%
INSTITUUT VOOR FRANSE TAAL- EN LETTERKUNDEnbsp;TE UTRECHT
-ocr page 4-INSTITUUT VOOR FRANSE TAAL- EN LETTERKUNOtnbsp;TE UTRECHT
-ocr page 6- -ocr page 7- -ocr page 8- -ocr page 9- -ocr page 10-C'-
‘5.. nbsp;nbsp;nbsp;^.
■ i,*
■■-•V'
■:f^
LES QUATRE FILS
HISTOIRE H�R-O�QUE.
CHAPITRE PREMIER.
Charlemagne envoye Lothaire, fan fih, fommer Ie rebeile Due d�yligremont. Horrible f�lonienbsp;du Due. Charlemagne fait Chevaliers lesnbsp;quatre fils d�Hyman, amp; s�appr�te d vengernbsp;I�ajfajfmat de Lothaire. Les fils d�Hymon,nbsp;parens de l�ajfajfin, quittent la Cour denbsp;Charlemagne, pour n�etre pas oblig�s de com-banre contre lui. Hccueil que leur fait leurnbsp;m�re. Le Due d�Higremont vient au devantnbsp;de Charlemagne, ejt vaincu, amp; demandsnbsp;grdce pour fes Sujets au Hainqueur. Cl�-menee h�ro�que de Charlemagne.
'HARLEMAGNE venoit de terminer, contre les Sarrafins, une longue amp; fanglantenbsp;guerre. II avoit mis a mort leur Chef, amp;
A iij
-ocr page 12-6 nbsp;nbsp;nbsp;Les quatre fils
avoit remport� une vidloire complette. li jouiflbir, au milieu d�une Cour briliante amp;nbsp;nombreure, des douceurs de la paix Sc denbsp;l�amour de fes Peoples. On fe confoloir, aunbsp;fein des plaifirs Sc des f�res, de la mort desnbsp;Seigneurs'Sc des grands Capitaines^ que ie fernbsp;a volt moiifonn�s. Paris �toit Ie rendez-vousnbsp;de routes les nations.- Les Arts, que ce Mo-irarque prot�geoit; Ie luxe Sc la politeffe, quinbsp;les accompagnent, y attiroientce qu�il y avoitnbsp;de plus diftingu� en Allemagne, en Angle-terre, parmi les Normands, en Lombardie,nbsp;dans routes les parties de la France, dans lesnbsp;Royaumes voifins, Sc m�me parmi les Peuplesnbsp;barbares qui s��toient empar�s de 1�ltalie.
Les douze Pairs de France ornoient la Cour de Charlemagne. Parmi ces plus vaillans Guer-riers, on diftinguoit Ie brave Due Aymon,nbsp;Prince des Ardennes, Sc fes quatre fils, Renaud,nbsp;Allard, Guichard amp; Richard, h�ros dont lesnbsp;exploits �toient connus aux deux bouts de lanbsp;terre; Renaud �toit Ie plus renomm�; fa taille,nbsp;de fept pieds, Sc les juftes proportions de fonnbsp;corps, Ie faifoient regarder comma Ie plus belnbsp;homme qu�il y e�t au monde.
Charlemagne aflembla fes Chevaliers Sc fes Barons, une des f�tes de la Pentec�te, Sc leurnbsp;paria en ces termes: � G�n�reux Chevaliers,nbsp;� chers Compagnons de mes vidoires, c�efta vo-� tre valeurquejedoislesconqu�tesrapides quenbsp;� j'ai faites: Par vous, j�ai fait mordre la pouP-,, fi�re au t�ra�raire Sarrafin, Sc j�ai chafl� loinnbsp;� de nos fronti�res cette nation infidelle amp;
-ocr page 13-� barbare. II eft vrai que nous avons perdu plu-� fieurs braves Chevaliers: Ils parrageroient nos � trioinphes amp; norre gloire, ft ri�orgueilleuxnbsp;� vaflauxn�avoient pas refuf� de venircoinbat-� tre avec nous, quelques invitations que j.enbsp;� leur en aye faites. Vous le favez, courageuxnbsp;� Due de Bretagne, vous qui, au bruit de lanbsp;�trompette, accourfttes a notre fecours; amp;nbsp;� vous, brave Galerand de Bouillon, qui por-,, tiez 1�Oriflamme; vous, Lambert de Berry,nbsp;� amp; vous, Geoffroi de Bourdeille, braves fou-� tiens d�un Roi qui vous ch�rit, vous le fa-� vez , fans vous, le Sarrafin, vainqueur ,nbsp;� apr�s avoir fubjugu� 1�Italie, auroit port�nbsp;,, fa futeur amp; fa religion facril�ge au fernnbsp;� de votre patrie. Les refus obftin�s de G�-� rard de Rouffillon, amp; de fes deux fr�res,nbsp;,, le Due de Nanteuil amp; le Due Beuves d�Ai-� gtemont, font la caufe de nos pertes; ilsnbsp;� nous ont emp�ch� de porter plus loin lanbsp;� terreur de nos armes. Nous aurions pu re-� poufler jufqu�a fa fource ce torrent de Bar-,, bares, qui s�eft repandu dans 1�Europe; maisnbsp;� celui qui a t�moigu� le plus d'obftinationnbsp;� eft le Due de Beuves. Je me propofe de lenbsp;� fommer encore , amp; , s'il refufe , j�irai, lenbsp;� fet amp; la flamme a la main, affi�ger Aigre-j, mont, amp;, quand je 1�aurai en mon pou-j, voir, je jure de ne faire grice ni a ce Duenbsp;� infidelle, ni a Maugis fon fils, ni a fa fem-r tne , ni a fes vaflaux.
Le fage Naimes de Bavi�re, le Neftor de la Cour de Charlemagne, arr�ta fa fureur.
A ir
-ocr page 14-8 nbsp;nbsp;nbsp;, Les quatre fils
� Sire, lui dit-il, quelque jufte que foit vo-� tre refleutiment, avanc de condamner Ie � Due d�Aigremont, je crois qu'il eft de vo-� tre fagefle de lui envoyer un homme quinbsp;,, r�unifle la prudence amp; Part de parler aunbsp;� ccEur , afin qu�il lui remontre fes devoirs,nbsp;� amp; qu�il difcute fes raifons. Un Souveraianbsp;,, ne doit employer la force centre fes enne-
mis, qu�au d�faut de tout autre moyen. Les y, querellesdesRoisint�reflentlesPeuples. Quenbsp;� deux particuliers recourent a la vengeance,nbsp;,, elle ne peut �tre funefte, tout au plus,nbsp;� qu�a deux hommes; mais la mort d�un mil-,, lion de Sujets eft fouvent la fuite du cour-� roux d�un feul.
Charlemagne approuva la propofition de Naimes : II attendic que quelque Chevaliernbsp;fe pr�fent�t pour fe charger de ce meflage;nbsp;aucun n�ofoit prendre fur lui une commiffionnbsp;fi d�licate : D�Aigremont �toit craint; d�ail-leurs, prefque tous les Chevaliers �toient fesnbsp;parens, amp; Ie Prince des Ardennes �toit fonnbsp;coufin.
L�Empereur, voyant leur embarras, appela Lothaire fon fils, amp; lui dit; � Mon fils, s�ilnbsp;� �toit de la dignit� d�un Souverain d�allernbsp;,, lui-m�me demander a fon Sujet raifon denbsp;� fa r�volte , je n�h�fiterois pas un momentnbsp;,, de partir : L�injure, qu�il fait a votre p�re,nbsp;,, retombe fur vous; c�eft done a vous de vousnbsp;� charger de cette entreprife : Je ne vous diffi-,, mule pas qu�elle eft dangereufe. Beuves eftnbsp;� cruel amp; perfide j mals vous �tes Ie fils de
-ocr page 15-i fon Roi; vous �tes brave;. amp;, fi ces titres 5 facr�s ne lui en iinpolbient point, je vousnbsp;, donne cent Chevaliers, a votre choix , pournbsp;vous accompagner. Vous direz au Due d�Ai-j greinont, que je veux bien lui accorder troisnbsp;gt; mois pour faire fes pr�paratifs; mais fi, apr�snbsp;j ce terme, il ne fe rend pas aupr�s de nousnbsp;, avec fes troupes, d�clarez-lui que je Ie trai-5 terai en ennemi; que j�irai mettre Ie fi�genbsp;, devant Aigreraont; que je renverferai fesnbsp;, murailles; que je d�truirai fa ville; que jenbsp;, d�vafterai fes campagnes; que, fur les d�-, bris de fes tours embraf�es, je ferai coulernbsp;, Ie fang du p�re amp; du fils, amp; que je livrerainbsp;� fa familie aux bourreaux.
Lothaire s�inclina, nomma fes Chevaliers, amp;, Ie lendemain, il alia prendre cong� du Roi,nbsp;qui ne put retenir fes larmes en l�embraf-fant, comme s�il e�t pr�vu Ie fort qui 1�at-tendoit. Toute la Cour vit partir Ie jeunenbsp;Lothaire avec regret, fans que perfonne ofStnbsp;n�anmoins foup^onner Beuves d�etre afleznbsp;d�loyal pour ofer porter line main facril�genbsp;fur Ie fils de fon Roi , rev�tu par fon p�renbsp;du titre facr� d�Amballadeur.
Le Due d�Aigremont fut bient�t inform� par fes efpions du d�part de Lothaire; II afl�m�nbsp;bla fon Confeil, non comme un bon Princenbsp;qui cherche dans les lumi�res de fes Sujetsnbsp;1�avis le plus fage, mais comme un tyran quinbsp;ne ralfemble fes efclaves, que pour leur fairenbsp;approuver les delleins les plus injuftes. � Denbsp;j, quel droit, leur dit-il, Charlemagne pr�cend-
A V
-ocr page 16-I o nbsp;nbsp;nbsp;Zes quatre flls
5, il me forcer a Ie fecoarir? eil-ce paree qu�il ,, r�gne fur de plus valles Ecats que moi ?nbsp;,, S�il raefure 1�Empire fur 1��tendue, ne puis-5, je pas Ie mefuver fur 1�ob�iflance aveuglenbsp;� de mes Sujets? S�il fe croic mon Souverain,nbsp;,, paree qu'il penfe �tre Ie plus forc, a quoinbsp;,, fe r�duic fon tirre, d�s que je puis formernbsp;,, les m�mes pr�centions que lui? II ell vrainbsp;� que j�ai fait ferment de lui ob�ir amp; de luinbsp;� porter fecours; mais vous connoillez tousnbsp;� la valeur de ces fermens politiques, arra-,, ch�s, prefque toujours, ou a la foibleffe desnbsp;,, Souverains, ou a 1�imp�rieufe n�ceflk� desnbsp;,, circonftances, amp; dont Teflet cefie avec l�im-� pui�ance de repoufler une force fup�rieure.nbsp;�Tel ell Ie cas oii je me trouve : Souve-
,, rain abfolu de mes Sujets, plus forc que ,, Charles par la fuuation de mes Etats, plusnbsp;� fort encore par la valeur de G�rard �denbsp;� Roulfillon, du Due de Nanteuil, amp; du Princenbsp;� des Ardennes mesfr�res, amp; fur-tout par 1�in-� tr�pidit�de mes quatre neveux, jecrainspeunbsp;,, les menaces que Lothaire vient me fairegt;nbsp;,, Aufli n�efl-ce pas fur Ie parti que je veuxnbsp;� prendre que j�ai a vous confulter; je de-,, mande vos avis fur la mani�re dont ie doisnbsp;,, recevoir les ordres qu�il m�apporre, amp; furnbsp;,, Ie d�gr� de m�pris que je dois lui marquer.nbsp;�Je lui dois des �gards comme Ambafladeur;nbsp;,, mais, comme fils de Souverain, je ne luinbsp;� dois rien, amp; c'ell dans ma Cour qu�il vientnbsp;� me braver!
Un vieux amp; fage Chevalier de la Cour de
d�Ay man. nbsp;nbsp;nbsp;i r
Beuves, appel� B�on Ie Jufte, qui n�avoit jamais ramp� devant la grandeur, fe leva, amp; demanda la permiffion de parler avec libert�,nbsp;II fut d�avis que Ie Due re9i\t avec refpedl Ienbsp;fils de Charlemagne. Le Due jeta fur lui unnbsp;regard d�indignation : Le Chevalier, fans fenbsp;d�concerter, reprit ainfi; � Seigneur, un Sou-� verain doit fe refpedter dans fes femblables:
Plus vous honorerez Lochaire, amp; plus 5, vous acquerrez de droits fur Charlemagne.nbsp;�, Quant au refus d'ob�ir, que vous vous pro-5, pofez de foutenir par les armes, je ne puis,nbsp;5, fans trahir votre confiance, vous dilRmulecnbsp;� les dangers auxquels vous vous expofez. Lanbsp;� valeur amp; l�intr�pidit� de vos parens menbsp;� font connues; je fais que vos Sujets verfe-5, ront jufqu�a Ia derni�re goutte de leur fangnbsp;�, pour vous d�fendre; mais avez-vous faitnbsp;�, attention aux troupes nombreufes que 1'Em-� pereur peut mettre fur pied , aux puifiansnbsp;� alli�s qui viendront fe joindre a lui au pre-,, mier fignal.^ La valeur la plus �prouv�e doitnbsp;5, c�der au nombre. Si vous �tes vaineu,nbsp;� quelle grace pouvez-vous efp�rer d�un Sou-,, verain courrouc�, qui vous traitera en re-
� belle........ Le Due l'interrompit avec fu-
reur, amp; le menara du plus cruel fupplice. La Duchefle, la larme a l�oeil, amp; tombant auxnbsp;genoux de fon mari, le conjura de pr�ter l�o-reille aux confeils de fes v�ritdbles amis, amp;nbsp;de faire tous fes efforts pour rentrer en gr�cenbsp;avec le Roi. Le Due, que ce mot de gr�cenbsp;irritoit eiKote, jura que, nonftulement,ii n�o-
A vj
-ocr page 18-b�iroit point, mais que, fi Lothaire ofoit Ie menacer, il s�en vengeroit de la mani�re lanbsp;plus fanglante,
Le chateau d'Aigremont �toit fitu� fur un ro-cher inacceffible, enrour� d�unmurimp�n�tra-ble amp; de hauces tours; fa fituation amp; fa force ne laiflbient craindre a ceux qui le d�fendoiencnbsp;que la famine : Un fleuve couloir au pied denbsp;fes remparts. Lothaire n�avoit jamais vu denbsp;forterefle fi redoutable. � Monfeigneur, luinbsp;,, dit un de fea Chevaliers, le Roi eft le plusnbsp;� puiflant Prince de la terre; mais, a quoinbsp;,, ferc la valeur, quand la vi�toire eft impof-,, fible? Certe forterefle, inexpugnable, ren-,, ferme autant de Guerriers qu�en a votrenbsp;� p�re. Ah! pl�t a Dieu que iieuves amp; luinbsp;� puflent s�accorder. Beuves eft orgueilleux amp;nbsp;�fier, amp; les menaces de 1�Empereur ne fontnbsp;� pas moins humiliantes que terribles; annon-� cez-lui les ordres, dont vous �tes charg� ,nbsp;� avec la plus grande douceur; aflfoibliflez-ennbsp;,, l�amertume. Nous fommes cent Chevaliers,nbsp;� pr�ts a p�rir pour vous, s�il ofoit vous in-� fulter; mais que pouvons-nous contre lesnbsp;� forces de Beuves? � Lothaire approuva lafa-gefie du Chevalier, quoique bien r�folu danbsp;templir fa commiffion avec exaftitude, amp; denbsp;ne pas fouffrir impun�ment le moindre outrage.
A peine le Due eut-il tenvoy� fqn Con-feil, que Lothaire fe pr�fenta devant le chateau d�Aigremont; il y fut introduit avec fes cent Chevaliers : On le conduific au Palais,
-ocr page 19-qui �toit rempli de troupes. Le Due 1�atten-doit fur un tr�ne, ayant, a fes c�t�s, la Du-chefle amp; fon fils. Lothaire le falua, amp; lui dit: � Charlemagne, qui connoit votre valeur, eftnbsp;,, �tonn� du refus que vous faites de lui don-� ner le fecours que vous lui devez; il m�en-,, voye pour vous demander le motif de cenbsp;� refus. Sa bont� ne lui a pas permis d�en ve-5, nir, avec vous, aux derni�res extr�mit�s,nbsp;� fans s��tre bien aflur� de vos vrais fenti-� mens. S�ils font tels qu�il le d�fire, il eftnbsp;� pr�t a tout oublier amp; a vous rendre fonnbsp;� amiti�. Si, au contraire, vous perfiftez dansnbsp;,, votre d�fob�iflance , attendez-vous a unenbsp;,, guerre qui ne finira que par la ruine de vosnbsp;� Sujets, amp;, peut-�tre, par celle de toute vo-� tre familie; car, qui peut pr�voir jufqu�o�nbsp;,, peut aller la col�re d'un Roi qui fe croitnbsp;�m�prif�? Charles fe doit a foi-m�me cettenbsp;5, vengeance; il la doit a la m�moire de tantnbsp;� de Chevaliers, dont votre d�feftion a cauf�nbsp;5, la mort dans les champs de la Lombar-�die. Le Roi vous annonce done, par manbsp;� bouche, qu'il attend une r�ponfe pofitive;nbsp;� amp;, afin que vous ne puiffiez pas 1�accufernbsp;,, d�injuftice ou de cruaut�, il m�a ordonn� denbsp;� vous dire, que, fi vous perfiftiez dans votrenbsp;�, rebellion, il ne mettroit point de bornesnbsp;91 a fa fureur; qu�il d�truiroit vos villes amp;nbsp;,, vos chateaux; qu�il feroit palier vos Sujetsnbsp;� au fii de l��p�e; qu�11 d�foleroic vos cam-, � pagnes, amp; qu�il d�clareroit une haine eter-M iielle a tout ce qui vous appartient.
-ocr page 20-14 nbsp;nbsp;nbsp;q^iiatre fils
Le Due d�Aigremont fr�mit de col�re \ il jura de nouveau qu�il n�ob�iroit point a Char-letnagae, amp; que, d�s ce motneuc, iTlui d�-claroit la guerre. Lothaire lui demanda s�ilnbsp;avoit oubli� qu�il �toit homme-lige de 1�Em-pereur. Beuves le regarda avec un m�pris in-lultanc : � Malheur, dic-il, a l�iiifenf� quinbsp;� s�eft charg� de 1�ordre de Charles, jamaisnbsp;� il ne lui rendra compte de fa commiffionnbsp;B�on ofa repr�fenter a fon Maitre le crimenbsp;dont il alloit fe rendre coupable. Le Due lenbsp;menapa lui-m�me, amp; lui impofh filence. Lanbsp;Duchefle prit le Ciel a t�moin qu�elle d�tef-toit cette adion, amp; protefta qu�elle n�y avoitnbsp;aucune pare. � Malheureux Prince, s��cria Lo-� thaire, tu cours a ta perte; fonges-tu quenbsp;je fuis le fils de ton Roi, amp; que c�eft dansnbsp;,, ta propre Cour que tu m�outrages ? Ah !nbsp;� crois-moi, je t�en conjure, pr�viens les fui-� res affreulbs de ta f�lonie ; ton crime re-� tombera fur ta ftmille amp; fur ton peuple;nbsp;� il n�eiqpas de nation, quelque barbare qu�ellenbsp;� foit, qui ne fe croye int�refl�e a la ver dansnbsp;,, le fang du dernier de-tes Sujets, l�injurenbsp;� dont tu menaces tons les Souverains dansnbsp;� ma perfonne. Beuves, fois plus jaloux de tanbsp;� gloire \ fonge que ton nom paflera aux ra-y, ces futures, pour eftrayer ceux qui feroientnbsp;j, rent�s de te reflembler,
Beuves, dont la col�re �toit a fon comble, ordonna a fes Chevaliers d'arr�ter Lothaire.nbsp;Ils parurent conftern�s de eet ordre; mais,nbsp;foit crainte, ou d�fir de plaire a leur Mai-
-ocr page 21-d�Jyrnon. nbsp;nbsp;nbsp;15
tre, un moment apr�s, ils mirent tons 1��p�e A la main. Ceux' du jeune prince vinrent anbsp;fon fecours : Bient�t, la falie ruiflela de fang.nbsp;Au brult des armes, amp; aux cris des combat-tans, Ie peuple s�affemble autour du palais :nbsp;Les Chevaliers Frangois en d�fendent 1�entr�e,nbsp;amp; donnent la mort A tout ce qui fe pr�fente.nbsp;Lothaire vendoit ch�remenr fa libert�, il ve-noit de jeter aux pieds de Beuves un Chevalier qui 1�attaquoit. Beuves voulut venger fanbsp;mort ; Lothaire vole, 1�atteint, amp; lui faitnbsp;courir Ie plus grand danger ; mais fa chutenbsp;m�me Ie fauve. Furieux a la vue de fon fang,nbsp;il fe rel�ve avec Ie fecours du fage B�on , quinbsp;eflaye en vain de Ie calmer; il monte fur lesnbsp;marches dc fon trone, amp;, profitant de l�a-vantage du terrain, il s��lance fur Ie jeunenbsp;Prince, qu�entouroit la foule; il lui porce unnbsp;coup fi terrible, qu�il 1��tend a fes pieds; amp;,nbsp;pour mettre Ie comble a fa f�lonie, il lui coupenbsp;la t�te de fa propre main. II ne reftoit plusnbsp;que vingt Chevaliers Francois. D�Aigremontnbsp;en fit �gorger dix en fa pr�fence, amp; confenticnbsp;de laifler la vie aux dix qui reftoient, A condition qu�ils fe chargeroient de reporter � leurnbsp;Roi Ie corps de fon fils', amp; de lui dire quenbsp;c��toit ainfi que Ie Due d�Aigremont recevoicnbsp;fes menaces; que Charles devoir s�attendre anbsp;Ie voir bient�t dans fes Etats a la t�te de centnbsp;mille combattans, amp; que Ie plus fort feroit alorsnbsp;Ie maitre de faire fouft'rir au vaincu tel fup-plice qu'il jugeroit a propos.
16 nbsp;nbsp;nbsp;Les quatre fils
recevoir des nouvelles de Ton fils: II connoif-foit le caratt�re f�roce du Due d�Ai'gremont. Aymon efiayoit de le confoler, amp; lui pro-mettoit d�aller, lui-m�me, tirer vengeancenbsp;du perfide, s�il avoir eu 1�audace de manquernbsp;� ce qu�il devoir au fils du Roi. Charlemagnenbsp;connoiflbir la fid�lit� d'Aymon , il voulut Pennbsp;r�coropenfer; amp;, pour fe Pattacher encore da-vantage, il lui ordonna de faire venir fes qua-tre fils, afin de les armer Chevaliers. Aymonnbsp;ob�it, amp;, le lendemain, il les pr�fenra au Roi,nbsp;qui fur furpris en voyant une auffi belle familie.
Renaud detnanda d��tre arm� le premier; fa beaut�, la noblelle qui cara�l�rifoit fa figure, le courage qui �tinceloit dans fes yeux ,nbsp;lui attir�rent Peftime de fon Maitre. Charlesnbsp;fe fit apporter les armes du Roi de Chypre ,nbsp;qu�il avoit tu�, de fa propre main, devantnbsp;Pampelune, amp; les donna a Renaud, commanbsp;au plus brave; cette flamberge, qui devint finbsp;redoutable dans les mains du vaillant Renaud,nbsp;Charles la lui ceignit. Oger le Danois, fonnbsp;parent, lui chaufla les �perons, amp; le Roinbsp;lui donna Paccolade; Renaud monta, devantnbsp;lui, fur Bayard, ce courfier unique, qui, fansnbsp;fe fatiguer, faifoit dix lieues d�un ,feul trait:nbsp;Il avoit �t� nourri dans le Brifgau, amp; Mau-gis, le fils du Due d�Aigtemont, en avoitnbsp;fait prefent a fon coufin.
Lorfque les quatre fr�res eurent regii POr-dre de Chevalerie, le Roi fit'publier un Tour-noi pour eux. Plufieurs Chevaliers s'y pr�-
-ocr page 23-fent�rent, mais tout 1�honneur du combat demeura aux quatre fils d�Aymon , amp;, fur-tout, au vaillant Renaud. Chai:les ne putnbsp;s�empecher de lui marquer fon �tonnement;nbsp;il voulut qu�a 1�avensr, ce jeune H�ros com-battJtaupr�s de lui, amp; Renaud lui jura une fid�-lit� a route �preuve, pour fes fr�res amp; pour lui.
Cependant 1�Empereur ne favoit que penfer de Pabfence de fon fils, il �toit d�vor� d�unnbsp;ennui fecret, amp; mille fonges effrayans trou-bloient fon fommeil. Il communiqua fes in-qui�tudes aNaimes,qui, jugeantduDucd�Ai-gretnont d�apr�s la bont� de fon propre ca-raft�re^'rafluroit le Roi, qui, de fon c�t�,nbsp;s�accuf�it, en fecret, des fbup^ons que 1�amournbsp;paternel lui fugg�roit- fur la loyaut� du Due.
Un jour, qu�ils fe protnenoient fur les bords de la Seine, ils virent, de loin, un Chevaliernbsp;couvert de deuil : Charles, qui, le premier,nbsp;le reconnut pour 1�un de ceux qui avoientnbsp;accorapagn� Lothaire, palit; amp;, fe retour-rant vers Naimes: � Ah! Naimes, s��cria-t-il,nbsp;� mon fils n�eftplus; malheureux, e�eft mol quinbsp;,, 1�ai afl'alfin�! ne devois-je pas connoiire lenbsp;^ perfide d�AigremontLe Chevalier s�ap-procha; il avoir encore le vifage couvert denbsp;fang, amp; a peine pouvoit-il parler. Il annoncenbsp;a fon Maitre la mort de Lothaire, amp;, autantnbsp;fiae fes larmes amp; fes fanglots peuvent le luinbsp;permettre, il raconte tout ce qui vient de fenbsp;pailer a la Cour du Due; il n�a pas encorenbsp;.fini fon difeours, qu�il tombe amp; expire auxnbsp;pieds de Charles.
-ocr page 24-iS nbsp;nbsp;nbsp;Tes quatre fils
L�empereur, qui ne peut r�fifter a ce fpec-wcle, fe jette dans les bras d�Oger Ie Danois, il inonde fon fein de fes larmes , en invo-quant la mort. Le Due de Bavi�re embraflenbsp;les genoux de fon Maitre. � Ah! Sire, dit-il,nbsp;� ni vous, ni aucun de vos Chevaliers, ninbsp;gt;, moi-m�me, n�eul��ons jamais pu pr�voir unenbsp;� auffi d�teftable trahifon. II n�eft aucun denbsp;,, nous qui ne donnat fa vie pour racheternbsp;,, celle de Lothaire; nous le regardions, tous,nbsp;� comme un autre vous-m�me; mais, apr�snbsp;,, eet �v�nement funefte, nos regrets amp; nosnbsp;,, plaintes ne font qu�un t�moignage inutilenbsp;,, de notre amour ; Les arr�ts du Ciel fontnbsp;,, irr�vocables, la Mort fe rit de nos cris im-� puitl'ans. Ce ne font pas les angoifles d�unenbsp;� ame fenfible, que demande votre fils; c�efcnbsp;�la vengeance d�un p�re outrag�, c�eft lenbsp;,, courroux d�un Souverain, en vers lequel oanbsp;� a viol� les droits de la nature amp; des nations.nbsp;� Le fang doit couler, amp; non pas des pleursnbsp;,, ft�riles : Courons aux armes; il n�eft pasnbsp;,, queftion de vaincre, il ne s�agit que denbsp;� punir.
Ces paroles embraf�rent le emur de Charles; amp;, forcant de la l�chargie de la douleur, ilnbsp;ordonne a tous fes Chevaliers, amp; d tous fesnbsp;Courtifans, de fe difpofer a marcher au de-vant des triftes reftes de fon fils, que fes Chevaliers apportoient. II partit, accompagn� denbsp;Naimes, d'Oger, de Sanfon de Bourgogne ,nbsp;amp; de plufieurs autres Seigneurs. Ils rencontr�-rent le corps de Lothaire a dix lieues de Paris j
-ocr page 25-d* Ay mort. nbsp;nbsp;nbsp;19
Charles 1�arrofa de fes larmes amp; jura de Ie venger; il voua une haine implacable a Beu-ves, amp; remit Ie cercueil aiix Seigneurs de fanbsp;fuite, qui Ie port�rent, eux-m�mes, dans Ienbsp;tombeau des Rois, 1�Abbaye de Saint-Ger-niain-des-Prez.
Le Roi s�en retournoit triftement k Paris, avec quelques-uns de fes pltis z�l�s Courti-fans,-qui parcageoient fa douleur, lorfqu�unnbsp;Chevalier vine 1�averrir du depart d�Aymonnbsp;amp; de fes quatre fils. Charles en fut indign�;nbsp;fa jufte haine pour d'Aigremont ne lui permit pas de fonger qn�Aymon �toit le fr�renbsp;de fon ennemi; il les enveloppa, 1�un amp; 1'au-tre, dans la m�me profcription. Dans fa fu-reur, il traita les quatre Chevaliers d�ingratsnbsp;amp; de perlkies : II fe fit raconter, enfuite,nbsp;jufqu�aux moindres circonftances de leur d�-fe�lion.
Lorfqu�Aymon, lui dit le Chevalier, a �t� inftruit de la trahifon de Beuves fon fr�re,nbsp;5t de la mort deplorable de Lothaire, il anbsp;afiembl� fes enfans amp; leur a dit, la larme �nbsp;1�ceil ; ,, O mes amis! la honte dont mon fr�renbsp;�me couvre, me jette dans la ntuation lanbsp;� plus accablante. Quelle que foic 1�amiti�nbsp;5� qui me lie a lui, quel que foit le refpecT:nbsp;�. que vous lui devez, nous ne pouvons pasnbsp;gt;� nous dilfimulerl�atrocit�de fon crime. Char-� lemagne, juftement irrit�, va raflemblernbsp;,, contre l�aliaffin de fon fils les forces les plusnbsp;� redoutables. Quel parti pouvons-nous pren-}gt;dre, dans une circonfiance auffi d�licate?
-ocr page 26-a o nbsp;nbsp;nbsp;Les qmtre fils
5, La juftice eft pour Charles; ma�s les Hens
les plus facr�s nous uniffent au plus coupable. � D�fendre l�un , c�eft nous rendte complicesnbsp;9, de fon crime; entrer dans les projets denbsp;,, vengeance de 1�autre, c�eft violer tous lesnbsp;yf droits de la nature : Quelque parti quenbsp;3, nous embraffions, nous ne pouvons �viternbsp;33 les reproches .de notre confcience amp; denbsp;33 1�honneur.
Alors, continua Ie Chevalier, Renaud a propof� un troifi�me parti, celui d�un^ enti�renbsp;neutralit�. �I! eft vrai, a-t-il dit, que nousnbsp;3, venons de pr�ter ferment d�ob�illance amp; denbsp;3, fid�lit� � Charlemagne, amp; que j'ai promisnbsp;3, de combattre toujours aupr�s de lui; maisnbsp;3, cette promefle ne peut pas ra�engager a pren-3, dre les armes contre mon oncle : D�un au-3, tre c�t�, Ie Due d'Aigremont me fera pasnbsp;3, afiez injufte, pour trouver mauvais que nousnbsp;3, ne Ie feconrions pas. II fait ce que nous de-3, vons i notre Roi, amp; fon crime eft tropnbsp;3, atroce, pour ofer fe plaindre de notre inac-3, tion Alard , Richard amp; Guichard, fenbsp;font rang�s a eet avis, amp; font partis pour lesnbsp;Ardennes. �
Ainfi paria Ie Chevalier, fans ajouter un mot qui put condamner ou juftifier Aymonnbsp;amp; fes enfans; mais Ie Roi jura de fe vengernbsp;d�eux, amp; leur voua la m�me col�re qu�a leurnbsp;p�re.
Cependant, Edwige, 1��poufe d�Aymon, �toit accourue au devant de lui; elle embrafla,nbsp;tour a tour, les quatre Chevaliers, amp; leur p�re.
-ocr page 27-i'Jymon. nbsp;nbsp;nbsp;21
Elle avoit appris les honneurs qu�ils avoient regus de Charles, amp; ne pouvoit comprendrenbsp;pourquoi ils avoienr fi-t�c quitt� fa Cour. Ay-iiion lui raconta ce qui venoit de fe pafl'er anbsp;Aigremont, amp; la r�folution qu�ils avoient pri-� de ne foutenir ni la f�lonie de Beuves, ninbsp;jufte refl�ntiment de Charles.
Edwige �toit alli�e k la Maifon de France amp; i celle d�Aigreinont. Elle ne put s�etnp�-cher de fr�mir de la d�loyaut� du Due;
malgr� tour l�amour qu'elle avoit pour fon �poux: � II me femble, lui dit-elle, que toutenbsp;9i forte de motifs devoient vous engager 4 fui-vre Ie parti de 1�Empereur; il eft notre Roinbsp;5, amp; Ie bienfaitaur de nos enfans. Vous man-,, quez a la foi amp; a la reconnoiflance que vousnbsp;5, lui devez; vous nuifez a vos propres int�-5, r�ts: Car, vous ne devez pas douter qu�apr�snbsp;5, avoir ravag� les Etats de Beuves, il nenbsp;j, tourne fes armes contre les parens de 1�af-5, faffin de fon fils. Vous m'obje�tez les liensnbsp;5, du fang qui vous uniflent au perfide; eft-il desnbsp;j. Hens qui puiffent unir Ie crime amp; la vertu?nbsp;� R�pondez-moi, mes enfans, fi Beuves e�cnbsp;� aflaffin� votre p�re, renonceriez-vous a lanbsp;3, vengeance, paree que 1�aflaffin eft votre on-i, cle? En violant Ie droit des gens, refped�nbsp;a� des Peuples les plus barbares, en outrageancnbsp;Votre Roi, en 1�aflaflinant dans la perfonnenbsp;sgt; de fon fils, Beuves a-t-il commis un moin-9, dre attentat? II vous e�t priv�s d'un p�re,nbsp;� il priv� la France d'un Souverain qui mar-,gt; choit d�ja fur les traces du fien, amp; qui e�t
-ocr page 28-,22 nbsp;nbsp;nbsp;Les quatre fils
� fait ie bonheur du monde ? Que favons-y, nous? Beuves eft, peut-�tre , la caufe que � les valles Etats de Charlemagne feronr gou-,, vern�s par un Tyran, ou par un Prince foi-� ble amp; p^ufillanime? Que feroi:-ce encore, fi,nbsp;� ce que je ne puis croire, la fortune, favori-,, fant Ie crime, d�Aigremont �coit vain-,, queur? Ah! mes chers enfans, quels repro-,, ches n�auriez-vous pas a vous faire, ennbsp;,, voyant votre Roi a la merci du bourreaunbsp;� de Lothaire? Croyez-moi, retournez futnbsp;,, vos pas, amp; fervez votre Maicre.
Aymon adoroit Edwige ; il fut fenfible k fes reproches ; Ses fils �toient conftern�s. Ilsnbsp;abhorroient Ie crime de leur.oncle ; Ils �toientnbsp;fur Ie point de_ reprendre Ie chemin de Paris;nbsp;mais la tendrefle de leur m�re, affoibliflanc fonnbsp;courage, elle les arr�ta, amp; leur demanda denbsp;lui donner encore quelques jours.
Cependant, Charles ordonnoit les pr�para-tifs de la guerre. II avoit renvoy� dans leurs terres la plupart de fes Barons amp; de fes Chevaliers, afin qu�ils raflemblaflent leurs Vaflauxnbsp;fous leurs banni�res : II les avoir ajourn�s aunbsp;champ de Mars, pour Ie 15 du mois de Mainbsp;fuivant. Le Due d�Aigremont ne tarda pointnbsp;a �tre inform� des projets de Charles. II in-vira tous fes parens a fe joindre a lui. G�rardnbsp;de Rouffillon amp; le Due de Nanteuil, fes fr�-res, firent des lev�es confid�rables. Charlemagne �toit trop puiflant, amp; trop ador�, pournbsp;n�avoir point d�envieux. Plufieurs Seigneurs,nbsp;trop foibles pour laifler paroitre leur rn�con-
-ocr page 29-tentement en particulier, s�unirent a Beuves, quand ils 5e -viren: foutenu d�une armee denbsp;quatre-vingts mille hommes. II n�attendit pasnbsp;que Charles fut entr� en campagne. L�or-gueil 1�aveugloit trop, pour lui donner Ie tempsnbsp;de hattendre dans fon chateau d'Aigremont.nbsp;Sidans fes muts de roches vives amp; inac-ceffibles, d�fendus par des marais imp�n�tra-bles, il e�t attendu la vicloire, il e�t, fansnbsp;don te, pu efp�rer de 1�obtenir.
K-ichard, Due de Normandie, fe rendit aupr�s de Charlemagne , d�s Ie coramence-menc de Mai, a la t�te de trente mille hommes, qui camp�rent fur les bords de la Seine,nbsp;Le Comte Guichard arriva, bient�t apr�s,nbsp;avec un grand nombre de Chevaliers. Salomon, Due de Bretagne, Ie fuivoit de pr�s,nbsp;avec 1��lite de la Province. Il arriva des troupes de routes parts. D�s qu�elles furent raf-fembl�es, Charles fit lui-m�me la difpofitionnbsp;lt;le 1�ordre de bacaille. Son avant-garde, com-pof�e de quarante mille combattans, �toitnbsp;lous les ordres de Richard, de Galerand denbsp;Bouillon, de Gui de Bavi�re, de Nemours,nbsp;Oger amp; Eftouteville. Charles �toit au centre ,nbsp;amp; Naimes faifoit 1�arri�re-garde.
L�arro�e fe mit en rnarche Ie troifi�me jour. Oger, qui conduifolt un corps d�tach� ennbsp;avant , rencontra un homme d�armes, quive-rnoit a. ^ toute bride. II demanda d�etrenbsp;conduit a Charlemagne. Oger le pr�fenta lui-meme, Ce foldat 1�avertit que I�arroee enne-mie avoir p�n�tt� au c�ntre ds lu Champa-
-ocr page 30-�gt;4
Les quatre fis
gne, amp; qu�elleavoit form� Ie fi�ge de Troyes; que Ie Commandant fupplioit l�Empereur denbsp;venir promptement au fecours des affi�g�s, s'ilnbsp;vouloit conferver cette place importante, quenbsp;Beuves preflbit beaucoiip.
Cette nouvelle enflamma Ie courage de Charlemagne ; il ordonna a Oger de hiter fanbsp;marche, amp; fe f�licita de trouver Ie Due d�Ai-gremont en campagne. II fit dire a Naimes,nbsp;a Bouillon amp; a Godefroid de Frife, de fairenbsp;marcher promptement leurs divifions, maisnbsp;fans les fatiguer. Trente mille combattans denbsp;1�avant-garde firent halte a une demi-lieuenbsp;de la Ville, jufqu'a ce que toute 1�arin�e e�cnbsp;rejoint. Oger, qui portoit 1�Oriflamme, en-voya Ie Troyen, qu�il avoit rencontr�, au Commandant de la Place, avec lequel il en-tretenoit une correfpondance fecrette, pournbsp;lui faire favoir que Charlemagne �toit a portee de Ie fecourir.
Enfin, 1�avant-garde de Beuves, comman-d�e par G�rard de Rouffillon, rencontra celle de 1�arm�e Fran�oife. Les deux arm�es �tantnbsp;arriv�es, s�arr�t�rent un moment amp; firentnbsp;leurs difpofitions. D�s qu�elles furent rang�esnbsp;en bataille, G�rard donna Ie fignal du combat, en terraflant un Allemand d�un coup denbsp;lance. II faifit fon enfeigne, amp; fit fon cri :nbsp;Sa troupe accourut. Oger donna 1�impulfionnbsp;a fes foldats, Ie combat devint furieux.nbsp;En un moment, la terre fut convene denbsp;membres �pars, de cafques fracalT�s, de d�-bris d�armures; Ie fang ruifleloic de tous c�-
t�s.
-ocr page 31-amp; les trois fr�res, fuivis de kurs meil-leures troupes, fe pr�cipitenc fur les efca-drons du Roi. Les Poitevins, les Allemands, ks Lombards, leur oppofent un mur imp�-n�trable. Richard de Normandie eft a leurnbsp;t�te. �n Chevalier, ami particulier de Gerard de Rouffillon, vent p�n�trer dans k ba-taillon des Poitevins; Richard, qui k voit ve-nir, 1�attend amp; k perce d�outre en �otre, d�unnbsp;coup de lance. Gerard veut le venger; mais Nanteuil l�arr�te, amp; lui fait obferver qu�ils onenbsp;a combactre tout le corps que le Roi com-mandoit. Comme ils d�lib�roient, Galerandnbsp;de Bouillon lue, a kurs yeux, un de kursnbsp;neveux. La furetir emporte G�rard, qui faicnbsp;avenir le Due d�Aigremont. II vient avecnbsp;de nouvelks troupes, amp; rencontre cellesnbsp;du Roi. La m�l�e devint g�n�rale, la fureurnbsp;combattoit contr� la rage; mais la fureur denbsp;Charles etoit �clair�e par la prudence, Beu-vesfrappa Gauthier de Croifmar, amp;, du m�-me coup, per9a fon �cu, fon armure amp; fonnbsp;corps. Richard de Normandie attaqua d�Aigre-mont; kur combat fut terrible; la mdmeardeurnbsp;de vaincre les animoit 1'unamp; 1�autre; la force,nbsp;Padrei��, tout fut mis en ufage de part amp;nbsp;d autre. La haine qui tranfportoit d'Aigre-mont, ne lui hillbit pas affez de r�fiexionnbsp;pour fe d�fendre. Richard per^a fon boucliernbsp;biefla, D�Aigretnont fe bat en retraite. Ri-
B
-ocr page 32-a6 nbsp;nbsp;nbsp;Les quatre fih
chard fe f�licite d�jd d�avoir trouv� l�occafio� (ie venger la mort de Lothaire; II Ie prefl�, fai-fu uo moment favorable, amp; luj pprte un coupnbsp;fi terrible, qu�il croit l�avoir tu� ; mals Ie coupnbsp;tombe fur Ie cafque d�acier de Beuves, glide Ienbsp;long de fon armure amp; f�pare la croupe de fon die-val du rede du corps, de forte que d�Aigre-mont alia mordre la poudi�re. C�en �toit faitnbsp;de lui, 11 Richard e�t p_u defcendre de fonnbsp;cheval avant que fon ennemi ne fe fut rele-v�, avec Ie fecours de quelques Chevaliers,nbsp;qui expof�rent leurs jours pour fauver les flens.
Charlemagne raflemble autour de lui , Oger Ie Danois, Naimes, Bouillon, Ho�l du Mans,nbsp;Salomon, L�on de Frife, 1�Archev�que Turpin, Eftouteville, amp; plulieurs vailians Chevaliers �. � Amis! s��cria-t-il, vengez votrenbsp;,, Roi; fon affront rejaillit fur vous; que d�Ai-� gremont amp; fes fr�res ne nous �chappentnbsp;�point En m�me temps, il met fa lancenbsp;en arr�t, court fur G�rard de Roulfillon amp;nbsp;Ie renverfe. Sa mort �toit aflhr�e, 11 fes fr�res ne fufl�nt venus a fon fecours. Qger pritnbsp;un des Chevaliers de la fuire de Gerard pournbsp;G�rard m�me, lui fendit la t�te jufqq�au go-ller, amp; chaque moiti� tomba fur chacune denbsp;fes �paules. Richard fr�mit amp; Gommen9a denbsp;craindre pour lui-iu�me. Beuves, non moinsnbsp;�tonn�, ofa prier Ie cid de^le fauver, amp; denbsp;ne pas permettre qu�il tombat entre les mainsnbsp;du Roi. Le Ciel exauce, quelquefois ,les vteuxnbsp;des m�chans; mals c�ell pour les punir avecnbsp;plus de f�v�rit�, Si le fecouts mqmsatane qu'il
-ocr page 33-leur pr�te, n�eft qu�un pi�ge qu�i! tend a leut imprudence.
Le jour �tojt fur fon declin; les deux ar-mees �toient �galement fatigu�es;^ celle du Due d�Aigremonrfe bactoit en retraite, amp; les Francois, conteiis d�avoir gagn� Ie champ de ba-taille, ne ie mettoient point en peine de pour-fuivre les fuyards. Charles, qui favoir qu�ilsnbsp;�e pouvoient pas lui �chapper, fic cefler Ienbsp;combat.
G�rard s��toit retir� dans fa tente, il tnau-diffbit Ie jour o� fon fr�re porta une main t�m�raire fur Ie Ills de fon Roi. Beuves, Ienbsp;�vifage couvert de fang, vine aupr�s de lui,nbsp;foutenu par deux Chevaliers. Beuves c�mmen-Coit il fentir des remords', mals il n�ofoit ksnbsp;faire paroitre. G�ratd, qui Ie croyoic faleff�nbsp;mortellemenc, 1�embrafle en foupirant; car,nbsp;quoiqu�il d�teftat Ie crime de fon fr�re, fesnbsp;jours ne lui �toient pas moins pr�cieux. II fitnbsp;appeler un M�decin, qui ne trouva que denbsp;fortes contulions amp; des blefiures qui n�effleu-roient que la peau. lis envoy�rent cherchernbsp;leut fr�re Nanteuil amp; les principaux Seigneursnbsp;de leur parti. Cette journ�e en avoir enlev�nbsp;plufieurs, amp; la plupart de ceux qui reftoiencnbsp;�toient bkff�s.
Lorfque k Confeil de Guerre fut aflembl�, G�rard leur expofa la fitua�on de 1'arm�e,nbsp;ks fautes qu�on avoir faites, ks manoeuvresnbsp;qui avoient k mieux r�uffi, ce qu�on pouvoitnbsp;efp�rer, ou craindre, de la bataille qu'on fenbsp;difpofoit ^ livter k kiidemain. Pat Ie rapport
28
Les quatre fils
des Efpions, G�rard avoir appris o� �toit pr�-cif�menr la rente de 1�Empereur, amp;, quoiqu�elle fut gard�e par Naimes amp; par Oger, il fe fiat-toit d�y p�n�trer; il connoiflbit un fentier quinbsp;pouvoit y conduite, en �gorgeant deux feiT-tinelles : II eft vr^i qu�il falloit trompet unenbsp;garde avanc�e, il en donnoit des moyens in-faillibles. II propofa done, ou de furprendrenbsp;Charlemagne dans fa rente, ou d�atcaquer lesnbsp;Frangois au milieu de la nuit, amp; de profiter dunbsp;d�fordre pour mettre Ie feu dans leur camp :nbsp;,, Je fais, ajouta-t-il, que 1�un amp; 1�autre denbsp;� ces partis eft �galement dangereux; ma�s ilnbsp;,, n�y a que 1�audace amp; la t�m�rit� qui puif-� fent nous fauver : Q^and 1�ambition amp; lanbsp;� politique arment les Souverains, la foumif-� fion du vaincu appaife aif�ment Ie vain-,, queur; mais quand la vengeance combat con-� tre la haine, Ie vaincu n�a de reflburce quenbsp;� dans fon d�fefpoir. Si nous donnons a 1�en-� nemi Ie temps de nous attaquer, nos trou-� pes, fatigu�es amp; d�courag�es , fe croyancnbsp;�plus foibles qu�elles ne font, en effet, nenbsp;� fongeront qu�a �vicer leur perte, fans ofernbsp;� tenter Ie moindre effort; amp;, corame ellesnbsp;� fa vent Ie fort qui les attend, fi elles torn bentnbsp;� entre les mains de Charlemagne, elles pren-� dront la fuite, fans avoir combattu ; amp; Ienbsp;� Chateau d�Aigreraont, fe trouvant fans d�-� fenfe, fera la proie du vainqueur. Si, au con-� traire, nous pouvons furprendre fon camp,nbsp;� Ie trouble amp; la confufion des ennemis dou-� bleront Ie courage de nos foldats; les tranf-
-ocr page 35-i'Aymon. nbsp;nbsp;nbsp;^9
fugesviendroncgroffirnotrearm�e, avant M que les Fran9ois ayent Ie temps de fe rallier,
gt;, nous aurons celui de prendie des mefures pour nous r�tabliri amp;, fi la fortune nous tra-rgt; hit unefeconde fois, dumoinspourrons-nousnbsp;faire une retraite honorable, rentrev dansnbsp;3J les murs d�Aigremont, amp; voir 1�arm�e denbsp;Charles fe confumer en efforts impuifl'ans.nbsp;Apr�s avoir ainfi parl� , G�rard detnandanbsp;1�avis du Confeil, amp; commen9a par Ie Due.nbsp;y, C�en eft fait, mon fr�re , dit Beuves, manbsp;3, d�faite a diffip� mon ivrelfe; j�ai trop long-,, temps �cout� mon orgueil : J�aime Ie fen-,, timent qui vous infpire. Votre amiti� povrrnbsp;� moi, Ie courage qui vous anime, vous fontnbsp;voir les entreprifes les plus difficiles, commenbsp;� fi elles �toient les plus fimples. Quand vousnbsp;� avez form� Ie projet d�enlever Charlemagne,nbsp;y) avez-vous fong� que 1�amour des Fran9oisnbsp;� eft une fauve-garde qui met leurs Rois dnbsp;,, couvert d�une telle entreprife ? Quand il fe-� roic poffible de parvenir jufqu�a fa tente ynbsp;� quand ra�me nous l�aurions en notre pou-�voir, penfez-vous que toute la France nenbsp;3, fe ligueroit point pour nous 1�arracher ? Si,nbsp;� pour venger la mort du fils , elle a fait unnbsp;j, armement fi redoutable, que ne feroit-ellenbsp;31 pas pour nous punir des outrages faits aunbsp;� p�re ? Vous propofez de furprendre Ie camp ;nbsp;,, mais, quand hex�cution de ce projet feroitnbsp;33 facile que votre courage vous 1�a faitnbsp;33 croire,^ ne refteroit-il pas toujours au Fran-,j 90ls aflez de troupes pour oppofer aux n�tres?
3lt;3 nbsp;nbsp;nbsp;Zes quatre fils
,, Nous en ferions une d�route g�n�rale, que � Charles pourroit mettre fur pied une armeenbsp;� beaucoup plus nombreufe. II ne nous reftenbsp;,, d�autre parti a prendre; vous Ie dirai-je ,nbsp;amp; pourrez-vous croire que Ie fier Due d�Ai-gremont ait pu Ie concevoir? c�eH d�im-plorer la g�n�rofit� du vainqueur.
Cet avis furprit l�afl'embl�e ; Comment, di-foit-on, un homme all�z t�m�raire pour faire � fon Souverain 1�outrage Ie plus fanglanc,nbsp;a-t-il afl�z de confiance en lui pour efp�rernbsp;d�en obtenir Ie pardon? Cependant, on gardenbsp;un morne filence : Beuves, qui connoit la grandenbsp;ame de 1�Empereur, oftre de fe livrer lui-m�menbsp;pour fauver fes fujets. On s�oppofe vainemencnbsp;a ce deflein ; II nomme trente des principauxnbsp;Seigneurs de fa Cour , leur donne fes inftruc-tions amp; les envoye vers Charles.
Au point du jour, d�s que Ie Roi eut rang� fon armee en bataille, les Envoy�s de Beuvesnbsp;fe firent introduire dans la tente royale; ilsnbsp;fe proft�rn�rent aux pieds du vainqueur, ennbsp;implorantfamif�ricorde.�Sire,s��cri�rent-ils,nbsp;� en frappant la terre de leur front, quelquenbsp;� horreur que Ie nom de Beuves doive vousnbsp;,, infpirer, quelque haine qui vous anime con-� tre lui, c'eft lui*m�rne qui nous envoye,nbsp;,, non pour vous demander fa grdce, il fait tropnbsp;� qu�il s�en eft rendu indigne; mais pour de-� mander celle d�un peuple infortun� qui n�efcnbsp;� point complice de fon crime. Loin de fenbsp;� fouftraire a votre vengeance, il oftre de ve-,, nir fe remettre^ lui-m�me� avec fes fr�res,
-ocr page 37-31
eiitTS tro'S mriTTis. n fe leconnoic le plus cri-gt;� minel des hommes. Vous I�avez fait menacer 5) du fupplice le plus ignominieux; ofdonnez�nbsp;� Sire, )1 Tiecdra lui-rtt�me au devant de fesnbsp;�, bourreaux, amp; il regardera comme une fa-V quot;veur, de perdre la vie, s�il peut fauver, a cenbsp;�nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;, fes malhetireux fujets.
Charlemagne fr�mit en entendant pronon-cer le nom du perfide : II d�tourna la vue avec horreur amp; garda un profond filence; mais,nbsp;le rompant tout a coup : � Le barbare ! s��-91 cria-t-il, fon fang , amp; tout celui de fes full jets, me rendront-ils mon fils? Et que m�im-n porte le fupplice d�lin monftre! C�eft amp; 1�u-,, nivers que je dois 1�exemple de fa raort. IInbsp;�viendra, dites-vous, fe remetrre en mesnbsp;� mains, amp; donner fa vie pour le falut denbsp;� fon peuple ! Le ISche ! un projet aufli g�n�-11 reux n�a pu �tre con^u par I�aflalfin du filsnbsp;,1 de fon Roi; c'eft quelque nouvelle trahifonnbsp;11 qu�il m�dite, fous 1'apparenee d�un facrificenbsp;1, digne d�un coeur plus magnanime que le fien.
Charlemagne fit fortir les d�put�s, amp; fic appelet le Due de Bavi�re, Oger le Danois,nbsp;Galerand de Bouillon, Odet de Langei, Hoelnbsp;du Mans, L�on de Frife, amp; les autres Seigneurs de fa Cour. II kur raconta ce qui ve-noit de fe pafler. La propofition du Due d�Ai-grernont les �tonna ; mais aucun n�ofa donnernbsp;Naimes fut le feul qui dit au Roinbsp;qu US �toient tout pr�ts a le venger; mais qu�ilnbsp;n appartenoit qu�a lui d�accepter ou de rejeternbsp;toute capitulation avec le Due Charles r�va
3 a nbsp;nbsp;nbsp;Les quatre Jih
un moment, s��cria plufieurs fois; � mon fils! � Lothaire! verfa quelques larmes, amp; fit direnbsp;aux D�put�s d�entrer. � Allez rapporter a cenbsp;j, traitre, leur dit-il, que je confens de fairenbsp;5, gramp;ce a fes fujets, a condition que fon ar-m�e mettra bas les armes amp; fe rendra pri-� fonni�re de guerre , qu�il vendra , accom-pagn� de fes fr�res, fe mettre en mon pou-;�voir; mais, pour le convaincre qu�ils nenbsp;� doivent efp�rer aucune gr^ce pour eux-m�-,, roes, vous leur direz que vous avez vu lesnbsp;,, �chafauds drefles pour leur fupplice Charles voulut qu�on les elev^t en pr�fence desnbsp;D�put�s, amp;, d�s que eet ordre fut ex�cut�,nbsp;il les renvoya vers leur maJere, en les avertif-fant qu�il ne lui donnoit que jufqu�4 midi,nbsp;amp; qu�une heure plus tard, 1�arm�e feroit pafl.eenbsp;au fil de 1��p�e. II ne croyoit pas le cara�l�renbsp;f�roce de Beuves capable de fentir les malheurs de fon peuple.
Le Due n�eut pas plut�t appris les intentions du Roi, qu�il ordonna 4 fes Officiers de taire d�farmer les troupes, amp; 4 route l�ar-m�e de fe tenir pr�ie a le fuivre. Le Due denbsp;Nanteuil amp; G�rard de Rouffillon refufoiencnbsp;obftin�ment d�accepter les conditions de.Char-les; le Due d�Aigremont leur difoit : � Pen-� fez-vous qu�une ame aulli g�n�reufe veuillenbsp;� profiter de 1�avantage que nous lui don-� nons: II nous e�t combactus jufqu�^ la der-5, ni�re goutte du fang de nos fujets; maisnbsp;), jamais fon grand courage ne s�avilira juf-� qu�4 faire p�rir dans les tourmens des en-
-ocr page 39-)gt; Tiemis qui fe livrent a lui. II les d�termi-� na, enfin, amp; ils partirent.
Le Due d�Aigremonc marchoit le premier, amp; fes deux fr�res venoient apr�s lui; ils �toienc 'nbsp;nue t�te, en chemifes amp; la corde au col, fui visnbsp;de quatre cents Chevaliers, aufli en_ chemi-Is, Sc fans armes. Tous les Soldats, u�farmes,nbsp;amp; nue t�te, marchoient a une certaine dif-tance, amp; faifoient retentir les airs de cris amp;nbsp;de g�miffemens. Lorfque les trois fr�res arri-verent au camp de Charles, leur arm�e s�ar-r�ta amp; mit un genou a terre ; ils avanc�rentnbsp;vers la rente de 1�Empereur; H en fortit, amp;,nbsp;auffi-tdt, eux amp; les Chevaliers fe proftetn�-rent. Charles les fit lever amp; leur tnontra lesnbsp;echafauds; ils s�y achemin�rent en lilence :nbsp;Charles les arr�ta, amp;, ne pouvant retenir fesnbsp;larmes:
� Malheureux! leur dit-il, que vous avoit � fait mon fils � ? Beuves fut p�n�tr� de ce re-proche, amp;, tendant les mains vers fon Roi,nbsp;d�chir� de remords v�ritables, amp;, fentant, dansnbsp;ce moment, route 1��normit� de fon crime,nbsp;demanda finc�rement la mort, comme une grS-ce. Les Bourreaux �toient pr�ts; les Courti-fans de Charles attendoient, dans un mornenbsp;filence, la fin de cette tragique aventure ;nbsp;Charles lui-m�me, fe couvrant les yeux denbsp;fes mains, paroiflbit agit� des tranfports lesnbsp;Plus yiolens, a peine pouvoit-il refpirer; desnbsp;loupLrs s�exhaloient du fond de fon cceur, amp;,nbsp;lamnt, enfin, un dernier effort fur lui-m�me :nbsp;�, 0 mon filsl s��cria t-il, puifle le facrilice
B V
-ocr page 40-34 nbsp;nbsp;nbsp;^0-5 quatre fils
�� que je vais te faire appaifer ton ombre; je ,, vais t�oifrir une vidime plus digne de toi,nbsp;,, que de vils aflaffins. Oui, c�eft moi, c�efl;nbsp;� ton p�re qui s�immole, qui te facrifie fonnbsp;� refientiment amp; fa haine! Sois libre, d�Ai-� gremont, reprends les marques de ta digtii-t�, amp;, malgr� ta trahifon, renouvelle-moinbsp;,, Ie ferment de fid�lit� que tu as rompu : Duf-,, fes-tu me trompet encore, je Ie recevrai;nbsp;,, que tes fr�res amp; les complices de ton cri-� me, resolvent Ie m�me pardon,
Beuves embrafla les pieds de Charles, amp;, les fanglots �touffant fa voix, il fe frappoitnbsp;la poitrine, tournoit fes yeux vers Charles,nbsp;amp; laiflbic retomber fa t�ce dans la pouffi�re;nbsp;II avoua que tons les fupplices qu�auroit punbsp;lui faire fouffrir Ie Roi, auroient �t� moinsnbsp;afireux que les fentimens qu�il �prouvoit dansnbsp;ce moment. Tout Ie camp pleuroit d�atten-driflement, tout retentiflbit du nom amp; de 1��-loge de Charles. Ses viftoires n�avoiem jamaisnbsp;�t� li c�l�br�es. On n�entendoit, dans fon armee, que des cris d�admiration amp; d�amour�nbsp;5,0 grand Roi! lui difoit Naimes, en plea-5, rant, l�univers, vaincu, qui vous deman-5, deroic des fers, feroit un triomphe moinsnbsp;3, glorieux que celui que vous venez de rem-5, porter. O d�Aigremont 1 difoit Oger, quenbsp;� tes remords doivent �tre alFreux amp; cuifans!nbsp;� O Lothaire 1 s��crioit Charles, qu�il eft doux,nbsp;� mais qu�il en coute de pardonner!
Cependant, par les ordres du Rol, on avoit fait porter, aux trois fr�res, amp; aux
-ocr page 41-d'Aymon. nbsp;nbsp;nbsp;?5
Chevaliers de leur fuite, des arnies amp; des habits �, on avoit puhli� uue amniftie g�n�ralenbsp;dans 1�arm�e efinemie, qui deraandoit a grandsnbsp;tris que Charles la conduisit aux entreprilesnbsp;les plus difficiles, amp; qu�elle r�pondoit du fuc-c�s. Charlemagne re9ut les fermens des troisnbsp;fr�res, amp; leur permit, ainfi qu�aux Chevaliers de leur fuite, de voir tous ceux de Ionnbsp;arm�e. Ils �toient, les uns amp; les autres, parens ou amis : Naimes les conduifit, St chacunnbsp;des Chevaliers Francois, n'eut, peut-etre,nbsp;pas un moindre facrifice a faire, que celui donenbsp;Charles venoit de leur doniier Texemple.
Comme Its Courtifani ont Vart de fatisfalre ieurs pajj�ons au nom de kur Souverain, quinbsp;ne s'en doute pas, amp; au pr�judice de fes Su-jets, qui voyent la perfidie, en fouffrent ^nbsp;n�ofent s�en plaindre. Trahlfon de Ganelon.nbsp;Mon du Due d� Aigremont. Douleur de lanbsp;Duchefft. Sermens de Maugis de venger fannbsp;pire.
A guerre des Aflaffiris ( e�eft ainfi qu�on ^�voit nomme celle q�i venoit d��tre termin�e )nbsp;avoit �teinc route haine entre les fujets denbsp;Charlemagne amp; les Vaflanx de d�Aigremont tnbsp;Ces trois fr�res avoient promis de Ih trouvetnbsp;aux environs de Paris, au commencetnen: du
36 nbsp;nbsp;nbsp;Les quatre fils
jnois fuivant, avec dix tnille combattans aux ordres du Roi. Le temps �toit arriv�; d�Ai-gremont avoit fait fes pr�paratifs; au lieu denbsp;dix mille, il avoit lev� quinze mille hommes,nbsp;les plus beaux de fes fujecs, amp; en donna lenbsp;commandeinent a G�rard amp; a Nanteuil, fesnbsp;fr�res, amp;, ayant pris avec lui deux cents Chevaliers, il dirigea fa route vers Paris. En ar-rivant a Soiffons, il vit venir a lui une troupenbsp;d�environ quatre mille hommes. II s�arr�ta.
Cette troupe �toit conduite par le traltre Ganelon. II avoit �t� t�moin de 1�aftion g�-n�reufe de 1�Empereur , lorfqu�il pardonna aunbsp;Due d�Aigremont. II regardoit ce pardonnbsp;comme une foiblefle de la part de Charles,nbsp;amp;, de la part du Due, comme une baflefle quinbsp;d�shonoroit fa familie : II �toit incapable denbsp;1�envifager fous un autre point de vue ; IInbsp;voulut les en punir 1�un amp; 1�autre; il �toitnbsp;leur parent; la haine les lui rendoit �galemencnbsp;odieux, il ne refpiroit que vengeance. N� brave , OU plut�t, f�roce amp; t�ra�raire , le partinbsp;le plus injulte �toit toujours celui qu�il em-braflbit. Paree qu�il �toit m�chant, il foup-5onnoit tous les hommes de i��tre; il ne voyoitnbsp;en eux que perfidie, amp; il n��toit occup� quenbsp;de projets de trahifon. II fepr�fenta a Charles,nbsp;accompagn� de Foulques de Morillon, denbsp;Harare amp; de Berenger. � Sire, lui dit-il, cenbsp;,, n'eft point a moi a bldmer 1�a�lion h�ro�quenbsp;� que vous avez faire a 1��gard de Beuves;nbsp;� II a �gorg� votre fils; vous ne vous con-)) tentez pas depardoiicer} vous lui permettez
-ocr page 43-d*Jymon. nbsp;nbsp;nbsp;37
gt;� un acc�s facile dans votre Cour; vous ac-jgt; ceptez fes fervices. Quel eft celui de vos gt;5 P^usfidelles fujets , que vous traiteriez plusnbsp;i'avorablement? Cependant, Sire, s�il y a quel-qu�un qui doive vous �tre fufped;, c�eft Beu-gt;gt; yes, amp; fes fr�res Charles lui r�pondit qu�ilnbsp;lui fufiifoit d�avoir pardonn� , pour ne jamaisnbsp;revenir fur Ie pafle �, qu�a la v�rit� , Ie coupnbsp;que d�Aigremonc lui avoit port� , lui �toitnbsp;trop fenfible pour qu'il p�t jamais en faire fonnbsp;umi; mais aufli, que, plus Ie pardon qu�il avoitnbsp;accord� avoit repugn� � fon cceur paternel#nbsp;amp; plus il �toit r�folu de foutenir ce qu�il avoitnbsp;fait. � Prince g�n�reux amp; confiant, s��cria Ienbsp;traitre, depuisquand la bienfaifance a-t-ellenbsp;,, acquis des droits fur Ie cmur du m�chant ?nbsp;�) Eh bien ! apprenez que d�Aigremont vousnbsp;j� trahit encore. J�ai furpris fon feciet; un denbsp;��fes Chevaliers, que j�ai vaincu, m�a toutnbsp;,, avou�, en mourant. Beuves n�a eu recoursnbsp;,, a la foumiffion, que paree qu�il s�efl; trouv�nbsp;j) Ie plus foible ; il favoit bien que vous luinbsp;j, pardonneriez. II vous a offert de vous fervirnbsp;�, avec dix mille hommes; il en a raliembl�nbsp;j, quinze mille ; il vous fuivra dans vos con-� qu�tes, vous en obtiendrez des fervices ef-y, fentiels, afin de mieux s�aflurer de votrenbsp;� confiance; mais, lorfque vous engagerez quel-que aftion g�n�rale, lorfque vos troupes fe-ront occupees a 1�attaque de 1�ennemi, dansnbsp;gt;5 Ie moment o�, fongeant plus a votre gloirenbsp;qu�a votre furet�, vous leur donnerezl�exem-I) ple de la valeur i tremblez : C�eft 1�inftant
-ocr page 44-;8
Zei quatre fils
f, qa�il a choifipour ia vengeance. II aprojet� � cie vous enlever, au milieu de votre avm�e ;
des ordres fecrets font donn�s a fes trou-f, pes. A un certain fignal, dix mille hoin-5, mes doivent fe r�unir amp; tournet leurs ar-), mes contre vos foldats; des transfuges aver-� tiront 1�ennemi; Ie d�lbrdre fe mettra dans votre armee, qui ne pourra pas s�occuper,nbsp;,, en m�me temps, de fa d�fenfe amp; de lanbsp;,, v�tre; dans cecte d'�route, cinq mille hom-� mes, conduits par Beuves, doivent vousnbsp;�entourer, amp; vos troupes, qui ne ferontnbsp;,, point pr�venues de cecte trahifon , s�ima-� ginant que ce corps eft deftin� d faire vo-,, tre^ retraite, loin de s�oppofer a leurs ef-� forts, les feconderont. Tel eft Ie plan quenbsp;d�Aigremont s�eft propof�. Si vous vouleznbsp;5, m�en croire , Sire, vous Ie pr�viendrez;nbsp;� vous oppoferez la rufe a la rufe. D�Aigre-,, mont a pris Ie devant de fon arm�e; il n�eftnbsp;efcort� que de deux cents Chevaliers : Sinbsp;vous me Ie permettez, je Ie -mettrai horsnbsp;� d��tat d�accomplir jamais fon execrable deft-,, fein. Non, r�pondit Charles, la perfidie denbsp;,, d'Aigremont n�autorifera jamais la mienne.nbsp;� Si les avis que vous me donnez font juf-�tes, 11 me fera aif� de rendre fa trahifonnbsp;� inutile; un complot d�couverc ceffe d��trenbsp;,, dangereux. Allez, vous-m�me, au devant denbsp;,, Beuves, ne prenez, avec vous, qu�une fuitenbsp;� �gale a la fienne, recevez-!e av�c honneurnbsp;,, amp; accompagnez-le jufqu�a Paris : Vous luinbsp;� direz que j�ai uneenti�re confiance en lui^
-ocr page 45-d'Ay man. nbsp;nbsp;nbsp;39
,, Sc que je fuis pr�c a Ie recevoir. De bon c�t�, profitant des avis que vous me don-igt; nez , je Ie ferai veiller de pr�s, Sz je fassnbsp;�� bi�n Ie moyen de faire �chouer fes projets.
Ganelon fe retira, en proteftant a Charlemagne qu�il ne confulteroit que fon z�le. Ce perfide �toit, depuis long-temps, 1'ennemi denbsp;d�Aigremonr �, il avoir f�duit une fille de Nan-teuil, amp; Pavoit engag�e a quitter la maifonnbsp;paternelle; Nanteuil 1�arracha de fes bras,
amp;, fur Ie refus que fit Ie ravifleur de 1��pou-fer, il Ie d�fia, lebleffa, levainquit, amp; ren-ferma fa fille dans une tour, o� elle pleuroit encore fa honte amp; la perfidie de fon amant.
D�s Ie point du jour , Ganelon partit, � la t�te de quatre mille combattans, br�lantnbsp;d�impatience de rencontrer fon ennemi. �nnbsp;feeree prefTentiment jeta Peffroi dansl�ame denbsp;Beuves, lorfqu�il apergut les troupes de 1�Em-pereur. Le pardon g�n�reux de Charles, lesnbsp;efforts que les trois fr�res fe propofoient denbsp;tenter pour lui faire oublier le crime de d�Ai-gremont, ne rendoient pas celui-ci exempt denbsp;remords amp; d�inqui�tude : II fe raffure cepen-dant, il avance ; les deux troupes ne fontnbsp;qu�a q�elques pas Pune de Pautre. Morillonnbsp;s�approche, amp;, s�adreffant � d'Aigremont :nbsp;5, Traitre, lui dit-il, void le moment de lanbsp;�vengeance; Charles t�a pardonn�, mais tunbsp;� dois compte a fes Sujets du Prince que tunbsp;jgt; leur as ravl,,, Th t� fers d�un vrai pf�texte,nbsp;� r�pondit le Due; c�eft Ganelon que tu veuxnbsp;,� venger, amp; non pas Charles amp; fes f�jets. Je
-ocr page 46-40 nbsp;nbsp;nbsp;Les quatre fils
,, connois les Francois; ilsregarderoient com-,, me une infamie , d�avoir des fentimens op-,, pof�s a ceiix de leur Souverain, furtout lorf-qu�il s�agit de g�n�rofit�. Non, Charles amp; ,, tes Compatriotes d�favouent ta d�loyaut�;nbsp;� Ganelon U tol les d�shonorenc.
II parloi: encore, que Ganelon donna Ie fjgnal du combat; fa troupe fe d�ploye amp;nbsp;cherche a envelopper celle de Beuves; ellenbsp;n��toit que de deux cents hommes; mals cha-que combattant �toit un h�ros. Ganelon portanbsp;fes premiers coups, amp; �tendit a fes j^iedsnbsp;Reigner, coufin du Due. Beuves voulut Ienbsp;venger; il affronte les plus grands dangers;nbsp;fuivi de fes deux cents Chevaliers, il s��-lance fur la troupe k en maflacre une partie.nbsp;Tandis qu�il les attaque de front, amp; que Ganelon lui r�fifte k peine, Morillon fonne unnbsp;detachement de mille hommes, gagne un che-min creux, amp; fe porte fur les derri�res de Ia petite troupe de Beuves, pour lui couperlecheminnbsp;de la retraite. En effet, Ie Due fevoyapt accabl�nbsp;par Ie nombre, amp; ayant d�ja perdu vingt-cinqnbsp;combattans, veut fe retirer : Mais Morillonnbsp;s�oppofe a fa fuite. Le combat recommence, Ienbsp;Due, amp; les foixante amp; quinze Chevaliers quinbsp;iui reftoient, jur�rent de fe d�fendre jufqu�anbsp;la derni�re goutte de leur fang, amp;, furtout,nbsp;de ne pas fe rendre prifonniers. Chacun d�euxnbsp;eft comme un tigre, qui, fe voyant attaqu� denbsp;tousc�t�s, combat moinspour fauverfa viequenbsp;pour enrrainer les chafleurs dans fa perte. lisnbsp;ne frappent aucun coup qui ne foic mortel j
-ocr page 47-la rage leuf tient lieu de valeur; la vue du fang excite en eux 1�envie de le r�pandre; leursnbsp;chevaux fecondent leur fureur, aucun foldatnbsp;n�efl: renverf�, qvi�il ne foit �craf� fous leursnbsp;pieds. C�eft,furtout, auxChefs qu�ils s�atta-chent; Us percent les bataillons pour les join-dre^ ils firent mordre la pouffi�rea plufieurs;nbsp;Beuves tua du m�me coup H�lie amp; Godefroid;nbsp;Morillon alloit fubir le m�me fort; Griffonnbsp;de Haute-Feuille l�aper9oit, d�tourne 1��p�enbsp;du Due amp; bleffe fon cheval, qui chanc�le ynbsp;tombe amp; entraine d�Aigremont dans fa chute.nbsp;Le perfide Ganelon s��lance, amp; ne rougit pasnbsp;d�enfoncer fa lance dans le corps de d�Aigremont; Griffon, plus Idche encore, le prendnbsp;pat les cheveux, le foul�ve, amp; perce fon emurnbsp;d�un coup d��p�e. 11 ne reftoit plus que dixnbsp;Chevaliers de la troupe de Beuves; Ganelonnbsp;amp; Griffon s�approchent d�eux, amp; leur propo-fent de leut laifler la vie , a condition qu�ilsnbsp;poiteront le corps du Due d�Aigremont dansnbsp;un cercueil,comtne il avoir fait porter Lothairenbsp;a Paris. Les Chevaliers refuf�rent d�abord,nbsp;amp; dirent qu�ils avoient promis de combat-tre jufqu�au dernier moment de leur vie; Ganelon fait figne i fes foldats, amp;, dans Pinftant,nbsp;ils fe jettent fur les Chevaliers, les renver-fent, les d�farment amp; viennent k bout, apr�snbsp;bien des efforts, de les lier pieds amp; mains;nbsp;les Chevaliers auroient pr�f�r� une mort glo-lieufe a des fers; on les menace, on tientnbsp;le glaive fufpendu fur leurs t�tes. Ganelonnbsp;leur annonce que, s�ils s�obftinent k lefufer
-ocr page 48-4^ nbsp;nbsp;nbsp;I-^s quatre fils
la vie, il va faire attacher ie cadavre de Heaves i un cheval, amp; Ie faire trainer ainfi, nu, jufqu�a Aigremont; qa�ils peuvent encore fau-ver de eet affront les reftes de leur Souve-rain, en acceptant la condition qu�il leur innpo-foit. Les Chevaliers Ie promirent par amournbsp;pour leur Prince, a condition qu�ils ne feroientnbsp;point cenfes prifonniers de guerre , amp; qu'ilsnbsp;feroient libres de propofer le combat a Gane-lon amp; a fes complices, qu�ils d�fioient d�s cenbsp;moment. Ganelon rit de leur bravoure amp; lesnbsp;fit d�lier. Mais les dix Chevaliers, qui le re-gardoient comme le feul alfteur du crime, n�ennbsp;remplirent pas moins lenrs engagemens, quandnbsp;iiS eurent rapport� le corps fanglanc de leutnbsp;maitre, �i la Duehefle. 11s la firent pr�venir,nbsp;amp; elle Vint au devant d�eux , avec Maugisnbsp;fon fils; elle pouvoit � peine fe foutenir: D�snbsp;qu�elle aper9ut le cercueil, elle s��vanouit;nbsp;rnais bient�t, la col�re lui rendant les forcesnbsp;que la douleur lui avoir faic�perdre, elle prendnbsp;fon fils par la main, fait �ter les lambeauxnbsp;fanglans qui enveloppoient le corps de fonnbsp;�poux;,, Jure avec moi, mon fils , lui dit-elle,nbsp;�jure paree fang,le m�me qui coule dansnbsp;� tes veines, que tu n�epargneras rien pour lenbsp;� venger. Initi� dans des fecrets inconnus aunbsp;� refte des humains, promets, t la face dunbsp;�del, que, s�il eft fourd k ta vengeance,nbsp;� tu auras recours aux ombres infernales. IInbsp;� ne peut d�fapprouver qu�une �poufe amp; qu�unnbsp;� fils fe fervent de tous les moyens pour punitnbsp;� des perfides qui, contre foi publique, ont
-ocr page 49-n ravile jouraunp�re tendre, aunepoux.
Elle ne put en dire davantageMaugis le fou-tenoic d�une main, amp; juroit, de 1�autre, d0 lempHr le vceu de fa m�re. II prit le Ciel inbsp;temoin de fes fermens; 11 prit du fang de foDnbsp;pete, qui couloir encore, amp;, le jetant en Pair �nbsp;qu�il retombe , dit-il, fur fes ennemis. En-fuite , embraflant fa m�re, 11 inondoit fonnbsp;fein de fes larmes, la chaleur de fes foupirsnbsp;la rappela a. la vie ; foible amp; languiflante,nbsp;a peine pouvoit-elle fo�tqnir le jonr. On lanbsp;mit dans un char; fon fils 1�accompagna au Chateau d�A,igremont, tl^bu elle ne fortit quenbsp;pour aller r�pandre de nouvelles larmes fur lenbsp;tombeau de fon �poux.
Ganelon amp; Griffon fon p�re, retourn�rent triomphans a la Cour de Charlemagne, quinbsp;les reput avec indignation. Le perfide Ganelonnbsp;tenoit dans fes mains 1��p�e deBeuvesi 11 fenbsp;profterne aux genoux de I�Empeieur, amp;, eanbsp;lui pr�fentant P�p�e; ,, Sire, dit-il, voil�, lenbsp;� fer avec lequel d�Aigremont a tu� Lothaire,nbsp;,, fi vous me croyez coupable pour vous avoirnbsp;,, d�fob�i, frappez, voil� mon fein; mais quenbsp;,, tout 1�univers apprenne que le plus tendrenbsp;,, des p�res �ta la vie au plus fidelle de fesnbsp;�ferviteurs, pour avoir veng� la mort de fonnbsp;� fils, amp; qu�il le fit avec le m�me fer dont onnbsp;gt;5 ^oit ailaffin� fon Prince.
Charlemagne ne put foutenir cette id��; amp;, malgr� le fauf-conduit donn� a d�Aigre-mont, Griffon ,qui avoir perfuad� a Naimes,nbsp;amp; a la plupart des Seigneurs, que le Due avoit
-ocr page 50-44 nbsp;nbsp;nbsp;quatre fils
forme des complots contre le Roi, obcint la grace de fon fils.
Lorfque la douleur de Maugis fi.it un peu cal-m�e, amp; qu�il eut appris que Charlemagne avoic accord� fon pardon a Ganelon, il raflembla fesnbsp;parens amp; fes amis: II leur propofa de porternbsp;la guerre au fein des Etats de Charles; maisnbsp;fes troupes amp; fes finances fe trouv�rent dansnbsp;un fi grand �puifement, qu�il falluc renoncernbsp;a tout projet de vengeance, ou, du moins,nbsp;la difterer. Ils jur�rent tous de nourrir ce feunbsp;dans leur fein, amp; de faifir la premi�re occa-fion favorable qui fe*^pr�fenteroit. Renaud,nbsp;furtout, promit de ne pas laifler cette perfidienbsp;fans punition.
C H A P I T R E III.
Wynton reproche d Charlemagne Vimpunlt� du crime de Ganelon. ^udace de Renaud. Ilnbsp;tue, d'^un coup d^�chiquier, Berthelot, ne-veu de VEmpereur. Tulte de Renaud ^ denbsp;fiesfr�res, amp; de Maugis leur coufin.
ARLES avoir raffembl�, dans fa Cour, tous les Chevaliers de fes immenfes Etats. Ilnbsp;avoir envoy� un Ambafladeur a la Ducheflenbsp;d�Aigremont, amp; 1�avoit fait affurer , ainfi qu,enbsp;fes fr�res, qu�il n�avoit aucune part k la morenbsp;du Due ; qu�il n�avoit pu pr�voir que le z�lenbsp;de Ganelon fe porteroit a d�aufli funeftes ex-tr�mit�s; mais qu�il les fuppUoic de ne pas
-ocr page 51-trouver mauvais qu�il ne panic pas un de ft-s plus braves Chevaliers, pour I�avoir veng�.
11 les invitoit d�oublier le palle, amp; de venir i fa Cour. La Ducheffe repoudic que fa fran-chife ne lui permeitoic pas de diffimuler gt;nbsp;que, rant qu�elle auroit un fouffle de vie, ellenbsp;ne refpireroit que haine amp; vengeance; que,nbsp;ni elle , nl fon ills, ne paroltroient point anbsp;la Cour de Charles; mais qu�elle ne g�neroitnbsp;perfonne. Aymon amp; fes quaere fils promirentnbsp;de s�y rendre comme m�diateurs entre les fr�resnbsp;du �5uc amp;; le Roi, amp;, pour obtenir une fatis-faftion qui pCit appaifer le courroux de lanbsp;Duchefle.
On voyoit, a. la Cour de Charlemagne, ce que 1�Curope avoir de plus grand: On ynbsp;coraptoic quinzeRois, trenteDucs, quarantenbsp;Comtes, amp; un nombre infini -de Seigneurs.
II y avoir, chaque jour, de nouvelles fetes. Le Roi s�approcha, un jour, d�Aymon, amp; luinbsp;dit: � Mon coufin, quoique vous m�ayez aban-,, donn� au moment oii j�avois le plus grandnbsp;,, befoin de vous amp;. de vos enfans, je n�ainbsp;� pu vous en favoir mauvais gr�; d�Aigre-,, mont �toit votre fr�re amp; votre ami, vousnbsp;,, ne pouviez vous d�darer ni pour lui, ni pournbsp;j, raoi; je ne vous en aime pas moins, vosnbsp;5� enfans me feront toujours chers. J�aime, fur-�tout, Renaud , fon audace me plait; je lenbsp;,, deftine aux premiers emplois de ma Cour,nbsp;� amp; je n�oublierai point fes fr�res,,. Aymonnbsp;� remercia le Roi, amp; prit cette occafion poutnbsp;5, lui parler de la perfidie de Ganelon,,; II
-ocr page 52-ajonta, qu�il avoit �t� Ie premier A con-damner l�adl^on atroce de Beiives, qu�il m�ri-toit une punition exemplaire, amp; qu�il e�c du p�rir par Ie fupplice Ie plus infame:,, Mais,nbsp;� con:inua-r-il, apr�s lui avoir fait grace , luinbsp;,, tendrc un pi�ge pour I�affaffiner, c�eli unnbsp;,, crime prefqu�auffi odieux que celui donenbsp;� il s��toit rendu coupable Charlemagne re-jeta tour fur Ganelon. ,, Cela ne vous jullifienbsp;� pas , reprit Aymon; d�s que Ie crime vousnbsp;� a ct� connu, vous deviez Ie punir: Ce n'eftnbsp;,, ni pour G�rard mon fr�re, qui a tout ou-�bli�, ni pour moi, que je r�clame votrenbsp;�juftice, mais vous la- devez a 1��poufe denbsp;� d�Aigremont, a fon fils, a Punivers entier.nbsp;� Peuc-�tre, Sire, avez-vous mal fait de par-,, donner A mon fr�re, mais vous avez plusnbsp;�mal fait encore, de faire grAce a Ganelon,nbsp;� qui, fous pr�texte de z�le pour fon Prince,nbsp;� n�a fervi que fa haine particuli�re, amp; qui,nbsp;� en agiflantfous votra nom facr�, vous chargenbsp;,, d'un crime dont il recueille Ie fruit. Par-,, donnez, Sire, fi je vous parle avec cectenbsp;�franchife; 1�univers feroit bien a plaindre,nbsp;� fi les Rois ne trouvoient jamais des amis !
Charles fut touch� du difcours d�Aymon , mais il ne put jamais fe r�foudre A punir Ienbsp;coupable. Renaud amp; fes trois fr�res fe joi-gnirent a leur p�re, pour demander jufticenbsp;de la d�loyaut� de leur ennemi commun ;nbsp;mais Renaud , voyant qu�ils ne pouvoiencnbsp;rien obtenir, ofa dire A l�Empereur, que lesnbsp;fetmens des Seigneurs fuzerains, amp; de leurs
-ocr page 53-homtnes-ligss, �toient r�ciproques; '^ue� file Va�'al s�engageoit de fervir Ie Seigneur, lp Seigneur, a fon tour , faifoit Ie ferment taeite denbsp;prot�ger fon Vafla); que Ie ferment �toil nul ,nbsp;d�s -que la condition n��ioit point exacte-ment remplie, amp; que, puifque les parens denbsp;Beuves av^ient la force en main, Ie K-Oi�nbsp;en ne puniflant point leur oppreiVeur, leurnbsp;rendoit la libert� de recourir aux armes, pournbsp;Ie punir eux-m�mes.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;� � .
Charles fut indign� de tant d�audace: ,, �es-tu, jeune tcm�raire, lui dit-il, pournbsp;,, ofer juger les Rois? Je fais que Ie fermentnbsp;r, qui les lie a leur Peuple , les oblige de ienbsp;� prot�ger;. mals ton orgueil fe feroit-il flattenbsp;,, de lire dans l�ame des Souverains., de pou-� voir decider s�Hs ont tore, ou raifon, amp; d�
� p�n�trer leurs motifs ? Le dernier du peu-,, ple feroit done en droit de les aceufer d�in-,, jultice, d�s qu�il penfe autrement que lui.
,, Va, jeune infenf�, fans les �gards q,ue j�ai �encore pour ton p�re, j�aucois dsjd puninbsp;� tes propos f�ditieux. Garde-tod, cepeodant,nbsp;,, de les laifl�r �clater dans ma Cour, crainsnbsp;� de, me forcer a june rigueur, que tu ren-� drois n�ceiiaire.
Renaud s�inclina, rougit de col�re, amp;, dif-ficnulant fon refl'entiment, il demanda pardon au Roi, d�avoir of� lui dire la v�rite. Le Roinbsp;le letint a diner; amp;, quand tout le mondenbsp;fe fut lev� de table, Berthelot, neveu denbsp;Charles, propofa une partie d��checs d Re-aaud, qui 1�aecepta. 11 �toit plorg� dans la
-ocr page 54-48
Les quatre fils
triftefle; il avoir toujours fur Ie cceurla mort de d�Aigremont, amp; l�injure que Ganelon avoirnbsp;faire a fa familie. Le di�cours de Charles avoitnbsp;encore irrit� fa bleflure; en vain fes fr�resnbsp;faifoient-ils leurs efforts pour 1�appaifer. IInbsp;�toit dans ces cruelles agitations, lorfque Ber-thelot 1�engagea de jouer avec lui. Ses dif-traftions continuelles lui faifoient faire desnbsp;fautes groffi�res; Berthelot, au lieu d�en pro-fiter, s�en offenfa; il prit mal les excufes denbsp;Renaud, amp; lui r�pondit par des injures. Re-raud, fans lui rien dire, le regarda d�un ceilnbsp;de m�pris. Le Prince, furieux, ofa le frappernbsp;en pr�fence de plulieurs Chevaliers. L�impa-tient Renaud, ne pouvant plus le mod�rer,nbsp;faific r�chiquier, qui �toit d�or, amp; le jeta fi.nbsp;rudement a la t�te de Berthelot, qu�il 1��-tendit a fes pieds. Tout fecouvs devint inutile; le malheureux Prince expira, en avouantnbsp;qu�il avoit tort d�avoir infult� Renaud, en luinbsp;demandant pardon de eet outrage, amp; en luinbsp;accordant celui de fa mort.
Charlemagne �toit accouru au bruit. D�s qu�il apprit ce qui s��toit paff�, il ordonnanbsp;qu�on emp�chat Renaud de s��chapper, ju-rant de le faire p�rir dans les fupplices. Lesnbsp;Pairs amp; les Barons mettent 1��p�e a la main,nbsp;amp; veulent arr�ter le jeune Chevalier; maisnbsp;les fr�res de d'Aigremont, leurs fils, amp; Maii-gis, fe tangent du c�t� de Renaud : Second�nbsp;de fes fr�res, il s�ouvre un paflage ; Maugisnbsp;amp; les quatre fils d�Aymon, dont la prudencenbsp;�claire la valeur, fortent du Palais, trav�r-
fent
-ocr page 55-fent la ville par des rues d�courn�es ^ amp; prep-nent le chemin des Ardennes. Charles fit armer^ deux tnille Cavaliers pour courir apr�s eux; mais les Princes, facrifiant tout a leurnbsp;furet� , ^ ne s�arr�tent que lorfque leurs che-;vaux, �puif�s de fatigue, tombent fous eux.nbsp;Les deux mille Cavaliers avoient form� unenbsp;avant-garde de 1��lite de leur troupe. Rsnaud,nbsp;niont� fur Bayard, qui ne fe fatiguoit jamais,nbsp;s��tant port� fur une hauteur, vit arciver cettenbsp;avant-garde : II avertic fes fr�res, amp; Maugis ,nbsp;du danger qui les mena9oit; ils fiiifirent leursnbsp;armes amp; attendirent de pied ferme. Ils s��-toient aper^us que cette petite troupe ne gar-rnbsp;doit aucun ordre , amp; que ceux qui �toient lesnbsp;mieux mont�s,' cherchoient a devancer lesnbsp;autres; chacun vouloit pouvoir fe vanter �,nbsp;Charles d�avoir arr�t�, feul, Renaud, ou quel-qu�un de fes fr�res ; Le plus l�ger de la troupenbsp;1�avoit d�vanc�e de pr�s de derai-lieue. Renaud le voyant venir, fe place fur fon che-min : � Rendez-Vous, lui dit le Cavalier, vousnbsp;� �tes mon prifonnier �. Renaud ^ fans luinbsp;,, r�pondre, 1�attaque , amp;, d�un coup de lance,nbsp;,, le renverle, amp; lui ote la vie. Voila d�jinbsp;un cheval pour vous, dit-il a.Alard fon fr�re.nbsp;Un fecond Cavalier furvint, il avoir la lancenbsp;en arr�t amp; meiiaqoit Renaud de le percer, s�ilnbsp;fe rendoit point. Renaud d�tourne le fer denbsp;la lance, amp;, le perce d�outre en outre; il le jettenbsp;a terre, amp; ^ faififlant fon cheval, il dit a Gui--chard; En void encore un pour vous. Un troi-fi�me Cavalier, quj voyoit ce combat, redou-
-ocr page 56-go nbsp;nbsp;nbsp;tes quatre fils
ble de v'tefTe, amp; s�ecrie de loin, enfin, j e poufiai conduire Renaud a Charlemagne. Voila le dernier menfonge que tu diras de ta vie, r�pond lenbsp;fils d�Aj^mon; il s��lance fur lui amp; le fait voler ,nbsp;fans vie , a dix pas de fon cheval, qu�il faifit,nbsp;amp; qu�il donne a Richard. Les momens �toientnbsp;pr�cieux, la troupe approchoit, les trois fr�les �toient mont�s: II ne reftoit queMaugis,nbsp;Renaud le fit monter en croupe fur Bayard,nbsp;ils partirent, amp;, dans tin moment, ils dif-parurent aux yeux des Cavaliers de Charlemagne. La nuir furvint, amp;, a la faveur denbsp;fon ombre, ils arriv�rent dans le chateaunbsp;d�Aymon. Leur mere vint au devant d�eux.nbsp;Renaud lui raeonta ce qui s��toic pafle a lanbsp;Cour de Charlemagne ;� elle en fut effray�e,nbsp;amp; tomba �vanouie dans les bras de fon fils.nbsp;Ah ! cruel, dit-elle a Renaud , vous nousnbsp;perdez tous; votre p�re amp; moi, aliens �trenbsp;livr�s a la fureur de Charles ; Fuyez, pre-nez tout Tor que vous pourrez emporter ;nbsp;j,, n�attendez pas que votre p�re foit de re-,, tour, amp; que le Roi le force, peut-�tre, anbsp;,, vous livrer. Ces deux mille Cavaliers, quinbsp;vous pourfuivent, ne peuvent point �trenbsp;,, �loign�s; quel que foit votre courage, lenbsp;nombre vous accablera comme il a accabl�nbsp;d�Aigremont. Ah! mesfils, fuyez, je vousnbsp;en conjure; n�expofez point votre m�re �nbsp;� vous voir arracher tous fanglans de fes foi-� bles bras.
Renaud amp; fes fr�res fuivirent ce fage con-feil, ils prirent tout I�or que leur mere vou-
-ocr page 57-lut le�r donner �, amp;, avant qne Ie jour pa-rdt, ils s�enfonc.�rent dans la for�t d�Ardenne,
amp; ne s�arr�c�rent que fur Ie bord de la Meu-fe; ils choi�rent l�emplacement Ie plus propre i leur deffein. Ils y �lev�renc un chateau formidable fur un rocher efcarp�, dont Ie pie_dnbsp;�toit arrof� par Ie fleuve. Des forts �lev�snbsp;autour du chiteau, �toienc entour�s d�uo foff�nbsp;large amp; profond, d�fendu par^d'autres fortifications : lis 1�appel�renc Ie chateau de Moiic~nbsp;fort.
Cependant, Ie Roi fit arr�ter Aymon, qui condamnoit l�aftion de fon fils, amp; qui �toitnbsp;d�fol�. 11 protefia au Roi, que, bien loin d�etre fon complice, il feroir Ie premier a l�ennbsp;punir. Charles vouloit lui faire jurer qu�ii luinbsp;livreroit fes enfans. Aymon refufa de faire cenbsp;ferment d�teftable; mais il promit de ne leurnbsp;donner jamais aide ni fecours contre fon Sou-verain. A cett� condition, il lui fut permisnbsp;de retourner chez lui, o� fon �poufe lui ap-prit ce qu��toient devenus fes quatre fils:nbsp;Quelque courrouc� qu�il fut contre eux, ilnbsp;ne lui^fut pas polfible de diffimuler fa joie,nbsp;lorfqu�ii fut qu�ils �toient en furet�. Pout nenbsp;laifl'er aucun foup^on k Charlemagne, il vinenbsp;Ie rejoindre, amp; fe meitre, pour ainfi dire, ennbsp;otage dans fa Cour.
Les'quaere fils
CHAPITRE IV.
SUgt da Champ;teau de Montfon: Avant-gardt dc Charlemagne taill�e en pieces. Bataille fan-glante : Trahifon de Hernier de la Seine,nbsp;qui introduit les Francois dans le Chdteau ,nbsp;amp; y met le feu : Combat au milieu des fatiiquot;nbsp;mes; vicioire des quatre fils d�Aymon.
X-/ESdeux mille hommes que Charlemagne avoir envoy�s b. la pourfuite de Renaud amp; denbsp;fes fr�res, ayant rapport� que, -non feule-ment, on n�avoit pas pu les prendre, maisnbsp;encore que Renaud avoir tu� trois Cavaliers,nbsp;amp; qu�ils avoient pris les chevaux des vaincus,nbsp;le Roi envoya de tons c�r�s, pour fa voir oiinbsp;les quatre fr�res s��toient retir�s. On lui ditnbsp;qu�ils s��toient arr�t�s fur les bords de lanbsp;Meufe, amp; qu�ils y avoient conftruit un cha^nbsp;teau redoutabl�. Auffi-t�t, il convoqua tousnbsp;les Chevaliers', les Barons, les Pairs amp; tousnbsp;les Seigneurs'de fes Etats, amp; leur ordonnanbsp;dB fe tenir pr�ts pour aller faire Ie fi�ge dunbsp;chateau de Montfort. Charlemagne fit denbsp;grands pr�paratifs; amp;, lorfque routes fes troupes furent afl�mbl�es, on fe rendit, en peunbsp;de jours, dansles Ardennes, amp; 1�avant-gardenbsp;fe trouva fotis les mtirs du Chateau. Cettenbsp;avant-garde �toit comrnamp;nd�e par Regnier denbsp;Montpellier; elle parut au moment que Richard , Alard amp; Guichard, revenoient de la
-ocr page 59-chai�e; ils avolent, avec eux� vingt Cavaliers. Richard , ne pouvant pas diftinguer quellenbsp;etoir cecte troupe, la fit remarquer a Guichard.
11s fe doutoient bien que Charlemagne vien-droit les affi�ger; mals ils ne croyoient pas que ce ffit fi prompuement. Richard , impatient, s�avance amp; demande a Regnier quellenbsp;eft la troupe qu�il conduit ? ,, C�eft, dit Re-gt;�gnier, 1�avant-garde de Parmee du Roi denbsp;�France, qui vient faire le fiege du chateaunbsp;� de Montfort, que les fils d�Aymon ont faitnbsp;� clever, amp; ou ils fe font retir�s. Vous voyez,
� reprit Richard, un foldat de Renaud, vous 5� pouvez rapporcer a votre Maitre, que lenbsp;,, Chateau eft pourvu d�hommes amp; de vivres,
,, amp; que nous fommes d�termin�s de nous en-,gt; terper fous fes ruines, plut�t que de nous ven-� dre, Ce ne fera pas toi, du raoins, dit Regnier,
�gt; qui defendras Montfort En difant ces inors, il met fa lance en arr�t. Richard lenbsp;laiffe apprbcher, �vite le fer, amp;� d�un coupnbsp;d��p�e, le jette expiratie fur la piouffiere, fai-fit fon cheval amp; 1�envoye a Renaud. Ce combat particulier fut le fignal d�une bataille fan-glante. Renaud, dans ce moment, exercoitnbsp;fes troupes, elks fe trouv�rent fous les armes,nbsp;lorfqu�on lui amena le cheval de Regnier; ilnbsp;fc mit a leur t�te, amp; arriva au moment ounbsp;Rs troupes-(^2 1�avant-garde fe metcoient ennbsp;. mouvement pour venger leur General. Le premier choc fut tr�s-irop�tueux; mais, outrenbsp;la fuperiorit� du nombre , Parmee du filsnbsp;d�Aymon �toit ftaiche amp; repofee, amp; le G�-
y4
Les quatre fils
n�ral, fecond� de' Richard, ne trouva aucun .adverfaire digne de lui ; Cette avant-garde ,nbsp;qui �toit de dix mille hommes, fut mife ennbsp;d�route, amp; prefqu�enti�remenc pa�ee au filnbsp;de 1��p�e.
Charlemagne, qui avoit cru venir � une conqu�ce aif�e, fut au d�fefpoir en apprenantnbsp;la perte de fes troupes, amp; Ie butin immenfenbsp;que Renaud avoit fait, amp; qu�il avoit conduitnbsp;a Montfort. II fut, furtout, fach� de la pertenbsp;de Regnier. Oger lui raconta qu�il avoit vive-ment pourfuivi Richard apr�s la bataille, maisnbsp;qu�il s��toit retir� dans Ie Chateau amp; qu�ilnbsp;avoit fait lever les ponts; que Ie Chateau luinbsp;paroiflbit iraprenable, tant du c�t� de Ia Meufenbsp;que de celui de terre. Le Roi voulut Ie reconnoitre par lui-m�me; il ie fit inveftir, Scnbsp;en fit le tour : II convint que cette Placenbsp;�toit tr�s-bien fortifi�e, Sc que le fi�ge feroicnbsp;tr�s-long; il d�clara, en m�me temps, qu�ilnbsp;lie reviendroit point en France qu�il n'e�t lesnbsp;fils d�Ayraon en fon pouvoir. Sa col�re �toitnbsp;fi vive, qu�il jura de faire p�rir par les fup-plices, Maugis, Renaud Sc Richard dans Mont-fort m�me. II protetta qu�il n�accorderoitnbsp;jamais fa grace a Maugis, qui avoit jur�, parnbsp;le fang de fon p�re, de venger fa mort. II fitnbsp;camper fon arm�e autour du Chateau, Sc fitnbsp;mettre a fon pavilion, une pierre pr�cieufenbsp;qui fervoit de fanal pendant la nuit, Sc unenbsp;pomme d�or d�un prix exceffif. Lorfque routes les rentes furent dreflees, il fit venir Nai-.nbsp;�iss, Sc lui ordonna de faire publier, dans tout
-ocr page 61-d'Ayfnon. nbsp;nbsp;nbsp;55
camp, que perfonne n�en fortlt, ni ne
* �* �quot; - ----- rcij-nnrs*
Ie
montat a cheval, jufqu�a ce queles iecours, qu�il alloit demander, fuflent arnj�s de t ranee. Ganelon propofa au Roi d�offrir la paixnbsp;Renaud, a condition qu�il livreroic Richarnbsp;fon fr�re, amp; Maugis. Charles, po'Hnbsp;guerre, y confentit; amp; Naimes amp;. Oger furnbsp;charg�s d�en faire la propofition. Ils ie preien-t�rent 4 Alard, amp; lui dirent qu�ils etoient en-voy�s vers Renaud pour terminer la guerre.
On les introduiiit aupr�s de lui. Renaud les re^ut avec amiti�; mais, lorfqu�il entenditnbsp;que Ie Roi lui propofoit d'envoyer fon fverenbsp;amp; Maugis a difcr�tion, amp; que, s�il refufoitnbsp;de les livrer, Charles lui d�claroit que la guerrenbsp;ne finiroit que par ie fupplice des quatre fr�les, Renaud s�eroporta, amp; dit a Naimes; � Jenbsp;,, refpe�le les liens qui m�uniflent a vous; fansnbsp;� cecte confid�ration, vous m�auriez outragenbsp;,, pour la derni�re fois. Quoi! Naimes, vous,
� mon alli�, mon amivous, qui devriez vous � armer pour ma d�fenfe, vous ofez me pr�-�pofer, fans rougir, une Ikhet� que je faisnbsp;r, bien que vous n�approuvez pas'. AUez: di-�tes �. votre Muitte que je crains peu fesnbsp;,, menaces; que je puis compter fur mes trou-,, pes, 8i que Ie dernier de mes foWats pr�-,, f�rera la mort a la honte de fe rendre Ennbsp;tn�me temps, il prit Oger amp; Naimes par lanbsp;main, leur fit voir les troupes rang�es fur lanbsp;place, les conduilit dans fes magafins, amp; leurnbsp;montra-les rues de Montfort remp�es de faf-oines. Voila notre derni�re reflburce, dit-il,
56
Les quatre fils
�fi, par quelqu��v�nement, que je ne pr�-� vois point, Ie Roi fe rendoit maitre de la � citadelle, chaque habitant a jure de mettrenbsp;,, Ie feu a ces fafcines, content de r�duire lanbsp;,, villeen cendres,amp; dep�rir avecelle,pouminbsp;� qu�il priv� Charles de fa conqu�te.
Oger amp; Naimes reprirent, a la hate, Ie che-min du camp, amp; dirent, mot a mot, a Charles ce dont Renaud les avoit charg�s. LeRoi, �tonn� de tant d�audace, fr�mit de col�re :nbsp;11 ordonna un ali'aut g�n�ral; on attaqua troisnbsp;portes a la fois. Renaud, qui, fans rien rif-quer, avoit la facilit� de pouvoir faire desnbsp;forties contre 1�ennemi, au moyen d�une fauf-fe-porte perc�e dans Ie rochet, voyoit toutesnbsp;les manoeuvres du camp de Charles. II fit mettre toutes fes troupes fous les armes amp; attenditnbsp;que les aflaillans fuffent bien fatigues; lorf-qu'il crut Ie moment favorable, i� fit baiflernbsp;les ponts amp; avancer Samfon de Bordeaux avecnbsp;cent Cavaliers: Apr�s avoir embralf� Richardnbsp;amp; fes fr�res, il les pria de d�ployer leurs di-vifions dans la plaine, �. la faveur de la troupenbsp;de Samfon. Comme les Francois entouroientnbsp;la ville, ils n��toient en force nulle part; Re-naud profita de cette circonftance, 8c, ayantnbsp;fait filer fes foldats par la fautfe-porte, ils fenbsp;trouv�rent rang�s en bataille avant que Charles put favoir qu�ils projetoient une fortie. Richard en vouloit, furtout, au Comte d�E-tampes, qui avoit fucc�d� a Regnier dans Ienbsp;commandement de 1�avant-garde. Les quatrenbsp;fr�res, en bon ordre, fe jet�rent dans Ie camp
-ocr page 63-da Roi, renverf�rent les rentes� amp; pafl�rent au fil de l��p�e tour ce qui s�y rencontra. Re-naud, mont� fur 1�infatigable Bayard, par-couroit Ie camp avec la vitefl'e de la foudrenbsp;amp; y caufoir les m�mes ravages. Charlemagne,nbsp;qui dirigeoit une des principales attaques denbsp;la Place, ayant appris que les ennemis pil-loient amp; ravageoieht Ie cairip, rappela fesnbsp;troupes; mais, avanc qu�elles fuflent raffem-bl�es, Renaud, ayant r�uni les fiennes, mitnbsp;Ie feu dans tout Ie camp, amp;, tandis que lanbsp;flamme d�voroit hommes, rentes, chevaux amp;nbsp;fourrages, 11 attaqua Ie gros de 1�arm�e denbsp;Charlemagne ; Mais, 6 honte 1 il tvouve,nbsp;devanc lui, Ie vieux Aymon fon p�re; il nenbsp;put 1��viter; il baiffa fes armes, amp; dit a fesnbsp;fr�res de Ie refpefter. � O mon p�re 1 lui dit-il,nbsp;� Pair qu�on refpire a la Cour des Rois, eft-ilnbsp;� fi empoifonn�, qu�il ait �teint en vous toutnbsp;,, fentiment d�honneur amp; de tendrefle ? Vousnbsp;,, ne vous �ces pas content� de nous exclur�nbsp;5, de 1�h�ritage de nos p�res; complice de Char-,, les, qui en veut a nos jours, vous veneznbsp;j, Paider a nous enlever notre dernier afylelnbsp;9, Quel crime avons-nous commis contre vous?nbsp;,, Parens du Roi, au m�me d�gr� que ce Ber-,, thelot qui attaqua mon honneur amp; ma vie ,nbsp;gt;, je n�ai fait qu�oppofer la force a la force *,nbsp;�gt; s�ll a fuccomb�, il n�a eu que le fort or-� ^i^^rite d�un t�m�raire agrel�eur. Que Charlies foit aflez injufte pour vouloir le venger,nbsp;,, c^eft a nous de nous d�fendre; mais qu�ilnbsp;gt;, VOUS metre a la t�te de nos ennemis, c�eft
gB nbsp;nbsp;nbsp;�^5 qmtre fils
,, une lachet� indigne d�un grand Roi, paree � qu�il fait bien que vous ponrrez nous frap-,, per iinpun�tnenc. Et vous, mon p�re, denbsp;� quel nom appeler votre d�f�rence a fes or-j, dres ? Les hommes n�en out pas encorenbsp;,, trouv�, pour exprimer certains outrages fairsnbsp;� a la nature.
Ce reproche fit rougir Aymon, qui mit au-tanc de diligence a fe retirer, que Renaud auroic mis de foin a 1��viter, s�il eut cru lenbsp;rencontrer. Comme les troupes que conduifoitnbsp;Aymon, �roient celles du Roi, Renaud nenbsp;les m�nagea point; il pafla les derniers rangsnbsp;au fil de l��p�e; il vit venir a lui Charlemagne, accompagn� d�Aubry, d�Oger, du Comtenbsp;Henri, de Foulques de Morillon. Il rallie,nbsp;auffi-t�t, fes troupes, amp; attend de pied fermenbsp;1�arm�e fran^oife. Thierry ofa marcher, le premier, contre Renaud. Alard I�apergoit; il te-noit, dans le moment, le fer d�une lance, ilnbsp;en frappe Thierry amp; le jette mott aux piedsnbsp;de fon cheval. Thierry �toit 1�ami du vieuxnbsp;Aymon, qui, ne pouvant fe venger fur fonnbsp;His, abattit la t�te d�un des Chevaliers denbsp;Renaud. Celui-ci modera fa fureur, amp; s�ecrianbsp;feulement : � Oh I ngt;a ra�re, quelle fera vo-
tre douleur, lorfque vous apprendrez que � votre �poux fait la guerre a fes enfans � ?nbsp;Foulques de Morillon renfor^a la troupe dunbsp;Roi, amp;, relevant le courage abattu des Francois, il les conduifit au plus fort du combat.nbsp;H�arm�e de Renaud h�fita un moment, amp; re-cuia j Alard s�apercut de ce mouvement j il
-ocr page 65-d^Aymon. nbsp;nbsp;nbsp;�0
pretid, avec lui, cinquante Cavaliers, fe mee a la t�te de 1�aile que Morillon avoit �branl�e,nbsp;fe pr�cipite fur les Frangois, les prefle, lesnbsp;�cart�, amp; fait volet autant de t�tes qu�il e;xnbsp;frappe �, de fon c�t�, Renaud infpire Ie cou-r^ie aux Chevaliers qui 1�entourent; aucunnbsp;coup ne porte a faux; les �pis ne font pasnbsp;plus de r�fiflance au fl�au qui les �crafe;
Ie fang ruiff�le de toutes parts, les g�mifle-�uens des blelf�s, les cris des mouvans , les henniflemens des chevaux, excitent la fureurnbsp;descombattans. Totis s��gorgent, ou cherchentnbsp;d s��gotger , fans aucune diftindion d�amis ,nbsp;de parens, ou de compatriotes. Yon de Saint-Omer eft frapp� par Guyon, abattu, a fon tour,nbsp;par Guichard : Celui-ci fe faifit de fon che-val, pour en faire pt�fent a Renaud, qui,nbsp;deptiis long-temps, avoit d��r� de ie donnernbsp;pour compagnon a Bayard. Renaud rencontranbsp;encore Aymon dans la m�lee ; lis s�arr�c�rentnbsp;amp; furent un moment immobiles; tandis quenbsp;Ie fils Ie prioit de fe retirer, amp; qu�Aymonnbsp;1�exhortoit debien prendre fes pr�cautionspournbsp;ne pas tomber entre les mains de Charles,nbsp;qui avoit jure fa mort, un Chevalier, nomm�nbsp;Gaymar, vinrattaquer Ie jeune h�ros; il quittanbsp;brufquement fon p�te, amp; fit tomber la t�tenbsp;de Gaymar fur l�ar^on de la felle d�Aymon.nbsp;Ce vieux guertier, t�moin de la fureur denbsp;fon ills, fe retira. Charles, de fon c�t�, voyantnbsp;que la fortune lui �toit contraire , avoit d�janbsp;ordonn� la retraite , lorfque Bernard de Bourgogne �tendic,aux piedsde Renaud, Simon
Ie B�atnois, intiuie ami de Richard. Les qua-tre fr�res fe r�unirent, amp;, fondanc, tous en-femble, fur les troupes du Roi, recommen-c�renc Ie carnage : Renaud tua , ce jour-la , de fa main, environ trois cents Cavaliers,nbsp;les plus braves de l'arm�e de Charles; Alardnbsp;cherchoit Ie Comte d�Etampes, il l�apergutnbsp;dans la foule, il fe fit jour , amp; p�n�tra. juf-qu�a lui �, d�Etampes �toit Ix'ave, un feereenbsp;preflentiment fembla 1�avertir que fa derni�renbsp;heure �toit venue. II attendit Alard en pa-liffant, il lui d�cocha une fl�che, elle gliflanbsp;fut 1��cu de fon ennemi. Alard pique fon che-val, d�un coup de lance, perce E�cu, bvifenbsp;Parmure , amp; ouvre Ie fein d�Etatnpes, quinbsp;expire en tendanc les mains vers Ie ciel, Re-Kaud , qui Ie vit tomber , courut vers fonnbsp;fr�re, Penabrafia amp; Ie f�licita de fa vi�toire.
. Charlemagne ordonna, enfin , a fes G�n�-latix de fe retirer; la retraite de fon armee fut auffi meurtri�re que la bataille : Renaudnbsp;la pourfuivit jufque dans Ie camp, amp;; plufieursnbsp;Chevaliers furent faits prifonniers dans leursnbsp;retranchemens; il favoit qu�il eft, fouvent ,nbsp;dangereux de pourfuivre troploin fa viftoire,nbsp;amp; que Ie d�fefpoir peut donner des forces auxnbsp;vaincus : II ordonna a, fes troupes de rentrernbsp;dans la place fit i�arri�re- garde avec fesnbsp;fr�res; il ne fut attaqu� que pat .Aymon ,nbsp;qui, avec deux cents Cavaliers, harceloit fesnbsp;enfans: Renaud eut pu, mille fois, fe d�fairenbsp;d�un ennemi aufli opiniStre ; mais il Ie ref-pej.'la toujours j cependanr, comme il Ie vic
-ocr page 67-acharn� apr�slui, amp; qu�il expofoit fes fr�res tl. �tre faits prifonniers ^ Renaud fe contentanbsp;d�abattre, d�un revers , Ie col de fon cheval;nbsp;tandisqu�Aymon fe d�barraflbit, Renaud gagnanbsp;do cliemin : Les Cavaliers � qui accompa-gnoienr Ie vieux guerrier� eurent l�itnpru-dence de pourfuivre les quatre fr�res, qui re-vinrent fur leurs pas amp; en abattirent cinquante;nbsp;Ie combat �toit plus anim� que jamais, Charlemagne craignit qu�il n�eutdes fuitesfuneftes:nbsp;Ltonn� de Tintr�pidit� de Renaud , � s�a-vance vers lui, amp; , d�un ton d'autorit� , ilnbsp;lui ordonne de ceffer, amp; lui defend de paliernbsp;outre. Renaud, tout furieux qu�il cft �gt; baiflenbsp;un front refpedlueux, amp; fait figne a fes Cavaliers de rejoindre 1�arm�e, qui rentroit dansnbsp;la Ville avec un grand nombre de prifonniers,nbsp;Charlemagne revint dans fon camp; routesnbsp;les rentes avoient �t� br�l�es ; Cet �v�nement retarda les operations du fi�ge , qui duranbsp;treize mois, pendant lefquels il ne fe paflanbsp;jamais huit jours d�intervalle d'un combat anbsp;1�autre. Le Roi avoir jur� qu�il ne rentreroitnbsp;point en France ,�'qu�il n�eClt emport� Mont-fort, amp; que les fils d�Aymon ne fuflent ennbsp;fon pouvoir. Renaud avoit fait faire des pro-pofitions de paix; il avoit charg� Oger denbsp;repr�fenter au Roi, que , jamais, Montfortnbsp;ne c�deroit a la force ; mais que , s�il vou-loit confentir que la garnifon fortit avecnbsp;tous les honneurs de la guerre, amp; rendre fonnbsp;amiti� a fes fr�res amp; a lui, ils lui livreroient lanbsp;place \ Foulques de Morillon, qui apprit cette
-ocr page 68-6a nbsp;nbsp;nbsp;Les qur.tre fils
n�goclation, emp�cha Ie Roi de rien conclure.
La longueur du fi�ge impatientoit �galement les affi�geans amp;les affi�g�s. Lafituation du fortnbsp;�toit telle, que Renaud amp; fes fr�res �toient mal-tres d�une grande �tendue de pays, ou ils alloientnbsp;chaffer, fans avoir rien a craindre de la partnbsp;des affi�geans; ilsfortoient, amp; rentroient quandnbsp;ils vouloienc, a couvert des fortifications, qu�ilnbsp;e�t fallu emporter, pour couper la communication du Chateau avec fes environs. Charlemagne, voulant faire un dernier effort, affem-hla tout fon anieie-ban, Naimes, qui voyoitnbsp;les difficult�s de prendre Montfort, confeillanbsp;au Roi de retourner en France amp; d�attendrenbsp;un moment plus favorable ; Hernier de lanbsp;Seine fut d�un avis contraire, amp; offrit au Roinbsp;de lui livter, en moins d�un mois, les quatrenbsp;fils d�Aymon, a condition qu�on lui donne-roit la Ville, tout ce qui s�y trouveroit, amp;nbsp;Ie domaine de cinq lieues aux environs. Charlemagne y confentit, amp; promit i Hernier denbsp;lui fournir les troupes qu�il lui demanderoicnbsp;pour cette exp�dition. Hernier demanda millenbsp;bons Cavaliers, amp; un G�n�ral habile. Le Roinbsp;lui donna Guyon de Bretagne, amp; ffii permitnbsp;de choifir, a fon gr�, mille combattans denbsp;1��lite de fon arm�e. Hernier ordonna a Guyonnbsp;d�embufquer fes mille combattans fur la mon-tagne, dans un bois a peu de diftance d�unenbsp;des portes du Chateau.
Lotfque ces difpofitions furent faites, Hernier monte a cheval, bien arm�, amp; va, tour feul, fe pr�fenter a une des portes oppof�es;
-ocr page 69-d�Aymon. nbsp;nbsp;nbsp;^3
I\ cria aux fentinelles d�avoir pitie de lui, qu�il �toit vivement pourfuivi par le Roi ,nbsp;pour avoir voulu prendre la d�fenfe de Re-naud, en pr� fence de la Cour. Comme il �toit;nbsp;feul, il n'infpira auctine m�fiance; on baiffenbsp;le pont, amp; on I�introduit dans la place. Il de-niande a parler a Renaud, on le conduit aunbsp;jeune h�ros; Hernier tombe a fes genoux, amp;nbsp;le prie de lui donner un afyle contre la puluur du Roi, qui veutle faire p�rir du mSmenbsp;fuppUce qu�il deftine aux quatre fils d�.Ay-mon, pour avoir voulu repoufl'er la calora-nie dont quelques courtifans les accabloienc.nbsp;j, Toute v�rit� qui ne flatte point, ajouta-t-,, il, eft odieufe 4 la Cour des Rois. On anbsp;,, perfuad� a Charlemagne que j�entretenoisnbsp;5, nne intelligence fecrette avec vous; on anbsp;,,f�duit des t�moins, amp;, cette nuit m�me,nbsp;�, je devois �tre arr�t�. L�innocence n�eft pasnbsp;5, toujouTS malheureufe; un ami a d�couvertnbsp;,, cette trame abominable; il eft venu, fecret-9, tement, m�avertir de tout ce qui fe paflok,nbsp;5, amp; m�a facilit� les moyens de m�arracher inbsp;� unemortignominieufe: �ne heureplus tard,nbsp;5) j�aurois �t� facrifi� a 1'impofture.
Renaud accabla le trakre de carefles: II lui demanda des nouvelles de ce qui fe pafloit aunbsp;camp. Hernier 1�aflura que, fi Montfort te-noit encore quinze jours, le Roi feroit oblig�nbsp;de lever le fi�ge, paree que 1�arm�e, affoiblienbsp;par tant de combats, manquoit de vivres, amp;nbsp;qu�on ne pouvoit plus en tirer de la France,nbsp;qui fe trouvoit elle-m�ine dans la difette;
-ocr page 70-64 nbsp;nbsp;nbsp;quatre flls
que, d�ja, la plupart des Chevaliers s��toient retires, amp; qu�il mouroit, tous les jours, unnbsp;grand noinbre de foldats.
Renaud , qui ��avoir aucune raifon de fe m�fier d'Hernier, l?engagea de refter avec lui.nbsp;On chercha tous les moyens de Ie confoler,nbsp;amp; de lui faire efp�rer im meilleur fort; on Ienbsp;lo'-ea dans la Ville, amp;, comme il feignit d��trenbsp;fort fatigu�, il demanda qu�on lui permit d�al-ler fe repofer.
Hernier attendit que tout Ie monde retire : On avoir combattu pendant route la journ�e; Soldats amp; Chevaliers, tout dormoit;nbsp;on n�entendoit aucun bruit. Hernier fort anbsp;petit bruit, va baiffer Ie pont, coupe la gorgenbsp;a la fentinelle, prend les clefs, amp; ouvre la,nbsp;porte. Guyon de Bretagne, qui �toit auxnbsp;ao-nets, voyant la porte ouverte, fait gliflernbsp;ib troupe � petit bruit; on cgorge quelquesnbsp;patrouilles, St 1�on va fe raffembler fur la place. C'en �toit fait des quatre fr�res, amp; de lanbsp;earnifon, fans la n�gligence des palefreniers,nbsp;Ie Renaud; plong�s dans l�ivrelTe la,plus pro-,nbsp;fonde, ils avoient lailT� l�s chevaux a 1�aban-,nbsp;don; celui d�Alard, plus vif que les autres,.nbsp;les tourmentoit; Bayard s��chappe, amp; fesnbsp;hennifleroens �veillent Alard amp; Richard; ilsnbsp;fe l�vent, amp; aperqoivent, au clair, de la lune,nbsp;l��clat des arvnes; ils entendeur un brult con-fus- ils courent dans rappartement d�Hernier,nbsp;amp; ne Ie trouvent point; ils fe doutent de lanbsp;trahifon. Alard revient, foudain, aupr�s denbsp;Renaud, pour 1�avertir de tout ce ,qui,fe pafle.-
-ocr page 71-d�Aymon. nbsp;nbsp;nbsp;65
Renaud �toit tout arm�; il fe l�ve, il ne trouve que trente Cavaliers ; il court fur lanbsp;place; il rencontre Guyon, a vee cent combac-,nbsp;tans, qui fermoient la principale rue. Renaudnbsp;appe�e fes fr�res, ils palienc au fil de 1��p�enbsp;cette petite troupe. Les Francois tenoientnbsp;tine partie des foldats de Renaud enferm�snbsp;dans la cour du Chateau, o� Ie fang ruifle-loit; lorfqu�ils entendirent que Renaud at-taquoit Guyon, ils craignirent d'etre furpris;nbsp;ils mirent Ie feu au Ch�teau amp; dans plu-f eurs q'uartiers de la Ville : Renaud amp; fes fr�res avoient a combattre contre les ennemisnbsp;amp; contre les flammes; ils fortent de la Ville;nbsp;ils aper9oivenc, dans Ie fofle, une troupenbsp;qui 'attendoit Ie fgnal; ils s�y pr�cipitent amp;nbsp;ne laiflent �chapper perfonne. Ils rentrentnbsp;dans Ie chateau. Un grand nombre d�enne-mis avoient fuivi les quatre h�ros, commenbsp;ils �toient entr�s dans Ie folie, on les avoitnbsp;perdus de vue; les Fran�ois les cherchoientnbsp;de tous c�t�s ; Les nis d�Aymon, en rentrancnbsp;dans la place, ferment la porte amp; l�vent lesnbsp;ponts. N�ayant plus a craindre que Ie Roinbsp;envoy^t de nouvelles troupes, amp; d�barrali��snbsp;de celle qui �toit dehors, ils volent aux lieuxnbsp;o� Hernier, avec trois cents combattans, met-toit tout a feu amp; a fang; a peine font-ilsnbsp;arriv�s, que tout change de face : Herniernbsp;amp; les fiens cherchent a s�echapper; ils veulentnbsp;gagner le pont, ils le trouvent lev�, amp; lanbsp;porte ferm�e. Les fils d�Aymon, qui avoientnbsp;raffenible leurs troupes, paffent les trois cents
-ocr page 72-66 nbsp;nbsp;nbsp;Les quiUre fis
combauans aufil de 1��p�e; il les font jefer, par deflus les remparts, dans les foff�s; Ils nenbsp;r�fervent qu�Hernier amp; douze des �ens.
CHAPITRE V.
Danser de Renaud amp; de fes fr�res. Hernier leur propofe de leur livrer Ie tr�for de Charlemagne. Renaud Je fait �carteler. Retraitenbsp;des quatre Paladins. Regrets de Renaud^nbsp;d Vafpe9 de Montfort embraf�. Charlemagne les pourfuit avec fon armee. Renaudnbsp;fe retire en vainqueur. Retraite de Charlemagne. Combat d'�uiymon contre fes enfans.
X^E Chateau amp; la Ville de Montfort �toient toujours la proie des fiammes-, elles avoientnbsp;confomm� tous les vivres; la garnifon avoicnbsp;�t� �gorg�e. II ne reftoit plus aux lils d�Aymonnbsp;que cinq cents homi-nes. II �toit tr�s-aif� anbsp;Charlemagne de prendre d�aflaut, ou d�affa-mer cette malheureufe Ville. Renaud fenticnbsp;tout Ie danger de cette fuiiation; il propofanbsp;a fes fr�res de raflembler ce qui leur reftoitnbsp;de monde, amp; d'abandonner a Charlemagnenbsp;une proie inutile; ils furent t�us de eet avis,nbsp;amp; Ie depart fut remis a 1�entr�e de la nuit,nbsp;Hernier, amp; les douze FraD9ois, furent t�-inoins de la deliberation : Le traitre con^utnbsp;l�efp�rance de fauver fa vie. � Je fais, dit - ilnbsp;n aux Ills d�Aymon, que je m�rite la morci
-ocr page 73-jjjc ne demande aucune grice; j�ai voulu gt;, vous livrer vivans a Charlemagne, votre en-V, nemi; il eft jufte que vous m�en puniffiez;nbsp;5� mais, que vous importe que ce foit plusnbsp;��t�c ou plus tard? Vous vous propofez denbsp;j) fortir , amp; d�aller former un nouvel �tablif-fetnent; avez-vous fong� aux forces redou-rnbsp;�tables de Charlemagne, au petit nombrenbsp;� de gens qui vous reftent, amp; aux difficultesnbsp;)� que vous aurez pour traverfer le camp desnbsp;�, Fran9ois, qui vous entoure de tous c�t�s?
Dans quel que endroit que vous alliez, il �, faut que vous vous ouvriez une voie ^nbsp;� travers vos ennemis. J�en fais une; c�eft cellsnbsp;� O� j�avois embufqu� les mille combattansnbsp;� que j�ai introduits dans la place : Elle eftnbsp;,, inconnue du refte des Fran9ois, amp;, peut-,, �tre, de vous-m�mes: Je vous dirai plus;nbsp;� cette route communique, par un fentietnbsp;��cart�, au pavilion du Due Naimes, dansnbsp;�lequel eft d�pof� le tr�for du Roi. Je nenbsp;,, vous demande que trente hommes pour en-,, lever Naimes amp; le tr�for; ft vous accepteznbsp;� les fervices que je vous offre, la feule r�-� compenfe que je vous demande, e�eft denbsp;,, m�employer centre vos ennemis amp; contrsnbsp;,, Charlemagne lui-m�me. Traitre, lui r�pon-,, dit Renaud, nous ne voulons ni de tes fer-0 vices, ni de toi. Tu trahis, dansce momentnbsp;,, m�me, ou Charlemagne, ou nous; qui quenbsp;,, ce foit que tu trompes, tu n�en m�ritesnbsp;9, pas moins la mort,,. Auffi-t�t, Renaud or-donne qu�on le d�pouille de fes habits amp; qu�on
-ocr page 74-(18 nbsp;nbsp;nbsp;Les quatre fils
Fattaclie, par chacutt de fes membres, a quatre ch�vaux des plus vigoureux. Le lache Her-�iier tombe a fes genoiix, pale tremblant jnbsp;fa trahifon avoit infpir� de la haine, fes lar-mes firent naitre le m�pris. II fut ex�ciu�,nbsp;les douze prifonniers p�rirent par le gibet.nbsp;D�s que la nuit fut venue, les quatre filsnbsp;d�Aymon firent monter leur petite troupe anbsp;cbevalils mirenc au centre leur tr�for amp;nbsp;leurs �quipages; Guichard amp; .Richard , avecnbsp;cent hommes, brent l�avant-garde-, Alardnbsp;amp; Renaud, avec cent hommes, efcortoient lenbsp;convoi ; quoique cette petite armee fut divi-f�e en trois corps, elle n�en formoit qu'un,nbsp;par leur raarche ferr�e. Un petit d�tachementnbsp;lie vingc-cinq hommes, command� par unnbsp;Chevalier d�une experience confomm�e, pr�-c�doit la troupe pouf lui fervir de y�dette,nbsp;amp; pour fouiller les haies amp; les buiflbns, denbsp;crainte de furprife. ^ ,
La troupe fortit du Chateau dans eet or-dte. Renaud ne put s�emp�cher de tournet, vers Montfort embraf�, � fes yeux inond�snbsp;delarmes. ,, Adieu, cher amp; maiheureux afy-,1e, s��cria-t-il, berceau de notre gloire,nbsp;amp; qui, fans la trahifon de Hernier, aurois vunbsp;�� brifer, a tes pieds, toute la puiflance denbsp;� Gbarlemagne. Tu n�es plus qu�un monceaunbsp;� cendres, amp; tes fondateurs auroient denbsp;� Ja neine a trouver, dans ta vafte enceinte,nbsp;� l�efpace qu�il leur faudroit pour repofer leurnbsp;*)t�ce. O mon cher Alard! nous n�irons plus,nbsp;au retour des combats, nous repofer fous
-ocr page 75-d�Aymon. nbsp;nbsp;nbsp;69
les bofquets naiiTans qui couvroient fes en-5, virons.
Aiard confoloit Renaud, amp; lui faifoit ef-p�rer un meilleur fort. ,, Ce n�eft, lui di-5, foit-il, que dans 1�infortune, que le h�ros � eft veritablemenc h�ros. Aucun Chevaliernbsp;5,,lie vous furpafle en valeur, amp; le del, juf-,, qu�ii ce jour,-a prot�g� votre vertu. Quenbsp;j, nous importe celui-ci, ou un autre L�Al-� lemagne, ou nous allons, vous offrira desnbsp;5, fituations auffi heureufes, amp; un climat auffinbsp;5, doux. La Patrie d�un grand homme eftnbsp;gt;, par-tout O� il porte I�exemple de fes ver-j, tus. Nous nous ferons, par-tout, un autrenbsp;,, Montfort. Les cendres de celui que nousnbsp;5, quittons font plus glorieufes pour nous, quenbsp;� des palais que nous aurio.ns acquis par unenbsp;,, lachet�,,. Renaud embrafla fon fr�re; il fenbsp;fentit anim� d�une nouvelle ardeur, amp; ne'nbsp;fongea plus qu�aux moyens d�eviter le campnbsp;�de Charlemagne, ou de brufquer le paflage.
Charlemagjie n�avqit � point encore eu de nouyelies d�Hernier amp; de fa troupe ; ilsnbsp;voyoient Montfort en ftammes, amp; les foldatsnbsp;que Renaud avoir laiff�s hors de la ville, luinbsp;avoient racont� ce qu�ils avoient vu; mais ilnbsp;ne comprenoit pas comment Hernier, ayantnbsp;mis tout a feu amp; a fang, ne revenoit pas;nbsp;ni pourquoi le pont �toit encore lev�. Lorfquenbsp;Renaud fur parti, deux foldats, qui avoientnbsp;�vit� la,mort enfe cachant. dans-les debrisnbsp;d�une maifon voifine de la place, rapport�-lent au Roi les adions h�ro�ques des fils
-ocr page 76-70 nbsp;nbsp;nbsp;Les quatre fils
d'Aytnon, leur d�part, la mort d�Hernier, amp; k deftruftion de Moinforc. � O homelnbsp;,, s��cria Charlemagne: Quoi! ni la force, ni lanbsp;,, rufe, ni Ie nombre, ne pourront mettre ennbsp;�mon pouvoir Renaud amp; fes fr�res? Au mi-� lieu des flammes, i!s me bravent .encore lnbsp;� Charles, vainqueur de 1'Allemagne amp; de l�I-
talie; Charles, la terreur des Sarrafins, fera ,, done Ie jouet de quatre jeunes gens ,,! Nai-mes Ie confola, amp; lui reprocha d�avoir plu-t�t �cout� Hernier que lui; il ajouta que ,nbsp;puifque leur troupe �toit r�duite 4 un li petit nombre, il falloit 1�attaquer dans fa tnar-che. Charlemagne envoya fes ordres, amp; Ie campnbsp;fe mit en mouvement.
Guichard, qui conduifoitl�avant-garde,fut inftruit, auffi-t�c, du projet de Charles, il nenbsp;lui donna pas Ie temps de faire fes difpofi-tions; il fait avertir fes fr�res, amp; marche,nbsp;avec fiert�, contre Ie Rol. Renaud ordonnenbsp;a vingt hommes de conduire les �quipages furnbsp;les derri�res, amp; vient joindre fes fr�res avecnbsp;Alard; amp; tous les quatre, fans donner Ie tempsnbsp;a 1�ennemi de fe reconnoitre, frappent, tuentnbsp;tout ce qu�ils rencontrent, renverfent les ten-tes,�cartent les ennemis de droite amp; de gauche , ouvrenc une large route a leurs �quipages, amp; jettent la confternation dans Ie camp.nbsp;Naimes a raflembl� quelques troupes; Richardnbsp;amp;. Renaud lui font face; ils �crafent les premiers rangs, Ie refte prend la tuice, amp; Nai-mes eft entrain� par Ie torrent.
camp, fans avoir perdu un feul homme ; ils ne dout�rent pas que Charlemagne ne les ficnbsp;pourluivre. Renaud fit marcher fes �quipagesnbsp;devant, leur affigna un lieu pour le rendezvous, amp; leur ordonna la plus grande diligence.nbsp;Des le point du jour, Charles, fuivi d�Oger,nbsp;de Naimes, de Foulques de Morillon, paru-rent a la t�te de I�armee. Les quatre fr�resnbsp;s�arr�tent; le Roi, oubliant fon rang, amp; n�o-bciflant qu�a fa col�re, met fa lance en ar-r�t centre Renaud , qui en detourne le fernbsp;amp; s��loigne : Charles revient fur lui, plus fu-rieux; Renaud, ne fe pofledant plus, s��lan-ce ; Hugues fe met au devant du Roi amp; revoltnbsp;lecoup mortel. Auffi-t�t Charlemagne,tranf-port� de courroux, ordonne a fes Chevaliersnbsp;d�atcaquer la troupe des quatre fr�res; maisnbsp;ils firent fi bonne contenance, qu�elle ne putnbsp;jamais �tre entam�e : File fe battit en retraite pendant treize lieues, Charlemagne lanbsp;harcelant toujours inutilement, amp; Renaud fenbsp;battant fans cede, amp; tuant ou bleflant quel-ques-uns des ennemis, fans qu�il perdit unnbsp;feul de fes combattans; il parvint, ainfi, juf-qu�a une riviere; Renaud avoit I�artde palfernbsp;les fleuves en pr�fence de I�ennemi, fans avoirnbsp;d craindre d'en �tre inqui�t�, il fonda le gu�nbsp;lui-m�me, le traverfa avec quelques Cavaliers,nbsp;amp; , lorfqu�il eut fray� le chemin, il vint re-pren ire 1�arri�re - garde ; Charles eflaya , ennbsp;vain , de les fuivre, Renaud avoit fait romprenbsp;le gu�, amp;, d�ailleurs, il fe fortifia fi bien,nbsp;que le Roi eut facrifi� toute 1�arm�e, fans
-ocr page 78-�ra nbsp;nbsp;nbsp;Les quatre fils
qu�il lui eut �t(j poffible d�emporter fes re-tranchemens.
Enfin, Charles, d�fefp�rant de pouvoic prendre les fils d�Aymon, al�embla fon Con-ieil : Naimes fut d�avis que Ie Roi retour-nat en France; il lui repr�fenta qu�il �toicnbsp;d�une obftination indigne d�un fi grand Roi,nbsp;de covfrir apr�s un fi petit nombre de perfon-nes , avec une armee fi formidable, amp; quenbsp;la l�g�ret� des fils d�Aymon les mettoic a couvert de fes forces. Naimes fut d�avis qu�ilnbsp;fufpendit fa vengeance, jufqu�a ce que fes en-nemis fe fuflent fix�s dans quelques pays. Sonnbsp;avis fut fuivi; Charles ramena fon armoe ,nbsp;amp;, en paflant, il fit rafer les murs amp; les toursnbsp;de Montfort.
De retour a Paris, Charles cong�dia fes troupes, les Chevaliers s�en retourn�rent cheznbsp;eUx; chacun fe difoit, en foi-m�me , il n�eftnbsp;pas �tonnant que je n�aye pu venir 4 boutnbsp;de furprendre quelqu�un des enfans d�Aymon,nbsp;puifqu�ils ont �chapp� au plus grand Roi dunbsp;monde; Charlemagne fe confoloit, en difant;nbsp;�il faiit que les fils d�Aymon foient les plusnbsp;vaillans hommes de la terre, puifque, ninbsp;moi, ni mes Chevaliers, n�avons pu les vain-cre.
, Le vieux Due Aymon fuivoit, tout conf-tern�, Ie chemin de fon pays; il traverfoit la for�t des Ardennes, avec une troupe nom-breufe; quelle fut fa furpr'ife, lorfqu�il rea-�contra fes eiifans aupr�s d�une fontaine! IInbsp;s�arr^te, amp;; demande confeila fes amis; mais
d*y4ymon. nbsp;nbsp;nbsp;73
auCiin d�eujt n�ofa hafarder fon avis entre un p�re amp; fes enfans. � Eh bien, dit Ie vieuxnbsp;Aymon, je ne confulterai que moi-m�me,nbsp;,, amp; mon exemple apprendra a route la terre,nbsp;,,que, lorfqu�il faut fervir fon Roi, on nenbsp;� doit rien confid�rer ; un vrai Chevalier,nbsp;,, lorfqu�il s�agit de l�honneur, n�a ni p�re,nbsp;� ni femme, ni enfans AulTi-t�t il envoyenbsp;d�fier Renaud , qui refufa Ie combat; maisnbsp;Ie p�re inexorable fit dire a fes quatre fils,nbsp;de fonger a fe d�fendre, ou qu'il leS traite-roit comme des Ikhes. Aymon range fa troupenbsp;amp; s�avance en furieux contre Renaud amp; fesnbsp;fr�res: Ils cherch�renc plut�t a �viter fesnbsp;coups qu�-i lui en porter; Renaud fe jeca.atinbsp;milieu de la troupe d�Aymon, amp; la forfa denbsp;reculer. Aymon la rallia, amp; revint avec plusnbsp;de furie; 1�ordre que fes enfans avoient donn�nbsp;a leurS combattans de m�nager leur p�re ,nbsp;leur devinc funefte : Une grande partie desnbsp;gcns d�Aymon furent tu�s; mais Renaud amp;nbsp;Richard, craignant toujours que quelque traitnbsp;�chapp� n�allat bieder leur p�re, ftifoientnbsp;faire k leurs bataillons de faufes manoeuvres.nbsp;Enfin, de cinq cents, leur troupe fe trouvanbsp;r�duite ^ cinquante, dont encore quelques-unsnbsp;�toienc bled�s. Renaud amp; fes fr�res, toujoursnbsp;pourfuivis par Aymon, gagn�rent une hauteur ; la (ituation du terrain , fuppl�ant aunbsp;nombre des combattans, ils fe d�fendirentnbsp;avec avantage; tous ceux qui s�approchoientnbsp;�toient moiffonn�s. Alard eut fon cheval tu�nbsp;de la main m�me de fon p�re; il alloit �tre
D
-ocr page 80-^4 nbsp;nbsp;nbsp;^uatre fils
fait prifonnier, fi Renaud e�t tard� plus long-temps de venir a fon fecours. Aymon avoit d�ja faifi Alard; Renaud fr�mit, amp;, renver-fant fon p�re ; � Cruel, lui dit-il, c�eft mal-,, gv� moi que je porte fur vous une main t�-� m�raire; mais vous m�y forcez pour vousnbsp;,, �pargner un parricide. � II d�gage Alard ,nbsp;amp; ie fait monter en croupe fur Bayard. Cetnbsp;intr�pide courfier parut plus l�ger encore,nbsp;lorfqu�il fut charg� de ce double fardeau. Renaud, apr�s cette aftion, fembloit avoir acquis de nouvelles forces; il porta aux gensnbsp;de fon p�re les coups les plus terribles amp; lesnbsp;forga de reculer.
Le combat fembloit fini, lorfqu�Hermenfroi vint attaquer Renaud , amp; le mena9a de le li-vrer a Charlemagne; Renaud, indign�, met fanbsp;lance en arr�t amp; perce le Chevalier : II arr�tenbsp;fon cheval amp; le donne a Alard. Fier de ce pr�-fent, Alard attaque Arfroi, le pilus vaillancnbsp;des Chevaliers d�Aymon. Arfroi, depuis lenbsp;commencement de cette guerre, avoit inuti-lement cherch� 1�occafion de fe battre contrenbsp;quelqu�un des quatre fr�res; mais celle-rla futnbsp;la feule; Alard le renverfa mort du premiernbsp;coup. Aymon, a qui il reftoit encore dixnbsp;fois plus de monde qu�a fes fils, voulut ven-ger la mort de.ces deux Chevaliers; il attaque Alard avec routes fes forces , Renaudnbsp;vient au fecours, Richard amp; Guichard lenbsp;joignent a eux, leur petite troupe �toit linbsp;fat�gu�e, qu�ils combattoient feuls; ils fe bat-tirent en retraite jufqu�a une rivi�re, dont
-ocr page 81-?5
ils fadlit�rent le paflage a leurs gens; la, tournant le dos � la rivi�re, ils paroiflbientnbsp;comme quatre rochers, connelefquelsvenoientnbsp;cehouer tous ceux qui ofoient Jes atraquer.nbsp;S�ils avoient eu feulement cinquante com-battans, e�en �toic fait de la troupe d�Ay-mon; il ne leur en reftoit que quatorze.nbsp;Lorfque les fils d�Aymon les virent fur lenbsp;rivage oppofe, ils s�avanc�rent dans lesflots.nbsp;Leur p�re envoya encore apr�s eux une par-tie de fa troupe, qui, malheureufement pournbsp;die , s�engagea trop avant dans la rivi�re ;nbsp;lorfque Renaud amp; fes fr�res la virent luternbsp;contre le torrent, ils fe rapproch�rent, amp; ,nbsp;allant de foldat en foldat, ils ne firent qu��-lever Si laifler retomber leurs lances fur leurnbsp;t�te, amp; ils les fubmerg�rent tous, 1�un apr�snbsp;1'auire.
Aymon amp; Renaud avoient rejoincleur monde ; chacun, de fon c�t�, �prouva la m�me triftefle en voyant le mal qu�ils s��toient faicnbsp;I'un a 1�autre. Aymon fiottoit entre le re-mords de fa duret� envers fes enfans, amp; lanbsp;fatisfadtion fecrette d�avoir prouv� a fon Roinbsp;qu�il deteftoit leur f�lonie; il ne put refu-fer des larmes � leur fort; ils avoient toutnbsp;perdu, amp; il n�ofoit les fecourir. Il fit enter-rer les morts, amp;, apr�s s��tre arr�t�, une feulenbsp;nuit, dans fes Etats, il reprit le cherain denbsp;Paris, avec les corps des deux Chevaliers,nbsp;qu�il fit conduire apr�s lui; il fe pr�fenta inbsp;Charlemagne, amp; lui raconta tout ce qui ve-tioic de fe palier; il t�moigna, furtout, un
?6
Les quntre fils
grand regret de n�avoir pu faire prifenniers fes quatre enfans, pour les lui remettre, fai-fant peu de cas du grand nombre d�hommesnbsp;qu�il lui en avoit co�t�, s�il e�t pu r�ufllr.
Charlemagne, dont l�ame �toit grande amp; g�n�reufe, amp; qui ne pouvoit refufer fon ef-time au courage de Renaud 8c de fes fr�res,nbsp;jeta un ceil d�indignation fur Aymon. � De-5, puis quand, lui dit-il, 1'aigle d�vore-t-ilnbsp;j, fes petits? C�ell vainement, Aymon, quenbsp;,, vous voudriez pevfuader k un Roi, qui eftnbsp;5, p�re comme vous, que vous avez fait anbsp;� vos enfans lous les maux que vous dites;nbsp;,, Ce que je puis faire de mieux, en votrenbsp;,, faveur, eft de croire que vous me trompez;nbsp;�car, quelque odieux que foitle menfonge,nbsp;,, il 1�eft encore moins que 1�aveu parricidenbsp;� que vous me faites.
Aymon fut �mu de honte 8c de col�re ; ,, Des reproches 8c des injures, r�pondit-il ,
font done la r�compenfe des fervices que ,, 1�on rend aux Rois? Je les m�rite, fansnbsp;� doute, puifque mon z�le pour un ingracnbsp;� m�a fait �roufter les cris de la nature; mais,nbsp;� on -a roujours tort a vee les Princes, quandnbsp;� tout ne r�ufilt point au gr� de leurs vceux.nbsp;� Si j�avois reft� neutre, entre mes enfans 8cnbsp;� vous, vous m�auriez cru leur complice; vousnbsp;� me combleriez de faveurs, fi je les amenoisnbsp;� k vos pieds. Quoi qu�il en f�it, il n�en eftnbsp;1, pas moins yrai que j�ai facrifi� tous mesnbsp;� vallaux, que j�ai fait p�rir leurs troupes, 8cnbsp;j, que je les ai r�duits a la derni�re extr�mit�;
-ocr page 83-, d�Aymon. nbsp;nbsp;nbsp;f7
� fi quelque fiatteur de votre Cour veut fou-,, renir le contraire, je lui prouverai qu�il a ,, menu Aces mots, Ayinon, furieux, for-Tic du Palais du Roi, amp;, Ians prendre cong� , remonte a cheval, amp; revient auprcs denbsp;la Dtichefl'e; elle etoit venue au devant denbsp;lui; apr�s avoir embralie Ton �poux, fon premier foin fut de lui demander des nouvelles denbsp;leivrs enfans. Aymon lui raconta tout ce quinbsp;s��toit pafle depuis la mort de Berthelot, juf-qu�a 1�accueil que Charlemagne venoit de luinbsp;faire.
� Jufte recompenfe de votre cruaut�, lui dit-j, elle! Eh! quoi, barbare, n��toit-ce pas aflez ,, d�avoir promis au Roi de ne prendre aucunnbsp;� parti, ni pour,' ni centre vos enfans? c��-� toit le plus grand facrifice qu�il put exigernbsp;� d�un pere. Parmi les monftres des forets, ennbsp;� eft-il quelqu�un qui, voyant fes petits ennbsp;,, danger , ne iafle tout ce qu�il peut pour lesnbsp;,, fecourir? amp; vous, fans aucune n�ceffit�,nbsp;� par une vile adulation , vous les perfecutez,nbsp;,, vous faites tons vos efforts pour les livrernbsp;�a un ennemi qui a jur� leur perte! Lorf-,, que vous avez tourn� vos armes contre eux,nbsp;� que vous les avez forces a fe d�fendre, quenbsp;� le brave Renaud s�eft content� de d�totirnernbsp;,, le fer de votre lance, moins pour �viternbsp;� la mort, que pour vous �pargner un par-� ricide, vos entrailles ne fe font-elles pointnbsp;,, �mues?0 mesenfans! quenepuis-je,danscenbsp;� moment, vous aider d fupporter les- mauxnbsp;gt;t 0� votre p�re vous a plong�s! Aymon Pin-
D iij
-ocr page 84-79
Zes qmtrt fils
� terrompit : Ah ! ch�re �poufe , n�ajoutez � point aux remords qui me d�chirent! Vousnbsp;,, Pavouetai-je? c�eft malgi� moi que j�ai com-j, battu contre mes fils; je croyois qu�il falloit
tout facrifier a fon maitre.... Oui, reprit � la Duchefle, tont, except� la nature ; ellenbsp;,, a fes droits fur l�elhlave Ie plus abjeft amp; I9nbsp;� plus foumis.
Aymon, 1�amefl�trie partant de reproches, alloit tomber aux pieds de Ibn �poufe; ellenbsp;Ie retint dans fes bras, amp; y retrouva les fen-timens qu'ilavoit fi long-temps combattus.
CHAPITRE VL
Extr�me mis�re des fi!s (Vylymon. Ils ont re~ cours d leur mere. Entrevue tonchante. Co-l�re feinte amp; politique d'ylymon. lis fortentnbsp;du Chdteau avec cent hommes d�armes, amp;nbsp;combl�s de pr�fens amp; de bienfaits de leurnbsp;mere. Aymon les attaque amp; leur donne troisnbsp;cents hommes d''armes. Maugis efl d leurnbsp;t�te. Renfort de trois cents hommes. Offrenbsp;de fervices au Roi de Gafcogne.
T vF.s malheureux fils d� Aymon, apr�s avoir perdu leurs foldats amp; leur tt�for, erroient dansnbsp;les for�ts d�Ardenne, difputant aux b�ies f�-roces leur nourriture vivant de la chafle ,nbsp;amp; n�ayant d�autre afyle, pour fe garantir du
-ocr page 85-froid, que des tani�res d�animaux, ou des cavernes humides amp; couvertes de neige. Lenrsnbsp;chevaux ne trouvoient que des feuilles s�chesnbsp;amp; des racines; a peine pouvoient-ils porternbsp;leurs mairres; le feul Bayard avoir conferv�nbsp;route fa vigueur. Les armes des Chevaliersnbsp;d�p�riflbient comme eux; fi la juftice ne lesnbsp;cut pas dirig�s; s�ils avoient �t� auffi cruelsnbsp;que leur p�re, ils auroient pu fe fervir denbsp;leur force pour mettre a contribution fes vaf-faux ; ils auroient pu, par des pirateries pref-que neceffaires, vivre a fes depens amp; 1�affa-mer dans Ion Chateau. Ce qui les chagrinoitnbsp;le plus, c�eroit que, dans 1��tat ou ils etoientnbsp;r�duits, ils ne pouvoient aller cherclier lesnbsp;aventures, ni offrir leurs fervices d quelquenbsp;Prince. Car, comment fe prcfenter, fans armesnbsp;amp; fans argent? D�ailleurs, une grande partienbsp;de 1�Europe �toit foumife a Charlemagne,nbsp;amp; il �toit dangereux de fe montrer fans ef-corte.
Renaud dit j un jour, a fes fr�res : � Nous � languiflbns, depuis long-temps, dans unenbsp;,, honteufe oifivet� ; ne nous fera-t-il donenbsp;,, jamais permis de fortir de ces trifles fo-,, r�ts? La crainte d�un p�re d�natur� doit-� elle nous priver, pour jamais, de revoirnbsp;5, les lieux qui nous ont vu naitre, amp; de vo-,, ler dans les bras d�une tendre m�re ? Quel-,, que alarm�e qu�elle doive �tre fur notrenbsp;�fort, quelle feroit fa peine, fi elle favoitnbsp;,, notre fituation ? II n�y a cei^endant, qu�ellenbsp;s, qui puifl'e nous en retirer; mais, comment
D iv
-ocr page 86-So
Les quatre fils
5, la lui faire connoicre,,. Alard 1�interrompit:
,, En allant nous-m�mes, dit-il, implorer fon � fecours: Qu'avons-nous k craindre ? Quel-j, que irrit� que foit notre p�re, vous faveznbsp;� que nous fommes ch�ris dans fes Etats; ilnbsp;5, n�oferoit jamais attenter fur nous d�ailleurs,nbsp;� nous fommes fi changes, la nature lui parle finbsp;,, peu en notre faveur , qu�il auroit bien denbsp;� la peine a nous remettre.
Alard d�cida fes fr�res; ils attendirent que la nuit f�tvenue, amp; fe mirent en route pournbsp;arriver, le lendemain, dans !e temps qu�ilsnbsp;favoient qu�Aymon �toit a la chafle. Ils s�ar-T�t�rent k quelque diftance du Champ;teau; ilsnbsp;s�inform�rent fi le Due Aymon y �toit; ilsnbsp;apprirent qu�il chaflbit, depuis le matin, avecnbsp;quelques Seigneurs du voifinage ; ils avan-c�rent , alors, avec furet� , non fans jeternbsp;l��pouvante amp; l��tonnement dans I�efprit dunbsp;peuple. La maigreur de leurs chevaux, lesnbsp;vifages pSles amp; livides des Chevaliers, leursnbsp;barbes longues amp; �paifles, les rendirent m�-Connoiflables a leurs meilleurs amis; on lesnbsp;prenoit pour de pauvres �trangers �chapp�snbsp;aux fers des Sarrafins; perfonne ne fe doutanbsp;de la v�rit�; ils demand�rent a parler k lanbsp;Duchefle, on les introduifit dans le Chateau,nbsp;qu�ils parcoururent fans rencontrer perfonne ; ils parvinrent jufqu�a fon appgt;artement ;nbsp;elle fe leva, amp; vint au devant d�eux.
�Que demandez-vous, leur dit-elle; qui ,, �tes-vous, amp; en quoi puis-je vous fervir?nbsp;� G�n�reufe Princefle, ��poiidit Alard, nous
-ocr page 87-i'Aymon. nbsp;nbsp;nbsp;8r
M fommes quatre infortun�s �chapp�s a la fu-,, reur d�un Prince injufte, qui a jure notre ,, perce, amp; qui nous a �t� jufqu�a la volont�nbsp;V de nous venger de lui La pauvret� ellnbsp;Ie moindre de nos malheurs; Ie cruel! il l�ousnbsp;�loigne de ce que nous avons de plus cher aunbsp;monde. � H�las! s��cria la Ducheffe , c'eft,nbsp;� fans doute, de vos �poufes, ou de vos en-� fans. J�en eus quatre, qui faifoient toute lanbsp;� joie de leur m�re, Un fort cruel les �loignenbsp;� de moi, peut-�tre ne les reverrai-je jamais;nbsp;� ils font perf�cut�s, comme vous; commenbsp;,gt;vous, ils g�milTent, peut-�tre, dans unenbsp;� pauvret� avilifiante; car, quel eft Je Princenbsp;,, aii�ez g�n�reux pour braver, en les fecou-�rant, ou en les prenaut a fon fervice, Ienbsp;,, courroux de Charlemagne? C�eft ce puiflancnbsp;,, Roi qui les pourfuit, amp; qui, peut-�tre, anbsp;,, mis leur t�te a prix. Ils auront, fans doute,nbsp;� interrompit Richard, pris leurs pr�cautionsnbsp;,, pour n��tre pas reconnus. H�las! dit la Du-� chehe, ils ne font que trop aif�s a recon-,, noitre; beaux, jeunes, a Ia fleur de leurnbsp;,, age, charg�s d�exploits glorieux, leurs nomsnbsp;� fe font rendu c�l�bres aux deux bouts denbsp;,, la terre.... Ah ! je la d�tefte, cette c�l�brit�,nbsp;� qui ftifoit, autrefois, ma gloire.... Mais,nbsp;� pourqu�i vous importunai-je de leurs �loges?nbsp;� pardonnez une m�re qui cherche des coeursnbsp;,, fenfibles qui puiflent partager fa tendrefle.nbsp;,, Vous �tes roalheureux comme mes fils, vousnbsp;� devez m��tre chers; expofez-moi vos be-j, foins avec confiance.
D V
-ocr page 88-8a nbsp;nbsp;nbsp;Les quatre fih
Renaud fondoic en larmes; fon affliftion attira les regards de laDuchelTe; elle Ie fixe;nbsp;il bail�e la vue, en s��criant : ,,'Ahl Ma-,, dame, pourquoi la nature ne parle-t-ellenbsp;�pas au coeur de votre �poux, comme ellenbsp;� fe fait entendre au v�tre? � Cette r�flexionnbsp;la frappa ; malgr� l��paifieur de fa barbe amp; Ienbsp;hale qui Ie d�figuroit, elle crut d�m�ler lesnbsp;traits de 1�ain� de fes fils; elle releva lesche-veux qui lui couvroient Ie front, amp; reconnucnbsp;une cicatrice que Renaud 'eut dans fon en-fance. � Ah! mon fils, s��cria-t-elle, ah!nbsp;� Renaud� �Ne pouvant fuffire a fa ten-drefle, elle s'�vanouit; Renaud appela du fe-cours, amp;, lorfque la Duchefle revint, elle fenbsp;trouva dans les bras de fes enfans; elle nenbsp;favoit a qui elle devoit prodiguer plus de ca-refles; elle leur fait mille queftions � la fois,'nbsp;amp;, fans leur donner Ie temps de lui r�pon-dre, elle ordonne qu�on leur pr�pare un fu-perbe feftin. Tant�t, c�eft du foin de leiir parure qu�elle parolt occup�e, tant�t c�eft denbsp;celui de leur procurer du repos : Elle vou-droit fatisfaire tous leurs befoins � la fois;nbsp;elle leur parle d�Ayraon, leur raconte 1�ac-cueil que Charlemagne lui avoic fait, amp; Ie re-pentir qu�il �prouve. Ils font p�n�tr�s de joienbsp;de ce retour de leur p�re; ils veulent allernbsp;au devant de lui; leur m�re les arr�te; Tamsnbsp;d�Aymon n��toit pas encore aflez calme poufnbsp;les voir de fang-froid; elle fe charge de Ienbsp;pr�venir fur leur arriv�s; elle entend du bruitnbsp;dans la cour du Chateau, c��toit Aymon qui
-ocr page 89-d�Aymon. nbsp;nbsp;nbsp;�3
revenoit de !a chaffe; elle les fait cadier dans un cabinet voifin, amp; 1�atrend dans le troublenbsp;amp; I�agitation. II entre; elle court a lui en fondant en larmes : ,, Ah ! mon ami, s�ccrie-,, t-elle, je viens d�apprendre des nouvellesnbsp;,, de nos enfans; r�duits a I�indigence, acca-� bl�s de maux, la crainte de votre courrouxnbsp;,, ne leur permet point d�aller oftrir leurs fer-� vices � aucun Prince ni Seigneur. Depuisnbsp;� votre dernier combat, ils one err� dans ies'nbsp;� for�ts. Un feul t�moignage de votre amiti�nbsp;� les rameneroit a vos genoux.
Aymon fe fentit attendri, il ctoit agit� de diff�rens mouvemens. II edt voulu les revoir,nbsp;la crainte de d�plaire � Charlemagne le rete-noit; il confentoit que fon �poufe les rappelat,nbsp;il le defendoit un moment apr�s. Il avoit devancnbsp;les yeux les flammes qui avoient confum� Mont-'nbsp;fort; il craignoit le m�me malheur pour fesnbsp;Etats. Il ne favoit que r�foudre, lorfque lanbsp;Duchefle s��lance de fes bras dans le cabinet ounbsp;�toient fes enfans, amp; les conduit aux genouxnbsp;de leur p�re.,, Les reconnoiflez-vous dans cetnbsp;,, �tat, lui dit-elle, cruel! il ne vous refle plusnbsp;� qu�a les livrer au Roi. Ah! s�il les voyoit'nbsp;� dans 1�humiliation ou vous les avez r�duitsnbsp;� vous-m�me, il en feroit touch�,,. Aymon,nbsp;la vue �gar�e, cherchant a fe diftraire d�unnbsp;fpe�lacle qui 1�attendriflbit, malgr� lui, �touf-foit fes larmes amp; fes foupirs. Enfin, la craintenbsp;amp; 1�ambition 1�emportarit fur fa tendrefle ;nbsp;� Fuyez, leur dit-il, fuyez le jufte courrouxnbsp;), d�un p�re amp; d�un Roi. Ah! malheureux,
D vj
-ocr page 90-84
,, dans quels maux vous me plongez! 0 nion 5, p�rel s��cria Renaud, quel plus grand malnbsp;�) pouviez-vous nous faire? c�eft vous quinbsp;f, avez d�trujt notte derni�re efp�rance. Jenbsp;f, vous jure que nous ne voulons aucun malnbsp;5, a Charlemagne, amp; que nous ne d�firons quenbsp;,, de le forcer a la paixnous en lerions ve-,, nus a hour. La paix avec des traitres! re-,, prit le Due : Ah! ne Pefp�rez jamais; ilnbsp;,, me foup^onne de favorifer fecretteinent vosnbsp;,, defl'eins, amp; cela fuffit pour que je doivenbsp;� m�oppoihr a tout accord. 0 ciel! interrom-�� pit la Duchefle ; non, mes enfans, votrenbsp;� p�re ne le penfe pas, je 1'ai vu s'attendrirnbsp;,, fur votre fort; il vous aime; ii panage minbsp;� tendreffe pour vous; menagez un relte denbsp;� foiblefle. Eh bien! reprit Alard, nous al-,, Ions le d�livrer de nocre pr�fence impor-� tune ; mais, du inoins, qu�il ne nous re-,, fufe point un fecours qu�il accorderoit a. desnbsp;� Chevaliers �trangers amp; malheureux.
Aymon ne put retenir plus long-temps fes larmes. � Non, dit-il, c�eft moi qui vaisnbsp;,,fuir, amp; ne pas vous priver de jouir desnbsp;,, careffes de votre heureufe m�re. Madame,nbsp;� continua-t-il, en fe retournant vers elle ,nbsp;a, je ne ferai de retour qu�apr�s-demain �, vousnbsp;,, �tes la d�pofitaire de mes tr�fors, vous pou-,, vez en difpofer comme vous jugerez a pro-j,pos : Adieu, je pars,,. II Ternbrafle, luinbsp;recommande ie plus grand fecret, amp; va re-joindre les Chevaliers avec lefquels il venoicnbsp;�de chaffer.
-ocr page 91-A peine fut-il forti, que cette tendre m�re, les embrafTant I�un apr�s 1�autre, leur fit ob-ferver que, fi leur p�re ne leur donnoic pasnbsp;les l�moignages des fentimens qu�il �prouvoit,nbsp;c��toit par contrainte, amp; qu�ils ne devoientnbsp;pias Ten aimer moins; qu�ils pouvoient �trenbsp;allures de Ion amour, amp; que, dans tout cenbsp;qui ne regarderoit pas le Roi, il ne leur fe-roit pas contraire. Renaud amp; fes fr�res lanbsp;pri�rent d��tre m�diatrice entre leur p�re amp;nbsp;eux; ils lui jur�rent qu�ils avoient, amp; qu�ils_nbsp;auroient toujours pour lui, 1�amour le plusnbsp;tendre, d�r-il les ha�r.
La Duchefl� les fit diner avec elle, amp;, dans la crainte que fes fentimens ne trahifl�nt lenbsp;feeree que fon mari lui avoit recommand�,nbsp;elle fit Ibrtir tout le monde; elle leur donnanbsp;des. armures amp; un habillement convenable anbsp;leur �tat; elle fit venir Mainfroi, le fils denbsp;fon Ecuyer, jeune homme d�une fagelle amp;nbsp;d�une valeur reconnues, elle le fit mettre, knbsp;table, a c�t� d�elle, amp; lui demanda s�il ne d�-firoit point de s�attacher a quelque brave Chevalier, pour m�riter de le devenir a fon tour.nbsp;Mainfroi lui r�pondit, que le feul Chevaliernbsp;qu�il e�t voulu fervir, �toit Renaud, ou quel-qu�un de fes fr�res; mais que, d�fefp�rant denbsp;les revoir jamais, il avoit renonc� a tout autre fervice qu�a celui de la Duchefl�. Alors,nbsp;elle lui dit tout ce qui fe paflbit; Renaudnbsp;embrafla Mainfroi, qui fe confacra k lui d�snbsp;ce moment. On lui dit de quelle importancenbsp;il �toit, que perfonne ne fut que les fils d�Ay-
-ocr page 92-86 nbsp;nbsp;nbsp;Les quatre fils
mon �toient avec leur m�re; on Ie chargea d�engager trois autres Ecuyers, qu�on lui nom-ma, pour partir dans la nuit d� lendemain.nbsp;Mainfroi protnic Ie feeree Ie plus inviolable,nbsp;amp; fe chargea des pr�paratifs du voyage; �nbsp;eut Ie plus grand foin des chevaux des Chevaliers , amp;, furtout, il cacha aux trois Ecuyersnbsp;les noms de ceux qu�ils devoient fervir; ilsnbsp;ne les apprirent que lorfqu�ils furent hors desnbsp;Etats de Charlemagne.
LaDuchefle,pendant tout cejour, amp; Ie lendemain, diftribua a fes enfans Ie tr�for de leur p�re , leur fit faire un �quipage brillant,'nbsp;amp; Mainfroi ordonna, au nom du Due Ay-�flon, une lev�e de cent hommes pour fe ren-dre, dans trois jours, k Sedan.
Tout ayant �t� conduit dans Ie plus grand fecret, amp; Ia nuit �tant d�ja avanc�e, ils mon-t�rent a cheval dans la cour du Chtlteau. Leurnbsp;m�re fondoit en larraes du regret de les quitter �, elle les embrafla mille fois; ils ne pou-voient fe f�parer d�elle; ils lui recommand�-rent leur p�re; elle les aflura de fon amiti�,nbsp;amp; les exhorta de fe conduire toujours aulSnbsp;fagement qu�ils 1�avoient fait.
Enfin, ils fortirent du ChSteau; ils trou-v�rent, �. peu de diftance de la Ville, leurs Ecuyers qui les attendoient. A peine furent-ils hors des Ardennes, qu�ils rencontr�rentnbsp;Ie Due Ayraon, avec trois cents hommesnbsp;magnifiqnement �quipes. Les quatre fr�res ennbsp;furent effray�s; ils arr�t�rent; Aymon quittenbsp;fa troupe, s�avancc vers Renaud, amp; lui dit
-ocr page 93-d'Jymon. nbsp;nbsp;nbsp;87
#n Xecret : � Mon fils, je fuis au d�fefpoir ,, des maux que je vous ai cauf�s; c�eft malgr�nbsp;� moi que je vous ai combattu; e�eft a la poli-,, tiquequeje vous ai facrifi�, amp; uonamonref-� fentitnent. Apr�s tout ce que j�ai fait con-,, tre vous, je fuis encore fufpeft a Charles;nbsp;� que feroit-ce, lij�avois gard� plus de m�na-,, gemens? Je ne puis rne juftifier d�un crimenbsp;,, qu�en paroiflant coupable d�un autre. Tellenbsp;,, eft ma fituation. Adieu; les trois cents hom-,, mes qui me fuivent font a vous; Ie Che-� vqlierqui les conduit, vafeindrede m�aban-,, donnet; il fait mon feeree, il n�en abuferanbsp;,, pas. Adieu; foyez toujoursaulfi braves, auffinbsp;� prudens amp; aufli g�n�reux que vous 1��tes.
En difant ces mors, il prend un air cour-rouc�, amp; s'�loigne, en mena9ant fes enfans; il met fa lance en arr�t, amp; appelle fa tr�upe anbsp;fon fecours : Celui qui la commandoit s�ap-proche, amp; tourne fes armes centre Aymon,nbsp;qui paroit furieux. Le Commandant de cettenbsp;troupe ordonne a fes foldats de fe ranger dunbsp;parti de ces quatre Chevaliers, amp; leur d�clarenbsp;qu��- l�avenir, ils feront fous leurs ordres.nbsp;Cette feinte d�fertion fut ex�cut�e avec unenbsp;li grande vraifemblance, que dix des fervi-teurs d�Aymon, qui n��toient point du fecret,nbsp;fondirent fur les transfuges; ils furent repouf-f�s amp; raccompagn�rent leur maitre a fon Chateau. Peu de jours apr�s, il r�pandit le bruit,nbsp;que les Chevaliers qui avoient d�bauch� fesnbsp;foldats amp; emport� fon tr�for, �toient fesnbsp;ptropres enfans, qui s'�toient rendu m�con-
-ocr page 94-8S
Zes quatre fits
noiflables a leur p�re amp; a leur ni�re, pat uh d�guifement indigne d�eux; il fit partir unnbsp;courtier pour en pr�venir Charlemagne, quinbsp;fut la dupe de cecte fable, amp; qui ne d�fap-prouva pas la conduite des Chevaliers enversnbsp;un p�re fi inhumain.
Le Chevalier, qui conduifoit la troupe d�Aymon, garda le plus profond filence, juf-qu�il ce qu�ils fuflent �loign�s de trois lieuesnbsp;des terres da Due. Alors, il leva la vifi�renbsp;de fon cafque, amp; les quatre fr�res reconnu-rent Maugis, leur coufin; ils coururent a lui,nbsp;tous a la fois; ils 1�accabl�rent de carehes;nbsp;ils ne concevoient pas par q�el hafard il fenbsp;trouvoit dans les Etars de leur p�re. Maugisnbsp;leur apprit que Charles avoit mis fur piednbsp;upe puiflante arm�e, qu�on ignoroit encorenbsp;contre qui il devoit diriger fes coups; maisnbsp;qu�il croyoit que le Due d�Ayinon �toit r�-concili� a vee fes enfans, amp; qu�en conf�quence,nbsp;il ne^ravoit pas invit� de le fuivre ; � Lenbsp;,, bruit 4e la rupture de Charles avec Aymon,nbsp;�continus Maugis, �toit fi bien accr�dir�,nbsp;� que je fuis'venu ofFrir mes fervices, amp; ceuxnbsp;�de mes oncles, a votre p�re; il m�a parunbsp;� plus attach� que jamais a ce Prince; il anbsp;,, �t� finc�rement afflig�des bruits qui s'�toientnbsp;� r�pandus d ce fujet; il eft vrai que, dansnbsp;� un moment de d�pit, Charles 1�a aceuf�nbsp;� d��tre de moiti� dans les complots de fesnbsp;�enfans; il n�a pas eu de peine a me per-5� fuader le contraire. Cependant, il fe repro-)) che en feeree les maux inutiles ^u�il vous
-ocr page 95-,, a fa its. J�ai voulu 1�engager a fe raccom-� moder avec vous: II m�a jur� qu�il n��coic �pas votre ennemi, mais que jamais il nenbsp;� vous donneroic des t�moignages publics denbsp;� fon amiti� [ il m�a offert rrois cents hommesnbsp;,, d�armes, en me permettant d�en faire 1�u-,, fage que vous voyez que j�en ai fait. Votrenbsp;� p�re d�fireroit que nous allaffions en Ef-� pagne� pays fertile en aventures, amp; quinbsp;� pourra nous] fournir des occafions de nousnbsp;,, faire eftimer de Charlemagne, amp; de 1�enga-� ger a nous rendre.fon amiti�.
Maugis parloit encore, lorfqu�ils rencon-tr�rent, a Rheims, trois cents hommes fous les armes Alard partoit pour les reconnoitre,nbsp;amp; Renaud fe difpofoit a combattre : � Ar-� r�tez, leur dit leur coufin, cette affaire menbsp;� regarde , amp; je vais, d�un mot, les met-� tre a la raifon �. Maugis part s�approchenbsp;de celui qui commande, amp;, aufli-t�t, cenbsp;corps fe divife en deux parts; moiti� fe meenbsp;en inarche pour faire l�avanr-garde, amp; Ie reftenbsp;attend que les quatre cents hommes des Chevaliers foient pa��s. Les quatre fr�res regar-doient cette mancEuvre avec furprife , lorf-que Maugis vint les tirer d�inqui�tude; il leurnbsp;apprit que ces hommes d�armes �toient a lui,nbsp;amp; qudl leur avoit donn� ordre de 1�attendrenbsp;a fon retour.
Les Chevaliers d�lib�r�rent fur la route qu�ils devoient tenir. Ils convinrent qu�il falloit �vi-ter Paris; ils prirent des chemins d�tourn�s,nbsp;raarchantj Ie plus qu�iis pouvoiepc, a tra-
-ocr page 96-go � nbsp;nbsp;nbsp;Les quatre fils
vers les for�ts ; Ils arriv�rent dans la Brie, gagn�rent Orleans, on ils paflerent la Loirenbsp;amp; fe rendiren t, enfin, a Poitiers. Quoiqu�ils fuf-fent en pays ennetni, ils fe content�rent d�y fairenbsp;vivre leur troupe aux depens de Charlemagne.
Ils avoient projet� d�aller en Efpagne �, mais ils apprirent , � Poitiers, que Boulag-Akaficnbsp;avoir chafle du tr�ne d�Aquitaine le Roi Yon,nbsp;amp; qu�il devoir 1�attaquer dans Bordeaux, avecnbsp;une armee de vingr mille Sarrafins.
Renaud, quine s��toit exerc� depuis long-temps, propofa d�aller fecourir le Roi d�Aquitaine; En fix jours, ils arriv�rent � Bordeaux ; ils firent arr�cer leur troupe a Blaye, amp; fenbsp;pr�fent�rent chez le Roi, ou ils trouv�rentnbsp;un grand nombre de Chevaliers, mais aucunnbsp;ne pouvoit fe comparer a Renaud; fa taillenbsp;majeftueufe , fa d�marche fi�re, fon regardnbsp;nobie amp; dotix, le faifoient admirer des hommesnbsp;amp; adorer des femmes. Ses fr�res, amp; fon coufin,nbsp;ne le c�doient en beaut� qu�a Renaud. Le favorinbsp;du Roi, en les voyant entrer dans le Palais,nbsp;fut frapp�, amp; Vint au devant d�eux ; Ils de-mand�rent d��tre pr�fent�s a fon maitre; ilnbsp;�roit au Confeil; le Courtifan les pria d�at-tendre un moment. Renaud lui fit pjufieursnbsp;queftions au fujer de Boulag-Akafir, amp; il appricnbsp;que cet intr�pide Sarrafin avoir conquis depuis Arles jufqu�aux Pyr�n�es, qu�il �toir lenbsp;maltre de Touloufe, de Montpellier amp; desnbsp;Villes les plus confid�rables des bords de lanbsp;Garonne; qu�il en avoir br�l� plufieurs, amp;nbsp;pafle les habitans au fil de 1��p�e.
-ocr page 97-Renaud faifoit encore des queftions, lorf-que le Roi parut; il prit fesfr�res, amp; Maugis, par la main, amp;, en les lui pr�fentant: � Sire,nbsp;� lui dit-i!, nous fommes cinq �trangers, tousnbsp;� Chevaliers, n�s dans une fortune bien diff�-� rente de celle que nous pofledons aujour-,, d�hui. Nous venons vous offrir notre fecours;nbsp;� nous avons fept cents hommes d�armes inbsp;,, notre folde; nous ne vous demandons d�au-^ tre r�compenfe , ii vous �tes content denbsp;,, nos fervices, que de nous prot�ger amp; denbsp;� nous d�fendre, lorfque nous vous deman-,, derons aide amp; fecours Le Roi parut tr�s-�itisfait de leurs offres; avant de les accepter, il voulut favoir qui ils �toient: Renaudnbsp;ne fe fut pas plut�c nomm�, qu'Yon t�moignanbsp;la plus grande joie; il connoiflbit la valeurnbsp;des quatre fils d�Aymon, amp; leurs infortunes:nbsp;Quant a Maugis, il ne put s�emp�cher de con-damner l�affaffinat deLothaire, mais il blamanbsp;le Roi de n�avoir pas veng� fur Ganelon, lanbsp;mort cruelle de Beuves. Yon remercia le Cielnbsp;de lui avoir envoy� ces vaillans Chevaliers.nbsp;� Si votre Roi voiis a profcrits, leurdit-il, linbsp;,, votre p�re vous a d�sh�rit�s, un tyran s�efl:nbsp;,, empar� de mes Etats; nos fortunes fontnbsp;� communes; que notre union foit finc�re amp;nbsp;,, durable. Vous voulez m�aider a reconqu�-,, rir mon tr�ne, je promets de vous aider,nbsp;� de tout mon pouvoir, contre vos ennemis,nbsp;,, quels qu'ils foient,, Le Roi les retinc amp;nbsp;Youluc qu�ils fuffent log�s dans fon Palais.
-ocr page 98-9-2
Les quatre fils
CHAPITRE VIL
Combat des fih d�^ymon contre hs Sarrafins. Jienaud force leur Koi a fe rendre amp; dnbsp;abjurer Mahomet. Boulag-yJkafir c�de fesnbsp;conqu�tcs au Hoi. Renaud demande , pournbsp;toute r�compenfe, de fe bdtir un fort furnbsp;la Dordogne. Ch�teau de Montaubaii. Lenbsp;Roi de Gafcogne lui donne fa fxar Tolande,nbsp;qui Vaim�it en fecret.
X-r/ E Roi lt;les Gafcons eut avis que les Sarra-fins �toient en marche, amp; qu�ils n��toienc point �loign�s de Bordeaux. Renaud partit uuffi-t�t,nbsp;amp; fic palier la Garonne a fes iroupes. Boulag-Akafir �toit parti de Touloufe avec vingt millenbsp;combattans; il �tablic fon camp a deux lieues denbsp;Bordeaux; ilenvoyaun d�tachement de quatrenbsp;cents Sarrafins pour lever des contributions, amp;nbsp;pour ravager tout le plat-pays. D�s qu�ils paru-rent, la Ville fut en alarmes. Renaud, �tancnbsp;mont� fur lesremparts, vit qu�il y avoit peunbsp;de danger; il apergut de loin le camp des enne-mis, amp; jugea que 1�arin�e ne tarderoic pas anbsp;fe mettre en mouvement; il fait armer fesnbsp;fr�res, s�arme lui-m�me, amp; dit a Maugis d�allernbsp;prendre le commandement de leurs hommesnbsp;d�armes.
Renaud, mont� fur Bayard, alia au devanc du Roi, amp; lui dit d��tre tranquille, qu�il alloit,
-ocr page 99-avec fes fr�res, amp;. fa troupe, au devant des. ennemis; qu�apr�s avoir chafle ce detachement, il attaqueroit le camp, afin d�engagernbsp;une adion; il pria le Roi de tenir fon arm�enbsp;toute pr�te a partir au premier fignal. Renaudnbsp;fortit de la ville avec fa troupe, joignit lenbsp;detachement amp; en tua une bonne partie.
D�s le commencement de I�attaque, I�armee ennemie s�etoitmife en marche; ce qui reftoitnbsp;du d�tachement fe rallia amp; fe battiten retraite;nbsp;Maugisle fuivit, amp; tomba dans une embufcade;nbsp;On Combattit avec acharnement; mais 1�avan-tage �toit tout pour Maugis. Cependant ,nbsp;Boulag-Akafir s�avance avec fon ann�e; fanbsp;marche �toit rapide amp; fi�re; 1�arm�e, moinsnbsp;Eombreufe, d�Yon , fe d�ploye dans la plaine.nbsp;Renaud 1�anime du feu de fes regards: Ellenbsp;attend le fignal du combat avec impatience,nbsp;Boulag-Akafir, accoutum� a vaincre, s�appro-che de Renaud pour le frapper, fon �p�e tombenbsp;fur un Chevalier gafcon amp; le pourfend jufqu�dnbsp;la felle de fon cheval; Alard veut le venger,nbsp;le terrible Sarrafin fe derobe a fes coups, qui ter-raflent deux Sarrafins amis de Bou'ag Le combat devient g�n�ral; Yon, �tonn� des prodigesnbsp;de valeur des fils d�Aymon, court h leur fe-cours, amp; n�abandonne plus Renaud; il animenbsp;fes troupes, qui ne donnent pas aux Sarrafinsnbsp;le temps de frapper; leur loi leur d�fendoit denbsp;fuir, quel que fut le danger, ils fe laiflbiencnbsp;�gorger, en benillant le Proph�te. Boulag, lesnbsp;voyant r�duits a un petit nombre, ordonnenbsp;la retraite; il ne put la faire, fans perdre en-
-ocr page 100-94
core beaucoup de monde: Malgr�Mahomer, il fe determine a la fuite; Renaud s�attachenbsp;a fes pas. Boulag montoit un cheval arabe,nbsp;done la vitefle �galoit celle des vents; Bayardnbsp;avoit de la peine k Ie fuivre; en moins denbsp;trois heures, ils avoient laifle Bordeaux a plusnbsp;de trence lieues derri�re eux, amp; n��toietrt pointnbsp;�loign�s deTouloufe; Ie RoiYon, amp; les fr�-res de Renaud, ne favoient ce qu�il �toit de-venu; ils 1�avoient perdu de vue dans la cha-leur du combat, ils Ie firent chercher parminbsp;les morts; les airs retentiflbient de leurs cris.nbsp;Yon cherchoit en vain a les confoler; il pro-mit de donnet la moiti� de fon Royaume pournbsp;la ranfon de Renaud, s�il �toit pris, amp;, linbsp;cela ne fuffifoit pas, il jura qu�il fe donne-roit lui-m�me. II ne voulut point rentrer dansnbsp;Bordeaux, qu�il n�en e�t des nou velles; Mau-gis, les trois fr�res, amp; Yon, efcort�s de deuxnbsp;cents Cavaliers, marcli�rent fur les traces desnbsp;ennemis.
Cependant, Renaud atteignit Boulag-Alcafir; Ie Sarrafin vit, en fr�mifl�ant, ce Chevaliernbsp;intr�pide, qui avoit d�truit une partie de fonnbsp;arro�e � Brave Chevalier, lui dit-il, vous nenbsp;� m�nagez pas aflez votre cheval, Que t�im-,, porte? dit Renaud; d�fends-toi;j�ai promisnbsp;� ta t�te au Roi d�Aquitaine, amp; je viens lanbsp;� chercher �.LeSarrafin, nepouvant �viterlenbsp;combat, attaque Renaud, fa lance fe brifenbsp;fur fon �cu; le fils d�Aymon fond fur lui l��p�enbsp;a la main, amp; le frappe fi vigoureufement furnbsp;fon cafque, qu�il le jette loin de fon che-
-ocr page 101-val, Boulag fe rel�ve, encore �tourdi de fa chute. Renaud ne voulut point combattrenbsp;cheval contre un homme a pied; il defcend amp;nbsp;attend que Boulag fe foit remis; alors, ils s��-lancent 1�un vers 1�autre, amp; cherchent a fenbsp;porter des coups funeltes. Tandis quhls lut-tent, Ie cheval de Boulag effray�, s�enfuit anbsp;travers les champs�, Bayard, qui fembleanim�nbsp;de 1�efprit de fon niaitre , court apr�s lui,nbsp;1�atteint, rue, Ie movd, Ie faiflt avec fes dentsnbsp;par la crini�re, amp; Ie ram�ne au lieu o� lesnbsp;Chevaliers fe combattoient.
Boulag avoit re9u deux bleflures, Renand 1�avoit terralle, amp; fe difpofoit a lui porternbsp;Ie dernier coup. � G�n�reux Chevalier, luinbsp;� dit-il, accorde-moi la vie, amp; demande-moinbsp;� Ie prix que tu voudras', tout ce que je pof-� s�de eft a toi. Non , r�pondit Renaud,nbsp;,, garde tes dons, je ne veux rien devoirnbsp;,, qu�a mon �p�e; mais, fi tu tiens a la vie,nbsp;� il n�eft qu�un moyen de la conferver ;nbsp;� quitte ton abfurde Proph�te, qui n�a punbsp;� te fauver , amp; embrafle une religion plusnbsp;� pure amp; plus raifonnable. Promets-inoi d�ab-� jurer Mahomet amp; de te faire chr�tiennbsp;Boulag-Akafir avoir long-temps r�fl�chi futnbsp;1�Alcoran; il s��toit apergu que fes dogmes n��-toient que 1�apologie des gouts, des vues po-litiques amp; ambitieufes de leur auteur; que cenbsp;qu�il contenoit de plus raifonnable, �toit unenbsp;l�gi�ation accommod�e au g�nie amp; au carac-t�re des peuples, que Ie Proph�te avoit fou-mis, OU qu�il efp�roit de foumettre; il ne
-ocr page 102-�voyoit rien de divin, rieii m�me qui ne fftc au deffbus du grand homme dans fa morale.nbsp;Boulag n�h�fua point. � Chevalier, lui dit-il,nbsp;je connois ta religion; fi je croyois que lanbsp;� mienne fOic meilleure, mille tr�pas ne menbsp;5, la feroient point abandonner; rien n�eft plusnbsp;,, Ikhe que d�adopter ce que 1'on ne croit pas,nbsp;� amp; d�abjurer Ie fyfl�me m�me Ie plus ridi-,, cule, lorfqu�on Ie croit vrai, malgr� fes ab-furdit�s. Je me rends � vous, je fuis votrenbsp;� prifonnier, voila mon �p�e Renaud lanbsp;regoit, 1�embrafle, 1�aide a fe relever amp; Ienbsp;remet lui-m�me fur fon cheval, plus contentnbsp;de cette conqu�te, que s'il avoit tu� dixnbsp;mille Sarrafins de fa main.
Boulag-Akafir amp; Renaud s�en retournoient a Bordeaux, fe livrant a Ia confiance, amp; dif-courant fur la religion des Chr�tiens amp; furnbsp;les mceurs f�roces des enfans du Proph�te ; ilsnbsp;furent rencontr�s par Yon amp; fa fuite; Ie Rol,nbsp;Maugis amp; les fr�res de Renaud, verf�rent desnbsp;larraes de joie, en retrouvant ce h�ros : IInbsp;pr�fenta Boulag au Roi, en Ie priant d�avoirnbsp;pour lui tous les �gards qui font dus a unnbsp;grand Capitaine , amp; a un brave guerrier : Onnbsp;Ie re^ut avec amici� ; amp;, lorfqu�on fut danbsp;retour a Bordeaux, Yon Ie pr�fenta \ tousnbsp;les Seigneurs de fa Cour. II d�clara que c��toitnbsp;a Renaud, a fes fr�res amp; Maugis qu�il devoitnbsp;Ie Royaume d�Aquiraine ; il voulut qu�on fitnbsp;trois parts du bucin, 1�une pour Renaud, l�au-tre pour les quatre Chevaliers, amp; Ia troifi�menbsp;pour fon armee; mals Renaud n�en voulut rien.
Yon, frapp� d� tant de g�n�rofit�, ne fa-chant comment r�compenfer Renaud, edt d�-fir� qu�il eut voulu accepter la main de la bell� Yolande, fa four, jeune Princefl�e, Sg�e denbsp;dix-fept ans, de la beaut� la plus parfaite,nbsp;nnais la crainte de fufciter de trop puilTans en-nemis a Renaud, I�empecha de propofer cenbsp;mariage.
Yolande n'�toit point infenfible aux vertus amp; aux belles qualit�s, du fils d�Aymon; ellenbsp;avoir affez hautement fait connoitre fes fenti-mens, lorfqu�on lui raconta les grandes actions qu�jl avoir faites a la bataille -des Sar-rafins. A fon retour, elle lui avoir marqu�nbsp;Cl reconnoiflance avec des larmes de joie; Renaud lui avoit pr�fent� Boulag, fon prifonnier ,nbsp;amp; elle les avoit f�licit�s 1�un amp; 1�autre, I�uiinbsp;de fa vi�loire, amp; 1�autre d��tre au pouvoirnbsp;d�un fi g�n�reux vainqueur. La beaut�, lesnbsp;grtlce? de la Princefl'e, fon caraft�re doux amp;nbsp;bienfaifant, avoient fait impreffion fur 1�amenbsp;du h�ros; mais fa modeftie �touffoit fes d�-firs amp; lui interdifoit rout efpoir.
Boulag, ainfi qu�il 1�avoit promis, avoit abjur� la religion de Mahomet; il avoit pro-tnis de ne plus faire la guerre aux Chr�tiens,nbsp;mais il d�firoit de revoir les lieux qui I�avoiencnbsp;vu naitre; il s�adrefla a la Princefl'e, amp; la prianbsp;d�engager le Roi fon fr�re de le mettre a ran-5on; le Roi ne voulut point en decider, il vou-lut que Renaud put difpofer de fon prifonnier.nbsp;Boulag offroit fix mulets charg�s d�or; le Che-\aUei exigea, de plus gt; qu�il remit au Roi,
-ocr page 104-98 nbsp;nbsp;nbsp;Lei ^uatre-JiU
Touloufe amp; tout ce qiii en d�pendoit. Boulag y confentit, amp; la libert� lui fut rendue. You,nbsp;dont eet accord doubloir les Etats, donna lesnbsp;fjx charges d�or a Renaud, qui refufa de lesnbsp;accepter, en Ie priant de lui r�ferver fes bon-t�s pour quelqu�autre occafion.
Cette occafion ne tarda pas a s�offrir. Quel-ques jours apr�s Ie d�part de Boulag, Renaud, fes fr�res, amp; fon coufin, cliaflbient fut lesnbsp;bords de la Dordogne; corame ils s�en retour-noient, Alard jeta les yeux fur la montagnenbsp;qui efl; au dela de la rivi�re; elle pr�fentoitnbsp;vin afpefl; agr�able amp; de riches piturages;Ie fom-inet, fans�tre trop �lev�, fonnoit une plainenbsp;qui pouvoit �tre aif�ment Ibrtifi�e. � Voilanbsp;,, une belle fituation, dit-il a fon fr�rel Si nousnbsp;3, pouvions trouver ici un autre Montfort,nbsp;3, appuy�s du Roi Yon, Charlemagne ne rat-3, taqueroit point impun�ment Alard luinbsp;confeilla de demander, pour toute r�com-penfe, ce terrain, amp; la permiffion de Ienbsp;fortifier. Renaud approuva eet avis; ils tra-vers�rent la Dordogne amp; fe tranfport�rent furnbsp;Ie , terrain m�me, amp;, apr�s 1�avoir bien re-connu, ils revinrent a la Cour. Renaud pr�-fenta au Roi, amp; a fa fmur, quatre b�tes fauvesnbsp;qu�ils avoient prifes a la chafle. � Sire, luinbsp;� dit-il, les fruits de nos d�laflemens, Si ceuxnbsp;3, de nos travaux , doivent vous appartenir.nbsp;3, Riei) ne m'appartient que par vous, r�pon-� dit Ie Roi, Cell � vous que je dois, amp; manbsp;� puiflance, cc la tranquillit� dont mes Etatsnbsp;ajouiflenci Ie feul in�egntentement que j��-
-ocr page 105-d'Ay mort. nbsp;nbsp;nbsp;99
9, proiTfre, c�eft de vous voir rejeter toutes � les r^ompenfes que je vous ai offerees. IInbsp;,, fembie que vous foyez fi jaloux de 1�avan-,, tage que vous avez fur moi, que vous crai-,, gniez de 1�affoiblir, en recevanc des mar-,, ques de ma reconnoiflance Renaud re-pliqua qu�il n�avoit encore rien fait qui m�ritacnbsp;ce fentiment; ,, cependant, ajouta-c-il, fi,nbsp;,, pour vous plaire, il faut accepter vos bien-,, fairs, accordez-moi, pour toute r�compen-,, fe, la permiflion d��lever un Ch�teau furnbsp;� la montagne qui eft au dela de la rivi�renbsp;Yon lui accorda non feulernent cette permif-fion ; mais il lui donna la montagne enti�renbsp;amp; Ie terrain qui l�environnoic.
Le lendemain, Yon , avec Renaud, fes fr�res, amp; Maugis, accompagn�s de plufieursnbsp;Chevaliers, fe tranfport�renc fur la montagne ; le Roi trouva la fituation tr�s-belle amp;nbsp;propre a �tre fortifi�e. Un de fes Courtifans,nbsp;qui aimoit Yolande, amp; qui n�ofoit faire �cla-ter hautement fon d�pit contre Renaud, pritnbsp;le Roi en particulier, amp; lui repr�fenta les con-f�quences dangereufes du pr�fent qu�il faifoicnbsp;aux fils d�Aymon. � S�ils efp�rent, lui difoit-,, il, de fe mettre a couvert du pouvoir denbsp;�� Charlemagne dans la forterelle qu�ils fe pro-,, ^fent de bdrir, que n�en aurez-vous pasnbsp;,,a craindre, vous qui n�avez ni les forcesnbsp;,, de ce Roi, ni fes reflburces? Vous avez �ga-lement d redouter, amp; la haine de Renaud, amp;nbsp;�Ton amiti� : Si jamais 1�int�r�c vous divife,cenbsp;� qu�il a fait pour vous dolt vous faire jugec
loo nbsp;nbsp;nbsp;Les quatre fils
� de ce qu�il peut entreprendre contre vous, j, fecond� par fes fr�res , amp; avec Ie*fecoursnbsp;� d�une fortereffe que leur art rendra inex-� pugnable Le Rol fut �branl� par c'e dif-cours; mais il avoir promis a Renaud, amp; nenbsp;voulur point lui manquer. Cependant, il luinbsp;dit; � Si vous m�aviez demand� la moiti� denbsp;�mes Etats, je vous 1�aurois accord�e; jenbsp;� n�ignore point qu�en vous permettant d'�-� lever un fort fur cette montagne, je menbsp;� mets, en quelque fa9on, en votre pouvoir;nbsp;� mais j�ai trop de confiance en votre g�n�-,, rofic�, pour avoir a craindre le moindrenbsp;� attentat,,. Renaud amp; fes fr�res lui jur�rencnbsp;une amiti� amp; une fid�lit� �ternelles, amp; pro-mirent de le d�fendre contre tous fes ennemis.
Le Chateau fut conftruit en peu de temps; Renaud le fortifia de tous c�t�s, amp; �leva desnbsp;tours de diftance en diftance, fur la croupenbsp;de la montagne. Lorfque routes les fortifications furent achevees, Renaud amp; fes fr�resnbsp;invit�rent le Roi d�y -venir ; Yon ne put s�era-pecher de 1�admirer; mais, pour lui �ter toutnbsp;foupfon de 1�avenir, les quatre fr�res, amp; leurnbsp;coufin, promirenr que 1�un d�eux refteroicnbsp;alternativement a fa Cour pour fervir d�o-tage , amp;. que le Roi auroit toujours une gar-nifon dans le Ch�teau; Renaud pria le Roinbsp;de donner fon nom a cette nouvelle cite jnbsp;il la nomma le Chateau de Montauban , amp;nbsp;fit publier, dans routes les Villes de fon Royau-iTie,que tous ceux qui.voudroient I�habiter,nbsp;feroient exeinpts de tout impot pendant dix ans.
-ocr page 107-f: i'li
d*Aymon,
On y courut en foule, Ia Ville fut blen-t�c peupl�e. Les Courtifans murmuroient; Ie Roi convenoit que tout autre que R�nauclnbsp;pourroit �tre a craindre , mais la vertu, Ienbsp;rafluroit. Le fils d�Aymon fut inftruit desnbsp;craintes de la Cour, il alia trouver le lloi,nbsp;amp;, apr�s lui avoir renouvel� les affurances denbsp;fa fid�lit�, il le pria d�aflembler fon Confeil.nbsp;Le Roi fit venir tout ce qu�il y avoit de plusnbsp;grand dans fes Ecats, amp; voulut que le Peuplenbsp;envoyat fes d�put�s : Lorfque le corps de lanbsp;Nation fut convoqu�, Renaud demanda quenbsp;ceux qui craignoient qu�il n�abusat, un jour,nbsp;lui, OU fes fr�res, de la gr�ce que le Roinbsp;venoit de leur accorder, propofaflenc leurs dif-ficulc�s, amp; qu�il tamp;cheroltdelesr�foudre. Quel-ques-uDs r�p�t�rent ce qu�ils avoient d�ja ditnbsp;au Roi. � Nous n�avons, dit Renaud, d�au-� tres gages a ofirir, que notre parole amp; nognbsp;,, perlbnnes; fi quelqu�un peut trouver un au-,, tre moyen, qu�il 1�indique, amp; nous fom-� mes pr�ts d�accepter routes les conditionsnbsp;� que le Roi voudra nous impofer Alors,nbsp;Godefroid de Moulins demanda au Roi la per-roiflion de lui parler en particulier : Ils fenbsp;retir�rent a l��cart, amp; , apr�s un momentnbsp;d�entretien, on vit le Roi, la joie fur le vi-ftge, embrafl�r ce Chevalier, le quitter bruf-quement, reprendre fa place, amp; dire ^ Renaud:
,, Vous venez de vous engager folemnelienient d�accepter routes les conditions que je vou-� droisvous impofer. Envoiciune, qui, feule,
loa quot;Les quatre fils
� mais, Ie pouvoir de leur nuire. Yolande effc � 1�objet des vffiux des plus vaillans Cheva-liers de ma Cour amp; des Princes mes voilins;nbsp;� elle connoit vocre m�rite, amp; je fais quenbsp;vous n��tes pas inlenlible a fa beaut�,nbsp;� quoique votre modeftie vous ait emp�ch�nbsp;� de vous d�clarer : Renaud, je vous dois lanbsp;,, couronne, nous fommes amis, foyons fr�-,, res, j�efp�re que ma fceur ne s'oppofera pointnbsp;� a tin mariage qui fera mon bonheur amp; Ianbsp;,, furet� de mon peuple.
Le h�ros rougit, Ie Confeil applaudir, a l�exception de quelques pr�tendans, qui n�of�-lent murmurer. Renaud, qui s�en aperqut,nbsp;rendit de profondes adions de graces au Roi,nbsp;amp; ajouta, que c��toit la Princefle de decider; qu�il n�y avoic aucune raifon d��tat quinbsp;p�: lui faire d�lirer un li grand bonheur, linbsp;elle y avoic la moindre r�pngnance, amp; qu�iinbsp;�toit tout pr�ta abandonner fon�tabliflement,^nbsp;s'*!! devoir en co�ter un foupir a une Prin-cefle auffi refpedable. Le Roi r�pondoit de fanbsp;fceur, amp; vouloic que le mariage fut r�lblunbsp;dans 1�inftanc m�me. Renaud amp; fes rivaux fenbsp;r�unirent pour demander, qti�avant de paflernbsp;plus avant, Yolande fut confult�e; ils parl�-renc avec tant de force, qu�ils entrain�rencnbsp;Paflembl�e. Le Roi renvoya le Confeil au len-demain.
A peine fe fut-on f�par�, que le Roi paflk dans 1�appartement de fa fceur, amp; lui annon^anbsp;que la Nation venoit de lui donner un �poux;nbsp;Yolande fr�mic. � Eh! quoi, dit-elle, fans me
-ocr page 109-d'Jymon. nbsp;nbsp;nbsp;103
confulter? Quoique la raifon d�Etat, reprit ,, Ie Roi, permetce rarement aux Souverainsnbsp;de fe marier au gr� de leurs penclians, Re-j; naud a obrenu que 1�on conlukeroit Ie v�-5, tre , pour favoir s�il �toit conforme auxnbsp;� vceux des peuples qui fe font d�clar�s. Ahlnbsp;5, reprit la Prince�e, puifque Renaud eft lxnbsp;5, circonfped:, ce n�el� point lui qu�ils onenbsp;choifil II n�eft point de facrifice que je iienbsp;� Ibis pt�te de faire pour vos fujets amp; pournbsp;5, vous: Mais, mon fr�re, pourquoi ce Re-,, naud, a qui nous devons notre gloire, Ienbsp;,, feul qui puifle prot�ger vos peuples, ce Che-valier g�n�reux qui foule aux pieds les r�-� compenfes, qui en m�rite de toute efp�ce,nbsp;,, n�a-t-il encore trouv�, panni nous, que desnbsp;,, ingrats,,? Yon 1��coutoit avec plaifir, amp;nbsp;gardoit Ie filence. �Ce n�eft pas vous, dunbsp;5, moins, dit-il, ma fceur, qu�il doit aceufer
� d�ingratitude : Je vois.....� Y'olande �ton-
n�e l'i�terrompit : �Que dites-vous, mon j, fr�re? Sur quoi jugez-vous, qu�oubliant Ienbsp;� foin de ma gloire, mon coeur fe foit d�ciddnbsp;,, en faveur de ce jeune h�ros? J�ai fu dif-,, tinguer fes vernis, mais je me fuis born�enbsp;� a les admirer. Mon coeur eft libre, amp;, quelnbsp;,, que foit 1��poux que l�Etat me deftine ,nbsp;�je fuis pr�te a 1�accepter. Je fuis fdch� denbsp;� tant de r�fignation , reprit Ie Roi, car�nbsp;� quoique Ie Confeil ait prononc�, un mot denbsp;� votre part pouvoit la faire changer. Cruel!nbsp;,, s��cria-t-elle, pourquoi vous plaifez-vous anbsp;� ra�icqui�ter ? Hatez-vous, nommez-moi
104 nbsp;nbsp;nbsp;quatre fils
,, eet �poux *. Si ce n�eft point Renaud, to�'t ,, autre m�eft �gal.
Yon, qui ne doutoit point des fentiraens de fit fcEur, avoit cach� Renaud, amp; deux denbsp;fes rivaux qui avoientle plus de pr�tentions,nbsp;de mani�re qu'ils pouvoient tout entendrenbsp;fans �tre vus. Aux derniers mots qu�avoit ditnbsp;Yolande, le fils d�Aymon s��lan9a aux genouxnbsp;de la Princefle, amp; lui apprit que c��toit lui quenbsp;Je Confeil avoit choifi. Elle ft tourna, en rou-gifiant vers le Roi, comme pour lire dansftsnbsp;yeux, ft on ne la trompoit pas encore; lenbsp;Roi fourit, amp; lui confirma que le choix �tantnbsp;tomb� fur Renaud, il n'avoit rjen voulu con-dure fans 1�aveu de la Princefle. � Allez, monnbsp;,, fr�re, dit-elle, raflemblez le Confeil, amp;nbsp;� aflurez la nation que j�approuve le choixnbsp;,, qu�elle a fait Le Roi fit entrer les Cour-tifans, qui diffiraul�rent leur d�pit, amp; f�liei-t�rent Renaud.
Le Confeil ft raflembla, le lendemain; le mariage de Renaud amp; de la Princefle fut decide; le Roi en ordonna, lui-m�me, lespr�para-tifs; on n�oublia point les tournois, les quatrenbsp;fr�res, amp; Maugis, s�y diftingu�rent encore plusnbsp;par leur courtoifie, que par leur bravoure.nbsp;Cette alliance jeta le cahne dans les efprits;nbsp;Les fills d�Aymon ft firent adorer, amp; les Bor-d�lois ne firent qu�un m�me Peuple avec ceuxnbsp;de Montauban.
-ocr page 111-105
CHAPITRE VIII.
Charlemagne envoye demander au Roi d�A-quitaine de lui livrer Renaud amp; fes fr�res. Refus da Roi. Declaration, de guerre. Ar-rivie de Roland d la Cour de Charlemagne. Sa jcunejfe , fa beaut�^ fon courage.nbsp;Guerre contre les Sarrafins fur le Rhin.nbsp;Prodiges de valeur de Roland. Courfe denbsp;chevaux, dont Renaud., qu'on croit d Mon-tauban, remporte le prix , fous les yeuXnbsp;m�me de Charles.
C^harlemagne fut inftruit qu�Yon avoit donn� afyle, dans fes Etats, aux filsnbsp;d�Aymon, Les perf�cutions qu�il leur avoitnbsp;fait efluyer avoient encore irrit� fa vengeance. Ce Roi puiflant, dont le nora feul fai-foit trembler les Sarrafins, qui regnoient furnbsp;une partie de PEurope, voyoit, avec unenbsp;peine cruelle, que quatre jeunes guerriersnbsp;�chappoient a fon courroux. II ordonna anbsp;Oger le Danois, amp; a Naimes, d�aller a la Cournbsp;d�Aquitaine , amp; de menacer Yon de fa co-l�re, s�il refufoit de lui remettre Renaud amp;.nbsp;fes fr�res.
Les D�put�s trouv�rent Renaud a la Cour, d�.Yon. Oger s�adrefla au Roi, amp; lui dit:nbsp;� Charlemagne eft inform� que vous aveznbsp;,, permis a Renaud amp; a fes fr�res, de fe conf-iruire un fort au milieu de ,vos Etats, h
E V
-ocr page 112-�o6 nbsp;nbsp;nbsp;tes quatre fils
,, de former une Souverainet� nouvelle au � milieu de votre Royaume. Quelque con-� traire que foic cetce conduite � 1'a fainenbsp;3y politique, Charles s�en inqui�te peu; mals,nbsp;3, ce qui 1�indigne amp; Ie blefle, c�ell que vousnbsp;3, ayez pris Ibus votre protedlion fes plusnbsp;3, cruels ennemis : S�il n�a pas fait �claternbsp;3, fa col�re contre vous, c�eft qu�il veut biennbsp;33 croire que vous ignoriez les caufes de fonnbsp;� reflentiment. Apprenez done, que Renaudnbsp;3, eft, non feulemeut, Ie neveu du Due d�Ai-33gremont, Taflaffin du ills du Roi; raaisnbsp;^ qu�il a aflaffin�, lui-m�rae, Berthelot, neveunbsp;33 de ce Prince.
Renaud interrompit Oger: � Vous favez,� 33 Chevalier, que j�ai tu� Berthelot a monnbsp;33 corps d�fendant, pourquoi done dites-vousnbsp;33 que je 1�ai aflaffin�? Si c�efi: pour juftifiernbsp;3, la haine de Charlemagne, c�eft une flatte-� rie indigne d�un chevalier; fi c�eft pournbsp;,, aigrir Ie Roi Yon contre nous, c�eft unenbsp;,, m�chancet� impardonnable. Au refte, c�eftnbsp;� mal connoJtre Ie Prince, que d�efp�rernbsp;,) qu�il livrera a 1�ennemi Ie plus implacable ,nbsp;3, des Chevaliers qui lui ont demand� une re-3, traite , amp; a 1�iin defquels il a accord� lanbsp;33 main de fa fceur,
Oger reprit ainfi : ,, Que votre nouveau 3, protefteur s�attende done a voir Charle-� magne, avec routes fes forces, d�vafternbsp;5, fes Etats amp; r�clamer, Ie fer amp; Ia flammenbsp;3, a la main, des coupables auxquels il eft r�-3gt; folu de ne faire aucune grace Yon r�-
-ocr page 113-d'Aymon. nbsp;nbsp;nbsp;107
pondit avec fermet� qu�il eut d�fir� de vivre en bonne intelligence avec Charlemagne, fonnbsp;parent; mais qu�il n�acheteroit jamais fonnbsp;amiti� par une perfidie; que, fi le Roi vou-loic recevoir les fils d�Aymon en grice, ilnbsp;pouvoit compter pour fes amis, amp; ces quaere Chevaliers amp; fes parens, amp; le Roi d�A-quitaine, amp; fes allies.
Ogeramp;Naimes proteft�rent que, dans pen de temps, Charlemagne le feroit repentir ddnbsp;fes refus, amp; que, d�s ce moment,, il lui d�-claroit la guerre. Ils 1�aflur�rent que, d�s quenbsp;le Roi de France auroit tir� 1��p�e, il ne lanbsp;laifleroit repofer, que lorfqu�elle feroit abreu-v�e du fang de fes ennemis, amp; qu�il ne ren-treroit dans fa Capitale, que la t�te de Re-naud a la main, api�s une punition exem-plaire de fes complices.
Quand les Ambafladeurs eurent rapporte a leur maitre la r�ponfe du Roi d�Aquitai-ne, amp; celle de Renaud, il entra en fureur;nbsp;j] voulut qu�on s�arm�t fur le champ. � Lenbsp;� Roi Yon, difoit-il, eft encore fatigu� denbsp;� la derni�re guerre; fes Etats ont �t� rava-,, g�s par les Sarrafins; fes troupes ne peu-,, vent qu��tre aifoiblies, profitons de cesnbsp;� avantages, nous ne ferons que nous pr�-�femer amp; vaincre Le fage Naimes mo-d�ra fes tranfports; il pr�fenta a Charlemagnenbsp;que fes troupes n��toient pas en meilleur �tacnbsp;que celles du Roi d�Aquitaine, que le feui nomnbsp;de Renaud effrayoit les foldats fran90is, qu�ilnbsp;falloit faire de nouyelles levees, amp; qu�il �toit
lo8 nbsp;nbsp;nbsp;lLe$ quqtre fils
aif� de juger, par la r�fiftance que Ie Chateau de Moncfort avoit faite, de celle qu�on de-voit attendre de celui de Montauban.
Le Roi �toic indign� qu�on osic lui parler des fils d�Aymon comme de h�ros fi redou-tables. II fe plaignoi: du fort, qui 1�avoit faitnbsp;nalire pour r�gner , il edt d�fir� n��rre que lenbsp;dernier Chevalier de fa Cour, il edt d�fi� lesnbsp;quatre fils d�Aymon, Maugis, amp; le Roi lui-m�me. II �toit dans cette agitation, lorfqu�onnbsp;lui pr�fenta un jeune homme d�une beaut�nbsp;raviflante, portant dans les yeux toute 1�in-ir�pidit� de fon ame, joignant a la fiert�nbsp;du h�ros toute la modeflie de la valeur veritable, au coup-d�mil de l�homme confomm�nbsp;la defiance que l�homme prudent a toujoursnbsp;de lui-m�me. Ce damoifel, c�eft ainfi qu�onnbsp;appeloit les jeunes Gentilshommes qui n��-toient point encore Chevaliers , parut d lanbsp;Cour de Charles avec les habits les plus ma-gnifiques; mais tout refpiroit en lui .le guer-rier; il �toit efcort� de trente Ecuyers, af-pirant tous d �tre Chevaliers, amp; ayant, pref-que tous, m�rit� eet honneur par des exploitsnbsp;h�ro�ques.
Charles alia au devant du jeune guerrier, qui avoit cache fon nom pour ne devoir qu�4nbsp;fon propre m�rite 1�accueil que lui feroit Ienbsp;,Roi. Ce Prince, en le voyant, fe fentit p�-n�tr� d�eftime amp; d�amiti� pour lui; il lui mar-qua fes fentimens, de mani�re d le diftinguernbsp;de tous les Chevaliers de fa Cour, amp;, ce qu�ilnbsp;y eut de fingulier, c�eft que perfonne n�ea
-ocr page 115-d'Aymon. nbsp;nbsp;nbsp;�oq
fut jaloux. Charles lui demanda qui il �toit : � Un jeune homme, r�pondit-il, qui s�elti-� meroit trop heureux de confacrer fes fer-,, vices 4 fon Souverain, amp; qui n�a d�autrenbsp;� ambition que de marcher fur les traces dunbsp;,, brave Milon fon p�re, amp; d�imiter les vertusnbsp;,, de fa m�re , votre digne foeur� O ciel!nbsp;,, s��cria Ie Roi, en embraflant Roland, janbsp;,, te rends gr�ces de m�avoir donn� un neveunbsp;,, digne de moi, amp; de m�envoyer un ven-� geur digne de combattre contre Renaud.
Roland pria Ie Roi, fon oncle, de farmer Chevalier, n�ayant jamais voulu recevoir eet honneur que de lui : Charles remit lanbsp;c�r�monie au lendemain , afin qu�elle fut plusnbsp;�clatante ; il y eut des f�tes magnifiques amp;nbsp;des tournois de la plus grande beaut�. D�snbsp;que Roland fut fait Chevalier, il propofa denbsp;jouter contre quiconque fe pr�fenteroit. Oger,nbsp;qui �toit f�ch� de ce que Charlemagne avoicnbsp;dit qu�il lui venoit, enfin, un vengeur digne de fe battre contre Renaud, voulut �prou-ver par lui-m�me fi ce jeune guerrier �toitnbsp;suffi redoutable qu�on Ie croyoit. II fe pr�-fenta; la vi�loire balan^a quelque temps. Ogernbsp;paroifibit avoir plus de force; Roland, quinbsp;m�nageoit la fienne, marquoit plus d�adreflenbsp;amp; d'agilit�, lorfqu�Oger croyoit Ie frappernbsp;de fa lance, elle frappoit les airs, il �toitnbsp;emport� par fon cheval, amp; ne voyoit plusnbsp;fon adverfaire, qui d�j� �toit derri�re lui ,nbsp;pr�t a Ie frapper a fon tour. Roland fit du-rer quelque temps cette manceuvre fmguli�re j
-ocr page 116-no nbsp;nbsp;nbsp;Les quatre fils
bient�t, ajoutant la fouplelle a la force, 11 attaque Oger, le preffe, amp; le renverfe avecnbsp;fon cheval; le jeune Chevalier defcend auffi-t�c, aide Oger a fe d�gager, amp; lui of�re lenbsp;combat a 1��p�e ; ils portent amp; parent, alter-nativeraent, les coups les plus terriblesj 1��p�e d�Oger fe cade amp; vole en �clats; Rolandnbsp;quitte la fienne. Ils commencent un nouveaunbsp;genre de combat �, ils s�embraflent amp; cherchencnbsp;�L fe terrafler. Roland, plus agile, fit voirauxnbsp;fpeftateurs qu�il n�eut tenu qu�a lui de ren-verfer plufieurs fois Oger ; mais Oger, en 1�en-trainant dans fa chute, eut pu profiter d�unenbsp;reflburce que Roland fe menageoit pour lui-in�me : En effet, ce jeune h�ros laifla a fonnbsp;rival 1�avantage de le renverfer, il entrainsnbsp;Oger �, � peine celui-ci eft-il tomb� fur Roland,nbsp;que le nouveau Chevalier s��chappe l�g�re-ment par dellbus Oger, le foul�ve, le met,nbsp;fon tour, fous lui, appuye fon genou fur lanbsp;poitrine defon adverfaire, letient d�une mainnbsp;a la gorge, le menace de I�autre, amp; le forcenbsp;de s�avouer vaincu.
Cliarlemagne fe f�licitoit des vertus de fon neveu ; la beaut� de Roland enlevoic tousnbsp;les ccEurs; fa bravoure lui artiroit le refpe�lnbsp;de la Cour amp; du peuple. Le Roi le preflbicnbsp;de fe pr�parer pour aller combattre Renaudnbsp;amp; le Roi Yon, lorfqu�on apprit que les Sar-rafins avoient fait de grpds d�gats depuis lesnbsp;fources du Rhin jufqu�a Cologne; qu�ils af-fi�geoient cette Ville , amp; qu�ils en avoientnbsp;br�l� les environs. Les afli�g�s pouvoient te-
-ocr page 117-�I'
nir encore quelque temps; mais ils follicitoient vivement Charlemagne de leur envoyer dunbsp;fecours, fans quoi ils fe verroient forc�s denbsp;ie rendre. Charles, oubliant pour ce momentnbsp;fesprojets de vengeance contre Renaud, donnanbsp;vingt mille hommes d�armes a fon neveu , amp;nbsp;Ie chargea de (J�livrer Cologne amp; de chaffer lesnbsp;Sarrafins.
Roland partit avec Naimes, Oger Ie Da-nois, plufieurs autres Chevaliers amp; fesvingc mille hommes d�armes, tous bien mont�s. Ilsnbsp;arriv�rent, Ie huiti�me jour, a la vue desnbsp;ennemis : D�s qu�ils aper^urent les Sarrafins,nbsp;ils s�arr�t�rent amp; s�embufqu�rent dans un ravin, derri�re un bois. Au point du jour, Roland forma uh d�tachement de douze centsnbsp;hommes, qui fe pr�fent�rent devant Ie campnbsp;des Sarrafins, Stleur firent quelques prifonniers.nbsp;Auffi-t�t 1�alarme fut r�pandue dans Ie camp ,nbsp;amp;L 1�arm�e fe rangea en bataille; les Fran$oisnbsp;commen^�rent a fe battre en retraite amp; recu-l�rent, peu a peu, vers Ie bois; tandis qu�ilsnbsp;foutenoient les efforts de 1�arm�e ennemie,nbsp;Roland, qui avoit eu Ie temps de faire fes dif-pofitions, parok, tout a coup , hors du boisnbsp;avec douze mille hommes, fond fur les en-nemis, en fait une boucherie horrible, amp; lesnbsp;force k prendre la fuite *, les huit mille hommes,nbsp;qui n�avoient point paru, avoient d�paff� 1�ar*.nbsp;ih�e des Sarrafins k la faveur du bois, amp; leurnbsp;coup�rent Ie chemin. Les Sarrafins ne trou-vant plus aucun moyen de fuir , fe battirencnbsp;en d�fefp�r�s j mals leur courage amp; leur d�-
-ocr page 118-�ia nbsp;nbsp;nbsp;Les quatre fils
fefpoir leur furent �galement inutiles; Roland s�ouvrit un palTage a travers leurs bataillonsnbsp;les plus �pais, �crafant amp; renverfant tout cenbsp;qui s�oppofoit � fa marehe fanglante; les Francois, qui Ie fuivoient, frappoient de droitenbsp;amp; de gauche ; Oger, qui conduifoit les huitnbsp;mille hommes que les fuyards avoienc trouv�snbsp;devant eux , faifoit la m�me manceuvre, denbsp;forte que 1'arm�e des Sarrafins, fe voyant f�-par�e en deux corps, chacun prit la fuite denbsp;fon c�t�; Oger pourfuivit ceux qui fuyoientnbsp;dans la plaine, amp; Roland ceux qui alloientnbsp;vers Ie Rhin. Ils furent arr�t�s a ce fleuve parnbsp;]e Comte d�Angers;l�intr�pide Roland necrai-gnitpointd�affronter un ennemi poufie� bout,nbsp;il ne fit que pafler, amp; Je rivage fut couvertnbsp;de morts. Un Roi des Sarrafins fe d�fendoicnbsp;contre un gros de Francois avec une audacenbsp;quiattira Fattention de Roland; il y courut,nbsp;fe fraya une route jufqu�a lui, amp; Ie fit pri-fqnnier. Almonafar; c��toit Ie nom du Roi,nbsp;demanda grSce pour celles de fes troupes quenbsp;Ie fer des Francois avoir �pargn�s; il leur or-donna de raettre bas les armes amp; de fe rendre.nbsp;Oger amp;Naimes , lafles de frapper amp; defuivrenbsp;les fuyards, raraen�rent auffi un nombre in-fini de prifonniers a Roland, on les enchaina,nbsp;tous, deux � deux, amp; Naimes fut charg�nbsp;de les conduire en France. Almonafar pria foonbsp;vainqueur de Ie mener a Charlemagne, pro-mettant d�abjurer fa religion , d�ob�ir au Roi,nbsp;lui amp; fa poft�rit� , amp; de lui pr�ter fermentnbsp;de fid�lit� pour fes Etats. Roland r�tablit 1�or-
-ocr page 119-d'Jymon, nbsp;nbsp;nbsp;113
dre dans Cologne amp; dans fes environs, amp; r�para les d�gats que lesSarrafins y avoient fairs: II revint, enfuite, avec fon prifonnier, a lanbsp;Cour de Charles, qui Ie coinbla de careflesnbsp;amp; de bienfaits. On ne parloit que du jeunenbsp;h�ros; Ie Peuple inconftant commen$a d�ou-blier Renaud, qu�on metroit, auparavant,nbsp;beaucoup au dellus de Roland. Le Roi, quinbsp;favoit combien le caprice du Peuple influe furnbsp;la renommee des h�ros, voulur favoir Pexa�lenbsp;v�rit�; il interrogea le v�ridique Naimes, quenbsp;la pr�vencion, la flatterie, 1�envie, n�avoiencnbsp;jamais aveugl�. Naimes lui raconra les exploitsnbsp;de Roland, auxquels il n�auroit jamais of�nbsp;croire, s�il n�en e�t pas �t� t�moin ; il �tonnanbsp;Charles par le d�tail des difpofitions favantesnbsp;qu�avoit fait Roland; il le iurprit encore da-vantage par le tableau de fes aftions, Roland ,nbsp;dans ce moment, vint lui pr�fenter Almona-far, qui confirma tout ce que Naimes venoicnbsp;de raconter. Charles embrafla fon neveu , amp;nbsp;le laifla le maitre de difpofer de fon prifonnier. II fut renvoy� dans fes Etats, libre, Sx,nbsp;apr�s avoir pr�t� ferment de fid�lit� a Charlemagne.
Cependant, leRoi cherchoit touslesmoyens de donner � fon neveu quelque preuve de fanbsp;reconnoiflance : II confulta Naimes. Dans lanbsp;bataille que Roland avoit livr�e aux Sarra-fins, Naimes s��toit aper^u que le cheval dunbsp;Comte d�Angers fecondoit mal fa valeur;nbsp;il confeilla a Charles de lui en donner unnbsp;digne d�un tel Chevalier, afin que, lorfqu�il
-ocr page 120-combattroit centre Renaud, il n�eflt pns a craindre Ie terrible Bayard. Charlemagnenbsp;approuva ce confeil; ma�s Ion embarras �toicnbsp;de favoir comment ft procurer un td cheval;nbsp;car, en fait de chevaux amp; d�amis, les Roisnbsp;ne font pas moins expof�s a �tre tromp�s quenbsp;Ie moindre de leurs fujets. Naimes l�engageanbsp;de faire publier dans tons fes Etats, une courfenbsp;de chevaux pour Ie premier du mois de Mainbsp;fuivant, amp; que, celui � qui appartiendroitnbsp;Ie cheval qui auroit Ie mieux couru, obtien-droit, pour prix, une couronne d�or, cinqnbsp;cents marcs d�argent amp; cent pi�ces d��roffesnbsp;de foie:� II n�eft pas douteux, difoic Nai-,, mes, que 1��norme valeur d�un tel prix,nbsp;,, n�engage tous les Chevaliers, amp; ceux quinbsp;� auront les meilleurs chevaux , � Ie difpu-,, ter; amp; celui qui l�aura remport� fe croiranbsp;,, pay� de fon cheval.
Charles fit publier la courfe : Une cou-tonne d�or toute femblable k celle du Roi, avoir de quoi tenter Ie Chevalier Ie plusnbsp;loyal amp; Ie plus d�fint�refie. Renaud formanbsp;Ie projet t�m�raire d�obtenir ce prix, quoi-que Ie Roi l�e�t nomm�ment exclus du concours, amp; e�t ordonn� qu�on 1'arrdtat, s�il fenbsp;pr�fentoit. Renaud fit part de fon idee a fesnbsp;fr�res , amp; a Maugis: Ses fr�res firent tousnbsp;leurs efforts pour 1�en emp�cher; mais Maugis,nbsp;au contraire, 1'encouragea, amp; voulut �tre denbsp;la partie; il' les affura que, par Ie fecours dsnbsp;fon art, il n�arriveroit rien a Renaud.
�^Aymon. nbsp;nbsp;nbsp;115
Kianda Ia garde dvi Chateau a Yolande; il Favoit qu�il pouv ohwmpter fur la vigilancenbsp;amp; fur la valeur; il . a'�oit exerc�e a d�autresnbsp;combats qu�a ceux de 1�amour: Ses bras d�licats ,nbsp;en venant de preffer avec tendrefle fon �poux,nbsp;favoient porter amp; parer avec adreffe les coupsnbsp;de lance les plus redoutables. Alard, Gui-chard amp; Richard ne voulurent point fe f�-parer de leur fr�re; ils vouloient Ie fairenbsp;efcorter par trente Chevaliers \ Maugis s�y op-pofa, amp; ne prit que deux Ecuyers.
Ils partirent de nuit amp; arriv�rent jufqu�a Orl�ans. On leur demanda qui ils �toient:nbsp;Maugis r�pondit, pour tous, qu�ils �toientnbsp;B�arnois, amp; qu�ils alloienr, i la courfe, dif-puter Ie prix. On les laifla palTer, fans leurnbsp;faire d�autre queftion. Enfin, ils arriv�rent inbsp;Melun, deux jours avanr Ie concours. Lanbsp;veille, Maugis dit a Renaud qu�il �toit tempsnbsp;de partir, il ne voulut point que fes fi�resnbsp;l�accompagnalTent, mais il prit une plantsnbsp;qui lui �toit connue, il 1��crafa entre deuxnbsp;pierres, en frotta Bayard derri�re les oreil-les, aufli-t�t, il devintblanc commeun cygne,nbsp;amp; Renaud m�me avoit peine a Ie reconnoitre.nbsp;Maugis prit d�autres plantes, les pila avec Ienbsp;pommeau de fon �p�e, en oignit Renaud, Ienbsp;lajeunit amp; Ie rendit m�connoiflable a fes fr�resnbsp;m�mes.
Lorfqu�il eut ainfi m�tamorphof� fon cqu-fin amp; Bayard, il changea lui-m�me de figure, fans Ie fecours d�aucune plante, car Maugisnbsp;excelloit dans l�art de la magie; art inconnu
-ocr page 122-Xi6 nbsp;nbsp;nbsp;quatre fils �
de nos jours, auquel on a fubftituc des fdenc�s vaines, plus propres a corrompre Ie cceur qu��nbsp;amufer Tefprit (i).
Charlemagne, qui craignoit que Renaud ne vint difputer Ie prix de la courfe, avoir donn�nbsp;ordre au Due Naimes, -It Oger amp; a Foulques denbsp;Morillon, de garder Ie chemin d�Orl�ans; ilsnbsp;s�en retournoienc Ie jour que les fils d�Aymonnbsp;arriv�rent a Melun: A la taille de Renaud,nbsp;il crut Ie reconnoitre de loin ; mais, quandnbsp;il eut vu Ie cheval de pr�s, mont� par unnbsp;jeune homme de quinze ans, il rit de fa m�-prife; il incerrogea Maugis, qui lui r�ponditnbsp;en B�arnois, amp; ne laifla aucun doute a Naimes.nbsp;Pour mieux d�guifer Bayard, Ie Magicien luinbsp;mit une foie au pied amp; Ie rendit boiteux;,nbsp;malgr� ces pr�cautions, comme ils traverfoiencnbsp;Paris, un homme de la lie du people, quinbsp;ji�avoit jamais vu Renaud, voyant un fi belnbsp;homme, s�imagina que c��toit lui-m�me; ilnbsp;faifit la bride de Bayard, il appeloit du fecours,nbsp;lorfque Bayard lui lanqa un fi terrible coup.nbsp;de pied, qu�il Ie renverfa mort fur la place. Cenbsp;m�me jour, avant de partir, Maugis par' dif-fra�lion, avoir nomm� Renaud dans leur au-berge; leur h�te 1�entendit, amp; voulut les arr�ternbsp;pour les livrer au Roi. Ils couroient, l'un Scnbsp;1�aucre, Ie plus grand danger; Maugis ne putnbsp;s�en d�livrer, qu�en donnant un coup d��p�enbsp;fur la t�te de 1�h�te, au moment qu�il faififlbit
O) L�Auteur du Mamifcrit des quatre fils d�Aymon pen-foit coiwae J. J. Rouffean ;niais iln�dtoit pas auIU �loquent.
-ocr page 123-d\4ymon. nbsp;nbsp;nbsp;ii7
Renaud. II Ie renverfa fans connoiflance amp; noy� dans fon fang; ils prirent ce momencnbsp;pour monter a cheval, fourds aux pleurs amp;nbsp;aux criailleries de la femme amp; des enfans denbsp;1�h�te.
Ils parvinrent, enfin, dans Ia plaine ou s�af-fembloient ceux qui pr�tendoient au prix. Une partie de cette plaine eft couverte, aujour-d�hui, par Ie Faubourg S.-Martin. Ils all�-lent, avec les autres Chevaliers, au devancnbsp;du Roi. 11 ordonna que la couronne, les cinqnbsp;cents marcs d�argent, amp; les �coffes de foie,nbsp;fuffent plac�s a 1�extr�mit� des lices: II donnanbsp;cent Cavaliers 'i Naimes, a Oger, au Due denbsp;Bourgogne Richard de'Normandie, poucnbsp;emp�cher qu�il n�y e�t aucun trouble pendantnbsp;Ja courfe. Lorfque tout fut difpof�, les con-currens mont�rent d cheval amp; firent plufieursnbsp;tours. Renaud affedoit d'etre toujours des der-'nbsp;Tiers; lorfqu�on s�aperfut que fon cheval boi-toit, on finnille plaifanteries furIe Chevalier;nbsp;les uns vouloient qu�on lui adjugeat Ie prixnbsp;'avant de courir; les autres lui confeilloient denbsp;'defcendre amp; de Ie mener par la bride. Le Roinbsp;d�fendit rous ces propos injurieux, que Renaud fembloit ne pas entendre.
Naimes amp; Oger, voyant que tous les Chevaliers avoient pris leur rang, firent fonner les trompettes, pour qu�on fe tint pr�t au fignal.nbsp;�TWaugis profita de ce moment pour d�liernbsp;Bayard ; le %nal eft donn�, les Chevaliersnbsp;partenc conimelafou4re; Bayard, qui n�avoitnbsp;pu �tre ��lr� dans i�inftant-qu�on parut,�toic
-ocr page 124-ii8
Les quatre fils
encore derri�re. � Que fais-tu, lui dit Re-,, naud? hSte-toi; ne fouffre pas qu��s ga-
gnenc fur toi 1'avantage Bayard, docile a la voix de fon maitre, amp; rempli de la m�menbsp;liert�, s��lance, atteint les Chevaliers, s�ouvrenbsp;un paflage au milieu de la file, devance ceuxnbsp;qui fe flattoient d�ja de remporter Ie prix,nbsp;les laiffe bien loin, amp;c Renaud enl�ve la cou-ronne amp; refufe tout Ie refte.
Les Chevaliers qui, avant, plaifantoient Re-naud, amp; qu�ils avoient malignement appel� Ie Chevalierboiteux, �toient confondus; Charlemagne lui-in�me ne concevoit pas ce qu�ilnbsp;voyoit. II appela Richard de Normandie amp;nbsp;lui raarqua fa furprife; il �toic d'autant plusnbsp;frapp� de ce cheval, qu�except� la couleur,nbsp;il reflembloic parfaitement � Bayard.
Tandis que Ie Roi amp; Ie Due de Normandie parloient enfemble, Renaud, fa couronne k lanbsp;main, revenoit verseux, au petit pas. Lorf-qu�il fut port�e, il falua Ie Roi : � Si cenbsp;� n�efi; aflez d'une couronne, lui dit Charles,nbsp;�je vous en offre deux, amp;je double Ie prix,nbsp;� pqurvu que vous me laiffiez votre cheval.nbsp;� Je prendrai foin de votre fortune, amp; je vousnbsp;� promets de 1��lever fi haut, que, de votrenbsp;�vie, vous n�aurez rien a d�firer. Sire, r�-,, pondit Ie Chevalier, je vous oftrirois monnbsp;� cheval, fi tout autre que Renaud pouvoicnbsp;�Ie monter,,. En difant ces mots, il piquenbsp;Bayard, amp; Charlemagne Teut perdu de vuenbsp;avant qu�il e�t prononc� l�ordte de Ie pour-fuivre. Renaud, s��cria-t-il! Cheva-
-ocr page 125-fliers, courez apr�s lui, qu�on 1�arr�te. Son ^ Ecuyer n�eft autre que Maugis; ils nous onenbsp;,, tous troropes; 1'affront de cette journeenbsp;,, nous eft commun, que notre vengeance lenbsp;� foit aufli.
* II n�y eut aucun Chevalier qui ne courut avec plus de z�le pour prendre Renaud, qu�ilnbsp;n�avoit couru pour obtenir le prix; la foudrenbsp;eft moins prompte que Bayard. II parvientnbsp;au bord de la Seine; il la pafle a la nage, amp;nbsp;s�arrete fur la rive oppof�e; lorfqu�il vit quel-ques Chevaliers pr�ts �. s�engager dans le fleu-ve, il remonte fur Bayard, gagne un fendernbsp;amp; fe derobe a leur vue. Maugis, qui favoicnbsp;O� il devoir pafler, alia le joindre d Melunnbsp;par un chemin d�tourn� amp; plus court. Alard,nbsp;Richard amp; Guichaxd, furenc au comble de lanbsp;joie; mais Maugis ne leur donna pas le tempsnbsp;de le f�liciter, il les fit, vite, monter a ch^nbsp;val, amp; reprendre le chemin de Montauban,nbsp;O� ils arriverent la cinqui�me nuit. Yolandenbsp;ne favolt comment t�moigner fa fatisfadionnbsp;amp; fa tendrefle \ elle embraflbit alternadveraencnbsp;fon �poux, fes fr�res, Maugis amp; Bayard.
-ocr page 126-120
Les quatre fils
CHAPITREIX.
Charlemagne ajji�ge Mbntauban , fait fotn~ mer Kenaud defe rendre. Renaudfak unsnbsp;fonie vigoureufe avec fes fr�res. Butin ,nbsp;majfacre, victnlre des fils d'^ymon. Fautenbsp;de Roland. Perfidie PFon, Roi d�yjqui-taine. Combat terrible des fils d'^lymon,nbsp;feuls, d�farm�s , livr�s par Ton, Exploitsnbsp;inou�s, Secours inattendu.
TTous les efforts des Chevaliers furent inu-tiles. Charlemagne ne refpiroic que vengeance; il revint a Paris tr�s-m�contenc. II aliem-bla fon Confeil, amp; demanda quels �toient les moyens les plus prompts pour punir les filsnbsp;d�Aymon. Rolanvl propofa d�attaquer Ie Roinbsp;d�Aquitaine , amp; d�affi�ger Montauban. Nai-mes approuva ce projec; ma�s il ajouta qu�ilnbsp;ne falloit pas 1�entreprendre, fi 1�on ne s�af-furoit du fUcc�s; que Ie Roi devoit mandernbsp;tous fes Barons, amp; convoquer tous les bans,nbsp;avec ordre de fe munir d��quipages amp; autresnbsp;chofes n�cefl'aires pour fep: ans, au cas quenbsp;Ie fi�ge de Montauban dutdt tout ce temps-la. Charlemagne fit exp�dier des ordres dansnbsp;tout Ie Royaume, afin que tout Ie mondenbsp;f�t rafiembl�, a Paris, ou dans les environs,nbsp;au mois de F�vrier; la plupart des Chevaliers repr�fent�rent qu�ils venoient de fairenbsp;une guerre p�nible amp; ruineufe contre les Sar-*nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;lafins,
-ocr page 127-d* Ay mo ft. nbsp;nbsp;nbsp;121
lafins j en Allemagne, amp; qu�ils etoient hors d��rar de rentrer, ii-tuc, en campagne.
Le Comte de Nanteuil, qui �toit � lem t�te, offrit de fe tenir pr�c pour le mois denbsp;Mai. Charles, indign� de ce d�lai, proteftanbsp;qu�il ne prendroit que les jeunes Chevaliers,nbsp;amp; que, lorfquhl feroit maitre de la Gafcogne,nbsp;il ne diftribueroic les terres qu�a eux, amp; que,nbsp;puifqu�il ne s�etoit encore trouv� perfonnenbsp;parmi les anciens Chevaliers, qui fdt en �tatnbsp;de le venger de Renaud, cec honneur �toit,nbsp;fans doute, r�ferv� a quelqu�un des nouveaux.
Renaud, qui avoir des efpions a la Cour de Charles, fut bient�t inform� de ce difcours.nbsp;II vit, d�s ce moment, les ennerois qu�il au-roit a combattre, amp; que les principaux �toiencnbsp;Olivier amp; Roland. Cependant, la propofitionnbsp;du Due de Nanteuil avoir fait impreflion furnbsp;1�efprit de Charlemagne, qui, par le confeilnbsp;de Naimes, fit publier qu�il fuffifoit qu�on fenbsp;rendit, au commencement d�Avril, a Paris.
Vers ce temps, on vit arriver Richard de Normandie, avec un grand nombre de Chevaliers, Salomon de Bretagne, fuivi de la no-blell� de fon pays, Dizier d�Efpagne, avecnbsp;dix mille gens d�armes, GeofFroi, Comte d�Avignon , Bertrand d�Aliemagne amp; fes Irlandois,nbsp;accompagn�s d�une troupe d�Africains, amp; dfnbsp;mille Archers. Le dernier fut 1�Archev�quenbsp;Turpin, avec une troupe choifie, tr�s-bien'nbsp;difciplin�e, amp; form�e a routes les rufes de lanbsp;guerre. Le Roi fit aflembler fon armee poutnbsp;en faire la revue j elle fe. trouva mgoter i
-ocr page 128-jiS nbsp;nbsp;nbsp;Les quatre fils
cent mille combattans anciens, amp; a trente mille nouveaux. li la mit fous Ie comman-dement de Roland, amp; lui fit donnet roriflamrnbsp;me , en lui recommandant de conduite cesnbsp;braves gens comine s�ils �toient fes propresnbsp;enfans.
D�s Ie lendemain, 1'arm�e fe mit en mar-che, amp; arriva, a petites journ�es, a la vue de Montauban. Roland, aveugl�, pat fa va-'leur, propofa d'abord de 1�afli�ger amp; d�eliayernbsp;de ie prendre d�aflaut. Charlemagne, quinbsp;voyoit mieux les difficulc�s du fucc�s, e�tnbsp;voulu engager Renaud a capituler; ,, Tropnbsp;^ heureux, difoit Charles, fi, en fe foumet-� tant, il �vitoit de faire couler Ie fang hu-,, main On envoya un Chevalier d�farm�;nbsp;il fut introduit dansla Ville, amp; fomma Renaud de fe rendre a merci, de livrer Richard a la difcr�tion du Roi; en cas de re-fus, Ie Roi lui faifoit annoncer qu�il ne feroitnbsp;grice a perfonne, amp;. qu�il feroit expirer lesnbsp;q'uatre'fils d�Aymon, amp;leurcoufin, dans lesnbsp;fupplices, � Renaud r�pondit, en fouriant, -knbsp;,, l�envoy� : Le Roi me connoit trop biennbsp;,, pour me faire faire fcrieufement une pro-� pofition qu�il d�fapprouveroitlui-ra�me, fijenbsp;,, 1�acceptois. Richard eft mon fr�re amp; mon ami;nbsp;� fut - il �tranger amp; mon ennemi, il fuffiroicnbsp;� qu�il m�eftt deraand� un afyle, pour que jenbsp;,, le d�fendifle au lieu de le livrer; mals, finbsp;� le Roi veut nous rendre fon amiti�, nousnbsp;3, promettre laviefauve, amp; nous recevoir a fonnbsp;� feivice, nous nous remettrons enite fes
-ocr page 129-d^Aymon. nbsp;nbsp;nbsp;123
ff mains, amp; nous lui abandonnerons ce Ch�reau.
Charles e�c accepc� 1'offre de Renaud, s'il n�e�c confult� que fon coeur; mais il croyoitnbsp;que fa gloite �toit int�reflee a la punition dqnbsp;Maugis, OU de quelqu�un des fils d�Aymon.nbsp;Naimes �toit d�avis qu�il ccoutdt la propofi-tion de Renaud; il repr�fenta que Ie Chateaunbsp;�toit plus difficile a emporter qu�il ne Ie pa-loiflbit, que les affi�g�s �toienc en tr�s-grandnbsp;nombre, amp; qu�a moins qu�on ne 1�entourdcnbsp;amp; qu�on ne fdc camp� bien pr�s de la Place ,nbsp;ils pourtoient faire des forties tr�s-meurtri�resnbsp;pour les afli�geans.
Charlemagne ne piofita de 1�avis de Nai-mes, que pour ordonner que Ie camp fdt �ta-bli autour, amp; Ie plus pr�s de Montauban qu�il fe pourroit. Roland fit tendre fa tente vis anbsp;vis de la porte qui �toit a droite. Le Roi avoitnbsp;la fienne a la porte oppof�e. La Ville fe trouvanbsp;entour�e, de tous c�t�s, de plus de dix millenbsp;pavilions; lorfque Roland eut reconnu la place, il ne fut plus d'avis de 1�emporter d�af-faut. Il alia m�me jufqu�a dire que jamais Montauban ne feroit pris. Olivier lui fit obfervecnbsp;en vain, qu�ils avoient pris Laufanne, d�-truit la grande tour amp; le donjon de Conftan-tindple. Roland perfifta.
Lorfque le camp fut tendu, Roland, frapp� de la beaut� du pays, engagea Olivier d�allernbsp;leparcourir enfembJe, enchaflant; Renaud ,in-form� de leur abfence, appela fes fr�res amp;nbsp;Maugis; ils d�lib�r�rent de profiter de cettenbsp;occafion amp; d�humilier 1�orgueil de ce Roland.
'124 nbsp;nbsp;nbsp;quatre fils
qui croyoit d�ja que la Gafcogne lui appa�r tenoit, paree que Ie Roi avoir dit qu�il ennbsp;diftribueroit les terres aux jeunes Chevaliers,nbsp;lis s�arm�rent; ils prirent environ quatre millenbsp;hommes, forcirent par une faufl�-porce quinbsp;donnoic dans Ie plus �pais de la for�c, ou ilsnbsp;s�embufqu�rent. Renaud fe fit conduire versnbsp;la tente de Roland, amp; en- enleva Ie dragonnbsp;qui la furmontoit. L�Archev�que Turpin, 1�U-li�e des Frangois, aper9ut un vol confid�ra-. ble de corbeaux; il fe douta qu�il y avoicnbsp;des troupes dans Ie bois : En effet, a forcenbsp;de regarder, il vit reiuire des armes � tra-� vers les arbfes. II fit venir �ger, amp; lui ditnbsp;de s�armer au plus vite; Oger fit mettre aulli-t�t Ie camp fousles armes. Renaud fut faCh�nbsp;d�avoir �t� fi-t�t d�couvert �, mhis il ne fe d�-concerta point pil dit a Maugis de refter dansnbsp;Ie bois avec mille Cavaliers, amp; de n�en fortirnbsp;qu�en cas de befoin; alors, Renaud, avec fesnbsp;trois mille combattans, paroit dans la plainenbsp;amp; fond fur Ie camp. Nicols fut Ie premier Chevalier qu�il abattit; il va, de tente en tente,nbsp;les renverfe, maflacre tout ce qui fe pr�fente,nbsp;amp; demande : � O� font Olivier 8i Roland ?nbsp;�Ne favent-ils que nous appeler traitres amp;nbsp;� nous menacer? Pourquoi fe cachent-ils � ?nbsp;L�Arcbev�que Turpin ne put entendre calora-nier ainfi les deux jeunes h�ros' : � Renatfd,nbsp;� s��cria-tril, c�eft paree que lu as fu qu�ilsnbsp;5, n��toient point au camp, que tu as of� l�at-� taquer; je doute que tu eulles eu cette t�-� m�rit�, fj tu avois cru les rehconcrerEn
-ocr page 131-difatit ces mots, il attaque Renaud; les pi�-ces de leurs armures volent en �clats amp; bleflenc ceux qui font autour d�eux; leurs lances fenbsp;roropent dans leurs mains; leurs �p�es fe bri-fenc, niais ils font in�branlables, la r�fiftancenbsp;eft �gale a i�iinpullion. Renaud, au derniernbsp;coup d��p�e, fit chancelerTurpin: � Reverendnbsp;,, Chevalier,lui dit-il,pr�tre d�unDieudepaix,nbsp;� crois-moi, cours au pied des autels; les com-� bats ne font pas fairs pour toi L�Arche-y�que, �cumant de col�re, s��iance fur Renaud, pour Ie punir de ce reproche. La furei�pnbsp;des chefs pafle dans 1�ame des foldats; toutnbsp;s��meut; l�a�lion devient g�n�rale. Oger ventnbsp;yenger Turpin ; il atraque Richard amp; Ie ren-verfe; quoique Richard, dans fa chute, eutnbsp;perdu la coiffe de fon cafque, il fe releva,nbsp;mit 1��p�e a la main; mais fon adverfirire futnbsp;attaqu� par Renaud, qui venoic venger fonnbsp;fr�re; il lui porta de fi rudes coups, qu�Ogernbsp;fut renverf� a fon tour : Sa vie �toit entrenbsp;les mains de Renaud ; lorfqu�il Ie vit ^ ter-re, il faifit la bride de Boifart, fon cheval,nbsp;qui �toit pr�t a s��chapper, amp;, donnant a Ogernbsp;Ie temps de fe relever : � Chevalier, lui dit-� il, quel d�mon vous anime contre nous,nbsp;,, qui fommes vos coufins? Vous devriez nousnbsp;� fecourir, amp; vous fervez les fureurs d�un Roinbsp;� pr�venu contre nous. Reprenezvorre cheval,nbsp;,, �loignez-vous de mes fr�res amp; de moi, amp; nenbsp;,, faites tomber vos coups que contre des �tran-,, gers Oger, furpris de rant de g�n�rofit� denbsp;la part d�un ennemi qu'il avoit voulu tuer, s��-
loigna, amp; feperdit dans la foule. Les quat�efr� resfaifoientun carnage horrible : Toute l�arm��nbsp;de Charlemagne �toit en mouvement, amp; n�nbsp;fe trouvoit pas encore aflez forte pour leurnbsp;r�fifter, Lorfque Maugis vit qu�elle �toit en-ti�rement occup�e , il fortit du bois amp; fe jet�,nbsp;avec fes mille hommes, au plus fort de lanbsp;m�l�e. Les Frangois firent des prodiges de va-lenr; lafles de combattre, affoiblis par Ie nom-bre de blelT�s amp; de rnorrs, ils fe battirent ennbsp;retraite, amp; gagn�rent leurs retranchemens; lesnbsp;Gafcons les forc�rent amp; les chaff�rent horsnbsp;du camp. Maugis, amp; les trois fr�res, firentnbsp;un burin immenfe, amp; rentr�rent �l Montau-ban , o� ils arbor�rent, fur la plus haute tour,nbsp;Ie dragon que Renaud ayoit arrach� du pavilion de Roland. Lorfque Ie Roi vit Ie dragon, il ne favoit qu� penfer; il crut quenbsp;Roland s��toit empar� du Ch�iteau, tandis quenbsp;Renaud amp; fes fr�res �toient occup�s �. fe battrenbsp;(ontre fes troupes; cette penf�e lui fkifoit fup-porter fes pertes avec moins de chagrin; mais lanbsp;v�rit� cruelle vint bient�c lui ouvrir les yeux.
Olivier amp; Roland r�venoient de leur tour-n�e; ils rencontr�rent Archambaud, qui leur fit Ie d�tail de cette malbeureufe journ�e : IInbsp;ajouta qu�on �toit fi loin de penfer que , tan�nbsp;dis qu�on fe battoit, ils s�amufafl�nt a fe pro*nbsp;m�fler amp; � chaffer, que Ie Roi croyoit qu�ilsnbsp;�toient occup�s a s'emparer de Montauban,nbsp;amp; que, c� qui confirmoit cette opinion inbsp;�toit Ie dragon de Roland q�'on voyoic ar-bor� fur ufae des tours du Chateau.
-ocr page 133-Roland demeura confterne de ce reck , Pail pr�t a verfer des larmes de d�pit; il courutnbsp;chez PArchev�que Turpin , qui le confola , amp;nbsp;qui le conduifit, dans le pavilion de Charlemagne : Le Roi le vit fi humilie ^ qn�il fenbsp;contenta de lui faire remarquer que la moindrcnbsp;n�gligence a la guerre etoit, prefque toujours,nbsp;fuivie des plus grands malheurs, lorfqu�oanbsp;avoir affaire a un ennemi adtif amp; vigilant.
�gt;
Charlemagne, irrit� par les obflacles, jura qu'il p�rir�it plut�t, que de renoncer au fi�genbsp;de Montauban. Naimes ne luiconfeilloit pointnbsp;de 1�abandonner; mais il etoit d'avis qu�onnbsp;e�t recours aux moyens les plus faciles.,, Quelnbsp;,, eft votr� but. Sire? dit-il; c�eft d�avoif lesnbsp;,, quatre fils d�Aymon en vorre pouvoif. Janbsp;j, VO�S protefte que , ni Roland , ni Olivier,nbsp;Di tous VOS Chevaliers enfemble, n�en vien-i, dront i bout, fi le Roi Yon ne fe d�tachenbsp;,, de leur alliance, amp; n�entre dans vos vues.nbsp;, Je fuis d�avis que vous le raenaciez de lenbsp;, chafler de fon Royau�me , s�il ne vous livrenbsp;, les quatre fils d�Aymon , amp; que vous lui pro-, mettiez des recompenfes proportionnees aunbsp;, ferVice qu�il vous rendra, s�il les remet ennbsp;, votre pouvoir.
Le confeil de Naimes fut approuv�; Charles envoya un h�rault a Touloufe , ou le Roi s��-toit retir�. Yon, plus avare que timide, futnbsp;rent� des offres qu�on lui faifoit : II dit aunbsp;h�rault d�attendre fa r�ponfe, amp;, aulfi - t�t ,nbsp;il afferobla fon Confeil; il repr�fenta que Charlemagne, aveccent trente mille hommes, �toit
��2 8 nbsp;nbsp;nbsp;Zes quatre fils
�ntr� dans 1�Aquitaine , amp; qu�il mens^oit'd�y mettre tout k feu amp; a fang, de d�tn�re toutesnbsp;3es Villes, amp; de s'emparer de la couronne,nbsp;ii on ne lui livroit les fils d�Aymon. L�un desnbsp;Confeillers �toit ce Godefroid , parent d�Yon ,nbsp;qui avoir efp�r� d��poufer Yolande, amp; qui,nbsp;depuis ce temps, �toit Ie plus cruel enneminbsp;de Renaud. �II y a long-remps, Sire , dit-,, il, en opinant Ie premier , que j�ai pr�dicnbsp;� ce qui arrive aujourd�hui. Se declarer I�aminbsp;� de Renaud , c�eft fe declarer l�ennemi denbsp;,, Cjiarles. Eh Iquel ennemi plus terrible IVain-gt;, queur des Sarrafins, de 1�Allemagne amp; denbsp;� 1�Italie , comment pourrez-vous efp�rer denbsp;5, d�fendre vos Etats contre lui ? Ce feroicnbsp;j, doncune politique d�pourvue de raifon, qucnbsp;5, d�expofer votre couronnepour ces �trangers.nbsp;,, Yous vous croyez li� par la reconnoiflance,nbsp;5, amp; ce motif vous fait h�fiter. Je foutiens quenbsp;,, vous ne leur en devez aucune. Ils cher-� choient une occafion de fe fignaler, amp; vousnbsp;� leur en avez fourni une plus brillante qu�ilsnbsp;� ne pouvoient 1�efp�rer Quand m�me il fe-,, roit vrai que vous leur duffiez de la recon-� noiflance pour Ie fervice qu�ils vous ont ren-� du , ne 1�avez-vous pas pay�e au dela denbsp;5, fa valeur. Des aventuriers chali'�s de la mai-� fon paternelle, profcrits par leur Souverain,nbsp;,, juftement irrit� contre eux , fans afyle,nbsp;,, n�ayant pour route fortune qu�une valeurnbsp;j, equi voque, font jet�s dans vos Etats par Ie ha-j, fard, Ils vous trouvent, les armes � la main,nbsp;}, pret a marcher contre vos ennemis; ils pro-
-ocr page 135-i�Jymon. nbsp;nbsp;nbsp;lay
� fitent de eette circonftance; ils fe tn�lent a ^ vos troupes; elles font vi�orieufes, amp; Renaudnbsp;,, s�attribue tout Phonneur de cette victoire.
Eft-il done vrai, que, fans Renaud, fans fes ,, fr�res, vous auriez �t� vaincu ? N�avons-nousnbsp;� done jamais, a vant eux, remport� d�avanta-� gesfurlesSarrafinsPMaisje veux qu�ilsayentnbsp;� tout Phonneurdecettejourn�e, de quel prixnbsp;,, ne les avez-vous pas pay�s? Renaud devientnbsp;� Ie fr�re du Roi; il �poufe une Princefle quinbsp;,, e�t fait Ie bonheur du plus grand Roi dunbsp;,, monde : C�eft peu ; vous vous �ces d�pouil-�l�, en fa faveur, du plus bel apanage de lanbsp;� Souverainet� : Ils �l�vent, au milieu denbsp;� votre Royaume, une Ville inexpugnable.nbsp;,, Qu�e�t of� demander de plus Boulag-Akafirnbsp;,, vainqueur? Les fr�res Aymon ayanc done ob-j, tenu au dela du prix qu�ils pouvoient exiger,nbsp;vous �ces quitte envers eux, amp; vous pou-� vez les livrei', fans crainte de pafler pournbsp;ingrat. Je dis plus; votre juftice amp; votrenbsp;,, furet� Pexigent. Renaud eft un traitre, ounbsp;� va Ie devenir. Pourquoi a-t-il demand�nbsp;qu�il lui fut permis d��levgr Ie Chateau denbsp;j, Montauban ? S�il n�avoit d�autre vue que denbsp;� fe mettre a couvert des armes de Charle-� magne, n�aviez-vous pas affez d'autres Cha-� teaux; vos forces n��roient-elles pas fuffifan-,, tes; ce fier vainqueur des Sarrafins fe croyoit-,, il trop foible dans vos Etats, fecond� denbsp;�vos troupes? Non, il avoir d�autres vues;nbsp;,, Renaud veut s�emparer de PAquitaine. C�eftnbsp;,, co�icie vous, amp; non centre Charlemagne,
130 nbsp;nbsp;nbsp;Les quatre fils
,, qu�il avoit befoin de fe fortifier. Pr�venez�-,, done fa trahifon, qui n�elt que erop mani-feiie; votre foeur ne doit point vous arr�-,, ter. Aflez d�autres s�eftimeront heureux de la pofleder.
Le Comte d�Anjou, qui voyoit la conduite de Renaud avec le d�lint�reffement d�un vieuxnbsp;militaire, qui n�a ri�n a efp�rer, ni � craiftdrenbsp;de la Cour, interrom'pit God�ff�id; � La p�r-,, fidie qu�on vous propofe, Sire, dit-il, m�-� rite tpute votre indignation; elle eft fugg�-� r�e par 1�animofst�, amp; n�eft fond�e que furnbsp;,, la calomnie. Les fils d�Aymofi n� font cou-,, pables, ni env�rs Charl�magne, ni en versnbsp;� vous. Lorfque d�Aigremont e�f afl^Ifin�nbsp;� Ldthaire , tout jeunes qu�ils �toient, ils fu-,, rent les premiers a b�m�r leuroncle; ils nenbsp;,, prirent aucun parti dansc�tt� querelle, pareenbsp;,, qu�ils favoient que la vengeance de Charle-5, magne�toit jufte, amp;parce gu�ile�t �t�contrenbsp;,, la d�cence de d�fendre un affafiin : Lorfqu�a-� pr�s avoir pardonn� d�Aigremont, Charlesnbsp;,, refufa de punir le traitte Ganelo�, ReAaudnbsp;5, amp; fes fr�res biSrh�rent le Roi, paree qu�ilsnbsp;,, croy�ient fa conduite blamable. Le bouilla�tnbsp;�Berthelot, piqu� des murmures de Renaud^nbsp;,, fon coufin , ofa l�attaquer, amp; le frappa eflnbsp;4, pr�fence de toute la Cour ;Rena�d n�employanbsp;,, qu�une jufte d�fenfe, amp; Berthelot fuccombainbsp;,, Le Roi n�acefl�, depuisce temps, deperf�cu.*'nbsp;4, ter les fils d�Aym�n, il A fufeit� contre eiiXnbsp;54 leur propre p�re; je ne parle point de la trahifoilnbsp;qu�on ernpl�yapourftirpTendf�ieChStea� d�
-ocr page 137-d�Aymon, nbsp;nbsp;nbsp;131
Montfort; t�eft un des droits de la guerre; � mais la trahifon qu�on vous ptopofe blefl'enbsp;,, tous les droits humains amp; facr�s. Si un fini-� pie particulier eft condatnnable lorfqu�il violanbsp;� bhofpitalit� qu�il a donn�e, quel crime nenbsp;,, Gommet pas un Souverain qui n�accorde uanbsp;,j afyle que pour avoir plus de facilit� de tra-� hir le malheureux qui s�eft cru en furetenbsp;�f�us fa pfoteftion? L�afyle que vous aveznbsp;� donn� i llenaud amp; a fes fr�res, U�eft pasnbsp;j, gratuit, vous ne pouviez le leur refufernbsp;,, fans ingratitude. Vous leur devez, non feu-�lement, 1'Aquitaifte, qu�ilsont fauv�e, lanbsp;� feule reflburce qui vous reftoit, amp; que vousnbsp;� ne pouviez conferver fkns eux; mais encorenbsp;,, Touloufe amp; tout ce qui eh depend; vousnbsp;j, ftv�i2 qu� R�flaud refofa d'adtn�ttre Bou-,, lag-Akafir a rafl^on, q��il ne vous edt aban-j, donn� fes coftqu�tes. Qui eft-ce qui auroitnbsp;� pu fe plaindre, fi� dans ce moment , Re-� naud �ut exig� pour lui c� qu'il vous fitnbsp;� rehdte, lorfque vous Vous y attendiez lenbsp;m�ins ? On lui fait �n crime d'avoit de-� mand� la permiffion d��lever nne forterelfenbsp;pour fa furet�. Ne vous a-t-il pas donn�nbsp;tous les otages que vous lui avez demaa-,, d�s? Ne vous a-t-i-1 pas exhort� de preftdte,nbsp;� Centre lui-m�me, routes les pr�cautionsnbsp;,, que la m�fiance pouvoit fogg�rer, de fortenbsp;� que, fi les projets qu�on lui impute �toi�ncnbsp;� vrais, il feroit toujours dans l�impnilnbsp;^ fibi�t� de les ex�cuter ? Q�and il h�auroitnbsp;f, pas cii k faveur h cond�ite k moins ftf-
-ocr page 138-13a nbsp;nbsp;nbsp;Les quatre fiU
pefte amp; la plus foutenue, ne fuffit-il pas qu8 ,, vous ayez promis de Ie d�fendre, amp; de lanbsp;,, prot�ger contre fes ennemis, comme il s�eftnbsp;,, engag� de vous fecourir envers amp; contrenbsp;� tous? Vous �tes li� par Ie ferment Ie plusnbsp;�folemnel; il ne vous efl; pas permis de lanbsp;� violer. Je compte pour rien 1�amici� quenbsp;� vous lui avez jur�e, amp; 1'ailiance que vousnbsp;� avez contradt�e avec lui : On fait quellenbsp;,, eft la force de ces liens aupr�s des Souve-� rains; mais, fi, malgr� tout ce que vousnbsp;,, devez aux fils d�Aymon, vous les livrez inbsp;,, leurs ennemis, Charlemagne fera Ie premiernbsp;,, a vous m�prifer, a vous en punir, peut-
�tre, amp; toutes les nations s��leveront contre � votre ingratitude.
Le Confeil d�Yon fut partag�; Godefroid reprit la parole, amp; d�termina le Roi a lanbsp;irahifon. II �crivit k Charlemagne qu�il met-troit, avant dix jours, les fils d�Aymonnbsp;en fon pouvoir; qu�ils fe rendroient, parnbsp;fon confeil, dans la plaine de Vaucouleurs,nbsp;A�fitrm�s, portant en leurs mains des rofesnbsp;amp; des branches d�olivier en figne de paix;nbsp;qu�il pouvoit faire tenir, dans les bois desnbsp;environs, des troupes toutes pr�tes pour s�em-parer d�eux. II remit fa lettre a un des Chevaliers de fa Cour, qui accompagna le h�raultnbsp;du Roi.
L�envoy� remit la lettre, amp; ajouta que le Roi promettoit d�en ex�cuter le contenu denbsp;point en point, a condition que, de fon c�t�,nbsp;Charlemagne retirerojt fes troupes amp; rempli-
-ocr page 139-roit les engagemens qu�il avoit pris par fon h�rault. Le Roi renouvela ces promeflies amp; lesnbsp;accompagna ile fermens.
Lorfque le Roi d�Aquitaine fut bien affur� de la parole de Charlemagne, il ne fongeanbsp;plus qu�a ex�curer fon perfide projet. II partnbsp;pour Montauban, amp; dit aux fils d�Aymon,nbsp;qu�il a fait leur paix avec Charlemagne, 8cnbsp;qu�il vient pour les en f�liciter; il leur faitnbsp;un faux r�cit de n�gociarions, amp; leur apporte,nbsp;de la part de Charlemagne , quatre man-teaux d��carlate, fourr�s d�hermine, Sc quel-ques bijoux que Ie Roi avoit ajout�s a ce pr�-fent, pour les faire mieux tomber dans lenbsp;pi�ge ; � II eft convenu, dit-il, que, demain�nbsp;,, vous vous rendrez , tous les quatre, fansnbsp;� autres armes que vos �p�es, amp; fans autrenbsp;,, fuite que dix Chevaliers amp; Comtes de manbsp;,,Cour, dans la plaine de Vaucouleurs, avecnbsp;� les manteaux que Charlemagne vous a en-�voy�s, mont�s fur des mulets, amp; portantnbsp;� dans vos mains, en figne de paix, des rofesnbsp;� amp; des branches d�oliviers. Le Roi doit vousnbsp;� 5� attendre avec le Due Naimes de Bavi�re�nbsp;� Oger �5 fes douze Pairs; vous lomberez knbsp;�fes genoux, amp;, lui, il vous pardonnera amp;nbsp;� vous remettra en pofleffion de tous vos Ch�-� teaux.
Renaud n�avoit aucune m�fiance du Roi Yon ; mais il craignoit quelques pi�ges de lanbsp;part de Claarles. Yon le raflura, amp; lui ditnbsp;que Charles avoit engsg� fa foi. �Au fur-plus, ajouta-t-il, fi vous avez le moindre
-ocr page 140-134 nbsp;nbsp;nbsp;([uatn fils
� doute, n�y allez pas; il n�a trait� qu�avec ,,moi feul; il eft vrai que j�ai promis ; Toutnbsp;retombera fur moi; qu�impofte? Non^ repritnbsp;,, Renaud, il n�eft pas jufte que, pour vouloirnbsp;,) nous obiiger, vous voiis trouviez compro-�-mis, amp; charg� de toute la haine du Rol denbsp;Franee; nous nous tendrons dans la plainenbsp;de Vaucouleurs.
Alard, Richard amp; Guichard, n�eurent p�s plut�t appris ce trait�, qu�ils tocib�rent dansnbsp;la plus profonde trift�ite. � Si cette paijt,nbsp;,, difoient-ils, eft v�ritable, pourquoi Ie Rdinbsp;,, veut-il que nous allions la figner fans ann�snbsp;,, amp; fansfuite? M�fions-nous de quelque trahi-fon. Non, dit Renaud, Charlemagne nenbsp;,, pouffera pas la perfidie jufqu�a ce point tnbsp;jj D�ailleors, il faudroit qii�Yon f�t du Com-ploft, amp; ce feroit un crime que de Ie fo�p*-� gonner.
Qui pourroit peindre les craintes amp; les alarmes d�Yolande, lorfque Renaud alia pren-�re cong� d�elle?,; Ah! du moinsj permets�nbsp;j, difoit-elle, que j�aille �Xpirer en te d�fen�-,^damp;nt; ils n�oht pa, ni te vaincre, fii renbsp;f�duire i �s veulent te trompet Renaudnbsp;J�i repr�fentoit ea vaih quhl faudroit fiap-pOf�r Yon Ie plus perfide des hommes. ,, Ehlnbsp;� feroit-il Ie premier, difoit-elle, qui a�roitnbsp;jjfacrifi� fa fmur i de t^ils int���ts? Je menbsp;�ra�fie de 1�univers eiJtier, quand il s�agitnbsp;�i de ihon �poujt : Nort, inen eh'�r Renaud*nbsp;yj vous ne v�us livrerez point i rtos efineifii�,nbsp;C'eft les arises a ia fnain qu��n h�ros wwte
-ocr page 141-d'Aymoh. nbsp;nbsp;nbsp;135
�d� Ia paix, amp; non comine Ie CoiHmandanc � d�une Ville prife d�aflaut.
En vain Ie prefle-t-elle dans fes bras, en vain fes l�vres brvllantes demenrent-elles at-tach�es fur les l�vres de fon �poux ; Renaudnbsp;a promis, Renaud eft in�braniable. Malheurnbsp;reux! il jugeoit les autres paf lui-m�me, amp;nbsp;il croyoit l�s Rois incapables de trahifon. Sesnbsp;fr�res 1�eftgag�retit de deiiiander au R�i, qu�ilnbsp;leur f�t, du moins, permis d�aller au rendezvous fur leurs chevaux; Yon ne voulut pointnbsp;yconfenrir, decrainte, difoit-il, que l� Roinbsp;ne crut pas qu�il Ie trahiflbit. II f�p�ta encore, que, s�ils craignoient quelque pr�ge, ilSnbsp;�toi�nt les ma�fres d� manqtier d la pafOl�nbsp;qu�il avoit donn�e a l��rfipereor.
Enfin, Renaud amp; fes fr�f�s partir�nf, aceont=-pagn�s de dix Seigneurs. Y�n g�rtiffolt dans I� fond de fon afne; fnais 1�avarice amp; la crainfenbsp;�touffoient fes vfais fentimenS; s�il avoir cfanbsp;qu�il y eut plus d�avantage d nahit Charlesnbsp;inagne, il 1�edt trabi en faveur des fils d�Ay-ihon', mais Ie R�i �toit pins puiflant, amp; ifsnbsp;tt�avoient que de ld v�rtu. C�pendant, Renaud, pendaiit la route, levoit, qu�lquef�iSinbsp;les yeux v�rs Ie ciel; il �toit trift�, amp; je n�nbsp;fais quel preflentifnent lui faifoit �prouve�,nbsp;d�avance, Ie fort qui l�attendoit. Alard ap�f-$ut quelques larmes q�i s��diapp�ient de fesnbsp;y�ux: � � mon fr�re amp; mon �rtii 1 lui dit-j, il, V�il� les premiers pl�urs qu� je vous voiinbsp;� r�^ndrte;; � vous ^onp?onneli quelque per-i, �die� nous ne fomm�s' pgs encore arriv�}
-ocr page 142-136 nbsp;nbsp;nbsp;Les quatre fils
� revenons a Montauban. Ce n�efl pas, r�pon'? � dit Renaud, fur moi que je pleure, c�fftnbsp;,, dans la crainte qu�il ne vous arrive queiquenbsp;y, malheur a caufe de moi. J�ai promis, amp;,nbsp;� duffai-je p�rir, � faut que j�ex�cute ma pro-,, mefle. Laiffez-moi aller feul; fi Charles nousnbsp;� a tendu un pi�ge, il n�y prendra, du moins,nbsp;� que mol; fi la paix eft , en effet, conclue,nbsp;,, il fe contentera des excufes que je lui ferainbsp;,, de votre abfence Les fr�res de Renaudnbsp;lui proteft�renc qu�en la vie, amp; en la mort, ilsnbsp;ne 1'abandonneroient point.
Ils arriv�rent, enfin, dans la plaine de Vau-Couleurs, qui, depuis la trahifon de Charlemagne, a change de nom. Elle �toit entou-r�e de for�cs �paiffes qui s��tendoient a plus de dix lieues. La Dordogne amp; la Gironde lanbsp;traverfoienc avant d�aller fe jeter a la roer;nbsp;fur la gauche, �toit un rocher efcarp�, divif�nbsp;par une ouverture �troite, o� deux hommesnbsp;pouvoient a peine entrer de front; quatre che-mins aboutifl�ient a cette plaine, 1�un traver-foit la France, 1'autre alloit en Efpagne, Ienbsp;iroifi�me en Galice, en Portugal, amp; Ie qua-tri�me au Royaume d�Aquitaine. Cette plainenbsp;�toit fitu�e entre Bordeaux amp; Bayonne. Cha-que chemin �toit gard� par cinq cents hommes , embufqu�s dans la for�c.
Renaud amp; fes fr�res furent �tonn�s de ne voir perfonne dans la plaine, ils la traverf�retitnbsp;jufqu�au pied du rocher. Alard lui propofa,nbsp;une feconde fois, de s�en retourner a Montauban. D�farm�s., comme nous Ie fommes,
-ocr page 143-vingt Chevaliers fuffiroient pour nous prendre, llenaud, qui commenQOit a foup^onner Yon,.nbsp;amp; qui avoir reitipli fa promeffe, �toit pr�t denbsp;fuivre Ie confeil de fon fr�re, lorfque Foul-ques de Morillon parut, la lance baiflee, con-tre lui ; � Ah! s��cria Renaud, je ne Ie voisnbsp;� que trop, nous fommes trahis; Ie Roi, ajou-ta-t-il, en s�adrefl'ant aux dix Seigneurs quinbsp;,, les efcortoient, nous a confi�s a vous; c'eftnbsp;�a vous d nous fecourir; fecondez-nousnbsp;Godefroid jeta un regard de m�pris fur Renaud, amp; lui r�pondit brufquement, qu�il �toisnbsp;trop brave pour avoir befoin de fon fecours.nbsp;Renaud, indign�, tire fon �p�e, amp;, d�un revers, f�pare fa t�te de fon corps. Les neufnbsp;dutres Chevaliers prirent la fuire, amp; ne du-jent ia vie qu�a la moniure de Renaud, quinbsp;ne put les fuivre. � Mes amis dit-il, a fesnbsp;,, fr�res, puifque nous ne pouvons �viter lanbsp;� mort, vendons-leur ch�rement notre vie,nbsp;a, ne nous f�parons point, amp; prenons gardenbsp;,, de tomber vivans entre les mains de cesnbsp;f, traitres Ils s�embraflerent, mirent leursnbsp;manteaux autour de leurs bras, amp; attendirentnbsp;Jeurs ennemis 1��p�e a la main. Quoiqne mon-t�s fur des mulets, Morillon fut �tonn� denbsp;leur audace; il leur dit qu�Yon les avoit li-vr�s, que toute d�fenfe leur �toit inutile, amp;nbsp;qu�il leur confeilloit de fe rendre. � Infenf�,nbsp;� lui r�pondit Renaud , ISche! qui ne rougisnbsp;� pas d'attaquer des Chevaliers d�farm�s, n�ef-� p�re pas nogt;is avoir vivans, amp; crains pournbsp;,, toi-m�me, li tu as Ie courage de te battre
-ocr page 144-138 nbsp;nbsp;nbsp;Zes quatre fils
amp; armes �gales; ma�s fi tu as 1�ame d�un vrat ,, Chevalier, �coute ce que je te propofe. Aunbsp;�, lieu d��tve Ie complice de la plus d�teflablenbsp;,�mhifon, 1 aifle-nous retirer ; nous quitte-� rons letraitre Yon, amp; nous f�rvirons Char*nbsp;,, lemagne : Nous te donnerons Ie Ch�teannbsp;� de Montauban. Si tu crains la col�re du Roi,nbsp;� nous promettons de te fervir avec quatrenbsp;�cents gens-d�armes, bien difciplin�s. Sinbsp;,, cette propofition ne te convieiit pas, ennbsp;� voici une autre : Choifis vingt Chevaliers,nbsp;mets-toi aleurt�te amp; combats contienous; finbsp;�, vous pouvez nous vaincre, nous leur pardon-�, nons, d�avance, notre mort; mais fi, tout d�-farm�s que nous f�mtnes, nous remporions ianbsp;yy viftoire, tu nous laifieras retirer a M�iitauban.nbsp;� Ce que je te propofe eft plus pour ton h�n*nbsp;4, neur , que pour notte confervation Foul*nbsp;ques rej�ta ces propofitions, amp;, fans lui donnetnbsp;Ie temps de fe mettre en d�fenfe, il lui portanbsp;un coup de lance, 5c lui petga la cuiffe. Renaudnbsp;amp; fon mulct mordirent la pouffi�re. Alard,nbsp;qui crut fon fr�re mort, s��cria: � C�en eft fait,nbsp;il ne nous refte d�autve parti que de nousnbsp;,, rendre. Notre foutien eft tomb�, n�efp�ronsnbsp;point de pouvoir nous d�fendre, feuls, con-� tre tant de monde Ils avoient a faire auxnbsp;trois cents hommes que conduifoit Morillon.
� Que parlez-vous de vous rendre? s��cria Renaud, j�efp�re de punir la d�loyaut� denbsp;�Foulques, avant de mourir,, : En difancnbsp;ces mots, il fe d�gage, arrache avec effortnbsp;icfei de fa lance, amp; crie aPoulques: � Trai-
-ocr page 145-ff trejdefcends, amp;viens, fi tul�ofes, te battre � avec rnoi l��p�e � la main Morillon pouffenbsp;Ikhement fon cheval centre Renaud, amp; levenbsp;fon �p�e; le fils d�Aymon, plus adroit, l��vite,nbsp;s'�lance fur la croupe du cheval de fon en-nemi, lui enfonce fon �p�e dans le corps*nbsp;amp; le jette �. terre fans vie. Ainfi Renaudnbsp;fe trouva parfaitement mont�; il fe fit donnernbsp;}a lance amp; l��cu de fon ennemi, amp; dit a fesnbsp;fr�res de ne pas fe f�parer. A ces mots, il fenbsp;jette au milieu des Francois, baiffe fa lancenbsp;fur le Due de Croy, amp;l��t�nd a fes pieds;nbsp;il prend fon �p�e, frappe Enguerrand amp; par-tage fat�te en deux;onze Chevaliersamp; nombrenbsp;de combattans expir�rent fous fes coups.
La fureur l�avoit emport� plus loin qu�U �ie vouloit; il fe r�toorne; il voit Alard quinbsp;avoit pris un cheval, un �cu amp; une lancenbsp;d�un Chevalier qu�il avoit tu�^ Quoiqu�il f�tnbsp;bleff�, il joignit Renaud, amp; tous les deux firentnbsp;tm carnage horrible des Fran9ois; Richard amp;nbsp;fon fr�re �toient � pied i leurs mulcts avoientnbsp;�t� tu�s; ils fe firent jour jufqu�� Renaud jnbsp;amp;, lorfqu�ils furent tous ralli�s, il fut impof-fible de les entamer; ils entaffoient les mortsnbsp;antour d�eox; mais, au lieu de lesartaquer*nbsp;les Francois form�rect un peloton , auquel ilsnbsp;donn�rent une impulfion a la quelle les fils d�Ay*nbsp;mon ne s�attendoient point. Ils ft trouv�rentnbsp;encore f�par�s. Richatd fe retifa vers la ro-'nbsp;che; Guichard, feul, amp; � pied, fut ftifi patnbsp;furprife amp; fait prifonnier; il avoit tu� plu-fieurs combattansi il entua deux, en fe d�.^
-ocr page 146-battant entre les mains de ceux qui 1�avoient pris, il �roit couvert de bleflures; on Ie Ha,nbsp;comme un crirainel, fur un cheval, amp; on 1�em-menoit. Renaud s�en aper9ut, amp;, rejoignantnbsp;Alard ; � Courons, lui dic-il, d�livrons Gui-,, chard, ou p�riffons avec lui, 1�infamie de lanbsp;� mort que Charlemagne lui deftine rejailli-,, roit fur nous. Comment percer jufqu�a lui?nbsp;,, difoit Alavd:N�importe,attaquons�. Aufli-t�t, s�abandonnant i leur courage, ils fon-dent fur les Francois qui efcortoient Ie pri-fonnier, les diflipent amp; parviennent jufqu�inbsp;lui. Alard Ie d�lia, tandis que Renaud tuoitnbsp;OU �cartoit tout ce qui s�approchoit. Alard,nbsp;apr�s Pavoir d�livr�, lui donna Ie chevalnbsp;m�me ou on 1�avoit attach� , une lance Ssnbsp;nne �p�e de quelqu�un de ceux qu�il avoitnbsp;tu�s. Guichard fe vengea cruellement de 1�af-front qu�il avoit regu; il leur manquoit Richard : Apr�s Renaud, c��toit Ie plus brave desnbsp;quatre fils d�Aymon. N�en pouvant plus de fatigue Si du fang qu�il avoit perdu, il s��toitnbsp;couch� au pied du rocher, n�ayant pas eu lanbsp;force de Ie gravir. II avoit tu� de fa main,nbsp;cinq Comtes, quatorzeChevaliers,S;plufieursnbsp;foldats. G�rard de Vauvert, coufindeFoul-ques, 1�ayant aper9U prefqu�expirant, vinenbsp;fur lui, amp;, de fi lance, lui fit au ventre unenbsp;li large bleffure, que les boyaux paroiflbient;nbsp;il ne douta pas qu�il ne l�e�t tu�, Si il alianbsp;publier fa mort. Richard eut encore aflez denbsp;force pour fe relever. Si, d'une main, bou-cltant fa plaie, il court apr�s fon affaffin.
-ocr page 147-d'Aymon. nbsp;nbsp;nbsp;141
Ie Irnppe fur fon cafque, amp;, Ie coup gliflant en travers, il !ui enl�ve la t�te amp; 1��paulenbsp;droite; G�rard tombamort d�un c�t�, amp; Richard , que eet effort avoir encore affoibli,nbsp;tomba de 1�auire; il ne lui reftoit prefque plusnbsp;de fang dans les veines.
Sesfr�res, qui ne Ie voyoient point, inquiecs ,de fon fort, accabl�s, d�ailleurs, par Ie nom-hre, s�achemin�rent vers Ie rocher, o� ilsnbsp;cherch�rent a fe faire un retranchement. Re-naud aper9Ut Ie malheureux Richard, prefque fans vie, entour� d�un grand nombredenbsp;Frangois qu�il avoir ru�s, � Defcendez, ditnbsp;� Renaud a fes deux fr�res, amp;,' tandis quenbsp;�je fouuendrai l�effort des aflaillans, foule-� vez Richard, amp; portez-le dans 1�ouverturenbsp;�� du rocher. O bravequot; Richard ! ajoutoic-il ennbsp;� pieurant amp; en �cartant les ennemis, tu esnbsp;� done la premi�re vi�time qu�Yon a iinmo-� � l�e a Charlemagne ? Puiffe ton ombre �trenbsp;� t�moin de ta vengeance,,! Tandis qu�ilnbsp;foutenoit toute. la fureur des combactans,nbsp;Alard amp; Guichard eniev�rent Richard fornbsp;leurs �cus , amp; Ie tranfport�rent fur Ie rq-cher, au milieu d�un nuage de fi�ches; ilsnbsp;- virenc qu�il n��toit point mort, ils l�embraf-: f�rent avec des larmes dejoie: ,. Mes chersnbsp;-�amis, leur dit-il, d�une voix foible, jenbsp;� ,, me trouvCi mieux j gllez fecoprir Renaud;nbsp;�'que je Ie voye encore avant de mourir:
Si vous pouvez gagner ce retranchement, �je ne.d�fefp�re poiqt encore de la vic-toire, ,
-ocr page 148-I4�- nbsp;nbsp;nbsp;Les quatre fils
Alard amp; Guichard coururent au fecours de Renaud ; il avoic, lui feul, abattu rrentenbsp;combattans dans Ie peu de temps que fes fr�resnbsp;avoient �t� abfens; leurs chevaux avoientnbsp;�t� pris; mais ils en trouv�rent d�autres, carnbsp;il reftoit plus de chevaux que de Cavaliers.nbsp;Ils repouli�rent les ennemis, amp;, fe battancnbsp;en retraite, ils gagn�rent l�ouverture du rocher,nbsp;amp; feborn�renta en d�fendre les approches.
C�eft alors que parut Oger a la t�te de trois mille hommes; il vint fommer Renaud amp; fesnbsp;fr�res de fe rendre : ,, Jufqu�a pr�fent, leurnbsp;dit-il, je n�ai pas voulu paroJtre; vous �tesnbsp;� mes coufins, amp; j�ai d� vous m�nager; votrenbsp;� obftination amp; ma patience me reridroiencnbsp;�coupable envers Ie Roi, fi je tenois plusnbsp;long-temps mes troupes dans l�ina�tion. Jenbsp;,, veux bien ne pas les aider , mais je ne puisnbsp;,, vous d�fendre *, tout ce que je puis, c�eft denbsp;y, vous confeiller de 'vous en rapporter a la cl�-� mence de Charlemagne. Mon coufin, dit Re-� naud, fi c�eft la tout ce que vous pouvez fairenbsp;,, pour nous, vous deviez vous difpenfer de menbsp;�Ie pr�pofer.
Richard avoit repris des forces; il pria Guichard de d�chirer fon manteau amp; de 1�en cein-dre, pour foutenir fes entrailles; lorfqu�il n�eut plus a craindre pour fa bleflure, il fe fouleva,nbsp;s�adoflant au rocher, il �tonna ceux quxnbsp;� Ravoient cru mort. Alard �toit �tendu derri�re Ie rocher, perdanttout fon fang d�une fl�-che qui lui avoic perc� la cuifle : L�exemplenbsp;Richard Ie ranima; il banda lui - m�tae
-ocr page 149-d�Aymon. nbsp;nbsp;nbsp;143
fa plaie amp; fe montra aux Francois, qui ne comprepoient pas commenc ils avoient punbsp;r�fifter fi long-temps.
Cependant, Oger fut touch� de la fituation de fes coufins: II fit fufpendte 1�attaque du tocher. II dit 4 fes troupes qu�il efp�roit de lesnbsp;r�duire a fe rendre, amp; qu'il alloic leur pariet.nbsp;II s'appreche de Renaud, fans armes; il luinbsp;demande de lui permettre de venir fur le bordnbsp;de 1�ouverture; lorfqu�il eft a port�e de fe
faire entendre : Mes amis, leur dit - il, je ,, fuis flich� de ne pouvoir vous feeourir, jenbsp;,, 1�ai proinis au Roi; mais, quoique mesnbsp;,, confeils vous paroifl�nt � raauvais, j�enai unnbsp;,, 4 vous donner. S'il ne peut vous fauver , dunbsp;� moins retardera-t-il votre perte. Yous al-� lez �tre aflaiilis par routes les troupes; cenbsp;,, n�eft pas avec vos �p�es amp; vos lances quenbsp;^ vous les emp�cherez de gravir ftir ce to-,, cher; n�eufliez - vous qu�a frapper pour lesnbsp;,, abattre a mefure qu�elles fe pr�fenteront,nbsp;� vous feriez hors de combat, par la fatiguenbsp;,, feule, avant que la moiti� fdc tomb�e fousnbsp;,, vos coups. II vous refte une reflource, e�efl;nbsp;,, de raflembler autaut amp; de fi grofles pierres
que vous le pourrez, de les fnettre a por-,, t�e de l�ouvertiire du rochet, amp; de les faire � rouler fur les combattans, 4 mefure que lesnbsp;� Soldats graviront. Pour vous prouver qu�ilnbsp;� ne depend pas de moi de vous feeourir, jenbsp;� refte jufqu�a ce que vous ayez fait une afl�znbsp;,, grande provifion de pierres.
144 nbsp;nbsp;nbsp;quatre fils
remercia fon coulin, mais qui ne put lui par-donner de fe rendre complice de Ia perfidie d�Yon, amp; de la vengeance injufte de Charlemagne. Renaud amp; Guichard, comme lesnbsp;moins blefles, monr�rent au haut du rochetnbsp;pour ramafler les pierres qu�ils trouveroient.nbsp;Renaud jeta les yeux fur la plaine; il con-temploit avec facisfadlion les ennemis qu�ilsnbsp;avoienc dctruits. Le champ de bataille o�nbsp;deux arm�cs fe font battues, offre fouventnbsp;un moindre nombre de morts amp; de blefles.nbsp;Ils eftim�rent que ce nombre pouvoit aller inbsp;quinze cents. En regardant dans la plaine,nbsp;ils aper9urent, au dela de la fot�t, une troupenbsp;nombreufe, ils crurent, d�abord, que c��-toient des Frangois; mais, en regardant plusnbsp;attentivement, Renaud reconnut Bayard amp;nbsp;M�augis. � Oh! mon fr�re, s��cria-t-il en em-� braflant Guichard , c�eft Maugis que le cielnbsp;� nous envoye; dis-le d nos fr�res, amp;, fur-� tout, qu�Oger n�en fache tien; Ciel 1 � Ciel!nbsp;,, je te rends graces Renaud revint aupr�snbsp;d�Oger, tandis que Guichard alia apprendre dnbsp;Alard 1'heureufe d�couvertc qu�ils venoiencnbsp;de faire.
(PAymon.
C H A P I T 11 E X.
Suite dm combat pr�c�dent. Les fils d�Aymoii fecourus par les Gafcons, conduits par Mau-gis. Nouveaux exploits. Oger, vaincu parnbsp;Renaud, infuk� par Roland, n�en paroltnbsp;que plus grand. Maugis raconte d Renaudnbsp;comment il a appris la trahijbn du Roinbsp;d�Aquitaine. II rend au jour Richard, amp;nbsp;gu�rit les blejfures d'Alard, de Guichardnbsp;amp; de Renaud.
-ependant, les troupes s�impatien-toient du long f�jour qu�Oger faifoit fur la inontagne. lUvouloit defcendre pour leurlaiflernbsp;commencer 1�attaque : Eh quo!! mon coufin ^nbsp;�lui dit Renaud, feriez-vous affez d�natur�nbsp;� de ne pas nous accorder encore quelques mo-� mens pour nous repofer; encore qne heure,nbsp;� amp; , non feulement, nous perniettrons a vosnbsp;,, troupes de nous attaquer, mais encore anbsp;� vous-m�me , pour que Charlemagne n�aicnbsp;� aucun reproche k vous faire Oger y.con-fentit, leur promit qu�ils ne feroient attaqu�s que lorfque I�heure feroit expiree. II def-cendit de la montagne, pour aller calmer 1�im-patience des Francois. II dit a ceux-ci quenbsp;les fils d�Aymon �toient prefque d�cid�s a fenbsp;lendre mais qu�ils demandoient quelquesnbsp;inftans pour prendre une derni�re r�folutioc,
146
Zes quatre fils
Les Chefs vouloienc actaquer Ie rocher mal-gr� lui; mais il menara de couper la t�te au premier qui feroit affez hardi de faire Ie moin-dre mouvement fans fon ordre.
Le temps accord� n��toit pas a moiti� �cou-l�, que, la joie fufpendant les douleurs d�A-lard amp; de Richard, ils fe fentirent en �tat de combattre : Mes amis , dit Richard anbsp;,, fes fr�res, autant que j�en ai pu juger, lanbsp;,, troupe que Maugis conduit, eft d�environnbsp;� cinq mille hommes; amp; les Francois ne fontnbsp;�pas au dela de quatre mille. Ce n�eft pasnbsp;,, affez que Maugis nous d�gage, il faut qu�ilnbsp;� nous venge. Si les Fran�ois fe doutent denbsp;� fon arriv�e, ils fuiront; ne leur donnonsnbsp;�point le temps de s�en apercevoir, defcen-� dons au bas de la montagne; pr�fentons-� nous au combat; Maugis ne doit pas �trenbsp;,, loin ; tandis que nos ennemis s�acharneroncnbsp;� apr�s leur proie, il d�ployera fes troupesnbsp;,, dans la plaine, amp;pourra les prendre de tousnbsp;� c�t�s.
L�avis de Richard fut f�ivi; Renaud amp; Guichard defcendirent les premiers, Richardnbsp;amp; fon fr�re les fuivoient. Les Frangois nenbsp;dout�rent pas qu�ils ne vinflent fe rendre. Ogetnbsp;courut k eux :,, Pourquoi, leur dit-il, avez-� vous quitt� votre afyle? Si c�eft pour vousnbsp;� rendre a Charlemagne, il falloit mieux ex-� pirer les armes a la main , car je ne doisnbsp;� pas vous cacher que ce Prince a jur� qu�ilnbsp;� vouloit vous waiter avec la plus grandenbsp;V rigueui j fi c�eft pour combattre, le Ueu
-ocr page 153-d�Ay man. nbsp;nbsp;nbsp;147
� que voiis opcupiez �toit inacceffible , ou , du moins, vous pouviez, avec le fe-j, cours que je vous avois indiqu�, vous ynbsp;9, d�fendre long - temps. Nous voulons com-,, battre , r�pondit Renaud , amp; nous efp�-rons encore de vous vaincre. Le peu denbsp;ff repos que vous nous avez donn�, nous anbsp;rendu nos forces, amp; nous voulons encoramp;nbsp;ff tenter la fortune Oger les prit pour de*nbsp;infenf�s; il retourneafes troupes, amp; leur ditnbsp;Hntention de fes coufins: Les Francois paroif-fent furieux d'avoir fi long-temps attendu.nbsp;Oger leur donne le fignal, amp; fe retire; i peinenbsp;fe font-ils �branl�s, que Maugis, fortanc dunbsp;bois, fe d�ploye dans la plaine; il avoir faitnbsp;glifler des troupes le long de la for�t; ellesnbsp;s��toient avanc�es, fans que perfonne s'en fatnbsp;fiper9u, jufqu'a I�autre extr�mit� de la plaine;nbsp;amp;, loifque Maugis parut, les Francois fe trou-v�rent envelopp�s par leurs ennemis. Le premier qui s�offrit a fes coups fut Oger. Il lenbsp;frappu d�un coup de lance, amp; lui fit une largenbsp;bletfure dans le flanc; Oger vouloit fe venger;nbsp;mais, heureufement, Bayard , fentant fonnbsp;maitre, emporte Maugis aupr�s de lui, s�ou-vrant un paflage � travers les Fran9ois, qu�ilnbsp;d�chire avec fes dents, amp; que Maugis ren-verfe avec fa lance. Maugis embraffe Renaud,nbsp;Alard amp; Guichard, car Richard avoir �t�nbsp;oblig� de remonter fur le rocher.
Les Gafcons p�n�trent dans le centre des ennemis, en font un horrible carnage, amp; lesnbsp;inettent en d�ronte; les Fransois veulent fuir;
148 nbsp;nbsp;nbsp;Les quatre fds
les troupes, emburqu�es dans la for�t, les ar-��tent, les repoudent dans la plaine, amp; font, par-tout, ruifl'der Ie fang. Renaud , mont�nbsp;fur Bayard, volt Oger, court a lui, amp;, d�unnbsp;coup de lance, Ie jetre a trois pas de fon che-val; il defcend aufli-t�t; il arr�te Ie cheval,nbsp;amp;, en Ie rendanc a Oger: � Comme notrenbsp;� parent, lui dit-il, vous ne vouliez pas trera-� per vos mains dans notre fang; mais vous'nbsp;� avez conduit trois mille hommes contre vosnbsp;� coufins, trabis amp; d�farm�s, pour les livrernbsp;� a leur ennerni, qui n�attendoit fes vidtimesnbsp;,,.que. pour les faire p�rir dans les fupplices.nbsp;,, Allez, je fuis aflez veng�; mais je vous con-� feille de vous recirer.
Maugis, qui avoit fait amener fon cheval de bataille, s��goit jet� parmi les ennemis; ilnbsp;perya Guimard d�un coup de lance, abattitnbsp;la t�te d�Allain, amp; fit fon cri de guerre; Ienbsp;carnage devint g�n�ral; les troupes de Charlemagne diminuoient de moment en moment;nbsp;elles accufolent Oger d��tre la caufe de leutnbsp;d�route; dies 1�attribuoient au temps perdunbsp;dans rinadtion o� leur G�n�ral les avoit faitnbsp;ianguir pendant deux heures. Oger, accuf�nbsp;par les flens, amp; vivement preflepar fes ennemis , pouffe fon cheval dans la Dordogne amp;nbsp;Ia paffe a la nage. Renaud, Ie voyant for 1�au-tre rive : ,, Mon coufin, lui cria-t-il, vous tra-� hiflez les int�r�ts du Roi : Vous fuyez amp;nbsp;� vous nous abandonnez fes troupes. Perfide !nbsp;� r�pondit-il a Renaud, tu m�appelles traJrnbsp;tre, amp; c�eft toi qui me trabis; fans moi.
-ocr page 155-i'Aytnon. nbsp;nbsp;nbsp;149
j, tes fr�res amp; toi feroient prifonniers : C'effc � moi qui ai donn� Ie temps a Maugis d�ar-� rivet. Attends-moi, fi tu 1�ofes. Je k veuxnbsp;�bien, dit Renaud Auffi-t�t Oger repaflenbsp;3e fleuve, amp; fe pr�fente au combat. Son cou-fin eut piti� de lui; fon cheval pouvoit a peinenbsp;3e foutenir; fon armure ruiffeloit de fang :nbsp;Renaud refufa; mais Oger avoit �t� appel�nbsp;traitre; il dit a fon coufin de fe d�fendre.nbsp;Auffi-t�t, ils fe frappent, leurs lances fe bri-fent, leurs ecus jettent des faifceaux d��tin-celles : Cliacun tombe bleff� de fon c�t�; il�nbsp;fe rei�vent, mettent 1��p�e a la main, amp; fenbsp;portent les coups les plus terribles; tandis qu�ilsnbsp;fe battent, leurs oirevaux , auffi furieux quenbsp;leurs maitres, commencent, entr'eux , unenbsp;autre efp�ce de combat; ils fe mordent, fenbsp;d�chirent; 1�agile Bayard rue, hennit, �cumenbsp;Si frappe fon adverfaire a la t�te, a la croupe, dans les flancs. Oger courut pour les f�-parer; mais Renaud, impatient de terminernbsp;Ibn combat, Ie renverfe d�un coup d��p�e, Scnbsp;Ie blefle a la hanche. Oger revient fur lui,nbsp;frappe Renaud fur fon cafque Sc la fait chan-celer. Oger veut recommencer; mais, voyantnbsp;arriver Alard, Maugis, Guichard, amp; leurs troupes, il remonte , a la h�te, fur Boifart, fonnbsp;cheval, amp; ne s�aperQUt qu�il n�avoit pointnbsp;de felle, que lorfqu�il eut paff� la rivi�re. Renaud l�en railla; Oger Ie d�fia de pafler, pour �nbsp;venir recommencer a fe battre. Renaud avoitnbsp;accept� Ie d�fi; il ailoit palier la rivi�re,
d�avoir donn� ]e temps a Mai�gis d�arriver; amp;, apr�s qu�ils eurent maflacr�, ou force ce quinbsp;reftoit de Fxan9ois de pafler la Dordogne, ilsnbsp;all�rent aupr�s de Richard.
Oger, couvert de bleflures, exc�d� de fatigue , amp; fans felle, rentra dans Ie camp de Charlemagne. Perfonne ne doutoit que les quatre fils d�Ayraon ne fuflent pris; il n�y avoit pref-que point de Chevaliers amp; de Seigneurs qulnbsp;ne fudent leurs parens , leurs amis', ceux quenbsp;leur m�rite avoit rendu leurs rivaux amp; leursnbsp;ennemis, commenc�rent a les regretter, d�snbsp;qu�ils les crurent perdus, elfet ordinaire danbsp;1�infonune, qui change la haine la plus enve-nim�e en une tendre commif�ration; mais quellenbsp;fut la furprife de Charlemagne, lorfqu�Ogernbsp;lui eut fait un fidelle rapport de tout ce quinbsp;venoit de fe pafler, qu�il lui eut appris que,nbsp;de trois mille Fran9ois, il ne s�en �toit fauv�nbsp;que trois cents, amp; qu�il s�e�imoit fort heu-reux lui-m�me de n�avoir pas p�ri fous lesnbsp;coups de Renaud. L�imp�tueux Roland nenbsp;put entendre ce r�cit fans fr�mir. II �toit f^ch�nbsp;que Charles eut pr�f�r� Oger pour arr�ter lesnbsp;fils d�Aymon ; il dit, hautement, qu�il �toitnbsp;nn l�che, pour s��tre laifi� battre par unnbsp;Chevalier fans armes, ou un traitre, quinbsp;avoit emp�ch� fes troupes d�agir. Oger ne putnbsp;fouffrir ces reproches, amp; 1�accufa lui-m�me denbsp;l�chet� : � Paree que vous me voyez blefle,nbsp;,, lui dit-il, vous ofez me tenir des proposnbsp;�infultans, dont vous ne me croyez pas ennbsp;�tat de me venger; mais je vous d�fie amp;
-ocr page 157-,, veux vous faire voir que les forces expi-,, ratites d�un guerrier, tel que moi, font au ,, deflus des bravades d'un jeune t�m�rairenbsp;Roland init 1��p�e a la main. Oger, couvertnbsp;encore de fang amp; de pouffi�re, fans tirer lanbsp;fienne, faifit le fer de celle de Roland, amp;nbsp;lui dit; � Jeune homme, regarde ces bleflu-,, res, avant que jeme metre en defenfe,aiinnbsp;� que tu puifles fayoir le jugement qu�on por-,, tera de toi apr�s notre combat. Si je fuisnbsp;� vainqueur, on dira que tu n�avois que denbsp;,, I�orgueil fans courage, puifqu�un hommenbsp;� foible,amp; �puif� de fang,t�a donn�la inorf,fi.nbsp;� je fuis vaincu, on publiera que tu n�es qu�unnbsp;� vil aflafiin , qui as profic� de rna foiblefle pournbsp;,, m�infulter. Maintenanr, viens, amp; combat-�tons�. Roland laifla tomber fon �p�e, de-manda pardon d Oger, amp; le remercia. Celui-cinbsp;jreprit:,, Vous m�avez accuf� de trahifon amp; denbsp;,, iSchet�, je dois me juftifier de I�un amp; denbsp;,, I�autre. C�eft au Roi a s�informer de manbsp;� conduite ; vous, Roland , vous me fereznbsp;,, raifon de 1�imputation de lachet�.
Charlemagne leur d�fendit de fe battre, juf-qu�a ce qu�Oger fut r�tabli de fes blefliires; mais il ne put cacher fon depit de la pertenbsp;inutile de fes troupes amp; de la viftoire de Mau-gis amp; des fils d�Aymon.
Cependant, Renaud, fes fr�res amp; Mangis, apr�s avoir raflembl� amp; fait camper leurs troupes pour le refte de la journ�e, s�en alloientnbsp;vers la roche, ou ils craignoient de trouvernbsp;Richard fans vie. Les trois fr�res foupiroient,
G iv
-ocr page 158-Maugis les confoloit; Alard, qui voyoif la triftell� de Renaud^ demanda a fon coufin cenbsp;qui s��toit pafle au Chateau de Montauban,nbsp;amp; par quel hafard, ou plut�t, par quel miquot;nbsp;rade, il �toit venu a leur fecours.
5, river dans la plaine de Vaucouleurs I Je 9,1�ai prefl'� de s�expliquer. II m�a r�pondunbsp;� qu�il ne pouvoit pas m�en dire davantage;nbsp;j, que fon devoir 1�obligeoit an fecret, quelnbsp;5, qu�il fut.'J�ai vainement employ� les pri�-55 res les plus preflantes; enamp;n, j�ai �t� jufqu�a
�J�avois bien 'de la peine a me perfuader, ,, dit Maugis , que Charlemagne � euc fitdcnbsp;j, daang� a votre �gard ; je n� favois com-j, ment condlier fon projet de prendre Mon-5, tauban, le liege d�t-il durer fept ans, avecnbsp;5, ce trait� de paix a des conditions li douces.nbsp;� 5, Je craignois qu�il n�eut tromp� le Roi d�A-5, quitaine; car jamais je n�aurois penfi quenbsp;5, le Roi vous trahit. Je vous. ai vu partirnbsp;,, avec la plus grande douleur. Je venois denbsp;5, vous faire mes adieux, lorfque jjai paflenbsp;5, dans 1�appartement du jeune Gaudard, ami,nbsp;5, fecr�taire amp; confident du Roi Yon. Je 1�ainbsp;5, trouv� dans le chagrin St dans les larmes;nbsp;5, dies Pont emp�ch�, d�abord, de m-�aperce-5, voir. Je ne Pai tir� da fa r�verie, qu��n lenbsp;j, fecouant brufquement. Ah! Seigneur, m�a-5, t-il dit, pardoimez-moi ma diftradion; vosnbsp;.5, coufins font-ils partis? Ils font d�ja bieanbsp;5, loin, lui ai-je repondu; pourquoi me fai-5, tes-vous cette queftion? die m�alarme. H�-,, las! a-t-il repris, puiflent-ils ne pas ar-
-ocr page 159-d'Ayinon. nbsp;nbsp;nbsp;*53
la menace. Vous vous y prenez mal, Che-3, valier, m�a-t-il dit; qiiand les pri�res tje ,, peuvent rien lur une ame honn�re, foyeznbsp;� aflur� que les menaces font encore plus im-3, puiflantes. J�ai autanc d�envie de vods r�-3, v�ler Ie fecret dont je fuis d�poficaire, quenbsp;33 vous en avez de Ie connoicre; ma�s il ne d�-,, pend pas de mol. Je fuis revenu a fa pri�-3, re; je lui ai repr�fent� que, s�il y avoit anbsp;3, craindre pour vous, fon filence rendroic in�-3, vitablc un malheur qu�on pourroit, peut-3, �tre, encore pr�venir. Enfin, il s�eft laifl�nbsp;� toucher; il alloit me r� v�ler route la tra-5, hifon, lorfque Ie Roi 1�a fait appeler : IInbsp;� m�a dit de l�attendre, amp; n�eft revenu quenbsp;� deux heures apr�s. II m�a racont� que Char-les avoit fait propofer au Rui Yon de luinbsp;livrer les quatre fils' d'Aymon ; qu�a cettenbsp;j, condition, il lui prometcoit de retirer fesnbsp;,, troupes de la Gafcogne, d�augmenter fesnbsp;�, Etat's de plufieurs Villes amp; Chateaux; maisnbsp;3, que, s�il continuoit a les prot�ger, il de-33 voit s�attendre a la guerre la plus fhnglan-3, te; que 1�Aquitaine amp; la Gafcogne feroientnbsp;3, livr�es k la difcr�cion du foldat, les habi-3, tans paff�s au fil de 1��p�e, amp; fes Villesnbsp;3, r�duites en cendres; que, non feulement,nbsp;3, Charlemagne Ie priveroit de fa couronne,nbsp;3, mais qu�il Ie feroit p�rir des m�mes fuppli-,, ces qu'il deftinoit aux fils d�Aymon. Lenbsp;,, Roi, flatt� des promeffes de Charlemagne,nbsp;3, amp; intimid� par fes menaces, a port� 1�affairenbsp;a fon Confeil 3 foit qu�il n�ait pas of� fe
154
� charger, lui feul, d�un crime atroce , foit ,, qu�il ait voulu trouver des approbateurs;nbsp;,, enfin, il a �cric k Charles qu�i! promettoicnbsp;� de lui livrer fes ennemis, qu�il les enver-,, i'oit dans la plaine de Vaucouleurs, amp; luinbsp;� a d�fign� 1�habit qu�ils porteroient, Ie cor-t�ge qu�il leur donneroit, en un mot, routesnbsp;,, les marques auxquelles ils pourroient �crenbsp;� reconnus. L�honn�te Gaudard a ajout�,nbsp;,, qu�il avoir fait tout ce qu�il avoit pu pournbsp;� parler a quelqu�un de vous en particulier ,nbsp;� amp; que, s�il 1�avoitpu, il vous auroit donn�nbsp;5, les moyens d��viter Ie pi�ge, fans qu�il e�cnbsp;� compromis Ie Roi.
� Quand Gaudard, continua Matigis, m�a ,,eu mis au fait de la trahifon, je n�ai pasnbsp;,, h�fit� de lui faire part du projet, que jenbsp;venois de concevoir , de voler a votre fe-� cours; il m�y a exhort�; il craignoit qu�ilnbsp;5, ne fdt trop tard. Vous �tes parti a quatrenbsp;,, heures du matin , il en �toit huit, il fal-,, loic raflembler les troupes. HeureuSement,nbsp;a, elles �toient fous les armes: J�ai pris Ie pr�-5, texte d�un grand fourrage; en deux heu-� res, tout Ie monde �toit a cheval; j�ai prisnbsp;�fix cents Cavaliers les mieux mont�s, pournbsp;�marcher avec moi, amp; j�ai donn� ordre aunbsp;� gros de la troupe de me fuivre avec autancnbsp;� de diligence qu�il fe pourroir. Je fuis partinbsp;� du camp a dixheures, dans trois, nous avonsnbsp;�fait notre route, Vous favez Ie refte,,.nbsp;Alard, � fon tour, rendit compte k Maugisnbsp;de tout ce qui s��toit pafle � Vaucouleurs.
-ocr page 161-155
d*Aymon.
Pendant tous ces r�cits, ils parvinrent au pied du rocher; ils trembloienc amp; d�firolentnbsp;de tCDUver Richard. Renaud n�ofoit y gta-vir, il pleuroic comme s�il eut �t� certainnbsp;de fa mort. Ils Ie trouv�rent, en effet, �cendunbsp;� terre, fans mouvement; il foucenoit fesnbsp;entrailles, qui fortoient de faplaie, fes chairsnbsp;�toient livides, amp; tout indiquoit la mort. Sinbsp;les larmes, les carefles, les embrallemens�nbsp;pouvoient rappeler a la vie, ceux de fes rroisnbsp;fr�res l�auroient rendue a Richard. Maugis Ienbsp;voyoit d�un ceil fee.,, Promettez-moi, leurnbsp;�dit-il, de venir, avec moi, au camp denbsp;,, Charlemagne , amp; de m�aider a venger lanbsp;� mort de mon p�re, amp; je m�engage de ren-� dre Ie jour a Richard,,. Ils n�eurent pasnbsp;befoin de recourir aux fermens: Maugis por-Toit toujours avec lui des plantes dont luinbsp;feul connoiflbit la vertu , amp; un baume qu�ilnbsp;compofoit lui-m�me. II y avoir une fontainenbsp;dans ce rocher; il fe fit apporter de 1�eau pure,nbsp;lava bien la plaie , fit rentrerles entrailles,nbsp;y exprima Ie fu^ des plantes, retrancha lesnbsp;chairs livides, recoufut la peau, appliquanbsp;far Ie tout de fon baume, fit avaler a Richard quelques gouttes d�un elixir qu�il avoirnbsp;extrait de divers min�raux, amp; fit foulever Ienbsp;malade, qui commen^a a refpirer; bient�t, ilnbsp;ouvrit les yeux, reprit 1�ufage de fes fens,nbsp;amp;, comme s�il fe f�t �veill� dquot;un fonge, Unbsp;demanda �. fes fr�res fi Maugis �toit arriv�,nbsp;fi Oger amp; fes Francois 1�avoient attendu ?nbsp;Maugis l�emb�afla, lui dit que les ennemU
avoient �t� mis en d�route, amp; 1�eshorta de refter encore une demi-heure tranquille , amp;nbsp;couch� fur Ie dos; � regarda la plaie., ellenbsp;�toit d�ja confolid�e. Renaud, Alard amp;. Gui-chard avoient des bleflures confid�rables; Mau-gis les fit d�shabiller, leurs corps �toientnbsp;templis de concnfions amp; couverts d'un fangnbsp;uoir amp; �pais; il s'�toit fig�. dans les endroirsnbsp;blefl�s. Maugislesfit bien laver par fon Ecuyer,nbsp;il expriraa Ie fuc des m�mes plantes dans leursnbsp;plaies, y appliqua de fon baume, en frottanbsp;tout ce qui �toit meurtri de fon �lixir; ennbsp;inoins de demi-heure, ils furent tous gu�ris-;nbsp;Richard �toit Ie plus foible , par la grandenbsp;quantit� de fang quhl - avoit perdu ; la nultnbsp;�toit d�ja avanc�s, amp;, depuis la veille, ilsnbsp;n�avoient rien mang�; Maugls avoit eu foinnbsp;de faire prendre S fa troupe des vivres poufnbsp;trois jours; il envoya fon Ecuyer au camp,nbsp;il rapporta du vin, amp; des provifions abondances; ils foup�rentto�s, reprirentleurgaiet�,nbsp;-oubli�rent leurs maux au fein de hamiti�,nbsp;amp; s�endormirent jufqu�au l^er du f�leil.
� Maugis, amp; les fils' d�Aymon, �roienc trop bien gard�s par leurs troupes, pour avoir anbsp;�raindre la moindre'furpfife; d�ailleurs, ilsnbsp;cn �toient ador�s; 1'amour du foldat pour fesnbsp;G�n�raux, le rend vigilant pour lui-m�menbsp;amp; pour eux. Le fommell leur rendit routesnbsp;leurs forces, amp;, quand les premiers rayons4anbsp;foleil frlpp�rent leurs paupi�res, ils avoientnbsp;oubli� les maux de la veille, amp; ne fe fou-inbsp;Tenoient plus que de leurs ttiomphes.
-ocr page 163-Ay man. nbsp;nbsp;nbsp;157
Les h�ros fe difpof�rent ^ reprendre le che-Tnin de Montauban. Ils plac�rent Alard amp; les prifonniers au centre, form�rent leurnbsp;avant-garde des troupes les plus fra�ches, fousnbsp;la conduite de Richard amp; de Maugis. Renaudnbsp;amp; Guichard command�rent l�arri�re-garde.
Renaud ne pouvoit fe confoler de la tra-hifon du Roi d�Aquitaine, amp;, quoiqu�il fut bien �loign� de penfer qu�Yolande f�t fa complice, fon ccEur opprefle avoir bien de lanbsp;peine a lui pardonner d�avoir un fr�re capablenbsp;d�une telle bafiefle.
CHAPITREXI.
Retour des fih d�Aymon d Montauban. Alar-mes amp; remords du Roi d�Aquitaine ^ il fe r�fugi� dans un Couvent; Roland 1�y d�cou-vre amp; Venl�ve : Renaud vole a fon fecours ^nbsp;- S' le d�gage , apr�s un combat fanglani.�nbsp;des fers de. Roland. Roland eft blejf�.
�Tv ES fils d�Aymon amp; Maugis entr�rent dans Montauban , au milieu des acclamations dunbsp;peuple. Yolande, avec fes deux fils, courucnbsp;au devant de.fon �poux, mais il repoulia lanbsp;�l�re amp;lesenfans. � Perfide! dit-il, de quelnbsp;jj frooit ofes-tu m�approcher, apr�s le crimenbsp;j, de ton fr�re,? Si-tu n�es point fa complicenbsp;,, pourqu�i he m�as-tu pas encore veng�^* Pour-� quoij quand.j�arrive k Montaubanj neme
-ocr page 164-Le$ quatre 'fils
f, livres-tu pas Yon dans les fers ? Va y re-�rn�ne,-U� tes enfans, je ne les reconnois ,, plus; un fang trop impur coule dans leursnbsp;,, veines. Yon, Ie traitre Yon, eft leur on-,, cle , amp; ce titre, ils pourroient auffi Ienbsp;,, donner aux fr�res deRenaud. Ote-les, �te-� toi de mes yeux \ leur pr�fence m�afflige;nbsp;,, amp; la tienne... Arr�ce , Renaud , arr�te ,nbsp;,, s��crie Yolande, en embraflanc les genouxnbsp;,, de fon �poux; ah! fi tu me ra�prifes afleznbsp;� pour croire que j�aye pu foup9onner la tra-hifon de mon fr�re, amp; n�avoir pas march�nbsp;� fur tes pas avec tes enfans, quand tu t'obf-,, tinas, inalgr� moi, d�aller a Vaucouletirs,nbsp;�je ne veux ni de ton amour, ni de la vie.nbsp;,, Ce fut hier, apr�s Ie d�part de Maugis, quenbsp;�j�appris tout : D�s que je connus Ie dan-,gt;82r, je formal mille projets; Ie dernier,nbsp;� auquel je m�arr�cai, ce fut de te devancernbsp;,, a la Cour de Charlemagne, d�expirer a fesnbsp;,, yeux, OU d�obtenir ta libert�. Les pr�para-� tifs de mon voyage �toient faits; j�erame-� nois mes enfans avec moi : Nous fortionsnbsp;� des portes de Montauban, lorfqu�un desnbsp;� hommes-d�armes de Maugis nous arr�ta, amp;nbsp;,, nous annonpa que votre lib�rateur �toit ar-,, riv� aflez a temps pour vous fauver tons;nbsp;�j�embraflai ce brave foldac; oifenfe-toi,nbsp;�Renaud, fl tu Ie veux, des t�moignagesnbsp;� de ma joie; je Ie conduifis dans ton pa-� lais, amp;, pendant qu�il me racontoic toutnbsp;� ce qui s�eft palT� , je lui fervois d�Ecuyer,nbsp;� dans la crainte qu�un autre, en I�intenoo*quot;
-ocr page 165-�pant, ne me fk petdre un mot de fon r�-,, cit... Que d�horreurs! ah! Renaud!...
A ces mots, Yolande tombe �vanouie aux pieds de fon �poux, qui, ne pouvant plusnbsp;r�fifter a fa tendrefle, appelle Richard, pournbsp;1�aider a la foulever : Bient�t les larmes amp;nbsp;les baifers de Renaud 1�eurent rendue a la vie.nbsp;Leursenfans embraflbient, tour a tour, Yolande, leur p�re amp; leurs oncles. L�un de cesen-fans, a qui Renaud, par amiti� pour fon beau-fr�re, avoir donn� Ie nom d�Yon de Mon-tauban, fembloit pr�t d�expirer de plaifir furnbsp;les l�vres de fon p�re; Renaud, a qui Ie noranbsp;d�Yon �toic devenu odieux, n�appela plus fonnbsp;fils qu�Aymon de Montforc, pour n��tre plusnbsp;expof� � prononcer Ie nom d�un traitre.
II ne fongeoit qu�aux moyens de fe venger du Roi d�Aquitaine; les plus cruels lui paroif-foient encore trop doux, lorfqu�un h�rault vintnbsp;fc jerer a fes pieds, amp; r�clamer fa proteftionnbsp;pour ce m�me Yon, que Roland tenoit dansnbsp;fes fers, amp; auquel il �toit pr�t a fairenbsp;fouffrir la mort. � Qui? lui!... Roland!...nbsp;� s��crie Ie fils d�Aymon; eh! de quel droitnbsp;� Roland pr�tend-il venger les outrages fairsnbsp;� a Renaud? Par quelle aventure Ie perfidenbsp;^ Yon eft-il tomb� entre les mains de Roland?nbsp;�Seigneur, r�pondit Ie h�rault, pardonnez,nbsp;� fi, dans Ie r�cit que vous exigez, tout n�eftnbsp;� pas de la m�me gravit�. Parrai les gens d�ar-� mes que Maugis conduifit A votre fecoursynbsp;� �toit un Cavalier prot�g� de ce Godefroid,nbsp;^ qui, dans Ie Confeil du Roi Yon, Ie d�ter--
-ocr page 166-�6o
Les quatre fils
y, mina a vous livrer au Roi. D�s que vos 5^fr�res, amp; vous, e�tes mis les Fran9ois ennbsp;yy fuite, ce Cavalier fc glifla dans Ie bois, amp;nbsp;� alia droit a Bordeaux; il demanda a parlernbsp;au Roi. Sire, lui dit-il, les fils d�Aymonnbsp;yy reviennent triomphans de la plaine de Vau-y, couleurs. Yon fe fit raconter, dans Ie plusnbsp;� grand d�tail, tout ce qui s��toit paff�; iinbsp;,, fe crut perdu, amp; ne fongea plus qu�a �chap-,, per a votre vengeance. D�s que la nuit fucnbsp;� venue, il s��chappa de fon palais, d�guif�,nbsp;yy 8i s��crianr, de temps en temps: Oh! manbsp;� fceur, ma fceur! combien vous me d�telle-� rez, quand vous faurez qu�il n�a pas tenu knbsp;y, moi que Renaud amp; fes fr�res ne p�riflent furnbsp;� un �chafaud? Lache que je fuis! les mena-� ces de Charles devoient-elles me faire com-,, raettre la plus d�teftable des trahifons? Eh!nbsp;� qu�avois-je a cvaindre, ayant Renaud poutnbsp;� me d�fendre.? Cependant, Yon s�avangoicnbsp;� vers un bois; Ie moindre bruit, une feuillenbsp;j, agit�e par Ie zephyr, Ie faifoit trembler;nbsp;,, par-tout, il croyoit rencontrer un des filsnbsp;� d�Aymon. Quand il eut gagn� Ie bois, il'nbsp;� ne fut pas plus tranquille, il croyoit voirnbsp;� reluire un cafque, amp; c��toit la rof�e d'unenbsp;,, feuille qui r�fi�chiflbit les rayons de la lune:
� S�il fe fentoic frapp� par une branche er-� rante, il fe croyoit perc� de la lance de �Renaud; �. tont moment, �croyoitenten-dre Ie galop de Bayard, amp; il pr�cipitoit fesnbsp;�gt; pas. Le Cavalier quil�accompagnoit, aufli ti-quelui, r�po�vantoit encore. Enfin,
-ocr page 167-7, accabl� de peur amp; de fatigue, Ie Roi, plus � foible que coupable, amp; dont toute la Cournbsp;j, �toit r�duite, en _ce moment,, a un feul amp;nbsp;� pauvre foldat, lui demanda ce qu�il avoicnbsp;� a faire. Le Cavalier, apr�s avoir long-tempsnbsp;� r�v�, ne trouva que deux partis; 1'un, denbsp;� pafl�r en Efpagne, de prendre le turban.,nbsp;5, de fe metire fous la protedlion des Sarra-j, fins, amp; de c�der fon tr�ne a celui de leursnbsp;,, Princes qui le fauveroit de Charlemagne ounbsp;,, de Renaud : L�autre, de prendre l�habitnbsp;� de Moine, paree que, certainement, Renaudnbsp;,, ne 1'attaqueroit jamais fous eet habit, quaudnbsp;� m�me il viendroit a le rencontrer. Ce derniernbsp;,, avis parut au Roi Ie plus fage, amp; il r�fo-� lut de le fuivre. A l�extr�mit� du bois, eftnbsp;�la riche Abbaye d.e S.-Ildephonfe, retraitenbsp;, � paifible d�une vingraine d�Auguftins r�fqr-� m�s, qiupartagent leur temps entre la bonnenbsp;,, ch�re, la challe amp; le fommei!, priant, au fur-plus, pour les preux Chevaliers amp; pour leursnbsp;Dames. C�eft la que le bon Roi Yon r�folutnbsp;� de fe retirer. II part; a mefure qu�j! apprq-;�che du monaft�re, fa peur diminue; il ar-� rive, enfin, fe fait ouvrir les portes, amp; de^nbsp;,, mand� 3 parler a 1�Abb�. �
� rafins, amp;tant�t des Francois, fervant amp; ,, hilamp;nt 1�un amp; 1�aucre partis au gv� des
�Malheureufement pour Yon, le Portier d�je�noit avec Pinaut, Vandale de Nation,,nbsp;,, qui, dans la derni�re guerre de P�piin, s��-� tant r�fugi� en France , fut, tour� a tour,nbsp;� homme-d�arraes amp; efpion , rant�c des Sar-
' quot;� tra-
16a
V conftances, amp;, furtout, defes int�r�ts ;pen-,, dant la paix, il �toit commiffionnaire des � Moines, chef de brigands, amp; faifant tout,nbsp;�hors le bien. En buvant, en jafant avecnbsp;� le fr�re portier, il apprit, mais en grandnbsp;,, fecret, que 1�Abb� venoit de recevoir parmlnbsp;� iSts Moines, un homme de tr�s-grande im-,, portance, moyennant une fondation qui tri-� ploit les revenus du Convent ; que 1�Abb�nbsp;,, lui avoit promis de le cacher li bien, que,nbsp;� de long-temps, ni Charlemagne, ni Roland,nbsp;� ni les fils d�Aymon, n�en auroient des nou-i, velles, amp; qu�il pouvoit boire amp; dormir tran-� quillement; mais, quel �toit ce perfonna-,, ge? C'ell ce que Pinaut ne favoir pointnbsp;� encore. 11 fit ce raifonneraent en lui-m�-,, me : C�eft un Grand, qui fe cache amp; qurnbsp;,, fuit, done on lecherche; cherchons done,nbsp;,, a notre tour, ceux qui le pourfuivent. Il fenbsp;,, mit en qu�te, trouva le Cavalier qui avoirnbsp;� accompagn� Yon, I�enivra, amp; fut unenbsp;,, partie de fes fecrets. Pinaut imagina que,nbsp;,, puifqu�on prenoit rant de precautions pournbsp;,, cacher le Roi Yon aux fils d�Aymon amp; inbsp;� Charlemagne, ils avoient un grand int�r�cnbsp;,, d favoir fa retraite, amp; que, par confequent,nbsp;,, il y avoit un grand int�r�t, pour Pinaut, denbsp;� la leurdecouvrir, Il r�folut, d'abord, d�allernbsp;� r�v�ler fon fecret aux fils d�Aymon; puis,nbsp;� imaginant qu�il pourroit tirer une meilleurenbsp;� r�compenfe de Charlemagne, il changea d�nbsp;� deflein. Comirie Pinaut a fix pieds onze pou-� ces de hauteur, amp; qu�il fait trois lieues
-ocr page 169-� quand les autres n�en font qn�une, il prit � Ie chemin de Vaucouleurs, quoiqu�il foicnbsp;� Ie plus long. II rencontra votre troupe, quinbsp;�retournoit, triomphante, a Montauban, ilnbsp;� coupa a travers les bois, amp; arriva, enfin, aunbsp;,, camp de Charlemagne.
� Pinaut fe trompa de tente, il entra dans ,, cclle de Roland, amp;, croyant parler au Roi,nbsp;� il lui raconta tout ce qu�il favoit d�Yon,nbsp;,, de fa retraite, de fon froc amp; de votre mar-�che. Roland a jur� qu�il vous attaqueroit.nbsp;�Oger, qui ne demande pas mieux que denbsp;,, voir Roland aux prifes avec vous, amp; qui nenbsp;� feroit pas f�ch� que vous humiliafliez l�or-,, gueil du jeune Chevalier, s�eft mis de lanbsp;�partie avec Olivier, Richard de Norman-� die , amp; Guidelon ; ils ont march� � la t�cenbsp;� de quatre mille hommes. Pinaut leur fer-� volt de guide ; quoiqu�il dut prendre unnbsp;� autre chemin, il les a conduits 4 1�Abbayenbsp;�de St.-Ildefonfe. L�Abb�, quinefe doutoitnbsp;,, de rien, eft all� les recevoir la t�te denbsp;,, tous fes Moines, amp;, apr�s les premiers com-,, plimens, il les a invit�s de venir fe mettrenbsp;,, a table ; c��toit 1�heure du din�. Roland 1�anbsp;,, remerci� brufquement, amp;lui a dit; Seigneurnbsp;,, Abb�, quandj�aurai envie de diner, je vousnbsp;,, en avertirai, ce n�eft pas, pour Ie moment,nbsp;� de quoi il s�agit; il faut me dire ce quenbsp;,, vous avez fait du traJtre Ie plus liche qu�ilnbsp;,, y ait au monde; il ne vous ftrt de rien denbsp;�faire 1��tonn�; je fais qu�il eft dans votrenbsp;�Couvent, je pretends qu�il me foit remis.
-ocr page 170-�6.4 nbsp;nbsp;nbsp;Les quatre fils
,, pour en 'faire une punition exemplaire.
j, L�Abb�, voyant qu�il �toit inutile' de � diflimuler : Seigneur, a-c-il dit a Roland,nbsp;5, j�ai promis au Roi Yon qu�il feroit a cou-,, vert de lo�te infulte dans ce faint afyle ,nbsp;� de ne r�v�ler a perfonne 1�endroito� il eftnbsp;� cach�. Si un Chevalier ell efclave de fa pa-5, role, un Religieux ne l'eft pas moins denbsp;� la fienne, amp;, pour rien au monde, je n�ynbsp;5, manquerai. Je dois la refpedter, fans doute,nbsp;5, a repris Roland, amp; je'vais faire fouillernbsp;5, par-iout; vos recherches feroient inutiles,nbsp;5, r�pond Ie Moine ; il eft fi bien cach�, que,nbsp;5, ni vous, ni vos Chevaliers, ne fauroiencnbsp;5, Ie trouver; il depend de mon fecret, amp; inonnbsp;5, fecret eft inviolable. Roland, que ce dif-5, cours impatientoit, a r�pondu au Moine :nbsp;5gt; Perfonne ne connoit mieux que moi Ie prixnbsp;� d�un fecret, gardez Ie v�rre, Je vous ennbsp;5, loue, amp;jene vous prefle plus; mais, commenbsp;5,j�ai r�folu de punir Yon, amp; que je fuisnbsp;5, auffi invariable dans mes r�folutions, quenbsp;,, vous dans les v�tres, je vais faire mectrenbsp;� Ie feu aux quatre coins de 1�Abbaye, amp;,nbsp;,, fans que vous violiez votre parole, Yonnbsp;5, fe trouvera puni; vous n�aurez rien a vousnbsp;�reprocher; j�aurai ex�cut� mon projet, amp;nbsp;� nous ferons tous contens. Qu�Oger, avecnbsp;� deux mille hommes, aille inveftir Ie Cou-,, vent, je ie charge d�embrafer la partie dunbsp;�midi; Guidelon mettra Ie feu a celle dunbsp;�nord; Olivier incendiera 'Ja partie du cou-M chant, amp; Richard de Normandie� celle du
-ocr page 171-d'Ayrnon. nbsp;nbsp;nbsp;165
), levant: II d�tacha auffi-r�t cinquante hom-� mes-d�armes, pour enfoncer les portes de � TAtibaye , amp; aller, dans la facriftie, prendranbsp;j, routes les torches qu�ils y trcuveroient.nbsp;� Quand 1�Abb� a vu les haches lev�es, il eftnbsp;5� tomb� aux genoux de Roland ; il a promisnbsp;j) de lui remettre Yon; mais, a-t-il ajoute,nbsp;vlbngez. Seigneur, qu�Yon eft Moine, amp;nbsp;gt;, qu�en cette qualit�, vous n�avez aucun pou-,, voir fur lui; Roland a regard� 1�Abb� avecnbsp;� un fourire amer , a �lev� fa lance, amp; 1�a-,, laifle tomber, de tout fon poids, fur 1��-paule de 1�Abb� ; voila, lui a-t-il dit, cora-�, me j�aime qu�on foit fidelle a fon ferment.nbsp;�L�Abb�, qui croyoit avoir 1��paule d�mife,nbsp;,, n�a rien r�pondu, crainte de plus finiftranbsp;,, aventure, a conduit Roland dans un ca~nbsp;,, veau, lui a moncr� une petite porte quinbsp;donnoit fous le f�t d�une colonne, o� Yonnbsp;,, �toit cach�; Roland 1�a fait defcendre Ssnbsp;), fortir du caveau; il �roit fous l�habit de St.-� Auguftin, Sitouttremblant: Sire Moine, luinbsp;,, a dit Roland, reverend Chevalier, pardon-� nez, fi je trouble votre folitude; mais il faut *nbsp;,, dans le moment, que vous vous d�cidiez furnbsp;,, deux partis que j�ai a vous propofer. Qu�ai-� mez-vous mieux, ou venir, tout a I�heure,nbsp;� aupres de Charlemagne, lui rendre comptenbsp;�des fils d�Aymon, que vous aviez promisnbsp;� de lui livrer, ou de rompre une lance avecnbsp;,, Roland, qui veut venger fes coufins de votrenbsp;,, trahifon? Choififlez. Le Roi Moine n�avoulunbsp;V, fe d�terminer, ni pour 1�un, ni pour 1'autre
-ocr page 172-166
Les quatre fils
,, partis ; II a r�clam� centre la violence qu�on ,, faifoit a un ReKgieux qui n�avoir plus riennbsp;,, a d�m�ler avec ie monde, amp; a menac� Ro-,, land de la col�re c�lefte; Ie Paladin j fansnbsp;,, �couter ni fes r�clamations, ni fes menaces,nbsp;� I�a, aufli-t�t, faitenlever, amp; I�a fait atta-� cher fur un clieval, le vifage tourn� versnbsp;� la queue, afin que route fa troupe p�t lenbsp;� voir a fon aife pendant la rnarche : C�eftnbsp;� dans cet �quipage, indigne d'un Roi, qu�ilnbsp;,, le conduit a Charlemagne, amp; que je 1�ai ren-� contr�. D�s qu�il m�a aper^u, il m�a appel�nbsp;�� par mon nom, quoiqu�il lui foit d�fendanbsp;,, de parler a perfonne : Mais, comme c�efl:nbsp;� Pinaut qui eft charg� de mener fon chevalnbsp;� par la bride, amp; que je le connois, je me fuisnbsp;� approch� du guide; il m�a racont� tout cenbsp;ti que vous venez d'entendre. J'ai demand�nbsp;,, au Vandale, la permiffion de parler au Roi,nbsp;� qui m�a dit, tout bas: J�aiindignement trainnbsp;� Renaud amp; fes fr�res, je m�rite route leurnbsp;� indignation, ou,plut�t, leur m�pris;mais,nbsp;�je connois leur g�n�rofit�; va, vole a Mon-� tauban, expofe mes malheurs amp; mon crimenbsp;� � Renaud, amp; ne lui parle, feulement, pasnbsp;� de mon repentir.
Le h�ros fe tut, Renaud, morne amp; penfif, i�iterrompoit, de temps en temps, fon terrible filence, par des cris amp; des foupirs. Enfin,nbsp;regardant fon �poufe amp; fes fr�res en fondantnbsp;en larmes : � Eh! c�eft un Roi, dit-il, qui
s�eft ainfi d�grad�, c�eft un Roi que Roland �*,traite ai�fi? Arraons-nous, mes fr�res� at
-ocr page 173-167
,, l�ns arracher Yon, tout Ikhe qu�il eft, des ,,mains de Roland. Qui? ce perfide! s��crienbsp;Alard, ce traicre, qui a voulu nous livrernbsp;� inotreennemilnon,Renaud,non,jamais;
qu�il p�riiTe; amp;, puifque Roland veut nous ,, venger, qu�il foit fon bourreau! Mon fr�re!nbsp;,, mon fr�re, reprit Renaud, nous ferions biennbsp;� peu dignes du titre de Chevalier, fi nousnbsp;� n�avious piti� d�un homme qui fe repent;nbsp;�Yon nous a trabis; mais il nous avoit fe-� courus. Errans, loin de notre patrie amp; denbsp;�la maifon paternelle, perf�cut�s par Char-� lemagne, livr�s a l�indigence, c�eft lui quinbsp;� nous a recueillis, qui nous donna un afyle,nbsp;,, des �tats amp; fon amiti�; il m�a fait un donnbsp;� plus pr�cieux encore, celui d�une femme ai-,, mable amp; vertueufe:Voila, mes amis, de quoinbsp;,, nous devons nous fouvenir, amp; non d�une tra-� hifon , qui fut plut�t 1�eifet de fa foiblefl� amp;nbsp;� de fa crainte, que de fa m�chancet�. II con-� noifloit toute la haine de Charlemagnenbsp;� contre moi; Yon a tremble, amp; s�eft cru per-� du : Ses Confeillers, qui trembloient pournbsp;� euK-m�mes, amp; qui, peut-�tre, �toient fe-gt;, crettement gagn�s par les pr�fensde Charles,nbsp;� lui ont fait des peintures effrayantes des mauxnbsp;� auxquels il alloit expofer fes Peoples; ilsnbsp;� lui ont perfuad� que fon refus alloit atti-� rer fur eux, tous les fl�aux d�une guerre mal-�heureufe; ils Tont emp�ch�, fans doute,nbsp;� de me communiquer fes alarmes; h�las! desnbsp;�maux que fouffreut les Peuples, ce ne fontnbsp;� pas les Rois qui font les plus coupables; cs
-ocr page 174-�6B
Les fa�tre fih
font leurs courtifans; ils ont 1�art de faire ,, de leurs Souverains, l�inllrument de leursnbsp;� propres vengeances : Le Roi nous aimoit;nbsp;,, mais Godefroid nous portoit envie, amp; nousnbsp;,, n�avons �t� les vidlimes que de I�envieux.nbsp;� Si nous avions eu 1�amiti� de Godefroid, ilnbsp;,, e�t repr�fent� � fon maitre, qu�avec notrenbsp;,, fecours, il �toit aflez fort pour r�lifter anbsp;,, Charlemagne, amp; le Roi 1�e�c cru amp; ne nousnbsp;� eut pag trahis: Ainfi, mes chers atnis, Yonnbsp;,, eft moins criminel que vous ne le penfez;nbsp;if mais, le f�t-il mille fois da vantage, ce feroicnbsp;� une raifon de plus pour oublier fa trahifon ;nbsp;f, ne vo37ons en lui que notre bienfaiteur,nbsp;jjmon beau-fr�re, Tonde de vos neveux ,nbsp;,, enfin, un Roi malheureux, au pouvoir d'uanbsp;� jeune t�m�raire.
Apr�s avoir ainfi parl� , fans attendre la r�ponfe de fes fr�res, Renaud fait fonner lasnbsp;trompettes, amp; fes troupes fe rendent, auffi-t�t, fur la place; il fe met k leur t�te, amp;, lorf-qu�elles furent hors de Montauban : � C�eft aunbsp;fecours, leur dit-il, de votre Roi prifonnier,nbsp;amp; deftin�, peut-�tre, a des fupplices infd-mes, que je vous m�ne : Sa honte rejail-� liroit fur vous; II faut le d�livrer, ou p�-
Les troupes, le people qui les avoit fui-vis, �tonn�s de la g�n�rofit� de Renaud, s��cri�-rent; ,, II faut d�livrer Yon , notre Roi; mais Re�aud eft feul digne de T�tre,
' A peine Renaud amp; fes fr�res furent-ils for-tis de Montauban, qu�ils aperjurent la troupe
d'Aymon. nbsp;nbsp;nbsp;169
�e Roland : Ils s�avr�t�rent amp; fs rang�renc en otdre de bataille. Oger fentit une fecrettenbsp;joie, en voyant Renaud ; � Le voila done,nbsp;�enfin, dic-il a Roland, voyons, mainte-� nant, fi vous ferez plus heureux que moi,nbsp;�Si vous le faites prifonnier, je vous tiensnbsp;� pou� le plus valeureux Chevalier qui fut,nbsp;� amp; qui fera jamais L�Archev�que Turpinnbsp;ricanoit, en fecouant fa t�te cliauve; Olivier lourioit, amp; le Due de Naimes confe�-loit a Roland de ne pas fe mefurer avec lui.nbsp;Roland, qui ne doutoit de rien, regarde Nai-mes avec d�dain, amp; range fa troupe. Cep�n-dant, 1�Archev�que Turpin lui fit obfervernbsp;que Renaud avoit beaueoup plus de mondenbsp;que lui ; � Que m�importe, dit Roland, nenbsp;�favez-vous pas que les Gafcons ont plusnbsp;� d�adrefle amp; d�efprit que d� valeur? Quand-� cela feroit vrai, reprit 1�Archev�que, jcnbsp;� fais auffi, qu�avec un G�n�ral tel que Re-� naud, les moins braves deviennent d�s h�-� ros, amp; que c�eft le G�n�ral qui fait le foldat.
De leur c�t�, les fr�res de Renaud 1�ex-hortoient d��viter le combat avec Roland, qui, felon 1�opinion commune, avoit regu dunbsp;del, le don d��tfe invuln�rable : � II y anbsp;�tant d'autres Chevaliers, lui difoient-ils,nbsp;�avec qui vous pouvez combattre �. avan^-,, tage �gall Attaquez la troupe enti�re, nousnbsp;,jr vous feconderons-, nous Ia tai�erons en pi�-,, c�s'j mais �vit�z'Roland. Mes amis, le�rnbsp;dit R�naud, je connois tout le prix de cenbsp;�rjeuae#rosjd�-allKursj.jl eft neven du Roi ; �
-ocr page 176-1^0 nbsp;nbsp;nbsp;Les quatre fils
,, S�il veut la paix, je ne demande pas mleux; ,, niais s�il veut combattre, je ne Ie crainsnbsp;,, point; tout invulnerable qu�il veuille fe fairenbsp;�croire, je trouverai, peut-�tre, Ie moyennbsp;� de diffiper un pr�jug� qui lui eft erop favora-� ble Comme il parloit encore� il vit Roland qui s�avan9oit vers lui : � Mon fr�re ,nbsp;�,dit-il a Alard, retenez ies troupes; que per-,, fonne ne quitte fes rangs jufqu�a ce que jenbsp;� 1�ordonne � : Aufli-t�t, il pique Bayard �nbsp;amp; fend 1�airjufqu�d ce qu�il alt joint Roland;nbsp;alors, en pr�fence des, deux troupes, il def-cend de cheval, 1�attache a un arbre, metnbsp;fa lance a terre, amp;, Ie front courb�, fl�chif-fant un genou devant Roland: � Prince, luinbsp;� dit-il, voici Ie temps de terminer nos haines.nbsp;,, Vous �tes neveu de Charlemagne, amp; monnbsp;� coufin ; foyez notre m�diateur, r�tabli�eznbsp;,,, la paix entre Charlemagne amp; nous; qu�ilnbsp;� nous rende fon amiti�, amp; je lui jure, pournbsp;� mes fr�res amp; pour moi, toute foi amp; toutenbsp;� loyaut� ; je remettrai Montauban en fonnbsp;� pouvoir, amp; Bayard vous appartiendra ;nbsp;,, Ba^ard, que je ne donnerois pas pour unenbsp;,, Province: Nous quitteronsla France amp; nousnbsp;� irons porter nos armes, au nom du Roi,nbsp;� centre ies Sarraflns. 11 n�y a point de fa-� crifices que le Roi ne puifle exiger de nous,nbsp;,, tant nous d�firons la paix, quelq^u�avantagenbsp;,,que la guerre puifle offrir g des Chevaliersnbsp;� fans fortune, abandonn�spar leurs parens.
Roland fut touch�deda pri�re.de Repaid; nuis il I�aliura que jamais; l�5 fils .d�AyinPH �
-ocr page 177-d^Aymon.
n�obtiendroientrien de Charlemagne, � moins qu�ils ne confentillent a lui livrer Maiigis.nbsp;,, Nous mourrons ttius, reprit Renaud en fenbsp;,, levant amp; en reprenant fa lance; nous mour-� rons tous, plut�t que d�acheter la paix parnbsp;� une telle lachet� II ceignit fon �p�e,nbsp;monta fur Bayard, amp; revint, tout arm�, versnbsp;Roland. II prit un ton plus fier ; � Roland,nbsp;,, dit-il �. fon coufin, garde-toi de penfernbsp;,, qu�aucune crainte m�ait engag� a m�hunii-,, lier devant toi. Je t�ai rendu ce que je tenbsp;�devois, comme neveu du Roi, amp; commenbsp;� mon parent; j�ai cru trouver en toi unnbsp;� ami, un d�fenfeur centre 1�oppreffion; j�ainbsp;,, cru que tes voeux, comme ceux d�un vrainbsp;� Chevalier, �toient pour la paix, que tu avoisnbsp;,, en horreur Ia difcorde amp; les haines entrenbsp;� parens; mals, loin d��tre fenfible a ma pri�-,, re, ton orgueil met a la paix une condi-�tion, non feulement, impoffible, mais vilenbsp;� amp; fl�triflante : Elle m�indigne amp; m�olFenfe.nbsp;�Mais, afin que tu n'ailles pas te vanter, �nbsp;� la Cour de Charles, que Ie bruit de ta va-� leur m�a fait tomber a tes pieds, pour tenbsp;� demand�r grSce, combattons, amp; voici lesnbsp;� conditions que je te propofe. Si je fuis vain-� CU, je confens que tu me livres a la col�renbsp;� de Charlemagne; fi tu 1�es, tu viendras, avecnbsp;� moi, � Montauban , o� tu n��prouveras,nbsp;�avecnous, ni haine,ni col�re, maisamiti�nbsp;�franche, paix, douceur amp; loyaut� Roland exigea que Renau�d lui donnat fa paro-l�, amp; Renaud lui r�p�ta les m�mes proj?os^
Les qaatre f�ls
qu�il appuya de fon ferment. Roland demanda encore iin moment, pour aller rapporcer a fesnbsp;Chevaliers les conditions du combat; il leurnbsp;dit que Renaud vouloit combattre feul a feul;nbsp;jnais Olivier, Oger, 1�Archev�que Turpin,nbsp;amp; tous les Chevaliers, s�y oppos�rent. � Re-�nbsp;,, naud, lui dirent-ils, elt votre parent amp; Ienbsp;,, n�tre, amp; Ie combat ne finiroic que par lanbsp;�mort de Pun des deux. De quelque c�t�nbsp;,, que tournat la viftoire, nous en ferions �ga-� lement afflig�s. C�eft affez que Ie combatnbsp;� foit g�n�ral, amp; fi, dans Ia m�l�e, vous vousnbsp;j, rencontrez, vous pourrez eflayer vos for-� ces �. Roland, oblige de c�der a ces con-feils, rangea fa troupe en bataille ; Renaudnbsp;conduific la fienne en grand Capitaine, amp; _fenbsp;jeta le premier au milieu des Francois : Unnbsp;Chevalier s�ofFrit fur fon paffage; il ne fit quenbsp;pouffer Bayard fur lui, amp; Ie Chevalier futnbsp;Ibul� fous les pieds de Bayard; il prefl� la premi�re ligne des Fran9ois amp; la rompt; Richard,nbsp;excit� par fon exemple, frappe, renverfe,nbsp;�crafe tout ce qui �chappe a Renaud : II faicnbsp;un fi grand carnage autour de lui, que Re-naud; �tonn�, fufpend fes coups pour l�admi-rer : ,, Que fais-tu Renaud, s��crie Richard,nbsp;p�n�tre dans les efcadrons, difpeiTe, divifenbsp;, les Frangois, emp�che qu�ils ne fe rallient.
Cependant/lesFrangoisinvoquent, agrands cris Ie fecours de Roland; il accourt furieux;nbsp;11 appfelle Renaud, qui br�le de ie combattre,nbsp;amp;. quilaifle refpirer les combattans; il rernetnbsp;ipn-�p�e dans'fon'fourreau, faific une lance
-ocr page 179-d�Jymon. nbsp;nbsp;nbsp;IJ'S
courte, mals terrible par fa grofleur : � Pour-5, quoi, dit-il a Roland, vous �tes-vous d�-� rob� fi long-temps � mes j-eux Aulfi-t�t, ils courent 1�un contre l�autre. Hedlor* Salomon de Bretagne amp; 1�Archev�que Turpin ,nbsp;voyant que Roland �toit arm� de fon �p�e,nbsp;trembl�rent pour Renaud. � Nous voyons avecnbsp;5, douleur, dirent-ils i Olivier, que Ie plusnbsp;,, g�n�reux Chevalier du monde va p�rir :nbsp;� Voyez avec quelle precipitation 1��p�e denbsp;� Roland tombe fur Renaud; il eft vrai que Re-� naud rend fes coups inutiles, amp; qu�il lesnbsp;,, d�tourne adroitement; mais Ie pourra-t-ilnbsp;�encore long-temps, avec fa lance? Allez,nbsp;5, du moins, dire a Roland que, puifqu�il veucnbsp;5, combattre , il fe ferve des m�mes armesnbsp;5, que fon adverfaire, Chevaliers, interrompicnbsp;5, Oger, vous vous eftrayez en vain; laifl�znbsp;5, Roland fe fervir des armes qu�il jugera anbsp;� propos ; il n�y en a point que Renaud re-� doute, je Ie connois mieux que vous; Ro-,, land n�ell pas plus k craindre pour lui, quenbsp;� tout autre On crut que l�envie faifoitnbsp;ainfi pariet Oger, amp; les Chevaliers pri�rentnbsp;Olivier de faire ceder ce combat; mais, 1�ira-p�tueux Roland ne voulut rien entendre, amp;,nbsp;les menagant du courroux de Charlemagne,nbsp;retourna vers Renaud , amp; lui dit : � Che-�yalier, vous �vitez aflez adroitement mo�nbsp;��p�e, voyons, maintenant, fi vous vousnbsp;� garantirez du fer de ma lance. Peu m�im-,, porte, r�pondit Renaud, la lance ou 1��p�e�nbsp;� tout m�eft �gal Alors, ils coururent l�ua
H iij
-ocr page 180-If 4 nbsp;nbsp;nbsp;quatre fils
centre 1�autre, avec une �gale ardeur; tnais, 1�ardeur de Renaud etoit �clair�e, amp; fe jouoinnbsp;de l�iinp�tuofit� de Roland; ils fe frapp�rentnbsp;avec tant de fureor, que leurs lances, quoi-que d�une grofleur �norme, fe r�duifirenr ennbsp;pouifi�re; leurs ecus fe heurt�rent, amp;, leurs che-vaux, repoufles 1�un par 1�autre, retoiirn�-rent, malgr� eux, en arri�re, jufqu�a 1'en-droit d�ou ils �coient partis ; Celui de Roland s�abattit avec fon Cavalier; Renaud ,nbsp;fier, fur le fien, regardoit, en riant, fon rival etnbarrafi'�, fe d�battre fur le fable; Renaud , qui ne voulut point profiter de fonnbsp;avantage, cria, Montauban.
Cependant, Roland fe rel�ve, �cume de fureur , prend fon �p�e, amp; veut abattre lanbsp;t�te de fon cheval : � Giice, grace, lui crienbsp;� Renaud ; h�las! il a fait plus que vous nenbsp;� deviez attendre; il s�efi; relev�, amp; Bayardnbsp;,, en eft tout honteux ,,. Aufii-t�t, Renaudnbsp;faute a terre ; Bayard, comme s�il e�t entendunbsp;les propos de fon inaitre, s��lance fur le cheval de Roland, le frappe a coups de pieds amp;nbsp;le d�chire avec fes dents: Le fougueux Rolandnbsp;court � Bayard pour le percer de fon �p�e :nbsp;,,Arr�tez, Chevalier, lui crie Renaud; quelnbsp;�Champion choififlez-vous aujourd�hui? Ennbsp;� voici un plus digne de vous; laiflons fairenbsp;,, nos chevaux amp; combattons,,. Rolan'd rou-git de col�re : ,, Tu me menaces, Renaud,nbsp;,, s��cria-t-il, attends, voici de quoi rabaif-� fer ta fiert� Renaud ne 1�attendit point,nbsp;il courut a lui, amp; porta fur fon cafque un fi
-ocr page 181-i'Aymon.
rude coup d��p�e, qu�il 1�ouvrit; mais Flam-berge glifla fur 1��cu fans effleurer la peau ; Ie neveu de Charlemagne fut �tourdi du coup,nbsp;il recule, de crainte d�un fecond, amp;, levahcnbsp;Durandal, cecte �p�e plus redoutable que lesnbsp;armes d�Achille, il avance amp; frappe ; Renaudnbsp;lui oppofe fon �cu , amp; 1��cu tombe coup� ennbsp;deux, aux pieds de Renaud. ,, Nous voilanbsp;� quittes, tour au inoins, lui dit Roland.nbsp;�Non, reprit Ie fils d�Aymon, ton orgueilnbsp;� veut- quelque chofe de plusIls alloientnbsp;recommencer , leur fureiir irrit�e annonpoicnbsp;Ie combat Ie plus� terrible, mais, Maugis,nbsp;plus prudent, arr�ce Renaud , amp; Ie fait re-monter fur Bayard ; Oger amp; Olivier forcentnbsp;Roland d�en faire autant; Oger avoir biennbsp;de la peine a contenir la joie qu�il reflentoicnbsp;d�avoir vu Roland abattn par Renaud; Roland , humili�, rugit, rappelle amp; d�fie fonnbsp;adverfaire ; � Mon coufin, lui dit Renaud,nbsp;� nos Chevaliers ne-Ie veulent point; maisnbsp;,, tachons de nous d�rober a leurs regards,nbsp;� pallant la rivi�re a la nage, amp;, feuls dansnbsp;� Ie bois, nous verrons a qui demeurera lanbsp;,, viftoire Roland y confentir; mais Olivier, qui foup9onna leur deil�in, Ie ramenanbsp;malgr� lui.
Mais, comme Renaud alloit pafler la rivi�re , il apei-put une troupe d�environ cent hom-mes-d�armes, amp; un Religieiix au milieu d�eux; il fond fur ce peloton , reconnoic Ie Roi Yon,nbsp;amp; s��crie : ,, Laches, qui prenez plus de pr�-� cautions pour garder un Moine , que fi vous
H iv
-ocr page 182-� conduifiez dix Paladins am�s, fuycz, laif-5) fez Ie RoiII frappe, en m�me tetnps, un Chevalier, amp; Ie renverfe; Ie refte fe dif-perfa devant lui, comme a la fin de 1�autom-ne , les feuilles s��parpillenc au fouffle d�unnbsp;vent imp�tueux. Renaud, reft� feul avec Yon,nbsp;ne lui fit point de reproches; il fe contentanbsp;de lancer un regard plus terrible pour Ie cou-pable que la punition la plus f�v�re. Le mal-heureux amp; foible Roi tombe aux genoux denbsp;Renaud, amp; s��crie : �Mon crime elt dignenbsp;5, du fupplice le plus honteux; la feule grdcenbsp;,, que je demande a Renaud, eil de na p�rirnbsp;5, que de fa main ; j�aurai rooins a roiigir,nbsp;y, que de tomber entre celles de Charlema-5, gne. J�ai �t� coupable , par la crainte de lenbsp;devenir; le Due d�Anjou m�a fait tremblernbsp;,, pour mes Sujets; il m�a rendu traitre pournbsp;,, fauver mon Royaume des fureurs de Char-,, lemagne; amp;, paree que le ciel vous a pro-,, t�g�s contre ma perfidie amp; la fienne, Charlesnbsp;� m�accufe de 1�avoir trahi; il me fait unnbsp;� crime de votre libert� ; mais, hStez-voiis,nbsp;,, d�livrez-moi d�une odieufe vie Renaud ficnbsp;relever Yon, le fit monter a cheval, amp; lenbsp;fit c�uduire derri�re fa troupe.
-ocr page 183-lt;?Aymon.
CHAPITRE XII.
Richard eft fait prifonnier par Roland. CJiar~ lemagne stempare du prifonnier, malgr� fon.nbsp;vainqueur, amp; k condamne a un fippUcenbsp;infdme. Enchantement de Maugis, qui /enbsp;rend ni�connoijfable; il d�couvre ce qui fznbsp;paffe au camp, en donne avk d Renaud,nbsp;qui fait embufquer fes troupes. Noble fer-inet� des Chevaliers, qui refufent d'efcorternbsp;Ja conduite de Richard au fappUce. Ldchet�nbsp;d'ua Courtifan.
I-/E combat avoit recommence, entre les Francois amp; les Gafcom, au moment o� Re-Tiaud �toit parti pour palier la rivi�re. Sesnbsp;trois fr�res, amp; Maugis, furent attaqu�s parnbsp;Roland, Oger amp; Olivier. Ils voulurent lanbsp;montrer dignes dc Renaud,�amp;' Ie camp desnbsp;Francois fut couvert de morrs. Roland ne fanbsp;poff�doit pasmais ce qui acheva de Ie raettrenbsp;hors de lui, ce fut Oger, qui lui dit: ,, Sei-�gneur, avez-vous obferv� que vocrechevalnbsp;� eft bleff� ^ la cuille, amp; que votre �cu eflnbsp;� fracafle ? Mais que vois-je? voila du fangnbsp;,, qui coule de vone c�t� : Ah! puifque Ienbsp;,, brave Roland eft bleft'� , il faut. que Re--naud foit mort, ou, tout au moins,nbsp;� votre prifonnier Roland, qu�on ne plai-fantoit pas impun�ment, porta la main furnbsp;la garde de fon �p�e, amp; menara Ogerj mais
H V
-ocr page 184-Olivier fe mit entr�eux deux, amp; les fepara.
Ce fat dans ce moment que le jeune Richard s�approcha de Roland amp; le d�fia; Roland, qui ne le connoifloit pas, lui donne a peine le temps d�achever, amp;, pouflant fonnbsp;cheval fur lui, il le renverfe; Richard ne �nbsp;s'�tonne point; il remonte, prefle Roland,nbsp;qui s�aper9oit, enfin, que c�eft un des filsnbsp;d�Aymon qu�il a en t�te; mais, au lieu denbsp;combattre feul a feul avec lui, craignant,nbsp;fans doute, de fe compromettre en fe battantnbsp;avec tout autre que Renaud : � A moi, Fran-9ois, s��crie-t-il, c�eft Richard , c�eft unnbsp;des fils d�Aymon, qu�il ferve d�otage pournbsp;� fes fr�res Auffi-t�t, un efcadron de Francois environne Richard; fon cheval eft tu�nbsp;fous lui; il fe d�gage, amp;, quoiqu�il fe voyenbsp;pret d��tre accabl� par le nombre, il metnbsp;�1'�p�e a la main, blefle dangereufement knbsp;Gomte Antoine, me un Chevalier qui veucnbsp;le faire prifonnier,, �cart� les plus hardis, amp;nbsp;^donne la mort a tons ceux qui attentent inbsp;fa perfonne. Cependant, on lui crie de tousnbsp;c�t�s : Rendez-vous, ou vous nous forcereznbsp;a vous donner la mort. Entour� de routesnbsp;parts', amp; voyant qu�auenn effort humain nenbsp;peut le d�gager : � Je me - ids; ou eft Roland,nbsp;,, s��crie-t-il, c�eft a lui que je remettrai mesnbsp;,, armes �.Un Chevalier fur aflez t�m�raire pournbsp;vouloir fe faifir de fon �p�e; Richard le regardanbsp;avec m�pris: � Tu ne m�rites que d�en �prou-� ver les coups ,, , lui dit-il, en lui abattancnbsp;Ia t-�te; amp; , aul�-t�t, il s�approche de Ro-
-ocr page 185-d'Aymon. nbsp;nbsp;nbsp;1^9
land, lui reniet fon �p�e route fanglatite, amp; fe rend a lui, comme au plus briave Chevalier.
Renaud fut avert! de ce malheur lorfqu�il ne fut plus temps de le reparer, amp; qu'on eutnbsp;fait partir Richard pour le camp de Charlemagne : Alard amp; Guichard, qui ignoroientnbsp;la captivit� de leur fr�re, rencontr�rent Renaud , accabl� de trifteffe. Lorfqu�il leur eutnbsp;raconr� ie d�faftre de Richard : ,, Ah! monnbsp;�fr�re, s��cri�rent-ils, pourquoi nous avez-� vous engag� d�aller au fecouis du traitrenbsp;� Yon � ? Guichard , a ces mots, jette unnbsp;regard furieux fur le Roi, amp; veuc 1�immo-ler a fon fr�re ; d�ja fon �p�e �toit lev�e,nbsp;Renaud lui retient le bras � Arr�tez, mo'nnbsp;�fr�re, lui dit-il; c�eft a moi qu'Yon s�eltnbsp;� rendu, c�eft moi qui dois le punir ou Ie d�-� fendre; foyons fes juges amp; non fes bour-� reaux. 'Je le mets fons votre garde; con-� duifez-le a Montauban, amp; moi, je vole aunbsp;,, camp de Charlemagne; je lui enleverai Ri-,, chard, ou je p�rirai avec lui II partoit;nbsp;mais Alard Ib jette au devant de lui, faillenbsp;Bayard park frein, amp; Guichard i'arr�te par-derri�re.
Renaud faifoit fes efforts pour s�arracher des mains de fes fr�res, lorfque Maugis fur-vint. II leur demanda le fujet de�leurs plain-les amp; de leurs larmes; il les �coiita avec uhfrorttnbsp;calmeamp; tranquille; il bl�rna le projet inutile denbsp;�Renaud. Allez, lui dit-il, vous repofer �nbsp;� Montauban; c�eft moi qui irai au camp A�
i8o
,, Charlemagne, amp;, fi Richard n�eft point mort, �je vous r�ponds, fur ma t�te, de Ie rame-� ner avec moi. Ceflez toute plainte amp; com-� ptez fur la parole de votre ami.
Les trois fils d�Aymon rentr�rent, tout conftern�s, dans Montanban, avec Yon leurnbsp;prifonnier, done les remords augmentoientnbsp;par Ia perte de Richard. L��poufe amp; les en-fans de Renaud vinrenc I�embrafler; Yolandenbsp;ne put s�emp�cher d�accabler fon fr�re desnbsp;plus fanglans reproches; leurs larmes coul�-xent en abondance, quand ils apprirent quenbsp;Richard �toit entre les mains de Charlemagne; mais Maiigis, qui arriva, un momentnbsp;apr�s, les confola, amp; ranima leurs efp�ran-ces. Maugis coroptoit trop fur les fecrets denbsp;fon art, pour avoir la moindre inquietude;nbsp;il fe retira un inftant, amp; pafla dans fon appartement pour fe preparer; il fe mit toutnbsp;nu ; il avala Ie. fuc d�une herbe, dont lanbsp;vertu �toit telle que foti corps parut fubite-ment enfl�; il frotta tous fes membres du fucnbsp;�5�une autre plante, amp; ils devinrent noirs Stnbsp;livides, fes yeux tourn�rent dans fa t�te, amp;nbsp;Ton front parut couvert d'uk�res., il fe re-T^it de haillons, amp;, dans eet �tat, il fe pr�-fenta aux fils d�Aymon, qui ne Ie reconnurentnbsp;point; fa t�te �toit affubl�e d�un vieux chaperon; il tenoit dans fa main un long batonnbsp;de p�lerin. Renaud fut �tonn� de voir,nbsp;dans fon Palais, tin mendiant fi pauvre amp;nbsp;fi malade; il alloit ordonner qu�on prit foinnbsp;de eet infortun� , lorfque Maugis Ie tita d�er-
-ocr page 187-d�Aytnon. nbsp;nbsp;nbsp;iSi
reur. � Voila, dit-il, avec qudles armesje ,, vais combattre Charlemagne, amp; d�livrer Ri-chard,,� IIpJirt, amp;, dansmoins d�une heure,nbsp;il devance Roland au camp du Roi; il Ie tra-verfe en boitanr, amp; appuy� fur Pon bourdon;nbsp;il alia devant la tente de Charlemagne; ilnbsp;actendit que Ie Monarque en fortit. ,, Grandnbsp;,, Prince, lui dit-il, d�un ton hypocrite, pui�enbsp;�Ie ciel vous pr�ferver de tiaitres! �Je tenbsp;� fais bon gr� de tes voeux, lui dit Charle-� magne , il n�y a que Dieu qui pui�e pr�fer-� ver les Rois de la trahifon ; ils ne font quenbsp;� trop environn�s de pieges! Combien de foisnbsp;� Ie traitre Maugis ne m�a-t-il pas tromp�?nbsp;� Pauvre Hermite, Chevalier, ilprend routesnbsp;� les formes qu�il veut. � H�las! Sire, repritnbsp;� Ie faux mendiant, les bons patiflent toujoursnbsp;�des m�faitsdes m�chans; Si Maugis eft unnbsp;,, traitre, les pauvres gens ne lui re�emblencnbsp;�pas: Pui�e Ie ciel lui rendre tout Ie malnbsp;,, qu�il m�a fait? � Et d�o� viens-tu, repritnbsp;� Charlemagne? � Sire, je viens de J�rufa-� lem,d�adorerle faintS�pulcre. Hier,jepaflainbsp;,, a Balangon, j�avois, avec moi, dix P�le-5, rins; une troupe de brigands fortis de Mon-� tauban , nous attaqu�rent; ils tu�rent mesnbsp;� compagnons, les d�pouill�rent, amp; je ne menbsp;5, fauvai que paree qu�ils me crurent morts.nbsp;� Quand ils fe furent retires, je m�en allainbsp;� dans un petit hameau, o� je demandai quinbsp;,, �toienc les fc�l�rats qui avoient tu� mes coin-,, pagnons. H�las! mon bon Prince, je ne m�ynbsp;,, ferois jamais attendu, on me dit que c��toienc
-ocr page 188-l02
Zes quatre fih
� les gens des quatre fils d�Aymou amp; de leur H cou�n Maugis. Eh! mon Dieu! leur dis-je,nbsp;,, Ie mauvais m�tier qu'ils font la,pour des Gen-,, tilshotnmes! amp; 1�on me r�pondin que leursnbsp;,, maitres �toient 11 pauvres, fi pauvres, qu'ilsnbsp;� �toient obliges, pour fublifter, de faire arr�ternbsp;,, amp; d�pouiller les paflans. Au portrait que cesnbsp;,, bonnes gens me firent de Maugis, j�ai lieu denbsp;,, croire que c�eft lui-m�me qui me lia amp; quinbsp;� me mit dans 1��tac o� je fuis. Ah! bon amp;nbsp;^ g�n�reux Sire, je ne veux de mal a per-� fonne, mais je ferois bien joyeux,li j��toisnbsp;� veng� de ces aflaffins publics. � Ce quenbsp;� tu me racontes,lui dit Charlemagne, eft-ilnbsp;� bien vrai?�Oui, Sire. � D�o� es-tu?�nbsp;� de Bretagne. � Comment t�appelles-tu? �nbsp;,, Kerlinet Ie Sinc�re, amp; je fuis aflez ri'che dansnbsp;� mon pays. Sire, vous �tes Roi, amp; vous deveznbsp;�me faire raifon des brigands. � Eli! monnbsp;� ami, je ne puis m�en faire raifon �. moi-� m�me, amp; crois que fi Maugis tombe jamaisnbsp;� entre mes mains, j� ne 1��pargnerai point.
Les Chevaliers, t�rnoins de cette conver-fation, furenf fi touch�s de 1�air de franchife du P�lerin, qu�ils engag�rent Ie Prince a 1�in-demnifer de ce qu�il difoit que les brigands denbsp;Montauban lui avoient vol�. Charles y ajoutanbsp;encore-, amp; Ie faux-mendiant, en faifant unnbsp;grand ligne de croix, s�inclina jufqu�a terre;nbsp;il ajouta qu�il mouroit de faim, amp; Ie Roinbsp;ordonna qu�on ne Ie laifsat manquer de tien.nbsp;Maugis donna mille b�n�diftions au Prince,nbsp;en Ie regardant en face, il lui dit; ,, J�ai
-ocr page 189-d'Aymon. nbsp;nbsp;nbsp;185
� fait bien du chemin, j�ai vu beaucoup de �p3ys; mais je n�ai jamais rencontr� un linbsp;beau , fi aimable Prince.
Le P�l erin parloit encore, quand Roland, fa fuite, amp; Richard enchain�, entr�renc dans lenbsp;camp, au bruit des trompettes. Oger, He�tor amp;nbsp;Naimes repr�fentoient ^ Roland, qu�il n��coicnbsp;pas d�un preux Chevalier de livrer Richard,nbsp;fon parent, amp; le leur, a un Prince qui avoicnbsp;jure la mort des fils d�Aymon.quot;,, II eft votrenbsp;� prifonnier , lui difoient-ils, vous �tes lenbsp;� raartre de fa libert� amp; de fa vie. Ne feroit-ilnbsp;� pas plus g�n�reux de le mettre a ran^on,,.nbsp;Roland �toit prefque d�termin� a le renvoyetnbsp;fur fa parole; mais Ganelon, pour faire fa cournbsp;a Charlemagne, avoit devanc� la troupe, amp;nbsp;1�avoit inform� d^e tout ce qui s'�toit paftenbsp;dans le combat, amp;, furtout, de la captivif�nbsp;de Richard: Charlemagne en treflaillit de joie ;nbsp;il courut au devant de fon neveu, le felicifanbsp;de fa conqu�te, lui demanda fon prifonnier,nbsp;8s lui annonga la vengeance la plus terrible.nbsp;� Sire, lui dit Richard, je fuis en votre pouvoir,;nbsp;,, vous pouvez ordonner de ma vie; mais fon-� gez que Renaud me vengera, 8s que, tant qu�ilnbsp;� pourra monter fur Bayard, il n�y a ni Ville, ninbsp;� Chateau qui puifle vous mettre a couvertnbsp;,) de fa fureur �. Le Roi entra dans un telnbsp;eroportement, qu�il frappa Richard de fonnbsp;fceptre. � Un Juge, lui dit Richard, quinbsp;� frappe un accuf�, fe rend indigne d��trenbsp;� fon juge, 5s 1�accuf� devient fon �gal. D�-)) feudezi-YOus Il �toit pret dg s��lancer fur
-ocr page 190-Les quatre fits
lui; mais on 1�arr�ta, amp; quelques Chevaliers eurentle courage de blamer leurSouverain.
Richard, cependant, reconnut Maugis fous les traits du P�lerin; d�s ce moment, il fenbsp;crut en furet� : ,, Quel fupplice me deftinenbsp;�la g�n�rofit� de mon vainqueur, dit-il, ennbsp;� s�adreffant a Roland Le neveu de Charlemagne ne put s'emp�cher de rougir : ,, Tonnbsp;�vainqueur, r�pondit Roland, t�e�t rendunbsp;,, la libert�, fi le Roi m�en e�t laifle le maitre.nbsp;� Quhmporte, reprit Richard, n�eft-ce pasnbsp;� pour lui faire ta cour, que tu me livresnbsp;,, a fa vengeance? Eh bien, que Charlema-� gne prononce; a quel fupplice me condam-�ne-t-il? Au fupplice des traitres, r�ponditnbsp;,, le Roi: Un gibet eft le prix que je r�fervenbsp;� a tes exploits, puifl'�-je y envoyer tes fr�-� res amp; Maugis! Sire, r�pondit Richard avecnbsp;� un fourire amer, vous �tes bien puiffant,
mais je doute que jamais ce projet s'ex�-^ cute.
Maugis, qui en avoit aflez entendu, fei glille au travers du Camp amp; vole a Montau-han : Renaud, en le voyant arriver feul, henbsp;douta point que Richard n�e�t p�ri : II fenbsp;livra a la douleur, amp;, comme elle eft tou-jours injufte, il fit un crime a Alard amp; a Gui-chard de n�avoir pas combattu a fes c�t�s;nbsp;mais Maugis les raflura. II leur raconta toutnbsp;ce qu�il avoit vu, amp; l�arret infame que Charlemagne avoit prononc�. � Armons-nous,nbsp;� ajouta-t-il, ne perdons pas un inftant; allonsnbsp;n attendre Richard au lieu de fon fupplice,
-ocr page 191-.185
que ce lieu, deftin� 4 l�infamie, folt Ie th�l-tre de nocre triomphe amp; d� notre gloire. La � vertu fait titer parti de tout; elle converticnbsp;� Ie cypr�s en laurier, amp;, d�un raraeau denbsp;,, ch�ne, fe fait une couronne immortellenbsp;Renaud fit fonner les trompettes; il recom-manda a fes troupes la plus grande fubordi-nation; il fe met a leur t�te; Alard amp; Gui-chard firent 1�arri�re-garde, amp;, en moins d�unenbsp;heure , par 1�art de Maugis, ils furent port�snbsp;au lieu ou 1�arr�t devoit �tre ex�cut�; ils s�em-bufqu�rent dans les bois des environs : Maisnbsp;les troupes �toient fi fatigu�es, qu�en arri-vant, elles tomb�rent dans un profond fom-meil.
Cependant, Charlemagne avoit aflembl� fes Barons amp; fes Pairs. � Aigremont, leur dit-il,nbsp;plongea fes mains dans Ie fang de mon fiis;nbsp;y, Renaud a donn� la mort 4 Berthelot, monnbsp;neveu ; ces affreux parricides �toient encorenbsp;� impunis; mais, enfin, graces a Roland , Ienbsp;y, ciel m�offre une vidime. Les lois divinesnbsp;� amp; hutnaines condamnent les enfans d�Ay-,, mon, amp; Ie fupplice de Richard efl; un exem-yy ple que je dois a 1�univers. Que, fur Ia plusnbsp;� prochaine montagne , Richard , attach� a.nbsp;� un gibet infame , apprenne a route la terrenbsp;5, a refpeder les Rois; mais Ie trajet eft long ,nbsp;,, 8i je crains que fes fr�res amp; Maugis ne 1�en-,, l�vent fur la route. J�ai befoin d'un hommenbsp;� inir�pide, d�un Chevalier qui ne les craignenbsp;5, point, j�ai jet� les yeux fur vous, B�ren-� ger; VOus tenez de'moi Ie pays de Galles
-ocr page 192-, amp; l�EcoiTe, vous m�avez jure de me fefvlr ; , la plus grande preuve de fid�lit� que vousnbsp;, puiffiez me donner, c�eft de vous chargernbsp;, de cette entreprife , amp; de prot�ger l�efcortenbsp;, qui dolt conduire Richard. Sire , r�pondicnbsp;, fi�rement B�renger de Valois, j�ai jur� denbsp;, vous fervir en chofes qui ne pourroient com-, promettre votre honneur ni Ie mien. Je faisnbsp;, tout ce que je dois mon Souverain ; maisnbsp;, reprenez vos bienfaits, s�il faut les acqu�rirnbsp;, a ce prix.
Charlemagne propofa Ie m�me fervice au Cotnte Idelon , a qui il avoit donn� la Ba-vi�re; il offrit d�yjoindre encore la Ville denbsp;Melun; mais Idelon refufa avec indignation.nbsp;Le Roi crut furprendre Oger , en lui difancnbsp;qu�il n�avoit pas de meilleur moyen de fe juf-tifier de la trahilpn de Vaucouleurs, dont Roland l�avoit accuf�, amp; il lui promir, en outre, pour r�compenfe, le Duch� de Melun.nbsp;Oger r�pondit, que, fi quelqu�un le foupgon-noic d�avoir trahi la caufe du Roi, il avoit,nbsp;a fon c�t�, de quoi ie juftifier; mais, qu�ilnbsp;aimeroit encore mieux �rre accuf� d'une tra-hifon dont il feroit innocent, que de com-mettre r�ellement une baflelie aux yeux denbsp;toute la France. II fit plus, il ajouta qu�ilnbsp;d�fendroit Richard, fon coufin , contre qui-conque oferoit porter fur lui une main fl�trif-fante.
L�Archev�que Turpin, que Charlemagne voulut charger de cette commiffion, obje�tanbsp;fa qualit� de Pr�tre: � Mais, lui dit Char-
-ocr page 193-d^Aymon. nbsp;nbsp;nbsp;l�/
'�lemagne, je vous ferai Pape. Je ne veux � point de la Papaut� a ce prix, reprit Tur-� pin, quand m�me vous y ajouteriez la Francenbsp;� amp; l�Empire. Ce qui eft mal, tons les Em-,, pires du monde ne fauroient Ie rendre bien.
Salomon de Bretagne fut trait� d�ingrat , pour n�avoir pas voulu accepter Ie Duch� d�Anjou , amp; fe charger des ordres du Roi.
Enfin, il s�adrefle a Roland fon neveu ; mais celui'ci commenga par remercier les Chevaliers de leurs refus, amp; protefta que Richardnbsp;�toit fon prifonnier, amp; qu'il Ie d�fendroit, finbsp;Pon vouloit, non feulement, Ie faire p�rirnbsp;d�un fupplice inf�me; mais, encore, attenternbsp;feulement A fes jours. ,, II n�eft pas �tonnant,nbsp;� ajouta-t-il , qu�il y ait des Rois injuftesnbsp;,, amp; cruels; mais il eft honteux d�imaginernbsp;,, qu�il y ait des hommes aflez laches, pournbsp;� fe faire un plaifir d��tre les miniftres de leursnbsp;� injuftices amp; de leurs cruaut�s, feulement
pour leur plaire.
Charlemagne ellliya encore Ie refus d�Hec-tor de Langres , a qui il offroit les Comt�s de Clermont amp; de Montferrand. Richard denbsp;Normandie r�pondit a la propofition du Roi,nbsp;qu�il accompagneroit Richard,a condition quenbsp;Ie Roi lui donneroit deux cents preux Chevaliers bien arm�s, amp; que Charles conduiroicnbsp;Pefcorte.
Charlemagne �toit fur Ie point de renon-cer a fon entreprife, amp; de fuivre Ie confeil de Ganelon, qui p^ropofoit d�eufermer Richardnbsp;dans un cachot, de diminuer, peu a peu,
-ocr page 194-l88 nbsp;nbsp;nbsp;Les quatre Jils
fes alimens, amp; de Ie faire, ainfi, p�rir da faim ; ma�s Charles craignit que , dans l�in-tervalle, Renaud amp; Maugis ne I�enlevaflenc.
Oger, impatient de ces d�lib�rations, roinpt 1�aflembl�e; il efc fuivi de Richard de Normandie amp; de 1�Archev�que Turpin : Ils inon-tent � cheval, font aflembler leurs hommesnbsp;d�armes, amp; proteftent que , fi quelqu�un �toitnbsp;affez hardi pour mener Richard au fupplice,nbsp;ils fauroient bien 1�en punir ; ils all�reut a lanbsp;tente o� Ie fils d�Aymon �toit gard� ; ils lanbsp;trouv�rent enchain� comine un vil fc�l�rat;nbsp;ils fa difpofoient a brifer fes fers. � Cheva-,, liers, leur dit-il, c�eft trop vous expofernbsp;,, a la difgrace du Roi; je �tis combien vousnbsp;,, d�fireriez de me rendre la liberc� ; maisnbsp;,,j�aime mieux p�rir, que de vous caufer lanbsp;� moindre peine. Soyez tranquilles fur monnbsp;� fort, Ie ciel prendra ma d�fenfe , quand ilnbsp;� en fera temps ; je ne vous demande qu�unenbsp;,, gr�ce , c�eft de dire au Roi de ne pas dif-,, f�rer fi long-temps mon fupplice,,. Ogernbsp;fir�mit de cette r�folution; mais Richard Ienbsp;raflura, amp;, fans leur dire fur quoi il fondoitnbsp;fes efp�rances, il leur dit que, plut�t on Ienbsp;feroit partir, amp; plut�t il feroit d�livr� , amp;nbsp;qu�il les prioit de ne faire aucune entreprifenbsp;qui put d�plaire a leur Roi, paree que toucnbsp;effort de leur part lui feroit plus funefte qu�u-tile.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;quot;
Cependant, des Rives, vil Courtifan, qui n�attendoit que l�occafion d�une bafleffe pournbsp;pa�riter les bonnes graces de fgn maitre, fc
-ocr page 195-d�Ay man. nbsp;nbsp;nbsp;189
pr�fenta au Roi, amp; ofirit de conduire Richard a la montagne. Charlemagne fut au comble denbsp;lajoie; il accepta fon ofFre.,, Va, lui dit-il,nbsp;,, conduis Richard , je te donne douze centsnbsp;� Cavaliers; fi Renaiid fe pr�fence, tu le com-,, battras. Tu n'auras pas mes Pairs amp; mesnbsp;3, Barons; mais compte fur Ganelon, fur lesnbsp;� deux fils de Foulques de Morillon , furnbsp;3, Griffon de Haute-feuille amp; fur Pinabel; s�ilsnbsp;j, n�ont pas la valeur d�Oger , d�Olivier, denbsp;j, Turpin � de Naimes amp; de Roland, ils ontnbsp;� plus de rufe amp; d'adrefle, amp; , quand il s�agic .nbsp;3) de combattre un ennemi redoutable, qu'ira-5, porte la fraude ou la vertu ,, ? Ainfi par-loic Charlemagne , non qu�il fit aucun cas denbsp;des Rives, ni qu�il eftim�t les Chevaliers qu�ilnbsp;lui donnoit pour le foutenir autant que fesnbsp;Pairs; mais il vouloit �tre veng�. ,, Sire,nbsp;� lui dit des Rives, qui ne pouvoit fe difli-,, muler la home dont cette commiffion lenbsp;� cou vroit, outre le defir, que j �ai, de prouvernbsp;,, qu�il n�y a rien que je ne fois pr�t de fa-,, crifier a mon Souverain, un autre motifnbsp;,, m�a engag� de vous offrir mes fervices. Re-� naud tua mon oncle au gu� de Balan^on;nbsp;�je vous rends graces de m�avoir offert cettenbsp;� occafion de me venger. Brave des Rives, luinbsp;� dit Oger, la vengeance eft la paffion des h�-� ros Des Rives exigea encore que le Roi d�-fendit � fes Barons amp; a fes Pairs de lui reprochernbsp;fa foumiffion aux ordres de fon Roi. Oger nenbsp;put entendre, de fang-froid, cette demandenbsp;Tiditule : f; Qwi? nous � s��cria-t-il; vous faire
-ocr page 196-190
Les quatre fils
^ un crime de votre ob�iflance! Al]ez,'nous � vous promettons de regarder toujours 1�ac-,, tion que vous allez faire, comme la plusnbsp;memorable amp; la plus �clatante de votre vie.nbsp;,, Vous allez entreprendre ce que les Cheva-,, liers les plus renomm�s amp; les plus intr�pidesnbsp;n�ont of� ex�cuter : Sansdoute, vous aveznbsp;^ plus de courage que Roland, amp;, fi, jamais,nbsp;1�envie eflayoic de donnet a la commiffionnbsp;,, done Ie Roi vous honore, une interpr�ta-,, tion peu favorable, vous lui fermeriez lanbsp;� bouche par ce feul mot: J�ai fait ce qu�Oger ,nbsp;Olivier, Roland, amp; vingt autres, n�ont of�nbsp;�faire. Et, de plus, n�al�ez-vous pas vengernbsp;� FoulquesdeMorilltyn, votre onclePLa ven-� geance efl: du droit des gens.
CHAPITRE XIII.
Richard ejl conduit au fupplice; Renaud h. d�Uvre, aid� de Maugis amp; du Roi d�yl-quitaine. Des Rives ejl mis d la place de,nbsp;Richard. M�prife d�Oger. Combat entrenbsp;Charlemagne amp; les fils d�yfymon. Offre g�-n�reufe de Renaud; dangers que courentnbsp;Charlemagne amp; Roland.
'es Rives, qu�enfioient les �loges ironi-ques d�Oger amp; du Roi m�me, fe croyoit au d�flus des plus grands h�ros. II alia, lui-m�-Pje� a la tente de Richard, amp;, apr�s Tavoic
-ocr page 197-A'Aymon. nbsp;nbsp;nbsp;191
fait lier, il Ie fit monter fur un mulct, amp; marcher a fes c�t�s ; En paflant devant lanbsp;tente du Roi, il lui demanda fes ordres : IInbsp;ne lui en donna d�autre, finon, de Ie d�livrernbsp;promptement de Richard. � Pl�t a Dieu, Sire,nbsp;� lui dit-il, d�un ton plein d�arrogance, quenbsp;,, fes fr�res fuflent auffi en mon pouvoir.
Tout Ie camp fondoit en larmes, Richard avoit un air riant; Oger, a qui il avoit ditnbsp;fon fecret, ne faifoit femblant de rien; maisnbsp;il fuivit d'un peu loin, avec les autres Baronsnbsp;amp; les Pairs, la troupe, conduite par des Rives; elle arriva fur la montagne, fans qu�ilnbsp;e�t paru aucun des hommes-d�armes de Re-naud : Richard dit d des Rives, que, s�ilnbsp;vouloit lui donner la libert� , il lui feroicnbsp;pr�feiit d�une telle fomme, qu�il h�y auroicnbsp;aucun Chevalier qui n�enviat fa fortune; maisnbsp;des Rives parut inexorable. � J�en fuis �ch�,nbsp;�dit Richard; car, quoique nous foyons ar-� riv�s a la montagne, je crains que vousnenbsp;� veniez pas a bout d�ex�cuter les ordres dunbsp;� Roi, amp;, du moins, la fomrne que je vousnbsp;� propofe vous relieroit.
Cependant, Renaud amp; fa ttoupe dormoient encore; Richard commenca d��tre inquiec. IInbsp;demanda a des Rives de lui faire venir unnbsp;Religieux pour Ie foutenir amp; 1�exhorter, dansnbsp;ce moment terrible; des Rives h�fitoit. Ogernbsp;s�approcha : � Par Saint-Denis, eft-ce quanbsp;�vous a.vez.jur� aux manes de Foulques denbsp;� Morillon-, votre oncle, de lui facrifier 1�amenbsp;� Ss Ie corps de Renaud Ss de fes fr�res? Des
-ocr page 198-192
Les quatre fils
Riv�s confentit, enfin. Richard fit durer tant qu�il put fa c�nfeffion amp; fes difcours, avec Ie 'nbsp;Pr�tre; ma�s R�naud amp; Maugis ne paroiflbiencnbsp;point. Le Religieux feignit un �vanouifle-ment, amp;, pour gaguer du temps, il demandanbsp;a des Rives la permiffion de retourner a fonnbsp;Couvent amp; d�envoyef un autre Religieux anbsp;fa place jv des Rives refufa; mais, Oger, amp;nbsp;1�Archev�que Turpin, le forc�rent d�y cpn-fentir, par leurs menaces. Alors, le Religieux,nbsp;au lieu d�aller a fon Couvent, courut au lieunbsp;o� Renaud �toit embufqu�.
Quel �toit done ce Religieux, qui, par un faint menfonge, fauva la vie a Richard? Csnbsp;Confefl�ur �toit le Roi Yon lui-m�me. A fonnbsp;retour de Montauban, accabl� de remords,nbsp;confondu par les reproches de fa feeur, hon-teux des maux qui avoient �t� la fuite denbsp;fa perfidie, il n�avoit pas fong� a quitter lenbsp;froc; il avoit fuivi Renaud hors de Montauban , amp; avoit �t� tranfport� avec les troupes des fils d�Aymon, au lieu de 1�embufca-de; il les avoit, tous, vus fe plonger dansnbsp;le fommeil ; Lui feul, tyrannif� par fon re-pentir, ne put jamais s�endormir; il �toit def-cendu dans la plaine, amp; cherchoit uneEglifanbsp;o� il pfit prier le ciel de lui pardonner fonnbsp;crime; il fe trouva � la porte du Couvent,nbsp;p� l�on vint demander un Religieux, de la'nbsp;part de Richard �, c�eft � lui qu�on s��toitnbsp;adreff�, amp; il s�oifirit. II ne fit pas ferablant-�nbsp;de connoitre le fils d�Aymon deVaiit des Ri- -vesj mais � eut tout le temps deTui'parier.t
d�Aymon. nbsp;nbsp;nbsp;193
fecvettetnent, Si de lui annoncer le prochain iecours de fon fr�re. II I�avertit du fommeilnbsp;O� la troupe �coit plong�e; enfin, craignantnbsp;que le fecours n�arrivSc trop tard, il feignicnbsp;une indifpofition pour aller avertir Renaud.
Lorfque le Roi d�Aquitaine arriva , il rrouva les troupes pr�tes a marcher. Renaud avoir �t�nbsp;�veill� par Bayard, qui, ne dormant point,nbsp;avoit vu, d�une hauteur, tout cequi fepafloit.nbsp;Bayard ne pouvoit voir des Chevaliers arm�s,nbsp;fans fonger a combattre; il courut aupr�s denbsp;fon maicre : En vain il eflaya de 1��veillernbsp;par fes hennifl�eraens; ce moyen ne lui r�uf-filiant point, il frappa ft rudement de fon piednbsp;fur 1��cu qui fervoit d�oreiller a Renaud,nbsp;qu�il 1��veilla : Bayard revint i fon pofte ,nbsp;Renaud le fuivic, amp; vit Richard entre lesnbsp;mains du Religieux.
ce
qui produifit un eftet fingulier. Le lache
Le Roi d*Aquitaine dit Renaud qu�il �toit temps de fe montrer; qu�il avoit pour lui lesnbsp;Pairs amp; les Barons, amp; que, s�ils ne le fecon-doient pas, du moins ils ne lui feroient piasnbsp;contraires. Alors, Renaud fe mit en marche.nbsp;Des Rives apergut les Gafconsavant perfonne,
tomba aux genoux de Richard, comme fi c��-toit lui qui dut fubir le fupplice. Tandis qu�A-lard amp; Guichard enrourent la troupe de Char-j � �-^i^3ud amp; Maugis fe faififlent de des Rives. Ganelon, Pinabel, les fils de Foul-ques, veulent, en vain, faire quelque refif-tance, ils font d�farm�s amp; mis hors de combat j mais, Ogw, Turpin, Olivier, amp; les Pairs;
-ocr page 200-1^4 nbsp;nbsp;nbsp;quatre fils
fe retirent, voyant que les fils d'Aymon pouvoient fe palier de leur fecours, amp; pournbsp;ne pas encourir inutilement la difgrace du Roi.
Cependant, Maugis vouloit percer des Rives du fer de fa lance , Renaud 1�arr�ta ; � Cecte raortferoittrop giorieufe, dit-il,pournbsp;� un lache qui n'a pas rougi d�offrir, lui-m�-� me, de condi�re a un fupplice inf�me unnbsp;� des plus braves Chevaliers, condamn� con-� tre routes les lois; il n�y auroit point denbsp;� tyrans, s�il n�y avoit pas de flatteurs dansnbsp;,, les Cours: Que des Rives leur ferve d�exem-ple. Defcends, traitre.
Des Rives �coit furl��chafaud avecRichard; amp;, comme il venoit de defcendre, Renaudnbsp;ie prit au bout de fa lance par-deflbus fa cotce-d�armes, Ie tint quelque temps en 1�air, amp;,nbsp;enfuite, Ie pofa a terre : amp;, tandis que Maugis d�lioit Richard, Renaud d�shabilloit desnbsp;Rives de routes pieces, amp; Richard les re-v�toit; quand il fut arm�, il monta fur Ienbsp;cheval du lache, amp; eet animal fembla prendre un nouveau caraft�re fous un plus noblenbsp;poids. Richard arm�, fupplia Renaud de fairenbsp;grace a des Rives. � Non, mon fr�re, luinbsp;� dit Renaud ; fi des Rives n��roit qu�unnbsp;� homme de la lie du peuple, forti, un inf-^ tant, de la foule , pouf fe reperdre dansnbsp;� Toubli, )e d�daignerois une telle viftime,nbsp;amp; fa Ik'het� , punie , ou impunie , feroicnbsp;,, fans conf�quence; raais c�eft un homme denbsp;�naifiance, Ie neveu deFoulques, un Cour-^ tifan, qui, �i la faveur de foa nom, ap-
-ocr page 201-� proche du tr�ne pour Ie fouiller; qui, � averti, par le refus de lant de braves Cheva-�liers, de Hndignit� d�une a�lion d�shono-� rante, s�y eft pr�t� avec baflelle, amp; a, lui-3, m�me, follicit� fon d�shonneur; il faut,nbsp;raon fr�re, que fon exemple falie tremblernbsp;33 fes femblables. La punition des gens du peu-3, pie s�oublie, fe perd dans la foule; les pu-33 nitions exerc�es fur les Grands, quand ilsnbsp;33 font coupables, ne s�effacent jamais de lanbsp;33 m�moire : Et, certes, c�eft une grande in-^^juftice de les �pargner; car, a crime egal,nbsp;33 un Grand eft toujours plus coupable qu�unnbsp;33 homme de la lie du peuple, qui ne doicnbsp;33 avoir, ni la m�me �l�vation dans 1�ame, ninbsp;33 la m�me force pour relifter a fes penchansnbsp;,, vicieux, ni les ra�mes motifs, ni la m�-nae d�licatelie fur 1�honneur. Que les Cour-33 tifans apprennent,par 1'exemplede des Rives,.nbsp;33 que c�eft trahit les Rois, que de leur ob�ir ennbsp;33 chofes malhonn�tes �, amp; que les Rois injuftesnbsp;33 feroient inutilement mechans, s�ils ne trou-33 voient point de complices. Parle, des Ri-gt;5 ves; tegardois-tu le fupplice d�un prifon-33 nier qui s�eft rendu, fur la bonne-foi de fonnbsp;�, vainqueur, comme une cliofe jufte,, ? Desnbsp;Rives fot forc� de convenir, que, felon lesnbsp;ols de la Cheyalerie, Charlemagne ne pou-voic difpofej. du prifonnier de Roland, fansnbsp;laveu du vainqueur: II convint encore, quenbsp;Kenaud amp; fes fr�res, ayant offert de fe fou-mettre au Roi, u ne pouvoit pas les trailernbsp;�n rebelles, amp;, qu�enfto, c��toic une chofe
196 nbsp;nbsp;nbsp;Les qiiatre fils
indigne d�un Chevalier, de briguer la com-ihiflion humiliante de conduite a la mort un autre Chevalier, f�t-il coupable.
Apr�s tous ces aveux, fairs a haute voix, Renaud dit a des Rives de fe preparer a mou-rir. Des Rives pleura, fe jeta � fes pieds,nbsp;demanda grace; mais Renaud fut inflexible,nbsp;11 Ie fit p�rir par les mains du m�me bourreaunbsp;amp; au m�me gibet, qui �toient deftin�s pournbsp;Richard.
Renaud, apr�s avoir remerci� les Chevaliers, raflembla fa troupe pour s�en retourner a Montauban. Richard vouluc voir Oger; maisnbsp;il �toit rentr� au camp. � N�importe , ditnbsp;,, Richard; je fuis libre, je p�n�trerai dans Ienbsp;,, camp,,; II demanda a Renaud quatre centsnbsp;Cavaliers pour Ie fouteuir en cas de befoin.nbsp;Renaud exigea encore qu�il pric fon cor, pournbsp;i�avertir, amp; fit tenir Ie refte de fes troupes anbsp;portee de Ie fecourir, II eft vrai que Mau-gis, par fon art, hata leur marche amp; leur fitnbsp;devancer Ie retour des troupes qui avoientnbsp;accompagn� des Rives a la montagne.
- Richard, la vifi�re baiflee, la banni�re de des Rives a la main, mont� fur Ie chevaldunbsp;traitre, entre dans Ie camp. Le Roi �toit de-vant fa tente; Oger, feignant de ne favoirnbsp;point ce qui s��toit paffe, lui faifoit des re-proches fur la mort infame de Richard. A fanbsp;banni�re, a fon cheval amp; a fes armes, Naimes,nbsp;iqui n��toit pas forti du camp, ne douta pointnbsp;que ce ne fut des Rives lui-m�me.; Oger ^ 1�Ar-chev�que Turpin, Olivier, qui s��toient retir
-ocr page 203-d'Aymon. nbsp;nbsp;nbsp;197
r�s d�s qu� Renaud eut invelti les gens-d�ar-mes du Roi, y furent tromp�s; ils crurenc que , par quelqu��v�nement qu�ils ne pou-voient imaginer, Ganelon, Pinqbel, les filsnbsp;de Foulques, avoient repou�e les troupes denbsp;Renaud. Oger, croyant que des Rives reve-noit triomphant de fa bonte, en relientit lanbsp;plus vive douleur: � Le iSche! s��cria-t-il, il nenbsp;,, p�rira que de ma main En vain, Charlesnbsp;1�appela ; il avoit faifi le mords du cheval denbsp;des Rives:,, Tu mourras, lui difoit-il, je t�ap-,, porte le falaire de la mort de Richard. Monnbsp;� coufin, lui dit le ftls d�Aymon, c�eft Ri-,, chard, a qui vous parlez; des Rives a fubi lenbsp;� fupplice auquel il m�avoit conduit, amp; je ve-� nois vous donner des preuves de mon amournbsp;� amp; de ma reconnoifl'ance. Tu ments, traitre,nbsp;� s��crie Oger, tu crois �chapper par cettenbsp;,, feinte groffi�re; ne vois-je pas ton armu-,, re, ton cheval 8; ta banni�re? Renaud 1'ennbsp;,, a d�pouill�, reprit Richard, amp; j�ai prjs fesnbsp;,, armes, pour n'�tre pas reconnu Oger re-fufoit de le croire; mais Richard, en s�incli-nant verslui, leva la vili�rede foncafque; Ogernbsp;fut tent� de 1�embraller; mais il n�ofa point,nbsp;tl caufe de Charlemagne, qui furvint; Richardnbsp;eut a peine le temps de lui dire ce qui s��toicnbsp;pafl� a la montagne. �Sire, dit Oger a Char-��, lemagne, des Rives eft heureux. que vousnbsp;5) foyez venu; fans vous, j'allois faire volernbsp;,, fa t�te � dix pas de lui: Je 1'aurois veng� ,nbsp;� dit le Roi�, amp; il dit au faux des Rivesnbsp;de defcendre amp; de le fuivre dans fa tente.
I iij
-ocr page 204-198 nbsp;nbsp;nbsp;Les quatre fils
� Sire, lui dit alors Richard, je ne puis pas ,, fupporter plus long-temps d��tre appel� dunbsp;� nom d�un l�che : Reconnoiflez Richard ,nbsp;� des Rives eft au gibet o� vous m�aviez en-,, voy�, amp; o� mon fr�re 1�a fait attacher,,.nbsp;Charlemagne ne concevoit point ce prodige;nbsp;mais, enfin, revenant a lui-m�me: ,, Traitre,nbsp;� dit-il, Ie ciel te deftine done, malgr� moi,nbsp;,, a p�rir d�une mort plus honorable �; aufli-t�t, pouflant fon cheval, amp; faififlant fa lance,nbsp;il fond fur Ie fils d�Aymon, qui, a peine, anbsp;Ie temps de fe mettre fur fes gardes : Ils fenbsp;porc�rent fur leurs ecus des coups fi terribles,nbsp;qu�on ne retrouva plus les pi�ces de leurs lances p chacun tira fon �p�e, amp; les airs reten-tirent du bruit de leur combat: Le cheval denbsp;Richard, q�i n��toit point accoutum� a denbsp;tels exercices, le renverfa. Richard fe rel�ve,nbsp;amp; quoiqu�a pieds, il porte un coup fi terriblenbsp;fur le cafque de Charles , qu�il 1�ouvre : Lenbsp;.Roi n�en eft pas blefle; mais il tombe, fe rel�ve , amp; faifit fi bien fon temps, qu�il fracaflenbsp;Ie cafque de Richard, amp; lefait chanceler. Charles furi?ux, crie Montjoye, amp; les Franqois s��-branlent, �tonn�s du combat de leur maitrenbsp;avec des Rives, car ils �toient encore dans 1�er-reur. Richard fait retentir le cor de Renaud, amp;nbsp;fes fr�res accourent avec leurs Chevaliers amp; lesnbsp;Gafcons: Alors, commence une des plus terribles batailles qu�ayent jamais livr� 1'orgueilnbsp;outrag�, la vengeance amp; l�amour de la gloire.nbsp;Chacun des flis d�Aymon cria fa banni�re:nbsp;Maugis courut fur Mongon, Seigneur de Pier-
-ocr page 205-refitte, amp; 1��tendit mort aux pieds de fon che-val. Renaud abattoit fous fa lance tout ce qu�il rencontroit. Guichard, en ouvrant la t�te denbsp;Bo�mont, en fit exhaler les projets les plusnbsp;infenf�s. Alard fit couler, avec Ie �ang de Ref-filly, Ie fiel amp; la bile qu�il confervoit depuisnbsp;vingt ans contre un Chevalier qui avoit roan-qu� de 1�appeler Monfdgneur, en pr�fence d�unnbsp;autre Chevalier. Cependant, Charles s�appro-che de Renaud fans Ie connoitre, amp; Ie frappe ; ils prennent du terrain amp; fe heurtent avecnbsp;nne telle imp�tuofit�, qu'ils vont tomber loinnbsp;i�un de 1�autre ; ils fe rel�vent amp; mettentnbsp;1��p�e a la main. Charles ne put s�emp�chernbsp;de s��crier qu�il n�avoit jamais trouv� de Chevalier auffi redoufable. Renaud Ie reconnut anbsp;fa voix; il y avoit quinze ans qu�il ne luinbsp;avoit parl�. fl s�approche du Roi, amp;, mettancnbsp;pied a terre : � Sire, lui dit-il, je d�fire d�a-j, voir un entretien avec vous, amp; je vous fup-plie de m�accorder une tr�ve, amp; votre foi
i, nbsp;nbsp;nbsp;de Chevalier, que vous n�uferez point denbsp;,, votre pouvoir jufqu�apr�s notr*conf�rencenbsp;Le Roi^donna fa parole. ,, Je fuis Renaud, Ie
j, nbsp;nbsp;nbsp;fils d�Ayrnon, continua-t-il, je vous de-5, mande grace pour mes fr�res amp; pour moi.nbsp;� II y a 15 ans que vous nous avez chaff�s denbsp;j� votre Royaume amp; de notre pays. Vous faveznbsp;igt; les maux qui ont �t� la fuite de votre hainenbsp;V contre nous. Vous connoiflez 1�incertitudenbsp;�des �v�nemens; le bien amp; le mal fe fucc�-� dent : Vous avez �prouv� contre nous, amp;nbsp;� nous eprouvons �galement contre vous, une
200- nbsp;nbsp;nbsp;Hes qiiatre fils
� alternative continuelle de fucc�s amp; de pei'tes. � Sire, lorfque, dans ces momens heureux, Ianbsp;3, fortune nous feconde, nous nous trouvonsnbsp;,, a plaindre, au fein de notre gloire, d��trenbsp;� f�par�s de notre Roi; nous g�miflbns de n�nbsp;� point partager avec lui, amp; de ne pouvoirnbsp;,, lui faire partager avec nous, des triomphes,nbsp;� auxquels il manque toujours quelque chofe.nbsp;,, 11 eft cruel d�avoir a combattre contre unnbsp;,, Souvcrain qu�on aime; car, quelques voeuxnbsp;,, que nous faffions, ils font toujours a notrenbsp;,, d�favantage; fi nous fommes vainqueurs,nbsp;,, nous favons que notre vidioire doic 1'irriter;nbsp;� Si s�il acquiert de la gloire, c�eft a notrenbsp;,, honte. Grdce, Sire, que la piti� vous tou-,, che. Ce n�eft ni la crainte de la mort, ninbsp;,, 1�efp�rance d�un fort plus heureux, qui m�nbsp;,, font implorer votre cl�mence; c�efl; Ie defirnbsp;5, d�obtenir votre amiti� ; accordez - nous lanbsp;� paix, amp;, pour toujours, nos bras amp; notrenbsp;,, fang font a vous: Montauban , Bayard,' amp;nbsp;,, tout ce que nous pofledons, vous appartien-� dront : Si vous 1�exigez, je (brtirai de vosnbsp;,, Etats, amp; j�irai, dans laPaleftine, avec mesnbsp;� fr�res, combattre les Sarrafins amp; triompthernbsp;� en votre nom.
Charles ne voulut entendre parler de paix qu�autant que Renaud lui livreroit Maugis:nbsp;�Mais, Sire, quel eft'votre deflein fur Mau-� gis? De Ie traiter comme Ie fc�l�rat que jenbsp;,, hais Ie plus,, de Ie faire trainer dans lesnbsp;,gt; vues de Paris, de br�ler fon corps Sc denbsp;?, difperfer fes cendres. Sire, continua Re-
-ocr page 207-d'Aymon. nbsp;nbsp;nbsp;20 r
� naud, voudriez-vous accepter, pour fa ran-5. 9on, des Villes amp; des Chateaux, une Pro-Vince m�me que nous aurions conquife ? jgt; Non , reprit le Roi, je veux difpofer denbsp;5gt; Maugis a mon gr�. Eh bien, Sire, appreneznbsp;j) que je fuis li� de 1�amiti� la plus �troitenbsp;avec Maugis : Je lui dois rant, que fi mesnbsp;j, fr�res �toient vos prifonniers, amp; que vousnbsp;� euffiez r�folu leur mort, je ne vous don-i) nerois point Maugis pour les arracher denbsp;vos mains; amp; mes fr�res ne le livreroientnbsp;pas non plus pour me fauver la vie. Ehnbsp;i� bien! reprit Charlemagne, point de paixnbsp;5gt; fans cette condition, amp; d�fends-toi. Sire,nbsp;� reprit Renaud, vous nous traitez en rebel-,, les; fouvenez-vous que nous n�avons ja-� mais fait que nous d�fendre, amp; qu�aucunenbsp;5, loi divine ni huruaine ne nous oblige denbsp;5, nous livrer a vous, quand vous nous me-j, nacez d�une mort infame. D�fends-toi, luinbsp;5� dit Charlemagne, je te permets de com-5, battre ton Souverain Renaud reprit fesnbsp;armes; Chc\rlemagne courut fur lui, amp;,d�unnbsp;revers, il empotte un quartier de fon �cu;nbsp;Renaud furieux, faifit Charles par le milieunbsp;du corps, i�enl�ve de delius fon cheval, amp;nbsp;le met en travers fur le col de Bayard. Charlesnbsp;. fe d�bat en vain, appelle a fon fecours Og�r ,nbsp;plivier, Naknes, 1�Archev�que Turpin amp; ifo-wnd. Renaud appelle. a grands cris fes fr�resnbsp;� Ion coufin: � Amis, difoit-il, fecondez-moi,nbsp;���nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;paix eft faite fi j'emm�ne monprifonnier
^Soudain, les Clwvaliers Fran9ois,les ills d�Ay-
mon amp; Maugis, accourent �, Ie combat devient furieux. Renaud tenoit Ie Roi d'une main , amp;,nbsp;de 1'autre, il portoit les coups les plus terri-bles d ceux qui vouloient lui enlever fa proie.nbsp;Roland s�ouvre un paflage , amp; porce fur Ienbsp;cafque de Renaud , un coup qui 1��courdic.nbsp;� A quoi penfes-.tu, Renaud, lui cria-t-il,nbsp;� de vouloir emmener Ie Roi? Crois-moi, cenbsp;,, fardeau eR trop pefant pour toi Renaudnbsp;Ie remit, amp;, fr�miflant de courroux, il cour:nbsp;fur Roland, tenant toujours Ie Roi devantnbsp;lui; mais, quand ils en vinrent aux mains,nbsp;Charlemagne faific un moment o� Renaud ,nbsp;ayant regu un coup fur la vifi�re de fon cafque, fut �bloui des �tincelles qui en Jaillhent,nbsp;amp; il fe glifla Ie long du col de Bayard. Re-naud amp; fes fr�res harcel�rent fi vivement Roland , qu�il fe vit forc� de prendre la fuitenbsp;pour �viter d��tre fait prifonnier. Renaud �toitnbsp;d�fefp�r� que Charles lui e�t �chapp�. II fitnbsp;fpnner Ia retraite a caufe de la nuit, amp; partit,nbsp;avec fes fr�res , pour Montauban.
Charlemagne �toit inquiet de Roland amp; de fes Chevaliers; il les vit arriver avec joie,nbsp;.amp; Roland ne put s�emp�cher de lui dire, quenbsp;c��toit une chofe t�m�raire pour un Roi, denbsp;cembattre amp; de s�expofer, comme il 1�avoitnbsp;fait; qu�il devoit fonger, qu'en expofant fanbsp;perfonne, il compromettoit fon Royaume, amp;nbsp;qu'il ne falloit qu�un malheur comme celuinbsp;qui avoit �t� fur Ie point d�arriver, pour plon-ger fes Sujets dans les plus grands malheurs;nbsp;que la mort naturelle d�un Rol �toit, quel-
-ocr page 209-20-:
d'Aymon.
quefois, moins funefte a fes Etats, que fa cap-tivit�. �Mon neveu , r�pondit Charles, Re-X, naud n�eft pas ennemi comme uii autre.
CHAPITRE XIV.
liZS quatre fils d�ylymon, amp; Maugis, ahat-tent le Pavilion du Roi. Combat d'Olivier amp; dt Maugis. Maugis prifonnier d'Olivizr,nbsp;Efforts de Charles amp; de fes Chevaliers ,nbsp;pour arracher Maugis d fon vainqueur. R�-fiftance opinidtre d'Olivier. Combat d'Oliviernbsp;avec les Chevaliers. G�n�rofit� de Maugis:nbsp;Olivier le d�gage de fes fermens. Maugisnbsp;brave les Courtifans. Renaud vole d fonnbsp;fecours.
R,
fut a port�e : � Mes amis, dit-il a fa troupe, Mon fr�re , reprit Ri-manque jamais a qui
.ENAUD, apr�s avoir ralH� fes troupes, fe joignit a fes fr�res, amp; a Maugis , pournbsp;faire 1�arri�re-garde, au cas que les Frangoisnbsp;les fuiviflent. Quand il les eut conduits aunbsp;dela de Balanqon, Renaud ,'infatiable de gloire,nbsp;prit, avec lui, trois mille hommes, envoyanbsp;le refte a Montauban, amp; r�folut d�attaquernbsp;le Roi dans fon Pavilion m�me; amp;, lorfqu�il
gt;, courage amp; prudence.
� chard, ]e cmur ne ______^_______
^fpire a la gloire Auffi-t�t, Richard met spec a la main, court au Pavilion du Roi ,nbsp;en coupe les cordes, 1�abat, amp; fait tombernbsp;1 aigle d o; maffif quj ig couronnoit: Les Fran-
204
Les qmtre fils
^ois furent effray�s, en voyant tomber Ie Pavilion imp�rial. � A moi, mon coufin, s��-cria Richard, aide-moi a emporter ma con-3, qu�te Richard amp; Maugis mirent pied anbsp;'rerre, prire!'.i. 1�aigle d�or, amp; firenc foniiernbsp;leur trompette, pour donner Ie fignal du combat. Bient�t les quatre fils d�Aymon fe virentnbsp;aflaillis par routes les troupes du Roi ; Ils ennbsp;�rent un telmaflacre, que Ie fang ruifleloit denbsp;toutes parts. Maugis s��carta un moment, amp;,nbsp;apr�s avoir mis l�aigle d^or en furet�, il re-tourna, feul, vers Ie Pavilion; il y trouvanbsp;Ie Roi. � Sire , lui dit - il, vous nous p�erf�-cutez avec fureur; il feroit temps que lesnbsp;� maux d�une guerre injufte finiflent, amp; quenbsp;� vous laiffaffiez repofer la terre. Vous n�afpi-� tez qu�a me faire p�rir du fupplice des ISchesnbsp;,, amp; des traitresjje faurai me garderde votrenbsp;�pouvoir, amp; vous ne pouvez vous mettrenbsp;,, a couvert de mon art ;-amp;, pour vous prou-,,ver qu�il eft autant de votre int�r�t quenbsp;du n�cre, de faire la paix. voyez fi je fuisnbsp;maitre de votre vie Auffi-t�t il lance unnbsp;dard qui paffe entte la poitrine amp; Ie bras quenbsp;Charles tenoit appuy�. Charlemagne, effray�,nbsp;appelle Roland au fecours, amp; Maugis, ne voyantnbsp;plus Renaud amp; fes fr�res, fe bat en retraitenbsp;centre Olivier amp; Roland. II fe crut en furet�nbsp;quand il eut pafle Balangon; raais il fut arr�c�nbsp;par une troupe qui Ie preflbit vivement. Mau-,gis frappa li rudement un des Chefs fur fon �cu,nbsp;qu�il envoya a cinquante pas Ie cheval amp; Ienbsp;Cavalier roulant par terre. II appelle Renaud ,
-ocr page 211-d�Aymon. nbsp;nbsp;nbsp;205
amp; Renaud ne repond point �, mais, an lieu du fecours qu�il reclame, Olivier fend la prefie,nbsp;fond fur lui, amp; lui fait a la poitrine unenbsp;large bleflure; Maugis en fut renverf�; il fenbsp;releva fit fe d�fendit avec tant de valeur, mal-gr� la nuit obfcure, que fon adverfaire luinbsp;cria : Qui que tu fois, brave Chevalier,nbsp;1, rends-toi, ne t'expofe point a une mort cer-,, taine, amp; ne perds pas, dans les t�n�bres,nbsp;5, des exploits dignes du plus beau jour. Quinbsp;� es-tu, lui r�pondit Maugis, toi qui jugesnbsp;,, la valeur, qui me confeilles de me rendre,nbsp;j, amp; qui m�as port� de S terribies coups ? Sinbsp;,, tu cross, lui r�pondit 1�inconnu, qu�un Che-,, valier puilfe, fans honte, rendre les arinesnbsp;,, a Olivier, tu peux t�en rapporter a ma foi.
� G�n�reux Olivier, fi vous croyez qu�un j, Chevalier qui combat loyalement pour une;nbsp;,, caufe jufte, ou qui, du moins, lui paroicnbsp;,, telle, peut impofer a fon vainqueur une con-,, dition honn�te, promettez-moi de remplirnbsp;,, celle que j�exigerai de vous. Je vous le pro-,, mets, r�pondit Olivier; ehbien, reprit Mau-�^s, promettez-moi done que vous ne menbsp;� livrerez point a mon ennemi, quelque puif-,, fant qu�il foit, amp; quelques droits qu�il aitnbsp;,, fur vous; a ce prix, je vous dirai mon nom,nbsp;5, amp; je me reiidral Olivier jura amp; donna ia,nbsp;�foi: II n�eft puifiance fur la terre, ajouta-,)t-il, qui^m�oblige a violer mon ferment;nbsp;� Sc? fi une force fup�rieure amp; irr�fiftible ten-�gt; �Is vous arracher de mes mains, je jure,nbsp;,, a la face du ciel, que je. vous �gorgerai {dutdfc
-ocr page 212-2o6 nbsp;nbsp;nbsp;Zes quatre fits
� que de vous livrer. Je n�attendois pas moins ,, de vous, reprit Ie Chevalier vaincti : Monnbsp;,, nom eft Maugis, c�eft vous dire que celuinbsp;,, de mon plus cruel ennemi eft Charlemagne,nbsp;� amp; voila mon �p�e Quand Maugis fe futnbsp;rendu, Olivier lui dit: � Confentiriez- vousnbsp;,, que j�employafle tous les moyens qui d�-� pendroient de mol, pour faire votre paixnbsp;,, avec Ie Roi? J�y confens, r�pondit Mau-,, gis; mes coufins amp; moi n�avons combattu,nbsp;� jufqu�ici, que pour y parvenir; nous havonsnbsp;,, vivemenc follicit�e; nous avons voulu nousnbsp;� foumettre aux conditions les plus dures;nbsp;� mais Ie cruel nous 1�a refuf�, plus aveugl�,nbsp;�peut-�tre , par les confeils de fes Courti-� fans, que par fa haine. II demand�, nonnbsp;,, feulement, notre mort, mais une mort igno-� minieufe. Cependant , qu�a produit, juf-�qu�ici, fa fureur? La perte de fes Sujets,nbsp;,, que moiflbnne une guerre inutile, fa confu-� lion amp; notre gloire. Voici ce que diront lesnbsp;,, races futures ; Ce Charlemagne, ce vain-,, queur des Nations, qui chafla les Sarrafins,nbsp;qui impofa des lois aux fiers Saxons, quinbsp;� r�gna fur la plus grande partie de l�Europe,nbsp;,, confuma les ann�es de fa vieillefle, amp; lesnbsp;� plus belles troupes de fes Etats, i perf�-� cuter les fils d�Aymon , qui Ie vainquirentnbsp;,, fouvent, amp; qui �chapp�rent, enfin, a fesnbsp;� mains triomphantes.
f, avez oubli� que, par les dons que ]'ai re^us ,, du ciel, j��tois toujours muitre de ma def-,, tin�e, amp; que je puis braver, amp; Charle-magne, amp; vous; amp; que , vaincu , charg� denbsp;,, fers, dans le fond des cachots, gard� parnbsp;une arm�e enti�re, j��tois plus libre que monnbsp;,, vainqueur; mais vous m�avez pris en com-f, bar loyal; je me fuis rendu de bonne vo-� lont�, amp; je jure , a mon tour, que, fi vousnbsp;j, remplifl'ez le ferment que vous m�avez fait,nbsp;j, je ne m��loignerai pas de vous, je ne rom-� prai pas mes fers fans votre permiffionnbsp;Olivier le fit d�farmer, banda lui-m�me fanbsp;plaie , amp; lui c�da fon lit.
Cependant, Charlemagne, irrit� des entre-prifes des fils d�Aymon, aflembla fes Barons amp; fes Pairs. �II y a , leur dit-il, trente ans quenbsp;�je r�gne; fi, depuis ce temps, quelqu�un denbsp;� vous a efluy� quelqu�injuftice en fes biens,nbsp;�en fa perfonne, ou en fon honneur; fi desnbsp;�ufurpateurs ont attente i fes propri�t�s; finbsp;�j�ai fouffert que mes Officiers abufafl'ent denbsp;� I�autorite que je leur ai confi�e; fi je n'ainbsp;� pas repou�e loin de vous amp; de mes Etats,nbsp;nos ennemis communs; enfin, s�il y a unnbsp;� feul citoyen que mon pouvoir tut�laire n�aitnbsp;� d�fendu ou prot�g�, qu�il fe plaigne, amp; jenbsp;� fuis pr�t a r�parer les dommages qu�il a re-�gt; 9ns. J�air�gn� en p�re; amp;, quoique le meil-j�leur des p�res confulte rarement fes enfansnbsp;j, uir la rnani�re de lesconduire, vous faveznbsp;�.fi jamais jquot;ai agi au gr� d'un pouvoir ar-i} bitraire, amp; fi j�ai n�glig�, dans aucune occa-
-ocr page 214-2o8 nbsp;nbsp;nbsp;Les quatre fils
,,fion, de foumettre mes projets a vos lu-= ,, mi�res. J�aurois pu m�en difpenfer, du moinsnbsp;�dans la force de l�%e; car la nature, quinbsp;� donnea chacun fon talent particulier, m�ac-,, corda celui de r�gner; mais ce talent exigenbsp;� une adlivit� qui hate la vieillelle, amp; quenbsp;,, la vieilleffe ne peut foutenir. Trente ansnbsp;� de r�gne ont uf� mes foibles organes, jenbsp;,, fens que vos confeils amp; vos bras me devien-nent, tous les jours, plus n�ceflaires; fi vousnbsp;abandonnez votre Roi, il tombera dans desnbsp;erreurs qui vous feront funeftes; fi vousnbsp;,, Ie conduifez mal, ou fi vous ne confulteznbsp;que vos int�r�ts dans les confeils qu�il vousnbsp;,, demande , vous jouirez, un moment, d�unenbsp;apparence de bonheur; mais vos enfans, Ienbsp;Peuple, amp; vous-m�me, enfin, ferez les vic-,, times des lois injuftes que vous lui aureznbsp;,, fugg�r�es; fi, dans les combats, chacunnbsp;n�agit que pour fa gloijre amp; ne fonge pointnbsp;�. l�honneur de fon Souverain, vous fini-rez par faire fa honte, amp; votre gloire s'�clip-�, fera avec celle de la Nation. Voilice qui,nbsp;fans doute, arrivera bient�t. D�ja vousnbsp;,, m�avez abandonn� pour Renaud; ;vous vousnbsp;,, �tes laifl�� f�duire par les vertus apparentesnbsp;,, d�un rebelle, amp; Renaud vous a fait l�affrontnbsp;d�attaquer votre Roi dans fon camp, de'nbsp;,renverfer fon. pavilion , amp; de lui faire lesnbsp;\ plus fanglans outrages, J'ai, fans doute, v�cunbsp;�, trop long-temps a votre gr�. jie ne veuxnbsp;�plus �tre votre Roi malgr� vous; amp;, dansnbsp;. � ceue afleinbl�e d�enfans ingrats^, je d�pofe
-ocr page 215-d�Aymon. nbsp;nbsp;nbsp;109
�ma couronne, qu�ils refufent de foutenir, �ou qu�ils brulenc, peut-�tre, de voir furnbsp;� la t�te de Renaud : Allez, confommez votrenbsp;� perfidie, couronnez fa r�bellion, amp; dites-luinbsp;� qu'il Vienne prendre la place de Charle-� magne.
A ces mots, les Pairs amp; lbs Barons parurenc conltern�s; aucun n�ofoit prendre la parole;nbsp;ils fe regardoient, les uns les autres, en rou-giflant. Naimes, plus hardi, tombant a fesnbsp;genoux : � Sire, dit - il, quand nous vousnbsp;�avoirs parl� en faveur de Renaud, repen-� rant amp; foumis, nous avons eflay� d�appai-�fer, amp; non d�enchainer votre courroux,nbsp;� d�exciter votre clemence au pardon, amp; nonnbsp;� de vous forcer a une g�n�rofit� involon-� taire; enfin, de vous engager k la paixnbsp;j, que VOS Sujets femb�ent d�firer, amp; quinbsp;�voyent p�rir leurs plus braves d�fenfeurs,nbsp;� pour une quereile oii vous n�avez a gagnernbsp;�que la ft�rile fatisfaftion de vous venger,nbsp;� amp; ob 1�Etat a tout � perdre, foit que vousnbsp;� veniez a bout de vos defleins, foit que lesnbsp;�fils d�Aymon triomphent. Mais, Sire, d�snbsp;� que votre volonte eft de continuer la guerre;nbsp;� d�s que vous penfez qu�il y va de votrenbsp;- � honneur de faire p�rir'les fils d�Aymon amp;nbsp;�gt; leur coufin; nous jurons, tous, fiiuf notrenbsp;�) honneur, de vous fervir, de prendre Mon-�tauban, ou de p�rir fous fes remparts, amp;nbsp;� nous nous d�clarons les 'ennemis de quicon-� que accqrderoit aide ou fecours a Renaud,nbsp;�a fes ft�res amp; b Maugis; nous refervant,
-ocr page 216-,, n�anmoins, comme bons amp; preux Cheva-,, liers, de ne leur faire tort ni injure qu�en �loyale guerre Tous les Barons s'unirentnbsp;au ferment de Naimes; mais Charlemagnenbsp;n��toit pas encore content. II favoit que Mau-gis �toit au pouvoir d�Olivier; mais il n��toitnbsp;point � 1�aflembl�e. Charlemagne 1�envoyanbsp;chercher, amp; lui ordonna de lui remettre Mau-gis. � Sire, lui dit Olivier, Maugis ne s�eftnbsp;y, rendu qu��i condition que je ne Ie livreroisnbsp;�point a votre pouvoir; je Ie lui ai pro-�mis, amp; je lui tiendrai ma parole; je fuisnbsp;�Chevalier, amp; une trahifon me rendroitnbsp;� indigne de ce titre. Olivier, reprit Char-�lemagne, vous connoiflez mal les lois denbsp;� la'Chevalerie, votre premier ferment eftnbsp;� de me fervir, amp; de n�avoir d�autres enne-� mis que les miens, amp; celui que vous aveznbsp;� fait a Maugis vous rendroit parjure enversnbsp;� moi, fi vous ne Ie deveniez envers lui; maisnbsp;,, je veux bien avoir �gard � votre d�licafefle,nbsp;� amp;, pour vous fauver d�un vain fcrupule,nbsp;,, Roland , Naimes, amp; 1'Archev�que Turpiij,nbsp;�vous enleveront, de force, un traitre quenbsp;� vous vous croyez oblig� de reftifer de menbsp;� livrer En ce cas, reprit Naimes, faites ar-� r�ter Olivier; car je tiens de lui-m�me quiilnbsp;� a promis d��gorger fon prifonnier plut�t quenbsp;� de Ie c�der a la force,,. Auffi-t�t Charlemagne ordonna qu�on arr�tat Olivier; mais Ienbsp;Chevalier, tire fon �p�e amp; d�clare qu�il arra-chera la vie au premier qui attentera a fanbsp;libert�. Le Roi s�approcha lui-m�me, Olivier
-ocr page 217-tombe ^ fes genoux, pour lui marquer fon ref-peft amp; fon ob�iflance; mais il fe rel�ve auffi-t�t, 8; s��chappe de fes mains; Naimes veut Ie recenir, amp; Naimes re�oic fur fon cafque unnbsp;coup d��p�e qui Ie renverfe; Oger accourt aunbsp;fecours de Naimes, amp; d�Ellouteville vole aunbsp;fecours d�Oger , qu�Olivier vient de terrafler ;nbsp;d'Eft�uteville ne fut pas plus heureux; mais,nbsp;dans Ie temps qu�Olivier s�acharne fur fa proie,nbsp;Roland s��lance fur Olivier, Ie prend par Ienbsp;milieu du corps, 1�enl�ve amp; Ie ferre dans fesnbsp;bras jufqu�a lui �ter la refpiraiion; Maugis,nbsp;inform� du combat amp; du rifque que court Olivier , fepr�fente a. 1�aflembl�e: � Pairs, Barons,nbsp;�Seigneurs, s��crie-t-il, amp; vous, fage Mo-�narque, voici Maugis qui vient fe livrerdenbsp;� lui-m�me, amp; d�gager Olivier de fes fermens;nbsp;�amp; moi, g�n�reux Maugis, s��cria Olivier,nbsp;�je vous d�gage des v�tres; vous �teslibre,nbsp;� amp; vous pouvez ufer de tous vos droits.nbsp;� Convenez, Seigneurs, reprit Maugis, quenbsp;5� c�eft un fpeftac�e bien doux, amp; un triomphenbsp;� bien fatisfaifant pour moi, d�avoir mis auxnbsp;,, prifes les uns contre les autres les plus bravesnbsp;� Paladins de Charlemagne! Et quel eft 1�objetnbsp;� de leur querelle? Un prifonnier qu�ils fe dif-i, putent 1�honneur de livrer a un ennemi quinbsp;veut Ie couvrir d�infamie. Certes, eet em-,, preflement de fe d�faire d�un guerrier dontnbsp;*�nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;la valeur, me donneroit unegrande
� id�� de moi-m�me, fi je pouvois me d�guifer � que Ie v�rirable motif de vorre z�le n'eft quenbsp;� cette baflefle 8c cette lachet� de Courtifans,
-ocr page 218-j, toujouts pr�ts a facrifier, au d�fir de plaira ,, amp; de flatter, honneur amp; vertu. Si Ie g�n�-,, reux Olivier n�e�r pas �t� int�refle a ce com-,, bat, je me ferois amuf� a Ie prolonger amp; atnbsp;,, voir couler un fang ennemi: � Roi Charles,nbsp;� f�licitez-vous d�etre mieux fervi que les-� tyrans d�Afie, d�avoir des efdaves pr�ts a
s��gorger, entr�eux, au moindre figne de ,, votre volont�, comme ces Gladiaceurs quinbsp;,, fe raaflacroient pour plaire � leurs barbaresnbsp;,, fpeftateurs, Que des Paladins ordinairesnbsp;,, confacrent leurs travaux amp; leur fang a d�-� fendre les opprim�s, a fecourir la vertu mal-� heureufe amp; fouffrante, a la gloire de leurnbsp;�patrie, ceux-ci, plus g�n�reux, n�arnb;-� tionnent d�autre prix de leurs combats,nbsp;,, que 1�aflurance d�avoir r�ulB a flatter leurnbsp;,,, maitre.
� Tu nous braves, Maugis, lui dit l�Arche-� v�que Turpin, c�eft la derni�re reflburce ,, de 1�orgueil d�fefp�r�; mais, tant�t, fur jenbsp;� b�cher qui t�eft deftin�, tu parleras, peut-,, �tre, fur un ton dilf�rent. Je ne doute pas,nbsp;,, reprit Maugis, qu�avec de tels Miniftres,nbsp;� un grand Roi ne trouve du plaifir dans l�snbsp;� plaintes douloureufes d�un ennemi mourant;nbsp;,, mais je doute fort que tous les fupplicesnbsp;,, r�unis de tous les Rois du monde, puiflencnbsp;� jamais m�arracher une larme.
,, Charlemagne , la fureur dans les yeux , � interrompit Maugis : Crois-tu, lui dit-il,,nbsp;,, avoir befoin de m�irriter encore? Si tu fa-j, vols a quel point je te haisl Sans toi, tes
-ocr page 219-d'Aymon. nbsp;nbsp;nbsp;213
j, coufins feroient moins coupables, amp; fe-roient, aujourd�hui, dans ines fers; Ri-gt;, chard, da moins, ne feroic plus. Tu te J� flattes, fans doute, d��chapper a ma ven-jsgeance : Evoque, j'y confens, les puiflan-� ces des enfers; fers-toi de tes enchantemens,
J� que le del t�a d�vou�s, amp; je ted�fie d��vitec jgt;la mort honreufe que je pr�pare- Vois-tunbsp;9� ce h�ranlt? c�eft lui qui portera a Renaudnbsp;jgt; amp; fes fr�res, la nouvelle de ton fupplice.
Lorfque les quatre fils d�Aymon arriv�-rent a Montauban, l��poufe de Renaud vine au devant de lui; apr�s qu�elle Eeut embraf-f�, elle fit �clatcr fa joie du retour de Richard ; ma�s cette al�grefl� fut faient�t troublcenbsp;quand elle s�aper^ut de 1�abfence de Maugis:nbsp;Renaud croyoit qu'ii les avoit devanc�s; onnbsp;le chercha vainement; Yolande tomba �va-nouie aux pieds de fon �poux : �n deuil g�-B�ral fe r�pandit dans Montauban : Gepensant, Renaud, rappelant fon courage Mesnbsp;amis, dir-il a fes fr�res, de quoi fervirontnbsp;� a Maugis nos larmes amp; nos regrets? Ne per-,, dons pas des momens pr�deux en g�mifl�-� mens inutiles \ fachons, d�abord, ce qu'ilnbsp;3, eft devenu, amp;, pourvu qu�il refpire encore,nbsp;3� il n�eft rien que je ne tente pour le rame-Aufli-t�t, Renaud s��lance furnbsp;fans vouloir permettre a fes fr�resnbsp;rV�� pi^cnd le cliemin du camp denbsp;Gnarlemagne, amp; ne s�arr�te qu�a Balan^on :nbsp;II rencontra un Page de l�Empereur, qui ef-fayoit un faucon pour la chali�. � Qui �tes-
-ocr page 220-214 nbsp;nbsp;nbsp;quatre fil$
^ vous, lui dit Ie jeune homme, amp; que fai-� tes-vous ici, feul amp; fans fuite ? H�las! dit � Renaud, je fuis un des geus de l�infortun�nbsp;,, des Rives, que les fils d�Aymon ont fait at-j, tacher au gibet : Je crains de les rencon-� trer, amp; je ne me croirai en furet�, quenbsp;� lorfque je me verrai dans Ie camp de Char-,,lemagne. Oh! qu�il doit �tre indign� denbsp;,, l�outrage qu�il a regu dans la perfonne denbsp;� mon maitre. Le Roi feta bient�t veng�, r�-� pondit le Page ; il fe livre, maintenant, �.nbsp;,, la joie; il tient en fon pouvoir Maugis ynbsp;� (ju�il d�tefte encore plus que fes coufins. Quenbsp;,, dites-vous?incerrompitRenaud;quoi, Mau-,, gis eft prifonnier de Charlemagne 1 Sans dou-,, te , il ne vit plus; le Roi a du en tirer lanbsp;,, vengeance la plus prompte. Non, reprit Ienbsp;�jeune homme, il le deftine a un fupplicenbsp;� honteux amp; cruel �� Renaud fe f�licita ennbsp;lui-m�me d�apprendre que Maugis vivoit encore ; malgr� le don qu�avoit fon coufin d��-viter les dangers par fes enchantemens, Renaudnbsp;craignoit toujours; il s�enfonga dans un bois,nbsp;o� il pafla le refle du jour, fongeant auxnbsp;moyens les plus prompts de d�livrer Maugis.
-ocr page 221-215
CHAPITRE XV.
Mauris aupo�volr de Charlemagne; condamn� d p�rir du fuppUce des traitres. Craintes ynbsp;fureurs inutiles de Charlemagne contre Mau-gis; enchantemens, rufes^ d�guifemens denbsp;Maugis. Les Chevaliers fervent de caution,nbsp;d Maugis; fa loyaut�, m�me en trompantnbsp;Charlemagne; butin immenfe qu�il emporte^nbsp;fa fuite. Rencontre de Renaud. Courrouxnbsp;de Charlemagne d Vafpcct de 1�Aigle d�or.nbsp;D�putation d Renaud; accord d'une tr�ve,nbsp;rendue inutile par les confeils de Pinabel.nbsp;G�n�rojit� de Renaud. Les Chevaliers d�~nbsp;fendent leur loyaut� contre Charlemagne.nbsp;Propoj�tion du Roi de fe battre avec Renaud ; Roland offre de combattre d la placenbsp;du Roi.
C^^harlemagne , triomphant d�avoir Maugis en fon pouvoir, rappela, fous fa tente,nbsp;Roland , Oger , 1�Archev�que Turpin , Richard de Normandie, Idalon, Ie Due Nai-mes, les Comtes de Morillon, Ganelon, OINnbsp;vier amp; tous les Pairs: � 'Seigneurs, leur dit-il,nbsp;��Maugis m�a trop long-temps outrag�,nbsp;�gt; que je ne fois point en droit de menbsp;,, yenger. Si je n��tois qu�un limple Chevalier ,nbsp;�je pourrois ne confulter que ma cl�mencenbsp;� OU mon refl�entiment; mais je fuis Roi, amp;nbsp;**. ne veux rien faire qui ne foit conforme aux
-ocr page 222-ai6 nbsp;nbsp;nbsp;Les quatre fils
� lois; Le Souverain , qiii n�a d�autre r�gie ,, que fa paflion amp; fa volont�, rifque toujoursnbsp;�de s��garer; Mais, avecle fecours des lois,nbsp;� il ne 1�e trompe jamais'; il ne doit rien vou-� loir, que ce que ve'�t la loi, le droit, qu�ilnbsp;,, a, de faire des lois, ne lui donne pas ce~nbsp;� lui de les enfreindre. Maugis s�eft rendunbsp;� coupable de mille crimes ; raais, d�firancnbsp;� d�ufer, autant que je le puis, de cl�-� mence 'amp; de moderation � fon �gard,nbsp;� je les r�duis tous aiix deux derniers. II nenbsp;� s�eft pas content� d�abattre mon Pavil-� Ion, amp; d�en enlever 1�aigle; mais il anbsp;� lanc� contre moi un dard, qui m�e�t �t�nbsp;� la vie, s�il m�e�t atteint: II a pr�tendu, a lanbsp;� v�rit�, qu�il ii�avoit voulu que me donnernbsp;,, une preuve de 1�avantage q��il avoit furnbsp;� moi; le dard �toit lanc� avec tant de for-�ce, qu�il s�eft enfonc� de deux pieds dansnbsp;� un ch�ne -qui eft derri�re mon Pavilion.nbsp;� Quel eft le fupplice done les lois punifl'encnbsp;� un tel attentat, commis par un fujet, furnbsp;�la perfonne des Rois? Les Barons r�pohdi-� rent, que la loi condamnoit le parricidenbsp;� a �tre tir� a quatre chevaux, amp; fts mem-� bres jet�s au feu; que, cependant, 1�in-� tendon pouvoit chgnger, ou, du moins, af-� foiblir la nature du crime; mais que c�ennbsp;��toit toujours un, digne d�une mort igno-� minieufe , que d�ayoir, par une menacenbsp;� fuivie d'une telle d�monftration, fait fen-� tir au Souverain que fa vie �toit au pou-i�voir d'un fujet.
5j Le
-ocr page 223-d* Ay mort. nbsp;nbsp;nbsp;tiif
Le fecond crime, dont je l�accufe, conti-gt;, nua Charlemagne, crime qui lui eft commun i� avec la familie d�Aymon, c�eft d�avoir �t�nbsp;pris, les armes a la main, centre fon Roi. Danbsp;5, ces deux crimes, Ie plus d�reftable eft Ienbsp;jj premier; mais, comme il ne regarde per-� fonne que moi, je Ie lui pardonne, fi, pour-5� tanc, la loi me permet de pardonner. Jenbsp;ne veux Ie punir que du fecond. Quelle eftnbsp;la punicion que les lois infligent � ? Lesnbsp;lois, dirent les Barons, laifl�nc aux Juges Ienbsp;choix du fupplice, ou de faire mourir Ie cou-pable par Ie gibec, ou de lui faire tranchernbsp;lat�te; mais, Sire, obferv�rent les-Barons,nbsp;les fils d�Aymon vous one demand� grace,nbsp;one follicit� la paix, amp; ils ne font qu�unenbsp;guerre d�fenfive. N�importe, dit Ie Roi, Mau-gis a �t� pris les armes a la main contre moi;nbsp;c�eneftaflez. Dans une heure, au plus tard,nbsp;conform�ment i la loi, Maugis fera attach�nbsp;au gibet, amp; je veux qu�enfuite, comme for-cier, il foit jet� dans les flammes. Naimesnbsp;repr�fenta que, li 1�ex�cution fe faifoit denbsp;nuit, Renaud attribueroit cette pr�cipitationnbsp;� la crainte qu�il ne vmt enlever Ie coupa-ble : Charles confentit de diff�rer jufqu'aunbsp;lendemain; mais il craignit que Maugis, parnbsp;fes enchantemens, ne vint a bout de luinbsp;echapper. Maugis, qui avoit �t� appel� pournbsp;fon jugement, s�aper?ut de la craintenbsp;de Charles: � Sire, lui dit-il, d�un ton fer-� me, amp;, fans paroitre �mu, ne craignez pasnbsp;que je fuye: Je fuis pr�c a vous donnet caution
K
-ocr page 224-aiS nbsp;nbsp;nbsp;Les quatre fils
de ma perfonne.,, Je Paccepte, dit Ie Roi, ta ,, peux en trouver une. Auffi-t�t, Maugis fenbsp;,, tournevers Olivier: Quandje vousai rendunbsp;,, les armes, vous m'avez promis de me pr�ternbsp;,, votre aide aupr�s du Roi : Vous avez faicnbsp;,, tout ce qui �toit en votre pouvoir, pournbsp;,, que je ne tombafle point entre fes mains :nbsp;�Je vous demande, pour derni�re gr�ce, denbsp;� me fervir de caution Naimes amp; les au-tres Barons, qui connoiflbient l�exaditude denbsp;Maugis, lui demand�rent s�il leur promettoit,nbsp;fur fa foi, de ne pas s�en aller fans permif-iion. Maugis leur promit, fur fa foi^ non feu-lement de palier la nuit, mais, quandlejournbsp;feroit venu, de ne parcir, fi la fantailie luinbsp;en venoit, fans prendre cong� de 1�Empereurnbsp;m�me. Alors, les douze Pairs n�h�fit�renr plusnbsp;de fervir de caution pour Maugis , jufqu�aunbsp;point du jour. Le Roi les accepta, amp;, pournbsp;plus de furet�, le mit fous leur garde; mais,nbsp;Tjient�t, il s�en repentit, amp; voulut qu�il futnbsp;gard� aupr�s de lui.
Maugis, preff� par la faim, demanda qu�on lui donnamp;t a manger. Charlemagne avoit peinenbsp;a croire qu�un homme, fi pr�s de fon dernier terme , put conferver autant de fang-froid-; il voulut qu�il foupdt dans fa tente,nbsp;amp; devant lui. Charles, moins tranquille quenbsp;fon prifonnier, n'ofoit ni boire, ni manger,nbsp;dans la crainte qu�il ne 1�enchant�t. Oliviernbsp;fit remarquer fa terreur a Roland, qui ne pucnbsp;s�emp�cher d�en rite. Apr�s fouper, Charlemagne ordonna qu�on apportk cent totcliesj
-ocr page 225-8i qu�on les tint allum�es tout� la nuk; il voulut que Roland, fon neveu, amp; les autresnbsp;Pairs, demeuraflent avec lui; qu�ils d�tachaf-fent cent hommes-d�armes, pour veiller auteur de la rente, amp; que mille Cavaliers fuf-fent r�pandus, de diftance en diftance, dan*nbsp;Ie camp, amp; en avant du Pavilion. Apr�s routes ces difpofitions, Charles s�affitfur fon lit,nbsp;mie Roland amp; Olivier d�un c�t�, amp; Ie prifon-nier de 1�autre ; � Sire, lui dit Maugis, oiinbsp;� dois-je repofer ? Quel eft Ie lit que vous
me deftinez? _Quoi, r�pondit Ie Roi, tu
fonges a dormir?_Oui, Sire, amp; j�ai tr�s-
� grand fommeil. _ Malheureux, amp; com-
j, ment pourrois-tu dormir, fachant que Ie �giber t�attend? Va, crois-moi, tu ne dor-� miras que du fomineU de la mort. � Si-9) re, je vous ai donn� caution pour lanbsp;�gt; nuit enti�re ; laiflez - moi vivre � manbsp;9� fantaifie. Demain, quand Ie jour paroi-ft tra, vous ferez de moi rout ce que vou*nbsp;9, voudrez : Maintenant, permettez que jenbsp;� dorme,,. Cette f�curit� de Maugis augmentanbsp;les foupQons de Charles; il lui fit mettre lesnbsp;fers aux pieds amp; aux mains, amp; Ie fit atta-cher, par Ie milieu du corps, a. un piliernbsp;avec une chalne; mais, Maugis rioit de tantnbsp;de pr�cautions Site, dit-il, je vous ainbsp;9gt; donn� ma parole; elle eft plus s�re quenbsp;9, routes vos chaines, amp;, fi je vous avoisnbsp;�gt; promis de monter fur 1��chafaud, vous n�au-9, riez aucun befoin de m�y faire conduire:nbsp;gt;, Vous pouvez �tre tranquille jufqu�au lever
220 nbsp;nbsp;nbsp;JLe$ quatre fils
,, du foleil, apr�s cela, je nevous r�ponds d� � rien.
Plus Maugis paroiflbit tranquille amp; paifible, amp; plus Ie Roi montroic de fureur; une armeenbsp;de Sarrafins 1'e�t moins inipatient�nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;Eh, quels
,, font tes projets pour demain, lui demanda-� t-il ?�Je n�en ai pas form� encore; mals , � quels qu�ils foient, je les ex�cuterai.�nbsp;�Traitre, je t�emp�cherai bien de voir I3nbsp;,, lever du foleil �,nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;, faififfanc fon �p�e d�une-
main, amp;, de 1�autre, tenant Maugis par les -cheveux, il alloit lui trancherla t�te; mals,nbsp;aufii-t�c, il fentit fon bras engourdi: D�ailleurs,nbsp;Roland amp; les Pairs Ie d�farm�rent. � Ah! Sire,nbsp;� lui dirent-ils, fongez que nous avons cau-,, tionn� fa vie, amp; que nous ferions d�sho-^ nor�s a jamais : Eh! Sire, ne voyez-vousnbsp;j, point que c�eft Ie d�fefpoir qui Ie fait par-^ Ier ainli, amp; qu�au lieu de votre col�re,.ilnbsp;^ ne m�rite que votre piti�. Comment s��-jj, chapperoit-il, enchain� comme il eft , au
milieu d�un camp gard� de tous c�t�s. Je ,, ne fais, dit Charlemagne; mais il m�a linbsp;� fouvent tromp�, que rien ne me raffure.
Maugis remercia les Pairs, amp;, comme Ie fommeil les accabloit, il avoit foin, de tempsnbsp;en temps, de les r�veiller ; Le Roi, furtout',nbsp;ne pouvoit l�lifter a Penvie de dormir, amp;nbsp;Maugis lui crioit fans celle ; � Eveillez-vous,nbsp;� Sire; quoi, vous avez fubjugu� tant de Peu-�ples, vous avez fait tant de conqu�tes, amp;nbsp;�vous ne pouvez r�fifter, une nuit enti�re,nbsp;� a un peu de iafficude ? Mais, fi je ne me trom-
-ocr page 227-� pe, voila Ie point du jour, Ie lever du fo-,, leil ne tarderapas, prenez-y garde Charlemagne s�agitoit, queftionnoit fes Pairs; ils lui r�pondoient en baillant, amp; il s�endormoitnbsp;en leur parlant. Enfin, quand Maugis vit lesnbsp;premiers rayons du foleil:,, Chevaliers, leurnbsp;,, dit-il, vous voila libres de votre caution,nbsp;� amp;moi de ma parole ; vous �tes, a pr�fent,nbsp;� les maitres de dormir ou de vous �veillernbsp;Alors, Charlemagne, qui convint que 1�heurenbsp;�toit paflee, voulut ordonner les pr�paratifsnbsp;du fupplice de Maugis; mais, comme il vanbsp;prononcer, entrain� par Ie fommeil Ie plusnbsp;profond, il tombe fur fon lit; Roland , quinbsp;�veut faire des efforts pour 1��veiller, tombenbsp;�fes c�t�s; tous les Pairs, les cent hommes-d�armes, amp; les mille Cavaliers, s�endormentnbsp;tous; les chevaux ne peuvent plus agir; quandnbsp;eet enchantement eut produit tout fon effet,nbsp;Maugis ne fit que prononcer qnelques mots, amp;nbsp;fes chaines tomb�rent a fes pieds. II rit, ennbsp;voyant Charlemagne dormir fi profond�ment;nbsp;-il lui fouleva la t�te mal fitu�e, puis il luinbsp;��ta fon �p�e amp; la mit a fon c�t�; il prit lesnbsp;�p�es des douze Pairs, Durandal a Roland,nbsp;Haute-claire a Olivier; il courut, enfuite, aunbsp;tr�for de Charlemagne, emporta facouronne,nbsp;fes pierreries amp; fon or; quand il eut tout pris,nbsp;il attacha Ie Roi par Ie pied avec une petitenbsp;chaine, au pied de fon lit, amp; lui fit, enfuite, refpirer une liqueur forte, qui 1��veilla.nbsp;Maugis lui dit, alors �. � Je vous promis, hier,nbsp;�je ne partirois pas d�ici fans prendre
� cong� de vous. Je luis exaft en tout; adieu, � je pars.
Charles, furieux, veut courir apr�s lui; mais il fe trouve enchain� lui-m�me; il ap-pela les douze Pairs; mais fes cris fembloiencnbsp;les plonger plus profond�ment dans Ie fom-meil: Alors, il fe reflbuvint d�une lierbe qu�ilnbsp;avoit apport�e de la Paleftine, amp; qui avoicnbsp;la propri�t� de rompre tout enchantement;nbsp;mais il fut dans 1�inipol��bilit� de l�aller cher-cher lui-m�me; il appela fes domefliques amp;ilsnbsp;ne r�pondirent point : Jamais Charlemagnenbsp;n��prouva autant d�impatience; il e�t d�fir�nbsp;pouvoir fe rendormir; il ne favoit pasjufqu'4nbsp;quand devoit durer eet enchantement; il crai-guoit, d�ailleurs, que les fils d�Aymon ne pronbsp;fitaflent de cette circonftance.
Maugis eut tout Ie temps de mettre en furet� les elfets qu�il emportoit; il prit quelques che-vaux, qu�il �veilla, les chargea de fon or amp; denbsp;fes �p�es, amp; les conduifit dans un bois, fous lanbsp;garde d�un Berger, a qui il promit une r�com-penfe; enfuite, il reprit la figure du P�lerin,nbsp;fouslaquelle il avoit parl� a Charlemagne, lorf-que Richard fut fait prifonnier ; mais il gardanbsp;fes habits amp; ne conferva du P�lerin que Ienbsp;baton amp; Ie rochet. II revint au camp dansnbsp;eet �quipage, amp; alia devant la t�te de PEin-peretir, jetant des cris plaintifs amp; demandantnbsp;pieufement du fecours. Charles 1�entendit, 8cnbsp;reconnut la,voix du P�lerin. � Entre, entre,nbsp;5, rnon ami, lui dit-il; c�efl: Ie Roi qui te Ie
tente. �Quevois-je, dit Ie Roi? les habits
XI de Maugisl____Ah! Sire, s��cria Ie P�lerin
� en fanglotant, il m�a meurtri de coups; il conduifoit trois chevaux charg�s d�or, denbsp;pierreries, amp; de tr�s-belles �p�es; je 1�ai re..nbsp;� connu pour un des fc�l�rats qi� tu�rent iiiesnbsp;compagnons fur Ie chemin de Balan^on ; j�ajnbsp;33 voulu fuir ; mais, infirme amp; malade eom-33 me je fuis, je ne pouvois aller bien loin;nbsp;33 il m�a arr�c�. Traitre, m�a-t-il dit, j�ainbsp;33 befoin de tes haillons pour n��tre pas re-33 connu ; Comme je Ie foupgonnois d�un mau-3, vais deflein, j�ai refuf�; alors, il m�a terraf-33 f� , m�a tanc battu avec mon bourdon , quenbsp;33 je lui 'ai demand� grace : J�ai fait tout cenbsp;3, qu�il a voulu; il m�a fait d�shabiller �, il s�efl:nbsp;33 d�shabill� lui-m�me ; il m�a donn� fa cotte-33 d'armes, fa vefte amp; tout ce que vous voyez;nbsp;33 il s�eft couvert de mes haillons, amp; il eftnbsp;33 parti ; Mais, Sire, je viens de traverfer Ienbsp;33 camp amp; tout y eft p�ong� dans Ie fommeil 3nbsp;33 amp; vos gardes, amp; ces Chevaliers, tout dort;nbsp;3, vousfeul veillez, amp;, cependant, il eft midi.nbsp;�, Tu vois, lui dit Charles, un effet des en-33 chantemens de Maugis Charlemagne ra-conta au P�lerin ce qui s��toit pafle depuisnbsp;la veille ; il lui dit de 1�aider a brifer lanbsp;chaine qui Ie retenoit; Ie P�lerin Ie d�gagea;nbsp;Charles, pour lui marquer fa reconnoiflance,nbsp;lui donna quelques pi�ces d�or; Ie P�lerin 3nbsp;en les mettant dans la poche de fa vefte ,nbsp;temoigna de la furprife; il en retira une petite bouieille rempUe d�une eau tr�s-limpide�
K iv
-ocr page 230-'fi24 nbsp;nbsp;nbsp;quatre fils
�Maugls, dit-il, a, fans doute, oubli� ce � flacon; je ne fais a quoi il peut �tre utile.nbsp;5, Gaide-toi de t�en ferviir, dit Charlemagnenbsp;en Ie lui �tant des mains; c�eft, fans doute,nbsp;� quelque compoiition infernale pour fes en-� chantemens,,; amp;, en difant ces mots, ilnbsp;jeta la bouteille avec col�re. D�s que la va-peur de la liqueur fe fut r�pandue, tous iesnbsp;Barons amp; les Pairs, les Gardes, les Officiers,nbsp;s��veill�rent i la fois. Quelle fut leur furpri-fe, de trouver, au lieu de Maugis, Ie P�le-lin qu�ils avoient vu, amp; qu�ils reconnurent!nbsp;Charles leur r�p�ta ce qu�il en avoit appris, 'nbsp;amp; la fuite du prifonnier, amp; tout ce qu�il fa-Toit. II dit a Naimes amp; d Olivier : � Vou'snbsp;,, m�avez r�pondu de lui, c�eft a vous que jenbsp;,, dois m�en prendre. Sire, r�pondit Roland,nbsp;,, nous en avons r�pondu jufqu�au point dunbsp;�jour, amp; ilparoiflbitd�ja, lorfque nous nousnbsp;,, fommes endormis ; Maugis, lui-m�me (ilnbsp;� m�en fouvient) nous a rendu notre parole,nbsp;,, amp; nous a dit qu�il ne r�pondoit plus de rien:nbsp;�Vous vous �tes m�me empOrt� centre lui;nbsp;� jufque-la, Maugis eft quitte envers nous.
II eft vrai qu�il vous avoit donn� fa foi qu�il � ne partiroit pas fans prendre cong� de vous,nbsp;� amp; , en cela, il a manqu� de loyaut�; non,nbsp;� vraiment, reprit Ie Roi, il m�a �veill�, toutnbsp;� expres, Ie premier, pour me dire qu�il par-,, toit. Quoi! Sire, dit Olivier, vous 1�aveznbsp;� vu, vous lui avez parl�, amp; vous ne nousnbsp;,, avez point �veill�s! amp; vous ne 1�avez pointnbsp;� arr�c�! Je n�ai pu ni l�un nil�autre, reprit
-ocr page 231-� Ie Roi, Ie traitre m�avoit enchatn�; Scj�ai 5� eu beau crier , le charme �toit fi fort, quenbsp;rien n'a pu incerrompre votre fotqmeil. Maisnbsp;oii peut-il �tre all�? ce P�lerin I�a rencon-tr�, au fortir du camp, conduifanc troisnbsp;chevaux charg�s d�or amp; d��p�es : D��p�es Inbsp;�) s��cria Roland, qui s�aperqur, dans le mo-naenc, que Durandal lui manquoit. 0 ciel Inbsp;�il emporte la mienne Chacun des Chevaliers vit qu�il avoit fait la m�me perte; ilsnbsp;en furent tous confternes, fe regardant lesnbsp;uns les autres; Charlemagne ne tarda pas, nonnbsp;plus, a fe convaincre que Maugis lui avoicnbsp;tavi fa couronne amp; fes pierreries, amp; fa col�renbsp;fut a fon comble. � Volons, courons apr�s Icnbsp;� traitre, s��cria-t-il; mais ou le trouver? Jenbsp;� ne le crois pas bien �loign�, dit le P�lerin; jenbsp;� l�ai vu gagner un petit bois, hors dunbsp;�gt; camp; fes chevaux �toient fi charg�s, qu�il nenbsp;gt;� peut pas avoir fait beaucoup de chemin,,.nbsp;11 s�olTrit de leur fervir de guide; on Pac-cepte �, mais, comme il pouvoit, a peine , fenbsp;foutenir, il pria Charles de lui donnet unnbsp;de fes chevaux. Tandis qu�on choilit amp; qu�onnbsp;felle le meilleur, Charles ordonne a fix Cavaliers de fe tenir pr�ts a marcher; la vapeurnbsp;de la liqueur enchant�e, s��toit r�pandue fucnbsp;tout le camp, amp; les Cavaliers s��veilloient,nbsp;comme s�ils �toient encore a demi-endormis;nbsp;la confufion r�gnoit par-tout. On eut bien denbsp;^ peine a la'faire cefier. Quand le cheval denbsp;Charlemagne fut pr�t, on 1�amena au P�lerin;nbsp;il fit bien des cris amp; des efforts pour le mon-
K V
-ocr page 232-ter; amp; gt; enfin, on fut oblig� de 1�y porter h de 1�y foutenir : Cependanc, il fe raffermicnbsp;peu a peu; il demanda une �p�e. � Je favoisnbsp;� m�en fervir autrefois, dit-il, mais, dansnbsp;,, 1��tat oil je fuis, c�ell: une vaine parure;nbsp;� n�importe,,. II prit 1��p�e d�un air gauche,nbsp;amp; la porta, comme il put, toute nue dans fanbsp;main.
L�ordre du depart donn�, Ie P�lerin fe mit � leur t�te , amp;, lorlqu�ils furent fortis du camp,nbsp;il les conduifit dans une gorge fonn�e de deuxnbsp;montagnes a pic. � C�ell dans ce bois, quenbsp;), vous voyez d�ici, dit-il a Charlemagne, quenbsp;,, j�ai vu entrer Maugis. Ne jugeriez-vous pasnbsp;� a propos que je vous devan9affe dequelquesnbsp;,, pas? Si Maugis eft dans Ie bois, amp; qu�il menbsp;� voye ainfi mont�, il ne manquera pas denbsp;� courir fur moi, pour m�enlever mon che-� val; amp;, comme vous ne ferez pas �loign�,nbsp;?, au moindre cri, vous viendrez a mon fe-,, cours, amp; vous entourerez Maugis.
L�avis du P�lerin fut approuv� ; il gagna les devans; quand il eut pafle Ie d�fil� amp; qii�ilnbsp;cut mis entre la troupe de Charles amp; lui imnbsp;efpace de quinze a vingt toifes, il te re-tourna , frappa la terre avec fon bourdon ,nbsp;amp; forma, d�une montagne a l�autre, un precipice dont on ne voyoit pas Ie fond : Alors,nbsp;il reprit fa v�ritable forme, amp; cria a Charlemagne amp; aux Chevaliers : � ReconnoilTez ,nbsp;,, enfin, Maugis; I'or, les pierreries, la cou-j, ronne de Charles, amp; vos �p�es, tout vousnbsp;ti fera rendu, quand vous voudrez con'fentir
-ocr page 233-a la paix qvie les fils d'Aymon vous ont �gt; propofie. Ne clierchez point a me fi�vre ;nbsp;I) je ferai piut�t arriv� a Montauban, que vous
n�aurez tourn� ces montagnes, amp; franchi 55 ce pr�cipice , qui Ie refermera de lui-m�menbsp;5j lorfque je ferai en furet� On lui langanbsp;quelques traits; mais il difparut comme unnbsp;�clair.
La fureur parvenue jufqu�a un certain d�-gr� , s��vanouit fouvent , amp; , furtout, chez les Frangois. Charlemagne amp; les Pairs deroeu-r�rent, quelque temps� confondus; ils ne foir-tirent de leur �tonnement, que pour d�lib�-rer fur ce qu�ils avoient a faire. Pbur parvenirnbsp;au bois que Maugis leur avoit indiqu�, il fal-loit franchir Ie pr�cipice, ce qui �toit impra-ticable, OU tourner la montagne par un d�-tour de dix lieues amp; par des chemins tr�s-dif-ficiles. On ne d�cida rien, l�on reprit Ie chemianbsp;du camp �, amp; les Chevaliers arriv�rent i lanbsp;tente de Charlemagne , en plaifantant fecret-tement de cette aventure. Les feuls Charlesnbsp;amp; Roland la trairoient plus f�rieufement.
Cependant, Maugis, apr�s avoir repris fOQ tr�for,s�en retournoit tranquillement a Montauban j il pafl'a dans Ie bois oii Reuaud s��toicnbsp;arr�t�. Bayard fentit Maugis, amp; hennit denbsp;tqute fa force. II emporta fon maitre vers Maugis, qui, d�abord, ne reconnut pas fon coufin.nbsp;55 Qui �tes-vous, lui dit-il, amp; que faites-55 vous ici ? Renaud fort de fa r�verie, fenbsp;*gt; precipite � fon col; je courois � votre fe-� cours, lui dit-il; Yous feriez arriv� trop tardgt; �
228 nbsp;nbsp;nbsp;Zes quatre fils
,, r�ppndit Maugis, fi Ie del ne fut venu a ,, mon aide. II lui raconta tous les �v�nemensnbsp;,, qui s��toient pafles depuis qu�ils s'�toientnbsp;,, f�par�s. J�emporte un butin immenfe, nonnbsp;� pour en profiter, mais pour forcer nos en-
nemis a la paix.
Coinme ils approchoient de Montauban, ils renconir�rent, a la t�te de deux mille Cavaliers , Alard, Guidiard amp; Richard, qui alloientnbsp;au camp de Charlemagne, ou pour d�livrer,nbsp;OU pour venger Maugis; ils �toient triftes amp;nbsp;abattus;mais, en revoyant Maugis amp;Renaud,nbsp;ils fe livr�rent a Ia joie. Guichard ne fit quenbsp;les embrafler, amp; les quitra, pour aller annon-cer leur retour a Yolande, qui yint au devantnbsp;d�eux avec fes enfans. IJs rentir�rent triom-phans; Maugis �tala Ie butin qu�il avoit fait,nbsp;amp; il fut d�cid� qu�on placeroit fur la plusnbsp;haute-tour, 1�aigle d�or du Pavilion de Charlemagne.
Lorfque Ie Rol vit fon aigle, qui r�fl�chif-foit, a cinq lieues d la ronde, les rayons du folei!, i! appela fes Pairs: � Quelle bonte pournbsp;,, nous, leur dit-il, quel troph�e pour mes
ennemis! Ah! ce fut un grand malheur, ,, quand nous f�mes Ie projet d�entrer dans lanbsp;,, Gafcogne; 11 quelque chofe peut nous ex-5, cufer aux yeux de Ia poft�rit�, c�ell 1�artnbsp;5, magique de Maugis; car, qui peut r�fifternbsp;5, a un ennemi qui combat avec des forcesnbsp;5, furnaturelles Mais, fi 1�enfer Ie protege,nbsp;5, qu�avons-nous fait au ciel pour nous aban-jjdonner? -Ne i�accufoas point; U condam-
-ocr page 235-i29
ne, fans cloute , des Sujets rebelles; mais 3t il veut nous humilier. Cquot;eft a nous d�appai-jj fer fa col�re par notre foumiffion. Naimes,nbsp;jjOger, Eftouteville, Turpin, vous �tes pa-y; rens de Renaud ; allez dire aux fils d�Ay-� mon que , s'ils veulent me rendre ma cou-9) ronne, mon aigle, mes pierreries amp; vosnbsp;�� �p�es , je confentirai a une tr�ve de deuxnbsp;5, ans, amp; que je ramenerai mes troupes.
Les Chevaliers partirent; ils fe pr�fent�-lent a la principale potte de Montauban; ils demand�rent i parler aux fils d�Aymon. Renaud , fes fr�res amp; Maugis, d�put�rent Richard , pour les recevoir; ii les conduifit dansnbsp;la Ville, amp; Renaud vint au devant d�eux;nbsp;il les combla de marqu�s d�amiti�, prit Ogernbsp;par la main, les accompagna au Chkeau, amp;nbsp;les pr�fenta a Yolande , qui les vit avec plaifir,nbsp;amp; leur t�moigna Ie d�fir qu�elle avoit de lanbsp;paix , pour que fon �poux put fe r�unir anbsp;ia familie. Renaud leur demanda Ie fujet quinbsp;lui procuroit 1�avantage de les recevoir.nbsp;5, Vous favez, lui dit Oger, combien nousnbsp;,, vous aimons tous, amp; que, s�iln�e�t d�pendunbsp;� que de nous, toute querelle entre Ie Roinbsp;amp; vous feroit, depuis long-temps, termi-,, n�e ; cependant, vous n�iguorez pas quenbsp;� Maugis, votre coufin , vient de nous faire,nbsp;5) a tous, Ie plus fanglant outrage ; II nousnbsp;a pri� de Ie pkiger aupr�s de Charlema-�gt; gne; il avoit promis de ne pas s��vader,nbsp;� amp; de ne partir qu�avec notre cong� : Nonnbsp;}, feulement, u gft parti pendant notre fom-
-ocr page 236-Les quatre fih
� rneil,mais encore, il a emport� la couronne.� � les bijoux, le trefor du Roi , amp; Jes �p�esnbsp;� de tous les Chevaliers. Le Roi demandenbsp;,, que voos lui rendiez fonaigle d�or, ce quenbsp;,, Maugis lui a eniev�, amp; nos �p�es, amp; il con-,, fent a one tr� ve de deux ans, amp; a recirer fesnbsp;j, troupes de la Gafcogne.
Alors, Maugis pric la parole : � Seigneurs, ,, leur dit-il, vous favez que je n�ai manquenbsp;,, a aucun de mes engagemens, amp;, li'- quel-� qu�un peut prouver que je ne les aye pas
tnnc i*PtTin1ic . nbsp;nbsp;nbsp;pnnr^nc A
� tous remplis, je confens a m�aller remet-,, tre entre les mains de Charles. Parlez; quel-� qu�un de vous a-t-il rien a me reprocher? ,, Vous m�aviez pleige jufqu�au jour feule-,, ment, amp; je n�ai brif� mes chames qu�apr�snbsp;� le foleil lev�; j'ai pris cong� du Roi, commenbsp;� je m�y �tois engag�; il eft vrai que je fuisnbsp;,, parti dans le temps que vous dormiez, maisnbsp;�je ne m��tois pas engag� de prendre cong�nbsp;� de vous, Il eft encore vrai que, par monnbsp;,, art, vous avez dormi plus long-temps quenbsp;�vous ne deviez; mais, avois-je promis denbsp;� ne pas me fervit de mon art ? J�ai fait unnbsp;� butin confid�rable dans la rente de Char-� lemagne; en cela, je n�ai fait qu�ufer dunbsp;� droit de la guerre. Mais, j�ai eu , en le fai-� fant, un motif plus noble , c�eft d�engagernbsp;� Charles a confentir plus promptement a lanbsp;,, paix, dont une des conditions fera la ref-,gt; titution de tout ce que j�ai emport�. Mais,nbsp;� nous difcuterons, demain,plus profondementnbsp;�gt;cette mati�re; livrons-nous, aujourd�hui,
-ocr page 237-ft au plaifir de nous retrouver enfemWe II ordonna qu�on pr�par�t un feftin magnifique *nbsp;amp; la nuit Ie paffa dans les f�tes amp; les plaifirs.
Le lendetnain, Ie Due Naimes demanda i Renaud quelle r�ponfe il vouloic faire auxnbsp;propofitions du Roi. �Je confens a tout, r�-�, pondit Renaud , pour avoir la paix; je nenbsp;� d�fire que de vivre avec Charlemagne ennbsp;,, fujet foumis amp; fidelle. J�accepte la tr�venbsp;,, de deux ans. J�efp�re que, pendant ce temps ^nbsp;� il exaucera nos vceux , amp; que vous vous em-,, ployerez pour l�y d�terminer.
Renaud fit apporter 1�aigle, la couronne 8s 1��p�e de Charlemagne. II donna a chacunnbsp;des Envoy�s, celle qui lui appartenoit; Unbsp;chargea Naimes de remettre les autres: II ren-dit tous les bijoux, amp; tout l�or, fans ennbsp;lien retenir. Oger, �tonn� de tant de g�-n�rofit�, ne put s�emp�cher de lui dire,nbsp;lt;5Ue jamais guerrier n'avoit fait un biitin finbsp;rich's amp; fi glorieux, amp; n�y avoit renonce avecnbsp;tant de grandeur d�ame, amp;, que le Roi de-vroit �tre touch� d�un fi grand facrifice;nbsp;ma�s Richard ne vouloit point que fon fr�renbsp;difposk de 1�aigle d�or. � Si Maugis, dit-il,nbsp;j, a enlev� la couronne par fon art magique,nbsp;� j�ai gagn� 1�aigle par forces d�armes, amp; jenbsp;� n�oublierai jamais que, prifonnier du Roi,
il me frappa dans fon Pavilion Renaud pria tant fon fr�re, qu�il c�da 1�aigle d�or.
Oger invita Renaud de venir au camp de Charlernagne avec eux, tandis que Maugisnbsp;garderoit Montaubanj mais Renaud, quin�a-
-ocr page 238-asa
Les quatre fih
voic point de confiance au Roi, ne vonloit pas s'expofer �, Eftouteville s�offrit de refter anbsp;Montauban pour otage; Naimes promit, aunbsp;nom des Chevaliers, de mettre Renaud a couvert de route infulte. Enfin, Refiaud y con-fentic. II s�arma de routes pi�ces, amp; prit, avecnbsp;lui, Alard amp; deux Chevaliers. Yolande, fonnbsp;�poufe, accourut toute tremblante ; elle fitnbsp;tout ce qu�elle put pour d�tourner Renandnbsp;de ce voyage; elle fe jeta aux genoux desnbsp;Chevaliers, pour leur recommanderfon �poux :nbsp;Oger lui donna fa parole qu�il ne lui arriveroicnbsp;rien.
Lorfqu�ils furent arriv�s a Balan^on, Oger, qui connoiftbit Ie caraft�re vindicatif de Charles, propola de les devancer pour fonder fonnbsp;ccEur amp; lavoir fes intentions; Naimes fe char-gea de lui parler amp; de venir avertir Renaud,nbsp;qui attendroit fon retour. Renaud confentitnbsp;a tout.
Oger amp; Naimes partirent, Eftouteville amp; 1�Archev�que Turpin demeur�rent avec Renaud; ils fe f�licitoient tous du retour de lanbsp;paix; ils la croyoient aflur�e.
Le hafard voulut que Pinabel, neveu de Charlemagne, fe trouvSt au gu� de Balangonnbsp;amp; qu�il entendit tout. Pinabel, Courtifan in-folenc amp; ISche flatteur, fe plaifoit dans lenbsp;trouble amp; ha�flbit la vertu. II fe faifoit unenbsp;�tude de perf�cuter tous ceux qu�il voyoitnbsp;aim�s amp; eftim�s. II alia empoifonner aupr�snbsp;de Charlemagne, fon oncle, Ie voyage de Renaud, qu�il fit palier pour un complot. Char-
-ocr page 239-d'Ay man. nbsp;nbsp;nbsp;233
lemagne ori^onna a Olivier de prendre quatre cents Cavaliers bien arm�s, amp; d�aller � Ba-langon, ou il trouveroit Renaud amp; Alard fonnbsp;ft�re, amp; de les lui amener, quand il devroitnbsp;y facriSer toute fa troupe. Olivier, qui igno-loit la promefle qu�Oger amp; Naimes avoir faitenbsp;a Renaud, partir pour ex�cuter les ordres dunbsp;Roi. A peine �toit-il forti du camp, qu�Ogernbsp;amp; Naimes arriv�rent a la rente du Roi : Ilsnbsp;quot;Virent le m�contentement fur fon front, amp;nbsp;la col�re dans fes yeux. ,, Sire, lui dir Oger,nbsp;sgt; VOS regards f�v�res ont de quoi nous lur~nbsp;}j prendre ^ nous avons rempli notre commilTionnbsp;aveola plus grande fid�lit�; nous rapportonjnbsp;�gt;1 le burin que Maugis avoir fait; Renaud nousnbsp;9� a tout remis, avec une exaftitude qui 3nbsp;gt;�gt; droit de furprendre dans un vainqueur. Il �nbsp;35 tout facrifi� au d�fir de la paix. Ou eft Re-93 naud ? leur demanda brufquement le Roi :nbsp;93 Je fais que vous �tes venu avec lui. � Sire gt;nbsp;jj il eft vrai que nous 1�avons d�termin� denbsp;3, venir vous offrir fon hommage, fur la foinbsp;de la tr�ve que -vous lui avez accord�e, amp;nbsp;� pour recevoir vos otages amp; fe mettre ennbsp;� otage lui-ro�me. Eftouteville a voulu refternbsp;� a Montauban comme garant de la foi quenbsp;93 nous avons donn�e a Renaud; mais Renaud,nbsp;�3 plus g�n�reux, 1�a refuf�, amp; s�en rapportenbsp;,3a^noire parole amp; � votre foi. Je ne veuxnbsp;� d un tel otage, reprit Charlemagne, quenbsp;,, pour le traiter comme Richard amp; commenbsp;� Maugis. Ah! Sire, s��cria Oger, fongez quenbsp;9, Renaud ne s�eft livr� que fur la foi d�une
-ocr page 240-SS4
,, t��ve que vo�s-m�me lui avez offerte, Sire, � interrotnpit Naimes, de tels propos font in-,, dignes d�un Roi; gardez-vous de commettrenbsp;� un tel crime, il vous rendroit Pex�crationnbsp;� de tous les Peuples de 1�univers. Cette pen-� f�e odieufe ne vient pas de vous; faites-moinbsp;,, connoicre Ie traitre qui vous 1�a fugg�r�e,nbsp;� amp; je vous vengerai de l�affront qu�il vous anbsp;,, fait. Je vous d�clare, Sire, qu�avant de fouf-�frir eet attentat, Oger, Naimes, Turpin amp;nbsp;,, Eftouteville, que vous d�shonoreriez, ver-� feront leur fang pour 1�emp�cher, amp; qu�ilsnbsp;� d�fendront Renaud contre vous-m�me. Qui!nbsp;� nous! qui 1�avons prefque forc� de nous fui-,, vre, que nous fuffions caufe de fa mort amp; lesnbsp;�complices d�une perfidie? Non, Sire, ja-� mais. Nous devons vous fervir, fauf notrenbsp;,, honneur, Sr c�eft notre honneur que vousnbsp;� voulez fl�irir! Sire, difpofez de notre vie,nbsp;� nous vous en avons fait Ie facrifice en vousnbsp;,, donnant notre foi; mais notre verru nenbsp;,, d�pend que de nous Vous �tes Ie plus puif-,, fant Roi du monde; vous avez la force ennbsp;�main, amp; vous pouvez faire p�rir dans lesnbsp;� fupplices 1�homme de bien comme Ie fc�l�-rat; mais, tous les Rois de la terre, li-enfemble , n�ont pas Ie pouvoir denbsp;,, forcer un honn�te horame a trahir fa con-� fcience, a la faire parler ou fe taire a leurnbsp;� gr�. Si vous avez des Courcifans aflez II-� ches pour �tre les minilires d�un allaflinat,nbsp;� vous pouvez les employer, amp; non pas denbsp;braves Chevaliers, qui ont jur� de ne ja-
-ocr page 241-d* Ay mort. nbsp;nbsp;nbsp;^15.5
�, ma�s fonffrir Ie crime, de quelque rang que 5, foic Ie criminel.
Cependant, Olivier arrive, amp; rencontre Re-Kaud, fans armes, �loign� de Bayard. Renaud s�approche de Turpin amp; d�Eftouteville : �Per-� fid.'S, 'leur dit - il, vous m�avez trahi ;nbsp;�, jamais je ne me ferois attendu a cette d�-��loyaut�! Que dites-vous,Seigneur? r�pondnbsp;j, Turpin, nous, des traitres! Je vous jure,nbsp;�, que nous vous tiendrons ia parole que nousnbsp;� avons donn�e, de vous defendre jufqu�a lanbsp;,, derni�re goutte de notre fang : Si quelqu�unnbsp;� a pu vous trahir, croyez que ce n�eft ninbsp;,, Oger, ni Naimes, ni nous. Alors, Renaudnbsp;,, dit a Olivier : Souvenez-vous que, lorC-�que, dans la plaine de Vaucouleurs, Mau-,, gis, mon coufin, vous abattit, je vous ren�nbsp;,, dis votre cheval, amp; que, vous ayant aidenbsp;�� a y remonter, je vous aidai a prendre vo-� tre revanche; rendez-moi courtoifie poutnbsp;� courtoifie, amp; permettez-moi, feulement,nbsp;� de monter fur Bayard. Seigneur, r�ponditnbsp;� Olivier, je n�ai jamais fu oublier nn bien-,, fait. Je fuis au d�fefpoir de vous avoir ren-� contr� ici, amp; je ne fais pourquoi Ie Roinbsp;� m�a choifi pour me faifir de vous.
Comme ils parioient encore , voila Roland qni venoit aider Olivier a fe rendre maitrenbsp;de Renaud amp; de fon fr�re : ,, Rendez-vous,nbsp;,, leur crie Roland, vous �tes mes prifon-�gt;nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;�� Comme il prof�roic ces mots :
� Roland ! Roland ! lui crie Oger, qui, en � fortant du Pavilion de Charlemagne, �toic
-ocr page 242-43lt;5
quot;Les ^uatre fils
,5 accoufu au fecours de Renaud, gardez-vous }j de faire aucun mal aux ills d�Aymon 1 Sa-jgt; chez que c�eft Ie Due Naimes Sc moi quinbsp;les avons conduits, fur notre foi amp; fer-9, ment, pour prendre Sc donner les otagesnbsp;y, de la tr�ve que nous avons propof�e a Re-,, naud, de la part du Roi, qui nous avoirnbsp;j, envoy�s vers lui � Montauban ; Vous nenbsp;,, pouvez lui faire aucun outrage que nous nenbsp;�Ie partagions avec lui, Sc, li vous 1'atta-� quea, nous Ie d�fendrons Olivier fe joi-gnit a Oger, pour engager Roland a ne pointnbsp;attaquer Renaud. � II me rendit, autrefois,nbsp;� un fervice important, difoit Olivier, Sc jenbsp;� dois lui en marquer ma reconnoiliance. R�u-,, niflbns-nous, Sc, fi Renaud veut y confen-� tir, nous 1�accompagnerons, tous, au Pa-� villon de Charlemagne, pour 1�engager 4nbsp;� faire la paix. S�il la refufe, reprit Naimesnbsp;�qui avoir fuivi Oger, Sc qu�en outrageancnbsp;� Renaud, il veuille nous rendre fufpecbs denbsp;� trahifon, nous ne Ie fouffrirons^point, Scnbsp;� nous combattrons pour Renaud.^ Ce feroitnbsp;a nous une lachet� indigne de l�abandon-� ner Naimes demanda a Renaud, s�il ynbsp;confentoit. Renaud fe livra a leur bonne-foi;
Les Chevaliers Ie prirent au milieu d�eux, Sc ils partirent.
Oger s�approcba, Ie premier, de Charlemagne : � Sire, lui dit-il, vous nous avez � envoy�s vers Renaud, lui ofl'rir une tr�ve ;nbsp;� Nous avons rempli vos ordres en bravesnbsp;� Chevaliers Sc en ferviteurs fidelles. Renaud
-ocr page 243-3r
i) a accept� toutes les propofitJons que nous lui avons faites de votre part; il nous anbsp;�remis non feulement votre couronne, lesnbsp;� �p�es de vos Pairs, amp; la v�tre, mais 1�aiglenbsp;d�or, qui, par dtoit de conqu�te, appar-}j tenoit a fon fr�re : Nous lui avons promis,nbsp;� fur votre parole, que, la tr�ve accept�e, ilnbsp;v ne lui arriveroit aucun mal; amp;, cependant,nbsp;�gt; au m�pris de vos fermens lacr�s, vous en-jj voyez au devant de lui pour Ie prendre,nbsp;�, amp; c�eft un de vos plus braves Chevaliers,nbsp;9, dont vous furprenez la foi, pour Ie char-99 ger de cette exp�dition. Ainfi done, la foinbsp;99 des trait�s ne feroit qu�un pi�ge pour trom-,, per 1�honn�te homme q\� ne connoit pointnbsp;,, la m�fiance, paree qu�il .eft ineapable denbsp;�trahifon! Non, Sire, cela ne fera point;nbsp;� mais, fi vous croyez que les propofitionsnbsp;99 que vous avez fait faire a Renaud, vousnbsp;99 foient d�favantageufes, fi vous vous re-99 pentez de lui avoir aecord� une tr�ve,nbsp;9, renvoyez Renaud � Montauban , amp; ren-9, dez-lui Ie butin de Maugis amp; celui dQnbsp;,, fon fr�re ; alors, ordonnez-nous d�aller ,nbsp;,, les armes a la main, reconqu�rir votre cou-� ronne, votre aigle, votre tr�for amp; nosnbsp;99 �p�es, nous combattrons loyalement; vousnbsp;99 agirez en Roi, amp; Ie ciel b�nira la caufe qu�ilnbsp;99 jugera la meilleure.
Charleinagne impofa lilence a Oger, amp; lui dit qu�il ne feroit que ce qu'il lui plairoit, qu�ilnbsp;ne laifl�roic point �chapper Renaud auffi ai-f�raent que Maugis, amp; qu�il �toit decide 4 Ie
-ocr page 244-punir comme traitre amp; rebelle. � Non, Sire, ,, reprit Oger, vous ne le ferez pas. Pr�ten-� dez-vous, lui dit Charlemagne en 1�inter-9, rompant, d�fendre mon ennemi centre moi,nbsp;,, amp;partager fon crime? Sire, r�pondit Oger
d'un ton ferme, je d�fendrai ma loyaut� � c�ntre rous. Je la d�fendrai centre le cielnbsp;� m�me.
Renaud les interrompit ; Sire, dit-il avec � une modefte fiert�, quel eft votre deflein,nbsp;�amp; qu�exigez-vous? Vous m�appelez traitrenbsp;9, amp; rebelle; Dieu fait que je ne fuis ni 1�unnbsp;� ni 1�autre, amp; qu�il n'y en eut jamais dansnbsp;9, ma familie; il n�y a homme �ur la terrenbsp;� qui osamp;t me faire un tel reprbche avec im-� punit�; mais, Sire, 1�autorit� fupr�mepeutnbsp;� tout fe permettre, paree qu�elle n�a rien 4nbsp;9, craindre.
Charlemagne fentit qu�il avoit �t� trop loin, �t, pour le r�parer en quelque forte, il ditnbsp;^ Renaud ; ,, Je fuis pr�t de foutenir ce quenbsp;�j'avance les armes a la main : Je fuis Che-� valier autant que Roi. Sire, r�pondit Re-j, naud, j�accepte le combat; Naimes, Oli-,, vier, Oger amp; Turpin feront mes r�pondans.nbsp;5, Nous le devons, dirent les Chevaliers, amp;nbsp;^ nous le fommes,,. Le Roi vouloit tenir fanbsp;parole; mais Roland 1�emp�cha amp; demanda anbsp;combattre k fa place. �Sire, ditRenaud, choi-� fiflez.
Quand les Chevaliers eurent r�pondu pour Renaud, Bayard lui fut rendu; il s�en retqurnanbsp;i Montanban, ou l�on croyoit la paix affur�e.
-ocr page 245-XiS lendemain, apr�s avoir tendrement em-brafle fon �poufe, il dit a fes fr�res : � Je vais gt;j combattre Ie plus brave Chevalier qu�il ynbsp;�3 ait au monde. Je ne puis pr�voir quel feranbsp;3j ie fucc�s du combat. Mes amis, mes fr�res,nbsp;jgt; ie VQus recommande ma ch�re Yolande amp;nbsp;5j mes enfans: Je remets en vos mains la gardenbsp;.�gt; de ce Chateau; c�eft Ie feul heritage que jenbsp;puiile leur laiffer ; eh l qui fait encore �nbsp;Charlemagne, �tendant fur eux fa hainenbsp;j, contre leur p�re, voudra leur permettrenbsp;,, d�en jouir tranquillement? D�fendez-le, amp;nbsp;,, apprenez-leur a Ie d�fendre. Ce n�eft pasnbsp;� que je d�fefp�re de vaincre Roland, j�ai pournbsp;� moi Dizu amp; mon �p�e, la juftice d'une bonnenbsp;j, caufe, amp; un courage �gal au fien; mais jenbsp;j, puis �tre vaincu : On nous juge de la m�menbsp;�j force.
Les fr�res de Renaud ne voulurent point ^emenrer; ils laiff�rentMaugis maltre deMon-tauban, amp; accorapagn�ient Renaud au lieu d�nbsp;combat.
-ocr page 246-24�
Les qu�tre fils
C H A P I T R E XVI.
Combat entre Renaud amp; Roland. Maugis les fauve, l�un amp; 1'autre, par un prodige denbsp;fion art magique. Roland fuit Renaud dnbsp;Montauban. Charlemagne met Ie fi�ge devantnbsp;ce Chateau. Le Rol ejtenlev� dans Ie Palaisnbsp;de Maugis, amp; livr� d Renaud. Maugis fortnbsp;de Montauban, amp; fe retire dans un lier^^nbsp;mitage.
peine le jour eut-il paru, que Roland s�arma, amp; tnonta a cheval, pour fe rendre furnbsp;le champ de bataille. II alia, auparavant,nbsp;prendre cong� du Roi. � Mon neveu, lui ditnbsp;j, Charlemagne, puiffe le Dieu des arm�es tenbsp;gt;, foutenir amp; te d�fendre! S�il pr�te fon fe-,, cours a la bonne caufe, il dolt prot�ger Re-� naud; car je ne puis diffimuler que , dansnbsp;� certe occafion, la juftice eft pour lui. Sire,nbsp;,, r�pondit Roland , il n'efl: plus temps denbsp;,, fe repentir, je me fuis engag� trop avant. Ennbsp;� refufant le combat, je me couvrirois denbsp;�honte, amp; elle rejailliroit fur vous. Ma�s,nbsp;,, Sire, en faveur du danger auquel vous m�ex-,, pofez en combattant un brave Chevalier,nbsp;� qui a fur moi 1�avantage de la juftice, fouf-3, frez que je vous conjure d�accorder auxnbsp;3, fils d�Aymon la paix qu�ils vous deman-3) dent Charlemagne ne r�pondit rien a fon
neveu; mais il fentit, en fongeant a Pinabel, �ombien les Courtifans amp; les flatieurs �toientnbsp;funeftes aux Souverains.
Cependant, Renaud �toit d�ja fur le champ bataille. Roland brdloit d�impatience. Cesnbsp;^eux fiers xivaux s��roient d�ja rencontr�s plu-fieurs fois; mais la vi�loire avoir toujours �c�nbsp;ind�cife. Quand 1�un fembloic la fixer par fonnbsp;audace amp; par fon imp�tuofit�, I�autre la rap-peloit par une valeur �clair�e amp; prudente. Ilsnbsp;avoient le m�ine courage amp; la m�me force, amp; ,nbsp;fi 1�un avoir plus d�a�livit�, I�autre avoir plusnbsp;d�adrefle amp; de conftance. D�auffi loin quenbsp;Roland apergut Renaud, il lui cria, d�un tonnbsp;irop�rieux : � Enfin, Renaud, tu ne peuxnbsp;5, �viter ton Ibrt; voici le jour ovi tu vas cef-5, fer de te croire invincible. Tu me menaces,nbsp;�gt;, Roland, r�pondit Renaud, crois-moi, foisnbsp;plus modefte; un Chevalier prudent nt;nbsp;5, chante jamais fa vi�loire avant le combat,nbsp;s, Veux-tu la paix; veux-tu combattre? 1�unnbsp;�) amp; I�autre eft a ton choix, Quelqu�honneucnbsp;�9, que j�attende du triomphe, je lui pr�f�re lanbsp;paix, qui rendra le calme a 1�Etat,, amp; J�a-mour des Peuples � ton maitre. Je ne fuisnbsp;. �5pas venu, repliqua Roland, pour conclurcnbsp;�gt;un trait�. Eh bien, combattons, dit Re-�, naud. : Crois-moi, fonge a te d�fendre,nbsp;� r�pondit Roland.
A ces mots, ils piquentleurs chevaux, fon-dent 1�un fur I�autre, amp; leurs lances, en fg brifant, form�rent dans les airs une pouffi�renbsp;l�gere; leurs �cus fe choquerent, amp; le choc
L
-ocr page 248-f�t fi rude, que Renaud, avec fa felle� alla tomber derri�re amp; loin de Bayard, amp; quenbsp;Roland abandonna fes �triers amp; chancela long-teinps. Renaud fe rel�ve, faiflt Bayard parnbsp;la crini�re , remonte fans felle, amp; porta 4nbsp;Roland un coup li terrible fur fon haubert,nbsp;que fon cerveau en fut �brani�; Roland fenbsp;lemit, amp;, alors, commen9a un combat quinbsp;effraya les fpe�lateurs. Chaque coup emportoitnbsp;un �clat de leur armure; leurs �p�es tran-�hoient 1�acier, comme la hache du Bucheronnbsp;ie tronc d�un, vieux ch�ne. Naimes, en lesnbsp;regardant, ne put s�etnp�cher de s��crier:nbsp;s, Charles, quel eft ton aveuglement? ta du-� ret� va caufer ia mort des deux plus bravesnbsp;y, Chevaliers qu�il y ait au monde, amp; tu ne
fonges pas qu�ils pourroient faire, un jour, y, Ie fucc�s de tes armes amp; la gloire de tonnbsp;j, empire!
Renaud, voyant que 1�avantage �toit �gal� dit a Roland : � Ayons piti� de nos chevaux,nbsp;� ils vont p�rir, amp; nous n�en trouverions pasnbsp;� de pareils; defcendons, amp;, fi vous Ie jugesi.nbsp;� a propos, nous combattrons a pied,,. Rolandnbsp;y confentit; ils defcendirent amp; coururent 1�unnbsp;fur l�autre avec autant de l�g�ret� que s�ilsnbsp;n�euffent pas effuy� Ia moindre fatigue. Ils fenbsp;portoient les coups les plus redoutables; maisnbsp;leur adrelle d les parer, en rendoii la plupartnbsp;inutiles. Enfin, ils jet�rent leurs �p�es loinnbsp;d'eux , amp; fe prirent corps a corps; mais jamais 1�un ne pouvoit renverfer l�autre. Roland faifoic des., efibxts qui auroienc arracii�
-ocr page 249-les ch�nes les plus robulles; mais la fouplefle de lienaud en lalenti�bit ks fecoufles, amp;�nbsp;loi-fque celui-ci courboit Roland jufqu�d terre,nbsp;fa vigueur. I� remeuoit fur pied ; Tous deux,nbsp;�tonn�s, amp; de leur impulfion, amp; de leur r�-iiftance, fe,f�par�renc un moment pour re-prendre haleine. 'Ils s�ap�r^urent, alors, quenbsp;leurs cafques , .leurs, haub�rts, leurs armure�nbsp;amp; leurs �cus fiacafles, n�av.oient plus rien denbsp;leur premi�re forme. Ils furent.furpris de leursnbsp;propres forces ; la terre, qu�ils avoient foul�enbsp;en combattant-, �toic auffi dure que l�aire o�nbsp;Ton vi�rit de battre la moiflbn.
Charlemagne trembloit pour fonneveo, amp; les fr�res da Renaud fr�mirent pour leur fr�re.nbsp;Le Roi invoqua Ie ciel pour Roland, amp; Ienbsp;pria d� faire ceffer le combat; mals le cielnbsp;avoit infpir� aMaugis le d�lir d'�tre t�moin denbsp;cette aftion memorable. II avoir quitte Mon-tauban, amp;, p'ar fon art, il fe tranfporta furnbsp;�ne hauteur voifine du champ de bataille.
Les deux Chevaliers, apr�s s��tre repofe's �n moment, avoient�d�ja repris leurs �p�es,nbsp;amp; alioient.^recoramencer a fe battre, lorfquenbsp;Maugis jafl�mbla autour d�eux amp; condenfa desnbsp;gt;apeurs, qui form�renc un nuage fombre,nbsp;dont ils furent envelopp�s. Ils ne fe voyoientnbsp;point Pun 1�autre,. � Ou. �tes - vous ? s��-� crioient - ils mutuellement, ou bien, j�ainbsp;1; perdu la vue, difoit Roland, ou bien, lanbsp;�nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;^ � tout a coup, raroen� les t�n�bres.
�J�entends Roland,, s'�crioit Renaud, amp;: je 4l^nele vois poincj,,. Iis agltoient leurs �p��^,
244 nbsp;nbsp;nbsp;quatrefils
amp; ne frappoient qu�un brouillard infenrihle: Ilsalloient, en tatonnant, I�un a la voix.tlenbsp;1�autre; enfin, Roland vencontra la main denbsp;Renaud amp; la faifit, amp; , piar ufi'mouvementnbsp;involontaire, Tl embralla fon rival, amp; lui dit:nbsp;,, Vertueux Ch�valier, fl I� jour' vpus luit,nbsp;� daignez me conduire , c�eR'�nb grSce quenbsp;,, je vous demmde, amp; dont je ferai reconn�if-� fant. O� faut-il aller, d�manda Renaud ? �nbsp;,, Au camp de Charlemagne,'lui dit Roland,nbsp;,, �Vous voyez , reprit Renatid v qu'il anbsp;,, jur� ma perte, amp; que je n�ai d�afyle quenbsp;� Montauban , amp; vous ne voudriez point ynbsp;,, venir. � Pourquoi n�y irois-je pas F'y �u-� rois - je quelque chofe a craindre avec lesnbsp;,, g�n�reux fils d�Ayraotl? �- N'cfn., certaine-,, ment, ils auroient la plus grande joie denbsp;� vous y recevoir. Nous avons coihbattu'avecnbsp;,, un �gal avantage , amp;, idit que Ie ciel n�aitnbsp;�pa's voulu que nous p�riffions, 1�un amp; I'au-�tre, de fatigue, foic qu�il dit decide qu�nbsp;� nous ne fuffions vaincus ni l�un^ni raurre,nbsp;5, il a r�pandu , autour de nous , une nuitnbsp;� protecSrice. Vous n��tes poiiit fnoil prifon-�nier, amp; je ne fuis point Ie v�tre^, amp;, ffnbsp;� vous venez 5 Montauban, ce ferapar ami-� ti�, amp; de votre bon gr�. Mes fr�res amp; moinbsp;� vous y regafderons comme notre parent amp;nbsp;� notre ami, amp; nous vous traiterons commenbsp;� Ie plus loyal des Che/valicrs amp; Ie neveu, du
Le nuage avoit Ia prppri�t� de�hepointdter te vue des Chevaliers ius fpeiftateurs, qui
-ocr page 251-n�entendoienc point ce qu'ils difoient� nnais qui jugeoient, par leurs geftes amp; leurs mou-veniens, que la paix r�gnoit entr�eux, amp;, �nbsp;I�exception de Pinabel amp; de Ganelon , toutnbsp;le monde en reflentoit la plus grande joie.nbsp;Les yeux de Renaud aper9urent les premiersnbsp;la clarte , il le die a Roland, qui lui renou-vela fes' pri�res de le mener a Montauban.nbsp;A peine eut-il t�moign� ce d�fir, que Rolandnbsp;vit la lumi�re ; il crut revivre une fecondenbsp;fois; il apergut fon clieval, M�lancie, amp; lenbsp;monta, tandis que Renaud montoit fur Bayard.
Charlemagne demeura confondu, en voyant fon neveu fuivre Renaud: ,, O ciel! s��cria-i, t-il, Renaud emm�ne Roland; ils prennentnbsp;,, le chemin de Montauban! Ah! fans doute ,nbsp;� il eft fon prifonnier. Seigneurs, laifl'erez-vous ainfi mon neveu au pouvoir de mesnbsp;,�gt;enriemis? Voyez Maugis amp; les fr�res denbsp;� Renaud qui le fuivent; h4tonJ-nous, ebu-}gt; tons le d�livrer.
Les Pairs amp; Charlemagne vol�rent fur les pas des Chevaliers, amp; les fuivifent jufqu�auxnbsp;portes de Montauban ; mais Maugis avoir hS-t�, par fon art, les chevaux de Roland amp;nbsp;des fils d�Aymon. Charlemagne furieux, re-vint dans fon camp, il ordonna qu�on fe tranf-port�t fous les murs de Montauban , pour ennbsp;faire le fi�ge ; il donna POriflamme a Oli-^ � Richard de Normandie la conduitenbsp;du fi�ge. Tout ob�it a eet ordre, on abattitnbsp;les rentes, les bagages furent charg�s, amp; 1�ar-,mee fe mit en mouvement, Richard d� Nor-
246
mandie conduifit dix mille hommes au gu� de Balan9on, pour Ie garder jufqu�a ce que tout�nbsp;l�arm�e f�tpaflee. Le Roi alia lui-m�me mar-quer le camp, amp;, quand l�arm�e fut arriv�snbsp;fous les murs de Montauban, il fit �lever fonnbsp;Pavilion en face de la potte principale.
Les Sentinelles, qui �toient fur les tours, avertirent Maugis que l�arm�e de Charlemagne avoit invefti la place, que le blocus �toicnbsp;form� , amp; que le Pavilion de Charlemagnenbsp;faifoit face � la Ville.,, Soyez tranquilles,nbsp;� leur dit Maugis, dormez, fans rien crain-y, dre : Quand m�me Charles entreroit dansnbsp;,, ces murs, il n�en feroit gu�re plus avanc�.
Lorfque Ia nuit eut ferme tons les yeux, except� ceux des Sentinelles amp; des Gardes dunbsp;camp, Maugis alia prendre Bayard, lemonta,nbsp;fortit de Montauban, amp; r�pandit fur les Sentinelles un charme qui rendoit leur vigilancenbsp;inutile; c��toic une ivrefle qui les faifoit, fansnbsp;cefl� , tournet fur eux - m�mes , amp; toujoursnbsp;fur nn pied : II alia a la rente du Roi, amp;,nbsp;d�s qu�il y parut, tous les Courtifans, lesnbsp;Officiers, fe mirent �galement a pii-ouetter amp;nbsp;� tournet : Le Roi ne comprit riena ce vettige, amp; prit le parti de rire d� routes fes forces ; maisil s�endormit fi profond�ment, quenbsp;Maugis le prit, le mit en travers fur Bayard, lenbsp;condffilit, ainfi, dans Montauban, amp; le couchanbsp;dans fon lit m�me.'IIalia, enfuite, trouvetnbsp;Renaud, amp; lui dit: � Mon coufin, ne fe-yj riez-vous pas bien fatisfait, fi vous pouvieznbsp;n tenir en votre pouvoir le Roi Charlemagne ?
-ocr page 253-d'Aymon. nbsp;nbsp;nbsp;24^
^ �J'en convietis, reprit Renaud; je me ven-ij gerois de lui avec bien du plaifir. � Eh 1 y, qaelle vengeance en tireriez-vous? --- Je lenbsp;j, comblerois d�honneurs , je le traiteroisnbsp;^ comme mon Seigneur amp; mon Roi. � A c�nbsp;j, compte, venez, fuivez - moi �, amp;. Maugisnbsp;conduifit Renaud dans ton Palais , oii il lui fitnbsp;voir le Roi endormi. Alors, Maugis embraflanbsp;Renaud , ceignit une �charpe, pric un bourdon , amp;, pour ne pas oifrir a Charlemagnenbsp;us objet odieux , il fortit de Montauban, fansnbsp;Tien dire a perfonne : Le Portier feul le vitnbsp;fortir. Il alia vers la Dordogne, pafla la riviere , entra dans un bois �pais, amp; marchAnbsp;jufqu�a neuf heures de la nuir, qu�il lencon-tra, fur une hauteur, un hermitage abandonee;nbsp;il s�f repofa jufqu�au jour. Le lendemain, ilnbsp;examina cette retraite : C��toit une grottenbsp;tr�s-bien expof�e, entour�e de quelques arbres,nbsp;moins �pais que dans le refte de la for�t Jnbsp;un petit verger, plant� du c�t� du midi, pro-duifoit des fruits de toutes les faifons; a leursnbsp;pieds �toient des herbes potag�res amp; des ra-cines de to�te efj^�ce ; devant l�ouverture denbsp;Ia grotte, ferm�e par une forte natte, cou-lolc une fontaine d�une eau claire amp; limpide ;nbsp;Maugis entra dans une autre petite grotte,nbsp;�toit a c�t�; c��toit une chapelle ; il fenbsp;profterna , pria 1��tre Supr�me de lui pardon-jss �garemens, amp; fe fentit p�n�tr� d�unenbsp;fi fainte ferveur, qu�il r�folut de faire fa de-meure dans cette folitude, de renoncer aunbsp;monde� amp; de ne vivre que des fruits, des
L iv
-ocr page 254-herbes amp; des racines que la^terre accorderoit au travail de fes mains; il fit, furtout,nbsp;des voeux, pour que Ie ciel mit la paix entte Charlemagne amp; les quatre fils d�Ayinon;nbsp;il r�folut, li cette paix s��tabliflbit, de paf-ler Ie refte de fes jours dans eet hermitage ,nbsp;d�y expier les inaux qn�il avoit cauf�s pournbsp;Tenger la mort du Due de Beuves, fon p�re;nbsp;ear , quoique fa yengeance fut l�gicime, ilnbsp;e�t pu, par un pardon g�n�jreux, �pargnernbsp;tout Ie fang que la guerre avoit fait verfer.
II n�avoit eu, d�abord, d�autre projec, en s��loignant deMontauban, que dene pas irriternbsp;Qiarlemagne par fa pr�fenee, amp; de mettre fesnbsp;coufins en droit de pouvoir r�pondre, au easnbsp;que Charles periift�t a leur demander de Ie luinbsp;livrer , qu'il avoit difparu, amp; qu�ils ignoroientnbsp;en quel lieu de la terre il s��toit retire,nbsp;en effet, ils ne Ie favoient point alors.
-ocr page 255-149
Ay mon.
CHAPITRE XVII.
Confcil des fih d�Aymon far Ie fort de Uur prifonnier. R�veil de Charlemagne; fa fer~nbsp;met�; pri�res de Renaud pour la paix ; at~nbsp;tendrijfement du Rol; Pinabel change fesnbsp;difpoJUions. Extr�me g�n�rofit� de Renaud :nbsp;Libert� de Charlemagne; vaine remontrancenbsp;des Chevaliers. Continuation du blocus; af-faut g�n�ral; les troupes de Charles fontnbsp;r�poujf�es; famine horrible : Le plus grandnbsp;danger qu� Bayard ait couru. Aymon jettcnbsp;des vivres dans la Prille, fa difgrace, fanbsp;retraite de l�armee. Nouvel ajfaut, aujfi inutile que le premier.
V_^hari.emagne dormoit d�un fommeil profond; Maugis feul favoit le moment ounbsp;ie charme devoit finir. Renaud appela les fr�-res, amp; leur demanda ce qu�ils devoient fairenbsp;de Charlemagne, amp; quelle vengeance ils vou-loient prendre de lui ? Alard opina qu�il fal-lolt profiler de cette circonftance pour le forcernbsp;a faire la paix ; Guichard vouloit qu�on lenbsp;letinr dans un endroit �cart� du Palais, qu�onnbsp;en renvoyk tous les Fran9ois amp; que, dansnbsp;i�abfence du Roi, Renaud amp; les Chevaliersnbsp;Franqois m�contens, s�emparaflent d^�ene par-tie de fes Etats : Richard, qui ne pouvoitnbsp;oublier que Charlemagne avoir voulu le fairenbsp;�p�rir d'une mort jgnoroinieufe,, vouloit i�im-
L V
-ocr page 256-250 nbsp;nbsp;nbsp;Zes quatre fils
nioler a fa fureur ; mais Renaud � apr�s avoir r�v� quelque temps, leur dit Mes freres,nbsp;� oubliez - vous que Charles eft notre Sou-,, verain? Quelquhnjuile qu�il foit a notrenbsp;� �gard, ce n�eft pas a nous a punir fes in-^juftlces. Notre d�fenfe eft de droit divin;nbsp;� mais une vengeance telle que celle que vous
propofez, nous rendroit odieux a 1�univers. Ja Quel Chevalier, quelque d�loyal qu�il fdt,nbsp;� voudroit avouer pour fon ami, des alTaffinsnbsp;� teints du fang de leur Souverain, ou lesnbsp;� ufurpateurs de fes Etats ?
Renaud fit appeler Roland, Naimes, Oger, Turpin, amp; tous les Chevaliers du parti denbsp;Charlemagne qui fe trouvoient a Montauban :nbsp;,, Seigneurs, leur dit Renaud, vous �tes tousnbsp;� mes amis; j�efp�re quej�obtiendraibient�tlanbsp;^paix que je d�lire : J�ai, en mon pouvoir,nbsp;^ un prifonnier d�une telle importance, quenbsp;j, Ie Roi ne peut tnanquer de me 1�accordernbsp;� pour fa ran^on.
Tous les Chevaliers �toient dans 1�impa-tience de favoir quel �toit ce prifonnier, amp;, quand Renaud leur eut nomm� Charlemagne,nbsp;ils n�en pouvoient rien croire. Renaud leurnbsp;raconta comment Maugis 1�avoit emport� ,nbsp;tout endormi, fur Bayard. Naimes ne doutanbsp;pas que Ie ciel, par ce miracle, ne s�expli-quat en faveur de la paix. Renaud les condui-fit dans l�appartement de Maugis, o� ils trou-�v�rent Ie Roi dormant encore. Roland, quinbsp;penfoit qu�il n�y avoit que celui qui avoirnbsp;fait Ie charme qui put Ie d�truire, �toit d�a-�*
-ocr page 257-?rs qu�on fft venir Maugis, niais on le cher-cha vainemenc. On fic venir le Portier de la quot;Ville, qui 1�avoit vu forcir; il raconta quanbsp;Maugis �toit parti, les larmes auxyeux; qu'ilnbsp;avoic dit qu�il ne rentreroit plus � Montau-ban, que, pour ne pas mettre un obftaclenbsp;a la paix, il alloit fe retirer dans le fond d�unnbsp;d�fert. Richard amp; fes fr�res pleur�rent am�-rement la perte de leur cotifin. � Helas! di-^ foit Richard, fans lui, j�aurois p�ri d�unanbsp;,, mort infame; c�efb pour nous qu�il s�eft ex-,, pof� au courroux du Roi Richard, dansnbsp;fon d�fefpoir, �toit pr�t � cotnmettre le plusnbsp;affreux des parricides. � O Richard, lui ditnbsp;Naiines, y penfez-vous, de vouloir �ter lanbsp;�vie �d qui ne peut la d�fendre? amp; 4 qui�nbsp;i, encore Richard fut frapp� de ces paroles cointne d�un coup de foudre, amp; rougicnbsp;de fon projet.
Tandis qu�ils parloient, 1�enchantement cef-fa ; Charles jeta les yCuX autour de lui; il crut s��tre �veill� dans fa tente, au milieunbsp;de fes Chevaliers; mais il crut dormir encore, lorfqu�il s'aper^ut qu�il �toit dans le Chateau de Montauban, au pouvoir des fils d�Ay-nion. Loin de faire paroftre la moindre cralrt-, il jura de nouveau qu�il ne confentiroicnbsp;paix que lorfqu�on lui auroit remis Maugis gt; pour en difpofer comme il le jugerolt �nbsp;Fopos.
�jEh! quoi, Sire, s��cria 1�imp�tueux Rl-��Chard, vous�tes notreprifonnier, amp; vous BOOS menacez! Ah! poiir �tre dans ton Cb^
L vj
-ocr page 258-2^2 nbsp;nbsp;nbsp;Les^^uatre fils
,, teau� r�pondit fi�rement Charlemagne, �n � fuis-je moins ton Roi? Et, paree que vousnbsp;� �tes Roi, replique Richard plus fi�remencnbsp;i, encore, vous eft-il permis d�etre injufte �.nbsp;,, notre �gard � ? Mais Renaud impofa filencenbsp;a fon fr�re: � Quelle que foit la volont� dunbsp;,, Roi, dit-il, c�eft a nous de nous foumet-,, tre, amp; d�implorer fa cl�mence : Nous fom-3, mes fes fujets, amp; notre partage eft de Ie fer-� vir quand il nous commande en Roi, amp; denbsp;� nous d�fendre quand il nous traite en en-� nemis.
Renaud, fes fr�res, amp; tous les Chevaliers, tomb�rent aux genoux de Charlemagne : GrS-� ce, Sire, s��cria Renaud, grSce pour mesnbsp;� fr�res, pour Maugis amp; pour moi; nous nousnbsp;� livrons a vous, fauf notre honneur; accor-,, dez-nous la paix, amp; notre fang eft a vous,nbsp;� non pour Ie r�pandre fur un �chafaud, maisnbsp;� dans les combats, amp; � votre fervice. S�ilnbsp;� vous faut une viftime , ordonnez-moi desnbsp;,, entreprifes au deflus des forces humaines,nbsp;�j�y p�rirai, content de mourir au cheminnbsp;,, de 1�honneur; mais, pardonnez a mes fr�-� res, amp; rendez-leur ce qui leur appartienr.nbsp;,, Je confens a tout, r�pondit Charlemagne ,
pourvu qu�on me livre Maugis. Sire, j�ai � dit que nous nous livrerions a vous, faufnbsp;� notre honneur, amp; vous demandez que nousnbsp;� vous abandonnions notre coufin? Non,Sire,nbsp;�jamais je n�y confentirai; 1�amiti� que j�ainbsp;,, pour lui me Ie d�fend encore plus que mon ,nbsp;� honneur m�me : Je dqnnerois ma vie pour
-ocr page 259-� d^Aymon. nbsp;nbsp;nbsp;253
�gt; la fienne, amp; mes fr�res, a eet �gard, pen-*� lent tous comme moi. D�ailleurs, Maugis� �, pr�venaut votre demande, amp; ne voulantnbsp;gt;, point �tre un obftacle a la paix, a pris Ienbsp;gt;, parti de s'�loigner pour ne plus paroitre dansnbsp;it Montauban.
Les Barons certifi�rent que Maugis avoit difparu, amp; ils fe jet�rent encore aux ge-150UX de 1�Empereur; ils demand�rent la gracenbsp;des quatre fils d�Aymon, avec tant de z�lenbsp;amp; de larmes, qu�il commengoit a s�atten-drir; quoiqu�il marqudt encore des doutes furnbsp;Ie d�part de Maugis. Pinabel profita du foup-?on du Roi, amp;, feignant de prendre Ie partinbsp;des fils d�Aymon, qui ne fe m�fioient pointnbsp;de lui, prit la parole : � II eft temps, Si-,, re, que cette guerre, qui �puife vos Etats,nbsp;j, ait un terme. Je fens que votre coeur,nbsp;j, ulc�r�, r�pugne a fe d�terminer, amp; quenbsp;j, Ie pardon des outrages que vous a fait Mau-� gis, eli un facrifice p�nible. Je fuis perfuad�nbsp;�qu�il eft forti de Montauban; cependant,nbsp;� comme vous pourriez croire que c�eft en-,, core uiie rufe, employez ce jour a fairenbsp;�des recherches, amp;, fi, en effet, il a �t�nbsp;� affez g�n�reux pour s�exiler lui-m�me, cettenbsp;� aftion h�ro�que doit vous engager a Ie com-� prendre dans Ie pardon que vous accor-� derez a fes coufins.
Charlemagne adopta eet avis, que les Chevaliers combattirent en vain, amp; qu�ils au-roient bien plus d�fapprouv�, s�ils eufl�nt vu Ie pi�ge qu�il cachoit; mais Pinabel avoit
-ocr page 260-254
Les quatre fils
1�arc de f�duire, amp; quoiqu�il f�t regard� com� me un homme de peu de courage, on ne 1�nbsp;foup5onnoit pas d'�tre fourbe amp; m�chant.nbsp;Quand il fe vit feul avec Charlemagne :nbsp;Eh quoi! Sire, lui dit-il, apr�s routes lesnbsp;� rufes que Maugis a exerc�es contre vous, ilnbsp;ne vous eft done pas poffible de vous ennbsp;��garantir? Pouvez-vous penfer que Maugisnbsp;� ait abandonn� fes coufins, lorfque fon fe-5j cours leur eft plus n�ceflaire que jamais?nbsp;iy Pourquoi, amp; comment vous trouvez-vousnbsp;�� dans Montauban? Y �tes-vous venu denbsp;votre plein gr�; n�eft-ce pas encore Maugis,nbsp;V qui, }iar fon art diabolique, vous y a tranf-�j port�? Souffrirez-vous qu�il fejoue toujoursnbsp;11 impun�ment de vous? Que dis-je? fe jouer?nbsp;11 Souvenez-vous, Sire, qu�il n'y a pas en-11 core huit jours qu�il eut 1�audace de vousnbsp;11 enchainer; que, peu de jours avant, il vousnbsp;�1 prouva que votre vie �toit entre fes mains.nbsp;11 La croyez-vous en furet� ici? amp;, tantquenbsp;gt;1 Maugis vivra, Ie fera-t-elle jamais? Nenbsp;1, doutez point, Sire, que Ie traitre ne foitnbsp;1, dans Montauban; peut-�tre, dans ce mo-1, ment, entend-il tout ce que je vous dis :nbsp;1, N�a-t-il pas 1�art de fe rendre invifible ?nbsp;1, Croyez-vous que les fils d�Aymon fuflent finbsp;1, empreff�s a obtenii^ leur grice, s�ils n�a-1, voientdes projets dangereux? Beaux-fr�resnbsp;1, du Roi d�Aquitaine, foutenus par une valeurnbsp;gt;1 t�m�raire, prot�g�s par les fecrets de Mau-gt;igis, qu'ont-ils befoin de grSce? Ils vousnbsp;gt;, tiennent, pour ainli dire, dans leurs fers,
-ocr page 261-�gt; amp; ils font � vos genouxils peuvent vous � forcer a capituler, amp; ils vous parlent ennbsp;� fupplians. Sire, tant de conrradiAions cou-�vrent quelque myft�re. Si 1'on pouvoitnbsp;j, ajouter foi a des bruits populaires, ces con-5� tradiftions apparentes ne feroient pointnbsp;jgt; inexplicables; mais, une rumeur que je ne
,�puis croire ...... Le Roi voulut favoir
^uels �toient ces bruits; il ordonna d Pinabel de ne lui rien cacher. ,, Sire, reprit Pinabel,nbsp;� il y a quelque temps qu�Oger fit prifoii-� niers deux Archers de Renaud; ils difoient,nbsp;�hautement, dans le camp, que, bient�t,nbsp;j, les choles changeroient de face; que Mau-� gis avoir promis a Renaud de le faire mon-,, ter fur le tr�ne de France; que, d�ja, plu-�, fieurs de vos Pairs amp; de vos Barons fouf-j, froient impatiemment la duret� que vousnbsp;� exerciez a 1��gard de la familie d�Aymon,nbsp;� a laquelle ils appartenoient; que Renaud ,nbsp;�, profitant de ce m�contenteraent, acheveroicnbsp;� de les gagner; que Maugis fe chargeroit dunbsp;� refte. Je n�ajoute aucune foi ^ ce difcours;nbsp;,, mais eet empreflement des fils d�Aymon inbsp;� demander la paix, lorfqu�apr�s tout, ilsnbsp;�peuvent s�en palier, ne fembleroit-il pasnbsp;� indiquer le d�fir de fe mettre k portee denbsp;� f�duire amp; d�intriguet? Ces deux prifonniersnbsp;� difparurent deux jours apr�si
Mais je veux que mon z�le m�aveugle, � amp; que mes conjedtures ne foient que les r�-� yes d�un fujet fidelle, qui craint pour le*nbsp;,, jours de fon Roi : Songez a Pexerfiple que
-ocr page 262-250 quot;Les quatre fils
�gt;vousallez donner a vos Chevaliers, l�amr � bidon excite a la r�volte, amp; 1�impunit� J�au-5� torife. II y a, dans vos Etats, des feuda-5� taires auffi braves, amp; plus puiffars que Re-� naud ; Eh! qui fair li Roland, dont il anbsp;,, gagn� 1�affeftion, qui follicite votre cl�mencenbsp;,gt; pour les fils d�Aymon, encourag� par Ie par-�, don qu�on vous arrache , n�elTayera pas,nbsp;�, dans un moment de d�pit; car, vous fa-�,vez, Sire, combien il eft bouillant amp; em-,�port�, de fe foulever contre vous, amp; d�ob-� tenir, par la force, ce que vous refuferez anbsp;fes importunit�s? Renaud ell, dit-on, franc,nbsp;j, linc�re amp; g�n�reux, amp; vous m�avez fouvencnbsp;j, dit que vous ne pouviez lui refufer votrenbsp;3) eftime. II vous a f�duit par je ne fais quellesnbsp;vertus. Eh bien! fi, par un exces de bont�,nbsp;gt;, vous voulez faire gr�ce aux fils d�Aymon,nbsp;3) gardez-vous, du moins, d�y confentir avancnbsp;33 de vous �tre aflur� de Maugis.
Le lendemain, Charlemagne raflembla les Pairs amp; les fils d�Aymon. II leur dit qu�il �toitnbsp;r�folu de faire grSce a Renaud amp; a fes fr�res,nbsp;puifqu�il 1�avoit promis; mais qu�il ne pouvoitnbsp;violer le ferment qu�il avoir fait, de mettrenbsp;Maugis hors d'�tat de lui nuire, d 1�avenir, qu�ilsnbsp;n�avoient qu�a le remettre entre fes mains; amp;nbsp;qu�a cette condition, ils pourroient compternbsp;fur fon amiti�. Alors, Renaud prit la parole:nbsp;3, Sire, dit-il, puifqu�il n�y a aucun moyen denbsp;� fl�chir votre col�re , que j�ai fait tout cenbsp;� qu�un fujet fidelle, amp; un bon Chevalier,nbsp;�pouvoit faire, que je me fuis abaifle a la
-ocr page 263-'d�Aymon. nbsp;nbsp;nbsp;25?
plus humble pri�re, Sire, vous �tes Ie maitre de forrir, quand vous voudrez, de cette Vil-le; les porces vous font ouvertes, ne craigneznbsp;5) rien des quatre infortun�s que votre duret�nbsp;��) r�duit au d�fefpoir ; 'ils aimeroient mieuxnbsp;p�rir, que de faire aucun outrage i leur Sou-�gt; verain. Vous les forcez de penfer que, s�ilsnbsp;� �toient en votre pouvoir, comme vous �tesnbsp;�� au leur, vous leur feriez �prouver votre ref-fentiment; Cette affligeante id�� n�efl; pasnbsp;� une raifon pour eux, de manquer au refpe�lnbsp;� qu�ils vous doivent. Si nous vous refufonsnbsp;,, de vous livrer Maugis, ce n�eft point parnbsp;y, d�fob�iflance, c�eft paree que nous ferions unenbsp;�, aftion ISche amp; malhonn�te.
Alors, Renaud appela un de fes Ecuyers, amp; lui ordonna de faire feller Bayard pour recon-duire le Roi. Renaud 1�accotnpagna jufqu�auxnbsp;portes de Montauban, amp;, en le quittant, il mitnbsp;encore un genou a terre. Charlemagne ne putnbsp;s�emp�cher d�admirer tant de vertu; il, ditnbsp;lu�me a Renaud qu�il le plaignoit d�avoir une linbsp;grande tendrefl'e pour fon coulin. Renaud s�ennbsp;tetourna , amp; Richard lui dit: � Ah! monnbsp;j, fr�re, je crains bien que vous ne vous repen-j, tiez de tant de g�n�rofit�. Mon fr�re, r�-gt;� pondit Renaud, je ne puis jamais me re-�gt; pentir d'avoir fait mon devoir.
_ L�arm�e, qui �toit dans la douleur de 1�ab-jence de Charlemagne, fe partagea entre la joie P ^ lurprife , en le voyantrevenir, mont� furnbsp;Bayard; il n�y eut perfonne qui ne cr�t que lanbsp;paix etoit faite entre les fils d�Aymon amp; le Roi j
-ocr page 264-ssS
Les quatre fils
mais o� fut dans 1�adrairation de la courtoifie deRenaud, quandon apprit que Charlemagnenbsp;avoir refuf� de leurfairegramp;ceiOnne favoitpasnbsp;que, fans Pinabel, elle alloit �tre accord�e.
On demanda des nouvelles ile Roland, de Naimes, d�Oger; �Ilsont abandonn� Ie Roi,nbsp;,, r�pondoit Pinabel, pour fuivre Ie parti denbsp;� Renaud On ne doutoit pas, dumoins, quenbsp;Renaud ne les retint pour otages de la paix;nbsp;mais quelle fut la furprife de 1�arm�e, lorf-que, Charles ayant renvoy� Bayard, on vitnbsp;arriver les Chevaliers, a qui Renaud avoir permis de s�en retournetr pour ne pas les expo-fer i la col�re du Roi.
Tant de grandeur d�ame eAt dd R^chir Charlies; mais il �roic livr� a de ISches Courtifans, ennemis des fils d�Aymon, amp; qui, pour fatis-faire leur vengeance, compromettoient la gloirenbsp;de leur maJtre. Cependant, il ne put s�em-p�cher de dire a Pinabel, que des proc�d�s 11nbsp;g�n�feux de la part de Renaud, �toient bieanbsp;�ppof�s aux projets dont il lui avoir parl�.nbsp;�Sire, r�pondit Pinabel, Renaud connoitnbsp;� mieux que vousl'art de tromperamp;def�duire.nbsp;� Si, dans ce moment, 11 paroifloit dans votrenbsp;,, camp, il n�y a, peut-�tre, pas un chevaliernbsp;� qui ne f�t pr�t a Ie d�fendre. C�eft par cesnbsp;� dehors impofans qu�on gagne les coeurs.
A peine les Barons amp; les Pairs furent-ils Tentr�s, que Charles ordonna un aflaut g�n�-lal. II vouloit, en m�me temps, furpren-dre Renaud, amp; juger du fonds qu�il pouvoitnbsp;ftire fur les conjedures de Pinabel, par 1^
-ocr page 265-conduite des Chevaliers. Cependant, Naimes neceflbit de lui vanter la grande ame de Renaud�nbsp;la foutniflion amp; fa confiance �, il lui repr�-lentoit les fils d�Aytnon comine les plus vail-lans Chevaliers du monde; il pr�voyoit quenbsp;la conqu�te de Montauhan cauferoit des pertesnbsp;dont on pourroit fe fouvenir long-temps; ilnbsp;lui r�p�toit que la guerre n�avoit cauf�quetropnbsp;de maux; que les campagnes �toient d�vaft�es;nbsp;lt;iu�il en co�toit, d�ja, a l�Etat des fomraesim-�lienfes, qui auroient pu �tre employ�es a chafletnbsp;lesSarrafins, qui faifoient des incurfions jufquenbsp;dans l�iiit�rieur de la France. � Ils jouiflent tran-j� quillement, difoir-il, du fruit de nos querelle*nbsp;inteftines; ils fe f�licitent de voir leurs enne-� mis fe faire plus de mal eux-m�mes, qu�ilsnbsp;u n�en auroient re9u de leurs v�ritables �nne-gt;� mis. Les Sarrafins n�ont plus a regretter denbsp;� n�avoir pas de vaillans Chevaliers i oppofernbsp;*gt; aux n�tres, amp; qu�ont-ils a d�lirer, puifquenbsp;�) nos Chevaliers fe d�truifent eux-m�mes?
. Ainfi parloitNalraes, mais Charles, pr�venu , jctant fur lui un regard de fureur ; � Naimes ,nbsp;dit-il, craignez ma vengeance pour vous-m�-� me, amp; non pour mes ennemis, dont les int�-gt;� r�ts vous font tropchers. Un z�lefi importunnbsp;commence a me devenir fufpeft; il femblenbsp;tenir moins du protefteur que du complice.nbsp;� r�folu de ne point pardonner aux filsnbsp;�� d Aymon, a moinsqu'ils ne melivrent Mau-�gt; gis, OU qu�ilsnem�apportent fa t�te; amp; jere-,, garderai comme mon ennemi quiconque mCnbsp;gt;, parlera en leur faveur.
-ocr page 266-Malgr� Ia 'terreur que ce difcour-s � caufa aux Barons, Oger ne put s�emp�cher de dire ;
Certes, l'in�branlable fermei� du Roi doit yf bien encourager fes Chevaliers a la bienfai-� fance amp; a la g�n�rofic�. Si Renaud n�eucnbsp;�point �t� g�n�reux, on fe fdc born� a Ienbsp;� blamer , amp;, paree qu�il 1�a �t�, nous allonsnbsp;� Ie combattre, d�truire fa retraite , amp;, peut-� �tre, Ie Hvrera un ennemi qu�il a combl�nbsp;� d�honneur amp; de refpefts. Allons, Cheva-� liers reconnoiflans, profitons de la libert�nbsp;� que Renaud nous a rendue , pour mettre fanbsp;� ville a feu amp; a fang , amp; pour �gorger fanbsp;� familie ; Ie Roi 1'ordonne; il faut �tre in-� grats OU rebelles: Bartons En effet, ils s�ap-prochent, auffi-t�t, des mars, trainent apr�snbsp;eux les �chelles, les catapultes amp; les bellers,nbsp;Renaud les voit du haut des murs, il faitnbsp;fonner Ie cor, pour avercir fes troupes. Aunbsp;premier fignal, les remparts furent couverts de foldats; ils attendirent les Frangois',nbsp;qui s��lanc�rent dans les fofl�s, amp; plant�rentnbsp;leurs �chelles fans obftacle; ma�s, d�s que lesnbsp;affi�g�s les virent pr�ts k irionter, ils firentnbsp;tomber fur eux une pluie d�huile bouillantenbsp;amp; de poix fondue, qui s�attachoit a leur ar-mure amp; a leurs habits, amp; qui les br�loit juf-qu�aux os. Ils rouloient d��normes rochers,nbsp;qui �crafoient les �chelles- Les fils d�Aymonnbsp;dirigeoient fi bien leurs coups, que rien nenbsp;-tenoit fous les remparts. II n�y avoitpas unenbsp;heure que l�alTaut avoit commenc�, amp; Ie Roi,nbsp;craignant de perdre les troupes qu�il y avoir
-ocr page 267-envoy�es, fit fonner la retraite ; II fe borna a tenir la Ville bloqu�e, juranc qu�il ne le-�veroit le fi�ge que lorlqu�il auroic affam� amp;nbsp;le Chateau , ou que les affi�g�s fe ren^nbsp;^roienta liifcr�cion. II pofta un corps de deuxnbsp;Cents Cavaliers a chaque porte, afin que per-Ponne ne fortit; Renaud fut confterne de cenbsp;P�'�jet, paree que les vivres commengoient anbsp;hianquer. Alors, Richard lui reprocha de n�a-.'�cir pas gard� le Roi; inais, malgr� le dangernbsp;fiui les mena^oit, Renaud ne put fe repentirnbsp;de fa g�n�rofit�,
�Cependanc, la faim commen^oit a fe faire fentir; elle augraenra tous les jours, amp; fesnbsp;progr�s devinrent terribles. D�abord, on in�-^agea le pain amp; l�s alimens ordinaires; malgr�nbsp;^tte �conomie, ils raahqu�rent tout a fait.nbsp;On eiit recours a routes les reflburces que lanbsp;n�celfit� cruelie fait iniaginer. On mangea lesnbsp;^niinaux de route efp�ce, les anfedles les plusnbsp;l^cvoltans parurent d�licieux : On d�trempanbsp;�cs cuirs amp; on les mela avec des herbes; onnbsp;d�pouilla les arbres amp; les ronces; on arrachanbsp;^es racines les plus fauvages; les habitans n��-toient plus que des fquelettes d�figur�s, fansnbsp;courage amp; fans vigueur; ils n�avoient de forcenbsp;que pour s�arracher, les uns les autres, quel-ques alimens empeft�s; la more les moiflbn-noit par centaines, amp; plufieurs expiroienr ennbsp;devdfanr les cadavres de I'eurs p�res amp; de leursnbsp;amis. Les chevadx avoiefit �t� la' pature denbsp;leurs rfiaitres'-, if ne I'eftoit'que ceux des quatrenbsp;lt;il� d*AyinoH. Ay milieu de la �laiait�-fu^
-ocr page 268-blique, quelques-uus, mourant de faim, de-raandoienc a fe rendre. � Citoyens, leur die ,, Renaud, je fuis pret a fauver votre vie auxnbsp;� , d�pens de la mienne; mais fongez que, finbsp;,, nous nous rendons, Ie Rol ne me fera pointnbsp;� p�rir feul; que ma femme, mes enfans, amp;nbsp;,, mes fr�res, feront les viftimes des plus cru,elsnbsp;j, fupplices. Nous aliens nous livrer, fi vousnbsp;,, 1�exigezAlors, ils s'�cri�rent tous, au-tant que leurs voix foibles amp; lugubres purencnbsp;fe faire entendre : �Mourons, mourpns tousnbsp;,, avec les fils d�Aymon , plut�c que de foufi�irnbsp;,, qu�ils fe rendent!
Le Due d�Aymon fut indign�. de la du-ret� de Charlemagne; il combattoit contre fes quatre lils, amp; il �toit reft� fidelle a fonnbsp;Souverain, contre fop propte fang. II alia fup-,nbsp;plier Charles d�avoir piti� de fes malheureuxnbsp;enfans; il lui repr�fenta que, quoiqu�il lesnbsp;edt bannis de la maifon paternelle, 11 nenbsp;pouvoic fe d�fandre de les aimer; mais Charles n�eucaucun �gard a fes pri�res, amp;, commenbsp;il vit que les Pairs, �tonn�s, fe regardoient,nbsp;il ordonna qu�on fit des Machines pour abat-tre la grande , tour. C��coient des catapultesnbsp;qui lan^oient des pierres �normes; il en donnanbsp;fept d commander ,a Roland, fix a Olivier,nbsp;quatre a Naimes, quatre a 1�Archev�que Turpin, amp; autant a Oger, amp;, enfin, il eut lanbsp;ctugut� d�en donner trois au Due Aymon; lenbsp;foible Due n�ofa les refufer; il murmura fe-�rettement, amp; n?en ob�it pas; tnoin,s.
� catapujtes furi�oc ^reftees^ amp; jet�rent.
-ocr page 269-uuit amp; jour, de groffes pierres, qui ravage-rent la Ville amp; �craf�rent qiiantit� d�habi-tans : Us fouf�roient ces maux plus patiem-nient que la famine. Renaud, outre fes propres niaux, avoir a fupporter ceux de fa familie,nbsp;de fes troupes, amp; des habitans de Montau-tan; il verfoit des larmes am�res. Yolandonbsp;affeftoit une tranquillit� qu�elle n�eprouvoitnbsp;pas; elle ellayoit de le confoler; elle lui con-feiiloit de faire ruer deux , des chevaux quinbsp;reftoient pour fuftanter fes fr�res amp; fes en-fans, amp; elle tomboit aux pieds de Renaudnbsp;expirante de befoin ; 11 propofa cet expedientnbsp;a fes fr�res; mais Richard ne voulut pas li-Vrer le lien; il brufqua m�me Renaud; lanbsp;faim cruelle ne connoit ni 1�amour, ni 1�ami-ti�.,, Faites tuer Bayard, loi dit-il, li vousnbsp;� le jugez a propos; c�ell vous qui �tes caufenbsp;5) de nos peines, puifque c�eft vous qui, parnbsp;�i orgueil, plut�t que par g�n�rofit�, avest ac-5, cord� la libert� a Charles � Le jeune Ay-^on, qui 1'entendit, dit a fon oncle qu�il nenbsp;falloit pas ainfi revenir fur le palie, amp; qu�ilnbsp;�toit honteux de reprocher a quelqu�un deuxnbsp;fois la m�me chofe; qu�il n�etoit pas queftionnbsp;de ce qui �toit fait, mais de ce qu�il falloicnbsp;faire. La r�flexion de cet enfant attendrit, amp;nbsp;fic rougir Richard, qui en 1�embraflant, dienbsp;a fon fr�re de faire tuer fon cheval : Alardnbsp;confentit auffi que le fien fut tu�; mais. il voulut qu�on �pargn^t Bayard, a qui tous avoientnbsp;de fi grandes obligations.
Ces raflburces furent bientdt �puif�es. Ri*
-ocr page 270-fi64 nbsp;nbsp;nbsp;Zes quntre fils
chard �toit d�avis de demander a capituler. � Ah! plut�t, mon cher Richard, s��cria Re-�naud, manger Bayard, amp; mes enfans, quenbsp;� de rne rendre �. un Roi barbare qui nou9nbsp;� feroir p�rir du fupplice des inf�mes! Ne d�-� fefp�rons point du ciel, dans les circonftan-ces malheureufes oii nous nous trouvons :nbsp;5, �n jour a fouvent produic de grands chan-,, gemens Alard avoir d�fendu, jufqu�alors,nbsp;ia vie de Bayard; mais il ne vit pas d�au-tre moyen, pour vivre encore un ou deuxnbsp;jours. Renaud �toit conftern�, fa femme, fesnbsp;fr�res amp; fes enfans, mourans amp; ext�nu�s, Ienbsp;preflbient fi vivement, qu�il �toit pr�c d�ynbsp;confentir; fes enfans s�arrachoient, en pleurant,nbsp;des bras de leur m�re d�faillante; Alard em-braflbit Ie jeune Aymon, qui refpiroit a peine.nbsp;Richard colloit fa bouche fur Yon, amp; cher-choit a Ie ranimer de fon haleine brulante :nbsp;Si Renaud d�tournoit fes regards de ce fpec-tacle d�chiranr, ils tomboient fur des objetsnbsp;plus effroyables encore. On avoit creuf�, dansnbsp;divers lieux de la Ville, des folies profondes,nbsp;o� 1�on jetoit ceux dont la faim avoit termin�nbsp;les jours; la, des malheureux, fans force,nbsp;expiroient fous Ie poids des cadavres qu�ilsnbsp;portoient, amp; rendoient, a c�c� d�eux, leurnbsp;dernier foupir; ici, des creatures humainesnbsp;d�terroient amp; difputoient aux vers, des chairsnbsp;infe�les amp; livides, on les faifoit cuire, onnbsp;les pr�paroir comrae les chairs des animaux,nbsp;amp; ces abominables alimens ne fervoient qu�anbsp;�Bettre dans Ie fang de ceux qui s�en nour-
jiflbient�
-ocr page 271-d*Aymon. nbsp;nbsp;nbsp;265
riffoient, tin nouveau ferment qui renJoit leur fi�vre plus d�vorame.
Dans cette affreufe extr�mit�, Renaud pro-Oiit a fes fr�res que la nuit fuivante ne fe PalTeroit point, fans qu�il leur ptocur^t desnbsp;fecours : En effet, d�s qu'elle fut venue,
^1 forcit, fecrectement, de la Ville, amp; alia au Pavilion de fon p�re, qu�il avoir reconnu dunbsp;hauc de la tour : II rencontra le Due Aymon,nbsp;^lui fe promenoit, trifte, r�veur, amp; cherchancnbsp;i favoir ce qui fe paflbit dans Montauban.nbsp;Son fils lui demanda qui il �coit, amp;ce qu�Unbsp;faifoit, feul, � cette heure ? Aymom le re-connut; mais il diffimula : � Et toi, lui dit-il,
� que viens-tu chercher dans le camp ? Ah! j, mon p�re 1 s��cria Renaud , j�embrafle vosnbsp;y, genoux; ayez piti� de vos enfans, qui meu-�, rent de faim, qui ont �puif� routes leursnbsp;y reflburces : Ayez piti� de mon �poufe amp;nbsp;wd�une familie nombreufe, qui va difparoi-� tre : Dans ce moment, peut-�tre, mes en-ygt; fans expirent; je me rendrois pour les fau-�ver, fi je croyois que le Roi fe contentdcnbsp;�? d�une feule vi�time, ou qu�il ne fit pas re-5gt; jaillir fur eux 1�infamie du fupplice qu�il menbsp;�gt; deftine. Depuis trois jours, ni moi, ni manbsp;��femme, ni mes fr�res, ni mes enfans, n�a-��vons pris aucune efp�ce de fubfiftance, amp;nbsp;�gt; nous p�riffons. Il faut que nous mourrions,nbsp;�nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;nous nousv rendions ^difcr�tion. Se-
*� ^^^^'Vous afiez cruel pour nous voir mou-5, nr. ou pourriez-vous fouffrir, qu�en nous J� uvrant au Roi, nous coutuffions au devanc
M '
-ocr page 272-amp;66
Zes quatre fils
� des fupplices,,? Le Due d�Aymon ne put t�fifter plus long-temps : Un torrent de lar-mes s��chappa de fes yeux; il emhrafla Re-naud, le fit entrer dans fon Pavilion, amp; luinbsp;dit d�y prendre tous les vivres qu�il y trou-veroit, ne voulant pas les lui donner lui-m�-me, pour ne pas violer le ferment qu�il avoicnbsp;fait au Roi. Renaud preffa les genoux de fonnbsp;p�re, prit tout ce qu�il trouva amp; en chargeanbsp;Bayard, qui portoit autant quedeux chevauxnbsp;auroiem pu faire. Le lendemain,le Due Aymonnbsp;fit raflerabler, dans le camp, des viandes amp; dunbsp;pain, amp; les lanpa, au lieu de pierres, par lenbsp;moyen des catapultes dont il avoit le comman-dement. Renaudaflemblafa familie, amp; leur ex-pliqua parquel moyen cefecoursleur�toit venu.
Charlemagne fut bientdt inform� , par Pinabel , de la raani�re dont le Due Aymon avoit fait palier des vivres a fes enfans. II luinbsp;en fit un crime, amp; le menaga de le punirnbsp;comme traicre. � Sire, lui dit Aymon, je n�ainbsp;,, que trop long-temps �touff� les cris de la na-� ture,amp;c�eftle feul crimequejeme reproche.nbsp;�J�ai banni mes enfans de la maifon pater-� nelle, paree que vous vous �tes declare leutnbsp;5, ennemi; mais, Sire, ni la crainte de vousnbsp;,, d�plaire, ni mon ob�ifl'ance aveugle, ninbsp;� 1�envie de m�riter les bonnes graces de monnbsp;� Roi, n�ont pulesbannirdemoncceurjjeg�-� mi? de leurs maux, amp; je les foulagerai tant quenbsp;� je pourrai, ddt votrecol�te�puifer mon fangnbsp;dans l�horreur des fupplices. Le plus cruelnbsp;jgt; de tous eft au fond de mon coeur, c�eft la
-ocr page 273-ii honte amp; Ie lemords d�avoir �t� fi long-temps 5j injufte amp; cruel envers des enfans gt; qui, mal-gt;5 gr� ma conduite, ont toujours eu pour moinbsp;�gt;le m�me amour amp; Ie m�me refpect. Vousnbsp;�gt; voulez les faire p�rir, amp; vous exigez, Sire,nbsp;�) qu'un p�re eiifonce Ie poignard dans leurnbsp;�) fein! Quand ils auroient m�rit� Ie fort quanbsp;gt;� vous leur dellinez, un p�re qui fe rendroitnbsp;5gt; complice de leur honte, feroit juftemencnbsp;�gt; regard� comrne un monftre. Eh! de quel ceilnbsp;gt;, voudriez-vous qu�on me vit, moi, quinbsp;a, aurois �t� Ie complice de la mort de quatrenbsp;agt; enfans, les plus braves, les plus vertueuxnbsp;�gt; Chevaliers qu�il y ait au monde? Ah! Sire�nbsp;agt; ne 1�efp�rez jamais.
Le Due Naimes, qui voyoit Ie courroux Roi s�enflammer, interrompit le Due Ay-hion: � C�eft trop long-temps, Sire, dit-il,nbsp;�gt; avoir retenu Aymon aupr�s de vous. Lenbsp;facrifice qu�il vous fit, en fe f�parant de fesnbsp;enfans, auroic fuffi au Souverain le plusnbsp;� abfolu. Un defpote penfe qu�il peut difpo-fer de la fortune amp; de la vie de fes Sujets;nbsp;a� mais il y en a peu, qui exigent qu�a leurnbsp;saordre fupr�me, on iminole les droits de lanbsp;5gt; nature. Renvoyez le Due Aymon, amp; trai-V tez-ie plut�t comrne fes enfans, que de vou-�loir qu�il en foit le bourreau.
Le Roi fuivit le confeil de Naimes, amp;, en le retirant, ce p�re infortun� demanda pardon aux Barons amp; aux Pairs, de la foibleflanbsp;qu il avoir montr�e jufqu�a ce jour, amp; leurnbsp;�commanda fes enfans.
a68
Lts quatre fils
Cependant, Charlemagne, qui craignit, qu�i l�exemple d�Aymon, on ne fe fervit de lanbsp;catapulte pour fournir des vivres aux affi�g�s,nbsp;ordonna de les d�truire, amp;, bient�t, la faimnbsp;fe fit fentir dans Montauban avec la m�raenbsp;fureur. La familie d�Aymon fe trouva r�duitenbsp;aux m�mes extr�mic�s, amp; la mort de Bayardnbsp;fut encore demand�e. Renaud s�y �toit determine ; mais, au moment d�ex�cuter fon projec�nbsp;Charlemagne, impatient que les affi�g�s nenbsp;for^aflent point les fils d�Aymon a fe rendre,nbsp;crut qu�en donnant un aflaut a la Ville, ilnbsp;5�en rendroit aif�ment Ie ma�tre. II fit porternbsp;au pied des murs, des echelles, des tours rou-lantes, amp; fit marcher 1��lite de l'arm�e; mais,nbsp;comme fi Ie d�fefpoir, qu, plut�t, 1�efp�rancenbsp;de trouver fur les remparts une mort qui ter-tninSltleursfouifrances enlescouvrant de gloi-le, eamp;t ranims leurs forces, les Gafcons firentnbsp;pleuvoir furies affi�geans, une fi grande quan-tit� de pierresamp;de feuxj qu�ils les contrai-gniient de ie reticer.
-ocr page 275-269
s�
d'Aytnon. =22i^BaP^
C H A P I T R E XVIII.
fils d'Aymon abandonncnt Montauban ^ ils en fomnt, fecrettement, avec les habi-tans. Ils fe retirent d Dordogne. Secoursnbsp;^u�ils trouvent dans leur route. Etat o� Charlemagne trouve Montauban. II veut ajji�gernbsp;Dordogne : Renaud Ie pr�vient, Bataillenbsp;fanglante. Le Due Richard de Normandienbsp;prifonnier de Renaud; fage confeil de Roland ;fermet� du Due. Mort du ^oi d�A-quitaine.
moment oii Renaud n�avoit plus de Teflburces pour fauver fes enfans, fa femme �nbsp;fes fr�res amp; Bayard; au moment o� ils avoientnbsp;Ptojet� de s�enfermer dans la citadelle, amp; d�ynbsp;niettre le feu, en laiflant auxhabitans la li�nbsp;tert� de fe rendre, un vieillard fe pr�fentenbsp;a Renaud , amp; lui dit: � Monfeigneur, je voisnbsp;,, qu'il eft impoffible de fauver cette malheu-9,reufe Ville ; Tant quej�ai vu la plus petitenbsp;gt;,lueur d'efp�rance, j'ai gard� mon fecret;nbsp;�mais le moment eft venu d�abandonnetnbsp;sj Montauban.... Refpedabl� vieillard , luinbsp;w Renaud, que v�nez-vous me propofer?nbsp;� �g�'n�reux habitans ont raieuxnbsp;9, aim� fouffrij 'les horreurs de la faim, amp; un�;nbsp;gt;� crueUe, que de fe rendre, amp; vousnbsp;�gt;vo�drie3.,�,Noa, Monfeigneur, reprit le
M iy
-ocr page 276-}, vieillard, il ne faut pas fe livrer 4 Charle-magne....Ahljet'entends ,ehbien! charge-toi de 1�ex�cution : Va , ordonne, donne des torches k tout ce qui refte d�habitans,nbsp;}�fais porter de la paille dans routes les mai-gt;, fons, amp; que chacune ferve de bucher a fanbsp;a, familie. N'eft - ce pas la le confeil que tunbsp;ja viens me donner? II eft cruel; mais il eftnbsp;j, d�un citoyen g�n�reux, amp; je t�en remercie.nbsp;9, Sans doute, reprit le Vieillard , }e pr�f�-,, rerois ce parti a celui de me rendre; maisnbsp;�je viens vous en offrir un plus doux. Nousnbsp;� pouvons fortir de Montauban, fans que lenbsp;9, Roi puifle 1�emp�cher. Votre ChSteau eftnbsp;,, conftruit fur les mines d�une ancienne ci-� tadelle, dontle Seigneur fut unhomme tr�s*nbsp;9, habile dans routes les rufes de guerre; aunbsp;� deflbns d�une des tourelles du rempart, un ca-
� veau communique a un fouterrain, qui con* � duitjufqu�au bois de la Serpente; mais 1�ou-
,, verture du caveau eft fi artiftement ferm�e , � que perfonne ne la connoit amp; ne peut m�menbsp;� la foupgonner; ce font les m�mes briquesnbsp;9, amp; la m�me terre du rempart, amp;, fi je nenbsp;9, favois, par moi-m�me, 1�endroit qu�il faucnbsp;� creufer, quand m�me je ferois pr�venu qu�ilnbsp;� y a une ouverture, je la chercherois en vain.
Le vieillard, qui avoit amene des ouvriers, y conduifit Renaud, amp; lui montra les briquesnbsp;amp; la terre qui raafquoient I�ouverture; quandnbsp;la terre fut �t�e, on trouva le caveau, amp;, en-fuite, le fouterrain. Renaud aflcmbla tous lesnbsp;habitans, leur donna de$ torches amp; du feu;
-ocr page 277-il fit prendre aux plus robuftes ce qu�il y avoit de plus pr�cieux dans Montauban, amp; les con-duifit a la caverne; les torches les �clair�rent.nbsp;Alard amp; Guichard marchoient a la t�te. Richardnbsp;amp; Renaud fermoient la marche. Ils avoiencnbsp;d�ji fait une partie du chemin, lorfque Renaudnbsp;ft reflbuvint qu�ils avoient laifle Ie Roi Yon ,nbsp;^ui �toit malade. � Continuez votre marche ,nbsp;j, dit-il, i Richard, je vais chercher Ie Roi d�A-9gt; quitaine: II mourroit de faim, ou tomberoit ynbsp;j, peut-�tre, entre les mains de Charlemagne ,nbsp;9, amp; je ne veux point avoir fa mort a me repro-� cher. Ah! mon fr�re, r�pondit Richard, Ienbsp;�, traJtre n'a que trop v�cu; Ne nous caufe-t-ilnbsp;), pas aflez de maux ? Mon fr�re, reprit Renaud ,nbsp;9, il eft coupable amp; malheureux; amp; 1��tat d�-9, plorable o� nous fommes ne doit-il pas feulnbsp;gt;j nous infpirer de la piti� pour ceux qui fouf-Jjfrent? A quoi ferviroient les revers, s�ilsnbsp;9, ne nous rendoient pas meilleurs,,? En di-fant ces mots, il partit pour aller cherchernbsp;ft Roi, amp; recommanda a Richard de veillernbsp;fur la troupe. II ne rarda pas a ramener Yon,nbsp;qu�il avoit fait monter en croupe fur Ba5/ard.
Au point du jour, ils trouv�rent 1�iflue de la caverne, amp; Ie vieillard leur fit reconnoitrenbsp;l�endroit du bois de la Serpente o� ils �toienc.nbsp;Renaud fe reflbuvint qu�il n��toit pas �loign�nbsp;de 1�herinitage d�Ars�ne, vieux folitaire, au-Y^fois Chevalier, qu�il avoit vu chez Ie Duenbsp;Aymon, fon p�re; il avoit quitt� Ie mondenbsp;amp;la Cour, � 1�occafionde quelqu�injuftice qu�ilnbsp;^voit efliiy�c. Renaud demanda a fes ft�res
Les quatre fils
s�ils ne jugeoient pas a propos d�aller Ie voir� en attendant la nuit, pour ne pas entrer denbsp;jour a Dordogne. Ils y confentirent; mais ilsnbsp;furent arr�t�s par un fpeftacle qui leur arrachanbsp;des larmes. Leur troupe, en voyant de 1�herbenbsp;fraiche, ne put s�emp�cher- de la brouter, amp;nbsp;de s��carter dans Ie bols. Renaud eut bien denbsp;]a peine a les raflembler; il repr�fenta a cesnbsp;Infortun�s combien il �toit dangereux de fenbsp;f�parer, amp; les aliura que, bient'Qt, ils auroientnbsp;de quoi manger.
Lorfque Ie bon hermite reconnut Renaud, 51 courut l�embraffer; malgr� la maigreur d'Yo-lande, Ars�ne fut frapp� de fa beaut�; il leurnbsp;�t, a tous, 1�accueil Ie plus gracieux. Renaudnbsp;lui raconta, en peu de mots, 1�exc�s de leurnbsp;mis�re : Ars�ne efit bien voulu appaifer lanbsp;faim de toute la troupe; mais fes provilionsnbsp;n��toient pas fuffifantes. II dit aux uns, d�allernbsp;cueillir les berbes qu'il leur indiqua; auxau-tres, d�arracher des racines; il prit tout cenbsp;qu�il y avoit de legumes dans fon jardin : Ilnbsp;Vit des Bergers, fur une hauteur, qui condui-foient des moutons; il envoya Richard ennbsp;acheter dix. Tandis que les uns les tuoient amp;nbsp;les �corchoient, l�s autres faifoient des bro*nbsp;ches avec des batons de faules amp; de noifettes;nbsp;d�autreS formoient des trous dans la terre amp;nbsp;y allumoient du feu; Ars�nenettoya les herbesnbsp;amp; les racines, amp; les fit cuire, comme il put,nbsp;dans les cafques des Cavaliers; car, pour toutenbsp;batterie de cuifine, il n�avoit qu�une petitenbsp;�narmite de fer. Quand tout fut pr�t, Ie bon
-ocr page 279-hermite leur d�fendit de fe fervir eux-m�mes. La faim que vous avez foulFerte, leur dit-il, vous feroit manger avec trop d�avidit�,nbsp;j) amp; trop d�alimens furchargeroic vos eftomacsnbsp;9, affoiblis �; il commenga par leur faire prendre des alimens liquides amp; humeftans; il leurnbsp;diftribuales viandes en petite quantit�; illesnbsp;conduifit fi bien, que perfonne ne fut incom-tnod�.
Les fils d�Aymon, Yolande amp; fes fils, amp; Ie Roi d�Aquitaine, apr�s avoir fuivi la troupe, pafl�rent Ie refte de la journ�e avec 1'Her-mite, lui racontant leurs aventures amp; les mauxnbsp;qu�ils avoient foufferts pendant Ie blocus denbsp;Montauban, amp; donnant des larmes am�res �nbsp;ceux que la faim avoit enlev�s; quand la nuicnbsp;fut venue, ils prirent cong� d�Ars�ne, amp; fenbsp;remirent en marche : Renaud avoit eu la pr�-caution d�envoyer Richard, avec un d�ta-chement, annoncer fon arriv�e. Ars�ne luinbsp;avoit procur� un cheval. D�s que les habitansnbsp;de Dordogne eurent appris que Renaud arri-voit, ils fortirent tous, amp; vinrent, � unenbsp;lieue, au devant de lui, amp; Ie conduifirent anbsp;la forterefle. Le refte de la nuit, qui �toitnbsp;d�ja avanc�e, fe pafla en r�jouiflances, amp;, lenbsp;lendemain, Renaud regut la foi amp; hommage denbsp;tous les Barons amp; Chevaliers du pays.
Huit jours s��toient pafl.es, fans que Charlemagne e�t vu paroitre perfonne fur les murs de Montauban. II fit le tour des rem-parts, amp; rien n�y paroiflbit. II aflsmbla fesnbsp;Pairs, amp; leur dit que, faus doute, les af-
M V
-ocr page 280-fi�g�s avoient mieux aim� p�rir, tous, de-faim, que de fe rendre; qu�il falloit s�en af-furer, amp; ordonna, pour Ie lendemaiti, un aflaut g�n�ral. 11 marcha a la t�te des troupes, on battit les murs, amp; perfonre ne lesnbsp;d�fendit. Alors, on ne douta plus que la morenbsp;n�edt tout tnoi�bnn�. On drefla l��chelle la plusnbsp;haute contre Ie mur, amp; Roland monta Ie premier; U fut fuivi d�Oger, d�Olivier amp; de Nai-mes. Ils ne virent, par-tout, qu�une folitu-de : Aucune efp�ce d�animaux ne la vivifioit,nbsp;tous avoient fervi de pkure aux affi�g�s; Unenbsp;odeur infevSe, qui s�exaloit des folies rempliesnbsp;de cadavres; un filence que Ie cri du plus petit infefte n�inrerrpmpoit point, itnprimoiencnbsp;aux Chevaliers une terreur involontaire ; Ilsnbsp;entr�rent dans quelques maifons, amp; trouv�-lent les relies infe�ls de membres humains �nbsp;demi-cuits, qui paroiflbient avoir �t� d�vo-l�s; ils d�tourn�rent leurs regards de eet horrible fpe�tacle, amp; fe hat�rent d�aller ouvri�nbsp;les portes au Roi : II fit chercher par7toutnbsp;les relies des fils d�Aymon, car il ne doutoicnbsp;plus qu�ils n�euflent p�ri.
Renaud fut averti que Charles �toit dans Montauban; il vouloit 1�alier affi�ger a fonnbsp;tour; amp;, comme Ie R�i croyoit n�avoir plusnbsp;d�ennemis, amp; qu�il fe livroit a une f�curit�nbsp;dangereufe, Renaud eut pu Ie furprendre;nbsp;inais Yolande s�oppofa a fon projet. Ce f�t,nbsp;fans doute, une grande faute dans un guer-rier tel que Renaud; mais Yolande lui rap-pela qu�il avoit jm� de fe d�fendre con-
-ocr page 281-d'Aymon.
tre Charlemagne, amp; de ne i�attaquer jamais.
Cependant, Pinabel, a force de fouiller, trouva I�ouvenure du fouterrain; il alia fairenbsp;fon rappor: a Charles, amp; ajouta que Maugisnbsp;leur avoit ouverc cette route voiiine des en-fers. Naimes s�y tranfporta, amp; dit au Courti-fan : Ta m�chancet� te fait toujours trou-� ver des raifons de blamer les abfens. Nenbsp;,, vois-tu pas que cette caverne eft creufeenbsp;,, depuis des fi�cles, amp; qu�on n�a fait que lanbsp;� deboucher ? Tant mieux, reprit Pinabel,nbsp;� il fera plus aif� d�en trouver I�illue; car,nbsp;�ft c�e�t �t� 1�ouvrage de Maugis, je n�au-� rois confeille a perfonne de s�y engagernbsp;Il confeilla a Charlemagne d�y faire entreenbsp;quelques Archers intrepides. Naimes, qui haif~nbsp;foit Pinabel, lui dit qu�il ne connoilibit per-fonne dans l�arm�e plus propre que lui a unenbsp;telle entreprife. Pinabel n�ofa refufer; il fitnbsp;allumer quantit� de torches, prit, avec lui,nbsp;une cinquantaine d�Archers, amp; n�entra qu�ennbsp;tremblant; a peine eut-il fait quelques pas,nbsp;qu�il retourna tout elfraye : Il rapporta, qu�ilnbsp;�toit impoffible d�aller plus avant, que Pairnbsp;intercept� emp�choit de refpirer. Roland �clatanbsp;de rire, en voyant la frayeur de Pinabel; ilnbsp;lui arracha la torche de la main, amp; ne fe ficnbsp;fuivre que de fon Ecuyer; il avanga fans obf-tacle, amp; fe trouva, enfin, dans un bois, qu�ilnbsp;xie reconnut point; il revint par la m�me route, fit fon rapport a Charlemagne, amp; 1�af-fura que Renaud s��toit fauv� par cette caserne, amp; qu�il avoit recopnu les pieds de
Bayard imprim�s dans Ie fable : Sur ces indices, Ie Roi envoya, de tous c�t�s, pour favoir o� Renaud pouvoit s��tre retir�; ilnbsp;logea fon armee a Moncauban, amp; les Pairsnbsp;fe f�licit�rent, en fecret, de la fuite des filsnbsp;d�Aymon.
Enfin, un des Efpions que Charlemagne avoir envoy�s a, la d�couverte des fils d�Ay-mon, lui rapporta qu�il les avoir vus d Dordogne, qu�ils y avoient une Cour brillante,nbsp;qu�ils r�pandoient, fur les compagnons de leursnbsp;difgraces, les bienfaits a pleines mains, qu�ilnbsp;ne concevoit pas ou ils pouvoient avoir prisnbsp;un fi riche tr�for, amp; qu�ils avoient d�jd raf-fembl� une armee formidable.
Le Roi, irrit� par fes mauvais fucc�s, jura d�aller affi�ger Dordogne ; il fit fonner lesnbsp;trompettes, afin que chacun s�arm�t, amp;, quandnbsp;3e camp fut lev�, amp; que tout fut pr�t, ilnbsp;fit fonner la marche; ils arriv�rent, en deuxnbsp;jours, a Montorgueil, d�o� 1�on aper^oit lesnbsp;clochers de Dordogne. L�arm�e y coucha cettenbsp;Uuit, amp;, d�s le point du jour, Renaud vitnbsp;les premi�res troupes s�avancer; il ne jugeanbsp;pas d propos de fe laifler affi�ger comme anbsp;Montauban, mais d�atcaquer Ie premier; ilnbsp;fait fonner lecor, touts�arme, on fort de lanbsp;Ville en bon ordre. Renaud fait fentir a fonnbsp;arm�e, qu�elle avoir non feulement k fe ven-ger des'maux qu'ils avoient eiluy�s a Montauban, mais a fatisfaire la vengeance de leursnbsp;concitoyens, de leurs parens, de leurs amis.nbsp;Charlemagne fut furpris de voir les fils
-ocr page 283-d'Aytnon.
�'Aymon a la t�te d�une fi brillante ann�e. Lorfque Renaud fut a port�e, il dit k Richard ,nbsp;qui vouloit tomber fur l�avant-garde, de fuf-pendre un moment, paree qu�il vouloit parlernbsp;encore au Roi, amp; lui demander la paix. Richardnbsp;eflaya vainement de l�en emp�cher. Renaudnbsp;s�approcha de Charlemagne, amp;, s�inclinancnbsp;devant lui : ,, Sire, lui dit-il, tout ce quenbsp;j) nous venons de fouffrir devroit vous avoirnbsp;,� appaif�; je viens encore vous fupplierde nous
accorder la paix.
Le Roi, plus irrit� que jamais, rejeta fa pri�re avec m�pris, amp; ordonna a fes gens denbsp;tomber fur lui. Renaud, plus indign� encore,nbsp;poufle Bayard , fond fur un Chevalier tropnbsp;prompt a ob�ir aux ordres du Roi, le frappenbsp;dans la poitrine amp; le fait tomber aux pieds denbsp;Charles, o� il expire.
Charles excitoit fes troupes du gefte amp; de la voix. Naimes, en prenant 1�Oriflamme, lui dienbsp;Su�il devroit accorder la paix k Renaud, puif-qu�il la lui demandoit encore, apr�s tant de fu-jets de relTentiment. ,, Naimes, lui r�ponditnbsp;� le Roi d�un ton f�v�re, quand j�aflemble-�,, rai mes Pairs, amp; que je vous demanderainbsp;�des confeils^ je vous permetrrai de m�ennbsp;� donner; ici, votre devoir eft de porter monnbsp;� Oriflamrae d�une main, amp;, de 1�autre, dsnbsp;,) frapper fur mes ennemis.
Renaud, voyant 1�Oriflamme, fejeta dans la m�l�e, renverfa un Cavalier en paflanr, amp;nbsp;en abattit quatre de fa lance , qui fe brifa.nbsp;Comme il faififlbit fon �p�e, un Chevalier
-ocr page 284-2^8 nbsp;nbsp;nbsp;Zes qmtre fils
s�approcha pour Ie prendre en d�faut; msis, d'un revers, Renaud fracafle fon cafque 8cnbsp;lui fend la t�re jufqu�aux dencs; alors, il crienbsp;Dordogne, railie fes gens, amp; leur promec Ienbsp;gain de la baraille.
A la voix de Renaud , fes fr�res fe mirent � frapper fur les ennemis; chacun en abaccoitnbsp;de fon c�t�; puls, fe joignant jous les qua-tre, ils r�unirent leurs forces, 8c la more vo-loir autour d'eux. Des efcadrons enriers ve-noient les choquer 8c difparoiflbient, pour nenbsp;fe rallier jamais : Charlemagne attaqua lanbsp;troupe de Renaud, 8c tua plufieurs Cavaliersnbsp;de fa main, 8c la troupe fe battoit en retraite;nbsp;alors, Renaud quitta fes fr�res, vint i fonnbsp;fecours. Ia ranimapar fa pr�fence, 8c Charlemagne fut fur Ie point d��tre entour�; maisnbsp;Roland Ie tira d�embarras. Charles ordonna anbsp;fes Pairs de faire fonner la retraite; il conve-noit que jamais Renaud ne lui avoir paru linbsp;grand 8c fi terrible ; qu�il y avoi�- peu deh�rosnbsp;qui puflent lui �tre compares, 8t que fes fr�resnbsp;avoient fait des prodiges. L�impreflion que cettenbsp;journ�e avoir faite fur fon efprit, y refta long-temps grav�e. Richard de Normandie vou-lut venger Thonneur des Fran9ois; il harcelanbsp;Renaud dans fa retraite jufqu�aux portes denbsp;Dordogne Renaud ne fe laiffa jamais entamer ;nbsp;il fe battit toujours, 8c les troupes avan^oient,nbsp;prot�g�espar leur arri�re-garde, quifaifoit facenbsp;� 1�ennemi. Renaud, pr�t a entrer, fait filernbsp;les premi�res bandes; enfuite, faifant femblantnbsp;decraiudreSc de fuir� � entte avec pr�cipita-
-ocr page 285-d^Aymon, nbsp;nbsp;nbsp;279
tion; l�impradent Due de Normandie Ie fuic jufque dans la Ville, Renaud avoir fait ranger, de droice amp; de gauche, Ie long des mursnbsp;amp; en dedans, trois cents hommes d�armes.nbsp;Lorfque Richard de Normandie fe fut engag�nbsp;dans la Ville, Renaud fait mafquer la portenbsp;pat fes trois cents hommes, amp; fait prifonniernbsp;Richard, avec une centaine de Fran9ois, quinbsp;tent�rent vainement de fe faire jour.
Charlemagne, inftruit de la prife de Richard de Normandie, 1�un des douze Pairs, r�folutnbsp;Ie fi�ge de Dordogne. � Sire, lui dit Roland,nbsp;� vous favez que Renaud n�a pas eu d�enne-mis plus redoutables que moi; mais, au-,, jourd�hui, je prendrai fa d�fenfe aupr�s denbsp;s, vous. II y a quinze ans que vous faites lanbsp;,, guerre la plus fanglante aux fils d�Aymon,nbsp;� amp;, toujours perf�cut�s, ils font loujoursnbsp;�j vainqueurs; Ie ciel feinble s��tre d�clar�pournbsp;eux. Voila done Richard de Normandie pri-� fonnier de Renaud ; il n�a pas tenu a vousnbsp;que Renaud amp; Richard n�ayent p�ri par Ienbsp;M fupplice des traJtres; vous avez dit, a la facenbsp;� del�univers,que, fijamais,eux,ouRenaud,nbsp;� �toit en votre pouvoir, c��toit Ie fort quenbsp;j, vous leur deRiniez. Sire , c��toit nous cx-gt;, pofer a la m�me infamie; car, enfin, Ienbsp;w droit de la guerre permet � Renaud d�u-� fer de repr�faille envers Ie Due de Nor-,� mandie, amp; il n�y a aucun de vos Pairs quinbsp;,, n�e�t pu tomber dans Ie pi�ge o� Ie Duenbsp;,, eft tomb�. Vous avez r�duit la guerre d.nbsp;jgt; ce point, qu�elle as laifl� au plus brave
-ocr page 286-aSo
Les quatre fils
,, homme que l�alternative de la vi�loire ou ,, d�unemort honteufe; ainfi, l�honneur, ounbsp;la honte de vos guerriers ne dependent plusnbsp;�que des caprices de la fortune; en quoi,nbsp;,, certes, vous entendez mal vos int�r�ts;nbsp;� car, fi Ie Due p�rit d�une mort ignominieu-� fe, la honte en r�jaillira fur vous amp; fur vosnbsp;� Etats. Richard a de puilfans amis, qui s�ar-� meront pour Ie venger. Sire, fi vous vou-� lez en croire un ferviteur fidelle, qui n�anbsp;,, d�autre iht�r�c que votre gloire, faififl�eznbsp;� 1�occafion de la prife de Richard de Nor-� mandie pour faire la paix. Envoyez � Re-� naud deux Chevaliers pour Ie r�clamer; Re-� naud ne manquera point de mettre la paixnbsp;� pour condition de la libert�, du Due, amp;,nbsp;� en l'acceptant, vous parokrez faire ce fa-� crifice a Richard amp; � vos Pairs, qui vousnbsp;�en feront plus inviolablement attach�s.
,, Eft - ce la tout ce que vous aviez a me � dire? r�pondit Charlemagne. Certes, j�aimenbsp;� � voir Roland qui pr�tend marcher fur lesnbsp;� traces d�Achille, empruhter Ie langage dunbsp;� prudent Ulyfle; mais Ulyflee�t raieux connunbsp;� Ie caraft�re de Renaud ; il e�t fu que Re-� naud aimeroit mieux p�rir, que d'abufer desnbsp;� droits qu�il a fur fon prifonnier; ainfi, Ulylienbsp;� n�auroit point employ�, pour me f�duire,nbsp;� Ie frivole motif de la crainte de Ia morenbsp;� du due Richard. Eh! quoi, Sire, teprit Ro-� land, c�eft done paree que vous connoill�znbsp;� la courtoifie de Renaud, que vous ne crai-� gnez point de Ieperfecutei, amp; ce qui, pouc
-ocr page 287-d*/4ymon, nbsp;nbsp;nbsp;aOl
igt; les autres ^ eft une raifon d�aimer amp; d�efti-j, mer, eft pour vous une raifon de ha�r amp; de jgt; tyrannifer. C�eft, paree que vous favez qu�ilnbsp;jiPorte la g�n�rofit� jufqu'a rendre Ie biennbsp;�gt; pour Ie mal, que vous lui faites tout Ie malnbsp;u que vous pouvez. En v�rit�, Sire, c�eft unenbsp;�, mani�re de forcer vos Sujets a fe tenir ennbsp;jgt; garde contre la bont� de leur cceur, a la-�) quelle je n�aurois jamais penf�. O Rois ,nbsp;�, tel eft done 1�ufage que vous faites de votrenbsp;pouvoir! Vous m�nageriez des Peuples mu-tins amp; prompts � fe r�volter, amp; vousnbsp;� appefantiffez la verge de 1�autorit� fur desnbsp;,, Sujets doux amp; fidelles, paree que vous faveanbsp;� que 1�honneur leur fait un devoir de 1�ob�if-,, fance amp; de la foumiffion!
Apr�s que Renaud eut tout difpof� pour la garde amp; la furet� de la Ville amp; de la cita-delle, il fit venir Richard de Normandie.nbsp;�gt; Richard, lui dit - il, vous favez combiennbsp;j, Charles me hait; vous favez que fon def-j, fein eft de nous faire prifonniers, pour nousnbsp;s) livrer au fupplice des fc�l�rats; cependant,nbsp;�fes Pairs fervent fes injuftes fureurs; quelnbsp;�eft leur but, n�eft-ce pas de nous livrernbsp;j� entre fes mains? N��toit-ce pas votre in-tention , lorfque votre imprudence vous anbsp;s, conduit dans ces murs? Le Due Richard futnbsp;��oblig� d�en convenir. Vous, amp; les autresnbsp;� Pairs, continua Renaud, �ces done les com-j, plices de 1�injuftice de Charles. Complices?nbsp;� reprit Richard, des Sujets fidelles ob�iflent,nbsp;�i fervent les paffions de leur maitre, fans �tre
-ocr page 288-�obliges de difcuter fes raifons. Richard, je � pardonnerois cette d�faite a un foldat mer-,, cenaire, au Peuple; mais vous, Pair du Roinbsp;� de France, un des Chefs de la nation, oblig�nbsp;�de balancer, avec lui, la juftice ou 1�injuf-� tice de fes aftions, d'�clairer fon autorit�,nbsp;�je n�avance rien de trop, quand je dis que,nbsp;,, fontenant fes pr�tentions, done 1�injufticenbsp;� vous eft connue, vous �tes fon complice.nbsp;� Je Ie ferois, fans doute, reprit Ie Due, li,nbsp;� pouvant l�emp�cher, je ne Ie faifois pas.nbsp;,, Richard, lui dit Renaud, il n�y auroit ja-� mais eu de tyrans, s�ils n�euffent jamais trouv�nbsp;� des miniftres de leurs cruaut�s. Vous par-� tagez done,avec lui une injuftice reconnue?nbsp;,, amp;, puifque Charles, aimantmieux me fairenbsp;� une guerre, qui me rend fon �gal, amp; quinbsp;� me donne les m�mes privil�ges qu�a lui,nbsp;� que de m�accorder une paix que je lui ainbsp;� li fouvent, amp; fi honn�tement demand�e ,nbsp;� me laifle Ie pnuvoir de Ie combattre, denbsp;� Ie faire prifonnier amp; d�ufer avec lui denbsp;� tous les droits de la guerre, trouvez-vousnbsp;,,, qu�il y ait quelqu�injuft ced�en ufer de m�menbsp;� d votre �gard? Non, Renaud, r�pondit Ri-� chard, vous avez fur moi tous les droitsnbsp;� d'un vainqueur l�gitime. Je vous declarenbsp;� done, lui dit Renaud, que, li vous ne d�ter-� minez Ie Roi k la paix, j�uferai de tous mesnbsp;�avantages; que vous p�rirez du ra�me fup-� plice qu'il me deftinoit, amp; qu�il m�auroitnbsp;�fait fubir, fi vous m�aviez fait prifonnier.nbsp;�Renaud, reprit Richard, la repr�faille e^t
-ocr page 289-sS*:
jjufte, amp;, pour te prouver que 1��galit� de �nos droits eft parfaite, je te ferai obfervernbsp;5 que, comme Charlemagne fe feroit d�sho-, nor� par ta mort, tu ne peux manquernbsp;, de te d�shonorer par la mienne; amp;, pournbsp;, que tu ayes moins a te reprocher, je veuxnbsp;, bien t�avertir que tes menaces ne me force-) ront jamais d�engager Ie Roi d�ajouter Ienbsp;, parjure a 1�injuftice du ferment qu�il a fait, denbsp;, te punir de la mort de fon neveu Re-naud ordonna qu�on gardat Ie Due de Normandie avec Ie plus grand foin, amp; qu�on ne Ienbsp;laifsit manquer de rien.
Le fils d�Aymon �toit, alors, occup� d�un autre foin. Le Roi d�Aquitaine avoit abdiqu�nbsp;fa couronne en faveur de fon fils, amp; paflbicnbsp;fes jours aupr�s de Renaud; il avoit beau-coup foufferc pendant le blocus de Montauban ;nbsp;amp;, quoiqu�il e�t pu fe retirer dans fes anciensnbsp;Etats, il aime mieux partager les difgraces denbsp;Renaud amp; de fes fr�res. Confum� de remords,nbsp;il fut attaqu� d�une maladie violente; il de-manda pardon aux fils d�Aymon des mauxnbsp;qu�illeuravoitcauf�s;mais, Renaud, oubliantnbsp;fes anciennes infortunes, ou ne s�en rellbu-Venant que pour mieux jouir du bien pr�fent,nbsp;�ie voyoit dans Yon que fon beau-fr�re: IInbsp;excufoit fa foiblefle en faveur de la bont� denbsp;fon coEur; il Ie confoloit, le fervoit avec lenbsp;z�le d�une ame reconnoiflante, qui ne croicnbsp;jamais avoir aflez pay� les fervices de fonnbsp;bienfaiteur. Yon lui confirma la donation denbsp;la.Ville amp; du CMteau de Montauban, Ss
-ocr page 290-284
Les quatre fils
celui de Dordogne: II recoramanda la familie d�Aymon au Roi fon fils, amp; rendit fon dernier foupir dans les bras de Renaud, quinbsp;Ie pleura comme fon ami, amp; qui lui fic fairenbsp;des fun�railles telles qu�ell�s convenoient anbsp;un Roi. II fit tranfporter fon corps � Bordeaux , o� il fut enterr� dans ie tombeau denbsp;fes p�res.
CHAPITRE XIX.
tSong� de Maugis; i� vole au femirs de Re
naud; il attaque des vokurs amp; les bat; il traverfe Ie camp de Charlemagne fous lanbsp;figure d�un Chevalier paralytique; il combatnbsp;Pinabel, Ie terrajfe, lui fait une peur ef-froyable; il arrive d Dordogne. Joie denbsp;Renaud amp; d�S'olande. Maugis pr�f�re Jhtinbsp;hermitage amp; fa pauvret� d Ia grandeur amp;nbsp;d la richefie; il repajfe au travers du campnbsp;de Charlemagne 1 en Herniite; dangers qu�ilnbsp;court.
. A U GI s avoit pris pofleffion de fon hermitage; une nuit, qu�il s��toit endormi, apr�s une longue m�ditation, il fongea qu�il avoirnbsp;�t� tranfport� a Montauban; il lui fembla quenbsp;Renaud amp; fes fr�res fe plaignoient que Charlemagne vouloic leur enlever Bayard, quenbsp;Renaud Ie tenoit par la bride amp; Ie d�fendoit;nbsp;il crnt entendre Charlemagne jurer que, fi ja-
i
-ocr page 291-d^Aymon. nbsp;nbsp;nbsp;�85
mais il �toit maitre de Renaud, il Ie feroit p�rir avec ignominie, il vit, un momentnbsp;apr�s, Renaud aux prifes avec Roland amp;nbsp;Charlemagne, qui 1�abattoient amp; Ie char-geoient de fers. Maiigis, alairm� de ce fonge,nbsp;s��veille, part, vole au fecours de Renaud,nbsp;traverfe la for�t, amp; arrive dans un lieu fortnbsp;couvert : II y rrouve deux Marchands quinbsp;faifoient retentir la for�t de leurs cris; il leurnbsp;demande ce qui les faifoit ainfi g�mir. H�-t, las! dirent-ils, des voleurs viennent de nousnbsp;� enlever toures nos marchandifes amp; tout 1�ar-j,gent que nousavions; voyez, fous ces ar-3, bres, un de nos compagnons qu�ils ontnbsp;blefle : Nous fommes ruin�s: Car, ce qu�ilsnbsp;5, nous ont pris �toit non feulement routenbsp;� notre fortune; mais encore, nous devionsnbsp;� une grande partie de ces marchandifes, denbsp;5, forte que nous n�avons rien, amp; que nousnbsp;j, nous trouvons charg�s de dettes, que nousnbsp;j, ne pouvons pas payer. Qu�allons-nous de-9-, venir, amp; que deviendront nos femmes amp;nbsp;�nos enfans,,? Maugis fut touch� de leursnbsp;plaintes, amp; leur dit de venir avec lui, qu�ilnbsp;lesprieroit fi honn�tement, que ,'quelque dif-courtois que fuflent ces voleurs, il les engage-roit de rendre ce qu�ils avoient pris; amp; qu'aunbsp;pis aller, s�ils s�obftinoient a refufer, il fau-xoit bien les y forcer a coups de bourdon. Lesnbsp;Marchands crurent avoir affaire a un fou; ilsnbsp;regard�rent Maugis avec piti�, amp; l�un d�euxnbsp;lui dit : ,, Pauvre homme, un feul de cesnbsp;3, brigands vous teiraSeroit, amp; ils four fep.t;
286
Les quatre jih
,, vous n�avez qu�un mif�rable bSton, fur le-,, quel vous vous appuyez avec effort, amp; ils � font bien arm�s : Eh! mon Dieu, difoitnbsp;� 1�autre, nous fommes bien malencontreuxnbsp;,, aujourd�hui! A peine �chapp�s des mains desnbsp;,, voleurs, nous voili aux prifes av6c unfou,nbsp;,, qu�il faudra, peut-�tre, encore battre pournbsp;,, nous en d�faire,,! Maugis rioit en lui-m�menbsp;de ces bonnes geus. ,, Dites-moi toujours,nbsp;� reprit-il, quel chemin ils ont pris. Va,nbsp;5, crois-moi, mon ami, reprit un des Mar-,, chands, paffe ton chemin, amp;, par tes ex-� travagances, ne va pas encore les attirernbsp;,, fur nous; 1�autre, de plus mauvaife hu-,, meur, Ie menara. Tu as tort, lui dit Mau-� gis, de menacer qui veut te rendre fer-� vice; mais, enfin, je ne puis vous faire dunbsp;� bien malgr� vous; c�eft votre faute; adieu,,.nbsp;Maugis les quitta, amp;, malgr� leur brutali-t�, il ne fut pas moins touch� de leur �tat;nbsp;II fuivit la trace des voleurs amp; les rencontra.nbsp;,, Seigneurs, leur dit-il, je viens de trouver,nbsp;� a quelques pas d�ici, de pauvres Marchands,nbsp;� qui fe plaignent que vous leur avez prisnbsp;,, leurs marchandifes, que vous les avez mal-' � trait�s, amp;, m�me, 1�un d�eux eft dangereu-,, fement bleff� : Ils pleurent, ils g�miffent,nbsp;� amp; je ne doute pas que, li vous les enten-� diez, vous ne fuffiez touch�s de leurs lar-,, mes. Je me fuis charg� de vous faire con-), noitre la lituation o� vous les avez r�-� duits, amp; de vous engager d leur rendre ce quinbsp;I, leur appartient. Pon-homme, lui dirent-ils,
-ocr page 293-M tu t�es charg� la d�une alTez mauvaife commif-fion, amp; nous pouvons t�affurer que tu n�en �gt; viendras pas a ton honneur. Pourquoi non ,nbsp;3t dit Maugis? il ne faut jurer de rien,,. Lesnbsp;voleurs regard�rent Maugis des pieds a lanbsp;t�ce, amp; fe mirent a rire : � Meffieurs, leurnbsp;�dit Maugis, je vous ai parl� poliment, amp;nbsp;gt;, vous auriez d� me r�pondre de m�me;nbsp;j, mais je veux bien, caufe de votre pro-� feffion, ne pas faire attention d cela, pour-�) vu, toutefois, que vous rendiez d ces pau-�, vres Marchandsce que vous leur avez pris.nbsp;� Ecoute, gueux, lui dit Ie maitre des vo-�gt;leurs, tu devrois t�apercevoir que tu nousnbsp;5, importunes. Cela fe peut, r�pondit Mau-9,gis, on importune prefque toujours quandnbsp;�on veuc ramener a leur devoir ceux quinbsp;j) s�en font �cart�s; c�eft dans l�ordre : Mais,nbsp;�que m�importe, pourvu que vous ren-�gt; diez a ces pauvres gens ce que vous leurnbsp;� avez vol� ? Attends, dit Ie chef, en pre-nant un baton, amp; Ie levant fur Maugis ,nbsp;�jVoici, peut-�tre, un moyen de t'impofernbsp;5� filence. Maugis recule, faifit fon bourdon �,nbsp;sgt; deux mains, amp; Ie frappe fi rudement fur lanbsp;�l�te, qu�il 1��tend mort k fes piedsLesnbsp;sutres voleurs s��lancent fur Maugis; il nenbsp;fait qu�un faut en arri�re, fes yeux s'enflam-nient,amp; eet homme qui, un moment aupa-tavanc, paroifloit foible amp; ext�nu�, prit 1�airnbsp;Ie plus terrible; fes yeux �tinceloient, la fu-leur �clatoit dans chacun de fes traits: Arm�nbsp;�e fon feul bourdon, il �cart� les voleurs, les
-ocr page 294-ft88
fatigue, les harraffe, leur porte mille coups amp; les met en fang. � Rendez-vous, leur dit-,, il, vils fc�l�rats, ou laiflez li votre proienbsp;� amp; fuyez, OU craignez Ie fort de votre Chef,,.nbsp;Les voleurs, efp�rant de l�accabler fous Ie nom-bre, fe r�uniflent pour 1�envelopper; Maugisnbsp;les �cart� encore, les f�pare, amp;, � melurenbsp;qu�ils approchent, il les terrafle amp; les tue ;nbsp;lorfqu�il n�en refta que deux, ils voulurenCnbsp;prendre la fuite, il les arr�ta, il appela les Mar-chands, qui avoient entendu Ie combat; ilsnbsp;accoururent, amp; t�moign�rent leur reconnoif^nbsp;fance amp; leur repentir � Maugis : � Ce n�efl:nbsp;,, pas de quoi il s�agit, leur dit-il, je ne m�era-,, barrafle pas plus de votre reconnoiflance quenbsp;� de vos injures; il vous faut une juftice en-� ti�re, amp; vous 1�aurez. Reprenez, d�abord ,nbsp;� vos marchandifes: Ce n�eft pas tout, dit-Unbsp;,, aux voleurs; vous avez pris de 1�argent,nbsp;,, o� eft-il? ils Ie lui remirent, amp; Maugisnbsp;,, Ie rendit aux Marchands. Ce n�eft pas en-,, core aflez, il y a, 1^-bas, un homme blefl�,nbsp;,, il lui en co�tera pour fe gu�rir II �valuanbsp;les frais, amp; les fit payer. Enfuite, il renvoyanbsp;les voleurs, apr�s leur avoir fait jurer que, d�snbsp;ce moment, ils renonceroient a leurs brigandages. Les Marchands �toient a fes pieds :nbsp;,, Levez-vous, mes amis, leur dit-il, foyez�nbsp;� une autre fois, plus honn�tes envers les Her-�raites: Allez foulager votre compagnon; jenbsp;� voudrois qu'il ffit en mon pouvoir de luinbsp;,, rendre la iant� II les accompagna pournbsp;leur demandei des nouvelles de Charlemagne
�
-ocr page 295-d'Aymon. nbsp;nbsp;nbsp;289
amp; des fils d�Aymon. � Mon p�re, lui dirent-� ils, le Roi a pris Montauban par famine; � inais les fils d�Aymon ont trouv�, dans lenbsp;gt;5 CMteau, une fecrette iflue, un fouterrainnbsp;� qui les a conduits a Dordogne; Charlemagnenbsp;5gt; eft all� les y afli�ger encore, amp; ne veuc en-� tendre aucune propofition.
Maugis, a ces nouvelles, prit cong� des Mardhands, amp; s�achemina vers Dordogne; ilnbsp;hUluc ttaverfer le camp du Roi; en approchant,nbsp;il prit la figure d�un vieux Chevalier, acca-hl� de mif�reamp; d�infirmit�s, la t�tecourb�e,nbsp;s�appuyanc fur fon bourdon qu�il avoirnbsp;chang� en un m�chant trongon de lance, ilnbsp;paroilibit paralyf� de la moiti� du corps, amp;nbsp;irainoic avec peine la jambe gauche; il en-tendoit les Archers qui difoient, entr�eux:nbsp;gt;5 Croyez-vous qu�il fall�t beaucoup de tels Pa-ladins pour venir k bout de DordogneMau-gis ne r�pondoit rien; il pafla devant la tentenbsp;de Pinabel, qui lui cria, en riant : � Che-� valier, ne venez-vous pas rompre une lancenbsp;5, contre Roland, en faveur de Renaud � ? Maugis fut piqu�. � Pourquoi, lui dit-il, contrenbsp;� Roland ? il ne m�a jamais infult�: Mais, linbsp;, lu veux, j�en romprai une contre toi, quinbsp;� as 1�infolence d�outrager un vieillard, pareenbsp;gt;� que tu le crois plus foible amp; plus Ikhe quenbsp;), toi Pinabel entre en fureur, failit unnbsp;piquet de fa tente, amp; veut frapper Maugis;nbsp;mais Oger, qui pafla duns ce moment, les f�-para :,, II m�a infult�, dit le vieillard. II anbsp;�gt;eu 1�audace de me d�fier, dit Pinabel
N
-ocr page 296-Les quatre fils
ma�ere. Le Soudan! s��cria Ie Roi. �H�las! � oui, dit le vieillard; il a �t� fait prifon-
Oger Ie blSma.,, II valoic mieux accepter Ie �'ii�fi, dit-il a Pinabel, que de Ie frapper,nbsp;� amp;, felon les lois de la Chevalerie, vous de-,, vez a eet �tranger une reparation. Je n�ennbsp;� veux pas, dit Ie vieux Chevalier; je veuxnbsp;,, me battre avec lui, ou �tre en droit de direnbsp;� qu�il eft un lache Cette affaire fut portee a Charlemagne; il les fit comparoitre :nbsp;II demanda a Ihnconnu qui il �toit; il fe ditnbsp;Chevalier Normand, parent du Comte Robert, amp; revenant, depuis peu, de J�rufalem,nbsp;� OU il avoit vu Maugis, qui marchandoit denbsp;jeunes efclaves pour Ie Soudan d�Egypte, fon
moirrf� T.p .'Nniirinn 1 s�ppvin 1p Rni. .. H�lalt;!!
,, injure; ce difcourtois Chevalier m�a inful-
j, nier. Le Soudan lui a propof� d'etre em-� pal�, ou de renoncer � fa religion. Mau-gis, qui 1�e�t dit? a eu la lamp;chet� de pr�-f�rer ce dernier parti; le Soudan 1�a fitic � Eunuque, amp; il eft dans le Serrail; mais, quenbsp;j, m�importe Maugis ? Sire, il s�agit de mon
^ t�, je l�ai d�fi�, amp;, plus Ikhe que Mau-� gis, il eft tomb� fur moi, un biton a la � main. Je cohviens, dit Charlemagne, quenbsp;j, Pinabel a tort; mais, vieux amp; infirme, com-,, ment vous d�fendrez-vous? Sire, r�ponditnbsp;� le faux Chevalier, je ne fuis paralyf� quenbsp;� de la moiti� du corps; je me battrai de 1�au-� tre, amp; c�eft afl�ez pour un rival tel que cenbsp;� Chevalier.
Pinabel �toit couvert de honte; il rougif-foit; il n�ofoit ni accepter, hi refufer; il ne
-ocr page 297-Voyoit pas plus de gloire d�un c�t� que de I�autre. Enfin, le vieux Chevalier, s'impa-tientant, menace Pinabel delui cafler la t�tenbsp;avec fon trongon de lance. Charlemagne or-donne que le combat aura lieu. Le Chevaliernbsp;demande que, ne pouvant fe tenir k cheval,nbsp;k caufe de fa paralyfie, ils combattent k pied.:nbsp;Pinabel y confent, prend fon �p�e amp; veut fon-dre fur le Chevalier, qui, profitant du temps�nbsp;amp; ne voulant d�autre arme que fon tron^on �nbsp;en donne un fi terrible coup fur le poignetnbsp;de fon adverfaire, qu�il le d�farme; d�unnbsp;fecond coup, il le frappe fi rudement dans lanbsp;poittine, que Pinabel, tout �tourdi, va tom-ber aux pieds de Charlemagne. Le vieux Chevalier, fans lui donnet le temps de fe relever, lui met le genoufur la gorge, amp;, tenant,nbsp;de la feule main qui paroit libre, le pommeaunbsp;du tron^on de lance, lev� fur le vifage denbsp;Pinabel, menace de I'ecrafet s'il ne fe rend.nbsp;Pinabel demande grace, amp; le Chevalier, ennbsp;le remettant dans les mains de Charlemagne , lui confeilla d��tra plus circonfpeft a 1'a-venir;
Le Roi, �tonn� de ce qu�il a vu, fait 1�ac-cueil le plus honorable au vieux Chevalier , �lui le prie de lui permettre de voir le camp,nbsp;avant qu�il n�aille a Dordogne, faire rougicnbsp;les fils d�Aymon de 1�amiti� qu�ils avoiencnbsp;eue pour ce Maugis. Charles, qui trouvoit cetnbsp;homme fort fingulier, amp; que lop combat luinbsp;faifoit regarder comme un des plus-braves Chevaliers, lui laiffe route libert�. Pinabel s��toic
N ij
-ocr page 298-2 ga nbsp;nbsp;nbsp;Les quatre fits
�Ctir� dans fa tente, fort humili�; Mangis, en-pareourant Ie camp, l�aperfut fur fon lit; il entra; Pinabel appela deux de fes Ecuyers,nbsp;amp; leur ordonna de fe failir de eet homme;nbsp;mais Maugis les atterra, amp;, par fon art, lesnbsp;plongea dans un profond forome�. Pinabel les-crue mores, amp; euc, une feconde fois, la 13-chet� de demander grace. ,, Je te Paccorde,nbsp;� dit Ie Chevalier, tu n�es pas digne que jenbsp;� te tue; mais ta gr3ce ne te fervira pas denbsp;� beaucoup, car tu vas mourlr de ta bellenbsp;� mort; Ie ciel a fix� ce jour pour Ie derniernbsp;� de ta vie; tu ne douteras pas de ma pr�dic-� tion,,quand tu fauras qui je fuis: Reconnoisnbsp;� Maugis En ce moment, Maugis reprit fesnbsp;v�ritables traits; Pinabel eut la plus effroyablanbsp;terreur; Maugis reprit encore la figure du vieuxnbsp;Chevalier �clopp�, amp; fortit, en boitant, commenbsp;fi de rien n'�toit. Pinabel voulut appeler du fe-CQurs; mais une langueur, qu�il prit pour lesnbsp;avant-coureurs de la mort, un fommeil qu�ilnbsp;crut�trele dernier, s�empar�rent,tout a coup,nbsp;de fes fens; ce malheureux , qui n�avoit quanbsp;la force de pleurer, luta, quelque temps, centre fon afibupifleraent, amp; y fuccoraba, canbsp;croyant rendre Ie dernier foupir.
Cependant, Maugis, fon bras en �charpe amp; trainant fa jambe, traverfa Ie camp de Charlemagne, amp; prit Ie chemin de Dordogne, o�nbsp;il entra fous fa figure d�Hermite; il alia aunbsp;Palais ; Renaud, fes fr�res, Yolande amp; fesnbsp;enfans, din..^'ent; Maugis entra, comme fpec-tateur, dans la Salie h manger ; il s�appuy�
-ocr page 299-contre un pilier, amp; les regardoit, avec plailir, fans rien dire. Le maJtre-d'h�tel, qui I� pricnbsp;pour un Hermite qui demandoit I�aumone,nbsp;lui lit apporter a diner; mais il ne prit quenbsp;du pain, amp; ne but que de 1�eau claire. Re-naud le regardoit avec beaucoup d�int�r�t :nbsp;Malgr� fon vifage p�le, amp; fa maigreur, il luinbsp;fembloit retrouver dans fes traits quelque chofenbsp;des traits de Maugis:,, Mais, quelle apparen-�, ce, difoit-il, qu�il fe d�guisat ainfi , avec fesnbsp;� confins amp; fes amis? � Quand le diner fuTnbsp;fini, Renaud fe leva, amp; fit dire a 1�Hermitenbsp;qu�il avoir � luiparler; lorfqu�ils furent feuls:nbsp;j, Dites-moi, lui demanda Renaud, en 1�em-�braflant, pourquoi vous deguifez-vous? Sinbsp;� vous n��tes point Maugis, qui �tes-vous?nbsp;,, Maugis ne put fe cachet plus long-temps:nbsp;�gt;, C�eft lui-m�me, dit-il, en r�it�rant fes em-� brallemens; c�eft Maugis , qui pleure de joienbsp;� de vous revoir �! Renaud le pria de quitter fes haillons, de prendre d�autres habits,nbsp;amp; de venir vivre avec fes coufins. � Non ,�nbsp;,, Renaud , lui dit Maugis ; j�ai fait vmu denbsp;,, vivre dans la folitude amp; la pauvret� : Je n�ennbsp;j, avois jamais connu les avantages; une vienbsp;,, obfcure amp; tranquille, amp; le t�moignage d�unenbsp;�, confcience pure, font au deffus de la for-1, tune des Rois; leurs valles Etats, des Royau-� mes conquis, ajout�s �l leurs Royaumes, riennbsp;� ne fuffit a leur ambition , amp;, tandis que lenbsp;�gt; psnvre eft content avec un peu de pain,nbsp;de 1�eau pure amp; quelques racines ; qu�unnbsp;,, travail mod�r� lui procure tout ce qui eft
^94 nbsp;nbsp;nbsp;qmtre fils
� n�ceffaire a fa fubfiftance gt; Ie monde ravage g, ne peut affouvir la faim des Rois.
Renaud, dans la joie d�avoir retrouv� Mau* gis, appela fes fr�res amp; fa familie ; tous 1�en-tour�rent en verfanc des larmes de tendrefle.nbsp;,, Croyez-vous, mon coulin, difoit-il a Re-,, naud, que, dans ce moment,je nemetrouvenbsp;,, pas mille fois plus heureux que Charlema-�nbsp;,, gne�? Yolande, la tendre Yolande, arro-foit de fes larmes les mains de 1�Hermite ;nbsp;elle ne ceffa de Ie preffer dans fes bras, quenbsp;pour aller, dans Ie Palais, annoncer a fesnbsp;femmes, amp; i tous ceux qu�elle rencontroit,nbsp;Ie retour de Maugis; puis, elle revenoit knbsp;lui, amp; Tembrailbit encore.
Mais, que cette joie fut courteJ Yolande Ie prioit de changer d�habits : � Non , lui ditnbsp;,, Maugis, faites-moi donnet un bourdon denbsp;� nceuds d��pines, amp;je pars: Ma retraite im-� porte a vatte furet� : Jamais Charlemagnenbsp;� ne confentira a la paix, s�il fait que je fuisnbsp;� aupr�s de vous. Les larmes que la tendrel��nbsp;amp; 1�amiti� faifoient couler des beaux yeuxnbsp;dY'olande, fe chang�rent en larmes de trif-teffe, amp; coul�rent plus abondamment; mais,nbsp;tout ce qu�ils purent obtenir, fut que Maugis ne partiroit que deux jours apr�s. Renaudnbsp;voulut lui faire accepter un cheval amp; de 1�ar-gent. � Non, non , lui dit Maugis; fimplenbsp;� amp; panvre Hermite , je traverferai Ie campnbsp;�de Charlemagne, fans qu�on prenne gardenbsp;� a moi: Plus d��clat infplreroit plus de cu-� riofit�. Mon coufin , T�l�vation fait Ie mal-
-ocr page 301-heur de la plupart des hommes, en fixatie gt;, fur eux tous les regards. Au nom de Dieu,nbsp;), cel�ez de m�atcendrir par vos larmes, amp;nbsp;5, laiflez-moi retourner dans ma folitude. J�ainbsp;}, fait voeu d�aller a J�rufalem, amp; d�y paflernbsp;j, trois ans; je viendrai vous voir, avant monnbsp;j, d�part, amp; tl mon retour ; ma�s je veux finirnbsp;5, mes jours dans mon hermitage.
Le jour de fon d�part arriv�, Maugis, qui ne vouloit prendre cong� de perfonne, fortic.nbsp;du Palais avant 1�aurore; maisRenaud, quinbsp;s��toit dout� de fon projet, s�arracha, douce-ment, des c�t�s d�Yolande, alia le joindre , com-me il fortoit, amp; 1�accompagna jufqu�a la portenbsp;de la Ville; ils s�embrafs�rent, amp; Maugis pro-mit de venir le voir le plut�c qu�il pourroic.
Maugis, apr�s avoir quitt� Renaud, tomba dans une profonde r�verie; il ne s�aperqutnbsp;qu�il �toit pr�t du camp de Charlemagne,nbsp;qu�aux plaifanteries d�une garde avanc�e, quinbsp;s��cria : � Voici 1�Hermite de Pautre Jour.nbsp;,1 Quelques Soldats s�aperqurent qu�il avoicnbsp;5, une �charpe neuve ; Sur ma parole, difoitnbsp;� 1�un, il a rencontr� quelque Chevalier de foanbsp;,, efp�ce, ils auront rompu quelque bourdonnbsp;� enfemble, amp; il Te fera par� de la d�pouille dunbsp;� vaincu; mais, un Soldat plus brutal, en lenbsp;,� regardant fous le nez, s�avifa de dire qu�ilnbsp;,, falloit fe m�fier des Moines; que eet Her-,, mite pourroit bien �tre le Magicien Mau-,, gis, amp; qu�il n�y auroit pas grand rifque anbsp;,, le tuer; qu�apr�s tout, ce feroit, ou un Saintnbsp;� de plus en paradis, ou un Sorcier de moins
t29^ nbsp;nbsp;nbsp;Les quatre fils
� fur la terre; qu�il n�y avoit qu�a gagner. �) Quelle folie! reprit un vieux Cavalier; nenbsp;voyez-vous pas que eet homme a cent ansnbsp;j, pafles, amp; qu�il eft paralytique? Je connoisnbsp;,, Maugis; je 1'ai vu cent fois; il n�a pasnbsp;5, trente-cinq ans; il eft plus grand que cenbsp;,, vieillard au moins de trois pieds. D�ailleurs,nbsp;,, ne voyez-vous pas qu�il eft couvert de m�-j, dailies b�nites, amp; ne favez-vous pas qu�il nenbsp;� faut qu�une m�daille de Rome pour em-y, p�cher tous les fortil�ges du monde?
Comme Ie vieux Cavalier parloit ainfi, Ie convoi de Pinabel, qu�on croyoit mort, amp;nbsp;qu�on portoit au tombeau, paffa. Maugis s�ap-procha du vieux Soldat, amp; lui demanda quelnbsp;�toit ce Chevalier. ,, C�eft, lui dit-il, un fa-� vori du Roi, un m�chant homme que Dieunbsp;� a puni de fes crimes, amp; qu�on a trouv�nbsp;� mort fubitement; il n�eft pas mort, repritnbsp;� 1�Hermite, il n'eft qu�enchant�, comme cesnbsp;� deux autres, qu�on porte, fans doute, auffinbsp;� au tombeau; ils dorment; voulez-vous quenbsp;�je les r�veille? Je ferois afl�z curieux denbsp;� voir un d�fenchantement, reprit Ie Soldat;nbsp;� mais je voudrois que ce fut fur tout autrenbsp;que fur ces m�chantes gens. Comment con-� noiflez-vous qu�ils ne font qu�enchant�s? Scnbsp;� comment avez-vous Ie pouvoir de les d�-j, fenchanter? Le charme eft aif� a connoitre,nbsp;,, reprit Maugis, a la couleur de leurs traits.nbsp;� Quant au pouvoir de les d�fenchanter, ilnbsp;�, confifte, comme vous l�avez rr�s-bien ob-� ferv� , dans ces m�dailles �. Maugis, quj
-ocr page 303-d'Aymon. nbsp;nbsp;nbsp;297
favoit le moment ou le charme devoit fimr, donna une m�daille au Cavalier. � Vous pou-j, vez, fi vous voulez en faire 1�eflai, accom-1, pagner le convoi, amp;, dans deux heures d�ici,nbsp;5, quand on fera pr�c a les mettre dans le tom-5, beau, dites qu�on fufpende la c�r�monie;nbsp;5, appliquez feulemenc un demi-quart-d�heurenbsp;5, la m�daille fur le front de chacun des en-5, forcel�s, amp; vous les verrez revenir peu inbsp;5, peu Le Cavalier remercia THermite, Scnbsp;ne fe vanta pas du prefent qu�il lui avoit fair,nbsp;pour fe m�nager le plaifir de la furprife de fesnbsp;camarades.
CHAPITRE XX.
R�furrcamp;ion de Pinabel. Propojltions de Charlemagne d Renaud- Inflexibilit� de part d? d�autre. Pinabel d�truit les bons effets desnbsp;coafeils de Roland. Reproches amp; remen-trances au Rol. Gibet �lev� far la plusnbsp;haute tour de Dordogne. Le Due Richard^nbsp;menace du fappUce, tue fes fateUites. Ingratitude de Charlemagne. D�feSlion des Baronsnbsp;amp; des Pairs. Fermet� confiante du Duenbsp;Richard. ASiiong�n�reufe de Renaud.
Charlemagne murmuroit de ne pas revoir Richard de Normandie; il fe plaignoicnbsp;aux Pairs de la d�loyaut� de Renaud, qui lenbsp;retenoit. � Sire, lui dit Roland, ce qui me
N V
-ocr page 304-258
Les quatre fils
� furprend Ie plus, c�eft votre �tonnemenc gt;, m�me, amp; fur quoi vous feriez-vous flatt�nbsp;j, que Renaud feroit, je ne dis point allez
i, nbsp;nbsp;nbsp;g�n�reux, mais aflez inconfid�r�, pour vousnbsp;�, renvoyer fon prifonnier? Souvenez-vousnbsp;5, de fa courtoifle, lorfqu��tant en fon pou-
j, nbsp;nbsp;nbsp;voir, dans Montauban, il vous renvoyanbsp;), fans ranjon, fans aucune condition, furnbsp;j, Bayard, fon propre cheval, qu�il vous confia,nbsp;,, vous laiflant route libert� de lui faire lanbsp;� guerre, ou de lui accorder la paix ? Aunbsp;,, lieu de lui tenir coinpte de fa magnanimi-,, t�, vous n�avez uf� de votre libert� quenbsp;� pour Ie bloquer dans fon Chateau amp; Ie fairenbsp;� p�rir-de faim, lui amp; fa familie. Le ciel,nbsp;� qui le prot�g� vifiblement, lui ouvre unnbsp;�chemin -, il �chappe a vos fureurs, il vousnbsp;,, �pargne un crime, amp; vous le pourfuiveznbsp;� dans fon dernier afyle; il eft aflez heureuxnbsp;,, encore, pour vous enlever un de vos plusnbsp;� vaillans Chevaliers, pr�t � le prendre, poutnbsp;� vous le livrer, amp; vous voudriez qu�il vousnbsp;� le rendit! Sire, fi Renaud ne 1�a pas faitnbsp;,, mourir, c�eft un exc�s de bont� qui n�anbsp;� point d�exemple j mais, je le regarderoisnbsp;� comme le plus infenf� des hommes, s�ilnbsp;� vous rendoit un otage de la paix qu�il d�fire,nbsp;,, avant qu�elle fdt conclue.
Naimes, Oger amp; 1�Archev�queTurpin, ap-puy�rent le difcours de Roland, amp; Charle- ' magne fut forc� de fe rendre; il leur ordonnanbsp;d�aller vers Renaud, de lui dire de rendrenbsp;Richard de Normandie amp; Maugis, amp; qu�d ce
-ocr page 305-299
d'Aymon.
prix, il confentiroit a la paix; qu�il rendroic ieurs terres aux fils d�Aymon, amp; qu�il feroicnbsp;�lever dans fa Cour les enfans de Renaud.nbsp;j, Sire, repondit Naimes, ce feroic nous en-,, voyer inutiletnent: Depuis deux ans, Mau-� gis s�eft f�par� de fes coufins, amp; perfonnenbsp;,, ne fait ce qu�il eft devenu. II a pris ce parti,nbsp;,, vouslefavez, non qu�il craignitque, jamais,nbsp;� Renaud lelivr�tjmaispour �ter toutobftaclenbsp;� � la paix.
,, C'eft une impofture, s�ecria Pinabel, qui ,, avoit entendu ces derni�res paroles, amp; quinbsp;� venoit d��tre d�fenchant�; Maugis eft a Dor-,, dogne II raconta tout ce qui lui �toitnbsp;arriv�, dans fa rente, avec le Chevalier para-lytique. Roland lui foucint que la honce d�a-voir �t� vaincu par un vieux Chevalier invalide , lui faifoit fuppofer ces menfonges ;nbsp;mais les fun�railles de Pinabel amp; de fes Ecuyers,nbsp;amp; le d�fenchantement occafionn� par la m�daille, le juftifi�rent dans l�efprit de Charlemagne, amp; Roland ne favoit qu�en penfer.
,, Quoi qu�il en foit, reprit le Roi, portez � mes propofitions a Renaud : Nous verronsnbsp;� ce qu�il r�pondra ; furtout, rapportez-moinbsp;,, des nouvelles de Richard de Normandie.
Les Barons ob�irent; ils furent introduits dans la Ville, portant, chacun, une branchenbsp;d�olivier, en figne de paix. Renaud leur ficnbsp;Paccueil le plus favorable, amp; Naimes lui ficnbsp;les propofitions du Roi.
� Je fuis bien �tonn� , leur r�pondit Re-�gt;, naud, que Charlemagne, fachant que Mauamp;is
N vj
-ocr page 306-ioo
Les quatre fih
� s'eft f�par� de nous, amp; que c�eft: unique-ment pour ne lui point faire ombrage, il � s�obftine a me Ie demander encore. Atta-'nbsp;cher a un trait� une condition impoffible anbsp;� remplir, eft un jeu indigne de lui amp; de moi,nbsp;� Sc de ceux qu�il charge d�une ambaflade auffinbsp;,, pu�rile. Je ne vous cacherai pas, cependant,nbsp;,, que Maugis eft venu me voir; mais il n�anbsp;,, pal�� ici que deux jours, amp; il eft reparti,nbsp;� fans qu�il ait voulu dire quelle �toit fa re-� traite; mais Charles fait que, quand il fe-,, roit en mon pouvoir, je ne Ie livreroisnbsp;�jamais. II me fait demander Richard de
� Normandie, � qu�il met a
amp; c�eft la feconde condition
la paix. Richard eft un tr�s-� vaillant Chevalier; mais c�eft pour me li-� vrer au Roi qu�il a eu la t�m�rit� de me � pourfuivre jufque dans Dordogne ; S�il e�tnbsp;� r�ufli, je n�avois a efp�rer qu�un� mort in-� fame. Je ne blelferai done point la juftice,nbsp;�en livrant Richard au m�me fupplice, au-� quel il n�a pas tenu au miniftre des vengeancesnbsp;� du Roi, que je n�aye �t� livr�. Allez donenbsp;�rapporter a votre maitre, que Maugis n�eftnbsp;� point en ma puiflance; que, quand il y fe-� roit, je ne Ie facrifierois point a fa fureur;nbsp;,, que j�ai deftin� Ie Due Richard au fupplicenbsp;� auquel Charles me deftinoit lui-m�me; quenbsp;� tout ce qui s�eft pafl'�, depuis qu�il mit Ienbsp;� fi�ge devant Montauban, m�a appris a �trenbsp;� inexorable comme lui; amp; qu�enfin, je trai,nbsp;� terai comme efpions tous ceux qu�il m�en-� verra, Chevaliers ou a�tres, lorfqu�ils n�au-
-ocr page 307-d'Aymon. nbsp;nbsp;nbsp;�oi
tont � me faire quedefemblables propofitionsT
Les Pairs furent �tonn�s d�entendre Renaud r�pondre avec une fierc� qu�il n�avoit jamaisnbsp;montr�e; ils ne dout�rent point que fa patiencenbsp;ne fe fut laflee, amp; ils tretnbl�rent pour Ie Duenbsp;de Normandie. Ils retourn�rent vers Ie Roi,nbsp;amp;, apr�s que Roland lui eut rendu la r�ponfenbsp;de Renaud ; ,�Sire, lui dit-il. Ia patiencenbsp;� amp; la douceur ont leur terme. Celui qui faitnbsp;j, fe maitrifer , les franchit rarement; mais�nbsp;,, quand, une fois, il s�abandonne a fon ref-
fentiment, fes exc�s font plus a craindre � que celui de 1�homme imp�tueux, qui nenbsp;� connoit pas la moderation. La col�re fe ra-i, lentit par 1�habitude; mais elle eli intrai-� table, quand elle fucc�de 1�habitude de lanbsp;�douceur. Votre inflexible f�v�rit�, Sire, anbsp;� forc� Ie plus doux des hommes a �couternbsp;� un courroux trop long-temps retenu, amp; donenbsp;�Ie malheureux Richard fera, peut-�tre, lanbsp;� viftime. Je crois done qu�il n�y a pas unnbsp;� moment a perdre , li vous voulez appaifernbsp;� Renaud.
Le Roi fut �branl�; Pinabel Ie vit pr�t a lenvoyer Oger amp; Roland vers Renaud; mais,nbsp;profitant de 1�afcendant qu�il avoit fur fon mai-�tre; � Sei^ieurs, dit-il, vous feriez-vousnbsp;� flatt�s de jeter , par vos craintes, feintes ounbsp;�v�ritables, 1�alarme dans le eoeur de votrenbsp;�Roi? Si, jufqu�ici, la terreur que fes me-,, naces ont imprim�e dans Pame de Renaud ynbsp;� 1�a port� a s�humilier amp; a demander gr^ce;nbsp;,) fi, iorfque Maugis, pat la plus indigne des
-ocr page 308-soa
Les quatre fils
,, f�lonies, init fon Souverain en la puiflai�:e ,, de fes coufins, il n�ofa point profiler de fesnbsp;� avantages; fi, au milieu des combats, il eftnbsp;� tomb� aux pieds de fon maitre, pour obte-� nir la paix, comment pouvez-vous croirenbsp;j, qu�aujourd�hui, Renaud veuille s�expofer,nbsp;� par Ie fupplice de Richard, a la plus ter-,, rible des vengeances? Ce que vous appeleznbsp;f, douceur en lui , n�eft que prudence , amp; cenbsp;,, n�eft pas dans cette circonftance qu�elle fanbsp;,, d�raentira.
Charlemagne approuva I�avis de Pinabel, paree qu�il �toit conforme a fes d�firs amp; anbsp;fes vues; amp; il ajouta, que, fi Renaud faifoicnbsp;Ie moindre outrage au Due-de Normandie, ilnbsp;extermineroit, amp; Renaud, amp; fes enfans, fesnbsp;fr�res, fon p�re, jufqiPau dernier de fa race;nbsp;il chargea Naimes de porter cette r�ponfe anbsp;Renaud � Sire, lui dit Naimes, je fuis pr�cnbsp;� d'ob�ir A vos ordres; mais fongez que cettenbsp;d�marche eft d�cifive pour la vie de Ri-ehard. Renaud eft plus d�fefp�r� de l��loi-� gnement de Maiigis, dont vous feul �tes lanbsp;caufe, que de tous les maux qu�il a foiifferts;nbsp;il etlc donn� fa propre vie pour la fienne :nbsp;ff Jugez, Sire, s�il �pargnera celle de Richard.nbsp;,, Pinabel ne concevra pias, fans doute, quenbsp;f, 1�amiti� malheureufe puifle porter a de telsnbsp;f, exc�s une ame fenfible, amp; il conclura quenbsp;ff Renaud ne s�expofera point, pour cette chi-f, m�re, aux d�faftres dont vous Ie menacez.nbsp;f, Vous pouvez, Sire, vous en rapporter Anbsp;ff Pinabel: Qui connoii que lui Ia fenlP-
-ocr page 309-d'Aymon. nbsp;nbsp;nbsp;303
,, bilit� inqui�te , amp; les d�licatefles d�une ame �grande? Continuez, Sire, de r�gler votrenbsp;� conduite fur fes confeils; chargez-le de por-� ter vos propofitions � Renaud : Au d�fiiutnbsp;� de la bienf�ance, fon �loquence fuffira pournbsp;� les lui faire accepter.
Pinabel rougit, voulut parler, amp; fa voix tretnblante ne put prof�rer que des fons malnbsp;articul�s. Charlemagne fentit tout Ie poidsnbsp;des reproches de fes Barons: II craignit, nonnbsp;feulement, la perte de Richard de Normandie, mais encore la d�fcdlion de fes Chevaliers, qui fe trouvoient humili�s par les mau-vais traitemens faits aux fils d�Aymon, parnbsp;la mort infame ^ laquelle Charles expofoit Ienbsp;Due Richard, amp; par la pr�f�rence qu�il fem-bloit donner aux avis de Pinabel fur leursnbsp;Confeils d�fint�refles.
Cependant, Renaud affembla fes fr�res pour d�lib�rer fur Ie fort de Richard de Normandie ; ils furent d�avis de lui faire fubir Ie fup-plice auquel Charles avoit condamn� Richard,nbsp;leur fr�re. Renaud ne pronon9a point; mais ilnbsp;ordonna qu�on �levat un gibet au deffus de lanbsp;grande tour qui dominoit Ie camp de Charlemagne. Auffi-t�t que Roland l�aper^ut, il cou-rut en avertir Ie Roi: � Sire, lui dit-il, voil4nbsp;r, done la r�compenfe de tous les fervices quenbsp;,, Richard vous a rendus; il ne d�pendoit quenbsp;yt de vous de Ie fauver, amp; vous aimez raieuxnbsp;sj 1'abandonner, que de pardonner aux fils
d�Aymon! Certes, Sire, c�eft un pujlTant en-� couragement pour vos ferviteurs t
-ocr page 310-304 nbsp;nbsp;nbsp;q^uatre fils
Charlemagne fouric de fes plaintes. nbsp;nbsp;nbsp;Ne
,, voyez-vous pas, leur dit-il, que tout cec
appareil n�eft qu�un vain �pouvantail, pour �me forcer a faire la paix? Je ne crainsnbsp;� rien pour Richard.
Renaud, cependant, commanda dix Cavaliers pour conduirele Due de Normandie au fupplice. Le Duejouoit, dans ce moment, unenbsp;partie d��checsavec le jeune Yon; il vitappro-cher les fatellires, amp; leur demanda, froidement ynbsp;ce qu�ils vouloient; Ils lui r�pondirent, d�unnbsp;ton refpeftueux, qu�ils �toient fach�s des or-dres dont ils �toient charg�s, que c'�toit avecnbsp;le plus grand regret qu�ils les ex�cutoient.nbsp;� Quels font ces ordres, interrompit bruf-� quement Richard ? Monfeigneur, l�i di-�rent-ils, nous avons la trifte commiffionnbsp;� de vous conduite au fupplice Richardnbsp;les regarda avec m�pris, amp; continua fa partie. Les Gardes attendirent encore quelquenbsp;temps; mais, voyant que Richard ne faifoicnbsp;aucune attention a eux. � Monfeigneur, re-� prirent-ils, il eft temps de marcher; il n�ynbsp;,, a point de grace a efp�rer ,,. Richard, fansnbsp;faire femblant de les entendre, continua fonnbsp;jeu. Enfin, les Gardes s��tant avif�s de vou-'nbsp;loir 1�enlever de force, Richard fe l�ve, amp;,nbsp;a grands coups de fon �chiquier, qui �toitnbsp;d�ivoire, il en �tend quatre morts i fes pieds,nbsp;amp; les autres prirent la fuite; enfuite, il re-vint a Yon : � Raccommodons notre jeu,nbsp;,, lui dit-il tfanquillement; ces malheureux,,nbsp;�qui, fans doute, �toient ivres, 1�ont un
-ocr page 311-�05
peu derange; ma m�moire y fuppl�era ; jgt; Vous aviez perdu un cavalier, amp; moi unnbsp;�gt; fou; il vous reftoic quaere pions, amp; a moinbsp;fix; votre Roi �toit l4, amp; ma tour iciLenbsp;jeune Yon trembloit, amp;n�ofoitrien dire. Tan-dis qu�il raccommode fon jeu, Richard appellenbsp;fon Ecuyer, amp;lui ditfroidement: � Faites Jeternbsp;par la fen�tre ces coquins, qui venoient m��-� tourdir, amp; quej�ai tu�s�. L�Ecuyer, aveclenbsp;fecours d�un domeftique, les jeta, 1�un apr�snbsp;1�autre, dans la cour du Chateau. Alard, quinbsp;artendoit fur la tour qu�on amenat Richard,nbsp;fut bien �tonn�, lorfqu�il vit voler par lesnbsp;fen�tres de fon prifonnier, les Gardes qu�il luinbsp;avoir envoy�s: II courut en avertir Renaud, quinbsp;comprit bien qu�il en co�teroit beaucoup avantnbsp;qu�on put fe faifir du Due de Normandie lt;nbsp;Ceux qui avoient fui, vinrent, tout tremblan�nbsp;encore, implorer le fecours de leur maltre. Renaud Vint dans I�appartement de Richard, amp;nbsp;lui demanda pourquoi il avoit tu� fes gens.nbsp;� Il eft vrai, repondit Richard , que, tandisnbsp;,, que je jouois, avec votre fils, il eft venunbsp;�ici dix a douze coquins; ils m�ont tenu,nbsp;�de votre part, des propos infolens, aux-� quels, d�abord, je n�ai pas fait attention;nbsp;� mais, enfuite, en afiurant toujours que c��-� toit par VOS ordres, ils ont eu 1�audace denbsp;� vouloir fe faifir de moi pour me conduire,nbsp;� ont-ils dit, au fupplice; je fuis tomb� furnbsp;� eux a grands coups d��chiquier, j�en ai tu�nbsp;,, quelques-uns, amp; les autres ont pris la fuitenbsp;� comme des laches. Si vous �tiez mon pri-
-ocr page 312-jo6
Les quatre fils
j, fonnier, comme je fuis Ie votre, j�emp�cher ff rois mes gens de vous faire de pareils ou-
trages. Mon cher Richard, lui dit Renaud, � il n�eft plus queftion de courtoifie. Je faisnbsp;� tout ce que fe doivent de braves Cheva-,, liers; mais Charlemagne rn�a avili, amp; vousnbsp;� partagez les torts de Charlemagne; quandnbsp;�Richard, mon fr�re, fut entre fes mains,nbsp;� amp; qu�il Ie condamna au gibet, il Ie fit gar-� der dans une prifon obfcure; il Ie chargeanbsp;� de chalnes, comme un vil criminelp je n�ainbsp;,, rien fait de tout cela a votre �gard. C�eftnbsp;�� contre mon intention qu�on a uf� de vio-,, lance; mais auffi auriez-vous du, peut-�tre,nbsp;� marquer moins de hauteur, amp; ne pas don-,, ner la mort a de malheureux qui croyoientnbsp;,, ne faire qu�ob�ir; mais, Renaud, reprit Ri-,, chard, ne fuis-je pas auffi un ferviteur denbsp;,, Charles, qui a fait ferment de lui ob�irnbsp;� en tout?
,, Richard, ne perdons pas Ie temps en des ,, difcuffions inutiles; je veux bien vous don-� ner Ie temps, encore, de folliciter ma paixnbsp;� aupr�s de lui; mais, fi vous n�y parveneznbsp;,,pas, il faut vous r�foudre � mourir, Re-� naud, reprit Richard, je connois fi bien Ienbsp;� fonds de ton coeur, je crains fi peu tes me-�naces, que je me livre a toi fans r�ferve ,nbsp;,, amp; que, fans qu�il foit befoin d�autres gar-� des que de moi-m�me, je vais me rendrenbsp;� au lieu de mon pr�tendu fupplice II ynbsp;monta; Renaud avoit fait un appareil impo-fanr; il fe fit accompagner a la tour par un
-ocr page 313-d'Aymon. nbsp;nbsp;nbsp;jojr
Cortege nombreux. II dit a Richard : � II eft �gt; encore temps de vous d�rober a la home.nbsp;5gt; Voici deux partis que je vous propofe : Aban-j, donnez le Roi, amp; vous uniflez avec moi;nbsp;�, ou bien, faites ma paix avec lui. J�ai ju-t, r� ^ r�pondit Richard, foi amp; hommage �nbsp;� Charlemagne; il eft mon Souverain, amp; lanbsp;,, crainte de mille morts ne me feroit pointnbsp;,, changer. Quant a la paix que vous deman-iy dez, perfonne ne la d�fire plus finc�rementnbsp;que moi : Je ne 1�exciterai point a fe par-�jurer; mais, comme je connois fon amiti�nbsp;� pour fes Pairs, donnez-moi un h�rault, quenbsp;�je puifle lui envoyer,
Renaud appela un herault, a qui Richard dit : ,, Allez vers Charlemagne, dites-lui quenbsp;� vous m�avez parl� au pied d�un infdme gi-�bet, ou j��tois pr�t a monter, amp; que, s�ilnbsp;y, ne confent a la paix que Renaud lui de-y, mande, il va m�y faire attacher. Vous luinbsp;�, donnerez cette bague, comme un figne quenbsp;j, ce que vous lui rapportez, vous le teneznbsp;�de moi, amp; non d�autrui. Vous ajoutereznbsp;� que, pour lui t�moigner le d�fir que j�ai denbsp;�cette paix, non a caufe de la mort que jenbsp;y, fuis pr�t � fubir, mais A caufe de 1�amiti�nbsp;y, que j�ai pour les fils d�Aymon amp; du z�lenbsp;y, que j�ai pour le Roi, je confens a ie d�-,, dommager des torts que Renaud lui a fairs.nbsp;I, Vous direz a Roland, amp; aux autres Pairs,nbsp;y, de reprefenter a Charlemagne la honte quinbsp;V) rejailliroit de mon fupplice, fur eux amp; fur lui.nbsp;Le herault ex�cuta fidellement fa commif-
-ocr page 314-�oS nbsp;nbsp;nbsp;Les quatre fils
fion, amp; rapporta, mot a mot, ce que Richard lui avoit dit. Alors, Roland, Naimes, Oger,nbsp;Turpin, amp; tous les Pairs, fe jet�rent aux ge-noux du Roi. �Sire, lui dirent-ils, fauvez anbsp;�la fois, amp; Richard de Normandie, amp; lesnbsp;,, fils d�Aymon, amp; vous-m�me,,. Charlemagnenbsp;parut inflexible ; II leur r�p�toit, fans celie,nbsp;que Richard, au pied du gibet, �toit en fu-ret� comme dans Ie camp, amp; que, jamais,nbsp;Renaud ne fe r�foudroit a Ie faire p�rir. Lenbsp;h�rault protefta qu�il n�y avoit aucune grkenbsp;a efp�rer, amp; que Renaud 1�avoit jur�. Alors,nbsp;Olivier fe hafarda de dire k Charles: ,, Sire,nbsp;,, vous lui avez trop bien appris qu�il ne faucnbsp;� pas obliger une feconde fois celui qui, lanbsp;� premi�re, a roanqu� de reconnoiflance. Vousnbsp;9, tourneriez contre lui la grace qu�il feroitnbsp;� a Richard, comme vous avez d�j� fait celle
qu�il vous accorda a vous-m�me Le h�rault demanda fon cong�, mais Roland l�ar-r�ta, amp; lui dit : � Tu peux aflurer Richard � de Normandie, amp; les fils d�Aymon, que tunbsp;� as laifl'� les Pairs difpof�s a quitter le fer-� vice d�un Prince, qui, dans 1�occafion, n�au-,, roit plus de piti� de nous, qu�il n�en a denbsp;,, Richard.
Alors, tous fe lev�rent en pleurant ; L�Ar-chev�que Tnrpin, qui reftoit feul, dit � Chatr lemagne :,, Sire, c�eft avec regret que je vousnbsp;,, quitte; mais il feroit honteux a moi, denbsp;5, me f�parer des douze Pairs; leur d�marchenbsp;� f�t-elle condamnable, j�aime encore mieuxnbsp;t) �tre bl�tn� avec eux, que de les trahir par
-ocr page 315-u une ISche d�fertion Ils fortirent tous; ils all�rent a leurs rentes, amp; les firent abactre;nbsp;ils raflembl�renc leurs gens, amp; les conduifirencnbsp;hors du camp. L�arm�e de Charles fe trouvanbsp;diroinu�e de plus de raoiti� ; Ce qui relta fr�-niit, en voyant partir tous les Chevaliers,nbsp;amp; ne laifler que quelques Gentilshommes, Ienbsp;traitre Ganelon amp; Ie perfide Pinabel.
Le h�rault rapporta toutes ces chofes a Re-liaud; amp; Richard fentit combien peu il falloic compter fur 1�amiti� des Rois, puifque Charlemagne l�abandonnoit dans une circonftance,nbsp;o� il s�agiflbit de lui fauver 1�honneur amp; lanbsp;vie; le h�rault raconta les difpofiti�ns amp; lanbsp;d�fertion des Pairs. � C'en eft aflez, s��crianbsp;3, Renaud,amp; il courut aulfi-t�t embralier Ri-�j, chard. Mon coufin, lui dit-il, je ne vousnbsp;55 demande point pardon du mal que j�ai voulunbsp;55 vous faire; car vous �tiez bien aflur�, amp;nbsp;�5 Charles n�en eft que trop perfuad�, que monnbsp;55 intention n�a jamais �t� de vous faire mou-,5 rir. Quelqu�outrage que Charles m�ait fait,nbsp;�, fon exemple ne doit point f�duire un cceurnbsp;5, noble amp; g�n�reux, mais je vous prie de m�nbsp;55 pardonner eet appareil, que j�ai voulu mettrenbsp;5, fous les yeux du Roi, amp; cette apparencenbsp;jj de rigueur amp; d�inflexibilit� a votre �gard:nbsp;55 L�effet qu�elle a produit fur les douze Pairsnbsp;35 doit me juftifier a vos yeux.
Renaud renvoya le h�rault vers les douze I*airs, amp;leur fit dire, qu�en leur confid�ration, ilnbsp;svoit fait grace a Richard, amp; les Pairs firentnbsp;^fiurer Renaud qu�ils ne rentreroient au fervice
;io
jivy nbsp;nbsp;nbsp;Les quatre fils
de Charles, que lorfqu'il auroit fait fa paix avec les fils d�Aymon.
CHAPITRE XXL
M�chanut� des confeils de Pinabel, reconnue amp; punie. Noble aveu de Charlemagne. Retour des Pairs. Renaud fc d�voue pour fesnbsp;fr�res. Sa r�jiftance aux larmes de fon �poufenbsp;amp; de fa familie. Alarmes d'Tolande; fonnbsp;amour amp; fon courage. AttendriffemenX. denbsp;Charles. Pardon amp; punition. Exil de Renaud.
T-^-p.s douze Pairs s�aflembl�rent hors du camp, amp; prirent cong� les uns des autres,nbsp;Charlemagne, r�fl�chiliant fur la perte qu�ilnbsp;faifoit, fit appeler Pinabel, dont il commen-goit a fe m�fier; il lui t�moigna fes craintesnbsp;amp; fes regrets. � Sire, lui dit Ie Ikhe flatteur,nbsp;�je fuis �tonn� de vos alarmes; n��tes-vousnbsp;� pas aflez grand par vous-m�me ? Eh! quenbsp;� vous importe que vos Barons reftent, ounbsp;,, s�en aillent? Vous pouvez tout fans eux,nbsp;� amp; que feroient-ils fans vous ? Quand il fe-� roit vrai, corame ils ont eu 1�adrefle de vousnbsp;� Ie perfuader, que la nation a en eux unenbsp;� confiance aveugle, elle difparoitra avec eux,nbsp;� amp; leur d�fertion prouvera a la nation m�-� me, combien peu cette confiance �toit fon-� d�e. Vous cralgnez que leur fetraite n�alfoi-f) blilie 1�amour de vos Peuples: Sire, eet
-ocr page 317-� amour, ils le partageoient avec vous, amp; ,, vous allez en reflentir feul tous les efFets.nbsp;,, D�ailleurs, Sire, quel eft cet amour qu�ilsnbsp;,, vous faifoient taut valoir? un caprice, unenbsp;,, eftervefcence paflag�re. Quelle que foit 1�af-,, feftion des Peuples pour le Souverain, qu�ils
le craignent ou qu'ils 1�aiment, pourvu qu�ils ,, lui ob�iflent, peu importe. Sont-ce les Roisnbsp;� qui font fairs pour les Peuples, ou les Peu-,, pies pour les Rois?.,..
Charlemagne, enfin, r�volt� de fentimens fi bas, interrompit le lache adulateur : � Trai-,, tre, lui dit-il, cent fois plus digne de manbsp;� haine que Renaud amp; Maugis, porte loinnbsp;,, de moi tes difcours empoifonn�s. C'eft toj,nbsp;,, Ikhe, qui m�as engag� dans des d�marchesnbsp;� contre lefquelles tu t�es imagin� que manbsp;� grandeur compromife, ou une faulle hontenbsp;,, m�emp�cheroit de revenir. La honte con-� fifte a perfifter dans 1�injuftice, amp; non inbsp;� revenir d�une erreur. Malheureux! que t�a-,, vois-je fait pour abufer, ainfi, de la con-� fiance que je t�avois donn�e? Cent millenbsp;� ennemis font moins redoutables pour unnbsp;� Souverain, qu�un courtifan dont on ne fenbsp;,, ro�fie pas.
A ces mots, Charlemagne appelle un h�ros, amp; lui ordonne de conduire Pinabel, pieds amp;nbsp;mains li�s, vers les douze Pairs. � Dites-leur,nbsp;� ajoute-t-il, que je leur envoye le traitrenbsp;,, qui, par fes confeils, n�a cefl� de m�irri-
ter contr�eux amp; contre la familie d�Aymon : � Je les lailie les raaitres de fa punition; di-
-ocr page 318-3ia nbsp;nbsp;nbsp;quot;Les quatre fih
� tes-Ieur que leur Rol ne veut �tre, d�for-,, mais, que leur ami; qu�ils reviennent lui ,, donner des confeils plus falutaires, amp; qu�ilnbsp;y, eft pr�t a les �couter.
Renaud, qui, des remparrs de Dordogne, voyoit tout ce qui fe palibit, fit remarquernbsp;a Richard de Normandie un Chevalier fansnbsp;armes, mont� fur une mule �tique, les mainsnbsp;li�es derri�re Ie dos, qu�un h�rault pr�fen-toit aux douze Pairs. Richard reconnut Pinabel : Ils virent, un moment apr�s, les douzenbsp;Pairs s�aflembler, d�lib�rer amp; quot;reprendre Ienbsp;cheniin du camp de Charlemagne; mais Ienbsp;h�rault conduifoit Pinabel �. Dordogne. Richard s�en f�licita : Depuis long-temps, ilnbsp;ha�flbit Ie perfide; ils all�rent au devanc denbsp;lui : �Seigneurs, dit Ie h�rault, Ie Roi anbsp;� livr� cette vi�lime aux douze Pairs; il anbsp;,, reconnu que c��toit un vil flatteur, qui, parnbsp;,, fes confeils, entretient les divifions qui r�-� gnent entte Ie tr�ne, les fils d�Aymon amp;nbsp;,, les Pairs; amp;, comme Charlemagne les anbsp;,, laifles les maitres de fon fort, ils vous Ienbsp;,, renvoyent pour que vous en fafiiez a votrenbsp;� volont� Richard amp; Alard opin�rent pournbsp;qu�il fut attach� au gibet, qui fe trouvoitnbsp;tout �lev� fur la tour : Mais Renaud Ie ficnbsp;mettre en prifon, jufqu�a ce que Charlemagnenbsp;e�t prononc�.
Cependant, les Pairs �tant revenus aupr�s du Roi, ils embraflerent fes genoux; il leurnbsp;tendit la main, amp; leur ordonna de prendrenbsp;Iturs places.
�J�ai
-ocr page 319-S�Aymon. nbsp;nbsp;nbsp;313
�J'ai, peut-�tre, dit-il, poufle la f�v�rit� � trop loin a 1��gard de la familie d�Aymon,nbsp;quoique Ganelon amp; Pinabel, par desnbsp;� menfonges adroits, amp; par des rapports in-� fidieux, ayent eu 1�art d�entretenir ma co-j, l�re, j�avoue que j�aurois d� �tre plus fen-� au repentir de Renaud , amp; ne pas
fibls
,, rejeter fa priere; mais il n�en efl pas moins ,, vrai que les fils d�Aymon fe font r�volt�snbsp;� contre leur Souverain; ils ne fe font pasnbsp;,, born�s a une guerre d�fenfive ; ils m�ont
i, nbsp;nbsp;nbsp;attaqu�; ils m�ont pourfuivi; ils m�ont in-� fult� jufque dans ma tente : Je rends juf-,, tice a Renaud, il n�a pas tremp� dans cettenbsp;� f�lonie; mais Ie chef doit r�pondre de ceuxnbsp;,, qu�il conduit, amp; la loi Ie condamne; unnbsp;� pardon abfolu feroit un attentat contre lanbsp;�loi. Les quatre fils d�Aymon font coupa-�bles, amp; leur coufin l�eft encore davantage.nbsp;� Je veux bien , cependant, me contenternbsp;�d�en punir un feul, en fauvant m�me fonnbsp;� honneur amp; fa vie. Allez, Due de Naimes,
j, nbsp;nbsp;nbsp;dites �. Renaud, a fes fr�res, amp; � Maugis,nbsp;� que 1�un d�eux fe remette en mon pouvoir,nbsp;�amp; qu'a ce prix, non feulement, je faisnbsp;�, grace i tous les autres; mais encore que jenbsp;�leut rendrai leurs h�ritages, leurs fiefs, amp;nbsp;� tout ce que leurs crimes one, fait tombernbsp;� au fifc.
Naimes porta eet ordre a Dordogne; route la familie d�Aymon, except� Renaud, en fut coaf-tetn�e: Chacun vouloit fe d�vouer pour les autres : ,, Non, dit Renaud, ce fera rooi qui me
O
-ocr page 320-�14 nbsp;nbsp;nbsp;quatre fils
,, facrifierai pour tous. Le Roi eft grand amp; ,, g�n�reux, amp; s�il eut �t� le rnakre de fuivrenbsp;,, le penchant de fon cceur, 11 y a long-tempsnbsp;,, qu�ii eut accept� les propofitions que je luinbsp;j, ai faites, de lui c�der Bayard , amp; de fuir,nbsp;,j avec vous, loin de fes Etats; mais Pinabelnbsp;� amp; Ganelon lui ont fait envifager la clemencenbsp;,, comme une foiblefle dangereufe. Si c�eft dunbsp;,, fang qu�ii demande, c�eft le mien qui doitnbsp;j, couler �, je me fuis couvert d�aflez de gloirenbsp;� en combattant centre lui, pour n�avoirnbsp;� point de regret a la vie. Vous �tes plusnbsp;,, jeunes que moi; il n'eft aucun de vous donenbsp;,, la mort ne fut une perte pour la patrie amp;nbsp;�pour I'univers. Allez, Naimes, dites aunbsp;�Roi, que je vais me livrer a fa difcr�tion,nbsp;� amp; lui raniener Richard de Normandie.
Les fr�res de Renaud s�oppof�rent vaine-ment t cette r�folution; Ni leurs larmes, ni leurs pri�res, ne parent le faire changer d�avis.nbsp;Yolande, avec fes deux fils, vint embraflernbsp;les genoux de Renaud. ,, Cruel, lui dit-elle,nbsp;� tu vas t�expofer aux fureurs d�un enneminbsp;� implacable; amp; tu n�emm�nes point avec toinbsp;� ta femme amp; tes enfans! Si tu les abandon-�nes, que veux-tu qu�ils deviennent? quenbsp;,, veux-tu que devienne leur m�re infortu-,, n�e r Si tu es refolu de mourir, permetsnbsp;� que je meure a tes c�t�s ; Survivre a cenbsp;� qu�on aime, eft mille fois plus cruel que lanbsp;�mort; �pargne-moi, je t�en conjure, uJinbsp;,, fupplice fi long amp; fi terrible.
315
Iftrmes, feignit de fe rendre. � Vous le vou-,, lez, leur dit-il, que'le fort en d�cide: Que ,, le refte du jour fe paffe en pri�res, que nosnbsp;,, temples foient ouverts; demain, quand lenbsp;� foleil �clairera nos plaines, nous nous ren-,, drons, tous, fur la place publique, amp; la,nbsp;� en pr�fence de nos citoyens, chacun �criranbsp;� fon nom, le jettera dans un cafque, amp; lenbsp;j, premier qui fortira, fera la vidime que lenbsp;,, del aura choifie.
Les fr�res de Renaud donn�rent d�autant plus aif�ment dans le pi�ge, qu�ils fe fiattoientnbsp;d�exciter le Pet^iple, a fuivre de pr�s celui quenbsp;le fort d�ligneroit, amp; a 1�arracher au pouvoirnbsp;de Charlemagne, s�il vouloit attenter a fesnbsp;jours; mais, pendant la nuit, Renaud, Nai-mes, amp; Richard de Normandie, partirent fe-crettement.
Renaud s��toit �chapp� des bras d�Yolande, fous pr�texte de veiller a la furet� de Ia Ville.nbsp;Le jour �toit pr�t de paroitre, amp; Yolandenbsp;ne voyoit point revenir fon �poux; agit�enbsp;de mille foupQons, elle fort de fon Palals, vanbsp;chercher Renaud, amp; ne le trouve point. Ellenbsp;court a la pone du Chiteau, amp; elle apprend,nbsp;enfin, qu�il eft parti avec Naimes amp; Richard;nbsp;elle revient au Palais �chevel�e amp; verfancnbsp;Un torrent de larmes; elle vole vers fes en-fans: � Chers gages de la tendreffe de Re-gt;, naud, s��crie-i-elle, allons fuivre votrenbsp;p�re; il va fe mettre au pouvoir de fon ea-y, nemi �! A peine leur donne-t-elle le tempsnbsp;s�hgbiller; fans fonger a fe faire accompa-
Oij
-ocr page 322-�i6 nbsp;nbsp;nbsp;Les quatre fih
gtier, oubliant la foiblefle amp; ia timidit� de Ion fexe, elle prend un de fes enfans de chaquenbsp;main, amp; court au camp de Charlemagne. Lanbsp;longueur de la route ii�irritoit que fon impatience, amp; ne lui caufoit point de fatigue;nbsp;fes enfans s�animoient de fon courage, ils lia-toient les pas de leur m�re, qui euc voulunbsp;pr�cipiter leur marche.
D�s que Ie jour parut, les fr�res de Re-naud fe rendirent au Palais; mais, quel fut leur �tonnement, lorfqu�ils n�y trouv�rent ni leurnbsp;fr�re, ni fon �poufe, ni leurs neveux! Lenbsp;depart de Richard de Normandie amp; de Nai-mes leur eut bient�t ouvert les yeux. Ils s�ac-cufent d�une honteufe cr�dulit�; mais, fansnbsp;perdre un temps pr�cieux a de vaines plain-tes, ils font retentir les cors amp; les trompet-tes, amp; le Peuple eft d�j� fur la Place; il veutnbsp;prendre les armes amp; fuivre las troupes quinbsp;d�filent.
Cependant, h la premi�re clart� du jour, Naimes conduilit a la rente du Roi, Renaudnbsp;amp; Richard de Normandie : Charles ne put re-tenir fes larmes en voyant 1�un amp; 1�autre ;nbsp;il tendit la main a Richard, amp; s�inclina versnbsp;Renaud qui embraflbit fes genoux ; mais, fenbsp;fouvenant qu�il �toit Roi, il prit un air f�-v�re, que d�mentoit fon cmur. � Renaud, luinbsp;� dit-il, en prenant les armes contre votrenbsp;� Souverain, vous avez viol� routes les loisnbsp;3, divines amp;. humaines, amp; vous m�ritez la mort,nbsp;3, La punition d'un tel crime, vous le favez,nbsp;� eit 1��chafaud.,.. Nous venons pourymon*
-ocr page 323-d'Aymon. nbsp;nbsp;nbsp;317
,, ter avec lui,,, s��crie Yolande, qtii arrivoic dans ce moment, amp; qui fe pr�cipite avec fesnbsp;enfans aux pieds de Charles! Yolande avoicnbsp;p�n�tr� dans Ie camp, amp;, lorfque les Senti-nelles avoient voulu l�arr�ter, elle leur avoitnbsp;dit, en leur pr�fentant fes enfans: � Voici lesnbsp;s, fils de Renaud, donnez-leur des armes, amp; ,nbsp;f, tout jeunes qu�ils font, ofez leur difputernbsp;� Ie paflage A ce difcours mena9ant, au nomnbsp;de Renaud, la garde du camp s��toit ouvercenbsp;amp; les avoit laifl� palier. � Charles, lui difoit-� elle, grace pour Renaud, oufaites-nous p�rirnbsp;� avec lui! Je jure pour moi, pour mes en-,, fans, que nous Ie fuivrons au tombeau....nbsp;� Et moi, je j�re, interrompit Charles, quenbsp;� vos enfans m�aimeronr, qu�ils b�niront leurnbsp;� Souvefain , qu�ils lui feront fidelles, qu�ilsnbsp;� Ie regarderont comme leur protefteur amp; leur
p�re. L�ve-toi, Renaud, Charles te par-,, donne; mais 1'Empereur doit un exemple � a 1�univers. Va rejoindre tes fr�res, va cal-� mer leur impatience; apr�s les avoir em-,, brafl�s, j�exige que tu pafl�s les mers, quenbsp;,, tu allies combattre pour la d�fenfe des lieuxnbsp;� faints. Je ne prefcrits point de terme a tonnbsp;,, exil; cependant, j�aurai foin de ton �poufenbsp;� amp; de tes enfans. Je rends a tes fr�res, amp;nbsp;�a ta familie, vos heritages. Va, Renaud,nbsp;� pars, amp; reviens couvert de nouveaux lau-� riers.
Renaud embrafla fon �poufe, qui s��vanouit dans fes bras ; II profira de ce moment pournbsp;s�en arracher amp; s��parguer de plus triftes adieux;
O lij
-ocr page 324-3i8 nbsp;nbsp;nbsp;Les quatre fih
II demanda la proteftion du Roi pour fa f�m-me , fes enfans amp; fon p�re : II reprit Ie che-min de Dordogne avec Richard de Normandie , qui ne voulut fe f�parer de lui que lorf-qu�il partiroit pour fon exil.
Renaud rencontra, a moiti� chemin , fesfr�-res a la t�t� de leurs troupes amp; de tous les habitans de Montauban : II leur raconta tournbsp;ce qui s��toit pafle , amp; les rameria. II arbo-ra, fur la grande tour, Ie Pavilion de la paix,nbsp;amp;, a ce fignal, Roland amp; Oger ne purencnbsp;s�emp�cher d�avouer que la douceur de Renaud, qui facrifioit tout au bonheur des Su-jets de Charlemagne , Ie mettoit au deffusnbsp;de tous les Chevaliers. �n moment apr�s, onnbsp;vit arriver unh�rault, qui conduifoit Bayard,.nbsp;Renaud Penvo5'oit au Roi amp; lui faifoit de-mander fes ordres au fujet de Pinabel. Charlemagne laifla Renaud Ie maitre de fon fort;nbsp;Ie g�n�reux Renaud donna au traitre une ha-quen�e blanche , amp; lui ordonna de ne jamaisnbsp;leparoltre dans les Etats de Charles. Le la-che fortit de Dordogne, au milieu des hu�esnbsp;du Peuple, amp;, malgr� ces t�moignages de m�pris , pr�f�rant la honte a la mort, il avoicnbsp;iin air content d��chapper a la vengeance desnbsp;fils d�Aymon.
Renaud , apr�s s��tre f�licit� de la paix qu�il venoit de donner � la France, amp; du facri.hcenbsp;qu�il venoit de faire a fes fr�res, leur deman-da ,'pouf toute r�compenfe, de prendre foinnbsp;de fon �poufe amp; de fes enfans, amp;, furtout,nbsp;de bien fervir le Roi. Alots, il quitte fon
-ocr page 325-armure, endofle 1�habit de P�lerin, ne garde que fon �p�e, amp; veut fe f�parer dc fes fr�resjnbsp;ils raccompagn�rent, avec Richard de Normandie , jufqu�a ce Qu�enfin, Renaud exigeanbsp;qu�ils Je quittafl�nc pour aller fervir Cliarle-magne , amp; confoler la trifte Yolande.
CHAPITRE XXII.
^ccucil de Charlemagne auxfr�res de Renaud. Son d�part pour Ll�ge. Combat de Bayardnbsp;amp; de Ganelon dans la Meufe. yJrriv�e denbsp;Renaud a Conjlantinople. Rencontre impr�-vue de Maugis malade; leur arriv�e d J�ru~nbsp;falem. Si�ge de la Cit� fainte. jddmirationnbsp;qu'excite Renaud dans Ie camp des Chr�tiens.nbsp;Hommages du Comte de Rance, amp; desnbsp;Chevaliers , d Renaud- Pr�fens rejet�s (Snbsp;diftribu�s par les fils d'/lymon, aux pau~nbsp;vres Chevaliers. F�tes, r�jouijfances dansnbsp;Ie camp. Sortie des ajji�g�s; bataille fan-glante. Haleur de Renaud amp; de Maugis.nbsp;J�rufalem-enlev�e aux Perfans. MUion d�fef-p�r�e d'Emir^ia. Les Perfes chajf�s de lanbsp;Ralefline; ils demandent la paix. Troupesnbsp;de Chr�tiens difcipUn�es par Renaud. D�part de Renaud amp; de Maugis.
lendemain du d�part de Renaud, Richard de Normandie conduific Alard, Guichard amp;nbsp;Richard au Roi. Leur arriv�e au camp fut
O iv
-ocr page 326-320
Les ^uatre fils
annonc�e par Ie bruit des cors amp; des trom-pettes. Charles ordonna a fes Chevaliers d�aller au devant d'eux. Richard de Normandie lesnbsp;lui prefenta; ils mirent un genou a terre, amp;nbsp;� Alard dit: Sire, quoique vous ayez voulunbsp;� vous contenter de 1�exil de Renaud, quoi-� que vous ayez promis de nous faire grace,nbsp;,, nous venous nous remettre entre vos mains.nbsp;� Croyez, Sire, que, quelque vengeance quenbsp;�vous vouluffiez exercer centre nous, ellenbsp;� n�egaleroit jamais la peine que nous reflen-� tons d�etre f�par�s de Renaud, qui etoitnbsp;� notre p�re amp; notre ami, amp; qui s�eft fi g�n�-� reufeinent facrifi� pour nous,,. Charlemagnenbsp;les fit lever, leur promit Ton amiti� , les remitnbsp;en pofleffion de tout ce qu�il leur avoit �t�, lesnbsp;embrafla en figne de paix, lesaflura qu�il aimoitnbsp;Renaud autant que Roland, fon neveu, amp;nbsp;que, lorfqu�il feroit de retour, ii ne mettroicnbsp;aucune dift'�rence entr�eux.
Les trois fr�res all�rent aupr�s d�Yolande; ils la trouv�rent dans les larmes, embrafiancnbsp;fes enfans l'un apr�s 1�autre, amp; leur parlant,nbsp;fans cefle, de Renaud: Ses pleurs redoubl�-rent en voyant fes beaux-fr�res. � Ma fmur,nbsp;,, lui dit Richard, Renaud n�eft point perdunbsp;� pour nous; il va cueillir de nouveaux lau-,, riers; Ie ciel, qui l�a prote'g� jufqu�ici, Ienbsp;,, ramenera plus digne de vous; ne vous mon-� trez point indigne de lui par un d�fefpoirnbsp;� qu�il condamneroit. L��poufe de Renauddoitnbsp;5, avoir plus de fermet�; elle doit renfermernbsp;,! fes peines, amp; ne laifler �clater que fon cou-
(fAymon. nbsp;nbsp;nbsp;321
�rage Yolande remercia Richard, amp; lui promit de faire tout ce qui d�pendroit d�elle,nbsp;pour fe vaincre, amp; fe contenta de ne porternbsp;que des habits violets, couleur trifte amp; conforme a fa lituation.
Cependant, Charlemagne fit lever fon camp, amp; fit mettre fes troupes en marche, pour allernbsp;au pays de Li�ge. Bayard, depuis qu�il avoirnbsp;perdu le vaillant Renaud , fon maitre , nenbsp;pouvoit fouffrir d�autre Cavalier que le Roi,nbsp;amp;, fous ce fardeau glorieux, il �toit encorenbsp;trifte de I�abfence de Renaud. Unjour, quenbsp;Charlemagne, fuivi de fa Cour, marchoit,nbsp;le long de la Meufe, amp; qu�un de fes Ecuyersnbsp;menoit Bayard a la main, Ganelon fe vanta denbsp;le monter avec la m�me facilit� que le chevalnbsp;le plus doux. Charlemagne le d�fia; Ganelonnbsp;piqu�, s��lance fur la croupe de Bayard; mais lenbsp;Her courfier indign�, 1�emporte amp; fe pr�cipitenbsp;dans le fieuve avec fon Cavalier; il plonge,nbsp;reparoit fur 1�eau, replonge, remonte encore;nbsp;Ganelon ne lache point prife; Bayard furieuxnbsp;gagne le rivage, emporte Ganelon fur le pont,nbsp;amp; fe pr�cipite encore avec lui dans les flots.nbsp;Ganelon , etourdi du coup, I'abandonne ;nbsp;Bayard, qui fe fent libre, profite du moment, fe drefl'e, renverfe Ganelon, nage amp;nbsp;s��lance fur la rive qui eft; oppof�e a 1�arm�e:nbsp;Ilhennit, rue, part comme un �clair, s�en-fonce dans la foret d�Ardenne, amp; difparoicnbsp;aux yeux de 1�arm�e �tonn�e. Charlemagnenbsp;fit cpurir fur fes traces, mais tous fes foinsnbsp;furent inutiles; on ne put jamais le retrou-
0 V
ver, amp; 1�opinion commune eft, que ce fu-perbe courfier git encore dans ces for�ts, ne fe laiflant approcher de perfonne, amp; henniflantnbsp;tomes les fois qu�il voit pafler un Chevalier ,nbsp;dans I�efperance de retrouver fon maitre.
Ganelon fut retir� du fond du fleuve , couvert de vafe amp; prefque noy�, amp;, malgr� 1��tat OU'il �toit,oneut bien de la peine a s�em-p�cher de rire : Car, c�eft un fpedlacle biennbsp;fatisfaifant, que la confufion d'un hommanbsp;vain amp; m�chant,
Lorfque Charlemagne fut arriv� a Aix-Ia-Chapelle, o� il devoit, un jour, �tablir la capitale de 1�Empire d�Occident, il licencianbsp;fes troupes, amp; permit a fes Pairs, a fes Barons, d�aller chez eux ; ma�s, avant qu�ilsnbsp;partiflent, il les r�compenfa tous, amp; les fr�resnbsp;de Renaud comme les autres.
Cependant, Renaud, couvert d�un habit de P�lerin, arrive a Conftantinople : II fe cachenbsp;a tout Ie monde; il�vite les lieuxtropfr�quQji-t�s;il demande une h�tellerie, un afylepournbsp;un P�lerin qu�un voeu am�ne aj�rufalem : Onnbsp;lui indique Ie r�duit obfcur d�une femme pau-vre amp; pieufe , qui exercoit 1�hofpitalit� ; ilnbsp;pr�f�ra cette maifon au plus riche Palais ; ilnbsp;y fut fervi par la pauvret�, avec plus dez�lenbsp;amp; d�affeftion, qu�il ne 1�eftt �t� par 1�opu-lence. La charitable M�rancie partagea , avecnbsp;Renaud, un repas fimple amp; frugal; apr�s luinbsp;avoir lav� les pieds, comme elle avoit cou-tume de faire ^ tous les P�lerins qu�elle re-liroii, amp; 1�avoir fait fouper, elle fe condui-
-ocr page 329-r*�
0-0
d'Aymon,
fic dans une petite chambre, ou tout refpi-roit la propret�, la d�cence amp; la fimplicit�. j, II fauc, lui dit-elle, que vous vous conten-^ tiez de ce logement; celui qui eft a c�t�,nbsp;^ amp; qui, peut-�tre, vous e�t mieux convenu,nbsp;� eft occup� par un P�lerin maiade, a qui jenbsp;� vais donner des foins. Madame, lui dit Re-,, naud, ce P�lerin eft, fans doute, prot�g�nbsp;� du ciel, puifqu�il lui a fait trouver , dansnbsp;� fa maladie, les fecours d�une ame bienfai-� fante. Que Ie fort d�un pauvre �tranger ma-� lade eft � plaindre, fi la piti� ne lui faitnbsp;� trouver des parens par-tout o� il y a desnbsp;� hommes! Permettez-moi de 1�aller voir avecnbsp;^ vous, amp; de partager les foins que vous luinbsp;� rendrez M�rancie vouloit qu'il all�c fenbsp;repofer; il l�aflura qu�il n�en avoir aucun be-foin, amp; que, depuis 1�enfance, il �toit ac-coutum� au travail amp; a la fatigue ; Il la fuit,nbsp;amp;, k peine a-t-il port� fes regards fur Ie maiade , qu�il s��crie : � Ciel! c�eft Maugis,nbsp;� c�eft mon coufin ,, ! A certe voix, Maugis foul�ve fa t�te appefantie. ,, Je te remer-� cie , � Dieu confolateur, s��crie-t-il, denbsp;m�avoir envoy� Renaud dans 1�affligeantenbsp;,, fituation o� je me trouve. Ah! Renaud,nbsp;�dans quel �cat je vous vois! Sous ce d�-9, guifement, vous fuyez, fans doute, la hainenbsp;9, d�un barbare, amp; vous n�avez que des mal-�gt; heurs a m�apprendre?
Renaud calma fes inqui�tudes, amp; lui ra-conta tout ce qui s��toit pafl��; il lui dit que Ibn voyage en Paleftine �toit 1�unique con-
0 vj
5^4
dition que Charlemagne eut mife a la paix,: amp; qu�il etoit trop heureux, pour les fils d�Ay-mon, de terminer, k ce prix, une guerrenbsp;funelte. Ce r�cit rendit les forces a Maugis.nbsp;�Ne nous quittons plus, dic-il a Renaud.nbsp;j. Nous fommes fans fortune, nous portonsnbsp;� les livr�es de la pauvret�; mals nous fom-� mes �galement au delfus de 1'une Ik de 1�au-j, tre, par notre courage M�rancie, qui lesnbsp;�coutoit, comprit feulement, d leurs dif-cours, qu�ils �toient d�une maifon illuftre.nbsp;La charit� choz les femmes les empeche denbsp;m�dire, mals non pas d��rre curieufes; ellenbsp;leur t�moigna tant d�envie de favoir qui ilsnbsp;�toient, que Maugis lui dit: � Nous fommesnbsp;� deux Gentilshommes exil�s de France, pournbsp;� lui procurer la paix; nous voyageons fousnbsp;� ces humbles habits, pour n��tre point re~nbsp;,, connus, non que nous ayons rien k crain-,, dre; mais nous voulons jouir de la libert�nbsp;,, qu�un nom trop fameux ne nous permet-,, troit pas de gouter M�rancie fe contentanbsp;de cet eclairciflement, amp; ne les traita ni mieux.,nbsp;ni plus mal qu�auparavant. Maugis, trois joursnbsp;apr�s, fe fentit r�tabli : Ils remerci�rent M�rancie, r�compenf�rent fes foins, amp; lui pro-,nbsp;mirent de la revolt a leur retour-Ils fe mirent en chemin, amp; traverf�rencnbsp;gaiement un pays immenfe, entendanc fou-vent parlerde leurs exploits, amp;afie�l;ant de n�ynbsp;prendre aucune part, pour n��tre pas recon-nus; ils parvinrent, ainli, a la vue de J�ru- ,nbsp;falem , quand ils pureot tjiftinguer la tour
de David amp; le Temple, ils fe mirent a genoux amp; remerci�rent le ciel de les avoir conduitsnbsp;jufque-la, Pleins de confiance, ils fe lev�rentnbsp;pour entrer dans la Cite fainte; mais, ennbsp;avanganc, ils virent un vafte camp qui I�envi-rennoic.
Ilsne pouvoient difcerner de quelle Nation ce camp �toit form�. Comme Maugis amp; Re-naud s�entretenoient, ils apergurent un vieuxnbsp;homme a cheval, qui fortoit du camp; ils nll�-rent d lui; ils lui demand�rent quelles troupesnbsp;affiegeoient la Cit� fainte? Le vieillard leur r�-pondit qu�elle �toit, maintenant, affi�g�eparnbsp;les Chr�tiens, qui avoieut bien de la peinenbsp;� la reprendre; que les Perfans s�en etoientnbsp;empar�s, amp; qu�Emirza, leur g�n�ral, 1�av�itnbsp;prife par trahifon. Renaud voulut favoir comment il s�en �toit empar�. � Tout paroiflbitnbsp;,, en pleinepaix, reprit le Vieillard; les Per-,, fans avoient eflay�, plufieurs fois, de pren-,, dre J�rufalem, les Chr�tiens les avoientnbsp;j, toujours repoufles. Fatigu�s, enfin, d�unenbsp;,, guerre inutile, les Perfans propof�renc aux^nbsp;,, Chr�tiens de leur payer les frais de la guerre,nbsp;amp; qu�alors, ils fe retireroient. Les Chre-(�tiens confentirent a en payer la moiti�, lanbsp;j, condition fut accept�e, amp; 1�on fe crut tran-j, quille, fur la foi du trait�; mais ce n��toitnbsp;�, qu�un pi�ge. Les Perfes firent femblantde fenbsp;retirer; ils fe cach�rent dans les montagnes�nbsp;�, amp; attendirent un temps plus favorable.
� La d�livrance de J�rufalem attira de tou-tes parts un grand nombre de P�lerins;..
126
Les quatre fils
� �mirza fe d�guifa, amp;fit d�guifer mille hora-,, mes fous ce faint habit; il les fit glifler ,, dans la Ville, en plufieurs fois, amp; pat diff�-,, rentes portes : II y entra, Ie quatri�menbsp;� jour, avec fes Otficiers : II avoit choifi Ienbsp;,, temps d�une f�te folemnelle. Tandis quenbsp;,, les Chr�tiens �toient en pri�res, dans Ienbsp;,, Temple, il fit fonner les cors, amp; les Per-,, fes, qui s��toient empar�s des poftes les plusnbsp;� importans, prirent leurs armes cach�es fousnbsp;j, leurs habits de P�lerins, firent main-bafl�nbsp;� fur les Chr�tiens, amp; en maflacr�rent unnbsp;,, grand nombre. Le trouble amp; la confufionnbsp;j,, r�gnoient par-tout; les troupes embufqu�esnbsp;,, quitt�rent leur retraite, amp; vinrent fe join-,, dre aux autres. Quelques Chr�tiens, revenusnbsp;�de leur premi�re frayeur, fe d�fendirent.nbsp;� Le fang ruifleloit de routes parts; maisnbsp;� les Perfes �toient les plus forts. Une troupenbsp;�arm�e de torches, accourt au Temple amp;nbsp;� menace d�y mettre le feu, fi les Chr�tiensnbsp;� ne rendent les armes amp; ne fortent de lanbsp;� Ville. Tous font forc�s de 1�abandonner, en-� viant le fort de ceux qui font morts en d�-� fendant la Cit� fainte. Le Patriarche Tho-� mas, Roi de J�rufalem, fut retenu par lesnbsp;� infidelles; eh! qui fait le fort qu�ils lui r�.nbsp;� fervent ? Cet otage fufpend l�ardeurdes affi�-,, geans; ils craignent pour fes jours, s�ilsnbsp;�attaquent vivement la place, de forte qu�ilsnbsp;� n�ofent rien entreprendre.
Renaud demanda au vieillard fi les afli�g�s faifoient, quelquefois, des forties. � Tr�s-
d*Aymon. nbsp;nbsp;nbsp;32^^
)gt; fouvent, r�pondit Ie vieillard, car ils font �en tr�s-grand nombre, amp;, malheureufe-gt;, ment, nous n�avons point de Chef. Nousnbsp;verrons, dit Renaud en fouriant, amp; ilsnbsp;,, prirent cong� du vieillatd.
Renaud amp; Maugis entr�rent dans Ie camp; ils attir�rent les regards de toute l�arm�e :nbsp;Jamais on n�avoit vu un auffi beau P�lerinnbsp;que Renaud; il cherchoit des yeux un en-droit o� il put camper. Maugis lui fit aper-cevoir une petite �minence, afiez pr�s desnbsp;murs, ils all�rent chercher des branches denbsp;palmier amp; �lev�rent une cabane.
Tandis qu�ils travailloient, Ie Comte de Rance s�approcha d�eux; il les confid�ra long-temps; il fut frapp� de leurs traits majef-tueiix, de leurs roani�res nobles, de leurnbsp;phyfionomie int�reflante, de leur taille amp; denbsp;leur port; il ne pouvoit, furtout, fe laflernbsp;d�envifager Renaud. Enfin, il lui adrefla cesnbsp;mots Beau P�lerin, pardonne�: ma curio-�fit�; fi votre nom n�efl; point un myft�re,nbsp;3, fi voiK n�avezaucune raifon de vous cacher,nbsp;� dites-moi fi votre nom amp; votre naiflancenbsp;� r�pondent k la grande opinion que j�aiconguenbsp;� de vous, en vous voyant. II eft venu, ici,nbsp;un grand nombre d��trangers de toutes lesnbsp;�, parties du monde chr�tien; mais aucun n�a-�, voit encore fait la m�me impreffion fur moi.nbsp;�,Je vous conjure done, par Ie Temple dunbsp;gt;, Diet! que vous venez adorer, par la Villenbsp;� fainte o� il a termin� Ie cours de fa vienbsp;�j mortelle, de vous d�ccaivrir franchement 4
-ocr page 334-� un Chevalier, qui croit apercevoir en vous � les marques d'une vertu fiip�rieure.
,, Seigneur, r�pondit Renaud , quand j�au-,, rois des raifons particuli�res pour taire mon 9, nom a route la terre, votre loyaut� ne menbsp;permettroit point de vous en faire un fecret.nbsp;� Je fuis Renaud de Montauban, Ie Due d�Ay-,, mon eft mon p�re. Un Prince imprudent,nbsp;9, neveu de Charlemagne, porta fur moi unenbsp;9, main t�m�raire; je me vengeai, amp; fa mortnbsp;,, excita dans Ie Roi, mon Souverain, unenbsp;9, haine implacable; il n�a cefle de perf�cuternbsp;9, mes trois fr�res, mon coufin Maugis amp; moi;nbsp;99 il nous traitoit en rebelles, nous menagoitnbsp;9, d�un fupplice infame, amp; nous nous fommesnbsp;9, d�fendus les armes a la main : J�ai tout ten-9, t�, mais vainement, pour fl�chir la col�renbsp;,, de Charles, fans cefle irrit�e par de vilsnbsp;9, Courtifans, efp�ce toujours jaloufe, tou-9,jours ennemie de la gloire des Chevaliers,nbsp;9, a laquelle ils favent qu�ils ne peuvent at-� teindre; il e�t retrouv� en nous des Sujetsnbsp;fidelles amp; foumis; mais il vouioit des vic-,9 times; il a arm� contre nous ce que Ia Francenbsp;9, a produit de plus vaillans Chevaliers ;ainfi,nbsp;� 1�envie, .aveugle, amp; mal-adroite, des Cour-� tifans de Charles, en nous perf�cutant, menbsp;� fourniflbit, chaque jour , des occafions nou-9, velles d�acqu�rir de la gloire ; La guerrenbsp;9, avoir moiflbnn� un tiers de fes Sujets, pournbsp;9, une querelle qui leur �toit �trang�re. Enfin,nbsp;,9 Charles, arr�tant Ie cours d�une perf�cutionnbsp;ji^funefte a lui-m�me, a pardonn� a mes fr�res
-ocr page 335-5, amp; a Maugls, amp; s�efl: content� de mon exil ,, fans en fixer Ie terrae. II m'a ordonn� denbsp;,, venir, dans la Paleftine, d�fendre ou con-
qu�rir les lieux faints.
Jl
gt;1
f
Le Comte de Rance connoiflbit Renaud de reputation, amp; favoit une partie de fes aven-tures. �G�n�reux Renaud, lui dit-il, en met-,, tant un genou � terre, le Comte de Rancenbsp;,, fe donne a vous avec tous fes biens, receveznbsp;,, fa foi; c�eft un hommage qu�il dolt au plusnbsp;� noble, au plus grand, au plus brave Che-,, valier du monde. Comte, que faites-vous?nbsp;,, lui dit Renaud, en voulantlerelever. Non,nbsp;,, reprit Rance; jamais je ne me leverai quenbsp;� vous n�ayez recu mon hommage. Je 1'ac-� cepte, dit Renaud en Tembraflant, mais anbsp;� condition que vous accepterez celui de moanbsp;� amiti�. Rance continua : Que font devenusnbsp;�vos fr�res, fi dignes de vous, amp; ce fagenbsp;� Maugis, votre coufin, qui joignoit k tantnbsp;�de valeur des connoiflances furnaturelles?nbsp;� Seigneur, r�pondit Renaud, mes enfans amp;nbsp;� mon �poufe font aupr�s de Charlemagne; ilnbsp;� s�eft d�clar� le prote�leur de mes fr�res, amp;nbsp;5, les a r�tablis dans leurs biens. Maugis, lenbsp;gt;, cher compagnon de mes infortunes, de mesnbsp;s, travaux amp; de ma gloire, eft devant vous,nbsp;� c�eft lui que vous voyez,,. Le Comte denbsp;Rance embrafla Maugis, amp; lui demanda fonnbsp;amiti�; il remercia le ciel d�avoir envoy� denbsp;fi vaillans Chevaliers au fecours des Chr�tiens;nbsp;fi ne douta pas que, bient�t, la Cit� faintenbsp;fie fuc en leur pouvoir, amp; que le Roi Thomas
Les quntre fils
ne fut d�livr�. Rance annonga Renaud amp; Mau-gis a 1�arm�e; les Chevaliers fe raliembl�rent autour d�eux, amp; Ie camp retentie de cris denbsp;joie. Les Chevaliers fe joignirent aux pri�resnbsp;de Rance, pour que Renaud acceptor Ie com-mandement de Parin�e, amp; tous firent fermentnbsp;de lui ob�ir; ils ne voulurent �couter d�autresnbsp;avis que ceux de Maiigis; Renaud regut leurnbsp;f�i. Rance Ie fupplia de n�avoir d�autre tentenbsp;que la fienne, amp; de la partager avgc Maugis amp;nbsp;lui; il les prit par la main, amp; les conduifit dansnbsp;fon Pavilion : Tous les Chevaliers les accom-pagn�rent. Rance fi^-pr�fent a fes h�tes de vingtnbsp;chevaux de la plus grande beaut�, de riches habits amp; d��charpes magnifiquement brod�es, denbsp;hauberts, amp; d��p�es de la meilleure trempe denbsp;Damas. Renaud fut �tonn� de tant de magnificence; amp;, pour 1�engager �. accepter ces pr�-fens, Rance Palfura que c��toit la moindrenbsp;partie du burin qu'il avoit fait-fur les Per-fes, en difflirentes occafions; mais, Renaudnbsp;amp; Maugis ne voulurent qu�un cheval pour cha-cun, un haubert, une �p�e, une �charpe amp;nbsp;une armure complette.,, Seigneur, lui dit Re-naud, unhomme, quelque riche , quelquenbsp;puiflant qu�il foit, ne peut porter qu�un ha-,, bit a la fbis; je con^ois que, dans les cha-,, leursexcellivesdel�ct�, il ne fe couvrepoint,nbsp;,, comme dans Ie froid rigoureux de I�hiver;nbsp;mais Ie guerrier ne conno�t point ces vainesnbsp;d�licatefles, fon armure eft fon habillement,nbsp;j, elle s�accommode a routes les faifons, amp;,nbsp;,,lorlque, dans la vie priv�e, il la quitte.
-ocr page 337-� rout habillement doit luj �tre �gal; car il � fera toujours moins pefant que fon armure.nbsp;� Ainfi, Seigneur, fi ces pr�fens me font def-,, tin�s, permettez-moi d'en difpofer en fa-,, veur des plus pauvres Chevaliers; ma�s,nbsp;,, comme vous les connoifTez mieux qne moi,nbsp;,, diftribuez-les vous-m�me Rance Ie luinbsp;promit; il les envo5fa chercher , fans en riennbsp;dire. Cependant, on foupe; Rance avoir invit� les principaux Chevaliers; Grille, parentnbsp;de Turpin, Tefle, Galerand, Lezay, G�of-froy, Taleyrand. Sur la fin du repas, trentenbsp;Chevaliers entr�rent, amp; fe plac�rent en facenbsp;de Renaud; ils avoient une contenance noble , un air de propret� martiale, qui laiflbiencnbsp;� peine remarquer la pauvret� de leurs v�te-mens; quand ils furent tons entr�s : � Sei-,, gneur, dit Rance a Renaud, voila trente
Chevaliers, les plus pauvres qu�il y ait au � camp; amp;, fi la fortune s�a'ttachoit a la ver-
Tu, ils feroient aulR riches que les plus puif-y, fans Rpis de la terre Renaud fe leva � courut il eux, amp; les embrafla I�un apr�s 1�au-tre : � Mes amis, leur dir-il, je fuis pauvrenbsp;,, comme vous; mais, non plus que vous, jenbsp;�ne rougis pas de ma pauvret� : Les vraisnbsp;� biens d�un digne Chevalier, font une con-� fcience exempte de reproches, amp; une bonnenbsp;�, r�putation ; tous les tr�fors de la terre nenbsp;}gt; valent pas ceux-la
On apporta les pr�fens, amp; Renaud les leur diftribua ; il voulut leur ceindre 1��p�e, amp;,nbsp;^ mefure qu�il la leur ceignoit, il les embraf-
Les ^uatte fils
foit. Les Chevaliers �toient attendris; ils r�pandoient des larmes de joie , amp; , dans Ienbsp;tranfport de leur ivrefle , ils s��cri�rent, ennbsp;mettant la main fur la garde de leur �p�e :nbsp;�Seigneur, nous jurons de vous fuivre , denbsp;� vous ob�iren rout, amp; de tenter routes les en-,,, treprifes que vous nous ordonnerez,
Rance ordonna qu�on fit des r�jouiflances dans tout Ie camp, amp; qu�on rendic a Dieu desnbsp;adions de graces, d�avoir envoy� Renaud amp;nbsp;Maugis au fecours des Chretiens. Galerandnbsp;amp; G�otfroy port�renc ces ordres. Tous les Pavilions furent illumines; on alluma des feuxnbsp;devant les rentes, amp; les airs retentirent denbsp;chants militaires amp; d�hymnes facr�s, m�l�snbsp;de cris de vivmt Renaud amp; Maugis. Renaudnbsp;fut furpris de la beaut� du camp; il Ie par-courut, amp;il lui �chappa peu de foldats, aux-quels il ne t�moignamp;t fa joie ?
Le bruit des acclamations, la clart� des illuminations, letumulte de la joiequi r�gnoic dans le camp, attir�rent les Perfans fur lesnbsp;rempart'; leur G�n�ral en fut �conn�. � Quenbsp;� leur eft-il arriv�, s��cria-t-il, pourquoi cesnbsp;� divertiflemens amp; ces f�tes? Ont-ils fu que jenbsp;� dois les exterminer demain Et font-iJsnbsp;� comme les cy^-gnes, qui ne chant�nt jamaisnbsp;� tant, amp; fi bien, que la veiPe de leur mort?
Le Roi Thomas ne concevoit rien, lui-ml-me, a cette joie des Chretiens; il s�en f�lici-ta, paree qu�il fuppofa qu�elle �toit occafion-n�e par quelque grand �v�nement. Renaud pr�-vit, en g�n�ral habile, que cette clart� du
-ocr page 339-d�Aymon. nbsp;nbsp;nbsp;333
c-amp,qui fe r�fl�chiflbit fur les tours amp; fur les murs de J�rufalem, infpireroit de la m�-fiance aux ennemis; il ordonna qu�on redou-bldt, cette nuit, la garde du camp, amp; qu�onnbsp;veiliat avec plus d�attention que jamais.
A peine le jour eut-il paru, que tous les Chr�ciens, amp; leurs Chefs, fe rendirent aupr�snbsp;de llenaud, pour prendre fes ordres : Ils luinbsp;propos�rent de livrer un aflaut a la Ville. Re-naud pr�f�ra de fe tenir toujours pret au combat, amp; d�attendre que les ennemis fiflent unenbsp;fortie. On d�lib�roit encore, lorfqu�on vint an-noncer que le General ennemi avoir fait ouvrirnbsp;lesportes,amp;: que fes troupes commengoient a Ibr-tir. Renaud ordonne que chacun coure aux ar-Kies,amp;qu�on s�aflemble, i! monte furie chevalnbsp;que Ranee lui avoir donn�; Maugis le devance,nbsp;amp; crie aux Chevaliers: � Void le jour de la vic-a, toire,jevousl�annoncede]apartdu ciel, quinbsp;^ envoye les ennemis au devant de nos coups;nbsp;�, je jure de ne rentrer dans ma folitude, quenbsp;j, lorfqu�jls feront chafies de la Cit� fainte,,.nbsp;Il die a Godefroid : � Ne quittez point Re-naud, amp;. moi, je vais oti la vidtoire m�ap-pellera Il ne prend , avec lui, que trentenbsp;Soldats, amp; va fe poller entre la porre de lanbsp;Ville amp; le camp, ou les Perfes �toient entr�snbsp;Jiu nombre de dix mille. Par 1�art de Maugis,nbsp;les trente Chr�tiens qu�il conduifoit, paru-^ent aux yeux des Perfans une armee de trentsnbsp;wille hommes pde forte qu�il �toit impoffiblenbsp;�ux afli�g�s de porter du fecours aux dix millenbsp;�lui �toient d�ja fotiis.
Renaud fit de fes troupes une difpofition II favante , que Ie G�n�ral Perfan fut d�con-cert�; il fut oblig� de changer fon plan d�at-taque, amp; Renaud profita de ce moment pournbsp;jeter la confufion dans fon arm�e. Margarit,nbsp;jeune Prince d�une riche contr�e voifine denbsp;Vindas, s�avance Ie premier, a la t�te de troisnbsp;mille hommes, pour foutenir Emirza; il ofenbsp;attaquer Renaud , qui difoit a Godefroid ; jenbsp;plains ce jeune homme, qui fe d�p�che denbsp;courir a la mort; Renand court a lui, amp;,nbsp;d�auffi loin qu�il peut fe- faire entendre :nbsp;5, Jeune homme , lui dit-il, rendez-vous : Nenbsp;� vous obftinez pas � lutter concre vos def-s, tin�es, elles font ,'aujourd�hui, d�etre vain-� CU Je vais les changer, r�pondit Ie jeunenbsp;audacieux, en foulevant fa lance , pour frap-per Renaud a la vifi�re; mais Renaud �cart�nbsp;fon fer , Ie frappe au milieu de la poitrinenbsp;amp; lejette a dix pas de fon cheval, qui re-�ule d�effroi, amp; foule fon malrre fous fes pieds.nbsp;Un Sarrafin accourt, 1��p�e a la main, pournbsp;venger ie Prince; Renaud faifit Ie momentnbsp;OU il l�ve Ie* bras pour Ie frapper, amp;, d�unnbsp;revers, il emporte Ie bras amp; la t�te du Sar-ralin ; Un troifi�me, qui portoit la banni�renbsp;du Prince, vient a route bride far Renaud,nbsp;en prof�ranc des injures groffi�res contre lui;nbsp;mais Ie fier Paladin enfonce Ie fer de fa lancenbsp;dans fa gorge, amp; la moiti� de fes blafph�mesnbsp;s�exhale avecfon ame. Renaud crie, Montau-ban; Maugis laifie fes trentehommes, amp; vientnbsp;au cri de fon coufin, frappant amp; faifant tombex
-ocr page 341-les Sarrafins de droite amp; de gauche. Renaud lui-m�me, �tonn� de fa valeur , demande anbsp;Rance, fi jamais il avoit vu un Hermice denbsp;cette efp�ce. Le Comte lui r�pondic qu�uu feulnbsp;Renaud fui�foit contre une armee de Sarrafins, amp; qu�a pr�fent, que les Chr�tiens ennbsp;avoient deux, tous les fedlateurs de Mahomet , r�unis, n�emp�cheroient pas la prife denbsp;J�rufalem. Rance, anim� par de fi grandsnbsp;exemples, ordonne aux Chr�tiens defrapper:nbsp;II fejette au milieu des ennemis, amp; ceux quinbsp;�chappoient d Maugis, alloient tomber fousnbsp;les coups de Rance amp; de Renaud. Les tremenbsp;Chevaliers faifoienc un carnaga,horrible*, ilsnbsp;moiflbnnoient tout ce qui fe pr�fentoit dnbsp;eux : Les Sarrafins prirent la fuite, amp; vou-lurent rentrer dans J�rufalem, mais 1'arm�een-chant�e de Maugis leur parut un mur imp�n�-trable.
Le G�n�ral Perfan alia au devant d�eux amp; les rallia : � Laches, ou fuyez-vous? leur di-�gt; foit-il : Ignorez-vous que je fuis d votrenbsp;5, t�te, amp; que je peux , feul, vous d�fendrenbsp;�contre ce vil afiemblage de Chr�tiens,,? IInbsp;demanda le Prince Margarit. On lui r�ponditnbsp;qu�il avoit �t� tu� par ce Chevalier Frangoisnbsp;qui faifoit couler tant de fang : On 1�aflura quenbsp;c��toitle plus terrible Chevalier que les Chr�tiens euflent encore eu *, Emirza jura i Mahomet que ce Chevalier, quel qu�il fut, ne p�-fii�oit d�autre main que de la fienne : Auffi-t�t,nbsp;ti fejette dans la m�l�e : Galerand oppofa vai-t�ement fon �cu a la lance d�Emirza, qui lui
-ocr page 342-33^
Les quatre fils
per^a la poitrine, amp; l��tendit mort furla cronpe de fon cheval. II crioit : �Frappez, qu'au-
cun Chr�tien n��chappe; Mahomet combat jj au milieu de nous; apr�s la viftoire, il fenbsp;� manifeftera a vos prophanes yeux A cesnbsp;mots, Ie combat devinc terrible ; La fuperf-tition fit dans les Perfans ce que leur courage n�auroit pu faire; amp;, fans Renaud amp;nbsp;Maugis, c�en �toit fait du camp des Chretiens.
Mais Renaud vole aux lieux oii Emirza fai-foit Ie plus de ravage. Orcan, jeune Seigneur Perfan, neveu du G�n�ral, veuc jouter avecnbsp;Renaud; mais celui-ci lui porte un coup d��p�e finbsp;terrible, qui lui fit voler la t�te aux pieds denbsp;fon oncle : Maybon , d�fign� pour fucc�der aunbsp;Mufci, veut venger Orcan au nom d�Aly, amp;nbsp;Renaud , du m�me coup,donne la mort � Maybon amp; a fon cheval. Les Perfans �toient fi �ton-n�s des exploits de Renaud, qu�ils crurent quenbsp;Ie Dieu des Chr�tiens �toit venu les d�fendre ,nbsp;amp; combattre contre leur Proph�te; il ne frap-poit pas un feul coup, qu�il n�abattit un en-nemi, amp; fouvent deux ou trois; il avoitjet�nbsp;fon �cu fur fon �paule, comme s�il eut d�-daign� de fe d�fendre; il avoit attach� � fonnbsp;bras la bride de fon cheval, amp;, tenant fonnbsp;�p�e a deux mains, on e�t dit qu�il frappoit,nbsp;en m�me temps, ceux qui fe trouvoient de-vaut lui, ceux qui Ie fuivoient, amp; ceux quinbsp;�toient a fes c�t�s.
Le G�n�ral Perfan voulut s��lancer fur lui� pour accomplir le ferment qu�� avoit fait i
fon
-ocr page 343-d�Aymon. nbsp;nbsp;nbsp;3'57
fon Proph�te. � Seigneur, lui dit Amaury, ,, qui �toit fon prifonnier, je crains bien quenbsp;vous n�ayez promis a Mahomet plus quenbsp;,, vous ne puifliez lui tenir. Croyez qu�il n�ynbsp;,, a pas de Chevalier au monde qui �gale ce-� lui-la Le G�n�ral regarde Amaury avecnbsp;piti�; mais, lorfqu�un moment apr�s, le crinbsp;de Montauban eut frapp� fes oreilles, 1�hif-toire amp; le nom de Renaud, donr la r�puta-tion �toit parvenue jufqu�d lui, fe retra^ancnbsp;a fa m�moire, ne lui permirent plus de dourer que ce ne fut Renaud m�me, amp; il futnbsp;tent� d��cre parjure. D�un autre c�t�, Mau-gis faifoit cooler un torrent de fang; la deroute des Perfans �toit g�n�rale : Emirza fitnbsp;fonner la retraite; alors, Maugis retira fesnbsp;trente Cavaliers; les Perfes, qu�il avoir tenusnbsp;en �chec, fe pr�cipitent dans le camp, tan-dis que ceux du camp accourent en foule pournbsp;entrer dans la Ville; leur choc fut terrible;nbsp;i!s fe preflbient, fe fouloienr, s��toulfoiencnbsp;eux-m�mes; Renaud amp; Maugis profitent denbsp;Cette circonftance ; ils raflemblent leurs Chevaliers, fondent fur cette foule embarrafleenbsp;amp; qui ne peut fe fervir de fes armes; ils au-gmentent la confufion. Les Perfes p�rifl�nt parnbsp;leurs propres efforts amp; par les coups des Chr�-tiens. Le G�n�ral erre, au hafard, autournbsp;des murs, le Comte de Ranee le fuit, eft furnbsp;le point de le faire prifonnier; mais, quelquesnbsp;Perfans ayant aper9u Emirza du haut des rem-Parts, lui ouvrirent une des portes, vinrentnbsp;devant de lui St le firent entrer dans l�ru-
falern. Cependant, Renaud amp; Mangis, lades de frapper, fe content�renc de regarder lesnbsp;infidelles s��crafer eux-m�mes; jamais ils n�au-roieni: pu rentrer dans les murs, fi Ie G�n�-ral, ayant fait fortir trois mille hommes parnbsp;une autre porte, cette nouvelle troupe nenbsp;leur en e�t montr� Ie chemin ; ils rentr�rent,nbsp;enfin, ma�s toujours harcel�s par les Chr�-tiens.
Renaud j fach� que Ie G�n�ral lui e�t�chap-p�, defcend de cheval, prend fur fes �paules un raadrier que trente hommes les plus ro-huftes auroient eu bien de la peine a foule-ver; il s�approche de la porte amp; T�l�ve fousnbsp;la herfe, pour 1�emp�cher de tomber : D�ail-leurs, la porte �coit fi embarrafl�e, par lesnbsp;cadavres des Sarrafins qui avoient �t� �touff�snbsp;amp; foul�s aux pieds, qu�il e�t �t� impolfible denbsp;la fermer. Les trois mille hommes de troupesnbsp;fi-a�ches que Ie G�n�ral avoit envoy�s, firencnbsp;face a la porte; mais Renaud, 1��p�e a lanbsp;main, fous Ia herfe, amp; fe faifant un rempartnbsp;des cadavres, foutient l�efforc des afli�g�s :nbsp;Dards, lances, l�viers, tout eft mis en ufagenbsp;pour Ie repoud�r; ce h�ros eft in�branlable :nbsp;II donne Ie temps k Maugis amp; a Rancc de Ienbsp;j�indre , fuivis de leurs Chevaliers ; alors,nbsp;Renaudentra dans J�rufalem, en criant, M�n-taiiban; tandis que Crifl'�, Taleyrand amp; Go-defroid prot�geoientamp; rangeoient en bon ordrenbsp;les Chr�tiens qu�ils faifoient entrer.
Emirza , voyant les Perfes fair devant Re-naud, Rance amp; Maugis,. parut comme ua
d�Aymon. nbsp;nbsp;nbsp;535
homtne que la foudre a �bloui; il fe reflbu-viut du Roi Thomas, qui etoit dans les fers; il courut dans fa prifon. ,, Thomas , lui dit-il,nbsp;� tu vas mourir de ma main, fi tu ne me fan-� vesla vie. Les Chr�tiens font maitres de J�-^ rufalem; ils me pourfuivent; je confens anbsp;�leur abandonner la Ville amp; � me retirer;nbsp;3, mais, s�ils s�acharnent a me faire p�rir, jenbsp;� me pr�cipite du haut de la tour avec toinbsp;Le G�n�ral Perfan fit palier Ie Roi fur la plate-forme; il lui tenoit le poignard fur la gorge,nbsp;amp;, dans cette fituation, il attendit que lesnbsp;Chr�tiens arrivali�nt: Ils approchent; ils fontnbsp;pr�ts de pofer leurs �chelles, lorfque Thomasnbsp;leur crie d�arr�ter : Renaud amp; Maugis l�vencnbsp;la t�te; quel fpeftacle! Ils demeurent immo-biles. Thomas leur fait favoir les propolitionsnbsp;d�Emirza. Renaud ne pouvoit pas fe perfua-der qu�un guerrier qui avoit eu la l�chet�nbsp;d�abandonner fes troupes, pour fa r�fugier dansnbsp;la Ville, e�t le courage de poignarder Thomasnbsp;amp;de fe pr�clpiter, avec lui, du haut de Ia tour;nbsp;mais Renaud fe trompoit, amp; les hommes cou-rageux amp; braves fe trompent, prefque tou-jours, en calculant les effets de la crainte Scnbsp;de la l�chet�. Emirza, voyant qu�ils fe dif-pofoient a efcalader , prit le Roi par les che-�veux, le renverfa fur un des crenaux, amp; le-Voit le bras pour lui enfoncer le poignard dansnbsp;la gorge. ,, Arr�ce, barbare, s��cria Renaud,nbsp;�) en retirant 1��chelle, �pargne le Roi, amp;nbsp;sj nous te laiflbns la vie amp; la libert� de te re-sj.tirer,,. Le G�n�ral exigea la foi des Che-
-ocr page 346-34� nbsp;nbsp;nbsp;.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;quntre fils
valiers; ils Ja donn�rent, amp; Tliomas fut Jibre. Renaud, de fon c�t�, tint fa parole au G�-n�ral, amp; lui permit de fortir de J�rufalein aveenbsp;trois de fes guerriers.
Renaud, Godefroid, Maugis, amp; tous les Chevaliers, mont�rent a la tour. Le Roi Thomas emhrafla fon lib�rateur, lui demanda fon noni,nbsp;amp; voulut favoir fes aventures. Renaud lui ennbsp;raconta une partie, en allant au Saint-S�pul-ere, o� ils fe rendirent tous.
Renaud donna ordre que tous les Perfans blefl'�s fuflent trait�s avec les m�mes foins quenbsp;les Chretiens : II difperfa les prifonniers ennbsp;divers quartiers de ia Ville, de mani�re qu�ilsnbsp;ne puflent pas fe raffembler; il accorda la Ji-berc� aux Officiers, fur la parole qu�ils lui don-n�rent, de ne plus porter les armes dans la Palef-tine; il leur permit de ramener deux centsnbsp;Soldats, a leur choix, pour leur fervir d�ef-corte; il traita fi bien les prifonniers, que,nbsp;peu de jours apr�s, leur ayant donn� la libert�nbsp;de s�en retourner, ils lui demand�rent, commenbsp;une grke, de les incorporer dans les troupesnbsp;des Chr�tiens, avec promefle d�embraffer leurnbsp;religion, lorfque fa lumi�re auroit �clair� leurnbsp;raifon.
La Ville retentidbit de cris de joie, paf-j tout on b�niflbit Renaud amp; Maugis. Le Roinbsp;Thomas avoit voulu leur c�der fon Palais;nbsp;il vouloit encore partager fa couronne avecnbsp;Renaud; mais Renaud la refufa. Les Perfesnbsp;avoient lailie dans la Ville un grand norobrenbsp;'de chevaux fuperbes , amp; quantit� de chofes
-ocr page 347-d* Ay mort. nbsp;nbsp;nbsp;341
pr�cieufes; Ie Roi donna tont a Renaud amp; 4 Maugis; Renaud accepta quelques dons; ma�snbsp;Maugis ne voulut vien. �Je fuis pauvre, di-� foic-il, je veux 1��rre, je ne changerois pasnbsp;ma pauvret� pour routes les richefles du Roinbsp;� de Peife. A quoi peuvent �tre bons des rr�-� fors, pour qui n�a befoin de rien?
Renaud amp; Maugis demeur�renc a J�rufalem tour Ie temps qu�il fallut pour r�tablir la Ville,nbsp;amp; pour difcipliner les troupes; ils form�rencnbsp;des G�n�raux habiles, amp; des Soldats coura-
ils avoient �tudi� la mani�re de com-
geux;
battre des Perfes; ils mirent les Chretiens en ctat de ne plus les craindre.
Renaud, portant fes vues plus loin, crut que, pour �ter a jamais aux Perfes Ie d�lirnbsp;de rencrer dans la Paleftine, il falloit les atrnbsp;taquer dans leur propre pays; il forma unenbsp;armee d'environ quinze mille hommes,.amp; lanbsp;conduifit au fein de la Perfe; il y fit des ra-V�ages. Le Roi, que la d�faite d�Emirza avoitnbsp;effray�, fit marcher centre Renaud amp; Maugisnbsp;de nombreufes arm�esj mais Renaud, par fesnbsp;favances difpofitions, amp; Maugis, fecond� desnbsp;fecrets de fon art, furent toujours vainqueurs.nbsp;Le Roi de Perfe demanda la paix. Renaudnbsp;Paccorda aux conditions les plus avantageufesnbsp;pour les Chretiens. Renaud amp; Maugis les ra-men�rent triomphant, amp; charg�s d'un butinnbsp;immenfe.
Charlemagne apprit, par des Envoy�s du Roi de J�rufalem, les grands exploits de Re-haud S4 de Maugis; il fit dire au fiU d�Aymon
34� nbsp;nbsp;nbsp;qaatre fils
qu�il lui permettoit de revenir � Montauban amp; a fa Cour quand il le jugeroit k propos, qu�ilnbsp;accordoit a Maugis le in�me pardon amp; les m�-mes faveurs qu�a fes coufins, amp; qu�enfin, il lesnbsp;reverroit 1�un amp; I�autre avec plaifir.
Lorfque Renaud crut que les Chretiens de Ja Paleftine pouvoicnt fe palier de lui, il de-rnanda au Roi Thomas la permiffion de retour-ner dans fa Patrie; il voulut faire ce trajecnbsp;par mer. Le Roi fit conftruire un vaifleau plusnbsp;lelie amp;plus l�ger que magnifique; il le char-gea des prefens les plus riches, I�arma amp; nenbsp;le confia qu�au Pilote le plus habile amp; auxnbsp;Matelots les plus exp�riment�s. Lorfque toutnbsp;fut pr�t, Renaud amp; Maugis all�rent s'embar-quer k Prol�ma�s. Le Roi, le Comte de Ranee,nbsp;amp; Godefroid, les accompagn�rent, amp; ne fenbsp;fdpar�renc d�eux qu�avec les plus grands regrets*
d�^ymon.
C H A P I T R E X X111.
Renaud S� Maugis arrivent d Pahrme;accueil qu'ih repivent du Roi de Sicile; bataillenbsp;Jdnglante, gagn�e contre les Sarrajins. Depart de Reaaud amp; de Maugis; ils retour-nent d Coriflantinople, pour s�acquitter en-vers M�rancie ; leur retour en Itali� : fisnbsp;pajjent d Rome^ amp; reviennent d Dordogne,nbsp;Renaud y apprend la mort d�iblande; fanbsp;douleur^ fes regrets; fun chagrin fe calmc en.nbsp;revoyant fes enfins. Maugis lui fait quitter Ie trifle f�jour de Dordogne.
R ENAUD amp; Maugis parcoururent les mers pendant huit mois eniiers; ils efluy�rent desnbsp;temp�tes amp; rencontr�rent des Pirates; Vain-�jueurs des plus grands dangers, ils abord�-rent, enfin, � Palerme. Le Roi de Sicile, dontnbsp;Ie Palais donnoit fur le port, aper^ut un vaif-feau, dont Ia forme �l�gante, amp; l��quipagenbsp;lefte amp; brillanc, annon$oient un �tranger denbsp;grande importance; unefoule de Peuple, attir�enbsp;paria fingularir� du vaifl�au, amp; par la bonnenbsp;mine des voyageurs, s��toit raflembl�e autournbsp;d�eux. LeRoi defcendit dans fes jardins, amp;,nbsp;d�une terrafle que baignoient les fiots de lanbsp;roer, il reconnutRenaud; il en fut tranfport�nbsp;de joiej il alia, lui-m�me, avec fes Chevaliers, au devant du fils d�Aymon, qui lui pr�r �
P iv
-ocr page 350-.344
Les quatre fils
fenta Maugis, fon coufin; Ie Roi les embrafla 1�un amp; 1�autre, amp;, apr�s avoir donn� ordrenbsp;qu�on mit routes leurs richeffes en furet� dansnbsp;fon Palais, il les prit par la main amp; les ynbsp;�onduifit.
Au milieu des f�tes, que Ie Roi de Sidle leur donna, un Chevalier vint porrer la nouvelle, que, fans aucune d�daration de guerre,nbsp;les Sarrafins avoienr envoy� une flotte fur lesnbsp;c�tes de Sidle, avec dnquante mille hommes de d�barquemenc, fous la conduite d�E-mirza, amp; que cette arm�e s�avangoit versPa-lerme. Le Roi ne s�attendoic point a cettenbsp;guerre, amp; , quoique fes troupes fuflent en bonnbsp;�tat, il en craignoit 1��v�nement: Renaudnbsp;le raflura, amp; promit de le d�livrer bient�t denbsp;�et ennemi. II lui raconta la vidoire qu�il avoicnbsp;xemport�e, avec Maugis, fur Emirza. Le Roinbsp;lit fonner les trompettes, amp; toutes fes troupesnbsp;fe raflembl�rent devant Palerme. Renaud l�nbsp;mit li leur t�te, amp; Maugis prit le centre; lenbsp;Roi de Sicile lui confia fa banni�re; il nenbsp;pouvoit pas la remettre en de plus s�res mains;nbsp;Maugis lui promit de la porter en tel lieu,nbsp;qu�il faudroit bien que les Siciliens la fuiviflent.
Lorfque Renaud eut fait fes difpofitions, 1�arni�e marcha en bon ordre au devant desnbsp;ennemis, amp; ne leur donna pas le temps de fenbsp;reconnoitre; ils venoient attaquer un Princenbsp;qu�ils croyoient furprendre, amp; ils fe virentnbsp;attaqu�s par une arm�e qui paroillbit d�ter-min�e a tout hafarder; Maugis eft le pre-.mier qui, fa banni�re a la main, fe jette au
-ocr page 351-milieu des Sarrafins, en criant i une troupe choifie: ,, Braves Siciliens, la banni�re du Roinbsp;� eft au milieu des ennemis, venez la d�fen-,, dre Renaud vit un Sarrafin qui vouloitnbsp;s'en emparer; le h�ros le frappe de fa lance,nbsp;de mani�re que le fer qui s�en detache le clonenbsp;a foil cheval; ils tombent 1�un amp; 1�autre, fenbsp;d�batten: centre la mort, fe roulent dans lanbsp;pouffi�re, amp; caufent autour d�eux un d�fordre,nbsp;done Renaud fut tirer parti; car, Maugis amp;nbsp;lui, pourfui vant, l��p�e a la main, quelques Cavaliers , amp; les for?ant de pafler fur le corps dunbsp;Chevalier expiranc amp; fur celui de fon cheval, ilsnbsp;s�embarralient, tombent, en fontculbuter plu-fieurs autres , qui p�riflent , tous, accabl�snbsp;par les Siciliens. Cependant, Renaud courtnbsp;dans les rangs de 1�arm�e ennemie, abat toutnbsp;ce qu�il rencontre; 1�effroi le devance, amp; lanbsp;mort le fuit. Maugis fe bat avec le m�menbsp;fucc�s. Emirza, qui ne le reconnoit point,nbsp;eft �tonn� de leur courage; 11 animoit con--tt�eux fes Officiers les plus intr�pides; il for-moit des pelotons de fes plus braves foldats amp;nbsp;les envoyoit'contre les deux guerriers; mais,nbsp;ainii que les vagues pouflees contre des ro-chers par un vent imp�tueux, ces d�tache-mens venoient fe brifer centre Renaud amp; centre Maugis,
La fureur tenant lieu de courage a Emirza, il ofe s�avancer, lui-m�me, au devant d�unnbsp;des h�ros, a la t�te d�une troupe qu�on ap-peloit 1�invincible; il en �toit a peu de dif-lance, lorfqu�il emendit crier, Montauban; a
P V
-ocr page 352-340 nbsp;nbsp;nbsp;Les quatre fils
ce cri, Emirza demeure immobile.,, Par quel ,, art infernal, s��crie-t-il ,-ce Renaud, qui m�anbsp;,, chalTe de J�rufalem , fe retrouve-t-il a Pa-,, lerme? Le Roi de Sidle, pr�voyant quejenbsp;,, viendrois 1�attaquer dans fes Etars, 1�a-t-ilnbsp;y, attire dans la Paleftine, pour 1�oppofer auxnbsp;� Sarrafins, ou Penfer lui a-r-il r�v�l� quejenbsp;,, viendrois dans ces dimats?
En vain fes Officiers promettent-ils 4 Emirza de le d�livrer de ce terrible ennemi, � Vousnbsp;,, ne le connoiflez pas, repond le G�n�ral;nbsp;� cet homme joint � la prudence )a plus con-� fommee, la valeur la plus audacieufe; a lanbsp;� plus grande force, la g�n�rofit� la plus fu-� blime. Si 1�ennemi de Mahomet pouvoit nenbsp;�pas �tre tin d�mon, je croirois Renaud unnbsp;� Dieu ,,. -Emirza vit Maugis qui s��toit faitnbsp;autourde lui un rempart de cadavres; il crutnbsp;en venir plus aif�ment d bout que de Renaud;nbsp;il 1�attaque, 1�entoure amp; ;ioufle des cris de vic-Toire; inais, Maugis, s��lan^ant du milieu desnbsp;roorts, s�attache � la troupe d�Emirza, trouvenbsp;que fon �p�e eft trop lente, faifit une �normenbsp;maflue, qu�il portoit attach�e a Pardon de fanbsp;felle, amp;, tenant d'une main la banni�re dunbsp;Roi de Sicile, il frappe de I�autre, amp; fait per-dre fon nom a la troupe invincible, il ren-verfe, �crafe Chevaliers amp; Soldats; les heau-Mes fracafles, amp; les t�tes applaties, ne for-menc que la m�me mafle, fpeftacle horriblenbsp;amp; d�go�tant! Emirza ne peut le foutenir; ilnbsp;prend la fuite. Maugis le fuic jufqu'au riva-ge; Emirza fe pr�cipite dans la met, avcc
-ocr page 353-d*Aymon, nbsp;nbsp;nbsp;347
fon cheval; il gagne fes gal�res en fr�rniflanc, fuivi de quelques-uns des fens; ma�s fon armee difperf�e fur les bords de la mer, s�ef-force, en vain, defuivre fon G�n�ral;Renaud,nbsp;Maugis, amp; Ie Roi, en font un fi horrible carnage, qu�apr�s la bataille, il fallut commander un detachement pour jeter les cadavresnbsp;dans les flots, de crainte que leur-infeftionnbsp;ne corromplt Pair de Palerme. Bient�t, les gal�res d�Emirza furent entour�es de ces triftesnbsp;reftes, que les flots entrainoient, amp; qui fem-bloient lui reprocher fa fuite. Le flls d'Ay-mon regrettoit que ce G�n�ral lui �chappacnbsp;encore; il fit lancer des pierres amp; des feuxnbsp;contre fa gal�re, qui s�embrafa; il futforc� denbsp;1�abandonner, de fauter dans une autre, amp; denbsp;gagner le large.
Le Roi de Sicile, ramen� triorophant pat Renaud amp; Maugis, amp; charg� de toot le bu-tin de 1�arm�e ennemie, �toit fi p�n�tr� denbsp;reconnoiflance, qu�il propofa aux fils cTAymonnbsp;de partager avec lui un rr�ne qu�il avoir linbsp;bien fu d�fendre, amp; a Maugis de leur aidernbsp;a le gouverner; mais ils n�accept�rent fa pr�-pofition, ni 1�un, ni 1'autre; il tardoit trop ,4nbsp;Renaud de revoir fa ch�re Yolande, amp; fanbsp;Patrie, pour s�amufer a �tre Roi fur une rivenbsp;�trang�re; amp; Maugis �toit trop emprellc denbsp;retourner dans fa folitude, pour fe charger desnbsp;foins du mihift�re. Qu�avoit � d�lirer Renaudnbsp;du c�t� de la gloire, fon nom �toit plus c�-l�bre dans 1'univers que celoi d�aucun Roi;nbsp;il accorda quelques jours au Roi de Sicile, amp;
348 quot;Les quatre fils
lui demanda la permifluon de rerourner en France. Le vaifleau fur abondammen: appro-vifionn�; le Roi ajouta de nouveaux pr�fensnbsp;a ceux du Roi de J�rufalem, amp; accompagnanbsp;les deux h�ros.
Ils fortoient du Port, lorfqu'ils fe rellou-vinrenc de leur h�tefle de Conftantinople; ils d�lib�r�rent s�ils y retourneroient. � Ehnbsp;� quoi! dit Renaud, fi un Roi nous t�moi-,, gnoit le d�fir de nous avoir, nous volerionsnbsp;,, a fes ordres. Nous avons jur� a M�raneienbsp;,, de la revoir; nous favons cotnbien notrenbsp;� vifite comblera de joie une femme verrueu-� fe, a qui nous devons le plaifir de nous �trenbsp;� t�unis, qui nous a prodigu� fes foins, a qui,nbsp;5,peuc-�tre, Maugis doit la vie, amp; nous h�fi-� terions! amp; nous ne ferions point, par devoirnbsp;� amp; par reconnoiflance , h fon �gard , ce que
nous ferions par vanit� envers un Souve-� rain qui devroit tout a fa naiflance amp; rien ,, a fa vertu ! Allons, Maugis, revenons anbsp;,, Conftantinople Ils partirent; ils d�bar-qu�rent heureufement. M�raneie, qui ne lesnbsp;avoir point perdus de vue, avoir fu qui ilsnbsp;ctoient; elles��toicfait informer de leurs aven-tures, avoir fuivi leurs exploits, amp; ne d�fef-p�ra jamais que de ft braves Chevaliers luinbsp;tinllent la parole qu�ils lui avoient donn�e, ftnbsp;le cours de leurs exploits les ramenoit a Conftantinople. Cependant, pour ne pas attirer les.nbsp;regards du Peuple, ils laifserent leur vailieaunbsp;a quelque diftance du Port; amp; ne parurencnbsp;lt;3rez M�raneie qu�en P�lerins; elle les re9uc
-ocr page 355-i'Aymon. nbsp;nbsp;nbsp;349
avec une tendrefle in�l�e de refpeft; elle les appela par leur nom , amp;, lorfqu�ils la pri�rentnbsp;d�accepter des t�moignages de leur reeonnoif-fance, elle rejeta leurs dons; mals Renaudnbsp;lui dit : � Ce n�eft point a vous que nousnbsp;y, faifons ces pr�fens, c�eft aux P�lerins, auxnbsp;� pauvres �trangers, a qui vous fervez de m�re:nbsp;� C�eft un d�p�t que nous vous confions, afinnbsp;� que vous puiffiez en recevoir un plus grandnbsp;y, nombre, amp; donner plus d��tendue a votrenbsp;y, bienfaifance,, A ces conditions, M�rancienbsp;accepta les pr�fens des Chevaliers; elle les em-ploya' a b^tir un hofpice pour les Chr�tiensnbsp;qui paflbient en Paleftine, amp;, fouvent, les In-fidelles y re9urent les m�mes fecours dans leurs.nbsp;befoins. M�rancie coinmengoit toujours par fe-courir, amp; s�informoit, enfuite, de la religionnbsp;des infortun�s; mais, Infidelles ou Chr�tiens ynbsp;elle ne fe repentoit jamais de leur avoir �t�.nbsp;utile.
Apr�s s��treacquitt�s envers M�rancie, qui les vit partir avec chagrin, Renaud amp; Mau-gis reprirent la route de 1�Italie; ils ne vou-lurent pas revenir en France, fans avoir vunbsp;Rome. Ils d�barqu�rent au Port d'Oftie, amp;ynbsp;fuyant les honneurs avec plus de foin que lesnbsp;autres ne les recherchent, ils prirent leurs habits de P�lerin, amp; entr�rentdans cette anciennenbsp;Capitale du monde, que Ie p�re de Charlemagne , Prince qui , autrefois, e�r brigu�nbsp;Phonneur d��tre compt� au nombre des Ci-toyens de Rome, avoit, depuis peu, donn�e'nbsp;aux fouverainsPontifes; ils admir�rent fes mo-
-ocr page 356-S50 nbsp;nbsp;nbsp;quatre fils
rumens amp; fes ruines. � O ville fuperbe! s��-,, cria Renaud, tu exifterois encore dans route ,, ta fplendeur, fi Ie luxe n�e�t chafle la vertunbsp;,, de tes murs; fi Torguell de quelques-uns denbsp;� tes Citoyeris ne leur euc fair m�connoiirenbsp;,, la veritable gloire amp; fait pr�f�rer Ie frivolenbsp;� avantage de commander aux hommes, anbsp;,, 1�honneur de prot�ger amp; de d�fendre leurnbsp;,, liberc� ! C�far t�enchaina; C�far eft 1�idolenbsp;� du monde; les h�ros fe forment fur fesprin-� cipes; amp; fi Catilina, regard� comme 1�op-� probre de fa patrie, efit �t� fecond� par lesnbsp;,, m�mes circonftances, au lieu de C�far, lesnbsp;,, h�ros prendroient-, aujourd�hui gt; Catilinanbsp;� pour mod�le.
Apr�s avoir parcouru quelques antres Villes 6�Italie, Renaud amp; Maugis fe rembarqu�rent,nbsp;amp;, dans peu de jours, ils furent rendus Dordogne. Tous les habitans coururentau devantnbsp;d�eux. Alard amp; fes fr�res ne pouvoient fe lafiernbsp;d�embrafler les deux h�ros; ils les conduifirentnbsp;au Paiais, au milieu des cris de joie de tontnbsp;Ie �*euple. Renaud, impatient de re pas voirnbsp;Yolande, demanda fi elle �toit encore � la Cournbsp;de Charlemagne; on ne lui r�pondit que jiarnbsp;un trifte filence : Les larmes coul�rent desnbsp;yeux d�Alard, malgr� fes efforts pour les re-tenir. ,, Mon fr�re, mon cher fr�re, s��crianbsp;5, Renaud ! vous vous troublez ; que m�an-� noncent vos pleurs ? Au nom du Dieu quinbsp;� m�a fauv� de tant de dangers, ne me ca-� chez rien. Mon fr�re, r�pondit Alard, vousnbsp;,, avez foutenu tant de revers avec courage,
-ocr page 357-,, en manquerez-vous dans 1��preuve Ia plus y, cruelle que Ie ciel vous ait r�ferv�e ? Lanbsp;,, vercueufe Yolande eft morte, digne de fonnbsp;� �poux. Des fc�l�rats de la Cour, charm�snbsp;y, de fa beaut�, amp; ne pouvant vaincre fes ri-,, gueurs, ont cru la rendre fenfible a leurnbsp;f, amour, err fuppofanc v�tre mort; ils fe fontnbsp;� procur� une de vos armures, ils 1�onc faitnbsp;� porter a Yolande de votre part, comme I�nbsp;� dernier t�moignage de votre tendrefle pournbsp;�elle, amp; Ie dernier pr�fent que vous faifieznbsp;� a vos enfans. Yolande ajouta foi � ce men-,, fonge; elle fe livra, route enti�re, i fa dou-�leur, amp;, depuis ce moment, elle n�a faitnbsp;� que languir dans la triftefle. En vain Char-� lemagne envoya un expr�s a J�rufalem pournbsp;� s�aflurerde la v�rit�, en vain 1�impofture a-t-� elle �t� d�couverre, en vain vous avons-� nous veng�, Ie coup fatal �toit port�, amp; toutnbsp;� ce que nos foins ont op�r�, c�eft qu�Yolandenbsp;� e� morte avec la fatisfaftion de favoir quenbsp;,, vous viviez encore, amp; qu�elle r�gnoit tou-� jours fur votre cceur.
Renaud verfa un torrent de larmes, amp; Mau-gis partagea fa douleur. On ordonna un deuil public, qui dura un an; mais Ie deuil de Renaud dura jufqu�au dernier moment de fa vie.nbsp;s, Que me fert , s��crioit-il quelquefois, d�a-j, voir remport� tapt'de triomphes,, d�avoirnbsp;s, .foutenu rant de travaux avec quelqu'e glqire,nbsp;s, fi je ne puis en partager la r�compenf� ayecnbsp;s)Yolande? Aventur�s, combats, travaux,nbsp;entrepris potit la vertu, vous avez manqu�'
-ocr page 358-354 nbsp;nbsp;nbsp;Les quatre fils
,, votre but, puifqu�Yolande ne peut en re-� cev�ir Thommage! Oh! femme h�ro�que! � tu aurois infpir� la vertu a celui qui n�ennbsp;,, e�i point eu d�id�e, amp; tu foutenois lanbsp;� mienue Oh! ma ch�re Yolande, fi Ie bon-,, heur, dont tu jouis au fein de l�Etre Su-� pr�me, ne t�a pas fait oublier ta tendrefle,nbsp;,, fupplie-le de me rapprocher de tol. Je reve-,, nois, content, dans ma Pa trie, paree quej�ynbsp;,, revenois plus digne de toi; tu as difparu,nbsp;� il n�efi: plus, pour moi, de patrie, qu'aunbsp;� ciel, o� tu m�attends!
C�eft par ces douces plaintes que Ie tendre Renaud exhaloit fa douleur, malgr� la forcenbsp;de fa grande ame; il y e�t fuccomb�, iinbsp;Maugis n�edc fait venir de Montauban lesnbsp;enfans de Renaud; 1�un avoit atteint fa quin-zi�me, amp; 1�autre fa feizi�me ann�e. Ils �toientnbsp;d�une taille majeftueufe, amp; d�une beaut� par-faite; ils r�uniflbient, dans leurs traits, lanbsp;touchante douceur d�Yolaiide amp; Pair martialnbsp;de leur p�re ; D�auffi loin qu�ils virent Renaud, ils coururent a lui, chacun d�eux pritnbsp;�ne de fes mains, qu�il baifa amp; qu�il arrofa de'nbsp;fes larmes. � O mon p�re , lui dit Aymonnbsp;,, nous �tions orphelins, nous avions perdunbsp;� notre mere, amp; Ie ciel, touch� de nos pleurs,nbsp;,, vous rend a nos voeux! Nous fentons, a pr�-,, fent, la v�rit� de ce qu�elle nous a fbuventnbsp;,, r�p�t� ; Le del, nous difoit-elle, n�envoy*nbsp;�jamais aux hommes plus de maux qu�ils^nbsp;� ne peuvent en fuppori:er,' amp;, quand Ie far-'nbsp;deau eft au delTus de jeurs foices, c�eft par'
353
it/iymon.
� piti� qu�il leur envoys la mort. Oui, mes ,, enfans, leur dit Renaud , je 1��prouve, au-�jourd�hui, comme vous, cette v�rit� con-,, folante: Je ne croyois pas, il n�y a qu�unnbsp;�moment, pouvoir furvivre a votre m�re,nbsp;� amp; je fens que votre pr�fence m�attache anbsp;� la vie. Chers gages de la tendrefle de manbsp;� ch�re Yolande, n�oubliez jamais votre m�-,, re, amp; foyez dignes de la remplacer dansnbsp;,, mon coeur!
Maugis ne favoit comment arracher Renaud des lieux o� repofoient les cendres d�Yolande.nbsp;j,Mon coufin, lui dit-il un jour, fi mon aml-,, ti� vous fut utile amp; ch�re, je vous en de-,, mande la r�compenfe; je d�lire de m�en re-� tournet dans ma folitnde.... Quo� Maugis,nbsp;�lui dit Renaud, ne rhe trouvez-vous pasnbsp;� alTez a plaindre d�avoir perdu mon �poufe ,nbsp;� vous voulez encore m�dter la reffource denbsp;� 1�amiti�? � Je ferai toujours votre ami, amp;,nbsp;� quelle que foit ma paffion pour la retraite,nbsp;� d�s que vous aurez befoin de moi, je vo-� lerai a votre fecours; permettez-moi denbsp;�m�en retourner. Mais, avant de quitter Ienbsp;� monde, j�aurois d�fu� de revoir, avec vous,nbsp;,, des lieux qui furent Ie th�Stre de notrenbsp;� gloire, Montauban , o� vous devez fixernbsp;� votre f�jour, puifque Charlemagne vous 1�anbsp;� rendu; mais je n�ofe vous prier de m�y ac-5, compagner, un charme trop puiflant vousnbsp;� retient a Dordogne, amp; je ne faurois vousnbsp;,, en bldraer : Je vais done partir, fans avoirnbsp;� revu cette terre o� nous avons �prouv� tant
354 nbsp;nbsp;nbsp;quatre fils
,, de biens amp; tant de maux. Adieu done, mon � cher coufin, je prends cong� � Arr�re,nbsp;,, Maugis, nous irons a Montauban ; nousnbsp;� partirons dans deux jours : La, tu me pro-� mettras de venir me confoler, de m'enfei-� gner Ie lieu que tu as choifi poury vivre �loi-,, gn� du monde, afin que j�aille puifer desnbsp;�forces dans Ie ,fein de 1�amiti� Maugisnbsp;promit tout �i Renaud, amp;, deux jours apr�s,nbsp;il partit pour Montauban, avec fes enfans amp;nbsp;Maugis.
Retour de Renaud a Montauban; d�part de Maugis pour fan hermitage; Renaud amp; fesnbsp;fils 1'accompagnent. Pr�cautions de 1�amiti�.nbsp;Mon du Due .^ymon. Renaud en, apprendnbsp;la nouvelle d fesfr�res: Partage de fes biens.nbsp;Education des enfans de Renaud. Ejfais denbsp;leurs forces : Difcours de Renaud d fes enfans ; il les envaye d Charlemagne amp; les metnbsp;d la t�te de deux Compagnies d�hommes-d�armes.
^^ENAUD e�t revu Montauban aveejoie, fi tout ne lui e�t rappel� Ie fouvenir d�Yo-lahde; cependant, il renferma fon chagrinnbsp;dans Ie fond de fon coeur; il parcourut toutenbsp;la Viile avec Maugis : Les habitans jetoientnbsp;des fleurs fur leur paflage; ils b�niffoient Ra^
-ocr page 361-uaud amp; Maugis, amp; toute la familie d�Aymon. Depuis que Charlemagne avoir rendu cettenbsp;Ville aux enfans de Renaiid, leurs oncles lanbsp;gouvernoient; ils avoient form� , entr�eux ,nbsp;un Confeil de r�gence, o� r�gnoit 1�efprit denbsp;Renaud. Quand les trois fr�res d�lib�roientnbsp;enfemble, ils fe demandoient, 1�un a l�autre ;nbsp;� Qu�e�t fait, qu�e�c penf� Renaud , dansnbsp;�cette circonllance,,? amp; ils n�approuvoiencnbsp;que ce qu�ils �toient bien affur�s qu�il auroitnbsp;approuv�, s�il e�t �t� pr�fent; il fut �tonn�nbsp;de la grande population d�une Ville que Ienbsp;blocus avoit rendu enti�rement d�ferte ; il at-tribua cette population a la bonne adminif-traiion de fes fr�res; car, il ne faut pas de-inander fi, o� Ie Peuple abonde, Ie Peuplenbsp;eft heureux. Renaud donna des �loges a fesnbsp;fr�res, amp; voulut qu�ils continuafl'ent de gou-verner.
Maugis �toit toujours �galement ch�ri de fes coufins; il ne favoit comment il pourroit lesnbsp;quitter; enfin, prenant, unjour, fon parti,nbsp;il leur annon9a fa retraite dans fon hermitage. Renaud, pour qui cette f�paration �toitnbsp;plus cruelle que pour les autres, lui reprochanbsp;de vouloir l�abandonner, dans un temps o�nbsp;fon amiti� lui �toit plus n�ceflaire que jamais:nbsp;� Pr�ter fon fecours a fon ami, lui difoit Re-� naud, dans les occafions o� fa vie eft ennbsp;� danger, eft, fans doute, un grand bienfait;nbsp;,, mais e'en eft un, mille fois plus grand, de
le confoler dans I�afflidtion, de I�aider a fup-�gt; porter les tourmens de fon cceur. Maugis en
-ocr page 362-,, convint; auffi, lui dic-il, mon intention ,, n�eft pas de vous abandonner, je viendrai,nbsp;,, foil vent, a Moncauban , amp; vous viendreznbsp;,, me voir dans ma folitude; vous ne la trou-,, blerez jamais; abfent ou pr�fent, vous ynbsp;,, ferez roujours avec moi. A quelqu�heure quenbsp;� vous y veniez, vous m�y trouverez avecnbsp;,, votre fouvenir.
Renaud voulut 1�accompagner , Maugis n�y confentit qu�autant qu�Aymon amp; Yon vienrnbsp;droient avec eux. Au jour marqu�, ils par-rnbsp;tirenr de grand marin ; lorfqu�ils furent i unenbsp;lieue de Montauban amp;: qu�ils furent fur Ie pointnbsp;de fe f�parer, ils s�embrafs�rent; inalgr� tousnbsp;les efforts que Renaud faifoit fur lui-m�me ,nbsp;Ion cceur groffilibit, amp; fes iarmes rouloient fousnbsp;fa paupi�re. Maugis avoit pr�vu ce momen?nbsp;douloureux; il Ie faifit, pour lui annqncer unenbsp;nouvelle qui fit diverfion a fa peine : C��toi^nbsp;celle de la mort du Due d�Aymon , amp; du tef-tamenr qu�il avoit fait en faveur de fes en-rnbsp;fans. Renand demeura confondu, amp; fa ren-drefle fe partagea entre fon p�re amp; Maugis.nbsp;,, II vous refte encore, lui dit Maugis, unenbsp;,, m�re , done vous connoiflez 1'amour pournbsp;� vous, vous lui devez des confolarions; ellenbsp;y, n�a jamais parcag� la duret� du Due a vo-� tre �gard. . . . Par combien de coups, �nbsp;�ciel! s��cria Renaud, accablez-vous, tout'dnbsp;� la fois, un ccEur fenfible? Mon ami, lui ditnbsp;� Maugis, votre p�re a parconru une longuenbsp;y, carri�re. La vieillelfe n�efl; qu�une longue amp;nbsp;j, p�nible maladie, termin�e par une crife far
-ocr page 363-i'Aymon. nbsp;nbsp;nbsp;357
5, lutaire, qui nous d�livre de fes infirmit�s. � Pleurer un vieillard qui cefle de fouffrir ,nbsp;� c�eft aller contre Ie vceu de la nature : Nenbsp;jvVoyez-vous pas avec quelle fagefle elle nousnbsp;� conduit au terme de la vie? elle nous afFoiblicnbsp;,, peu a peu, elle entalie,fucceflivementjinfir-jt mit�furinfirmit�,afind'act�nuer,peuapeu,nbsp;� eet attachement qu'ellenous a donn� pour lanbsp;5, vie. Allez, Renaud, n�attendez pas que vosnbsp;9, fr�res apprennent par d�autres que par vous,nbsp;�, la mort de leur p�re; ils peuvent en favoir lanbsp;nouvelle d�un moment a 1�autre, amp;, commenbsp;ils ont moins de force d�efprit que vous,nbsp;f, il faut que vous leur annonciez vous-m�menbsp;,, eet �v�nement, vous Ie leur adoucirez; ilnbsp;,,elt bien jufte que, puifqu�ils ont mis tantnbsp;5, de z�le a vous venger de la mort d�Yolande,nbsp;� puifqu�ils s��puifent en elforts, pour vousnbsp;� confoler de fa perte, vous les confoliez, s�ilsnbsp;,, fe livroienc trop a leur affliftion. Adieu,nbsp;� Renaud, tous ces maux font paflagers, lanbsp;3, gloire de les avoir fupport�s avec conllancenbsp;3, eft immortelle.
L�adrefle de Maugis, en faifant pafler, ainfi , Ie coeur de Renaud du fentiment de 1�amiti�nbsp;�. celui de la pierte de fon p�re, en oppofantnbsp;a celui-ci Ie tableau de 1�affli�lion de fes fr�res, en m�lant a tout cela, )e fouvenir de lanbsp;mort d�Yolande, affoiblifibit 1�un par 1�autre,nbsp;lui faifoit trouver moins poignant Ie chagrin de leur f�paration. Renaud, apr�s avoirnbsp;encore embrall� fon coufin, n�entretint fes en-fiins que de la mort du Due d�Aymon. En
-ocr page 364-358 nbsp;nbsp;nbsp;Les quatre fils
arrivant a Montauban, il appela fes fr�res; il leur paria, pour la premi�re fois, des biensnbsp;que Charlemagne leur avoir rendus; il en vinenbsp;il ceux qui reftoienc a leur p�re; il en pritnbsp;occafion de fa vieillefle; il excufa fa f�v�rit�nbsp;^ 1��gard de fes enfans, rappela les maux qu�ilnbsp;leur avoir cauf�s, en rejeta, en partie, lanbsp;caufe fur les Courtifans de Charlemagne; enfin, apr�s.les avoir bien difpof�s, il leur ap-pric fa mort; il la pleura avec eux; il appaifanbsp;leurs douleurs; il en revint au partage desnbsp;biens qu�il leur laiflbit; ils s�en rappon�rentnbsp;a lui : Il leur en fir la diftribution, amp; il nenbsp;fur pas le mieux parrag� ; il ne fe l�ferva quenbsp;Montauban.
Renaud, cependant, mettoit la derni�re main a 1��ducation de fes enfans; il les for-moit aux devoirs, aux vertus Sc aux exerci-ces de la Chevalerie; il mettoit leur honneurnbsp;amp; leur probit� a route �preuve; il �levoit leurnbsp;aroe par le r�dt des grandes adtions des Cheva-rnbsp;liers les plus c�l�bres amp; des h�ros qui avoientnbsp;fait le plus d�honneur a l�humanit� : Quandnbsp;il les crut aliez inftruits Sc afl'ez exerc�s, ilnbsp;affembla tous les Chevaliers des environs, amp;nbsp;tous ceux de fa familie; il fir porter des lancesnbsp;amp; des armes, Sc propofa des joutes-; Les jeunesnbsp;fils de Renaud combattirent avec tanc d�adref-fe�, de gr�ce Sc de force, que tous lies Gheva-fnbsp;liers, qui les voyoient pour la premi�re fois,nbsp;furenr perfuades qu�ils avoient fait leurs premi�res armes; bien des Cheva!ierx,-.cQnuusnbsp;par leurs combats, convinrent,qu�ilsyoudroieas
-ocr page 365-d'Aymon. nbsp;nbsp;nbsp;355
avoir la force amp; Padrefle des deux jeunes gens,
Quelques jours apres, Renaud prit fes deux fils en particulfer. � II eft temps, leur dic-,, il, d�etre utiles a votre Patrie : Chaquenbsp;� moment que vous perdriez dans 1�oifivet� ,nbsp;� feroit un larcin que vous feriez au Roi amp;nbsp;,, a 1�Etat, amp; un temps mort pour votre gloire.nbsp;� DifpofeZ'Vous ^ aller offrir vos fervices anbsp;� Charlemagne , amp; a le prier, de vous armernbsp;,, Chevaliers. N�oubliez jamais qu�il eft votrenbsp;,, Souverain : Rappelez-vous, fans cefle, cenbsp;,, que je vous ai dit, au fujet des devoirs quinbsp;,, vous lient a lui ; Quoique fes parens, vousnbsp;,, n�en etes pas moins fes Sujets. L�hiftoire denbsp;,, ma vie vous apprendra quelles font les fui-,, tes funeftes d�une apparence d�oubli de cenbsp;,, devoir. Tout innocent que j��tois, le cielnbsp;� a permis que Charles fiit inflexible a monnbsp;� �gard, pour apprendre aux hommes, que lesnbsp;,, fautes, m�me involontaires, contre une fu-.nbsp;,, bordination �tablie par nos p�res, �toiencnbsp;� des outrages fairs a la foci�t�, dans la per-5, fonne de celui qu�elle a choifi pour fon Chefnbsp;� amp; fon repr�fentant.
Renaud ordonna qu�on fabriqiiit des armes d�une trempe a touie �preuve. Son premiernbsp;Ecuyer fut charg� de ce foin, amp; s�en acquittanbsp;au gr� de fon maitre. Harnois, armures, pale-frois, rout fut parfait, Renaud le.s arma lui-m�me : Enfuice, il leur pr�fenta cinq centsnbsp;hommes-d�armes. ,, Mes enfans, leur dit-il,nbsp;it voila deux compagnies de braves gens, qugnbsp;��je vous donne. Comme ils vous facrifient.
-ocr page 366-i6o
Les quatre fils
i�
,, pour vous fervir dans les occafions gt; leur re-,, pos, leursplaifirs amp; leurs vies, vous devez ,, les m�nager amp; vous facrifier vous-m�mesnbsp;� pour leur confervation. Par les lois de lanbsp;,,guerre, ils font obliges d�ob�ir a vos or-y, dres; mals 11 n'y a aucune loi qui puiflenbsp;,, les forcer a vous aimer; c�eft a vous dnbsp;,, gagner leur confiance amp; leur amid�. Sinbsp;,, vous ne les aimez pas, ils vous ob�ironcnbsp;� malgr� eux; leur ame lera fans �nergie amp;nbsp;� fans �mulation ; ils vous feront foumis amp;nbsp;� fidelles, paree qu�ils font honn�tes; mais ilsnbsp;,, n�iront jamais au devant de vos veeux, pareenbsp;,, que rien ne les y oblige. Si vous obteneznbsp;� leur eftime amp; leur amour, 1�ob�ifiance nenbsp;,, leur co�tera rien, leurs devoirs feront desnbsp;� plaifirs, ils chercheront d deviner votre vo-� lont�, a la pr�venir; ils n�auront d�autre in-j, t�r�t que Ie v�tre : Un G�n�ral qui ne fenbsp;� fait point aimer de fes Soldats, eft feul, amp;nbsp;� ifol�, au milieu de fes troupes, il n�a d�aurrenbsp;� empire fur eux , que celui d�un tyran furnbsp;des efclaves.
� Votre naiffance amp; vos a�eux vous impo-� fent la n�ceffit� de ne rien faire qui foit � indigne d�eux amp; de vous -, les plus l�g�resnbsp;� fautes des gens fans naiflance, font des cri-� mes dans ceux qui ont une illuftre origine.nbsp;� La fortune ne vous a combl�s de fes biens ,nbsp;� qu�afin que vous les r�pandiez fur ceux qu�ellenbsp;� en a prlv�s. Ces richefles leur appartenoient,nbsp;,, peut - �tre , amp; Ie hafard des circonftancesnbsp;�les a fait palier dans vos mains. Le titre
de
-ocr page 367-'.fit
d�Aymon.
� de propri�c� ne vous donne pas plus le droic � de faire ce que vous voulez de vos bieus,nbsp;� que de vocre vie : Vous ne devez faire qu�unnbsp;� ufage honndre de Pun amp; de 1�autre; ce n�eitnbsp;� pas 1�humanit� feule qui doit vous exciternbsp;� a la bienfaifance, c�eft la juftice. Ne vousnbsp;�, permectez jamais aucune parole qui puilfenbsp;offenfer perfonne; ne faites jamais des re-,, proches, fans �cre bien certains qu�ils fontnbsp;� m�rit�s. Aimez, refpedez I�homine de bien,nbsp;� dans quelque condition que le ciel 1�ait faicnbsp;,, naitre. Ne penfez pas l�g�rement du malnbsp;,, d�autrui, amp; n�en dites jamais : Si le malnbsp;y, eft public, qu�avez-vous befoin de le r�p�-� ter; s�il eft cache, le publier eft une tra-� hifon.
� Aimez-vous, furtout, mes enfans; c�eft � a notre amiti� mutuelle que vos oncles Scnbsp;,, moi devons, peut-�tre , notre gloive. Sou-� tenez-vous 1�un 1�autre , avertifl'ez-vous denbsp;,, vos d�fauts. Confultez-vous, avant de riennbsp;� entreprendre; fi vous reuffilTez, ne vous ennbsp;� prevalez pas, 1�orgueil gdte les plus bellesnbsp;� aftions; fi vous �chouez, ne vous d�cou-,, ragez point : Soyez humbles amp; inodeftesnbsp;� dans la bonne fortune, fiers amp; courageuxnbsp;dans 1�adverfit� : Ne donnez jamais votrenbsp;opinion comme un jugeraent d�cifif. Etu-*gt; diez, connoiflez les perfonnes avec qui vousnbsp;j, vous lierez; car vous devez compte au pu-�,blic, non feulement, de votre conduite,nbsp;5, mais encore de celle de vos amis. Parmi lesnbsp;n Courcifans de Charlemagne, il v en a qui
Q
-ocr page 368-Zes quatre fits
font vos ennemis; �vitez de vous trouver ,, avec eux; craignez leurs pi�ges; leur hainenbsp;,, eft d�aucant plus dangereufe, que, dansnbsp;,, quelques-uns, elle eft h�r�ditaire; ne lesnbsp;� provoquez point, ne n�gligez aucuiie voienbsp;� honn�ie pour les ramener : II y a pliTs denbsp;,, gloire a gagner un ennemi, en Ie formantnbsp;,, de vous aimer, qu�a en vaincre dix les ar-� mes a la main; mais, s�ils vous provoquent,nbsp;,, s�ils vous attaquent en votre honneur, d�-^ � fendez-le , pr�f�rez la mort a la honte, amp;nbsp;' � l�honneur a rout. Ces pr�ceptes font com-� prisdans les lois de la Chevalerie, m�ditez-� les enfemble. Aymon, vous devez fecours
amp; affiftance a votre fr�re, paree quil eft � plus jeune que vous ; Yon , vous devez inbsp;� Aymon d�f�rence amp; honneur, paree qu�ilnbsp;,, eft votre ain�; mais que l��ge amp; la fubor-� dination ne vous emp�chenc point de vousnbsp;,, aimer ; O� trouveriez-vous un ami plus in-,, t�refl�� a la gloire de fon ami, que vous-� m�me ? celle de l�un ne rejaillit-elle pas furnbsp;,, 1�autre?
Les enfans deRenaud remerci�rent leur p�re dans les termes les plus touchans; ils lui pro-mirent d�avoir ces pr�eeptes roujours gravesnbsp;dans leur eoeur, ainfi que ceux que leur m�renbsp;l�ur avoit donn�s, fur les moeurs amp; fur lanbsp;Religion ; ils fe mirenc a fes genoux; il lesnbsp;b�nit; il ofirit a l�Etre Supr�me routes les actions de leur vie; il Ie fupplia de les prot�ger,nbsp;comme fource de route vertu. Renaud ne dif-tinguou point la vertu de Thonneur veritable;
-ocr page 369-3^3
�Car, avoir-il dit, fouvent,� fes enfans, ,, fi c��toient deux chofes diftinftes, il s�enfuj-� vroit qu�on pourroit avoir 1�une fans I�autre�nbsp;�foutenir, par exemple, one injuftice, parnbsp;0, honneur, ou fe d�shonorer par un exc�s denbsp;,, vertu Renaud n�avoic d'autre confeil ,nbsp;i�autre oracle, que fa confcience. L'opinionnbsp;d�autrui, l�autorit�, ne lui en impofoient pas.nbsp;Themiftocle, qui pr�f�roit d foi-m�me la gloirenbsp;de fon pays, lui paroiflbit le plus grand hommenbsp;de 1�antiqait�.
Apr�s eet avis, Renaud embrafla encore fes enfans, monta a cheval, amp; les accompagnanbsp;jufqu�a une lieue de Montauban; il ne voulut.nbsp;point fe montrer a la Cour de Charlemagnenbsp;paree qu�il n�avoit pas encore refu une per-miffion exprefle d�y paroitre.
564
Les quatre fils
------
CHAPITRE XXV.
j4ymon fi? 9on arrlvent d Paris, demandent au Roi de les faire Chevaliers; accueil qu�ilsnbsp;resolvent de Charlemagne amp; de fes Pairs.nbsp;Jaloufie des fils de Foulques de Morillon :nbsp;Outrages qu�ils font aux fils de Renaud :nbsp;D� fis, gages y pleiges. R�ception des fils denbsp;Renaud; f�tes. Pr�paratifs pour Ie combatnbsp;enne les fils de Foulques amp; ceux de Renaud:nbsp;Trahifon inutile; combat, viSoire d�jiymonnbsp;S� d��'on; fureurs de Ganelon. Retour denbsp;Renaud amp; de fes fils d Montauban.
,/V.YMoN amp; Yon arriv�rent, a la t�te de leurs compagnies. Le Peuple accouroit en foulenbsp;fur leur paflage, a caufe de la grande reputation de leur p�re; ma�s, quand on lesnbsp;voyoit, on ne pouvoits�emp�cher deles aimer pour eux-m�mes; ils fe firent annoncernbsp;au Roi, coinme deux afpirans a 1�ordre denbsp;Chevalerie; Us lui firent demander l�i permif-fion de fe pr�fenter. D�s qu�ils l�eurent ob-tenue, ils dirig�renc leur marche vers lenbsp;Palais, Les Barons amp; les Pairs, qui igno-t�ient encore quels �toient ces jeunes afpirans , all�rent au devant d�eux ; ils admi-r�rent leur beaut�, leur air affable, amp; leurnbsp;fiert� modefte. Quand les fils de Renaud fu-rent introduits aupr�s du Roi, ils fl�chirentnbsp;le genou, amp; s�inclin�rent jufqu�a fes pieds;
-ocr page 371-ma�s Ie Roi leur pr�fenta fa main , qu�ils bais�rent, avec une affeftion qui Ie furprit,nbsp;paree qu�elle paroiflbit accord�e plus a la per-fonne qu�a la Majeft�. Apmon prit la parole,nbsp;apr�s avoir fait des veeux pour la prof-p�rit� du Monarque : ,, C�eft a la fource denbsp;,, tout honneur, dit-il, c�eft � vous, Sire ,nbsp;� qu�il appartient de nous ouvrir la carri�renbsp;� o� nous nous difpofons d�entrer; nous vousnbsp;� fupplions de nous accorder 1�ordre de Che-� valerie : Nous nous fournettons a routesnbsp;,, les �preuves que eet ordre refpe�lable exige,nbsp;,, amp;, d�s ce moment, nous nous confacrons,nbsp;� mon fr�re amp; raoi, au fervice de votre Ma-�jeft�.
,, Qui �tes-vous�? leur demanda Charlemagne , qui, ne les ayant pas vus depuis fix ans, avoir oubli� leurs traits ; � Pourquoi aucunnbsp;,, Prince, aucun Seigneur, ne vous a-t-il pasnbsp;� annonc�s a ma Cour ? Sire, r�pondit Ay-,, mon, nous fommes les fils d�un Prince quenbsp;�vous daign�tes honorer de votre eftime;nbsp;,, qui, pour avoir veng� fon honneur outra-,, g�, euc Ie malheur de vous d�plaire; quenbsp;,, des Conrtifans, jaloux amp; perfides, ont perdunbsp;� dans votre efprit, contre lequel ils ont ex-� cit� un courroux que vous cruces l�gitime;
qui, malgr� fes longues amp; cruelles difgraces, � n�a jamais cede d�aimer fon Souverain, quinbsp;� nous a �lev�s dans eet amour; de Renaud,nbsp;,, enfin, qui a offert fa vie pour obtenir unenbsp;� paix qu�il crut n�ceflaire au bien de vosnbsp;� Etats'i de ce Renaud, qui, dans 1�efpace de
Q iij
-ocr page 372-� trois ans qu�a dur� fon exil, a r�par� fes � torts apparens, par des aftions h�ro�ques,nbsp;,, qui ont mis Ie fceau 'a fa gloire.
Charlemagne, en entendant prononcer Ie rom de Renaud, fe leva de fon tr�ne, pricnbsp;un vifage riant, fit approcher Aymon amp; Yon,nbsp;amp; leur fit 1�accuei'l Ie plus gracieux. � Re-,, naud, leur dit-il, eft Ie plus digne Che-� valier qui, jamais, ait �t� amp; qui fera ja-� mais; ce que je puis vous fouhaiter de plusnbsp;�heureux, c�eft que vQus lui rellembliez; amp;nbsp;� pl�t a Dieu que Ia calomnie qui aifi�ge Ienbsp;�tr�ne des Rois, n�eut jamais tent� de menbsp;� f�parer de lui!
Charlemagne leur demanda a quoi leur p�re s�occupoit ? � Sire , r�pondit Yon , commanbsp;�fon age-ne lui permet gu�re les exercicesnbsp;� violens amp; p�nibles, il s�applique a fairenbsp;� Ie bonheur de fes vaflaux, par des loisnbsp;,, fages, par les bienfaits qu�il r�pand fur lesnbsp;� malheureux , par I�acfiiivice qu�il entretiencnbsp;� parmi les Citoyens, par les encourage-� mens qu�il accorde a 1�Agriculture, au Com-� merce, aux Arts, par la protedtion que lesnbsp;� pauvres trouvent en lui, contre les Grands, amp;nbsp;� les riches, qui abufent de leur fortune amp; denbsp;.�leur autorit� pour les opprimer. Tous fesnbsp;�vaflaux, Sire, ne forment qu�une familie,nbsp;� 8c la diftlnftion des rangs, qu�il croit n�-� ceflaire d�entretenir, n�en met aucunedansnbsp;� les affedtions amp; dans l�harmonie de la fo-� ci�t�. Ses travaux, plus que fon age, 1�ontnbsp;� aflfoibli. H�las! reprit Ie Roi, un tel homme
-ocr page 373-.1^)7
d'Aymon.
�ne devroit jamais raourir. Seigneurs, con-,, tinua-t-il, en s�adreflant a fes Pairs, re-,, gardez , a 1�avenir, les enfans de Renaud ,, comme mes propres enfaus; 31s reflemblentnbsp;� fi bien , par leurs traits, a leur vertueux p�-,, re, que la nature feroiten contradiction avecnbsp;� elle-meme, s�ils ne lui reflembloient par lanbsp;� beaut� de I�dme,,. Puis,fe tournant encorenbsp;vers les fils de Renaud : � Gentils enfans,nbsp;� leur dit-il, vous ferez Chevaliers, amp; je-� vous donnerai plus de terres que vorre p�re,nbsp;,, a qui j�ai rendu route raon amiti�, n�ennbsp;� poflede; a caufe de lui, amp; de ce que vousnbsp;,, meritez, je feral cent autres Chevaliersnbsp;,, avec vous.
Roland, Olivier, Naimes, Oger, le vieil Archev�que Turpin, amp; tons les autres Pairs,nbsp;accabl�rent Aymon amp; Yon de carefles amp; d�ami^rnbsp;ties; chacun croyoit revoir Renaud dans cesnbsp;jeunes gens. Aymon leur demanda, modefte-ment, fi qui ils devoient tant de bontes.nbsp;,, Nous fommes tous vos parens, amp; les amisnbsp;� de Renaud, r�pondirent les Pairs,,. Le Duenbsp;Naimes les leur noinma, les uns apr�s les autres. Aymon amp; fon fr�re s�inclin�rent devantnbsp;eux, amp; le? pri�rent de vouloir bien guidernbsp;leur jeunefle : Les Pairs leur promirent qu�jlsnbsp;auroient toujours, pour eux, la m�me amici�nbsp;qu�ils avoient pour leur p�re, amp; pour leursnbsp;oncles; amp; Roland fe chargea de les �clairernbsp;fur les ufages que leur �loignement de la Cournbsp;ne leur permettoit point de connoztre.
Deux jeunes Chevaliers vlrent, avec envie,
S68
Les quatre fils
cette al�grefle g�n�rale; c'�toient les fils de Foulques de Morillon; leur haine s�enflaraina,nbsp;furtout, lorfqu�ils virent Charlemagne admet-tre a fa table les deux fils de Renaud, avantnbsp;qu�ils fuffenr Chevaliers, � Eh! quoi, difoient-� ils, nous avons fait nos premi�res armes;nbsp;,, nous fomrnes Chevaliers, nous faifons, aifi-� dument, notre cour au Roi, jamais, encore,nbsp;� il ne nous a diftingu�s par aucune faveurnbsp;� particuliere; amp; les fils de Renaud, qui n��-,, toient point encore fortis de Montauban,nbsp;,, arrivent a la Cour, amp; en deviennent les ido-5, les! Que fera-ce, lorfqu'ils auront l�ordrenbsp;,, de Chevalerie? Prot�g�s par Ie nom amp; parnbsp;5,1a r�pntation, peut-�tre ufurp�e, de Re-5, naud, Ie moindre petit fait - d�armes feranbsp;5, �rig� en aftion �clatante, amp;, fans vertus,nbsp;5, ils acquerrontunec�l�brit�, � laquelle nousnbsp;5, n�oferons jamais pr�tendre. Les fils de Foul-5, ques de Morillon valent bien ceux denbsp;,, Renaud; fouifririons-nous une pr�f�rencenbsp;,, aviliflante? Non, jurons aces jeunes pr�fom-5, ptueux une haine implacable, haine d�autantnbsp;5, plus l�gitime, que la mort de notre Inal-5, heureux p�re nous en fait un devoir.
Un jour, que Ie Roi tenoit Cour pl�ni�re, �n Chevalier Allemand �toit venu porternbsp;J�hommage de fon Prince � Charlemagne :nbsp;Parmi les pr�fens, qu�il ofFrit a la Princeflenbsp;Theudelinde, fille de Charlemagne, il fe trouvanbsp;deux panaches de plumes de h�ron. La Prin-celle, apr�s en avoir obtenu la permiffion denbsp;fon p�re, appela les fils de Renaud, Ss-les leur
-ocr page 375-donna, pour en orner leurs cafques, le jour lt;ju�ils ieroient requs Chevaliers. Yon fe trou-voit plac� a c�t� de Conftant, 1�un des filsnbsp;de Foulques; coinoie il retournoit a fa place,nbsp;il s�affit, fansy j^enfer, fur le bout de l��charpenbsp;de Conftant. Celui-ci fe l�ve, furieux; � Jeunenbsp;,, infenf�, dit-il a Yon, tu devrois �tre plusnbsp;� actentiface que ru fais. Siles honneurs qu'onnbsp;� rend, id, aux enfansd'un traitre amp; d�un re-y belle,leur ontfaitperdrelaraifon, monfr�renbsp;y, amp; moi ti-ouverons bien le moyen de les ynbsp;� ramener. Conftant, lui r�pondit Yon, j�ainbsp;,, tort de m��tre aflis fur votre �charpe; monnbsp;�intention n��toit point de vous d�plaire,nbsp;� amp; je vous en demande pardon ; mais je fuisnbsp;� bien �tonn� qu�une faute auffi l�g�re, fi e�ennbsp;�eft une, ait pu exciter, dans un Chevalier,nbsp;j, la fureur que vous faites eclater. Les injuresnbsp;que vous venez de me dire devant I�atlem-� blee la plus refpeeftab�e de la nation, vousnbsp;,, d�shonorent, amp; I�outragent; vos reprochesnbsp;� font un menfonge qui n�edc pas dfi fortirdenbsp;,, votre bouche Si mon p�re a tu� le v�tre,nbsp;,, e�eft a fon corps defendant, en brave amp; loyalnbsp;,, Chevalier. Le Roi fait, Stperfonne n'igno-� re, qui fut Foulques de Morillon; fi, ce-� pemlant, vous foutenez qu'il a �t� tu� parnbsp;,, trahifon, vous mentez; amp; void mon gage.
- Les Sarons furent indign�s de la conduite groffi�re de Conftant : � Jeune imprudent,nbsp;lui dit Charlemagne, vous avez tort d�ac-�gt; cufer Renaud d�avoir tu� votre p�re par tra-j, hifon, amp; vous n��tes point excufable de
;ro
Zes quatre fils
,, prendre en t�moignage d�une fauffe accufa-� tion les Pairs amp; moi. Vous auriez d� gar-� der, fur eet �v�nement, Ie filence Ie plus � profond. Je vous ordonne, ou de d�favouernbsp;,, ce que vous venez de dire a Yon, ou denbsp;,, fortir de ma Cour, que vous venez de trou-,, bier, fans refpe�l pour votre maitre.
Robert, Ie fr�re de Conftant, prit la parole : � Sire, nous fommes tout pr�ts de prou-,, ver, les armes a la main, aux fils de Re-� naud, que leur p�re a tu� Ie n�tra par tra-�hifon; voici mon gage Aymon amp; Yon s�approch�rent du Roi, mirenc un genou a terre,nbsp;amp; prirent les gages des fils de Foulques. Charles fut fdch� de cette querelle; mals il re^ut desnbsp;mains d�Aymon amp; d�Yon les gages de Conftant amp; de Robert, amp; ceux d�Aymon amp; d�Yonnbsp;des mains de Conftant. Alors, Ganelon amp; Ber-luyer, d�Eftouteville de Movillon, amp; Griffonnbsp;de Hautefeuille, parens de Foulques, pleig�-rent Conftant amp; Robert, amp; Ie Roi les leurnbsp;donna en garde , pour les repr�fenter quand ilnbsp;en feroit temps; amp; Roland, Olivier, Ie Duenbsp;Naimes, Oger, Richard de Normandie, amp; lesnbsp;filsd�Odon, pleig�rent les fils de Renaud, pournbsp;les repr�fenter au jour du combat.
Cependant, Ie Roi voulur, que, d�s Ie len-^emain, Aymon amp; Yon fuflent requs Chevaliers; il donna les ordres n�ceffaires au grand S�n�chal. Aymon, fon fr�re, amp; ceux qui de-voient �tre re?us avec eux, firent la veille-d�armes a Notre-Dame : Ils fe pr�fent�rent,nbsp;Ie lendemain, a Charlemagne : Les deux fils
-ocr page 377-�'Ayihon. nbsp;nbsp;nbsp;371
de Renaud , en habit de c�r�monie, deman-d�ren: l�ordre de Chevalerie; ils furent re-9US avec pompe, amp;, apr�s eux, cent autres Gent�shommes. La f�te, que Ie Roi donnanbsp;k ce fujet, fut une des plus brillantes qui euflencnbsp;�t� donn�es depuis Ie commencement de fonnbsp;r�gne. Les nonveaux Chevaliers portoient, anbsp;leurs cafques, les panaches dont Theudelindenbsp;leur avoit fait pr�fent; mais ces honneursnbsp;affeftoient foiblement les enfans de Renaud;nbsp;ils auroient d�fir� que leur p�re en e�t �i�nbsp;t�moin; ils faifirent un moment favorable,nbsp;amp; fe jet�rent aux genoux de Charles, pournbsp;lui t�moigner combien la pr�fence de Renaudnbsp;ajovueroit a leur faonheur Le Roi leur fit fentirnbsp;qu�il �toit fSch� de ne pas 1�avoir fait aver-tir lui-m�me. ,, D'ailleurs, ajouta-t-il, Re-� naud fait que j�ai tout oubli�, pourquoinbsp;,, n�eft-il pas avec vous? II lui fuffifoit denbsp;� m�en pr�venir; il devoit �tre bien aflur� quenbsp;� je ne m�yoppoferois point Auffi-t�f, Charles envoya un mefiager a Renaud, pour lui an-noncer que fes enfans �toient Chevaliers, amp;nbsp;pour 1�engager de venir a fa Cour; il lui flcnbsp;part de l�outrage qu�ils avoient regu des filsnbsp;de Foulques, amp; de la vengeance qu�ils fe pr�-paroient d�en tirer.
Renaud apprit ces nouvelles avec joie; il envoya a fes fr�res, pour qu�ils fe rendifl�ent, au plut�t, a Montauban ; il leur communiqua lanbsp;lettre du Roi, amp; il fut r�folu qu�ils iroient,nbsp;tous enfemble, a Paris, amp;, le lendemain, ilsnbsp;partirent, efcort�s de leurs Chevaliers.
Q
-ocr page 378-SJTi nbsp;nbsp;nbsp;Les quatre fils
Lorfque les douze Pairs comprirent que Re-naud amp; fes fr�res n��toienc qu'a quelques lieues de Paris, ils all�rent au devant d�eux, avecnbsp;jAymon amp; Yon. Renaud, apr�s avoir remer-ci� les Pairs, prit fes enfans a 1'�cart: � Mesnbsp;9, arais, leur dit-il, vous �tes Chevaliers, amp;nbsp;,, n�avez encore rien fait pour 1�honneur. Vousnbsp;j, avez obtenu la r�compenfe avant de l�avoirnbsp;� tn�rit�e : Si vous aviez Ie malheur d��chouernbsp;,, dans Ie combat contre les fils de Foulques,nbsp;5, on diroit que Charles s�eft trop hat� de vousnbsp;� donner 1�ordre de Chevalerie, que vous n�ennbsp;� �tiez point dignes, amp; votre d�faite l�giti-,, meroit l�outrage que vous avez regu, amp; ouenbsp;,, je partage avec vous. Mon p�re, s��cria Ay-,, mon en l�embrafl'ant, nous courons a unenbsp;� viftoire aflur�e; puifque la caufe que nousnbsp;,, foutenons eft jufte, nous ne craignons rien;nbsp;,, nous combattrons fous les yeux du Roi amp;nbsp;� fous les v�tres, amp; nous d�fendrons notrenbsp;,, p�re 8e notre hofineur. Vous voyez ces pana-,, ches, ils nous ont �c� donn�s par Theudelin-� de, comme un pr�liige de la viiftoire.
Charlemagne apprit avec joie 1�arriv�e de Renaud 8e de fes fr�res; il les fit venir, 8enbsp;leur fit 1�accueil I� plus honorable; il com-bla Renaud d'amiti�; il lui confirraa ce quenbsp;fes enfans lui avoient dit des bont�s qu�il leurnbsp;avoir t�moign�es, de la mani�re �clatante 8enbsp;diftingu�e dont il les avoit re9us Chevaliers;nbsp;du z�le avec lequel il avoit pris leur partinbsp;contre les fils de Foulques 8e contre leurs'nbsp;parens. Renaud raanquoit d�expreffions pour
-ocr page 379-d'Aymon.
marquer au Roi fa reconnoiflance amp; fon amour; il lui demanda pardon du paff�, com-me s�il eut �t� coupable. � Je ne me fouviensnbsp;�de rien, lui dit Charles; au moment quenbsp;� vous m�avez ob�i, amp; que vous vous �cesnbsp;� foumis, j�ai tout oubli�, except� vos gran-� des adions. Je vous jure que vous n�aurez ja-� mais de meilleur ami que votre Souverain,nbsp;� tant qu�il vivra�. Charles Ie cong�dia, amp; Ienbsp;laifla aller fonger au combat qui fe pr�paroit.
Quand Ie jour marqu� fut arriv�, Conftant amp; Robert fe pr�fent�rent, les premiers, a Charles, qui leur dir ; � Jeunes t�m�raires, vousnbsp;� avez eu une id�� bien funefte, en d�fiancnbsp;� les enfans de Renaud. Je crains bien quenbsp;� vous ne vous en repentiez, en entrant furnbsp;� Ie champ de bataille : Ce n�eft pas la pre-� mi�re imprudence qu�ayent faite ceux denbsp;^ votre race; puifle-t-elle �cre la derni�re!
Ganelon , amp; les autres Chevaliers, pleiges de Conftant amp; de Robert, furent conftern�anbsp;de ce reproche; mais Conftant, fans r�pon-dre au difcours du Roi, lui demanda feule-menc d�affigner Ie champ de bataille, de d�.�nbsp;cider fi Ie combat feroit de deux contre deux,nbsp;OU d�un contre un. Le due Naimes prit lanbsp;parole, amp; dit que, puifque Conftant avoitnbsp;appel� Yon traitre, amp; que Robert avoit in-fult� Aymon, ils devoient fe battre enfemblenbsp;amp; deux � deux. Le Roi ordonna done, que lenbsp;combat feroit de deux a deux, amp; que le champnbsp;feroit dans 1�Ifle Notre-Dame, entre les deuxnbsp;bras de la Seine.
-ocr page 380-3J^4 nbsp;nbsp;nbsp;quatre fils
Renaud conduifii: fes enfans chez lui, amp; ceux de Foulques fe retir�rent avec leurs plei-ges. Alard, Guichard amp; Richard arm�rentnbsp;leurs neveux, amp; leur donn�rent routes lesnbsp;inftrii�lions qu�ils crurenc n�ceflaires; ils lesnbsp;envoy�rent, enfuite, a St.-Viftor, pour fairenbsp;leur veille-d�armes; leurs ennemis all�rencnbsp;veiiler a Sr.-Germain-des-Prez. Un Ev�que,nbsp;parent de la familie de Foulques, leur dit lanbsp;mefle, amp; les b�nit; amp; 1�Archev�que Turpinnbsp;dit la mede aux fils de Renaud, amp; les b�nitnbsp;avec fon �p�e. Apr�s les c�r�monies, les deuxnbsp;nouveaux Chevaliers all�rent fe pr�fenter aunbsp;Roi, qui les recommanda au Due Naimes, anbsp;Roland, a Olivier, a Oger amp; a Richard denbsp;Normandie. ,, Ayez foin, leur dit-il, que lenbsp;^ champ foit bien gard�; vous porterez lesnbsp;^ faintes Evangiles, amp; vous ferez jurer auxnbsp;� combattans qu�ils entreront en lice loyale-ment, amp;, furtout, que mon honneur foienbsp;,, bien gard�. Je trains qu�il n�y ait quelquenbsp;� trahifon, car Robert me paroit peu loyal,nbsp;,, amp; je me m�fie de fes amis : Renaud amp; fesnbsp;,, fr�res font puiflans amp; fages, amp; ne fouffri-� ront aucun tort en leurs perfonnes, ni ennbsp;�celles de leurs parens amp; amis. Je connois,nbsp;� furtout, la vivacit� de Richard; il ne m�-� nage rien, quand il eft courrouc�, amp; je n�ou-� blierai jamais, qu�une fois, dans fa fureur,nbsp;� il me mena�a moi-m�me. Je ne crains rien denbsp;� Renaud, il eft trop prudent amp; trop fagenbsp;Nairoes promit au Roi, que fon honneur amp; fesnbsp;droits feroient bien amp; loyalement gard�s.
-ocr page 381-S?5
Les fils de Foulques fe rendirent dans 1�I�e Notre-Dame, fnperbement mont�s; quandnbsp;jls y furent arriv�s, ils mirent pied a terre,nbsp;s�affirent fur Ie gazon, amp; fe mirent tranquil-lement a difcourir enfemble', en attendant Ay-mon amp; Yon. Leur aflurance pr�venoit en leurnbsp;faveur tons ceuxT qui �toient accourus pournbsp;�tre t�moins de ce combat; mais perfonne nenbsp;fe doutoit que la caufe de leur f�curit� �toitnbsp;une afFreufe perfidie.
Tandis que Charlemagne �toit encore avec fes Barons, Berenger, Hardes, amp; Griffon denbsp;Hautefeuille, �toient all�s s'embufquer aupr�snbsp;de 1�Ifle; lorfique Ie combat auroit commence,nbsp;ils devoient venir, bien accompagn�s, aunbsp;fecours de Conftant amp; de Robert, amp; maf-facrer les fils de Renaud.
Enfin, lorfque Renaud jugea qu�il �toit temps que fes deux fils fe rendiflent dans 1�Ifle,nbsp;il appela Aymon , amp; lui dit, en lui remet-tant Flamberge : � Puifle cette �p�e vous ac-� qu�rir autant d�honneur qu�elle m�en a ac-,, quis. Allez, qu�elle ferve a venger votrenbsp;,, p�re IIles embraffa tousles deux, amp;lesac-compagna jufqu'au bord de la Seine.
Lorfque Renaud amp; fes fr�res eurent laiff� les jeunes Chevaliers au lieu du combat, ilsnbsp;all�rent au devant de Charlemagne, qui de-voit �tre pr�fent; mais, comme ils �toient pr�snbsp;de fon Palais, ils furent arr�t�s par les crisnbsp;d�un homme qui couroit apr�s eux. � Arr�tez,'nbsp;I,Renaud, arr�tez, difoit 1�inconnu; arr�tez,nbsp;� Renaud,volez au fecours de vosenfansi,
-ocr page 382-Les quatrc fils
,, peut-�cre ne vivenc-ils plus: Griffon ell en ,, embufcade, aupr�sde Tlfle, avec quantit�nbsp;� de gens arm�s, pour romber fur eux, fi leursnbsp;,, adverfaires ont du deffous.
A ces mots, Renaud toniba prefque �va-Eoui. � Oh! France! s��cria-t - il, oh ! ma ,, ch�re Patrie , faut-il qu�� y ait toujoiirs,nbsp;� parmi tes enfans, des traitres pour te d�ehi-� rer Ie fein? Allez, courez, Richard, armez-,, vous, faites armer tous nos amis, conduifez-� les dans l�Ifle, qu�ils veillent fur Griffon, amp;,nbsp;� s�il paroit, tombezfut lui, n��pargnez pas Ienbsp;,, perfide. Ne vous embufquez pas, comme lui jnbsp;� mals que tout Ie monde fache que vousnbsp;� �tes la pour la furet� du camp ; mais,nbsp;,, furtout, quand Ie combat fera engag� en-,, tre les enfans de Foulques amp; les miens, finbsp;,, les premiers triomphent, gardez - vousnbsp;� bien de donner du fecours aux vaincus;nbsp;,, laiffez p�rir vos neveux, plut�t que delesnbsp;,, fauver par un attentat.
Richard rafferabla quelques amis a la hSte, amp;, apr�s leur avoir fait connoitre la perfidie denbsp;Grifibh, 11 les mena dans l�Ifle.
Cependant, Charlemagne fut furpris de voir arriver Renaud, fans Richard; ils mon-t�reiit fur la tour qui ell au bord de la Seine, avec les Barons amp; les Pairs, pour juger dunbsp;combat. A peiney furenr-ils arriv�s, que Charlemagne vit Richard accourir avec fa troupe.,, Ah! Renaud s��cria-t-il, quel eft votrenbsp;� deflein, avez-vous r�foiu de me d�shonorernbsp;,, amp; de vous perdre ? Renaud, qu�eft devenue �
-ocr page 383-S??
d'Aymon.
i,*votre loyaut�? Sire, r�pondit Renaud , � pourriez-vous me foupgormer d�une lamp;chete?nbsp;� II n�ell pas encore temps que vous fachieznbsp;,, pourquoi Richard s�eft arm� ; mais croyeanbsp;� que c'eft pour votre honneur, amp; n�appr�-,, hendez rien d�indigne de vous, ni de la fa-,, mille d'Aymon.
Cependant le combat s�engage, amp; Conflant renverfe le jeune Aymon; mais celui-ci fenbsp;rel�ve adroitement, amp; porte a fon adver-faire un coup terrible fur fon heaume :nbsp;II �toit d�un acier d�une fi bonne trempe,nbsp;qu�il r�fifta; mais Flamberge glifia fur la vi-fi�re, la mit en pi�ces, amp; la moiti� de lanbsp;joue fut emport�e. Le coup ne s�arr�ta pointnbsp;l�; il tomba fur le col du cheval, qu�il abat-tit, amp; Conftant avec lui. Aymon defcendit:nbsp;Conftantnefe releva qu�avec peine; Aymonnbsp;courur a lui. ,, Ce fuc, lui dit-il, un grandnbsp;y, malheur pour roi, quanJ tii t�avifas d�ac-� cufer mon p�re de trahifon ; voici lenbsp;y, jour de la vengeanceAymon lui ayantnbsp;dit de fe d�fendre, il lui porta des coups finbsp;multiplies, que Conftant, d�concert� , alloitnbsp;de c�t� amp; d�autre, agitant vainement fonnbsp;�p�e, amp; ne pouvant porter, que des coupsnbsp;amortis, Alors, jetant loin de lui fon �p�e amp;nbsp;fon �cu, il pric Aymon par le milieu dunbsp;corps pour lutter centre lui: Aymon ne de-mandoit pas mieux, il �toit fort amp; robufte,nbsp;amp; �lev� dans les exercices les plus p�nibles ;nbsp;il fe d�gagea des bras de Conftant, le faifitnbsp;par le heaume, le traina fur la poufii�re,
jufqu�a ce que Ie heaume fe d�tacha amp; refta dans la main d�Aymon : Conftant ne pouvantnbsp;plus fe relever, appela fon fr�re a fon fecours.nbsp;,, C�en eft fait de moi, lui difoit-il, fi tunbsp;,, ne viens me d�fendre � ; mais Robert lui-m�me n��toit pas en meilleur �tat. Yon 1'a-voic terrafle du premier coup) il avoit brif�nbsp;fon armiire pi�ce a pi�ce ; il avoit, d�unnbsp;coup d��p�e, fait rouler a terre la moiti� de fonnbsp;heaume , avec une oreille amp; une partie de lanbsp;inamp;choire droite ; il perdoit tout fon fang;nbsp;11 ne pouvoit fe foutenir; il fe traina , avecnbsp;de grands efforts, aupr�s de fon fr�re. Les filsnbsp;d�Aymon leur offrirent leur grSce, �. conditionnbsp;qu'ils a voueroieni que, lorfqu�ils avoient accuf�nbsp;Renaud d�avoir tu� leurp�re par trahifon, ilsnbsp;avoient dit un menfonge, amp; qu�ils reconnoif-foient que la mort de Foulques �toit jufte ;nbsp;mais Robert, faififlant Ie moment o� Aymonnbsp;s�approcboit dc Conftant, pour 1�exhorter �nbsp;demander grice, fe foul�ve amp; eft pr�t k frappernbsp;Aymon par derri�re; Aymon s�en aper^oit,nbsp;il Ie repoufl� rudement amp; revient fur Conftant,nbsp;qu�il frappe au vifage. Yon s�appr�toit a punirnbsp;ia perfidie de Robert.
Renaud triomphoit; Charlemagne �toit bien aife que la calomnie reg�t fon falaire; maisnbsp;Ganelon, �tincelant de col�re, appelle B�ren-ger, Hardes, amp; Henri de Lyon. Nous fommesnbsp;�d�shonor�s, leurdit-il, les fils de Foulquesnbsp;,, font d�faits. Je n�ofe les fecourir, non inbsp;� caufe de Richard, mais a caufe de la pr�-� fence du Roi. Quel parti devons-nous prenr
-ocr page 385-5r�gt;
� dre? Le feul qiii nous refte, r�ponditHardes, ,, c�eft de diffimuler notre injure, amp; d�att�ndrenbsp;� un moment plus favorable, pour nous vengernbsp;� fur les parens de Renaud, fur fes amis amp;nbsp;^ furRenaud lui-m�me.
Aymon avoit dangereufement blefle Conf-,^tant. ,, Conviens, malheureux, lui difoit-� il, que Renaud efl le Chevalier le plus loyal qu�il y ait au monde, qu�il tua ton p�renbsp;en fe defendant, tandis que ton p�re, aunbsp;�contraire, vouloit le tuerpar trahifon; re-,, connois , amp; d�favoue ta m�chancet�. Nenbsp;� t�obftine pas a ta perte Conftant s�avouanbsp;vaincu, fe rendit, mais refufa de d�favouernbsp;ce qu�il avoir avanc� de Renaud; Aymon re-fut fon �p�e amp; le mena au Roi, pour en fairenbsp;ce qu�il jugeroit A propos. II revint au camp,nbsp;pour achever lad�faite de Robert; mais Younbsp;� s�yoppofa- Laiflez-moi, lui dit-il, med�fairenbsp;� de celui-ci, pomme vous vous �tes d�fait denbsp;� 1�autre,,. Yon court fur Robert, amp; lui portenbsp;fur l��paule un coup fi terrible, qu�i! lui abat Ienbsp;bras. ,, Reconnois, lui dit Yon, que Renaudnbsp;,, de Montauban n�eft point un traitre, quenbsp;,, tu as dit un menfonge, quand tu Pas dit;nbsp;� avoue amp; rends-toi, amp; je te laifferai la vienbsp;Robert refufa d�avouer amp; de fe rendre, ajoutantnbsp;encore de nouvelles injures contre Renaud Senbsp;fes fils. Yon, furieux, le prend par le heaume,nbsp;Ie lui arrache, lui tient 1��p�e fur la gorge;nbsp;mais Robert, plus obftin� que fon fr�re, nienbsp;conftamment qu�il ait fauflement accuf� Renaud, amp; trait� Yon de fils de rebelle. � Yon,
-ocr page 386-^8o nbsp;nbsp;nbsp;Les quatre fils
indign� de fon obftination, apr�s 1�avoir encore invit� de demander grace, Ie prend par les che-veux amp; lui plonge l��p�e dans Ie fein.
Les deux Chevaliers, combl�s de gloire, all�rent fe jerer aux pieds de Charlemagne,nbsp;qui loua leur courage. C�en ell aflez, leur dit-i!,nbsp;� Conllanr fe meurt amp; Robert n�eft plus; alleznbsp;� vous repofer dans les bras de la Viftoire:nbsp;,, Cependant, il efl; jufte que Conftant foiCnbsp;� puni. � Sire, qu�il d�l'avoue fon menfonge,nbsp;,, Si j'oublierai tout Charles Ie lui ordonna,nbsp;ibus peine d��tre d�grad� d�armes; mais Robert,nbsp;en voulant profeter quelques mots, expira;nbsp;amp; 1�on ne put favoir s�il avoit d�favou�, ounbsp;s�il avoit perfifl�.
� Vous voyez, dit Ganelon a Hardes, a B�-,, renger amp; a Gvilfon; vous voyez comment � Charlemagne nous traite. Jurons de nous ennbsp;� venger, quand nous en trouverons 1�occa-,, fion�. Ils Ie jur�rent, amp; Ganelon ne rem-plit que trop bien fon ferment, lorfqu�a Ron-cevaux, il trahit amp; fit p�rir les douze Pairs.
Cependant, Renaud, qui avoit expliqu� t Charles pourquoi Richard s'�toit arm�, ren-doit graces a Dieu : II fit venir fes enfans; ilnbsp;les accabla de carefl�s. Si, tandis qu�Alardnbsp;Guichard bandoient leurs plaies, il les exhor-toit de profiter de l�exemple de ces jeunes in-confid�r�s, amp; de ne jamais rien dire qui portStnbsp;atteinte a la reputation de perfonne; il leurnbsp;fut gr� d�avoit, plufieurs fois, offert la vie anbsp;leurs ennemis; il leur recommanda de confer-ver Phumanit�, la premi�re des vertus.
-ocr page 387-d�^ymon. nbsp;nbsp;nbsp;381
D�s qu�ils furent gu�ris, ils all�rent voir Charlemagne, qui les combla d�honneuts, amp;nbsp;leur donna pUifieurs Chateaux; amp;, peu denbsp;temps apr�s , Renaud amp; fes fr�res prirentnbsp;cong� de Charlemagne amp; s�en retourn�rent �nbsp;Montauban.
Renaud s�appliqua a mettre fes affaires ea bon ordre; enfuite, il envoya chercher fes eii-fans, il leur diftribua fes Etats; donna Dordogne a Yon, amp; Montauban a l�ain�. � J�ai afleznbsp;,, v�cu pour Ie monde, leur dit-il, amp; je Ie quittenbsp;fans regret, puifque je puis compter fur vosnbsp;}, vertus, vous n�avez plus befoin de mon fe-j, cours; je puis, fans crainte, vous abandon-5, ner une carri�re que j�ai parcourue avecnbsp;5, quelqu�honneur. Pour moi, je veux c�nfa-5, crer au Dieu , a qui je les dois, Ie peu denbsp;55 jours que j�ai encore a vivre.
-ocr page 388-3S2
CHAPITRE XXVI amp; dernier.
Lietraite de Renaud; regrets fur fon depart; foa amour pour P�galit�. Renaud Ma^on,nbsp;P�lerin , d�fenfeur de I'innocence , vain-queur de Pinabel, pourfuit fes courfes, arrive d VHermitage de Maugis, fe fixe au-pr�s de lui; leur amlti�; leur vie douce amp;nbsp;paifible : Maladie, pr�diblion amp; mort denbsp;Maugis. Dernier combat de Renaud. Pi^nbsp;nabel fuffoqu� dans les flats ; il y entrainenbsp;Renaud. Mort de ce h�ros ; fan tombeau *nbsp;fes fun�rallies; honneurs que Charlemagnenbsp;rend d fa cendre.
3L/ E s fr�res amp; les fils de Renaud ne croyoient point fa retraite fi prochaine; il reprit fonnbsp;habit de P�lerin, amp;, d�s Ie lendemain, au levernbsp;de I�aurore, il defcendit fous le rempart dunbsp;Chateau; il entra dans le fouterrain par le-quel il s��toit fauv� a Dordogne, lorfque Charlemagne avoir afFam� Montauban. Ses fr�resnbsp;amp; fes enfans le cherch�rent en vain ; tout re-tentifloit de leurs cris. Aymon amp; Yon r�fo-lurent de Pallet chercher dans tous les paysnbsp;de la terre, fi, avant quinze jours, ils n�ennbsp;avoient point de nouvelles. Alard courut �nbsp;Charlemagne annoncer la retraite de Renaud;nbsp;Charles amp; fes Barons en furent inconfolables.
Cependant, ce Renaud, qui rempliflbit le I monde du bruit de fes exploits, erroit a tra-
-ocr page 389-rers les n^ontagnes, expof� aux injures de Pair amp; de la faim, fe nourriflant de racines Sc denbsp;fruits fauvages, plus content, au milieu denbsp;ce d�pouillement ^�n�ral, que Ganelon amp;nbsp;Griffon, m�ditant des perfidies, ne I�etoientnbsp;au fein de la Cour.
Renaud envifageoit tous les hommes comma �gaux; il ne les diftinguoit que par leurs ver-tus ; il regardoit comme des jeux d�enfans,nbsp;ces dillinctions que la fortune amp; la naiflancenbsp;ont mifes entr�eux : 11 faifoit peu de cas denbsp;ce m�rite de convention, qui n�exifte que dansnbsp;Popinion, amp;, a cet �gard, il ne s�eftimoit pasnbsp;plus que le plus pauvre, amp; le dernier des hommes; il penfoit que, comme il ne falloit pasnbsp;rougir de parens vertueux, dans quelqu��tatnbsp;que le ciel les eut plac�s, il ne falloit pas,nbsp;non plus, les expofer a rougir, par des actions indignes d�eux, Sc que le meilleur moyeanbsp;de leur t�moigner notre reconnoiflance, �toicnbsp;de nous comporcer, comme ils d�fireroiencnbsp;que nous nous comportaflions, s�ils vivoientnbsp;encore, ou comme nous voudrions que v�-cuffent nos defcendans. C�eft dans ces principes, qu�il avoir �lev� fes enfans. Cette habitude de n�eftimer les hommes que par leursnbsp;propres vertus, Sc de ne les diftinguer, lesnbsp;unsdesautres, qu'autant qu�ils fediftinguoiencnbsp;eux-m�mes par leur conduite, lui faifoit trou-ver fa condition a�tuelle auffi douce qu�ellenbsp;I�etoit, lorfqu�il regnoit dans Dordogne, ounbsp;dans Montauban.
304 nbsp;nbsp;nbsp;quatre fils
vit,,de loin, des Magons qui Mtifloient un Monaft�re; les uns �coient accabl�s fous Ienbsp;poids de pierres �normes, les autres, furienbsp;faite de 1��difice, �toient e:^of�s a perdre leurnbsp;vie a tout moment. � Quel eft , difoit Re-� naud, 1�objec de travaux li fatigans amp; linbsp;,, dangereux ? De gagner de quoi ne pas mou-,, rir de faim. Ces hommes, condamn�s, ennbsp;� naiflant, a la mif�re, ne font-ils pas, commanbsp;,, moi, les enfans de la nature ? Pourquoinbsp;� n�ont-ils pas eu la m�me part a fes faveurs ?nbsp;,, N'y ont-ils pas les m�mes droits? Ah! ilsnbsp;�les ont, fans doute; mais c�eft nous, cenbsp;,, font les puiflans amp; les riches, qui, abufancnbsp;� de la foiblefle de 1�innocence , ont ufurp�nbsp;� ces droits, amp; fait des viitimes de leurs fem-�blables! Hommes injuftes amp; cruels! la na-,, ture ne peut-elle vous donner quelqu�a-� vantage, que vous ne vous en ferviez pournbsp;� 1�outrager? Eh ! bien, vengeons-la; je pou-,, vois naicre d�un p�re Magon , comme jenbsp;,, fuis n� d�Aymon , alli� de Charlemagne ;nbsp;,, quittons la place que le hafard m�avoit mar-� qu�e, amp; mettons-nous a celle qu'il pouvoitnbsp;� me donner.
En parlant ainfi, Renaud va trouver le mai-tre des ouvriers, amp; le prie d�employer un pau-vre �tranger, qui ne demande pas mieux que de travailler pour gagner fa vie. Le Maitrenbsp;Magon le regarde des pieds � la t�te. Renaudnbsp;�toit ext�nu� par le je�ne amp; par la fatigue.nbsp;� Mon ami, lui dit le maitre , cet ouvragenbsp;i, n'eft gu�ie fait pour vous. Qu�importe? dit
Rc^
-ocr page 391-d�Ay mort. nbsp;nbsp;nbsp;3 85
9 Renaud, je ferai ce que je pourrai, amp; vous � ne me payerez qu�a raifon de mon travail;
J�y confens, lui^dit Ie Ma^on. Voyez-vous, � la-bas, ces quatre Manceuvres, qui n�oncnbsp;j,, pu venir a bout de trainer cette pierre ?
allez leur pr�ter votre bras Renaud vit bien que eet homme plaifantoit; ma�s, fansnbsp;faire femblant de s�en apercevoir, il alia versnbsp;ces pauvres gens : Le Ma9on Ie rappela. �Bonnbsp;�homme, lui dit-il, ou vas-tu? ne vois-tunbsp;� pas que ce far Jeau eft trop lourd pour quatrenbsp;�jeunes gens robuftes amp; vigoureux? Crois-� moi, fi d�autres que toi n�y mettoient lanbsp;j, main, la pierre pourroit bien refter la juf-5, qu�a la fin du monde �; mais, Renaud,nbsp;fans r�c�uter, alia vers la pierre, amp;, fans lenbsp;fecours de perfonne, il la roula jufqu�aux piedsnbsp;du maJtre, qui avoit de la peine a croire cenbsp;qu�il voyoit. �Eh! bien, lui ditRenaud, vou-5, lez-vous me recevoir parmi vos ouvriers?nbsp;5, Mon ami, lui r�pondit le Maitre, preneznbsp;� Pemploi que vous voudrez Alors, Renaud monta leftement fur le faite, amp; fe mit anbsp;travailler. En regardant autour de lui, il vit,nbsp;dans le fond d�un vallon, une femme �chevel��nbsp;repoullant les brutales carel��s d�un homme ef-fr�n�, qui faifoit tous fes efforts pour 1�outra-ger *, Renaud quitte fon ouvrage , defcend,nbsp;s�arme d�un gros levier, amp; court de routes fesnbsp;forces. Quelques manoeuvres, qui ignorent fohnbsp;deflein, le fuivent, fans favoir o� il va; ilnbsp;approche; il entend les cris de la jeune femme,nbsp;amp; reconnoit Pinabel. � Traitre, s��crie-t-il,
R
-ocr page 392-,, abandonne ta proie amp; fonge � te d�fendre,#. Pinabel reconnott la voix de Renaud, amp; s'�-lance fur lui; Ie fier Paladin ne lui donne pointnbsp;Ie temps d�approcher, amp;, d�un coup de levier,nbsp;il 1��tend � fes pieds : Alors, Renaud vole 4nbsp;la jeune fille, �tendue a terre a demi-nue�nbsp;amp; prefque fans connoiflance; mais, comme ilnbsp;efl'aye de la rappeler a la vie, il entend Ie crinbsp;des Magons qui �toient fur une hauteur; ilnbsp;vole k leur fecours, il les trouve aux prifesnbsp;aveC une douzaine de fc�l�rats, complices denbsp;Pinabel. Les Masons n��toient que fix, amp;,nbsp;fans Renaud, c�en �toit fait d�eux. Renaud,nbsp;arm� de fon levier, fe jette au milieu des af-faffins, enfonce, d l�un, lapoitrine, cafle la t�tenbsp;a l�autre, abat Ie bras du troifi�me, en af-fomme deux autres, amp; Ie refte prend la fuitenbsp;amp; court plus vite que Ie vent; les Manoeuvres , furieux, ach�vent ceux que Renaud avoiCnbsp;bleli�s; il revint au fecours de la jeune fille,nbsp;amp; il la trouva noy�e dans fon fang : Le Idchenbsp;Pinabel, revenu de fon �tourdiflement, tandisnbsp;que Renaud puniflbit fes complices, 1�avoicnbsp;poignard�e amp; avoit pris la fuite; Renaud futnbsp;�galement d�fefp�r� de la mort de cette infor-lune'e amp; de la fuite de Pinabel.
Renaud s�acquit une fi grande r�putation parmi ces Ma9ons, que le Maitre vouloit luinbsp;c�der routes fes entreprifes; mais, ennemi denbsp;touce diftindion, Renaud trouva qu��tre Maitre de Masons, c��toit encore blefler cettenbsp;3oi d�cgalit� qu�il e�t voulu r�tablir fut lanbsp;terre, fans rien dire, il partir, peu de
-ocr page 393-jours apr�s; il fut g�n�ralement regrett� de fes compagnons, qui, tous, fe feroient facrifi�snbsp;pour lui.
Renaud erra de montagne en montagne, de for�t en for�t, jufqu�a I�Hermitage de Mau-gis; il en avoir chang� : De Ia Guyenne, ilnbsp;�toic pafle en Allemagne; il avoit crainc Ienbsp;courroux de Charles; il �vitoit fa faveur; ilnbsp;s��toit fix� fur les bords du Rhin, au deflbusnbsp;de Cologne; il �toit affis fur un gazon, Ienbsp;dos appuy� contre un rocher, tenant un' livrenbsp;a la main, enti�rement occup� de fa lefture.nbsp;Renaud Ie vit; il s�approche de loin, fans ennbsp;�tre aperfu, fe met devant lui, amp; Ie regar-de, fans tien dire. QuandMaugis eut ceff� denbsp;m�diter, il leva les yeux, amp; Ie premier objetnbsp;qui Ie frappa, fut Renaud. Maugis crut quenbsp;c'�toit fon ombre ; mais Renaud s��crie, ennbsp;ie preflant dans fes bras; � O mon cher Mau-f, gis, b�niflbns Ie ciel qui nous r�unit pournbsp;9, ne plus nous f�parer,,. La joie de deux Chevaliers , unis depuis fi long - temps, peut fenbsp;concevoir, amp; ne fauroit fe peindre; malgr�nbsp;leur amour pour la folitude, ils ne purent,nbsp;cependant, fe privet de la douceur de vivrenbsp;l�un aupr�s de 1�autre.
A quelques pas de I�Hermitage de Maugis, �toit une caverne creuf�e dans Ie rocher; Renaud la choifit amp; 1'habita; ils fe voyoient tousnbsp;les jours; leur age amp; leurs infirmit�s avoientnbsp;befoin de cette reflburce; chacun, de fon c�t�,nbsp;fortoit de fa folitude, amp; leur point de r�unionnbsp;�toit un ch�ne antique, fur une petite hau-
388 nbsp;nbsp;nbsp;Les quatre fils
teur. Le monde �toic, pour eux, une ombre qi� les avoit occ�p�s un moment, amp; ils re-grettoienc de s�en �tre occup�s; ils ne crou-voient de veritable jouiflance que dans la eon-templation de la nature; leur ame n��toicnbsp;vivement affed�e que de la grandeur amp; de lanbsp;fagefle de eet �tre Supr�me, a qui le fpec-tacle de 1�univers les ramenoit fans cefl'e; jamaisnbsp;leurs jours n�avoienc pali� auffi rapidement.
Un jour, que Renaud s��toit rendu fous le vieux ch�ne, plus rard qu�a l�ordinaire, il n�ynbsp;trouva point Maugis; il 1�attendit long-tempsnbsp;amp; ne le vit point venir. L�amiti� de Renaudnbsp;en fut alarm�e; il alia jufqu�a la cabane denbsp;fon ami; il le trouva foible amp; languiflant,nbsp;� Mon coufin, lui dit Maugis, le terme eftnbsp;�venu, dans deux heures, je ne ferai plus;nbsp;�je craignois que vous ne vinffiez point, Ssnbsp;�je ferois mort avec ce regret; N�en donneznbsp;� point a ma perte; la more n�eft que 1�ac-� compliflemenc de 1�ouvrage que la Naturenbsp;� commence en nous formant; heureux lesnbsp;� hommes, fi mille accidens funeftes, donenbsp;� leur inconduite S� leur m�chancet� font lanbsp;� caufe, ne d�rangeoient eet ordre ; Pour unnbsp;� fruit qui tombe dans fa maturit�, combien,nbsp;� que les infeftes d�vorent, que les vers cor-� rompent, que ia gelee d�tache de leur tige,nbsp;�que des chaleurs exceffives deflechent, ounbsp;� que des mains imprudentes cueillent avantnbsp;�le temps? Je tombe fous l�s coups bienfai-� fans que frappe la Nature. Ah! mon chernbsp;� Renaud, que je voudrois que votre vie fyc
-ocr page 395-termin�e par une mort corame la miennel f, mais le del vous en deftine une plus utile;nbsp;,, il faut que vous ferviez fa vengeance, m�menbsp;� en mourant. Que dites-vous? Maugis, in-
terrompit Renaud, comment fe pourroit-il ff qu�un Solitaire, dont les forces font affoi*^nbsp;3, blies, amp; qui ne veut plus quitter ces lieux,nbsp;,, puifle venger le del? Telle eft votre def-� tin�e, Renaud; vous ne voulez.pas, dites-� vous, quitter ces lieux : Et qu�eft-ce que lanbsp;,, volont� de 1�homme ! Dieu feul veut, amp;nbsp;,, I�homme ob�it; malheur a lui, s�il ob�icnbsp;� malgr� foi. N�eft-ce pas Dieu qui lui donnenbsp;,, le vouloir? Comment I�homme peut-il fenbsp;�flatter qu�il fera ce qu'il voudra, Jui, quinbsp;,, ne peut pr�voir un feul inftant dans 1�ave-,, nir? Se foumetrre, ex�cuter les ordres dunbsp;� del, lorfqu�il nous les fait connoitre, ounbsp;� par la voix de la confcience, ou par cellenbsp;,, de la raifon, ou par celle de la n�celfu�,nbsp;� voila le partage de I�homme. Adieu, monnbsp;,, cher Renaud, tu ne me furvivras pas long-,,-temps : Je meurs fansfait amp; tranquille, dansnbsp;� les bras de mon ami. Je ne Grains rien aunbsp;,, dela du terme de la vie; creature foible , amp;nbsp;,, fragile par narure, je rends, a un �tre bien-,, faifant par eflence, une ame dont 1�injufticenbsp;� n�a point alt�r� la purete. Adieu.
En difant cet adieu, Maugis expira dans les bras de Renaud, qui fe fentoit confol�nbsp;par les dernieres paroles de fon ami; il nenbsp;regi-etcoic que foi dans cette perte , car ilnbsp;�toit perfuad� que Maugis alloit jouir -d�un
R iij
-ocr page 396-bonheur �ternel; il 1�enfevelit amp; Ie d�pofa dans un tombeau , que Maugis s��toit creuf� lui-in�me : Depuis ce moment, Renaud vint,nbsp;tons les jours, dans la grotte o� repofoit Maugis; Ie lieu qu�il avoit habit� �toic un templenbsp;pour Renaud; il Ie revoyoit dans tout ce quinbsp;avoit �t� � fon ufage, amp; cette illulion lui te-noit lieu, quelquefois, desmomens qu�il avoitnbsp;pafles avec lui.
Un jour, que Renaud fe promenoit fur Ie bord du Rhin, il entendit, fous des arbuftes,nbsp;Ie cri de deux jeunes filles qui appeloient dunbsp;fecours, malgr� les glac�s de 1�Sge; Renaudnbsp;vole : Une jeune fille �rendue fur Ie fable, amp;nbsp;toute nue, avoit les pieds amp; les mains li�s, amp; fenbsp;d�foloit; D�auffi loin qu�elle vit Renaud, ellenbsp;lui indique de la main un fpe�lacle plus affreux'nbsp;qui fe paflbit fur Ie fleuve; un homme, la fu-reur dans les yeux, trainoit une autre jeunenbsp;fille, par les cheveux, hors de 1�eau : Renaudnbsp;vole fur Ie bord du Rhin , Sc, de fon bourdon,nbsp;frappe Ie fc�l�rat fur la t�te : Celui-ci ISche fanbsp;proie, amp; s��loigne, a la nage, hors de la port�enbsp;d�un fecondcoup; Renaud ne Ie quitte point ;ilnbsp;Ie pourfuit, 1�atteint amp; reconno�t encore Pinabel. �Infame opprefleur de l�innocence! luinbsp;� dit-il, ce fleuve fera ta tombe A ces mots,nbsp;Renaud s��lance fur Pinabel, Ie faiflt par Ienbsp;milieu du corps, amp; Ie plonge dans 1�eau, pournbsp;Py �touffer; mais, foit que la crainte donnarnbsp;des forces a Pinabel, foit que les derniers efforts de la nature expirante �ient aux nerfsnbsp;leur fouplelie amp; leur �lafticit�, il ne fut ja-
-ocr page 397-d'Aymon.
ma�s poffible a Renaud de d�barrafler fes jambes des mains de Pinabel, qui les tenoit ac-croch�es: II fic d�inutiles efforts pour fe d�-livrer d�un poids qui Pemp�choit de nager ; il frappoit, en vain, Pinabel dans la poitrinenbsp;amp; fur la t�te, pour lui faire l�cher prife; Pinabel �toit mort, amp; fes ongles, enfonc�s dansnbsp;les chairs de Renaud, �toient des crochetsnbsp;que fes efforts ne faifoienc que refferrer davan-tage. Renaud nagea pendant quelque temps;nbsp;il appela du fecours; mais il n�en parut d�au-tre fur Ie rivage, que lesjeunes fiiles, qui Ienbsp;faifoient retentir de vceux impuiffans pournbsp;leur lib�rateur. Renaud lutta long-temps centre Ie courant amp; contre Ie fardeau qui l�en-trainoit; mais fes forces affoiblies, re purentnbsp;lui permettrej de regagner Ie bord ; il s�enfonce|,nbsp;amp; Ie m�me flot couvrit Ie fc�l�rat amp; 1�hommenbsp;jufte.
Jamais les enfans Ss les fr�res de Renaud n�auroient eu des nouvelles de fa mort, li lesnbsp;jeunes fiiles n�avoient racont� leur aventure,nbsp;amp; remarqu� 1�endroit o� Renaud fut fubmer-g�; elles afferent avertir des P�cheurs de cenbsp;qui venoit de fe palier; c�eft par elles qu�onnbsp;fut que Pinabel, qui, depuis long-temps,nbsp;br�loit d�un feu inutile pour I�une d�elles,nbsp;les avoit furprifes dans Ie bain, qu�il avoicnbsp;d�abord train� fur Ie rivage celle qui lui �toicnbsp;indiff�rente , qu�il 1�avoit li�e, pour Temp�-cher de d�fendre fa compagne, que fon pro-jet �toit d�enlever celle qu�il aimoit, Ss d�a-bandonner, ou, peut-�tre, de plonger 1�autre
R iv
-ocr page 398-59� nbsp;nbsp;nbsp;^uatre fils
dans les flors; amp; qu�enfin, Pinabel, avec quel-ques brigands de fon efp�ce, s��toit empar� d�un Chateau, dont ils avoient maflacr� les ha-rnbsp;hitans.
Les P�cheurs retir�rent, en m�me temps, du fleuve Renaud amp; Pinabel; ils reconnurencnbsp;PHerraite, pour l�avoir vu, quelquefois, fenbsp;promener dans la for�t prochaine; ils Ie tranf-port�rent dans la grotte o� repofoient les ref-tes de Maugis; ils lurent cette infcription furnbsp;fa tombe.
Renaud DE Montauban, fils d�Aymon,
A CONSACa� CETTE PIERRE Aux MANES R�V�R�S DE SON Co�SIN,
Maugis , fils de Beuves ,
En m�moire de leur amiti�.
Les P�cheurs appriretit, pour la premi�re fois, qu�il y avoir eu deux Hermites, amp; quenbsp;Ie dernier ne pouvoit �tre que ce Renaud denbsp;Montauban, dont 1�Hermitage ne devoit pointnbsp;�tre �loign� ; ils Ie cherch�rent amp; 1�eurentnbsp;bient�t trouv�; ils fe convainquirent de fonnbsp;nom, par 1�image d�Yolande, qui �toit fuf-pendue u l�un des rochers de la grotte, amp; fousnbsp;laquelle Renaud avoit �crit, de fa main, Ienbsp;nom de fon �poufe amp; Ie fien. Les P�cheurs nenbsp;voulurent point f�parer ces deux amis; ilsnbsp;inhum�rent Renaud � cot� de Maugis, amp; mi-rent, pour route infcription gt; ie nom de Renaud
-ocr page 399-de Montauban amp; Ie portrait d�Yolande fiir la tombe de fon �poux.
Le bruit du combat amp; de la mort de 1�Her-mite parvint jufqu�a Cologne. Le nom, de Reuaud excita la curiofit� du Seigneur de Bu~nbsp;rie; il avoit, autrefois, connu le fils d�Ay-mon; il favoit qu�il avoit difparu du fein denbsp;fa familie; il favoit que Charlemagne le fai-foit chercher, amp;, quoique ce Seigneur nep�cnbsp;fe perfuader que 1�Hermite dont on parloit,nbsp;fut Renaud de Montauban, 31 alia le voir,nbsp;]ut l�infcription du tombeau de Maugis, amp;nbsp;reconnut Yolande; il pria fur la tombe dunbsp;h�ros, y mit des Gardes, revinta Burie, amp;,nbsp;d�s le lendemain, il.y envoya toutle Clerg�nbsp;de Cologne, fit exhumer Maugis amp; Renaud,nbsp;amp; fit embaumer ce dernier; il fut tranfport�,nbsp;avec la plus grande pompe, a Cologne, amp;nbsp;d�pof� dans la Cath�drale,, o� vingt Chevaliers , qui fe fucc�doient deux a deux, le veil-l�rent nuit amp; jour.
Le Seigneur de Burie envoya un expr�s aux fr�res de Renaud amp; a Charlemagne. A cettenbsp;nouvelle, un deuil g�n�ral couvrit toute Ianbsp;France; la Cour fut plong�e dans latriftefle;nbsp;�c mod�ledes Chevaliers eft mort, s��crioit-onnbsp;de tous c�t�s, amp;, bien loin que les Chevaliers, les Batons, amp; les Pairs, fuflent offenf�snbsp;de eet �loge exclufif, ils r�p�toient, le mod�lenbsp;des Chevaliers eft mort. Les fr�res de Renaudnbsp;amp; fes enfans �toient inconfolables. Ce qui ren-dit ia douleur de Charlemagne plus am�re ,nbsp;ce fut d'apprendre que Pinabel �roit la caufc
R V
-ocr page 400-394 nbsp;nbsp;nbsp;^uatre fils d*Aytnoru
de la mort de Renaud ; il fit venir les deux jeunes filles qu�il avoit d�fendues contre lesnbsp;outrages du brigand; il les maria i deux Seigneurs de la Cour, amp; les dota d�une partie desnbsp;biens confifqu�s au traitre.
Peu de jours apr�s, les fr�res amp; les fils de Renaud , accompagn�s d�un grand nombre denbsp;Chevaliers, all�rent a Cologne, chercher lesnbsp;relies du h�ros amp; de Maugis; ils les firent tranf-porter en France , amp;, lorfqu�ils furent i quel-ques lieues de Paris, Charlemagne, avec fanbsp;Cour, alia au devantdu convoi; amp;, lorfqu�ilnbsp;lui eut fait faire les plus magnifiques fun�rail-les, on conduifit les cercueils a Montauban;nbsp;Charlemagne voulut encore les accompagnernbsp;jufqu�a Orl�ans, amp;, de retour �. la Cour, ilnbsp;condamna � 1�opprobre Ie nora amp; la m�moirenbsp;de Pinabel.
-ocr page 401-35*5
V_/haPITH.E ER-EMIER. Charhmagtti envoys Lo-thaire , fon fils , fiommer le relielle due d'yligreinont. Horrible f�lonie du due. Charlemagne fait Chevaliersnbsp;les quatre fils d'rPymon, �? s'appr�te d venger I'affalfinatnbsp;de Lothaire. Les fils tTAymon , parens de l'afajpn .nbsp;quittent la Cour de Charlemagne, pour n'itrc pasnbsp;oblig�s de combaltre contre lui. /Itcueil que leur faitnbsp;leur mire. Le due d'Aigremont vient au devant danbsp;Charlemagne , efi vaineu amp; demands grdee pour fesnbsp;Tuiets au vainqueur. CUmence birolque de Charlemagne.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;Pag. 5
Chap. II- Comme les eourtifans ont I'art de fatifaira leurs pafions au nom de leur fonverain , qui ne s'ennbsp;doute pas, amp; au pr�judice de fes fujets, qui voyent loper fidie , en foufrent df n'ofent s'en plaindre. Trahifottnbsp;de Ganelon. Mort du due d'Aigremont. Couleur de lanbsp;duchejfe. Sermens de Muugis de venger fon plre. 3gt;nbsp;Chap. III. Aymon reproche amp; Charlemagne Vimpunitdnbsp;du crime de Ganelon. Audaee de Renaud. 11 tue,d'uanbsp;coup d'lchiquier, herthelot, neveu de Vempereur.nbsp;Fuiie de Renaud, de fes frlres, amp; de Maugis leurnbsp;coufn.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;44,
Chap. IV. SUge du chdteaudeMontfort;avant-garde de Charlemagne taillie en pilces; lataille fanglante;nbsp;trahifon de Bernier de la Seine, qui introduit les fran -fois dans le chdteau, S?y met le feu; combat, au milieunbsp;des famines; vittoire des quatre fils d'Aymon. 5anbsp;Chap. V. Danger de Renaud amp; de fes frlres. Berniernbsp;leur propofe de leur livrer le tr�for de Charlemagne;nbsp;Renaud le fail icartelif. Retraite des quatre paladins,
R vj
-ocr page 402-Regrets de Renaud, a I'afpcSt de Montfort embrafi. Charlemagne les pourfuit avec fan arm�e. Renaud ftnbsp;retire en vainqueur. Retraite de Charlemagne. Combatnbsp;d'dymon centre fes cnfans.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;66
Chap. VI. Extr�me mif�re des fils d'Aymon. Us out recouTS a leur mire Entrevue touthante. Colire feinttnbsp;amp; politique d'.lymon. Us fortent du chdteau avec centnbsp;hommes d'armes, c? comblds de J^r�fens i3? de bienfaitsnbsp;de- leur mere. /lymon les attaque IS leur donne troisnbsp;cents hommes d armes. iilaugis efidleur t�te. Renfortnbsp;de trois cents hommes d'armes. Of re de fervices auroinbsp;de Cafcogne.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;78
Chap VIL Combat des fils d'Aymon centre les farra-fins. Renaud force leur rot d fe rendre d abjurer Mahomet. Boulag-Jkafir clde fes conqu�tjes au rot.nbsp;Renaud demande , pour toute r�compenfe. de fe hdtirnbsp;tin fort fur la Dordogne. Chdteau de Montauban. Ltnbsp;roi de Cafcogne lui donne fafaur Tolande, qtti I'aimoitnbsp;en fecret.
Chap. VIII Charlemagne ennoye demander au roid A-quitaine de lui Uwer Renaud S� fes frlres ; refus du roi. Dlclaratioii de guerre. Arrivie de Roland ct lanbsp;cour de Charlemagne. Sa jeunejfe , fa beaut� fon courage. Guerre contre les farrafins fur leRh'tn. Prodigesnbsp;de etaleur de Roland. Courfe de chevau.v. dont Renaud^nbsp;qu on cro'tt a Montaubanremporte le prix fous lesnbsp;yeux m�me de Charles.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;105
Chap. IX. Charlemagne ajfilge Montauhan^fait fommer Renaud de fe rendre Renaud fait mie forth vigou-reufe avec fes frlres. Butin ^ maffacre, viSoire des filsnbsp;d�.lymon. Fauie de Roland. Perfidie d Ton ..roi d� Aquitaine. Combat terrible des fils d' Aymon ,feuls ,d�farmdSfnbsp;litres par Ton. Exploits inouis Secours inattendu.
120
Chap. X. Suite du combat pr�c�dent Les fils d'Aymon fecourus par les gafeons conduits par Maugis. Nou-veaux exploits. Oger vaincupar Renaud, infultlpar
-ocr page 403-397
Rolandi ntn parit quo plus grand. Maugh racontt � Rmaud comment il a appris la trahifon du roinbsp;d'.iquitaine. 11 rend au jour Richard, amp; gu�rit lesnbsp;llejfures d'Alard, de Guichard amp; de Renaud. 145nbsp;Q/RKS.'SA.' Retour desfils d'Aymon is Montauban. Alar~nbsp;mes amp; renterds du roi d'Aquitaine i il fe r�fugi� dansnbsp;un convent; Roland ly d�couvre amp; l enl�ve: Renaudnbsp;vole d foil fecours, amp; Ie d�gage. apr�s un combat fan-glant, desfers de Roland. Roland ejlhleff�. 157nbsp;Chap XII. Richard ejl fait prifonnierpar Roland.Charlemagne s'empare du prifonnier ,malgr� fnn vainqueur,nbsp;amp; Ie condamne d un fupplice infame. Enchantementnbsp;de Maugis, qui Ie rend m�connoiffahle ; il d�couvre canbsp;qui fe paffe au camp , en donne avis d Renaud, qui faitnbsp;embufquer fes troupes. Noble fermet� des Chevaliers fnbsp;qui refufent d'efcorter la conduite de Richard au fupplice. Ldcheti d'un courtifan.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;177
ChaP- XIII. Richard eft conduit au fupplice. Renaud Ie d�livre. aid� de Maugis amp; du roi d'Aquitaine. Desnbsp;Rives eft mis d la place de Richard. M�prife d'Oger.nbsp;Combat entre Charlemagne 6? les fils d'Aymon. Offrenbsp;g�nireufe de Renaud; dangers que courent Charlemagne amp; Roland.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;190
Chap. XIV Les quatre fils d'Aymon, amp; Maugis, abat-tent Ie pavilion du roi. Combat d'Otivier amp; de Maugis. Maugis prifonnier d Olivier Efforts de Charles amp; de'nbsp;fes Chevaliers pour arracher Maugis d fon vainqueur.nbsp;R�fiftance opinidtre d Olivier ; combat d�Olivier avecnbsp;les chevaliers. Gin�roftt� de Maugis. Olivier Ie d�gagenbsp;de fes fermens. Maugis brave les courtifans. Renaudnbsp;vole d fon fecours.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;203
Cpiap. XV Maugis au pouvoir de Charlemagne; con-damn � d p�rir du fupplice des truitres. Craintes^ fureurs inutiles de Charlemagne centre Maugis; en-chantemens, rufes, d�guifemens de Maugis. Les chevaliers fervent de caution d Maugis; fa ioyaut�. m�mtnbsp;en trompant Charlemagne; butin immenfe qu�il em-
-ocr page 404-393
parte gt; fa faite. Rencontre de Renaud. Courroux de Charlemagne d I'afpeB de I'aigle d'or. Diputation dnbsp;Renaud ; accord d'une trive, rendue inutile par les.nbsp;confeils de Pinabel. G�n�roftti de Renaud. Let Chevaliers difendent leur Inyauti centre Charlemagne.nbsp;Rropofition du roi de fe battre avec Renaudi Rolandnbsp;of re de combattre d la place du roi.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;215
Chap. XVI. Combat entre Renaud if Roland. Maugis let fauve Vun �f Vautre par un pirodige de fun artnbsp;magigue. Roland fuit Renaud d Montauban. Charlemagne met le Ji�ge devant ce chdteau. he roi efl enlevinbsp;dans le palais de Maugis, li livri d Renaud. Maugisnbsp;fort de Montauban ,amp;fe retire dans un hermitage. 240nbsp;Chap. XVII. Confeil des fils d'Aymon fur le fort dtnbsp;leur prifonnier. R�veil de Charlemagne ; fa fermet�;nbsp;pribres de Renaud pour la paix; attendrifement dttnbsp;roi; Pinabel change fes difpofitions. Extr�me g�n�rofttinbsp;de Renaud : Liber t� de Charlemagne; vaine remon-trance des chevaliers. Continuation du blocus; afautnbsp;gin�ral; les troupes de Charles font repouf�es; faminenbsp;horrible: Le plus grand danger que Bayard ait couru.nbsp;Wynton jette des vivres duns la ville, fa difgrace, fanbsp;retraite de l�arm�e. Nouvel afaut, aujfi inutile que lenbsp;premier.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;249
Chap. XVIII. Les fils d�Jymou abandonnent Montauban; Us en fortent, fecrettement, avec les habitans, Jlsfe retirentd Dordogne. Secours qu'ilstrouvent dansnbsp;leur route. Etat oh Charlemagne trouve Montauban.nbsp;11 veut aft�ger Dordogne: Renaud le pt�vient. Bataillenbsp;fanglante. Le due Richard de Normandie prifonniernbsp;de Renaud; fage confeil de Roland; fermeti du due.nbsp;Mort du roi d'Aquitaine.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;269
Chap. XIX. Songe de Maugis; it vole au fecours de Renaud; il attaque des voleurs amp; les bat; il iraverfenbsp;le camp de Charlemagne fous la figure d'un chevaliernbsp;paralytique; il combat Pinabel, le terrafe, lui faitnbsp;me peur efroyablei il arrive d Dordogne, foie dt
-ocr page 405-Kinaui fif d'Tolandc. Maugh prlf�re fon hermitage ^ fa pauvreti ct la grandeur amp; ct la richejfe; il repajfenbsp;au travers du camp dc Charlemagne^ en hermite; dangers qu'il court.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;aS4
Chap. XX. K�furreBlon de Pinahel. Proportions de Charlemagne h Renaud. Inflexibiliii de part d'autre.nbsp;Pinahel ditruit les bons efets des confeils de Roland.nbsp;Reproches �? remontrances au roi. Gibet �lev� fur lanbsp;plus haute tour de Dordogne. Le due Richard menac�nbsp;du fupplice, eue fes fatellites. Ingratitude de Charlemagne. D�feSion des barons amp; des pairs. Fermet� con-fiante du due Richard. riSion g�n�reufe de Renaud. 297nbsp;Chap. XXI. hUchanceti des confeils de Pinabel recon-nue �f punie. Noble aveu de Charlemagne. Retour desnbsp;pairs. Renaud fe d�voue pour fes frlres. Sa refinancenbsp;aux larmts de fon �potifs amp;quot; de fa familie. /Hannesnbsp;d'Tolande; fon amour �f fon courage, rittendrijfementnbsp;de Charles. Pardon ti punition. Exil de Renaud. 310nbsp;Chap. XXII. dccueil de Charlemagne aux frlres denbsp;Renaud. Son dipart pour Li�ge. Combat de Buyar/lnbsp;amp; de Ganelon dans la Meufe. /Irrivie de Renaud dnbsp;Conjiantinople. Rencontre imprivue de Maugis malade;nbsp;Uur arrivie h J�rufalem. Si�gede la Cit� faint e. Admiration qu'excite Renaud dans le camp des Cbr�tiens.nbsp;Hommages du Comte de Ranee , S? des Chevaliers, Itnbsp;Renaud. Prifens rejetis amp; diplribuis par les fils d'Ay-mon f auxpauvres Chevaliers. Fites, r�jouifances dansnbsp;le camp. Sortie des ajjicgis; bataillefanglante. Valeurnbsp;de Renaud fi? de Maugis. f�rufalem enlev�e aux Per-fans. ASion difefp�rie d'Emirza. Les Perfes chajf�snbsp;de la Palejline; ils demandent lapaix. Troupes de Chri-tiens difciplinies par Renaud. Dipart de Renaud amp;nbsp;de Maugis.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;315
Chap. XXIII. Renaud 6? Maugis arrivent � Palerme^ Accueil qu'ils refoivent du roi de Steile; bataille fan-glante,gagn�e centre lesSarraftns. Dipart de Renaudnbsp;S� dt Maugis i ils rctournent d Confiontinoplc, pour
-ocr page 406-400
s'acquittir enters M�rancie; leur retour en Itali�; lis. pajfent h Rome., 5? reviennent � Dordogne. Renaudnbsp;y apprend la mort d Tolande; fa dauleur Jes regrets^nbsp;fon chagrin fe calme en revoyant fes enfans. Muugisnbsp;lui fait quitter Ie trifle f�jour de Dordogne. 343nbsp;Chap. XXIV Retour de Renaud d Montauban ; d�~nbsp;part de Maugis pour fon- hermitage; Renaud '�f fesnbsp;fils l�accompagnent. Pricautions de l'amiti�. Mort danbsp;Duo dymon. Renaud en apprend la nouvelle d fesnbsp;frlres : Partage de fes biens. Education des enfansnbsp;de Renaud. Efl'ais de leurs forces. Oifcours de Renaudnbsp;d fes enfans; il les envoye d Charlemagne amp; les metnbsp;d la t�te de deux Compagnies d'hommes-d'armes. 354nbsp;ClIAP XXV. Aymon amp; Ton arrivent d Paris, deman-dent au Roi de les faire Chevaliers; accueil qu ilsnbsp;regoivent de Charlemagne amp; de fes Pairs. Jaloiifle desnbsp;fils de Foulques de Morillon : Outrages quits font au�nbsp;fils de Renaud : D�flrs, gages, 'plciges. R�ctption desnbsp;fils de Renaud;f�tes.Pr�paratifs pour Ie combat entrenbsp;les fils de Foulques 6? ceux de Renaud : Trahifon imi�nbsp;tile; combat., viBoire d�Aymon Cf dTon; fureurs denbsp;Ganelon. Retour de Renaud cf de fes fils d Montau-bofi.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;364
Chap. XXVI, Retraite de Renaud; regrets fur fon d�part; fon amour pour V�galit�. Renaud Mapon . P�-lerin . d�fenfeur de Vinnocence , vainqueur de Pina~nbsp;tel, pourfiit fes eourfes, arrive h VHermitage de Maugis . fe fixe aupris de lui; leur amiti�; leur vie doucenbsp;�? paifihle : Maladie, pr�diUion Cf mort de Maugis.nbsp;Bernier combat de Renaud. Pinabel fuffoqu� dans lesnbsp;pots; il y entralnc Renaud. Mort de ce h�ros; fon tom-heau , fes fun�railtes; honneur que Charlemagne rendnbsp;i fa cendre.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;38 2
J�ai lu, par l�ordre de Monfeigneur Ie Garde des Sceaux, /a Siiliolh�que Bleue. enci�remenc refonduenbsp;amp; conlid�rablement augment�e; amp; je penfe que per-fonne ne regardera eet amufement d�un Lict�rateur,nbsp;homme d�efprit, comme un rajeuniffement inutile.nbsp;Donn� a Paris, Ie 12 Septembre 1783.
*i Acad�mUi d'Anders �f de Rotten.:
-ocr page 408-.Xgt;5'o84'X - f?
C 1 . �* �nbsp;1^-
-ocr page 409- -ocr page 410- -ocr page 411-lt;?