-ocr page 1- -ocr page 2- -ocr page 3-

111 S T o I R E

BE

Richard sans peur.

Due DE NORMANDIEi

Ï'ILS DE ROBERT EE DIABLE.

Pour fervir dc fuite d celle de fon Pere.

Seconde Partib,

LIEGE,

^hez F. J. DESOER, Imprimeur-L.ibraite, fur le Pont-d’Ifle.

-ocr page 4- -ocr page 5-

RICHARD SANS PEUR,

DUC DE NORMANDIE,

Fils de Robert le diable.

Pour fervir de fuite d celle de fon Père.

P^ajies projets de vengeance de la Fee Minu-cieufe. Premiers combats de Richard. Enfant trouvé,

L’imp LAC ABLE ennemie de la familie •^’Hubert avoit fair fa propre affaire de 1’an-cienne querelle de Mélifandre fa nièce; amp;, quoi-^u’elles fuflent brouillées, depuis long-temps,nbsp;®lle ne ceflbit de chercher le moyen de^ fenbsp;Venger: II falloic une vidlime a fon reffen-^inient. Elk exer5a fa fureur contre le Gé-

A iij

-ocr page 6-

6 nbsp;nbsp;nbsp;Hijloire

nifi mal-adroit, qui n’avoitpas fu profiler d® 1’évanouiflemenc deMathilde, amp; qui fe lailf»nbsp;fottement furprendre par Roberr. Ella Icnbsp;livra a fes deux finges noirs, qui, pendantnbsp;un tnois, lui cMtouillèrent la plance des pieds;nbsp;el Ie Ie bannit de fa préfence, jufqu’a ce qu’ilnbsp;eüt raflemblé routes les particules du taliünatinbsp;que Ie Chimifte de Robert avoir décompofé,nbsp;amp; prefque réduit en fumée. Tous les Géniesnbsp;qu’elle avoir è fes ordres, éroient occupés inbsp;fervir fes haines particulières: Elle ne conce-¦voit pas pourquoi les aurres Fées, qui fa-Toient fa lituation, n’étoient pas encore venuesnbsp;lui qfl'rii leur fecours; elle s’en {Jaignit haute-ment, perfonne ne fit attention a fes plaintes.nbsp;Elle n’auroit point héfité ^ rompre avec toutesnbsp;les Fées, mais Ie défir de Ie venger l’emportanbsp;far tout Ie refte. Elle apprit, par fes corref-pondans, qu’entre Bayonne amp; Bordeaux, ré-gnoitun Génie aétif, fubtil amp; méchant, adroitnbsp;a prendre les forros^les plus féduifantes, pöf-fédant, furtout, 1’art de fe vanter de con-quêtes qu’il ne fit jamais, d’autant plus aiménbsp;des Fées, qu’il les avoir, prefque toutes, trom-pées, fe mêlant de toutes les aventures, pournbsp;avoir Ie plaifjr de les faire échouer. La Féenbsp;jMinucieufe réfolut de 1’avoir, a quelque prixnbsp;que ce fdt; elle lui écrivit: Mais Brudner fnbsp;depuis long-temps dégoüté des Fées, ne daignanbsp;pas lui répondre; elle eut recours au feuinbsp;moyen qu’on puifle eniployerefficacement avecnbsp;les fourbes; elle lui tendit un piège, dansnbsp;lequel il ne pouvoic manquer de tomber.

-ocr page 7-

de Richard fans peur. nbsp;nbsp;nbsp;?

Brudner aimoit les mortelles; il recherchoic celles du premier rang, pour Ie plaifir de publier leurs aventures, amp; de découvrir leursnbsp;perfidies; rnais il choififibit, prmi les au tres,nbsp;les objets de fes amours. Minucieufe prit lanbsp;forme d’une jeune Bergère ; a force d’art amp; denbsp;preftige,fon teint acquit la fraicheur de 1’Au-rore, fa taille s’élan9a, fa peau devint d’unenbsp;blancheur éblouillante, amp; fes cheveux d'unnbsp;Doir éclatant; elle prit un air fimple amp; mo-defte , amp; , dans un quart - d’heure , elle fenbsp;trouva dans une des avenues du beau chateaunbsp;de Brudner. II méditoit, en fe promenant,nbsp;une tracafl'erie, qui devoit brouiller fix families a la fois ; II aper^oit Minucieufe; jamais beauté ne lui parut plus raviflante: IInbsp;s’approche d'un air tendre amp; foumis; il luinbsp;demande, avec intérét, qui elle eft, d’ounbsp;elle vient: Elle affefte une pudeur, une timi-dité qui lui prêtent des charmes nouveaux: IInbsp;veut la conduite dans fon chateau; elle ré-fifte , il la preffe, elle rougit en fe défendant;nbsp;il étoit amoureux amp; vain; il fe retint, amp;nbsp;ne voulut emplo5*er d’autre force, que celle denbsp;fon mérite. Le Génie Gafcon fe piquoit d'a-¦voir les plus belles fleurs du monde; il raanquoicnbsp;un bouquet a la Bergère, il lui demanda lanbsp;permiffion d’en cueillir un lui-mêrae, dansnbsp;l’efpérance qu’on lui permettroit de le placer.nbsp;La Bergère accepta; mais, tandis qu’il fe baif-foit pour moiflbnner la jacinthe amp; la violette,nbsp;fille difparoït. Que devint Brudner, lorfqu’il nenbsp;tevit plus fe proie? II cherche autour de lui, il

A iv


-ocr page 8-

Hifioire

1’appelle, il poufle des cris affreux, il confulte fes talifmans, il n'apprend rien; il foule auxnbsp;piöds Ie bouquet funefte, amp; reprenoit avec fu-reur Ie chemin du chateau, lorfque la Fée, fousnbsp;fa véritable figure, paroit dans les airs, fur unnbsp;char de mille couleurs, attelé de fix fapajousnbsp;aurores, auxquels elle avoit donné des ailes denbsp;chauve-foutis, amp; qu’elle avoit drefles a voler.nbsp;Arrête, lui dit-elle, c’eft en vain que tu fou-pires, la Bergère qui t’a enfiammé eft en monnbsp;pouvoir : Je fuis la Fée Minucieufe, je puis lanbsp;fouftraire, ou la rendre i tes vosux : Tu peuxnbsp;1’obtenir, amp; je rendrai fa beauté immortelle; jenbsp;ne mets qu’une condition i ce bienfait: C’eft denbsp;me venger, de perfécuter Ie fils de Robert, Ienbsp;célèbre R ichard, qui fe dit fans peur. 11 fautnbsp;que tu falies échouer tons fes projets; tu ennbsp;viendras facilement 4bout,fitupeux l’effrayer:nbsp;A ce prix, Clorifette eft è, toi. Le Génie pro-mit, amp; demanda fa récompenfe. II faut, d’a-bord, la mériter, lui dit la Fée Normande;nbsp;mais, comme tu ne dois pas plus compter furnbsp;mes promefles, que moi fur ta parole, re^ois cenbsp;gage; il te répondra de ma foi: Elle lui donnanbsp;un ruban conftellé, au moyen duquel il auroitnbsp;1'alcendant fur tons les Génies de fon Ordre,quinbsp;pourroient traverfer fes defi'eins; elle y joignitnbsp;le pouvoir de fe rendre invifible, amp; de prendrenbsp;toutes les formes qu’il jugeroit è propos. Ellenbsp;l’afïura, en méme temps, que, s’il ne remplillbitnbsp;point fes engagemens, elle le rendroit encorenbsp;plus amoureux de Clorifette, qui deviendroitnbsp;la plus laide, la plus fantafque amp; la plus acari^-

-ocr page 9-

de Richard fans peur, nbsp;nbsp;nbsp;9

des mortelles, Le Génie frémit,.mais il ne ^enioigna rien de fa crainte. La Fée difparut*nbsp;|on char s’abattic derrière un buiflbn; elle repritnbsp;figure de Clorifette, fe fit voir, è demi-nue,

^ deux cents pas de Brudner, prête a fe baigner dans une fontaine. Le Génie y courut, amp; nenbsp;^rouva que la Fée fur fon char, qui lui renou-^ala fes promefles, amp; difparut.

, Après la mort d’Aftolphe, Robert amp; fon ^Ppufe, n’ayant plus è craindre la malice desnbsp;^énies, gouvernoient la Nermandie avec unenbsp;douceur qui les faifoit adorer de leursSujets. Ilsnbsp;^Voient inftruit leur hls Richard de tout cénbsp;^n’ils avoient eu a effuyer des Génies mal-fai-fians. Richard, qui ne croyoit pas trop aux Gé-bies, s’exer^oit en tout événement, pournbsp;ïriömpher d’eux, a fe rendre le plus redoutablenbsp;des Chevaliers, amp; le meilleur des hommes. IInbsp;'^ouroit la campagne, habitoit les forêrs, amp;nbsp;b’avoit prefque jamais de demeure fixe, afinnbsp;PUe les malfaiteurs le cruflent par-tout oü ilsnbsp;be le voyoient pas. Comme la Providence,nbsp;il étoit préfent en tous lieux, les malheureuxnbsp;^touvoient en lui un père : Dès qu’il en favoitnbsp;bn,'ii quittoit tout pour le fecourir; amp;, afinnbsp;^Ue, bientót, il n’y en eüt plus, il rendit tousnbsp;ics Chevaliers refponfables des crimes qui fenbsp;^ommettroient fur leurs terres. Quelques-unsnbsp;dtoient euxrmêmes des opprefleurs; il prit lanbsp;‘^aufe de leurs vaflaux, fit rnordre la pouffiérenbsp;tyrans, amp; diftribua leurs terres aux oppri-Il ne voulut jamais de fecond dans aucunenbsp;fes entreprifes les plus périlleufes i il n’avoit

-ocr page 10-

10 nbsp;nbsp;nbsp;Hijloire

des compagnons que lorfqu’il les cróyoit nécef-faires pour porter des fecours plus prompts ^ ceux qui fouffroient. Les pauvres l’appeloientnbsp;Richard Ie bon; fon intrépidité lui fit donner pafnbsp;tous les Che val iers Ie nom de Richard fans peur-Lorfque Brudner arriva enNormandie, il ap-prit que Richard fe difpofoit a partir de Rouen gt;nbsp;pour chaffer d’une forêt voifine quelques brigands Irlandois qui s’yétoient réfugiés. Brudnernbsp;gagna les devans. Vers Ie milieu de la nuit, Ienbsp;brave Richard entra dans la forêt, amp; alloit fenbsp;cacher dans Ie fort Ie plus épais. Son chien lenbsp;fuivoit dans routes fes expéditions; il étoit nénbsp;du chien qu’Allolphe avoit donné a fon père»nbsp;amp;qui fut fon compagnon amp; fon convive, dans Ienbsp;temps que Robert contrefaifoit le fourd amp; lenbsp;muet. Cet animal étoit fi fatigué, que foonbsp;maltre defcendit, amp; le porta devant lui. Lorfqu’il fut parvenu au milieu du bois, les lutinsnbsp;que Brudner avoit i fes ordres, amp; qu’il avoitnbsp;difperfés fur des arbres, fe réunirent autournbsp;du Chevalier, en pouflant des cris affreux;nbsp;ils voltigeoient fur la croupe de fon cheval amp;nbsp;fur fes épaules : Richard fe mit a rire amp; faifitnbsp;fon épée : 11 crut d’abord que c’étoit un jeünbsp;des brigands pour 1’épouvanter; il frappoit autour de lui, mais aucun coup ne portoit. Ilnbsp;ne recevoit aucun mal des lutins, il leur étoitnbsp;défendu de lui en faire : Le Génie, qui pro-tégeoit R.ichard, avoit menace Minucieufe denbsp;iui faire toraber les dents, amp; de la rendrenbsp;dternellement chaffieufe, fi elle portoit fa vengeance jufqa’a attenter d fes jours i il ne lui

-ocr page 11-

de 'Richard fans peur. ii

permis que de l’inquiéter, amp; d’elTayer j faire perdre Ie nom de fans peur. Lesnbsp;redoublèrent leurs cris; Richard, tran-amp; de fang-froid, commen^a de chanter»nbsp;de crier comme eux. Défefpérés de n’avoirnbsp;1'ébranler, ils faillrent'fon chien, 1’enlevè-dans les airs, amp; Ie déchirèrent. Richardnbsp;très-fenfible a fa mort, amp; fon plus grandnbsp;^^hsgrin fut de ne pouvoir fe venger.

Le Génie ne fe rebuta pas, il réfolut de l^.^ndre des moyens plus détournés, amp; quenbsp;Richard ne püt pas fufpe(fler; il renvoya lesnbsp;^ïins, monta fur un arbre, amp; fe changea ennbsp;*^fanc nouveau né; il fe coucha dans un nidnbsp;de tourterelles, amp;, lorfqiie l’aurore parut, ilnbsp;mit é pleurer. Richard, qui continuoit fanbsp;, 1’entsndit; il s’arrête, amp;, regardantnbsp;d’oü pouvoient venir ces pleurs, il aper^utnbsp;deux pieds de 1’enfant hors du nid. II futnbsp;^l^endri de ce fpeélacle; il defcendit, auffi-de cheval, amp; monta, de branche en branche; il ne put fe refufer de baifer cette innocente amp; malheureufe créature, qui lui fourit.

bon Richard s’indigna de la dureté de ceux Shi avoient expofé eet enfant; il Ie prit, 1’en-^eloppa dans un coin de fon manteau, Ie portanbsp;® une main, amp; , de l’autre, s'aida^pour def-*^Sbdre comme il étoit monté; il Ie mit de-'•'^ntlui, fur Ie col du cheval, a la place dunbsp;‘^hien, amp;, au lieu de continuer fa route, ilnbsp;frit celle de fon Capitaine de chafles, amp; luinbsp;t^oommanda d’en avoir grand foin. Jufqu’a-^ors, Ie zèle de Richard ne lui avoit pas per^

-ocr page 12-

12 nbsp;nbsp;nbsp;Uijioire

mis de verifier quel étoit le fexe de 1'enfant » la femme du Capitaine, plus curieufe, dé'nbsp;couvrit que c’écoit une fille, qui promettoi^nbsp;d'être la plus belle du monde. Richard pri^nbsp;cette femme de s’en charger, amp; lui promi'^nbsp;de payer largement fes peines. Heureufemenr*nbsp;elle fe préparoit a févrer fon fils; elle profit^nbsp;de cette circonftance pour nourrir la petitsnbsp;orpheline.

Richard étoit bien loin de foup9onner qus cet enfant, dont le fourire 1’avoit frappé, amp;nbsp;dont 1’innocence 1’avoit attendri, fut un Génisnbsp;ennemi amp; mal-faifant. Brudner, par cette ru-fe, avoit rempli deuxobjets; 1’un, de donnetnbsp;le temps aux voleurs Irlandois, qu’il pro-te'geoit, d’éviter Richard; amp;, 1’autre, d’en-tamer une aventure, dont il concevoit les plusnbsp;grandes efpérances.

Richard entra dans la forêt; a peine eut-il fait quelques pas, qu’il vit un grand nombrenbsp;de chiens qui fuivoient plufieurs Cavaliers. Hnbsp;pique fon cheval, amp; arrive jufqu’a eux, l’épéenbsp;a la main; il leur ordonne d’arrêter, amp; leutnbsp;demande pourquoi, fans fa permiffion, ils s’a'nbsp;vifent de chafler dans fa forêt : Eux, fansnbsp;lépondre, le regardent, fe prennenc a riregt;nbsp;amp; continuent leur chafle. Richard les fuit denbsp;Ü prés, amp; leur porce de fi rudes coups, quenbsp;trois Chevaliers, arinés de routes pièces, fontnbsp;forcés de s’arrêter. Ils baiflent leurs lances amp;nbsp;fondent, tons les trois, contre Richard, quinbsp;ne connoiflbit d’autre arme que fon épée. Plusnbsp;indigné de leur Ikheté que de leur chufle, 11

-ocr page 13-

de Richard fans peur. nbsp;nbsp;nbsp;13

1?® attend, détourne fon cheval, évite leur amp;, en paflant au milieu d’eux, il ennbsp;®^teint un amp; Ie renverfe fur la felle; les deuxnbsp;?atres prennent du terrain, amp;, gardant tou-joürs un filence obftiné, ils reviennent contrenbsp;® Chevalier fans peur, qui, plus heureuxnbsp;®ricore cette fois que la première, jette, d’unnbsp;v°ap de revers, un des Chevaliers par terre.

pouvoit Ie percer de fon épée, fa géné-^fité ne lui permet pas de trapper un homme pfarmé; il Ie laifla remonter a cheval; maisnbsp;'^rfqu’il y fut, les trois Chevaliers fe regardè-‘2nt 8c prirent honteufement la fuite. Richardnbsp;'^ourut après eux; il les pourfuivoit fi vive-^®nt, 8c étoit fur Ie point de les joindre, lorf-^a’ii vit a travers les arbres une troupe de gensnbsp;^ai danfoient, trois a trois, tous nus, quoiquenbsp;j,® différens fexes. Richard, furpris de cenbsp;Peftacle, abandonna les fuyards, amp; s’appro-ba des danfeurs. Ils Ie regardent, 8c fufpen-leur danfe pour Ie faluer; les femmesnbsp;beurenc aucune honte de leur nudité; 8c,nbsp;qui Ie furprit Ie plus, c’eft qu’elle n’ex-en lui, ni plaifir, ni peine j alors, il fenbsp;j^Ppela ce qu’on lui avoit fouvent raconténbsp;Ie pays, de la familie d’Hellequin.

-ocr page 14-

Hiftoin

C H A P I T a E II.

flifloire d’Hclkqain amp; de fa familie. Prodl' ges, OU fe confond Vefprit de Richard,

H EtLEQUinr vivoit du temps de Chaf' les Martel; il fut un des Chevaliers dont 13nbsp;valeur illuftra Ie plus la Normandie : II étoitnbsp;riche, amp; avoit uiie familie très-nombreufe*nbsp;II avoit rendu de très-grands fervices a Chat'nbsp;les, qui Ie regardoit comme Ie boulevard icnbsp;plus inexpugnable de fes Etats. Dans 1®nbsp;temps que Charles étoit occupé è, conquérifnbsp;1’Allemagne, les Sarrafins pénétrèrent e«Jnbsp;France. Charles envoya un Courtier a Hel'nbsp;lequin, amp; Ie chargea de lever des troupes»nbsp;Les Sarrafins avoient pillé les Provinces d3nbsp;l’intérieur de la France: L’argent manquoit»nbsp;Ie généreux Hellequin vendit fes terres,nbsp;s’acquitta de fa commiffion avec un zèle quJnbsp;fut célébré par tous les Poëces du temps. Chaf'nbsp;les pric Ie commandement de l’armée; ilnbsp;donna celui d’une divifion au brave Helle'nbsp;quin. II lui reftoit encore un ohamp;teau, qu’hs'nbsp;bitoit fa familie. Les Sarrafins furent rC'nbsp;poufl'és jufqu'aux frontières : On prit d^^nbsp;quartiers d’hiver, Charles revint dans la ca'nbsp;pitale; Hellequin eut 1’honneur de commafgt;'nbsp;der en fon abfence. Dans Ie fond, il eö*'nbsp;mieux aimé revenij au fein de fa famiU®»

-ocr page 15-

de Richard fans peur. nbsp;nbsp;nbsp;15

il n’eüt pas été honnête de refufer Ie ^oiïitnandement d’une armée; il lui en coütanbsp;chateau; il efpéroit s’inderanifer fur Ienbsp;^'itin qu’on feroit a la première bataille.^ Onnbsp;®btre en campagne; Hellequin eft chargé denbsp;'¦boduire un décachement contre 1’ennemi;nbsp;coup de flèche lui emporte un oeil : IInbsp;vrai que, dans ce combat, il tua dixnbsp;**8trarins de fa main, amp; qu’il en refta troisnbsp;*bille fur la place; maïs Hellequin, qui avoitnbsp;I'^rdu la moitié de fon fang, amp; fon mil, elinbsp;ïamené au camp. Charles Ie renvoye fur lesnbsp;derrières, en Ie comblant d’éloges; amp;, tandisnbsp;’l.’i’il eft malade, on donne une bataille dé-’^ïfive. Le butin, felon l’ufage, fe partagenbsp;®btre préfens; la paix fe fait; Hellequin re-chez lui, borgne, n’ayant pas le fou,nbsp;pour comble de malheurs, trouvant fanbsp;*^niiile dans la mifère, amp; ne fachant oü reefer fa tête. II comptoit fur les bontés denbsp;^harles, amp; derhanda une penfion : Sa demandenbsp;trouvée très-jufte, on la lui accorda; ilnbsp;®niprunta, en attendant l’échéance de la pre-biière année. Dès que le lerme fut venu, il fanbsp;I'téfenta au Tréforier, qui lui repréfenta quenbsp;}a dernière guerre ayant épuifé les finances,nbsp;^1 étoit impoffible que 1’Etat pöt payer desnbsp;I’^nfions. Hellequin ne murmura pas; il re-^iot, en Normandie, gémir de fon fort, amp;nbsp;bISmer perfonne. Ses créanciers ne furencnbsp;aufii doux; n’ayant pas de quoi payer, ilsnbsp;faifirent de fa perfonne; amp; fes enfans, qui

^'itoieat pu gagnec de quoi fufteatet ieun

-ocr page 16-

i5

Hifloire

père, amp; acquitter, peu d peu, leurs dettes» furent renfermés dans la méme prifon.

Ce fut alors que la patience échappa aü malheureux Hellequin. II complota, avec fesnbsp;enfans, de fe procurer la liberté: Son épou-fe, qui avoir la permiffion de fortir, deuXnbsp;fois la femaine, pour aller mendier quelquesnbsp;alimens groffiers, que les acquéreurs des biensnbsp;d’Hellequin 'lui donnoient pour fa familie gt;nbsp;dans 1'efpérance qu’elle renonceroit è quelquesnbsp;prétentions qu’elle avoic pour fa dot, four-nit aux prifonniers les inftrumens dont ilsnbsp;avoient befoin, Une nuit, Hellequin, amp; fesnbsp;enfans mamp;les amp; femelles, armés jufqu’auïnbsp;dents, fe firent jour, a travers la garde, amp;nbsp;fortirent de Rouen; leur projet étoit de f®nbsp;répandre dans la campagne, amp; d’y vivre dunbsp;travail de leurs mains. Ils fe cachèrent dansnbsp;les bois; ils y apprirent qu’un jugement flé-triflant les condamnoit a la mort, pour s’êtrenbsp;procure la liberté. Ce jugement paroiflbit finbsp;bizarre a Hellequin, qu’il n’imaginoit pointnbsp;qu’on Ie mït jamais a exécution ; car, difoit'nbsp;il, fi quelqu’up doit être puni pour l’évaquot;nbsp;lion d’un prifonnier, ce n’eft pas Ie pri'nbsp;fonnier, ce font ceux qui Ie gardent, pareenbsp;que c’eft a eux de prendre routes les precautions néceflaires. II en étoit fi perfuadé, qu’Unbsp;envoya fa femme amp; fes deux filles a Rouen»nbsp;il favoit, d’ailleurs, que fes créanciers n®nbsp;pouvoient pas les faire arrêter a caufe de feSnbsp;dettes. Apeineeurent-elles paru dansla ville*nbsp;qu’elles furent prifes amp; conduites en prifi^'

-ocr page 17-

de Richard fans peur.

jugement rendu contre route la familie, être exécuté •, Péchaffaud étoit dreffé,nbsp;jotlque Ie Due de Normandie, inftruit quenbsp;jes vidlimes étoient les filles amp; la mère d'Hel-fit changer leur fupplice en une prifonnbsp;P^rpétuelle dans Ie donjon d’un vieux chd»

; la mère y mourut, peu de jours après,

^ les deux filles, en voulanc fe fauver,s’é-‘^^afèrent contre des rochers.

Le défefpoir s’empara d’Hellequin amp; de fes 'i^^atre enfans; ils n’eurent point la force, denbsp;*^lilter a leurs malheurs; leurs têtes étoientnbsp;l^fofcrites; ils n’avoient d’autre afyle quenbsp;fond des forêts, ni d’autre demeure quanbsp;p creux des rochers, quelques racines étoientnbsp;j'lis alimens ordinaires. Mes amis, dit uanbsp;|°ür Hellequin a fes fils, paree que desnbsp;«intmes cruels ont confpiré notre mort,nbsp;que nous nous fentions coupables d’au-j'iti crime, leur livrerons-nous notre vie fansnbsp;i^défendre? Périrons-nous de faim dans cesnbsp;l^féts, paree que nous avons eu Ie bonheurnbsp;^^chapper aux horreurs d'une infdme prifon ?

, mes amis, rendons guerre pour guerre; fupporté paciemment la privation de lanbsp;öerté , tant que j’ai cru que ma détentionnbsp;J^'ivoit renir lieu è mes créanciers des fom-^nbsp;j que j’étois dans 1’impoffibilité de leurnbsp;^^dre. Mais, è préfent, qu’ils en veulenc inbsp;vie, paree que nous nous fommes livrésnbsp;V ^ penchant pour la liberté, inféparable denbsp;Ig exiftence, je fens que je ne fuis plu»'nbsp;'*'öitre de me modérer .* Tendons-leur chè-

S

-ocr page 18-

18 nbsp;nbsp;nbsp;Uijïolre

rement Ie bien qu’ils veulent nous ravir. Nout fotnmes défarmés, commengons par nous prOquot;nbsp;curer des armes, amp; malheur, enfuite, aux perfides qui tomberonc fous nos coups; vous n’a-vez pas feulement une vie a défendre, maisnbsp;une mere amp; des loeurs a venger.

une mort infame, s’ils étoient pris.

II fuffit qu’on débute dans le crime po' ^ ne plus connoitre de frein; rien ne fut fa^'^nbsp;pour les Hellequins, Ils levèrent une psr'.,nbsp;troupe, avec laquelle ils affiégèrent les cl’

Les jeunes gens n’héfitèrenc point, ils pro-mirent une armure a leur père avant la fiö du jour. Ils prirenc leurs mallues , ils allé'nbsp;rent fur ie grand chemin ; deux ChevaiietSnbsp;paflerent, les quatre frères les attaquèrent: b®nbsp;haine du genre humain, amp; le défefpoir, leafnbsp;donnèrent un nouveau courage; ils défarniè'nbsp;rent les Chevaliers, amp; s’emparèrènt de leuf’nbsp;chevaux , qu’ils conduifirent è. leur père.nbsp;revinrent, au même endroit, attendre ufl®nbsp;nouvelle proie; elle ne tarda point a paroitï^'nbsp;Le Due de Normandie avoic fait publier i'”nbsp;tournoi, les Chevaliers s’y rendoienc denbsp;tes parts; les quatre frères leur propofoief*nbsp;le combat feul a feul, ou deux centre deu^t*nbsp;avec cette condition, que la dépouille reH®'nbsp;roit au vainqueur. Enfin, lorfqu'ils eurs’’^nbsp;des armes, le père, amp; fes quatre fils, foi'nbsp;tirent de leur retraite, ils jurèrent de ^nbsp;pas fe féparer, amp; commencèrent une guerl®nbsp;d'autant plus cruelle, qu’ils avoient a crain^l^

ilH*


teaux voifms, rien ne leur téfifta. Les P

-ocr page 19-

ie Richard fans peur. nbsp;nbsp;nbsp;19

^’'sves Chevaliers tombèrent fous leurs coups, maifons de leurs créanciers furent dévaf-s’ils fommoient un chateau de fe rendre,nbsp;quot; falloit qu’on fe rendit a difcrétion; une dé-jenfe de vingt-quatre heures étoic punie parnbsp;® fer amp; par le feu, par la mort des hom-Jhes amp; par le déshonneur des femmes. PlusHel-*®quin amp; fa familie avoient été vertueux juf-^’I’alors, amp; plus ils fembloient aimer le crime.nbsp;“Oüvent, au milieu de ces excès , le fouve~nbsp;de leurs vertus paflees leur arrachoit desnbsp;^rrnes amères; mais, dès qu’il fe préfentoicnbsp;SHelqu’occafion de piller, tout étoit oublié,nbsp;I's n’en devenoient que plus furieux. Dansnbsp;'eur ivrefle, ils commettoient les cruautés lesnbsp;Kus inouies; veuves, orphelins, innocens, ounbsp;^uupables, tout étoit 1’objet de leur barbarie.

Les cris amp; les murmures s’elevoient de tous ®utés; le Due de Normandie fut effrayé desnbsp;Kaux que les Hellequins avoient fairs; leurnbsp;troupe avoir groffi au point qu’il paroiflbit im-PplTible de la detruire fans des forces fupé-f'uures. II convoquala Nobleffe de fes Etats;nbsp;fut réfolu de faire la guerre en forme 4nbsp;armée de brigands. Cependant, avancnbsp;^6 faire aucun afte d’hoftilité, onpubliaque,nbsp;Hellequin amp; fes enfans vouloient rentrernbsp;^3ns leur devoir , on leur feroit grace en fa-®ur des fervices qu’Hellequin avoit rendus,nbsp;? des belles adions de fa vie. Hellequin re-jeta cette propolition avec mépris: Les ingrats,nbsp;, ils ne fe fouviennent de mes fervices,nbsp;we.paree que j’ai la force en main, amp; qu’ijg

B ij

-ocr page 20-

Hiftoire

me craignent! Qu’ils me rendent mon épou-Ie, mes filles Si mes vercus, amp; je me fou-mettrai.

Le Due étoit jufte, il voulut voir Ie prO' cès d’Hellequin; il trouva que les dettes, qu’ünbsp;avoic contradtées dans fon extréme nécefflté,nbsp;ne montoient point au quart des fommesqu’ilnbsp;avoit réellement touchées, qu’elles étoieo'^nbsp;grolUes par les ufures les plus criantes. II ref'nbsp;toit encore deux de fes créanciers, ils fureotnbsp;condamnés è. mort. Quant è. 1’évafion denbsp;familie d’Hellequin, il fut décidé que, li le*nbsp;Géoliers avoient veillé plus exaclement fur le*nbsp;prifonniers, ils ne fe feroient point échappés gt;nbsp;les Géoliers furent condamnés a une prifoi*nbsp;perpétuelle, pour n'avoir pas empêché qu’oönbsp;introduisït des armes, amp; autres inftrumens*nbsp;dans la prifon; ce qui n’avoit pu fe faire qu®nbsp;par leur négligence. II trouva 1’arrét de mor^nbsp;févère, mais jufte, paree qu’un citoyen quinbsp;eft fous le pouvoir de la loi, peut bien pro'nbsp;liter de la négligence de fes gardes pour re'nbsp;couvrer la liberté, amp; même agir de rufe ; mai*nbsp;ne doit point ufer de violence, amp; il étoi*'nbsp;prouvé qu’Hellequin avoit blelfé une des fefl'nbsp;tinelles.

Ce jugement, avec tons les motifs, fut ed' voyé aux Hellequins en méme temps que leufnbsp;grSce. Ils 1’auroient acceptée, s’ils avoient ét®nbsp;feuls. Les Officiers de la troupe furent info^'jnbsp;més des offres qu’on faifoit a leurs Chefs/nbsp;En vain leur promit-on une amniftie gén^nbsp;rale, ils jurèrent la mort des Hellequins, s’i*

-ocr page 21-

de Richard fans peur. nbsp;nbsp;nbsp;it

^ournettoienc, amp; de continuer leurs brigan-fans eux. Hellequin renvoya le Hérault i)uc, amp; lui fit dire qu’il ctoit réfolu de fenbsp;'^^f'endre jiifqu’a la dernière goutte de fon fang.nbsp;, L'armée du Due, compofée de route la No-lefle de Normandie, de vieux foldats amp; denbsp;^itoyens, fe mit en campagne. Hellequin ran-la fienne en bataille; elle etoit inférieurenbsp;nombre a celle du Due, mais chaque fol-étoit déterminé a vaincre ou a mourir.nbsp;76s deux armées étoient trop irritées, pournbsp;j^mufer a de fimples efcarmouches : A peinenbsp;''^tent-elles en préfence, qu’elles en vinrentnbsp;mains : La valeur combattoit contre lanbsp;: Au premier choc, le champ de bataillenbsp;couvert de morts. Les brigands étoiencnbsp;^'¦iofles a la foret, on la tourna amp; on les en-6loppa; alors, le combat devint furieux,nbsp;naque combattant tuoit ou recevoit la mort,nbsp;j* n’y avoit aucun quartier efpérer. Lesnbsp;^ormands fe feroient cru déshonorés de de-^^nder grace; les brigands fe faifoientun de-.°ir de ne pas en faire. La bataille dura depuisnbsp;heures du matin jufqu’a liuit: Trois filsnbsp;^ Hellequin , après avoir fait des prodiges d«nbsp;^?leur, voyant que tout étoit perdu, s’élan-j^fent au milieu de l’armée ennemie , tuè-un nombre prodigieux de foldats, amp; trou-.nbsp;.^fent la mort qu’ils cherchoient ; Le qua-, blefle de plufieurs coups, fut fait pri-y*?riier; il fut conduit au Due , qui cherchanbsp;^^^nement a le confoler; il fe jeta fur 1’épéenbsp;^’Officier qui le conduifoit, amp; fe tua.

B iij

-ocr page 22-

aa nbsp;nbsp;nbsp;WJioire

Hellequin fut trouvé au milieu d’un nombi® eonfidérable de Normands qu’il avoit tués;nbsp;refpiioit encore; on Ie porta dans la tentenbsp;du Due, qui 1'embrafla, amp; qui lui promit denbsp;Ie rétablir dans Ie rang de fes ancêtres. C’eOnbsp;eft fait, dit Ie malheureux père, je meurs»nbsp;amp; c’eft Ie fort Ie plus heureux que Ie Cielnbsp;puifle me faire : Je péris Ie dernier de ma 6'nbsp;mille , amp; je regarde cette circonftance coni'nbsp;me une punition que je mérite. J’ai conduitnbsp;mes enfans dans 1’abyme, je les ai foulev^snbsp;contre leur patrie; homme foible amp; pufill»'nbsp;Bime, je n’ai pas eu Ie courage de fupportstnbsp;une vertu malheureufe, amp; j’ai eu la tém^'nbsp;lité de m’armer contre tout ce que i’homin®nbsp;cloit refpeéter Ie plus, fa patrie; je 1’ai eiinbsp;en horreur: Puifle-t-elle être fatisfaite p®*'nbsp;ma mort! Puifle Ie Ciel être touché denbsp;ïepentir! A peine eut-il prononcé ces mots»nbsp;qu’Hellequin expira. Quant aux brigands,nbsp;xeftoient après la bataille, ils fe raflémblèrei’^nbsp;tous, amp;, tournant leurs épées les uns co^'nbsp;tre' les autres, ils expirèrent tous fur Ie chainPnbsp;de bataille.

Telle eft l’hiftoire de la familie d’Hellequi^' Depuis qu’elle avoir péri, Ie bruit s’étoitnbsp;pandu que Dieu, a la bonté amp; a la juftit^

de oui nni!5 nvnns la témériré de nrpferire

dTiellequin, qu’indigné de fes crimes, condamné, lui amp; fa familie, d’errer dans cettnbsp;même forêt; d’en fortir, dans certain teinf^jnbsp;pour annoncer a leurs concitoyens les cV

-ocr page 23-

de Richard fans peur. nbsp;nbsp;nbsp;03

^Siiiens heureux ou mallieureux qui devoient Arrive?. Cette épreuve devoit durer un cer-nombre d’années, amp; , pendant ce temps-'a, ils devoient étre expofés a toutes les in-ïetnpéries des faifons, amp; a tons les accidensnbsp;affligent la nature humaine, quoiqu’ilsnbsp;^’euffent qu’un corps fantaltique amp; aérien ; IInbsp;^eur étoit permis de fe montrer aux hommesnbsp;Ibus telles formes qu’ils voudroient prendre;nbsp;aprés ce temps expire, ils devoient aller re-cevoir la récompenfe de leurs vertus.

Richard congut, que les perfonnes qu’il quot;Voyoit, étoient cet infortuné 81 fa familie; ilnbsp;cn favoit 1’hiftoire; plus il les confidéroit, amp;nbsp;plus il fe fentoit pénétré de refpeft; 1’attirantenbsp;majefté de la vertu étoit fur leurs lèvres, amp; farnbsp;leur front la candeur de l’innocenceamp;la modef-tie du repentir. II vit, parrai eux, un de fesnbsp;Ecuyers, qui étoit mort depuis un an. Richardnbsp;lui demanda, avec étonnement, par quel pro-dige il Ie revoyoit, après l’avoir vu mourir amp;nbsp;enterrer, il y avoit plus d’un an. II eft vrai quenbsp;je mourus, répondit PEcuyer. Qui t’a donenbsp;reflufeité? reprit Richard. Je ne fuis point ref-fufeité, repliqua l’Ecuyer. Quoi, s’écria Richard, tu voudrois me perfuader que tu n’es ninbsp;mort, ni vivant! Parbleu, tu étois bien incon-lequent amp; bien fou , quand tu étois a mon fer-vice; inais, jamais il ne t’eft v5nu en fantaifienbsp;de me perfuader de femblables folies. Expli'-'lue-toi; enfin, quelle eft ton exiftence ?

Non, Monfeigneur, reprit-il, je ne fuis pas reffufeité; ce corps qui frappe vos yeux, n’eft

B iv

-ocr page 24-

34 nbsp;nbsp;nbsp;Hiftolre

qu’une ombre vaine, coupable de quelques crimes, amp; douée de quelques vertus; 1’Être Suprème, qui doit punjr Ie mal, amp; qui Ie plait a ïécompenfer Ie bien, m’a impofé les mêmesnbsp;peines qu’a la familie d’Hellequin; nous fom-imes plufieurs dans Ie méme cas. Cette foréc eftnbsp;la même que celle oü il vint fe réfugier, avecnbsp;fes enfans, lorfqu’il s’échappa de la prifbn denbsp;Rouen: Vous favez que j’y venois fou vent chaffer , avec quelques amis qui étoient mortsnbsp;avant moi; nous avons confervé notre goücnbsp;pour ces lieux, amp; nous nous y fommes joints anbsp;la familie d'Hellequin : Ces femmes, que vouïnbsp;voyez, font fes deux filles amp; fon époufe. Nousnbsp;ne rougiflons point de notre nudité, paree quenbsp;cette pudeur, que la nature infpire aux hommes amp; aux femmes, n’étant qu’un frein qu’ellenbsp;oppofe i leurs défirs pour les iiriter encore da-vantage, amp; rendre plus efficace l’afte par le-quel ils fe perpétuent, en Ie rendant plus vif,nbsp;devient inutile, dés que 1’ame, dépouillée dunbsp;corps, n’a plus la faculté de fe reproduire.

Eh bien, mon ami, lui dit Richard, qui ne comprenoitpas trop ces fubtilités métaphy-fiques, puifque tu erres dans ces forêts, dis-moi quels font ces trois brigands que j’ai rencontrés, amp; qui s’avifenc d’y chaflèr fansper-miffion ? Suivez-moi, lui dit 1’Ecuyer, je vaisnbsp;¦vous faire voir celui que vous avez cru abattrenbsp;d’un coup d'épée. Que j’ai cru abattre! disui? reprit Richard ; ne voudrois-tu pas menbsp;perfuader encore que je ne 1’ai pas renverfénbsp;de fon cheval ? II eft vrai, répondit l’Ecuyer#


-ocr page 25-

éie Richard fins peur. nbsp;nbsp;nbsp;'25

^Qe Ie Chevalier s’eft Cru blelie, amp; qu’il a le bonheur de croire qu’il etoir jeté parnbsp;^erre. Ecouce, s’ecria Richard avec impatien-fais-tu que je n’aime pas routes ces éni-8nves-la, que je trouve très-mauvais que tunbsp;Ole difputes des fairs , done j’ai été, non feu-^einent, témoin, mais encore 1’auteur. C’eft-a-

^ire, infiftoit 1’Ecuyer, que vous avez cru......

Oh, tu me ferois enrager, interrompit Richard , tout phantóme que tu es, tu pourrois ^ien attraper quelque horion, ainfi que ce brigand ; mais, enfin, puifque tu veux me le fairenbsp;^oir, conduis-moi.

L’Ecuyer le mène au pied d’une aubépine, ofi il vit, en effec, le Chafleur qu’il avoicnbsp;^enverfé, amp; qui fe leva pour le mieux rece-^oir. De quel droit, lui dit Richard, ofez-^ous chafler dans cebois, fans ma permiffion?nbsp;^e favez-vous pas qu’ils font réfervés pournbsp;jOes plaifirs? Je le fais, répondit le Cheva-oer; mais, celui qui difpofede toi, peut biennbsp;^ifpofer de ta forét; e’eft lui qui m’a permisnbsp;o’y chafler, je n’ai aucun compte a te rendre.nbsp;^ ces mots, Richard, ne fe poflfédant plus,nbsp;* clance fur le Chevalier. Quelle fut fa fur-ffife, lorfque, croyain le faifir par le mi-Ofiu du corps, il n’embrafl'e qu’une ombre, amp;nbsp;lO’il le vit è dix pas de lui, éclatant de rirenbsp;Vec 1’Ecuyer. 11 s’élance encore fur eux; leurnbsp;p^Diier mouvement fut un figne d’eifroi ; lenbsp;^'^pnd, un témoignage de dédain; tons ceuxnbsp;danfoient, amp; qui avoient vu de loin lanbsp;ïeur de Richard« accoururent comme invo-

B ?

-ocr page 26-

Hijloire

lontairemsnt, puis s’arrêtèrent en riant. C’eft aflez, dit Ie Chevalier impalpable : Ecoutenbsp;Richr.rd, amp; que ta furprife ceffe; je fuis Hel'nbsp;lequin; les deux Chafieurs que tu as rencontrés avec moi, font mes deux fils. Nous avonsnbsp;confervé, après notre mort, Ie goüc pour Hnbsp;chafle, que nous avions contradé pendant Hnbsp;vie. L'habitude de combattre, qui nous refte»nbsp;nous a porcés a t’attaquer : Nos corps, ainftnbsp;que nos annes, ne font que des fimulacres jnbsp;tu nous a porté des coups inutiles; cepen-dant, comme nous fommes fufceptibles de®nbsp;mémes fenfations que toi, malgré nos- corpsnbsp;aériens, j’ai cru que tu m’avois frappé réel'nbsp;lement, amp; je fuis tombé, par une fuite naturelle de mon illufion; j’ai, tout a 1’heure»nbsp;éprouvé un véritable effroi, lorfque tu t'sinbsp;précipité fur nous ; un moment de reflexionnbsp;a diflipé toute cette crainte. Mes lilies amp; me*nbsp;Ills, par un mouvement femblable, font venusnbsp;a mon fecours; ainfi, nous éprcuvons des pal*''nbsp;fions, amp; méme des inaux, fans que notre exif*nbsp;tence puifle en être altérée.

Richard fit plufieurs queUions k Hellequin» il lui demanda bien des ctiofes qui étoieP^nbsp;cachées dans 1’avenir; Hdlequin lui répondit»nbsp;que Dieu feul pouvoic fire dans les temps*nbsp;que c’étoit pour Ie bonheur des hommes qu’l'nbsp;ne leur manifelloit pas les évènemens furufS»nbsp;que, conformémenc a cette providence, il fa^'nbsp;rolt tout ce qui devoit arriver a Richat^^nbsp;qu’il ne Ie lui diroit pas. Après une long^nbsp;converfation, ils fe fé^arèrent i Hellequin

-ocr page 27-

ds Richard fans peur. nbsp;nbsp;nbsp;af

'Jonna une grande pièce de foie, amp; Richard fit une écharpe, dont il fe para tout denbsp;; jamais il n’en avoit vu de plus belle.nbsp;Tu es pourfuivi par un Génie méchant amp; rufé,nbsp;dit Hellequin, amp; par des lutins qui fontnbsp;^ Tes ordres, ils ne manqueront pas d’etre ja-^oux de ton écharpe, je crains qu’ils ne tenbsp;^racalient. Je défie 1'enferde me I’enlever, ditnbsp;Richard.

C H A P I T R E Ut

Origins Ju gout des Norniands pour les pommes. •Sages Régleniens de Richard. Iticonvéniensnbsp;de la mendicité des Religiiux.

¦^Vprès avoir quitté Hellequin, Richard reprit fon chemin; il étoit nuit; les Chaf-Rurs, qu’il avoit fuivis a travers la forêt,nbsp;ï’avoient détourné de fa route, il ne favoitnbsp;plus oü il en étoit. II aper^ut, au clair denbsp;ia lune, une fontaine couverte de quelquesnbsp;arbres taillés en berceau; il étoit fatigué, ilnbsp;öefcendit auprès de la fontaine; il vit, de~nbsp;Vant lui, un pommier chargé du plus beaunbsp;Ruit qu’il eüt jamais vu; il ne comprenoit pasnbsp;^omment un tel arbre fe trouvoit au milieunbsp;“’une forêt, amp; qu’on n’eüt point touché a unnbsp;*ruit que fa beauté invitoit a cueillir, dansnbsp;'^,n endroit oü paroiflbient aboutir les prin-^'Pales routes. Richard fecoua l’arbre, quel-

B vj

-ocr page 28-

a 8 nbsp;nbsp;nbsp;Hijioirt

ques efforts qu’il fit, il n’en put faire tombed aucune pomme; I’arbre etoit élevé, il fe tlif-pofa £ y monter; il 1’embrafla des jambes amp;nbsp;des bras, il eft déja parvenu aux deux tiersnbsp;de la tige; mais, £l mefure qu’il monte, 1»nbsp;tige s’alonge, amp; les branches s’éloignent; Richard eft trop avancé pour reculer; il montffnbsp;toujours, il fe trouve a dix toifes de terre;nbsp;il monte encore, amp; voit le fommet des plu»nbsp;hauts arbres au deffous de lui. Le vent du midinbsp;fouffloit, il courba une branche, que le Chevalier faifit; a-peine 1’eut-il touchee, quenbsp;I’arbre décrtit dans la même progreffion qu’ilnbsp;avoit grandi, amp; revint, peu a peu, dans fonnbsp;état naturel. Richard cueillit une pomme Jnbsp;Auffi-tót qu’il 1’eut arrachee, il en pouffa unenbsp;autre plus belle que la première; il cueillitnbsp;la feconde, amp;, foudain, il en parut une troi-fième plus belle que la feconde; il 1’arrach*nbsp;encore, amp; il en fortit du méme endroit unenbsp;quatrième. Les trois qu’il avoit prifes étoièncnbsp;li grofles, qu’è peine il pouvoit les foutenir»nbsp;aufli n’en cueillit-il pas davantage, amp; def-cendit de I’arbre, dont il coupa une branche»nbsp;afin de pouvoir le retrouver.

Après avoir long-temps erré dans la forét» il reconnut une route, la fuivit, amp; arriva inbsp;Rouen a minuit; il fe coucha, après avoiïnbsp;lui-même enfermé fes pommes.

Le lendemain , au dellert ( c’étoit jour d® gala a la Cour du Due Robert), Richardnbsp;apporrer les trois ppmmes: Tout Ie mondenbsp;fut frappé de la beauté de ce fruit. II racont*

-ocr page 29-

de Rickard fans peur. nbsp;nbsp;nbsp;19

Comment il I’avoit cneilli, amp; la propriété iin-Sulière de I’arbre. On en cqpclut qu’il étoit Cnchanté, amp; qu'il feroit dangereux de mangernbsp;de ce fruit. On propofa d’en faire 1’épreuvejnbsp;On partagea une pomme en plufieurs mor-ceaux, au lieu de pepin, on trouva une perlenbsp;lt;3e la grofl'eur d’une olive, amp; d’une très-telle eau. On fit venir un chien, amp; on luinbsp;jeta un morceau de la pomme; lorfqu’il vou-lut la prendre , le morceau s’éloigna de fanbsp;gueule, roula amp; fuit fur le parquet; plus lenbsp;olrien le fuit avec avidité, amp; plus le morceau fuit avec vitefl'e. Le chien de Robertnbsp;étoit fur les genoux de fon époufe: il femblenbsp;Admirer ce phénoroène; mais, enfin , impa-tienté de la durée de cette chafle finguliere,nbsp;ils’élance, attrape la pomme fugitive, amp; I’a-Vale La Duchefle crut fon chien empoifonné;nbsp;I’alarme fut dans route la Cour;le chien n’é-prouva aucun mal, amp; 1’on fe détermina ènbsp;manger le refte de la pomme; on la trouvanbsp;plus déhcieufe encore qu’on ne I’avoit trouvénbsp;belle.

Richard reVint, le johr même, dans la forêt, pour chercher !e pommier; routes fesnbsp;recherches, furent inutiles. II fit puhlier quenbsp;celui qui ponrroit le découvrir obtiendroit,nbsp;pour récompenfe, une pomme d’or auffi groflenbsp;que la-pomme qu’il feporteroit. Une foule denbsp;peuple fe répandit dans la forêt, amp; cherchanbsp;de tous cótés; on ne trouva rien. Richard étoitnbsp;défefpoir de n’avoir pas cueilli une plusnbsp;?tande quantité de pommes. II fit réferver lea

-ocr page 30-

'30 nbsp;nbsp;nbsp;H'ljloire

pepins de celles qu’il avoit; amp;, qnoique la Diichefle fa irière euc grande envie d’en fairenbsp;de beaux pendans d'oreille, il les fema, de ftnbsp;propre main, après avoir eerie fon nom au-tour de chaqne pepin. En moins d’un an, ilsnbsp;produifirent des tiges, qui furent en état d’écrenbsp;greffées; amp;, dans rrois, les arbuftes furencnbsp;chargés de fruits; mais bien dégénérés pournbsp;la grofleur amp; pour le gout.

Cependant tout le monde voulut avoir des pommes, pour en femer les pepins; Richardnbsp;n’en refufoit a perfonne, elles devinrent communes, route la Normandie fut couverte denbsp;pommiers. Ceuxqui n’aimoient point ce fruit,nbsp;s’y accoutumèrent, amp; tous ceux qui I’aimoiencnbsp;n’en voulurent plus d’autre. L’efpèce que Richard avoit découverce, fut appelée de fonnbsp;Eom. On n'en mangea, d’abord, que pour fairenbsp;fa cour a Richard : Ce qui n’étoit qu’un ton,nbsp;devint une habitude, amp; 1'habitude dégénéranbsp;en néceifité : Be la vient ce goüt pour les pom-ines, qui nait avec les Normands.

Mais, revenons ,aux exploits de Richard: II airnoit beaucoup la forét oü il avoit déjanbsp;trouvé un fi grand nombre d’aventures. Unnbsp;jour, qu’il la traverfoit, il entra dans unenbsp;Chapelle, amp; vit un mort qu’on y avoit ex-pofé : Richard étoit pieux, il fe mir a ge-noux, amp; pria 1’Êcre Suprème de faire gricenbsp;è 1’ame de eet homme, amp; il fortit. A peinenbsp;étoit-il remonté a cheval, qu’il fentit quel-qu’un s’élancer fur la croupe; il fe retourne,nbsp;amp; fe volt embrafle par un hoinme nu. C’écoir

-ocr page 31-

de Richard fans peur. nbsp;nbsp;nbsp;31

même, pour lequel il venoit de prier, amp; de la léthargie , etoit retombé dans lenbsp;^Élire. II tenoit Richard, amp;, de temps ennbsp;^fitnps, le tnordoit amp; lui donnoit de grandsnbsp;poups. Le Chevalier avoit beau fe débattre,nbsp;il ne pouvoit pas s’en débarrafler. II trouvenbsp;lur fes pas une livière, il efpère qu’en y en-ifant, cet hormne, effrayé, I’abandonnera : Ilnbsp;y pouffe foD cheval; inais, plus il avance,nbsp;amp; plus ce malheureux ferre Ricffard dans fesnbsp;bras; déja 1’eau couyre le cheval, amp; parvientnbsp;aux épaules des Cavaliers ; efforts inutiles !nbsp;Enhn, Richard revient fur fes pas amp; fort denbsp;la riviere ; Alors, I’homme en délire reprendnbsp;fes fens, defcend, amp; remercie Richard, quinbsp;hiet lui-méme pied è terre. Il apprit que cenbsp;malheureux étoit iin père de familie, qu’unnbsp;coup de foleil avoit reduit a 1’extrémité; qu’a-près trois jours de délire, il étoit tombé ennbsp;lethargie, amp; que, vraifemblablement, on 1’a-Voit cru mort; mais qu’ayanr gagné fa maladienbsp;€n travaillant pour fes enfans, il étoit éronnénbsp;qu’ils fe fuffent fi prefles de le porter au torn-beau.

Richard Ie ramena chez lui; il rronva fa feniine amp; fes enfans dans les pleurs. II fucnbsp;channé de la joie qu’il vit renairre parminbsp;^tix, lorfqu'iMeur rendit leur père. II leurnbsp;^cprocha de 1’avoir tranfporté trop vite. Ilsnbsp;'ïépondirent que les Moines s’en étoient em-parés, amp; 1'avoient enlevé malgré les cris denbsp;fa familie. Richard revint a la Chapelle, ine-les Moices, amp; ordonna qu’a 1’avenir,

-ocr page 32-

3.4 nbsp;nbsp;nbsp;Hifloire

les mores ne feroient enterrés que deux fois vingt-quatre heures après qu’ils auroient expire, amp; qu’ii y auroit toujours deux ReligieuXnbsp;pour les veiller. Cette ordonnance fut publiésnbsp;Ie lenderaain, avec ordre è tous les Précresnbsp;amp; Religieux de s’y conformer fous les peinesnbsp;les plus févères. L’infortuné, que la fraicheurnbsp;de 1’eau avoit guéri, 8c qui devoit Ia vie anbsp;Richard, vécut encore plulleurs années, Sc vicnbsp;fa familie établie avant fa mort.

Ce ne fut pas le feul fervice que Richard eut occafion de rendre *. II vit, dans lanbsp;forét, un Moine que le Supérieur de fon Cou-vent, amp; un Soldat, fe difputoient i ils étoienCnbsp;préts d’en venir aux coups. Richard les fé-para, 8c leur demanda le fujet de leur que-relle. Le Soldat prit la parole, 8c dit: Mon-feigneur, je fuis chargé de lever des troupesnbsp;pour le Roi de France; eet horame, qui fenbsp;dit Moine, 8c qui m’a promis, il y a un an,nbsp;de fervir fous la bannière du Seigneur.de monnbsp;village, refufe de venir avec moi; il eft finbsp;peu Moine, que je viens de le furprendrenbsp;avec fa maïtreflè. Seigneur Chevalier, répon-dit le Supérieur, il y a dix ans que ce Moine

•Onlifoit, dans quelques anciennes éditions, que Richard rencontra le Diable, amp; un Ange, qui fe difputoient IVne d’uu Vloine. j’ai rétabii le lexie que des ennemis denbsp;la vie religieufe avoient, fans .doute, altCré. Les préten-tions du Diable fur 1’ame d’un Moine, font injurieufes au*nbsp;Religieux; au lieu qu’il eft tout Cmple qu’un Frêre Quêteurnbsp;puiffe être tenté, Stfuccomber. Les plus faints Fondateurs,nbsp;amp; notamment Saiat-Bnuio, fe foamp;t fort eievds coatre lanbsp;Qudtc.

-ocr page 33-

de Richard fans peur. nbsp;nbsp;nbsp;35

' au Convent, amp; qu’il en potte 1’habit: II -vrai que je 1’envoyai, 1’année dernière,nbsp;faire une quête a Paris; mais, quand mêinenbsp;auroit promis d’aller fervir le Roi, cet en-^gement ne pourroit avoir lieu, attendu qu’ilnbsp;®toit engagé avec fon Convent: L’habit qu’ilnbsp;Porte eft une preuve que ce Soldat eft unnbsp;^nipofteur. Mon Père, nous allons voir, re-Ptit Richard; I’habit ne fait pas le Moine.nbsp;Alors, il interrogea le jeune Religieux : IInbsp;demanda s’il étoit Prêtre ; il repondit qu’ilnbsp;^5 1’étoit pas, amp; convint qu’il avoir promisnbsp;fervir, mais que d’étoit par un motif denbsp;^barité, pour empêcher qu’on ne prit un jeunenbsp;«otnme, qui, du travail de fes mains, en-^retenoit fon père qui étoit fort vieux, fanbsp;^ère qui étoit' malade, amp; fes deux foeurs.nbsp;Richard loua beaucoup le Moine , amp; étoitnbsp;Ptêt de le rendre a fon Supérieur pour cettanbsp;Peule bonne a'étion. Il reftoit Particle de 1»nbsp;MaJtrefle; le Moine nia d’abord : Le Soldatnbsp;jure qu’il a dit la vérité, amp; offre de fairsnbsp;Venir la jeune fille, qui’habitoit une petitenbsp;hiaifon dans la forêt même. Le Chevaliernbsp;Piit le Soldat au mot, amp; le Moine palit :nbsp;Rn raoins d’un quart-d’heure, la jeune fillenbsp;^rrive. Richard lui demande qui elle eft, amp;nbsp;*1 elle connoit le Religieux? Hélas/ oui, ré-Pondit-elle d’un air naif, c’eft lui qui a em-P,^ché mon frère d’aller è la guerre. Oh, oh!nbsp;* écria Richard, je vois bien qu’il ne fautnbsp;pas juger d’une aélion, fans en connoitre lenbsp;“ *^otif; Pourfuivez, dit-il a la jeune fille j

-ocr page 34-

5 nbsp;nbsp;nbsp;Hijloire

par quel hafard vous a-t-il amenée ici ? II a dit a mon pêre, continua-t-elle, qu’il Icnbsp;plaignoit beaucoup d’avoir une familie fi noin-breufe, amp; qu’il vouloit I’aider è la placer;nbsp;il a propofe a mon frère de Ie faire recevoirnbsp;Frêre Portier, mais mon frère a refufé, amp;nbsp;il a mis ma fceur auprès de la nièce du Supérieur. Et vous, ma fille, dit Richard? Moi!nbsp;c’eft pour lui qu’il me deftine, répondit-ell®nbsp;naïvement, il n’attend qu’une difpenfe dcnbsp;Rome pour confirmer notre mariage. Ce motnbsp;de mariage étonna Richard, qui ne croyoitnbsp;pas les chofes fi avancées. A force d’interro-get 1'innocente Payfanne , il apprit que 1®nbsp;Moine, après lui avoir fait entendre que le*nbsp;Religieux avoient leurs Religieufes, s’éroitnbsp;fait marier par le Sacriftain, amp; qu’il lui avoitnbsp;perfuadé qu’avant de rendre leur mariage public , il falloit avoir la confirmation du Pape»nbsp;fans quoi les traitres excommuniés,.qui hail-foient les Moines, pourroient leur porter vpnbsp;grand prejudice. N’en dites tien, Monfei'nbsp;gneur, je vous prie, ajouta-t-elle, ce fecretnbsp;n’eft fu que de vous, du Père Supérieur amp; dunbsp;Sacriftain. Richard ne put s’empêcher de rire dCnbsp;lafimplicitédecette enfant, carelle n’avoirpa®nbsp;encore quinze ans. Bientót 1’indignation fuc-céda'a ce premier mouvement; il adjugea I®nbsp;Moine au Gendarme, auquel il recommanda d®nbsp;veiller foigneufement fur fa conduite, amp; de 1®nbsp;lui repréfenter, lorfque la guerre des Francoisnbsp;feroit terminée, s’il n’étoit pas tué : Il retir®nbsp;la fceur d’aiipres de la nièce du Supérieur, ^

-ocr page 35-

de Richard fans peur. nbsp;nbsp;nbsp;35

JI'J

ramena ces deux jeunes filles au cMteau. II leur fit connoitre 1’abyme 011 Ie fcélérat lesnbsp;avoit plongées, les fit rendre a leur père, amp; afluranbsp;'ine penfion a cette honnête familie, au fein denbsp;laquelle 1’hypocrifie avoir eflayé d’introduirenbsp;la corruption. Richard ne fe horna point è lanbsp;punition du Moine, il remonca a la fourcenbsp;du mal: II vit que la quête cntraïnoit, nécef-fairement, une vie errante amp; diflipée; qu’ellenbsp;Offroit aux Religieux des occafions périlleufes,nbsp;auxquelles la vertu des plus grands Saintsnbsp;avoir bien de la peine k réfifter. En confé-quence, il défendit aux Moines de quêcer,nbsp;amp; leur donna des terrains incultes d défrichernbsp;amp; d faire valoir. Les Religieux ne manquè-tent point de crier a 1’impiété, amp; de mena-cer Richard de leurs anathèmes. II fit punirnbsp;les plus mutins; amp;, tant qu’il fut Ie maitre,nbsp;on ne vit point de Quêteurs. Comment vou-lez-vous, difoit-il aux Moines, quej’extirpenbsp;la mendicité, fource de la plupart des mauxnbsp;qui affligent les États, lorfque vous en faitesnbsp;hn précepte, amp; que vous eh donnez 1’exemple ?

C H A P I T R E rV.

Étrange mariagt de Richard. Mort de fort Époufe. Qoi die étoit.

A fille, que Richard avoir donné a clever ^ fon Capitaine des Gardes, croiflbit a vuenbsp;‘l’oeil : A fept ans, elle étoit auffi forinée

-ocr page 36-

gö nbsp;nbsp;nbsp;Eifioire

qu’une autre è quinze. Sa beauté étoit frap-pante; c’étoient les grSces les plus naives f les yeux les plus tendres, la bouche la plusnbsp;agréable; elle réunilibit tous les caraélères denbsp;la beauté; en forte qu’elle plaifoit égalemencnbsp;è tout Ie monde. Ceux qui n’aimoient quenbsp;les beautés ingénues, étoient féduits par fon airnbsp;limple amp; modefte; les ccEurs qui ne pouvoientnbsp;étre frappés que par des traits vifs amp; piquans,nbsp;trouvoient en elle tout ce qui pouvoit leurnbsp;plaire : Elle recueilloit les fufFrages de celuinbsp;qui préféroit les brunes, amp; 1’adniiration denbsp;celui qui couroit après les blondes; fon efpritnbsp;amp; fon caraélère prenoient Ie ton de tous lesnbsp;caraélères amp; de tous les efprits. Vive, indolente, capricieufe avec les uns, toujours égalenbsp;avec les autres; fenfée ou folatre felon lesnbsp;circonftances; médifante ou-difcrète, rai-fonnable ou inconféquente, avare ou généreu-fe, févère ou compatifiante, affable ou iin-périeufe, elle ferendoit charmante tous ceuXnbsp;qui 1’approchoient.

Richard ne put échapper è fes charmes; il fe félicitoit, chaque jour, de 1’avoir fauvée;nbsp;il mettoit tons fes foins é. former fon coeur amp;nbsp;a cultiver fon efprit. Ses fuccès paflbient fesnbsp;efpérances; il avoit commencé par 1’aimernbsp;comme fa fille, il en vint ó ne voir en ellenbsp;qu’une maitrelfe adorée; amp;, lorfqu’il voulucnbsp;fe rendre compte de fes fentimens, il ne futnbsp;plus Ie maitre de les combattre. Malgré fonnbsp;amour, il ne fongeoit point a en faire fonnbsp;époufe; il avoit trop de délicatefle pour n’eo


-ocr page 37-

de Richard fans peur. nbsp;nbsp;nbsp;37

faire que I’objet de fes plaifirs, il fe bornoit ^ i’aimer, fans fonger encore a ce que devien-J^roi: fon amour. Üne circonltance a laquellenbsp;n'avoic pas penfé, Ie for^a de faire dosnbsp;ïéflexions fur fon état.

Robert étoit vieux, fon époufe étoit morte, ^ Richard étoit Ie feul efpbir de la Normandie. II s’expofoit aux aventures les plus pé-rilleufes, amp; il pouvoit être enlevé a fes fujets.nbsp;Les^ Barons amp; les Chevaliers s’aflemblèrenc ;nbsp;ds lui repréfentèrent combien Ie peuple feroitnbsp;^ plaindre, s’il ne laiflbit pas de fuccefleur.nbsp;C’État étoit menacé d’une iiivafion par lesnbsp;Anglois, les Francois foutiendroient leurs pré-^ehtions, amp; les Seigneurs les déchireroient parnbsp;'eurs faftions. Ils Ie fupplièrent, au nom denbsp;la Nation, de choifir une femme, qui pütluinbsp;donner des héritiers, amp; conferver la Normandie a fes anciens Maitres. Richard leur ré-Ppndit qu’il auroit égard a leurs repréfenta-tions.

Si la tendrefle pour Éléonore; c’eft ainfi pu’il avoir nommé la jeune orpheline, eütnbsp;Pu augmenter, la fituation oü Ie mettoientlesnbsp;ïepréfentations de fes fujets, l’auroient portéenbsp;^ l’excès, II fentoit fon coeur incapable d’eunbsp;^inier une autre qu’elle; il ne pouvoit pen-i la quitter fans une peine infupportable,nbsp;^ n’ofoit fonger a 1’époufer fans honte. Lanbsp;d^iflance d’Éléonore Ie défefpéroit; un en-; trouvé par hafard, né, peut - étre,nbsp;j Une mère infame! Ces idéés Ie jetoient dansnbsp;coqftetnatioo. Éléonoie s’en aperjut,, amp;

-ocr page 38-

58 nbsp;nbsp;nbsp;Hiftoire

voulut favoir la caiife de fon chagrin. Richard lui avoua fon amour amp; fon embarras : Éléo-nore, quiconnoiffoit l’iropreffion qu’elle avoicnbsp;faite fur fon cmur, au lieu de fe plaindre dunbsp;fort, exborta fon amant a choifir une époufenbsp;digne de lui. Elle lui nomma les objets leSnbsp;plus aimables. II les rejeta avec mépris; plusnbsp;elle lui marquoit du défintéreüément, amp; plusnbsp;elle 1’enchaïnoit. Enfin, ne pouvant plus ynbsp;réfifier, il tombe a fes genoux, amp; lui pro-tefte qu’il eft déterminé a 1’époufer: Elle com-battit cette réfolution avec force; elle favoitnbsp;bien que plus elle mettroit d’éloquence a 1’eOnbsp;détouiner, amp; plus elle 1’y affermiroit.

Enfin, Richard convoqua une aflemblée dC tous les États, amp; déclara qu’il avoir choiönbsp;une époufe, amp; que, dans ce choix, il n’avoitnbsp;confulté que Pintérêt de fes peoples. II leufnbsp;perfuada qu’il avoit évité de former une alliance avec les Princes voilins, afin que jamai*nbsp;fes Etats ne puflent palier a des SouveraiU^nbsp;étrangers; Sc qu’au cas de défaut d’enfans,nbsp;puflent être gouvernés par les Seigneurs d®nbsp;la nation; qu’il avoit aflez de parens pour n’a-voir point a craindre de manquer de fuccef'nbsp;feur, amp; qu’en tout événement, il Ie défiquot;nbsp;gneróit avant fa mort. II ajouta qu’il n’avoi'^nbsp;pas voulu, non plus, choifir parmi les fiH^^nbsp;des Seigneurs de fa Cour ; qu’il connoifl'oi''nbsp;leur mérite , mais qu’il n’avoit pas jugé a prOquot;nbsp;pos d’exciter la jaloufie de perfonne. AlofS’nbsp;il raconta comment il avoit rencontré lanbsp;ïü^onore, les foins qu’il avoit pris poux 1'

-ocr page 39-

de 'Richard fans peur. nbsp;nbsp;nbsp;39

former amp; la rendre digne d’etre leur Souve-laine. Les Seigneurs éroient fi prévenus en faveur de 1’orpheline, que Ie choix de Richardnbsp;fut univerfellement approuvé : S’il y en eutnbsp;‘lui Ie blamèrent, ce furent ceux qui afpi-loient a s’en faire aimer.

^ Le mariage du Due avec Éléonore fut cé-lébré avec la plus grande magnificence. II y ®ut un carroufel, oü Richard fe diftingua: IInbsp;combattit fucceffivementcontre le Comte d’A-lengon, le Comte de la Marche amp; le Duenbsp;d’Aquitaine; il les vainquit dans toutes for-d’exercices. Plufieurs autres Chevaliers s’ynbsp;lt;iiftinguèrent; le Comte de Vendóme abatticnbsp;Comte de Champagne amp; 1’Amoureux denbsp;Galles ; On appeloit ainfi le Chevalier défi-§né pour époufer la Princefie d’Anglecerre.nbsp;Éléonore préfidoit aux joutes amp; diftribuoit lesnbsp;Prix. Jamais mariage ne fut, en apparence, plusnbsp;heureux que celui de Richard ; mais qüe danbsp;Contradiftion lui fit efluyer fon époufe! Ellenbsp;le tourmentoit de manière que, quelques rai-fons qu’il eüt de fe plaindre, il étoit forcénbsp;de convenir , lorfqu’il examinoit les chofesnbsp;de prés, que c’étoit lui feul qui avoit tort:nbsp;Elle lui donnoit, a tout moment, fujet d’êtr»nbsp;jaloux, amp; fes moindres foup9ons paroiflbiencnbsp;des injuftices. Elle le contrarioit fans cede;nbsp;‘^’dtoit toujours elle qui fe plaignoit d’êtrenbsp;uontrariée, amp; lui feul fe croyoit coupable;nbsp;Jl 1’adoroit, amp; elle lui reprochoit, fanscefle,nbsp;fun indifférence Elle fit tout ce qu’elle putnbsp;Pour le rendte injufte, cruel amp; méchant; mais

-ocr page 40-

40 nbsp;nbsp;nbsp;Hijloire

elle ne put jamais parvenir d changer fofl caractère.

Enfin, après fept ans de mariage , Ia Du-chefle Éléonore, ennuyée, fansdoute, de ne pouvoir faire tomber fon mari dans Ie piége»nbsp;feignit une maladie mortelle; elle effedoit denbsp;fouffrir des douleurs infupportables. Richardnbsp;étoit défolé ; plus il témoignoit de chagrin»nbsp;amp; plus elle jetoit de cris. Elle ne vouloit êtrenbsp;fervie que par lui, il ne la quittoit pas unnbsp;inftant: Elle tomba dans Ie délire; elle frap-poit tous ceux qui 1’approchoient, amp;, furtout»nbsp;Richard. Dans certains momens, qu’elle étoicnbsp;tranquille , elle 1’appeloit, amp; lui demandoitnbsp;pardon du mal qu’elle lui avoit fait ; Richardnbsp;fondoit en larmes amp; 1’embraflbit; elle profitnbsp;toit de cette circonftance pour rentrer en fu-leur amp; 1’accabler.

Dans un de ces intervalles de tranquillité,» elle lui dit qu’elle avoit une grace a lui de^nbsp;mander , amp; lui fit promettre de lui accorder-C’en eft fait, lui dit-elle, je vous perds,nbsp;fens que ma fin approche; puiiTe une autrSnbsp;époufe» plus digne de vous, vous confolefnbsp;de ma perte. Je vous dois tout, c’ell vougt;nbsp;qui m'avez élevée, du fein de la misère, aUnbsp;faxte de la grandeur : Si je meurs avec quel'nbsp;que regret, c'eft de n’avoir pas eu plus d’aC'nbsp;traits k vous facrifier; lagiice que je vous pri®nbsp;de m’accorder, c’eft de me faire enterrer so*nbsp;lieux oü j’ai été élevée. Vous me ferez tranf'nbsp;porter dans Ie maufolée que je mquot;y fuisnbsp;cqnftruire : II eft au mjlieu de la fork. Qua»^

-ocr page 41-

de Richard fans peur. nbsp;nbsp;nbsp;41

Wion corps y aura été dépofé , je défire de être veillée que par vous: Je mourrai tran-, fi je fuis affurée que vous me doimereanbsp;dernier témoignage de votre amitié.nbsp;Richard, en fanglotant, 1'embrafle, lapreflenbsp;^ans fes bras, amp; n’y trouve plus qu’un ca-?nbsp;quot;^avre inanimé. II' jette un cri pergant , S5nbsp;^Otnbe évanoui auprès de fon lit: On accourt,nbsp;1’einporte, il ne revienc a ]a vie que poucnbsp;Sémir amp; verfer un torrent de larmes : Toutnbsp;^biier a fa douleur, il étoit infenfible au^nbsp;^^refl’es de fon père amp; a toute forte de consolation. On fit d'inutiles efforts pour l’em-Pêcher d’exécuter les dernières volontés de fonnbsp;®Poufe ; il accompagna fon corps au lieu de lanbsp;Sepulture, 1’y fit dépofer avec beaucoup d’ap-Psreil, renvoya tout Ie monde, amp; ne gardanbsp;^oprès de lui qu’un Chevalier : Ils pafsèrentnbsp;nuit auprès d’elle. Richard ne cefla de pleurer,nbsp;^1 ne pouvoit fe perfuader qu’il alloit étre féparénbsp;Pour jamais de tout ce que la nature avoitnbsp;Produit de plus beau.

Vets Ie point du jour, Richard entenditdu dans Ie cercneil; un rayon d’efpérancenbsp;l^nime fes fens; il fe léve, mais Ie cercueilnbsp;de toutes parts avec un fracas horrible;nbsp;i'^^cadavre jette un cri qui fait retentir Ianbsp;L’intrépide Richard admire amp; nes’eflraycnbsp;; mais, par un mouvement naturel, metnbsp;. ®pée a la main. Richard, Richard , s’écrienbsp;^ cadavre en s’afl'eyant, une femme morténbsp;, Ons fait peur, vous a qui les Génies, ni lesnbsp;'^^%ands a’ont jaroais infpiré de crainte. Hélasl

-ocr page 42-

4^ nbsp;nbsp;nbsp;Hiftoire

dit Richard , ee n’eft pas Ia crainte qui ra’a-gite , c’eft 1’efpoir de te voir encore faii'amp; ma félicité : Ciel, ell-il poflible que tu ref-pires! Quoi, ta mort ne feroit qu’une illufion!nbsp;Ton Eléonore n’étoit qu’évanouie , dit-elle gt;nbsp;ïe Ciel nous réferve encore des jours heuretix;nbsp;mais Ie teraps prefle, je fens qu’un peu d’eaunbsp;fraiche m’eft ahfolument néceflaire; allez ^nbsp;la fontaine voifine, vous trouverez un vafenbsp;qui fert aux Bergers, vous Ie remplirez amp;nbsp;vous me 1’apporterez auffi - tót, fans en ré-pandre une gontte. Richard ne perd point uonbsp;moment, il court a la fontaine : Tandis qu’ilnbsp;y puife, il entend dans Ie tombeau Ie cri d’uönbsp;homme frappé d’un coup mortel : II reviencnbsp;amp; ne trouve que Ie Chevalier, qu’il avoitnbsp;laifle dans Ie maufolée, expirant; Ie cadavrsnbsp;Sc Ie cercueil avoienc difparu. Richard enlèvSnbsp;hors de ce lieu Ie malheureux Chevalier,qui»nbsp;a peine, a Ie temps de lui apprendre que foijnbsp;Eléonore n’étoit qu’un niéchant Génie quinbsp;s’étoit transformé en femme, pour faire tombeinbsp;Ie füge Richard dans les pié-ges du crime , ePnbsp;Ie rendanc paffionné pour fes charmes. Richardnbsp;pe potivoit croire ce qu’il entendoit. Hélas»nbsp;dit Ie Chevalier, je fuis fa viélime : La hontenbsp;de n’avoir pti, ni vous effrayer, ni corrompr®nbsp;votre vertu , 1’a rendu furieux ; il s’eft élanc®nbsp;fur mol, m’a faifi dans fes bras, amp; , ennbsp;difant ce que je viens de vous répéter, il m’^nbsp;empoifonné de fon haleine infeéte. Richard »nbsp;jnour Ie faire revenir, lui jeta 1’eau qu’il te-noit, mais il vic auffi-tót expirer fon malheW'

-ocr page 43-

de Richard fans feur. nbsp;nbsp;nbsp;43

compagnon: II ne fereffouvintd’Eleono-re, *lue pour abhorrer fa perfide beauté, il ne re-gtetta que le Chevalier \ il lui fit faire lesnbsp;plus belles funérailles.

Richard ne fe confoloit point d’avoir eu pour époufe un monftre auifi déteftable: Alors,nbsp;h'étanc plus fafciné par fes perfides attraits,nbsp;^1 fe rappela , avec douleuf,' les tourmens quenbsp;la faufl'e Eléonore lui avóit fait fouffrir. II nenbsp;penfoit pas, fans rougir, a la honte d’avoirnbsp;époufé une fille abandonnée, amp; d’avoir dé-daigné des Princefl'es qui lui auroient fait d’il-Itiftres alliances. II défiroit que le Génie pritnbsp;Un corps paffible, amp; qu’il vint le defier avecnbsp;tomes les forces de 1’enfer': Richard étoit linbsp;animé par la vengeance, qu’il fe fentoit lenbsp;Courage de le combattre , amp; qu’il étoit aflurénbsp;öe la viftoire. Cependant, il n’ofoit pas pu-l^lier quelle étoit Eléonore ; il réfolut de garden , la defïus, le plus profond fecret, le feuinbsp;qui efit pu le révéler n’etoit plus. II feignitnbsp;ö’être affiigé de Ja perte de fon époufe; amp; , afinnbsp;que perfonne ne put foup^onner la vérité, Unbsp;ut fermer le tómlVeau, amp; défendit que perfonne l’ouvrit.

Cependant, tout le Clergé de Normandie faifoit retentir les Eglifes de prières amp; d’orai-fuus funèbres pour la'Duchefle Eléonore. Richard ne favoit comment les faire ceder; Employer fon autorité, fans en donner aucunnbsp;^otif, eut paru une chofe extraordinaire , amp;,nbsp;Peut-ètre , impie ; D’un autre cóté , i] nenbsp;fouvoit foulfrir qu’on adrefl'^t des prières aa

Cij

-ocr page 44-

^4 nbsp;nbsp;nbsp;Hifioire

Ciel pour un Efprit infernal. II prit, enfin, foU parti, il aflembla les Évéques, amp; leur avouanbsp;tout ce qu’il fayoit de la faufle Eléonore :nbsp;II Ie conürma par Ie récit de la mort du Chevalier, amp; les conduifit a la porte du raau-folée, oü 1’on croyoit fauffemeiit que repo-foient les cendres de la Duèhetle. A peinenbsp;i’eut-on óuverte, qu'une odeur empeftée s’ex-hala dan? la forét : Lorfque la vapeur futnbsp;diffipée, on entra dans Ie monument, on vitnbsp;les debris du cercueil, mais on ne trouvsnbsp;aucun vettige du cadavre. Richard fit exhumer Ie Chevalier, amp; Pon reconnut qu’il avoitnbsp;ëté étouffe : On Ie fit enterrer, une fecondenbsp;fois, avec les inêmes cérémonies quc la première.

Richard, indigné d’avoir pafl'é fept année* avec un tel monftre, réfolut de ne plus fe rna-rier : II s’enferma dans PAbbaye de Fécamp»nbsp;dont il étoit Fondateur, avec irois des 0^'nbsp;ciers de fa maifon, détettant Ie Génie qu*nbsp;1’avoit trompé, mais ne penfant jamais ^nbsp;la manière dont il s’y étoit pris, ni è 1quot;nbsp;figure qu’il avoit empruntée, fans fe fentifnbsp;attendri.

-ocr page 45-

45

damp; Richard fans peur.

C H A P I T R E V.

3'riomphe de Richard- II enUve Ia PriticeJJe d'^nghterre d fon amant. Combats. Cartels.nbsp;Déclaration de. guerre.

¦R-iCHARD avoit paffe deux années entié-res dans fa retraite de Fécamp, oü il fe Convainquit que fi les Monaftères renferment,nbsp;^uelquefois, de mauvais Religieux, il en eft:nbsp;dont les moeurs pares l’etnportent de beau-Coup fur 1’auftérité, tant vantée, des Phi-'ofophes de 1’antiquité. II ne fortit de 1’Ab-baye, qu’i 1’occafion du Tournoi que Charlemagne fit publier dans route 1’Europe. Cenbsp;ï*i'ince, qui réuniflbit fous fa puiflance lanbsp;Prance amp; 1’Empire d’Occident, amp; qui, pournbsp;Ie bonheur du monde, eüt mérité d’en êtrenbsp;Ie Souverain, venoit d’aflurer au Pape Ienbsp;Gouvernement de Rome. II voulut célébrer,nbsp;par des fétes, fon retour dans fes États. IInbsp;cnvoya des Courriers de tous cótés, invitanbsp;^cs Chevaliers de tous les pays de venir em-bellir cette féte, amp; indiqua Paris, fa capitale,nbsp;Pour Ie lieu du rendez-vous. Dès que Richard en fut inftruit, il fe mie en route,nbsp;^ arriva a Paris, en mème temps qu’Aymé,nbsp;Guc de Bavière, Roger, Due de Danemarck,nbsp;Olivier amp; Roland, coufins du Roi Charle-bïagne Thierri d’Ardenne, Salomon de Brc-

C iij


-ocr page 46-

40 nbsp;nbsp;nbsp;Hifloirt

tagne, Renault de Montauban amp; fes troi's :frères, Charles, Comte d’Alen9on, Ie Comtenbsp;dc Vendóme, Ie Due de Bourbon, amp; 1’Amou-reux de Galles, qui bonduifoit i ces fêtes lanbsp;belle Clarice, fille du Rol d’Angleterre. Lorf-qu’ils furent tons arrivés, ils alièrent enfemblenbsp;féliciter 1'Empereur fur fon retour, amp; fur lesnbsp;établiflemens utiles qu’il venoit de faire dansnbsp;fa capitale. Charlemagne les regut avec cecnbsp;air de bonté amp; de grandeur dont il accom-pagnoit toutes fes aélions ; II les félicita, anbsp;fon tour, fur leurs exploits amp; fur la gloirenbsp;qu’ils venoient acquérir dans les joutes : Hnbsp;fixa Ie Tournoi au Dimanche fuivant. Comme'nbsp;les Chevaliers étoient en grand nombre, ilnbsp;fut décidé qu'ils fe partageroient en deux troupes, amp; que 1’une combattroit contre 1’autre»nbsp;Ce fut Ie fort qui en décida. La premièrenbsp;troupe fut formée de Roger Ie Danois, dunbsp;Comte de Pragrae, d’Oligier de Vienne, founbsp;coufin, amp; de plufieurs autres. Cette troupsnbsp;devoit tenir les joutes en dedans du camp»nbsp;Richard fans peur, Salomon, Due de Bretagne , les quatre fils du Comte Aimon, Thierri«nbsp;Seigneur d’Ardenne, Ie Due de Bourbon amp; Ienbsp;Comte d'Alenjon, compofoient la fecondenbsp;troupe.

Le Tournoi commen9a vers une heure après-midi. L’Impératrice-Reine de France f®nbsp;pla9a fur un échafaud couvert d’un brocaffinbsp;d’or; elle étoit a'ccompagnée de plufieurs PriU'nbsp;cedes; elle avoir, a fon cóté, Clarice, dontnbsp;ia beauté attiroic les regards des Chevalier*

-ocr page 47-

de Richard fans peur. nbsp;nbsp;nbsp;47

^ des fpedlateurs : Derrière les Princefiès» ^toient placées les autres Dames de la Cour,nbsp;Routes magnifiquement parées, mais plus re-Riurquables par leurs attraits que par leur parure.

Les Chevaliers, précéde's de leurs Hérauts, Couverts de leurs armes étincelantes, firent Ienbsp;tour du camp, en baiflant leurs lances devancnbsp;les Dames : Comrae chacun avoir la fiennenbsp;fur 1’éehafaud de la Reine, c’étoit a quinbsp;montreroic plus de grdce amp; d’agilité. Aprèsnbsp;cettemontre, les Chevaliers rejoignirent leurnbsp;troupe. LdlTque les Hérauts eurent donnénbsp;Ie fignal, amp; que les trompeites eurent faicnbsp;retentir les airs, Richard, qui montoic uanbsp;cheval de race, qu’il avoic formé lui-m^nbsp;tne , courut Ie premier ; Ie brave Roland ,nbsp;I'Heftor de fon fiècle, courut, de fon cóté,nbsp;contre Richard ; deux roehers d’égale grandeurnbsp;lt;lui fe détachent du fommec de la niême mon-tagne, ne tombent pas avec une rapidité plusnbsp;égale. Ils fe frappent, amp; leurs lances fe bri-fent fur leurs écus. Ils reprennent du terrain,nbsp;h partent avec plus d’impétuoiité ; Richardnbsp;atteint Roland fur Ie heaume, amp; Ie défargon-tie. Roland fe temet; Ils reviennent, fe me-lurent, amp; fe frappent avec une telle force ,nbsp;'ïu’ils vont tomber, avec leurs chevaux, anbsp;''Inge pas 1’un de 1'autre : Leur chute fut iinbsp;t'iolente , qu’ils reftèrent d terre prefqu’éva-houis amp; fans connoiflance. Chacun des com-l^attans étoit Ie chef d’un parti. Les Chevaliers , qui ne les voyoient pas fe relever, cou-

C iv

-ocr page 48-

4S nbsp;nbsp;nbsp;Hijloire

rurent è, eux amp; levèrent leur vifière;^ 1’aif récablit leurs forces, amp; ils remontèrenc furnbsp;leurschevaux. Olivier, coufin de Roland, pritnbsp;fa place, amp; Salomon, Due de Bretagne , celienbsp;de Richard; Olivier terrafla amp; mit Salomonnbsp;hors de combat. Les joutes devinrent générales, les deux partis fe battoient 1’un contra l'autre. Gui de Bourgogne amp; Oger s’efl-trechoquèrent, amp; tombèrent, cliacun de fonnbsp;cóté. L’Amoureux de Galles, done Ie courage amp; la force fembloient doublet, par icnbsp;défir de plaire ri la Princefle d’Angleterre, avoitnbsp;rnis hors de combat Ie vaillant Iroc de Bour-’nbsp;gogne amp; Ie robufte Comte d’Alen^on, moinsnbsp;jaloux , dans ce moment, de plaire è leursnbsp;Maitrefles, que d’obtenir 1’eftime de Charlemagne. L'Amoureux de Galles s’applaudif-foit de fon triomphe : Richard fut indigné denbsp;tant d’orgueil; il réfolut de Ie mortifier auXnbsp;yeux de fa Maitrefle; il s’élance contra l’An-glois, amp;, du premier coup, Ie renverfe ^nbsp;dix pas de fon cheval. Les deux troupes nenbsp;fe ménageoient point: Richard fit des prouef-fes incroyables, pour forcer Ie parti qui étoicnbsp;en dedans, défendu par Roland, qui lui op-pofoit une réfiftance invincible. Richard faitnbsp;Ie tour du camp, amp; tout ce qui fe préfentcnbsp;d fes coups, il 1’écarte ou l'abat. Tous Ie*nbsp;Chevaliers Ie redoutent : Par-toutoü il pafle,nbsp;il eft comtne 1’aimant au milieu de la limaill®nbsp;de fer, lorfque leurs poles font oppofés; ünbsp;règne iin grand intervalle entre lui amp; fes enne-mis. Enfin, 1’avantage eft égal entre les deuic

-ocr page 49-

de Richard fans peur. nbsp;nbsp;nbsp;49

P'isfs; Richard re9Ut Ie prix du Tournoi par

Dames du cóté de dehors, amp; Roland 1’ob-tint de celles du dedans.

, Charlemagne loua chaque Chevalier en pajj-^iculier, il ne mit aucune difference entre les ^ainqueurs amp; les vaincus, encourageanc lesnbsp;'^Hs amp; les autres. II donna un feftin, auquelnbsp;^es Chevaliers, les Seigneurs amp; les Dames foment invités. La bonne opinion que 1’Amou-ïeux de Galles avoit témoignée de lui-même,nbsp;?Voit indifpofé Richard : Soit prevention, foitnbsp;Jsloufie, il Ie vit a regret 1’amant de Clari-

: Le hafard Ie pla5a, è. table, a cóté d’elle; ^^ichard lui marqua les attentions amp; les foinsnbsp;ïes plus empreffés, Clarice n’y fut point in-fenfible.

Richard, qui, depuis la trahifon du Génie , ^toit en garde contre la beauté , avoit éténbsp;fnrpris de celle de la Princeffe d’Angleterre :nbsp;La converfation de Clarice, le fon de fa voix ,nbsp;changèrent Padmiration de Richard enun fen-timent plus tendre; avant la fm du repas, ilnbsp;5n étoit plus amoureux, qu’il ne 1’avoic jamais été d’Éléonore. L’orgueilleux Angloisnbsp;^':t)it placé vis a vis : La jaloufie dans le coeur,nbsp;^ le dépit fur le front, il les obfervoit, ré-Pondoit a fon voifin d’un air diftrait, amp; lan-§oit fur fa Maitreffe des regards foudroyans.nbsp;Richard étoit gai, complaifant, aiinable.nbsp;^’Anglois étoit fombre, exigeant amp; févére.nbsp;diehard étoit modefte, fembloit ignorer fonnbsp;‘hérite, amp; parut étonné que Clarice eüt en-^^ödu parler de fes exploits. L’Anglois ne ccf-

C V


-ocr page 50-

50 nbsp;nbsp;nbsp;Hijloire

foit de vanter les fiens, amp; les exagéroit a fa^ Maitrelle. Les femmes ont un inftinét finguliefnbsp;pour apprécier les bonnes ou les mauvaifesnbsp;qualités de leurs amans. Si leur cceur fe tromp®nbsp;fouVent, lorfqu’il fe donne, leur efprit ii’eftnbsp;jamais en défaut lorfqu'il nous juge. Le pa-rallèle que Clarice fit de Richard amp; de 1’A-moureux de Galles, lui fit voir, dans ce deiquot;nbsp;nier, tous les défauts qu’elle n’avoit fait qu’a-percevoir; la fureur, qu^elle voyoit dans fesnbsp;yeux, lui fit trouver ces défauts infupporta-bles. Richard vanta le bonheur def’Anglois»nbsp;8: Iqua le choix de la Princefle. Elle rougit»nbsp;Sc lui dit naïvement qu’elle n’avoit pas 'éiénbsp;4 portee de choifir, Sc que le Prince de Gallesnbsp;lui avoit été donne par fes parens; qu’a lanbsp;vérité , il 1’adoroit, mais qu’elle n’avoit jamais pu le fouifrir.

La fin du fouper interrompit Richard. II demanda a la Princefle la permifTion de la fer-vir : L’Araoureux de Galles ne tarda pointnbsp;a les joindre. “Chevalier, lui dit-il, vousnbsp;étes auffi preflant auprès des Belles qu’auXnbsp;Tournois; mais il me femble que Clarice vouSnbsp;coütera plus a vaincre que fon AmantC®nbsp;brufque reproche fit rougir Richard, amp; n’ein-barrafla pas rnoins la Princefle. Seigneur Chevalier, répondit 1’intrépide Normand, les aiquot;nbsp;mes font journalières, vous avez été vaincu»nbsp;aujourd’hui, je le ferai, peut-ètre, demain*nbsp;Quant a la belle Clarice , je fens qu’il fa®'nbsp;droit étre bien téméraire pourofer entreprendre

une telle conquète. L’orgueilleux Anglois pri*^

-ocr page 51-

de Richard fans peur. nbsp;nbsp;nbsp;51

pied de la lettre le compliment de Richard. Je fais ce qu’elle m’a couté , reprit-il, vousnbsp;y perdriez vos peines : Ainfi, croj'ez-moi,nbsp;la France vous offre mille beautés moins dif-ficiles, attaquez-les; Clarice amp; moi applaudi-rons a vos viftoires. Clarice, dir Richard, menbsp;^lommera les cceurs qiie je dois attaquer, fouf-fi'ea que je la confulte , amp; que je lui oflre raesnbsp;Services en échange de fes confeils. L’An-glois ne répondit rien, prit un air fombre,nbsp;amp; conduifit Clarice é la Reine, qui venoicnbsp;a eux.

Le lendemain, Richard fit demander a la I’linceiTe d’Angleterre la permilfion de la voir.nbsp;L’Amoureux de Galles, Edouard, en fut in-fbrmé, il fe trouva chez Clarice, lorfque Richard y arriva. Tons les trois éprouvoient lanbsp;amp;éne la plus cruelle : La Princefle fe fentoicnbsp;penchant fecret pour Richard, qui, de fonnbsp;cdté, brüloit pour elle. Les yeux d'un jalouxnbsp;font pénétrans, mais 1’orgueil d’Edouard étoicnbsp;un voile qui le rafluroit. Il les obfédoit fansnbsp;cefle,amp; cette contrainte, en irritant les feuxnbsp;de fon rival, contribua beaucoup è lui en-Icver fa Maitrefl'e. Huic jours fe pafsèrent dansnbsp;cette gêne ; Richard, enfin, profita d’un moment favorable, pour déclarer fa paffion a Cla-'¦ice. Si vous aimiez Édouard , lui dit-il, finbsp;'Votre ccEur i’eut préféré a d’autres, je n’au-jamais fait connoitre mon amour. C’eftnbsp;due déloj^auté que de chercher a défunir deuxnbsp;Cceurs que 1’amour a joints : Il abufe de 1’au-^biité que vos parens ont fur vous : Il doit

C vj

-ocr page 52-

5^ nbsp;nbsp;nbsp;Hijioire

en être puni. Clarice héfiroit; malgré l’amonr qu’elle avoir pour Richard, fa reconiioiflancenbsp;pour I’Amoureux de Galles balangoit fa nouvelle paffion. Sijlorfque vos parens, reprit-il,nbsp;vous dettinèrenc a Édouard, ils avoient con-lulté votre coeur, 1’auriez-vous accepré ? Non tnbsp;Tépondit la Princefie. Eh bien, dit Richard,nbsp;je vous rends vos droits ; Vous n’avez riennbsp;promis, vous n’avez pas a craindre d’étre par-jure. Clarice fur fi ébranlée par tout ce qu’a-jouta Richard , qu’enfin, elle I’accepta pournbsp;amant. II lui promit de la délivrer du jalouxnbsp;qui 1’obfédoit, ou, dumoins, de la mettre ennbsp;état de fe choifir librement un époux.

Après que les fêtes eurent pris fin, amp; que le depart de Clarice fut fixe, Richard, quinbsp;avoir fu adroitement qu’Édouard devoir lanbsp;reconduire en Angleterre, amp; la faire pafl'er parnbsp;la Normandie, partit, deiix jours avant, nenbsp;s’arreta point a Rouen, amp; alia s’enfermer dansnbsp;iin Chateau a dix lieues au dela, fur le cheminnbsp;qui conduit a la mer; il ne pirir, avec lui,nbsp;qu’un Écuyer, auquel il ordonna de refternbsp;dans le donjon du Chkeau, d’obferver toutnbsp;ce qui paroitroit fur le chemin de Paris, amp;nbsp;de 1’averrir lorfqu’il verrolt une Dame ac-compiagnée de deux Demoifelles montees furnbsp;des haquenees blanches, efcortees de onze Chevaliers. Cet ordre donné, Richard s’arraa, tinenbsp;fon cheval tout prêt, amp; attendit 1’avis de fonnbsp;3icuyer. Il fut un jour entier dans cette attente, montant, a toutinftant, au donjon, dansnbsp;la cninte que 1’Ecuyer ne s’endormic^ amp; *

-ocr page 53-

de Richard fans peur. nbsp;nbsp;nbsp;53

paree qu’il fembloit qu'en obfervant lui-même y ils les apercevroit plutót.

II les vit, enfin, è une lieue de dillance. Êdouard marchoit a cóté de Clarice, les deuxnbsp;Demoifelles les fuivoienc, quatre Chevaliersnbsp;les précédoient, amp; les fix autres fermoient Ianbsp;rnarche. Richard ne les a pas plutót aper9us,nbsp;qu’il tnonte a cheval, prend fa lance amp; vanbsp;au devant d’eux. Dès qu’il eft a portee de fenbsp;faire entendre, il leur ordonne de fe retirer,nbsp;St de lui abandonner la Princefle qu’ils con-duifent, amp; qui lui appartient. Clarice reconnucnbsp;aifément la voix du Chevalier. L’Amoureuxnbsp;de Galles, qui ne Ie remit pas, lui cria ; In-fenfé! quelle eft ton audace, d’ofer, feul, t’ex-pofer k une entreprife, pour laquelle cent com-ine toi ne feroient pas encore aflez forts? C’eftnbsp;ce qu’il faudra voir, repart Richard, en met-tant l’épée a la main ; Edouard alloit en venirnbsp;au combat, deux des Chevaliers qui Ie précédoient 1’en empêchèrent, amp; 1’un d’eux prit fanbsp;place; mais, d’un feul coup, Richard fit recu-ler au loin Ie cheval amp; celui qui Ie montoit:nbsp;Le fecond eut Ie même fort. Alors, quatre Chevaliers réunirent leurs forces, amp; baiffèrent leursnbsp;lances contre lui. II les évite avec adrefle,nbsp;Voltige autour d'eux, frappe 1’un a la tête,nbsp;Pautre è la cuifl'e, un troifièrae dans la vi-fière, amp; enlève ie quatrième de fon cheval,nbsp;le précipite è. terre, amp; lui enfonce la têtenbsp;dans le fable jufqu’a la poitrine : Ses jambes, en s’agitant, frappent le cheval de 1’A-hioureüx de Galles, amp; lui portent, dans le


-ocr page 54-

54 nbsp;nbsp;nbsp;Hifloire

poitrail, iin coupd’éperon qui Ie met en fang-Edouard eft furieux; ft reconnoit Richard La honte amp; la jaloufie redoublent fes forces ; IInbsp;court a lui: Richard 1’atrend. Edouard lui portenbsp;un coup d’épée, qui eüt du féparer en deuxnbsp;Ie Chevalier U fa monture; mais Richard,nbsp;qui voic Ie coup, Ie fait gauchir, amp; l’épéanbsp;vole en éclats. Richard s’élance fur lui, Ienbsp;prend d’une main , amp;, de 1’autre, tient lanbsp;pointe de l’épée au défaut de l’armure, pretnbsp;B la lui plonger dans Ie fein, s’il refufe denbsp;fe rendre. Dans Ie moment que Richard eftnbsp;ainfi occupé, deux Chevaliers couroient furnbsp;lui, amp; alloient Ie terrafler : C’en étoit fait denbsp;lui, fi Clarice ne fut accourue amp; n’eüt dé-tourné leurs lances. Ace moment, Edouard,nbsp;qui fe voit trahi, fait un foupir, demandenbsp;grace a Richard, amp; lui dit qu’il fe rend. Anbsp;peine Richard I’a-t-il quitté, qu’il voit lenbsp;pertide prendre fon poignard amp; le lever furnbsp;le fein de la princefle : Richard jette un cri,nbsp;poufle fon cheval, pafle entre Édouard amp;nbsp;Clarice, la fauve, revient centre I’aflaflin, lenbsp;défarme, du mcme poignard, 1’étendauxnbsp;pieds de fa MaitrelTe. II reftoit encore quatrenbsp;Chevaliers; Clarice leur propofe de fe retirer;nbsp;ils refufent. L’épée de Richard étoit émouf-fée, amp; les Chevaliers 1’attaquent è la fois.nbsp;Une des compagnes de Clarice defcend denbsp;cheval, prend deux épées des Chevaliers étendus fur le fable, en donne une a Richard*nbsp;amp; garde 1’autre, en cas d’événemenr. Le Chevalier attend les ennemis de pied ferme»

-ocr page 55-

de Richdrd Jans peur. nbsp;nbsp;nbsp;55

loiTqu’ils font prêts a le frapper , il fe dé-tourne amp;. pafle derrière eux. II ne les frappe pas, mais il porte de fi rudes coups far la croupenbsp;de leurs chevaux, que tous les quatre, ennbsp;un din d’ceil, font emportes a plus de deuxnbsp;cents pas; deux des chevaux s-abattirent amp;nbsp;Cxpirèrent fur la place; les deux auti-es refu-fèrent d’obéir a la voix amp; a 1’éperon. Richardnbsp;He voulut point profiter de 1’avantage qu’ilnbsp;avoit d’etre a cheval, il donna le fien a gar-der a une des Dames, amp; fe préfenta au combat centre les deux Chevaliers, qui étoiencnbsp;4 pieds. Ils rougirent de 1’attaquer a la fois;nbsp;Ibichard les blefla fun après 1'autre, amp; lesnbsp;laida fur le fable; il s’avance vers ks deuxnbsp;qui reftoient : Étonnés des prodiges dont ilsnbsp;venoient d’etre temoins, ils lui demandèrencnbsp;grdee ; il la leur accorda ; ils fe rendirent. Richard envoya ordre a fon Écuyer de fairenbsp;enterrer les morts, amp; Je faire tranfporter lesnbsp;blefles a Rouen dans fon Palais.

Alors, Richard dit a Clarice qu’il avoit rempli la promefie qu’il lui avoit faite, denbsp;mettre a portée de fe choifir un époux.nbsp;Vous etes libre, lui dit-il, je vous adore:nbsp;Mais, fi je ne puis vous plaire, ordonnez,nbsp;j’irai moi-méme vous remettre dans les brasnbsp;de 1’Üeureux époux que vous choifirez. Clarice lui repondit que fon choix étoit fait}nbsp;ihais qu’elle dependoit du Roi fon père. Richard la raflura, amp; Clarice lui jura qu’ellenbsp;^’’auroit jamais d’autre époux que lui. Lenbsp;^bevaiier tomba a fes genoux, amp; lui jura ,

-ocr page 56-

56 nbsp;nbsp;nbsp;Htjloire.

a fon tour, une fidélité a toute épreuve.

Quand les mores amp; les blefles fiirent enle-vés, Richard, Clarice, fes deux compagnes, amp; les deux Chevaliers prifonniers, prirent Ienbsp;chemin de Rouen, oü ils furent re9us avecnbsp;la plus grande joie. Richard eut Ie plus grandnbsp;foin des blefles; il y en eut trois qui guérirencnbsp;.de leurs bleflures. Peu de jours après, Richardnbsp;convoqua les Etats, amp; raconta tout ce qui s’é-toit pafi'é depuis Ie moment qu'il avoir vunbsp;Clarice, jufqu’au combat de 1’Amoureux denbsp;Galles. II fut interrompu par un murmure quinbsp;s’eleva dans 1’aflemblée. Ce Prince, que Richard croyoit avoir tué, palpitoit encore,nbsp;lorfqu’on fe difpofoit a l'enterrer. L’Ecuyernbsp;Ie fecourut, amp; fes foins Ie rendirent a la vie*nbsp;ll lui demanda Ie fecret Ie plus inviolable;nbsp;1’Ecuyer Ie promit. Edouard fut rétabli, ennbsp;peu de jours; il fe montra a quelques amis anbsp;Rouen. II leur dit que Ie Due ne manqueroicnbsp;pas de fe vanter de 1’avoir tué, mais qu'ennbsp;cela, comme fur bien d'autres exploits, ilnbsp;avoit l’art d'en impofer è la crédulité dunbsp;peuple.

Lorfque Richard, en parlant aux EtatS, en '4'inta la mort d’Édouard, ceux qui Pavoientnbsp;vu, ne manquèrent pas de fe récrier. Richardnbsp;interpella Clarice; elle proiefta qu’elle Pavoifnbsp;vu tomber è fes pieds. On fit venir 1’Écuyer,nbsp;qui avoua la vérité. Un inconnu préfenta aUnbsp;Due une lettre, qu’un^ Anglois, qu’il n’avoicnbsp;jamais vu, lui avoit remife, amp; qui s’étoit em-barque dans Ie même moment. Le Due l’ouvrc

-ocr page 57-

de Richard fans peur, nbsp;nbsp;nbsp;5f

lit en prefence des États : Edouat^d, Prince de Galles, a Richard,nbsp;t^uc DE Normandie. “Tu m’as ravinbsp;jj ce que j’avois de plus cher; amp;, comme fi lenbsp;«titre de Ravifleur ne te fuffifoit pas pournbsp;te déshonorer aux yeux des Nations, tu tenbsp;}f vantes d’avoir donné la more a ton rival;nbsp;3gt;|e te préviens que jepars, amp; que, fi, dansnbsp;quatre jours, tu ne me renvoyes pas Claricenbsp;i»a Londres, je viendrai, avec une puiflantenbsp;39 armee, ravager la Normandie, t’arracher tanbsp;rgt; ptoie , amp; punir, par ton fupplice, ta per.»-fidie amp; ton impofture.

Après la ledlure de cette lettre, Richard dit i fes fujets quhl etoit pret de foutenir,nbsp;les armes d la main, que tout ce qu’il avoirnbsp;taconté, è. I’exception de la mort d'Edouard,nbsp;^u’il croyoit certaine, étoit exaftement vrai;nbsp;sue, s’il avoit befoin de fe juftifier auprèsnbsp;d’eux, il n’y avoit qu’d interroger les Prifon-uiers. Tout le monde, d’une voix unanime,nbsp;s’ecria que e’etoit une chofe inutile, amp; qu’onnbsp;Cn devoit croire Richard. Je prevois, ajouta-t'il, que nous allons avoir fur les bras unenbsp;guerre fanglante avec le Roi d’Angleterre,nbsp;Su’Édouard n’a pas manqué de prévenir. Monnbsp;dellein étoit de vous propofer Clarice pournbsp;Souveraine; vous voyez fa beauté, amp; vousnbsp;^ez fouvenc entendu parler de fes vertus.nbsp;Elle n’eut afpiré qu’a faire votre bonheur amp;nbsp;mien : J’aurois pu 1’époufer, fans vous con-lulter; mais, comme vous êtes chers a monnbsp;^Oiur, c’étoit de vous que je voulois la tenir.

-ocr page 58-

58 nbsp;nbsp;nbsp;Hiftoire

La menace d’Édouard eft une circonftanee qui mérite vos réfiexions. C’eft a vous a délibe'nbsp;ler, fi vous aimez mieux que votre Souverainnbsp;fe cou vre d'un opprobre qui réjaillira fur vous»nbsp;en renvoyant une jeune princeffe k des ty-rans, ou fi vous préférez mon honneur, amp;nbsp;vórre, a une qu’il faudroit acheter par uosnbsp;ignoininie. On ne perdit aucun temps a délibe^nbsp;rer; toutel'affetnblées’écria: Clarice,

L A G u E R R E.

Aufli-tót Richard didla lui-même Ie Cartel, qu’il fit écrire par un de fes Miniftres* Richard, Due de Normandie, “nbsp;Edouard, Prince de Galles. „tJ'’nbsp;ravifleur eft celui qui, coinme toi, abuf^nbsp;,, de 1’autorité d’un père injufte, pour fe refl- dre maJtre d’un coeur done il n’eft pas di-„ gne, amp; auquel il ne laiffe pas la liberté dbnbsp;„ choix. Je n’ai délivré Clarice de ta tyran-„nie, que pour lui rendre cette liberté; elisnbsp; en difpofe en ma faveur; fi elle m’eüt or-,, donné de la rendre a tes voeux, j’aurois ref-,, peélé fes ordres; mais, pour Ie bonheur denbsp; mes fujets, elle préfère d’être leur Souve- raine a 1’honneur de régner, un jour, avecnbsp;toi , fur l’Angleterre. Si tu n'avois paSnbsp;„ craint de combattre feul a feul contre moi»nbsp;^ tu n’aurois pas été chercher 1’appui d’unsnbsp;yy armée. De quelque manière que tu viennesnbsp;yy en Normandie, je t’y attends. Mes fujetsnbsp;yy fe difpofent a recevoir tes troupes: II n’ennbsp;y, eft aucun qui n’ait ri de tes menaces; jog®nbsp;,) du cas que j’en fais.

-ocr page 59-

'de Richard fans peur. nbsp;nbsp;nbsp;59

• On applaudit a ce Cartel. Richard 1’envoya P^r un Héraut, qui conduifit, en méme temps,nbsp;prifonniers au Roi d’Angleterre. II étoitnbsp;öéja prévenu que Clarice acceptoit la mainnbsp;Richard. II jura la perte du Due, amp; pro-iefta qu’il auroit Clarice, malgré lui. II avoitnbsp;'!éja donné des ordres pour lever des troupes,nbsp;Edouard en raüembloit de tous cótés. Le Roinbsp;Voulut commander lui-même fon armée ; IInbsp;fit Édouard fon Lieutenant-Général, amp;, fousnbsp;lui, le Due de Northumberland amp; le Comtenbsp;fie Winchefter. Tousles Seigneurs Anglois de-tiiandèrent a 1’accompagner. II fit un arme-tuent confidérable , qu’il chargea de toutenbsp;fiorte de munitions; amp;, lorfque tout fut raf-femblé, on s’embarqua, amp; 1’armée Angloifcnbsp;fiefcendit a Dieppe.

CHAPITRE VI.

s

t)efcente des Anglois en Normandie. Rencontre de Richard. Bataille , viamp;oire extraordi~nbsp;naire. Portie de chafe. Miroir conflellLnbsp;Etrange aventure de Richard.

J—/E Roi d’Angleterre fit fa defcente fans tgt;fiftacle ; Richard ne fit aucun effort pour s’ynbsp;®Ppofer. II attendit les Députés du Roi, quinbsp;fommèrent de rendre Clarice, s’il ne vou-‘oit expofer fon pays a la deftruftion, amp; fesnbsp;fi''fiitans a routes les horreurs de la guerre,

-ocr page 60-

6(3 nbsp;nbsp;nbsp;mjloire

RichaM répondit qu’il défendroit fon époufe jufcju’a la dernière goutte de fon fang, amp;nbsp;qu’il coinptoit aflez fur la fidélité de fes fu-jets, pour efpérer qne, tant qu’il en refteroit,nbsp;•als ne 1’abandonneroienc pas.

Richard avoir demandé du fecours a Ro-kftd amp; a Renaud de Montauban ; Ils ne purent lui en donner aucun; ils étoient occupés a lanbsp;guerre , que Charlemagne faifoit contre lesnbsp;Sarrafins, qui, après avoir été chafles de lanbsp;France, y étoient encore entrés, amp; menagoiencnbsp;de s’emparer de 1’Aquitaine. Le Roi d’An-gleterre fe félicita de leur abfence, amp; crut que «nbsp;fans eux, Richard ne pourroit jamais foutenitnbsp;fes efforts. II affembla fon Confeil, amp; il futnbsp;décidé de profiter du défordre oü 1’arrivéenbsp;des Anglois avoit dü jeter les habitans. Lesnbsp;ennemis étoient campés au dela de Dieppe.nbsp;Dès que Richard fut la réfolution du Confeil*nbsp;il ne voulut point les attendre, amp; marcha versnbsp;eux avec audace : II avoit pour maxime, qu’anbsp;la guerre, il faut fe lailTer attaquer le moinsnbsp;qu’on peut. II avoit donné 1’aile droite a commander au Comte de Mortaigne , amp; la gauchsnbsp;au Comte d’Alen^on.

Dans le temps qu’il étoit en marche pour joindre les ennemis, il apergut, au fond d’unnbsp;valon , un jeune homme richement armé, furnbsp;un cheval noir de la plus grande beauté. Lenbsp;jeune Chevalier s’approcha d’un air modefte ,nbsp;amp; Richard fut frappé de fa figure : II luinbsp;trouvoit une refl'emblance lingulière avecnbsp;Eiéonore, il foupira} amp; n’eut aucune mé-


-ocr page 61-

de Richard fans peur.

fianee. II lui- demanda par quel hafard, dans un jour qu 1’on fe préparoit a combattre, ilnbsp;fe trouvoir dans cet endroit écarté. Je fuisnbsp;écranger, ditle j.eune, homme, amp; n’ai pris au-cun parti. Cependant, votre valeur m’inté-refle, Ie petit nombre de vos troupes, bab-fence de Roland ,amp; de Renaud , fur lefque.'snbsp;vous comptiez, 1’orgueil du Prince de Galles,nbsp;me déterminent a vous Öffrir mon bras; nion,nbsp;fecours ne vous fera, peuuêtre, pas indifférent;nbsp;quoique jeune , ces mêmes Renaud amp; Rolandnbsp;ont daigné m’applaudir, quelquefois; je con-npis l’armée ennemie; la langue angloifb m’eftnbsp;auffi familière que la frangoife ; a la faveurnbsp;de mon annure étrangère, je puis parvenitnbsp;jufque dans la tente du Roj, amp; affifter a fesnbsp;confeils les plus fecrets. Si vous daignez accepter mon fecours, je vóus 1’pffre , mais anbsp;condition que, lorfque j^aurai befpin du vótre,nbsp;vous ne me Ie refuferez pas,..dans qpelquenbsp;circonftance que je me trouve. Richard y con-fentit., amp; Ie jeune hpmme l’ajiur.a^que , tancnbsp;qu’ils. ferpient .unis, l’armée n’avoit rien anbsp;craihdre. Richard, avoit bieii de: la .peine, dnbsp;concilief Pair modefte de, cp jeun.e'.'hpram^nbsp;;Lvec les prouefles. dont il fe vantplt., '

Le Diic, accompagné du Chevalier inconnu ^ fe mit a la tére de. fes troupes. Dês qqe je?nbsp;deux axmées furent en.préfence, Ie jeune Che-valier, .avec.la pefnjplfion de Richard , . ficnbsp;donnet “je fignal de' la .bafainé par les trom-peptes; ce brufquè, empreffement,. auqueTl^nbsp;Anglpis né s’afténdoientj^as ,.'.leshtoMa.'Majjp

-ocr page 62-

6» nbsp;nbsp;nbsp;Mijloire

ils furent bien plus furpris, lorfque les deux Chevaliers fe précipitèrent au milieu d’eiix,nbsp;amp; abattirenf plus de mille hommes en moinsnbsp;d’une demi - heure. Le feu qui dévore uijnbsp;chaume eft moins prompt a nectoyer un champ.nbsp;Leurs chevaux étoient comme deux lions. Ilsnbsp;devan^oient les ennemis, qui prenoient la fuite,nbsp;amp; , les formant de revenir fur leurs pas , lesnbsp;fugitifs faifant face a ceux qui vouloient fuir,nbsp;les choquoient, ils s’embarraflbient les uns lesnbsp;autres, amp; ne fongeoient point a fe défendre.nbsp;11 n’y eut pas un feul coup de leurs épées quinbsp;portat a faux. A la faveur de ces deux Héros ynbsp;les Normands pénétrèrent dans les lignes desnbsp;ennernis, amp; les enveloppèrent de tous cótés.nbsp;Hdouard eflaya de les rallier amp; de former une-colonne qui fit face de tous cótés. Les Chevaliers s’apérgurent de cette mancEUVre , il^nbsp;1’a‘traquèrent de front, pénètfèrenc jufqu’aunbsp;'deritre', amp; oüvrirent un paflage auxNormands,nbsp;qui diffipèrent cette malïe énorme. Le Chevalier inconnu rèncontra le Roi d’Angleterre; Unbsp;voulut le coriduire a Richard: II lui própofanbsp;de fe rendre; ce Prince igt;e lui répondit quenbsp;par uh coup d’épée, leqeune ChèValiêr l’dbat-tit a fes pieds diun coufi de ja flenne. De fonnbsp;cóté , Richard aypit renc‘ontré, le Prince denbsp;t:gt;hll'éy , qui/cherchoit a l^êviter. Pour cette'nbsp;fpis, lui dit lè Due, je t’óterai le moyen denbsp;ihe démenti'r, quahd onpubliera que quot;je t’ajnbsp;tuéfl'aóffi-töt il lui abat la tête d’un revers,nbsp;¦amp;' drdönne'qu’on la mette au bóut d’dné piquénbsp;•amp; Hu’ijp ïa'porte'a'R«ueiir' quot;nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;-


-ocr page 63-

de Richard fans peur. nbsp;nbsp;nbsp;63

Dés que Ie bruit de la mort du Roi fut ré-pandu dans fon armée, amp; qu’on vit la tête du Prince de Galles, les Anglois prirent lanbsp;lliite avec precipitation, amp; plufieurs fe noyè-rent en s’embarquant, croyant avoir toujoursnbsp;les Chevaliers a leurs troufles. L’inconnu , ennbsp;les voyant fuir, les défioit; fa voix les faifoitnbsp;fuir encore plus vite. Enfin, ils difparurent,nbsp;amp; leur camp refta tout entier au pouvoir desnbsp;Normands, fans que les Anglois euflent em-porté un feul pavilion.

Le Chevalier inconnu vint rejoindre Richard, lui demanda s’il étoit content de fon fervice. Le Due le combla d’éloges amp; de té-moignages da reconnoiflance. 11 le pria de luinbsp;dire qui il étoit, amp; ce qu’il pourroit faire pournbsp;lui. Me tenir votre parole, lui dit PInconnu;nbsp;quant a mon nom, c’eft un fecret qui n’efl;nbsp;pas en mon pouvoir de vous dire. Richard'nbsp;voulut 1’amener a Rouen amp; lui donner desnbsp;fétes, 1’Étranger le remercia ; il lui proroicnbsp;qu’ils fe reverroient, gagna la forét, amp; dif-parut.

Le Due, accompagné des Chevaliers amp; des Seigneurs de fa Cour, qui s’étoient le plusnbsp;diftingués a la bataille des Anglois, réntranbsp;dans Rouen, au milieu des fétes amp; des acclamations du peuple. Clarice vint au devant denbsp;lui; fa joie étoit altérée par la douleur qu’ellenbsp;avoir de la mort du Roi fon père. Elle ayoitnbsp;appris qu’un Inconnu , qui avoir voulu le tairenbsp;prifonnier, l’avoit tué. Richard, qui n’en vou-loit qu’au'Prince de Galles, h qui euc défiré


-ocr page 64-

64

Hiftoire

que Ie Roi fe fut porcé a un accomraodement, Ie pleura avec elie amp;: la confola peu a ptu.nbsp;Le Tróne d’Anglecerre fut occupé par la Reine, qui fit fa paix avec Richard, amp; qui l’airaanbsp;comme fon fils.

. Peu de jours après la bataille, Richard voulut donner a fa femme le plaifir de la chaffe. Lenbsp;rendez-vous étoit au milieu de la forét. Lorf-que les Chafleurs furent affemblés, le Due s’a-per9ut que fes chiens étoient harrafles amp; couverts de bleflures. II s’en plaignit a fes Officiers,nbsp;qui lui dirent qu’il y avoit un gros.fangliernbsp;blanc qui ravageoit la forét, amp; qui attaquoicnbsp;également les bétes fauves amp; les chiens. Richard fe propofa de le chaffer; fes piqueursnbsp;lui dirent que ce fanglier appartenoit aux Feesnbsp;Clorifandre amp; Eglantine, qui avoient pris foinnbsp;de 1'élever dans leur pare; il s’étoit échappenbsp;depuis quelque temps, amp;les Fées avoient pro-inis une récompenfe magnifi.que a celui qui lenbsp;leur rameneroit en vie. Richard alia lui-mêmenbsp;chez les Fées, leur demanda la permiffion denbsp;chaffer leur fanglier, amp; leur promit de le leurnbsp;lamener. Elles furent fenfibles a 1’attention danbsp;Richard, amp; le remercièrent de fes foins, quoi-qu’ils fuffent inutiles, paree qu’il étoit dansnbsp;la deftinée de eet animal de ne pouvoir êtrenbsp;pris que par un Due de Normandie, né d’uncnbsp;Chrétienne amp; d’un Sarrafin. Richard fut ffichénbsp;decettecirconftance, n’entreprit point la challè ¦nbsp;du fanglier, offrit fes fervices aux Fées, amp;nbsp;retira. Elles lui firent préfent d’un petit mirnbsp;iQir de poche conftellé, qui avoit la vertu

de

-ocr page 65-

de Richard fans peur.

de détruire ks enchantemens. Elles lui appri-rent la manière de s’en fervir. Quoiqu’on ne chafsdt pas Ie fanglier blanc^ la Ducliefle nenbsp;fut pas moins fatisfaite de fa partie de chafle.

Le Due s’étoit beaucoup fatigué. II étoic dans le plus profondfomtneil, lorfque, vers mi-nuit, il futéveillé en furfaut: Sa porte s’ou-vre, amp; le Chevalier inconnu, qui 1’avoic linbsp;bien fecondé le jour de la bataille de Dieppe,nbsp;ouvte fes rideaux. Richard, lui dit-il, je viensnbsp;vous fommer de votre parole : II n’y a pasnbsp;un moment è perdre, armez-vous amp; fuivez-inoi. Richard avoir quitté fon lit avant quenbsp;1’Étranger eüc cede de parler. Lorfqu’il futnbsp;armé, il lui demanda oü il falloit le fuivre.nbsp;A une aventure, dit 1’Inconnu , oii vousnbsp;pourriez bien perdre le beau titre de Chevalier fans peur, que tout le monde vous don-ne. J’y perdrai plutót la vie, reprit Richard,nbsp;j'ai été tourmenté par des lutins, tracalié, pen-dantfept ans, par ma femme, qui étoit unvrainbsp;démon; j’ai danfé avec les Hellequins, je menbsp;fuisbattuavec les Chevaliers les plus renommés,nbsp;Tien de tout cela ne m’a effrayé. Nous verrons,nbsp;interrompit le jeune homme, fuivez-moi.

Richard fuivit fon conduéleur dans la forêt ; ils y trouvèrent douze Chevaliers qui fe pré-paroienta combattre, amp; qui s’exer9oienr, ennbsp;attendant le jour. Richard demanda qui ilsnbsp;étoient. Des Paladins, répondit 1’Étranger,nbsp;qui ne craignent guère votre intrépidité, amp; qui,nbsp;certainement, vous feront trembler. Jeunenbsp;hoDMne, s’écria Richard ^ iais-tu que tu me

D

-ocr page 66-

66 nbsp;nbsp;nbsp;Hifioire

donnes envie de les attaquer, pour te prouvet que je ne les crains pas ? II n’eft pas temps encore , lui dit 1’inconnu, réfervez votre couragenbsp;pour une meilleure occafion.

Toute la vengeance que la Fée Minucieufe vouloit tirer de Richard , confiftoit d lui fairenbsp;perdre fon nom d'intrépide; Ie Génie Brud-ner s’y étoic engage, mais fes rufes amp; fesnbsp;eftbrts avoient toujours échoué. II avoir ré-folu, cette nuit, de venir a bout de fon entre-prife. Lorfque Richard amp; Ie Génie, car 1’In-connu étoit Brudner lui-même, furent biennbsp;enfoncés dansla forêt,un Écuyer,d’une figure hideufe, amp;portant une torche dans cha-que main, paroit, amp; s’écrie: Que tardes-tu?nbsp;Le grand Nazoméga Fattend. Ce Chevaliernbsp;fanfaron, qui doit te fervir de fecond, pour-quoi ne 1’amènes'tu pas? Ne devois-tu pasnbsp;prévoir qu’il feroitanffi effrayé que roi, lorf-que tu lui propoferois de combattre contrenbsp;nous ? Richard pouvoit fe modérer a peine;nbsp;laifle-moi faire, dit-il a fon condufteur, tunbsp;vas voir rouler fa tête fur le fable. Le jeunenbsp;homme 1’arrêta; Richard dit a 1’Écuyer: Rendsnbsp;gr^ceau mépris que j’ai pour toi, fi tu refpi-les encore; mais, va dire a celui qui t’envoye,nbsp;que,fdt-il efcortédePenfer,je le combattrois.nbsp;Eh bien, reprit le hideux Ecuyer, en fecouancnbsp;fes torches, amp; en riant, fuivez-moi. A peinenbsp;ont-ilsfait quelques pas, que les atbres qui lesnbsp;en vironnent fe courbent, éclatent, amp; que toutenbsp;la forêt feinble crouler fur leurs têtes- L’E-cuyer, ayec une de fes toLehês, met le fe.ö

-ocr page 67-

de quot;Richard fans peur. nbsp;nbsp;nbsp;6?

d une feuille , amp; , dans Pinilant, Richard fe trouve fous une voüte de flamme. II voit,nbsp;d chaque branche , un glaive fufpendu: Unnbsp;vent violent agitoir ces glaives qui s’entrecho-quoient, Le jeune Chevalier paroiflbit traniinbsp;de peur. Que crains-tu, lui dit Richard, cou-rons-nous plus de danger ici qu’au centre desnbsp;colonnes Angloifes? Avons-nous d perdre»nbsp;aujourd’hui, une vie de plus qu’en un jou*nbsp;de bataille? Get Écuyer t’annon^oit un com-«nbsp;bat, ou done font nos adverfaires? Quel eiènbsp;le juge des joutes a qui nous devons nousnbsp;adrefler? A peine a-t-il parlé, qu’un coupnbsp;de foudre frappe un arbre voifin, fend 1’écorcesnbsp;amp; en fait fortir un démon d’une taille pro-digieufe; il n’avoit qu’un ceil placé au milieunbsp;de la poitrine ; il avoir dix oreilles amp; pointnbsp;de mains; il n’avoit rien qui put defigner foanbsp;fexe: Une balance étoit fufpendue devant lui;nbsp;d fes pieds, étoit un tas de couronnes amp; uanbsp;glaive, L’Ecuyer conduifit les deux Chevaliers devant le démon. Nazoméga parut ennbsp;mêine temps; il aceufa le jeune Chevalier d’a-voir violé fa fille, amp; Richard d’avoir aflaffinénbsp;le Roi d'Angleterre, après avoir enle vé Clarice.nbsp;Nazoméga olfrit la preuve de tous ces fairs.nbsp;J'ignore, dit Richard, fi ce jeune homme 2nbsp;violé ta fille, inais je fais que tu mens, lorfquenbsp;tu avances que j’ai tué Ie Roi d’Angleterre,nbsp;amp; que j’ai enlevé Clarice. Le Roi a péri ennbsp;brave guerrier, par les mains d’un guerriernbsp;plus brave que toi, amp; Clarice m’a choifi libre-ment pour épQux: Quiconque dit le contraire,

D n

-ocr page 68-

68 nbsp;nbsp;nbsp;JJiJioire

ment, amp; je fuis tour prêt a ]e lui prouver a pied amp; a cheval, amp;avec telles armes qu’ilnbsp;jugera a propos. Nazoméga parut furieux; Unbsp;demanda aujuge de leur oftroyer Ie champnbsp;de bataille, qui fut accordé dans 1’inftant. 11nbsp;jeta fon gantelet; Richard alloit Ie relever,nbsp;lorfque Ie Chevalier Ie prit, en repréfentantnbsp;au Due qu’il s’étoic offert pour fecond, amp;nbsp;que, n’ayant pas d’autre adverfaire, il ne devoir combatcre que dans Ie cas oü Ie premiernbsp;tenant feroit vaincu. Richard fe pla^a a cóténbsp;du Juge, pour être fpedtateur du combat.

Nazoméga étoit d’une taille gigantefque; fes yeux étoient rouges amp; étincelans, fon neznbsp;avoit la forme, d’une trompe d’éléphant,nbsp;étoit d’une grofleur énorme, amp; alloit fe perdrenbsp;fous fon menton. Sa tête, pointue, étoit chauvenbsp;d’uncóté amp; couverte d’une forétépaille de clie-veux de 1’autre: Toute fon arraure étoit d’unnbsp;criftal deroche très-poli; il étoit monté fur unenbsp;écrevifle, qui, depuis la tête jufqu’a 1’extré-mité de la queue, avoit une toife amp; demie,nbsp;fes antennes avoient quinze pieds. On propofanbsp;au Chevalier Ie choix entre une monturenbsp;femblable amp; fon cheval; il préféra la dernière.nbsp;Ils prirent du terrain, l’e Chevalier s’élan^anbsp;fur fon adverfaire •; Nazoméga, qui avoitnbsp;arraché une des antennes de 1’écrevifle, amp; quinbsp;s’en fervoit au lieu de lance, 1’attendit denbsp;pied ferme. Le Chevalier rompit fa lance fuEnbsp;1’écu du Géant; Sc, tandis qu’il fe retournoicnbsp;pour prendre du terrain, 1’écrevifle ne fitnbsp;qu’éteudre fa jambe» faific le Chevalier avec

-ocr page 69-

de Richard fans peur. nbsp;nbsp;nbsp;69

fa pi nee, 1’enlève de deffus fon chevalamp; Ie ter-rafle. Le Chevalier demanda grace amp; s’avoua vaincu : Qu’on le garde, dit Nazoméga, amp;nbsp;qu’on le donne, demain, a mon écrevifle,nbsp;après fon avoine.

Richard monte a cheval amp; prend du terrain; il entend un coup de tonnerre , voit, aulli-tót,la voute enflammée voinir, de routes parts, des démons qui voltigent, amp; quinbsp;prennent leurs places pour être témoins dunbsp;combat. Nazoméga pique fon écrevifle, quinbsp;ne fait que s’appuyer fur fes pattes de derrière, amp; joint le Due : Nazoméga lui portenbsp;un coup d’antenne, elle fe brife contre fesnbsp;arraes. Le Monftre met 1'épée a la main,nbsp;Richard ne demande pas mieux; il aper9utnbsp;la monture de Nazoméga qui levoit la pince ;nbsp;le Due fe retourne a propos amp; la coupe d’unnbsp;revers, il en revint auffi-tót une nouvelle;nbsp;alors, le combat devint furieux, les coupsnbsp;tomboient fur leurs heaumes comme la gréle :nbsp;Nazoméga en portoit de fi terribles, que lenbsp;plus dur rochet eüt volé en éclats. Richardnbsp;eüt du périr mille fois, mais il ne fentoitnbsp;tien; il pafla deux ou trois fois fon épéenbsp;au travers du corps de fon adverfaire, quinbsp;ne S’en portoit pas plus mal.

Ce combat fut interrompu par 1’arrivée des douze Chevaliers, que Richard avoit rencontrés dans la forêt. Deux étoient montésnbsp;fur des tigres, deux fur des léopards, les deuxnbsp;auires fur des lions, les deux qui fuivoient furnbsp;des rhinoceros; deux fur des dromadaires,

D iij

-ocr page 70-

7* nbsp;nbsp;nbsp;mjloire

amp; les deux derniers fur des chevaux allés, Richard fe vit attaqué, d la fois, par ces douze cornhattans , plus épouvanta-Wes par leurs figures, que par les animauxnbsp;qu’ils montoient. Leurs yeux paroiflbientnbsp;immobiles amp; dardoient des rayons qui éblouif-foient Richard. II ne s’effraya de rien, il feinbsp;jeta au milieu d’eux, amp; Ie mit tous hors danbsp;combat. Alors, Nazoméga dit a Richard tnbsp;Tu 1’emportes; mais fais-tu pour qui tu tenbsp;bats, c’eft pour ton Génie perfécuteur, lanbsp;même que tu as époufé fous Ie nom d’Eléo-nore, amp; qui t’a fi bien' fecondé dans la bataillenbsp;contre les Anglois. Comment, traitre! s’écrianbsp;Ie Due, tu voudrois me perfuader que cenbsp;brave Chevalier eft un Génie, un Enchan-teur, un Démon. Tu mens, amp; je fuis précnbsp;a te prouver qu’il eft Ie plus vaillant denbsp;tous les Chevaliers que j’ai vus. Homme té-méraire, reprit Nazoméga, fais-tu contre quinbsp;tu combats? Sans doute, dit Richard, contrenbsp;de Faux-monnoyeurs amp; des Brigands déguifésnbsp;qui dévaftent ma forêt. Tu te trompes, ré-pondit Ie Chevalier au nez courbé, c’eft contre des Démons, que ca Génie a évoquésnbsp;des enfers. Je ne fais quel eft fon deliein;nbsp;il nous rafiemble, ici, pour te combattre juf-qu’i ce que tu avoues que tu as peur. Oh!nbsp;parbleu, vous combattrez trop long-temps,nbsp;lui dit-il, car, de ma vie je n’ai menti, ninbsp;ne menrirai. S’il eft un Génie, comme vousnbsp;ledites, pourquoi 1’avez-vous terrafle? Pour-

quoi étoit-il uanfi de peur, quand il a com-

-ocr page 71-

de. rüchard fans peur. nbsp;nbsp;nbsp;f i

battu! Pour t’effïayer toi-même, répondic Nazoméga. N'importe, dit Richard quelnbsp;qu’il foit, je Ie regarde comme .très-vaillantnbsp;amp; très-loyal, amp; je fuis ici pour Ie foutenir,nbsp;Chevalier obftiné, reprit Nazoméga, fais-tunbsp;qu'il y va de ta vie, amp; que quiconque ofenbsp;lutter avec nous doit fuccomber a la fin;nbsp;crois-moi, foumets-toi, rends-moi les armes,nbsp;fléchis Ie genou devant Ie grand Juge, •amp; nousnbsp;te laiflerons aller; auffi bien, as-tu befoin denbsp;lepos. Richard ne replique au harangueur quenbsp;par un grand coup d’épée par Ie nez. Leurnbsp;combat recommence; mais Richard, voyantnbsp;que les coups qu’il porte a fon adverfaire, nenbsp;lui font aucun mal, amp; , enfin, convaincunbsp;qu’il fe bat contre les Démons, tire adroi-tement de fa poche Ie miroir que lui avoientnbsp;donné les Fées Eglantine amp; Clorifandre,nbsp;l’attache è. fon heaume, amp;, a mefure quenbsp;les objets enchantés fe peignent dans la glace,nbsp;ils difparoilfent. Les Démons reftèrent iinmo-biles; leurs corps phantaftiques s’évaporè-rent dans les airs, amp; leur efprit rentra dansnbsp;les demeures fombres : Les feux , qui for-moient la voute du champ de bataille, pa-lurent un brouillard léger, qui tomba en ro-fée , amp; Richard fe trouva feul avec Ie Chevalier inconnu.

II y avoit vingt-quatre heures que Ie charme duroit, amp; que Richard combattoit: 11 étoitnbsp;une heure après-rainuir. Lorfqu’il eut détruitnbsp;1’enchantement, il s’adrefla au jeune Chevalier. Puifqu’il n’y a plus de combattans, luï

D iv


-ocr page 72-

f2 nbsp;nbsp;nbsp;Wfïoire

dit-il, il eft temps que je me retire, k moins que je-ne puifle vous fervir encore : En attendant , dites-fnoi fi tout ce que m’a dit cenbsp;phantöme au grand nez, eft vrai ou faux?nbsp;Je vois bien qu’il y avoit de 1’enchantement ;nbsp;mais feroit-il poffible que je me fufle battu',nbsp;tout un jour, contre Ie Diable? Eft-il vrai quenbsp;vous Ie foyez vous-méme? Le faux Chevaliernbsp;lui avoua qu’il avoit promis a la Fee Minu-cieufe de la venger : II lui raconta 1’hiftoirenbsp;de 1’antipathie qui régnojt encre elle amp; lanbsp;familie de Richard depuis le mariage du Duenbsp;Hubert, les efforts inutiles de différens Géniesnbsp;contre Hubert amp; fon époufe, contre Robert ,nbsp;amp;, enfin , les moyens qu’il avoit imaginésnbsp;lui-méme, pour faire perdre a Richard fa reputation de Chevalier fans peur. Vous me faüesnbsp;une injure cruelle, lui dit-il, en me confon-dant avec les Démons que vous avez com-battus. Ces efprits fubalternes font foumis ènbsp;nos ordres, un pouvoir fuprème les oblige 4nbsp;nous obéir, raalgré eux-mêmes; je les ai évo-qués, amp; c’eft moi qui leur ai prefcrit tout cenbsp;que vous venez de voir; fans votre talifman,nbsp;j’aurois poufle les chofes plus loin.

Tout ce que difoit le Génie étoit nouveau pour Richard ; il lui expliqua 1'origine desnbsp;Génies, des Fées, des Sylphes, des Efpritsnbsp;aériens, des Salamandres, des Ondins amp; desnbsp;Gnomes. Les Génies ont un art d’enfeigner amp;nbsp;d’inftruire avec une fi grande facilité, qu’unnbsp;mot leur fuffit pour mettre un homme au faitnbsp;du fylième Ie plus compliqué. Richard, après

-ocr page 73-

de Richard fans peur. nbsp;nbsp;nbsp;7^

un quart-d’heiire d’inftruélion, en favoit au-tant que Brudner lui-même, amp; c’eft, dU-on, d’un defendant du Due y que le Comte denbsp;Gabalis avoir appris les fecrets qu’il eut 1’im-prudence de communiquer a un certain Abbénbsp;babillard, qui en fit part au public : On a,nbsp;depuis, porcé 1’indifcrétion jufqu’a les mettrenbsp;fur les trois théatres de Paris.

Quelques promeffes, dit le Génie au Due, que j’aye faites a la Fée Minucieufe de la ven-ger, je vois bien qu’il m’efl; impoffible denbsp;rcuffir; je ne fais quel eft le Génie qui vousnbsp;protege, il eft fupérieur a moi : Au furplus,nbsp;quand il ne le feroit pas, votre valeur amp; votrenbsp;cai-aétère m'attachenc a vous pour toujours;nbsp;Je fais que j’ai tout a craindre de la Fee Minucieufe, mais, il en arrivera ce qu’elle vou-dra; comptez fur moi dans routes les occafionsnbsp;OÜ je pourrai vous être utile. A ces mots, lenbsp;Génie amp; le cheval difparurent. Richard, fenbsp;trouvaut feul, réfiéchit fur tout ce qui ve-noit de fe paffer, amp; conjedura que la plupartnbsp;des évènemens, dont les Philofophes fe don-noient rant de peines inutiles pour découvrirnbsp;les caufes, n’en avoient d’autres que les En-chanteurs amp; les Génies. Il fe retira dans fonnbsp;palais, 0Ü fon époufe 1'attcndoit avec impatience : Il lui raconta fon combat, elle fré-niiflbit a chaque mot, amp; ne comprenoit pasnbsp;comment fon mail n’en faifoit que tire.

-ocr page 74-

C H A P I T R E VIL

Combats amp; viamp;oires muhipliés de Richard. Ba-taille contre les Sarrajins. Hijloire de Hea-riette amp; d’ua Chevalier Frangois.

R^ichard s’occupoit, h Rouen, du bon-heur de fon peuple, dont il partageoit l’amouf avec Clarice; elle adoroit fon époux, quinbsp;s’étudioit toujours è. lui donner des preuvefnbsp;de fa tendrefle. Deux enfans furent les gagesnbsp;qu’ils fe donnèrenc de leur amour. II en def-tina un a lui fuccéder au tróne d’Angleterre,nbsp;amp; 1’autre, au Duché de Normandie. II nenbsp;Confulta, pour leur education, ni les Courti-fans, ni les Philofophes; il ne confulta que lanbsp;nature, amp; n’envifagea que leur deftinatjon. II lesnbsp;éloigna également de la vie molle des Grands ynbsp;amp; de la trop grande application aux fcien-ces abftraites: II aimoit amp; refpedoit les Savans,nbsp;mais il croyoit qu’un Roi n’avoit befoin quenbsp;d'être éclairé fur 1’utilité des fciences : II VOU-lut que fes enfans connuflent aflez les arts,nbsp;pour récompenfer ceux qui les faifoient fleurirnbsp;dans leurs Ëtats, amp; pour n’être pas la dupenbsp;des Charlatans. II fe réferva Ie foin de former leurs coeurs, par 1’exemple de fes vertus;nbsp;31 étoit perfuadé que les le9ons de la moralenbsp;ne germent, prefque jamais, quand elles tom-benc fur un caraftère natqreüement pervej»

-ocr page 75-

ie Richard fans pear. nbsp;nbsp;nbsp;?5

oa qa'on n’a pas eu foin de le difpofet dès 1’ige le plus tendre.

Le Due de Normandie fe livroit d ces devoirs itnportans, plus elTentiels è. la félicité publique, amp; plus honorables pour le Souve-rain, que les fairs d’armes les plus éclatans,nbsp;lorfquè Cliarlemagne apprit que les Sarrafins,nbsp;que Charles-Martel avoir éloignés des fron-tières de la France, mena9oient encore TAqui-taine. Charles ne voulut point leur donner lenbsp;temps d’exécuter leur entreprife. Pour les pré-venir, il réfolut de les atraquer, lui-même*nbsp;fur leurs propres foyers. II envoya des Hérautsnbsp;dans routes les Provinces, amp; chez tous fesnbsp;Feudataires : II invita tons les Chevaliersnbsp;Francois, amp; tous fes allies, de fe rendre au-pres de lui, pour partir en même temps : IInbsp;manda au Comte de Touloufe, qu’ayant affi-gné les plaines qui entourent fa capitale, poutnbsp;le rendez-vous general des troupes, il les ynbsp;attendJt pour les recevoir, amp; que tous lesnbsp;Chevaliers, qui devoient accompagner leurnbsp;Roi dans I’expedidon des Sarrafins, y arrive-loient, dans peu de jours, avec lui.

Lorfque i’invitation de Charlemagne fut paivenue a Richard,,il écrivit au Roi qu'ilnbsp;Je rendroit d Paris auffi-tdt qu.’il auroit faitnbsp;avertir les Comtp d’Alèn^on, de Mortai-gne amp; de Caen, a chacun defguels il donnanbsp;trois cents Gendarmes a conduire, outre ceuxnbsp;qu’ils avoient fous leurs ordres :.I1 fe joignicnbsp;encore a eux un grand nombre de Chevaliers.nbsp;Cette troupe fe niit en marche, queiques jours

D vj

-ocr page 76-

76

Bijloire

avant Ie départ de Richard : Lorfqu’il com-prit qu’ils étoient prés d’arriver, il fe couvriC de fes plus belles armes; rien n’étoic comparable a leur éclat amp; a leur bonté, que leur magnificence. Un jeune homme d’une beauténbsp;furprenante, qu’il avoit rencontré,, quelquenbsp;temps avant, au milieu de la forêt”, les luinbsp;avoit remifes. C’étoit fans deflein que Richard s’arma; il monta è cheval, amp; ne pricnbsp;qu’un Écuyer avec lui. II arriva, Ie lende-inain, dans la forêt Royale, è environ unenbsp;lieue de Paris, amp; s'y cacha dans 1’endroit Ienbsp;plus épais.

Dès que Ie jour eut paru, Richard fit parer magnifiquement fon Ecuyer, amp; 1’envoya versnbsp;Charlemagne, avec la plus févère défenfe denbsp;dire fon nom. L’Ecuyer trouva Ie Roi, envi-ronné de douze Pairs, des Chevaliers amp; des Barons : II dit au Roi, Sire, dès que VOS ordresnbsp;ont été connus du Chevalier, mon raaitre, il anbsp;mis la plus grande diligence i les remplir: IInbsp;efl: dans la forê,t Royale; amp;, avant que de venirnbsp;a votre Cour, il défireroitd’éprouver fon courage contre quelqu’un de vos Chevaliers, foitnbsp;a la lance, foit ül’épée. L'Ecuyer demanda per-miffion pour fon maitre de défier les Chevaliers qui étoient préfens.

Olivier, Comte de Vienne, accepta Ie défi, amp;. dit k 1’Ecuyer, qu’il pouvoit annoncer d fonnbsp;maitre j quel qu’il föt, que , puifqu’il défi-ïoit combattre, il pouvoit étre' afluré qu’ilnbsp;trouveroit, dans la forêt, un rival qui t4-chérojt; de fe rendre digne de lui. L'Ecuyer

-ocr page 77-

ée Richard fans peur.

alia porter cette réponfe a Richard. Olivier le fuivit de prés, armé d’une lance k routenbsp;épreuve. Dés qu’il parut dans la forêt, ilnbsp;trouva Richard, qui attendoit, prêt a com-battre centre le premier qui fe préfenteroit.nbsp;Après s’êcre falués, ils prirent du terrain amp;nbsp;s’élancèrent 1’un contre 1’autre, avec la ra-pidité d’un aigle qui fond fur fa proie. Quoi-que la lance d’Olivier eüt été éprouvée, l’ef-fort avec lequel il frappa Richard, amp; la bonténbsp;de 1’armure de celui-oö, la fit voler en éclats.nbsp;Richard fut ébranlé (t: coup, il fe remit :nbsp;Olivier lui oppofa vainement fon écuj la foresnbsp;qu’il mit k lui réfifter ne fervit qu’a accélérernbsp;fa chute; il tomba renverfé par deflus la croupenbsp;de fon cheval, quifutfiépouvanté, qu’il aban-donna Olivier. Ce Chevalier fe releva toutnbsp;honteux; amp;, après que fon Écuyer lui eutnbsp;ramené fon cheval, amp; raflèmblé les piéces denbsp;fa lance, ils repartirent : Olivier revinr a lanbsp;Cour de Charlemagne, amp; raconta, avec fran-chife, ce qui venoit de lui arriver.

Oger le^Danois ne put entendre, de fang-froid, Ie rédt de ce combat, il fe propofa de venger Olivier. Ils’arraa amp;partitpour la forêtnbsp;Royale. Richard s’attendoit bien qüe la dé-faite d’Olivier lui fufeireroit un nouvel ad-verfaire : II étoit è l’entrée de la forêt; ilsnbsp;ne s’aperqurént pas plutót, qu’ils fe mirencnbsp;^ combattre. Oger pórta un coup 11 terrible ,nbsp;qu’il renverfa le chéval-de Richard fur' la croupe ; mais il fe relerva auflï- tót, amp; Richard,nbsp;furieuxj porta un coup defiance a Oger, qui

-ocr page 78-

^8 nbsp;nbsp;nbsp;Eijhire

, Ie jeta furla pouffière, amp; lui fit perdrecon-coiliance : Aprés s’étre remis, il remonta; amp; , ne voyant plus paroïtre fon adverfaire,nbsp;qui s’étoit retiré dans la foréc lorfqu’il avoirnbsp;vu tomber Oger, il s’en retourna tout affligénbsp;è la Cour. Olivier vint au devant de lui,

Ie voyant trifte amp; rêveur , il lui demanda des nouvelles du combat. Mon cher coufin, luinbsp;dit-il, nous n’avons rien è nous reprocher, jenbsp;n’ai pas écé plus heureux que vous.

Oh! parbleu, nous verrons, dit Roland, qui fera Ie plus fort; il y aura bien du malheur, fi jene venge 1’un amp; 1’autre. II ordonne,nbsp;auffi tót, a fon Ecuyer de lui amener fon che-val, amp; de lui aparter fon écu amp; fa lance.nbsp;II bruloit d’impatience d’en venir aux mains;nbsp;il s’avanqa dans la foréc avec joie, dans l’ef-pérance d’y trouver un Chevalier digne de lui.nbsp;Richard reconnut Roland è fa marche fiére amp;nbsp;rapide. II :alia i fa rencontre, amp; régla Ie pasnbsp;de fon cheval fur celui de fon adverfaire. Ilsnbsp;fefrappèrent enméme temps, amp;, comme deuxnbsp;corps égalemenc folides, lancés 1’un contrenbsp;1’autre avec la méme rapidité, ils reculèrentnbsp;avec la méme vitefle. Richard fut renverfé furnbsp;la croupe de fon cheval amp; fe retint; maïs,nbsp;Roland avoir fait un fi grand effort, qu'ilnbsp;tomba par terre avec Ie fien , qu’il eut beau-coup de peine a faire relever. II y remontanbsp;a i’aide, de fon Ecuyer : II chercha par-toutnbsp;fon ennemi, faifant retentir laforétde fes cris:nbsp;C’étoit la première fois qu’il lui arrivqit d’écrenbsp;vaincuj il vouloitlè yengei:, Richard, q«i n»

-ocr page 79-

79

ie Richard fans peur.

combattoit que pour faire controitre fa valeur, amp; è qui il fuffifoit d’avoir I’avantage fur fesnbsp;rivaux , difparut au moment que Roland futnbsp;par terre, amp; cruc inutile de recommencer unnbsp;combat qui pouvoit finir par la mort de 1’unnbsp;ou de 1’autre.

Charlemagne ne put s’empêcher de rire en voyant la fureur de Roland : Cependant, ilnbsp;le confola, amp; fe félicira, avec lui, d’avoirnbsp;k fon fervice un Chevalier auffi brave. Il fal-loic être bien téméraire, pour ofer, après lanbsp;défaite de Roland, tenter de fe battre avecnbsp;ce Chevalier inconnu : Mais, plus cette vic-toire paroiflbit furprenante, amp; plus on s’obf-tinoit A la croire un effet du hafard. Le Duenbsp;de Bretagne voulut s’en convaincre par lui-mêine : Il court A la fordt. Richard 1'atten-dit de pied ferine, amp;, dédaignant de prendre I’eflbr, il n’oppofa au Due que fa proprenbsp;léfillance, amp;, femblable A un ballon pouflenbsp;contre un roeber , le Due alia tomber A dixnbsp;pas, amp; fe demit la cuifle. Richard , au dé-fefpoir de cet accident, defeend, amp;, avec lenbsp;fecours de leurs deuxEcuyers, il le lit tranf-porter A Paris.

Guy de Bourgogne fucceda au Due de Bretagne; excepté qu’il ne fe démit pas la cuifle, il ne fut pas plus heureux. Thierry d’Arden-ne, qui avoit prévu la défaite de Guy, étoicnbsp;parti, peu d’heures après lui: Il le rencontranbsp;qui s’en retournoit tout honteux. Il ne fenbsp;découragea point: Il difoit en lui-méme, finbsp;•e Chevalier inconnu a abattu Roland, quo

-ocr page 80-

So

Hiftolre

perfonne n’avoitpu vaincre, pourquoi ne puisje pas efpérer que le même hafard me fer-vira contre lui auffi heureufement. Le hafard fuc inexorable; Thierry s’en retourna avecnbsp;une bleflure au bras: 11 eut la gloire de n’êtrenbsp;pas terrafle.

line noble emulation piqua les autres Chevaliers : Renaud de Montauban voulut en ef-fayer ¦: II me terraflera, peut - être, comme les autres, difoit-il; que m’importe? je n’ennbsp;feral pas moins brave, amp; il en fera plus dignenbsp;de fervir Charlemagne avec nous. Ce que Renaud avoit prévu arriva ; Apres être reve-nus, trois fois, 1’un contre 1'autre, avec unnbsp;égal avantage, Richard défarjonna Renaud,nbsp;dont le cheval, épouvanté, 1’emporta dansnbsp;la forét. Après Renaud, fe préfentèrent fuc-ceffivement Guerin de Lorraine, Geofroid denbsp;Bordeaux, Noel, Comte de Nantes, Lambert, Prince de Bruxelles, Geofroid, Comtenbsp;de Frife , Samfon de Picardie, amp; plulieursnbsp;autres Chevaliers, qui furent tons abattus.

Charlemagne, étonné de la valeur de I’in-connu, ne dédaigna pas de jouter avec lui: II part avec un feul Ecuyer, entre dans lanbsp;forét, amp; le défie. Richard, averti par fonnbsp;Ecuyer que c’étoit le Roi, abat fa lance,nbsp;amp; la brife contre terre en mille pièces; def-cendant, enfuite, de fon cheval, il met unnbsp;genou è. terre, léve la vifière de fon cafquenbsp;amp; fe nomme. Le Roi 1’embrafla, amp; lui con-firma le titre d’intrépide ; Charlemagne lenbsp;conduiflt a Paris, amp; le préfenta è tous les

-ocr page 81-

de Richard fans peur. nbsp;nbsp;nbsp;8i

Chevaliers, qui Ie rejurent avecles témoigna-ges de la plus vive amitié.

Peu de jours après, les troupes de Normandie , de Picardie, de I’Ifle de France ^ s’étant répandues a Paris, Ie Roi fe mit ennbsp;marche avec fes Chevaliers ; Ils allèrent re-joindre Ie refte de l’armée, qui les attendoicnbsp;dairs les environs de Touloufe. Lorfqu’ils fu-rent réunis, l’armée de Charles fe montoitnbsp;è plus de cent mille hommes : Elle traverfanbsp;les Pyrénées, amp; fe rendit en Efpagne. Charles rencontra les Sarrafins fur les frontièresnbsp;de fes États : II les forga de reculer, leurnbsp;enleva Huefcar, Barcelone, Gironne, Pam-pelune, amp; plufieurs autres, qu’il remit a Al-phonfe, Roi d’Efpagne. Ses Chevaliers fenbsp;diHinguèrenc par des exploits incroyables, Scnbsp;Richard fit des prodiges de valeur, qui fontnbsp;trop connus dans les faftes efpagnols, pournbsp;les rapporter ici. Je dirai feulement qu’unnbsp;des Généraux de l’armée ennemie promit iiinbsp;celui qui prendroit Richard en vie , de luinbsp;donnet autant d*or que Richard en peferoit,nbsp;amp; a celui qui, ne pouvant Ie prendre vivant,nbsp;Ie tueroit, de lui donner la moitié de cettenbsp;fomme. Richard, un jour de bataille, pritnbsp;lui-même ce Sarrafin, exigea de lui les deuxnbsp;récoinpenfes, qu’il fit diftribuer a l’armée denbsp;Charlemagne, amp; ƒ envoya fon prifonnier.

Après la conquête d’une partie de 1’Efpagne fur les Sarrafins, Charlemagne s’en retour-noit avec fes Chevaliers; Richard les de-vangoit. Dans un village en de9a des Pyré-

-ocr page 82-

Kiftoire

nées, il mit fin une aventure des plus ex-traordinaires : II rencontra, devant la porte d’un chateau, une foule de peuple, qu'unnbsp;Chevalier, armé de routes pièces, s’effor^oitnbsp;d’écarter. Richard demanda pourquoi tout cenbsp;peuple vouloic entrer dans Ie chiteau, mal-grécet homme, qui paroiflbit en étre Ie Seigneur. On lui dit que tout Ie village étoicnbsp;infeété de Podeur du cadavre d’un rival qu’ilnbsp;•voit fait mourir dans un fouterrain dependant du chSteau, oü il retenoit auffi fa femme.nbsp;Richard épouvanté de ce fupplice horrible,nbsp;amp; frappé de la puanteur du cadavre, malgrénbsp;Ie grand éloignement, s’approche du Chevalier, amp; lui dit : Homme déloyal, permets,nbsp;dans 1'inftant, è ce peuple d’aller enterrer lanbsp;Viétime de ta cruauté, amp; délivre ton époufenbsp;du fupplice abominable que tu lui fais fouf-frir. Si ta jaloufie te portoit è lui donner lanbsp;jnort, pourquoi prolonger fa vie dans lesnbsp;tourmens ? On peut excufer l’eifet d’un premier mouvement dans un cmur fenfible amp;nbsp;vivement irrité, mais une vengeance lentenbsp;amp; réfléchie, n’eft qu’un long aflaffinat, ou,nbsp;plutóc, un tiflu d’aflaffinars amp; de meurtres.nbsp;Celui qui poignarderoit injuftement centnbsp;hommes en un jour, feroit, fans doute,nbsp;plus coupable envers la fociété, mais moinsnbsp;criminel envers foi-même, que 1’hommenbsp;atroce qui mettroit cent jours a faire expirernbsp;un feul homme dans des tourmens continuels.

Le Chevalier écouta Richard de fang-froid, amp; lui dit : Si vous étiez a ma place.

-ocr page 83-

de Richard fans peur. 83

pëut-être porteriez-vous plus loin votre vengeance. Avant que de me condamner, il fal-loit m’entendre. Richard Ie pria de lui ra-conter Ie fujet qui Ie portoit i ces extrémités. Le Chevalier commenga ainfi:

Chevalier, ainfi que toi, d’uneMaifon illuf-tre amp; d’une fortune confidérable, eftimé a la Cour, aimé de mes vaflaux, amp; ne m’occupancnbsp;que du foin de foulager les malheureux; tousnbsp;les jours que mon devoir ne in’attachoit pointnbsp;t la Cour, je les paflbis dans mes terres, en-courageant ceux qui les cultivoient, par mesnbsp;bienfaits, amp; vivant avec eux comme avecnbsp;tnes enfans ; J’étois jeune; un de mes Fer-miers, a qui j’avois donné ma confiance, amp;nbsp;qui la méritoit, eut une fille. Je me chargeainbsp;de fon éducation ; je la conliai a une femmenbsp;lefpedable, ma parente; elle tdchoit de luinbsp;infpirer routes les vertus de fon fexe; il fem-bloit que la jeune élève alMt au devant denbsp;fes le9ons : Les plus heureux talens fe dé-veloppèrent dans la jeune Henriette; beauté,nbsp;-graces, voix féduifante, efprit vif amp; péné-trant, mémoire prodigieufe, dextérité fur-prenante, aptitude la plus grande a apprendrenbsp;amp; a concevoir tout ce qu’on lui enleignoit,nbsp;elle réuniflbit tout. Malheureux! je me laif-fai furprendre par ces charmes, qui ne devroientnbsp;être que 1’enveloppe de la vertu. A dix ans,nbsp;Henriette étoit un prodige; 4 dix ans, ellenbsp;fit fur moi une impreffion que fa perfidie n’anbsp;pas encore effacée. Je redoublai de foins pournbsp;fon inflruc'lion, je fis tout pour lui plaire;

-ocr page 84-

84

Hijloire

hélas! je n’eus que trop Ie malheur d’y réuf-ür. Henriette s’attacha a moi; elle fentoit Ie prix de mes bienfaits; je ne voulus point de fanbsp;reconnoiflance, je ne lui demandai que 1’ami-tié la plus pure; amp; 1’amour fe fit entendrenbsp;dans fon coeur auffi violemment que dans Ienbsp;mien, elle s’y livroit de bonne-foi, maisnbsp;avec innocence : Ses fens parloient un langagenbsp;qu’elle ne comprenoit point encore; elle éprou-voit toute la force des défirs, fans qu’ellenbsp;put diftinguer quel en étoit Ie but.

Son père s’en aper9ut d’autant plus aifé-ment, que 1’innocence de fa fille lui permet-toit de lire au fond de fon ame. II me vine trouver, d’un air confterné , les larmes cou-loient de fes yeux. Ah! Monfeigneur, menbsp;dit-il, vous avez cru faire Ie bonheur d’Hen-riette amp; Ie mien, amp; vous avez fait fa hontenbsp;Si mon malheur; la reconnoiflance, que jeluinbsp;ai toujours infpirée pour vos bontés, a pro-duit en elle uue paffion qui va faire monnbsp;tourment. Je vous connois trop honnête pournbsp;vous croire Ie complice de fes fentimens; maisnbsp;il n’eft que trop vrai que vous en êtes 1’objet.nbsp;S’il en eft encore temps, Monfeigneur, aidez-moi a guérir ma pauvre fille; ce fera pournbsp;elle un bien, plus grand que tout celui dontnbsp;vous nous avez comblés jufqu’i préfent. Va,nbsp;raflure-toi, mon pauvre Pierre, lui dis-je,nbsp;je connois les fentimens de ta fille, amp; je vaisnbsp;te faire part des miens. Affieds-toi. Ah! Monfeigneur ! s’écria Ie Fermier. Affieds-toi, amp; nenbsp;m’interromps point, repris-je en balbutiant.

-ocr page 85-

O m

oS

de Rickard fans peur.

Quand j’ai vu croïtre Henrietre, je ne croyois avoir pour elle que l’amitié que 1’onnbsp;éprouv'^e pour les objets de norre bienfai-fance. Je la regardois précifément commenbsp;ma fille. Sa beauté , qui fa développa, fesnbsp;talens amp; fon efprit me la rendoienc chère,nbsp;1’habitude me fit une néceffitc de la voir. Anbsp;la Cour, a l’armée, au milieu des affairesnbsp;les plus embarraffantes, Henriette étoit pré-fente a mon efprit. Mon cher Pierre, quandnbsp;je voulus m’examiner moi-même, je me trou-vai Ie plus amoureux des hommes. Je cher-chai a me diftraire par les plaifirs, je formalnbsp;des liaifons avec des femmes de mon état,nbsp;1’indifférence amp; 1’ennui étoient tout ce quenbsp;j'éprouvois auprès d’elles, amp;, par une confé-quence néceffaire, tout ce que je pouvois leurnbsp;infpirer; je revenois auprès de mon Henriette ; fa beauté, qui augmentoit de jour en jour,nbsp;amp; les épreuves mêmes que j’avois faites pournbsp;me guérir, ne fervirent qu’a augmenter manbsp;paffion. Ne t’alarme point, mon ami, je fisnbsp;tous mes efforts pour la diffimuler a ta fille :nbsp;Si je n’avois couru qu’après Ie plaifir, il m’edcnbsp;été facile de la féduire; cette idéé fut tou-jours bien éloignée de mon cceur. Cependancnbsp;je brülois : Je réfolus d’en faire ma femme;nbsp;elle n’avoit que quinze ans, amp; j’en avoisnbsp;trente. Je craignis qu’Henriette, éblouie parnbsp;roes bienfaits, amp; trompée par fa reconnoil-fance, ne prit pour de 1’amour ce qui nanbsp;pouvoit êrre que la délicateffe d’une amenbsp;bien née ; j’aimai mieux attendre encore.

-ocr page 86-

86 nbsp;nbsp;nbsp;Hifioire

que de l’expofer è fe repentir-, un jour ^ de s’être livrée, a vee imprudence, a un premiernbsp;penchant j’ai fait plus, je 1’ai menée a lanbsp;Cour, fous Ie nom d’une parente; elle y anbsp;été admirée, elle a fait des conquêces bril-lantes ; mais plus elle plaifoit, amp; plus elle fenbsp;trouvoic flattée qu’on la fit apercevoir d’unnbsp;mérite qui la rendoit digne de moi: J’affeélai denbsp;la lier avec deux ou trois courtifans beaucoupnbsp;plusjeunes que moi, d'une figure amp; d’une taillenbsp;plus avanrageufes; Ils cherchèrent a s’en fairenbsp;aimer : Mon coeur en fouffroit, mais j’auroisnbsp;fait un plus grand facrifice encore, fi Hen-riette fe fvlt attachée è 1’un ou a 1’autre; jenbsp;voulus que fon choix fCit libre. J’ai eu Ie bon-heur de voir Henriette, infenfible a leur ten-drefle, me raconter, naïvement, tous les efforts qu’ils faifoient pour lui plaire , amp; lesnbsp;plaindre bonnemenc de leur peu de fuccès. Enfin , Ie croirois-tu? Henriette, éclairée parnbsp;1’ége amp; par 1’expérience, m’avoua, la première , qu’elle n’aimoit que moi, amp; que, quel-que parti que je prille , jamais elle ne pour-roit fe réfoudre a en aimer une autre. Alors,nbsp;je lui déclarai mon amour : Je lui dis que, de-puis buit ans, je brülois d’un feu que, pournbsp;Ibn intérêt même, j’avois eu la précautioanbsp;de lui cacher : Je lui dis exaftement tont C9nbsp;que je viens de t'apprendre. Elle fut la première a me faire fentir la diliance qu’il y avoitnbsp;entre nous, non pas du cóté de la fortune,nbsp;me dit-elle; je fens que ce facrifice eft celuinbsp;qui doit coüter Ie raoins a, une ame telle que

-ocr page 87-

de Richard fans peur.

Ia vótre, mais du cóté de la naiflance : Fait pourparvenir aux premières dignités de FEtat,nbsp;notre union pourroit vous en exclure. Ellenbsp;jugeoit bien, par la délicateil’e que j’avois mifenbsp;dans route ma conduite, que je n’avois jamais prétendu en faire ma Maitrefle : Elle menbsp;propiofa de fe retirer dans iin Couvent, amp; denbsp;fe facrifier a ma gloire. Je fus elfrayé de cettenbsp;réfolution. Je 1’aflurai que mon parti étoit prisnbsp;depuis long-temps, amp; que j’étois décidé denbsp;1’é-poufer. Elle combattit fortement mon pro-jet. Enfin, vaincue par fon amour, amp; par mesnbsp;larmes, elle crue avoir tout arrangé, en menbsp;propofant un raariage fecret. Je rejetai cettenbsp;propofition comme injurieufe a elle amp; a moi.nbsp;Ces moyens ne conviennent qu’aux époux quinbsp;ont è rougir 1'un de Fautre. Henriette a denbsp;la vertu, elle eft fille d’un homme qui en anbsp;plus que les gens les plus qualifies, je puisnbsp;avouer 1’un amp; l’autre fans bonte.

Pierre voulut me difluader de ce mariage, il fit tout ce qui dépendit de lui, il me me-ra9a de refufer fon confentemenc i fa fille.nbsp;Je pouyois ufer de violence , je ne voulus devoir Henriette qu’a elle-même amp; a fes parens;nbsp;Je leur fis comprertdre qu’un amour nourri »nbsp;pendant buit ans, dans Ie filence, combattunbsp;par tout ce que la prudence amp; la raifon peu-vent fugge'rer de plus puiflant, n’étoit pointnbsp;Felfet d’une effervefcence.paflagère, amp; n’avoitnbsp;rien a craindre de i’inconftance. Enfin , j’ob-tins Ie confenternent du bon Fermier, qui fenbsp;jeta a ipes genoux» amp; me deraanda pardoa

-ocr page 88-

ÜS'

Hijloira

de me 1’avoir refufée : Je connoiflois trop bien les motifs de fon refus pour lui en favoir mau-vais gré. Henriette avoit accompli fa dix-hui-tièraeannée, lorfque je 1’époufai. Depuis monnbsp;mariage, jen’ai été ni moins tendre, ni moinsnbsp;emprefl’é. Nous eümes deux enfans: Henriettenbsp;Jie me parut jamais avoir change a mon égard,nbsp;amp;, de mon cóté, j’avois en elle la confiancenbsp;la plus aveugle.

VoiH, continua Ie Chevalier, en s’adref-fant a Richard, quelle a été ma conduite avec cette femme, dont vous prenez la défenfe ;nbsp;Voici fes crimes. Je recevois, chez moi, tousnbsp;les Seigneurs des environs; je procurois a manbsp;femme tous les amufemens que je pouvois;nbsp;elle étoit jeune amp; belle; je n’avois aucunenbsp;raifon de ne pas la croire vertueufe, amp; jenbsp;voyois , fans aucun ombrage, les jeunes geusnbsp;qui venoient chez moi lui faire des déclara-tions amp; des carefles, que je croyois innocen-tes. Un domeftique m’avertit qu’elles ne 1'é-toient pas autant que je me 1’imaginois, amp;nbsp;je Ie chaliai. D’autres perfonnes cherchèrencnbsp;A me faire naitre des foup^ons, amp; je les re-qus très-mal. Je répétr.i même, t mon épou-fe, tout ce qu’on m’avoit dit, amp; je 1’avertisnbsp;de fe méfier de ces gens-la. Elle fuivit monnbsp;confeil, amp; fut plus réfcrvée è Tavenir.

Le fils de mon ancien Ecuyer, A qui j’avois fait donner une éducation conforme a ‘fon état amp; a fa fortune, amp; qui avoit acquisnbsp;les plus belles connoiflances, venoit chez moi;nbsp;je le recevois avec plaifir; il vivoit avec nous,

comme

-ocr page 89-

de Richard fans peur. nbsp;nbsp;nbsp;89

comme étant' de la maifon; je Ie deftinois a lemplacer fon père, qui a ézé tué dans unnbsp;Tournoi ; Sij’avoiseu des difpofitions a êtrenbsp;jaloux, c’étoic 1’homme Ie moinscapable de menbsp;dormer des foupgons. Les mêmes perfonnes,nbsp;avec qui je m’étois brouillé pour avoir voulunbsp;m’en infpirer, revinrent a la charge , amp; m’a-vercirenr que ma femme aimoit ce jeune hom-me , amp; qu’ils me trahiflbient 1’un amp; 1’autre.nbsp;Cette obftination de la part des perfonnes quinbsp;m’avoient de grandes obligations, amp; qui,nbsp;dans Ie fond, ne pouvoient avoir aucun in-térêt è troubler notre union , me piqua ;nbsp;Je réfolus de m’éclaircir , plutót pour con-fondre les calomniateurs, que par méliance.nbsp;Le hafard me fervic mieux que je n'auroisnbsp;pu 1’efpérer : Tefprit agité, amp; n’ayant punbsp;dormir de route la nuit, je me mis, un matin,nbsp;a la fenétre; elle donne fur mon jardin, quinbsp;ell vafte, amp; orné de quatre bofquets fortnbsp;épais. Un moment après, je vis entrer la perfide, avec fon amant, par une porte dérobée :nbsp;Je ne les perdis pas de vue; ils fe croyoiencnbsp;feuls ; Je vis le jeune homme embrafler monnbsp;époufe avec ardeur; elle lui rendoit fes ca-refles avec plus d’ardeur encore. II en vintnbsp;è des jeux plus férirax, elle fe livroit a luinbsp;avec plus de volupté qu’elle ne s’étoit jamais-livrée a moi : Je fus fur le point d’aller lesnbsp;poignarder 1’un amp; l’autre ; Je me modérai,nbsp;cependant, amp; j’attendis une autre occafion,nbsp;pour n’avoir rien a me reprocher. Ma femmenbsp;in'engagea de prier Dupuyj c’étoit le nom

E

-ocr page 90-

9© nbsp;nbsp;nbsp;Hijloire

de fon amant, h. fouper, Ie foir même. Je lui répondis qu'il favoic bien qu’il étoit Ienbsp;maitre : Nous nous mimes a table; je diffi-mulai toujours, j’obfervois tous leurs geiles,nbsp;leurs coups-d’oeil; je les vis fe preffer lanbsp;main par deflbus la table; j’étois furieux,nbsp;mais je voulois les prendre fur le fait. Jenbsp;feignis de recevoir une lettre pendant lenbsp;fouper, je I’ouvris, amp; je lus devant eux , quenbsp;le Comte de Touloufe me prioit de venir inbsp;fa Cour pour une affaire très-preffante; jenbsp;parus avoir quelque chagrin d’être obligé denbsp;partir.

Le lendemain, je dis è mon epoufe, que, pour cviter la chaleur da jour, je partiroisnbsp;a 1’entrée de la nuic : Elle approuva fortnbsp;mon projet : Je fis préparer mes chevaux,nbsp;amp; je donnai tons les ordres néceflaires. Ellenbsp;ne manqua point de faire avertir fon amant,nbsp;par une vieille domeftique, qui avoir fanbsp;confiance, de venir, a minuit. Je pars; mais,nbsp;quand je fus arrivé dans une de mes terres,nbsp;i une lieue d’ici, je m’arrêtai environ deuxnbsp;heures. Un de mes voifins, qui m’avoit avert!nbsp;des debordemens de ma femme, s’étoit engagé,nbsp;non feulement, de mefournir 1’occafion de lanbsp;prendre fur le fait, mais encore de me don-ner des preuves que ma vie couroit le plusnbsp;grand danger.

En effet, il ne tarda pas a venir toe joindre : Je lui racontai tout ce que j’avois vu. Si votrenbsp;vie, me dit-il, n’eüt pas été menacée, jamaisnbsp;je nc -Bie ferois avifé 4e pccter le trouble

-ocr page 91-

de Richard fans peur. nbsp;nbsp;nbsp;51

dans votre coeur; je me ferois contenté d’a-vertir votre femme, amp;j’aurois gardé le plus profond filence : Je ne me fuis déterminé anbsp;le rompre, que paree qu'il y va de vos jours.nbsp;Vous vous rappelez que vous tuates, dansnbsp;une joute, un jeune Chevalier, paree qu’ilnbsp;combattit centre vous avec des armes quenbsp;les lois de 1’honneur défendent, tandis quenbsp;vous vous préfentiez avec une lance amp; unenbsp;épée a fer émouflé. Ce Chevalier avoit réfolunbsp;de fe défaire de vous, amp; votre femme éroitnbsp;fa complice : Quant a Dupuy, voici deuxnbsp;lettres qui vous mettront au fait. Je les lus:nbsp;La première contenoit des preuves non équi-voques de 1’amour de Dupuy amp; de ma femme.nbsp;On ne voulut me livrer la feconde, qu’anbsp;condition que je promettrois de ne pas attenter aux jours de la perfide. Je ne vouloisnbsp;rien promettre, mais cet homme s’y pricnbsp;avec une telle adrefle, amp; fut 11 bien me toucher, qu’enfin, j’engageai ma parole d’hon-iieur. II me remit la lettre, amp; j'y lus quenbsp;Dupuy envoyoit a fa maitrefle le flacon donenbsp;ils étoient convenes, amp; qu’il falloit fubf-tituer la liqueur enchantée a un des flaconsnbsp;de liqueurs fpiritueufes que je porte ordi-nairement, en cas d’accident, d la chaflenbsp;ou dans mes voyages. Mon voifin me dienbsp;de faire apporter mes flacons, il s’en trouvanbsp;un cafle , afin que je fufl'e obligé de menbsp;fervir de I’autre. Je fis 1’épreuve de la liqueur, j’y trempai du pain, que je donnai inbsp;un chien : Deux heures après que cet animal

EJj

-ocr page 92-

91 nbsp;nbsp;nbsp;Jlijloire

l’eut niangé, il tomba a terre, fe débattit, cxpira.

Convair.cu de la perfidie de mon époufe, je repris Ie chemin du chkeau : Je m'y in-troduifis, fecreccement, avec deux domefli-ques; un troifième va firapper a la porte denbsp;la chambre de ma femme; il la prie d’ou-vrir, pour prendre, difoit-il, quelque chofenbsp;que j’avois oublié, amp; que je renvoyois cher-cher. Ma femme fit lever la vieille , qui cou-ehoit dans Ie même appartement, lui défenditnbsp;delailier entrer le domeftique, amp; lui ordonna denbsp;lui remettre ce qu’ildemandoit. La vieille obéitnbsp;exadement, entr’ouvre la potte ;mais Ie domeftique, plus agile, fous précexte de prendre cenbsp;qu’on lui donnoit, faille la vieille a la gorge,nbsp;entre amp; je Ie fuis avec deux autres de niesnbsp;gens, dont 1’un portoit une torche allumée. Jenbsp;m’approche du Ut, amp; je trouve les deux trai-tres couches enfemble. Je les fis lier 1’un amp; 1’au-Tte, ainfi que la vieille; je les conduifis dansnbsp;Ie fouterrain, oü ils font encore ; amp;, la, 1’é-pée levée fur leur fein, je for9ai la perfidenbsp;de verfer, elle-même, Ie relte du flacon dansnbsp;iin verre, amp; de 1'offrir a fon amant : J’obli-geai celui-ci, ou de Ie boire, ou de s'atten-dre au fupplice Ie plus afFreux amp; Ie plus long.nbsp;II n’héfita point, amp;, une demi-heure après,nbsp;il expira ; Quant a ma femme, j’avois pro-*nbsp;mis de lui laifier la vie; je 1’enfermai avecnbsp;Ie cadavre de fon amant, amp; ne voulus pasnbsp;la féparer d’un homme qu’elle avoit tant ai-mé. La vieille eft enfermée avec elle; on a

-ocr page 93-

de Richard fans peur. nbsp;nbsp;nbsp;93

foin de leur‘apporter, tous les jours, a travers une ouverture que j'ai laillee dans Ie rnur, du pain amp; de 1’eau. Jugez , ajouta Ienbsp;Chevalier, en finiflant, fi la vengeance fur-pafle 1'affront que j’ai 1-6911.

Richard convint que l’atrocité de cette femme méritoit la mort; moins encore pareenbsp;qu’dle avoir trompé Ie meilleilr des époux ,nbsp;que paree qu’elle aVoit voulu Ie faire périr.nbsp;Je ne vous blamerois pas, ajouta-t-il, finbsp;vous les euffiez poignardés, l’un a cóté denbsp;I’amre, dans Ie lit, ou même dans Ie fouter-rain; mais, perpétuer un fupplice mille foisnbsp;plus cruel que la mort même— 1’humaniténbsp;fe révolte. Chevalier, vous allez plus loin quenbsp;les lois; jamais elles ne punirent les crimesnbsp;les plus horribles de peines auffi cruelles. Vousnbsp;pouviez vous venger par Ie fecours des lois,nbsp;amp; ne pas recourir a des excès qui vous rendentnbsp;prefque auffi coupable qu’elle. Enfin , Richard,nbsp;a force de prières , obtint du malheureuxnbsp;époux, qu’elle feroit transférée dans un Cou-yenc, ou elle inoufut, cinq a fix ans après.

-ocr page 94-

Hijiolre

C H A P I T R E VIII.

Tempéte. Enlevement de Richard far Ie mont Sinat Défaite d’un affreux Géant. Richardnbsp;eft tranfporté en Anp,kterre. Sa vicioire lt;S?nbsp;fon couronnement.

I^ICHAK-D reprit Ia route de fes États: II apprit, en rraverfant la France, que la Reinenbsp;d’Anglererre, mère de fon époufe, étoit morte:nbsp;Le tróne appartenoit a la Duchefle; amp;, commenbsp;elle n’ambitionnoit pas l’honneur de régner,nbsp;elle tranfmit fes droits a Richard. II fe difpofanbsp;a fe faire reconnoitre. II fit équiper douzenbsp;grands vaifleaux : II n’avoit rien épargné pournbsp;rendre cette flotte brillante : Le Due montanbsp;le premier; le Comte d’Alen^on, le fecond,nbsp;avec cent Chevaliers; plufieurs Chevaliers amp;nbsp;Seigneurs montèrent les autres vaifleaux.

A peine furent-ils en pleine mer, que la flotte fut attaquée par une violente tempéte.nbsp;L’air s’obfcurcit amp; fa troubla, la mer raugitnbsp;amp; s’enfla, les vaifleaux farent difperfés : Richard faifoit faire des manoeuvres pour les re-joindre : Ilordonnoit, ilexécutoit, toujoursnbsp;ferme, toujours intrépide. II apergut, d lanbsp;lueur des éclairs, les debris d’un vaifl'eau prêtsnbsp;a être fubmergés; ils portoient une femmenbsp;xnagnifiqueraent paree amp; d’une beauté ravif-laute. Elle verfoit un torrent de larmes fur

-ocr page 95-

de Richard fans peur. nbsp;nbsp;nbsp;95

Ie fort de fes malheureux amis amp; de fon frère , qu’elleavoit, difoit-elle, vu engloutir par lesnbsp;flots. Un coup de vent porta ces débris versnbsp;Ie vaifleau de Richard : II avoir entendu fesnbsp;plaintes, il eut Ie bonheur de la fauver : IInbsp;lui demanda qui elle étoit. Vous voyez, dit-elle, une Princefle , fille du Roi d’Efpagne;nbsp;j’allois, en Ecofle, époufer Ie Roi de ce pays;nbsp;Mon père m’avoit donné pour efcorte cin-quante Chevaliers, conduits par mon frère:nbsp;Tout a été fubmergé : Père infortunél unenbsp;vague lui a ravi route fa familie.

A peine fut-elle fur Ie bord de Richard, que Ie vaifleau partit comme la foudre, amp; alia fe brifernbsp;fur les cótes de Gênes, Ie feul Richard fe fauva «nbsp;lescadavres des Chevaliers flottoient furies ondes. La faufle Princefle difparut, Richard la chet-cha vainement; il plaignoit fon fort, lorfqu'ilnbsp;aper9ut, dans les airs, un démon, qu’il recpiinucnbsp;pourNazoméga. C’écoitlui qui avoit fufcité Po-rage, qui avoit pris la figure de la Princefle d’Efpagne , amp; qui fit échouer Ie vaifleau : Depuisnbsp;Ie combat, qu’il avoit foutenu contre Richard,nbsp;la Fée Minucieufe 1’avoit pris fous fa protection , amp; 1’avoit mis è la place du Génie.

Richard gravit fur des rochers, amp; fe trouva dans une ile très-agréable; il y étoit feul,nbsp;amp; la nuit approchoit : La fraicheur du lieu,nbsp;la fatigue qu’il avoit efluyée pendant la tem-pête , l’engagèrent a s’endormir. Nazoméganbsp;ne pouvoit pas comprendre comment Ie Due ,nbsp;infenfible a fes coups, rompoit toutè fortenbsp;d’enchantemens : II fe fit fuivre de plufieurs

E iv

-ocr page 96-

9^ nbsp;nbsp;nbsp;Uifioirt

demons qu’il avoit évoque's, amp; fit enleveif Richard dans les airs. Son fommeil écoit; finbsp;profond, que Nazoméga amp; les demons lenbsp;tranfportérent fur le mont Sinai, fans qu’ilnbsp;s’en aper^fit. Get enlèvement fut fi rapide,nbsp;qu’ils y arrivèrent avant la fin du jour; tousnbsp;les démons difparurent avant le réveil de Richard. Le projet de Nazoméga étoit de le livrernbsp;d un Géant, qui faifoit mourir tous les Chevaliers qui alloient a Jérufalem amp; dans la Pa-leftine.

A fon réveil, Richard, qui fe croyoit dans 1’ile OÜ il avoit échoué, jeta les yeux denbsp;tous cötés : A la place d’un lieu défert, ilnbsp;vit, dans l’éloignement, des maifons, desnbsp;églifes amp; des monafLères : II fe crut encorenbsp;dans les bras du foromeil amp; dans 1’illuiionnbsp;d’un fonge. II avance, amp; entre dans unenbsp;églife; il interroge, amp; on lui répond qu’il eftnbsp;dans un monallère du mont Sinaï. Ne pou-vant plus douter qu’il n’eüt été tranfporténbsp;dans ce lieu par un pouvoir fuprème, il fe prof-terne, amp; prie la Divinité de le protéger contrenbsp;fes ennemis vifiblesamp; invifibles. Auffi-tót, unenbsp;voix lui ordonne de prendre 1’épée qui eftnbsp;entre les mains de la ftatue de Catherine, anbsp;qui ce Temple étoit confacré, amp; de s’en fer-vit' pour tuer le Géant qu’il trouveroit furnbsp;Ie port des Pélerins, oü il faifoit fa réfiden-ce , pour être plus a portée de les voir ar-liver; A mefure qu’ils débarquoient, il les en-levoit amp;. les faifoit mourir dans des_ tourmensnbsp;affreux.

-ocr page 97-

97

de Richard fans peur.

Richard s’approche avec reTpeft de la ftatue, qui tend le bras amp; lui prefence 1’épée, fym-bole du zèle avec lequel ia Sainte avoir tou-jours defendu la vérité de fa religion. Cettenbsp;épée étoit dans fon fourreau, pour marquer quenbsp;la Religion, douce amp; tranquille, ne fait quenbsp;fe défendre, amp;c n’attaque jamais, qu’elle eftnbsp;prodigue de fon fang, amp; avare de celui denbsp;fes ennemis. Richard re9Ut 1’épée, en pré-fence des Religieus qu’il avoit appelés. II lanbsp;tira de fon fourreau, a leur grand étonnetnent;nbsp;car ils lui racontèrenc que ni eux, ni pdufieursnbsp;Chevaliers qui 1’avoient eflayé, n’avoientnbsp;jamais pu en venir a bout, quelques effortsnbsp;qu’ils euffent fairs.

Lef Religieus Ie félicitèrent; ils lui racon-tèrent tout ce que le Géant faifoit fouffrir aux Pélerins, pour les empécher d’aller a lanbsp;ville de Jérufalem, done il deftinoit la con-quête aux Sarrafins. Richard leur promicnbsp;qu’il efpéroit,de les en délivrer. IJ arrive furnbsp;le port amp; ne tarde point è. voir paroitre lenbsp;Géant : II avoit douze pieds de haut, c’eft-a-dire , fis de plus que Richard : Le Due nenbsp;fut point effrayé de fa taille: Arrête , luinbsp;dit-il, prépare-toi au combat, ou rends-toinbsp;mon puifonnier. Le Géant le regarda aveenbsp;mépmis ,¦ amp; agita dans les airs le trone d’unnbsp;-gros chêne qui lui fervoit de mafl’ue.' Denbsp;quel droit, continua-t-il, empêches-tn lesnbsp;Chrétiens d’aborder a Jérufalem amp; les maf-facres tu? Le Géant, fans daigner lui répon-dre, laiffe toraber fa iouide maffue fur Ri-

E V

-ocr page 98-

9^ nbsp;nbsp;nbsp;Hijioire

chard, dont 1’écu fe trouva fracafle; il tomba lui-méme. Le Gdant la relevoit, mais, Richard , profitanc de ce moment, lui portenbsp;iin coup terrible dans le bas-ventre, amp; faitnbsp;poufl'er au Géant un cri qui retentit le longnbsp;des cótes de la mer : La mafliie lui échappanbsp;de la main, amp; alia tomber fur un vaifleau,nbsp;qu’elle déméta. Richard voltigeoit avec agi-lité autour du colofle, qui cherchoit a le fai-fir. II prenoit fi bien fes mefures , qu’il lenbsp;bleflbit a chaque inftant : D’un revers, il luinbsp;emporta la main droite; d’un fecond, il luinbsp;coupa la jambe au deflus du pied, amp; le Géantnbsp;tomba, comma un chêne fous le dernier coupnbsp;de hache; il fe défendoit encore avec fa mainnbsp;gauche, dont il arrachoit des quartiers de rochet , qu’il langoit contre fon adverfaire :nbsp;Adroit a les eviter, Richard s’elance, amp; luinbsp;coupe encore cette main. Rends-toi, lui di-foit-il, renonce a ta cruauté, reconnois lanbsp;Dieu qui m’a donné le courage de te com-battre amp; la force de te vaincre, amp; je puisnbsp;encore , par des fecours qui te font incon-.nus , conferver ta vie. Commence, lui repond le féroce Géant, par me rendre monnbsp;pied amp; mes mains, rapporte-moi ma maflue,nbsp;amp; je verrai. Richard le prend par les che-veux, amp; 1’exhorte toujours a fe rendre. Tunbsp;as entendu mes conditions, dit le Géant,nbsp;xemplis-les; quand j’aurai ma maflue, qui anbsp;échappé de mes mains, amène-moi encore cenbsp;Dieu dont tu paries, amp; fi toi, ou lui, pouveznbsp;me vaincre, je te proiners d’étrs ton pri-

-ocr page 99-

de Richard funs peur. nbsp;nbsp;nbsp;99

fonnier. Richard indigné de ce blafphème, amp; voyant qu'il n’y avoit rien a efpérer denbsp;fa vilaine anie, lui Ibulève la tête, amp; la fé-pare de fon corps.

Chargé de ce trophée, Richard regagne Ie haut du mont, amp; préfente la tête du Géantnbsp;aux Religieux, qui ne pouvoient aflez admirer fa valeur. Ils lui firent préfent de 1’épée,nbsp;amp; ofFrirent de Ie faire conduire, a leursnbsp;dépens, en Angleterre, oü il étoit fort prelïenbsp;de fe rendre. Richard accepta l’offre de Ie conduire , mais il ne voulut pas que Ie Couvencnbsp;en fit les frais. Tandis qu’ils combattoient denbsp;générofité, il fe préfente un jeune Ecuyer, quinbsp;promet au Chevalier, s’il veut Ie prendre anbsp;fon fervice, de Ie défendre centre route fortenbsp;d’enchantemens. Richard reconnut Nazoméga ^nbsp;malgré fon déguifement. Il porta la main furnbsp;la garde de fon épée, lorfque la même voix,nbsp;qui lui avoit ordonné d’aller combattre lenbsp;Géant, fe fit entendre: Elle ordonna au Génienbsp;de fe transformer en cheval ailé, amp; de tranf-porter le Chevalier en Angleterre.

Tu 1’emportes, s’écria 1'Enchanteur , en S’adreflant a Richard; mon pouvoir eft anéantinbsp;par l’être qui te protégé : j’allois te tranf-porter au pays qu'habitent les enfans dunbsp;foleil, dans les rochers brulans, que ne con-noifient point encore tes compatriotes, maisnbsp;OÜ un démon plus redoutable que moi, lenbsp;démon de 1'avarice, conduira, un jour, linenbsp;partie des peoples de 1'Europê; C’eft la quenbsp;je roe propofois de te tenter, par la vue des

-ocr page 100-

ÏOO

Hijioire

tréfors que la terre y recèle, amp; que j’aurois découverts a tes yeux. Si je n'avois pu t'é-blouir par leur éclac, qui doic féduire tancnbsp;de Nations, je t’aurois traufporté au milieunbsp;des glacés du Nord: C’eft la que tu aurois eunbsp;a combarcre des peoples de Géans: II t’au-roit été impoffible de réfifter a leur fureur:nbsp;Si Ie Ciel t’eut fauvé, je t’abandonnois dansnbsp;les déferts de 1’Afrique, je t’y aurois expiofénbsp;a des monftres plus efFroyables encore: Tonnbsp;courage t'eüt été inutile, amoinsque Ie Cielnbsp;ne t’eüc prêté des ailes ; Les -monftres quinbsp;liabitent ces forêts font moins dangereüx quenbsp;ceux qui y peuplent les airs; S’ils ne t’avoiencnbsp;pas arraché la vie, je fuis, du moins, aüurénbsp;qu’ils t’auroient efFrayé, amp; c’eft tout ce quenbsp;je défirois; mais, enfin , je fuis vaincu ; Ienbsp;Ciel m'enchaine; je fuis forcé de lui obsir,nbsp;amp; de t’annoncer que tu n’auras plus a craindrenbsp;les perfécutions des Enchanteurs, des Gétiies,nbsp;ni des Démons, amp;: que Ie Ciel les foumet A tesnbsp;ordres.

A ces mots, les bras amp; les jambes de Nazo-méga s’étendent, fon col s’alonge, fa tête fa courbe vers la terre , amp; des pdumes s’élèventfurnbsp;fon dos. II devient un che val magnifique, il dé-ploye fes ailes, Richard s’élance fur lui, Ssnbsp;Ie Démon fend les airs avec plus de viteflenbsp;que l’aigle qui fond fur fa proie. II parcourt,nbsp;en un clin-d’mil, des regions immenfes, ilnbsp;plane au deflus des plus hautes montagnes;nbsp;il avoit foüS fes pieds des mers orageufes:nbsp;LeDéajoa Ie tranfforte au deüus du Véfuve,

-ocr page 101-

de Richard fans peur. loi

amp; Richard a le temps de plonger fa vue au fond du gouffre embrafé : II traverfe 1’Italie,nbsp;s’élève au dellus des Alpes •, le bruit qu’il fait,nbsp;en paflant fur leur fommet, effraye les aiglesnbsp;amp;d’autres oifeaux, quifortent de leurs aires»nbsp;amp; qui voltigent autour de lui; Richard eftnbsp;obligé de les écarter avec fon épée. Son chevalnbsp;le fait paffer au travers d’un nuage épais,nbsp;qui s'eft .élevé fur une vallée profonde; lenbsp;tonnerre gronde fous fes pieds, amp; la foudrenbsp;lillonne les airs autour de lui; elle frappe fonnbsp;écu, qu’elle fond dans fes mains fans le blefler.nbsp;Ilparcourt la France, arrive a Calais amp; franchitnbsp;le Canal; enfin, Nazoméga , arrivé fur lesnbsp;bords de la Tamife, s’abat, amp; pofe , douce-ment, a terre Richard, qui, n’ayant plusnbsp;befoin de fon fecours, lui ordonne d’allernbsp;apprendre fon arrivee, fous telle figure qu’ilnbsp;lui plaira de prendre, aux Religieux du montnbsp;Sinai. I

Lorfqu’il fut parti, Richard prend le che-min de Londres; il avoit aper^u, en paflant, quelques-uns des vaifleaux qu’il avoit pris ennbsp;partant de Normandie , amp; qui avoient éténbsp;battus de la tempête. II entre dans la Ville,nbsp;bientóc, il eft reconnu par un des prin-cipaux Seigneurs de fa Cour, qui demeurenbsp;immobile de furprife.’On croyoit Richard en-feveli fous les flots: On avoir vu fon vaifl’eaunbsp;febrifercontre des rochers; trois autres avoientnbsp;peri. Dés que les Nonnands furent informesnbsp;de fon arrivée, ils firent éclatcr leur joie.nbsp;Ils apprirent au Due que Je peuple Anglois,

-ocr page 102-

104 nbsp;nbsp;nbsp;Bifioire

qui ne vent que des Rois qu’il puifle tenif fous fa dépendance, s’aflembloic déja pour eanbsp;nommer un de fa nation. Richard, done lanbsp;politique étoir toujoiirs d’employer la douceur , avant d’en venir a des nioyens extrèmes«nbsp;fit publier foil arrivée. II aflembla le peuple.nbsp;Be lui paria ainfi :

Le défir, que vous montrez, d’êtregouvernés par un Souverain né parmi vous, ne m'oftenfenbsp;point; il m’eft, au contraire, un garant de votrenbsp;fidélité: Un peuple qui aime fa patrie, doit,nbsp;néceflaireinent, être attaché a ceux qui le gou-vernent, lorfqu’ils s’appliquent è procurer anbsp;cette patrie le bonheur amp; la gloire; e’eft lanbsp;mon unique defiein. ]e ne fuis pas né parminbsp;vous, mais j’exerce des droits que m’a tranfmisnbsp;une femme, votre compatriote, que j’adore,nbsp;dont les moeurs amp; le courage m’ont donnénbsp;de votre nation I’opinion la plus avantageufe,nbsp;amp; dont le caradtère m’a fait vous aimer avancnbsp;de vous connoitre. Anglois, fon père étoicnbsp;votre idole , amp; fa mémoire doit vous êtrenbsp;chère : Refufer a fa fille les mêmes fenii-mens, feroit une contradiftion qui n’ell pointnbsp;dans votre manière de penfer. C’eft cette fille,nbsp;au nom de laquelle je viens régner fur vous :nbsp;Elle aime fa patrie, amp; je chéris tout ce qu'ellenbsp;aime.

Voyant que les murmures continuoient encore , Richard reprit ainfi : Je hais la force amp; la violence, amp; jedéteftelesquerellesciviles. Jefe-rois au défefpoir, fi je croyois qu’il en coutacnbsp;une goutte de fang a mes fujets. Que ceux qui

-ocr page 103-

de Richard fans peur. 105

font oppofés è mon éledion, choififlent un Chevalier, je Ie combattrai; S’il eft vainqueur,nbsp;i’abandonne mes prétentions; fi je Ie fuis, vousnbsp;vousréunirez tousfous mon obéiflance. A cettenbsp;propofition, il s’éleva des applaudiflemens denbsp;routes parts, amp; raliemblée fut renvoyée aunbsp;lendemain.

Les Anglois choifirent un Prince defcendant d’Alfred Ie Grand, jeune homme élevé dansnbsp;les montagnes d’Ecofle, accoutumé, dès fonnbsp;enfance, alutter contrelesmonftres des forêts,nbsp;amp; ne connoiflant d’autres armes qiie fa maflue,nbsp;nn poignard h fa valeur. Richard fe renditnbsp;fur la place , amp; Ie brave Alfred fe préfenta:nbsp;Le Due ne voulut point combattre a armesnbsp;inégales , il fe faific d’une maflue amp; d’iinnbsp;poignard, comme fon ad verfaire. Les Anglois,nbsp;divifés en deux partis, faifoient des veeux,nbsp;les uns pour Richard, amp; les autres pour lanbsp;libercé. Les deux combattans s’élancent, unnbsp;filence profond règne dans l’aflemblée. Alfrednbsp;avoit levé fa pefante maflue, Richard 1’évite,nbsp;amp; le poids de l’arme d’Alfred fait courbernbsp;fa tête fur le col de fon cheval. Richard edenbsp;pu profiter de ce moment, pour écrafer fon ad-verfaire ; il lui donna le temps de fe remettre.nbsp;lis reviennenc 1’un contre l’autre, leurs maf-fues fe choquent; amp; , quoiqu’elles fufl'ent denbsp;racine de cèdre, armées de pointes acérées,nbsp;le choe les entr’ouvre 1’une amp; Pautre, lesnbsp;coups, qu’elles peuvent porter dans eet état,nbsp;ne font plus dangereux, amp; le combat eut encore dure long-temps, fi Richard, au lieu de

-ocr page 104-

104 nbsp;nbsp;nbsp;Hifloire

frapper Alfred , n’eüt adreffé des coups mul-tipliés fur la téte du cheval; il l’étourdit: Le courfier entraine Alfred, qui ne peut Ienbsp;raniengr contre fon adverfaire. Richard de-daigne de profiter de fon embarras, il de-meure fimple fpeftateur. Alfred eft force denbsp;defcendre ; le Due defcend de fon coté, amp;nbsp;tous les deux, le poignard a la main, fe me-furent amp; marquent la place de leurs coups: Richard évite ceux d’Alfred, amp; le faifit par lenbsp;milieu du corps; ils cherchent a fe terrafler ;nbsp;les efforts même qu’ils font pour fe renverfer,nbsp;femblent les rendre iramobiles. Richard feintnbsp;de céder, fon adverfaire s’ébranle, mais, raflem-blant routes fes forces, Richard , profitantnbsp;d’un inftant favorable, le met fous fes piedsnbsp;amp; le défarme. II ne tenoit qu’a lui de luinbsp;plonger le poignard dans le fein : Avoue-toinbsp;vaincu, lui crie-t-il. Alfred ne répond quenbsp;par les efforts qu’il fait pour fe dégager, maisnbsp;Richard le tient prefle contre le fable. Alors ,nbsp;le peuple, divifé, fe réunit, amp; crie , vive Richard •, vive h Roi. Dès que ce cri a frappénbsp;l’oreille d’Alfred , il cede, amp; convient quenbsp;Richard eft vainqueur. Richard le relève ,nbsp;l’embraüe, amp; lui dit que les Anglois ne pou-voient choifir un Chevalier plus vaillant amp;nbsp;plus fort: II le pria de lui accorder fon amitié,nbsp;amp; lui promit la fienne.

Pendant le combat, il s’étoit élevé un bruit, dont Richard, trop occupé, h’avoit pas de-mandé la caufe; c’étoit fon époufe , qui, ayantnbsp;appris la tempête que la flotte Normande

-ocr page 105-

105

iz Richard fans peur.

avoit effuyée, tremblant pour Ie forc du Due, écoit venue a Londres pour en favoir des nou-velles. Elk arriva au moment oü Richardnbsp;luttoit contre Alfred, elle perga la foule amp;nbsp;fut témoin de fon triomphe._ C’en fut un nouveau pour lui, lorfque, fortant des bras d’Al-fred, qui lui marquoit fon eftime, amp; qui ré-pondoit è, fes careflès, il fe trouva dans ceuxnbsp;de fon époufe. II la préfenta aux Anglois,nbsp;qui tombèrent aux pieds de leur Princelle.nbsp;Les deux époux furent couronnés, Ie lende-main, avec la plus grande folemnité ; il y eut,nbsp;pendant quinze jours, des fetes amp; des tournois.nbsp;Richard amp; fon épioufe fe fixèrent en Angle-terre; amp;, lorfque Ie Roi fut oblige d’aller ennbsp;Normandie pour régler les affaires de PEtatnbsp;qu’il quittoir, amp; inftaller fon fils, qu’il nom-ma fon fucceffeur, il fut obligé de laiffer lanbsp;Reine en otage, tant ils craignoient de Ienbsp;perdre. Ils régnèrent long-temps, amp; les meil-leurs Rois qui ont occupé, après leur mort, Ienbsp;tróne d’Angleterre, n’ont pu faire oublier anbsp;la Nation, les bienfaits de Richard amp; les ver-tus de cette Princefle.

e IN.

él


-ocr page 106-

io5

TABLE

DES CHAPITRES.

d/HAP IT RE I. F'aftes projets de vengeance de la Fée Minucieufe. Premiers combats denbsp;Richard. Enfant trouvé-nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;Page 5

Chap. II. Hijloire d‘Hellequln amp; de fa familie. Prodiges, ou fe confond fefprit de Richard.

^ nbsp;nbsp;nbsp;14

Chap. III. Origine du goüt des Normands pour les pommes. Sages réglemens de Richard. In-coiivéniens de la mendicité des Religieux. 27nbsp;Chap. IV. Étrange mariage de Richard. Mortnbsp;de fon Epoufe. Qui elle étoit.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;35

Chap. V. Triomphe de Richard. Il enlève la Princejfe d'.dngleterre d fon amant. Combats.nbsp;Cartels. Déclaration de guerre.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;45

Chap. VI. Defcente des Mnglois en Normandie. Rencontre de Richard. Bataille; viSloirenbsp;extraordinaire. Partie de chajfe. Miroirnbsp;confiellé. Etrange aventure de Richard. 59nbsp;Chap. VII. Combats amp; viSloire multipliés denbsp;Richard. Bataille contre les Sarrajins. Hif-toire de Henriettij amp; d’uti Chevalier fran~nbsp;pis.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;74

Chap. VIII. Tempête. EnUttement de Richard fur Ie mont Sinaï. Défaite d’un affreux Géant.nbsp;Richard eft tranfporté en Mngleterre, Sa vic~nbsp;toire amp; fon couronnement.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;94

Fin de la Table.

-ocr page 107- -ocr page 108- -ocr page 109- -ocr page 110- -ocr page 111-

W-




-ocr page 112-

INi wiahwi-'-u'Z^ â– â– â– ^X

“ nbsp;nbsp;nbsp;, ^ i' i

1 nbsp;nbsp;nbsp;t .nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;â– 

} 'â–  - r^ -

! i;‘‘ nbsp;nbsp;nbsp;^nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;V.

iN nbsp;nbsp;nbsp;*nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;r^'nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;‘ ’i-nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;^nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;lt; 1 ■

Wl • nbsp;nbsp;nbsp;* -j'nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;,

•' .* nbsp;nbsp;nbsp;^nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;■ r'v'

' ts 3'

('.: nbsp;nbsp;nbsp;* . ■nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;- •nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;1 •nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;■.. - quot;vquot;!»'V

7-

».

y *â–  '

• V*