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INSTITUUT VOOR
TAAI- nbsp;nbsp;nbsp;ENnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;UETraKUNDS
TE UTROCHT
In :aêiS[S^'
Entièrement refondue, amp; confidérahletnent augmentée.
Tome I.
CONTENANT:
Hiftoire de Pierre de Provence, amp; de Ia belle Maguelonne.
Hiftoire de Robert Ie Diable, due de Normandie. Hiftoire de Richard fans Peur, fon fils.
-ocr page 6- -ocr page 7-¦V
DE
ET DE
Chez F. J- DESOER, Imprimeur-Librairc, fur Ie Ponc-d’Ifle.
M. DCC. L X X X V I I.
-ocr page 8- -ocr page 9-Xl paroitra, fans doute, bien fingulier, qu’on ait pris la peine de rajeunir des ou-vrages, qui, depuis plus de deux fiècles,nbsp;font abandonnés au Peuple; des Romans, que la plus mince Bourgeoifenbsp;n’oferoit fe vanter d’avoir lus, non pas tlnbsp;caufe du fiyle amp; du langage, qui les luinbsp;rendent aulli inintelligibles, que Ie jargonnbsp;alambiquéde Marianne l’eft:, quelquefois,nbsp;pour nos Petites-Maitreffes, mais préci-fément paree qu’ils ont fait 1’amufementnbsp;de la plus vile Populace, qui commence ènbsp;ne plus les entendre. Ce n’eft, aujour-d’hui, ni la manière d’écrire des Auteurs,
P REFACE
ui les fiijets qu’ils traitent, ni Ie défir de s’inftruire, ni même celui de s’amufer,nbsp;qui déteruiinent a lire; c’eft l’ennui, Ienbsp;caprice ou la mode; c’ell aufïï par cesnbsp;motifs que la plupart des Ecrivains fontnbsp;entrainés. Mais ce n’eft rien de tout celanbsp;qui a donné lieu a l’idée de refondre quel-ques-uns des ouvrages qui compofent cenbsp;qu’on appelle la Bibliothèqm Bleue 1.
On venoit de publier un Roman, que tout Ie monde s’arrachoit, paree qu’ilnbsp;portoit Ie titre de Philofophique: Les femmes Ie lifoient avec fureur, fans y riennbsp;coraprendre; les Petits-Maitres Ie van1nbsp;toient beaucoup, fans l’avoir lu, amp; lesnbsp;gens raifonnables convenoient qu’il auroitnbsp;été palfable, fi 1’Auteur l’eüt réduit aunbsp;quart du volume. Un homme de lettres,
Quelques perfoimes attribuent Ie nom de BibUothèqat JBIcae, qu’on cionne It la colleftion iiiimenfe de brochures,nbsp;^u’oii dtale fitr les quais, i leur modefte couverture de papiernbsp;bleu. Tout au contraire, on donne, dans certaines Provinces,nbsp;ie nom de Papers bUus,auK membres d’un corps qui éblouitnbsp;tons les autres, pour les diftinguer des Geus d’Affaires d’uanbsp;¦a«.re geutc.
-ocr page 11-DE VÉDlTEUn. vij
qui lit peu de Romans, eut la curiofité de parcourir Ie nouveau chef-d’oeuvre.nbsp;Ï1 étoit, k la campagne, chez Madamenbsp;de * * *; Eh bien! lui dit-elle, lorfqu’il eutnbsp;achevé de lire, jugerez-vous toujoursnbsp;d’un ouvrage fans Ie connoitre; n’eft-ilnbsp;pas vrai que celui-ci eft charmant*? Quellenbsp;connoiflance du monde! Quelle imagination! Que d’efprit! L’homme de lettres,nbsp;pour route réponfe, lui rendit Ie livre, amp;nbsp;la remercia. Enfin, preffé de dire fonnbsp;fentiment: Je ne puis difconvenir, dit-il,nbsp;que 1’Auteur n’ait beaucoup d’efprit; fonnbsp;ouvrage en eft rempli, amp; c’eft ce quinbsp;m’en a Ie plus ennuyé. Madame de ***nbsp;ouvroit de grands yeux, prenoit eet hom-me pour un fou, amp;alloit fe facher. Alors,nbsp;il prit Ie livre, chercha l’endroit Ie plusnbsp;intéreffant, amp; Ie relut avec toute Ia cha-leur que la fituation du Héros du Romannbsp;lui infpiroit. Madame de ***triomphoit,nbsp;lorfque Ie Leéleur, reprenant Ie mêmenbsp;endroit, l’examina, phrafe par phrafe, amp;nbsp;fit voir qu’il n’y avoit pas un mot qui
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convint ^ l’état du perfonnage. Madame de *** étoit toute étonnée, amp; ne fe par-donnoit pas de s’ètrelaifféattendrir :C’eft,nbsp;lui dit riiomme de lettres, qtie votrenbsp;cceur, entrainé par la fituation, a fuppléénbsp;au fentiment qui manque a l’Auteur. Cora-bien,a pieces nos de théatre, ne voit-onnbsp;pas de fpeftateurs verfer des larmes, quinbsp;font auffi furpris que vous, lorfqu’a lanbsp;lecture, ils ne trouvent que des mots videsnbsp;de fentiment, des expreflions recherchées,nbsp;un ftyle ampoulé, amp; toiijours hors dunbsp;vrai! Quant a cette connoiflance du monde , je ne vois pas pourquoi on en fait tantnbsp;de cas dans un Ecrivain : Eft-il done finbsp;difficile d’en faifir Ie jargon, les ufages,nbsp;les moeurs'^ Et, quand on a faifi toutnbsp;cela, que tient-on*! Je conviens qu’uiinbsp;Auteur eft blamable de manquer de cenbsp;qu’on appelle urbanité; mais il n’y a pasnbsp;un grand mérite a la poiTéder chez unenbsp;nation, oti Ie plaiftr eft Ie premier liennbsp;de la fociété. Une connoiffance plus eflen-tielle, plus difficile,amp;,malheureufement,
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plus négligée, eftcelledu coeurhuraain: C’eft faute de cette connoiffance que nosnbsp;Romanciers, amp; nos Auteurs dramatiques,nbsp;niettent l’efprit a la place du fentiment,nbsp;font pariet aux paflions un langage étran-ger, raifonnent quand il faudroit toucher,nbsp;amufent l’efprit, ou cberchent a lui ennbsp;impofer par des expreffions fingulières,nbsp;quand il faudroit porter dans l’ame lesnbsp;coups les plus fenübles. Madame de **nbsp;fentoit Ia vérité de tout ce que difoit Ienbsp;critique; mais elle ne vouloit pas aban-donner PAuteur du Roman nouveau; ellenbsp;fe retrancha fur Ie ftyle amp; fur i’imagina-tion. Qu’entendez-vous par ftyle *1 repritnbsp;1’homme de lettres ; N’eft-ce pas ce ton,nbsp;cette couleur, que doit donner a la diftiotinbsp;la chofe qu’on peint, ou Ie fentiment qu’onnbsp;exprime'? Madame de ** convint que cettenbsp;définhion rendoit, a pen prés, 1’idée qu’ellenbsp;fe faifoit du ftyle. Le ftyle eft done mau-mais, reprit-il, toutes les fois qu’il n’eftnbsp;pas d’accord avec le fonds des chofeslnbsp;OfjVous convenez que l’Auteur s’expri-
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me avec efprit, lorfqu’il devroit mettre dans la bouche amp; dans les aftions de fesnbsp;perfonnages,le langage fimple amp;les mou-vemens impétueux des paffions;qu’il rendnbsp;avec véhérnence des évènemens ordinai-res; qu’il peint avec pompe les cliofes lesnbsp;plus communes. Votre Auteur n’a donenbsp;point de ftyle, ou, fi vous l’aimez mieux,nbsp;n’a q^u’un ftyle fttux amp; menteur. Quant anbsp;cette imagination, que vous trouvez finbsp;brillante, il n’y a pas un de ces anciensnbsp;Romans, qu’on ne lit plus, qui n’en offrenbsp;mille fois davantage; je n’en excepte au-cun. Madame de ** Taccufa de préven-tion, II foutint fon avis avec une modeftenbsp;opini^treté, amp; alia fi loin, qu’il mit lesnbsp;Romans de Ia Bihliothèque Bleue au deflfusnbsp;de la plupart de ceux qui compofoient lanbsp;fienne, du moins pour l’imagination. Ellenbsp;fut indignée , humiliée même, de Ia com*nbsp;paraifon. Sufpendez encore votre colère,nbsp;lui dit-il; je n’ai rien avancé que je nenbsp;puiffe prouver : Je fais bien que, dansnbsp;l’état oü font ces ouvrages, il n’eft guère
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poflible d’en juger : Outre qu’ils ne font, prefque tous, que des tradudlions infor-mes, ils font écrits d’nne manière fi barbare, que vous auriez de la peine a lesnbsp;entendre ;ce font de vieux tableaux qu’ilnbsp;faut raccommoder après les avoir biennbsp;lavés, amp; a plufieurs defquels il faut mettrenbsp;des fonds. Madame de qui vouloitnbsp;des preuves, fonna fa femme-de-cham-bre, amp; lui demanda VHiJiocre de Pierre denbsp;Provence, amp;c. La Soubrette, étonnée, fenbsp;fit répéter jufqu’a trois fois, amp; recut avecnbsp;dédain eet ordre bizarre : 11 fallut pour-tant obéir; elle defcendit la cuifine, amp;nbsp;rapporta la brochure en rougilfant. Sanbsp;maitrefle eut la force d’en lire deux pages,nbsp;amp; la remit au Critique, en Ie defiant d’ennbsp;tirer parti. 11 accepta Ie défi, fe mit a 1’ou-vrage; amp; comme il étoit fort preffé de fenbsp;juftifier, il n’y mit pas toute Ia correftionnbsp;dont il étoit capable. Madame de ’*** recutnbsp;ft rédaffion, avec peu d’efpoir de s’ennbsp;araufer, la lut avec plaifir, amp; exhortanbsp;1’Auteur a continuer.
-ocr page 16-Ces effais font tombés entre mes mains; je les donne tels qu’ils font fortis de lanbsp;plume _de eet homme de lettres. S’ilsnbsp;plaifent au Public, je puis lui donner unenbsp;fuite de Romans anciens, plus intéreffans,nbsp;qui font devenus fort rares, après avoirnbsp;fait les délices de leur fiècle. L’Auteur nenbsp;s’eft pas contenté de les rajeunir, il a tachénbsp;de les rendre dignes de toute forte de lec-teurs, en les refondant entièrement, amp;nbsp;en y ajoutant des fituations amp; des épifodesnbsp;nouveaux.
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ET DE
C H A P I T R E PREMIER.
Édacatlon de Pierre; fes exerdces; prim fomption punk', combat dapèix S’ du fih.
.ni/XTa - „ i-«.
J.A tyrannie de quelques Seigneurs, qui opprimèrenc Ie peuple fous Ie nom de Rodol-phe III, avoit occafionné la diffolution dunbsp;Toyaume d’Arles. Ce Prince, foible amp; paref-feux, s’étoit démis d’une fouveraiueté, donenbsp;il n’avoit confervé qu’un titre vague. Alors,nbsp;«es feigneurs fe réunireQt j pour fe partager
A
-ocr page 18-i Hifioire de Pierre de Provence ,
fes dépoiülles; chacun, fous Ie nora de due, comte, marquis, fe fit un petic état; mais,nbsp;bientót, fe trouvant fruftrés dans leur parta-ge, ils commencèrent, entr’eux, des guerresnbsp;auffl fanglantes que celles qui défolèrent lanbsp;Provence, lorfque les Wifigots amp; les Bour-guignons, attirés par la beauté de fon climacnbsp;amp; parl^ fertüité de. fes campagnes, fe la difpu-toienr par Ifefer amp; par la fiamme. Enfin, lorfque les plus fores eurent fait taire les récla-mations de ceux qui n’avoient pour eux quenbsp;lajuftice, la. piaix, ramena dans ces belles con-trées les Arts amp; la Poéfie, qui ne s’en éloignè-lent jamais qu’a regret.
Jean de Provence, un des defcendans des Seigneurs vaincus-, avoit recueilU, de. fes pères, urte fortune confidérable; il avoit un aflez grandnbsp;nombre d’amis pour difputer la fouveraineténbsp;au Comte régnant; mais il eut fallu faire cou-ler encore Ie fang des Proven9aux; il préféranbsp;une obfcurité tranquille, a une gloire meur-irière; ii conferva Ie titre de comte, fe re-tira a Cavaillon , amp; y jouic, pailiblement,nbsp;de fa vertu. II avoit époufé Ia fille de Donnbsp;Alvarès, comte de Barcelone-; Ie plaifir d’etrenbsp;aimé d’une femme aiiffi belle, amp; auffi vertueu-fe, lui tenoit' lieu de 1’empife du monde. Ilsnbsp;n’avoient que les mêmes défirs amp; les mêmesnbsp;gouts. Si elle 1’edt exigé, Jean eüc, peut-être,nbsp;'eu la foiblelleMe conquérir fes états ; amp;, s’ilnbsp;'en avoit eu l’ambition ;, elle auroit eu aflez denbsp;pouvoit pour enchainer fon courage. Pierrenbsp;étoit Punique frbit de-leur aiaour. Leur ten-
-ocr page 19-amp; de la helle Maguelonne. 3
dteffe mutuelle fe chargea feule de fon éduca-lion. Leur premier foin fut de l’inftruire dans la religion de fes pères; il fu^a, avec Ie laic,nbsp;les premiers élémens d’une morale, d’autantnbsp;plus douce, que les plaifirs de 1’hymen Ie plusnbsp;fortuné en tempéroient la rigueur; il apprir,nbsp;par leur exemple , que, de quelques couleursnbsp;odieufes que Ie libertinage nous peigne la ré-gularité des mmurs, elle a plus de charmes pournbsp;qui en fair jouir, que Ie fyftème de volupténbsp;Ie mieux combiné ne peut en procurer.
La Provence femble avoir été, de tout temps, Ie féjour de la Poéfie, foit qu’un foleil plus purnbsp;amp; plus vif y rende l’imagination plus fécondenbsp;amp; plus adive; foit que ces contrées, offrantnbsp;une nature toujours vivante, que n’attrifte,nbsp;prefque jamais, Ie froid des hivers, l’efpricnbsp;n’ait befoin d’aucun elfort pour en faifir lesnbsp;tableaux les plus rians. Les Druides, chefs,nbsp;prêtres amp; légiflateurs de la nation , avoientnbsp;fait connoitre eet art fublime aux autres peu-ples de la terre. L’Hercule des Gaulois, qui,nbsp;. chez eux, n’étoit que Ie fymbole de l’éloquen-ce, devan^a 1’Hercule des Grecs: Les Bdrdesnbsp;fuccédèrent aux Druides amp;, lorfque les Bar-bares du Nord , après avoir défolé 1’Italie amp;nbsp;les Gaules, pour y former des établiflemens,nbsp;eurent impofé fiience auxehanfons des Bardes,nbsp;les Mufes de Provence infpirèient les Troubadours.
Le Comte Jean amp; Ifabelle en avoient toujours auprès d’eux : Ces époux, amans, leur donnoient le fujet de leurs versj amp; difputoient
4 HcJIolre de Pierre de Provence,
aux plus habiles, le prix du chant amp; de la poéfie : Quoiqu’ils fuflent juges amp; parties, ilsnbsp;avoient la bonne-foi de s’avouer vaincus, lorf-que les Troubadours avoient mieux réuflinbsp;qu’eux. Lorfqu’ils craignoient quelque furprifenbsp;de leur amour propre, Jean raflembloit fesnbsp;vaflaux, les concurrens chantoient, amp; 1’onnbsp;jngeoit du dégré du mérite de leurs airs, parnbsp;1’impreffion qu’ils faifoient fur les auditeurs.nbsp;Les maximes les plus fages, mifes en adionnbsp;par des fiélions ingénieufes, exprimées par lesnbsp;images les plus vraies, ou les fentimens lesnbsp;plus fublimes, faifoient toute leur poéfie. Usnbsp;n’avoient pas encore imaginé la diftinftionnbsp;bizarre de cet art, en poéfie d’images, poéfie de fentiment, amp; poéfie du Pliilofophe 1 inbsp;ils ne connoifloient qu’un feul genre, celuinbsp;d’exprimer le fentiment par des images, aunbsp;profit de la vertu. Leurs chanfons infpiroientnbsp;I’enthoufiafme de la fagefle, fans avoir rieanbsp;de trilie ou d’auftère. C’étoit par cette méthode agréable qu’Ifabelle, amp; fon Époux ,nbsp;faifoient gofiter leurs lemons k Pierre, amp; qu’ilsnbsp;les gravoient dans fon ame; ce quin’étoit qu’unnbsp;amufement pour eux, devenoit pour lui unenbsp;inftruélion folide ; fon coeur amp; fon efprit fanbsp;lempliflbient d’excellens principes, d’autancnbsp;plus ineffagables, qu’ils y étoient introduitsnbsp;par le plaifir.
Voyez. uu E^iii fur la Peéftc, lu a 1 Académie FraK§oife, en 17Ó0.
-ocr page 21-pagnés des exercices du corps; quelque péni-l^les qu’ils fuRent, on favoit les adoucir en les rendant amufans. Pierre n’avoit jamais entendu prononcer Ie mot rebutant de devoir.nbsp;35es Jongleurs, aux ordres du Comte, ve-noient, tantót Ie matin, tantót 1’après-midi 1nbsp;prefque jamais a la même heure, former desnbsp;danfes dans les cours, ou dans les jardins dunbsp;Chateau; la curiofité, ou quelqu’autre pré-texte, engageoit Ifabelle a les voir j fon marinbsp;la fuivoit, amp; Pierre étoit toujours de la par-tie. Ifabelle fe mêloit a leurs danfes, elle pre-iioit Jean, amp; Pierre efit été bien fdché de nenbsp;pas danfer avec eux. On donnoit des récom-penfes a celui qui avoit mieux danfé \ Pierrenbsp;parvint a en obtenir, amp;, bientót, a les mé-liter La courfe, la paume, amp; tous lesnbsp;autres exercices, fe faifoient, a peu prés, denbsp;la même manière; les arts, les fciences, 1’hif-toire, Pierre apprenoit tout, fans qu’on eücnbsp;Pair de lui rien enfeigner. Dés fa plus tendre
Note favante de l’Éditeur,
C’eft ^ cette occnfion^ ii ettte. anciüintti, qu'ilfnut fapportcr la chüufon fuivante , faite par un Jfouiadour tnbsp;qui avoit Veaucuup de gaieté.
Jean danfe mieux que Pierre,
Pierre danfe mieux que Jean j Ils danfenc bien tons deux,
Mais, Pierre danfe mieux.
Jean danfe mieux que pierre,
Pierre danfe mieux, £ec. lèMt fe datifoit en rond.
A iij
-ocr page 22-6 Hijloire de Pierrt de Provence,
enfance, il étoit accoutumé aux exercices mi-litaires. Son père donnoit des couries de ba-gue, il entroit en lice. Les enfans aiment k imiter. Piene examinoit tout, rafleinbloicnbsp;quelques enfans de fon age, les dreflbic auxnbsp;combats de la lance amp; de 1’épée, S; couroitnbsp;avec eux ; fon père Ie défioit, ils couroiencnbsp;enfemble, amp; Jean étoit fouvent vaincu.
Lorfque 1’age amp; 1’expérience eurent müri ces principes, Pierre fut un des plus redou-tables Paladins. II ofa délier les Chevaliers lesnbsp;plus renommés, aucun ne put Ie vaincre, ninbsp;a la lutte j ni a la courfe, ni a 1’épée, ni Anbsp;la lance. Les Troubadours les plus célè-bres , les Jongleurs les plus agiles amp; lesnbsp;plus adroits, lui cédoient la vléloire. Pierre , parvenu a fa vingtième année , faifoitnbsp;les délices de fes parens, amp;, dans toute lanbsp;Provence, on ne parloic que de lui. Sa reputation parvint au Comte régnant; il futnbsp;alarmé de tant de mérite : II craignit qu’unnbsp;jour, ce jeune homme ne fit valoir les pré-tentions de fon père. II comniuniqua fes alar-mes au jeune Robert, coufin-germain de Pierre , amp; fils de Jacques de Provence, frère denbsp;Jean. Robert étoit beau, mais rempli de pré-fomption : II fut irrité qu’un homme, quinbsp;n’avoit jamais paru a la Cour, eüt une reputation plus brillante que lui ; II promic aunbsp;Comte que, quels que fuflent les triomphesnbsp;de Pierre, il trouveroit Ie inoyen de 1'humi-lier. En elfet, au premier tournois que Jeannbsp;fit publier, Robert, couvert de toiues piè-
-ocr page 23-£’ de la belle Magüelonne. f
ces, fe rëndit a .Cayaillon : Son père, qui l’aimoit beaucoup , amp; n’étoit^pas moins pré-fomptueux que lui, voulut être témoin denbsp;fa vidtoire; il s’arma auffi de toutes piéces, amp;nbsp;partit, Ie lendemain, fans que Robert put s’ennbsp;douter; ü eut grand foin de ne fe nommer anbsp;perfonne, amp; i’armure dont il s’étoit couvertnbsp;étoit inconnue a Jean amp; a fon fils.
. Chacun fe rendit, de fon cóté, fur le champ de bataille. Robert fit un défi a fon coufin,nbsp;qui accepta fans le connoitre j ils font le toutnbsp;du champ. La taille majeftueufe de Robert,nbsp;fon air fier amp; intrépide, étonpèrent les Jugesnbsp;amp; les Speftateurs. Enfin, le fignal eft donné,nbsp;chacun court de fon cóté; Pierre part com-me un éclair, baiüe la tête fur Ig col danbsp;cheval, amp; la lance de Robert ne frappe quenbsp;1’air. Pierre lui donne le temps de fe re-mettre; Robert revient une feconde fois;nbsp;Pierre 1’évite, fait une volte, amp; le jette furnbsp;la pouffière. Ils en viennent a 1’épée, le combat fut opiniatre; mais Pierre le terrafle, amp;nbsp;le force de s’avouer vaincu ; .11 le prie denbsp;lever la vifière de fon cafque; Robert, fu-rieux, y confent, fi Pierre veut commencernbsp;un combat a outrance. Ils demandent desnbsp;armes offenfives; Ifabelle amp; fon mari s’ynbsp;oppofent, amp; les Juges refufent le combat.nbsp;Alors, le père de Robert fe piréfente , amp; faitnbsp;un défi a Pierre; ii veut que, fi le nouveaunbsp;combattant eft déclaré vainqueur , Pierre, Stnbsp;le Chevalier vaincu, reftent err fon pouvoir;nbsp;amp; que fi, au'contraire, la viéloire demeure
8 Hijioire de Pierre de Provence,
è Pierre, il foit Ie maitre de difpofer de pun amp; de 1'autre. Pierre accepts les conditions.nbsp;Robert ne peut fouffrir qu’un inconnu, quinbsp;u’étoit pour rien dans leur querelle, viennenbsp;lui impofer des lois. S’il m’avoit vaincu,nbsp;difoit-il, ce feroit tout ce qu’il oferoit pro-pofer; qu’il fe découvre, qu’il combatte; amp;nbsp;ü la fortune lui eft favorable, ce que j’ainbsp;bien de la peine a croire, je verrai ce quenbsp;je dois faire. Le Comte Jacques fut piqué denbsp;l’orgueil de fon fils; il faifit 1’occafion dénbsp;1’humilier, Jacques avoit brillé dans toutenbsp;efpèce d’exercices, amp;, depuis peu, il avoitnbsp;remporté le prix fur un grand nombre denbsp;Chevaliers, dans un carroufel célèbre, quenbsp;le Roi d’Efpagne avoit donné pour les nocesnbsp;de fa fille. II ne douta point qu’il ne vintnbsp;a bout de Robert; amp;, dans ce cas, fansnbsp;fe découvrir, il fe feroit contenté d’exigernbsp;du vaincu que, devant tout le monde, il fenbsp;fit reconnoitre. Puifque ce jeune téméraire,nbsp;dit-il, en déguifant toujours fa voix, refufenbsp;mes conditions, je le forcerai d'en recevoirnbsp;de plus dures. Je demande aux Juges qu’onnbsp;lui permette, quoique vaincu, de'rompre unenbsp;lance avec moi. Pierre, aufli-tót, remet lanbsp;Jienne a Robert, qui s’élance fur fon cheval.nbsp;Malgré la fureur qui 1’anime, Robert fentnbsp;palpiter fon coeur; Jacques, de fon cócé,nbsp;dompte fa tendrefle. Les Spectateurs prennentnbsp;ces divers fentimens pour une crainte mu-luelie. Robert s’approche de fon rival, amp;nbsp;demande lui parler.
-ocr page 25-amp; de hl belle Maguelonne. nbsp;nbsp;nbsp;^
Chevaliet, lui dit-il, je faché d’avojr a combattre contre vous; je fuis refolunbsp;me venger, fur vous^ de la honte de ma cie-faite; aicfi, vous devez vous attendre quenbsp;je ne vous ménagerai point. Je ne fais, pour-tant, quel penchant fecret m’intérefle a vous:nbsp;Croyez-moi, il en eft temps encore, découvvez-vous a moi; amp;, fi mes preflêntiraens ne me trom-pent point, je ne puis vous épargner, nonnbsp;la honte d’être vaincu, mais des coups, quenbsp;je ferois au défefpoir d’avoir portés. Inienie»nbsp;lui répondit Ie Chevalier inconnu, je n ainbsp;engagé ce combat que pour t’apprendre que,nbsp;fans la modeftie, la valeur n’eft qu’un donnbsp;funefte : Si tu avois inoins compté fur toi-même, Pierre ne t’eüt point terraffé: Dé-fcnds-toi. Auffi-tót les deux combattans fenbsp;féparent, 8c reviennent 1’un contre 1’autre,nbsp;comme des hots pouffés par des vents con-traires. Au premier choc, leurs armes fenbsp;brifent en éelats, leurs chevaux reculent, amp;nbsp;les Chevaliers font défar^onnés : Ils ne fenbsp;donnent pas Ie temps de fe remettre; ils met-tent pied a terre, prennent leurs épées, amp; fenbsp;portent les plus rudes coups*, leur adrefle anbsp;les parer eft égale, leurs bras font plus infa-tigables que leur fer, qui s’émoufle amp; fe brifenbsp;dans leurs mains. Alors, ils s’accolent, Robertnbsp;terraüe fon rival, qui, enfin, fans qué per-fonne 1’entende, a le temps de fe faire con-noitre i fon fils. Auffi-tót Robert fe dégage»nbsp;le relève, amp; tombe a fes pieds: Ciel! s’écrie-tgt;U, qui? moi! j’aurois pu? ahl jelui cède
A V
-ocr page 26-10 nbsp;nbsp;nbsp;Hijioire de Pierre de Provence,
Ja. vidoire! Les .fpedateurs demeurent con-fondus. Le coince Jean amp; fon fils s’approchenc; Robert les prie de faire retirer rout le moude :
11 nbsp;nbsp;nbsp;prend fon père par la main, amp; le pré-fente au comte Jean, comme le Chevaliernbsp;le plus généreux amp; le plus brave. Le Comtenbsp;Jacques préfente, a fon tour, Robert a-1 fa-belle; mais ils ne veulent fe faire connoitrenbsp;que lorfqu’ils feront arrivés au Chateau. Onnbsp;les y conduit, a peine peuvent-ils fe foutenirnbsp;par les coups qu’ils fe Jbnt portés. Quelle fatnbsp;la furprife du Comte Jean, lorfqu’il reconnutnbsp;fon frère; Robert n’ofoit fe découvrir; Ifa-belle amp;¦ Pierre paroilibient indignés contrenbsp;un inconnu, qui, pour s’être battu avec courage amp; loyauté, n’en avoir pas moins malnbsp;inené leur parent. Jacques lui ordoiine denbsp;lever la vifière de fon caique; il obéit, amp;nbsp;fa vue produit, fur route la familie, I’effetnbsp;de la tdte de Médufe. Robert ne conjoit pasnbsp;par quel événement il a combattu contrenbsp;fon père. Jacques leur explique une énigmenbsp;auffi furprenante, amp; ajoute qu’il n’a eu d’au-tre motif que de confondre Torgueil de fonnbsp;fils. Il fait le plus grand éloge de fon ne-veu, amp; lui perfuade de voyager. Ce n’eR p3snbsp;que Jacques ne vie avec des yeux auffi jalouxnbsp;que ceux de Robert, le mérite de Pierre;nbsp;mais il crut que, dans cette occafion, il nenbsp;pouvoir, fansinjuftice, lui refuf^r fon approbation , foit afin de mortifier encore plus fonnbsp;fils, foit pour I’ecarcer du Comte de Provencenbsp;regnant. Ifabelk amp; Jean vouloient retenir Ro-
-ocr page 27-amp; de la belle Maguelonne. 11
bert amp; fon Rère', ils refusetent, ds crainte que Ie récrec de ieur combat ne fut connu. IIs par~nbsp;tirent dans la nuit, fans Page amp; fans Ecuyer,nbsp;comme ils étoient venus. On fut, dans la Cournbsp;du Comte de Provence , que Robert avoit éténbsp;vaincu par Pierre, amp; Pon ignora toujours Ienbsp;combat du Père amp; du Fils. ¦
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Pcimlcres .lt;‘Jyentu-res de Pierre dia Cour du É.ui de Naples; foa entrevue avec Mague-- lonae; premiers effets de leurs amours; mo-¦ dejiie de PUrre de Provence.
Pies.RE s’étoit fait une fi grande re'puta-tion , que les Seigneurs les plus renoinuiés ve-, noient, de toutes parts, féliciter fon père, amp;:nbsp;prendre part a fa joie. jean-rèfolut de Parmer Chevalier. li fit publier, dans toute'Ianbsp;Provence, un tournois général, pour que cette,nbsp;cérémonie fe fit, avec plus'de foleranité. jLenbsp;jour fixé, ü arriya des Cheva-liers de tous lesnbsp;pays;. Jean les re9ut', .avec unie. magnificencenbsp;digne d'un fquverain. Robert Penvieux,_ninbsp;foh père, ne s’y itrouvèrent point; ils..en-yoyerent un .Ecuyer pour s’excufer. Piefrénbsp;gagiia bien fes épérons : II remporta Ie pnx,nbsp;a tons Jcs exercices , amp;;.fur tons les Cheva-.^nbsp;liers. 11 fut armé, amp; déclaré un dus .plus vail-.,.nbsp;lans qui eüfêntofe..parq. Ün feftin fplen'dide'nbsp;fuiyjt la céréinomé: Cliacup buvoit.a fanbsp;..............A vj
-ocr page 28-amp; Pierre, qui n’en avoir pas encore, buvoit triftementacelle qu’ilauroic. II étoit dansl’Sgenbsp;heareux, oii le befoin d’aimer donne S 1’amenbsp;tine nouvelle exiftence, fait d’un caraftère heu-reux un caradère excellent, ou d'un naturelnbsp;vicieux un naturel atroce. II fentoit fedévelop-per dans fon ccBur des mouvemens inconnus, qui:nbsp;le plongeoieivt dans une ivrefle délicieufe; quelrnbsp;quefois, ces mouvemens devenoient impétueux;nbsp;amp;, dans ces inftans, fa tendrefle pour fes parens,nbsp;fa complaifance pour fes amis, fa douceur en-vers tout le nibnde, fembloient augmenter jnbsp;la nature lui paroiflbit plus riante amp; plus belle;nbsp;tout ce qu’elle lui offroit I’attendriflbit. Gé-néreux amp; compatiflant, il étoit, alors, millenbsp;fois plus fenfible aux plaintes des malheureux,nbsp;amp; plus ardent a les foulager. II ne manquoitnbsp;a Pierre, pour devenirplus parfait, qu’un ob-jet qui pdt fixer fes defirs.
Pierre étoit dans ces difpofitions, lorfqu’d la fin durepas, on vint a'parler de Maguelonne, fillenbsp;lt;3u roi de Naples, done la beauté attiroit anbsp;3a Cour de fon père tous les Chevaliers, qui,nbsp;pour la mériter, tentoient les fairs d’armesnbsp;les plus inouis. On paria beaucoup de fes charmes amp; de la bonté de fon caraólère. On traqanbsp;fon portrait, que Pierre fe fit répéter vingcnbsp;fois. Un des Chevaliers lui demanda s’il rfenbsp;comptoit pas aller courir un peu le monde,nbsp;amp; routes les aventures. Pierre ne répondicnbsp;Tien , amp; demeura confus amp; penfif.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;¦
Lfe beauté de Maguelonne étoit empreicte dans fon cireur; II brüloit, d’aiUeurs, de voir
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les Cours des Princes, amp; d’acquérir de la gloire. Ce qui 1’inquiétoit Ie plus, étoit commentnbsp;en obtenir la permiffion de fes parens. II crai-gnoit non feulement de les affliger, mais ilnbsp;fentoit combien cette féparation lui coüreroicnbsp;a lui-même; fon coeur étoit déchiré pat millenbsp;paffions différentes. La confiance qu’il avoitnbsp;dans fa nière, Ie portoit d s’adrefler, d’abord»-a elle; amp;, quand il étoit fur Ie point de luinbsp;ouvrir fon cceur, il étoit arrêté par la craintenbsp;de lui déplaire. Enfin , s’armant, un jour, denbsp;Courage, il va fe jeter aux genoux de fon père;nbsp;il lui témoigne la plus vive reconnoiflancenbsp;de tous les foins qu’il a pris de fon éduca-tiön; il lui rappelle, avec modeftie ,les avanta-ges qu’il en a recueillis, la reputation qu’ilnbsp;s’eft faite; mais, a quoi, ajouta-t-il, abou-tiront, amp; les principes que vous m’avez donnés , amp; Ie peu de talens que je puis avoitnbsp;acquis, fi je pafte ma' vie dans 1’inaélion ? Cenbsp;n’eft pas pour foi, c’eft pour être l’exemplenbsp;du monde , Ie défenfeur des opprimés, Ie ven-geur des injures, Ie protefteur des malheu-xeux , qu’un Chevalier doit vivre. J’ai forménbsp;Ié deflein de remplir les devoirs que ce ti-tre na’impofé ; Daignez confentir que j’aillenbsp;publier vos bontés, amp; mettre en pratiquenbsp;vos fages préceptes. Jean ne put entendrenbsp;cé 'projet fans frémir, quoiqu’il en fenticnbsp;la néceffité; il fit venir Ifabelle, amp; Ienbsp;lui commuiiiqua, Cette tendre tnère rellanbsp;comme frappée de Ia foudre. Ah! moanbsp;i dit-elle, moQ cher fils » öous n’avon»
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que vous feul, vous faires toute notre con-folation , amp; vous auriez la cruauté de nous quittec! Ec, pour'quoi iriez-vous cherdier, denbsp;contrée en concrée, a travers mille travauxnbsp;amp; mille perils, une gloire qui vient au devancnbsp;de vous? Vous jouiflez de la reputation lanbsp;mieux établie; fi c’eflaux dons de ia fortunenbsp;que vous afpirez, a moins d’une couronne ,nbsp;que pouvez-vous défirer de plus? Nous fom-mes bien éloignés de vous fuppofer cette ef-pèce d'ambition : Si vous voulez remplir lesnbsp;devoirs de la Chevalerie , oü Ie pouvez-vousnbsp;mieux, que dans votre pays ? Croyez-,vous qu’ilnbsp;ne vous offre pas affez d’injuftices a réparer,nbsp;aflez de malheqreux a fecpurir, amp; de bien-faits a répandre ? Nop, mon fils, nous ne con-fentons point a votre départ; la feule ideenbsp;m’en fait horreur : Voulez - vous appefantirnbsp;les maux que la vieillefle commence de raf-fembler-fur nos têtes ? Lorfqu’au.,milieu denbsp;vos triomphes, vous vous rappellerez Ie cha- 'nbsp;grin oü vous nous plongez,,,comment votrenbsp;ame pourra-t-elle s’ouvrir a la joie ? Qhlma.,nbsp;mère , s’écria Pierre, ce n’é.tpit que popr com-bler vos jours de gloire amp; de félicité , que J’a-vois défiré de rne faire connoitre; l’hpnneur,,nbsp;que les pères acquiètent , ne produit:, aux en-fans que de l’honneur ; les pères recueillentnbsp;des -aftions glorieufes de leurs enfans ,,V’hon--neuramp; la volupté la plus pure. Sipa yieoP.nbsp;fre quelque trait digne d’étEe imité ? pour quinbsp;la joiaiflance de l’éciat, qu’il;/era dans Ie monde, iera.t-ellepjusdouce/Seta-cè pour mqi, .
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qui aurai fatisfait rnon ambition , Sc, peut-être, Ie penchant de mon corut? ou pour vous, qui verrez Ie fruit des bons principes que vousnbsp;in’avez donnés ? Balancez Ie plailir que vousnbsp;trouverez a me voir languir, auprès de vous,nbsp;dans une Qbfcure oifivecé , amp; la fatisfadtionnbsp;que pourra vous procurer la reputation a la-quelle j’afpire •, amp;, lorfque vous aurez biennbsp;pefé l’un amp; Tautre, ü vous trouvez plus avan-tageux de me retenir, je renonce a mon pro-jet j mais, furtout, coinpenfezla peine que vousnbsp;fera men depart, avee Ie chagtin que j’aurainbsp;a me féparerde vous, amp; qui m’a empêché, juf-qu’a ce moment, de vous demander la permif-fion que je vous demande encore, malgré moi.
Le Comte Jean, amp; Ifabelle, fondoient en larmes, amp; nepouvoient Warner Pierre, qui pa-roiflbit aulfi affligé qu’eux. Enfin, iis 1’em-braffèrent, amp; lui accordèrent ce qu’il deman-doit. Ils exigèrent feulement de lui, qu’ennbsp;quelque lieu de la terre qu’il aliat, il leurnbsp;donnat de les nouvelles autant qu’il Ie pour-xoit. Dès ce moment, k Comte ne s’occupanbsp;plus, que du foin des équipages de fon fils,nbsp;lui rappela tous les bons principes qu’il luinbsp;avoit donnés ; 11 lui choifit des domeftiquesnbsp;fidelles amp; fages, Sc lui fit préfent de fes meü-,nbsp;leurs chevaux. Ifabelle l’accabla de dons amp; de,nbsp;careües, 8iiui recommanda, furtout, trois riches anneaux, qu’elle lui remit.
Pierre partit, enfin, amp; dirigea fa marehe vers 1’lialie; II arriva a Naples -, oü régnoitle père.nbsp;de la belle Maguelonne. Quoiqu’ileüt une fuitc
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brillante, il ne voulut point êcre connu; il défendit a fes gens de prononcer fon nom dansnbsp;l’hótellerie. II prit des informations fur Ie ca-radère du Roi, fur les coutumes amp; les ufagesnbsp;du pays, amp; fur les Chevaliers quiétoient, alors,nbsp;dans Naples. Son hóte, qui 1’inftruifoit denbsp;tout, lui apprit que, depuis peu, il étoit arrivénbsp;un Chevalier, d’une valeur amp; d’un couragenbsp;a toute épreuve, a qui Ie Roi témoignoit beaU'nbsp;coup d’eftime, amp; en faveur duquel il avoicnbsp;ordonné des joutes pour Ie Dimanche fuivant,nbsp;amp; que la Princefle devoit les honoror de fanbsp;préfence.
Pierre attendit ce jour avec Ia plus vive impatience ; il prit deux Clefs pour fa devife; il les fit broder fur fes habits amp; fur les harnoisnbsp;de fes chevaux. Dès Ie point du jour, parénbsp;de tout ce qu’il avoit de plus précieux, ilnbsp;fe rendit au camp; il attendit 1’heure marquee pour les joutes. Le Roi amp; la Reine, ac-compagnés de Maguelonne amp; de toute la Cour,nbsp;arrivèrent, enfin. Pierre reconnut aifément lanbsp;Princefle au portrait, qu’on lui en avoit fait,nbsp;2t trouva qu'elle étoit au deflus de tout cenbsp;qu’on lui en avoic dit. Suivi d’un Écuyer amp;nbsp;d’un Page, il fe pla^a modeftement dans 1’en-droit le plus éloigné, amp;, néanmoins, i portéenbsp;de confidérer Maguelonne.
'¦ 'Le Héraut cria que les Chevaliers qui vou-droient combattre en 1’honneur des Dames, pouvoient fe préfenter. Henri de Caprara parut aufli-tót, amp; un des Chevaliers du Roi mar-cha contre lui j mais Caprara, d’un coup de
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fa lancequi fe lompit, Ie renverfa, lui amp; fon cheval; celle du Chevalier lui échappa desnbsp;mains, amp; tomba entre les jambes du che- .nbsp;val de Caprara, qui fut renverfé a fon tour.nbsp;Quelques amis du Chevalier publièrent quenbsp;Caprara avoit eu du défavantage •, ce foup^onnbsp;1’indigna; il ne voulut point corabattre. Pierrenbsp;fe difoit tout bas : 1’orgueii eft une paffionnbsp;bien inconféquente •, un fecond combat eücnbsp;bien mieux juftiAé Caprara , que fa retraite.
Le Chevalier, qui avoit renverfé Caprara , itoit le tenant : Le Héraut cria que s’il y avoit quelque Chevalier qui voulut combat-tre, il pouvoit fe préfenter. Pierre s’avance»nbsp;avec une modefte fermeté , défie le Chevalier,nbsp;amp; lui porte un fi rude coup, qu’il le jette anbsp;dixpasde fon cheval. Les fpeélateurs font éton-nés; le Roi veut favoir qucl eft ce brave étran-ger; un Héraut vient le lui demander de fanbsp;part. Dites au Roi, répondit Pierre, que jenbsp;fuis un pauvre Chevalier Francois, qui nenbsp;cherche que 1’honneur, qui a fait vceu de ne direnbsp;fon nom a perfonne, amp; qu’il le fupplie de nenbsp;pas exiger qu’il-le lui dife. Le Roi, loin denbsp;lui favoir mauvais gré de cette réponfe,]ouanbsp;fa modeftie; il admira bien plus fon courage,nbsp;lorfqu’ii lui ^i,. ggattre tous les Chevaliers quinbsp;fe pref^tèrent, pouflant vigoureufement jesnbsp;uns de fa lance,frappant les autresdefon épée,nbsp;évitant avec une légèreté furprenante tous lesnbsp;coups qu’on lui adreffoit, foit en voltigeant,nbsp;fok en les parant; fon agilité n’étoit pas moinsnbsp;redoutable, que fa force. Le Roine put s’empê-
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Cher de convenir qne jamais il n’avoit vu un Chevalier auffi vaillant, fe qui eut autant de graces. Maguelonne eiichérilibit lur les éloges. Lesnbsp;Chevaliers méme qu'il avoir vaincus, prenoientnbsp;part a fa gloire; Caprara furcout, devient,nbsp;dès ce moment, fon meilleur ami. Maguelonnenbsp;etoit fi charmée de le voir combattre , qu’a fanbsp;prière, le Roi ordonna plufieurs autres tour-nois; il en fortit toujours avec le meme eclat,nbsp;amp; la Princelfe ne le voyoit jamais, qu’ellenenbsp;fentlt augmenter fon eftime. Elle avoir vu biennbsp;des Chevaliers, aucun n’avoit fait fur ellenbsp;la même impreflion. Elle juftifia le défir denbsp;favoir fon nom, par 1’envie que fon père ennbsp;avoir témoignée le premier •, il avoir répéténbsp;plufieurs fois, que 1’inconnu avoir des manièresnbsp;trop nobles, un courage trop fupérieur, poutnbsp;n’être pas d’une illuftre origine, amp; elle en con-cluoit qu’il falloit le traiter en confaquence ,nbsp;amp; prendre tons les moyens de decouvrir fonnbsp;nom. Maguelonne réuniflbit la douceur amp; lanbsp;vivaci té; elle avoir routes les vertus d'une amenbsp;tendre, amp; routes les qualités d’un efprit aftifnbsp;amp; penetrant; mais, dans ce moment, le fen-timent qui la dominoit, etoit la crainte quenbsp;fon père ne raanqu^taux bienfeances. Elle eucnbsp;défiré de pouvoir dire a, fon père d’attirer 1’é-rranger a fa cour; elle n’olbir lui tracer lesnbsp;moyens furs qu’elle croyoit avoir, pour fatis-faire la curiofué de fon père, car elle mertoicnbsp;tout fur le compte du Roi.
Tandis qu’elle rouloit dans fa tête mille deffeins, qu’elle voyoit par-tout des obftacles,
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qu’elle accufoit en fecret Ie peu d’égards qu’on avoit pour 1’inconnu , qu’elle s’en prenoit è.nbsp;fon père fi 1’on ne favoit pas encore qui ilnbsp;étoit, Ie Roi, fans recourir a aucun des pro-iets iniuiles que fa fille formoit, envoya re-tenir Ie Chevalier, avec plufieurs de ceux quinbsp;avoient combattu contre lui, a diner, pournbsp;Ie lendemain, dans fon palais.
Si Maguelonne fut cliarmée de cette invitation , quel plaifir en reflentit Pierre, qui bruloit de la voir de plus prés! Ie Roi Ie pla^anbsp;è cóté de fa fille pour lui témoigner plus par-ticulièrement Ie cas qu’il faifoit de lui- Lesnbsp;repas des Rois ne font pas toujours les feftinsnbsp;des Dieux; Ie céréraonial incommode, la con-trainte 8t Ie refpeft, en bannifient fouvent Ienbsp;plaifir amp;. la gaiecé. Pierre, fans oublier qu’ilnbsp;étoit affis k cóté du Roi, ne fit attention qu’anbsp;la beauté de fa fille; il dévoroit fes foupirs,nbsp;amp; fon creur étoit déchiré par la palfion la plusnbsp;¦vive. Maguelonne éprouvoit les mêmes fenti-mens, amp; n’en vouloit rien croire^ elle prenoitnbsp;fes tranfports pour de fimples raouvemensnbsp;d’une admiration légitime , amp; fa tendrefle ,nbsp;pour une eftime qu’on ne pouvoit refufef anbsp;tant de vertus. Lorfque Ie diner fut fini, lanbsp;converfation devenant plus générale , Maguelonne, aprês a'voir dit quelques mots, qu’ellenbsp;crut^tres-flatceurs, aux autres Chevaliers, s’a-drefla a Pierre d’un ton qu’elle croyoit mar-quer beaucoup d’indiftérence. L’impreffion quenbsp;votre valeur amp; votre fagefle, lui dit-elle, ontnbsp;faite fur Ie Roi amp; fur la Reine, eil fi forte,
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que fi elle a échappé a votre amour propte, il fauc que vous foyez 1’homme Ie plus mo-defte qu’il y ait fur la terre. Ils vous regar-dent comme Ie plus bel ornement de leur cour;nbsp;amp;, ce qui prouve la folidité du jugement qu’ilsnbsp;one fait de vous, c’eft que ceux qui auroiencnbsp;Ie plus d’intérêt a vous porter envie, ne peu-vent s’empêcher de vous aimer. Le plus grandnbsp;plaifir du Roi, de la Reine amp; des Dames, eftnbsp;de vous voir, ici, le plus fouvent que vousnbsp;pourrez. C’eft la feule marque de reconnoif-lance qu’ils exigent de vous; amp; vous êtes tropnbsp;courageux, pour étre ingrat.
Pierre étoit moins pénétré des marques de la bonté du Roi, que de celle de la Princefle;nbsp;après 1’avoir priée de les remercier, il ajouta,nbsp;que ce qui le flattoit le plus, étoit 1’honneur,nbsp;qu’elle daignoit lui faire, de lui expliquer lesnbsp;intentions du Roi, n’ayant rien fait encorenbsp;pour mériter qu’elle ne le vit point avec repugnance a la Cour; il s’obligea, ü elle nenbsp;le défapprouvoit point, de fe confacrer toutnbsp;entier a fon fervice : Le défapprouver, dit-elie, non, non; je vous retiens, dès ce moment, pour mon Chevalier. Elle alloit continuer; lorfque la Reine fortit; la Princeflenbsp;fe vit, a regret, obligée de la fuivre; mais,nbsp;avant de fe féparer de Pierre : Brave Chevalier, lui dit-elle, venez le plus fouvent qu’ilnbsp;vous fera poflible. Vous étes Fran9ois, j’ainbsp;toujours défiré de connoitre les moeurs amp; lesnbsp;ufages de votre nation; je fuis fachée de nenbsp;pouYoir vous mettre fur cette matière; j’ef-
tüi.
amp; de la belle Magudonne. 21
père que je ferai plus heureufe une autre fois. La Princeffe fortit, auffi-tót, avec fa mère ynbsp;amp; Pierre refta, avec les autres courtifans«nbsp;auprès du Roi, qui 1’interrogea encore lur fonnbsp;pays, amp; fur fon nom; il lui répéta qu’il éroicnbsp;Irangois amp; Chevalier ^ qu’il n’avoit qu’unenbsp;fortune médiocre, amp; un grand défir d’acquéricnbsp;de 1’honneur, amp; qu’il Ie fupplioit encore denbsp;ne pas exiger qu’il dit fon nom. S’il étoitnbsp;connu, ajouta-t-il, par les aélions de mesnbsp;ancétres, j’aurois a craindre, ü je ne les éga-lois point, de faire tort a un nom illuftre;nbsp;je craindrois encore, ce qui n’arrive que tropnbsp;fouvent, que ceux qui feroient témoins danbsp;mes fairs, ne les honorafient a caufe du nomnbsp;que mes aïeux m’auroient tranfmls, amp; je nenbsp;veux rien devoir qu’a moi-même. Si,parha-fard, j’ctois d’une nailïance obfcure, ou, dunbsp;moins, fimple gentilhommej je ne voudroisnbsp;ïaire connoitre mon nom, que lorfque je Pau-lois iUuftré. Le Roi approuva l’étranger, ilnbsp;lui promit de ne plus lui marquer aucune cu-riofité a ce fujet, amp; de ne confidérer en luinbsp;^ue lui-même.
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C H A P I T R E III.
Converfation 'mtérejfante de Maguelonne amp; de Nicé; manière de pliilofopher de la Prin^nbsp;cejje far Ie préjugé de la naijfance; mejfagenbsp;de Nicé, fes remontrances inutiles.
jPierre voulut, en vain,fe rendre compte des fentimens qu’il éprouvoit; il les compa-roit a lous ceux qui 1’avoient agité jufqu’è.nbsp;ce moment; fon cceur n’avoit encore connunbsp;que ceux de 1'amitié, de la tendrefle pour fesnbsp;parens amp; de Ia gloire; Maguelonne avoir queKnbsp;que chofe de plus féduifant; fon idéefeulelenbsp;jetoic dans une rêverie profonde, fon nomnbsp;Ie faifoit treüaillir; il paflbit, malgré lui, denbsp;la joie k la triftefie , du refped au défir, denbsp;1’efpérance a la crainte. Le fon de voix denbsp;Maguelonne retentit, fans cefle, au fond denbsp;cceur, fon image eft toujours préfente a fesnbsp;yeux : II ne concoit point quelle eft cette paf-fion, fi douce amp; fi impérieufe. La gloire 1’avoitnbsp;tyrannifé amp; le dominoit encore; mais elle n’en-flammoit pas fon fang dans fes veines.
Maguelonne, de fon cóté, n’étoit guère moins agitée; elle avoit vu avec indifferencenbsp;une foule de Chevaliers s’efibrcer k lui plaire,nbsp;amp; Pierre, fans aucun effort, s’étoit rendu lenbsp;maitre de routes les facultés de fon arae. Ellenbsp;ne penfoit qu’a lui, elle ne voyoic que lui j
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clle fe Ie repréfentoit aux prifes avec fes ri-vaux-, k crainte lui rencloit lous fes dangers préfens j les graces qu’elle avoic adinirees ennbsp;lui, lui paroilïoienc plus touchantes dans Icnbsp;filence amp; k retraite', laroodeftiC, avec kquellanbsp;il s’étoit défendu de dire fon nom, exagéroitnbsp;fes vertus aux yeux de fon amante; l’imagi-Jiation prêtoit les raêmes charmes è. ce qu’ilnbsp;avoit dit amp; a ce qu’il n’avoit pas voulu dire.
Le cceur de Maguelonne re pouvoit fuffire aux mouvemens qui 1’agitoienc. Jufqu’alors»nbsp;elle avoit partagé fa tendrefle entre fon père,nbsp;fa mère , amp; Nice fa nourrice^, Nicé venoitnbsp;d’éntver dans fon feptième luftre; elle aimoicnbsp;Maguelonne comme fa fille; 1’amour Ikvoitnbsp;unie, dès les plus jeunes ans, au fils d’un vieuxnbsp;lücuyer, dont le Rol de Naples avoit négligénbsp;de récompenfer les fervices. L’Amant de Nicénbsp;trouva un obftacle a fes feux dans la médio-crité de k fortune de fon père; il alk fe jeternbsp;aux genoux du Hoi, il lui préfenta Nicé', lenbsp;Roi les unit, amp; accorda une penfion au vieuxnbsp;Ecuyer, amp; donna de 1’etnploi a fon fils. Nicénbsp;donna bientóc a fon mari un gage de fa ten-drellé ; la Reine fe chargea de l’enfant, amp; fitnbsp;nourrir Maguelonne, fous fes yeux, par Nicé.nbsp;kes mères, les Reines même, doivent skt-tendre, fi les enfans qu'elles nourriflént d'unnbsp;lait etranger ne font pas des ingrats, qu’ilsnbsp;partageroDt, tout au moins, leur affedtionnbsp;entr’elles amp;i leurs noutrices. Maguelonnenbsp;avoit pour la Reine le plus grand refpeft, amp;nbsp;'la plus. vive tendï?lamp;i raais elle avoit gon-
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fervé pour Nice la confiance la plus aveugle.
Depuis que Maguelonne avoit vu Pierre i Ie fommeil avoit fui de fes yeux; une inquietude inconnue amp; nouvelle ne permettoit plusnbsp;a fes fens de fe livrer au repos. Les foucisnbsp;s’allègent en fe communiquant, amp; ceux quenbsp;Pamour caufe, deviennent des tyrans-, quandnbsp;on les force au filence. Sur la fin d’une nuit,nbsp;que Maguelonne avoir pallee dans Ie troublenbsp;amp; 1’agitation, elle forma Ie deflein d’ouvrirnbsp;fon cmur a Nicé. A peine eut-elle pris cettenbsp;refolution, qu’elle fe tföuva plus tranquille; ellenbsp;s’affoupit amp; retrouva Pierre dans Ie fommeil;nbsp;a peine 1’aurore eut-eile montré fes premiersnbsp;rayons, qu’elle alia trouver fa nourrice, quinbsp;couchoit auprès de fon appartement, amp; donenbsp;elle favoit que Ie mari étoit abfent pour Ienbsp;fervice du Roi.
O ma chère Nicé, lui dit-elle en 1’embraf-fant, prends pitié de ta fille; fi jamais elle eut befoin de ton fecours, c’ell dans ce moment. Nicé , a demi éveillée, craignit quenbsp;quelque malheur ne fut arrivé è Maguelonne;nbsp;elle la prefle de la tirer d’iuquiétiide : Dis-moi , reprit la jeune amante, tu as vu ccnbsp;Chevalier qui, depuis trois jours, remplit Naples dubruitdefes exploits, as-tu quelquemoyennbsp;de découvrir qui il eft, quelle eft fon origine ?nbsp;Si j'en crois mon coeur, il eft au deflus desnbsp;héros amp; des Rois; je ne fais, mais depuisnbsp;que je 1’ai vu, je ne fuis plus éi moi; je t’ainbsp;entendu raconter les amours de ton mari pournbsp;toi, tes premiers feux pour lui; Nicé, quand je
^ de la belle Magueionne. 25
compare ce que tu difois alors, a ce qne je xeflens aujourd’hui, certainement, ce que j’é-prouve doit être de 1’amour *, tnais qu’il eftnbsp;différent du tien'. A peine me pavoifl'ois-tunbsp;émue, amp;nioi, amp; moi! Nicé.... Magueionne,nbsp;les yeux humides amp; étincelans, embrafloit fanbsp;nourrice, amp; commengoit vingt propos qu’elienbsp;n’achevoit pas; faifoit mille queftions, donenbsp;elle n’attendoit pas les réponfes.
L'aurore avoit chaffé les ombres de la nuit j dans ces momens, fi terribles aux amans, amp;nbsp;fi délicieux pour les époux, il ne fut pas finbsp;difficile a Maguelonne d’attendrir Nicé. Ah,nbsp;ma fille/ dit-elle, que je vous plains! il n’eftnbsp;que trop vrai que vous aimez, amp;, malheureu-femetit, celui,que vous aimez eft un étrangetnbsp;qui n’eft connu de perfonne ; Tout ce dontnbsp;il convient, c’eft qu’il eft fans fortune; il nenbsp;dit rien fur fa naiflance; s’il étoit d’une il-luftre origine, pourquoi fe cacheroit-il?'Sanbsp;valeur amp; fes grSces ont, je 1’avoue, de quoinbsp;flatter les défirs d’une femme; maïs eft-ce aflèjsnbsp;pour vous? Née du fang des Rois, fille d’unnbsp;Roi puiflant, feule héritière d’un des plusnbsp;beaux trónes du monde, eft-ce fur un aven-turier que va fe fixer votre choix? Nicé, reprit Maguelonne, tu me paries de trónes, denbsp;grandeurs, de fortune, qu'eft-ce que tout celanbsp;a de commun avec 1’amour ? Tu me feroisnbsp;détefter mon tang, s’il me défendoit d’êtrqnbsp;ienfible aux vertus d'un honnêtehoinme paresnbsp;qu’il n’eft ni riche, ni.puiftant., Les gran,deursnbsp;«ievroieat étre Ie piix de la valeur, k non deïa
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raillance; mais, cruelle Nicé, qui t’a dit qiie cello de 1’étranger étoit vile? Ce n’eft quenbsp;paree que tu Ie crains, que tu t’oppoles a mesnbsp;défirs; eh bien! va, employe route ton adreflenbsp;pour découvrir quel eil fon pays, quels fontnbsp;fcs parens: Ce n’eft pas que je doute de rien,nbsp;veux feulement me juftifier auprès de tol.nbsp;Je veux que tu puifles ra''aider de tes cónfeilsnbsp;fans avoir a rougir. La nourrice reprit, amp;nbsp;fi, par malheur, mes découvertes m’appre-Boient que eet inconnu eft né dans un rangnbsp;jndigne de vous!.... Alors, répondit Ma-guelonne , alors, je regarderai comme unenbsp;felle Ie préjugé qui décore un fat du méritenbsp;de fes aïeux, amp; qui avilit 1'homme de mérite ^nbsp;paree que fes aïeux n’en avoient point. Ah,nbsp;Hia pauvre fille! s’écria la bonne nourriee,nbsp;l’amour la rend folie , il la fait raifonnernbsp;Gomme un des fept Sages de la Gréee. Manbsp;chère amie, reprit Maguelonne, tu m’as tenunbsp;lieu de mère, ne ni’abandonne pas dansnbsp;cette oceafion : Ah! fans toi, que vais-je de-venir? Viftime des préjugés, il faudra quenbsp;je meure. Je fais ce que je dois a mon père,nbsp;amp; comme père, amp; comme fouverain; bientót,nbsp;forcé par je ne fais quelle politique, il dif-pofera de ma main en faveur de quelque princenbsp;que je n’aurai jamais vu, amp; qui croira me fairenbsp;grdce en 1’acceptant. Nicé, cette penfée menbsp;fait frémir plus que jamais. Si tu découvresnbsp;que 1’étranger eft d’un état tel que Ie mien,nbsp;alors, Nicé, je profiterai de 1’afcendant quenbsp;ma tendrefle me donne fur mes parens, pour
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les difpofer en fa faveur. S’il n'eft pas né prince, fans défobéir a mon père y je trouverainbsp;afl'ez prétextes pour éloigner tou« les manages qu’on propofera. Je connois afl'ez l’efpritnbsp;flexible des courtifans pout les mettre tousnbsp;dans mes intéréts quand j’aurai befoin d’eux»nbsp;concre les intéréts même de la politique. Ilsnbsp;tiennent tout de moi, ils me feconderont; monnbsp;père efl; d’un age avancé, tu fais que je donne-rois ma vie pour prolonger la fienne; maïs, felon 1'ordre commun de la nature, je dois luinbsp;furvivre; quand ce ne feroit que d’un jour, cenbsp;jour fera a l’étranger; quel qu’il foit, je faurainbsp;bien 1’élever jufqu’a moi!... II eft tard, lève-Toi, ma chère' amie, va, cours, pénètre juf-que chez 1’inconnu interroge, preffe, amp;, s’ilnbsp;Ie faut, dis-lui tout ce que je fens pour lui ,nbsp;je n'en rougirai point; Pamour celfe d’être unenbsp;foiblefle, quand il s’attache a la vertu. Adieu,nbsp;tu connois l’état de mon cmur, ma vie eftnbsp;entre tes mains.
Maguelonne, plustranquille, rentra dans fon appartement, amp; fe remit dans fon lit, jufqu’ènbsp;ce que fes femmes entrèrent. Pour Nicé, ellenbsp;s’habilla a la héte, s’étourdiflant tant qu’elle
pouvoit fur les fuites de Ia démarche qu’elle alloic faire.
Pierre, non moins fenfible , maïs plus timide que Maguelonne, n’ofoit fe flatter de lui avoir plu; quoiqu’elle lui eüt parlé avecnbsp;trop de bonté, pour craindre de lui être tont ènbsp;fait indifterent, il étoit bien éloigné de croirenbsp;eüt fait «ne impreffion auffi vive fur elle;
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-ocr page 44-!£8 Hijtoire de Pierré de Provence,
il eüt .voulu lui faire connoJtre fes fentimens, il étoit retenu par'fa timidité; il crut qu’il va-loit mieux attendre que Ie temps amp; fes fervicesnbsp;euflent préparé l’ame de Maguelomre a recevoirnbsp;l’aveu de fon amour. II étoit occupé de cesnbsp;différentes idéés, lorfque Nicé entra diez lui.nbsp;Pierre courut au devant d’elle; il favoicnbsp;qu’elle étoit la coiifidente de la Princeflè,nbsp;amp; il n’ofoit lui demander a quelle occafionnbsp;eile étoit venue. Votre lurprife ra’étonne., luinbsp;dit Nicé; beau, jeune, brave amp; vainqueur denbsp;tons nos Chevaliers, devez-vous trouver extraordinaire de voirune femme, a cettelieu-re, dans votre appartement? Tout Chevaliernbsp;eft Ie protefteur des belles : Peut-être fuis-janbsp;la première qui viens réclamer votre fecours;nbsp;inais, certainement, je ne ferai pas la der-nière : Qui? moi! s’écria Pierre, je ferai aftejsnbsp;hetireux pour vous êcre de quelque utilité?nbsp;Parlez, Madame, difpofez de mon bras. Non ,nbsp;dit Nicé, ce n^eft pas de votre valeur dontnbsp;j''ai befoin,, c’eft de votre confiahce. Chevalier, vous aurez pour amis tous ceux qui vousnbsp;Gonnoitront; Ie Roi amp; la Reine vous aimencnbsp;déja comme leur fils; la Princell'e a pour vousnbsp;les fentimens que vous méritez; ils n’ont pasnbsp;befoin de favoir votre nom , pour être per-luadés que votre naiflance répond a votre mérite; mais ils craignent, amp; la Princefle plusnbsp;que perfonne, que des courtifans méchans amp;nbsp;jaloux ne fe fervent du prétexte de votrenbsp;Jilenoe pour vous nuire. L’intérct qu’elle prendnbsp;i vQus, la rend inquiète; elle déftre que vous
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lui dontiiez la fatisfaftion de favoir qui vous êtes, afin que, dans 1’occaiion, elle puifleprendre vorre défenfe ; Elle vous promet Ie fe-cret Ie plus inviolable, amp; je puis vous aflurernbsp;qu’elle vous faura gré de votre coniiance. ^nbsp;Pierre , après un moment de réflexion , ditnbsp;a quot;Nice, queni la crainte des intrigues de lanbsp;Cour, ni celle de pafler pour un homme fansnbsp;parens, ne Ie détermineroient jamais a dé-clarer fon nom •, que Ie feul défir de plairenbsp;a la Princefle Ie forqoit d’avouer qu’ü étoicnbsp;né d’une familie illuftre, amp; connue en France;nbsp;qu’il n’auachoit quelque valeuf a ce litre ,nbsp;que paree que la Princefle fembloit en fairenbsp;quelque cas: Elle en fait auffi peu que vous,nbsp;dit Nicé ¦, mals tel eft 1’empive du préjugé, quenbsp;les Grands ne s’eliiment qu'autant qu’ils peu-vent compter un certain nombre d’aïeux, amp;nbsp;que , dans leuts alliances , ils ne donnent pasnbsp;feulement au vice ennobli la preference furnbsp;la vercu roturière, mals qu’ils la regardencnbsp;comme une fiétriflure. Maguelonne ne vous ennbsp;cüt pas moins eftimé, fi vous n’euffiez éténbsp;qu’un homme de mérite. Elle veut que Ie cour-tifan vous honore amp; vous refpeéte, amp; ce que
je vais lui apprendre lui fera Ie plus grand plaifir.
Pierre étoit au comble de la joie ; il donna è Nicé une bague done la ComteÜe de Pro-vence lui ayoit fait préfenr; je n’oferois, dit-il, i’offviï a la Princefle ; De quelque prix quenbsp;eet anneau foit a mes yeux, il n’eft pas dignenbsp;d’elle. Nicé voulut favoir de qui il Ie tenoit;
30 Hiftoire de Pierre de Provence,
c’eft de ma mère, dit Ie Chevalier, elle me Ie recommanda, quand je me féparai d’eile;nbsp;je ferai trop heureux, puifqu’il ne m’eft pasnbsp;permis de ie lui préfenter, qu’il apparriennenbsp;a la peiTonne que^Maguelonne aime Ie plus.nbsp;Eh bien, reprit Nicé, pour vous récompenfernbsp;de votre conliance, je m’engage a Ie faire accepter a Maguelonne. Adieu : Venez a lanbsp;Cour; on vous y attend avec impatience.
La Princefle attendoit Nicé, qui lui raconta tout ce qui s’étoit pallé; elle ne lui cacha pointnbsp;que Ie Chevalier avoir pour elle les mêmesnbsp;fentimens qu’elleéprouvoit pour lui; elle ajou-ta : Voili un anneau qu’il m’a donné; Ie prixnbsp;qu’il y attache Ie rend ineftimable k fes yeux:nbsp;II Ie tient de fa mère, amp; c’eft par rapportnbsp;d vous qu’il m’en a- fait Ie facrifice; a toi,nbsp;ma chère Nicé, reprit Maguelonne? Je ne tenbsp;1'envie pas; cependant, lu peux y mettre Ienbsp;prix que tu voudras, amp; cède-le-moi. Nicé fenbsp;mit a rire, apprit a Maguelonne la délicateffenbsp;du Chevalier, amp; lui donna 1’anneau.
Maguelonne, au comble de lajoie, ne cef-fo;c de pavler du Chevalier; elle vouloit que Nicé poufsSt la complaifance jufqu’a lui fairenbsp;favoir tout ce qu’elle fentoit pour lui; Nicé,nbsp;qui voyoit, avec plus de fang-froid , les fuitesnbsp;de eet amour, voulut en repréfenter les dangers a la Princefle; fongez - vous, lui dit-elle , que ce feroit vous compromettre,nbsp;que vous attireriez fur lui la colère dunbsp;Roi, amp; qu’enfin, a votre üge, il ne vousnbsp;eft pas permis de^difpofer de votre main?
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Que les aroans font injuftes quand on conti a-rie leurs paffions! Maguelonne s’empona con-tre Nicé, protefta qu’elle n’auroit jamais d autre époux que Ie Chevalier, amp; la menara rl^‘quot; Ier elle-même tout déclarer a fonpère ^ enfin ,nbsp;elle finit pat fe jeter aux pieds de fa four-rice, en la fuppliant d’avoir pitié d’ëlle. Nicenbsp;fe laifla fléchir; feulement, elle exigea qu ellenbsp;fe laiffac conduire par fes avis. La nourricenbsp;efpéroit qu’elle pourroit détruire, peu a peu,nbsp;ces premières impreffions, mais elle s’aper-^ut que Maguelonne 'étoit fans cede occupéenbsp;de fon objec ; mille fonges Ie lui retra^oientnbsp;dans Ie forameil, pendant lequelelle lui avouoicnbsp;fa foiblelle, amp;; 1? forfoit de lui apprendre fo unbsp;nom amp; fon origine, afin, du tnoins, qu’elle futnbsp;quel étoit celui aquielle avoitdonnéfonccnur vnbsp;la pauvre Nicé jugea que fa fille ne guériroitnbsp;jamais de la blefliire qu’elle nourriÜbit, amp; nenbsp;s’attacha plus qu’a 1’aider de fes confeils.
Jiiqulétude fatisfalte ; fecret confé rnarlage promis amp; commence; gages donnés amp; recus.
ierre étoit dans 1’inquiétude de favoic quel avoit écé 1’effet du meflage de Nicé ; dansnbsp;la ctainte qu’il n’edt déplu a Maguelonne ,nbsp;il n’ofoit paroitre a la Cour. II euc recoursnbsp;a la nourrice elle Ie raflura amp; lui promit denbsp;s’intéreffer pDur lui, a condition que fon amour
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-ocr page 48-32 nbsp;nbsp;nbsp;Hijioirt de Pierre de Provence,
n’auroit que des vues honnétes. Pierre juri qu’il aimeroit mieux mourir que de penfer au-trement. Aimer, fervir amp; refpedler Mague-lonne, étoit le feul but qu’il fe propofoit;nbsp;Tout autre lui paroiflbit indigne d’un Chevalier. II s’éleva avec une force qui enchantanbsp;Nice, centre les vils corrupteurs qui fe fontnbsp;Tin jeu de la féduélion : Puilïé-je périr a vosnbsp;yeux , s’écria-t-il, fi, entrainé par une paf-lion aviliflante , il m’arrive jamais de porternbsp;«n regard téméraire fur 1’objet de ma ten-dreffe ! J’adore Maguelonne; je donnerois manbsp;vie pour elle, amp;, s’il falloit conquérir fa main,nbsp;il n’eft point de péril oü je ne m’expofalle ;nbsp;maïs aflurez-la que mes inclinations feroncnbsp;loujours auffi honnétes que vives amp; fincères.nbsp;Eh bien , lui dit Nicé ,puifque vos intentionsnbsp;font fi pures, apprenez que la Princefle a pournbsp;vous l’amour le plus tendre; pourquoi donenbsp;vous obftiner a cachet votre nom ? Car s’ilnbsp;eft tel qu’elle le défire, il ne feroit pas im-pofllble que vous fuffiez unis. Pierre promicnbsp;de fe declarer a la Princefle , amp; pria Nicé denbsp;lui remettre une autre bague plus riche quenbsp;la première , amp; de lui procurer le inoyen denbsp;la voir.
Nicé revint auprès de Maguelonne, amp; lui rapporta la converfation qu’elle venoit d’a-voir avec le Chevalier; la Princefle fut tou-chée de la délicatefle des fentimens de fonnbsp;amant; elle le trouvoit tel qu’elle le défiroit,nbsp;honnête, franc, fmcère ; elle ne put s’em-pêcher de rougir, en recevant 1’anneau qufll
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lui envoyoit j elle chargea Nicé de lui dire qu’elle Ie verrok en fecret, amp; la pria de luinbsp;en faciliter Ie moyen. La bonne Nicé, aprèsnbsp;8’être bien aflurée de 1’honnêceté des deuxnbsp;amans, remit leur entrevue fecretre au len-deraain. Elle avertit Pierre de fe trouver è.nbsp;la porre du jardin vers les trois heures denbsp;1’après-midi, lorfque tout Ie monde repoferoit,
fuivant la coutume d’Italie,
Au moment, amp; a l’hqure indiqués, Pierre ne manqua pas de venir au rendez-vous; lanbsp;porte étoic entr’ouverte, amp; Nicé Ie conduiücnbsp;dans la chambre de Maguelonne. La Prin-'nbsp;cetle rougit a la vue du Chevalier; ils reftè-rent comme immobiles 1’un amp; 1’autre ; éga-lement timides amp; embarraffés, leurs regardsnbsp;s’évitoient amp;fe rencontroient fucceffivement;nbsp;einportés par l’amour, retenus par la décencenbsp;amp; Ie refpedl, ils n’ofoient ni fe parler, ni fenbsp;taire. Pierre mie fin Ie premier a eet em-barras délicieux ; entrainé par un mouvementnbsp;auquel il lui eüt été impoflible de réfifter, ilnbsp;fe ptécipite aux pieds de Maguelonne, qui, pacnbsp;un mouvement auffi prompt, fe léve, Ie prendnbsp;par la main amp; 1’oblige de fe placer a cóténbsp;d’elle. Nicé fe retire , amp; leur embarras au-gmente encore. Après quelques momens denbsp;n.ence» Maguelonne eut la force d’adreflerainlinbsp;la parole a Pierre : Généreux Chevalier, lui,nbsp;dit-elle, j’ai une trop grande opinion de la no-blefle de votre ame, pour craindre que vousnbsp;tiriez quelque conféquence défavantageufe dunbsp;défir que j’ai ïéisoi§bé de vous voir en fecret;
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je fais que cecte démarche, aux yeux de per-fonnes moins fages que vous, pourroit pa-roitre irrégulière; mais Ia piireté de mes intentions amp; la connoiflance que j’ai de vos vertus, fjffifent pour me raflurer. Je vous ai fait dire ,nbsp;par Nicé, quels étoient les fentimensque vousnbsp;jn’avez infpirés, amp;-fi elle ne m’a point trompee , je juge que les vótres font entiérementnbsp;conformes aux miens. Pierre alloit 1’interrom-pre, pour lui confirmer, par les proteftationsnbsp;les plus tendres, Ie rapport de la nouirice :nbsp;Maguelonne 1’arrêta. Nous nous aimions, con-tinua-t-elle, avant de fonger £i nous en fairenbsp;1'aveu : Jamais Ie ciel n’a uni deux coeurs jiarnbsp;un fi bel accord; cependant, Chevalier, la con-fiance que j’ai eue en vous jufqu’aujourd’hui,nbsp;méritoit que la vótre, i mon égard, fut fansnbsp;réferve. Ah, Princefle! s’écria Pierre, en tom-bant une feconde fois a fes genoux, pardon-nez-moi un fecret qui doit juftifier Ie motifnbsp;qui me 1’a fait garder. Je vous jure, par votrenbsp;candeur, amp; par votre beauté, que Ie défir de lanbsp;gloire ne m’a point attiré a votre Cour; quenbsp;j’y fuis venu dans Ie defl'ein de vous plaire,nbsp;amp; que, ne voulant devoir eet'üvantage qu’anbsp;moi-même, j’étois réfolu de me retirer fansnbsp;me faire connoitre, fi je n’avois pu y réuf-fir. C’eft ce que j’avois réfolu de faire, ennbsp;quittant la maifon paternelle : C’eft i vous,nbsp;a préfent, a décider fi je puis me permettrenbsp;de rompre Ie filence; Maguelonne, en rou-giflant, ne put s’empêcher de fourire : Ellftnbsp;tendit la main au Chevalier, Ie fit relever,
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amp;¦ Ie conjura, plus vivatnent que jamais, de fe declarer. II la pria, a fon tour, de ne direnbsp;a perfonne ni fon nom, ni origine. Si lènbsp;Comte de Provence vous eft connu, ajouta-t-il, vous favez qu’il a un frère qui préféranbsp;la tranquillité desétats, qu’il pouyoit réven-diquer, a, la gloire cruelle de s’aüeóir fut unnbsp;tróne enfanglanté. Je fuis Ie fils de ce Princenbsp;généreux, Ie neveu du Comte régnant, amp;nbsp;pecit-neveu , par ma mère, dü Roi de pranceinbsp;Si Ie préjugé de la naiflance én étoit un pouinbsp;vous, jamais vous n'auriez fu tnOn feeree.nbsp;Quoi! Prince, reprit Maguelonne, vouspour-riez, d’un feul mot, partager avec roon père,nbsp;1’amour amp; les hommages de fes fujets, amp; vousnbsp;refufez de vous faire connoitre. Vous pourrlez inbsp;peut-être, exiger de lui qu’il vous accordatnbsp;fa fille, amp; vous négligez ce moyen ! Ah !nbsp;princefle, s’écria Pierre, que ce moyen nousnbsp;feroit funefte a 1’un amp; a 1'autrel Le Comtenbsp;de Provence, mon onde, peu jaloux de lanbsp;gloire que je puls acquérir par les armes, nenbsp;prendrajamaisaucuuombragede mes exploits,nbsp;lerfqu’ils fe borneront a reraporter Ie prix desnbsp;tournois, d vaincre des Chevaliers , a défen-dre les opprimés, enfin, a rempUr rous lesnbsp;devoirs de la Chevalerie; au contraire , il fenbsp;glorifieia d’être mon oncle ; mais s’il foup-ijonnoic qu’en époufant i’héricière d’un empire, je pourrois me faire un pani redouta-ble, alots, craignant que je ne fiffe valoirnbsp;mes droits, amp; que je ne remiife mon père futnbsp;un trune ufurpé, ii empleyeroit les reffurts
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les plus fecrets de fa politique, pour empê-cher notre union, amp; peut-être, des trames plus odieufes encore pour me priver du jour ;nbsp;Un ufurpateur fe croit tout permis pour fenbsp;maintenir furie tróne. Vous voyezl’intérêtquenbsp;j’ai, non feulement de cacher mon nom, malsnbsp;de dérober notre intelligence a tous les yeux.
Maguelonne frémit des dangers auxquels fon indifcrétion pourroit expofer fon amant; ellenbsp;jura bien de renfermer ce fecret dans Ie fondnbsp;de fon cceur. Elle ajouta que, quoiqu’elle nenbsp;tegardit fa naiflance que comme un elfet dunbsp;hafard, elle fe félicitoit de ce qu’il venoit denbsp;lui découvrir ; que, fi Ie Roi de Naples, fonnbsp;père, Ie connoiffoit, amp; s’il favoit leur inclination mutuelle , il n’héfiteroit pas a les unir,nbsp;amp; qu’ainfi, elle étoit aflurée de ne pas man-quer a ce qu’elle devoit a fon père, en don-ïiant fon coeur amp; fa foi a un Chevalier bravenbsp;amp; du fang des Rois; en conféquence, ellenbsp;lui Jura de n’avoir jamais d’autre époux quenbsp;lui, amp;, pour gage de fa promefle, elle ótanbsp;de fon cou une chatne d’or, qu’elle portoit,nbsp;ft la palia au cou du Chevalier, commenbsp;pour lui marquer qu’elle l’uniffoit a elle; denbsp;fon cóté, Pierre, è fes genoux, promit denbsp;n’avoir jamais d’autre époufe, ni d’autre mai-treffe; amp;, prenant une de les mains, aprèsnbsp;1’avoir tendrement baifée, il lui pafla au doigcnbsp;Ie troifième anneau qu’il avoit re9u de fa mère.nbsp;Ils cimentèrent leur union par les fermens lesnbsp;plus folemnels, amp; prirent enfembls des arraa-geuaecs pour fe voir a l’avenir.
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Maguelonne, après eet entretien, appela Nicé, qu’elle préfenta a fon amant; elle luinbsp;certifia que Pierre étoit de la plus illuftrenbsp;origine; qu’il étoit de la plus grande importance, Sc qu’il y alloit de fa vie de cachetnbsp;fon noin ; elle pria Nicé de ne pas s’en informer davantage; elle lui raconta tout cenbsp;qui venoit de fe palier entr'eux; Pierre, aprèsnbsp;avoir prié la Nourrice de favotifer leurs en-tretiens fecrets, Sc lui avoir certifié, foi denbsp;Chevalier, qu’ils. ne feroient unis que patnbsp;1’amitié la plus pure, jufqu’a ce qu’il leur fücnbsp;permis de ferrer leurs liens au pied des au-tels , lui fit préfent d’un bracelet garni denbsp;diamans, Sc fe retira chez lui.
Maguelonne, Ie coeur retnpli de fon amant« ne celïoit d’en parler a fa Nourrice; elle eücnbsp;voulu que Nicé 1’efit vanté avec les mèmesnbsp;tranfports. Nicé, qui craignoit les ^fuitesnbsp;de leurs engagemens, dit la Princefle ; Jenbsp;puis défapprouver votre choix c’eft Ie Chevalier Ie plus aimable qui ait paru a la Cour;nbsp;amp; ? fi ce que vous me dites de fon originenbsp;eft vrai, je ne défefpère pas qu’avec Ie temps,nbsp;amp; par fes foins, il ne vienne è bout de tous'nbsp;les obftacles qui vous empêchent d’être vérita-blementépoux',mais, degrèce, madame, con-traignez-vous, gardez-vous de lailler aperce-voir votre intelligence, lorfque vous vous trou-verez, avec votre apaant, devant Ie Roi ou lanbsp;Reine, amp; les courtifans. Je fais, par ma proprenbsp;experience, combien il eft difficile a 1'amour denbsp;fe déguifer, Si vous favez combiea Tceil des
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courtifans eft penetrant. Voyez a quels dangers vous expoferoit la moindre indilcrétion. Votre père jufteraent irrité, vous priveroit nonnbsp;feulement de fa tendrefle, mais il fe croiroicnbsp;intérefle aperdre votre amant; enfin, commenbsp;vous ne pouvez difpofer de vous fans le con-'nbsp;fentement du Roi, votre père, le Chevaliernbsp;ne peut pas, non plus, fans injuftice, recevoitnbsp;de vous un don qui ne vous appartient pas;nbsp;ainli, la vengeance de votre père contre vousnbsp;amp; contre lui, feroit fondée fur les lois divinesnbsp;amp; hutnaines; pour moi, j’en ferai, fans doute,nbsp;la première vidtime. Chère Nicé, s’écria lanbsp;Princeife en I’embraffant, ó ma feconde mère,nbsp;je ne me conduirai que par tes confeils : Soisnbsp;toujonrs auprès de moi; amp; , fi tu t’aperqois quenbsp;je m’oublie un moment, il fuffira que tu m’ennbsp;falfes apercevoir, pour que 1’idée du dangernbsp;auquel j’expoferois mon amant amp; toi, me falienbsp;frémir, amp; rentrer en moi-même. Parle-moi,nbsp;quelquefois, de Pierre, amp; flatte-moi de 1’efpé-rance qu’un jour, nous ferons l’un a l’autre.nbsp;Ciel/ n’eft-il done permis qu’aux derniers denbsp;nos fujets de fe faire leur deftinée ; a quoi fertnbsp;le tróne, fi les Souverains font forcés de fairenbsp;des facrifices! Si, fans cefle accablés par leursnbsp;chaines politiques, ils ne peuvent difpofer denbsp;leur coeur ! Quelles contrariétés! Si Pierrenbsp;rc-gnoit, amp; qu'il file un tyran détefté, mais,nbsp;puiflant, Pierre n’auroit qu’a vouloir, amp; ilnbsp;feroit mon époux. S’il n’étoit que le fils d’unnbsp;berger, efit-il le courage des plus grands héros, amp; la fagefle de* meilleurs Rois, on le
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puniroit d’ofer afpirer au ccEur d’une Princeflfi. Oui,Nicé, tel eft Ie fort demon amant; commenbsp;Prince, il eft profcric, s’il eft connu; commenbsp;fimple particulier, fon amour feroit un crime,nbsp;s’il étoit fu.... Que de raifonspouï vous con-traindre, repliqua la Nourrice l vous devejs toutnbsp;attendre du temps amp; de votre prudence.
. CHAPITRE V.
Récompenfe inattendue d’un Troubadour ; Tournoi mémorable, combats, triomphe denbsp;Pkrre.
Jt^lERRE, qui s’étoit abfenté de la Cour tont Ie temps qu’il avoit été incertain des progrèsnbsp;qu’il avoit faits fur Ie coeur de Maguelonne,nbsp;y reparut, plus féduifant que jamais. Son obf-tination a cacher fon nom amp; fon pays, donnanbsp;lieu a mille contes; les moins vraifemblablesnbsp;furent les mieux rcQUs; les politiques s’ennbsp;méftoient, les Couitifans lui portoient envic,nbsp;amp; faifoient fémblant de croire qu’il gagnoit inbsp;ne pas fe faire connoitre; amp; les femmes, quinbsp;voyoient en lui la valeur d’Hercule, fpus lesnbsp;traits d’Adonis, difoient, par-tout, que c’é-toit un Souverain qui voyageoic incognitó; lesnbsp;Troubadours Ie louoient a tout hafard, fur foilnbsp;origine, qu'ils faifoient remonter aTeutatès1,
Ancien Dien des Gaulois.
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fur fa beauté, qu’ils cornparoient è celle d’Apollon, amp; fur fa force, qu’il tenoir, di-foient-ils, du dieu Mars. Pierre n’étoit touché que des éloges qu’il recevoit, en fecret, denbsp;fa maitrefle; mais, pour n’êcre pas en reftenbsp;avec les Troubadours, il leur répondoit parnbsp;des vers, qui valoient mieux que ceux qui luinbsp;étoient adrefles, ce qui penfa produire un très-mauvais effec; car, outre que les Troubadoursnbsp;ne s’attendoient pas a cette récompenfe, ilsnbsp;furent jaloux que leur héros fit mieux desnbsp;vers qu’eux; ils firent une fatyre fanglantenbsp;contre lui; l’auteur fut découvert, amp; Pierre,nbsp;qui en eüt ri Ie premier, fi 1’éloge n'eüt pasnbsp;précédé la fatyre, demanda qu’il fdt puni, ounbsp;comme un vil adulateur, ou comme un calom-niateur infSme : Le Troubadour fut forcé denbsp;convenir qu’il le méritoit a ce double titre, amp;nbsp;Pierre obtint fa grSce.
Maguelonne étoit trop belle pour n’avoir pas des adorateurs; ce qui atigmentoit, fur-tout, la foule amp; 1’affiduité des prétendans,nbsp;étoit le tróne de fon père, dont fon épouxnbsp;devoit hériter; parmi ces amans, celui qu’ellenbsp;aimoic le moins, amp; qui 1’obfédoit le plus,nbsp;étoit un Chevalier de la familie des Duesnbsp;de Normandie, homme fier amp; dédaigneux,nbsp;auffi brave qu’il étoit puifl’ant amp; riche. IInbsp;avoit entendu parler de la force d’un étrangernbsp;que perfonne ne connoifloit, amp; auquel lenbsp;Roi de Naples prodiguoic fes faveurs. Le filep-ce, que eet inconnu gardoit fur fon nom,nbsp;fit foupfonner au Normand, Ferrier de la
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ao'oronne, que ce ne pouvoit être qu’un avsnturier, envoyé par quelqu’un des Princes d’ltalie, pour obferver ce qui fe paflbitnbsp;a la Cour du Roi de Naples, afin d’en tireunbsp;quelqu’avantage. Maguelonne, tnalgré routesnbsp;les précautions qu’elle prenoit, pour que fonnbsp;intelligence avec Pierre ne parut pas, n’avoicnbsp;pu s’empêcher de rnarquer quelque préférencenbsp;en fa faveur. Elle lui avoir donné Ie nontnbsp;du Chevalier des Clefs, è. caufe de cellesnbsp;qu’il avoir prifes pour fa devife, amp; qu’eUenbsp;avoir brodées fur une écharpe, dont elle luinbsp;avoir fair préfenc dans un combar, ou ünbsp;avoir été vainqueur, peu de jours auparavanr.
La reputation de Pierre, les marqués de diftinftion que Ie Rol lui donnoit, amp; lesnbsp;bontés de Maguelonne, exaltèrent a tel pointnbsp;la colère de Ferrier, qu’il eut attaqué fon.nbsp;rival, fi fon orgueil, qui lui faifoir craindrenbsp;de fe compromettre avec un étranger fansnbsp;aveu, ne Pen eClr empêché.
Ferrier prit, pour fe venger, un moyen plus indirect. II demanda au Roi de fairenbsp;publier un Tournoi; il indiqua Ie jour, amp; Ienbsp;Roi fit favoir, par fes hérauts, a tous lesnbsp;Chevaliers du royaume , de fe trouver , anbsp;tel jour, en la ville de Naples, pour jouter,
. combattre en Phonneur des Dames. II en vint une grande quanrité, amp;, comme on fa-voit que Ferrier devoir être Ie principal tenant, les plus diftlngués ne raanquèrent pasnbsp;de s’y rendre. On avoit élevé deux théltres,nbsp;1’un, OU fe trouva Ie Roi avec toute fa Cour,
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amp; 1’autre, deftiné pour la Reine amp; pour Maguelonne, avec routes les Dames.
Les Chevaliers firenc leur monte : A leur tére, paroiflbit 1’orgueilleux Ferrier; il écoicnbsp;fuivi d’Antoine de Savoie amp; de cinquantenbsp;autres, décorés d’armes étincelantes. Pierre,nbsp;peu jaloux de 1’avantage du pas, marchoir Ienbsp;dernier, amp;, lorfqu’ii pafla, tous les fpecla-teurs applaudirent des mains amp; de la voix :nbsp;Ferrier en frémiflbit amp; n’ofoit en témoignernbsp;fa jaloufie. Quand la monte fut faite, amp; qu’onnbsp;eut préludé par desjoutes, Ferrier dit, a hautenbsp;voix, que c’étoit en 1’honneur de Maguelonne,nbsp;qu’il vouloit fe battre , amp; montrer fon courage amp; fon adrefle : Henri d’Angleterre, quinbsp;necédoita Ferrier ni en valeur, ni en beauté,nbsp;Ie défie; ils piquent en même temps leursnbsp;chevaux, partent comme un éclah’, amp; fenbsp;frappent avec tant d’impétuofité, que lesnbsp;éclars de leurs lances volèrent jufqu’a l’échaf-faud du Roi. Ferrier demeura ferme fur fonnbsp;cheval; mais Henri, dont Ie cafque alianbsp;frapper la croupe du fien, feroit tombé , fi onnbsp;ne 1’eüt fecouru h propos. Ferrier, en fou-riant d’unc manière dédaigneufe, regardanbsp;Maguelonne, dont les yeux étoient fixés furnbsp;Pierre; il lui tardoit d’en venir aux mainsnbsp;avec lui, mais il n’euc pas méme 1’avantagenbsp;de Ie combattre, car Lancelot de Valois,quinbsp;pritla place d’Henri d’Angleterre, défar9onnanbsp;Ferrier, amp; 1’abattit du premier coup de lance.
Pierre fut au défefpoirque fa proie lui échap-p4t; il eüt déliré que fon rival edt été vain-
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queur, afin d’avoiria fatisfaftion de 1’humilier; cependant, ne pouvant plus attendre, amp; jugeantnbsp;Lancelot digne de lui, ie Chevalier des Clefsnbsp;embraffe fon écu amp; baife fa lance. Leur eflornbsp;fut fi prompt, 8t leurs coups furent adreflésnbsp;avec tant de juftefie, que leurs lances, qui fenbsp;brifèrent, leurs armures, qui fe choquèreni,
amp; leurs chevaux, qui fe frappèrent, ne firent qu'un feul amp; même éclat. Aucun n’eut l’a-Vantage, leur force parut fi. égale que Ie Roi,
amp; tous les Chevaliers, décidèrent qu’ils pou-voient changer de chevaux amp; recommencer encore. Tout Ie monde avoit les yeux fixés fur ces deux braves combattans; pevfonne n’ofoitnbsp;faire des vmux pour 1’un, de préférence a 1’au-tre; Maguelonne feule en faifoitpour Pierre.nbsp;Ils remontent a cheval; Pierre fixe la Princefl’e,nbsp;jette un rcil mena^ant fur Ferrier, qui, de lanbsp;barrière, excitoit Lancelot, part, envifage fonnbsp;adverfaire, Ie frappe, rompt fa lance, amp; Ie jettenbsp;a vee rant de force, amp; fi loin de fon cheval, quenbsp;les fpeftateurs, amp; leRoilui-tnême, lecroyoieacnbsp;bleffé dangereufement. Pierre defcendit pournbsp;lui donner du fecours; amp;, voyant qu’il n’éioitnbsp;qu’étourdi de fa chute, il I'aida a fe relevernbsp;* ^ f® trainer hors de la barrière.
Pierre remonta è cheval auffi frais, auffi dif-pos que s il n’eüt point encore combattu; mais quel fut fon étonnement, lorfqu’il vit venirnbsp;i lui Jacques de Provence fon onclel Pierre fitnbsp;figne au héraut de venir lui parler. Priez, luinbsp;dit-il, ce Chevalier de fe retirer-, il in’a ren-‘Ju gt; dans quelque occafion, un fervice fignalé;
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je lui ai de 1’obligation, amp; je ferois fdché de lui caufer la moindre peine. Au furplus, ditamp;s-]ui que je m’avoue vaincn, amp; que je déclare,nbsp;devant ces Dames, qu’il eft auffi vaillant, auflinbsp;brave, plus adroit amp; plus fort que moi. Lenbsp;Comte Jacques, comme on 1’a déja vu, étoitnbsp;fier; il fut indigné de la propofitiorrdu Chevalier des Clefs: Qui que tu fois, s’écria-t-il,nbsp;quel que puifle être le fervice que je t’ai rendu, je te dégage de toute obligation, amp;, finbsp;tu ne te défends, je croirai que tout ce quenbsp;tu dis n’eft qu’un prétexte vain, pour couvrirnbsp;ta timidité. Pierte, fans fe livrev a la colère,nbsp;fe contente de fe tenir fur la défenfive, amp;nbsp;imagina un nouveau genre de combat, dansnbsp;lequel fon oncle püt être vaincu , fans quenbsp;le neveu eüt a fe reprocher d'dtre vainqueur.nbsp;Lorfqu’il vit partir le Comte Jacques, il pritnbsp;auffi fon effor de fon cóté ; mais, s’arrétancnbsp;tour court amp; mettant fa lance en travers, ilnbsp;1’attend de pied ferme; fon oncle le frappenbsp;comme la foudre , fa lance fe brife, amp; lanbsp;violence du choc renverfe l’agrefleur fur Ianbsp;croupe de fon cheval, tandis que Pierre, fermenbsp;fur fes étriers, demeure immobile, comme linbsp;la lance de fon oncle eut été de verre amp; qu’ellenbsp;eüt frappé un rocher. Le Roi, les Chevaliersnbsp;amp; tons les fpeftateurs applaudirent a la forcenbsp;amp; a la courtoifie du Chevalier des Clefs: Lenbsp;Cointe Jacques, plus furieux encore, prendnbsp;fon épée a deux mains; Pierre, fans cherchernbsp;a 1’éviter, Pattend encore, ne fait que dé-tourner un peu la téte, amp; le coup glifle le
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long de 1’avmure de Pierre : Le Comte en-trainé par ion propre mouvement, pafl'e par dellus la tête du cheval« amp; tombe aux piedsnbsp;de celui de Pierre. II fe-releva en murmu-rant •, route 1’affemblée étoit furprife del’adreflenbsp;amp; de la force du Chevalier des Clefs gt;nbsp;fonne ne comprenoit pourquoi» étant fu-périeur au Comte Jacques, il avoit d’abordnbsp;refufé de fe battre avec lui ^ Maguelonne feulenbsp;étoit au fait; quant au Comte, il n’ofa pasnbsp;recommencer , amp; fut oblige d’avouer que Ienbsp;Chevalier inconnu étoit Ie plus redoutable, amp;gt;nbsp;en même temps, Ie plus courtois de tous ceuxnbsp;avec lefquels il s’étoit battu jufqu’a ce jour.
Aucun des Chevaliers qui étoient venus combattre, ne fe preffoic d’entrer en lice ;nbsp;Êdouard, Prince d’Angleterre, qui avoit fou-vent pafl-'é la mer pour venir roropre des lancesnbsp;avec les Chevaliers frangois, amp; qui parcouroicnbsp;l’Europe pour chercher les aventures, fe pré-fenta; mais Pierre, d’un feul coup, renverfanbsp;Ie Chevalier amp; fon cheval. Pierre de Monc-ferrat lui fuccéda : Ce Chevalier étoit célèbrenbsp;par un grand nombre d’exploits éclatans; luinbsp;feul avoit délivré fon pays des brigands quinbsp;Ie dévaftoient, amp; fait mordre la pouffière anbsp;vingt rivaux redoutables qui cberchoient anbsp;lui ravir une époufe qu’il adoroit. Pierre Ienbsp;refpectoitj 11 eüt défiré de ne pas fe battrenbsp;avec lui •, il y fut forcé par l’obftination denbsp;Moniferrat, qui lui porta Ie coup de lancenbsp;plus terrible amp; Ie plus imprévu ; Pierrenbsp;recule deux pas, revient fjir fon adverfaite,'
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Ie frappe a 1’épaule gauche, emporte une partie de fon armure , amp; Ie fait tomber a terre;nbsp;dix Chevaliers eurent Ie même fort, Ie dernier crut étonner Pierre par un nouveau genrenbsp;de combat; il avoir mis fa lance en arrêt, ilnbsp;ne s’en fervit d’abord que pour écarter cellenbsp;de Pierre, après quoi, la jetant S dix pas, ilnbsp;voltige autour de Pierre , I’embrafle amp; cher-che a Penlever de deflus fon cheval : Pierre,nbsp;qui voit fon deflein, fe dégage, amp; prenant fonnbsp;adverfaire par un bras, il Ie précipite fous Ienbsp;ventre de fon cheval, qu'il retint par la bride , de crainte qu’avec fes pieds il ne froiflatnbsp;Ie Chevalier. Aucun autre n’ofa fe préfencer,nbsp;amp;, loiTque Pierre fe vit inaitre du champ denbsp;bataille, il leva la vifière de fon cafque, amp;nbsp;vint fe préfenter au Roi, qui fit crier par fonnbsp;héraut que Ie Chevalier des Clefs 1’emportoitnbsp;fur tous ceux qui avoient combattu; la Reine,nbsp;Maguelonne amp; routes les Dames Ie félicitèrent.
Le Roi avoir retenu a diner tous les Chevaliers ; il alia au devant de Pierre, lui pro-digua les éloges amp; les carefles, amp; ivhéfita pas de dire, devant toute l’afiemblée, qu’il n’a-voit jamais vu un Chevalier plus brave amp; plusnbsp;généreux : Ses rivaux furent les premiers anbsp;Pembraller; Lancelot, qu’il avoir blellë, amp;nbsp;que le Roi avoir mis entre les mains de fesnbsp;médecins, voulut le voir amp; lui marquer fonnbsp;admiration. Ces Chevaliers ne reflembloientnbsp;pas en tout a ceux de nos jours, qui mépri-fent ceux qui leur cèdent en mérite, amp; quinbsp;haïflent ceux qui les furpafient. Tout leur
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chagrin étoit d’ignoier ie veritable nom de leur vainqueur; Ie feu] qui eüt pu Ie reconnoitre , étoit Jacques de Provence; mais lanbsp;nonte d’avoir été vaincu par un homme quinbsp;^’avoit pas même daigné fe défendre, 1’hu-jnilia a tel point, qu'il n’attendit pas la fin dunbsp;1 ournoi.
CH A PITRE VI.
Projet hardt, imprudence de Pierre, fuite^ défefpoir d la Cour, conjeamp;ures des Courti-fans, recherches inutiles.
I-^ïs honneurs que Pierre recevoit, affli-geoient fon coeur; ils Ie tenoient éloigné de la 1‘rincefle; tons les yeux étoient trop fixés furnbsp;Ini, pour qu’il ofSt Palier voir en fecret. IInbsp;favoit combien il ell difficile d’échapper auxnbsp;regards des jaloux ; Cependant, comme, d lanbsp;Cour, l’évènement du jour fait oublier celuinbsp;de la veille, Pierre, après qu’on fe füt lalienbsp;de Ie voir amp; de parler de lui, avertit la Nour-rice, qui continua de Pintroduire dans Pap-Maguelonne , qui n’étoit pasnbsp;1 ^'npatiente de Ie voir en particulier;nbsp;Le n ejt qu’ils ne fe fuffent vuy^ rous lesnbsp;jours, a la Cour, maïs avec une contrainte plusnbsp;gênante que s’ils euflent été éloignés.nbsp;Maguelonne courut au devant de lui, amp; nenbsp;s’empêcher de Tembrafler; ce n’eft ni l’é-
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poux, nil’amant, que j’embrafle, dit-elle eri rougiflant, c’eft Ie Héros Ie plus brave, 1«nbsp;Chevalier Ie plus digne d’être aimé, que je ré-compenfe. Vous êtes tropgénéreufe, répondicnbsp;modeftement Pierre; il n’y a pas de Chevaliernbsp;qui n'en eüc fait autant, amp; qui ne ra’eüc vain-cu, peut-être, s’il eüt fu que vous 1’en ré-compenferiez ainfi. C’eft votre beauté amp; 1’in-térêt que vous preniez a moi, qui ont toutnbsp;fait. Si la gloire eft capable de grands efibrts,nbsp;que ne peut 1’amour uni a la gloire? Si j’eullenbsp;été v'aincu, vous auriez partagé la bonte denbsp;ma défaite, comme vous partagez 1’éclat denbsp;ma vicftoire : Cette idéé élevoit mon ame,nbsp;amp; je me lentois la force de réfifter a tons lesnbsp;Chevaliers réunis conüe moi; c’eft ü moi denbsp;vous remercier, amp; non a vous de me féliciter.
Avant Ie Tournoi, Ie Comte Jacques s’é-toit entretenu avec la Princefle ; elle lui avoit demandé adroitement des nouvelles du Comtenbsp;de Provence régnant, amp;, de propos en propos , fans qu’elle parut y prendre aucun in-térêt, elle 1’avoit queftionné fur fa familie. IInbsp;lui avoit appris que la mère de Pierre, depuisnbsp;'Ie départ de fon fils, étoit dans l’affliiftion ;nbsp;qu’on n’en avoit point entendu parler, amp;nbsp;qu’elle craignoit qu’il ne lui füt arrivé quel-qu’accident. La Princefle 1’avoit rafluré, en luinbsp;difant que Ie Chevalier dont il lui parloit,nbsp;avoir pafte par Naples, il y avoit environnbsp;deux mois, amp; qu’il devoit être aéluellemencnbsp;a Conftantinople, ou il fe propofoit d’aller ;nbsp;par ce menfon'ge adroit, elle avoit écarté les
Ibup-
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foup^ons qu’auroit pu former Ie Comte Jac-tjues-, elle raconta fidellement a Pierre ce que Ie Comte lui avoit dit de fes parens. II ennbsp;fut trés ~ affligé , amp; demanda permiffion ti lanbsp;Princefle d’alkt les confoler. Un coup de poi-gnard eüt produit un effet moins prompt lutnbsp;Ie ccEur de Maguelonne. Elle palit, vin torrent de larmes coula de fes yêux Quoi,nbsp;vous me quitteriez, s’écria-t-clle; ahl Pierre,
^a mort fuivra de prés votre départ. II eft bien jufte que vous alliez titer d’inquiétude unenbsp;mère alavmée ; maïs , que deviendrai-je ? quelnbsp;fera mon recours, fi mon père veut m’obli-ger a donnet ma main a quelque Prince ?nbsp;Vous favezque Ferrier de la Couronney af-pire ; votre viftoire 1’a éloigné pour un temps:nbsp;Dés qu’il vous faura parti, il fera publier denbsp;nouvelles joutes; il eft auffi heureux que fier,nbsp;ilgt; remportera Ie prix, il en prendra avan-tage pour folliciter mon père, amp; je ferai 1*nbsp;viétime de votre abfence. Non , Chevalier ,nbsp;vous ne partirez pas, ou vous foufirirez quenbsp;je vousaccompagne. Qui? vous! s’écria Pierre,nbsp;vous auriez afl'ez de confiance pour venir avecnbsp;ïnoi. Ah , divine Princefie, Ie facrifice quenbsp;vous me propofea mérite que j’oublie la terrenbsp;entiere, pour n'être qu’a vous : Eh bien , jenbsp;ne partuai point. Mais, ma mère! cette mèrenbsp;que j’amige, elle mourra done, amp; j’en ferainbsp;la caufe l Maguelonne s’artendrit, amp; prelTanbsp;Pierre de partir amp; de Pemmener avec lui.
Pierre étoit jeune amp; amoureux; la prudence ïi’eft pas toujoujs compagnc de la valeur, amp;
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Be l’eft prefque jamais de 1’amour; Pierre pouvoit revoir fa mère amp; ne pas fe féparernbsp;de fa rnaicreife; cette idéé lui parut charmantenbsp;amp; lui fit fermer les yeux fur les fuites qu’ellenbsp;pourroit avoir. II confentit a tout ce que vou-lut Maguelonne ; ils comptoient afl'ez fur leurnbsp;honnêteté mutuelle, pour n’avoir pas a crain-dre des remords; d’ailleurs, dès qu’ils auroientnbsp;quitté la Sicileamp; qu’ils fe feroient mis a couvert des recherches du Roi de Naples, ils fenbsp;propofoient de fe marier; ainfi, Maguelonnenbsp;fuivoit un époux. Ils réfléchirent fur ce pro-jet, firent tous leurs arrangemens, fixèrencnbsp;leur départ a la nnit fuivante : Pierre fe char-gea de s’alliirer des rooyens de n’être pointnbsp;découverts. II fut réfolu qu’il fe trouveroit,nbsp;avec des chevaux, a la porte du jardin quinbsp;donnoit dansla campagne; amp; quand tous cesnbsp;piréparatifs furent fairs, Pierre renouvela fonnbsp;ferment de n’avoir jamais d’autre époufe, amp;nbsp;de la refpeéler, jufqu’a ce moment, comme fanbsp;foeur. Ils fe féparèrent; amp; Nicé , qui ne fa-voit rien de ce projec, accompagna Pierrenbsp;jufqu’è. la porte du jardin.
Pierre ne manqua pas de fe trouver au ren-dez-vous, avec trois chevaux chargés de pro-vilions, afin d’éviter les hótelleries; Maguelonne s'étoit pourvue de fes bijoux amp; de tout ce qui lui appartenoit; ils montent a cheval,nbsp;amp; s’élo'gnent du palais du Roi dans Ie plusnbsp;grand filence. Maguelonne roarchoit a cóté denbsp;Ibn amanr, un des domeftiques de Pierre mar-choit en avant, amp;: les deux autres failbient
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1’arrière-garde. Dès que Ie jour parut, ils ga-gnèrent un bois épais, qui donnoit fur la mer, pour n’être point vus. Ils defcendirent, alors ^nbsp;de leurs chevaux, amp; s’affirent fur 1’hetbe. Ma-guelonne, que l’atnour amp; la crainte ayoientnbsp;foutenue pendant la route, fe trouva fatiguee;nbsp;lorfqu’elle fut affife fur 1’herbe, elle appuyanbsp;fa tête fur les genoux de Pierre, dont un*nbsp;nrain foutenoit Ie beau vifage de Maguelonne *
amp; 1’autre foulevoit un voile pour Ie garantir de la rofée qui tomboit des feuilles. Brifernbsp;des cafques , rompre des lances, culbuter desnbsp;Chevaliers , demandent un grand courage;nbsp;mais, être jeune , amouieux, tenir dans fesnbsp;bras, au fond d’un bois, une maitrefle dontnbsp;on eft aimé , réfifter aux délirs qu’elle excite ,
amp; dont on fait bien qu’elle pardonneroit les téinéraires effets, eft un effort dont peu denbsp;Chevaliers feroienr capables. Pierre Ie fut , amp;nbsp;Maguelonne s’endormit dans la plus grandenbsp;fécuriié.
Cependant, la Nourrice étant entree dans la chambre de la Princeffe, amp; ne la trouvantnbsp;point, fut fort alarmée; elle courut ckez Pierre; on lui dit qu’il étoit parti dans la nuit;
, alors, fe changèrent en certitude; Pon amitié pour Maguelonne, la crainte qu on ne fut la part qu’elle avoit dans cettenbsp;intrigue 5 la jetèrent dans Ie plus aSieux dé-fefpoir ; Elle diffimula les caufes de fa dou-leur, amp; courut chez la Reine; elle lui deman-da, du ton Ie plus naïf, fi elle n’avoit paisnbsp;Uit appeler fa fille, pour lui donner quelque«
52 Hiftoire de Pierre de Provence,
ordres particuliers; la Reine ayant répondu qu’elle ne 1'avoit pas vue, Nice témoigna fonnbsp;inquiétude; on la chercha inutilement; Ie Roinbsp;cft bientót informé qu’on ne crouve point lanbsp;Princeffe. Cet événement, donr on ne con-noifloit point d’exemple dans les faftes dunbsp;Royaume , pafle de bouche en bouche ; lesnbsp;courcifans n’ofent en parler, les femmes ennbsp;paroiflént affligées, amp; en font mille contes ennbsp;particulier. Perfonne n’avoit encore jeté lesnbsp;yeux fur Pierre; un Chevalier, qui avoit éténbsp;chez lui, Ie matin, amp; a qui on avoit répondunbsp;qu'il étoit parti, dans la nuit, vint en fairenbsp;part au Roi. .11 aflembla fon Confeil; amp; ilnbsp;fut décidé que Ie Chevalier des Clefs étoit unnbsp;infème ravifl'eur; qu’il n’avoit caché fon nom,nbsp;qu’afin d’exécuter avec plus de fureté fa cou-pable entreprife; que c’étoit par des preftjgesnbsp;diaboliques qu’il avoit féduit la Princefle, amp;nbsp;vaincu les Chevaliers; qu’il falloit Ie pour-fuivre, St mettre fa tête a prix. Le Roi or-donna a tous les Chevaliers du Royaume denbsp;s’armer amp; de prendre avec eux des troupes;nbsp;al promit la main de fa fille amp; la moitié denbsp;fon Royaume a celui qui le lui rameneroit,nbsp;amp; jura de le livrer a des fupplices qui eifraye-roient les plus téméraires.
Dés le jour même, tour ell en armes dans Naples.; chaque Chevalier, conduifant unenbsp;troupe de cinq cents hommes, prend un cha»nbsp;min différent; il ne réftoit a la Cour que quel-ques favoris, amp; les Dames ,pour,confoler le Roinbsp;86 la. Reine, qui étoient plongés dans la plus
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amp; de la helle Maguelonne.
gtande défolation. La pauvre Nicé étoic route tremblante. Voili comme ils font tous, di-foit-eUe, les perfides! Ils fe font fait, devancnbsp;Woi, les fermens les plus facrés, qu’ils ne blel-^sroient jamais les lois de i’honnêteté; la Prin-m’a juré qu’elle ne m’expoferoic jamaisnbsp;SU inoindre reproche ; je ne me fuis détermi-*^ée a protéger fes feux que fur fes promefl'es;nbsp;amp;ils partent, en fe cachant de moi; ils m’a-tandonnent a tous les roup9ons que Ie Roinbsp;peut que former centre raoi. Les ingrats!nbsp;Nicé étoit plongée dans ces reflexions, lorf-qu’elle re9ut ordre de venir parler au Roi;nbsp;elle fe crut perdue; elle eflt défiré que la terrenbsp;fe ffic ouverte pour Pengloutir; elle arrive,nbsp;déguifant fon trouble du mieux qu’elle peur.nbsp;Nicé , lui dit Ie Roi, il eft impoflible quenbsp;vous ne fachiez quelque chofe de 1’intelli-gence du Chevalier des Clefs avec ma fille :nbsp;Ah , Sire, dit-elle, en tombant a lés genoux,nbsp;je ne fuis pas moins afiiigée que Votre Ma-jefté, du départ de la Princeflé; tout Ie mondenbsp;fait combien je lui fuis attachée : Eft-il croya-ble que, fi j’avois fu fon projet, je 1’euflenbsp;laiflé partir avec un inconnu? Punifléz-moinbsp;dp plus cruels fupplices, fi je fuis coupable.
1 1 etois aflez criminelle pour avoir trempé dans eet odieux complot, aurois-je été afléznbsp;mal avilee pou^ pag partir avec eux , amp;nbsp;pour attendre, en paix, la punition de monnbsp;crime? Ces raifons, amp; les larmes de Nice, pa-rurenc convaincantes au Roi, qui ne 1’inier-rogea plus,
54 Hifloire de Pierre de Provence,
La Reine faifoic retentir fon appartemeat de fes cris; quand Ie Roi entreprenoit de lanbsp;eonfoler, il s’affligeoit plus qu’elle ; on n’o-foit prononcer, devant euxj Ie nom de Ma-guelonne; Ie feul mot de Chevalier les faifoitnbsp;entrer en fureur: Mais quelle fut leur dou-leur, lorfque ceux, qu’on avoit mis a leurnbsp;fuite , revinrent les uns après les autres, fansnbsp;avoir rien trouvé ! Qaelques politiques quinbsp;n’avoient pas couru fur les traces du ravif-feur, amp; qui avoient fait de longues fpécu-lations au coin de leur feu, décidèrent quenbsp;Ie Chevalier des Clefs ne pouvoit être qu’unnbsp;Prince Maure, artendu que, depuis peu, quel-ques vaifleaux avoient paru fur les cótes denbsp;la Sicile : Auffi-tót ce bruit fe répandit; amp;,nbsp;dès Ie lendemain, on raconta qu’une troupenbsp;de ces fidelles avoit fait un énorme déglt furnbsp;les cótes; huit jours après, on neparloit quenbsp;de filles violées, de femmes enlevées a leursnbsp;maris, de Couvens profanés. Le Roi fut in-formé de ces bruits : La douleur eft crédu-le ; il envoya des troupes qui ne trouvèrencnbsp;perfonne, amp; qui firent tout le mal qu’on difoitnbsp;que les Sarrafins avoient fait.
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Retenue gue tout Ie monde n’approuvera pas, ehajfe fanefte; efclavage, tentaüon danp,e-reufe; confplration dijjipée; dépan de 1 ler-re, nouveau malheur qu'il lui eüt éte aijenbsp;de prévoir.
ANDis qu’a la Cour de Naples, on fai-foit les conjeftures les plus abfurdes fur Ie dé-.parc des deux amans, Ie ciel préparoit a leur imprudence des peines cruelles. Nous les avonsnbsp;laiii’és dans Ie bols, fe repol'ant de leiirs fatigues. Maguelonne, la tête appuyée fur lesnbsp;genoux de Pierre, fe livroit au fommeil, lesnbsp;Ibnges du matin enflam.moient fon imagination amp; la rendoient plus belle encore. Sonnbsp;vifage , k demi penché fur Ie bras de fonnbsp;amant, éclatoit des couleurs les plus vives;nbsp;Ie zéphyr, qui faifoit voltiger fon voile , amp;nbsp;qui la rafraichiCToit, découvrit auxyeux avi-«ies de Pierre un fein dont la blancheur éblouif-fante relevoit la beauté de fon teint. Pierrenbsp;rnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;embrafé foupiroit;
a Douche, qui fe coloit, de temps en temps, lur une des mains de Maguelonne, attirée parnbsp;fa bouche entr’ouverte, fit mille fois la moir-tié du chemin, pour cueillir les baifers qu’ellenbsp;fembloit luioffrir, amp;, mille fois, la craintenbsp;Ie refped des fermens 1’arrêtèrent. Ah,»
56 Hijloire de Pierre de Provence,
Pierre! Pierre, que tu vas payer cher ta fa-nefte fagefle!
II aper?iit auprês lt;ïe Maguelonne, une petite boite d’un bois precieux; il voulut favoir ce qu’elle renfermoit. Ah, Pierre! étoit-cenbsp;ia Ie genre de curiofité que vous deviez avoir?nbsp;11 Pouvre, amp; y retrouve les trois anneaux denbsp;fa mère,qu’il lui avoic donnés; Maguelonnenbsp;les gardoit comme un gage précieux de 1’a-mour de Pierre; il referme la boite, la meenbsp;h cóté de lui, amp; fe replonge dans Ia contemplation. iWais, tandis qu’il fe livre a fes ré-flexions, un oifeau de proies’élance fur la botte , Penlève amp; s’enfuit; Pierre Ie fuit desnbsp;yeux y il prévoit Ie regret que Maguelonnenbsp;aura de cette perte ; il détache fon manteau ,nbsp;amp;, Ie plus doucement qu’il peut, il Ie met furnbsp;Ia tête de fon amante, s’arme d'une ftonde, ef-faye d’abattre l’oifeau a coups de pierre; fesnbsp;efforts font inutiles; l’oifeau va fe percher furnbsp;un rocher entouré d’eau; Pierre 1’atteint, fansnbsp;Ie bieder; l’oifeau s’envole amp; laiffe tombep lanbsp;boite dans la mer.
Quoiqu’il vit dotter la boite aliez prés du livage, Pierre ne pouvoity aller fans bateau,nbsp;amp;, malheureufement, il ne favoit pas nager;nbsp;c’étoit Ie feul exercice que fon père ne luinbsp;eüt pas fait apprendre. II cherche de tous cótésnbsp;Je moyen de ravoir fa boite; il ne s’en offrenbsp;d’autre, qu’une barque de pêcheur abandonnée;nbsp;II y entre, amp;, au moyen de deux longuesnbsp;perches, qu’il coupe fur une faule, amp; qui luinbsp;fervent de rames, il la conduit; elle alia plus
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loin qu’ü ne vouloit, amp; Ie vent 1’éloigoa du rivage: Pierre fit les plus grands eftorts poui'nbsp;Ie regagner •, il eut beau lutter contre Ie ventnbsp;amp; les fiots, il fut entrainé, amp; fa barque, quinbsp;étoit vieille amp; ufée, recevoit l’eau de routesnbsp;parts •, grand Diens’écria-t-il, fi tu veux inanbsp;mort, ramène-moi prés de Magueloni^, 'nbsp;fais-moi mourir a fes pieds. Qüoil c’eft inoinbsp;qui l’ai amenée, qui 1’ai arrachée a la mauoiinbsp;paternelle, amp; je la laifie feule, dans un bois,nbsp;a la merci des hommes amp; des animaux. Mourirnbsp;n’eft rien; mais mourir avec Ie regret d’etrenbsp;la caufe de fes malheurs , c’eft un fupplicenbsp;infupportable. A ces mots, il étoit prét anbsp;s’élancer dans la raer. Une feule reflexion 1’ar-rêce : Pourquoi courir au devant d’un trépas,nbsp;queje ne puis éviter? II faut, dit-il, que jenbsp;Ie fouffre avec toutes les angoiffes; heureuxnbsp;fi, par ces fouffrances, je pouvois expier monnbsp;crime l O Maguelonne! que diras-tu , lorfquenbsp;tu t’éveilleras ? Tu n’auras que trop de raifonsnbsp;de me croire perfide. Celui qui eft aftez lachenbsp;pour foufffir que tu quittes tes parens, amp; quenbsp;tu 1’accompagnes, dolt 1’être alïez pour t’a-bandonner, pour te conduite au fond des boisnbsp;amp; t’y laifler périr. Voila ce que tu dois penfer.-Mais, fi tu réfiéchis que j’ai gardé, avec toi,nbsp;1 honneteré que je t’avois promife, fi tu faisnbsp;attention au facrifice méme que je t’ai faitnbsp;de mon amour, tu ne dois que te plaindre amp;nbsp;accufer Ie fort- O ciel'. je n'e la verrai donenbsp;plus? Les pérüs qui m’environnent, la mortnbsp;cft moins cruelle que cette affreufe idéel
mjloire de Pierre de Provence,
Cependant, les flots poulibient la barque, amp; Pierre, au milieu de ces réflexions déchi-rantes, fe trouve en pleine mer, lorfqu’ilnbsp;aper9oit un Na vire qui vpguoit vers lui i pleinesnbsp;voiles; Pefpoir Ie ranime ; il tend les bras amp;nbsp;demande du fecours; la chaloupe, qui fe dé-tache , vient a lui; il y defcend ; il demandenbsp;qu’on Ie ramène au rivage, on Ie conduit aiinbsp;vaifleau ; il étoit monté par des Corfaires Mau-res, qui fe félicitent de leur prife : Sa beauté,nbsp;la chaine que Maguelonne lui avoit donnéenbsp;amp; qu’il portoit a fon cou, fes manières doucesnbsp;amp; polies, fon 'affliétion qui Ie rendoit plusnbsp;intéreflant, adoucirent leur férocité naturelle,nbsp;ils réfolurent de Ie réferver pour Ie Sultan \nbsp;il les fupplia vainement de Ie ramener versnbsp;Maguelonne , les Maures furent infenfibles ènbsp;fes prières; déji Pierre n’apercevoit prefquenbsp;plus Ie bois oü il la laiflbit; lorfqiril Peutnbsp;entièrement perdu de vue , il crut avoir perdunbsp;Ie jour.
Le vaifleau vogua vers Alexandrie. Si Pierre eut pu être fenfible a quelqu’autre chofe qu’aunbsp;fouvenir amp; a la perre de Maguelonne , il eütnbsp;été touché des égards que les Corfaires eurentnbsp;pour lui. Lorfqu’ils furent arrivés, on le pré-fenta au Soudan, qui fut frappé de la nobleflenbsp;amp; de la majefté de fon efclave ; il le deftinanbsp;a le fervir. II lui demanda qui il étoit, amp;nbsp;de quel pays. Pierre lui avoua qu’il étoit Chevalier, mais que ce 'n’étoit ni fa naiflance,nbsp;ni fa fortune qui lui avoient procuré eet hon-neur, amp; qu’il ne le devoit qu’a lui-meme j
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il ofFrit au Sultan de Ie fervir dans fes guerres ¦, toutes les fois qu’il ne. faudroit pas combattrenbsp;contra des Chrétiens. Quoique Ie Sultan futnbsp;un des plus rigides obfetvateurs de la loi denbsp;Mahomet, il ne trouva pas mauvais que Pietrenbsp;füt attaché a fa Religion ; il fe contenta denbsp;Ie plaindre amp; nc 1’en eftima pas moins. II s’at-tacha i Pierre, maigré la diverlité de leursnbsp;opinions, amp; il fe perfuada qu’un homme quenbsp;Phorreur d’un efclavage, Telpérance de la li-berté , Ie défir de parvenir a des dignités, n’é-toient point en état de faire changer de Religion , ne pouvoit ètre qu’un efclave fidelle ,nbsp;un homme attaché a fes devoirs; il 1'aima,nbsp;il en fit fon homme de confiance , amp; tien nenbsp;fe faifoit, dans 1’Etat, que Ie Sultan ne l’ewtnbsp;confulté. Pierre, en moins d’un an, eut ap-pris Ie Grec amp;, 1’Arabe.
L’unique but de Pierre étoit d’obtenir fa liberté , amp;, de retourner en Italië pour cher-cher Maguelonne, fi Ie Ciel 1’avoit confervée:nbsp;Quelquetbis, il fe perfuadoit qu’elle feroit re-tournée chez fon père , amp; cette idéé Ie tran-quiliifoit un peu ; celle qui 1’affligeoit davan-tage, c’étoit d’imaginer qu’elle Ie trouvoitnbsp;infidelle, amp; qu’elle donneroit fon cceur amp; fanbsp;“’^.^'¦'^’^^-Q^’cllevive, s’écrioit-il alors,nbsp;i'- beureufe, amp; j’y renonce a ce prix.
1 j nbsp;nbsp;nbsp;Pierre ne permettoit pas au
Sultan de Pelever a aucune digniié. Si Pierre edt voulu embraflèr leMahotnétifme, Ie Sultannbsp;luioffroitde Ie faire fon premier Viür, amp; de luinbsp;donnet fa fille: Rien ne fut en état de l’ébian-
6o Hiftoire de Pierre de Provence,
ler;il confia mêmeèfon maitrequ’ilétoictnarié a Naples; alors, Ie Sultan lui propofa de fairenbsp;venir fon époufe, amp; de la garder avec fa fille.nbsp;Pierre lui dit que, felon la Religion qu’il pro-feflbit, il ne lui étoit pas permis d’avoir deuxnbsp;femmes, amp; que, quand même elle Ie lui per-mertroit, il ne fe croiroit pas exempt du crime. Car, difoit-il, notre coeur n’étant pas ca-jiable d’aimer deux, ou plulleurs objets, ilnbsp;faut, ou n’en aimer aucun, amp; ufer des femmes com me des animaux, pour fatisfaire unenbsp;paflion brutale amp; purement fenfuelle; ou, linbsp;j’en aime une, il faut que je trompe lesautres,nbsp;amp; je crois que, dans aucun cas, il n’eft permis de tromper perfonne. Si j’acceptois la pro-pofition que vous daignez faire a votre éf-clave, cette époufe, a laquel^e on m’a en-levé, confentiroit, ou ne voudroit pas que jenbsp;partageafle ma tendrefle avec une rivale. Si ellenbsp;y confentoit, j’auroislieu de croire qu’elle m'ai-rneroit foiblement; amp;, fi elle Ie refufoit, je fe-rois une injuftice, en lui enlevant un bien,nbsp;qu’elle a ache té par Ie don irrevocable de fa foi.
Le Sultan , qui croyoit que Dieu feul efl Ie maitre de changer les confciences, fe con-lentoit de dire ; „ Get efclave a des princi-„ pes finguliers! II fe privé de grands plaifirsnbsp;,, dans ce monde, amp; renonce a de plus grandsnbsp;,, dans le paradis du Prophéte : Après tout,nbsp;„ c'eft tant pis pour lui; amp;, que m’importenbsp;,, qu’il fe croye plus heureux avec une feulenbsp;„ femme , dont il efl: abfent, que je ne le flusnbsp;„ avec cinquante , dont je puis changer tous
1
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«les jours? Qu’ont de commun mes plaifirs « avec fa fantaifie ? II me donne de bons con-« feils, profitons-en.
Ainfi ïaifonnoit ce Prince infidelle, amp; ce-pendant, Pierre changeoit la face de 1’Etat. Les finances, qui, auparavant, palToient, denbsp;mains en mains, jufqu’aux coifres de quel-q^ues publicains, qui en verfoient un tiers dansnbsp;les coffres du Sultan, lui venoient direétemencnbsp;dans leur totalité. Les tributs des Provincesnbsp;ne furent plus affermés; chacun favoic cenbsp;qu'elle avoit a payer; elles faifoient elles-raêmes la répartition de la taxe; un feulnbsp;receveur raflembloit les taxes particulières;nbsp;elles étoient envoyées a un tréforier-général,nbsp;qui en donnoit 1’état au Souverain. Les tributs furent diminués de moitié, amp; Ie tréfornbsp;gagna Ie double, par l’épargne des frais denbsp;régie. Pierre, k la vérité, n’avoit pas 1’hon-neur de 1’invention de ce plan; il avoit éténbsp;propofé mille fois; mais il y avoir une linbsp;grande quantité de perfonnes intéreflees è Ienbsp;faire échouer, qu’on 1’avoit regardé, juf-qu’alors, comme une chimère. Ce changementnbsp;produific^ un autre effet, auquel on n’avoitnbsp;pas penfé; c’eflr que tous ceux qui avoientnbsp;quitt la charrue, amp; les travaux pénibles denbsp;q'^i avoient abandonnénbsp;Ie pr rons utiles amp; laborieufes de leursnbsp;peres, pour etre employés a la perception,nbsp;peu fatigante, amp; lucrative, des tributs, repri-rent les occupations pour lefquelles ils étoientnbsp;nés, amp; Tagriculture amp; Ie commerce doublé-
-ocr page 78-€2 Hifioire de Pierre de Provence, rent la richefle des particuliers amp; da So«-verain.
Le Sultan eüt bien défiré fixer Fierre dans fes Etats; il n’avoit qu’a le retenir dansnbsp;l’efdavage; mais il étoit jufte, amp;, après lesnbsp;fervices que ce Chrétien lui avoit rendus, ilnbsp;n’eüt ofé lui refufer la liberté qu’il lui avoitnbsp;promife pour récoinpenfe : II crut qu’il ynbsp;réufilroit mieux en 1’engageant d’abjurer fanbsp;Religion ; II le mit entre les mains d’unnbsp;Dervis, a vee ordre, cependant, de ne pasnbsp;1’inquiéter : Le Dervis l’inquiéta beaucoup,nbsp;le traita comme un vil efclavegt; amp; n’obtintnbsp;rien. Ce moyen n’ayant pas réuffi, le Sultannbsp;en imagina un plus doux. II choifit parmi fesnbsp;Odaliques une Babylonienne, qui reflembloit,nbsp;autanc qu’il étoit poifible,, au portrait quenbsp;Pierre lui avoit fait de Maguelonne. II luinbsp;donna 1’habit d'un jeune Ichoglan, amp; 1'en-voya, un matin, chez Pierre, après 1’avoirnbsp;inftruit du róle qu’elle devoit jouer.
A peine eur-elle fignifié a Pierre 1’ordre dont elle étoit chargée, que, frappé du fonnbsp;de fa voix, il fe fentit ému jufqu’au fondnbsp;de l’ajne. Jeune-homme, lui dit-il, vous étesnbsp;étranger; il faut que vous ayez été pris biennbsp;jeune: Quel eft votre pays? Babylone, ré-pondit le faux Ichoglan: Quels étoient vosnbsp;parens ? —Je n'ai connuquema mère , qui futnbsp;prife par des corfaires amp; amenée en ces lieuxnbsp;avec moi, qui n’avois que huit ans. Jufque-la, tout étoit vrai. Pierre lui demanda s’ilnbsp;«e feroit pas bien aife de revoir fon pays, amp;
-ocr page 79-d’obtenir fa liberté : Mon pays ? reprit Ie faux Page, a peine Ie connois-je. Ma liberté ? jenbsp;fets un li bon maitre, que je ferois faché denbsp;n’être point efclave : Ne croyez pas que jenbsp;iiel’aime, cette liberté, dont vouspariez ; jenbsp;Pai toujours confervée jufque dans Ie Serrail;nbsp;niais, hélas l Seigneur Chevalier, c’eft vousnbsp;qui me l’enlevEz. — Moi ? Que voulez-vousnbsp;dire? je ne vous queftionnois que pour vousnbsp;la procurer, li vous Paviez déürée ? Le jeunenbsp;Page poufia un profond foupir , fe jeta aux ge-noux de Pierre, amp; conünua ainli; J’ai toujoursnbsp;regard# Pabus qu’on fait ici de la beauté, com-me un des effets les plus odieux de la tyrannic,
amp; les complaifances des femmes pour leurs mai-tres, comme ce qu’il y a de plushonieux dans 1’efclavage : Jugez-en vous-raême, en décou-vrant le plus beau fein du monde, puifqu’avecnbsp;tous les avantages dont j’aurois ,pu jouir aunbsp;Serrail, j’aimieuxaimé déguifer mon fexe, quenbsp;de fervir aux caprices d’un .maitre, avanc denbsp;favoir li je l’aimerois. Pierre fit relever cettenbsp;jeune beauté; fareflemblance avec Maguelon-ne, fon courage, fes grices, 1’avoient mis horsnbsp;de lui-même. Du moment que je vous ai vu ,nbsp;dit 1’Odaiique, je me fuis félicitée de monnbsp;deguifement; j'ai foUicicé 1’ordre du Sultan;nbsp;je ne lais quel penchant fecret m’a déterminénbsp;a vous dire mon fecret •. Maïs je fens que linbsp;quelqu un peut me faire perdre ce genre denbsp;liberté, que j’ai confervée avec tant de foin ,nbsp;ce n’eft pas le Sultan. Pierre étoit dans lenbsp;plus grand embarras, les charmes de la jeune
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Odalique agifibient vivement fur fes fens, amp; fon c£Eur, qui s’atrendriübit, balan^oit déjanbsp;entre la jeune efdave amp; Maguelonne.
C’eft une loi facrée, dans la Religion Mu-fulmane, qu’un Chrétien, furpris dans les bras d’une femme qui fuit la loi de Mahomet, en-coure la peine de mort, s’il ne change denbsp;Religion, amp; s’il n’ép'oufe la Mahomécane. Lenbsp;Sultan favoit qu'il pouvoit faire gramp;ce a Pierre; il ne vouloit que le rendre amoureux denbsp;1'Odalique, le forcer a 1’époufer par la craintenbsp;de la mort, amp; le fouftraire i la loi s’il s’obfti-noit a refuftr.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;*
Lepiége étoit gliflant; POdalique avoir un air de rellemblance avec Maguelonne, excepténbsp;qu’elle étoit plus jeune amp; plus fraiche encore.nbsp;Elle vit Pierre s’ébranler, amp;, pour ache ver fanbsp;défaite, 1’Odalique continua ainli ; Seigneurnbsp;Chevalier, ma plus grande crainte eft que lenbsp;Sultan ne découvre quel eft mon fexe, je nenbsp;fais même fi ce n’eft pas par un fecret preflenti-ment qu’il femble me préférer a tous les Icho-glans; fes careflés, fes attentions me fontnbsp;frémir. Que deviendrai-je, fi jamais il pénètrenbsp;mon fecret? Déterminée a ne point céder anxnbsp;tranfports de mon maitre, il aura un doublenbsp;motif de fe venger, la réfiftance amp; l’hurni-liation d’avoir été trompé : Ah ! généreuxnbsp;Franpois, vous pouvez feul me délivrer desnbsp;dangers qui m’environnent. On dit que lesnbsp;Chevaliers jurent de défendre 1’innocence, amp;nbsp;qu'ils fe dévouent, furrout, au fervice desnbsp;belles; je vous conjure done, par les ferraens
-ocr page 81-que vous avez fairs, de me prendre fous votre proteftion ; quelle que foit la récompenfe quenbsp;vous en exigiez, foyez afluré de 1’obtenir.nbsp;Pierre promic de la fecourir dès qu’il auroitnbsp;obtenu la iiberté, amp; de 1’amener en France.nbsp;L’efclave alloit fe jerer a fes pieds, il la re-tint; bientót, devenant moins timide, ellenbsp;l’embrafle, Ie feu circule dans les veines denbsp;Pierre, il fe connoit a peine; fon coeur pal-pite, fes genoux tremblent, fes yeux étin-cèlent, Maguelonne étoit prefque oubliée,nbsp;lorfque la Babylonienne eflaya Ie derniernbsp;moyen ; elle étoit aux pieds d'une pile denbsp;carreaux : Ah! Seigneur, s’écria-t-elle, nousnbsp;fommes perdus; je crois entendre Rufl'an, Ienbsp;chef des eunuques du Sultan; il a des doutes;nbsp;s’il étoit éclairci____ Ciel____ fauvez-moi.
Pierre faifit Ie poignard de la belle efclave, court a la porte de fa chambre, bien réfolunbsp;d’en défendre 1’entrée, au peril de fes jours;nbsp;mais il n’aper^oit rien; il revient fur fes pas,nbsp;pour calmer les alarmes de la Babylonienne,nbsp;il la trouve évanouie, amp; dans la fituationnbsp;la plus intéreflante. Pierre étoit la franchifenbsp;mêtne ; il ne fe doutoit pas qu’une femmenbsp;pilt employer l’artifice; il fit beaucoupnbsp;. Snorts pour la faire revenir, amp; manqua tou-jours les feuls efficaces dans ces occafions.nbsp;Pierre dans la plus grande inquiétude;nbsp;il prefloit fes mains, lui faifoit refpirer lanbsp;quinteffence de rofe, en frottoit fes tempes;nbsp;l'efclave paroiflbit plus infenfible que jamais.nbsp;Il avoit découvert fon fein pour la rafraichir,
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il Ie recouvre, replace Ie poignard a fon cóté, amp; court, d grands pas, appeler du fecours,nbsp;C’efl: dans ce moment que 1'inexpérience denbsp;Pierre penfa produire un évanouiflement réel;nbsp;un efclave arrive; mon ami, lui dit Pierre,nbsp;ce jeune Ichoglan eft venu m’apporter un ordrenbsp;du Sultan, il vient de s’évanouir , aide-moinbsp;k Ie foulager; la Babylonienne ouvrit, alors,nbsp;les yeux, dit qu’elle fentoit revenir fes forces, amp; qu’elle n’avoit plus befoin de fecours;nbsp;elle fe leva de deffus les carreaux , regardanbsp;Pierre d’un oeil de dédain, amp; fe fit accom-pagner par 1’efclave; elle rejoignit Ie Sultan,nbsp;qui avoit refté, pendant tout Ie temps, afieanbsp;prés de 1’appartement de Pierre, pour Ie fur-prendre , fi Ie ftratagème etit réufli jufqu’a unnbsp;certain point. Les trois principaux aéteurs denbsp;cette fcène demeurèrent également confternés,nbsp;quoique, par des motifs différens. Le Sultan,nbsp;d’avoir échoué; la jeune Efclave, d’avoir employé des armes qui s’étoient tournées contrenbsp;clle-même; amp; Pierre, de n’avoir pas fu que,nbsp;dans certaines occafions, lorfqu’une femme fenbsp;trouve mal, la piété eft la plus cruelle des mal-adrelTes.
Le Sultan, voyant qu’aucun moyen ne réufiiffoit, fe détermina a remplir la parolenbsp;qu’il avoit donnée a Pierre , lorfqu’il 1’exi-geroit. Celui-ci n’attendoit qu’une occafion,nbsp;elle s’offrit bientót. Un des Généraux que lenbsp;Sultan avoit envoyés fur la frontière pour ap-paifer quelques troubles, avoit abufé de lanbsp;iconfiance de fon maitre, amp; s’étoit mis a la
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tete des révoltés. Ils prenoient pour prétexte la confiance aveugle que Ie Sultan avoit pournbsp;Pierre. Un Chrétien, difoient-ils, un éfcla-ve, gouverne 1’Etat; 1’abondance dont il nousnbsp;fait jouir, la paix qu’il fait régner, font desnbsp;préfens funeftes, qui entraineront fa ruine; lesnbsp;liens du ilefpotifme fe relachenc peu a peu;nbsp;1’aviliflante égalité commence a s’établir dansnbsp;certains ordres, amp; notre Monarque reflemblenbsp;plutóc A un père de familie qui fe fait unenbsp;affaire des moindres détails de fa maifon ,nbsp;qu’a un Souverain abfolu, qui, d’un coupnbsp;d’ceil, fait trembler fes courtifans amp; fes el-claves. Ces plaintes é toient appuyées, a la Cour ,nbsp;par Ie Mufti, qui, pour la gloire de Mahomet , amp; pour Ie bonheur de hEmpire, avoitnbsp;projeté de mettre Ie feu aux quatre coinsnbsp;de la Ville, de faire égorger Ie Sultan pendant Ie tumuite, empaler Pierre, amp; faire pro-¦clamer Ie Général, chef des rebelles, qui fenbsp;feroit trouvé aux portes d’Alexandi'ie a lanbsp;,tête d’un nombreux parri.
La conjuration étoit prête d’éclater. Le peuple, excite par quelques Dervis, qui n’é-xoient point du fecret, étoit effrayé de lanbsp;colère du Prophéte. II avoit apparu au Mufti , faifanc étinceler dans les airs une épéenbsp;flamboyante, ayant a fes cótés les Anges Mun-Jcer amp; Mïikis, ces miniftres de fa colère, dontnbsp;l’afpeét amp; la voix font auffi terribles que lenbsp;tonnerre, armés de ces foudres épouvantablesnbsp;de fer amp; de feu dont ils tourmentent les ré-prouvés dans leurs tombeaux. A mefure que
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ces impoftures paflbienc de bouche en bouche, elles devenoient plus effrayantes par les cir-conftances que chacun y ajoutoit; mals Ie fa-natifme avoir difpoPé les efprits, de manièrenbsp;qu’a la voix du Mufci, Ie peuple fe feroic porcénbsp;a tous les excès qu’on auroit voulu lui fairenbsp;coramettre.
Le hafard fit qu’un efdave fran9ois du Mufti, a detni-ivre, s’étoit introduit furtivement dans la Mofquée, pendant la prière, amp; s’étoitnbsp;endormi derrière un pilier. Quand la prièrenbsp;fut faire, 1’Iman fit retirer tout le monde,nbsp;il ne reftoit qu’une vingtaine de conjurés; ilnbsp;leur dit que le Général étoit dans Alexan-drie, que fes troupes étoient difperfées dansnbsp;les bois voifins, amp; qu’il n’y avoir plus unnbsp;moment è perdre; il leur diftribua un poi-gnard amp; une torche a chacun; il leur affignanbsp;les quartiers qu’ils devoient embrafer; ils pouf-fèrent des cris de fureur. L’efclave fran9ois,nbsp;qui s’étoit éveillé, frémit du danger qui 1’en-vironnoit; les vapeurs du vin fe dilfipèrent,nbsp;amp; ne lui laiflèrent voir que 1’horreur de fanbsp;fituation. II eüt voulu que Ia terre l’eüt cachenbsp;dans fes entrailles. C’étoit le lendemain, dansnbsp;la nuit, que la révolution devoir fe faire;nbsp;la dernière afi'emblée étoit alfignée a la mèmenbsp;heure; le Mufti devoir s’y trouver amp; leurnbsp;donner fes derniers ordres; mais,jufqu’a cenbsp;moment, 1’Iinan enjoignit aux conjurés de gar-der le plus profond filence, amp; de poignardernbsp;quiconque pourroit leur paroitre fufped:, ounbsp;avoir quelque connoiflauce de la confpiration,
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fans épai-gner ni fon père, ni fon ami; alors, chacun appuyant la pointe de fon poignardnbsp;fut la poitrine de fon voifin, fit Ie ferment Ienbsp;plus terrible.
II y avoir plufieurs efclaves parmi les conjures; c’étoient ceux des principaux Officiers amp; Miniftres de la Cour, auxquels on favoitnbsp;que leurs maitres avoient donnétoute leur con-fiance. Quand l’aflemblée fut finie, on eut foinnbsp;d’éteindre routes les lampes, amp; on fit fortirnbsp;les conjurés, dans 1’obfcurité, par une portenbsp;dérobée; l’elblave frangois fe mêla dans la foule ,nbsp;en tremblanc , amp; fortit fans être reconnu.
II courut a Pierre, amp; lui raconta tout ce qu'il avoir vu. Pierre lui recommanda Ie plusnbsp;grand fecrer, amp; lui promit de lui faire obtenirnbsp;la liberté. Le Sultan avoit connoiflance de lanbsp;révolte de fon Général; mais les prétextesnbsp;dpnt il la coloroit, lui étoient inconnus, Onnbsp;avoit agité, la veille, au Divan, d’envoyernbsp;des troupes centre les rébelles; ce projet avoitnbsp;été fufpendu par le Vifir amp; par quelques au-tres membres du Divan. Pierre alia chez lenbsp;Sultan, amp; lui découvrit toute la confpiration.nbsp;II ne lui cacha pas que fa Religion Ik les bontésnbsp;de Ibn maïtre étoient le prétexte dont les chefsnbsp;des rebelles fe fervoient pour couvrir leur ambition j il fe profterna aux pieds du Sultan.nbsp;Si ma tete fuffit pour les appaifer , dit-il,nbsp;faites-la tranche:, amp;, demain, dès que 1’au-xore paroitra, faites-la porter fur la place, iannbsp;bout d’une pique; je ferois trop content d’avoirnbsp;donné ma vie pour fauver la vötre, amp; con-
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ferver un Souverain qui ne s’occupe qu’è faire Ie bonheiir de fes fujets. N’accufez point Ienbsp;peuple de fa révolte, il n’eft que 1’inftrumentnbsp;aveugle des fcélérats qui Ie féduifent, amp; quinbsp;ne feroient pas plutót au comble de leursnbsp;vcEux, qu’ils feroient fon malheur par les,nbsp;moyens les plus odieux/
Le Sultan fit relever fon Efclave; bien loin de le facrifier a fa fureté, il l’embraife, luinbsp;ordonne de raflembler des troupes amp; d’aller fenbsp;faifir du Général; il lui donna fa bague pour fenbsp;faire ouvrir les portes; en même temps, il en-voye arrêter le Mufti, 1'Iman, tous les Dervisnbsp;amp; ceux qui devoient mettre le feu dans Ale-xandrie. Pierre ne prend que deux cents foldats ^nbsp;fegliflé jufqu’alatentedu Général, le fait lier;nbsp;on le jette fur le dos d’un chameau, amp;, tandisnbsp;qu'il le faut conduire a Alexandrie, il fe met anbsp;la tête de l’arrière-garde , fait face a quelquesnbsp;poftes avancés, qui,ayant jeté'1’alarme dansnbsp;le camp, retardent la retraite de Pierre; denbsp;fon cóté, le Chevalier, fecondé par Paudacenbsp;de fa petite troupe, amp;, par 1’obfcurité quinbsp;en cache le nombre, fe débarrafle amp; rentrenbsp;dans la Ville. Le Mufti amp; le Général font conduits prefqu’en même temps devant le Sultan :nbsp;Malheureux, dit-il, qui abufez de la créduliténbsp;du peuple pour le féduire, qui vous ferviez dunbsp;nora amp; de la loi du Prophéte pour l’exciter, aunbsp;parricide , vous voila au pouvoir de celui qui,nbsp;demain, devoit périr par vos mains; fi je vou-lois oppofer impofture a impofture, je vous di-rois, amp; vous m’en cïoiriez encore plus aiféraenr.
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quece peuple, dont vous faifiez votre jouet, que c’ell Mahomet lui-même qui m’a dévoilénbsp;eet abominable myftére. Non, je in’aviliroisnbsp;en vous trompant. Le hafard, conduit, fansnbsp;doute^ par une fecrette providence qui veillenbsp;fur les jours des Rois, m’a tout fait décou-vrir. Ilordonnaqu’on tranchatla têteduGéné-ral, qu’on 1’élevat fur un poteau au milieunbsp;de la place publique, amp; que fes membres fufl'encnbsp;attachés aux principales portes d’Alexandrie.nbsp;Cette exécution fe fit dans la nuit, afin denbsp;prévenir touteémeute; ilfitenfermerle Mufti,nbsp;qu’il réferva pour un example plus éclatant.
Dés que le jour parut, les conjurés furent inftruits du fupplice du Général; la frayeurnbsp;les faifit; les uns cherchèrent a s’éloigner d’Alexandrie , mais les portes étoient gardées, amp;nbsp;lous ceux qui fe préfentèrent furent arrêtés; lesnbsp;autres coururent au palais du Sultan , pour im-pfiorer fa clémence. Ce Prince ne voulut que lesnbsp;effrayer; il les fit enchainer,amp; conduite furnbsp;la place, oü plufieurs pais étoient dreflés; lenbsp;Mufti amp;l’Iman y furent menés les derniers;nbsp;le Sultan les fit empaler a vee quatre des plusnbsp;coupables: Alors, fe préfentant lui-mêmenbsp;avec Pierre, il fit grke a tous les autres, ennbsp;les afluranc qu’üs la devoient, en partie, aunbsp;Chevalier frangois.
Loi'fque tout le trouble fut diffipé, Pierre fe jeta aux genoux du Sultan, amp; le fupplianbsp;deluiaccorderlaliberté. Vos Sujets,lui dit-il,nbsp;vous adorent, 1’ambition de quelques fcélératsnbsp;ae doic pas vous indifpofer contre le peuple,
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Cependant, il eft des préjugés qu’un Souve-rain, qui vent fe conferver l’amour de fa nation , ne dolt pas attaquer de front. Jamais les Mufulmans ne verront, avec indifférence ,nbsp;leur inaïtre donner fa confiance a un Chrécien.nbsp;II eft eflentiel, pour votre tranquilliié , que jenbsp;quitte ces lieux. Je réclame done la promeli»nbsp;que vous m’avez faite. C’eft avec douleur quenbsp;je me fépare de vous. Un bon Roi eft Ie chef-d’oeuvre de la divinicé , amp; Ie plus beau fpec-tacle pour 1'honnêce homrae. II eft fi difficilenbsp;de conferver la vertu fur Ie tróne; la plusnbsp;pure y eft toujours en butte a la méchanceténbsp;des interprétations, ou a 1’injuftice de ceuxnbsp;qu’elle protégé. Vous avez vu des monftresnbsp;vous faire un crime auprès de votre peuplenbsp;d’être fon père; vous les avez vus vous re-procher 1’abondance amp; la paix done vous lesnbsp;faites jouir, amp; vouloir vous punir des biensnbsp;que vous lui faites; mais, Seigneur , je con-nois affez votre fageffe amp; la fermeté de votrenbsp;caraftère, pour n’avoir pas a craindre , ennbsp;vous quittant, de vous voir expofé a rien denbsp;femblable é ce qui vient de fe palier. Si jenbsp;Ie craignois, je demeurerois toujours votrenbsp;efclave, en me tenant éloigné de la Capi-tale, pour ne pas infpirer des foupgons aunbsp;peuple; amp; , du fond de ma retraite, je vousnbsp;donnerois les confeils que votre bonté a daigné,nbsp;quelquefois, demander k votre efclave. Vousnbsp;n’en avez plus befoin; cominuez a régner furnbsp;les mémesprincipes; faites refpeéter la religionnbsp;de l’Etat, ne condamnezpaslesautres, amp;, fur-
tout,
-ocr page 89-S’ de la helle Maguelonne, . «fj
tout, la chrétieune, avantde connoitre leurs dogmes amp; leur morale; mais ayez 1’oeil fur vosnbsp;Muftis i n’élevez a cette importante dignité quenbsp;des hommes fans ambition, d’un cceur droit,nbsp;d’une ame paifible amp; compatifl'ante, de mceursnbsp;douces amp; pures, amp;, furtout, d’un efprit jufte.nbsp;Pardon, Seigneur, fi j’ofe vous tracer des régies que vous connoiffez mieux que moi, vousnbsp;roe 1’avez permis. Le Sultan ne put s’empé-cher de répandre des larmes; il emfarafla Pierre , amp; ne fit aucun effort pour 1’engager a em-brafler le Mahométifme. II lui donna la liberté,nbsp;ainfi qu’é 1’efclave qui avoir, le premier, dé-couvert la confpiration. II combla Pierre denbsp;bienfaits, amp; lui fit promettre, foi de Chevalier, de lui donner de fes nouvelles par lesnbsp;fadeurs d’Europe; il s’engagea lui-méme, foinbsp;de Mufulman , de lui faire donner des fiennes.nbsp;Il lui fit préfent d’étoffes amp; de pierreries denbsp;route efpèce, qu’il reuferma dans quatorzenbsp;barils é fel, afin qu’on crüt, dans le voyage,nbsp;qu’il ne portoic que des marchandifes communes, amp;de peu de valeur.
Pierre trouva un vaifleau qui partoit pour la Provence; il y chargea fes quatorze barils;nbsp;le Patron ne put s’empêcher de lui dire quenbsp;ce n’etoit guère la peine de porter du felnbsp;en Provence, qu’n y en trouveroit afiez a bonnbsp;marché Pierre lui fit entendre que ce felnbsp;étoit préparé, amp; qti’il le deftinoit pour unnbsp;liópital. Il étoit au comble de la joie, en fon-geant qu’il alloit revoir fes parens, amp; que,nbsp;peut-être gt; il pourroic appieadre cl«z eux des
-ocr page 90-f4 Hifiolre dé Pierre de Provence^
nouvelles de Maguelonne. Le vaiffeau voguoit ^ pleines voiles, Pierre trouvoit qu’il voguoitnbsp;trop lentetnent. On relacha dans 1’Ifle denbsp;Sagonne, pour faire de Peau. Pierre, ennuyénbsp;de la mer, fe fit mettre a terre ; il entranbsp;dans Plile : Un payfage charmant, des prairies émaillées, 1’invitèrenc aferepofer. 11 s’é-tendic fur 1’herbe, voyant des fleurs au-tour de lui, il lui vint dans 1’idée d’en formernbsp;un bouquet pour Maguelonne, quoiqu’elle futnbsp;abfente : Cette idéé le conduifit a d’autres,nbsp;amp;, peu a peu, il fe plongea dans la rêverienbsp;la plus profonde ; il fe retra9a les momensnbsp;qu’il avoit paffes avec elle , amp; la malheu-retife a venture du bois. Pierre pleura : L’ef-pérance calma fon chagrin, il fe leva, mar-cha a grands pas fans tenir de route certaine.nbsp;II s’égara 8? ne s’en apergut que lorfqu’il vou-lut regagner le rivage; il n’en étoit plus temps.nbsp;Un vent favorable avoit determine le Patronnbsp;è partir; on appela les paffagers qui étoientnbsp;defcendus dans 1’Ifle; Pierre étoit trop éloignénbsp;pour entendre 1’appel. Soit qu’on crdt qu’ilnbsp;étoit rentré , foit qu’après 1'avoir attendu, 8cnbsp;1’avoir fait chercher, on voulüc profirer dnnbsp;vent, on leva 1'ancre, amp; le vaiffeau partit.nbsp;II fit force de voiles, amp; avriva, en peu denbsp;jours, fur les cótes de Provence. Les march.an-difes y furent déchargées, 8c, comme on avoitnbsp;ouï dire tl Pierre que les quatqrze barils, qu’onnbsp;croyoit remplis d’un fel préparé, étoient def-tinés pour des malades, on les dépofa è 1’hó-pital de Saint-Pierrei foodé depuis peu, amp;
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qui étoit fous la direélion d’une jeune Supérieure qui s’y faifoit adorer ; on lui raconta Ie malheur du paflager, a qui ces barils appar-tenoient; un mouvemen: fecret la portok dnbsp;s’intérefler è eet inconnu; elle pefoit fur lesnbsp;circonftances, amp;ne pouvoic s’empécher de s’at-tendrir jufqu’aux larmes.
CHAPITRE VIII.
Pierre apprend des nouveJles défejpérantes de Maguelonm; il raconte fon hiftoire d ldnbsp;Supérieure de l'höjital de Salnt-Pierre; ellenbsp;lui donne les nouvcUes les plus favorabks;nbsp;furprife ménagés par Vamour.
Q.
.UELLE étoit done cette Supérieure fi compatillante? Jeune, belle amp; dévote, il n’eftnbsp;pas furprenant qu’elle fut tendre; inais verfernbsp;des larmes fur Ie fort d’un malheureux paf-fager, qu’on ne connoit point, qui, pournbsp;s’être égaré dans une Ifle, qui, d’ailleurs,nbsp;n'étoit point déferte, n’eft pas fans efpé-rance de revoir fa Patrie, c’eft un de cesnbsp;phénoinènes peu communs, qu'il n’eft pasnbsp;encore^ temps d'expliquer.
Le jour avoit difparu, lorfque Ie Chevalier retrouva Ie rivage, amp; le lieu oü il avoit laillé le vaifl'eau : II le chercha long-tempsnbsp;des yeux, il crut que les ténèbres lui en dé-roboient Ia vuej U appela Jes gens de 1’équi»
f6 Eiftoire de Pierre de Provence,
page; fes cris fé perdirent inutilement dans les airs; Pierre, enfin , comprit que le vaif-feau étoit parti. Un froid mortel le failit; ilnbsp;tomba fur le fable, évanoui; il ne revintnbsp;que pour fe livrer a fa douleur; fa fituationnbsp;lui rappelle celie oii Maguelonne s’étoit trou-quot;vée, a foil réveil, amp; cette idee rendit fanbsp;peine encore plus cruelle. Grand Dieu, s’é-crioit-il, que de malheurs font la fuite d’unenbsp;imprudence! Si Maguelonne ne vie plus,,nbsp;termine ici ma inifère; fi elle exille, ne m’otenbsp;pas les moyens de la revolt, de la confolernbsp;amp; de reparer les maux que je lui caufe. Lenbsp;Ciel fut touché de fa prière. Aux premiersnbsp;rayons de 1’aurore, il aper^utj.fur les flots,nbsp;tine barque amp; deux pêcheurs, qui venoiencnbsp;jeter leurs filets fur eette cote, Il im-plora leur fecours; ils abordèrent, amp; , leurnbsp;ayant raconté ce qui venoit de lui arriver ynbsp;ils furent fenfibles a fon fort; ils le prirencnbsp;dans leur barquè amp; le conduifirent a Tré-pane. Il arriva dans cette ville, malade, amp;nbsp;pouvapt a peine fe foutenir. Il y pafla neufnbsp;mois, dans la langueur amp; les fouffi-ances. Unnbsp;jour qu’il fe promenoic fur le port, il vit unnbsp;vailleau dont les mariniers s’entretenoient ennbsp;langage Provencal. Il leur demauda, quandnbsp;eft-ce qu’ils coraptoient s’en retourner dansnbsp;leur pays. Ils repondirent qu'ils repartiroiencnbsp;dans deux jours, au plus tard. Pierre prianbsp;le Patron de le recevoir fur fon bord, amp; luinbsp;promit une récompenfe proportionnée au fer-Yice qu’il alloic lui rendre, dg? qu’il feroU
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en état. Heureufernent, Ie Patron étoit de Cavaillon même, amp; Pierre, fans fe fairenbsp;connoitre, l’intéreda pour lai, en lui parlancnbsp;de cette ville, de fes parens, qu’il avoit connusnbsp;au chateau du Comte Jean fon père : II Ienbsp;queftionna fur ce qui regardok Ie Comte amp;nbsp;la Comtede; il apprit qu’ils étoient toujoursnbsp;dans 1’affliftion de 1’abfence de Pierre leurnbsp;dis; mais tout ce qu’il vouloit favoir fe hornanbsp;a ces éclaircilïemens.
Pierre, avant d’arriver en Provence, fut obligé de pader a Aigues-mortes, port de mernbsp;qui ii’eft plus, aujourd’hui, qu’un marais, amp;nbsp;oü Ie Patron devoit s’arrêter. Les mariniersnbsp;s’entretenoient, un jour, de 1’Églife de Saint-Pierre, que les étrangers venoient voir, ennbsp;foule, par curiofité : Pierre demanda quellenbsp;étoit cette Eglife : On lui dit qu’elle étoitnbsp;dans une Ide adez prés d'Aigues-mortes;nbsp;qu’elle avoit été fondée par une jeune veuve,nbsp;qui avoit établi, auprès, un Hópital fort fï-é-quenté, oü elle recevoit amp; foignoit elle-mêmenbsp;les malades, amp; les voyageurs qui revenoientnbsp;de la Terre-fainte. Les mariniers lui confeil-lèrent de s’y rendre, amp; lui faifoient efpérernbsp;qu’il y trouveroit remède fon mal. Ah!nbsp;mes amis, leur dit Pierre, Ie mal que je fouffrenbsp;n’eft pas du redbrt de la Médecine; 1’objecnbsp;qui Ie caufe peut feul je guérir; cependanc,nbsp;conduifez-moi a eet Hópital; Ie portrait quenbsp;vous me faites de celle qui l’a fondé, excitenbsp;ina'curiofité. Les mariniers, touchés de la douceur amp; de 1’air affiigé de Piene, Ie tranfpor-
D iij
-ocr page 94-^8 Hijïoire de Pierre de Provernfè^
tèrent dans 1’Ifle. II fe fit conduite a l’Hópital fous Ie nom d’un Chevalier Italien, qui re-veöoit de chez les infidelles, ou il avoit Sténbsp;fait efclave.
On les conduifit dans une falie deftinée aux perfonnes qni, nées dans un certain rang,nbsp;avoient été réduites a la misère, par des évène-mens qui la rendoient honorable : Cette falienbsp;étoit fort peuplée, paree que lespauvres n’a-voient pas a craindre d’y être confondus avecnbsp;ces hommes Inches, qui, fe faifant un devoirnbsp;de la parede, amp; un métier de la mendicité,,nbsp;vont infeCler de leurs vices, des alyles quinbsp;ne devroient écre réfervés qu’a la vertu mal-heureufe : Ce n’eft pas qu’il n’y eüt des faliesnbsp;pour cette efpéce de malades; car il fuffifoitnbsp;que hhumanité fouffrit pour qu’elle eüt unnbsp;droit a eet Hópital; on obfervoit feulcmentnbsp;de ne pas les laifier entrer dans les autresnbsp;falies; amp;, lorfqu’üs étoient hors de danger,nbsp;on leur ofFroit de les entretenir dans l’Hó-pital, a condition qu'ils travailleroient auxnbsp;manufaétures qu’on y avoit écablies, aux dé-frichemens, a la cultivation de 1'Ifle ou 4nbsp;d’autres ouvrages utiles.
La Supérieure, Ie vifage cache fous un voile, vine vificer les malades; elle ordonna qu’il ne manquSt rien 4 perfonne, aida elle-mêmenbsp;a faire les Hts des nouveaux venus, fit couchernbsp;Pierre dans Ie temps qu’elle alia elle-mêmenbsp;lui chercher a fouper, amp; Ie pria de de-mander tout ce dont il auroit befoin. Pierre,nbsp;ainfi que les autres, ne pouvoit fe lallèr d’ad-
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jnirer la modeftie amp; Ie zèle de cette femme vercueufe. II demanda fi 1’on favoit qui ellenbsp;étoic : Non, lui dit-on; elle a autant de foinnbsp;de cacher fa naiflance que fa figure; il n’ynbsp;a perfonne ici qui ne la regarde comme fanbsp;mère; quoiqu’elle pavle fran^ois, on ne peutnbsp;decider, afon accent, fi elle eft Italienne ounbsp;Proven^ale. Elle a re^u ici des Chevaliersnbsp;d’une origine illuftre, elle ne les a pas fer-vis avec plus de diftindtion que Ie plus ro-turier honnête homtne, amp; malheureux; quandnbsp;on lui a demandé de quelle familie elle étoit,nbsp;elle a répondu que tous les inforcunés étoientnbsp;fes frères.
Pierre, peu de jours api;ès, commen9a è. fe rétablir; Ia fociété qu’il lia avec quelqnesnbsp;Chevaliers, leurs aventures qu’il fe faifoitnbsp;ïaconter, les attentions affidues de la Supérieure , lui rendirent fes forces. II reconnut,nbsp;parmi lesmalades, deux Chevaliers qu’il avoirnbsp;vaincus, autrefois, è Naples, amp; qui ne pu-rent Ie reconnoitre, tant les fatigues amp; lesnbsp;maux 1’avoient changé. II tourna la conver-'nbsp;fation fur leurs combats; il leur demanda dansnbsp;quels tournois ils s’étoient fignalés. Ah! cenbsp;n’eft pas, du moins, a Naples, dit 1’un; Ienbsp;fort des armes eft journalier; celui d’un Chevalier eft d’être, tour a tour, vainqueur amp;nbsp;vaincu; je n’avois pas encore éprouvé de revers, lorfqu’il y a environ cinq ans, que Ienbsp;Roi de Naples, pour mon malheur, fit publier des joutes en l’honneut des Dames; Unnbsp;Chevalier, que perfonne ne connoiflbit, h qui
8o Hijioire de Pierre de Provence,
prit Ie nom de Chevalief des Clefs, avoir fait mordre la pouffière a trois ou quatre des plusnbsp;braves guerriersj je me préfencai pour les ven-ger; n’ayant jamais été vaincu, je me croyoisnbsp;invincible; du premier coup de lance, il menbsp;jeta a dix pas de mon cheval; je quittai Ienbsp;champ de bataille, je changeai de cheval amp;nbsp;d’armes, je me préfentai encore; nous nousnbsp;chargeons, nos lames fe brifenc, nos chevaiixnbsp;fe heurtent, le mien demeure étourdi dunbsp;coup, iorfque le maudit Chevalier des Clefsnbsp;pafle derrière moi, m’enleve, commes’il n’eücnbsp;porté que fa lance, defcend de fon cheval amp;nbsp;me propofe un combat a 1’épée. Nous nousnbsp;portons amp; nous parons les coups les plus ter-ribles; foie adrefle, foit que fon épée futnbsp;de meilleure trempe, la miemie fe cafle. Bravenbsp;Chevalier, me dit-il, tu ne peux pas répon-dre des fautes du hafard ; te voila défarmé,nbsp;peut-étre n’y a-r-il pas tout fait de ta faute,nbsp;effayons des armes plus naturelles aux homines ; il me propofe la lutte, je 1’accepte; nousnbsp;nous embraflbns, je le repoufle; il réfifte anbsp;peine, tombe amp; m’entraine dans fa chute;nbsp;je me crus vainqueur : Jamais il ne fut plusnbsp;fur de 'fa viifloire que loifqu’il fat terrafle ,nbsp;amp;. fous moi; je ne fais comme il fit, l’é-clair n’eft pas plus prompt; fe retourner, prendre le deflus, me forcer, en m’étoufiant, denbsp;demander grace amp; de m’avouer vaincu, futnbsp;I’affaire d’un inftant. Quel homme, fi toutesnbsp;fes vercus euflent repondu a fon courage amp;nbsp;a fa force! L’amour iui fit perdre, dans Ic
-ocr page 97-mime jour, 1’eliime de tout Ie monde, 1’a-mitié du Roi, amp; ternir pour jamais la gloire qu’il s’étoit acquife. Maguelonne faifoit lesnbsp;délices du Roi fon père; fa beauté, fes talens,nbsp;fa fagefle, lui foumettoient les cmurs de tousnbsp;ceux qui la voyoient; Ie Chevalier des Clefsnbsp;en devint amoureux amp; 1’enleva. On courut,nbsp;en vain, après Ie raviliéur. Jamais on n’a punbsp;favoir des nouvelles de 1’un ni de 1’autre.
Ce récit jeta la confternation dans 1’efpric de Pierre ; il favoit bien qu’il n’étoit pasnbsp;abfolument innocent ; mais il ne fe croyoitnbsp;pas fi coupable; il chercha a excufer Ie Che-v'alier des Clefs : Peut-être, difoit-il, étoit-il fecrettement aimé de cette Princefie, peut-,nbsp;ctre vouloic - on la forcer de s’unir è quel-qu’un, qu’elle déteftoit; car, quoiqu’il y aitnbsp;long - temps que j'ai quitté Pltalie , je menbsp;fouviens d’un mariage projeté, dès 1’en-fance de Maguelonne, avec Ie Prince de Tarente, qui, alors, avoit quarante-cinq ans,nbsp;d’une figure hideufe, amp; d’un caraétère féroce.nbsp;Quel Chevalier réfifteroit aux prières d'unenbsp;jeune beauté qui fe jetteroit dans fes bras amp;nbsp;qui réclameroit fa générofité pour 1’arrachernbsp;a un tel monftre. A fuppofer ce que vousnbsp;dites, répondic Ie Chevalier malade, il y avoitnbsp;d’autres moyens a prendre; Ie Prince de Tarente , tout féroce qu’il étoit, aimoit les combats ; il falloit Ie défier; il n’étoit pas difficile au Chevalier des Clefs de Ie vaincre amp;nbsp;de Ie faire reiiDncer a la Princefie; ce quinbsp;confirwe encore davantage que eet incoimu
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-ocr page 98-8iï mjloire de Pierre de Provence,
n’a voulu qu’abufer de la fiiuation de Magne-lonne, c’eft qu’il a couru des bruits qu’il 1’avoic abandonnée dans une foréc, pendantnbsp;qu’elle dorinoit; d’autres difent, qu’on 1’anbsp;vue è Rome; quelques-uns ont afluré qu’ellenbsp;s’y étoit renfermée dans un cloitre, amp; qu’elienbsp;y étoit morte de défefpoir amp; de douleur : Quoinbsp;qu’il en foit, fon père, depuis ce jour, n’anbsp;fait que languir, amp; a terminé fa carrière depuis un an; fa mère règne; mais Ie chagrinnbsp;a fi fort aifoibli fes fens, que 1’Etat eft livrénbsp;aux fadiions amp; a la difeorde.
Quoique la nouvelle de la mort de Mague-lonne ne fut fondée que fur des bruits popu-laires, Pierre n’en fut pas moins afflig^ ; il tomba i la renverfe, amp; éprouva des convulfionsnbsp;affreufes. Tant qu’il 1’avoit cru vivante, ilnbsp;s’étoit foutenu par 1’efpérance de la revoirnbsp;un jour; lorfqu’il fe vit fans efpoir, il nenbsp;défira plus que la mort. Les Chevaliers, quinbsp;étoient bien éloignés de penfer que Pierrenbsp;füt 1’amant de Maguelonne, crurent que fonnbsp;attaque étoit une rechute de fa maladie; ilsnbsp;demandèrent du fecours; on Ie remit dans fonnbsp;lit; quand fes convulfions furent un peu cal-mées, la Supérieure vint; elle connut, a fonnbsp;pouls amp; aux profonds foupirs qui s’exhaloientnbsp;de. fon cceur, que fon mal avoit une aulrenbsp;caufe que Ie derangement de la machine.nbsp;Chevalier, lui dit-elle, votre ame paroicnbsp;vivement affedée; la médecine n’a aucunenbsp;prife fur ce genre de maladie : Si vous dai-goea m’ouvrir votre c«urgt; peut-étre ne fera-
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t-il pas impoffible de trouver quelque remède a vos peines; quand routes les rellburces hu-maines manqneroient, il en eft toujours unenbsp;infiüllible dans la religion; il n’y a point denbsp;maux dont elle ne confole; hélas! je l’ai ap-pris par ma propte expérience.
•yous de prononcer? La Provence.... Naples... Maguelonne : Qu’ont de commun ces nom'snbsp;chéris avec celui de Pietro delBofco MakJetto ,nbsp;Chevalier Italien, fous lequel vous vous êtesnbsp;annoncé dans ces lieux. C’eft un nom fup-
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Ces paroles affeftueufes, Ie fon de voix de celle qui les pronongoit, jerèrent un calmenbsp;fubit dans 1’ame amp; dans les fens de Pierre :nbsp;II la pria de s’afleoir amp; de faire retirer ceuxnbsp;qui pourroient les entendre. Ah, Madame,nbsp;lui dit-il, je vais vous retracer des évènemensnbsp;qui, en renouvelant mes douleurs, vontnbsp;me couvrir, a vos yeux, d’une honte quenbsp;rien ne peut effacer. j’ai déshonoré 1’objecnbsp;de ma tendrelTe, amp; c'eft moi qui caufe fa mort.nbsp;Jeune, amp; fier d’une valeur qui ne cherchoitnbsp;qu’a fe faire connoitre, on fit, devant nioi,nbsp;Ie portrait d’une Princefle, que les Princes amp;nbsp;les plus faraeux Paladins de 1’Europe fe dif-putoient; ce portrait, qui n’étoit point flatté,nbsp;enflamma mes défirs; je me mis, dès ce mo-,nbsp;ment, au nombre de fes prétendans, je de-mande a mes parens la permiffion d’aller figna-ler mon courage; je pars, quitte la Provence,nbsp;j’arrive a Naples, amp; je vis Maguelonne, plusnbsp;belle que noon imagination ne me la peignoit...nbsp;r.iel. s’écria la Supérieure, quels noms venez-
-ocr page 100-84 nbsp;nbsp;nbsp;Hi poire de Pierre de Provence,
pofé, reprit Pierre; mon véritable nom eft Pierre de Provence. O! juftice éternelle, s’é-cria-t-elle encore, óProvidence! Quoi! vous,nbsp;ce valeureux Pierre, ce généreux amant denbsp;Maguelonne! O Ciel! ó ciel, daigne me fou-tenir amp; me modérer encore I... Elle étoitnbsp;tremblante amp; n’ofoit refpirer; cependant ellenbsp;fe retint; elle craignoit que ce qu’elle avoitnbsp;a apprendre an malheureux Pierre, ne caufaCnbsp;¦a fes fens une nouvelle emotion qu’il n’auroitnbsp;pas eu la force de fupporter.
Je vous 1’avois annoncé, reprit-il, que votre pitié fe changeroit en horreur. Puifquenbsp;vous connoiflez Maguelonne, amp; que je vousnbsp;ai dit mon nom, vous favez mon crime ;nbsp;inais ce que vous ne pouvez avoir appris quenbsp;par des récits impofteurs, indignes de Maguelonne amp; de moi, c’eft le malheur qui nousnbsp;fepara. Pierre lui raconta I’enlcvement de lanbsp;boite, quicontenoit lesrrois anneaux, par unnbsp;oifeau de proie, la fuite de I’oifeau, le dangernbsp;auquel il s’expofa pour ravoir la boite, fanbsp;prife par les Corfaires, amp; fon défefpoir, lorf-ququot;on I’amena k Alexandrie. II s’arréta , ilnbsp;crut que le refte amuferoit peu une femme anbsp;qui 1'intérét qu’il lui voyoit prendre a Maguelonne, devoir le rendre odieux; mais lanbsp;Supérieure voulut tout favoir; au moindrenbsp;péril que le Chevalier avoit couru, ellenbsp;eprouve, dans le court intervalle de ce ré-cit, routes les viciffitudes que Pierre avoirnbsp;efluyées pendant huit années.
Yertueux Chevalier, lui dit-elle, en lui.
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amp; de la helle Maguelonne.
femnt la main, Ie rédt, que vous venez de me faire, m’intérefle plus que vous ne pen-fez : Plufieurs bruits, il eft vrai, fe font ré-pandus fur votre aventure. Eh, que m’im-porte! s’écria Pierre; Ie feul qui m’accable ,nbsp;c’ell Ie bruit, trop certain, de la mort de cettenbsp;inforcunée. Vous m’avez fait entendre quenbsp;vous la connoiffiez : Au nom de Dieu, quinbsp;répand la confolation fur vos lèvres, appre-rez-moi ce que vous en favez— Je ne fais;nbsp;mais votre fon de voix, qui me rappelle Ienbsp;fien, la douceur avec laquelle vous fouteneznbsp;mon courage, les éloges qu’on donne ici, denbsp;tous cótés, a vos vertos, vorre fenfibilicé ,nbsp;tout en vous me pénètre d’une fi grande vé-nération, amp; m’infpire des fentirnens fi fem-blables a ceux que Maguelonne me faifoicnbsp;cprouver, que j'ai en vous la plus enrièrenbsp;confiance. Elle ne crut pas qu^il fut' encorenbsp;temps de lui annoncer fon fort; Tranquillifez-vous, lui dit-elle; j’ai de fortes raifons pdurnbsp;croire que Maguelonne vit encore; j’étois fanbsp;meilleure amie : Vous m’avez vue a la Cournbsp;de fon père; j’ai confervé des relations avecnbsp;elle; il y a quelque temps qu’elle ne m’ait écrit,nbsp;je vous promets que, dans peu, nous en faü-rons dés nouvelles certaines.
Pierre cherchoit, en vain, quelle pouvoic ctre cette fille généreufe, qu’ü avoit vue a lanbsp;Cour de Naples. Elle revint, Ie lendemain,nbsp;a la mêfflC heure; elle trouva Pierre beaucoupnbsp;plus tranquille; elle eut foin, cette fois amp; lesnbsp;fix jours fuivane, de ne Ie voir qu’en com-
-ocr page 102-86 Hijiotre de Pierre de Provence ;
pagnie : Lorfqu’il euc repris aflez de force pour fe lever, elle ne Ie vit qu’après les au-tres malades, amp; a 1’entrée de la nuic : Voilanbsp;de bonnes nouvelles, lui dit-elle; Maguelonnenbsp;vit, amp; ne vit que pour vous; on ne vous anbsp;pas trompé, elle eft dans un Couvenr. Madame , fans doute qu'elle y a fait des vceux!nbsp;Hélas! elle avoit juré d’être mon époufe, amp;nbsp;c’eft fur la foi des fermens que nous quitta-jnes la Cour de fon père! Mais, malheureux!nbsp;de quoi vais-je m’inquiéter? N’eft-ce pas afleznbsp;pour moi qu’elle vive? La Supérieure l’alTuranbsp;qu’elle n'étoit liée par aucun engagement;nbsp;que ce n’étoit point k Rome, comine on 1’ennbsp;avoit afluré, qu’elle avoit choifi fa retraite,nbsp;amp; que fon Convent étoit en France. Le Chevalier lui demanda, avec les plus vives priè-res, de le lui nommer. Non, lui dit-elle , cenbsp;fecret eft de trop grande importance pour quenbsp;j’ofe prendre fur moi de vous le révéler. Anbsp;cela prés, voila la lettre qu’elle ni’a écritenbsp;par le même exprès que je lui avois envoyé jnbsp;vous connoiflez fon écricure. Adieu, Chevalier, foyez tranquille : je fuis obligée de fairenbsp;on petit voyage pour les affaires de la mai-fon; je ferai trois jours abfente; j’exige, aunbsp;nom de votre amie, que vous preniez le plusnbsp;grand foin d’une fanté qui me devient auflinbsp;chère qu’a elle-même.
Dès qu’elle fut fortie, Pierre ouvrit la lettre de Maguelonne; la foufcription étoit, a la. foeur Emilie, II reconnut Pécriture de fonnbsp;amaate; fes yeux parcouroient eet écritavec
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tant de rapidité, qu’il eüt voulu la Ure d’un feul regard. Enfin, après avoir été vingt foisnbsp;du commencement a la fin , il lut, avec biennbsp;de la peine, que Maguelonne n’étoit guèrenbsp;plus tranquille que lui , qu’elle étoit dansnbsp;1’impacience de Ie revoir; qu’il lui fembloitnbsp;qu’une nouvelle vie comm6n(;oit pour elle;nbsp;qu’elle oublioit fes maux, amp; qu’elle ne fen-toit que, ceux que Pierre avoir éprouvés;nbsp;route la lettre fe refientoit du défordre ounbsp;elle étoit, des phrafes qui n’étoient point fi-nies, des lignes effacées par des pleurs, unenbsp;énergie qui n’avoit pas Ie fens commun, unnbsp;délire attendriffant, mille idees qui fe détrui-foient 1’une amp; 1’autre, la religion la plus pure , 1’araour Ie plus tendre , la morale la plusnbsp;févère amp; les tranlports les plus ardens, toutnbsp;étoit confondu, amp; tout autre qu’un amantnbsp;eüt cru que Maguelonne étoit folie. Elle pro-mettoit a fon amie de venir la voir, de venirnbsp;s’unir pour jamais a Pierre; mais, elle ne üxoitnbsp;pas Ie temps.
Le Chevalier pouvoit a peine contenir fes tranfports; l’abfence d’Émilie, l’incertitudenbsp;du terme que Maguelonne mettoit a fon ar-rivée, amp;, plus que tout, -1’habitude de lanbsp;douleur, fervirent de contrepoids a fa joie,nbsp;qui eüt pu lui occaiionner une nouvelle re-chute.
Les trois ^ours de l’abfence de la Supérieure ft pafièrent dans cette agitation; s’il eüt Ih ie Couvent oü Maguelonne s’ctoit retiree, tieu a’eütpu k retenirj s'iieücmüme
-ocr page 104-S8 Hijiolre de Plerre de Provence,
pu favoir oii étoit Emilie, il eüc couru après elle, pour lui demander des éclairciflemens furnbsp;mille chofes qui n’en avoient pas befoin. IInbsp;apprend , enfin , qu’Emilie efl; de retour , ilnbsp;la fait demander, on lui fait dire qu’il n’efi;nbsp;pas encore temps; qu’elle eft trop fatiguéenbsp;de fon voyage; qu’elle Ie verra fur Ie foir ,nbsp;amp; qu’elle fe propofe de fouper avec lui. Surnbsp;Ie foir! amp; il n’étoit que midi. Depuis qu’Émi-lie étoit Supérieure, il ne lui étoit jamais arrivé de regarder aucun homme en face; quel-qu’effort qu’eüt fait Pierre, jamais fes regardsnbsp;n’avoient pu percer l’épaifleur de fon voile,nbsp;amp; elle veut fouper avec lui: II fe confond ennbsp;conjeclures. Quel eft fon deflein ? n'eft-ce quenbsp;pour accélérer fa guérifon qu’elle fe flatte denbsp;1’efpérance de revoir Maguelonne? Elle vit,nbsp;difoit-il, je n’en puis douter, fa lettre menbsp;i’aflure; on dit qu’elle eft dans un Convent,nbsp;y feroit-elle liée par des voïux Émilie ditnbsp;que non; mais dois-je en croire une ame fen-fible, dont la pitié ingénieufene fe fera pas faitnbsp;«n fcrupule de cacher des vérités affligeantes,nbsp;è un malheureux qu’elle ne peut fauver, quenbsp;par ce moyen. Hélas! c’eft cette vérité cruellenbsp;qu’elle veut m’annoncer, amp; c’eft, fans doute,nbsp;pour en aflToiblir 1’amertume, qu’elle choific •nbsp;fe moment d’un fouper extraordinaire. Géné-reufe Émilie, avec quels ménagemens vousnbsp;m’avez dévoilé des fecrets dont la douceurnbsp;inattendue m’eftt accablé! En adorant la bonténbsp;de votre ame, n’ai-je pas a me plaindre quenbsp;Tous m’ayez élevé au plus haut dégré d’efpé-
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rance, pour me précipiter dans un abyme de douleur plus affligeante encore.
C’eft ainfi que raifonnoit l’injufte^ Chevalier, qui, huit jours auparavant, auroit donné fa vie pour s’aflurer de celle de Maguelonne; il étoit dans ces perplexités, lorfqu’enfin ,nbsp;Ie moment qu’Émilie avoir fixe pour fa vifite,nbsp;arriva. Pierre courut au devant d'elle, d’unnbsp;air inquiet amp; confterné. C’en eft done fait.nbsp;Madame, s’écria-t-il, Maguelonne eft a jamais perdue pour moi 1 Emilie frémit, ellenbsp;crut que quelque nouvel obftacle, qu’elle n’a-voit pas prévu , ou que Ie Chevalier lui avoitnbsp;cache, s’oppofoit aux voeux dont la lettrenbsp;étoit remplie; elle lui demanda quel étoit 1’é-vènement funefte que fon défefpoir fembloitnbsp;annoncer? Je n’en fuis que trop certain, re-prit-il; Maguelonne a formé des liens indif-folubles, elle eft Religieufe. Votre amour,nbsp;interrompit ilmilie, me fait excufer votre,nbsp;méfiance. Je vous ai afluré que votre amantenbsp;étoit libre, amp; vous auriez dü vous en rapporten a moi. Ingrat, c’eft moi qui l'ai pré-venue de votre retour, qui l’ai inftruite, désnbsp;Ie moment que je vous ai connu. Je ne menbsp;fuis abfentce que pour vous la ramener, amp;,nbsp;dans peu de jours, vous la verrez en ces lieux;nbsp;fi vous faviez tout ce qu’il m’en a couténbsp;pour l’empccher de voler dans vos bras,nbsp;la violence qirelle s’eft faite , en attendantnbsp;que Ie rétabliflement de vos forces vous permit de foutenir une vue aufii chère, vous rou-giriez de Yüs foup9ons. Le Chevalier fe jeta
-ocr page 106-aux genoux d’Émilie; il lui avoua que le fou-per auquel elle 1’avoit invité, lui paroiflbit fi. extraordinaire, qu’il avoir conjefturé qu’ellenbsp;attendoit ce moment pour lui révéler ce fu-nefte fecret. Non, reprit Émilie; j’ai amenénbsp;id Nicé , amp; je voulois vous manager, è I’un amp;nbsp;al’autre, le plaifir de la furprife; pour vousnbsp;punir, ii fera tout entier pour elle. Ah! s’é-*.nbsp;cria-t-il, pourquoi Maguelonne n'eft-elle pasnbsp;de la partie ? Paree que, répondit la bonnenbsp;Supérieure, vous avêz été fur le point d’ex*nbsp;travaguer, en rêvant qu’elle étoit Religieufe;nbsp;quel’idéefeule de fa mort vous a mis auxportesnbsp;du tombeau, amp; que la joie de la revoir vous y
auroit, peut-être, précipité__Ah / généreufe
amp; cruelle Émilie, vous m’avez trop bien préparé a foutenir cet événement, pour que
vous ayez rien a craindre--Eh bien, nous
]e verrons dans le temps. Allons joindre Nicé, Dans un appartement féparé, Émilie avoitnbsp;fait préparer une falie ornée avec autant denbsp;goAt que de magnificence; une table délica-tement fervie attendoit cinq convives; Pierrenbsp;amp; Émilie arrrvent, la porte s’ouvre, amp; Pierrenbsp;fe trouve entre les bras de fon père amp; de fanbsp;mere. Grand Dieus’ecria Pierre, en les em-braflant, cruelle Émilie , vous ne m’avez pasnbsp;préparé 4 cet exces de bonheur: ó mon père,nbsp;Ó ma mere, ah! je fuccombe a mon ravifle-ment; des larmes de tendrefle coulèrent ennbsp;abondance; le Chevalier étoit dans les brasnbsp;du Comte amp; de la Comtefle •, des mots en-trecoupés, des foupirs, descareffes, exprimoient
-ocr page 107-amp; de la helle Ma^uelonne.
les fentimens dom il étoit agiré : II eflt eu bien de la peine a foutenir cette fcène fi tou-chante, fi la préfence de Nicé, qui vint aunbsp;fecours, ne lui eüc rappelé, dans ce moment,nbsp;que Maguelonne étoit abfente; il embraflanbsp;Nicé ; il lui cémoigna la reconnoiflance la plusnbsp;vive de Pintérêt qu’elle avoit pris, autrefois,nbsp;è fon amour. Ah, Nicé! me pardonnerez-vousnbsp;tous les chagrins que notre fuite a du vousnbsp;caufer.5 Combien de fois ai-je rougi de 1’idéenbsp;que mon imprudence a dü vous donner de moi!nbsp;Et Maguelonne, la vertueufe Maguelonne ,nbsp;viélime de mon audace, a, fans doute, partagé ,nbsp;dansl’efpritde fes parens amp; du peuple, la hontenbsp;de eet enlèvement. Ah, ma chère Nicé j pei-
gnez-Iui, fi vous Ie pouvez, les remords......
Seras-tu toujours injufte a mon égard, s’é-crie Emilie, en relevant fon voile amp; en em-braflant Ie Chevalier, qui reconnoit, enfin, Maguelonne? Que paries-tu de vidime? Tunbsp;ne fus que njon complice, fi notre fuite futnbsp;un crime; abjure tes remords, amp; ne me parlenbsp;que de ta tendrefle. Ah, Pierre! — Pierrenbsp;étoit dans fes bras, comme la jeune époufenbsp;dans la première extafe de la volupié; quel-ques foupirs s’exhaloient, a peine, avec fonnbsp;haleine brülante ; Ie nom de Maguelonne,nbsp;élancé du fond de fon eoeur, expiroit ten-drenient ftu- fes lèvres agitées. La Princefle,nbsp;plus préparée a eet événement, s’eff'or9oit denbsp;garder ph'S de moderation, maïs l’amour lanbsp;trahit, lorfque Pierre, accablé de fa joie,nbsp;perdit tout mouvement amp; toute connoiflance.
-ocr page 108-Q2 Hijloire de Pierre de Proveiice,
Ah, Ciel! s’écria-t-elle, imprudente! c’eft moi qui te perds. Pierre, ó mon épouxfou-dain, comme pour remplacer 1’ame de fonnbsp;amant par Ia fienne, elle colle fa bouche furnbsp;fa bouche, amp; couvre fon vifage de larmes.nbsp;Cependant, on 1’arrache de fes bras; Nicenbsp;appelle du fecours; Ie Comte Jean amp; fon époufenbsp;foutiennent leur fils; Maguelonne , a qui 1‘ha-bitude- de voir des malades avoir appris lesnbsp;plus beaux fecrets de la Médecine , lui fairnbsp;refpirer des fels volatils qui Ie raniment; ilnbsp;lui tend la main; des larmes de tendrefle coni-mencent a couler, amp;, bientót, il a afiez denbsp;force pour fentir fon abattement; peu a peu,nbsp;il recouvre la vue amp; la parole. Maguelonnenbsp;a cédé fa place a la Comtelle ; les difcoursnbsp;qu’elle lui tient, les fentiraens qu’elle lui ex-prime, accoutumenc fon ame a des fentimensnbsp;plus doux ; fon fang prend un cours moinsnbsp;précipité, fes fens fe calment, amp; Pierre pa-roit entièreraent tranquille. Chevalier, lui ditnbsp;Maguelonne, je vous ai mis a de trop cruelles,nbsp;épreuves, j’aurois dü Ie prévenir, j’ai eu lanbsp;foiblefle de m’en rapporter a vous-méme, lorf-que vous m’avez dit que je vous avois tropnbsp;bien difpofé a me voir, pour que j’eufle quel-que chofe a craindre; enfin, graces au ciel,nbsp;nos alarmes font diflipces. Elle lui fit promet-tre^ pour leur repos mutuel, de fe raodérer.nbsp;Le fouper fe palfa dans la joie, Ie plaifir écla-toit dans tous les yeux; niais le fentimentnbsp;dominoit trop dans tous les cocurs, pour qu’onnbsp;püt fe livrer ti la gaieté.
-ocr page 109-fi’ de la helle Maguelonne. qj
II venoit de fe pafler des fcènes trop vi-ves, pour que Maguelonne osèt fe permettre de fatisfaire la curiofité du Chevalier, fur cenbsp;qui étoit arrivé a cette Princefle depuis 1’é-vènement qui les fépara. On remir ce récicnbsp;au lendemain. Le Chevalier fut conduit dansnbsp;1’apparcement qui lui étoit préparé ; Nicé s’of-frit de veiller auprès de fon lit; il pafla Ianbsp;nuit fort tranquillement; Nicé alloit, denbsp;temps en temps, en donner des nouvelles anbsp;Maguelonne, qui attendoit le jour avec impatience, amp; qui fe leva plus, d’une fois pournbsp;aller au devant de Nicé.
Hifloire de Maguelonne depuis VenUvement de Pierre par les Corfaires; pélerinage;nbsp;arrivéeen Provence; fondation d'un Hdpital.
D ÈS que lejour parut, Maguelonne reprit fon voile, amp; alia vifiter fes malades, jufqii’anbsp;ce qu’elle crüt que Pierre avoit aiTez repofé:nbsp;Le Comte amp; la Coratefle, qui avoient été cheznbsp;Jui, fon réveil, le conduiiirent dans un jardinnbsp;d’orangers , oü Nicé amp; Maguelonne les atten-doient; Pierre courut vers Maguelonne, quinbsp;s’avan9a vers lui d’un pas timide amp; modefte ;nbsp;ils s’embraffèrent avec plus de tendrefle quanbsp;de fureiir. Le Chevalier héfita quelque temps,nbsp;prenant, enfuite, Ia main de fa maitreflè:
-ocr page 110-94 Hijioire de Pierre de Provence^
Chère époufe, lui dit-il (car vous ni’avez permis de vous donner ce nom, quoique jenbsp;n'en aye pas encore obtenu Ie droit), ce n’efl;nbsp;qu'en tremblant que j’ofe vous demander Ienbsp;récit de ce qui ïous eft arrivé, depuis 1’inftancnbsp;oü nous fümes féparés dans la forét.
Maguelonne, qui avoir dit au Corate amp; a la Comtefle ce que Pierre lui avoir raconté de fesnbsp;malheurs depuis ce moment, commen9a ainfi :
Tandis qu’on vous entraïnoit fur lesflots, Ie fommeil fe diflipant peu a peu , mes regards fenbsp;tournèrent naturellement vers 1’endroit oü jenbsp;croyoisrencontrerlesvótres; je m’étois endor-mie fur vos gënoux ; amp; je trbuvai ma têtenbsp;appuyée fur votre manteau. Je crus d’abord,nbsp;qu’accablé de fatigue, vous vous livriez aunbsp;repos fous quelque arbre voifin ; je me levai;nbsp;je parcourus Ie bois aurour de moi; je revinsnbsp;au lieu que je venois de quitter, amp; j’atten-dis encore; j’étois ralTurée par votre cheval,nbsp;que je voyois pdturer avec Ie mien. Cepen-dant , la nuit approchoit, je commengai inbsp;m’inquiéter amp; a perdre patience. J’appelainbsp;vos domeftiques; je leur demandai oü vousnbsp;étiez ; il y en eut un, qui vous avoit vunbsp;aller vers la nier; je vous cherchai, vai-nement, furie rivage. Mille idéés affligeantesnbsp;accablèrenr mon efprit; toute la nuit fe paflanbsp;en recherches inutiles: Quand 1’aurore parut,nbsp;vos domeftiques, amp; moi, fouiliSmes de tousnbsp;cótés; nos cris firent retentir la forêt: Enfin,nbsp;n’efpérant plus vous retrouver, ne fachancnbsp;6 quoi attribuer votre abfence, aimanc mieux
-ocr page 111-95
amp; damp; la bdh Maguelonne.
croire que vous étiez égaré amp; que vous aviez été dévoré/par quelque héte féroce, que d’i-tnaginer que vous m’euffiez abandonnée parnbsp;quelque perfidie, je me profternai, je levainbsp;mes mains vers Ie ciel : Grand Dieu, m’é-criai-je, qui peut pénétrer les fecrets de votrenbsp;juftice ? Quel crime a done commis la vidimenbsp;que vous frappez ? Si j'ai fui la maifon pa-ternelle, Pierre n’a fait qu’accompagner cellenbsp;qui l’entrainoit dans fa fuite; fa punition,nbsp;il eft vrai, eft moins affreufe que ma peine:nbsp;La mort a terminé fes chagrins amp; fes plailirs jnbsp;amp; moi, Ie coeur déchiré du regret d’avoirnbsp;perdu 1’amant Ie plus tendre, Ie plus géné-reux , Ie plus fenlible •, l’ame tourmentée denbsp;remords, d’avoir abandonné mes parens, con-fufe de la honte que je laiffe, après moi, dansnbsp;une Cour oii j’étois adorée, je n’ai d’autrenbsp;reflburce que 1’infamie. Ah, Pierre! ton fou-venir feul me refte, amp; c’eft pour m’accablernbsp;encore ?
J’étois livrée au plus cruel défefpoir; vos domelliques pleuroient amp; n’ofoient me con-foler; je voulois qu’ils me ramenallent 4 Naples ; Déja nous en avions pris la route; jenbsp;changeai de deflein, il eüt fallu vous nommer,nbsp;amp; c’eüt été vous aceufer ; D’ailleurs, je lesnbsp;expofois 4 une mort certaine; fi je ne 1’avoisnbsp;eu a craindre que pour moi, j’y aurois volé,nbsp;je ne délirois que de mourk; mais commentnbsp;parottre aux regar^ds d’un père irrité, d’unenbsp;mère que je for^ois a rougir, d’une foule denbsp;Courtifans que j’avois dédaignés, amp; qui fe
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feroient vengés par le mépris? Des Chevaliers, furtout, qui, n’ayant pu vous vaincre, vous auroient flétri en ma préfence , par lesnbsp;calomnies les plus atroces, lans que j’euffe ofénbsp;prendre votre défenfe. Enfin, je pris le partinbsp;de me jeter entre les bras de la Providence;nbsp;je dis a m^s domefiiques de me conduire horsnbsp;de la forêt, amp; dans le village le plus pvochain.
Nous rencontrames un gros bourg fur le bord de la mer ; la, je congédiai vos domeftiques;nbsp;ils ne vouloient point me quitter; ils ofFri-rent de m’accompagner dans tous les lieux oiinbsp;je voudrois me retirer; ils pleuroient amèrementnbsp;votre perte , amp; ils difoient que rien ne pou-voit les confoler, que la douceur de me fervir;nbsp;je leur promis que je ne les oublierois jamais;nbsp;que, fi vous n’étiez pas perdu pour moi, amp;nbsp;fi leciel nous réuniflbit, nous les rappellerions»nbsp;en quelque lieu qu’ils fuflènt. Je paflai deuxnbsp;jours dans ce village; les habitans y étoientnbsp;enalarmes; des Corfaires, qui y avoient pafl'é,nbsp;peu de temps auparavant, amp; qui croifoient furnbsp;les mers, y étoient defcendus, amp; leur avoiencnbsp;enlevé trois jeunes filles amp; quelques payfans,nbsp;qu’ils avoient mis dans les fers. Je ne fais pour-quoi je rejetai ma première idéé ; je m’ima-ginai que, vous promenant fur le bord de lanbsp;mer, en attendant mon réveil, ils vous avoientnbsp;enlevé; je fus tentée d’aller a Marfeille , amp;nbsp;de palier les mers, pour tdcher de découvrirnbsp;vos traces. Cette réfolution n’étant fondéenbsp;que fur une conjecture vague, ne fut pointnbsp;«xécutée.
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Je quittai mes habits, qui auroient pu me décéler ; je pris ceux d’une Pélerine , amp; jenbsp;fuivis une familie entière qui alloit en péle-linage a Rome; ma triftefle, quelque beauté,nbsp;beaucoup de complaifance, me concilièrentnbsp;tous les cceurs. Nous nous fervions rautuelle-ment les uns les autres. On comprit bientótnbsp;que je n’étois pas ce que je paroiflbis êrre :nbsp;On eut des égards pour moi;je n’en fus' quenbsp;plus attentive a me faire partager Ie travailnbsp;de notre caravane; elle étoit compofée d’unnbsp;vieillard , Ie chef de la familie, de fon époufe,nbsp;de leur fille a peu prés de mon amp;ge, amp; d’unnbsp;coufin qui devoit bientót être fon époux ; c’é«nbsp;toit pour obtenir la difpenfe de leur mariagenbsp;que ces bonnes gens alloient è Rome. Pierre,nbsp;c’eft dans leurfociété quejemefuis convaincuenbsp;qu’il y a cent fois plus de charmes dans unnbsp;état plus humble amp; médiocre, que dans Pé-lévation des Grands. La douceur de leurs ca-raélères, 1’uniformité de leur manière de vivre ,nbsp;la fincérité qui régnoit dans leurs difcours amp;nbsp;dans leurs aftions, tout me faifoit regretternbsp;de n’être pas née dans un hameau; maisj’au-rois voulu que Pierre füt né dans Ie hameaunbsp;voifin. Dans un état femblable , ni la craintenbsp;d’être unie^i un monftre que j’abhorrois, nenbsp;m’eüt forcée 4 quitter la maifon paternelle;nbsp;ni ni,3 fuite, fi elle eüt été nécelTaire pournbsp;éviter un mariage détefté , n’eüt laiflë d’auffinbsp;funeftes imprfiffioiïs lur mon compte; J’auroisnbsp;expofé la vérité, amp; j’euflë été juftifiée dansnbsp;©on hameau. Pierre n’eüt pas été d’un rang
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difproportionné au mien; on n’eüt confulté que fa vertu, amp; je n’aurois eu befoin denbsp;faire parler que mon amour.
C’eft par ces réflexions que je foulageois les fatigues de mon voyage. Nous étions anbsp;pieds, amp; nous allions a petites journées: Dansnbsp;les premières, j’étois excédée. Votre cheval,nbsp;quej’avois confervé, paree que vous 1'aimiez,nbsp;amp; dont j’avois fait préfent a la familie, fer-voit è porter nos provifions: Les huit premiers jours, lorfquelefoleilétoitleplus chaud,nbsp;amp; que nous ne trouvions point de 1’ombrage ynbsp;on m’obligeoit de monter a cheval; bientót«nbsp;je m’accoutumai a la fatigue; je me convain-quis que la nature n’étoit pas plus avare denbsp;fes dons pour les Princefles que pour les payfan-nes, amp; que 1’éducation amp; Ie luxe font de vé-litables maladies qui caufent la foibleffe desnbsp;unes, amp; qui n'attaquent jamais les-forces desnbsp;autres.
Nous arrivames è. Rome ; je quittai, non fans regret, mes compagnons de voyage. Manbsp;confiance dans 1’Etre Suprème, qui me punif-foit, m’infpira Ie défir d’entrer dans une Eglife;nbsp;je vis plufieurs perfonnes è genoux autour d’unnbsp;Prêtre qui écoutoit Ie récit de leurs fautes;nbsp;les uns s’en retournoient remplis de confoia-tion , amp; les autres déchirés de remords. Je menbsp;mêlai dans la foule ; amp;, lorfque mon tour futnbsp;venu, je lui fis naïvement Ie' récit de ma mal-heureufe aventüre., II m’écouta fort attenti-vement, itiême, je m’aperjus qu’il efluyoicnbsp;fes larmes, Rjen rie donne tant de courage
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aux malheureux que lorfqu’ils font partager -leur foiblelie aux autres.
Je priai Ie bon Prêtre de m’aider de fes lu-mières amp; de fes confeils; il voulut exiger , avant tout, que je vous oubliafle. Hélas! luinbsp;dis-je, quand je Ie voudrois, il me feroir im-poffible. II voulut m’óter l’efpérance de vousnbsp;revolt jamais; il m’affligea fi fenfiblement, quenbsp;je fus fur Ie point de perdre connoiflance. Ah!nbsp;Monfieur, ótez-moi la vie, ou laiflez-moinbsp;cette confolation. Non, Pierre n’efl; pointnbsp;mort; fi quelque béte féroce 1’eüt attaqué, ilnbsp;eft trop brave pour avoir fuccombé fous fesnbsp;coups; non, je ne puis me perfuader que Ienbsp;ciel ait voulu me 1’enlever pour Jamais; joi-gnez vos prières aux miennes, Ie ciel n’eftnbsp;point inexorable, il me Ie rendra : II eut lanbsp;cruauté de me dire que vous ne feriez pas Ienbsp;premier infidelle qui eüt abandonné fa maï-trefle. Je me contentai de lui répondre, quenbsp;je vous aimerois mieux infidelle que mort,nbsp;mais qu’il étoit plus aifé de me perfuadernbsp;que vous étiez mort, que perfide. Eh bien,nbsp;reprit-il, puifque votre confiance en la Providence eft fi aflurée, attendez, fans trouble,nbsp;amp; fans inquiétude, qu’elle vous Ie ramène. Jenbsp;lui demandai Ie plus grand fecret fur mon étacnbsp;amp; fur ma naiflance, que je lui avois confiés,nbsp;amp; il me Ie promit.
A peine 1’eus-je quitté, que je vis entrer dans l’Eglifö mon oncle, accompagné d’unnbsp;cortege nombreux; je frémis en Ie voyant*nbsp;je crus qu’oD avoit fuivi mes mees: mais!
100 Hifioire de Pierre de Provence,
lorfque je vis qu’il parcouroit 1’Églife indif-féremment, je ne fis que détourner mon vi-fage; j’étois bien aflurée qu’a moins qu’il ne me fi’x^t bien attentivement, mon déguifementnbsp;1’empêcheroit de me reconnoitre. II pafla auprèsnbsp;de moi, amp; ne fe détourna point. Dès qu’ilnbsp;fut forti, je m’acheminai vers Phópital def-tiné aux Pélerins. j’y reftai quinze jours. Cenbsp;fut la qu’en attendant que Ie ciel vous ren-dit a mes voeux, je formal Ie projet de fonder une maifon femblable pour les pauvresnbsp;malades. Je m’inftruifis de tous les détails; jenbsp;priai la Supérieure de m’aider a faire un abrégénbsp;de routes les régies, amp; de tout ce qui regar-doit la partie économique de la maifon : Ellenbsp;ne me cacha rien; elle avoir pris une fi grandenbsp;affeétion pour moi, qu’elle vouloit me retenirnbsp;auprès d’elle, amp; m’aflbcier a fes travaux; jenbsp;prétextai des affaires de familie, amp; je partisnbsp;dans Ie deflein de me rendre en Provence.nbsp;Je paflai par Genes, amp; je m’embarquai fur unnbsp;vaifleau qui alloit ^ Aigues-mortes. Monnbsp;voyage fut très-heureux; je tournai mes regards vers l’Afrique, dont les cótes, dit-on ,nbsp;font peuplées de Corfaires, j’avois toujoursnbsp;un fecret preflentiment qu’ils vous avoientnbsp;fait efclave. Je vis, avant d’arriver a Aigues-mortes, eette Ille; elle me parut charmante,nbsp;amp; c’eft lè que je me propofai de faire monnbsp;établiflemenr.
Comme je me promenois, un jour, fur Ie port d’Aigues-mortes, je rencontrai une bonnenbsp;femme, qui ra’ofFrit de prendre fa maifon pour
-ocr page 117-logement; je Pacceptai, amp; Ia vieille en parut très-contente : Mon enfant, me dit-elle, anbsp;votre habit, je vois que vous venez- de Rome;nbsp;j’ai fait, autrefois, ce voyage-la, avec monnbsp;mari, que Dieu lui fafle paix : J’étois jeune,nbsp;amp; jolie comme vous, amp; mon mari en valoitnbsp;bien un autre. Les Italiennes font belles, ga-lantes; elles faifoient beaucoup d’accueii anbsp;mon mari, cela m’inquiétoit, il faut en con-venir; ce n’eft pas que je ne fufle bien füre
•de lui; il m’aimoit tant......C’eft une pau-
vre efpèce que ces Italians, de petits hommes , jaloüx ; pourquoi ? car ils ne favent guère aimer; mais vous! vous, ma chère enfant, quand, pourquoi, comment, avec quinbsp;avez-vous été a Rome.? Hélas! ma bonne,nbsp;avec perfonne, lui dis-je; amp; il ne vous eftnbsp;rien arrivé, jeune, jolie.... Non, repris-je;nbsp;j’ai rencontré des Pélerines comme raoi, desnbsp;Pélerins, d'honnêtes gens, qui m’ont conduite, amp; qui m’auroient défendue en cas denbsp;befoin : GrSces au ciel, leur fecours ne m’anbsp;pas été néceflaire; mais je voudrois traverfetnbsp;la Provence, je ne connois pas les mceurs denbsp;ce pays, amp; je n’oferois m’y expofer toutsnbsp;feule. Ah! vous n’avez que faire de craindre,nbsp;reprit la vieille; nous avons pour makre amp;nbsp;Seigneur Ie plus digne homme, Ie plus fage;nbsp;il eft du pays de Provence, frère du Comtenbsp;de ce nom; il demeure a Cavaillon , amp; ,nbsp;depuis peu» frère 1’a fait Gouverneur denbsp;fes États. II eft bon, noble, généreux, amp;,nbsp;furtout, fort jufte. Ohl il eft d’une exacfti-
102 HiJIóire de Pierre de Provence ,
tude, d’une févérité, qu’il n’y a pas d’en-droit dans la Provence que fes yeux n’éclairent. Dans les champs, dans les bois, la nuic, Ienbsp;jour, on eft en fureté coinme chez foi. Moi,nbsp;qui vous parle, moi, je ne ferois aucune dif-ficulté de la tsaverfer en long amp; en large, dnbsp;toutes les heures du jour amp; de la nuit; s’ilnbsp;arrivoit quelque^ chofe a qui que ce fu:, cenbsp;n’eft pas feulement aux malfaiteurs qu’il s’ennbsp;prendroit, mais d ceux qu’il a chargés de leurnbsp;donner la chafle; cec homme jufle a une femme auffi refpedable que lui; c’eft la bonté,nbsp;la générofité même; il eft Ie père de PEtat,nbsp;elle eft la mère des malheureux : Elle feroit inbsp;la danfe, au bal; fi Pon venoit lui dire qu’unnbsp;pauvre diable a befoin de fon fecours, elle-planteroit ld , bal, danfe amp; compagnie, pournbsp;y courir; il n’y a ni plaifirs, ni affaires quinbsp;tiennenc , quand il s’agic de faire du bien.nbsp;C’eft grand dommage que ces bonnes gensnbsp;meurent fans lignée. Comment, fans lignée,nbsp;interrompis - je? J’avois entendu parler dunbsp;Comte Jean de Provence ; il me femble avoirnbsp;ouï dire qu’il a eu un fils nommé Pierre.nbsp;Eb I voila juftement ce qui caufe leur dou-
leur amp; nos regrets. Ah ! ma belle Demoifelle , on ne fait guère ce qu'on veut, lorfqu’onnbsp;défire des enfans. Ce n’eft pas que Pierre nenbsp;fut Ie plus beau jeune homme, Pamela plusnbsp;belle, Ie plus grand efprit, Ie roeilleur cceurnbsp;de route la Provence f II falloit Ie voir dansnbsp;les tournois, la lance aupoing; il n’y avoitnbsp;point de Paladin qui tint contre, amp; fi n’a-
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amp; de la belle Maguelonne.
voit-il pas dix-huit ans. On ne parloit que de lui; fous les arm es, c’éroit un démon; quand ilnbsp;les avoir quittéesc’étoit 1’amour ; ce qu’il ynbsp;a de bon , c'eft que routes les femmes cou-roient après lui , amp; qu’il ne favoit pas pour-quoi. Eh bien, Madame, repris-je encore,nbsp;qu’eft-il done devetm, ce Pierre? Eh, vrai-inent, dit-elle, c'eft la 1’enclouüre; un mau-dit Chevalier, qui, par malheur, vint cheznbsp;fon père , perfuada k ce jeune homme qu’ilnbsp;falloit qu’il alldr courir Ie monde amp; cherchernbsp;les aventurês ; II lui paria tanr d’une certainenbsp;Princefle de Naples, qui faifoit tourner lanbsp;tére a tous les Chevaliers, que, dès ce moment , il perdit la fienne ; il voulut voir cettenbsp;Princefle, amp; combattre pour elle; il partit,nbsp;au grand regret de fes parens, qui, depuis,nbsp;n’en ont plus eu de nouvelles; ils craignen'cnbsp;qu’il ne lui foit arrivé quelqu'e chofe de ff-cheux; ils font toujours triftes amp; affligés.
Je ne puis entendre ce récit, continua Maguelonne , fans verfer des larmes; la vieille , qui ne favoit pas 1'intérêt que j’y prenois,nbsp;crut que c'étoic fimplement par humanité ,nbsp;amp; fe mit a pleurer aufTi. Enfin, me dit-elle,nbsp;il ne faut pourtant pas fe défefpérer ; il eftnbsp;Vrai qu’il y a plus d’un an qu’il eft parti; Ienbsp;bruit s’eft répandu qu’il couroitle monde avecnbsp;la princefle, amp; qu’il 1'avoit enlevée •, tout cenbsp;que je ft'ls» c’eft que Ie père amp; la mère denbsp;Pierre étoient bien fachés contré cette Princefle ; amp;, en effet, il faut qu’elle ait eunbsp;recours a quelque fecret de magie, pour
104 Hijioire de Pierre de Provence,
corrompre ce jeune homme, fi fage amp; fi doux.
Je demandai è la vieille, fi elle croyoit que le Comte amp; la Comtelle fuflent toujours auffinbsp;irrités centre cette Princefle de Naples. Lenbsp;temps, me dit-elle, adoucit tons les maux ;nbsp;cependant, la perte de leur fils leur eft toujours prefente : Ils font chercher de tons cotes ces deux amans, amp; jecraindrois pour elle,nbsp;s’ils la retrouvoient ; Mettez-vous a leur place. Ce que j’en dis, au refte, n’eft pas pournbsp;blSmer cette Demoifelle; car, fi Pierre m’eücnbsp;propofé de m’époufer, amp; que je ne Peufle punbsp;faire qu’en fouffrant qu’il m’enlev^t, je vousnbsp;avoue que j’aurois été fort erobarraflee. Quandnbsp;on veut condamner les autres, il faut toujours, ce me femble, les juger d’après foi-xnême. Vous étes bien joHe, vous, continua-t-elle, vous venez de Rome, amp;, par con-féquent, vous êtes une fille bien fage, biennbsp;vertueufe ; Eh bien! fi Pierre Vous eut faitnbsp;la méme propofition, je ne fais trop ce quinbsp;en feroit arrivé. Tenez, tenez, il ne fautnbsp;jurer de rien : Payfanne, ou Princefle, toutnbsp;cela eft, a peu prés, égal. Eft-ce qu’il y anbsp;line nature pour les payfans, amp; une naturenbsp;pour les Princes?
Les propos de Ia vieille, qui, je crois, par-leroit encore, fi j’eufle voulu 1’écouter, ne me permirent pas d’aller auprés de vos parens, comme je 1’avois d’abord projeté, pournbsp;les confoler ; La plaie étoit trop fraiche encore. Je me décidai a pafler dans l’Ifle, amp; 4nbsp;commencer nion établiliement; j’achetai, prés
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du port, trois maifons contiguës, que je fis percer amp; bien réparer; je fis venir de Mar-leille tous les lits amp; autres meubles qui menbsp;parurent nécelTaires ; j’approvifionnai monnbsp;Hópital; quelques perfonnes charitables s’u-nirent a moi; plufieurs filles pieufes, qui fenbsp;deftinoient au cloitre, crurent qu’il étoitplusnbsp;méritoire aux yeux de Dieu, de palier fes joursnbsp;a fervir, a confoler 1’humanité fouffrante, quenbsp;de palier fa vie dans uiie retraite inutile aunbsp;monde. Notre Hópital fut fort fréquenté, j’ynbsp;ai fondé une Eglife fous Ie titre de S.-Pierrejnbsp;vous en devinez aflez la raifon; hélas! toutnbsp;Ie monde a été dans 1’illufion fur ma devotion ce Saint, je 1’étois moi-méme. J’in-voquois Ie Saint, amp; mon cceur étoit remplinbsp;du Chevalier. Le zèle de mes camarades, poutnbsp;Ie fervice des pauvres, excitoit le mien; notrenbsp;Hópital acquit une grande célébrité. On ynbsp;courut de toutes parts, on ne parloit que denbsp;nous dans route la Provence. Notre reputation
parvint è vos dignes parens.....
Le refte de ceci me regarde, dit la Com-tefle de Provence, en interrompant Maguelonne : Je fais tout le plaifir qu’a mon fils de vous entendre j muis il faut que chacun uitnbsp;fon tour.
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Suite de VHifloire de Maguelonne; ^nneaux retrouvés ; 1‘amour plus clairvoyant que lanbsp;tendrejje paternelle.
Igt;ES éloges que nous entendions faire, dé tous cótés, de l’Hópital amp; de la Supérieure,nbsp;nous engagèrent de voir venir 1’un amp; 1’autre. Lenbsp;Kèle, la propreté , les attentions qu’elle don-noit au fervice des pauvres, fa beauté, fanbsp;douceur, nous attachèrent a elle pour jamais.nbsp;Son caraftère in’invitoit a la confiance, ellenbsp;ne me connoiflbit point, je la priai de ménbsp;faire part des confolations qu’elle prodiguoitnbsp;è tant d’autres; je lui ouvris mon cceur : Anbsp;peine me fus-je nommée, qu’Eroilie tombanbsp;4ans mes bras, froide , amp; prefqu’expirante ^nbsp;je jetai un cri pergant ; on lui donna du fe-cours, elle reprit fes efprits. J’étois inquiête furnbsp;la caufe de fon évanouiüement. Ah!' Madame,nbsp;s’écria-t-eUe, vous voyez ,cette ihfortunéenbsp;Maguelonne, qui faifoit fa gloire amp; fon bon-heur d’être votre fille.... Elle me demandanbsp;le plus inviolable fecret, amp; me raconta routenbsp;votre aventure, jufqu’au moment de fon reveil. Dès ce moment, j’ai regardé la Princeflenbsp;comroe ma fille, mais, pour épargner fa pudeur, je ne dis è. votfe père qui elle étoit,nbsp;que lorfque nous fumes de retour dans notrenbsp;Palais, Nous fomraes revenus plufieurs fois}
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autant par plaifir que pour nous confoler avec elle. 11 y avoit prés de deux ans qu’elle vousnbsp;avoir perdu , lorfque des pêcheurs de nosnbsp;terres vinrent nous apporter un turbot énorme»nbsp;qu’ils avoient pris; Ie cüifinier, en l’ouvïant,nbsp;trouva dans fon eftomac une boite. On menbsp;1’apporte; je 1’oüvre, amp; je reconnois les troisnbsp;anneaux que je vous avois donnés. Ce pro-dige me frappa; ma première idéé fut, quenbsp;vous aviez fait naufrage, amp; que vous aviéZnbsp;été dévoré par les poiflbns. Je verfois un torrent de larmes; je courus chez votre père :nbsp;Hélas, m’écriai-je, il n'eft quC' trop vrai quenbsp;Pierre, notre fils, eft mort; je lui fis voir lanbsp;boite amp; les anneaux, amp; lui racontai par quelnbsp;bafard ils étoient dans mes mains. II Ie voyoitnbsp;amp; ne pouvoit Ie croire. II tomba dans Ie plusnbsp;affreux accablement, amp;, donnant un libre coursnbsp;a fes larmes, il m’embrafla ; Quel facrifice !nbsp;me dit-il, aidez-moi a 1’offrir a 1’Être quinbsp;nous a ravi ce fruit de notre tendrefl'e : IInbsp;nous 1’avoit donné dans fa bonté, peut-êtrenbsp;veut - il ’lióus punir de l’avoir lailfé partir,nbsp;trop jeune encore. Subiflbns la peine de notrenbsp;imprudence ; nous plaindre plus long-temps»nbsp;feroit un nouveau crime. Enfuite, prenant unnbsp;ton ferme, amp; fe domptant lui-même, il an-nonja la mort de Pierre , fit tendre tout Ienbsp;palais de noir, amp; lui fit faire les plus magnifi-ques obfèques. Tous nos vafiaux amp; tous lesnbsp;Chevaliers qui avoient connu Pierre, étoientnbsp;confternés de fa perte. Je ne fais fi les mortsnbsp;livent ce qui fe pafle fur la terre; mals il
me femble que ce feroit un grand fupplice pour les méchans, s’ils entendoient ce q'ue 1’on ditnbsp;d’eux, dès qu’on cefle de les craindre; amp;quenbsp;les bons feroient prefque récompenfés du biennbsp;qu’ils out fait, s’ils pouvoient jouir des élogesnbsp;amp; des regrets qu'on donne a leurs vertus.
Lorfque les premiers jours de deuil furent pafles , je vins auprès de Maguelonne ; en lanbsp;voyant, je ne pus retenir mes larmes; vousnbsp;n’avez plus d’époux, lui dis-je, fa mort n’eftnbsp;que trop certaine : Elle me regardoit avecnbsp;vine douleur ftupide amp; muette ; je lui racontainbsp;tout ce qui s’éroit pafle, amp; les indices quenbsp;j’avois de la mort de Pierre. Elle voulut voirnbsp;les anneaux, elle les reconnut. Madame, menbsp;dit-elle, ces indices ne font pas des preuves;nbsp;je vous ai, fouvent, répété que je croyois quenbsp;desCorfaires, qui ravageoient les cótesoünousnbsp;fumes féparés, avoient enlevé votre fils; ilnbsp;peut fe faire qu’on ait voulu Ie fouiller, amp;nbsp;qu’il ait mieux aimé jeter la boite, qui ren-fermoit ces anneaux, dans la mer, que de lanbsp;laiffer au pouvoir de ces barbares; Se, dans cenbsp;cas, il n’eft pas furprenant que quelque poiffonnbsp;Vorace 1’ait gobé fur la furface des flots. Sinbsp;votre fils avoit été fubmergé, amp; que les poiffonsnbsp;1’euffentdévoré,commentcettebotte fe feroit-elle plutót confervée dans l’eftomac d’un turbot , que quelque partie de fon armure ? Cettenbsp;découverte nous prouve feulement qu’il a éténbsp;fur mer, amp; que la botte y a été jetée, amp; menbsp;confirme dans 1’idée qu’il a été enlevé.
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rance : Elle me conjura d’aller faire part è mon époux de cette conjecture, amp; de ne pasnbsp;m’affliger devant lui. Mon époux approuva Ienbsp;raifonnement de la Princefle, amp; fut obligénbsp;de convenir que les yeux d’une amante étoiencnbsp;encore plus per^ans que ceux d’un père. Ainli,nbsp;nous avons vécu, jufqu’a ptéfent, entre l’efpoirnbsp;amp; la crainte, n’ofant trop nous livrer ni ^nbsp;1’un, ni 1’autre. Maguelonne a foutenu notrenbsp;courage, quoique, fouvent, nous nous foyonsnbsp;apergus que Ie fien étoit fur Ie point de 1’aban-donner; 11 y a quatre jours , qu’étant dansnbsp;unedenos terres, quin’eft paséloignéede cettenbsp;Jüe, amp; que nous avons acquife pour être plusnbsp;a portée de voir Maguelonne, nous la vimesnbsp;arriver, tranfportée de la plus vivejoie; ellenbsp;tombe a nosgenoux, fe relève pour fe précipi-ter dans nos bras, embraffe mon époux, amp;nbsp;fe jette fur un fauteuil, prefque fans mouvement ; J’étois dans la plus horrible inquié-tude, on 1 a rappelle a 1 a vie; enfin, s’écrie*t-ellet,nbsp;il ell retrouvé , Pierre eft de retour. Monnbsp;fils, je ne vous peindrai pas nos tranfports ;nbsp;Maguelonne amp; moi avions l’air de deux bacchantes ; votre père n’étoit paS dans un meil-leur état; nous volions dans Ie Palais; nousnbsp;embraffions nos domeftiques, en leur difancnbsp;que vqus étiez retrouvé; ces puuvres gensnbsp;pleuroient, 8( nous tendoient les bras pournbsp;nous rendre nos carelTes. Dans tous les villagesnbsp;des environs, lajoiefit faire des extravagances. Pour nous, nousne donnèmes pas Ie tempsnbsp;i Maguelonne de fe repofer: Nous fommes
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arrivés, hier, amp; nous jiattirons-dès qu’elle 1’ordonnera.
La Connefle avoir cefle de parler. Pierre lui prit la main , amp; la baifa avec refped : IInbsp;étoit étonné de lajuftefle d’efprit de Mague-lonne, qui avoir, pour ainfi dire, deviné fesnbsp;aventures. De rnon cóté , ajouta-t-il ,j’étoisnbsp;li perfuadé que le Ciel nous réuniroit, qiie,nbsp;pour mettre en fureté ies préfens du Sultan,nbsp;amp; vous les faire parvenir plus aifément, lorf-que je pourrois fa voir oil vous les adrefler,nbsp;je les avois mis dans quaiorze barils couvertsnbsp;de fel paries excrénhtés. Quoi! s’écria Ma-guelonne, c’eft vousqu’on croyoit perdu,dansnbsp;1’Ille de Sagonne? Pierre fur étonné que lanbsp;Princefle connüt un événement, dont il n’a-voit pas encore parlé. Elle lui dit qu’ellenbsp;1’avoic appris par les Mariniers qui 1’avoientnbsp;perdu ; qu’elle leur avoir demandé le nom dunbsp;paflager dont ils lui raconroient le malheur ,nbsp;qu’ils n’avoienr pas pu le lui dire; qu’ellenbsp;s’étoit fenti plus pénétrée de fon fort qu’ellenbsp;ne 1’auroit cru , amp; qu'enfin, ils lui avoiencnbsp;remis en depót les quatorze barils. Elle or-donna qu’on les apportêt; Pierre les fit ou-vrir, amp; 1’on en fortit les étoffes les plus bellesnbsp;en or amp; en argent, une quantité furprenante denbsp;pierreries detoute efpèce,amp; fix de ces barilsnbsp;écoient remplis de poudre d’or.
. La Comtefle eüt bien défiré que Mague-lonne eüt voulu partir, le lendetnain; mais la Princefle la pria d’attendre qu'elle eüt réglénbsp;ies aflfaires de l’Hópital, ne voulant pas laiü’er
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è 1’abandon un établiflement, auquel elle devoit toute fa confolation.
Elle aflembla la Comtnunauté, lui annon^a qu’elle alloit fe retirer, amp; qu’il falloit nommernbsp;une Supérieure pour la remplacer. Toutes fesnbsp;compagnes parurent défolées; aucune ne fe trou-voit digne de lui fuccéder: Elles refufèrentnbsp;de nommer, fui^'ant 1’ufage des Couvens, parnbsp;la voie du fcrutin; elles la fupplièrent denbsp;choifir, amp; Ie choix qu'elle fir fut générale-ment approuvé. Après cette nomination, ellenbsp;pric congé des Religieufes, amp; leur promit denbsp;venir les voir, Ie plus fouvent qu’elle pour-loit. Elles n’apprirent qu’alor's qui elle étoit.nbsp;Quant au Chevalier, qui avoit paru voir,nbsp;dans 1’enlèvement de la Princefle , un crimenbsp;atroce donr 31 chargeoit Pierre , Maguelonnènbsp;vint aifémenc a bout de Ie diffuader.
CHAPITRE XI.
Mariage de Pierre amp; de Maguelonne termiaé, yiffaires de Naples.
I-rfE Comte Jean envoya dans fes terres, pour confirmer Ie retour de fon fils, amp; pournbsp;annoncer leur arrivée amp; celle de Maguelonne.nbsp;On publia dés tournois, amp; les Cltevaliers denbsp;toute la Province fe rendirent chez Ie Comte.nbsp;On difpofa tout pour les recevoir. Cepen-dant, Ie Comte amp; la ComteiTe ilxèrent au
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lendemain Ie mariage de Pierre dairs 1’Hó-pital métne. La cérémonie fe tic fans éclat; les deux époux étoient au coinble du bon-heur : Fortune, gloire, honneiir, tout étoicnbsp;abforbé par leur amour; ieurs parens, plusnbsp;tranquilles, avoient écrit a Naples,
Lu mère de Maguelonne y régnoit; Ie Roi étoit mort de chagrin; Ie tróne appartenoicnbsp;a la Princefle après la mort de fa mère : Onnbsp;ctoyoit Maguelonne perdue : 1’État étoicnbsp;livré a 1’avarice amp; a la cupidité de plufieursnbsp;prétendans : Tous agiflbient au nom de lanbsp;Reine, amp;. aucun ne refpeftoit fes ordres. Dèsnbsp;qu’on .fut que Maguelonne vivoit, chaquenbsp;lt;ief de parti fe rangea de fon cóté. Le Comienbsp;£amp; la Comteflé, en attendant des nouvellesnbsp;de Naples, partirent pour leurs terres. Ilsnbsp;y furent re^us ave« des acclamations de joie;nbsp;les fêtes les plus galantes, amp; les tournois lesnbsp;plus brillans, ne difcontinuèrent pas, pendantnbsp;fix femaines. Pierre amp; Maguelonne fe firencnbsp;adorer.
La Reine de Naples écrivit a Pierre, amp; fe félicita d’avöir un gendre qui püt mertrenbsp;fin aux troubles de 1’État; elle 1’invitoitnbsp;de venir, avec fa fille, prendre les rênes dunbsp;gouvernement qu’elle étoit prête de leurnbsp;abandonner. Elle invitoit auffl le Comtenbsp;amp; la Comtefle d’accompagner leurs enfans.
Dès que les courtifans amp; les prétendans Turent que Pierre de Provence étoit cenbsp;terrible Chevalier des Clefs., amp; qu’il étoicnbsp;répous de Maguelonne) chacun fongea ^ fes
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intéréts; ceux qui avoient l’honneur d’être Chevaliers, partirent, aufli-tót, pour la Provence, dans 1’efpoir que Pierre leur feroitnbsp;1’lionneur de roinpre des lances avec eux,nbsp;amp; qu’ils auroient Ie bonheur d’etre battus;nbsp;ceux qui ne 1’étoient pas, amp; qui avoientnbsp;dit Ie plus de mal du ravifleur de Maguelonne, lui écrivent pour Ie féliciter, luinbsp;faire part de leur joie, amp; lui demander fanbsp;proteétion; leurs lettres étoient remplies denbsp;ce que la baflefle amp; la flatterie ont de plusnbsp;vil : 11 n’y en avoir aucun qui ne lui mar-quit qu’il avoir été un de fes plus zélésnbsp;défenfeurs, amp; pas un qui n’accufèr les autres.
Ceux qui avoient levé i’étendard de Ia révolte, amp; qui ravageoient 1’État au nomnbsp;de la Reine, furent un peu confternés, quandnbsp;ils furent quel ennemi ils avoient en tére.nbsp;IIs réunirenr leurs intéréts, amp; firent une liguenbsp;générale cönrre Pierre. Il avoir été tranquillenbsp;jufqu’a ce moment, s’inquiétant peu desnbsp;intrigues des courtifans amp; des trames fecrer-tes des prétendans; il efpéroit que, fe dé-truifant 1’un par 1’autre, il trouveroit peunbsp;d’obftacles arenverfer.: Lorfqu’il apprit cettenbsp;confédération générale, il n’héfita plus; ilnbsp;envoya un Chevalier de confiance, qui raf-fembla les troupes de la Reine : Ce Chevalier s’aboucha avec ceux des courtifans,nbsp;qui, trop foibles pour fe faire un parti,nbsp;avoient déja écrit i Pierre, pour lui offrirnbsp;leurs fervices, II leur proinit la protedionnbsp;de Maguelonne, amp; cliacun d’eux foiirnit des
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fecours en argent ou en foldats, qu’ils dé-bauchèrent.
Lorfque 1’armée 'de Pierre fe trouva aflez nombreufe, il partit amp; vint en prendre le com-mandement; elle alia au devant de lui : Pierrenbsp;entra dans Naples, il alia d’abord fe profter-ner aux genoux de la Reine, qui le re9ucnbsp;comme fon fils; elle ne lui fit aucun reprochenbsp;fur 1’enlèvement de fa fille; elle lui dit feu-lement que le Prince, a qui fon père Pavoicnbsp;dellinée, s’étoit déclaré I’ennemi le plus irré-conciliable de fa Souveraine; qu’auffi-tót, quenbsp;Maguelonne eut difparu, il annonQa fes pretentions, les armes a la main; amp; que, depuisnbsp;qu’il avoir appris qu’elle avoit époufé Pierre,nbsp;il avoit réuni tous les partis, amp; s’étoit misnbsp;è leur tête, promettant de les indemnifer,nbsp;foit en démembrant des Provinces, foit parnbsp;des emplois i la Cour,
Le camp de ce Prince étoit d deux lieues de la ville; Pierre, a la tête de fes troupes,nbsp;attaque fes retranchemens, pénètre dans lenbsp;camp , amp; le force de 1’abandonner : Il nenbsp;lui donne pas le temps de fe retrancher encore ; il le fuit avec vigueur, amp; le force i ^nbsp;recevoir la bataille; elle fut vive amp; meur-'nbsp;trière; mais, après deux heures de combat,nbsp;I’ennemi commence a plier : Pierre porrenbsp;routes fes forces vers Pendroit le plus foible,nbsp;amp;, bientót ce ne fut plus qu’une déroutenbsp;générale. Le Prince fut trouvé mort fur lenbsp;champ de bataille , amp; tout vint fe fouroet-tte a Pierre, qui rentra triomphant dans Na-
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pies. Le peuple, qui ne fe decide pas tou-jours par 1’évènement, avoir pris parti pour lui avant la viftoire ; La plupart des cour-tifans, qui ne favoient pas pour qui le fortnbsp;fe déclareroit, artendoient le fuccès, amp; al-lèrent au devant du vainqueur, maudiflancnbsp;le projet ridicule du vaincu, qui, malgré fesnbsp;défauts amp; fes vices, avoit ofé prétendre la-main de la Princefle. Ceux qu’il avoit le plusnbsp;favorifés, dévouèrent fa mémoire d 1’exécra-tion; les ..courtifans firent des épigrammesnbsp;centre lui, amp; des chanfons,' oü 1’on n’épar-gnoit pas le père de Maguelonne; car, comment louer le monarque régnant, fans ternirnbsp;la gloire de fon prédécefléur? Pierre, qui n’en-tendoit rien aux régies des panégyriques, dé-fendit les chanfdhs, amp; impofa filence auxnbsp;chanfonniers.
Lorfque tout fut pacific, Pierre choifit deS Miniftres Pages amp; fans ambition , ce qui luinbsp;fut plus difficile qufil ne l’avoit cru d’abord;nbsp;il pria la Reine de garder encore quelquesnbsp;jours le timon de l’État; amp;, comme il fa^nbsp;voit qu’il pouvoit s’en rapporter aux nou-veaux Miniftres, il partit pour aller cherchecnbsp;Maguelonne amp; fes parens. On le vit arrivernbsp;en Provence avec une nombreufe efcorte; ilnbsp;palfa a la Cour du Comte de Provence régnant,-qui le rcQut avec la plus grande ma—nbsp;gnificepce. II y vit Jacques, eet oncle pré-fomptueux, qui raconta la manière donenbsp;Pierre 1’avoir vaincu, fans le combartre, dansnbsp;ce tournoi, qui fut fi glorieux a fon neveu.
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Le Comte regnant étoic fans pcftérité; il étoit Ie maitre de laifler fes États a celui des en-fans de fes deux frères qu’il jugeroit a propos. Robert, fils de Jacques, amp; Pierre, étoientnbsp;les feuls qui euflent droit d’y prétendre. L’or-gueil de Robert, la reputation de Pierre, amp;,nbsp;furtout, 1’alliance qu’il venoit de contrafternbsp;avec 1’héritière du Royaume de Naples, dé-terminèrent le Comte en faveur de ce dernier : II eft vrai qu’il indemnifa Robert parnbsp;des biens immenfes. II nomma, dès ce moment , Pierre pour fon fuccefleur, après fanbsp;mort.
Pierre ramena Maguelonne k fa mère; le Comte amp; la Comtefle les accompagnèrent. Lanbsp;Princefle tomba aux genoux de la Reine, quinbsp;la fit relever amp; l’embrafla; elle lui témoignanbsp;le repentir le plus amer de 1’avoir quittée ;nbsp;elle lui jura qu’elle n’y avoit été déterminéenbsp;que par les vertus de Pierre, amp; par la crain-te, trop bien fondée, d’être 1’époufe du Princenbsp;de Tarente. La Reine oublia tout le paffé,nbsp;amp; voulut, dès le jour même, abdiquer la cou-ronne en faveur de Pierre amp; de fon époufe;nbsp;Ils la conjurèrent, inutilement, de la garder ;nbsp;elle fut inflexible : Les deux époux furencnbsp;couronnés au milieu des acclamations du people. La Reine ne fe fépara point; elle eucnbsp;tous les agrémens du tróne, fans en avoir lesnbsp;peines. Le Comte amp; la Comtefle s’en retour-nèrent en Provence, amp; ne manquoient pas,nbsp;chaque année, de venir a la Cour de leurnbsp;fils. Pierre amp; Maguelonne eurenc un règne
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long, heureux amp; paifible; ils n’éprouvèrent d’autres chagrins, que les pertes qu'ils firencnbsp;fucceffivement de leurs parens. Pierre recueil-lic Ie Comté de Provence; il eut un fils, quinbsp;réunit fur fa tête Ie Royaume de Naples, lanbsp;Comté de Provence amp; tons les biens de Robert. Ces deux époux furent amans jufqu’aunbsp;tombeau, oü ils ne defcendirent que dansnbsp;Page de caducité.
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(^HAPITHE I. Éducation de Pierre; fes exercices; préfomption punie; combat dupèrenbsp;amp; du fils.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;Page i
Chap. II. Premières Aventures de Pierre d la Cour de Naples; fon entrevue avec Ma-guelonne; premiers effets de leurs amours;nbsp;modejlie de Pierre de Provence.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;ii
Chap. III. Converfation intérejfante de Ma-guelonne amp; de Nice; manière de philofq-pher de la Princejfe far Ie préjugè de la naif-fance; mejfage de Nicé; fes remontrances inutiles.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;22
Chap. I V. Inquiétude fatisfaite; fecret con~ fié; mariage promis amp; commencé; gagesnbsp;donnés amp; re^us.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;31
Chap. V. Récompenfe inattendue d'un Troubadour; Tournoi mémorable, combats ,triom~ phe de Pierre.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;39
Chap. VI. Projet hardi, imprudence de Pierre, fuite, défefpoir d la Cour , conjectures des Courtifans, recherches inutiles. 47nbsp;Chap. VII. Retenue que tout Ie monde n*ap-prouvera pas; chajfe funefie; efclavage, ten-tation dangereufe; confpiration dijfipée; dé-part de Pierre, nouveau malheur qu'U luinbsp;e,üt été aifé de préyoir.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;55
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Chap. VIII. Pierre apprend des nouvelles défefpérantes de Maguelonne; il raconte fortnbsp;hijtoire d la Supérieure de Vhbpital de Saint-Pierre ; elle lui donne les nouvelles les plusnbsp;favorables; furprife ménagée par Vamour. 75nbsp;Chap. IX. Hiftoire de Maguelonne depuisnbsp;Venlèvement de Pierre par les Corfaires ;nbsp;pelerinage; arrivée en Provence; fondatiotinbsp;d'un Hdpital.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;93
Chap. X. Suite de I’Hifloire de Maguelonne; anneaux retrouvés; I’amour plus clairvoyantnbsp;que la tendreffe paternelle.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;io5
Chap. XI. Mariage de Pierre amp; de Mague-ïonnejerminé, yJffaires de Naples. m
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