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INSTITUUT VOOR FRANSE TAAL- EN LETTERKUNDEnbsp;TE UTRECHT
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LES QUATRE FILS
HISTOIRE HÉR-OÏQUE.
CHAPITRE PREMIER.
Charlemagne envoye Lothaire, fan fih, fommer Ie rebeile Due d‘yligremont. Horrible félonienbsp;du Due. Charlemagne fait Chevaliers lesnbsp;quatre fils d’Hyman, amp; s’apprête d vengernbsp;I’ajfajfmat de Lothaire. Les fils d‘Hymon,nbsp;parens de l’ajfajfin, quittent la Cour denbsp;Charlemagne, pour n’etre pas obligés de com-banre contre lui. Hccueil que leur fait leurnbsp;mère. Le Due d’Higremont vient au devantnbsp;de Charlemagne, ejt vaincu, amp; demandsnbsp;grdce pour fes Sujets au Hainqueur. Clé-menee héroïque de Charlemagne.
'HARLEMAGNE venoit de terminer, contre les Sarrafins, une longue amp; fanglantenbsp;guerre. II avoit mis a mort leur Chef, amp;
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-ocr page 12-6 nbsp;nbsp;nbsp;Les quatre fils
avoit remporté une vidloire complette. li jouiflbir, au milieu d’une Cour briliante amp;nbsp;nombreure, des douceurs de la paix Sc denbsp;l’amour de fes Peoples. On fe confoloir, aunbsp;fein des plaifirs Sc des féres, de la mort desnbsp;Seigneurs'Sc des grands Capitaines^ que ie fernbsp;a volt moiifonnés. Paris étoit Ie rendez-vousnbsp;de routes les nations.- Les Arts, que ce Mo-irarque protégeoit; Ie luxe Sc la politeffe, quinbsp;les accompagnent, y attiroientce qu’il y avoitnbsp;de plus diftingué en Allemagne, en Angle-terre, parmi les Normands, en Lombardie,nbsp;dans routes les parties de la France, dans lesnbsp;Royaumes voifins, Sc méme parmi les Peuplesnbsp;barbares qui s’étoient emparés de 1’ltalie.
Les douze Pairs de France ornoient la Cour de Charlemagne. Parmi ces plus vaillans Guer-riers, on diftinguoit Ie brave Due Aymon,nbsp;Prince des Ardennes, Sc fes quatre fils, Renaud,nbsp;Allard, Guichard amp; Richard, héros dont lesnbsp;exploits étoient connus aux deux bouts de lanbsp;terre; Renaud étoit Ie plus renommé; fa taille,nbsp;de fept pieds, Sc les juftes proportions de fonnbsp;corps, Ie faifoient regarder comma Ie plus belnbsp;homme qu’il y eüt au monde.
Charlemagne aflembla fes Chevaliers Sc fes Barons, une des fêtes de la Pentecóte, Sc leurnbsp;paria en ces termes: „ Généreux Chevaliers,nbsp;„ chers Compagnons de mes vidoires, c’efta vo-„ tre valeurquejedoislesconquêtesrapides quenbsp;„ j'ai faites: Par vous, j’ai fait mordre la pouP-,, fiére au téraéraire Sarrafin, Sc j’ai chaflé loinnbsp;„ de nos frontières cette nation infidelle amp;
-ocr page 13-„ barbare. II eft vrai que nous avons perdu plu-„ fieurs braves Chevaliers: Ils parrageroient nos „ trioinphes amp; norre gloire, ft ri’orgueilleuxnbsp;„ vaflauxn’avoient pas refufé de venircoinbat-„ tre avec nous, quelques invitations que j.enbsp;„ leur en aye faites. Vous le favez, courageuxnbsp;„ Due de Bretagne, vous qui, au bruit de lanbsp;„trompette, accourfttes a notre fecours; amp;nbsp;„ vous, brave Galerand de Bouillon, qui por-,, tiez 1’Oriflamme; vous, Lambert de Berry,nbsp;„ amp; vous, Geoffroi de Bourdeille, braves fou-„ tiens d’un Roi qui vous chérit, vous le fa-„ vez , fans vous, le Sarrafin, vainqueur ,nbsp;„ après avoir fubjugué 1’Italie, auroit porténbsp;,, fa futeur amp; fa religion facrilége au fernnbsp;„ de votre patrie. Les refus obftinés de Gé-„ rard de Rouffillon, amp; de fes deux frères,nbsp;,, le Due de Nanteuil amp; le Due Beuves d’Ai-„ gtemont, font la caufe de nos pertes; ilsnbsp;„ nous ont empéché de porter plus loin lanbsp;„ terreur de nos armes. Nous aurions pu re-„ poufler jufqu’a fa fource ce torrent de Bar-,, bares, qui s’eft repandu dans 1’Europe; maisnbsp;„ celui qui a témoigué le plus d'obftinationnbsp;„ eft le Due de Beuves. Je me propofe de lenbsp;„ fommer encore , amp; , s'il refufe , j’irai, lenbsp;„ fet amp; la flamme a la main, affiéger Aigre-j, mont, amp;, quand je 1’aurai en mon pou-j, voir, je jure de ne faire grice ni a ce Duenbsp;„ infidelle, ni a Maugis fon fils, ni a fa fem-r tne , ni a fes vaflaux.
Le fage Naimes de Bavière, le Neftor de la Cour de Charlemagne, arrêta fa fureur.
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-ocr page 14-8 nbsp;nbsp;nbsp;, Les quatre fils
„ Sire, lui dit-il, quelque jufte que foit vo-„ tre refleutiment, avanc de condamner Ie „ Due d’Aigremont, je crois qu'il eft de vo-„ tre fagefle de lui envoyer un homme quinbsp;,, réunifle la prudence amp; Part de parler aunbsp;„ ccEur , afin qu’il lui remontre fes devoirs,nbsp;„ amp; qu’il difcute fes raifons. Un Souveraianbsp;,, ne doit employer la force centre fes enne-
mis, qu’au défaut de tout autre moyen. Les y, querellesdesRoisintéreflentlesPeuples. Quenbsp;„ deux particuliers recourent a la vengeance,nbsp;,, elle ne peut être funefte, tout au plus,nbsp;„ qu’a deux hommes; mais la mort d’un mil-,, lion de Sujets eft fouvent la fuite du cour-„ roux d’un feul.
Charlemagne approuva la propofition de Naimes : II attendic que quelque Chevaliernbsp;fe préfentèt pour fe charger de ce meflage;nbsp;aucun n’ofoit prendre fur lui une commiffionnbsp;fi délicate : D’Aigremont étoit craint; d’ail-leurs, prefque tous les Chevaliers étoient fesnbsp;parens, amp; Ie Prince des Ardennes étoit fonnbsp;coufin.
L’Empereur, voyant leur embarras, appela Lothaire fon fils, amp; lui dit; „ Mon fils, s’ilnbsp;„ étoit de la dignité d’un Souverain d’allernbsp;,, lui-même demander a fon Sujet raifon denbsp;„ fa révolte , je n’héfiterois pas un momentnbsp;,, de partir : L’injure, qu’il fait a votre père,nbsp;,, retombe fur vous; c’eft done a vous de vousnbsp;„ charger de cette entreprife : Je ne vous diffi-,, mule pas qu’elle eft dangereufe. Beuves eftnbsp;„ cruel amp; perfide j mals vous êtes Ie fils de
-ocr page 15-i fon Roi; vous êtes brave;. amp;, fi ces titres 5 facrés ne lui en iinpolbient point, je vousnbsp;, donne cent Chevaliers, a votre choix , pournbsp;vous accompagner. Vous direz au Due d’Ai-j greinont, que je veux bien lui accorder troisnbsp;gt; mois pour faire fes préparatifs; mais fi, aprèsnbsp;j ce terme, il ne fe rend pas auprès de nousnbsp;, avec fes troupes, déclarez-lui que je Ie trai-5 terai en ennemi; que j’irai mettre Ie fiégenbsp;, devant Aigreraont; que je renverferai fesnbsp;, murailles; que je détruirai fa ville; que jenbsp;, dévafterai fes campagnes; que, fur les dé-, bris de fes tours embrafées, je ferai coulernbsp;, Ie fang du père amp; du fils, amp; que je livrerainbsp;„ fa familie aux bourreaux.
Lothaire s’inclina, nomma fes Chevaliers, amp;, Ie lendemain, il alia prendre congé du Roi,nbsp;qui ne put retenir fes larmes en l’embraf-fant, comme s’il eüt prévu Ie fort qui 1’at-tendoit. Toute la Cour vit partir Ie jeunenbsp;Lothaire avec regret, fans que perfonne ofStnbsp;néanmoins foup^onner Beuves d’etre afleznbsp;déloyal pour ofer porter line main facrilégenbsp;fur Ie fils de fon Roi , revêtu par fon pèrenbsp;du titre facré d’Amballadeur.
Le Due d’Aigremont fut bientót informé par fes efpions du départ de Lothaire; II aflèm»nbsp;bla fon Confeil, non comme un bon Princenbsp;qui cherche dans les lumières de fes Sujetsnbsp;1’avis le plus fage, mais comme un tyran quinbsp;ne ralfemble fes efclaves, que pour leur fairenbsp;approuver les delleins les plus injuftes. „ Denbsp;j, quel droit, leur dit-il, Charlemagne précend-
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-ocr page 16-I o nbsp;nbsp;nbsp;Zes quatre flls
5, il me forcer a Ie fecoarir? eil-ce paree qu’il ,, règne fur de plus valles Ecats que moi ?nbsp;,, S’il raefure 1’Empire fur 1’étendue, ne puis-5, je pas Ie mefuver fur 1’obéiflance aveuglenbsp;„ de mes Sujets? S’il fe croic mon Souverain,nbsp;,, paree qu'il penfe être Ie plus forc, a quoinbsp;,, fe réduic fon tirre, dès que je puis formernbsp;,, les mémes précentions que lui? II ell vrainbsp;„ que j’ai fait ferment de lui obéir amp; de luinbsp;„ porter fecours; mais vous connoillez tousnbsp;„ la valeur de ces fermens politiques, arra-,, chés, prefque toujours, ou a la foibleffe desnbsp;,, Souverains, ou a 1’impérieufe néceflké desnbsp;,, circonftances, amp; dont Teflet cefie avec l’im-„ puiüance de repoufler une force fupérieure.nbsp;„Tel ell Ie cas oii je me trouve : Souve-
,, rain abfolu de mes Sujets, plus forc que ,, Charles par la fuuation de mes Etats, plusnbsp;„ fort encore par la valeur de Gérard ’denbsp;„ Roulfillon, du Due de Nanteuil, amp; du Princenbsp;„ des Ardennes mesfrères, amp; fur-tout par 1’in-„ trépiditéde mes quatre neveux, jecrainspeunbsp;,, les menaces que Lothaire vient me fairegt;nbsp;,, Aufli n’efl-ce pas fur Ie parti que je veuxnbsp;„ prendre que j’ai a vous confulter; je de-,, mande vos avis fur la manière dont ie doisnbsp;,, recevoir les ordres qu’il m’apporre, amp; furnbsp;,, Ie dégré de mépris que je dois lui marquer.nbsp;„Je lui dois des égards comme Ambafladeur;nbsp;,, mais, comme fils de Souverain, je ne luinbsp;„ dois rien, amp; c'ell dans ma Cour qu’il vientnbsp;„ me braver!
Un vieux amp; fage Chevalier de la Cour de
d’Ay man. nbsp;nbsp;nbsp;i r
Beuves, appelé Béon Ie Jufte, qui n’avoit jamais rampé devant la grandeur, fe leva, amp; demanda la permiffion de parler avec liberté,nbsp;II fut d’avis que Ie Due re9i\t avec refpedl Ienbsp;fils de Charlemagne. Le Due jeta fur lui unnbsp;regard d’indignation : Le Chevalier, fans fenbsp;déconcerter, reprit ainfi; „ Seigneur, un Sou-„ verain doit fe refpedter dans fes femblables:
Plus vous honorerez Lochaire, amp; plus 5, vous acquerrez de droits fur Charlemagne.nbsp;», Quant au refus d'obéir, que vous vous pro-5, pofez de foutenir par les armes, je ne puis,nbsp;5, fans trahir votre confiance, vous dilRmulecnbsp;„ les dangers auxquels vous vous expofez. Lanbsp;„ valeur amp; l’intrépidité de vos parens menbsp;„ font connues; je fais que vos Sujets verfe-5, ront jufqu’a Ia dernière goutte de leur fangnbsp;», pour vous défendre; mais avez-vous faitnbsp;», attention aux troupes nombreufes que 1'Em-„ pereur peut mettre fur pied , aux puifiansnbsp;„ alliés qui viendront fe joindre a lui au pre-,, mier fignal.^ La valeur la plus éprouvée doitnbsp;5, céder au nombre. Si vous étes vaineu,nbsp;„ quelle grace pouvez-vous efpérer d’un Sou-,, verain courroucé, qui vous traitera en re-
„ belle........ Le Due l'interrompit avec fu-
reur, amp; le menara du plus cruel fupplice. La Duchefle, la larme a l’oeil, amp; tombant auxnbsp;genoux de fon mari, le conjura de prêter l’o-reille aux confeils de fes véritdbles amis, amp;nbsp;de faire tous fes efforts pour rentrer en grècenbsp;avec le Roi. Le Due, que ce mot de grècenbsp;irritoit eiKote, jura que, nonftulement,ii n’o-
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-ocr page 18-béiroit point, mais que, fi Lothaire ofoit Ie menacer, il s’en vengeroit de la manière lanbsp;plus fanglante,
Le chateau d'Aigremont étoit fitué fur un ro-cher inacceffible, enrouré d’unmurimpénétra-ble amp; de hauces tours; fa fituation amp; fa force ne laiflbient craindre a ceux qui le défendoiencnbsp;que la famine : Un fleuve couloir au pied denbsp;fes remparts. Lothaire n’avoit jamais vu denbsp;forterefle fi redoutable. „ Monfeigneur, luinbsp;,, dit un de fea Chevaliers, le Roi eft le plusnbsp;„ puiflant Prince de la terre; mais, a quoinbsp;,, ferc la valeur, quand la viétoire eft impof-,, fible? Certe forterefle, inexpugnable, ren-,, ferme autant de Guerriers qu’en a votrenbsp;„ père. Ah! plüt a Dieu que iieuves amp; luinbsp;„ puflent s’accorder. Beuves eft orgueilleux amp;nbsp;„fier, amp; les menaces de 1’Empereur ne fontnbsp;„ pas moins humiliantes que terribles; annon-„ cez-lui les ordres, dont vous étes chargé ,nbsp;„ avec la plus grande douceur; aflfoibliflez-ennbsp;,, l’amertume. Nous fommes cent Chevaliers,nbsp;„ prêts a périr pour vous, s’il ofoit vous in-„ fulter; mais que pouvons-nous contre lesnbsp;„ forces de Beuves? „ Lothaire approuva lafa-gefie du Chevalier, quoique bien réfolu danbsp;templir fa commiffion avec exaftitude, amp; denbsp;ne pas fouffrir impunément le moindre outrage.
A peine le Due eut-il tenvoyé fqn Con-feil, que Lothaire fe préfenta devant le chateau d’Aigremont; il y fut introduit avec fes cent Chevaliers : On le conduific au Palais,
-ocr page 19-qui étoit rempli de troupes. Le Due 1’atten-doit fur un tróne, ayant, a fes cótés, la Du-chefle amp; fon fils. Lothaire le falua, amp; lui dit: „ Charlemagne, qui connoit votre valeur, eftnbsp;,, étonné du refus que vous faites de lui don-„ ner le fecours que vous lui devez; il m’en-,, voye pour vous demander le motif de cenbsp;„ refus. Sa bonté ne lui a pas permis d’en ve-5, nir, avec vous, aux dernières extrémités,nbsp;„ fans s’être bien afluré de vos vrais fenti-„ mens. S’ils font tels qu’il le défire, il eftnbsp;„ prêt a tout oublier amp; a vous rendre fonnbsp;„ amitié. Si, au contraire, vous perfiftez dansnbsp;,, votre défobéiflance , attendez-vous a unenbsp;,, guerre qui ne finira que par la ruine de vosnbsp;„ Sujets, amp;, peut-étre, par celle de toute vo-„ tre familie; car, qui peut prévoir jufqu’oünbsp;,, peut aller la colère d'un Roi qui fe croitnbsp;„méprifé? Charles fe doit a foi-même cettenbsp;5, vengeance; il la doit a la mémoire de tantnbsp;„ de Chevaliers, dont votre défeftion a caufénbsp;5, la mort dans les champs de la Lombar-„die. Le Roi vous annonce done, par manbsp;„ bouche, qu'il attend une réponfe pofitive;nbsp;„ amp;, afin que vous ne puiffiez pas 1’accufernbsp;,, d’injuftice ou de cruauté, il m’a ordonné denbsp;„ vous dire, que, fi vous perfiftiez dans votrenbsp;», rebellion, il ne mettroit point de bornesnbsp;91 a fa fureur; qu’il détruiroit vos villes amp;nbsp;,, vos chateaux; qu’il feroit palier vos Sujetsnbsp;„ au fii de l’épée; qu’11 défoleroic vos cam-, „ pagnes, amp; qu’il déclareroit une haine eter-M iielle a tout ce qui vous appartient.
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Le Due d’Aigremont frémit de colère \ il jura de nouveau qu’il n’obéiroit point a Char-letnagae, amp; que, dès ce motneuc, iTlui dé-claroit la guerre. Lothaire lui demanda s’ilnbsp;avoit oublié qu’il étoit homme-lige de 1’Em-pereur. Beuves le regarda avec un mépris in-lultanc : „ Malheur, dic-il, a l’iiifenfé quinbsp;„ s’eft chargé de 1’ordre de Charles, jamaisnbsp;„ il ne lui rendra compte de fa commiffionnbsp;Béon ofa repréfenter a fon Maitre le crimenbsp;dont il alloit fe rendre coupable. Le Due lenbsp;menapa lui-même, amp; lui impofh filence. Lanbsp;Duchefle prit le Ciel a témoin qu’elle détef-toit cette adion, amp; protefta qu’elle n’y avoitnbsp;aucune pare. „ Malheureux Prince, s’écria Lo-„ thaire, tu cours a ta perte; fonges-tu quenbsp;je fuis le fils de ton Roi, amp; que c’eft dansnbsp;,, ta propre Cour que tu m’outrages ? Ah !nbsp;„ crois-moi, je t’en conjure, préviens les fui-„ res affreulbs de ta félonie ; ton crime re-„ tombera fur ta ftmille amp; fur ton peuple;nbsp;„ il n’eiqpas de nation, quelque barbare qu’ellenbsp;„ foit, qui ne fe croye intéreflée a la ver dansnbsp;,, le fang du dernier de-tes Sujets, l’injurenbsp;„ dont tu menaces tons les Souverains dansnbsp;„ ma perfonne. Beuves, fois plus jaloux de tanbsp;„ gloire \ fonge que ton nom paflera aux ra-y, ces futures, pour eftrayer ceux qui feroientnbsp;j, rentés de te reflembler,
Beuves, dont la colère étoit a fon comble, ordonna a fes Chevaliers d'arréter Lothaire.nbsp;Ils parurent confternés de eet ordre; mais,nbsp;foit crainte, ou défir de plaire a leur Mai-
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tre, un moment après, ils mirent tons 1’épée A la main. Ceux' du jeune prince vinrent anbsp;fon fecours : Bientót, la falie ruiflela de fang.nbsp;Au brult des armes, amp; aux cris des combat-tans, Ie peuple s’affemble autour du palais :nbsp;Les Chevaliers Frangois en défendent 1’entrée,nbsp;amp; donnent la mort A tout ce qui fe préfente.nbsp;Lothaire vendoit chéremenr fa liberté, il ve-noit de jeter aux pieds de Beuves un Chevalier qui 1’attaquoit. Beuves voulut venger fanbsp;mort ; Lothaire vole, 1’atteint, amp; lui faitnbsp;courir Ie plus grand danger ; mais fa chutenbsp;même Ie fauve. Furieux a la vue de fon fang,nbsp;il fe relève avec Ie fecours du fage Béon , quinbsp;eflaye en vain de Ie calmer; il monte fur lesnbsp;marches dc fon trone, amp;, profitant de l’a-vantage du terrain, il s’élance fur Ie jeunenbsp;Prince, qu’entouroit la foule; il lui porce unnbsp;coup fi terrible, qu’il 1’étend a fes pieds; amp;,nbsp;pour mettre Ie comble a fa félonie, il lui coupenbsp;la tête de fa propre main. II ne reftoit plusnbsp;que vingt Chevaliers Francois. D’Aigremontnbsp;en fit égorger dix en fa préfence, amp; confenticnbsp;de laifler la vie aux dix qui reftoient, A condition qu’ils fe chargeroient de reporter è leurnbsp;Roi Ie corps de fon fils', amp; de lui dire quenbsp;c’étoit ainfi que Ie Due d’Aigremont recevoicnbsp;fes menaces; que Charles devoir s’attendre anbsp;Ie voir bientót dans fes Etats a la tête de centnbsp;mille combattans, amp; que Ie plus fort feroit alorsnbsp;Ie maitre de faire fouft'rir au vaincu tel fup-plice qu'il jugeroit a propos.
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recevoir des nouvelles de Ton fils: II connoif-foit le carattère féroce du Due d’Ai'gremont. Aymon efiayoit de le confoler, amp; lui pro-mettoit d’aller, lui-même, tirer vengeancenbsp;du perfide, s’il avoir eu 1’audace de manquernbsp;è ce qu’il devoir au fils du Roi. Charlemagnenbsp;connoiflbir la fidélité d'Aymon , il voulut Pennbsp;récoropenfer; amp;, pour fe Pattacher encore da-vantage, il lui ordonna de faire venir fes qua-tre fils, afin de les armer Chevaliers. Aymonnbsp;obéit, amp;, le lendemain, il les préfenra au Roi,nbsp;qui fur furpris en voyant une auffi belle familie.
Renaud detnanda d’être armé le premier; fa beauté, la noblelle qui caraélérifoit fa figure, le courage qui étinceloit dans fes yeux ,nbsp;lui attirèrent Peftime de fon Maitre. Charlesnbsp;fe fit apporter les armes du Roi de Chypre ,nbsp;qu’il avoit tué, de fa propre main, devantnbsp;Pampelune, amp; les donna a Renaud, commanbsp;au plus brave; cette flamberge, qui devint finbsp;redoutable dans les mains du vaillant Renaud,nbsp;Charles la lui ceignit. Oger le Danois, fonnbsp;parent, lui chaufla les éperons, amp; le Roinbsp;lui donna Paccolade; Renaud monta, devantnbsp;lui, fur Bayard, ce courfier unique, qui, fansnbsp;fe fatiguer, faifoit dix lieues d’un ,feul trait:nbsp;Il avoit été nourri dans le Brifgau, amp; Mau-gis, le fils du Due d’Aigtemont, en avoitnbsp;fait prefent a fon coufin.
Lorfque les quatre frères eurent regii POr-dre de Chevalerie, le Roi fit'publier un Tour-noi pour eux. Plufieurs Chevaliers s'y pré-
-ocr page 23-fentèrent, mais tout 1’honneur du combat demeura aux quatre fils d’Aymon , amp;, fur-tout, au vaillant Renaud. Chai:les ne putnbsp;s’empecher de lui marquer fon étonnement;nbsp;il voulut qu’a 1’avensr, ce jeune Héros com-battJtauprès de lui, amp; Renaud lui jura une fidé-lité a route épreuve, pour fes frères amp; pour lui.
Cependant 1’Empereur ne favoit que penfer de Pabfence de fon fils, il étoit dévoré d’unnbsp;ennui fecret, amp; mille fonges effrayans trou-bloient fon fommeil. Il communiqua fes in-quiétudes aNaimes,qui, jugeantduDucd’Ai-gretnont d’après la bonté de fon propre ca-raftère^'rafluroit le Roi, qui, de fon cóté,nbsp;s’accufóit, en fecret, des fbup^ons que 1’amournbsp;paternel lui fuggéroit- fur la loyauté du Due.
Un jour, qu’ils fe protnenoient fur les bords de la Seine, ils virent, de loin, un Chevaliernbsp;couvert de deuil : Charles, qui, le premier,nbsp;le reconnut pour 1’un de ceux qui avoientnbsp;accorapagné Lothaire, palit; amp;, fe retour-rant vers Naimes: „ Ah! Naimes, s’écria-t-il,nbsp;„ mon fils n’eftplus; malheureux, e’eft mol quinbsp;,, 1’ai afl'alfiné! ne devois-je pas connoiire lenbsp;^ perfide d’AigremontLe Chevalier s’ap-procha; il avoir encore le vifage couvert denbsp;fang, amp; a peine pouvoit-il parler. Il annoncenbsp;a fon Maitre la mort de Lothaire, amp;, autantnbsp;fiae fes larmes amp; fes fanglots peuvent le luinbsp;permettre, il raconte tout ce qui vient de fenbsp;pailer a la Cour du Due; il n’a pas encorenbsp;.fini fon difeours, qu’il tombe amp; expire auxnbsp;pieds de Charles.
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L’empereur, qui ne peut réfifter a ce fpec-wcle, fe jette dans les bras d’Oger Ie Danois, il inonde fon fein de fes larmes , en invo-quant la mort. Le Due de Bavière embraflenbsp;les genoux de fon Maitre. „ Ah! Sire, dit-il,nbsp;„ ni vous, ni aucun de vos Chevaliers, ninbsp;gt;, moi-même, n’eulïïons jamais pu prévoir unenbsp;„ auffi déteftable trahifon. II n’eft aucun denbsp;,, nous qui ne donnat fa vie pour racheternbsp;,, celle de Lothaire; nous le regardions, tous,nbsp;„ comme un autre vous-même; mais, aprèsnbsp;,, eet événement funefte, nos regrets amp; nosnbsp;,, plaintes ne font qu’un témoignage inutilenbsp;,, de notre amour ; Les arrêts du Ciel fontnbsp;,, irrévocables, la Mort fe rit de nos cris im-„ puitl'ans. Ce ne font pas les angoifles d’unenbsp;„ ame fenfible, que demande votre fils; c’efcnbsp;„la vengeance d’un père outragé, c’eft lenbsp;,, courroux d’un Souverain, en vers lequel oanbsp;„ a violé les droits de la nature amp; des nations.nbsp;„ Le fang doit couler, amp; non pas des pleursnbsp;,, ftériles : Courons aux armes; il n’eft pasnbsp;,, queftion de vaincre, il ne s’agit que denbsp;„ punir.
Ces paroles embrafèrent le emur de Charles; amp;, forcant de la léchargie de la douleur, ilnbsp;ordonne a tous fes Chevaliers, amp; d tous fesnbsp;Courtifans, de fe difpofer a marcher au de-vant des triftes reftes de fon fils, que fes Chevaliers apportoient. II partit, accompagné denbsp;Naimes, d'Oger, de Sanfon de Bourgogne ,nbsp;amp; de plufieurs autres Seigneurs. Ils rencontrè-rent le corps de Lothaire a dix lieues de Paris j
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Charles 1’arrofa de fes larmes amp; jura de Ie venger; il voua une haine implacable a Beu-ves, amp; remit Ie cercueil aiix Seigneurs de fanbsp;fuite, qui Ie portèrent, eux-mêmes, dans Ienbsp;tombeau des Rois, 1’Abbaye de Saint-Ger-niain-des-Prez.
Le Roi s’en retournoit triftement k Paris, avec quelques-uns de fes pltis zélés Courti-fans,-qui parcageoient fa douleur, lorfqu’unnbsp;Chevalier vine 1’averrir du depart d’Aymonnbsp;amp; de fes quatre fils. Charles en fut indigné;nbsp;fa jufte haine pour d'Aigremont ne lui permit pas de fonger qn’Aymon étoit le frèrenbsp;de fon ennemi; il les enveloppa, 1’un amp; 1'au-tre, dans la même profcription. Dans fa fu-reur, il traita les quatre Chevaliers d’ingratsnbsp;amp; de perlkies : II fe fit raconter, enfuite,nbsp;jufqu’aux moindres circonftances de leur dé-feélion.
Lorfqu’Aymon, lui dit le Chevalier, a été inftruit de la trahifon de Beuves fon frère,nbsp;5t de la mort deplorable de Lothaire, il anbsp;afiemblé fes enfans amp; leur a dit, la larme ènbsp;1’ceil ; ,, O mes amis! la honte dont mon frèrenbsp;„me couvre, me jette dans la ntuation lanbsp;„ plus accablante. Quelle que foic 1’amitiénbsp;5» qui me lie a lui, quel que foit le refpecT:nbsp;». que vous lui devez, nous ne pouvons pasnbsp;gt;» nous dilfimulerl’atrocitéde fon crime. Char-„ lemagne, juftement irrité, va raflemblernbsp;,, contre l’aliaffin de fon fils les forces les plusnbsp;„ redoutables. Quel parti pouvons-nous pren-}gt;dre, dans une circonfiance auffi délicate?
-ocr page 26-a o nbsp;nbsp;nbsp;Les qmtre fils
5, La juftice eft pour Charles; maïs les Hens
les plus facrés nous uniffent au plus coupable. „ Défendre l’un , c’eft nous rendte complicesnbsp;9, de fon crime; entrer dans les projets denbsp;,, vengeance de 1’autre, c’eft violer tous lesnbsp;yf droits de la nature : Quelque parti quenbsp;3, nous embraffions, nous ne pouvons éviternbsp;33 les reproches .de notre confcience amp; denbsp;33 1’honneur.
Alors, continua Ie Chevalier, Renaud a propofé un troifième parti, celui d’un^ entièrenbsp;neutralité. „I! eft vrai, a-t-il dit, que nousnbsp;3, venons de prêter ferment d’obéillance amp; denbsp;3, fidélité è Charlemagne, amp; que j'ai promisnbsp;3, de combattre toujours auprès de lui; maisnbsp;3, cette promefle ne peut pas ra’engager a pren-3, dre les armes contre mon oncle : D’un au-3, tre cóté, Ie Due d'Aigremont me fera pasnbsp;3, afiez injufte, pour trouver mauvais que nousnbsp;3, ne Ie feconrions pas. II fait ce que nous de-3, vons i notre Roi, amp; fon crime eft tropnbsp;3, atroce, pour ofer fe plaindre de notre inac-3, tion Alard , Richard amp; Guichard, fenbsp;font rangés a eet avis, amp; font partis pour lesnbsp;Ardennes. ¦
Ainfi paria Ie Chevalier, fans ajouter un mot qui put condamner ou juftifier Aymonnbsp;amp; fes enfans; mais Ie Roi jura de fe vengernbsp;d’eux, amp; leur voua la même colère qu’a leurnbsp;père.
Cependant, Edwige, 1’époufe d’Aymon, étoit accourue au devant de lui; elle embrafla,nbsp;tour a tour, les quatre Chevaliers, amp; leur père.
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Elle avoit appris les honneurs qu’ils avoient regus de Charles, amp; ne pouvoit comprendrenbsp;pourquoi ils avoienr fi-tóc quitté fa Cour. Ay-iiion lui raconta ce qui venoit de fe pafl'er anbsp;Aigremont, amp; la réfolution qu’ils avoient pri-» de ne foutenir ni la félonie de Beuves, ninbsp;jufte reflèntiment de Charles.
Edwige étoit alliée k la Maifon de France amp; i celle d’Aigreinont. Elle ne put s’etnpé-cher de frémir de la déloyauté du Due;
malgré tour l’amour qu'elle avoit pour fon époux: „ II me femble, lui dit-elle, que toutenbsp;9i forte de motifs devoient vous engager 4 fui-vre Ie parti de 1’Empereur; il eft notre Roinbsp;5, amp; Ie bienfaitaur de nos enfans. Vous man-,, quez a la foi amp; a la reconnoiflance que vousnbsp;5, lui devez; vous nuifez a vos propres inté-5, rêts: Car, vous ne devez pas douter qu’aprèsnbsp;5, avoir ravagé les Etats de Beuves, il nenbsp;j, tourne fes armes contre les parens de 1’af-5, faffin de fon fils. Vous m'objeétez les liensnbsp;5, du fang qui vous uniflent au perfide; eft-il desnbsp;j. Hens qui puiffent unir Ie crime amp; la vertu?nbsp;„ Répondez-moi, mes enfans, fi Beuves eücnbsp;„ aflaffiné votre père, renonceriez-vous a lanbsp;3, vengeance, paree que 1’aflaffin eft votre on-i, cle? En violant Ie droit des gens, refpedénbsp;a» des Peuples les plus barbares, en outrageancnbsp;Votre Roi, en 1’aflaflinant dans la perfonnenbsp;sgt; de fon fils, Beuves a-t-il commis un moin-9, dre attentat? II vous eüt privés d'un père,nbsp;„ il privé la France d'un Souverain qui mar-,gt; choit déja fur les traces du fien, amp; qui eüt
-ocr page 28-,22 nbsp;nbsp;nbsp;Les quatre fils
„ fait ie bonheur du monde ? Que favons-y, nous? Beuves eft, peut-étre , la caufe que „ les valles Etats de Charlemagne feronr gou-,, vernés par un Tyran, ou par un Prince foi-„ ble amp; p^ufillanime? Que feroi:-ce encore, fi,nbsp;„ ce que je ne puis croire, la fortune, favori-,, fant Ie crime, d’Aigremont écoit vain-,, queur? Ah! mes chers enfans, quels repro-,, ches n’auriez-vous pas a vous faire, ennbsp;,, voyant votre Roi a la merci du bourreaunbsp;„ de Lothaire? Croyez-moi, retournez futnbsp;,, vos pas, amp; fervez votre Maicre.
Aymon adoroit Edwige ; il fut fenfible k fes reproches ; Ses fils étoient confternés. Ilsnbsp;abhorroient Ie crime de leur.oncle ; Ils étoientnbsp;fur Ie point de_ reprendre Ie chemin de Paris;nbsp;mais la tendrefle de leur mère, affoibliflanc fonnbsp;courage, elle les arrêta, amp; leur demanda denbsp;lui donner encore quelques jours.
Cependant, Charles ordonnoit les prépara-tifs de la guerre. II avoit renvoyé dans leurs terres la plupart de fes Barons amp; de fes Chevaliers, afin qu’ils raflemblaflent leurs Vaflauxnbsp;fous leurs bannières : II les avoir ajournés aunbsp;champ de Mars, pour Ie 15 du mois de Mainbsp;fuivant. Le Due d’Aigremont ne tarda pointnbsp;a être informé des projets de Charles. II in-vira tous fes parens a fe joindre a lui. Gérardnbsp;de Rouffillon amp; le Due de Nanteuil, fes frè-res, firent des levées confidérables. Charlemagne étoit trop puiflant, amp; trop adoré, pournbsp;n’avoir point d’envieux. Plufieurs Seigneurs,nbsp;trop foibles pour laifler paroitre leur rnécon-
-ocr page 29-tentement en particulier, s’unirent a Beuves, quand ils 5e -viren: foutenu d’une armee denbsp;quatre-vingts mille hommes. II n’attendit pasnbsp;que Charles fut entré en campagne. L’or-gueil 1’aveugloit trop, pour lui donner Ie tempsnbsp;de hattendre dans fon chateau d'Aigremont.nbsp;Sidans fes muts de roches vives amp; inac-ceffibles, défendus par des marais impénétra-bles, il eüt attendu la vicloire, il eüt, fansnbsp;don te, pu efpérer de 1’obtenir.
K-ichard, Due de Normandie, fe rendit auprès de Charlemagne , dès Ie coramence-menc de Mai, a la tête de trente mille hommes, qui campèrent fur les bords de la Seine,nbsp;Le Comte Guichard arriva, bientót après,nbsp;avec un grand nombre de Chevaliers. Salomon, Due de Bretagne, Ie fuivoit de prés,nbsp;avec 1’élite de la Province. Il arriva des troupes de routes parts. Dès qu’elles furent raf-femblées, Charles fit lui-même la difpofitionnbsp;lt;le 1’ordre de bacaille. Son avant-garde, com-pofée de quarante mille combattans, étoitnbsp;lous les ordres de Richard, de Galerand denbsp;Bouillon, de Gui de Bavière, de Nemours,nbsp;Oger amp; Eftouteville. Charles étoit au centre ,nbsp;amp; Naimes faifoit 1’arrière-garde.
L’arroée fe mit en rnarche Ie troifième jour. Oger, qui conduifolt un corps détaché ennbsp;avant , rencontra un homme d’armes, quive-rnoit a. ^ toute bride. II demanda d’etrenbsp;conduit a Charlemagne. Oger le préfenta lui-meme, Ce foldat 1’avertit que I’arroee enne-mie avoir pénétté au cêntre ds lu Champa-
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Les quatre fis
gne, amp; qu’elleavoit formé Ie fiége de Troyes; que Ie Commandant fupplioit l’Empereur denbsp;venir promptement au fecours des affiégés, s'ilnbsp;vouloit conferver cette place importante, quenbsp;Beuves preflbit beaucoiip.
Cette nouvelle enflamma Ie courage de Charlemagne ; il ordonna a Oger de hiter fanbsp;marche, amp; fe félicita de trouver Ie Due d’Ai-gremont en campagne. II fit dire a Naimes,nbsp;a Bouillon amp; a Godefroid de Frife, de fairenbsp;marcher promptement leurs divifions, maisnbsp;fans les fatiguer. Trente mille combattans denbsp;1’avant-garde firent halte a une demi-lieuenbsp;de la Ville, jufqu'a ce que toute 1’arinée eücnbsp;rejoint. Oger, qui portoit 1’Oriflamme, en-voya Ie Troyen, qu’il avoit rencontré, au Commandant de la Place, avec lequel il en-tretenoit une correfpondance fecrette, pournbsp;lui faire favoir que Charlemagne étoit a portee de Ie fecourir.
Enfin, 1’avant-garde de Beuves, comman-dée par Gérard de Rouffillon, rencontra celle de 1’armée Fran§oife. Les deux armées étantnbsp;arrivées, s’arrêtèrent un moment amp; firentnbsp;leurs difpofitions. Dés qu’elles furent rangéesnbsp;en bataille, Gérard donna Ie fignal du combat, en terraflant un Allemand d’un coup denbsp;lance. II faifit fon enfeigne, amp; fit fon cri :nbsp;Sa troupe accourut. Oger donna 1’impulfionnbsp;a fes foldats, Ie combat devint furieux.nbsp;En un moment, la terre fut convene denbsp;membres épars, de cafques fracalTés, de dé-bris d’armures; Ie fang ruifleloic de tous có-
tés.
-ocr page 31-amp; les trois frères, fuivis de kurs meil-leures troupes, fe précipitenc fur les efca-drons du Roi. Les Poitevins, les Allemands, ks Lombards, leur oppofent un mur impé-nétrable. Richard de Normandie eft a leurnbsp;tête. ün Chevalier, ami particulier de Gerard de Rouffillon, vent pénétrer dans k ba-taillon des Poitevins; Richard, qui k voit ve-nir, 1’attend amp; k perce d’outre en öotre, d’unnbsp;coup de lance. Gerard veut le venger; mais Nanteuil l’arrête, amp; lui fait obferver qu’ils onenbsp;a combactre tout le corps que le Roi com-mandoit. Comme ils délibéroient, Galerandnbsp;de Bouillon lue, a kurs yeux, un de kursnbsp;neveux. La furetir emporte Gérard, qui faicnbsp;avenir le Due d’Aigremont. II vient avecnbsp;de nouvelks troupes, amp; rencontre cellesnbsp;du Roi. La mêlée devint générale, la fureurnbsp;combattoit contré la rage; mais la fureur denbsp;Charles etoit éclairée par la prudence, Beu-vesfrappa Gauthier de Croifmar, amp;, du mê-me coup, per9a fon écu, fon armure amp; fonnbsp;corps. Richard de Normandie attaqua d’Aigre-mont; kur combat fut terrible; la mdmeardeurnbsp;de vaincre les animoit 1'unamp; 1’autre; la force,nbsp;Padreiïè, tout fut mis en ufage de part amp;nbsp;d autre. La haine qui tranfportoit d'Aigre-mont, ne lui hillbit pas affez de réfiexionnbsp;pour fe défendre. Richard per^a fon boucliernbsp;biefla, D’Aigretnont fe bat en retraite. Ri-
B
-ocr page 32-a6 nbsp;nbsp;nbsp;Les quatre fih
chard fe félicite déjd d’avoir trouvé l’occafio» (ie venger la mort de Lothaire; II Ie preflè, fai-fu uo moment favorable, amp; luj pprte un coupnbsp;fi terrible, qu’il croit l’avoir tué ; mals Ie coupnbsp;tombe fur Ie cafque d’acier de Beuves, glide Ienbsp;long de fon armure amp; fépare la croupe de fon die-val du rede du corps, de forte que d’Aigre-mont alia mordre la poudière. C’en étoit faitnbsp;de lui, 11 Richard eüt p_u defcendre de fonnbsp;cheval avant que fon ennemi ne fe fut rele-vé, avec Ie fecours de quelques Chevaliers,nbsp;qui expofèrent leurs jours pour fauver les flens.
Charlemagne raflemble autour de lui , Oger Ie Danois, Naimes, Bouillon, Hoël du Mans,nbsp;Salomon, Léon de Frife, 1’Archevéque Turpin, Eftouteville, amp; plulieurs vailians Chevaliers •. “ Amis! s’écria-t-il, vengez votrenbsp;,, Roi; fon affront rejaillit fur vous; que d’Ai-„ gremont amp; fes frères ne nous échappentnbsp;„point En même temps, il met fa lancenbsp;en arrêt, court fur Gérard de Roulfillon amp;nbsp;Ie renverfe. Sa mort étoit aflhrée, 11 fes frères ne fuflént venus a fon fecours. Qger pritnbsp;un des Chevaliers de la fuire de Gerard pournbsp;Gérard même, lui fendit la tête jufqq’au go-ller, amp; chaque moitié tomba fur chacune denbsp;fes épaules. Richard frémit amp; Gommen9a denbsp;craindre pour lui-iuême. Beuves, non moinsnbsp;étonné, ofa prier Ie cid de^le fauver, amp; denbsp;ne pas permettre qu’il tombat entre les mainsnbsp;du Roi. Le Ciel exauce, quelquefois ,les vteuxnbsp;des méchans; mals c’ell pour les punir avecnbsp;plus de févérité, Si le fecouts mqmsatane qu'il
-ocr page 33-leur prête, n’eft qu’un piège qu’i! tend a leut imprudence.
Le jour étojt fur fon declin; les deux ar-mees étoient également fatiguées;^ celle du Due d’Aigremonrfe bactoit en retraite, amp; les Francois, conteiis d’avoir gagné Ie champ de ba-taille, ne ie mettoient point en peine de pour-fuivre les fuyards. Charles, qui favoir qu’ilsnbsp;®e pouvoient pas lui échapper, fic cefler Ienbsp;combat.
Gérard s’étoit retiré dans fa tente, il tnau-diffbit Ie jour oü fon frère porta une main téméraire fur Ie Ills de fon Roi. Beuves, Ienbsp;¦vifage couvert de fang, vine auprès de lui,nbsp;foutenu par deux Chevaliers. Beuves cómmen-Coit il fentir des remords', mals il n’ofoit ksnbsp;faire paroitre. Gératd, qui Ie croyoic faleffénbsp;mortellemenc, 1’embrafle en foupirant; car,nbsp;quoiqu’il déteftat Ie crime de fon frère, fesnbsp;jours ne lui étoient pas moins précieux. II fitnbsp;appeler un Médecin, qui ne trouva que denbsp;fortes contulions amp; des blefiures qui n’effleu-roient que la peau. lis envoyèrent cherchernbsp;leut frère Nanteuil amp; les principaux Seigneursnbsp;de leur parti. Cette journée en avoir enlevénbsp;plufieurs, amp; la plupart de ceux qui reftoiencnbsp;étoient bkffés.
Lorfque k Confeil de Guerre fut aflemblé, Gérard leur expofa la fituaüon de 1'armée,nbsp;ks fautes qu’on avoir faites, ks manoeuvresnbsp;qui avoient k mieux réuffi, ce qu’on pouvoitnbsp;efpérer, ou craindre, de la bataille qu'on fenbsp;difpofoit ^ livter k kiidemain. Pat Ie rapport
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Les quatre fils
des Efpions, Gérard avoir appris oü étoit pré-cifémenr la rente de 1’Empereur, amp;, quoiqu’elle fut gardée par Naimes amp; par Oger, il fe fiat-toit d’y pénétrer; il connoiflbit un fentier quinbsp;pouvoit y conduite, en égorgeant deux feiT-tinelles : II eft vr^i qu’il falloit trompet unenbsp;garde avancée, il en donnoit des moyens in-faillibles. II propofa done, ou de furprendrenbsp;Charlemagne dans fa rente, ou d’atcaquer lesnbsp;Frangois au milieu de la nuit, amp; de profiter dunbsp;défordre pour mettre Ie feu dans leur camp :nbsp;,, Je fais, ajouta-t-il, que 1’un amp; 1’autre denbsp;„ ces partis eft également dangereux; maïs ilnbsp;,, n’y a que 1’audace amp; la témérité qui puif-„ fent nous fauver : Q^and 1’ambition amp; lanbsp;„ politique arment les Souverains, la foumif-„ fion du vaincu appaife aifément Ie vain-,, queur; mais quand la vengeance combat con-„ tre la haine, Ie vaincu n’a de reflburce quenbsp;„ dans fon défefpoir. Si nous donnons a 1’en-„ nemi Ie temps de nous attaquer, nos trou-„ pes, fatiguées amp; découragées , fe croyancnbsp;„plus foibles qu’elles ne font, en effet, nenbsp;„ fongeront qu’a évicer leur perte, fans ofernbsp;„ tenter Ie moindre effort; amp;, corame ellesnbsp;„ fa vent Ie fort qui les attend, fi elles torn bentnbsp;„ entre les mains de Charlemagne, elles pren-„ dront la fuite, fans avoir combattu ; amp; Ienbsp;„ Chateau d’Aigreraont, fe trouvant fans dé-„ fenfe, fera la proie du vainqueur. Si, au con-„ traire, nous pouvons furprendre fon camp,nbsp;„ Ie trouble amp; la confufion des ennemis dou-„ bleront Ie courage de nos foldats; les tranf-
-ocr page 35-i'Aymon. nbsp;nbsp;nbsp;^9
fugesviendroncgroffirnotrearmée, avant M que les Fran9ois ayent Ie temps de fe rallier,
gt;, nous aurons celui de prendie des mefures pour nous rétabliri amp;, fi la fortune nous tra-rgt; hit unefeconde fois, dumoinspourrons-nousnbsp;faire une retraite honorable, rentrev dansnbsp;3J les murs d’Aigremont, amp; voir 1’armée denbsp;Charles fe confumer en efforts impuifl'ans.nbsp;Après avoir ainfi parlé , Gérard detnandanbsp;1’avis du Confeil, amp; commen9a par Ie Due.nbsp;y, C’en eft fait, mon frère , dit Beuves, manbsp;3, défaite a diffipé mon ivrelfe; j’ai trop long-,, temps écouté mon orgueil : J’aime Ie fen-,, timent qui vous infpire. Votre amitié povrrnbsp;„ moi, Ie courage qui vous anime, vous fontnbsp;voir les entreprifes les plus difficiles, commenbsp;„ fi elles étoient les plus fimples. Quand vousnbsp;„ avez formé Ie projet d’enlever Charlemagne,nbsp;y) avez-vous fongé que 1’amour des Fran9oisnbsp;„ eft une fauve-garde qui met leurs Rois dnbsp;,, couvert d’une telle entreprife ? Quand il fe-„ roic poffible de parvenir jufqu’a fa tente ynbsp;„ quand raême nous l’aurions en notre pou-„voir, penfez-vous que toute la France nenbsp;3, fe ligueroit point pour nous 1’arracher ? Si,nbsp;„ pour venger la mort du fils , elle a fait unnbsp;j, armement fi redoutable, que ne feroit-ellenbsp;31 pas pour nous punir des outrages faits aunbsp;» père ? Vous propofez de furprendre Ie camp ;nbsp;,, mais, quand hexécution de ce projet feroitnbsp;33 facile que votre courage vous 1’a faitnbsp;33 croire,^ ne refteroit-il pas toujours au Fran-,j 90ls aflez de troupes pour oppofer aux nótres?
3lt;3 nbsp;nbsp;nbsp;Zes quatre fils
,, Nous en ferions une déroute générale, que „ Charles pourroit mettre fur pied une armeenbsp;„ beaucoup plus nombreufe. II ne nous reftenbsp;,, d’autre parti a prendre; vous Ie dirai-je ,nbsp;amp; pourrez-vous croire que Ie fier Due d’Ai-gremont ait pu Ie concevoir? c’eH d’im-plorer la générofité du vainqueur.
Cet avis furprit l’afl'emblée ; Comment, di-foit-on, un homme alléz téméraire pour faire è fon Souverain 1’outrage Ie plus fanglanc,nbsp;a-t-il aflèz de confiance en lui pour efpérernbsp;d’en obtenir Ie pardon? Cependant, on gardenbsp;un morne filence : Beuves, qui connoit la grandenbsp;ame de 1’Empereur, oftre de fe livrer lui-mêmenbsp;pour fauver fes fujets. On s’oppofe vainemencnbsp;a ce deflein ; II nomme trente des principauxnbsp;Seigneurs de fa Cour , leur donne fes inftruc-tions amp; les envoye vers Charles.
Au point du jour, dès que Ie Roi eut rangé fon armee en bataille, les Envoyés de Beuvesnbsp;fe firent introduire dans la tente royale; ilsnbsp;fe proftérnèrent aux pieds du vainqueur, ennbsp;implorantfamiféricorde.„Sire,s’écrièrent-ils,nbsp;„ en frappant la terre de leur front, quelquenbsp;„ horreur que Ie nom de Beuves doive vousnbsp;,, infpirer, quelque haine qui vous anime con-„ tre lui, c'eft lui*mérne qui nous envoye,nbsp;,, non pour vous demander fa grdce, il fait tropnbsp;„ qu’il s’en eft rendu indigne; mais pour de-„ mander celle d’un peuple infortuné qui n’efcnbsp;« point complice de fon crime. Loin de fenbsp;„ fouftraire a votre vengeance, il oftre de ve-,, nir fe remettre^ lui-même» avec fes frères,
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eiitTS tro'S mriTTis. n fe leconnoic le plus cri-gt;» minel des hommes. Vous I’avez fait menacer 5) du fupplice le plus ignominieux; ofdonnez»nbsp;„ Sire, )1 Tiecdra lui-rttême au devant de fesnbsp;», bourreaux, amp; il regardera comme une fa-V quot;veur, de perdre la vie, s’il peut fauver, a cenbsp;»nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;, fes malhetireux fujets.
Charlemagne frémit en entendant pronon-cer le nom du perfide : II détourna la vue avec horreur amp; garda un profond filence; mais,nbsp;le rompant tout a coup : „ Le barbare ! s’é-91 cria-t-il, fon fang , amp; tout celui de fes full jets, me rendront-ils mon fils? Et que m’im-n porte le fupplice d’lin monftre! C’eft amp; 1’u-,, nivers que je dois 1’exemple de fa raort. IInbsp;„viendra, dites-vous, fe remetrre en mesnbsp;„ mains, amp; donner fa vie pour le falut denbsp;„ fon peuple ! Le ISche ! un projet aufli géné-11 reux n’a pu être con^u par I’aflalfin du filsnbsp;,1 de fon Roi; c'eft quelque nouvelle trahifonnbsp;11 qu’il médite, fous 1'apparenee d’un facrificenbsp;1, digne d’un coeur plus magnanime que le fien.
Charlemagne fit fortir les députés, amp; fic appelet le Due de Bavière, Oger le Danois,nbsp;Galerand de Bouillon, Odet de Langei, Hoelnbsp;du Mans, Léon de Frife, amp; les autres Seigneurs de fa Cour. II kur raconta ce qui ve-noit de fe pafler. La propofition du Due d’Ai-grernont les étonna ; mais aucun n’ofa donnernbsp;Naimes fut le feul qui dit au Roinbsp;qu US étoient tout prêts a le venger; mais qu’ilnbsp;n appartenoit qu’a lui d’accepter ou de rejeternbsp;toute capitulation avec le Due Charles rêva
3 a nbsp;nbsp;nbsp;Les quatre Jih
un moment, s’écria plufieurs fois; Ó mon fils! Ö Lothaire! verfa quelques larmes, amp; fit direnbsp;aux Députés d’entrer. „ Allez rapporter a cenbsp;j, traitre, leur dit-il, que je confens de fairenbsp;5, gramp;ce a fes fujets, a condition que fon ar-mée mettra bas les armes amp; fe rendra pri-„ fonnière de guerre , qu’il vendra , accom-pagné de fes frères, fe mettre en mon pou-;„voir; mais, pour le convaincre qu’ils nenbsp;„ doivent efpérer aucune gr^ce pour eux-mé-,, roes, vous leur direz que vous avez vu lesnbsp;,, échafauds drefles pour leur fupplice Charles voulut qu’on les elev^t en préfence desnbsp;Députés, amp;, dés que eet ordre fut exécuté,nbsp;il les renvoya vers leur maJere, en les avertif-fant qu’il ne lui donnoit que jufqu’4 midi,nbsp;amp; qu’une heure plus tard, 1’armée feroit pafl.eenbsp;au fil de 1’épée. II ne croyoit pas le caraélèrenbsp;féroce de Beuves capable de fentir les malheurs de fon peuple.
Le Due n’eut pas plutót appris les intentions du Roi, qu’il ordonna 4 fes Officiers de taire défarmer les troupes, amp; 4 route l’ar-mée de fe tenir prêie a le fuivre. Le Due denbsp;Nanteuil amp; Gérard de Rouffillon refufoiencnbsp;obftinément d’accepter les conditions de.Char-les; le Due d’Aigremont leur difoit : “ Pen-„ fez-vous qu’une ame aulli généreufe veuillenbsp;„ profiter de 1’avantage que nous lui don-„ nons: II nous eüt combactus jufqu’^ la der-5, nière goutte du fang de nos fujets; maisnbsp;), jamais fon grand courage ne s’avilira juf-„ qu’4 faire périr dans les tourmens des en-
-ocr page 39-)gt; Tiemis qui fe livrent a lui. II les détermi-» na, enfin, amp; ils partirent.
Le Due d’Aigremonc marchoit le premier, amp; fes deux frères venoient après lui; ils étoienc 'nbsp;nue tête, en chemifes amp; la corde au col, fui visnbsp;de quatre cents Chevaliers, aufli en_ chemi-Is, Sc fans armes. Tous les Soldats, uéfarmes,nbsp;amp; nue tête, marchoient a une certaine dif-tance, amp; faifoient retentir les airs de cris amp;nbsp;de gémiffemens. Lorfque les trois frères arri-verent au camp de Charles, leur armée s’ar-rèta amp; mit un genou a terre ; ils avancèrentnbsp;vers la rente de 1’Empereur; H en fortit, amp;,nbsp;auffi-tdt, eux amp; les Chevaliers fe proftetnè-rent. Charles les fit lever amp; leur tnontra lesnbsp;echafauds; ils s’y acheminèrent en lilence :nbsp;Charles les arrêta, amp;, ne pouvant retenir fesnbsp;larmes:
„ Malheureux! leur dit-il, que vous avoit „ fait mon fils „ ? Beuves fut pénétré de ce re-proche, amp;, tendant les mains vers fon Roi,nbsp;déchiré de remords véritables, amp;, fentant, dansnbsp;ce moment, route 1’énormité de fon crime,nbsp;demanda fincèrement la mort, comme une grS-ce. Les Bourreaux étoient prêts; les Courti-fans de Charles attendoient, dans un mornenbsp;filence, la fin de cette tragique aventure ;nbsp;Charles lui-même, fe couvrant les yeux denbsp;fes mains, paroiflbit agité des tranfports lesnbsp;Plus yiolens, a peine pouvoit-il refpirer; desnbsp;loupLrs s’exhaloient du fond de fon cceur, amp;,nbsp;lamnt, enfin, un dernier effort fur lui-même :nbsp;», 0 mon filsl s’écria t-il, puifle le facrilice
B V
-ocr page 40-34 nbsp;nbsp;nbsp;^0-5 quatre fils
•„ que je vais te faire appaifer ton ombre; je ,, vais t’oifrir une vidime plus digne de toi,nbsp;,, que de vils aflaffins. Oui, c’eft moi, c’efl;nbsp;„ ton père qui s’immole, qui te facrifie fonnbsp;„ refientiment amp; fa haine! Sois libre, d’Ai-„ gremont, reprends les marques de ta digtii-té, amp;, malgré ta trahifon, renouvelle-moinbsp;,, Ie ferment de fidélité que tu as rompu : Duf-,, fes-tu me trompet encore, je Ie recevrai;nbsp;,, que tes frères amp; les complices de ton cri-„ me, resolvent Ie même pardon,
Beuves embrafla les pieds de Charles, amp;, les fanglots étouffant fa voix, il fe frappoitnbsp;la poitrine, tournoit fes yeux vers Charles,nbsp;amp; laiflbic retomber fa têce dans la pouffière;nbsp;II avoua que tons les fupplices qu’auroit punbsp;lui faire fouffrir Ie Roi, auroient été moinsnbsp;afireux que les fentimens qu’il éprouvoit dansnbsp;ce moment. Tout Ie camp pleuroit d’atten-driflement, tout retentiflbit du nom amp; de 1’é-loge de Charles. Ses viftoires n’avoiem jamaisnbsp;été li célébrées. On n’entendoit, dans fon armee, que des cris d’admiration amp; d’amour„nbsp;5,0 grand Roi! lui difoit Naimes, en plea-5, rant, l’univers, vaincu, qui vous deman-5, deroic des fers, feroit un triomphe moinsnbsp;3, glorieux que celui que vous venez de rem-5, porter. O d’Aigremont 1 difoit Oger, quenbsp;„ tes remords doivent étre alFreux amp; cuifans!nbsp;„ O Lothaire 1 s’écrioit Charles, qu’il eft doux,nbsp;„ mais qu’il en coute de pardonner!
Cependant, par les ordres du Rol, on avoit fait porter, aux trois frères, amp; aux
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Chevaliers de leur fuite, des arnies amp; des habits ¦, on avoit puhlié uue amniftie généralenbsp;dans 1’armée efinemie, qui deraandoit a grandsnbsp;tris que Charles la conduisit aux entreprilesnbsp;les plus difficiles, amp; qu’elle répondoit du fuc-cès. Charlemagne re9ut les fermens des troisnbsp;frères, amp; leur permit, ainfi qu’aux Chevaliers de leur fuite, de voir tous ceux de Ionnbsp;armée. Ils étoient, les uns amp; les autres, parens ou amis : Naimes les conduifit, St chacunnbsp;des Chevaliers Francois, n'eut, peut-etre,nbsp;pas un moindre facrifice a faire, que celui donenbsp;Charles venoit de leur doniier Texemple.
Comme Its Courtifani ont Vart de fatisfalre ieurs pajjïons au nom de kur Souverain, quinbsp;ne s'en doute pas, amp; au préjudice de fes Su-jets, qui voyent la perfidie, en fouffrent ^nbsp;n’ofent s’en plaindre. Trahlfon de Ganelon.nbsp;Mon du Due d‘ Aigremont. Douleur de lanbsp;Duchefft. Sermens de Maugis de venger fannbsp;pire.
A guerre des Aflaffiris ( e’eft ainfi qu’on ^’voit nomme celle qüi venoit d’être terminée )nbsp;avoit éteinc route haine entre les fujets denbsp;Charlemagne amp; les Vaflanx de d’Aigremont tnbsp;Ces trois frères avoient promis de Ih trouvetnbsp;aux environs de Paris, au commencetnen: du
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jnois fuivant, avec dix tnille combattans aux ordres du Roi. Le temps étoit arrivé; d’Ai-gremont avoit fait fes préparatifs; au lieu denbsp;dix mille, il avoit levé quinze mille hommes,nbsp;les plus beaux de fes fujecs, amp; en donna lenbsp;commandeinent a Gérard amp; a Nanteuil, fesnbsp;frères, amp;, ayant pris avec lui deux cents Chevaliers, il dirigea fa route vers Paris. En ar-rivant a Soiffons, il vit venir a lui une troupenbsp;d’environ quatre mille hommes. II s’arrêta.
Cette troupe étoit conduite par le traltre Ganelon. II avoit été témoin de 1’aftion gé-néreufe de 1’Empereur , lorfqu’il pardonna aunbsp;Due d’Aigremont. II regardoit ce pardonnbsp;comme une foiblefle de la part de Charles,nbsp;amp;, de la part du Due, comme une baflefle quinbsp;déshonoroit fa familie : II étoit incapable denbsp;1’envifager fous un autre point de vue ; IInbsp;voulut les en punir 1’un amp; 1’autre; il étoitnbsp;leur parent; la haine les lui rendoit égalemencnbsp;odieux, il ne refpiroit que vengeance. Né brave , OU plutót, féroce amp; téraéraire , le partinbsp;le plus injulte étoit toujours celui qu’il em-braflbit. Paree qu’il étoit méchant, il foup-5onnoit tous les hommes de i’étre; il ne voyoitnbsp;en eux que perfidie, amp; il n’étoit occupé quenbsp;de projets de trahifon. II fepréfenta a Charles,nbsp;accompagné de Foulques de Morillon, denbsp;Harare amp; de Berenger. „ Sire, lui dit-il, cenbsp;,, n'eft point a moi a bldmer 1’aélion héroïquenbsp;„ que vous avez faire a 1’égard de Beuves;nbsp;„ II a égorgé votre fils; vous ne vous con-)) tentez pas depardoiicer} vous lui permettez
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gt;» un accès facile dans votre Cour; vous ac-jgt; ceptez fes fervices. Quel eft celui de vos gt;5 P^usfidelles fujets , que vous traiteriez plusnbsp;i'avorablement? Cependant, Sire, s’il y a quel-qu’un qui doive vous étre fufped;, c’eft Beu-gt;gt; yes, amp; fes frères Charles lui répondit qu’ilnbsp;lui fufiifoit d’avoir pardonné , pour ne jamaisnbsp;revenir fur Ie pafle •, qu’a la vérité , Ie coupnbsp;que d’Aigremonc lui avoit porté , lui étoitnbsp;trop fenfible pour qu'il püt jamais en faire fonnbsp;umi; mais aufli, que, plus Ie pardon qu’il avoitnbsp;accordé avoit repugné è fon cceur paternel#nbsp;amp; plus il étoit réfolu de foutenir ce qu’il avoitnbsp;fait. „ Prince généreux amp; confiant, s’écria Ienbsp;traitre, depuisquand la bienfaifance a-t-ellenbsp;,, acquis des droits fur Ie cmur du méchant ?nbsp;») Eh bien ! apprenez que d’Aigremont vousnbsp;j» trahit encore. J’ai furpris fon feciet; un denbsp;»»fes Chevaliers, que j’ai vaincu, m’a toutnbsp;,, avoué, en mourant. Beuves n’a eu recoursnbsp;,, a la foumiffion, que paree qu’il s’efl; trouvénbsp;j) Ie plus foible ; il favoit bien que vous luinbsp;j, pardonneriez. II vous a offert de vous fervirnbsp;ï, avec dix mille hommes; il en a raliemblénbsp;j, quinze mille ; il vous fuivra dans vos con-„ quétes, vous en obtiendrez des fervices ef-y, fentiels, afin de mieux s’aflurer de votrenbsp;„ confiance; mais, lorfque vous engagerez quel-que aftion générale, lorfque vos troupes fe-ront occupees a 1’attaque de 1’ennemi, dansnbsp;gt;5 Ie moment oü, fongeant plus a votre gloirenbsp;qu’a votre fureté, vous leur donnerezl’exem-I) ple de la valeur i tremblez : C’eft 1’inftant
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Zei quatre fils
f, qa’il a choifipour ia vengeance. II aprojeté „ cie vous enlever, au milieu de votre avmée ;
des ordres fecrets font donnés a fes trou-f, pes. A un certain fignal, dix mille hoin-5, mes doivent fe réunir amp; tournet leurs ar-), mes contre vos foldats; des transfuges aver-„ tiront 1’ennemi; Ie délbrdre fe mettra dans votre armee, qui ne pourra pas s’occuper,nbsp;,, en même temps, de fa défenfe amp; de lanbsp;,, vótre; dans cecte d'éroute, cinq mille hom-„ mes, conduits par Beuves, doivent vousnbsp;„entourer, amp; vos troupes, qui ne ferontnbsp;,, point prévenues de cecte trahifon , s’ima-„ ginant que ce corps eft deftiné d faire vo-,, tre^ retraite, loin de s’oppofer a leurs ef-„ forts, les feconderont. Tel eft Ie plan quenbsp;d’Aigremont s’eft propofé. Si vous vouleznbsp;5, m’en croire , Sire, vous Ie préviendrez;nbsp;„ vous oppoferez la rufe a la rufe. D’Aigre-,, mont a pris Ie devant de fon armée; il n’eftnbsp;efcorté que de deux cents Chevaliers : Sinbsp;vous me Ie permettez, je Ie -mettrai horsnbsp;„ d’état d’accomplir jamais fon execrable deft-,, fein. Non, répondit Charles, la perfidie denbsp;,, d'Aigremont n’autorifera jamais la mienne.nbsp;„ Si les avis que vous me donnez font juf-„tes, 11 me fera aifé de rendre fa trahifonnbsp;„ inutile; un complot découverc ceffe d’étrenbsp;,, dangereux. Allez, vous-même, au devant denbsp;,, Beuves, ne prenez, avec vous, qu’une fuitenbsp;„ égale a la fienne, recevez-!e avéc honneurnbsp;,, amp; accompagnez-le jufqu’a Paris : Vous luinbsp;„ direz que j’ai uneentière confiance en lui^
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,, Sc que je fuis prêc a Ie recevoir. De bon cóté, profitant des avis que vous me don-igt; nez , je Ie ferai veiller de prés, Sz je fassnbsp;»» bién Ie moyen de faire échouer fes projets.
Ganelon fe retira, en proteftant a Charlemagne qu’il ne confulteroit que fon zèle. Ce perfide étoit, depuis long-temps, 1'ennemi denbsp;d’Aigremonr ¦, il avoir féduit une fille de Nan-teuil, amp; Pavoit engagée a quitter la maifonnbsp;paternelle; Nanteuil 1’arracha de fes bras,
amp;, fur Ie refus que fit Ie ravifleur de 1’épou-fer, il Ie défia, lebleffa, levainquit, amp; ren-ferma fa fille dans une tour, oü elle pleuroit encore fa honte amp; la perfidie de fon amant.
Dés Ie point du jour , Ganelon partit, è la tête de quatre mille combattans, brülantnbsp;d’impatience de rencontrer fon ennemi. Ünnbsp;feeree prefTentiment jeta Peffroi dansl’ame denbsp;Beuves, lorfqu’il apergut les troupes de 1’Em-pereur. Le pardon généreux de Charles, lesnbsp;efforts que les trois frères fe propofoient denbsp;tenter pour lui faire oublier le crime de d’Ai-gremont, ne rendoient pas celui-ci exempt denbsp;remords amp; d’inquiétude : II fe raffure cepen-dant, il avance ; les deux troupes ne fontnbsp;qu’a qüelques pas Pune de Pautre. Morillonnbsp;s’approche, amp;, s’adreffant è d'Aigremont :nbsp;5, Traitre, lui dit-il, void le moment de lanbsp;„vengeance; Charles t’a pardonné, mais tunbsp;„ dois compte a fes Sujets du Prince que tunbsp;jgt; leur as ravl,,, Th tê fers d’un vrai pfétexte,nbsp;„ répondit le Due; c’eft Ganelon que tu veuxnbsp;,« venger, amp; non pas Charles amp; fes füjets. Je
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,, connois les Francois; ilsregarderoient com-,, me une infamie , d’avoir des fentimens op-,, pofés a ceiix de leur Souverain, furtout lorf-qu’il s’agit de générofité. Non, Charles amp; ,, tes Compatriotes défavouent ta déloyauté;nbsp;„ Ganelon U tol les déshonorenc.
II parloi: encore, que Ganelon donna Ie fjgnal du combat; fa troupe fe déploye amp;nbsp;cherche a envelopper celle de Beuves; ellenbsp;n’étoit que de deux cents hommes; mals cha-que combattant étoit un héros. Ganelon portanbsp;fes premiers coups, amp; étendit a fes j^iedsnbsp;Reigner, coufin du Due. Beuves voulut Ienbsp;venger; il affronte les plus grands dangers;nbsp;fuivi de fes deux cents Chevaliers, il s’é-lance fur la troupe k en maflacre une partie.nbsp;Tandis qu’il les attaque de front, amp; que Ganelon lui réfifte k peine, Morillon fonne unnbsp;detachement de mille hommes, gagne un che-min creux, amp; fe porte fur les derrières de Ia petite troupe de Beuves, pour lui couperlecheminnbsp;de la retraite. En effet, Ie Due fevoyapt accablénbsp;par Ie nombre, amp; ayant déja perdu vingt-cinqnbsp;combattans, veut fe retirer : Mais Morillonnbsp;s’oppofe a fa fuite. Le combat recommence, Ienbsp;Due, amp; les foixante amp; quinze Chevaliers quinbsp;iui reftoient, jurèrent de fe défendre jufqu’anbsp;la dernière goutte de leur fang, amp;, furtout,nbsp;de ne pas fe rendre prifonniers. Chacun d’euxnbsp;eft comme un tigre, qui, fe voyant attaqué denbsp;touscótés, combat moinspour fauverfa viequenbsp;pour enrrainer les chafleurs dans fa perte. lisnbsp;ne frappent aucun coup qui ne foic mortel j
-ocr page 47-la rage leuf tient lieu de valeur; la vue du fang excite en eux 1’envie de le répandre; leursnbsp;chevaux fecondent leur fureur, aucun foldatnbsp;n’efl: renverfé, qvi’il ne foit écrafé fous leursnbsp;pieds. C’eft,furtout, auxChefs qu’ils s’atta-chent; Us percent les bataillons pour les join-dre^ ils firent mordre la pouffièrea plufieurs;nbsp;Beuves tua du même coup Hélie amp; Godefroid;nbsp;Morillon alloit fubir le même fort; Griffonnbsp;de Haute-Feuille l’aper9oit, détourne 1’épéenbsp;du Due amp; bleffe fon cheval, qui chancèle ynbsp;tombe amp; entraine d’Aigremont dans fa chute.nbsp;Le perfide Ganelon s’élance, amp; ne rougit pasnbsp;d’enfoncer fa lance dans le corps de d’Aigremont; Griffon, plus Idche encore, le prendnbsp;pat les cheveux, le foulève, amp; perce fon emurnbsp;d’un coup d’épée. 11 ne reftoit plus que dixnbsp;Chevaliers de la troupe de Beuves; Ganelonnbsp;amp; Griffon s’approchent d’eux, amp; leur propo-fent de leut laifler la vie , a condition qu’ilsnbsp;poiteront le corps du Due d’Aigremont dansnbsp;un cercueil,comtne il avoir fait porter Lothairenbsp;a Paris. Les Chevaliers refufèrent d’abord,nbsp;amp; dirent qu’ils avoient promis de combat-tre jufqu’au dernier moment de leur vie; Ganelon fait figne i fes foldats, amp;, dans Pinftant,nbsp;ils fe jettent fur les Chevaliers, les renver-fent, les défarment amp; viennent k bout, aprèsnbsp;bien des efforts, de les lier pieds amp; mains;nbsp;les Chevaliers auroient préféré une mort glo-lieufe a des fers; on les menace, on tientnbsp;le glaive fufpendu fur leurs têtes. Ganelonnbsp;leur annonce que, s’ils s’obftinent k lefufer
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la vie, il va faire attacher ie cadavre de Heaves i un cheval, amp; Ie faire trainer ainfi, nu, jufqu’a Aigremont; qa’ils peuvent encore fau-ver de eet affront les reftes de leur Souve-rain, en acceptant la condition qu’il leur innpo-foit. Les Chevaliers Ie promirent par amournbsp;pour leur Prince, a condition qu’ils ne feroientnbsp;point cenfes prifonniers de guerre , amp; qu'ilsnbsp;feroient libres de propofer le combat a Gane-lon amp; a fes complices, qu’ils défioient dès cenbsp;moment. Ganelon rit de leur bravoure amp; lesnbsp;fit délier. Mais les dix Chevaliers, qui le re-gardoient comme le feul alfteur du crime, n’ennbsp;remplirent pas moins lenrs engagemens, quandnbsp;iiS eurent rapporté le corps fanglanc de leutnbsp;maitre, ói la Duehefle. 11s la firent prévenir,nbsp;amp; elle Vint au devant d’eux , avec Maugisnbsp;fon fils; elle pouvoit è peine fe foutenir: Désnbsp;qu’elle aper9ut le cercueil, elle s’évanouit;nbsp;rnais bientót, la colère lui rendant les forcesnbsp;que la douleur lui avoir faic’perdre, elle prendnbsp;fon fils par la main, fait óter les lambeauxnbsp;fanglans qui enveloppoient le corps de fonnbsp;époux;,, Jure avec moi, mon fils , lui dit-elle,nbsp;„jure paree fang,le méme qui coule dansnbsp;„ tes veines, que tu n’epargneras rien pour lenbsp;„ venger. Initié dans des fecrets inconnus aunbsp;„ refte des humains, promets, t la face dunbsp;„del, que, s’il eft fourd k ta vengeance,nbsp;„ tu auras recours aux ombres infernales. IInbsp;„ ne peut défapprouver qu’une époufe amp; qu’unnbsp;„ fils fe fervent de tous les moyens pour punitnbsp;„ des perfides qui, contre foi publique, ont
-ocr page 49-n ravile jouraunpère tendre, aunepoux.
Elle ne put en dire davantageMaugis le fou-tenoic d’une main, amp; juroit, de 1’autre, d0 lempHr le vceu de fa mère. II prit le Ciel inbsp;temoin de fes fermens; 11 prit du fang de foDnbsp;pete, qui couloir encore, amp;, le jetant en Pair »nbsp;qu’il retombe , dit-il, fur fes ennemis. En-fuite , embraflant fa mère, 11 inondoit fonnbsp;fein de fes larmes, la chaleur de fes foupirsnbsp;la rappela a. la vie ; foible amp; languiflante,nbsp;a peine pouvoit-elle foötqnir le jonr. On lanbsp;mit dans un char; fon fils 1’accompagna au Chateau d’A,igremont, tl^bu elle ne fortit quenbsp;pour aller répandre de nouvelles larmes fur lenbsp;tombeau de fon époux.
Ganelon amp; Griffon fon père, retournèrent triomphans a la Cour de Charlemagne, quinbsp;les reput avec indignation. Le perfide Ganelonnbsp;tenoit dans fes mains 1’épée deBeuvesi 11 fenbsp;profterne aux genoux de I’Empeieur, amp;, eanbsp;lui préfentant Pépée; ,, Sire, dit-il, voilé, lenbsp;„ fer avec lequel d’Aigremont a tuè Lothaire,nbsp;,, fi vous me croyez coupable pour vous avoirnbsp;,, défobéi, frappez, voilé mon fein; mais quenbsp;,, tout 1’univers apprenne que le plus tendrenbsp;,, des pères óta la vie au plus fidelle de fesnbsp;„ferviteurs, pour avoir vengé la mort de fonnbsp;« fils, amp; qu’il le fit avec le même fer dont onnbsp;gt;5 ^oit ailaffiné fon Prince.
Charlemagne ne put foutenir cette idéé; amp;, malgré le fauf-conduit donné a d’Aigre-mont, Griffon ,qui avoir perfuadé a Naimes,nbsp;amp; a la plupart des Seigneurs, que le Due avoit
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forme des complots contre le Roi, obcint la grace de fon fils.
Lorfque la douleur de Maugis fi.it un peu cal-mée, amp; qu’il eut appris que Charlemagne avoic accordé fon pardon a Ganelon, il raflembla fesnbsp;parens amp; fes amis: II leur propofa de porternbsp;la guerre au fein des Etats de Charles; maisnbsp;fes troupes amp; fes finances fe trouvèrent dansnbsp;un fi grand épuifement, qu’il falluc renoncernbsp;a tout projet de vengeance, ou, du moins,nbsp;la difterer. Ils jurèrent tous de nourrir ce feunbsp;dans leur fein, amp; de faifir la première occa-fion favorable qui fe*^préfenteroit. Renaud,nbsp;furtout, promit de ne pas laifler cette perfidienbsp;fans punition.
C H A P I T R E III.
Wynton reproche d Charlemagne Vimpunlté du crime de Ganelon. ^udace de Renaud. Ilnbsp;tue, d'^un coup d^échiquier, Berthelot, ne-veu de VEmpereur. Tulte de Renaud ^ denbsp;fiesfrères, amp; de Maugis leur coufin.
ARLES avoir raffemblé, dans fa Cour, tous les Chevaliers de fes immenfes Etats. Ilnbsp;avoir envoyé un Ambafladeur a la Ducheflenbsp;d’Aigremont, amp; 1’avoit fait affurer , ainfi qu,enbsp;fes frères, qu’il n’avoit aucune part k la morenbsp;du Due ; qu’il n’avoit pu prévoir que le zèlenbsp;de Ganelon fe porteroit a d’aufli funeftes ex-trémités; mais qu’il les fuppUoic de ne pas
-ocr page 51-trouver mauvais qu’il ne panic pas un de ft-s plus braves Chevaliers, pour I’avoir vengé.
11 les invitoit d’oublier le palle, amp; de venir i fa Cour. La Ducheffe repoudic que fa fran-chife ne lui permeitoic pas de diffimuler gt;nbsp;que, rant qu’elle auroit un fouffle de vie, ellenbsp;ne refpireroit que haine amp; vengeance; que,nbsp;ni elle , nl fon ills, ne paroltroient point anbsp;la Cour de Charles; mais qu’elle ne gêneroitnbsp;perfonne. Aymon amp; fes quaere fils promirentnbsp;de s’y rendre comme médiateurs entre les frèresnbsp;du ï5uc amp;; le Roi, amp;, pour obtenir une fatis-faftion qui pCit appaifer le courroux de lanbsp;Duchefle.
On voyoit, a. la Cour de Charlemagne, ce que 1’Curope avoir de plus grand: On ynbsp;coraptoic quinzeRois, trenteDucs, quarantenbsp;Comtes, amp; un nombre infini -de Seigneurs.
II y avoir, chaque jour, de nouvelles fetes. Le Roi s’approcha, un jour, d’Aymon, amp; luinbsp;dit: „ Mon coufin, quoique vous m’ayez aban-,, donné au moment oii j’avois le plus grandnbsp;,, befoin de vous amp;. de vos enfans, je n’ainbsp;„ pu vous en favoir mauvais gré; d’Aigre-,, mont étoit votre frère amp; votre ami, vousnbsp;,, ne pouviez vous dédarer ni pour lui, ni pournbsp;j, raoi; je ne vous en aime pas moins, vosnbsp;5» enfans me feront toujours chers. J’aime, fur-»tout, Renaud , fon audace me plait; je lenbsp;,, deftine aux premiers emplois de ma Cour,nbsp;„ amp; je n’oublierai point fes frères,,. Aymonnbsp;„ remercia le Roi, amp; prit cette occafion poutnbsp;5, lui parler de la perfidie de Ganelon,,; II
-ocr page 52-ajonta, qu’il avoit été Ie premier A con-damner l’adl^on atroce de Beiives, qu’il méri-toit une punition exemplaire, amp; qu’il eüc du périr par Ie fupplice Ie plus infame:,, Mais,nbsp;„ con:inua-r-il, aprés lui avoir fait grace , luinbsp;,, tendrc un piège pour I’affaffiner, c’eli unnbsp;,, crime prefqu’auffi odieux que celui donenbsp;„ il s’étoit rendu coupable Charlemagne re-jeta tour fur Ganelon. ,, Cela ne vous jullifienbsp;„ pas , reprit Aymon; dès que Ie crime vousnbsp;„ a cté connu, vous deviez Ie punir: Ce n'eftnbsp;,, ni pour Gérard mon frère, qui a tout ou-„blié, ni pour moi, que je réclame votrenbsp;„juftice, mais vous la- devez a 1’époufe denbsp;„ d’Aigremont, a fon fils, a Punivers entier.nbsp;„ Peuc-étre, Sire, avez-vous mal fait de par-,, donner A mon frère, mais vous avez plusnbsp;„mal fait encore, de faire grAce a Ganelon,nbsp;„ qui, fous prétexte de zèle pour fon Prince,nbsp;„ n’a fervi que fa haine particulière, amp; qui,nbsp;„ en agiflantfous votra nom facré, vous chargenbsp;,, d'un crime dont il recueille Ie fruit. Par-,, donnez, Sire, fi je vous parle avec cectenbsp;„franchife; 1’univers feroit bien a plaindre,nbsp;„ fi les Rois ne trouvoient jamais des amis !
Charles fut touché du difcours d’Aymon , mais il ne put jamais fe réfoudre A punir Ienbsp;coupable. Renaud amp; fes trois frères fe joi-gnirent a leur père, pour demander jufticenbsp;de la déloyauté de leur ennemi commun ;nbsp;mais Renaud , voyant qu’ils ne pouvoiencnbsp;rien obtenir, ofa dire A l’Empereur, que lesnbsp;fetmens des Seigneurs fuzerains, amp; de leurs
-ocr page 53-homtnes-ligss, étoient réciproques; '^ue» file Vaü'al s’engageoit de fervir Ie Seigneur, lp Seigneur, a fon tour , faifoit Ie ferment taeite denbsp;protéger fon Vafla); que Ie ferment étoil nul ,nbsp;dès -que la condition n’éioit point exacte-ment remplie, amp; que, puifque les parens denbsp;Beuves av^ient la force en main, Ie K-Oi»nbsp;en ne puniflant point leur oppreiVeur, leurnbsp;rendoit la liberté de recourir aux armes, pournbsp;Ie punir eux-mêmes.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;¦ „ .
Charles fut indigné de tant d’audace: ,, „es-tu, jeune tcméraire, lui dit-il, pournbsp;,, ofer juger les Rois? Je fais que Ie fermentnbsp;r, qui les lie a leur Peuple , les oblige de ienbsp;„ protéger;. mals ton orgueil fe feroit-il flattenbsp;,, de lire dans l’ame des Souverains., de pou-„ voir decider s’Hs ont tore, ou raifon, amp; d«
„ pénétrer leurs motifs ? Le dernier du peu-,, ple feroit done en droit de les aceufer d’in-,, jultice, dès qu’il penfe autrement que lui.
,, Va, jeune infenfé, fans les égards q,ue j’ai „encore pour ton père, j’aucois dsjd puninbsp;„ tes propos féditieux. Garde-tod, cepeodant,nbsp;,, de les laiflèr éclater dans ma Cour, crainsnbsp;„ de, me forcer a june rigueur, que tu ren-„ drois néceiiaire.
Renaud s’inclina, rougit de colère, amp;, dif-ficnulant fon refl'entiment, il demanda pardon au Roi, d’avoir ofé lui dire la vérite. Le Roinbsp;le letint a diner; amp;, quand tout le mondenbsp;fe fut levé de table, Berthelot, neveu denbsp;Charles, propofa une partie d’échecs d Re-aaud, qui 1‘aecepta. 11 étoit plorgé dans la
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Les quatre fils
triftefle; il avoir toujours fur Ie cceurla mort de d’Aigremont, amp; l’injure que Ganelon avoirnbsp;faire a fa familie. Le diïcours de Charles avoitnbsp;encore irrité fa bleflure; en vain fes frèresnbsp;faifoient-ils leurs efforts pour 1’appaifer. IInbsp;étoit dans ces cruelles agitations, lorfque Ber-thelot 1’engagea de jouer avec lui. Ses dif-traftions continuelles lui faifoient faire desnbsp;fautes groffières; Berthelot, au lieu d’en pro-fiter, s’en offenfa; il prit mal les excufes denbsp;Renaud, amp; lui répondit par des injures. Re-raud, fans lui rien dire, le regarda d’un ceilnbsp;de mépris. Le Prince, furieux, ofa le frappernbsp;en préfence de plulieurs Chevaliers. L’impa-tient Renaud, ne pouvant plus le modérer,nbsp;faific réchiquier, qui étoit d’or, amp; le jeta fi.nbsp;rudement a la tête de Berthelot, qu’il 1’é-tendit a fes pieds. Tout fecouvs devint inutile; le malheureux Prince expira, en avouantnbsp;qu’il avoit tort d’avoir infulté Renaud, en luinbsp;demandant pardon de eet outrage, amp; en luinbsp;accordant celui de fa mort.
Charlemagne étoit accouru au bruit. Dès qu’il apprit ce qui s’étoit paffé, il ordonnanbsp;qu’on empéchat Renaud de s’échapper, ju-rant de le faire périr dans les fupplices. Lesnbsp;Pairs amp; les Barons mettent 1’épée a la main,nbsp;amp; veulent arrêter le jeune Chevalier; maisnbsp;les frères de d'Aigremont, leurs fils, amp; Maii-gis, fe tangent du cóté de Renaud : Secondénbsp;de fes frères, il s’ouvre un paflage ; Maugisnbsp;amp; les quatre fils d’Aymon, dont la prudencenbsp;éclaire la valeur, fortent du Palais, travér-
fent
-ocr page 55-fent la ville par des rues décournées ^ amp; prep-nent le chemin des Ardennes. Charles fit armer^ deux tnille Cavaliers pour courir après eux; mais les Princes, facrifiant tout a leurnbsp;fureté , ^ ne s’arrêtent que lorfque leurs che-;vaux, épuifés de fatigue, tombent fous eux.nbsp;Les deux mille Cavaliers avoient formé unenbsp;avant-garde de 1’élite de leur troupe. Rsnaud,nbsp;nionté fur Bayard, qui ne fe fatiguoit jamais,nbsp;s’étant porté fur une hauteur, vit arciver cettenbsp;avant-garde : II avertic fes frères, amp; Maugis ,nbsp;du danger qui les mena9oit; ils fiiifirent leursnbsp;armes amp; attendirent de pied ferme. Ils s’é-toient aper^us que cette petite troupe ne gar-rnbsp;doit aucun ordre , amp; que ceux qui étoient lesnbsp;mieux montés,' cherchoient a devancer lesnbsp;autres; chacun vouloit pouvoir fe vanter è,nbsp;Charles d’avoir arrêté, feul, Renaud, ou quel-qu’un de fes frères ; Le plus léger de la troupenbsp;1’avoit dévancée de prés de derai-lieue. Renaud le voyant venir, fe place fur fon che-min : „ Rendez-Vous, lui dit le Cavalier, vousnbsp;„ êtes mon prifonnier „. Renaud ^ fans luinbsp;,, répondre, 1’attaque , amp;, d’un coup de lance,nbsp;,, le renverle, amp; lui ote la vie. Voila déjinbsp;un cheval pour vous, dit-il a.Alard fon frère.nbsp;Un fecond Cavalier furvint, il avoir la lancenbsp;en arrêt amp; meiiaqoit Renaud de le percer, s’ilnbsp;fe rendoit point. Renaud détourne le fer denbsp;la lance, amp;, le perce d’outre en outre; il le jettenbsp;a terre, amp; ^ faififlant fon cheval, il dit a Gui--chard; En void encore un pour vous. Un troi-fième Cavalier, quj voyoit ce combat, redou-
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ble de v'tefTe, amp; s’ecrie de loin, enfin, j e poufiai conduire Renaud a Charlemagne. Voila le dernier menfonge que tu diras de ta vie, répond lenbsp;fils d’Aj^mon; il s’élance fur lui amp; le fait voler ,nbsp;fans vie , a dix pas de fon cheval, qu’il faifit,nbsp;amp; qu’il donne a Richard. Les momens étoientnbsp;précieux, la troupe approchoit, les trois frêles étoient montés: II ne reftoit queMaugis,nbsp;Renaud le fit monter en croupe fur Bayard,nbsp;ils partirent, amp;, dans tin moment, ils dif-parurent aux yeux des Cavaliers de Charlemagne. La nuir furvint, amp;, a la faveur denbsp;fon ombre, ils arrivèrent dans le chateaunbsp;d’Aymon. Leur mere vint au devant d’eux.nbsp;Renaud lui raeonta ce qui s’étoic pafle a lanbsp;Cour de Charlemagne ;¦ elle en fut effrayée,nbsp;amp; tomba évanouie dans les bras de fon fils.nbsp;Ah ! cruel, dit-elle a Renaud , vous nousnbsp;perdez tous; votre père amp; moi, aliens êtrenbsp;livrés a la fureur de Charles ; Fuyez, pre-nez tout Tor que vous pourrez emporter ;nbsp;j,, n’attendez pas que votre père foit de re-,, tour, amp; que le Roi le force, peut-être, anbsp;,, vous livrer. Ces deux mille Cavaliers, quinbsp;vous pourfuivent, ne peuvent point êtrenbsp;,, éloignés; quel que foit votre courage, lenbsp;nombre vous accablera comme il a accablénbsp;d’Aigremont. Ah! mesfils, fuyez, je vousnbsp;en conjure; n’expofez point votre mère ènbsp;„ vous voir arracher tous fanglans de fes foi-„ bles bras.
Renaud amp; fes frères fuivirent ce fage con-feil, ils prirent tout I’or que leur mere vou-
-ocr page 57-lut leür donner •, amp;, avant qne Ie jour pa-rdt, ils s’enfonc.èrent dans la forêt d’Ardenne,
amp; ne s’arrêcèrent que fur Ie bord de la Meu-fe; ils choiürent l’emplacement Ie plus propre i leur deffein. Ils y élevèrenc un chateau formidable fur un rocher efcarpé, dont Ie pie_dnbsp;étoit arrofé par Ie fleuve. Des forts élevésnbsp;autour du chiteau, étoienc entourés d’uo foffénbsp;large amp; profond, défendu par^d'autres fortifications : lis 1’appelèrenc Ie chateau de Moiic~nbsp;fort.
Cependant, Ie Roi fit arrêter Aymon, qui condamnoit l’aftion de fon fils, amp; qui étoitnbsp;défolé. 11 protefia au Roi, que, bien loin d’etre fon complice, il feroir Ie premier a l’ennbsp;punir. Charles vouloit lui faire jurer qu’ii luinbsp;livreroit fes enfans. Aymon refufa de faire cenbsp;ferment déteftable; mais il promit de ne leurnbsp;donner jamais aide ni fecours contre fon Sou-verain. A cettë condition, il lui fut permisnbsp;de retourner chez lui, oü fon époufe lui ap-prit ce qu’étoient devenus fes quatre fils:nbsp;Quelque courroucé qu’il fut contre eux, ilnbsp;ne lui^fut pas polfible de diffimuler fa joie,nbsp;lorfqu’ii fut qu’ils étoient en fureté. Pout nenbsp;laifl'er aucun foup^on k Charlemagne, il vinenbsp;Ie rejoindre, amp; fe meitre, pour ainfi dire, ennbsp;otage dans fa Cour.
Les'quaere fils
CHAPITRE IV.
SUgt da Champ;teau de Montfon: Avant-gardt dc Charlemagne taillée en pieces. Bataille fan-glante : Trahifon de Hernier de la Seine,nbsp;qui introduit les Francois dans le Chdteau ,nbsp;amp; y met le feu : Combat au milieu des fatiiquot;nbsp;mes; vicioire des quatre fils d’Aymon.
X-/ESdeux mille hommes que Charlemagne avoir envoyés b. la pourfuite de Renaud amp; denbsp;fes frères, ayant rapporté que, -non feule-ment, on n’avoit pas pu les prendre, maisnbsp;encore que Renaud avoir tué trois Cavaliers,nbsp;amp; qu’ils avoient pris les chevaux des vaincus,nbsp;le Roi envoya de tons córés, pour fa voir oiinbsp;les quatre frères s’étoient retirés. On lui ditnbsp;qu’ils s’étoient arrêtés fur les bords de lanbsp;Meufe, amp; qu’ils y avoient conftruit un cha^nbsp;teau redoutablè. Auffi-tót, il convoqua tousnbsp;les Chevaliers', les Barons, les Pairs amp; tousnbsp;les Seigneurs'de fes Etats, amp; leur ordonnanbsp;dB fe tenir prêts pour aller faire Ie fiége dunbsp;chateau de Montfort. Charlemagne fit denbsp;grands préparatifs; amp;, lorfque routes fes troupes furent aflémblées, on fe rendit, en peunbsp;de jours, dansles Ardennes, amp; 1’avant-gardenbsp;fe trouva fotis les mtirs du Chateau. Cettenbsp;avant-garde étoit comrnamp;ndée par Regnier denbsp;Montpellier; elle parut au moment que Richard , Alard amp; Guichard, revenoient de la
-ocr page 59-chaiïe; ils avolent, avec eux» vingt Cavaliers. Richard , ne pouvant pas diftinguer quellenbsp;etoir cecte troupe, la fit remarquer a Guichard.
11s fe doutoient bien que Charlemagne vien-droit les affiéger; mals ils ne croyoient pas que ce ffit fi prompuement. Richard , impatient, s’avance amp; demande a Regnier quellenbsp;eft la troupe qu’il conduit ? ,, C’eft, dit Re-gt;»gnier, 1’avant-garde de Parmee du Roi denbsp;„France, qui vient faire le fiege du chateaunbsp;„ de Montfort, que les fils d’Aymon ont faitnbsp;„ clever, amp; ou ils fe font retirés. Vous voyez,
„ reprit Richard, un foldat de Renaud, vous 5» pouvez rapporcer a votre Maitre, que lenbsp;,, Chateau eft pourvu d’hommes amp; de vivres,
,, amp; que nous fommes déterminés de nous en-,gt; terper fous fes ruines, plutót que de nous ven-„ dre, Ce ne fera pas toi, du raoins, dit Regnier,
»gt; qui defendras Montfort En difant ces inors, il met fa lance en arrêt. Richard lenbsp;laiffe apprbcher, évite le fer, amp;» d’un coupnbsp;d’épée, le jette expiratie fur la piouffiere, fai-fit fon cheval amp; 1’envoye a Renaud. Ce combat particulier fut le fignal d’une bataille fan-glante. Renaud, dans ce moment, exercoitnbsp;fes troupes, elks fe trouvèrent fous les armes,nbsp;lorfqu’on lui amena le cheval de Regnier; ilnbsp;fc mit a leur tête, amp; arriva au moment ounbsp;Rs troupes-(^2 1’avant-garde fe metcoient ennbsp;. mouvement pour venger leur General. Le premier choc fut très-iropétueux; mais, outrenbsp;la fuperiorité du nombre , Parmee du filsnbsp;d’Aymon étoit ftaiche amp; repofee, amp; le Gé-
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néral, fecondé de' Richard, ne trouva aucun .adverfaire digne de lui ; Cette avant-garde ,nbsp;qui étoit de dix mille hommes, fut mife ennbsp;déroute, amp; prefqu’entièremenc paüee au filnbsp;de 1’épée.
Charlemagne, qui avoit cru venir è une conquêce aifée, fut au défefpoir en apprenantnbsp;la perte de fes troupes, amp; Ie butin immenfenbsp;que Renaud avoit fait, amp; qu’il avoit conduitnbsp;a Montfort. II fut, furtout, faché de la pertenbsp;de Regnier. Oger lui raconta qu’il avoit vive-ment pourfuivi Richard après la bataille, maisnbsp;qu’il s’étoit retiré dans Ie Chateau amp; qu’ilnbsp;avoit fait lever les ponts; que Ie Chateau luinbsp;paroiflbit iraprenable, tant du cóté de Ia Meufenbsp;que de celui de terre. Le Roi voulut Ie reconnoitre par lui-mÊme; il ie fit inveftir, Scnbsp;en fit le tour : II convint que cette Placenbsp;étoit très-bien fortifiée, Sc que le fiége feroicnbsp;très-long; il déclara, en méme temps, qu’ilnbsp;lie reviendroit point en France qu’il n'eüt lesnbsp;fils d’Ayraon en fon pouvoir. Sa colère étoitnbsp;fi vive, qu’il jura de faire périr par les fup-plices, Maugis, Renaud Sc Richard dans Mont-fort même. II protetta qu’il n’accorderoitnbsp;jamais fa grace a Maugis, qui avoit juré, parnbsp;le fang de fon père, de venger fa mort. II fitnbsp;camper fon armée autour du Chateau, Sc fitnbsp;mettre a fon pavilion, une pierre précieufenbsp;qui fervoit de fanal pendant la nuit, Sc unenbsp;pomme d’or d’un prix exceffif. Lorfque routes les rentes furent dreflees, il fit venir Nai-.nbsp;«iss, Sc lui ordonna de faire publier, dans tout
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camp, que perfonne n’en fortlt, ni ne
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montat a cheval, jufqu’a ce queles iecours, qu’il alloit demander, fuflent arnjés de t ranee. Ganelon propofa au Roi d’offrir la paixnbsp;Renaud, a condition qu’il livreroic Richarnbsp;fon frère, amp; Maugis. Charles, po'Hnbsp;guerre, y confentit; amp; Naimes amp;. Oger furnbsp;chargés d’en faire la propofition. Ils ie preien-tèrent 4 Alard, amp; lui dirent qu’ils etoient en-voyés vers Renaud pour terminer la guerre.
On les introduiiit auprès de lui. Renaud les re^ut avec amitié; mais, lorfqu’il entenditnbsp;que Ie Roi lui propofoit d'envoyer fon fverenbsp;amp; Maugis a difcrétion, amp; que, s’il refufoitnbsp;de les livrer, Charles lui déclaroit que la guerrenbsp;ne finiroit que par ie fupplice des quatre frêles, Renaud s’eroporta, amp; dit a Naimes; „ Jenbsp;,, refpeéle les liens qui m’uniflent a vous; fansnbsp;„ cecte confidération, vous m’auriez outragenbsp;,, pour la dernière fois. Quoi! Naimes, vous,
„ mon allié, mon amivous, qui devriez vous „ armer pour ma défenfe, vous ofez me prö-„pofer, fans rougir, une Ikheté que je faisnbsp;r, bien que vous n’approuvez pas'. AUez: di-„tes è. votre Muitte que je crains peu fesnbsp;,, menaces; que je puis compter fur mes trou-,, pes, 8i que Ie dernier de mes foWats pré-,, férera la mort a la honte de fe rendre Ennbsp;tnême temps, il prit Oger amp; Naimes par lanbsp;main, leur fit voir les troupes rangées fur lanbsp;place, les conduilit dans fes magafins, amp; leurnbsp;montra-les rues de Montfort rempües de faf-oines. Voila notre dernière reflburce, dit-il,
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„fi, par quelqu’évènement, que je ne pré-„ vois point, Ie Roi fe rendoit maitre de la „ citadelle, chaque habitant a jure de mettrenbsp;,, Ie feu a ces fafcines, content de réduire lanbsp;,, villeen cendres,amp; depérir avecelle,pouminbsp;„ qu’il privé Charles de fa conquête.
Oger amp; Naimes reprirent, a la hate, Ie che-min du camp, amp; dirent, mot a mot, a Charles ce dont Renaud les avoit chargés. LeRoi, étonné de tant d’audace, frémit de colère :nbsp;11 ordonna un ali'aut général; on attaqua troisnbsp;portes a la fois. Renaud, qui, fans rien rif-quer, avoit la facilité de pouvoir faire desnbsp;forties contre 1’ennemi, au moyen d’une fauf-fe-porte percée dans Ie rochet, voyoit toutesnbsp;les manoeuvres du camp de Charles. II fit mettre toutes fes troupes fous les armes amp; attenditnbsp;que les aflaillans fuffent bien fatigues; lorf-qu'il crut Ie moment favorable, iï fit baiflernbsp;les ponts amp; avancer Samfon de Bordeaux avecnbsp;cent Cavaliers: Aprés avoir embralfé Richardnbsp;amp; fes frères, il les pria de déployer leurs di-vifions dans la plaine, è. la faveur de la troupenbsp;de Samfon. Comme les Francois entouroientnbsp;la ville, ils n’étoient en force nulle part; Re-naud profita de cette circonftance, 8c, ayantnbsp;fait filer fes foldats par la fautfe-porte, ils fenbsp;trouvèrent rangés en bataille avant que Charles put favoir qu’ils projetoient une fortie. Richard en vouloit, furtout, au Comte d’E-tampes, qui avoit fuccédé a Regnier dans Ienbsp;commandement de 1’avant-garde. Les quatrenbsp;frères, en bon ordre, fe jetèrent dans Ie camp
-ocr page 63-da Roi, renverfèrent les rentes» amp; paflèrent au fil de l’épée tour ce qui s’y rencontra. Re-naud, monté fur 1’infatigable Bayard, par-couroit Ie camp avec la vitefl'e de la foudrenbsp;amp; y caufoir les mêmes ravages. Charlemagne,nbsp;qui dirigeoit une des principales attaques denbsp;la Place, ayant appris que les ennemis pil-loient amp; ravageoieht Ie cairip, rappela fesnbsp;troupes; mais, avanc qu’elles fuflent raffem-blées, Renaud, ayant réuni les fiennes, mitnbsp;Ie feu dans tout Ie camp, amp;, tandis que lanbsp;flamme dévoroit hommes, rentes, chevaux amp;nbsp;fourrages, 11 attaqua Ie gros de 1’armée denbsp;Charlemagne ; Mais, 6 honte 1 il tvouve,nbsp;devanc lui, Ie vieux Aymon fon père; il nenbsp;put 1’éviter; il baiffa fes armes, amp; dit a fesnbsp;frères de Ie refpefter. „ O mon père 1 lui dit-il,nbsp;„ Pair qu’on refpire a la Cour des Rois, eft-ilnbsp;„ fi empoifonné, qu’il ait éteint en vous toutnbsp;,, fentiment d’honneur amp; de tendrefle ? Vousnbsp;,, ne vous êces pas contenté de nous exclurènbsp;5, de 1’héritage de nos pères; complice de Char-,, les, qui en veut a nos jours, vous veneznbsp;j, Paider a nous enlever notre dernier afylelnbsp;9, Quel crime avons-nous commis contre vous?nbsp;,, Parens du Roi, au même dégré que ce Ber-,, thelot qui attaqua mon honneur amp; ma vie ,nbsp;gt;, je n’ai fait qu’oppofer la force a la force *,nbsp;»gt; s’ll a fuccombé, il n’a eu que le fort or-” ^i^^rite d’un téméraire agrelïeur. Que Charlies foit aflez injufte pour vouloir le venger,nbsp;,, c^eft a nous de nous défendre; mais qu’ilnbsp;gt;, VOUS metre a la tète de nos ennemis, c’eft
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,, une lacheté indigne d’un grand Roi, paree „ qu’il fait bien que vous ponrrez nous frap-,, per iinpunétnenc. Et vous, mon père, denbsp;„ quel nom appeler votre déférence a fes or-j, dres ? Les hommes n’en out pas encorenbsp;,, trouvé, pour exprimer certains outrages fairsnbsp;„ a la nature.
Ce reproche fit rougir Aymon, qui mit au-tanc de diligence a fe retirer, que Renaud auroic mis de foin a 1’éviter, s’il eut cru lenbsp;rencontrer. Comme les troupes que conduifoitnbsp;Aymon, éroient celles du Roi, Renaud nenbsp;les ménagea point; il pafla les derniers rangsnbsp;au fil de l’épée; il vit venir a lui Charlemagne, accompagné d’Aubry, d’Oger, du Comtenbsp;Henri, de Foulques de Morillon. Il rallie,nbsp;auffi-tót, fes troupes, amp; attend de pied fermenbsp;1’armée fran^oife. Thierry ofa marcher, le premier, contre Renaud. Alard I’apergoit; il te-noit, dans le moment, le fer d’une lance, ilnbsp;en frappe Thierry amp; le jette mott aux piedsnbsp;de fon cheval. Thierry étoit 1’ami du vieuxnbsp;Aymon, qui, ne pouvant fe venger fur fonnbsp;His, abattit la tête d’un des Chevaliers denbsp;Renaud. Celui-ci modera fa fureur, amp; s’ecrianbsp;feulement : „ Oh I ngt;a raère, quelle fera vo-
tre douleur, lorfque vous apprendrez que „ votre époux fait la guerre a fes enfans „ ?nbsp;Foulques de Morillon renfor^a la troupe dunbsp;Roi, amp;, relevant le courage abattu des Francois, il les conduifit au plus fort du combat.nbsp;H’armée de Renaud héfita un moment, amp; re-cuia j Alard s’apercut de ce mouvement j il
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pretid, avec lui, cinquante Cavaliers, fe mee a la tête de 1’aile que Morillon avoit ébranlée,nbsp;fe précipite fur les Frangois, les prefle, lesnbsp;écarté, amp; fait volet autant de têtes qu’il e;xnbsp;frappe •, de fon cóté, Renaud infpire Ie cou-r^ie aux Chevaliers qui 1’entourent; aucunnbsp;coup ne porte a faux; les épis ne font pasnbsp;plus de réfiflance au fléau qui les écrafe;
Ie fang ruiffèle de toutes parts, les gémifle-ïuens des blelfés, les cris des mouvans , les henniflemens des chevaux, excitent la fureurnbsp;descombattans. Totis s’égorgent, ou cherchentnbsp;d s’égotger , fans aucune diftindion d’amis ,nbsp;de parens, ou de compatriotes. Yon de Saint-Omer eft frappé par Guyon, abattu, a fon tour,nbsp;par Guichard : Celui-ci fe faifit de fon che-val, pour en faire ptéfent a Renaud, qui,nbsp;deptiis long-temps, avoit déüré de ie donnernbsp;pour compagnon a Bayard. Renaud rencontranbsp;encore Aymon dans la mêlee ; lis s’arrècèrentnbsp;amp; furent un moment immobiles; tandis quenbsp;Ie fils Ie prioit de fe retirer, amp; qu’Aymonnbsp;1’exhortoit debien prendre fes précautionspournbsp;ne pas tomber entre les mains de Charles,nbsp;qui avoit jure fa mort, un Chevalier, nomménbsp;Gaymar, vinrattaquer Ie jeune héros; il quittanbsp;brufquement fon pète, amp; fit tomber la têtenbsp;de Gaymar fur l’ar^on de la felle d’Aymon.nbsp;Ce vieux guertier, témoin de la fureur denbsp;fon ills, fe retira. Charles, de fon cöté, voyantnbsp;que la fortune lui étoit contraire , avoit déjanbsp;ordonné la retraite , lorfque Bernard de Bourgogne étendic,aux piedsde Renaud, Simon
Ie Béatnois, intiuie ami de Richard. Les qua-tre frères fe réunirent, amp;, fondanc, tous en-femble, fur les troupes du Roi, recommen-cèrenc Ie carnage : Renaud tua , ce jour-la , de fa main, environ trois cents Cavaliers,nbsp;les plus braves de l'armée de Charles; Alardnbsp;cherchoit Ie Comte d’Etampes, il l’apergutnbsp;dans la foule, il fe fit jour , amp; pénétra. juf-qu’a lui •, d’Etampes étoit Ix'ave, un feereenbsp;preflentiment fembla 1’avertir que fa dernièrenbsp;heure étoit venue. II attendit Alard en pa-liffant, il lui décocha une flèche, elle gliflanbsp;fut 1’écu de fon ennemi. Alard pique fon che-val, d’un coup de lance, perce Eécu, bvifenbsp;Parmure , amp; ouvre Ie fein d’Etatnpes, quinbsp;expire en tendanc les mains vers Ie ciel, Re-Kaud , qui Ie vit tomber , courut vers fonnbsp;frère, Penabrafia amp; Ie félicita de fa viétoire.
. Charlemagne ordonna, enfin , a fes Géné-latix de fe retirer; la retraite de fon armee fut auffi meurtrière que la bataille : Renaudnbsp;la pourfuivit jufque dans Ie camp, amp;; plufieursnbsp;Chevaliers furent faits prifonniers dans leursnbsp;retranchemens; il favoit qu’il eft, fouvent ,nbsp;dangereux de pourfuivre troploin fa viftoire,nbsp;amp; que Ie défefpoir peut donner des forces auxnbsp;vaincus : II ordonna a, fes troupes de rentrernbsp;dans la place fit i’arrière- garde avec fesnbsp;frères; il ne fut attaqué que pat .Aymon ,nbsp;qui, avec deux cents Cavaliers, harceloit fesnbsp;enfans: Renaud eut pu, mille fois, fe défairenbsp;d’un ennemi aufli opiniStre ; mais il Ie ref-pej.'la toujours j cependanr, comme il Ie vic
-ocr page 67-acharné aprèslui, amp; qu’il expofoit fes frères tl. être faits prifonniers ^ Renaud fe contentanbsp;d’abattre, d’un revers , Ie col de fon cheval;nbsp;tandisqu’Aymon fe débarraflbit, Renaud gagnanbsp;do cliemin : Les Cavaliers » qui accompa-gnoienr Ie vieux guerrier« eurent l’itnpru-dence de pourfuivre les quatre frères, qui re-vinrent fur leurs pas amp; en abattirent cinquante;nbsp;Ie combat étoit plus animé que jamais, Charlemagne craignit qu’il n’eutdes fuitesfuneftes:nbsp;Ltonné de Tintrépidité de Renaud , ü s’a-vance vers lui, amp; , d’un ton d'autorité , ilnbsp;lui ordonne de ceffer, amp; lui defend de paliernbsp;outre. Renaud, tout furieux qu’il cft •gt; baiflenbsp;un front refpedlueux, amp; fait figne a fes Cavaliers de rejoindre 1’armée, qui rentroit dansnbsp;la Ville avec un grand nombre de prifonniers,nbsp;Charlemagne revint dans fon camp; routesnbsp;les rentes avoient été brülées ; Cet événement retarda les operations du fiége , qui duranbsp;treize mois, pendant lefquels il ne fe paflanbsp;jamais huit jours d’intervalle d'un combat anbsp;1’autre. Le Roi avoir juré qu’il ne rentreroitnbsp;point en France ,¦'qu’il n’eClt emporté Mont-fort, amp; que les fils d’Aymon ne fuflent ennbsp;fon pouvoir. Renaud avoit fait faire des pro-pofitions de paix; il avoit chargé Oger denbsp;repréfenter au Roi, que , jamais, Montfortnbsp;ne céderoit a la force ; mais que , s’il vou-loit confentir que la garnifon fortit avecnbsp;tous les honneurs de la guerre, amp; rendre fonnbsp;amitié a fes frères amp; a lui, ils lui livreroient lanbsp;place \ Foulques de Morillon, qui apprit cette
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négoclation, empécha Ie Roi de rien conclure.
La longueur du fiége impatientoit également les affiégeans amp;les affiégés. Lafituation du fortnbsp;étoit telle, que Renaud amp; fes frères étoient mal-tres d’une grande étendue de pays, ou ils alloientnbsp;chaffer, fans avoir rien a craindre de la partnbsp;des affiégeans; ilsfortoient, amp; rentroient quandnbsp;ils vouloienc, a couvert des fortifications, qu’ilnbsp;eüt fallu emporter, pour couper la communication du Chateau avec fes environs. Charlemagne, voulant faire un dernier effort, affem-hla tout fon anieie-ban, Naimes, qui voyoitnbsp;les difficultés de prendre Montfort, confeillanbsp;au Roi de retourner en France amp; d’attendrenbsp;un moment plus favorable ; Hernier de lanbsp;Seine fut d’un avis contraire, amp; offrit au Roinbsp;de lui livter, en moins d’un mois, les quatrenbsp;fils d’Aymon, a condition qu’on lui donne-roit la Ville, tout ce qui s’y trouveroit, amp;nbsp;Ie domaine de cinq lieues aux environs. Charlemagne y confentit, amp; promit i Hernier denbsp;lui fournir les troupes qu’il lui demanderoicnbsp;pour cette expédition. Hernier demanda millenbsp;bons Cavaliers, amp; un Général habile. Le Roinbsp;lui donna Guyon de Bretagne, amp; ffii permitnbsp;de choifir, a fon gré, mille combattans denbsp;1’élite de fon armée. Hernier ordonna a Guyonnbsp;d’embufquer fes mille combattans fur la mon-tagne, dans un bois a peu de diftance d’unenbsp;des portes du Chateau.
Lotfque ces difpofitions furent faites, Hernier monte a cheval, bien armé, amp; va, tour feul, fe préfenter a une des portes oppofées;
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I\ cria aux fentinelles d’avoir pitie de lui, qu’il étoit vivement pourfuivi par le Roi ,nbsp;pour avoir voulu prendre la défenfe de Re-naud, en pré fence de la Cour. Comme il étoit;nbsp;feul, il n'infpira auctine méfiance; on baiffenbsp;le pont, amp; on I’introduit dans la place. Il de-niande a parler a Renaud, on le conduit aunbsp;jeune héros; Hernier tombe a fes genoux, amp;nbsp;le prie de lui donner un afyle contre la puluur du Roi, qui veutle faire périr du mSmenbsp;fuppUce qu’il deftine aux quatre fils d’.Ay-mon, pour avoir voulu repoufl'er la calora-nie dont quelques courtifans les accabloienc.nbsp;j, Toute vérité qui ne flatte point, ajouta-t-,, il, eft odieufe 4 la Cour des Rois. On anbsp;,, perfuadé a Charlemagne que j’entretenoisnbsp;5, nne intelligence fecrette avec vous; on anbsp;,,féduit des témoins, amp;, cette nuit même,nbsp;», je devois être arrêté. L’innocence n’eft pasnbsp;5, toujouTS malheureufe; un ami a découvertnbsp;,, cette trame abominable; il eft venu, fecret-9, tement, m’avertir de tout ce qui fe paflok,nbsp;5, amp; m’a facilité les moyens de m’arracher inbsp;„ unemortignominieufe: üne heureplus tard,nbsp;5) j’aurois été facrifié a 1'impofture.
Renaud accabla le trakre de carefles: II lui demanda des nouvelles de ce qui fe pafloit aunbsp;camp. Hernier 1’aflura que, fi Montfort te-noit encore quinze jours, le Roi feroit obligénbsp;de lever le fiége, paree que 1’armée, affoiblienbsp;par tant de combats, manquoit de vivres, amp;nbsp;qu’on ne pouvoit plus en tirer de la France,nbsp;qui fe trouvoit elle-mêine dans la difette;
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que, déja, la plupart des Chevaliers s’étoient retires, amp; qu’il mouroit, tous les jours, unnbsp;grand noinbre de foldats.
Renaud , qui «’avoir aucune raifon de fe méfier d'Hernier, l?engagea de refter avec lui.nbsp;On chercha tous les moyens de Ie confoler,nbsp;amp; de lui faire efpérer im meilleur fort; on Ienbsp;lo'-ea dans la Ville, amp;, comme il feignit d’êtrenbsp;fort fatigué, il demanda qu’on lui permit d’al-ler fe repofer.
Hernier attendit que tout Ie monde retire : On avoir combattu pendant route la journée; Soldats amp; Chevaliers, tout dormoit;nbsp;on n’entendoit aucun bruit. Hernier fort anbsp;petit bruit, va baiffer Ie pont, coupe la gorgenbsp;a la fentinelle, prend les clefs, amp; ouvre la,nbsp;porte. Guyon de Bretagne, qui ëtoit auxnbsp;ao-nets, voyant la porte ouverte, fait gliflernbsp;ib troupe è petit bruit; on cgorge quelquesnbsp;patrouilles, St 1’on va fe raffembler fur la place. C'en étoit fait des quatre frères, amp; de lanbsp;earnifon, fans la négligence des palefreniers,nbsp;Ie Renaud; plongés dans l’ivrelTe la,plus pro-,nbsp;fonde, ils avoient lailTé lès chevaux a 1’aban-,nbsp;don; celui d’Alard, plus vif que les autres,.nbsp;les tourmentoit; Bayard s’échappe, amp; fesnbsp;hennifleroens éveillent Alard amp; Richard; ilsnbsp;fe lèvent, amp; aperqoivent, au clair, de la lune,nbsp;l’éclat des arvnes; ils entendeur un brult con-fus- ils courent dans rappartement d’Hernier,nbsp;amp; ne Ie trouvent point; ils fe doutent de lanbsp;trahifon. Alard revient, foudain, auprès denbsp;Renaud, pour 1’avertir de tout ce ,qui,fe pafle.-
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Renaud étoit tout armé; il fe léve, il ne trouve que trente Cavaliers ; il court fur lanbsp;place; il rencontre Guyon, a vee cent combac-,nbsp;tans, qui fermoient la principale rue. Renaudnbsp;appeÜe fes frères, ils palienc au fil de 1’épéenbsp;cette petite troupe. Les Francois tenoientnbsp;tine partie des foldats de Renaud enfermésnbsp;dans la cour du Chateau, oü Ie fang ruifle-loit; lorfqu’ils entendirent que Renaud at-taquoit Guyon, ils craignirent d'etre furpris;nbsp;ils mirent Ie feu au Chéteau amp; dans plu-f eurs q'uartiers de la Ville : Renaud amp; fes frères avoient a combattre contre les ennemisnbsp;amp; contre les flammes; ils fortent de la Ville;nbsp;ils aper9oivenc, dans Ie fofle, une troupenbsp;qui 'attendoit Ie fgnal; ils s’y précipitent amp;nbsp;ne laiflent échapper perfonne. Ils rentrentnbsp;dans Ie chateau. Un grand nombre d’enne-mis avoient fuivi les quatre héros, commenbsp;ils étoient entrés dans Ie folie, on les avoitnbsp;perdus de vue; les Fran§ois les cherchoientnbsp;de tous cótés ; Les nis d’Aymon, en rentrancnbsp;dans la place, ferment la porte amp; lèvent lesnbsp;ponts. N’ayant plus a craindre que Ie Roinbsp;envoy^t de nouvelles troupes, amp; débarrali’ésnbsp;de celle qui étoit dehors, ils volent aux lieuxnbsp;oü Hernier, avec trois cents combattans, met-toit tout a feu amp; a fang; a peine font-ilsnbsp;arrivés, que tout change de face : Herniernbsp;amp; les fiens cherchent a s’echapper; ils veulentnbsp;gagner le pont, ils le trouvent levé, amp; lanbsp;porte fermée. Les fils d’Aymon, qui avoientnbsp;raffenible leurs troupes, paffent les trois cents
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combauans aufil de 1’épée; il les font jefer, par deflus les remparts, dans les foffés; Ils nenbsp;réfervent qu’Hernier amp; douze des üens.
CHAPITRE V.
Danser de Renaud amp; de fes frères. Hernier leur propofe de leur livrer Ie tréfor de Charlemagne. Renaud Je fait écarteler. Retraitenbsp;des quatre Paladins. Regrets de Renaud^nbsp;d Vafpe9 de Montfort embrafé. Charlemagne les pourfuit avec fon armee. Renaudnbsp;fe retire en vainqueur. Retraite de Charlemagne. Combat d'’uiymon contre fes enfans.
X^E Chateau amp; la Ville de Montfort étoient toujours la proie des fiammes-, elles avoientnbsp;confommé tous les vivres; la garnifon avoicnbsp;été égorgée. II ne reftoit plus aux lils d’Aymonnbsp;que cinq cents homi-nes. II étoit très-aifé anbsp;Charlemagne de prendre d’aflaut, ou d’affa-mer cette malheureufe Ville. Renaud fenticnbsp;tout Ie danger de cette fuiiation; il propofanbsp;a fes frères de raflembler ce qui leur reftoitnbsp;de monde, amp; d'abandonner a Charlemagnenbsp;une proie inutile; ils furent töus de eet avis,nbsp;amp; Ie depart fut remis a 1’entrée de la nuit,nbsp;Hernier, amp; les douze FraD9ois, furent té-inoins de la deliberation : Le traitre con^utnbsp;l’efpérance de fauver fa vie. „ Je fais, dit - ilnbsp;n aux Ills d’Aymon, que je mérite la morci
-ocr page 73-jjjc ne demande aucune grice; j’ai voulu gt;, vous livrer vivans a Charlemagne, votre en-V, nemi; il eft jufte que vous m’en puniffiez;nbsp;5» mais, que vous importe que ce foit plusnbsp;»»tóc ou plus tard? Vous vous propofez denbsp;j) fortir , amp; d’aller former un nouvel établif-fetnent; avez-vous fongé aux forces redou-rnbsp;«tables de Charlemagne, au petit nombrenbsp;« de gens qui vous reftent, amp; aux difficultesnbsp;)» que vous aurez pour traverfer le camp desnbsp;», Fran9ois, qui vous entoure de tous cötés?
Dans quel que endroit que vous alliez, il », faut que vous vous ouvriez une voie ^nbsp;« travers vos ennemis. J’en fais une; c’eft cellsnbsp;„ OÜ j’avois embufqué les mille combattansnbsp;„ que j’ai introduits dans la place : Elle eftnbsp;,, inconnue du refte des Fran9ois, amp;, peut-,, être, de vous-mêmes: Je vous dirai plus;nbsp;« cette route communique, par un fentietnbsp;«écarté, au pavilion du Due Naimes, dansnbsp;«lequel eft dépofé le tréfor du Roi. Je nenbsp;,, vous demande que trente hommes pour en-,, lever Naimes amp; le tréfor; ft vous accepteznbsp;„ les fervices que je vous offre, la feule ré-„ compenfe que je vous demande, e’eft denbsp;,, m’employer centre vos ennemis amp; contrsnbsp;,, Charlemagne lui-même. Traitre, lui répon-,, dit Renaud, nous ne voulons ni de tes fer-0 vices, ni de toi. Tu trahis, dansce momentnbsp;,, même, ou Charlemagne, ou nous; qui quenbsp;,, ce foit que tu trompes, tu n’en méritesnbsp;9, pas moins la mort,,. Auffi-tót, Renaud or-donne qu’on le dépouille de fes habits amp; qu’on
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Fattaclie, par chacutt de fes membres, a quatre chèvaux des plus vigoureux. Le lache Her-ïiier tombe a fes genoiix, pale tremblant jnbsp;fa trahifon avoit infpiré de la haine, fes lar-mes firent naitre le mépris. II fut exéciué,nbsp;les douze prifonniers périrent par le gibet.nbsp;Dès que la nuit fut venue, les quatre filsnbsp;d’Aymon firent monter leur petite troupe anbsp;cbevalils mirenc au centre leur tréfor amp;nbsp;leurs équipages; Guichard amp; .Richard , avecnbsp;cent hommes, brent l’avant-garde-, Alardnbsp;amp; Renaud, avec cent hommes, efcortoient lenbsp;convoi ; quoique cette petite armee fut divi-fée en trois corps, elle n’en formoit qu'un,nbsp;par leur raarche ferrée. Un petit détachementnbsp;lie vingc-cinq hommes, commandé par unnbsp;Chevalier d’une experience confommée, pré-cédoit la troupe pouf lui fervir de yédette,nbsp;amp; pour fouiller les haies amp; les buiflbns, denbsp;crainte de furprife. ^ ,
La troupe fortit du Chateau dans eet or-dte. Renaud ne put s’empêcher de tournet, vers Montfort embrafé, ¦ fes yeux inondésnbsp;delarmes. ,, Adieu, cher amp; maiheureux afy-,1e, s’écria-t-il, berceau de notre gloire,nbsp;amp; qui, fans la trahifon de Hernier, aurois vunbsp;’’ brifer, a tes pieds, toute la puiflance denbsp;” Gbarlemagne. Tu n’es plus qu’un monceaunbsp;” cendres, amp; tes fondateurs auroient denbsp;” Ja neine a trouver, dans ta vafte enceinte,nbsp;” l’efpace qu’il leur faudroit pour repofer leurnbsp;*)têce. O mon cher Alard! nous n’irons plus,nbsp;au retour des combats, nous repofer fous
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les bofquets naiiTans qui couvroient fes en-5, virons.
Aiard confoloit Renaud, amp; lui faifoit ef-pérer un meilleur fort. ,, Ce n’eft, lui di-5, foit-il, que dans 1’infortune, que le héros „ eft veritablemenc héros. Aucun Chevaliernbsp;5,,lie vous furpafle en valeur, amp; le del, juf-,, qu’ii ce jour,-a protégé votre vertu. Quenbsp;j, nous importe celui-ci, ou un autre L’Al-„ lemagne, ou nous allons, vous offrira desnbsp;5, fituations auffi heureufes, amp; un climat auffinbsp;5, doux. La Patrie d’un grand homme eftnbsp;gt;, par-tout OÜ il porte I’exemple de fes ver-j, tus. Nous nous ferons, par-tout, un autrenbsp;,, Montfort. Les cendres de celui que nousnbsp;5, quittons font plus glorieufes pour nous, quenbsp;„ des palais que nous aurio.ns acquis par unenbsp;,, lacheté,,. Renaud embrafla fon frère; il fenbsp;fentit animé d’une nouvelle ardeur, amp; ne'nbsp;fongea plus qu’aux moyens d’eviter le campnbsp;¦de Charlemagne, ou de brufquer le paflage.
Charlemagjie n’avqit ¦ point encore eu de nouyelies d’Hernier amp; de fa troupe ; ilsnbsp;voyoient Montfort en ftammes, amp; les foldatsnbsp;que Renaud avoir laiffés hors de la ville, luinbsp;avoient raconté ce qu’ils avoient vu; mais ilnbsp;ne comprenoit pas comment Hernier, ayantnbsp;mis tout a feu amp; a fang, ne revenoit pas;nbsp;ni pourquoi le pont étoit encore levé. Lorfquenbsp;Renaud fur parti, deux foldats, qui avoientnbsp;évité la,mort enfe cachant. dans-les debrisnbsp;d’une maifon voifine de la place, rapportè-lent au Roi les adions héroïques des fils
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d'Aytnon, leur départ, la mort d’Hernier, amp; k deftruftion de Moinforc. „ O homelnbsp;,, s’écria Charlemagne: Quoi! ni la force, ni lanbsp;,, rufe, ni Ie nombre, ne pourront mettre ennbsp;„mon pouvoir Renaud amp; fes frères? Au mi-„ lieu des flammes, i!s me bravent .encore lnbsp;„ Charles, vainqueur de 1'Allemagne amp; de l’I-
talie; Charles, la terreur des Sarrafins, fera ,, done Ie jouet de quatre jeunes gens ,,! Nai-mes Ie confola, amp; lui reprocha d’avoir plu-tót écouté Hernier que lui; il ajouta que ,nbsp;puifque leur troupe étoit réduite 4 un li petit nombre, il falloit 1’attaquer dans fa tnar-che. Charlemagne envoya fes ordres, amp; Ie campnbsp;fe mit en mouvement.
Guichard, qui conduifoitl’avant-garde,fut inftruit, auffi-tóc, du projet de Charles, il nenbsp;lui donna pas Ie temps de faire fes difpofi-tions; il fait avertir fes frères, amp; marche,nbsp;avec fierté, contre Ie Rol. Renaud ordonnenbsp;a vingt hommes de conduire les équipages furnbsp;les derrières, amp; vient joindre fes frères avecnbsp;Alard; amp; tous les quatre, fans donner Ie tempsnbsp;a 1’ennemi de fe reconnoitre, frappent, tuentnbsp;tout ce qu’ils rencontrent, renverfent les ten-tes,écartent les ennemis de droite amp; de gauche , ouvrenc une large route a leurs équipages, amp; jettent la confternation dans Ie camp.nbsp;Naimes a raflemblé quelques troupes; Richardnbsp;amp;. Renaud lui font face; ils écrafent les premiers rangs, Ie refte prend la tuice, amp; Nai-mes eft entrainé par Ie torrent.
camp, fans avoir perdu un feul homme ; ils ne doutèrent pas que Charlemagne ne les ficnbsp;pourluivre. Renaud fit marcher fes équipagesnbsp;devant, leur affigna un lieu pour le rendezvous, amp; leur ordonna la plus grande diligence.nbsp;Des le point du jour, Charles, fuivi d’Oger,nbsp;de Naimes, de Foulques de Morillon, paru-rent a la tête de I’armee. Les quatre frèresnbsp;s’arrêtent; le Roi, oubliant fon rang, amp; n’o-bciflant qu’a fa colère, met fa lance en ar-rêt centre Renaud , qui en detourne le fernbsp;amp; s’éloigne : Charles revient fur lui, plus fu-rieux; Renaud, ne fe pofledant plus, s’élan-ce ; Hugues fe met au devant du Roi amp; revoltnbsp;lecoup mortel. Auffi-tót Charlemagne,tranf-porté de courroux, ordonne a fes Chevaliersnbsp;d’atcaquer la troupe des quatre frères; maisnbsp;ils firent fi bonne contenance, qu’elle ne putnbsp;jamais être entamée : File fe battit en retraite pendant treize lieues, Charlemagne lanbsp;harcelant toujours inutilement, amp; Renaud fenbsp;battant fans cede, amp; tuant ou bleflant quel-ques-uns des ennemis, fans qu’il perdit unnbsp;feul de fes combattans; il parvint, ainfi, juf-qu’a une riviere; Renaud avoit I’artde palfernbsp;les fleuves en préfence de I’ennemi, fans avoirnbsp;d craindre d'en être inquiété, il fonda le guénbsp;lui-même, le traverfa avec quelques Cavaliers,nbsp;amp; , lorfqu’il eut frayé le chemin, il vint re-pren ire 1’arrière - garde ; Charles eflaya , ennbsp;vain , de les fuivre, Renaud avoit fait romprenbsp;le gué, amp;, d’ailleurs, il fe fortifia fi bien,nbsp;que le Roi eut facrifié toute 1’armée, fans
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qu’il lui eut ét(j poffible d’emporter fes re-tranchemens.
Enfin, Charles, défefpérant de pouvoic prendre les fils d’Aymon, alïembla fon Con-ieil : Naimes fut d’avis que Ie Roi retour-nat en France; il lui repréfenta qu’il étoicnbsp;d’une obftination indigne d’un fi grand Roi,nbsp;de covfrir après un fi petit nombre de perfon-nes , avec une armee fi formidable, amp; quenbsp;la légéreté des fils d’Aymon les mettoic a couvert de fes forces. Naimes fut d’avis qu’ilnbsp;fufpendit fa vengeance, jufqu’a ce que fes en-nemis fe fuflent fixés dans quelques pays. Sonnbsp;avis fut fuivi; Charles ramena fon armoe ,nbsp;amp;, en paflant, il fit rafer les murs amp; les toursnbsp;de Montfort.
De retour a Paris, Charles congédia fes troupes, les Chevaliers s’en retournèrent cheznbsp;eUx; chacun fe difoit, en foi-même , il n’eftnbsp;pas étonnant que je n’aye pu venir 4 boutnbsp;de furprendre quelqu’un des enfans d’Aymon,nbsp;puifqu’ils ont échappé au plus grand Roi dunbsp;monde; Charlemagne fe confoloit, en difant;nbsp;¦il faiit que les fils d’Aymon foient les plusnbsp;vaillans hommes de la terre, puifque, ninbsp;moi, ni mes Chevaliers, n’avons pu les vain-cre.
, Le vieux Due Aymon fuivoit, tout conf-terné, Ie chemin de fon pays; il traverfoit la forét des Ardennes, avec une troupe nom-breufe; quelle fut fa furpr'ife, lorfqu’il rea-•contra fes eiifans auprès d’une fontaine! IInbsp;s’arr^te, amp;; demande confeila fes amis; mais
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auCiin d’eujt n’ofa hafarder fon avis entre un père amp; fes enfans. „ Eh bien, dit Ie vieuxnbsp;Aymon, je ne confulterai que moi-même,nbsp;,, amp; mon exemple apprendra a route la terre,nbsp;,,que, lorfqu’il faut fervir fon Roi, on nenbsp;„ doit rien confidérer ; un vrai Chevalier,nbsp;,, lorfqu’il s’agit de l’honneur, n’a ni père,nbsp;„ ni femme, ni enfans AulTi-tót il envoyenbsp;défier Renaud , qui refufa Ie combat; maisnbsp;Ie père inexorable fit dire a fes quatre fils,nbsp;de fonger a fe défendre, ou qu'il leS traite-roit comme des Ikhes. Aymon range fa troupenbsp;amp; s’avance en furieux contre Renaud amp; fesnbsp;frères: Ils cherchèrenc plutót a éviter fesnbsp;coups qu’-i lui en porter; Renaud fe jeca.atinbsp;milieu de la troupe d’Aymon, amp; la forfa denbsp;reculer. Aymon la rallia, amp; revint avec plusnbsp;de furie; 1’ordre que fes enfans avoient donnénbsp;a leurS combattans de ménager leur père ,nbsp;leur devinc funefte : Une grande partie desnbsp;gcns d’Aymon furent tués; mais Renaud amp;nbsp;Richard, craignant toujours que quelque traitnbsp;échappé n’allat bieder leur père, ftifoientnbsp;faire k leurs bataillons de faufes manoeuvres.nbsp;Enfin, de cinq cents, leur troupe fe trouvanbsp;réduite ^ cinquante, dont encore quelques-unsnbsp;étoienc bledès. Renaud amp; fes frères, toujoursnbsp;pourfuivis par Aymon, gagnèrent une hauteur ; la (ituation du terrain , fuppléant aunbsp;nombre des combattans, ils fe défendirentnbsp;avec avantage; tous ceux qui s’approchoientnbsp;étoient moiffonnés. Alard eut fon cheval tuénbsp;de la main même de fon père; il alloit être
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fait prifonnier, fi Renaud eüt tardé plus long-temps de venir a fon fecours. Aymon avoit déja faifi Alard; Renaud frémit, amp;, renver-fant fon père ; „ Cruel, lui dit-il, c’eft mal-,, gvé moi que je porte fur vous une main té-„ méraire; mais vous m’y forcez pour vousnbsp;,, épargner un parricide. „ II dégage Alard ,nbsp;amp; ie fait monter en croupe fur Bayard. Cetnbsp;intrépide courfier parut plus léger encore,nbsp;lorfqu’il fut chargé de ce double fardeau. Renaud, après cette aftion, fembloit avoir acquis de nouvelles forces; il porta aux gensnbsp;de fon père les coups les plus terribles amp; lesnbsp;forga de reculer.
Le combat fembloit fini, lorfqu’Hermenfroi vint attaquer Renaud , amp; le mena9a de le li-vrer a Charlemagne; Renaud, indigné, met fanbsp;lance en arrêt amp; perce le Chevalier : II arrêtenbsp;fon cheval amp; le donne a Alard. Fier de ce pré-fent, Alard attaque Arfroi, le pilus vaillancnbsp;des Chevaliers d’Aymon. Arfroi, depuis lenbsp;commencement de cette guerre, avoit inuti-lement cherché 1’occafion de fe battre contrenbsp;quelqu’un des quatre frères; mais celle-rla futnbsp;la feule; Alard le renverfa mort du premiernbsp;coup. Aymon, a qui il reftoit encore dixnbsp;fois plus de monde qu’a fes fils, voulut ven-ger la mort de.ces deux Chevaliers; il attaque Alard avec routes fes forces , Renaudnbsp;vient au fecours, Richard amp; Guichard lenbsp;joignent a eux, leur petite troupe étoit linbsp;fatïguée, qu’ils combattoient feuls; ils fe bat-tirent en retraite jufqu’a une rivière, dont
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ils fadlitèrent le paflage a leurs gens; la, tournant le dos è la rivière, ils paroiflbientnbsp;comme quatre rochers, connelefquelsvenoientnbsp;cehouer tous ceux qui ofoient Jes atraquer.nbsp;S’ils avoient eu feulement cinquante com-battans, e’en étoic fait de la troupe d’Ay-mon; il ne leur en reftoit que quatorze.nbsp;Lorfque les fils d’Aymon les virent fur lenbsp;rivage oppofe, ils s’avancèrent dans lesflots.nbsp;Leur père envoya encore après eux une par-tie de fa troupe, qui, malheureufement pournbsp;die , s’engagea trop avant dans la rivière ;nbsp;lorfque Renaud amp; fes frères la virent luternbsp;contre le torrent, ils fe rapprochèrent, amp; ,nbsp;allant de foldat en foldat, ils ne firent qu’é-lever Si laifler retomber leurs lances fur leurnbsp;tête, amp; ils les fubmergèrent tous, 1’un aprèsnbsp;1'auire.
Aymon amp; Renaud avoient rejoincleur monde ; chacun, de fon cóté, éprouva la même triftefle en voyant le mal qu’ils s’étoient faicnbsp;I'un a 1’autre. Aymon fiottoit entre le re-mords de fa dureté envers fes enfans, amp; lanbsp;fatisfadtion fecrette d’avoir prouvé a fon Roinbsp;qu’il deteftoit leur félonie; il ne put refu-fer des larmes è leur fort; ils avoient toutnbsp;perdu, amp; il n’ofoit les fecourir. Il fit enter-rer les morts, amp;, après s’être arrêté, une feulenbsp;nuit, dans fes Etats, il reprit le cherain denbsp;Paris, avec les corps des deux Chevaliers,nbsp;qu’il fit conduire après lui; il fe préfenta inbsp;Charlemagne, amp; lui raconta tout ce qui ve-tioic de fe palier; il témoigna, furtout, un
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Les quntre fils
grand regret de n’avoir pu faire prifenniers fes quatre enfans, pour les lui remettre, fai-fant peu de cas du grand nombre d’hommesnbsp;qu’il lui en avoit coüté, s’il eüt pu réufllr.
Charlemagne, dont l’ame étoit grande amp; généreufe, amp; qui ne pouvoit refufer fon ef-time au courage de Renaud 8c de fes frères,nbsp;jeta un ceil d’indignation fur Aymon. „ De-5, puis quand, lui dit-il, 1'aigle dévore-t-ilnbsp;j, fes petits? C’ell vainement, Aymon, quenbsp;,, vous voudriez pevfuader k un Roi, qui eftnbsp;5, père comme vous, que vous avez fait anbsp;„ vos enfans lous les maux que vous dites;nbsp;,, Ce que je puis faire de mieux, en votrenbsp;,, faveur, eft de croire que vous me trompez;nbsp;„car, quelque odieux que foitle menfonge,nbsp;,, il 1’eft encore moins que 1’aveu parricidenbsp;„ que vous me faites.
Aymon fut ému de honte 8c de colère ; ,, Des reproches 8c des injures, répondit-il ,
font done la récompenfe des fervices que ,, 1’on rend aux Rois? Je les mérite, fansnbsp;„ doute, puifque mon zèle pour un ingracnbsp;„ m’a fait éroufter les cris de la nature; mais,nbsp;„ on -a roujours tort a vee les Princes, quandnbsp;„ tout ne réufilt point au gré de leurs vceux.nbsp;„ Si j’avois refté neutre, entre mes enfans 8cnbsp;„ vous, vous m’auriez cru leur complice; vousnbsp;„ me combleriez de faveurs, fi je les amenoisnbsp;„ k vos pieds. Quoi qu’il en fóit, il n’en eftnbsp;1, pas moins yrai que j’ai facrifié tous mesnbsp;„ vallaux, que j’ai fait périr leurs troupes, 8cnbsp;j, que je les ai réduits a la dernière extrémité;
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„ fi quelque fiatteur de votre Cour veut fou-,, renir le contraire, je lui prouverai qu’il a ,, menu Aces mots, Ayinon, furieux, for-Tic du Palais du Roi, amp;, Ians prendre congé , remonte a cheval, amp; revient auprcs denbsp;la Dtichefl'e; elle etoit venue au devant denbsp;lui; après avoir embralie Ton époux, fon premier foin fut de lui demander des nouvelles denbsp;leivrs enfans. Aymon lui raconta tout ce quinbsp;s’étoit pafle depuis la mort de Berthelot, juf-qu’a 1’accueil que Charlemagne venoit de luinbsp;faire.
„ Jufte recompenfe de votre cruauté, lui dit-j, elle! Eh! quoi, barbare, n’étoit-ce pas aflez ,, d’avoir promis au Roi de ne prendre aucunnbsp;„ parti, ni pour,' ni centre vos enfans? c’é-„ toit le plus grand facrifice qu’il put exigernbsp;„ d’un pere. Parmi les monftres des forets, ennbsp;„ eft-il quelqu’un qui, voyant fes petits ennbsp;,, danger , ne iafle tout ce qu’il peut pour lesnbsp;,, fecourir? amp; vous, fans aucune néceffité,nbsp;„ par une vile adulation , vous les perfecutez,nbsp;,, vous faites tons vos efforts pour les livrernbsp;„a un ennemi qui a juré leur perte! Lorf-,, que vous avez tourné vos armes contre eux,nbsp;„ que vous les avez forces a fe défendre, quenbsp;„ le brave Renaud s’eft contenté de détotirnernbsp;,, le fer de votre lance, moins pour éviternbsp;„ la mort, que pour vous épargner un par-„ ricide, vos entrailles ne fe font-elles pointnbsp;,, émues?0 mesenfans! quenepuis-je,danscenbsp;„ moment, vous aider d fupporter les- mauxnbsp;gt;t 0Ü votre père vous a plongés! Aymon Pin-
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Zes qmtrt fils
„ terrompit : Ah ! chère époufe , n’ajoutez „ point aux remords qui me déchirent! Vousnbsp;,, Pavouetai-je? c’eft malgié moi que j’ai com-j, battu contre mes fils; je croyois qu’il falloit
tout facrifier a fon maitre.... Oui, reprit „ la Duchefle, tont, excepté la nature ; ellenbsp;,, a fes droits fur l’elhlave Ie plus abjeft amp; I9nbsp;„ plus foumis.
Aymon, 1’ameflétrie partant de reproches, alloit tomber aux pieds de Ibn époufe; ellenbsp;Ie retint dans fes bras, amp; y retrouva les fen-timens qu'ilavoit fi long-temps combattus.
CHAPITRE VL
Extréme misère des fi!s (Vylymon. Ils ont re~ cours d leur mere. Entrevue tonchante. Co-lère feinte amp; politique d'ylymon. lis fortentnbsp;du Chdteau avec cent hommes d’armes, amp;nbsp;comblés de préfens amp; de bienfaits de leurnbsp;mere. Aymon les attaque amp; leur donne troisnbsp;cents hommes d''armes. Maugis efl d leurnbsp;tête. Renfort de trois cents hommes. Offrenbsp;de fervices au Roi de Gafcogne.
T vF.s malheureux fils d’ Aymon, après avoir perdu leurs foldats amp; leur ttéfor, erroient dansnbsp;les forêts d’Ardenne, difputant aux bêies fé-roces leur nourriture vivant de la chafle ,nbsp;amp; n’ayant d’autre afyle, pour fe garantir du
-ocr page 85-froid, que des tanières d’animaux, ou des cavernes humides amp; couvertes de neige. Lenrsnbsp;chevaux ne trouvoient que des feuilles sèchesnbsp;amp; des racines; a peine pouvoient-ils porternbsp;leurs mairres; le feul Bayard avoir confervénbsp;route fa vigueur. Les armes des Chevaliersnbsp;dépériflbient comme eux; fi la juftice ne lesnbsp;cut pas dirigés; s’ils avoient été auffi cruelsnbsp;que leur père, ils auroient pu fe fervir denbsp;leur force pour mettre a contribution fes vaf-faux ; ils auroient pu, par des pirateries pref-que neceffaires, vivre a fes depens amp; 1’affa-mer dans Ion Chateau. Ce qui les chagrinoitnbsp;le plus, c’eroit que, dans 1’état ou ils etoientnbsp;réduits, ils ne pouvoient aller cherclier lesnbsp;aventures, ni offrir leurs fervices d quelquenbsp;Prince. Car, comment fe prcfenter, fans armesnbsp;amp; fans argent? D’ailleurs, une grande partienbsp;de 1’Europe étoit foumife a Charlemagne,nbsp;amp; il étoit dangereux de fe montrer fans ef-corte.
Renaud dit j un jour, a fes frères : „ Nous „ languiflbns, depuis long-temps, dans unenbsp;,, honteufe oifiveté ; ne nous fera-t-il donenbsp;,, jamais permis de fortir de ces trifles fo-,, réts? La crainte d’un père dénaturé doit-„ elle nous priver, pour jamais, de revoirnbsp;5, les lieux qui nous ont vu naitre, amp; de vo-,, ler dans les bras d’une tendre mère ? Quel-,, que alarmée qu’elle doive étre fur notrenbsp;„fort, quelle feroit fa peine, fi elle favoitnbsp;,, notre fituation ? II n’y a cei^endant, qu’ellenbsp;s, qui puifl'e nous en retirer; mais, comment
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Les quatre fils
5, la lui faire connoicre,,. Alard 1’interrompit:
,, En allant nous-mêmes, dit-il, implorer fon „ fecours: Qu'avons-nous k craindre ? Quel-j, que irrité que foit notre père, vous faveznbsp;„ que nous fommes chéris dans fes Etats; ilnbsp;5, n’oferoit jamais attenter fur nous d’ailleurs,nbsp;„ nous fommes fi changes, la nature lui parle finbsp;,, peu en notre faveur , qu’il auroit bien denbsp;„ la peine a nous remettre.
Alard décida fes frères; ils attendirent que la nuit fütvenue, amp; fe mirent en route pournbsp;arriver, le lendemain, dans !e temps qu’ilsnbsp;favoient qu’Aymon étoit a la chafle. Ils s’ar-Têtèrent k quelque diftance du Champ;teau; ilsnbsp;s’informèrent fi le Due Aymon y étoit; ilsnbsp;apprirent qu’il chaflbit, depuis le matin, avecnbsp;quelques Seigneurs du voifinage ; ils avan-cèrent , alors, avec fureté , non fans jeternbsp;l’épouvante amp; l’étonnement dans I’efprit dunbsp;peuple. La maigreur de leurs chevaux, lesnbsp;vifages pSles amp; livides des Chevaliers, leursnbsp;barbes longues amp; épaifles, les rendirent mé-Connoiflables a leurs meilleurs amis; on lesnbsp;prenoit pour de pauvres étrangers échappésnbsp;aux fers des Sarrafins; perfonne ne fe doutanbsp;de la vérité; ils demandèrent a parler k lanbsp;Duchefle, on les introduifit dans le Chateau,nbsp;qu’ils parcoururent fans rencontrer perfonne ; ils parvinrent jufqu’a fon appgt;artement ;nbsp;elle fe leva, amp; vint au devant d’eux.
„Que demandez-vous, leur dit-elle; qui ,, êtes-vous, amp; en quoi puis-je vous fervir?nbsp;„ Généreufe Princefle, ïépoiidit Alard, nous
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M fommes quatre infortunés échappés a la fu-,, reur d’un Prince injufte, qui a jure notre ,, perce, amp; qui nous a óté jufqu’a la volonténbsp;V de nous venger de lui La pauvreté ellnbsp;Ie moindre de nos malheurs; Ie cruel! il lïousnbsp;éloigne de ce que nous avons de plus cher aunbsp;monde. „ Hélas! s’écria la Ducheffe , c'eft,nbsp;„ fans doute, de vos époufes, ou de vos en-„ fans. J’en eus quatre, qui faifoient toute lanbsp;„ joie de leur mère, Un fort cruel les éloignenbsp;„ de moi, peut-être ne les reverrai-je jamais;nbsp;„ ils font perfécutés, comme vous; commenbsp;,gt;vous, ils gémilTent, peut-être, dans unenbsp;„ pauvreté avilifiante; car, quel eft Je Princenbsp;,, aii’ez généreux pour braver, en les fecou-„rant, ou en les prenaut a fon fervice, Ienbsp;,, courroux de Charlemagne? C’eft ce puiflancnbsp;,, Roi qui les pourfuit, amp; qui, peut-être, anbsp;,, mis leur tête a prix. Ils auront, fans doute,nbsp;„ interrompit Richard, pris leurs précautionsnbsp;,, pour n’être pas reconnus. Hélas! dit la Du-„ chehe, ils ne font que trop aifés a recon-,, noitre; beaux, jeunes, a Ia fleur de leurnbsp;,, age, chargés d’exploits glorieux, leurs nomsnbsp;„ fe font rendu célébres aux deux bouts denbsp;,, la terre.... Ah ! je la détefte, cette célébrité,nbsp;„ qui ftifoit, autrefois, ma gloire.... Mais,nbsp;„ pourquüi vous importunai-je de leurs éloges?nbsp;„ pardonnez une mère qui cherche des coeursnbsp;,, fenfibles qui puiflent partager fa tendrefle.nbsp;,, Vous êtes roalheureux comme mes fils, vousnbsp;„ devez m’être chers; expofez-moi vos be-j, foins avec confiance.
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Renaud fondoic en larmes; fon affliftion attira les regards de laDuchelTe; elle Ie fixe;nbsp;il bailïe la vue, en s’écriant : ,,'Ahl Ma-,, dame, pourquoi la nature ne parle-t-ellenbsp;„pas au coeur de votre époux, comme ellenbsp;„ fe fait entendre au vótre? „ Cette réflexionnbsp;la frappa ; malgré l’épaifieur de fa barbe amp; Ienbsp;hale qui Ie défiguroit, elle crut démêler lesnbsp;traits de 1’ainé de fes fils; elle releva lesche-veux qui lui couvroient Ie front, amp; reconnucnbsp;une cicatrice que Renaud 'eut dans fon en-fance. „ Ah! mon fils, s’écria-t-elle, ah!nbsp;„ Renaud— „Ne pouvant fuffire a fa ten-drefle, elle s'évanouit; Renaud appela du fe-cours, amp;, lorfque la Duchefle revint, elle fenbsp;trouva dans les bras de fes enfans; elle nenbsp;favoit a qui elle devoit prodiguer plus de ca-refles; elle leur fait mille queftions è la fois,'nbsp;amp;, fans leur donner Ie temps de lui répon-dre, elle ordonne qu’on leur prépare un fu-perbe feftin. Tantót, c’eft du foin de leiir parure qu’elle parolt occupée, tantót c’eft denbsp;celui de leur procurer du repos : Elle vou-droit fatisfaire tous leurs befoins ü la fois;nbsp;elle leur parle d’Ayraon, leur raconte 1’ac-cueil que Charlemagne lui avoic fait, amp; Ie re-pentir qu’il éprouve. Ils font pénétrés de joienbsp;de ce retour de leur père; ils veulent allernbsp;au devant de lui; leur mère les arrête; Tamsnbsp;d’Aymon n’étoit pas encore aflez calme poufnbsp;les voir de fang-froid; elle fe charge de Ienbsp;prévenir fur leur arrivés; elle entend du bruitnbsp;dans la cour du Chateau, c’étoit Aymon qui
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revenoit de !a chaffe; elle les fait cadier dans un cabinet voifin, amp; 1’atrend dans le troublenbsp;amp; I’agitation. II entre; elle court a lui en fondant en larmes : ,, Ah ! mon ami, s’ccrie-,, t-elle, je viens d’apprendre des nouvellesnbsp;,, de nos enfans; réduits a I’indigence, acca-„ blés de maux, la crainte de votre courrouxnbsp;,, ne leur permet point d’aller oftrir leurs fer-„ vices è aucun Prince ni Seigneur. Depuisnbsp;„ votre dernier combat, ils one erré dans ies'nbsp;„ forêts. Un feul témoignage de votre amitiénbsp;„ les rameneroit a vos genoux.
Aymon fe fentit attendri, il ctoit agité de différens mouvemens. II edt voulu les revoir,nbsp;la crainte de déplaire è Charlemagne le rete-noit; il confentoit que fon époufe les rappelat,nbsp;il le defendoit un moment après. Il avoit devancnbsp;les yeux les flammes qui avoient confumé Mont-'nbsp;fort; il craignoit le même malheur pour fesnbsp;Etats. Il ne favoit que réfoudre, lorfque lanbsp;Duchefle s’élance de fes bras dans le cabinet ounbsp;étoient fes enfans, amp; les conduit aux genouxnbsp;de leur père.,, Les reconnoiflez-vous dans cetnbsp;,, état, lui dit-elle, cruel! il ne vous refle plusnbsp;„ qu’a les livrer au Roi. Ah! s’il les voyoit'nbsp;„ dans 1’humiliation ou vous les avez réduitsnbsp;„ vous-même, il en feroit touché,,. Aymon,nbsp;la vue égarée, cherchant a fe diftraire d’unnbsp;fpeélacle qui 1’attendriflbit, malgré lui, étouf-foit fes larmes amp; fes foupirs. Enfin, la craintenbsp;amp; 1’ambition 1’emportarit fur fa tendrefle ;nbsp;„ Fuyez, leur dit-il, fuyez le jufte courrouxnbsp;), d’un père amp; d’un Roi. Ah! malheureux,
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,, dans quels maux vous me plongez! 0 nion 5, pèrel s’écria Renaud, quel plus grand malnbsp;») pouviez-vous nous faire? c’eft vous quinbsp;f, avez détrujt notte dernière efpérance. Jenbsp;f, vous jure que nous ne voulons aucun malnbsp;5, a Charlemagne, amp; que nous ne défirons quenbsp;,, de le forcer a la paixnous en lerions ve-,, nus a hour. La paix avec des traitres! re-,, prit le Due : Ah! ne Pefpérez jamais; ilnbsp;,, me foup^onne de favorifer fecretteinent vosnbsp;,, defl'eins, amp; cela fuffit pour que je doivenbsp;„ m’oppoihr a tout accord. 0 ciel! interrom-¦„ pit la Duchefle ; non, mes enfans, votrenbsp;„ père ne le penfe pas, je 1'ai vu s'attendrirnbsp;,, fur votre fort; il vous aime; ii panage minbsp;„ tendreffe pour vous; menagez un relte denbsp;„ foiblefle. Eh bien! reprit Alard, nous al-,, Ions le délivrer de nocre préfence impor-„ tune ; mais, du inoins, qu’il ne nous re-,, fufe point un fecours qu’il accorderoit a. desnbsp;„ Chevaliers étrangers amp; malheureux.
Aymon ne put retenir plus long-temps fes larmes. „ Non, dit-il, c’eft moi qui vaisnbsp;,,fuir, amp; ne pas vous priver de jouir desnbsp;,, careffes de votre heureufe mère. Madame,nbsp;„ continua-t-il, en fe retournant vers elle ,nbsp;a, je ne ferai de retour qu’après-demain ¦, vousnbsp;,, êtes la dépofitaire de mes tréfors, vous pou-,, vez en difpofer comme vous jugerez a pro-j,pos : Adieu, je pars,,. II Ternbrafle, luinbsp;recommande ie plus grand fecret, amp; va re-joindre les Chevaliers avec lefquels il venoicnbsp;¦de chaffer.
-ocr page 91-A peine fut-il forti, que cette tendre mère, les embrafTant I’un après 1’autre, leur fit ob-ferver que, fi leur père ne leur donnoic pasnbsp;les lémoignages des fentimens qu’il éprouvoit,nbsp;c’étoit par contrainte, amp; qu’ils ne devoientnbsp;pias Ten aimer moins; qu’ils pouvoient étrenbsp;allures de Ion amour, amp; que, dans tout cenbsp;qui ne regarderoit pas le Roi, il ne leur fe-roit pas contraire. Renaud amp; fes frères lanbsp;prièrent d’être médiatrice entre leur père amp;nbsp;eux; ils lui jurèrent qu’ils avoient, amp; qu’ils_nbsp;auroient toujours pour lui, 1’amour le plusnbsp;tendre, dür-il les haïr.
La Ducheflè les fit diner avec elle, amp;, dans la crainte que fes fentimens ne trahiflènt lenbsp;feeree que fon mari lui avoit recommandé,nbsp;elle fit Ibrtir tout le monde; elle leur donnanbsp;des. armures amp; un habillement convenable anbsp;leur état; elle fit venir Mainfroi, le fils denbsp;fon Ecuyer, jeune homme d’une fagelle amp;nbsp;d’une valeur reconnues, elle le fit mettre, knbsp;table, a cóté d’elle, amp; lui demanda s’il ne dé-firoit point de s’attacher a quelque brave Chevalier, pour mériter de le devenir a fon tour.nbsp;Mainfroi lui répondit, que le feul Chevaliernbsp;qu’il eüt voulu fervir, étoit Renaud, ou quel-qu’un de fes frères; mais que, défefpérant denbsp;les revoir jamais, il avoit renoncé a tout autre fervice qu’a celui de la Ducheflè. Alors,nbsp;elle lui dit tout ce qui fe paflbit; Renaudnbsp;embrafla Mainfroi, qui fe confacra k lui dèsnbsp;ce moment. On lui dit de quelle importancenbsp;il étoit, que perfonne ne fut que les fils d’Ay-
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mon étoient avec leur mère; on Ie chargea d’engager trois autres Ecuyers, qu’on lui nom-ma, pour partir dans la nuit dü lendemain.nbsp;Mainfroi protnic Ie feeree Ie plus inviolable,nbsp;amp; fe chargea des préparatifs du voyage; ünbsp;eut Ie plus grand foin des chevaux des Chevaliers , amp;, furtout, il cacha aux trois Ecuyersnbsp;les noms de ceux qu’ils devoient fervir; ilsnbsp;ne les apprirent que lorfqu’ils furent hors desnbsp;Etats de Charlemagne.
LaDuchefle,pendant tout cejour, amp; Ie lendemain, diftribua a fes enfans Ie tréfor de leur père , leur fit faire un équipage brillant,'nbsp;amp; Mainfroi ordonna, au nom du Due Ay-ïflon, une levée de cent hommes pour fe ren-dre, dans trois jours, k Sedan.
Tout ayant été conduit dans Ie plus grand fecret, amp; Ia nuit étant déja avancée, ils mon-tèrent a cheval dans la cour du Chtlteau. Leurnbsp;mère fondoit en larraes du regret de les quitter •, elle les embrafla mille fois; ils ne pou-voient fe féparer d’elle; ils lui recommandè-rent leur père; elle les aflura de fon amitié,nbsp;amp; les exhorta de fe conduire toujours aulSnbsp;fagement qu’ils 1’avoient fait.
Enfin, ils fortirent du ChSteau; ils trou-vèrent, è. peu de diftance de la Ville, leurs Ecuyers qui les attendoient. A peine furent-ils hors des Ardennes, qu’ils rencontrèrentnbsp;Ie Due Ayraon, avec trois cents hommesnbsp;magnifiqnement équipes. Les quatre frères ennbsp;furent effrayés; ils arrêtèrent; Aymon quittenbsp;fa troupe, s’avancc vers Renaud, amp; lui dit
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#n Xecret : „ Mon fils, je fuis au défefpoir ,, des maux que je vous ai caufés; c’eft malgrénbsp;„ moi que je vous ai combattu; e’eft a la poli-,, tiquequeje vous ai facrifié, amp; uonamonref-„ fentitnent. Après tout ce que j’ai fait con-,, tre vous, je fuis encore fufpeft a Charles;nbsp;„ que feroit-ce, lij’avois gardé plus de ména-,, gemens? Je ne puis rne juftifier d’un crimenbsp;,, qu’en paroiflant coupable d’un autre. Tellenbsp;,, eft ma fituation. Adieu; les trois cents hom-,, mes qui me fuivent font a vous; Ie Che-„ vqlierqui les conduit, vafeindrede m’aban-,, donnet; il fait mon feeree, il n’en abuferanbsp;,, pas. Adieu; foyez toujoursaulfi braves, auffinbsp;„ prudens amp; aufli généreux que vous 1’étes.
En difant ces mors, il prend un air cour-roucé, amp; s'éloigne, en mena9ant fes enfans; il met fa lance en arrêt, amp; appelle fa tröupe anbsp;fon fecours : Celui qui la commandoit s’ap-proche, amp; tourne fes armes centre Aymon,nbsp;qui paroit furieux. Le Commandant de cettenbsp;troupe ordonne a fes foldats de fe ranger dunbsp;parti de ces quatre Chevaliers, amp; leur déclarenbsp;qu’ü- l’avenir, ils feront fous leurs ordres.nbsp;Cette feinte défertion fut exécutée avec unenbsp;li grande vraifemblance, que dix des fervi-teurs d’Aymon, qui n’étoient point du fecret,nbsp;fondirent fur les transfuges; ils furent repouf-fés amp; raccompagnèrent leur maitre a fon Chateau. Peu de jours après, il répandit le bruit,nbsp;que les Chevaliers qui avoient débauché fesnbsp;foldats amp; emporté fon tréfor, étoient fesnbsp;ptropres enfans, qui s'étoient rendu mécon-
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Zes quatre fits
noiflables a leur père amp; a leur nière, pat uh déguifement indigne d’eux; il fit partir unnbsp;courtier pour en prévenir Charlemagne, quinbsp;fut la dupe de cecte fable, amp; qui ne défap-prouva pas la conduite des Chevaliers enversnbsp;un père fi inhumain.
Le Chevalier, qui conduifoit la troupe d’Aymon, garda le plus profond filence, juf-qu’il ce qu’ils fuflent éloignés de trois lieuesnbsp;des terres da Due. Alors, il leva la vifièrenbsp;de fon cafque, amp; les quatre frères reconnu-rent Maugis, leur coufin; ils coururent a lui,nbsp;tous a la fois; ils 1’accablèrent de carehes;nbsp;ils ne concevoient pas par qüel hafard il fenbsp;trouvoit dans les Etars de leur père. Maugisnbsp;leur apprit que Charles avoit mis fur piednbsp;upe puiflante armée, qu’on ignoroit encorenbsp;contre qui il devoit diriger fes coups; maisnbsp;qu’il croyoit que le Due d’Ayinon étoit ré-concilié a vee fes enfans, amp; qu’en conféquence,nbsp;il ne^ravoit pas invité de le fuivre ; „ Lenbsp;,, bruit 4e la rupture de Charles avec Aymon,nbsp;„continus Maugis, étoit fi bien accrédiré,nbsp;„ que je fuis'venu ofFrir mes fervices, amp; ceuxnbsp;„de mes oncles, a votre père; il m’a parunbsp;„ plus attaché que jamais a ce Prince; il anbsp;,, été fincèrement affligédes bruits qui s'étoientnbsp;„ répandus d ce fujet; il eft vrai que, dansnbsp;„ un moment de dépit, Charles 1’a aceufénbsp;„ d’être de moitié dans les complots de fesnbsp;„enfans; il n’a pas eu de peine a me per-5» fuader le contraire. Cependant, il fe repro-)) che en feeree les maux inutiles ^u’il vous
-ocr page 95-,, a fa its. J’ai voulu 1’engager a fe raccom-„ moder avec vous: II m’a juré qu’il n’écoic „pas votre ennemi, mais que jamais il nenbsp;„ vous donneroic des témoignages publics denbsp;„ fon amitié [ il m’a offert rrois cents hommesnbsp;,, d’armes, en me permettant d’en faire 1’u-,, fage que vous voyez que j’en ai fait. Votrenbsp;„ père défireroit que nous allaffions en Ef-„ pagne« pays fertile en aventures, amp; quinbsp;„ pourra nous] fournir des occafions de nousnbsp;,, faire eftimer de Charlemagne, amp; de 1’enga-„ ger a nous rendre.fon amitié.
Maugis parloit encore, lorfqu’ils rencon-trèrent, a Rheims, trois cents hommes fous les armes Alard partoit pour les reconnoitre,nbsp;amp; Renaud fe difpofoit a combattre : „ Ar-„ rêtez, leur dit leur coufin, cette affaire menbsp;„ regarde , amp; je vais, d’un mot, les met-„ tre a la raifon „. Maugis part s’approchenbsp;de celui qui commande, amp;, aufli-tót, cenbsp;corps fe divife en deux parts; moitié fe meenbsp;en inarche pour faire l’avanr-garde, amp; Ie reftenbsp;attend que les quatre cents hommes des Chevaliers foient paüés. Les quatre frères regar-doient cette mancEuvre avec furprife , lorf-que Maugis vint les tirer d’inquiétude; il leurnbsp;apprit que ces hommes d’armes étoient a lui,nbsp;amp; qudl leur avoit donné ordre de 1’attendrenbsp;a fon retour.
Les Chevaliers délibérèrent fur la route qu’ils devoient tenir. Ils convinrent qu’il falloit évi-ter Paris; ils prirent des chemins détournés,nbsp;raarchantj Ie plus qu’iis pouvoiepc, a tra-
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vers les forêts ; Ils arrivèrent dans la Brie, gagnèrent Orleans, on ils paflerent la Loirenbsp;amp; fe rendiren t, enfin, a Poitiers. Quoiqu’ils fuf-fent en pays ennetni, ils fe contentèrent d’y fairenbsp;vivre leur troupe aux depens de Charlemagne.
Ils avoient projeté d’aller en Efpagne •, mais ils apprirent , è Poitiers, que Boulag-Akaficnbsp;avoir chafle du tróne d’Aquitaine le Roi Yon,nbsp;amp; qu’il devoir 1’attaquer dans Bordeaux, avecnbsp;une armee de vingr mille Sarrafins.
Renaud, quine s’étoit exercé depuis long-temps, propofa d’aller fecourir le Roi d’Aquitaine; En fix jours, ils arrivèrent è Bordeaux ; ils firent arrêcer leur troupe a Blaye, amp; fenbsp;préfentèrent chez le Roi, ou ils trouvèrentnbsp;un grand nombre de Chevaliers, mais aucunnbsp;ne pouvoit fe comparer a Renaud; fa taillenbsp;majeftueufe , fa démarche fiére, fon regardnbsp;nobie amp; dotix, le faifoient admirer des hommesnbsp;amp; adorer des femmes. Ses frères, amp; fon coufin,nbsp;ne le cédoient en beauté qu’a Renaud. Le favorinbsp;du Roi, en les voyant entrer dans le Palais,nbsp;fut frappé, amp; Vint au devant d’eux ; Ils de-mandèrent d’être préfentés a fon maitre; ilnbsp;éroit au Confeil; le Courtifan les pria d’at-tendre un moment. Renaud lui fit pjufieursnbsp;queftions au fujer de Boulag-Akafir, amp; il appricnbsp;que cet intrépide Sarrafin avoir conquis depuis Arles jufqu’aux Pyrénées, qu’il étoir lenbsp;maltre de Touloufe, de Montpellier amp; desnbsp;Villes les plus confidérables des bords de lanbsp;Garonne; qu’il en avoir brülé plufieurs, amp;nbsp;pafle les habitans au fil de 1’épée.
-ocr page 97-Renaud faifoit encore des queftions, lorf-que le Roi parut; il prit fesfrères, amp; Maugis, par la main, amp;, en les lui préfentant: „ Sire,nbsp;„ lui dit-i!, nous fommes cinq étrangers, tousnbsp;„ Chevaliers, nés dans une fortune bien diffé-„ rente de celle que nous pofledons aujour-,, d’hui. Nous venons vous offrir notre fecours;nbsp;„ nous avons fept cents hommes d’armes inbsp;,, notre folde; nous ne vous demandons d’au-^ tre récompenfe , ii vous êtes content denbsp;,, nos fervices, que de nous protéger amp; denbsp;„ nous défendre, lorfque nous vous deman-,, derons aide amp; fecours Le Roi parut très-üitisfait de leurs offres; avant de les accepter, il voulut favoir qui ils étoient: Renaudnbsp;ne fe fut pas plutóc nommé, qu'Yon témoignanbsp;la plus grande joie; il connoiflbit la valeurnbsp;des quatre fils d’Aymon, amp; leurs infortunes:nbsp;Quant a Maugis, il ne put s’empècher de con-damner l’affaffinat deLothaire, mais il blamanbsp;le Roi de n’avoir pas vengé fur Ganelon, lanbsp;mort cruelle de Beuves. Yon remercia le Cielnbsp;de lui avoir envoyé ces vaillans Chevaliers.nbsp;„ Si votre Roi voiis a profcrits, leurdit-il, linbsp;,, votre père vous a déshérités, un tyran s’efl:nbsp;,, emparé de mes Etats; nos fortunes fontnbsp;„ communes; que notre union foit fincère amp;nbsp;,, durable. Vous voulez m’aider a reconqué-,, rir mon tróne, je promets de vous aider,nbsp;„ de tout mon pouvoir, contre vos ennemis,nbsp;,, quels qu'ils foient,, Le Roi les retinc amp;nbsp;Youluc qu’ils fuffent logés dans fon Palais.
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Les quatre fils
CHAPITRE VIL
Combat des fih d’^ymon contre hs Sarrafins. Jienaud force leur Koi a fe rendre amp; dnbsp;abjurer Mahomet. Boulag-yJkafir cède fesnbsp;conquêtcs au Hoi. Renaud demande , pournbsp;toute récompenfe, de fe bdtir un fort furnbsp;la Dordogne. Chêteau de Montaubaii. Lenbsp;Roi de Gafcogne lui donne fa fxar Tolande,nbsp;qui Vaimóit en fecret.
X-r/ E Roi lt;les Gafcons eut avis que les Sarra-fins étoient en marche, amp; qu’ils n’étoienc point éloignés de Bordeaux. Renaud partit uuffi-tót,nbsp;amp; fic palier la Garonne a fes iroupes. Boulag-Akafir étoit parti de Touloufe avec vingt millenbsp;combattans; il établic fon camp a deux lieues denbsp;Bordeaux; ilenvoyaun détachement de quatrenbsp;cents Sarrafins pour lever des contributions, amp;nbsp;pour ravager tout le plat-pays. Dès qu’ils paru-rent, la Ville fut en alarmes. Renaud, étancnbsp;monté fur lesremparts, vit qu’il y avoit peunbsp;de danger; il apergut de loin le camp des enne-mis, amp; jugea que 1’arinée ne tarderoic pas anbsp;fe mettre en mouvement; il fait armer fesnbsp;frères, s’arme lui-même, amp; dit a Maugis d’allernbsp;prendre le commandement de leurs hommesnbsp;d’armes.
Renaud, monté fur Bayard, alia au devanc du Roi, amp; lui dit d’étre tranquille, qu’il alloit,
-ocr page 99-avec fes frères, amp;. fa troupe, au devant des. ennemis; qu’après avoir chafle ce detachement, il attaqueroit le camp, afin d’engagernbsp;une adion; il pria le Roi de tenir fon arméenbsp;toute prête a partir au premier fignal. Renaudnbsp;fortit de la ville avec fa troupe, joignit lenbsp;detachement amp; en tua une bonne partie.
Dès le commencement de I’attaque, I’armee ennemie s’etoitmife en marche; ce qui reftoitnbsp;du détachement fe rallia amp; fe battiten retraite;nbsp;Maugisle fuivit, amp; tomba dans une embufcade;nbsp;On Combattit avec acharnement; mais 1’avan-tage étoit tout pour Maugis. Cependant ,nbsp;Boulag-Akafir s’avance avec fon année; fanbsp;marche étoit rapide amp; fiére; 1’armée, moinsnbsp;Eombreufe, d’Yon , fe déploye dans la plaine.nbsp;Renaud 1’anime du feu de fes regards: Ellenbsp;attend le fignal du combat avec impatience,nbsp;Boulag-Akafir, accoutumé a vaincre, s’appro-che de Renaud pour le frapper, fon épée tombenbsp;fur un Chevalier gafcon amp; le pourfend jufqu’dnbsp;la felle de fon cheval; Alard veut le venger,nbsp;le terrible Sarrafin fe derobe a fes coups, qui ter-raflent deux Sarrafins amis de Bou'ag Le combat devient général; Yon, étonné des prodigesnbsp;de valeur des fils d’Aymon, court h leur fe-cours, amp; n’abandonne plus Renaud; il animenbsp;fes troupes, qui ne donnent pas aux Sarrafinsnbsp;le temps de frapper; leur loi leur défendoit denbsp;fuir, quel que fut le danger, ils fe laiflbiencnbsp;égorger, en benillant le Prophéte. Boulag, lesnbsp;voyant réduits a un petit nombre, ordonnenbsp;la retraite; il ne put la faire, fans perdre en-
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core beaucoup de monde: MalgréMahomer, il fe determine a la fuite; Renaud s’attachenbsp;a fes pas. Boulag montoit un cheval arabe,nbsp;done la vitefle égaloit celle des vents; Bayardnbsp;avoit de la peine k Ie fuivre; en moins denbsp;trois heures, ils avoient laifle Bordeaux a plusnbsp;de trence lieues derrière eux, amp; n’étoietrt pointnbsp;éloignés deTouloufe; Ie RoiYon, amp; les frè-res de Renaud, ne favoient ce qu’il étoit de-venu; ils 1’avoient perdu de vue dans la cha-leur du combat, ils Ie firent chercher parminbsp;les morts; les airs retentiflbient de leurs cris.nbsp;Yon cherchoit en vain a les confoler; il pro-mit de donnet la moitié de fon Royaume pournbsp;la ranfon de Renaud, s’il étoit pris, amp;, linbsp;cela ne fuffifoit pas, il jura qu’il fe donne-roit lui-même. II ne voulut point rentrer dansnbsp;Bordeaux, qu’il n’en eüt des nou velles; Mau-gis, les trois frères, amp; Yon, efcortés de deuxnbsp;cents Cavaliers, marclièrent fur les traces desnbsp;ennemis.
Cependant, Renaud atteignit Boulag-Alcafir; Ie Sarrafin vit, en frémifl’ant, ce Chevaliernbsp;intrépide, qui avoit détruit une partie de fonnbsp;arroée „ Brave Chevalier, lui dit-il, vous nenbsp;„ ménagez pas aflez votre cheval, Que t’im-,, porte? dit Renaud; défends-toi;j’ai promisnbsp;„ ta tête au Roi d’Aquitaine, amp; je viens lanbsp;„ chercher „.LeSarrafin, nepouvant éviterlenbsp;combat, attaque Renaud, fa lance fe brifenbsp;fur fon écu; le fils d’Aymon fond fur lui l’épéenbsp;a la main, amp; le frappe fi vigoureufement furnbsp;fon cafque, qu’il le jette loin de fon che-
-ocr page 101-val, Boulag fe relève, encore étourdi de fa chute. Renaud ne voulut point combattrenbsp;cheval contre un homme a pied; il defcend amp;nbsp;attend que Boulag fe foit remis; alors, ils s’é-lancent 1’un vers 1’autre, amp; cherchent a fenbsp;porter des coups funeltes. Tandis quhls lut-tent, Ie cheval de Boulag effrayé, s’enfuit anbsp;travers les champs•, Bayard, qui fembleaniménbsp;de 1’efprit de fon niaitre , court après lui,nbsp;1’atteint, rue, Ie movd, Ie faiflt avec fes dentsnbsp;par la crinière, amp; Ie ramène au lieu oü lesnbsp;Chevaliers fe combattoient.
Boulag avoit re9u deux bleflures, Renand 1’avoit terralle, amp; fe difpofoit a lui porternbsp;Ie dernier coup. „ Généreux Chevalier, luinbsp;„ dit-il, accorde-moi la vie, amp; demande-moinbsp;„ Ie prix que tu voudras', tout ce que je pof-„ sède eft a toi. Non , répondit Renaud,nbsp;,, garde tes dons, je ne veux rien devoirnbsp;,, qu’a mon épée; mais, fi tu tiens a la vie,nbsp;„ il n’eft qu’un moyen de la conferver ;nbsp;„ quitte ton abfurde Prophéte, qui n’a punbsp;„ te fauver , amp; embrafle une religion plusnbsp;„ pure amp; plus raifonnable. Promets-inoi d’ab-„ jurer Mahomet amp; de te faire chrétiennbsp;Boulag-Akafir avoir long-temps réfléchi futnbsp;1’Alcoran; il s’étoit apergu que fes dogmes n’é-toient que 1’apologie des gouts, des vues po-litiques amp; ambitieufes de leur auteur; que cenbsp;qu’il contenoit de plus raifonnable, étoit unenbsp;légiüation accommodée au génie amp; au carac-tère des peuples, que Ie Prophéte avoit fou-mis, OU qu’il efpéroit de foumettre; il ne
-ocr page 102-•voyoit rien de divin, rieii même qui ne fftc au deffbus du grand homme dans fa morale.nbsp;Boulag n’héfua point. „ Chevalier, lui dit-il,nbsp;je connois ta religion; fi je croyois que lanbsp;„ mienne fOic meilleure, mille trépas ne menbsp;5, la feroient point abandonner; rien n’eft plusnbsp;,, Ikhe que d’adopter ce que 1'on ne croit pas,nbsp;„ amp; d’abjurer Ie fyflème même Ie plus ridi-,, cule, lorfqu’on Ie croit vrai, malgré fes ab-furdités. Je me rends è vous, je fuis votrenbsp;„ prifonnier, voila mon épée Renaud lanbsp;regoit, 1’embrafle, 1’aide a fe relever amp; Ienbsp;remet lui-même fur fon cheval, plus contentnbsp;de cette conquête, que s'il avoit tué dixnbsp;mille Sarrafins de fa main.
Boulag-Akafir amp; Renaud s’en retournoient a Bordeaux, fe livrant a Ia confiance, amp; dif-courant fur la religion des Chrétiens amp; furnbsp;les mceurs féroces des enfans du Prophéte ; ilsnbsp;furent rencontrés par Yon amp; fa fuite; Ie Rol,nbsp;Maugis amp; les frères de Renaud, verfèrent desnbsp;larraes de joie, en retrouvant ce héros : IInbsp;préfenta Boulag au Roi, en Ie priant d’avoirnbsp;pour lui tous les égards qui font dus a unnbsp;grand Capitaine , amp; a un brave guerrier : Onnbsp;Ie re^ut avec amicié ; amp;, lorfqu’on fut danbsp;retour a Bordeaux, Yon Ie préfenta \ tousnbsp;les Seigneurs de fa Cour. II déclara que c’étoitnbsp;a Renaud, a fes frères amp; Maugis qu’il devoitnbsp;Ie Royaume d’Aquiraine ; il voulut qu’on fitnbsp;trois parts du bucin, 1’une pour Renaud, l’au-tre pour les quatre Chevaliers, amp; Ia troifièmenbsp;pour fon armee; mals Renaud n’en voulut rien.
Yon, frappé dé tant de générofité, ne fa-chant comment récompenfer Renaud, edt dé-firé qu’il eut voulu accepter la main de la bell« Yolande, fa four, jeune Princefl’e, Sgée denbsp;dix-fept ans, de la beauté la plus parfaite,nbsp;nnais la crainte de fufciter de trop puilTans en-nemis a Renaud, I’empecha de propofer cenbsp;mariage.
Yolande n'étoit point infenfible aux vertus amp; aux belles qualités, du fils d’Aymon; ellenbsp;avoir affez hautement fait connoitre fes fenti-mens, lorfqu’on lui raconta les grandes actions qu’jl avoir faites a la bataille -des Sar-rafins. A fon retour, elle lui avoir marquénbsp;Cl reconnoiflance avec des larmes de joie; Renaud lui avoit préfenté Boulag, fon prifonnier ,nbsp;amp; elle les avoit félicités 1’un amp; 1’autre, I’uiinbsp;de fa viéloire, amp; 1’autre d’étre au pouvoirnbsp;d’un fi généreux vainqueur. La beauté, lesnbsp;grtlce? de la Princefl'e, fon caraftère doux amp;nbsp;bienfaifant, avoient fait impreffion fur 1’amenbsp;du héros; mais fa modeftie étouffoit fes dé-firs amp; lui interdifoit rout efpoir.
Boulag, ainfi qu’il 1’avoit promis, avoit abjuré la religion de Mahomet; il avoit pro-tnis de ne plus faire la guerre aux Chrétiens,nbsp;mais il défiroit de revoir les lieux qui I’avoiencnbsp;vu naitre; il s’adrefla a la Princefl'e, amp; la prianbsp;d’engager le Roi fon frère de le mettre a ran-5on; le Roi ne voulut point en decider, il vou-lut que Renaud put difpofer de fon prifonnier.nbsp;Boulag offroit fix mulets chargés d’or; le Che-\aUei exigea, de plus gt; qu’il remit au Roi,
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Touloufe amp; tout ce qiii en dépendoit. Boulag y confentit, amp; la liberté lui fut rendue. You,nbsp;dont eet accord doubloir les Etats, donna lesnbsp;fjx charges d’or a Renaud, qui refufa de lesnbsp;accepter, en Ie priant de lui réferver fes bon-tés pour quelqu’autre occafion.
Cette occafion ne tarda pas a s’offrir. Quel-ques jours après Ie départ de Boulag, Renaud, fes frères, amp; fon coufin, cliaflbient fut lesnbsp;bords de la Dordogne; corame ils s’en retour-noient, Alard jeta les yeux fur la montagnenbsp;qui efl; au dela de la rivière; elle préfentoitnbsp;vin afpefl; agréable amp; de riches piturages;Ie fom-inet, fansêtre trop élevé, fonnoit une plainenbsp;qui pouvoit être aifément Ibrtifiée. „ Voilanbsp;,, une belle fituation, dit-il a fon frèrel Si nousnbsp;3, pouvions trouver ici un autre Montfort,nbsp;3, appuyés du Roi Yon, Charlemagne ne rat-3, taqueroit point impunément Alard luinbsp;confeilla de demander, pour toute récom-penfe, ce terrain, amp; la permiffion de Ienbsp;fortifier. Renaud approuva eet avis; ils tra-versèrent la Dordogne amp; fe tranfportèrent furnbsp;Ie , terrain même, amp;, après 1’avoir bien re-connu, ils revinrent a la Cour. Renaud pré-fenta au Roi, amp; a fa fmur, quatre bêtes fauvesnbsp;qu’ils avoient prifes a la chafle. „ Sire, luinbsp;„ dit-il, les fruits de nos délaflemens, Si ceuxnbsp;3, de nos travaux , doivent vous appartenir.nbsp;3, Riei) ne m'appartient que par vous, répon-„ dit Ie Roi, Cell è vous que je dois, amp; manbsp;„ puiflance, cc la tranquillité dont mes Etatsnbsp;ajouiflenci Ie feul inéegntentement que j’é-
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9, proiTfre, c’eft de vous voir rejeter toutes „ les r^ompenfes que je vous ai offerees. IInbsp;,, fembie que vous foyez fi jaloux de 1’avan-,, tage que vous avez fur moi, que vous crai-,, gniez de 1’affoiblir, en recevanc des mar-,, ques de ma reconnoiflance Renaud re-pliqua qu’il n’avoit encore rien fait qui méritacnbsp;ce fentiment; ,, cependant, ajouta-c-il, fi,nbsp;,, pour vous plaire, il faut accepter vos bien-,, fairs, accordez-moi, pour toute récompen-,, fe, la permiflion d’élever un Chèteau furnbsp;„ la montagne qui eft au dela de la rivièrenbsp;Yon lui accorda non feulernent cette permif-fion ; mais il lui donna la montagne entièrenbsp;amp; Ie terrain qui l’environnoic.
Le lendemain, Yon , avec Renaud, fes frères, amp; Maugis, accompagnés de plufieursnbsp;Chevaliers, fe tranfportèrenc fur la montagne ; le Roi trouva la fituation très-belle amp;nbsp;propre a être fortifiée. Un de fes Courtifans,nbsp;qui aimoit Yolande, amp; qui n’ofoit faire écla-ter hautement fon dépit contre Renaud, pritnbsp;le Roi en particulier, amp; lui repréfenta les con-féquences dangereufes du préfent qu’il faifoicnbsp;aux fils d’Aymon. „ S’ils efpèrent, lui difoit-,, il, de fe mettre a couvert du pouvoir denbsp;¦„ Charlemagne dans la forterelle qu’ils fe pro-,, ^fent de bdrir, que n’en aurez-vous pasnbsp;,,a craindre, vous qui n’avez ni les forcesnbsp;,, de ce Roi, ni fes reflburces? Vous avez éga-lement d redouter, amp; la haine de Renaud, amp;nbsp;„Ton amitié : Si jamais 1’intéréc vous divife,cenbsp;« qu’il a fait pour vous dolt vous faire jugec
loo nbsp;nbsp;nbsp;Les quatre fils
„ de ce qu’il peut entreprendre contre vous, j, fecondé par fes fréres , amp; avec Ie*fecoursnbsp;„ d’une fortereffe que leur art rendra inex-„ pugnable Le Rol fut ébranlé par c'e dif-cours; mais il avoir promis a Renaud, amp; nenbsp;voulur point lui manquer. Cependant, il luinbsp;dit; „ Si vous m’aviez demandé la moitié denbsp;„mes Etats, je vous 1’aurois accordée; jenbsp;„ n’ignore point qu’en vous permettant d'é-„ lever un fort fur cette montagne, je menbsp;„ mets, en quelque fa9on, en votre pouvoir;nbsp;„ mais j’ai trop de confiance en votre géné-,, roficé, pour avoir a craindre le moindrenbsp;„ attentat,,. Renaud amp; fes frères lui jurèrencnbsp;une amitié amp; une fidélité éternelles, amp; pro-mirent de le défendre contre tous fes ennemis.
Le Chateau fut conftruit en peu de temps; Renaud le fortifia de tous cótés, amp; éleva desnbsp;tours de diftance en diftance, fur la croupenbsp;de la montagne. Lorfque routes les fortifications furent achevees, Renaud amp; fes frèresnbsp;invitèrent le Roi d’y -venir ; Yon ne put s’era-pecher de 1’admirer; mais, pour lui óter toutnbsp;foupfon de 1’avenir, les quatre frères, amp; leurnbsp;coufin, promirenr que 1’un d’eux refteroicnbsp;alternativement a fa Cour pour fervir d’o-tage , amp;. que le Roi auroit toujours une gar-nifon dans le Chèteau; Renaud pria le Roinbsp;de donner fon nom a cette nouvelle cite jnbsp;il la nomma le Chateau de Montauban , amp;nbsp;fit publier, dans routes les Villes de fon Royau-iTie,que tous ceux qui.voudroient I’habiter,nbsp;feroient exeinpts de tout impot pendant dix ans.
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d*Aymon,
On y courut en foule, Ia Ville fut blen-tóc peuplée. Les Courtifans murmuroient; Ie Roi convenoit que tout autre que Rénauclnbsp;pourroit être a craindre , mais la vertu, Ienbsp;rafluroit. Le fils d’Aymon fut inftruit desnbsp;craintes de la Cour, il alia trouver le lloi,nbsp;amp;, après lui avoir renouvelé les affurances denbsp;fa fidélité, il le pria d’aflembler fon Confeil.nbsp;Le Roi fit venir tout ce qu’il y avoit de plusnbsp;grand dans fes Ecats, amp; voulut que le Peuplenbsp;envoyat fes députés : Lorfque le corps de lanbsp;Nation fut convoqué, Renaud demanda quenbsp;ceux qui craignoient qu’il n’abusat, un jour,nbsp;lui, OU fes frères, de la grêce que le Roinbsp;venoit de leur accorder, propofaflenc leurs dif-ficulcés, amp; qu’il tamp;cheroltdelesréfoudre. Quel-ques-uDs répétèrent ce qu’ils avoient déja ditnbsp;au Roi. „ Nous n’avons, dit Renaud, d’au-„ tres gages a ofirir, que notre parole amp; nognbsp;,, perlbnnes; fi quelqu’un peut trouver un au-,, tre moyen, qu’il 1’indique, amp; nous fom-„ mes prêts d’accepter routes les conditionsnbsp;„ que le Roi voudra nous impofer Alors,nbsp;Godefroid de Moulins demanda au Roi la per-roiflion de lui parler en particulier : Ils fenbsp;retirèrent a l’écart, amp; , après un momentnbsp;d’entretien, on vit le Roi, la joie fur le vi-ftge, embraflèr ce Chevalier, le quitter bruf-quement, reprendre fa place, amp; dire ^ Renaud:
,, Vous venez de vous engager folemnelienient d’accepter routes les conditions que je vou-„ droisvous impofer. Envoiciune, qui, feule,
loa quot;Les quatre fils
„ mais, Ie pouvoir de leur nuire. Yolande effc „ 1’objet des vffiux des plus vaillans Cheva-liers de ma Cour amp; des Princes mes voilins;nbsp;„ elle connoit vocre mérite, amp; je fais quenbsp;vous n’êtes pas inlenlible a fa beauté,nbsp;„ quoique votre modeftie vous ait empêchénbsp;„ de vous déclarer : Renaud, je vous dois lanbsp;,, couronne, nous fommes amis, foyons frè-,, res, j’efpère que ma fceur ne s'oppofera pointnbsp;„ a tin mariage qui fera mon bonheur amp; Ianbsp;,, fureté de mon peuple.
Le héros rougit, Ie Confeil applaudir, a l’exception de quelques prétendans, qui n’ofè-lent murmurer. Renaud, qui s’en aperqut,nbsp;rendit de profondes adions de graces au Roi,nbsp;amp; ajouta, que c’étoit la Princefle de decider; qu’il n’y avoic aucune raifon d’état quinbsp;pü: lui faire délirer un li grand bonheur, linbsp;elle y avoic la moindre répngnance, amp; qu’iinbsp;étoit tout prêta abandonner fonétabliflement,^nbsp;s'*!! devoir en coüter un foupir a une Prin-cefle auffi refpedable. Le Roi répondoit de fanbsp;fceur, amp; vouloic que le mariage fut rélblunbsp;dans 1’inftanc même. Renaud amp; fes rivaux fenbsp;réunirent pour demander, qti’avant de paflernbsp;plus avant, Yolande fut confultée; ils parlè-renc avec tant de force, qu’ils entrainèrencnbsp;Paflemblée. Le Roi renvoya le Confeil au len-demain.
A peine fe fut-on féparé, que le Roi paflk dans 1’appartement de fa fceur, amp; lui annon^anbsp;que la Nation venoit de lui donner un époux;nbsp;Yolande frémic. „ Eh! quoi, dit-elle, fans me
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confulter? Quoique la raifon d’Etat, reprit ,, Ie Roi, permetce rarement aux Souverainsnbsp;de fe marier au gré de leurs penclians, Re-j; naud a obrenu que 1’on conlukeroit Ie vó-5, tre , pour favoir s’il étoit conforme auxnbsp;„ vceux des peuples qui fe font déclarés. Ahlnbsp;5, reprit la Princeüe, puifque Renaud eft lxnbsp;5, circonfped:, ce n’elï point lui qu’ils onenbsp;choifil II n’eft point de facrifice que je iienbsp;„ Ibis ptéte de faire pour vos fujets amp; pournbsp;5, vous: Mais, mon frère, pourquoi ce Re-,, naud, a qui nous devons notre gloire, Ienbsp;,, feul qui puifle protéger vos peuples, ce Che-valier généreux qui foule aux pieds les ré-„ compenfes, qui en mérite de toute efpèce,nbsp;,, n’a-t-il encore trouvé, panni nous, que desnbsp;,, ingrats,,? Yon 1’écoutoit avec plaifir, amp;nbsp;gardoit Ie filence. „Ce n’eft pas vous, dunbsp;5, moins, dit-il, ma fceur, qu’il doit aceufer
„ d’ingratitude : Je vois.....„ Y'olande éton-
née l'iöterrompit : „Que dites-vous, mon j, frère? Sur quoi jugez-vous, qu’oubliant Ienbsp;„ foin de ma gloire, mon coeur fe foit déciddnbsp;,, en faveur de ce jeune héros? J’ai fu dif-,, tinguer fes vernis, mais je me fuis bornéenbsp;„ a les admirer. Mon coeur eft libre, amp;, quelnbsp;,, que foit 1’époux que l’Etat me deftine ,nbsp;„je fuis prête a 1’accepter. Je fuis fdché denbsp;„ tant de réfignation , reprit Ie Roi, car»nbsp;„ quoique Ie Confeil ait prononcé, un mot denbsp;„ votre part pouvoit la faire changer. Cruel!nbsp;,, s’écria-t-elle, pourquoi vous plaifez-vous anbsp;„ ra’icquiéter ? Hatez-vous, nommez-moi
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,, eet époux *. Si ce n’eft point Renaud, toü't ,, autre m’eft égal.
Yon, qui ne doutoit point des fentiraens de fit fcEur, avoit caché Renaud, amp; deux denbsp;fes rivaux qui avoientle plus de prétentions,nbsp;de manière qu'ils pouvoient tout entendrenbsp;fans être vus. Aux derniers mots qu’avoit ditnbsp;Yolande, le fils d’Aymon s’élan9a aux genouxnbsp;de la Princefle, amp; lui apprit que c’étoit lui quenbsp;Je Confeil avoit choifi. Elle ft tourna, en rou-gifiant vers le Roi, comme pour lire dansftsnbsp;yeux, ft on ne la trompoit pas encore; lenbsp;Roi fourit, amp; lui confirma que le choix étantnbsp;tombé fur Renaud, il n'avoit rjen voulu con-dure fans 1’aveu de la Princefle. „ Allez, monnbsp;,, frère, dit-elle, raflemblez le Confeil, amp;nbsp;„ aflurez la nation que j’approuve le choixnbsp;,, qu’elle a fait Le Roi fit entrer les Cour-tifans, qui diffiraulèrent leur dépit, amp; féliei-tèrent Renaud.
Le Confeil ft raflembla, le lendemain; le mariage de Renaud amp; de la Princefle fut decide; le Roi en ordonna, lui-même, lesprépara-tifs; on n’oublia point les tournois, les quatrenbsp;frères, amp; Maugis, s’y diftinguèrent encore plusnbsp;par leur courtoifie, que par leur bravoure.nbsp;Cette alliance jeta le cahne dans les efprits;nbsp;Les fills d’Aymon ft firent adorer, amp; les Bor-délois ne firent qu’un même Peuple avec ceuxnbsp;de Montauban.
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CHAPITRE VIII.
Charlemagne envoye demander au Roi d’A-quitaine de lui livrer Renaud amp; fes frères. Refus da Roi. Declaration, de guerre. Ar-rivie de Roland d la Cour de Charlemagne. Sa jcunejfe , fa beauté^ fon courage.nbsp;Guerre contre les Sarrafins fur le Rhin.nbsp;Prodiges de valeur de Roland. Courfe denbsp;chevaux, dont Renaud., qu'on croit d Mon-tauban, remporte le prix , fous les yeuXnbsp;même de Charles.
C^harlemagne fut inftruit qu’Yon avoit donné afyle, dans fes Etats, aux filsnbsp;d’Aymon, Les perfécutions qu’il leur avoitnbsp;fait efluyer avoient encore irrité fa vengeance. Ce Roi puiflant, dont le nora feul fai-foit trembler les Sarrafins, qui regnoient furnbsp;une partie de PEurope, voyoit, avec unenbsp;peine cruelle, que quatre jeunes guerriersnbsp;échappoient a fon courroux. II ordonna anbsp;Oger le Danois, amp; a Naimes, d’aller a la Cournbsp;d’Aquitaine , amp; de menacer Yon de fa co-lère, s’il refufoit de lui remettre Renaud amp;.nbsp;fes frères.
Les Députés trouvèrent Renaud a la Cour, d’.Yon. Oger s’adrefla au Roi, amp; lui dit:nbsp;„ Charlemagne eft informé que vous aveznbsp;,, permis a Renaud amp; a fes frères, de fe conf-iruire un fort au milieu de ,vos Etats, h
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,, de former une Souveraineté nouvelle au „ milieu de votre Royaume. Quelque con-„ traire que foic cetce conduite è 1'a fainenbsp;3y politique, Charles s’en inquiète peu; mals,nbsp;3, ce qui 1’indigne amp; Ie blefle, c’ell que vousnbsp;3, ayez pris Ibus votre protedlion fes plusnbsp;3, cruels ennemis : S’il n’a pas fait éclaternbsp;3, fa colère contre vous, c’eft qu’il veut biennbsp;33 croire que vous ignoriez les caufes de fonnbsp;„ reflentiment. Apprenez done, que Renaudnbsp;3, eft, non feulemeut, Ie neveu du Due d’Ai-33gremont, Taflaffin du ills du Roi; raaisnbsp;^ qu’il a aflaffiné, lui-mêrae, Berthelot, neveunbsp;33 de ce Prince.
Renaud interrompit Oger: „ Vous favez,’ 33 Chevalier, que j’ai tué Berthelot a monnbsp;33 corps défendant, pourquoi done dites-vousnbsp;33 que je 1’ai aflaffiné? Si c’efi: pour juftifiernbsp;3, la haine de Charlemagne, c’eft une flatte-„ rie indigne d’un chevalier; fi c’eft pournbsp;,, aigrir Ie Roi Yon contre nous, c’eft unenbsp;,, méchanceté impardonnable. Au refte, c’eftnbsp;„ mal connoJtre Ie Prince, que d’efpérernbsp;,) qu’il livrera a 1’ennemi Ie plus implacable ,nbsp;3, des Chevaliers qui lui ont demandé une re-3, traite , amp; a 1’iin defquels il a accordé lanbsp;33 main de fa fceur,
Oger reprit ainfi : ,, Que votre nouveau 3, protefteur s’attende done a voir Charle-„ magne, avec routes fes forces, dévafternbsp;5, fes Etats amp; réclamer, Ie fer amp; Ia flammenbsp;3, a la main, des coupables auxquels il eft ré-3gt; folu de ne faire aucune grace Yon ré-
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pondit avec fermeté qu’il eut défiré de vivre en bonne intelligence avec Charlemagne, fonnbsp;parent; mais qu’il n’acheteroit jamais fonnbsp;amitié par une perfidie; que, fi le Roi vou-loic recevoir les fils d’Aymon en grice, ilnbsp;pouvoit compter pour fes amis, amp; ces quaere Chevaliers amp; fes parens, amp; le Roi d’A-quitaine, amp; fes allies.
Ogeramp;Naimes proteftèrent que, dans pen de temps, Charlemagne le feroit repentir ddnbsp;fes refus, amp; que, dès ce moment,, il lui dé-claroit la guerre. Ils 1’aflurèrent que, dès quenbsp;le Roi de France auroit tiré 1’épée, il ne lanbsp;laifleroit repofer, que lorfqu’elle feroit abreu-vée du fang de fes ennemis, amp; qu’il ne ren-treroit dans fa Capitale, que la tête de Re-naud a la main, apiès une punition exem-plaire de fes complices.
Quand les Ambafladeurs eurent rapporte a leur maitre la réponfe du Roi d’Aquitai-ne, amp; celle de Renaud, il entra en fureur;nbsp;j] voulut qu’on s’armèt fur le champ. „ Lenbsp;„ Roi Yon, difoit-il, eft encore fatigué denbsp;„ la dernière guerre; fes Etats ont été rava-,, gés par les Sarrafins; fes troupes ne peu-,, vent qu’être aifoiblies, profitons de cesnbsp;„ avantages, nous ne ferons que nous pré-„femer amp; vaincre Le fage Naimes mo-déra fes tranfports; il préfenta a Charlemagnenbsp;que fes troupes n’étoient pas en meilleur étacnbsp;que celles du Roi d’Aquitaine, que le feui nomnbsp;de Renaud effrayoit les foldats fran90is, qu’ilnbsp;falloit faire de nouyelles levees, amp; qu’il étoit
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aifé de juger, par la réfiftance que Ie Chateau de Moncfort avoit faite, de celle qu’on de-voit attendre de celui de Montauban.
Le Roi étoic indigné qu’on osic lui parler des fils d’Aymon comme de héros fi redou-tables. II fe plaignoi: du fort, qui 1’avoit faitnbsp;nalire pour régner , il edt défiré n’êrre que lenbsp;dernier Chevalier de fa Cour, il edt défié lesnbsp;quatre fils d’Aymon, Maugis, amp; le Roi lui-même. II étoit dans cette agitation, lorfqu’onnbsp;lui préfenta un jeune homme d’une beauténbsp;raviflante, portant dans les yeux toute 1’in-irépidité de fon ame, joignant a la fierténbsp;du héros toute la modeflie de la valeur veritable, au coup-d’mil de l’homme confomménbsp;la defiance que l’homme prudent a toujoursnbsp;de lui-même. Ce damoifel, c’eft ainfi qu’onnbsp;appeloit les jeunes Gentilshommes qui n’é-toient point encore Chevaliers , parut d lanbsp;Cour de Charles avec les habits les plus ma-gnifiques; mais tout refpiroit en lui .le guer-rier; il étoit efcorté de trente Ecuyers, af-pirant tous d être Chevaliers, amp; ayant, pref-que tous, mérité eet honneur par des exploitsnbsp;héroïques.
Charles alia au devant du jeune guerrier, qui avoit cache fon nom pour ne devoir qu’4nbsp;fon propre mérite 1’accueil que lui feroit Ienbsp;,Roi. Ce Prince, en le voyant, fe fentit pé-nétré d’eftime amp; d’amitié pour lui; il lui mar-qua fes fentimens, de manière d le diftinguernbsp;de tous les Chevaliers de fa Cour, amp;, ce qu’ilnbsp;y eut de fingulier, c’eft que perfonne n’ea
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fut jaloux. Charles lui demanda qui il étoit : „ Un jeune homme, répondit-il, qui s’elti-„ meroit trop heureux de confacrer fes fer-,, vices 4 fon Souverain, amp; qui n’a d’autrenbsp;„ ambition que de marcher fur les traces dunbsp;,, brave Milon fon père, amp; d’imiter les vertusnbsp;,, de fa mère , votre digne foeur— O ciel!nbsp;,, s’écria Ie Roi, en embraflant Roland, janbsp;,, te rends grèces de m’avoir donné un neveunbsp;,, digne de moi, amp; de m’envoyer un ven-„ geur digne de combattre contre Renaud.
Roland pria Ie Roi, fon oncle, de farmer Chevalier, n’ayant jamais voulu recevoir eet honneur que de lui : Charles remit lanbsp;cérémonie au lendemain , afin qu’elle fut plusnbsp;éclatante ; il y eut des fétes magnifiques amp;nbsp;des tournois de la plus grande beauté. Dèsnbsp;que Roland fut fait Chevalier, il propofa denbsp;jouter contre quiconque fe préfenteroit. Oger,nbsp;qui étoit fèché de ce que Charlemagne avoicnbsp;dit qu’il lui venoit, enfin, un vengeur digne de fe battre contre Renaud, voulut éprou-ver par lui-même fi ce jeune guerrier étoitnbsp;suffi redoutable qu’on Ie croyoit. II fe pré-fenta; la viéloire balan^a quelque temps. Ogernbsp;paroifibit avoir plus de force; Roland, quinbsp;ménageoit la fienne, marquoit plus d’adreflenbsp;amp; d'agilité, lorfqu’Oger croyoit Ie frappernbsp;de fa lance, elle frappoit les airs, il étoitnbsp;emporté par fon cheval, amp; ne voyoit plusnbsp;fon adverfaire, qui déjè étoit derrière lui ,nbsp;prét a Ie frapper a fon tour. Roland fit du-rer quelque temps cette manceuvre fmgulière j
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bientót, ajoutant la fouplelle a la force, 11 attaque Oger, le preffe, amp; le renverfe avecnbsp;fon cheval; le jeune Chevalier defcend auffi-tóc, aide Oger a fe dégager, amp; lui ofïre lenbsp;combat a 1’épée ; ils portent amp; parent, alter-nativeraent, les coups les plus terriblesj 1’épée d’Oger fe cade amp; vole en éclats; Rolandnbsp;quitte la fienne. Ils commencent un nouveaunbsp;genre de combat •, ils s’embraflent amp; cherchencnbsp;ÈL fe terrafler. Roland, plus agile, fit voirauxnbsp;fpeftateurs qu’il n’eut tenu qu’a lui de ren-verfer plufieurs fois Oger ; mais Oger, en 1’en-trainant dans fa chute, eut pu profiter d’unenbsp;reflburce que Roland fe menageoit pour lui-inême : En effet, ce jeune héros laifla a fonnbsp;rival 1’avantage de le renverfer, il entrainsnbsp;Oger •, ü peine celui-ci eft-il tombé fur Roland,nbsp;que le nouveau Chevalier s’échappe légère-ment par dellbus Oger, le foulève, le met,nbsp;fon tour, fous lui, appuye fon genou fur lanbsp;poitrine defon adverfaire, letient d’une mainnbsp;a la gorge, le menace de I’autre, amp; le forcenbsp;de s’avouer vaincu.
Cliarlemagne fe félicitoit des vertus de fon neveu ; la beauté de Roland enlevoic tousnbsp;les ccEurs; fa bravoure lui artiroit le refpeélnbsp;de la Cour amp; du peuple. Le Roi le preflbicnbsp;de fe préparer pour aller combattre Renaudnbsp;amp; le Roi Yon, lorfqu’on apprit que les Sar-rafins avoient fait de grpds dégats depuis lesnbsp;fources du Rhin jufqu’a Cologne; qu’ils af-fiégeoient cette Ville , amp; qu’ils en avoientnbsp;brülé les environs. Les afliégés pouvoient te-
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nir encore quelque temps; mais ils follicitoient vivement Charlemagne de leur envoyer dunbsp;fecours, fans quoi ils fe verroient forcés denbsp;ie rendre. Charles, oubliant pour ce momentnbsp;fesprojets de vengeance contre Renaud, donnanbsp;vingt mille hommes d’armes a fon neveu , amp;nbsp;Ie chargea de (Jélivrer Cologne amp; de chaffer lesnbsp;Sarrafins.
Roland partit avec Naimes, Oger Ie Da-nois, plufieurs autres Chevaliers amp; fesvingc mille hommes d’armes, tous bien montés. Ilsnbsp;arrivèrent, Ie huitième jour, a la vue desnbsp;ennemis : Dès qu’ils aper^urent les Sarrafins,nbsp;ils s’arrétèrent amp; s’embufquèrent dans un ravin, derrière un bois. Au point du jour, Roland forma uh détachement de douze centsnbsp;hommes, qui fe préfentèrent devant Ie campnbsp;des Sarrafins, Stleur firent quelques prifonniers.nbsp;Auffi-tót 1’alarme fut répandue dans Ie camp ,nbsp;amp;L 1’armée fe rangea en bataille; les Fran$oisnbsp;commen^èrent a fe battre en retraite amp; recu-lèrent, peu a peu, vers Ie bois; tandis qu’ilsnbsp;foutenoient les efforts de 1’armée ennemie,nbsp;Roland, qui avoit eu Ie temps de faire fes dif-pofitions, parok, tout a coup , hors du boisnbsp;avec douze mille hommes, fond fur les en-nemis, en fait une boucherie horrible, amp; lesnbsp;force k prendre la fuite *, les huit mille hommes,nbsp;qui n’avoient point paru, avoient dépaffé 1’ar*.nbsp;ihée des Sarrafins k la faveur du bois, amp; leurnbsp;coupèrent Ie chemin. Les Sarrafins ne trou-vant plus aucun moyen de fuir , fe battirencnbsp;en défefpérés j mals leur courage amp; leur dé-
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fefpoir leur furent également inutiles; Roland s’ouvrit un palTage a travers leurs bataillonsnbsp;les plus épais, écrafant amp; renverfant tout cenbsp;qui s’oppofoit è fa marehe fanglante; les Francois, qui Ie fuivoient, frappoient de droitenbsp;amp; de gauche ; Oger, qui conduifoit les huitnbsp;mille hommes que les fuyards avoienc trouvésnbsp;devant eux , faifoit la méme manceuvre, denbsp;forte que 1'armée des Sarrafins, fe voyant fé-parée en deux corps, chacun prit la fuite denbsp;fon cóté; Oger pourfuivit ceux qui fuyoientnbsp;dans la plaine, amp; Roland ceux qui alloientnbsp;vers Ie Rhin. Ils furent arrétés a ce fleuve parnbsp;]e Comte d’Angers;l’intrépide Roland necrai-gnitpointd’affronter un ennemi poufieè bout,nbsp;il ne fit que pafler, amp; Je rivage fut couvertnbsp;de morts. Un Roi des Sarrafins fe défendoicnbsp;contre un gros de Francois avec une audacenbsp;quiattira Fattention de Roland; il y courut,nbsp;fe fraya une route jufqu’a lui, amp; Ie fit pri-fqnnier. Almonafar; c’étoit Ie nom du Roi,nbsp;demanda grSce pour celles de fes troupes quenbsp;Ie fer des Francois avoir épargnés; il leur or-donna de raettre bas les armes amp; de fe rendre.nbsp;Oger amp;Naimes , lafles de frapper amp; defuivrenbsp;les fuyards, raraenèrent auffi un nombre in-fini de prifonniers a Roland, on les enchaina,nbsp;tous, deux è deux, amp; Naimes fut chargénbsp;de les conduire en France. Almonafar pria foonbsp;vainqueur de Ie mener a Charlemagne, pro-mettant d’abjurer fa religion , d’obéir au Roi,nbsp;lui amp; fa poftérité , amp; de lui prêter fermentnbsp;de fidélité pour fes Etats. Roland rétablit 1’or-
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dre dans Cologne amp; dans fes environs, amp; répara les dégats que lesSarrafins y avoient fairs: II revint, enfuite, avec fon prifonnier, a lanbsp;Cour de Charles, qui Ie coinbla de careflesnbsp;amp; de bienfaits. On ne parloit que du jeunenbsp;héros; Ie Peuple inconftant commen$a d’ou-blier Renaud, qu’on metroit, auparavant,nbsp;beaucoup au dellus de Roland. Le Roi, quinbsp;favoit combien le caprice du Peuple influe furnbsp;la renommee des héros, voulur favoir Pexaélenbsp;vérité; il interrogea le véridique Naimes, quenbsp;la prévencion, la flatterie, 1’envie, n’avoiencnbsp;jamais aveuglé. Naimes lui raconra les exploitsnbsp;de Roland, auxquels il n’auroit jamais ofénbsp;croire, s’il n’en eüt pas été témoin ; il étonnanbsp;Charles par le détail des difpofitions favantesnbsp;qu’avoit fait Roland; il le iurprit encore da-vantage par le tableau de fes aftions, Roland ,nbsp;dans ce moment, vint lui préfenter Almona-far, qui confirma tout ce que Naimes venoicnbsp;de raconter. Charles embrafla fon neveu , amp;nbsp;le laifla le maitre de difpofer de fon prifonnier. II fut renvoyé dans fes Etats, libre, Sx,nbsp;après avoir prêté ferment de fidélité a Charlemagne.
Cependant, leRoi cherchoit touslesmoyens de donner è fon neveu quelque preuve de fanbsp;reconnoiflance : II confulta Naimes. Dans lanbsp;bataille que Roland avoit livrée aux Sarra-fins, Naimes s’étoit aper^u que le cheval dunbsp;Comte d’Angers fecondoit mal fa valeur;nbsp;il confeilla a Charles de lui en donner unnbsp;digne d’un tel Chevalier, afin que, lorfqu’il
-ocr page 120-combattroit centre Renaud, il n’eflt pns a craindre Ie terrible Bayard. Charlemagnenbsp;approuva ce confeil; maïs Ion embarras étoicnbsp;de favoir comment ft procurer un td cheval;nbsp;car, en fait de chevaux amp; d’amis, les Roisnbsp;ne font pas moins expofés a être trompés quenbsp;Ie moindre de leurs fujets. Naimes l’engageanbsp;de faire publier dans tons fes Etats, une courfenbsp;de chevaux pour Ie premier du mois de Mainbsp;fuivant, amp; que, celui è qui appartiendroitnbsp;Ie cheval qui auroit Ie mieux couru, obtien-droit, pour prix, une couronne d’or, cinqnbsp;cents marcs d’argent amp; cent pièces d’éroffesnbsp;de foie:„ II n’eft pas douteux, difoic Nai-,, mes, que 1’énorme valeur d’un tel prix,nbsp;,, n’engage tous les Chevaliers, amp; ceux quinbsp;„ auront les meilleurs chevaux , è Ie difpu-,, ter; amp; celui qui l’aura remporté fe croiranbsp;,, payé de fon cheval.
Charles fit publier la courfe : Une cou-tonne d’or toute femblable k celle du Roi, avoir de quoi tenter Ie Chevalier Ie plusnbsp;loyal amp; Ie plus défintérefie. Renaud formanbsp;Ie projet téméraire d’obtenir ce prix, quoi-que Ie Roi l’eüt nommément exclus du concours, amp; eüt ordonné qu’on 1'arrdtat, s’il fenbsp;préfentoit. Renaud fit part de fon idee a fesnbsp;frères , amp; a Maugis: Ses frères firent tousnbsp;leurs efforts pour 1’en empêcher; mais Maugis,nbsp;au contraire, 1'encouragea, amp; voulut être denbsp;la partie; il' les affura que, par Ie fecours dsnbsp;fon art, il n’arriveroit rien a Renaud.
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Kianda Ia garde dvi Chateau a Yolande; il Favoit qu’il pouv ohwmpter fur la vigilancenbsp;amp; fur la valeur; il . a'ïoit exercée a d’autresnbsp;combats qu’a ceux de 1’amour: Ses bras délicats ,nbsp;en venant de preffer avec tendrefle fon époux,nbsp;favoient porter amp; parer avec adreffe les coupsnbsp;de lance les plus redoutables. Alard, Gui-chard amp; Richard ne voulurent point fe fé-parer de leur frère; ils vouloient Ie fairenbsp;efcorter par trente Chevaliers \ Maugis s’y op-pofa, amp; ne prit que deux Ecuyers.
Ils partirent de nuit amp; arrivèrent jufqu’a Orléans. On leur demanda qui ils étoient:nbsp;Maugis répondit, pour tous, qu’ils étoientnbsp;Béarnois, amp; qu’ils alloienr, i la courfe, dif-puter Ie prix. On les laifla palTer, fans leurnbsp;faire d’autre queftion. Enfin, ils arrivèrent inbsp;Melun, deux jours avanr Ie concours. Lanbsp;veille, Maugis dit a Renaud qu’il étoit tempsnbsp;de partir, il ne voulut point que fes fièresnbsp;l’accompagnalTent, mais il prit une plantsnbsp;qui lui étoit connue, il 1’écrafa entre deuxnbsp;pierres, en frotta Bayard derrière les oreil-les, aufli-tót, il devintblanc commeun cygne,nbsp;amp; Renaud même avoit peine a Ie reconnoitre.nbsp;Maugis prit d’autres plantes, les pila avec Ienbsp;pommeau de fon épée, en oignit Renaud, Ienbsp;lajeunit amp; Ie rendit méconnoiflable a fes frèresnbsp;mèmes.
Lorfqu’il eut ainfi métamorphofé fon cqu-fin amp; Bayard, il changea lui-même de figure, fans Ie fecours d’aucune plante, car Maugisnbsp;excelloit dans l’art de la magie; art inconnu
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de nos jours, auquel on a fubftituc des fdencès vaines, plus propres a corrompre Ie cceur qu’ünbsp;amufer Tefprit (i).
Charlemagne, qui craignoit que Renaud ne vint difputer Ie prix de la courfe, avoir donnénbsp;ordre au Due Naimes, -It Oger amp; a Foulques denbsp;Morillon, de garder Ie chemin d’Orléans; ilsnbsp;s’en retournoienc Ie jour que les fils d’Aymonnbsp;arrivèrent a Melun: A la taille de Renaud,nbsp;il crut Ie reconnoitre de loin ; mais, quandnbsp;il eut vu Ie cheval de prés, monté par unnbsp;jeune homme de quinze ans, il rit de fa mé-prife; il incerrogea Maugis, qui lui réponditnbsp;en Béarnois, amp; ne laifla aucun doute a Naimes.nbsp;Pour mieux déguifer Bayard, Ie Magicien luinbsp;mit une foie au pied amp; Ie rendit boiteux;,nbsp;malgré ces précautions, comme ils traverfoiencnbsp;Paris, un homme de la lie du people, quinbsp;ji’avoit jamais vu Renaud, voyant un fi belnbsp;homme, s’imagina que c’étoit lui-même; ilnbsp;faifit la bride de Bayard, il appeloit du fecours,nbsp;lorfque Bayard lui lanqa un fi terrible coup.nbsp;de pied, qu’il Ie renverfa mort fur la place. Cenbsp;même jour, avant de partir, Maugis par' dif-fraélion, avoir nommé Renaud dans leur au-berge; leur hóte 1’entendit, amp; voulut les arrêternbsp;pour les livrer au Roi. Ils couroient, l'un Scnbsp;1’aucre, Ie plus grand danger; Maugis ne putnbsp;s’en délivrer, qu’en donnant un coup d’épéenbsp;fur la tête de 1’hóte, au moment qu’il faififlbit
O) L’Auteur du Mamifcrit des quatre fils d’Aymon pen-foit coiwae J. J. Rouffean ;niais iln’dtoit pas auIU éloquent.
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Renaud. II Ie renverfa fans connoiflance amp; noyé dans fon fang; ils prirent ce momencnbsp;pour monter a cheval, fourds aux pleurs amp;nbsp;aux criailleries de la femme amp; des enfans denbsp;1’hóte.
Ils parvinrent, enfin, dans Ia plaine ou s’af-fembloient ceux qui prétendoient au prix. Une partie de cette plaine eft couverte, aujour-d’hui, par Ie Faubourg S.-Martin. Ils allè-lent, avec les autres Chevaliers, au devancnbsp;du Roi. 11 ordonna que la couronne, les cinqnbsp;cents marcs d’argent, amp; les écoffes de foie,nbsp;fuffent placés a 1’extrémité des lices: II donnanbsp;cent Cavaliers 'i Naimes, a Oger, au Due denbsp;Bourgogne Richard de'Normandie, poucnbsp;empêcher qu’il n’y eüt aucun trouble pendantnbsp;Ja courfe. Lorfque tout fut difpofé, les con-currens montèrent d cheval amp; firent plufieursnbsp;tours. Renaud affedoit d'etre toujours des der-'nbsp;Tiers; lorfqu’on s’aperfut que fon cheval boi-toit, on finnille plaifanteries furIe Chevalier;nbsp;les uns vouloient qu’on lui adjugeat Ie prixnbsp;'avant de courir; les autres lui confeilloient denbsp;'defcendre amp; de Ie mener par la bride. Le Roinbsp;défendit rous ces propos injurieux, que Renaud fembloit ne pas entendre.
Naimes amp; Oger, voyant que tous les Chevaliers avoient pris leur rang, firent fonner les trompettes, pour qu’on fe tint prét au fignal.nbsp;¦TWaugis profita de ce moment pour déliernbsp;Bayard ; le %nal eft donné, les Chevaliersnbsp;partenc conimelafou4re; Bayard, qui n’avoitnbsp;pu être Üélré dans i’inftant-qu’on parut,étoic
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encore derrière. „ Que fais-tu, lui dit Re-,, naud? hSte-toi; ne fouffre pas qu’üs ga-
gnenc fur toi 1'avantage Bayard, docile a la voix de fon maitre, amp; rempli de la mêmenbsp;lierté, s’élance, atteint les Chevaliers, s’ouvrenbsp;un paflage au milieu de la file, devance ceuxnbsp;qui fe flattoient déja de remporter Ie prix,nbsp;les laiffe bien loin, amp;c Renaud enlève la cou-ronne amp; refufe tout Ie refte.
Les Chevaliers qui, avant, plaifantoient Re-naud, amp; qu’ils avoient malignement appelé Ie Chevalierboiteux, étoient confondus; Charlemagne lui-inême ne concevoit pas ce qu’ilnbsp;voyoit. II appela Richard de Normandie amp;nbsp;lui raarqua fa furprife; il étoic d'autant plusnbsp;frappé de ce cheval, qu’excepté la couleur,nbsp;il reflembloic parfaitement è Bayard.
Tandis que Ie Roi amp; Ie Due de Normandie parloient enfemble, Renaud, fa couronne k lanbsp;main, revenoit verseux, au petit pas. Lorf-qu’il fut portée, il falua Ie Roi : „ Si cenbsp;„ n’efi; aflez d'une couronne, lui dit Charles,nbsp;„je vous en offre deux, amp;je double Ie prix,nbsp;„ pqurvu que vous me laiffiez votre cheval.nbsp;„ Je prendrai foin de votre fortune, amp; je vousnbsp;„ promets de 1’élever fi haut, que, de votrenbsp;„vie, vous n’aurez rien a défirer. Sire, ré-,, pondit Ie Chevalier, je vous oftrirois monnbsp;„ cheval, fi tout autre que Renaud pouvoicnbsp;„Ie monter,,. En difant ces mots, il piquenbsp;Bayard, amp; Charlemagne Teut perdu de vuenbsp;avant qu’il eüt prononcé l’ordte de Ie pour-fuivre. Renaud, s’écria-t-il! Cheva-
-ocr page 125-fliers, courez après lui, qu’on 1’arrête. Son ^ Ecuyer n’eft autre que Maugis; ils nous onenbsp;,, tous troropes; 1'affront de cette journeenbsp;,, nous eft commun, que notre vengeance lenbsp;„ foit aufli.
* II n’y eut aucun Chevalier qui ne courut avec plus de zèle pour prendre Renaud, qu’ilnbsp;n’avoit couru pour obtenir le prix; la foudrenbsp;eft moins prompte que Bayard. II parvientnbsp;au bord de la Seine; il la pafle a la nage, amp;nbsp;s’arrete fur la rive oppofée; lorfqu’il vit quel-ques Chevaliers prêts è. s’engager dans le fleu-ve, il remonte fur Bayard, gagne un fendernbsp;amp; fe derobe a leur vue. Maugis, qui favoicnbsp;OÜ il devoir pafler, alia le joindre d Melunnbsp;par un chemin détourné amp; plus court. Alard,nbsp;Richard amp; Guichaxd, furenc au comble de lanbsp;joie; mais Maugis ne leur donna pas le tempsnbsp;de le féliciter, il les fit, vite, monter a ch^nbsp;val, amp; reprendre le chemin de Montauban,nbsp;OÜ ils arriverent la cinquième nuit. Yolandenbsp;ne favolt comment témoigner fa fatisfadionnbsp;amp; fa tendrefle \ elle embraflbit alternadveraencnbsp;fon époux, fes frères, Maugis amp; Bayard.
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CHAPITREIX.
Charlemagne ajjiège Mbntauban , fait fotn~ mer Kenaud defe rendre. Renaudfak unsnbsp;fonie vigoureufe avec fes frères. Butin ,nbsp;majfacre, victnlre des fils d'^ymon. Fautenbsp;de Roland. Perfidie PFon, Roi d’yjqui-taine. Combat terrible des fils d'^lymon,nbsp;feuls, défarmés , livrés par Ton, Exploitsnbsp;inouïs, Secours inattendu.
TTous les efforts des Chevaliers furent inu-tiles. Charlemagne ne refpiroic que vengeance; il revint a Paris très-mécontenc. II aliem-bla fon Confeil, amp; demanda quels étoient les moyens les plus prompts pour punir les filsnbsp;d’Aymon. Rolanvl propofa d’attaquer Ie Roinbsp;d’Aquitaine , amp; d’affiéger Montauban. Nai-mes approuva ce projec; maïs il ajouta qu’ilnbsp;ne falloit pas 1’entreprendre, fi 1’on ne s’af-furoit du fUccès; que Ie Roi devoit mandernbsp;tous fes Barons, amp; convoquer tous les bans,nbsp;avec ordre de fe munir d’équipages amp; autresnbsp;chofes nécefl'aires pour fep: ans, au cas quenbsp;Ie fiége de Montauban dutdt tout ce temps-la. Charlemagne fit expédier des ordres dansnbsp;tout Ie Royaume, afin que tout Ie mondenbsp;füt rafiemblé, a Paris, ou dans les environs,nbsp;au mois de Février; la plupart des Chevaliers repréfentèrent qu’ils venoient de fairenbsp;une guerre pénible amp; ruineufe contre les Sar-*nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;lafins,
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lafins j en Allemagne, amp; qu’ils etoient hors d’érar de rentrer, ii-tuc, en campagne.
Le Comte de Nanteuil, qui étoit è lem tête, offrit de fe tenir prêc pour le mois denbsp;Mai. Charles, indigné de ce délai, proteftanbsp;qu’il ne prendroit que les jeunes Chevaliers,nbsp;amp; que, lorfquhl feroit maitre de la Gafcogne,nbsp;il ne diftribueroic les terres qu’a eux, amp; que,nbsp;puifqu’il ne s’etoit encore trouvé perfonnenbsp;parmi les anciens Chevaliers, qui fdt en étatnbsp;de le venger de Renaud, cec honneur étoit,nbsp;fans doute, réfervé a quelqu’un des nouveaux.
Renaud, qui avoir des efpions a la Cour de Charles, fut bientót informé de ce difcours.nbsp;II vit, dés ce moment, les ennerois qu’il au-roit a combattre, amp; que les principaux étoiencnbsp;Olivier amp; Roland. Cependant, la propofitionnbsp;du Due de Nanteuil avoir fait impreflion furnbsp;1’efprit de Charlemagne, qui, par le confeilnbsp;de Naimes, fit publier qu’il fuffifoit qu’on fenbsp;rendit, au commencement d’Avril, a Paris.
Vers ce temps, on vit arriver Richard de Normandie, avec un grand nombre de Chevaliers, Salomon de Bretagne, fuivi de la no-blellé de fon pays, Dizier d’Efpagne, avecnbsp;dix mille gens d’armes, GeofFroi, Comte d’Avignon , Bertrand d’Aliemagne amp; fes Irlandois,nbsp;accompagnés d’une troupe d’Africains, amp; dfnbsp;mille Archers. Le dernier fut 1’Archevêquenbsp;Turpin, avec une troupe choifie, très-bien'nbsp;difciplinée, amp; formée a routes les rufes de lanbsp;guerre. Le Roi fit aflembler fon armee poutnbsp;en faire la revue j elle fe. trouva mgoter i
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cent mille combattans anciens, amp; a trente mille nouveaux. li la mit fous Ie comman-dement de Roland, amp; lui fit donnet roriflamrnbsp;me , en lui recommandant de conduite cesnbsp;braves gens comine s’ils étoient fes propresnbsp;enfans.
Dès Ie lendemain, 1'armée fe mit en mar-che, amp; arriva, a petites journées, a la vue de Montauban. Roland, aveuglé, pat fa va-'leur, propofa d'abord de 1’afliéger amp; d’eliayernbsp;de ie prendre d’aflaut. Charlemagne, quinbsp;voyoit mieux les difficulcés du fuccès, eütnbsp;voulu engager Renaud a capituler; ,, Tropnbsp;^ heureux, difoit Charles, fi, en fe foumet-„ tant, il évitoit de faire couler Ie fang hu-,, main On envoya un Chevalier défarmé;nbsp;il fut introduit dansla Ville, amp; fomma Renaud de fe rendre a merci, de livrer Richard a la difcrétion du Roi; en cas de re-fus, Ie Roi lui faifoit annoncer qu’il ne feroitnbsp;grice a perfonne, amp;. qu’il feroit expirer lesnbsp;q'uatre'fils d’Aymon, amp;leurcoufin, dans lesnbsp;fupplices, „ Renaud répondit, en fouriant, -knbsp;,, l’envoyé : Le Roi me connoit trop biennbsp;,, pour me faire faire fcrieufement une pro-„ pofition qu’il défapprouveroitlui-raême, fijenbsp;,, 1’acceptois. Richard eft mon frère amp; mon ami;nbsp;„ fut - il étranger amp; mon ennemi, il fuffiroicnbsp;„ qu’il m’eftt deraandé un afyle, pour que jenbsp;,, le défendifle au lieu de le livrer; mals, finbsp;„ le Roi veut nous rendre fon amitié, nousnbsp;3, promettre laviefauve, amp; nous recevoir a fonnbsp;„ feivice, nous nous remettrons enite fes
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ff mains, amp; nous lui abandonnerons ce Chèreau.
Charles eüc accepcé 1'offre de Renaud, s'il n’eüc confulté que fon coeur; mais il croyoitnbsp;que fa gloite étoit intéreflee a la punition dqnbsp;Maugis, OU de quelqu’un des fils d’Aymon.nbsp;Naimes étoit d’avis qu’il ccoutdt la propofi-tion de Renaud; il repréfenta que Ie Chateaunbsp;étoit plus difficile a emporter qu’il ne Ie pa-loiflbit, que les affiégés étoienc en très-grandnbsp;nombre, amp; qu’a moins qu’on ne 1’entourdcnbsp;amp; qu’on ne fdc campé bien prés de la Place ,nbsp;ils pourtoient faire des forties très-meurtrièresnbsp;pour les afliégeans.
Charlemagne ne piofita de 1’avis de Nai-mes, que pour ordonner que Ie camp fdt éta-bli autour, amp; Ie plus prés de Montauban qu’il fe pourroit. Roland fit tendre fa tente vis anbsp;vis de la porte qui étoit a droite. Le Roi avoitnbsp;la fienne a la porte oppofée. La Ville fe trouvanbsp;entourée, de tous cótés, de plus de dix millenbsp;pavilions; lorfque Roland eut reconnu la place, il ne fut plus d'avis de 1’emporter d’af-faut. Il alia même jufqu’a dire que jamais Montauban ne feroit pris. Olivier lui fit obfervecnbsp;en vain, qu’ils avoient pris Laufanne, dé-truit la grande tour amp; le donjon de Conftan-tindple. Roland perfifta.
Lorfque le camp fut tendu, Roland, frappé de la beauté du pays, engagea Olivier d’allernbsp;leparcourir enfembJe, enchaflant; Renaud ,in-formé de leur abfence, appela fes frères amp;nbsp;Maugis; ils délibérèrent de profiter de cettenbsp;occafion amp; d’humilier 1’orgueil de ce Roland.
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qui croyoit déja que la Gafcogne lui appaïr tenoit, paree que Ie Roi avoir dit qu’il ennbsp;diftribueroit les terres aux jeunes Chevaliers,nbsp;lis s’armèrent; ils prirent environ quatre millenbsp;hommes, forcirent par une fauflè-porce quinbsp;donnoic dans Ie plus épais de la forêc, ou ilsnbsp;s’embufquèrent. Renaud fe fit conduire versnbsp;la tente de Roland, amp; en- enleva Ie dragonnbsp;qui la furmontoit. L’Archevéque Turpin, 1’U-liüe des Frangois, aper9ut un vol confidéra-. ble de corbeaux; il fe douta qu’il y avoicnbsp;des troupes dans Ie bois : En effet, a forcenbsp;de regarder, il vit reiuire des armes è tra-¦ vers les arbfes. II fit venir öger, amp; lui ditnbsp;de s’armer au plus vite; Oger fit mettre aulli-tót Ie camp fousles armes. Renaud fut faChénbsp;d’avoir été fi-tót découvert •, mhis il ne fe dé-concerta point pil dit a Maugis de refter dansnbsp;Ie bois avec mille Cavaliers, amp; de n’en fortirnbsp;qu’en cas de befoin; alors, Renaud, avec fesnbsp;trois mille combattans, paroit dans la plainenbsp;amp; fond fur Ie camp. Nicols fut Ie premier Chevalier qu’il abattit; il va, de tente en tente,nbsp;les renverfe, maflacre tout ce qui fe préfente,nbsp;amp; demande : „ Oü font Olivier 8i Roland ?nbsp;„Ne favent-ils que nous appeler traitres amp;nbsp;„ nous menacer? Pourquoi fe cachent-ils „ ?nbsp;L’Arcbevêque Turpin ne put entendre calora-nier ainfi les deux jeunes héros' : „ Renatfd,nbsp;„ s’écria-tril, c’eft paree que lu as fu qu’ilsnbsp;5, n’étoient point au camp, que tu as ofé l’at-„ taquer; je doute que tu eulles eu cette té-„ mérité, fj tu avois cru les rehconcrerEn
-ocr page 131-difatit ces mots, il attaque Renaud; les piè-ces de leurs armures volent en éclats amp; bleflenc ceux qui font autour d’eux; leurs lances fenbsp;roropent dans leurs mains; leurs épées fe bri-fenc, niais ils font inébranlables, la réfiftancenbsp;eft égale a i’iinpullion. Renaud, au derniernbsp;coup d’épée, fit chancelerTurpin: „ Reverendnbsp;,, Chevalier,lui dit-il,prêtre d’unDieudepaix,nbsp;„ crois-moi, cours au pied des autels; les com-„ bats ne font pas fairs pour toi L’Arche-yéque, écumant de colère, s’éiance fur Renaud, pour Ie punir de ce reproche. La furei’pnbsp;des chefs pafle dans 1’ame des foldats; toutnbsp;s’émeut; l’aélion devient générale. Oger ventnbsp;yenger Turpin ; il atraque Richard amp; Ie ren-verfe; quoique Richard, dans fa chute, eutnbsp;perdu la coiffe de fon cafque, il fe releva,nbsp;mit 1’épée a la main; mais fon adverfirire futnbsp;attaqué par Renaud, qui venoic venger fonnbsp;frère; il lui porta de fi rudes coups, qu’Ogernbsp;fut renverfé a fon tour : Sa vie étoit entrenbsp;les mains de Renaud ; lorfqu’il Ie vit ^ ter-re, il faifit la bride de Boifart, fon cheval,nbsp;qui étoit prêt a s’échapper, amp;, donnant a Ogernbsp;Ie temps de fe relever : „ Chevalier, lui dit-„ il, quel démon vous anime contre nous,nbsp;,, qui fommes vos coufins? Vous devriez nousnbsp;„ fecourir, amp; vous fervez les fureurs d’un Roinbsp;„ prévenu contre nous. Reprenezvorre cheval,nbsp;,, éloignez-vous de mes frères amp; de moi, amp; nenbsp;,, faites tomber vos coups que contre des étran-,, gers Oger, furpris de rant de générofité denbsp;la part d’un ennemi qu'il avoit voulu tuer, s’é-
loigna, amp; feperdit dans la foule. Les quatïefrè» resfaifoientun carnage horrible : Toute l’arméènbsp;de Charlemagne étoit en mouvement, amp; nènbsp;fe trouvoit pas encore aflez forte pour leurnbsp;réfifter, Lorfque Maugis vit qu’elle étoit en-tièrement occupée , il fortit du bois amp; fe jeté,nbsp;avec fes mille hommes, au plus fort de lanbsp;mêlée. Les Frangois firent des prodiges de va-lenr; lafles de combattre, affoiblis par Ie nom-bre de blelTés amp; de rnorrs, ils fe battirent ennbsp;retraite, amp; gagnèrent leurs retranchemens; lesnbsp;Gafcons les forcèrent amp; les chaffèrent horsnbsp;du camp. Maugis, amp; les trois frères, firentnbsp;un burin immenfe, amp; rentrèrent él Montau-ban , oü ils arborèrent, fur la plus haute tour,nbsp;Ie dragon que Renaud ayoit arraché du pavilion de Roland. Lorfque Ie Roi vit Ie dragon, il ne favoit què penfer; il crut quenbsp;Roland s’étoit emparé du Chéiteau, tandis quenbsp;Renaud amp; fes frères étoient occupés è. fe battrenbsp;(ontre fes troupes; cette penfée lui fkifoit fup-porter fes pertes avec moins de chagrin; mais lanbsp;vérité cruelle vint bientóc lui ouvrir les yeux.
Olivier amp; Roland révenoient de leur tour-née; ils rencontrèrent Archambaud, qui leur fit Ie détail de cette malbeureufe journée : IInbsp;ajouta qu’on étoit fi loin de penfer que , tan»nbsp;dis qu’on fe battoit, ils s’amufaflént a fe pro*nbsp;mêfler amp; è chaffer, que Ie Roi croyoit qu’ilsnbsp;étoient occupés a s'emparer de Montauban,nbsp;amp; que, cé qui confirmoit cette opinion inbsp;étoit Ie dragon de Roland qü'on voyoic ar-boré fur ufae des tours du Chateau.
-ocr page 133-Roland demeura confterne de ce reck , Pail prét a verfer des larmes de dépit; il courutnbsp;chez PArchevêque Turpin , qui le confola , amp;nbsp;qui le conduifit, dans le pavilion de Charlemagne : Le Roi le vit fi humilie ^ qn’il fenbsp;contenta de lui faire remarquer que la moindrcnbsp;négligence a la guerre etoit, prefque toujours,nbsp;fuivie des plus grands malheurs, lorfqu’oanbsp;avoir affaire a un ennemi adtif amp; vigilant.
»gt;
Charlemagne, irrité par les obflacles, jura qu'il périróit plutót, que de renoncer au fiégenbsp;de Montauban. Naimes ne luiconfeilloit pointnbsp;de 1’abandonner; mais il etoit d'avis qu’onnbsp;eüt recours aux moyens les plus faciles.,, Quelnbsp;,, eft votré but. Sire? dit-il; c’eft d’avoif lesnbsp;,, quatre fils d’Aymon en vorre pouvoif. Janbsp;j, VOÜS protefte que , ni Roland , ni Olivier,nbsp;Di tous VOS Chevaliers enfemble, n’en vien-i, dront i bout, fi le Roi Yon ne fe détachenbsp;,, de leur alliance, amp; n’entre dans vos vues.nbsp;, Je fuis d’avis que vous le raenaciez de lenbsp;, chafler de fon Royau’me , s’il ne vous livrenbsp;, les quatre fils d’Aymon , amp; que vous lui pro-, mettiez des recompenfes proportionnees aunbsp;, ferVice qu’il vous rendra, s’il les remet ennbsp;, votre pouvoir.
Le confeil de Naimes fut approuvé; Charles envoya un hérault a Touloufe , ou le Roi s’é-toit retiré. Yon, plus avare que timide, futnbsp;renté des offres qu’on lui faifoit : II dit aunbsp;hérault d’attendre fa réponfe, amp;, aulfi - tót ,nbsp;il afferobla fon Confeil; il repréfenta que Charlemagne, aveccent trente mille hommes, étoit
¦«2 8 nbsp;nbsp;nbsp;Zes quatre fils
«ntré dans 1’Aquitaine , amp; qu’il mens^oit'd’y mettre tout k feu amp; a fang, de détnüre toutesnbsp;3es Villes, amp; de s'emparer de la couronne,nbsp;ii on ne lui livroit les fils d’Aymon. L’un desnbsp;Confeillers étoit ce Godefroid , parent d’Yon ,nbsp;qui avoir efpéré d’époufer Yolande, amp; qui,nbsp;depuis ce temps, étoit Ie plus cruel enneminbsp;de Renaud. „II y a long-remps, Sire , dit-,, il, en opinant Ie premier , que j’ai prédicnbsp;„ ce qui arrive aujourd’hui. Se declarer I’aminbsp;„ de Renaud , c’eft fe declarer l’ennemi denbsp;,, Cjiarles. Eh Iquel ennemi plus terrible IVain-gt;, queur des Sarrafins, de 1’Allemagne amp; denbsp;„ 1’Italie , comment pourrez-vous efpérer denbsp;5, défendre vos Etats contre lui ? Ce feroicnbsp;j, doncune politique dépourvue de raifon, qucnbsp;5, d’expofer votre couronnepour ces étrangers.nbsp;,, Yous vous croyez lié par la reconnoiflance,nbsp;5, amp; ce motif vous fait héfiter. Je foutiens quenbsp;,, vous ne leur en devez aucune. Ils cher-„ choient une occafion de fe fignaler, amp; vousnbsp;„ leur en avez fourni une plus brillante qu’ilsnbsp;„ ne pouvoient 1’efpérer Quand même il fe-,, roit vrai que vous leur duffiez de la recon-„ noiflance pour Ie fervice qu’ils vous ont ren-„ du , ne 1’avez-vous pas payée au dela denbsp;5, fa valeur. Des aventuriers chali'és de la mai-„ fon paternelle, profcrits par leur Souverain,nbsp;,, juftement irrité contre eux , fans afyle,nbsp;,, n’ayant pour route fortune qu’une valeurnbsp;j, equi voque, font jetés dans vos Etats par Ie ha-j, fard, Ils vous trouvent, les armes è la main,nbsp;}, pret a marcher contre vos ennemis; ils pro-
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„ fitent de eette circonftance; ils fe tnêlent a ^ vos troupes; elles font viöorieufes, amp; Renaudnbsp;,, s’attribue tout Phonneur de cette victoire.
Eft-il done vrai, que, fans Renaud, fans fes ,, frères, vous auriez été vaincu ? N’avons-nousnbsp;„ done jamais, a vant eux, remporté d’avanta-„ gesfurlesSarrafinsPMaisje veux qu’ilsayentnbsp;„ tout Phonneurdecettejournée, de quel prixnbsp;,, ne les avez-vous pas payés? Renaud devientnbsp;„ Ie frère du Roi; il époufe une Princefle quinbsp;,, eüt fait Ie bonheur du plus grand Roi dunbsp;,, monde : C’eft peu ; vous vous êces dépouil-„lé, en fa faveur, du plus bel apanage de lanbsp;„ Souveraineté : Ils élévent, au milieu denbsp;„ votre Royaume, une Ville inexpugnable.nbsp;,, Qu’eüt ofé demander de plus Boulag-Akafirnbsp;,, vainqueur? Les frères Aymon ayanc done ob-j, tenu au dela du prix qu’ils pouvoient exiger,nbsp;vous êces quitte envers eux, amp; vous pou-„ vez les livrei', fans crainte de pafler pournbsp;ingrat. Je dis plus; votre juftice amp; votrenbsp;,, fureté Pexigent. Renaud eft un traitre, ounbsp;„ va Ie devenir. Pourquoi a-t-il demandénbsp;qu’il lui fut permis d’élevgr Ie Chateau denbsp;j, Montauban ? S’il n’avoit d’autre vue que denbsp;„ fe mettre a couvert des armes de Charle-„ magne, n’aviez-vous pas affez d'autres Cha-„ teaux; vos forces n’éroient-elles pas fuffifan-,, tes; ce fier vainqueur des Sarrafins fe croyoit-,, il trop foible dans vos Etats, fecondé denbsp;„vos troupes? Non, il avoir d’autres vues;nbsp;,, Renaud veut s’emparer de PAquitaine. C’eftnbsp;,, coïicie vous, amp; non centre Charlemagne,
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,, qu’il avoit befoin de fe fortifier. Prévenezï-,, done fa trahifon, qui n’elt que erop mani-feiie; votre foeur ne doit point vous arrê-,, ter. Aflez d’autres s’eftimeront heureux de la pofleder.
Le Comte d’Anjou, qui voyoit la conduite de Renaud avec le délintéreffement d’un vieuxnbsp;militaire, qui n’a rién a efpérer, ni è craiftdrenbsp;de la Cour, interrom'pit Godèffóid; „ La p«r-,, fidie qu’on vous propofe, Sire, dit-il, mé-„ rite tpute votre indignation; elle eft fuggé-„ rée par 1’animofsté, amp; n’eft fondée que furnbsp;,, la calomnie. Les fils d’Aymofi nè font cou-,, pables, ni envérs Charlémagne, ni en versnbsp;„ vous. Lorfque d’Aigremont eüf afl^Ifinénbsp;„ Ldthaire , tout jeunes qu’ils étoient, ils fu-,, rent les premiers a bümèr leuroncle; ils nenbsp;,, prirent aucun parti danscêtté querelle, pareenbsp;,, qu’ils favoient que la vengeance de Charle-5, magneétoit jufte, amp;parce gu’ileüt étécontrenbsp;,, la décence de défendre un affafiin : Lorfqu’a-„ prés avoir pardonné d’Aigremont, Charlesnbsp;,, refufa de punir le traitte Ganeloö, ReAaudnbsp;5, amp; fes frères biSrhèrent le Roi, paree qu’ilsnbsp;,, croyöient fa conduite blamable. Le bouillaötnbsp;„Berthelot, piqué des murmures de Renaud^nbsp;,, fon coufin , ofa l’attaquer, amp; le frappa eflnbsp;4, préfence de toute la Cour ;Renaüd n’employanbsp;,, qu’une jufte défenfe, amp; Berthelot fuccombainbsp;,, Le Roi n’aceflé, depuisce temps, deperfécu.*'nbsp;4, ter les fils d’Aymön, il A fufeité contre eiiXnbsp;54 leur propre père; je ne parle point de la trahifoilnbsp;qu’on ernplóyapourftirpTendféieChSteaü dé
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Montfort; t’eft un des droits de la guerre; „ mais la trahifon qu’on vous ptopofe blefl'enbsp;,, tous les droits humains amp; facrés. Si un fini-„ pie particulier eft condatnnable lorfqu’il violanbsp;„ bhofpitalité qu’il a donnée, quel crime nenbsp;,, Gommet pas un Souverain qui n’accorde uanbsp;,j afyle que pour avoir plus de facilité de tra-„ hir le malheureux qui s’eft cru en furetenbsp;„föus fa pfoteftion? L’afyle que vous aveznbsp;„ donné i llenaud amp; a fes frères, U’eft pasnbsp;j, gratuit, vous ne pouviez le leur refufernbsp;,, fans ingratitude. Vous leur devez, non feu-„lement, 1'Aquitaifte, qu’ilsont fauvée, lanbsp;„ feule reflburce qui vous reftoit, amp; que vousnbsp;„ ne pouviez conferver fkns eux; mais encorenbsp;,, Touloufe amp; tout ce qui eh depend; vousnbsp;j, ftvéi2 què Rèflaud refofa d'adtnêttre Bou-,, lag-Akafir a rafl^on, qü’il ne vous edt aban-j, donné fes coftquétes. Qui eft-ce qui auroitnbsp;„ pu fe plaindre, fi» dans ce moment , Re-„ naud éut exigé pour lui cè qu'il vous fitnbsp;„ rehdte, lorfque vous Vous y attendiez lenbsp;möins ? On lui fait ün crime d'avoit de-„ mandé la permiffion d’élever nne forterelfenbsp;pour fa fureté. Ne vous a-t-il pas donnénbsp;tous les otages que vous lui avez demaa-,, dés? Ne vous a-t-i-1 pas exhorté de preftdte,nbsp;„ Centre lui-même, routes les précautionsnbsp;,, que la méfiance pouvoit foggérer, de fortenbsp;„ que, fi les projets qu’on lui impute ëtoiéncnbsp;„ vrais, il feroit toujours dans l’impnilnbsp;^ fibiüté de les exécuter ? Qüand il h’auroitnbsp;f, pas cii k faveur h condüite k moins ftf-
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pefte amp; la plus foutenue, ne fuffit-il pas qu8 ,, vous ayez promis de Ie défendre, amp; de lanbsp;,, protéger contre fes ennemis, comme il s’eftnbsp;,, engagé de vous fecourir envers amp; contrenbsp;„ tous? Vous êtes lié par Ie ferment Ie plusnbsp;„folemnel; il ne vous efl; pas permis de lanbsp;„ violer. Je compte pour rien 1’amicié quenbsp;„ vous lui avez jurée, amp; 1'ailiance que vousnbsp;„ avez contradtée avec lui : On fait quellenbsp;,, eft la force de ces liens auprès des Souve-„ rains; mais, fi, malgré tout ce que vousnbsp;,, devez aux fils d’Aymon, vous les livrez inbsp;,, leurs ennemis, Charlemagne fera Ie premiernbsp;,, a vous méprifer, a vous en punir, peut-
être, amp; toutes les nations s’éleveront contre „ votre ingratitude.
Le Confeil d’Yon fut partagé; Godefroid reprit la parole, amp; détermina le Roi a lanbsp;irahifon. II écrivit k Charlemagne qu’il met-troit, avant dix jours, les fils d’Aymonnbsp;en fon pouvoir; qu’ils fe rendroient, parnbsp;fon confeil, dans la plaine de Vaucouleurs,nbsp;Aéfitrmés, portant en leurs mains des rofesnbsp;amp; des branches d’olivier en figne de paix;nbsp;qu’il pouvoit faire tenir, dans les bois desnbsp;environs, des troupes toutes prêtes pour s’em-parer d’eux. II remit fa lettre a un des Chevaliers de fa Cour, qui accompagna le héraultnbsp;du Roi.
L’envoyé remit la lettre, amp; ajouta que le Roi promettoit d’en exécuter le contenu denbsp;point en point, a condition que, de fon cóté,nbsp;Charlemagne retirerojt fes troupes amp; rempli-
-ocr page 139-roit les engagemens qu’il avoit pris par fon hérault. Le Roi renouvela ces promeflies amp; lesnbsp;accompagna ile fermens.
Lorfque le Roi d’Aquitaine fut bien affuré de la parole de Charlemagne, il ne fongeanbsp;plus qu’a exécurer fon perfide projet. II partnbsp;pour Montauban, amp; dit aux fils d’Aymon,nbsp;qu’il a fait leur paix avec Charlemagne, 8cnbsp;qu’il vient pour les en féliciter; il leur faitnbsp;un faux récit de négociarions, amp; leur apporte,nbsp;de la part de Charlemagne , quatre man-teaux d’écarlate, fourrés d’hermine, Sc quel-ques bijoux que Ie Roi avoit ajoutés a ce pré-fent, pour les faire mieux tomber dans lenbsp;piège ; „ II eft convenu, dit-il, que, demain„nbsp;,, vous vous rendrez , tous les quatre, fansnbsp;„ autres armes que vos épées, amp; fans autrenbsp;,, fuite que dix Chevaliers amp; Comtes de manbsp;,,Cour, dans la plaine de Vaucouleurs, avecnbsp;„ les manteaux que Charlemagne vous a en-„voyés, montés fur des mulets, amp; portantnbsp;„ dans vos mains, en figne de paix, des rofesnbsp;„ amp; des branches d’oliviers. Le Roi doit vousnbsp;„ 5’ attendre avec le Due Naimes de Bavière»nbsp;„ Oger §5 fes douze Pairs; vous lomberez knbsp;„fes genoux, amp;, lui, il vous pardonnera amp;nbsp;„ vous remettra en pofleffion de tous vos Ché-„ teaux.
Renaud n’avoit aucune méfiance du Roi Yon ; mais il craignoit quelques pièges de lanbsp;part de Claarles. Yon le raflura, amp; lui ditnbsp;que Charles avoit engsgé fa foi. „Au fur-plus, ajouta-t-il, fi vous avez le moindre
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„ doute, n’y allez pas; il n’a traité qu’avec ,,moi feul; il eft vrai que j’ai promis ; Toutnbsp;retombera fur moi; qu’impofte? Non^ repritnbsp;,, Renaud, il n’eft pas jufte que, pour vouloirnbsp;,) nous obiiger, vous voiis trouviez compro-„-mis, amp; chargé de toute la haine du Rol denbsp;Franee; nous nous tendrons dans la plainenbsp;de Vaucouleurs.
Alard, Richard amp; Guichard, n’eurent pös plutót appris ce traité, qu’ils tocibèrent dansnbsp;la plus profonde triftéite. „ Si cette paijt,nbsp;,, difoient-ils, eft véritable, pourquoi Ie Rdinbsp;,, veut-il que nous allions la figner fans annésnbsp;,, amp; fansfuite? Méfions-nous de quelque trahi-fon. Non, dit Renaud, Charlemagne nenbsp;,, pouffera pas la perfidie jufqu’a ce point tnbsp;jj D’ailleors, il faudroit qii’Yon fót du Com-ploft, amp; ce feroit un crime que de Ie foüp*-„ gonner.
Qui pourroit peindre les craintes amp; les alarmes d’Yolande, lorfque Renaud alia pren-ère congé d’elle?,; Ah! du moinsj permets»nbsp;j, difoit-elle, que j’aille ëXpirer en te défen«-,^damp;nt; ils n’oht pa, ni te vaincre, fii renbsp;féduire i üs veulent te trompet Renaudnbsp;Jöi repréfentoit ea vaih quhl faudroit fiap-pOfÈr Yon Ie plus perfide des hommes. ,, Ehlnbsp;„ feroit-il Ie premier, difoit-elle, qui aüroitnbsp;jjfacrifié fa fmur i de t^ils intéïêts? Je menbsp;„raéfie de 1’univers eiJtier, quand il s’agitnbsp;üi de ihon époujt : Nort, inen eh'èr Renaud*nbsp;yj vous ne vóus livrerez point i rtos efineifiié,nbsp;C'eft les arises a ia fnain qu’ün héros wwte
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„dê Ia paix, amp; non comine Ie CoiHmandanc „ d’une Ville prife d’aflaut.
En vain Ie prefle-t-elle dans fes bras, en vain fes lèvres brvllantes demenrent-elles at-tachées fur les lèvres de fon époux ; Renaudnbsp;a promis, Renaud eft inébraniable. Malheurnbsp;reux! il jugeoit les autres paf lui-même, amp;nbsp;il croyoit lés Rois incapables de trahifon. Sesnbsp;fréres 1’eftgagèretit de deiiiander au Rói, qu’ilnbsp;leur füt, du moins, permis d’aller au rendezvous fur leurs chevaux; Yon ne voulut pointnbsp;yconfenrir, decrainte, difoit-il, que lè Roinbsp;ne crut pas qu’il Ie trahiflbit. II fépéta encore, que, s’ils craignoient quelque prége, ilSnbsp;étoiènt les maïfres dé manqtier d la pafOlènbsp;qu’il avoit donnée a l’Ërfipereor.
Enfin, Renaud amp; fes frèfés partirénf, aceont=-pagnés de dix Seigneurs. Yón gértiffolt dans Ié fond de fon afne; fnais 1’avarice amp; la crainfenbsp;étouffoient fes vfais fentimenS; s’il avoir cfanbsp;qu’il y eut plus d’avantage d nahit Charlesnbsp;inagne, il 1’edt trabi en faveur des fils d’Ay-ihon', mais Ie Rói étoit pins puiflant, amp; ifsnbsp;tt’avoient que de ld vértu. Cépendant, Renaud, pendaiit la route, levoit, quèlqueföiSinbsp;les yeux vérs Ie ciel; il êtoit trifté, amp; je nènbsp;fais quel preflentifnent lui faifoit éprouveï,nbsp;d’avance, Ie fort qui l’attendoit. Alard apéf-$ut quelques larmes qüi s’édiappóient de fesnbsp;yéux: „ Ö mon frère amp; mon értii 1 lui dit-j, il, Vöilè les premiers plèurs què je vous voiinbsp;„ ré^ndrte;; è vous ^onp?onneli quelque per-i, èdie» nous ne fommés' pgs encore arrivé}
-ocr page 142-136 nbsp;nbsp;nbsp;Les quatre fils
„ revenons a Montauban. Ce n’efl pas, répon'? „ dit Renaud, fur moi que je pleure, c’fftnbsp;,, dans la crainte qu’il ne vous arrive queiquenbsp;y, malheur a caufe de moi. J’ai promis, amp;,nbsp;„ duffai-je périr, ü faut que j’exécute ma pro-,, mefle. Laiffez-moi aller feul; fi Charles nousnbsp;„ a tendu un piège, il n’y prendra, du moins,nbsp;„ que mol; fi la paix eft , en effet, conclue,nbsp;,, il fe contentera des excufes que je lui ferainbsp;,, de votre abfence Les frères de Renaudnbsp;lui proteftèrenc qu’en la vie, amp; en la mort, ilsnbsp;ne 1'abandonneroient point.
Ils arrivèrent, enfin, dans la plaine de Vau-Couleurs, qui, depuis la trahifon de Charlemagne, a change de nom. Elle étoit entou-rée de forêcs épaiffes qui s’étendoient a plus de dix lieues. La Dordogne amp; la Gironde lanbsp;traverfoienc avant d’aller fe jeter a la roer;nbsp;fur la gauche, étoit un rocher efcarpé, divifénbsp;par une ouverture étroite, oü deux hommesnbsp;pouvoient a peine entrer de front; quatre che-mins aboutiflüient a cette plaine, 1’un traver-foit la France, 1'autre alloit en Efpagne, Ienbsp;iroifième en Galice, en Portugal, amp; Ie qua-trième au Royaume d’Aquitaine. Cette plainenbsp;étoit fituëe entre Bordeaux amp; Bayonne. Cha-que chemin étoit gardé par cinq cents hommes , embufqués dans la forêc.
Renaud amp; fes frères furent étonnés de ne voir perfonne dans la plaine, ils la traverfèretitnbsp;jufqu’au pied du rocher. Alard lui propofa,nbsp;une feconde fois, de s’en retourner a Montauban. Défarmés., comme nous Ie fommes,
-ocr page 143-vingt Chevaliers fuffiroient pour nous prendre, llenaud, qui commenQOit a foup^onner Yon,.nbsp;amp; qui avoir reitipli fa promeffe, étoit prêt denbsp;fuivre Ie confeil de fon frère, lorfque Foul-ques de Morillon parut, la lance baiflee, con-tre lui ; „ Ah! s’écria Renaud, je ne Ie voisnbsp;„ que trop, nous fommes trahis; Ie Roi, ajou-ta-t-il, en s’adrefl'ant aux dix Seigneurs quinbsp;,, les efcortoient, nous a confiés a vous; c'eftnbsp;„a vous d nous fecourir; fecondez-nousnbsp;Godefroid jeta un regard de mépris fur Renaud, amp; lui répondit brufquement, qu’il étoisnbsp;trop brave pour avoir befoin de fon fecours.nbsp;Renaud, indigné, tire fon épée, amp;, d’un revers, fépare fa tête de fon corps. Les neufnbsp;dutres Chevaliers prirent la fuire, amp; ne du-jent ia vie qu’a la moniure de Renaud, quinbsp;ne put les fuivre. „ Mes amis dit-il, a fesnbsp;,, frères, puifque nous ne pouvons éviter lanbsp;„ mort, vendons-leur chèrement notre vie,nbsp;a, ne nous féparons point, amp; prenons gardenbsp;,, de tomber vivans entre les mains de cesnbsp;f, traitres Ils s’embraflerent, mirent leursnbsp;manteaux autour de leurs bras, amp; attendirentnbsp;Jeurs ennemis 1’épée a la main. Quoiqne mon-tés fur des mulets, Morillon fut étonné denbsp;leur audace; il leur dit qu’Yon les avoit li-vrés, que toute défenfe leur étoit inutile, amp;nbsp;qu’il leur confeilloit de fe rendre. „ Infenfé,nbsp;„ lui répondit Renaud , ISche! qui ne rougisnbsp;„ pas d'attaquer des Chevaliers défarmés, n’ef-„ père pas nogt;is avoir vivans, amp; crains pournbsp;,, toi-même, li tu as Ie courage de te battre
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amp; armes égales; maïs fi tu as 1’ame d’un vrat ,, Chevalier, écoute ce que je te propofe. Aunbsp;», lieu d’étve Ie complice de la plus déteflablenbsp;,»mhifon, 1 aifle-nous retirer ; nous quitte-„ rons letraitre Yon, amp; nous férvirons Char*nbsp;,, lemagne : Nous te donnerons Ie Chèteannbsp;„ de Montauban. Si tu crains la colére du Roi,nbsp;„ nous promettons de te fervir avec quatrenbsp;„cents gens-d’armes, bien difciplinés. Sinbsp;,, cette propofition ne te convieiit pas, ennbsp;„ voici une autre : Choifis vingt Chevaliers,nbsp;mets-toi aleurtête amp; combats contienous; finbsp;», vous pouvez nous vaincre, nous leur pardon-», nons, d’avance, notre mort; mais fi, tout dé-farmés que nous fómtnes, nous remporions ianbsp;yy viftoire, tu nous laifieras retirer a Móiitauban.nbsp;„ Ce que je te propofe eft plus pour ton hön*nbsp;4, neur , que pour notte confervation Foul*nbsp;ques rejêta ces propofitions, amp;, fans lui donnetnbsp;Ie temps de fe mettre en défenfe, il lui portanbsp;un coup de lance, 5c lui petga la cuiffe. Renaudnbsp;amp; fon mulct mordirent la pouffière. Alard,nbsp;qui crut fon frère mort, s’écria: „ C’en eft fait,nbsp;il ne nous refte d’autve parti que de nousnbsp;,, rendre. Notre foutien eft tombé, n’efpéronsnbsp;point de pouvoir nous défendre, feuls, con-„ tre tant de monde Ils avoient a faire auxnbsp;trois cents hommes que conduifoit Morillon.
„ Que parlez-vous de vous rendre? s’écria Renaud, j’efpère de punir la déloyauté denbsp;„Foulques, avant de mourir,, : En difancnbsp;ces mots, il fe dégage, arrache avec effortnbsp;icfei de fa lance, amp; crie aPoulques: „ Trai-
-ocr page 145-ff trejdefcends, amp;viens, fi tul’ofes, te battre „ avec rnoi l’épée ü la main Morillon pouffenbsp;Ikhement fon cheval centre Renaud, amp; levenbsp;fon épée; le fils d’Aymon, plus adroit, l’évite,nbsp;s'élance fur la croupe du cheval de fon en-nemi, lui enfonce fon épée dans le corps*nbsp;amp; le jette è. terre fans vie. Ainfi Renaudnbsp;fe trouva parfaitement monté; il fe fit donnernbsp;}a lance amp; l’écu de fon ennemi, amp; dit a fesnbsp;frères de ne pas fe féparer. A ces mots, il fenbsp;jette au milieu des Francois, baiffe fa lancenbsp;fur le Due de Croy, amp;l’éténd a fes pieds;nbsp;il prend fon épée, frappe Enguerrand amp; par-tage fatête en deux;onze Chevaliersamp; nombrenbsp;de combattans expirèrent fous fes coups.
La fureur l’avoit emporté plus loin qu’U ïie vouloit; il fe rêtoorne; il voit Alard quinbsp;avoit pris un cheval, un écu amp; une lancenbsp;d’un Chevalier qu’il avoit tué^ Quoiqu’il fütnbsp;bleffé, il joignit Renaud, amp; tous les deux firentnbsp;tm carnage horrible des Fran9ois; Richard amp;nbsp;fon frére étoient è pied i leurs mulcts avoientnbsp;été tués; ils fe firent jour jufqu’è Renaud jnbsp;amp;, lorfqu’ils furent tous ralliés, il fut impof-fible de les entamer; ils entaffoient les mortsnbsp;antour d’eox; mais, au lieu de lesartaquer*nbsp;les Francois formèrect un peloton , auquel ilsnbsp;donnèrent une impulfion a la quelle les fils d’Ay*nbsp;mon ne s’attendoient point. Ils ft trouvèrentnbsp;encore féparés. Richatd fe retifa vers la ro-'nbsp;che; Guichard, feul, amp; è pied, fut ftifi patnbsp;furprife amp; fait prifonnier; il avoit tué plu-fieurs combattansi il entua deux, en fe dé.^
-ocr page 146-battant entre les mains de ceux qui 1’avoient pris, il éroit couvert de bleflures; on Ie Ha,nbsp;comme un crirainel, fur un cheval, amp; on 1’em-menoit. Renaud s’en aper9ut, amp;, rejoignantnbsp;Alard ; „ Courons, lui dic-il, délivrons Gui-,, chard, ou périffons avec lui, 1’infamie de lanbsp;„ mort que Charlemagne lui deftine rejailli-,, roit fur nous. Comment percer jufqu’a lui?nbsp;,, difoit Alavd:N’importe,attaquons„. Aufli-tót, s’abandonnant i leur courage, ils fon-dent fur les Francois qui efcortoient Ie pri-fonnier, les diflipent amp; parviennent jufqu’inbsp;lui. Alard Ie délia, tandis que Renaud tuoitnbsp;OU écartoit tout ce qui s’approchoit. Alard,nbsp;après Pavoir délivré, lui donna Ie chevalnbsp;même ou on 1’avoit attaché , une lance Ssnbsp;nne épée de quelqu’un de ceux qu’il avoitnbsp;tués. Guichard fe vengea cruellement de 1’af-front qu’il avoit regu; il leur manquoit Richard : Après Renaud, c’étoit Ie plus brave desnbsp;quatre fils d’Aymon. N’en pouvant plus de fatigue Si du fang qu’il avoit perdu, il s’étoitnbsp;couché au pied du rocher, n’ayant pas eu lanbsp;force de Ie gravir. II avoit tué de fa main,nbsp;cinq Comtes, quatorzeChevaliers,S;plufieursnbsp;foldats. Gérard de Vauvert, coufindeFoul-ques, 1’ayant aper9U prefqu’expirant, vinenbsp;fur lui, amp;, de fi lance, lui fit au ventre unenbsp;li large bleffure, que les boyaux paroiflbient;nbsp;il ne douta pas qu’il ne l’eüt tué, Si il alianbsp;publier fa mort. Richard eut encore aflez denbsp;force pour fe relever. Si, d'une main, bou-cltant fa plaie, il court après fon affaffin.
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Ie Irnppe fur fon cafque, amp;, Ie coup gliflant en travers, il !ui enlève la tête amp; 1’épaulenbsp;droite; Gérard tombamort d’un cóté, amp; Richard , que eet effort avoir encore affoibli,nbsp;tomba de 1’auire; il ne lui reftoit prefque plusnbsp;de fang dans les veines.
Sesfrères, qui ne Ie voyoient point, inquiecs ,de fon fort, accablés, d’ailleurs, par Ie nom-hre, s’acheminèrent vers Ie rocher, oü ilsnbsp;cherchèrent a fe faire un retranchement. Re-naud aper9Ut Ie malheureux Richard, prefque fans vie, entouré d’un grand nombredenbsp;Frangois qu’il avoir rués, „ Defcendez, ditnbsp;„ Renaud a fes deux frères, amp;,' tandis quenbsp;„je fouuendrai l’effort des aflaillans, foule-„ vez Richard, amp; portez-le dans 1’ouverturenbsp;•„ du rocher. O bravequot; Richard ! ajoutoic-il ennbsp;„ pieurant amp; en écartant les ennemis, tu esnbsp;„ done la première viètime qu’Yon a iinmo-• „ lée a Charlemagne ? Puiffe ton ombre étrenbsp;„ témoin de ta vengeance,,! Tandis qu’ilnbsp;foutenoit toute. la fureur des combactans,nbsp;Alard amp; Guichard enievèrent Richard fornbsp;leurs écus , amp; Ie tranfportèrent fur Ie rq-cher, au milieu d’un nuage de fièches; ilsnbsp;- virenc qu’il n’étoit point mort, ils l’embraf-: fèrent avec des larmes dejoie: ,. Mes chersnbsp;-„amis, leur dit-il, d’une voix foible, jenbsp;¦ ,, me trouvCi mieux j gllez fecoprir Renaud;nbsp;„'que je Ie voye encore avant de mourir:
Si vous pouvez gagner ce retranchement, „je ne.défefpère poiqt encore de la vic-toire, ,
-ocr page 148-I4Ü- nbsp;nbsp;nbsp;Les quatre fils
Alard amp; Guichard coururent au fecours de Renaud ; il avoic, lui feul, abattu rrentenbsp;combattans dans Ie peu de temps que fes frèresnbsp;avoient été abfens; leurs chevaux avoientnbsp;été pris; mais ils en trouvèrent d’autres, carnbsp;il reftoit plus de chevaux que de Cavaliers.nbsp;Ils repoulièrent les ennemis, amp;, fe battancnbsp;en retraite, ils gagnèrent l’ouverture du rocher,nbsp;amp; febornèrenta en défendre les approches.
C’eft alors que parut Oger a la tête de trois mille hommes; il vint fommer Renaud amp; fesnbsp;frères de fe rendre : ,, Jufqu’a préfent, leurnbsp;dit-il, je n’ai pas voulu paroJtre; vous étesnbsp;„ mes coufins, amp; j’ai dü vous ménager; votrenbsp;„ obftination amp; ma patience me reridroiencnbsp;„coupable envers Ie Roi, fi je tenois plusnbsp;long-temps mes troupes dans l’inaètion. Jenbsp;,, veux bien ne pas les aider , mais je ne puisnbsp;,, vous défendre *, tout ce que je puis, c’eft denbsp;y, vous confeiller de 'vous en rapporter a la clé-„ mence de Charlemagne. Mon coufin, dit Re-„ naud, fi c’eft la tout ce que vous pouvez fairenbsp;,, pour nous, vous deviez vous difpenfer de menbsp;„Ie pröpofer.
Richard avoit repris des forces; il pria Guichard de dèchirer fon manteau amp; de 1’en cein-dre, pour foutenir fes entrailles; lorfqu’il n’eut plus a craindre pour fa bleflure, il fe fouleva,nbsp;s’adoflant au rocher, il étonna ceux quxnbsp;¦ Ravoient cru mort. Alard étoit étendu derrière Ie rocher, perdanttout fon fang d’une flè-che qui lui avoic percé la cuifle : L’exemplenbsp;Richard Ie ranima; il banda lui - mêtae
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fa plaie amp; fe montra aux Francois, qui ne comprepoient pas commenc ils avoient punbsp;réfifter fi long-temps.
Cependant, Oger fut touché de la fituation de fes coufins: II fit fufpendte 1’attaque du tocher. II dit 4 fes troupes qu’il efpéroit de lesnbsp;réduire a fe rendre, amp; qu'il alloic leur pariet.nbsp;II s'appreche de Renaud, fans armes; il luinbsp;demande de lui permettre de venir fur le bordnbsp;de 1’ouverture; lorfqu’il eft a portée de fe
faire entendre : Mes amis, leur dit - il, je ,, fuis fliché de ne pouvoir vous feeourir, jenbsp;,, 1’ai proinis au Roi; mais, quoique mesnbsp;,, confeils vous paroiflént ü raauvais, j’enai unnbsp;,, 4 vous donner. S'il ne peut vous fauver , dunbsp;„ moins retardera-t-il votre perte. Yous al-„ lez être aflaiilis par routes les troupes; cenbsp;,, n’eft pas avec vos épées amp; vos lances quenbsp;^ vous les empêcherez de gravir ftir ce to-,, cher; n’eufliez - vous qu’a frapper pour lesnbsp;,, abattre a mefure qu’elles fe préfenteront,nbsp;„ vous feriez hors de combat, par la fatiguenbsp;,, feule, avant que la moitié fdc tombée fousnbsp;,, vos coups. II vous refte une reflource, e’efl;nbsp;,, de raflembler autaut amp; de fi grofles pierres
que vous le pourrez, de les fnettre a por-,, tée de l’ouvertiire du rochet, amp; de les faire „ rouler fur les combattans, 4 mefure que lesnbsp;„ Soldats graviront. Pour vous prouver qu’ilnbsp;„ ne depend pas de moi de vous feeourir, jenbsp;„ refte jufqu’a ce que vous ayez fait une afléznbsp;,, grande provifion de pierres.
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remercia fon coulin, mais qui ne put lui par-donner de fe rendre complice de Ia perfidie d’Yon, amp; de la vengeance injufte de Charlemagne. Renaud amp; Guichard, comme lesnbsp;moins blefles, monrèrent au haut du rochetnbsp;pour ramafler les pierres qu’ils trouveroient.nbsp;Renaud jeta les yeux fur la plaine; il con-temploit avec facisfadlion les ennemis qu’ilsnbsp;avoienc dctruits. Le champ de bataille oünbsp;deux armécs fe font battues, offre fouventnbsp;un moindre nombre de morts amp; de blefles.nbsp;Ils eftimèrent que ce nombre pouvoit aller inbsp;quinze cents. En regardant dans la plaine,nbsp;ils aper9urent, au dela de la fotêt, une troupenbsp;nombreufe, ils crurent, d’abord, que c’é-toient des Frangois; mais, en regardant plusnbsp;attentivement, Renaud reconnut Bayard amp;nbsp;M’augis. „ Oh! mon frère, s’écria-t-il en em-„ braflant Guichard , c’eft Maugis que le cielnbsp;„ nous envoye; dis-le d nos frères, amp;, fur-„ tout, qu’Oger n’en fache tien; Ciel 1 ó Ciel!nbsp;,, je te rends graces Renaud revint auprèsnbsp;d’Oger, tandis que Guichard alia apprendre dnbsp;Alard 1'heureufe découvertc qu’ils venoiencnbsp;de faire.
(PAymon.
C H A P I T 11 E X.
Suite dm combat précédent. Les fils d’Aymoii fecourus par les Gafcons, conduits par Mau-gis. Nouveaux exploits. Oger, vaincu parnbsp;Renaud, infuké par Roland, n’en paroltnbsp;que plus grand. Maugis raconte d Renaudnbsp;comment il a appris la trahijbn du Roinbsp;d’Aquitaine. II rend au jour Richard, amp;nbsp;guérit les blejfures d'Alard, de Guichardnbsp;amp; de Renaud.
-ependant, les troupes s’impatien-toient du long féjour qu’Oger faifoit fur la inontagne. lUvouloit defcendre pour leurlaiflernbsp;commencer 1’attaque : Eh quo!! mon coufin ^nbsp;„lui dit Renaud, feriez-vous affez dénaturénbsp;„ de ne pas nous accorder encore quelques mo-„ mens pour nous repofer; encore qne heure,nbsp;„ amp; , non feulement, nous perniettrons a vosnbsp;,, troupes de nous attaquer, mais encore anbsp;„ vous-même , pour que Charlemagne n’aicnbsp;„ aucun reproche k vous faire Oger y.con-fentit, leur promit qu’ils ne feroient attaqués que lorfque I’heure feroit expiree. II def-cendit de la montagne, pour aller calmer 1’im-patience des Francois. II dit a ceux-ci quenbsp;les fils d’Aymon étoient prefque décidés a fenbsp;lendre mais qu’ils demandoient quelquesnbsp;inftans pour prendre une dernière réfolutioc,
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Zes quatre fils
Les Chefs vouloienc actaquer Ie rocher mal-gré lui; mais il menara de couper la tête au premier qui feroit affez hardi de faire Ie moin-dre mouvement fans fon ordre.
Le temps accordé n’étoit pas a moitié écou-lé, que, la joie fufpendant les douleurs d’A-lard amp; de Richard, ils fe fentirent en état de combattre : Mes amis , dit Richard anbsp;,, fes frères, autant que j’en ai pu juger, lanbsp;,, troupe que Maugis conduit, eft d’environnbsp;„ cinq mille hommes; amp; les Francois ne fontnbsp;„pas au dela de quatre mille. Ce n’eft pasnbsp;,, affez que Maugis nous dégage, il faut qu’ilnbsp;„ nous venge. Si les Franïois fe doutent denbsp;„ fon arrivée, ils fuiront; ne leur donnonsnbsp;„point le temps de s’en apercevoir, defcen-„ dons au bas de la montagne; préfentons-„ nous au combat; Maugis ne doit pas êtrenbsp;,, loin ; tandis que nos ennemis s’acharneroncnbsp;„ après leur proie, il déployera fes troupesnbsp;,, dans la plaine, amp;pourra les prendre de tousnbsp;„ cótés.
L’avis de Richard fut füivi; Renaud amp; Guichard defcendirent les premiers, Richardnbsp;amp; fon frère les fuivoient. Les Frangois nenbsp;doutèrent pas qu’ils ne vinflent fe rendre. Ogetnbsp;courut k eux :,, Pourquoi, leur dit-il, avez-„ vous quitté votre afyle? Si c’eft pour vousnbsp;„ rendre a Charlemagne, il falloit mieux ex-„ pirer les armes a la main , car je ne doisnbsp;„ pas vous cacher que ce Prince a juré qu’ilnbsp;„ vouloit vous waiter avec la plus grandenbsp;V rigueui j fi c’eft pour combattre, le Ueu
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„ que voiis opcupiez étoit inacceffible , ou , du moins, vous pouviez, avec le fe-j, cours que je vous avois indiqué, vous ynbsp;9, défendre long - temps. Nous voulons com-,, battre , répondit Renaud , amp; nous efpé-rons encore de vous vaincre. Le peu denbsp;ff repos que vous nous avez donné, nous anbsp;rendu nos forces, amp; nous voulons encoramp;nbsp;ff tenter la fortune Oger les prit pour de*nbsp;infenfés; il retourneafes troupes, amp; leur ditnbsp;Hntention de fes coufins: Les Francois paroif-fent furieux d'avoir fi long-temps attendu.nbsp;Oger leur donne le fignal, amp; fe retire; i peinenbsp;fe font-ils ébranlés, que Maugis, fortanc dunbsp;bois, fe déploye dans la plaine; il avoir faitnbsp;glifler des troupes le long de la forêt; ellesnbsp;s’étoient avancées, fans que perfonne s'en fatnbsp;fiper9u, jufqu'a I’autre extrémité de la plaine;nbsp;amp;, loifque Maugis parut, les Francois fe trou-vèrent enveloppés par leurs ennemis. Le premier qui s’offrit a fes coups fut Oger. Il lenbsp;frappu d’un coup de lance, amp; lui fit une largenbsp;bletfure dans le flanc; Oger vouloit fe venger;nbsp;mais, heureufement, Bayard , fentant fonnbsp;maitre, emporte Maugis auprès de lui, s’ou-vrant un paflage è travers les Fran9ois, qu’ilnbsp;déchire avec fes dents, amp; que Maugis ren-verfe avec fa lance. Maugis embraffe Renaud,nbsp;Alard amp; Guichard, car Richard avoir éténbsp;obligé de remonter fur le rocher.
Les Gafcons pénètrent dans le centre des ennemis, en font un horrible carnage, amp; lesnbsp;inettent en déronte; les Fransois veulent fuir;
148 nbsp;nbsp;nbsp;Les quatre fds
les troupes, emburquées dans la forét, les ar-ïétent, les repoudent dans la plaine, amp; font, par-tout, ruifl'der Ie fang. Renaud , monténbsp;fur Bayard, volt Oger, court a lui, amp;, d’unnbsp;coup de lance, Ie jetre a trois pas de fon che-val; il defcend aufli-tót; il arrête Ie cheval,nbsp;amp;, en Ie rendanc a Oger: „ Comme notrenbsp;„ parent, lui dit-il, vous ne vouliez pas trera-„ per vos mains dans notre fang; mais vous'nbsp;„ avez conduit trois mille hommes contre vosnbsp;„ coufins, trabis amp; défarmés, pour les livrernbsp;„ a leur ennerni, qui n’attendoit fes vidtimesnbsp;,,.que. pour les faire périr dans les fupplices.nbsp;,, Allez, je fuis aflez vengé; mais je vous con-„ feille de vous recirer.
Maugis, qui avoit fait amener fon cheval de bataille, s’égoit jeté parmi les ennemis; ilnbsp;perya Guimard d’un coup de lance, abattitnbsp;la téte d’Allain, amp; fit fon cri de guerre; Ienbsp;carnage devint général; les troupes de Charlemagne diminuoient de moment en moment;nbsp;elles accufolent Oger d’étre la caufe de leutnbsp;déroute; dies 1’attribuoient au temps perdunbsp;dans rinadtion oü leur Général les avoit faitnbsp;ianguir pendant deux heures. Oger, accufénbsp;par les flens, amp; vivement preflepar fes ennemis , pouffe fon cheval dans la Dordogne amp;nbsp;Ia paffe a la nage. Renaud, Ie voyant for 1’au-tre rive : ,, Mon coufin, lui cria-t-il, vous tra-„ hiflez les intéréts du Roi : Vous fuyez amp;nbsp;„ vous nous abandonnez fes troupes. Perfide !nbsp;„ répondit-il a Renaud, tu m’appelles traJrnbsp;tre, amp; c’eft toi qui me trabis; fans moi.
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j, tes frères amp; toi feroient prifonniers : C'effc „ moi qui ai donné Ie temps a Maugis d’ar-„ rivet. Attends-moi, fi tu 1’ofes. Je k veuxnbsp;„bien, dit Renaud Auffi-tót Oger repaflenbsp;3e fleuve, amp; fe préfente au combat. Son cou-fin eut pitié de lui; fon cheval pouvoit a peinenbsp;3e foutenir; fon armure ruiffeloit de fang :nbsp;Renaud refufa; mais Oger avoit été appelénbsp;traitre; il dit a fon coufin de fe défendre.nbsp;Auffi-tót, ils fe frappent, leurs lances fe bri-fent, leurs ecus jettent des faifceaux d’étin-celles : Cliacun tombe bleffé de fon cóté; il»nbsp;fe reièvent, mettent 1’épée a la main, amp; fenbsp;portent les coups les plus terribles; tandis qu’ilsnbsp;fe battent, leurs oirevaux , auffi furieux quenbsp;leurs maitres, commencent, entr'eux , unenbsp;autre efpèce de combat; ils fe mordent, fenbsp;déchirent; 1’agile Bayard rue, hennit, écumenbsp;Si frappe fon adverfaire a la tête, a la croupe, dans les flancs. Oger courut pour les fé-parer; mais Renaud, impatient de terminernbsp;Ibn combat, Ie renverfe d’un coup d’épée, Scnbsp;Ie blefle a la hanche. Oger revient fur lui,nbsp;frappe Renaud fur fon cafque Sc la fait chan-celer. Oger veut recommencer; mais, voyantnbsp;arriver Alard, Maugis, Guichard, amp; leurs troupes, il remonte , a la héte, fur Boifart, fonnbsp;cheval, amp; ne s’aperQUt qu’il n’avoit pointnbsp;de felle, que lorfqu’il eut paffé la rivière. Renaud l’en railla; Oger Ie défia de pafler, pour •nbsp;venir recommencer a fe battre. Renaud avoitnbsp;accepté Ie défi; il ailoit palier la rivière,
d’avoir donné ]e temps a Maiïgis d’arriver; amp;, après qu’ils eurent maflacré, ou force ce quinbsp;reftoit de Fxan9ois de pafler la Dordogne, ilsnbsp;allèrent auprès de Richard.
Oger, couvert de bleflures, excédé de fatigue , amp; fans felle, rentra dans Ie camp de Charlemagne. Perfonne ne doutoit que les quatre fils d’Ayraon ne fuflent pris; il n’y avoit pref-que point de Chevaliers amp; de Seigneurs qulnbsp;ne fudent leurs parens , leurs amis', ceux quenbsp;leur mérite avoit rendu leurs rivaux amp; leursnbsp;ennemis, commencèrent a les regretter, dèsnbsp;qu’ils les crurent perdus, elfet ordinaire danbsp;1’infonune, qui change la haine la plus enve-nimée en une tendre commifération; mais quellenbsp;fut la furprife de Charlemagne, lorfqu’Ogernbsp;lui eut fait un fidelle rapport de tout ce quinbsp;venoit de fe pafler, qu’il lui eut appris que,nbsp;de trois mille Fran9ois, il ne s’en étoit fauvénbsp;que trois cents, amp; qu’il s’eöimoit fort heu-reux lui-même de n’avoir pas péri fous lesnbsp;coups de Renaud. L’impétueux Roland nenbsp;put entendre ce récit fans frémir. II étoit f^chénbsp;que Charles eut préféré Oger pour arrêter lesnbsp;fils d’Aymon ; il dit, hautement, qu’il étoitnbsp;nn lèche, pour s’étre laifié battre par unnbsp;Chevalier fans armes, ou un traitre, quinbsp;avoit empêché fes troupes d’agir. Oger ne putnbsp;fouffrir ces reproches, amp; 1’accufa lui-méme denbsp;lècheté : „ Paree que vous me voyez blefle,nbsp;,, lui dit-il, vous ofez me tenir des proposnbsp;„infultans, dont vous ne me croyez pas ennbsp;état de me venger; mais je vous défie amp;
-ocr page 157-,, veux vous faire voir que les forces expi-,, ratites d’un guerrier, tel que moi, font au ,, deflus des bravades d'un jeune témérairenbsp;Roland init 1’épée a la main. Oger, couvertnbsp;encore de fang amp; de pouffière, fans tirer lanbsp;fienne, faifit le fer de celle de Roland, amp;nbsp;lui dit; „ Jeune homme, regarde ces bleflu-,, res, avant que jeme metre en defenfe,aiinnbsp;„ que tu puifles fayoir le jugement qu’on por-,, tera de toi après notre combat. Si je fuisnbsp;„ vainqueur, on dira que tu n’avois que denbsp;,, I’orgueil fans courage, puifqu’un hommenbsp;„ foible,amp; épuifé de fang,t’a donnéla inorf,fi.nbsp;„ je fuis vaincu, on publiera que tu n’es qu’unnbsp;„ vil aflafiin , qui as proficé de rna foiblefle pournbsp;,, m’infulter. Maintenanr, viens, amp; combat-„tons„. Roland laifla tomber fon épée, de-manda pardon d Oger, amp; le remercia. Celui-cinbsp;jreprit:,, Vous m’avez accufé de trahifon amp; denbsp;,, iScheté, je dois me juftifier de I’un amp; denbsp;,, I’autre. C’eft au Roi a s’informer de manbsp;„ conduite ; vous, Roland , vous me fereznbsp;,, raifon de 1’imputation de lacheté.
Charlemagne leur défendit de fe battre, juf-qu’a ce qu’Oger fut rétabli de fes blefliires; mais il ne put cacher fon depit de la pertenbsp;inutile de fes troupes amp; de la viftoire de Mau-gis amp; des fils d’Aymon.
Cependant, Renaud, fes frères amp; Mangis, après avoir raflemblé amp; fait camper leurs troupes pour le refte de la journée, s’en alloientnbsp;vers la roche, ou ils craignoient de trouvernbsp;Richard fans vie. Les trois frères foupiroient,
G iv
-ocr page 158-Maugis les confoloit; Alard, qui voyoif la triftellè de Renaud^ demanda a fon coufin cenbsp;qui s’étoit pafle au Chateau de Montauban,nbsp;amp; par quel hafard, ou plutót, par quel miquot;nbsp;rade, il étoit venu a leur fecours.
5, river dans la plaine de Vaucouleurs I Je 9,1’ai prefl'é de s’expliquer. II m’a répondunbsp;„ qu’il ne pouvoit pas m’en dire davantage;nbsp;j, que fon devoir 1’obligeoit an fecret, quelnbsp;5, qu’il fut.'J’ai vainement employé les priè-55 res les plus preflantes; enamp;n, j’ai été jufqu’a
„J’avois bien 'de la peine a me perfuader, ,, dit Maugis , que Charlemagne ¦ euc fitdcnbsp;j, daangé a votre égard ; je né favois com-j, ment condlier fon projet de prendre Mon-5, tauban, le liege düt-il durer fept ans, avecnbsp;5, ce traité de paix a des conditions li douces.nbsp;¦ 5, Je craignois qu’il n’eut trompé le Roi d’A-5, quitaine; car jamais je n’aurois penfi quenbsp;5, le Roi vous trahit. Je vous. ai vu partirnbsp;,, avec la plus grande douleur. Je venois denbsp;5, vous faire mes adieux, lorfque jjai paflenbsp;5, dans 1’appartement du jeune Gaudard, ami,nbsp;5, fecrétaire amp; confident du Roi Yon. Je 1’ainbsp;5, trouvé dans le chagrin St dans les larmes;nbsp;5, dies Pont empêché, d’abord, de m-’aperce-5, voir. Je ne Pai tiré da fa rêverie, qu’én lenbsp;j, fecouant brufquement. Ah! Seigneur, m’a-5, t-il dit, pardoimez-moi ma diftradion; vosnbsp;.5, coufins font-ils partis? Ils font déja bieanbsp;5, loin, lui ai-je repondu; pourquoi me fai-5, tes-vous cette queftion? die m’alarme. Hé-,, las! a-t-il repris, puiflent-ils ne pas ar-
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la menace. Vous vous y prenez mal, Che-3, valier, m’a-t-il dit; qiiand les priéres tje ,, peuvent rien lur une ame honnêre, foyeznbsp;„ afluré que les menaces font encore plus im-3, puiflantes. J’ai autanc d’envie de vods ré-3, véler Ie fecret dont je fuis dépoficaire, quenbsp;33 vous en avez de Ie connoicre; maïs il ne dé-,, pend pas de mol. Je fuis revenu a fa priè-3, re; je lui ai repréfenté que, s’il y avoit anbsp;3, craindre pour vous, fon filence rendroic iné-3, vitablc un malheur qu’on pourroit, peut-3, être, encore prévenir. Enfin, il s’eft laiflënbsp;„ toucher; il alloit me ré véler route la tra-5, hifon, lorfque Ie Roi 1’a fait appeler : IInbsp;„ m’a dit de l’attendre, amp; n’eft revenu quenbsp;„ deux heures après. II m’a raconté que Char-les avoit fait propofer au Rui Yon de luinbsp;livrer les quatre fils' d'Aymon ; qu’a cettenbsp;j, condition, il lui prometcoit de retirer fesnbsp;,, troupes de la Gafcogne, d’augmenter fesnbsp;», Etat's de plufieurs Villes amp; Chateaux; maisnbsp;3, que, s’il continuoit a les protéger, il de-33 voit s’attendre a la guerre la plus fhnglan-3, te; que 1’Aquitaine amp; la Gafcogne feroientnbsp;3, livrées k la difcrécion du foldat, les habi-3, tans paffés au fil de 1’épée, amp; fes Villesnbsp;3, réduites en cendres; que, non feulement,nbsp;3, Charlemagne Ie priveroit de fa couronne,nbsp;3, mais qu’il Ie feroit périr des mémes fuppli-,, ces qu'il deftinoit aux fils d’Aymon. Lenbsp;,, Roi, flatté des promeffes de Charlemagne,nbsp;3, amp; intimidé par fes menaces, a porté 1’affairenbsp;a fon Confeil 3 foit qu’il n’ait pas ofé fe
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„ charger, lui feul, d’un crime atroce , foit ,, qu’il ait voulu trouver des approbateurs;nbsp;,, enfin, il a écric k Charles qu’i! promettoicnbsp;„ de lui livrer fes ennemis, qu’il les enver-,, i'oit dans la plaine de Vaucouleurs, amp; luinbsp;„ a défigné 1’habit qu’ils porteroient, Ie cor-tége qu’il leur donneroit, en un mot, routesnbsp;,, les marques auxquelles ils pourroient êcrenbsp;„ reconnus. L’honnéte Gaudard a ajouté,nbsp;,, qu’il avoir fait tout ce qu’il avoit pu pournbsp;„ parler a quelqu’un de vous en particulier ,nbsp;„ amp; que, s’il 1’avoitpu, il vous auroit donnénbsp;5, les moyens d’éviter Ie piége, fans qu’il eücnbsp;„ compromis Ie Roi.
„ Quand Gaudard, continua Matigis, m’a ,,eu mis au fait de la trahifon, je n’ai pasnbsp;,, héfité de lui faire part du projet, que jenbsp;venois de concevoir , de voler a votre fe-„ cours; il m’y a exhorté; il craignoit qu’ilnbsp;5, ne fdt trop tard. Vous êtes parti a quatrenbsp;,, heures du matin , il en étoit huit, il fal-,, loic raflembler les troupes. HeureuSement,nbsp;a, elles étoient fous les armes: J’ai pris Ie pré-5, texte d’un grand fourrage; en deux heu-„ res, tout Ie monde étoit a cheval; j’ai prisnbsp;„fix cents Cavaliers les mieux montés, pournbsp;„marcher avec moi, amp; j’ai donné ordre aunbsp;„ gros de la troupe de me fuivre avec autancnbsp;„ de diligence qu’il fe pourroir. Je fuis partinbsp;„ du camp a dixheures, dans trois, nous avonsnbsp;„fait notre route, Vous favez Ie refte,,.nbsp;Alard, è fon tour, rendit compte k Maugisnbsp;de tout ce qui s’étoit pafle è Vaucouleurs.
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d*Aymon.
Pendant tous ces récits, ils parvinrent au pied du rocher; ils trembloienc amp; défirolentnbsp;de tCDUver Richard. Renaud n’ofoit y gta-vir, il pleuroic comme s’il eut été certainnbsp;de fa mort. Ils Ie trouvèrent, en effet, écendunbsp;è terre, fans mouvement; il foucenoit fesnbsp;entrailles, qui fortoient de faplaie, fes chairsnbsp;étoient livides, amp; tout indiquoit la mort. Sinbsp;les larmes, les carefles, les embrallemens«nbsp;pouvoient rappeler a la vie, ceux de fes rroisnbsp;frères l’auroient rendue a Richard. Maugis Ienbsp;voyoit d’un ceil fee.,, Promettez-moi, leurnbsp;„dit-il, de venir, avec moi, au camp denbsp;,, Charlemagne , amp; de m’aider a venger lanbsp;„ mort de mon père, amp; je m’engage de ren-„ dre Ie jour a Richard,,. Ils n’eurent pasnbsp;befoin de recourir aux fermens: Maugis por-Toit toujours avec lui des plantes dont luinbsp;feul connoiflbit la vertu , amp; un baume qu’ilnbsp;compofoit lui-même. II y avoir une fontainenbsp;dans ce rocher; il fe fit apporter de 1’eau pure,nbsp;lava bien la plaie , fit rentrerles entrailles,nbsp;y exprima Ie fu^ des plantes, retrancha lesnbsp;chairs livides, recoufut la peau, appliquanbsp;far Ie tout de fon baume, fit avaler a Richard quelques gouttes d’un elixir qu’il avoirnbsp;extrait de divers minéraux, amp; fit foulever Ienbsp;malade, qui commen^a a refpirer; bientót, ilnbsp;ouvrit les yeux, reprit 1’ufage de fes fens,nbsp;amp;, comme s’il fe füt éveillé dquot;un fonge, Unbsp;demanda è. fes frères fi Maugis étoit arrivé,nbsp;fi Oger amp; fes Francois 1’avoient attendu ?nbsp;Maugis l’embïafla, lui dit que les ennemU
avoient été mis en déroute, amp; 1’eshorta de refter encore une demi-heure tranquille , amp;nbsp;couché fur Ie dos; ü regarda la plaie., ellenbsp;étoit déja confolidée. Renaud, Alard amp;. Gui-chard avoient des bleflures confidérables; Mau-gis les fit déshabiller, leurs corps étoientnbsp;templis de concnfions amp; couverts d'un fangnbsp;uoir amp; épais; il s'ëtoit figé. dans les endroirsnbsp;bleflës. Maugislesfit bien laver par fon Ecuyer,nbsp;il expriraa Ie fuc des mêmes plantes dans leursnbsp;plaies, y appliqua de fon baume, en frottanbsp;tout ce qui étoit meurtri de fon élixir; ennbsp;inoins de demi-heure, ils furent tous guéris-;nbsp;Richard étoit Ie plus foible , par la grandenbsp;quantité de fang quhl - avoit perdu ; la nultnbsp;étoit déja avancés, amp;, depuis la veille, ilsnbsp;n’avoient rien mangé; Maugls avoit eu foinnbsp;de faire prendre S fa troupe des vivres poufnbsp;trois jours; il envoya fon Ecuyer au camp,nbsp;il rapporta du vin, amp; des provifions abondances; ils foupèrenttoüs, reprirentleurgaieté,nbsp;-oublièrent leurs maux au fein de hamitié,nbsp;amp; s’endormirent jufqu’au l^er du föleil.
• Maugis, amp; les fils' d’Aymon, éroienc trop bien gardés par leurs troupes, pour avoir anbsp;éraindre la moindre'furpfife; d’ailleurs, ilsnbsp;cn étoient adorés; 1'amour du foldat pour fesnbsp;Généraux, le rend vigilant pour lui-mémenbsp;amp; pour eux. Le fommell leur rendit routesnbsp;leurs forces, amp;, quand les premiers rayons4anbsp;foleil frlppèrent leurs paupières, ils avoientnbsp;oublié les maux de la veille, amp; ne fe fou-inbsp;Tenoient plus que de leurs ttiomphes.
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Les héros fe difpofèrent ^ reprendre le che-Tnin de Montauban. Ils placèrent Alard amp; les prifonniers au centre, formérent leurnbsp;avant-garde des troupes les plus fraïches, fousnbsp;la conduite de Richard amp; de Maugis. Renaudnbsp;amp; Guichard commandèrent l’arrière-garde.
Renaud ne pouvoit fe confoler de la tra-hifon du Roi d’Aquitaine, amp;, quoiqu’il fut bien éloigné de penfer qu’Yolande füt fa complice, fon ccEur opprefle avoir bien de lanbsp;peine a lui pardonner d’avoir un frère capablenbsp;d’une telle bafiefle.
CHAPITREXI.
Retour des fih d’Aymon d Montauban. Alar-mes amp; remords du Roi d‘Aquitaine ^ il fe réfugié dans un Couvent; Roland 1’y décou-vre amp; Venlève : Renaud vole a fon fecours ^nbsp;- S' le dégage , après un combat fanglani.»nbsp;des fers de. Roland. Roland eft blejfé.
¦Tv ES fils d’Aymon amp; Maugis entrèrent dans Montauban , au milieu des acclamations dunbsp;peuple. Yolande, avec fes deux fils, courucnbsp;au devant de.fon époux, mais il repoulia lanbsp;«lère amp;lesenfans. „ Perfide! dit-il, de quelnbsp;jj frooit ofes-tu m’approcher, après le crimenbsp;j, de ton frère,? Si-tu n’es point fa complicenbsp;,, pourquói he m’as-tu pas encore vengé^* Pour-„ quoij quand.j’arrive k Montaubanj neme
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f, livres-tu pas Yon dans les fers ? Va y re-„rnène,-Uü tes enfans, je ne les reconnois ,, plus; un fang trop impur coule dans leursnbsp;,, veines. Yon, Ie traitre Yon, eft leur on-,, cle , amp; ce titre, ils pourroient auffi Ienbsp;,, donner aux frères deRenaud. Ote-les, óte-„ toi de mes yeux \ leur préfence m’afflige;nbsp;,, amp; la tienne... Arrêce , Renaud , arrête ,nbsp;,, s’écrie Yolande, en embraflanc les genouxnbsp;,, de fon époux; ah! fi tu me raéprifes afleznbsp;„ pour croire que j’aye pu foup9onner la tra-hifon de mon frère, amp; n’avoir pas marchénbsp;„ fur tes pas avec tes enfans, quand tu t'obf-,, tinas, inalgré moi, d’aller a Vaucouletirs,nbsp;„je ne veux ni de ton amour, ni de la vie.nbsp;,, Ce fut hier, après Ie départ de Maugis, quenbsp;„j’appris tout : Dès que je connus Ie dan-,gt;82r, je formal mille projets; Ie dernier,nbsp;„ auquel je m’arrécai, ce fut de te devancernbsp;,, a la Cour de Charlemagne, d’expirer a fesnbsp;,, yeux, OU d’obtenir ta liberté. Les prépara-„ tifs de mon voyage étoient faits; j’erame-„ nois mes enfans avec moi : Nous fortionsnbsp;„ des portes de Montauban, lorfqu’un desnbsp;„ hommes-d’armes de Maugis nous arrêta, amp;nbsp;,, nous annonpa que votre libérateur étoit ar-,, rivé aflez a temps pour vous fauver tons;nbsp;„j’embraflai ce brave foldac; oifenfe-toi,nbsp;„Renaud, fl tu Ie veux, des témoignagesnbsp;„ de ma joie; je Ie conduifis dans ton pa-„ lais, amp;, pendant qu’il me racontoic toutnbsp;„ ce qui s’eft palTé , je lui fervois d’Ecuyer,nbsp;„ dans la crainte qu’un autre, en I’intenoo*quot;
-ocr page 165-„pant, ne me fk petdre un mot de fon ré-,, cit... Que d’horreurs! ah! Renaud!...
A ces mots, Yolande tombe évanouie aux pieds de fon époux, qui, ne pouvant plusnbsp;réfifter a fa tendrefle, appelle Richard, pournbsp;1’aider a la foulever : Bientót les larmes amp;nbsp;les baifers de Renaud 1’eurent rendue a la vie.nbsp;Leursenfans embraflbient, tour a tour, Yolande, leur père amp; leurs oncles. L’un de cesen-fans, a qui Renaud, par amitié pour fon beau-frère, avoir donné Ie nom d’Yon de Mon-tauban, fembloit prêt d’expirer de plaifir furnbsp;les lèvres de fon père; Renaud, a qui Ie noranbsp;d’Yon étoic devenu odieux, n’appela plus fonnbsp;fils qu’Aymon de Montforc, pour n’être plusnbsp;expofé è prononcer Ie nom d’un traitre.
II ne fongeoit qu’aux moyens de fe venger du Roi d’Aquitaine; les plus cruels lui paroif-foient encore trop doux, lorfqu’un hérault vintnbsp;fc jerer a fes pieds, amp; réclamer fa proteftionnbsp;pour ce même Yon, que Roland tenoit dansnbsp;fes fers, amp; auquel il étoit prêt a fairenbsp;fouffrir la mort. „ Qui? lui!... Roland!...nbsp;„ s’écrie Ie fils d’Aymon; eh! de quel droitnbsp;„ Roland prétend-il venger les outrages fairsnbsp;„ a Renaud? Par quelle aventure Ie perfidenbsp;^ Yon eft-il tombé entre les mains de Roland?nbsp;„Seigneur, répondit Ie hérault, pardonnez,nbsp;„ fi, dans Ie récit que vous exigez, tout n’eftnbsp;„ pas de la même gravité. Parrai les gens d’ar-„ mes que Maugis conduifit A votre fecoursynbsp;„ étoit un Cavalier protégé de ce Godefroid,nbsp;^ qui, dans Ie Confeil du Roi Yon, Ie déter--
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Les quatre fils
y, mina a vous livrer au Roi. Dès que vos 5^frères, amp; vous, eütes mis les Fran9ois ennbsp;yy fuite, ce Cavalier fc glifla dans Ie bois, amp;nbsp;„ alia droit a Bordeaux; il demanda a parlernbsp;au Roi. Sire, lui dit-il, les fils d’Aymonnbsp;yy reviennent triomphans de la plaine de Vau-y, couleurs. Yon fe fit raconter, dans Ie plusnbsp;„ grand détail, tout ce qui s’étoit paffé; iinbsp;,, fe crut perdu, amp; ne fongea plus qu’a échap-,, per a votre vengeance. Dès que la nuit fucnbsp;„ venue, il s’échappa de fon palais, déguifé,nbsp;yy 8i s’écrianr, de temps en temps: Oh! manbsp;„ fceur, ma fceur! combien vous me dételle-„ rez, quand vous faurez qu’il n’a pas tenu knbsp;y, moi que Renaud amp; fes frères ne périflent furnbsp;„ un échafaud? Lache que je fuis! les mena-„ ces de Charles devoient-elles me faire com-,, raettre la plus déteftable des trahifons? Eh!nbsp;„ qu’avois-je a cvaindre, ayant Renaud poutnbsp;„ me défendre.? Cependant, Yon s’avangoicnbsp;„ vers un bois; Ie moindre bruit, une feuillenbsp;j, agitée par Ie zephyr, Ie faifoit trembler;nbsp;,, par-tout, il croyoit rencontrer un des filsnbsp;„ d’Aymon. Quand il eut gagné Ie bois, il'nbsp;„ ne fut pas plus tranquille, il croyoit voirnbsp;„ reluire un cafque, amp; c’étoit la rofée d'unenbsp;,, feuille qui réfiéchiflbit les rayons de la lune:
„ S’il fe fentoic frappé par une branche er-„ rante, il fe croyoit percé de la lance de „Renaud; é. tont moment, ücroyoitenten-dre Ie galop de Bayard, amp; il précipitoit fesnbsp;»gt; pas. Le Cavalier quil’accompagnoit, aufli ti-quelui, répoüvantoit encore. Enfin,
-ocr page 167-7, accablé de peur amp; de fatigue, Ie Roi, plus „ foible que coupable, amp; dont toute la Cournbsp;j, étoit réduite, en _ce moment,, a un feul amp;nbsp;„ pauvre foldat, lui demanda ce qu’il avoicnbsp;„ a faire. Le Cavalier, après avoir long-tempsnbsp;„ rêvé, ne trouva que deux partis; 1'un, denbsp;„ paflèr en Efpagne, de prendre le turban.,nbsp;5, de fe metire fous la protedlion des Sarra-j, fins, amp; de céder fon tróne a celui de leursnbsp;,, Princes qui le fauveroit de Charlemagne ounbsp;,, de Renaud : L’autre, de prendre l’habitnbsp;„ de Moine, paree que, certainement, Renaudnbsp;,, ne 1'attaqueroit jamais fous eet habit, quaudnbsp;„ même il viendroit a le rencontrer. Ce derniernbsp;,, avis parut au Roi Ie plus fage, amp; il réfo-„ lut de le fuivre. A l’extrémité du bois, eftnbsp;„la riche Abbaye d.e S.-Ildephonfe, retraitenbsp;, „ paifible d’une vingraine d’Auguftins réfqr-„ més, qiupartagent leur temps entre la bonnenbsp;,, chére, la challe amp; le fommei!, priant, au fur-plus, pour les preux Chevaliers amp; pour leursnbsp;Dames. C’eft la que le bon Roi Yon réfolutnbsp;„ de fe retirer. II part; a mefure qu’j! apprq-;„che du monaftère, fa peur diminue; il ar-„ rive, enfin, fe fait ouvrir les portes, amp; de^nbsp;,, mandé 3 parler a 1’Abbé. ¦
„ rafins, amp;tantót des Francois, fervant amp; ,, hilamp;nt 1’un amp; 1’aucre partis au gvé des
„Malheureufement pour Yon, le Portier déjeünoit avec Pinaut, Vandale de Nation,,nbsp;,, qui, dans la dernière guerre de Pépiin, s’é-„ tant réfugié en France , fut, tour„ a tour,nbsp;„ homme-d’arraes amp; efpion , rantóc des Sar-
' quot;¦ tra-
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V conftances, amp;, furtout, defes intéréts ;pen-,, dant la paix, il étoit commiffionnaire des „ Moines, chef de brigands, amp; faifant tout,nbsp;„hors le bien. En buvant, en jafant avecnbsp;„ le frère portier, il apprit, mais en grandnbsp;,, fecret, que 1’Abbé venoit de recevoir parmlnbsp;„ iSts Moines, un homme de très-grande im-,, portance, moyennant une fondation qui tri-„ ploit les revenus du Convent ; que 1’Abbénbsp;,, lui avoit promis de le cacher li bien, que,nbsp;„ de long-temps, ni Charlemagne, ni Roland,nbsp;„ ni les fils d’Aymon, n’en auroient des nou-i, velles, amp; qu’il pouvoit boire amp; dormir tran-„ quillement; mais, quel étoit ce perfonna-,, ge? C'ell ce que Pinaut ne favoir pointnbsp;„ encore. 11 fit ce raifonneraent en lui-mé-,, me : C’eft un Grand, qui fe cache amp; qurnbsp;,, fuit, done on lecherche; cherchons done,nbsp;,, a notre tour, ceux qui le pourfuivent. Il fenbsp;,, mit en quête, trouva le Cavalier qui avoirnbsp;„ accompagné Yon, I’enivra, amp; fut unenbsp;,, partie de fes fecrets. Pinaut imagina que,nbsp;,, puifqu’on prenoit rant de precautions pournbsp;,, cacher le Roi Yon aux fils d’Aymon amp; inbsp;„ Charlemagne, ils avoient un grand intérêcnbsp;,, d favoir fa retraite, amp; que, par confequent,nbsp;,, il y avoit un grand intérêt, pour Pinaut, denbsp;„ la leurdecouvrir, Il réfolut, d'abord, d’allernbsp;„ révéler fon fecret aux fils d’Aymon; puis,nbsp;„ imaginant qu’il pourroit tirer une meilleurenbsp;„ récompenfe de Charlemagne, il changea d«nbsp;„ deflein. Comirie Pinaut a fix pieds onze pou-„ ces de hauteur, amp; qu’il fait trois lieues
-ocr page 169-„ quand les autres n’en font qn’une, il prit „ Ie chemin de Vaucouleurs, quoiqu’il foicnbsp;„ Ie plus long. II rencontra votre troupe, quinbsp;„retournoit, triomphante, a Montauban, ilnbsp;„ coupa a travers les bois, amp; arriva, enfin, aunbsp;,, camp de Charlemagne.
„ Pinaut fe trompa de tente, il entra dans ,, cclle de Roland, amp;, croyant parler au Roi,nbsp;„ il lui raconta tout ce qu’il favoit d’Yon,nbsp;,, de fa retraite, de fon froc amp; de votre mar-„che. Roland a juré qu’il vous attaqueroit.nbsp;„Oger, qui ne demande pas mieux que denbsp;,, voir Roland aux prifes avec vous, amp; qui nenbsp;„ feroit pas féché que vous humiliafliez l’or-,, gueil du jeune Chevalier, s’eft mis de lanbsp;„partie avec Olivier, Richard de Norman-„ die , amp; Guidelon ; ils ont marché è la têcenbsp;„ de quatre mille hommes. Pinaut leur fer-„ volt de guide ; quoiqu’il dut prendre unnbsp;„ autre chemin, il les a conduits 4 1’Abbayenbsp;«de St.-Ildefonfe. L’Abbé, quinefe doutoitnbsp;,, de rien, eft allé les recevoir la tête denbsp;,, tous fes Moines, amp;, après les premiers com-,, plimens, il les a invités de venir fe mettrenbsp;,, a table ; c’étoit 1’heure du diné. Roland 1’anbsp;,, remercié brufquement, amp;lui a dit; Seigneurnbsp;,, Abbé, quandj’aurai envie de diner, je vousnbsp;,, en avertirai, ce n’eft pas, pour Ie moment,nbsp;« de quoi il s’agit; il faut me dire ce quenbsp;,, vous avez fait du traJtre Ie plus liche qu’ilnbsp;,, y ait au monde; il ne vous ftrt de rien denbsp;„faire 1’étonné; je fais qu’il eft dans votrenbsp;«Couvent, je pretends qu’il me foit remis.
-ocr page 170-ï6.4 nbsp;nbsp;nbsp;Les quatre fils
,, pour en 'faire une punition exemplaire.
j, L’Abbé, voyant qu’il étoit inutile' de „ diflimuler : Seigneur, a-c-il dit a Roland,nbsp;5, j’ai promis au Roi Yon qu’il feroit a cou-,, vert de loüte infulte dans ce faint afyle ,nbsp;„ de ne révéler a perfonne 1’endroitoü il eftnbsp;„ caché. Si un Chevalier ell efclave de fa pa-5, role, un Religieux ne l'eft pas moins denbsp;„ la fienne, amp;, pour rien au monde, je n’ynbsp;5, manquerai. Je dois la refpedter, fans doute,nbsp;5, a repris Roland, amp; je'vais faire fouillernbsp;5, par-iout; vos recherches feroient inutiles,nbsp;5, répond Ie Moine ; il eft fi bien caché, que,nbsp;5, ni vous, ni vos Chevaliers, ne fauroiencnbsp;5, Ie trouver; il depend de mon fecret, amp; inonnbsp;5, fecret eft inviolable. Roland, que ce dif-5, cours impatientoit, a répondu au Moine :nbsp;5gt; Perfonne ne connoit mieux que moi Ie prixnbsp;„ d’un fecret, gardez Ie vórre, Je vous ennbsp;5, loue, amp;jene vous prefle plus; mais, commenbsp;5,j’ai réfolu de punir Yon, amp; que je fuisnbsp;5, auffi invariable dans mes réfolutions, quenbsp;,, vous dans les vótres, je vais faire mectrenbsp;„ Ie feu aux quatre coins de 1’Abbaye, amp;,nbsp;,, fans que vous violiez votre parole, Yonnbsp;5, fe trouvera puni; vous n’aurez rien a vousnbsp;„reprocher; j’aurai exécuté mon projet, amp;nbsp;„ nous ferons tous contens. Qu’Oger, avecnbsp;„ deux mille hommes, aille inveftir Ie Cou-,, vent, je ie charge d’embrafer la partie dunbsp;„midi; Guidelon mettra Ie feu a celle dunbsp;„nord; Olivier incendiera 'Ja partie du cou-M chant, amp; Richard de Normandie» celle du
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), levant: II détacha auffi-rót cinquante hom-„ mes-d’armes, pour enfoncer les portes de „ TAtibaye , amp; aller, dans la facriftie, prendranbsp;j, routes les torches qu’ils y trcuveroient.nbsp;« Quand 1’Abbé a vu les haches levées, il eftnbsp;5» tombé aux genoux de Roland ; il a promisnbsp;j) de lui remettre Yon; mais, a-t-il ajoute,nbsp;vlbngez. Seigneur, qu’Yon eft Moine, amp;nbsp;gt;, qu’en cette qualité, vous n’avez aucun pou-,, voir fur lui; Roland a regardé 1’Abbé avecnbsp;„ un fourire amer , a élevé fa lance, amp; 1’a-,, laifle tomber, de tout fon poids, fur 1’é-paule de 1’Abbé ; voila, lui a-t-il dit, cora-«, me j’aime qu’on foit fidelle a fon ferment.nbsp;„L’Abbé, qui croyoit avoir 1’épaule démife,nbsp;,, n’a rien répondu, crainte de plus finiftranbsp;,, aventure, a conduit Roland dans un ca~nbsp;,, veau, lui a moncré une petite porte quinbsp;donnoit fous le füt d’une colonne, oü Yonnbsp;,, étoit caché; Roland 1’a fait defcendre Ssnbsp;), fortir du caveau; il éroit fous l’habit de St.-„ Auguftin, Sitouttremblant: Sire Moine, luinbsp;,, a dit Roland, reverend Chevalier, pardon-„ nez, fi je trouble votre folitude; mais il faut *nbsp;,, dans le moment, que vous vous décidiez furnbsp;,, deux partis que j’ai a vous propofer. Qu’ai-„ mez-vous mieux, ou venir, tout a I’heure,nbsp;„ aupres de Charlemagne, lui rendre comptenbsp;„des fils d’Aymon, que vous aviez promisnbsp;„ de lui livrer, ou de rompre une lance avecnbsp;,, Roland, qui veut venger fes coufins de votrenbsp;,, trahifon? Choififlez. Le Roi Moine n’avoulunbsp;V, fe déterminer, ni pour 1’un, ni pour 1'autre
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Les quatre fils
,, partis ; II a réclamé centre la violence qu’on ,, faifoit a un ReKgieux qui n’avoir plus riennbsp;,, a démêler avec ie monde, amp; a menacé Ro-,, land de la colère célefte; Ie Paladin j fansnbsp;,, écouter ni fes réclamations, ni fes menaces,nbsp;„ I’a, aufli-tót, faitenlever, amp; I’a fait atta-„ cher fur un clieval, le vifage tourné versnbsp;„ la queue, afin que route fa troupe püt lenbsp;„ voir a fon aife pendant la rnarche : C’eftnbsp;„ dans cet équipage, indigne d'un Roi, qu’ilnbsp;,, le conduit a Charlemagne, amp; que je 1’ai ren-„ contré. Dés qu’il m’a aper^u, il m’a appelénbsp;•„ par mon nom, quoiqu’il lui foit défendanbsp;,, de parler a perfonne : Mais, comme c’efl:nbsp;„ Pinaut qui eft chargé de mener fon chevalnbsp;„ par la bride, amp; que je le connois, je me fuisnbsp;„ approché du guide; il m’a raconté tout cenbsp;ti que vous venez d'entendre. J'ai demandénbsp;,, au Vandale, la permiffion de parler au Roi,nbsp;„ qui m’a dit, tout bas: J’aiindignement trainnbsp;„ Renaud amp; fes frères, je mérite route leurnbsp;„ indignation, ou,plutót, leur mépris;mais,nbsp;„je connois leur générofité; va, vole a Mon-„ tauban, expofe mes malheurs amp; mon crimenbsp;„ è Renaud, amp; ne lui parle, feulement, pasnbsp;„ de mon repentir.
Le héros fe tut, Renaud, morne amp; penfif, iïiterrompoit, de temps en temps, fon terrible filence, par des cris amp; des foupirs. Enfin,nbsp;regardant fon époufe amp; fes frères en fondantnbsp;en larmes : „ Eh! c’eft un Roi, dit-il, qui
s’eft ainfi dégradé, c’eft un Roi que Roland »*,traite ai»fi? Arraons-nous, mes frères» at
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,, löns arracher Yon, tout Ikhe qu’il eft, des ,,mains de Roland. Qui? ce perfide! s’écrienbsp;Alard, ce traicre, qui a voulu nous livrernbsp;„ inotreennemilnon,Renaud,non,jamais;
qu’il périiTe; amp;, puifque Roland veut nous ,, venger, qu’il foit fon bourreau! Mon frère!nbsp;,, mon frère, reprit Renaud, nous ferions biennbsp;„ peu dignes du titre de Chevalier, fi nousnbsp;„ n’avious pitié d’un homme qui fe repent;nbsp;„Yon nous a trabis; mais il nous avoit fe-„ courus. Errans, loin de notre patrie amp; denbsp;„la maifon paternelle, perfécutés par Char-„ lemagne, livrés a l’indigence, c’eft lui quinbsp;„ nous a recueillis, qui nous donna un afyle,nbsp;,, des états amp; fon amitié; il m’a fait un donnbsp;„ plus précieux encore, celui d’une femme ai-,, mable amp; vertueufe:Voila, mes amis, de quoinbsp;,, nous devons nous fouvenir, amp; non d’une tra-„ hifon , qui fut plutót 1’eifet de fa foibleflè amp;nbsp;„ de fa crainte, que de fa méchanceté. II con-„ noifloit toute la haine de Charlemagnenbsp;„ contre moi; Yon a tremble, amp; s’eft cru per-„ du : Ses Confeillers, qui trembloient pournbsp;„ euK-mêmes, amp; qui, peut-être, étoient fe-gt;, crettement gagnés par les préfensde Charles,nbsp;„ lui ont fait des peintures effrayantes des mauxnbsp;„ auxquels il alloit expofer fes Peoples; ilsnbsp;„ lui ont perfuadé que fon refus alloit atti-„ rer fur eux, tous les fléaux d’une guerre mal-„heureufe; ils Tont empêché, fans doute,nbsp;„ de me communiquer fes alarmes; hélas! desnbsp;„maux que fouffreut les Peuples, ce ne fontnbsp;„ pas les Rois qui font les plus coupables; cs
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Les faütre fih
font leurs courtifans; ils ont 1’art de faire ,, de leurs Souverains, l’inllrument de leursnbsp;„ propres vengeances : Le Roi nous aimoit;nbsp;,, mais Godefroid nous portoit envie, amp; nousnbsp;,, n’avons été les vidlimes que de I’envieux.nbsp;„ Si nous avions eu 1’amitié de Godefroid, ilnbsp;,, eüt repréfenté è fon maitre, qu’avec notrenbsp;,, fecours, il étoit aflez fort pour rélifter anbsp;,, Charlemagne, amp; le Roi 1’eüc cru amp; ne nousnbsp;„ eut pag trahis: Ainfi, mes chers atnis, Yonnbsp;,, eft moins criminel que vous ne le penfez;nbsp;if mais, le füt-il mille fois da vantage, ce feroicnbsp;„ une raifon de plus pour oublier fa trahifon ;nbsp;f, ne vo37ons en lui que notre bienfaiteur,nbsp;jjmon beau-frère, Tonde de vos neveux ,nbsp;,, enfin, un Roi malheureux, au pouvoir d'uanbsp;„ jeune téméraire.
Après avoir ainfi parlé , fans attendre la réponfe de fes frères, Renaud fait fonner lasnbsp;trompettes, amp; fes troupes fe rendent, auffi-tót, fur la place; il fe met k leur tête, amp;, lorf-qu’elles furent hors de Montauban : „ C’eft aunbsp;fecours, leur dit-il, de votre Roi prifonnier,nbsp;amp; deftiné, peut-être, a des fupplices infd-mes, que je vous mène : Sa honte rejail-„ liroit fur vous; II faut le délivrer, ou pé-
Les troupes, le people qui les avoit fui-vis, étonnés de la générofité de Renaud, s’écriè-rent; ,, II faut délivrer Yon , notre Roi; mais Reöaud eft feul digne de Tétre,
' A peine Renaud amp; fes frères furent-ils for-tis de Montauban, qu’ils aperjurent la troupe
d'Aymon. nbsp;nbsp;nbsp;169
öe Roland : Ils s’avrêtèrent amp; fs rangèrenc en otdre de bataille. Oger fentit une fecrettenbsp;joie, en voyant Renaud ; „ Le voila done,nbsp;„enfin, dic-il a Roland, voyons, mainte-„ nant, fi vous ferez plus heureux que moi,nbsp;„Si vous le faites prifonnier, je vous tiensnbsp;„ pouï le plus valeureux Chevalier qui fut,nbsp;„ amp; qui fera jamais L’Archevêque Turpinnbsp;ricanoit, en fecouant fa tête cliauve; Olivier lourioit, amp; le Due de Naimes confeü-loit a Roland de ne pas fe mefurer avec lui.nbsp;Roland, qui ne doutoit de rien, regarde Nai-mes avec dédain, amp; range fa troupe. Cepèn-dant, 1’Archevéque Turpin lui fit obfervernbsp;que Renaud avoit beaueoup plus de mondenbsp;que lui ; „ Que m’importe, dit Roland, nenbsp;„favez-vous pas que les Gafcons ont plusnbsp;„ d’adrefle amp; d’efprit que dé valeur? Quand-„ cela feroit vrai, reprit 1’Archevêque, jcnbsp;„ fais auffi, qu’avec un Général tel que Re-„ naud, les moins braves deviennent dés hé-„ ros, amp; que c’eft le Général qui fait le foldat.
De leur cóté, les frères de Renaud 1’ex-hortoient d’éviter le combat avec Roland, qui, felon 1’opinion commune, avoit regu dunbsp;del, le don d’êtfe invulnérable : „ II y anbsp;„tant d'autres Chevaliers, lui difoient-ils,nbsp;„avec qui vous pouvez combattre ï. avan^-,, tage égall Attaquez la troupe entière, nousnbsp;,jr vous feconderons-, nous Ia taiüerons en piè-,, cés'j mais évitêz'Roland. Mes amis, leürnbsp;dit Rénaud, je connois tout le prix de cenbsp;»rjeuae#rosjd’-allKursj.jl eft neven du Roi ; ¦
-ocr page 176-1^0 nbsp;nbsp;nbsp;Les quatre fils
,, S’il veut la paix, je ne demande pas mleux; ,, niais s’il veut combattre, je ne Ie crainsnbsp;,, point; tout invulnerable qu’il veuille fe fairenbsp;„croire, je trouverai, peut-être, Ie moyennbsp;„ de diffiper un préjugé qui lui eft erop favora-„ ble Comme il parloit encore» il vit Roland qui s’avan9oit vers lui : „ Mon frère ,nbsp;„,dit-il a Alard, retenez ies troupes; que per-,, fonne ne quitte fes rangs jufqu’a ce que jenbsp;„ 1’ordonne „ : Aufli-tót, il pique Bayard »nbsp;amp; fend 1’airjufqu’d ce qu’il alt joint Roland;nbsp;alors, en préfence des, deux troupes, il def-cend de cheval, 1’attache a un arbre, metnbsp;fa lance a terre, amp;, Ie front courbé, fléchif-fant un genou devant Roland: „ Prince, luinbsp;„ dit-il, voici Ie temps de terminer nos haines.nbsp;,, Vous êtes neveu de Charlemagne, amp; monnbsp;„ coufin ; foyez notre médiateur, rétabliÜeznbsp;,,, la paix entre Charlemagne amp; nous; qu’ilnbsp;„ nous rende fon amitié, amp; je lui jure, pournbsp;„ mes frères amp; pour moi, toute foi amp; toutenbsp;„ loyauté ; je remettrai Montauban en fonnbsp;„ pouvoir, amp; Bayard vous appartiendra ;nbsp;,, Ba^ard, que je ne donnerois pas pour unenbsp;,, Province: Nous quitteronsla France amp; nousnbsp;„ irons porter nos armes, au nom du Roi,nbsp;„ centre ies Sarraflns. 11 n’y a point de fa-„ crifices que le Roi ne puifle exiger de nous,nbsp;,, tant nous défirons la paix, quelq^u’avantagenbsp;,,que la guerre puifle offrir g des Chevaliersnbsp;„ fans fortune, abandonnéspar leurs parens.
Roland fut touchédeda prière.de Repaid; nuis il I’aliura que jamais; l€5 fils .d’AyinPH ¦
-ocr page 177-d^Aymon.
n’obtiendroientrien de Charlemagne, è moins qu’ils ne confentillent a lui livrer Maiigis.nbsp;,, Nous mourrons ttius, reprit Renaud en fenbsp;,, levant amp; en reprenant fa lance; nous mour-„ rons tous, plutót que d’acheter la paix parnbsp;„ une telle lacheté II ceignit fon épée,nbsp;monta fur Bayard, amp; revint, tout armé, versnbsp;Roland. II prit un ton plus fier ; „ Roland,nbsp;,, dit-il è. fon coufin, garde-toi de penfernbsp;,, qu’aucune crainte m’ait engagé a m’hunii-,, lier devant toi. Je t’ai rendu ce que je tenbsp;„devois, comme neveu du Roi, amp; commenbsp;„ mon parent; j’ai cru trouver en toi unnbsp;„ ami, un défenfeur centre 1’oppreffion; j’ainbsp;,, cru que tes voeux, comme ceux d’un vrainbsp;„ Chevalier, étoient pour la paix, que tu avoisnbsp;,, en horreur Ia difcorde amp; les haines entrenbsp;„ parens; mals, loin d’étre fenfible a ma priè-,, re, ton orgueil met a la paix une condi-„tion, non feulement, impoffible, mais vilenbsp;„ amp; flétriflante : Elle m’indigne amp; m’olFenfe.nbsp;„Mais, afin que tu n'ailles pas te vanter, ènbsp;„ la Cour de Charles, que Ie bruit de ta va-„ leur m’a fait tomber a tes pieds, pour tenbsp;„ demandèr grSce, combattons, amp; voici lesnbsp;„ conditions que je te propofe. Si je fuis vain-„ CU, je confens que tu me livres a la colèrenbsp;„ de Charlemagne; fi tu 1’es, tu viendras, avecnbsp;„ moi, è Montauban , oü tu n’éprouveras,nbsp;„avecnous, ni haine,ni colère, maisamitiénbsp;„franche, paix, douceur amp; loyauté Roland exigea que Renau’d lui donnat fa paro-lü, amp; Renaud lui répéta les mêmes proj?os^
Les qaatre fïls
qu’il appuya de fon ferment. Roland demanda encore iin moment, pour aller rapporcer a fesnbsp;Chevaliers les conditions du combat; il leurnbsp;dit que Renaud vouloit combattre feul a feul;nbsp;jnais Olivier, Oger, 1’Archevêque Turpin,nbsp;amp; tous les Chevaliers, s’y opposèrent. „ Re-‘nbsp;,, naud, lui dirent-ils, elt votre parent amp; Ienbsp;,, nótre, amp; Ie combat ne finiroic que par lanbsp;„mort de Pun des deux. De quelque cóténbsp;,, que tournat la viftoire, nous en ferions éga-„ lement affligés. C’eft affez que Ie combatnbsp;„ foit général, amp; fi, dans Ia mélée, vous vousnbsp;j, rencontrez, vous pourrez eflayer vos for-„ ces „. Roland, oblige de céder a ces con-feils, rangea fa troupe en bataille ; Renaudnbsp;conduific la fienne en grand Capitaine, amp; _fenbsp;jeta le premier au milieu des Francois : Unnbsp;Chevalier s’ofFrit fur fon paffage; il ne fit quenbsp;pouffer Bayard fur lui, amp; Ie Chevalier futnbsp;Ibulé fous les pieds de Bayard; il preflè la première ligne des Fran9ois amp; la rompt; Richard,nbsp;excité par fon exemple, frappe, renverfe,nbsp;écrafe tout ce qui échappe a Renaud : II faicnbsp;un fi grand carnage autour de lui, que Re-naud; étonné, fufpend fes coups pour l’admi-rer : ,, Que fais-tu Renaud, s’écrie Richard,nbsp;pénètre dans les efcadrons, difpeiTe, divifenbsp;, les Frangois, empêche qu’ils ne fe rallient.
Cependant/lesFrangoisinvoquent, agrands cris Ie fecours de Roland; il accourt furieux;nbsp;11 appfelle Renaud, qui brüle de ie combattre,nbsp;amp;. quilaifle refpirer les combattans; il rernetnbsp;ipn-épée dans'fon'fourreau, faific une lance
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courte, mals terrible par fa grofleur : „ Pour-5, quoi, dit-il a Roland, vous êtes-vous dé-„ robé fi long-temps è mes j-eux Aulfi-tót, ils courent 1’un contre l’autre. Hedlor* Salomon de Bretagne amp; 1’Archevêque Turpin ,nbsp;voyant que Roland étoit armé de fon épée,nbsp;tremblèrent pour Renaud. „ Nous voyons avecnbsp;5, douleur, dirent-ils i Olivier, que Ie plusnbsp;,, généreux Chevalier du monde va périr :nbsp;„ Voyez avec quelle precipitation 1’épée denbsp;„ Roland tombe fur Renaud; il eft vrai que Re-„ naud rend fes coups inutiles, amp; qu’il lesnbsp;,, détourne adroitement; mais Ie pourra-t-ilnbsp;„encore long-temps, avec fa lance? Allez,nbsp;5, du moins, dire a Roland que, puifqu’il veucnbsp;5, combattre , il fe ferve des mémes armesnbsp;5, que fon adverfaire, Chevaliers, interrompicnbsp;5, Oger, vous vous eftrayez en vain; laifléznbsp;5, Roland fe fervir des armes qu’il jugera anbsp;„ propos ; il n’y en a point que Renaud re-„ doute, je Ie connois mieux que vous; Ro-,, land n’ell pas plus k craindre pour lui, quenbsp;„ tout autre On crut que l’envie faifoitnbsp;ainfi pariet Oger, amp; les Chevaliers prièrentnbsp;Olivier de faire ceder ce combat; mais, 1’ira-pétueux Roland ne voulut rien entendre, amp;,nbsp;les menagant du courroux de Charlemagne,nbsp;retourna vers Renaud , amp; lui dit : „ Che-„yalier, vous évitez aflez adroitement mo«nbsp;„épée, voyons, maintenant, fi vous vousnbsp;„ garantirez du fer de ma lance. Peu m’im-,, porte, répondit Renaud, la lance ou 1’épée»nbsp;„ tout m’eft égal Alors, ils coururent l’ua
H iij
-ocr page 180-If 4 nbsp;nbsp;nbsp;quatre fils
centre 1’autre, avec une égale ardeur; tnais, 1’ardeur de Renaud etoit éclairée, amp; fe jouoinnbsp;de l’iinpétuofité de Roland; ils fe frappèrentnbsp;avec tant de fureor, que leurs lances, quoi-que d’une grofleur énorme, fe réduifirenr ennbsp;pouifière; leurs ecus fe heurtèrent, amp;, leurs che-vaux, repoufles 1’un par 1’autre, retoiirnè-rent, malgré eux, en arrière, jufqu’a 1'en-droit d’ou ils écoient partis ; Celui de Roland s’abattit avec fon Cavalier; Renaud ,nbsp;fier, fur le fien, regardoit, en riant, fon rival etnbarrafi'é, fe débattre fur le fable; Renaud , qui ne voulut point profiter de fonnbsp;avantage, cria, Montauban.
Cependant, Roland fe relève, écume de fureur , prend fon épée, amp; veut abattre lanbsp;tête de fon cheval : „ Giice, grace, lui crienbsp;„ Renaud ; hélas! il a fait plus que vous nenbsp;„ deviez attendre; il s’efi; relevé, amp; Bayardnbsp;,, en eft tout honteux ,,. Aufii-tót, Renaudnbsp;faute a terre ; Bayard, comme s’il eüt entendunbsp;les propos de fon inaitre, s’élance fur le cheval de Roland, le frappe a coups de pieds amp;nbsp;le déchire avec fes dents: Le fougueux Rolandnbsp;court è Bayard pour le percer de fon épée :nbsp;,,Arrêtez, Chevalier, lui crie Renaud; quelnbsp;„Champion choififlez-vous aujourd’hui? Ennbsp;„ voici un plus digne de vous; laiflons fairenbsp;,, nos chevaux amp; combattons,,. Rolan'd rou-git de colère : ,, Tu me menaces, Renaud,nbsp;,, s’écria-t-il, attends, voici de quoi rabaif-„ fer ta fierté Renaud ne 1’attendit point,nbsp;il courut a lui, amp; porta fur fon cafque un fi
-ocr page 181-i'Aymon.
rude coup d’épée, qu’il 1’ouvrit; mais Flam-berge glifla fur 1’écu fans effleurer la peau ; Ie neveu de Charlemagne fut étourdi du coup,nbsp;il recule, de crainte d’un fecond, amp;, levahcnbsp;Durandal, cecte épée plus redoutable que lesnbsp;armes d’Achille, il avance amp; frappe ; Renaudnbsp;lui oppofe fon écu , amp; 1’écu tombe coupé ennbsp;deux, aux pieds de Renaud. ,, Nous voilanbsp;„ quittes, tour au inoins, lui dit Roland.nbsp;„Non, reprit Ie fils d’Aymon, ton orgueilnbsp;„ veut- quelque chofe de plusIls alloientnbsp;recommencer , leur fureiir irritée annonpoicnbsp;Ie combat Ie plus’ terrible, mais, Maugis,nbsp;plus prudent, arréce Renaud , amp; Ie fait re-monter fur Bayard ; Oger amp; Olivier forcentnbsp;Roland d’en faire autant; Oger avoir biennbsp;de la peine a contenir la joie qu’il reflentoicnbsp;d’avoir vu Roland abattn par Renaud; Roland , humilié, rugit, rappelle amp; défie fonnbsp;adverfaire ; „ Mon coufin, lui dit Renaud,nbsp;„ nos Chevaliers ne-Ie veulent point; maisnbsp;,, tachons de nous dérober a leurs regards,nbsp;„ pallant la rivière a la nage, amp;, feuls dansnbsp;„ Ie bois, nous verrons a qui demeurera lanbsp;,, viftoire Roland y confentir; mais Olivier, qui foup9onna leur deiléin, Ie ramenanbsp;malgré lui.
Mais, comme Renaud alloit pafler la rivière , il apei-put une troupe d’environ cent hom-mes-d’armes, amp; un Religieiix au milieu d’eux; il fond fur ce peloton , reconnoic Ie Roi Yon,nbsp;amp; s’écrie : ,, Laches, qui prenez plus de pré-„ cautions pour garder un Moine , que fi vous
H iv
-ocr page 182-„ conduifiez dix Paladins amés, fuycz, laif-5) fez Ie RoiII frappe, en même tetnps, un Chevalier, amp; Ie renverfe; Ie refte fe dif-perfa devant lui, comme a la fin de 1’autom-ne , les feuilles s’éparpillenc au fouffle d’unnbsp;vent impétueux. Renaud, refté feul avec Yon,nbsp;ne lui fit point de reproches; il fe contentanbsp;de lancer un regard plus terrible pour Ie cou-pable que la punition la plus févère. Le mal-heureux amp; foible Roi tombe aux genoux denbsp;Renaud, amp; s’écrie : „Mon crime elt dignenbsp;5, du fupplice le plus honteux; la feule grdcenbsp;,, que je demande a Renaud, eil de na périrnbsp;5, que de fa main ; j’aurai rooins a roiigir,nbsp;y, que de tomber entre celles de Charlema-5, gne. J’ai été coupable , par la crainte de lenbsp;devenir; le Due d’Anjou m’a fait tremblernbsp;,, pour mes Sujets; il m’a rendu traitre pournbsp;,, fauver mon Royaume des fureurs de Char-,, lemagne; amp;, paree que le ciel vous a pro-,, tégés contre ma perfidie amp; la fienne, Charlesnbsp;„ m’accufe de 1’avoir trahi; il me fait unnbsp;„ crime de votre liberté ; mais, hStez-voiis,nbsp;,, délivrez-moi d’une odieufe vie Renaud ficnbsp;relever Yon, le fit monter a cheval, amp; lenbsp;fit cüuduire derrière fa troupe.
-ocr page 183-lt;?Aymon.
CHAPITRE XII.
Richard eft fait prifonnier par Roland. CJiar~ lemagne stempare du prifonnier, malgré fon.nbsp;vainqueur, amp; k condamne a un fippUcenbsp;infdme. Enchantement de Maugis, qui /enbsp;rend niéconnoijfable; il découvre ce qui fznbsp;paffe au camp, en donne avk d Renaud,nbsp;qui fait embufquer fes troupes. Noble fer-ineté des Chevaliers, qui refufent d'efcorternbsp;Ja conduite de Richard au fappUce. Ldcheténbsp;d'ua Courtifan.
I-/E combat avoit recommence, entre les Francois amp; les Gafcom, au moment oü Re-Tiaud étoit parti pour palier la rivière. Sesnbsp;trois frères, amp; Maugis, furent attaqués parnbsp;Roland, Oger amp; Olivier. Ils voulurent lanbsp;montrer dignes dc Renaud,•amp;' Ie camp desnbsp;Francois fut couvert de morrs. Roland ne fanbsp;poffédoit pasmais ce qui acheva de Ie raettrenbsp;hors de lui, ce fut Oger, qui lui dit: ,, Sei-„gneur, avez-vous obfervé que vocrechevalnbsp;„ eft bleffé ^ la cuille, amp; que votre écu eflnbsp;„ fracafle ? Mais que vois-je? voila du fangnbsp;,, qui coule de vone cóté : Ah! puifque Ienbsp;,, brave Roland eft bleft'é , il faut. que Re--naud foit mort, ou, tout au moins,nbsp;„ votre prifonnier Roland, qu’on ne plai-fantoit pas impunément, porta la main furnbsp;la garde de fon épée, amp; menara Ogerj mais
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-ocr page 184-Olivier fe mit entr’eux deux, amp; les fepara.
Ce fat dans ce moment que le jeune Richard s’approcha de Roland amp; le défia; Roland, qui ne le connoifloit pas, lui donne a peine le temps d’achever, amp;, pouflant fonnbsp;cheval fur lui, il le renverfe; Richard ne •nbsp;s'étonne point; il remonte, prefle Roland,nbsp;qui s’aper9oit, enfin, que c’eft un des filsnbsp;d’Aymon qu’il a en téte; mais, au lieu denbsp;combattre feul a feul avec lui, craignant,nbsp;fans doute, de fe compromettre en fe battantnbsp;avec tout autre que Renaud : „ A moi, Fran-9ois, s’écrie-t-il, c’eft Richard , c’eft unnbsp;des fils d’Aymon, qu’il ferve d’otage pournbsp;„ fes frères Auffi-tót, un efcadron de Francois environne Richard; fon cheval eft tuénbsp;fous lui; il fe dégage, amp;, quoiqu’il fe voyenbsp;pret d’être accablé par le nombre, il metnbsp;•1'épée a la main, blefle dangereufement knbsp;Gomte Antoine, me un Chevalier qui veucnbsp;le faire prifonnier,, écarté les plus hardis, amp;nbsp;^donne la mort a tons ceux qui attentent inbsp;fa perfonne. Cependant, on lui crie de tousnbsp;cótés : Rendez-vous, ou vous nous forcereznbsp;a vous donner la mort. Entouré de routesnbsp;parts', amp; voyant qu’auenn effort humain nenbsp;peut le dégager : „ Je me - ids; ou eft Roland,nbsp;,, s’écrie-t-il, c’eft a lui que je remettrai mesnbsp;,, armes „.Un Chevalier fur aflez téméraire pournbsp;vouloir fe faifir de fon épée; Richard le regardanbsp;avec mépris: „ Tu ne mérites que d’en éprou-„ ver les coups ,, , lui dit-il, en lui abattancnbsp;Ia t-éte; amp; , aulü-tót, il s’approche de Ro-
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land, lui reniet fon épée route fanglatite, amp; fe rend a lui, comme au plus briave Chevalier.
Renaud fut avert! de ce malheur lorfqu’il ne fut plus temps de le reparer, amp; qu'on eutnbsp;fait partir Richard pour le camp de Charlemagne : Alard amp; Guichard, qui ignoroientnbsp;la captivité de leur frère, rencontrèrent Renaud , accablé de trifteffe. Lorfqu’il leur eutnbsp;raconré ie défaftre de Richard : ,, Ah! monnbsp;„frère, s’écrièrent-ils, pourquoi nous avez-„ vous engagé d’aller au fecouis du traitrenbsp;„ Yon „ ? Guichard , a ces mots, jette unnbsp;regard furieux fur le Roi, amp; veuc 1’immo-ler a fon frère ; déja fon épée étoit levée,nbsp;Renaud lui retient le bras „ Arrêtez, mo'nnbsp;„frère, lui dit-il; c’eft a moi qu'Yon s’eltnbsp;„ rendu, c’eft moi qui dois le punir ou Ie dé-„ fendre; foyons fes juges amp; non fes bour-„ reaux. 'Je le mets fons votre garde; con-„ duifez-le a Montauban, amp; moi, je vole aunbsp;,, camp de Charlemagne; je lui enleverai Ri-,, chard, ou je périrai avec lui II partoit;nbsp;mais Alard Ib jette au devant de lui, faillenbsp;Bayard park frein, amp; Guichard i'arréte par-derrière.
Renaud faifoit fes efforts pour s’arracher des mains de fes frères, lorfque Maugis fur-vint. II leur demanda le fujet de’leurs plain-les amp; de leurs larmes; il les écoiita avec uhfrorttnbsp;calmeamp; tranquille; il blèrna le projet inutile denbsp;„Renaud. Allez, lui dit-il, vous repofer ènbsp;„ Montauban; c’eft moi qui irai au camp Aè
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,, Charlemagne, amp;, fi Richard n’eft point mort, „je vous réponds, fur ma téte, de Ie rame-„ ner avec moi. Ceflez toute plainte amp; com-„ ptez fur la parole de votre ami.
Les trois fils d’Aymon rentrèrent, tout confternés, dans Montanban, avec Yon leurnbsp;prifonnier, done les remords augmentoientnbsp;par Ia perte de Richard. L’époufe amp; les en-fans de Renaud vinrenc I’embrafler; Yolandenbsp;ne put s’empêcher d’accabler fon frère desnbsp;plus fanglans reproches; leurs larmes coulè-xent en abondance, quand ils apprirent quenbsp;Richard étoit entre les mains de Charlemagne; mais Maiigis, qui arriva, un momentnbsp;après, les confola, amp; ranima leurs efpéran-ces. Maugis coroptoit trop fur les fecrets denbsp;fon art, pour avoir la moindre inquietude;nbsp;il fe retira un inftant, amp; pafla dans fon appartement pour fe preparer; il fe mit toutnbsp;nu ; il avala Ie. fuc d’une herbe, dont lanbsp;vertu étoit telle que foti corps parut fubite-ment enflé’; il frotta tous fes membres du fucnbsp;«5’une autre plante, amp; ils devinrent noirs Stnbsp;livides, fes yeux tournèrent dans fa tête, amp;nbsp;Ton front parut couvert d'ukères., il fe re-T^it de haillons, amp;, dans eet état, il fe pré-fenta aux fils d’Aymon, qui ne Ie reconnurentnbsp;point; fa tête étoit affublée d’un vieux chaperon; il tenoit dans fa main un long batonnbsp;de pélerin. Renaud fut étonné de voir,nbsp;dans fon Palais, tin mendiant fi pauvre amp;nbsp;fi malade; il alloit ordonner qu’on prit foinnbsp;de eet infortuné , lorfque Maugis Ie tita d’er-
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reur. „ Voila, dit-il, avec qudles armesje ,, vais combattre Charlemagne, amp; délivrer Ri-chard,,• IIpJirt, amp;, dansmoins d’une heure,nbsp;il devance Roland au camp du Roi; il Ie tra-verfe en boitanr, amp; appuyé fur Pon bourdon;nbsp;il alia devant la tente de Charlemagne; ilnbsp;actendit que Ie Monarque en fortit. ,, Grandnbsp;,, Prince, lui dit-il, d’un ton hypocrite, puiüenbsp;„Ie ciel vous préferver de tiaitres! —Je tenbsp;„ fais bon gré de tes voeux, lui dit Charle-„ magne , il n’y a que Dieu qui puiüe préfer-„ ver les Rois de la trahifon ; ils ne font quenbsp;„ trop environnés de pieges! Combien de foisnbsp;„ Ie traitre Maugis ne m’a-t-il pas trompé?nbsp;„ Pauvre Hermite, Chevalier, ilprend routesnbsp;„ les formes qu’il veut. — Hélas! Sire, repritnbsp;„ Ie faux mendiant, les bons patiflent toujoursnbsp;„des méfaitsdes méchans; Si Maugis eft unnbsp;,, traitre, les pauvres gens ne lui reüemblencnbsp;„pas: Puiüe Ie ciel lui rendre tout Ie malnbsp;,, qu’il m’a fait? — Et d’oü viens-tu, repritnbsp;„ Charlemagne? — Sire, je viens de Jérufa-„ lem,d’adorerle faintSépulcre. Hier,jepaflainbsp;,, a Balangon, j’avois, avec moi, dix Péle-5, rins; une troupe de brigands fortis de Mon-„ tauban , nous attaquèrent; ils tuèrent mesnbsp;„ compagnons, les dépouillèrent, amp; je ne menbsp;5, fauvai que paree qu’ils me crurent morts.nbsp;„ Quand ils fe furent retires, je m’en allainbsp;„ dans un petit hameau, oü je demandai quinbsp;,, étoienc les fcélérats qui avoient tué mes coin-,, pagnons. Hélas! mon bon Prince, je ne m’ynbsp;,, ferois jamais attendu, on me dit que c’étoienc
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Zes quatre fih
„ les gens des quatre fils d’Aymou amp; de leur H couün Maugis. Eh! mon Dieu! leur dis-je,nbsp;,, Ie mauvais métier qu'ils font la,pour des Gen-,, tilshotnmes! amp; 1’on me répondin que leursnbsp;,, maitres étoient 11 pauvres, fi pauvres, qu'ilsnbsp;„ étoient obliges, pour fublifter, de faire arrêternbsp;,, amp; dépouiller les paflans. Au portrait que cesnbsp;,, bonnes gens me firent de Maugis, j’ai lieu denbsp;,, croire que c’eft lui-même qui me lia amp; quinbsp;„ me mit dans 1’étac oü je fuis. Ah! bon amp;nbsp;^ généreux Sire, je ne veux de mal a per-„ fonne, mais je ferois bien joyeux,li j’étoisnbsp;„ vengé de ces aflaffins publics. — Ce quenbsp;„ tu me racontes,lui dit Charlemagne, eft-ilnbsp;„ bien vrai?—Oui, Sire. — D’oü es-tu?—nbsp;„ de Bretagne. — Comment t’appelles-tu? —nbsp;,, Kerlinet Ie Sincère, amp; je fuis aflez ri'che dansnbsp;„ mon pays. Sire, vous êtes Roi, amp; vous deveznbsp;„me faire raifon des brigands. — Eli! monnbsp;„ ami, je ne puis m’en faire raifon è. moi-„ même, amp; crois que fi Maugis tombe jamaisnbsp;„ entre mes mains, jé ne 1’épargnerai point.
Les Chevaliers, térnoins de cette conver-fation, furenf fi touchés de 1’air de franchife du Pélerin, qu’ils engagèrent Ie Prince a 1’in-demnifer de ce qu’il difoit que les brigands denbsp;Montauban lui avoient volé. Charles y ajoutanbsp;encore-, amp; Ie faux-mendiant, en faifant unnbsp;grand ligne de croix, s’inclina jufqu’a terre;nbsp;il ajouta qu’il mouroit de faim, amp; Ie Roinbsp;ordonna qu’on ne Ie laifsat manquer de tien.nbsp;Maugis donna mille bénédiftions au Prince,nbsp;en Ie regardant en face, il lui dit; ,, J’ai
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„ fait bien du chemin, j’ai vu beaucoup de „p3ys; mais je n’ai jamais rencontré un linbsp;beau , fi aimable Prince.
Le Pél erin parloit encore, quand Roland, fa fuite, amp; Richard enchainé, entrèrenc dans lenbsp;camp, au bruit des trompettes. Oger, Heétor amp;nbsp;Naimes repréfentoient ^ Roland, qu’il n’écoicnbsp;pas d’un preux Chevalier de livrer Richard,nbsp;fon parent, amp; le leur, a un Prince qui avoicnbsp;jure la mort des fils d’Aymon.quot;,, II eft votrenbsp;„ prifonnier , lui difoient-ils, vous êtes lenbsp;„ raartre de fa liberté amp; de fa vie. Ne feroit-ilnbsp;„ pas plus généreux de le mettre a ran^on,,.nbsp;Roland étoit prefque déterminé a le renvoyetnbsp;fur fa parole; mais Ganelon, pour faire fa cournbsp;a Charlemagne, avoit devancé la troupe, amp;nbsp;1’avoit informé d^e tout ce qui s'étoit paftenbsp;dans le combat, amp;, furtout, de la captivifénbsp;de Richard: Charlemagne en treflaillit de joie ;nbsp;il courut au devant de fon neveu, le felicifanbsp;de fa conquête, lui demanda fon prifonnier,nbsp;8s lui annonga la vengeance la plus terrible.nbsp;„ Sire, lui dit Richard, je fuis en votre pouvoir,;nbsp;,, vous pouvez ordonner de ma vie; mais fon-„ gez que Renaud me vengera, 8s que, tant qu’ilnbsp;„ pourra monter fur Bayard, il n’y a ni Ville, ninbsp;„ Chateau qui puifle vous mettre a couvertnbsp;,) de fa fureur „. Le Roi entra dans un telnbsp;eroportement, qu’il frappa Richard de fonnbsp;fceptre. „ Un Juge, lui dit Richard, quinbsp;„ frappe un accufé, fe rend indigne d’êtrenbsp;„ fon juge, 5s 1’accufé devient fon égal. Dé-)) feudezi-YOus Il étoit pret dg s’élancer fur
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lui; mais on 1’arréta, amp; quelques Chevaliers eurentle courage de blamer leurSouverain.
Richard, cependant, reconnut Maugis fous les traits du Pélerin; dès ce moment, il fenbsp;crut en fureté : ,, Quel fupplice me deftinenbsp;„la générofité de mon vainqueur, dit-il, ennbsp;„ s’adreffant a Roland Le neveu de Charlemagne ne put s'empécher de rougir : ,, Tonnbsp;„vainqueur, répondit Roland, t’eüt rendunbsp;,, la liberté, fi le Roi m’en eüt laifle le maitre.nbsp;„ Quhmporte, reprit Richard, n’eft-ce pasnbsp;„ pour lui faire ta cour, que tu me livresnbsp;,, a fa vengeance? Eh bien, que Charlema-„ gne prononce; a quel fupplice me condam-„ne-t-il? Au fupplice des traitres, réponditnbsp;,, le Roi: Un gibet eft le prix que je réfervenbsp;„ a tes exploits, puifl'é-je y envoyer tes frè-„ res amp; Maugis! Sire, répondit Richard avecnbsp;„ un fourire amer, vous étes bien puiffant,
mais je doute que jamais ce projet s'exé-^ cute.
Maugis, qui en avoit aflez entendu, fei glille au travers du Camp amp; vole a Montau-han : Renaud, en le voyant arriver feul, henbsp;douta point que Richard n’eüt péri : II fenbsp;livra a la douleur, amp;, comme elle eft tou-jours injufte, il fit un crime a Alard amp; a Gui-chard de n’avoir pas combattu a fes cótés;nbsp;mais Maugis les raflura. II leur raconta toutnbsp;ce qu’il avoit vu, amp; l’arret infame que Charlemagne avoit prononcé. „ Armons-nous,nbsp;„ ajouta-t-il, ne perdons pas un inftant; allonsnbsp;n attendre Richard au lieu de fon fupplice,
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que ce lieu, deftiné 4 l’infamie, folt Ie thél-tre de nocre triomphe amp; dè notre gloire. La „ vertu fait titer parti de tout; elle converticnbsp;„ Ie cyprès en laurier, amp;, d’un raraeau denbsp;,, chêne, fe fait une couronne immortellenbsp;Renaud fit fonner les trompettes; il recom-manda a fes troupes la plus grande fubordi-nation; il fe met a leur téte; Alard amp; Gui-chard firent 1’arrière-garde, amp;, en moins d’unenbsp;heure , par 1’art de Maugis, ils furent portésnbsp;au lieu ou 1’arrét devoit être exécuté; ils s’em-bufquèrent dans les bois des environs : Maisnbsp;les troupes étoient fi fatiguées, qu’en arri-vant, elles tombèrent dans un profond fom-meil.
Cependant, Charlemagne avoit aflemblé fes Barons amp; fes Pairs. „ Aigremont, leur dit-il,nbsp;plongea fes mains dans Ie fang de mon fiis;nbsp;y, Renaud a donné la mort 4 Berthelot, monnbsp;neveu ; ces affreux parricides étoient encorenbsp;„ impunis; mais, enfin, graces a Roland , Ienbsp;y, ciel m’offre une vidime. Les lois divinesnbsp;„ amp; hutnaines condamnent les enfans d’Ay-,, mon, amp; Ie fupplice de Richard efl; un exem-yy ple que je dois a 1’univers. Que, fur Ia plusnbsp;„ prochaine montagne , Richard , attaché a.nbsp;„ un gibet infame , apprenne a route la terrenbsp;5, a refpeder les Rois; mais Ie trajet eft long ,nbsp;,, 8i je crains que fes frères amp; Maugis ne 1’en-,, lévent fur la route. J’ai befoin d'un hommenbsp;„ inirépide, d’un Chevalier qui ne les craignenbsp;5, point, j’ai jeté les yeux fur vous, Béren-„ ger; VOus tenez de'moi Ie pays de Galles
-ocr page 192-, amp; l’EcoiTe, vous m’avez jure de me fefvlr ; , la plus grande preuve de fidélité que vousnbsp;, puiffiez me donner, c’eft de vous chargernbsp;, de cette entreprife , amp; de protéger l’efcortenbsp;, qui dolt conduire Richard. Sire , répondicnbsp;, fièrement Bérenger de Valois, j’ai juré denbsp;, vous fervir en chofes qui ne pourroient com-, promettre votre honneur ni Ie mien. Je faisnbsp;, tout ce que je dois mon Souverain ; maisnbsp;, reprenez vos bienfaits, s’il faut les acquérirnbsp;, a ce prix.
Charlemagne propofa Ie méme fervice au Cotnte Idelon , a qui il avoit donné la Ba-vière; il offrit d’yjoindre encore la Ville denbsp;Melun; mais Idelon refufa avec indignation.nbsp;Le Roi crut furprendre Oger , en lui difancnbsp;qu’il n’avoit pas de meilleur moyen de fe juf-tifier de la trahilpn de Vaucouleurs, dont Roland l’avoit accufé, amp; il lui promir, en outre, pour récompenfe, le Duché de Melun.nbsp;Oger répondit, que, fi quelqu’un le foupgon-noic d’avoir trahi la caufe du Roi, il avoit,nbsp;a fon cóté, de quoi ie juftifier; mais, qu’ilnbsp;aimeroit encore mieux êrre accufé d'une tra-hifon dont il feroit innocent, que de com-mettre réellement une baflelie aux yeux denbsp;toute la France. II fit plus, il ajouta qu’ilnbsp;défendroit Richard, fon coufin , contre qui-conque oferoit porter fur lui une main flétrif-fante.
L’Archevêque Turpin, que Charlemagne voulut charger de cette commiffion, objeétanbsp;fa qualité de Prétre: „ Mais, lui dit Char-
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'„lemagne, je vous ferai Pape. Je ne veux „ point de la Papauté a ce prix, reprit Tur-„ pin, quand même vous y ajouteriez la Francenbsp;„ amp; l’Empire. Ce qui eft mal, tons les Em-,, pires du monde ne fauroient Ie rendre bien.
Salomon de Bretagne fut traité d’ingrat , pour n’avoir pas voulu accepter Ie Duché d’Anjou , amp; fe charger des ordres du Roi.
Enfin, il s’adrefle a Roland fon neveu ; mais celui'ci commenga par remercier les Chevaliers de leurs refus, amp; protefta que Richardnbsp;étoit fon prifonnier, amp; qu'il Ie défendroit, finbsp;Pon vouloit, non feulement, Ie faire périrnbsp;d’un fupplice infème; mais, encore, attenternbsp;feulement A fes jours. ,, II n’eft pas étonnant,nbsp;„ ajouta-t-il , qu’il y ait des Rois injuftesnbsp;,, amp; cruels; mais il eft honteux d’imaginernbsp;,, qu’il y ait des hommes aflez laches, pournbsp;„ fe faire un plaifir d’être les miniftres de leursnbsp;„ injuftices amp; de leurs cruautés, feulement
pour leur plaire.
Charlemagne ellliya encore Ie refus d’Hec-tor de Langres , a qui il offroit les Comtés de Clermont amp; de Montferrand. Richard denbsp;Normandie répondit a la propofition du Roi,nbsp;qu’il accompagneroit Richard,a condition quenbsp;Ie Roi lui donneroit deux cents preux Chevaliers bien armés, amp; que Charles conduiroicnbsp;Pefcorte.
Charlemagne étoit fur Ie point de renon-cer a fon entreprife, amp; de fuivre Ie confeil de Ganelon, qui p^ropofoit d’eufermer Richardnbsp;dans un cachot, de diminuer, peu a peu,
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fes alimens, amp; de Ie faire, ainfi, périr da faim ; maïs Charles craignit que , dans l’in-tervalle, Renaud amp; Maugis ne I’enlevaflenc.
Oger, impatient de ces délibérations, roinpt 1’aflemblée; il efc fuivi de Richard de Normandie amp; de 1’Archevêque Turpin : Ils inon-tent è cheval, font aflembler leurs hommesnbsp;d’armes, amp; proteftent que , fi quelqu’un étoitnbsp;affez hardi pour mener Richard au fupplice,nbsp;ils fauroient bien 1’en punir ; ils allèreut a lanbsp;tente oü Ie fils d’Aymon étoit gardé ; ils lanbsp;trouvèrent enchainé comine un vil fcélérat;nbsp;ils fa difpofoient a brifer fes fers. „ Cheva-,, liers, leur dit-il, c’eft trop vous expofernbsp;,, a la difgrace du Roi; je ütis combien vousnbsp;,, défireriez de me rendre la libercé ; maisnbsp;,,j’aime mieux périr, que de vous caufer lanbsp;„ moindre peine. Soyez tranquilles fur monnbsp;„ fort, Ie ciel prendra ma défenfe , quand ilnbsp;„ en fera temps ; je ne vous demande qu’unenbsp;,, grèce , c’eft de dire au Roi de ne pas dif-,, férer fi long-temps mon fupplice,,. Ogernbsp;firémit de cette réfolution; mais Richard Ienbsp;raflura, amp;, fans leur dire fur quoi il fondoitnbsp;fes efpérances, il leur dit que, plutót on Ienbsp;feroit partir, amp; plutót il feroit délivré , amp;nbsp;qu’il les prioit de ne faire aucune entreprifenbsp;qui put déplaire a leur Roi, paree que toucnbsp;effort de leur part lui feroit plus funefte qu’u-tile.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;quot;
Cependant, des Rives, vil Courtifan, qui n’attendoit que l’occafion d’une bafleffe pournbsp;paériter les bonnes graces de fgn maitre, fc
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préfenta au Roi, amp; ofirit de conduire Richard a la montagne. Charlemagne fut au comble denbsp;lajoie; il accepta fon ofFre.,, Va, lui dit-il,nbsp;,, conduis Richard , je te donne douze centsnbsp;„ Cavaliers; fi Renaiid fe préfence, tu le com-,, battras. Tu n'auras pas mes Pairs amp; mesnbsp;3, Barons; mais compte fur Ganelon, fur lesnbsp;„ deux fils de Foulques de Morillon , furnbsp;3, Griffon de Haute-feuille amp; fur Pinabel; s’ilsnbsp;j, n’ont pas la valeur d’Oger , d’Olivier, denbsp;j, Turpin » de Naimes amp; de Roland, ils ontnbsp;„ plus de rufe amp; d'adrefle, amp; , quand il s’agic .nbsp;3) de combattre un ennemi redoutable, qu'ira-5, porte la fraude ou la vertu ,, ? Ainfi par-loic Charlemagne , non qu’il fit aucun cas denbsp;des Rives, ni qu’il eftimèt les Chevaliers qu’ilnbsp;lui donnoit pour le foutenir autant que fesnbsp;Pairs; mais il vouloit être vengé. ,, Sire,nbsp;„ lui dit des Rives, qui ne pouvoit fe difli-,, muler la home dont cette commiffion lenbsp;„ cou vroit, outre le defir, que j ’ai, de prouvernbsp;,, qu’il n’y a rien que je ne fois prêt de fa-,, crifier a mon Souverain, un autre motifnbsp;,, m’a engagé de vous offrir mes fervices. Re-„ naud tua mon oncle au gué de Balan^on;nbsp;„je vous rends graces de m’avoir offert cettenbsp;„ occafion de me venger. Brave des Rives, luinbsp;„ dit Oger, la vengeance eft la paffion des hé-„ ros Des Rives exigea encore que le Roi dé-fendit è fes Barons amp; a fes Pairs de lui reprochernbsp;fa foumiffion aux ordres de fon Roi. Oger nenbsp;put entendre, de fang-froid, cette demandenbsp;Tiditule : f; Qwi? nous ’ s’écria-t-il; vous faire
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Les quatre fils
^ un crime de votre obéiflance! Al]ez,'nous „ vous promettons de regarder toujours 1’ac-,, tion que vous allez faire, comme la plusnbsp;memorable amp; la plus éclatante de votre vie.nbsp;,, Vous allez entreprendre ce que les Cheva-,, liers les plus renommés amp; les plus intrépidesnbsp;n’ont ofé exécuter : Sansdoute, vous aveznbsp;^ plus de courage que Roland, amp;, fi, jamais,nbsp;1’envie eflayoic de donnet a la commiffionnbsp;,, done Ie Roi vous honore, une interpréta-,, tion peu favorable, vous lui fermeriez lanbsp;„ bouche par ce feul mot: J’ai fait ce qu’Oger ,nbsp;Olivier, Roland, amp; vingt autres, n’ont ofénbsp;„faire. Et, de plus, n’alïez-vous pas vengernbsp;„ FoulquesdeMorilltyn, votre onclePLa ven-„ geance efl: du droit des gens.
CHAPITRE XIII.
Richard ejl conduit au fupplice; Renaud h. déUvre, aidé de Maugis amp; du Roi d’yl-quitaine. Des Rives ejl mis d la place de,nbsp;Richard. Méprife d’Oger. Combat entrenbsp;Charlemagne amp; les fils d’yfymon. Offre gé-néreufe de Renaud; dangers que courentnbsp;Charlemagne amp; Roland.
'es Rives, qu’enfioient les éloges ironi-ques d’Oger amp; du Roi même, fe croyoit au déflus des plus grands héros. II alia, lui-mê-Pje» a la tente de Richard, amp;, après Tavoic
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fait lier, il Ie fit monter fur un mulct, amp; marcher a fes cótés ; En paflant devant lanbsp;tente du Roi, il lui demanda fes ordres : IInbsp;ne lui en donna d’autre, finon, de Ie délivrernbsp;promptement de Richard. „ Plüt a Dieu, Sire,nbsp;„ lui dit-il, d’un ton plein d’arrogance, quenbsp;,, fes frères fuflent auffi en mon pouvoir.
Tout Ie camp fondoit en larmes, Richard avoit un air riant; Oger, a qui il avoit ditnbsp;fon fecret, ne faifoit femblant de rien; maisnbsp;il fuivit d'un peu loin, avec les autres Baronsnbsp;amp; les Pairs, la troupe, conduite par des Rives; elle arriva fur la montagne, fans qu’ilnbsp;eüt paru aucun des hommes-d’armes de Re-naud : Richard dit d des Rives, que, s’ilnbsp;vouloit lui donner la liberté , il lui feroicnbsp;préfeiit d’une telle fomme, qu’il h’y auroicnbsp;aucun Chevalier qui n’enviat fa fortune; maisnbsp;des Rives parut inexorable. „ J’en fuis üché,nbsp;„dit Richard; car, quoique nous foyons ar-„ rivés a la montagne, je crains que vousnenbsp;„ veniez pas a bout d’exécuter les ordres dunbsp;„ Roi, amp;, du moins, la fomrne que je vousnbsp;„ propofe vous relieroit.
Cependant, Renaud amp; fa ttoupe dormoient encore; Richard commenca d’être inquiec. IInbsp;demanda a des Rives de lui faire venir unnbsp;Religieux pour Ie foutenir amp; 1’exhorter, dansnbsp;ce moment terrible; des Rives héfitoit. Ogernbsp;s’approcha : „ Par Saint-Denis, eft-ce quanbsp;„vous a.vez.juré aux manes de Foulques denbsp;„ Morillon-, votre oncle, de lui facrifier 1’amenbsp;„ Ss Ie corps de Renaud Ss de fes frères? Des
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Les quatre fils
Rivès confentit, enfin. Richard fit durer tant qu’il put fa cönfeffion amp; fes difcours, avec Ie 'nbsp;Prêtre; maïs Rénaud amp; Maugis ne paroiflbiencnbsp;point. Le Religieux feignit un évanouifle-ment, amp;, pour gaguer du temps, il demandanbsp;a des Rives la permiffion de retourner a fonnbsp;Couvent amp; d’envoyef un autre Religieux anbsp;fa place jv des Rives refufa; mais, Oger, amp;nbsp;1’Archevêque Turpin, le forcèrent d’y cpn-fentir, par leurs menaces. Alors, le Religieux,nbsp;au lieu d’aller a fon Couvent, courut au lieunbsp;oü Renaud étoit embufqué.
Quel étoit done ce Religieux, qui, par un faint menfonge, fauva la vie a Richard? Csnbsp;Confefléur étoit le Roi Yon lui-même. A fonnbsp;retour de Montauban, accablé de remords,nbsp;confondu par les reproches de fa feeur, hon-teux des maux qui avoient été la fuite denbsp;fa perfidie, il n’avoit pas fongé a quitter lenbsp;froc; il avoit fuivi Renaud hors de Montauban , amp; avoit été tranfporté avec les troupes des fils d’Aymon, au lieu de 1’embufca-de; il les avoit, tous, vus fe plonger dansnbsp;le fommeil ; Lui feul, tyrannifé par fon re-pentir, ne put jamais s’endormir; il étoit def-cendu dans la plaine, amp; cherchoit uneEglifanbsp;oü il pfit prier le ciel de lui pardonner fonnbsp;crime; il fe trouva è la porte du Couvent,nbsp;pü l’on vint demander un Religieux, de la'nbsp;part de Richard •, c’eft ü lui qu’on s’étoitnbsp;adreffé, amp; il s’oifirit. II ne fit pas ferablant-¦nbsp;de connoitre le fils d’Aymon deVaiit des Ri- -vesj mais ü eut tout le temps deTui'parier.t
d’Aymon. nbsp;nbsp;nbsp;193
fecvettetnent, Si de lui annoncer le prochain iecours de fon frère. II I’avertit du fommeilnbsp;OÜ la troupe écoit plongée; enfin, craignantnbsp;que le fecours n’arrivSc trop tard, il feignicnbsp;une indifpofition pour aller avertir Renaud.
Lorfque le Roi d’Aquitaine arriva , il rrouva les troupes prêtes a marcher. Renaud avoir éténbsp;éveillé par Bayard, qui, ne dormant point,nbsp;avoit vu, d’une hauteur, tout cequi fepafloit.nbsp;Bayard ne pouvoit voir des Chevaliers armés,nbsp;fans fonger a combattre; il courut auprès denbsp;fon maicre : En vain il eflaya de 1’éveillernbsp;par fes hennifl’eraens; ce moyen ne lui réuf-filiant point, il frappa ft rudement de fon piednbsp;fur 1’écu qui fervoit d’oreiller a Renaud,nbsp;qu’il 1’éveilla : Bayard revint i fon pofte ,nbsp;Renaud le fuivic, amp; vit Richard entre lesnbsp;mains du Religieux.
ce
qui produifit un eftet fingulier. Le lache
Le Roi d*Aquitaine dit Renaud qu’il étoit temps de fe montrer; qu’il avoit pour lui lesnbsp;Pairs amp; les Barons, amp; que, s’ils ne le fecon-doient pas, du moins ils ne lui feroient piasnbsp;contraires. Alors, Renaud fe mit en marche.nbsp;Des Rives apergut les Gafconsavant perfonne,
tomba aux genoux de Richard, comme fi c’é-toit lui qui dut fubir le fupplice. Tandis qu’A-lard amp; Guichard enrourent la troupe de Char-j ’ ®-^i^3ud amp; Maugis fe faififlent de des Rives. Ganelon, Pinabel, les fils de Foul-ques, veulent, en vain, faire quelque refif-tance, ils font défarmés amp; mis hors de combat j mais, Ogw, Turpin, Olivier, amp; les Pairs;
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fe retirent, voyant que les fils d'Aymon pouvoient fe palier de leur fecours, amp; pournbsp;ne pas encourir inutilement la difgrace du Roi.
Cependant, Maugis vouloit percer des Rives du fer de fa lance , Renaud 1’arrêta ; „ Cecte raortferoittrop giorieufe, dit-il,pournbsp;„ un lache qui n'a pas rougi d’offrir, lui-mê-„ me, de condiüre a un fupplice infème unnbsp;„ des plus braves Chevaliers, condamné con-„ tre routes les lois; il n’y auroit point denbsp;„ tyrans, s’il n’y avoit pas de flatteurs dansnbsp;,, les Cours: Que des Rives leur ferve d’exem-ple. Defcends, traitre.
Des Rives écoit furl’échafaud avecRichard; amp;, comme il venoit de defcendre, Renaudnbsp;ie prit au bout de fa lance par-deflbus fa cotce-d’armes, Ie tint quelque temps en 1’air, amp;,nbsp;enfuite, Ie pofa a terre : amp;, tandis que Maugis délioit Richard, Renaud déshabilloit desnbsp;Rives de routes pieces, amp; Richard les re-vétoit; quand il fut armé, il monta fur Ienbsp;cheval du lache, amp; eet animal fembla prendre un nouveau caraftère fous un plus noblenbsp;poids. Richard armé, fupplia Renaud de fairenbsp;grace a des Rives. „ Non, mon frère, luinbsp;„ dit Renaud ; fi des Rives n’éroit qu’unnbsp;„ homme de la lie du peuple, forti, un inf-^ tant, de la foule , pouf fe reperdre dansnbsp;„ Toubli, )e dédaignerois une telle viftime,nbsp;amp; fa Ik'heté , punie , ou impunie , feroicnbsp;,, fans conféquence; raais c’eft un homme denbsp;„naifiance, Ie neveu deFoulques, un Cour-^ tifan, qui, £i la faveur de foa nom, ap-
-ocr page 201-„ proche du tröne pour Ie fouiller; qui, „ averti, par le refus de lant de braves Cheva-„liers, de Hndignité d’une aélion déshono-„ rante, s’y eft prêté avec baflelle, amp; a, lui-3, même, follicité fon déshonneur; il faut,nbsp;raon frère, que fon exemple falie tremblernbsp;33 fes femblables. La punition des gens du peu-3, pie s’oublie, fe perd dans la foule; les pu-33 nitions exercées fur les Grands, quand ilsnbsp;33 font coupables, ne s’effacent jamais de lanbsp;33 mémoire : Et, certes, c’eft une grande in-^^juftice de les épargner; car, a crime egal,nbsp;33 un Grand eft toujours plus coupable qu’unnbsp;33 homme de la lie du peuple, qui ne doicnbsp;33 avoir, ni la même élévation dans 1’ame, ninbsp;33 la même force pour relifter a fes penchansnbsp;,, vicieux, ni les raémes motifs, ni la mê-nae délicatelie fur 1’honneur. Que les Cour-33 tifans apprennent,par 1'exemplede des Rives,.nbsp;33 que c’eft trahit les Rois, que de leur obéir ennbsp;33 chofes malhonnêtes •, amp; que les Rois injuftesnbsp;33 feroient inutilement mechans, s’ils ne trou-33 voient point de complices. Parle, des Ri-gt;5 ves; tegardois-tu le fupplice d’un prifon-33 nier qui s’eft rendu, fur la bonne-foi de fonnbsp;», vainqueur, comme une cliofe jufte,, ? Desnbsp;Rives fot forcé de convenir, que, felon lesnbsp;ols de la Cheyalerie, Charlemagne ne pou-voic difpofej. du prifonnier de Roland, fansnbsp;laveu du vainqueur: II convint encore, quenbsp;Kenaud amp; fes frères, ayant offert de fe fou-mettre au Roi, u ne pouvoit pas les trailernbsp;«n rebelles, amp;, qu’enfto, c’étoic une chofe
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indigne d’un Chevalier, de briguer la com-ihiflion humiliante de conduite a la mort un autre Chevalier, füt-il coupable.
Après tous ces aveux, fairs a haute voix, Renaud dit a des Rives de fe preparer a mou-rir. Des Rives pleura, fe jeta è fes pieds,nbsp;demanda grace; mais Renaud fut inflexible,nbsp;11 Ie fit périr par les mains du méme bourreaunbsp;amp; au même gibet, qui étoient deftinés pournbsp;Richard.
Renaud, après avoir remercié les Chevaliers, raflembla fa troupe pour s’en retourner a Montauban. Richard vouluc voir Oger; maisnbsp;il étoit rentré au camp. „ N’importe , ditnbsp;,, Richard; je fuis libre, je pénétrerai dans Ienbsp;,, camp,,; II demanda a Renaud quatre centsnbsp;Cavaliers pour Ie fouteuir en cas de befoin.nbsp;Renaud exigea encore qu’il pric fon cor, pournbsp;i’avertir, amp; fit tenir Ie refte de fes troupes anbsp;portee de Ie fecourir, II eft vrai que Mau-gis, par fon art, hata leur marche amp; leur fitnbsp;devancer Ie retour des troupes qui avoientnbsp;accompagné des Rives a la montagne.
- Richard, la vifière baiflee, la bannière de des Rives a la main, monté fur Ie chevaldunbsp;traitre, entre dans Ie camp. Le Roi étoit de-vant fa tente; Oger, feignant de ne favoirnbsp;point ce qui s’étoit paffe, lui faifoit des re-proches fur la mort infame de Richard. A fanbsp;bannière, a fon cheval amp; a fes armes, Naimes,nbsp;iqui n’étoit pas forti du camp, ne douta pointnbsp;que ce ne fut des Rives lui-même.; Oger ^ 1’Ar-chevêque Turpin, Olivier, qui s’étoient retir
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rés dès qué Renaud eut invelti les gens-d’ar-mes du Roi, y furent trompés; ils crurenc que , par quelqu’évènement qu’ils ne pou-voient imaginer, Ganelon, Pinqbel, les filsnbsp;de Foulques, avoient repouüe les troupes denbsp;Renaud. Oger, croyant que des Rives reve-noit triomphant de fa bonte, en relientit lanbsp;plus vive douleur: „ Le iSche! s’écria-t-il, il nenbsp;,, périra que de ma main En vain, Charlesnbsp;1’appela ; il avoit faifi le mords du cheval denbsp;des Rives:,, Tu mourras, lui difoit-il, je t’ap-,, porte le falaire de la mort de Richard. Monnbsp;„ coufin, lui dit le ftls d’Aymon, c’eft Ri-,, chard, a qui vous parlez; des Rives a fubi lenbsp;„ fupplice auquel il m’avoit conduit, amp; je ve-„ nois vous donner des preuves de mon amournbsp;„ amp; de ma reconnoifl'ance. Tu ments, traitre,nbsp;„ s’écrie Oger, tu crois échapper par cettenbsp;,, feinte groffière; ne vois-je pas ton armu-,, re, ton cheval 8; ta bannière? Renaud 1'ennbsp;,, a dépouillé, reprit Richard, amp; j’ai prjs fesnbsp;,, armes, pour n'être pas reconnu Oger re-fufoit de le croire; mais Richard, en s’incli-nant verslui, leva la vilièrede foncafque; Ogernbsp;fut tenté de 1’embraller; mais il n’ofa point,nbsp;tl caufe de Charlemagne, qui furvint; Richardnbsp;eut a peine le temps de lui dire ce qui s’étoicnbsp;paflë a la montagne. „Sire, dit Oger a Char-•», lemagne, des Rives eft heureux. que vousnbsp;5) foyez venu; fans vous, j'allois faire volernbsp;,, fa tête è dix pas de lui: Je 1'aurois vengé ,nbsp;„ dit le Roi„, amp; il dit au faux des Rivesnbsp;de defcendre amp; de le fuivre dans fa tente.
I iij
-ocr page 204-198 nbsp;nbsp;nbsp;Les quatre fils
„ Sire, lui dit alors Richard, je ne puis pas ,, fupporter plus long-temps d’être appelé dunbsp;„ nom d’un lèche : Reconnoiflez Richard ,nbsp;„ des Rives eft au gibet oü vous m’aviez en-,, voyé, amp; oü mon frère 1’a fait attacher,,.nbsp;Charlemagne ne concevoit point ce prodige;nbsp;mais, enfin, revenant a lui-même: ,, Traitre,nbsp;„ dit-il, Ie ciel te deftine done, malgré moi,nbsp;,, a périr d’une mort plus honorable „; aufli-tót, pouflant fon cheval, amp; faififlant fa lance,nbsp;il fond fur Ie fils d’Aymon, qui, a peine, anbsp;Ie temps de fe mettre fur fes gardes : Ils fenbsp;porcèrent fur leurs ecus des coups fi terribles,nbsp;qu’on ne retrouva plus les pièces de leurs lances p chacun tira fon épée, amp; les airs reten-tirent du bruit de leur combat: Le cheval denbsp;Richard, qüi n’étoit point accoutumé a denbsp;tels exercices, le renverfa. Richard fe relève,nbsp;amp; quoiqu’a pieds, il porte un coup fi terriblenbsp;fur le cafque de Charles , qu’il 1’ouvre : Lenbsp;.Roi n’en eft pas blefle; mais il tombe, fe relève , amp; faifit fi bien fon temps, qu’il fracaflenbsp;Ie cafque de Richard, amp; lefait chanceler. Charles furi?ux, crie Montjoye, amp; les Franqois s’é-branlent, étonnés du combat de leur maitrenbsp;avec des Rives, car ils étoient encore dans 1’er-reur. Richard fait retentir le cor de Renaud, amp;nbsp;fes frères accourent avec leurs Chevaliers amp; lesnbsp;Gafcons: Alors, commence une des plus terribles batailles qu’ayent jamais livré 1'orgueilnbsp;outragé, la vengeance amp; l’amour de la gloire.nbsp;Chacun des flis d’Aymon cria fa bannière:nbsp;Maugis courut fur Mongon, Seigneur de Pier-
-ocr page 205-refitte, amp; 1’étendit mort aux pieds de fon che-val. Renaud abattoit fous fa lance tout ce qu’il rencontroit. Guichard, en ouvrant la tête denbsp;Boëmont, en fit exhaler les projets les plusnbsp;infenfés. Alard fit couler, avec Ie ïang de Ref-filly, Ie fiel amp; la bile qu’il confervoit depuisnbsp;vingt ans contre un Chevalier qui avoit roan-qué de 1’appeler Monfdgneur, en préfence d’unnbsp;autre Chevalier. Cependant, Charles s’appro-che de Renaud fans Ie connoitre, amp; Ie frappe ; ils prennent du terrain amp; fe heurtent avecnbsp;nne telle impétuofité, qu'ils vont tomber loinnbsp;i’un de 1’autre ; ils fe relèvent amp; mettentnbsp;1’épée a la main. Charles ne put s’empêchernbsp;de s’écrier qu’il n’avoit jamais trouvé de Chevalier auffi redoufable. Renaud Ie reconnut anbsp;fa voix; il y avoit quinze ans qu’il ne luinbsp;avoit parlé. fl s’approche du Roi, amp;, mettancnbsp;pied a terre : „ Sire, lui dit-il, je défire d’a-j, voir un entretien avec vous, amp; je vous fup-plie de m’accorder une trève, amp; votre foi
i, nbsp;nbsp;nbsp;de Chevalier, que vous n’uferez point denbsp;,, votre pouvoir jufqu’après notr*conférencenbsp;Le Roi^donna fa parole. ,, Je fuis Renaud, Ie
j, nbsp;nbsp;nbsp;fils d’Ayrnon, continua-t-il, je vous de-5, mande grace pour mes frères amp; pour moi.nbsp;„ II y a 15 ans que vous nous avez chaffés denbsp;j» votre Royaume amp; de notre pays. Vous faveznbsp;igt; les maux qui ont été la fuite de votre hainenbsp;V contre nous. Vous connoiflez 1’incertitudenbsp;„des évènemens; le bien amp; le mal fe fuccè-„ dent : Vous avez éprouvé contre nous, amp;nbsp;„ nous eprouvons également contre vous, une
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„ alternative continuelle de fuccès amp; de pei'tes. „ Sire, lorfque, dans ces momens heureux, Ianbsp;3, fortune nous feconde, nous nous trouvonsnbsp;,, a plaindre, au fein de notre gloire, d’étrenbsp;„ féparés de notre Roi; nous gémiflbns de nénbsp;„ point partager avec lui, amp; de ne pouvoirnbsp;,, lui faire partager avec nous, des triomphes,nbsp;„ auxquels il manque toujours quelque chofe.nbsp;,, 11 eft cruel d’avoir a combattre contre unnbsp;,, Souvcrain qu’on aime; car, quelques voeuxnbsp;,, que nous faffions, ils font toujours a notrenbsp;,, défavantage; fi nous fommes vainqueurs,nbsp;,, nous favons que notre vidioire doic 1'irriter;nbsp;„ Si s’il acquiert de la gloire, c’eft a notrenbsp;,, honte. Grdce, Sire, que la pitié vous tou-,, che. Ce n’eft ni la crainte de la mort, ninbsp;,, 1’efpérance d’un fort plus heureux, qui ménbsp;,, font implorer votre clémence; c’efl; Ie defirnbsp;5, d’obtenir votre amitié ; accordez - nous lanbsp;„ paix, amp;, pour toujours, nos bras amp; notrenbsp;,, fang font a vous: Montauban , Bayard,' amp;nbsp;,, tout ce que nous pofledons, vous appartien-„ dront : Si vous 1’exigez, je (brtirai de vosnbsp;,, Etats, amp; j’irai, dans laPaleftine, avec mesnbsp;„ frères, combattre les Sarrafins amp; triompthernbsp;„ en votre nom.
Charles ne voulut entendre parler de paix qu’autant que Renaud lui livreroit Maugis:nbsp;„Mais, Sire, quel eft'votre deflein fur Mau-„ gis? De Ie traiter comme Ie fcélérat que jenbsp;,, hais Ie plus,, de Ie faire trainer dans lesnbsp;,gt; vues de Paris, de brüler fon corps Sc denbsp;?, difperfer fes cendres. Sire, continua Re-
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„ naud, voudriez-vous accepter, pour fa ran-5. 9on, des Villes amp; des Chateaux, une Pro-Vince même que nous aurions conquife ? jgt; Non , reprit le Roi, je veux difpofer denbsp;5gt; Maugis a mon gré. Eh bien, Sire, appreneznbsp;j) que je fuis lié de 1’amitié la plus étroitenbsp;avec Maugis : Je lui dois rant, que fi mesnbsp;j, frères étoient vos prifonniers, amp; que vousnbsp;« euffiez réfolu leur mort, je ne vous don-i) nerois point Maugis pour les arracher denbsp;vos mains; amp; mes frères ne le livreroientnbsp;pas non plus pour me fauver la vie. Ehnbsp;i» bien! reprit Charlemagne, point de paixnbsp;5gt; fans cette condition, amp; défends-toi. Sire,nbsp;„ reprit Renaud, vous nous traitez en rebel-,, les; fouvenez-vous que nous n’avons ja-„ mais fait que nous défendre, amp; qu’aucunenbsp;5, loi divine ni huruaine ne nous oblige denbsp;5, nous livrer a vous, quand vous nous me-j, nacez d’une mort infame. Défends-toi, luinbsp;5» dit Charlemagne, je te permets de com-5, battre ton Souverain Renaud reprit fesnbsp;armes; Chc\rlemagne courut fur lui, amp;,d’unnbsp;revers, il empotte un quartier de fon écu;nbsp;Renaud furieux, faifit Charles par le milieunbsp;du corps, i’enlève de delius fon cheval, amp;nbsp;le met en travers fur le col de Bayard. Charlesnbsp;. fe débat en vain, appelle a fon fecours Ogér ,nbsp;plivier, Naknes, 1’Archevéque Turpin amp; ifo-wnd. Renaud appelle. a grands cris fes frèresnbsp;« Ion coufin: „ Amis, difoit-il, fecondez-moi,nbsp;¦»»nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;paix eft faite fi j'emmène monprifonnier
^Soudain, les Clwvaliers Fran9ois,les ills d’Ay-
mon amp; Maugis, accourent •, Ie combat devient furieux. Renaud tenoit Ie Roi d'une main , amp;,nbsp;de 1'autre, il portoit les coups les plus terri-bles d ceux qui vouloient lui enlever fa proie.nbsp;Roland s’ouvre un paflage , amp; porce fur Ienbsp;cafque de Renaud , un coup qui 1’écourdic.nbsp;„ A quoi penfes-.tu, Renaud, lui cria-t-il,nbsp;„ de vouloir emmener Ie Roi? Crois-moi, cenbsp;,, fardeau eR trop pefant pour toi Renaudnbsp;Ie remit, amp;, frémiflant de courroux, il cour:nbsp;fur Roland, tenant toujours Ie Roi devantnbsp;lui; mais, quand ils en vinrent aux mains,nbsp;Charlemagne faific un moment oü Renaud ,nbsp;ayant regu un coup fur la vifière de fon cafque, fut óbloui des étincelles qui en Jaillhent,nbsp;amp; il fe glifla Ie long du col de Bayard. Re-naud amp; fes frères harcelèrent fi vivement Roland , qu’il fe vit forcé de prendre la fuitenbsp;pour éviter d’étre fait prifonnier. Renaud étoitnbsp;défefpéré que Charles lui eüt échappé. II fitnbsp;fpnner Ia retraite a caufe de la nuit, amp; partit,nbsp;avec fes frères , pour Montauban.
Charlemagne étoit inquiet de Roland amp; de fes Chevaliers; il les vit arriver avec joie,nbsp;.amp; Roland ne put s’empêcher de lui dire, quenbsp;c’étoit une chofe téméraire pour un Roi, denbsp;cembattre amp; de s’expofer, comme il 1’avoitnbsp;fait; qu’il devoit fonger, qu'en expofant fanbsp;perfonne, il compromettoit fon Royaume, amp;nbsp;qu'il ne falloit qu’un malheur comme celuinbsp;qui avoit été fur Ie point d’arriver, pour plon-ger fes Sujets dans les plus grands malheurs;nbsp;que la mort naturelle d’un Rol étoit, quel-
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d'Aymon.
quefois, moins funefte a fes Etats, que fa cap-tivité. „Mon neveu , répondit Charles, Re-X, naud n’eft pas ennemi comme uii autre.
CHAPITRE XIV.
liZS quatre fils d’ylymon, amp; Maugis, ahat-tent le Pavilion du Roi. Combat d'Olivier amp; dt Maugis. Maugis prifonnier d'Olivizr,nbsp;Efforts de Charles amp; de fes Chevaliers ,nbsp;pour arracher Maugis d fon vainqueur. Ré-fiftance opinidtre d'Olivier. Combat d'Oliviernbsp;avec les Chevaliers. Générofité de Maugis:nbsp;Olivier le dégage de fes fermens. Maugisnbsp;brave les Courtifans. Renaud vole d fonnbsp;fecours.
R,
fut a portée : „ Mes amis, dit-il a fa troupe, Mon frère , reprit Ri-manque jamais a qui
.ENAUD, après avoir ralHé fes troupes, fe joignit a fes frères, amp; a Maugis , pournbsp;faire 1’arrière-garde, au cas que les Frangoisnbsp;les fuiviflent. Quand il les eut conduits aunbsp;dela de Balanqon, Renaud ,'infatiable de gloire,nbsp;prit, avec lui, trois mille hommes, envoyanbsp;le refte a Montauban, amp; réfolut d’attaquernbsp;le Roi dans fon Pavilion même; amp;, lorfqu’il
gt;, courage amp; prudence.
» chard, ]e cmur ne ______^_______
^fpire a la gloire Auffi-tót, Richard met spec a la main, court au Pavilion du Roi ,nbsp;en coupe les cordes, 1’abat, amp; fait tombernbsp;1 aigle d o; maffif quj ig couronnoit: Les Fran-
204
Les qmtre fils
^ois furent effrayés, en voyant tomber Ie Pavilion impérial. „ A moi, mon coufin, s’é-cria Richard, aide-moi a emporter ma con-3, quéte Richard amp; Maugis mirent pied anbsp;'rerre, prire!'.i. 1’aigle d’or, amp; firenc foniiernbsp;leur trompette, pour donner Ie fignal du combat. Bientót les quatre fils d’Aymon fe virentnbsp;aflaillis par routes les troupes du Roi ; Ils ennbsp;£rent un telmaflacre, que Ie fang ruifleloit denbsp;toutes parts. Maugis s’écarta un moment, amp;,nbsp;après avoir mis l’aigle d^or en fureté, il re-tourna, feul, vers Ie Pavilion; il y trouvanbsp;Ie Roi. „ Sire , lui dit - il, vous nous p»erfé-cutez avec fureur; il feroit temps que lesnbsp;„ maux d’une guerre injufte finiflent, amp; quenbsp;„ vous laiffaffiez repofer la terre. Vous n’afpi-„ tez qu’a me faire périr du fupplice des ISchesnbsp;,, amp; des traitresjje faurai me garderde votrenbsp;„pouvoir, amp; vous ne pouvez vous mettrenbsp;,, a couvert de mon art ;-amp;, pour vous prou-,,ver qu’il eft autant de votre intérêt quenbsp;du nócre, de faire la paix. voyez fi je fuisnbsp;maitre de votre vie Auffi-tót il lance unnbsp;dard qui paffe entte la poitrine amp; Ie bras quenbsp;Charles tenoit appuyé. Charlemagne, effrayé,nbsp;appelle Roland au fecours, amp; Maugis, ne voyantnbsp;plus Renaud amp; fes frères, fe bat en retraitenbsp;centre Olivier amp; Roland. II fe crut en fureténbsp;quand il eut pafle Balangon; raais il fut arrécénbsp;par une troupe qui Ie preflbit vivement. Mau-,gis frappa li rudement un des Chefs fur fon écu,nbsp;qu’il envoya a cinquante pas Ie cheval amp; Ienbsp;Cavalier roulant par terre. II appelle Renaud ,
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amp; Renaud ne repond point •, mais, an lieu du fecours qu’il reclame, Olivier fend la prefie,nbsp;fond fur lui, amp; lui fait a la poitrine unenbsp;large bleflure; Maugis en fut renverfé; il fenbsp;releva fit fe défendit avec tant de valeur, mal-gré la nuit obfcure, que fon adverfaire luinbsp;cria : Qui que tu fois, brave Chevalier,nbsp;1, rends-toi, ne t'expofe point a une mort cer-,, taine, amp; ne perds pas, dans les ténèbres,nbsp;5, des exploits dignes du plus beau jour. Quinbsp;„ es-tu, lui répondit Maugis, toi qui jugesnbsp;,, la valeur, qui me confeilles de me rendre,nbsp;j, amp; qui m’as porté de S terribies coups ? Sinbsp;,, tu cross, lui répondit 1’inconnu, qu’un Che-,, valier puilfe, fans honte, rendre les arinesnbsp;,, a Olivier, tu peux t’en rapporter a ma foi.
„ Généreux Olivier, fi vous croyez qu’un j, Chevalier qui combat loyalement pour une;nbsp;,, caufe jufte, ou qui, du moins, lui paroicnbsp;,, telle, peut impofer a fon vainqueur une con-,, dition honnéte, promettez-moi de remplirnbsp;,, celle que j’exigerai de vous. Je vous le pro-,, mets, répondit Olivier; ehbien, reprit Mau-„^s, promettez-moi done que vous ne menbsp;„ livrerez point a mon ennemi, quelque puif-,, fant qu’il foit, amp; quelques droits qu’il aitnbsp;,, fur vous; a ce prix, je vous dirai mon nom,nbsp;5, amp; je me reiidral Olivier jura amp; donna ia,nbsp;»foi: II n’eft puifiance fur la terre, ajouta-,)t-il, qui^m’oblige a violer mon ferment;nbsp;» Sc? fi une force fupérieure amp; irréfiftible ten-»gt; ‘Is vous arracher de mes mains, je jure,nbsp;,, a la face du ciel, que je. vous égorgerai {dutdfc
-ocr page 212-2o6 nbsp;nbsp;nbsp;Zes quatre fits
„ que de vous livrer. Je n’attendois pas moins ,, de vous, reprit Ie Chevalier vaincti : Monnbsp;,, nom eft Maugis, c’eft vous dire que celuinbsp;,, de mon plus cruel ennemi eft Charlemagne,nbsp;„ amp; voila mon épée Quand Maugis fe futnbsp;rendu, Olivier lui dit: „ Confentiriez- vousnbsp;,, que j’employafle tous les moyens qui dé-„ pendroient de mol, pour faire votre paixnbsp;,, avec Ie Roi? J’y confens, répondit Mau-,, gis; mes coufins amp; moi n’avons combattu,nbsp;„ jufqu’ici, que pour y parvenir; nous havonsnbsp;,, vivemenc follicitée; nous avons voulu nousnbsp;„ foumettre aux conditions les plus dures;nbsp;„ mais Ie cruel nous 1’a refufé, plus aveuglé,nbsp;„peut-être , par les confeils de fes Courti-„ fans, que par fa haine. II demandè, nonnbsp;,, feulement, notre mort, mais une mort igno-„ minieufe. Cependant , qu’a produit, juf-„qu’ici, fa fureur? La perte de fes Sujets,nbsp;,, que moiflbnne une guerre inutile, fa confu-„ lion amp; notre gloire. Voici ce que diront lesnbsp;,, races futures ; Ce Charlemagne, ce vain-,, queur des Nations, qui chafla les Sarrafins,nbsp;qui impofa des lois aux fiers Saxons, quinbsp;„ régna fur la plus grande partie de l’Europe,nbsp;,, confuma les années de fa vieillefle, amp; lesnbsp;„ plus belles troupes de fes Etats, i perfé-„ cuter les fils d’Aymon , qui Ie vainquirentnbsp;,, fouvent, amp; qui échappèrent, enfin, a fesnbsp;„ mains triomphantes.
f, avez oublié que, par les dons que ]'ai re^us ,, du ciel, j’étois toujours muitre de ma def-,, tinée, amp; que je puis braver, amp; Charle-magne, amp; vous; amp; que , vaincu , chargé denbsp;,, fers, dans le fond des cachots, gardé parnbsp;une armée entière, j’étois plus libre que monnbsp;,, vainqueur; mais vous m’avez pris en com-f, bar loyal; je me fuis rendu de bonne vo-„ lonté, amp; je jure , a mon tour, que, fi vousnbsp;j, remplifl'ez le ferment que vous m’avez fait,nbsp;j, je ne m’éloignerai pas de vous, je ne rom-„ prai pas mes fers fans votre permiffionnbsp;Olivier le fit défarmer, banda lui-même fanbsp;plaie , amp; lui céda fon lit.
Cependant, Charlemagne, irrité des entre-prifes des fils d’Aymon, aflembla fes Barons amp; fes Pairs. „II y a , leur dit-il, trente ans quenbsp;„je règne; fi, depuis ce temps, quelqu’un denbsp;„ vous a efluyé quelqu’injuftice en fes biens,nbsp;„en fa perfonne, ou en fon honneur; fi desnbsp;„ufurpateurs ont attente i fes propriétés; finbsp;„j’ai fouffert que mes Officiers abufafl'ent denbsp;„ I’autorite que je leur ai confiée; fi je n'ainbsp;„ pas repouüe loin de vous amp; de mes Etats,nbsp;nos ennemis communs; enfin, s’il y a unnbsp;„ feul citoyen que mon pouvoir tutélaire n’aitnbsp;„ défendu ou protégé, qu’il fe plaigne, amp; jenbsp;« fuis prêt a réparer les dommages qu’il a re-»gt; 9ns. J’airégné en père; amp;, quoique le meil-j»leur des pères confulte rarement fes enfansnbsp;j, uir la rnanière de lesconduire, vous faveznbsp;„.fi jamais jquot;ai agi au gré d'un pouvoir ar-i} bitraire, amp; fi j’ai négligé, dans aucune occa-
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,,fion, de foumettre mes projets a vos lu-= ,, mières. J’aurois pu m’en difpenfer, du moinsnbsp;„dans la force de l’%e; car la nature, quinbsp;„ donnea chacun fon talent particulier, m’ac-,, corda celui de régner; mais ce talent exigenbsp;„ une adlivité qui hate la vieillelle, amp; quenbsp;,, la vieilleffe ne peut foutenir. Trente ansnbsp;„ de règne ont ufé mes foibles organes, jenbsp;,, fens que vos confeils amp; vos bras me devien-nent, tous les jours, plus néceflaires; fi vousnbsp;abandonnez votre Roi, il tombera dans desnbsp;erreurs qui vous feront funeftes; fi vousnbsp;,, Ie conduifez mal, ou fi vous ne confulteznbsp;que vos intéréts dans les confeils qu’il vousnbsp;,, demande , vous jouirez, un moment, d’unenbsp;apparence de bonheur; mais vos enfans, Ienbsp;Peuple, amp; vous-même, enfin, ferez les vic-,, times des lois injuftes que vous lui aureznbsp;,, fuggérées; fi, dans les combats, chacunnbsp;n’agit que pour fa gloijre amp; ne fonge pointnbsp;è. l’honneur de fon Souverain, vous fini-rez par faire fa honte, amp; votre gloire s'éclip-’, fera avec celle de la Nation. Voilice qui,nbsp;fans doute, arrivera bientót. Déja vousnbsp;,, m’avez abandonné pour Renaud; ;vous vousnbsp;,, êtes laifl’é féduire par les vertus apparentesnbsp;,, d’un rebelle, amp; Renaud vous a fait l’affrontnbsp;d’attaquer votre Roi dans fon camp, de'nbsp;,renverfer fon. pavilion , amp; de lui faire lesnbsp;\ plus fanglans outrages, J'ai, fans doute, vécunbsp;’, trop long-temps a votre gré. jie ne veuxnbsp;„plus étre votre Roi malgré vous; amp;, dansnbsp;. „ ceue afleinblée d’enfans ingrats^, je dépofe
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„ma couronne, qu’ils refufent de foutenir, »ou qu’ils brulenc, peut-être, de voir furnbsp;„ la tête de Renaud : Allez, confommez votrenbsp;» perfidie, couronnez fa rébellion, amp; dites-luinbsp;„ qu'il Vienne prendre la place de Charle-„ magne.
A ces mots, les Pairs amp; lbs Barons parurenc conlternés; aucun n’ofoit prendre la parole;nbsp;ils fe regardoient, les uns les autres, en rou-giflant. Naimes, plus hardi, tombant a fesnbsp;genoux : „ Sire, dit - il, quand nous vousnbsp;„avoirs parlé en faveur de Renaud, repen-„ rant amp; foumis, nous avons eflayé d’appai-„fer, amp; non d’enchainer votre courroux,nbsp;„ d’exciter votre clemence au pardon, amp; nonnbsp;„ de vous forcer a une générofité involon-„ taire; enfin, de vous engager k la paixnbsp;j, que VOS Sujets femb’ent défirer, amp; quinbsp;„voyent périr leurs plus braves défenfeurs,nbsp;„ pour une quereile oii vous n’avez a gagnernbsp;„que la ftérile fatisfaftion de vous venger,nbsp;„ amp; ob 1’Etat a tout è perdre, foit que vousnbsp;„ veniez a bout de vos defleins, foit que lesnbsp;„fils d’Aymon triomphent. Mais, Sire, dèsnbsp;„ que votre volonte eft de continuer la guerre;nbsp;„ dès que vous penfez qu’il y va de votrenbsp;- „ honneur de faire périr'les fils d’Aymon amp;nbsp;»gt; leur coufin; nous jurons, tous, fiiuf notrenbsp;») honneur, de vous fervir, de prendre Mon-„tauban, ou de périr fous fes remparts, amp;nbsp;„ nous nous déclarons les 'ennemis de quicon-„ que accqrderoit aide ou fecours a Renaud,nbsp;„a fes ftères amp; b Maugis; nous refervant,
-ocr page 216-,, néanmoins, comme bons amp; preux Cheva-,, liers, de ne leur faire tort ni injure qu’en „loyale guerre Tous les Barons s'unirentnbsp;au ferment de Naimes; mais Charlemagnenbsp;n’étoit pas encore content. II favoit que Mau-gis étoit au pouvoir d’Olivier; mais il n’étoitnbsp;point è 1’aflemblée. Charlemagne 1’envoyanbsp;chercher, amp; lui ordonna de lui remettre Mau-gis. „ Sire, lui dit Olivier, Maugis ne s’eftnbsp;y, rendu qu’éi condition que je ne Ie livreroisnbsp;„point a votre pouvoir; je Ie lui ai pro-„mis, amp; je lui tiendrai ma parole; je fuisnbsp;„Chevalier, amp; une trahifon me rendroitnbsp;„ indigne de ce titre. Olivier, reprit Char-„lemagne, vous connoiflez mal les lois denbsp;„ la'Chevalerie, votre premier ferment eftnbsp;„ de me fervir, amp; de n’avoir d’autres enne-„ mis que les miens, amp; celui que vous aveznbsp;„ fait a Maugis vous rendroit parjure enversnbsp;„ moi, fi vous ne Ie deveniez envers lui; maisnbsp;,, je veux bien avoir égard è votre délicafefle,nbsp;„ amp;, pour vous fauver d’un vain fcrupule,nbsp;,, Roland , Naimes, amp; 1'Archevêque Turpiij,nbsp;„vous enleveront, de force, un traitre quenbsp;„ vous vous croyez obligé de reftifer de menbsp;„ livrer En ce cas, reprit Naimes, faites ar-„ réter Olivier; car je tiens de lui-même quiilnbsp;„ a promis d’égorger fon prifonnier plutót quenbsp;„ de Ie céder a la force,,. Auffi-tót Charlemagne ordonna qu’on arrêtat Olivier; mais Ienbsp;Chevalier, tire fon épée amp; déclare qu’il arra-chera la vie au premier qui attentera a fanbsp;liberté. Le Roi s’approcha lui-même, Olivier
-ocr page 217-tombe ^ fes genoux, pour lui marquer fon ref-peft amp; fon obéiflance; mais il fe relève auffi-tót, 8; s’échappe de fes mains; Naimes veut Ie recenir, amp; Naimes re§oic fur fon cafque unnbsp;coup d’épée qui Ie renverfe; Oger accourt aunbsp;fecours de Naimes, amp; d’Ellouteville vole aunbsp;fecours d’Oger , qu’Olivier vient de terrafler ;nbsp;d'Eftöuteville ne fut pas plus heureux; mais,nbsp;dans Ie temps qu’Olivier s’acharne fur fa proie,nbsp;Roland s’élance fur Olivier, Ie prend par Ienbsp;milieu du corps, 1’enlève amp; Ie ferre dans fesnbsp;bras jufqu’a lui óter la refpiraiion; Maugis,nbsp;informé du combat amp; du rifque que court Olivier , fepréfente a. 1’aflemblée: „ Pairs, Barons,nbsp;„Seigneurs, s’écrie-t-il, amp; vous, fage Mo-„narque, voici Maugis qui vient fe livrerdenbsp;„ lui-même, amp; dégager Olivier de fes fermens;nbsp;„amp; moi, généreux Maugis, s’écria Olivier,nbsp;„je vous dégage des vótres; vous êteslibre,nbsp;„ amp; vous pouvez ufer de tous vos droits.nbsp;„ Convenez, Seigneurs, reprit Maugis, quenbsp;5» c’eft un fpeftacïe bien doux, amp; un triomphenbsp;„ bien fatisfaifant pour moi, d’avoir mis auxnbsp;,, prifes les uns contre les autres les plus bravesnbsp;„ Paladins de Charlemagne! Et quel eft 1’objetnbsp;„ de leur querelle? Un prifonnier qu’ils fe dif-i, putent 1’honneur de livrer a un ennemi quinbsp;veut Ie couvrir d’infamie. Certes, eet em-,, preflement de fe défaire d’un guerrier dontnbsp;*’nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;la valeur, me donneroit unegrande
„ idéé de moi-méme, fi je pouvois me déguifer „ que Ie vérirable motif de vorre zèle n'eft quenbsp;„ cette baflefle 8c cette lacheté de Courtifans,
-ocr page 218-j, toujouts prêts a facrifier, au défir de plaira ,, amp; de flatter, honneur amp; vertu. Si Ie géné-,, reux Olivier n’eür pas été intérefle a ce com-,, bat, je me ferois amufé a Ie prolonger amp; atnbsp;,, voir couler un fang ennemi: ó Roi Charles,nbsp;„ félicitez-vous d’etre mieux fervi que les-„ tyrans d’Afie, d’avoir des efdaves prêts a
s’égorger, entr’eux, au moindre figne de ,, votre volonté, comme ces Gladiaceurs quinbsp;,, fe raaflacroient pour plaire ü leurs barbaresnbsp;,, fpeftateurs, Que des Paladins ordinairesnbsp;,, confacrent leurs travaux amp; leur fang a dé-„ fendre les opprimés, a fecourir la vertu mal-„ heureufe amp; fouffrante, a la gloire de leurnbsp;„patrie, ceux-ci, plus généreux, n’arnb;-„ tionnent d’autre prix de leurs combats,nbsp;,, que 1’aflurance d’avoir réulB a flatter leurnbsp;,,, maitre.
„ Tu nous braves, Maugis, lui dit l’Arche-„ vêque Turpin, c’eft la dernière reflburce ,, de 1’orgueil défefpéré; mais, tantót, fur jenbsp;„ bücher qui t’eft deftiné, tu parleras, peut-,, étre, fur un ton dilférent. Je ne doute pas,nbsp;,, reprit Maugis, qu’avec de tels Miniftres,nbsp;„ un grand Roi ne trouve du plaifir dans lésnbsp;„ plaintes douloureufes d’un ennemi mourant;nbsp;,, mais je doute fort que tous les fupplicesnbsp;,, réunis de tous les Rois du monde, puiflencnbsp;„ jamais m’arracher une larme.
,, Charlemagne , la fureur dans les yeux , „ interrompit Maugis : Crois-tu, lui dit-il,,nbsp;,, avoir befoin de m’irriter encore? Si tu fa-j, vols a quel point je te haisl Sans toi, tes
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j, coufins feroient moins coupables, amp; fe-roient, aujourd’hui, dans ines fers; Ri-gt;, chard, da moins, ne feroic plus. Tu te J» flattes, fans doute, d’échapper a ma ven-jsgeance : Evoque, j'y confens, les puiflan-„ ces des enfers; fers-toi de tes enchantemens,
J» que le del t’a dévoués, amp; je tedéfie d’évitec jgt;la mort honreufe que je prépare- Vois-tunbsp;9» ce héranlt? c’eft lui qui portera a Renaudnbsp;jgt; amp; fes frères, la nouvelle de ton fupplice.
Lorfque les quatre fils d’Aymon arrivè-rent a Montauban, l’époufe de Renaud vine au devant de lui; après qu’elle Eeut embraf-fé, elle fit éclatcr fa joie du retour de Richard ; maïs cette alégreflè fut faientót troublcenbsp;quand elle s’aper^ut de 1’abfence de Maugis:nbsp;Renaud croyoit qu'ii les avoit devancés; onnbsp;le chercha vainement; Yolande tomba éva-nouie aux pieds de fon époux : Ün deuil gé-Bêral fe répandit dans Montauban : Gepensant, Renaud, rappelant fon courage Mesnbsp;amis, dir-il a fes frères, de quoi fervirontnbsp;„ a Maugis nos larmes amp; nos regrets? Ne per-,, dons pas des momens prédeux en gémiflè-„ mens inutiles \ fachons, d’abord, ce qu'ilnbsp;3, eft devenu, amp;, pourvu qu’il refpire encore,nbsp;3» il n’eft rien que je ne tente pour le rame-Aufli-tót, Renaud s’élance furnbsp;fans vouloir permettre a fes frèresnbsp;rV’• pi^cnd le cliemin du camp denbsp;Gnarlemagne, amp; ne s’arréte qu’a Balan^on :nbsp;II rencontra un Page de l’Empereur, qui ef-fayoit un faucon pour la chaliè. „ Qui êtes-
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^ vous, lui dit Ie jeune homme, amp; que fai-„ tes-vous ici, feul amp; fans fuite ? Hélas! dit „ Renaud, je fuis un des geus de l’infortunénbsp;,, des Rives, que les fils d’Aymon ont fait at-j, tacher au gibet : Je crains de les rencon-„ trer, amp; je ne me croirai en fureté, quenbsp;„ lorfque je me verrai dans Ie camp de Char-,,lemagne. Oh! qu’il doit être indigné denbsp;,, l’outrage qu’il a regu dans la perfonne denbsp;„ mon maitre. Le Roi feta bientót vengé, ré-„ pondit le Page ; il fe livre, maintenant, è.nbsp;,, la joie; il tient en fon pouvoir Maugis ynbsp;„ (ju’il détefte encore plus que fes coufins. Quenbsp;,, dites-vous?incerrompitRenaud;quoi, Mau-,, gis eft prifonnier de Charlemagne 1 Sans dou-,, te , il ne vit plus; le Roi a du en tirer lanbsp;,, vengeance la plus prompte. Non, reprit Ienbsp;„jeune homme, il le deftine a un fupplicenbsp;„ honteux amp; cruel „• Renaud fe félicita ennbsp;lui-même d’apprendre que Maugis vivoit encore ; malgré le don qu’avoit fon coufin d’é-viter les dangers par fes enchantemens, Renaudnbsp;craignoit toujours; il s’enfonga dans un bois,nbsp;oü il pafla le refle du jour, fongeant auxnbsp;moyens les plus prompts de délivrer Maugis.
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CHAPITRE XV.
Mauris aupoüvolr de Charlemagne; condamné d périr du fuppUce des traitres. Craintes ynbsp;fureurs inutiles de Charlemagne contre Mau-gis; enchantemens, rufes^ déguifemens denbsp;Maugis. Les Chevaliers fervent de caution,nbsp;d Maugis; fa loyauté, mème en trompantnbsp;Charlemagne; butin immenfe qu’il emporte^nbsp;fa fuite. Rencontre de Renaud. Courrouxnbsp;de Charlemagne d Vafpcct de 1‘Aigle d’or.nbsp;Députation d Renaud; accord d'une trève,nbsp;rendue inutile par les confeils de Pinabel.nbsp;Générojité de Renaud. Les Chevaliers dé~nbsp;fendent leur loyauté contre Charlemagne.nbsp;Propojïtion du Roi de fe battre avec Renaud ; Roland offre de combattre d la placenbsp;du Roi.
C^^harlemagne , triomphant d’avoir Maugis en fon pouvoir, rappela, fous fa tente,nbsp;Roland , Oger , 1’Archevéque Turpin , Richard de Normandie, Idalon, Ie Due Nai-mes, les Comtes de Morillon, Ganelon, OINnbsp;vier amp; tous les Pairs: „ 'Seigneurs, leur dit-il,nbsp;»»Maugis m’a trop long-temps outragé,nbsp;»gt; que je ne fois point en droit de menbsp;,, yenger. Si je n’étois qu’un limple Chevalier ,nbsp;„je pourrois ne confulter que ma clémencenbsp;„ OU mon refl’entiment; mais je fuis Roi, amp;nbsp;**. ne veux rien faire qui ne foit conforme aux
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„ lois; Le Souverain , qiii n’a d’autre régie ,, que fa paflion amp; fa volonté, rifque toujoursnbsp;„de s’égarer; Mais, avecle fecours des lois,nbsp;„ il ne 1’e trompe jamais'; il ne doit rien vou-„ loir, que ce que ve'üt la loi, le droit, qu’ilnbsp;,, a, de faire des lois, ne lui donne pas ce~nbsp;„ lui de les enfreindre. Maugis s’eft rendunbsp;„ coupable de mille crimes ; raais, défirancnbsp;„ d’ufer, autant que je le puis, de clé-„ mence 'amp; de moderation è fon égard,nbsp;„ je les réduis tous aiix deux derniers. II nenbsp;„ s’eft pas contenté d’abattre mon Pavil-„ Ion, amp; d’en enlever 1’aigle; mais il anbsp;„ lancé contre moi un dard, qui m’eüt óténbsp;„ la vie, s’il m’eüt atteint: II a prétendu, a lanbsp;„ vérité, qu’il ii’avoit voulu que me donnernbsp;,, une preuve de 1’avantage qü’il avoit furnbsp;„ moi; le dard étoit lancé avec tant de for-„ce, qu’il s’eft enfoncé de deux pieds dansnbsp;„ un chêne -qui eft derrière mon Pavilion.nbsp;„ Quel eft le fupplice done les lois punifl'encnbsp;„ un tel attentat, commis par un fujet, furnbsp;„la perfonne des Rois? Les Barons répohdi-„ rent, que la loi condamnoit le parricidenbsp;„ a être tiré a quatre chevaux, amp; fts mem-„ bres jetés au feu; que, cependant, 1’in-„ tendon pouvoit chgnger, ou, du moins, af-„ foiblir la nature du crime; mais que c’ennbsp;„étoit toujours un, digne d’une mort igno-„ minieufe , que d’ayoir, par une menacenbsp;„ fuivie d'une telle démonftration, fait fen-„ tir au Souverain que fa vie étoit au pou-i»voir d'un fujet.
5j Le
-ocr page 223-d* Ay mort. nbsp;nbsp;nbsp;tiif
Le fecond crime, dont je l’accufe, conti-gt;, nua Charlemagne, crime qui lui eft commun i» avec la familie d’Aymon, c’eft d’avoir éténbsp;pris, les armes a la main, centre fon Roi. Danbsp;5, ces deux crimes, Ie plus déreftable eft Ienbsp;jj premier; mais, comme il ne regarde per-» fonne que moi, je Ie lui pardonne, fi, pour-5» tanc, la loi me permet de pardonner. Jenbsp;ne veux Ie punir que du fecond. Quelle eftnbsp;la punicion que les lois infligent „ ? Lesnbsp;lois, dirent les Barons, laiflènc aux Juges Ienbsp;choix du fupplice, ou de faire mourir Ie cou-pable par Ie gibec, ou de lui faire tranchernbsp;latête; mais, Sire, obfervèrent les-Barons,nbsp;les fils d’Aymon vous one demandé grace,nbsp;one follicité la paix, amp; ils ne font qu’unenbsp;guerre défenfive. N’importe, dit Ie Roi, Mau-gis a été pris les armes a la main contre moi;nbsp;c’eneftaflez. Dans une heure, au plus tard,nbsp;conformément i la loi, Maugis fera attachénbsp;au gibet, amp; je veux qu’enfuite, comme for-cier, il foit jeté dans les flammes. Naimesnbsp;repréfenta que, li 1’exécution fe faifoit denbsp;nuit, Renaud attribueroit cette précipitationnbsp;è la crainte qu’il ne vmt enlever Ie coupa-ble : Charles confentit de différer jufqu'aunbsp;lendemain; mais il craignit que Maugis, parnbsp;fes enchantemens, ne vint a bout de luinbsp;echapper. Maugis, qui avoit été appelé pournbsp;fon jugement, s’aper?ut de la craintenbsp;de Charles: „ Sire, lui dit-il, d’un ton fer-„ me, amp;, fans paroitre ému, ne craignez pasnbsp;que je fuye: Je fuis préc a vous donnet caution
K
-ocr page 224-aiS nbsp;nbsp;nbsp;Les quatre fils
de ma perfonne.,, Je Paccepte, dit Ie Roi, ta ,, peux en trouver une. Auffi-tót, Maugis fenbsp;,, tournevers Olivier: Quandje vousai rendunbsp;,, les armes, vous m'avez promis de me prêternbsp;,, votre aide auprès du Roi : Vous avez faicnbsp;,, tout ce qui étoit en votre pouvoir, pournbsp;,, que je ne tombafle point entre fes mains :nbsp;„Je vous demande, pour dernière grèce, denbsp;„ me fervir de caution Naimes amp; les au-tres Barons, qui connoiflbient l’exaditude denbsp;Maugis, lui demandèrent s’il leur promettoit,nbsp;fur fa foi, de ne pas s’en aller fans permif-iion. Maugis leur promit, fur fa foi^ non feu-lement de palier la nuit, mais, quandlejournbsp;feroit venu, de ne parcir, fi la fantailie luinbsp;en venoit, fans prendre congé de 1’Empereurnbsp;même. Alors, les douze Pairs n’héfitèrenr plusnbsp;de fervir de caution pour Maugis , jufqu’aunbsp;point du jour. Le Roi les accepta, amp;, pournbsp;plus de fureté, le mit fous leur garde; mais,nbsp;Tjientót, il s’en repentit, amp; voulut qu’il futnbsp;gardé auprès de lui.
Maugis, preffë par la faim, demanda qu’on lui donnamp;t a manger. Charlemagne avoit peinenbsp;a croire qu’un homme, fi prés de fon dernier terme , put conferver autant de fang-froid-; il voulut qu’il foupdt dans fa tente,nbsp;amp; devant lui. Charles, moins tranquille quenbsp;fon prifonnier, n'ofoit ni boire, ni manger,nbsp;dans la crainte qu’il ne 1’enchantèt. Oliviernbsp;fit remarquer fa terreur a Roland, qui ne pucnbsp;s’empêcher d’en rite. Après fouper, Charlemagne ordonna qu’on apportk cent totcliesj
-ocr page 225-8i qu’on les tint allumées touté la nuk; il voulut que Roland, fon neveu, amp; les autresnbsp;Pairs, demeuraflent avec lui; qu’ils détachaf-fent cent hommes-d’armes, pour veiller auteur de la rente, amp; que mille Cavaliers fuf-fent répandus, de diftance en diftance, dan*nbsp;Ie camp, amp; en avant du Pavilion. Après routes ces difpofitions, Charles s’affitfur fon lit,nbsp;mie Roland amp; Olivier d’un cóté, amp; Ie prifon-nier de 1’autre ; „ Sire, lui dit Maugis, oiinbsp;„ dois-je repofer ? Quel eft Ie lit que vous
me deftinez? _Quoi, répondit Ie Roi, tu
fonges a dormir?_Oui, Sire, amp; j’ai très-
„ grand fommeil. _ Malheureux, amp; com-
j, ment pourrois-tu dormir, fachant que Ie „giber t’attend? Va, crois-moi, tu ne dor-„ miras que du fomineU de la mort. — Si-9) re, je vous ai donné caution pour lanbsp;»gt; nuit entière ; laiflez - moi vivre è manbsp;9» fantaifie. Demain, quand Ie jour paroi-ft tra, vous ferez de moi rout ce que vou*nbsp;9, voudrez : Maintenant, permettez que jenbsp;„ dorme,,. Cette fécurité de Maugis augmentanbsp;les foupQons de Charles; il lui fit mettre lesnbsp;fers aux pieds amp; aux mains, amp; Ie fit atta-cher, par Ie milieu du corps, a. un piliernbsp;avec une chalne; mais, Maugis rioit de tantnbsp;de précautions Site, dit-il, je vous ainbsp;9gt; donné ma parole; elle eft plus söre quenbsp;9, routes vos chaines, amp;, fi je vous avoisnbsp;»gt; promis de monter fur 1’échafaud, vous n’au-9, riez aucun befoin de m’y faire conduire:nbsp;gt;, Vous pouvez étre tranquille jufqu’au lever
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,, du foleil, après cela, je nevous réponds d« „ rien.
Plus Maugis paroiflbit tranquille amp; paifible, amp; plus Ie Roi montroic de fureur; une armeenbsp;de Sarrafins 1'eüt moins inipatienténbsp;nbsp;nbsp;nbsp;Eh, quels
,, font tes projets pour demain, lui demanda-„ t-il ?—Je n’en ai pas formé encore; mals , „ quels qu’ils foient, je les exécuterai.—nbsp;„Traitre, je t’empêcherai bien de voir I3nbsp;,, lever du foleil „,nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;, faififfanc fon épée d’une-
main, amp;, de 1’autre, tenant Maugis par les -cheveux, il alloit lui trancherla tête; mals,nbsp;aufii-tóc, il fentit fon bras engourdi: D’ailleurs,nbsp;Roland amp; les Pairs Ie défarmèrent. „ Ah! Sire,nbsp;„ lui dirent-ils, fongez que nous avons cau-,, tionné fa vie, amp; que nous ferions désho-^ norés a jamais : Eh! Sire, ne voyez-vousnbsp;j, point que c’eft Ie défefpoir qui Ie fait par-^ Ier ainli, amp; qu’au lieu de votre colère,.ilnbsp;^ ne mérite que votre pitié. Comment s’é-jj, chapperoit-il, enchainé comme il eft , au
milieu d’un camp gardé de tous cótés. Je ,, ne fais, dit Charlemagne; mais il m’a linbsp;„ fouvent trompé, que rien ne me raffure.
Maugis remercia les Pairs, amp;, comme Ie fommeil les accabloit, il avoit foin, de tempsnbsp;en temps, de les réveiller ; Le Roi, furtout',nbsp;ne pouvoit lélifter a Penvie de dormir, amp;nbsp;Maugis lui crioit fans celle ; „ Eveillez-vous,nbsp;„ Sire; quoi, vous avez fubjugué tant de Peu-„ples, vous avez fait tant de conquêtes, amp;nbsp;„vous ne pouvez réfifter, une nuit entière,nbsp;„ a un peu de iafficude ? Mais, fi je ne me trom-
-ocr page 227-„ pe, voila Ie point du jour, Ie lever du fo-,, leil ne tarderapas, prenez-y garde Charlemagne s’agitoit, queftionnoit fes Pairs; ils lui répondoient en baillant, amp; il s’endormoitnbsp;en leur parlant. Enfin, quand Maugis vit lesnbsp;premiers rayons du foleil:,, Chevaliers, leurnbsp;,, dit-il, vous voila libres de votre caution,nbsp;„ amp;moi de ma parole ; vous êtes, a préfent,nbsp;„ les maitres de dormir ou de vous éveillernbsp;Alors, Charlemagne, qui convint que 1’heurenbsp;étoit paflee, voulut ordonner les préparatifsnbsp;du fupplice de Maugis; mais, comme il vanbsp;prononcer, entrainé par Ie fommeil Ie plusnbsp;profond, il tombe fur fon lit; Roland , quinbsp;¦veut faire des efforts pour 1’éveiller, tombenbsp;èfes cótés; tous les Pairs, les cent hommes-d’armes, amp; les mille Cavaliers, s’endormentnbsp;tous; les chevaux ne peuvent plus agir; quandnbsp;eet enchantement eut produit tout fon effet,nbsp;Maugis ne fit que prononcer qnelques mots, amp;nbsp;fes chaines tombèrent a fes pieds. II rit, ennbsp;voyant Charlemagne dormir fi profondément;nbsp;-il lui fouleva la tête mal fituée, puis il luinbsp;¦óta fon épée amp; la mit a fon cóté; il prit lesnbsp;épées des douze Pairs, Durandal a Roland,nbsp;Haute-claire a Olivier; il courut, enfuite, aunbsp;tréfor de Charlemagne, emporta facouronne,nbsp;fes pierreries amp; fon or; quand il eut tout pris,nbsp;il attacha Ie Roi par Ie pied avec une petitenbsp;chaine, au pied de fon lit, amp; lui fit, enfuite, refpirer une liqueur forte, qui 1’éveilla.nbsp;Maugis lui dit, alors •. „ Je vous promis, hier,nbsp;»je ne partirois pas d’ici fans prendre
„ congé de vous. Je luis exaft en tout; adieu, „ je pars.
Charles, furieux, veut courir après lui; mais il fe trouve enchainé lui-méme; il ap-pela les douze Pairs; mais fes cris fembloiencnbsp;les plonger plus profondément dans Ie fom-meil: Alors, il fe reflbuvint d’une lierbe qu’ilnbsp;avoit apportée de la Paleftine, amp; qui avoicnbsp;la propriété de rompre tout enchantement;nbsp;mais il fut dans 1’inipolïïbilité de l’aller cher-cher lui-même; il appela fes domefliques amp;ilsnbsp;ne répondirent point : Jamais Charlemagnenbsp;n’éprouva autant d’impatience; il eüt défirénbsp;pouvoir fe rendormir; il ne favoit pasjufqu'4nbsp;quand devoit durer eet enchantement; il crai-guoit, d’ailleurs, que les fils d’Aymon ne pronbsp;fitaflent de cette circonftance.
Maugis eut tout Ie temps de mettre en fureté les elfets qu’il emportoit; il prit quelques che-vaux, qu’il éveilla, les chargea de fon or amp; denbsp;fes épées, amp; les conduifit dans un bois, fous lanbsp;garde d’un Berger, a qui il promit une récom-penfe; enfuite, il reprit la figure du Pélerin,nbsp;fouslaquelle il avoit parlé a Charlemagne, lorf-que Richard fut fait prifonnier ; mais il gardanbsp;fes habits amp; ne conferva du Pélerin que Ienbsp;baton amp; Ie rochet. II revint au camp dansnbsp;eet équipage, amp; alia devant la tête de PEin-peretir, jetant des cris plaintifs amp; demandantnbsp;pieufement du fecours. Charles 1’entendit, 8cnbsp;reconnut la,voix du Pélerin. „ Entre, entre,nbsp;5, rnon ami, lui dit-il; c’efl: Ie Roi qui te Ie
tente. „Quevois-je, dit Ie Roi? les habits
XI de Maugisl____Ah! Sire, s’écria Ie Pélerin
» en fanglotant, il m’a meurtri de coups; il conduifoit trois chevaux chargés d’or, denbsp;pierreries, amp; de très-belles épées; je 1’ai re..nbsp;» connu pour un des fcélérats qiü tuèrent iiiesnbsp;compagnons fur Ie chemin de Balan^on ; j’ajnbsp;33 voulu fuir ; mais, infirme amp; malade eom-33 me je fuis, je ne pouvois aller bien loin;nbsp;33 il m’a arrêcé. Traitre, m’a-t-il dit, j’ainbsp;33 befoin de tes haillons pour n’être pas re-33 connu ; Comme je Ie foupgonnois d’un mau-3, vais deflein, j’ai refufé; alors, il m’a terraf-33 fé , m’a tanc battu avec mon bourdon , quenbsp;33 je lui 'ai demandé grace : J’ai fait tout cenbsp;3, qu’il a voulu; il m’a fait déshabiller •, il s’efl:nbsp;33 déshabillé lui-même ; il m’a donné fa cotte-33 d'armes, fa vefte amp; tout ce que vous voyez;nbsp;33 il s’eft couvert de mes haillons, amp; il eftnbsp;33 parti ; Mais, Sire, je viens de traverfer Ienbsp;33 camp amp; tout y eft pïongé dans Ie fommeil 3nbsp;33 amp; vos gardes, amp; ces Chevaliers, tout dort;nbsp;3, vousfeul veillez, amp;, cependant, il eft midi.nbsp;», Tu vois, lui dit Charles, un effet des en-33 chantemens de Maugis Charlemagne ra-conta au Pélerin ce qui s’étoit pafle depuisnbsp;la veille ; il lui dit de 1’aider a brifer lanbsp;chaine qui Ie retenoit; Ie Pélerin Ie dégagea;nbsp;Charles, pour lui marquer fa reconnoiflance,nbsp;lui donna quelques pièces d’or; Ie Pélerin 3nbsp;en les mettant dans la poche de fa vefte ,nbsp;temoigna de la furprife; il en retira une petite bouieille rempUe d’une eau très-limpide»
K iv
-ocr page 230-'fi24 nbsp;nbsp;nbsp;quatre fils
„Maugls, dit-il, a, fans doute, oublié ce „ flacon; je ne fais a quoi il peut être utile.nbsp;5, Gaide-toi de t’en ferviir, dit Charlemagnenbsp;en Ie lui ótant des mains; c’eft, fans doute,nbsp;„ quelque compoiition infernale pour fes en-„ chantemens,,; amp;, en difant ces mots, ilnbsp;jeta la bouteille avec colère. Dès que la va-peur de la liqueur fe fut répandue, tous iesnbsp;Barons amp; les Pairs, les Gardes, les Officiers,nbsp;s’éveillèrent i la fois. Quelle fut leur furpri-fe, de trouver, au lieu de Maugis, Ie Péle-lin qu’ils avoient vu, amp; qu’ils reconnurent!nbsp;Charles leur répéta ce qu’il en avoit appris, 'nbsp;amp; la fuite du prifonnier, amp; tout ce qu’il fa-Toit. II dit a Naimes amp; d Olivier : „ Vou'snbsp;,, m’avez répondu de lui, c’eft a vous que jenbsp;,, dois m’en prendre. Sire, répondit Roland,nbsp;,, nous en avons répondu jufqu’au point dunbsp;„jour, amp; ilparoiflbitdéja, lorfque nous nousnbsp;,, fommes endormis ; Maugis, lui-même (ilnbsp;„ m’en fouvient) nous a rendu notre parole,nbsp;,, amp; nous a dit qu’il ne répondoit plus de rien:nbsp;„Vous vous étes même empOrté centre lui;nbsp;„ jufque-la, Maugis eft quitte envers nous.
II eft vrai qu’il vous avoit donné fa foi qu’il „ ne partiroit pas fans prendre congé de vous,nbsp;„ amp; , en cela, il a manqué de loyauté; non,nbsp;„ vraiment, reprit Ie Roi, il m’a éveillé, toutnbsp;„ expres, Ie premier, pour me dire qu’il par-,, toit. Quoi! Sire, dit Olivier, vous 1’aveznbsp;„ vu, vous lui avez parlé, amp; vous ne nousnbsp;,, avez point éveillés! amp; vous ne 1’avez pointnbsp;„ arrècé! Je n’ai pu ni l’un nil’autre, reprit
-ocr page 231-« Ie Roi, Ie traitre m’avoit enchatné; Scj’ai 5» eu beau crier , le charme étoit fi fort, quenbsp;rien n'a pu incerrompre votre fotqmeil. Maisnbsp;oii peut-il être allé? ce Pélerin I’a rencon-tré, au fortir du camp, conduifanc troisnbsp;chevaux chargés d’or amp; d’épées : D’épées Inbsp;») s’écria Roland, qui s’aperqur, dans le mo-naenc, que Durandal lui manquoit. 0 ciel Inbsp;»il emporte la mienne Chacun des Chevaliers vit qu’il avoit fait la même perte; ilsnbsp;en furent tous confternes, fe regardant lesnbsp;uns les autres; Charlemagne ne tarda pas, nonnbsp;plus, a fe convaincre que Maugis lui avoicnbsp;tavi fa couronne amp; fes pierreries, amp; fa colèrenbsp;fut a fon comble. „ Volons, courons après Icnbsp;„ traitre, s’écria-t-il; mais ou le trouver? Jenbsp;„ ne le crois pas bien éloigné, dit le Pélerin; jenbsp;„ l’ai vu gagner un petit bois, hors dunbsp;»gt; camp; fes chevaux étoient fi chargés, qu’il nenbsp;gt;» peut pas avoir fait beaucoup de chemin,,.nbsp;11 s’olTrit de leur fervir de guide; on Pac-cepte •, mais, comme il pouvoit, a peine , fenbsp;foutenir, il pria Charles de lui donnet unnbsp;de fes chevaux. Tandis qu’on choilit amp; qu’onnbsp;felle le meilleur, Charles ordonne a fix Cavaliers de fe tenir prêts a marcher; la vapeurnbsp;de la liqueur enchantée, s’étoit répandue fucnbsp;tout le camp, amp; les Cavaliers s’éveilloient,nbsp;comme s’ils étoient encore a demi-endormis;nbsp;la confufion régnoit par-tout. On eut bien denbsp;^ peine a la'faire cefier. Quand le cheval denbsp;Charlemagne fut prêt, on 1’amena au Pélerin;nbsp;il fit bien des cris amp; des efforts pour le mon-
K V
-ocr page 232-ter; amp; gt; enfin, on fut obligé de 1’y porter h de 1’y foutenir : Cependanc, il fe raffermicnbsp;peu a peu; il demanda une épée. „ Je favoisnbsp;„ m’en fervir autrefois, dit-il, mais, dansnbsp;,, 1’état oil je fuis, c’ell: une vaine parure;nbsp;„ n’importe,,. II prit 1’épée d’un air gauche,nbsp;amp; la porta, comme il put, toute nue dans fanbsp;main.
L’ordre du depart donné, Ie Pélerin fe mit è leur tête , amp;, lorlqu’ils furent fortis du camp,nbsp;il les conduifit dans une gorge fonnée de deuxnbsp;montagnes a pic. „ C’ell dans ce bois, quenbsp;), vous voyez d’ici, dit-il a Charlemagne, quenbsp;,, j’ai vu entrer Maugis. Ne jugeriez-vous pasnbsp;„ a propos que je vous devan9affe dequelquesnbsp;,, pas? Si Maugis eft dans Ie bois, amp; qu’il menbsp;„ voye ainfi monté, il ne manquera pas denbsp;„ courir fur moi, pour m’enlever mon che-„ val; amp;, comme vous ne ferez pas éloigné,nbsp;?, au moindre cri, vous viendrez a mon fe-,, cours, amp; vous entourerez Maugis.
L’avis du Pélerin fut approuvé ; il gagna les devans; quand il eut pafle Ie défilé amp; qii’ilnbsp;cut mis entre la troupe de Charles amp; lui imnbsp;efpace de quinze a vingt toifes, il te re-tourna , frappa la terre avec fon bourdon ,nbsp;amp; forma, d’une montagne a l’autre, un precipice dont on ne voyoit pas Ie fond : Alors,nbsp;il reprit fa véritable forme, amp; cria a Charlemagne amp; aux Chevaliers : „ ReconnoilTez ,nbsp;,, enfin, Maugis; I'or, les pierreries, la cou-j, ronne de Charles, amp; vos épées, tout vousnbsp;ti fera rendu, quand vous voudrez con'fentir
-ocr page 233-a la paix qvie les fils d'Aymon vous ont »gt; propofie. Ne clierchez point a me fiüvre ;nbsp;I) je ferai piutót arrivé a Montauban, que vous
n’aurez tourné ces montagnes, amp; franchi 55 ce précipice , qui Ie refermera de lui-mêmenbsp;5j lorfque je ferai en fureté On lui langanbsp;quelques traits; mais il difparut comme unnbsp;éclair.
La fureur parvenue jufqu’a un certain dé-gré , s’évanouit fouvent , amp; , furtout, chez les Frangois. Charlemagne amp; les Pairs deroeu-rèrent, quelque temps« confondus; ils ne foir-tirent de leur étonnement, que pour délibé-rer fur ce qu’ils avoient a faire. Pbur parvenirnbsp;au bois que Maugis leur avoit indiqué, il fal-loit franchir Ie précipice, ce qui étoit impra-ticable, OU tourner la montagne par un dé-tour de dix lieues amp; par des chemins très-dif-ficiles. On ne décida rien, l’on reprit Ie chemianbsp;du camp •, amp; les Chevaliers arrivèrent i lanbsp;tente de Charlemagne , en plaifantant fecret-tement de cette aventure. Les feuls Charlesnbsp;amp; Roland la trairoient plus férieufement.
Cependant, Maugis, après avoir repris fOQ tréfor,s’en retournoit tranquillement a Montauban j il pafl'a dans Ie bois oii Reuaud s’étoicnbsp;arrêté. Bayard fentit Maugis, amp; hennit denbsp;tqute fa force. II emporta fon maitre vers Maugis, qui, d’abord, ne reconnut pas fon coufin.nbsp;55 Qui êtes-vous, lui dit-il, amp; que faites-55 vous ici ? Renaud fort de fa rêverie, fenbsp;*gt; precipite è fon col; je courois è votre fe-« cours, lui dit-il; Yous feriez arrivé trop tardgt; ¦
228 nbsp;nbsp;nbsp;Zes quatre fils
,, réppndit Maugis, fi Ie del ne fut venu a ,, mon aide. II lui raconta tous les évènemensnbsp;,, qui s’étoient pafles depuis qu’ils s'étoientnbsp;,, féparés. J’emporte un butin immenfe, nonnbsp;„ pour en profiter, mais pour forcer nos en-
nemis a la paix.
Coinme ils approchoient de Montauban, ils renconirèrent, a la tête de deux mille Cavaliers , Alard, Guidiard amp; Richard, qui alloientnbsp;au camp de Charlemagne, ou pour délivrer,nbsp;OU pour venger Maugis; ils étoient triftes amp;nbsp;abattus;mais, en revoyant Maugis amp;Renaud,nbsp;ils fe livrérent a Ia joie. Guichard ne fit quenbsp;les embrafler, amp; les quitra, pour aller annon-cer leur retour a Yolande, qui yint au devantnbsp;d’eux avec fes enfans. IJs rentirèrent triom-phans; Maugis étala Ie butin qu’il avoit fait,nbsp;amp; il fut décidé qu’on placeroit fur la plusnbsp;haute-tour, 1’aigle d’or du Pavilion de Charlemagne.
Lorfque Ie Rol vit fon aigle, qui réfléchif-foit, a cinq lieues d la ronde, les rayons du folei!, i! appela fes Pairs: „ Quelle bonte pournbsp;,, nous, leur dit-il, quel trophée pour mes
ennemis! Ah! ce fut un grand malheur, ,, quand nous fïmes Ie projet d’entrer dans lanbsp;,, Gafcogne; 11 quelque chofe peut nous ex-5, cufer aux yeux de Ia poftérité, c’ell 1’artnbsp;5, magique de Maugis; car, qui peut réfifternbsp;5, a un ennemi qui combat avec des forcesnbsp;5, furnaturelles Mais, fi 1’enfer Ie protege,nbsp;5, qu’avons-nous fait au ciel pour nous aban-jjdonner? -Ne i’accufoas point; U condam-
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ne, fans cloute , des Sujets rebelles; mais 3t il veut nous humilier. Cquot;eft a nous d’appai-jj fer fa colère par notre foumiffion. Naimes,nbsp;jjOger, Eftouteville, Turpin, vous êtes pa-y; rens de Renaud ; allez dire aux fils d’Ay-„ mon que , s'ils veulent me rendre ma cou-9) ronne, mon aigle, mes pierreries amp; vosnbsp;»» épées , je confentirai a une trève de deuxnbsp;5, ans, amp; que je ramenerai mes troupes.
Les Chevaliers partirent; ils fe préfentè-lent a la principale potte de Montauban; ils demandèrent i parler aux fils d’Aymon. Renaud , fes frères amp; Maugis, députèrent Richard , pour les recevoir; ii les conduifit dansnbsp;la Ville, amp; Renaud vint au devant d’eux;nbsp;il les combla de marqués d’amitié, prit Ogernbsp;par la main, les accompagna au Chkeau, amp;nbsp;les préfenta a Yolande , qui les vit avec plaifir,nbsp;amp; leur témoigna Ie défir qu’elle avoit de lanbsp;paix , pour que fon époux put fe réunir anbsp;ia familie. Renaud leur demanda Ie fujet quinbsp;lui procuroit 1’avantage de les recevoir.nbsp;5, Vous favez, lui dit Oger, combien nousnbsp;,, vous aimons tous, amp; que, s’iln’eüt dépendunbsp;„ que de nous, toute querelle entre Ie Roinbsp;amp; vous feroit, depuis long-temps, termi-,, née ; cependant, vous n’iguorez pas quenbsp;„ Maugis, votre coufin , vient de nous faire,nbsp;5) a tous, Ie plus fanglant outrage ; II nousnbsp;a prié de Ie pkiger auprès de Charlema-»gt; gne; il avoit promis de ne pas s’évader,nbsp;„ amp; de ne partir qu’avec notre congé : Nonnbsp;}, feulement, u gft parti pendant notre fom-
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„ rneil,mais encore, il a emporté la couronne.» „ les bijoux, le trefor du Roi , amp; Jes épéesnbsp;„ de tous les Chevaliers. Le Roi demandenbsp;,, que voos lui rendiez fonaigle d’or, ce quenbsp;,, Maugis lui a enievé, amp; nos épées, amp; il con-,, fent a one trè ve de deux ans, amp; a recirer fesnbsp;j, troupes de la Gafcogne.
Alors, Maugis pric la parole : „ Seigneurs, ,, leur dit-il, vous favez que je n’ai manquenbsp;,, a aucun de mes engagemens, amp;, li'- quel-„ qu’un peut prouver que je ne les aye pas
tnnc i*PtTin1ic . nbsp;nbsp;nbsp;pnnr^nc A
„ tous remplis, je confens a m’aller remet-,, tre entre les mains de Charles. Parlez; quel-„ qu’un de vous a-t-il rien a me reprocher? ,, Vous m’aviez pleige jufqu’au jour feule-,, ment, amp; je n’ai brifé mes chames qu’aprèsnbsp;„ le foleil levé; j'ai pris congé du Roi, commenbsp;„ je m’y étois engagé; il eft vrai que je fuisnbsp;,, parti dans le temps que vous dormiez, maisnbsp;„je ne m’étois pas engagé de prendre congénbsp;„ de vous, Il eft encore vrai que, par monnbsp;,, art, vous avez dormi plus long-temps quenbsp;„vous ne deviez; mais, avois-je promis denbsp;„ ne pas me fervit de mon art ? J’ai fait unnbsp;„ butin confidérable dans la rente de Char-„ lemagne; en cela, je n’ai fait qu’ufer dunbsp;„ droit de la guerre. Mais, j’ai eu , en le fai-„ fant, un motif plus noble , c’eft d’engagernbsp;„ Charles a confentir plus promptement a lanbsp;,, paix, dont une des conditions fera la ref-,gt; titution de tout ce que j’ai emporté. Mais,nbsp;„ nous difcuterons, demain,plus profondementnbsp;»gt;cette matière; livrons-nous, aujourd’hui,
-ocr page 237-ft au plaifir de nous retrouver enfemWe II ordonna qu’on préparêt un feftin magnifique *nbsp;amp; la nuit Ie paffa dans les fêtes amp; les plaifirs.
Le lendetnain, Ie Due Naimes demanda i Renaud quelle réponfe il vouloic faire auxnbsp;propofitions du Roi. „Je confens a tout, ré-», pondit Renaud , pour avoir la paix; je nenbsp;„ défire que de vivre avec Charlemagne ennbsp;,, fujet foumis amp; fidelle. J’accepte la trèvenbsp;,, de deux ans. J’efpère que, pendant ce temps ^nbsp;„ il exaucera nos vceux , amp; que vous vous em-,, ployerez pour l’y déterminer.
Renaud fit apporter 1’aigle, la couronne 8s 1’épée de Charlemagne. II donna a chacunnbsp;des Envoyés, celle qui lui appartenoit; Unbsp;chargea Naimes de remettre les autres: II ren-dit tous les bijoux, amp; tout l’or, fans ennbsp;lien retenir. Oger, étonné de tant de gé-nérofité, ne put s’empêcher de lui dire,nbsp;lt;5Ue jamais guerrier n'avoit fait un biitin finbsp;rich's amp; fi glorieux, amp; n’y avoit renonce avecnbsp;tant de grandeur d’ame, amp;, que le Roi de-vroit être touché d’un fi grand facrifice;nbsp;maïs Richard ne vouloit point que fon frèrenbsp;difposk de 1’aigle d’or. „ Si Maugis, dit-il,nbsp;j, a enlevé la couronne par fon art magique,nbsp;„ j’ai gagné 1’aigle par forces d’armes, amp; jenbsp;ï» n’oublierai jamais que, prifonnier du Roi,
il me frappa dans fon Pavilion Renaud pria tant fon frère, qu’il céda 1’aigle d’or.
Oger invita Renaud de venir au camp de Charlernagne avec eux, tandis que Maugisnbsp;garderoit Montaubanj mais Renaud, quin’a-
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Les quatre fih
voic point de confiance au Roi, ne vonloit pas s'expofer •, Eftouteville s’offrit de refter anbsp;Montauban pour otage; Naimes promit, aunbsp;nom des Chevaliers, de mettre Renaud a couvert de route infulte. Enfin, Refiaud y con-fentic. II s’arma de routes pièces, amp; prit, avecnbsp;lui, Alard amp; deux Chevaliers. Yolande, fonnbsp;époufe, accourut toute tremblante ; elle fitnbsp;tout ce qu’elle put pour détourner Renandnbsp;de ce voyage; elle fe jeta aux genoux desnbsp;Chevaliers, pour leur recommanderfon époux :nbsp;Oger lui donna fa parole qu’il ne lui arriveroicnbsp;rien.
Lorfqu’ils furent arrivés a Balan^on, Oger, qui connoiftbit Ie caraftère vindicatif de Charles, propola de les devancer pour fonder fonnbsp;ccEur amp; lavoir fes intentions; Naimes fe char-gea de lui parler amp; de venir avertir Renaud,nbsp;qui attendroit fon retour. Renaud confentitnbsp;a tout.
Oger amp; Naimes partirent, Eftouteville amp; 1’Archevêque Turpin demeurèrent avec Renaud; ils fe félicitoient tous du retour de lanbsp;paix; ils la croyoient aflurée.
Le hafard voulut que Pinabel, neveu de Charlemagne, fe trouvSt au gué de Balangonnbsp;amp; qu’il entendit tout. Pinabel, Courtifan in-folenc amp; ISche flatteur, fe plaifoit dans lenbsp;trouble amp; haïflbit la vertu. II fe faifoit unenbsp;étude de perfécuter tous ceux qu’il voyoitnbsp;aimés amp; eftimés. II alia empoifonner auprèsnbsp;de Charlemagne, fon oncle, Ie voyage de Renaud, qu’il fit palier pour un complot. Char-
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lemagne ori^onna a Olivier de prendre quatre cents Cavaliers bien armés, amp; d’aller è Ba-langon, ou il trouveroit Renaud amp; Alard fonnbsp;ftère, amp; de les lui amener, quand il devroitnbsp;y facriSer toute fa troupe. Olivier, qui igno-loit la promefle qu’Oger amp; Naimes avoir faitenbsp;a Renaud, partir pour exécuter les ordres dunbsp;Roi. A peine étoit-il forti du camp, qu’Ogernbsp;amp; Naimes arrivèrent a la rente du Roi : Ilsnbsp;quot;Virent le mécontentement fur fon front, amp;nbsp;la colère dans fes yeux. ,, Sire, lui dir Oger,nbsp;sgt; VOS regards févères ont de quoi nous lur~nbsp;}j prendre ^ nous avons rempli notre commilTionnbsp;aveola plus grande fidélité; nous rapportonjnbsp;•gt;1 le burin que Maugis avoir fait; Renaud nousnbsp;9» a tout remis, avec une exaftitude qui 3nbsp;gt;•gt; droit de furprendre dans un vainqueur. Il »nbsp;35 tout facrifié au défir de la paix. Ou eft Re-93 naud ? leur demanda brufquement le Roi :nbsp;93 Je fais que vous êtes venu avec lui. — Sire gt;nbsp;jj il eft vrai que nous 1’avons déterminé denbsp;3, venir vous offrir fon hommage, fur la foinbsp;de la trève que -vous lui avez accordée, amp;nbsp;„ pour recevoir vos otages amp; fe mettre ennbsp;„ otage lui-roême. Eftouteville a voulu refternbsp;„ a Montauban comme garant de la foi quenbsp;93 nous avons donnée a Renaud; mais Renaud,nbsp;»3 plus généreux, 1’a refufé, amp; s’en rapportenbsp;,3a^noire parole amp; è votre foi. Je ne veuxnbsp;„ d un tel otage, reprit Charlemagne, quenbsp;,, pour le traiter comme Richard amp; commenbsp;„ Maugis. Ah! Sire, s’écria Oger, fongez quenbsp;9, Renaud ne s’eft livré que fur la foi d’une
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,, tïève que voüs-même lui avez offerte, Sire, „ interrotnpit Naimes, de tels propos font in-,, dignes d’un Roi; gardez-vous de commettrenbsp;„ un tel crime, il vous rendroit Pexécrationnbsp;„ de tous les Peuples de 1’univers. Cette pen-„ fée odieufe ne vient pas de vous; faites-moinbsp;,, connoicre Ie traitre qui vous 1’a fuggérée,nbsp;„ amp; je vous vengerai de l’affront qu’il vous anbsp;,, fait. Je vous déclare, Sire, qu’avant de fouf-„frir eet attentat, Oger, Naimes, Turpin amp;nbsp;,, Eftouteville, que vous déshonoreriez, ver-„ feront leur fang pour 1’empêcher, amp; qu’ilsnbsp;„ défendront Renaud contre vous-méme. Qui!nbsp;„ nous! qui 1’avons prefque forcé de nous fui-,, vre, que nous fuffions caufe de fa mort amp; lesnbsp;„complices d’une perfidie? Non, Sire, ja-„ mais. Nous devons vous fervir, fauf notrenbsp;,, honneur, Sr c’eft notre honneur que vousnbsp;„ voulez fléirir! Sire, difpofez de notre vie,nbsp;„ nous vous en avons fait Ie facrifice en vousnbsp;,, donnant notre foi; mais notre verru nenbsp;,, dépend que de nous Vous êtes Ie plus puif-,, fant Roi du monde; vous avez la force ennbsp;„main, amp; vous pouvez faire périr dans lesnbsp;„ fupplices 1’homme de bien comme Ie fcélé-rat; mais, tous les Rois de la terre, li-enfemble , n’ont pas Ie pouvoir denbsp;,, forcer un honnête horame a trahir fa con-„ fcience, a la faire parler ou fe taire a leurnbsp;„ gré. Si vous avez des Courcifans aflez II-„ ches pour étre les minilires d’un allaflinat,nbsp;„ vous pouvez les employer, amp; non pas denbsp;braves Chevaliers, qui ont juré de ne ja-
-ocr page 241-d* Ay mort. nbsp;nbsp;nbsp;^15.5
ï, maïs fonffrir Ie crime, de quelque rang que 5, foic Ie criminel.
Cependant, Olivier arrive, amp; rencontre Re-Kaud, fans armes, éloigné de Bayard. Renaud s’approche de Turpin amp; d’Eftouteville : „Per-„ fid.'S, 'leur dit - il, vous m’avez trahi ;nbsp;», jamais je ne me ferois attendu a cette dé-»»loyauté! Que dites-vous,Seigneur? répondnbsp;j, Turpin, nous, des traitres! Je vous jure,nbsp;», que nous vous tiendrons ia parole que nousnbsp;„ avons donnée, de vous defendre jufqu’a lanbsp;,, dernière goutte de notre fang : Si quelqu’unnbsp;„ a pu vous trahir, croyez que ce n’eft ninbsp;,, Oger, ni Naimes, ni nous. Alors, Renaudnbsp;,, dit a Olivier : Souvenez-vous que, lorC-„que, dans la plaine de Vaucouleurs, Mau-,, gis, mon coufin, vous abattit, je vous ren»nbsp;,, dis votre cheval, amp; que, vous ayant aidenbsp;»» a y remonter, je vous aidai a prendre vo-„ tre revanche; rendez-moi courtoifie poutnbsp;„ courtoifie, amp; permettez-moi, feulement,nbsp;„ de monter fur Bayard. Seigneur, réponditnbsp;„ Olivier, je n’ai jamais fu oublier nn bien-,, fait. Je fuis au défefpoir de vous avoir ren-„ contré ici, amp; je ne fais pourquoi Ie Roinbsp;„ m’a choifi pour me faifir de vous.
Comme ils parioient encore , voila Roland qni venoit aider Olivier a fe rendre maitrenbsp;de Renaud amp; de fon frère : ,, Rendez-vous,nbsp;,, leur crie Roland, vous ëtes mes prifon-»gt;nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;”¦ Comme il proféroic ces mots :
„ Roland ! Roland ! lui crie Oger, qui, en „ fortant du Pavilion de Charlemagne, étoic
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quot;Les ^uatre fils
,5 accoufu au fecours de Renaud, gardez-vous }j de faire aucun mal aux ills d’Aymon 1 Sa-jgt; chez que c’eft Ie Due Naimes Sc moi quinbsp;les avons conduits, fur notre foi amp; fer-9, ment, pour prendre Sc donner les otagesnbsp;y, de la trève que nous avons propofée a Re-,, naud, de la part du Roi, qui nous avoirnbsp;j, envoyés vers lui è Montauban ; Vous nenbsp;,, pouvez lui faire aucun outrage que nous nenbsp;„Ie partagions avec lui, Sc, li vous 1'atta-„ quea, nous Ie défendrons Olivier fe joi-gnit a Oger, pour engager Roland a ne pointnbsp;attaquer Renaud. „ II me rendit, autrefois,nbsp;„ un fervice important, difoit Olivier, Sc jenbsp;„ dois lui en marquer ma reconnoiliance. Réu-,, niflbns-nous, Sc, fi Renaud veut y confen-„ tir, nous 1’accompagnerons, tous, au Pa-„ villon de Charlemagne, pour 1’engager 4nbsp;„ faire la paix. S’il la refufe, reprit Naimesnbsp;„qui avoir fuivi Oger, Sc qu’en outrageancnbsp;„ Renaud, il veuille nous rendre fufpecbs denbsp;„ trahifon, nous ne Ie fouffrirons^point, Scnbsp;„ nous combattrons pour Renaud.^ Ce feroitnbsp;a nous une lacheté indigne de l’abandon-„ ner Naimes demanda a Renaud, s’il ynbsp;confentoit. Renaud fe livra a leur bonne-foi;
Les Chevaliers Ie prirent au milieu d’eux, Sc ils partirent.
Oger s’approcba, Ie premier, de Charlemagne : „ Sire, lui dit-il, vous nous avez „ envoyés vers Renaud, lui ofl'rir une trève ;nbsp;„ Nous avons rempli vos ordres en bravesnbsp;„ Chevaliers Sc en ferviteurs fidelles. Renaud
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i) a accepté toutes les propofitJons que nous lui avons faites de votre part; il nous anbsp;»remis non feulement votre couronne, lesnbsp;» épées de vos Pairs, amp; la vótre, mais 1’aiglenbsp;d’or, qui, par dtoit de conquête, appar-}j tenoit a fon frère : Nous lui avons promis,nbsp;» fur votre parole, que, la trève acceptée, ilnbsp;v ne lui arriveroit aucun mal; amp;, cependant,nbsp;»gt; au mépris de vos fermens lacrés, vous en-jj voyez au devant de lui pour Ie prendre,nbsp;», amp; c’eft un de vos plus braves Chevaliers,nbsp;9, dont vous furprenez la foi, pour Ie char-99 ger de cette expédition. Ainfi done, la foinbsp;99 des traités ne feroit qu’un piége pour trom-,, per 1’honnête homme q\ü ne connoit pointnbsp;,, la méfiance, paree qu’il .eft ineapable denbsp;„trahifon! Non, Sire, cela ne fera point;nbsp;„ mais, fi vous croyez que les propofitionsnbsp;99 que vous avez fait faire a Renaud, vousnbsp;99 foient défavantageufes, fi vous vous re-99 pentez de lui avoir aecordé une trève,nbsp;9, renvoyez Renaud è Montauban , amp; ren-9, dez-lui Ie butin de Maugis amp; celui dQnbsp;,, fon frère ; alors, ordonnez-nous d’aller ,nbsp;,, les armes a la main, reconquérir votre cou-„ ronne, votre aigle, votre tréfor amp; nosnbsp;99 épées, nous combattrons loyalement; vousnbsp;99 agirez en Roi, amp; Ie ciel bénira la caufe qu’ilnbsp;99 jugera la meilleure.
Charleinagne impofa lilence a Oger, amp; lui dit qu’il ne feroit que ce qu'il lui plairoit, qu’ilnbsp;ne laiflèroic point échapper Renaud auffi ai-féraent que Maugis, amp; qu’il étoit decide 4 Ie
-ocr page 244-punir comme traitre amp; rebelle. „ Non, Sire, ,, reprit Oger, vous ne le ferez pas. Préten-„ dez-vous, lui dit Charlemagne en 1’inter-9, rompant, défendre mon ennemi centre moi,nbsp;,, amp;partager fon crime? Sire, répondit Oger
d'un ton ferme, je défendrai ma loyauté „ cóntre rous. Je la défendrai centre le cielnbsp;„ même.
Renaud les interrompit ; Sire, dit-il avec „ une modefte fierté, quel eft votre deflein,nbsp;„amp; qu’exigez-vous? Vous m’appelez traitrenbsp;9, amp; rebelle; Dieu fait que je ne fuis ni 1’unnbsp;„ ni 1’autre, amp; qu’il n'y en eut jamais dansnbsp;9, ma familie; il n’y a homme ïur la terrenbsp;„ qui osamp;t me faire un tel reprbche avec im-„ punité; mais, Sire, 1’autorité fuprèmepeutnbsp;„ tout fe permettre, paree qu’elle n’a rien 4nbsp;9, craindre.
Charlemagne fentit qu’il avoit été trop loin, êt, pour le réparer en quelque forte, il ditnbsp;^ Renaud ; ,, Je fuis prêt de foutenir ce quenbsp;„j'avance les armes a la main : Je fuis Che-„ valier autant que Roi. Sire, répondit Re-j, naud, j’accepte le combat; Naimes, Oli-,, vier, Oger amp; Turpin feront mes répondans.nbsp;5, Nous le devons, dirent les Chevaliers, amp;nbsp;^ nous le fommes,,. Le Roi vouloit tenir fanbsp;parole; mais Roland 1’empêcha amp; demanda anbsp;combattre k fa place. „Sire, ditRenaud, choi-„ fiflez.
Quand les Chevaliers eurent répondu pour Renaud, Bayard lui fut rendu; il s’en retqurnanbsp;i Montanban, ou l’on croyoit la paix affurée.
-ocr page 245-XiS lendemain, après avoir tendrement em-brafle fon époufe, il dit a fes frères : „ Je vais gt;j combattre Ie plus brave Chevalier qu’il ynbsp;»3 ait au monde. Je ne puis prévoir quel feranbsp;3j ie fuccès du combat. Mes amis, mes frères,nbsp;jgt; ie VQus recommande ma chère Yolande amp;nbsp;5j mes enfans: Je remets en vos mains la gardenbsp;.»gt; de ce Chateau; c’eft Ie feul heritage que jenbsp;puiile leur laiffer ; eh l qui fait encore ünbsp;Charlemagne, étendant fur eux fa hainenbsp;j, contre leur père, voudra leur permettrenbsp;,, d’en jouir tranquillement? Défendez-le, amp;nbsp;,, apprenez-leur a Ie défendre. Ce n’eft pasnbsp;„ que je défefpère de vaincre Roland, j’ai pournbsp;„ moi Dizu amp; mon épée, la juftice d'une bonnenbsp;j, caufe, amp; un courage égal au fien; mais jenbsp;j, puis être vaincu : On nous juge de la mêmenbsp;»j force.
Les frères de Renaud ne voulurent point ^emenrer; ils laifférentMaugis maltre deMon-tauban, amp; accorapagnèient Renaud au lieu dï»nbsp;combat.
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Les quütre fils
C H A P I T R E XVI.
Combat entre Renaud amp; Roland. Maugis les fauve, l’un amp; 1'autre, par un prodige denbsp;fion art magique. Roland fuit Renaud dnbsp;Montauban. Charlemagne met Ie fiége devantnbsp;ce Chateau. Le Rol ejtenlevé dans Ie Palaisnbsp;de Maugis, amp; livré d Renaud. Maugis fortnbsp;de Montauban, amp; fe retire dans un lier^^nbsp;mitage.
peine le jour eut-il paru, que Roland s’arma, amp; tnonta a cheval, pour fe rendre furnbsp;le champ de bataille. II alia, auparavant,nbsp;prendre congé du Roi. „ Mon neveu, lui ditnbsp;j, Charlemagne, puiffe le Dieu des armées tenbsp;gt;, foutenir amp; te défendre! S’il prête fon fe-,, cours a la bonne caufe, il dolt protéger Re-„ naud; car je ne puis diffimuler que , dansnbsp;„ certe occafion, la juftice eft pour lui. Sire,nbsp;,, répondit Roland , il n'efl: plus temps denbsp;,, fe repentir, je me fuis engagé trop avant. Ennbsp;„ refufant le combat, je me couvrirois denbsp;„honte, amp; elle rejailliroit fur vous. Maïs,nbsp;,, Sire, en faveur du danger auquel vous m’ex-,, pofez en combattant un brave Chevalier,nbsp;„ qui a fur moi 1’avantage de la juftice, fouf-3, frez que je vous conjure d’accorder auxnbsp;3, fils d’Aymon la paix qu’ils vous deman-3) dent Charlemagne ne répondit rien a fon
neveu; mais il fentit, en fongeant a Pinabel, «ombien les Courtifans amp; les flatieurs étoientnbsp;funeftes aux Souverains.
Cependant, Renaud étoit déja fur le champ bataille. Roland brdloit d’impatience. Cesnbsp;^eux fiers xivaux s’éroient déja rencontrés plu-fieurs fois; mais la viéloire avoir toujours écénbsp;indécife. Quand 1’un fembloic la fixer par fonnbsp;audace amp; par fon impétuofité, I’autre la rap-peloit par une valeur éclairée amp; prudente. Ilsnbsp;avoient le mêine courage amp; la même force, amp; ,nbsp;fi 1’un avoir plus d’aélivité, I’autre avoir plusnbsp;d’adrefle amp; de conftance. D’auffi loin quenbsp;Roland apergut Renaud, il lui cria, d’un tonnbsp;iropérieux : „ Enfin, Renaud, tu ne peuxnbsp;5, éviter ton Ibrt; voici le jour ovi tu vas cef-5, fer de te croire invincible. Tu me menaces,nbsp;¦gt;, Roland, répondit Renaud, crois-moi, foisnbsp;plus modefte; un Chevalier prudent nt;nbsp;5, chante jamais fa viéloire avant le combat,nbsp;s, Veux-tu la paix; veux-tu combattre? 1’unnbsp;») amp; I’autre eft a ton choix, Quelqu’honneucnbsp;•9, que j’attende du triomphe, je lui préfère lanbsp;paix, qui rendra le calme a 1’Etat,, amp; J’a-mour des Peuples è ton maitre. Je ne fuisnbsp;. »5pas venu, repliqua Roland, pour conclurcnbsp;»gt;un traité. Eh bien, combattons, dit Re-», naud. : Crois-moi, fonge a te défendre,nbsp;„ répondit Roland.
A ces mots, ils piquentleurs chevaux, fon-dent 1’un fur I’autre, amp; leurs lances, en fg brifant, formèrent dans les airs une pouffièrenbsp;légere; leurs écus fe choquerent, amp; le choc
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-ocr page 248-füt fi rude, que Renaud, avec fa felle» alla tomber derrière amp; loin de Bayard, amp; quenbsp;Roland abandonna fes étriers amp; chancela long-teinps. Renaud fe relève, faiflt Bayard parnbsp;la crinière , remonte fans felle, amp; porta 4nbsp;Roland un coup li terrible fur fon haubert,nbsp;que fon cerveau en fut ébranié; Roland fenbsp;lemit, amp;, alors, commen9a un combat quinbsp;effraya les fpeélateurs. Chaque coup emportoitnbsp;un éclat de leur armure; leurs épées tran-ïhoient 1’acier, comme la hache du Bucheronnbsp;ie tronc d’un, vieux chêne. Naimes, en lesnbsp;regardant, ne put s’etnpêcher de s’écrier:nbsp;s, Charles, quel eft ton aveuglement? ta du-„ reté va caufer ia mort des deux plus bravesnbsp;y, Chevaliers qu’il y ait au monde, amp; tu ne
fonges pas qu’ils pourroient faire, un jour, y, Ie fuccès de tes armes amp; la gloire de tonnbsp;j, empire!
Renaud, voyant que 1’avantage étoit égal» dit a Roland : „ Ayons pitié de nos chevaux,nbsp;„ ils vont périr, amp; nous n’en trouverions pasnbsp;„ de pareils; defcendons, amp;, fi vous Ie jugesi.nbsp;„ a propos, nous combattrons a pied,,. Rolandnbsp;y confentit; ils defcendirent amp; coururent 1’unnbsp;fur l’autre avec autant de légéreté que s’ilsnbsp;n’euffent pas effuyé Ia moindre fatigue. Ils fenbsp;portoient les coups les plus redoutables; maisnbsp;leur adrelle d les parer, en rendoii la plupartnbsp;inutiles. Enfin, ils jetèrent leurs épées loinnbsp;d'eux , amp; fe prirent corps a corps; mais jamais 1’un ne pouvoit renverfer l’autre. Roland faifoic des., efibxts qui auroienc arraciié
-ocr page 249-les chênes les plus robulles; mais la fouplefle de lienaud en lalentiübit ks fecoufles, amp;«nbsp;loi-fque celui-ci courboit Roland jufqu’d terre,nbsp;fa vigueur. Ié remeuoit fur pied ; Tous deux,nbsp;étonnés, amp; de leur impulfion, amp; de leur ré-iiftance, fe,féparèrenc un moment pour re-prendre haleine. 'Ils s’apèr^urent, alors, quenbsp;leurs cafques , .leurs, haubèrts, leurs armure»nbsp;amp; leurs écus fiacafles, n’av.oient plus rien denbsp;leur première forme. Ils furent.furpris de leursnbsp;propres forces ; la terre, qu’ils avoient fouléenbsp;en combattant-, étoic auffi dure que l’aire oünbsp;Ton viérit de battre la moiflbn.
Charlemagne trembloit pour fonneveo, amp; les frères da Renaud frémirent pour leur frère.nbsp;Le Roi invoqua Ie ciel pour Roland, amp; Ienbsp;pria dé faire ceffer le combat; mals le cielnbsp;avoit infpiré aMaugis le délir d'être témoin denbsp;cette aftion memorable. II avoir quitte Mon-tauban, amp;, p'ar fon art, il fe tranfporta furnbsp;üne hauteur voifine du champ de bataille.
Les deux Chevaliers, après s’être repofe's ün moment, avoient’déja repris leurs épées,nbsp;amp; alioient.^recoramencer a fe battre, lorfquenbsp;Maugis jaflémbla autour d’eux amp; condenfa desnbsp;gt;apeurs, qui formèrenc un nuage fombre,nbsp;dont ils furent enveloppés. Ils ne fe voyoientnbsp;point Pun 1’autre,. „ Ou. étes - vous ? s’é-» crioient - ils mutuellement, ou bien, j’ainbsp;1; perdu la vue, difoit Roland, ou bien, lanbsp;”nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;^ » tout a coup, raroené les ténèbres.
„J’entends Roland,, s'écrioit Renaud, amp;: je 4l^nele vois poincj,,. Iis agltoient leurs èpéé^,
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amp; ne frappoient qu’un brouillard infenrihle: Ilsalloient, en tatonnant, I’un a la voix.tlenbsp;1’autre; enfin, Roland vencontra la main denbsp;Renaud amp; la faifit, amp; , piar ufi'mouvementnbsp;involontaire, Tl embralla fon rival, amp; lui dit:nbsp;,, Vertueux Chévalier, fl Ié jour' vpus luit,nbsp;„ daignez me conduire , c’eR'ünb grSce quenbsp;,, je vous demmde, amp; dont je ferai reconnüif-„ fant. Oü faut-il aller, démanda Renaud ? —nbsp;,, Au camp de Charlemagne,'lui dit Roland,nbsp;,, —Vous voyez , reprit Renatid v qu'il anbsp;,, juré ma perte, amp; que je n’ai d’afyle quenbsp;„ Montauban , amp; vous ne voudriez point ynbsp;,, venir. — Pourquoi n’y irois-je pas F'y èu-„ rois - je quelque chofe a craindre avec lesnbsp;,, généreux fils d’Ayraotl? —- N'cfn., certaine-,, ment, ils auroient la plus grande joie denbsp;„ vous y recevoir. Nous avons coihbattu'avecnbsp;,, un égal avantage , amp;, idit que Ie ciel n’aitnbsp;„pa's voulu que nous périffions, 1’un amp; I'au-„tre, de fatigue, foic qu’il dit decide quénbsp;„ nous ne fuffions vaincus ni l’un^ni raurre,nbsp;5, il a répandu , autour de nous , une nuitnbsp;„ protecSrice. Vous n’étes poiiit fnoil prifon-„nier, amp; je ne fuis point Ie vótre^, amp;, ffnbsp;„ vous venez 5 Montauban, ce ferapar ami-„ tié, amp; de votre bon gré. Mes frères amp; moinbsp;„ vous y regafderons comme notre parent amp;nbsp;„ notre ami, amp; nous vous traiterons commenbsp;„ Ie plus loyal des Che/valicrs amp; Ie neveu, du
Le nuage avoit Ia prppriété de’hepointdter te vue des Chevaliers ius fpeiftateurs, qui
-ocr page 251-n’entendoienc point ce qu'ils difoient» nnais qui jugeoient, par leurs geftes amp; leurs mou-veniens, que la paix régnoit entr’eux, amp;, ènbsp;I’exception de Pinabel amp; de Ganelon , toutnbsp;le monde en reflentoit la plus grande joie.nbsp;Les yeux de Renaud aper9urent les premiersnbsp;la clarte , il le die a Roland, qui lui renou-vela fes' prières de le mener a Montauban.nbsp;A peine eut-il témoigné ce défir, que Rolandnbsp;vit la lumière ; il crut revivre une fecondenbsp;fois; il apergut fon clieval, Mélancie, amp; lenbsp;monta, tandis que Renaud montoit fur Bayard.
Charlemagne demeura confondu, en voyant fon neveu fuivre Renaud: ,, O ciel! s’écria-i, t-il, Renaud emmène Roland; ils prennentnbsp;,, le chemin de Montauban! Ah! fans doute ,nbsp;„ il eft fon prifonnier. Seigneurs, laifl'erez-vous ainfi mon neveu au pouvoir de mesnbsp;,»gt;enriemis? Voyez Maugis amp; les frères denbsp;„ Renaud qui le fuivent; h4tonJ-nous, ebu-}gt; tons le délivrer.
Les Pairs amp; Charlemagne volèrent fur les pas des Chevaliers, amp; les fuivifent jufqu’auxnbsp;portes de Montauban ; mais Maugis avoir hS-té, par fon art, les chevaux de Roland amp;nbsp;des fils d’Aymon. Charlemagne furieux, re-vint dans fon camp, il ordonna qu’on fe tranf-portèt fous les murs de Montauban , pour ennbsp;faire le fiége ; il donna POriflamme a Oli-^ Ü Richard de Normandie la conduitenbsp;du fiége. Tout obéit a eet ordre, on abattitnbsp;les rentes, les bagages furent chargés, amp; 1’ar-,mee fe mit en mouvement, Richard dè Nor-
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mandie conduifit dix mille hommes au gué de Balan9on, pour Ie garder jufqu’a ce que tout»nbsp;l’armée fütpaflee. Le Roi alia lui-méme mar-quer le camp, amp;, quand l’armée fut arrivésnbsp;fous les murs de Montauban, il fit élever fonnbsp;Pavilion en face de la potte principale.
Les Sentinelles, qui étoient fur les tours, avertirent Maugis que l’armée de Charlemagne avoit invefti la place, que le blocus étoicnbsp;formé , amp; que le Pavilion de Charlemagnenbsp;faifoit face è la Ville.,, Soyez tranquilles,nbsp;„ leur dit Maugis, dormez, fans rien crain-y, dre : Quand méme Charles entreroit dansnbsp;,, ces murs, il n’en feroit guère plus avancé.
Lorfque Ia nuit eut ferme tons les yeux, excepté ceux des Sentinelles amp; des Gardes dunbsp;camp, Maugis alia prendre Bayard, lemonta,nbsp;fortit de Montauban, amp; répandit fur les Sentinelles un charme qui rendoit leur vigilancenbsp;inutile; c’étoic une ivrefle qui les faifoit, fansnbsp;ceflè , tournet fur eux - mémes , amp; toujoursnbsp;fur nn pied : II alia a la rente du Roi, amp;,nbsp;dés qu’il y parut, tous les Courtifans, lesnbsp;Officiers, fe mirent également a pii-ouetter amp;nbsp;è tournet : Le Roi ne comprit riena ce vettige, amp; prit le parti de rire dé routes fes forces ; maisil s’endormit fi profondément, quenbsp;Maugis le prit, le mit en travers fur Bayard, lenbsp;condffilit, ainfi, dans Montauban, amp; le couchanbsp;dans fon lit même.'IIalia, enfuite, trouvetnbsp;Renaud, amp; lui dit: „ Mon coufin, ne fe-yj riez-vous pas bien fatisfait, fi vous pouvieznbsp;n tenir en votre pouvoir le Roi Charlemagne ?
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^ —J'en convietis, reprit Renaud; je me ven-ij gerois de lui avec bien du plaifir. — Eh 1 y, qaelle vengeance en tireriez-vous? --- Je lenbsp;j, comblerois d’honneurs , je le traiteroisnbsp;^ comme mon Seigneur amp; mon Roi. — A c«nbsp;j, compte, venez, fuivez - moi „, amp;. Maugisnbsp;conduifit Renaud dans ton Palais , oii il lui fitnbsp;voir le Roi endormi. Alors, Maugis embraflanbsp;Renaud , ceignit une écharpe, pric un bourdon , amp;, pour ne pas oifrir a Charlemagnenbsp;us objet odieux , il fortit de Montauban, fansnbsp;Tien dire a perfonne : Le Portier feul le vitnbsp;fortir. Il alia vers la Dordogne, pafla la riviere , entra dans un bois épais, amp; marchAnbsp;jufqu’a neuf heures de la nuir, qu’il lencon-tra, fur une hauteur, un hermitage abandonee;nbsp;il s’f repofa jufqu’au jour. Le lendemain, ilnbsp;examina cette retraite : C’étoit une grottenbsp;très-bien expofée, entourée de quelques arbres,nbsp;moins épais que dans le refte de la forêt Jnbsp;un petit verger, planté du cóté du midi, pro-duifoit des fruits de toutes les faifons; a leursnbsp;pieds étoient des herbes potagères amp; des ra-cines de toüte efj^èce ; devant l’ouverture denbsp;Ia grotte, fermée par une forte natte, cou-lolc une fontaine d’une eau claire amp; limpide ;nbsp;Maugis entra dans une autre petite grotte,nbsp;étoit a cóté; c’étoit une chapelle ; il fenbsp;profterna , pria 1’Étre Suprème de lui pardon-jss égaremens, amp; fe fentit pénétré d’unenbsp;fi fainte ferveur, qu’il réfolut de faire fa de-meure dans cette folitude, de renoncer aunbsp;monde» amp; de ne vivre que des fruits, des
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-ocr page 254-herbes amp; des racines que la^terre accorderoit au travail de fes mains; il fit, furtout,nbsp;des voeux, pour que Ie ciel mit la paix entte Charlemagne amp; les quatre fils d’Ayinon;nbsp;il réfolut, li cette paix s’établiflbit, de paf-ler Ie refte de fes jours dans eet hermitage ,nbsp;d’y expier les inaux qn’il avoit caufés pournbsp;Tenger la mort du Due de Beuves, fon père;nbsp;ear , quoique fa yengeance fut légicime, ilnbsp;eüt pu, par un pardon généjreux, épargnernbsp;tout Ie fang que la guerre avoit fait verfer.
II n’avoit eu, d’abord, d’autre projec, en s’éloignant deMontauban, que dene pas irriternbsp;Qiarlemagne par fa préfenee, amp; de mettre fesnbsp;coufins en droit de pouvoir répondre, au easnbsp;que Charles periiftèt a leur demander de Ie luinbsp;livrer , qu'il avoit difparu, amp; qu’ils ignoroientnbsp;en quel lieu de la terre il s’étoit retire,nbsp;en effet, ils ne Ie favoient point alors.
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Ay mon.
CHAPITRE XVII.
Confcil des fih d’Aymon far Ie fort de Uur prifonnier. Réveil de Charlemagne; fa fer~nbsp;meté; prières de Renaud pour la paix ; at~nbsp;tendrijfement du Rol; Pinabel change fesnbsp;difpoJUions. Extréme générofité de Renaud :nbsp;Liberté de Charlemagne; vaine remontrancenbsp;des Chevaliers. Continuation du blocus; af-faut général; les troupes de Charles fontnbsp;répoujfées; famine horrible : Le plus grandnbsp;danger qué Bayard ait couru. Aymon jettcnbsp;des vivres dans la Prille, fa difgrace, fanbsp;retraite de l’armee. Nouvel ajfaut, aujfi inutile que le premier.
V_^hari.emagne dormoit d’un fommeil profond; Maugis feul favoit le moment ounbsp;ie charme devoit finir. Renaud appela les frè-res, amp; leur demanda ce qu’ils devoient fairenbsp;de Charlemagne, amp; quelle vengeance ils vou-loient prendre de lui ? Alard opina qu’il fal-lolt profiler de cette circonftance pour le forcernbsp;a faire la paix ; Guichard vouloit qu’on lenbsp;letinr dans un endroit écarté du Palais, qu’onnbsp;en renvoyk tous les Fran9ois amp; que, dansnbsp;i’abfence du Roi, Renaud amp; les Chevaliersnbsp;Franqois mécontens, s’emparaflent d^’ene par-tie de fes Etats : Richard, qui ne pouvoitnbsp;oublier que Charlemagne avoir voulu le fairenbsp;¦périr d'une mort jgnoroinieufe,, vouloit i’im-
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-ocr page 256-250 nbsp;nbsp;nbsp;Zes quatre fils
nioler a fa fureur ; mais Renaud « après avoir rêvé quelque temps, leur dit Mes freres,nbsp;„ oubliez - vous que Charles eft notre Sou-,, verain? Quelquhnjuile qu’il foit a notrenbsp;„ égard, ce n’eft pas a nous a punir fes in-^juftlces. Notre défenfe eft de droit divin;nbsp;„ mais une vengeance telle que celle que vous
propofez, nous rendroit odieux a 1’univers. Ja Quel Chevalier, quelque déloyal qu’il fdt,nbsp;„ voudroit avouer pour fon ami, des alTaffinsnbsp;„ teints du fang de leur Souverain, ou lesnbsp;„ ufurpateurs de fes Etats ?
Renaud fit appeler Roland, Naimes, Oger, Turpin, amp; tous les Chevaliers du parti denbsp;Charlemagne qui fe trouvoient a Montauban :nbsp;,, Seigneurs, leur dit Renaud, vous étes tousnbsp;„ mes amis; j’efpère quej’obtiendraibientótlanbsp;^paix que je délire : J’ai, en mon pouvoir,nbsp;^ un prifonnier d’une telle importance, quenbsp;j, Ie Roi ne peut tnanquer de me 1’accordernbsp;„ pour fa ran^on.
Tous les Chevaliers étoient dans 1’impa-tience de favoir quel étoit ce prifonnier, amp;, quand Renaud leur eut nommé Charlemagne,nbsp;ils n’en pouvoient rien croire. Renaud leurnbsp;raconta comment Maugis 1’avoit emporté ,nbsp;tout endormi, fur Bayard. Naimes ne doutanbsp;pas que Ie ciel, par ce miracle, ne s’expli-quat en faveur de la paix. Renaud les condui-fit dans l’appartement de Maugis, oü ils trou-¦vèrent Ie Roi dormant encore. Roland, quinbsp;penfoit qu’il n’y avoit que celui qui avoirnbsp;fait Ie charme qui put Ie détruire, étoit d’a-»*
-ocr page 257-?rs qu’on fft venir Maugis, niais on le cher-cha vainemenc. On fic venir le Portier de la quot;Ville, qui 1’avoit vu forcir; il raconta quanbsp;Maugis étoit parti, les larmes auxyeux; qu'ilnbsp;avoic dit qu’il ne rentreroit plus è Montau-ban, que, pour ne pas mettre un obftaclenbsp;a la paix, il alloit fe retirer dans le fond d’unnbsp;défert. Richard amp; fes frères pleurèrent amè-rement la perte de leur cotifin. „ Helas! di-^ foit Richard, fans lui, j’aurois péri d’unanbsp;,, mort infame; c’efb pour nous qu’il s’eft ex-,, pofé au courroux du Roi Richard, dansnbsp;fon défefpoir, étoit prêt ü cotnmettre le plusnbsp;affreux des parricides. „ O Richard, lui ditnbsp;Naiines, y penfez-vous, de vouloir óter lanbsp;„vie ‘d qui ne peut la défendre? amp; 4 qui»nbsp;i, encore Richard fut frappé de ces paroles cointne d’un coup de foudre, amp; rougicnbsp;de fon projet.
Tandis qu’ils parloient, 1’enchantement cef-fa ; Charles jeta les yCuX autour de lui; il crut s’être éveillé dans fa tente, au milieunbsp;de fes Chevaliers; mais il crut dormir encore, lorfqu’il s'aper^ut qu’il étoit dans le Chateau de Montauban, au pouvoir des fils d’Ay-nion. Loin de faire paroftre la moindre cralrt-, il jura de nouveau qu’il ne confentiroicnbsp;paix que lorfqu’on lui auroit remis Maugis gt; pour en difpofer comme il le jugerolt ènbsp;Fopos.
ïjEh! quoi, Sire, s’écria 1’impétueux Rl-»»Chard, vousêtes notreprifonnier, amp; vous BOOS menacez! Ah! poiir être dans ton Cb^
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-ocr page 258-2^2 nbsp;nbsp;nbsp;Les^^uatre fils
,, teau» répondit fièrement Charlemagne, én „ fuis-je moins ton Roi? Et, paree que vousnbsp;„ êtes Roi, replique Richard plus fièremencnbsp;i, encore, vous eft-il permis d’etre injufte é.nbsp;,, notre égard „ ? Mais Renaud impofa filencenbsp;a fon frère: „ Quelle que foit la volonté dunbsp;,, Roi, dit-il, c’eft a nous de nous foumet-,, tre, amp; d’implorer fa clémence : Nous fom-3, mes fes fujets, amp; notre partage eft de Ie fer-„ vir quand il nous commande en Roi, amp; denbsp;„ nous défendre quand il nous traite en en-„ nemis.
Renaud, fes frères, amp; tous les Chevaliers, tombèrent aux genoux de Charlemagne : GrS-„ ce, Sire, s’écria Renaud, grSce pour mesnbsp;„ frères, pour Maugis amp; pour moi; nous nousnbsp;„ livrons a vous, fauf notre honneur; accor-,, dez-nous la paix, amp; notre fang eft a vous,nbsp;„ non pour Ie répandre fur un échafaud, maisnbsp;„ dans les combats, amp; è votre fervice. S’ilnbsp;„ vous faut une viftime , ordonnez-moi desnbsp;,, entreprifes au deflus des forces humaines,nbsp;„j’y périrai, content de mourir au cheminnbsp;,, de 1’honneur; mais, pardonnez a mes frè-„ res, amp; rendez-leur ce qui leur appartienr.nbsp;,, Je confens a tout, répondit Charlemagne ,
pourvu qu’on me livre Maugis. Sire, j’ai „ dit que nous nous livrerions a vous, faufnbsp;„ notre honneur, amp; vous demandez que nousnbsp;„ vous abandonnions notre coufin? Non,Sire,nbsp;„jamais je n’y confentirai; 1’amitié que j’ainbsp;,, pour lui me Ie défend encore plus que mon ,nbsp;„ honneur méme : Je dqnnerois ma vie pour
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»gt; la fienne, amp; mes frères, a eet égard, pen-*» lent tous comme moi. D’ailleurs, Maugis» », prévenaut votre demande, amp; ne voulantnbsp;gt;, point être un obftacle a la paix, a pris Ienbsp;gt;, parti de s'éloigner pour ne plus paroitre dansnbsp;it Montauban.
Les Barons certifièrent que Maugis avoit difparu, amp; ils fe jetèrent encore aux ge-150UX de 1’Empereur; ils demandèrent la gracenbsp;des quatre fils d’Aymon, avec tant de zèlenbsp;amp; de larmes, qu’il commengoit a s’atten-drir; quoiqu’il marqudt encore des doutes furnbsp;Ie départ de Maugis. Pinabel profita du foup-?on du Roi, amp;, feignant de prendre Ie partinbsp;des fils d’Aymon, qui ne fe méfioient pointnbsp;de lui, prit la parole : „ II eft temps, Si-,, re, que cette guerre, qui épuife vos Etats,nbsp;j, ait un terme. Je fens que votre coeur,nbsp;j, ulcéré, répugne a fe déterminer, amp; quenbsp;j, Ie pardon des outrages que vous a fait Mau-» gis, eli un facrifice pénible. Je fuis perfuadénbsp;„qu’il eft forti de Montauban; cependant,nbsp;„ comme vous pourriez croire que c’eft en-,, core uiie rufe, employez ce jour a fairenbsp;„des recherches, amp;, fi, en effet, il a éténbsp;„ affez généreux pour s’exiler lui-même, cettenbsp;„ aftion héroïque doit vous engager a Ie com-„ prendre dans Ie pardon que vous accor-„ derez a fes coufins.
Charlemagne adopta eet avis, que les Chevaliers combattirent en vain, amp; qu’ils au-roient bien plus défapprouvé, s’ils euflènt vu Ie piège qu’il cachoit; mais Pinabel avoit
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Les quatre fils
1’arc de féduire, amp; quoiqu’il füt regardé com« me un homme de peu de courage, on ne 1«nbsp;foup5onnoit pas d'être fourbe amp; méchant.nbsp;Quand il fe vit feul avec Charlemagne :nbsp;Eh quoi! Sire, lui dit-il, après routes lesnbsp;» rufes que Maugis a exercées contre vous, ilnbsp;ne vous eft done pas poffible de vous ennbsp;»»garantir? Pouvez-vous penfer que Maugisnbsp;» ait abandonné fes coufins, lorfque fon fe-5j cours leur eft plus néceflaire que jamais?nbsp;iy Pourquoi, amp; comment vous trouvez-vousnbsp;»» dans Montauban? Y étes-vous venu denbsp;votre plein gré; n’eft-ce pas encore Maugis,nbsp;V qui, }iar fon art diabolique, vous y a tranf-»j porté? Souffrirez-vous qu’il fejoue toujoursnbsp;11 impunément de vous? Que dis-je? fe jouer?nbsp;11 Souvenez-vous, Sire, qu’il n'y a pas en-11 core huit jours qu’il eut 1’audace de vousnbsp;11 enchainer; que, peu de jours avant, il vousnbsp;¦1 prouva que votre vie étoit entre fes mains.nbsp;11 La croyez-vous en fureté ici? amp;, tantquenbsp;gt;1 Maugis vivra, Ie fera-t-elle jamais? Nenbsp;1, doutez point, Sire, que Ie traitre ne foitnbsp;1, dans Montauban; peut-étre, dans ce mo-1, ment, entend-il tout ce que je vous dis :nbsp;1, N’a-t-il pas 1’art de fe rendre invifible ?nbsp;1, Croyez-vous que les fils d’Aymon fuflent finbsp;1, empreffés a obtenii^ leur grice, s’ils n’a-1, voientdes projets dangereux? Beaux-frèresnbsp;1, du Roi d’Aquitaine, foutenus par une valeurnbsp;gt;1 téméraire, protégés par les fecrets de Mau-gt;igis, qu'ont-ils befoin de grSce? Ils vousnbsp;gt;, tiennent, pour ainli dire, dans leurs fers,
-ocr page 261-»gt; amp; ils font è vos genouxils peuvent vous » forcer a capituler, amp; ils vous parlent ennbsp;» fupplians. Sire, tant de conrradiAions cou-«vrent quelque myftère. Si 1'on pouvoitnbsp;j, ajouter foi a des bruits populaires, ces con-5» tradiftions apparentes ne feroient pointnbsp;jgt; inexplicables; mais, une rumeur que je ne
,»puis croire ...... Le Roi voulut favoir
^uels étoient ces bruits; il ordonna d Pinabel de ne lui rien cacher. ,, Sire, reprit Pinabel,nbsp;„ il y a quelque temps qu’Oger fit prifoii-„ niers deux Archers de Renaud; ils difoient,nbsp;„hautement, dans le camp, que, bientót,nbsp;j, les choles changeroient de face; que Mau-„ gis avoir promis a Renaud de le faire mon-,, ter fur le tróne de France; que, déja, plu-», fieurs de vos Pairs amp; de vos Barons fouf-j, froient impatiemment la dureté que vousnbsp;„ exerciez a 1’égard de la familie d’Aymon,nbsp;» a laquelle ils appartenoient; que Renaud ,nbsp;», profitant de ce mécontenteraent, acheveroicnbsp;„ de les gagner; que Maugis fe chargeroit dunbsp;„ refte. Je n’ajoute aucune foi ^ ce difcours;nbsp;,, mais eet empreflement des fils d’Aymon inbsp;„ demander la paix, lorfqu’après tout, ilsnbsp;„peuvent s’en palier, ne fembleroit-il pasnbsp;„ indiquer le défir de fe mettre k portee denbsp;„ féduire amp; d’intriguet? Ces deux prifonniersnbsp;„ difparurent deux jours aprèsi
Mais je veux que mon zèle m’aveugle, „ amp; que mes conjedtures ne foient que les rê-„ yes d’un fujet fidelle, qui craint pour le*nbsp;,, jours de fon Roi : Songez a Pexerfiple que
-ocr page 262-250 quot;Les quatre fils
»gt;vousallez donner a vos Chevaliers, l’amr » bidon excite a la révolte, amp; 1’impunité J’au-5» torife. II y a, dans vos Etats, des feuda-5» taires auffi braves, amp; plus puiffars que Re-„ naud ; Eh! qui fair li Roland, dont il anbsp;,, gagné 1’affeftion, qui follicite votre clémencenbsp;,gt; pour les fils d’Aymon, encouragé par Ie par-», don qu’on vous arrache , n’elTayera pas,nbsp;», dans un moment de dépit; car, vous fa-»,vez, Sire, combien il eft bouillant amp; em-,»porté, de fe foulever contre vous, amp; d’ob-» tenir, par la force, ce que vous refuferez anbsp;fes importunités? Renaud ell, dit-on, franc,nbsp;j, lincère amp; généreux, amp; vous m’avez fouvencnbsp;j, dit que vous ne pouviez lui refufer votrenbsp;3) eftime. II vous a féduit par je ne fais quellesnbsp;vertus. Eh bien! fi, par un exces de bonté,nbsp;gt;, vous voulez faire grèce aux fils d’Aymon,nbsp;3) gardez-vous, du moins, d’y confentir avancnbsp;33 de vous être afluré de Maugis.
Le lendemain, Charlemagne raflembla les Pairs amp; les fils d’Aymon. II leur dit qu’il étoitnbsp;réfolu de faire grSce a Renaud amp; a fes frères,nbsp;puifqu’il 1’avoit promis; mais qu’il ne pouvoitnbsp;violer le ferment qu’il avoir fait, de mettrenbsp;Maugis hors d'état de lui nuire, d 1’avenir, qu’ilsnbsp;n’avoient qu’a le remettre entre fes mains; amp;nbsp;qu’a cette condition, ils pourroient compternbsp;fur fon amitié. Alors, Renaud prit la parole:nbsp;3, Sire, dit-il, puifqu’il n’y a aucun moyen denbsp;„ fléchir votre colère , que j’ai fait tout cenbsp;„ qu’un fujet fidelle, amp; un bon Chevalier,nbsp;„pouvoit faire, que je me fuis abaifle a la
-ocr page 263-'d’Aymon. nbsp;nbsp;nbsp;25?
plus humble prière, Sire, vous êtes Ie maitre de forrir, quand vous voudrez, de cette Vil-le; les porces vous font ouvertes, ne craigneznbsp;5) rien des quatre infortunés que votre dureténbsp;¦») réduit au défefpoir ; 'ils aimeroient mieuxnbsp;périr, que de faire aucun outrage i leur Sou-»gt; verain. Vous les forcez de penfer que, s’ilsnbsp;ï» étoient en votre pouvoir, comme vous êtesnbsp;»» au leur, vous leur feriez éprouver votre ref-fentiment; Cette affligeante idéé n’efl; pasnbsp;„ une raifon pour eux, de manquer au refpeélnbsp;„ qu’ils vous doivent. Si nous vous refufonsnbsp;,, de vous livrer Maugis, ce n’eft point parnbsp;y, défobéiflance, c’eft paree que nous ferions unenbsp;», aftion ISche amp; malhonnête.
Alors, Renaud appela un de fes Ecuyers, amp; lui ordonna de faire feller Bayard pour recon-duire le Roi. Renaud 1’accotnpagna jufqu’auxnbsp;portes de Montauban, amp;, en le quittant, il mitnbsp;encore un genou a terre. Charlemagne ne putnbsp;s’empêcher d’admirer tant de vertu; il, ditnbsp;luême a Renaud qu’il le plaignoit d’avoir une linbsp;grande tendrefl'e pour fon coulin. Renaud s’ennbsp;tetourna , amp; Richard lui dit: „ Ah! monnbsp;j, frère, je crains bien que vous ne vous repen-j, tiez de tant de générofité. Mon frère, ré-gt;» pondit Renaud, je ne puis jamais me re-»gt; pentir d'avoir fait mon devoir.
_ L’armée, qui étoit dans la douleur de 1’ab-jence de Charlemagne, fe partagea entre la joie P ^ lurprife , en le voyantrevenir, monté furnbsp;Bayard; il n’y eut perfonne qui ne crüt que lanbsp;paix etoit faite entre les fils d’Aymon amp; le Roi j
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Les quatre fils
mais oö fut dans 1’adrairation de la courtoifie deRenaud, quandon apprit que Charlemagnenbsp;avoir refufé de leurfairegramp;ceiOnne favoitpasnbsp;que, fans Pinabel, elle alloit être accordée.
On demanda des nouvelles ile Roland, de Naimes, d’Oger; „Ilsont abandonné Ie Roi,nbsp;,, répondoit Pinabel, pour fuivre Ie parti denbsp;„ Renaud On ne doutoit pas, dumoins, quenbsp;Renaud ne les retint pour otages de la paix;nbsp;mais quelle fut la furprife de 1’armée, lorf-que, Charles ayant renvoyé Bayard, on vitnbsp;arriver les Chevaliers, a qui Renaud avoir permis de s’en retournetr pour ne pas les expo-fer i la colère du Roi.
Tant de grandeur d’ame eAt dd R^chir Charlies; mais il éroic livré a de ISches Courtifans, ennemis des fils d’Aymon, amp; qui, pour fatis-faire leur vengeance, compromettoient la gloirenbsp;de leur maJtre. Cependant, il ne put s’em-pécher de dire a Pinabel, que des procédés 11nbsp;généfeux de la part de Renaud, étoient bieanbsp;«ppofés aux projets dont il lui avoir parlé.nbsp;„Sire, répondit Pinabel, Renaud connoitnbsp;„ mieux que vousl'art de tromperamp;deféduire.nbsp;„ Si, dans ce moment, 11 paroifloit dans votrenbsp;,, camp, il n’y a, peut-être, pas un chevaliernbsp;„ qui ne föt prêt a Ie défendre. C’eft par cesnbsp;„ dehors impofans qu’on gagne les coeurs.
A peine les Barons amp; les Pairs furent-ils Tentrés, que Charles ordonna un aflaut géné-lal. II vouloit, en même temps, furpren-dre Renaud, amp; juger du fonds qu’il pouvoitnbsp;ftire fur les conjedures de Pinabel, par 1^
-ocr page 265-conduite des Chevaliers. Cependant, Naimes neceflbit de lui vanter la grande ame de Renaud»nbsp;la foutniflion amp; fa confiance •, il lui repré-lentoit les fils d’Aytnon comine les plus vail-lans Chevaliers du monde; il prévoyoit quenbsp;la conquête de Montauhan cauferoit des pertesnbsp;dont on pourroit fe fouvenir long-temps; ilnbsp;lui répétoit que la guerre n’avoit cauféquetropnbsp;de maux; que les campagnes étoient dévaftées;nbsp;lt;iu’il en coötoit, déja, a l’Etat des fomraesim-ïlienfes, qui auroient pu être employées a chafletnbsp;lesSarrafins, qui faifoient des incurfions jufquenbsp;dans l’iiitérieur de la France. „ Ils jouiflent tran-j» quillement, difoir-il, du fruit de nos querelle*nbsp;inteftines; ils fe félicitent de voir leurs enne-» mis fe faire plus de mal eux-mêmes, qu’ilsnbsp;u n’en auroient re9u de leurs véritables ènne-gt;» mis. Les Sarrafins n’ont plus a regretter denbsp;ï» n’avoir pas de vaillans Chevaliers i oppofernbsp;*gt; aux nótres, amp; qu’ont-ils a délirer, puifquenbsp;») nos Chevaliers fe détruifent eux-mêmes?
. Ainfi parloitNalraes, mais Charles, prévenu , jctant fur lui un regard de fureur ; „ Naimes ,nbsp;dit-il, craignez ma vengeance pour vous-mê-« me, amp; non pour mes ennemis, dont les inté-gt;» rêts vous font tropchers. Un zèlefi importunnbsp;commence a me devenir fufpeft; il femblenbsp;tenir moins du protefteur que du complice.nbsp;” réfolu de ne point pardonner aux filsnbsp;»’ d Aymon, a moinsqu'ils ne melivrent Mau-»gt; gis, OU qu’ilsnem’apportent fa tête; amp; jere-,, garderai comme mon ennemi quiconque mCnbsp;gt;, parlera en leur faveur.
-ocr page 266-Malgré Ia 'terreur que ce difcour-s • caufa aux Barons, Oger ne put s’empêcher de dire ;
Certes, l'inébranlable fermeié du Roi doit yf bien encourager fes Chevaliers a la bienfai-„ fance amp; a la généroficé. Si Renaud n’eucnbsp;„point été généreux, on fe fdc borné a Ienbsp;„ blamer , amp;, paree qu’il 1’a été, nous allonsnbsp;„ Ie combattre, détruire fa retraite , amp;, peut-„ être, Ie Hvrera un ennemi qu’il a comblénbsp;„ d’honneur amp; de refpefts. Allons, Cheva-„ liers reconnoiflans, profitons de la liberténbsp;„ que Renaud nous a rendue , pour mettre fanbsp;„ ville a feu amp; a fang , amp; pour égorger fanbsp;„ familie ; Ie Roi 1'ordonne; il faut être in-„ grats OU rebelles: Bartons En effet, ils s’ap-prochent, auffi-tót, des mars, trainent aprèsnbsp;eux les échelles, les catapultes amp; les bellers,nbsp;Renaud les voit du haut des murs, il faitnbsp;fonner Ie cor, pour avercir fes troupes. Aunbsp;premier fignal, les remparts furent couverts de foldats; ils attendirent les Frangois',nbsp;qui s’élancèrent dans les foflés, amp; plantèrentnbsp;leurs échelles fans obftacle; maïs, dés que lesnbsp;affiégés les virent prêts k irionter, ils firentnbsp;tomber fur eux une pluie d’huile bouillantenbsp;amp; de poix fondue, qui s’attachoit a leur ar-mure amp; a leurs habits, amp; qui les brüloit juf-qu’aux os. Ils rouloient d’énormes rochers,nbsp;qui écrafoient les échelles- Les fils d’Aymonnbsp;dirigeoient fi bien leurs coups, que rien nenbsp;-tenoit fous les remparts. II n’y avoitpas unenbsp;heure que l’alTaut avoit commencé, amp; Ie Roi,nbsp;craignant de perdre les troupes qu’il y avoir
-ocr page 267-envoyées, fit fonner la retraite ; II fe borna a tenir la Ville bloquée, juranc qu’il ne le-¦veroit le fiége que lorlqu’il auroic affamé amp;nbsp;le Chateau , ou que les affiégés fe ren^nbsp;^roienta liifcrécion. II pofta un corps de deuxnbsp;Cents Cavaliers a chaque porte, afin que per-Ponne ne fortit; Renaud fut confterne de cenbsp;P’'®jet, paree que les vivres commengoient anbsp;hianquer. Alors, Richard lui reprocha de n’a-.'’cir pas gardé le Roi; inais, malgré le dangernbsp;fiui les mena^oit, Renaud ne put fe repentirnbsp;de fa générofité,
¦Cependanc, la faim commen^oit a fe faire fentir; elle augraenra tous les jours, amp; fesnbsp;progrès devinrent terribles. D’abord, on iné-^agea le pain amp; lés alimens ordinaires; malgrénbsp;^tte économie, ils raahquèrent tout a fait.nbsp;On eiit recours a routes les reflburces que lanbsp;nécelfité cruelie fait iniaginer. On mangea lesnbsp;^niinaux de route efpèce, les anfedles les plusnbsp;l^cvoltans parurent délicieux : On détrempanbsp;•cs cuirs amp; on les mela avec des herbes; onnbsp;dépouilla les arbres amp; les ronces; on arrachanbsp;^es racines les plus fauvages; les habitans n’é-toient plus que des fquelettes défigurés, fansnbsp;courage amp; fans vigueur; ils n’avoient de forcenbsp;que pour s’arracher, les uns les autres, quel-ques alimens empeftés; la more les moiflbn-noit par centaines, amp; plufieurs expiroienr ennbsp;devdfanr les cadavres de I'eurs pères amp; de leursnbsp;amis. Les chevadx avoiefit été la' pature denbsp;leurs rfiaitres'-, if ne I'eftoit'que ceux des quatrenbsp;lt;il« d*AyinoH. Ay milieu de la ölaiaité-fu^
-ocr page 268-blique, quelques-uus, mourant de faim, de-raandoienc a fe rendre. „ Citoyens, leur die ,, Renaud, je fuis pret a fauver votre vie auxnbsp;• , dépens de la mienne; mais fongez que, finbsp;,, nous nous rendons, Ie Rol ne me fera pointnbsp;„ périr feul; que ma femme, mes enfans, amp;nbsp;,, mes frères, feront les viftimes des plus cru,elsnbsp;j, fupplices. Nous aliens nous livrer, fi vousnbsp;,, 1’exigezAlors, ils s'écrièrent tous, au-tant que leurs voix foibles amp; lugubres purencnbsp;fe faire entendre : „Mourons, mourpns tousnbsp;,, avec les fils d’Aymon , plutóc que de foufiïirnbsp;,, qu’ils fe rendent!
Le Due d’Aymon fut indigné. de la du-reté de Charlemagne; il combattoit contre fes quatre lils, amp; il étoit refté fidelle a fonnbsp;Souverain, contre fop propte fang. II alia fup-,nbsp;plier Charles d’avoir pitié de fes malheureuxnbsp;enfans; il lui repréfenta que, quoiqu’il lesnbsp;edt bannis de la maifon paternelle, 11 nenbsp;pouvoic fe défandre de les aimer; mais Charles n’eucaucun égard a fes prières, amp;, commenbsp;il vit que les Pairs, étonnés, fe regardoient,nbsp;il ordonna qu’on fit des Machines pour abat-tre la grande , tour. C’écoient des catapultesnbsp;qui lan^oient des pierres énormes; il en donnanbsp;fept d commander ,a Roland, fix a Olivier,nbsp;quatre a Naimes, quatre a 1’Archevéque Turpin, amp; autant a Oger, amp;, enfin, il eut lanbsp;ctuguté d’en donner trois au Due Aymon; lenbsp;foible Due n’ofa les refufer; il murmura fe-«rettement, amp; n?en obéit pas; tnoin,s.
¦ catapujtes furiïoc ^reftees^ amp; jetèrent.
-ocr page 269-uuit amp; jour, de groffes pierres, qui ravage-rent la Ville amp; écrafèrent qiiantité d’habi-tans : Us foufïroient ces maux plus patiem-nient que la famine. Renaud, outre fes propres niaux, avoir a fupporter ceux de fa familie,nbsp;de fes troupes, amp; des habitans de Montau-tan; il verfoit des larmes amères. Yolandonbsp;affeftoit une tranquillité qu’elle n’eprouvoitnbsp;pas; elle ellayoit de le confoler; elle lui con-feiiloit de faire ruer deux , des chevaux quinbsp;reftoient pour fuftanter fes frères amp; fes en-fans, amp; elle tomboit aux pieds de Renaudnbsp;expirante de befoin ; 11 propofa cet expedientnbsp;a fes frères; mais Richard ne voulut pas li-Vrer le lien; il brufqua même Renaud; lanbsp;faim cruelle ne connoit ni 1’amour, ni 1’ami-tié.,, Faites tuer Bayard, loi dit-il, li vousnbsp;« le jugez a propos; c’ell vous qui êtes caufenbsp;5) de nos peines, puifque c’eft vous qui, parnbsp;»i orgueil, plutót que par générofité, avest ac-5, cordé la liberté a Charles „ Le jeune Ay-^on, qui 1'entendit, dit a fon oncle qu’il nenbsp;falloit pas ainfi revenir fur le palie, amp; qu’ilnbsp;étoit honteux de reprocher a quelqu’un deuxnbsp;fois la même chofe; qu’il n’etoit pas queftionnbsp;de ce qui étoit fait, mais de ce qu’il falloicnbsp;faire. La réflexion de cet enfant attendrit, amp;nbsp;fic rougir Richard, qui en 1’embraflant, dienbsp;a fon frère de faire tuer fon cheval : Alardnbsp;confentit auffi que le fien fut tué; mais. il voulut qu’on épargn^t Bayard, a qui tous avoientnbsp;de fi grandes obligations.
Ces raflburces furent bientdt épuifées. Ri*
-ocr page 270-fi64 nbsp;nbsp;nbsp;Zes quntre fils
chard étoit d’avis de demander a capituler. „ Ah! plutót, mon cher Richard, s’écria Re-„naud, manger Bayard, amp; mes enfans, quenbsp;„ de rne rendre é. un Roi barbare qui nou9nbsp;„ feroir périr du fupplice des infèmes! Ne dé-„ fefpérons point du ciel, dans les circonftan-ces malheureufes oii nous nous trouvons :nbsp;5, Ün jour a fouvent produic de grands chan-,, gemens Alard avoir défendu, jufqu’alors,nbsp;ia vie de Bayard; mais il ne vit pas d’au-tre moyen, pour vivre encore un ou deuxnbsp;jours. Renaud étoit confterné, fa femme, fesnbsp;fréres amp; fes enfans, mourans amp; exténués, Ienbsp;preflbient fi vivement, qu’il étoit prêc d’ynbsp;confentir; fes enfans s’arrachoient, en pleurant,nbsp;des bras de leur mère défaillante; Alard em-braflbit Ie jeune Aymon, qui refpiroit a peine.nbsp;Richard colloit fa bouche fur Yon, amp; cher-choit a Ie ranimer de fon haleine brulante :nbsp;Si Renaud détournoit fes regards de ce fpec-tacle déchiranr, ils tomboient fur des objetsnbsp;plus effroyables encore. On avoit creufé, dansnbsp;divers lieux de la Ville, des folies profondes,nbsp;oü 1’on jetoit ceux dont la faim avoit terminénbsp;les jours; la, des malheureux, fans force,nbsp;expiroient fous Ie poids des cadavres qu’ilsnbsp;portoient, amp; rendoient, a cócé d’eux, leurnbsp;dernier foupir; ici, des creatures humainesnbsp;déterroient amp; difputoient aux vers, des chairsnbsp;infeéles amp; livides, on les faifoit cuire, onnbsp;les préparoir comrae les chairs des animaux,nbsp;amp; ces abominables alimens ne fervoient qu’anbsp;ïBettre dans Ie fang de ceux qui s’en nour-
jiflbient»
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riffoient, tin nouveau ferment qui renJoit leur fièvre plus dévorame.
Dans cette affreufe extrémité, Renaud pro-Oiit a fes frères que la nuit fuivante ne fe PalTeroit point, fans qu’il leur ptocur^t desnbsp;fecours : En effet, dés qu'elle fut venue,
^1 forcit, fecrectement, de la Ville, amp; alia au Pavilion de fon père, qu’il avoir reconnu dunbsp;hauc de la tour : II rencontra le Due Aymon,nbsp;^lui fe promenoit, trifte, rêveur, amp; cherchancnbsp;i favoir ce qui fe paflbit dans Montauban.nbsp;Son fils lui demanda qui il écoit, amp;ce qu’Unbsp;faifoit, feul, è cette heure ? Aymom le re-connut; mais il diffimula : „ Et toi, lui dit-il,
« que viens-tu chercher dans le camp ? Ah! j, mon père 1 s’écria Renaud , j’embrafle vosnbsp;y, genoux; ayez pitié de vos enfans, qui meu-», rent de faim, qui ont épuifé routes leursnbsp;y reflburces : Ayez pitié de mon époufe amp;nbsp;wd’une familie nombreufe, qui va difparoi-« tre : Dans ce moment, peut-être, mes en-ygt; fans expirent; je me rendrois pour les fau-»ver, fi je croyois que le Roi fe contentdcnbsp;»? d’une feule viétime, ou qu’il ne fit pas re-5gt; jaillir fur eux 1’infamie du fupplice qu’il menbsp;»gt; deftine. Depuis trois jours, ni moi, ni manbsp;»»femme, ni mes frères, ni mes enfans, n’a-»»vons pris aucune efpèce de fubfiftance, amp;nbsp;»gt; nous périffons. Il faut que nous mourrions,nbsp;”nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;nous nousv rendions ^difcrétion. Se-
*’ ^^^^'Vous afiez cruel pour nous voir mou-5, nr. ou pourriez-vous fouffrir, qu’en nous J» uvrant au Roi, nous coutuffions au devanc
M '
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Zes quatre fils
„ des fupplices,,? Le Due d’Aymon ne put téfifter plus long-temps : Un torrent de lar-mes s’échappa de fes yeux; il emhrafla Re-naud, le fit entrer dans fon Pavilion, amp; luinbsp;dit d’y prendre tous les vivres qu’il y trou-veroit, ne voulant pas les lui donner lui-mö-me, pour ne pas violer le ferment qu’il avoicnbsp;fait au Roi. Renaud preffa les genoux de fonnbsp;père, prit tout ce qu’il trouva amp; en chargeanbsp;Bayard, qui portoit autant quedeux chevauxnbsp;auroiem pu faire. Le lendemain,le Due Aymonnbsp;fit raflerabler, dans le camp, des viandes amp; dunbsp;pain, amp; les lanpa, au lieu de pierres, par lenbsp;moyen des catapultes dont il avoit le comman-dement. Renaudaflemblafa familie, amp; leur ex-pliqua parquel moyen cefecoursleurétoit venu.
Charlemagne fut bientdt informé , par Pinabel , de la raanière dont le Due Aymon avoit fait palier des vivres a fes enfans. II luinbsp;en fit un crime, amp; le menaga de le punirnbsp;comme traicre. „ Sire, lui dit Aymon, je n’ainbsp;,, que trop long-temps étouffé les cris de la na-„ ture,amp;c’eftle feul crimequejeme reproche.nbsp;„J’ai banni mes enfans de la maifon pater-„ nelle, paree que vous vous êtes declare leutnbsp;5, ennemi; mais, Sire, ni la crainte de vousnbsp;,, déplaire, ni mon obéifl'ance aveugle, ninbsp;„ 1’envie de mériter les bonnes graces de monnbsp;„ Roi, n’ont pulesbannirdemoncceurjjegé-„ mi? de leurs maux, amp; je les foulagerai tant quenbsp;„ je pourrai, ddt votrecolèteépuifer mon fangnbsp;dans l’horreur des fupplices. Le plus cruelnbsp;jgt; de tous eft au fond de mon coeur, c’eft la
-ocr page 273-ii honte amp; Ie lemords d’avoir été fi long-temps 5j injufte amp; cruel envers des enfans gt; qui, mal-gt;5 gré ma conduite, ont toujours eu pour moinbsp;»gt;le même amour amp; Ie même refpect. Vousnbsp;»gt; voulez les faire périr, amp; vous exigez, Sire,nbsp;») qu'un père eiifonce Ie poignard dans leurnbsp;ï) fein! Quand ils auroient mérité Ie fort quanbsp;gt;» vous leur dellinez, un père qui fe rendroitnbsp;5gt; complice de leur honte, feroit juftemencnbsp;»gt; regardé comrne un monftre. Eh! de quel ceilnbsp;gt;, voudriez-vous qu’on me vit, moi, quinbsp;a, aurois été Ie complice de la mort de quatrenbsp;agt; enfans, les plus braves, les plus vertueuxnbsp;ïgt; Chevaliers qu’il y ait au monde? Ah! Sire»nbsp;agt; ne 1’efpérez jamais.
Le Due Naimes, qui voyoit Ie courroux Roi s’enflammer, interrompit le Due Ay-hion: „ C’eft trop long-temps, Sire, dit-il,nbsp;»gt; avoir retenu Aymon auprès de vous. Lenbsp;facrifice qu’il vous fit, en fe féparant de fesnbsp;enfans, auroic fuffi au Souverain le plusnbsp;» abfolu. Un defpote penfe qu’il peut difpo-fer de la fortune amp; de la vie de fes Sujets;nbsp;a» mais il y en a peu, qui exigent qu’a leurnbsp;saordre fuprème, on iminole les droits de lanbsp;5gt; nature. Renvoyez le Due Aymon, amp; trai-V tez-ie plutót comrne fes enfans, que de vou-«loir qu’il en foit le bourreau.
Le Roi fuivit le confeil de Naimes, amp;, en le retirant, ce père infortuné demanda pardon aux Barons amp; aux Pairs, de la foibleflanbsp;qu il avoir montrée jufqu’a ce jour, amp; leurnbsp;«commanda fes enfans.
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Lts quatre fils
Cependant, Charlemagne, qui craignit, qu’i l’exemple d’Aymon, on ne fe fervit de lanbsp;catapulte pour fournir des vivres aux affiégés,nbsp;ordonna de les détruire, amp;, bientót, la faimnbsp;fe fit fentir dans Montauban avec la mêraenbsp;fureur. La familie d’Aymon fe trouva réduitenbsp;aux mêmes extrémicés, amp; la mort de Bayardnbsp;fut encore demandée. Renaud s’y étoit determine ; mais, au moment d’exécuter fon projec«nbsp;Charlemagne, impatient que les affiégés nenbsp;for^aflent point les fils d’Aymon a fe rendre,nbsp;crut qu’en donnant un aflaut a la Ville, ilnbsp;5’en rendroit aifément Ie maïtre. II fit porternbsp;au pied des murs, des echelles, des tours rou-lantes, amp; fit marcher 1’élite de l'armée; mais,nbsp;comme fi Ie défefpoir, qu, plutót, 1’efpérancenbsp;de trouver fur les remparts une mort qui ter-tninSltleursfouifrances enlescouvrant de gloi-le, eamp;t ranims leurs forces, les Gafcons firentnbsp;pleuvoir furies affiégeans, une fi grande quan-tité de pierresamp;de feuxj qu’ils les contrai-gniient de ie reticer.
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d'Aytnon. =22i^BaP^
C H A P I T R E XVIII.
fils d'Aymon abandonncnt Montauban ^ ils en fomnt, fecrettement, avec les habi-tans. Ils fe retirent d Dordogne. Secoursnbsp;^u’ils trouvent dans leur route. Etat oü Charlemagne trouve Montauban. II veut ajjiégernbsp;Dordogne : Renaud Ie prévient, Bataillenbsp;fanglante. Le Due Richard de Normandienbsp;prifonnier de Renaud; fage confeil de Roland ;fermeté du Due. Mort du ^oi d’A-quitaine.
moment oii Renaud n’avoit plus de Teflburces pour fauver fes enfans, fa femme «nbsp;fes frères amp; Bayard; au moment oü ils avoientnbsp;Ptojeté de s’enfermer dans la citadelle, amp; d’ynbsp;niettre le feu, en laiflant auxhabitans la li»nbsp;terté de fe rendre, un vieillard fe préfentenbsp;a Renaud , amp; lui dit: „ Monfeigneur, je voisnbsp;,, qu'il eft impoffible de fauver cette malheu-9,reufe Ville ; Tant quej’ai vu la plus petitenbsp;gt;,lueur d'efpérance, j'ai gardé mon fecret;nbsp;»mais le moment eft venu d’abandonnetnbsp;sj Montauban.... Refpedablé vieillard , luinbsp;w Renaud, que vénez-vous me propofer?nbsp;” •gé'néreux habitans ont raieuxnbsp;9, aimé fouffrij 'les horreurs de la faim, amp; unö;nbsp;gt;» crueUe, que de fe rendre, amp; vousnbsp;»gt;vo«drie3.,„,Noa, Monfeigneur, reprit le
M iy
-ocr page 276-}, vieillard, il ne faut pas fe livrer 4 Charle-magne....Ahljet'entends ,ehbien! charge-toi de 1’exécution : Va , ordonne, donne des torches k tout ce qui refte d’habitans,nbsp;}»fais porter de la paille dans routes les mai-gt;, fons, amp; que chacune ferve de bucher a fanbsp;a, familie. N'eft - ce pas la le confeil que tunbsp;ja viens me donner? II eft cruel; mais il eftnbsp;j, d’un citoyen généreux, amp; je t’en remercie.nbsp;9, Sans doute, reprit le Vieillard , }e préfé-,, rerois ce parti a celui de me rendre; maisnbsp;„je viens vous en offrir un plus doux. Nousnbsp;„ pouvons fortir de Montauban, fans que lenbsp;9, Roi puifle 1’empêcher. Votre ChSteau eftnbsp;,, conftruit fur les mines d’une ancienne ci-„ tadelle, dontle Seigneur fut unhomme trés*nbsp;9, habile dans routes les rufes de guerre; aunbsp;„ deflbns d’une des tourelles du rempart, un ca-
„ veau communique a un fouterrain, qui con* „ duitjufqu’au bois de la Serpente; mais 1’ou-
,, verture du caveau eft fi artiftement fermée , „ que perfonne ne la connoit amp; ne peut mémenbsp;„ la foupgonner; ce font les mêmes briquesnbsp;9, amp; la méme terre du rempart, amp;, fi je nenbsp;9, favois, par moi-même, 1’endroit qu’il faucnbsp;„ creufer, quand méme je ferois prévenu qu’ilnbsp;„ y a une ouverture, je la chercherois en vain.
Le vieillard, qui avoit amene des ouvriers, y conduifit Renaud, amp; lui montra les briquesnbsp;amp; la terre qui raafquoient I’ouverture; quandnbsp;la terre fut ótée, on trouva le caveau, amp;, en-fuite, le fouterrain. Renaud aflcmbla tous lesnbsp;habitans, leur donna de$ torches amp; du feu;
-ocr page 277-il fit prendre aux plus robuftes ce qu’il y avoit de plus précieux dans Montauban, amp; les con-duifit a la caverne; les torches les éclairèrent.nbsp;Alard amp; Guichard marchoient a la tête. Richardnbsp;amp; Renaud fermoient la marche. Ils avoiencnbsp;déji fait une partie du chemin, lorfque Renaudnbsp;ft reflbuvint qu’ils avoient laifle Ie Roi Yon ,nbsp;^ui étoit malade. „ Continuez votre marche ,nbsp;j, dit-il, i Richard, je vais chercher Ie Roi d’A-9gt; quitaine: II mourroit de faim, ou tomberoit ynbsp;j, peut-être, entre les mains de Charlemagne ,nbsp;9, amp; je ne veux point avoir fa mort a me repro-ï» cher. Ah! mon frère, répondit Richard, Ienbsp;», traJtre n'a que trop vécu; Ne nous caufe-t-ilnbsp;), pas aflez de maux ? Mon frère, reprit Renaud ,nbsp;9, il eft coupable amp; malheureux; amp; 1’état dé-9, plorable oü nous fommes ne doit-il pas feulnbsp;gt;j nous infpirer de la pitié pour ceux qui fouf-Jjfrent? A quoi ferviroient les revers, s’ilsnbsp;9, ne nous rendoient pas meilleurs,,? En di-fant ces mots, il partit pour aller cherchernbsp;ft Roi, amp; recommanda a Richard de veillernbsp;fur la troupe. II ne rarda pas a ramener Yon,nbsp;qu’il avoit fait monter en croupe fur Ba5/ard.
Au point du jour, ils trouvèrent 1’iflue de la caverne, amp; Ie vieillard leur fit reconnoitrenbsp;l’endroit du bois de la Serpente oü ils étoienc.nbsp;Renaud fe reflbuvint qu’il n’étoit pas éloignénbsp;de 1’herinitage d’Arsène, vieux folitaire, au-Y^fois Chevalier, qu’il avoit vu chez Ie Duenbsp;Aymon, fon père; il avoit quitté Ie mondenbsp;amp;la Cour, è 1’occafionde quelqu’injuftice qu’ilnbsp;^voit efliiyéc. Renaud demanda a fes ftères
Les quatre fils
s’ils ne jugeoient pas a propos d’aller Ie voir» en attendant la nuit, pour ne pas entrer denbsp;jour a Dordogne. Ils y confentirent; mais ilsnbsp;furent arrêtés par un fpeftacle qui leur arrachanbsp;des larmes. Leur troupe, en voyant de 1’herbenbsp;fraiche, ne put s’empécher- de la brouter, amp;nbsp;de s’écarter dans Ie bols. Renaud eut bien denbsp;]a peine a les raflembler; il repréfenta a cesnbsp;Infortunés combien il étoit dangereux de fenbsp;féparer, amp; les aliura que, bient'Qt, ils auroientnbsp;de quoi manger.
Lorfque Ie bon hermite reconnut Renaud, 51 courut l’embraffer; malgré la maigreur d'Yo-lande, Arsène fut frappé de fa beauté; il leurnbsp;üt, a tous, 1’accueil Ie plus gracieux. Renaudnbsp;lui raconta, en peu de mots, 1’excès de leurnbsp;misère : Arsène efit bien voulu appaifer lanbsp;faim de toute la troupe; mais fes provilionsnbsp;n’étoient pas fuffifantes. II dit aux uns, d’allernbsp;cueillir les berbes qu'il leur indiqua; auxau-tres, d’arracher des racines; il prit tout cenbsp;qu’il y avoit de legumes dans fon jardin : Ilnbsp;Vit des Bergers, fur une hauteur, qui condui-foient des moutons; il envoya Richard ennbsp;acheter dix. Tandis que les uns les tuoient amp;nbsp;les écorchoient, lés autres faifoient des bro*nbsp;ches avec des batons de faules amp; de noifettes;nbsp;d’autreS formoient des trous dans la terre amp;nbsp;y allumoient du feu; Arsènenettoya les herbesnbsp;amp; les racines, amp; les fit cuire, comme il put,nbsp;dans les cafques des Cavaliers; car, pour toutenbsp;batterie de cuifine, il n’avoit qu’une petitenbsp;ïnarmite de fer. Quand tout fut prêt, Ie bon
-ocr page 279-hermite leur défendit de fe fervir eux-mêmes. La faim que vous avez foulFerte, leur dit-il, vous feroit manger avec trop d’avidité,nbsp;j) amp; trop d’alimens furchargeroic vos eftomacsnbsp;9, affoiblis „; il commenga par leur faire prendre des alimens liquides amp; humeftans; il leurnbsp;diftribuales viandes en petite quantité; illesnbsp;conduifit fi bien, que perfonne ne fut incom-tnodé.
Les fils d’Aymon, Yolande amp; fes fils, amp; Ie Roi d’Aquitaine, après avoir fuivi la troupe, paflêrent Ie refte de la journée avec 1'Her-mite, lui racontant leurs aventures amp; les mauxnbsp;qu’ils avoient foufferts pendant Ie blocus denbsp;Montauban, amp; donnant des larmes amères ènbsp;ceux que la faim avoit enlevés; quand la nuicnbsp;fut venue, ils prirent congé d’Arsène, amp; fenbsp;remirent en marche : Renaud avoit eu la pré-caution d’envoyer Richard, avec un déta-chement, annoncer fon arrivée. Arsène luinbsp;avoit procuré un cheval. Dés que les habitansnbsp;de Dordogne eurent appris que Renaud arri-voit, ils fortirent tous, amp; vinrent, è unenbsp;lieue, au devant de lui, amp; Ie conduifirent anbsp;la forterefle. Le refte de la nuit, qui étoitnbsp;déja avancée, fe pafla en réjouiflances, amp;, lenbsp;lendemain, Renaud regut la foi amp; hommage denbsp;tous les Barons amp; Chevaliers du pays.
Huit jours s’étoient pafl.es, fans que Charlemagne eöt vu paroitre perfonne fur les murs de Montauban. II fit le tour des rem-parts, amp; rien n’y paroiflbit. II aflsmbla fesnbsp;Pairs, amp; leur dit que, faus doute, les af-
M V
-ocr page 280-fiégés avoient mieux aimé périr, tous, de-faim, que de fe rendre; qu’il falloit s’en af-furer, amp; ordonna, pour Ie lendemaiti, un aflaut général. 11 marcha a la tête des troupes, on battit les murs, amp; perfonre ne lesnbsp;défendit. Alors, on ne douta plus que la morenbsp;n’edt tout tnoiÜbnné. On drefla l’échelle la plusnbsp;haute contre Ie mur, amp; Roland monta Ie premier; U fut fuivi d’Oger, d’Olivier amp; de Nai-mes. Ils ne virent, par-tout, qu’une folitu-de : Aucune efpèce d’animaux ne la vivifioit,nbsp;tous avoient fervi de pkure aux affiégés; Unenbsp;odeur infevSe, qui s’exaloit des folies rempliesnbsp;de cadavres; un filence que Ie cri du plus petit infefte n’inrerrpmpoit point, itnprimoiencnbsp;aux Chevaliers une terreur involontaire ; Ilsnbsp;entrèrent dans quelques maifons, amp; trouvè-lent les relies infeéls de membres humains ènbsp;demi-cuits, qui paroiflbient avoir été dévo-lés; ils détournèrent leurs regards de eet horrible fpeótacle, amp; fe hatèrent d’aller ouvriïnbsp;les portes au Roi : II fit chercher par7toutnbsp;les relies des fils d’Aymon, car il ne doutoicnbsp;plus qu’ils n’euflent péri.
Renaud fut averti que Charles étoit dans Montauban; il vouloit 1’alier affiéger a fonnbsp;tour; amp;, comme Ie Röi croyoit n’avoir plusnbsp;d’ennemis, amp; qu’il fe livroit a une fécuriténbsp;dangereufe, Renaud eut pu Ie furprendre;nbsp;inais Yolande s’oppofa a fon projet. Ce füt,nbsp;fans doute, une grande faute dans un guer-rier tel que Renaud; mais Yolande lui rap-pela qu’il avoit jmé de fe défendre con-
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tre Charlemagne, amp; de ne i’attaquer jamais.
Cependant, Pinabel, a force de fouiller, trouva I’ouvenure du fouterrain; il alia fairenbsp;fon rappor: a Charles, amp; ajouta que Maugisnbsp;leur avoit ouverc cette route voiiine des en-fers. Naimes s’y tranfporta, amp; dit au Courti-fan : Ta méchanceté te fait toujours trou-„ ver des raifons de blamer les abfens. Nenbsp;,, vois-tu pas que cette caverne eft creufeenbsp;,, depuis des fiècles, amp; qu’on n’a fait que lanbsp;„ deboucher ? Tant mieux, reprit Pinabel,nbsp;„ il fera plus aifé d’en trouver I’illue; car,nbsp;„ft c’eüt été 1’ouvrage de Maugis, je n’au-„ rois confeille a perfonne de s’y engagernbsp;Il confeilla a Charlemagne d’y faire entreenbsp;quelques Archers intrepides. Naimes, qui haif~nbsp;foit Pinabel, lui dit qu’il ne connoilibit per-fonne dans l’armée plus propre que lui a unenbsp;telle entreprife. Pinabel n’ofa refufer; il fitnbsp;allumer quantité de torches, prit, avec lui,nbsp;une cinquantaine d’Archers, amp; n’entra qu’ennbsp;tremblant; a peine eut-il fait quelques pas,nbsp;qu’il retourna tout elfraye : Il rapporta, qu’ilnbsp;étoit impoffible d’aller plus avant, que Pairnbsp;intercepté empêchoit de refpirer. Roland éclatanbsp;de rire, en voyant la frayeur de Pinabel; ilnbsp;lui arracha la torche de la main, amp; ne fe ficnbsp;fuivre que de fon Ecuyer; il avanga fans obf-tacle, amp; fe trouva, enfin, dans un bois, qu’ilnbsp;xie reconnut point; il revint par la même route, fit fon rapport a Charlemagne, amp; 1’af-fura que Renaud s’étoit fauvé par cette caserne, amp; qu’il avoit recopnu les pieds de
Bayard imprimés dans Ie fable : Sur ces indices, Ie Roi envoya, de tous cótés, pour favoir oü Renaud pouvoit s’être retiré; ilnbsp;logea fon armee a Moncauban, amp; les Pairsnbsp;fe félicitèrent, en fecret, de la fuite des filsnbsp;d’Aymon.
Enfin, un des Efpions que Charlemagne avoir envoyés a, la découverte des fils d’Ay-mon, lui rapporta qu’il les avoir vus d Dordogne, qu’ils y avoient une Cour brillante,nbsp;qu’ils répandoient, fur les compagnons de leursnbsp;difgraces, les bienfaits a pleines mains, qu’ilnbsp;ne concevoit pas ou ils pouvoient avoir prisnbsp;un fi riche tréfor, amp; qu’ils avoient déjd raf-femblé une armee formidable.
Le Roi, irrité par fes mauvais fuccès, jura d’aller affiéger Dordogne ; il fit fonner lesnbsp;trompettes, afin que chacun s’armèt, amp;, quandnbsp;3e camp fut levé, amp; que tout fut prêt, ilnbsp;fit fonner la marche; ils arrivèrent, en deuxnbsp;jours, a Montorgueil, d’oü 1’on aper^oit lesnbsp;clochers de Dordogne. L’armée y coucha cettenbsp;Uuit, amp;, dès le point du jour, Renaud vitnbsp;les premières troupes s’avancer; il ne jugeanbsp;pas d propos de fe laifler affiéger comme anbsp;Montauban, mais d’atcaquer Ie premier; ilnbsp;fait fonner lecor, touts’arme, on fort de lanbsp;Ville en bon ordre. Renaud fait fentir a fonnbsp;armée, qu’elle avoir non feulement k fe ven-ger des'maux qu'ils avoient eiluyés a Montauban, mais a fatisfaire la vengeance de leursnbsp;concitoyens, de leurs parens, de leurs amis.nbsp;Charlemagne fut furpris de voir les fils
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ö'Aymon a la tête d’une fi brillante année. Lorfque Renaud fut a portée, il dit k Richard ,nbsp;qui vouloit tomber fur l’avant-garde, de fuf-pendre un moment, paree qu’il vouloit parlernbsp;encore au Roi, amp; lui demander la paix. Richardnbsp;eflaya vainement de l’en empêcher. Renaudnbsp;s’approcha de Charlemagne, amp;, s’inclinancnbsp;devant lui : ,, Sire, lui dit-il, tout ce quenbsp;j) nous venons de fouffrir devroit vous avoirnbsp;,» appaifé; je viens encore vous fupplierde nous
accorder la paix.
Le Roi, plus irrité que jamais, rejeta fa prière avec mépris, amp; ordonna a fes gens denbsp;tomber fur lui. Renaud, plus indigné encore,nbsp;poufle Bayard , fond fur un Chevalier tropnbsp;prompt a obéir aux ordres du Roi, le frappenbsp;dans la poitrine amp; le fait tomber aux pieds denbsp;Charles, oü il expire.
Charles excitoit fes troupes du gefte amp; de la voix. Naimes, en prenant 1’Oriflamme, lui dienbsp;Su’il devroit accorder la paix k Renaud, puif-qu’il la lui demandoit encore, après tant de fu-jets de relTentiment. ,, Naimes, lui réponditnbsp;„ le Roi d’un ton févère, quand j’aflemble-•,, rai mes Pairs, amp; que je vous demanderainbsp;„des confeils^ je vous permetrrai de m’ennbsp;„ donner; ici, votre devoir eft de porter monnbsp;„ Oriflamrae d’une main, amp;, de 1’autre, dsnbsp;,) frapper fur mes ennemis.
Renaud, voyant 1’Oriflamme, fejeta dans la mélée, renverfa un Cavalier en paflanr, amp;nbsp;en abattit quatre de fa lance , qui fe brifa.nbsp;Comme il faififlbit fon épée, un Chevalier
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s’approcha pour Ie prendre en défaut; msis, d'un revers, Renaud fracafle fon cafque 8cnbsp;lui fend la tére jufqu’aux dencs; alors, il crienbsp;Dordogne, railie fes gens, amp; leur promec Ienbsp;gain de la baraille.
A la voix de Renaud , fes frères fe mirent è frapper fur les ennemis; chacun en abaccoitnbsp;de fon cóté; puls, fe joignant jous les qua-tre, ils réunirent leurs forces, 8c la more vo-loir autour d'eux. Des efcadrons enriers ve-noient les choquer 8c difparoiflbient, pour nenbsp;fe rallier jamais : Charlemagne attaqua lanbsp;troupe de Renaud, 8c tua plufieurs Cavaliersnbsp;de fa main, 8c la troupe fe battoit en retraite;nbsp;alors, Renaud quitta fes frères, vint i fonnbsp;fecours. Ia ranimapar fa préfence, 8c Charlemagne fut fur Ie point d’être entouré; maisnbsp;Roland Ie tira d’embarras. Charles ordonna anbsp;fes Pairs de faire fonner la retraite; il conve-noit que jamais Renaud ne lui avoir paru linbsp;grand 8c fi terrible ; qu’il y avoi’- peu dehérosnbsp;qui puflent lui être compares, 8t que fes frèresnbsp;avoient fait des prodiges. L’impreflion que cettenbsp;journée avoir faite fur fon efprit, y refta long-temps gravée. Richard de Normandie vou-lut venger Thonneur des Fran9ois; il harcelanbsp;Renaud dans fa retraite jufqu’aux portes denbsp;Dordogne Renaud ne fe laiffa jamais entamer ;nbsp;il fe battit toujours, 8c les troupes avan^oient,nbsp;protégéespar leur arrière-garde, quifaifoit facenbsp;è 1’ennemi. Renaud, prêt a entrer, fait filernbsp;les premières bandes; enfuite, faifant femblantnbsp;decraiudreSc de fuir» ü entte avec précipita-
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tion; l’impradent Due de Normandie Ie fuic jufque dans la Ville, Renaud avoir fait ranger, de droice amp; de gauche, Ie long des mursnbsp;amp; en dedans, trois cents hommes d’armes.nbsp;Lorfque Richard de Normandie fe fut engagénbsp;dans la Ville, Renaud fait mafquer la portenbsp;pat fes trois cents hommes, amp; fait prifonniernbsp;Richard, avec une centaine de Fran9ois, quinbsp;tentèrent vainement de fe faire jour.
Charlemagne, inftruit de la prife de Richard de Normandie, 1’un des douze Pairs, réfolutnbsp;Ie fiége de Dordogne. „ Sire, lui dit Roland,nbsp;„ vous favez que Renaud n’a pas eu d’enne-mis plus redoutables que moi; mais, au-,, jourd’hui, je prendrai fa défenfe auprès denbsp;s, vous. II y a quinze ans que vous faites lanbsp;,, guerre la plus fanglante aux fils d’Aymon,nbsp;„ amp;, toujours perfécutés, ils font loujoursnbsp;•j vainqueurs; Ie ciel feinble s’être déclarépournbsp;eux. Voila done Richard de Normandie pri-» fonnier de Renaud ; il n’a pas tenu a vousnbsp;que Renaud amp; Richard n’ayent péri par Ienbsp;M fupplice des traJtres; vous avez dit, a la facenbsp;„ del’univers,que, fijamais,eux,ouRenaud,nbsp;„ étoit en votre pouvoir, c’étoit Ie fort quenbsp;j, vous leur deRiniez. Sire , c’étoit nous cx-gt;, pofer a la même infamie; car, enfin, Ienbsp;w droit de la guerre permet è Renaud d’u-» fer de repréfaille envers Ie Due de Nor-,» mandie, amp; il n’y a aucun de vos Pairs quinbsp;,, n’eüt pu tomber dans Ie piège oü Ie Duenbsp;,, eft tombé. Vous avez réduit la guerre d.nbsp;jgt; ce point, qu’elle as laiflè au plus brave
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Les quatre fils
,, homme que l’alternative de la viéloire ou ,, d’unemort honteufe; ainfi, l’honneur, ounbsp;la honte de vos guerriers ne dependent plusnbsp;„que des caprices de la fortune; en quoi,nbsp;,, certes, vous entendez mal vos intéréts;nbsp;„ car, fi Ie Due périt d’une mort ignominieu-„ fe, la honte en réjaillira fur vous amp; fur vosnbsp;„ Etats. Richard a de puilfans amis, qui s’ar-„ meront pour Ie venger. Sire, fi vous vou-„ lez en croire un ferviteur fidelle, qui n’anbsp;,, d’autre ihtérêc que votre gloire, faififl’eznbsp;„ 1’occafion de la prife de Richard de Nor-„ mandie pour faire la paix. Envoyez è Re-„ naud deux Chevaliers pour Ie réclamer; Re-„ naud ne manquera point de mettre la paixnbsp;„ pour condition de la liberté, du Due, amp;,nbsp;„ en l'acceptant, vous parokrez faire ce fa-„ crifice a Richard amp; è vos Pairs, qui vousnbsp;„en feront plus inviolablement attachés.
,, Eft - ce la tout ce que vous aviez a me „ dire? répondit Charlemagne. Certes, j’aimenbsp;„ è voir Roland qui prétend marcher fur lesnbsp;„ traces d’Achille, empruhter Ie langage dunbsp;„ prudent Ulyfle; mais Ulyfleeüt raieux connunbsp;„ Ie caraftère de Renaud ; il eüt fu que Re-„ naud aimeroit mieux périr, que d'abufer desnbsp;„ droits qu’il a fur fon prifonnier; ainfi, Ulylienbsp;„ n’auroit point employé, pour me féduire,nbsp;„ Ie frivole motif de la crainte de Ia morenbsp;„ du due Richard. Eh! quoi, Sire, teprit Ro-„ land, c’eft done paree que vous connoillèznbsp;„ la courtoifie de Renaud, que vous ne crai-» gnez point de Ieperfecutei, amp; ce qui, pouc
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igt; les autres ^ eft une raifon d’aimer amp; d’efti-j, mer, eft pour vous une raifon de haïr amp; de jgt; tyrannifer. C’eft, paree que vous favez qu’ilnbsp;jiPorte la générofité jufqu'a rendre Ie biennbsp;»gt; pour Ie mal, que vous lui faites tout Ie malnbsp;u que vous pouvez. En vérité, Sire, c’eft unenbsp;», manière de forcer vos Sujets a fe tenir ennbsp;jgt; garde contre la bonté de leur cceur, a la-») quelle je n’aurois jamais penfé. O Rois ,nbsp;», tel eft done 1’ufage que vous faites de votrenbsp;pouvoir! Vous ménageriez des Peuples mu-tins amp; prompts è fe révolter, amp; vousnbsp;„ appefantiffez la verge de 1’autorité fur desnbsp;,, Sujets doux amp; fidelles, paree que vous faveanbsp;„ que 1’honneur leur fait un devoir de 1’obéif-,, fance amp; de la foumiffion!
Après que Renaud eut tout difpofé pour la garde amp; la fureté de la Ville amp; de la cita-delle, il fit venir Richard de Normandie.nbsp;»gt; Richard, lui dit - il, vous favez combiennbsp;j, Charles me hait; vous favez que fon def-j, fein eft de nous faire prifonniers, pour nousnbsp;s) livrer au fupplice des fcélérats; cependant,nbsp;„fes Pairs fervent fes injuftes fureurs; quelnbsp;„eft leur but, n’eft-ce pas de nous livrernbsp;j» entre fes mains? N’étoit-ce pas votre in-tention , lorfque votre imprudence vous anbsp;s, conduit dans ces murs? Le Due Richard futnbsp;»»obligé d’en convenir. Vous, amp; les autresnbsp;„ Pairs, continua Renaud, êces done les com-j, plices de 1’injuftice de Charles. Complices?nbsp;„ reprit Richard, des Sujets fidelles obéiflent,nbsp;»i fervent les paffions de leur maitre, fans étre
-ocr page 288-„obliges de difcuter fes raifons. Richard, je „ pardonnerois cette défaite a un foldat mer-,, cenaire, au Peuple; mais vous, Pair du Roinbsp;„ de France, un des Chefs de la nation, obligénbsp;„de balancer, avec lui, la juftice ou 1’injuf-„ tice de fes aftions, d'éclairer fon autorité,nbsp;„je n’avance rien de trop, quand je dis que,nbsp;,, fontenant fes prétentions, done 1’injufticenbsp;„ vous eft connue, vous êtes fon complice.nbsp;„ Je Ie ferois, fans doute, reprit Ie Due, li,nbsp;„ pouvant l’empêcher, je ne Ie faifois pas.nbsp;,, Richard, lui dit Renaud, il n’y auroit ja-„ mais eu de tyrans, s’ils n’euffent jamais trouvénbsp;„ des miniftres de leurs cruautés. Vous par-„ tagez done,avec lui une injuftice reconnue?nbsp;,, amp;, puifque Charles, aimantmieux me fairenbsp;„ une guerre, qui me rend fon égal, amp; quinbsp;„ me donne les mêmes priviléges qu’a lui,nbsp;„ que de m’accorder une paix que je lui ainbsp;„ li fouvent, amp; fi honnêtement demandée ,nbsp;„ me laifle Ie pnuvoir de Ie combattre, denbsp;„ Ie faire prifonnier amp; d’ufer avec lui denbsp;„ tous les droits de la guerre, trouvez-vousnbsp;,,, qu’il y ait quelqu’injuft ced’en ufer de mêmenbsp;„ d votre égard? Non, Renaud, répondit Ri-„ chard, vous avez fur moi tous les droitsnbsp;„ d'un vainqueur légitime. Je vous declarenbsp;„ done, lui dit Renaud, que, li vous ne déter-„ minez Ie Roi k la paix, j’uferai de tous mesnbsp;„avantages; que vous périrez du raéme fup-„ plice qu'il me deftinoit, amp; qu’il m’auroitnbsp;„fait fubir, fi vous m’aviez fait prifonnier.nbsp;„Renaud, reprit Richard, la repréfaille e^t
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jjufte, amp;, pour te prouver que 1’égalité de »nos droits eft parfaite, je te ferai obfervernbsp;5 que, comme Charlemagne fe feroit désho-, noré par ta mort, tu ne peux manquernbsp;, de te déshonorer par la mienne; amp;, pournbsp;, que tu ayes moins a te reprocher, je veuxnbsp;, bien t’avertir que tes menaces ne me force-) ront jamais d’engager Ie Roi d’ajouter Ienbsp;, parjure a 1’injuftice du ferment qu’il a fait, denbsp;, te punir de la mort de fon neveu Re-naud ordonna qu’on gardat Ie Due de Normandie avec Ie plus grand foin, amp; qu’on ne Ienbsp;laifsit manquer de rien.
Le fils d’Aymon étoit, alors, occupé d’un autre foin. Le Roi d’Aquitaine avoit abdiquénbsp;fa couronne en faveur de fon fils, amp; paflbicnbsp;fes jours auprès de Renaud; il avoit beau-coup foufferc pendant le blocus de Montauban ;nbsp;amp;, quoiqu’il eüt pu fe retirer dans fes anciensnbsp;Etats, il aime mieux partager les difgraces denbsp;Renaud amp; de fes frères. Confumé de remords,nbsp;il fut attaqué d’une maladie violente; il de-manda pardon aux fils d’Aymon des mauxnbsp;qu’illeuravoitcaufés;mais, Renaud, oubliantnbsp;fes anciennes infortunes, ou ne s’en rellbu-Venant que pour mieux jouir du bien préfent,nbsp;ïie voyoit dans Yon que fon beau-frère: IInbsp;excufoit fa foiblefle en faveur de la bonté denbsp;fon coEur; il Ie confoloit, le fervoit avec lenbsp;zèle d’une ame reconnoiflante, qui ne croicnbsp;jamais avoir aflez payé les fervices de fonnbsp;bienfaiteur. Yon lui confirma la donation denbsp;la.Ville amp; du CMteau de Montauban, Ss
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Les quatre fils
celui de Dordogne: II recoramanda la familie d’Aymon au Roi fon fils, amp; rendit fon dernier foupir dans les bras de Renaud, quinbsp;Ie pleura comme fon ami, amp; qui lui fic fairenbsp;des funérailles telles qu’ellès convenoient anbsp;un Roi. II fit tranfporter fon corps è Bordeaux , oü il fut enterré dans ie tombeau denbsp;fes pères.
CHAPITRE XIX.
tSongê de Maugis; iï vole au femirs de Re
naud; il attaque des vokurs amp; les bat; il traverfe Ie camp de Charlemagne fous lanbsp;figure d’un Chevalier paralytique; il combatnbsp;Pinabel, Ie terrajfe, lui fait une peur ef-froyable; il arrive d Dordogne. Joie denbsp;Renaud amp; d’S'olande. Maugis préfère Jhtinbsp;hermitage amp; fa pauvreté d Ia grandeur amp;nbsp;d la richefie; il repajfe au travers du campnbsp;de Charlemagne 1 en Herniite; dangers qu‘ilnbsp;court.
. A U GI s avoit pris pofleffion de fon hermitage; une nuit, qu’il s’étoit endormi, après une longue méditation, il fongea qu’il avoirnbsp;été tranfporté a Montauban; il lui fembla quenbsp;Renaud amp; fes frères fe plaignoient que Charlemagne vouloic leur enlever Bayard, quenbsp;Renaud Ie tenoit par la bride amp; Ie défendoit;nbsp;il crnt entendre Charlemagne jurer que, fi ja-
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mais il étoit maitre de Renaud, il Ie feroit périr avec ignominie, il vit, un momentnbsp;après, Renaud aux prifes avec Roland amp;nbsp;Charlemagne, qui 1’abattoient amp; Ie char-geoient de fers. Maiigis, alairmé de ce fonge,nbsp;s’éveille, part, vole au fecours de Renaud,nbsp;traverfe la forêt, amp; arrive dans un lieu fortnbsp;couvert : II y rrouve deux Marchands quinbsp;faifoient retentir la forêt de leurs cris; il leurnbsp;demande ce qui les faifoit ainfi gémir. Hé-t, las! dirent-ils, des voleurs viennent de nousnbsp;„ enlever toures nos marchandifes amp; tout 1’ar-j,gent que nousavions; voyez, fous ces ar-3, bres, un de nos compagnons qu’ils ontnbsp;blefle : Nous fommes ruinés: Car, ce qu’ilsnbsp;5, nous ont pris étoit non feulement routenbsp;„ notre fortune; mais encore, nous devionsnbsp;„ une grande partie de ces marchandifes, denbsp;5, forte que nous n’avons rien, amp; que nousnbsp;j, nous trouvons chargés de dettes, que nousnbsp;j, ne pouvons pas payer. Qu’allons-nous de-9-, venir, amp; que deviendront nos femmes amp;nbsp;„nos enfans,,? Maugis fut touché de leursnbsp;plaintes, amp; leur dit de venir avec lui, qu’ilnbsp;lesprieroit fi honnêtement, que ,'quelque dif-courtois que fuflent ces voleurs, il les engage-roit de rendre ce qu’ils avoient pris; amp; qu'aunbsp;pis aller, s’ils s’obftinoient a refufer, il fau-xoit bien les y forcer a coups de bourdon. Lesnbsp;Marchands crurent avoir affaire a un fou; ilsnbsp;regardèrent Maugis avec pitié, amp; l’un d’euxnbsp;lui dit : ,, Pauvre homme, un feul de cesnbsp;3, brigands vous teiraSeroit, amp; ils four fep.t;
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,, vous n’avez qu’un miférable bSton, fur le-,, quel vous vous appuyez avec effort, amp; ils „ font bien armés : Eh! mon Dieu, difoitnbsp;„ 1’autre, nous fommes bien malencontreuxnbsp;,, aujourd’hui! A peine échappés des mains desnbsp;,, voleurs, nous voili aux prifes av6c unfou,nbsp;,, qu’il faudra, peut-étre, encore battre pournbsp;,, nous en défaire,,! Maugis rioit en lui-mêmenbsp;de ces bonnes geus. ,, Dites-moi toujours,nbsp;„ reprit-il, quel chemin ils ont pris. Va,nbsp;5, crois-moi, mon ami, reprit un des Mar-,, chands, paffe ton chemin, amp;, par tes ex-„ travagances, ne va pas encore les attirernbsp;,, fur nous; 1’autre, de plus mauvaife hu-,, meur, Ie menara. Tu as tort, lui dit Mau-„ gis, de menacer qui veut te rendre fer-„ vice; mais, enfin, je ne puis vous faire dunbsp;„ bien malgré vous; c’eft votre faute; adieu,,.nbsp;Maugis les quitta, amp;, malgré leur brutali-té, il ne fut pas moins touché de leur état;nbsp;II fuivit la trace des voleurs amp; les rencontra.nbsp;,, Seigneurs, leur dit-il, je viens de trouver,nbsp;„ a quelques pas d’ici, de pauvres Marchands,nbsp;„ qui fe plaignent que vous leur avez prisnbsp;,, leurs marchandifes, que vous les avez mal-' „ traités, amp;, même, 1’un d’eux eft dangereu-,, fement bleffé : Ils pleurent, ils gémiffent,nbsp;„ amp; je ne doute pas que, li vous les enten-„ diez, vous ne fuffiez touchés de leurs lar-,, mes. Je me fuis chargé de vous faire con-), noitre la lituation oü vous les avez ré-„ duits, amp; de vous engager d leur rendre ce quinbsp;I, leur appartient. Pon-homme, lui dirent-ils,
-ocr page 293-M tu t’es chargé la d’une alTez mauvaife commif-fion, amp; nous pouvons t’affurer que tu n’en »gt; viendras pas a ton honneur. Pourquoi non ,nbsp;3t dit Maugis? il ne faut jurer de rien,,. Lesnbsp;voleurs regardèrent Maugis des pieds a lanbsp;têce, amp; fe mirent a rire : „ Meffieurs, leurnbsp;«dit Maugis, je vous ai parlé poliment, amp;nbsp;gt;, vous auriez dö me répondre de même;nbsp;j, mais je veux bien, caufe de votre pro-« feffion, ne pas faire attention d cela, pour-») vu, toutefois, que vous rendiez d ces pau-», vres Marchandsce que vous leur avez pris.nbsp;« Ecoute, gueux, lui dit Ie maitre des vo-»gt;leurs, tu devrois t’apercevoir que tu nousnbsp;5, importunes. Cela fe peut, répondit Mau-9,gis, on importune prefque toujours quandnbsp;«on veuc ramener a leur devoir ceux quinbsp;j) s’en font écartés; c’eft dans l’ordre : Mais,nbsp;«que m’importe, pourvu que vous ren-ïgt; diez a ces pauvres gens ce que vous leurnbsp;« avez volé ? Attends, dit Ie chef, en pre-nant un baton, amp; Ie levant fur Maugis ,nbsp;öjVoici, peut-être, un moyen de t'impofernbsp;5» filence. Maugis recule, faifit fon bourdon è,nbsp;sgt; deux mains, amp; Ie frappe fi rudement fur lanbsp;«lête, qu’il 1’étend mort k fes piedsLesnbsp;sutres voleurs s’élancent fur Maugis; il nenbsp;fait qu’un faut en arrière, fes yeux s'enflam-nient,amp; eet homme qui, un moment aupa-tavanc, paroifloit foible amp; exténué, prit 1’airnbsp;Ie plus terrible; fes yeux étinceloient, la fu-leur éclatoit dans chacun de fes traits: Arménbsp;öe fon feul bourdon, il écarté les voleurs, les
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fatigue, les harraffe, leur porte mille coups amp; les met en fang. „ Rendez-vous, leur dit-,, il, vils fcélérats, ou laiflez li votre proienbsp;„ amp; fuyez, OU craignez Ie fort de votre Chef,,.nbsp;Les voleurs, efpérant de l’accabler fous Ie nom-bre, fe réuniflent pour 1’envelopper; Maugisnbsp;les écarté encore, les fépare, amp;, è melurenbsp;qu’ils approchent, il les terrafle amp; les tue ;nbsp;lorfqu’il n’en refta que deux, ils voulurenCnbsp;prendre la fuite, il les arrêta, il appela les Mar-chands, qui avoient entendu Ie combat; ilsnbsp;accoururent, amp; témoignèrent leur reconnoif^nbsp;fance amp; leur repentir è Maugis : „ Ce n’efl:nbsp;,, pas de quoi il s’agit, leur dit-il, je ne m’era-,, barrafle pas plus de votre reconnoiflance quenbsp;„ de vos injures; il vous faut une juftice en-„ tière, amp; vous 1’aurez. Reprenez, d’abord ,nbsp;„ vos marchandifes: Ce n’eft pas tout, dit-Unbsp;,, aux voleurs; vous avez pris de 1’argent,nbsp;,, oü eft-il? ils Ie lui remirent, amp; Maugisnbsp;,, Ie rendit aux Marchands. Ce n’eft pas en-,, core aflez, il y a, 1^-bas, un homme bleflë,nbsp;,, il lui en coütera pour fe guérir II évaluanbsp;les frais, amp; les fit payer. Enfuite, il renvoyanbsp;les voleurs, après leur avoir fait jurer que, dèsnbsp;ce moment, ils renonceroient a leurs brigandages. Les Marchands étoient a fes pieds :nbsp;,, Levez-vous, mes amis, leur dit-il, foyez»nbsp;„ une autre fois, plus honnêtes envers les Her-„raites: Allez foulager votre compagnon; jenbsp;„ voudrois qu'il ffit en mon pouvoir de luinbsp;,, rendre la ianté II les accompagna pournbsp;leur demandei des nouvelles de Charlemagne
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amp; des fils d’Aymon. „ Mon père, lui dirent-« ils, le Roi a pris Montauban par famine; « inais les fils d’Aymon ont trouvé, dans lenbsp;gt;5 CMteau, une fecrette iflue, un fouterrainnbsp;» qui les a conduits a Dordogne; Charlemagnenbsp;5gt; eft allé les y afliéger encore, amp; ne veuc en-» tendre aucune propofition.
Maugis, a ces nouvelles, prit congé des Mardhands, amp; s’achemina vers Dordogne; ilnbsp;hUluc ttaverfer le camp du Roi; en approchant,nbsp;il prit la figure d’un vieux Chevalier, acca-hlé de mifèreamp; d’infirmités, la têtecourbée,nbsp;s’appuyanc fur fon bourdon qu’il avoirnbsp;changé en un méchant trongon de lance, ilnbsp;paroilibit paralyfé de la moitié du corps, amp;nbsp;irainoic avec peine la jambe gauche; il en-tendoit les Archers qui difoient, entr’eux:nbsp;gt;5 Croyez-vous qu’il fallüt beaucoup de tels Pa-ladins pour venir k bout de DordogneMau-gis ne répondoit rien; il pafla devant la tentenbsp;de Pinabel, qui lui cria, en riant : „ Che-» valier, ne venez-vous pas rompre une lancenbsp;5, contre Roland, en faveur de Renaud „ ? Maugis fut piqué. „ Pourquoi, lui dit-il, contrenbsp;» Roland ? il ne m’a jamais infulté: Mais, linbsp;, lu veux, j’en romprai une contre toi, quinbsp;» as 1’infolence d’outrager un vieillard, pareenbsp;gt;» que tu le crois plus foible amp; plus Ikhe quenbsp;), toi Pinabel entre en fureur, failit unnbsp;piquet de fa tente, amp; veut frapper Maugis;nbsp;mais Oger, qui pafla duns ce moment, les fé-para :,, II m’a infulté, dit le vieillard. II anbsp;»gt;eu 1’audace de me défier, dit Pinabel
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maïere. Le Soudan! s’écria Ie Roi. „Hélas! „ oui, dit le vieillard; il a été fait prifon-
Oger Ie blSma.,, II valoic mieux accepter Ie „'iiéfi, dit-il a Pinabel, que de Ie frapper,nbsp;„ amp;, felon les lois de la Chevalerie, vous de-,, vez a eet étranger une reparation. Je n’ennbsp;„ veux pas, dit Ie vieux Chevalier; je veuxnbsp;,, me battre avec lui, ou être en droit de direnbsp;„ qu’il eft un lache Cette affaire fut portee a Charlemagne; il les fit comparoitre :nbsp;II demanda a Ihnconnu qui il étoit; il fe ditnbsp;Chevalier Normand, parent du Comte Robert, amp; revenant, depuis peu, de Jérufalem,nbsp;’ OU il avoit vu Maugis, qui marchandoit denbsp;jeunes efclaves pour Ie Soudan d’Egypte, fon
moirrf» T.p .'Nniirinn 1 s’ppvin 1p Rni. .. Hélalt;!!
,, injure; ce difcourtois Chevalier m’a inful-
j, nier. Le Soudan lui a propofé d'etre em-„ palé, ou de renoncer è fa religion. Mau-gis, qui 1’eüt dit? a eu la lamp;cheté de pré-férer ce dernier parti; le Soudan 1’a fitic „ Eunuque, amp; il eft dans le Serrail; mais, quenbsp;j, m’importe Maugis ? Sire, il s’agit de mon
^ té, je l’ai défié, amp;, plus Ikhe que Mau-„ gis, il eft tombé fur moi, un biton a la „ main. Je cohviens, dit Charlemagne, quenbsp;j, Pinabel a tort; mais, vieux amp; infirme, com-,, ment vous défendrez-vous? Sire, réponditnbsp;„ le faux Chevalier, je ne fuis paralyfé quenbsp;„ de la moitié du corps; je me battrai de 1’au-„ tre, amp; c’eft afl’ez pour un rival tel que cenbsp;„ Chevalier.
Pinabel étoit couvert de honte; il rougif-foit; il n’ofoit ni accepter, hi refufer; il ne
-ocr page 297-Voyoit pas plus de gloire d’un cóté que de I’autre. Enfin, le vieux Chevalier, s'impa-tientant, menace Pinabel delui cafler la têtenbsp;avec fon trongon de lance. Charlemagne or-donne que le combat aura lieu. Le Chevaliernbsp;demande que, ne pouvant fe tenir k cheval,nbsp;k caufe de fa paralyfie, ils combattent k pied.:nbsp;Pinabel y confent, prend fon épée amp; veut fon-dre fur le Chevalier, qui, profitant du temps»nbsp;amp; ne voulant d’autre arme que fon tron^on »nbsp;en donne un fi terrible coup fur le poignetnbsp;de fon adverfaire, qu’il le défarme; d’unnbsp;fecond coup, il le frappe fi rudement dans lanbsp;poittine, que Pinabel, tout étourdi, va tom-ber aux pieds de Charlemagne. Le vieux Chevalier, fans lui donnet le temps de fe relever, lui met le genoufur la gorge, amp;, tenant,nbsp;de la feule main qui paroit libre, le pommeaunbsp;du tron^on de lance, levé fur le vifage denbsp;Pinabel, menace de I'ecrafet s'il ne fe rend.nbsp;Pinabel demande grace, amp; le Chevalier, ennbsp;le remettant dans les mains de Charlemagne , lui confeilla d’êtra plus circonfpeft a 1'a-venir;
Le Roi, étonné de ce qu’il a vu, fait 1’ac-cueil le plus honorable au vieux Chevalier , «lui le prie de lui permettre de voir le camp,nbsp;avant qu’il n’aille a Dordogne, faire rougicnbsp;les fils d’Aymon de 1’amitié qu’ils avoiencnbsp;eue pour ce Maugis. Charles, qui trouvoit cetnbsp;homme fort fingulier, amp; que lop combat luinbsp;faifoit regarder comme un des plus-braves Chevaliers, lui laiffe route liberté. Pinabel s’étoic
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ïCtiré dans fa tente, fort humilié; Mangis, en-pareourant Ie camp, l’aperfut fur fon lit; il entra; Pinabel appela deux de fes Ecuyers,nbsp;amp; leur ordonna de fe failir de eet homme;nbsp;mais Maugis les atterra, amp;, par fon art, lesnbsp;plongea dans un profond foromeü. Pinabel les-crue mores, amp; euc, une feconde fois, la 13-cheté de demander grace. ,, Je te Paccorde,nbsp;„ dit Ie Chevalier, tu n’es pas digne que jenbsp;„ te tue; mais ta gr3ce ne te fervira pas denbsp;„ beaucoup, car tu vas mourlr de ta bellenbsp;„ mort; Ie ciel a fixé ce jour pour Ie derniernbsp;„ de ta vie; tu ne douteras pas de ma prédic-„ tion,,quand tu fauras qui je fuis: Reconnoisnbsp;„ Maugis En ce moment, Maugis reprit fesnbsp;véritables traits; Pinabel eut la plus effroyablanbsp;terreur; Maugis reprit encore la figure du vieuxnbsp;Chevalier écloppé, amp; fortit, en boitant, commenbsp;fi de rien n'étoit. Pinabel voulut appeler du fe-CQurs; mais une langueur, qu’il prit pour lesnbsp;avant-coureurs de la mort, un fommeil qu’ilnbsp;crutêtrele dernier, s’emparèrent,tout a coup,nbsp;de fes fens; ce malheureux , qui n’avoit quanbsp;la force de pleurer, luta, quelque temps, centre fon afibupifleraent, amp; y fuccoraba, canbsp;croyant rendre Ie dernier foupir.
Cependant, Maugis, fon bras en écharpe amp; trainant fa jambe, traverfa Ie camp de Charlemagne, amp; prit Ie chemin de Dordogne, oünbsp;il entra fous fa figure d’Hermite; il alia aunbsp;Palais ; Renaud, fes frères, Yolande amp; fesnbsp;enfans, din..^'ent; Maugis entra, comme fpec-tateur, dans la Salie h manger ; il s’appuy®
-ocr page 299-contre un pilier, amp; les regardoit, avec plailir, fans rien dire. Le maJtre-d'hótel, qui Ié pricnbsp;pour un Hermite qui demandoit I’aumone,nbsp;lui lit apporter a diner; mais il ne prit quenbsp;du pain, amp; ne but que de 1’eau claire. Re-naud le regardoit avec beaucoup d’intérêt :nbsp;Malgré fon vifage pèle, amp; fa maigreur, il luinbsp;fembloit retrouver dans fes traits quelque chofenbsp;des traits de Maugis:,, Mais, quelle apparen-Ï, ce, difoit-il, qu’il fe déguisat ainfi , avec fesnbsp;„ confins amp; fes amis? „ Quand le diner fuTnbsp;fini, Renaud fe leva, amp; fit dire a 1’Hermitenbsp;qu’il avoir è luiparler; lorfqu’ils furent feuls:nbsp;j, Dites-moi, lui demanda Renaud, en 1’em-„braflant, pourquoi vous deguifez-vous? Sinbsp;„ vous n’êtes point Maugis, qui êtes-vous?nbsp;,, Maugis ne put fe cachet plus long-temps:nbsp;¦gt;, C’eft lui-même, dit-il, en réitérant fes em-„ brallemens; c’eft Maugis , qui pleure de joienbsp;„ de vous revoir „! Renaud le pria de quitter fes haillons, de prendre d’autres habits,nbsp;amp; de venir vivre avec fes coufins. „ Non ,¦nbsp;,, Renaud , lui dit Maugis ; j’ai fait vmu denbsp;,, vivre dans la folitude amp; la pauvreté : Je n’ennbsp;j, avois jamais connu les avantages; une vienbsp;,, obfcure amp; tranquille, amp; le témoignage d’unenbsp;», confcience pure, font au deffus de la for-1, tune des Rois; leurs valles Etats, des Royau-„ mes conquis, ajoutés él leurs Royaumes, riennbsp;„ ne fuffit a leur ambition , amp;, tandis que lenbsp;»gt; psnvre eft content avec un peu de pain,nbsp;de 1’eau pure amp; quelques racines ; qu’unnbsp;,, travail modéré lui procure tout ce qui eft
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„ néceffaire a fa fubfiftance gt; Ie monde ravage g, ne peut affouvir la faim des Rois.
Renaud, dans la joie d’avoir retrouvé Mau* gis, appela fes frères amp; fa familie ; tous 1’en-tourèrent en verfanc des larmes de tendrefle.nbsp;,, Croyez-vous, mon coulin, difoit-il a Re-,, naud, que, dans ce moment,je nemetrouvenbsp;,, pas mille fois plus heureux que Charlema-»nbsp;,, gne„? Yolande, la tendre Yolande, arro-foit de fes larmes les mains de 1’Hermite ;nbsp;elle ne ceffa de Ie preffer dans fes bras, quenbsp;pour aller, dans Ie Palais, annoncer a fesnbsp;femmes, amp; i tous ceux qu’elle rencontroit,nbsp;Ie retour de Maugis; puis, elle revenoit knbsp;lui, amp; Tembrailbit encore.
Mais, que cette joie fut courteJ Yolande Ie prioit de changer d’habits : „ Non , lui ditnbsp;,, Maugis, faites-moi donnet un bourdon denbsp;„ nceuds d’épines, amp;je pars: Ma retraite im-„ porte a vatte fureté : Jamais Charlemagnenbsp;„ ne confentira a la paix, s’il fait que je fuisnbsp;„ auprès de vous. Les larmes que la tendrelïènbsp;amp; 1’amitié faifoient couler des beaux yeuxnbsp;dY'olande, fe changèrent en larmes de trif-teffe, amp; coulèrent plus abondamment; mais,nbsp;tout ce qu’ils purent obtenir, fut que Maugis ne partiroit que deux jours après. Renaudnbsp;voulut lui faire accepter un cheval amp; de 1’ar-gent. „ Non, non , lui dit Maugis; fimplenbsp;„ amp; panvre Hermite , je traverferai Ie campnbsp;„de Charlemagne, fans qu’on prenne gardenbsp;„ a moi: Plus d’éclat infplreroit plus de cu-„ riofité. Mon coufin , Télévation fait Ie mal-
-ocr page 301-heur de la plupart des hommes, en fixatie gt;, fur eux tous les regards. Au nom de Dieu,nbsp;), celïez de m’atcendrir par vos larmes, amp;nbsp;5, laiflez-moi retourner dans ma folitude. J’ainbsp;}, fait voeu d’aller a Jérufalem, amp; d’y paflernbsp;j, trois ans; je viendrai vous voir, avant monnbsp;j, départ, amp; tl mon retour ; maïs je veux finirnbsp;5, mes jours dans mon hermitage.
Le jour de fon départ arrivé, Maugis, qui ne vouloit prendre congé de perfonne, fortic.nbsp;du Palais avant 1’aurore; maisRenaud, quinbsp;s’étoit douté de fon projet, s’arracha, douce-ment, des cótés d’Yolande, alia le joindre , com-me il fortoit, amp; 1’accompagna jufqu’a la portenbsp;de la Ville; ils s’embrafsèrent, amp; Maugis pro-mit de venir le voir le plutóc qu’il pourroic.
Maugis, après avoir quitté Renaud, tomba dans une profonde rêverie; il ne s’aperqutnbsp;qu’il étoit prêt du camp de Charlemagne,nbsp;qu’aux plaifanteries d’une garde avancée, quinbsp;s’écria : „ Voici 1’Hermite de Pautre Jour.nbsp;,1 Quelques Soldats s’aperqurent qu’il avoicnbsp;5, une écharpe neuve ; Sur ma parole, difoitnbsp;„ 1’un, il a rencontré quelque Chevalier de foanbsp;,, efpèce, ils auront rompu quelque bourdonnbsp;„ enfemble, amp; il Te fera paré de la dépouille dunbsp;„ vaincu; mais, un Soldat plus brutal, en lenbsp;,» regardant fous le nez, s’avifa de dire qu’ilnbsp;,, falloit fe méfier des Moines; que eet Her-,, mite pourroit bien être le Magicien Mau-,, gis, amp; qu’il n’y auroit pas grand rifque anbsp;,, le tuer; qu’après tout, ce feroit, ou un Saintnbsp;„ de plus en paradis, ou un Sorcier de moins
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„ fur la terre; qu’il n’y avoit qu’a gagner. ») Quelle folie! reprit un vieux Cavalier; nenbsp;voyez-vous pas que eet homme a cent ansnbsp;j, pafles, amp; qu’il eft paralytique? Je connoisnbsp;,, Maugis; je 1'ai vu cent fois; il n’a pasnbsp;5, trente-cinq ans; il eft plus grand que cenbsp;,, vieillard au moins de trois pieds. D’ailleurs,nbsp;,, ne voyez-vous pas qu’il eft couvert de mè-j, dailies bénites, amp; ne favez-vous pas qu’il nenbsp;„ faut qu’une médaille de Rome pour em-y, pêcher tous les fortiléges du monde?
Comme Ie vieux Cavalier parloit ainfi, Ie convoi de Pinabel, qu’on croyoit mort, amp;nbsp;qu’on portoit au tombeau, paffa. Maugis s’ap-procha du vieux Soldat, amp; lui demanda quelnbsp;étoit ce Chevalier. ,, C’eft, lui dit-il, un fa-„ vori du Roi, un méchant homme que Dieunbsp;„ a puni de fes crimes, amp; qu’on a trouvénbsp;„ mort fubitement; il n’eft pas mort, repritnbsp;„ 1’Hermite, il n'eft qu’enchanté, comme cesnbsp;„ deux autres, qu’on porte, fans doute, auffinbsp;„ au tombeau; ils dorment; voulez-vous quenbsp;„je les réveille? Je ferois afléz curieux denbsp;„ voir un défenchantement, reprit Ie Soldat;nbsp;„ mais je voudrois que ce fut fur tout autrenbsp;que fur ces méchantes gens. Comment con-„ noiflez-vous qu’ils ne font qu’enchantés? Scnbsp;„ comment avez-vous Ie pouvoir de les dé-j, fenchanter? Le charme eft aifé a connoitre,nbsp;,, reprit Maugis, a la couleur de leurs traits.nbsp;„ Quant au pouvoir de les défenchanter, ilnbsp;ï, confifte, comme vous l’avez rrès-bien ob-„ fervé , dans ces médailles „. Maugis, quj
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favoit le moment ou le charme devoit fimr, donna une médaille au Cavalier. „ Vous pou-j, vez, fi vous voulez en faire 1’eflai, accom-1, pagner le convoi, amp;, dans deux heures d’ici,nbsp;5, quand on fera prêc a les mettre dans le tom-5, beau, dites qu’on fufpende la cérémonie;nbsp;5, appliquez feulemenc un demi-quart-d’heurenbsp;5, la médaille fur le front de chacun des en-5, forcelés, amp; vous les verrez revenir peu inbsp;5, peu Le Cavalier remercia THermite, Scnbsp;ne fe vanta pas du prefent qu’il lui avoit fair,nbsp;pour fe ménager le plaifir de la furprife de fesnbsp;camarades.
CHAPITRE XX.
Réfurrcamp;ion de Pinabel. Propojltions de Charlemagne d Renaud- Inflexibilité de part d? d’autre. Pinabel détruit les bons effets desnbsp;coafeils de Roland. Reproches amp; remen-trances au Rol. Gibet élevé far la plusnbsp;haute tour de Dordogne. Le Due Richard^nbsp;menace du fappUce, tue fes fateUites. Ingratitude de Charlemagne. DéfeSlion des Baronsnbsp;amp; des Pairs. Fermeté confiante du Duenbsp;Richard. ASiiongénéreufe de Renaud.
Charlemagne murmuroit de ne pas revoir Richard de Normandie; il fe plaignoicnbsp;aux Pairs de la déloyauté de Renaud, qui lenbsp;retenoit. „ Sire, lui dit Roland, ce qui me
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Les quatre fils
„ furprend Ie plus, c’eft votre étonnemenc gt;, même, amp; fur quoi vous feriez-vous flatténbsp;j, que Renaud feroit, je ne dis point allez
i, nbsp;nbsp;nbsp;généreux, mais aflez inconfidéré, pour vousnbsp;», renvoyer fon prifonnier? Souvenez-vousnbsp;5, de fa courtoifle, lorfqu’étant en fon pou-
j, nbsp;nbsp;nbsp;voir, dans Montauban, il vous renvoyanbsp;), fans ranjon, fans aucune condition, furnbsp;j, Bayard, fon propre cheval, qu’il vous confia,nbsp;,, vous laiflant route liberté de lui faire lanbsp;„ guerre, ou de lui accorder la paix ? Aunbsp;,, lieu de lui tenir coinpte de fa magnanimi-,, té, vous n’avez ufé de votre liberté quenbsp;„ pour Ie bloquer dans fon Chateau amp; Ie fairenbsp;„ périr-de faim, lui amp; fa familie. Le ciel,nbsp;„ qui le protégé vifiblement, lui ouvre unnbsp;„chemin -, il échappe a vos fureurs, il vousnbsp;,, épargne un crime, amp; vous le pourfuiveznbsp;„ dans fon dernier afyle; il eft aflez heureuxnbsp;,, encore, pour vous enlever un de vos plusnbsp;„ vaillans Chevaliers, prêt é le prendre, poutnbsp;„ vous le livrer, amp; vous voudriez qu’il vousnbsp;„ le rendit! Sire, fi Renaud ne 1’a pas faitnbsp;,, mourir, c’eft un excès de bonté qui n’anbsp;„ point d’exemple j mais, je le regarderoisnbsp;„ comme le plus infenfé des hommes, s’ilnbsp;„ vous rendoit un otage de la paix qu’il défire,nbsp;,, avant qu’elle fdt conclue.
Naimes, Oger amp; 1’ArchevêqueTurpin, ap-puyèrent le difcours de Roland, amp; Charle- ' magne fut forcé de fe rendre; il leur ordonnanbsp;d’aller vers Renaud, de lui dire de rendrenbsp;Richard de Normandie amp; Maugis, amp; qu’d ce
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d'Aymon.
prix, il confentiroit a la paix; qu’il rendroic ieurs terres aux fils d’Aymon, amp; qu’il feroicnbsp;élever dans fa Cour les enfans de Renaud.nbsp;j, Sire, repondit Naimes, ce feroic nous en-,, voyer inutiletnent: Depuis deux ans, Mau-„ gis s’eft féparé de fes coufins, amp; perfonnenbsp;,, ne fait ce qu’il eft devenu. II a pris ce parti,nbsp;,, vouslefavez, non qu’il craignitque, jamais,nbsp;„ Renaud lelivrétjmaispour óter toutobftaclenbsp;„ è la paix.
,, C'eft une impofture, s’ecria Pinabel, qui ,, avoit entendu ces derniéres paroles, amp; quinbsp;„ venoit d’être défenchanté; Maugis eft a Dor-,, dogne II raconta tout ce qui lui étoitnbsp;arrivé, dans fa rente, avec le Chevalier para-lytique. Roland lui foucint que la honce d’a-voir été vaincu par un vieux Chevalier invalide , lui faifoit fuppofer ces menfonges ;nbsp;mais les funérailles de Pinabel amp; de fes Ecuyers,nbsp;amp; le défenchantement occafionné par la médaille, le juftifièrent dans l’efprit de Charlemagne, amp; Roland ne favoit qu’en penfer.
,, Quoi qu’il en foit, reprit le Roi, portez „ mes propofitions a Renaud : Nous verronsnbsp;„ ce qu’il répondra ; furtout, rapportez-moinbsp;,, des nouvelles de Richard de Normandie.
Les Barons obéirent; ils furent introduits dans la Ville, portant, chacun, une branchenbsp;d’olivier, en figne de paix. Renaud leur ficnbsp;Paccueil le plus favorable, amp; Naimes lui ficnbsp;les propofitions du Roi.
„ Je fuis bien étonné , leur répondit Re-¦gt;, naud, que Charlemagne, fachant que Mauamp;is
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„ s'eft féparé de nous, amp; que c’eft: unique-ment pour ne lui point faire ombrage, il „ s’obftine a me Ie demander encore. Atta-'nbsp;cher a un traité une condition impoffible anbsp;„ remplir, eft un jeu indigne de lui amp; de moi,nbsp;„ Sc de ceux qu’il charge d’une ambaflade auffinbsp;,, puérile. Je ne vous cacherai pas, cependant,nbsp;,, que Maugis eft venu me voir; mais il n’anbsp;,, palïé ici que deux jours, amp; il eft reparti,nbsp;„ fans qu’il ait voulu dire quelle étoit fa re-„ traite; mais Charles fait que, quand il fe-,, roit en mon pouvoir, je ne Ie livreroisnbsp;„jamais. II me fait demander Richard de
„ Normandie, „ qu’il met a
amp; c’eft la feconde condition
la paix. Richard eft un très-„ vaillant Chevalier; mais c’eft pour me li-„ vrer au Roi qu’il a eu la témérité de me „ pourfuivre jufque dans Dordogne ; S’il eütnbsp;„ réufli, je n’avois a efpérer qu’uné mort in-„ fame. Je ne blelferai done point la juftice,nbsp;„en livrant Richard au même fupplice, au-„ quel il n’a pas tenu au miniftre des vengeancesnbsp;„ du Roi, que je n’aye été livré. Allez donenbsp;„rapporter a votre maitre, que Maugis n’eftnbsp;„ point en ma puiflance; que, quand il y fe-„ roit, je ne Ie facrifierois point a fa fureur;nbsp;,, que j’ai deftiné Ie Due Richard au fupplicenbsp;„ auquel Charles me deftinoit lui-même; quenbsp;„ tout ce qui s’eft pafl'é, depuis qu’il mit Ienbsp;„ fiége devant Montauban, m’a appris a êtrenbsp;„ inexorable comme lui; amp; qu’enfin, je trai,nbsp;„ terai comme efpions tous ceux qu’il m’en-„ verra, Chevaliers ou a«tres, lorfqu’ils n’au-
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tont è me faire quedefemblables propofitionsT
Les Pairs furent étonnés d’entendre Renaud répondre avec une fiercé qu’il n’avoit jamaisnbsp;montrée; ils ne doutèrent point que fa patiencenbsp;ne fe fut laflee, amp; ils tretnblèrent pour Ie Duenbsp;de Normandie. Ils retournèrent vers Ie Roi,nbsp;amp;, après que Roland lui eut rendu la réponfenbsp;de Renaud ; ,»Sire, lui dit-il. Ia patiencenbsp;„ amp; la douceur ont leur terme. Celui qui faitnbsp;j, fe maitrifer , les franchit rarement; mais»nbsp;,, quand, une fois, il s’abandonne a fon ref-
fentiment, fes excês font plus a craindre „ que celui de 1’homme impétueux, qui nenbsp;„ connoit pas la moderation. La colère fe ra-i, lentit par 1’habitude; mais elle eli intrai-„ table, quand elle fuccède 1’habitude de lanbsp;„douceur. Votre inflexible févérité, Sire, anbsp;„ forcé Ie plus doux des hommes a écouternbsp;„ un courroux trop long-temps retenu, amp; donenbsp;„Ie malheureux Richard fera, peut-être, lanbsp;„ viftime. Je crois done qu’il n’y a pas unnbsp;„ moment a perdre , li vous voulez appaifernbsp;„ Renaud.
Le Roi fut ébranlé; Pinabel Ie vit prêt a lenvoyer Oger amp; Roland vers Renaud; mais,nbsp;profitant de 1’afcendant qu’il avoit fur fon mai-„tre; „ Sei^ieurs, dit-il, vous feriez-vousnbsp;„ flattés de jeter , par vos craintes, feintes ounbsp;„véritables, 1’alarme dans le eoeur de votrenbsp;„Roi? Si, jufqu’ici, la terreur que fes me-,, naces ont imprimée dans Pame de Renaud ynbsp;„ 1’a porté a s’humilier amp; a demander gr^ce;nbsp;,) fi, iorfque Maugis, pat la plus indigne des
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Les quatre fils
,, félonies, init fon Souverain en la puiflai¥:e ,, de fes coufins, il n’ofa point profiler de fesnbsp;„ avantages; fi, au milieu des combats, il eftnbsp;„ tombé aux pieds de fon maitre, pour obte-„ nir la paix, comment pouvez-vous croirenbsp;j, qu’aujourd’hui, Renaud veuille s’expofer,nbsp;„ par Ie fupplice de Richard, a la plus ter-,, rible des vengeances? Ce que vous appeleznbsp;f, douceur en lui , n’eft que prudence , amp; cenbsp;,, n’eft pas dans cette circonftance qu’elle fanbsp;,, déraentira.
Charlemagne approuva I’avis de Pinabel, paree qu’il étoit conforme a fes défirs amp; anbsp;fes vues; amp; il ajouta, que, fi Renaud faifoicnbsp;Ie moindre outrage au Due-de Normandie, ilnbsp;extermineroit, amp; Renaud, amp; fes enfans, fesnbsp;frères, fon père, jufqiPau dernier de fa race;nbsp;il chargea Naimes de porter cette réponfe anbsp;Renaud „ Sire, lui dit Naimes, je fuis précnbsp;„ d'obéir A vos ordres; mais fongez que cettenbsp;démarche eft décifive pour la vie de Ri-ehard. Renaud eft plus défefpéré de l’éloi-„ gnement de Maiigis, dont vous feul étes lanbsp;caufe, que de tous les maux qu’il a foiifferts;nbsp;il etlc donné fa propre vie pour la fienne :nbsp;ff Jugez, Sire, s’il épargnera celle de Richard.nbsp;,, Pinabel ne concevra pias, fans doute, quenbsp;f, 1’amitié malheureufe puifle porter a de telsnbsp;f, excès une ame fenfible, amp; il conclura quenbsp;ff Renaud ne s’expofera point, pour cette chi-f, mère, aux défaftres dont vous Ie menacez.nbsp;f, Vous pouvez, Sire, vous en rapporter Anbsp;ff Pinabel: Qui connoii que lui Ia fenlP-
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,, bilité inquiète , amp; les délicatefles d’une ame „grande? Continuez, Sire, de régler votrenbsp;„ conduite fur fes confeils; chargez-le de por-„ ter vos propofitions è Renaud : Au défiiutnbsp;„ de la bienféance, fon éloquence fuffira pournbsp;„ les lui faire accepter.
Pinabel rougit, voulut parler, amp; fa voix tretnblante ne put proférer que des fons malnbsp;articulés. Charlemagne fentit tout Ie poidsnbsp;des reproches de fes Barons: II craignit, nonnbsp;feulement, la perte de Richard de Normandie, mais encore la défcdlion de fes Chevaliers, qui fe trouvoient humiliés par les mau-vais traitemens faits aux fils d’Aymon, parnbsp;la mort infame ^ laquelle Charles expofoit Ienbsp;Due Richard, amp; par la préférence qu’il fem-bloit donner aux avis de Pinabel fur leursnbsp;Confeils défintérefles.
Cependant, Renaud affembla fes frères pour délibérer fur Ie fort de Richard de Normandie ; ils furent d’avis de lui faire fubir Ie fup-plice auquel Charles avoit condamné Richard,nbsp;leur frère. Renaud ne pronon9a point; mais ilnbsp;ordonna qu’on élevat un gibet au deffus de lanbsp;grande tour qui dominoit Ie camp de Charlemagne. Auffi-tót que Roland l’aper^ut, il cou-rut en avertir Ie Roi: „ Sire, lui dit-il, voil4nbsp;r, done la récompenfe de tous les fervices quenbsp;,, Richard vous a rendus; il ne dépendoit quenbsp;yt de vous de Ie fauver, amp; vous aimez raieuxnbsp;sj 1'abandonner, que de pardonner aux fils
d’Aymon! Certes, Sire, c’eft un pujlTant en-« couragement pour vos ferviteurs t
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Charlemagne fouric de fes plaintes. nbsp;nbsp;nbsp;Ne
,, voyez-vous pas, leur dit-il, que tout cec
appareil n’eft qu’un vain épouvantail, pour „me forcer a faire la paix? Je ne crainsnbsp;„ rien pour Richard.
Renaud, cependant, commanda dix Cavaliers pour conduirele Due de Normandie au fupplice. Le Duejouoit, dans ce moment, unenbsp;partie d’échecsavec le jeune Yon; il vitappro-cher les fatellires, amp; leur demanda, froidement ynbsp;ce qu’ils vouloient; Ils lui répondirent, d’unnbsp;ton refpeftueux, qu’ils étoient fachés des or-dres dont ils étoient chargés, que c'étoit avecnbsp;le plus grand regret qu’ils les exécutoient.nbsp;„ Quels font ces ordres, interrompit bruf-„ quement Richard ? Monfeigneur, lüi di-„rent-ils, nous avons la trifte commiffionnbsp;„ de vous conduite au fupplice Richardnbsp;les regarda avec mépris, amp; continua fa partie. Les Gardes attendirent encore quelquenbsp;temps; mais, voyant que Richard ne faifoicnbsp;aucune attention a eux. „ Monfeigneur, re-„ prirent-ils, il eft temps de marcher; il n’ynbsp;,, a point de grace a efpérer ,,. Richard, fansnbsp;faire femblant de les entendre, continua fonnbsp;jeu. Enfin, les Gardes s’étant avifés de vou-'nbsp;loir 1’enlever de force, Richard fe léve, amp;,nbsp;a grands coups de fon échiquier, qui étoitnbsp;d’ivoire, il en étend quatre morts i fes pieds,nbsp;amp; les autres prirent la fuite; enfuite, il re-vint a Yon : „ Raccommodons notre jeu,nbsp;,, lui dit-il tfanquillement; ces malheureux,,nbsp;„qui, fans doute, étoient ivres, 1’ont un
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peu derange; ma mémoire y fuppléera ; jgt; Vous aviez perdu un cavalier, amp; moi unnbsp;»gt; fou; il vous reftoic quaere pions, amp; a moinbsp;fix; votre Roi étoit l4, amp; ma tour iciLenbsp;jeune Yon trembloit, amp;n’ofoitrien dire. Tan-dis qu’il raccommode fon jeu, Richard appellenbsp;fon Ecuyer, amp;lui ditfroidement: „ Faites Jeternbsp;par la fenétre ces coquins, qui venoient m’é-„ tourdir, amp; quej’ai tués„. L’Ecuyer, aveclenbsp;fecours d’un domeftique, les jeta, 1’un aprèsnbsp;1’autre, dans la cour du Chateau. Alard, quinbsp;artendoit fur la tour qu’on amenat Richard,nbsp;fut bien étonné, lorfqu’il vit voler par lesnbsp;fenêtres de fon prifonnier, les Gardes qu’il luinbsp;avoir envoyés: II courut en avertir Renaud, quinbsp;comprit bien qu’il en coüteroit beaucoup avantnbsp;qu’on put fe faifir du Due de Normandie lt;nbsp;Ceux qui avoient fui, vinrent, tout tremblan®nbsp;encore, implorer le fecours de leur maltre. Renaud Vint dans I’appartement de Richard, amp;nbsp;lui demanda pourquoi il avoit tué fes gens.nbsp;„ Il eft vrai, repondit Richard , que, tandisnbsp;,, que je jouois, avec votre fils, il eft venunbsp;„ici dix a douze coquins; ils m’ont tenu,nbsp;„de votre part, des propos infolens, aux-„ quels, d’abord, je n’ai pas fait attention;nbsp;„ mais, enfuite, en afiurant toujours que c’é-„ toit par VOS ordres, ils ont eu 1’audace denbsp;„ vouloir fe faifir de moi pour me conduire,nbsp;„ ont-ils dit, au fupplice; je fuis tombé furnbsp;„ eux a grands coups d’échiquier, j’en ai tuénbsp;,, quelques-uns, amp; les autres ont pris la fuitenbsp;» comme des laches. Si vous étiez mon pri-
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Les quatre fils
j, fonnier, comme je fuis Ie votre, j’empécher ff rois mes gens de vous faire de pareils ou-
trages. Mon cher Richard, lui dit Renaud, „ il n’eft plus queftion de courtoifie. Je faisnbsp;„ tout ce que fe doivent de braves Cheva-,, liers; mais Charlemagne rn’a avili, amp; vousnbsp;„ partagez les torts de Charlemagne; quandnbsp;„Richard, mon frère, fut entre fes mains,nbsp;„ amp; qu’il Ie condamna au gibet, il Ie fit gar-„ der dans une prifon obfcure; il Ie chargeanbsp;„ de chalnes, comme un vil criminelp je n’ainbsp;,, rien fait de tout cela a votre égard. C’eftnbsp;¦„ contre mon intention qu’on a ufé de vio-,, lance; mais auffi auriez-vous du, peut-être,nbsp;„ marquer moins de hauteur, amp; ne pas don-,, ner la mort a de malheureux qui croyoientnbsp;,, ne faire qu’obéir; mais, Renaud, reprit Ri-,, chard, ne fuis-je pas auffi un ferviteur denbsp;,, Charles, qui a fait ferment de lui obéirnbsp;„ en tout?
,, Richard, ne perdons pas Ie temps en des ,, difcuffions inutiles; je veux bien vous don-„ ner Ie temps, encore, de folliciter ma paixnbsp;„ auprès de lui; mais, fi vous n’y parveneznbsp;,,pas, il faut vous réfoudre è mourir, Re-„ naud, reprit Richard, je connois fi bien Ienbsp;„ fonds de ton coeur, je crains fi peu tes me-„naces, que je me livre a toi fans réferve ,nbsp;,, amp; que, fans qu’il foit befoin d’autres gar-„ des que de moi-même, je vais me rendrenbsp;„ au lieu de mon prétendu fupplice II ynbsp;monta; Renaud avoit fait un appareil impo-fanr; il fe fit accompagner a la tour par un
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Cortege nombreux. II dit a Richard : „ II eft •gt; encore temps de vous dérober a la home.nbsp;5gt; Voici deux partis que je vous propofe : Aban-j, donnez le Roi, amp; vous uniflez avec moi;nbsp;», ou bien, faites ma paix avec lui. J’ai ju-t, ré ^ répondit Richard, foi amp; hommage ènbsp;» Charlemagne; il eft mon Souverain, amp; lanbsp;,, crainte de mille morts ne me feroit pointnbsp;,, changer. Quant a la paix que vous deman-iy dez, perfonne ne la défire plus fincèrementnbsp;que moi : Je ne 1’exciterai point a fe par-„jurer; mais, comme je connois fon amitiénbsp;„ pour fes Pairs, donnez-moi un hérault, quenbsp;„je puifle lui envoyer,
Renaud appela un herault, a qui Richard dit : ,, Allez vers Charlemagne, dites-lui quenbsp;„ vous m’avez parlé au pied d’un infdme gi-„bet, ou j’étois prêt a monter, amp; que, s’ilnbsp;y, ne confent a la paix que Renaud lui de-y, mande, il va m’y faire attacher. Vous luinbsp;», donnerez cette bague, comme un figne quenbsp;j, ce que vous lui rapportez, vous le teneznbsp;„de moi, amp; non d’autrui. Vous ajoutereznbsp;„ que, pour lui témoigner le défir que j’ai denbsp;„cette paix, non a caufe de la mort que jenbsp;y, fuis prêt è fubir, mais A caufe de 1’amitiénbsp;y, que j’ai pour les fils d’Aymon amp; du zèlenbsp;y, que j’ai pour le Roi, je confens a ie dé-,, dommager des torts que Renaud lui a fairs.nbsp;I, Vous direz a Roland, amp; aux autres Pairs,nbsp;y, de reprefenter a Charlemagne la honte quinbsp;V) rejailliroit de mon fupplice, fur eux amp; fur lui.nbsp;Le herault exécuta fidellement fa commif-
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fion, amp; rapporta, mot a mot, ce que Richard lui avoit dit. Alors, Roland, Naimes, Oger,nbsp;Turpin, amp; tous les Pairs, fe jetèrent aux ge-noux du Roi. „Sire, lui dirent-ils, fauvez anbsp;„la fois, amp; Richard de Normandie, amp; lesnbsp;,, fils d’Aymon, amp; vous-même,,. Charlemagnenbsp;parut inflexible ; II leur répétoit, fans celie,nbsp;que Richard, au pied du gibet, étoit en fu-reté comme dans Ie camp, amp; que, jamais,nbsp;Renaud ne fe réfoudroit a Ie faire périr. Lenbsp;hérault protefta qu’il n’y avoit aucune grkenbsp;a efpérer, amp; que Renaud 1’avoit juré. Alors,nbsp;Olivier fe hafarda de dire k Charles: ,, Sire,nbsp;,, vous lui avez trop bien appris qu’il ne faucnbsp;„ pas obliger une feconde fois celui qui, lanbsp;„ première, a roanqué de reconnoiflance. Vousnbsp;9, tourneriez contre lui la grace qu’il feroitnbsp;„ a Richard, comme vous avez déjè fait celle
qu’il vous accorda a vous-même Le hérault demanda fon congé, mais Roland l’ar-rêta, amp; lui dit : „ Tu peux aflurer Richard „ de Normandie, amp; les fils d’Aymon, que tunbsp;„ as laifl'é les Pairs difpofés a quitter le fer-„ vice d’un Prince, qui, dans 1’occafion, n’au-,, roit plus de pitié de nous, qu’il n’en a denbsp;,, Richard.
Alors, tous fe levèrent en pleurant ; L’Ar-chevêque Tnrpin, qui reftoit feul, dit è Chatr lemagne :,, Sire, c’eft avec regret que je vousnbsp;,, quitte; mais il feroit honteux a moi, denbsp;5, me féparer des douze Pairs; leur démarchenbsp;„ füt-elle condamnable, j’aime encore mieuxnbsp;t) étre blètné avec eux, que de les trahir par
-ocr page 315-u une ISche défertion Ils fortirent tous; ils allèrent a leurs rentes, amp; les firent abactre;nbsp;ils raflemblèrenc leurs gens, amp; les conduifirencnbsp;hors du camp. L’armée de Charles fe trouvanbsp;diroinuée de plus de raoitié ; Ce qui relta fré-niit, en voyant partir tous les Chevaliers,nbsp;amp; ne laifler que quelques Gentilshommes, Ienbsp;traitre Ganelon amp; Ie perfide Pinabel.
Le hérault rapporta toutes ces chofes a Re-liaud; amp; Richard fentit combien peu il falloic compter fur 1’amitié des Rois, puifque Charlemagne l’abandonnoit dans une circonftance,nbsp;oü il s’agiflbit de lui fauver 1’honneur amp; lanbsp;vie; le hérault raconta les difpofitións amp; lanbsp;défertion des Pairs. „ C'en eft aflez, s’écrianbsp;3, Renaud,amp; il courut aulfi-tót embralier Ri-¦j, chard. Mon coufin, lui dit-il, je ne vousnbsp;55 demande point pardon du mal que j’ai voulunbsp;55 vous faire; car vous étiez bien afluré, amp;nbsp;»5 Charles n’en eft que trop perfuadé, que monnbsp;55 intention n’a jamais été de vous faire mou-,5 rir. Quelqu’outrage que Charles m’ait fait,nbsp;», fon exemple ne doit point féduire un cceurnbsp;5, noble amp; généreux, mais je vous prie de mönbsp;55 pardonner eet appareil, que j’ai voulu mettrenbsp;5, fous les yeux du Roi, amp; cette apparencenbsp;jj de rigueur amp; d’inflexibilité a votre égard:nbsp;55 L’effet qu’elle a produit fur les douze Pairsnbsp;35 doit me juftifier a vos yeux.
Renaud renvoya le hérault vers les douze I*airs, amp;leur fit dire, qu’en leur confidération, ilnbsp;svoit fait grace a Richard, amp; les Pairs firentnbsp;^fiurer Renaud qu’ils ne rentreroient au fervice
;io
jivy nbsp;nbsp;nbsp;Les quatre fils
de Charles, que lorfqu'il auroit fait fa paix avec les fils d’Aymon.
CHAPITRE XXL
Méchanuté des confeils de Pinabel, reconnue amp; punie. Noble aveu de Charlemagne. Retour des Pairs. Renaud fc dévoue pour fesnbsp;frères. Sa réjiftance aux larmes de fon époufenbsp;amp; de fa familie. Alarmes d'Tolande; fonnbsp;amour amp; fon courage. AttendriffemenX. denbsp;Charles. Pardon amp; punition. Exil de Renaud.
T-^-p.s douze Pairs s’aflemblèrent hors du camp, amp; prirent congé les uns des autres,nbsp;Charlemagne, réfléchiliant fur la perte qu’ilnbsp;faifoit, fit appeler Pinabel, dont il commen-goit a fe méfier; il lui témoigna fes craintesnbsp;amp; fes regrets. „ Sire, lui dit Ie Ikhe flatteur,nbsp;„je fuis étonné de vos alarmes; n’êtes-vousnbsp;„ pas aflez grand par vous-même ? Eh! quenbsp;„ vous importe que vos Barons reftent, ounbsp;,, s’en aillent? Vous pouvez tout fans eux,nbsp;„ amp; que feroient-ils fans vous ? Quand il fe-„ roit vrai, corame ils ont eu 1’adrefle de vousnbsp;„ Ie perfuader, que la nation a en eux unenbsp;„ confiance aveugle, elle difparoitra avec eux,nbsp;„ amp; leur défertion prouvera a la nation mê-„ me, combien peu cette confiance étoit fon-„ dée. Vous cralgnez que leur fetraite n’alfoi-f) blilie 1’amour de vos Peuples: Sire, eet
-ocr page 317-„ amour, ils le partageoient avec vous, amp; ,, vous allez en reflentir feul tous les efFets.nbsp;,, D’ailleurs, Sire, quel eft cet amour qu’ilsnbsp;,, vous faifoient taut valoir? un caprice, unenbsp;,, eftervefcence paflagère. Quelle que foit 1’af-,, feftion des Peuples pour le Souverain, qu’ils
le craignent ou qu'ils 1’aiment, pourvu qu’ils ,, lui obéiflent, peu importe. Sont-ce les Roisnbsp;„ qui font fairs pour les Peuples, ou les Peu-,, pies pour les Rois?.,..
Charlemagne, enfin, révolté de fentimens fi bas, interrompit le lache adulateur : „ Trai-,, tre, lui dit-il, cent fois plus digne de manbsp;„ haine que Renaud amp; Maugis, porte loinnbsp;,, de moi tes difcours empoifonnés. C'eft toj,nbsp;,, Ikhe, qui m’as engagé dans des démarchesnbsp;„ contre lefquelles tu t’es imaginé que manbsp;„ grandeur compromife, ou une faulle hontenbsp;,, m’empêcheroit de revenir. La honte con-„ fifte a perfifter dans 1’injuftice, amp; non inbsp;„ revenir d’une erreur. Malheureux! que t’a-,, vois-je fait pour abufer, ainfi, de la con-„ fiance que je t’avois donnée? Cent millenbsp;„ ennemis font moins redoutables pour unnbsp;„ Souverain, qu’un courtifan dont on ne fenbsp;,, roéfie pas.
A ces mots, Charlemagne appelle un héros, amp; lui ordonne de conduire Pinabel, pieds amp;nbsp;mains liés, vers les douze Pairs. „ Dites-leur,nbsp;„ ajoute-t-il, que je leur envoye le traitrenbsp;,, qui, par fes confeils, n’a ceflë de m’irri-
ter contr’eux amp; contre la familie d’Aymon : « Je les lailie les raaitres de fa punition; di-
-ocr page 318-3ia nbsp;nbsp;nbsp;quot;Les quatre fih
„ tes-Ieur que leur Rol ne veut étre, défor-,, mais, que leur ami; qu’ils reviennent lui ,, donner des confeils plus falutaires, amp; qu’ilnbsp;y, eft prêt a les écouter.
Renaud, qui, des remparrs de Dordogne, voyoit tout ce qui fe palibit, fit remarquernbsp;a Richard de Normandie un Chevalier fansnbsp;armes, monté fur une mule étique, les mainsnbsp;liées derrière Ie dos, qu’un hérault préfen-toit aux douze Pairs. Richard reconnut Pinabel : Ils virent, un moment après, les douzenbsp;Pairs s’aflembler, délibérer amp; quot;reprendre Ienbsp;cheniin du camp de Charlemagne; mais Ienbsp;hérault conduifoit Pinabel è. Dordogne. Richard s’en félicita : Depuis long-temps, ilnbsp;haïflbit Ie perfide; ils allèrent au devanc denbsp;lui : „Seigneurs, dit Ie hérault, Ie Roi anbsp;„ livré cette viélime aux douze Pairs; il anbsp;,, reconnu que c’étoit un vil flatteur, qui, parnbsp;,, fes confeils, entretient les divifions qui rè-„ gnent entte Ie tróne, les fils d’Aymon amp;nbsp;,, les Pairs; amp;, comme Charlemagne les anbsp;,, laifles les maitres de fon fort, ils vous Ienbsp;,, renvoyent pour que vous en fafiiez a votrenbsp;„ volonté Richard amp; Alard opinèrent pournbsp;qu’il fut attaché au gibet, qui fe trouvoitnbsp;tout élevé fur la tour : Mais Renaud Ie ficnbsp;mettre en prifon, jufqu’a ce que Charlemagnenbsp;eüt prononcé.
Cependant, les Pairs étant revenus auprès du Roi, ils embraflerent fes genoux; il leurnbsp;tendit la main, amp; leur ordonna de prendrenbsp;Iturs places.
„J’ai
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„J'ai, peut-étre, dit-il, poufle la févérité „ trop loin a 1’égard de la familie d’Aymon,nbsp;quoique Ganelon amp; Pinabel, par desnbsp;„ menfonges adroits, amp; par des rapports in-„ fidieux, ayent eu 1’art d’entretenir ma co-j, lère, j’avoue que j’aurois dü être plus fen-’ au repentir de Renaud , amp; ne pas
fibls
,, rejeter fa priere; mais il n’en efl pas moins ,, vrai que les fils d’Aymon fe font révoltésnbsp;„ contre leur Souverain; ils ne fe font pasnbsp;,, bornés a une guerre défenfive ; ils m’ont
i, nbsp;nbsp;nbsp;attaqué; ils m’ont pourfuivi; ils m’ont in-„ fulté jufque dans ma tente : Je rends juf-,, tice a Renaud, il n’a pas trempé dans cettenbsp;„ félonie; mais Ie chef doit répondre de ceuxnbsp;,, qu’il conduit, amp; la loi Ie condamne; unnbsp;„ pardon abfolu feroit un attentat contre lanbsp;„loi. Les quatre fils d’Aymon font coupa-„bles, amp; leur coufin l’eft encore davantage.nbsp;„ Je veux bien , cependant, me contenternbsp;„d’en punir un feul, en fauvant même fonnbsp;„ honneur amp; fa vie. Allez, Due de Naimes,
j, nbsp;nbsp;nbsp;dites è. Renaud, a fes frères, amp; è Maugis,nbsp;„ que 1’un d’eux fe remette en mon pouvoir,nbsp;„amp; qu'a ce prix, non feulement, je faisnbsp;», grace i tous les autres; mais encore que jenbsp;„leut rendrai leurs héritages, leurs fiefs, amp;nbsp;„ tout ce que leurs crimes one, fait tombernbsp;„ au fifc.
Naimes porta eet ordre a Dordogne; route la familie d’Aymon, excepté Renaud, en fut coaf-tetnée: Chacun vouloit fe dévouer pour les autres : ,, Non, dit Renaud, ce fera rooi qui me
O
-ocr page 320-•14 nbsp;nbsp;nbsp;quatre fils
,, facrifierai pour tous. Le Roi eft grand amp; ,, généreux, amp; s’il eut été le rnakre de fuivrenbsp;,, le penchant de fon cceur, 11 y a long-tempsnbsp;,, qu’ii eut accepté les propofitions que je luinbsp;j, ai faites, de lui céder Bayard , amp; de fuir,nbsp;,j avec vous, loin de fes Etats; mais Pinabelnbsp;„ amp; Ganelon lui ont fait envifager la clemencenbsp;,, comme une foiblefle dangereufe. Si c’eft dunbsp;,, fang qu’ii demande, c’eft le mien qui doitnbsp;j, couler ¦, je me fuis couvert d’aflez de gloirenbsp;„ en combattant centre lui, pour n’avoirnbsp;„ point de regret a la vie. Vous êtes plusnbsp;,, jeunes que moi; il n'eft aucun de vous donenbsp;,, la mort ne fut une perte pour la patrie amp;nbsp;„pour I'univers. Allez, Naimes, dites aunbsp;„Roi, que je vais me livrer a fa difcrétion,nbsp;„ amp; lui raniener Richard de Normandie.
Les frères de Renaud s’oppofèrent vaine-ment t cette réfolution; Ni leurs larmes, ni leurs prières, ne parent le faire changer d’avis.nbsp;Yolande, avec fes deux fils, vint embraflernbsp;les genoux de Renaud. ,, Cruel, lui dit-elle,nbsp;„ tu vas t’expofer aux fureurs d’un enneminbsp;„ implacable; amp; tu n’emmènes point avec toinbsp;„ ta femme amp; tes enfans! Si tu les abandon-„nes, que veux-tu qu’ils deviennent? quenbsp;,, veux-tu que devienne leur mère infortu-,, née r Si tu es refolu de mourir, permetsnbsp;„ que je meure a tes cótés ; Survivre a cenbsp;„ qu’on aime, eft mille fois plus cruel que lanbsp;„mort; épargne-moi, je t’en conjure, uJinbsp;,, fupplice fi long amp; fi terrible.
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Iftrmes, feignit de fe rendre. „ Vous le vou-,, lez, leur dit-il, que'le fort en décide: Que ,, le refte du jour fe paffe en prières, que nosnbsp;,, temples foient ouverts; demain, quand lenbsp;„ foleil éclairera nos plaines, nous nous ren-,, drons, tous, fur la place publique, amp; la,nbsp;„ en préfence de nos citoyens, chacun écriranbsp;„ fon nom, le jettera dans un cafque, amp; lenbsp;j, premier qui fortira, fera la vidime que lenbsp;,, del aura choifie.
Les frères de Renaud donnèrent d’autant plus aifément dans le piège, qu’ils fe fiattoientnbsp;d’exciter le Pet^iple, a fuivre de prés celui quenbsp;le fort déligneroit, amp; a 1’arracher au pouvoirnbsp;de Charlemagne, s’il vouloit attenter a fesnbsp;jours; mais, pendant la nuit, Renaud, Nai-mes, amp; Richard de Normandie, partirent fe-crettement.
Renaud s’étoit échappé des bras d’Yolande, fous prétexte de veiller a la fureté de Ia Ville.nbsp;Le jour étoit prêt de paroitre, amp; Yolandenbsp;ne voyoit point revenir fon époux; agitéenbsp;de mille foupQons, elle fort de fon Palals, vanbsp;chercher Renaud, amp; ne le trouve point. Ellenbsp;court a la pone du Chiteau, amp; elle apprend,nbsp;enfin, qu’il eft parti avec Naimes amp; Richard;nbsp;elle revient au Palais échevelée amp; verfancnbsp;Un torrent de larmes; elle vole vers fes en-fans: „ Chers gages de la tendreffe de Re-gt;, naud, s’écrie-i-elle, allons fuivre votrenbsp;père; il va fe mettre au pouvoir de fon ea-y, nemi „! A peine leur donne-t-elle le tempsnbsp;s’hgbiller; fans fonger a fe faire accompa-
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-ocr page 322-«i6 nbsp;nbsp;nbsp;Les quatre fih
gtier, oubliant la foiblefle amp; ia timidité de Ion fexe, elle prend un de fes enfans de chaquenbsp;main, amp; court au camp de Charlemagne. Lanbsp;longueur de la route ii’irritoit que fon impatience, amp; ne lui caufoit point de fatigue;nbsp;fes enfans s’animoient de fon courage, ils lia-toient les pas de leur mère, qui euc voulunbsp;précipiter leur marche.
Dès que Ie jour parut, les frères de Re-naud fe rendirent au Palais; mais, quel fut leur étonnement, lorfqu’ils n’y trouvèrent ni leurnbsp;frère, ni fon époufe, ni leurs neveux! Lenbsp;depart de Richard de Normandie amp; de Nai-mes leur eut bientót ouvert les yeux. Ils s’ac-cufent d’une honteufe crédulité; mais, fansnbsp;perdre un temps précieux a de vaines plain-tes, ils font retentir les cors amp; les trompet-tes, amp; le Peuple eft déjè fur la Place; il veutnbsp;prendre les armes amp; fuivre las troupes quinbsp;défilent.
Cependant, h la première clarté du jour, Naimes conduilit a la rente du Roi, Renaudnbsp;amp; Richard de Normandie : Charles ne put re-tenir fes larmes en voyant 1’un amp; 1’autre ;nbsp;il tendit la main a Richard, amp; s’inclina versnbsp;Renaud qui embraflbit fes genoux ; mais, fenbsp;fouvenant qu’il étoit Roi, il prit un air fé-vère, que démentoit fon cmur. „ Renaud, luinbsp;„ dit-il, en prenant les armes contre votrenbsp;„ Souverain, vous avez violé routes les loisnbsp;3, divines amp;. humaines, amp; vous méritez la mort,nbsp;3, La punition d'un tel crime, vous le favez,nbsp;„ eit 1’échafaud.,.. Nous venons pourymon*
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,, ter avec lui,,, s’écrie Yolande, qtii arrivoic dans ce moment, amp; qui fe précipite avec fesnbsp;enfans aux pieds de Charles! Yolande avoicnbsp;pénétré dans Ie camp, amp;, lorfque les Senti-nelles avoient voulu l’arrêter, elle leur avoitnbsp;dit, en leur préfentant fes enfans: „ Voici lesnbsp;s, fils de Renaud, donnez-leur des armes, amp; ,nbsp;f, tout jeunes qu’ils font, ofez leur difputernbsp;„ Ie paflage A ce difcours mena9ant, au nomnbsp;de Renaud, la garde du camp s’étoit ouvercenbsp;amp; les avoit laiflë palier. „ Charles, lui difoit-„ elle, grace pour Renaud, oufaites-nous périrnbsp;„ avec lui! Je jure pour moi, pour mes en-,, fans, que nous Ie fuivrons au tombeau....nbsp;„ Et moi, je jüre, interrompit Charles, quenbsp;„ vos enfans m’aimeronr, qu’ils béniront leurnbsp;„ Souvefain , qu’ils lui feront fidelles, qu’ilsnbsp;„ Ie regarderont comme leur protefteur amp; leur
père. Lève-toi, Renaud, Charles te par-,, donne; mais 1'Empereur doit un exemple „ a 1’univers. Va rejoindre tes frères, va cal-„ mer leur impatience; après les avoir em-,, braflës, j’exige que tu paflës les mers, quenbsp;,, tu allies combattre pour la défenfe des lieuxnbsp;„ faints. Je ne prefcrits point de terme a tonnbsp;,, exil; cependant, j’aurai foin de ton époufenbsp;„ amp; de tes enfans. Je rends a tes fréres, amp;nbsp;„a ta familie, vos heritages. Va, Renaud,nbsp;„ pars, amp; reviens couvert de nouveaux lau-„ riers.
Renaud embrafla fon époufe, qui s’évanouit dans fes bras ; II profira de ce moment pournbsp;s’en arracher amp; s’éparguer de plus triftes adieux;
O lij
-ocr page 324-3i8 nbsp;nbsp;nbsp;Les quatre fih
II demanda la proteftion du Roi pour fa fêm-me , fes enfans amp; fon père : II reprit Ie che-min de Dordogne avec Richard de Normandie , qui ne voulut fe féparer de lui que lorf-qu’il partiroit pour fon exil.
Renaud rencontra, a moitié chemin , fesfrè-res a la têtè de leurs troupes amp; de tous les habitans de Montauban : II leur raconta tournbsp;ce qui s’étoit pafle , amp; les rameria. II arbo-ra, fur la grande tour, Ie Pavilion de la paix,nbsp;amp;, a ce fignal, Roland amp; Oger ne purencnbsp;s’empêcher d’avouer que la douceur de Renaud, qui facrifioit tout au bonheur des Su-jets de Charlemagne , Ie mettoit au deffusnbsp;de tous les Chevaliers. Ün moment après, onnbsp;vit arriver unhérault, qui conduifoit Bayard,.nbsp;Renaud Penvo5'oit au Roi amp; lui faifoit de-mander fes ordres au fujet de Pinabel. Charlemagne laifla Renaud Ie maitre de fon fort;nbsp;Ie généreux Renaud donna au traitre une ha-quenée blanche , amp; lui ordonna de ne jamaisnbsp;leparoltre dans les Etats de Charles. Le la-che fortit de Dordogne, au milieu des huéesnbsp;du Peuple, amp;, malgré ces témoignages de mépris , préférant la honte a la mort, il avoicnbsp;iin air content d’échapper a la vengeance desnbsp;fils d’Aymon.
Renaud , après s’étre félicité de la paix qu’il venoit de donner è la France, amp; du facri.hcenbsp;qu’il venoit de faire a fes frères, leur deman-da ,'pouf toute récompenfe, de prendre foinnbsp;de fon époufe amp; de fes enfans, amp;, furtout,nbsp;de bien fervir le Roi. Alots, il quitte fon
-ocr page 325-armure, endofle 1’habit de Pélerin, ne garde que fon épée, amp; veut fe féparer dc fes frèresjnbsp;ils raccompagnèrent, avec Richard de Normandie , jufqu’a ce Qu’enfin, Renaud exigeanbsp;qu’ils Je quittaflènc pour aller fervir Cliarle-magne , amp; confoler la trifte Yolande.
CHAPITRE XXII.
^ccucil de Charlemagne auxfrères de Renaud. Son départ pour Llége. Combat de Bayardnbsp;amp; de Ganelon dans la Meufe. yJrrivée denbsp;Renaud a Conjlantinople. Rencontre impré-vue de Maugis malade; leur arrivée d Jéru~nbsp;falem. Siége de la Cité fainte. jddmirationnbsp;qu'excite Renaud dans Ie camp des Chrétiens.nbsp;Hommages du Comte de Rance, amp; desnbsp;Chevaliers , d Renaud- Préfens rejetés (Snbsp;diftribués par les fils d'/lymon, aux pau~nbsp;vres Chevaliers. Fêtes, réjouijfances dansnbsp;Ie camp. Sortie des ajjiégés; bataille fan-glante. Haleur de Renaud amp; de Maugis.nbsp;Jérufalem-enlevée aux Perfans. MUion défef-pérée d'Emir^ia. Les Perfes chajfés de lanbsp;Ralefline; ils demandent la paix. Troupesnbsp;de Chrétiens difcipUnées par Renaud. Départ de Renaud amp; de Maugis.
lendemain du départ de Renaud, Richard de Normandie conduific Alard, Guichard amp;nbsp;Richard au Roi. Leur arrivée au camp fut
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Les ^uatre fils
annoncée par Ie bruit des cors amp; des trom-pettes. Charles ordonna a fes Chevaliers d’aller au devant d'eux. Richard de Normandie lesnbsp;lui prefenta; ils mirent un genou a terre, amp;nbsp;„ Alard dit: Sire, quoique vous ayez voulunbsp;„ vous contenter de 1’exil de Renaud, quoi-„ que vous ayez promis de nous faire grace,nbsp;,, nous venous nous remettre entre vos mains.nbsp;„ Croyez, Sire, que, quelque vengeance quenbsp;„vous vouluffiez exercer centre nous, ellenbsp;„ n’egaleroit jamais la peine que nous reflen-„ tons d’etre féparés de Renaud, qui etoitnbsp;„ notre père amp; notre ami, amp; qui s’eft fi géné-„ reufeinent facrifié pour nous,,. Charlemagnenbsp;les fit lever, leur promit Ton amitié , les remitnbsp;en pofleffion de tout ce qu’il leur avoit óté, lesnbsp;embrafla en figne de paix, lesaflura qu’il aimoitnbsp;Renaud autant que Roland, fon neveu, amp;nbsp;que, lorfqu’il feroit de retour, ii ne mettroicnbsp;aucune dift'érence entr’eux.
Les trois frères allèrent auprès d’Yolande; ils la trouvèrent dans les larmes, embrafiancnbsp;fes enfans l'un après 1’autre, amp; leur parlant,nbsp;fans cefle, de Renaud: Ses pleurs redoublè-rent en voyant fes beaux-frères. „ Ma fmur,nbsp;,, lui dit Richard, Renaud n’eft point perdunbsp;„ pour nous; il va cueillir de nouveaux lau-,, riers; Ie ciel, qui l’a prote'gé jufqu’ici, Ienbsp;,, ramenera plus digne de vous; ne vous mon-„ trez point indigne de lui par un défefpoirnbsp;„ qu’il condamneroit. L’époufe de Renauddoitnbsp;5, avoir plus de fermeté; elle doit renfermernbsp;,! fes peines, amp; ne laifler éclater que fon cou-
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„rage Yolande remercia Richard, amp; lui promit de faire tout ce qui dépendroit d’elle,nbsp;pour fe vaincre, amp; fe contenta de ne porternbsp;que des habits violets, couleur trifte amp; conforme a fa lituation.
Cependant, Charlemagne fit lever fon camp, amp; fit mettre fes troupes en marche, pour allernbsp;au pays de Liège. Bayard, depuis qu’il avoirnbsp;perdu le vaillant Renaud , fon maitre , nenbsp;pouvoit fouffrir d’autre Cavalier que le Roi,nbsp;amp;, fous ce fardeau glorieux, il étoit encorenbsp;trifte de I’abfence de Renaud. Unjour, quenbsp;Charlemagne, fuivi de fa Cour, marchoit,nbsp;le long de la Meufe, amp; qu’un de fes Ecuyersnbsp;menoit Bayard a la main, Ganelon fe vanta denbsp;le monter avec la même facilité que le chevalnbsp;le plus doux. Charlemagne le défia; Ganelonnbsp;piqué, s’élance fur la croupe de Bayard; mais lenbsp;Her courfier indigné, 1’emporte amp; fe précipitenbsp;dans le fieuve avec fon Cavalier; il plonge,nbsp;reparoit fur 1’eau, replonge, remonte encore;nbsp;Ganelon ne lache point prife; Bayard furieuxnbsp;gagne le rivage, emporte Ganelon fur le pont,nbsp;amp; fe précipite encore avec lui dans les flots.nbsp;Ganelon , etourdi du coup, I'abandonne ;nbsp;Bayard, qui fe fent libre, profite du moment, fe drefl'e, renverfe Ganelon, nage amp;nbsp;s’élance fur la rive qui eft; oppofée a 1’armée:nbsp;Ilhennit, rue, part comme un éclair, s’en-fonce dans la foret d’Ardenne, amp; difparoicnbsp;aux yeux de 1’armée étonnée. Charlemagnenbsp;fit cpurir fur fes traces, mais tous fes foinsnbsp;furent inutiles; on ne put jamais le retrou-
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ver, amp; 1’opinion commune eft, que ce fu-perbe courfier git encore dans ces forêts, ne fe laiflant approcher de perfonne, amp; henniflantnbsp;tomes les fois qu’il voit pafler un Chevalier ,nbsp;dans I’efperance de retrouver fon maitre.
Ganelon fut retiré du fond du fleuve , couvert de vafe amp; prefque noyé, amp;, malgré 1’état OU'il étoit,oneut bien de la peine a s’em-pécher de rire : Car, c’eft un fpedlacle biennbsp;fatisfaifant, que la confufion d'un hommanbsp;vain amp; méchant,
Lorfque Charlemagne fut arrivé a Aix-Ia-Chapelle, oü il devoit, un jour, établir la capitale de 1’Empire d’Occident, il licencianbsp;fes troupes, amp; permit a fes Pairs, a fes Barons, d’aller chez eux ; maïs, avant qu’ilsnbsp;partiflent, il les récompenfa tous, amp; les frèresnbsp;de Renaud comme les autres.
Cependant, Renaud, couvert d’un habit de Pélerin, arrive a Conftantinople : II fe cachenbsp;a tout Ie monde; ilévite les lieuxtropfréquQji-tés;il demande une hótellerie, un afylepournbsp;un Pélerin qu’un voeu amène ajérufalem : Onnbsp;lui indique Ie réduit obfcur d’une femme pau-vre amp; pieufe , qui exercoit 1’hofpitalité ; ilnbsp;préféra cette maifon au plus riche Palais ; ilnbsp;y fut fervi par la pauvreté, avec plus dezèlenbsp;amp; d’affeftion, qu’il ne 1’eftt été par 1’opu-lence. La charitable Mérancie partagea , avecnbsp;Renaud, un repas fimple amp; frugal; après luinbsp;avoir lavé les pieds, comme elle avoit cou-tume de faire ^ tous les Pélerins qu’elle re-liroii, amp; 1’avoir fait fouper, elle fe condui-
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d'Aymon,
fic dans une petite chambre, ou tout refpi-roit la propreté, la décence amp; la fimplicité. j, II fauc, lui dit-elle, que vous vous conten-^ tiez de ce logement; celui qui eft a cóté,nbsp;^ amp; qui, peut-être, vous eüt mieux convenu,nbsp;„ eft occupé par un Pélerin maiade, a qui jenbsp;„ vais donner des foins. Madame, lui dit Re-,, naud, ce Pélerin eft, fans doute, protégénbsp;„ du ciel, puifqu’il lui a fait trouver , dansnbsp;„ fa maladie, les fecours d’une ame bienfai-„ fante. Que Ie fort d’un pauvre étranger ma-„ lade eft è plaindre, fi la pitié ne lui faitnbsp;„ trouver des parens par-tout oü il y a desnbsp;„ hommes! Permettez-moi de 1’aller voir avecnbsp;^ vous, amp; de partager les foins que vous luinbsp;„ rendrez Mérancie vouloit qu'il allÉc fenbsp;repofer; il l’aflura qu’il n’en avoir aucun be-foin, amp; que, depuis 1’enfance, il étoit ac-coutumé au travail amp; a la fatigue ; Il la fuit,nbsp;amp;, k peine a-t-il porté fes regards fur Ie maiade , qu’il s’écrie : „ Ciel! c’eft Maugis,nbsp;„ c’eft mon coufin ,, ! A certe voix, Maugis foulève fa tête appefantie. ,, Je te remer-„ cie , ó Dieu confolateur, s’écrie-t-il, denbsp;m’avoir envoyé Renaud dans 1’affligeantenbsp;,, fituation oü je me trouve. Ah! Renaud,nbsp;„dans quel écat je vous vois! Sous ce dé-9, guifement, vous fuyez, fans doute, la hainenbsp;9, d’un barbare, amp; vous n’avez que des mal-»gt; heurs a m’apprendre?
Renaud calma fes inquiétudes, amp; lui ra-conta tout ce qui s’étoit pafl’é; il lui dit que Ibn voyage en Paleftine étoit 1’unique con-
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dition que Charlemagne eut mife a la paix,: amp; qu’il etoit trop heureux, pour les fils d’Ay-mon, de terminer, k ce prix, une guerrenbsp;funelte. Ce récit rendit les forces a Maugis.nbsp;„Ne nous quittons plus, dic-il a Renaud.nbsp;j. Nous fommes fans fortune, nous portonsnbsp;„ les livrées de la pauvreté; mals nous fom-„ mes également au delfus de 1'une Ik de 1’au-j, tre, par notre courage Mérancie, qui lesnbsp;écoutoit, comprit feulement, d leurs dif-cours, qu’ils étoient d’une maifon illuftre.nbsp;La charité choz les femmes les empeche denbsp;médire, mals non pas d’érre curieufes; ellenbsp;leur témoigna tant d’envie de favoir qui ilsnbsp;étoient, que Maugis lui dit: „ Nous fommesnbsp;„ deux Gentilshommes exilés de France, pournbsp;„ lui procurer la paix; nous voyageons fousnbsp;„ ces humbles habits, pour n’être point re~nbsp;,, connus, non que nous ayons rien k crain-,, dre; mais nous voulons jouir de la liberténbsp;,, qu’un nom trop fameux ne nous permet-,, troit pas de gouter Mérancie fe contentanbsp;de cet eclairciflement, amp; ne les traita ni mieux.,nbsp;ni plus mal qu’auparavant. Maugis, trois joursnbsp;après, fe fentit rétabli : Ils remercièrent Mérancie, récompenfèrent fes foins, amp; lui pro-,nbsp;mirent de la revolt a leur retour-Ils fe mirent en chemin, amp; traverfèrencnbsp;gaiement un pays immenfe, entendanc fou-vent parlerde leurs exploits, amp;afieél;ant de n’ynbsp;prendre aucune part, pour n’étre pas recon-nus; ils parvinrent, ainli, a la vue de Jéru- ,nbsp;falem , quand ils pureot tjiftinguer la tour
de David amp; le Temple, ils fe mirent a genoux amp; remercièrent le ciel de les avoir conduitsnbsp;jufque-la, Pleins de confiance, ils fe levèrentnbsp;pour entrer dans la Cite fainte; mais, ennbsp;avanganc, ils virent un vafte camp qui I’envi-rennoic.
Ilsne pouvoient difcerner de quelle Nation ce camp étoit formé. Comme Maugis amp; Re-naud s’entretenoient, ils apergurent un vieuxnbsp;homme a cheval, qui fortoit du camp; ils nllè-rent d lui; ils lui demandèrent quelles troupesnbsp;affiegeoient la Cité fainte? Le vieillard leur ré-pondit qu’elle étoit, maintenant, affiégéeparnbsp;les Chrétiens, qui avoieut bien de la peinenbsp;è la reprendre; que les Perfans s’en etoientnbsp;emparés, amp; qu’Emirza, leur général, 1’avóitnbsp;prife par trahifon. Renaud voulut favoir comment il s’en étoit emparé. „ Tout paroiflbitnbsp;,, en pleinepaix, reprit le Vieillard; les Per-,, fans avoient eflayé, plufieurs fois, de pren-,, dre Jérufalem, les Chrétiens les avoientnbsp;j, toujours repoufles. Fatigués, enfin, d’unenbsp;,, guerre inutile, les Perfans propofèrenc aux^nbsp;,, Chrétiens de leur payer les frais de la guerre,nbsp;amp; qu’alors, ils fe retireroient. Les Chre-(„tiens confentirent a en payer la moitié, lanbsp;j, condition fut acceptée, amp; 1’on fe crut tran-j, quille, fur la foi du traité; mais ce n’étoitnbsp;«, qu’un piège. Les Perfes firent femblantde fenbsp;retirer; ils fe cachèrent dans les montagnes»nbsp;«, amp; attendirent un temps plus favorable.
„ La délivrance de Jérufalem attira de tou-tes parts un grand nombre de Pélerins;..
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Les quatre fils
„ Èmirza fe déguifa, amp;fit déguifer mille hora-,, mes fous ce faint habit; il les fit glifler ,, dans la Ville, en plufieurs fois, amp; pat diffé-,, rentes portes : II y entra, Ie quatrièmenbsp;„ jour, avec fes Otficiers : II avoit choifi Ienbsp;,, temps d’une fète folemnelle. Tandis quenbsp;,, les Chrétiens étoient en prières, dans Ienbsp;,, Temple, il fit fonner les cors, amp; les Per-,, fes, qui s’étoient emparés des poftes les plusnbsp;„ importans, prirent leurs armes cachées fousnbsp;j, leurs habits de Pélerins, firent main-baflènbsp;„ fur les Chrétiens, amp; en maflacrèrent unnbsp;,, grand nombre. Le trouble amp; la confufionnbsp;j,, régnoient par-tout; les troupes embufquéesnbsp;,, quittèrent leur retraite, amp; vinrent fe join-,, dre aux autres. Quelques Chrétiens, revenusnbsp;„de leur première frayeur, fe défendirent.nbsp;„ Le fang ruifleloit de routes parts; maisnbsp;„ les Perfes étoient les plus forts. Une troupenbsp;„armée de torches, accourt au Temple amp;nbsp;„ menace d’y mettre le feu, fi les Chrétiensnbsp;„ ne rendent les armes amp; ne fortent de lanbsp;„ Ville. Tous font forcés de 1’abandonner, en-„ viant le fort de ceux qui font morts en dé-„ fendant la Cité fainte. Le Patriarche Tho-„ mas, Roi de Jérufalem, fut retenu par lesnbsp;„ infidelles; eh! qui fait le fort qu’ils lui ré.nbsp;„ fervent ? Cet otage fufpend l’ardeurdes affié-,, geans; ils craignent pour fes jours, s’ilsnbsp;„attaquent vivement la place, de forte qu’ilsnbsp;„ n’ofent rien entreprendre.
Renaud demanda au vieillard fi les afliégés faifoient, quelquefois, des forties. „ Trés-
d*Aymon. nbsp;nbsp;nbsp;32^^
)gt; fouvent, répondit Ie vieillard, car ils font „en très-grand nombre, amp;, malheureufe-gt;, ment, nous n’avons point de Chef. Nousnbsp;verrons, dit Renaud en fouriant, amp; ilsnbsp;,, prirent congé du vieillatd.
Renaud amp; Maugis entrèrent dans Ie camp; ils attirèrent les regards de toute l’armée :nbsp;Jamais on n’avoit vu un auffi beau Pélerinnbsp;que Renaud; il cherchoit des yeux un en-droit oü il put camper. Maugis lui fit aper-cevoir une petite éminence, afiez prés desnbsp;murs, ils allèrent chercher des branches denbsp;palmier amp; élevèrent une cabane.
Tandis qu’ils travailloient, Ie Comte de Rance s’approcha d’eux; il les confidéra long-temps; il fut frappé de leurs traits majef-tueiix, de leurs roanières nobles, de leurnbsp;phyfionomie intéreflante, de leur taille amp; denbsp;leur port; il ne pouvoit, furtout, fe laflernbsp;d’envifager Renaud. Enfin, il lui adrefla cesnbsp;mots Beau Pélerin, pardonneè: ma curio-„fité; fi votre nom n’efl; point un myftère,nbsp;3, fi voiK n’avezaucune raifon de vous cacher,nbsp;„ dites-moi fi votre nom amp; votre naiflancenbsp;„ répondent k la grande opinion que j’aiconguenbsp;„ de vous, en vous voyant. II eft venu, ici,nbsp;un grand nombre d’étrangers de toutes lesnbsp;», parties du monde chrétien; mais aucun n’a-», voit encore fait la même impreffion fur moi.nbsp;ï,Je vous conjure done, par Ie Temple dunbsp;gt;, Diet! que vous venez adorer, par la Villenbsp;» fainte oü il a terminé Ie cours de fa vienbsp;»j mortelle, de vous déccaivrir franchement 4
-ocr page 334-„ un Chevalier, qui croit apercevoir en vous „ les marques d'une vertu fiipérieure.
,, Seigneur, répondit Renaud , quand j’au-,, rois des raifons particulières pour taire mon 9, nom a route la terre, votre loyauté ne menbsp;permettroit point de vous en faire un fecret.nbsp;„ Je fuis Renaud de Montauban, Ie Due d’Ay-,, mon eft mon père. Un Prince imprudent,nbsp;9, neveu de Charlemagne, porta fur moi unenbsp;9, main téméraire; je me vengeai, amp; fa mortnbsp;,, excita dans Ie Roi, mon Souverain, unenbsp;9, haine implacable; il n’a cefle de perfécuternbsp;9, mes trois frères, mon coufin Maugis amp; moi;nbsp;99 il nous traitoit en rebelles, nous menagoitnbsp;9, d’un fupplice infame, amp; nous nous fommesnbsp;9, défendus les armes a la main : J’ai tout ten-9, té, mais vainement, pour fléchir la colèrenbsp;,, de Charles, fans cefle irritée par de vilsnbsp;9, Courtifans, efpèce toujours jaloufe, tou-9,jours ennemie de la gloire des Chevaliers,nbsp;9, a laquelle ils favent qu’ils ne peuvent at-„ teindre; il eüt retrouvé en nous des Sujetsnbsp;fidelles amp; foumis; mais il vouioit des vic-,9 times; il a armé contre nous ce que Ia Francenbsp;9, a produit de plus vaillans Chevaliers ;ainfi,nbsp;„ 1’envie, .aveugle, amp; mal-adroite, des Cour-„ tifans de Charles, en nous perfécutant, menbsp;„ fourniflbit, chaque jour , des occafions nou-9, velles d’acquérir de la gloire ; La guerrenbsp;9, avoir moiflbnné un tiers de fes Sujets, pournbsp;9, une querelle qui leur étoit étrangère. Enfin,nbsp;,9 Charles, arrêtant Ie cours d’une perfécutionnbsp;ji^funefte a lui-méme, a pardonné a mes frères
-ocr page 335-5, amp; a Maugls, amp; s’efl: contenté de mon exil ,, fans en fixer Ie terrae. II m'a ordonné denbsp;,, venir, dans la Paleftine, défendre ou con-
quérir les lieux faints.
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Le Comte de Rance connoiflbit Renaud de reputation, amp; favoit une partie de fes aven-tures. „Généreux Renaud, lui dit-il, en met-,, tant un genou è terre, le Comte de Rancenbsp;,, fe donne a vous avec tous fes biens, receveznbsp;,, fa foi; c’eft un hommage qu’il dolt au plusnbsp;„ noble, au plus grand, au plus brave Che-,, valier du monde. Comte, que faites-vous?nbsp;,, lui dit Renaud, en voulantlerelever. Non,nbsp;,, reprit Rance; jamais je ne me leverai quenbsp;„ vous n’ayez recu mon hommage. Je 1'ac-„ cepte, dit Renaud en Tembraflant, mais anbsp;„ condition que vous accepterez celui de moanbsp;„ amitié. Rance continua : Que font devenusnbsp;„vos frères, fi dignes de vous, amp; ce fagenbsp;„ Maugis, votre coufin, qui joignoit k tantnbsp;„de valeur des connoiflances furnaturelles?nbsp;„ Seigneur, répondit Renaud, mes enfans amp;nbsp;„ mon époufe font auprès de Charlemagne; ilnbsp;„ s’eft déclaré le proteéleur de mes frères, amp;nbsp;5, les a rétablis dans leurs biens. Maugis, lenbsp;gt;, cher compagnon de mes infortunes, de mesnbsp;s, travaux amp; de ma gloire, eft devant vous,nbsp;„ c’eft lui que vous voyez,,. Le Comte denbsp;Rance embrafla Maugis, amp; lui demanda fonnbsp;amitié; il remercia le ciel d’avoir envoyé denbsp;fi vaillans Chevaliers au fecours des Chrétiens;nbsp;fi ne douta pas que, bientót, la Cité faintenbsp;fie fuc en leur pouvoir, amp; que le Roi Thomas
Les quntre fils
ne fut délivré. Rance annonga Renaud amp; Mau-gis a 1’armée; les Chevaliers fe raliemblèrent autour d’eux, amp; Ie camp retentie de cris denbsp;joie. Les Chevaliers fe joignirent aux prièresnbsp;de Rance, pour que Renaud acceptor Ie com-mandement de Parinée, amp; tous firent fermentnbsp;de lui obéir; ils ne voulurent écouter d’autresnbsp;avis que ceux de Maiigis; Renaud regut leurnbsp;fói. Rance Ie fupplia de n’avoir d’autre tentenbsp;que la fienne, amp; de la partager avgc Maugis amp;nbsp;lui; il les prit par la main, amp; les conduifit dansnbsp;fon Pavilion : Tous les Chevaliers les accom-pagnèrent. Rance fi^-préfent a fes hótes de vingtnbsp;chevaux de la plus grande beauté, de riches habits amp; d’écharpes magnifiquement brodées, denbsp;hauberts, amp; d’épées de la meilleure trempe denbsp;Damas. Renaud fut étonné de tant de magnificence; amp;, pour 1’engager è. accepter ces pré-fens, Rance Palfura que c’étoit la moindrenbsp;partie du burin qu'il avoit fait-fur les Per-fes, en difflirentes occafions; mais, Renaudnbsp;amp; Maugis ne voulurent qu’un cheval pour cha-cun, un haubert, une épée, une écharpe amp;nbsp;une armure complette.,, Seigneur, lui dit Re-naud, unhomme, quelque riche , quelquenbsp;puiflant qu’il foit, ne peut porter qu’un ha-,, bit a la fbis; je con^ois que, dans les cha-,, leursexcellivesdel’cté, il ne fe couvrepoint,nbsp;,, comme dans Ie froid rigoureux de I’hiver;nbsp;mais Ie guerrier ne connoït point ces vainesnbsp;délicatefles, fon armure eft fon habillement,nbsp;j, elle s’accommode a routes les faifons, amp;,nbsp;,,lorlque, dans la vie privée, il la quitte.
-ocr page 337-„ rout habillement doit luj étre égal; car il „ fera toujours moins pefant que fon armure.nbsp;„ Ainfi, Seigneur, fi ces préfens me font def-,, tinés, permettez-moi d'en difpofer en fa-,, veur des plus pauvres Chevaliers; maïs,nbsp;,, comme vous les connoifTez mieux qne moi,nbsp;,, diftribuez-les vous-même Rance Ie luinbsp;promit; il les envo5fa chercher , fans en riennbsp;dire. Cependant, on foupe; Rance avoir invité les principaux Chevaliers; Grille, parentnbsp;de Turpin, Tefle, Galerand, Lezay, Géof-froy, Taleyrand. Sur la fin du repas, trentenbsp;Chevaliers entrèrent, amp; fe placèrent en facenbsp;de Renaud; ils avoient une contenance noble , un air de propreté martiale, qui laiflbiencnbsp;è peine remarquer la pauvreté de leurs véte-mens; quand ils furent tons entrés : „ Sei-,, gneur, dit Rance a Renaud, voila trente
Chevaliers, les plus pauvres qu’il y ait au „ camp; amp;, fi la fortune s’a'ttachoit a la ver-
Tu, ils feroient aulR riches que les plus puif-y, fans Rpis de la terre Renaud fe leva » courut il eux, amp; les embrafla I’un après 1’au-tre : „ Mes amis, leur dir-il, je fuis pauvrenbsp;,, comme vous; mais, non plus que vous, jenbsp;„ne rougis pas de ma pauvreté : Les vraisnbsp;„ biens d’un digne Chevalier, font une con-„ fcience exempte de reproches, amp; une bonnenbsp;», réputation ; tous les tréfors de la terre nenbsp;}gt; valent pas ceux-la
On apporta les préfens, amp; Renaud les leur diftribua ; il voulut leur ceindre 1’épée, amp;,nbsp;^ mefure qu’il la leur ceignoit, il les embraf-
Les ^uatte fils
foit. Les Chevaliers étoient attendris; ils répandoient des larmes de joie , amp; , dans Ienbsp;tranfport de leur ivrefle , ils s’écrièrent, ennbsp;mettant la main fur la garde de leur épée :nbsp;„Seigneur, nous jurons de vous fuivre , denbsp;„ vous obéiren rout, amp; de tenter routes les en-,,, treprifes que vous nous ordonnerez,
Rance ordonna qu’on fit des réjouiflances dans tout Ie camp, amp; qu’on rendic a Dieu desnbsp;adions de graces, d’avoir envoyé Renaud amp;nbsp;Maugis au fecours des Chretiens. Galerandnbsp;amp; Géotfroy portèrenc ces ordres. Tous les Pavilions furent illumines; on alluma des feuxnbsp;devant les rentes, amp; les airs retentirent denbsp;chants militaires amp; d’hymnes facrés, mêlésnbsp;de cris de vivmt Renaud amp; Maugis. Renaudnbsp;fut furpris de la beauté du camp; il Ie par-courut, amp;il lui échappa peu de foldats, aux-quels il ne témoignamp;t fa joie ?
Le bruit des acclamations, la clarté des illuminations, letumulte de la joiequi régnoic dans le camp, attirèrent les Perfans fur lesnbsp;rempart'; leur Général en fut éconné. „ Quenbsp;„ leur eft-il arrivé, s’écria-t-il, pourquoi cesnbsp;„ divertiflemens amp; ces fétes? Ont-ils fu que jenbsp;„ dois les exterminer demain Et font-iJsnbsp;„ comme les cy^-gnes, qui ne chantént jamaisnbsp;„ tant, amp; fi bien, que la veiPe de leur mort?
Le Roi Thomas ne concevoit rien, lui-ml-me, a cette joie des Chretiens; il s’en félici-ta, paree qu’il fuppofa qu’elle étoit occafion-née par quelque grand événement. Renaud pré-vit, en général habile, que cette clarté du
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c-amp,qui fe réfléchiflbit fur les tours amp; fur les murs de Jérufalem, infpireroit de la mé-fiance aux ennemis; il ordonna qu’on redou-bldt, cette nuit, la garde du camp, amp; qu’onnbsp;veiliat avec plus d’attention que jamais.
A peine le jour eut-il paru, que tous les Chréciens, amp; leurs Chefs, fe rendirent auprèsnbsp;de llenaud, pour prendre fes ordres : Ils luinbsp;proposèrent de livrer un aflaut a la Ville. Re-naud préféra de fe tenir toujours pret au combat, amp; d’attendre que les ennemis fiflent unenbsp;fortie. On délibéroit encore, lorfqu’on vint an-noncer que le General ennemi avoir fait ouvrirnbsp;lesportes,amp;: que fes troupes commengoient a Ibr-tir. Renaud ordonne que chacun coure aux ar-Kies,amp;qu’on s’aflemble, i! monte furie chevalnbsp;que Ranee lui avoir donné; Maugis le devance,nbsp;amp; crie aux Chevaliers: „ Void le jour de la vic-a, toire,jevousl’annoncede]apartdu ciel, quinbsp;^ envoye les ennemis au devant de nos coups;nbsp;», je jure de ne rentrer dans ma folitude, quenbsp;j, lorfqu’jls feront chafies de la Cité fainte,,.nbsp;Il die a Godefroid : „ Ne quittez point Re-naud, amp;. moi, je vais oti la vidtoire m’ap-pellera Il ne prend , avec lui, que trentenbsp;Soldats, amp; va fe poller entre la porre de lanbsp;Ville amp; le camp, ou les Perfes étoient entrésnbsp;Jiu nombre de dix mille. Par 1’art de Maugis,nbsp;les trente Chrétiens qu’il conduifoit, paru-^ent aux yeux des Perfans une armee de trentsnbsp;wille hommes pde forte qu’il étoit impoffiblenbsp;“ux afliégés de porter du fecours aux dix millenbsp;‘lui étoient déja fotiis.
Renaud fit de fes troupes une difpofition II favante , que Ie Général Perfan fut décon-certé; il fut obligé de changer fon plan d’at-taque, amp; Renaud profita de ce moment pournbsp;jeter la confufion dans fon armée. Margarit,nbsp;jeune Prince d’une riche contrée voifine denbsp;Vindas, s’avance Ie premier, a la tête de troisnbsp;mille hommes, pour foutenir Emirza; il ofenbsp;attaquer Renaud , qui difoit a Godefroid ; jenbsp;plains ce jeune homme, qui fe dépêche denbsp;courir a la mort; Renand court a lui, amp;,nbsp;d’auffi loin qu’il peut fe- faire entendre :nbsp;5, Jeune homme , lui dit-il, rendez-vous : Nenbsp;„ vous obftinez pas ü lutter concre vos def-s, tinées, elles font ,'aujourd’hui, d’etre vain-„ CU Je vais les changer, répondit Ie jeunenbsp;audacieux, en foulevant fa lance , pour frap-per Renaud a la vifière; mais Renaud écarténbsp;fon fer , Ie frappe au milieu de la poitrinenbsp;amp; lejette a dix pas de fon cheval, qui re-«ule d’effroi, amp; foule fon malrre fous fes pieds.nbsp;Un Sarrafin accourt, 1’épée a la main, pournbsp;venger ie Prince; Renaud faifit Ie momentnbsp;OU il léve Ie* bras pour Ie frapper, amp;, d’unnbsp;revers, il emporte Ie bras amp; la tête du Sar-ralin ; Un troifième, qui portoit la bannièrenbsp;du Prince, vient a route bride far Renaud,nbsp;en proféranc des injures groffières contre lui;nbsp;mais Ie fier Paladin enfonce Ie fer de fa lancenbsp;dans fa gorge, amp; la moitié de fes blafphèmesnbsp;s’exhale avecfon ame. Renaud crie, Montau-ban; Maugis laifie fes trentehommes, amp; vientnbsp;au cri de fon coufin, frappant amp; faifant tombex
-ocr page 341-les Sarrafins de droite amp; de gauche. Renaud lui-même, étonné de fa valeur , demande anbsp;Rance, fi jamais il avoit vu un Hermice denbsp;cette efpèce. Le Comte lui répondic qu’uu feulnbsp;Renaud fuiüfoit contre une armee de Sarrafins, amp; qu’a préfent, que les Chrétiens ennbsp;avoient deux, tous les fedlateurs de Mahomet , réunis, n’empêcheroient pas la prife denbsp;Jérufalem. Rance, animé par de fi grandsnbsp;exemples, ordonne aux Chrétiens defrapper:nbsp;II fejette au milieu des ennemis, amp; ceux quinbsp;échappoient d Maugis, alloient tomber fousnbsp;les coups de Rance amp; de Renaud. Les tremenbsp;Chevaliers faifoienc un carnaga,horrible*, ilsnbsp;moiflbnnoient tout ce qui fe préfentoit dnbsp;eux : Les Sarrafins prirent la fuite, amp; vou-lurent rentrer dans Jérufalem, mais 1'arméeen-chantée de Maugis leur parut un mur impéné-trable.
Le Général Perfan alia au devant d’eux amp; les rallia : „ Laches, ou fuyez-vous? leur di-»gt; foit-il : Ignorez-vous que je fuis d votrenbsp;5, tête, amp; que je peux , feul, vous défendrenbsp;„contre ce vil afiemblage de Chrétiens,,? IInbsp;demanda le Prince Margarit. On lui réponditnbsp;qu’il avoit été tué par ce Chevalier Frangoisnbsp;qui faifoit couler tant de fang : On 1’aflura quenbsp;c’étoitle plus terrible Chevalier que les Chrétiens euflent encore eu *, Emirza jura i Mahomet que ce Chevalier, quel qu’il fut, ne pé-fii’oit d’autre main que de la fienne : Auffi-tót,nbsp;ti fejette dans la mêlée : Galerand oppofa vai-t’ement fon écu a la lance d’Emirza, qui lui
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Les quatre fils
per^a la poitrine, amp; l’étendit mort furla cronpe de fon cheval. II crioit : „Frappez, qu'au-
cun Chrétien n’échappe; Mahomet combat jj au milieu de nous; après la viftoire, il fenbsp;„ manifeftera a vos prophanes yeux A cesnbsp;mots, Ie combat devinc terrible ; La fuperf-tition fit dans les Perfans ce que leur courage n’auroit pu faire; amp;, fans Renaud amp;nbsp;Maugis, c’en étoit fait du camp des Chretiens.
Mais Renaud vole aux lieux oii Emirza fai-foit Ie plus de ravage. Orcan, jeune Seigneur Perfan, neveu du Général, veuc jouter avecnbsp;Renaud; mais celui-ci lui porte un coup d’épée finbsp;terrible, qui lui fit voler la tête aux pieds denbsp;fon oncle : Maybon , défigné pour fuccéder aunbsp;Mufci, veut venger Orcan au nom d’Aly, amp;nbsp;Renaud , du même coup,donne la mort è Maybon amp; a fon cheval. Les Perfans étoient fi éton-nés des exploits de Renaud, qu’ils crurent quenbsp;Ie Dieu des Chrétiens étoit venu les défendre ,nbsp;amp; combattre contre leur Prophéte; il ne frap-poit pas un feul coup, qu’il n’abattit un en-nemi, amp; fouvent deux ou trois; il avoitjeténbsp;fon écu fur fon épaule, comme s’il eut dé-daigné de fe défendre; il avoit attaché é fonnbsp;bras la bride de fon cheval, amp;, tenant fonnbsp;épée a deux mains, on eüt dit qu’il frappoit,nbsp;en même temps, ceux qui fe trouvoient de-vaut lui, ceux qui Ie fuivoient, amp; ceux quinbsp;étoient a fes cótés.
Le Général Perfan voulut s’élancer fur lui» pour accomplir le ferment qu’ü avoit fait i
fon
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fon Prophéte. „ Seigneur, lui dit Amaury, ,, qui étoit fon prifonnier, je crains bien quenbsp;vous n’ayez promis a Mahomet plus quenbsp;,, vous ne puifliez lui tenir. Croyez qu’il n’ynbsp;,, a pas de Chevalier au monde qui égale ce-„ lui-la Le Général regarde Amaury avecnbsp;pitié; mais, lorfqu’un moment après, le crinbsp;de Montauban eut frappé fes oreilles, 1’hif-toire amp; le nom de Renaud, donr la réputa-tion étoit parvenue jufqu’d lui, fe retra^ancnbsp;a fa mémoire, ne lui permirent plus de dourer que ce ne fut Renaud méme, amp; il futnbsp;tenté d’êcre parjure. D’un autre cóté, Mau-gis faifoit cooler un torrent de fang; la deroute des Perfans étoit générale : Emirza fitnbsp;fonner la retraite; alors, Maugis retira fesnbsp;trente Cavaliers; les Perfes, qu’il avoir tenusnbsp;en échec, fe précipitent dans le camp, tan-dis que ceux du camp accourent en foule pournbsp;entrer dans la Ville; leur choc fut terrible;nbsp;i!s fe preflbient, fe fouloienr, s’étoulfoiencnbsp;eux-mêmes; Renaud amp; Maugis profitent denbsp;Cette circonftance ; ils raflemblent leurs Chevaliers, fondent fur cette foule embarrafleenbsp;amp; qui ne peut fe fervir de fes armes; ils au-gmentent la confufion. Les Perfes périflènt parnbsp;leurs propres efforts amp; par les coups des Chré-tiens. Le Général erre, au hafard, autournbsp;des murs, le Comte de Ranee le fuit, eft furnbsp;le point de le faire prifonnier; mais, quelquesnbsp;Perfans ayant aper9u Emirza du haut des rem-Parts, lui ouvrirent une des portes, vinrentnbsp;devant de lui St le firent entrer dans léru-
falern. Cependant, Renaud amp; Mangis, lades de frapper, fe contentèrenc de regarder lesnbsp;infidelles s’écrafer eux-mêmes; jamais ils n’au-roieni: pu rentrer dans les murs, fi Ie Géné-ral, ayant fait fortir trois mille hommes parnbsp;une autre porte, cette nouvelle troupe nenbsp;leur en eüt montré Ie chemin ; ils rentrèrent,nbsp;enfin, maïs toujours harcelés par les Chré-tiens.
Renaud j faché que Ie Général lui eötéchap-pé, defcend de cheval, prend fur fes épaules un raadrier que trente hommes les plus ro-huftes auroient eu bien de la peine a foule-ver; il s’approche de la porte amp; Télève fousnbsp;la herfe, pour 1’empécher de tomber : D’ail-leurs, la porte écoit fi embarraflëe, par lesnbsp;cadavres des Sarrafins qui avoient été étouffésnbsp;amp; foulés aux pieds, qu’il eüt été impolfible denbsp;la fermer. Les trois mille hommes de troupesnbsp;fi-aïches que Ie Général avoit envoyés, firencnbsp;face a la porte; mais Renaud, 1’épée a lanbsp;main, fous Ia herfe, amp; fe faifant un rempartnbsp;des cadavres, foutient l’efforc des afliégés :nbsp;Dards, lances, léviers, tout eft mis en ufagenbsp;pour Ie repoudër; ce héros eft inébranlable :nbsp;II donne Ie temps k Maugis amp; a Rancc de Ienbsp;jüindre , fuivis de leurs Chevaliers ; alors,nbsp;Renaudentra dans Jérufalem, en criant, Mön-taiiban; tandis que Crifl'é, Taleyrand amp; Go-defroid protégeoientamp; rangeoient en bon ordrenbsp;les Chrétiens qu’ils faifoient entrer.
Emirza , voyant les Perfes fair devant Re-naud, Rance amp; Maugis,. parut comme ua
d’Aymon. nbsp;nbsp;nbsp;535
homtne que la foudre a ébloui; il fe reflbu-viut du Roi Thomas, qui etoit dans les fers; il courut dans fa prifon. ,, Thomas , lui dit-il,nbsp;„ tu vas mourir de ma main, fi tu ne me fan-„ vesla vie. Les Chrétiens font maitres de Jé-^ rufalem; ils me pourfuivent; je confens anbsp;„leur abandonner la Ville amp; è me retirer;nbsp;3, mais, s’ils s’acharnent a me faire périr, jenbsp;„ me précipite du haut de la tour avec toinbsp;Le Général Perfan fit palier Ie Roi fur la plate-forme; il lui tenoit le poignard fur la gorge,nbsp;amp;, dans cette fituation, il attendit que lesnbsp;Chrétiens arrivaliént: Ils approchent; ils fontnbsp;préts de pofer leurs échelles, lorfque Thomasnbsp;leur crie d’arrêter : Renaud amp; Maugis lèvencnbsp;la tête; quel fpeftacle! Ils demeurent immo-biles. Thomas leur fait favoir les propolitionsnbsp;d’Emirza. Renaud ne pouvoit pas fe perfua-der qu’un guerrier qui avoit eu la lücheténbsp;d’abandonner fes troupes, pour fa réfugier dansnbsp;la Ville, eüt le courage de poignarder Thomasnbsp;amp;de fe préclpiter, avec lui, du haut de Ia tour;nbsp;mais Renaud fe trompoit, amp; les hommes cou-rageux amp; braves fe trompent, prefque tou-jours, en calculant les effets de la crainte Scnbsp;de la lÊcheté. Emirza, voyant qu’ils fe dif-pofoient a efcalader , prit le Roi par les che-¦veux, le renverfa fur un des crenaux, amp; le-Voit le bras pour lui enfoncer le poignard dansnbsp;la gorge. ,, Arréce, barbare, s’écria Renaud,nbsp;») en retirant 1’échelle, épargne le Roi, amp;nbsp;sj nous te laiflbns la vie amp; la liberté de te re-sj.tirer,,. Le Général exigea la foi des Che-
-ocr page 346-34° nbsp;nbsp;nbsp;.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;quntre fils
valiers; ils Ja donnèrent, amp; Tliomas fut Jibre. Renaud, de fon cóté, tint fa parole au Gé-néral, amp; lui permit de fortir de Jérufalein aveenbsp;trois de fes guerriers.
Renaud, Godefroid, Maugis, amp; tous les Chevaliers, montèrent a la tour. Le Roi Thomas emhrafla fon libérateur, lui demanda fon noni,nbsp;amp; voulut favoir fes aventures. Renaud lui ennbsp;raconta une partie, en allant au Saint-Sépul-ere, oü ils fe rendirent tous.
Renaud donna ordre que tous les Perfans blefl'és fuflent traités avec les mémes foins quenbsp;les Chretiens : II difperfa les prifonniers ennbsp;divers quartiers de ia Ville, de manière qu’ilsnbsp;ne puflent pas fe raffembler; il accorda la Ji-bercé aux Officiers, fur la parole qu’ils lui don-nèrent, de ne plus porter les armes dans la Palef-tine; il leur permit de ramener deux centsnbsp;Soldats, a leur choix, pour leur fervir d’ef-corte; il traita fi bien les prifonniers, que,nbsp;peu de jours après, leur ayant donné la liberténbsp;de s’en retourner, ils lui demandèrent, commenbsp;une grke, de les incorporer dans les troupesnbsp;des Chrétiens, avec promefle d’embraffer leurnbsp;religion, lorfque fa lumière auroit éclairé leurnbsp;raifon.
La Ville retentidbit de cris de joie, paf-j tout on béniflbit Renaud amp; Maugis. Le Roinbsp;Thomas avoit voulu leur céder fon Palais;nbsp;il vouloit encore partager fa couronne avecnbsp;Renaud; mais Renaud la refufa. Les Perfesnbsp;avoient lailie dans la Ville un grand norobrenbsp;'de chevaux fuperbes , amp; quantité de chofes
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précieufes; Ie Roi donna tont a Renaud amp; 4 Maugis; Renaud accepta quelques dons; maïsnbsp;Maugis ne voulut vien. „Je fuis pauvre, di-„ foic-il, je veux 1’érre, je ne changerois pasnbsp;ma pauvreté pour routes les richefles du Roinbsp;„ de Peife. A quoi peuvent être bons des rré-„ fors, pour qui n’a befoin de rien?
Renaud amp; Maugis demeurèrenc a Jérufalem tour Ie temps qu’il fallut pour rétablir la Ville,nbsp;amp; pour difcipliner les troupes; ils formèrencnbsp;des Généraux habiles, amp; des Soldats coura-
ils avoient étudié la manière de com-
geux;
battre des Perfes; ils mirent les Chretiens en ctat de ne plus les craindre.
Renaud, portant fes vues plus loin, crut que, pour óter a jamais aux Perfes Ie délirnbsp;de rencrer dans la Paleftine, il falloit les atrnbsp;taquer dans leur propre pays; il forma unenbsp;armee d'environ quinze mille hommes,.amp; lanbsp;conduifit au fein de la Perfe; il y fit des ra-V’ages. Le Roi, que la défaite d’Emirza avoitnbsp;effrayé, fit marcher centre Renaud amp; Maugisnbsp;de nombreufes arméesj mais Renaud, par fesnbsp;favances difpofitions, amp; Maugis, fecondé desnbsp;fecrets de fon art, furent toujours vainqueurs.nbsp;Le Roi de Perfe demanda la paix. Renaudnbsp;Paccorda aux conditions les plus avantageufesnbsp;pour les Chretiens. Renaud amp; Maugis les ra-menèrent triomphant, amp; chargés d'un butinnbsp;immenfe.
Charlemagne apprit, par des Envoyés du Roi de Jérufalem, les grands exploits de Re-haud S4 de Maugis; il fit dire au fiU d’Aymon
34® nbsp;nbsp;nbsp;qaatre fils
qu’il lui permettoit de revenir è Montauban amp; a fa Cour quand il le jugeroit k propos, qu’ilnbsp;accordoit a Maugis le inéme pardon amp; les mê-mes faveurs qu’a fes coufins, amp; qu’enfin, il lesnbsp;reverroit 1’un amp; I’autre avec plaifir.
Lorfque Renaud crut que les Chretiens de Ja Paleftine pouvoicnt fe palier de lui, il de-rnanda au Roi Thomas la permiffion de retour-ner dans fa Patrie; il voulut faire ce trajecnbsp;par mer. Le Roi fit conftruire un vaifleau plusnbsp;lelie amp;plus léger que magnifique; il le char-gea des prefens les plus riches, I’arma amp; nenbsp;le confia qu’au Pilote le plus habile amp; auxnbsp;Matelots les plus expérimentés. Lorfque toutnbsp;fut prêt, Renaud amp; Maugis allèrent s'embar-quer k Prolémaïs. Le Roi, le Comte de Ranee,nbsp;amp; Godefroid, les accompagnèrent, amp; ne fenbsp;fdparèrenc d’eux qu’avec les plus grands regrets*
d’^ymon.
C H A P I T R E X X111.
Renaud S’ Maugis arrivent d Pahrme;accueil qu'ih repivent du Roi de Sicile; bataillenbsp;Jdnglante, gagnée contre les Sarrajins. Depart de Reaaud amp; de Maugis; ils retour-nent d Coriflantinople, pour s’acquitter en-vers Mérancie ; leur retour en Italië : fisnbsp;pajjent d Rome^ amp; reviennent d Dordogne,nbsp;Renaud y apprend la mort d’iblande; fanbsp;douleur^ fes regrets; fun chagrin fe calmc en.nbsp;revoyant fes enfins. Maugis lui fait quitter Ie trifle féjour de Dordogne.
R ENAUD amp; Maugis parcoururent les mers pendant huit mois eniiers; ils efluyèrent desnbsp;tempétes amp; rencontrèrent des Pirates; Vain-«jueurs des plus grands dangers, ils abordè-rent, enfin, è Palerme. Le Roi de Sicile, dontnbsp;Ie Palais donnoit fur le port, aper^ut un vaif-feau, dont Ia forme élégante, amp; l’équipagenbsp;lefte amp; brillanc, annon$oient un étranger denbsp;grande importance; unefoule de Peuple, attiréenbsp;paria fingulariré du vaifléau, amp; par la bonnenbsp;mine des voyageurs, s’étoit raflemblée autournbsp;d’eux. LeRoi defcendit dans fes jardins, amp;,nbsp;d’une terrafle que baignoient les fiots de lanbsp;roer, il reconnutRenaud; il en fut tranfporténbsp;de joiej il alia, lui-même, avec fes Chevaliers, au devant du fils d’Aymon, qui lui prér ’
P iv
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Les quatre fils
fenta Maugis, fon coufin; Ie Roi les embrafla 1’un amp; 1’autre, amp;, après avoir donné ordrenbsp;qu’on mit routes leurs richeffes en fureté dansnbsp;fon Palais, il les prit par la main amp; les ynbsp;«onduifit.
Au milieu des fétes, que Ie Roi de Sidle leur donna, un Chevalier vint porrer la nouvelle, que, fans aucune dédaration de guerre,nbsp;les Sarrafins avoienr envoyé une flotte fur lesnbsp;cütes de Sidle, avec dnquante mille hommes de débarquemenc, fous la conduite d’E-mirza, amp; que cette armée s’avangoit versPa-lerme. Le Roi ne s’attendoic point a cettenbsp;guerre, amp; , quoique fes troupes fuflent en bonnbsp;état, il en craignoit 1’évènement: Renaudnbsp;le raflura, amp; promit de le délivrer bientót denbsp;«et ennemi. II lui raconta la vidoire qu’il avoicnbsp;xemportée, avec Maugis, fur Emirza. Le Roinbsp;lit fonner les trompettes, amp; toutes fes troupesnbsp;fe raflemblèrent devant Palerme. Renaud lènbsp;mit li leur tête, amp; Maugis prit le centre; lenbsp;Roi de Sicile lui confia fa bannière; il nenbsp;pouvoit pas la remettre en de plus süres mains;nbsp;Maugis lui promit de la porter en tel lieu,nbsp;qu’il faudroit bien que les Siciliens la fuiviflent.
Lorfque Renaud eut fait fes difpofitions, 1’arniée marcha en bon ordre au devant desnbsp;ennemis, amp; ne leur donna pas le temps de fenbsp;reconnoitre; ils venoient attaquer un Princenbsp;qu’ils croyoient furprendre, amp; ils fe virentnbsp;attaqués par une armée qui paroillbit déter-minée a tout hafarder; Maugis eft le pre-.mier qui, fa bannière a la main, fe jette au
-ocr page 351-milieu des Sarrafins, en criant i une troupe choifie: ,, Braves Siciliens, la bannière du Roinbsp;„ eft au milieu des ennemis, venez la défen-,, dre Renaud vit un Sarrafin qui vouloitnbsp;s'en emparer; le héros le frappe de fa lance,nbsp;de manière que le fer qui s’en detache le clonenbsp;a foil cheval; ils tombent 1’un amp; 1’autre, fenbsp;débatten: centre la mort, fe roulent dans lanbsp;pouffière, amp; caufent autour d’eux un défordre,nbsp;done Renaud fut tirer parti; car, Maugis amp;nbsp;lui, pourfui vant, l’épée a la main, quelques Cavaliers , amp; les for?ant de pafler fur le corps dunbsp;Chevalier expiranc amp; fur celui de fon cheval, ilsnbsp;s’embarralient, tombent, en fontculbuter plu-fieurs autres , qui périflent , tous, accablésnbsp;par les Siciliens. Cependant, Renaud courtnbsp;dans les rangs de 1’armée ennemie, abat toutnbsp;ce qu’il rencontre; 1’effroi le devance, amp; lanbsp;mort le fuit. Maugis fe bat avec le mêmenbsp;fuccès. Emirza, qui ne le reconnoit point,nbsp;eft étonné de leur courage; 11 animoit con--tt’eux fes Officiers les plus intrépides; il for-moit des pelotons de fes plus braves foldats amp;nbsp;les envoyoit'contre les deux guerriers; mais,nbsp;ainii que les vagues pouflees contre des ro-chers par un vent impétueux, ces détache-mens venoient fe brifer centre Renaud amp; centre Maugis,
La fureur tenant lieu de courage a Emirza, il ofe s’avancer, lui-même, au devant d’unnbsp;des héros, a la tête d’une troupe qu’on ap-peloit 1’invincible; il en étoit a peu de dif-lance, lorfqu’il emendit crier, Montauban; a
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ce cri, Emirza demeure immobile.,, Par quel ,, art infernal, s’écrie-t-il ,-ce Renaud, qui m’anbsp;,, chalTe de Jérufalem , fe retrouve-t-il a Pa-,, lerme? Le Roi de Sidle, prévoyant quejenbsp;,, viendrois 1’attaquer dans fes Etars, 1’a-t-ilnbsp;y, attire dans la Paleftine, pour 1’oppofer auxnbsp;„ Sarrafins, ou Penfer lui a-r-il révélé quejenbsp;,, viendrois dans ces dimats?
En vain fes Officiers promettent-ils 4 Emirza de le délivrer de ce terrible ennemi, „ Vousnbsp;,, ne le connoiflez pas, repond le Général;nbsp;„ cet homme joint é la prudence )a plus con-„ fommee, la valeur la plus audacieufe; a lanbsp;„ plus grande force, la générofité la plus fu-„ blime. Si 1’ennemi de Mahomet pouvoit nenbsp;„pas être tin démon, je croirois Renaud unnbsp;„ Dieu ,,. -Emirza vit Maugis qui s’étoit faitnbsp;autourde lui un rempart de cadavres; il crutnbsp;en venir plus aifément d bout que de Renaud;nbsp;il 1’attaque, 1’entoure amp; ;ioufle des cris de vic-Toire; inais, Maugis, s’élan^ant du milieu desnbsp;roorts, s’attache è la troupe d’Emirza, trouvenbsp;que fon épée eft trop lente, faifit une énormenbsp;maflue, qu’il portoit attachée a Pardon de fanbsp;felle, amp;, tenant d'une main la bannière dunbsp;Roi de Sicile, il frappe de I’autre, amp; fait per-dre fon nom a la troupe invincible, il ren-verfe, écrafe Chevaliers amp; Soldats; les heau-Mes fracafles, amp; les têtes applaties, ne for-menc que la même mafle, fpeftacle horriblenbsp;amp; dégoütant! Emirza ne peut le foutenir; ilnbsp;prend la fuite. Maugis le fuic jufqu'au riva-ge; Emirza fe précipite dans la met, avcc
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fon cheval; il gagne fes galères en frérniflanc, fuivi de quelques-uns des fens; maïs fon armee difperfée fur les bords de la mer, s’ef-force, en vain, defuivre fon Général;Renaud,nbsp;Maugis, amp; Ie Roi, en font un fi horrible carnage, qu’après la bataille, il fallut commander un detachement pour jeter les cadavresnbsp;dans les flots, de crainte que leur-infeftionnbsp;ne corromplt Pair de Palerme. Bientót, les galères d’Emirza furent entourées de ces triftesnbsp;reftes, que les flots entrainoient, amp; qui fem-bloient lui reprocher fa fuite. Le flls d'Ay-mon regrettoit que ce Général lui échappacnbsp;encore; il fit lancer des pierres amp; des feuxnbsp;contre fa galère, qui s’embrafa; il futforcé denbsp;1’abandonner, de fauter dans une autre, amp; denbsp;gagner le large.
Le Roi de Sicile, ramené triorophant pat Renaud amp; Maugis, amp; chargé de toot le bu-tin de 1’armée ennemie, étoit fi pénétré denbsp;reconnoiflance, qu’il propofa aux fils cTAymonnbsp;de partager avec lui un rróne qu’il avoir linbsp;bien fu défendre, amp; a Maugis de leur aidernbsp;a le gouverner; mais ils n’acceptèrent fa pró-pofition, ni 1’un, ni 1'autre; il tardoit trop ,4nbsp;Renaud de revoir fa chère Yolande, amp; fanbsp;Patrie, pour s’amufer a être Roi fur une rivenbsp;étrangère; amp; Maugis étoit trop emprellc denbsp;retourner dans fa folitude, pour fe charger desnbsp;foins du mihiftère. Qu’avoit è délirer Renaudnbsp;du cóté de la gloire, fon nom étoit plus cé-lèbre dans 1'univers que celoi d’aucun Roi;nbsp;il accorda quelques jours au Roi de Sicile, amp;
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lui demanda la permifluon de rerourner en France. Le vaifleau fur abondammen: appro-vifionné; le Roi ajouta de nouveaux préfensnbsp;a ceux du Roi de Jérufalem, amp; accompagnanbsp;les deux héros.
Ils fortoient du Port, lorfqu'ils fe rellou-vinrenc de leur hótefle de Conftantinople; ils délibérèrent s’ils y retourneroient. „ Ehnbsp;„ quoi! dit Renaud, fi un Roi nous témoi-,, gnoit le défir de nous avoir, nous volerionsnbsp;,, a fes ordres. Nous avons juré a Méraneienbsp;,, de la revoir; nous favons cotnbien notrenbsp;„ vifite comblera de joie une femme verrueu-„ fe, a qui nous devons le plaifir de nous êtrenbsp;„ téunis, qui nous a prodigué fes foins, a qui,nbsp;5,peuc-être, Maugis doit la vie, amp; nous héfi-„ terions! amp; nous ne ferions point, par devoirnbsp;„ amp; par reconnoiflance , h fon égard , ce que
nous ferions par vanité envers un Souve-„ rain qui devroit tout a fa naiflance amp; rien ,, a fa vertu ! Allons, Maugis, revenons anbsp;,, Conftantinople Ils partirent; ils débar-quèrent heureufement. Méraneie, qui ne lesnbsp;avoir point perdus de vue, avoir fu qui ilsnbsp;ctoient; elles’étoicfait informer de leurs aven-tures, avoir fuivi leurs exploits, amp; ne défef-péra jamais que de ft braves Chevaliers luinbsp;tinllent la parole qu’ils lui avoient donnée, ftnbsp;le cours de leurs exploits les ramenoit a Conftantinople. Cependant, pour ne pas attirer les.nbsp;regards du Peuple, ils laifserent leur vailieaunbsp;a quelque diftance du Port; amp; ne parurencnbsp;lt;3rez Méraneie qu’en Pélerins; elle les re9uc
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avec une tendrefle inélée de refpeft; elle les appela par leur nom , amp;, lorfqu’ils la prièrentnbsp;d’accepter des témoignages de leur reeonnoif-fance, elle rejeta leurs dons; mals Renaudnbsp;lui dit : „ Ce n’eft point a vous que nousnbsp;y, faifons ces préfens, c’eft aux Pélerins, auxnbsp;„ pauvres étrangers, a qui vous fervez de mère:nbsp;„ C’eft un dépót que nous vous confions, afinnbsp;„ que vous puiffiez en recevoir un plus grandnbsp;y, nombre, amp; donner plus d’étendue a votrenbsp;y, bienfaifance,, A ces conditions, Mérancienbsp;accepta les préfens des Chevaliers; elle les em-ploya' a b^tir un hofpice pour les Chrétiensnbsp;qui paflbient en Paleftine, amp;, fouvent, les In-fidelles y re9urent les mêmes fecours dans leurs.nbsp;befoins. Mérancie coinmengoit toujours par fe-courir, amp; s’informoit, enfuite, de la religionnbsp;des infortunés; mais, Infidelles ou Chrétiens ynbsp;elle ne fe repentoit jamais de leur avoir été.nbsp;utile.
Après s’étreacquittés envers Mérancie, qui les vit partir avec chagrin, Renaud amp; Mau-gis reprirent la route de 1’Italie; ils ne vou-lurent pas revenir en France, fans avoir vunbsp;Rome. Ils débarquèrent au Port d'Oftie, amp;ynbsp;fuyant les honneurs avec plus de foin que lesnbsp;autres ne les recherchent, ils prirent leurs habits de Pélerin, amp; entrérentdans cette anciennenbsp;Capitale du monde, que Ie père de Charlemagne , Prince qui , autrefois, eür briguénbsp;Phonneur d’être compté au nombre des Ci-toyens de Rome, avoit, depuis peu, donnée'nbsp;aux fouverainsPontifes; ils admirèrent fes mo-
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rumens amp; fes ruines. „ O ville fuperbe! s’é-,, cria Renaud, tu exifterois encore dans route ,, ta fplendeur, fi Ie luxe n’eüt chafle la vertunbsp;,, de tes murs; fi Torguell de quelques-uns denbsp;„ tes Citoyeris ne leur euc fair méconnoiirenbsp;,, la veritable gloire amp; fait préférer Ie frivolenbsp;„ avantage de commander aux hommes, anbsp;,, 1’honneur de protéger amp; de défendre leurnbsp;,, libercé ! Céfar t’enchaina; Céfar eft 1’idolenbsp;„ du monde; les héros fe forment fur fesprin-„ cipes; amp; fi Catilina, regardé comme 1’op-„ probre de fa patrie, efit été fecondé par lesnbsp;,, mêmes circonftances, au lieu de Céfar, lesnbsp;,, héros prendroient-, aujourd’hui gt; Catilinanbsp;„ pour modéle.
Après avoir parcouru quelques antres Villes 6’Italie, Renaud amp; Maugis fe rembarquèrent,nbsp;amp;, dans peu de jours, ils furent rendus Dordogne. Tous les habitans coururentau devantnbsp;d’eux. Alard amp; fes frères ne pouvoient fe lafiernbsp;d’embrafler les deux héros; ils les conduifirentnbsp;au Paiais, au milieu des cris de joie de tontnbsp;Ie ï*euple. Renaud, impatient de re pas voirnbsp;Yolande, demanda fi elle étoit encore è la Cournbsp;de Charlemagne; on ne lui répondit que jiarnbsp;un trifte filence : Les larmes coulèrent desnbsp;yeux d’Alard, malgré fes efforts pour les re-tenir. ,, Mon frère, mon cher frère, s’écrianbsp;5, Renaud ! vous vous troublez ; que m’an-„ noncent vos pleurs ? Au nom du Dieu quinbsp;„ m’a fauvé de tant de dangers, ne me ca-„ chez rien. Mon frère, répondit Alard, vousnbsp;,, avez foutenu tant de revers avec courage,
-ocr page 357-,, en manquerez-vous dans 1’épreuve Ia plus y, cruelle que Ie ciel vous ait réfervée ? Lanbsp;,, vercueufe Yolande eft morte, digne de fonnbsp;„ époux. Des fcélérats de la Cour, charmésnbsp;y, de fa beauté, amp; ne pouvant vaincre fes ri-,, gueurs, ont cru la rendre fenfible a leurnbsp;f, amour, err fuppofanc vötre mort; ils fe fontnbsp;„ procuré une de vos armures, ils 1’onc faitnbsp;„ porter a Yolande de votre part, comme Iénbsp;„ dernier témoignage de votre tendrefle pournbsp;„elle, amp; Ie dernier préfent que vous faifieznbsp;„ a vos enfans. Yolande ajouta foi è ce men-,, fonge; elle fe livra, route entière, i fa dou-„leur, amp;, depuis ce moment, elle n’a faitnbsp;„ que languir dans la triftefle. En vain Char-„ lemagne envoya un exprès a Jérufalem pournbsp;„ s’aflurerde la vérité, en vain 1’impofture a-t-„ elle été découverre, en vain vous avons-„ nous vengé, Ie coup fatal étoit porté, amp; toutnbsp;„ ce que nos foins ont opéré, c’eft qu’Yolandenbsp;„ eö morte avec la fatisfaftion de favoir quenbsp;,, vous viviez encore, amp; qu’elle régnoit tou-„ jours fur votre cceur.
Renaud verfa un torrent de larmes, amp; Mau-gis partagea fa douleur. On ordonna un deuil public, qui dura un an; mais Ie deuil de Renaud dura jufqu’au dernier moment de fa vie.nbsp;s, Que me fert , s’écrioit-il quelquefois, d’a-j, voir remporté tapt'de triomphes,, d’avoirnbsp;s, .foutenu rant de travaux avec quelqu'e glqire,nbsp;s, fi je ne puis en partager la récompenfé ayecnbsp;s)Yolande? Aventurés, combats, travaux,nbsp;entrepris potit la vertu, vous avez manqué'
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,, votre but, puifqu’Yolande ne peut en re-„ cevüir Thommage! Oh! femme héroïque! „ tu aurois infpiré la vertu a celui qui n’ennbsp;,, eüi point eu d’idée, amp; tu foutenois lanbsp;„ mienue Oh! ma chère Yolande, fi Ie bon-,, heur, dont tu jouis au fein de l’Etre Su-„ prème, ne t’a pas fait oublier ta tendrefle,nbsp;,, fupplie-le de me rapprocher de tol. Je reve-,, nois, content, dans ma Pa trie, paree quej’ynbsp;,, revenois plus digne de toi; tu as difparu,nbsp;„ il n’efi: plus, pour moi, de patrie, qu'aunbsp;„ ciel, oü tu m’attends!
C’eft par ces douces plaintes que Ie tendre Renaud exhaloit fa douleur, malgré la forcenbsp;de fa grande ame; il y eüt fuccombé, iinbsp;Maugis n’edc fait venir de Montauban lesnbsp;enfans de Renaud; 1’un avoit atteint fa quin-zième, amp; 1’autre fa feizième année. Ils étoientnbsp;d’une taille majeftueufe, amp; d’une beauté par-faite; ils réuniflbient, dans leurs traits, lanbsp;touchante douceur d’Yolaiide amp; Pair martialnbsp;de leur père ; D’auffi loin qu’ils virent Renaud, ils coururent a lui, chacun d’eux pritnbsp;«ne de fes mains, qu’il baifa amp; qu’il arrofa de'nbsp;fes larmes. „ O mon père , lui dit Aymonnbsp;,, nous étions orphelins, nous avions perdunbsp;„ notre mere, amp; Ie ciel, touché de nos pleurs,nbsp;,, vous rend a nos voeux! Nous fentons, a pré-,, fent, la vérité de ce qu’elle nous a fbuventnbsp;,, répété ; Le del, nous difoit-elle, n’envoy*nbsp;„jamais aux hommes plus de maux qu’ils^nbsp;„ ne peuvent en fuppori:er,' amp;, quand Ie far-'nbsp;deau eft au delTus de jeurs foices, c’eft par'
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it/iymon.
„ pitié qu’il leur envoys la mort. Oui, mes ,, enfans, leur dit Renaud , je 1’éprouve, au-„jourd’hui, comme vous, cette vérité con-,, folante: Je ne croyois pas, il n’y a qu’unnbsp;„moment, pouvoir furvivre a votre mère,nbsp;„ amp; je fens que votre préfence m’attache anbsp;„ la vie. Chers gages de la tendrefle de manbsp;„ chère Yolande, n’oubliez jamais votre mè-,, re, amp; foyez dignes de la remplacer dansnbsp;,, mon coeur!
Maugis ne favoit comment arracher Renaud des lieux oü repofoient les cendres d’Yolande.nbsp;j,Mon coufin, lui dit-il un jour, fi mon aml-,, tié vous fut utile amp; chère, je vous en de-,, mande la récompenfe; je délire de m’en re-„ tournet dans ma folitnde.... Quoü Maugis,nbsp;„lui dit Renaud, ne rhe trouvez-vous pasnbsp;„ alTez a plaindre d’avoir perdu mon époufe ,nbsp;„ vous voulez encore m’dter la reffource denbsp;„ 1’amitié? — Je ferai toujours votre ami, amp;,nbsp;„ quelle que foit ma paffion pour la retraite,nbsp;„ dés que vous aurez befoin de moi, je vo-„ lerai a votre fecours; permettez-moi denbsp;„m’en retourner. Mais, avant de quitter Ienbsp;„ monde, j’aurois défué de revoir, avec vous,nbsp;,, des lieux qui furent Ie théStre de notrenbsp;„ gloire, Montauban , oü vous devez fixernbsp;„ votre féjour, puifque Charlemagne vous 1’anbsp;„ rendu; mais je n’ofe vous prier de m’y ac-5, compagner, un charme trop puiflant vousnbsp;„ retient a Dordogne, amp; je ne faurois vousnbsp;,, en bldraer : Je vais done partir, fans avoirnbsp;„ revu cette terre oü nous avons éprouvé tant
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,, de biens amp; tant de maux. Adieu done, mon „ cher coufin, je prends congé— — Arrêre,nbsp;,, Maugis, nous irons a Montauban ; nousnbsp;„ partirons dans deux jours : La, tu me pro-„ mettras de venir me confoler, de m'enfei-„ gner Ie lieu que tu as choifi poury vivre éloi-,, gné du monde, afin que j’aille puifer desnbsp;„forces dans Ie ,fein de 1’amitié Maugisnbsp;promit tout èi Renaud, amp;, deux jours après,nbsp;il partit pour Montauban, avec fes enfans amp;nbsp;Maugis.
Retour de Renaud a Montauban; départ de Maugis pour fan hermitage; Renaud amp; fesnbsp;fils 1'accompagnent. Précautions de 1’amitié.nbsp;Mon du Due .^ymon. Renaud en, apprendnbsp;la nouvelle d fesfrères: Partage de fes biens.nbsp;Education des enfans de Renaud. Ejfais denbsp;leurs forces : Difcours de Renaud d fes enfans ; il les envaye d Charlemagne amp; les metnbsp;d la tête de deux Compagnies d’hommes-d’armes.
^^ENAUD eüt revu Montauban aveejoie, fi tout ne lui eüt rappelé Ie fouvenir d’Yo-lahde; cependant, il renferma fon chagrinnbsp;dans Ie fond de fon coeur; il parcourut toutenbsp;la Viile avec Maugis : Les habitans jetoientnbsp;des fleurs fur leur paflage; ils béniffoient Ra^
-ocr page 361-uaud amp; Maugis, amp; toute la familie d’Aymon. Depuis que Charlemagne avoir rendu cettenbsp;Ville aux enfans de Renaiid, leurs oncles lanbsp;gouvernoient; ils avoient formé , entr’eux ,nbsp;un Confeil de régence, oü régnoit 1’efprit denbsp;Renaud. Quand les trois frères délibéroientnbsp;enfemble, ils fe demandoient, 1’un a l’autre ;nbsp;„ Qu’eüt fait, qu’eüc penfé Renaud , dansnbsp;„cette circonllance,,? amp; ils n’approuvoiencnbsp;que ce qu’ils étoient bien affurés qu’il auroitnbsp;approuvé, s’il eüt été préfent; il fut étonnénbsp;de la grande population d’une Ville que Ienbsp;blocus avoit rendu entièrement déferte ; il at-tribua cette population a la bonne adminif-traiion de fes frères; car, il ne faut pas de-inander fi, oü Ie Peuple abonde, Ie Peuplenbsp;eft heureux. Renaud donna des éloges a fesnbsp;frères, amp; voulut qu’ils continuafl'ent de gou-verner.
Maugis étoit toujours également chéri de fes coufins; il ne favoit comment il pourroit lesnbsp;quitter; enfin, prenant, unjour, fon parti,nbsp;il leur annon9a fa retraite dans fon hermitage. Renaud, pour qui cette féparation étoitnbsp;plus cruelle que pour les autres, lui reprochanbsp;de vouloir l’abandonner, dans un temps oünbsp;fon amitié lui étoit plus néceflaire que jamais:nbsp;„ Prêter fon fecours a fon ami, lui difoit Re-„ naud, dans les occafions oü fa vie eft ennbsp;„ danger, eft, fans doute, un grand bienfait;nbsp;,, mais e'en eft un, mille fois plus grand, de
le confoler dans I’afflidtion, de I’aider a fup-»gt; porter les tourmens de fon cceur. Maugis en
-ocr page 362-,, convint; auffi, lui dic-il, mon intention ,, n’eft pas de vous abandonner, je viendrai,nbsp;,, foil vent, a Moncauban , amp; vous viendreznbsp;,, me voir dans ma folitude; vous ne la trou-,, blerez jamais; abfent ou préfent, vous ynbsp;,, ferez roujours avec moi. A quelqu’heure quenbsp;„ vous y veniez, vous m’y trouverez avecnbsp;,, votre fouvenir.
Renaud voulut 1’accompagner , Maugis n’y confentit qu’autant qu’Aymon amp; Yon vienrnbsp;droient avec eux. Au jour marqué, ils par-rnbsp;tirenr de grand marin ; lorfqu’ils furent i unenbsp;lieue de Montauban amp;: qu’ils furent fur Ie pointnbsp;de fe féparer, ils s’embrafsèrent; inalgré tousnbsp;les efforts que Renaud faifoit fur lui-méme ,nbsp;Ion cceur groffilibit, amp; fes iarmes rouloient fousnbsp;fa paupière. Maugis avoit prévu ce momen?nbsp;douloureux; il Ie faifit, pour lui annqncer unenbsp;nouvelle qui fit diverfion a fa peine : C’étoi^nbsp;celle de la mort du Due d’Aymon , amp; du tef-tamenr qu’il avoit fait en faveur de fes en-rnbsp;fans. Renand demeura confondu, amp; fa ren-drefle fe partagea entre fon père amp; Maugis.nbsp;,, II vous refte encore, lui dit Maugis, unenbsp;,, mère , done vous connoiflez 1'amour pournbsp;„ vous, vous lui devez des confolarions; ellenbsp;y, n’a jamais parcagé la dureté du Due a vo-„ tre égard. . . . Par combien de coups, ónbsp;„ciel! s’écria Renaud, accablez-vous, tout'dnbsp;„ la fois, un ccEur fenfible? Mon ami, lui ditnbsp;„ Maugis, votre père a parconru une longuenbsp;y, carrière. La vieillelfe n’efl; qu’une longue amp;nbsp;j, pénible maladie, terminée par une crife far
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5, lutaire, qui nous délivre de fes infirmités. „ Pleurer un vieillard qui cefle de fouffrir ,nbsp;„ c’eft aller contre Ie vceu de la nature : Nenbsp;jvVoyez-vous pas avec quelle fagefle elle nousnbsp;„ conduit au terme de la vie? elle nous afFoiblicnbsp;,, peu a peu, elle entalie,fucceflivementjinfir-jt mitéfurinfirmité,afind'acténuer,peuapeu,nbsp;„ eet attachement qu'ellenous a donné pour lanbsp;5, vie. Allez, Renaud, n’attendez pas que vosnbsp;9, frères apprennent par d’autres que par vous,nbsp;», la mort de leur père; ils peuvent en favoir lanbsp;nouvelle d’un moment a 1’autre, amp;, commenbsp;ils ont moins de force d’efprit que vous,nbsp;f, il faut que vous leur annonciez vous-mêmenbsp;,, eet événement, vous Ie leur adoucirez; ilnbsp;,,elt bien jufte que, puifqu’ils ont mis tantnbsp;5, de zèle a vous venger de la mort d’Yolande,nbsp;„ puifqu’ils s’épuifent en elforts, pour vousnbsp;„ confoler de fa perte, vous les confoliez, s’ilsnbsp;,, fe livroienc trop a leur affliftion. Adieu,nbsp;„ Renaud, tous ces maux font paflagers, lanbsp;3, gloire de les avoir fupportés avec conllancenbsp;3, eft immortelle.
L’adrefle de Maugis, en faifant pafler, ainfi , Ie coeur de Renaud du fentiment de 1’amitiénbsp;è. celui de la pierte de fon père, en oppofantnbsp;a celui-ci Ie tableau de 1’affliélion de fes frères, en mélant a tout cela, )e fouvenir de lanbsp;mort d’Yolande, affoiblifibit 1’un par 1’autre,nbsp;lui faifoit trouver moins poignant Ie chagrin de leur féparation. Renaud, après avoirnbsp;encore embrallè fon coufin, n’entretint fes en-fiins que de la mort du Due d’Aymon. En
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arrivant a Montauban, il appela fes frères; il leur paria, pour la première fois, des biensnbsp;que Charlemagne leur avoir rendus; il en vinenbsp;il ceux qui reftoienc a leur père; il en pritnbsp;occafion de fa vieillefle; il excufa fa févériténbsp;^ 1’égard de fes enfans, rappela les maux qu’ilnbsp;leur avoir caufés, en rejeta, en partie, lanbsp;caufe fur les Courtifans de Charlemagne; enfin, après.les avoir bien difpofés, il leur ap-pric fa mort; il la pleura avec eux; il appaifanbsp;leurs douleurs; il en revint au partage desnbsp;biens qu’il leur laiflbit; ils s’en rapponèrentnbsp;a lui : Il leur en fir la diftribution, amp; il nenbsp;fur pas le mieux parragé ; il ne fe léferva quenbsp;Montauban.
Renaud, cependant, mettoit la dernière main a 1’éducation de fes enfans; il les for-moit aux devoirs, aux vertus Sc aux exerci-ces de la Chevalerie; il mettoit leur honneurnbsp;amp; leur probité a route épreuve; il élevoit leurnbsp;aroe par le rédt des grandes adtions des Cheva-rnbsp;liers les plus célèbres amp; des héros qui avoientnbsp;fait le plus d’honneur a l’humanité : Quandnbsp;il les crut aliez inftruits Sc afl'ez exercés, ilnbsp;affembla tous les Chevaliers des environs, amp;nbsp;tous ceux de fa familie; il fir porter des lancesnbsp;amp; des armes, Sc propofa des joutes-; Les jeunesnbsp;fils de Renaud combattirent avec tanc d’adref-fe’, de grèce Sc de force, que tous lies Gheva-fnbsp;liers, qui les voyoient pour la première fois,nbsp;furenr perfuades qu’ils avoient fait leurs premières armes; bien des Cheva!ierx,-.cQnuusnbsp;par leurs combats, convinrent,qu’ilsyoudroieas
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avoir la force amp; Padrefle des deux jeunes gens,
Quelques jours apres, Renaud prit fes deux fils en particulfer. „ II eft temps, leur dic-,, il, d’etre utiles a votre Patrie : Chaquenbsp;„ moment que vous perdriez dans 1’oifiveté ,nbsp;„ feroit un larcin que vous feriez au Roi amp;nbsp;,, a 1’Etat, amp; un temps mort pour votre gloire.nbsp;„ DifpofeZ'Vous ^ aller offrir vos fervices anbsp;„ Charlemagne , amp; a le prier, de vous armernbsp;,, Chevaliers. N’oubliez jamais qu’il eft votrenbsp;,, Souverain : Rappelez-vous, fans cefle, cenbsp;,, que je vous ai dit, au fujet des devoirs quinbsp;,, vous lient a lui ; Quoique fes parens, vousnbsp;,, n’en etes pas moins fes Sujets. L’hiftoire denbsp;,, ma vie vous apprendra quelles font les fui-,, tes funeftes d’une apparence d’oubli de cenbsp;,, devoir. Tout innocent que j’étois, le cielnbsp;„ a permis que Charles fiit inflexible a monnbsp;„ égard, pour apprendre aux hommes, que lesnbsp;,, fautes, même involontaires, contre une fu-.nbsp;,, bordination établie par nos pères, étoiencnbsp;„ des outrages fairs a la fociété, dans la per-5, fonne de celui qu’elle a choifi pour fon Chefnbsp;„ amp; fon repréfentant.
Renaud ordonna qu’on fabriqiiit des armes d’une trempe a touie épreuve. Son premiernbsp;Ecuyer fut chargé de ce foin, amp; s’en acquittanbsp;au gré de fon maitre. Harnois, armures, pale-frois, rout fut parfait, Renaud le.s arma lui-même : Enfuice, il leur préfenta cinq centsnbsp;hommes-d’armes. ,, Mes enfans, leur dit-il,nbsp;it voila deux compagnies de braves gens, qugnbsp;»»je vous donne. Comme ils vous facrifient.
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Les quatre fils
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,, pour vous fervir dans les occafions gt; leur re-,, pos, leursplaifirs amp; leurs vies, vous devez ,, les ménager amp; vous facrifier vous-mêmesnbsp;„ pour leur confervation. Par les lois de lanbsp;,,guerre, ils font obliges d’obéir a vos or-y, dres; mals 11 n'y a aucune loi qui puiflenbsp;,, les forcer a vous aimer; c’eft a vous dnbsp;,, gagner leur confiance amp; leur amidé. Sinbsp;,, vous ne les aimez pas, ils vous obéironcnbsp;„ malgré eux; leur ame lera fans énergie amp;nbsp;„ fans émulation ; ils vous feront foumis amp;nbsp;„ fidelles, paree qu’ils font honnétes; mais ilsnbsp;,, n’iront jamais au devant de vos veeux, pareenbsp;,, que rien ne les y oblige. Si vous obteneznbsp;„ leur eftime amp; leur amour, 1’obéifiance nenbsp;,, leur coütera rien, leurs devoirs feront desnbsp;„ plaifirs, ils chercheront d deviner votre vo-„ lonté, a la prévenir; ils n’auront d’autre in-j, térêt que Ie vótre : Un Général qui ne fenbsp;„ fait point aimer de fes Soldats, eft feul, amp;nbsp;„ ifolé, au milieu de fes troupes, il n’a d’aurrenbsp;„ empire fur eux , que celui d’un tyran furnbsp;des efclaves.
„ Votre naiffance amp; vos aïeux vous impo-„ fent la néceffité de ne rien faire qui foit „ indigne d’eux amp; de vous -, les plus légèresnbsp;„ fautes des gens fans naiflance, font des cri-„ mes dans ceux qui ont une illuftre origine.nbsp;„ La fortune ne vous a comblés de fes biens ,nbsp;„ qu’afin que vous les répandiez fur ceux qu’ellenbsp;„ en a prlvés. Ces richefles leur appartenoient,nbsp;,, peut - être , amp; Ie hafard des circonftancesnbsp;«les a fait palier dans vos mains. Le titre
de
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d’Aymon.
„ de propriécé ne vous donne pas plus le droic „ de faire ce que vous voulez de vos bieus,nbsp;„ que de vocre vie : Vous ne devez faire qu’unnbsp;„ ufage honndre de Pun amp; de 1’autre; ce n’eitnbsp;„ pas 1’humanité feule qui doit vous exciternbsp;„ a la bienfaifance, c’eft la juftice. Ne vousnbsp;», permectez jamais aucune parole qui puilfenbsp;offenfer perfonne; ne faites jamais des re-,, proches, fans êcre bien certains qu’ils fontnbsp;« mérités. Aimez, refpedez I’homine de bien,nbsp;„ dans quelque condition que le ciel 1’ait faicnbsp;,, naitre. Ne penfez pas légèrement du malnbsp;,, d’autrui, amp; n’en dites jamais : Si le malnbsp;y, eft public, qu’avez-vous befoin de le répé-„ ter; s’il eft cache, le publier eft une tra-„ hifon.
„ Aimez-vous, furtout, mes enfans; c’eft „ a notre amitié mutuelle que vos oncles Scnbsp;,, moi devons, peut-être , notre gloive. Sou-„ tenez-vous 1’un 1’autre , avertifl'ez-vous denbsp;,, vos défauts. Confultez-vous, avant de riennbsp;„ entreprendre; fi vous reuffilTez, ne vous ennbsp;„ prevalez pas, 1’orgueil gdte les plus bellesnbsp;„ aftions; fi vous échouez, ne vous décou-,, ragez point : Soyez humbles amp; inodeftesnbsp;„ dans la bonne fortune, fiers amp; courageuxnbsp;dans 1’adverfité : Ne donnez jamais votrenbsp;opinion comme un jugeraent décifif. Etu-*gt; diez, connoiflez les perfonnes avec qui vousnbsp;j, vous lierez; car vous devez compte au pu-»,blic, non feulement, de votre conduite,nbsp;5, mais encore de celle de vos amis. Parmi lesnbsp;n Courcifans de Charlemagne, il v en a qui
Q
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font vos ennemis; évitez de vous trouver ,, avec eux; craignez leurs pièges; leur hainenbsp;,, eft d’aucant plus dangereufe, que, dansnbsp;,, quelques-uns, elle eft héréditaire; ne lesnbsp;„ provoquez point, ne négligez aucuiie voienbsp;„ honnêie pour les ramener : II y a pliTs denbsp;,, gloire a gagner un ennemi, en Ie formantnbsp;,, de vous aimer, qu’a en vaincre dix les ar-„ mes a la main; mais, s’ils vous provoquent,nbsp;,, s’ils vous attaquent en votre honneur, dé-^ „ fendez-le , préférez la mort a la honte, amp;nbsp;' „ l’honneur a rout. Ces préceptes font com-„ prisdans les lois de la Chevalerie, méditez-„ les enfemble. Aymon, vous devez fecours
amp; affiftance a votre frère, paree quil eft „ plus jeune que vous ; Yon , vous devez inbsp;„ Aymon déférence amp; honneur, paree qu’ilnbsp;,, eft votre ainé; mais que l’ège amp; la fubor-„ dination ne vous empêchenc point de vousnbsp;,, aimer ; Oü trouveriez-vous un ami plus in-,, térefl’é a la gloire de fon ami, que vous-„ mème ? celle de l’un ne rejaillit-elle pas furnbsp;,, 1’autre?
Les enfans deRenaud remercièrent leur père dans les termes les plus touchans; ils lui pro-mirent d’avoir ces préeeptes roujours gravesnbsp;dans leur eoeur, ainfi que ceux que leur mèrenbsp;l«ur avoit donnés, fur les moeurs amp; fur lanbsp;Religion ; ils fe mirenc a fes genoux; il lesnbsp;bénit; il ofirit a l’Etre Suprème routes les actions de leur vie; il Ie fupplia de les protéger,nbsp;comme fource de route vertu. Renaud ne dif-tinguou point la vertu de Thonneur veritable;
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„Car, avoir-il dit, fouvent,è fes enfans, ,, fi c’étoient deux chofes diftinftes, il s’enfuj-„ vroit qu’on pourroit avoir 1’une fans I’autre»nbsp;„foutenir, par exemple, one injuftice, parnbsp;0, honneur, ou fe déshonorer par un excès denbsp;,, vertu Renaud n’avoic d'autre confeil ,nbsp;i’autre oracle, que fa confcience. L'opinionnbsp;d’autrui, l’autorité, ne lui en impofoient pas.nbsp;Themiftocle, qui préféroit d foi-même la gloirenbsp;de fon pays, lui paroiflbit le plus grand hommenbsp;de 1’antiqaité.
Après eet avis, Renaud embrafla encore fes enfans, monta a cheval, amp; les accompagnanbsp;jufqu’a une lieue de Montauban; il ne voulut.nbsp;point fe montrer a la Cour de Charlemagnenbsp;paree qu’il n’avoit pas encore refu une per-miffion exprefle d’y paroitre.
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CHAPITRE XXV.
j4ymon fi? 9on arrlvent d Paris, demandent au Roi de les faire Chevaliers; accueil qu’ilsnbsp;resolvent de Charlemagne amp; de fes Pairs.nbsp;Jaloufie des fils de Foulques de Morillon :nbsp;Outrages qu’ils font aux fils de Renaud :nbsp;Dé fis, gages y pleiges. Réception des fils denbsp;Renaud; fètes. Préparatifs pour Ie combatnbsp;enne les fils de Foulques amp; ceux de Renaud:nbsp;Trahifon inutile; combat, viSoire d’jiymonnbsp;S’ d’Ü'on; fureurs de Ganelon. Retour denbsp;Renaud amp; de fes fils d Montauban.
,/V.YMoN amp; Yon arrivèrent, a la tête de leurs compagnies. Le Peuple accouroit en foulenbsp;fur leur paflage, a caufe de la grande reputation de leur père; maïs, quand on lesnbsp;voyoit, on ne pouvoits’empêcher deles aimer pour eux-mêmes; ils fe firent annoncernbsp;au Roi, coinme deux afpirans a 1’ordre denbsp;Chevalerie; Us lui firent demander lïi permif-fion de fe préfenter. Dès qu’ils l’eurent ob-tenue, ils dirigèrenc leur marche vers lenbsp;Palais, Les Barons amp; les Pairs, qui igno-tüient encore quels étoient ces jeunes afpirans , allèrent au devant d’eux ; ils admi-rèrent leur beauté, leur air affable, amp; leurnbsp;fierté modefte. Quand les fils de Renaud fu-rent introduits auprès du Roi, ils fléchirentnbsp;le genou, amp; s’inclinèrent jufqu’a fes pieds;
-ocr page 371-maïs Ie Roi leur préfenta fa main , qu’ils baisèrent, avec une affeftion qui Ie furprit,nbsp;paree qu’elle paroiflbit accordée plus a la per-fonne qu’a la Majefté. Apmon prit la parole,nbsp;après avoir fait des veeux pour la prof-périté du Monarque : ,, C’eft a la fource denbsp;,, tout honneur, dit-il, c’eft è vous, Sire ,nbsp;„ qu’il appartient de nous ouvrir la carrièrenbsp;„ oü nous nous difpofons d’entrer; nous vousnbsp;„ fupplions de nous accorder 1’ordre de Che-„ valerie : Nous nous fournettons a routesnbsp;,, les épreuves que eet ordre refpeèlable exige,nbsp;,, amp;, dès ce moment, nous nous confacrons,nbsp;„ mon frére amp; raoi, au fervice de votre Ma-„jefté.
,, Qui êtes-vous„? leur demanda Charlemagne , qui, ne les ayant pas vus depuis fix ans, avoir oublié leurs traits ; „ Pourquoi aucunnbsp;,, Prince, aucun Seigneur, ne vous a-t-il pasnbsp;„ annoncés a ma Cour ? Sire, répondit Ay-,, mon, nous fommes les fils d’un Prince quenbsp;„vous daignètes honorer de votre eftime;nbsp;,, qui, pour avoir vengé fon honneur outra-,, gé, euc Ie malheur de vous déplaire; quenbsp;,, des Conrtifans, jaloux amp; perfides, ont perdunbsp;„ dans votre efprit, contre lequel ils ont ex-„ cité un courroux que vous cruces légitime;
qui, malgré fes longues amp; cruelles difgraces, „ n’a jamais cede d’aimer fon Souverain, quinbsp;„ nous a élevés dans eet amour; de Renaud,nbsp;,, enfin, qui a offert fa vie pour obtenir unenbsp;„ paix qu’il crut néceflaire au bien de vosnbsp;„ Etats'i de ce Renaud, qui, dans 1’efpace de
Q iij
-ocr page 372-„ trois ans qu’a duré fon exil, a réparé fes „ torts apparens, par des aftions héroïques,nbsp;,, qui ont mis Ie fceau 'a fa gloire.
Charlemagne, en entendant prononcer Ie rom de Renaud, fe leva de fon tróne, pricnbsp;un vifage riant, fit approcher Aymon amp; Yon,nbsp;amp; leur fit 1’accuei'l Ie plus gracieux. „ Re-,, naud, leur dit-il, eft Ie plus digne Che-„ valier qui, jamais, ait été amp; qui fera ja-„ mais; ce que je puis vous fouhaiter de plusnbsp;„heureux, c’eft que vQus lui rellembliez; amp;nbsp;„ plüt a Dieu que Ia calomnie qui aifiège Ienbsp;„tróne des Rois, n’eut jamais tenté de menbsp;„ féparer de lui!
Charlemagne leur demanda a quoi leur père s’occupoit ? „ Sire , répondit Yon , commanbsp;„fon age-ne lui permet guère les exercicesnbsp;„ violens amp; pénibles, il s’applique a fairenbsp;„ Ie bonheur de fes vaflaux, par des loisnbsp;,, fages, par les bienfaits qu’il répand fur lesnbsp;„ malheureux , par I’acfiiivice qu’il entretiencnbsp;„ parmi les Citoyens, par les encourage-„ mens qu’il accorde a 1’Agriculture, au Com-„ merce, aux Arts, par la protedtion que lesnbsp;„ pauvres trouvent en lui, contre les Grands, amp;nbsp;„ les riches, qui abufent de leur fortune amp; denbsp;.„leur autorité pour les opprimer. Tous fesnbsp;„vaflaux, Sire, ne forment qu’une familie,nbsp;„ 8c la diftlnftion des rangs, qu’il croit né-„ ceflaire d’entretenir, n’en met aucunedansnbsp;„ les affedtions amp; dans l’harmonie de la fo-„ ciété. Ses travaux, plus que fon age, 1’ontnbsp;„ aflfoibli. Hélas! reprit Ie Roi, un tel homme
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d'Aymon.
„ne devroit jamais raourir. Seigneurs, con-,, tinua-t-il, en s’adreflant a fes Pairs, re-,, gardez , a 1’avenir, les enfans de Renaud ,, comme mes propres enfaus; 31s reflemblentnbsp;„ fi bien , par leurs traits, a leur vertueux pè-,, re, que la nature feroiten contradiction avecnbsp;„ elle-meme, s’ils ne lui reflembloient par lanbsp;„ beauté de I’dme,,. Puis,fe tournant encorenbsp;vers les fils de Renaud : „ Gentils enfans,nbsp;„ leur dit-il, vous ferez Chevaliers, amp; je-„ vous donnerai plus de terres que vorre père,nbsp;,, a qui j’ai rendu route raon amitié, n’ennbsp;„ poflede; a caufe de lui, amp; de ce que vousnbsp;,, meritez, je feral cent autres Chevaliersnbsp;,, avec vous.
Roland, Olivier, Naimes, Oger, le vieil Archevêque Turpin, amp; tons les autres Pairs,nbsp;accablèrent Aymon amp; Yon de carefles amp; d’ami^rnbsp;ties; chacun croyoit revoir Renaud dans cesnbsp;jeunes gens. Aymon leur demanda, modefte-ment, fi qui ils devoient tant de bontes.nbsp;,, Nous fommes tous vos parens, amp; les amisnbsp;„ de Renaud, répondirent les Pairs,,. Le Duenbsp;Naimes les leur noinma, les uns après les autres. Aymon amp; fon frère s’inclinèrent devantnbsp;eux, amp; le? prièrent de vouloir bien guidernbsp;leur jeunefle : Les Pairs leur promirent qu’jlsnbsp;auroient toujours, pour eux, la même amiciénbsp;qu’ils avoient pour leur père, amp; pour leursnbsp;oncles; amp; Roland fe chargea de les éclairernbsp;fur les ufages que leur éloignement de la Cournbsp;ne leur permettoit point de connoztre.
Deux jeunes Chevaliers vlrent, avec envie,
S68
Les quatre fils
cette alégrefle générale; c'étoient les fils de Foulques de Morillon; leur haine s’enflaraina,nbsp;furtout, lorfqu’ils virent Charlemagne admet-tre a fa table les deux fils de Renaud, avantnbsp;qu’ils fuffenr Chevaliers, „ Eh! quoi, difoient-„ ils, nous avons fait nos premières armes;nbsp;,, nous fomrnes Chevaliers, nous faifons, aifi-„ dument, notre cour au Roi, jamais, encore,nbsp;„ il ne nous a diftingués par aucune faveurnbsp;„ particuliere; amp; les fils de Renaud, qui n’é-,, toient point encore fortis de Montauban,nbsp;,, arrivent a la Cour, amp; en deviennent les ido-5, les! Que fera-ce, lorfqu'ils auront l’ordrenbsp;,, de Chevalerie? Protégés par Ie nom amp; parnbsp;5,1a répntation, peut-être ufurpée, de Re-5, naud, Ie moindre petit fait - d’armes feranbsp;5, érigé en aftion éclatante, amp;, fans vertus,nbsp;5, ils acquerrontunecélébrité, è laquelle nousnbsp;5, n’oferons jamais prétendre. Les fils de Foul-5, ques de Morillon valent bien ceux denbsp;,, Renaud; fouifririons-nous une préférencenbsp;,, aviliflante? Non, jurons aces jeunes préfom-5, ptueux une haine implacable, haine d’autantnbsp;5, plus légitime, que la mort de notre Inal-5, heureux père nous en fait un devoir.
Un jour, que Ie Roi tenoit Cour plénière, «n Chevalier Allemand étoit venu porternbsp;J’hommage de fon Prince è Charlemagne :nbsp;Parmi les préfens, qu’il ofFrit a la Princeflenbsp;Theudelinde, fille de Charlemagne, il fe trouvanbsp;deux panaches de plumes de héron. La Prin-celle, après en avoir obtenu la permiffion denbsp;fon père, appela les fils de Renaud, Ss-les leur
-ocr page 375-donna, pour en orner leurs cafques, le jour lt;ju’ils ieroient requs Chevaliers. Yon fe trou-voit placé a cóté de Conftant, 1’un des filsnbsp;de Foulques; coinoie il retournoit a fa place,nbsp;il s’affit, fansy j^enfer, fur le bout de l’écharpenbsp;de Conftant. Celui-ci fe léve, furieux; „ Jeunenbsp;,, infenfé, dit-il a Yon, tu devrois étre plusnbsp;„ actentiface que ru fais. Siles honneurs qu'onnbsp;„ rend, id, aux enfansd'un traitre amp; d’un re-y belle,leur ontfaitperdrelaraifon, monfrèrenbsp;y, amp; moi ti-ouverons bien le moyen de les ynbsp;„ ramener. Conftant, lui répondit Yon, j’ainbsp;,, tort de m’être aflis fur votre écharpe; monnbsp;„intention n’étoit point de vous déplaire,nbsp;„ amp; je vous en demande pardon ; mais je fuisnbsp;„ bien étonné qu’une faute auffi légère, fi e’ennbsp;„eft une, ait pu exciter, dans un Chevalier,nbsp;j, la fureur que vous faites eclater. Les injuresnbsp;que vous venez de me dire devant I’atlem-„ blee la plus refpeeftab’e de la nation, vousnbsp;,, déshonorent, amp; I’outragent; vos reprochesnbsp;„ font un menfonge qui n’edc pas dfi fortirdenbsp;,, votre bouche Si mon père a tué le vótre,nbsp;,, e’eft a fon corps defendant, en brave amp; loyalnbsp;,, Chevalier. Le Roi fait, Stperfonne n'igno-„ re, qui fut Foulques de Morillon; fi, ce-„ pemlant, vous foutenez qu'il a été tué parnbsp;,, trahifon, vous mentez; amp; void mon gage.
- Les Sarons furent indignés de la conduite groffière de Conftant : „ Jeune imprudent,nbsp;lui dit Charlemagne, vous avez tort d’ac-»gt; cufer Renaud d’avoir tué votre père par tra-j, hifon, amp; vous n’êtes point excufable de
;ro
Zes quatre fils
,, prendre en témoignage d’une fauffe accufa-„ tion les Pairs amp; moi. Vous auriez dü gar-„ der, fur eet événement, Ie filence Ie plus „ profond. Je vous ordonne, ou de défavouernbsp;,, ce que vous venez de dire a Yon, ou denbsp;,, fortir de ma Cour, que vous venez de trou-,, bier, fans refpeél pour votre maitre.
Robert, Ie frère de Conftant, prit la parole : „ Sire, nous fommes tout prêts de prou-,, ver, les armes a la main, aux fils de Re-„ naud, que leur père a tué Ie nótra par tra-„hifon; voici mon gage Aymon amp; Yon s’approchèrent du Roi, mirenc un genou a terre,nbsp;amp; prirent les gages des fils de Foulques. Charles fut fdché de cette querelle; mals il re^ut desnbsp;mains d’Aymon amp; d’Yon les gages de Conftant amp; de Robert, amp; ceux d’Aymon amp; d’Yonnbsp;des mains de Conftant. Alors, Ganelon amp; Ber-luyer, d’Eftouteville de Movillon, amp; Griffonnbsp;de Hautefeuille, parens de Foulques, pleigè-rent Conftant amp; Robert, amp; Ie Roi les leurnbsp;donna en garde , pour les repréfenter quand ilnbsp;en feroit temps; amp; Roland, Olivier, Ie Duenbsp;Naimes, Oger, Richard de Normandie, amp; lesnbsp;filsd’Odon, pleigèrent les fils de Renaud, pournbsp;les repréfenter au jour du combat.
Cependant, Ie Roi voulur, que, dés Ie len-^emain, Aymon amp; Yon fuflent requs Chevaliers; il donna les ordres néceffaires au grand Sénéchal. Aymon, fon frère, amp; ceux qui de-voient étre re?us avec eux, firent la veille-d’armes a Notre-Dame : Ils fe préfentèrent,nbsp;Ie lendemain, a Charlemagne : Les deux fils
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de Renaud , en habit de cérémonie, deman-dèren: l’ordre de Chevalerie; ils furent re-9US avec pompe, amp;, après eux, cent autres Gentüshommes. La fête, que Ie Roi donnanbsp;k ce fujet, fut une des plus brillantes qui euflencnbsp;été données depuis Ie commencement de fonnbsp;règne. Les nonveaux Chevaliers portoient, anbsp;leurs cafques, les panaches dont Theudelindenbsp;leur avoit fait préfent; mais ces honneursnbsp;affeftoient foiblement les enfans de Renaud;nbsp;ils auroient défiré que leur père en eüt éiénbsp;témoin; ils faifirent un moment favorable,nbsp;amp; fe jetèrent aux genoux de Charles, pournbsp;lui témoigner combien la préfence de Renaudnbsp;ajovueroit a leur faonheur Le Roi leur fit fentirnbsp;qu’il étoit fSché de ne pas 1’avoir fait aver-tir lui-méme. ,, D'ailleurs, ajouta-t-il, Re-„ naud fait que j’ai tout oublié, pourquoinbsp;,, n’eft-il pas avec vous? II lui fuffifoit denbsp;„ m’en prévenir; il devoit étre bien afluré quenbsp;„ je ne m’yoppoferois point Auffi-tóf, Charles envoya un mefiager a Renaud, pour lui an-noncer que fes enfans étoient Chevaliers, amp;nbsp;pour 1’engager de venir a fa Cour; il lui flcnbsp;part de l’outrage qu’ils avoient regu des filsnbsp;de Foulques, amp; de la vengeance qu’ils fe pré-paroient d’en tirer.
Renaud apprit ces nouvelles avec joie; il envoya a fes frères, pour qu’ils fe rendifl’ent, au plutót, a Montauban ; il leur communiqua lanbsp;lettre du Roi, amp; il fut réfolu qu’ils iroient,nbsp;tous enfemble, a Paris, amp;, le lendemain, ilsnbsp;partirent, efcortés de leurs Chevaliers.
Q
-ocr page 378-SJTi nbsp;nbsp;nbsp;Les quatre fils
Lorfque les douze Pairs comprirent que Re-naud amp; fes frères n’étoienc qu'a quelques lieues de Paris, ils allèrent au devant d’eux, avecnbsp;jAymon amp; Yon. Renaud, après avoir remer-cié les Pairs, prit fes enfans a 1'écart: „ Mesnbsp;9, arais, leur dit-il, vous êtes Chevaliers, amp;nbsp;,, n’avez encore rien fait pour 1’honneur. Vousnbsp;j, avez obtenu la récompenfe avant de l’avoirnbsp;„ tnéritée : Si vous aviez Ie malheur d’échouernbsp;,, dans Ie combat contre les fils de Foulques,nbsp;5, on diroit que Charles s’eft trop haté de vousnbsp;„ donner 1’ordre de Chevalerie, que vous n’ennbsp;„ étiez point dignes, amp; votre défaite légiti-,, meroit l’outrage que vous avez regu, amp; ouenbsp;,, je partage avec vous. Mon père, s’écria Ay-,, mon en l’embrafl'ant, nous courons a unenbsp;„ viftoire aflurée; puifque la caufe que nousnbsp;,, foutenons eft jufte, nous ne craignons rien;nbsp;,, nous combattrons fous les yeux du Roi amp;nbsp;„ fous les vótres, amp; nous défendrons notrenbsp;,, père 8e notre hofineur. Vous voyez ces pana-,, ches, ils nous ont écé donnés par Theudelin-„ de, comme un préliige de la viiftoire.
Charlemagne apprit avec joie 1’arrivée de Renaud 8e de fes frères; il les fit venir, 8enbsp;leur fit 1’accueil Ié plus honorable; il com-bla Renaud d'amitié; il lui confirraa ce quenbsp;fes enfans lui avoient dit des bontés qu’il leurnbsp;avoir témoignées, de la manière éclatante 8enbsp;diftinguée dont il les avoit re9us Chevaliers;nbsp;du zèle avec lequel il avoit pris leur partinbsp;contre les fils de Foulques 8e contre leurs'nbsp;parens. Renaud raanquoit d’expreffions pour
-ocr page 379-d'Aymon.
marquer au Roi fa reconnoiflance amp; fon amour; il lui demanda pardon du paffé, com-me s’il eut été coupable. „ Je ne me fouviensnbsp;„de rien, lui dit Charles; au moment quenbsp;„ vous m’avez obéi, amp; que vous vous êcesnbsp;„ foumis, j’ai tout oublié, excepté vos gran-„ des adions. Je vous jure que vous n’aurez ja-„ mais de meilleur ami que votre Souverain,nbsp;„ tant qu’il vivra„. Charles Ie congédia, amp; Ienbsp;laifla aller fonger au combat qui fe préparoit.
Quand Ie jour marqué fut arrivé, Conftant amp; Robert fe préfentèrent, les premiers, a Charles, qui leur dir ; „ Jeunes téméraires, vousnbsp;„ avez eu une idéé bien funefte, en défiancnbsp;„ les enfans de Renaud. Je crains bien quenbsp;„ vous ne vous en repentiez, en entrant furnbsp;„ Ie champ de bataille : Ce n’eft pas la pre-„ mière imprudence qu’ayent faite ceux denbsp;^ votre race; puifle-t-elle êcre la dernière!
Ganelon , amp; les autres Chevaliers, pleiges de Conftant amp; de Robert, furent confternéanbsp;de ce reproche; mais Conftant, fans répon-dre au difcours du Roi, lui demanda feule-menc d’affigner Ie champ de bataille, de dé.»nbsp;cider fi Ie combat feroit de deux contre deux,nbsp;OU d’un contre un. Le due Naimes prit lanbsp;parole, amp; dit que, puifque Conftant avoitnbsp;appelé Yon traitre, amp; que Robert avoit in-fulté Aymon, ils devoient fe battre enfemblenbsp;amp; deux è deux. Le Roi ordonna done, que lenbsp;combat feroit de deux a deux, amp; que le champnbsp;feroit dans 1’Ifle Notre-Dame, entre les deuxnbsp;bras de la Seine.
-ocr page 380-3J^4 nbsp;nbsp;nbsp;quatre fils
Renaud conduifii: fes enfans chez lui, amp; ceux de Foulques fe retirèrent avec leurs plei-ges. Alard, Guichard amp; Richard armèrentnbsp;leurs neveux, amp; leur donnèrent routes lesnbsp;inftriiélions qu’ils crurenc néceflaires; ils lesnbsp;envoyérent, enfuite, a St.-Viftor, pour fairenbsp;leur veille-d’armes; leurs ennemis allèrencnbsp;veiiler a Sr.-Germain-des-Prez. Un Evêque,nbsp;parent de la familie de Foulques, leur dit lanbsp;mefle, amp; les bénit; amp; 1’Archevêque Turpinnbsp;dit la mede aux fils de Renaud, amp; les bénitnbsp;avec fon épée. Après les cérémonies, les deuxnbsp;nouveaux Chevaliers allèrent fe préfenter aunbsp;Roi, qui les recommanda au Due Naimes, anbsp;Roland, a Olivier, a Oger amp; a Richard denbsp;Normandie. ,, Ayez foin, leur dit-il, que lenbsp;^ champ foit bien gardé; vous porterez lesnbsp;^ faintes Evangiles, amp; vous ferez jurer auxnbsp;„ combattans qu’ils entreront en lice loyale-ment, amp;, furtout, que mon honneur foienbsp;,, bien gardé. Je trains qu’il n’y ait quelquenbsp;„ trahifon, car Robert me paroit peu loyal,nbsp;,, amp; je me méfie de fes amis : Renaud amp; fesnbsp;,, frères font puiflans amp; fages, amp; ne fouffri-„ ront aucun tort en leurs perfonnes, ni ennbsp;„celles de leurs parens amp; amis. Je connois,nbsp;„ furtout, la vivacité de Richard; il ne mé-„ nage rien, quand il eft courroucé, amp; je n’ou-„ blierai jamais, qu’une fois, dans fa fureur,nbsp;„ il me mena§a moi-même. Je ne crains rien denbsp;„ Renaud, il eft trop prudent amp; trop fagenbsp;Nairoes promit au Roi, que fon honneur amp; fesnbsp;droits feroient bien amp; loyalement gardés.
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Les fils de Foulques fe rendirent dans 1’Iüe Notre-Dame, fnperbement montés; quandnbsp;jls y furent arrivés, ils mirent pied a terre,nbsp;s’affirent fur Ie gazon, amp; fe mirent tranquil-lement a difcourir enfemble', en attendant Ay-mon amp; Yon. Leur aflurance prévenoit en leurnbsp;faveur tons ceuxT qui étoient accourus pournbsp;étre témoins de ce combat; mais perfonne nenbsp;fe doutoit que la caufe de leur fécurité étoitnbsp;une afFreufe perfidie.
Tandis que Charlemagne étoit encore avec fes Barons, Berenger, Hardes, amp; Griffon denbsp;Hautefeuille, étoient allés s'embufquer auprèsnbsp;de 1’Ifle; lorfique Ie combat auroit commence,nbsp;ils devoient venir, bien accompagnés, aunbsp;fecours de Conftant amp; de Robert, amp; maf-facrer les fils de Renaud.
Enfin, lorfque Renaud jugea qu’il étoit temps que fes deux fils fe rendiflent dans 1’Ifle,nbsp;il appela Aymon , amp; lui dit, en lui remet-tant Flamberge : „ Puifle cette épée vous ac-„ quérir autant d’honneur qu’elle m’en a ac-,, quis. Allez, qu’elle ferve a venger votrenbsp;,, père IIles embraffa tousles deux, amp;lesac-compagna jufqu'au bord de la Seine.
Lorfque Renaud amp; fes frères eurent laiffé les jeunes Chevaliers au lieu du combat, ilsnbsp;allèrent au devant de Charlemagne, qui de-voit être préfent; mais, comme ils étoient présnbsp;de fon Palais, ils furent arrêtés par les crisnbsp;d’un homme qui couroit après eux. „ Arrêtez,'nbsp;I,Renaud, arrêtez, difoit 1’inconnu; arrêtez,nbsp;„ Renaud,volez au fecours de vosenfansi,
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,, peut-écre ne vivenc-ils plus: Griffon ell en ,, embufcade, auprèsde Tlfle, avec quantiténbsp;„ de gens armés, pour romber fur eux, fi leursnbsp;,, adverfaires ont du deffous.
A ces mots, Renaud toniba prefque éva-Eoui. „ Oh! France! s’écria-t - il, oh ! ma ,, chère Patrie , faut-il qu’ü y ait toujoiirs,nbsp;„ parmi tes enfans, des traitres pour te déehi-„ rer Ie fein? Allez, courez, Richard, armez-,, vous, faites armer tous nos amis, conduifez-„ les dans l’Ifle, qu’ils veillent fur Griffon, amp;,nbsp;„ s’il paroit, tombezfut lui, n’épargnez pas Ienbsp;,, perfide. Ne vous embufquez pas, comme lui jnbsp;„ mals que tout Ie monde fache que vousnbsp;„ étes la pour la fureté du camp ; mais,nbsp;,, furtout, quand Ie combat fera engagé en-,, tre les enfans de Foulques amp; les miens, finbsp;,, les premiers triomphent, gardez - vousnbsp;„ bien de donner du fecours aux vaincus;nbsp;,, laiffez périr vos neveux, plutót que delesnbsp;,, fauver par un attentat.
Richard rafferabla quelques amis a la hSte, amp;, après leur avoir fait connoitre la perfidie denbsp;Grifibh, 11 les mena dans l’Ifle.
Cependant, Charlemagne fut furpris de voir arriver Renaud, fans Richard; ils mon-tèreiit fur la tour qui ell au bord de la Seine, avec les Barons amp; les Pairs, pour juger dunbsp;combat. A peiney furenr-ils arrivés, que Charlemagne vit Richard accourir avec fa troupe.,, Ah! Renaud s’écria-t-il, quel eft votrenbsp;„ deflein, avez-vous réfoiu de me déshonorernbsp;,, amp; de vous perdre ? Renaud, qu’eft devenue ¦
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d'Aymon.
i,*votre loyauté? Sire, répondit Renaud , „ pourriez-vous me foupgormer d’une lamp;chete?nbsp;„ II n’ell pas encore temps que vous fachieznbsp;,, pourquoi Richard s’eft armé ; mais croyeanbsp;„ que c'eft pour votre honneur, amp; n’appré-,, hendez rien d’indigne de vous, ni de la fa-,, mille d'Aymon.
Cependant le combat s’engage, amp; Conflant renverfe le jeune Aymon; mais celui-ci fenbsp;relève adroitement, amp; porte a fon adver-faire un coup terrible fur fon heaume :nbsp;II étoit d’un acier d’une fi bonne trempe,nbsp;qu’il réfifta; mais Flamberge glifia fur la vi-fière, la mit en pièces, amp; la moitié de lanbsp;joue fut emportée. Le coup ne s’arrêta pointnbsp;lè; il tomba fur le col du cheval, qu’il abat-tit, amp; Conftant avec lui. Aymon defcendit:nbsp;Conftantnefe releva qu’avec peine; Aymonnbsp;courur a lui. ,, Ce fuc, lui dit-il, un grandnbsp;y, malheur pour roi, quanJ tii t’avifas d’ac-„ cufer mon père de trahifon ; voici lenbsp;y, jour de la vengeanceAymon lui ayantnbsp;dit de fe défendre, il lui porta des coups finbsp;multiplies, que Conftant, déconcerté , alloitnbsp;de cóté amp; d’autre, agitant vainement fonnbsp;épée, amp; ne pouvant porter, que des coupsnbsp;amortis, Alors, jetant loin de lui fon épée amp;nbsp;fon écu, il pric Aymon par le milieu dunbsp;corps pour lutter centre lui: Aymon ne de-mandoit pas mieux, il étoit fort amp; robufte,nbsp;amp; élevé dans les exercices les plus pénibles ;nbsp;il fe dégagea des bras de Conftant, le faifitnbsp;par le heaume, le traina fur la poufiière,
jufqu’a ce que Ie heaume fe détacha amp; refta dans la main d’Aymon : Conftant ne pouvantnbsp;plus fe relever, appela fon frère a fon fecours.nbsp;,, C’en eft fait de moi, lui difoit-il, fi tunbsp;,, ne viens me défendre „ ; mais Robert lui-méme n’étoit pas en meilleur état. Yon 1'a-voic terrafle du premier coup) il avoit brifénbsp;fon armiire pièce a pièce ; il avoit, d’unnbsp;coup d’épée, fait rouler a terre la moitié de fonnbsp;heaume , avec une oreille amp; une partie de lanbsp;inamp;choire droite ; il perdoit tout fon fang;nbsp;11 ne pouvoit fe foutenir; il fe traina , avecnbsp;de grands efforts, auprès de fon frère. Les filsnbsp;d’Aymon leur offrirent leur grSce, è. conditionnbsp;qu'ils a voueroieni que, lorfqu’ils avoient accufénbsp;Renaud d’avoir tué leurpère par trahifon, ilsnbsp;avoient dit un menfonge, amp; qu’ils reconnoif-foient que la mort de Foulques étoit jufte ;nbsp;mais Robert, faififlant Ie moment oü Aymonnbsp;s’approcboit dc Conftant, pour 1’exhorter ènbsp;demander grice, fe foulève amp; eft prêt k frappernbsp;Aymon par derrière; Aymon s’en aper^oit,nbsp;il Ie repouflè rudement amp; revient fur Conftant,nbsp;qu’il frappe au vifage. Yon s’apprêtoit a punirnbsp;ia perfidie de Robert.
Renaud triomphoit; Charlemagne étoit bien aife que la calomnie regüt fon falaire; maisnbsp;Ganelon, étincelant de colère, appelle Béren-ger, Hardes, amp; Henri de Lyon. Nous fommesnbsp;„déshonorés, leurdit-il, les fils de Foulquesnbsp;,, font défaits. Je n’ofe les fecourir, non inbsp;„ caufe de Richard, mais a caufe de la pré-„ fence du Roi. Quel parti devons-nous prenr
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„ dre? Le feul qiii nous refte, réponditHardes, ,, c’eft de diffimuler notre injure, amp; d’atténdrenbsp;„ un moment plus favorable, pour nous vengernbsp;„ fur les parens de Renaud, fur fes amis amp;nbsp;^ furRenaud lui-même.
Aymon avoit dangereufement blefle Conf-,^tant. ,, Conviens, malheureux, lui difoit-„ il, que Renaud efl le Chevalier le plus loyal qu’il y ait au monde, qu’il tua ton pèrenbsp;en fe defendant, tandis que ton père, aunbsp;„contraire, vouloit le tuerpar trahifon; re-,, connois , amp; défavoue ta méchanceté. Nenbsp;„ t’obftine pas a ta perte Conftant s’avouanbsp;vaincu, fe rendit, mais refufa de défavouernbsp;ce qu’il avoir avancé de Renaud; Aymon re-fut fon épée amp; le mena au Roi, pour en fairenbsp;ce qu’il jugeroit A propos. II revint au camp,nbsp;pour achever ladéfaite de Robert; mais Younbsp;„ s’yoppofa- Laiflez-moi, lui dit-il, medéfairenbsp;„ de celui-ci, pomme vous vous êtes défait denbsp;„ 1’autre,,. Yon court fur Robert, amp; lui portenbsp;fur l’épaule un coup fi terrible, qu’i! lui abat Ienbsp;bras. ,, Reconnois, lui dit Yon, que Renaudnbsp;,, de Montauban n’eft point un traitre, quenbsp;,, tu as dit un menfonge, quand tu Pas dit;nbsp;„ avoue amp; rends-toi, amp; je te laifferai la vienbsp;Robert refufa d’avouer amp; de fe rendre, ajoutantnbsp;encore de nouvelles injures contre Renaud Senbsp;fes fils. Yon, furieux, le prend par le heaume,nbsp;Ie lui arrache, lui tient 1’épée fur la gorge;nbsp;mais Robert, plus obftiné que fon frère, nienbsp;conftamment qu’il ait fauflement accufé Renaud, amp; traité Yon de fils de rebelle. „ Yon,
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indigné de fon obftination, après 1’avoir encore invité de demander grace, Ie prend par les che-veux amp; lui plonge l’épée dans Ie fein.
Les deux Chevaliers, comblés de gloire, allèrent fe jerer aux pieds de Charlemagne,nbsp;qui loua leur courage. C’en ell aflez, leur dit-i!,nbsp;„ Conllanr fe meurt amp; Robert n’eft plus; alleznbsp;„ vous repofer dans les bras de la Viftoire:nbsp;,, Cependant, il efl; jufte que Conftant foiCnbsp;„ puni. — Sire, qu’il dél'avoue fon menfonge,nbsp;,, Si j'oublierai tout Charles Ie lui ordonna,nbsp;ibus peine d’être dégradé d’armes; mais Robert,nbsp;en voulant profeter quelques mots, expira;nbsp;amp; 1’on ne put favoir s’il avoit défavoué, ounbsp;s’il avoit perfiflé.
„ Vous voyez, dit Ganelon a Hardes, a Bé-,, renger amp; a Gvilfon; vous voyez comment „ Charlemagne nous traite. Jurons de nous ennbsp;„ venger, quand nous en trouverons 1’occa-,, fion„. Ils Ie jurèrent, amp; Ganelon ne rem-plit que trop bien fon ferment, lorfqu’a Ron-cevaux, il trahit amp; fit périr les douze Pairs.
Cependant, Renaud, qui avoit expliqué t Charles pourquoi Richard s'étoit armé, ren-doit graces a Dieu : II fit venir fes enfans; ilnbsp;les accabla de careflès. Si, tandis qu’Alardnbsp;Guichard bandoient leurs plaies, il les exhor-toit de profiter de l’exemple de ces jeunes in-confidérés, amp; de ne jamais rien dire qui portStnbsp;atteinte a la reputation de perfonne; il leurnbsp;fut gré d’avoit, plufieurs fois, offert la vie anbsp;leurs ennemis; il leur recommanda de confer-ver Phumanité, la première des vertus.
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Dès qu’ils furent guéris, ils allèrent voir Charlemagne, qui les combla d’honneuts, amp;nbsp;leur donna pUifieurs Chateaux; amp;, peu denbsp;temps après , Renaud amp; fes frères prirentnbsp;congé de Charlemagne amp; s’en retournèrent ènbsp;Montauban.
Renaud s’appliqua a mettre fes affaires ea bon ordre; enfuite, il envoya chercher fes eii-fans, il leur diftribua fes Etats; donna Dordogne a Yon, amp; Montauban a l’ainé. „ J’ai afleznbsp;,, vécu pour Ie monde, leur dit-il, amp; je Ie quittenbsp;fans regret, puifque je puis compter fur vosnbsp;}, vertus, vous n’avez plus befoin de mon fe-j, cours; je puis, fans crainte, vous abandon-5, ner une carrière que j’ai parcourue avecnbsp;5, quelqu’honneur. Pour moi, je veux cönfa-5, crer au Dieu , a qui je les dois, Ie peu denbsp;55 jours que j’ai encore a vivre.
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CHAPITRE XXVI amp; dernier.
Lietraite de Renaud; regrets fur fon depart; foa amour pour Pégalité. Renaud Ma^on,nbsp;Pélerin , défenfeur de I'innocence , vain-queur de Pinabel, pourfuit fes courfes, arrive d VHermitage de Maugis, fe fixe au-près de lui; leur amltié; leur vie douce amp;nbsp;paifible : Maladie, prédiblion amp; mort denbsp;Maugis. Dernier combat de Renaud. Pi^nbsp;nabel fuffoqué dans les flats ; il y entrainenbsp;Renaud. Mort de ce héros ; fan tombeau *nbsp;fes funérallies; honneurs que Charlemagnenbsp;rend d fa cendre.
3L/ E s frères amp; les fils de Renaud ne croyoient point fa retraite fi prochaine; il reprit fonnbsp;habit de Pélerin, amp;, dés Ie lendemain, au levernbsp;de I’aurore, il defcendit fous le rempart dunbsp;Chateau; il entra dans le fouterrain par le-quel il s’étoit fauvé a Dordogne, lorfque Charlemagne avoir afFamé Montauban. Ses frèresnbsp;amp; fes enfans le cherchèrent en vain ; tout re-tentifloit de leurs cris. Aymon amp; Yon réfo-lurent de Pallet chercher dans tous les paysnbsp;de la terre, fi, avant quinze jours, ils n’ennbsp;avoient point de nouvelles. Alard courut ènbsp;Charlemagne annoncer la retraite de Renaud;nbsp;Charles amp; fes Barons en furent inconfolables.
Cependant, ce Renaud, qui rempliflbit le I monde du bruit de fes exploits, erroit a tra-
-ocr page 389-rers les n^ontagnes, expofé aux injures de Pair amp; de la faim, fe nourriflant de racines Sc denbsp;fruits fauvages, plus content, au milieu denbsp;ce dépouillement ^énéral, que Ganelon amp;nbsp;Griffon, méditant des perfidies, ne I’etoientnbsp;au fein de la Cour.
Renaud envifageoit tous les hommes comma égaux; il ne les diftinguoit que par leurs ver-tus ; il regardoit comme des jeux d’enfans,nbsp;ces dillinctions que la fortune amp; la naiflancenbsp;ont mifes entr’eux : 11 faifoit peu de cas denbsp;ce mérite de convention, qui n’exifte que dansnbsp;Popinion, amp;, a cet égard, il ne s’eftimoit pasnbsp;plus que le plus pauvre, amp; le dernier des hommes; il penfoit que, comme il ne falloit pasnbsp;rougir de parens vertueux, dans quelqu’étatnbsp;que le ciel les eut placés, il ne falloit pas,nbsp;non plus, les expofer a rougir, par des actions indignes d’eux, Sc que le meilleur moyeanbsp;de leur témoigner notre reconnoiflance, étoicnbsp;de nous comporcer, comme ils défireroiencnbsp;que nous nous comportaflions, s’ils vivoientnbsp;encore, ou comme nous voudrions que vé-cuffent nos defcendans. C’eft dans ces principes, qu’il avoir élevé fes enfans. Cette habitude de n’eftimer les hommes que par leursnbsp;propres vertus, Sc de ne les diftinguer, lesnbsp;unsdesautres, qu'autant qu’ils fediftinguoiencnbsp;eux-mêmes par leur conduite, lui faifoit trou-ver fa condition aétuelle auffi douce qu’ellenbsp;I’etoit, lorfqu’il regnoit dans Dordogne, ounbsp;dans Montauban.
304 nbsp;nbsp;nbsp;quatre fils
vit,,de loin, des Magons qui Mtifloient un Monaftère; les uns écoient accablés fous Ienbsp;poids de pierres énormes, les autres, furienbsp;faite de 1’édifice, étoient e:^ofés a perdre leurnbsp;vie a tout moment. „ Quel eft , difoit Re-„ naud, 1’objec de travaux li fatigans amp; linbsp;,, dangereux ? De gagner de quoi ne pas mou-,, rir de faim. Ces hommes, condamnés, ennbsp;„ naiflant, a la mifère, ne font-ils pas, commanbsp;,, moi, les enfans de la nature ? Pourquoinbsp;„ n’ont-ils pas eu la même part a fes faveurs ?nbsp;,, N'y ont-ils pas les mêmes droits? Ah! ilsnbsp;„les ont, fans doute; mais c’eft nous, cenbsp;,, font les puiflans amp; les riches, qui, abufancnbsp;„ de la foiblefle de 1’innocence , ont ufurpénbsp;„ ces droits, amp; fait des viitimes de leurs fem-„blables! Hommes injuftes amp; cruels! la na-,, ture ne peut-elle vous donner quelqu’a-„ vantage, que vous ne vous en ferviez pournbsp;„ 1’outrager? Eh ! bien, vengeons-la; je pou-,, vois naicre d’un père Magon , comme jenbsp;,, fuis né d’Aymon , allié de Charlemagne ;nbsp;,, quittons la place que le hafard m’avoit mar-„ quée, amp; mettons-nous a celle qu'il pouvoitnbsp;„ me donner.
En parlant ainfi, Renaud va trouver le mai-tre des ouvriers, amp; le prie d’employer un pau-vre étranger, qui ne demande pas mieux que de travailler pour gagner fa vie. Le Maitrenbsp;Magon le regarde des pieds è la téte. Renaudnbsp;étoit exténué par le jeüne amp; par la fatigue.nbsp;„ Mon ami, lui dit le maitre , cet ouvragenbsp;i, n'eft guèie fait pour vous. Qu’importe? dit
Rc^
-ocr page 391-d’Ay mort. nbsp;nbsp;nbsp;3 85
9 Renaud, je ferai ce que je pourrai, amp; vous „ ne me payerez qu’a raifon de mon travail;
J’y confens, lui^dit Ie Ma^on. Voyez-vous, „ la-bas, ces quatre Manceuvres, qui n’oncnbsp;j,, pu venir a bout de trainer cette pierre ?
allez leur prêter votre bras Renaud vit bien que eet homme plaifantoit; maïs, fansnbsp;faire femblant de s’en apercevoir, il alia versnbsp;ces pauvres gens : Le Ma9on Ie rappela. „Bonnbsp;„homme, lui dit-il, ou vas-tu? ne vois-tunbsp;„ pas que ce far Jeau eft trop lourd pour quatrenbsp;„jeunes gens robuftes amp; vigoureux? Crois-„ moi, fi d’autres que toi n’y mettoient lanbsp;j, main, la pierre pourroit bien refter la juf-5, qu’a la fin du monde „; mais, Renaud,nbsp;fans récüuter, alia vers la pierre, amp;, fans lenbsp;fecours de perfonne, il la roula jufqu’aux piedsnbsp;du maJtre, qui avoit de la peine a croire cenbsp;qu’il voyoit. „Eh! bien, lui ditRenaud, vou-5, lez-vous me recevoir parmi vos ouvriers?nbsp;5, Mon ami, lui répondit le Maitre, preneznbsp;„ Pemploi que vous voudrez Alors, Renaud monta leftement fur le faite, amp; fe mit anbsp;travailler. En regardant autour de lui, il vit,nbsp;dans le fond d’un vallon, une femme écheveléènbsp;repoullant les brutales carelïès d’un homme ef-fréné, qui faifoit tous fes efforts pour 1’outra-ger *, Renaud quitte fon ouvrage , defcend,nbsp;s’arme d’un gros levier, amp; court de routes fesnbsp;forces. Quelques manoeuvres, qui ignorent fohnbsp;deflein, le fuivent, fans favoir oü il va; ilnbsp;approche; il entend les cris de la jeune femme,nbsp;amp; reconnoit Pinabel. „ Traitre, s’écrie-t-il,
R
-ocr page 392-,, abandonne ta proie amp; fonge è te défendre,#. Pinabel reconnott la voix de Renaud, amp; s'é-lance fur lui; Ie fier Paladin ne lui donne pointnbsp;Ie temps d’approcher, amp;, d’un coup de levier,nbsp;il 1’étend è fes pieds : Alors, Renaud vole 4nbsp;la jeune fille, étendue a terre a demi-nue»nbsp;amp; prefque fans connoiflance; mais, comme ilnbsp;efl'aye de la rappeler a la vie, il entend Ie crinbsp;des Magons qui étoient fur une hauteur; ilnbsp;vole k leur fecours, il les trouve aux prifesnbsp;aveC une douzaine de fcélérats, complices denbsp;Pinabel. Les Masons n’étoient que fix, amp;,nbsp;fans Renaud, c’en étoit fait d’eux. Renaud,nbsp;armé de fon levier, fe jette au milieu des af-faffins, enfonce, d l’un, lapoitrine, cafle la têtenbsp;a l’autre, abat Ie bras du troifième, en af-fomme deux autres, amp; Ie refte prend la fuitenbsp;amp; court plus vite que Ie vent; les Manoeuvres , furieux, achèvent ceux que Renaud avoiCnbsp;bleliés; il revint au fecours de la jeune fille,nbsp;amp; il la trouva noyée dans fon fang : Le Idchenbsp;Pinabel, revenu de fon étourdiflement, tandisnbsp;que Renaud puniflbit fes complices, 1’avoicnbsp;poignardée amp; avoit pris la fuite; Renaud futnbsp;également défefpéré de la mort de cette infor-lune'e amp; de la fuite de Pinabel.
Renaud s’acquit une fi grande réputation parmi ces Ma9ons, que le Maitre vouloit luinbsp;céder routes fes entreprifes; mais, ennemi denbsp;touce diftindion, Renaud trouva qu’être Maitre de Masons, c’étoit encore blefler cettenbsp;3oi d’cgalité qu’il eöt voulu rétablir fut lanbsp;terre, fans rien dire, il partir, peu de
-ocr page 393-jours après; il fut généralement regretté de fes compagnons, qui, tous, fe feroient facrifiésnbsp;pour lui.
Renaud erra de montagne en montagne, de forêt en forêt, jufqu’a I’Hermitage de Mau-gis; il en avoir changé : De Ia Guyenne, ilnbsp;étoic pafle en Allemagne; il avoit crainc Ienbsp;courroux de Charles; il évitoit fa faveur; ilnbsp;s’étoit fixé fur les bords du Rhin, au deflbusnbsp;de Cologne; il étoit affis fur un gazon, Ienbsp;dos appuyé contre un rocher, tenant un' livrenbsp;a la main, entièrement occupé de fa lefture.nbsp;Renaud Ie vit; il s’approche de loin, fans ennbsp;être aperfu, fe met devant lui, amp; Ie regar-de, fans tien dire. QuandMaugis eut ceffé denbsp;méditer, il leva les yeux, amp; Ie premier objetnbsp;qui Ie frappa, fut Renaud. Maugis crut quenbsp;c'étoit fon ombre ; mais Renaud s’écrie, ennbsp;ie preflant dans fes bras; „ O mon cher Mau-f, gis, béniflbns Ie ciel qui nous réunit pournbsp;9, ne plus nous féparer,,. La joie de deux Chevaliers , unis depuis fi long - temps, peut fenbsp;concevoir, amp; ne fauroit fe peindre; malgrénbsp;leur amour pour la folitude, ils ne purent,nbsp;cependant, fe privet de la douceur de vivrenbsp;l’un auprès de 1’autre.
A quelques pas de I’Hermitage de Maugis, étoit une caverne creufée dans Ie rocher; Renaud la choifit amp; 1'habita; ils fe voyoient tousnbsp;les jours; leur age amp; leurs infirmités avoientnbsp;befoin de cette reflburce; chacun, de fon cóté,nbsp;fortoit de fa folitude, amp; leur point de réunionnbsp;étoit un chêne antique, fur une petite hau-
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teur. Le monde étoic, pour eux, une ombre qiü les avoit occüpés un moment, amp; ils re-grettoienc de s’en être occupés; ils ne crou-voient de veritable jouiflance que dans la eon-templation de la nature; leur ame n’étoicnbsp;vivement affedée que de la grandeur amp; de lanbsp;fagefle de eet Être Suprème, a qui le fpec-tacle de 1’univers les ramenoit fans cefl'e; jamaisnbsp;leurs jours n’avoienc paliè auffi rapidement.
Un jour, que Renaud s’étoit rendu fous le vieux chêne, plus rard qu’a l’ordinaire, il n’ynbsp;trouva point Maugis; il 1’attendit long-tempsnbsp;amp; ne le vit point venir. L’amitié de Renaudnbsp;en fut alarmée; il alia jufqu’a la cabane denbsp;fon ami; il le trouva foible amp; languiflant,nbsp;„ Mon coufin, lui dit Maugis, le terme eftnbsp;„venu, dans deux heures, je ne ferai plus;nbsp;„je craignois que vous ne vinffiez point, Ssnbsp;„je ferois mort avec ce regret; N’en donneznbsp;„ point a ma perte; la more n’eft que 1’ac-„ compliflemenc de 1’ouvrage que la Naturenbsp;„ commence en nous formant; heureux lesnbsp;„ hommes, fi mille accidens funeftes, donenbsp;„ leur inconduite Sï leur méchanceté font lanbsp;„ caufe, ne dérangeoient eet ordre ; Pour unnbsp;„ fruit qui tombe dans fa maturité, combien,nbsp;„ que les infeftes dévorent, que les vers cor-„ rompent, que ia gelee détache de leur tige,nbsp;„que des chaleurs exceffives deflechent, ounbsp;„ que des mains imprudentes cueillent avantnbsp;„le temps? Je tombe fous lès coups bienfai-„ fans que frappe la Nature. Ah! mon chernbsp;„ Renaud, que je voudrois que votre vie fyc
-ocr page 395-terminée par une mort corame la miennel f, mais le del vous en deftine une plus utile;nbsp;,, il faut que vous ferviez fa vengeance, mêmenbsp;„ en mourant. Que dites-vous? Maugis, in-
terrompit Renaud, comment fe pourroit-il ff qu’un Solitaire, dont les forces font affoi*^nbsp;3, blies, amp; qui ne veut plus quitter ces lieux,nbsp;,, puifle venger le del? Telle eft votre def-„ tinée, Renaud; vous ne voulez.pas, dites-„ vous, quitter ces lieux : Et qu’eft-ce que lanbsp;,, volonté de 1’homme ! Dieu feul veut, amp;nbsp;,, I’homme obéit; malheur a lui, s’il obéicnbsp;„ malgré foi. N’eft-ce pas Dieu qui lui donnenbsp;,, le vouloir? Comment I’homme peut-il fenbsp;„flatter qu’il fera ce qu'il voudra, Jui, quinbsp;,, ne peut prévoir un feul inftant dans 1’ave-,, nir? Se foumetrre, exécuter les ordres dunbsp;„ del, lorfqu’il nous les fait connoitre, ounbsp;„ par la voix de la confcience, ou par cellenbsp;,, de la raifon, ou par celle de la nécelfué,nbsp;„ voila le partage de I’homme. Adieu, monnbsp;,, cher Renaud, tu ne me furvivras pas long-,,-temps : Je meurs fansfait amp; tranquille, dansnbsp;„ les bras de mon ami. Je ne Grains rien aunbsp;,, dela du terme de la vie; creature foible , amp;nbsp;,, fragile par narure, je rends, a un être bien-,, faifant par eflence, une ame dont 1’injufticenbsp;„ n’a point altéré la purete. Adieu.
En difant cet adieu, Maugis expira dans les bras de Renaud, qui fe fentoit confolénbsp;par les dernieres paroles de fon ami; il nenbsp;regi-etcoic que foi dans cette perte , car ilnbsp;étoit perfuadé que Maugis alloit jouir -d’un
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-ocr page 396-bonheur éternel; il 1’enfevelit amp; Ie dépofa dans un tombeau , que Maugis s’étoit creufé lui-inéme : Depuis ce moment, Renaud vint,nbsp;tons les jours, dans la grotte oü repofoit Maugis; Ie lieu qu’il avoit habité étoic un templenbsp;pour Renaud; il Ie revoyoit dans tout ce quinbsp;avoit été è fon ufage, amp; cette illulion lui te-noit lieu, quelquefois, desmomens qu’il avoitnbsp;pafles avec lui.
Un jour, que Renaud fe promenoit fur Ie bord du Rhin, il entendit, fous des arbuftes,nbsp;Ie cri de deux jeunes filles qui appeloient dunbsp;fecours, malgré les glacés de 1’Sge; Renaudnbsp;vole : Une jeune fille érendue fur Ie fable, amp;nbsp;toute nue, avoit les pieds amp; les mains liés, amp; fenbsp;défoloit; D’auffi loin qu’elle vit Renaud, ellenbsp;lui indique de la main un fpeélacle plus affreux'nbsp;qui fe paflbit fur Ie fleuve; un homme, la fu-reur dans les yeux, trainoit une autre jeunenbsp;fille, par les cheveux, hors de 1’eau : Renaudnbsp;vole fur Ie bord du Rhin , Sc, de fon bourdon,nbsp;frappe Ie fcélérat fur la téte : Celui-ci ISche fanbsp;proie, amp; s’éloigne, a la nage, hors de la portéenbsp;d’un fecondcoup; Renaud ne Ie quitte point ;ilnbsp;Ie pourfuit, 1’atteint amp; reconnoït encore Pinabel. „Infame opprefleur de l’innocence! luinbsp;„ dit-il, ce fleuve fera ta tombe A ces mots,nbsp;Renaud s’élance fur Pinabel, Ie faiflt par Ienbsp;milieu du corps, amp; Ie plonge dans 1’eau, pournbsp;Py étouffer; mais, foit que la crainte donnarnbsp;des forces a Pinabel, foit que les derniers efforts de la nature expirante óient aux nerfsnbsp;leur fouplelie amp; leur élafticité, il ne fut ja-
-ocr page 397-d'Aymon.
maïs poffible a Renaud de débarrafler fes jambes des mains de Pinabel, qui les tenoit ac-crochées: II fic d’inutiles efforts pour fe dé-livrer d’un poids qui Pempêchoit de nager ; il frappoit, en vain, Pinabel dans la poitrinenbsp;amp; fur la tête, pour lui faire lêcher prife; Pinabel étoit mort, amp; fes ongles, enfoncés dansnbsp;les chairs de Renaud, étoient des crochetsnbsp;que fes efforts ne faifoienc que refferrer davan-tage. Renaud nagea pendant quelque temps;nbsp;il appela du fecours; mais il n’en parut d’au-tre fur Ie rivage, que lesjeunes fiiles, qui Ienbsp;faifoient retentir de vceux impuiffans pournbsp;leur libérateur. Renaud lutta long-temps centre Ie courant amp; contre Ie fardeau qui l’en-trainoit; mais fes forces affoiblies, re purentnbsp;lui permettrej de regagner Ie bord ; il s’enfonce|,nbsp;amp; Ie même flot couvrit Ie fcélérat amp; 1’hommenbsp;jufte.
Jamais les enfans Ss les frères de Renaud n’auroient eu des nouvelles de fa mort, li lesnbsp;jeunes fiiles n’avoient raconté leur aventure,nbsp;amp; remarqué 1’endroit oü Renaud fut fubmer-gé; elles afferent avertir des Pécheurs de cenbsp;qui venoit de fe palier; c’eft par elles qu’onnbsp;fut que Pinabel, qui, depuis long-temps,nbsp;brüloit d’un feu inutile pour I’une d’elles,nbsp;les avoit furprifes dans Ie bain, qu’il avoicnbsp;d’abord trainé fur Ie rivage celle qui lui étoicnbsp;indifférente , qu’il 1’avoit liée, pour Tempé-cher de défendre fa compagne, que fon pro-jet étoit d’enlever celle qu’il aimoit, Ss d’a-bandonner, ou, peut-être, de plonger 1’autre
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-ocr page 398-59® nbsp;nbsp;nbsp;^uatre fils
dans les flors; amp; qu’enfin, Pinabel, avec quel-ques brigands de fon efpèce, s’étoit emparé d’un Chateau, dont ils avoient maflacré les ha-rnbsp;hitans.
Les Pécheurs retirèrent, en même temps, du fleuve Renaud amp; Pinabel; ils reconnurencnbsp;PHerraite, pour l’avoir vu, quelquefois, fenbsp;promener dans la forêt prochaine; ils Ie tranf-portèrent dans la grotte oü repofoient les ref-tes de Maugis; ils lurent cette infcription furnbsp;fa tombe.
Renaud DE Montauban, fils d’Aymon,
A CONSACaÉ CETTE PIERRE Aux MANES RÉVÉRÉS DE SON CoüSIN,
Maugis , fils de Beuves ,
En mémoire de leur amitié.
Les Pêcheurs appriretit, pour la première fois, qu’il y avoir eu deux Hermites, amp; quenbsp;Ie dernier ne pouvoit être que ce Renaud denbsp;Montauban, dont 1’Hermitage ne devoit pointnbsp;être éloigné ; ils Ie cherchèrent amp; 1’eurentnbsp;bientót trouvé; ils fe convainquirent de fonnbsp;nom, par 1’image d’Yolande, qui étoit fuf-pendue u l’un des rochers de la grotte, amp; fousnbsp;laquelle Renaud avoit écrit, de fa main, Ienbsp;nom de fon époufe amp; Ie fien. Les Pécheurs nenbsp;voulurent point féparer ces deux amis; ilsnbsp;inhumérent Renaud è coté de Maugis, amp; mi-rent, pour route infcription gt; ie nom de Renaud
-ocr page 399-de Montauban amp; Ie portrait d’Yolande fiir la tombe de fon époux.
Le bruit du combat amp; de la mort de 1’Her-mite parvint jufqu’a Cologne. Le nom, de Reuaud excita la curiofité du Seigneur de Bu~nbsp;rie; il avoit, autrefois, connu le fils d’Ay-mon; il favoit qu’il avoit difparu du fein denbsp;fa familie; il favoit que Charlemagne le fai-foit chercher, amp;, quoique ce Seigneur nepücnbsp;fe perfuader que 1’Hermite dont on parloit,nbsp;fut Renaud de Montauban, 31 alia le voir,nbsp;]ut l’infcription du tombeau de Maugis, amp;nbsp;reconnut Yolande; il pria fur la tombe dunbsp;héros, y mit des Gardes, revinta Burie, amp;,nbsp;dès le lendemain, il.y envoya toutle Clergénbsp;de Cologne, fit exhumer Maugis amp; Renaud,nbsp;amp; fit embaumer ce dernier; il fut tranfporté,nbsp;avec la plus grande pompe, a Cologne, amp;nbsp;dépofé dans la Cathédrale,, oü vingt Chevaliers , qui fe fuccédoient deux a deux, le veil-lèrent nuit amp; jour.
Le Seigneur de Burie envoya un exprès aux frères de Renaud amp; a Charlemagne. A cettenbsp;nouvelle, un deuil général couvrit toute Ianbsp;France; la Cour fut plongée dans latriftefle;nbsp;ïc modéledes Chevaliers eft mort, s’écrioit-onnbsp;de tous cótés, amp;, bien loin que les Chevaliers, les Batons, amp; les Pairs, fuflent offenfésnbsp;de eet éloge exclufif, ils répétoient, le modèlenbsp;des Chevaliers eft mort. Les frères de Renaudnbsp;amp; fes enfans étoient inconfolables. Ce qui ren-dit ia douleur de Charlemagne plus amère ,nbsp;ce fut d'apprendre que Pinabel éroit la caufc
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-ocr page 400-394 nbsp;nbsp;nbsp;^uatre fils d*Aytnoru
de la mort de Renaud ; il fit venir les deux jeunes filles qu’il avoit défendues contre lesnbsp;outrages du brigand; il les maria i deux Seigneurs de la Cour, amp; les dota d’une partie desnbsp;biens confifqués au traitre.
Peu de jours après, les frères amp; les fils de Renaud , accompagnés d’un grand nombre denbsp;Chevaliers, allèrent a Cologne, chercher lesnbsp;relies du héros amp; de Maugis; ils les firent tranf-porter en France , amp;, lorfqu’ils furent i quel-ques lieues de Paris, Charlemagne, avec fanbsp;Cour, alia au devantdu convoi; amp;, lorfqu’ilnbsp;lui eut fait faire les plus magnifiques funérail-les, on conduifit les cercueils a Montauban;nbsp;Charlemagne voulut encore les accompagnernbsp;jufqu’a Orléans, amp;, de retour è. la Cour, ilnbsp;condamna è 1’opprobre Ie nora amp; la mémoirenbsp;de Pinabel.
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V_/haPITH.E ER-EMIER. Charhmagtti envoys Lo-thaire , fon fils , fiommer le relielle due d'yligreinont. Horrible félonie du due. Charlemagne fait Chevaliersnbsp;les quatre fils d'rPymon, Ö? s'apprête d venger I'affalfinatnbsp;de Lothaire. Les fils tTAymon , parens de l'afajpn .nbsp;quittent la Cour de Charlemagne, pour n'itrc pasnbsp;obligés de combaltre contre lui. /Itcueil que leur faitnbsp;leur mire. Le due d'Aigremont vient au devant danbsp;Charlemagne , efi vaineu amp; demands grdee pour fesnbsp;Tuiets au vainqueur. CUmence birolque de Charlemagne.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;Pag. 5
Chap. II- Comme les eourtifans ont I'art de fatifaira leurs pafions au nom de leur fonverain , qui ne s'ennbsp;doute pas, amp; au préjudice de fes fujets, qui voyent loper fidie , en foufrent df n'ofent s'en plaindre. Trahifottnbsp;de Ganelon. Mort du due d'Aigremont. Couleur de lanbsp;duchejfe. Sermens de Muugis de venger fon plre. 3gt;nbsp;Chap. III. Aymon reproche amp; Charlemagne Vimpunitdnbsp;du crime de Ganelon. Audaee de Renaud. 11 tue,d'uanbsp;coup d'lchiquier, herthelot, neveu de Vempereur.nbsp;Fuiie de Renaud, de fes frlres, amp; de Maugis leurnbsp;coufn.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;44,
Chap. IV. SUge du chdteaudeMontfort;avant-garde de Charlemagne taillie en pilces; lataille fanglante;nbsp;trahifon de Bernier de la Seine, qui introduit les fran -fois dans le chdteau, S?y met le feu; combat, au milieunbsp;des famines; vittoire des quatre fils d'Aymon. 5anbsp;Chap. V. Danger de Renaud amp; de fes frlres. Berniernbsp;leur propofe de leur livrer le tréfor de Charlemagne;nbsp;Renaud le fail icartelif. Retraite des quatre paladins,
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-ocr page 402-Regrets de Renaud, a I'afpcSt de Montfort embrafi. Charlemagne les pourfuit avec fan armée. Renaud ftnbsp;retire en vainqueur. Retraite de Charlemagne. Combatnbsp;d'dymon centre fes cnfans.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;66
Chap. VI. Extréme mifére des fils d'Aymon. Us out recouTS a leur mire Entrevue touthante. Colire feinttnbsp;amp; politique d'.lymon. Us fortent du chdteau avec centnbsp;hommes d'armes, c? comblds de J^réfens i3? de bienfaitsnbsp;de- leur mere. /lymon les attaque IS leur donne troisnbsp;cents hommes d armes. iilaugis efidleur téte. Renfortnbsp;de trois cents hommes d'armes. Of re de fervices auroinbsp;de Cafcogne.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;78
Chap VIL Combat des fils d'Aymon centre les farra-fins. Renaud force leur rot d fe rendre d abjurer Mahomet. Boulag-Jkafir clde fes conquêtjes au rot.nbsp;Renaud demande , pour toute récompenfe. de fe hdtirnbsp;tin fort fur la Dordogne. Chdteau de Montauban. Ltnbsp;roi de Cafcogne lui donne fafaur Tolande, qtti I'aimoitnbsp;en fecret.
Chap. VIII Charlemagne ennoye demander au roid A-quitaine de lui Uwer Renaud S’ fes frlres ; refus du roi. Dlclaratioii de guerre. Arrivie de Roland ct lanbsp;cour de Charlemagne. Sa jeunejfe , fa beauté fon courage. Guerre contre les farrafins fur leRh'tn. Prodigesnbsp;de etaleur de Roland. Courfe de chevau.v. dont Renaud^nbsp;qu on cro'tt a Montaubanremporte le prix fous lesnbsp;yeux méme de Charles.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;105
Chap. IX. Charlemagne ajfilge Montauhan^fait fommer Renaud de fe rendre Renaud fait mie forth vigou-reufe avec fes frlres. Butin ^ maffacre, viSoire des filsnbsp;d’.lymon. Fauie de Roland. Perfidie d Ton ..roi d’ Aquitaine. Combat terrible des fils d' Aymon ,feuls ,défarmdSfnbsp;litres par Ton. Exploits inouis Secours inattendu.
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Chap. X. Suite du combat précédent Les fils d'Aymon fecourus par les gafeons conduits par Maugis. Nou-veaux exploits. Oger vaincupar Renaud, infultlpar
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Rolandi ntn parit quo plus grand. Maugh racontt ü Rmaud comment il a appris la trahifon du roinbsp;d'.iquitaine. 11 rend au jour Richard, amp; guérit lesnbsp;llejfures d'Alard, de Guichard amp; de Renaud. 145nbsp;Q/RKS.'SA.' Retour desfils d'Aymon is Montauban. Alar~nbsp;mes amp; renterds du roi d'Aquitaine i il fe réfugié dansnbsp;un convent; Roland ly découvre amp; l enlève: Renaudnbsp;vole d foil fecours, amp; Ie dégage. après un combat fan-glant, desfers de Roland. Roland ejlhleffé. 157nbsp;Chap XII. Richard ejl fait prifonnierpar Roland.Charlemagne s'empare du prifonnier ,malgré fnn vainqueur,nbsp;amp; Ie condamne d un fupplice infame. Enchantementnbsp;de Maugis, qui Ie rend méconnoiffahle ; il découvre canbsp;qui fe paffe au camp , en donne avis d Renaud, qui faitnbsp;embufquer fes troupes. Noble fermeté des Chevaliers fnbsp;qui refufent d'efcorter la conduite de Richard au fupplice. Ldcheti d'un courtifan.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;177
ChaP- XIII. Richard eft conduit au fupplice. Renaud Ie dólivre. aidé de Maugis amp; du roi d'Aquitaine. Desnbsp;Rives eft mis d la place de Richard. Méprife d'Oger.nbsp;Combat entre Charlemagne 6? les fils d'Aymon. Offrenbsp;génireufe de Renaud; dangers que courent Charlemagne amp; Roland.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;190
Chap. XIV Les quatre fils d'Aymon, amp; Maugis, abat-tent Ie pavilion du roi. Combat d'Otivier amp; de Maugis. Maugis prifonnier d Olivier Efforts de Charles amp; de'nbsp;fes Chevaliers pour arracher Maugis d fon vainqueur.nbsp;Réfiftance opinidtre d Olivier ; combat d’Olivier avecnbsp;les chevaliers. Ginéroftté de Maugis. Olivier Ie dégagenbsp;de fes fermens. Maugis brave les courtifans. Renaudnbsp;vole d fon fecours.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;203
Cpiap. XV Maugis au pouvoir de Charlemagne; con-damn é d périr du fupplice des truitres. Craintes^ fureurs inutiles de Charlemagne centre Maugis; en-chantemens, rufes, déguifemens de Maugis. Les chevaliers fervent de caution d Maugis; fa ioyauté. mémtnbsp;en trompant Charlemagne; butin immenfe qu’il em-
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parte gt; fa faite. Rencontre de Renaud. Courroux de Charlemagne d I'afpeB de I'aigle d'or. Diputation dnbsp;Renaud ; accord d'une trive, rendue inutile par les.nbsp;confeils de Pinabel. Généroftti de Renaud. Let Chevaliers difendent leur Inyauti centre Charlemagne.nbsp;Rropofition du roi de fe battre avec Renaudi Rolandnbsp;of re de combattre d la place du roi.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;215
Chap. XVI. Combat entre Renaud if Roland. Maugis let fauve Vun êf Vautre par un pirodige de fun artnbsp;magigue. Roland fuit Renaud d Montauban. Charlemagne met le Jiége devant ce chdteau. he roi efl enlevinbsp;dans le palais de Maugis, li livri d Renaud. Maugisnbsp;fort de Montauban ,amp;fe retire dans un hermitage. 240nbsp;Chap. XVII. Confeil des fils d'Aymon fur le fort dtnbsp;leur prifonnier. Réveil de Charlemagne ; fa fermeté;nbsp;pribres de Renaud pour la paix; attendrifement dttnbsp;roi; Pinabel change fes difpofitions. Extréme générofttinbsp;de Renaud : Liber té de Charlemagne; vaine remon-trance des chevaliers. Continuation du blocus; afautnbsp;ginéral; les troupes de Charles font repoufées; faminenbsp;horrible: Le plus grand danger que Bayard ait couru.nbsp;Wynton jette des vivres duns la ville, fa difgrace, fanbsp;retraite de l’armée. Nouvel afaut, aujfi inutile que lenbsp;premier.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;249
Chap. XVIII. Les fils d’Jymou abandonnent Montauban; Us en fortent, fecrettement, avec les habitans, Jlsfe retirentd Dordogne. Secours qu'ilstrouvent dansnbsp;leur route. Etat oh Charlemagne trouve Montauban.nbsp;11 veut aftéger Dordogne: Renaud le ptévient. Bataillenbsp;fanglante. Le due Richard de Normandie prifonniernbsp;de Renaud; fage confeil de Roland; fermeti du due.nbsp;Mort du roi d'Aquitaine.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;269
Chap. XIX. Songe de Maugis; it vole au fecours de Renaud; il attaque des voleurs amp; les bat; il iraverfenbsp;le camp de Charlemagne fous la figure d'un chevaliernbsp;paralytique; il combat Pinabel, le terrafe, lui faitnbsp;me peur efroyablei il arrive d Dordogne, foie dt
-ocr page 405-Kinaui fif d'Tolandc. Maugh prlfère fon hermitage ^ fa pauvreti ct la grandeur amp; ct la richejfe; il repajfenbsp;au travers du camp dc Charlemagne^ en hermite; dangers qu'il court.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;aS4
Chap. XX. KéfurreBlon de Pinahel. Proportions de Charlemagne h Renaud. Inflexibiliii de part d'autre.nbsp;Pinahel ditruit les bons efets des confeils de Roland.nbsp;Reproches £? remontrances au roi. Gibet élevé fur lanbsp;plus haute tour de Dordogne. Le due Richard menacénbsp;du fupplice, eue fes fatellites. Ingratitude de Charlemagne. DéfeSion des barons amp; des pairs. Fermeté con-fiante du due Richard. riSion généreufe de Renaud. 297nbsp;Chap. XXI. hUchanceti des confeils de Pinabel recon-nue Êf punie. Noble aveu de Charlemagne. Retour desnbsp;pairs. Renaud fe dêvoue pour fes frlres. Sa refinancenbsp;aux larmts de fon épotifs amp;quot; de fa familie. /Hannesnbsp;d'Tolande; fon amour êf fon courage, rittendrijfementnbsp;de Charles. Pardon ti punition. Exil de Renaud. 310nbsp;Chap. XXII. dccueil de Charlemagne aux frlres denbsp;Renaud. Son dipart pour Liége. Combat de Buyar/lnbsp;amp; de Ganelon dans la Meufe. /Irrivie de Renaud dnbsp;Conjiantinople. Rencontre imprivue de Maugis malade;nbsp;Uur arrivie h Jérufalem. Siégede la Cité faint e. Admiration qu'excite Renaud dans le camp des Cbrétiens.nbsp;Hommages du Comte de Ranee , S? des Chevaliers, Itnbsp;Renaud. Prifens rejetis amp; diplribuis par les fils d'Ay-mon f auxpauvres Chevaliers. Fites, réjouifances dansnbsp;le camp. Sortie des ajjicgis; bataillefanglante. Valeurnbsp;de Renaud fi? de Maugis. férufalem enlevée aux Per-fans. ASion difefpérie d'Emirza. Les Perfes chajfésnbsp;de la Palejline; ils demandent lapaix. Troupes de Chri-tiens difciplinies par Renaud. Dipart de Renaud amp;nbsp;de Maugis.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;315
Chap. XXIII. Renaud 6? Maugis arrivent è Palerme^ Accueil qu'ils refoivent du roi de Steile; bataille fan-glante,gagnêe centre lesSarraftns. Dipart de Renaudnbsp;S’ dt Maugis i ils rctournent d Confiontinoplc, pour
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s'acquittir enters Mérancie; leur retour en Italië; lis. pajfent h Rome., 5? reviennent ü Dordogne. Renaudnbsp;y apprend la mort d Tolande; fa dauleur Jes regrets^nbsp;fon chagrin fe calme en revoyant fes enfans. Muugisnbsp;lui fait quitter Ie trifle féjour de Dordogne. 343nbsp;Chap. XXIV Retour de Renaud d Montauban ; dé~nbsp;part de Maugis pour fon- hermitage; Renaud 'èf fesnbsp;fils l’accompagnent. Pricautions de l'amitié. Mort danbsp;Duo dymon. Renaud en apprend la nouvelle d fesnbsp;frlres : Partage de fes biens. Education des enfansnbsp;de Renaud. Efl'ais de leurs forces. Oifcours de Renaudnbsp;d fes enfans; il les envoye d Charlemagne amp; les metnbsp;d la tête de deux Compagnies d'hommes-d'armes. 354nbsp;ClIAP XXV. Aymon amp; Ton arrivent d Paris, deman-dent au Roi de les faire Chevaliers; accueil qu ilsnbsp;regoivent de Charlemagne amp; de fes Pairs. Jaloiifle desnbsp;fils de Foulques de Morillon : Outrages quits font au»nbsp;fils de Renaud : Déflrs, gages, 'plciges. Réctption desnbsp;fils de Renaud;fêtes.Préparatifs pour Ie combat entrenbsp;les fils de Foulques 6? ceux de Renaud : Trahifon imi“nbsp;tile; combat., viBoire d’Aymon Cf dTon; fureurs denbsp;Ganelon. Retour de Renaud cf de fes fils d Montau-bofi.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;364
Chap. XXVI, Retraite de Renaud; regrets fur fon départ; fon amour pour Vègalité. Renaud Mapon . Pé-lerin . défenfeur de Vinnocence , vainqueur de Pina~nbsp;tel, pourfiit fes eourfes, arrive h VHermitage de Maugis . fe fixe aupris de lui; leur amitié; leur vie doucenbsp;É? paifihle : Maladie, prédiUion Cf mort de Maugis.nbsp;Bernier combat de Renaud. Pinabel fuffoqué dans lesnbsp;pots; il y entralnc Renaud. Mort de ce héros; fon tom-heau , fes funérailtes; honneur que Charlemagne rendnbsp;i fa cendre.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;38 2
J’ai lu, par l’ordre de Monfeigneur Ie Garde des Sceaux, /a Siiliolhèque Bleue. encièremenc refonduenbsp;amp; conlidérablement augmentée; amp; je penfe que per-fonne ne regardera eet amufement d’un Lictérateur,nbsp;homme d’efprit, comme un rajeuniffement inutile.nbsp;Donné a Paris, Ie 12 Septembre 1783.
*i AcadémUi d'Anders öf de Rotten.:
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