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HISTOIRE

'DE

ROBERT LE DIABLE,

TiVC DE NORMANDIE.

CHAPITRE PREMIER.

SageJJc (VHubert. Embarras Je fes CourtifanSf Combat contre deux Corfaires,

S’iL eft un plus grand crirne, il n’en eft , du moins, de plus infenfé, que de mur-ïuurer contre la Providence, nous lui iinpu7nbsp;tons des malheurs que nous nous fajfons nous-inemes, ou qui • étant liés a un ordre invariable de chofes, font, prefque toujours, lïnbsp;fource des plus grands hiens. Pour qui pour-roit voir la chaine des évèneméns, il n’y au-ni bonheur tü malhsur fur Ia terre inbsp;¦ ....... ' ' nbsp;nbsp;nbsp;’nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;A

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Ceux dont nous nous plaignons, ne, font, le plus fouvenc, des maux, qua paree qu’ils con-trarient nos paflions ou nos préjugés. Si lanbsp;Providence' s’affujetiflbic anx fantaifies par-ticulières des hommes, plus elle en con-tenteroit, moins elle réuffiroit è faire le biennbsp;général, qui ne réfuke pasdubonheurdugrandnbsp;nombre, mais du mélange des biens amp; desnbsp;maux de tous. D’aijleurs, nous nous mépre-nons fi fouvent fur les objets de nos voeux»nbsp;nous avons des idéés li faufles du bonheur ounbsp;du malheur, que nos défirs font fouvenc desnbsp;blafphèmes, done la Providence fe venge ennbsp;les exau^ant.

Tels furent les veeux importuns de la Du-«heffe de Bretagne, jeune époufe d’Huberc, Due de Normandie, qui, depuis dix-fepc ansnbsp;qu’elle étoit raariée, imploroit le ciel poutnbsp;avoir des enfans, amp; murmuroit de ce qu’ilnbsp;étoit fourd a fes cris: A cela prés, elle pou-voit fe regarder comme la plus heureufe desnbsp;femmes : Époufe adorée, Princefle refpeéléenbsp;amp; chérie, maitrefle abfolue ^ done la beautenbsp;egaloit le pouvoir, rien ne fembloic manquernbsp;è fa félicité, Le Due pofledoit, outre le Du-ché de Normandie, des biens immenfes amp; lesnbsp;plus belles préro'gativ'es : II y avoir joint unenbsp;partie de la Bretagne, que fon époufe lui avoitnbsp;apportée eii dot. L'amour, la convenance, amp;nbsp;le veeu de fon peuple , avoient engage Hubert a demander au Due de Bretagne la mainnbsp;de Pa fille: La Souveraineté étoit le moindrenbsp;ies avantages que pofledoit le Due de Nois

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mandie. Aux qualités du corps Sc de l’efprit, il joignoit 1’ame la plus belle : Jufte, vaillantnbsp;amp; magnifique, mille traits héroïques caradé-rilbient fa vie. Les Rois Ie prenoient pournbsp;arbitre de leurs querelles; Sc, lorfqu’il avoicnbsp;prononcé, fi 1’un des deux refufoit de terminer leurs différens, Hubert prenoit les armes,nbsp;fe rangeoit du cóté du plus jufte, Sc, par con-féquent, de celui auquel il avoit donné gainnbsp;de caufe, Sc il forgoit toujours la vidoire denbsp;confirmer fes jugemens. II avoit atteint fanbsp;vingt-cinquième année, qu’il n’avoit pas fongénbsp;d fe marier : Tout fage qu’il étoit, il avoicnbsp;adopté Ie préjugé , commun aux Q-énérauxnbsp;Sc aux Officiers Normands de ce temps-la, quinbsp;penfoient qu’une époufe amollit Ie courage«nbsp;Sc, en conféquence, il avoit défendu qu’aii-cun de fes foldats fe mariat, de forte que lanbsp;guerve, qui n’étoit funefte a fes voifins quenbsp;par les hommes qu’elle leur enlevoit, l’étoitnbsp;doublement pour Hubert, qui perdoit fes foldats, Si qui s’ótoit les moyens de réparerfesnbsp;pertes.

Hubert étoit galant, quoique fage Sc pieux, mais il redoutoit les nmuds du mariage; fesnbsp;Courtifans, dans 1’efpérance de rendre fa Cournbsp;plus gaie amp; plus brillante, lui repréfentèrentnbsp;qu’il étoit temps de penfer a fe donnernbsp;des fuccefleurs, amp; que les guerre.® les plusnbsp;fanglantes dévafteroient fes États, s’il ve-noit a mourir fans enfans; qu’a la véri-té , felon l’ordre ordinaire de la nature, cenbsp;tenip^ ctgit encore très-éloigné, Sc qu’il n’y

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avoir aucun d’eux qui ne delirlit de donner la moitié de fa vie pour 1’éloigner encore.nbsp;Mais Hubert, qui connoiflbit la valeur de cesnbsp;facrifices, ne confulta que 1’intérét de fesnbsp;fujets : II envoya fecretteraent des Peintresnbsp;dans routes les Cours, avec ordre de fairenbsp;ks portraits de routes les Princeffes, fansqu’ellesnbsp;pulient s’en apercevoir. Lorfqu’il en eut raf-femblé une douzaine, il les expofa aux yeuxnbsp;de fes Courtifans : Les femmes les virent amp;nbsp;critiquèrent tout, les hommes cherchoientnbsp;dans les yeux du Due, quelle étoit celle qu’ilsnbsp;. devoient trouver la plus belle. 11 s’en aper-9ut; il fourit au portrait de la Comtefle denbsp;Flandre, dont la taille étoit lourde amp; inaf-11 ve, les yeux petits amp; louches, le teint palenbsp;amp; inanimé. Ils crurent avoir deviné le goutnbsp;du Prince , amp; la beauté de la Comtefle denbsp;Flandre fut mife au detlus des charmes denbsp;Vénüs. Hubert rioit de 1’art, avec lequel ilsnbsp;convertiflbient en grdees, les défauts les plusnbsp;frappans. Les femmes, plus fincères amp; plusnbsp;malignes, exergoient leur critique fur le mau-vais goüt de leurs maris, fur celui du Prince,nbsp;amp;, furtout, fur les traits manqués de leurnbsp;future Souveraine. Enfin, le Due fe rangeanbsp;du cóté des femmes; il déclara que la Comtefle de Flandre étoit très-laide, amp; les Courtifans ne comprenoient pas comment ils avoientnbsp;pu fe faire illufion au point de la trouver jolie.

De douze portraits, le Due en rejeta neuf, amp; confulta les Courtifans fur les trois qui ref-toient. L’un repréfentoit la fille de Raimondi

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Comte de Touloufe, en amazone, Ie cafque en tête. Pare en main, amp; pourfuivant unnbsp;fanglier, qui tratnoit après lui Ie trait dont ellenbsp;venoit de Ie blefier. L’autre écoit Ie portrait denbsp;la Duchefle de Bourgogne, jeune veuve, peintenbsp;en habit de deuil fous des voiles funèbres quinbsp;lehaufloient fa blancheur, appuyée fur Ie tora-beait de fon époux, qu’elle arrofoit de fes lar-mes; Pintérêt que fon affliftion répandoit furnbsp;toute fa figure, enchainoit Pame du Due. Lenbsp;troifième portrait étoit celui de la fille du Duenbsp;de Bretagne; elle étoit repréfentée dans lenbsp;négligé le plus fimple; elle prodiguoit k fonnbsp;père les carelles les plus ingenues; on voyoit,nbsp;a travers les rides du vieillard, la fatisfadionnbsp;que les grkes de fa fille lépandoient dans fonnbsp;coeur; fes yeux la fixoient amp; laifloient échap-per des larmes de tendreüe. Le Due Hubertnbsp;héfitoit entre ces portraits ; Les Courtifansnbsp;fe gardèrent bien de prononcer, amp;, pour cetrenbsp;fois, leur embarras venoit autant de 1’éga-lité des charmes de ces trois Princefies, quenbsp;de leur politique. Le Due ne pouvant fe dé-cider fur leur beauté, réfolut d’envoyer desnbsp;Ambaüadeurs dans les trois Cours, fous desnbsp;prétextes aflez légers. Il leur ordonna d’exa-miner a fond les caradères des trois Princefies,nbsp;de lui en faire un fidelle rapport, amp;, furtout,nbsp;d’etre fincères. La fille du Comte Raimondnbsp;étoit vive amp; piquante, elle joignoit les graces de Pefprit aux traits d’une beauté male,nbsp;qui annon^oient un courage au deflus de fonnbsp;fexe: Elle paftbic la moitié de fes jours dans

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les bois; les fétes les plus bruyantes, les jeux les plus pénibles, les exercices les plus dan-gereux, étoient ceux qa’elle préféroit : Sesnbsp;principales vertus étoient la magnanimité, Ienbsp;courage, la fermeté amp; 1'égalité de caraftèrenbsp;la plus conftante. Une ame tendre amp; fenfible,nbsp;la bonté la plus généreufe, un cceur toujoursnbsp;prét è partager les biens amp; les maux de 1’hu-manité, des mains toujours ouvertes a 1’in-digent : Tels étoient les principaux traits dunbsp;caractère de la jeune veuve. La candeur, lanbsp;fimplicité de moeurs, la douceur, amp; la déli-catefl'e de fentiraens, caraftérifoient la fille d,anbsp;Due de Bretagne : Cette naivete donnoit anbsp;fon efprit amp; a fa figure des graces qui fédui-foient; il étoit comme impoffible de lui ré-fifter. Le Due étoit encore indécis, il voulutnbsp;s’aflurer par lui-méme de la vérité, il fe cachanbsp;fousl’habitdepélerin : Lespélerinagesétoient,nbsp;alors, d’autant plus a la mode , que cettenbsp;dévotion étoit encore dans fa nouveauté. L’é-tat le plus voifin de la Normandie eft la Bretagne ; ce fut par la qu’il commen9a fa tournée;nbsp;31 arriva, fans aventure, jufqu'a Rennes; ilnbsp;auroit voulu s’infinuer jufque dans le palaisnbsp;du Due; la crainte d’être reconnu 1’en em-pêchoit, tm événement imprévu 1’y intro-duifit, malgré lui-même.

Des Corfaires Sarrafins infeftoient les cöres de Bretagne, ils enlevoient routes les jeunesnbsp;beautés qu’ils pouvoient rencontrer : On avoicnbsp;aper^u , a la hauteur de Saint-Malo, prés denbsp;Cancale, deux vaifleaux en panne, ils furenc

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.feconnus pour des Corfaires. Lajeuneffe Bré-tonne fe mit fous les armes, les jeunes fiUes reftèrent auprès de leurs mères, amp; Ton pritnbsp;les précautions les plus févères. On fe doutoitnbsp;que les Sarrafins avoient des intelligences fe-crettes dans la ville : On furpric deux Juifs,nbsp;qui s’étoient glides dans les principales mai-fons de Rennes, a la faveur des noms celèbresnbsp;amp; de l’habit de Pélerins. Dès ce moment, onnbsp;fit main-bade fur tous ceux qu’on trouva dansnbsp;Rennes; amp; Ie Due de Normandie, qui avoitnbsp;pris Ie nom du Cavalier Cintlilo, de Florence , fut arrêté amp; conduit au Due de Bretagne.nbsp;II ne futreconnude perfonne, il refufa de direnbsp;fon nom, il fe contenta d’afiurer qu’il étoitnbsp;Chevalier, amp; il offrit de donner la chafie auxnbsp;deux Corfaires. II paria avec une fi noble fer-meté, que Ie Due de Bretagne lui confia unenbsp;de fes galères : II ne prit que Ie monde quinbsp;lui étoit abfolumenc néceflaire. Avant que denbsp;fortir du port de Cancale, il fit partir unenbsp;chaloupe, afin d’attirer les Sarrafins amp; d’en-gager Ie combat. Son ftratagème réuffit; unnbsp;des Corfaires fe détache, fond fur la chaloupe, qui fait femblant de regagner Ie port:nbsp;Alors, Ie Due en fort, amp;, a force de rames,nbsp;s’approche du vaiüeau ennemi, qui Ie défie;nbsp;on en yienr ü Tabordage, amp; les Sarrafins, ré-duits a dix, combattans, demandent grice.

^’^titre Corfaire vient au fecours, Ie Due Ie laifle approclier amp; fe fait fur Ie pontnbsp;un rempart des cadavres entaffés des Sarrafinsnbsp;du premier vaifleau. Le fecond Cotfaire combat

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avec füfeur, ïh réfiftance eft vaine, i! alloit fubïr Ie fort du premier, un Renégat effrériénbsp;allume une torche amp; met Ie feu a la poupe;nbsp;quelques Chrétiens captifs fe jettent k la mer,nbsp;Ie Due leur envoye fa chaloiipe amp; les fauve:nbsp;Les Sarrafins furieux traJiient fur Ie pont ceuxnbsp;qui n’avoient pas encore pu fe précipiter dansnbsp;les flots, amp; les égorgent k la vue du Due;nbsp;mals, bientót, Ie feu confutne amp; Ia mer en-gloutit allaffins amp; viftiines. Le Due de Normandie ne put raraener qu’un des deux Cor-faires. Ce combat s’étoit paffe è la vue dunbsp;port: Le Due, qu’on ne connoiflbit que fousnbsp;ïe nom du Cavalier Cinchio , fut recu avecnbsp;des tranfports de joie : II diilribua aux gensnbsp;de l’cquipage le butin qu’il avoit fait fur lesnbsp;Sarrafins, amp; ne réferva qu’une aigrette denbsp;diamans, qu’il deftina k la fille du Due denbsp;Bretagne. II fut conduit a Rennes en triom-phe; le Prince, avec fa fille, vint au devantnbsp;de lui ; II préferita les captifs au pète, amp; of-frit les diamans k la Princefle : Elle ne le vitnbsp;point avec indifference, amp;: fa candeur ne luinbsp;permit pas de déguifer fes fentimens. Le Duenbsp;de Bretagne, rempli d’eftime amp; d’admiration,nbsp;le queftionna beaucoup fur fa naiflance amp; furnbsp;fes aventures. Le Due de Normandie réponditnbsp;modeftement qu’il avoit des raifons pour lésnbsp;cacher, que la principale étoit, qu’ayant éténbsp;'vaincu dans un tournoi, le vainqueur lui avoitnbsp;impofé cette loi bizarre, qu’il avoit juré denbsp;garder le filence jufqu’^ ce qu’il eüt vaincu,nbsp;i fon tour, ce Chevalier, amp; qu’il avoit pils

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ce moment pour accompli!' un vceu, qui étoit Pobjet de fon pélerinage. L’aftion éclatantenbsp;amp; généreufe que vous venez de faire, lui ditnbsp;Ie Due de Bretagne, amp; votre qualité de Che-•valier, me parlent aflèz en votre faveur, pournbsp;que je refpefte votre fecret. La Princeli'e prianbsp;l’étranger de lui faire Ie récit du combat:nbsp;Elle 1’écQuta a vee intérêt, amp; elle lui donnanbsp;les éloges les plus flatteurs. Le faux CJinthionbsp;lui témoigna combien il défireroit de pouvoirnbsp;expofer fa vie pour elle : II lui dit, d’un airnbsp;foumis amp; modefte , qu’il la fupplioit d’ac-cepter fes fervices, lorfqu’elle auroit couronnénbsp;les vneux de celui des Princes qui afpiroientnbsp;a fa main. La Princeflè s’inclina, fe tournanbsp;vers fon père, amp; rougit. Ah! Chevalier,'luinbsp;dit le bon vieillard, vous venez de renou-veler nos douleursj jè dois, pour le bonheurnbsp;demesfujets, marier bientót Mathilde, maisnbsp;je ne penfe qu’en frémiffant a notre reparation. Je ne vois qu’un Prince qui pourroit lanbsp;rendre moins fenfible; paree que fes États étantnbsp;voifins des miens, j’aurois, du moins, la fa-tisfadion de voir, de temps en temps, manbsp;chère fille ; il eft beau, jeune amp; vaillant; jenbsp;ne i'ai vu dans ma Cour que dans PSge lenbsp;plus tendre, amp; j’ai appris qu'il ne démentoitnbsp;point l’efpérance qu’il faifoit déja concevoirnbsp;fouvent entretenii Mathilde,nbsp;amp; j ai tache de faire naitre dans fon coeurnbsp;des fentimens que j’efpérois de couronner unnbsp;jour; mais on dit que ce Prince dédaigneiixnbsp;compte pour rien Ia beauté, méprife iv

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mour, amp; regarde les liens du manage comrae une chalne cruelle amp; infupportable. On vousnbsp;trompe, Seigneur, reprit 1’étranger avec vi-vacité : Jamais Ie due de Normandie nenbsp;con9Ut des idéés auffi faulies : II regarde,nbsp;fans doute , Ie mariage com me Ie plus grandnbsp;des maux, lorfqu'il enchaine deux caradèresnbsp;infociables; mais je fais qu’il n’afpire qu’a-près Ie bonheur de s’attacher é une compagnenbsp;aimable ; qu’il prend, pour ne point hafar-der une démarche imprudente, les moyens lesnbsp;plus fürs; qu’il aimeroit mieux époufer unenbsp;de fes fujettes, qui feroit felon fon coeur,nbsp;que la plus grande Reine qu’il croiroit ne pou-voir point aimer; amp;, comme il fait tout cenbsp;qu’il peut pour être adoré de fon peuple, il nenbsp;négligera rien pour être Ie meilleur des ma-ris. Je vous dirai bien plus; je fais qu’il adorenbsp;la Princeffe Mathilde, qu’il 1’a vue , amp; qu’ilnbsp;auroit mis fa félicité a pouvoir lui avouer fesnbsp;fentimens: II n’a pas ofé les lui déclarer, ilnbsp;eüt voulu s’aflurer plutót de ceux de la Prin-celle : S’ils font favorables, amp; qu’elle daignenbsp;me Ie permettre, d’un feul mot, je Ie déter-minerai a vous demander, a genoux, la mainnbsp;de votre fille. Le Due de Bretagne étoit aunbsp;comble de la joie, il permit a 1’étranger d’agirnbsp;comme il le jugeroit a propos, pour vu qu’ilnbsp;ne compromlt point fa chère Mathilde. Ellenbsp;ne comprenoit point comment le Due de Normandie avoir pu la voir : L’étranger, quinbsp;craignit qu’elle ne poufsSt trop loin fes con-jedures, lui expliqua la manière 4ont il avoic

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eules portraits de routes les Princefles; il lui apprit qu’il 1'avoit préférée k la Cotntefle denbsp;Touloufe amp; a celle de Bourgogne , après avoirnbsp;pris, par fes Ambafladeurs, des éclairciflemensnbsp;fur leurs caraftères. La Princelie parut flattéenbsp;de ces foins; fon père remit fes intéréts enttenbsp;les mains de 1’étranger, qui partit, deux joursnbsp;après, pour Rennes, amp; qui, auffi-tót aprèsnbsp;fon retour, envoya au Due de Bretagne unenbsp;ambaflade folemnelle pour lui demander It.nbsp;Princeflé en raariage. La demande fut bientdcnbsp;accordée, Ie Due de Bretagne accompagna Ma-thilde; elle ne fut pas fSchée de retrouvernbsp;dans Ie Due de Normandie, Ie Pélerin Cin-ihio.

CHAP I T RE II.

Dangers de la fuperftition. Naijfance de R9~ ben. Domes mal fondés fur la paiernité.nbsp;ylvis aux pères.

Ta maïs on ne vit deux époux fi bien af-^ fortis: C’étoit, de part amp; d’autre, la beauté ^ plus parfaite amp; la tendreflé ia plus vivetnbsp;Depuis dix-fepc ans qu’ils étoient mariés, rieanbsp;n avoitpu troubler leur union; ils partageoientnbsp;leurs peines amp; leurs plaifirs, tout rioit a leursnbsp;veeux : Une feule chofe troubloit leur féli-cite \ Ie ciel refulbit des enfans leur amournbsp;amp; a leurs prières. Mille fois, ils s’étoient té-öioigné leurs regrets l’un a Tautre: MathiLde

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confoloit Hubert par fes carelfes •, Hubert cher-; choit i écarter cette idéé affligeante de l’ef-prit de Mathilde. Elk avoit confervé fur Ie tróne cette candeur amp; cette fimplicité , quinbsp;faifoit les délices de fon père; mais fa fen-fibilité , qui fembloic s’être augmentée, caufanbsp;.fon crime amp; fes malheurs.

Pour confoler Hubert, elk lui difoit, un jour, je bénis k ciel de m’avoir donné unnbsp;époux tel que vous : Vous faites k bonheurnbsp;de ma vie ; .dix-fept ans fe font écoulés commenbsp;ime nuit : Peut - être eft-ce moi que Ie cielnbsp;punit, en nous refufant des enfans; fi vousnbsp;aviez époufé une autre PrinceiTe, elk ne vousnbsp;eut, fans doute, pas tant aimé que moi, maisnbsp;fa fécondité vous eClc dédommagé de ce quenbsp;vous auriez perdu du cóté de la tendreffe. Hubert fe fenroic p'énétré de l^adliétlon de fonnbsp;époufe, il lui .diffimuloit fon propre chagrinnbsp;autant qu’il k pouvoit. La Duchefle Ie ref-fentoit plus vivement que lui-même; elk eutnbsp;recours a tous les fecrets de la Médeeine , amp; ilnbsp;tousceux de la Chimie des Arabes, qui, dansnbsp;ce temps-l.a.» avoient fait les plus grands pro-grès dans'ks arts. Enfin ..n’ayant pliis ‘aucunenbsp;reflburce du cucé de la Riyfique, elk eut recours aux voies ridicules de la fuperftition lanbsp;plus abfurde. Mathilde n’étoit point créduk ,nbsp;mais quel eft Ikfprit fort, 'qu’un grand intérêcnbsp;n’ébrank pas quelquefois ? Nous favóns, ennbsp;général, que l’èfprit hutnain a fes botnes :nbsp;mais, qui peut les déterminer? L'efpoir amp; Ienbsp;dêfir nous perfuadent aifément qu’il noüs refte

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encore bien des fecrets a découvrir dans les fciences; amp; qui nous a dit que ce quinbsp;n’a pas été tiouvé jufqu’a nous, ne Ie feranbsp;jamais? Telle invention qui paroiflbit impof-fible avant fa découverte, nous femble unnbsp;jeu.depuis que nous la poffédons. C’eft ainlinbsp;que railbnne tout homme fortemenc occupénbsp;d’une paffion. qu’il cherehe a fatisfaire, amp; c’eftnbsp;ainfi qu’on fit raifonner Mathilde.

On lui perfuada de s'adrefler a un Juif, qui, abufant de la foiblefle du peuple amp; denbsp;quelques connoiflances qu’il avoir acquifesnbsp;cbez les Arabes, avoir 1’art d’évoquer lesnbsp;ombres, amp; prédifoit l’avenir : Parmi beau-coup d’autres fecrets, il avoir celui de rendrenbsp;¦ftériles les femmes fécondes, amp; de donner Ianbsp;quot;fécondité a celles que la nature avoit fait fté-'riles. Mathilde eut la foiblefle de confulternbsp;eet oracle : L'infame Iduméen 1’aflura du fuc-cès, fi elle promettoit de lui garder un fecretnbsp;inviolable. Elle Ie lui jura, pourvu, ajouta-t-elle, que vous n'exigiez de moi rien qui puiflenbsp;blefler 1’honnêteté. On la raflura d eet égard :nbsp;On lui expliqua tous les myftères de la cabale:nbsp;On lui apprit que la terre, les airs amp; lesnbsp;eaux étoierrt peuplés de Génies, a qui l’Êtrenbsp;¦Suprème avoit confié Ie gouvernement de 1’u-'nivers, qu’ils protegeoient les hommes, amp;nbsp;s’uniflbient quelquefois aux mortelles. On de-manda d Mathilde , fi la préfence d’un de cesnbsp;êtres, fevêtu d’une forme vifible, ne Teffraye-roit point : Elle répondit qu’elle fe lentoitnbsp;aflez de courage poor legt;voir. L’impur Ifraé-

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lite fit des conjurations, amp; 1’on entendit des éclats qui ébranlèrent la caverne ou fe pafibitnbsp;cette fcène : Après avoir évoqué trois foisnbsp;1'Être des étres, Ie fond de la caverne s’ou-vre avec un bruit effroyable , amp; un jeune-homme, d’une beauté parfaite, vient fenbsp;jecer aux pieds de Mathilde, qui s’évanouit.nbsp;Ce jeune-liomme étoit, en effet, un Génie;nbsp;mais Ie Juif ignorant, amp; aufli crédule que lesnbsp;fuperftitieux qui Ie confultoient, Ie prit pournbsp;un amant de Mathilde, qui vouloit profiter denbsp;fa refleinblance avec Hubert pour furprendre,nbsp;par la rufe, des faveurs que fes foins n’avoientnbsp;pu lui fairq accorder. Mathilde amp; Ie Leéleurnbsp;retrouveront encore ce Génie fur leurs pas.

Le Juif profita de l’évanouiflément de Ma-thilde, pour faire brüler des herbes aromati-ques, qui jetoient les fens dans une ivrefle voluptueufe, amp; plongeoienc 1’imaginationnbsp;dans un délire, qui , fans lui óter Pentièrenbsp;connoiflance des objets, ne les faifoit voirnbsp;que fous les faces les plus riantes. Lorfquenbsp;Mathilde fortit de fon évanouifl'ement, ellenbsp;fe trouva la téte appuyée fur les bras du jeunenbsp;homme qui la foutenoit; elle fit un cri amp; fenbsp;leva comtne furieufe. Pourquoi, ma chèrenbsp;Mathilde, vous refufer aux carefles d’un épouxnbsp;qui vous adore ? d’oü vous vient eet effroi,nbsp;lorfque j’ai paiu devant vous.^ étes-vousnbsp;étonnée de me voir chercher les mêmes moyensnbsp;que vous, de nous procurer des gages facrés denbsp;Botre amour. Ah! je le vois, le remord denbsp;Hi’en avoir fait un myfière a caufc votre trou-

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de Robert Ie Diahle.

ble; mais foypz tranquille, Ie motif qui vous fait agir, vous juftifie aflèz.

Machilde, les yeux fixes fur 1’être qui lui parloit, féduite par Ie fon de fa voix amp; parnbsp;fa reiTemblance j mais Te fouvenant du Génienbsp;qu’on avoit promis de lui faire voir, flottoicnbsp;dans la plus cruelle incertitude. Celui qui luinbsp;parloit lui paroillbit feulement plus jeune quenbsp;fon époux : Elle en marqua fa furprife. Ah!nbsp;Mathilde, lui dit-il, fe peut-il qu’un fi légernbsp;déguifement vous fafle me méconnoitre? Vo-tre coeur n’eüc-il pas dd écarter ce foiblenbsp;prettige ? auquel j'avouerai que j’ai eu re-cours pour paroitre a vos yeux avec les mé-mes traits qui vous plurent tant dans Ie Pé-lerin Cinthio? Le charme a opéré Ie mêmenbsp;changement fur votre figure; regardez-vousnbsp;dans cette glace, ajouta-t-il, en lui donnantnbsp;«n miroir infidelle qui rajeuniflbit. Mathildenbsp;fe retrouva dans 1’étac oü elle étoit lorfqu’ellenbsp;époufa Hubert. Vous fentez bien , Mathilde,nbsp;reprit-il, pourquoi j’ai eu recours a ce furcroïtnbsp;de charmes : Le favant Enchanteur, qui nousnbsp;fait part de fes fecrets , m’a afluré que nousnbsp;aurions la poftérité la plus nombreufe; maisnbsp;que les momens étoient précieux, amp; que cenbsp;jour étoit marqué par les plus heureufes def-tinées.

Mathilde étoit bien convaincue qu’elle parloit a Hubert, cependant un fecret fentimenc la retenoic encore. Cher époux, lui difoit-elle, je ne fais quel ett le trouble qui m’agite;nbsp;vous connoiflez ina tendrelle pour vous, vous

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favez avec quelle volupté je. me fuis toujours Uvrée k vos tranfports : D'oa vient que, dansnbsp;ce moment, je ne puis trouver, au fond de raonnbsp;coeur, la méme ardeur amp; les mêmes défirs ?nbsp;Quoi, Mathilde , s’écria Ie faux Due de Normandie, Mathilde éprouveroit, enfin, de 1’in-différence pour un époux qui n’a jamais cefl'énbsp;d’être amant, amp; qui l’eft, dans ce moment,nbsp;plus qu’il ne Ie fut jamais! Oh! pour de 1’in-différence, non, dit-elle, non, cela eft impofli-ble: Mais... dans cette caverne! è la merci d’unnbsp;Juif l Je t’entends, reprit-il, ma chère Mathil de,nbsp;viens, fuis-moi. Mathilde lui tend la main, ilnbsp;J’embrafle, amp; la conduit dans un bofquet denbsp;myrthes, au de ld d’un ruifleau qu’ils paf-sèrent dans une nacelle que Ie faux Due tiranbsp;fur Ie rivage; C’eft ld que, féparé du refte dunbsp;monde , Ie perfide fe livra a mille tranfports qui furent rendus inutiles, comme on Ienbsp;verra dans fon temps.

Dependant, les heures fe paflent: Le jour eft prés de fa fin, amp; le Idche Iduméen, quinbsp;avoit tout d craindre d’Hubert, veut féparernbsp;les amans;il appelle Mathilde, qui ne rentend point; il veut pafl'er dans 1’ile des myrthes ; mais la nacelle étoit fur le rivage op-pofé; il franchit le ruifleau a la nage, amp; trouvenbsp;le faux Due, qui foutenoit Mathilde évanouie.nbsp;II le prefle , lui fait fentir le danger qu’ilsnbsp;courent, amp; ils éveillent la Duchefle, dont lenbsp;premier mouvement eft d’embrafler fon époux:nbsp;Mais, 6 ciel! l’illufion avoit cefl'é, le fauxnbsp;Due n’avoit plus aucune rellemblance avec le

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de Robert Ie Diahle.

«éritaWe. Perfides, s’écrie-t-elle, dans quel abyme m’avez-vous plongée? Barbares, arra-chez-moi Ie jour , il nevous en coütera qu’unnbsp;crime de plus. Vous avez ofé déshonorer vo-tre Souveraine, tremblez. Monftre, dit-ellenbsp;au Juif, arrache-moi Ie jour, te dis-je, ou jenbsp;Vais tout révéler au Due; amp; toi, vil impof-teur, par quel prettige, abufant de ma proprenbsp;'Vertu, as-tu pu tromper, fous une faufle ap-parence, Ie penchant fecret de mon coeur.

Mathilde pleuroit amp; s’arrachoit lescheyeux;^ elle voulut fe poignarder, Ie Juif 1’empêcha.nbsp;II prit un air confterné, repréfenta a la Du-chefle que fa mort entraineroit celle de fonnbsp;mari; que Ie meilleur parti qu'elle eut a prendre, étoit d’enfevelir tout dans Ie plus pro-fond myftère; qu’au furplus, elle n’avoit riennbsp;a fe reprocher. N’êtes-vous pas venue, luinbsp;dit-il, interroger mon art? Ne vous ai-je pasnbsp;demandé fi la préfence d’un Génie ne vousnbsp;effrayeroit point? Ne vous ai-je pas dit que,nbsp;fouvent, ces efprits s’uniflbient aux mortelles? Ne m’avez-vous pas permis d’en invoquetnbsp;un ? II eft vrai que la forme fous laquelle ilnbsp;a paru vous a trompée; fous toute autre, ilnbsp;n’eCit pu obtenir de vous des faveurs, fansnbsp;• lefquelles il étoit impofilble que vos défirsnbsp;pour votre pottérité fuflent templis. Quoi,nbsp;reprit-elle, tu voudrois me perfuader encorenbsp;que ce ravifleur eft un efprit élémentaire ?nbsp;Beauté célefte, s’écria Ie faux Sylphe d’unenbsp;voix entrecoupée, je n’ai commis d’autre crime que d’avoir emprunté les traits de votie

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époux, amp; de n’avoir pas eflayé de vous plaire fous les miens. Et qui es-tu, dit la Ducheflenbsp;d’un ton irapofant? Je luis un démon, s’écrianbsp;,1e fcélérat, amp; 1’enfant que tu portes aura tesnbsp;vertus amp; mes vices. Sois difcrète, cache a tonnbsp;mari ce qui vient de t’arriver : Malgré Ienbsp;ciel, tu as voulu avoir un fils, dans neul'moisnbsp;tu Ie mettras au monde.

La douce amp; timide Mathilde vouloit s’é-lancer fur fon raviffeur ; mais il s’engloutit dans Ie fein de la terre, amp; ne lailla qu’unenbsp;épaifle fumée. Elle demeura comme interdite;nbsp;elle ne favoit que croire de tout ce qui venoicnbsp;de fe palier; Ie Juif Taflura que tous ces évè-nemens étoient fort otdinaires, que Ie Génienbsp;auquelelle avoit accordé fes faveurs, étoit unnbsp;Génie tout - puiflant, dont 1’empire étoit aunbsp;centre du globe de la terre.

Elle avoit entendu parler a fa nourrice de Lutins, d’Efprits ineubes amp; fuccubes, de Syl-phes, de Gnomes amp; d’Ondins : Jufqu’a cenbsp;moment, elle n’avoit ajouté aucune foi a cesnbsp;fables: Si ce qu’elle venoit de voir ne la per-fuada pas entièrement, elle avoir un fi grandnbsp;intérêt a Ie croire, qu’elle commen9a, toutnbsp;au moins, de douter- Elle fe fit reconduire parnbsp;Ie Juif, amp; revint au Palais, oü, par bonheiir,nbsp;Ie Due n’étoit pa^ encore rentré : Elle eut Ienbsp;temps de fe mettre au lit, fous prétexte d’unenbsp;légère indifpolition.

Le Due étoit a la chafle depuis Ie matin : Il revint harrafl'é : On lui dit que la Duchefle re-pofoit; il remit au lendemain a la voir. A

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de Robert Ie Diahle.

peine fut-il jour, qu’il pafla dans 1’apparte-menc de Mathilde : II la trouva un peu abat-tue, il fe coucha auprès d’elle, amp; lui fournit des ruifons de douter fi Ie fils qui devoit naitrenbsp;d’elle appartiendroit au Due ou au Démon.

Mathilde, cependant, inquiète fur 1’exif-tance des Efprits élémentaires, alloic conful-tant de tous cótés; mais elle ne pouvoitétre éclaircie : Enfin, elle appela Ie Juif, a quinbsp;elle promit fa gvèce s’il lui avouoit la vérité ,nbsp;quelle qu’elle fdt. Le Juif lui donna fa parolenbsp;qu’il ne lui cacberoic rien après fes couches:nbsp;Car fa groflefle é-toit déclarée, è. la grandenbsp;fatisfaélion du Due amp; de fes Sujers.

Enfin, le temps d’accoucher arriva. Ma-thilde éprouva les douleurs les plus affreufes; fon accouchement dura un mois entier, mal-gré les prières amp; les veeux de route la Cour:nbsp;Tous ceux qui étoient auprès de la Princeflenbsp;fondoient en larmes. Le moment de la naif-fance fut annoncé par les prodiges les plusnbsp;inouïs, foit qu’ils fufl'ent furnaturels, commenbsp;plufieurs Hiftoriens Tont cru, foit qu’ils fuf-fent les effets des fecrets du Juif. Lorfqu’ilnbsp;naquit, le ciel fe couvrit de nuages amp; retentie, d’un póle è 1’autre, de coups redoubles de tonnerre. Le Palais du Due’parut toutnbsp;en feu, un ouragan renverfa une de fes prin-cipales tours; une chouette, qui fe glifla dansnbsp;la chambre de la Ducheile , éteignit, avec fesnbsp;ailes, 1’une après 1’autre, routes les bougies,nbsp;qui fe rallumèrent d’elles-mêmes. L’enfant,nbsp;en venanc au monde, éternua trois fois, amp;

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il lui vint trois dents; deux heures après, il éter-nua encore trois fois, amp; l'oii s’apergut de trois dents nouvelles; avant la fin du jour, il ne luinbsp;en manquoit aucune. II mordoit fes nourrices,nbsp;amp; 1’une d’elles ne put s’empêcher de s’écrier quenbsp;eet enfant étoit un diable, ce qui alarina beau-coup fa mère, On fut oblige de Ie nourrir avecnbsp;du lait, qu’on lui faifoit avaler, malgré lui, aunbsp;moyen-d’un biberon. A peine avoit-il un an,nbsp;qu’il parloit aufli diftinftement que fon père :nbsp;II demandoit tous fes befoins, amp; favoit fenbsp;faire obéir ; Les enfans ordinaires, k 1’agenbsp;de fept ans, font moins formes qu’il ne 1’é-toit : Son père 1’appela Robert. 11 n’y avoitnbsp;aucune forte de méchancetés qu’il ne fit, je-tant a la tête des uns tout ce qu’il tenoit dansnbsp;•fes mains, frappant les autres, amp; ne faifantnbsp;grSce a perfonne. A cinq ans, il affommoitnbsp;tous les enfans d’un Sge fupérieur ; Ils fuyoientnbsp;dès qu’ils Ie voyoient. Le propos de fa nourri-ce, lorfqu’il la mordit, amp; la terreur qu’ilnbsp;infpiroit aux autres enfans, lui firent donnernbsp;le nom de Robert le Diable, qu’il porta toutenbsp;fa vie.

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at

de Robert U Diahle.

C H A P I T R E in.

Efplégïeries de Robert. Chagrins qu'il donne d fes parens. Devoirs qu’impofe Ie titre ddnbsp;Chevalier. Combat.

y NE enfance auffi difficile annon9oit Ia jeuneffe la plus orageufe : Lorfqu’il eut at-teint fa huitième année, Ie Due Ie mit foutnbsp;la conduite d’un Gouverneur, auquel il donnanbsp;route autorité. C’étoit un homme d’un mérite diftingué, qui avoir fervi 1’État dans Ienbsp;Miniftère. II ne fe chargea de Robert que patnbsp;confidéracion pour fon père, amp; paree que ynbsp;d’ailleurs, a travers les défauts de ce jeune-homme, il croyoit voir un fonds heureux.nbsp;R obert marqua la plus grande indocilité, ilnbsp;jura que jamais il ne foufi’riroit que perfonnenbsp;fut fon maitre, prit fes livres, les foula auscnbsp;pieds amp; mena9a fon Gouverneur. Le Due Ienbsp;fit mettre aux arréts dans le donjon. Robert,nbsp;qui, dans ce moment, ne fut pas le plus fort,nbsp;OU, du moins, qui ne voulut point lutter con-tre fön père, fit femblant de fe repentir; maisnbsp;c’eft dans le temps qu’il paroiflbit plus tran-quille, qu il méditoit fes efpiégleries. Dansnbsp;le grand nombte de celles dont on parle encore en Normandie, les Hiftoriens n’ont con-fervé que les fuivantes.

La veille d’une grande partie de chaffe, il i-éfolut de. la faire raanquer : II attendit la

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nuit, amp;, lorfqu’il crut que tout Ie monde dor--moit profondément, il fe léve, va, nus pieds, dans routes les chambres de fon donjon, prendnbsp;les culottes, les fouliers amp; les bas de fon Gouverneur, les Hens amp; ceux de fes domeftiques,nbsp;amp; les porte dans les chambres, du premiernbsp;étage, reporte ceux du premier au fecond,nbsp;ceux du fecond au donjon, amp; fe remet dansnbsp;fon lit. A 1'heure indiquée i lorfqu’il fallutnbsp;fe lever, amp; que chacun veut s’habiller a lanbsp;Mte, les uns trouvent leurs habillemens élar-gis, les autres beaucoup plus étroits que lanbsp;veille. L’un va faire part de fon aventure Anbsp;fon voifin, qui venoit lui communiquer la fien-nejl’autre fouille dans fa poche, amp;y trouvenbsp;de 1’argent qu’il n’y avoit pas laifl'é. L’alar-me amp; la furprife fe communiquent de cham-bre en chambre. Robert n’eft pas Ie dernier anbsp;jurer; a tout inftant, I’embarras augmente.nbsp;II aper^oit un valet-de-pied qui portok fanbsp;culotte, il s’élance fur lui, amp; Ie traite denbsp;fripon, Ie méme valet voit fes bas aux jambesnbsp;du Gouverneur. Tout étoit dans la confufion;nbsp;Robert feint de chercher l'auteur de eer em-barras ; Le Due de Normandie, qui voit fanbsp;partie de chafle dérangée, eft furieux, amp; veutnbsp;qu’on punifle le coupable; le Gouverneur,nbsp;qui fe doutoit de la vérité, appaifa tout lenbsp;monde. Mais toute la journée fe pafla a re-trouver fes effets.

Une autre fois, il étoit avec quelques ca-marades de fon Ége amp; de fon caraélère, done

i’un l’avoit fervi dans raventnre précédent^.

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de Robert Ie Diahle. nbsp;nbsp;nbsp;^5

Ils alloient de lous cótés, volant les fruica amp; dévaftant les campagnes. Ils entrerent dansnbsp;Ie jardin d’un Convent de Moines; ils furentnbsp;2per9us ; Un des Frères, efcorté de quelquesnbsp;valets, fe mit 4 les pourfuivre : Les cama-.nbsp;lades de Robert efcaladèrent les inurs amp;nbsp;fe fanvèrent ; Robert, moins prompt fut Ienbsp;dernier; Ie Frère 1’atteignit au moment ounbsp;il efcaladoit; il ne l’arrêta point, mais, 4nbsp;grands coups de difcipline, il 1’accompagnanbsp;jufqu’au haut du mur. Lorlque Robert y futnbsp;parvenu, il fe mit 4 pleurer amp; a crier aprèsnbsp;fon couteau, qui, difoic-il, étoit garni en or tnbsp;Le bon Frère lui demanda oü il 1'avoicnbsp;laifle, amp; lui promit de le lui donner; Robertnbsp;lui fit figne que c’étoit au pied du mur, parminbsp;des herbes qu’il lui indiqua du doigt. Lenbsp;Religieux, qui vouloit profiter du couteau,nbsp;fe mit a le chercher : Tandis qu’il avoicnbsp;le front courbé, Robert décacha du murnbsp;la plus groflepierre qu’il putarracher, 8: la jetanbsp;fur le dos dü Frère, qui refta eftropié futnbsp;la place.

Chaque jour, il inventoit de nouvelles efpiégleries : Son Gouverneur voulut lenbsp;cornger. Robert jura de lui óter cette fan-tarfie» amp; il remit a la nuit méme 1’exécutionnbsp;de ce deliein. Pour mieux s’aifurer de Robert,nbsp;qui s echappoit fouvent, le Due 1’avoitlogé^nbsp;corame on l’a dit, dans le donjon, au plusnbsp;haut du palais. Depuis l’aventure du changement d’habilletnens, le Gouverneur ne fenbsp;couchoit jamais, qu’il.ne fut bien certain

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que Robert étoit endorrni. 11 falloit, pour arriver a fon appartement, monter quelqtiesnbsp;marches amp; traverfer un long corridor. Lenbsp;Gouverneur, è une certaine heure, ne man-qua pas d’aller efpionner Robert; il laiflbitnbsp;fes pantoufles fur 1’efcalier, amp; s’introduifoicnbsp;dans 1’appartément. Robert 1'attendit pendantnbsp;Ja nuit, le lailie paüer, amp;, tandis qu’il étoicnbsp;è. faire fa vifite, qui fut d’autant plus longue, qu’il avoit trouvéla porte ouverte, fansnbsp;que perfonne lui répondic, Robert cloua lesnbsp;pantoufles du Gouverneur, amp; fe retira. Alar-mé de ne pas trouver fon Elève, le Gouverneur revient k la hite, met fes pieds dansnbsp;fes pantoufles, Sc, dès qu’il veut avancer, fonnbsp;corps perdant l’équilibre, il roule dans l’ef-calier avec fracas; les cris du Gouverneur,nbsp;le bruit qu’il fait en roulant, éveillent lesnbsp;valets : On accourt au bruit, amp; Robert eftnbsp;des premiers a lui porter du fecours.

Certe efpiéglerie eut des fuites plus f5-cheufes que Robert ne 1’avoit cru : Le Gouverneur fe blefla, amp; mourut, peu de jours après, de lès bleflutes. Dès ce moment, Ro-¦bert ne voulut plus étudier, amp;, quand mêmenbsp;al 1’eüt promis, perfonne ne fe füt chargénbsp;de lui. Sa méchanceté étoit au comble, onnbsp;ne 1’appeloit, par-tout, que Robert le Dia-ble, amp; autant fes parens avoient déliré denbsp;Vavoir, autant étoient-ils fdchés d’avoir éténbsp;exaucés. Mathilde, furtoüt, étoit défolée, Stnbsp;n’ofoit confier a perfonne le myftère de lanbsp;oaiflance de fon fils.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;¦nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;.

Robefi

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de Robert Ie Diuhle, nbsp;nbsp;nbsp;25

Robert étoit parvenu ^ ïb dix - feptième année-, Mathilde, malgré fes vices amp; lanbsp;home de fa naiflance, ne pouvoic s'empS-cher de l’aimer : EUe efpéra que, s li ob-tenok Ie grade de Chevalier, cenbsp;pofant feroit un frein pour l’avenir. Elle lenbsp;propofa è fon époux, qui aifeinbla lesnbsp;cipaux Seigneurs de la Cour amp; tous les Chevaliers de fes États. II avoir fait publiernbsp;un grand tournoi, afin que Robert parucnbsp;digne de la marque d’honneur dont 11 alloitnbsp;être décoré. Le Due lui expofa les devoirsnbsp;auxquels le titre de Chevalier 1’obligeoit. IInbsp;lui repréfenta que la naiflance amp; les dignités nenbsp;fervoient, le plusfouvent, qu’a dégrader lesnbsp;hommes, en les faifant connoirre; que, fi cesnbsp;prérogatives ne nous faifoient point aimer,nbsp;elles devoient nous faire détefter; qu’il n’ynbsp;avoit pas de milieu pour les Grands, entr®nbsp;l’amoLir amp; la haine , le refpedt amp; le mépris; que ce n’étoit qu’a force de vertusnbsp;qu’ils pouvoient faire oublier a leurs intérieurs , leur fupériorite toujours humiliaiite ;nbsp;qu’il n’y. avoit d'autre moyen, pour fe con-cilier 1’eftime amp; 1’amitié du peuple , quenbsp;d’etre doux, honndte amp; vertueux; qu’un hotn-, d’une naiflance commune, pouvoit êtrenbsp;vicieux, fans conféquence; mais qu’un Grandnbsp;étoit dans la nécelflté d’être fans reproche :nbsp;Enfin, que le titre de Chevalier alloit lui impo«nbsp;fer encore plus formellement cette néceffité ;nbsp;qu’il feroit honteux qu’un Prince né pournbsp;ïégneï fur de vaftes Etats, ne fut point armé

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Chevalier; maïs qu’il Ie feroit encore davan-tagc qu’un Chevalier n'eut pas les vertus de fon étac. Robert répondit a fon père , que lanbsp;veriu étoit indépendanted’un vain titre: Que,nbsp;Chevalier ou non, il devoir connoitre fes devoirs , amp; qu’il s’expdiqueroic plus ouvertemencnbsp;devant les Chevaliers. Le Due ne Ie prellanbsp;pas davantage, amp; ne favoic que penfer de fonnbsp;^Is.

Le jour fixé pour ie Tournoi, amp; tous les Chevaliers étant aüemblés amp; prêts a recevoirnbsp;Robert, il leur paria aiiili; Chevaliers, fi lenbsp;courage amp; la valeur font les premières vertusnbsp;que vous exigez pour être admis dans votrenbsp;Ordre, perfoime ,'je crois,n’y a plus de droitnbsp;que moi; j’efpère de vous le prouver avantnbsp;la fin du jour. Vous exigez, dit-on, routesnbsp;les autres vertus qui conHituent 1’honnêtenbsp;homme, en quoi je trouve 1’Ordre de Che-valerie fortinutile: Car, il fuffit de vivreparrainbsp;les hommes, pour être aflujeti aux mêmesnbsp;devoirs. Ces vertus doivent naftre avec nous,nbsp;leur développement depend des circonftances:nbsp;J'ignore fi je les pofl'éde, paree qu’il ne s’eftnbsp;pas préfenté des occafions de les exercer; cenbsp;que je fais bien, c’eft que 1’Ordre de Che-valerie ne les donnant, ni ne pouvant lesnbsp;donner , il eft aflez indifférent a 1’honnêtenbsp;homme qui les poflede d’être ou de n’être pointnbsp;Chevalier. Votre Ordre doit done fe bomernbsp;ii exiger de ceux qui y afpirent, une valeurnbsp;éclairée amp; un courage a route épreuve. Voila,nbsp;CJievaliers, fur quoi vous devea rae juger,

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de Robert Ie Diable.

m’admettre, ou me refufer. J’efpère, è cec égard, de mériter votre eftime.

Robert entre en lice, il ne fe préfente point de combattant qu’il ne terraffe; il ne fe con^nbsp;tente pas de les renverfer, il fait voler leursnbsp;armes en éclats, tue leurs chevaux, qu’il percenbsp;d’outre en outre. II combattit avec plus denbsp;ménagement contre ceux qu’il atta quoit; mais,nbsp;dès qu’un Chevalier ofoit être 1’aprefleur, ilnbsp;CDuroit rifque de la vie , amp; y laiflbit un brasnbsp;OU une jambe. Tous les Chevaliers étoient in-dignés, il leur propofa de fe battre lui feulnbsp;contre tous enfemble; les lois de la Cheva-lerie s’y oppofoient, paree qu’il n’y auroitnbsp;point eu de gloire a Ie vaincre, amp; qu’il ynbsp;auroit eu beaucoup de honte a être vaincus.nbsp;Pour rendre la partie moins inégale, Robertnbsp;demanda qu’il fut permis a fes compagnonsnbsp;d’armes , quoiqu’ils ne fuflent encore qu’É-cuyers, d’entrer en lice pour Ie foutenir. Lesnbsp;Chevaliers, qui craignirent que leur refus nenbsp;füt pris pour une marqué de timidité, con-fentirent a la demande de Robert: Peut-êtrenbsp;efpéroient-ils de fe venger, en fe réunifl'antjnbsp;des coups qu’il leur avoit portés a chacua,nbsp;en particulier, Ses jeunes compagnons, quinbsp;n'etoient que fpeftateurs du combat, entrentnbsp;dans la barrière, au nombre de quinze. Lesnbsp;Oh^VB-lifirs c]^U0 Robert n'avoit pas mis horsnbsp;d’état de Ie battre , fe préfentèrent. Commenbsp;leur nombre étoit fupérieur, ils vouloient tirernbsp;au fort : Robert voulut qu’ils combattiflentnbsp;llordonne s fes compagnons d’attaquer;

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2t5 nbsp;nbsp;nbsp;liiftoin

Les chevaux de plus de moitié font renverKs, amp; les Cavaliers obligés de fe retirer. Alors,nbsp;Robert fejette au milieu desChevaliers commenbsp;un furieux: En un moment, armets, lances,nbsp;ecus, tout eft brifé : Les plus intrépides frémi-xent ;il pourfuit, il renverfe tout cequi tombenbsp;fous fes coups. Sa lance s’eft brifée; fon épéa anbsp;1’apparence d’une fcie, il en fait des bleflures encore plus öangereufes; elle cafle , enfin, ennbsp;fes mains. II prend celle d’un de fes camara--des, qui fe cafle encore. II aper(;oitune barrenbsp;de fer qui fervoit de barrière, il fe jette inbsp;bas de fon cheval, arrachecette nouvelle arme,nbsp;amp; aflbmme chevaux amp; Cavaliers. Le combatnbsp;avoit été très-meurtrier ; trois Chevaliersnbsp;des plus vaillans avoient perdu la vie; le champnbsp;de bataille étoit couvert d’éclats d’armes, d«nbsp;membres épars amp; de chevaux tués. Robert com-battoit encore; le Due, fon père, ordonna qu’onnbsp;ceflat, amp; déclara que le Tournoi étoit fini; fonnbsp;fils étoit fourd a fa voix, il refpiroit le fang amp;nbsp;Ie carnage. Huit Chevaliers, qui reftoient encore, fans égard au nombre, ni a 1’égalité desnbsp;forces, s’uniflent pourl’accabler enfemble. Robert les attend de pied ferme, amp;, fe faifantnbsp;fouteHir,pourn’écre pasprisen fianc, par deuxnbsp;de fes compagnons, il fe défend avec tantnbsp;d’avantage, qu'il fait mordre la poufiière anbsp;trois de fes aflaillans. Enfin, le peuple, in-digné de tant de fang répandu, murmure amp;nbsp;s’émeut. Robert, le téméraireRobert, ofe 1’af-fronter : Déja la populace s’arme de pierres.nbsp;Ia fédition commence a devenir générale. La

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de Robert Ie Diahle. nbsp;nbsp;nbsp;29

Ducheffe, la larme a l’ceil •gt; enire dans la lice, court au devant de Robert, fait femblant denbsp;tomber k fes genoux : II eft honteux de cenbsp;mouvement, rend les armes a fa mère, amp; fenbsp;laifle conduire au Palais; mais il Ie garda biennbsp;d’y entrer, dans la craince que fon père nanbsp;1’arrêt^t. II promit a la Duchefle de ne pasnbsp;pouflèr les chofcs plus loin : II fe retira cheanbsp;un de fes camarades, amp; y paffa la nuit.

CHAPITRE IV.

Révolte de Robert. Ses cruautés amp; fon liber-tinage. II déclare la guerre d fon, Père. Aventure de fept Hermiies.

X^E lendemain, dès Ie point du jour, Robert raflemble fa petite troupe, amp; forme Ie projet de parcourir route la Normandie, amp;nbsp;de chercher les aventures. La terreur marchoitnbsp;devant lui; rien n’étoit a couvert de fes fu-reurs amp; de fa lubricité. Par-tout ou il décou-vroit de jeunes files ou des femmes dont lanbsp;beaute méritoit fes funeftes hommages, il fal-loit que, de gré ou de force, il en obdnt lesnbsp;laveurs . Malheur è qui s’oppofoit éi fes violences. Ses trefors étoient les temples; il em-portoit les vafes amp; les ornemens d’or amp; d’ar-gent, il les rempla^oit par des vafes de boisnbsp;ou de terre. 11 difoit, d'un ton infuUant,

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so

Hijioire

avec une raillerie facrilege, qu’un Died n3 dans une etable, devoir s’accoutumer a boirenbsp;dans des vafes de bois. II vivoit aux depensnbsp;des Moines amp; couchoit dans les Couvens denbsp;Religieux. Rien n'etoit a 1’abri de fesinfultes:nbsp;II avoir groffi fa petite troupe. Si, quelque-fois, dans les villages, les payfans s’attrou-poienr pour fe défendre, Robert amp; fa troupe,nbsp;le fer amp; le feu en main , fondoienc furnbsp;eux, maflacroiertc ceux qui tomboient fousnbsp;leurs coups, deshonoroient leurs femmes amp;nbsp;leursfiiles, amp;, fouvent, embrafoient leurs mai-fons.

Le Due recevoit des plaintes de tous les cótés, fon palais retentiflbit de cris : L’unnbsp;¦venoit réclamer fa fille, qu’on avoir enlevee;nbsp;1’autre crioit vengeance des infultes faites £nbsp;fa femme; celui-ci pleuroit la mort d’un filsnbsp;qui avoir peri en defendant 1’honneur de fanbsp;feeur; celui-la demandoit que, puifque Robert avoit détruit fa maifon, fon père 1’in-demnifat ou le nourrit : Enfin, tous le fup-plioient de les délivrer de ce fleau deftruc-teur. Le Due étoit encore plus affligé que cesnbsp;malheureux. Grand Dieu! difoit-il, qui menbsp;1'avez donné dans votre colère, pour me punknbsp;des murmures que je formois centre votre fa-gefle, que votre vengeance ne tombe que furnbsp;moi; épargnez ce people innocent, qui nquot;anbsp;pu être complice de mes crimes.

Le Due aflembla fon Confeil pour chercher des moyens de terminer tous ces raaux. Unnbsp;Confeiller fut d’avis de former une troupe de

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fes meilleurs foldats, amp; de 1’envoyer vers foa fils, pour Ie prendre , Ie conduire è. fon père,nbsp;amp; , après 1'avoir détenu quelques jours en pri-fon, lui défendre , en préfence de route lanbsp;Cour, de commettre, a 1’avenir ^ aucun ex-cès, amp; Ie menacer, en cas de récidive, denbsp;Ie faire juger felon la rigueur des lois. Lenbsp;Due approuva eet avis, il ehoifit lui-mêmenbsp;les foldats qu’il deftina pour eette expédition ;nbsp;Il les fit partir, avec ordre d’arrêter fon filsnbsp;par-cout oü ils pourroient le rencontrer. IInbsp;permit a 1’Officier qui commandoit la troupe,nbsp;d’ufer de force, d’adrefle, amp; de tons les moyensnbsp;qui lui paroitroient eonvenables. L’OfBciernbsp;difperfa fes foldats dans difterens hameaux.nbsp;Robert, qui fut inftruit de fa marche, raf-feinbla fes compagnons, amp; attaqua fuccefli-vement ces petits pelotons de foldats, tropnbsp;éloignés les uns des autres pour fe foutenir;nbsp;il en tua plufieurs, en fit de prifonniers, amp;nbsp;forga les autres a fe réunir a la troupe principale. C’eft alors qu’il fit une attaque générale , danslaquelle il en maflacra plus d’uti tiers, ilnbsp;pourfuivitles autres, amp;enpritune très-grandenbsp;partie, avec 1’Officier qui les commandoit.nbsp;Robert, qui ne fe connoiflbit plus, dès qu’ilnbsp;entroit en furie, fut implacable;il fit venirlesnbsp;prifonniers, leur fit crever les yeux, amp;, en-fuite, les accablant d’injures; Allez, leur dit-jl, rapportez aux Confeillers de mon père,nbsp;qu’il n’eft pas aulfi aifé de me prendre quenbsp;d’en former le projet; que je ne crains rien,nbsp;que toutes les Ordonnances de la Cour cc

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52 nbsp;nbsp;nbsp;tlifioire

Talent pas un tour de main d’un feul de mes camarades.

Les malheureux foldats fe firent conduire vers Ie Due, a qui ils racontèrent tout ce quinbsp;s’étoit palle. Celui qui avoit donné 1’avis denbsp;faire pourfuivre Robert, étoit au défefpoir :nbsp;Le Due étoit de la plus grande indignation.nbsp;Dans un mouvement de colère, il projeta d’al-ler lui-méme, avec le double de troupes, td-cher de prendre fon fils, ou s’expofer é périrnbsp;de fes mains. Le méme Confeiller repréfentanbsp;au Due la témérité d’un femblable deflein.nbsp;Premièi-ement, ee feroit expofer fa perfonnenbsp;amp;: fon honneur, foit qu’il le prit, foit qu’ilnbsp;lui échappat. L’n fecond lieu, ee feroit expofernbsp;ce fils dénaturé a commertre le plus abominable parricide. II conclut a la punition dunbsp;coupable, tant a caufe de fa révolte, que desnbsp;maux dont il accabloit les fujets du Due : IInbsp;ajouta que les lois pronon^oient fon fupplice.nbsp;En conféquence, le Due fit publier un Éditnbsp;dans routes les villes du Duché, portant ordrenbsp;d’arrêter Robert, amp; permettant a tout de fairenbsp;tout ce qui feroit en leur pouvoir pour ynbsp;réuffir, amp; 1’amener, avec tous fes complices.nbsp;Cet Edit ayant été publié, Robert en futnbsp;bientót informé; il entra en fureur, fes compagnons frémirent pour eux-mêmes : Ils fa-voient bien que, s’ils étoient pris, ils n’a-voient aucune grSce i efpérer. Lorfque Robertnbsp;vit qu’il nei;viendroit point a bout de lesnbsp;raflurer, il les raliembla amp; jura devant eux,nbsp;a fon père, la guerre la plus cruelle : II leur

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o»gt;

de Robert U Diable.

propora d’augmenter leur nombre, de groffir leur troupe, amp; de mettre, enfuite, tout Ienbsp;pays a contribution; il prit leurs fermens amp;

Ie fien d’être inexorable pour tous ceux qui tomberoient dans leurs mains, fut-ce leursnbsp;pères, leurs enfans ou leurs frères, è. moinsnbsp;qu’ils ne vouluflenc s’aflbcier avec eux. Ilsnbsp;dreüerent des ftatuts, qu’ils lignèrent du fangnbsp;d’un des Courtifans, leur prifonnier , qui avoitnbsp;été d’avis de faire punir Robert felon la rigueur des lois.

Lorfque Robert fe fut afluré de la fidélité des principaux Chefs, il conduific fa troupenbsp;dans Ie fond d’une forêt oü les rayons du fo-leil n’avoient jamais pénétré : Ce lieu étoitnbsp;entouré de rochers entaffés les uns fur les au-tres, qui paroiflbient s’être détachés d’unenbsp;montagne voifine : Ces rochers étoient couverts de broufl'ailles amp; couronnés de fapitis auffinbsp;anciens que Ie monde. A 1’aide de gros ar-bres, qu’ils arrachèrent, amp; dont ils couvrirentnbsp;les vides que les pierres laiflbient entre elles,nbsp;ils fe firent un afyle amp; un fort inabordable,nbsp;auquel on ne parvenoit que par un fentiernbsp;très-étroit, bordé, de touscótés, de préci-pices eifrayans. Tel étoit Ie repaire affreusnbsp;que Robert préféroit au palais de fon père,nbsp;tant la debauche amp;: Ie libertinage aveuglencnbsp;ceux qui s’y livrent 1 Cette caverne étoit unenbsp;demeure auffi incommode pour ceux qui l’ha-bitoient, qu’elle edt été funefte a quiconquenbsp;eüt ofé 1’attaquer.

Robert avoit compofé fa troupe de tout ce

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qu’il y avoit de plus fcélérats dans tes États de fon père; les uns en avoient été chafiesnbsp;pour leurs crimes, amp; les autres pour leursnbsp;dettes : C’ell dans leur nombre qu’il choificnbsp;fes Officiers; les filoux, amp; ceux que leur pa-,nbsp;refle avoit dévoués a la mendicité, les faifeursnbsp;de projets, les politiques, les libertins, en unnbsp;mot, tous ceux que leur oifiveté avoit jetésnbsp;dans 1’indigence, étoient è la folde de Robert,nbsp;amp; avoient, neanmciins, leur part dans le bu-tin. Cette troupe abominable étoit d’autancnbsp;plus a craindre, qu’aucun frein ne pouvoitnbsp;la modérer. Ces brigands n’alloient jamais aunbsp;combat que la vicboire ou la mort ne s’enfuivit.nbsp;Comme ils lavoient qu’ils n’avoient aucunenbsp;grSce è efpérer, s’ils étoient pris, ils n’ennbsp;faifoient jamais, excepté aux femmes qu’ilsnbsp;amenoient dans leur Fort. II étoit réglé, entrenbsp;eux, qu'il y en auroit toujours une certainenbsp;quantité au fervice de la fociété, amp; lorfqu’onnbsp;en prendroit de nouvelles, on les confronte-roit avec les anciennes, amp; qu’on fe déferoicnbsp;des moins belles. Chacun étoit muni d’une certaine dofe de poifon, au cas qu’il fut pris vi»nbsp;vane :amp; condamné d la mort.

Robert nommoit, tons les jours, les déta-chemens, qu’il envoyoit fur les grands che-inins; il avoit, dans routes les villes, des cor-refpondans, qui 1’avertiflbient de tous ceux qui fe mettoient en campagne, amp; des voitu-res qui fortoient, des effets qu’elles portoient,nbsp;amp; du chemin qu’elles devoient tenir. Ils s’é-toient rendu fi redoutables, que perfonne n’o-

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de quot;Roden te Diahte, nbsp;nbsp;nbsp;35

foit plus s’expofer dans les chemins. Qaelques brigands avoient été pris: On efpéroit, pacnbsp;leur fecours, de pouvoir parvenir jufqu’aunbsp;Fort; maïs, lorfqu’ils fe voyoient menacés desnbsp;tortures, ils ne faifoient qu’avaler lepoifon,nbsp;^ ils expitoient. Ce poifon , dont on ne dé-couvrit Ie myftère que long-temps après, étoicnbsp;contenu dans un noyau de prune, de cerife ,nbsp;OU de quelqu’autre fruit adroitement ouvert amp;nbsp;refermé avec art. Ils Ie portoient dans leurnbsp;bouche, amp; ils auroient pu 1’avaler fans en êtrenbsp;incommodés; maïs lorfqu’ils vouloient éprou-ver 1’efFet du poifon , ils caflbient Ie noyau ,nbsp;amp;,dans l’inftantjils mouroient. Onn’ofoit plusnbsp;fortir des villes, les laboureurs amp; les payfansnbsp;avoient abandonné la culture des terres. Quel-ques Chevaliers s’armèrent amp; réfolurent denbsp;fuivre ces affaffins jufque dans Ie Fort. Robert les laiffa s’engager jufque dans Ie fentiernbsp;qui y conduifoit, amp; , lorfqu’il vit qu'ils nenbsp;pouvoient fe retirer qu’un d un, il fit ouvrirnbsp;une trape qui éroit derrière eux, amp; qu’ils n’a-voient point aper^ue. Cette trape, quoiqu’é-loignée du Fort, s’ouvroitentirant une chainenbsp;qui y répondoit t C’étoit une efpéce de pont-^'IjS.^ri’on n’apercevbit point lorfqu’il étoitnbsp;paiiie ; l’ouverture'coupoit Ie fentier par unnbsp;intervalle de dix pieds, amp; découvroit un pré-cipice de foixante brafles de profondeur. Lorf-que les Chevaliers furent engagés dans Ie fentier, Robert fortit de fon Fort amp; les forQanbsp;de reculer; mais, a mefure qu’ils fe rètiroient,nbsp;Hs tomboienc dans Ie precipice: II les fuivic

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5 6 nbsp;nbsp;nbsp;Hiftoire

jufqu’au dernier, la lance dans les reins, amp; lorlqu’il les ent tons précipités, il referma lanbsp;trape , amp; laifla périr de faim amp; de douleurnbsp;ceux qui, en rombant, avoient eu Ie malheurnbsp;de n’étre pas écrafés dans leur chute.

La défolation régnoic dans toute la Normandie. Cependant Robert éroit quelquefois révolté des fentimens féroces de fes complices, amp;,nbsp;lorfqu’il jetoit les yeux fur lui-même, il nenbsp;pouvoit s’empécher d’en avoir une efpècenbsp;d’horjeur; niais il étoit trop avancé dans Ienbsp;crime pour ofer reculer : Ses remords ne fer-¦voient qu’a lui infpirer de nouvelles fureurs: -Il edt voulu les étouffer a force d'entaflernbsp;crimes fur crimes.

Un jour, Robert, errant dans les bois, cher-choit des viétimes a fa fureur •, Ie befoin de faire du mal, devenu efientiel a fon exiftence,nbsp;fe faifoit fentir è. lui, ce jour - la , avec plusnbsp;de fureur que de couturne. Le malheur lui con-duifit fept Hermites qui traverfoient la Normandie , amp; qui revenoient de Rome. Ces in-fortunés s’adrefsèrenc è lui, pour lui deman-der leur chemin. Robert contrefic d’abord lenbsp;dévot, leur fit raconter tout cc qu’ils avoientnbsp;fait dans leur voyage, amp;, fe montant peunbsp;i peu fur le ton tailleur, il lèur demanda lenbsp;récic de leurs aventures galantes. Mais, foicnbsp;difcrétion de la part des bons Hermites, foipnbsp;qu’en effet leur piété n’edt pas fuccombé anbsp;la tentation, ils aflurèrent Robert, qu’il nenbsp;leur étoit rien arrivé qui méritftt fon attention. Lui, qui ne cherchoit qu’a les poulïëc

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de Robert Ie Viable. nbsp;nbsp;nbsp;37

a bout, leur tint les difcours les plus indé-cens, amp; leur demanda leur avis fur les cas les plus infames; il les prefla de lui dire cenbsp;qu’ils auroient fait, dans telle ou telle circonf-tance; comment ils auroient évité les rufes dunbsp;Diable, s’il s’y étoit pris de telle ou tellenbsp;manière pour les tenter. Ils ne manquèrentnbsp;pas, alors, de lui raconter comment ^ dansnbsp;une fituation fi délicate, Sc.-Antoine s’étoitnbsp;tiré'd’affaire. Voyons, dit-il , fi vous fereznbsp;auffi fages, ou, plutót, auffi fots que lui. Robert, qui, dès Ie commencement de eet en-tretien , avoit fait favoir fes volontés dansnbsp;Ie Fort, ne fit que dire un mot qu’ils ne com-prirent pas, amp;aulfi^tót cinq jeunes filles routesnbsp;rues, fortirent de derrière un feuillage épais,nbsp;amp; fe mirent a danfer. Les Hermites couvri-rent leurs yeux de leurs mains, amp; prirent lanbsp;fuite, en faifant de grands fignes de croix:nbsp;Robert court après eux , amp; leur crie de toutesnbsp;fes forces d'arréter; ils les prenoient, luiamp; fesnbsp;femmes, jxjur des diables fortis des enfers. Robert en atteint un , amp; d’un coup de fabre ,nbsp;lui abat la tête : Les autres, plus effrayés encore, doublent Ie pas; un fecond tombe, amp;nbsp;fubit Ie p)rt du premier; Les cinq qui reftencnbsp;s arrètent, tombent aux genoux de Robert ;nbsp;1 exige d’eux qu’ils fe mettent en état denbsp;pure nature, amp; qu’ils répondent aux careflesnbsp;des jeunes filles. Trois refufent : Robert leurnbsp;dit dechoifir ou de la mort, conirae.unenbsp;ré.coinpenTe de leur pudeur, ou de la' vie^nbsp;puur.'jouir des plaifu's qu’il.leur ofiVé. L'ua

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des cinq Hermites qui reftoient, plus de'ter-miné que les autres, s’écrie : Homme fangui-naire, démon, ou qui que tu fois, tes piai-lirs font horribles; fi tu voulois nous fédui-re, il falloit nous les repréfenter fous Ie voile de la décence, amp; attaquer nos cmurs,nbsp;avant de rallafier nos yeux; alors, peut-êcre,inbsp;fuccombant a notre foibleffe, tu aurois pu tenbsp;vanter d’avoir fait tomber dans tes piéges desnbsp;hommes, qui, par des combats deplus denbsp;vingt ans, ont eflayé de fe mettre au delTusnbsp;des paflions : Alors, tu aurois eu la fatisfac-tion maligne de voir Ie vice aux prifes avecnbsp;la veriu : Mais ta fureur aveugle ne t’a mémenbsp;pas permis de jouir de ce fpeétacle fingulier;nbsp;ta barbarie a détruit 1’illulion même de lanbsp;volupté, en nous ofFrant Ia beauté fans voile, amp; en étouffant, par tes menaces, toutnbsp;fentiment de plaifir. Nous rejetons des of-fres abominables, amp;, quant d notre vie, Ienbsp;ciel ne nous interdit point une jufte défenfe.

Robert, a ces mots, entre en fureur; les Hermites s’élancent fur lui; il alloit en étrenbsp;accablé, lorfe^ue les femmes poufsèrent des crisnbsp;affreux: On les entendit du Fort; trois fcélératsnbsp;vinrent au fecours de Robert, les Hermitesnbsp;cffrayés prennent la fiiite, Robert amp; fes ca-'marades les fuivent, amp; , 1’un après Fautre ,nbsp;ils les égorgent. L’un d’eux, en mourant,nbsp;adrefla la parole a Robert, amp; lui dit, d’unnbsp;air trapquille amp; riant ; Tu t’applaudis, Robert, amp;, ton ame eft déchirée; je he chan-gerois pas mon fort pbur Ie tien ; Je meur»

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de Robert Ie Diahle. nbsp;nbsp;nbsp;39

innocent, amp; fans aucun trouble; je te par-donne, car je ferois fdché d’emporter au tom-beau Ie fentiment pénible de la haine ; Puiflè ie Ciel te pardonner cotnme moi! Adieu, jenbsp;”6 te hais point, je prévois que tes remordsnbsp;te conduiront è la vertu; ne te fouviens denbsp;j^es camarades, amp; de moi, que dans ce temps-1 amp; fois afluré que nous t’avons tous par-donné.

CHAPITRE V.

Rmords de Robert. Éclalrcijfemens qui con-firment des domes. Projets de changement. Manière füre de convertiiKdes fcéUrats. Fin.nbsp;des égaremens de Robert, II fe vouc d lanbsp;rlforme.

I^’Al IL fatisfait de PHermiie mourant, cette générofité qui pardonne a une main facrilégenbsp;amp; meurtrière, les railleries farouches que lesnbsp;camarades de Robert vomiflbient contre leursnbsp;•viCtimes, Ie contrafte efFrayant de femmes nuesnbsp;uyec des cadavres couverts de fang, les der-nières paroles de 1’Herraite, avoient jeté lanbsp;terreur dans 1’ame de Robert; il quitte Ie boiS,nbsp;tout penlif, amp; laifle aller fon cheval. II nenbsp;forti t de fa rêverie qu'd la vue d'un chateaunbsp;qu’il croit reconnoitre : Il arrête un berger,nbsp;amp; apprend qu’il eft devant Ie champ;teau d’Ar-ques : II deraande quelle étoit la caufe du

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mouvement qu’il y voyoit: On lui dit que la Duchefle Mathilde devoit y diner cejour-la.nbsp;Malgré fa fureur amp; fes débauches, il avoitnbsp;toujours confervé un fennment de tendreflènbsp;pour fa mère : II réfolut de 1’aller voir. Mais,nbsp;lorfqu’il approcha du chÉlteau, hommes, femmes , enfans, tout fuyoit devant lui: On fer-moit les portes des maifons, amp; 1’on ne fenbsp;croyoic point en fureté dans les Eglifes. Robert fut frappé de la terreur qu’il infpiroit.nbsp;Grand Dieu! s’ècria-Ml, Ie monftre des fo-rêts Ie plus carnacier feroit moins redouté! Jenbsp;n’ai rien fait a cette vile populace, amp; ellenbsp;me fuit comme un tigre! Eh bien, que m’im-porte ? cette épouvante -doit flatter mon or-gueil... Mon orgueil!.. ün homme s’énor-gueillit d’être la terreur du monde, amp; Ie fléaunbsp;de fes femblables! C’eft un mérite que je parta-ge, avec qui? avec des tyrans, des aflaffins;nbsp;que dis-je? avec des démons. Quelle eft donenbsp;la caufe de cette crainte qui flatte 1’orgueilnbsp;de ceux qui 1’inipirent? Le carnage, la défo-lation, la dureté du eoeur ; Aufli, quelle eftnbsp;fa fuite ? la Iiaine du genre humaiq, 1’ini-mitié, l’horreur, Voila done ce que je fuis,nbsp;jnoi, qui pouvois faire les délices de mes parens amp; de mes fujets! Malheureux.^ par quellenbsp;fatalité, lorfque je pouvois choifir entre 1’a-mouramp; la haine, me fuis-je déterminé pournbsp;un fentiment fi déteftable? Un fentiment! lanbsp;haine amp; la dureté méritent-elles de porter Ienbsp;même nom que 1’amour, Ie plaifir, la bonté , la tendrefle! VoiU les vrais fentimens qui

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de Robert Ie Diahle.

conviennent a 1’homme ; leurs noms facrés font treflaillir mon ame; mais c’eft de dé-ftfpoir de les avoir écartés de mon coeur.nbsp;Eft-il done fi endurci, ce emur, qu’il ne puilienbsp;plus les éprouver?

C’eft avec ces idéés que Robert s’approche du chateau; Lui, qui, julqu’alors, n’avoit riennbsp;sppréhendé, éprouva, pour la première fois,nbsp;cette timidité, le premier mouvement d'unenbsp;ame généreufe qui veut plaire, amp; qui craintnbsp;de ne pas réuffir. II defcendit de cheval a lanbsp;porte dn chateau ; il y entra leul, amp; fa mèrenbsp;y arriva prefqu’auffi-tót que lui. Dès qu’ellenbsp;aperguc fon ills, elle demeura confternée amp; •nbsp;tremblante : Elle cherchoit a le fuir, il la retintnbsp;amp; fe jeta a fes genoux. O ma mère, lui dit-il, votre crainte eft le reproche le plus fan-glant que vous puiffiez me faire. Un ills, faitnbsp;trembler les auteurs de fes jours! cette idéénbsp;eft affreufe! Les tyrans des forêts n’offrent pasnbsp;des exemples d’un tel phénomène; pourquoinbsp;la nature s’eft-elle exercée a faire de moi unnbsp;monftre plus barbare? AhMadame... écou-tez; ce n’eft qu’en tremblant que j’ofe vousnbsp;communiquer mes funeftes idéés. Le Due denbsp;Normandie pafte, avec raifon, pour le meil-leur des Princes, vous êtes adorée pour votre

11^ nbsp;nbsp;nbsp;abhorré, amp;, pour com-

ble de maux, je le mérite. Non, je ne fuis pas votre fils... Pardonne-moi de t’avoir faitnbsp;naitre, mon cher Robert, lui dit la Ducheflenbsp;d’une voix balTe : Ta naiflance eft un myf-tère qu’il faut que je te révèle; fuis-moi. L'lle

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Hifloire

Ie conduifit dans une chambre procbaine, amp; lui raeonta la perfidie, a laquelle elle croyoicnbsp;que Robert devoir Ie jour. Après ce récit ,nbsp;elle l’embrafla, en fondant en lannes: Tu peuxnbsp;me punir, mon fils, lui dit-elle; mals épar-gne é. mon époux un éclairclflement qui nousnbsp;couvriroit de bonte 1'un amp;l’autre; je te jurenbsp;qu’en recevant dans mes bras Ie monftre quinbsp;me trompa, je croyois me livrer aux careflesnbsp;du Due: Par combien de larmes ai-je expiénbsp;mon malheur! J’ai confulté, en déguifant nosnbsp;noms, les perfonnes les plus fages de mes Etats;nbsp;tous m’ont affuré , que, bien loin de tien dé-clarer a mon marl, il étoit de mon devoirnbsp;de lui en faire un myflère , pour ne pas.porternbsp;Ie trouble dans fon ame. Je t’avouerai, monnbsp;fils, qu'en voyant les maux dont tu nous ac-cables, j’ai fouvent été fur Ie point de toutnbsp;divulguer. J’ai craint, te Ie' dirai-je, qu’onnbsp;ne prit mon aveu pour l’impollure d'une mèranbsp;défolée, qui fe charge de la honte d’un adultè-re, afin d'avoir un prétexte pour rejeter unnbsp;enfant indigne.

Robert parut corame frappé de la foudre : II demanda quel étoit Ie fcélérab qui 1’avoitnbsp;trompee, il apprit qu’il n’exiftoit plus: O Ciel,nbsp;s’écria-t-il, je te remercie de fa mort, tunbsp;Bi’épargnes, peut-étre, un parricide. Le barbare ! comment votre innocence amp; votre can-deur ne 1’ont-ils pas défarmé! Robert vou-loit tout dire au Due de Normandie : Si jenbsp;ne fuis pas fon fils, fon Etat ne m'apparciencnbsp;pas, difoit-il. Mathilde le rafiura fur ce vain

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de Rolen te Diahle. nbsp;nbsp;nbsp;43

fcrupule, Faute d’enfans mèles, Ie Buché lui étoit fubftitué , amp; elle écoit la mairreOe d’ennbsp;difpofer en faveur de qui elle jngeroit a propos ; ainfi, elle ne faifoit aucun tort k per-fonne en Ie tranfportant a fon fils. Enfin, 1’onnbsp;convint que ce feroit découvrir au Due unnbsp;myftère dont il étoit important qu’il ne fötnbsp;pas informé, amp; dont la publicité ne pouvoitnbsp;produireaucunbien. D’ailleurs, quoiqu’un im-pofteur eüt partagé les faveurs de Mathildenbsp;avec fon époux, Robert pouvoit être Ie filsnbsp;du Due : On garda done un profond filencenbsp;fur tout ce qui s’étoit paü'é.

Robert imputoit fes fureurs amp; fes cruautés au fang impur qui lui avoit donné 1’être; ilnbsp;réfolut, dès cc moment, de fe vaincre lui-mê-ine, amp; d’expier, par une fagefle a route épreu-ve, les crimes dont il s’étoit rendu coupable.nbsp;Il fe jeta aux genoux de fa mère, amp; la prianbsp;de demander grdce pour lui k fon époux ; tlnbsp;réfolut dialler a Rome, dans Ie plus grandnbsp;pélerinage. Mon père, difoit-il, m’a banninbsp;de fes Etats; il m’a fait la guerre, amp; j’ainbsp;eu Taudace de porter les armes contre lui :nbsp;Il fetnble que ce ne feit que pour moi quenbsp;la nature aic,interverti les lois. Mais, mal-heureux! eft-ce a moi de me plaindre de lanbsp;nature. II n ofa pas fe préfenter devant Ienbsp;Due, il remonta a cheval, amp; alia reioindrenbsp;fes camarades, qu'il avoit laill'ésdans laforét.

• Cependant, la Ducheffe ne cell'oit de gémir, amp; de fe reprocher d’étre la caufe du dérégle-sient de fon filsj mais, plus elle s’examinoit.

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amp; moins elle pouvoit fe reconnoitre coupable. Malgré cette aflurance intérieure, elle fe dé-foloit : LeDuc arriva è fon chateau, peu denbsp;jours après le depart de Robert. La Ducheflenbsp;alia au devant de lui, amp; lui apprit le changement de fon fils. Le Due, »5ui ne pouvoitnbsp;3e croire, fe init a foupirer : Plüt a Dieu, di-foit-il, que tout ce que vous m’annoncez fenbsp;trouv^t vrai! mais, hélas! je n’ofe plus Pef-pérer. II va a Rome : Puifle-t-il y trouvernbsp;la fin de fes egaremens! il atant outrage 1’Êtrenbsp;Suprème, que, pour le punir, il épaiffira furnbsp;fes yeux le bandeau de Perreur. Le Due, mal-gré fa colère, prioit le Ciel de protéger fonnbsp;fils; il fremiflbit du voyage qu’il alloit entre-prendre,

Robert, bien réfolu de changer de conduite, trouva tous fes compagnons aflemblés; ils le re-^urent comme un Chef pour lequel ils avoientnbsp;toujours eu la plus grande vénération. Mais,nbsp;au lieu de leur parler è fon ordinaire, de cenbsp;qui lui étoit arrivé depuis qu’il les avoir quittés , il vouiut leur faire fentit 1’état deplorablenbsp;dans lequel ils étoient plongés. Viétimes dé-vouées è la vengeance publique, abhorrés denbsp;Ia nature, qu'iis avoient fi fouventoutragée,nbsp;en exécration aux honnétes gens, il leur re-préfenta la mort amp; 1’infamie, dont iJs étoient,nbsp;fans cefle, environnés; il leur retra^a tous lesnbsp;crimes qu'iis avoient commis Je iie vous parlenbsp;pas de vos fairs dans les Églifes, il feroitnbsp;difficile de vous faire connoitre toute l’hor-,nbsp;reur d’une telle adion; mais, tant de mal-

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de Robert Ie Viable. nbsp;nbsp;nbsp;45

heureux que nous avons dépouillés, amp; dont nous avons jeté les families dans la plus cruellenbsp;indigence, tanc d’aflaflinats Jont nous avonsnbsp;fouille nos mains, toutes ces injufticesj toutnbsp;ce fang répandu, ces vierges a qui nous nenbsp;nous fomvnes point conteniés de ravit 1 hon*nbsp;neur, mais dont nous avons puni la refiftancenbsp;par une barbarie que leur candeur amp; leur innocence n’ont pu défarmer \ nous avons taicnbsp;cooler les pleurs de la beauté, dont nous vou-lions obtenir les carefles. Ah! mes amis, cesnbsp;images déchirent mon ame; les cris des vic-times de nos cruautés, les gémiflemens de lanbsp;pudeur outragée , retentilient, fans ceffe , anbsp;mes oreilles. II eü; impofllble que vousne foyeanbsp;pas accablés de rertfbrds; je vous 1’avoue, jenbsp;füis tyrannifé par les miens. Le Giel eft jufte«nbsp;la foudre gronde fur nos têtes; tant qu’ellenbsp;n’eft point partie, il eft temps de fléchir lanbsp;Wain qui nous menace : Rompons les liensnbsp;de notre abominable fociété, ou, li nous ennbsp;leflerrons les nceuds, que ce foit pour fairenbsp;autant d’adions vertueufes que nous en avons 'nbsp;commis de criminelles. II y a tel crime parminbsp;ceux que nous avons a nous reprocher, quenbsp;mille vertusne tépareront jamais ; Cependant,nbsp;un repen tir fmcère, une ferme réfolution d'em-braner la fagefle, une confiance entière dansnbsp;TEtve même done nous méritons la colère,nbsp;s’ils ne peuvent nous rendre notre innocence ,nbsp;nous rendront, du moins, la paix de Panienbsp;amp; la tranquillité de Pefprit, Quant a la ven-

gearvee publique, je me charge de vousy fouf-

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UiJIoire

traire; le Due de Normandie, mon père, fet» trop flatté de mon retour a la vertu, poutnbsp;ne pas m’accorder la grace de chacun de vous.nbsp;Promettez-moi de vivre, al'avenir, en bonsnbsp;amp; honnêtes citoyens, de brifer les liens quinbsp;vous attachent au crime. Ces femmes, dontnbsp;nous avons commencé par aflaffiner ies époux,nbsp;que nous avons vioiées, amp; que nous avonsnbsp;fini par corrompre amp; par avilir, faifons-leurnbsp;nn fort du butin qui nous refte. Si quelques-uns d’entre vous ont pris de 1’amour pour elles,nbsp;ils peuvent, en les époufant, les rendre a lanbsp;fociété, amp;légitimer un amour infame. Je n’at-tends que votre réponfe pour aller me jeternbsp;aux genoux de mon père, amp; lui demander votrenbsp;grace amp; fa protedion.

Robert cefl'a de parler; mais un des princi-paux Officiers de la troupe fe leva, amp; dit d’uti ton railleur : Convenez, Meffieurs, que fi no-tre Général commence a manquer de courage,nbsp;il ne manque ni d’adrefle ni de prudence. C’eftnbsp;lui qui nous a raflemblés; nous lui avons toutnbsp;facrifié , notre honneur, notre liberté , nosnbsp;vies, nos biens : Parens, amis, époufes, en-fans, nous avons tout quitté pour le fuivre;nbsp;amp;, lorfque nous 1’avons vengé de tous fes en-nemis, qu’il s’eft fait un fort a nos depens,nbsp;lorfqu’il eft fatigué de plailirs amp; raflafié de vo-lupté, il vient nous precher la réforme.

Un autre Chef interrompit le premier, amp; dit qu’il etoit d’avis qu’on donnet 1’habit d’unnbsp;des Hermites, qu’on avoit enterrés depuisnbsp;quelques jours, a leur Général, qn’il ne lui

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damp; Rohamp;rt Ie Diahle. nbsp;nbsp;nbsp;47

Riancjuoit que cela pour être un faint prédi-cateur-, que, foutenu de fes caniarades, il ne pourroit pas manquer de faire de grandes con-yerfions; que ce feroit une nouvelle manièrenbsp;de fanaifier kurs captures, amp; qu’au pis aller,nbsp;¦trere Robert, kur Général, feroit auffi 1 Au-monier de la troupe ; Quant aux femmes,nbsp;qti il avoit raifon de vouloir faire ceffer Ienbsp;Randale, qu’il falloit que chacun choisit lanbsp;fienne, amp; que Frèré Robert leur donneroit lanbsp;l^énédkfion nuptiale.

Robert kur dit, du ton k plus férieux, qu’ils eulfent a fe determiner, qu’il ne plai-fantoit point, amp; que les railkurs pourroiencnbsp;bien ne pas rire ks derniers. Alors, chefs amp;nbsp;foldats déclarèrent quhls n’entendoient pasnbsp;changer de conduite; qu’ils rejetoient routenbsp;giice; que, fi Robert vouloir continuer denbsp;vivre avec eux, ils continueroient de lui obéirnbsp;comme a kur Général; mais que, s’il fe re-tiroit, il ne trouvac pas mauvais qu’ils Ie re-gardaüent comme kur ennemi, amp; qu’ils luinbsp;déclaralïent une guerre cruelle ; Qu’au fur-plus, ils étoient réfolus de mener la même vie,nbsp;de faire k plus de mal qu’ils pourroient, pournbsp;k venger de celui qu’on cherchoit a leur faire,nbsp;ot que, puifque kur deftin étbit de vivre auxnbsp;dêpens de la fociété, ils ne la ménageroientnbsp;point. Robert voulut infifter; ils Ie tournè-rent en ridicule, amp; finirent par k menacer.nbsp;Deux jeunes gens feukment, qui s’étoiencnbsp;engagés dans la troupe malgré eux, paree quenbsp;deux femmes, qu’Us aimoient, ayqnt été ep-

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Mijloire

levées par les compagnons de Robert, ils avoient mieux aimé s’aflbcier avec ces brigands , que d’abandonner leurs maitrefles, fenbsp;rangèrent de fon parri, amp; Ie prièrent d’obtenirnbsp;leurs grSces du Due de Normandie. Robertnbsp;leur dit de fortir avec leurs maitrefles ; IInbsp;propofa aux autres femmes de fe retirer, amp;nbsp;leur offrit la proteftion de fa mère, mais ellesnbsp;étoient attachées aux brigands, amp; ne répon-dirent a Robert que par des injures.

Robert, dont la patience fe laflbit, dit a la troupe , qu’il ne leur donnoit que deuxnbsp;heures pour réfléchir, amp; qu’il reviendroit fa-voir leur dernière réfolution : II fortit pournbsp;ne la pas gêner. II alia trouver les deux jeunesnbsp;gens; Après s’être afluré de la pureré de leursnbsp;intentions, il leur dit, qu’il alloit exterminernbsp;tous ces malheureux, s’ils perfifioient dansnbsp;leurs fentimens; qu’ils euflent foin d’éloignernbsp;leurs femmes. En effet, il rentra, amp;, commenbsp;il vit que 1’intention de fes compagnons étoitnbsp;de continuer leurs brigandages, il leur an-non9a qu’il ne pouvoit pas fe difpenfer denbsp;prendre tous les moyens poffibles pour diiflpernbsp;la troupe, 8z. éloigner les maux dont ils me-nagoient ja Normandie. Alors, un des Officiers qui avoient fait des plaifanteries fur Ienbsp;changement de Robert, s’écria qu'il avoit,nbsp;lui, un moyen plus prompt de 1’empêcher denbsp;les trahir, amp; fondit fur Ibn General 1’épée inbsp;la main. Robert, furieux, ne fit qu’étendrenbsp;fa main, Ie prit a la gorge, amp;, Ie ferrantnbsp;dc routes fes forces: J’ai foufieri tes railleries ,

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de Robert Dinhlt. nbsp;nbsp;nbsp;49

Ties, lui dit-il, paree que je les meprifois, amp; qrie la laugue de vipère nc fsit uucuu mal ^nbsp;tam qu’elle agite fon dard en Tair; mais,nbsp;auffi - töt qu’elle eft a portée de piquer, onnbsp;i ecrafe avec piaifir. Robert ne fit que ferrecnbsp;un peui amp; i’officier des brigands fut éiouffe.nbsp;•-et exemple, au lieu d’incimider les autres,nbsp;ue fit qyg irrirer encore davantage ; ïlsnbsp;le levèrent. Robert, qui n’avoit pas encorenbsp;laché fa proie, tourna deux on trois fois ennbsp;^ air le corps de 1’Officier, amp; le jeta contrenbsp;cinq a fix des plas niutins, avec tam de force ,nbsp;que trois moururent fur la place. Dès ce moment , la féditvon devint générale •, tous lesnbsp;Chefs amp; les principaux foldats qui cotnpofoiencnbsp;1’afleinbiée, cherchèrent è entourer Robert.nbsp;ll s’adoffe au mur, met fa lance en arrêt, lesnbsp;attend de pied ferme, amp; il en abat autancnbsp;qu’il s’en préfente : Voyant que le combat fenbsp;talentifibit, il prend fon épée, s'élance furnbsp;la troupe, trop reflerrée pour pouvoir fe^ dé-fendre en régie; Robert frappe de tous cótés;nbsp;uhaque coup abat un bras ou une tête. Lesnbsp;femmes qui fe trouvèrent dans la mêlee, de-mandèrent grace, il la leur accorda : Elles fenbsp;faifitent des épées de ceux que Robert avoiCnbsp;mis hors de combat, 8i fe rangèrent de fon có -té. L’exemple de Robert, le défir de la liberté ,nbsp;leur prêtèrent des forces; elles attaquèrent lesnbsp;brigands, leur courage s’animoit de celui denbsp;leur libérateur. Bientót la caverne ruiliéle denbsp;fang , les morts, les moürans, les bleffés, foricnbsp;cntaüés amp; ferveni de leinpatt aux cmnbattans.

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Jffijtoire

Robert fufpend un moment fes coups, offre Ia vie amp; Ie pardon a ceux qui voudroient fe fou-mettre amp; pofer leurs arines. Sixy confentirentnbsp;amp; vinrent tomber aux genoiix du Héros, quinbsp;les releva amp; leur rendit leurs épées; les au-tres proteftèrent que, tant qu’il refteroit unenbsp;goutte de fang dans leurs veines, ils combat-troient contre Robert amp; fes laches transfuges.nbsp;Le carnage commen9a , amp;, dans une heure ,nbsp;de cent cinquante brigands, il ne refta quenbsp;trente bleliës, quife battoient encore en blaf-phémant. Robert leur propofa de fe rendrenbsp;de bonne grèce. Soit qu’ils craigniflent qu’ilnbsp;eüt deflein de les livrer vivans au Due fonnbsp;père, foit que leur férocité ne leur permit pasnbsp;de profiter de la faveur que leur faifoit le vain-queur, ils fe raliemblèrent, délibérèrenc unnbsp;moment entre eux, amp; puis, reprenant leursnbsp;places : Tiens, lache, dirent-ils a Robert, ennbsp;fe per^ant le fein, voila comme de braves gensnbsp;doivent fe rendre a un perfide. Si ton intention étoit de nous faire périr, tu n’as rien anbsp;défirer, nous avons prévenu tes voeux.

Cette fcène d’horreur frappa Robert d’au-tant plus fenfiblement, qu’il eüt défiré les fauveramp; de les ramener a Ia vertu par fonnbsp;exemple. II vouloit les enterrer; déjales jeunesnbsp;gens, les femmes amp; quelques brigands fubal-ternes, a qui Robert avoit fait grSce , fe dif-pofoient a creufer des folies, lorfque le ton-nerre éclate, amp; qu'une tempête foudaine agitenbsp;la forét avec ün bruit eflrayant; un nuagenbsp;épais enveloppe tout de Ibn ombre j Robert-fic

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de nohert U Viahle. nbsp;nbsp;nbsp;5*

fa petite troupe fréroiffent, ils ^^°^lairs*

Cie\, qui lépond pai nbsp;nbsp;nbsp;la caverne

enfin, la flamme part de la nue, eft embtafée, en moins d unenbsp;nbsp;nbsp;nbsp;^

a dévoré eet afyle itnpur, nbsp;nbsp;nbsp;^

étoient entaftes, amp; les arbres des env

CHAPITRE VI.

£.éparation des tons»

IRLobeut ne pon volt pas méconnoïtre la main qui l’averciflbic; il rendit graces a 1'Etrenbsp;Suprème de n’avoir pas péri, comme les fcé-léracs que la foudre venoit d’anéantTr. II étoicnbsp;luivi d'environ dix - huic jeunes femmes, denbsp;fix beaux hommes, qui paroiflbient être lesnbsp;amans de fix d’entre elles, amp; d’environ unenbsp;trentaine de bandits : L’air morne amp; penfif,nbsp;ils traverfoient la forêt. Robert fe difpofoicnbsp;i aller a Rome; mais il n’avoic aucune en-vie d’y conduite fa troupe; cependant, coinmenbsp;ils avqient formé Ie projet d’être fages, il nenbsp;vouloit pas les abandonner, jufqu’a ce qu’ilnbsp;eut trouvé une occafion de les préfenter 4nbsp;fon pere , amp; de les mettte dans une fituationnbsp;aflez avantageufe, pour qu’ils ne fuflenc pasnbsp;expofés a avoir recours, pour vivre, a desnbsp;TOoyens toujours dangereux amp; bien fouvencnbsp;funeftes.

lis arrivèrent, vers Ia auit, 4 une Abbaye:

G ij

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sa nbsp;nbsp;nbsp;Hifloire

Ils mouroient de faim , n’ayant rien mangé depuis la veille. Robert, pour ne pas effrayernbsp;les Moines par la multitude, difperfe fa troupe , amp; la cache dans des hrouüailles. II frappenbsp;a la porte; mals, a peine Ie Portier 1’a-t-ilnbsp;aper9u , qu’il tremble de tout fon corps, amp;nbsp;tombe a la renverfe, en s’écriant de routesnbsp;fes forces, au fecours, c'efi It Diable. Deuxnbsp;Moines arrivent, reconnoilfent Robert, amp;,nbsp;voyant Ie Portier qui fe relève en criant tou-jours au fecours, ils s’imaginent que c’eft Robert qui Pa aflbmmé, amp; fe mettent a fuir, ennbsp;criant auffl de routes leurs forces; Commenbsp;ils fuyoient, amp; que Robert les fuivoit, ilsnbsp;rencontrèrent des Moines qui venoient a eux;nbsp;la frayeur ne leur permit pas de les diftin-guer; ils fe heurcent, fe culbutent, amp; ren-verfent ceuxqui viennent après eux;La crain-te, Pobfcurité confondant a leurs j^eux tousnbsp;les objets , chacun prend fon voifin amp; fonnbsp;compagnon pour Robert lui-même; ils fe de-mandent mutuellement la vie, è genoux 1’unnbsp;devant^ 1’autre. Robert ne put s’empêcher denbsp;rire, lorfque, ayant fait apporter un flambeau , il vit leur méprife amp; leur effroi. IInbsp;les raflura, il leur dit, qu’il n’étoit plus eetnbsp;infenfé , ce furieux qui avoit faccagé amp; pillénbsp;leur Abb'aye; il demanda a parler a PAbbé,nbsp;qui étoit fon oncle. Dès que Robert Paper-Cut, il courut fe jeter è fes genoux; il ditnbsp;a PAbbé, amp; aux Religieux, qu'il étoit pé-nétré du repentir Ie plus amer d’avoir.faitnbsp;tant de dégSts dans leur Monaftère : II leur

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de Robert Ie Diahle. nbsp;nbsp;nbsp;53

demanda pardon, protnic de tout réparer , dès qu’il Ie pourroit. Le Père Abbé étoitnbsp;pénétré dejoie; il demandoit grace lui-mêmenbsp;pour fon neveu; il vantoit, furrouc, lesnbsp;ti'éfors de Ia grdce, qui raméne le pécheur Ienbsp;plus endurci : II célébroit les reflburces denbsp;Is- miféricorde divine, lorfque deux Moines,nbsp;effrayés, vinrent encore jeter 1’alarme dansnbsp;16 Couvent. Nous fommes trabis, s’écrièrent-ils , le Monaftère eft invefti, il ne refte plusnbsp;d'iflue pour la retraite : C’eft ici qu’il fautnbsp;périr. Tout le monde eft confterné, Robertnbsp;lui-même ne fait que penfer; enfin, on in-terroge les deux Moines; ils répondent qu’ilsnbsp;ent vu dans les brouflailles qui entourenc lesnbsp;murs du Couvent, plus de fix cents per-fonnes armées de piques amp; de poignards.nbsp;Robert comprit alors que c’étoit fa petitenbsp;¦troupe : Il raconta ce qui venoit de lui ar-river, le combat qu’il avoit efiuyé, la fou-dre qui avoit confumé fes viftimes, amp;, enfin,nbsp;que ceux qui le fuivoient avoient, ainfi quenbsp;lui, touché le Ciel par leur repentir; qu’ilnbsp;les avoir fait difperfer de coté amp; d’autre,nbsp;pour qu’ils ne fuamp;nt pas a charge au Cou-vent : Qu’a la vérité, ils étoient en afleanbsp;grand iiombre, amp; que, quoiqu’ils périflent denbsp;laim, lis attendroient jufqu’au lendemain,nbsp;aimant mieux pafier encore une nuit fansnbsp;manger que d incommoder la Communauté.nbsp;L’Abbe, attendri jufqu’aux larmes, cohfultanbsp;les Religieux : II fut délibéré qu’on dref-¦feroit trois rentes, 1’une pour les femmes,

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Nijfoire

amp; les deux autres pour les hommes. Quand les rentes furent dreflees , on y apporta desnbsp;vivres de routes les erpèces, 8s les Religieusnbsp;Toulurent les fervir.

Robert recommanda tous ces malheureux i 3’Abbé; il lui donna une lettre pour fonnbsp;père, dans laquelle il Ie prioit de leur accordernbsp;fa proteftion : Les femmes la méritoient fur-Tout, la plupart avoient été enle.vées, dsnbsp;force, a leurs marts, ou a leurs amans, quinbsp;avoient perdu la vie en les défendanc : Lesnbsp;autres avoient été prifes, voyageant, ou fenbsp;promenant hors des villes, feules ou avec leursnbsp;mères. Quant aux Religieux, .Robert leurnbsp;aflura que tout ce qui leur avoir été pris, leurnbsp;feroit rendu. II y avoit, dans Ie bois, auprèsnbsp;de la caverne que la foudre avoit confumée,nbsp;tin caveau, que les brigands avoient creufénbsp;eux-mêmes, amp; qn’ils avoient fait conftruirenbsp;amp; fermer par des ouvriers, qu’ils avoient tuésnbsp;enfuite. C’eft dans ce caveau qu’on renfer-moit tout ce qu’on voloit : C’étoit Ie tréfornbsp;de la troupe. Les Chefs avoient deux parts,nbsp;les autres partageoient tous égalernent. Onnbsp;prenoit, tous les mois, de quoi fubfifter, Ienbsp;refte étoit en réferve, amp; devoit fe partager aunbsp;bout de dix ans : Chacun auroit été libre,nbsp;alors, de fe retirer, amp; d’emporter fa portionnbsp;du butin; il étoit Ie maitre de laifler fesnbsp;fonds, amp;, alors, fa part auroit doublé. Robertnbsp;donna a 1’Abbé la clef de ce tréfor, pournbsp;Ie remettre au Due de Normandie; il Ie prianbsp;de i'endre 4 chacun , Sn fuitout; aux Reli.

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de Robert Ie Diable.

gieuT) ce qui leur appartenoit : II lui mar-tjua qu’ils trouveroient dans Ie caveau un journal, dans lequel on avoir écrit routes lesnbsp;prifes amp; les perfonnes a qui elles avoienr écenbsp;faires, amp; que, par ce moyen, il feroir aifénbsp;«ie reftituer. Quanr aux malheureux amp; auxnbsp;fetnmes qu’il lui recommandoit, il prioit Ienbsp;Due de leur donner ce qui refteroir desnbsp;ïeftiturions pour lefquelles il n’y avoir pasnbsp;d'indices.

Roberr paüa toure la nuir dans 1’Abbaye : Lelendetnain, 1’Abbé députa deux Religieux *nbsp;qui conduifirent la petite troupe au Due denbsp;Normandie, qui prit foin des hommes, amp;nbsp;confia les femmes a fon époufe. Tour fucnbsp;lendu amp; diftribué, ainfi que Robert l’avoitnbsp;défiré. L’Abbé 1’accompagna fur Ie chemin dsnbsp;Rome, amp; alia joindre Ie Due amp; fes deuxnbsp;Religieux : II raconta tour ce que Robert luinbsp;avoir dit, amp; donna è. fon père les plus heu-leufes efjjérances. II n’eft que trop ordinairenbsp;de voir, dans Ie monde, la conduite la plusnbsp;foutenue fe démentir a un certain age ; aunbsp;lieu que, lorfqu’ii une jeunelie trop Ucen-cieufe fuccédèrent Ie remords amp; Vajfagijfe-ment*; il eft rare de voir qu’on revienne i fesnbsp;premiers égaremens. Le Due verfa des larmesnbsp;de joie; jl eüt bien voulu embrafler fon fils;nbsp;Biais Robert crut ne pas mériter cette faveur;

* Terme fort en ufage a» temps de Robert, amp; qui «anoue aux DÓties.

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Hifloire


il remercia fon père, amp; lui promit de revenir


digne de fes bontés.


C H A P I T R E VIL

JRobert, Comédienpar occafion. Sa moderation d l’épreuve. adventures imprévues. Hijloirenbsp;de Céeile. Commencement de la pénitence denbsp;Robert.

.OBERT partit pout Rome, i pieds, feul, fans équipage, s’expofant a tous les dangersnbsp;amp; a routes les incommodités d’un voyage longnbsp;amp; pénible. II avoit des vertus a acquérir ; maisnbsp;fon naturel impécueux étoit un obftacle qu’ilnbsp;falloit furmonter; en conféquence, il prit unnbsp;Jiabit de pélerin, amp; alloit demandant 1’aumó-ne, tSchant, comme Diogène, de s'accou-tumer aux refus amp; aux duretés des hommes.nbsp;La patience amp; la douceur étoienc les quali-tés dont il fentoit qu’il avoit Ie plus de be-foin : Les premières épreuves furent difficiles,nbsp;Ce fut dans une ville de Savoie, que, venantnbsp;de traverfer Ie mont Cénis, harraffé de laf-fuude amp; d’ennui, il trouva une occafionnbsp;d’exercer cetce patience qu’il n’avoit jamaisnbsp;connue. II rencontra un jeune homme, qu’ilnbsp;crut reconnoitre; il 1’envifage, amp; auffi-tótnbsp;Robert fe trouve dans fes bras: li fe nom-moit DeviDe: C’étoit un de fes anciens cama-rades, qui, lade de la vie qu’il menoit, s’é-toit fait bateleur; ü étoit alibcié avec deux

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de'Robert Ie Diahh. nbsp;nbsp;nbsp;5?

femmes amp; deux Normands de fon Sge; ils alloienc dans les villes jouant la comédie amp;nbsp;montrant les marionnettes. Le Chef de la petite troupe engagea Robert de venir le voirnbsp;Chez lui, amp; le retint a fouper. Comme il hénbsp;Vouloit point être connu gt; il avoit pris le noranbsp;fignor Pentito. Malheureufement pour lui,nbsp;il avoit pafle , dans la même ville, un Mufi-cien fameux , qui alloit jouer 1’Opéra a Turin *nbsp;^ ^ui n’avoit pas voulu s’arreter ; Il étoitnbsp;Efpagnol, amp; s’appeloit Lune^ Pentido. Cettenbsp;conformité de noins fit croire aux habitansnbsp;que c’étoit le même adteur. Dès le lende-main, Robert re^ut une députation pour 1’en-gager a fe joindre a Deville, amp; k donner unnbsp;Ipeftacle dont on ne ceflbit de parler a la Cournbsp;de Turin : C’étoit les Amours de Polyphèmenbsp;amp; de Galatee; on ofFroit une fomme confidé-rable pour chaque fepréfentation. Robert pro-tefta que, non feulement, il n’etoit pas Lune^nbsp;Pentido, mais encore qu’il ne cOnnoiflbit ninbsp;la’mufique vocale , ni PinUrumentale,.ni lanbsp;déclamation. On regarda ce propos comme unenbsp;dcfaite. Deville fut pris èpartie, amp;, menacenbsp;de la prifon: Que voulez-vous que je falie,di-fqit-il a Robert ? Je ne puis lés difluader en leurnbsp;dirant la vérité; rien n’eftplus Ample. Robertnbsp;ne voulut point y confentir. il faut done quenbsp;yous jouyiez le róle de Polyphème. Robert 'nbsp;étoit turieux j il étoit, quelquefois , lenté denbsp;prendre une lance, amp; d’aflbmmer les habitans , Magiftrats amp; Comédiens; mais il avoit;nbsp;fait vmu de fe moderer, Deville trouva u»

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Hijloirt

expedient; il y a apparence» dit-il, qne ces gens-ci n’ont jamais emendu-chanter Pentido;nbsp;vous n’étes pas muficien, il eft vrai, maisnbsp;vous avez vu des repréfentations ; Voici unnbsp;moyen de vous tirer d’aifaire. Tandis qu’ha-billé en Polyphème, vous vous agiterez amp;nbsp;ferez, fur Ie théètre, tous les geiles d’un amantnbsp;furieux amp; paffionné, un de mes alibciés chan-tera pour vous, derrière la toile: Sa voix n’eftnbsp;guère connue, amp;, d’ailleurs, il a des fecretsnbsp;j)our la déguifer. Mais il me femble, difoitnbsp;Robert, quela mufique étant une peinture,nbsp;ainfi que la poéfie, il faudroit un accord entrenbsp;Ja mufique, Ie gefte amp; la déclamation; accordnbsp;qu’il me paroit impoffible de rendre, a moinsnbsp;que 1’aèleur ne foit muficien amp; poète; or,nbsp;mon ami, je ne fuis ni 1’un ni 1’autre, amp;nbsp;quelqu’intelligence que vous fuppofiez a votrenbsp;aflbcié, il ell impoffible que nous allions en-femble. Vous connoiflez bien peu Ie public,nbsp;Jui dit Deville; plus vous ferez de contre-fens, amp; plus il vous applaudira; il prendranbsp;fur fon compte routes les bévues que vousnbsp;ferez; la réputation de Lunex_ Pentido ell ünbsp;bien établie, que vous pouvez tout hafarder.nbsp;La plupart des plaifirs du Public font une affaire de convention ; 'Au fpeftacle Ie plus en-nuyeux, il s’amufera, s’il ell convenu qu’ilnbsp;doit s’amufer, amp; s’ennuyera au plus amufant,nbsp;s’il n’eft pas réputé pour étre très-agréable.nbsp;Robert confentit a tout ce qu’on voulut: Onnbsp;ht une rèpétition, amp; 1’on annon^a Ie fpefta-«le fi défiré. Far malheur, dans l’interYalle,

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de Robert te Diahle.

Ie véritable Lune\ Pentido, qui revenoit de Turin, amp; qui paiïbit dans Ie viUage oü Ro-oerc devoic jouer fous fon nom y ttizis quinbsp;n'étoit connu de perfonne, voulut affifter anbsp;|a repréfentatioD. On s’aflemble, la toile fenbsp;leve 9 Robert fait fes geiles 9 amp; leMuficien, ca-ché dans la coulifle , chante Ie róle de Poly-phètne. Les fpeftateurs, amp; Lunez lui-meme,nbsp;crurent que Ie même Afteur chantoit amp; gef-ticuloit, billufion a eet égard étoit coinpleue ^nbsp;mais Ie Mulicien chantoit faux de toutes fesnbsp;forces. Lunez, auteur du poëme amp; de la mu-fique, qui voyoit eftropier 1’un amp; 1’autre, amp;nbsp;qui, d’ailleurs, étoit fi mal imité , ne pou-vant y tenir plus long-temps, faute fur Ienbsp;thédtre, amp; demande, d’un ton infolent, a Robert , de quel droit il s’avife de prendre amp; denbsp;déshonorer Ie nom fameux de Lune\ Pentido ;nbsp;qu’il n’y avoit d’auire Pentido dans Ie mondenbsp;que lui, amp; que quiconque prenoit ce notnnbsp;étoit un impofteur. La patience de Robert nenbsp;tint jas centre l’infolence d’un hiftrion; il aj)-pliqua au fegnor Pentido Ie plus rude fouffletnbsp;qui eut encore été donné a aucun bateleurnbsp;de Madrid, de Turin amp; d’Efpagne. Pentidonbsp;voulut ripofter, Robert ne lui donna pas Ienbsp;temps, amp; d’un coup de pied, il 1’envoya atonbsp;fond de la^ falie. Lunet^ eut beau jurer qu’ilnbsp;etoit Ie veritable Pentido, il fut conduit ennbsp;pnlon. Robert, qui avoit eu Ie temps de fenbsp;calmer, acheva fon idle, amp; partit auffi-tót,nbsp;avant que Ie peuple füt difluadé : Car tellenbsp;«ftfon injuftice, que, quoiqu’ii eüt forcé R©-

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6o nbsp;nbsp;nbsp;mjloire

bert, inalgré fes proteftations, de pfendre Ie rom amp; je róle de Lunez, on lui en eót faitnbsp;tin crime i II n’arrive que trop fouvent quenbsp;Ie Public fe venge contre fes viélimes du malnbsp;qu’il leur a fait.

Lorfque Robert fut parti, amp; que Lunez fut forti de prifon , on s’en prit a Deville-,nbsp;qui protefta qu’il ne connoilToit ni Ie faux,nbsp;ni Ie vrai Pentido : II dit que eet étranger,nbsp;én parlant de Robert, s’étoit préfenté commenbsp;un homme a ralens, qu’il 1’avoit bien ac-cueilli, amp; que Ie Public avoit fait Ie refte.nbsp;Lunez garda fon foufflet amp; fes coups de pieds,nbsp;joua Polyphème, comme fi rien n'eüt été, amp;nbsp;ne fut pas autant applaudi que 1’avoit été Robert, dont on difoit que la voix étoit plusnbsp;harmonieufe amp; plus flexible,' ce qui flattóitnbsp;beaucoup Ie Muficien qui chantoit pour lui.

Robert fe demanda pardon a lui-même de s’être eraporté contre un homrae'qui, au fond,nbsp;avoit raifon, amp; qui, d’ailleurs, n’étoit qu’unnbsp;miférable Comédien : II protefta qu’a 1’ave-nir, tous les bateleurs-du monde lui donnetnbsp;rotent de? dementis, qu’il ne s’en formalifelt;-rpit pas.

Ce mauditorgueil tracaflbit Ie bon Robert: II 'réfolut d'acquérir de la modeftie , a quelquenbsp;prix que ce fut; il crut qu’il en trouveroitnbsp;au Vatican. II arriva a Rome, Ie jour d’unenbsp;grande .folemnité : Le Pape faifoit Ie Servicenbsp;diyin dans 1’Eglife de Saint-Pierre. Robeix,nbsp;humblement profterné, demandoit pardon anbsp;Dieu de tous fes crimes-; il crut que ce n’d-

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de fiohert Ie Diable.

toit pas aflez, ,amp; que, pour mieux s’humi-liêr, il devoir s’accufer tout haut. II s’appïO-che du Pape Ie plus qu’il lui eft poffible, mais lös Cardinaux i’écartent brufquement, amp; lesnbsp;Sbirres Ie frappant, Robert fe félicite, amp; faitnbsp;^ bien, qiril ell tout prés de Sa Sainteté jnbsp;slots, il s’écrie de touies fes forces ; Saint-ère, ayez pitié de moiamp; fe précipite a fesnbsp;pieds, la face contre terre. Le Pape Ie fit rele-ver, amp; lui demanda ce qu’il défiroit : Vousnbsp;svouer tous mes crimes, dit-il, amp; en obte-nir le pardon deVotre Sainteté : Je craiBS,nbsp;è tout moment, que l’enfer ne s’ouvre fousnbsp;mes pas; je fuis le plus grand criminel qu’ilnbsp;y ait au monde. A ce propos, amp; a quelquesnbsp;autres, le Pape fe doutant que c’étoit Robertnbsp;le Diable,le lui demanda ; II en convint; lesnbsp;Cardinaux reculèrent de frayeur. Mais, Robert, continuant ès’accufer , entra dans desnbsp;détails fi finguliers, que les affiftans, mal-gré leur appréhenfion , s’approchèrent, peu anbsp;peu, de lui, amp; ne purent s’empêcher de fou-rire ; Ils 1’interrogèrent, amp; la naïveté de fesnbsp;léponfes lui concilia 1’amitié de toute 1’af-femblée.

Le Saint-Père 1’arréta, 8i lui ordonna d’al-ler, a trois lieues de la, trouvet un Hermite, auquel il acheveroit fa confeflion, amp; qui luinbsp;impolerou une pénitence proportionnée a fesnbsp;fautes. Robert baifa humblement les pieds denbsp;Sa Sainteté, amp; partit, bien perfuadé qu’il étoitnbsp;«n'homme tout nouveau, amp;que, déformaisinbsp;il maitriferoit routes fes paföons.

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Hijloire

L’efprit rempli de grands projets de féfop-me, Robert s’acheminoit vers l’Hermitage: Chemin faifant, il rencontre un Chevalier,nbsp;qui s’étoit engagé dans un marais, d’oü il nenbsp;^uvoit fe retirer; Robert court a lui, Ie dé-gage, prend Ie cheval par Ia bride, ^ Ie remecnbsp;dans Ie bon chemin. Le difcourtois Chevalier,nbsp;au lieu de remercier fon bienfaiteur, fe metnbsp;è le railler fur fon énorme chapelet, Robertnbsp;lui tepréfenta qu’il étoit Chevalier commenbsp;lui, amp; que, quand mcme il ne le feroit pas, ilnbsp;devroit être plus fenlible au fervice qu’il ve-noit de lui rendre. Le Chevalier ajoute 1’in-jure a la plaifanterie : Robert, ne voulantnbsp;avoir rien a fe reprocher, 1’averrit qu’il avoitnbsp;léfolu de fe modérer, mais qu’il fentoit quenbsp;fa patience étoit a bout : Le Chevalier ré-pond par un éclat de rire. Robert repliquenbsp;par un coup de fon gros chapelet au milieunbsp;de la figure du Chevalier, qui met fa lancenbsp;en arrêt; Robert ne lui donne pas le temps;nbsp;51 s’élance fur la croupe du cheval, embraflenbsp;fon ennemi, le jette par terre, amp; 1’aflbmmenbsp;i coups de poings. Meurtri, brifé, le mal-heureux demande gramp;ce, amp;c Robert ne la luinbsp;accorde, qu’après l’avoir trainé dans la marrenbsp;d’oü il venoit de le retirer.

Après eet exploit, Robert reprit le chemin de l’Hermitage avec le même fang-froid qu’a-vant cette aventure. II arrive chez 1'Hermi-te, qui vient au devant de lui; Robert fenbsp;prollerne a fes pieds, amp; lui raconte route fanbsp;Vie. Ce qui lui «oüta ie plus düe, fuc le

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de Robert Ie Dialle. nbsp;nbsp;nbsp;63

roaffacte qu’il avoit fait des fept Hermites;

ajouta qu’ils lui avoient pardonné en mou-rant, mais qu’il ne pouvoit fe pardonner cette action. Le faint homtne Ie confola, amp; lui fitnbsp;promettre qu’d 1’avenir, il autoit plus d’é-gard pour les Hermites. Ses exhortations, fanbsp;douceurpénétrèrent Robert:II leretintle reftenbsp;de la journée : II partagea avec lui quelquesnbsp;lïuits fees, du laitage amp; des racines. Lorfquenbsp;^a nuit fut avancée, ils fe roirent en oraifon :nbsp;^e patient Robert la trouva un peu longue,nbsp;interrotnpit cent fois 1’Hermite, amp;. cent foisnbsp;lui protefta qu’il ne 1'interromproit plus. ilnbsp;n’y avoit, pour tout lit, dans l’Hermitage ,nbsp;que des nattes de paille, le faint homtne s’ynbsp;étendit amp; s’endormit.

Robert étoit trop fatigué pour pouvoir goG-ter les douceurs du repos. L'Hermitage étoit une grotte, fur le penchant d’un coteau, en-toutée d’un bofquet agréable •, la iune paroif-foit : Robert entendit parler, il prêta l’o-leille, il fut frappé de ces mots: „ Oui, monnbsp;^ cher Silvio, je confens a ce que tu délires,nbsp;„ partons. Enflammé d'un faint zèle, il fortnbsp;de la grotte, amp; court vers le Ueu ou il avoirnbsp;entendu parler : II trouve un jeune hommenbsp;fondant en larmes, amp; une jeune femme quinbsp;le confoloit; les deux infortunés, efftayés,nbsp;tornbent a fes genoux : Malheureux, dit-ilnbsp;au jeune Iwmme, infème raviffeur, quel eltnbsp;tonprojet. C’eft, fans doute, d’enlever cettenbsp;jeune fille a fes parens ; auffi-tót, il le prendnbsp;pai; la maio amp; Teatiaine dans la grotte :

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Hiftoire

éveille 1’Hermite ;Mon père, lui dit-il, void un fcélérat que je vous atnène; 11 écoir furnbsp;Ie point|d’enlever cette jeune fille. L’Hermi-te, a demi endormi, reconnoic Ie prétendunbsp;coupable, qui tombe i fes pieds : II Ie faitnbsp;relever, amp; lui demande par quel hafard il anbsp;pu tromper la vigilance de fa belle-mère. Nousnbsp;étions plus heureux, ma femme amp; moi, quenbsp;nous ne pouvions 1’efpérer, dit-il, nous nousnbsp;délivrions, pour toujours, de fes perfécutions;nbsp;mais Ie bruit que Monfieur a fait 1’aura, llinsnbsp;doute, éveillée, amp; nous fommes perdus. Robert, qui s’étoit flatté de faire une oeuvre mé-ritoire, en empêchant un enlèvement, vou-lut être éclairci. L’Heimite lui dit: II ne fautnbsp;jamais juger fur les apparences; Ie jeune hom-me que vous voyez, eft marié, depuis fixnbsp;mois, avec Cécile : II étoit 1’objet des défirsnbsp;de fa belle-mère, qui, ne pouvant parvenirnbsp;a s’en faire aimer, a confenti de lui donnernbsp;fa fille, dans 1’efpérance de venir a bout denbsp;fes defieins criminels. AufiTi-tóc qu’ilsontéténbsp;mariés, elle les a féparés amp; a protefté d Silvionbsp;que jamais elle ne permettroit qufils vécuf-fent enfemble, a moins qu’il ne confentit anbsp;partager fes faveurs entre la mère amp; Ia fille.nbsp;Quelque amour que Silvio ait pour fon épou-fe, fa belle-mère 1’irrite encore par les obf-tacles qu’elle y met, amp; par mille rufes quenbsp;lui fuggère fa palfion. Tantót, elle découvrenbsp;a fes yeux les appas de Cécile; tantót, fei-gnant d’être abfenté, elle les laiüe fe fairenbsp;quèlques carefles, - qu’elle interrompt tout è

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de Robert Ie Dio.hbe.

coup' alors ^ elle renvoye Cécile» fe jette au de SiWio, amp; lui jure que, s'il veut con-fentir è fes feux, il jouira, fans réferve, denbsp;fon époufe. Silvio a toujours rejeté avec hor-ïeur ces abominables propofitions; H 7 quel-jours qu’il tn'a confié ces alfreux fecrets:

C eft tiioi qui lui ai confeillé de fuir^ avec Cécile ; Cette femme les fuit de fi prés, cCnbsp;leur permet fi peu d’étre enfemble, qu'il ^nbsp;jamais pu trouver une occafion favorable tnbsp;Uon feulement, d’exécuter fon projet, maisnbsp;ibême de Ie lui communiquer.

je 1’ai trouvée, hier, cette occafion, reprit Silvio; quoique la mère de Cécile cou-che dans la chambre de fa fille, elle a trompé fa vigilance; je lui ai donné rendez-vousnbsp;derrière 1’Hermitage , elle y étoit avancnbsp;moi, paree q'ue, comme ma belle-mère ferme, toutes les nuits, la porte de ma cham-l^re, de crainre que je ne me glüTe auprès denbsp;JDon époufe, j’ai été oblige de defcendre parnbsp;la fenêtre, amp; de prendre les plus grandes pré-cautions. Malgré les perfécutions que nousnbsp;iavons efluyées, malgré la tendrefle de Cécilenbsp;pqur moi, j’ai eu beaucoup de peine a lanbsp;déternriner è me fuivre, craignant d’aban-dönner une mère qui 1’a toujours aimée, avanCnbsp;que cette malheureufe paffion eüt étoulfé fesnbsp;fentimens rnaternels. Nous allions, enfin, êtrenbsp;heureux. Vous Ie ferez, reprit Robert, od.nbsp;faut-il vous conduite? Hélas, reprit Silvio,nbsp;j’ai un frère a deux lieues d’ici, amp;,nous allions nous jeter dans fes bras; mais, fi ma

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Hiftoire

belle-mère fe doute que nous lui échappons, elle mettra a notre fuite la moitié du village , qu’elle a fu s’attacher par mille fervicesnbsp;qu’elle ne cede de rendre a tout Ie monde.nbsp;Ne craignez rien , dit Robert, malheur inbsp;quiconque voudroit attenter a votre liberté.nbsp;Les jeunesgens, raflurés par fon airintrépi-de, demandèrent a 1’Hermite fa bénédidlion :nbsp;II la leur donna, avec Ie produit de fes quê-tes, pour les mettre en état de fe foutenirnbsp;•jufqu’a ce qu’il eüt déterminé leur mère a leurnbsp;abandonner Ia dot de Cécile : II efpéroit denbsp;1'obtenir, en la raenaïant de divulguer fanbsp;turpitude.

Ils fe mirent done fous la conduite de Robert amp; partirent. Cécile étoit très-belle , la demi-clarté de la lune prêtoit un nouvel éclatnbsp;è fes charmes. Robert la lorgnoit en faifant,nbsp;de temps en temps, des fignes de croix: Silvio ne pouvoit s’empêcher de faire d’inno-centes carefl.es a fon époufe, elles les lui ren-doit en cachette. Robert fe fentoit treflail-lir, amp; Ie vieil homme reprenoit Ie deflus,nbsp;mais il fe modéroit. Cécile fit un faux pas»nbsp;Silvio la releva auffi-tóc, amp;, malgré la pré-fence de leur conducteur, il fe hafarda de luinbsp;donner un baifer. Robert s’en aper^ut; Aininbsp;Silvio, lui dit-il, avec un ton mêlé de fu-reur amp; de tendrefle : Pour Dieu, ceflez cenbsp;badinage, amp; pour caufe : Vous vous caref-ferez tant que vous voudrez quand je n’y fe-rai plus. Ce n’eft pas que je bl^tne votre impatience) j’en ferois au taut a votte place.

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ie Robert U Diahle.

iBais il y a temps pour tout. Enfin y ils ar-livèreut chez le frère de Silvio, qui favoit ce qu’ils avoienr a fouffrir auprès de leur bel-le-tnère, amp; qui les re9ut a bras ouverts. Robert reprit le chemin de 1’Hermitage, amp; futnbsp;de retour au lever de 1’aurore.

L'Hermite atiendoit Robert avec impatience, il lui tendit compte de fon voyage, vanta, furtout, le bonheur de Silvio amp; lanbsp;beauté de Cécile. Ne fongeons plus a cela,nbsp;lui dit 1’Herinite, fongeons a porter le calmenbsp;dans votre confcience, amp; a appaifer vos re-mords. Vous favez tout ce que vous avez inbsp;répater', y êtes-vous bien réfolu? Hélasl reprit Robert, un peu moins que je ne 1’étoisnbsp;avant d’avoir vu Cécile; je ne fais, mais ellenbsp;a bouleverfé routes mes idéés. L’Hermite pritnbsp;occafion de cet aveu, pour faire fentir 4 Robert la foibleffe de 1’homme; peu a peu, ilnbsp;le ramena a fes premiers fentimens, lui re-tra^a le tableau de fes crimes, amp;, comme ilnbsp;avoir reconnu en lui un coeur bon amp; fenfi-ble, il infifta, furtout, fur fes injullices, amp;nbsp;fur le fang qu’il avoir répandu : II lui pei-gnit avec des traits fi frappans les outragesnbsp;qu’il avoir fairs a 1’humaniié, qu’il lui fitnbsp;coiicevoir une fainte horreur de lui-même :nbsp;11 1 augmen^ par le contrafte de la bienfai-fance de 1 Etre Suprème envers routes lesnbsp;creatures, amp;, furtout, envers lui* II fit nat-tre dans fon coeur le regret le plus vif d’avoirnbsp;mérité la colère d’un Dieu que 1’homme n’au-

ïoit jamais du connoitre, que par fa bonté.

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HiJIoire

L’Hermite étoit éloquent, il chercha plus i toucher fon coeur, qu’^ effrayer fon efprit;nbsp;enfin, il en vint au point de faire défirer inbsp;Robert tous les moyens d’expier fes crimes.nbsp;S'il faut porter ma tête fur un échafaud, or-donnez, mon père, dit-il, j’y cours. Non,nbsp;lui dit 1’Hermite, Ie ciel n’exige point ce fa-crifice; mais ce qu’il veut de vous, eft, peut-être, plus pénible pour une aine auffi hautaine que la vócre. II ordonne que vous con-trefaffiez Ie muet amp; Ifinfenfé, que vous dif-putiez aux chiens votre nourriture, amp; vousnbsp;ierez dans eet état jufqu’a ce qu’il plaifenbsp;è Dien de vous en délivrer, amp; que vos crimes foient expiés. Ce n’eft qu’a ce prix qu’ilnbsp;vous pardonnera vos fautes ? C’eft Dieu lui-même qui vous parle par ma bouche. Vousnbsp;étes Ie maitre d'accepter ou de rejeter cesnbsp;conditions; fi vous les acceptez, vous aveznbsp;tout a efpérer : Mais fi vous les refufez, vousnbsp;deviendrez plus féroce que vous ne 1'avez jamais été; Ie meurtre amp; les aflaffinats ne feroncnbsp;plus que des jeux pour vous, la paix fera ban-,niede votreame, lahainedu genre humainde-viendra poor vous un fentimentnéceflaire. Robert promit de fe foumettre a tout ce qu’on exi-geroit de lui. L’Hermite ajouta, qu’il devoit,nbsp;furtouc, fe garder, pendant ce temps d’é-preuve, de fkire du mal a qui que ce fdt,nbsp;quelque tentation amp; quelque occafiofi qu’ilnbsp;en eüt. Quelle que füt la bonne intention de Robert, eet article lui parut Ie plusnbsp;pénible amp; Ie plus difficile; il en fit part è

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de Robert Ie DiaBte. nbsp;nbsp;nbsp;69

1’Hermice, qui lui repréfenta que, devanc contrefaire 1’infenfé, il lui étoit ailë de re-noncer a toute fenfibilité •, que ce qui nous por-toit k la vengeauce ^ étoit l’ovgueil, amp; que ynbsp;puifqu’ii fe fentoit Ie courage de pafler pournbsp;pfenfé dans l’efprit de ceux qui Ie verroient ,nbsp;ii devoit fe fentir auffi la force de réprimernbsp;Ion orgueil, vice qui étoit incompatible avecnbsp;la dérnence. Robert avoit de la peine a conce-yoir cettephilofophie: Cependant, il fe Ibumit;nbsp;il pria Ie bon Hermite d’obtenir du ciel la forcenbsp;qui lui étoit néceflaire pour remplir fes décrets,nbsp;d’écarter de lui les tentations, amp; de ne pas luinbsp;faire rencontrer fouvent des Céciles.

Robert prit congé de 1’Hermite, amp; com-ïïien9a, dés ce moment, a goüter une pais intérieure qu’il ne connoiflbitpas.Cethomme,nbsp;dont l’orgueil s’étoit nourri de tant de crimes , que la cruauté avoit endurci, devincnbsp;doux, affable, humble, amp; trouvoit dans cesnbsp;vertus une volupté qu’il n’avoit jamais éprou-vée dans la débauche.

C H A P I T 11 E V I LI.

Épreuves. Progrès de Robert dans la VCrtÜ. II efi dédaré fou du Rol. A la Cour, hsnbsp;fous mimes exckent Venvie. Confpirationnbsp;découverte. Qu'efl-ce que la vertui

UE la Religion a d’empire fur I’efprit de ^^Phomme 1 par elle , le tigre le plus fan-Suinaire devient un agneaupaifible i par elle»

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fo nbsp;nbsp;nbsp;Bifioire

auffi, 1’ame la plus foible acquiert nne force qui lui fait affronter les plus grands dangers-Ce Robert, que fes paffions rendoient commenbsp;infenfé, maintenant, fous le joug de la Religion , infenfé volontaire, fe foumet aux humiliations les plus aviliflantes. Après avoirnbsp;quitté 1'Hermite, il revint a Rome : Safeintenbsp;démence le faifoit fuivre par les enfans, quinbsp;le pourfuivoient a coups de pierre; mais jnbsp;comme fes extravagances n’avoient rien quinbsp;tint de la fureur, les honnêtes gens fe con-tentoient de le plaindre , amp; le défendoiencnbsp;contre tous ceux qui 1’attaquoient. Les unsnbsp;s’amufoient de fa folie, les autres en avoiencnbsp;pitié : II rioit en lui-même, en voyant que»nbsp;paree qu’on croyoit qu'il avoit perdu 1’efprit ,nbsp;il attiroit plus de monde autour de lui, quenbsp;s’il eut eu tout celui des fept Sages de lanbsp;Gréce. '¦

En courant, ainfi, dans la ville, il fe trouva auprès du Palais du Roi Aftolphé; il y entra,nbsp;monta dans les appartemens, amp; s’y promena,nbsp;tantórd’une viteflé furprenante, amp; tantót d’unnbsp;pas graveamp;majefl:ueux. Le Roi leregardalong-temps; il fut frappé de la taille amp; des traitsnbsp;de Robert; il le fit obferver a un de fes amis:nbsp;Voila, dit-il, le plus bel homme que j’ayenbsp;jamais vu ; il paroit avoir perdu 1’efprit, amp;,nbsp;certes, c’eft bien dommage : II m’intérefle,nbsp;je defends qu’on lui fafl'e ancun mal, je veuxnbsp;qu’on en ait foin , qu’on le ferve, amp; qu’on aicnbsp;pour lui toute forte d’égards. II le fit ap-peler, mais Robert ne répondit point ; On

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ie 'Robert Ie Diahte,

lui préfema i boire amp; ia manger, il refufa ^ut, ce qui furprit beaucoup tout Ie monde.nbsp;Robert, par des folies agréables gt; amufoit tousnbsp;les Seigneurs. A 1’heure du diner » Ie Roi luinbsp;fit figne dele fuivre; Robert obéit; Ce Princenbsp;lui préfenta lui-même, inutilement, difierenanbsp;mets, Il avoit un cbien qu’il aimoit beaucoup ,

^ prit fur fa table un poulet, qu’il lui jeta : Robert courut après Ie chien, lui arracha fknbsp;proie; le chien voulut la ravoir, amp; ^ alors ,

11 fe fit un combat entre le chien amp; lui, qui *mufa le Roi. Robert fut le plus fort, lanbsp;poulet lui lefta , amp; il le dévora ayec avidité ,nbsp;h’ayant rien mangé depuis deux jours. Aftol-phe, qui crut que c’étoit une des manies danbsp;Robert de difputer fa nourriture avec fonnbsp;chien, jeta un pain tout entier fous la table:nbsp;Le chien y courut, mais Robert le lui enlevanbsp;«ncore; il divifa ce pain, en donna la moitiénbsp;chien, mangea le refte. Le Roi demeuranbsp;tour étonné : La folie de eet homme eft biennbsp;finguiière, dit-il, il ne prend rien de ce quanbsp;nous lui ofFrons, amp; 1’enlève aux chiens. Puif-^ue c’eft fa fantaifie, il faut le fervir felon fonnbsp;godt; Dès ce jour, on donna triple portionnbsp;au chien du Roi , afin que le fou püt avoiïnbsp;ce qui lui étoit néceflaire.

Après le diné , Robert alia fe promenei dans Ic Palais, faifant mille folies qui ne pou-^nbsp;voient cependant nuire a perfonne. II mou-roit de foif, amp; ne pouvoit demander a boire,nbsp;k caufe de la défenfe de parler qui lui avoitnbsp;faite par 1’Hermite. II vit une porte ou-

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Hijloire

verte, qui donnoit dans Ie jardin du Palais, il entra, amp; courut fe défaltérer a la fontaine.

Le chien d’AftoIphe s'étoit familiarifé avec Robert, amp; ue le quittoit plus. Quand la nuitnbsp;vint, le chien fe retira dans fa loge, Robertnbsp;le fuivit, amp; ils couchèrenc fur la même paille.nbsp;Le Rol s’attachoit de plus en plus k fon fou:nbsp;II ordonna qu’on lui drefsdt un lit, il le re-fufa encore, amp; fit figne aïix domeftiques denbsp;le reporter, montrant la terre amp; la paille furnbsp;laquelle il avoit couché, amp; faifant entendrenbsp;que ce lit étoit trop bon pour lui. Aftolphe,nbsp;toujours plus étonné, ordonna qu’on lui por-tamp;t, chaque jour , de la paille fraiche. Robert lui en marqua fa reconnoiflance par quel-ques folies aitnables. Son Maitre fuivoit denbsp;prés routes fes adions; il lui trouvoit de lanbsp;douceur , de la complaifance, de la généro-fité; il 1’avoit vu, quelquefois, diftribuer auxnbsp;pauvres ce que les chiens lui laiflbient pournbsp;fa fubliftance, encore le faifoit-il avec un telnbsp;difcernement, qu’il n’y avoit que les vraisnbsp;pauvres qui euflènt part a fes aumónes, re-poullant les parefleux amp; les vagabonds, amp; leurnbsp;faifant figne d’aller travailler.

Ceux qui avoient befoin de la protedtion du Roi, avoient obfervé qu’il avoit de l’a-mitié pour fon fou; ils ne manquèrent pas denbsp;profiter de cette découverte : C’eft a lui qu’ilsnbsp;remettoient les placets qu’ils adreflbient a fonnbsp;Maitre. Robert ne les rendoit jamais fans lesnbsp;lire : Lorfque la demande lui paroiflbit jufte,nbsp;il donnoit le placet a Aftolphe, un genou a

terre;

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de Robert Ie Diable.

terre •, mais, lorfqu’il la trouvoit injufte, oa fondée, U ptéfentoit Ie Mémoire a deminbsp;oechiré; ce qui lui attira beaucoup d’enne-amp; ne lui fit qu’utj très-pedc nombrenbsp;o’amis. Un de ceux dont il avoit mal accueillinbsp;*5 Mémoire, s’avila de Ie frapper, en préfencenbsp;Roi. Robert, ne pouvant réiifter au premiernbsp;^onvement, prit un air furieux qui fit trem-Pj ^’aggrefleur , amp; , fe mqdérant auffi-tót,

« le prit par la main amp; l’embrafla. Le Roi* ^'li s’étoit aper5u de cette aöion généreufe,nbsp;bC arrêter 1’homme injufte, amp; ordonna qu’ilnbsp;lüt conduit en prilon : Robert tomba aux ge-fioux de fon Maitre, amp; fit tant par fes prières,nbsp;^ü’il obrint la gramp;ce du coupable.

Robert fe modéroit en tout: Son caraftère *^’étoit pas changé, paree que le caradbère nenbsp;peut pêtre; mais, comme le fonds en étoitnbsp;bon, 1’habitude de la moderation, qu’il ac-^oeroit peu è. peu, le rendit excellent t Lenbsp;®bef-d’oeuvte de cette habitude fut le pardonnbsp;QCs injures. Un de fes ennemis eflaya de persuader è Aftolphe que Robert contrefaifoit lenbsp;muet amp; 1’infenfé : 11 étoit d’autant plus facilenbsp;«e le prouvet, qu’on lui voyoit faire, tousnbsp;de trés-bon fens. Ehnbsp;bten, dit le Roi,Ti c’eft fa fantaifie, puis-ienbsp;1 en eroi^cher? D’ailleurs, n’eft-ce pas êtrenbsp;fou que de le contrefaire, amp;, furtout, d’unfenbsp;fivilaine inanière. Quel agrément trouveroit-» s’il n’étoilpas dans la démence, partagernbsp;« nourriture avec des chiens, a coucher furnbsp;^ Prille, i meneï la vie la plus dure? Sire,

D

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74 nbsp;nbsp;nbsp;Hijloire

leprit Phomme méchant, on a fouvent des raifons pour fe déguifer; qui fait ft eet hom-me, que perfonne ne connoit ici, n’eft pasnbsp;l’efpion de quelque Prince qui a de mauvaisnbsp;defleins fur Rome? J’ai roême de fortes raifonsnbsp;pour Ie croire coupable : Que rifquez-vous, ennbsp;approfondiflant ce myflère ? Et par quei moyen ,nbsp;reprit ie Roi? Le méchant répondic : D’a-bord, en Ie flattant; s’il s'obftine, en le me-tia^ant; amp;, fi ce moyen efl; inutile, par lesnbsp;tortures. J’y confens, dit Aftolphe, mais è.nbsp;condition que, li eet homme eft réellementnbsp;muet amp; fou, vous fubirez la même peine. Lenbsp;méchant frémit, amp; dit qu’on pourroit, avancnbsp;tout, le faire examiner par des Médecins.

Leur converfation n’étoic pas encore finie» que Robert arriva tout eflbufflé, conduifancnbsp;par la main un étranger qui fe débattoit ennbsp;tremblant. Robert Ie remit a fon Maitre, amp;:nbsp;lui lit entendre, par deslignes, que eet hommenbsp;lui étoit fufpeél: II lui remit, en même temps,nbsp;iin papier qu’il avoit furpris. Aftolphe le lut,nbsp;fz. y trouva le projet d’un complot contrenbsp;1’Etat, dans lequel 1’accufateur de Robert étoitnbsp;jropliqué. Le Roi le fit arrêter,.amp; s’aliura, ennbsp;même temps, de la perfonne de eet étranger.nbsp;Robert, qui paflbit, non feulemenr, pourin-fenfé , mais, encore, pour feurd amp; muet,nbsp;fit figne i fon Maitre de lui donner, par écrit,nbsp;quel étoit le crime du Seigneur qu’il venoitnbsp;de faire arrêter. Le Roi lui dévoila le myftèr«nbsp;du complot : C’eft moi, lui écrivit-il , quinbsp;fuis l’objet amp; la caufe de cette trahifon. hs

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di Robert Ie Diable. nbsp;nbsp;nbsp;f5

•Prince Oforio, d'une des plus grandes Mai-fons d’Italie, a deinandé Cynthia, ma fille,

®n mariagej quoilt;iu*eUe foit muette, comine fa beauté, fes talens, amp;, furtout, fanbsp;ïicheffe, lui ont attiré une foule d’adora-teuts. Oforio, n’ayant d’autre merite que Ihnbsp;ïtaiflance, amp; une ambition démefurée, s’eftnbsp;hais fur les rangs, amp; a cru qn’il^ lui fuffifoitnbsp;de fe préfenter pour être accepté : Je n’airaenbsp;point fon caraftére féroce, fon orgueil m’anbsp;loujours révolté, amp; j’aurois eu la plus grandenbsp;ïépugnance de 1’avoir pour gendre. Cepen-dant, comme j’aime beaucoup plus ma fillenbsp;que je ne haïfle Oforio, je lui fis part de fesnbsp;prétentions, en ne marquant pi défus, ninbsp;«loignement pour ce mariage. Ma fille menbsp;protefta qu’elle feroit toujours foumife a mesnbsp;volontés, amp; que, quoiqu'elle fe fentit un dé-go’^c invincible pour Oforio, elle étoit prétenbsp;^ l’époufer. J’embraffai ma fille, amp; je dis inbsp;Oforio qu’elle étoit déterminée a ne pas fenbsp;marier encore, amp; que mon intention étoit denbsp;' ne pas la contraindre. Oforio me jura, désnbsp;ce moment, une haine éteinelle ; L’autoriténbsp;fuptème, que j’exerce, ne lui a pas permisnbsp;d'éclater. Je fuis informé, depuis quelquenbsp;temps, qu’n ne fe contente pas de murmurernbsp;contre Ie Gouvernement, mais qu’il a desnbsp;relations avec les Sarrafins. Je Ie fais épier,nbsp;fes manoeuvres avoient échappé a mes recherches : Le papier, que lu viens de me remettre,nbsp;me décQuvre qu’il a des liaifons dangereufesnbsp;avi dedans amp; au dehors de Rome; plufieurs

D ij

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Hlfloire

complices y font nommés, amp; cet homme, que je viens de faire arrêter, eft un des principaux.

Robert, en lifant cet écrit, fut confondu: L’Hermite lui avoit ordonné de ne faire danbsp;mal a qui que ce fut, amp;, en découvrant unenbsp;confpiration, il devenoit la caufe de la inortnbsp;d’une infinité deperfonnes. Cefcrupule, malnbsp;fondé, le tracaflbit: II écrivit, au bas du papier du Roi, qu’il le fupplioit d’accorder, finbsp;cela fe pouvoit, fans conféquence, la grkenbsp;de ce complice. Aftolphe répondit qu'il avoitnbsp;plds d’une raifon pour ne pas lui faire grSce ,nbsp;amp; lui rapporta tout ce que cet homme luinbsp;avoit dit, au fujet de fa prétendue démence,nbsp;amp; des foupgons qu’il avoit voulu lui infpirernbsp;fur le compte de Robert, qui, fans héfiter,nbsp;écrivit encore, que les plus infenfés avoientnbsp;de bons intervalles, amp; que c’étoit ce qui ren-doit leur fort plus déplorable. Tu vois, répondit le Roi, toujours en écrivant, le casnbsp;que je fais des accufations de cet homme:nbsp;Cepei.dant, il faut bien que tu m’ayes infpirénbsp;une grande confiance, puifque, malgré tonnbsp;état, je t’ai dévoilé des fecrets d’une auftinbsp;grande importance. Robert ne répondit rien.nbsp;Aftolphe lui demanda de quel pays il étoit?nbsp;De la mer Baltique, écrivit Robert. Quelsnbsp;font tes parens ? Le chien de Procris amp; lanbsp;grande Ourfe. Quel Sge as-tu? Six cents qua-tre-vingt-dix-neuf ans. Le Roi crut que fanbsp;folie le reprenoit, amp; le quitta, eh lui recom-inandant le fecret.

Les foupïons dont on avoit fait part k Af-

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de Robert lamp; Diahle. nbsp;nbsp;nbsp;77

tolphe, inquiétoient Robert : II étoit fur Ie point d’écrire k 1’Hermite, pour Ie confültetnbsp;Ibr ce qu^il devoit faire ^ pour bien établir fanbsp;reputation d’infenfé; il fe douta, cependant,nbsp;4ue, li ces foup^ons avoient fait quelque im-preliion fut 1’efprit du Roi gt; il ïïs tnanqueroitnbsp;pas de Ie faire queftionner, amp; de mettre desnbsp;efpions auprès de lui. II ne.fe trompa pointnbsp;dans fes conjeftures. II y avoit ^ dans Ie Palais,nbsp;rin Juif fort confidéré par fes richefl'es amp; patnbsp;^es grandes lumières fur les finances; c’etoitnbsp;\oi qui recevoit les revenus de 1’Etat, amp; ilnbsp;étoit 1’ame du Confeil. Aftolphe lui marquoitnbsp;beaucoup de confiance , mais il étoit fier amp;nbsp;arrogant. Robert étoit encore fur fa paille avecnbsp;Ie chien du Roi, ils déjeünoient enfemble,nbsp;lorfque Ie Juif vint, d’un air affable, efcorténbsp;de quelques Seigneurs, pour voir Robert, quinbsp;deyina fon deöein. Le Juif s’aflit a cóté denbsp;amp; fe mit k écrire : I! fit plufieurs quef-rions, auxquelles Robert fit des réponfes, tan-tót d’un bon fens a faire croire qu’il étoitnbsp;très-fage, amp; tantót d’une folie a perfuadetnbsp;qu’il étoit le plus fou des hommes, lui mar-quant le plus grand refpe^ft, amp; lui donnantnbsp;des nazardes, jouant alternativement avec fonnbsp;enen, amp; faifant au Juif les fingeries les plusnbsp;fmgulieres. Le Juif, perdant patience, le me-mya. Robert pnt fon temps, ramafla toute fanbsp;paille, parrni laquelle il y avoit beaucoupnbsp;d'ordures, 1 entafla fur le Juif, qui, aprèsnbsp;s’étre débarrafle, voulut fe veuger; mais fonnbsp;gt;dverfaire, plus fort que lui, le prit a la gorge,

D iij

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7 8 nbsp;nbsp;nbsp;Hifioire

amp; Ie mend chez Ie Roi, a qui 1’on raconta tout ce qui venoit lie fe pafler-

Cette aftion fit tire Aftolphe, amp; confirma dans fon elprit la demence de Robert : Ellenbsp;fat fuivie de plufleurs autres traits de folie.nbsp;Son Maitre, qui craignoit que les tracalTeriesnbsp;qu’on lui faifoic, ne fiflent empirer fon état,nbsp;ordonna qu’on le laifsat tranquille, Srne futnbsp;pas moins étonné de ce mélange d’extrava-gance amp; de fagefle.

II y avoir prés de fept ans que duroit 1’ex-piation des crimes de Robert. Comme I’Her-mite n’étoit éloigné que de trois milles, il s’échappoit, de temps en temps, du Palais, amp;nbsp;alloit le voir : II revenoit toujours le journbsp;même, de manière qu’il avoit accoutumé toutnbsp;le monde a fon abfence, amp; 1’on ne s’en in-quiétoit plus. Dans les circonftances oti il fenbsp;trouvoit, il ne man'qua pas d’aller lui com-muniquer fes crainces amp; fes fcrupules., L’Her-mite le rafllira fur les unes amp; fur les autres,nbsp;amp; lui dit que fes fautes lui étoient pardon-nées, amp; qu’il pouvoit mettre fin, quand ilnbsp;voudroit, a fa penitence; qu’il efpéroit quenbsp;les efforts qu’il avoir faits fur lui-même, 1’a-voient accoutumé au joug aimable de la ver-tu. Il eft vrai, mon Père, lui dit Robert,nbsp;que je me fens plus tranquille, amp; que je trouvenbsp;une efpèce de volupté, lorfque je puis vain-cre mon impétuofité : Lorfque j’ai fait quel-que bien aux autres, je goute un plaifir fin-gulier, que je n’éprouvois jamais, lorfque jenbsp;me Ijvrois a tous mes penclians. Mais, mon

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damp; Robert h Viable.

Psre, dites-moi, je vous prie, qu’eft-ce que la vertu , afin que je ne m’écarte jamais de cenbsp;qu’elle prefcrit? Mon ami, lui dit 1’Herroite,nbsp;^ous tnc faites une queftion, fut laquelle on,nbsp;a écrit plus de volumes que ne poutroic ennbsp;contenir mon hermitage, amp; i laquelle il nenbsp;lalloit répondre que ces mots, fut lefquelsnbsp;toutes les Religions, amp; la vótre furtout, fontnbsp;londées ; Aimer Dieu, 1’honorer; aimer Ienbsp;Prochain, lui étre utile autant qu’on Ie peut,nbsp;^ gt; enfuite, confulter fa confcience dans tou-'¦Ss les adions de fa vie. Le premier de cesnbsp;Ptéceptes doit nécefl'airement élever votrenbsp;3tne, la pénétrer de la grandeur, de la bon-ïé, de la juftice de l’Être Suprème : Vous nenbsp;Pouvez être rempli de ces idéés, fans quenbsp;¦Votre cceur n’en foit touché, amp; fans que vousnbsp;S® foyez pénétré de reconnoiflance envers cecnbsp;*tre. La reconnoillance, qui doit nécell'aire-*nbsp;*'ient vous porter a imiter, du moins autancnbsp;que votre foiblefle peut vous le permettre »nbsp;cetce juftice amp; cette bonté, vous conduira ,nbsp;hatuxellement, a la pratique du fecond pré-cepte. Le troifièrae eft le guide le plus infail-lible pour juger fi vous avez rempli les deuxnbsp;premiers. Voila, mon ami, en quoi confiftenbsp;cette vertu, dont on a parlé fi diverfement,nbsp;paree que chacun Taccommode a fon carac-tere, a fes penchans amp; a fes intéréts.

Robert ne trouva rien dans ces préceptes qui fdt au deflus de la raifon amp; des forcesnbsp;humaines: II queftionna 1’Hermite fur la ma-ï'ière done il devoit honorer Dieu, amp; fur beau-

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coup d’autres articles; mais le faint hornme fe conforma toujours, dans fes réponfes, aanbsp;dégré de lumière amp; a la trempe d'efprit denbsp;Robert, amp; fixa des limites a fa curiofite.

CHAPITRE IX.

Guerre des Sarrajins- Batailles. Fails ké~ rdiques damp; Robert. II eft fur le point d'ennbsp;perdre tout h fruit.

R,

.OBEK.T revint ap Palais, plus content amp; plus tranquille qu’il ne 1’avoit jamais été: IInbsp;ne crut pas qu’il fut temps encore de diffuadernbsp;perfonne fur fa folie. II alia reprendre fa placenbsp;auprès de fon chien, qui 1’attendoit avec im-.nbsp;patience, amp; qui, par mille carelles, lui té.*nbsp;moigna la joie qu’il eut de le revoir.

Cependant Oforio avoir été informé de la découverte du complot; il n’en attendit pointnbsp;1’eifet, il fortic de Rome avec plufieurs de'nbsp;fes conjures, amp; donna avis aux Sarrafins, quinbsp;fe tenoient tout prêts, au fond du golfe Adria-tique, de defcendre de leurs vaifleaux au premier fignal. Le Roi avoit inftruit le Pape denbsp;tout ce qu’il favoit de cette conjuration. Dèsnbsp;qu’on fut qu’Oforio avoit échappé aux fuppli-ces qu’il méritoit, on fe doura bientóc que lesnbsp;ennemis ne tarderoient point a paroitre. Onnbsp;leva des troupes, Aftolphe fe mit a leur tête,nbsp;le troifièmejour, ellesétoient campéesfous

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de Robert Ie Diahle. nbsp;nbsp;nbsp;8t

les murs de Rome, d’oü elles partirent pour Ie rendre dans la Romagne, a portée de s’op-Pofer a la defcente des Sarrafins: Mais ils lesnbsp;ïencontrèrent, amp; les Romains furent obligesnbsp;de rétrograder jufque fous les murs de la ville.nbsp;Les Sarraüns s’étoient déja emparés de plu-fieurs places de 1’État-Eccléfiaftique.

Tous les Chevaliers, amp; tous les Princes de 1’Italie, fe réunirent a Aftolphe, amp; proteftè-fent de défendre leurs peuples jufqu’a la derrière goutte de leur fang : Ils étoient plus indi-8rés contre Ie Prince Oforio, que contre lesnbsp;Sarrafins même. On publia qu’on proinettoicnbsp;foldat qui Ie prendroit en vie , une récom-penfe amp; des honneurs proportionnés a ce fer-Vice.

^ Les Romains, determines a combattre, al-lèrenc au devanc des Sarrafins, qu’ils trou-^èrenc a trois rallies de Rome. Le courage ^ la fureur étoient égaux de part amp; d’autre :nbsp;Les Romains étoient animés par Pamour denbsp;la gloire , par 1’efpérance de délivrer, pournbsp;toujours, 1’Italie des incurfions des Barbares ,nbsp;amp; par le défir de donner dans Oforio un exem-ple qui épouvantat les perfides.

Tandis que les armées étoient en préfence, Robert , qui eüt bien défiré pouvoir fe rendre utile dans cette occafion importante, n'o-foit demander des armes, amp; ne favoit oiinbsp;en prendre . 11 fe contentoit de faire des voeuxnbsp;pour les Romains amp; pour le Roi. n traverfoitnbsp;le jardin du Palais, amp; alloit, d fon oidinai-^ la fontaine, pour fe défaltérer, lorfou’ü

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fe trouva attêté par un nuage éclatant; il s’arrête, amp; fe profterne ; il entend une voixnbsp;qui lui dit : f^a défaidrz la caufe du jufte ,nbsp;la viamp;oire Vattend. Robert fe relève, amp;, aunbsp;lieu du nuage, il trouve un beau cheval, amp;nbsp;une armure qui paroiflbit étincelante. Robertnbsp;ne fonge plus a fa foif, il s’arme, montenbsp;fur Ie cheval, amp; part.

Le hafard fit que la fille du Roi étoit a fa fenéite, d’oü elle vit Robert s’armant-amp; fenbsp;préparant au combat: Sa furprife ne l’empê-cha pas de remarquer qu'il n’y avoit point,nbsp;parmi tous les Chevaliers qui combattoientnbsp;pour fon père, un plus bel homme que lui:nbsp;Mais, comme elle le croyoit infenfé , ellenbsp;s’imagina que c’étoit un nouveau trait de folie.

A peine étoit-il forti des portes de la ¦ville, qu’il rencontre des foldats blefl'és,nbsp;qui lui annoncent que les Sarrafins ont l’a-vantage. II ne tarda pas a trouver les Remains qui fe battoient en retraite, amp; donenbsp;l’intrépidité foutenoit encore le combat : IInbsp;quot;voit, d’un coup d’oeil, les manoeuvres desnbsp;troupes, fuppofe un ordre du Général, amp; fenbsp;fait fuivre par les plus déterminés : Auffi-tót,nbsp;ïl fe jette au plus fort de la mêlée, amp; faitnbsp;jour I fa petite troupe. Dés qu’il eft au centre, il ne fait plus attention au nombre, ilnbsp;frappe è. droite amp; a gauche, amp; fait tombernbsp;les ennemis, qui l’entourent : Les têtes amp;nbsp;les bras volent autour de lui; fon cheval,nbsp;qui fembloit refpirer le carnage, foule auxnbsp;pieds ceux que le fer dévoranc de Robert ne

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de quot;Robert U 'DiaUe. nbsp;nbsp;nbsp;83

peut atteindre. Les Sarrafins qui, en eet en-droif, avoienc enfoncé les Romains, recu-^ent, amp; leur donrent Ie temps de fe rallier. Chacun rentte dans fes rangs. Le Generalnbsp;lt;^hange fon ordre de bacaille, amp;» au Heu denbsp;défenfive, qu’il avoit été obligé de pren-»' il fe difpofe k 1’attaque. ün filence fa-J’ouche règne dans les deux armées : D’unnbsp;on voit le Général des Sarrafins dé-fefpéré de fe voir enlever la viftoire , qu’ilnbsp;^royoit certaine ; de 1’autre , Aftolphe , amp;nbsp;bn Chevalier, que fa vifière baiflee empéchoitnbsp;^OUt le monde de reconnoitre, remplis denbsp;confiance. La bataille recommence. Robertnbsp;attaqtre Ie Général, que défendoit un efca-dron des plus braves Sarrafins; il perce juf-fiu’a lui : Sa petite troupe, qui ne 1'avoitnbsp;point abandonné, rorapt l’ordre de 1’efca-öron ennemi, amp; laifle un libre pflage aunbsp;phevalier, qui s’élance fur le Général, dontnbsp;évice, avec adrelfe, tous les coups qu’il luinbsp;potte ; il le faifit, amp; 1’enlève de deflus fonnbsp;lt;^heval. Le Général fe débat en vain : Robert le porte fous fon bras gauche, amp;, dnnbsp;droit, écarté ou abat, avec fon épée, toutnbsp;ce qui s’offreafes coups. 11 parvient jufqu’aunbsp;.1’.^ temet fon prifonnier; maïs celui-poignard, s’ouvre un paffage, amp;nbsp;s enfonce dans un bois, ou on le perdit de vue.

Robert ne perd point de temps a écou-ter les éloges de fon Maitre, amp; les ap-Plaudiflemens des Romains, qui l’entourent; il letourne au combat. Les Sarrafins, elFrayés

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Hiftoire

de 1'aftion dont ils viennent d’etre térooins» ne fongent qu’a éviter fes coups gt; amp; la fuitenbsp;lui enlève fes viftimes : II parcourt les rangsnbsp;ennemis, amp; les rangs entiers difparoillentnbsp;devanc lui, comme les feuilles done la geléenbsp;a defleché les tiges, amp; qu’un ouragan difperfenbsp;dans les airs. A la faveur de Robert, lesnbsp;Remains reftent, non feulement, tnaJtres dunbsp;champ de bataille, mais, encore, pourfuivencnbsp;fans relache les Sarrafins, pendant deux joursnbsp;amp; deux nuits, maflacrant, dans leur courfe,nbsp;tous ceux a qui leur agilité ne permet pas denbsp;les éviter, ou que la laffitude retarde. Ilsnbsp;font, enfin, arrêtés par une rivière: Les Remains les joignent, amp; ne leur donnent pointnbsp;Ie temps de jeter un pont; alors, Ie carnagenbsp;devient général, un tiers de ce qui refte denbsp;1’armée des Sarrafins s’engage dans Ie fleuve :nbsp;Robert s’y élance , fon cheval, avec la mêmenbsp;facilité qu’un poiflbn, porte Robert a droitenbsp;Si i gauche : Ceux qui veulent 1’éviter per-dent Ie gué, S:!.font fubmergés. II avoir quitténbsp;fon épée en entrant dans la rivière, amp; s’é-toit armé d’une maliue : Chaque coup qu’ilnbsp;porte abat un emiemi, la rivière eft prefquenbsp;entièrement nettoyée. Ceux qui reftent encorenbsp;leviennent vers Ie rivage qu’ils ont quitté,nbsp;ils cherchent en vain è gagnerles bords; lesnbsp;^rrafins qui y combattoient, amp; que les Ro-jnains pouflbient toujours vers la rivière, fontnbsp;forcés d’y chercher un afyle , amp; s’y noyent.nbsp;Enfin, de foixante mille combattans, a peinenbsp;en refte-t-il quatie mille, qui jettent bas les

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de quot;Robert Ie Dlahle.

Wtnes, amp; implorent la clémeiice da vain-^aeur. Le Roi leur fait grice, afin qu’ils puif-ftnt porter dans leur pays la terreur des ar-öies des Remains: Le refte étoit noyé, mort OU blefle. On eut foin des derniers, on fitnbsp;*6s autres prifonniers. On les conduifit juf-‘lu’è leur flotte, dont on s’empara, amp; on leutnbsp;secorda fix galères pour s’en retourner, aprèsnbsp;leur avoir fait figner une capitulation, parnbsp;^squelle ils promirent que leur Nation ne ren-ïteroit pas, de cinquante ans, dans 1’Italie.nbsp;On garda les principaux Chefs, amp; les blefl'és ynbsp;pour otages.

Robert avoit difparu au moment oü il avoic vu que les ennemis capituloient. Aftolphefitnbsp;chercher vainement le Chevalier , qu’on nenbsp;connoiflbit que fous le nom de terrible, quenbsp;1’armée lui avoit donné. II arriva a Rome,nbsp;pénétra dans le jardin du Palais, fans êtrenbsp;teconnu, revint auprès de la fontaine, fe dé-farma, amp; fe profterna la face contre terre.nbsp;Après avoir rendu grèce è l’Être Suprème ,nbsp;qui lui donnoit la force amp; la viftoire, il fenbsp;releva, amp; ne retrouva ni fes armes, ni fonnbsp;cheval, qui avoient difparu. II appaifa fa foif,nbsp;amp; alia fe coucher auprès de fon chien, Robertnbsp;n’avoit re9u qu’une légère bleflure au vifa-ge, que le chien cicatrifa bientót, en la lé-chant.

Le Roi ramena è Rome fon armée triom-phante , amp; chargée des dépouilles des ennemis. II fit dépofer le butin fur la place, alia ïendre coropte au Pape de tous les détails d»

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Mijïoire

cette bataille, revitit au même endroit, ré-gla Ie partage qu’on devoit faire des richef-fes impenfes qu’on avoir priies aux ennemis, en fiic mettre a part un tiers pour Ie Chevalier inconnu, amp; reuera dans fon Palais, avecnbsp;les Chevaliers amp; les principaux Chefs de fonnbsp;armée.

On y avoit préparé des fétes magnifiques amp; un fuperbe repas. A 1’heure du fouper,nbsp;Robert fe préfenta a l’ördinaire, alia fe je-ter aux pieds du Roi, amp; fit mille folies qui-amusèrent beaucoup l’aflémblée. Aftolphe ra-conta les chofes fingulières qu’il favoit de lui,nbsp;aflura ceux qui ne connoilfoient pas fonnbsp;fou, que, Ie plus fouvent, c’étoit 1’hommenbsp;Ie plus fenfé amp; du meilieur confeil qu’il eücnbsp;vu, amp; qu’enfin , c’étoit a lui qu’il devoit, lanbsp;découverte de la confpiration d’Oforio : II en-tra, a ce fujet, dans des détails qui étonnèrentnbsp;tout Ie monde. Robert ne pouvoit s’empêchernbsp;de rougir, amp; faifoit femblant de ne rien entendre, continuant toujours ^ faire des extravagances. Son Maitre 1’appela, amp; lui fit com-prendre, par des fignes, qu’il venoit de gagnernbsp;tine bataille complerte fur'les Sarrafins. Robert lui fit des fignes de félicitation, alia prendre fon chien, amp; fe mit a danfer amp; i fauternbsp;avec lui, en figne de réjouiflance. Le Roi s’a-per9Ut de la bleflure. qu’il avoit au vifage,nbsp;lequeftionna, par figne, comment cela étoit arrivé ; mais Robertréponditquecen’étoitrien,nbsp;amp; continua de danfer. Le Roi appela fes do-meftiques, leur dit que, s’il favoit que ce füc

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de Robert U Diahle.

lt;luelqu*un d’eux qui eüt blefle fon fou, il Ie puniroit très-févèrement, défendant très-ex-Preflement. qu’on fit aucun mal a un hommenbsp;Sui n’en faifoit ii perfonne. II n’y a qu’heurnbsp;^ malheur dan^ ce monde, dit un des Gé-®6raux, ce pauvre malheureux, qui a refténbsp;ïranquille dans ce Palais, eft bleffé, amp; nous,nbsp;«lui nous fommes battus pendant trois jours,nbsp;^’avons pas regu une égratignure. Oui, reprit

autre, grace au Roi, amp; a ce terrible Che-''alier qui nous a ramené la viftoire. Quoi, 'iit Aftolphe, perfonne ne Ie connoit. Je ferainbsp;done privé du plaifir de favoir k qui 1’Italienbsp;amp; moi devons un fi grand a vantage: J’ai faitnbsp;léferver un tiers du butin pour lui; demain,nbsp;ie ferai publier que je promets une récom-penfe i qui pourra m’apprendre Ie nom denbsp;ce brave homme.

La fille du Roi, qui étoit muette, mais lt;iui n’étoit point fourde, felève, amp; fait fignenbsp;è fon père que c’eft Ie fou. Le Roi, craignantnbsp;de fe méprendre auxfignes de fa fille, envoyenbsp;chercher fa gouvernante, pour lui fervir d’in-terprète. La Princefle veut vous faire entendre , dit la bonne gouvernante, que le Chevalier qui a fait routes les belles aftions donenbsp;vous parlez, amp; fans lequel Rome alloit êtrenbsp;faccagée, n’eft autre que ce fou. Aftolphe nenbsp;put s’empécher de rire , mais, enfuite , il fenbsp;fócha vivement contre elle amp; contre fa fille,nbsp;croyant que c’étoit une plaifanterie qu’ellenbsp;avoir imaginée pour tourner en ridicule Pa-miiié qu’il témoignoic a ce malheureux.

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Quelques recherches que fit Ie Roi, il ne put découvrir autre chofe fur Ie compte dunbsp;Chevalier inconnu, amp; bientót on cefla d'ennbsp;parler. Trois mois ne s’étoient pas encore écou-lés, que les Sarrafins, au mépris de la capitulation , excités par Oforio , traverfèrent lesnbsp;mers avec une flotte plus nombreufe que lanbsp;première, amp; une armée plus redoutable encore.nbsp;Comme on favoit Ie peu de foi qu’il y avoitnbsp;a faire fur les promefles des Sarrafins, on fenbsp;tenoit fur fes gardes, Le Roi n’avoit pas li-cencié fon armée, de forte qu’a la premièrenbsp;nouvelle de leur defcente, il marcha en forcenbsp;contre eux. Cependant, on ne put les empl-cher de s’avancer , amp; ils auroient, peut-êcre,nbsp;repoufle les Romains, amp; mis le fiège devantnbsp;leur ville , fi Robert ne fdt venu au fecours,nbsp;amp; n’eüt fait les mémes prodiges que Ja première fois. Les Romains remportèrent encorenbsp;une viétoire complette, quoique moins déci-live que la première, paree que les Sarrafinsnbsp;eurent le temps de regagner leur flotte. Robert,nbsp;aprés que la bataille fut gagnée , difparut encore , fans qu’ii ffit aper^u de perfonne, que denbsp;la fille du Roi, qui 1’avoit vu partir amp; reve-nir, mais qui, cette fois, avoit gardé le fecret.

Aftolphe avoit la plus grande curiofité de connoitre le Chevalier inconnu , il fit de nou-•velles peiquifitions, mais auffi infruftueufe-ment que la première fois. II réfolut, è lanbsp;première occafion, de prendre fi bien fes me-fures, qu’il découvriroic quel étoit ce bravenbsp;Chevalier.

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de Robert Ie Diahle. nbsp;nbsp;nbsp;89

I^es Sarrafins ne tanlèrent pas a tenter une Nouvelle entreprife; comme les cótes étoientnbsp;Dien gardées, ils firent croire qu’ils fe reti-l^ient, Sc allèrent defcendre fur les cótes denbsp;^ênes: Ils firent des marches fi adroites, qu’ilsnbsp;^-tri-vèrent prefque aux portes de Rome , fansnbsp;fiü’on s’en douiSt. Le Roi eut, cependant,nbsp;temps de raflembler fes troupes, amp; de fairenbsp;^Dne contenance. II fe douta bien que lenbsp;Vhevalier inconnu ne manqueroit pas de rcrnbsp;ysnir : II appela un de fes Généraux, auquelnbsp;avoit le plus de confiance, amp; lui ordonnanbsp;*^6 former un décachement qu’il embufqueroitnbsp;fvtr le chemin , afin de le furprendre ; Lesnbsp;Chevaliers, qui avoient la même curiofité ,nbsp;êfitrèrent avec plaifir dans fes vues.

; Dès le point du jour , le Général, amp; quel-fiues Chevaliers, fe cachèrent dans un petit “Dis, amp; mirent des fentinelles de tous cótés ^nbsp;^ais, tous leurs foins furentinutiles: Robertnbsp;Vint au camp par un chemin oppofé è celuinbsp;^u’ils obfervoient, On les avertitquel’jnconnünbsp;^toit arrivé, amp; que 1’adion écoit déja engagée;nbsp;Je zèle amp; le courage des Chevaliers ne leurnbsp;pennirent pas d’attendre plus long-temps; ilsnbsp;rejoignirent 1’armée» amp; 1’adion devint générale •, elle fut encore plus fanglante que lanbsp;première ; On avoit ordonné de ne faire gr^cenbsp;è. perfonne. Le Roi avoit envoyé un gros detachement fur le derrière des ennemis, pournbsp;leur couper le chemin de la retraite, amp;s’em-parer de leur flotte. Robert obfetva dans quelnbsp;endroit étoit le Général enneroi, amp; piqua vers

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Hifloin

lui; il étoit au centre, entouré de 1’élite des troupes : Robert s’y élance , amp; fon épée amp;nbsp;fon cheval brifent, abattent tout ce qui lesnbsp;arrête : Un feul de leurs coups faifoit tom-ber trois ennemis a la fois; car, dans Ienbsp;temps que 1’épée de Robert abattoir la térenbsp;de 1’un, fon cheval, avec fes dents, arrachoitnbsp;1’épaule d’un fecond , amp;, d’un coup de pied,nbsp;enfbn9oit les cótes d’un troifième ; Leurs mou-vemens étoient fi prompts, quel’oeil pouvoit,nbsp;k peine, les fuivre; lorfque Robert voyoitnbsp;cinq OU fix hommes de la méme taille, amp; furnbsp;la mêmeligne, il ne s’amufoit pas a les frappetnbsp;1’un après 1'autre, maïs d’un feul revers, il abattoir leurs têtes, ainfi qu’un moiflbnneur faitnbsp;tomber les épis ou i’herbe des prés. II s’élev»nbsp;autour de lui un parapet de morrs entafl'és lesnbsp;uns fur les autres, de forte que Robert amp; fonnbsp;cheval fe trouvèrent enfermés dans ce eerdenbsp;affreux, formé, peu a peu, de foldats qui, pournbsp;frapper Robert, montoient fur ceux qui ve-Eoient d’être tués. C’eft a la faveur de ce parapetnbsp;que Ie Général évita fa fureur. Le cheval denbsp;Robert franchit la fanglante barrière : Le Général, qui voit fon mouvement, fe détoiir-ne, rompt les efcadrons amp; s’enfuit. Cette fuitenbsp;détermine celle de 1’armée, la déroute de-vient générale, les Romains la fuivent, af-fomment, foulent aux pieds de leurs chevaux.nbsp;tout ce qui fe préfente : Robert hache amp; metnbsp;£n pieces des troupes entières : On diroit quenbsp;la foudre a nettoyé la place oü fon cheval anbsp;palie. Les Sarrafins cherchent a gagner leur

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de Robert Ie Diahle. nbsp;nbsp;nbsp;9^

®otte; mais ils rencontrent Ie détachement Ie Roj avoit envoys pour s'en emparer {nbsp;®lors, ils fe trouvent pris de tous cotés; ilsnbsp;uemandent quartier, leurs prières font inuti-, tout eft pafte au fil de l’épée.

Oforio, auffi perfidé en vers fes aflbcies, qu il , ^voit été envers fa patrie, envoye au Roi, amp;nbsp;¦Jji fait propofer de lui livrer la fiotte amp; ICnbsp;venéral des Sarrafins« ci condition que toutnbsp;pafte fera oublié. Aftolphe , qui .vit quenbsp;'¦‘stoic Ie feul moyen de finir la guerre» amp;nbsp;‘^’empêcher les Sarrafins de rentrer dans l’I-, confentit i la capitulation : Elle eftnbsp;%née, amp; Oforio, fans pudeur, vient rejoindrenbsp;Remains; il demande un corps de troupesnbsp;^onfidérable , les conduit fur une hauteur, amp;nbsp;itur fait voir Ie corps de réferve du General.nbsp;Oforio, a la tête des Romains, marche contrenbsp;; les Sarrafins, qui ne fe méfient pas de lui,nbsp;*2 laiflent pafler avec fa troupe ; Lorfqu’il anbsp;pénétré jufqu’au centre, il fe développe, fondnbsp;fur fes alliés, en fait uneboucherie horrible,nbsp;amp; faifitle Général, qui fe débat inutilement;nbsp;il 1’entraine. Le traitre Oforio 1’égorge, plutótnbsp;pour fe délivrer d’un témoin qui pouvoit luinbsp;reprocher fa perfidie, que pour fe défendre,nbsp;piétexte dont il fe fervit auprès du Roi, quinbsp;lui repréfenta que, fuivant la capitulation,nbsp;il devoit lui livrer le Général en vie, pournbsp;lui fervir d’otage. Quant a la flotte , il 7nbsp;tonduifit les Romains, s’embarqua avec euxnbsp;fur une galère, prétexta un ordre du Général ynbsp;^ tout fe rendit.

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Lorfqu’il ne refta plus d’ennemi, Robert reprit Ie chemin de Rome; les Chevaliers,nbsp;chargés de Ie furprendre, avoient pris leutnbsp;pofte dans un bois, fur Ie chemin de la Ville,nbsp;Ie doutant bien qu’il s'y rendroit. Lorfqu’ilnbsp;pafta, ils fe partagèrent en deux croupes, amp;nbsp;lui coupèrent Ie chemin, 1’entourant de tousnbsp;cótés. Robert s’arréta, amp; leur demanda pour-quoi ils Ie retenoient ainfi. Seigneur Chevalier, lui dirent-ils, c’eft avec trop d’obfti-nation vous dérober a nos hommages : Nousnbsp;voulons connoitre notre libérateur amp; celui denbsp;1'Italie. Chevalier, leur dit-jl, je défire d’étrenbsp;inconnu; ft mon bras vous a rendu quelquesnbsp;fervices, c’eft Ie feul prix que j’en exige. Nousnbsp;lèrions des ingrats de vous 1’accorder, dirent-ils, OU des Ikhes : Car fi c’eft par modeftienbsp;que vous vous cachez, notre devoir eft denbsp;vous connoitre, inalgré vous; fi c’eft par or-gueil, nous avons lieu d’etre oxTenfés, pareenbsp;que chacun de nous n’a ni moins de courage,nbsp;ni moins de vertu que vous, quoiqu’i! aicnbsp;moins de force , d’adrelle amp; d’expérience ;nbsp;Ainfi, Seigneur Chevalier, ne trouvez pas mau-vais que nous employions un peu de violence,nbsp;ft vous vous obftinez encore. Robert , fansnbsp;leur répondre, pique fon cheval, les écarténbsp;amp; leur échappe. Un des Chevaliers s’écria :nbsp;II n’y a qu’è abattre fon cheval, amp; décochenbsp;un trait qu’il vife dans les flancs de 1’animal,nbsp;amp; que Robert regoit dans la cuifle. Quoiquenbsp;la bleflure fut profonde, amp; que Ie fer y eütnbsp;refté, Robert n’en alla pas moins vice. .11

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de Robert Ie Diahie,

*evint a la fomaine, s'y défatma, retira lui-mêtne Ie fer, amp; Ie cacha fous une pierré , fur la plaie de 1’herbe, qu’il broya amp; qu’ilnbsp;lÊcouvrit avec de la mouflèj enveloppalenbsp;*Out Ie mieux qu’il put.

La fiiie d’Aftolphe, qui s’intéreflbit beaü-®9'^P a Robert, amp; qui favoit a quoi s’en te-5,1^» ne témoigna encore rien. Le Roi amp; fes chevaliers étoient rentrés au palais : II s’in-*orma fi on avoit pu découvrir quelque chofenbsp;fujet de 1’iDconnu : Sa curiofité étoit portéenbsp;cotnble. Celui qui 1’avoit bleffé raconta toutnbsp;qui s’étoit pafle, amp; dit qu'en voulant abattrenbsp;Ion cheval, il 1’avoit blefle a la cuiffe, que lenbsp;Ier de la flèche y avoit refté, amp; que le bois s’é-loit brifé; qu’en retournant, il avoit retrouvénbsp;ee bois, amp; qu’il feroit bien aifé, fi 1’on décou-^,^oit un Chevalier blelie ^ de vérifier fi c’étoiCnbsp;* Inconnu. Le Chevalier témoigna beaucoup denbsp;^®grec d’avoir blefl'é un auffi brave homme «nbsp;PUis il ajouta : Seigneur, vous avez faitnbsp;ïbettre ^ part, pour lui, un tiers du butinnbsp;qui a été fait fur les Sarrafins; cette récom-Penfe acquitteroit un Souverain envers unnbsp;Général qui lui auroit conquis trois provinces; ce n’eft pas encore aflez, je crois quenbsp;ce Chevalier mérite mieux que des richefles:nbsp;S’il eft digne, par fa naiflance, de s’allier avecnbsp;Vous, je ferois d’avis que vous lui promiffieznbsp;votre fille : Qui fauve un royaume, mérite denbsp;Ie gouverner.

Le Roi approuva ce confeil, amp; fit publier ^ans toutes les villes d’Italie, que le Che-

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Hijïoire

valier aux armes blanches amp; au chevai blanc» qui s’étoit diftingué aux trois batailles contrsnbsp;ies Sarrafins, pouvoit fe préfenter, avec Ienbsp;fer dont il avoit été blefl’é, amp; qui étoitnbsp;refté dans fa plaie, amp; venir accepter, de 1»nbsp;main du Roi, fa fille pour récompenfe. Avantnbsp;de faire les criées, on communiqua ce projetnbsp;è la Princelle, qui fit figne qu’elle 1’approu-voit.

Oforio, qui aimoit la Princefle, n’eut pas plutót entendu cette publication, qu’il ré-folut d’en profiler pour obtenir une main quinbsp;lefufoit de fe donner. II chercha un chevainbsp;amp; des armes femblables a celles du Chevaliernbsp;inconnu, amp; fe fit une bleflure a la cuifle avecnbsp;Ie fer d'une flèche qu’il rompit. Quelquenbsp;vive que fut fa douleur, il la fouffrit avecnbsp;courage, dans 1’efpérance qu’on feroit la dupenbsp;de fon flratagème ; II étoit perfuadé qu’eonbsp;amour, comme en guerre, il étoit permisnbsp;d’employer indifféremment la rufe, la forcenbsp;OU la vertu.

II crut qu’il devoit s’annoncer avec beau-coup de fracas; il habilla fes gens magnifique-ment, leur donna les livrées amp; les chevauX les plus fuperbes, amp; entra dans Rome avecnbsp;Ie cortége d’un triomphateur. II fe préfenta»nbsp;dans eet état, è Aftolphe, la vifière baiflee.nbsp;Je viens réclamer, dit-il en entrant, la ré-corapenfe que vous avez promife au Chevaliernbsp;qui s’eft diftingué contre les Sarrafins, amp; ^nbsp;qui vous devez les trois viéloires que vou*nbsp;avez reinportées. ^ Quoique vous m’ayez cï»

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ie. Robert Ie Diahle.

votre ennemi, amp; feur allié; quoique les ap-parences fuflent contre moi, il n’en eft pas ïïioins vrai, que, fous Ie prétexte d’une feintenbsp;^onfpiration, je les ai attirés dans l’Italie,nbsp;pour faire périr cette nation infidelle fous mesnbsp;«Oüps. Tous les Chevaliers fe regardèrent:

taille noble amp; 1’air de beauté qu’on aper-®®voit è travers fa vilière, fembloient con-^rmer que c'étoit la Ie Chevalier intrépide; ®ais Ie ton orgueilleux amp; la hauteur avecnbsp;jsjquels il s’annongoit, renverfoient leursnbsp;ïdées ‘.'Alors, il leva la vifière de fon cafque,nbsp;^ 1’on reconnut Oforio.

Le Roi parut étonné; inais Ie traitre, qui ^svoit prendre route forte de caradères, luinbsp;avec une feinte douceur: Eft-il poffiblenbsp;Jlue vous ayez pu me croire fi dénaturé , quenbsp;3 eufle voulu livrer a une nation que je dé-ma patrie, mes parens amp; mes amis, Senbsp;®^ettre en leur pouvoir ce que j’aime Ie plusnbsp;^u monde? Non,, je favois qu’il ne me rel^nbsp;ïoit qu’un moyen de mériter votre eftime :nbsp;J^-’etoit en me couvrant de gloire, Sr en dé-hvrant 1’Europe, du moins pout long-temps,nbsp;perfides Sarrafins. Ils ont fu que vous m’a-¦viez refufé votre fille; ils ont cherché d menbsp;mettre dans leurs intéréts; je leur ai promisnbsp;lout ce qu’ils ont voulu, amp; c’eft fous ce pré-lexie que je les ai attirés dans 1’Italie. Je com-battois avec eux; mais, quand l’adion étoicnbsp;®tigagée, je paflbis dans l’armée des Romeins,nbsp;3® prenois une autre armure amp; un autre che-qu’un Ecuyer affidé raetenoit tout prêts,

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amp;, alors,'inconnu de 1’une amp; de 1’autre ar-mées, je me livroisè mon courage,

Le Roi loua la généroftté d’Oforio; elle lui paroiffoit d’autant plus admirable, qu’il s’é-Toit expofé a pafler pour un traitre, Oforio#nbsp;pour le confirmer dans fa bonne opinion, luinbsp;préfenta le fer de la flèche, qu’il avoir, di-foit-il, arrachée de fa cuiile. Le Chevaliernbsp;qui avoir blefle le Chevalier inconnu, s’aper-^ur aifémenr que ce n’étoir pas le fer de lanbsp;flèche qu’il avoir décochée; mais il ne dienbsp;rien , éranr bien alluré de confondre 1’im-pofture quand il voudroir, amp; fachanr biertnbsp;qu’un rel menfonge ne pouvoir pas fe foure-nir long-temps. Aftolphe lui dir qu’il avoirnbsp;bien mérité la récompenfe qu’il avoir promife»nbsp;amp; qu’il alloit en prévenir fa fille.

CHAPITRE X.

Prodiges, Triomphe de Robert. Tournoi. Com-bat extraordinaire. Repas de noces. LeS Wains ne font pas les ennemis les moins danger eux pour les Chevaliers. Retour de Robertnbsp;en Normandie. Peril prejjdnt.

-OBERT n’avoit rien perdu dela conver-fation d’Oforio amp; du Roi : Quoiqu’il connüt a peine la Princefle, il fur f^ché qu’on la don-uk a un homme capable d’une telle impof;nbsp;turc. Jamais il n’avoit été fi fortement rent«

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de. RoHert Ie DiahU. nbsp;nbsp;nbsp;97

rompre Ie filence, quoique 1’Hermite 1’eüt af-furé que fon temps d’expiation étoit fini, il vou-avant que de parler, Ie confulter encore, vivoic toujoiu's de la même manière qu’a-^'ant fes exploits, n’ayant d’autre confolationnbsp;*1^ fon chien, faifant mille folies, amp; rappor-tiint il Dieu feul la force de fon bras.

Tandis qu’il fe difpofoit a partirpour 1'Her-^'tage, Oforio vint réclamer la parole du Roi.

Princeffe ayant appris è qui on la deflinoit, totnba dans Ie plus grand défefpoir; elle nenbsp;Pouvoit pas douter que Ie perfide Oforio nenbsp;^ park des adions d’autrui ; Elle fut faifienbsp;d’une fièvre violente. Le Roi, qui prenoitnbsp;Oforio pour le veritable héros qui avoit vaincunbsp;les Sarrafins, attribua la maladie de fa fille ^nbsp;l‘amp;verfion qu’il favoit qu’elle avoit pour lui.nbsp;ll la prit par la main, la préfenta au perfide,nbsp;amp; lui ordonna de fe parer pour la cérémonienbsp;‘le fon mariage, qu’il remit au lendemain , 8snbsp;Ibrtit, fans vouloir 1’entendre.

Robert, confterné, apprit les chagrins de Ia Princefle, voulut la voir ; Comme tout luinbsp;^'^oit permis, il s’introduifit, fans difficulté,nbsp;^aiis fon appartement: On lelaiffaentrer, efpé-ranc que fes folies pourroient la diftraire. IInbsp;s’aper9ut qu’elle le regardoit avec attendrif.nbsp;fenient j amp;, lui-même, lorfqu’il voulut com-nrencer fes extravagances, il fe fentit pénétrénbsp;fle ttiftefie amp; de refpeél:; II la confidéra quel-^ue temps, amp; fortit les larmes aux yeux.nbsp;Animé d’un fentiment qu’il ne connoiflbitnbsp;il part, Si trouve l’Hermite a moitié

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pS nbsp;nbsp;nbsp;Hifioire

chemin. Je fais, mon lils, Ie fujet qui t’amè-ne., lui dit-il; va, retourne a Rome, laifle faire Ie Ciel, il fait oü il vent te conduire;nbsp;continue a paroicre muet amp; fou, jufqu’a cenbsp;que, moi-même, je t’ordonne Ie contraire.nbsp;Le docile Robert embraffa 1’Hermite, amp; alianbsp;reprendre fa place auprès de fon chien ; IInbsp;l’avoit demandé au Roi, qui Ie lui avoicnbsp;donné.

Le jour paroiflbit i peine, que la Prin-eeffe vit entrer fon père pour h^ter la cérémonie. Sa fille fe jeta vainement a fes ge-noux ; J’ai promis, lui dit-il; amp; toi-méme, avant de faire faire la publication de la ré-compenfe que je promettois au vainqueurnbsp;des Sarrafins, lorfque je t’ai confultée, n’as-tu pas confenti a tout ? La Princeffe futnbsp;obligee d’en convenir;mais, en même temps,nbsp;elle fit figne que ce vainqueur n’étoit pointnbsp;Oforio, Son inflexible père prit un air cour-roucé, ne 1’entendit point, ou, du moins,nbsp;feignit de ne point 1’entendre, amp; fortit, pournbsp;attendre les perfonnes qui devoient alfiflernbsp;^ la cérémonie.

Lorfque tout le monde fut aflemblé, Af-tolphe conduifit Oforio dans 1’appartemenc de fa fille; il prit 1’extérieur de 1’amant lenbsp;plus tendre, la Princefle lui répondit par unenbsp;indifference accablante. Oforio avoit tropnbsp;bonne opinion de lui-même, pour ne pas fenbsp;perfuader qu’il viendroit è bout de s’ennbsp;faire aimer; ainfi, fans lui faire ni plaintesnbsp;ni reproches, ils s’acheminèrent vers 1'Églife

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de Robert Ie Diable. nbsp;nbsp;nbsp;99

lt;^e Saint-Pierre, oü Ie Pape devoit les unir.

Robert, plein de confiance a la parole de 1’Hermite, fe concentoit de faire des voeuxnbsp;pour la Princeffe : Ils ne furent point in-frudtueux. Le Pape cotnmenïoic la cérémonie;nbsp;les mains des deux époux étoient unies;

alloit les bénir, lorfque la Princefle, qui jamais n’avoit parlé, fentic fa langue fenbsp;‘^élier. Alors, retirant fa main , amp; retenancnbsp;celle du facré Pontife : „ Arrêtez, s’écria-^-elle, ce n’eft point la 1’époux que le Cielnbsp;me deftine; mon père m’a donnée, amp; j’ai con-firmé ce don au vainqueur des Sarrafins, jenbsp;Protefte encore que je ne ferai point a d’au-ïte ; Oforio ne- Peil point; après avoir trahinbsp;fa patrie, l’impofteur profite de la modeftie danbsp;plus brave des hommes, pour s’attribuer fesnbsp;exploits, amp; pour lui enlever une rccompenfenbsp;^u’il a fi bien méritée. O mon Père , ajouta-t-elle, en s’adrelïant au Roi, comment avez-Vous pu vous laifler féduire par un traltre,nbsp;dont le caraftère vous eft connu depuis linbsp;long-temps, quand vous avez, dans votre pa-inbsp;lajs même, le héros que vous avez tant défirénbsp;de connoitre ? Devicz-vous vous attendre quenbsp;le Ciel, par un prodige auquel vous ne pou-vez vous refufer, déliat ma langue pour vousnbsp;diffuader.,,

Aftolphe , étonfté , ne pouvoit croire ce qu’il voyoit amp; ce qu’il entendoit; Mais, ilnbsp;n’en fallut pas davantage pour le convaincrenbsp;de Pimpofture d’Oforio ; il le regarde avecnbsp;mdigiiation; fans le refpeét qu’il devoit au

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loo nbsp;nbsp;nbsp;Hijioire

Souverain - Pontife , amp; è la inajellé du lietJ oü il étoit, il 1’eüt fait arrêter. Oforio fortit,nbsp;amp; alia cachet fa bonte chez les Sarrafins fnbsp;qu’il trouva Ie moyen de fcduire encore , aprèsnbsp;les avoir trabis. Le Roi denianda a fa fille,nbsp;quel étoit done ce héros qui avoir vaincu lesnbsp;Sarrafins? Quandje vous l’ai fait connoitre,nbsp;dit - elle , vous n’avez pas voulu me croire;nbsp;il eft dans votre palais : C’eft a fon amour,nbsp;a fes voeux , a fes prières, que je dois la fa-culté de parler , que Dieu m’avoit refufée juf-qu’a ce jour. Aftolphe étoit bien éloigné denbsp;penfer que fa fille parlat de Robert; il luinbsp;nomina tous les Chevaliers qui venoient affi-duement au Palais. Ce n’eft aucun de ceux-la, dit-elle; amp;, enfuite, s’adreflant au Pape, è,nbsp;fon père amp; é tons ceux qui attendoient le dé-nouement de cette fcène , daignez me fuivrenbsp;jufqu’au palais de mon père, ajoura-t-elle ,nbsp;c’eft la que vous verrez un prodige plus grandnbsp;que celui qui vient de s’opérer en moi.

On s’emprefle de fuivre Aftolphe amp; fa fille : .Le Souverain-Pontife, malgré fon age avancé, ¦nbsp;veut être témoin d’un événement qui lui pa-roic fi extraordinaire. La Princelle les conduitnbsp;tous auprès de la fontaine oü Robert avoicnbsp;accouturaé d’aller fe défaltérer; elle léve unenbsp;pievre, amp; ptrend le fer de la flèche qu’il ynbsp;avoit cache. Voila, dit-elle , le fer done lenbsp;Chevalier que vous avez furnommé le terriblejnbsp;fut blefl'é au retour de la troifième bataille.nbsp;Elle demanda au Chevalier le bois de la flèche»nbsp;amp; l’ajufta fi bien au fer» que perfonne ne put

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de Robert Ie Diahle, nbsp;nbsp;nbsp;loi

•fouter que ce ne fut l’arme dont ca héros avoit frappé. Au retour du combat , reprit lanbsp;ï^rincefle, je 1’ai vu, de cette feiiêtre, arra-cher ce fer de fa plaie , amp; Ie cacher fous lanbsp;Pierre : C’eft dans ce méme lieu que je 1’ai vunbsp;*’armer avant Ie combat amp; venir fe défarmernbsp;^près la viAoire, fans quej'aye pu découvrir-que devenoient fon cheval amp; fes armes :

11 nbsp;nbsp;nbsp;ne s’agit plus que de vous faire voir eetnbsp;I^ornme extraordinaire.

La Princeflè prit fon père par la main, amp;

12 nbsp;nbsp;nbsp;conduifit a l’endroit oü couchoit Robert ;nbsp;on Ie trouva fur la paille jouant avec fon chien.nbsp;Le Roi crut que fa fille étoit elle-inéme tom-bée en démence ^ elle s’aper9Ut de fon étonne-.nbsp;•Pent, amp;, fe tournant vers lui : Voila, lui

- elle , celui a qui vous devez route votre gloire amp; le falut de 1’Italie. Robert fe leva ;nbsp;ceux qui le connoifloient pour le fou du Roi,nbsp;Commencèrent a lui trouver dans les traitsnbsp;Une nobleffe qu’ils n’y avoient point remar-quéemais quelle appiarence qu’un fou eüt punbsp;faire des exploits fi glorieux? Cependant Robert les regardoit d’un air étonné, ouvroitnbsp;de grands yeux , rioit niaifément, amp; faifoicnbsp;mille folies qui excitoient les uns a lire, lesnbsp;autres d la pitié,

Aftolphe appela Robert en particulier, amp; le pria de lui montrer fa cuifle. Robert, fei-gnant de ne pas l’enrendre, revint a la compagnie , amp; fe mit a fauter amp; a danfer. Le Papenbsp;crut qu’il auroit plus d’autorité, amp; lui ordonnanbsp;de parler, s’il en avoit la faculté, ou, du

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I nbsp;nbsp;nbsp;oinbsp;nbsp;nbsp;nbsp;Hijloire

moics, de repondre a I’invitation que venoit de lui faire le Roi. Robert, comme s’il nenbsp;I’edt point entendu , donna fa benediction ^nbsp;Sa Sainteté; mais, comme il fe retournoit, ilnbsp;aper9ut I’Hermite derrière tout le monde.nbsp;L’Hermite, a qui la Providence decouvroit fesnbsp;fecrets, avoir eu connoiflance dela deftinée denbsp;Robert; il s’étoit rendu au palais d’Aftolphe,nbsp;fachant ce qui devoit s’y pafler, amp;, étant biennbsp;perluadé que Robert, plus docile aux ordres dunbsp;Ciel qu’a ceux des hommes, conrinueroic denbsp;conrrefaire le muet amp; Pinfenfé, fi, de la partnbsp;de Dieu, il ne lui ordonnoit le contraire.

Lorfque Robert eut apergu I’Hermite, il prit un air grave amp; férieux, amp; feprofterna lanbsp;face contre terre, le faint homme le relevanbsp;amp; lui die : Puifque vos crimes font expiés,nbsp;lien ne vous empêche de vous declarer. Vousnbsp;voyez , ajouta-t-il, en fe tournant vers lanbsp;compagnie, ce fameux Robert'furnommé Icnbsp;diable d caufe de fa méchanceté : Dieu , quinbsp;connoifibit fon cceur , touché de fes remords,nbsp;lui a pardonné fes crimes; il les a expiés par dixnbsp;ans d’humiliation, Iln’étoitnimuet niinfenfé;nbsp;mais il a paru 1'un amp; 1’autre a tout le monde :

II nbsp;nbsp;nbsp;a vécudecequeleschiensnevouloientpoint;nbsp;51 a mené, a peu prés, la même vie qu’eux,nbsp;e’eft par Id qu’il eft venu a bout d’humiliernbsp;cet orgueil amp; cette férocité qui le rendoientnbsp;redoutable d route la Normandie Ce mêmenbsp;Dieu , qui 1’humilioit, a fufeité fon bras pournbsp;¦votre délivrance, e'eft lui qui lui donna lenbsp;cheval fit les armes qui 1’ont fi bien fervi


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de Robert lamp; Diahle. nbsp;nbsp;nbsp;103

^^tis les combats. L’orage gronde encore, amp; K-obert doit doener aux Romains de nouvel-les prenves de fa valeur.'nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;^

Robert fe profterna encore « adora 1’Lcre Suprème , amp; alia fe jeter dans les bras dunbsp;Roi, qui ne pouvoit retenir fes larmes, amp;nbsp;*ini s’excufoit auprès de fa fille, de n'avoir pasnbsp;'''Oulu la croire, lorfqu’elle rendoit témoi-Snage a la vérité. Robert la remercia amp; luinbsp;tout ce qu’il avoit foulfert, lorfqu’il 1’a-'''oit vu fur Ie point d’être facrifiée a 1’im-Pofteur Oforio. La Princefle lui témoigna 1’ef-,nbsp;^ime qu’elle faifoit de fes vertus. Aftolpbe,nbsp;^ tous fes courtifans, étoient dans la joienbsp;amp; dans 1’admiration de voir difcourir enfem-deux muets, amp; ce qui les étonnoit da-vantage, étoic Pair de fageflè amp; de modéra-tion de Robert, qu’ils avoient toujours prisnbsp;pour un fou ; Le Roi feul rappeloit des traitsnbsp;qui lui avoient donné Pidée d’une prudencenbsp;confommée ;,il vouloit, le jour méme, 1’u-nir a la fille , mais PHermite s’y oppofa.nbsp;Robert n’ofa murmurer; maïs il foupira; Lanbsp;Rrinceffe ne dit rien, rougit amp; baifla la vue.nbsp;Le Pape voulut fa voir pourquoi PHermite re-fufoit fon aveu a une union fi belle : Robert,nbsp;dit-il, n’a pas encore été armé Chevalier;nbsp;fa prefomption , après toutes les épreuves,nbsp;er de plus fortes qu’il n’en faut pour êtrenbsp;admis dans eet Ordre, lui en fit rejeter lanbsp;cérémonie , comme une chofe vaine amp; inutile.nbsp;Robert convint de fa faute, amp; fupplia lenbsp;Roi de lui prefcrire tout ce qu’il devoit faire

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pour Ia réparer, amp; pour fe rendve digne de eet honneur. Rieft, répondit ce Souveraiii;nbsp;puifque vos preuves font faites, qu’eft-il be-foin d’en faire de nouvelles ? Ah! Prince ,nbsp;reprit Robert, je les détefte, ces preuves quenbsp;j’ai faites, 1’orgueil amp; la férocité feuls con-duifoient mon bras. Un Ordre, fait pour Ia ’nbsp;valeur, exclut tout ce qui ne tient point aunbsp;vrai courage amp; a la générofité. Ce qui fait Ienbsp;prix des vertus, eft la fin qu’elles fe propo-fent : Autrement, il fatidroit rendre les mê-mes honneurs au mercenaire, qui, pour unnbsp;modique intérêr, s’élève au faite des tours lesnbsp;plus hautes, pour en réparer fes ruines, qu’aunbsp;guerrier qui s’expofe aux plus grands dangersnbsp;pour Ie falut de fa patrie.

Aftolphe convint de cette vérité, amp; fit publier un tournoi, qu’il lixa au huitièma jour, Robert reconduific la PrincelTe dans fon appartement, amp; lui demanda la permiifion d’al-lerlavoir, amp; de lui faire agréer les témoigna-ges de fa reconnoiflance. Elle Ie lui permit,nbsp;après en avoir demandé Ie confentement inbsp;fon pére. Le Pape embrafla Robert, félicitanbsp;Ie Roi de la joie que le Seigneur répandoitnbsp;fur fa inaifon, amp; fe retira. Robert, qui, juf-qu’a ce moment, avoit négligé fa parure, fenbsp;crut obligé de prendre un habillement conforme a fon état, amp; fe fit un devoir de la dé-cence amp; de la propreté. II parut un nouvelnbsp;être a Aftolphe amp; aux Courtifans : On futnbsp;frappé de'fa beauté amp; de fon air de grandeur,nbsp;que fa modeftie relevoit encore; lui feul 113

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de Robert h Diable. nbsp;nbsp;nbsp;105

aperQucpas, fa bienlaifance amp; fa bonté, loin de fouffrir aucune alcéraüon , en éclatè-davantage. II alloit au devant de tousnbsp;qui fouffroient, ou qui étoient dans Ienbsp;l^efoin ; ceux qui lui avoien: marqué du iné-ï’ris, de Thumeur, amp; qui, même , contre lesnbsp;^fdres du Roi, 1'avoient affligé, lorfqu’ils Ienbsp;oroyoient infenfé, fuyoient fa préfence, ou nenbsp;I’abordoient qu’en tremblant, bu avec un airnbsp;^onfterné. Dés que Robert les apercevoit, ilnbsp;slloit a eux, les rafluroit par fes carefl'es, amp;nbsp;contentoit de leur dire, avec douceur ; Quenbsp;exemple vous apprenne a être humains amp;nbsp;ootnpatiflans envers les fous comine envers lesnbsp;fages: Car, quelque fage que vous puiffiez étre,nbsp;11 ne faut qu’une fibre dérangée pour vous ren-plus fou que je ne Ie paroiffois.

Le jour fixé pour Ie tournoi, Rome fut rem-Piie d’un concours étobnant d’étrangers : La guerre des Sarrafins y avoir fait venir les Chevaliers les plus renomiTsés de toute 1’Europe; lesnbsp;exploits qui 1’avoient illuftré dans cette guerre,nbsp;ï'endoient lesjoutes avec Robert très-dangereu-fes; les Chevaliers les plus intrépides le crai-gnoient: Ils efpéroient de balancer fa force parnbsp;leur adreile. A 1’heure marquée, le Roi amp; fanbsp;nlle, fuivis de routes les Dames de la Cour ,nbsp;parurent fur des échaftauds ornés magnifique-ment. Les Herauts d’armes firent leurs crisnbsp;accoutumés; Robert amp; les Chevaliers firentnbsp;leur montre : Aucun d’eux n’eifa^oit fa bonnenbsp;grace amp; fon air majeftueux; chacun repritnbsp;^ place, amp; Robert parut dans la lice, II fut-

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Hipoire

\'ainqueur dans tous genres de combats; mais ii ménagea fi bien fes forces, que les vaincusnbsp;fembloient partager avec Uii 1’honneuv de lanbsp;viftoire.

Le dernier qui fe préfenta étoit couvert d’une armure noire, parfemée de têtes amp;nbsp;d’olièmens de morts amp; de flammes renver-fées. Sa taille étoit gigantefque; il étoitnbsp;monté fur un rhinocévos, que, malgré fa pe-fanteur, il avoit drefle a caracoler amp; a volti-ger. Ce Chevalier n’avoit point paru avecnbsp;3es aucres : II s’étoit préfenté a la barrièrenbsp;lorfque les joutes étoient prefque finies. Sanbsp;monture, fes armes, fa taille, effrayèrent lanbsp;Princefle; il n’étoit point armé d’une lance,nbsp;coinme Robert, mais d'une mafl'ue que fixnbsp;hommes des plus robuftes auroienc eu de lanbsp;peine a lever. Le Roi vouloit que les Chevaliers combattiflent avec armes égales, amp;nbsp;que le Géant fe fervit d’une lance. Pourquoi,nbsp;dit le Géant, prendrois-je plutót une iancenbsp;que lui une maflue? eh bien, que le hafardnbsp;en décide, tirons au fort. Robert y confen-tit, pour fatisfaire la Princefle : Car, pournbsp;lui, il lui étoit indifférent que fon adverfairenbsp;fe fervit de fes armes ordinaires, ou qu’il ennbsp;prit d’autres. Le fort décida que le Géantnbsp;prendroit une lance; auffi-tót fa maflue s’al-longea amp; forma une lance redoutable. Lesnbsp;fpeftateurs, a ce prodige, jetèrent un cri :nbsp;Le Géant s’éloigne, prend du terrain ,*118nbsp;partent : Le rhinocéros s’élance avec 1’agiliténbsp;d’un aigle : Robert écarté le fer de fon en-


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de Robert U Dialle.

frappe Parmure du Chevalier, qui re-'^eiKic comme Ie bruit de dix cloches, done chacune a un fon différent'. Auffi-tóc la lancenbsp;redevient maflue, amp; Ie Chevalier en portenbsp;coup fur la tê:e de Robert, qui^ Pévitanbsp;^¦vec adreffe. Le Géant fecoua fa maflue dansnbsp;airs, amp; il en fortit une fumée épaifle,nbsp;forma autour de lui un atmofphère d’oünbsp;s’échappoient des éclairs éblouiflans. Tout lenbsp;®onde crembloit pour Robert; lui feul étoicnbsp;^'¦auquille; il revient fur le Chevalier auxnbsp;®rmes noires, amp;, d’un coup de lance, il lenbsp;lenverfe fur la croupe du rhinoceros. Le Géancnbsp;parut furieux; il métamorphofa fa maflue ennbsp;^pée étincelante : Robert faifit la fienne, amp;,nbsp;slors, commen9a un effrayant pour les fpefta-j^eurs. A chaque coup que Robert lui portoit,nbsp;Parmure noire jetoit des flammes, amp; réfonnoicnbsp;^¦vec fracas. Robert jette fon épée, s’élancenbsp;Pur fon ennemi, 1’embrafle amp; fe précipite avecnbsp;lui a terre, Ils fe roulent fur le fable, le Géancnbsp;poufle des hurlemens alfreux; enfin, fe voyantnbsp;¦vaincu, il a recours a fes derniers enchante-inens. üne flamme dévorante dérobe les com-battans a tous les yeux; la Princefle eft dé-folée, on croit Robert perdu; maïs il ne quittenbsp;point prife; la flamme fe dilfipe, on voit Robert pret a plonger fon poignard dans le feinnbsp;de 1 Enchanteur, au défaut de fon armure. IInbsp;alloit le frapper, lorfqu’au lieu d’un Géantnbsp;infiffme, il voit la Princefle elle-même qui luinbsp;murit avec tendrelie; le poignard lui échappe,nbsp;i^oberc eit a fes genous ; J-e Géant profite de

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Hijloire

ce moment, reprend fa première forme, remonte fur fon rhinocéros, franchit les barriè-les, amp; s'enfuit en éclatant de rire.

Robert demeura confondu; il fe félicitoit cependant d’avoir refpeété 1’image de la Prin-cefl’e : Tout ce qui Pinquiétoit, étoit de favoirnbsp;quel ennemi il avoit eu a combattre. Tous lesnbsp;fpeélateurs étoient dans Ie même embarras:nbsp;Cette inquietude fufpendit, pour un moment,nbsp;]es éloges que méritoit Robert; ils lui furentnbsp;prodigués par Ie Roi, par la Princefle, par tousnbsp;les Chevaliers amp; par tous les fpeélateurs, quenbsp;fon combat avec Ie Géant avoit fait trembler.

Robert fut armé chevalier : Les fétes, qui furent données a cette oceafion, durèrentnbsp;pendant huit jours, amp; fervirent comme denbsp;prélude a celles de fon mariage avec la prin-celle. Le Pape voulut Ie célébrer lui-même;nbsp;jamais il n’avoit béni de fi beaux époux; lenbsp;peuple étoit dans la joie; le Roi donna desnbsp;repas publics dans tous les quartiers de Rome :nbsp;Les illuminations les plus brillantes fuccé-doient au jour : On eüt dit, pendant troisnbsp;femaines, que le foleil ne quittoit pas Pho-lizon.

Dans le feftin de noces qu’Allolphe donnoit, on fervit un pdté qu’il avoit fait venir è grandsnbsp;frais, amp; qui avoit été fait par un cuifiniercélèbrenbsp;du Prête-Jean, le meilleur qu’il y eüt dans lenbsp;Catay. Ces pkés, qui étoient fort ü la modenbsp;dans ce temps-la, étoient compofés de foies if*al-cyons, de langues de colibtis, amp; de truflfes vertesnbsp;desindes. LaPrincefle, quilaifoitleshonneurs


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ie Tlohert Ie Diahle. nbsp;nbsp;nbsp;109

feftin, ouvre Ie p4té ; Quelle eft fa furpri-un nain , qui n’avoit que onze pouces ^

fe

s’élance avec une agilité furprenante fur la ^able, ?: amufe tous les convives par les profos les plus gais. II propofe a Robert de rom-Pre nne lance avec lui; Robert fe mit a rire,nbsp;prit fur fa main amp; Ie baifa. Chevalier, luinbsp;•^it-il, tu fais qu’il ne faut roéprifer perfonne;nbsp;tu l»as oublié, j’efpère, un jour, t’inculquernbsp;bien cette lecon, que tu ne 1’oublierasnbsp;^0 ta vie. Robert ne fit que rire de fa menace , amp; donna Ie nain a fon époufe, qui Ienbsp;baifa pendant tout fon diner, amp; qui 1'affit anbsp;cóté de fon affiette, lui prodiguant amp; lui ren-^ant fes careiTes ; Elle Ie garda, depuis cenbsp;jour-la, avec beaucoup de foin.

Lorfque ces fétes furent terminées, Robert téfolut d’aller, avec fon époufe, voir fes patens en Normandie, Le Roi leur donna unnbsp;cortége digne d’eux; plufieurs Chevaliers lesnbsp;^ccoinpagnèrent, les courtifans amp; les damesnbsp;les virent partir avec regret. Aftolphe chargeanbsp;Robert des plus riches préfens pour le Due amp;nbsp;la Duchefle de Normandie; mais il apprit,nbsp;dans la route, que le Due étoit mort, amp; quenbsp;la Duchefle fa mère étoit au pouvoir d’un Chevalier, qui, fous prétexte du bien public, lanbsp;tenoit renfermée, amp;gouvernoit fous foirnom,nbsp;Robert amp; fon époufe firent a Rouen 1’entréenbsp;la plus pompeufe; toute la Cour vint au de-vant d’eux, toute leur fuite fut logée fuper-bement : On avoit préparé, pour le Nain denbsp;la.Princefle, un petit appartement de laqué,

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Jffijioire

qui fut mis dans fa chambre même, amp; une belle niche de brocard d’or pout Ie chien dunbsp;Due, qui, par reconnoiflance, n’avoic jamaisnbsp;voulu fe féparer de lui.

Après les premières cérémonies, Robert vou-lut embralVer fa mère; maïs Ie Chevalier, qui s’étoit eraparé du Gouvernement, Ia recenoitnbsp;dans fon chateau de Fécamp, ovi il lui fai-foit figner, de force ou de gré, tous les ordresnbsp;dont il avoit befoin pour fouler les peuplesnbsp;par des impóts amp; par les vexations les plusnbsp;odieufes : II faifoit exécuter fes ordres avecnbsp;la rigueur Ia plus révoltante. Les principauxnbsp;Seigneurs de la Cour du Due, qui connoif-foient 1’ame du Chevalier, rendoient jufticenbsp;a la Du'chelfe; mais Ie peuple, qui juge furnbsp;les apparences, ne voyoit qu’elle, amp; commen-goitd la haïr. Robert, inftruit de la tyrannienbsp;du Chevalier, réfolut de Ie punir amp; de juftifiernbsp;fa mère.

II raflembla des troupes, fe mit è leur téte, amp; alia afliéger Ie Chevalier dans fon chateau.nbsp;Avant de former aucuneattaque, il Ie fit fom-mer de fe rendre. Le traïtre parut fur un bal-con, tenant la Duchefle par la main, amp; ap-puyant un poignard fur fon fein, prêt k lanbsp;frapper au premier afte d’hoftilité que Robertnbsp;oferoit tenter ; Robert frémit, amp; n’ofa pasnbsp;pouflèr la guerre plus loin. Le Chevalier avoitnbsp;un ills unique, qu’il aimoit beaucoup, amp; au-quel il efpéroit de laifler la Normandie, lorf-qu’il 1’auroit ufurpée. Ce fils, heureufementnbsp;pour Robert, n’étoit pas ayec fon père ; 11

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Ill

de Robert Ie Diable.

^toit parti, depuis quelques jours, pour Rouen, pour s’oppofer a la defcente de quelques cor-P®ires qui mena^oient les cótes : II défendoitnbsp;cMteau fur les bords de la mer. Robert ynbsp;conduilit fon armee, amp; for^a Ie fils du Che-quot;Valier a fe rendre. Ce jeune homme étoit d’unnbsp;oaraéière bien oppofé a celui de fon père ;nbsp;Robert lui fit part des fujets de mécontente-ïuent qu’il avoit contre Ie Chevalier ^ amp; luinbsp;ïaconta 1’aélion barbare de fon père. Le jeunenbsp;d’Angerville promic de faire tout ce qui dé-Pfindroit de lui pour lui faire rendre fa mère.nbsp;Robert le garda pour otage, amp; lui promit,nbsp;fon cóté , que, quoi qu’il en arrivSt, ilnbsp;®’avoit rien a craindre pour fa vie, ne vou-lant pas le rendre refponfable des fureurs dunbsp;Chevalier.

L’armée reparut devant le chkeau de Fé-tatnp-, Robert fomma de nouveau le Cheva-Rer, qui répondit que, fi on le fommoit une ^toifième fois, il égorgeroit la Duchelie auxnbsp;yeux de Robert. Celui qui portoit la parole,nbsp;lui dit avec fermeté : II y va non feulemencnbsp;öe votre vie, inais encore de celle de votrenbsp;Hls, qui eft au pouvoir du Due Robert. Lenbsp;Chevalier ne pouvoit pas croire qu’en fi peunbsp;de temps, le Due fe füt emparé du chateau denbsp;Fécamp. Lorfque 1’envoyé le vit héfiter, il luinbsp;dit de pafier fur le balcon, amp; qu’il pourroit s’ennbsp;convaipcre. En effet, le Chevalier vit Robertnbsp;tenant le poignard levé fur d’Angervillc, quinbsp;tendoit les bras a fon père ; Hkez-vous,nbsp;I'll dit Renvoyé, vous connoiflez 1’impétuo-

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ïI2 nbsp;nbsp;nbsp;mjloire

fjté de Robert : II attend votre réponfe. Le tyran, tout barbare qu’il étoic, frémit a fonnbsp;tour, amp; confentit a l’échange de la Duchefienbsp;avec fon fils ; On vint rendre réponfe a Robert , amp; l’échange fut fait tout de fuite. Robert, en fe féparant de d’Angerville, lui ditnbsp;qu’il pouvoit ofFrir a fon père fa vie fauvenbsp;amp; fes biens confervés, s’il vouloit fe rendre.nbsp;Le Chevalier refufa conftamment; il fe dé-fendit avec une efpèce de fureur; il fit desnbsp;forties heureufes; mais la fortune de Robertnbsp;l’emporta, le chateau fut pris d’aflaut. Robert ordonna qu’on prit foin du lils amp; qu’otinbsp;lui ainenamp;t le père, auquel, en faveur denbsp;d’Angerville, il fauva la vie, mais qu’il re-tint prifonnier le refte de fes jours.

Robert triomphant, ramena fa mère k Rouen, amp; la rétablit dans tous fes droits ;nbsp;Elle ue pouvoit fuffire a lajoie qu’elle avoitnbsp;de le revoir : Cette efpérance l’avoit foute-irue contre les perfécutions du Tyran. Robertnbsp;lui raconta routes fes aventures, depnis le moment qu’ils s'étoient féparés; il avoit le ré-gret le plus fenfible de n’avoir pas donné ènbsp;fon père la fatisfaftion d*être témoin de fonnbsp;changement, après lui avoir caufé tant denbsp;chagrins par les cgaremens de fon cceur. Ellenbsp;le trqnquillifa a ce fujet, amp; lui raconta qu'ilnbsp;y avoit environ deux ans qu’un Hermite desnbsp;environs de Rome, en paflant a Rouen, avoitnbsp;vu le Due, amp; lui avoit appris que Dieu, quinbsp;avoit, fans doute, des vues fur fon fils, 1’a-voit rendu le plus fage des hommes, quoi- ‘

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IIS

de Robert Ie Diahh.

parut encore le plus fou; qti’il triom-P'^eroit des Sarralins, amp; yengeroit fa mère o’uti Tyran amp; d’un Génie malfaifant. Sa pro-P^^étie ell accomplie , dit Robert: Mais, quelnbsp;peut être ce Génie, dont I’Herinite ne m’anbsp;J^uiais parié? II ell vrai que j’ai terrafle unnbsp;Chevalier fort extraordinaire, amp; qu’a en jugernbsp;P^t ce qu’on nous raconte des Genies, il paroicnbsp;Su’il 1’étoit : Je ne comprends pas commentnbsp;Je vous en ai vengée.

Le Due Robert préfenta la Princefie Cyn« fon époufe, a la Duchefle Mathilde.nbsp;L’union la plus parfaite regnoit dans cettenbsp;Patnille; les jeunes époux s’adoroient: Robertnbsp;'^’avoit a reprocher a la Princefle que d’avoirnbsp;i^op d’amitié pour fon Nain : Elle le careflbicnbsp;fans cell’e , amp; recevoit fes carefl'es fans con-%uence. Un jour, que Robert étoit fortinbsp;plus matin que de coutume, amp; que la Prin-dormoit, le perfide Nain fort de fon petitnbsp;appartement, prend la figure de Robert, s’ap-Prpehe du lit de fon époufe, amp; interromptnbsp;foil fommeil par un badinage plus férieux quenbsp;uelui auquel elle 1’avoit accoutumé. La jeunenbsp;Princefle le repoufle négligemment, en 1’aver-tiflant de prendre garde au petit Nain ; Soisnbsp;tranquille , lui dit-il; il dort. Le traitre continue, elle fe débat; non qu’elle fonge a fairenbsp;une longue réflllance, elle ne veut que ren-dre le badinage plus intérefl'ant, amp; prolongernbsp;leurs plaifirs ; Le lit étoit élevé, amp; le per-hde cherchoit a s’y élancer; la jeune époufe ,nbsp;^ ‘iemi-nue, fe défendoitcomme dans fon fort.

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II4

Hijloire

Le pied glifle h l’impofteur, amp; Ie chien d® Robert s’éveille : II Ibrt de fa niche eOnbsp;aboyant, regarde , voit la figure de fon mal-tre, s’approche , amp; fon nez dement fes yeux.nbsp;Plas 11 le fent, amp; plus il femble fe confirmernbsp;dans fon idéé ; il redouble fes aboiemens; lenbsp;faux Nain, que ce bruit inquiète, donne unnbsp;coup de pied au chien, qui, alors, plus futnbsp;de fon fait, luimord la jambe.

Le faux Robert jette un cri, amp; ne lÉche point prife : Heureufement pour le veritable,nbsp;les affaires pour lefquelles il étoit forti, fini-rent plutót qu’il ne 1’efpéroit. II revient au-prés de fon époufe, amp; , pour la furprendrenbsp;encore endormie , il marche fur la pointe dunbsp;pied : II avoit entendu le cri du traicre, 1’a-boiement du chien amp; quelques paroles con-folantes de fa femme : II entre furieux, amp;nbsp;1’épée é la main. La Princefle jette un cri denbsp;frayeur; le faux Robert s’élance fur 1'épouXnbsp;amp; faifit fon épée, qu’il cafle en mille pièces.nbsp;Robert eft confondu de fe voir double : Lanbsp;Princefle eft dans le plus grand embarras, amp;nbsp;tremble pour tous les deux, ne fachant poutnbsp;lequel elle doic craindre. Le hafard conduitnbsp;la mère du Due dans 1’appartemenr de fon fils;nbsp;ils s’étoient élancés 1’un fur 1’autre : On veutnbsp;les féparer en vain ; ils fe portent des coupsnbsp;terribles, amp; ne paroiflent pas s’effleurer. Lesnbsp;femmes crient, ils gardent un morne Alen-ce, le chien feconde fon maitre, il fait millenbsp;morfures è l’impofteur, qui ne fe met pas ennbsp;peine de l’écarter. La Princefle étoit fortie de

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de quot;Robert Ie Diahle. nbsp;nbsp;nbsp;115

lit amp; s’étoit habillée :¦ Elle appelle fes fem-enfin. , on fépare les combattans. L’un fait pas un mouvement que 1’autre ne Ienbsp;^'^Pète : Un miroir n’eft pas plus fidelle a repré-?nier les minaucleries d’une coquette, que Ienbsp;^'x Robert a copier les fureurs du véritable :

^irapoffible de démêler de quel cóté eft la Le chien feul ne s’y méprend pas;

I s’élance encore, déchire 1’habit de 1’impof-» amp; découvre fa poitrine, fur laquelle aper9oit une efpèce de médaille. Robert,nbsp;nefe pofl'édoit pas, le faifit encore, amp; efi fenbsp;^^battant, arrache la médaille conftellée :nbsp;^üffi-tót , il ne trouve plus dans fes brasnbsp;^u’un Nain, nègre amp;'contrefait, ayant des piedsnbsp;bouc, amp; portant des cornesala tête. Robertnbsp;jette loin de lui, fa femme veut le mettrenbsp;pièces; raais le monftre s’élève, amp;, d’unnbsp;*^üt, va fe percher fur la corniche de la cne-öiinée.

lil

d

Sufpendez vos fureurs l’un amp; 1’autre, leur ^it'il, il n’efl pas en votre pouvoir de me fairenbsp;mal; Je vous ai fait tout celui que j'ainbsp;5 je voudrois pouvoir vous en faire encore ;nbsp;^ais je fuis vaincu : C’eft dans la médaillenbsp;^Ue tu tiens, que réfidoit mon pouvoir: IInbsp;evoit finir dès qu’elle feroit dans tes mains;nbsp;le hafard t'a mieux fervi que ta force; Ap-Ptends, maintenant, quije fuis, amp; l’originenbsp;*12 ma haine contre toi.

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Hijloire

CHAPITRE XI amp; dernier. |

^veux du Génie, qai fervent d'expUcation ^ ; plujïeujs endroits de eet Ouvrage. Mort dn ;nbsp;Rol, fupplice d'Oforio. Robert fixé dan^ \nbsp;fes États.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;1

II

UBERT, ton père, avant fon mariagej avoir rencontré, dans un bal, Mélifandre de inbsp;Poitiers, niéce de Ia Fée Minucieufe: 11 inbsp;dit qu’elle étoit jolie, foit qu’il Ie pensèt eo jnbsp;effet, foit pour ne pas refter fans rien dire jnbsp;auprès d’une jeune fille que Ie plaifir de la jnbsp;danfe n’occupoit pas toujours. Quoi qu’il en jnbsp;foit, elle Ie crut, fon coeur s’enflarnma pout 'nbsp;Hubert; elle lui faifoit mille petites agace-ries, Hubert y répondoit par politefle, maisnbsp;il n’alla jamais plus loin , amp; prit Ie tout ennbsp;badinant: Peu de temps après, il devint amou-reux, tout de bon, de Mathilde, amp; Pépoufa»nbsp;Mélifandre, au défefpoir, porta fes plaintesnbsp;a fa tante, qui promit de la venger. Hubertnbsp;eüt pu appaifer la Fée, en flattant un pennbsp;fa vanité; mais il eut 1’étourderie de ne pasnbsp;la prier de la noce : Elle m’envoya chercher»

amp; me dit: Fils de Tubal, je dévoue a ta malicC Hubert amp; Mathilde ; prends cette plaque,nbsp;mets-la fur ta poitrine; tant que tu la porte-ras, tu auras la faculté de prendre toutes lesnbsp;formes que tu voudras; fers-t’en pour me

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Ilf

dé Robert Ie Diahle.

: II doit naitre d’eux un fils, qu’il foit objet de tes fureurs: Va, pars, amp; garde-toinbsp;perdre, ou de te laifler enlever la médaillenbsp;®*^chantée, fi tu veux éviter ma haine.

.. Js ne fais quel Génie protégeoit Hubert;

rendit toute ma malice inutile, ou, du ®^oins, elle fe borna h 1’eropécher d’avoir desnbsp;®^fans. Un jour, que je m’étois abfenté , Ma-JJ^ilde devint enceinte. Depuis long-temps,nbsp;oils les formes les plus aimables, j’avois eflayénbsp;02 la rendre infidelle a fon époux; beauté,

, efprit, feint caraflère, j’avois tout en ufage, tien ne m’avoit réuffi. Lorf-quej e m’aper9us qu’elle étoit enceinte, n’ayantnbsp;Po la rendre coupable, j’effayai de la rendrenbsp;^lallieureufe, en lui donnant tous les remordsnbsp;00 crime. La curiofité i’engagea d’eflayer lesnbsp;Pteftiges d’unjuifpour avoir des enfans; juf-Walors, j'avois dédaigné de prendre la figurenbsp;o Hubert, pour obtenir les faveurs de Ma-^uilde , je I’empruntai; elle y fut trompée;nbsp;2lle fe livraa moi debonne-foi: Mais Ie mauditnbsp;^énie , qui protégeoit Hubert, Ie fauva denbsp;|oute efpèce d’affront; fon évanouiflement menbsp;¦oifibit maïtre de fes appas: Quelle déteftablenbsp;Otuation! je m’en fouviens encore. Enfin , tousnbsp;^es efforts furent inutiles; rempli de dépicnbsp;« de rage, je changeai de figure, Mathildenbsp;^2vint de fon évanouiflement, vit qu’elle étoitnbsp;ilans les bras d’un autre qu’Hubert, amp; je n’é-fa rage qu’en difparoiflant.

. Le Génie fut interrompu par la Duchefle ^otbiide, qui lui fit mille queftions fur ce

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iiS

Hijioire

qui s’étoit paffé pendant fon évanouifleinei’^ i dans 1’Ifle, amp; embraffa aucant de fois Robert» [nbsp;qu’elle l’avoit cru, jufqu’alors, Ie fils dunbsp;nbsp;nbsp;nbsp;|

ble, malgré les doutes qu'elle s’efforgoic d® j former.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;|

Le Génie reprit ainfi: Bornantaux remords»; que j’avois donnés a Mathilde, tout le mal |nbsp;que je voulois lui faire, je m’emparai de 1’efpri''nbsp;de fon fils, dès qu’il fut né; mon objet étoi^ ;nbsp;de faire foulever toute la Normandie contrs ;nbsp;fon père amp; contre lui. Malheureufement, d ,nbsp;s’avifa de faire danfer des filles routes nues ^nbsp;devant fept Hermites, qu’il aflaffina, pare® :

qu’ils firent quelques difficultés.....Hélas 1 s’é' ,

cria Robert, c'eft un des crimes dont le foU':

venir me tyrannife le plus.....Ces fept Het';

mites, reprit le méchant Génie, étoient fepi^ Efprits élémentaires, que le Génie, protecleufnbsp;d’Hubert, avoitengages a prendrecetteforme»nbsp;afin que le maflacre, qu’il prévoyoit que tu eönbsp;ferois, ou que tu croirois en faire, touchamp;t toflnbsp;cceur, qui, dans le fond, étoit bon, amp; ouvri*'nbsp;tes yeux fur la vie infame que tu menois.

Robertfutaucombledela joie, enapprenan^ que le meurtre des Hermites n’étoit qu’un®nbsp;faufle apparence; amp; quoiqu’au fond, il n’e^^nbsp;fut point coupable, il fe félicita de cette dé'nbsp;couverte.

Je te fuivis a Rome; je ne pus empêcher bons defleins de 1’Hermite, ni 1’amitié d’Aftol'nbsp;phe; jetentai mille moyens de t’inquiéter»nbsp;tous fe tournèrent contre moi. Si je prenois 1^nbsp;figure de ton chien, on s’apercevoic que j'étoi’

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de Robert h Diable. nbsp;nbsp;nbsp;119

chien étranger ; On me maltraitoit; on, fi P’sjque femme me prenoit en arrütié,elle menbsp;^ ’^étnoignoit, en me faifant couper ]a queuenbsp;® ‘SS oreilles, amp;, quelquefois, pis encore. Si jenbsp;prenois celle de l’Hermite , je ne pouvoisnbsp;l^’sinpêcher de carefler les pecites ülles, que lesnbsp;- “Hes mères me menoient, amp; j’étois reconnu.

Ie

erus triompher, lorfqiie tu te chargeas de eonduii-e Cécile amp; Silvio; je te vis pret a fuc-eoiuber; un moment deplus, amp; tu retomboisnbsp;mon pouvoir’.Tu Peroportas encore furmoi.nbsp;, Enfin, je fus oblige de renoncer a te fé-“Hire; je rental un dernier effort au Tour-“oi qu’Aftolpbe publia pour ton mariage. J’é-^°is Ie Géant au rhinocéros, que tu combat-^is ayec ^„^5; d’avantage; j’avois efpéré que,nbsp;PHisia figure, que je prendrois, feroit effrayante,nbsp;P|us la viéloire que tu remporterois fur moinbsp;^‘Hfpireroit d’orgueil : Ce ftratagème ne menbsp;^eulfic pas plus que les autres. Le Roi fit venirnbsp;““ paté du Catay; je 1’enlevai, amp; je lui fubfti-celui dans lequeljem’enfermai; je medou-’•“is bien que ta femme groffiroit fa ménagerianbsp;‘1’un Nain auffi joli que je Ie paroiflbis. Je t’avouenbsp;, dans les temps même qu’elle étoit claeznbsp;‘on père, j’en étois amoureux ; je me félici-^^i, lorfque j’appris qu’elle alloit devenir 1’é-Poufe d’Oforio; je pouffai a la roue tant quenbsp;is pus. Métamorphofé en Nain, j’ai eu lenbsp;plaifir d’en être carefl'é; mon état m’étoitnbsp;“ber ; Mais, qu’eft-ce que le plaifir d’un Nain ?

ne tint pas a Mathilde que je ne fuüe ¦Hsureux , quand je pris la refiemblance de

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120 nbsp;nbsp;nbsp;Hijloire

fon mari; j’ai voulu eflayer li je Ie ferois da-

vantage en prenant la tienne. Ta femme y a ete trompee, amp;, fi elle ne fe fut pas amufée anbsp;fol^trer, Mélifandre, laFée amp;moi, étions ven'nbsp;gés, Graces a ton chien, tu as entre les mainsnbsp;Ie talifmanfatal qui faifoittont mon pouvoir; ilnbsp;t’eft inutile, tu n'en peux tirer aucun parti; aUnbsp;lieu que , fi je ne Ie rends point a la Fée»nbsp;j’ai tout a redouter de fa vengeance. II eftnbsp;vrai que j’ai cherché a te faire Ie plus dsnbsp;mal que j’ai pu; mais, tu as appris a rendf^nbsp;Ie bien pour Ie mal; j’ai été témoin de cenCnbsp;aétlons plus généreufes, que tu as faites.

Le Génie eflaya de Ie toucher par les difcoutS lesplus fiatteurs; Robert fut inflexible.Traitre*nbsp;lui dit la Princefle, oublies-tu que c’eft de-vant Mathilde, amp; devant moi, que tu ofs*nbsp;réclamer ce don funefte, qui couvrit d’amet'nbsp;tume les jours de l’une, amp; au moyen duquelnbsp;tu voulus plonger 1’autre dans 1’opprobre. Ah’-cher Prince, dit-elle a Robert, quel monfire!nbsp;je lui prodiguois mes carefles, amp;, par amour»nbsp;j’allois t’être infidelle. Brife le talifman: Tantnbsp;qu’il exiftera, quelle femme fecroira innocen'nbsp;te, même dans les bras de fon époux ? L®'nbsp;talifman étoit une compofition de divers mé'nbsp;taux ; Robert ordonna qu’on fit venir iiOnbsp;Chimifte pour les difibudre, ce qui fut exé'nbsp;cuté fous les yeux même du Génie. Quandnbsp;il vit qu’il n’y avoit plus d’efpoir de ravoi*^nbsp;fon talifman , il jeta un cri horrible, paflapa''nbsp;la fenêtré, amp; s’envola dans les airs.

Quelqu'innoeente que fut la princefle, elR

étoi^

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ie Robert h Diabh. nbsp;nbsp;nbsp;121

^toit confLife de s’être expofée aux regards jropurs du Génie. Robert amp; Mathilde la confo-‘oient, lorfqu'oH annon?a un courtier qui arri-Voit de Rome. Aftoiphe mandoit a Robertnbsp;5’i’Oforio avoit ramené les Sarralins en Ita-» amp; qu'il publioit hautement qu’il enleve-loitla Princefle, de force ou de gré. Puifquênbsp;I® 1’ai fauxée des aftuces du Génie, dit Ro-»je faurai bien la défendre contre les for-ces d’Oforió.

)!

Robert, auffi-tót, raffemble routes les troupes qu’il avoir en Normandie, fe met a leur amp; part pour Rome. II apprit, en rou-J®»qu’Oforio s’en étoit rendu maitre; il fitnbsp;plus grande diligence, bat les Sarrafms ennbsp;^’^rivant, amp; les force de lui ouvrir les pqr-tes de la ville. Oforio fe retrancha dans 1’É-SHfe de Saint-Pierre; Robert for9a ce retran-^hement, amp; arracha Oforio d’un afyle qu’ilnbsp;PfOfatKiit. II Ie traina fur la place publique,nbsp;^ lui reprocha routes fes perfidies : Le peu-P^e Romain courut en foule, amp; demanda qu’oanbsp;I® lui livrat. Les Sarrafins s’aüemblent amp; veu-lent le délivrer : Oforio profite de ce moment , faifit la lance d’un Sarrafin, 8: s’a-^ance fur Robert, qui, n’ayant d’autre ar-que fon épée, fe détourne, amp; la lancenbsp;'1 Ofoiio va s’enfoncer dans la terre. Robertnbsp;^®Vient fur fon ennemi, lui porte fur la rêtenbsp;•’a fi redoutable coup, qu’il fracafle fon caf-Vbe en plufieurs morceaux, amp; lui fendit lanbsp;jufqu'aux épaules. II livra fon corps aunbsp;P®bpie, qqj le niit en mille pieces. Ii aflemble

F

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122 nbsp;nbsp;nbsp;Hifioire

les Remains, on pafle au fil de 1’e'pée tout ce qu’il y avoit de Sarrafins dans la ville, ^nbsp;Robert les pourfuit jufqa’a la mer, oü, fan®nbsp;faire grS.ee a aucun, il plonge tout ce qui anbsp;échappé a fon épée.

Après cette expédition, Robert retournoit a Rome, amp; fe propofoit d’aller porter a Aftolph®nbsp;des nouvelles de fa fille: Ce ne fut qu’alorsnbsp;qu’on lui apprit que Ie traitre Oforio ne s’é-toit pas contenté d’introduire les Sarrafinsnbsp;dans Rome, mais qu’il avoit égorgé Ie Roi»nbsp;de fa propte main , amp; livré fon palais au pillage. Robert fut accablé de triftefle; il mau-diflbit fon abfence, a laquelle il attribuoitnbsp;ce malheur. II s’affligeoit pour lui-même, amp;nbsp;pour la Princefle; il ne favoit comment luinbsp;annoncer cette nouvelle. II envoya un courtier a Rouen : Il faifoit a fon époufe le détail de ce qui venoit de fe pafler, amp; n’ou-blioit pas la punition d’Oforio ; Il lui peignicnbsp;les dangers qu’il avoit courus lui-méme, denbsp;manière a la faire frémir a chaque ligne de fsnbsp;lettre. Son but étoit de donner au coeur denbsp;la Princefife les fecoulfes les plus violentes,nbsp;afin que 1’imprelfion de la mort de fon pèr3nbsp;fut moins force. Ce ne fut point a elle-md-me qu’il apprit cette funefte nouvelle; ilnbsp;chargea Mathilde de la lui annoncer avec touSnbsp;les ménagemens dont l’amitié eft capable.

Robert, de retour a Rome, répara, au-tant qu’il Je put, les maux que les Sarrafins y avoient fairs. Le Roi ne laiflbit point d’en-fans; La Princefle, en quittanc I’ltalie, avo’*'

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12'

de Robert Ie Diahle,

•quot;fnoncé a toutes les préteutions qu’elle pou-’Voit avoir fur les États de fon père. On of-frit l’Empire a Robert, il Ie refufa; mais il foin d’écarter tour ce qui pouvoic gênernbsp;l’éleftion d’un nouveau Roi. II fit declarernbsp;^^capables de régner tous ceux qui auroiencnbsp;®cheté des fuffrages, foit par argent, foit parnbsp;öes fervicesrendus, ou par une faveur prornife.

Auffi-tót que le nouveau Roi fut élu , Robert alia le faluer, amp; partit pour la Normandie. Il y trouva fa femme, inconfolable la mort de fon père ; il le pleura avec elle,nbsp;^ adoucit un peu fes regrets en lui marquancnbsp;Mutant de douleur de cette mort, qu'elle ennbsp;mflentoit elle-même. Mathilde les confoloitnbsp;*’«11 amp; I’autre, amp; leur tendrefle prit le def-: Ils firent revivre ce bon Roi, en imi-mnt fes vertus.

Robert amp; fon époufe furent les modèles Princes. Le pouvoir fuprème ne fut ja-biais, pour 1’un amp; pour 1'autre, qu’un moyennbsp;lt;3e faire des heureux. Le Ciel benic leucnbsp;tendrefle, amp; leur accorda un fils, qui s’ac-*J«it autant de gloire que fon père; il s’ap-Pèla Richard; il fut 1’ami, le compagnon amp;nbsp;’e rival de Charlemagne; fon courage, qu'ilnbsp;Cut fouvent occafion d’exercer contre les Sar-^3fins, fit ajouter k fon nom de celui de Sans-P^ur f ou A'Intrépide. Robert , plus heureuxnbsp;'Ine fon père, jouit de la bonne reputationnbsp;fón fils, amp; lui laifla, après une longue vie,nbsp;États heureux amp; fioriflans.

F1N.

F ij

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124

TABLE

DES CHAPITRES.

C! H A PIT E. E I. Sagejfe d’jffabert. Embarras de fes courtifans. Combat cantre dtux Cor-faires.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;Page I

Chap. II. Dangers de la faperftkion. NaiJJancs de Robert. Doutes mal fondés fur la pater-nlté. ylvis aux pères.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;11

Chap. III. EfpUgkrie de Robert. Chagrins qu'il donne a. fes parens. Devoirs qu^impofenbsp;le litre de Chevalier. Combat.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;2ï

Chap. IV. Révolte de Robert. Ses cruautes amp;¦ fm libeninage. II declare la guerre d fonnbsp;Père. ulventure de fept Htrmites.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;29

Chap. V. Remords de Robert. Éclairciffemens qui confirment des doutes. Projets de changement. Manure fare de convenir des fcé-lérats. Fin des igaremens dc Robert. Fijinbsp;voue d la reforme.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;39

Chap. VI. Réparation des torts. nbsp;nbsp;nbsp;5I

Chav. VII. Robert, Comédien par occafon. jSa modération 4 Vépreuvt. Aventures lm-pvévues. Hiftoire de Cécile.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;Commencement

de la pénitence de Robert. nbsp;nbsp;nbsp;gè

Chap. VIII. Èpreuves. Progrès de Robert dans la vertu. Jl eft dêclaré fou du Rei-A la Cour, les fous mêrne excitent Venvie.nbsp;Confplration découverte. Qpl’efi-ce que ldnbsp;ytriu,?

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TABLE DES CHAPITRES. 125

IX. Guerre des Sarrajins, BataiUcs. ^^aits hirdiques de Robert. II eft fur k pointnbsp;_ d'en perdre tout k fruit.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;80

^Hap. X. Prodiges. Triomphe de Robert. Tournoi. Combat extraordinaire. Repas denbsp;^oces. Les Nains ne font pas les ennemisnbsp;^es moins dangereux pour ks Chevaliers.nbsp;Retour de Robert era Normandie. Pirilnbsp;^ prejfant.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;9^

XI amp; dernier. .Aveux da Génie, qui fervent d'explication a. plufteurs endroits denbsp;cat Ouvrage. Mart du lioi. Supplice d'Ofo-^io. Robert fixé dans fes États.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;11$

Fin de la Table des Chapkres.

1

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