independammeo*-de fon refpedt amp; de fa cendrefl'e pour lui^nbsp;elle étoit encore preflee par le defir de lui tc-iDoigner fa reconnoiflance de tant de bontes.nbsp;Après que Don Juan fe fut acquitté denbsp;commiflion, il fut conduit dans I’appartemei^*-qui lui étoit deftiné.
Enfin, délivrés de 1’erobarras accablant de la cérémonie, les deux époux reftèrent feuls.nbsp;Vaines grandeurs, chimères brillantes, quenbsp;vouie éclat eft infipide aux yewx de deux
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amans, qui fe recrouvent après une longue abfence! Honneurs, gloire, richefles, applau-diflemens du peuple, tout cela ne vauc pasnbsp;un foupir que Ie fentiment arrache. Jean étoicnbsp;pénécré du facrifice que Conftance lui avoitnbsp;fait, en lui cachant fa naiflance amp; fon rang.—nbsp;Eh ! mon ami, lui difoit naïvement la Prin-cefle, tu ne me dois rien a eet égard : Jenbsp;connois ta délicatefle; fi tu avois fu que j’é-tois 1’héritière d’un Tróne, tu aurois craincnbsp;de me faire torr, amp; je t’aurois perdu, peur-êcre, pour toujoiirs. Tu vois done que monnbsp;filence étoic intérefl'é.—Jean récompenfa cecnbsp;intérêc par les plus tendres carefles. II lui de-manda pourquoi, du moins, après leur manage, eile n’avoit pas voulu lui révéler cecnbsp;important fecret? — Je connois, lui répon-dic-elle, la juftice amp; la bonté de mon père;nbsp;j’avois 1’une amp; 1’autre a ménager; n’ayantnbsp;point d’enfant, on eüt pu obtenir de luinbsp;de faire annuller notre mariage; au lieu quenbsp;j’étois bien aflurée que fa juftice ne confen-tiroit jamais a rendre mon fils malheureux,nbsp;amp; a me déshonorer moi-méme.—Jean fen-ïoit. route la délicatefle amp; la prudence de lanbsp;Conduite de fon époufe. Chacun fe félicitoicnbsp;de fon fort; 1’un, de tenir tont de 1’objet denbsp;amour, amp; 1’aiitre, de les partager avecnbsp;lift; amp; chacun trouvoit des raifons d’aimernbsp;Cncpre davantage.
Don Juan preflbit Ie moment du départ 5 Jep.n .amp; Conftance ne quittoient point fansnbsp;^^gvet-une Ville oü ils étoient adorés : [eau
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propofa a fon père de 1’amener avec lui : Son époufa , qui n'avoit pas pour lui moins denbsp;refpeft amp; d’égards que fon fils, fe joignit è.nbsp;fes prières; elles furent inutiles; Ce vieillard,nbsp;content de fa fortune amp; de l’eftime de fes con-citoyens, préféroic 1’état paifihie de fimplenbsp;particulier, a routes les grandeurs dont il eütnbsp;pu jotiir a la Cour. Les deux époux donnè-rent une fête fuperbe amp; publique, pour laif-fer aux Calaifiens un témoignage de leur re-csnnoiflance : Ils répandirent leurs largelTesnbsp;fur Ie peuple, amp; promirent de leur donnetnbsp;fouvent des marqués de leur fouvenir; Ifabellenbsp;amp; Don Silveiro en firent autant; amp;, Ie joutnbsp;fixé pour Ie départ, tous les habitans les ac-compagnèrent fur Ie port, amp; plufieurs les at-tendoient dans des vaiiïeaiix, pour les efcor-ter jufqu’au dela. de la Manche.
Après avoir re?u les ordres de la Princefle» Don Juan fit mettre a la voile. Le temps étoi*^nbsp;calme amp; ferein, les vents étoient favorables, toutnbsp;fembloit promettre la navigation la plus heu'nbsp;reufe: Tout 1’équipage, excepté Don Juan, étoJtnbsp;dans la joie; il maudiflbit amp; les vents propi*^^®nbsp;amp; l’alégrefle des matelots; il invoquoit les teiu'nbsp;pêtes : II eüt défiré qu’un coup de ventnbsp;écrafé 1’efcadre contre un rocher, amp; qu’ilnbsp;fe fut fauvé que Conftance amp; lui. Le Cienbsp;exauce, quelqtiefois, les vmux des méchauS)nbsp;pour rendre leur punition plus terrible amp;nbsp;éclatante. Vers la fin du troiiième jour du ypy®'nbsp;ge, les vents changèrent, la mer!nugit5 ü spai^nbsp;nuages couvrirent les airs y une horrible terop*^'
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te, telle que la défiroit Don Juan , offroit, de toutes parts, l’image de la mort. Jean irembloitnbsp;pour Conftance, amp;; Conftance frémiflbit pournbsp;ion époux : Maïs, dans ces momens, ni les fu-reurs des flots, ni les éclats de la foudre, ninbsp;les écueils, n’étoient autant a craindre pournbsp;eux, que la jaloufie de Don Juan : II épioitnbsp;Ie moment de la vengeance. Jean encourageoitnbsp;fon époufe, en même temps qu’il aidoit a lanbsp;manoeuvre : Inftruit dans Tart du pilotage,nbsp;il portoit fes foins par-tout; il étoit aux cordages amp; a la poupe; il ordonnoit des manceu-vresamp;en executoir ; Au plus fort de la tem-pête, il veut obferver Ie temps; Don Juan,nbsp;qui étoit derrière lui, faifit Ie moment oü ilnbsp;étoit Ie plus occupé, amp; Ie poufle dans la mer,nbsp;fans être vu de perfonne. II Ie vit, d’un oeilnbsp;fatisfait, lutter quelque temps contre les flots;nbsp;mais il ne jouit de fon triomphe, que lorfqu’ilnbsp;1’eut perdu de vue. Le vaili'eau étoit emporténbsp;avec une fi grande rapidité, qu'il étoit déjanbsp;bien loin de l’endroit oü Jean avoir été pré-cipité, lorfqu’on s’aper^ut qu’il avoit difparu.nbsp;La Princefle commence a s’inquiéter, elle lenbsp;fait demander : On le cherche par-tout, ellenbsp;s’alarme, va le chercher elle-même. Don Juannbsp;partage fon inquiétude, marqué beaucoup denbsp;zèle pour Conftance, amp; de chagrin fur le fortnbsp;de Jean, Tout 1’équipage eft dans la peine;nbsp;la confternation générale ne confirms que tropnbsp;a l’infortunée Princefle, qu’elle avoit perdunbsp;fon époux. Elle étoit, dansce monient,auprèsnbsp;d’Ifabelle: — Viens, ma chère amie, lui dit-
C iij
elle, cherchons-le encore, amp;, s’il n’eft plus, Tiens être témoin de ma mort. — Ifabelle,nbsp;qui connoiflbit fa vivacité, prit Ie fils de Jeannbsp;dans fes bras, amp; la fuivit. Elle s’élance furnbsp;Ie Pont; Conftance 1’appelle de routes fes forces, amp; fes cris fe font entendre fur lesflots,nbsp;malgré les fifflemens des vents amp; Ie bruit de lanbsp;foudre. Le traitre Don Juan s’approcha d’elle,nbsp;en verfant un torrent de larmes perfides; amp;,nbsp;après s’être montrë le plus emprefle a le cher-cher, il lui lit entendre qu’un coup de ventnbsp;l’avoit, fans doute, jeté dans les flots : IInbsp;paroiflbit pénétré du plus profond regret; ilnbsp;témoignoit, furtout, le plus grand embarrasnbsp;pour annoncer au Roi cette funefte nouvede.
Lorfque Conftance vit qu’il ne lui reftoic plus d’efpoir : — Adieu, dit-elie a Ifabelle,nbsp;en 1’embraiTant d’un cell fee, je vais oü lenbsp;lieftin m’appelle; amp; déja elle prenoit fon eflbrnbsp;pour fe précipker- dans les flots. Don Juan lanbsp;retint, amp; Ifabelle, fondant en larmes, lui pré-fente fon fils: — Barbare, lui dit-elle, prendsnbsp;eet 'enfant, amp; enfevelis dans Ia iner tout cenbsp;qui refte de ton époux. Tu ne 1’aimas jamais,nbsp;puifque tu n’as pas la force de réfifter a tanbsp;douleur, amp; de te confer ver pour fon füs.nbsp;Conftance, étonnée amp; confondue, reftenbsp;moment comme infenfible; enfuite, fes larmesnbsp;commengant a couler avec abondance , ellenbsp;penche fa tête fur le vifage de fon fils, ^nbsp;fur le fein de fon ainie; des fanglots amp; desnbsp;pleurs font fes feules exprefiions; enfin, uic-combant au poids de ifa douleur, elle tombe
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évanouie aux pieds d’Ifabslle amp; de Don Juari» Le'lache , qui craini que la more ne la luinbsp;ravifie, donne des marqués d'une douleur quinbsp;fut fincère pour la piremière fois.
On enlève Conftance de ce lieu; Don Juan efnploye tous fes foins pour la faire revenirnbsp;a la vie : II lui rendit le jour, mais non lenbsp;calme. Elle n’ouvrit la bouche, que pour pro-noncer le nom de fon époux, du ton de voixnbsp;le plus lamentable : Tour, dans le vaifleau,nbsp;retentie de gémiffemens.
Lorfque Don Juan crut que la douleur de Conftance étoit calmée, il eflaya de la confo-ler; mais, foit qu’un doute fecret du crimenbsp;de Don Juan , foit que 1’image amp; la perte de fonnbsp;époux, lui rendiflent ce monftre plus odieux,nbsp;elle refufa de l’entendre, amp; lui défendit denbsp;B’offi'ir jamais a fes regards; Le fourbe fit fem-blant d’obéir, amp; ne lui paria du refte du voyage, que par fes foupirs amp; fes larmes.
La tempete avoit cefle ; 1’efcadre arriva, paifiblement, a Lisbonne ; Le port étoit couvert d’un nombre prodigjeux d’habitans: L’ar-rivée de la Princefle amp; le retour de Jeannbsp;étoient attendus avec impatience. D’aulfi loinnbsp;qu’on avoit apercu 1’efcadre, jufqu’au momentnbsp;oü elle aborda, on n’entendit qqe des cris denbsp;joie, qui fe mêloient au bruit des timbales, desnbsp;hautbois amp; de toute efpèce d’inftruraens denbsp;mufique. Le Roi lui-même, fui vi des principauxnbsp;Seigneurs de fa Cour, entra dans une gon-.nbsp;dole, ornée de tout ce que le goüt peut ima-ginet de plus élégant amp; de plus recherché,
amp; alia au devant de fa fille. Dès qu’elle ap-per^ut fpn père, elle fe fit defcendre dans la chaloupe avec fon fils amp; Ifabelle. Elle fe jetanbsp;dans fes bras, amp;, a travers mille pleurs amp;nbsp;mille fanglots, elle lui apprit la mort funeltenbsp;de Jean. Le Roi repandit des larmes fur cettenbsp;perte, non feulement a caufe de fa fille, maisnbsp;paree qu’il lui avoir infpiré, perfonnellement,nbsp;le plus fenfible intérêt amp; I’eHime la plus fin-cere. Ce tendre père partagea les regrets denbsp;fa fille, amp; s'attacha particulièrement au filsnbsp;de Jean. Un deuil général fe repandit fur routenbsp;la nation ; On avoir fu que ce héros avoirnbsp;donné, dans plufieurs occafions , des preuvesnbsp;éclatantes de courage, amp; que, dans d’autres»nbsp;il en avoit donné de la fagefle la plus con-fommee. On avoir efpéré qu’il porteroit furnbsp;le tróne routes les vertus qui peuvent contri-buer a reqdre le people heureux amp; 1’État flo-riflant; au lieu qu'on redoutoit le règne denbsp;^ Don Juan, dont on connoifloit I’ambition dé-mefurée, la fauflèté de coeur j amp; 1’orgueil”nbsp;leufe fierté.
Tandis que, dans Lisbonne, tons les cceurs fenfibles étoient livrés ó la triftefie, le fenlnbsp;Don Juan eprouvoit une fecrette joie, amp; re-fléchiflbir aux moyens de s’unir a Conftance-II favoit qu’il ne devoit jamais efpérer denbsp;lui plaire; mais il étoit afluré que, s’il ob-tenoit fa main , le devoir fuppléeroit a 1'a-mour. D’ailleurs, il fatisfaifoit une autre paf-fion plus tyrannique, a laquelle routes étoiennbsp;fubordonnées; 1'ambition. Sans la main de
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Gonftance, il ne pouvoic précendre au tró-ne; elle devoit Ie porcerrè celui qu’elle choi-iiroit pour fon époux; amp;, comme il ii’avoic pas lieu de croire que, jamais, elle Ie choi-'sit de fon gvé, il falloit faire naitre des cir-conftances qui la concraignilient. II imaginanbsp;de fufciter une guerre.
II avoir des émiflaires fecrets dansIeRoyau-me des Algarves, qui jeroient des femences de mécontentement dans 1’efprit du peuple,nbsp;tandis que , par les faux rapports qu’il fai-foit faire au Roi, par des traitans, qui luinbsp;étoient vendus, par 1’immenfité des richeflêsnbsp;de ce pays, on leur faifoit fupporter les deuxnbsp;tiers des iinpofitions du Portugal. Les habi-tahs, pacifiques, payoient, fans murinurer :nbsp;Perfuadés que Ie Roi avoir befoin de fecours,nbsp;tls fe privoient du néceflaire; mais les étran-gers, que Don Juan avoir difperfés dans cenbsp;Royaume , féduifirent quelques mutins, fenbsp;plaignirent hautemenr des iinpóts, amp; mal-trnitèrent quelques exacteurs. Cec évènemenr,nbsp;qiwique très-particulier, fur traité de révoltenbsp;géivêrale. On envoya des troupes a difcrétion.nbsp;Les Algarves députèrent vers Ie Roi : On nenbsp;leur permit pas de Ie voir, amp; on leur répon-dit que ia Nation devoit s’artendre au trai-temenr Je plus rigoureux , a moins qu’ellenbsp;ne payat une fomme que Don Juan favoicnbsp;bien qu’elle ne pourroit point payer. Les, dé-putés jetèrent la Confternation dans Ie Rpyau-nie ; On. crut.fatisfaire a la juftice du Roi,nbsp;puniflani..deuxidesiprincjpaux „mutins;
cela rnême fut' regaïdé comme un nouveau crime, paree que ]e plus, coupable étant uqnbsp;agent fecret de Don Juan, qui 1’avoit chargénbsp;dans fes dépofitions, il prétendit que cettenbsp;dépoficion avoit été fuppofée amp; imaginée pacnbsp;les chefs de la nation. Les Algarves ne póu-vant pas payer la fomme exorbitante qu'onnbsp;leur avoit demandée, on leur envoya de nóu-velles troupes. Les Agens- de-Don jfuan firentnbsp;courir Ie bruit, que la Cour vouloit fairenbsp;fur eux un exemple qüi effrayac a jamais Ie reftenbsp;du Portugal; que Ie Roi marchoit en perfon-ne, pour faire e'Xécuter les principaux d’en-tr’eux, amp; que Ie refte devoit êrre livré a 1»nbsp;brutalité du foldat amp; pafl'é au fil de 1’épée.
Tels furent lés bruits que Don juan fit fe-mer. A la terreur,-fuccéda Ie murmure, enfin, une révolte ouvertc : Ses Agens fureftV'nbsp;les premiers a courir aux armes, foit poi'irnbsp;paroitre moins fufpeéts, foit pour exciter 18nbsp;peuplepar leur exemple. L’armée des rebeiidesnbsp;étoit nombreufe, amp; d’autant plus redoutablr»nbsp;que Ie fupplicebe plus affreux étoit deftjnénbsp;aux vaineuX Don Juan obtint Ie'eommaride-ment de l’armée qu’on envoya dans Ie Royau-me des Algarves :-ri favoir qu’il ne pouvoi*^nbsp;pas lui être refufé; amp; ce n’étoit que pour fi*nbsp;lendre néeeflliire, qu’il avojt force ce peupl®nbsp;a fe foiilever: Moyen abominable, maisidoncnbsp;l’hiftoire fouïn'it’plufieurs exemples-
Don JtKin ne fut pas moins heureuxa chutist les rebelleSKfiu’d 1’avoit été a les faire fou-kvér ; lis s’étoient retranchés au bord d’une
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de Jean de Calais.
rivière, fur laquelle ils avoient appuyé ]eur aile droite ; Tandis que Don Juan les atta-quoit par leur gauche, une parcie de fon armee paflbic la rivière au delibus de leur camp.nbsp;Les rebelles, qui avoient porté leurs forces dunbsp;cóté de 1’attaque, amp; qui fe croyoient, d’ail-leurs, en fureté du cócé de la rivière, négli-gèrent cette partie; èlle fut pouflee vivement,nbsp;amp;, tandis que Ie detachement pénétroit dansnbsp;les retranchemens par la droite, Don Juan,nbsp;avec la plus grande partie de fes forces, pro-fitant de 1’étonnenient des rebelles, renveiTenbsp;les détachemens de la gauche, amp;, fe rend maï-tre du champ de bataille : II remporta unenbsp;viétoire complettei Ie carnage fut affreux; ilnbsp;prit routes les villes des Algarves, amp; fit péritnbsp;dans les fupplices quiconque avoit eu part ènbsp;vine réhellion dont il étoit Pauteur. II foumicnbsp;de nouveau ce malheureux peuple au Roi denbsp;Portugal; amp;, par une trahifon encore plusnbsp;odieufe que la première, il forqa les Algarvesnbsp;a l’aimer, en obtenant du Roi qu’il leur ótdtnbsp;ies deux tiers des impóts, dont Ie fourbe lesnbsp;avoit fait accabler. Ilrevinta Lisbonne, com-blé d’éloges par les vaincus amp; par les Ecatsnbsp;aflèrablés de Portugal, qui lui décernèrent lesnbsp;honneurs du triomphe.
II n’avoit commis tant d’horreurs, que pour arriver a la dernière : II fe fervic du butinnbsp;immenfe qu’il avoit fait chez les Algarves,nbsp;pour engager les Etats a demander la Princeflenbsp;«n.mariage. II avoit prévu tous les obftaclesnbsp;qu’il avoit a furmoDter. Le premier étoic,
C vj
6ó nbsp;nbsp;nbsp;Hijioire
que ces mèmes Etats, ayant foufcrit a Selection de Jean, après la mort du Roi, il étoic de leur honneur de la faire valoir, è 1’égarJnbsp;de fon fils, en qui Ie Roi avoir mis fes efpé-rances. II leva cette difficulté, en corroropantnbsp;les principaux Membres des Etacs. Le fecondnbsp;étoit de faire confentir Conftance a ce maria-ge, qui lui écoit odieux, amp; qui privoit fonnbsp;fils du Tróne : II crut qu’il en viendroit ^nbsp;bout, en confentant que le fils de la Princeffenbsp;régnat après lui. Lorfqu’il eut gagné tous lesnbsp;efprits, on propofa ce mariage au Roi, amp; onnbsp;le préfenta fous un point de vue fi favorable,nbsp;que ce Monarque faifit avidement ce projet:nbsp;II en paria a la Princeffe, qui ne Pentendicnbsp;qu’avec' horreur. La plaie de fon ccEur fenbsp;louvrit avec une douleur pire que la première.nbsp;Après la perte de fon époux, elle ne concevoitnbsp;pas de plus grand malheur, que celui d’épou-fer Don Juan ; Elle protefta au Roi, qu’ellenbsp;fe donneroit plutót la mort, que d’y con-fentir.
Le Roi fut affligé de la réfiftance de fa fille : On 1’y avoit fi bien préparé, amp; fon efprit étoitnbsp;fi frappé de la beauté de ce projet, qu’il nenbsp;défefpéra point du fuccès. II laiffa écouler quel-ques jours, amp; fit de nouvelles propofitions :nbsp;La Princeffe marqua la même repugnance.
Je fuis affligé prefque autant que toi, dit-il, de la mort du malheureux Jean; nnbsp;ét;oit ton époux, amp; ce titre le faifoit monter au Tróné : Sa naiffance, cependant, menbsp;lailibit le droit dlannuller votre mariage ; j a-
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de Jean de Calais.
vois affez de moyens pour y réuffir, fi je n’eulTe plus confulté mon amitié pour lui, amp; ma ten-drefle pour toi, que mon autorité paternellenbsp;amp; la fierté de la nobleflé Portugaife, qui n’eücnbsp;obéi qu’a regret d un Souverain, Ie premiernbsp;de fa race. Tu fais 1’accueil qu’il a re^u denbsp;moi ; S’il vivoit encore, amp; qu’il voulüt accepter la moitié du Tróne, de mon vivant,nbsp;je Ie partagerois avec lui; mais de quel avan-tage font a 1'État nos vains regrets? Eft-cenbsp;pour nous feuls que nous régnons ? Le cielnbsp;n’a donné des Rois a la Terre, que pour fairenbsp;le bonheur des peoples. Ce bonheur exige denbsp;grands facrifices. S’il eft des circonftances oünbsp;le Souverain doit fe fouvenir que tous les hommes font formés du méme limon que lui, ilnbsp;en eft d’autres, öü il doit fe mettre au deliusnbsp;des foiblefles de 1’humanité; amp;, peut-être,nbsp;n’eft-ce que par ces efforts, que les Rois fontnbsp;au defllis des hommes. Telle eft celle oü nousnbsp;nous trouvons. Ton refus peut expofer 1’Étatnbsp;a des guerres fanglantes: Je touche au termenbsp;de ma vie; 1’Etat me demande un fuccefleur: Jenbsp;fais que ton fils doit l’être; fes droits au Trónenbsp;font inconteftables: Mais connois-tu les troubles inféparables d’une minorité? Tu régnerasnbsp;pour lui; mais, combien de fois tes mains,nbsp;peu faites a tenir les rênes de 1’Etat, ne fe-ront-elles pas expofées a les abandonner ü 1’a-dreffe d’un politique habile, qui te dreffera desnbsp;cmbüches inevitables? Don Juan a des droitsnbsp;au Tróne; jufqu’ici, il m'a rendu les fervi-ces les plus fignalés; je n’ai jamais reconnu.
6$ nbsp;nbsp;nbsp;Hijloire
en lui, que des vues droites amp; légitimes; mais» qui fait fi fon ambition ne s’enfiammera point;nbsp;fi, irrité de tes refus, il ne cherchera pas anbsp;s’en venger fur Ie fils d’un étranger, amp; nenbsp;foulevera pas la nation contra lui? Qu’il aitnbsp;Ie poiivoir en main, amp; tu verras ces mêmesnbsp;Grands, qui ontdéfigné ton fils pour me fuccé-der, arracher Ie Iceptre de fes mains: Cédonsnbsp;aux temps, ma chère fille, en donnant tanbsp;main d Don Juan; il confent que ton fils règnenbsp;après lui; il devient ton protedeur amp; fon
père.----Dieu! quel père! s’écria Conftan-
ce, amp; pouvez-vous penfer, s’il a des enfans, qu’il ne mettra pas tout en oeuvre pour lesnbsp;faire régner , au prejudice de mon fils? —
Le Roi fut frappé de cette objeétion, qu’it étoit bien aifé de prévoir; mais il trouva unnbsp;expedient qui n’obvioit a rien ; c’étoit, ennbsp;alTurant le fceptre a Don Juan, de le declarer tuteur amp; Régent pendant 1’interrègne. Enfin , a routes ces raifons, il en ajouta tantnbsp;d’autres, amp; un défir fi marqué, que Conf*nbsp;tance fe vit forcée de confentir a ce funeftenbsp;mariage, que le peuple, féduit par 1’appa-rence des vertus de Don Juan , amp; par fes lar-geffes, fembloit défirer. Les Etats furent in-formés du confentement de Ia Princefle, amp;nbsp;il fut permis a Don Juan d’aller lui préfenteinbsp;fes hommages.
La première fois que Conftance le relt;;ut, fon cceur fe fouleva, amp; un torrent de lar-mes coula de fes yeux ; Le Prince eflaya vai-aement de la confoler: Le traitre favoit fi bien
de Jean de Calais. nbsp;nbsp;nbsp;53
prendre route e'fpèce de formes, qu’il pleura avec elle, amp; necefla de kii faire 1’éloge d’unnbsp;époux, qui, difpit-il, 1’avoit plufielirs foisnbsp;flatcé de fon amitié, amp; qui avoir acquis furnbsp;foil caur des droits que le temps n’effaceroitnbsp;jamais. Don Juan s’approcha du fils de Conf-tance, amp; lurprodigua les carefles' les plus ten-cres; il ne i’appela que.fon fils, loua fa beauté , admira fes traits de reffemblance avec fonnbsp;malheureux ¦ père amp; fe promit bien de Janbsp;former dans Harr des combats, amp; de lui ap-prendre a regner.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;' ’ v
Le Roi fixa le joiir de la célébration du mariage ; li voulut que ce fCit le même quinbsp;svoit été pris' pour le rriomphe que les Etatsnbsp;avoient décerné a Don Juan. Conftance, quinbsp;edc. préféré la mort a ces affreux préparatifs,nbsp;pn abandonna le foin a fon père-. II ordolinanbsp;}es fetes les plus eclarantes, fit publier desnbsp;lournois, regia la marche du triomphe qrrinbsp;devoir être fuivi d’un repas magnifiqne,'amp;nbsp;cette journee auroit fini par un bal; le len-^emain , les fêtes devoient recommencerquot;, ce-jour auroit été dcïliné aux tournois -amp; auxnbsp;Routes, amp; devoit fe terminer par un fpééta-cle, dont le Roi avoir fait placer le tlié^trenbsp;dans la plus belle., falie du chiteau ; Ces fé-
tes devoient;, durer buit jours. _Omta’e de
inon époux, s’écria la Princefle, pardotine un Cicrifice que je fais'^-.ton fils amp; il’Etat; ilnbsp;n’y a que le cieUamp;jtoi-qui puiffiea favoir cenbsp;qu’U va me couter 1 *—•nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;.
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Hijloire
riage; Conftance, obfédée par Don Juan« s’efforgoit, vainement, de paroitre moins trif-te: EUeétoit entre les mains de fes femmes,nbsp;qui la paroient; Ifabelle foutenoit fon courage. On avoit drelie un camp hors des murs denbsp;la ville; la plus grande magnificence y ré-gnoit; route la Cour s’y étoic rendue. C’efi;nbsp;de la que , dans un char fuperbe, Ie Triom-phateur, fuivi de route la Noblefle, devoitnbsp;partir, amp; aller prendre la Princelle pour lanbsp;conduite a 1’Autel, amp; achever, enfuite, avecnbsp;elle, fa marche triomphale.
Don Juan venoir de quitter Conftance, pour fe trouver au lever du Roi, amp; lui demandernbsp;fes ordres : Elle Ie vit partir avec une joienbsp;fecrette; la contrainte oü elle s’étoit trou-yée, lui caufa un léger évanouiflement : Ifabelle courutelle-même, dans fon appartement,nbsp;chercher un elixir , dont elle avoir fouventnbsp;éprouvé la vertu, afin que Conftance pilt pré-venir de femblables accidens pendant Ie reftenbsp;de la journée. En traverfant une des coursnbsp;du Chateau, elle aper^ut, dans les offices,nbsp;un homme dont la figure la frappa: Une longue barbe cachoit une pattie de fon vifagenbsp;p^le amp; exténué ; fes- yeux étiocelans paroil-fbient agités; par I’inquletud'e-;- ii étoit nusnbsp;pieds,.amp; de fales haillons couvroient a peinenbsp;fon corps. Ifabelle Ie fixa,-plaignit fa mifère,nbsp;amp; fe difpofoit è lui faire 1’aümóne: Elle l’en-*nbsp;tendit, foupirer amp; vit iqiPil. la regardoit,nbsp;fon tour , d’un air embarlrafle. Ifabelle l'exa-rnbsp;mina de plus prés elle;
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traits de Jean de Calais; la reflemblance de eet homme avec ce malheureux époux, 1’at-tendric plus qu'elle ne 1'étonna: — Bon-hom-ine, lui dit-elle, la larme a l’ceil? en luinbsp;donnant deux pieces d’or, priez Ie Ciel pournbsp;une infortunée, qui va fe facrifier pour fau-ver fon fils, amp; pour empêcher les plus grandsnbsp;maux. — Le pauvre tendit la main pour rece-voir les deux pièces d’or, amp; Ifabelle recon-iHit le diamant que Conftance avoit donnénbsp;a fon époux: Interdite amp; tremblante, elle re-garde attentivement eet homme, qui lui fourit.nbsp;Ifabelle ne put plus méconnoitre Jean de Calais ; elle alloit crier, amp; I’embralfer peut-étre ;nbsp;tnais il lui fit figne de garder le filence, denbsp;crainte qu’il ne fut découvert par quelqu’unnbsp;des valets de Don Juan. Ifabelle fe modéra,nbsp;amp; fe contenta de lui demander, d’un air indifférent, amp; d’un ton aflez élevé pour être entendu de tout le monde, ce qu’il faifoitdansnbsp;le Palais, amp; a quel ufage on 1’employoit. Jeannbsp;lui répondit, qu’un des domeftiques de lanbsp;Princefle, touché de fa pauvreté, lui avoitnbsp;permis de fe chauffer au feu de la cuifine;nbsp;qu’on lui avoit raconté fon mariage avec Donnbsp;Juan , amp; qu’il devoit être employé a porternbsp;le bois dans les appartemens. Ifabelle lui fitnbsp;un figne qui ne fut entendu que de lui. Jeannbsp;fe retira amp; demanda aux autres domeftiquesnbsp;quelle étoit cette pérfonne charitable, il com-prit aifément, par leurs réponfes, qu’ils n’a-voient rien entendu de leur converfation,nbsp;qui put faire fufpeéler l’un ou l’autre.
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Ifabelle remonta dans I’appartement de Conftance; elle fic forcir tout Je monde, amp;,nbsp;déguifant fon trouble : — Ma chère Conftance, lui dit-elle , votre douleur m’afflige;nbsp;je fens, autant que vous, coinbien votre cceurnbsp;fouffre, amp; tout ce que vous aurez a fouifrirnbsp;pou-r accomplir ce funeJie facrifice; i’intérètnbsp;de vo'tre fils doit exciter votre courage. —nbsp;Je 1’ai promis, reprit Conftance; quoi qu’ilnbsp;m’en coute, j’aurai la force de remplir ce fu-nefte engagement: Don Juan aura ma main;maisnbsp;qu’il ne compte jamais de régner fur mon coeur;nbsp;je ne fais pourquoi mon ame fe foulève a ft)0nbsp;afpeft; d’autres m’ont offert leurs hommages,nbsp;je les ai refufés fans mépris; je les vois avec indifference ; leur nom ne me caufe aucun dépit;nbsp;celui de Don Juan excite toute ma haine; a peinenbsp;puis-je retenir ma fureur,lorfque je Ie vois; amp;nbsp;jepaflerois dans fes bras, amp;Don Juanattendroitnbsp;de moi les tranfports d'une amante! Ifabelle !nbsp;qu’il craigne d’y trouver la rage d’une furie l-'nbsp;Ifi^belle, qui connoiffoit la douceur de Conf*nbsp;tance, avoit de la peine a expliquer un changement auffi prodigieux. Elle favoit que Donnbsp;Juan avoit été Ie rival de fon épou^f ;nbsp;1’ambition, peut-être plus que 1’amour,nbsp;avoit fait demander la main de fon amie;nbsp;mais cettehaine ,fumplacable, étoitfi peu fait®nbsp;pour ie caraélère de Conftance, qu’elle paroif'nbsp;Ibit un phénomène dans 1’ordre de la naturenbsp;amp; même de la morale. — Avec de telles dif-pofirions, lui dit Ifabelle, je ne confentirainbsp;jamais quovvousépoufiez Don Juan.— -Et, quel
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de Jean de Calais.
ffloyen prendrois-tu, d’empêcher, de différer ménie ie fort qu’on me prépare? Ah! fi tunbsp;en connois quelqu'un, hrlte-toi de me Ie dire?nbsp;jamais 1’amitié n’aura fait une adion plus gé-néreufe. — En voici un ;je publierai que votrenbsp;époux n’eft point mort. — Que dis-tu ? monnbsp;époux? Ah, Ilabelle! 1’artifice eft tropgroffier;nbsp;amp; qui pourroit Ie croire, lorfqu’une époufenbsp;n’a pgt;u s’en flatter ? — J’accréditerai ce bruit;nbsp;je fufciterai des témoins. Eh 1 qui fait, ennbsp;effet, fi Jean ne refpire plus! un coup de ventnbsp;1’a précipité dans les flots; eft-il Ie premiernbsp;qu’un coup de vent, pflus heureux, eüt rejeténbsp;fur Ie rivage, ou contre un rocher, ou dansnbsp;une Ifle ? Si 1’on a vu Ie hafard, dans lesnbsp;plus fortes tempétes, offrir au matelot luttancnbsp;contre les vagues, les débris d’un vaifleau,nbsp;amp; Ie fauver de naufrage, pourquoi la Provi--dence n’auroit-elle pas fait Ie même miraclenbsp;en faveur de votre époux ? II eft vrai qu’il ynbsp;a deux ans que nous 1'avons perdu, amp; qu’ilnbsp;femble que, s'il vivoit encore, nous 1’aurionsnbsp;appris; mars, que favons-nous fi des obftaclesnbsp;infurniontables ne fe font pas oppofés, jufqu’ici,nbsp;a. fo.n retour ?
Conftance 1’interroropit, — Pourquoi, lui dit-elle, ces inflexions font-elles fi tardives?nbsp;ma chère amie, cette illufion , que vous vou-lez faire adopter au public, me féduit, malgrénbsp;fon invraifemblance: En effet, quelle preuvenbsp;avons-nous de fa mort? quel outrage, fi Jeannbsp;me trouvoit 1'époufe de fon rival ?Oui, Jeannbsp;peut revenir; la reflburce des malheureux.,
l’efpérance, n’avoit jamais lui mon cceur; c’eft a toi .que je la dois. Va publier par-toucnbsp;que Jean n’a point écé englouti fous les flots.nbsp;ïu pourras, dis-tu , fufciter des témoins; Lenbsp;menfonge eft afFreux, mais le motif en eft tropnbsp;beau pour que notre confcience nous en falie unnbsp;crime; qu’ils le perfuadent a tout le monde;nbsp;hélas! qu’ils me le perfuadent, s’il fe peut,nbsp;a moi-même ! Que dis - je ? malheureufe ! oünbsp;m’égare une erreur trop chère ! Crains, Ifa-belle, d’avoir fait luire è mes yeux un éclairnbsp;qui me rendra les ténèbres plus affreufes. Hnbsp;n’eft que trop vrai que Jean n’eft plus, quenbsp;je vais époufer fon rival, amp; manquer a la foinbsp;que j’avois jure de lui conferver au dela dunbsp;tombeau. — Un fecret preüentiment, que jenbsp;ne puis comprendre, reprit Ifabelle , que jenbsp;combats en vain , m’agite , depuis quelquenbsp;temps : Oui, j’efpère que le jour ne fe paf-fera pas fans quelque événement heureux. Lorf-que j’ai cru , comme vous, que vous avieznbsp;perdu votre époux fans retour, j’aurois re-gardé comme un crime d’entretenir en voUSnbsp;une efpérance chimérique ; dans ce moment,nbsp;au contraire, tout me porte a 1’exciteri j’^^nbsp;partagé vos pleurs, ne foyez point infenfiblsnbsp;a ma joie : Elle eft trop vive, pour qu’elle n®nbsp;foit point fondée.—
Conftance étoit étonnée du calme amp; de lu fermeté de fon amie. — Hélas! 'lui dit - elle *nbsp;ft tu as d’autres raifons d’efpérer que cellesnbsp;que tu m'as dites, ne me les cache pas.—-gabelle , alors, fuppofa qu’elle venoit de voir
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un homme qui difoit avoir parlé èi Jean de Calais, depuis environ un an. Conftance fixanbsp;attcntivemenc ion amie , amp; l'embrafla; ellenbsp;la pria de la conduire vers eet homme :nbsp;Non, dit-elle, je craindrois 1’excès de vosnbsp;tranfports; je n’ai pas eu Ie temps de Pinter-roger, ii vaut mieux que je vous répète fidel-lement tout ce qu’il m’apprendra, — Conftance , impatiente, pria, prefia fon amie, quinbsp;la conduifit, par dégrés, au point de pouvoirnbsp;lui apprendre, fans danger, que Jean étoicnbsp;dans Ie chateau ; elle ajouta que la moindrenbsp;indifcrétion pouvoit l’expofer au rellentimeni:nbsp;de fon rival. Lorfqu’elle fut bien afiurée quenbsp;Conftance fe modéreroit, elle alia, elle-méme,nbsp;ordonner, devant les autres domeftiques, knbsp;Jean, de porter du bois dans la chambre denbsp;la Princefle. —Je m’intérefle a ta misère , luinbsp;dit-elle, je lui ai parlé de toi; elle te retientnbsp;au fervice de Don Juan ; viens, je te pré-feiiterai a elle. — Ifabelle eut foin de lui re-comtnander, en particulier, de fe contraindrenbsp;autant qu’il lui feroit poifible.
Jean amp; Conftance ne fe virent point avec autant de circonfpeélion qu’ils 1’avoient pro-rois; cependant, ils ne furent entendus quenbsp;d’Ifabelle. L’amour , la furprife amp; la joie ,nbsp;les tenoient comme enchantés : Jean, fous fesnbsp;haillons, étoit un Dieu pour Conftance ; ellenbsp;étoit dans fes bras, lorfqu’on annon^a Ie Roi,nbsp;qui venoit voir fa fille, avant d’aller joindrenbsp;Don Juan, au lieu oü devoit commencer ianbsp;marche trioinphale.^ Conftance alla au devant
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de fon père, les yeux noyés de larmes de tendreffe , amp; les bras ouverts pour l’embraüer,nbsp;II parut furpris qu’elle ne fut point encorenbsp;parée : Elle Ie pria d’empécher que perfonnenbsp;de fa fuice n’entr^t; amp; , lorfque tout Ie mondenbsp;fut forti, elle fejeta a fes pieds: —Oh, monnbsp;père ,* s’écria-t-el!e, vous aimiez l’infortunénbsp;Jean de Calais ; vous -aviez confirmé notrenbsp;mariage, amp; vous m’avez dit, Ibuvent, quenbsp;Vous partagiez avec mol Ie regret de fa perte ;nbsp;daignez me Ie répéter encore; daignez m’ap-prendre ce que vous feriez , li vous avieznbsp;quelque certitude de l’exiftence de Jean. —nbsp;Le Roi 1’aflura que, s’il en eüt eu feulementnbsp;Ie moindre doute , jamais il ne 1’auroit prefl'éenbsp;d’accepter la main de Don Juan. — Mais,nbsp;ajouta-t-il, pourquoi ces queftions inutiies.^nbsp;II n’eft que trop vrai que Jean eft mort. —nbsp;Non, Sire, s’écria Jean de Calais, en tombantnbsp;è fhs genoux; non , votre fils n’eft point mort,nbsp;il vit pour adorer Conftance, amp; pour répandre,nbsp;s’il le faut, jufqu’a la dernière goutte de foonbsp;fang pour yous. —
Le Roi fut frappé comme d’un coup de foudre : II remit Jean, malgré 1’état oü il V^~nbsp;roillbit; il les fit relever 1’un amp; 1'autre, appel^nbsp;un de fes Officiers, amp; fit ordonner qu’on fnf'nbsp;pendit la féte jufqu’a nouvel ordre , amp;
Don Juan i’attendit au lieu oü il étoit, jufqu’a ce qu’il eüt terminé une affaire de la plus grande importance, qui étoit furvenue. Le Roinbsp;s’affit entre fa fille amp; Jean , amp;Ifabelle lui ra-conta ce qui s’étoit palie, depuis le aiomeiic
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de Jean de Calais.
qu’elle avoit rencontré Jean , fervant fes Cui-finiers. Conftance n’étoic pas moins itnpatiente que Ie Roi, de favoir quel heureux hafard luinbsp;avoit fauvé la vie.
— Cen’eft, Sire, ni un coup de vent qui m’a expofé a la perdre , ni Ie hafard qui menbsp;1’a confervée. Plus inquiec pour les jours denbsp;Conftance, que pour les miens, dans Ie fortnbsp;de la tempéte qui a caufé nos malheurs, jenbsp;montai fur Ie pont, pour examiner .ft ellenbsp;dureroit encore long-temps; les ténèbres dontnbsp;ia mer étoic couverte, m’empêchoient de voirnbsp;autour de moi; quelques éclairs qui fillonnè-rent les airs, me firent apercevoir Don Juannbsp;è mes cótés. Je favois qu’il avoit long-tempsnbsp;füupiré pour Conftance; mais la conduite qu’ilnbsp;avoit tenue a notre égard, fon refpeét pournbsp;mon époufe, amp; Tamitié qu’il me témoignoit,nbsp;ne me laiübienc aucun lieu de me méfter denbsp;lui. Je m’approche en tatonnant; il me parlenbsp;du fecours que j’avois prété a la manceuvre,nbsp;amp; me prie de l’aider a voir ft les écoutillesnbsp;étoient bien fermées ; il me tenoit par 1»nbsp;bras, amp; me conduifoit-: Je Ie fuivis, amp;, lorf-queje fus furie bord, il pafla derrière moi,nbsp;amp; me précipita dans les flots—
Le Roi, I fabel! e, amp; Conftance furtout, frémirent: Conftance fut la moins étonnée;nbsp;elle expliqua aifémenr, alors, la caufe denbsp;la haine invincible qu’elle avoit pour Dotinbsp;Juan. Ifabelle trerobla pour fon amie, ennbsp;1'ongeant que ce monftre avoit été fur le pointnbsp;de l’époufer; amp; le Roi fe reprocha d’avoir
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prefle cette union détellable. II jura y de ce moment, de punir fa perfidie, amp; die è Jean denbsp;continuer.
„ J’allai, reprit - il, par mon propre poids» f, jufqu’au fond de la mer; alors, frappant lanbsp;^ terre du pied, amp; divifant 1'eau avec inesnbsp;„ bras, je revins fur les dots; ils étoient finbsp;„ agites, que mon expérience dans 1’art denbsp;„ nag'er ne me fervit prefque de rien; je com-„ batiis contre leur fureur, tantót porté danSnbsp;„ les airs par une vague, amp; tantót fubmergénbsp;„ par celle qui venoit la frapper. Je fentis uonbsp;„ coup violent; c’étoit la quille d’une cha-^ loupe, qui avoir été, fans doute, écraféenbsp;„ contre quel que rocher; je 1’embraflai, ^nbsp;„ me livrai au caprice des flots : Un coupnbsp;^ de vent me poufla vers la terre: Alors, lu®nbsp;„ tenant accroché è la quille par un bras, j®nbsp;„ nageai de I’autre, jufqu’a ce que mes pied*nbsp;,, portèrent a terre; dès que je la fentis, j®nbsp;^ ne fis qu’un léger elFort, amp; je me trouvainbsp;,, fur un rivage inconnu,
„ Je m’étendis fur Ic fable, accablé de fa' tigue, Si pouvant a peine refpirer. La p®^'nbsp;jj fidie de Don Juan, amp; le fouvenir de Conf-tance, abandonnée a fes fureurs, furent lesnbsp;feuls objets qui m’occupèrent jufqu’au re-„ tour de 1’aurore. Dès que le jour fut afle*nbsp;„grand pour me conduire, je me levai,
„ regardai autour de moi, Si je me vis dans „une lie déferte. Figurez-vous la fituationnbsp;„ d’un homme qui perd tout ce qu’il a de plunbsp;„ Cher, ou, du moins, qui le fait a la men^
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d’un infame aflaflin, amp; qui ne voit aucun ,, moyen de Ie fecourir : ]e remerciai, ce-,, pendant, Ie ciel de m’avoir fauvé la vie :•nbsp;„ J'efpérai que, puifqvt’il m’avoit retiré dunbsp;„fond des mers, il me rendroit, un jour,nbsp;„ Conftance amp; mon' fils. Je parcourus toütenbsp;„ rile, amp; je n^y trouvai aucun veilige d’hom-,, me. Toute inculte amp; fauvage qu’elle étoit,nbsp;„ j’y découvris des bois agréables, done lesnbsp;„ arbres paroifibient êcre de la plus grandenbsp;„ antiquité il y en avoit plufievirs, qui étoientnbsp;,, chargés de fruits; ce fuc mon feul aliment,nbsp;„ pendant quelques jours. Ün coutean, quenbsp;„j’avois fur moi, me fervit a couper quel-,, ques branches; j’en élevai une cabane fur Ienbsp;„ bord de la mer, afin d’être a portee de menbsp;„ faire entendre, s’il pafibit un vaifleau. Jenbsp;,, me fis des inilrumens commodes pour Ianbsp;„ chafle : C’étoient des pieux amp; des efpècesnbsp;„ de filets, tiflus d’un ofier très-mince ; anbsp;„ 1’aide d'un caillou amp; de mon couteau, jenbsp;„ me procurai du feu. J’ai palie deux annéesnbsp;„ danscette ile, dont je faifois, Ibuvent, Ienbsp;,, tour, dans 1’efpérance de découvrir quel-„ que vaifleau. Je montois fur les arbres les plusnbsp;„ élevés, amp; jejetois, inutilement, ma vue denbsp;„ tous cótés. L’efpolr m’a toujours foutenu.nbsp;„ — Grand Dieu! difois-je quelquefois, ren-„ dez-moi Conftance amp; mon fils, amp; je renonce
„ pour toujours a fortir de ces lieux____
„J’ai paffé deux années dans cette cruelle 5, incertitude, lorfque, gagnant, un jour, anbsp;«mon ordinaire, Ie bord de la mer, je vis
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„ forth' d'un bois épais un homme qui paroif-,, foit venii' au devant de moi. A cette vue, „ la joie s’empara de moi; l’efpoir ranimanbsp;„ mon courage ; je crus que quelque vaifleaunbsp;„ avoir échoué fur la cóte, amp; je bénis la Pro-„ vidence qui me faifoit éprouver un bien-„ fair fur lequel j’avois toujours compté : Jenbsp;,, volai au devant de eet étranger , pournbsp;,, lui donnet du fecours, s’il avoir fait nau-,, frage,^ou pour lui en demander, s’il devoicnbsp;,, continuer fa route, je 1’abordai; la douceurnbsp;,, écoic peinte dans fes yeux; je ne fais quoinbsp;,, de célefte brilloit fur fon vifage ; je menbsp;,, fentis entrainé, malgré moi, par 1’amournbsp;,, amp; par Ie refpedt. Ses cheveux, en treflesnbsp;„ ondoyantes, flottoient au gré des zephyrs;
l’enjouement étoic fur fon front amp; la con-,, dance fur fes lèvres; fa jeuneflè infpiroic ,, 1’intérêc Ie plus tendre ; fon fourire étoiCnbsp;„ celui de la bienfaifance qui vient de fairsnbsp;,, un heureux. — Jeune-homroe, lui dis-je»nbsp;,, quel que foit Ie fort qui vous amène ennbsp;„ ces lieux , foit que la curiofité vous alt enquot;nbsp;,, gagé a defcendre dans cette ile inhabitée»nbsp;,, foit que vous y ayez été jeté par la tem-„ pête , ordonnez, vous pouvez difpofer denbsp;,, moi, peut - être ne vous feral - je pas inu'nbsp;„ tile, II y a deux ans qu’un perfidenbsp;„Je fais, me répondit-il, votre jnalheureuf®nbsp;„aventure; je fais qu’avant vous, perfonnenbsp;„ n’avoit abordé dans ce féjour inconnu aunbsp;„ refte des moreels. — Je fus furpris que cenbsp;^ écranger puc favoir raon hiftoire» qui »8
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de Jean de Calais.
,, pouvoit être connue que deDonJuan amp; de „ moi.— Comment, lui dis-je, Don Juannbsp;,, a-t-il ofe confier a quelqu’un ce déteftablenbsp;gt;, aflallinat? — li n’y a pas de crime, re-„ prit-il d’un air grave, qui ne pénètre, tótnbsp;„ OU tard ; ceux dont il s’efl: rendu coupablenbsp;gt;, depuis celui-la, fout mille fois plus atroces.nbsp;„11 a excité les Algarves a fe révolcer, afinnbsp;„ que Ie Rol de Portugal lui confiAt Ie com-,, mandement de 1’armée qu’il enverroit poucnbsp;„ les chacier ; Son. projet a réuffi ; il a faitnbsp;„ couler des torrens de fang, pour aflouvirnbsp;y, fon ambition : C’eft peu ; il a corrompanbsp;j, 1’aflemblée des Étacs, pour faire demandernbsp;,, au Roi, comme une récompenfe de fa vic-„ toire, la main de ton époufe ; On s’efl; fervinbsp;„ du prétexte du bonlieur public, amp; Ie Roinbsp;j, lui-même u été encrainé dans ce projet,
„ Je vois que ce difcours te furptend; tu „ ne congois, ni comment j'ai abordé dansnbsp;„cette ile, autour de laquelle ru n’aper^oisnbsp;„ aucun vaifleau , ni comment j’ai pu favoirnbsp;„ ce qui te regarde; eh bien! Jean de Ca-,, lais, apprends que c’eft pour toi feul que jenbsp;», fuis venu ; que ce n’eft point la mer quinbsp;„ m’a apporté, amp; que j’ai fuivi des routesnbsp;yy inconnues aux mortels, pour te rendre anbsp;5, une époufe qui t’adore, amp; è. ton fils, donenbsp;„ on a juré la mort. C’eft demain que doit fenbsp;„ terminer Ie funefte hyménée, qui livre aunbsp;yy barbare Don Juan , ton fils amp; ton époufe.nbsp;yy Oh Ciel! m’écriai-je, féparé par tantnbsp;ïyde merSy.que me fert d’étre inftruic d?
7^ nbsp;nbsp;nbsp;Hifloire
malheurs auxquels je ne puis m’oppofer? ft Vous rendez mon fort mille fois plas alfreux;nbsp;i, j'efpérois que la même main qui m'avoitnbsp;5, retiré du fond des abymes , me rameneroit,nbsp;,, unjour, auprès de Conftance; je me flat-,, tois que fa vertu rendroit inutiles tous lesnbsp;„ efforts de Don Juan; amp; c’eft demain qu’ilnbsp;,, 1'époufe! V engeance célefte ! di vous per-,,mettez ce forfait! Et vous, jeune Étran-,, ger, que je prenois pout 1’envoyé d’un Diesnbsp;,, bienfaifant, pourquoi n’eft-ce^u'au rhomentnbsp;„ que Ie facrifice efl: prêt de s’accomplir ^ que
„vous me 1’annoncez?---Afin de te faire
„ mieux connoitre, me répondit-il, que, daus „quelqu’état que l’bomme fe trouve, il eftnbsp;„conduit par une providence fecrette, dontnbsp;„ il ne peut apercevoir les rellbrts. Si je fa-„ vois plutót inltruit des deffeins de DoHnbsp;„ Juan; li je t’avois facilité les moyens de tenbsp;„ rendre a Lisbonne, pour te venger, crois-„ tu que ton rival, dont la fourde politiquenbsp;„ a fait foulever un Royaume entier, «dtnbsp;„ manqué de moyens ^pour te faire périr-„ Homme aveugle! 1’Être Suprème fa titcnbsp;„ du néant, amp; tu doutes qu’il puifle fair®nbsp;,, tout ce qui te paroit impolfible. Adore-le»nbsp;„ abandonne-toi a fa volonté, amp; ne fondsnbsp;„jamais fes déerets.—
„ Je me profternai aux pieds de l’incofl' „nu. — DelBllez mes yeux, luinbsp;„que vous foyez; Efprit célefte, cache lou^nbsp;„ cette enveloppe huraaine, ou mortelnbsp;„ me moi, mais animé d’uae vertu plus p -
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de Jean de Calais.
yy fe, foyez mon garanc auprès de TÊtre des j, êtres; quels que foient fes defleins furnbsp;,, rnoi, je m’y foumets, amp; les coups les plusnbsp;,, terribles, ne m’arracheront aucun mur-„ mure. — L’incomnv me releva, me ra-
conta tout ce qui s’étoit paffe depuis Ie „ moment qu’on m’avoit cru mort; il m’af-,, fura que Conftance m’étoit fidelle,.amp; qu’ellenbsp;„ ne furvivroit point è fon mariage, s’ilnbsp;„ s’accompliflbit; que je lui ferois, bientót,nbsp;„ rendu, amp; que, malgré lesapparences, Donnbsp;„ Juan ne feroit jamais fon époux.
„ J’écoutois a vee une furprife mêlee d’ad-„ miration amp; de crainte; il me propofa de nous „ affeoir auprès d’un arbre, (c’étoic hier, aanbsp;,, coucher du foleil); amp;, après ne m’avoirnbsp;,, laiffé ignorer aucun détail de tout ce quinbsp;,, regarde Ie Roi, Gonftance amp; Don Juan ,nbsp;,, il me tint les propos les plus fublimes, furnbsp;„ la vertu, fur la profpérité des méchans, furnbsp;„les infortunes des bons; fur 1’ordre moralnbsp;,, 8i phyfique de l’univers , oü Ie triomphenbsp;,, du mal ne pouvoit être que momentané ,nbsp;„ paree que 1’ordre étant une émanation denbsp;,, i’Etre incréé, il étoit néceffaire que toutnbsp;„ rentrdt dans 1’ordre, quelque renverfemencnbsp;„qu’il efft éprouvé, comme 1’huile, mêléenbsp;„ avecd’autres liquides, gagne toujoursle def-„ fus, avec quelque violence qu’on les air agi-„ tés amp; confondus enfemble.
„ Déja les ombres couvroient la face dek ,, terre, je 1’écoutois avec tranfport, un fom-„ meil importun s’emparoit de moi; je /e chaf-
D iij
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,, fois en vaih. Jufqu’alors, je 1’appelois, tous ,, les jours, au fecours de mes peines; dans cenbsp;,, moment, il m’affligeoit: J’eus beau Ie com-,, battre, mes yeux s’appefantirent: Je pris lanbsp;,, main de 1’inconnu, je la portois a ma bou-}, che, pour la baifer, lorfque, tout a coup,nbsp;„ je perdis connoiflance.
„ Quel a été mon étonnement, loriqu’au ,, lever de 1’aurore, mes yeux fe font ouverts!nbsp;,, L’inconnu eft Ie premier objet qu’ils ontnbsp;,, cherché; j’ai gémi en ne Ie voyant plus: J’ainbsp;„ regardé autour de moi, j’ai fixé ma vue furnbsp;„ ce Palais, que j’ai eu d’abord quelque peinenbsp;„ a reconnoitre. Enfin, je n’ai plus douté denbsp;„ tout ce que 1’étranger m’avoit dit dansnbsp;„ 1’ile, amp; j'ai femercié 1’Êcre Suprème. J’a-„ vois plus d’eroprefl'ement de revoir Conf-„tance, que jen’étois embarrafle des moyensnbsp;„ de m’y préiènter : Les foins que la Provi-„ dence venoit de prendre de moi, me laiflbientnbsp;„fans inquietude pour 1'avenir; la magnifi-„ cence amp; la pompe du triomphe de mon ri-„ val, que je comparois avec 1’état miférablenbsp;„OU je fuis, étoient plutót un objet d’atnu-„ fement pour moi, que de chagrin amp; de hon-,, te. J’ai rencontré plufieure domeftiques dnnbsp;,, Palais; ils m’ont demandé par quel hafardnbsp;„ 3'étois, fi matin , dans les cours: Je leur ainbsp;„ répondu que j’étois un paflager qu’une ho^nbsp;„ rible tempête avoit jeté dans les flots, amp;nbsp;„ qui avoit eu Ie bonheur de fe fauver,
,, qui avoit tout perdu : Je me fuis arnufe un „ moment a iroplorer leur cbarité. Les plus
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de Jean de Calais.
,, riches m’ont méprifé, en me traitant de ,, parefieux amp; de vagabond.; Ceux a qui la for-,, tune commence a fourire, amp; qui n’ont punbsp;,t oublier encore leur ancienne misère, m’ontnbsp;,, refufé plus honnêtement; mais je n’ai trouvénbsp;„ des cceurs fenfibles, que dans les plus pau-„ vres. C’eft un jeune homme lahorieux,nbsp;„ qui fere a 1’office, tk qui, après avoir vunbsp;„ I’accueil que les autres m’avoient fait, eftnbsp;,, venu m’apporter la moitie de fon déjeüné,nbsp;amp; a obtenu qu’on m’employeroic. C’eft avecnbsp;„ lui qu’Ifabelle m’a rencontré: Si je n’étoisnbsp;,, occupé de foins plus importans, je deman-„ derois au Roi la permifl'ion de faire la mêmenbsp;„ étude fur les courtifans.
Jean de Calais cefla de parler, amp; fon epoufe fe rejeta dans fes bras : Le Roi fit appelernbsp;un ancien Gouverneur du Royaurae des Al-garves, que Don Juan avoir fait condamnernbsp;a une prifon perpétuelle, pour avoir ofé porter au pied du Tróne les plaintes du people.nbsp;On le tira des fers, amp; on I’introduifit dansnbsp;1'appartement de Conftance : Le Roi alia aunbsp;devant de lui. — Infortuné vieillard , luinbsp;dit-il, me pardonnerez-vous les maux que jenbsp;vous ai faits : Mon people vous avoir choifinbsp;pour être auprès de moi 1’interprète de fanbsp;douléur; amp;, par la plus affreufe des injufti-ces, je vous ai traité comme un fcélérat, amp;nbsp;j’ai défolé votre pays. Don Juan m’a aveu-glé; il en fera puni, amp; moi, je me punis denbsp;in’être livré aux confeils d’un perfide , ennbsp;avouant inon injuftice. Allez chez les Algar-
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¦ves; foyez mon protedeur auprès d'eux; re-prenez vos emplois, amp;, furcovu, annoncez-leur que je reparerai les maux que Don Juan 3eur a faits fous mon nom : Vous leur portereznbsp;fes dépouilles, amp; vous ferez arrêter fes complices. Vous partirez demain ; mais, de craintenbsp;que le coupable n’échappe a ma vengeance,nbsp;lentrez encore, pour quelques inttans, dansnbsp;votre prifon. — ‘
Le Roi lui demanda les preuves des manoeuvres de Dop Juan. Le Gouverneur, dans la crainte que ce Miniftre inndelle ne les f icnbsp;enlever, les avoit confiées a un ami feereenbsp;qu’il avoit a Lisbonne : II lui ecrivit, amp; lenbsp;Roi les eut dans 1’inftant méme.
II étoit dangereux amp; difficile d’arréter Don Juan : La plus grande partie de la Cour lanbsp;craignoit; 1'autre étoit intéreflee d le ména-ger,.amp; le refte lui étoit vendu. Toutes lesnbsp;troupes qui étoient dans Lisbonne étoient fouSnbsp;les armes, pour honorer fon triomphe; ellesnbsp;avoient combattu fous lui, amp; il avoit fu fenbsp;les arracher , en leur permettant le pillage desnbsp;villes qu’il avoit affiégées. 11 avoit marqué ajinbsp;peuple toutes les vertus qui pouvoient le fé-duire : 11 avoit aclieté I’amrour des uns parnbsp;fes libéralités, amp; le refpeft des autres, parnbsp;1’ufage qu’il faifoit de fon autorité.
Don Juan attendoit le Roi, depuis long-temps , pour commencer la marche de fon triomphe: Quelques é vanouiflemens, que Conf-tance avoit eus dans la matinée , loi firentnbsp;imaginer de fe fuppofer beaucoop plus ma-
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ie Jean de Calais.
-lade : On fit cachet Jean de Calais; amp; le Roi forcit de I’appartement de fa fille, aflez émunbsp;de tout ce qui venoit de fe pafler , pour au-torifer le bruit qu'on vouloit répandre. Ifa-belle appela les femmes de Conftance d’un airnbsp;inquier, en difant que la Princefle étoit très-Tnal. Les courtifans, qui attendoient le Roi pournbsp;•le fuivre au camp, amp; qui 1’entendirent, ajou-tèrent i la nouvelle les circonftances les plusnbsp;funeftes. On n’entendit, bientót, que des crisnbsp;amp;; des gemiflemens interrompus-par ces mots,nbsp;la Princejfe fe meurt. De la Cour, le bruitnbsp;pafle a la ville, amp; Cent émiflaires le portentnbsp;au camp de Don Juan. II palit, en apprenantnbsp;cette nouvelle, amp; vient lui-meme au palais,nbsp;fans efcorte. Le Roi s’y étoit attendu, amp;, dèsnbsp;qu’on le vit entrer, on lui dit qu’avant d’al-ler a I’appartement de Conftance , le Roi dé-firoit lui parler: II fe rend a fes ordres fansnbsp;méfiance. — Don Juan , lui dit-il, vous aveznbsp;de cruels ennemis! je les ai decouverts ; c’e-toient eux qui vous perdoient dans I’efpritnbsp;de ma fille ; Ils vont plus loin , aujourd’hui,nbsp;Ks vous attribuent la caufe de fa maladie;nbsp;ils difent que vous 1’avez empoifonnee. Nenbsp;penfez pas que leur calomnie ait fait la moin-dre impreffion fur mon efprit; elle eft trop dé-pourvue de vraifemblance; 1’inutilité de cenbsp;crime vous juftifie dans mon efprit; mais cenbsp;n'eft pas aflez pour vous : je veux que vousnbsp;confondiez les calomniateurs en plein Con-feil, afin que, fi le ciel nous enlève Conftance , celui qui doit me fuccéder au Trdne ,
foit exempt de foup^on aux yeüx de fes ftr-jets.—
Don Juan, innocent de ce crime, étonné de la bizarrerie de cetce aceufation , paria denbsp;fes calomniateurs avec plus de mépris que denbsp;haine. II fupplia Ie Roi d’afl'embkr, au plusnbsp;vice, fon Confeil, amp; de lui nommer fes ac-cufateurs. — II n’eft pas encore temps, ditnbsp;Ie Roi; votre triomphe en fera'bien plus éclatant, lorfqu’après vous être juftifié, Ie Confeil amp; moi vous les nommerons, pour vousnbsp;laifler Ie maïtre de leur fort. Je les .ai faitnbsp;arrêter, ils font gardés a vue; pour vous,nbsp;inon Palais... — Non, Sire, reprit Don Juannbsp;d’un air ferme, les Idches croiroient que j'ainbsp;choili moi-même eet afyle, pour me mettrenbsp;en fureté. Quand an eft innocent, quand onnbsp;n’a rien a craindre, tout ce qui peut ref-fembler a la proteftion , eft iin outrage ; Desnbsp;fers, amp; votre juftice, voik tout ce que jenbsp;demande. —
Don Juan vouloit aller fe rendre en pri-fon ; Ie Roi Ie fit confentir a prendre un appartement dans Ie Palais, amp; a fouffrir qu’unenbsp;garde veillat fur lui, pour la forme. II d®quot;nbsp;manda la permiffion de voir Conftance : Lenbsp;Roi l’accompagna lui - mérae a fon appartement; mais on leur dit qu’elle fe trouvoitnbsp;beaucoup mieux, amp; qu’elle repofoit. Le Rolnbsp;fe tourna vers Don Juan, amp; lui témoiguanbsp;qu’il n’avoit pas befoin d’autre juftification»nbsp;amp; qu’il étolt tenté de n’aflerabler le Conleilnbsp;que pour procéder contre les caloniniaieurs.
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Don Juan voulat, au contraire, que fon triomphe fut éclatant, amp; que les coupablesnbsp;lui fufl'ent confrontés. Le Roi le conduiiit,nbsp;alors, dans 1’appartement qu’il s’etoit choifi,nbsp;amp;nomma les Officiers qui devoient le garder.
Cependant, Ic bruit fe répand que Don Juan eft arrêté; 1’impreffion qu’il fait fur les ef-prits produit différens effets ; le peuple mur-mure amp; les troupes fe mutinent. Le Roi, quinbsp;connoit 1’efprit altier amp; prefomptueux dunbsp;Prince , lui fjiit dire que, s’il n’appaife lesnbsp;troupes, leur fédition confirmera les foupgonsnbsp;que fes ennemis peuvent avoir répandus furnbsp;fon innocence dans I’efprit du peuple. Donnbsp;Juan donna dans le piège , amp; écrivit a fesnbsp;Officiers; Que c’étoit volontairement qu’ilnbsp;étoit prifonnier; qu’il s’étoit rerais lui-merae ,nbsp;inalgré leRoi, afin dedécouvrirquelques enne-mis fecrecs qui 1’aecufoient d^avoir attenté auxnbsp;jours de la Princefle, qui n’attendoit plus quenbsp;fa convalefcence pour lui donner fa main :nbsp;Accufation ridicule, amp; fi peu vraifemblable,nbsp;que le Roi n’avoit confenti qu'avec répu-gnance a radmettre a fe juftifier: Qu’il étoitnbsp;de fon intérêt, amp; de fon honneur, d’êtrenbsp;jugé, pour effrayer, par le fupplice des coupables, les laches auteurs d’une telle impof-ture. II leur ordonnoit, en conféquence, denbsp;punir avec la plus grande févérité , quicon-que éleveroic la voix en fa faveur, foitnbsp;avant, loit après le jugernent : II leur en-joignoit a eux-mémes, fous les peines les plusnbsp;rigoureufes, de n’obeii qu’au Roi.
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Quant au peuple, qui croit toujours les cho-fes les plus extraordinaires, il fuffifoic que la vie de la Princefle fut en danger, pour que Ienbsp;feul mot d’empoifonnement, prononcé myf-térieufement par quelques émillaires fecrets,nbsp;rendic évident 1’attentat de Don Juan ; D’ail-leurs, corame on n’avoit point a craindre quenbsp;ce Prince eüt aucune communication au dehors , on fit courir Ie bruit que Jean de Calais vivoit encore; ce qui donna lieu a denbsp;nouvelles conjeftures qui amusèrent Ie peuple,nbsp;amp; lui rendoient Don Juan, tout au moins,nbsp;fufpeél.
Dés que Ie Confeil fut aflemblé, Ie Roi fit doubler la garde de Don Jiian; il avoua quenbsp;l’empoifonnement de la Princefle étoit unnbsp;¦crime imaginaire, dont l’accufation fuppoféenbsp;n’avoit été qu’un prétexte, pour óter au cou-pable les moyens d’échapper a la punition denbsp;crimes non moins atroces amp; plus réels. II de-manda au Confeil quelle étoit la peine quenbsp;les lois infligeoient a un fujet ambitieux,nbsp;qui avoit abufé de fon crédit amp; de fon pou-voir pour exciter amp; pour forcer tout un peuple a fe révolter contre fon Souveraip. Il n’/nbsp;eut perfonne qui héfitèc de prononcer que c’é-toit la mort la plus infame. — Le Roi ajouta:nbsp;Quel feroit le fupplice qu’on devroit lui fair®nbsp;fubir, 11, abufant des bontés de fon maicre,nbsp;il avoit fufcité cette révolte pour fe faire don-ner le commandement de 1’armée, qu’d au-loit mis fon Roi dans la nécefllté d’envoyernbsp;contre ies rebelles ? — Le Confeil frémi: de
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1’atrocité d’un tel crime. On répondit qu’il n’y avoit pas de Légiflateur qui eut pu prévoirnbsp;un cas femblable, amp; que, dans ces occafions,nbsp;c’étoit aux Rois a prononcer.
_Ce n’eft pas tout, dit Ie Roi; fi Ie monf-
tre qui a commis tous ces crimes, amp; qui vou-loit s’aflurer Ie Tróne, avoit réciamé, en faveur de fes abominables fervices, la main de la fille de fon Roi; fi, craignant de ne pasnbsp;l’obtenir, il avoit foutenu les prétentions quenbsp;fa naillance lui donnoit è la Souveraineté, danbsp;la menace de troubler 1’État, afin de forcernbsp;fon maitre, puur prévenir les malheurs d’unenbsp;guerre civile, a lui facrifier fa fille : Un telnbsp;homme ne fe feroit-il pas rendu coupable dunbsp;crime de lèze-Majefté — ? Tons répondirentnbsp;affirmativement; mais quelques-uns rougirent:nbsp;Le Roi s’en aper^ut. II les raiïura, en leurnbsp;difant, qu’il avoit été trompé, comme eux,nbsp;par 1’apparence du bien public, amp; par la bonnanbsp;opinion qu’on avoit du coupable amp; des fervices fignalés qu’il avoit rendus.
— Enfin, reprit le Roi, fi eet homme abo. minable, pour aflbuvir fon amour amp; fon ambition , avoit aflaffiné 1'héritier de la couron-ne, 1’époux de la fille de fon Souverain, pournbsp;en faire fon époufe, a quels tourmens pour-roit-on le condamner, pour lui faire expiernbsp;fon crime? —Ah! Sire, s’écria un des Mi-niftres du Roi, on a, fans doute, furpris vo-tre Majefté; il eft impoffible qu’un feul honj-me ait pu fe rendre coupable de tant de forfaits. — II eft aifé de le prouver» reprit le
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Roi. —II ordonna qu’on fit venir Ie Roi des Algarves, amp;, en même temps, il remit aunbsp;Confeil routes les pièces qui conftatoient les -manceuvres de Don Juan. II y avoit une grandenbsp;quanticé de fes lettres, qu’on avoit furprifesnbsp;a fes émiflaires, amp; une lifte de fes agens fe-crets, dont plufieurs avoient péri par fes or-dres, lorfqu’il s’étoit méfié de leur difcrétion.nbsp;Le Gouverneur avriva, amp; mit Ie Confeil aunbsp;fait de route cette intrigue. Les récompenfes inbsp;qu'il avoit obtenues de fon crime , c’eft-a-dire, le, commandement de 1’armée, le butinnbsp;immenfe fait fur les Algarves, la main denbsp;la Princefle qu’on lui avoit accordée, amp; 18nbsp;triomphe qu’on lui décernoit, étoient afleznbsp;manifeftes; Un feulcrime avéréfutlapreuvedenbsp;tous les autres. Le feul aflaffinat de Jean reftoitnbsp;a prouver; mais le Roi réferva ce crime pour lenbsp;dernier, amp; après qu’on auroic prononcé furnbsp;les autres. On appela Don Juan pour le con-fronter avec le Gouverneur. Comme il lenbsp;vit feul, amp; qu’il ne fe doutoit pas qu’aprèsnbsp;avoir langui dans les prifons, il eüt pu con-ferver des preuves de fa trahifon, Don Juannbsp;demanda fi c’étoic la fon accufateur. — Je n®nbsp;fuis pas furpris , dit-il, qu’un fcélérat,nbsp;vil rebelle qui s’attendoit a cxpirer dans unnbsp;cachot, me fuppofe un empoifonnement; quandnbsp;il n’y trouveroit d’autre avantage, que denbsp;revoir un moment la lumière, il auroit dunbsp;m’accufer de forfaits encore moins vjaifeni-blables. —Que parlez-vous de poifon , dit lenbsp;Gouverneur, qui n’étoit préparé fur rieuj
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c’eft de la révolte des Algarves, dont je vous accufe d’étre 1'auteur. — Impofteur ! s’écn'anbsp;Don Juan, prét a fondre fur lui.... Le Con-feil 1’arrêta, amp;ron init fous fes 5'eux fes lettres amp; celles de fes agens. Don Juan ne putnbsp;les nier; il précexta des raifons fecrettes, foii-tint qu’il ne les avoir écrites que pour décou-vrir les complices de la conjuration : On luinbsp;prouva qu’il avoir écarté du Tróne tous ceux quinbsp;auroient pu édaircir le lloi fut la pureté des intentions des Algarves; on lui fit voir des libel-les, qu’il avoir fait compofer, amp; qu’il leur attri-buoir; enfin, on le for9a de convenir de tout,nbsp;Le Roi lui fit les reproches les plus amersnbsp;fur les moyens qu’il avoir pris pour 1’engagernbsp;a lui donner fa fille. — Don Juan réponditnbsp;qu’il n’avoit intérefl'é que fa bonté royale.—nbsp;Le Roi fit lire un mémoire, dont lui feulnbsp;avoir connoiflance, parlequel, fous prétextenbsp;d’aflurer fon mariage, amp; le bonheur des peoples , on infiftoit fur le crédit de Don Juan ,nbsp;amp; fur les fecours qu’il ne manqueroit pas denbsp;trouver chezles Algarves même, pourdépof-féder Conftance, amp; fon fils, après la mort dunbsp;Roi. Don Juanjura qu’il n’avoit aucune parenbsp;a ce mémoire faftieux. Mais le Roi gt; qui ,nbsp;dés le matin, avoir fait arrêter un Secrétairenbsp;de Don Juan, lui en montra le projet écritnbsp;de fa propte main. II en convint; mais il pré-tendit fe juftifier par la pureté du motif: —- IInbsp;avoir, dit-il, voulu empêclier que le Royaumenbsp;tombdt entte les mains du fils d’un aventu-lier.—
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Jean de Calais, que Ie Roi avoit fait avertif depuis Ie commencement du Confeil, étoicnbsp;caché dans un cabinet voifin. — Des aven-turiers tels que lui, reprit Ie Roi, qui joi-gnent les vertus les plus pures a une naiflancenbsp;honnête, font plus propres a gouverner lesnbsp;Empires, que des fcélérats, qui n'ont d’autresnbsp;titres que Ie hafard heureux qui les a placesnbsp;prés du tróne^, amp; leurs intrigues abominables.nbsp;Je douce que, fi Jean de Calais vivoit encore»nbsp;vous euffiez ofé lui parler en face avec cenbsp;mépris. — Sire, répondit Don Juan, je n'ainbsp;dit, devant vous, que ce dont je 1’avois forcenbsp;de convenir lui-même dans Ie vaifleau oü ilnbsp;a péri. — Dices plucót, ajouta Ie Roi, oünbsp;vousl’avez alfaffiné. —Don Juan ne réponditnbsp;que par un ris moqueur. Si Jean de Calais anbsp;péri, c’eft, fans doute, paree que , mal inf-truit dans fon premier métier, il n’a pas fiinbsp;évicer les accidens auxquels les macelocs lesnbsp;plus ignorans ne fuccombent pas toujours. —nbsp;C’eft ce qu’il eft aifé de juftiiier , repric Ie Rolnbsp;avec fureur; Paroiflez, Jean de Calais. — Donnbsp;Juan demeura immobile, en voyanc reparoitrenbsp;ce rival, qu’il croyoic au fond des mers. Sanbsp;confufion lui óta 1’ufage de la parole. Jeannbsp;tomba aux genoux du Roi, amp; demanda lanbsp;grdce du coupable : — Elle n’eft pas en monnbsp;pouvoir, dic-il; c’eft au Confeil alejuger.—nbsp;II expofa comment Don. Juan avoit faifi l8nbsp;moment oü il fut, fans témoins, pournbsp;cipiter Jean dans les flots, d’oü il avoit érenbsp;reciré comme par miracle. Don Juan convint
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de tout, amp; marqua, après eet a ven , amant de Idcheté qu’il avoit marqué de force jufqu’anbsp;ce moment. On Ie fit retirer, amp; Ie Confeilnbsp;prononqa fon arrêc de mort, qui fut exécuténbsp;deux heures après, malgré tons les efforts quenbsp;put faire Jean de Calais pour lui Xauver lanbsp;vie. On fit publier l’Arrêt dans Ie camp amp;nbsp;dans la ville; amp; , comme on y avoit eirconf-tancié tous les crimes du coupable, perfonnenbsp;n’ofa murmurer. Conftance feule, qui 1’avoitnbsp;haï vivant, fut touchée de fon fupplice, qu’onnbsp;ne lui apprit qu’après qu’il 1’eut fubi.
Dès Ie lendemain, Jean de Calais, conduit par Ie Roi, fe rendit au camp : II harangua lesnbsp;troupes, rendit juftice aux vertus guerrièresnbsp;de leur Général ; regarda leur attachemencnbsp;comme la preuve la plus complette de fes tulens amp; de fon mérite, les aflura que, quelqu©nbsp;amour que Don Juan eüt pour Ie fbldat, ilnbsp;en auroit encore davantage; qu’il n’étoit pasnbsp;poffible qu’un homme qui s’étoir rendu coupable de fi grands crimes, ne fe füt démenti,nbsp;tót OU tard : II termina fon difcours, en pro-meitant aux foldats de ne rechercher perfonnanbsp;fur Ie butin fait dans 1’expédition des Algar-ves, route injufte qu’elle avoit été. II s’éten-dit fur Ie malheur de ce Royaume; /fe, commenbsp;Don Juan avoit incorporé, dans fes troupes,nbsp;une grande quantité de payfans Algarves,nbsp;dont il avoit dévafté les terres, ils s’écriè-xent tous : — Vive Ie Roi, vive Jean denbsp;Calais, — Les Officiers fupérieurs, a quinbsp;toute 1’adreffe de Don Juan n'avoit pu dégui-
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fer une partie de fes intrigues, amp; qui étoient convaincus de la juftice de fa mort, vinrentnbsp;tous faire au Roi, amp; a Jean de Calais, 1»nbsp;ferment de fidélité Ie plus folemnel.
Les troupes demandèrent que Jean de Calais montSt fur Ie char qui avoit été deftiné pournbsp;Ie triomphe de Don Juan. — Non, s’écria-t-il : périflent a jamais les monumens amp; Ienbsp;fouvenir d’une viftoire achetée par les crimesnbsp;du vainqueur. Votte courage, foldats, n’a pasnbsp;été flétri par la trahifon de Don Juan; vousnbsp;ïgnoriez fes dedeins; vous devez vous ap-plaudir de votre valeur, amp; détefter Ie perfidenbsp;dont vous étiez les inftrumens. —
Jean de Calais rentra dans la ville, accom-pagné des troupes amp; de toute la Noblefl'e qui s’étoit rendue au camp. Don Juan éroit dé*nbsp;tefté ; Les fétes, qui avoient été préparées,nbsp;fervirent a célébrer Ie retour de Jean de Calais, amp; fa reunion avec Conftance : II défiranbsp;feulement que Ie Roi fit publier un Carrou-fel. II étoiï bien aife de faire voir que, finbsp;Don Juan s’étoit acquis quelque eftime patnbsp;fa valeur, il avoit droit de prétendre au mêm8nbsp;avantage ; Mais un événement, auquel 18nbsp;fupplice de Don Juan donna lieu, fervit mieuXnbsp;Jean de Calais que tous les combats d’adrefle-Don Juan avoit un neveu qui, au défaut denbsp;fon oncle amp; de fes enfans, avoit droit denbsp;prétendre au Tróne de Portugal: Don Alonzonbsp;n’attendoit que Ie moment de voir Don Ju»nnbsp;1'époux, de Conftance, pour fe débarraflérnbsp;fecrectement, d'C 1’un amp; del’aucre, amp;en venir.
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enfuite, a main armee, attaquer le Roi, amp; le forcer, tout au moins, a partager le Trónenbsp;avec lui. Don Juan, qui ne fe méfioit pointnbsp;d'Alonzo, Pavoit mis de moitié dans toutesnbsp;fes perfidies. Comme le fecret des reflbrtsnbsp;employés pour opérer le foulèvement des Al-garves, étoit entre les mains de plufieurs per-fonnes, amp; qu’il pouvoit pénétrer, Alonzonbsp;avoir perfuadé a Don Juan qu’il falloit avoirnbsp;fur les frontières du Portugal, des troupesnbsp;levées au nom du Roi, amp;. qui fufient eiitiè-rement dévouées a leur General : Don Juannbsp;lui fit expédier une commjffion illimiree, amp;nbsp;lui fit délivrer des fommes confidérables.nbsp;Alonzo rafl’embla tous les bandits du royaumenbsp;de Léon, de I’Andaloufie, de 1'Eltramadure,nbsp;amp;des provinces d’Efpagne voifines du Portugal; il leur afligna des quartiers, créa desnbsp;Officiers qui lui étuient entièrement dévoués,nbsp;amp; qui aguerrirent ces fcelérats, en leur per-mettant tous les excès done ils étoienc capa-bles, inais, en même temps, en punifl'ancnbsp;avec la plus grande févérité la moindre fautenbsp;contre la fubordination, amp; en condamnancnbsp;aux verges amp; a la mort quiconque avoirnbsp;donné des foup^ons fur fon courage : Le pillage, le viol, le meurtre, commis avecintré-pidité, étoient regardés comme des aélionsnbsp;héroïques. Tels étoient les foldats d’Alonzo ;nbsp;Ils avoient ordre, au moindre fignal, de fenbsp;raflembler, amp; de macfher. par-tont oii leurnbsp;General les conduiroic.
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Ce qui fe paffoit; Alonzo-avoit encore des efpions lecrecs a Lisbonne. II étoic averti-,nbsp;par fon oncle, qu’il alloic époufer 1’héritièrenbsp;du Tróne, qu’il feroit Ie tuteur du fils denbsp;Conftance, jeune enfant dont il trouveroitnbsp;bientót Ie moyen de fe débarralfer; il favoicnbsp;que Don Jnan avoit obtenu les honneurs dunbsp;triomphe, amp; que fon mariage devoit fe cé-lébrer Ie même jour. Les efpions d’Alonzo»nbsp;-qui n’attendoit que de voir Don Juan ennbsp;pofleffion de la main de Conttance, pour fairenbsp;périr 1’un amp; 1'aurre, l’avertirent dès qu’il fucnbsp;arrêté, amp;, fix heures après, il apprit fon fup'nbsp;plice. II favoit que fon oncle avoit la con-iiance des troupes, amp; qu’il étoit aimé dunbsp;peuple : II crut qu’il n’avoit pas un moment a perdre, amp;, dès Ie lendemain, fonnbsp;armée fut raflemblée amp; en état de marcher»nbsp;.11 fit venir les principaux Officiers, prefquSnbsp;tous chargés de dettes ou de crimes, bannisnbsp;de leur pays, ou par la rigueur ou par lanbsp;crainte des lois; il leur paria de la mort.denbsp;fon oncle comme de 1’effet d’un complo’^nbsp;odieux; leur fit entrevoir Ie pillage de Lilquot;nbsp;bonne comme une fortune immenfe qui lesnbsp;attendoit, amp; ia prife de cette vüle comn^enbsp;un jeu, amp; d’autant plus certaine, que lesnbsp;'troupes qui y étoient, fe joindroient a euX»
6 nbsp;nbsp;nbsp;ne demandoient que de venger la mort denbsp;leur Général.
Le cinquième jour, depuis Ie fuppljee de Don Juan, lorfque Lisbonne recentiUbit denbsp;cris de joie, qu’on célébfoit la nomination gt;
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que Ie Roi avoït faire, de Jean de Calais a la dignité de Lieutenant-Général du royaumenbsp;ck de Généraliffime des troupes; lorfque Conf-tance partageoit avee lui les bénédiclions dunbsp;peuple amp; des foldats, dont il avoir fair au-gmenter la paie, quelques payfans, eftrayés,nbsp;vinrent porter l’alarme dans la -ville, amp; an-Doncèrent qu’une armée, que leur crainte grof-fiffoit encore, s’avarrQoit comma un torrent,nbsp;8: dévaftoit, dans fa raarche, les villes amp; lesnbsp;campagnes .Ces jcyfans, que Jean de Calaisnbsp;interrogea lui-même, ne purent donner quenbsp;des lumières vagues : lis dirent feulemencnbsp;qu’autant qu’ils avoient pu Ie compreiidre,nbsp;c'éroit une armée Efpagnole. Le Roi, quinbsp;étdic en pleine paix avec le Roi d’Efpagne,nbsp;qui, d’aülèurs, favoit qu’Alonzo étoit fur lanbsp;froncière, amp; qui ne le foup^onnoit pas d’avoirnbsp;aucun deflein de venger fon oncle, qui, ennbsp;apparence, lui témoignoic une froideur dontnbsp;toute la Cour avoit été témoin, amp; qui, depuisnbsp;eet événement, avoit écrit au premier Mi-niilre, qu’il étoit pret de remettre au Roinbsp;la coinmiffion dont il étoit chargé, fi on lenbsp;foup9onnoit de quelque intelligence avec Donnbsp;Juan, ne comprenoit point ce qui lui attiroitnbsp;ces ennemis fur les bras.
Dans le temps que le Roi amp; le Confeil étoient a délibérer, Jean de Calais raflémbloitnbsp;les troupes, amp;les animoit au combat. —En-fans de la viéioire, leur difoit-il, voici lenbsp;oioment de faire voir a votre Roi, que, ftnbsp;j/üus avea été les foldats d’un naitre, vous
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ne futes jamais fes complices. Vous avez com-battu en héros pour Ie crime, fans Ie con-noitre; quelle ardeur 1'amour de TÉtat, que vous allez défendre, ne doic-il pas vous inf-pirer? Don Juan vous conduifoit au carnagenbsp;d’un peuple dont il avoir flétri la valeur^inbsp;je vous mène contre un ennemi qui paroitnbsp;redoutable, amp; qui fe montre digne de vouS»nbsp;puifqu’il eft 1’aggrefleur. —
Un efpion d’Alonzo, qui, pendant la fête^ s’écoit mêlé parmi Ie peuple, ivre de vin amp;nbsp;de plaifir, avoir tenu quelques propos qui 1®nbsp;firent foup9onner d’avoir quelques connoif'nbsp;fances dans 1’armée ennemie; on fe fouvinCnbsp;d’avoir entendu dire a eet homme, Ienbsp;demain du fupplice de Don Juan, que fonnbsp;fang pourroit produire des fléaux bien redou-tables au Portugal. On l’arrête, on Ie menace
de la torture, amp;ilavoue que, quoiqu’AlonZO
eüt formé Ie deflein de faire aflalliner foji oncle, il ne doucoit pas que ce ne fut lui-même,qui, fous prétexte de Ie vengèr, oenbsp;vint porter Ie fer amp; Ie feu dans Lisbonne, pou'^nbsp;s’emparer de la fouveraineté, qu'il croyoicnbsp;lui appartenir.
CependantJean de Calais, inllruit du d’ennemis qu’il avoir a combattre, part, ^nbsp;marche avec ordre; il apprend que 1’arm®®nbsp;des conjurés eft è. Evora; il prend un déta-chemenr, s'avance amp; découvre un camp fo'^quot;nbsp;midable en avant de la yille ; Heureufementf
Alonzo ne fut pas averti a temps de la de Jean, de forte que celui-ci eut la facilite oc
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choilir Ie terrain. Entre Évora amp; 1’armée du Roi, il y avoir una hauteur qui dominoicnbsp;la plaine circonvoifine, amp; dont la pente abou-tiflbit, de chaque cóté, a des bois de pins.nbsp;Jean, qui vit la fécurité des ennemis, profitanbsp;du jour pour conduire fes troupes derrièrenbsp;la hauteur; il remplit les bois de fon infanterie legére, amp;, dés que la nuit put dérobernbsp;fes manoeuvres a l’ennemi, il conduifit fonnbsp;armee fur l’élévation, de roanière, cepen-dant, que, fe tenant rangée en bataille unnbsp;peu plus qu’a demi-cóte, elle ne put êtrenbsp;aper9ue, que lorfqu’/llonzo fe remectroit ennbsp;niarche. Jean de Calais éroit réfolu de gardernbsp;cette pofition, jufqu'a ce qu’il vit I’anneenbsp;ennemie fe mettre en mouvement.
Alonzo, qui ne s’étoic arrêté que pour at-tendre des nouvelles de ce qui fe palïoit i Lisbonne, impatient de ne pas voir arrivernbsp;fes efpions, craignit, en fuppofant qu’ils euf-fenc écé découverts, de laifler au Roi Ienbsp;temps de prendre des mefures. II ordonna ènbsp;1’armée de fe mettre en marche avant Ie pointnbsp;du jour : Jean s’apergut dè ce mouvement;nbsp;il la laifla s’engager dans la plaine : Lorfqu’ilnbsp;la vit aflèz éloignée d’Évora, il fait fairenbsp;^ fes troupes un mouvement en avant : Lesnbsp;ennemis étoienr au pled du monticule , amp; déjènbsp;leur avant-garde étoit a demi-cóte. Jean, profi-tantde l’avantage du terrain amp;de leur furprife,nbsp;les fait charger avec une vigueur a laquellenbsp;ils ne s’attendoient pas. L’armée des conjurés»nbsp;qui marchoit fur trois colonnes, fe reunie
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HiJIoire
amp; fe range en ordre de bataille, fans fonger a faire fouiller les bois : Les troupes qui ynbsp;etoient, fonent en force; amp;, tandis qu’unenbsp;partie attaque fes flancs, l’aucre,a la faveurnbsp;des ravins, gagne les derrières, amp; Alonzo fenbsp;trouve entouré de routes parts.
Jean de Calais avoir a craindre la garni-fon d’Evora; mais, comme il aper9ut, de fa hauteur, que les équipages de 1’armée d’A-lonzo en défiloient, il envoya ordre a fesnbsp;troupes légères de former un détacheraent»nbsp;de mettre le feu a ceux qui etoient fortis denbsp;la ville, d’y pénétrer a la faveur du tumul-te , de couper les jarrets des chevaux quinbsp;trainoient les voitures, amp;, d'empecher quenbsp;la garnifon ne fortit.
Les conjurés tentèrent de faire face de tons cótés; mais, comme ils ignoroient le nom-bre de troupes qui pouvoient être dans lesnbsp;bois, ils n’ofoient ni dégarnir leurs flancs poutnbsp;lenforcer leur front, que Jean de Calais com-inen9oit d’attaquer, ni diminuer leur fron'^nbsp;pour repoufler les troupes qui aitaquoienr leursnbsp;flancs. L’incendie de leurs équipages, dont ilsnbsp;pouvoient apercevoir les flammes, augment»nbsp;leur inquiétude : Leurs bataillons étoient agiquot;nbsp;tés comme les flots de la mer ; On voyo'^nbsp;Alonzo ordonner en même temps des manoeuvres oppofées. Jean les attaqua brufquement-Enfin, ne pouvant fe battre en retraite, fa'^®nbsp;s’expofer aux mèmes dangers qu’en acceptantnbsp;le combat, ils prirent le parti de vendre che-renient leur vie; car ils n’efpéroient
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gtSce, s’ils étoient vaincus. Jean fit avancer fa premiere ligne, amp; fondit avec impétuofité furnbsp;celle de I’ennemi. L’attaque amp; la défenfe furencnbsp;générales : Alonzo, fuivi de quelques-uns denbsp;fes Officiers, amp; de fes meilleurs foldats, gravicnbsp;jufqu'au fommet de la hauteur; tanffis quenbsp;Jean , emporté par fon courage, avoir péné-tré jufqu’au centre des ennemis : II vit lenbsp;mouvement d’Alonzo, amp; revint l^ur fes pas.nbsp;Le combat devint furieux fur la hauteur :nbsp;Alonzo fur repouffé, amp; la troupe, qu’il avoitnbsp;amende, fe précipitant dans la plaine, 1’en-traina , malgré lui. Jean de Calais, avec lenbsp;refte de fon armée, le fuivit : Le carnagenbsp;devint terrible. Jean cherchoit Alonzo, pournbsp;terminer le combat d’an feul coup; il terraf-foit tout ce qui s’offroit a lui : Déja il étoitnbsp;parvenu jufqu’au Général; mais un gros denbsp;rebelles le dérobèrent.
Les ennemis avoient quelque avantage fur les troupes qui gardoienc les bois de la gauche : Jean proflta de cette circonftance; il fitnbsp;filer, dans 1’épaifleur du bois, un corps de ré-ferve, qu’il avoir laifle derrière la hauteur,nbsp;avec ordre de fe ranger en bataille au delanbsp;d’un large ravin qui bordoit les bois : 11 en-voya dire, en même temps, a la troupe quinbsp;s’y battoit en retraite, de fe retjrer fur cenbsp;nouveau corps : Les ennemis la fuivirent ennbsp;force. Alonzo, qui crut s’être ouvert un che-min pour la retraite, fit filer une partie denbsp;fon armée dans le bois ; Lórfqu’elle y futnbsp;«ngagée, Jsan de Calais fit mettre le feu i
E
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.quelques niafures qui étoient fur la Hlière: La flamme fe communiqua bientót aux arbresnbsp;réfineux; lés conjures n’ofant retourner dansnbsp;la plaine, done Jean étoic Ie maitre, conti-nuèren: leur marche avec precipitation, amp; ennbsp;défordre : Mais ils trouvèrent de nouvellesnbsp;troupes de 1'autre cóté du ravin. On leurnbsp;propofa de fe rendre a difcrétion; ils refusè-rent. Alojs -commen9a un combat plus af-freux que Ie premier; ceux qui paflbient Ienbsp;ravin s’élangoienc fur Ie Portugais, qui lesnbsp;paflbient au fil de 1’épée; ceux qui rentroiencnbsp;dans Ie bois, étoient aveuglés par des tour-billons de fumée ; Enfin, ils mirent bas lesnbsp;armes, amp; fe rendirent prifonniets. Leur nomquot;nbsp;bre étoic diminué de plus des deux tiers :nbsp;Alonzo étoit dans la plaine avec 1’autre par-tie de fon armée; Jean de Calais lui avoitnbsp;coupé route communication avec celle quinbsp;s’étoit enfoncée dans Ie bois, de forte qu’ilnbsp;ignoroit fa deftinée. Lorfque Jean en fut in-formé, il raflembla fes troupes, amp; fit propo-fer a Alonzo de fe rendre a la merci du Roi-Alonzo, regardant cette propofition commenbsp;une preuve de défavantage du cóté de fonnbsp;ennemi, infulta Ie héraultamp; ne répondit qu’ennbsp;recommengant Ie combat avec plus d’achar-nement; Jean de Calais, fans lui donner I2nbsp;temps de faire de nouvelles difpofitions»nbsp;tombe fur lui avec toutes fes forces amp; Ie re-poufle vers Ie bois de la droite, dont lesnbsp;troupes, qui n’avoient point encore agi, Ienbsp;je9oivent avec vigueur. Alonzo fait un mou-
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de Jean de Calais.
vemeiit pour gagner la hauteur; Jean, qui l’avoit prévu, avoit envoyé ordre au corpsnbsp;de troupes qui n’avoit plus rien a faire dansnbsp;Ie bois de la gauche, de la défendre. Alonzo*nbsp;fe voyant fans reflburce, ne prenant confeilnbsp;lt;iue de fon défefpoir, s’élance au milieu de*nbsp;Portugais, amp; porte des coups terribles : Sesnbsp;foldats, animés par fon exemple, ne fontnbsp;arrétés, iii paria crainte du plus grand nom-bre, ni par 1'afpeft d'uhe mort inevitable;nbsp;tant que Jean les avoit vu fe battre en régie,nbsp;amp; fuivre les mouvemens d’un courage éclairé,nbsp;il avoit excité fes foldats au carnage amp; a lanbsp;fureur; il s’étoit conduit avec une iropétuoliténbsp;néceliaire; mais, lorfqu’il voit les rebelles fenbsp;livrer a une rage aveugle, il fe contente denbsp;tenir fes troupes enfemble, amp; de les faire com-battre avec prudence: En effet, ellesnefaifoiencnbsp;que s’avancer gravement, en préfentanc leursnbsp;piques amp; leurs épées, amp; les ennemis venoient,nbsp;eux-mêmes, recevoir la mort qu’ils fe propo-foient de donner : En nioins d’une heure,nbsp;Tarmée d’Alonzo fut réduite au quart. Jeannbsp;lui propofa encore de fe rendre. Alonzo s’a-drelia aux troupes qui lui reftoient: — Mesnbsp;amis, leur dit-il* foit qu'on nous falie grke,nbsp;foit qu’on nous rende juftice, 1’ignominie nousnbsp;attend a Lisbonne. Geux qui preferent unenbsp;vie^ infame a une mort glorieufe, font lesnbsp;Hiaitres d’aller implorer la clémence du Vain-queur; les autres peuvent m’imiter. — Acesnbsp;fiiots, il fe frappe, amp;, donnant fon épée, fu-Kiante de fon fang, auhérayltVa,dit-il j
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donne-la, d.e ma paijt, a ton raaitre, amp; a Jean fon fuccefleur: C’eft un préfent que je leur avoisnbsp;deftiné.— A peine a-t-il fini ces mots, qu’ilnbsp;tombe de fon cheval; Quelques Officiers 1’imi-tèrent, amp; le refte fe rendit.
Jean envoya les Prifonniers a Lisbonne» coucha fur le champ de bataille, amp; fe- rendit, le lendemain, a Evora, ou il ne trouvanbsp;que cinq cents homines de garnifon, qui n3nbsp;firenc aucune refinance. II diftribua aux habi-tans, amp; a fes foldats, tous les équipages de 1’av-mée enneraie; butiu immenfe, formé des volsnbsp;êi des brigandages des rebelles. LoiTque toutnbsp;fut foumis, Jean ordonna qu’on enterrSc lesnbsp;morts, dont la plaine étoit couverte : II ficnbsp;tranfporter a Lisbonne les bleii'és amp; le corpsnbsp;d’Alonzo, Prince rempli d’un courage féro-ce, amp; plus criminel encore que Don Juan. Hnbsp;fit indemnifer tous les habitans de cette plaine fnbsp;a qui cette bataille avoit fait quelque tort.nbsp;Si arrêta l’incendie, qui duroit encore dansnbsp;les bois de pins.
Quand tout fut réparé, Jean reprit le che-min de Lisbonne. A peu de dlftance de la ville, jl rencontra le Roi amp; Conftance,, quinbsp;venoient au devant de lui : II defcendit dsnbsp;cheval, amp; Conftance, fe precipitant de fonnbsp;char, vola dans fes bras. Lesalarmes que cettenbsp;Princefle avoit éprouvées, pendant cinq joursnbsp;qu'avoit duré cette fanglante amp; glorieule ex-pédition, avoienc rendu fa beauté plus tou-chante. Son père avoit été obligé de^fe fervifnbsp;de fon autorité, pour empécher cette tendrs
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de Jean de Calais.
éponfe d’aller chercher Jean au milieu des combats, amp; de partager fes périls amp; fes travaux, Le Roi l’embrafia, Ie félicita, amp; Ie remercia.nbsp;— Ce n’eft pas a moi, dit-il, en s’ad'reflantnbsp;aux troupes qui Pentouroient; c’eft a eux, quenbsp;ces felicitations font dues : Je n’ai ed quenbsp;i’honneur de commander; ils combatcoientnbsp;pour leur Roi; leur courage a tout fait.—nbsp;Ces mots pafsèrent de bouche en bouche, amp;cnbsp;1’air retentit du nom de Jean de Calais, dunbsp;héros d’Evora;'nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;ce moment, 'le titre de
Due d’Evora lui fut donné par le Roi, amp; con-firmé.par 1’Etar.
Le Roi fit monter Jean dans fon char, a cóté de la Princeffe. IIs entrèrent en triom-phe ü Lisbonne, dont lesfétes, interrompuesnbsp;par cette guerre, recommeneèrent avec unnbsp;nouvel éclat. Piufieurs habitans étoient com-pliqués dans le double complot de Don Juannbsp;amp; de fon neveu. II y avoit encore, parmi lenbsp;people, piufieurs efpions de ce dernier;*on ennbsp;avoit arrété quelques-uns, on ignoroit les nomsnbsp;des autres; amp;¦ 1’on faifoit des recherches pournbsp;les découvrir. On en punit deux, auxquels onnbsp;fit fouifrir des fupplices plus effrayans quenbsp;cruels. On s’attendoit a une profcription plusnbsp;confidérable, mals le Due d’Evora obtint dunbsp;Roi qu’il accordèt une amniftie générale, avecnbsp;cette condition, que tous les complices con-rus OU inconnus; ceux qui auroient eu quel-que relation direde ou indirede avec Donnbsp;Juan OU fon neveu; ceux qui, ayant euquel-que connoiflance, tant des defleins de Don
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fe trouver abfens lors de la publication, Ie
Juan, fur les perfonnes du Roi, de Conftan-ce, de Jean de Calais amp; de fon fils, que des complots patricides de Don Alonzo, fur lanbsp;perfonne du Roi, amp; fur celle de Don Juannbsp;Jon oncle, amp; de Conftance, ne les auroientnbsp;pas révélés dans Ie temps, viendroient dé-pofer tont ce qu’ils fauroient a eet égard «nbsp;ibit par leurs fecrettes intelligences avec Ie*nbsp;coupables, foit par toute autre voie que cenbsp;put étre; avec promefle royale, que leurs ré-:vélations, de quelque nature qu’elles fufl'ent,nbsp;4demeureroient fecrettes amp; ne pourroient leurnbsp;faire aucun tort, pourvu, toutefois, que lesnbsp;lévélans fe préfentafl'ent dans huitaine, paflenbsp;lequel temps, ils ne pourroient jou ir de 1’effecnbsp;de 1’amniftie : Et, pour ceux qui pourroient
R-oi promettoit d’y avoir égard , en prouvant, néanmoins, qu’ils auroient fait la plus grandenbsp;diligence pour venir a révélation, dès quenbsp;1’amniftie leur auroit été connue.nbsp;s Ce inoyen raflura Ie peuple, amp; produifitnbsp;un meilleur effet que routes les recherchesnbsp;qu’on avoit faites jufqu’alors. Ce qui inté-reflbit Ie plus, après la mort de Don Juan amp;nbsp;d’Alonzo, étoit de connoitre leurs ageiis fe-crets, afin de veiller fur leur conduite a 1’a-venir. Comme on avoit la confiance la plusnbsp;aveugle au Due d’Évora, il fut mis i la têtenbsp;de la commifBon, prépofé pour recevoir lesnbsp;lévélations: Rien ne lui fut cache ; les lettres de grace furent expédiées a tous ceuxnbsp;qui fe préfentèrent; il réfulta, de ces dépo-
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de Jean de Calais.
fitions, une hiftoire fi abominable des com- ¦ plots de 1’oncle amp; du neveu, que Ie Conleilnbsp;jugea a propos d’en dérober la mémoire lanbsp;poftérité.
II ne reftoit qu’a pourvoir au fort des pri-fonniers fairs a la bataille d’Évora : Ils étoient prefque tous Efpagnols; Ie peu qu’il y avoirnbsp;de Portugais étoient coupables de haute tra-hifon , pour avoir été pris les armes a la mainnbsp;centre leur patrie, amp; leur Roi, amp; méritoientnbsp;la mort. On fe contenta de les difperfer dans,nbsp;diiférentes villes du Royaume, avec ordre auxnbsp;Gouverneurs de veiller fur leur conduite, amp;nbsp;d’en répondre. Quant aux Efpagnols j au nom-bre de quatre mille, on leur propofa leurnbsp;liberté, a condition que chacun retourneroitnbsp;chez foi; amp; , pour s’en affurer, on fe dif-pofoit a écrire au Roi d’Efpagne, qui enver-roit fur les frontières une fdre efcorte, pournbsp;en faire ce que bon lui fembleroit. Mais, cesnbsp;inalheureux, prefque tous fugitifs, pour crime, OU pour dettes , fe croyant perdus, fup-.nbsp;plièrent Ie Due d’Évora d’obtenir qu’il leurnbsp;fut permis, ou d’aller ailleurs que dans leurnbsp;pays, OU de refter en Portugal, offrant, pournbsp;n’être point a charge a la nation, de gagnernbsp;leur vie a tous les travaux dont on voudroicnbsp;les charger. Jean de Calais, qui avoit éténbsp;témoin de leur valeur, obtint qu’ils feroientnbsp;incorporés dans les troupes du Roi. C’eftnbsp;ainii que Jean donnoit un avant-godt de fonnbsp;règne, amp; favoit faire, de fcélératsdévoués auxnbsp;fupplices, des citoyens utiles. Les prifonniers
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firent édater leur joie, amp; offrifent I Ifiur H* bérateur d’entreprendre, fous fes ordres, lesnbsp;chofes les plus périlleufes. Ils lui donnèrentnbsp;fouvent des preuves de la fincérité de leurnbsp;converfion.
Conftance jouiflbit de lagloire de fon époux; leur amour fembloit s’accroitre par leurs ver-tus. La fagelle amp; la valeur que le Due d’Évoranbsp;avoir montrées dans la courte guerre contrenbsp;Alonzo , lui avoient acquis 1’amour amp;c la veneration du foldat. Quoique d’une naiflancenbsp;illuftre, qui ne 1’excluoit point da rang desnbsp;Souverains, le titre de fils de Commergant»nbsp;dont il fe glorifioit» amp; qui fembloit rappro-Cher le peuple de lui, 1’en rendoit 1’idole,nbsp;amp; fa modeftie le faifoit également chérir desnbsp;Grands, L’aimable Conftance fembloit recueil-Jir les fufirages de la nation , pour en fairenbsp;part a foti époux. Elle fe félicitoit de ce qu’ilnbsp;avoir trouvé une occafion de faire connoitrenbsp;fon mérite amp; fes talens pour la guerre, amp;nbsp;prioit le ciel que, jamais, il ne s’en pré-fendt d’autrerElle s’étoit fait raconter routesnbsp;les circonftances de cette terrible journée; ellenbsp;frémifibit de fes périls, quoique pafles; ellenbsp;étoit enchantée de le revoir vainqueur; maisnbsp;elle eftt bien défiré que fes lauriers n’euflentnbsp;point été arrofés de fang. Il manquoit encore quelque chofe au bonheur de Conftance:nbsp;Aufti attentive dans 1’amitié, que tendre amp;nbsp;paflionnée dans fon amour, Ifabelle étoit de-fon age, amp; Ifabelle languiflbit dans unnbsp;trifte eélibat. Conftance ne croyoit pas qu’on
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de Jéan de Calais. heureufe fans
püt
ehe
Elle cher-amp; fans té-
être heureufe fans aimer, un moment, oü , feules,nbsp;moins, elle put engager Ifabelle a lui ouvrir
fon cceur. _ Votre indifférence m’étonne,
dit-elle un jour a fon amié; vous ignorez Ic plaifir d’aimer amp; d’être aimée, amp; vous fuyeznbsp;1'hymen comme une chame pénible. Jeune gt;nbsp;douce, compatiflante, faite pour 1’amitié ,nbsp;vous feriez Ie bonheur d’un époux; vousnbsp;prenez rant de foins pour faire celui de vos
amies. _Chère Conflance, reprit-elle, un
époux feroit-il Ie mien? On peut trouver quelques égards dans un amant qui défire;nbsp;trompé par fon illufion, il n’eft rien qu’ilnbsp;ne fade pour parvenir a plaire : Je crols mê-me que, dans ces momens, il eft de la meil-leure foi du monde; mais fi-tót qu’il eft époux,nbsp;Je charme cede, amp; cette maitrede adorée n’eftnbsp;plus pour lui qu’une compagne, fouvent im'nbsp;portune----
Conflance combartic ce tableau, tracé d’a-près quelques mariages malheureux, dont elle ne ppuvoit fe faire qu’une idéé très-impar-faite. Elle lui cita Ie den pour exemple. —nbsp;Ne vous eftimeriez-vous pas heureufe, luinbsp;dit-elle, d'avoir un époux tel que Jean denbsp;Calais? Ifabelle foupira amp; fe précipita au counbsp;de la Princede : — Ma chère Conftance, s’é-cria-t-elle en rougidant, s’il eft quelqu’un
qui lui redemble , c’eft----- pardonnez au fe-
cret que je vous en fais; mon indifférence n’eft qu’apparente; j’aime : — Qui? Cruel-le, nommez-le-moiquel qu’il foit, je vous
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Ie jure, il fera votre époux. — De trop grand* obftacles nous féparent : — L’amour amp; 1’a-micié les applaniront. — C’eft Ie Comte d’El-vas ; vons connoiflez fon mérite ; aimé desnbsp;jeunes feigneurs de fon age, quoique.fa fa-gefle foit une éternelle fatyre de leurs mmurs;nbsp;adoré des Courtifans, quoiqu’il 1’emporte furnbsp;eux par fes talens amp; par fa fortune; eftiménbsp;de fon Roi, quoiquil ait eu Ie courage denbsp;lui dire, quelquefois, des vérités dures; courunbsp;des belles, quoiqu’il n’aime que moi; je 1’a-dore; il Ie fait, amp; n’en eft que plus conftant-Combien de fois a-t-il déliré d’etre Jean denbsp;Calais, amp; que je fufle Conftance? Mais denbsp;quoi nous fert de foupirer? jamais d’Elvasnbsp;lie fera mon époux; mon peu de fortune, amp;nbsp;Tavarice de fon père, qui lui deftine la plusnbsp;Tiche héritière du Royaume, ne ie permet-tront jamais. —
Conftance la raffura : Elle lui demanda quelle étoit cette perfonne fi riche; amp;; quandnbsp;elle fut que c’étoit la fille de Manuël Pacheco , qui avoit acquis fes immenfes richeflesnbsp;par les vexations qu’il avoit faites dans Ienbsp;Royaume des Algarves, fous la proteétion denbsp;Don Juan, elle l’aflura que jamais d’Elvas nenbsp;feroit fon époux. En effet, dès Ie jour mé-me, Jean de Calais fit venir Pacheco, amp; luinbsp;propofa pour fa fille Ie Marquis d’Acughna»nbsp;d'une illuftre naiflance, d’un mérite rare ;nbsp;mais pauvre, amp; pouvant 4 peine fe foutenirnbsp;a la Cour.
10^
de Jean de Calais.
première objeèlion qu’il lui fit, fut qu’il avoir promis fa fille au Due d’Elvas pour fon fils,
Ie feul parti dont la richetiè put aller de pair avec celle de fa fille; la feconde fut qu’A-eughna étoic d'une misère a faire peur. —nbsp;C’eft par ccs raifons-la même, lui répondit Ienbsp;Due d’Évora , qu’il faut que vous donnieznbsp;votre fille a Acughna , dont vons ferez lanbsp;fortune, afin que d’Elvas puilie faire celle denbsp;quelqu’autre. — Pacheco, qui ne trouvoicnbsp;pas fon compte dans un arrangement qui luinbsp;paroiflbit de l’inconféquence la plus bizarre,nbsp;refufa brufquement. — Don Manuël, lui dit,nbsp;alors, d'un ton ferme, Ie Due d’Évora, jenbsp;connois la fource impure de vos richefles; Ienbsp;Roi, par fon amniftie, a fait grke aux complices de Don Juan; mais cette grace ne s’é-tend pas jufqu’è conferver aux déprédateursnbsp;des Algarves, des biens injuftement acquis.nbsp;Le père d’Acughna, comme vous favez, étoitnbsp;un des plus riches Seigneurs de ce Royaume ;nbsp;En vous propofant fon fils, j’ai cru vous-don-ner le moyen le plus honnête d’acquitter votre confcience; fi, pourtant, on peut croirenbsp;qu’un horome d’un nom tel que le vótre,nbsp;qui s’eft avili a faire 1’indigne métier d’exac-teur, ait encore une confcience. Songez - ynbsp;bien, Don Manuël; ou donnez, de bonnenbsp;grdce , votre fille a Acughna, avec tout lenbsp;bien que vous tenez de cette maifon, ou ne .nbsp;défapprouvez pas que je fois le proteöeur de rnbsp;ce jeune homme auprês dy Roi, pour luinbsp;faire reftituer ce;qui luj appaitient; alors,
-ocr page 112-vous ferez le maitre de difpofer de votre fil-le. — Pacheco, qui vit, d’un coup d’cEil» que, ii la juftice fe mêloit de fes affaires,nbsp;elle ne fe borneroic point a cette reftitution,nbsp;promit lout, amp; le mariage d’Aucughna avecnbsp;la fille de Pacheco fut conclu, au grand dé-fefpoir du Due d’Elvas. *
Le Due ignoroit que fon fils aim^t Ifabellé: Don Silveiro, fon père, étoit d’une des premières families du Portugal; amp; , quoique fesnbsp;ancêtres y euflent occupé des places importances, ils ne lui avoient laifle qu’un modi-que patrimoine: C’étoit aux yeux du Due unnbsp;crime impardonnable, amp; fon argument ordinaire étoit : II eft fan« mérite, puifqu’il eftnbsp;fans fortune. Le Due Jbllicitoit pour lui lanbsp;Vice-royauté des Algarves: II s’adreüa a Jeannbsp;de Calais: — Vousquot; m’avez ruiné, lui dit lenbsp;vieux avare; on dit que vous éres julle : Sinbsp;cela eft, vous me devez une indemnité, Ssnbsp;je viens vous la demander. — Jean ne com-pr-enoic pas comment il avoit pu ruiner unnbsp;hemme qu’il connoiübit a peine: — Oui, reprit le Duc, c’eft vous qui avez forcé Pacheconbsp;è donner fa fille au petk Acughna, par ma-nière de reftitution, amp; a memanquer de parole:nbsp;Par ce mariage tour fon Uien entroit danamp;manbsp;familie; c’eft une perte immenfe que vous menbsp;faites faire : Je viens vous propofer un moyennbsp;de la réparer; c’’eft de me faire donner la 'Vice-royauté des Algarves. — Vous venez troptard,nbsp;lui dit Jean de Calais : Elle eft promifé ^ Donnbsp;Silyeiro.Eft-ce ,une plaifanterie?'Silveiro!
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dé Jean de Calais.
lui? il eft plus gueuxque ne Peut été Pacheco, ft on lui eüt fait rendre tout Ie bien qui nenbsp;lui appartient pas. — Eh l c’eft précifémencnbsp;paree qu’il eft pauvre, que Ie Roi lui donnenbsp;la Vice-roj'auté. — Il.faut convenir que, de-puis que vous confeillez Ie Roi, il a d’étrangesnbsp;idéés; Pardonnez ma franchife, rnais je croisnbsp;que la tête tourne a tout Ie monde. Silveiro,nbsp;Vice-roi des Algarves! je n’en ^evienspas.—nbsp;Ce qui va plus vons furprendre, c’eft qu’ilnbsp;refufe cette digniré, — Je l’approuve fort, aunbsp;contraire; au fond, il yferoit une fotte figure;nbsp;amp; puis, eft-ce qu’il a jamais fu tirer parci denbsp;rien? S’il refufe, je puis done efpérer que vousnbsp;vous intéreflerez pour moi: Parbleu, je croisnbsp;bien valoir un pauvre Gentilhomme, qui n’anbsp;pour rout bien qu'une réputation amp; fon Ifa-belle. — Eh bien ! cette Ifabelle eft Ie concurrent Ie plus redoutable que vous ayez anbsp;craindre. — Eft-ce qu’on veut la faire lce~nbsp;roi? Je Ie voudrois, pour la rareté du fait. —nbsp;Le Roi a promis la Vice-royauté a celui qu’ellenbsp;choifirapour époux. — Quel eft fon choix?—nbsp;Elle n’en a pas fait encore; fon indifference,nbsp;a eet égard, étonne tout le monde. — II menbsp;vient une idéé ; je fuis veuf, je veux mariernbsp;mon fils, je vais me trouver feul; j’ai envienbsp;de me mertre fur les rangs : Je fuis riche,nbsp;on dit que cette Ifabelle n’a d’autre défautnbsp;que d’être la fille d’un homme fort pauvre;nbsp;oui, je fuis perfuadé qu’elle m’acceptera. —nbsp;Je ne vous le confeille p^as, vous auriez denbsp;la peine a marier votre fils, fi vous contrac-
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tiez un fecond mariage. Eft-ce que vous au-riez envie de vous marier? — Moi? pcinc du tout, ce n’efl: que par occafion , a caufenbsp;de la Vice-royauté. —Mais ne pourroit-onnbsp;pas trouver. un moyen ?... — Quoi, d’avoirnbsp;la Vice-royauté fans la femme ? parbleu , jenbsp;1'aimerois bien mieux. — Non, 1’un ne peutnbsp;aller fans 1’autre: Mais, votre fils, ne pourrions-nous pas Ie propofer? il eft d’age a plaire. Oh!nbsp;peu m’importe, qu’il plaife, ou qu’il ne plaifenbsp;pas; ce n’eft pas de quoi il s’agit. C’eft la plusnbsp;riche parti du Royaume, voila Ie point; monnbsp;intention eft de Ie marier, en lui affurant toutnbsp;mon bien, après ma mort, amp; en débourfantnbsp;Ie moins que je pourrai, quand je Ie marierai.nbsp;Je conviens que la Vice - royauté eft un grandnbsp;objet, amp; qud, puifqu'il eft écrit que je nenbsp;1’aurai pas, je ne ferai pas fkhé que monnbsp;ills 1’obtienne. — Vous me laiffez done Ie mai-tre de cette affaire ? — Oui, mais è une condition ; c’eft qu’on fe contentera de mon fils,nbsp;amp; qu’on ne me demandera rien de mon vi-
vant____Quoi, rien, Due d’Elvas! Songez-
vous que c'eft votre fils? —Ne fais-je pas un affez grand facrifice, en confentant qu’ilnbsp;fe fépare de moi ? — Due d’Evora, c’eft toutnbsp;ce que je puis faire. —
Le Due d’Elvas, après avoir long - temps difputé , confentit a faire les frais de la noce ,nbsp;amp; a donnet a fon fils, pour fe mettre en étatnbsp;de foutenir fa nouvelle dignité, une penfionnbsp;de cent mille cruzades, dont il payeroit lanbsp;première'anhée d’avance.
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Ill
Le Due d’Evora alia rendre compte de fa rrégociation a Conftance amp; a Ifabelle , qu’ilnbsp;mit au comble de la joie. 11 conduifit, le len-demain, le Due d’Elvas amp; fon fils, chez leRoi,nbsp;qui voulut préfenter lui-même le Comte a Ifabelle. Le manage fucterminé danspeude jours.nbsp;Le Due, qui s’aper9Ut qu’Ifabelle amp; fon filsnbsp;s’aimoient depuis long-temps, fuc fèché d’a-voir confenti a la penfion, mais il n’etoit plusnbsp;temps de faire des difficultés.
Ce mariage, amp; la nomination du Comte d’Elvas a la Vice-royauté, furent une occa-fion de nouvelles fétes. Conftance triomphoitnbsp;du bonheur de fon amie, amp; ne fe reflbuve-noit plus qu’elle en étoir l’auteur.
Tous les troubles étoient appaifés; 1’abon-dance amp; la paix régnoient dans le Portugal: Jean de Calais, fans avoir le titre de Roi,nbsp;dirigeoit les rênes de 1’État. II éroit l’amenbsp;du Confeil, en foumettant toujours fes lu-mières a celles des aiures; il étoit le premiernbsp;^ applaudir a un avis qui contredifoit le fien,nbsp;lorfqufil y voyoit un plus grand avantage pournbsp;1’État. II étoit également aimé du'Roi, dunbsp;Peuple, amp; des Grands. 11 fit régner les mceurs,nbsp;amp; raremenr avoit-on recours, dans les rribu-naux, a la févérité des lois : II inftitua desnbsp;fètes publiques amp; créa des fpedacles, paresnbsp;qu’il penfoit que la gaieté foutient la vertu,nbsp;amp; que les devoirs du citoyen ne font jamaisnbsp;mieux remplis, que lorfque le plaifir les ac-compiagne.
Le Roi voulut, enfin, récompenfer tant d®
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vertus; il fixa Ie jour oü il devoit declarer Jean de Calais fon fuccelleur a la couronne»nbsp;amp; i’héritief de fes Étars j après fa more : Jeannbsp;avoir refufé de s’aöeoir fur Ie Tróne, a c6ténbsp;de lui. II repréfenta au Roi, que, fi jamaisnbsp;il régnoit, il ne Ie pouvoit que comme épouxnbsp;de Conftance, amp; que ce ne feroit qu’a cSnbsp;titre qu’il tranfmettroic Ie Royaume a fonnbsp;fils; que, fi Ie Roi 1’aflbcioit a 1’Empire denbsp;fon vivant, oucre qu’il priveroit fa fille d’unnbsp;droit qu’elle tenoit du Cicl amp; de fa naiflance,nbsp;ies peuples auroient, peut-étre, raifon de mur-murer de ce qu’on leur donnoit pour Sou-verain un étranger, qui n’y étoit appelé quenbsp;par fa fortune.
Le Roi invita tous les Grands du Royaume pour raugufte cérémonie de la proclamationnbsp;delafucceffiondeJeanamp; deConftance au Trónenbsp;de Portugal amp; d’Algarves. 11 y eut un car-roufel, oü Jean fe diftingua, amp; remportanbsp;plufieurs prix, des fpeftacies de route efpècenbsp;amp; un feftin magnifique.
On fe livroic au piaifir amp; a la joie, lorfqu’on vit entrer dans la falie du feftin un hommenbsp;d’une taille majeftueufe amp; d’une démarche noble amp; legére, qui, fans s’étre fait annoncer,nbsp;jette un regard- fier fur l’alïemblée, fourit aunbsp;Roi, fixe Conftance, amp; s’avance vers Jean denbsp;Calais, qui fe léve amp; s’incline profondémen»nbsp;devant lui. Tout le monde eft faifi d’un ref-peét involontaire. —Jean de Calais, lui dit-il,nbsp;tu n’étois pas né pour le Tróne, mais il n’eftnbsp;point d’état fur la terre oü la vertu ne puiliè
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élever 1'homme. Ta fageffe a mérité les fe-cours dont Ie ciel t’a comblé, par mon minif-tère. Je fuis TAnge tutélaire des Rois:- C’eft moi qui t’ai foutenu fur les flots, oü Ie trai-tre Don Juan te précipita; c'eft moi qui t’ainbsp;conduit dans 1’ile déferte, oü, pendant deuxnbsp;ans, ta vertu ne s’eil point démentie; c’eft moinbsp;qui, pendant ce temps, ai protégé Conftancenbsp;contre les infames.defléins de Don Juan; je t’ainbsp;ramené, de cette ile, aviprès de ton époufe;nbsp;c’eft moi qui avois conduit Ie Corfaive quinbsp;i’enleva auprès de ton vaiffeau, oü tu 1'ache-tas, dans Ie feul defl'ein de lui rendre la liber-té; c'eft moi, enfin, a qui tu dois fon amour;nbsp;mais tu ne dois ma proteftion qu'a ta vertu.nbsp;C'eft de la part du Dieu de toute fagefle, quenbsp;je viens te rendre ce témoignage : Fourfuis ,nbsp;amp; compte fur fes fecours.—
Cet Être célefte, revêtu d’un corps aérien, difparutauffi-tót, amp;, enfediffipant, laiffadansnbsp;la falie un parfum délicieux, qu’on y refpi-roit encore plufieurs années après. Cet événement redoubla la vénération des peuples, Fef-time amp; 1’amitié du Roi pour Ie Due d’Evora.nbsp;II n’y ent que 1’amour de Conftance qui n’au-gmenta point , pwee qu'il étoit au eomblenbsp;dés Ie premier jour, amp; qu’il fe foutint jufqu’aunbsp;dernier de leur vie; car ils eurent lebonheurnbsp;de mourir, en mème temps, après un règnenbsp;très-Iong, amp; plus heureux qu’aucun des règnesnbsp;précédens.
'FIN.
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